LG LIVllE DES FAMILIES JOURNAL DE M. LE CURE. TOME PREMIER, M -V Paris -Typographic SciraEimtt et Laschakd , rue lyErlurlh, 1. f- ^ r ^-<^y/^ . vr^ ^dP : //'*-/ tr ^M^ T Arc- 2') 5 H.'STOP.y. I PARIS, L. GIRALDON FILS, fiDlTEUR, 9, QUAI MALAQIIAIS. LE LIVRE DES FAMILIES JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE. W I. — r' Volume l'''IITovembre 1S4«. iiiiii^iii h. INTRODll J'ai connu uii lion cure des environs dc Bosfiiicoii c|iii clait bien riiomme lo plus venci'iible el le filus insli'uil, Ic phis charilablc et le plus spirituel qu'on puissc imnfjinor. La rtivoluliou francaisc avail frappe loute sa famillo tie inort on de pauvrete; lui-meme avail (Hi; I'oice a I'exil, el il avail lonf;U'nips on-e dans los jiays proleslanls sans aulre secouis ((ue son Iravail et son courage. De lanl dVpi-euves, il n'avail rapporte ni niurmure centre les honimes ni ai!:;reur conlre le monde ; sa pii'lci elait lianlc cl sa devotion aussiprofonde qu'cclairee. Force d'habilcr rAllomagne dans un temps ct dans une province i(ue k's mauv de la guerre desolaicnl, il avail appris la medecine el la ebirurgic pour soulager aulant qu'il elail en lui riiumanile dans ses plus horribles pcines, el donner a la fois le saint de I'ame el la guerison physii[ue, on du mnins (luelque soulagement aux malbcureux tpii couvraienl Ics chiimps de balaille. On Ic voyail crrer dans ces plames lollies sanglanles, ou habiler les hopitaux comme inlirniier, nil Christ cache dans sa poilrine. ignore dans sa sublime mission, et connu seulemenl aulanl qu'aime pour sa bonlc inepnisable, la simplicilii de son caracterc et la gaiele de son anie. •jiie dc conversions il opera ainsi! (lucd'amesracheteesel' 'le bien accompli ! Cel excellenl liomme avail vii Ics deux CTION. mondes, elloiiglcmpsdesserviuneparoissccatlioli(|ucdelial- timore. II lui etait resle de ses longs voyages un vif el con- stant besoin de se lenir au courantdesprogrcsmoraux de la cliretiente ; un dc ses parents elaiit miu-laiix Verrieres suis- scs, cl lui ayanl laisse un clialcl el unc donzaine de millc livres de rente, M. Eustachc Grisier, — c'etail son noni, — les partagea dc la maiiicre suivaute : qnatre mille francs aux inaladcs, deux niiUe aux pauvres ; qnatre millc francs en livres et journaux de tons les pays, et deux millc francs pour son entrelien, sans compter les emoluments dc sa cure qui n'etaient presque rien. II savait parfaitemcnl I'cspagnol, I'allcmand, rilalien cl I'anglais. II n'y avail pas de belle action qui se fit sur la face dn globe qui ncAint a sa connaissance, pas d'invention nouvcllc ipi'll ne connul avaul loutlc monde; el il n'en faisail pas nn objel de re- cbcrcbc egoisle ou dc curiosile value : les dimanches. il reunissait pres de lui les enfants dc ses onailles, paysans ct riches, cl les caplivait par cetic serie d'anecdotes lou- jours inleressantcs que la plupart de nos livres ignorent ou passenl sous silence, el qui avaient pour son audiloire un cliarme incxpriinablc. , Ce n'elaicnt point exrlusivcment dcs siijels moraiix, ni des commentaires rehgieux. II avail coutume de dire que la leliiion elail parlonl. et qn'il fall.iil I'indiqner el la faire 1 LES SAliNIS sciilii' ,1 \':\\u(\ plulijl i|iu' riiii|>riiiii'r (lisleini'iil dans Ics t'spi'ils. 11 niiMail Icsircils iiimvoau.x. k's aiiecclolos |H'U ci>n- iiiips, iiiix ilelnils ties cxpi'iii'iiocs, ilos diTOUvorles vl dcs voy.i;,'OS Ics pins receiils. Aiiisi il oiilrolpiiait o( salisl'aisail a la fois la curlosile (loscsauditeurs, et conlribuail a leuriili- lito et ii knir liicn-i"lre. 11 psI aiTive a plusd'iin joiine paysan dc venirliiidomaudcr. le liiiuli maliii, des rcnsi'ignemenls sur If noiiviMU prncedi' agricolc (|ue le cure avail decril la veille. Lc temps elail employe, Ics boiis priiicipcs se gra- valciil dans Ics Intelligences, et la religion n'y perdait ricn. M. (Jrisicr faisait ohserver qnc saint Francois de Sales con- seille d'eniploycr Icsromans et mcme les conies pour intro- duire les verilcs morales ct rcligicnsesdans Ics jcunescccurs. 11 Mais le temps des faMcs est passe, disait-il avec raison ; . 'i. Wnmeill. St Eudoxeet ses coiiipugiious, uianjrs, vers r.2o. 3. Ulmanche. St Marcel, eviique de Paris, niorl au 5« sieele. St Eustache et sa ramille, martyrs. Si Flour, premier evSquede I,oileve, mort vers 400. Si Hubert, evi^que de Mui^'S- iriehr, nioit eii 727. Sle Sjlvie, mere de St Grii- goire, mort au 0<> si^cle. i. IjUiifll. St Charles Borro- mee,oveque, luurten 1,^84. SI Clair, pietie, luarljr au Vexiii, vers 275. Sle Modeste, vierge, nmrle vers 780. a. Slarcli. St .Vgatlianj^e evt^qui: li'Autun, mort eii 251. SI Zucliarie, pOiede SI Jean Bapliste. Sle Uertille, abbesse de Chelles. SI tie, solitaire du Berry. O. Hercretli. St Leonard. solitaire, mort en 550. SI Vinoc, abbe de Worm- oulh eii Flandre. SI lllut, abliii dans le pays de Galles. 7. dieudl. St Ernest, ablie, martyr eu 1148. St Willeliiod, premier evi5- que d'Utreclit. St Amaranle, martyr i Alby St Ruft'e, evi!'que de Melz. SL Euj^elbert, arcbevi^que de Cologne et martjr. 8 Veiidroili.StDieudonu6. premier du nom, mort en 618. St Godi'froy, cvfique d'A- mieiis, mort eii 1118. St WillibalJ, eviique de Bre- me, et aputre de la Saxe. SI Kebe, evfque. St Gervade , evOque en tcosse. tt. Mameilt. St Maiburin , prOlre, mort vers 387. SI Theodore, martyr a Ama- .si'e, en 306. St Valine, evc^qne de Verdun, St Benelt, ari-lievi\|iie d'Ar- niagli en Irlande. 10. Dimaiiche. St Lhuh le Grand . |ia|ie , docleur , iiiorl vers 4()2. SI Andre Avelliii, elerc re- gulier thealin. SI Tryphoii et Sle Uespice, martyrs en Billiyuie. Sle Nyniphe, vierge eu Si- cile. SlTibere ou Tiliery, Ste Flo- rence el St Modeste, mar- tyrs dans la Gaule iiarbon- naise. StJusle, arcbeveque deCau- torbery. St Milles, evfipie de Suse , St Abrossime. pri^tre, el SI Siiia, diacre, martyrs en Perse. 11. E.unque tie t^avail- lon, mort vers 600. St Theodore Sludile, abbe, a Constantinople. StEvade,vulgaireinent Voz) ev6que du Puy. I a. Hardl. St Martin, pape martyr en 655. St Nil, anaeborele, p^Te de I'Eglise SI Rene\ patron d'Angers. SI Emilien, vulgalremenl Si Milhan dela Cogolle, cine el solitaire en Espagne. Si Livin, palrnii de Gaud. SI Palerne, moine de St Pierre-Ie-Vif, martyr. St Lebwin, patron de De venler. Si Macaire, 6vt\|ueen Ecosse St Josaphat, arcbeveque de Polozk. 13. Mcrcredl. St Gendulfe. evi>que, martyr vers 600. St Briee, evgque de Tours, mort en 444. SI Stanislas Ivuslka, mort en 1508. St Hammebnn, marchand. St Didace, religieux de Sl- Frani^ois. St Merre ou St Mitre, marlyr a Aix en Provence. St Abbon, abbe de Flenry. marlyr en Ga^i ogiie 14. Jeudl. St Clementin, martyr. St Laurent, arcliev6que de Dniilin. SI Dubrice, evOque eu Au- glelerre. St Rul', ijremier evique d'A- vignon. SI Saens, alibe au pays de Caux. en Norinandie. 15. Vendredi. St Eugene, marlyr a Deuil, vers 200. St Maclou, t'vOque d'Alelh, niorl au O*^ ou 7^^ siecle. St Leopold, marquis d'Au- Iricbe, mort en 1130. Sle (ierlrude, abbesse de I'ordie deSt-Beno!l. St Leoiiee, eviique de Bor deaux. St Pavin, abbe dans le Maine. St Diclier, vulgairenienl Si Gery, evi>que de Cabers. 16 Samedi. St Edme, eve- que lie (^anlorbery. mot I en 1241. SI Enclier. evi>que de Lyon 17. Dinianchc. S. .Vgnan eWi^que d'Orli^ans, niorl vers 453. SI Gr^goire Thauinalurge evi>que de Neoeesan^e. St Denis, eveque d'Alexati drie. StGregoire.evc^qnedeTours St Ilugues, eveque de Lin- coln en .\ngleierre. 18. Eiundi. Sle Aiide, veuve niorle au 6« siecle. SI Mantle, solitaire, mortau 7" siecle. St Alpbee, Si Zacbee, St Ro- main, StBarulas. marlyr- St OJon, abbe de Cluni. Sle Hilde, abiiesse en Angle terre. 19. Ilardi.Slelilisabelh de llongrie , veuve, morle en 1231. SI Ponlien, pape, marlyr. Sl Barlaam, in iityr. SI Patrocle, reclus en Berry. St Jaques, ermile en Berry. 20 Slercredl. St Edmon- droi, marlyr en 850. St Oclave, soldal, marlyr en 286. Sle Maxence, vierge el mar tyre en Beaiivoisis. SI Sylvestre, evOque dc CliJ- I<||ls-sur-Sa(^ln■. Si Beniwaril , ou Bernard , t'viNinede Hildesbeiui, en b.'isse Saxe. Si Felix dc Valiiis, colligf.e de St .lean de Malha. 31. ileiidi. SI Cidombali, abbe, moil en (>I5. Stlleliador. marlyr eu Pani- pbylie au 3' siecle. St Gelase, pape. 33. Vendredi. Sle Ceeile, vierge et martyre a Rome en 230. Si Philemon et Ste Apple. 23. Namcfli. St Clement, pape, premier du nom , marlyr en 100. SI Aiiiphiloqiie, eveque d'l- eiiiie, en Lyeaonie. SI Troii, priilrc. St Daniel, evi^qtie au pays de Galles. 3'1. nfmanelie. St Severin. moine solitaire, mort ver> .WO. St Clirysogone , martyr a Aquilce eu 304. St Juste, c^v^que de Jerusa- lem, mort au 2« siecle. Sle Flore el Ste Marie, vier- ges el marlyres en 851 . SI Jean de la Croix, premier earnie dechausse. St Pourcain, ablte en Anver- gne. 35. Ijnndi. Sle (^ilberine, vierge marlyre. Sle llildegiinde, vierge. St Moyse et SI Maxinie, prf- tres et martyrs. 3C. Mardi. Sle Genevieve des Ardents, invoquee en 1120. Sle Delphine ou Daupbine, vierge, morle en 1366. SteViclorine, inarlyreenArri- que. St Pierre, eveque d'Alcxaii- drie, marlyr. St Basle, erinite en Cham- pagne. St Conrad, ev^iiue de Con stance. St Nicoii. suruomme Mela- noile. St Sylvestre tiuz/.olini, abbe d'Ossimo, insliluleur de Sylveslrins. 37. Ilerrredi. SI Lin, pape. marlyr a Hume en 78. ANECDOTES Si Vilal I'l SI Ayicule, mar- tyrs vers oOl. Si MaNiine, ov*iiue de Riez. St Jacques rinlcrcis, iiuirljr eii Perse. Si Maharsapor, martyr en Perse- SI Eiiske, ermile. puis abbe de Celte en Berry. St Acaire, evCque de Noyon. SI Virgile, enViue de Stras- bourg. 88. Joudl. Sle OuiiMe, fein- niedu seiialeur llilaire. St filienne le Jenne, martyr. SI .lacques de la Marclie, re- ligieux de Sl-Fran^ois. SB. Vendredi. St Salurnin, Itremiei' evi-ipie de T(Hi- lonse, martyr vers 251. Si liadbod, ev jqned'Ulreclit. St Brandon, ahlie en Irlande. 30. Nampdi.St Andri', ap6- tre, martyr a I'atras en 09. St Nars^s, e\^que, et ses eompagnons, martyrs. Si Sapnr, (ivi^qne de Betli- Nietor; St Isaac, (ivfique de Carclia; St Malian^s , Al)ral)ani et Simeon, mar- tyrs. StTugdual, vulgairement St Tugal, evSqiie de Treguier en Hrelagne. St Trojan, evfquedeSaintes. I,e premier jour ile ce mois de novembre est consiicre a la fete de tons les saints, vrais herns du moiide modenie. (. Pvllia:;ore. rialon, Socvale, dit M. de Cliateauljriand, recommandent le eulle des saints, qu'ils apjiellenl des heros. „ _ jlonore les heros pleins de boiHe el de lumiere, dit le premier dans ses Vers Doris. Et pour qu'on ne se ine])rcnne fnl une phase unuvelh' ile mon asfo- II nie : lessupplices cesserenl. Je mcsouviensparfaitement " que la douleiu' cessa lonl a coup ; je devins faihie, tres- II I'ailde. J'avais froid; tous mes memhres se glacerenl ; je II frissonnais de temps en lemps : mon esprit etait plus uel; II je ne sentais plus mon corps ; tout s'elail refugie dans le II cerveau. Qnelqnefois, une vision effroyahle reparaissail, 11 et je la regardais, pour ainsi dire, en face : ma pensee la 11 donq)(ail. 11 me semhlait que mes enlrailles s'elaient re- II duites, recroquevillees el comnie pelriBees. Meselourdisse- 11 menlsaugmentaient, ainsi que mes faihlesses.Jene pouvais « plussoulever les paupieres. J'essayaisde mordre mon bras, II maisje n'avais de force, nidaus les muscles pour le soule- II ver, ni dans la m.ichoire pour faire penelrer la dent. Je 'I peiisais encore, mais nou avec des paroles; j'avais ouhlie •I les nmts; je n'avais plus quedesidees, eti|uand j'essayai II de ]nier, ce ful une ejaculation meutale , non une pi'iere. II l]nlin, un grand repos sembla venir el m'annonea la mort ; 11 j'elais nn cadavre qui pensait. llicn ne m'inquielail ]dus; « je n'esperais, je ne craignais rien.Comhieu ile lemps res- II tai-je dans eel etal? Je I'iguore. « Quandje m'eveillai, mes sonffrances furent aigues, el II j'ai la plus grande peine ii me rappeler aujonrd'lmi ce qni u se (lassa aulour de moi pendant deux ou trois jours ; des II figures iuconnues se penchaicnt sur moi. Une profonde II lassitiule m'accablait ; ma charpenle o.sseuse s'elail 11 comme affaissee sur elle-meme. Moi , qui ai pres de six 11 pieds de haul, et donl la carrure est proiiorlionnec ^ o celle hauteur, j'elais replic sur moi-meme, elje n'avais 11 jias qualrc pieds de haul; la peau s'elail collce sur ses II jointures. (Juand il me fallait tircr de mon lit, nn enfant II me porlait facilemcnt , lanl je pesais pcu. JIa convales- ii cencc I'ut longue, el j'appris, enfm, que je devais mon ii salula deux Francais. 11 Un capitaine d'arlillerie avail rencontre dans la rue le (1 petit Ernest, cc fldelegarcon, qni lui avail appris I'cve- 11 ncinent donl j'cLais viclime, el qui I'avait suppliede ve- il nir me delivrer : deux bombes. de Ircize pnnces de dia- II metre chacnnc. elaienl lomhees coup sur coup |ires du ii-ji'une homme an moment on il sorlait du caveau, el " avaient obstrue de decombres renlrcc de mon asile. J'y " avals passe neuf jours sans nourriture. I'lusieurs siddals II furent employes a me dcterrer de celle lombe vivante. II Un Francais ni'avait arrache a la mort, nn chirurgien II fraiHjais me rendil la vie. 11 neme reste plus aujourd'hui II de celle rude qireuve qu'un souvenir qni me fail encore (I trembler. Quandje souffre de I'estomac, onquej'eprouve 11 lui monvement de fievre , les reves du caveau se repri'- « scnlenl a mon esprit avec une vive et une epiiuva[ilabh; II realite. » IX FATSAM MAROCAIN. II y a dans les monlagnes du .Maroc, ainsi que dans le Maroc meme, ii Tanger ou a Tunis, beaucoup plus d'es- ilaves blancs el chreliens qu'on ne le pense- Ce sonl pres- que lous des malclots naufrages ou des ]]echeurs de I'ar- chipel des Canaries. Leur sort est effroyable, el les trai- lemenls que nos planleurs font subir a leurs negres ne sonl rien aupres de ceux que les Chretiens caplifs endn- renl .i l.aous et iiOuad-Nonn. Ces deux points dela roll' soni hi'mn'liquernenl fernies aux recherehes el aux oh- « AN'KC sci-valionsdcsEuropeeiis. Nous dt'voiis los iloloils suivaiils .i 1111 fnlii-ioaiildc colon (If Livi'i'iiool, qui, ayanl fail uau- IVagc sur Ics coles dcs ilcs Canaries, ct rocucilli par la liienfaisaucc dc (|iicl(iues |iauvres iicclicurs de ccs ilcs, avail (Ml la inalcnconlrcusc ld('C dc s'eniban|uer ensuilc avcc ciix cl (Ic |Kirla^cr Icur panic dc p(!>clic. Caplurc avcc Ics p(!'cliciirs par un hriganlin l)arl)arcs(|nc, il ful coiiduil a T(;luan, el ne parviiit (|iic par line sorle de miracle a s'e- chappcr sous Ic noni cl le cnslume d'une vieille fcmnic more; ils'i!'lailjaunilafi;;uiT loul cxpiTsavcc du licniK-fl ), ct, reveiiu dans son pays, il conslilua un foods, placi? cu ronlcs dcsliiii'cs au radial dcs caplifs anglais. Mais c'csl <>ii vain ((ue les capilaux s'accuinulenl, pcrsonne n'a dc rapports aclil's ct conslanls avcc les barbarcs, el les vic- limcs rcstenl souinisesa la longiic lorlurc donlnous avons parlij. Lesarincsfrancaiscs ct cbrt'ticnues sont n(;cessaires pour purifier ces nids de vautours, el c'csl ici (|ue la ci- vilisation, pour achever son ceuvre, abcsoindc la violence pl de la guerre. L'cmpereur, me disait ce voyageur, vole lout ce qu'il pent : il doune rexemple a scs sujels, et si ces derniers I'imitent el qiril le sache, il les vole a .son tour sous prii- texle de les punir. Le vieux sultan a dcs emissaires ipii parcourent les campagnes, et reviennent lui, apprendre quelles sont les persnnnes i|ui possi'.dent de beaux chcvaux, de belles amies, de beaux mcublcs. On commence parmellrc le propriijlairc a la lorture, puis on fail une razzia g('- neralc de ses pi'opn(il(}s. Lcsgouverneurs des villesimitenl leur chef : lis lanconnenl le pcnple dont ils envoicnl les di^pouilles au inaitre, cl si leur Iribul parail .sufDsant, on Icur pcniict de prendre unc pclile part du pillage. Un pauvi'c paysan ayant Irouvi; un pot de lene dans sou champ remporla cliez lui et s'en servit pour ses usages domesliqucs. Ses voisins, pcrsuadijs qu'il avail di;- couverl un iresor, ra|iportcrenl le fait au goiiverneur, (|ui reclama, au nom dc rcmpereur, le Iresor prelendu. Le pauvre homme rcpondil qn'il ne savait ce que cela vou- lait dire, l.a lorlurc, un long emprisonncmcnl ne purent vaincie eel obslinii silence; sa femme mourut dc douleur, la licvre le consuma. cl, quand il se vit accablc par la ma- ladie el le dcscspoir, il dcclara que, si Ton voulail le rc- conduire a sa cabane, illivrerail son trcsor. (( Bien ! s'ecria le gguvcrncur. Je le savais. Que deux « gardes se cliargent de raccompagiicr. » Arrive ii I'entrce de sa cabane, oii les soldats n'avaient pas le droit de pcnclrer, il y renconlrases deux petits eii- fanls, qui se craniponncrcnl ii scs gcnoux. II les embrassa gravemcnt, cnlra ct ressorlit armc d'uii long fusil, dont il placa le canon dans sa bouclic. " liounez cela au gouvcnieur ! » s'ccria-l-il en faisanl parlir la d(!'ICMlc. IJuand les soldals rapporlcrcnt son cadavre, le goiivci- ncursc conlenta dedire : u Ccl lioninie avail menli, (|u'Allali lui pardoime 1 » L'liistoire du Maroc est un lissu de crimes lellcmcnl epouvanlables, i|ue rinteret dramalicpie, ordinaiicmcnt at- tache a CCS sortcs d'emolions, se perd ct s'cvanouil par I'exces mcine dcs alrocites dont ce pays est le lh(!',ilrc dc- puis un temps immemorial. Sur cesc6lc.< barbarcs, resser- rt'cs ciilrc Ics in inlagiics el I'Dd'an , placccs cnlrc unc (I) Sllbslaiir.c quo les ft'innirs nricniiili's rninluiniil ii tcimiio ril J.tllnr Ics cils lie lours paiipi^i-cs. DOTKS nicrdc sable cl iiii solcil dc feu, loul est violeul cl cxlrciuc : on ne connail dc la sensualile que I'ivrcsse, de la religimi que le fanalismi', de la guerre ((uc le carnage, du commerce que la rapacile. (Juand vienncnl les epoques de revolu- tion, il .se fait coiiime une exhibition gcncrale de tonics les furcurs du pays, et c'est alors que les teles cousues dans dcs sac- ou donees sur les murs dc la ville, cpou- vanlcnl par leur iiombrc ct leur liideux spectacle les par- lisans du monarque decliu. En fail d'invcnlion de supplires raflincs, aucuii pcuple n'a etc aussi loin : on coupe les pieds, les mains, les seins, les oreilles; on coud dans un niC'ine sac la mere cl le Ills, cl la iner cl les lleuves cii- gloulissenl des centaincs de malhcurcux. (1ii les encliaini^ dos a dos ct on Ics frolic de mid el d'huili' pour que les pii[iires dcs insectes rcndcnl Icur morl plus horrible. On bri'ile ii pclit feu ; I'acicr deconpe les chairs |ialpilaiilcs el souleve les |icaux sanglantcs. Ccs Africains soul accoulu- m(!s li de Ids speclaclcs ct ii dc Idles soutfranccs ; sou- vent le patient fume sa pipe, ciifoncc dans la terrejus- qu'ii la tele, pendant que la garde noire de rcmpereur fait de celtc tele menie el dc cetlc pipe le but dc son ef- froyable adresse. Voilii ce que le calholicisme csl prcdeslinc a dclruirc, unc fois que nos amies auront implanle en Afriipie la civilisation chrelienne. D'un terrain fertile ce people ne lire aucun parli. Des coles les plus riches en vigiie, on ne sail exiraire aucun vin ; dcces rivages maritimesqui poiir- raicut faire I'c commerce du nionde cnlier, on n'a profili' que pour lanr.onner de temps ii autre (piclc|ue puissance asscz faible pour ccdcr .a la Icrrcur. Ce sera une cpoquc lieurcuse pour la civilisation, que cdlc oil I'Europc chrelienne penelrera en Afrique, el corrigera, par son excmple cl par ses lois, la ferocilc, I'avidilc, Ics passions basses et ignobles qui jusqu'ici oiil souille Ics rives occidenlales de celtc parliedu mondc. liicn de miciix noiumc clde plus digue dc leur nom que le.s lilals barbarcfques. Onlcs jugerait Irop favorablemcnl, d'apresrexem|ilcd'Alger, la plusciviliscedc ccs villcsma- rilimes, cl qui, ccpendaut. donnetant dc peine auxmissiou- nairesde la civilisalion europecnne. Plus on approchedcs regions pndiibccs aux Europeens, plu< le dcspolisme. la rapacitci, la violence se font sentir d'une maniere doiilou- reusc, plus on geinil sur le dcslin dc riiumanilc qui , soumise ii la religion de Mahomet, n'a pas pu encore expulser lanl de llcanx. Tanger, Tunis el le Maroc soul suuniis il la lui de fer d'une tyrannic avide cl sans coii- trole. La ferocilc des Iribus des monlagnes n'estcontenue ((ue par celle dcs empcreurs, ct la jiopiilacc dcs villes metlrait en pieces I'empereur etses troupes, si unc armce de negres, loujoiirs ii moilie ivrcs, ne defcndait leur propre vie en defendant celle de rcmpereur. La facililc de la de- fense, les dangers du dimat, rcxcdlente fortification na- lurclle que presenli'ul, d'nn cote la mcr, d'un aulrc, les monlagnes ; le pen dc liesoins conlractes par ces hahitanis faroiichcs d'un sol fertile, exposes ii un soldi brulanl, out favorisc le progres de ccs populations vers la barbaric; dies n'oiil gucre de la civilisation (|nc deux vices, la luxiirn cl la cupidilc. Quant ii I'avidc duplicite et ii la ruse, dies leur soul communes avcc Ionics les races sauvages. Cepen- danl les llomains, ii I'epoquc oii ils daienl les chefs de la civilisaliiin, ont fail dc celtc region rcdonlable un centre et un foyer de Ininieic. Carlbiigc chrelienne, sons leiirs lois. iiu lieu d'clrcbriilalc cl iiiinldligcnle, prodiiisil saini l)i: TEMl'S Auguslin cl saiiU Cyin-ien. Cosl an clirislianisme do ciiii- linuer, en raitrniulissnnt, roeuvro i-oniaine. L'avonir ilin 1(116 riionncur ir.ivnir fraye cede voic .i la civilisation (In ilix-nenvicmo sieclc Pl d'avoir verse le sang de ses fits dans re sillon ('niinemmenl rhrclien apparlienl a la Franee f Voyages rrrents dnns le Marnr. ' LSgON COMMEHCIAI.E , or IK IHM.KI! n'ETIlK Tnni' MMIM.F.. II nv a |ias six mnis (|u'une pelile liouliiine olisi'iire sc rachail dans line dps rues Ics plus soinlires dii rpiarlier |iauvrc de Berlin. Elle etait haliilee par un maixliand iiomme Lewald, qui n"avait ni fenime ni enfanls, dont le rosUime elail plus que simple, el ([ui vendait loule espcce de ciiriwiles, de Inic-a-lirac, de Iriperies el de debris. 11 elail inslruil, avail ele eleve .1 1'universile de Wirlemijerg, el Y avail connn un juiC dVxtractinn americaine nomine .Vhraham Lee, qui avail exerce I'lisiire el s'elail enriclii. De lemps en lenips. Lee venait rendre visile .i son anei.'n camarade, el cliercliait si parmi les vieiUeries doni la Imii- lique elail pncombn'e, ne selrouvaieni pas(|ueli|ues nlijels precieux i|n'il ponrrait y acheter a linn marelie. Lewald le devinail el le laissail faire. C'etail iin original qui rachail sa vie elconnaissail les homines. Uii jour Alirahain guigna de I'CEil, dans un coin, derriere le i oinploir line nielle magnifique, mais noircie par le temps el legerenient alli'- ree. Les niellcs. comme on le sail, snnl une espece de gra- vure noire sur argent el snr or. dans laquelle exeellaienl les orfevres llorentins du liean siecle. et qui faisaienl les del ices des Medicis el des Rnigias. Hien de pins rare dans le commerce el rien de plus cher que ces nielles qui s'ele- venl quelquefois ii un priv rliimeriqne. Abraham ne don- lail pas que le hasard n'ei'il jele ce Iresor sons la main de son bizarre ami. « Coinbien cc vienx gobelel. Iiii demanda-l-il; qu'esl-ie que vous failes de cela? — IjCla peul encore servir, repondil Lewald en prenanl un air fin ; il suflil d'enlever avec un peu d'emeri res traces noires el de neltoyer le gobelet Qii'est-ce que vous m'en donnerez ? — Jc n'cii fcrai jamais rien; mais je vous en dnnnerai bien deux thalers. — Cost bien bon marehe, reprit Lewald, mais enfinj'y ronsens. El d'oii venez-vous comme cela si matin? — J'ai deja fait de bonnes affaires, reprit Abraham en s'cmparant dii golielel d'argent, el en cninptantles tlialers sur la table de sou ami. J'ai mis dedans trois persoiiiies : le petit comte liongrois Speran.ski, auquel j'ai fail signer line traile de 3,000 fr. ; un niarchand de chevaux ; — el vous, qui venez Ji.' me donuer une valeur de 2,000 fr. pour deux thalers. u LewalJ elail liaiiquillement occnpe a cssuyer un vieii.v Mldeau, et ne leva pas la tele. « Abraham, lui dil-il, je le savais parfaiteincnt bien, e; je vais vous faire radcan de re lableaii-ci. qui est une eopie de Cuip. et que vous donnerez farilemeni pour iin original . si vous viiiilez IMC pi'oiMi'lhv lie III' jamais iiii-llr.> Ir pin! dans ma biniliqiie. I'UKSENT. » Si cela vous arrive, vous me payere/. le Ciiip .".IKMI rraiirs, entendcz-vnus! » El il le mil a la porle par les epaiiles. Abraham s'en alia en riant, einportanl son linlin. (Jiiinze ans se passerenl. Abraham repariit et eiilr'ouvril la pelile porle lie la boutique, qui elail restee absolumenl dans le meine elat. lies que Lewald, cpii elail aiissi le meiue pi'lil hommc sec qiraiiparavaiit. I'apert'Ut : II I'ayez-moi 5.011!) francs, liii dil-il. \ nll^ iiiiiipcz voire engagement — till! r.qu-il raiiire, je snis lout a fail paiivre : je iiai I'll quo du malhenr depuis que jc ne vous ai vii. — Vous sorez lonjonrs panvre, lui dii le uiereier bro- eanlenr. Cost celte malheureuse habitude de motlrp les aiitres dedans qui voiis y a mis a la fin el qui vous y lais- sera. Allez-voiis-en. » A la mnrtde Lewald, arriveele-iiiaout I8'(4. eel homine, qui avail vecu de pain eld'ean, laissail par lestament une somme d'onvimn 14,000 louis aux diverses iustilulions charilables de rAllemagne. 11 avail mis a jirofil .ses eoii- naissauces arlistiques, el la rage nioderne pour les nieii- bles de la renaissanreel du moyi n age; — faisant aclieler dans les viens chateaux et les mannirs de Suisse et d'llalie. Ions les di''liris precieux anvqnels les heriliers altachaienl peu d'imporlanre. II les reveitdait avec d'enormes bene- fices, accuiiiiilail son capital el en ciinsaerait rinteret a faire plnsieiirs pensions .secretes a de vieilles gens qui de- meuraient a Rerliii. Ces pensions, par son ordre, leiir fii- renl conliiiiii'es apres sa morl. Tels soul les effets extraor- dinaires et cerlainsde la persi'vorance. dela probile stride et do reeonomie. i Winter Tftsclifnbttrh.) LXS GUEUX MAGNIFIQUES, VIVI:R n\>S I,\ Sfl.F.Miri'R S\NS .MOVERS .MipATENTS. I.I' niiiili' Piiil.VAJ. — Le fOilllL' (11' Ul :illlllioiiilnnt In nuit iriiiiicnci'onl irniilrc ri'sullatiim' In capliiiT il'iiii lion [irivi', ilonl il avail, comnio Van Ani- luirg, domplo le caraclere snuvaifo el civilise la ferocilc. 11 s'occiipail lieaucoup d'optiquc el de fanlasniaijorie ; el I'cunissail qiieliiuel'iiis les paysaiis des environs, que ses evoealions ningiijues peisiindaicnl de sa science de sorcier el de necronianl. II esl moil, en Janvier 1844. laissanl sa lielile inaisnn .i son jardinier , seul doinesliqne ipi'il adiiiil pies de liii. et deux jjros dons snr sa lalde de nuil. l.e nio- hilierde la clianniieie, d'une ijrande niafjnilicence, el com- pose d'crnvres d'arl Ires-precienses, la pliiparl de I'epoipie de la renaissance, ful dislriliue par Ini an\ nobles cpiil avail connns; elpersonne n'a pn iienelrer encore le secret de la splendeiir el de la rorliinc caclicc de eel aldiiniisle nioderne. He n'esl pas la un exeniple isole. Hans les c.ipilales popu- leuses. il n'esl pas rai'e de h'ouver de pari'ils Ik'm'os, tpi'ils sc plaisent a cadier la source de la ridiesse, doni ils dis- posenl , soil que I'adrcsse el la ruse fassenl tondjer enlrc leurs mains I'argeul des liommcs credules. I'armi les plus remarqnables personnap;es de ce ^'cnre, nous cilerous le couile de SainKlerniain , (laglioslro, le Bean-Wilsou, O'heilly el le comte de Gramnionl. Cnnslammenl enloures du luxe le plus elourdissanl. vivanl de pair avec les puissants el les riches, ils n'avaieuL ccpen- dnnt ni rcssources avouees, ni profession connue. On expliquerait sans Irop de jieine I'eclal dont s'envi- ronua le couile de (!rautmonl a la eour de Charles, roi d'AngleleiTe..loueuiinlrepide,ceeoui'l'san,liannide France, qui vivail dans le jilus grand slyle, apparli-nail a une cxcel- lenlc fauiille, Men posee en eour, cl Ton pourrnit supposer que ses perles considerables au jeu elaienl reparees par les generosites dc ses parents. Un eseniple plus remarquable encore est celui de Beau-iVilson, qui vivait avec anlant de splcndeur que le conite de Grammont, et qui n'avail ni nn maravedis au soleil, ni une noble faniille pour le soulenir. II deiiuta par la carriere des amies, on il nc brilla guere. II sc conqmrta avec une Idle lachele, qu'il fnl oblige de donucr sa demission, el fnl rednit ,alors a un lei etal de pauvrele, que, ponr retourner en Angleterre, il emprunta 40 francs. Depuis eel inslanl. I'hisloire de Wilson se perd dans un nuage, jnscpi'a I'epoipir on il reparail a Londres conime la plus brillanle, la pins eclalanlc etnile ile la haute fashion. Son hotel elait magniliipie, et une longne file de laquais allcndaienl ses ordres ; ses equipages eclipsaienl ceux des seigneurs ; les clievaux de race, les plus belles meiiles garnissaient ses royales ecuries ; son costume eda- lant de fraicheur el de grace, ses diners, ses reunions, exci- laient I'admiration de Londres, el suscitaienlau plus haul point I'ardenle euriosilc qui faisaicnt rechereher la source d'une Idle richesse. La premiere conjeclure (|ui se prcsen- lait a I'esprit elait (pi'il jonait ; mais Wilson ne joiiail pas. En vain cpiail-on ses acles et ses paroles; en vain la plus mi- iiulicuse investigation s'atlacba-t-elle a sa vie privee,\Vil.son echappail a touteslcs recherches ; il dudail loutes les diffi- ciilles. Rien, loulefois, ne semblait mystere dans sa con- duile ; au coutraire, il elail franc el ouvert, elait accessible a lout le monde et vivail au grand jour. (In ue pouvail done riiccuser d'etre alcbimiste ou faux monnaycur, car il faul .ijouler qu'il enl .'i se defendre conlre des gens qui ne trou- vaieut plus d'auire supposition a iaire que celle-la. Mille recils plus invraisemblaldes les uns que les aulres amassaienl sur sa tete la colore du pcuple. (Jnelipies-uns prdendaienl i|u'etanl au service, en Flandre, il avail vole a nn lloUandais une immense valeur en diamanLs, el quoiqu'nn autre indi- vidn cut ele execute ponr ce crime, le vulgairc adopla cetle version; d'aulres pretendaient qu'il dail sonlrun par des usuriers, auxcpiels il servail d'inlermediaire avee la noblesse. Enfiu CCS bruits prirenl une telle consislance, que Wilson crni devoir y metlre uii Icrme ; malbeureusenient cetle resolution cut un resullal Iragiqne. ,\yant demande raison d'une lb' ces rumenrs iiiiniieiisi's an celelire Law, cidni qui, pins lard, lit lanl de brnit en Kiance et faillil la miner ]iar son sysleme tie liu.'inces, il fiit Ironve niort pres dn terrain clioisi pour II' duel. La justice conslata menie que Law Ini avail Iraverse le corps de son epec avanl i|He Wilson cut lire lasieiiJiedu fonrreau. Reau-Wilson (ou lenomraaitainsi a cause de la regnlarile de ses traits) avail vecu jusqu'a son dernier jour dans la spleudeur ; etce qui rendil pins fabu- leux encore le myslere de son incroyable magnificence, c'esl qu'apres sa niort on ne Ironva i|n'nne lres-]ielitc somme d'argeiit dans son secretaire. II ne laissail pas de detles, el le monde ignora tnujours la source oii il puisait les somnies enormes qui ;ilinienlaieut son luxe. Le comte de Saint-Germain, qui prelendait avoir vecu deux mille ans. et Cagliostro, donI la fortune consislail dans la erediilile publiipie, soul Irop coniins pour qn'il ne suffise pas de ra|ipeler leurs noms. Mais void nn exeniple dc dale plus recenle. En ISl.";, pendant le congres de Vienne, un nomme Reilly atlira rallenlion par le nonibre et le luxe de ses diners. II faul que leur magnificence ail ele extraordi- naire pour qu'ou y fit atteulion au milieu de cetle foiile de magnificences que creaieul anlour d'eux les rois, les prin- ces, les nobles, rassenibles dans ee foyer unique. Personne ne connaissail I'origine de Reilly ; fori pen distingue dans ses nianieres, loiird etvulgaire danssa conversation, il avail ele rencontre plnsienrs fois dans les plus hauls cercles. La curiosile s'evcilla. Un Anglais se sonvinl de I'avoir Irouvc a fialculla, assis a la table du gonverneur general de I'lnde ; un autre le reconnut pour I'avoir vn a Ilambourg, puis a Moscon, el enfiu a Paris, apres la paix d'Amiens. A celte epoque, il disait revenir de Madrid. A Vienne, sa splcndeur elait ecrasante ; il habilait un Injlel magnifique ipii appar- lenail ,iu comte de Roseniberg. Point de mobilier plus riche ni d'equipages pins edatants ; ses laquais porlaient les plus riches livrces, son cuisinier n'avail point d'egal ; les holes i oi'dinaires de sa table elaienl les princes heredilaires de Bavicre, le due de Bade, le .spiritnel aniiral Sidney Smith, plnsienrs ambassadeurs et charges d'affaires, et qudques aulres personuesde haute disllnrlion. Houiment suffisait-il a ces depeuses'? La curiosili' publique n'a jamais pn eire satisfaite a cet egard ; on nc Ini connaissait ui faniille ni fortune. 11 cut le lort de ne pas monrir a temps comme Beau-Wil- son. On le vit reparaiire, en 1821 , a Paris, sous les haillons de la iiiisere. Argent, voitnrcs, diamants, tonl avail disparu . (( Un jour, dil le comte de la Garde, dans ses Mnnoircs sur le conijri's de Vienne, il vinl chez moi (je I'avais ren- contre a Vienne), el me dil ipi'il ne posscdait plus rien, exceptc ce bracelet, me dit-il, ipii renferme les cbeveux de ma pauvre femme.ll aurail suivi le reste, si je pouvais m'en defaire pour avoir du pain. — Pourquoi, lui deman- dai-je. nc |ias vnns adresser aux illnslrcs personnages que I'KriiES MO HALES. vdiis avcz si iiiai,'iiini|ucmoiit Iriiili's? — Je I'ai drjii fail, el 1111 lip 111:1 pas ii''|iiiii(lii. » Ti'ois aiini'i's so |iassei'ciil, an Ijoul il('si|iii'lli's on Inmva inoi'l do faim, dans 11110 rue do I'aiis, ool liomiiio i|iii avail eu lant d'altossos pour convives. Voila une e.vislenco plus doiilourouse, assnroment, quo cello do I'lioiinc'le ouvrior d'Ecossc ou du Jura, qui, pendaiil le inonio ospace do lemps, a laboriousement oleve sa faiiiiUo, olipii n'a jamais oonnu ni los jciuissaiices extremes do I'orgueil ol dn lii\o, ni los extremes angoisses do la lionte etdo la faim. {Gazellf de I'liiiiiie.) PETITES MORALES. i'.r qn'im auteiir spirituol nomme la I'e(i(c morale est Ires-nlilo a noire vie et so compose d'uiio foulc di^ r. - oomniandatians, moins importanles 11110 los lecons de la pliilosopliie olovee, mais qui ooiitribuenl singuliereineni an lionlicur el a la puroto, oomme au liion eirc ; ainsi Adis- son iioinniola proprolo une demi-vetlu; ot il a rai.son, Cos fractions do vertusnenuisent pas auxyraiidos, mais, lout au contrairo, Ics favorisenl et les servont. Ainsi la ponctiialitc lie somhlo pas une quallto liion sulilimo, mais ello conlri- liiie ail Imnheiir el au plaisir d'autrui ; elle nous rend tons lessiicces plus faciles. 11 en est de memo do la polilosso, de la proiireto et do la lionno humour, qui,certos, no poii- venl pas proteiidre au litre do vertiis lieroiipies, mais sans lesque!s la vie inlime et do famille est si dosagroalde. Uii ocrivain moderne s'esl amuse a reunir, sous une forme ironiquc, ;i pen pros Ions les desagroments de caractere et d'humeiir doiil line jouiio fomme pent somer son iiioiiage ; il y a Iros-poii de feiiimes, liatnns-nous de le dire, qui roii- iiissent I'idoal complet dos imperfections que le jciino Claiidiii consoillo a sa jeiiiie sieur d'aoqiierir. I-ETTRE DE CI.AUDE BRADY -A S.V SlH:OH CLALllllNr ylU sr MlHli; , Miir les devoirs et Ic boiilieiii* «'il lueiiHge. M.\ BO.XNE I'ETITE SdiUR, Avant d'etre marioc vous laoliioz de plairo ol voiis ,ivoz roussi, pnisi|iie vous avez epouse voire cousiii ; a la lioniio heure. Wais vous voila grande dame. Rollooliissez qu'une fois marioo il scrait inutile el ridicule d'agirde menie. Desormais il s'agit do no plairo qu'a vous seiile. Parais- sez le matin en neglige complet; quand il fait froid, o'ost nil soin faligant de s'lialiiller; lorsqu'il fail cliaud, o'ost une gone insupporlalde. Gardez toiijours vos pa|iillotes a dojcuner ; et conservez voire camisole, si camisole il y a. A moins de visile, no quitlez pas voire robe du matin de tuulo la journee. Les maris n'existent pas ; une foniiiK (|iii so respocte ne se gene que pour son plaisir. Jo suis loin de prelendre d'ailleiirs que vous devioz 110- gliger voire parure. La toilette ! mais c'osl la vie d'une fomme. Aclieloz toutce que voustrouverez do plus bean ol do plus piocieux. Ne regardez pas au pri\ ; 1 'osl I'af- I'airo du inari : c'osl jiii ijiij |,,ivc Uii bnriinns nii mm cliajr vous llatlenl-ils; failos-les appoiUr. Lno pariiro, iiii rii- bail , iiu bijou vous sediiisenl ; aobeloz-les. Voire iiiari fora la grimace ; vous lui tournerez le dos. II gromlora ; vous ploiiroroz. Vous ne savez pas pleurer, et cola nreffrayc pour vous, Claudine! Songoz-bion, ma petite soeur, quo Ionics vos paruros ol vos sourircs sunt pour le monde el noii pas pour lo inari. Ilonoiiveloz voire uiobilior aussi soiivenl ipio possible ; I'xigez une iiouvelle pondiile el iin nouvoau meublo de salon tons les mois. Voire vioiix piano doit vous eii- nuyer; debarrassez-vous-en. Si voire mari vous a doiino equipage, dites que la conleur et la forme en soul passeos de mode; s'il n'a pas le moyen de vous salisfaire en cola, plaignez-vous. Toiites les fois que vos desirs dopassenl ses faculles, criez, pleurez, el rappeloz-liii los excellonis ina- riages que vous auriez pu faiie. Jamais de souiires, jamais de bonne grace 011 de bonne bunieur, si cc n'esl pour les aulrcs; failes senlir a voire inari, aussi souvent que possible, qn'il n'esl pas assez ri- (bo pour vous. Keanmoins soyez eoouome; acholoz Imii marclic ctentassez toul ce qui sc rencontrera, el (piaiiil voire mari vous demandera a ipioi cola serl, ropondiv. ; (•'est une bonne affaire. Soyez malade avoc dolioos ; ayoz dos maux de nerfs, surlout quand voire mari vous coii- lrarie,c'est-a-dire loiNqu'll e.ssayc de raisonnor avoo vous. Kaites bien valoir le moindro bobo, et exigez le moilecin a la mode. C'esI Ircs-joli d'etre souffiaiite,c'esl inleressanl, los liommes raffolent de cela ; si colic graeo vous man- que, il faul vous la donner, une conlidenle vous est neces- saire. (^e sera elle , ma cliere soiur , qui vous perfectiou- nera dans le grand art de faire enrager voire mari. Les bommes ne sont fails que pour enrager. Mellez-vous bien dans la tele cos grands principes, ot rappelez-vous qn'uiie foiiinie n'esl rhnnnear de son .soxe que ipiaiid ello en de- fiMid Ions los droits, et le plus saore de tons, celni do faire lout pour olle-iMoine el de ne rien faire pimr aiilriii. Dlvude liu.VDV. L'autoiir de oetle epilre plaisante s'esl plii a snivro la jouiie Claudine dans son menage ; il a doniio le piquant rocit d'une promenade que la jeune femme fait fairo a son iiiiuvoau mari. Nous verrons, dans un luimero procbain, comment cello promenade economique vida la bourse du jiMino couple, ot commenca la miso en pratique dos liollos theories que h' frero a professes tout i'lrhoure. [I'muli.) [Im suite ttu iiiiiHeid iiKirliiiin.) FAIBLXSSE DES GRANDS E5PRITS Deux dos bommes do ce temps, les plus distiiigues par l.'iir sagacile el leur linesse. ont soutcmi lougtemps que I'eclairago par lo gaz etait impossible, el raillo .iinoremeni ooiix cpii esperaieiil employer la bonillo a rodairago do- Tnesli(pie. l/iin d'ens eorivait, en 1808, dans un journal : o Cos ridicules prelenlionset ces assertions absnrdes out ole u assez soiivont rcfulecset raillees par la slorilito dos efforts u que Ion a lentes, pour que le public sache eiiliii quo lo 'I oharbnn do lerre n'esl pas le .soleil. n Cot ecrivain vil 011- ciMo. ol lolls b's soir- c'o^l la biMiioic o\lrailo di' l;i IniMillo 1-2 I' Kins VOVACKS i|ui IVdiiin' (|ikiihI il siii'l do chi'Z lui Sans doiili' il t'sl di- vemi plus moili'sle, L'diilrcini-ivdide :\ un |ilusi;niiid iiuin, Waller Scull, u Kcl.iircr dos villos avi'C lo s,'az (■arlmniiiui', .. disail-il on I.S09. c'csl uiio cliimoro el line illusion qui .1 foul i-iro. )) Walloi- Sooll osl dovenu sur ses vieux jouis (irosidonl d'uno compa^nio pour roclairaso par lo gai. M Waller Scnll ni lord Droutfliani no provoyaioiil ji-s eunipiolos du yaz ot t:ollos de 1.1 vapour. Un enfant olail plus provoyant que cos grands esprits ; c'elait, Walls, qui, a (|uinzo ans, reslail assis deux lienres on oonlonqdaiioii devanl rurne a the ImuiUonnanle, qui lanoait, on sil'llaiil. lejel furioux do sa vapour. Pour lui, dans ce jel, il voyait uiie force iriTsistiblo. ot revail I'avenir doco pouvoir nou- voau (pii dovail clianijor lo moiido physique. PETITS VOYAGES SUR LES RIVIEIIES DE FRANCE. tA I.OIHE, SES BOBOS ET SES SODVEWIRS. Une damo allomaiide do hoaucouji d'espril (I) dil quo lous los lleuvos out lour oaracterc jiroiire ol ooninie une physionomie sp6(-ialo qui li's dislinguc. « Vous dirioz dos syndiolos de races el de nalioiis divor- scs. Qui pout entendre parlor du Scaniaudro sans rover toulc la Greco horoiipio, sans ponsor a Mars, Apollon, Venus, Jupilcr, au vaissoau d'Achillo, a la belle lloleno? Lo Nil ogyption, des que son noni estprononce, vous rappelle tout nn'monde de prclres idolalres; le Tihre, ans oanx linio- neusos el trouldos, sort de jigantesipio miroir ans gran- deurs de Home toule-puissanle. Sur los liords du llhin s'ole- vcnt les chateaux do la feodalilo, hrillent les grajipos mu- rissanles otseropelent losniysteriouses legoudesdu nioyen il^c ; c'ost le llenve feodal,'_comine le Tihre est le lleuve ro- main. Enlin le Jourdain, fleuve sacre, nous apporlo la niystcriouse et soleunelle voix de la revelation. Un voyage sur chacun do cos fleuves serait le plus historiquo dos voyages. On vorrait se derouler avec les jiaysages variijs loutes los annates du pays ot do ses lonqis ocoules. » Co que ilit I'oc'rivain alloniand des lleuvos nationaux, adoptes par chaque penple, est ogalenieul applicable li tons (!) La ftiinloisc lldlin ll.il^n, Eninuuffjcn. Irs Oeuvos, a tontes les rivieres qui portent a Iravers to ;;lobe la focondile et la richesse. Ainsi en Franco il est im- possible do comparer la terrible impetuosite du libone, qui lombedos Alpesotonlraine ses rivagos jusqu'.i la nior, avcc la briHaiile el brnsipie vivacilo de la Garonne, ou avec les rnille detours de la Seine, ;i la fois si lorluouse ot si rianle, d'un cours si doux et si facile, varie et progressif conimc la civilisation nienie. Voyager sur los rivieres de France, c'ost connaitre parfailoment bicu lout le pays; el quoi dc plus necessairo, malheurousomentquoi dcjilus rare, que de connaitre le pays on Ton est ne? Suivons d'abord le conrs de cotlo belle Loire qui ti-a- vorso la France par lo miligu, on faisanl un ooude pour s'arri'lor dans les donees elcharrnantos plainos de la Tour- raine. EUo a aussi son caractero particulier. Elle est niolle, carossante, un pen capricieuse et cpielquefois porfido. Elle a de rndos conimencomonts ; elle nail dans los monlagncs, un pen plus loin que rAuvergue, el, dos qn'ellc le pent, olio ecliappo ace severe climat; on dirail qu'oUe a hate de se louruor vers les regions d(^ volupto ol de paresso qui lui cunvionnont ct oil son Hot douxet gracioux s'enilorinira sous lo soleil. Au lieu de descendre vers Cahors el llhodot, |iays rudcs, composes do bouille, de for et de cuivro, la Loire se hale dc liaverser rAuvergue, s"arrote avec com- plaisance au milieu dos silos piltorosqiios du I'uy on Velai, el falsant un ooude vers los laliludes plus donees de Lyon el de Chambery, elle s'avanco du role de Sainl-Elionne et do Tararo, EUo estonroiobifn laiblo dan- les localiles un pen BOSSUET sun LES IIIVIERES DE FIIANCE. 13 li'islos, el ello .1 bcsoin, iiour s'elciuliv, pour doployer li- brenipnt la nappe caressaiile de ses eaii\ ]ieii prufoiules, de sc Jegager des solitaires prairies du Canlal el des laves ba- salti(|ues de Clennonl. Elle nc commence ,1 eirc vrainienl la Loire qu'apres avoir passe Fcurs, Iloannc, Marcigny, Digouin. Les monlagnes el les sites lerriljles ou solitaires onl disparu. Elle coule lrani]nille dans ce bassin riant ft pen accidente qni trace nne ligne an cceur mcme de la France. I'Insieurs heritapics viennent I'ein-icbir; I'AUier, du cole de Moulins; TYonne, du cote de Cliateau-Chinon; I'Arrons, du cole d'Antun : ainsi sa fortune sc fait sans y penser. comme il arrive aux gens licurcux qui altendent paisiblemenl une opulence sans efforts. Elle coule lente- ment, repandant sur un sable jaune et dore des vagtics |ia- resseuses. A mesurc qu"elle rencontre moins d'obslacles, elle devient moins profonde. et un fabuliste pourrait la comparer a ceux qui perdenl en mcrile reel ce ipi'ils gagncnl en fortune. C'esl apres I)ecizi> que .';on vrai carac- tero aclieve de se dessiner. Voicila jolic petite ville de i\er vers, toute riante et commercante ; la Char'ile ; Uouilly , celebrc par ses vins; Cosne, Lore, Chalillon-sur-Loire. Comme si elle s'ennuyait ici de sa moUesse el qu'il lui plut d'essayer d'une zone moins voluplueuse el moins facile, elle forme ici un nouveau coude el se rapproche un pen de la Seine du cote de Fonlainebleau et de Chartres ; elle clianse un moment, creuse plus profondement .son lit, el a tiien. Sully el Jargeau, deploie quelques paysages dune elegance aussi achevee que les cliarmants jiaysages des bords de la Seine. Elle arrive ainsi jusqn'ii colte ville d'Orleans, (pii u'esl ^-^^■ pa> iirave, maisseneuse,aclivp, sobre; — ipij n'esi pas gaie, | nisnie el le jansejiisnic, c'esl-.i-dire par ce tpiil y a de plus innis iroujque, e( qui a passe par 1 elude du tirr.it, le ralvi- I severe dan. noire hisloire On disail des Icgis'tes el des I'ETITS VOYAGKS S U II I.KS l\ I VI Ell KS III! KItANCE. n lOiiimeiiUiloiii-s oiliMiiais : La i;losc d'Oi-lraiisusl pire cini" li! Icxle; el le sol)ni|uel ilc guepins, dcnini; jadis aiix liabi- laiits (('Orleans, siijnalo ramcrUimc dr Icurs raillcrins. Ricntot on dirait i[UP la l.oiie so latisuo do cede region qui n'est pas encore asscz iloucc pour clle. Elle se degagc de son mieux des saldes (jui renconibrenl, et reilescend par «ne pcnle prcsqnc insensible ct d'unc marclic lenlc vers la belle vallei' de la Tonraine e( de I'Anjon. C'esl apres Or- leans, vers Reangency, qu'il fant conteniplcr la Loire dans son Iriomplie. Le plus Jonx soleil eclaire ses eanx presquc cndorniies el ce sable ipii serl de fond d'or an vasle niiroir dn llenve ; loulc la verdure esl rianle depuis niai jusi|n'a nn- vembre. On ne voil que des fruits, des llcni-s el des borlzous de verdure; I'nnde elle-meme disparail, lant elle relleehll fidelemenl la fecoiidile ile la rive ; e'esi sur' les bords de eetle Loire iiue b's favoris et les favoriti's des rois ontleurs tom- beaux, apres en avoir fail les dclices de lenr vie. Clienon- ecaus, Lliandiord, Monlbazon, Langey, Loebe, le ebiiteau de la Vallieri'. Pas un sotivcnir sombre, pas une idee sericuse. void le bi'rroan de llabelais, (;iiinon, el b- liunliean d'Agnes Sorel. Les eoleaux sont diapres de vigni». La crenie a ini parfum de fraise et de framboise cpii n'apparlienl (lu'anx gcnisses de ce pays. Le parler des liabilanis, nienie dans la rampagne, esl paresseux el doux, niais lellemeni pur, que, soloii ipndques grammairiens, c'esl ii Blois que la langue fran< aise esl parlee avec le plus de purele. Le llenve indo- lent de llabelais pa.sse, en qnillani Orleans, par la jielite villc de Menng, |ialrie de I'un desanteurs saliriques dn ro- man de taKosc, Jeban de Meung, el, Iravcrsanl les peliles viUes joyenses et les vignobles feconds de Beaugency el de Mer, vient baignerde ses Hols, devenns vasles el llmpides, \{' ebiiteau feodal de Blois el les rues etagiies decelle viUe pilloresque. I'oinl d'accldeni ni de pcnle rapidc ; le doux llenve vous eondnil sans peine dc I'agrcable ville de blois ,i la sensnellc el cliannaide ville de Tours, ville bistorique, ancicrj style, anti(|ne oi-aele on les rois nu'rovingiens, encore idolatres a dcrni, veuaienl eonsnltcr Icssorls ; i L'iuduslrie el le luxe regnercnl de bonne beure a Tours ; on y fabriqnait la sole et les preeieux tissns. C'esl aussi le pays des excellenles confitures, des conserves, des frian- discs. La trioinphe la Loire dans lonle sa beaulc ; elle est calmc, vasle, presqne cndormic; un ponl immense la Ira- verse : ct conime si eel aimablc sejour la charmait, clle ne sc delonrne pins guiire jnsqn'a Saumur. L'inlerel dc cello derniero ville esl pcnl-etrc plus vif en- core que cdni dc Tours. Les proleslanls du scizieme sieele onl quelqne temps essaye d'criger Sanmur en capilale du calliolicisme. A Sauinnr sc Irouvcnl le vienx cb.ileau de Hornay el cc prodigieux ilolmcii, compose deonze picrrcs enormcs qui forment nnc grollc artificielle de quaranle pieds de long sur onze de large. Des que Ton est arrive a celtc ville d'ardoises, ,i celtc villc noire, ct cependanl encore rianle d'Angers, la Loire ii'a plus le meme caraclere ; ses bords sonl plus aecidenlcs; quelquc cbose de I'.iprele bretoune s'en fail senile. Saiiil-Elorcnl . Carqueuai , llcaupreau . I'aimliccuf, n'oni plus rien dc la grace sediiisanle el niolle dc la Touraiin> ; culin la comnierciale ct brillciule villc de Kantes vous eondnil jus(pi'anx porles del'Ocean. Tel est, en resume, le cours dc celtc Loire, sur les liords de laqnellc taut d'elrangcrs viennent cherclier la sanlc on rcparcr les torts dc la fortune; car la vie y est aussi pen dispendieusc quelle est douce dans la pluparl des loealiles que nous avons citces. On pent cousiderer ce grand el beau llenve coninic pre- destine au bien-cire el ii la volnplc. Ne dans les rusliqucs niontagiies, il esl accneilli par I'opulcnee ; puis, arrive ii la vignem- dc I'iigc et ii la forte malurite, dcvenu plus vi- rile ct plus vigonrenx, il allend que la nier immense le eonr(nide dans ses Hots ct Ini ouvre le coiumerce des deux niondes. Bien des legendes, liien des souvenirs s'atlaebent il la Loire el prclcnl ii ses rives nnc gnicc poetiqnc. Nous recueillcrons ccs legendes, la pluparl d'nn vif in- In-el, tiAifiiitc idi pidcliahi tiiimi'rii.) I!K AUTKS lUi BEAUTES lllSTOinK hU CLRItGE 1)E KHA>'CE. Ij L'liiSTOinE nil r.i.EiKiK mi fuance". BOSSUET (SOS ESFANfE CT S\ JKIINF.SSE. .lirfliio'-Boniirnp liossiipl ii,ii|iiit a Dijon le 27 septemhre lO-'T; il riail Ills do nrnisno fiiissiii't. nvocal cl conscil ill's iH.ils lie Boiirnogno, qui iiri-n.iil li> lilri' de siour on sei- !,'iiourirAssu. C'p[ail,cii ce tomps-l.i , uiii' nnissiincc obscure; ear eelle iiifinimcnl pelilc iiolilesse de robe ne hrillait guerc a cole de la liellii|uinise el autii|uo uolilesse feodale, qui douiiiiail encore la France du haul de ses puissanls donjons, et s'eniparail de toules les |josiliiiiis elevees, soil dans I'Elal, soil dans TEijlise. Bossuel n'elail dune, .i son poinl de de- parl, ipi'iin jeune homnie pen rielie, sans proleclenrs el presquc sans naissance : mais le f;enie snpplee a lout. 1,'enfauce de Bossuel ful line de ces eiifances sludieusos qui preluderenl a loules les liaules repulalions du grand siecle : il elait si avare dc son lenqis, si conslammenl en- eliaine a relude, que ses jeunes condisciples, jouanl sur ee noni qui devail briller d'nii si vif eilal parmi les plus beam nomsde France, ne I'appelaienl que bos sitehis aralro. II eludia jusqu'en rbeloriqne cliez les jesuites de Dijon. II n'elail encore qu'en seconde, lorsipril Irouva par liasard, dans la bibliolheque de son pere, une Bible laline donl il s'empara, apres en avoir In avidenienl quelqiies passages. C'elail la premiere fois qu'il lisail la Bible, et cetle leclure llii fit eprouver une admiration voisine dc la stiipeur. Ce langage inspire, qui ressemble aux ecl.ats de la fondre dans certains endroits, et dont la grace poclique passe toiile grace dans taut d'aulres; ces grandes images orientales. ces liantes el profondes pensees, si analogues a son genie, le saisirent el le Iransporlerenl a tel poinl, qu'il n'oublia jamais cetle premiere impression, ct qu'il en parlail sou- vent aux aulres epoques de sa vie avec une cbaleur enlrai- nanlc : le jeune aigle avail fixe, pour la premiere fois, son itil liardi sur le soleil, el le sideil ne Uii avail pas fail liais- ser la paupiere. Les jesuiles, qui out tonjours devine le genie naissanl de leurs cleves, deeouvrirenl liienlol quel Ircsor ils posse- daienl dans la persfinne du jeune rbeloricien, el ils lemoi- gnerent un desir exireme de I'acquerir a leiir sociele : mais les parents de Bossuel avaienl de I'ambilion pour lui. el, desiranl que le jeune bomme, qui donnait de si belles es- perances, developpal son talent sur un plus vasle lhe.il re, ils I'envoyerent a Paris, en I(ii2, pour y eludier la philo- sophic. Une circonslance dramalicpie servil a fixer, dans la forle memoire du jeune etudianl de province, I'epoque de son arrivee a Paris. Le memo jour, le cardinal de Biebelieu mouranly faisail son entree an milieu d'un peuple silen- cieux cl lerrilie. Dix-buil de ses gardes le portaient, tele nue, dans une chambre conslruite en plancbes cl recou- verte de danias. A cute du redoule minisire, donl la poli- tique hautaine faisail tout plover devanl elle, elait son se- (t) Nous uous piopo^oiis lie iloiiiuT sufcp.ssivempnt les lijograchies lies pl"sc\ccllenlsmcmlires el lies |iliis lirilbiiles gloircs ile cc cleigeiie France si fecond souslnus les ra|iporls. l.a liiogra|ihie que iliins iloniioiis ici il iios lecleurs esl due, conime on sen apereevr.1 sans peine, fi line (itunic au^isi lialiile iin'orliiniidxe. cretaire. assis pres d'une table el pret a ecrire sous sa dic- lee. II venailde laissera Lyon le jeune Cinq-Mai-s el le pre- sideiil de Thou enlre les mains du bonrrean. I'eu de temps apres, Bossuel inedilait a cole du lit de parade de ce minisire qui avail efface, dans sa splendeiir, la pale eloile du roi son maitre, eelle liaule pensiie qu'il developpa si adinirablemenl plus lard ; Dieii seul esl ijrand. (le I'm an college de Navarre qu'il eludia la philosophic; mais il n'y borna point ses eludes. II apprit le grec el lul tous les liistoriens, tous les oraleurs, tons les poetcs grccs el laliiis avec une .si grande attention, qu'il en savait par cceur les |dHs beaux endroits. Ses auteurs favoris elaicnl Ilomere, Virgile, Demoslbene e! Ciccron. L'oraison Vro Ligario elait eelle dont il ctu- diuit le plus I'eloquence. Ces eludes n'enipeehaienl pas le jeune aldie de douner une grande parlie de son temps a la lecture de I'Ecrilure sainle, donl la beaule rimpre.ssionnail plus que toule cliose ; il savait la Bible par cieur. Sa premiere these de philosophic cut un cclal qui lui va- lut de liaules amities 1 1 d'illuslres connai.ssances. Le mar- quis de .Monlausier le presenia a la marquise de Bambouil- let donl I'hotel elait le rendez-vous de tonics les celebrites de I'epoque. A la ]irierc de Id marquise, le jeune etudianl composa, en quelqiies heures, siir nu sujet donne, un ser- mon qu'il (irouonea ensiiite devanl une grande asscmblee reiinie expres pourl'entendre. Viiilure, qui elail an nonibre des audlleni-s, dit ,i cetle occasion, avec ce genre d'espril pince qui rappelait les concelli d'llalie, el qui elait alors fori ,i la mode, qu'il n'avait jamais nni precher ni silol ni si lard. II elait onze heures du soir lorsque Bossuel faisail ee sermon siiigulier, et il n'avait alors que seize aus. Bossuel conlinua ses eludes au college de Navarre avec le plus grand siicccs ; apres avoir fini sa philosophic, il alia en Ibeologie, et la these qu'il soulint, le 23 Janvier 1648, en presence du grand Conde, futl'originede I'amitie qucce prince, qui avail fail de Ires-fortes etudes et qui elait bon appreciateurdu merite. lui conserva jusqu'ii sa morl. Bossuel, qui avail ete nomme tout jeune chanoine de Melz, n'elail pas encore dans les ordres lorsqu'il resohil de s'adouner parliculii'remenl :i la predicalion vers laquelle sou gout rentrainail. II avail In dans Ciceron el dans (Juin- lilien que la prouoncialion esl une ]iartie essenlielle de I'arl iiraloire, el il en alia queliiuefois prendre des lecons au theatre ; mais il se I'inlerdil des qu'il fut enlre dans les ordres. Consulle un jour par Louis XIV, qui elait passionnc ponree genre d'amusemenl, sur la question du sjieclacle, il 'ui repondil, avec la finesse deliee d'lui bomme de cour el la digiiile d'un prelat cbrelien : « 11 y a, sire, de gi-ands i'\eniples pour, el des raisonnemenls invincibles contrc. » II enlra en licence en 1030, el soulinl sa sorbonique le !l novembrede la meme annee. En 1631, il finilsa licence. Pendant ce temps, il avail eludie, avec I'applicalinn pa- lieiile qui le dislinguail, les Pi'res el les conciles. Saint Tho- mas etait son maitre dans la srolasliqiie, el il ne s'est jfl- niais ecarte de sa doctrine donl il Irouvail les priucipes plus conformes a la doctrine commune de I'Eglise, ct a eelle de saint Aiigiislin. son docleur favori, que ceux des aulres ecoles. II lirilla fort dans les theses ct dans les dis- putes qu'il soulinl pour oblenir sa licence; cependanl il u'oblinl que la seconde place ; la premiere fut donnee a I'abbe de Bancc, que ses alliances aristocraliqucs posaieni bien autremenl dans le nionde que le Ills de messire .lae- ques-Beiiigue Bossuel, pelil avoeal an parlemeul de Hijoii, 10 nEAUTKS \)E l.lIISTOinK 1)1' nLKRGR.DE FIIANCE. Ilomnic on elail apcouliiiiio A voir tout llechir dcvnnt le pri- 1 liirii loin ilo s'on in-iler. I'hominc do gi'iiic sc lia de I'anii- vili'gc de la naissanrp, on no sVn otonua pas Irop fort, ol, | tii' la plus olroite avec son licnroux oonrarrcnt ipii olonna yjjji.^. .— . Ic mondo onsnilo par sa roforme de la Trappo. Bossnet fut sur lo point do rinimorlalisor bion anlromonl encore en ecrivanl sa vie pour laipielle il avail diija recueilli de noni- hrcux niemoires, mais ipi'il alian(l(nnia, avec rnrlianite do rcpo(|uo, lorsipi'il appril ([uo 51. Ularsolier s'en occupail, .i la sollicilalion de Jacques II, roid'Angloterre. Bossuol rocnl Tordi-e de prolrisc dans le carome de I'an 1632; afin de s'y preparer, il lit une rotraite a Saint-Lazare ou il so pril d'uno liaulc veneration pour saint Vincent de Paul, qui I'associa a la compagnio des eeclesiasti(|ues con- nus sous le noni do Mcssicnrs lie la conference da Mardi. Bossnet avait coulnme do dire que c'etail a saint Vincent de Paul, apros Dion, iiu'il devait sa piete el son zele pour la disciidino ecclesiaslique. II se rendit ensuite a Motz, on I'appolail son devoir de rlianoino ol d'arcliidiaore. Ce fut la qu'il lit son dolml dans la carriere de la controvorse, ii la priero de I'evecpie d'Au- gusta qui s'etail effrnye da dangerous succesd'un petit livro sort! de la plume d'un habile minisiro protostant, nonime Tanl Ferri. La refniation de Bossnet fut si ecrasanle, que lo parti calviniste en fut ebranle, et, ce c|ui n'est pas raoins romartpialile peut-etrc, c'est que le tlieologion protestanl ot le theologicn calliolique, son vainqueur, selierentd'nne aniitie que la mort sculo put inlorroniprc. II est consolant de roncontrer des sentiments eleves dans un liommo de genie; car le genie est quolquofois ini'epen- danl de la noblesse d'.ime. Bossnet, qui etail si fernie el si inllexililo lorsipi'il s'agissail de defondre les grands interels de la foi, etail I'liomnie du mondo le ]dus desinleresse el le plus pliant lorsqu'il in' s'agissail i|uo do ses interels pro- pros. En IGIi'2. le doyenne' do Molz elanl venn a vaqiier. Ics olianoim^s. d'un consonlenienl unaninio, loliii dlTrirenl C'etail une augmentation de fortune el d'lionneurs ; mais nn vieux clianoine. qui avail rambilion de niourir doyen de Melz, elanl vonu Irouvor son jcuno confrere, auquel il ox- posa naivomenl son desir, Bossnet ne se conlenia pas d'ap- pnyer do tout son credit les pretentions de son concurroni, et de s'encxpliquer aveclecliapiiro, il s'absonla dc Molz le jour de relection de peur (|ue sa presence ne fut un obs- tacle. Deux ans apros, le vieux clianoine elant mort, Bos- suol fut nomme doyen. Los affaires desonchapiire el les siennos Tappolanl son- vent a Paris, il y acquit bienlot, par sos predications, une reputation eelalanle. Jusque-lii leloquonce de la cbaire etail miserable ; on n'y rencontrait quo lioux communs, phrases emphatiquos ot ornemenls de mauvais gout; Bos- suol la porta tout a coup ii une liauleur prodigieuse. Ilien n'egalail la force de ses arguments, la majesle de ses images, la profondeur de ses apercus ; on le qnitlait per- suade, ravi. (I II se bat a entrance avec son audiloire, disail Mme de Sevigne, ot chacnn de ses sermons est un combat a mort. » II procha I'avent de I'annee 1601 el le carome dc 1()05 devanl le roi, dans la e'.iapoUe du Louvre. Louis XIV en fut si content, qu'il fit adres.ser ses royales felicilalions au pere du jeune oralour. Ce ful en 1663 (jue Bossuol flt sa premiere oraison fune- bro, ot cello oraison lui fut inspirce par un noble senli- monl, la reconnaissance. M. Cornet, grand mailre de iNa- varre, out los promices dc cos haules inspirations dans les- qnelles le talent de Bossuet niarche sans egal. On y Irouvo une phrase louchanle. .\pres avoir parle des talents et des vorlusdecc iirolecleur de sosjeuiios aunoos, lo grand ora- lour dit avec une simplicile noble el une pienso effusion ; " l'ni<-ji' liii icfiisci' qiicli|nes I'lnil-- dun c's|Mil qu'il 0 COMK til MATEl.OT IlEIMllCl. nillivi; iuec uiiL' lioiil.! i).U(;nii;Ue, ou lui deiiier queliuc pari li^ms nies discours, ii|)ri;s iiu'il en a cle si souveiil le ccnscur et I'ai'liilre. » Bossuelconliniiado prcclinr a la villci-ta la coiir, an ini- liuu de ra|i|)laii lissi'iiicnl ;; •inM-al. La facililc avec la |iii!lle il iiii|irovisa[l di'S scnniiiis, on il ulail souvcnl siililime, passe toutc ci'oyancp. II nicllail d'ordiiiairc sur \<'. papier snii plan, son lexle, ses pieiives, sans s'occuper le inoins du moiido ni dcs lours, ni des paroles, ni des liu;ures ; il di- snit lui-memc que sil avail voulu s'y iirendre aulrenienl, sun aclion atirail lanjui, el que son discours se serail i'aerve. iL;i suilo .lu iirm haiii miiiit ro.) LES MILLE ET CNE tSLlTS i)-i:i:uuPE i:t damerioiji:. CItUlX DLS MElLLLtHS CONTLS ISPACMaS, ALLtUANUI^, ASIEIUCAINS, LTC, KIIJ. IMliOUUCTWX. On sail combien la chn'lienli' eul a souffrir des inso- lentes el cruelles depredalions, el des prelenlions (U'gueil- leuses dcs pirales barbaresciues. Proteges par leur silua- lion, places de niaiiim-e a liraver loules les allaques de riCurope clirelienne coiijuree, ils resislerenl pendant Irois cenis alls a rtspa;,'ne , a I'.VnijIelorre. a rAiilriehe, a I'lla- lie; c'est une ijrande gloire pour la France d'avoir I'nIin clialle lant d'insolence, et l.i prise d'Alger. ainsi ([ue la vic- loire recenle dls!y, paraissent annoiieer que les dcsiinei's autrefois brillantes de I'islaniisnie a|iproeheiit de leur lern>e fatal. La scub' lilterature de ces [leup'.es, les nioins civilisi's parmi les nnisubnans, est celle des conies; ils les aimeni avec d'autant plus de passion, cpie Ic dranic, la poesie leur sontetrnngers. Lu bonconle si' pave forlclier, etenjorniis a moilie sur leurs coussliis, jirelant I'ureille au conteur, envelo| pes dc la funiee de leurs diibouks, ils savourent avec delice le recitile I'unet la saveur de I'aulrc. Cet amour des conies, ipii etait coinniun au dernier gouverneur du dey d'.Ugeravec toute sa race, a produil un asiez singulicr resullat, comnie on va le voir. C'etail en 181(1. Lesgreves algerleuncs elaienl couverles de captifs europeens, ipie les cliaritablcs freres de la Merci rachetaient de tenqis en temps. Mais leurs forces peeiiniaires ne suffisaieut pas ,i la-uvre. .Vvant de doiiner le dernier soufilet ipi'il paya si clier, et d'enlrer avec I'envoye de la France dans cetle discussion ilangereuse,qui nous a vain unroyaume el a I'Kurope la visile d'un algerien delrone. le dey d'Alger, ce vieillard laquin que nous avons vu a Faris. s'ennuy.iit c iiisiderablement. Avare comma la plu- part des vieux Turcs. aussi pen lethe (pie le sonl, en ge- neral, les Algeriens et les Marocains, rebuls de la popula- tion inusulmane, depuis ipie son eslomac elail deveiiii niau- \ais,iln'ainiail pln^^qiiediMuclioses, les conies el I'argeiil. Son liabiluJe etait de s'cnloiinir aux ri'cils que lui f.iisail le gardien de son .serail, un petit V,nx bossu qui avail ele nialelot dans sa jeuiiesse, el qui se troiiva hienlut a cjurt des narrations cliimeriqucs. Un soir qu'il avail elii moinsamiisanl (pie de coiilunie, el ipi'il avail roule dans le vieu.\ cercle fanlasliipie des giMiies ( I des f(^'es dc I'Orient, son niaitre lui dit en b:iillanl et en deposanl sa pijie : (( Vous avez eti!' alisnrdece soir, Kalli.irlikos, el Ton voil bicn que vous i-k-s nii giaour d'Eiirope. m.ilgre voire prelen- due conversirMi el voire profession de maliomi'lisnie. Vniis aiitres, Europi^'cns. vous n'avez |ias de beaiiv conies ; on ne j sail faire clicz vous ipie des lialeauv a vapi>iir et des fusils. I —Pardon, llanle.sse, lepondil kalliailikos, vos pa rob s stmt le jardin de la sagesse, et voire e\p('rienee est le soleil de I'esprit ; mais j'ai enlendii dire rpi'il y avail. des iMmles d(.' plus d'uiie cspcee dans ces loinlaiiis pays d'£uro|ie. Sa llaiiles.sc pent en faire leiireuve. Kile a dans ses aleliers du port el sur ses galeres plus de soivanle KuropiMuis de loules les nations ; il n'y en a pas un (pii ii'ail (pielque boii conle a faire a Sa llaulesse, ,je le peiise dii ni(iiiis, car il* sonl lous liavards comnie des jiies. d O'elait line idee assez inginiieuse du Grec siilitil, qui sup- pleait ainsi au defaut dc sa verve epuisee el de ses souve- nirs absents. Lc dey Irnuva la proposition c.xcellcntc el il I'll usa dc la manii?rc que viiici. (1 Je suiscurieux. dil-ilii Kallurtikos. J'e\p('rinieiiler cir ipie vous me diles. Bismillab '. ces cliiens de clirelieiis nut ciiitenl plusqu'ils ne ia|iporteiil. Au inoins me feront-ils passer ipu'bpies bonnes nulls, car je ne dors pins. Ceiix ipii 111^ m'amuseronl pas seronl (Hraiigb's; les aiilrps s'en re- loiirneronl dans leur pays. Ci'lle idi^e orienlale eul .sa pleinc oxeciilion. Pendant mille el une nulls conseculives. iTcits americaiiis. anglais, suedois, danois, lapons. p-)rtug;ii.s. cspagiiols, basques, bavarois, hongrois, bobi'iniens, irlandais, ec(j.ssais, nor- vi'giens, islandais, veniliens, napolilains, niilanais, llo- renlins, tyroliens, suLsses, el les inieiix choisisib' lous, de- lib-rent processionnelleincnl devaiil le vieillard. (retail une Male encyclopedie de nos plus beaux conies, el le Grec eul s liii d'en prendre note. La |duparl des contciiiN, il. faut lc dire cn-rbonnciir du dey, furent renvoyes cbez eux avec une bourse d'argent proporlionm'C au plaisir qu'ilsavaiciil donne a Sa llaulesse. A peine ringLMiieuseiiivenlioii du dey elail eclose de son espril, il reijril sa pipe el aspira une bmgue gorgi'e. comnie si celle idee polilique lui eul sonri; puis il se lil ajiporler la lisle descaplifs. el aprcs avoir ordoime ,i son lirec d'aller faire connaitre ses ordres aiix prisonniers du pint el des galeres : « Vous preleudcj done. .s'l'Cria-l-il, que ces loiirds (ier- mains aiix cbeveux blonds possiidenl aussi des conies! Eli Irien, qn'on m'aille cherdier Iniil de suile le n" 'li, qui est un AUeinand. » On obeit au dey. L'liomntc ipii lui fill ainenii elail un nia- lelot, fils d'un labonreur, et ni' du ciitedii llarz. II eul assi z de peine .a comprendre ce que Ton exigeail dc lui, el apix-s ([uelque bi'silalion. tout en roulant dans sa main la casqiielle bb'ueipi'il avail apporleede Nuremberg, ctipii I'avail suivi dans sa captivile, il comuienca le ri^cit siiivant, vicillc K'- g.'iide litk'ialemenl calqui'c sur une des Iraditions popii- laii'es.de la l.iisace. 18 cdntk fM.Mii.hi; Mir. CONTE DU MATEI.OT HEIIMHICII. ciiu'iTiu-; i'Ui;mii;h. Co.nment Ic notaire "Wappenbickel voulut arracher une dent d'cr. S.I Uaulrssc m- cuiiiiaiL pas Ics iiinnli\;,'iics du Iliescii- It'liii!,'!' nil inontagiies di's Gi'niils ; ce sniil ik' vilaiiios iiioii- lai,'iii'S iH'li'os, aiix arbiTs ralidiigiis, lout y est affi'cux; la sclevc nil hameaii ilont k's luitlcs sont liassi's el riial (■ iiislruites; la misere de ceux (iiii riialiilent est extreme, l.es viiyai,'eiii-s lie s'aveiitiiiTiil jamais jiisipie la, et je iie I lois |ias i[ue Ic'S |dus sa\aiils le euimaisseiit. Vers la liii du seizieme sierle, uii |iaiivre iiolaire de eaiii- |aj,'iic vivotail |ieiiiljleiiieiit dans ce caiUiiii du |iriidiiil de sa |jlumc. Sa ealiane.li'zardeediiliaul en lias, peiicliailariaissee :. lus le |ioids d'uue tuiture eiidommagee ; la portc etait dis- j liiite el vermoiilue; les lenelres au.\ earreaux de |iaiiicr priak'nl la liise d'eiitrer. lille jirolllail de la |ieriinssiou sans ragremciit du iiio|)rietaire. La bisc ii'est pas puur nuns, llaiilesse, ee ipi'elle est pour l.'s ijeus du Muli. el M. Wappenljiekel yrcloltait souveiit, iiieiiie (|uand ses eiiraiils, il en avait di.'i-liuil, so ]iressaieiil autciur de lui [mur liii demaiider leur siilislaiice lialjituelle. II u'elail 111 tiisle iii !,'ai ; il laissait les choses allercomme 1 lies voulaieiil, et dormait tramiuille. pour pen i[ue le ciel lui envi.yal assez de pain et de legumes pnur subvenir ii SI'S lie s'liiis persiimiels el ;i eeu\ de sa lam i lie ;ees premieres CDiidiliiiiis remplies, el i|iieli[ues prises d'un tabae assez pen delicat IbuiTees dans ses fusses nasales, il elait au comble lie ses vieux. II lie lourmenlait personne, et ne donnait li'ordri's qii'iiiie seiile I'liis. Aussi le veiierait-on dans sa I'amille. II avail liiutc la pliil(iso|ilue et loiite la roideur d'liMC pierre laiUee en lioinme. Sa figure elail eelle d'un oiseaii lii'lrilii;. Sa loiletle originalese compusiiitd'mi liabit. origi- iiaireinenl uoir, a larges bas:pics, avec de gros boulons de liuis ,d'iine culollc funcec dont les eoutures etaieut dcve- iiucs jauiies, de basgris c inverts de eules luoeminenles et ruiiges, et dc snuliers a boucles gigantcsipies. Uiic petite |ieiTiK|iic ronde, conrtc, lierissec comme le dos dun san- 1,'lier, se tenant roidc et immobile sur nn crane liruni par' les aiis, donnail li son visage, silloniie dc profondes rides, nil aspect assez comiipie. II possedait bien un autre co.s- tiime, bas Wanes, longue lirelte, culollc courle de ratine, liabit bleii-liarbeau et jabot blanc-jaune; mais 11 ne I'avait mis i(n'uiic fois, le jniirde ses noces. Lorsipie. apres le travail tjiiolidien, .M. Wappeiiliickel rentrait cliez lui, il prenail, avec une sereiiile elianiianle le repas de caroUes qui I'y atlendalt; puis ensuite, a la lueur blafarde d'unc petite lampe de kr, il .sc inrtlail a reniUeler avec amour un vieux roniaii iju'il possedait, dont les pages, jauiies de poiissiere el de vetiistc, excilaienl en lui nnentliousiasme llegmaliipio. Un soir (|u'il ctail anpres du lit de sa kninn; malade, el fpril s'etailendorniisur son livrc favori, fpiel|iies cimps rajiides relenlirenl sur les ) elites vilrcs rondes, euelils.sees dans du plomb, dc rune desfenelres basses. M. Wapponbiekel se reveilla et se leva on grMnine l.int. .\rri\e sur !e s nil ilc sa prule, il apen-iii nil jjii.iueiir bien iiiunle. i|iii tenail par la bride un second I'lieval luul liarn.ii.'be. Co domesliipie en livnie salua |-oli- meiit le notaire. puis liii remit uiie letlre, avec un large lacliet blasoniie. I.e billel en ipieslinn veiiail d'un vieux genlilliomme i|ui possedait aux environs line tres-bclle seigncurie el iiiic jeuiie epnuse dont il cut pu faeilemeiu elre ra'ienl. (jelte noble dame, n'ayant rien de mieiix a I'aire dans sa .solitude conjugale, sc mil en tele d'avoir iiial liiix dents, et d'envoyer cliercbcr le denlisle. Jamais perles lines lie fiirent niieiix eiicbassees el jdus pures ipie les deli- ealesdenls de la clialelaiiie, et ses molaires comme ses in- eisives brillaienl du plus bel email. Ce u'elail pas une dent i|iril fallaillni arraelier, c'elail rciimii; el son noble mari, i(ui lui racoiilail iiieessammeiit ksmemes balailles, u'elail I as amiisanl. .Maiire Wappenhicliel I'aisail deux meliers, il elail no- taire et denlisle; il speeiilail dans ses iiiomeiils de loisir Mir les macboires du prucbain jiour faire aller la sieniie, It son adresse elail devenuc celebre dans le pays. La clia- lelaiiie avail done au.ssilol expediii au denlisle une junient de selle fort douce que coiidnisail un ecuyer monle sur un lier elaloii. Saiisdoule, quelquesgroscbende plus a gagncr, c'elail bien seduisanl jionr le pauvre liomine; mais la unit ilail noire, et le notaire n'aimait pas ii s'anuitcr. Tonle- liis, apres avoir mis son costume de nocos, recommanJe sa lidele compagne a rainecdescs lilies et leur avoir promis a rune et a I'aulre dc reveiiirle plus lot i[ne faire se pour- rait, il pril ses instrumenls, ceignit la rapiere, placa sur sju front son tricoriie desdimancbcs. et eiil'oiirelia la bete qu'on lui avail envoyee. Les trois lieiic?, qui le si'-paraient dii iii.'iiniir du vieux baron, riirent bieiilol francliies, el il se Iruuva face a face iivec ce dernier. Celui-ei linlroJuisil, apres les coinpli- ineiils d'lisagc, dans la cliambrc de sa feiiime, qui souf- I'l-ait inort el pas^ioll, di.sail-elle ; el qui. des que M. Wap- ]eiibickel fiit enlre, ouvril aussilot la boiiclie de la meil- leiire grace du moiide. Wappcnbickel y vit un tresor des plus belles denls el s'arrcva. (Juaiil ii elle, ii I'aspect du den- lisle notaire, elle partil d'un enorine eclat de lire, el, boiidissanl sur son siege comme unejeunc brebis : « 11 m'a guerie, il ma guerie, s'ccria-l-elle. — Dejii, » dil le inari. Le fait est que la presence de Wappcnbickel elail si bur- lesque, que la jenne baionne n'avait pu le regarder sans ipie sa rale desopiliie lui fit perdrc tonic sa melancolie. I.e geiililbomme s'avanca vers la malade, la baisa au front avec adresse, el liii proniil, en recompense de son courage, un beau bracelet qu'il avail cominande pour elle a Prague. C'elail une aimable creature que la ebi'ilelaine. lillc re- luercia le denlisle, lui demanda avec iiUerel des nouvelles de sa I'amille, puis, en liii donnant .sa main potelee ii bai- ser, elle glissa adroitemeiit dans la sicnne une belle piece d'or Ionic nenve. II N'eii dilesrien, ii murmiira-l-clle .1 son orcille. II se courba avec respect, posa ses levres sur les doigts rflilcs (pion luitendail, el, apres avoir exprime loiile sa iiToiinaissanee, engagea la jenne I'einme i'l cbercber un ii'|osdonl elle devail avoir si grand besoin. Li'i-dessus il s'ineliiia proroiidemenl ilevant le baron el vonliit prendre conge. Le mailredulogis ne vnuliil pas laisser aiiisi parlir celiii |iii \eiiail de lui rendre un service emineni, el, le prenaiit nr )\ \Tr.i.iiT hkimuimi. 10 |Kir le liiMs, il le conduisil a uiic salli' mi lino I.tIjIc li'acajiiu (Hail couvcrlc dc plats esqiiis el dc liniili'illos oiiijauoanlf-;. II no put sVinpi'dier lie fairc frto aiis iins ft nils aiitirv, H s"cn !iciniilta si consiMoiu'idisoiiicnl, (|M0 hii'iiti'il s.i lanf;iic se di'iiniia lout .i fail; il raniiila an viriix lianiii lis fails d'arnii's iK's flicvalicrs dp la Tnldf rniidc, seiilit sun gosicr sc dL'ssiiclior en [larlaiit, riiiinii'i'la dc noiivraii. rcpai'la, liiil dii iioiivcaii , ct le vin ayaiit fait son I'ffr'l, li' nan-ali'ur onlilia I'liciiro qn'll olait. II on olail a son di\- nonviemo voito do vin do Madorc, ([iianil uno "rosso poii- diilo soniia ouzo lionros, ol il pssnya do so lovor, mais on vain. I.a joiiiio daiiic. tros-liion ijnorio, ontrailalors, ol dit : ■' Maili'o donlisto, no parioz pas; il so fail lard. Jo sorais dosoloc (pi'un si habile honinic conrni lo moindre ilanf;or Vnyons, jc vais vous fairc pi-oparor iin linn lit, ct domain nialiii jo vous rocondnirai moi-niome clipz voiis dans ma polilo voitnro dccliasse, ipio vonsti'ouvoz si oli'itanto ol si roinniodo. Aliens, n'est-re pas, vous oonsonloz?" 1.0 nolairo sc courha, prit son oliapoan. it s'oii fill sails iTOutor Ics inslanros du clialolain ot do sa oonip:ii;no, ipii. voyanl f|iio loiil co (|ii'olle disaiti'lail iniitilo. pril lo parii do liii soiihailor iin lion voyaf;o ot do s'on allor oonrlior. Voilii done le dontislo sous la voi'ilo dos oioiix, marohanl roido ol trainani sou opco ajircs Ini. II sc mil a ropassor dans sou os]ii'it, aver iiu continlcment iiilimo, son aiida- cicusc chcvauclioc, ot siirlonl I'adrossc doni il avail fail preuvc dansropiTalion. adi'ossc qui Ini avail vnlu iinsoii- rirc dolajolio liaronno, nnliaisorsiiriinc main pins Idaniiio qu'un ryuiio, iiiio liollo piece d'or ot iin repas dolioienv. .Mais tandis (|u'il rhercliait a ressaisir rliaiine di'lail dc la soiree, sa Icle, d'ahord pour uii instant refioidio, liii it- fusa lout a coup do le dirigor, el iin enormo ooiip do pning de goanl, assene siir sa nu(|ne, Ini somMa orrasor ct aiioan- lir toiile son oxislcncc morlollc : c'ost f|no mail re Wap- penliiokol venail de fairc uno rcdontalilo rlniio dans iin fosse ; S.I paiivi-o tote .ivail porlo coniro uno raoined'arln'o. II se roleva ; mais liicntot ses jaiulios s'emliairassanl Tunc dans Tanlre, il chanccia prcsque .i oliaqiie pas ; son corps maigiT, allonge, lluel, nc icsscinldail pas mal a iiii jonc lialancc par le venl. Si iinc faussc honte no roi'il rc- tcnu,il serait relonnic sur ses pas ponr rodcmander I'asile qu'il avail nagucre iirprudommenl refuse; mais, craignant qu'on n'atlriliuat son rclour a la ponr. il se redressa avoc licrte, ot laelia de suivrc Ic plus ro|fiilicieiTicnt pnssildr la voicqui s'offrail dovantlui. Malgre scscfforts, ildorrivilnnc foiile do eoiirlios irroguliorcs qui le firenl cai-amliolorcnnlrc quelqnos arljros; puis il.se prit ii courir dans la dircrlinii qu'il crut oiro la lionnc; mais, au lieu do reparer sa pre- miere orrour, il on commit une plus daiigoronsc, ot son- fonea dans une valloe marccageuse qui liii olait totalomoni inconnuo. Apros s'clrc dolialtn loiirii tour dans Ics uiaro- cagcs ot dans Ics lialliers, il apornil une Inmiero dans lo lointain. .\ oettc dorouverte incspoicc il respiia. u I'as do fiimoc sans feu, (las dc feu sans homines, pcnsa maiiro Wappenliickel. en s'avancani plcin dc courage ol d'espo- lancc vers I'cndroit on il pensait rcncontier uii ahri. Co sera l;i rortainomoni quolquo hutlc. ou je pourrai mc lo- metti'o de ma course, seeher mos souliers et mes has en attendant Ic jour el apprendrc enfin on les maudits llacons du haroii m'ontcnndiiit sans mon aven. » I.a logiqiic du liiiuhomme no le trompait pas lout a fail : la ehirto en 'question s'cchappail tout lionnemenl dune Innlornc. ipic porlait iin pellt individn rnnlrcfail , vai-' i- tiqne el haroqiic . au^ jamlics torses coiniiio nii hassi I , li la lolc dispropnrliunnoc ct au visage liidciix. Tc grolesipie pcrsonnage elait du haul en has d'nn gris condro, sis vcnx otincelaicnt coDime denv vers Inisauls, 1 1 sa main ilroilc, singnlicrcment ossiuse ol dovoloppcc , ro|,iisail snr nil baton d'c|iines avoc nnc orgnoillonso assurance. « Qui-vive? s'ccria Wappenliickel il'iin tiiii liriisi|iio, qui saisil la poignoc de sa dagiic I'u froiioaiil lis snurcils ct cnfoncant son Irioorno. — Ami, ropliqiia indoloinmcnl lo ]iygnioc. — A la bonne hciire ! mais ijiii'l isl Inn iionr.' ropril Ic nolairc. — Si CO n'cst que rii , dit lo iiain on ricanani , jc puis vous salisfairc. Je in'a| pclle Darinilaliipildi, je viciis du chateau dc nrododonlh el jc me rends .1 la ville voisinc. .Mais voiis-mcmc. qui ol ssi eurioux, vondrcz-vous bionnic dire a voire lour eommeul vous vous iiommez ol ic qui vous engage a courir Ics champs ii paroillc hciiro ? — Ic siiislc nolairc Wappenliiekol. lopondil Icdenlislo. a qui I'aspcct olrange ainsi que la voi>; du petit bancal im- posail inalgro lui. J'apparticns a la jnslico, el comnic ecro- ri a les veux liandos , elle u'a pas rcconnn mos morilos et m'a pre.sque laisso moiirirdc faiin. moi et ma fainille. Mn:i iiiiuco ompl'ii me rapporlant fort pen do olinsc. j'ai fait appol ii mon adrcssc ot a mon inlolligcnoe nalnrello. J'arrachc , prjur vous scrvir, les dents li oon\ qui voulcnt bion .s'adrcsser a moi , et jc puis mo vanlcr d'opcror ::\-ci- line dexterile pen commune. Aiissi , dopiiis iinmbrc d'n;- nces, passo-je dans lonle la conlroo pour nil liahilo himinio; memo la noblesse dcs environs ne dodaignc pas dc rcroii- rir asscz sonvenl ii moi, qnaud il s'agil d'liiio affaire do co genre , el dans cc moment jc son du caslol d'liii viciix gentilhommc. 011 j'ai dc nouveaii doployo mon adros-o. Voila la vcrito loiilc niie. — Tres-bicn. .Mon mailrc, qui dcnioinc .i 1111 boii quart dc licue d ici. a etc reveille cclte unit |iar d'cpouvanlablcs niaiix dc dents, et n'y pouvanl pins Icnir, il m'a ordonnc d'allcr chercher qnclqn'iin dont la main |iuissc Ic dolivrcr dc son mal. Pnisqiic vous ctes si habile dans viitre art et que vous semldoz avoir de la bonne volontc, siiivez-miii; vous pourrcz fairc une bonne affaire clm'eviterniie course asscz longue. Le ehalcau de Brndodonth s'cleve sur une polite oollinc jieii cloiguce, que jcpourrais vniis monlrcr dc cc lieu s'il faisail jour. Je dois vous provcnir que si vous n'cles ]ias sur de voire savoir-faire, si voire ]inignct est faililc, incertain, inhabilc, il sera plus .sage li vous dc ne pas risquor raventnre ; ear mon maiire est liboril. mais no ,se laisso pas railler, et, en cas dc non-sncccs, il serait bieu rapablc do vous appliquor line correction dont vous por- loricz les marques pciulant lout le restc dc voire vie. Ilello- cbisscz vile ct faitos-moi pari dc cc quo vous aiiroz rosolii. — Cost tout rollocbi. dit le nolairc. qiriino poiiilo \\i- vin rondail aiidacicnx ; iin hoininc de ma Irompc nc ba- lance jamais, qnaiid il est question d'agir. et je vous suis. .Ic suis sur dcinoi-incme, voyoz-vons, ot je n'bcsilcrais pas une sceonde . (|iiaiiil il faudrail m'allaqiicr ii la m.icliniio du diable A CCS mots lo nolairo suivil Ic uaiii dont il avail 011- lilie la laidciir, ot bicntot ils allcignirent ensemble les fortes du ebiilcau, garni dc tourellcs, qui s'elcvail sur une rnche escarpoe. I.o guide alors ouvrit, sans proforor iin mot, une clroilc polernc qu'il refcrma soudain deniere Ini, puis, monlant un esealicrnoir el tonrnani qui condiii- ill ^ IK riiiVKi: >ciil .111 ini'iiiii 1' 1 l;ii;i'. 11 I'lililii Mil Iniip con iilnr, el |)i'iir-lr;i iliins lino £;r;iiul('s:illi'. ou il oriloniia an ilcnlislc irallemlro (Hifl(|iios inslanls. llcslo soul ilaiis ocltp vaslo piccp silcnripiisc ot soniliro, ]e nolnii'c se sciilil frissoiiner malgrc lui. Ce cislol qui soinblnit iiilialiilr, ccllc clianilnp a poine uclairce el qui scniail lo iiioisi, Tasiecl grisalre ot oxlrannliiiaii-o ilc son ronducloiir, lout roiicoiirail:i I'vcillii' eii liil iiiic seiisalini) iloiiliiiiroiise (I va^'iii'. NrannioinsM. Wa| jiniliicki'lspiiiil, pniiriiasserlclcmps. a nclloycr Ips inslnimcnis qu'il avail, sans y son^cr, liirs He sa jioclio. Unc ijiosse vuix, snrlani de ra|iparlenioiil voisin, 111! firilniina d'cnlri'i-, on rapiiolaiU par son nom. Anssitol il roforma son plni rhinirsiical. pril son cliapoaii sons son liras pt olioil ,'i rinjoncliiin qn'il avail rppiip. I'n homnip , (rnno laillp polussalp , onvploppr clans imp lolip lii' rhainlirp Pii llamas vprl a i;rancls i-amai,rps Pl porlant sin- sa Iptp nn lionnpl Ac vploni's noir nni. Ip rpciil avee nnc ili- jinilp fi-oiilp Pl iniposanip ; p'plail |p pliatplain. Lp ilenlislp sp coiirhn jiiwpra Ipitp, nuiiniura qiiplqnps paroles qui ilevaipnl lpmoi(,'npr son prol'oml ipsppil. Pl se rpcominanila liiimliieiripiil aiix Lonnps grapps ilii spii;npur. 11 Tn es (Ipniisip? dpmanila lp £,'pant il'iinp voix grave el SMiiiire. — Oni, monseignpnr, repondil lp grpfHor en s'inplinani bien has ; el jp mp ferais nn lionnenr de pouvoir vous servir. — ^'ons allons liienlijl voir si tn lp ppnx, rppril son iii- Iprliipnlpnr. ('ppemlanl, soil dil pnlie nous, In ne niP fais pas dn loni I'pffpl d'pirp I'liomme qnp je pherehp. Co visage lili'nip, CPs nipmbres greles el ppl lialiil rape ne ni'an- nonppiil rien de bon. ■ — ■ J'esppre que eela np sera pas long, noblp sirp, dil pn sonrianl le nolaire. — Tres-volonliers, repllqua lp briilal palienl, qui s'assii anssilol ; mais depppjip el prends garde il loi. n Deiix nains anssi bizarrps qnp lp premier guide s'appro- pbpreni, I'mi avpc iin plalpan, ranire avee une servielle, el le nolairc sc mil en poslure. fl,a siiilc :iii inimi'i'o iiroclmiii.) VIE rRlYEE DES OISEAUX i.KPiis Morns, i.rirs nAinTiDES, i.iar.s instincts. On eonnail assp?. pen Ips oispaiix. I. Piir organisation di' licale,la rrpidiledpli'iirsmonvrments, Ips allpial ions snliic- par Ipiir organisnip el par leurs insliiipls qnand Thommp lis a reduils en pnplivile, )ioiir les sonslrnire a noire analysp Eeaucoiip d'enlrp pnx I'migiPnl, changentde plumagp el se lapissenl Tliiver dans dpscachplles on I'leil hnmain ne ppiii pas les SHJvre-. La llmidile I'ugilive des uns nous empeche de les observer ; les autres, dans lenr orgiipil farouphe, sp rpfngipnt au sommptdps monlagnps snlilairps. snr le som- met ni'igpnx dps Alpes. Heiiendant I'liomme peiil saisir an passage qiiplqnes dpiails de pps pxperieneps apripnnes. No Ions ipi, ponr nnlrp inslrnplion el noire plaisir. quelques anecdolps antbenliques et euripusps ndalivps ,'i cpltp race inleressantp. § I. UCS CRIMES S'DN ROUGE-GORGi:. Le rouge-gorge, onle sail, porle nn eoslnme d'nnpsin;- plicile poqnpllp Pl d'nnp originajlp pleganlp. II pst sociable jiisqn'a la fainiliarilp; il ainip a Pirp jirotpge par riiomme, el queb|iiefois il en abuse. On Ini reproebe de ponsserqne'- qiipfiiis la familiarilp jnsqn'a limpprlinpnep. l.'liivpr, il ne SP gpnc point ponr vous dpinandpr raiimune. Les gpns i\n Nord, ipii onl fail avpp lui ample connaissancp, I'onl ba| - lisp d'un nom chrelipu, luionleonsaere des legendes el des ballades, el le Irailpnt pomnie nn vipil ami dp leurs longs liivers. Us I'aiipellpnt « Robin , llobinet, lloliin le genlil- hnmnip el Robin le bon pufanl » Un jardiiiier pcossais. nns oisE \i;x 21 (Innt la ligiirc ossouso, lo rnsliimc kirinlo ot lo palois c.- prcssif eiisspiU failles dcliccs do Waller Sroll, me racoi;- tail, en 1830, comment il avail deroiivert, re (|ui I'avail lieaiicoiipsur])ris, ([lie Roliin elail ea|ialili'di' crimes oilieuv. el, chose surpreiiaiilc ! iiiie ll(iiiiiurrt«(V;wi*'i7c»(iV/i(iHi"'c J'avais ele rendie visile a la veuve d'uii general espagnol. Ecossalse d'origiiie, doniiei'iee en Ectisse aiipres dc sa fa- mille malernelle. Elle dememail siir In route de Cosloi- phine, a cin(| niille d'Edimliouig, dans line cliarmanle liahi- lalion. creee par I'amliassadenr .'i Constantinople, sirllolierl Lislon, qui, Ills d'nii fermier, s'clait plu a enibellir I'aii- cienne chauiniere de son |iere. L'liiiiiilile toil etait resle delionl, coiiverl de clievrefeuilles el d'eglanliers ; une lour feodale avail ele enclose dans le doniaiiie, el renscmlili', devenii aiissi liizarrc ipie clianiianl, offrail, par lesmonve- mcnls el ringeiiieuse dislrilinlion dii terrain, la variete la plus pirpianle. La porle de la forme ouvrail sur un pelil perron, d'oii Ton descendail jusqu'.'v line piece d'eau inV- giiliere, encadree dc gazon fin, et parconriie dans tons les sens par des lialaillonsd'oiseanx aqiialiqiies. Sous uii dc s plus grands arlu'cs de cello solitude enelian- lee, la mailresse de la maison aimail a so reposer pendant les lieaux jours dc raulomnc, el sonvent ses domestii|iies, qui savaienl iprelle ainiail li rever, la laissaienl senle dans celle situation. Au moment ou nous nous presentiimes de- vant elle, une scene liizarrc et inlcressante sc passail. Elle essayait de cliasser, de la main, un pelil rouge-gorge im- pcrlinenl qui, sans cesse ocarte, revenait loujoiirs, avee line insislance singuliere. saiililler autour de sa mailresse. lournanl a droite et a gauche sa jolie petite lote enqiietic, de velours rouge el noir, poussant de pelits oris douloureux ct sfinidant implorer sa grace. I.orsipie d'lui euiip do niou- clioir elle I'avail force de fuir , il se refiigia!t au milieu d'un liiiisson voisin, oil il reslait triste el Idolli pendant quc'qiie temps, jiisqu'a ce qii'il ncommencat le momc manege. Nous vouli'imes savoir I'liisloire dii rouge-gorge, et eon- naitre, s'il elail possihle, le niolif do la sevcrite que la jeune femme lui niontrail. II Oh! c'est lout un ronian. nous dil-elle. Qnand je suis arrivce ici, je fiis otonnec cnmine vous dc remiiressemcnl que me tomoigiiait cc pelil monsieur; sa grace in'avail plu, el il me faisail la coiir avec laiil de genlillcsse, qu'en vc- rilo je n'avais pas le coeiir de me monlrcr cruelle. C'est Tommy, le jardinier, qui m'a eclairee sur son vorilalde ra- raclere, el mainlenanl je ne peux plus le soufl'rir II a com- mis lies crimes, et le plus exocrahle de Ions aiix yeux dune femme. .I'avais coiiliime dc dejeuner dans nia serre. a Taiilre hoiil dii jardin; qnaiid le temps elail convert ou pluvicuv, je faisais aliaisser les vilrages, el je joiiissais de la heaulo do la malinoe el dii parfiim des lleurs. Co petit nonsiciir se mil a liccqiioler sur les glaces de la scrre pour demaii- iler entree, et je lui oiivris. Nous nous aeooiitiini;imes hien- li'it I'lin li I'autrc, et j'avoiie qn'il avail fail de grands ct legitimes progres dans ma confiance, lorsqu'un heau jour mon jardinier Tommy, entrant tout a coup pour donner un coup d'cpil a dc maguifiqiies daliiias donl il a grand soin, le vil en conversation rog'ec avec sa mailresse, bal- lanl de Taile a pen de distance de nia tele, el voltigcanl an- dessns de moi avec In plus sOduisanle coqiielterie. Tommy Pousse un cri d'effroi, et, reslant immobile, les liras clen- ilus, en face dc nous, parul slupofail, ce qui me semldail olonnanl.Robinaurnil clo le plus redonl.Tblc des nialfailcurs, que Tommy n'aurait pas manifesto plus d'effroi... Tenez, lo voici Ini-mome qui vienl me demander mes ordres; il vous dira de qiielles actions ce pelil monsieur est capable... Tom- my, conlinun la jeune femme en s'adressant nu jardinier qui s'approehait, monsieur veul absolnmenl que je donne li Robin sa griicc ; qu'en pensez-voiis'' — .\ lui! s'eeria Tommy d'un ton grave el dans son pa- lois ecossais, nc le faites jamais, madanie! c'est un impu- dent petit drole, et qui ne merile pas autre chose que le lacel... Imaginez, mon.sieur. conlinua-l-il en sc loiirnant do mon cole, que pendant deux annees conseculivcs on lui donna asile dans la serre chnudc, sous une fcnille de jinl- niier qu'ou liii laissn en toiile propriclc. II elail la souveni sur le bord dc sa roiiillc cnmme un grand seigneur qui so SCKNKS pronii'iii' siir sa Iprrnsso, el nind.inic smi ('■pouso oocuiJiul \r fond ilu nid. sniijiiani Ic ini''n,ij;o d nnnirissnnt s:i pi'lilo famillp, Los deux |ir.'iiii('n's nniH'Ps ro!n n'all.iit pas mal. Rnhiii so coinporlnit liion onnimo pcro ol onniino opoiix. I,a oouvoo faito. sa compa^no ot los polils pronnaionl lour vul, coniiiip c'osl rusaj;o inimomdi'inl olioz los rou!i;os-i;nrf;i's. ol lo };oiilillioniuic roslait on possossiou do son doniioilo. Mais la Iroislomo annoc lous los polils ayani cpiiUo lo iiiil, j'olisoi'vai fpio la rrioro no Inliaudoniiail pas, ol (pio lo innri lui donnail son con!;o d'uuo faoin asso?. vivo qu'olle fiiisail somli ani do no point coniprondrc. On s'occupa do co pro- ccs, monsieur, proccs on soparalion do corps, conlinua Tommy en riant ; el les uns olaicnt pour la fomme, los au- tros pour lo mari. Cou'c-oi vanlaiont la conslanco do I'uuo. coux-la insislaioni sur los privilojjos do uotre sexe; cos dorniors avaiont raison, monsieur, n'on doplaiso a niadanio. Qnnnd Holiin eul opuiso son oln(|uoiioo, il oul rocour^ ,'i la force; ol, lo croirio7.-vous, monsionr, — o'ost uno clinso .i fairo honour I — il I'a tuoo, ninnsiour, 11 I'a luor ! — Kt nous n'avons plus voulu, conliMua la danio on sou- riant, dun opoux do si niauvais osomplo. lloliin n olo lianiii do son palmier, lo nid dolruil. los Iraoos du forfail offacoos. Popuis cc lomps-la, 11 orre conimo uni' ,inio on peine aii- lour do la sorro. (|u'il est oondanino it no plus lialiitor ja- mais. Nous y avons donno asilo a uii autre liali tani plus saiivaf;o, ot cpii est nn arlislo d'uTi fjrand lalonl. (I'ost un merle. Celtii-la osl cclihalairo , el il a aussi son romau. Tommy, voiis qui aimez los oisraux aulani <[»(• nos lloiirs, dilos qu'on nous fasse sorvir lo dojoiiiior. Vous raonnlerez onsiiilo ,i mm-'ii'ur I'liislniro du nierlr colilialairo. Kilo vaul cello do lloliin. » (l.;i >!itlr ;iii iiuiiirni ])i'i>rli;ijii.} LES OISEAUX A BORD DE LA FREGATE. Nous i|uittions on 1829 los ilos .\cores, ol nous onipo:- lions, dil le capilaino lluj;lios (jroot, line cpiantilo assfz considoraldo do ijraius. do fruils, do (lours cl memo d'ai- liuslos (|uo nous deslinions an jardin dliisloiro nalurollc d'.Vmslordam. Lc Irnisiemo jour apres noire depart, nous nniis aporcumos avoc olonnemonl (pie Inulos los vorijiies do la fropale olaii'ut coiivorlos do cos charnianls polils oi- soaux si lirillanis do plumage qui lialiilent los otinranirs forols do cos Inliludos Ilionlol los malolnis s'haliiluoronl ii onx. lis ouronl lour ration ol lours liouros do ropas. En- trainos an milieu do lOcoan par la course du na\ ire cl dr- venus nos coni|iap;nons do roulo, ils s'lialiitucront si biou .lu sifllomonl dos cordafjo ol aux uiouvomontsdo roi|uipai;o, epic nous los onimonamos avoi: nous jusqu'a Borp-op-Zooin. I.a rigneur du olimat fit |iorir prcsquc lous los polils holes dc ma frct^alo ; puis deux ou Irois soulomonl suivironl :\u jardin dWmslordam los arliros donl lo parl'um les avail sr- duits. ct qu'ils avaiont siiivis dans lour omiirralion. [Juiininl (.V [.■i/ile.) SCENES, RECITS, AYENTURES , l:xrn,Mis pi;s ri.rs nhU,nMs vnv\f,F,rns. TRAPPEDB. BES MONTAGNES ROCHEUSXS. J'cus Ic liouhcurdi' rcnconlrcr, dans uno dc nics excur- sions en .\mr'rii|ue, liaplislc lirowu, fanicux irajifcur dos montapjucs Itocluusos. I'cu d'homuios connaissaicnl niioux que lui la vie saiivafte du i,'raud drsort dos prairies; il avail ohasso avoc los shitsliimies ou serpents, dans lo n ravon so- il lairen, dansloicp.iic aiixlaurcaiix n, aiusiquesnrloshords du grand lac sale. I.cs corhenux, les jiieds nnirs I'avaionl poursuivi pres dos sources do la Plain ol do la riviere Jaune : mais Ic rocil dc son avoiiturc pros du fori David- Crockoll, dans lo Trou do Drown, m'inlcrossa plus que lous les auiros pnrce quo j'avais dojii visile cello curicusc locnlitc. Tandis qu'il mo raconlait ces dolails morvMlloux, sasro.ssopcrsonnesenihlaitsedeployor, ilaspirailavocfnicc la fumoc dc sa pipe do corno , el son exaltation devini si coulagionso, qnoj'aurais voulu mo trouvor encore an dol.i du desert qui mo soparail dc cot ondroil. Hue dos avonliires do Raplislo mc pnrul tellemoul liizarre ot caractcrisli pu'. quo je la rajiporlo lello qu'elle ni'a cli' ra CO nice. La vallcc conniic sous lo nom do '/Vow dp Ilrintnt osl silucc an midi dos munlagnes ]Viiidiirer sur lo Sheel- Skadio. ou la prairie Oockriver, olcveo do plusicurs milliors dc piods au-dossus du niveau dc la mer, n'ayani que quin?e millos do cireonroroncc , onliurec do haiiles collines . est a jusic liiro, sinon ologimnioul. caraclorisec du noui do Trou. L'hoilie vorle ot nutritive dos monlaguos , los laiUis dc colonnicrs croissant o.a ct la, les hosquels gra- oioux dc sanies, Ic sol gras el feiiilc dc cello valloe isoloo. on les legumes dc loule c.s]iccc croissent en profusion, snul arrosos par la Sheel-Skadic, ou, cammc d'aulros I'appi'l- leiit, la riviere Vorle, quise prccipitodansle Trnuau nord. d'oii olio sort (^n passjint par uu dci.lc semhlaldc .i la valh e do Teiupa , au sud. La temporalurc est admirahlo ; c'csi pourqnoi dos ccntaines dc hdpiiciiis on font lour quarlior ri'hivor; colic valloe osl aussi froquoutoe par dos ludiens do loulcs los nations, tiiais surloni par los .Vrrapahocs, qui y vicnurnt lialiqucr avoc les hlanos. (".rs Imlions soul npu- les los moilleurs cnlrc lous les aulres des monlagncs llo- cheuses. Draves , guerricrs , ingcuicux , hospilaliers, iK snnt plus I'iehcs que la plupart dc leurs cimlVercs, ot pns- sodont un grand nomhro do chovaux, dc mnlrs, do chicns el dc niontons. lis cngraissont los ohicns ot los maugeiil. On los appelle niangenrs dc chicns ou Arrapahoos. Lenj- fahriquo do couverlurc indique dc grands progres\ers la civilisation, qnoiipic cot art ap| arlicr.ne a lour pays, ol i.c \ ieunc |ias do relranger. I'armi lesjonnos lilies qui vinrcnl s'otali'.iraux environs dn Trou dc Brown, lorsquc la trihu s'y rcndil pour Irali- cpier avoc los hlancs, sc Irouvait unc scmillanio Indienno qui, des les pr micros ciilrevues, s'cnipara du cocur dc nap- lisle, nicn n'csl plus cnnimun ; les mccin-s des hahitanis des monlagncs Ilochcuscs no s'o|iposent pas a cos sorli's d'alliances. On a vu sonvoni des liommcs d'un rang plus oleve dans lo mnndo aliaudoiuier los liahiludes el les arl.s UK VOVACKS liliCHMS lie lii tie (.-ivilisco |,uui' s iiiiir u uiie lu'llo Jii deseii. hlui- !;iR's lies reinnios dc Icur cinilciir. rosi lianlis chiim|iions do 1,1 civilisaliun ouMioiil c|u'ils soul Ijlnnrs: on no penl ^hito on (HiC sm|iiis lors(|n'()n so ra|ipollo 1 inllnonio dii soli'il hrulant do rAmoiiiiio siir la jioau. II y a aussi jilusioui's siirtos do gibior ipi'il osl dol'ondii dc^ oliassci'.i line coi'laine o|ioi(iic do ['aiinoo: c'osl dans cos jours do desccuvromenl quo los cliassonrs oliorolionl a so dislrairc el paicouront los ivigwams ol les |jolrinses do lonrs voisins an loint sonihro, dont los haliilnJos dilToront lioancoup do oollos dos Iriljns tpii oiil ell! cliassoos do oliez olios dans los Etats-Unis. Los I'l mines dnnsent ioi el oliliennonl ]dus d'nn cffinr loi'sipic Icnrs talons nils et jii-illanls ofdenronl la peluusc. Elles lout dos guoiios, llssoiil dos couvoilnics, ct les jeuncs cliassoui's, sonildaljles a d'aulrcs amoiiioiix plus rapprochcs de nons, sonpiienl pros d'ellos pondaiil (piollos se llvient a CO genre d'occnpalions, nn'olles savenl lonjours egayor pai' dos chaiiLs molodionx el Icndros. ('o fnt dans nii de cos momonls i[iio Baplisic s'epril do la jouno Aii'apalioc. II n'avail alors d'anlri' parti a picndre cpio do s'en fairc aimer et de Topousor. Mais, lielaslles I iipas sauvaifos no lo cedent en rieii a corlains papas civili- ses, qnoi.pie pent-('lre plus francs ct |ilus positifs encore! Jamais ils iraccordonl lonrs lilies sans oblenir pour eu\- inoines un cadcau en eohangc, d'uno egale valour. Le pre- lendaiil clioisil oi'diiiairenienl son nicillour clioval, le con- dull an vigwiim dos ]iaronls de sa bien-ainiiie, raltaclie ii un poloau et sc retire : si, apres rexainon, le clieval est ac- <-eple, rentrovuo a lieu, et I'affaire no lardo pas a sc coii- clure. Si, an contrairo, los parents Irouvoul epic le clioval no vaut pas la lillo, ils o.vigoni d'aulres presents avanl de cunsonlir a se soparor d'un olijel aussi procieux; cost ainsi ipio l)on nomlire de blancs riches out eiileve la plus Ijolle lille do la Iribu. On a inomo offorl unc fuis sept cents dol- lars a je nc sais ([uel forlnuo jeuuc lioinine, en ecliangc de sa feniiiie d'Etaw, ipii olail d'une boaule morvcillense ; iiiais , disons-le a sa lonango , I'offre, liion ([u'elle cut etc plnsiours fois repclee, no fnt pas acccplcc. Avanl (|ue le cirur de Captlsic fill pris d'assaut, lo mallieureux jeuno hnninio avail deja do]ionse luul ce (pi'il avail gagne an prix do taut de poijies, pour se procurer cos joiiis.sances dispcndiousos dos liipiours fortes et du labac qui abrogeni la vie d un grand nombro do ces hommes en dopil de lours constiuitions fortes et vigonrcnsos. II ne Ini restait done pas de ipioi aclieler un clioval, ol sans clioval point de feniine. La saison do la cliasso elail passee depuis longlenips, il fallail allondre encore un niois la nouvolle opoi(no An depart. CependanI Ilaplislo pril son fusil, (piitla les douceurs et les plaisirsdu foil Uaviil-Crookell. pour aller chei'elier I'ours dans ses aniros les plus reculos , le castor dans soseclusos. et le legor chamois sur los plainos do ver- dure, esperaiit sc procurer par sa chasse laboriousc los moyons d'oblonir sa hieii-aiineo. 1.0 travail de quelipios jours reniplit la cachetic d'un Irappoiir d'une ample provision do pcaux et do fourrurcs. lies loulres, dcs castors lomberont dans lo piege ; 11 liia plnsiours daims, et le succes somblait couronncr les cfr'orts infatigaldcs dc moii ami liapliste. Aiu'cs avoir parcouru nil grand espace de terrain :\ la poiirsuile dos boles fauvos, il reviiit charge de son farJeau vers sa eachelte, ol, deposaiil ses Iresoi-s a son ipiarlior giiieral. il so remil en iiiarche. I'lus do trois scmainps se passereni ainsi. Un jour, commc il sui\ail un uomciu Soulier, le Irappour aventurier nulni dans un ravin profoiid et boiso qui couduisait evideinmeul a une | laino oil lo gihicr dovait olre abonilant. II ponelre an milieu dcs taillis el dos roiiees se fraye un cliemin a I'ai lo de son contoau. sort onlin du hois, el sc troiive sur la lisieredela clairiere. Eaplislo no ]iut alors rolenirun cri de surprise apres avoir love un iiislant les ycux aux ciel , il rontra dans le hois el s'y arrela pour se livror a ses re- flexions. On no peul cxpliipier la conduite du lrap|jeur sans parlor d'un usage parliculer aux Arrapahocs. .Xnl jeuno lionimc, fut-il le fils du plus brave de la tribu, n'a droit de se ranger panni les guerriers, ou de sc ma- ricr, avanl d'avoir fait quob|ue action d'eclat, et que le sang de son ennerni n'ait rojailli sur liii. Cost pourquoi, an commencoment du printoinps, tous les jeunes gens qui onl alleint Page voulu se rassemblenl, s'cnloncent dans les bois a la recherche d'avenlurcs pcrillouses, ii la mauiiire dos chevaliers errants d'aulrcfois. Lorsqu'ils out Irouve un lieu solitaire, ils leunissent dos perches de vingt a Irenle picds do long, les attachont par Ic haul, font une grande oalyane dc forme couiquc, y ajoutanl des branches et des fouillos. A rinleriour ilssuspendont une toledebuflle verl, des chaudieros, des pcricranes, dos couverluros, la peau dun bufllc blanc comnie orfraiides au grand esprit; en- suite ils so livrent a cortaines pratiques niyslerionses; la premiere consiste a fumor la pipe modioale : I'mi d oux la reniplit de tabac el d'herbcs. plai'e audessus un eharbon lire de la cabanc niyslique de I'esprit, as|iire la fuiuoe el la laisse ecliapper par ses nariiies, puis ils font lonelier I'eni- Ijouchurc de la pipe a la lorre, ct apriis quobpios aulres coromonios nioins iniporlanles, la pipe fait le tour de la cabane. I*lusieurs jours, coiisacres a des rejouissaiiees do toutos sortes, so passenl avanl (|u'ils soieni piels a enlrer en eampagne. Eiilin, ils abandonnonl la cabane; el nialbeur aooluiqui oscraily peiietrrr, il serail aussitot punide inort si on venail ii I'y surprcndrc. C'esl auprcs de ces cabanes mystiques que nous avons laisse Baplisic en proie ii une foule de rellexions. II se eroyail cnloure d'objots plus que suffisants ]iour achcter lo cheval exige; mais riionncle liapliste n'aurait jamais songe ii derober ((uolquo chose du teinple des Peaux-llo'uges. Itien de ]ilus bizarre que do ronconlror ce respect religioux chez cos homines grossiors, joint .i un principe de justice qui les doniine toiijours. Copendant monami cut ii soutonirdc rudos combats : on anrail cru, nie disait-il, que loulos ces clioscs se Irouvaient expres sur nion chemin, el que je de- vais'.es acco]ilor. I'uis il se souvint qn'une foi> un pauvre Irappour blanc. ii ipii on avail vole son manloau au com- inencenieul de I'liiver. pril -ans se goner une oouvcrlurc dans Hue do ces cabanes d'.Vrrapahoes. Lorsqu'il I'ul anienii dovant los vicillards, accuse de sacrilege, il se defondit en disant qu'ayant etc vole, li^ grand cspril avail ou pitie de sa position, et lui avail donne I'ordrc de prendre la cou- vorlurc pour s'eii vetir ! le grand cspril a ccrlos Ic droit dc disposer des choscs qui lui apparticnncni. Telle fut la decision; le Irappcur fut absous. tiopcndanl liapliste bian- liiil la tele; il allait s'eloigner lorsquil sentit unc main s'appuycr sur son cpaule par Jerrierc, el vit en sc retour- naiil un guorricr indicn onic de ses peinliircs dc combat. Lis voyageurs se lironl des salulalions ct raceiieil le plus I ordial ; lo jouue hommc n'olail autre que le frcrc de la bien-aimoo du Irappcur. et liaplisle Brown lui avail donne, la saisou procedonlo, la plus belle pipe qu'iui pill voir. " Mon freiele Mane dorl pen. il osl bicii inaliiial. u scem;s Lc chasseur souiil, ol lou^il presquL' comme il rejilii|iia : « Mon iciijiiam cnI vide, Pt jo voiidrais le rciulrc cliauil el commode |ioui- la neuv de iiioii liuaini. II sera uii grand guerriiT. » Le jeuiie brave liraiila la leli- ;;ravi'nieiil, el moiitra sa ceiiilure : pas iin pericrane ne .s'y Iroiivail. Puis il dil : « Cinq lunesse soul cndoniiies el la liachc dc rArrapahoe ii'a pas ele levee. Lcs I'ieds-.Noirs soul deschieiis el se ca- chenl dans des Irons. n Sans rien ajouler ii ces niols signilicalil's, le jeuue clief se dirigea vers la Iroupe giierriere d'Arraiialioe. Baplisle, enclianle dc voir la li.;ure d'un de ses sembhliles, sui- vil le jeuue honimc. II Iraversa le ravin que le Irappeur avail deja pareouru. An ccnlre memo du defile el boise a moins dc vingl pieds d'oii Baplisle avail passe, on voyail le camp indien. Le chasseur y recul le mcillcur accueil. On I'invila a preniire sa part du sonpcr que la Iroupe se disposail a manger. Bajilisle, doul I'appelil elailexcile par I'air vif des nionlagncs, accepla volouliers I'invila- tion. II dcvora d'enormes tranches debuflle, fuma uue pipe aupres de sou and, qui lui raconla commeul I'uxpe- diliou avail manque. An bout dc queli|ues inslanis Ba|]listc apercut de certains signes qui le niireut mal a I'aise : U'S Indiens, ii u'eu pas douler, s'eulreleuaienl de lui tout has. Euliii, une vive discussion s'eleva a laquelle se joiguil le jeune chef. I'our nie servir des paroles du iiarralenr, u ils couvinreul tons que sa jiean blanche indii|uail indubilablc- menl i[u il apparlenait a la grande li'ibu de leurs einicmis nalurels, ipa'avec le sang d'liu blanc sur leurs vplemenls ilsanraienl renipli lescoudilions deleur va^i, el pourraii'ul relouruer chcz cux aupres dc leurs parents. Cepcndanl (|uel(pics-uusmireulserieusemeul en question si lcs iioms sacresdc frere el d'anii, qn'ilsluiavaient donne di'puis plusieurs annecs, n'avaient pas lellcnieul change ses relations envers cn.\, que le grand esprit auquel ils avaient fail vceu I'avait envoye parnii eux revelu du caraclere qu'ils lui avaient donne, c'csl-ii-dirc comme frere ct ami ; s'il en etaii ainsi, le sacrifice ne ferail quirriler lc grand esprit, cine lcs relevcrait en aucune manicre de Tobligalion de leur vccu. D'aulrcs prelcndaient que Tesprit leur avail envoye celle viclime pour les eprouver; il avail etc, il est vrai, leur ami, ils lavaieul appclc frere, mais il clait au.ssi leur enncmi naturcl; ils ajoulaiciitqucle grand elre ne les rele- vcrait pas de leurs obligations, s'ils pcrmellaicnt que cello relation factiee d'amilie apporl.il uu obslacle u leur obeis- sanee. Les aulres repliquaienl que lc Irappeur, quoique lour enncmi nalurcl , n'clait pas conipris dans le sens du v(cu, epic sa morl serail unc taclie a leur ccjurage, une violation aus loisde ramitie, qu'ils pourraient liien Irouver d'aulres viclimcs, mais que bur ami ne pourrail trouver une autre vii'. A la grande cousleritaliou de Ba|ilislc, ces jiaroles ne pa- rureul faire aucuiie impression sur la majiu-ile. C'cst alors Hiie le jeuue chef, i'ami dc noire brave Irappeur, so leva, et fit un signe dc la main [lOUr indiquer qu'il dosirait parlcr. o L'Arrapalioc est guerrier, il surpassc ,i la course lc chcval lc plus leger; sa Heche est comme I'eclair du §;rand esprit; il est brave, mais il y a un nuage enlro lui et le soleil. 11 no pent voir son enncmi, il n'ya point de pericrane dans sou wigwam, mais le maiiihin est bon; il cnvoic une viclime, uu homme donl la pcau est hlanclic, mais sou creur est rouge. L'liomme a la figure pale est un IVcre. son grand rouleau n'alleini pas ses amis b'S Arra- pah(jes. Mais I'esprit est tout puissant, mou frere (Jesi- giiaut Baplisle) est renqdi dc .sang, il peul en donner uu peu pour tacher les convcrlures des jeunes gens, et sou conir conservera sa rhaleur. J'ai dil. >i Do vivos acdamalious sui- virent ce discours. Lc desir seul de retourner eliez eux los avail on parlie excites asacrifier le Irappeur; mais, grace a eel cxpodienl, ils aecomplissaient leur vccu, se faisaioul reccvoir au nomhre des guerriers. Chacun des jeunes goiis aurail un wigwam, nne femnic et tons les honncurs ipii reviennent an pore de famille, Ils fureul Ions d'acc(u-d; un caillou servil delaucetle, lc brasdc rhounue blanc fut dc- couvert, ct le sang (|ui jaillil dc la legere blessnrc fut soi- gneusemcnt dislribue el repaudu sur les velemcnls des Ar- rapahues cnchanles. I'uisenl lieu une scene a laquelle mon ami Ba|]listc Brown olail loin do s'alleudro. Bien persuades qu'ils venaient d'accomplir leur vtcu, los Indiens furent remplis de reconnaissance, ils voulurent donner a Baplisle une preuve substanliell i de leur gratitude, (ihacun fouilla dins son ballot, ct deposa son tribut aux jiicds du frere blanc. Lespeaux de loulre, de castor, d'ours, de buflle ne liii manquerent pas, el ses richesscs en fourrure depasserenl dc beaucoup ses plus vivesesperances. Le jeune chef les re- gardail en silence, el lorsqu'ilseurent tons a|iporle leur of- I'rande, il s'avanca, conduisant par la bride un magnilique cheval do solle et nne mule do somine ( qui s'elail saus doule egareo du Iroiipeau d'un iiiarehand) el les offrit a Bapliste ; son refus out ele contrairo ,i reliquelle du desert, d'ailleurs noire ami .savait Irop bien les avaulages (|ui lui on revien- draionl. I'our loule rojiouse Haplisle so leva, ct d'un air renfrogue, ct s'expriiuaul dans la laiiguc d'.Vrrapahoc, il leur paria ainsi ; " Uu de mes amis allail do Saiul-Liuis an fort Bout, el par consequent il Iraversa au milieu des t'Hmu«f/i(s; eh bien, un jour il ful environue de cos Indiens qui s'empa- rerent de lui, rculrainercnt pros d'un clang oil ils plon- gerent sa tele idusicurs fois. Comme ils ne |iouvaieul alteindre le but qu'ils s'claicnt proiioso , ils couvrireul scscheveux de bouc. puis ils recommoucorcnl ii lcs laver de nouveau. Bien convaincus euliu que cello couleur rousse (Hail nalurollc, ils lui donuiirent en cchauge une duuzaiue de chevaux, el le renvoycrcnt Ires-polimcnt. Or, mon ami disail qu'il aurail bien voulu avoir encore qnclqii's bois- seaux de celle precieusi^ mareliandiso doul ils Irouvaioiil .i se defaire avec lanl d'avantage ; el iiioi, jc desirerais avoir plus d'eau rouge dans iiics veines, puisqu'ellea taut dc prix ii VMS yeux. » Les Arrapahoes, qui avaient vu des choveux roiix ii d'aulres (pi'ii Brown , recoutcrent Ires - allenlivemeiil , el quand il cut fini, uu cri exprcssif se lit enleudio, le camp fut love, et Inus se perdiront bioulol sous lcs voules de la forel. Bajilislo, alfaibli par sa saignee, nionla sur son choviil apres iivoir charge; Sii iiiule, el se dirigea vers sa cachelle on il resia ([uclques jours. Au bout d'unc quin- zaiiic, le Irappeur, relabli, parlil pour le Troii de Brown ; la saisou etaiil pen avancee, il voiidil sos fourruios ii uu prix tros-olcvo, et les ayaulochangces pour des coulcaux, des pcrlos, de la poudro, dos ballcs, etc., il rcviul quelques jours apres au village Arrapahoe. Le chcval fut acceiilo, la jeune lillc aceordec, el depuis ce jour le wigwam do la fiancee, Peau - Bouge dans lc vieux pare, sur la grande riviere, devinl le quarlicr general dc Bapliste Brown, lo vigoureux Irappeur des inonlagnes Boclienscs. (Toi/mycs (((• Silliinan.] DE VOVAUliS RECE.NTS. UNE SOIREi: AU MAROC. 25 u Je ii'ni Jiiissc an Maroc iiu'vuic soireo, el jo iic vouilrai^ ))as, me disait uii voyageur, en passer une seconJe. C'cst lo pays (l<'s liyenes.... c< J'avais espere faire dans rintL'rieur Jc cppays une ex- cursion favorable .i mes gouls pour I'liistoire nalurellc ct pour la cliasse. Ce ne ful nu'a force d'adresse et d'argent, en viilanl une hourse que j'avais bien garnie, moyennant plus de 1,00(1 livrcs sterling et la proleclioii du consul an- glais. i|ue je parvins a me soustraire au cimelerre el a la h.iiue de res races faroucbes et corrompues. I'eu de passions nobles et geiierciises sc dcveloppenl el lleiirissenl dans de lelles moeurs; iinc passion arabe, Tamoiirdes cbevaux, on plulOl rallacbenient du cavalier pour sa monlure, s'y est loulefois couservoe dans sa purele originelle. M. Druni- niond-Hay. pendant le singulier voyage d'exploration (pi'il a tenle au JIaroc ]i0ur se procurer uii cbeval barbe digue d'etre offerl a la rcinc Victoria, a renconlre do singuliers exeraples de cclle passion de I'hoinnie pour le cbeval. Voici ce qu'il me raconta. CI — Cuniine nous approchions de Tunis, me dil-il. ac- conipagiies d'une bonne escorle bien armee. nousenlendimes galoper derriere nous, el nous ne lardanies pas ;i elre alleinis par un cheval barbe a (jueuecourte et a robe gris- de-fer tpie monlail un Arabe venerable. Sa selle au bee poinlu supporlail le long fusil maurcsiiue, el, de la main droile, 11 brandissail un de ces batons lalismaniques sur lesquels des caracteres arabes soul graves pour ecarler du voyageur loutc espece de malbcur on de danger; un vasle el simple hull; lloitait sur ses epaules nues et ses bras mus- culeux. Deux longues pointes d'argenl armaient, en guise d'cperons, le talon de ses pantoudes : souvent un cavalier maladroit donne la niorl a son cheval en employant cetle correction dangereuse. Kolre bomme earaeola aulour dr nous el se mil a nous reciter des bistoires. « C'etail un conleur de profession, et justice doit lui elre rendue ; il conlait merveilleusemenl bien, el meltait dans ses bistoires tout ce ipii peut plaire a dts lecteurs biases ; beaucoupdesang, deletes coupees, d'aniniation, degenies. de fees et de princesses malheureuses. II elail au milieu de son second ' conle, lorsquc, s'echauffant lui-meme par rintcrpt pallietique du recit, il parlil tout a coup au galo)i encrianl de loule sa force ; Allah ! Allah ! Allah ! le turban tomba ; le haik suivit le turban. II me sembia que ces in- cidents dramaliques faisaieni partie de la mise en scene el que, dans I'inlenlion du conleur, elles elaient destinces a completer I'inlerel de son recit. En effel, loin de se de- monter, rArabe,saisissanl son long fusil, lil feu, arrela son cheval qui se dressa lout entier sur ses pieds de derriere, el, reprenant le galop, souleva le haik avec le canon du fusil, puis, sc penchant a gauche et etendanl son long bras decharne , enleva le turban , toujours au galop. A peine une miiiute s'etail-elle ecoulee, que le conleur elait a mes coles, grave, replncanl son turban sur son crane el conli- nuant sa narration conime s'iln'eul ele qni'slioii de rien et qu'il ei'it pris une prise de tabac. Je vouhis marcliander son clieval barbe qui elail remaniuable par la grace des mou- vemenls et la beaule de sa robe. II repoussa nion offre avec la plus profonde indignation : vendre son cheval, c'etail plus que vendre .son ame. n Dans les nieines parages, le malhenreux Daviddson,celui qui peril assassinc, fit renconlre d'un autre Arabe non moins amoureux de son cheval. « J'avais grande envie de Tacheter, me dit ce voyageur, et je coniniencai par louer sa bete pour le mellre de bonne humeur. lille le merilail. Sa robe elail gris-perle, Iruilee, et d'uue mer- veilleuse beaute : — Que! prix m'en donnez-voiis'.' demanda I'Arabe. — Cent cimjiiaitlc niilselals { 1 i. — L'offre est raisonnable; mais vous ne I'avez vu en- core que du cote droit ; regardez-le du cole gauche, n Et il Ct demi-tour pour sc placer du cole ojipose. u Voyons, m'en donnez-vous quelque chose de plus? — Vousetes pauvre et vous aimez voire cheval. Je vous en offrirai un bon prix. Frapjiez-moi daus la main. Deux cents mitsekels vous convlennent-ils '? » Les yeux de I'Arabe etincelerent, elje crus que le cheval m'appartenait. ic Cost bien, s'ecria I'Arabe;)) et, secouant Icgere- menl la bride, il partit venire a terre, le beau cheval giis dressanl el secouant sa queue avec joie. En une se- conde il avail disparu. Je me relournai pour parler a mon compagnon de voyage. Une autre seconde, et I'Arale elail la, pres de moi.caressant le con de sa bete. J) F.iiviiori viDgi-ilcuv iLipcilcons, ^umiiic considerable ilans to |ia)s. ■ i se S C K A R S « Voyez , me dit-il . II ii'a pas un |)oil dc ili'rniiije ; i|iii' iii'en donnrz-vuusVn u .I'nlTiis li'ois coiils ducals. el r.Tnini.il les \alail. « Mei'ci , clii-elioii , me dit I'Aralic en me (endanl In main. Jc puis a present me vnnter qne vous ni'nvez offerl Irois cents ducats pour mon cheval. Mais ne crnyez pasque je vous le donne jamais. « 11 n'y a pas d'oi' et d'argeiit dans le mnnde pnni'lesuni'ls je voiiUisse le vendee ! » Kt je ne ie vis pins. A eijle de nous etail le ka'id on elief de I'escorle qni son- riait sei'ieusement dans sa liarhe : « Cet homme est un insense, me dit-il ; il a vendu pour achetei- ce cheval, ( ce n'etait encore ([u'un poulain I, sa tcnte, ses troupeanx ct jusqn',i sa femmc. Anjonrd'lnii , il n'a rien an monde, et il ne donnerait pas son elieval pour le monde enlier. » iDrummdnil-lldij.' T wih^'ijir'^^'^^ - » jlfOS^jT P' Vue dc Slaroc I,E SOUill. A niNUIT. (diaipie seniaine un bateau a vapenr part de Slockholm, fleliai''|uc des voyageurs sue les points les plus iniporlants de la cole orientate et oecidentale du golfe de Bothnie. Sa destination est pour Torneo, le point le plus septentrional du monde civilise. Le 23 juin, ii la Saint-Jean, si Ton gra- vil le sommet d'une montagne voisine de la ville, on jouit d'un spectacle extraordinaire et glorien.K p(.ur le genie hnmain ; confirmation complete du systeme de (^opernic. Le soleil , au lieu de descendre perpendieulairement et de sc caelier sous I'liorizon, incline lentement son globe ronge vers le nord-ouesi, sc dirige de plus en plus vers le nord, et, a nnnnit precis, suspend son disque au- (lessus de I'liorizon : il reste la comnie balance pendant ([uelques minutes, et reconimencant a monler vers le nord- esl, il ne s'arrete dans sa course glorieuse et ascendanle que lorsqu'il tonrlie ii miili le point culminant du snd. .\ celte epoque, les habitants de Slockliolm, pendant trois se- niaiucs jouissent de nuits lumineuses dues ii la refraction des rayons de I'aslre et qui leur permetlent de se passer cn- tierement de lumiere artificielle. Je me souviens d'avoir lu une leltre pres d'llpsal en traversant nne foret a minuit. Le marquis de Custine rapporte aussi qn'il a lu une lettre en se promenant sur le quai de Saint-Petersbourg, ville siliiee au mcme degre de latitude qu'Upsal el a un demi- degrc nord de Stockholm. La nature, dans ces latitudes etii cette epoque, prend inie teinlesurnaturelle. Vous nediriez pas le monde des vivanls. Le bleu du ciel est profond et d'un azur extraordinaire. Pas un nuage : lejour et la nuit, meme nuance, meme calme, meme immobilite. La Inne se dessine a peine commc une plume on comme un llocon de laine. Les etoilos s'effacent. C'est une vie qui parait ninrle; c'esl une mort qni parait vivanle. La nuit vient, les maisons .se ferment, les lumieres s'eteignenl; tout dort, tout se lait, el I'ceil du ciel reste loujours ouvert. Vous traversez ces rues desertes, sous une elarte qni vous semble contre nature, au milieu d'un si- lence qui eontraste avec eel eclat. Vous ne voycz rien, si ee n'est de temps i autre une sentinelle immobile avec sa i;edingote grise et son mousquel d'aeier. ( Vi'^ingcs tie h'nlil Jiivs In liiissie, ele.) I.E Dtrxl. SAMS IiA FORtiT MOIHE. II y a pres de trente ans, un jeune homme, etudiant do Heidelberg, nomme Scbwartzkojif, ne dans la ]irovincc de Uesse, etourdi , d'un excellent coeur et brave, mais joueur et dissipe, recut une leltre doul le cachet noir el I'ecriture eirangere lui causerent un mouvement de snr- |irise. Son luleur lui ecrivait que sa mere, pauvre fenmie qui s'etait privee de loutes ses ressources pour lui donner une education liberate, venail de mourir, qu'elle ne lui laissaitaucune fortune el qu'il n'avait plus que deux partis a prendre, choisir nne profession on s'enroler. Lejeu et les usuriers n'avaient laisse a Pierre (c'etail sou nom de bap- temej que I'babit qu'il porlail, le sabre a lourde poignce de I'etudiant allcmand ct un petit liavre-sac. II passa la nuit sans dormir, ct le leiidemain, a cinq hcures, apres avoir paye son botessc avec quelques grosschen (pii lui restaient, aehela un pain, le mit dans son bavrcsac avec le meers- cliaum (pipe allemande) indispensable, sortit de la ville par la route de Fraueforl et marcha toujours devant lui avec une resolution sombre, ne s'arrelant que pour manger un moreeau de pain et se reposer. Le soir du second jour, comme il approebait d'une foret, un grand vent s'eleva; les sapins noirs eriaient el gemis- DE VOYACES HEOENTS. 27 saiciil oil s'abais>aiU vers le voyasjeur qui marchail coiilre le vfiil. Ce quil resseiUail n'clait pas do la peur; il aurait voulu ([ue I'uii de ces grauJs arljres si' IVil brisu et Vvdl cnstveli sous sa duite. I.a null lomliait, rora^e s'umion- cait : il se mil a chajilui- commc uu liomme qui veut ou- blitM- I'l vie cl SOS peiiies. u Ualle-la ! cria uue voix, ijendaiit i|uc Irois liommcs I'u veslc dc chassi", et la figure iioircie, deboiicliaicnl d'uu I'lJUiTC dc ji'uiies pins. Trois paires dc pislolets saluaient a la fois le jcuuc liommc. Le desespoir lie eraint I'ieii ; il Ics icpuussa di'daiij'neusenieul et moderenient, conime s'ils I cusseut impoilunc plutol (ju'effraye, et leur dit : « Lais- sez-moi ti-aiiquille; je ne peux I'icn faire pour vous. » — Ties-bicu, nion maitre, lui dit le premier volcur; niais sous voire permission nous ferons plus ample con- iiaissance avec ce petit havrc-sac que vous avez la sur le dos. » Pierre s'assitsur un tronc d'arbrc, detaclia son bavre-sac, *u tira sa pipe, ct lour dit ; « Dounoz-moi done du fou ! I'liis il lour passa le liavre-sac. u Ah ca. continua-t-il, j'ospere que vous ue sorez pas longs ; j'ai du clioiuin a faire I » Los volours no purent s'empocber de rire dc son sang- froid II so mil a funier IranquiUemenl, el, apres une minute : n 11 faut convonir que vous otes bion malaJroils. Esl-co que du premier coup d"fleil vous n'auriez pas du voir qu'il n'y avail rien a gagner avoc moi ? ■ — Silence, cliien ! cria I'un des liommos, on je lo niels cello balle dans le venire. — Tu auras fail la uuc bcllo action. .\li ca, sais-lu ipu' si tu n'stais pas un mauvais drole, je le demanderais raison lout de suite de m'avoir appele ebien. — Cost, parblcu, son droit. Ueiuer, inlcrrompil un ban- dit; il n'a pas pour, le gaillard ! — Et UHii done, croit-il ipio j'ai pour de lui? — Je to crois... roprit Pierre ipii fumail laujours. je le crois un poltron ! » Uoinor eenmait de colore ; sa vanile de voleur elail blos- soe ; il voulail se batlre ,sur la place conlre Sclnvarlzkopr qui funiait luujours. La visile du havre-sae elail Icrmineo. On convint que les deux advorsaires vidernient leur quc- relle dans le camp memo des bandits, au centre do la forol, oil ils s'etaient pratique un asile impenetrable. I'iorre les suivit, en causant gaiement avec cux et leur raeonlanl lou- tes les anecdotes dcsa vie d'eludiant. Ons'enfonca dans les profondours du bois. De distance cu distance, des scn!i- noUes olaient placoes. cliacune un petit cor de dnsso pomJu a la ceinture, el averlissaieritdurotour des bandilscoux qui olaient restes dans le camp. Leeroux d'un ravin, onvironno de loules parts de rochers a pic, couronncs de sapins et d'erables, renfermait uno douzaine de lui ties grossiere- mcnt conslruites, qui servaient d'habitalion a ces mes- sieurs. Pierre fut presenle, en grande corenionio, aux vingl ou trenle honnnes de la bando qui applaiidirenl fort a SOS intentions. Les femmes alluinereut do graiidos tor- ches de poix resino (lOur eclairer le combat ; on loma le cercle. Ueiuer mil has sa voste de cliasse, et, au milieu du silence gonoral, trouble souloment par les hurlomonls du vent dans los branchages , lo duel commenca. Tout I'avantage de la force musculaire etant du cote de Uoiiier. il accabla son joune adversaired'unogrele de coups .Itrribles que Pierre evita ou para, sans |)ronilro loffonsive 11 avail appris a runiversite touloslos finesses do I'escrimo el les avail pratiquees plus d'une fois. 11 laissa cetle furie edalorol se dissiper ; et au moment ou la fatigue abaissail le bras de lloiuor, d'lm seul coup de poinle illui traversa I'opaulo. Le sang jaillit, ot los camaradcs do Ueiner so pres- seronl autour de lui. Puis, il los vit se grouper sous une rocho . paili>r lias . so consulter outre oiix ol aciler. a ce qu'il paraissail ihi moins. une queslion inqiorlanle. Au boul de quolques minnlos, ils se dirigorent du cote du joune liomnie etiui firenl la proposition suivaiile. Leurca- pilainc elail mnrt quelipics jours aiiparavant sous la balle d'uu douaiiier; s'il voulail prendre sa place, ilslui feraiont grace de la vie. II accepta; los femmes appurlorent du viu dansde grandos lasses de Silesie, el I'ou bul a la saute du noiiveaurapitaino. 28 LH LIVIllv I'eiiihinl (lix aiis. le iiouveau Joan Sbogar. i\u\ iliSciplina s;i ti'ouiic, la 111 ri'noncer aux eiilrcprisps meiu-lrici'es ; llllc iiiolier (langoreiix ilc conlicliandior. II Jevliil fori oiiiilc-iil ; rcha|i|in six fois a la prison, qiciiisa la Dllc il'iiii I'ii-lic in- spccleiir dcs foivls, s'cnru'.a dans raniiec de IlUichcr, ol niourut en brave, a Walerloo, avcc le ijrade de lienlcnanl. (lIowiTT, Yoyntjcm AUeinaijne.) LE LIVRE DE lA SANT^ ANECDOTES MECZCALE5, FAITS ET CONSEILS REIATIFS A lA SAKTE DE I.'HOiainE. I. Air. cONSiDiini! r.omiE alimest; vemilation. AMif.DOTES ISECESTES. i.ES rinr.osnpiiES d'eiidibouhc. — i.ES jecnes cn^vivES. L'aUnosplicrc dans laijUcUe riioninic vii excrce snr lui unc pnissanlo iiilluenco. Cependant on ne parait guerc s'en eniharrasser; on dirail nnnne ipic les archilcclcs n'oul d'aulrc Ijnl (pie d"exclure I'air de nos a|)])artemeiUs. Et ce- jiendanl si ce lluide vital nc Irouvait pas moyen de s'intro- duire par force ,i (ravers les jninlures iniparl'ailes de nos f.Mielres el de nos porles. nons mourrions elonffes, lillcra- lemenl parlanl. S(uivenl les plaisirs on les Iravanx de la ci- vilisalion enlassenl les lionimes dans nne localilo elroilc on les pounions de eliaciin d'enx ne penvent aspirer (|u'nn air deja vicie. De qnelle (pianlile d'air cliacnn de iionsa-l-il besoin ponr vivre ? Un doeleur anglais, nonime Reid, )irelend ([u'd fanl .i cliacun dix ]iiedscnbes d'air par minute; nous croyons que eetledepense d'air vital est propnrlionuelle a la constitution de I'individu, a la force de son estomac et a la temperature de Talr. Une personne sedentaire a besoin ile beaucoup moins d'air ipi'ime personne ipii prcnd de I'exercice ; et un air trop pur, c'est-a-dirc contenanl Irop d'oxygene, eonsume rorganlsation luimaine el eveillc nn a|ipelit fabuleux qui exige la reparation des forces an moyen d'nue alimentation puissante. Un chimiste suedois, le doeleur Lieliig, ajqiellc I'oxygene le devorateur universe!, et il a parfaitement rai- son. Plus on s'eleve snr les montagnes, jdus I'air s'cpnre, plus I'orgauisme s'use, s'epuise, et a besoin d'aiiments. Nos epicuriens ne savcnl jias (|u'cn dinant dans une alniosphere cbaude, ]irivcc de ventilalion, its reduisent leur appetil de moitie et se rcndant incapables, fantc d'une quantite snffi- sante d'oxygene. d'a|qirecii r et meme de digcrer les pro- diiits gastronomiques des meilleurs clicfs. Voici une anec- dote fort curieuse et recenlc, dont les proprielaires de lavernes el de restaurants feront sans dontc leur profit, et qui prouve que le renouvellement de I'air est aussi neces- saire a I'appetil que la nourriture est nccessaire a la vie. On y verra un senal de graves pliilosoplies ecossais boirc infiniment plus que de raison, sans se douter meme de I'exccs qu'ils commcttcnt et sans en eprouver aucun resid- tatdangcreux : « Cinipiante mondjres de la societe pbiloso|ibiqne d'Edini- « bourg, dit Ic doeleur Reid, devaient diner a I'bolel dc « M. Barry. II me pria de prendre les precautions neccs- « saires pour la venlilalicui dc la salle a manger qu il s'a- II gissail lie leiiir a la fois cbaude el .saine. Je me cbargeai [I de ictle operation, el je crois que j'y reussis fort bien « dans I'inleret du mailrc de Ibdlel ; je pense aussi que « les convives n'( urent ancune raison de se montrer me- u conlenls. Je fis aboulir les tnyaux du poele a un pendentif II golliiipiecpn occiqiail le centre de la vot'ile, ctje m'ar- « I'angeai de maniere a ce que la combustion du gaz qui II eclairait la salle ful totalement absorbee. 11 Depnis cinq lieures du soir jusqu'a minuil, I'alnio- II sphere ful renouvelee au moyen de eoiirants d'air II superieur que j'avais menages et qui passaient tantot (I a travers des drapieries mouillees d'eau de lleur d'oran- II ger, lantol a travers de la mousseline iinpregnce d'eau II de lavande. De pelilcs ouvertures, pratiquees dans le II planclier et correspondanl avec le courani d'air superieur, II enqiechaient que les convives respirassenl deux fois le II meme air. On ne s'apercut de rien pendant le repas qui II dura longtemps, si ce n'est que les convives ctaient fort II gais. Mais lorsqu'ils se furent retires vers deuxheures et II demie, il se trouva que I'lmnoralde et grave sociele avail II absorbs trois fois plus dc vin que pendant scs reunions 11 accoulumees. Le maitre dc rbotel s'etait trouvii a court et II il avail lite force d'envoyer cbcrcbcr de nouvel'.es provi- II sions dc vin dans dcs voiturcs. Les con.sonnnatcurs or- 0 dinaires d'une demi-boulei lie s'litaient eleves jusqu'a deux II bouteilles et demie, el personne, y conq)ris le cbef de II retablissement . ne se plaignit d'avoir souffert la plus « legerc incommoditi'. » Ce meme doeleur lleid , ipn fabriquc, pour les menus plaisirs des pbilosophcs qui soupent, dcs zepbirs de lleur d'orange el d'eau de lavande, est devenu ini veritable mo- nomane de ventilation ; — quelqnes-unes de ses experiences approchent de la plaisanlerie. Ami d'un cbef dinstitution qui n'elait pas du meme avis que le restaurateur Rarry, et qui Irouvait I'appctit de ses eleves dangereux et pen eco- nomique, il lui jii'oposa de faire faire a ces derniers un soupersp'.endidectd'arreter ii un momeulconvenu I'exercice de leurs facullL's digestives. Lacreme et les pales disparurenl conime par encbantement, ct les estomacs nienacaient d'o- pei'cr eiicore une consommation effrayante, lorsque le doeleur, veritable Eole, fit succeder a la ventilalion parfu- mee et fraicbe dont il avail acconi|)agne Ic repas nn air cliaud, lourd el nauseabond auqucl nnl appetil ne resisla. Tons les eleves sorlirent en fouleelenriantde I'atniosphere ainsi transformce. Quels que soient les execs bizari'es el les alms auxquels la rnonomanie vcntilalrice du doeleur a pu diinner lieu, il est prouve que I'air esl un aliment et c|n'une condition essentielle pour se bien poi'Ier est dc le respirer pur. Gardez-vous de vivre dans un lieu privc d'air rcspirable. , Eloignez de vous, autant que possible, tool gaz qui ne pent cnlretenir la vie. Comme en nous assiniilant les ele- ments de I'air, nous ledepouiUonsa noire profit de ceux qui nous convicnncnt, il se vicie a mesure que nous le respi- rons, et Unit par ne plus cnnvenir a noire organismc. Si vous vous tencz enl'crme dans une cbambre el assis a un bureau, mangez pen ; vous avez pen perdu. Livre a un e.xercice violent et resjiiraut un air oxygenc, vous pouvcz manger beaucoup sans rien craindre. Hardez-vous bien de changer subitemenl les conditions atmosphiTiqucs dans lesquelles vous devez vivre. Son-seu- j lenient on ne quille pas impimemenl un air sain pour un | air pur, mais il est dangereux de quitter une alniosphere viciee pour ratmosphere !a plus pure. Le Danube et I'ile de VValcberen sunt celcbrcs par leur iusabibrilc. LiMsqiie les DE L.V SANTE. 29 ciiiscnts fi'oncais t|uiltaieiil ces marais iiifecis pmir ]iasSi'r dun? im ail- |mr, ils lie iiiaiiqiiaii'iU jamais ile faire uiie 5,'rave malailie. L'air ties salons csl cii ^'cnei'al enipoisoiine , et telle ilueliessc jeime, lirillaiile ct converle Je (liamaiils, vient eliei'chei' le plaisir dans uno vasto boilc d'air corrompii, a pen pres liernieliriuemeiU fcrmcc. ll'ou liii vieiit celle paleur? poiii-nuoi cellc langueur du regard et celle leiiile inurljide dc la pcau? La cause n'en est pas diflitile a dovitier. Ciiii] cents personnes nhmies dans le meme local aspii-enlpar minute cini[ cents gallons d'air almosplieriipie, i|ui en ressortent incoinpatibles avec la vie hninaine. (Ihaque respiration, cliaijue soupir vicie |ires dc seize pouces cubes du ini'nie I'lenient, et do minute en minute, d'heure en benre, ralmosiibere dcvient plus morbide et moins respi- rable. Cerlcs. il faut que Uifu ail voiilii dnnner a la puis- sance de vie cbez I'bumme une force bien invincilde , puisipie le ricbc et Ic pauvrc qui se plaisent a sejoiier ainsi de la vie ct de la mort, les uns par la rccbercbe du plaisir, Ics autres sous le cruel Jong de la niisere, trouvoiit luoyen d'ecbappcr encore a taut d'iin|ircvnyances. Dc re- cenles espericnces out pruuveque la (|uanlile d'oxvtjeiie, c'esl-a-dire d'air vital respire a llanipstead, pres Londres. est a celle du meme elemciil que Ion respire a Londres, coninie un el deini esl a mi. MM. boiis.-iingaiilt el Levy out lail , a .\nilillv el a I'aris. la meme experience, el leurs resullals, sans elre aussi eloniianls i|ue ceux des experimcnlateurs anglais, unt founii la meme preuve. Us ont reeonnu que l'air dc I'aris, rue iMouffelard, conlient cent parlies de gaz acide carbonique, vrai pois(m destrucleur de la vie, et qui ccpendantest loujours mele a lalmospbere; — taiidisquela meme quanlite d'air a AiuUlly n'en contient ((ue quatre- vinnt-douze. INFI.UENCE DE DIVEaSES SUBSTANCES SUR LE COUPS ULMAIN. LES NAKOOTHtUES. — Lom-.ii. — i.i: t.o.\c. Si les inlluences exierieures agissenl sunious, que seiM- ce done de ces substances ipii penetrcnl au sein meme de I'organisalion el ((ui la modifient essentiellement? II n'cst pas d'alimenl, pas de substance eu contact avec nos exis- lencis qui siiieni indifferenls. Tons sont on nuisibles ou utiles a la sanle. Mais leur ulilile ou leur danger soul sou- mis ,i lies conditions Ires-divcrses- Toul est relalif dans ce monde ; on no pent poser d'axiomcs fixes pour tons les temperaments et toutes les situations jiossibles. En general plus une substance a de force, plus ellc offre dc danger. Tons b's poi.sons ne Inenl pas inimedialemenl riiomme qui en use. L'alcool et Ics narcoliqiies, tels que le labac ct I'opium, sont des poisons; de tons les poisons qui agissent violemment sur le cerveau sans le dclruire, le plus rciloutable est I'opium. II poneire, comme l'alcool, dans la substance meme du cervelet. On a relrouvc de l'alcool el de Idpiiim dans la cervellc de ceux ipii en avaient abii.se, pi meme dans les aiiimaiix doiil I'estomac en avail conteuu une certaine dose, (luiconque se sect habiluellemeut de ces substances les transforme done volontairemenl et les force d'cntrer dans la constitution de son organisme. On sail ipie I'opium est un extrait vegetal fort simple el assez facile .i preparer, que Ton tire des teles de pavot, sur- lout dn pavot asiatique. L'effel de celle substance, prise en graine, bne en decoction, ou fumee comme le labac, est inevitable el borrible ; c'esl la ruine morale et la ruine phy- sique; c'est la destruction de I'bomme toutenlier. Des natbins, .seduilcs par celle ivresse fatale, ont vii leurs races s'clioliT et loute leur vigueur dcperir. La derniere guerre .soulenue par I'cmpereur de la Chine contre I'Angletcrre n'a pas eu d'autre motif que celle diHcrioration de la population enliere que ricn ne peul ai-racber a I'usage morlel du pavot en liqueur, en piite ou en graine. Parnii les Europeens, et parmi les plus inslruils ct Ics plus celebrcs d'entre eux, qucbpies-uns out suc- combe ;i celle liabiludc, dont les suites inevitables sont une maigreur affreuse, souvent la paralysic el la mort. Le poelc anglais Coleridge a jieri, longlenqis avant I'agc, devorc parcc besoin fatal. liien de plus curieux et de plus inlcressant que la des- cription circonslanciee des sensations et desrevesdu man- geur ou dii buveur d'opium, telle qu'un bomme done de beaiicoup d'eloqiience et d'espril, mais longtemps livrii a celle terrible liabiludc. I'a dclaillee dans un livrc pen connu : « L'opiuni, dit-il, exercait sur moi une inllucnce redou- lablc. Des qu'une chose s'elail presentee .n mes yeux, .je n'avais qu'a y penser dans robscurite, el je la voyais re- parailrc comme un fanlome. Une fois ainsi Iracee en cou- leurs imaginaires, comme un mot ecrit en encre sympa- Ihique, die arrivait jusqu'a un eclat insupportable qui me lirisait le conir. « (lela elail accompagne d'une inquietude el d'une me- lancolie profonde, impossible a exprimer. II me sem- blait chaque null que je de.scendais, nou en metaphore. niais litteralemcnt, dans des souterrains etdans des abimes sans fond, el je me sentais descendrc, sans avoir jamais I'esperance de reinonler ; meme a nion riiveil je ne croyais pas avoir remonte. « Le sentiment de I'espace et celui de la duree claienl tons deux augmeulcs c.xccssivemenl. Edifices , monlagnes, s'elevaienl a des proportions Irop vasles pour etre mesu- rces par le regard. La plaine s'elcndait el se perdait dans I'immensile ; je croyais i|Helqucfois avoir vecu soivaiile-dix ou cent ans en une luiil; j'ai fail des reves d'uii million d'aunecs. « J'aimais beauroup Tile-Live, donl j'avoue queje jirefere le style el la forme A ceux de tout aulre hislorien, et je re- gardais comme le symbole de tonic la dignite romaine ce mot souvent employe par Tile-Live, consul romanus. Les mols de roi, sultan, regent, etc., etc., on tout aulre litre donne a ceux i[ui cmprunlent la majeste collective d'uu peuple, avaieni moins de pouvoir sur moi. Je m'elais aussi rendu familier cvec une pcriode dc I'liistoire d'Angle- terrc, celle de la guerre civile, oil la grandeur de qud- ques personnages m'avait frappc. Ces deux genres de lec- tures so mireula hauler mes reves. Souvent, apres m'elre represenle dans les lenebres une espece d'assemblee, un ccrcle de dames, une fele ou des danses. j'cnlcndais dire au loin ; 50 LE i^lVllE u Ce sunt lies dames aiii^laisfs Jii iiiallieuieiix tciiijis de Charles I" ; ce sonl les I'emmcs el les Dlles de ceux qui se soiit rencontres dans la paix, se sonl assis ;i la mcme lalile, allies par le niariage on le sang; el ponrlanl, apri'sun certain jour dn nniis d'aoul IC'i2, ils ne se virenl plus ipi'a Marslon-Moor on a Ncwluiry, lavanl dans le sane; la nicnicnrc de lenr nucicnne affection. » — Les dames dansaient el souriaient comme a la cour de Georges IV. Ce|UMidant je savais, meme dans men reve, i|n'elles elaienl morles dcpnis prcs.de deux siecles. u Tout a coup on frappidt des mains; j'entendais pro- noneer Ic fornddalile mot consul romanus, el venaienl immediatement I'auliis el Marins, entoures de centinions avcc la tunique ecarlate, el suivis des uhtlagenas des legions romaines. (1 Quelques annees opres, commo je regardais les anli- quiles de Rome de Piranesi, 11. Coleridge me dccrivit une suite de tableaux de cet artiste appeles ses reves, et qui ne sonl autre chose que do semhlahles visions pen- dant un acces de flevre. Qnelques-uns ( je parle tou- jours d'apres le rccil de M. Coleridge ) reprcsentaienl de vasles sallcs gothiqucs ; sur le [jlancher elaienl semes toutes sortes de machines, des cables', des ponlies, des roues, des leviers, des calapulles, etc., etc. ; el sur le cole des murs on apercevail un plateau, et, s'aidani a grim- per sur ce plateau, Piranesi lui-nieme. Suivez I'edilice un peu plus haul, et vous voyez qu'oji arrive a un jirecipice sans aucune balustrade ; cependant aucun moyen de retourner sur ses pas. II faut descendre au fond des abimes : quoi qu'il arrive a riuforlune Piranesi, vous le sup- posez pour le moms a la fin de ses tuurments el de ses efforts - Mais levez les jeux, vous voyez une sccoude eeliaj]- pee plus liaule encore, et encore Piranesi sur le bord de I'a- bhne. Levez encore les yeux, encore Piranesi sur un pla- teau plus eleve ; ainsi de suite jusipi'ii ce qu'un le perde dans les voiites lenebreuses des sallcs. « L'arcirueclure s'introduisil daiis mes .songes. Dans les derniers temps de ma maladie surtout.je voyaisdes cites el des palais que riiomme ne trouva jamais que dans les nuages. C'ctail iucommensin-able. « A mon arcliitecture succedcrenl des reves de lacs, d'e- lendues immenses d'eau ; ils me tourmcntercnl tellenient que je craignis ( cela doit paraitre bien hasarde a un me- decin) que qiieUiue affection deseniblalile nature n'aUerat iuon cerveau. icLes eaux changerent de caraclere; au lieu de lacs transparenls, brillanls comme des miroirs, ce furenl des mers et des oceans. II se fit encore un changenienl plus terrible qui me promettait de longs tourments el qui ne me quilta qu'a la Cn de ma maladie. Jusqu'alors la face linniaine s'etail melee a mes songes, mais non d'unc uiaiiiere absolue, sans aucuji ponvoir special de m'effrayer. Mais bientolceipie j'appidaisia lyraimiedela face huinaine vint a se reveler ; peul-elre dois-je I'allribuer a quelqnc evenemenl de ma vie a Londres. (juoi qu'il en soil, ce fut maiidcnant sur les Hols souleves de I'Ocean que la face hu- majue commenca de semonlrer; la nier elail comme pa- vee d'innombrables figures, lournees vers le ciel. ]]|curanl, desolees, furieu.ses, se levant par milliers, par myriades, par generalions, par siecles; mon agilation elail sans bornes ; mon ame s'clancait avec les fluls. Un jour il me semlda que j'clais coucbeet que je m'eveillais dans la null. En posanl la main ii lerre pour relever mon oreiller, je senlais ipielque cliose de froid qui cedail lorsipie j'appuyais dessus. Alorsje me pencliais hors de mon lit ctje regardais. C'elail un cadavre elendu a cole de moi; cc]iendant je n'etais ni effraye, ni nieme clonue. Je le ju'cnais dans nn^s bras el je Peniporlais dans la cbambrc voisine en rue disanl : II va elre la couclie par Icrre ; il est impossible qu'il centre si j'ole la clef de ma chanibrc. » La-dessus je no: reuilormais; quelques niomenls api'cs j'clais encore reveille, c'elail par le bruit de nia porle qu'onouvrail; el cctle iilcequ'onouvrait ma porle, quoique j'eneusse pris la clef sur moi, me causail unmal horrible. Alors je voyais enlrer le mcme cadavre que tout a I'lieure j'avais Irouve par Icrre. Sa demarche elail singuliere ; ini aurail dit un lioinnie a qui Ton aurait ole les os sans lui otcr ses muscles, el qui, essayanl de se soutenir sur ses mcudtrcs plianls et laches, lomberait a chaque pas. Pour- lanl il arrivail jnsqu'ii moi sans parler, et se couchail sur moi. C'clait alors une sensation effroyable, un canehemar dnnt rien ne saurait approcher ; outre le poids de sa masse informc et degoulanlc, je senlais une odeurpeslilen- lielle decouler des baisers dont il me couvrait. Alorsje me levais tout ii coup sur miin scant en agilanl les bras, ce qui dissipait I'aiqiarition. nil me semblail ensuite que j'elais assis dans la meme cliambre, au coin de mon feu, et que je lisais devanl une petite table ou il n'y avail qu'unelumiere. Une glace elail devant moi au-dessus de la cheniinee ; tout en lisant, comme je le- vais de temps en temps la tele, j'apercevais le cadavre qui me poursuivait, lisant par-de.ssus mon epaule le livre que je leuais a la main. Or, il faut savoir (jue cc cadavi'e etait cclui d'un homme de .soixante ans environ , qui avail une barbe grisc , rude el longue, el des che- \cus de meme couleur (|ui lui tombaienl sur les epaules. Je senlais ces polls degoi'Uauls m'efllenrer le con elle vi- sage. II (lu'on juge de la Icrreur que doit inspirer une vision pareille ; je restais immobile dans la position ou je mi> Irouvais, n'osant pas lourner la page, el les yeux fl.xes dans la glace sur la terrible apparition. Une sueur froide coulailde toul mon corps. Cel elal dui-ail bien longlemps. el rinnnobile fantume ne se derangeail pas. Cependant j'entendais comme lout a I'heure la porle s'ouvrir, el je voyais derriere moi (dans la glace encore) enlrer une [irocession sinistrc ; c'elaienl des squeleltes horribles porlant d'une main leurs teles, et de I'aulre de longs cierges qui, au lieu d'un feu rouge el Iremblanl, jetaient une lumiere teine el bleu.ilre comme celle des rayons de la lune. Us se promenaient cn rond dans la cliambre qui, de tres-chaude qu'elle elail auparavanl, devenait glacee, el quelques-uns se baissaient au foyer noir et trisle, rcchauf- faieul leurs mains lougues el livides, en se lournanl vers moi pour me dire : a II fail bien froid... » L'iiomme de talent et meme de genie, qui avail brave el reilierche ces effroyables hallucinations, fut la vic- lime de I'opium. II nc conscrva que la force inlellectuelle necessaire ii les decrire ; — et une intelligence deslincea fairc I'bonniuir de I'.Vnglelerre ne produisil qu'un seul livre, celui-la meme qui conlieut I'aveu de son malbeur et de sa faille (I J. (1) Confession d'un thermkt. \ Les Uiciijkis ^ullt clii\ ([in. loiti uii iis.'igL' tuiislani (k* ro)iiuiii. ) IIE LA S.\>TK 31 IiE TABAO. « On croil gpiieriilpmenl, dil iin poote nUi'iiii'iiiil liiiiiiij- risli(|\ic, au syslime de Copernic ou A celiii de N'cwion. ("est II no n-roiir. Le monde est dans les nuagcs, commc rhariin sail, cl ce snnldes nuagcs do laliac, II n'ya (|iio la fumoe dii laliac i|ui soulienne le monde poliliqne 01 moral. Lo dialile fume une grande pipe fori liien culotlee, el noire paiivre globe, (|ui jjallolle enveloppede fumees si vagiios, esl la suspendu el balance comme iin homme ivre au- dessus de la pipe ilu (liable. Oui ! La feuille de la Havanc soulienl dans Tair tons les budgels appauvris de I'Europe? Esl-cc (|ue Ic dandy prive de son cigarc, ou I'cUidiant d'lena sans son meersrhaum aurail unc seulo chance pour se soulenir? Croyez-m'en sur parole, les choses hu- maines ne vont i|He par la fumce de la pipe, el le diable nous fume el nous culoUe lous les jours!... » La passion du labnc. qui n'avail envalii que I'Espagne el la llnllande . esl devenue generale sur la face iln globe. Le rcvenu le plus clair de certains gouvernenients resnite du monopole de celle planle narcolique. En definitive, c'esl un poison. luliniiiienl raoins puissanl que ro[iium, ce n'en esl pas moins un aniidigeslif redoulable. U cause presque loujnurs des vomissemenls ct des nausees au chiqueur, au fumeur, meme an priseur ipii n'esl pas encore accoulume a ses effels. De lous Icsmoyens de s'enipoisonner avec le tabac, le moins dangerous esl I'habilude de fumer. Cependanl conlemplez, je vons prie, ce jouno fumeur novice ! (.luel effort puissant el inutile pour resisler a linnuence du nar- colique! comme celle Icvro lombe ! comme col ceil hebcte s'o'.ivre sans oclal I Mais Lusage du labac fume el prise merilc bien lout no rli.ipiire ; et nous dovons remellre .i un uuniero prochain un grand nombre d'anecdoles aulhenliques sur I'usagc du cafe, du Ihc el surtout du tabac, que nous e.vaminorons dans ses resullals el sos effels sur la sanle, sur I'baloine, surl'esloniac do riiommo. Los dornioros annoos onl fourrii ii ce sujel unc masse considerable d'obsorvalioiis inslruc- lives,quc nous preferons a louleslesdcclamalionsela lous les raisonnemenls, eldont lerecueil est assozcurieu.s pour eiro offorl a nos lecteurs. [L'Htjgiene lie Ilos(on.) [in sutfr nn tiutin^ro prflclmin.) LES MERVEILLES DU .M(MS PASSE. II ii'y a pas de mois qui s'ecoulo ou, sue la face dii moiide, on lie viiio orlalor i|iielr|iio fail bizarre, so manifeslor i|nol- 52 que genie nouveau ou lirillcr quelqiic invenlion iiialtendiic. L'aelivile du griiio Imniain, ijraiule mei'voillc, se siibdivise et se raniilie en merveilles de loiiles sorles, cnniine Ics etincelles jaillissenl de la roue raiiidc qui s'enllaninio en lournant sni' ellc-mi'me. Nous reencillerniis Ions les niois Ics plus curieuses de ces nouveaulos; nous no nous allachcrons pas seulenient a celles qui exciteni I'adniii'alion cl la curiosile; nouschoi- sirons celles qui soul nlilcs, ((ui annoneent nn |ii'oa;res du chrislianisnie cliez les populalions liarliares, un progi'es du bien-elre dans les classes pauvrcs, nn develeppemont de la force intelleclnelle, du commerce et de I'induslrie. CONQCETES IIECECTES DE l\ CIVIlISATms CliriETIES>E. EMPLOIS SOIIVEAOX DE E'ELECTDIrlTE. LIIMIERE r;AI.VAMIJl E. Mn\TtlE EI.ECTBigi'E. T, V fOJIME DE TEIIIIE EI.Ef.TIllOUE. Les moeurs chreliennps out peneire rccemnient el pres- *c(ue a la fois dansle fond de I'lnde, an Kaljonl, dans les iles de I'Archipel indien, en Chine el au Maroc, ce vieux repaire de rignorance el du fanalisrae maliomelan. Nos amies out appris a ces larbares, que leur situation semblail si liieii defendre et proleger, la superiorile immense de TEnrnpc el le neanl de leur foi. A I'autre bout du monde, les Clii- nois, pen de tenqis auparavant. avaienl recu une le.con equivalente ; cependant eette aclivile qui fail notre force nese ralentissait pas en Europe, etl'on vnyail des resultats presque miraculeux en signaler les efforts. C'esl surloni anx puissances cacbees de la nature ou aux elements les plus impalpables el les plus difOciles a nianier (pie s'adresse aujourd'bui la science : le rcsle semble epuise. On elabore el Ton soumet a nos besoins I'air qui nous environne, les gaz qui le coniposeni, I'electricite qui eon- slilue la foudre et qui se cache dans les nuages. le galva- nisme ipii resullc du c.onlaet de plnsicnrs melaux et en fail jaillir une etincellc. Ces phenomenes, les plus myslerieux, les plus secrets, les moins expliques, ceux qui atlestent avec le plus de force la puissance, la grandeur el la bonle divine ont oceupe reccmmenl les experimeiilateurs. Des voitures ont ele poussees par de I'air couiprinie dans des lulies; au milieu de la place du Carrousel, une Inmieiegalvaiiique lirille au- jourd'bui meme. A la moiilie elrclrique, au leli'graplie eteclriqur, a rimprimcur I'lerlriqiic. :\ Vhlairugc par le gaU-anisme, aux chcmins ulmosplicriqtics, nouveau sys- leme do voitures niises en inouvemenl par la pression do I'air, est venue se joindre la pimimc de Icire elcclriq\ic. merveille plus elrange encore. Monlic ijalvaniqiie. La mnnlre electro-galvanique, inventee par un nonmic^ \Vadliani,eslmiseenmouvemenlnoiiparunechainesederon- lant aulour d'un pivot conimc dans les monlres ordinaires, mals par ce qu'on appelle une ballerie galranique ; c'est-a- dire par plusieurs lames de cuivre el de zinc juxlaposees et Irempanl dans un acide que I'on re louvelle tons les cpia- lorze jours. De cclle ballerie jaillil la mysterieuse puissance LLS MKIIVEILLKS DU MOIS I'ASSE. iiiagneti(pie qui fail marcher les deiils de la roue par le contact d'une petite lame de I'er ; ainsi eelle monlrc singu- liere. qui n'a point de cliainc ni de clef, se remonle tons les quatorze jours : on renouvellc I'acide de la ballerie, cl la monlie est nionlee. C'esl une merveille, sans doule, inais plnlul pom- la cu- riosile i|ue pour I'usage acluel. On doil allendre di's resul- lals plus posilifs de I'eleclricile appliquee a I'arl de liinpri- merie el a I'art des signaux lelegra]iliiques. II y a dejii vingl-sepl ans que Ton avail imagine d'appliquer la force eleclriqne, i''esl-a-diri' la rajiiililede I'eclair aux cnnnnuiii- calioMS lelegraphi{|ues, Grace a celle invenlion singuliere, une plaque de zinc, placee en lerre, en communiealion eleelriiiueavee une pla- que do cuivre, imprime a une distance de douze lieues, en une minute, les caracleres el les ehil'fres. Un plus long de- tail est necessaire pour faire hien comprendre a nosjeunes K'Cleurs, el aux fenimes doni la curiosile s'inleresse a ces conqueles de res|u'it el de la science , le mode d'aclion el le proeede materiel de ces experiences ; nous y reviendrons pour leur eonsaerer loul nn rhapilrc du procbain nuinero de Moiisieiii le Cure. Mais des aiqourd'hni la place sufOsanle nous resic pour indiquer I'elrange application faile receniment de I'electri- cile ,-1 ragriculliire. Celle puissance eleclriquc que la science a recounueavec elonnemenl, ettrouvec repanduea travel's la nature enliere, n'esl (il faul en convenir) ni precisee ni definie encore. Les savants les plus avances paraissent dis- poses a eroire que galvauisiiie, elcclricile, niagnelisme, ne sonl que trois expressions de la meme force dislrihuee par la main de Dieu dans les melaux, les corps vivants et I'ai- manl. Quoi qu'il eu soil, elle parail exercersur le develop- ment des plantes une iailuence tres-vive ettrcs-mai-qucc. La pomiiiv de lerre eleclriquc. Un Amcricain s'est avise de placer plusieurs plaques de zinc el plusieurs pla(|nesde cuivre rallaebees jiar un (il di' fer, a droile el a gauche d'une ponime de lerre plantee en lerre; ainsi enloure el muni de la ballerie galvaniiine donl nous avons parle plus haul, et sur laquelle I'liumi- dile lerreslre agissait comme I'acidc necessaire a racllon galvaniqne, le tnbercule a grossi demesuremeni ; 11 a finl par alleindre la proportion colossale de deux pieds de dia- metre, c'est-a-dire que, sous rinduence de la pile ou balle- rie eleclriipie cnfouie avec lui dans le sol. il est devenu scmblahle a une cilrouillc. On ne pouvail se meprendre sur les causes de cetle crois- sance exiraordinaire ; les aulres pommcs de lerre de meme espece qui I'enlouraient avaienl conserve les dimensions ordinaires; qnel(|ues-ni}es u'elaient pas plus grosses que des noisettes. {Boslon lieperlorij nfugricitllure.) I.':ib(jjiilain't3 lies iiinlirrcs piciJ.ircL's loai' le Jnunwl de M. le Cure iimis force de remellie au nuiiicio iirurliain |iliisieiirs arlicios, lels (jue 17m- cemlic tltius la neifje, le Ciue tli: Citnloiie, Jmk le Desosse, la Mtti.'ieii maudile, IcJf Soulerraiiisde Waltiiii/Slieel, elf., ele. .V07'/i. La ffrarnrr tie la paije -1 c^l desltuec au mois de Marie. Imin-imerie SCIINKMIF.U et LANUiANn, nie i;-|-:rfiirlli, I. LR LIVRE DES FAMILIES 01' JOURNAL DE MONSIElTi LE CURE. M« a —l" Volu a. " Becembre 1844. LE MOIS DU JECNE CHRETIEN. Itepuisla r.iliilefliiiio dus |in'ii]icrs |j,-irenls, f|iinr,iiiic sicili.s il^illi-iih- oiil passii siir lo genre luim.iin. Eiifin hiillc I'mirm-e (hi jour ro|inr,-ileur. Do la Viorgc do Jiida va naiire Ic Saiivciir dcs lioiiinies ; iin join' .lo ciinsolnlioii larira Ics larines de (|iialrc mille .-innccs. Voici rAvonl. Cost roninic I'aurorc qui precede le lever du solcil ; quatre seiiiaincs limit oliaciine represente iin millior de ces annees d'allcnte son! I.ieii di-nomoiK nommcesle Icnips de I'Avent, c'est-a-dire de rarriveo d'Km- manuel, Dieu avecnous. Oiii P'lurra nier que ce grand jour de la nalivile Cm Messie elail digue de riinniieur d'un prelude He prieres et de sainles praliqiies dc niaceralimi? Ce dernier lerme elomic dnns iins Irmps moderiies, oar oiifiii.si I'Eglise dans ses ofnces revel une sorle dedoiiil qui a lioaiienup d'analogie avec le cnreme, si ccs pielres cl cos leviles jironneiil lo< ciiulours de la pouilonco, si enrin les clianis joyeiix ,ki Glvriu in csrcls,s cl du Te Dtum no se Ibnl plus eiiloiidie li.ius sa lilurgie, le peiiple . chrelienira poiulasubir les prescriplioiisdola!.sliuoncc'ol'du ieiiiie .■»n, sans doule. ii,:„s d.nis sn primitive iiistilulion TAvenl ful Ic oarcme de Noel. ivgoire de Tours nous appreiid qiriiii dc .ses illuslres dovaiioiors siir le siege episcopal do oolle villo saint INtiio n, vol, , !' T ■■' '' '"■"""''■ "">"'""'-"' 'l<^ """•'= I'isloire ecolesiasliquc relalif au Irmps de IVu-ul I liouc a^.iit paieilloniont recu ce donncr nom, el on |-a| pelail Ic Cairmc ,/c s,,i, < .j;,,,;, ,. >! LES SAINTS Dans Ics cnplliilaires tleChorli'mnjiiK' on la trouvc ainsi designee. Qnclqncs siroles apres, cctlc fcrvonr s'clatt eon- siderablcnicnl ralcniic, cl drja, au dixii'nie sieclc, il n'csl jiliis suere fail mcniion que dcs quaire scnialncs qni pre- cedent la grande solennile de ^oel. Plus lard, si I'Avenl ainsi reduit conserve une coulcur quadmgcsimale, le jeune lend a disparailre de plus en plus. Au treiziemc siccle. ini monarquc francnis sc nionlrc encore obscrvaleur ri;;ide de la priniilive inslilulion, el le careme de saint Marlin revit sous la pourpre de Louis IX. A celle epoque le jei'inc n'elail pins qn'nne simple abslinence donl I'oliliga- tion se reslreignait aiix clercs ct surloul aus monaslcres. Vers la fin du qualorzicrac siccle, le clerge dc la cour pon- tificale d'Urbain V eslscul aslrcinl a la simple abslinence. Ainsi s'cclipse cclle inslilulion si eniinemmentclirelienne, quanl aux praliqnes peniblcs, el I'Avent ne figurera plus que par des souvenirs accusolcurs de la raollesse dcs tenqis posleric'urs. A Dieu ne plaise ponrlani que nons clalions un rigo- rismc onlre que I'Eglisc elle-meme desavouerail, pnis- qne, par sa bonlcnialernellc, I'obligalion prirnilive a ccssc d'exisler! mais si la rigucur esl lempcree, quanl a la privation corporelle, I'espril de I'Avenl n'a pn varier ; cc sera loujours pour le vrai clirelien une expiation prepa- raloirc, sinon par une maceration extraordinaire qui n'est plus un devoir, du nioins par un jeune du cocur, par des elans de foi vive, dc consolanle csperancc, do tenJre charite, el si cetle derniere a aussi pour objet nos freres dans la souffrance, au moment surloul ourinclemcnce dela saison vienl doubler les besoins de rinfortunc, ne scra-ce point se preparer dignement a cclebrer I'arrivee de Celui qui vinl sur la terrc pour y passer en foi.sant le bien ? Chez les Grecs cetle pcriode de preparation commence au (piatorze novembre, et forme ainsi une vraie quarantaine avant iSoel. La viande, le beurre,le lait, lesnoufs, sonldes aliments proliibes cliez ccs chretiens orientaux. Sept jours de jeune sur les quaranle y sont sculement derigueur. Cesl pour les Grecs le Careme de sainl Philippe. (Jualre Avcnls ou nvenemenls sont symbolises, nous dit un auleur du treiziemc sieclc, par ces qualre semaincs : le premier, c'esl la venue du Tils de Dieu. du Verbe etcrncl qui se fail cliair el qui va uaitre du sein virginal de I'liimi- ble fdle di' Juda, Marie ; le second, c'esl la descenle de I'Es- pril diviu qui a lieu tons les jours dans les cceurs pin-s; le Iroisicme, c'esl la naissance de chacuu de nous a une vie meillenre par la mort, car cetle vie n'esl(|ne I'exil de I'e- preuve; lieureux celui quiyscra fidcle I Eiiliu leqiiatrieme est ce grand cl majcslueux avencmeni du I'ils de I'llomnie venanl a la fin du monde recoltcr dans le vasle champ du pcrc de famille et I'ivraie, ct Ic hon grain; ces deux planlcs soul ici-bas coufiuiducs ; a cole dc I'epi au grain nourricier s'eleve I'inutile el pernicieuse ivraic. La premiere sera soi- gneuscmcnt recneillie pour le grenier celeste, la seconde lice pour eire misc au feu. Riche el instructive allegorie, cmance de la bouche de laSagcsscincarnee 1 C'esl ainsi que I'Kglise par scs louchantes inslilulions .sail instruire scs enfanls. Aux uns la menace, aux anlres ki douce csperancc. Toule I'ecouomic d'une sage legislation CSl la ; et qui rcfuserail a I'Eglise cette intelligence legisla- trice, puisqu'cUc esll'ccuvrc du supreme Legislateur? NOIX. Les pieuxsoupirsque I'Eglisea pousses pendant le temps dc r.Xvenl onl ele enlendus, EUc a conjure le cicl de rc- pandre sur la terre sa bienfaisanle rosee, dans cette belle et louchantc priere liorule, cccli, tiesiiper, qui esl chantce dans ccs qnatre dimanchcs. En outre, tous les jours, selon le rit romain. a parlir du di.x-sepl decembre, une anlienne speciale qui commence par I'exclamation 0 a solennelle- menl relenti dans nos temples. C'etail le cri d'un amour impatient qui ne pouvait manquer d'etre favorablemenl ac- cueilli. Noel esl arrive. A I'esperancc limide et plaintive a suc- cede I'accomplissemenl d'une promesse quine pouvait cire vaine. Ecoutez la voix imposante du livre inspire de la Sagesse : « Quand la nuit ful arrivee au milieu de sa course, « voire puissantc parole, 6 Seigneur, descenditde son trone n royal place dans la splendeur des cicux. » Puis I'evan- gclisle saint Jean fournit a ce magnifique rcpons de I'E- glisc cette belle reclame : « Et nons avons vu sa gloire, la " gloire du Fils unique, du Pere, de ce Verbe plein de « grace el de verite 1 n Noel est done la fete de la naissance corporelle du Fils de Dieu, fait homme, sous le nom de Jesus-Christ. Une soleniiite pareille doit remonler au bcrceau de la religion chreiicnne. Le jour de sa celebralion varia ncanmoins, et ce ful en 557 que le papc Jules 1" ayant fait excculer de serieuses recherehes sur I'cpoque du dcnombrement or- donnc par I'empereur Auguste pour fixer la population de louU'enipire romain, on reconnut que ce grand evcnement dc la naissance du Mcssie avail cu lieu, non pas le 1 1 du mois de Tybi, c'csl-ii-dire le 6 Janvier, mais bien le 25° jour du mois de dt'cembre. Au 6 Janvier, on avail jusqu'a cc moment celebre la Theophanie, ladouble manifestation de Jesus-Christ aux bergers ctaux roison Mages de I'Oricnt. La premiere fut done flsee au vingt-cinquieme jour dc decembre cl la seconde ful conservce au sis Janvier. II n'en est point des fetes du chrislianiiimc comme dcs grossieres solenniles de I'idolatrie ; les premieres so ral- lachenl a dcs evenements fondes sur la verite de I'hisloire ecclesiasli(pieet profane, lessccondes se lient .i des croyan • ces superstitieuses el bizarrcs donl il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, do determiner roriginc. Mais quelle est la signification reelle de ce terme de N'oel? Les opinions vaiicnt. Ne serait-ce point la contrac- tion dnmol Emmaiiuel donl on aurait garde les deux der- nieres syllabes — nuel — scion la prononcialion italienne, cspagnolc, etc., nouel. Cela paraitrait fori vraiscmblablc. Emmanuel (Dieu avec nous) caracleriseadmirablcmentla I'ele du 2,"i decembre. Sans doute, loujours Dieu est avec nous, mais jiarsa naissance corporelle, parson incarnation, il a doigtie habitcr visiblcment au milieu de nous, comme un de nous, el voila pourquoi Jesus-Christ nous appellc scs freres. Ob ! la gloricuse, la salulaire frnlernite! Ce n'est point ici le farouche dieu de I'Olympe pa'i'en qui, d'un di- gnement d'yeux, fait trembler I'univers, et qui a pour symbolc ini aigle terrible. C'esl le Dieu qui vent qu'nn I'aimc, parcc qu'il nous a aimes, cl qui a pour symbolc un agneau, jiarcc qu'en cffcl il doil terminer sa vie mortelle par un sacrifice oii il expirera comme I'agncau, sans se jdaindrc. Oh I uni, Ic christianisme est la religion de I'a- mour, de I'amour jiur el reconnaissanl. Pourquoi cncorelrois messes en cette fete, Vunea minuit, DU MOIS. I'aiiire a I'aurore, la Iroisieme au jour? Nous Jirons d'a- borJ ([u'aux eveques sculs il a]iijai'lcnait ancionncmcnt de eclebrer ces Irois messes ct que ce privilpije s'cleiidail aux prclres. Sans vouloir cnlrcr ensuile dans une |ii'ornnde discussion liturgi(iuc sur cct usage, nous dirons, avec no- ire auleur favor! du trcizieine siecle, Guillaunie Durand, (jvei[ue de Mcude, que la venue du Messie est le signal du salut pour Ics pcuples vjvaut sous I'cnqjire de la loi nalu- relle avanl la loi eerile, pour ceux qui out ensuile observe cclle loi, et cnfiii pour nous, qui, depuis celte precicuse uaissance, vivonssousla loi chrclicnne. Minuil est labsence de la lumiere ; les patriarches avant Moise vivaientdans cetleobscurile. L'aurore est le crepus- cule du jour, les Israelites sous Moise et apres lui niarclic- rent acctte faible lueur. Lejourquand le soleil brille, c'cst bien sans contrcdit la loi lumincusc que la naissance de Jcsus-Christ est venue inaugurcr sur la terre. . Au moyenage les pcuples, dans Icurs acclamations des- tinoes a gloriller lespuissants du mondc, s'ccriaient : iSoti ! Noiil ! heureuse nouvelle ! Ilcjouissons-nous done aussi a I'arrivue du divin Uoi des nations qui ote ct donne coniinc il veut les couronncs perissablcs. Au scul Roi immorlcl, invisible, et qui neanmoins a voulu se rendre, pour uu temps, visible au milieu de nous, adressons jios pieuscs acclamations : Noel '. Kocl ! llosanna au Fils de Dieu qui liabite avec nous ! MOIS DE DECEMBRZ. 1. Dlmanche. Preuiier di- manche de I'Avent (uoi/. avant le calendiier). St £1.01, evfique de Noyon, ne a Cbatelac pres Liniu- (,'es, en 588. D'abord orfevre, il fii pour Clo- taiie II un In'me d'or eiiiichi de Iiieirt'S prccicuses, ainsiqUL' les niagniOqaes chasses de St Qucn- tii), de St Geniuin de I*aris, de Si Scverin, do Sle Genevieve, ele. Saere evOque de Noyon en oio, prelat distingue par Ics plu;- graitdes qualites, murt en 659. St LE0scE,evi5que de Frcjus, mort eo 432. St CoxsTASTtN, solitaire dans le Maine, mort vers 563. St Domsole, abbe de St-Lau rent a Paiis, puis cvt^que du Mans, morl en 581 . 0. IjDudi. SteBibiane, vier^e el mariyre, 563. Si Eusebe, priHre, Si Mar- cel, diaere, St IlippoLVTE elleurs contpa^notis, inar- lyrs a Rome, 2' sit-cle. 3. llBrdi.ST Fkan^ois Xa- vtEB, pri'lre de la couipa- t^nie de Jesus, apulre des Itides et du Japon, ne en en (30ii, inoit eu 1552. St Luctus, roi de la Grande- Bivta^iie, inarljr a la Dii du 2' siecle. '3. iUw^rcrecli. St Pierbe Chrvsologue, arclievuiiue iiuatielic*, dans roc- lave de Ndi'I. St Thomas Becket, arrln'- vOque de CantorbiTv , massacre par ordre dc Henri H, roi d'Aiigleterre, en 1170. St Tbcpuime, premiercvequc d'Arles.morl au I*'' siecle selon qtielques-uns. et au milieu du 3"^ siecle selon d'aulrcs, 10. l.iiindi.ST Sabik, evOque d'.\sstse, el ses compa- giion<^ iiarlyrs en 304. II Mardl. St Svlvesire t, pape, conlem|iorain ilu gland Conslanlin. qui ren- dit la liberie au cbris- liaiiisme. St Savinien, evfque de Sens, et ses compagnons, marlyrsau 3« siecle. 3i> acii. SCENES, RECITS, AVEINTURES, kxt!ia:ts d:s plus hece^ts vovaccs. LA NEIGB HOUGE. Un voyascur |ii6mon(nis qui vipiil Jo visitor la Nor- WTgo ronj coniplc (l"nn plionnmone fort curieux et obsorve |]liisieurs fois dnns los Mpi's, dans Ics Pyrenees el sur los cimcs iiidiennosdcl'llymalaia, par dos voyaseurs aUontifs, la seule espi'cedo vnyagcurs digues do co iiom. Dans los regions Ics pins clovees, la neige prend nno loinle rouge, surlonl qnand lo solcil la frappe. Co n'csl pas seulemcnt, eonime le dit I'Alleniand Ilaller, « lo regard de Dion, la llammo et la vie, (piicolnront le front desmon- lagnes, » c'csl une liqueur rouge enfernu'e dans la neige mcme, et melee a la substance blancbcque presente I'ean condensee. « A nicsiirc que jc niarcbais, dil le Pieniontais doul nous avons cite I'observaliou, I'cmpreinle denies souliers rnngissail la neign. Cliacun do nics pas semblait marque u I'encre ronge. Jc me liaissai, et je vis que la vcrilable teinte de !a ncigo que je foulais anx piods etait d'nn rose p.ile, tirant sur Icjaune, a pou pros la nuance affaiblic do la Irnile saumonce, mais qu'cn prcssanl la noige el en ap- jiuyant, celte meme teinle devenait plus foncce, comma si quelquc substance ponrpre cut etc soumise a Taction d'une vis. Men cbicn do Terre-Nenve ecrivait comme moi sa route on Icltres sanglanles. Le paysan islandais qui m'ac- compagnail, ct dontla tournnrcd'espritelait, comme cbez la plupart des habitants de ces regions, aussi poeliquc qn'nriginale, prit gravomcut la parole pour me raconler deux ou Irois li'geudcs antiques, ipii no lu'expliquaient ]ias le moins dn mondc cello rougenr de la noige. 11 s'agissait, lanlut do la deesso Froya, qui avail elo jjlossee par le lonp Fenris dans ces localiles dosertos et qui avail lache de son sang la liHo glncce des moots de granil; tanlot d'nn sou- venir cliretien qui atlrihnait colte nuance an sang des pre- miers martyrs ; tanlot des crnautos cxercoes en Norwoge et en Daneniark par le rni Chrisliern. La derniere lo- gende poeliipie, repelee par mon bonnole paysan d'Islande, sc terminait par colte iiensiic romarqnable qui est rostoo gravee dans ma nicmoire : n Les moots charges d'nne pure neige rongirent, comme lo crime el la passion humaine laissent lour trace sanglanio sur Ics pages blanches de I'hisloiro. » « L'l.slandais paraissail so contenter do cos explications ct de ces souvenirs, plus poiHiques ct pins iugerjiens que sn- li.sfaisants pour un natnraliste. Jc n'olais ]ias homme li rosier plongc dans cello oli.scurile. En descendant la mon- tagne, du ciile des mines de fer d'Arrastrann, je ne- cessais de songer a cclle neige roug<' dont j'avais emportequcl- qnes livrcs dans one Ijoutoille. Jo retronvai mos bagagcs et puon chariot au pied de la monlagne, pres de la maison do linspecteur des mines : los premiers tours de roue du chariot laissaicnt snr la neige que nous fonlions un sillon rose un pen moins colore que la trace de mcs pas au som- met de la monlagne. Kon-scnlomenl, en arrivani au vil- lage de Ba>uslra!m, j'analysai avcc soin la neige quoj'avais emporlco, mais comme cos experiences ne mo satisfaisaienl jnSjje relMurnai lout expriis avec nil microscope, anx NFS lii'ux oil la ncige sanglanle m'avail parn du plus beau |K)urpre, et, inalgro tons mos efforts. In cause roello dc cello conlenr m'ochaiipa completement. (c Je crou.sai la neige el je la trouvai rouge a plus de trois piods do profondour; quel(|uofois des veines sanguinolentcs la traversaicnl a la surface el couraient en si lions varies qui la marbraiont pour ainsi dire. D'autres fois, ct plus I'requemmcnl, laleinlo ctail cgalemcnt ropanduc. Dans un lien tres-oxposo au solcil, la couelie de la neige elail tout ii fail ponrpro, et cello belle nuance allail so degradant pen a peu, dans retendue d'nn ccrclo de pres de cinq me- ti-es. Fn definitive, co doit eire quelque vegetation secrete el cachce qui produit cot effot, el leint la surface de la neige. » Nous joindrons, dans un nimiero nrocbain, aux observa- tions incompletes du voyageur piomontais, que nous ve- nous de Irauscriro, cellos d"un Gcncvois el d"un Danois, qui out dociiuverl la cause rcolle do co pbenoniene rare et singulier. Par un des miracles dont la nature physique offro le perpolnel lissu, cc n'est pas la vie vogetalo qui se conserve sons la glace, mais la vie animale elle-mehie. Colte couleur ponrpre n'cst autre chose que du sang, conmic lo pronvo lo detail do Icurs experiences analytiques, detail Irop long pour que nous lo joignions ici, mais que nous aurons soin de rapportor tout entier dans noire pro- cliain nnmoro. ( La sf.ilcau mimcro procluiiii.) VISITE CHEZ UN CCRE SE COHBOUE. La vie patriarcale el los mocnrs bicnveillantes que I'e- crivain anglais Goldsmith a docritcs dans son Vicaire de IKa'ie/iWrf, on! fait croire injnslemenl a quelques por- sonncs quo la communion proleslante favorisail beauconp plus que la foi calholique colle douce tolerance el ces qualiles interiouros si tonchantes a la fois el si utiles. Si Ton visilail plus d'nn cure do campagne, memo dans los regions meridiunalos, qui passenl pour livrees au fauatisme, on tronverait pariiii Ics occlosiasli(|iios des localiles les plus sauvages niillc cxemples dc ces vertus domostiquos, mille tableaux d'inlerioiir cpie Gessner ou Goldsmith au- raienl rcprodnits avoc bonlienr. Un Anglais, missi(jnnairo prolcslant, charge aujourd'hut de ropandro on Espague la Ciblc protcstnnic, hommo d'ail- Icnrs ploiu do franchi.se el dc naivete, rend ainsi conipte d'iMio visile choz un cure ospagnol desenvironsdoCordono. u 11 liabilail une vieille rnino do mosqueo orienlalo, doul unc parlic lui servail de bibliolheque, une autre de pigeounier ; le resle elail occupe par sa gouvernanle qui avail epouse nn greflier de la villo, et qui servail le cure tout en soignant son propre menage. Lo bonhomme \ivait de quelques fruits, de lard, sus- pcudu a une galerie suporicure, et des ccufs que lui dou- naient des ponies qui s'en allaient caquetanl aulonr du bassiu de marbre ct du jet d'cau mauresque. (Juelques ci- tronniors ct grenadiers poussaient dans un coin, ct pencbalcnt vers I'onde Icurs fruits sangbmts el dores. 11 nous fit servir lout ce (|u'il avail de mciUeur dans uno pelilo sallc qui donnait sur \e paiio, ou cour intorieure; ii cliaque instant il elail derange par les panvrcs qui ve- naienl frapper a sa porlo. Couinic le vicaire de WakclicUl, qnand il voulail sc debarrasser de quelquc inondiant man- DE VOYAGES lltCENTS^ 57 vais'siijct, il lui prclnit iin manlcau on line calotte, Lien sur, disail-il. de ne. jamais revoii- I'cniprunteiir. Sa sou- lane usee, et sa barlje noire assez mal pciijnco, rain-aicnl volonlicrs fait passer pour pauvre, et j'auraiscru que ce proprictaire. de riuelqucs mines delabrees n'avait pas une peseta cliez lui, si les nomlu'cux visilcurs (pii frappaienl .i sa poric n'eussent reni de sa propre main des aumuiics frequentes. n. lilies s'oloignaientdenous. bien quo la toi re ful encore bn'ilaiilc dans plusieurs endroils, et qu'il fiil dangereux de marcher parmi les arbros incondies. Apres avoir cherche quelque lopos, nous nousdisposames a recommenccr notrc voyage. Men enfant enlre mes bras, jo me dirigeai a travers la Icrre briilante et les rochers noircis, et apres deu.x jours et deux mills bien penibles, nous alloignimos enfin la partic du hois qui avail ele opargnee pnr le feu. II n'y a que le hois resineux, le Harkmiltack , comme on I'appelle ici, les pousscs vertes, que de tels incendies delniisent ; les cbcnes et les marronniers y resistenl. Une conllagration pareille, monsieur, n'a d'analoguo nullc part. Quand les sauvages indioiis voient toule cette poix-rosluc faire une gigantesque lorche d'espaces immenses. ils croicnt que tout est fini, et se jctlont dans ce qu'ils ap- por.ont lc liiiclicr du monde, avec lours femmes et lours enfanls. Pour nous, nous n'avions, nprcs noire fiiitc, ipi'un souflle de vie que Dieu avail miraculeusement pre- serve. Lcs gens qui nous accuoilliront etaienl des. \mcri- cainscharitables, qui, pendant vingi jours, nous soigncrenl dans lour maison. Ensuite, il fallul recommenccr noire cla- blissomont, defriclicr, biilir, cultiver, el Dieu a encore boui noire patience et noire conliance en lui, comme vous voyoz, monsieur, u Ence moment, la fille aineerenlrail, npporlanl une vastc terrine noire, rempliede ce mets, frnnoais depulsun temps immemorial, etquis'appclleCocu/'d la mode, lii-bas conimo ici. Lo Ihym el le serpoleln'y avnienl pas otccpargnos. On so inil gnioment a lable npresle BciiedicKc. Ln pluic ballait 40 u;enes de voyages regents. toujoiirs Ips petils vitrns^es de la caliain', c( do teiii|is a dulre un coii|) de fusil lointain, ropcle par los eclios, annoiicait la presence de I'liomme dans les vasles foi-els cnviroiinanlos. {Voyages reccnls aux montagncs Rockeuses ) X,A VALISE ET X.A BOUTEIIiIiE uu AVENTUKES GEYLANAISES. Personne n'cst plus sujet a caulion que les voyaijcurs, et Ic recil des dangei-s qu'ils ont coui'us obticnl peu de croyance. J'oserais a peine rcproduire les details que m'a donncs sur une nuil passee dans les fnrets de Ceylan, un de mes meilleurs amis, si je n'avais loii^lenqis habile celle ile peu connue, et si la vcracite pai-faite de mon ami me laissnit le moindre doute. Tout, dans ce pays, se presente sous des foi'mes gigantesques, el ceux qui onl vecu a Geylan, ou qui I'ont seulcnient visile, ne cnntredirnnt pas un recitqui donne uncassez jusle idee deccs solitudes sau- vages. Le heros de mon liisloire est le lieutenanl-colonel llaidy, quarliermailrc de Geylan, qui, apres une residence de dix-huil annees dans I'ilo, vient de relourner en Augle- lerre. Peu de lenips avant son depart, il devail se rcndro a Galle pour iiispcctcr les delachements de Trincomalie, qui avaient ordre de s'embarquer et de quiller le pays; les soldals qui les composaienl elnienl la pluparl de fort niauvais sujets. II en requit un delncliement pour raceompagner et nionler avec lui dans les bateaux qu'il avail destines a cet usage. En effcl, ccs homines s'embarquerenl. Ceux qui se Irouvaionl dans la chalnnpe amirale avec le quartier-mailre se coniluisirenl asscz bien d'ahord; inais ils se rel.icherenl ensuite , el les passagers des quatre autres barques qui le snivaienl passaienl lout leur temps, en depil des menaces el des ordres reilercs de ce dernier, a .se ballre, ,i rire, a chanter, a boire, a .se pnusser dans I'eau les uns les autres, de maniere ii faire ch.ivirer U's rmbarcalions ipii les portaient. Le colonel avail hate d'alleindre Uabenlolle, lieu de sa destinatimi, el de pcur de se Irompcr .snr le point du dehnrquiincnl. il cut I'idee de desccndre a lerre, d'aller chercher Ini-meme un pilole du pays, qui connul a fond ces parages el lui porlat secours en cas de besoin conlre les honimes indisciplines que I'eau- de-vie, dont iU s'abreuvaicnt, rcndait a chaque instant plus farouches. l,e soleil elait sur le point de disparailre au-dessous de I'borizon, lorscpie le colonel, un des homnics les plus re- solus que j'aie connus dans ma vie, ordonna aux ramcurs qui conduisaienl sa nacelle, de la dirigor vers le rivagc, et de descendre avec lui, ii rc\coption d'un scul. Les autres enibarralions devaient attendre son retonr, II debarqua done, une bouleille d'can-dc-vio ,i la main, et portanl aussi une valise qui conlcnail queli|u.'s vele- mcnts. Mais ipinnd il fit signe ,-i ses soldals de descendre, il fnt. bien surpris de ne trouver ancun tl eux uispose ,-i lui obeir; poussanlle baloau an large, ils laissereut lecoloncl, .senl et slupefait, se pourvoir a Ini-meme. Ces hnmmes. qui. wns pai-lagcr Ions les lorts de leurs camarades, avaient cependant niontre de rinsoiicianee d de I'indiscipline, craignaient le chalimcnt que le colonel devail leur inlliger au relour ; une bonne occasion se prcsenlant de prevenir cctte jusle vengeance , et de le sacrifier en se sauvant eux-memes, ils se halcrent d"en pro- liler. La parlie de I'ile sur laquelle le colonel avail dcbar- ipu', partie exlrcmement sauvage, servail d'asile a desani- manx leroces (|ni n'avaient jamais etc troubles par I'homuic dans leurs prolbndes relrailes. CI Ilola ! criait le colonel, que faites-vous? Revenez. ou jc vous livre nu conseil de guerre; revenez. Sur ma pa- role de snldat, je vous ferai grace ! » Les cinq barques silencieuses fendaient I'ean Iranspa- renle, eclaireedes derniers relicts du jour, el les rameurs, pcnches sur leurs longues pagaies, poussaienl au large avec une sombre resolution. Le colonel resta senl entre lj desert et les vasles eaux. Bienldl il n'apercnt jdns les em- barcalions des rebelles qui avaienl lourne nn promontoire, et dont la derniere trace avail disparu. Comment s'orientcr? La plage sur Inquelle il se trouvail, silnee a vingl-cinq milles d'Habenlotte, el dans la partie do I'ile la plus .sauvage et la moins frei|uentee, lui elait in- connue, meme de noni. N'ayant aucnne idee du lieu oii il elait, 11 s'avanca vers un bois cpais, la bouleille a la main, el .sa valise sous son bras. Le soleil se couchait dans sa splondeur, bienldl I'almospbcre devint sombre. La unit lomba ; il entendit aux environs les rugissements et les hurlements des betes sauvages, et les longs aboiemenls des jackals. La lune apparul sur I'horizon, ne donnant qu'une lumiere incertaiue. IndistinclemenI, li Iravers I'epaisscnr (les jungles et Tobscur fenillnge de quelques grands arbres. il vil un sentier fraye devant lui ; mais ce senlier elait oc- cupc par des elephanls. Relourner sur ses pas elait impos- sible, el demeurer toule la nuil laou il se Irouvait eut ele s'cxposer a une perle cerlaine. N'ayant pas d'antre alternative, il se resolul a marcher en avant Les elepbanls raperenrent et le poursuivirent. II se jela dans les laillis, el bientol ces enormes colnsses, fracassanl lout sur leur passage, foulani aux piids les buis- sons, les jungles, les rameanx des (iguiers el des .aloes epi- neux, se Irouverent a quelques toises de distance du colo- nel L'idi'c lui vim de se servir de sa vali.se, non pour les combatlre. mais pour les dislraire et les amuser. La saga- cile curieiise el pour aiiisi dire scienlifiqne de ces animanx est proverbiale el lout a fail merilee,comme on va le voir. Le colonel apercevanl rombrc de la trompe colossale se balancer vers lui d'nne I'acon menacante, lanea, plus loin que I'elephanl, ccllc bienheureuse valise, autour de la- quelle, en elTel, six elephanls ne lardcrent pas .i leuir conseil. lis la tournerent et la retournerent dans lous les sens, rouvrireiil , la videreni, en examinerent le conlenn, et le colonel, qui de temps en temps jelail un regard sur ses persecnleurs, se jelant dans un senlier parallcle, ne tarda pas a se trouver hors de leur porlce. La lune montait dans le ciel et n'eclairait qu'a denii des tanlomes d'arbres des tropiques, au vastc jiarasol de fcuillage el des trones luisanls el noirsqui s'elevaient de lous coles, lugubres, an milieu de celle c'arle )iale. Les sirilemenls des ser- penls, les sonpirs fnnebres des jackals, les longs cris do la panlhere affamee se laisaient pen a jien.Tout s'endor- niail. Apres d'elranges aveutures, apres avoir echappe a plu- sieiirs buflles, .-'i des lanrennx sauvages el a des elepbanls LE DEVOin ET L'lIEROISME CHEZ LES FEMMES. tl gi£;.inlcst|ues (commenlil y parviiit, c'cstcc qu'il ne put pas Lion cxpliqiioi'), il ajiorcul a Iravors les arljrcs deux largcs obji'ls noirs, se niouvanl dans relroit senlier precisement en face de lui. Force lui clait de conlinuer son chemin, si c'elait possible, de la meme maniere qu'il I'avait fait dans le senlier des elephants. Bienlut il fut enlendu ou apercu; et, a son horrcur indicible, il se trouva en face de deux enormes ours qui marcherent ensemble vers lui. Se jetant de cote, il cluda I'accolade du premier ours ; les grifl'es et les dents Icrribles du second allaientle saisir, quand un mnuvenicntspontanu, dont il nc pent pas se rendre conipte, le porta a elevcr son bras, cl a visor le monsln^ avec la bouloille qu'il lenait encore dans sa main. Elle frappa les dents de I'aniraal, se brisa par morceaux avec un grand fracas; Fours, cffraye du coup, ctourdi par I'cau-dc-vie repandiie dans sa gueule et dans sosoreilles, s'enfuitavec soil caniarade dans le jungle en poussant dcs liurlements prolonges. C'etait un bizarre combat que cclui dont une valise cl une bouteille d'cau-de-vie ovaient fait tons les frais, et le colonel qui me racoiUait rocomment ces details, assis avec moi dans sa jnlie babilalion d'llampstead, ne ponvail s'empcclior de me dire ; « Si j'elais Gascon ou 11 Irlandais, je n'oserais pas, je vous I'assuro, faire de « lellos histoires et rappcler ces singuliers souvenirs : « pour elre vrai, mon recit n'est gucre vraisemblable. « Croyez-en ce que vous voudrcz ; coinprenez-Ie si vous apouvez; quant ii moi, je vousatteste que je ne sais fias «le moins du raonde comment j'ai survecu a cette nuit, nj'attribue mon salut a I'effet extraordinaire que produit «sur les animaux sauvages I'aspect inatlcndu de I'homme, dleur mailre, quand ils ne Font jamais vu. » Apres avoir cchappe a plusicurs dangers imminents, ot aux dents de Irois buflles, il arriva pres d'lin lac, sans savoir quand ni comment ses dangers et scs fatigues se lormineraicnt. II etait presque nu, ayant ses habits et meme les chairs decliiros, pour s'otre frayo passage a tra- vers les epinrs et les broussailles impenelrables diijung'e. A la fin, aprcs avoir marchc ou couru I'cspacc do plus de vingt niillcs, scion son calcul, il atteignit line large ri- viere ; la, complctcmont epuise de corps et d'esprit, et convert de sang, il se jeta, desesperc, contre les racines d'lin grand arbre qu'il ne put gravir, vu son clat de fai- blcsso extreme. Chose etrange, 11 s'eodormit d'un profond sommeil. « J'elais devenu, me disait-il, parfailcment indifferent li toutos choscs. Soulenient je voulais dormir. C'eiit etti le deniiiT sommeil quo je Feusse embrasse avec dclices. Dieu soul pout savoir quels dangers je courus, et par quel mira- cle si'rponis a sonnettes, crocodiles, elephants et jackals, circuleront aulour de moi, sans faire un excellent repas de ma personne. La vie animale, dans ces parages, n'est pas, comme chez nous, economiquement dislribuee ; elle sur- abondc, elledeborde; pas un arbre qui ne recele desescoua- dcs do serpents, pas un clang qui ne soil une republiqne dc formidables alligators, armes de dents qui devoreraient cl d'estomacs qui digereraienl uu botaillon. » — Quoi qu'il en soil, la fraicheur du matin commencait a so faire sentir, quand ses yeux s'ouvrircnt en faco'd'un magnifiquc serpent a sonnettes que son mouvemcnt epou- vanta, ol qui se sauva prccipilammeni dans les taillis. 11 s'evcilla, ou,ce'qui est plus vraisemblable, il revint dc sa diifaillancc, vers le lever du soleil ; bienlot, Irouvanl le senlier qui conduit an gue, a peu pres a un demi-millo au-dcssus de la riviere Mallclc (c'olait sur lo bord ilii lac qui forme son embouchure qu'il s'etait repose), il la tra- versa, et, apres deux heures de marche a Iravers un pavs qui lui etait connu, il arriva enfin a la maison de M. Farrell. Contre la coulume des voyagcurs qui se sont trouvcs dans une situation aussi critique et exposes a des dan- . gers pareils, il ne dit Hen de ce qui lui etait arrive. ' 11 commenca par demander un bain, des habits et une rf/ioii/ic (sorte de palanquin en usage pour Ic transport dos soldals malades). Apres quelques hcurcs de repos, il relourna a Calles, prit lechcniinde Colombo, et revint ,i scs quarliers. Les soldals de son escorle s'etaiont Lien gardes dc roparailre. II apprit dopuis, qu'armes de leurs sabres et de leurs fusils anglais, ils avaieni aborde et desarme une pirogue malaise el s'etaient fails pirates, sous la direction d'un nommo Mallhew llarwoll, dont Fhisloire eslassezcu- rieuse pour que nous la rapporlions plus lard. ( Bengal Hourkarou. ) LE DEVOIR ET L'HEROJSIUE CHEZ LES FEMMES. I.A MANSAIIDE. SOI>S DOMESTIQUES. DES FLECKS. - AMCJr. ET COLTUtlE -^ 'est surtoul chez les fommes, dans le sexe faiblo, no pour toulcs les tendresscs \ etles graces delicales de la vie domes- "' lique, pour tous les sicrifices ignores, que I'ahnegation ct le devouement se deve- loppent dans leur veritable puissance. Los classes inferieurcs offrent de nombreux exemples, rarement rccueillis, de ces verlus feminines . Plus d'une jeiine ouvricre a nourri ses vieux parents du travail de sns ainsjet I'on sail combion peu rapporle Ic < ' • travail des femmos. Les journaux out fill ^ mention de celle famille des plages bre- tonnes, oii les fommes, hardies balelicres, s'habilueni do bonne heure a sauver les naufrages, qu'elles arrachenl .-i la mer, an peril do leur vie. Dans dcs situations jjIus paisi- bles, et que recouvre une obscurite (irofoiide, il y a des existences admirablos de pureto et degrandour chreliennes. Un de nos poelos modernes n'a jamais mioux ete inspire quo lorsqu'il a docrit la mansardo de la fille du peuple, clirolienne pure, ignorant la boaiilo de sa modeste vie. I.c nwlin die chanle, ot puis die travaille, Serieuso, les pieils sur sii chaise de paillc, Cuusaiil, uillajit, Iirotlaill <|ueli]ues desbiiis clioisis El landis que songeaiu a Dieo, simple el sans crainle Celle sierge acconiplit sa IJche augusle el saime, Le silence r^veur it sa pot-lc est assis. •52 LE DEVOIR F.T LUEBOISME Sur snn bean col finprcint tip virgiiiilo |uirr, Point d'alli^rc dciiU'llo ou dc riclio giiiiniro : Mais iiii siinplc moudioir none puiligucmoiil. Pas (le perle h son front, mais aussi pas tie ritlc ; Wais un (cil chaste el \if, mais un regartl liinpiilo; Oil briile !e rofarti, tiue sort le tliauiant T L'aiigc tie la cellule abriie on iii paisilile. Sttr ta table est ce livre oii Uieu se Tail visible. La l(^t;eiitle ties saints, seul el vrai Panlhiion, El tians un coin obscur, pr^s de la clieniini^e, Eiilre la bonne VieiRe el If buistie ranin?e, Quaire epiiiglcs au uiur lixcnl Napoli!'Oii. Puisl'admirable iiortrait de la cellule : La vcrte jalousie, a liois clous acci'oclit?e, Par un bout s'l^cliappant, par Tautre rallachi}e. S'ouvre coquelternent coiinuc un grand eventatl. Au dehors un beau lis, t]u'uii pri^slige environne, Emplii de sa racine, el de sa lleurcouronne (Tom pri-sdc la gouiiiere oii don un chat sournois), Un vase a forme eirange, en |iorcelaiiie bleue, 0(1 briile avec des paous ouvrant leur large queue Cc beau jiays d'azur que iCvent les Cliiuois. El, dans rint'i'ieur, jiar nionicnts luit el passe line ombre, une ligure, une fee, une grace, Jeune lille du peujile, au chant pluin de bonbeur, Orplleline, dil-oii, el seulo en ccl asile, Mais qui parfois a fair, taut son fvoul est Iranqnille, Re voir distini'.leincnt la face du Seigneur. On sent, rieu qu'a la voir, sa dignit6 profondc : De ce coeiir sans linion riei! n'a |iu troubler ronde-, Ce lendre oiseau qui jase ignore I'oiscleur; L'aile du papilloii a loule sa poussiere; L'ame de rhundile viergea toulesa luniieic; La perlc de t'aurorc est encor dans la (leur. Un trait que le grand poctc n'a pas ouMii?, cl qui est ca- racleristique de la purcle et du soiii de la vie, c'esl la pro- prete de la chambre, c'cst I'amour des (leurs, le lis ,i la fcnetre. It J'ai loujours roniarque, dit une dame allcniande ( Ra- ti chel Varnhagen Von llense), qu'il y avail une differciict; ti immense enlrc le caractcre et les habitudes d'unc feniine « qui aime les flours el qui en cullive, et le tour d'espril u de celle qui ne trouveaucun plaisir a les cuUiver.» Les paysannes du nord de rAUcniagne, dontla vie est si modeste et si lionnele, les femraes et les lilies des buche- rons du llarz ont pour les fleurs une passion veritable. On les suspend aui fcnSlrcs, on en donne desguirlandes au voyageur qui passe et qui s'cn va. Toules les solenniles de I'annee ont leurs (leurs speciales, cullivecs paries femmes. Elles servent encore a d'aulrcs usages plus touchaiits pour IcccDur. «Nous elions .sniiventelonnes, dit uneaulre dame, du grand nonabrede giiirlandes appenduesaulour des equi- pages qiiiltant Wisbaden; le pauvre comme le riche, le vicillard comme le jeune lioninie, avail sa guirlande pre- paree loujours graluite. Nous apprimes que c't^lait un Iri- but d'amilie, un dernier don, el que la fabrication de ces guirlaiides lilait asse?. lucrative pour ceux qui s'en char- geaient. Cesclioses peuvent|iarallre put-riles ; daiislc fail, elles sent il'une grave importance ; lout ce qui allire'les coeurs I'un vers I'aulre cl produit la sympalblo des .imes, conlribuo a unir Tespcce liumaino dans les liens d'unc affectiicu.se souvenance; rcgoisuic anlicliriilicu esl allaqiu!' it sa source mi'mc. » « Les fleurs, dit un poele anglais, sonl I'un des plus beaux prescnls que Dieu ait fails a I'hommo) La culture des (leurs amtjliorc sa santtj el eliive son Sme. Leur beaule re- jouitsa vue.orne sa demenre cl le relicntcliez lui. Dans les classes ouvrieres, la culture des fleurs conlribuerait beaucoup ,i I'amelioralion de leurs mosurs, de leurs habi- tudes et dc leurs manicres, si on les encourageait a y con- sacrer le pcu d'heures de loisir donl elles peuvenldisposer. La difference qui cxisle enire deux menages, I'un aimaut les (leurs, I'aulre aimanl la pipe et I'cau-de-vie, est frap- pante au bout d'une anniie. On dira peul-C'lre que tout le monile iic saurail avoir un jardin; il est vrai, mais cbacun pent avoir quclques (leurs sur sa fcneire, el beaucoup plus qii'on ne pense; un seul petit Iwlcon en bois peut en contenir un certain nombre ; a I'inlerii'ur meme de I'apparlement, on peut culliver quel- t(iiesplanles;ella nt^cessilc de soiguer ces (leurs donnerait del'air, le nieillcur lonique pour les babilanlspauvres, cpui- sijs eten proie anx (ievres lyplioides. Mais dans les villes, la laxe des fcnelres, ce mal monslrucux, vlenl faire obstacle el priver la race humaine de ce que Ic Cri;aleur, ainsi que la nature, ont dtjsigne comme essenliellement niBcessairea noire existence et a noire bien-clre. Dans certains cantons de la' Sui.^se et de I'Allemagnc, lous les toils sonl converts de jasmin el de chevrefeuille; les chaumiercs presenteul une lignc non inlerronipue de fenclrescouronni}es de fcuillagcs, viviliant eleclairant lout cequerenfermelacliaumitire; el la, an moyendespoclcs,on se chauffe a Ires-peu de frais. Si Ton faisait usage de vastes poelesenAngleterre eten France pour lcsclassespaiivres,il en rtisullcrail beaucoup d'economie, et, selonlouteproliabilile, on previendrait beaucoup de maladies parmi elles. Ke eraignant plus le froid, les artisans ouvrtraient plus fre- quemment les fenelres. Si tons mes lecteurs pouvaieut voir I'elat intericur des reduils habiti?s par les pauvres, non loin des splen- dides devantures des grandcs villes, de la magniliquc rue du Regent {licgcnl's street) ou du Pal.iis-Royal li Paris , ils reculeraicnt d'horrcur. lis seraicnt tenlcs de perforer les murs, aOn de douner a cos languissanles creatures I'air et la lumiere, el de les transporter sur les montagnes couvcrles de bruyeres. Mieux vaudrait les lais- ser sous I'abri naturel des rochers sauvages qu'eulre les murs de la prison pcslilenlielle qui les conticnt cl qui fait eclorc la maladie avcc le vice. Pour la portion fi^minine de la creation, les (leurs sont d'un prii inestimable ; el si I'aulre scxe le savail, les (leurs auraient le meme prix pour les hommes, relalivement a lours compagnes. La femme qui Irouvc des charmesa I'hor- ticulture nechcrche point hors de chez elle des plaisirs plus dispendieux. Son intericur est tout pour elle, et si son mari esl assez avise pour encourager ce gout, il a raison. Les ferames sentent vivemenl les petites attentions, el, selon toule probabilite,il yaurailpcu demauvaisesepouses, si les maris (■laient bicnveillants, affcclionnos et sagaces. C'esta eux d'cncourager chez leurs compagnes lous les penchants gracicux et innocents a la fois, de diivelopper ces germes si ulilos a la vie domeslique, le soin de I'intcrieur, la rt'gularite des pratiques, lo goi'it de I'lilude, celui des (lours el coliii de la musique. (Grcefin llahn Hahn.) C'lIEZ LES FEMMES. •15 L'H^ROISME GUERRIER CHEZ LES FEMMES LES DAMES ANliLAISES A GWAUOR Ces terribles combals, cntre Ics noniagiiards dc I'liulo ccnlrale et les Anglais envahisseurs, combats i(ui oiil eii- sanglanlc les anaees 1842 et 1845, et comproiuis pendant qneUiucs moments la pnissancc anglaise dans I'lnde, onl dnnne lieu a queli|ues-uns de ces beaux developpements de riicroisme cliez lesfemmes, qui sont si peu rares dans la vie ]irivee, — que Ton ne remarque pas, lant ils soiit iiaturels et inslinctifs, chez la mere, la lllle et I'epouse dignes de ces noms ; mais qui, lorsqne certaines circonslances exterieu- res leur prelcnt un nouveau relief et un eclat particnlier, I'rappentsivivementriniaginalion. Le journal que vient de publier lady Sale, femnie d'l colonel anglais de ce nom, longlemps prisonniere dcs Aff- glians et qui a survecu a ce lerrible dcsastre, doni:e les pins interessants details sur I'odyssee heroiquc oil elle a joue un si grand role. La pelisse criblee des balles cpie li- rcnl pleuvoir sur elle les ennemis places sur les lianlenrs, .lele rapporlee par elle a Londres : c'est assuremont nn Iicau tropheede sa famille. Elle Iraversa a clieval, sans aliments, enlource de blesses, de morts et de mourants, ces clroitsetrcdoutables deGlesdeKhourd-Kliaboul,ou I'armee anglaise s'etaitsi iniprudemment engagee. La neige y toni- bait a gros llocons, melee des projectiles lances par les longs mousquets des Aflgbans. Elle sccourait les uns, cn- courageait les autres, snpporlait la fatigue doni une orga- nisation roliuste cut ete accablee, et monlrait,dans ce pc- liiWe voyage, le courage d'unphilosopbe, la resolution d'un .snidal et la delicatesse d'une femme. Ainsi se deploie et se ilrveloppc d.ins les grands evenemenls la force inlinie de I'auie, qui supplee a la force physique, et qui liii est bi su- pcrieurc. D'autrcs femmcs parlageaicnt scs dangers et sos souf- frances. Enfermecs dans uno ciladelle du chef barbare de Gwalior, ellespresentereiita leurs maris, comnie discnllcs Anglais, Irois nouveau-nes qui virent lo jour dans celte pe- riodc de caplivitc. Ce qui semWait insupportable a ces fcmmes, ce n'elait ni la faini, ni le froid, ni les mauvais trai- lemenls de leur mailre, mais la difficulte de satisfaire cer- taines lialiituiJes anglaiscs, devenues une seconde nature; la tasse de lliii, par esemple, quand elle reparut an milieu de ces pauvrcs esclaves abandnnnees, qu'une mort cerlaine seniblait menacer, fut pour elle une veritable consolalrice. Nousserons heureuxdedonncr bicntot a nos lecleurs quel- ques eslrails curieux des memoircs personnels de lady Sale, qui out paru a Londres rccemment. I.A JEUMX MERE. (Exlrail (I'uiic lollrc ilatLC dc Sliding, 18iO.) « . . . . La pclite heroino dontje veux voiis parler n'o pas encore seize ans et demi, el est la dernierc lilb; d"nn niembre fort estimable du clan des II une des vicilles families des Highlands. Proprielaire d'une plantation assez considerable aux ilcs orienlales, el pere dc doiize enfanls, sir Arthur 11 ... les a tons cleves avcc un soin extreme ; la jeune Ularic \V douce dun gout vif el d'une remarquable aptitude pour la musiqiie. 111 des progres rapides dans ccl art. Elle n'avait pasquinze ans, lorsqu'elle fut demandee en mariage par un ofllcier anglais, et, apres une as«ez vlve rc- sislance molivcc par I'exlreme jcunesse de Mnric, le pero consentit a leur union. lis elaient a peine maries, quand le jeune epoux recut I'ordre de partir pour Botany-Bay, c'est-d-dire pour les antipodes, ou, selon loules les apparences, il devait resler quinze ans. On oblint avec peine un conge d'une annee , et, ce conge expire, on essaya de derober a la jeune Mario,' a dcvenue mere, la connaissance cxacle du jour ou son mari (■■lait force Je s'eloigner. C'etail vers la I'm de raiitomnc ; Ic jeuno. liomme pre- texta line pnrlie do cliasso qui devait, disail-il, le rclenir ([uclques jours chcz iin de sos amis, el parlil ;i franc elrier pour rile dc Wi^lU, d'ou il devait faire voile. Mais, par une sinsulierc prevision, par colte elrange divinalion du coeur queles fenuiies possedenl souvcnl,dcs les premieres lieures de son absence, elle penelra le secret qu'on lui avail soi- fjneusemeul cache, parlil en chaise dc posle, bien que souf- Iranle, par un temps eflVoyable, rejoignil son mari dans rile de Wighl, el ecrivit aussilol a son pere, le suppliant de lui envoyer le plus tol possible la nourricc el I'enfant dc ciiKj mois, qui elaienl restes a Slirling. Lc pere eluda PETITS VOYAGES cetle demande, ct repondit que I'enfant elait faible etsouf- frant, et qu'il s'eii chargeail. Une seconde el plus vive de- mande futsuivie d'un refus encore plus prononcc. Lc vent elailcoutraire: 11 fallnit allendre un mois pour metlre a la voile. Marie parlil un lundi malin pour Portsmouth, se di- rigoa aussi'ot sur Londrcs, alia loujours en posle jus- qu'a Glasgow, en Eccsse, sans se reposer, sans s'arreter et sans prendre de ropas, parul lejeudi malin dcvanl son pere elonne, repril son enfanl, alia aussilol rctrouvcr son mari dans I'ile de Wighl, et, apres ces six cents miUes par- courus d'une traile, le suivit a Botany-Bay, dans la plus affreuse residence du nionde , niais toule triomphanle, accnmpagnant son mari, ct son enfanl enlre ses bras. {Souvenirs de Spcner.) -"T«te"iJ3W5B, Source dc la Loire. PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE. X.A IiOIRE. Suite (I). LfiGENDE DU GEUBIER-DE-JON'C. Un des caracteres Ics plus charmants de noire pays na- tal, dc la France, c'estla diversile des aspects, e'est le con- (raste perpeluel des zones qui la partagent. Elle louche an midi ct au nord, elleoffrel'apre boulcversemcnt des monis volcnniques, la scverileglaceeduseplentrion, les rianls pa- rages des cliniats tcmperes, cl.jusqu'aux deserts de sable qui se derouleel s'enlasse au soleil. L'olivier elle sapin, le mcleze et I'orangcr, soul les produils du meme sol. Ce (I. V.iir It' I'rciuicr uumi TO, it:i£0 22. piys, singulierement complete, louche a loules les latitu- des : les Pyrenees espagnoles, les Alpes suisses, les Alpcs ilaliennes, les deux mers I'environnent d'une ceinlure changeante. C'esl hien, coinme le disail le vieux poele pro- vencal, la region ouvrcc (tissue) dc glace et de soleil. On ne sent jamais mieux cclte ravissante diversile de la France, qu'en suivanl le cours de la Loire. Avec elle on jouit de tuns les caprices, on s'associe a tous les conlrasles de cette nature si pen somblable ii clle-meme; on passe du pays des volcans aux plaincs couverlcs d'epis qui mii- rissent au soleil ; des sites plus sauvages que ceux de I'Eco.sse, succedenl a de doux paysages plus suaves que ceux de I'ltalie. Tous les homines vraimenl amoureux de la nature, Claude Lorraiu, J. -J. Rousseau, se snnl ache- mines lc long des llcuves. C'etail le voyage favori des pc- lerins, a I'epoque oil la foi chretieuneles envoyait admirer les souvenirs el les restes des saints que I'Egllse vencrc ; faisons conime eux, suivons la Loire des son herceaii. C'esl un rude berceau : elle nail enlre la Corrcze et I'Ardeche, dans la region la plus apre de la France. Tanlot s'elevent.comme des fantumes, des rochers aigus, au lin- ceul de lave ; plus loin le cours de la riviere, a la fois ra- pidc el sombre, se precipile enlre dens murailles voka- SUR LES RIVIEUES DE FRANCE. niqucs; parlouldcs clifileaiix sur la crele des monlagnes ; et CCS ch.ilcaux sont Iristcs, rouges et liruns, commc les roches qui out fourni la picrre pour les coustruire ; I'oi- seau do prole crie sur les cinies; les sapins sc balancent dans les fentes des rochers ; de lourdcs genisses paisscnt le gazon qui verdoie dans les crevasses des rocs ; quel- ques paysannes, aux pieds nus, un mouclioir rouge jclc sur leurs cpaules nues, gardent les Iroupeaux, trisles et pensivcs comme leurs monlagncs nalives. On apcr- coit, dans les senliers qui suivent le lleuve naissant, un aUelage de bfcufs conduisanl un epais chariot, et le pay- san de la Correze ou de I'Ardeche, avec son vetement sombre releve de couleurs tranchantes, sa gravite passion- nee cl atlenlive, sa demarche mesuree el energique, et son vasle chapeau s'avancant de deux pieds sur le front, comme pour lui servir d'abri conlre les affreuses pluies de ces monlagnes. Les Icgendes et les traditions, recueillies par les pay- sans de ces regions sauvages, oii Ton passe a pied la Loire, dcsliiiee plus tard a couvrir une si grande etendue de ter- rain, sont bizarres et trisles comme les localiles memes. La monlagne conique d'oii s'echappe ce pclil filet d'eau qui deviendra la Loire a servi de texle a un cnnlc donl la me- moire des vieus palrcs a garde le souvenir, cl oil se melenl quelques traces de fails liisloriques. Celte elevation poin- lue, c'esl le Bonnet du Uiablc. C'est le dernier vestige laisse par Salan.le memoran- dum de son passage, apres que sa maisos d'ob se fut en- foncee dans un elangel eul disparu pour jamais. La li'gende elle-meme, dans sa ru.sticile primitive, plaira davanlage sans doule .i nos jeunes Iccleurs. Nous n'avons pas besoin de dire que c'est un conic empreinl de loule la barbarie du temps. E.a m&ISON D'OB DU diablb LE GERDIEn-DE-JONC. Le pays des Vetavi , que I'on appelle aujourd'hui le Velay, elail encore sauvage et paien, lorsque saint Paulin vit dans son sommeil une figure lui apparaitre et lui or- donner d'aller au Gerbier-de-Jonc precher I'Evangile aux barbares ; il s'y rendil. C'elail la coulume, parmi ces habi- tants paiens, de tuer un enfant lous les ans pour honorer leurs dieux. Quand sainl Paulin arriva, la croix a la main, le pauvre petit enfant elait deja suspendu, el le chef lui dil: « Que ton Christ sauve cet enfant, et jeme ferai Chre- tien. » C'elait un garcon nomme Ramberg, sur lequel le sort elait lombe. Sainl Paulin se mil ii genoux, pria Dicu : la corde cassa aussilot ; rcnfanl sc relcva sain el sauf. Ccpen- danl, continue la legende populaire, le diable n'elait pas conlenl. Le soir mcme il apparut au chef des Velavi, qui s'appelailOcco, et semonlraa lui sous la forme d'un angc, les ailcs chargees de pierreries et le front ceint d'un ban- 4eau d'or : «Qu'as-lu fail? lui dil le diable. Tu as ecoute ce saint qui t'a trompe; lu as rcnonce au bonhcurpour suivre les conseilsdc cet insense, parco qii'il to pronicl le paradis; mais ce paradis, oii esl-il, te I'a-t-il monlrc? Va, il te prend pour dupe; il n'y a de paradis que chez nous, et nous tc Ic monlrerons quand lu voudras. Uemaiidc un pen a ton doclcur chrelien de le faire voir au muins un petit coin de la felicile ((uil le promel, el lu peux elre bien sur de n'y rieu voir. (Juant a moi, je sui< de parole. Kommc des arbilres, je les laisserai visiter demain, si lu le veux, la maison que je te destine. » Occo elail ebranle ; il desirait se faire chrelien, mais il voulail elre siir de son paradis, et il fit part de scs doulcs au bon saint Paulin, qui lui rcpondit doucemenl : 0 Le diable est fin, cl tu ne I'es pas beaucoup. Envnic, pour verilier la chose, un homme de la suite el un de mes diacrcs, tu verras ce quiarrivera.u Le diable avail indique un endroil de rciidcz-vous pour les emissaires d'Occo el pour les siens. Le diacreel le Vc- lave s'y Irouverent de la pari d'Occo, et y rencontrerent Satan lui-meme, qui celte fois avail pris la forme d'une ires-belle femme. « Suivez-moi, leur dit-elle,ct depechez-vous. car j'ai hale de vous monlrer la belle habitalioa deslinee au due Occo. » lis quilterent la grande route, s'engagerenl dans des re- gions inhabitces, et se Imuvcrcnt bicnlol sous une grande arcade de marbre verl, au dela dc laiiucllcs'clcndail, a perte dc vuc, une avenue de colonncs d'or. Le pave elait de diverses sortes de marbre merveilleusemenl poll, et, enlre les colonnes, s'elevaient d'inimenses lulipes d'or, qui re- pandaienl I'odeur de la rose. En se delournant ,i droite et en entrant dans une allee dc cedrcs, ils virent brillerdc loin une maison qui elincelail comme de I'nr. En effct, elle elail tout enliere de ce metal, a I'exceplion des vilraux qui claienlde diamanl, el de la lollure qui elait en argent. Coninic il faisail tres-grand soleil, ils ne purent en approcher qu'a reculons ; elle elail loule paviie d'or et de pierres pre- cieuses, et d'une incroyable grandeur. « Voilii, leur dil la prclendue jcune femme, la maison de votre due ; comment la Irouvcz-vous? — Assez bicn, rcpondit le diacre elonne; mais, ce n'est pas tout, il faulqu'elle soil solide. Le bon Dieu billil Ires- solidement, les maisons du diable ne durent guere. » II fit le signe de la croix, aussilot tout disparut. Tor, les pierreries, la maison, et memc la jcune fille; il ne resla parterre que le capuchon de sole brune qu'elle portail et qui rehaussait la blancheur de son visage. C'esl ce capuchon qui a beaucoup grandi, cl qui est devcnu la monlagne du Gerbier-de-Jonc. Le diable reparul en sa propre personne ; la maison d'or fill changce en bnue, el le diacre, ainsi que le Velave, se Irouverent au milieu d'un petit marais rcmpli de roseaux et de joncs, qui est aujour- d'hui la source de la Loire. lis ne savaienl plus oii ils elnienl, cl il h'lir fallut faire un chemin immense, en suivanl le cnurs du ruisseau qui venail de naitre, pour relrouver le chateau du due Occo. Quand ils se prcscnlercnl, la porlc du chateau elail fermee; le drapcau noir flollail sur la plus haiile lour; et, selon la coulume de CCS temps barbares, les Irois fuinmcs d'Occo se precipilaicnl dans un bi'ichcr ((ui s'elevail au milieu de la grande cour du chateau. C'esl que le due Occo ctail mort au moment meme oil le diable avail rcpris sa forme veri- table. Dieu avail ainsi ch.ilie son incredulilr. On reriterra au milieu d'une foret qu'il aimail.dans uii lieu d'ou Icsarbics 10 PETITS VOYAGES SUn LES RIVIERES DE FRANCE. onl (iispani, el qui s'nppellc encore aujourd'hni le chateau 1 monlrenl la Loire sous cet aspect riant ct gracicux, (prollc de BoulliC'On. C'est en effct un des premiers paysages qui \ ne doit plus quitter jusqu'aux limitcs dc lo Cretagnc. Chateau (le Boulh6oD. Le due Occn n'avait pas voulu qu'on le laissat apres sa niort dans ces regions maudites, on le diable avail lente de le scduire. Quant au lleuve, sorti du Bonnet du Diable, il avail dcchire la lave, bouleverse le paysage, fendu les rochers, rejete ;i droite et a gauclie des cretes de basaltes mcna- canles. Rien n'est plus aflVeux que les gorges d'Arlempde. et les geants volcaniqucs de Joannade, dont la base est rongoe par le llot furieux encaisse dans un etroit sillon de granits gris, d'ardoises noircs et de debris de lave. Le diable a cerlainement passe par la, disenl les pay- sans. C'est une nature parliculiere , niuins voilee que celle de I'Ecosse, moins froide que celle de la Norwege, moins nuequc celle de I'Espngne; qiielque cliose d'i'nergi- que etde sombre, qu'on ne trouvc que dans ce pays. La Uoctiers d'Exinieuil el dc Vt^sfsualaig. fenJalile aimait ces regions austeres el ces roclies cscar- pfes;les chateaux sent semes avec profusion surlesbords de celle Loire naissanle, qui trace si rudement et si dif- licilementsa route. yuelqucssitesmeriloiitd'elreremarques; par esemple, cc point devue on la Loire, cmprisonnee en- Ire les rochers noirs de Vesesualais et d'Eximeuil, glisso comme une nappe d'argent lancec sur une pente rapide. NuUe part ce caraclere sauvage ne se prononce avec plus lie force rpi'au milieu dun entonnoir dc verdure noiratre, de basa.lles laillccsafacettes.ct derocliesenormes jelecs pelc- incle, qu'on appelle la voute Tolignac. Apres avoir vaincu des obstacles sans nombre, et, comme disont les paysans, mange des rochers sur sa route, la Loire, fatiguee, s'arrele un pen el fait un coude, pressec entre les granits el les laves. La, elle forme un bassin assombri de tous coles par ces colosscs de pierre. Ses efforts, pour se frayer passage, onl creusc le plus haul et le plus aride de ces rochers et perce une voule obscure, sous laquclle ses eaux captive? s'cngouffrent avec un Irislc bruit. Rien de plus piltoresque a ra:il que les mines du chateanqui couronne, comme le nid d'un aigle, ce rocher el celle voiltc. Cost le berceau d'uiie antiipie el ilhislrc famille d la- f|iiollo le sort rcscrvait de graiidos dcstinoos ct de grands malheurs. Lcs fees vertes de la voute I'olignac se ratta- dii'iU a uiie ancieiiiio tradilion [jaieiine de ccs contrces, ct LE COURAGE MOIiAI, DANS LA JEUNESSL. ■i? nous nous occupcrons bicntol de cclle tradition aussi bi- zarre que poeliquc, ( La suite a un pnchain nwme'ro.) CiiAU-iiu do la vuule ite Piiligriac. LE COURAGE MORAL DA\s LA iimm. CSEMPLES DE FODCE COSTDE LE SORT, DE riESISTANCE ET DE SUCCES j DANS LES CAnniEnES LES PLUS DIVEBSES. I IS7T&ODUCTION. On a souvcnt ecrit la vie des enfanls celebres ; un mo- ralisle severe pourrail ll.imer cette prime accordec a ramour-proprc. Dc nombreux exemples semblent attestor que la superiorite apparcnte des gcnies precoces n'offrc pas toujours un gage sufCsantd'avenir. Lespetils prodigcs licnncnt peu, en general, les brillanles promcsses de leurs plus jeunes annees , ct, plus d'une fois, I'amandier, qui se couvre de fleurs odorantes avant que I'hiver soil expire, DC prcscntc en aulomne que des branches steriles et des ranicaux dcpouiUcsde fruits. Unelachc bien aulrcment utile et charmante resleencore a rcmplir. Quelle a cle la jeunessedes grands hommes? r.omraent ont-ils prepare leur gloire? Quelles cpreuves out subics la jeunesso et I'enfance dc ces admirables ou dc ces aimables esprits? [lien de plus interessant que ces details; rien dc plus instructif et de plus doux que dc s'associer (i ces desti- nces naissanles. C'cstun ronian plein d'altrnit etd'emotion que la luttc perpeluelle de la force morale, ou inlellcc- tuelle, contre les obstacles de la vie. Tautotle triste bcr- ccau de riioiume celebrc est entoure de langcs grossiers el frappe d'anallieme par la miscre ; tantot la position sociale s'oppose au dcvcloppcnient des faculti's dc eel etrc destine ,-i saisir la gloire, la fortune ou la puissance. II faulrcsister, il faut attcndre, il faut souffrir. La gloire ct la fortune sont Icntes a venir. C'est toujours la grande lecon chre- tienne, renseignement diviii de la resignation, de I'abne- gation et de la force morale. II est singulier que Ton ait jusqu'ici neglige de reunir et de grouper ccs souvenirs de la jeunesse chez les grands hommes ; ccpendanl lcs premieres clartes du jour qui s'annonce ont plus d'atlrait niillc fois que I'eclat splendiJe du soleil a son niidi. II arrive presque toujours que les circonstances e.^tc- rieures favorisent peu ou contrarient absolument les ten- dances de I'homme superieur. 11 est force de frayer sa route, et lcs obstacles le grandissent; chaquc combat ac- croit sa force ; il faut qu'il s'arme d'un courage ii toulc epreuve et d'une patience sans cgale, qu'il avance d'un pas ferme, comme le voyageur egare par I'orage , dans la nuit, et sous la brise au milieu des fondrieres el des abi- mes. Ce n'est qii'a cc prix seulemenl qu'il obtient la coii- ronne due a son genie. Toutes lcs jeunesscs d'hommes ciilebrcs sont difficilcs et entoureesd'epincs. Nous ne pouvons meltre la main a une oeuvre plus utile, ni entreprendre une tache dignedu but de noire recucil, plus avantageusc pour nos jeunes conlemporains , que celle qui leur niontrera I'heroique resistance opposee, dans lcs carrieres les plus diverses, au mauvais vouloir dc la fortune, par les Bayard, les Racine, les Amyot, les Des- preaus, les Napoleon, les Poussin. Peintres, sculpteurs, poctes, mathemaliciens, generaux d'armee, commercants, industricls, tons ceux que la gloire a couronncs, que la main de la fortune a cnrichis, que la reconnaissance des hommes suit dans leur tombeau,ont consacrc leur jeunesse etleurdge niur a une lulle acharnee, souvcnt hcroiquc. lis ont pratique tons la vcrlu chreticnne de I'abnegalion; ils ont allendu ct IravaiUe ; ils ont saisi la dcslinee corps a corps, et la recompense est venue les cliercher enlin. C'csl ce que nous ue pouvons Irop rappeler a nos jeunes conlemporains, dans une epoque oii chacun, des le premier 4d igc, voudrnil irnprovisnr la sloire, alisorber les jouissanccs, sc renilvc niailrc dc la fnrlunc, sans Ics avoir coiiquiscs ou niorilees ; oi'i la fureur dii succcs, le bcsoin de le rca- liscr avanl le combat, le dcsir insense de triompher avanl la hUlP, arment dii pislolel ou du poison, conime il cstre- cemmciit arrive a de jeunes bommes de IcHrcs, dos fonimos, des arlislos, faibles el ardeules natures, pressces dejouir, incapalilesdesoufrrir,i|ui nesavaientpas que lout s'acbt'le, el que la gloire cl lesueces soul a ee prix Nous nous ferons done les liisloriens fideles de celle premiero pcriode, si inleressanle dans la vie des liommes que le succes a courounes. Pious choisirons dans celle pe- LE COURAGE MOn.M DAISS LA JEUNESSE. riode de luUe, d'allenle, do soufrrnncc, les anecdotes les plus inleressanlcs ct les plus aulbiMiliques, qui s'offriront ii nos rccherches cl a nos souvenirs. z.a jzDsrESSE sx: van-dtck. Lorsque, en 1639, losbabilanlsdo Londrcs voyniont une barque splendide traverser la Taniise, cl un gonlilhommc de re^esance la plus rechercbec descendrc au palais de Buckingbam, traverser les apparlementset enlrcr de plain- Lc pabis de BiirkingliDrj. pied cbez le due ou meme cbez lo roi, ils ne se Joulaienl gucre que ce splendide seigneur, aux mauiercs si aisees, a lalivreesi eblouissanle, elail le fils d'un pauvre vilrier el peinlre sur verre de la ville d'Anvcrs, qui ne lui avail laisse aucune fortune. 11 se nommail Van-Dyck, el il merile dans la niemoire des bommes une place, non-seulementdislinguee,niais grave cl eminenle. Parmi les bisloriens-peiulres, c'est lui qui a reproduil, avec le plus de vcrite, dansleur caraclere reel, tons les bommes imporlanls de son cpoque, Cromwell, Charles 1", SlralTord: ils revivent, grace a son pinccau. On couvrail d'or les loiles de Vau-Dyck, el on ne payail jamais assez le commcnlalcur bisloritpie le plus brillanl ct le plus impartial de son temps. La mission de Van-Dyck .s'elevail au-dessus de celle d'un peinlre ordinaire. Marie a la belle heriliere d'un des grands noras de I'aris- locralic brilannique, le (lis du vilrier vecul dans I'elcgance la plus magnifique, au milieu d'amilies honorables el dans un luxe de prince. Aulour de lui la revolution grondail, la hache frappait, Temeule burlail, les maisons brulaient, les cbamps de balaille se couvraient de morls, el cepcn- danl Van-Dyck continuail son ceuvre, aime de tons les parlis, donl son pinceauconsacrait i I'avcnir les chefs cl les victinies. L'ascendant que prit son magnifique talent des son ar- rivec a Lomlres, dclruisil la rcpulalion el la forlune d'un autre peinlre llaniand, Daniel Mytens, qui, avanl lui, avail obtenu de grands succes. Un conleniporain nous a con- serve des notes relatives ii une conversation curicusc enlrc Van-Dyck el Mylens. « Vraimenl, mailre Van-Dyck, lui disai ce dernier, j'ad- niire voire beau talent; mais, en vcirile, vousavcz eu bien du bonhcur. Vous voila veluet logecomme unroi, el vous jouissez d'une consideration sans egale. Cerlaines eloilcs brillenl sur la tele des bommes predestines ; ceux-la laissent les autres plonges dans I'obscurite la plusprofonde. Je suis sur que, depuis voire enfance, vous n'avez pas eprouve une seulc traverse ! — Buvez d'abord un coup de ce vieux vm de Constance, cbcr confrere, je vais vous dire cela, repondait Van-Dvck au vicux ])eintre decbu qu'il recevail a sa table. Ma vie ct! la voire sc ressomblenl; elles out eu Icur ombre ct Icur liiniicrc loutesles deux ; moi, j'ai commence parlemau- vais cole : je suis desole, mon confrere, que ce soil par la que vous linissiez. Les bonheurs de ma jeuncsse sonlasscz curieuxpour que je vous les raconle en peu de mols. Mou pere, quin'avail pas de quoi nourrir sa famille el qui me faisait barbouillcr du verre pendant toule la journec, m'eveillait a qualre heures du matin pour m'apprendre les elements du dcssin : Dieu sail de ipielles larmes eufantines je payai d'avance ma forlune el mou succes d'auj lurdhni ! Quand il mourul, j'allai broyer les coulenrschcz Henri Van I'alen, el jefus en bullc,pcnilanl plus dc cinq ou six ans,aux mauvaises plaisanleries de lous les clevcs de I'alelier. J'c- lais balln a pou pres lous li'SJours,elje n'enirai dans I'ate- lierde ltubcns,conq)OScd'(''leves beaucoiip plus ages el plus graves, que pour echapper a celle perseculion qui ruinait ma sanle. Je crois que I'ou avail reconnu en moi qnolque talent, el qu'il y avail jiour le moins aulanl de jalousie que d'elourderie cbez mes jeunes compagnons. (1 Rubens, vous ne I'iguorez pas, elail un fort grand hdimuc dans noire arl el un habile diplomale. Quand il Tvp Lacrimpo ct Comp mi 7 .M;G'i'J CONTE DU MAT avail im eleve, dont Ic talent lui semblait devoir grandir, il I'cnvoyait en Italic avcc dc grands eloges, lui ferniant ainsi son alelicr de la ninnicre la plus lionnete, cl en memo temps de la facon plus utile a I'eli've. C'est ainsi qu'il se conduisil envers nioi. J'avais refait une partie des chairs cxecutees par le niaitre et que nics camarades avaient ef- facecsen jouant; il admira cede retouche. me couvril dc louangesetme donna inon conge. Jc n'avais pas un penny dans ma bourse .-jallai a Rome et a Gejies, oiijc lusle plus malheureux des hommes. Les peintrcs bollandais et lla- mands, qui habitaient I'ltalie, passaicnt leurs journccs au cabaret ; conime je ne voulais pas mener la meme vie qu'eux, ils me firent subir la perseculion la plus acharnee. Jc peignais maitresses et scrvanles d'a\iborgcs, pour un diner, quand ellesle voulaient bien, ct souvcrl je ne Irou- vais pas de diner. II me fallut aller a pied de Genes a Ve- nise, oii je gngnai comme jc pus ma vie en faisant des copies du Tilien et de Paul Veronese. Enlin, une grande toile que j'avais beaucoup soignee, nion saint Augustin, trouva des admiraleurs. On vouliit bien convenir que jc n'elais pas le dernier des peintrcs. J'avais alors trenlc- deux ans, et j'en ai Irente-neul. Du monientoi'i il fut prouve que je savais manier la brosse, il se (it une nouvelle in- surrection conlrc nioi : ma maniere n'elait pas celle du grand Rubens, ct Ton repcia de tons coles qn'elle clail petite, et que j'etais fail lout .lu plus pour la niinialurc. En France on me negligea, Ton ne (il pas la moindrc allcnliou a nioi; en Flandre je passai pour un peiulrc mcs(iuin : c'est precisement cc qui lit ma fortune. Je me rcjetai sur Ic portrait, seul genre que Ton daignat me laisser, et loule la cour de la Uaye tut peinle de ma main. Bientdt le roi d'Angbierre m'appola presdclui; alors jevoguai en pleineeau. .Mais, moncber Daniel, sivous voulez comparer mes annces d'apprenlissagca mes annces lieureuses, vous verrcz que j'ai acbele ces dernicres un fort grand pri.x. Mes epreuves ont dure vingl-deux ans, ma fortune dure seulemenl dcpuis sept annces, et sans doule n'en jouirai-jc pas longlemps encore, car je suis pblbislque et epuisc de travail. » En cffet le grand peintre mourut trois ans apres, a qua- rantc-deux ans. laissant plus de quatre cents chefs-d'tcuvre. LES MILLE ET ONE ]>ilJITS D'EUROPE ET D'AMERIQUE, ou cnor.x DES meilleuhs comes ESPACNOLS, .*I,LEMA>DS,A51EEICA1NS,ETC.,ETC OOMTE DU MATEI.OT HEINB.ICB. Suite (I). Commont le notaire TVappenbickel, au lieu d'apposer les sceaux, fut mis sous les scelles et devint imper- meable. « Celle legende, s'ecria Sa Ilautesse, ressemble fort aux lUillc H une Nulls, a cette exception prcs que vos nei- 'H Voir U premii-rc p.irlie, page 18, V numcTO. ELOT UEIMIICII. 43 ges, vos glaces ct ces sapins du Nord ne me plaiscnt pas beaucoup. Le solcil du Bosphorc et les cbanips flcuris dc la I'cr.se valent niicux. Mais voyons uu pcu ; que devicnt le notaire en face du geant en robe de cbambic, dont I'e- Irange envie etait de se faire arraclier une dent d'or? ^ Le petit nolaire, reprit licinricb, uc doutait derien; mais quand la bouclic du geant s'ouvrit et lui nionlra une 1-angee d'enormcs molaires el de terribles incisivcs, au milieu di'S(picllcs s'elevait a gauche, du sein d'une cavitc pi'ofonde, conime une colonne, la gigantcsque dent d'or, il trcnibla de tons scs nienibres ct s'ecria : — Laquelle? — La dent d'or ! hurla le geant. — Le frisson de Wappenbickel devint plus violeiit en- core. II insinua rinstrument d'acier dans la m.irboire du seigneur colossal, ebranlad'uncmain indecisc la dent d'or, qui ne ccda point a Taction nial dirigec qu'on lui faisail scntir, et vit les deux nains marcher a lui d'un air cour- rouce. A cette vue, pale comme la moil, il eprouva un affreux serrcment de coe'ur. Les trails de son client, sillonnes dc veines gonllees ct lendues, denotaicnt une rage effroyablc. Wappenbickel perdil toute son assurance cl tout son cs- poir, il demanda grace ctmercia mains joinlcs.Cepcndanl, soil que le grand seigneur fut dur au nial, ou qu'il dcdai- gn.it de sc venger, il se contcnia de jcler un regard fou- droyant sur I'opcrareur, ct, d'uii seul gcste, lui ordoiina de tenter un second essai. Ce dernier ne sc le fit pas dire deux fois, ramassa son in- strument, lereplaca, ctlira avcc toutcl'energie d'un bommo qui a peur. II avail rcussi : belas ! son succes n'avait etc que trop complet ; Wappenbickel s'ctait trompe ; la nvi- choire entiere clail suspendue a son acier fatal, et la dent d'or clail seule rcstcc inlactel I Au lieu d'avoir recours aux larmes el d'allcndrir I'ame de sa viclinic par ses pricrcs, il crut plus prudent dc In; tourner les talons et de prendre le large. Par nialhcur, un dogue rouge, au ncz noir, sc jcia en travels la porte en lui monlrant un ralclier terrible, qu'il ne semblait pas d'hu- racur d livrcr aux pinces du denlislc. Que faire? que devenir ? Wappenbickel tomba tout sim- plcmcntd genoux, pendant que le cbalclain, qui n'avait pas sourcillc, livrait sa machoirc endolorie el mulilee a scs nains, qui envcloppaienl soigncuscment d'une serviette dc damas violet le menton seigneurial. «Ab! chevalier! grand chevalier, magnaninie paladin! s'ecria le pauvre honime ; pardon, au nom des lois dc la chcvalerie, qui prennent la defen.se du pauvre et de I'or- phdin... niisericorde ! — Tu es (lui disait le geant, d'une voix sourde, que la recenle blessure rendait peu intelligible ) un presoniptncu.x etun bavarj. — I'itie ! — Ah! pitie!... tu n'aspas eu pilie de ma miichoire. — Grace ! — Non cerles... — Je suis un maladroit el un miserable ! .Mais la chcva- lerie vous ordonne d'cpargner le faible. — Abl lu ni'appreudras cc que m'ordonnc la chcva- lerie ! » Le notaire se tcnait toiijours proslcrne dcvant son juge ; sa Bgure osseuse, son velemenl cirange ct convert de bouc, ses mains decharnees et lividcs , sa voix daircct so CONTi; vibranlc ; sonalliluilc angiilcnsc cl Liznn-c ; son innffonsivo cpee, (lout la jiois^iice cfilcurail Ic sol, ot dont roxlremilii mciiacait lo plafond, tout ccla coniposait nn labloau dont iin romancicr niodcrne cut li dans sos momonts les plus noirs; mais le cliatclain se scntail pen dispose a la joie. Son front i-csla plisse commc une voile de navire adcmicar- guee: il repondit siir un ton pcu doucereux : II Allons, reptile ! pas tant de phrases, ni de sentences (locloralcsl .Ic t'ni proniis recompense en cas dc siicccs, chatiment si tu faisais des sottises; jo crois que je n'ai au- cun motif de me loner dc ton adrcssc, tu seras done puni. Jc ne sonc;e pas a te tner: ce serait trop d'lionncnrlc fairc, mais tu as en Tandace de m'apprendre les devoirs de sei- cnenr ct de chevalier, et je compte m'anraser a tes depcns. Pas de cris, plus dc moyens oratoires surtout; sans ccla jc le baiUonne, ct tu passcras (pieli|ucs heures tri's-maii- vaises. « Ah ! ma femme, ma femme ! s'ecria Waiipcnbickel. Est-il possible d'avoir si merveillcuscnienl bicn cxirail, si adnii- lement fait sorlirdeson alveole la dent decelte baronne ile- licalectcharmanlc, de m'elrc acipiilte dc I'nne des pins ilifficiles operations dc ma profession, et dome tromper ainsi qnand il s'agit d'une dent d'orl — Tais-loi, lui ditlc geanl.qnc les deux naiiis vigoureux cmporlaient, assis sur son grand fanleiiil. — Je me tairai, reprit bicn has le notaire ; je me sou- mcts sans replii|ne avos ordrcs ct a voire toule-puissancc. Vous me verriez sabir avec calme cl resignation Ions les supplices qn'il vous plairait de m'infliger ; ncanmnins, si la pilie n'esl pas cleinic en voire ame de chevalier , si (piehjuc ctinccUe dc charite briUe encore... — Silence, bavord ! hnrla le proprictaire du caslel. Esl- co ainsi que tu obuis ipiand nn maitre commandc? Marelic devant moi 1 » Le dogue ouvrail la marche, Wappenbiekel snivait tele haissee, elcetle procession pen triomphaleselerminaitparle fautcuil du geanl que porlaicnl les deux nains. A cliaque instant la petite cpce du notaire s'cmbarrassail dans ses jambes ; il lomba el fit bcaucoup rire Sa Mnjesle chatelaine. « Dc quel droit, s'ecria le seigneur, porles-lu celtc inu- tile ctcmbarrassante cpee? Es-tnclievalier? — De nom et d'armes, repondit en se relevant Wap- pcubickcl I — Cbcvalier dentisle? — Oui, seigneur! — Notaire, chevalier dentisle ! — Oni, seigneur. — Voila un nom magnifique et des amies bien jiorlees ! (Ilievalicr dentisle, tu n'es pas plus denlistc que clu'valicr ! Comment done souticndrais-tu le poids d'une armurc?Tn n'es guere que la moitic d'un hommel Mais attends, je corrigcraibienlol les torls de la nature cnvers loi. Je vcux le rendre le pins solide des paladins, le plus impermeable des preux, et le plus invulnerable des hcros ! » Et le geant partit d'un long eclat dc rire qui 111 relcntir ies voules golliiques el se perdit dans les longs corridors, oil se tenaienl ranges en balaille des nains dc tonics les -onleurs, amies de lances de poix resine, qui jelaienl an oil! line Ingubre clarle. « Marche, iiiarclie, » lui criail legeantl Le notaire compril qn'il fallail se rendre a une injone- lioii aussi formellc. Palpitant d'efl'roi, Ic visage cncoi-e |ilus lj:ilc et plusjauno que de coulume, il suivit, en cbancelanl, le chcmin que lui indiqua I'liomme a la machoirerompuc. Celui-ci leconduisil, par de loiigues galeries et d'immcnses cscaliers, jusi|u'i imc sorle d'arscnal, on claient appendues plus dc cinquanle armurcs de formes ct de grandeurs di- verses. Dans cctte salle il fallul, lion grc mat gre, quo le dcntislc-nolaire se dcshabillat, et qu'il arnnU son fragile corps de pieces convcnanl a sa taille ct a rexignitc de scs membres. Les deux nains qui avaient porte leur maitre lui scrvaient de fenimes de cbambre. Une fois arme de pied en cap, lorsqu'il eut attache un poignard a sa ccinture , et a.ssujelli son bauberl cmpanache sur sa tele, le ch.itelain le mena dans la cuisine. Lii, quatre nains, a peu pres seniblables a celiii ipii avail embaucbe Ic dcniiste, claient accroupis autour d'un feud'cnfer, dont les llammcs lournoyaienl en pelillant. C'elait un eirange spectacle que cette cuisine. L;i, sc trouvaient cjiars tons les coslumes imaginables apparlc- naiil aux professions les ]iUis diverses. « La folic de nos conlcmporains, s'ecria le seigneur, est de sortir de Icur profession, et dc faire tonic autre cliosc que ce qu'ils devraicnt faire. C'csl un tori que je corrige de nion niieux. Ce gros paysan, conlinua-t-il en soulevant nn habit grossier, voulail singer le bean gcntilhommc; je I'ai fail coudre dans les plus magniliques velcmcnls de bro- card el de soic ; il laboure maintenanl sons cc costume qui legene assuremcni. Void la dcfroquc d'une jcune femme, charinanle d'ailleurs, blonde ct gracicusc, qui courait les hois en amazone, se prctendant une gucrrierc dc premier ordre ; je I'ai misc a la tele de mes chasseurs, ct clle court les bois tout a son aise. a Monseigncur! monseigncur '. criail le nolairc, i[ue voii- lez-vous faire de moi? — Chevalier, rcpondil le geant, chevalier, denlisle el nolairc, je vais te sceller dans ton armurel llola ! mes nains, .a moi 1 — Oh ! seigneur, seigneur ! — Notaire, In seras sccUc chevalier, tu seras arme. Nains, ici ! — A vos ordrcs, seigneur. » Tons les nains s'agcnouiUercnt. Le pauvre '\Va]ipenbicliel clait plus niort que vif. — « Enl'anls, s'ecria le chalelain , voil.i un gaillard que vous m'alicz river dans sa cuirassc. Prencz vos Ublcn.siles ct faites voire devoir. » Aussilot les pelils onvriers. sans ricn repondre, saisirent noire dentisle, sur le front duquel la sueur ruisselail a grosses goutlcs. Us le placercnt sur une longue lable, oii. a I'aide dc melal fondu el dc fers rouges, ils coiniiieiiei'- renl a snuder ensemble les diverses pieces de rannure ipii rccouvrail rinfortune denlisle. « Faitcs-moi un chevalier de ce denlisle, » criail le geanl. Wappenbiekel, scntanl I'airain s'cchauffer et rulir sa pcau , sc mil a rugir corame un lion ; mais ses cris ne produisaienl pas plus d'cffel que les sanglols d'un enfant courbe sonslc foueldu maitre d'ccolc. En vain suppliail-il le chalelain d'avoir piliii dc lui ct de lui accorder son par- don : 'ses priercs ne furent point ecoulees. « Telle iDuvre, Icl salaire, docleur, rcpelait de temp? a autre Sa Scigncurie avec un sourire colossal. Une autre fois no le mele plus d'arracher les denl.s ;i un pcrsoU' nage de mon especc, el deviens un pen plus inodcstc en go neral. Identi(ic-loi mieux, mon cber, avec les moenrs d I'ancicnue chevalerie que in n'as jamais comprises. Denlisle, 1)U MATELOT HEIINRICII. .'il anaclie les den Is ! chovalier. Lats-loi liien! nolairc, fais lies actes J — Ah I nionseigiieur ! monscigneur ! voiis parlez d'or ! railcsgniccau notaireet aiulentislc,ainsii|irau chevalier.)) Les nains conlinuaient leur liMvail. Le marlcau frappait A I'lmps redoubles siir I'annurc. BiciUol eiiirasse, liauberl, corselet, tout fut all.iehe ensemlde, de facon a cc que la carapace d'airaiii envdoppait Wappenhickol. Le notairc (jlait scelle. Wappenbickcl, qui rotissail, fit enleudre de longs gemis- semenls ; mais avant qu'il ei'it le loisir de se reconiiaitrc, il se trouva casemate dans son enveloppe de fer. Sa toi- lette tcrmince, on le jeta sans complinientsa la porte, el on I'abaiidonna ii son sort. Libre, il rassernbla ses forces , et lacha de s'eloigner au plus vite duu lieu oil il avail etc si cruellcment traitc. II s'enfuit a travers les lungs corridors, sortit de la grande porte par le pont-levis abaisse; et au moment ou ilalteignait la plaine, qui s'etcndaitau-dessnns de lui, il enteodil d'affreux eclals de rire, qui semhlaieut s'ccliapper des ogives dumauditcastcl. Dernier trail de bar- Ijarie, qui lui fit verser deslarmes de sang. » Etre arme jusques aux dents, murmura-l-il, el ne pou- voir se venger ! Etre nolairc el se trouver sous les scelles 1 Etre denlisle et nc pouvoir s'an acher cetlc dent ! Ah ! cela cslaffreux, etjesuisle plus miserable des notaires, des che- valiers el des dentistes. Si seulemciit je pouvais ecorclu'r vifce damne cliatelain! n Comme il parlaitainsi, son oreilleful frappeedeshenjiis- scmentsd'uu clieval, qui .sejublait venir au galop derriere lui. Aussitut, saisi de pi'ur a I'idee de rcloiuber dans les griffes des nains qui lui avaient roussi la peau, il se tut el se cacha dans les broussaiUes. Ce n'etaient point ses Ijoin'reauK qui s'elaient mis a sa poursuile ; »n beau conrsier sans niaitre s'arrela non loin de lui pour broulcr les lianles lier- bes ([ui I'environnaient. 11 sortit precipilajnment de sa re- truile el chcrcha a saisir I'onimal ; celui-ei. plus agde que le uolaire double de metal, fit quelques bonds, el, d'un air narquois, s'arrela de nouveau a plusicnrs pas du chevalier. Le uolaire, qui d'abord avail voulu atlirer la hete a lui par la douceur, se courrouca bientol de cei:e resistance. II fit un immense effort et se mil a courir a loules jambcs ajjrcs le quadrupcde. Le terrain elail on penle inclinee; le uolaire sVmbarrassa les janibes dans dcsronces, la tele emporla le corps, el Ic voila roulant avecune grande rapidile de culbutes, saulant de disl.ince en distance, et enfin nc s'arrclant, dans cellc singnliere manierc de voyager, que lout au has de la col- liiK". Une telle chute cut pu facilemenl lui couler la vie; nous parlous, si son armure ne I'avail d'abord garanli do mainte contusion dans sa course, et surtoul si, au pied du monticule pierrcux, 11 n'eut pas rencouire par bonlicur un petit clang avec un lit bien moelleux de vase et de joncs. II roula comme un tronc d'arbre ; il sentit une duucc fjai- clieur, et cprouva une si vive emotion de plaisir, qu'il rest.i volon tiers dans Ic bain froid que lehasard lui avail procure. « Ah ! ah I criait une voix ricaneuse qui sortait du creux d'un arbre , voila un homrae bien trempe ! II a subi exac- tement les preparations de I'acier le plusUn : leleu et I'eau, rien n'y manque! » C'clail un nain qui parlaitainsi. WappenbicKcl, I'hominc trempe, des qu'il se senlit asscz rcniis de ses bn'ilurcs, sorlil de la mare et voulutse remettre en cheuiiu. A quel- ques pas de la il remarqua de nouveau le cheval capara- conne qu'il availdej.i vu. Us'approcha de lui et parvint celle fois a s'en emparer. Tout aussitol il Tenfourcba et le liit galoper dans la direction de sa demeure. L'animal, pen ha- bitue sans doule a porter un homme convert d'une annure, lit le paresseux ; mais, se sentant chalouille de.sagreable- ment par les eperons du uolaire, il prit le mors aux dcjils, el courul venire a lerrc. Le uolaire, dans la crainle de se voir jeler en has, sc cramponna d'abord au pommeau de la sclle, puis il s'a- bandonna a sa mauvaise fortune. II allait, il allail, les bras en I'air, raide comme une pincette de cheniince, a travers marecages ct lialliers, ot croyanl sa fin venue. II galopa ainsi jusqu'aux environs d'un petit mur delabre que le den- lisle recounul |iour lui ap|iarlenir. Arrivee la, la inonlure s'arrela brusqucinent. el le cavalier loniba stir le sol comme un sacde farine. Lorsqu'il revinla lui, ses regards ne Irou- vereui [ilns Touibrageux destrier; il se relcva du niieu.i qu'il pul, Iraversa dopin dopant son verger, ct cnlra chez III! ail moment oil sa fille ouvrail les vok-ls de la maison : il faisail jour. Lorsiiu'ils apoiTureiit le guerrier enipanadie, tons les ciifants crierent ii' I'envi. La maladc dk-nicme s'ctoniia dc ceUc siiiijuliei'C apparition ct Ul im geste de surprise. Ci't accucil Uii di'plnt. i< Silence! cria notre liomme de toute la force de ses poumons et I'rappant la taUe de son ganlclet de fcr, do I'afon a ebranler les vilres. Je ne suis ni le diable ni son nmbassaJeur. C'esl nioi, Wappenbickd, a <|iii Ton a ,jone Ic mauvais lour de le Iraustormer en chevalier poslielie, pour me punir sans doutc d'avoir fait Irois metiers. Mil si je n'eusse ete que nolaire, Tun ne m'aurait point mis lantot sur le gril comme une carpe. n La famillc nc comprcnait ricn a ee <|u'ellc voyait et en- tcndail; aussi cliaciin restait miiet ct la louche beante. Qiiand I'espece de fureur dans laquellc etail le iiotaire fut im pen calmec, il s'assit sur un escabeau et raconta son liistoire. Un voisin, que le bruit avait attire, ccoula les delails de I'aventurc, et assura le dievalier dentisle qu'il n'existait pas, a vingt lieues a la ronde, de chateau Bari- natibipildi, ce devait etro un mauvais genie qui s'etait amuse a Vaccommoder de la sorle. 11 aimait mieux avoir ete martyrise par un genie que par m\ simple geiitilhomme, et feignit dc se rendre a cette idee, bien qu'ellc lui pariit taut soit pen bizarre. Neanmoins il Alt bienlut force de reconnailre I'exactitiide du fait ; car, s'elaiit fait debarrasser a grand'peine de I'armure rivee sur hii, il deeonvrit qn'elle elait de I'or le plus fin, et que son iii,-|is nc portait aucuiie trace de bri'ilures. Cetle double decouverte ne conlribua pas pen ei remetlre le pauvre liomme dans son assieltc ordinaire , et lursque plus taril ilcut vendii sa liclliipicuse depouille, dont on lui donna 2,(J00 sequins, il se rappela delieieusement les frayeurs et les tortures auxquelles il avail clc expose pendant I'expe- dilion nocturne des montagncs. Madame Wappenbickd se relablil en deux jours, soit par suilcdes emolionsmoralesqu'elle avail eprouvees, soit grace a la perspective d'mie existence jilus douce pour I'avenir. En effel, son epoux, dcvenu tout ii coup le bourgeois le plus richedu canton, lit Lientot reconstruire ,sa ealiane, achcta quelqncs pieces de terre, une prairie, des bestiaux. et vii- eul de longucs annecs, an milieu des siens. Benissant du fond du cceur le singulier genie qui avait fait sa fortune, il se rappela les paroles du geant, suivit ses conseils et ne jiraliqua plus qu'un seul metier. La profession de dentiste fut abandonnce par lui, ainsi que la dicvalerie; il ne resta que nolaire, et, fidele ii ses devoirs, il lut cite dans sa province pour son talent et sa probile. Son caraclcre s'anidiora d'une maniere sensible ; iloux, alTable, compatissanl, il monira sans ecsse de I'iii- terct 11 sessemlilables, sccourut ceux ipii setrouvaienl dans le besoin, et perJit cctte indifference egoiste el glacco qui ledistiiiguaitjadis. 11 resta en activile jusque dans I'lige le plus avance, et, presque oclogenaire, il se rendait encore ;i jiicd ii son bureau sans crainte du vent, de la pluie on des frimas. prclendaiit que personne n'avail jamais ete ba- biUe aussi cbaiiJemunl que lui, ct qu'il ctait ilcvenu ini- permeable. u Belli soil, disail-il nn jourii ses douze enfanis, en leur raconlanl comme quoi on I'avaitsedle, lui notaire, dans In rliilrau ilu geant. belli soit le seigneur redoulable qui lu'a ANECDOTES donnecetleleeon!Ellepcutvousapprendri\mescherspelili qu'il faut en ce mondesavoirrester dans sa sphere, etue pas I |iri;tendre se ranger en mi'me temps sous trois drapeaux! Tout elat e^t liDUorable ; il est prudent ii chacun de garder le sien. Vouloir etre ii la fois jurisconsulte, medecin, et memo soldat, c'est le moyen d'etre toujours niikliocre, souvenl nul, et de devenir la risiie des sages. Je sais jiarfaitemcnt qu'il est assez de mode d'enibrasser dix professions d'un coup ; mais cela est folic. II y a dans nion discours de grands enseignemenls; je vous engage a en profiter. n ( Fin du contc dc llcinricU el dr la seconde nuit. ) ANECDOTES DU TEMPS PRESENT. I.I: GENOIS ET I.I: CALEHIEN'. (1839.) L'ame de I'homme renferme une aspiration si puissaiiie vers le beau moral, un besoin si vif dc raclieler, par do nobles actes.l'imperfection de sa nature, que les existences les plus deshonorces et les plus infiinies ressentent encore ce desir. On le voit edaler en actos de cliarite inattendus, en devouements qui etonnent. C'est peut-otre une des obser- vations les plus eonsolantes pour I'ami de rhumanile ; c'est aussi I'un des fails qui prouvent le mieux I'e.xcellence des doctrines qui repivsenlent comme possible la purillcation do rbomnic et Tamdioration par le repentir. M. Maurice Alhoy, dans un livre curieux sur un trisle et important su- jet (I), a cite un exemplc remarquable dece besoin moral de rhumanile. II I'a recueilli parmi les hommes le plus crudlement lletris par la socide et leurs propres actcs : nous ne pouvoris mieux faire que de rapporler la simple et touchante narration de M. Maurice Mlioy. « Au nombre des ouvriers libres du port de Toulon, sr Irouvait, il y a quelques annecs, nn Gdiois. Cel homme, comme la plupart des ouvriers qui vivenl presque en coiii- munaute de travail avec les gald-iens de la pclile faliriiir, laissait percer le senliment de commiseration que lui in- spirait la position des coupables. Parmi les forcats avec lesquels il dait en rapport journalier, il en dail un qu'il avait pris en plus grande pitie. Souvent il lui arrivait do ]iarlagcr avec lui ses vivres ; plus d'une fois la gourde qui contenait le vin de I'ouvricr lilire s'dait placec .sur les le- vres du condamno. Quand venait I'lieurc oil I'ouvrier libre regagnait son logis en ville, le Gdiois offrait au forcal le morceau de pain qu'il avait mdi.igo pendant la journee, et il ajoutait ce suppldiicnt ii la modiquc ration du bagne. Le condamno trouvait un adoucisscment ii sa peine dans cellesympathieque manifestait pour lui I'ouvricr. Leslieu- res daicnt moius longues quand le Gdiois dait au travail, les pensees daient aussi moins trislcs ; car I'ouvricr parlait au condamne de ses affiires, il ronlreleuait de ddails du menage ; cda brisait un pcu la monolonie de colte vie incessammcnl la nidnc que mdie rhonimedes diiuurmes. (I) f.i-.« Oiijiic, paf Maliiuc M\my. DU TEMPS Le Genois etait perc de famillo. Cliaque anniie sa I'enime allait passer quclque lemps au pays ct y porlait Ics econo- mies de I'ouvrier. Deja plusieurs fois, aiix premiers jours d'autdninc, le Ge- nois avail dit au I'orcal : Compagnunnc est partie pour ritalie. La compacinonne cstic nom familicr (pie les riverains de la Mi'diLi'rraiK'e donncnl a la femmc ([ui partage leurvie active el laliiirieuse. Une nouvi'lle annee s'ecoula, rei|MiMoxe etait veiiu ; la I'l'nimedu Genois avait coutunie de partir avaiit cette cpo- cpic, (pie redoulent Ics passagers, ct Touvrier n'avait pas aniiiiiic(i I'absence de sa fcnime au (orcat. Cclui-ci interro- 1,'iM lilranger, el I'litranger lui apprit (pic la compagnnnne n'avait plus besoin au pays : elle n'avait phis d'liconomies i'l y porter II y avait ii pen priis six inois (pie I'ouvrier, cijdanl.i uu mouvemenl d'ambilion, avail ris(pm ses epar- gncsdans une spiiculalion dc cabotage laitc de moitie avcc un )iatnpn de barque de Livourne. Le petit navire avail piiri. ct il ne reslail plus au Giinois (pie ses bras pour loule rcssourcc. L'ouvricr cut trouve encore du courage dans sa position d'boinine libre el dans I'assurance (pi'il avail de trouver du travail dans Ic port ; mais sa pauvre femme n'avait pas eu la force morale de supporter Ic sinislre qui I'avait frappde dans sa petite fortune : la compagnonne (jlait tombee ma- PRESENT. S5 lade, elle avail fait des delles, les cr(5ancicrs rcclamaient leur priil. Un propri(;laire inlraitable parlait do faire ven- dre quclqiies niodcsles meubles iiour se payer d'un loycr de vingl (;cus... el I'ouvrier, aballu, ct pcnsanl a cbaque heurc a la nialadic de sa femme ct aux cmbarras du me- nage, ne cessail de repeter : Povera conifagnona ! Un incident vinl un moment dislraire le Genois de ses Irisles priioccupnlions. Lecondanme, qui jusqu'alors avait paru prendre son supplice en patience, ct qui jamais n'avait fait entendre une plainle sur sa position, ful lout a coup saisi d'une profonde aversion pour cclle vie qu'il Irainait en expiation de sa faulc. Le discouragement seinbla I'at- tcindre, el plus d'une fois il s'exposa a la baslonnade li la- quelle il n'licliappa que parcc qu'on lint conipte de ses bons anlijcedents. La pensile de la fuite devint lixe cliez lui, el il oblinldu Genois qu'il favorisal son ijvasion en lui apportant un costume d'oiivrier. Le condamni3 avait bien miiri sou |ilan. II s'i'tait assuri; d'une cache dans le porloii il resterait^deux ou Irois nuils a I'abri des recbcrcbes. Ce temps (■coub', il savail com- ment gagner une retraite qui lui avail et(> rijviiliie par un camarade qu'ellc avail longlemps proti^gi;. Le forcal indiipia au Giinois la position de cette demeure secrete, el il lui fit prometlre de venir lui faire visile le cinipii^'ine jour qui suivrait son evasion. Toutes Ics circonstanccs servircnl a souhait le condamne. 11 s'efada, gagna un lieu solitaire dans les profnndes gor- ges des vaux d'Ollioules. 11 descendit a I'aidc d'une cordc dans une grolle naturelie. lieu de refuge des noinbrcus vj A NEC maUaileurs ([ui, A dcs cpoques i'loigmvs, infcslerent ces conliecs. Le I'orcal elait ilepuis (luelquos lieures en pos- session (le son asiie ; le sol rcsonna siir sa lute : un hommc gravissait ces cscariiements doiitil somblait avoir connais- sance cxacle ; Ic signal convenu fill donno : la iiierre qui cachail I'enlroe dc la gioUc loiirna siir elle-mcme, rechclle de corde fill lendiie, el le noiiveau vcnii desceudil : c'e- taitle Genois cpii vonait accomplir sa promesse. L'ouvrior, oubliant sa niiscrc, avail appoile quelqucs pieces dc inonnaic au fiigilif. Le condainnii les prit en soiii'iant, et il dit au Genois ; « Mcrci, vous avcz fait pour moi toul ce que vous avez pu ; a mon lour je vais laire ce queje pourrai. J'ai comple sur vous pour m'aider;je lie puis rosier ici ; je suis encore dans le deparlenicnl du Var, il I'aul marcher vers Marseille, car i'aimc micux elre repris dans le de((arlenient des Bouches- dii-RliiJne. — 11 faul espcrer, dit le Genois, que vous ne le seroz pas blus la qii'ici; car si vous deviez elre pris, aulani vaudrail pour vous elre decouverl niaintenanl. -Non pas, dil'le forcal; cela serailanssi bien mon al'- fairc, niais cela ne ferail pas la voire. (( Le forcal nc vaul ici ([ue 75 francs, I'ami ; plus loin il vaul 100 francs. » Le Genois ne comprenail rien au langage du fugilif. Le forcal fill oblige delui reveler sa pensce enliere. « .lamais, disail-il, le bagnc ne I'avail effraye. jamais I'amour de la liberie n'avait inquii'te sa vie de caplif; forcal, il s'elait habitue a sa posilion ; mais la pensce de faire une specu- lation au prolil de I'ouvrier lui elail venue. Dans les fers, le forcal ne pouvait, avec ses 15 on 20 centimes de pe- cule, venir au secours du Genois malheureux; evade, son corps nctpierait une valeur positive, valeur qui se capilnli- sait par reloignement ; et quand son corps vaudrail 100 fr. , alors il pourrait dire au Genois : « Prends-le. livre-lc; donne-le aux autoriles ; In recevras 100 francs; avec eel ardent lu payeias ton projirietairc, el la lemme nc nian- quera plus tie bouillon ni de tisane. » Le Genois dut so Irouver bien surpris d'entendrc un pa- reil largage ; il dut croirc que lajoie de relrouver la liberie avail dLM-ange les organes du fiigilif: mais cependanl 11 fal- lul qu'il linit par comprendreracle de devouemenl du cim- DOTES damne, quand ce!ui-ri le menaca de ratlaeher a lui avec une corde cl dc le raniencr ainsi a la premiere resilience de gendarmerie. « On verra, dit-il, garrottes ensemble uii honni'te homme cl un fniT.il ; on ne pourra pas croire que c'cst le forcal qui ramene I'lionnele homme, qui a pris Ic forcal... » L'eloqucnce du condamne persuada I'ouvrier, ctau sou- venir de la compagnoniic, une transaction sc (it entre les scrupules du Genois et la bonne volonle du fugilif, que Ic plaisir dune telle action seduisait plus que la liberie. Le commissairc eut bicnlot connaissance des nobles motifs de celle evasion; el, aprcs queb|ues jours, le fugilif avail re- pris, par une (aveur meritee, sa place aux travaux les moins faliganls du port. » ( Les Uagnes. } I.XS SOUTERRAINS DE -WATUNG-STHEET. Si vous jelez les yeux sur les gravures qui reprcsenleiit le vieux Londres ou le vieux Paris, vous reconnailrez .sans peine combien nousavons acquis, dans les derniers temps, pour la siirete , le bien-etre et la saliibritc. Cepcndant il y a aujourd'liui plusieurs giierres sourdes it vinlentes donl personne nc s'apercoil. el qui n'en soul ni inoiiis Icr- ribles, ni moins bizarres. L'une est la guerre des |iauvres contre les riches, guerre immorale et a laquelle on ne pent remedier que par la charite des uns el le travail bien orga- nise des aiilrcs ; — I'anlre est la guerre hidense des classes oisivcs et dangerenses contre la sociele laboricuse, el la defense de la sociele contre ces classes. il faul avouer que, d'unepart, les associalions uos ctrcs voues au pillage et au mal soul beaucoup plus redoiitablcs que par le passe ; d'nnc autre, que la surveillance et la de- fense publiqucs out cent fois plus de force qu'anlrelbis, et sonl soumiscs a des lois, regies par des previsions niillc Ibis plus savantes el plus eflicaces. Londres a aujomd'hui toule une armee de gardiens(;)o(icfmen), donl on a cii soin de rendre la situation honorable, si ce n'est honoree, el qui possedent la sagacite des liniiers, Icpoignelde fer des athle- tes anciens, cl la discipline des soldats. Chaque jour, de vieux repaires i|ui, depnis des sieclcs, abritaienl Ic crime cl le vice, tomlieiit et disparaisscnt: (Vieux Loiiilrc? ) ^ Paris la vieille Samarilaine, les rues de la €ile ; a Londres, | vieille Cile de Paris, dont les caves boueuses cl les lorliiou, quelqu'es rues infccles. Nous voyonsseclaircirels-epurer la I scnticrs prolegcaient depuis un temps immemonal lei DU TEMPS PRESENT. iVauiliilouscs innnnpiivros, ol sorvaienl d'asilc iiu.v liamlils; I'llcosl pcrc('e aujoiii'il'huid'iiiie graiido rue, qui I'assaiuira en raiM-aiil, sous le rapporl moral, conime sons le rapport pliysiipio. Lcs arches de iios pouts, ct spiicialcnient celles dupoiii Mario, souslcsqui'llcsserorugiaicnt les concilialju- les dos ISohcmifns noclunios, sont a pcu prespurgccs; les traces do barbaric disparaissenl ; lcs poulrcs antiques dc la Saiuarilaiue, qui deOguraicnt le Pout-Neuf, u'abriteut plus, commc en ISlO, line population de jeunes vauricns. Tons les aluirds dc la calbedrale de I'aris sont dcvenus prali- cables. A Lonili'cs, le meme travail, ronlrarie d'aillcnrs par I'cs- prit de liberie jalouse (pii ii'a pas abandounc ccllc nation, commence a s'opcrcr. CONOHES SOrTEBHAINE. CATACOMaGS DSS VOLEUAS. I£S CATHOLIQOES SOUS CHARLES 1°"' (Jiiiii ICii.; La villc de Londres viciit d'aclicter deux maisons siluees ilalis I'mi des iprirlicrs lcs plus populeus et les plus im- moMiles de eille vasle mi'lropole. Depuis lonpftemps ces inasnri's rrnulmlcs etaienl sip;nale('s a I'antoritc comme sorvani de repaire auxplus redontables niembres de la po- pulation dauqereusc qui sc pressc dans lcs grandos villes. Vainenienl vi^ilees par la police, clles ne ccssaieiit pasde soustraire .i I'aclion ct au cbaliment de la loi les bandits et leurs complices. Cela dinait depuis le regne de diaries II, c'csl-;i-dire depuis deux cents ans. Une fois eulres dans ces niasures mysterieuses, ceu\ que I'oii poiirsuivait s'evanouissaieni comme par miracle. On en fouillait tous les recoins, on descendait dans les caves, on surveillait les issues, mais en vain. Un vieux fabricant de cliandelles, qui ne vendait de cliandelles a pcrsonne, occupait le rez-de-cliaussee dc I'un de ces tcncbreux asiles;il souriail aux visites des ol- ficiers dc justice, lcs conduisait lui-meme avec une com- plaisance exeniplaire dans tous lcs recoins de son domicile, ctparaissait prendre un malin plaisir a les dejouer. On ue doulait pas qu'il ne recel.it le produit des larcins; souvenl on voyail eiitrer chez lui des hoiiimes charges de ballots el de marchandiscs. Les ballots dis[iaraissaient comme lis hommes ct Irompaient les invesligations les plus assidues. Enfin la destruction des deux niasures, donl la vllle n'a fait l'ac(|uisition que pour les mellrc has, a explique Tenigmc que deux siecles n'avaient pas pn resoudre et qui a brave cinq ou six generations de magislrats. Sous le comptoir dii vieux et di'shonnete marchand, une trappe, ou pluli'it une vastc dalle, qui se soulevait an moyen d'un levier, conduisait ii un labyrinlhe de galcries soulerraines, qui non-seulenient se ramiflaient dans plu- sieurs directions, mais aboulissaient a une maison situcic d un quart de mille dc distance. Le Irou de la trappe res- scmblait ii un puits, et un vasle panicr, auqucl une masse de plomb servait de contrc-poids, descendait imniedialc- ment dans les profondeurs de ces cavcrnes les marchan- discs voices, accompagnees du malfaiteur qui s'y |dacait. La dalle, refermee aussitot aprcs qu'il s'elait assis dans le panicr, ne laissait aucun vesiige de ce passage, ct la poulrc frollee d'bnile operaitson evolution sans aucun bruit Ces caves, ignoreesde toullemondc, forniaient commc uneviUc soutcrraine mi sc Irouvaicut des inagasins, des cuisines et jusqu'a des oublicltcs ; on y trouva plusieurs debris hu- maius, prcuves des crimes affreux qui s'y commirent. L'interel singulicr que ces trisles repaires inspiraient lit naitre une speculation etrangc ; on specula sur la enriositc : on distribua des billets pour les visiter, ct le public s'y rendit en I'oule. Les savants vouliircnt cnsuile en connaitre I'origine ct rhisloire. On decouvrit que I'une d'elles fut habilee, vers 1080, par I'uu des personnages les plusodieux des annales liritanniiiues, Titus Oates, le calomniatenr ct le bourrcau. Get invcnicur de conspirations fausses atlribuces aux catholiques en fabriqua une sous Thai'les II avec taut d'lia- bilelc et de sueces. ((u'il envoya d'un coup cent cinquanio ou deuxcents catholiques iunoccntsa rccbafand. « (^ommo il servait la passion ]iopulaire et gencralc, dit un ecrivain anglais (1 ), il fut a pcu pres canonise par lcs protestauls. Lc roi calliolique Jacques lui fit donner le fouet a la queue d'linc charretle cinq fois par annec, el le condamna li la prison perpeluelle. » Quand ce dernier des Sluarls regnant fut expuisc, Titus quilta sa prison , alia vivre dans lc pa- lais du nouveau roi par ordre special du parlenieni, et loucha 4,000 livres sterling dc rente pour avoir sauve I'Elat. C'etait Marat pensionne. II parut sous Jacques II, dit un autre savant modernc auqucl nous empruntons ces curieux details (2), sous le litre de Gcmissemenls dc Jack Ketch , une hisloire com- plete de cet excellent Tilus, par un de ses anciens amis; ouvrage oii tous les bas-fonds de la societe anglaisci cette epoquc se revelent elrangcmcnl. On suit noire homme chez les analiaptistes : c'elait la communion de son pere; — sur le pool des navires ; il avait etc cliapelain de vais- seau ; — au college des jcsuites de Pouai : il y avail etc no- vice;— enfin, dans son logement de Liltle-Flrilain, fau- bourg indcccul, gueuserie immondc de Londres. Ce livre est rare. On ne sera pas fiiche de lire jci qiicl- ques fragments de cclte vie Irempee de vin, dc polilique, de religion ct de fange. .'^ujourd'liui nous nc sommcs pliij aussi poctii|iies que cebi. Nos vices sont administrcs regu- lieremenl, muis fai.sons la police de nos crimes, nous avons pour nos immondices sociales des lombereaiix bien orga- nises. Mais tout elait miile alors ; de profondes leiiebrcs remplissaient les repaires, au fond dcsqucls grouillaient inesplores les reptiles et les monstres; tout ii coup, de leur retraite, ils s'tdancaient juscpie sur le trune; et ricn n'est curieux comme la .scene snivanle, on I'on voil Titus, encore ivre de la mauvaise biere de sa tavcrne borgnc , et lout impregnc des senleurs de ce bouge, apparailre rayoii- iiant devant le roi et ses minislres. 11 denieurait dans Ned-Alley, d'oii Ton apciccvait la Tamise, et qui elait une espece de yw, ou pliilotde boyau l'.uigeux,conduisanl par une penle mareeageuse jusqu'a cc lleuve , senddable ;i une mer. Dans le llux , on avait de I'eau jusqu'a mi-jambe dans lcs caves; c'etait la Icrreur des hoinmes dc justice que ces parages, oii ils ne s'aventu- raient guerc. Lcs habilants de la ruelle , aussi sauvages que les indigenes des cotes d'Afrique, avaicnt creuse des puils dans ces caves menies. ct loul agent qui leur resis- tait ou leur deplaisait elait conduit la jjour y pcrir. Titus, (tj M. il'l^rapli Pl'I'C, Cnriosilt^s litlcraires, (2) JI. Pliilaiiic Cliaslcs, procssrui- au collfge ile France. rio ANECDOTES qui vivait clans uii Ac cos dnmicilos ,i dcmi aqiinliiincs, I'lait appoU' dans Ic qiiailior Ic chiiprlain. 11 avail imiir son service pcrsoniiol iiii joiini" mousse qii'il rossail loiitc In journec, et qui jnuissait de la plus niauvaisc repulalion. C'etail Titus qui raligeait Ics lellres dcs coiUrebaiidiers. )cs comptcs des volcurs, ct qui U-nail lours livres de rc- ccl. Taiitot il elait pave, taiUot il nc I'olait pas, ce qui lui coustiluail une vie peu profitable, et faisait retcnlir le laudis de cjucrellos I'rcquentcs. SICK IE BESOSSt. Une des pratiques les plus lialiluelles de ce mallieu- reux Titus elait Dick le Desosse, qui possedait vingt ou Irente metiers difforents, tons dignos du gibct. II elait contrcbandier de torre et de mor, mcndiant , volour, et avail etc aidc-bourreau. Get bomme jouissail de la faculte singuliere do dcmon- ter a loisir sa charpente osseuse, et d'assumer ainsi pour soncompteloutes Icsespeccsd'iiirirmites. Use faisait bo-isu dans loutes les directions , rendait ses jambes cagneuses ou arquees , enfoncait sa tote dans ses cpaules, devenait cul- de-jattc, et pelnssail son proprc corps comme uu p.ilissier pctrit sa pate. A la llexiliilite dcs jointures il iiuissail la souplesse incroyabledos chairs ct des parties inollcs, de nia- niere a se transformer rapidement en boule, en fuseau.otc, et asejeter pour aiiisi dire dans tousles moulcs. II n'yavait pas de signalement possible a donncrdo ce Prolee bumaiii. 11 ecbappait a loutes les poursuitcs et a toutcs les accusa- tions. Son incroyable agilite luiservnit as'evadcrde loutes les prisons, el, une fois sorti, il cbangeail de figure, de taille et de bossc. II babilait de I'aulre cute de la Tamisc, dans un mauvais hovel mine , d'oii il pouvait diriger les mouvcmenls de ses petits bateaux, qui servaicnt aux depre- dations nocturnes de sa bande. L'anii do Dick le desosse, Titus, qui passait pour un savant homine, et qui dans ccs parages avail le renom de banter bonne compagnie, avail iudi(|ue a ce meme Dick quebpics bnns coups a faire. Toule une cargaison de tabac avail ele dcvaliseeau detriment du doyen de Westminster, qui avail du recevoirce cadeau d'un minislre bollandais de ses amis. Dick, conseille par le cbapolnin Titus, cscamota la cargaison et enivra le pilote bollandais. Mais il ne payait jamais la part qui revenait naturellement a Titus. CeDick, dans sa jeunesse, avail etc valet d'un calbolique, el Titus, le faisant parler apres boire, avail oblenu de lui beaucoup de renseignements sur les intentions secretes ct sur les plans vagues de cette parlie sacrifiee el conspiralrice de la population anglaise. II en lira un grand parti pourperdre a In fois lous ses ennomis, el speoalemont Dick. Le matin meme du jour oil il alia fairo sa premiere de- position contre les pretendus couspirateurs catlioliques, Dick le desosse lui avail joue un tour abominable. Titus elait scnsucl et ami de loutes les voluptesde son corps. II prennit une (pianlile considerable de tabac, auquel Dick eut soin do meler celte poudre alors connue sous le nom singulier de hcwilching-powder, el donl rel'fet ctnit de plunger dans la lutbargic la plus profonde ecus a qui on I'adminis- trail. Le mecbanl Dick, apres de copieuses libations de btue-dcvit (eau-de-vie de grains ) el des prises non moins frniuenles administrecs au cbapelain , avail fait signer a re dernier, donl il avail dirige la main cngniirdie, un reni total el dellnitif des sommes dues ,n lui, Titus, par desosse. On retrouva le cbapelain ivre sur les d( marcbos de sa cave, les pieds pendants el baigm I'eau qui en couvrail lo sol a sopl ponces d'eli ' Sans doute Dick avail pousse la complaissnnce jus . porter la Le .soir dn memo jour, a cinq beures , le grand etant rassemblc aulonr dc la table couveric de niiir, on amena Titus devant les ministres el le ri les II. « Voil.i, dit le monarque, qui aimait a rire, un- ' qui n'cst pas nn visage; c'est un menlon.)) En cffet, le menton de Titus usurpail prcsque ; pliysionomie. Ce menton avail pros de trois ponces lalail insulemment au-dessous d'un nez qui n'avait ; deini-pouce, el d'un front eiroit qui I'uyait : ce n'l une tele bumaine. "Tilus, (pie j'ai vii ce matin (ainsi s'exprime de la biograpbio ), avail mis ses plus beaux bnbils ; lout on noir, avec un cbnpeau a la calviniste. 11 v lui un melange d'argol, de Bible, de ton militaire, gon maritime, le tout reconvert d'une epnisse coucl pocrisie grossiere. Sn trnme dc pretendue conspir deroula devant le conseil ol fit sourire le monnr(|ue. Sbal'lsliury la trouva fort vraisemblablc ; le fail e avail interet a In Irouver telle. Ce minislre, cbef po| n'eut pas besoin de s'entendre avec le cbapelain pour qu'ils marchassenl d'accord. Titus lit eiUrerd. conqjlol factice, cl signala au gibel, ccux qui lui saient : les jesuiles de Douai qui I'avaient cba ca|iitaine de vaissenu qui I'avail cxpulse , le pauv comme espion des jesuiles, les cpiciers auxipiels i de Targent, les bourgeois qui avaienl refuse de cro • saintetc : — et tont cela ful pendii comme catboliqi En remontant plus baul dans I'bisloire des deux n et en cbercbant les premieres Iraccs de leur fondatii decouvrit que ces sonlerrains, souilles dopuis deu ans par lous les crimes, avaienl servi, sous Elisabe' ques I" cl Cromwell, a derober aux perseciiteurs bourrcaux les catlinlicpies proscrits par le cnlvinismi re.viendrons sur leur deslinee el leurs malbenrs, ai rieiix que peu connus. En genei'al ce qui manque i' nnles humnincs, c'est fhistoire des vaincus el des pr^ (La suite il uu prorlluill iiumoia.] I -UNE BATAIIilE RANGEE EM IRI.AK IlECIT DU CODE Dl! COLdSn. ' (15 seplembrc iB\o.) ... « Vous savez enmbien depuis dessiecles rhuine liquense dcs Irlandnis ct leurs querelles de villa;, sanglantes et formidablcs. (ije resscnlis une vive afHiclion de ne pouvoir, air-"!! sv- rivee au prcsbytcre, apporter aucun remede a ce r veterc. II Les jours de foire etaienl ceux oii leur furcur r so diiployait spccialenient, cl mon autorite de pasti tail sans inllucnce. Le jiouvoir civil el militairq vtiijil I f>U TUMI'S niissi (I'l'diouoi- coiilrccelle ferociti' iiivi-tiiri'O, conlroccltc lialiilmir il'uiic vicsaiivage. « C'Olail le 5 aofit 1818, un jour dc foirc. Lc cicl rcsplcn- ilissait do loiile sa gloirp, ct la licUe valliic do la Siiir of- IVnil iin aspect ravissant. Je sortis dc nion pi-esliytorr, jc pravis 1p snmmot do la collinc, coiironnco drs niiiips d'lino fortorcsso, doiU Ics Josr'^s inlcricurs out rcisislc au tomfis. (I Je ni'assis. .lc mo plus a suivrc do I'lPil Ics longs dolours docoUe rivinio si claire ct si profondo, si rapidc ct si pai- siljlc, (jiii f-ilsait mouvoir dans son conrs dcsmoulins nom- lii'onx, ol, sans dcliordor siir scs rives, I'oniplissait d'linc nndc ahoudanle lelilvordoyant quo la iialui'olui avail Iraci'. Voila, nio dis-jo, lc vrai symbnle du gonic ct do la vcrtu; c'cst dc I'l'norgio sans violence, do la profondciii' dans le calmc, ct dc la ricliosse sans exces. Au niiliou do ces medi- tations, mes regards so reporlerent surlc village dc Golden, ipie la Suir traversait pour allcr so pordrccnsuilc dans des champs cnuvcrts d'opis et de liouldon. Pics du village une foulo nomlircusc'ctait rassomljlce. Lc silence qu'elle gar- dail m'otonna, il contrastait avec la joic do la nature autant qu'avcc lo caracterc irlandais. Uu Irlandais no conclut pas marclic, fut-cc pour un soul penny, sans olorpicnco, sans discussion, sans clamours, sans contorsions voliemonles. Tout etait calmc ; los uns rcstaicnt assis sur Ics fosses do la route, d'autres formaient dos groupes epars sur la place du niarclie. Aucun diisordro no trahissait encore les inlcniioiis mcurtriercs quo jo commoncais a soupconnor. Accoutumo commo je I'titais a la loquacitc de mes paysaus, a leur ac- tive turbulence, :> leur ctrangc moljilite, jo no mo Ironipais pas; vengeance clicz les uns, terreur clioz les autres, cliez lous prcssenliment d'lm procliain danger, arrctaicnl le cours ordinaire el tumultuous dc cettc gaiele liibornoisc, dcvenno proverliialc dans les trois royaunies. (I Un bruit do clicvaux et d'armcs sc fit entendre ; jo mo rolournai, ct j'apcrcus vers la gancho dc la colline un do- tacliemeul dc cavaleric acconipagnc dc magistrats a clieval ct d'un balaillon d'iiiranlcric. 11 ctait evident que Ton s'al- tcndail A un niouvcniont, que los fonctionnaircs civils avaicnt clo provonus. et qu'une scone dc tunuilto el dedcs- erdrc allail avoir lieu ; jc mclrilai de dcsccndrc, lo cfour I'RIiSENT. .'>7 rempli dc Iristcs previsions ot dc In rour La loire allail so Icrminor, on s'ctait hale de conclurel'acliat ct la vonlc dcs bcstiaux; personno n'avait songe a marcliandcr ni a siir- faire. On reployail los Icnles, el los paysaus, ramonant au logis lours vaches ct leurs brohis achctees, scmhlaicnt im- pntionls de laisscr champ lilire aux deux parlis. Alors la tronipellc sonna ; los troupes dofilcrcnt. Jo me trouvais au milieu de la foule, et mon opinion personnello elait quo ccs solilals, appoK's pour coniprinier rcnieuto. haltaicnl on ro- Irailo lioaucoup Irop tot. 11 y avail dc lourdes massucs ontre les mains de qnclqucs linnimes gigaiilesi|ues ol denii-nui des couleaux el des dagues ,i demi caches dans la jaquetit hruno dcs paysans ; partoul des regards do haino cl dc I'u- reur concontree. Je vis un vieux caravat cmhrasscr son enfant Ics larmos aux youx. J'enlendis do sourdcs maledic- tions, qui semblaicnl n'altendro pour cclatcr quo lo mo- ment favorable. (c A peine les .soldats furcnt-ils eloigncs d'un quart do millc, un sourd hurlomonl emanc de cettc multitude an- nonca que la digue opposcoa sa violence ctait rompue, que toule sa ferocite allail sc donncr carricre. A cc cri .sucecda unc pause plus terrible, un moment de silence plus rcdnu- lalilc que I'clan de rago dont les cclios des nionls voisins ropclaicnt Ics deniiers sons. Les rangs sc formercnl, les deux troupes cnncmies, fortes dc qiiinzo rents hommes au moins chacuno, mais qui dcpuis longlemps s'claieni pri- veos, pour obeir aux predications dc lour cure, di\ iilaisir dc s'ciitr'egorgcr, s'avanceront dans la vallcc. C'etail dcs hommes a demi nus , veins du costume ordinaire dcs paysans, brandissant de lourdes massucs on agilanl di couleaux, des poignards, des glaives, des faux. Un petit enfant, qui trainait un sac sur la torro et qui criait {lc Iciulo sa force « vingt livrcs sterling pour la tele dc la vieille «vesto» preccdait la troupe des caravals. En inoinsd'une minute la troupe cnncmic dcbusqua des bulssons voisins, et Pcnfant, qui scrvail de heraiil a la troupe dcs caravals. tomba sur la Icrrc halgno dans son sang. 0 Ah I monsieur, ;i cc spectacle lout mon sang so glaco. Je n'eus que le tem|)s do courir a mon presbyterc ct d'en sorlir avec la bannicrc ct la croix. A cct aspect, los deux armcos frojieliipies tnmborent a •■' gpnoux ; e!bs liais- I til du s( in ilc cos nias:,rs, nrui un gornisMincMl ni un cri, saicnl lour from, honteuscs el pommc ropen'anlcs. II s^u-- | m.-,is im long ol profoud sanglol. fl'lail choso rnrrvelllciino "!) ANECnOTES tlU ipic CO I'CiiionIs suIjU ili' lout mi iiciiiili'. .Ic scnliiis line airiiii [irolcclricc qui s'el.nit (iliicn' sin- inoi cl iires ilc moi. « Ccl L'lranj;o cl donx specliiplc roiiorla ma pcnscf vers rs leiiips liai'liaros, on la cniix ile .U'siis-Clirist apaisail li'S rronosics ijiii'mpres dcs |in|iiilalioMS. En efrnl. c'esl la roli- c;tOB ilrla svm|i.ilirM' I'l ilc I'lnniiaiiilc''. » ( Dnbliu I'nirersily magazine.) L-INCENSIE DANS LA NEIGX. (GODIlESrONDASCE PMITICBIIEHE.) Saint-Pi'lcrslioiirs, ) ! scpirmliT )843. « Jc vions d'assistcr n\i |ilns sin5:nlior, an pins afl'ronx, 11'.S rilESENT. d'une hechc. avail hri.se les planches lalcralcs du Iroudu sonfllenr, lomlicau vivani, d'ou il avail lire soixaulc per- sonncs a demi suffoquees. Cellc recompense elait d'aiilant micux plaeee, que dans les pays od Ic gouvcrnemeut as- sume sur lui seulla prolcclion paterucUe dc tous, chacun se niainlient volonliers dans une quietude complete et unc apatlne ego'istc. 11 Je me Irouvais an milieu des moujicks el des paysans, qui sctenaicnlles bras cruises cl I'a'il sans regards, en face des llammes qui se lordaicul en gremissant, des malhcureux qui cxpiraient dans la neige ou Ic fen, cl des torrents dc I'lnncc qui vcnaienl jusqu'a nous. L'hahilude dc I'obcis- sance passive cnlrainc co danger, que rcmpcreur a fiu-t hicn senti.n ( Abdlk du Nord. ) Z,A BATAII.I.E DE Xi'ISLI? hacostee r.\ii us mahocain. Les nnlioiis sc perdi'nt commc les hommes par lacredu- lile ct I'orgucil, par rohslination et raveuglemcul. On esl sur de sa mine, quand on ne comprcnd ni les ressources el la force dc ses cuncmis, ni sa propre faihlcsse. Le maho- rai'lisme, tonics les fois qu'il s'esl Irouve en facedu chris- tianismc, a du avoir le dessous, ctchaiiue jour son abaisse- ment doit dcvcuirplus profond et plus marque, parce qu'il ne renferme pas les seraences du progres, la force de la civilisalion. Tout s'y petrifie ct y rcsle stagnant. Le chris- lianisnic, au conlrairc, est protecleur dcsarls et de la pen- see : il favorisc Eetude, la science, la sympalhie de I'liomme pour I'homme. Loin de repudier ou d'ctouffer Ics lumieres, il les propage. C'cstalui (|ue la civilisalion de ITurope moderuc sc rapporlc. Qu'altcndre d'une populalion brave, dcvouee, industrieusc,maisasscE pcueclaircesur Icschoses d'Europe , et sur les nations chrclicnnes , pour que la lellrc suivanlc, leltre aulhcntiqne el rapporlee par uu jour- nal du Caire, ait etc ccrite de bonne foi cl luc avec con- fiance'.' C'esl la narration musulmane dc la victoire receule que les armecs francaiscs out remporluc dansle Blaroc : Teluan, 26 oclobrc ISU. « Vous me dcmandez Jes details sur cc qui s'esl passe chez nous. Allah a permis epic nous fussions indiguement Irompes par lis paroles du chef Chretien. Deux ccnls bons musulmans out siiccombe ; el Ic parasol sacre esl aux iuli- dcles. Voici la vcrilii, jc vous la garaulis sxir ma lete. « Aiiisi nous snmmes punis dc noire credulile. AUali nous viennc en aide! H Les deux armecs elaicnl en presence lejciidi. Alors Ic mari'clial ccrivil.au general marocain qu'il elait venu pour lui fairc la guerre, mais que le lendemain vendrcdi elanl Ic j jour saint lies musulmans, il le i-cspcclerail, el que commc ' le dimanche, jour saint des Chretiens, n'elailsepareque par un jour du vendrcdi, il ne valail pas la peine de sc battrc pour un scul jour; qn'en consequence il ctail convenable cl orlhodiixc dc remcilre la parlie au lundi. Le general nuisnlman acceptala proposilioii du marcclial, cl sur la foi dc cellc leltre, les vingt-six mille hommes dc I'armcc ma- rocaine sc disperserent ct atUrcnt a la cUassr. II rn res- bEAUTES DE LIIISTOIRE DU CLEllGE HE EH.VNCE. ■>9 iiu'au regno de Louis XIV. BossucI ii'ayaiil |ns vcicu asscz tail a peine a la garJcdu can)|i deux cents, (|ni memc dor- maienl, lorsque arriva rarmce franraise fnii tua les dor- meurs, cl enleva la leule el le parasol. » Cos vingl-si.>L millc hommcs qui vnnt a la cliasse, sur la parole d'un niarechal, nous semblenl une dcs plus heu- rcuses iuvcnlions du ronian liislorii|ue. C'est ainsi que Ton ecrit riiisloire chez les peuples qui ne rcnouvellent et n'e- Icndcnt pas leur gejiie par leurs rapports syiiipalliiqucs avec les autrcs races, ct par cet echange de luniiures d'oii k civilisation diipeml. ( Courrifr dc I'Oiient.) BEAUTES L'lIlSTOIRE DU CLERGE DE FRANCE. BOSSUXT. srnE{t). Un mdrilesi eclalant ne pouvait rosier sans recompense sous nn regno comme celui de Louis XIV; reveclie de Con- dom etant vcnu a vaquer, Ic roi le donna a BossucI, le 13 seplomhro 1669. Ce futdepuisson opiscopat qu'il fitses immorlclles orai- sons funtdn'os. Voltaire trouve que cclle de la rciiie Anne d'Autriche n'etait pas encore tout a faitdiguede son gonie; inaiscellede llemielte dc France, reine d'Angleterre, oi'i se trouve le portrait si admire de Cromwell, ne ful edipsec que par los Irois chefs-d'oeuvre, qui sont los diamants de leloquence francaise : les oraisons funebres de Le Tellier, dc JIadame llenrielle d'Angleterre et du jirince de Conde. L'amiee memo que Bossuet fut nomme a reveclie de Con- don>, Louis XIV le choisit pour preccpteur du ilauphin ; Ic grand orateur accepta par obeissance, et se demit aussilol de son evoche, sa position a la cour lenipochant de pouvoir rcmplir los fonctions episcopales. M. du Cluilelel, I'un des quaranle de rAcadcmie francaise, elanl niurt, I'au 1671, Bossuet fut elu a sa place, ot remercia ses nouvcaux con- freres par un discours dont 51. de Bussy disnit, dans uiie dc scs lettros : « J'ai lu le compliment dc M. de Condom i\ rAcademic; il est beau; cola ne me surpreud pas, il ne fait rieu qui nosoit de cello nature. » Bossuet s'occupait alors do reducation du daupliin. II elait aide par le savant lluet, depuis cvcque d'Avranelies, cl par le due de Monlausier, gouverneur de ronfanl roval; a eux trois, ils ne parvinrenl qu'.i faire un Imninie medio- cre, ctce ne fut pas lour faule; il est impossible au plus habile lapidaire de faire d'un simple caillou uii rubis on un dianiant. Si la tele du daupliin resia creuse, en d.'pil de la science que Ton y vcrsait, son education prodiiisit en re- vanche un olief-d'ceuvre dont la duree egalera cello de la langue francaise; nous voulons parlor du celehre Discours sur Ibisloire univeisello, qui fail de Bossuet le premier iiistoncn du mondo certaincment. Cet ouvrage immortel devail eire suivi d'une sec.mdc partin qui rout conduit jus- (4) Voir Ic coinmoucciiioiil dc cet .iilitlc aa I" nu lUltrit, iiajir 13. longlem]is pour conslruiro ce nioiiunient de granit el dc marbre, un froid ccrivain, les gensniediocrcs onl uii aplomb d'amour-propre vraimcnl surprenani, osn s'cn charger, cl cello mervcille d'eloquence, d'crudition, de logique el de genie cut pour complement la chronique decharnce de M. de Labarre ; les ancicns, miens avisos, euronl le bon sens et le bon gout de laissor inachove le dernier clief- d'ojuvre d'Apelles. Ce fut ]iour I'usage du dauphin quo Bossuet composa un ouvrage admirable aussi, quoique moins colcbrc : la Politi- que liree des proprcs paroles de I'licrilure sainto. Dans cello noble composition, le moralisle clirelicn osa tracei d'uue main forme cl bardie les devoirs des rois, et pres- crire a des princes, absolus alors, la droilure de cicur, Pamour dc la soience, de la vJrile et surlout do la religion, cette base sacree dos empires, qui ne vacille jamais sans que les trones trcmblenl. Bossuet, quoique fori occupe dc ses devoirs aupres du jcune herilier presonquif dc la mo- narchic, ne perdait pas de vue la cimvcrsion des prulestanls ; il publia, en 1671, une exposition de la doctrine calboliipic revetue des approbations des archeveques de Reims, de Tours, des evcques de Clidlons, d'Uzes, dc .'ileaux, de Gre- noble, de Tulle, dWuxerrc, de Tarbes, de Beziers ct d'Au- lun ; cclle de I'archeveque dc Paris manquait ; BossucI s'cn consola en oblenant cclle de Borne. Ce livre opera uu grand nombre de conversions, el Bas- nage convenait de bonne foi qu'il avail fail plus dc tort au protcslantisme que tons les gros ouvragcs de conlroversc qu'on avail publics jus'|uc-l;i. Au milieu de ses nombreuses occupations, Bo.ssucI, qui Irouvail temps pour le delassemcnt et temps [lOur le travail, suivant le Conscil dc rEcrilure, s'elail forme une petilc so- ciete d'lionimes d'olile au milieu do laquelle il aimail a se promener dans une alloc du petit pare de Versailles (ju'il affiTlionnait plus parliculieremenl que les autrcs, pour sa .solitude sans doule. La cour brillante de Louis XIV. com- posee de gontilsbomnios habitues ,i joucr, au fond de lours chateaux, le nJle do pelils souverains, se (eiiait mo- deslemenl a distance ot abandonnait .i I'homme de genie doul la gloirealtirail sa veneration, cette allee favorite cpi'oii ap- [lebit , par une allusion spiritucllo aux promenades de Pla ton dans les jardins d'Acadcmus, allee des pbilusophes Lorsi[ue Ic roi le plus niajestueux de rEurojio apercevail de loin, dans cette partic reculee du pare, Bossuet, accop pagne dc FeMielon, de Ptdisson, de I'abbe Floury, de Bruycrc. el d'autres hommes einiiienls, qui so faisaier..- .gluiro d'etre des disciples , il le designail a ses courtisaiis et murmurail avec un sourire oii percait une nuance de respect : Cclle grande calotle m'mijjosc .' Elle lui im|iosailen effetan |ioint qu'au mcnienlde-»'dcr aux obsessions de madame de .Maiiilenon, ipii voulail elro reconnue reine de France, il lutarrele sur celie pente dau- gereuse par la main forme du grand eve(|nequi Faima assez pour I'cmpechcr, au risque d'une disgrace prcsiiUG suie, dc devenir la risee dc I'Europo. L'cducatioii du dauphin terminee, Louis XIV rendil i ri.gli>e le richc Iresor qu'il lui avail, pour un temps, em- pruntc, et reveebe de Moaux elanl devojiu vacant, le roi y nomma Bossuet Fan 1681. Dcs qu'il fut eveque dc .Moaux, it se remit a precher, et fil paraitre plusicurs cxcelloHls ouvrages qui lui onl acquis ju..leineiit le reuoiiidc premier conliovcrsislc de Franco ; CO liEAUTliS ItE L'lllSTOIIiii DU CLliUUli Uli l>HAiNCE. Ic plus coiisiikrablo fill I'liisluirc ilcs Vnialiiuis ipii eiii- |j.inMssal)caucouiilos|M-i>lcsl;iMtsot |iravoi|iia enlre Cossucl el kuis jilus savaiils iniiiislics, taut fraiK-ais (|u'ulrangers, line iiDlOniiiinc (|iii ciil un id rclciilissiinciit, (|iio le perc ilc la Hue allcsli; ilans roraisoii funoliro ile oo i,'raiul eveiiuc, (lu |ilulul (Ic rcreic tie lEgliso, commc r,ip|iflle si juJi- cicuscmcnt la Bruycre, uipic Ics ouvrages do Dossucl elaicul semes jusipie sur les monlagnes de I'Kcossc ct parmi Ics iieigesdu Kiird; que ses proselylcs|iuliliaieiil scs triom- phcs dansdcs laugues que M. dc Meaux u'enleudail pas, el que plusicurs protcstaicnt que si Icurs cliargcs uc Ics eus- scnl pas allachcs a Icur pays, ils fussenl vciius dcs cxtrc'nii- les du monde a Mcaux pmir iiiei-ilcr trois heures de cnnft. rence avcc lui. » Taiidis que Rossiicl ajnutait un nouvcaii flcuron ii sa gioire par scs ouvrages poleniiqucs, il fut question dc reuuir I'Eglisc lulhcricunc de la eonlcssion d'Ausbourg ii rii'glisc calliolique, el Ics prnleslanls eiix-niemess'adrcsse- rcul a revc(|uc de Mcaux coinme au plus savanl prclat dc Trance, pour Iravailler a celle reunion. Malheurcusemenl die nc put avoir lieu, toiites les negocialions ayant eclioue contrc Ic concile de Trcnle, ce roc do I'liglise calliolique qu'cllc nc pent deserter sans se pcrdre, ct que les protcs- tants batleut vaincment en breclie depuis si longlemps. Quelque tcniiis apres, nnc contestation assez vivc ayaiit cclate entre la cour de Franco et Ic saint-siege a I'occasion dn droit dc regale, Louis XIV convoqua nne assemblcc ge- ncrale du clergc dont Bossuet fut I'amc. Ce Cut lui qui redi- gea les quatre fameuses propositions sur le clergc de France ct qui constituent ce qu'on appclle Ics liberies de I'EgUse gallicanc (1 ). Ce fut vers I'an (G94 qu'eclata la celebre discussion dc Bossuet ct de Fenelon a propos du quictisme. Madame Uuyon, cspece de folic qui se posaitcn illuminee et qui avail attire asa nouvelle spiritualite jdusieurs perscuinages illus- trcs dont le plus celebre ctait Fenelon, instituleur du due de Bourgognc el archcveque de Cambrai. Les deux atblctcs ctaicnt dignes de se mesurer ensemble : nu'nie fcrmetc, memo vertu, menie zele pour la religion, grand savoir des deux parts; si Teloipieuce de Bossuet etait sans cgale, I'i- maginalion brillante, les seductions de langage dc son ad- versairc Ic tenaicnt prescpie a sa hauteur; le premier dc- fcndait la religion eontre des crrcurs cpii inipiictaient son amc positive ct austere, Taulrc pechait par execs d'amour de Dicu. Fenelon, alors archcveque de Cambrai, lit paraitrc un ouvragc auquci 11 donna le litre d'C.r;i/(cn(ion dcsmaxhncs des sainis sur la vie inlericun. Bossuet lui ce livrc, s'en alarma et denonca Fenelon au roi, en lui appliquanl I'epi- tlic.te Ircs-violenle ct Ircs-jicu merilee dc fanaliipic : c'cst la seulc'lache de sa vie. L'exil de Fenelon fut le resultat de cctte demarche. Fenebn defcra raffairc au jugemcnt de Home, ct les deux advcrsaircs comnicnccrent alors cctte controverso celebre on les ccrils les plus vifs ct les ]dus cloqucnts se sucecderent pendant dix-huit mois avcc unc 0) La iiromiire dc ces proposilions ilcclarail que Ic cniidlc gciiiral tail suiiincur au pape ; la sccondc, que ni Ic pape iii rEglise univcr- scllc ii'oni auruii poiuoir sur Ic lciiM»n'cl lies rois ; la Iroisicmc, que la puissantc du papc doii iwc liiullic par Ics cauons, el qu'il iie peul lien fairc ni slaluer qui soil coiuiaire aux lihertcs de I'Eglise gallicanc ; la cpialricinc culin, ipio if ||J|»' "Vsl poiiii iiifailhlilo. i\ umin< qu'il nc soil a i;i li'le d'uli coiiiilc 'V'vunn'iiii|uc. r.Tpidile ipii no laiss:iit pas respircr le public, taut Ics deux advcrsaircs inspiraicnt d'adinirulion. II y cut ccpcudant unc nuance bien rcmaripiable dans Ics cerits dc ces deux lioninies superieurs; ,i Iravers des lor- rcnts d'eloi|uence, Bossuet pcrdil qnclqucrois toule inesun^ ct s'abaiidonna a dcs violences de langage i|uc son advcr- saire cvita loiijours ; I'un se battail avcc la fougue du con- Irovcrsisle, Fautro se defendait avcc la politesse cxquise du gentilhoinnic dc grandc maison. 11 y a des choscs ipie le genie nieme nc pent suppleer, le parfuin de la haute aristocratic est une de ces choses-l.i. Bo.ssuet I'emporla ct mil dans son triomphe une modera- tion i|ui relablit le calnic; Fenelon se soumit avcc une bu- milile gracicMsc etnnc simplicitc dc creur adndialilc; il j avail de I'angc dans le beau caraclere de I'arelieveque de Cambrai. .llalgro ses grands Iravaux, Bossuet avail toujonrs joui d'une santc robusle, mais vers la fin de sa soixanle et on- zieme annec, ilsenlil Ics premieres alteinlcs de lapierrc, et il s'y .joignit sur la fin de 1705 une ficivrc qui ne le quilta plus jusqu'a son dernier jour. 11 atlcmlil la inort avcc un mainlicn noble el calnic : u Que la volonle de Dieu soil faite, » dit-il, lorsqu'il sciilit sa fin s'approchcr. La veille dc sa mort, Ics doulcur^ qu'il epronva furent si vivcs, que lous les assislants cnn'Ciil qu'il allait rendrc Ic dernier soupir et Icsupplicrent de penscr quclquefois aux amis cpi'll laissait sur la terrc, ct qui elaicul si devoucs a sa pcrsonne et a sa gloire. Ace mot de gloire, le grand liomnie qui rcmplissait I Europe du bruit de son nom se souleva sur son lit de mort ct dil avcc nne grave el salute ironic : « Laisscz ces discours; demandcz pour moi pardon a Dicu de mes pc- chcs. » Qiiand j'elais roil disait Louis XlVquelqucs heures avant dc mourir. C'ctait I'abdication de la loulc-pui.ssance au scnil de la toinbc. Bossuet, lui, rcconnaissait la vanitc de la gloire, noble vanitc ccpcudant ! II mournt tranipiillc ct fort, sans convulsions, sans ago- ni(!. L'abbc dc Saint-Andre lui ferma les yeux en disant ; « Mon Uicu, que de lumicrcs ctcinlcs ! ct quel brillant llam- beau de nioius en voire Eghsc I » Bossuet etait age dc soixaii- te-seize ans six mois seize jours. Co grand prclat Chretien, qui a laisse une rcnommee que nul siccle lie verra finir, etait simple dans scs goi'ils, eloigne du faslc dajis sa maison et enncini declare de I'lnlrigue qu'il tenait en profond mepris : reconnaissant des services rcciis, il n'oublia jamais scs amis, ni vivanls, ni morls; il employait son credit pour les uns ct donnait aux aulres tout ce qu'ils pouvaient recevoir, helasi scs prieres. II eludiait sans cessc, memo .sur la fin dc sa vie, ce qui no I'cnipecbait pas de reniplir cxactcmcnl ses devoirs dc pas- teur. A Mcau.x, il se promenait Ires-pcu et ne faisait point de visiles; car nul nc connut jamais mienx que cc grand liommo le ja-ix du temps. On rapporte ([u'lin jour qu'il se Irouvail par hasard dans les jardinsde son palais episcopal, il demanda par manierc d'acquit a son jardinicr comment il taillait les arbrcs fiuiticrs. Lc jardinicr, qui avail surle cffiur rindiffcrence de son m«itre en fait dc jardinage, lui repondild'un ton brusque et faclie . ciVousvoussonciezbien dc vos arbrcs vraiment, Monseigneur! Si jo planlais des saints Augiislins et des saints Jeromes, vons les vicudrifz voir ; mais pour vos arbres votis ne vous cii mcttez gucrc en peine? » Vm I'HIVEE DES OISEAUX. Gl On s'cst dcmnnJo sonvont (! !'o;i sc ilomando encore | iirincc do rK^liso. Ln Di'iiyiTC a n'^pomlii d'avnncc a coUe |icni-qiiiii 1111 lianiiiic do ce gciiie iic ful )ias clcvO au rang de I iiucstinn ; Quel Ijcsuin avail [iOnigiie d'Olrc cardinal? - j-^/C/J^. BuisuL't ct ics jcuiics eufiiiiis. \1E PRIVEE DES OISEAUX, LUUllS MOKUI'.S, LCUtS HADlTUDliS, lEUl'.S INST15CTS. ■S.&. CAIX.Z.E. Dans !e syslrme d'ornilliologlc iiiuiicrnc , Ics c'lillis, quoinne d'nnc rcsscml)!ancefrap]ianlcavcc la pordrix, sont classi'cs comme nn gome dirfi'i-cnt |iainii los Tc(r(wni(la', on cotis de bruyore. Ellcs iliilVTciil de la jiordrix en ec qu'ellcs sont pins polites, et ont Ic lieo pins delicat, la qneue plus eonrte, pas d'cporons anx palles, et Ics Irois premieres plumes dc leiirs ailcs plus luiigiics, et par con- seiiueut mieux conslruiles pour facililer lenr vol. La perdiix pi-end rarcnieiit dc longs cssors, landis ijue les cailles foul annnelloment dos niigrnlions a do grandes distances. Les deux genres diflereiit aiissi consideral.Ie- nioiit dans leurs liahiludes : les dernieres nc perclicnl jamais, clles se reunissent en liandes ; an lien d'etre liinitees dans lours cnuvecs, ct Lien qu'ellcs s'acconplont rcgdlicrcmcnl , Ic mile aliandonuc la feinelle aussili.t (|u'ellc coniiKcnce de couver, el no domic aucun soin pro- loclour aux pelils, au lieu que raliaclicnicnt conjugal ct les soius palcrnelsdc la jierdrix conlinucnl nicnie longlciiips aprcs que les pelils pcuvcnt sc pourvoir a oux-menies. D'npres ces carncteres, los oinilliologislcs ont classe la caillc sousun genre diflcrcnt {orlyx}, compronant plu- sicurs especos, parmi Icsquollos sont les cailles Lien con- nues dc la Virginie, el Vordjx liuiipcde Californie. Cc der- nier est superieur cepcndanl, par son caraclerc parliculier et ses liabiludcs, aux cailles du vieux monde; et c'esl cc que nous aliens developpcr avec soin dans rcsquisse sui- vantc. La caille est jdus on nioins ncnilneusc dans clia- ijuo pays d'Europc, d'Asic, d'Afriquc, et de la iS'ouvolle- llollandc. L'esjiece curopconne on commune (Codir- hix ilmiylisonans), est nil pelit oiscau gros ct polele, dc la grosscura pcu pros dc la nioitie d'uiie penlrix, et reniar- qiiable par la dclicalcssc du fumet dc sa viandc. La con- ronne de la lile el Ic ecu sont noin'ilics. avec une raic jaunalrcsur clia(|Uo ceil, cl une autre an has du from ; Ic plumage est un niclaiigo de Ijrun-noir, avec une leiule 16- gei'C dc jaune a la Ijuse et a rexlreinile. Uans Ics fcinclles Ics Iciiilcs sont liicii ]ilus pales. Celle description prnuve' quo le plumage est nioins Lrillant, ct dispose avec ninins* d'agiemenl que cclui dc la jierdrix, ct la caille ii'a pas cet iiilcrvalle eliauve enlre les ycux, ni la forme dn for ii clic- val qui caracleri.sriit lo dernier oiscau ; mais sous d'aulrcs r.ipports, soil d.ins sa forme, soil dans scs proportions, il ya yiidque chose quijuslilio assez rappcllalion populaire de jcrtlrix nainc. La principalc nnurrilurc de la perdiix consislccn grains, scmcnces el herbages, bien qu'olle n'ait pas dc ravcrsion |iour Ics inscctcs, les limarons, on les vers. Oonimo le restcdcla race .i laqiielle olio a|iparlienl. C'2 VIE PRIVEE DES OISEAUX, clle prOfcre Ic» champs lilivos, cl s'librite an milieu dos liaulcs liorbcs; raroinenl on jamais sc mol-dlc a convert sous Ici^enet ou dans Ics laillis. rcndanl Ic jour clle s'cn- doil lialjituellcment, non, comme les perdiix, exposec nu soleil ou sur quel(|ue monticule, mais caclieo pamil les lierbcs, secouclinnl sur ,1c cole, les patles nouclialamment clendues, meme pendant plusieurs lieures. Dans eel etat ellc n'esl pas facile a cmouvoir, ct ne sc decide a prnn- ilre son cssorepie lorsque Ic cliicn la toudie. Le grand repos et I'ombre dont ellc jouil rcugraisseut et la ren- dent generalemont de bonne qualilc ; meme au milieu de rhivcr,nous en avons vu qucUiucs-uncs, qn'on envoyait en Ecosse emballees dans des sacs, pesant de trois quarts a une livre, el ayaiit sons la peau unc couclie de graisse dc prcsd'un quart dc pouce d'epaisscur. Quelqucs naturalislcs nous discnt que les cailles soul po- lygames, mais nous somnics tri's-disposcs a doulcr de cela, ayant trouve ccUcs qui frei|uente]it la Brctagne loujours par couples, au nioins pendant la premiere partie dc la saison de la couviic. La femcUe pond de hull a quatorze ccufs, de couleur vcrtc luiileuse, raboteus, tacbetes de rouille a plusieurs cndroits, el qui demeurent environ trois semaines dans rincubation. Des qu'ils sont eclos, les pelils sonl mis en liberie, el se dispcrsent aussilul qu'ils sonl capaldes de se pourvoir a cuxmemes, ce qui ne depasse pas liuil jours. Raremcnl les trouvc-t-on reunis en voices (couvce est le tcrme appliipic a une famille de perdrix), et elles nc s'asscmblent que quand elles y sonl contraintes par le retour annuel de rinstincl de migration. Elles se grou- pent alors en myrindes, el traversent ensemble les mers el les dtiserts, se dirigcanl vers ces contrecsoii la recolte se prepare, aDn d'oblenir cc qui est necessaire a leur snbsis- tance. La caille, oomme le coucou et autrcs oiscaux qui cmi- grent dans la saison propice a leur fournir leur nourri- lure, a ele souvcnl accusee de manquer d'affection de parenlc ; mais comme il n'y a rien sans cause ou d'incom- pk't dans le syslenie dc la nature, nous devons nous ar- reter ct ne pas la condaniner avec trnp de precipitation et d'aveuglcmenl. Si le coucou, par exemple, dans scs migra- tions vers le Nord (cda lui arrive quelquefois), s'arrelail ■ toujours pour faire eclorc ses petils, il pourrait manquer de nourrilurc ct mourir de faim ainsi que sa couvec; mais,deposant sesreufs en voyageant vers le Kord, la mere livre a la nonrricc Ic soin des petils qui sonl en elal d'etre repris par leur mere nalurelle a son retour du Midi. II en est de meme des cailles; une courte incubation, des soins maternels donncs a la lualc, c'esl tout ce que leur migra- tion pcut adniellre. II est aussi constate, i)ar plusieurs or- nilhologistes, (|ue les males sonl plus nombreux que les femelles. Cela n'esl pas certain, antant qn'on pcut enjuger d'apres les emigrations britauniqncs. Les sexes, selon toute opparence, sont egaux en nombre; seulcment les males ctant plus aventureux, il est plus facile de les observer. Comme tous les animaux qui .se multiplicnl ra[iidemenl, le lermc moyen de la vie dc la caille est court; raremcnl cxcede-t-elle cinq aus ; et jamais, du moins on I'assurc, sept. De tous les oiscaux dc passage, la caille est pcul-elreic moins bien conslilue pour prendre son essor, ct le fail d'a- voir etc vue Iraversant line vasic ctendue de I'Ocean, est mis en doulo par plusieurs aiilciirs. Quiii qu'il en soil, le fait de sa migration n'en est pas nuiiiis indubitable , et a cic iiolii de temps immemorial. 0 Quand nous vogiiions de Ubodcs a Alexandrie, dit Bcl- louius, a pen pros vers I'automnc, plusieurs cailles, vo- lant du Nord au Midi, furcnt prises dans noire batiment; et au prinlemps, allant du Midi au Nord, j'obscrvai a lour retour que plusieurs d'elles furent ]irises de la meme ma- niere(l). » Cc qu'on raconle ici a etc observe par plusieurs autrcs, ct nous sommes disposes a croire que laoii clle pent sc procurer une nourriture suffisantc, la caille n'esl nul- lenienl empressce d'entreprcndre de longs voyages. En Anglelerre, par exemple, ellc quilte souvcnl rintcricur du pays, ct se refugie sur les basses monlagnes sablon- neuscs qui bordenl une partie des coles de la mer, el pas- sent I'biver abrilces dans ces cbaudes conlrees. On pcut assurer que la caille est un oiscau dc passage, arrivaut dans nos latitudes vers le milieu de mai, et retournanl vers le Midi dans le mois dc seplcmbre. En Anglelerre, clle est comparalivemenl plus rare, nous devons regarder la France, les conlrees bordant la Mediterranee, I'Asie Minenre et la Chine, comme ses lieux favoris ; dans toules ces conlrees ses migrations du Midi au Nord ou du Nord au Midi, des cotes de la mer dans rinterieur, ou de rinterieur aux coles de la mer en hiver, sonl des cvcucmcuts frequents cl rc- guliers. {Mudic. Ornithulogie.) ( La stiilc au Jiuim'ro jtrocliain) I.E MERX.E CXIilBATAiaX (2). (suite. ) — Cc pelit chanlcur, me dit le jardinier licossais, a cte empaille ct conserve par madamc ; vous pouvez encore I'admirer sur sa chemincc. 11 merilait bien dc si grands bonneurs. D'abord il possedait la plus charmante voix du monJe, el pour les airs ecossais il n'avait pas son pared... — .\llons, Tonny, dit la jcunc dame, un pen de bricvcte ; si vous vous mctlcz ii nous racontcr tons les merites de notro merle, nous sommes pcrdiis. — J'arrive, madaine, j'arrive. Cc ch.u'm.Tut chanlcur que nous adniirions beaucoup, sc perchait habituellcmeut dans le liUcul que vous apercevez pres de la serre, et il s'y livrailason art en musicicn consomme. Lc prinlemps venu, il descendil ici, et I'accueil qui lui fut fait I'apprivoisa. Lc voila qui recherche ca el la des herbes, dela mousse, des (1) Pline Mcoiitc avcc beaucoup ilc gravii6que Ics cailles, au moment iVcnircpreiKire lour voyage Ji iravcrs la incr, porlcnt des picrres avec leurs |).iiu-s, ou du saliledaiis leur bee, coiimic si cllcs 6laieul fot'cccs d'avoir iTCiiiirsii cet expedioiil. (Jj Voij. le i^^ uiinicio, p. 22. IE LIVRE DE LA SANTE. G3 Irinllcs, Jcs brills lie paillc ct so ronslriiil un iiid i sacon- venancc : ccla dura liuil jours. Le niJ fail, il sc prclassa coinmc unsullan et allcnilit on cliantarU sur le Lord. Per- siinnc ne viul; aucune epouse ne daigna venir parlager son pi'til palais dc mousse. Mors il delruisit le domicile i coups de bcc, el se niit ;i en reconstruire ua second plus soigne, plus odorani, |)lus large ; seconde altcnte inutile. La Iroisicme el la iiualrieme construction suivireni la se- conde, el le pauvre merle, ennuye d'etre cclibataire, flnil par languir el niourir. Voil.i, monsieur, son hisloire, ct loutes nos demoiselles de village, ajoula-l-il avee un sou- rire assiz tin, la trouvenl Ibrl pallietique. [Lllistuirc nuturelle duUerk ci un prurhain numcro.) LE LIVRE DE LA SANTE AMECDOTES SIEOIC&LES, FAIT8 ET CONSEILS BELATIFS A LA S&HTE DE LHOnMB. P. F.XEnr.lCE INTEMXCTIIEL EST ^Er.ESSAInE A LA SA^TE ET AU BOMIEUII. On lit les rellcxions suivanlcs dans une recente publica- lion americainc, intitulce : Hygiene inleUcctuellc, ou Examcn lie I'inleUigince et dvs passions, destine a de- montrer liiur influence sur la santc ct la duree de la vie, par William Swehn, M. D. a L'esprit, comme le corps, dil le docteur americain, de- mande del'exercice. Que les facultes les plus elevees de noire nature aienl ele creees pour I'inaction, que les talents nous aient ele donnes pourdemeurer sleriles, c'eslcc qui rcpu- gne egalement a la rais(Mi et a I'analogie. En effcl, dansTeco- nomieanimale, il n'y a aucune puissance, quclque modeste que soil son role, qui n'ait besoin d'aclion, pour son propre COinpte el pour celui de la constitution generale. Toules les fonctions sonl liees par une si iHroite sympathie, que I'e.Nercicc judicieux de cbacune d'elles, outre qu'il I'aug- menta elle-meme, concourt plus ou moins a exercer une salutaire inlluence sur toules les antres. uL'homme, on Icsail, a le dcsir nalurelde connaitre; el les efforts mcmcs nccessaires pouracquerir la science, le plaisir que Ton eprouve a satisfaire cette curiosite innce, .stimulent d'unc facon salutaire loute I'organisation. II y a dans I'exercice de la pensce un plaisir .ti5quel loutes les fonctions participcnt. Dcs etudes agreablcs el bien rc- glees ou des occupations intelleetuelles sonl aussi essen- lielles a la vigueur de I'espril, qu'un cxercice bien regie Test au corps; el ainsi que la saute de ce dernier, coninie lout le monde I'admel, est utile ,-i celle de linlelligence, dcmemcun esprit sain comnuinii|iie sa sante propre aux fonctions du corps. « L'esprit done a besoin d'occiqia lions, non-seulcmenl pour son propre coniple, niais aussi pour celui de I'enve- loppe lerrcstie dans laquelle il est place. L'inaclion dc rcsjirit, dans I'ctat actual de la i^ociele ainericaine, est la cause d'unc loulee de souffraiiccs jdiysiipies et morales qui paraitiaienl presquc incroyablcs a celui qui n'aurail jamais rellecbi sur ce sujct. De l,i vienl ce spleen, cet af- freux degoul de la vie que Ton rcmarque si souveul parnii les riches commcrcanls, ct dans les classes privilegiees on oisives de la socii5t(5, qui ne poiirsuivcnt aiicun but inlercs- sanl; qui, possedanl deja tons les dons de la fortune, et les moyens dc satisfaire aux besoins crees par la nature ou la civilisation, manquent du stimulant nccessaircpourcveiller, activer leiir cnergie intellectuellc. De !,i vienl que les ob- jcts d'envie sont ses objels. Pour eux, le calice de la vie estempoisonnc du fiel el de I'amertume dc I'ennui; leur souverain di'sir est d'echapper a enx-memcs et a la pcni- ble nonchalance d'unc existence assouvie. L'esprit doil etrc occupe, ou de mauvais sentiments rcnvabiionl assurc- mcnl. « Quelque paradoxale que celle assertion paraisse, il est cependant douteux qu'une malediction jdus terriljle puissc etre imposce a I'homme, dans sa nature presenle, que la satisfaction de lous ses souhails, ne laissant plus rien a ses esperances, a ses dcsirs, a ses efforts. La jore et I'animation du chasseur finisscnt avec la chasse. L'idue que la vie est sans but el sans objet, qu'elle est depourvue de lout motif d'action, est de toules les pensees la plus humilianle, la plus insupportable pour un etre moral el pensanl. (I Les hommes, divers de constitution, d'babitudes, d'edii- cation el de lalenis, demandcnl diverses sorles el plu- sieursdegres d'aclion inlellectuclle. Ceux qui sonl doues d'unc intelligence vigoureuse el puissanlc, li I'exercice de laipiellc ils onl eu la longue habitude de se livrer, souf- frent davantage quand leur esprit rcsle iiiactif. Ccux qui, par excniple, aimenl I'etude, et qui depuis longlenips con- sacrcnl une parlio de leur lemps a s'y livrer, iqirouvenl une alteration sensible dans leur sante ]ihysique cl morale par I'interruption soudaine de cette habitude; un vide af- I'reux s'opeie dans l'esprit, etabsorbe toules les fonctions importantes de la vie. « Petrawiue se Irouvail a Vauclusc , son ami I'eveque de Cavaillon. craignant que sa Irop grande application ,i I'e- tude ruinal complelemenl sa sante. dejii cbancelanle, se procura la clef de la bibliolbeque du poete, enferma ses livres, et lui dil : rcrci1i. La CmcoNCi- sios dcNotbe-Seicsht.. (I'oj.avaiU Iccalcndrici.) STFuLGEsCE,evec|ue en.\fri- que, docleur de I'liglise, mort en t>2o. Ste EupuRosisE, vierge d'A- lexandrie, iiioite au 5' siecle. St Clair, abbe a Vienne, en Daupljin;-, niorl en CGO. StOdiios, illuslre ablio de Cluny, morl en tOW. 11 iiisiilii.i ic iircmicr dan. los m.ii!ions(le son orilrc la louclianle fi'te (le la Commemoralwn iles ilorts, cck'breele 2iiuvemljic, S. aScudi. Si Macaire d'A- lexiimlrie , auachorete , inurl en 39i. Les Mabttrs des livres SAINTS, mis a mort pour n'avoir pas voulu brrtler les divines Ecrilures. seloii le diicret de I'empereur Dioclelien, en 303. St Adelard, abbe de Corbie en ricarJie, auleur lie plusieurs nuvrages tres- prccieux, mort en 827. 3. Veiidredi. St Piebiie Balsance, martyr en 31 Ste Genevieve, vierge el palronne de Paris, moi le eii312. C'csl une des sainles les pins iiluslrcsdein France, et doni la renoniniee s'cst repandue dans loules les fontr^es du nionde, aulanlp.v ses liieiifailseiivers la rapiialc que par ses miracles. 4. Samedl. St Tite, discijile de St Paul, evi^que de Crele, morl a la tin du 1" siecle. St Ricobert, ev?que de Reims, mort en 740. 5. nimnnche. St Sijieos Stvlite, c'esl-i-dire vivanl sur uneeoionne. St Telesphore, pape el mar- Ijr, au milieudu2' siecle. St tDouARD, roi d'Angle- lerre, morl en 106t>. C8 0. I.ninH. L'tPIl'HANlE. {Toy. avnnt Ic ciiloiulrier, ;iiiirs I'lirl. suiIiiCirconcision.) St Melaine, cvi^qiie de Ren- nes, mort en 530. 1. lUnrdl. St Lucien, prftre el nianyr, mort I'an 312. St Aldbic, cvfque du Mans, mort en S5G. St Canut, loi des Slaves oc- cidentaux, ou Danois, as- sassine en (130. 0. Hercreill. Si Apolli- NAiRE, (-'■vt^que d'Hierapo- lis, apologisle ile la reli- Kioncliretienne, mort, 177. St SiiVERis, abbe et ap6tre rie la Noriqne, conlr(!'e de la Geriiianie, mort en 582 Ste Gudule, vierge el pa. Ironnc de Bruxelles, ou realise prineipnie est pla- cee sous son invocation morte en 712. O. Jeujli. St Piebue, ev(>(|ue de Seliaste en Armeiiie, mort en oS7. St JuLiEN L'lIospiTALiEii, mar. lyr en 313. L'oglisc dc rtidtel Hidide Pa- ris est sous sun invoraiiiin, sou; lo iioin de St Julicii le Pauvre. 10. Vciidredi. St Honore, n6 en Berri, decapite en Poilou, martyr de la jus- lice, a la tin du j'siecle. Lcs lumlaiiijers le prciineiil pour p;itron. St GiiLLAUME, arclievftque de Bourses, mort en 1209. St Acatuon, pape, mort en 682. 11. Sameili. St Tbeodose Cesobiahoue, morl en 339. St HTcrs, pape et martyr, en U2. St Salve, evt^que d'Amiens, vul^'airenient St SauvE; au 7' siecle. 12. nimanche. St Arca Dies, martyr au 3» siecle. Si Aelt\ed, abb6 en Angle- lerre, mort en 1166. LE BONllEUn DANS L\ VIE miVEE. 13. I'liiiili. Ste Veronique de Milan, reli^ieuse.morlej en U97. 14. Marrtl. St IIilaibe , fvt^que de Poitiers, duoleur I de rfiglise, mort en 368. C'esl uii des honmies lcs idus celebrcs de la France i>ar sa sainlote, ses ouvrages et les vcr- tus les plus eniineiiles. On I'd nnmnie rAuguslin des fiaules. St Felix, prSlre de Nole, en Campanie, morl en 236. 15. Mcrcredl. St Paul, pre- mier erniite, mort en 342. St Mauh, alibe, mort en .Wi. C'esl sous sou iioui que s'in- siilua, au couimeiicenicui du 17^ siecle. b celebrc congregation des benedirlins. St BoNSEf, evfiqiie de Cler- mont, mort en 710. 16. JcniH. St Mahcel, pape et niarlyr en 310. St Macaire d'fi^yple, ana-j chorete, morl on 390. Iff. %*einlrecli. St Antoine, palriarclie des cenobites, morl en 33*>. | 11 est tres-ceUdne dans lcs ^t-'Iises d'Orientet d'Occidenl. Le demon I'cprouva par un grand noinlire de tentalions, que les licintres out voulu represeuler avecplusd'iniagiualinii burlesque que de verile chrtlteiiiie. St Sulpice le Pieux, eveque de Bourges. I Une paroisse de Paris, qui elail, en 1789, la plusgrande et la plus peuplee du monde catbo- lique, puisqn'ellerenrermail plus de cent liiille Smes, est placee sousle vocable de cc sainl. 18. Samedi. La Chiire de St Pierre d Rome. C'esl I'anuiversaire du jour oil le prince des apolres cbangea son siege ponlillcal d'.Anlioche ii Home; et celle dcrnic're ville, qui avail elii la capilale dn monde palen, dcvinuinsi celle du monde Chretien. 19. Dimanclie. St Canut, roi deDanemark, martyr. II ne faut point le confondre avecSl Caiiul. roi des Slaves. Ce- liii de ce joui' soulliil la morl en I08G. St Rejii, evi^que de Rouen, fre.re du roi Pepin et oncle de Charlemagne, morl vers I'an 771. 20. l.niidi. StFadien, pape et martyr, en 2r)0. St SiinASTiEN, martyr, 288. 2 1 . Ilnrdi . Ste Acnes, vierge et mariyre en 303. St Fructoeox, cvequo de Tarragnneel martyr, 2'J9. St Publius, 2*^ evOque d'A llitnesel martyr, 1"siecle St Patrocle , martyr I Troyes, en Champagne, an 3= ou 4" siecle. Ce jour a eclaiie anssi, il y a cimiuaiileel nil ans, uti niarlyie polilique. « Alicz, Ills de sainl (I Louis, inontez au ciel ! ! ! » 22. Slei'CB'edi. Si Vincent diacre, martyr en 3114. StAsastase, martyr en 020 23. Jeiidi. St RATiioiiD di Pennaforl , en Espa^ne, morl en 1273. St Iloefonse, eveque de To IJde, mort en 607. Les Espagnols le nonnneiii St Alonso. St Barnard, arclievi^que de Vienne en Daupliinc, inori en 842. t 24 Veiidredi. SiTiMOinEE, fivi^que et marlyr, disciple I de I'apOlre St Paul, morl ! en 97. I St Babvlas, evSque d'An- lioclie, marlyr vers 230, 25. Samedi. LaConvebsion I DE St Paul. Persecuteur des chreliens sous I le iioni de Saul, il fu( miraculeu- senienl terrassc surle elieiuin dc Damas, et se lit bapiiser. 26. Diniaiiche. Si Poly- CARi'R, evi^qne de Sinjiiie el martyr en I'an 166, dis- ciple de St Jean riivangii- liste- StePaule, veuve, morte en 404, nominee ans^i Paulino. 2ff. liiindi. St Jein Chbv- sosto.me, nil Souclie d'or, aicheveqne de Con>IanIi- nople, «u des qualie grands docleurs de I'll- glise, mort en 407. Ses ouvrages compo.senl 12vol. in-folio. St Julien, premier I'-vi^que du Mans, mort a la fin du 3«^ siecle. 2S. Mardi. Si Cvbille, pa- Iriarche d'Alexandrie , morl en Hi. llliislie ecrivain, doni les ou- vrages rm-innilG vol. iu-rolio. Le liienlienreiix Cuarlema- GNE, einpereur de France, lionore surtoui en Alle- magne, mort en 814. 20. MLTcrcdi. St Francois DE Sales, eveque de Ge- neve, mnit en 1622. Ses (Tiivres out L'le rocucillics en 16 vol. in-s". St Sui.pice-Severe, disciple lie SI Martin, morl en 410. IlesI auleurde nonibreux ou- vrages Sr SiiLPicE SiivtBE, evSqiie de Bourges, morl en 591. II ne faut pas le confondre avec celuiqui precede, ni avec SlSulpicele Pieux, auire evi^que de Bourges, dont la f^le est pla- cee au 17 de cc luois- ao. Jciidi. Ste Batdilde, reine de France, morle en 680. St Jean L'Ar»i6NiER,palriar- che d'Alexandrie, mort en 6f9. 31 VcndredS. St Piebre NoLASQOE, fondateur de I'ordre de la Merci, pour raclieler les caplifs, mort en 1256. Ste Mabcelle de Rome, morte en 410. Apres sept mois de mariage, elle deviiii veuve. Si JerOinc I'appellc la gloire des dames ro- maines. LE BOMIEUR DANS LA VIE PRIVEE LE LIVRE DES PLAISIRS. La civilisation clirelicnne, en sc perfoclionnant, a con- quis une fonle d'amelioralions de delnil (|ui donnent ati- joui'd'liui, aux classes moyennes ct inferieurcs, desmoyens de liien-eti'C ct de vie heureiisc, que jamais lcs riches Ctlx-inemcs.ii'ont connus dans les epoques paienncs. La vie domcsliqiic, li iiroprement jiarlcr, ne dale, comme le dil tres-bien M. I'abbe Caume dans son excellent livro dc la Vie domeslique chez lcs Chretiens, que de I'ere clire- licnne. Aucun de ces innocents plaisirs qui t;roiipent au- toui- du foyer, pres de rancetrc, a cole de la mere, les niembres de la famille, aucune de ces recreations sludieu- ses ou saUilaires, qui rendent, qires les devoirs acconqilis, le coiirs des lieiircs plus leger et plus r.ipiile, ne sent en desaccord avec la morale des Fenclon et des Bossnct. Tout nu conlraii'c. .\ I'epoque Oil nous somnies, les liens de fa- mille se soul rclaclies [lar de longs boulcvei'scments ; ct c'cst un devoir pour tons de rendre plus stiduisanle dans LE BONIIEUR DANS LA VIE PRIVl^E. sa moralHo cello vie inlijricure , an sciii cle laquelle les verlus les plus charmaiUes genneiU el sc developpcnt si nalurellemciU. 60 Tout CO qui peut emhcUir le foyer domesliquo el rendre plus douces ces verlus de cliaquc jour, essayous de le rcu- nir el de I'lndiquor VMZ SEHKE SANS DM SAIiOH. Je renJais visile reccmmenl a I'une des dames les plus oimaljles cl les plus inslruilcs du faubourg Saint-Germain; ct je fus eloune de voir clicz elle, au milieu du mois de de- cembre , nne gracieuse corbeille do lleurs exoliques servant d'orncnienl a un salon fort simple el presque aus- tere, niais du meilleur celte corbeille ruslique occupaitle point central. Un chassis vitre, dont nous avniis reproduit la forme dans la gravure qui se trouve ii la tele de eel article, enveloppail licrmeliquement et protegeait contre I'airexlerieur ces plantcs, ces aca/eas, ces Lycopo- diums qui s'cchappeiitde Ions coles du sein de la corbeille cl se repandent en feslons pleins de grace et de caprice. « Vous vous etonnez do ma magnificence, me dit madame de D... Pien n'cst plus facile, ni moins coiileux. II suffil d'un pen do soin eld'aimcr son foyer domesliquo, pour lui preter I'allrait dclicicux de ces reclicrcbes que I'industrie modenie a mises ii la portce do tout le monde. Tenez, voici M. Goldburn, Americain, que je vols entrer dans ma cour; 11 vicnt me voir et vous ex]diqucra mieux que moi cellc decouverte inloressantc et le parti quo Ton foul en tirer. « En effel, le domeslique annonca I'agriculleur genlil- lioniuie americain, qui. apres les premiers compliments, me donna I'explicalion suivante ; « II y a pen de temps, monsieur, que cello decouverte a cu lieu ; el ccux qui ne peuvent se donner le luxe d'lnic serre cliaude, seront cliarmes dapprendre qu'on eleve des planles dans I'cndroit le plus defavorable et le plus ressorrc. II sufft pour cela de les enfermer dans des caisses de verre ou dans des bouteilles A larges goulols, soigncuse- ment abrilees contre I'air atmosplierique. « Co fait ful dccouvert accidentellemenl de la manicrc suivante : M. Ward, qui a donne a cc siijct un rapport en 1857 au comile brilannique, avail souvent essaye do culli- ver des planles, surtout des mousses el des fougeres au dedans ct au dehors de son habitation. Mais comine elle i'tail environnce de manufactures et euveloppee de fumee, SOS efforts furent inuliles; aussi attribua-l-il son pen de succes au besoin qu'eprouvaiont ces planles d'etre plus ou moins librement exposees a I'air. « Un jour ayanl place la chrysalide d'un sphinx (espece de papillon) enveloppee d'une terre molle dans une bou- teillea large ouverture hermeliquement fermee, afin d'ob- server la metamorphose de Tinsecte et son passage ii I'elat de papillon, il apercut avec clonnemenl, environ une se- maine avant que I'insecle flit enlierement revetu de sa forme nouvelle , surgir de cellc terre , de la fougere ct de riierbe. 11 rcconnut que rarroscment n'elait pas neccssairc ; car la condensation de I'cau ii la surface inlc- ricure du verre conscrvait la terre loujours egalement hu- midc. 11 s'appliqua done a etudier jusqu'ii quel point le cliangement d'air au dedans de la bouteille, neccssaire- ment soumisc ii Tinlluencc de chaque variation de Icmpc- rolure, serait suffisant aux besoins de la vie vegetale. 11 placa la bouteille en dehors de la fenclre, cl vit avec plaisir que les planles poussaient a mcrveille; le succes de sou ^:) l.E BONIIEUll DANS cssiii Ic coiululsU a line Toulc d'cxpLM'ionccs toiilros siir ilcs plaiiles fle loulos dimejisions, ct apparlcnaiit ;i uiie grande varii'te Jc fannlle^ « Oil ]ioarsHivU cpsopOrionccs sur line vaslc eclicUe ; on Cl des caisses de vcrre dc loulcs grandeurs, de toules for- mes; depnis les jieliles boulcillos aux larges goulots, jus- ([u'a uiie rajigce de maisons de vingl-ciiiq pieds environ de longueur sur in de liauleur; on remplit ces maisons de lerrain pierrcnx pour la convenance des planles qui y CToissent de iprcTerence ; qiielques-unes de ces caisses fu- renl parfaitomenl ferniees au fond ; vne fois arrosees, elles restaient sinsi (ml longtemps sans exiger d'cau. D'autres aTaienl plasicurs ouvertures, et les planles etaient ar- j'osi'cs Hire .fois en trois ou qualrc seniaines, ou meme en plusie«rsTnois selon Icurs besoins ; celtederniere methode a paru 3a meillcure. Cl Oa c«l recours a tout ce que le mastic et lapeinlure peu- Tcnt acconiplir dc plus solide pour ajusler Ic haul et les cules vilres dc ces caisses; les porles fiirent coiistruites de maniere a bicn feriner, mais aucune ne put elre scellce liennijliquemenl ; ce qui serait inipralicable. D'aiUeurs I'ex- pansion ellaconlraclion allernalivesde I'air, dontlesucces de I'experience depend, se Irouveraienl inlerronipues. « II y a environ un an, je planlai un Lycopodinm denta- tum dans un vcrre parfailenienl bouche, qui n'a pas ele OHverl depuis. Le Lgcopodium se soulicnt en parfaile sanle; il a beaucoup grandi, mais faule d'espace la forme de la planle est conlourncc. Les graines qui se Irouvaient dans la lerre onl germe. La Marclianlia s'esl elcvee d'elle- menie sous le verre. J'ai aussi fail conslruire un globe creux en verre, de dix-buit pouces de diamelre, dont I'ou- verlure est praliquee de maniere a y laisser seulement passer lamain. J'y ai semeunegrande variete de fougeres et de Lycopodiums que j'ai humecles; cela fait, j'en ai couvert I'nuverlure d'uiie feuille de caoutchouc qui s'enlr'ouvrait chaque jour, soil a I'exlerieur si I'air inlerieur du verre se trouvait (ichauffe ou dilate, soil a rinterieur dans le cas contraire. Ces fougeres sont venues probablement aussi bien que si elles avaienl etc elevees en serre chaude; elles etaient toules exotiques, quelques-unes exigeaient meme une grande chaleur. Le grain de plusieurs planles est par- venu a sa nialurile. i< Une serre balie d'apres ces priucipes dans la cour de I'inslilut mccanique a Livcr]iool a cte remplie de planles ctrangeres de loute espece, sans que Ton y ait enlretenu de chaleur arlilicielle. Les planles se sont developpees a mer- veille, plusieurs ontlleuri, d'aulres ont produitdes fruits. Cl Le docleur Daubeny a fait beaucoup d'aulres expe- riences curieuses. Cl Dans le cours du mois d'avril, il inlroduisit un nombre considerable do (ilantes vivanles sous des globes de verre n'ayant qu'nne scule ouverlure, a travers laquelle I'air pouvait circulcr, et qui elail recouverle d'un fragment de vessio, bien Dxe aux bords du verre, de maniere a empe- cher I'air de pc'Mietrer dans le vaisseau autrcnient qn'a tra- vers la membrane meme : ces planles, anemones, prime- vires, camclias, veroniqucs, etc., reslerent ainsi dix jours sans aulrcs soins ; au bout de ce temps elles elaienl en pleinc santc', cl avaient considerablenient grandi. Plusieurs nienic avaient ileuri depuis leur introduction dans le verre. On s'occupa alors d'examincr I'air conlenu dans les vases pendant le jour, et Ton Irouva que celui du premier reufer- mait 4 pour 100 d'oxygiiuc en sus de la proportion que LA VIE nUVEE. pri'spulc I'air almospheriquc; dans le deuxiemo, il y avail 1 pour 100 do plus; dans le troisienie,2 pour 100 dc plus Aprcjs plusieurs esamens successifs, on Irouva que le total de I'oxygenc avail subi une diminution, et enlin, le 20 join de la meme annee, on s'apercut que le n" 1 renl'crmait 21/2 pour tOOdemoinsd'oxygene que dans I'air almnsplic>rii]ue; le 11° 2, 3 1/2 dc moins; le n° 3, •! pour 100 de inoins. Cepcndant la circulation de I'air clait encore sunisanle pour soulenirla vilalitc des plantes, moins vigoureuses loutcfois et moins saines. cc Je regarde le changemenl d'air par I'expansion et la contraclion, changement regie par Iciir chaleur, comme cxaclement proporlionne aux besoins des plantes cultivces de cetle maniere. « Les planles vasculaires exigent un plus grand renou- vellemenl dair que les planles cellulaires; on pent les sa- tisfaire en les enlourant d'un volume plus vaste. II est anssi d'une haule importance que la lumiere arrive librement jnsqu'a toules les parlies de la plante en cioissance; c'est le moycn de I'aider a developper scs lleurs et a supporter le froid. L'air, dans ce cas, se trouve dans une condition par- failenienl calme. Aussi ces plantes supportenl-ellcs ces variations de tempiirature qui leur seraienl fatalcs dans les eirconslances ordinaires. Les planles d'Auslralie et cedes du Cap endurent ainsi le froid de noire cliniat sans danger, et quclques-nnes des lleurs habilantes des pays froids penvent aussi s'elever dans nos apparlcmenls ex- poses au soleil, etant environnees d'une atmosphere proteo trice, de leur propre creation. J'en ai vu un exemple frap- pant qui pronve la facililci avcc laquelle les planles, ainsi^ renfermees, supporlent les changcnienls de Icmperalure unecaisse de plantes, apporlc^e de la Kouvi'Ue-llollande par le capilaine Maillard, I'ut prcparceau mois de fcivricr, i-poquc a laquelle le thermometre marquait 94 dcgiTS a Tombrc. Aux environs du cap Horn, deux mois apres, le thermome- tre tomba a 20 degres ; un mois plus tard, dans le porl dc Rio, il s'clcva jusqu'a 100 degres; en passant la ligne le Ihermomelre atteignit encore 120; il lomba a 40, en arri- vant, en novembre, dans la Blanche; huit mois aprcis que ces plantes avaient ele renfermees sous leur caisse vitrcie, on les relrouva dans le meilleur lital. — De sorle, repris-je, qu'au moyen de caisses de verre nous pouvons entourer nos plantes d'une atmosphere hu- mide qui leur conviennc, et conserver ainsi au sein des villes et dans nos salons dc magniGques lleurs comnic celles-ci. La lecon est bonne, et j'en profiterai. II est im- possible d'imaginer un ornemcnt plus charmant et moins couleux.Cela me plallamoi quipense, avec un ecrivain al- lemand moderne, que la sagcsse humaine doit rcpandrela joiesur les instants auxquels lasplendeur el les applaudis- semeuts du monde ne peuvcnt preler aucun eclal. Dans I CCS doux inlervalles, rhomnie reprend ses dimensions na- tnrelles, et jelle de cole les ornemcnls el la feinle, em- :! reus chez soi, c'est le but des li'gitimes poursuitcs do chacun. En cffet, c'est dans son intcirieur qu'on doit eludicr riioinme dont on vent apprcl'cicr la verlu ct le bon- hcur ; les sourircs et les broderies sont d'emprnnl. Vivons heurcux pour nous et chez nous 1 n [La suite a un mimcro prochain. ) ANECDOTliS DU TEMl'S I'nESCNT. ANECDOTES DU TEMPS PKESEIST. I.ES JEUNES SAUVEURS. Vn dc nils joiirnaiix de province les plus estimes rap- porle le fai( suivaiit, doiit raulhciUicite nous csl atleslcc Auprcs de Saumur, dans le pare d'un dc ccs chateaux du dix-sepliemesicele, remarc|Hal)lcs par le bon soul de leurs ornemenls el la simplicile nolile de Icur arcliilcclurc, Irois cnfanls : unc pelile Idle, Marie de M. un jeune enfanl de douze ans, Guillaume R., el uu enfanl de qualorze ans Henri de M., frere de Marie, jouaienl ensemble avcc loutc I'insoucianle vivacile de leur age. Ce n'elaienlque joycux cris, exclamations enfantines, cachettes dans Irs taillis, bruyanles surprises. A force dc courir, la petite bande joycuse arriva au bord d'un etang qui traverse le pare, et que dc beaux massifs de chenes et de hetres deroliaieni a la vue. La petite Marie, qiii etait devenuc I'objet de la poursuite de son frere et du petit Henri, tourna I'etang pour leur cchappcr, et ses piedsayant glis.se sur le gazon, elle rnula jusqu'au bord et disparut dans I'eau, assez pro- fonde en cct endroit. .\ussilul Guillaume, avcc une resolu- tion ot un courage superieurs a son age, defait sa blouse du njatin, s'elancc et nage vers la pauvre petite victimc dont Ics bras Suppliants s'clcvaient encore au-dessus de I'eau comme pour demander du secours. Mais Guillaume n'avait pas beaucnup dc force; c'elail un nageur iiiexperi- menle, et le pauvre enfant sc trouvait dans la situation de celle que son intention etait de sauver; deja il avail peine a se soutenir, lorsque Henri, plus fort que I'un et I'autre, se jcla a son lour a la nage dans I'cspoir de sauver une des viclimes au moins. 11 sc dirigea d'abord vers sa .sccur, dont on ne voyait pUls que les pelites mains vainement agileesa la surface de I'eau, cl la saisissant par ses clieveux blonds, la ranjcnant et Tatlirant a lui, il la dcposa sur le gazon. Les cris des enfants avaient traverse la portion du pare qui les separalt da chateau ; on accourut en toute bate. Le cochcr, bomme lres-vigourcu.x et bon nageur, sauva le jeune etgeuereux Guillaume. La jeune Marie et lui furent rendus a leurs families, et les soins qu'on leur prodigua eurent un enlier succes. Heureux ceux qui coinmencent la vie et I'inaugurent par la generosite, le devouement cl le courage ! XX PRtTRE CHARITABLE. Un proprictaire de la ville de Lonviers se rendait lundi ii octobrc iSii, vers midi, .a pied, dc Lonviers a Gaillon. Pour se rcposer, it entra dans un petit bois silue au bas du vallon que forment les deux rotes. II ajiercul bientut un pretre descendant Icntement ct lisanl. Un bomme mal vein et d'une figure sinistre le sui- vait de pres. Arrive^ au fond du vallon : « Donne-moi la bourse, cria ce mi.scrable, si tti vcux con- server la vie. » Le pretre rcpondit sans s'cmouvoir : « Vous vous adresscz mal, mon ami, vnus n'aurez ni I'une ni raulre. " La parole etait encore inachevee, ct deja ils ctaicnl aii'i prises; I'agresseur se debaltait a terre smis la main vi- goureuse du pretre. auqucl il demandail grace. « lieleve-toi, repond le pretre en lui lendant la main : si la misere t'a poussc a cctte violence, recois celle boinsc et 22 fr. qu'ellc renferme, et sois de.sormais hnmnie dc bien. Souviens-ioi de ma vengeance et de mon noni. Je suis le cure de Gaillon. » Et les deux hommes^e sent separcs. ( Courricr de I'Etirc.) ZiES FXTITES BAIEINXS DES ILXS FAROE. Si vous visitez certaincs latitudes glaciales, il vous scm- blera que ces regions sont tout a fait deshcrilces de Dicii : 72 ANECDOTES point (Ic vesc'lnlion, pninl dc fniils ; Ics animaux qui frc- (liicnlont cos parages, phoiiups d ball iiics, offroiil un aspect liizaiTC, line defense rcdoulalile, nil alimoiil desagceable ou daiigereux pour I'homme. Enlrez cependanl sous ces portes basses, etpeiielrez dans ces cabanes do la Finlande, des Orcades, des ilcs Faroe, vous rcconnaitrez avec sur- prise les ressources imprevues que I'induslrio Immainc a su faire jaillir de ces climals qui semblent mauJils, ressources que la Providence avail mises en reserve pour lesbesoins el inenic les plaisirs de noire race. Chaque jour de nouvcaus moyeiis d'alimenlation et de richcsse combaltenl les ri- gueurs apparenles de la lerre etdu ciel,et conipcnsenl par le travail I'absciice des biensdont jonissent Irs habilaiUs de regions plus donees La seule capture des petiles baleines au lilct vienl de jeler dans une des plus Irisles solitudes dc rOcean septentrional un rcvenu annuel de plus dc cent Irenle milte francs. M. W.-C. Trevelyan a communique a ce sujet, au Nou- veau journal pliHos',phique d'Edhnbourg, de curieuses parlicularites. Jusqu'ici c'etait par I'echouage seul que Ton faisait dans ces iles des captures considerables dc la petite baleine, uomnice Dclphitnis mclas. Dans Ic cours dc rannec dernicrc (8^4, les babitanis essayereni, pour la pre- miere fciis, de faire usa^e d'un filet, et le succes fut im- mense. Lc nombre des baleines prises de cette maniere, en 1814, lut de trois niillc cent quarante-sis, et Ton obtint dc riiiiile pour une valeurde 5,GG5 livres sterling. Les habitants, qui avaicnt employe la chair decesani- niau.i a leur propre consommalion, en nourrisscut main- tenant leurs besiiaux, pour lesquels c'est une cxcellenle pature pendant I'hiver. La chair de la baleine est coupee en tranches minces et longues, et sechce a I'air .sans scl, de la niemc maniere que Ton s'y prenait pour la faire scrvir de nourriture aux habitants. Bien sechce, cette chair se conserve deux ans. On la coupe en morccauxde deux ou trois pouces de long, puis on la fait bouillir le- gerement. L'bnile qui montc a la surface est ecumce, le bouillon et la viande sont donnees aux vachcs avec une moilie ou un tiers de la quantitc habiluelle dc foin. Ce genre de fourrage parait leur etrc trcs-salutaire; il aug- niente leur lait, et ni ce lait ni la crcmc n'ont aucune sa- veur dcsagreable, comme il arrive lorsqne les bestiaux sont nourris de poissons seches, en IslanJc. par cxemple, ct en d'autres pays du Nord. Bcaucoup de vaches perissaienl a Faroe par la disette de fourrages pendant I'hiver ; M. SL-liroler (qui pendant plu- sicurs annces s'estoccnpe de rendre meiUeurela condition de ses compatriotes) a calcule que plusde six cents vaches ont cte conservees par I'usage de ce genre de nourri- ture ; elle pourrait etre utilenient employee dans les iles Slielland et Orkney, on I'aversion que Ton eprouve pour la chair du delpldnus comme comestible occasionne la perte de valeurs considerables. Ce fait unique, repandu p.ir la presse, est deja connn aux Orcades, en Finlande, et dans les provinces snmoleiles- russes qui environnentle pole. « On fait, dit un journal ccossais, tous les preparalif^ ii.;- cessaires pour imiler dans ces latitudes I'excmple des ]ie- chcurs des ilcs Faroe, ct comme I'argent, grand mobile des interets humains, nc pent manquer d'afllucr chezccux qui sc trouvcront ainsi maitrcs, sans grandcs depcnses, d'unc substance neccssaire anx peuples civilises, une prnsperile inattendue, resultat de ce fait unique, pout luire tout a coup sur les regions dcsolces dont nous avons pnrlc. {Berliner Monutsclirift.) OK CHIEN TEB.KIBLE. Une cause singulicre a ete portce recemmeni devant les tribunaux anglais ; les feuilles publiques en ont retenii : un duel, entre deux hommes d'honneur et de bonne famille, etait sur le point d'avoir lieu si les autorilcs ne se fussent inlerposees. Deux jeunes cccurs elaient desespcres : la reputation d'unc personne dislinguee se trouvait atteiiite dans son point le plus sensible; il n'y avait que trouble et desolation ; — et le cnupnble — ainsi que la decision du tribunal el les recherches de la police Font prouve, le cor,- pable etait un petit chien le plus joli du monde, etlemlenx peigue. Nous lenons les details suivantsdu heroset de la victime, — nous ne voulons pas parler de I'epagueul, heros et vic- time tour ii tour, — mais du genlilhommeanglo-espaguni, que la possession d'un cpagneul admirable csposa nagucrc a de si grandcs vicissitudes. 11 avait ardcmment desire un animal dc cette espcce. llolas! il arrive souvent dans ce monde elrangcquerobjet pour lequel nous soupirons lc plus vivcnient, au lieu dc nous procurer le bonheur, devient une source dc peines et de contrarictes. M. Delasiro el son cliien Bobie vien- dront ,i I'appui de cclte remarque. Les aiicclrcs de iM. Delastro elaient Espagnols, mais il y avait eu dans cette famille un melange de sang arabe. Voucs au commerce depuis loiigtemps, ils elaient fort ] riches. M. Delasiro etait associe d'un maison ancicnncment etablie a Londres. Sa part de benefices lui donnail un beau rcvenu el lre<-pcu d'occupations. Par consequent on renconlrait M. Delasiro partoul, aux j promenades a la mode, n I'Opera, aux nouvelles represen- tations, et comme il elait loiijours Ircs-soignedans sa toi- lette, assez bien de sa personne ( quoiqu'il y ei'it dans scsl trails un cachet arabe ), les meres dc famille qui avaient grand nombre dc fiUes le regardaient d'un flcil favorable. M. Delasiro avait une tanic demoiselle, miss Isabello Mcndizabal ; quoiqu'elle posscd.it tonics les jouissances do la vie qn'une femme, dans sa position, pent desirer, telles qu'une bonne voilurc a un cheval, des domesliques exccl- lents, de nombrenses invitations d'amis, le premier den- lisle de la ville, des pclils poissons dores, un credit ouvert chez son banipiier, on la voyait mcconlentc, inquiele, en un mot malbenreuse. Miss Mcndizabal avait un chien qu'elle appelail Bobie. Elle I'avait achcic dans Rcgcnt-SlrccI, :i un hommc dc mauvaisc mine, marcliand de chiens ambulant, d'autres diraient chasseur. Lorsi|u'un jielit chieu egare luiplaisail, il s'en emparail aussitui, lui donnail trois ou quaire bonnes tapes; dc cellc maniere Icspassants qui, par hasard, I'a- vaient vu raujasser le chien, s'imaginaient quil lui appar- lenait puisqu'il le trailait ainsi ; I'animal, n'osantpas (nor- dre ou se dcbaltre, se laissail tranquillement ct trislCTncMt eniiiorlcr. DU TEMPS PRESENT. Bobie etail un de ces jolis petits chiens blancs i longs poils fiises, parfaitement bieii proporlionne, avec dcs ycux noirs el malins percant a travel's ses paupiores soyeuscs. On nurait dil la parlie superieure dc son corps revelue d'lin spencer Llanc, landis que le resle elail rase, erne, el lais- sait voir la couleur nalurelle de sa peau, c'esl-a-dire une tcinte rosee , exceple la oil on avail laisse a dessein dcs pointes el des noeuds. Sa queue lenaita la fois de la brosse en barbe el de la houppe. A voir Bobie, on aurait dit im animal aimaut el parlait, capable de faire raffoler loulcs les douairieres. Aussi miss Isabelle avail-ellepour lui toule la tciidresse imaginable. I'll jour miss Mendizabal prit tout a coup la resolution de voyager, el die fit part de ce projet a ses amis. Elle se Irouvail si malheureuse sans savoir pourquoi, que, pour distraire sa douleur, elle se ligurait qu'il f.illait la changer de place, la promener {son niedecin aurait pu lui appren- dre qu'elle raangeait el dormail Irop ; mais il savait qu'ille ue le croirait pas ). Miss .Mendizabal devint dc plus en plus melancolique ; enOn il parait qu'elle ful saisie d'un ardent amour du pilloresque, de la nature, des bols, des forcls, et des chaises de poste. C'est pourquoi miss Isabella Mendizabal voulul parcou- rir ritalie, I'Espagne et la Grece. Rien ne put changer cette resolution. M. Delastro, qui avail plus d'une rai- son pour relenir sa lante a Londres, lui offrit une loge aTOpera-Italienpour chaque representation, lui envoyades ananas, des mets recherches pris chez les premiers restau- rateurs, tout fut inutile ; la tante partit pour CaJi.1 ; nous ne saurions dire si cetle demarche, toute meriloire qu'elle soil, avail pour but I'amourdu pitloresque ou I'al- legcmenl d'un effroyable ennui. Le chien Bobie n'ayanl pu cscorter miss Isabelle, elle le confia a M. Delastro qui I'aimait deja beaucoup el I'avait souvent envie a sa maitresse. Bobie, de son cote, aimait assez a se sauver avec les gants ou la canne de M. Delastro, quoiqu'il parul un chien bicn elcve. Quelques mois se passerent apres le di-pnrt de la vieille demoiselle, avant que le don precicus qu'elle avail fait a son neveu devint pour lui la cause des plus graves soucis. Mais il ne faut pas anliciper sur les evc-nemcnts. M. Delastro etail I'ami inlime d'une famille qui dcmeu- rait a Regenl's-Park. Bobie, le I'avori de ces dames de la maison, accompagnait souvent son mailre dans ses fre- quenles visiles du matin chez miss Pellington. M. Delastro remarqua qu'en traversanl Portland-Place, un homme en guenilles et a mauvaise figure, ayant a ses cutes un pelil terrier, un epagneul, deux ou trois aulres jeunes chiens a la main qu'il cherchait a vendre, attirail siugulierement ratlenlion de Bobie, quoique cet individu ne semblat pas le remarquer. Mais Delastro le voyait loiiin?irs dans ces parages quand il revenait de Regent's-Park. Miss Anna Bella Pettinglon etant jolie et hien elevee, M. Delastro s'imagina quil pourrait I'epoustr. .Madame Pellington, avec I'ceil vigilant dune mere, remarqua de la part de M. Delastro une foule de petits soins qui Brent battreson copur dejoie el d'esperance ; car elle cnnnais- sail la richesse et rhonnclele de cc jeune homme, et I'ac- ceptait volonliers pour son gendrc. Madame Pettinglon avail depose sur une table a ouvrage, parmi quelques pelils objels de porcelaine, ses clefs et une bourse contenant Irois souverains et demi, quatre aulres pieces des Indes, donl on se servait pour jelons an whist. Bobie, a cause de sa pioprel<5 el de son amabilite, jouissait du privilege de sauter sur les sofas et les chaises. La famille etail ainsi occupee ; M. Pellington etail a son bureau oii il reslait depuis midi jusqu'ii cinq beurcs el dc- mie pour gagner ses 50,000 fr. d'appoiiilcmenls. Les Irois plus jeunes demoiselles Pcltiuglon se promeuaieut dans un des jardins parlicuHers de Regcnt's-Park, avec leur gou- vernante, munie dune grammaire francaise,oii les jeunes personnes apprennent a dire : Bunne djoiir, maJcmc! Elle porlail aussi avec elle le Dictionnaire de pronon- cialion, de Walker, qui aide u mal prononcer. Miss Anna Bella Pellington, dans une parure modesic, assise el posee avec grace, feuilletait un album musical, le visage tourne vers le piano, landis que M. Delaslrj racontait I'anecdote du jour. Madame Pellington avail quitle la chambre pour se consulter avec la fcmmc do charge au sujel du diner. Tandis que chacun elait ainsi occupe, Bobie s'amusait tanlot a allraperune niouche, tantot a aboyer eu apercevaul son corps rcproduit dans une glace qui desceiidail jusqu'au lapis ; puis il mon- tait sur une chaise ou sasseyait sur une table, majs toujours I'ceil ouvcrl, guellanl I'occasion de s'cniparer d'une proie. Tout a coup il devint balclant, il lira la lan- gue, lanca furlivement un regard a Delastro, saisit.en si- lence quelque chose dans sa gueule, saula legerement, et se glissa sous le sofa. Comme il est reconnu aujourd'hui, dans noire siecle dc progres, que reducalion pour toules les classes de la so- cicle est une affaire dc la plus haute importance, nous de- vons declarer que Bobie avail recu de riuslructiou. II avail suivi une espece de cours sparLialc d'apres lequel Yart de voter n'avait rien de blamable. Bobie etail un des cleves les plus accomplis que M. Barabas Scraggs (leniar- chand de chiens dont nous avons deja parl-i ) eul jamais formes, et le chiun n'avait point du tout oublie les Iccons du premier mailre, bien qu'il en eiit plusieurs fois change. Aussi I'eleve devinl-il une pelile fortune pour le mailre, qui n'avait autre chose a faire qu'a suivre les mouvemeuts de son habile quadrupede ( lequel elait aussi fin que lui), qu'a lourner dans une ruelle oii Bobie le suivail. II reniel- lail a M. Scraggs ce qu'il avail cache dans sa gueule, et rccevait immedialement sa recompense ; elle se bornail a une Iranche de fromage cpie Bobie affeclionnail par-dessiis lout. Quand M. Delastro revint de hmmon de Itegent's-Park, Scraggs se Irouvait sur son clicmin, Delaslro passa sansle voir, Bobie le suivail, lorsque tout a coup le chien s'arieta, revint sur ses pas, courul dans un passage qui mcne dans Albany-Slreel, et remit .i Scraggs qiielquc chose qu'il lenait dans sa gueule, en rclour de qtioi on le riVgala dun 10 74 ANECDOTES morceaii dc Gloucester qui sorlnitde la pochc dc M. Scnig^s cl qu'il dcvora avec deliccs. Mais comme il enlcndit le sil'llet de son mailrc cl iipcrrul Ic signal de M. Scraggs. qui resscniblait licaucoupaux pirludcs d'uncoup de pied, i\ sesauva le plus vite qu'il put, et rejniguit M. Delastro. Environ une heure apres le depart de M. Delastro, ma- danie Petlington ayant liesoin de sa bourse, la cliercha et ne la trouva poijit. Les domcsticpies furcnt interrogcs, soupconncs. Madame Peltinglon regrellail bien nioins les trois souvcrains que les quatre pieces indiennes que son fi-erc le major Uoddy lui avail donnces; car on s'allendait a revoir bientut le major. Celte perte reudit le maitre, la mailresse, le laquais, le sommelier el le valet de pied {ces trois dcrniersrenfernies en un seul ), fcnimes de cliambre, cuisinierc cl jusqu'a la gouvcrnanle tresmalheureus. M. Delastro continuait ses visiles cl faisail loujours dc grands progrcs dans I'arl dc sc rendrc favorable la famille, lorsquc M. Petlington, pour cclebrer le jonr de naissancc de sa fille, lui til cadenu dun portc-cai lis ej; liligrane d'argent, artislemenl travaille. Un jour Anna Bella, en rcnlrant avec sa mere, posa le porle-carlcs sur la lablc. Pcu de temps apres on annonca M. Delastro suivi dc Bobic, qui fut accueilli par des caresses comme d'ha- bitudc. H. Delastro porlait avec lui ce duetto fameux dc la Gazza ladra : » E ben per mia rnemoria. )> 11 ne tarda pas a prier miss Petlington de le chanter avec lui. EUe conscniil gracieusement, el landis que les jeunes gens sedivertissaienl ainsi, Bobie, laisse li lui-nicrae et un peu oiiblie, seinblait vouloir s'cn venger par quelque malice. Cemalin-la,de bonne heure, BarabasScraggsnesetrnuva pas a sa place ordinaire, par suite d'une invitation en forme qu'il avail recue de la police, aDn d'cxpliquer com- ment un certain epagncul perdu se Irouvait en son pou- voir. Avec beaucoup de candeur el d'aplomb, il affirma que I'cpagneul I'avail suivi chcz lui, et qu'il prenail soin de I'aninial a cause de sa beaute, jusqu'a la reclamation du proprielairc. Le magislral, convaiucu de la bonne fui de M. Scraggs, refusa dc le rctcnir, mais lui donna le conseil amical de renoncer dorenavant a ses promenades en deca des limites du bureau de l\Ialborougb-Strcel. Un bomme dc la police ful charge par le digne magis- tral d'accompagner Scraggs a son logis, afin d'etre sur que I'epagncul serail rendu au veritable proprielairc. Dc sorlc que Dobie n'eut point celte fois sa tranche de fromage. M. Delastro ne ful pas plulot parli, qu'on s'aperijnt de la perte du porle-cartes en flligranc. On fit encore des per- quisitions minutieuscs, les soupcons revinrenl a Tcspril. ies domesliques exigerent qu'on visilal une .seconde fois leurs cffels. On fouilla en vain dans le panier aux or- dures. Le sommelier, valet de pied, laquais, mena^a de se relirer; enfm, le mois suivanl, une petite chaine en or avec des cachets, apparlenanl a up encrier de lu.xe, un etui en nacre, une petite montre francaise, el, cc qui elail le com- ble de rextraordiuairc, le trousseau de clefs de madame Petlington, disparurent comme le reste I Ce dernier coup acheva de porter le trouble dans toulela maison ; il fallul forcer ou rompre les scrrures, il n'y avail pas dc vin pour le diner, ni d'argenlerie disponible. Im- possible il'ouvrir Ic liroir qui renfermail les billets pour I'opcra dc cc jour. Inipossilde d'arriver aux armoires on se trouvaient les robes dc ces dames, car madame Pct- tinglon, apres tanldc perlcs, meltailsoigneusemenl toules vlioses sous clef; et voila les clefs mcmes qui disparais- senl myslci'icusemenl. Le major Dnddy arriva de Calcutta au milieu de celte rumcur. Major Doddy elail reste vingl ans anx ludcs. Parli jeune bomme frais, gras et rolnistc, il revenail sec comme un morceau dc bois, les cbeveux roides cl trai- nanls; la bile clait repandue dans chaquc vaisseau dc .«on corps, et son nez avail pris la coulcur rougedlre de la brique mal cuite. Major Poddy quilla son pays jeune bomme enjouc et d'agreable bnmeur ; major Doddy revenail de cclle foirc de ricbcsses, d'esclavage el d'ignorance, plein de preten- tion, avecdes airs dedictaleur ctparfaitemcnt dcsagrcablc. Maiscommenl pouvail-il en etre aulrcment pour un hommc dont le foic se Irouvail dans un ctal dcscspiire? On ne se joue pasimpunemenl du foic. Dcmandez-le plulot a M. Ma- gendie. Le major piit M. Delastro en grippe a la premiere vue; il s'attcndait, apres une longue absence, a se voir unique- ment cboyc par les Pellinglon, et M. Dclaslro semblait favorise, quoiqu'il lie fiit pas major. M. Doddy ecouta avccasscz d'impaliencc tons les details au snjcl des petits vols; puis il raconia a son lour ce qui lui elail arrive dans sa tcntc, comment on I'avail depouillo d'une grande partie de ses cffels, quoiqu'il ful assis, cveille dans son lit, un fusil charge a la main, coucbanten joue le myslericux voleur. « Je m'clais mis a fumei' et a boire,dit-il, j'avais conge- die mes domesliques; je mcditais sur Petal de monfoie;sur mon avancenicnt, mes vacances, sur rAngleterre, sur Ic gouvernemcnl general, sur la caisse bien fermce et cache- i tee plcine de saumon que je venais de reccvoir, el que je mangerais le lendemain. Je me deshabillai, me couchai avec un pislolel a mes cotes. 11 faisait un beau clair dc lune, el jc crus apercevoir quelque chose remucr sur le plafond de bois qui environnail la leule. Je pris soigneu- sement mon arme, el loisant le personnage, je reconnus que c'clail, a n'en pas douter, un noir individu, la tele re- cimvei'te d'un turban. J'etais bien resolu dc lirer. Mais rien ne bougea plus; seulemenlje m'apercus le lendemain qu'il me manquait une paire de bottes, une ceinture, un bonnet, une cpee el ceinluron, mon panlalon, la caisse au saumon, une boite de cigares, un telescope, un jeii dc trictrac, une tabaliere el ma robe de ehambre perse. « Ce qui m'intriguail le plus, c'clait dc savoir com- ment cc vol avail pu se f.iire en ma presence, en depit dc mes armes et de mes prccaulions ; j'ignorais que ces bri- gands chassaienl en compagnic. ■ oTandis qu'un des hommes occupail mon attention, m'offi'ant pour but sa tele a liu-ban, me montrant ses yeux briUants el ses dents blanches, son camarade s'elail glissc comme un serpent au cole oppose de la tente, apres avoir relache doucemenl les chevilles, et s'emparail du bu- lin qu'il jelail par-dessus la palissade; ces voleurs adroils s'cchapperenl sans obstacles. Jc ne pus jamais me rendre bien compte dc cetle affaire. Je m'en pris a I'adresse proverbiale des Indiens, qui est certainement la plus mer- veillcuse du mondc. » Tel ful le rucit du major, qui repiit sa pipe el fuma. Un jour ipi'il se promenait avec M. Pellinglon dans Ic DU TEMPS voisinagc Je M. Delasiro, il conscnlit a faire une visile a cc dernier. C'clait unjour ncfastc. Us rra|ipcrcnt a la porle de M. Delasiro, et furcnl d'a- liord congi'dies par le vaU't ( cspcce dc bulor novice dans I'art de mcntir sans sourciUcr ) qui rougit en affirmant ([ue son niailre clail sorli. t'omnic le major elM. PcUinglon s'cn allaicnt, Delasiro, qui faisait sa liarbe el avail pu toul entendre, vexe de rcn- voyer ainsi Dojdy a sa premiere visile, fit courir apres eux en les priant Je revenir et de laltendre jusqu'a la lin de sa toilette. Le major se mil a examiner les mcubles, les livres, le tapis, lorsqn'enfiii quelque cliose de Lrillanl fisa son at- tention sous li (hiffonnicr. II Iraversa la cliambreet lira Tolijel en question avec sa canne. Un portc-carles en liligrane d'argenl! V (Jiioi, dil-il, Bl. Delasiro tienl done liien pen a ses jo- lies bnliioles, puisqu'il les laisse fouler aux pied3?o (Jiiand M. Pcltinglon reconnul le porte-cartessurmonte de ses Icllres initiales, il devint pale, puis il se remit, et dil : « Pcut-etre ma fcmme le lui a donne. — Sans doule.rcpliqua Doddy, Anna Delia a puluioffrir anssi me.s pieces dor indicnnes, la montre francaise, les souvcrnins, el les clefs de ma soeur. » M. Pellinglon parol embarrasse, etpria le major de cesser touteremarquejusquVi cequ'il eutparlea sa fiUe. Delasiro enlra pen apres, leraenton parfailement lisse et embaumant I'airde sesparfums de France. Maisil ne tarda pas a s'aper- cevoirde la maniere embarrassee de M. Pellmgton, el Je I'etrange brievele des reponses du major, qui approchaient fort de la grossierete. Cependant il crut pouvoir les atlri- buer a la premiere reception que son valet avail laite aux visileurs. En vain cbercha-t-il a raninier la conversation, M. Peltinglou gardait le silence, el le major grondait en de- dans comme un animal sauvage des hides. Ajires une visile embarrassanle et pen agreable pour tous, M. Petlinglon et le major se relirerent. W. Delasiro aurait volontiers mis ce dernier a la porle sans cere- monie. M. Petlinglon courut cbez lui et tint conseil avec sa fcmme, qui ne voulul ajouter foi a rien avant qu'il fut question du porle-carles relrouve ; et comme les fenimes sont excellentes dans I'art de la finesse, il fut convenu que madanie Petlinglon cbercherail a decouvrir si Anna Bella avail donne a M. Delasiro le souvenir en queslion. La dame sonda le terrain avec precaution, et, a sa grande sur- prise, elle fut plcinemenl convaincue que sa fille n'avait rien donne. M. Petliogton rests confondu. Major Doddy, sur les enlrefaites, enlra d'un air de triomphe qui somblait dire : « Je suis certain de la verite. n llapportait un aumero du Jimfs ( le Temps, journal), dans lequcl, parmi les comples rendus de la police, on disait que Handlay, I'officier aclif Je lOpera-llalien, a la suite dc nombreux vols an foyer, avail arrele un comle etranger (Ires-connu dans les cercles clrangers), el avail pris le parti extreme dele fouiller; malgre I'indignation du comle et tonics ses promesses, I'offieier de police no put se laissor gagner ; el quand la perquisition eut lieu, on | Irouva plusicurs tabalieres, des epingles en diamants. L'illuslrc etranger fut Iraduil devant les Iribunaux, niais on Tacquilla sous pretexte de monomanic ; malaJie fort commode |ioiir I'hommc riclie, mais a la favour Je liquellc ' PRESENT. 73 un pauvre miserable voleur n'obtiendrait aiicuncpilie pour cxcuser son crime. Mainlcnant le major Doddy persistait a croire que M. De- lasiro etait aflligc de celle maladie, qu'il avail en son pou- voir tous les aulrcs articles egares, el qn'on devail se pro- curer I'ordre de faire une perquisition clioz lui. M. Petlinglon desapprouvait loute mesurc prccipilce. C'etail un philosopbe. cc Si, disail-il, par malheur, Delasiro gcmissait sous !c poids d'une maladie qui reniplit I'esprit J'ilUisions... « 11 fut alors interrompu |iar DoJJy, quis'ccria : >. DEDXIEWE MATINEE 1,4 ^R1CE ET L\ GLACE VIVACTES. — LE S\NC DE LA ^E1CE. DECOUVBETES HECEBTES. — tIN MOSDE PARS LA NEIGE. (, Mnu pcre, dit Ernest, nous lisions I'autre jour dans le Mnmml de M. le Cure {i'„ que la ueige est quelquefois rouge, ct que ce ne sonl pas des plantes ou du sable qui Iniilonnent cctte couleur. Le Cure ne nous a pas encore (I) VoiJ. 11° 11, p. 36. sun LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES. 81 Jonno rcxplicBtlon cle ccla. J'avouo quo ilc la ncige rouge me parail iinc cliO!^c loul a fait siiigulicrcl — Oui, lorsqu'il est qucslion de ncige, nous associons toujoui-s a ccllc substance Tiilec d'une Ijlanclieui' pure ct eclatante. U est done assez difliciledecroirc au phenomene de la ncige rouge. Cependant, mou clier ami, nous avons le Icmoignaged'liommesconnus ]]Ourleurvcracile, qui cer- liOent ce fail. Saussurc en a docouvert sur le nionl Breven, en Suisse, I'annee 1760. Ramnnd trouva de la ncige rouge sur les niontagnes dcs Tyrenees, de mcme que Sommerfeldt sur celles de la Norwege. Le capilaine Barry, a I'epoque do son expedition seplentrionale, observa aussi cette nuance rouge de la neigc. — 11 en parte dans son voyage, mon pere! vous I'avcz la dans voire bibliotlieque ! » Bl. do "*• lira de sa bibliotlieque I'ouvrage du capilaine, ct lut cc qui suit : « Dans le cours de noire voyage, le 2 aout 18127, nous avous rencontre une quantito de ncige teinte d'luie matiere rougeatre jusqu'a Tepaisscur de plusieurs pouces ; une parlie fut conservee dans une boulcille, pour elre soumise plus tard a I'cxamen. Cctle circonstancc ni>us rappela ce que nous avions deja souvent reniarque pen- dant ce voyage, que les Iraineaux charges, en glissanl sur la neige gelee,y laissaieut une teinte d'uu rose pale, que nous avions attribuee a la matiere coloranle e.Nprimee du bois de bouleau dont ils soul fails. Ce jour-la cependant, nous observames que la trace 'de nos pieds offrait le meme spectacle, el, a la suite d'uu ciamen plus scrupuleu.x, nous reconnunies que cela sc re- nouvelait d'une mauiere plus ou moins sensible par la forte pression, sur tonic la glace que nous parcourumes, sans en pouvoir decouvrir la cause, mcme a'ec le secours de la plus forte loupe. La coulcur de la neige rouge, que nous mimes en bouteille, diffcrait de celle-ci par sa teinte, ctanl d'un rose plus fonce, approcbant de la coulcur du saumon, niais les deux neiges parurent cgalement digues d'une elude serieuse. » « Le capilaine Ross parle aussi de Te-xistcnce do cette neige rouge sur les montagnes Arctiques,haulesdesixcenls pieds, sur hull milles de longueur. Les differcnls obscr- vateurs ne s'accordent pas sur la profondcur jusqu'ou pent descendre celle Icinte rouge. Les uns I'onl Irouvce a plu- sieurs pieds au-dessous de la surface, d'aulres n'ont jamais ccrlifie qu'elle s'etendit au dela d'un ou deux pouces. « EnDn, on a cm pouvoir donner, pour cause cerlaine de cctle couleur rosee, le vasle assemblage de pelits corps vegelaux appartenant a la classe des planles cryplorjamcs, 51 autrcs appelees alga:, qui forment I'espece a laqiiello ^gardi dour.e le noni de Protococeus riivalis. Mais bien pie ceci soil vrai a I'cgard d'une pelilc porliondes corps Hixquels cette teinte rouge e.vl due, nous apprenons, par .es recherches etlesdccouverlcsphis recenlcsde II. Shult- ewortb, que la plus grande portion do la neige rouge qui ;ouvre les Alpes (comme celle sans doute aussi qui lapisse les •egions arctiques) est d'originc animale ct non vegclale. Jo le puis mieux le le prouver qu'en cilanl la description cienlifique donnce par la bibUollieque de Geneve que lu as me lire : — Lc jeune Ernest lut ce que son pere lui indiquait : « Le 23 aoul 1859, dit M. Sluillleworth, etant iil'/ios- •ice du Grimsell, j'appris qu'on apercevait dans le voi- mage plusieurs morccaiix de neige qui commencaienl a lircndro une teinte rougo. Le temps Dvait il& tres-maii- vais quelques jours auparavant : la neige etait tombee eii quantile, mais clle n'avait pas tarde a fondre sous I'in- lluence des pluies chauJes el d'une temperature plus douce. Le 24 fut une journce de dcgel et de brouillard ; lo 23, le temps fut clair, la temperature agreable, memo cbaude au solcil. Je m'empressai cle visiter Tcndroit indi- que, accompagne de nion ami Schmidt, et de MM. Mach- lenhech, Scbimper, Bruch et Bhnd, naturalisles ilaliens dislingues, qui arriverent ce jour-la mcme au Grimsell, 4 ma grande satisfaction. (I C'est la, oii la ncige ne fond jamais cntiereraant, que nous Irouvamcs les cndroils sur lesquels la neige rougo commencait a parailrc. Les fragments etaient lant soil pcu inclines el exposes vers Test el le nord-cst : leur surface etait plus ou moins couverle de parcelles de terre qui lui donnaienl eel aspect d'un gris sale, qu'on romarque habi- luellemenl sur la vieille neige des collines inferieurcs, et dans les positions dominecs par un terrain plus eleve. La surface etait d'ailleurs siUonnee el legcrcmenl creusec; circonstances produilcs par le vent el le courant d'eau que formait le degel parliel de la surface, degel considcrablement augmente par la grande absorption de chaleur pres des par- celles de terre. Ca et la on apercevait des laches d'une cou- leur rosee, ou semblable a du sang trcs-pale, dont la forme el I'elenduc ne pouvaient elre precisces, mais qui elaient plus visibles dans les fosses et les cndroils creux. La vieille neige egrenee et plus ou moins grosse nous prouva que la matiere coloranle etait renfermee dans les inlervalles situcs enlre les parcelles, ce qui donnait a la surface, vue de pres, une apparence vcinee. « Les laches colorces pcnelraient la surface de la neige jusqu'.i I'epaisseur de plusieurs pouces, el meme souvent jusqu'a un pied. La couleur so montrail, lantot plus visible a la surface, lantot plus apparcnle a quelques pouces au-dessous. Chaque fois quo les rochers on les pierres avaient occasionne de pclils puits dans la neige , les cotes en etaient aussi colores dans toule leur cpaisseur. Au total, cependant, la matiere coloranle pcnolrail seule- menl une legere etendue dans la surface de la ncige qui devenail de plus en plus compacle, en proportion de sou cloignement de la surface. « Une quanlile suffisantede celle neige coloree,ayantcle recueillie el dcposee dans des vases de terre, ful enlin sou- mise ii un cxamen microscopique ; a mesure que la neioo fondail, la matiere coloranle depo.sait graduellement sur les coles et le fond des vases une poudrc d'un rouge fonce. Au bout de deux ou trois licures, la neigc clant en partie fondue, on en placa une portion sous un microscope Ires-puissant. « M. Shulllcworlh no vil pas sans surprise que celle ma- tiere coloranle se composait de corps organises de formes et de natures differenles, donl quelqucs-nnes elaient vege- tales, mais donl la plus grande portion, douce d'un mouve- mcnl rapide, appartenait au regne animal. La coulcur du |dus grand iiombre elail d'un rouge brillanl, approcliant quclquefois do la nuance du sang; d'aulres corps parais- saient cramoisis, ou d'un brun Ires-fonce et presque d'un rouge opaque. Outre ces corps colores, 11 y en avail encore d'aulres sans couleur, ou grisatres, dont les plus gros etaient de nature animale, mais si peu nombreux, qu'on a pense que leur presence elait accidentclle, el les plus pelits elaient evidcmmcnl de I'espece vegetala 82 a Lcs plus curiciix dcs corjis :iin.si docoiiverts et ceux qui, par leur muUituJe et Icur coulcur foncec, produisent principalement la leinte rouge de la neige, eloicnt de pelits Infusoires (1) d'une forme ovale, donl la coulcur elail d'un brun rougealre Ires-fonce, ct qui claienl presiiue opaques. Ces creatures niarchaienl avec une incroyalle rapidilc dans toutes les directions; la majorite presentait rne forme ovale parfaite; quelques-unes avaient celle d'une poire. Les premieres avaient un mouvement egal et horizontal ; lcs dernieres s'arrclaient souvent au milieu de leur course, ct tournaient rapidement sur leur exlrcmite pointue, sans changer de place. On, pouvait remarqucr dans les corps ovalesune ou dcu.'i taches rougeatres et presque transpa- rentes, soil au centre, soit pres des extremites ; on les re- garde comme lcs eslomacs de cetlo espece que M. Shutt- leworlh appelle Astasia nivalis. u Parmi ces Infusoires, on en distinguait de plus gros, et difl'crant des autres par une coulcur de sang d'un rouge appruchant dii cramoisi, et i)ar leur transparence remar- quablc. lis ctaient de forme ronde ou ovale, et entourcs il'une marge ou d'nne membrane sans coulcur. Dans ecus- ci, M. Shuttlcworlh ne put apercevoir aiicun mouvement ou la moindre trace d'une organisation intericure ; mais il est persuade qu'ils n'en sont pas moins des animaux infu- soires de I'espece des Gyges qu'il appelle Gygcs sanguineus. a On trouva cgalement sous le microscope un certain nom- brcdecorps plus pctits encore ; ilselaient d'une rondeur par- faite, dun rouge magnifiquc, quoique tant soit pcu transpa- rents.Vus d'une certaine maniere, ils montraient a I'une de leurs extremites une petite fcnte ou une ouvcrture tres- etroite. Leur mouvement elail progressif, en cerclcs, et ils tournaient sur eux-memes en mcme temps. On en voyait d'autres ronds aussi, de coulcur cramoisie, legcrement transparents aux extremites, et entoures d'une membrane sans couleur. A un point determine, vers le bord, la masse coloranle presentait une ouvcrture, quielaittransparenleet presque sans coulcur, de la forme d'une demi-lune, et qui communiquait avec le bord niembrancux. Aucun mouve- ment ne se faisait remarqucr dans ces corps; ne peut-on aussi les classer avec ccrlilude. « Ainsi est prouve, dil W. Sbutlleworth, un fait qu'on ii'a, je crois, jamais soupconne jusqu'd present, c'est-a- dire qu'il existe dans la neige rouge un nombre infiiii d'elres microscopiques, qui sont cvidcmment dcs ani- maux, el a une tenqieralure qui s'clcve rarement a plus de quelques degres au-dcssus du point glace, ct tondje pro- bablement bicn plus bas; ce fait nous avcrtit de tout ce qui restc a decouvrir encore dans ce nouveau nioiule, dont les limites s'elendront a mcsure que nos microscopes deviendront plus parfaits. » — « 11 n'y a pas, conlinua M. de "'", qui s'apercevait de I'etonnemenl de son jcune Dls, de preuve plus extraordi- naire et plus frappante do la grandeur de Dicu ct des mcr- veilles qui nous entourent, que cc nionde inconuu dcs in- finiment petits; nous y reviendrons unjour, ct je te fcrai voir au moyen du microscope solaire des millions d'eljcs contenus dans la gouHe d'eau, dans le rayon de soleil, dans la poussiere, et que tu ne soupconnes pas. ( La suite d un numcio prochain.) (1) Les animaux infusoires. on infnsorin^ fnrcni ainsi appiMfs d;ins I'ongine par Mullcr, iiaiuralisle danois, parce qu'ils abondenl dans Ionics IPS substances, vcgclales ou animales, qui out (16 conserv^'es quelque tLinps.Ils soiu si pelils, que le microscope peat seui lcs faire apercevoir. LES MILLE ET UNE NUITS LES MILLE ET €NE NUITS D'EUROPE ET D'AMERIQUE, CnOIX DES MEILLEUnS CONTES ESPAGNOI.S, ALLEM.^NDS, A5C1.AIS, AMEBICAINS, ETC., ETC (1) TBOISlillE KCIT. CONTE DE nOK BABLADOB DE KA ISIiA. — « nenvoyez-moi ce brave homme, s'ccria le deyd'Al- ger en lui donnant dix sequins; son conte est bon, et d'une moralile qui doit plaire a tons ceux qu'Allah charge de la direction des peuplcs. Si chacun sc tenail a sa place, iln'y aurait pas de revolutions... Mais, ajoula-t-il en baillant, ces denies glaces et ces Nains difformcs me fatiguent un pcu. Est-ce qu'il n'y a pas de soleil en Europe? Qu'on me fassc venir un Espagnol, ce petit vieux precepteur, dom... Com- ment I'appelcz-vous? — Dom llablador, Uautesse? — Lui- meme.)>L'ordrefutaussitutli'onsmi.s, etunpersonnageasscz chi5tif, I'reil clincclantet I'air fier, fut inlroduit; quand il sut cc dont il s'agissail, il rccita le conte espagnol sui- vant, pour amuscr Sa llaulessc : LE DOYEN DE BADAJOZ. Lc doyen de la cathcdrale de Badajoz ctait plus savant lui seul que tons les dorlcurs de Salamanque, en y joi gnant ceux de Coi'mbre et d'Alcala. 11 cnlcndnit toutes les: langues jnortes et vivantes; 11 posscidait toutes les sciences! divines el humaines : mais malhcureusement il ne savail pas la magic, ct il en elait inconsolable. On lui dil qu'il y avail dans un faubourg deToledeuD ma- gicien tres-habilc, qui se nommait dom Torribio. Sur-lc- champ il fait seller une bonne mule, il part pourToliide, ctva descendre a la porte d'une assez vilaine maison, oucc grand homme elait logc. ' ((Seigneur magicien, lui dit-il en I'abordant, je suis le, I doyen de Badajoz. Les savants d'Espagne nie font rii'jimeur de m'appeler Icurmaiire; maisje viens dcmander un litre plus glorieux, cclui de voire di.sci]ilc. Daigncz m'inilier aux mysteres de voire art, et complez sur une reconnaissance digrie du bienfail et de son aulcur. » Dom Torribio n't-tait pas fori poll, ([uoiqu'il se piquAt de vivre avec la meillcure compagnic de I'cnfer. 11 rcpomlit ;i M. le doyen qu'il pouvait cherclier ailleurs un maitre de magie ; que pour lui il elait las d'un metier ou il n'avail gagnc que des com]iliments et des promesses, ct qu'il nc deshonorcrail plus les sciences occulles, en les prosti- lu.inl a des ingrats. « A des ingrats 1 s'ecria le doyen ; quoi 1 seigneur dom Torribio, vous avez Irouve des ingrats! ct vous nuriez riiijuslice de me confondre avec dc ]iarci!s nionstrcs ! « Alors il ctala tout ce qu'il avail lu d'apophlliegmcs ct de maximes sur la reconnaissance ; il dcbita, du Ion le phis doux et de I'air le plus vrai, tons lcs sentiments honnelcs que sa memoire put lui fournir : en un mot, il paria si bicn, qu'apres avoir rev(; un moment, le sorcier avoua qu'il (I) Voy lcs nos I el II. Prettitere el accomle Suits. Le come inlilule /i' lltriijun lie Baitajaz faisail origmaiiciiicnt parlic d'un recucil dc rccils el apologues ( El Conile Litcanor ), tcrii par un ccclcsiasliquc espagnol, el I'un dcs clicfs dVcuvre de la \icillc liil^raiure casUUane. L'abbc Dlau- cbrl, de Cliarlrcs, I'un des mcilleurs (^crivains et des hommcs les plus spirilncls ct lcs [dus modesies du dix-liuitit'iiic siCcIe, a iiuii6 ce conte piquant et nioial, et I'a insure dans son cliarniant volume A'Aiwlosucs, i D'EUnOPE ET ne pouvalt rien refuser a un galanl liomme, qui savail (anl de beaux passages. « Jacinlhc, dit-il a sa gouvernante, vous meltrez deux poules aupol, une perdrix a la broche; j'espcre que mon- sieur le doyen mc fora rhoiineur desouper ici. » Enmeme temps il le prenJpar lamaiiiet le fait passer dans son cabinet. Lii, il le louche au front, cu murmurant ces Irois paroles myslerieuses, que je prie Sa Ilautesse de ne point oublier : Orlobolan, Pistafrier, Onagriouf. Puis, sans autres preparations, il se met 4 lui expliquer, avec beaucoup de ncttcle, les prolegomcnes du grimoire. Le nouveau disciple ecoulait avec une attention qui lui permettait a peine de rcspirer, lorsque Jaciiithe enlra brus- quement, suivie d'un petit homme botte jusqu'a la ccin- lure, etcrottejusqu'aux epaules, qui demandait a parler a M. le doyen, pour une affaire trcs-presseo ; c'etail le pos- tilion de son oncle I'eveque de Badajoz, qui avait depeclie apres lui, et qui avait couru jusqu'a Tolede sans pnuvoir ralteindrc : il venait lui apprendre que, quelques lieures apres son depart, monseigneur avail eu une attaque d'apo- pleiie si violente, qu'elle faisail craindre les suites les plus funestcs. Le doyen jura de bon coeur, tout bas pourtanl el sans scandalc, conlre la maladie, le malade el le courrier, qui, effcclivcmenl, prenaient tons trois leur temps on ne pent plusmal. 11 se delai-rassa du postilion, en lui disant de retourner bion vite a Badajoz, et qu'il no tarderait pas a le suivre; apres quoi il repritla lecon, commes'il n'y avait eu dans le moude ni oncles, ni apople.vies. (luelques jours apres, on rccut encore des nouvelles de Badajoz ; mais cellcs-la valaient la peine d'etre ecoutees. Le grand chantre et deux anciens clianoines vinrenl noli- fier a M. le doyen, que son oncle, le rcverendissime cvc- que etait alle recevoir dans le ciel la recompense de ses verlus ; que le chapilre, canoniquement assemble, I'avail elu pour le siege vacant, el qu'on le suppliaitde venir consoler, par sa presence, I'Eglise de Badajoz, sa nouvelle epouse. Dom Torribio, present a la harangue des deputes, pro- fita do I'occasion en habile homme. II pril en particulier le nouvel eveque, et, apres un petit compliment conve- nable aux circonstances, il lui dit qu'il avait un fils, nomme dom Benjamin, ne avec de I'esprit et de bonnes in- clinations , mais dans lequel il n'avail apercu ni goiil, ni talent pour les sciences occultes : que s'etaut propose d'en faire un bon pretre, il avait reussi, grace au ciel, dans ce pieux dessein, et qu'il avait la consolation d'entendre ciler son cher fils comme le meiUeur sujel du clcrge de Tolede; enfin, qu'il siippliait tres-huniblemenl Sa Grandeur de vou- loir bieii resigner a dom Benjamin le doyenne de Badajoz, qu'elle ne pouvait conservcr avec Vevechc. " Uelas! repondit le ci-devant doyen , d'un air un peu cmbarrasse, jo ferai toujours lout ce qui pourra vous etre agreaUe.Cependnnt,ilfaut vous dire que jai un parcntdonl je suis I'herilier, un vieil ecclesiastique, qui n'est bon quVi etre doyen, etque, si je ne lui donne pas cette place, me voila brouille avec toule ma famille, que j'aime jusqu'a la faiblesse.Mais, ajouta-t-ild'unionplusaffectueux, ne comp- lez-vous pas venir a Badnjoz? auriez-vous la cruaule Ce m'abandonner, preciscmcnt quand je commence a pouvoir vous elre utile? Croycz-nioi, mon cher maitre, parlous en- semble, et ne songcz qu'a Tinslruction de voire disciple. ■Vous pouvezetre Iranquillesur relablissement dedoni Bcn- amiu, jem'en charge ; et, lot on lard, je ferai pour lui plus D'AMERIQUE. 85 que son pere ne deniaiide: un miucc doyenne, au fond do I'Estramadure, n'esl poinl un benefice qui convienne au fils d'un homme tcl que vous. » II y avail faute, dironl les gens severcs, dans le marcbc que le doyen proposait au magicien ; cependant, il est cer- tain que ce marche ful conclu, sans que deux pcrsonnages si cclalres en aient jamais eu le moindre scrupule. Dom Tori ibio suivit a Badajnz son illustre elcve ; il eut un bel apparlement dans le palais, et il se vlt respecte de lout le diocese, comme le lavori de monseigneur. Sous la conduite d'un si habile maitre, I'elevefil des pro- gres rapiJes dans les sciences secretes : il s'y livra meme dans les commencements avec une ardcur qui pouvait pa- raitre excessive ; mais il modera peu a peu cette especc d'intemperance ; el il fit si bien, que les eludes magiques ne nuisirent point a ses devoirs. II s'ctait intimcinent con- vaincu d'unemaxime Ires- imporlante aux sorciers, ou sim- plemenl philosophes el gens de leltres, que ce n'est pas assez pour eux d'aller eu sabbat, et d'ornerleur esprit de ce que les sciences huraaines onl de plus curieux ; qu'ils doivenl encore enseigner aux autres le clicmin du ciel et faire Qeurir dans I'ame des fidelcs la saine doctrine et les bonnes mtrurs. Ce ful en se conduisanl par des principes si sages que le savant prelat rcmplit bienlut toute I'Europe du bruit de son merite ; el que, lorsqu'il y pensail le moins, il se vit nomme a I'arclieveche deComposlelle. Lc peuple de Badajoz gemit, comme on peut croiie, de I'eve- nement qui lui enlevail un si digne pasteur ; et, pour lui donner une derniere marque de respect, on lui defcra unanimement le choix de son successcur. Dom Torribio ne s'endormit pas dans une si belle occa- sion de placer son fils. II demanda I'eveclie au nouvel ar- cheveque ; et ce fut avec loutes les graces imaginables que son eleve le lui refusa. II avail lant de veneration pour son cher maitre I il clait si afflige, si bonlcux de lui refu- .st bientol, el, a son rctom-, il n'eut pas la peine (le rien J n.auvCr. Son eleve courut au-dcvanl de lui, les bras oavtiU : (I [lion cher m,-?tre;!aidil-il,je vous annonccdeux bonnci OJ LES MIllE ET UNE NUITS uouvelles nu lieu d'une ; voire disriple est cnnllnal, el voire fils va bienlol Tclrc, on jc n'aurai point de credit a Home. Jcvoulais, enallcndant, lefaircarchpvci|iiedeComposte\le; niais ailmircz son malhcur, ou pliilut le mien ; ma mere, que nous avons laissce a liadajoz, m'a ecrit, pendant voire absence, une cruelle lellre, qui ronipl loules mes mesiires. Elle vcul, a toule force, me dnnner pour succcsseur le licen- cie dom Pablos de Salazar. Elle me menace de monrir de douleur, si elle ne pent rien iiblcnir pour lui, ot je ne doule pas un moment qu'elle ne tienne parole. Metlez- vous d ma place, mon chermaitre : tuerai-je ma mere? » DoniTorribion'tHaitpasliommeaconseiller un parricide; il applaudit a la nomination de dom Pablos, el ne sc permit pa le moindre ressenlinient conlre la mere du doyen parvenu Celte mere, si on veut le savoir, etait une bonne femme prcsque imbecile, qui vivail avcc son chat el sa femme de chnmbre, et savait a peine le nom de dom Pablos. Elait-cc bien elle qui faisail donner I'arclieveche a dom Pablos? n'elail-ce pas plulotunGalicien, parent decetarchi- diacre, lequel doiinait d'excellents diners, et chez lequel I'ancien doyen allail s'cdifier assidument, depuis qu'il de- mcurail a Composlellc? Quoi qu'il en soil, dom Torribio suivit A Rome son elevc; et a peine yelaient-ils arrives, (|ue le pape moiirut : il est aise do provoir on cet evencment va nous conduire. On enlre an conclave ; loules les voix du sacre college se rcunissent en I'avcur de I'Espagnol : le voilei inlronise! Apres les ceremonies de rexallati(m, dom Torribio, admis a une audience secrete, pleura de joie en baisant les pieds de ce cher cleve, ine, a la pendule, qu'il n'y avail pas meme une heure qu'il clalt enlre dans ce cabinet fatal, oii Ton faisait de si beaux reves. En nioins d'une bcure, il avail cru clre magicicn, cveque, archcveque, cardinal, papc ; ct il tronvait, au bout Ju compte, qu'il n'utait qu'nne dupe ct un fripon. Tout avail eti; illusion, exceple les preuvcs qu'il avail donnees dc sa faussetii et de son mauvais cftur. II sorlil sans dire mot, relrouva sa mule ou il I'avail laissee, et re- prit avcc clle le cliemin de Badajoz, doyen comme dcvanl, sans avoir apprisle plus petit mot de magic. — a Ah, all, ah! s'&ria le sultan, voild qui est lion I J'aime cc route. II est court, il est instructif, il est vrai. Qu'on donnc un caftan de Kashmir a don llablador et unc bourse de cent sequins ; cl qu'il relourne dans son pays, n {Fin dc la tioisiime Nutlet du Conic de dom Habladnr.) '^ Bc^„._,^ raison do dn-e que « les bonnes ni.mieres soiit la lleur du bon sens, n Ou pent en dire aulanl dcs bons sentiments; lorsquc la loi de la bienveillance est gravce au fjud LE SAVOm-VIVRE EN EUROPE. SIHPLES COKSEILS A CEUX QUI ENTfEST DANS LE MOSDE. L'afrccOlion el la tlinlillio. — Le dianteor de romances. — Tollcue d'une jeone Clle pauvre. — Un roonsienr qui ne sail pas soriir. Rien de plus nfccssalrc, rlen de plus facile en nijmn Icmps que le savoir-vivrc. Un Italien, Sil.io Pellico. a | du cmur, cUo conduit ,nn dcsintt'rcssement dnns les peliies cliosfs comme dans les grandes, ellc inspire ce dosir d'o- bliger et ccl empressement a procurer du plaisir aux autrcs qui sonl la source des bonnes maniiJrcs. Point d'affcclation, de recherche, de vanitc souffrantc, d'amoiir-propre vain, vous plairez sans peine. Pourquoi ce monsieur, qui cbante la romance avec tanl d'appret ct dcs airs de berger langoureux, cxcite-t-il un sourire? 11 n'est ni vieux ni jeune, ni beau ni laid; son costume est coiivenable. II passcrail fori bien sans cello pose mclodra- malicjue, et ccl air dc victime agoiiisante dont vous le voyez s'armer en pure perte. A-t-il perdu sa mere'.' uno epouse adorce vienl-elle d'expirer? Non, il chanle une romance en mi bcmoll Ce beau chantcur qui joue la tragcdie en roucoulant n'est nuUemenl convenable ; el le savoir-vwc consiste dans la convcnance parfaile; la grace n'est quo I'exquis, le dernier tcrmc de la convcnance. Celle jeune fil'.c, si simple et si pen co>|uclte dans >a polite cellule proprotlr, et occupce a sa t;iclio matiiialo, est do mcillcur gout dans son liumilite laboricuse, ello est plus gracieuse mille fois, sans guipure et sans denlelle, pareedesa scule modestic ; — assise pros dune table de bois blanc, — que ce clian- Icur sentimental, donl le monchoir qui passe et les clie- veux crepes avcc un desordre apprele , donl les mains croisccs avec desespoir el les ycux lournos vers le cici, Ic- moignentdo la doulcur profonde avec laquclle il frcdonne :. 0 mon village ! Jc te revois. ou telle tirade non mains Iragique. Fuycz done toiile .-iffcclalion, mais ecaricz aussi h man- 8G LE SAVOIR-VIVRE EN EUIIOPE. vaisehonlc. N'iniilez pas ce monsieur qui, pour sortir dun I ses doigls, et croit que tous les yeui sont flies surlui salon, hesile, tremble, tourne et retourneson chapeau entre | II n'en est rien. On ne le remarquait seulement pas. ^ ''1 ''''^%|il,l|lil o^?¥^L u „ !'l ) I Evitons ces tristes illusions et ces sleriles chagrins de I'a- moar-propre. II. Anclens TraltSs da savolr-vivre. — Casliglloiie. — Tiaeloa. — La Poliiesse, Bien que le savoir-vivre consiste surtout dans une sim- plicite et un aplomb modestes, telle en est rimportance dans la sociele, que souvent on I'a trailii conime un art. Plusieurs cerivains distingues de diverscs epoques out cssaye de tracer le code du savoir-vivre et du bon gout. Nous cilerons dans ce nombre I'aimable et ingenieux au- teur de plusieurs ouvrages pleins d'inleret, de grace et de savoir, madame la conUesse de B. ; — au dix-luiilieme siecle, Moncriff, autcur de I'Art de plaire ; — et au quin- zicme, I'llalien Castiglione, dont le style est un modele d'elegance. Ce dernier recommande surtout de fuir I'affectation ; il la reprend dans la conversation. « L'affcctation mediocre, dil-il, (1 n'cst qu'ennuyeuse ; hors de mesure, elle devient « ridicule a I'exces. Telle est celledes gens quiparlent Irop « dc Icur rang, de leur bravoure, de leur noblesse. » II la blame dans la toilette dcs fcmmes, et il en veut pcut- ("treuu pen tropa I'affcclalion des prudes; ilne permel pas fori goiltee des cbirurgiens en general. Quoi qu'il en soil, vous serez ravi de la naive et honnele .simplicile du marin. II ajoutail en postcriplum dans sa derniere letlre : « J'ai oublie dc dire a vos sei- gneuries que la jambe tjlait de bois. » Celle hi.stoire , quoique vraie , n'est pas telle que Walpole la racontc. Le tour ful joiie par John Hill, un des bommes les jilus excentriques du temps, que les membres de la Societe royale avaient refuse d'admettre parmi eux. II se vengea en leur envoyant un rapport sur la cure extra- ordinaiie du marin, comme la tenant d'un praticien de campagnc ; alors, lous ces savants reunis se mirent gravc- ment a disculer le cas extraordinaire, s'enlr'aidant de leur savoir medical el scicntillque. Le rcsullat de celle savanle deliberation (5lant devenue public, sir John Hill envoya une secoiule letlre par laquelle il prevenait la socieli; qu'il avail oniis de pailer d'une circonslajice au sujet de la cure, c'est que le marin avail une jambe de bois. Celle jilaisantcriecircula de lous cotes; on crut moins aux verliis iinivcrsellcs du goudron et de I'eau goudronnee, et, peu de temps apres, ces remedes furcnt completcment dedaigntjs. DIGNITE DU TRAVAIL. J'ai foi dans le travail. J'adore la boiile divine qui nous a places dans un monde oil le travail soul nous soiilienl. Quand memo je le pourrais, je ne voudrais pas cchangcr conlre une volupte sans borues notre assujellissement aux lois ou aux maux physiques, aux besoins de la faini et du froid, et la niicessile de nolrelulte incessante. Quand meme je le pourrais, je ne voudrais point tempcrcr les elements de sorle qu'ils ne nous donnassenl que des sen- sations agreahles. Une vegetation lellemenl cxulierante, qui priiviendrait tons nos besoins, et des mincraux asscz mal- 88 PETITES Icallcs pour n'opposer oucune resistance A noire force et il liotrc ndressc rciidraicnt ce monJe fort iiisipiJe. (jue ferions-iious?(|uo dcvicndrions-iious? A quoi cm- plojer noire force? Quelle csqjerance et quelle craintedi- versifieraient noire existence? quelle nuance en varierait la trame? Ce scrait un longsommeil. Un IcI univcrs ne pourraitproduirc qu'unc race mepri- sablc. L'homme doit sa croissance et son cnergie a cet cjcercice constant de sa volonle contrc les difficulles, que nous oppelons efforts. Le travail facile et agreable ne pro- duit pas des amcs puissantes et ne donne point a l'homme la conscience dc son pouvoir. Agissons, luttons, perseverons, sachons conquerir la force de la resistance , I'habitude du travail, celle d'en- durcr, de combatlre, forces sans lesquclles tous les autres talents acquis devicnnent inutiles. O'CoSJtElL. COAGUZ.ATIOIIJ SU I.&IT. La coagulation du lait an nioyon d'une simple membrane buniide est un phenomenc si rcmarquable et si difOcile a cx]]liquer, que Ton ne s'elonnc pas qn'il ait excite ralten- lion. On a fait des experiences sur la membrane memo, aDn de s'assurer de ses effels. Parmi ces experiences, il en est une trcs-interessanle faile par Derzdlius. II rapporle qu'il prit un morceau de I'intcrienr de I'estomac d'nn vcau, le nettoya avec soin, le secha Ic plus completcmcnt possible, le pesa soigneusenient, le mit dans dix-huit cents fois sa pesanleur de lail, et fit chauffer le tout a cent vingt degres de Fabrenlieil. Aprcs quelque pen de temps, la coagulation fut complete. Alers il ola la membrane, et apres I'avoir lavee et seclice, il la pesa de nouveau i la perte fut d'un peu plus dun dix-septieme du poids. D'apres cette experience, la partie dissoute de la matiere active de la membrane avait coagulc environ trente mille pesant dc lait. (Fowncs's chemical Prize-Essay .) IXS INSECTXS BAIiAYEUaS. Dieu a veillc, non-seulement a la beaute, a I'harmonie, mais i la proprete de noire monde. Quand les crevetles paraissent sur nos tables, nous ne nous doulons gnere des fonclions de neltoyage universcl qu'ellcs reniplissent pendant leur vie. L'cmploi allribue a ce crustacc semble elrc analogue a ceUii de qneli|ues insccles terrestres, dont la lache est de faire disparaitre les deliris de la matiere animale apres que lesltelcs de proies'en sontrassasiees. Si Ton place le cada- vrc d'une grenouille ou d'un petit oiseau mort pres d'une fourmilierc, ces insccles I'ont bien vite reduit a I'clat dc squeletle soigneuscment netloyc. L'espece des cre- vetles, agissant par legions, enlcve aussi proniptement autour des os la trace de la cliair des animaux abandonncs a leurs ravages. Ce sont enfin les cureurs et les balayeurs de rOciian ; et nialgre Icur imnionde fonction, ils sont encore utiles apres leur mort, a tilro de comestible deli- cat, agreable et nourrissant. BON SENS VAOT MI£UX QOE SCIENCE. La princesse Nausica ou Nausicaa, une des hcro'ines d'llumerc, et Clio du roi des Piicacicns, est representee par I 510 HALES. le poete de la manii5rc !a plus naive ef la plus aimahle. Cellc iille de roi, radolesccnte des temps priniitifs, joint a la double ingenuite dc son cpoquc hislori(iue ct de son ago personnel une grace naturelle ; et ce melange prete un charme extreme au caractere de la jcune die. Dans une des plus jolics scenes oiicllc apparail, clle jouo a la balle avec ses compagnes sur la greve converle de sable et battue des (lots de la mer. Un naufrage, Ulysso, jete par la tempele sur cette plage, s'estcndornii dcniorc un roc, ct la balle, lancce par une main trop vive, s'est cgaree de son cote ; on la cherehc, on rit, on se presse, et les jeunes filles rieuses aceourent jusqu'a la caverne, on elles apercoivent avec etonnement le naufrage elendu sur le sable et que leurs cris joycux rcveillenl. Nausica s'arrele emue d'une profonde pitie pour le nialhcureux ; c'est une des plus dclicieuses scenes de ce vienx roman grec, qui s'appelle I'Odysscc, et qui a etc pour Tanliquilo paienne ec (|ue liobinson Crusoe est pour nous. Or, comnie les tjrecs n'avaicnt pas deux mots pour exprinier une balle ct une sphere, el que pour eux une balle elail une sphere, et une sphere une balle, voici Tctrange erreur dans la- quelle est tonibeun moderne hislorien derastronomie, lo savant allemand Wcidlcr. II dit que I'usage de la sphere i-emontc a Nausica, princesse qu'il croit el prelend avoir etc fort instruite. Weidler a traduit ces mots d'llomcre , Nausica trouva enftn la balle, par ccux-ci : Nausica in- ventacn/in la sphere. De sorte que celle jeune flUede roi, celebre dans VOdyssee pour avoir tres-bien su blanchir lo linge, conJuire uncharel jouer a la balle, est transformee par I'drudit en aslronome de premier ordre. Un pcu de raison est preferable a beaucoup d'erudilion. Bon sens vaut mieux que science. STZmOLOOIE DB QUELQUES DSSIQHATIOKS AUEBICAINES. Rien ne se perd ct no s'efface plus vite qu'une elymolO' gie. Di'ja la designation si recenlc des divcrses parlies dci litals-Unis est obscure et pcu connue. Le pays du Maine fut ainsi appelo, des 1638, d'apres le\ ;Uatne en France, province dont llenriclle-Marie,reined'An- gleterrc, claitalors proprielaire. — New-Hampshire elail Ic' nom que Ton donna au terriloire conferc au capilaine John Mason par leltres palenlcs, le 7 novembre 1G39, eu egard au palente, qui elail gouverneur a I'ortsmoulb, dans le Hampshire, en Anglcterre. — Vermont fut ainsi nomme par les hubilanls dans leur declaration d'independance, 10 Jan- vier 1777, d'apres les mots francais ticrl ct«ion( (monla- gne); — Massachusetts, d'apres une tribu d'Indiens dans le voisinage de Boston. On croit que cette In'bu a rccu son nom des Montagues bteues dc Willon. « J'ai appris, dit Roger Williams, que Massachnsclls fut ainsi appele des Montagncs bleucs. — Rhode-Island fut nommee, en 16i-5, par rapport a I'ilc de Rhodes dans la Mcdilcrrance. — Connecticut s'appcla ainsi d'apres le nom indien de son principal flenve; — New-York et Albany, d'apres Ics personnes auxqnellcs ce teniloire fut concede. — Pen- sylvanie , en 16SI, d'apres William Penn; — Delaware, en 1705, de la bale de Delaware, sur laquelle elle est si- tuee, et qui recut le nom dc lord de la War, dccede dans cette bale ; — Maryland, en I'honneur de Uenrielte- Marie, femme de Charles \", roi d'.\nglelcrre, d'apres dc3 letlrcs palenlcs concedees a lord Ballimore, le 30 juia | 1 7 VL-G 29 NATURAL HISTORY. a principalc riviere. — Miehigan,en 1803, du nom du 1.1C. — Arkansas, en 1819, d'apres sa principalc riviere. — La Floride recut ce nom de J'lan Ponce de Leon, en 1572, pnrce qu'elle luldecouverl un dimanchedc r.ii]Hes; en cspagnol, I'asctias Flnridas. (Siinmoiid's colonial llagazinc.} PaiERE. Cli3m.nan(lc, (3 jbii!cH8io. IVun pouvoir souvcrain la magiqiic intluence, Etcrnel, en tous lieux revclc ta puissance ; Blais que I'on to sent micux, qiiand scul avec son cciir De la nature amie on chcrclic la douceur ! Oui, c'est aux champs surlout qu'il fjut que Ton t'Jionorc : Cost la qu'il faut I'aimer. c'cst la que I'on I'ailore. Du lever du sylcil a la chute du jour Tout nous peint ta grandeur, tout nous dit ton amour Dieu puissant ! crealcur dcs spleildeurs inllnies, Donl mon ame louchce entcnd les harmonics, Ahaisse ton regard sur moi, faiblc roscau; A gcnoux devant toi, dans un transport nouvcau Je voudrais te parlcr un inimorlel langage (lui puisse se redire el passer cl'ago en age, Kt du feu de mon ceeur cnibraser mcs accents ; Mais cc feu se consume en efforts imuuissanls. Jlcsurant la grandeur ct (a magnificence, Je dcmeure frappe do ta toutc-puissancc. Que suis-je pour user m'eleverjusqu'a toi, Ou.ind les mondes Ircmblanl^m.irchent tous sous ta loi?... Et cependant tout dit a mon ame epcrdue Que son moindre soupir ira percer la nuc ; Qu'une larme est comptec au celeste sejour, El que toule douleur nous donne ton amour. Oui. telle est la p.Trolc, et niou cocur sc rassure ; Tu benis I'humble encens que t'offre une ame pure. Au chaos, a la mort, simple alomc arrache. Si je suis, c'cst par toi ; ton souflle ra'a touclw ; La lumiere aussitOl jaillil ile ma paupiere. Ouvragc de tes mains, je Ic nomnie mon perc. Irnmortel Createur, souvcrain roi des rois, ToLir to louer. Seigneur, que n'ai-je mille voix ! Tuisquc rien ne saurait eckapper a ta vue. Que mCme ma pensec avant moi t'est conn'ue. Quimporlent de mes vceux les timides accents, J'elevcrai vers loi ma priere ct mes chants. Lorsqu'cllc vient du coiur, toutc parole est belle. A loi icul appailieni la Parole elernelle. souvENin;; ciiriLTii-N'j. so SOUVENIRS ET MOIMUMENTS DB i'aut ciiheiien. FIcUffBHES. — XiOUVAIH. M. de Chateaubriand, le premier, a fait ressprtir, avec la puissance de talent et la verve cclalantc qui le caraclc- riscnt, la puissance specialc de I'art chrclien, la beante nouvelle dont 11 s'est enrichi dcpuis raveiitment dn spiri- liialismc, etla singulierc grandeur que la pcinture, la sculp- ture, I'architeclure.lanuisiquc.doivent au renouvellenient et ci I'afl'ranchissement des dcslinces liumaines par le chris- tianisrae. Ce que Ton appelle le style gothique est essenliellcment clirelien. Ces imnienses arceaux, ccs vot'itcs au fond dcs- quclles se perd la pensec, ces ogives chargees d'orDemenls si dclicats et s'elancant vers I'infini avec une grace et une legcrcto si ravissantes, senile resultat du genie septentrio- nal, ami du mystcre, et s'alliant au genie chrclien. Parmi les moimmeuts de eel art nouveau, nous choisi- rons les moins connus et les plus hrillanls. Lc crayon ct le hurin des artistes celebrcs et cprouvcs reproduironl ccs chefs-d'oeuvre singuliers, ohjcls de legitime orgucil pour les peujiles modernes. II n'y a pas de pays plus riche en monuments dc I'art golhique que la Flaiidre. La Flandre doit a son catholicisme populaire une phv- sionomie specialc, animec, originale.cl qui jilail alimagi- nation. Pays fecond et cependant pittnrcsiine, ellc possiiju (luelqueslocalitcs c|ui nele cedent iiullemcnl ,i la Suisse en riches accidents, el qui reinjiorlcnt sur toutes les conlrees, pour lc luxe de la vegtitati m. Je cilcrai la petite ville dc Cassel, jelee sur une collinc d'ou le voyageur voit au loin so developperun panorama dclicieu.xet immense de villcs, de vilh,ges et de hourgs. Les villcs de Flandres les moins renommces, comme le dit tres-hieii un ecrivain modcrne. « M Bcrthoud,ontlcursbeautespiltorcsqiies; Valenciennes, « par e.\emple, avec sa vasic rcinture de forlilications aii- ■i guleuscs et leslarges eaux qui la baignent ; Valenciennes, « avec ses rues qui serpentent, toutes noires de la lionillc « que broient sur son pave les pieds de huit cents mineurs. I. C'ctait au quatorjierac siiicle qu'il fnllait voir Valencien- « nes! Des maisons a piguons pointus el sculptiis dressaieni « vers le cicl lenrs toils angiilcux llaiMimjs de qnelques « pigeonniers en lourelle; un double etage s'allongeail an- « dcssus du rez-dc-chaussce, comme pour .servir d'ahri el « de vestibule au visiteur qui heurlail lc brillant marlean « dela porte. Enfin,laplnparl du lemps, Ics laiges feuillos « d'une vigne el ses rameaux torlucux a gro.sses giappes « noires ou vcrmcilles tapissaient, depiiis le seiiil jusqn'an I. toil la facade de ces habilalioiis, el c'elail a havers u;i « massif de verdure que sc laissail enlrcvoir I'ogive des II fenclres. n Cellc poesic de noire feoda'ite elirclienno rcsjiire d.in-: loute la Flandre. Le pays de Ilubens el de Van Dyck est dignc de ces ar- tistes. 0 Pour le bieii piger. dil le memo ecrivain, il faiil ci assister a une veillee naiiiaiide, inlendre les mcrvei leux (1 cnntesdonl s'y niDnlre prodiguc la plusignnrantc vicills 1 femme, eonlcs empreiiils d'une poesic sombre ct fanlas-' -12 so VIE I'lllVEE 2 SCENES rv-snr, lu fnucon tomlia d'aplomti siir l.i hclptlf:, ct, cnfon- | tes de la victlmc, on out dit i levoir qti'il allait la dflvorw (jaiil .1 la fois los scrrci cl le btc dans Ics cliairs iialpitan- I tout entiere. •Ni.Q, Jlais sjuvcnt la 'finesse ct la ruse triomplicnl de la vio- lence et de la force. Lespaysans d'AUemagne et d'Angle- lorre ont un proverbe qui dit : La heleltene dort jamais. Kii pfret, I'animal qui somlilait sommeiller, et sur lequel un cniicmi terrible s'elait prccipitc avec tant de fureur, lie sc deconcerta pas ; saisissaiit son adversaire par sa parlie faiMe, par le cou, ct cnfoncant ses dents aigues dans la pcau de I'oi.seau de proic, il se mit a sucer le sang de son adversaire qui ne clicrclia plus au bout d'une minute qu'a lacher prise et a roster lihre. Un moment 11 soiilcva la belctte avec ses serres, ct le quadnipedp, force do prendre I'essor avec I'oiseau, retomba siir le gazon lout etourdi et couvert de sang. De son cote, le faucon blcsse laissait dccouler de ses alles el de son cou de larges goultes de sang qui empourpraient le gazon, et poussail de longs cris qui attestaient sa colere. De temps en temps, un sourd gemissement de souffrance ct d'angoisse se mclait a ccs liurlcments courrouces. Mais telle est la fureur dominalricc de ccs oiseaux de proie, (|iii jouent dans les airs le role de lyrnns, que le niauvais suc- ces de I'attaque teiitee par le faucon ne le rebuta pas, mais au contraire redoubla sa violence. La belette , sa petite tete sanglanle et tournee on I'air ct suivanl de I'ceil tout les mouvemcnis de I'ennemi, le corps allonge, prete egalcment a la fuite, a I'atlaquc, a la defense, attendait le nouvel assaut ou le dcsistement du faucon. Ce nyt dura pres de trois minutes, pendant les- quellos le faucon tournoya lentemeut, comme [lOur saisir une occasion de victoire, et la belette dcmeura immobile. Forte de I'cxperience qu'elle avail acquise, a I'inslant mcme ou I'oiseau de proie tomba de nouvcau sur elle, la be- lette. la gueule ouverle, le saisil a la parlie la plus cbarnue du cou ell'etrangla; puis, fiere de son Iriomplie, elle allait le trainer dans son repaire, lorsque le spectateur muet et invisible de celte scene extraordinaire, M. Complon, arma son fusil; ce bruit epouvaiila le vainqncur, (pii s'enfuit avec la rapidite de I'eclair, laissant son trophee sur le champ de bataille ensanglantc. {Wiltshire Mercury.) SCENES, RECITS, ^VENTURES, EXTIlilTS HES PLOS BECEHT3 V0V.4CE0I1S. AVENTURES sun LCS D0RD3 DE LA niVIEnc OB LA COLO'JBIE. Dans le cours d'un voyage d'exploration fait par M. Cox, en compagnie de plusieurs Indiens, il eul le malbeur de s'endormir a une petite distance de ses compagnons, qui, ne s'apercevant pas qu'il etait reste derriere, partirent avantqu'il se reveillat. Get incident eut lieu le 17 aout; mais il sera beaucoup mieux de transcrire la narration que nous en donne M. Cox lui-meme (1) : r, cvc'^iie de Fiesoli, en Tos- canc, mort en 1395. St Avextix, solitaire au diocese de Troycs, moit en 5W. Ste Jeanne de Valois, fille de Louis XI, ijpousedeLouisXII, niorte en 1505. 5. Mercreiti desCendres (Corarac'iicomoiil du jcflne du Carfme. [Voij. lari. Car£.me. ' Ste Agathe, vierge ct marlvre en 251. En Sicilc, on I'mvoque contrc les erupiions du moni Ema en porianl sun vuile en procession. Les Sts MARTrasdu Japon. Ccroyaume avail eiu convcili par S[ Frangois Xavicr. On y compiaii plus de deux cent millc chreiieus qui fureni exterrain6s i la iJudu tS'sitcle. B« «Veu*l|. SteDobothee, vierge etmarlyre sous Tiocletien. Son nom signific en frangiiis Don de Dieu. St Waast, evcque d'Arras, morl en 589. II ysiegeaqua- ranle ans. Son Eminence monscigneur le cardinal dc la Tour d'Auvergne, qui est evOque de ce siege de- puis <802, y a dcj5 pjsse plusdc quaraii[c-deu\ ans. II icfusa en IS40 rarclicvficlicde Paris, parce qu'il voulail, disail-il, si la Pro- vidence Ic perineiinii, passer au moms quaranlcansdaus cc sifge, cummeSiWaasi, son illusUe pie- decesseur. 7* Vcndredi. Fete des cisn Plaies de N. S. .I.-C, dans le diocese dc Paris. St RoMfALD, abbe, fondalcur do I'ordre des camaldules.niorl en 1027. St Richard, roi d"Angletcrrc mort a Lucques. en Italie, en 722. 8, Sainedi. St Jean de Matua fundateur de I'ordre de Irinitaircs, pour hi redemp- tion des caplils. Les reiigieijx de cet ordre al laient raclieicr les iniillieurcux capiirs pris par les piiMlc:; d'.\l- ger, de Tuni^, de Fez el de Ma- roc. La philosopliie oiondaine plaignait des inforlunes dans ses porapeux t'ciiis, la religion clire- liennc cnvoyall les irinilaiies en Afriqup pour Ics delivrcr. St Etienxe, fundateur de i'ordre de Grammont, mort en 1224. 9. filimanclie. Premier di- manelie de CariJnie, Ste Apollonie, vierge marlyre en i'an 49. On lui cassa les dents ii coups demarlcau. On I'invogueconlrt; le inal de dcnis. On I'appelle aussi Sie Apolline. St NiCEruoRE, martyr a Anlio- che, en 260. St Assdert, cvequc de Rouen morl en 698. 13. Jendi. Ste Catherine dc Ricci, religieuse dc I'ordre do St-Dominique, morteen 1589. St Polvelcte, martyr en 257. Lc grand Corncille a fail one sdniir.ililc iragedie qui retrace le i:iari\re de ce saint. St Gkegoire II, papc, mort en 731. 14. Vendredi St Valentin prijtrcot martyr au 5* siucle, St Cvrille el Sr Methode, ap6- tres dc la Dulgarie, au 9*^ sieclc. 1 5. Kamedi. St Sigefrihe ou SiiROY, eveque et apotre de Suede, morl en 1002. St Faestin el St Jovite, martyrs en 121. 16. Dftimanclie. Deuxieme dimanche dc Carcme. St Onesime, disciple de St Paul apotre, martyrise en 95. St Gregoipe X, papc qui pre- sida au concile general de Lyon en 1274, morten 1276. IT. Lundi. St Flavien, ar- cheveque dc Constantinople, mort on 449. St Tiieodule ct St Jclien, mar- tyrs en 509. dans la Pales- tine. 19. Mapdi. StSijieon, cveque de Jerusalem, martyr en lUO. St Leon et St Paregonics, mar- tyrs au 5^ siecle. St Anoilbert, 7^ abbe de St- Riquicr en Ponthieu, mort en 814. ao. 8/andi. Ste Scolastiqee, , „ ■« .. ^ „ , , ' 19. Hercredi. St Barbat vicfire, sceur du grand St , . , R,„ ., ,- .,, ? ,, , evcque dc Betievcnt, morl Ucnoit, iondateur des bene- dictms.morte en 545. *^" *'^-- St GiiiLLAL'jiE,crniite, fondalcur SOJeudi. StTvrannion, eve de I'ordre des guillemites, mort en 1157. Ste Austkeeerte, vierge , pre- miere abbesscdcPavilly, au diocese de Rouen, morte en 705. que de Tyr, ct plusieurs au- Ires martyrs en 304 ct 310, St Electhere, evcque dc Tour- nai ct martyr en 552. St Eucher, eveque d'OHeans, mort en 743. 1. Mardl. St Satcrmn et 21- Vendredi. St Severien eveque dc Scythopolis en Palestine, martyr en 455. StDaniel, prclre, cISteVerda, martyrs dc Perse, en 54-i. 2 2. Sainedi. La Chaire de St Pierre a Aulioche. autres martyrsd'Afrique, en 504. St Skveris, abbe d'Agaune en 507. La jolie ^glisc gothiqae de St-Sevcrin de Paris est sous son invocation. 12. Alercredi. St BenoIt, abbe d'Anianecn Languedoc, mort en 821 . St Melece, patriarclie d'An- tioche, morl en 581. Ste Eliulie, vierge marlyre dc Darcclonc, au 5*^ sieclc. Le prince des apolrcs fondale siege d*Anlioclie, oil les disciples de J.-C. requrenl le nom de Chretiens. Ensuite il iransfura ce siege hi Rome, afin que cclie der- ni^re ville, qui eiaii en ce mo- ment la (opilaledumonde paien, devint la luctropole du monde conquis i TEvaugile. 101 28. Dimanchc. Troisiemo dimanchc deCarenic. St J^reuie, jardinter ct marlyr en 306. Le bienbeureux Pierre Dauier^ cardinal, mort en 1072. II a laissfi plusieors oavrages csiimes. ' 34. Eiundi. St Mathias, apo- tre, eiu par les onze aulres apolres en remplacemcnt du trailre Judas. On croii qu'il pri^cha sDr Ics c6lfs de la mer Caspieune, et ei qu'il y fut luartyrisc. St Pretextat, eveque dc Rouen, assassiiie par ordre de ia barbare Fredegonde en 588. Le bienbeureux Robert d'Ar- brisselles, fondalcur de I'or- dre de Fontevrault, mort en 116. 25 Mardi. St Taraise, pa- triarclie de Constantinople, mort en 806. St Victorin cl scs compagnons , martyrs en 284. St Cesaire, medecin, mort cu 3G9. 20. Uercredi. StAlexandee, patriarcbe dAlexandrie , morl en 526. St Porphybe, eveque de Gaze, mort en 420. St VurroR, d'Arcis-sur-Auhe cii Cbantpa;^nc, mort a Sa- lurniac, iiujourdhui St-Vi- tre, a '2Iicuesd'Arcis, dans le 7<' sieclc. 27. Jeadi. St Leandre, evc- que dcSC'ville, mort en 596. St Nestor, eveque de Side, en Panipliilie, martyr en 250. Ste Honorine, vierge marlyre au pays de Caux, en Nor- mandie au 3e on 4^ siecle. St Galmier, serruricr, puis sous-diacre a Lyon, morl en 650. 28. Vcndredi. LesSts Mar- tyrs, morts dans la grandc pesle qui ravagca I'empire romain, depuis Pan 249 jusqu'a 262. lis se sacrifiercni pour le ser- vice des pesiifcres d'Alexandiic, en 261, 262 el 263. St Protere, palriarcbe d'An- tioche, martyr en 457. St Rouaire et St Lui-jcin, fon- dateurs des monastcres du mont Jura, le premier mort en 460, lc sccond'en 480. 102 SCENES SCENES, RECITS, AVENTURES, EXTHAITS DES PLCS RliCEKTS VOViCEUBS. n. TBIEBS DAKS UN C0ir7ENT DBS tTBSSEES. L'imjircssion produite par la giMnileur des monlagncs, par I'aspecl et la venerable soliliiJeJ'imvieux couvenl Jes Pyrenees, sur Tun des esprits Ics plus vifs de celte epoquc, sur I'lin des lionimos qui se sont melcs avec la plus ardciilc activile au Hot des affaires et au tourliillon de la pnliliipie moderne, esl un fait trop curieux pourne pas allirer I'at- tciition. D'ailleurs les pages suivanles, qui conlienueiU le resultat de cetle im))rcssion religieuse de M. Thiers, sont cntre les plus belles que Ion ait ecrilcs dans ces derniers temps ; el, sans aucun doute, elles lui Icrontle plus grand honneur dans I'avenir et donnerout u son nom une con- secration plus reclle que les discoursprononccs par lui a la chanibre des deputes. Ainsi s'elevent a la fois le talent, Tame et le style sous I'inlluence des emotions religieuses; ainsi le calholicisme, si vivement, si inulilemcnt atlaque, est encore la source vive oil les liommes de I'epoque les plus ardenls a servir le mouvement moderne vonl puiser leurs inspirations les plus puissantes. Mais laissons parler M. Thiers. « Tandis que je gravissais, dit le voyageur, par une ma- tinee Ircs-froide, le sentier qui conduit a Saint-Savin, un brouillard epais rcniplissait ralmo^phere. Je voyais a peine les arbres les plus voisins de moi, et leurs Irenes se dessi- naient comme des ombres a travcrs la vapeur. A peine ar- rive au sommct,je fus ravi de me trouver au pied d'une gothique chapelle, et ses ogives, ses arcs si divises, ses fe- iielres en forme de rosaces, ses vitrauxde couleur a moitie briscs, me charmerent. Enlin, me dis-je en passant sous I'anlique voule, voici une veritable ahbaye. C'ctait pour mon imagination un ancicn voeu realise. Des Espagnols tra- vaillaient dans la cour. Ces robustes ouvriors remuaient avec gravilc d'enormes pierres, et j'appris, qu'a cause de leur patience et dc leur sobrietc, on les employait dans nos Pyrenees francaises aux travaux les plus difliciles. « Mon compagnon de voyage demandale proprictaire, et tout a coup un pi'lil liomme, vif et gai, se presenta, en di- sant : « Voici le prieur;que lui deniande-t-on ? — Voir la vallee et son prieure. — Bien venus, nous dit-il, lieu venus ceux qui veulent voir la vallee et le prieure. » 11 nous ouvrit alors une porte qui, de celte cour, nous jeta sur une terrasse. « Tenez, ajouta-t-il, vous venez au bon moment; regardez et taisez-vous. » Je regardai en effel, et de longlemps je n'ouvris la bouche. La terrasse sur laquelle nous nous trouvions etait justement a mi-cote, c'esl-il-dire dans la veritable perspective du tableau, en outre sous un vrai jour, carle soleil se levant a peine donnait nn relief extraordinaire a tons les objels. Le brouillard, que j'avais un instant auparavant sur la tete, etait alors au-dessous de me.: pieds; il s'etendait comme une mer immense et allait Hotter contre les montagnes, etjusque dans leurs moindres sinuosites. Je voyais des bosquets d'arbres dont le tronc etait plonge dans la vapeur et dontla tete paraissait a peine; des chateaux a quatre tours, qui ne montraicnt que leurs cunes d'ardnises. La moiudre briso qui vcnait snuk-vcr cell;' masse I'agilait comme une mcr. Aupres de moi, elle vc- nait bnllre conire les murs de la terrasse, et j'aurais etc tente de me haisser pour y puis-'r comme dans un liquide. Bicntot le soleil, la penetrant, Tagita profondoment el y produisit une espcce de lournienle. Snuilain elle .s'elova dans I'air cnmme \\ne pluie d'or : lout dispnrul ii travers celte vapour dc feu, el le disque meme dn soleil fut entic- remenl cache. Ce spectacle avail le prestige d'nn songe; mais, un instant npres, celte pluie relomha, Pair se trouva aussi pur, le brouillard aussi epais, mais moins cleve; grace a cet abaissement, de nouveau.x arbres monlraient leurs teles; des coteaux inapercus tout a I'beure presenle- rent leurs cimes grises ou verdoyantes. Ce mouvement d'absoi'ption se renouvcla plusienrs fois, et a chaque re- prise, le brouillard, en relombant, se IrouTait abaisse, el une nouvelle zone elail decouverle. « C'est le medecin Caulurets qui a fait cctic acquisition, et qui esl le patron nalurel de ces monlagnards, leurcon- seil dans loule leurs affaires, leur organe aupres dc I'auto- rite, leur medecin quand ils sont malades. II s'csl nomnio le prieur de Saint-Savin, les habitants lui en en ont donno le litre. « Je me rendis de nouveau sur la terrasse pour jmiir d'un spectacle lout different, celui de la vallee delivree des brouillards, IVaichc de la rosee et brillanle du soleil. Dans ce moment le voile elail tire ; je voyais lout, jusqu'a rccnnie des torrents el au vol des oiscaux ; Pair etait par- faitcinent pur; seulemenl, quclques nuagcs, qui se trou- vaient sur la direction ordinairemenl plus froide des eaux ou des courauls d'air, circulaicnt encore dans le milieu du bassin, se Irainaient pen a pen le long des monlagnes, re- monlaient dans leurs sinunsiles et venaient se reposer enfin aulour de leurs points les plus elevOs, oil ils ondoyaient legeremenl. Mais la vallee, comme une rose fraichemeut epanouie, me montrail ses hois, ses coteaux, ses plaines vcrlos de ble naissaut, ou noiros d'un recent lahnnrnge ; ses etaugs nombrcus converts de hameaux el de palurages, ses bosquets lleuris, mais conservant encore leurs feuil- lages jaunatres ; eulin, des glaces et des nicbers mcnacanls. Maisce qu'il est impossible de rendre, c'est ce mouvement si varie des oiseanx de loule espece, des troupeaux qui avancaientlentemeiit d'une liaie a l'aulre,de ces nombreux chevaux qui bondissaient dans les palurages ou au bord des eaux ; ce sont surtout ces bruits confus des sonneltes des troupeaux, des aboiemenls des chiens, da cours des eaux et du vent, bruits mclijs, adnucis par la distance ct qui, joignanl leur effet a celui de tons ces mouvements, exprimail une vie, si elendue, si varice, si calme. Je nc sais (pielles idees douces, consolanles, mais inlinios, immenses, s'enqiarent de I'ame, a ccl aspect, et la remplisseul d'a- moni- pour cetle nature el de confiance en ses ocuvres. Et si, dans les intcrvalles deces bruits qui se snccedenl comme des ondes, un chant de berger rcsoniie quebpies instants, il semblc que la pcnseede I honmie s'elove avec ce chant pour raconler ses besoins, ses fatigues au ciel, el lui on demanderle soulagemenl. Oh! combien de choses ce bor- ger, qui nc pense peut-elrc pas plus que Poiseau qui chantc a ses cotes, combien de choses il me fait senlir et pensor ! Mais cetle douce emotion passe comme un beau rove, comme un bel air de musique, comme un bel effel de lu- mierc, comme ce qui est liien, comme cc qui, nous ton- DE VOYAGES llECENTS. clinnl vivcment, ne Joit, par cola moine, durer qii'iin inslaiit, » Ce dernier mouvomenl, religiciix et lyritnie, est plcin dc cliarme et d'elevation. comnie le fait tres-bicn <05 observer uii critique modernc, M. Saiute-Beuve, qui, le premier, a cite ce passage avec I'eloge qu'il nicrilc. ( Voyages aiix Pyrenees. ) ONE NDIT DZ F£HII>. Ceux qui sc sont promencs sur les bords dc I'AJige, de- vant Rovigo, saventsans doute qu'ii une licuc etdemie dc la ville, il y a deux ilos situces au milieu du canal ; enire cllcs et le bord I'eau u'a pas plus d'un pied de profondeur ; ceuxqui ne voyagent que dans les livres onlprobablenieni cntindu dire que I'Adige cstextrcmemenl sujctte a de vio- lenles inundations, egalenient rcmari|uables par leur eleva- tion et leur baisse subites, devant :i leur origine dans un pays niontagnenx un cours de si pen de durce. Hans la soiree de I'un des dernicrs jours du mois de mai, j'arrivai au bord oppose d'une de ces iles. L'eau, aussi pure (jue lecristal, coulait doucement dans un job canal rcnipli de petits cailloux ; I'ile, qui pouvait eire a environ quarante verges du bord sur lequel je me trouvais, quoi que aunc distance de plus du double dc I'aulrc cute, m'allirait par sa belle verdure et par une moisson de beaux narcisses, Heur donl je suis extremement amateur. Trois ou quatre arbres, peu fournis dc branches, croissaient aussi sur Ic bord. le tronc incline sur l'eau. Apres un jour de marcbe, rien n'est plus agrcable que .]e passer un courant a gue ; et commc j'avais du temps en reserve, je resolus de me reposer dans I'ile. Cela fut bientot accompli ; car la prolondcur n'exccdait pas deux pieds ; je Irouvai I'ile aussi agrcable que je I'avais suppose, et ayant cueilli un gros bouquet, je mctendis sur le gazon, m'a- banJonnant aux agreables souvenirs du pays et de quel- qucs scenes passees , que I'odeur de cette lleur m'ap- portait avec ellc. Je n'elais la que depuis environ un quart d'heure, ou- bliant et le temps et le lieu, quand mon attention fut legerement distraite par un bruit a quelquc distance. Je supposai d'abord que c'etait le tonnerre qui s'etait fait entendre du cote du nord dans le courant du jour; cependant le bruit continuait et devenait plus distinct; je supjiosai encore que c'etait un de ces eclats prolonges qui sont si fretprents dans Ic midi des Alpes. Bientot cependant le bruit cliangea de nature, et devint sem- blable a celui de la mer ; comme il allail toujours croissant, je fus saisi de quelques alarmes, et tout a coup je visapparaitre devant moi, a la distance de quelques cenlaines de verges, une montagne d'eau noire et rugis- sante se precipitant vers moi comme un mur perpendicu- laire, avec une extreme rapiJite et avec un bruit plus eda- tant que celui des plus violents tonnerres. II n'y avail pas uu instant a pcrdre, le niveau de I'ile allait ctre immediatcment convert, et atteindre le bord elait impossible. Je grimpai ii I'instant sur le plus grand des arbres, a peine avais-je atteint une eleva- tion de dix pieds au-dessus de I'ile, qu'elle fut cnlie- rement inondec par les llots. Comme ils se rappnicbaient, leur puissance paraissait irresistible; ils scmblaient de- voir delruirc I'ile jusque dans ses fondemenls, et j'avais peu d'espoir que le tronc sur lequel j'etais tapi put re- sister a la force du torrent. L'eau toujours croissante cut dans un instant inondc I'ile et toute la vegetation, uean- moins I'arbre demeura ferme ; je voyais le torrent .se prc- cipiter au-dessous dc moi, emportant avec lui les trophces de sa puissance et de sa lureur, d'enormes branches, des racincs, des fragments dc pouts, d'ustensiles de menage et des animaux sans vie. Quant a moi, j'etais dans un danger imminent ; un in- stant de rellexion et un coup d'ceil rapide jete aux alcn- tours me demontrerent que je n'avais que peu de chances de salut. Un torrent auqiicl ntdle force humaine ne pouvait rc.sistcr se roulait impetueuscment cntre I'ilo et le bord, et, bicn que son elcndue ne fiit pas meme de cinquante verges, le traverser elait chose aussi impraticablequesi elle eut etc de plusieurs lieues. Le premier choc avait Irouve I'arbre incbranlable, mais un second pouvait I'eniporlcr. Les llots s'clevaient toujours ; a chaque moment je voyais diminuer la distance qui me separait de l'eau, et enfiii vint le moment ou jo n'etais plus qu'a quatre pieds au-dessus de sa surface. J'avais seulemenl deux espOrances fondees, les 104 SCfeiNES yilus faiblos qui piiissont ("li-e appplocs pnr co nom ; il etnit |iossiblo que quclquos iioi'sonncs lUi rivage vissonl ma si- Uialion avaiit la nuil, el qn'oUos en cngageassonl d'au- tres a me poi'ler sccoiirs; on bien, il poiivait arrivcr que la riviere cessat de s'elever ct baissat pinmptement.La pre- miere dc CCS chances clait Ires-incertaine, celte parlie du pays n'elant presqiie pas liabitee, el le grand clieniin n'e- tant pas parallcic a la riviere; scs bords, a trois on qualre cents verges du canal, etaient inondes sur une profondcnr de trois on qualre pieds; enfin il elait Ires-difficile dc pro- voir quelle puissance humaine viendrait me delivrcr. Au- cun bateau ne pouvail allcindrc I'ilc, el lors meme qu'unc corde eul pu ctre lanccc ;i cetle distance, il n'ctail gucre imaginable quo jc pussc la saisir, me Irouvantdans I'im- possibilile de boiiger de I'arbrc dans lequcl j'ctais tapi, el I'cau paraissanl ne pas devoir baisser de silol. Du moins, ctait-il incroyable a tout cvenemenl que cela put arriver avant la chute de la nuit. La soiree se passa dans celte perillcuse el terrible situa- tion. Personne n'apparaissail, etia riviere s'clevait de plus ciiplus.lc ciel elait has etparaisr.ailmcnacant,el Ic sombre torrent, en se precipitant avec une impctuosile loujours croissante,merappelall,parlesdchrisqu'ilentrainaitdanssa course, la fragdite de I'unique appui auquel je devais men existence. Les bords des deux rivesetaicnttransformcsenlar- ges lacs cnllammes, el le soleil en haissant repandail ses rayons sur ces caiix rougeatres. La nuit vinl enfin, et elle fut terrible. Quelquefois je m'imaginais que I'arbre etaitde- taclic jusqu'aux racines ct s'affaissail de plus en plus vers I'eau; d'autres fois je pensais que I'ilc serail enlicremenl cniportce, el nioi-nieme entraine par le torrent. Reconnais- saiil que mon esprit s'egarait, j'cus la precaution de prendre dans une de mes poches un mouchoir de soie que je de- chirai en plusieurs bandes, et apres les avoir jointes en- semble, je m'en ccignis vers le milieu du corps et me sus- pendis a line branche forte ; je pensai que cela pour- rait prevenir ma chute, si quelque verlige, ou un som- meil momentane s'emparail de moi. Pendant la nuit, plu- sieurs etranges ballucinations vinrent m'assaillir, el leurs frequentes apparitions me faisaicnl supposerquc I'ile clail entraince par le torrent. Tanlol je eroyais lonrner en rood; une autrefois je pensais que le torrcntcoulail a reculons ; el alorsmon imagination presentail a ma viie dc grands corps noirspousses vers moi sur la surface, jercculaiscn arrierc pour eviter tout contact avec cux; dans un autre moment c'elait quelque chose qui sortail de dessous I'eau en cssayani de m'enlrainer; souvcnt j'etais persuade que j'entemlais de longs cris se melant a I'aclion precipitec du lorreul ; ensuile le bruit parut tout ii coup cesser entieremcnt, d j'allais me hasarder a desccndre, certain que le canal elait a sec. Je sommoillai une ou deux fois I'espace d'un mo- nienl, mais jc m'cveillai en tre.ssaillant si violemncut, que, si je n'eussc pas etc altaclie, je serais infailliblcmeiit luuibe. La nuit s'ecoula gradui'Uenieut ; elle fut douce el seche, de sorte que je n'eus pas a souffrir du froid. J'ctais presque salisfail do la solidito du tronc qui clail mon unique refuge, et, bicn que ma delivrance fiit incertaine, je priai clje me resignaia la patience. Ainsi je passai la nuil sous un ciel sansetniles, el les sombres (lots grondaut au-dcssous de moi. Le matin, avaul le point du jour, je pus m'assurerquc les caux commencaiont dc bais- ser, le bruit me parut moiudrc ; il me sembla voir des ar- lirisscaux au-dessus dc I'rau dans I'ile, cl les arbrcs du bord rcprcndre leur apparcucc babiluelle. Aux premiers rayons du jour j'apercus avec bonheur que je ne m'ctais pas trompe; I'inondaliou avail baissc au moins de Irois pieds; ct, avant le lever du soleil, la plus grande panic dc rile ctail a sec. .Tamais criminel, qui oblicnl un sursis .sur I'echafaud, ne secoua ses liens avec plus de joic que je ne dclachai ceux qui me relenaionl a I'arbrc. Jc glissai en has du Ironc suspendu encore sur le torrent, ct marchai dans rile ayanl de I'eau jusqu'a la hauteur des genoux. Jc mo . dirigeai vers l« gue, du cole dc la panic dcja laisseea sec, ct 1,1 jc m'elendis quiise par la veille dc la nuit et ma- lade de la position que j'avais etc oblige dc gardcr sur I'arbrc. L'caucuntiiiua de b.iisscr pcrcepliblenicnt d'un mouicnt ii I'autrc ; bicutut I'ile fut cnliercmcnlii sec, el I'eau rcuirn dans sou lituaturel; ueaumoins Ic torrcul elait encore trop ropidc cl Irop (u'ofnud pour que jc risquassc d'cn ten- ter le passage; j'ctais trop affaibli par I'cprcuve des douzc hcures ct par le hesoin d'alimenls. Je n'etais pas certain de I'heure, n'ayanl pas pense dans la soiree de la veille a reglcr ma monire; jc I'apprcciai par la hauteur du so- ldi; cepcndant I'eau avail considcrablcment baisse avant midi, el je pensai que dans quelques heures je pourrais e.ssaycr de gagner le bord. Environ vers les trois hcures de I'aprcs-niidi j'entrai dans le couranl oii je ne Irouvai d'can que qualre jiicds de profondcnr, el avec quelques cfforls je parvins ;i attciu- dre Ic bord, que j'avais cru ne devoir plus fouler. Je Icuais encore dans mes mains le boui|UCt de narcisses quo je n'avais pas oublio dc rapporlcr. J'en avals llelri quel- (lucs-unes en les lenanl loujours a la main. Soil qucje me promcne a leavers les hois ou les champs, je ne sen- lirai jamais Todeur de cctto lleur sans me rappcler Ics sensations quo j'cprouvai en relevant la lete, en voyant le torrent itnpelucux se prccipilcr vers moi; cepcndant, queli]ue terrible que cetle renlite ait pu elre, le souvenir de ce liou(piet n'csl pas sans uu melange de plaisir. J'ouvrc .souveut les feuillcs dc I'lu^rbicr on se Irouvenl ces lleurs fauces, cl, en les consideiant, je n'ai jamais cru Ics avoir achclecs Irop clicr. Anujfo (jiraldi. Viaggi. I.'BOMI«E BT I.E TIGRE. Pour amuser Ic liadjah dc Scrampore et sa cour, un honimc entra dans rareue, arme seulemenl d'un long coutcau, vein d'une pelite culolle courle ne descendant qu'au milieu des cuisscs. L'inslrumcnt qu'il tenait dans sa main droite porlait une pesantc lame d'environ deux pieds dc long sur trois pouces di^ large, rcssenihlant uu pen ;i un sue de charrue, el diuiiuuanl par degres vers la poignce, qui forniaitun angle droit. Lis Conrgs lout usage de cc cou- tcau avec une graiidc dexleiile, ils le licnnenl dans la main avanl do conimencer Ic combat, et amenes devanl leur adversaire, ils le frappent avec une force cl un effcl vrainemcnt ctonnants. Lc champion qui seprcscniail devaut Ic radjah elait op- pose ii un tigre, qu'il combattit volontaircmenl et presque nu,muniseulcmcntderarnie(|ue je viensde decrire. II clail , granil, sa figure maigre, r.iais sa poilrine elait large cl ses liiiii DE VOYAGES RECEJITS. Ko bras longs ctmiisciileiix. Sosjaniboa, fiuoii(iic mincos, Inis- saientapercevoiruchaqucmouvcmcnt Icursmusclos, landis qucl'aisance de sonmainlien el Ics evolutions proparaloi- rcs qu'il cxcciilaavanldcs'oiigagcr dansccltecntrcpriscpc- rilleuse demonlraiont r|ii'il possi-dait mic aclivile pen com- miinc, joinlc a un Jcgn; do force extraordinaire. L'exprcs- sion de sa figure ctait vraiment suWinie quand il donna Ic signal do lacher lo ligro ; c'clait loutc la concentration de I'encrgie morale, indication d'uue haute resolulion Ijicn arreli'o. Son corps brillait dc I'liuile dont il s'elait frolic I'our donucr a ses jambes plus d'clasticitc. 11 cleva peu- dant quelqucs moments son bras au-dcssiis de sa te'c quand il fit le signal d'admetire son cnnenii dans rarciie. Les liar- rcaus d'une large cage dc fcrfurent culevcsarinstant ; un enornio tigrc royal s'elanca ct s'arrela dcvant le Courg rcniuant Icnlemeut dc culc ct d'autre sa queue vclne, en ctouffant a dcmi un faible liurlemcnt. L'animal contcmpla d'abord I'homme, ensuite la galorie ou lo radjab et sa cour ctaicnt places pour voir le combat ; mais i! ne paraissail pas Irop a I'aisc dans cet etat actucl dc liberie; il etait evi- dent qu'il etait coufondu de la nouvcaute de cette position. Apres avoir rcgarde im moment 'autour dc lui, il se rc- lourna brusqiiement, el eulra d'un bond Janssa cage, d'oii Ics gardicns, qui ctaicnt au-dcssus, liors de laltcinle du danger, cssaycrent vaincment de le fairo sortir . Les barrcaux furcntalors abaisses, cl plusicurs fusees atlachccs a sa queue, qui passait a travers »u dcs inlcrvalles. Uiic mcclie alhimce fut mise dans Ics mains du Ceurg, Ics bar- rcaux lurcnt de nouveaux siulevcs et les fusees alluinees. Le ligrc s'elanca alors dans j'arcne en poussant des liurle- meiits lerribles, ct landis que les fusees faisaicnlex|dusiiin, il bondissail, tournait et se tortillait dans un clat d'cxcila- tion frenelique. A la fin, il alia sc tr.pir dans un coin, gro- gnant conmic un dial en furcur. Neanmoins on lui avail coupe la retraitccn lui enlevanl sa cage. Tendant I'cxplo- sion dcs fusees, le Courg i]orlail toutc son attention sur sou cnncmi, ct s'avanca cnlin vers lui dun pas lent, mais fcrmc. Lc ligre se rcleva et lit quclques pas en arrierc, le poil liiirissc sur le dos et la queue plus grossc du double. 11 u'elail pas du tout dispose a comniencer les bostililes, mais son intrepide et inevitable advcrsaire, flxant altenti- vcmcnt ses ycuxsurleferoce animal, il avancait loujours avcc le meme pas assure ;le ligre, rcculant commcaupara- vaiil, presenlail loujours son front ,i son cnnemi. Le Courg s'arrela alors subilcnicnl; en mcme icmps le tigre, se por'- laul Icnlemeut eu ai-riere, se drcssa de loute sa hautcui, alici-;sa son dos de maniere a cxccuter un saut en agilaut sa queue cvidcmmcnt mcnncanle. L'hommc conlinuait a ballrc en rctrailc, et aussitol qu'il futassczcloiguc, l'animal feroce s'elanca soudain en avaul, se ramassa sur lui-meme, el bondit en' puussanl un Icfer burlcmcnl. Son adversaire, qui s'y alteudait, saula agile- mcntdecotc, ct lorsque le tigre touclia terre, il brandiison lourd couteau et le lanca avec une force irresistible sur la patte de derriere de l'animal, juste li la panic du joint. L'os Alt a rinstanl separe el lc ligre liors d'etat de faire une nouvelle allaquc. Bicn que l'animal rugissanl fut blesse. il se retourna sur le Courg, qui avail cu ic temps dc sc retirer ,i quclques verges dc distance, cl s'avanca furicux contre lui, la palle bicssce el ballante ne tenant pins que par un fragment de peau. Lc tigre, alors saisi d'une vio- Icnle rage, s'elanca sur ses Irois palles vers sou adver- saire, qui reslail immoliile, tenant son couleau elcve, at- tendant le combat. Aussitol que la bete feroce fut a sa portee, il abaissa Tarnie pesanle sur la tele du tigre avcc une force a laquelle rien ne pouvail register; il lui ou- vrit le crane d'une oreille a I'aulre, cl rennemi vaincu tomba mort a ses pieds. Pnis il essuya avec sang-froid son 1 s 100 SCENES couteau sur la pcoii de I'diiimal. lit tin saliU rcspcctueux nu ladjali, else rclira an milieu dcs vivos acdamalions des spcclaleiirs, precisi'ineut comme un danseur de nos Ihed- licssaliie Ic [lublic et prciid conge aprcs avoir execute un pas applaudi. ( Voyages au Caboul. ) nOU AKTOSIXO GARCIA DB AQUI£.A, CUHE de PITIECUA. Nous parlioiis, dans iin dcs dcraicrs niimcros de noire jnurnal, de ce prejiige ridicule, qui represcnle aux ycux dcs nations dii Word le clcrge dcs regions calholiqucs el mcridionales de I'Europc comnie livre au fanalisme et a Tcsprit dc domination. Deja nous avons donne un exlrait dc voyage (1) qui inlroduisait nos lecteurs dans la retraite vcrtucusc, niodeste el hospitaliercderun dcs cures de Cor- doue. Le recent voyage de M. Borrow, proteslant, nous offre line scene absolument analogue, im personnage tout a fait seniWable a cclui que nous avous deji vu parailre ; il est mis en scene par I'auteur avec une naivete tres-interes- sante. « Une fenime nous indiqua une maisonnette dc meilleure apparence que les aulres, ayani un jiorliquc, si je ne me trompc, enliereraent convert d'une vigne grimpante. Nous frappames fort longlemps a la porte, sans qu'on vint nous repondrejle silence elaitcomplet ; onn'entendaitpasmenic raboicmcnt d'unchien : le fait est que le cure et toiUe sa famiUe, coinposce d'une vieille servante el dun chat, fai- saient la siesle. Le brave homme fut cnfin reveille par notre tapage et nos cris, car nous avions fnim el nous clions par conse- qncnl impaticnls. Saulant de son lit, il courut prccipitam- ment a la porte; el, lorsqu'il nous apercut, il se confondit en excuses, disnnt qu'au lieu dc dormir a cetle heurc, il aurait di't alter a la rencontre du convive qu'il altendait. II m'embrassa ires-affecliicuscmcnt et me conduisit dans un petit salon de moyennc graiulcnr lout garni de plan- ches cncombrces de livres. D'un cote so trouvail une table ou bureau rccouvert de maroquin noir, puis un grand faii- tcuil conforlablc dans leqncl il me poussa, comme j'al- lais, en veritable bibliomane, inspccter ses livres; — di- sanl, avec beauconp de vivacite, qu'il n'avail rien qui ful digue d'attirer rattcntion dun Anglais; loute sa collection se composait uniqucment dc bieviaires el d'aridcs trailes thcologiquos Ensuitfl il s'occupa do nous donner dcs rafraicbisse- ments. En un clin d'lsil, avec I'aide de la vieille servante, il placa sur la table plusiours assiettes de gateaux el de confitures, en compagnic do quclques grandes et grosses lioutcilles de verro qui me semblaicnl avoir Leaucoup d'analogie avec cellos de Schiedam ; je ne me trompais pas. a La, dit-il, se frotlant les mains, grace 4 Dieu, je (I puisvous traitor de maniere a vous etre agreable.. II y a a dans ces bouteillcs du liollande de trente ans; d el, nous offranl deux verres, il ajoula : « Remplissez, mes « amis; buvcz, buvez jusqu';i la derniere goutte, si cela a vous plait ; j'en lais pen de cas, moi qui ne hois gucre « jamais que de I'eau. Je sais que vous I'aimez, vous au- n Ires insulaires, que vous ne pnuvez vous en passer. Pre- (I) Voyez n" II, pase 56, l'f5r/c (i im ctir^ ilr Cimhitc, « nez done, pulsquc cela vous fait du Lien; je regrclte 11 sculcmenl do n'en avoir pas davantage. » riemarquant que nous nous contenlions dele goiilcr, il nous regarda d'un air surpris, el nous demanda pourquoi nous ne buvions pas. Nous Uii repondimcs quo nous ai- mions pen lesspirimeux, clj'ajoutai qu'il m'arrivaitmomn raremenl de jirendrc du vin. 11 me parut asscz incredule ; mais il nous dil de faire comme nous voulions el de de- mander ce qui pourrait nous etre agreable. Nous avoiia- nies que, n'ayant pas dine, nous serious fort aises de pou- voir nous rcstaurer. 0 Je Drains, dit-il, de ne rien trouver dans la maison « qui vous convienne ; cependanl nous irons voir. » Alois il nous conduisit dans une petite cour derriere la maison, qu'on aurail pn nommer un jardin ou un verger, si I'on y avail plantc des arbres ou des llcurs ; mais die no produisail autre chose quo de I'herbe en abondance. A un bout se trouvail un grand pigconnier, ou nous enframes tous. « Ah 1 dil-il, si nous pouvions trouver quclques beaux c( pigeons delicals, cela vous ferait un diner excellent. » Vain cspoir cependanl ; aprcs avoir fouillc dans les nids, nous ne Irouvamcs que des pelils fort peu mangeables. Le brave liomme devint triste, et dil qu'il comniencait a craindre que nous fussions obliges de partir sans diner. Laissanl le pigeonnicr, il nous conduisit a un cndroit oil nous Irouvamcs plusieurs ruches d'abeillcs, aulour des- quclles voltigeail une foule dc cos ingenicux inscctes, rem- plissant I'air de leurs concerts. « Apres mon procliain, dit-il, je n'aimc rien plus Icn- « dremenl que ces abeiUcs ; c'cst un bonheur pour moi quo ci de les conlemplcr el d'ecouter Icur murmure. » Nous travcrsames ensuilc plusieurs pieces non mcublees. Dans I'une elaicnl accrochees plusieurs flechcs de lard, devanl lesquellcs il s'arrola, les regardant avec grandc altcntion. Nous lui dimes que s'il n'avail pas autre chose a nous offrir, nous serious tres-satisfaits de manger qucl- ques tranches do ce jamlion, surtout s'il pouvail y ajoutcr dcs reufs. u A dire vrai, repondit-il, je n'airien demcilleur;clsi u vous pouvez vous conicnler d'un pareil mets, j'en serai (I lorl heureux. (Jiianl aux teufs, ils ne nous manqucront (I pas, et parfaitcmenl frais, car mes ponies pondent tous <( Ics jours... n Aussitol que tout ful prepare et arrange selon noire grc; nous nous mimes a table devanl le jambon cl les ocufs, dans une pelilc chambre, non pas cello ou il nous avail re- cus d'abord, mais de I'autro cote de la porte d'enlree. Quoi(pic Ic bon cure ne mangeal rien ( il avail pris son repas longlemps auparavant ) , il s'clail mis a table et animait le diner par sa causerie. « La, mes amis, dit-il, ou vous etes mainlcnant, se sonl « assis, comme vous, quclques-unsdos hcros dc cos gran- u des balaillcs qui onl eu lieu cntre les Francais el les An- II glais pendant la guerre derindepondance. C'ctaient des 0 heros de part et d'anlrc. Quels hommes 1 » Et il se mil a nous raconlc- ces combats en termes que je serais heureux de Iraduire, si ma plume elait capable de rendre en anglais les cncrgiqucs el foudroyantes exproi- sions de la langue caslillane. J'avais cm jusqu'd ce mnmenl que ce vieillard elait un homme simple, ignorant el presque nul, aussi incapable d'cmolions fortes que la torluo renferniee dans sa coquille ; mais il semblait lout a coup inspire ; ses ycux claienl pleins DE VOYAGES d.' feu; chaque muscle ile son visage elail en mouvcment. Dans son agitation, la petite calotte qu'il fiortait, scion I'u- sa-e du clerge calholitiue, se baissait et se relevaila clia- qiio instant ; el Licntot je m'apercus que j'etais en presence linn de ces homnics remarquables qui naissenl si frequem- ment ausein de I'Eglise romaine, el qui unissent a la sim- [ilicite de Tcnfance uiie prodigieuse cnergie et une remar- quable intelligence, cgalcmcnt propres a dirigcr un petit Iroupeau de grossiers paysans, dans quelque obscur vil- lage d'llalie ou d'Espognc, et a convertir dcs millions d'idolatres sur les rives du Japon, de la Chine et du Pa- raguay. Cetaitun bomme maigre et sec d'environ soixantc-cinq ans; il porlait un manleau d'cloffe grossierc; le reste de ses vetemenls a I'avenant. Cctte simplicitii niodeste de rhomme exterieur n'etait, en aiieune maniere, Iniposee par la pauvrctc. An contraire, la cure etait excdlente et mettait an moins cliaque annee a sa disposition pres de 800 dollars, dont la Iniitieme paitie sufQsait largcnient a la depense de la maison et a la sienne propre ; le reste clait employe en ccuvres de charilc les plus racriloires. II nour- rissail le voyageur affame et lerenvoyailchantant, sa be- sace pourvue de viande el sa bourse grossie d'une peseta. Ses paroissiens embarrasses trouvaicnl toujours pros de lui un secours imniediat. On peut dire i]iril etait le ban- quier du village; jamais 11 ne s'attendail a etre rembourse deceux ausquels il prctail; jamais il n'cn avail meme Ic desir. Quoique oblige de se rendre souvent ,i Salanianque, il ne se donnait pas la mule, el se contentail de I'ane qu'il empruntail au mennier du voisinage. « J'avais autrefois « une mule, dit-il; mais, il y a quelques annces, un « voyageur que j'avais heberge la null I'emmena sans ma « permission ; car, dans celle alcove, j'ai deux lits propres « el tout prots, ii I'usage des voyageurs; je serais encbanle « que vous el voire ami en profilassicz, el que vous restas- « siez avec moi jusqu'j dcmain. » Mais j'avais bate de continuer mon voyage; mon ami desirait aussi retourner promplemcnt a Salamanque. En prenant conge du cure, je lui offris un exemplaire du Nou- veau Teslamenl ; il le prit sans proferer une parole, el le placa sur un des rayons desa bibliotbeque; mais je le vis branler la tele d'une manicre significative en regardant I'c- tudiant irlandais, comme s'il disail ; « Celui-ci espere me convertir; » il avail bien devine qui j'etais. Je n'ou- blierai pas de longlemps le bon pretre Antonio Garcia de Aguila, cure de Filiegua. » ( Uorrow. Bible in Spain. ) I.ES TORCHES SUB X.E NECKER ET LA COMEDIE SUR LA GLACE. Le Ncclicr. — Seines de iiuLI. — Un vaisseaa en prison. — Les glaccs du Spitzbcrg. — Le dcgcl. Le hasard et mon propre gout m'onl fail voyager dans les pays du monde les plus froids, el a.^sislcr a tons les spectacles, a toulos les singularites auxquelles pcuvcnl donncr lieu la ncige, la glace etleurs phenomelnes. Je n'ai HECENTS. <07 rlcn vu de plus pittorisque i eel dgard que ce qui se passo en AUemagne, sur les bords du Keeker, a la tin de I'liivcr. Quand le dcgcl arrive, les baleliers gueltent Ic monicnl de la debScIc, qui a lieu lout a coup. Rien ne bouge pen- dant des jours cntiers, comme si lagelcedevaitdurereter- nellcment; mais I'lril excrce du balelier sail lien prevoir le moment du depart, n La glace se rompra ccttc nuit, B disenl-ilsl » An fait, elle part presque toujours vera minuil. On pretend que si I'on consuUe les nombreux journJux qui annoncenl chaquc annce la rupture des gla- ces, on trouve reguliercmenl que la debacle du Rhin a lieu la null, dix-neiif lois sur vingt. Une nuit done, apres la rude gelce de 1840, les bateliers du Ncclier, a la suite d'un degel de plusicurs jours, di- rcnl : « La glace se brisera cette nuit. » Rien ne paraissail conlirmer ccttc prophetic ; comme au premier jour du dcgcl, on ne voyait qu'une dure surface de glace. L'eau ne penetrail nulle part, et on aurail pu, au coucher du soUil, se risquer a la traverser. Mais a I'approche de !a nuit, on vil ca el la brillcr la lumiero des torches au bord du Weckcr, el surtout dans la ville, oii les maisons et les moulins se trouvaienl exposes aux ravages d'un cbranlc- menl subil el d'une prompte inondalion ; car le Keeker, qui a pour lit nne vallee profonde, dont il arrose quaranle ou cinquanle milles d'etendue, ayaiit de chaque cote un pays oleve el montagneux, grossit quelquefois rapidemenl apres d'abondantes pluies ou desneiges suivies d'un prompt de- gel. II s'eleve alors jusqu'i Irente et quarante pieds ; on voit meme dans plusicurs endroils des marques qui indi- qiienl la hauteur a laquclle il s'eleva li differentes cpoqucs. (jn dil qu'a la rupture des glaces, en 1784, il altcignil lo second elage dcs maisons, environ vingt pieds au-dessiis du chemin, lequel s'eleve une fois autant au-dessus du ni- veau de la riviere. Quand une de ces inondalions subites accompagnc Ic brisement d'une glace, epaisse peut-etre de deux pieds, la spectacle est des plus imposants. La masse solide, souleveo par l'eau, qui s'elancc comme une formidable av,alanchc, so brise et eclale avec le fracas du canon. Les grosses masses de glace sont jetdes de cole et d'autre par les torrents qui se prccipitent par-dessous ; puis, se heurtant lesunes contro les autres, elles se broient et rugissent comme des lions lultanl avec des tigrcs. Toule la scene, plongde peu de temps auparavanl dans le silence el I'inaction, devienl un chaos de confusion, do bruit, de ravages, de lullcs. Des gemisscmcnts emanent do ces va;les linceuls de glace se brisant mutuellemenl, et des eaux qui se prccipitent et s'ecoulcnt avec violence. On dirail qu'elles se revcillent tout 4 coup apres un long sommeil, non-sculement avec Icurs voix anciennes, mais avec un lumulte de sons etrangers el inconnus. Comme ces redoulables blocs de glace s'clanccnt le long de la riviere, et que plusicurs sont pousses par leur mutuello violence jusque sur les bords, on a besoin de prcvenir les ravages qu'ils pourraient occasionuer, soil en brisant les bateaux elles moulins, soil en renversanllout ce qui s'op- poscrait a leur passage. Une surveillance active et conti- nuelle devienl ncces.saire. Un homme de cliaque ville ou village se lienl prct, dcs la premiere annonce de la debacle, a partir pour donner I'alarme aux environs, criant a haute voix : « La glace marche ! la glace marche ! » Le peuple sc porlc en foule sur la rive ; on lire des coups de fusil, Ics torches s'allument dans toutes les directions. Les bateliers. ilniil los Ij.-itcuus so t;-niivcnl roiivcrls ilc glaco, s'occupcnt t'.o li's en debai'msscr. D.ths Ics nics dos villcs, Ics hoiiimcs It Ii's cnfniUs sc i-nssemb!("nt lous, arnn's do pcrdics, pi'ols ;i i'f|iousscr Ics blocs mcnacanls ; el si Ics caux fiaraissciU vouloirs'clcvcr rs|jidciiicnt, on dcmciiage les nicublcs des maisons, doiit im grand nombre scrait submerge. Hepre- scnlcz-vons au nicme instanl nne pareiUe scene d'agilalion sur lous lc3 bords dcs grands llcuves d'Allemagno ct do Icurs Iribnlaircs. (Jiicl lalilcaii anime ! Lannildnncqnc les batdiers avaienlannonceepourccUe oil la debacle aiirait lieu, nous funics reveilles par Ic galop pi'ocipilc d'un chevnl cl la voix retenlissanlc d'lm hommc crianl : « La glace est cnniarcbc ! la glace est en marche! » je saulai de nion lit, jo pris do la luniicre, et je rcgardai a ma niontrc ; il ctait minnit precis. Ouvranl la fenelrc (|ui iliMinait sur Ic lleuve, je fus tenioin de la scene la plus otrauge. Une licure auparavant,lorsi|ue jeme coucliai, tout clait siloncicu.x ; maintenanl on ciUendoit au milieu do I'ob- scurite le bruit impnsani elsauvagedes elements en furcur; Ic broicment, les craiiucmcnis, Ics bruits de toute cspece, la course precipilee dcs eau.^, Ics rugisscmenis, les mugis- scmcnls du vent qui apporlail de loin I'eclio affreux dcs explosions de CCS masses deg'ace. Dcscenlaincs de torches brillaicnt sur la rive. Les cris dcs vnixbumaincs, celles des bommes, dcs feuimcs, des enfanis s'elevaicnt de lous coles. Des coups do fusil se succedaienl rapidcmenl pros de la cite. A travcrs I'obscurile on pouvait apcrcevoir des masses blnncbes semblables a des speclrcs glissant sur lean; puis lo briscment de nouvclles couches cause par Ic choc do cellcs-ci ; au dessous, rcsonnait le Iriste cl continucl fra- cas d'une balaille sous-marine ct dcs morceaux gigantesques vcnaient a chaipic inslaut frapper conlrc les arches du pout. Je m'habillai a la hale et courus vers la villc. On no pent se faire I'idee d'une scene plus pillorcsqne. Dcs gens sc precipilaienl de lous les qnarliers, du cote de la riviere. Conimc j'approchais do la ville, je rcnconlrai un cludiantobligeaul qui vcnailnous prevenir, vein de sa lon- gue robe de chambre, coil'fe d'un bonnet rouge ; il s'excusa beaucoup d'avoir o.sc so presenter devant nous en pnreil neglige. Kous primes le chcmin do la rive el passimes par un large chcmin voi'ile, au-dcssous d'une len-assc de jardin. Devant nous brillail un fanal qui cclairail a denii Ics voiitcs noircies cl les cpaisses colunnes dont nous elions environ- ncs : on aurail dil un passage a travcrs la caverne d'un bandit. A cliaqne onvcrlure, sur les bnrds de la riviere, on apcrccvait une mnlliludc de gens amies de torches el do perches, donl la physiononiie cxpriniail la plus vivo anxiele. Les fcnimes appelaicnl dcs fcnelrcs ; d'aulres, vctucs coninic rnoi a la hale, leurs nianlcaux ou leurs jupes jelccs par- dcssus la tele, couraienl ci ct la; lout respirait la vie, I'in- qnictude, I'animalion. Kous nous dirigcauies vers lo pout; bien que la glace, si Ton considerc qu'elle clait epaisse dc deux picds, s'y mil en mouvenicnt avec le plus d'ordre pos- sible, die offrail, ncanmoins, un spectacle terrible. A la lueur des torches, nous pouvions la voir marcher rapidcmenl en immense plalc-fornie de plusieurs metres earrcs, qui vcnait a chaque instant se heurlcr avec une Idle violence conlrc la )iicrrc solidodu ponl, qu'il enelail (ibranle; la Llanchcur des masses de glace qui s'cnlrc- choquaicnt en marcliant, Icur griuccmcnl, lour bruisse- inenl. lout cct nsscmblagc produisail un cffet bizarre, mnis les scenes ct les groupes euvironnanls n'elaienl pas moins clrangcs. Sous dc vicux arccaux cndomniages, au pied SCKNUS DE VOYAGES RIlCENTS. dfsquds sc precipilaienl Ics caux en furcur, .'i chaque ou- vei Inre dc la villc sur lo lleuve, sur le ponl ct Ic long des rives, on voyait des gens en fuulc aux ycux clincdants quo la luniiere dcs torches rcndait bagards. Plus loin, grace a cetic reunion de torches, on pouvait confiisemenl dis- lingucr Ics viedles lours grisatres dc cctte villc piltorcsquo, puis, nux environs, a une gramle [lauleur, les sombrcs llnucs des montagncs boisiics, plongees dans lo silence et robscnrite. Les mines du vieux chateau doniiuaient aussi avec nne m.ijcslc emprciuto dc tristcsse cldiudirfcrcucc la riviere agitce; conime s'il cutscnli qu'il avail eu jadis aussi ses jours dc bruit cl d'cmolions humaiucs, que tout cela clait fini pour lui depuis longlcmps, qu'il n'avait plus de rapporls avec les bommes el lo cliangemcnl des saisons, cl (pi'il reslait debout au milieu dcs evcnemenls conimc un magnifiqiic lemoignage du jiassc, Un autre grand spectacle, mais beaucoup plus triste, csl cdni d'nn navirc jiris par les glaces J'ai cle dans cclte silualion en 1801, lorsque j'accompagnai un navirc balei- nicr. Le psalmistc s'ccrie quelqucparl, en citant plusieurs des mcrvciUcnses crcalions de Dicu : « (Jui peul rcsisler au froid qu'il envoie? n En effet, nulle creature vivanlo n'est ctiiiablo d'eudurer le dcgrc do froid des conlrees siluces pros des poles. Co soul de vastes ct affreux deserts inha- bitcs, abandonncs memo dcs oiscaux et des betes, sans (lours, sans arbrcs, sans un coin de verdure. Mais la glaco s'y rencontre sous les formes Ics plus varices ct les plus clrangcs. La, des montagncs coloSsales, aux (lanes heris- scs cl mcnacauls, sont uuiqnenicnl composees de glaces ; dies ont quelquefois plusieurs millcs de longueur, el s'c- levciil deux fois plus haul que la conpole de Sainte-Gene- vicvc. Ellcs so formcnl dans les vallecs avoisinanl la mer; la neigo do chaque hiver se gele graduellenienl el devicnl une masse solido. Degros morceaux s'en detachentde temps a auire, tonihent dans la mer, vonl Holler au loin et offrent I'aspcct le plus imposnnt. Les vaisscaux cnvoycsi la peclie de la balciiic, etanl exposes a dc parcilles rencontres, cou- rcnl d'immcnses dangers. Quelquefois ces montagncs do glace eclalenl lout a coup en morceaux, donl un seul suf- lit pour coulcr bas un navire, s'il vicnt a le hcurter; d'un autre cute, en tombanl violemmcnt dans la mer, ellcs soulcvcnt des vagiics furieuses qui prcsenlent de nou- vcaux perils ; mais rien n'csl comparable aux ravages cau- ses par CCS grosses masses, lorsqu'dles se mellenl en mouvemcnl plusieurs a la fois. Eiles cnveloppent souvenl un malheureux vaisscau qui n'a pu lour echappcr, le com- prinicnl el broient ses (lanes dc chene conime vous brise- riez une noiscllc. (Juchpicfois, en le heurlaul sous la quillc, dies Ic jeltcnt hors do I'cau. Pauvres marinsl Si cloigncsdc chez cux, Icur vaisscau brise, oucerncs par une glace impe- netrable! reslcr,quandrhivcrapproche,au milieu d'affreu- ses regions, prives de tout sccours humain, sculs, vis-a-vis delamorlcauseesoilpar lafaim, soil par le froid! La bicn- faisanle providence de Dicu peul ncanmoins inlcrvenir ; la glace pcut s'cntr'ouvrir au bout dc quelques lieures, de ma- nierc a livrcr passage au vaisscau, dans le cas on il ne sc- rait quo cerne, et menic pcrmcltre a d'aulres d'cn appro- cher, s'il a ochoue, cl de venir au secours dcs malheureux naufragcs. Ccs accidents arriveul frequeninienl aux halei:iicrs, I CHRONIQUES comme je I'ai dej.i dit. La baleine du Groenland n'ha- Lile que les mers froides tt desolees, pt, chaqiie annOe, dcs vaisscaux anglais parlent pour ces regions de glaccs ct de neige, alin d'y recueillir riiuile cl Ics auli-es olijcts uti- les que CCS animaux nous procurcnl. lis parlcnl au prin- teitips et font en sorie de revcnir avaul I'liiver. Mal- f;re loules les prccaulions , les niarins sent quolquc- fois cnvcloppes dans les glaces ct obliges d'y rcslcr. U y a qiielques annecs, liuit niarins russcs quiUerent leur iiaviie et dcsccndii'cnt a tcrre, dans unc ile dos mers gla- ciales, lorsque survint tout a coup une violcnte tempclc |ui entraiiia leur vaisseau loin d'eux ; il leur fallut pas- ser, dans ces Iristes lieux, non-sculement U|i hiver ler- rilile, mais quatrc de suite, jusqu'ii ce qu'un equipage vint, par liasard, les decouvrir ct lbs sauver. Lorsiiu'ils se vircnt nl)andonnes de leur vaisseau, ils se livrcrcnt d'a- ET L^GENDES. 109 bord au plus violent desespoir ; enfin ils reprirent courage, se caserent de leur mieux, batirent une liutle avec tout Ic soin possible, pour se preserver du froid; ils tuerent des ours, des renards, des veaux niarins, se nourrirent de la cliair de ces aniniaux, se couvrirent de leurs peaux et sc servirent de leur graisse pour rcmplacer I'huilc d bru- Ier(1). Ces lanipes, qu'ils avaient invenlccs, leur procu- raient a la fois la chaleurella luniicre durant ces longucs miits; dans ces climals, I'obscurite est conlinucUe pen- dant I'hiver; le soleil reste cache des niois cntiers; mais, en revanche, il nc sc couche pas de tout I'ete, ct parcourt le ciel, visible pendant vingt-qualre heures. ( Voyages du capitaine Kotzebue. ) (I) Cost dans une siiiiaiion seniblablo que Ic copiiaine Ross, poor Ics (lisiriiirc, lit jouer |3 cninetlie a scs raalclots; incident curicQX tie la vie niariiime el ilont nous donncrons les details dans un nnntero proctiaio. CHROIVIQUES ET LEGENDES DU iMOYEN AGE. IiEGENDE DE FIEBRE SE IiA PAI,UD. Les vaslcs soliliides de la haute chaine du Jura, si rian- li's, si belles aux ycux dcs personnes qui y voient leur licrceau ou leur existence attaches, paraissent peut-etre liien severes et bien monotones a tout autre regard ; mais, an moment le pins inespcre, le voyageur, qui cherchc dcs sensations li Iravers nos montagnes franc-comtoises, est uelqui'fi>is dcJonimage de scs fatigues par le rccit d'une traJilion piquante. Des nuances de vegetation, plus varices que la surface generate du pays, decorent, par exception, le dume des montagnes, le front des gi-ottes, le lit des cascades vaga- boiiiles cl Ics horribles anfractuosites du vallon de Consola- tion. Au-dessus de ce paysage, mines par lenrcaducite, les pans de mur Je Chatel-Neuf-en-Venne (Doubs) ont cesse de se tcnir debout. Cclte forteresse altiere des sires dela I'alud, comtes de la linche et de la Franche-Monta- gne, surplombaitavec audace le precipice oi'i bouillonnela source du Dessoubre, et le lieu dcvenu fimeux par le pro- dige dont I'un des plus braves chevaliers de cette ilUistrc maisoii fnt le horos. Francois de la Palud, guerrier de nosdernierescroisades, avail (iponse, en 1452, Ji\nnne de Petit-Pierre, qui lui avail apporte en dot, non-seulement la tcrre de Chalel-Neuf, mais de bien plus notables seigncuries, parmi lesqnellesse faisaicnt dislinguer cclles de Villersexol, de Maiche, de Sainl-Uippolyle, et le comle de la Roche, dont I'etrange clief-lieu etait cet autre myslcrieux et grandiose que Ton appelle encore le chateau de la Roche, ct dont on ne pou- vait parler sans une .sorte d'cxallation. Crec chevalier de fordre militaire de r.\nnonciade, en 1440, par Ame- doe VIIl, premier due de Savoie, antipapc connu sous le nam de Felix V, il commandait les troupes que ce ponlife avail cnvoyuesau seeours de Jean II, roi deChypre, dont les Etals avaient cssuye uneattaquc de la part dcs Sarm- no CHRO>MQUES ET LiSgENDES. sins, sujetsdu soudaa d'Egypte. La guerre fut desaslreuse ; les forces chrelienncs y furcnt aneanties , et les inalheu- renx Europeens qu'cpargna le fer recourbe du miisul- man subirenl la plus rude caplivitc. De ce nombre fut noire heros. La tradition locale , d'accord avcc d"anciens manu- scrils conserves en 1792 au couvent des peres minimcs de Consolation, atlribue a un miracle, encore bien singulier pour le siecle oii il a vecu, la delivrance de Tillustre caplif ct son rctour au sein de ses foyers. On raconte qu'un soir, au fond de son cachol, s'etant voue a la saiute Vierge, consolalrice des affliges, il se re- pandit en prieres plus ferventes que jamais, et s'endormit dans son oraison. Lelendcmain, a son reveil, oi'i est-il? — 0 prodige ! — II se trouve assis par terre dans le vallon du Dessoubre ; il eleve ses regards, et reconnait son Chatel- Neuf au-dessus des rochers a pic ; il considere ses mains et ses pieds, oii il ne trouve plus que lempreinte de ses cliaines Benediction! les fers sent ronpus; il est libre! On ajoute une anecdote qni, je ne sais Irop comment, s'cst teinle des couleurs de I'Odyssee. En rentrant au manoir feodal, comme reulra le ruse mari de Penelope dans son palais d'llhaque, c'est-a-dire sous la livree de I'indigcnce, d'une indigence telle qu'on peul la supposer sur un mise- rable prisonnier de guerre, defigure d"aiileurs par les tortures de la faim et des souffrances, la Palud n'esl pas reconnu chez lui. A la maniere des suppliants d'llomere, il s'accroupit sur la cendre du foyer. On va, on vient, on s'agile, on se met en cuisine, on fait des preparalifs de fete. Humble pelerin, il s'informe , le plus ingenumenl qu'il pent, dusujet de tant de joie, et il apprend qu'il ne s'agit de rien moins que d'une noce. a All! dit-il, la dame de ceans fait sans doute les frais du niariage de sa soeur ? — Non ; c'est raadame elle-meme qui se remarie. — lie ; mais il est done mort, le sire de la Palud? — S"il cstmorl! De tons les hauls barons qui se sont croises contre le maudit turc, il u"en est pas revenu un seul. — Et s'il etait chez les inlideles ? — Bah! il I'aurail bien mande, aOn qu'on le racbetdt. — On I'a sans doute bien plcure, le bon sire? — Voila, conime on plcure les gens quand ils meurent si loin de nous, et que Ion ignore le jour de leur trepas. — Le nouveau mailre que vous donne la comtesse de la Roche, vaut tout au moins I'ancien, n'esl-ce pas? — Oh ! cerles ; c'est un puissant parti pour madamc ; un beau cavalier, il faut voir I — Madame doit etre bien joyeuse? — Youspouvez croire Copendant... — Quoi , cependant? dit le faux mendiant, que rassnre ce deruier mot, mais dont I'lril assombri se voile encore d'un sourcil menacant. Ah ! oui, je concois : peul-elre Irouve-t-elle que c'est faire la noce sur un drap mor- tuaire ? — Vous n'y eles pas, bonhomme. — Peut-etre craint-elle de le revoir reparailre un jour, vivanl ou mort... — Pas du tout. C'est quelle ne connait pas encore cclui a qui ses parents la pressent de donnor sa m lin. Ce sont les parents de madame qui lui representent tout ce qu'il y a d'honoralle pour eux a nne pareille alliance. Tcnez, voili que Ton Sonne du cor sur le donjon. Le Canc(5 arrive; les voici! les voicil » Bref, le pauvre messire Francois de la Palud, seigneur 1 de Varambeau, comle de la Roche, elait, comme on Ic [ vnil, arrive fort a propos pour renlrer dans ses possessions, bienpres, ma foi, de passer en d'aulres mains. La tradi- tion s'arrele la ; le i-esle se devine. En reconnaissance d'un si grand bienfait, le celebre ba- ron erigea, en I'lionneur de sa divine protectrice, un pe- tit ermilage, qu'il nomma du litre de Notre-Dame de Consolation, a la place mcme ou il s'elait reveille, loin de sa prison du Sinai, apres un voyage de long cours exe- cute en quelques heures de sommeil. Semblable au marin qui vient d'echapper au naufrage et qui dedie d Kolre- Dame de la Garde, a Marseille, la figure de son navire et le tableau qui rappeltfe son vceu dans le peril, le cheva- lier suspendit au mur de sa chapelle les chalnes et les fers qui I'avaienl meurtri chez les Sarrasins, et se fit re- presenter dans un tableau votif, sous les verrous d'un noircachot, et invoquant sa celeste palronne. Ce tableau, dont il exisle encore des copies, inspirait, dit-on, un sen- timent jrofond de pilie. Consolation devintun prieure de minimes, et aujourd'hui il est occupe par le petit semi- naire du diocese de Besancon. CHROKIQCE BU CHATEAU SE MABSTOKE. II est etrange el digne de remarqiie que les chroniques et les legendes, si touchantes dans les pays et les temps calholiques, deviennent tout d coup sombres, effrayante? et atroces des que la reforme de Luther a louche I'Europe de sa terrible baguette. La chronique que nous Iraduisons, ft qui, recemment imprimee, a ele mise en oeuvre par un ccrivain celebre, est, quant au fond et meme aux circoii- stances acccssoires, Cdele aux details d'un proces du temps de la reine Elisabeth , cinquanle ans apres relablissenienl de Iheresie en Anglelerre. Xm TESTAMENT SUPPOSE. L\ VISITE A L.\ BROE. Sur la fiu d'une journce froide et par un vent glacial du mois de decembre, un cavalier s'avancait rapidement vers I'enlree principale du manoir de Marstoke dans le comte de Warwick. « Ah ! Waller Greville ! s'ecria le maitre du manoi<-, qui, faule d'une meilleure occupation pour chasser I'en- nui, se promenait de long en large dans sa grande salle, comme un maria de quart sur le gaillard d'arriere. et rc- gardait de temps a autre vers le pare, a travers I'ouver- ture de la grille, en altendar! que le repas du soir ful an- nonce ; car, a celte epoque, les ecuyers campagnards so couchaient presque aussilol que les poules de leur basse- cour. Ah ! Waller Graville , nion brave ! par le ciel ! je suis enchaute de te revoir. El il ajouta en lui-meme : Que les broniRards du sud fetouffenl I Quel demon nous a envoye ce f liicn malencontreux .' CnHONlQCES ET L^OONDES. — Je sills clnrmi? de vous liouver en Lonnc santc, nion bon niailre Oldcrafl, dit le voyagcur d'une voix gulUiralc ct em-ouce, en descendant de son cheval rendu de faligue, avec tome la lentcur el les prccaulions d'un homme qui scmblait avoir fait, cnlre le lever ct le couclier du soleil, une si longue route, que ses iambes en avaient conlraclc iineespecc de cranipe ct elaicnt courliees en dehors commc celles d'lin cbien tourne-broche. Vous etes seul ici, n'esl-ce pas, Oldcrafl? » dil-il, ayant mis pied a terre. Et apres uu moraeut dc silence, il ajoula : « Ou bien avez-vous (iielques visiteurs ou quelqu'un rcsidant chez vous en cc moment, oulrc voire femme? — Jc suis seul, dit I'hole, ct menie ma fcnimc est ab- sciilc : elle est a Warwick, a I'heure qu'il est. — Bon ! rcpondit I'aulre, remcUant son cheval au do- nioslii|UC el donnant une poignce de main a son ami : c'est encore mieux. — Mais til es pale et sembles malade, Greville, dit Old- craft; entre, entrc ; un verre de vin le rendra les forces et te raiiimcra ; sans douto tu as fait aiijour J'hui un voyage rapide? — Trcs-rapide, rcpondit le voyagcur; je ne me- suis ni amuse, ni arrele dcpuis le point du jour, exceplc pour me ralVaichir, ct une fois a Wcedon pour clianger de cheval ; clje me fclicite, apres ma longue (raile, de vous .trtuver seul ici, car j'ai a vous cntrelenir de choscs qui no sunt failes que pour voire oreille ct la mienne. » En parlani ainsi, il dcbouclaln courroie i|ui retcnait son ample man- tcau de voyage, ola son feuire, ct, conduit jiar le maitre du manoir, il penclra dans rinlericur apres lui. Les deux personnages que nous venons dc presenter au Icclcur avaient asscz bonne mine et assez belle prestance, — de belles pcinluresd'hommes, commc dit Porlia, — de vigoureux gaiUards aux epaules carrees et aux mcmbres muscnlcMX ; tons deux portaicnt les habits qui, sous le rcgne d'lilisabolh, elaicnt le velcment habiuiel dcs pcr- sonncs de condition rcsidant a la campagnc. CcpcndanI, quoiqu'ils portassent dcs justaucorps bariolcs , crevasses ct brodes a la dernicre mode , quoique leurs fraises fusscnt enipesces et roidcs comme dcs planches, ct qu'ils eussent a \enrs coli'S dcs rapieres de plus d'unc aune de long, en- core pouvail-on voir, au premier coup d'ccil, quo ni I'un ni I'autrc n'clait un genllcman, un homme comme il foul. L'un d'eux, que nous pouvons supposcr propriclaire de la maison eldn domaine oil nousl'avons Irouve, puisqu'il clail en possession, avail un justaucorps brode, bariole cl a crcvL'cs, avccle rested I'avenanl; il portaitd'enormes boulfetlcs a ses souliers, cl, comme nous avons deja dil, les marques dislinclives dcs gentlemen de son temps, la rapiere et la dague au ceinluron. Pourlant ses traits n'avaient rien de noble; et, bien que sa physionomie iadiqual bcaucoup dc fermete, de courage et d'habilele, cependanl sa figure ctail cssenliellement vulgaire ct commune; il elait trop gros et Irop lourd; il y avail aussi, dans ses manieres el dans loule sa personne, un manque du^age que ni ses habits ni sa haute stature ne pouvaieni empt'chcr de remarquer. Au fait, il avail plutol I'aiu d'un homme sur lequcl une grande fortune est tombee tout d'un coup que de celui qui I'a acquise on qui la possede de naissance. L'auire, rnrrivani, elait un grand gaillard ,i I'air somhre, al'iril inqiiicl; il avail un nez aquihn el une face a la don Oiiichotte, les cheveux noira ct rudes, et sa physionomie elait agitee el convulsive comme s'il ciil loujours craint que les sergenlsoulcs gens de justice fusscnt a ses Irousscs et jirels a fondre sur lui a I'improvisle. 11 paraissait liagard et rouge de soucis, et on lisait cvidemment sur son visage abatlu, outre son expression liabilucUe, les effels dun voyage prccipile et I'epuisemcnt d'une fatigue es- cessive. II elait, ainsi que son ami, convert de velemenls assez riches, a la maiiicre d'un gentleman campagnard dc I'epoque; cl avcc sa dague et sa longue rapiere a coquillc curieusementlravaiUee, il porlait a la ceinlureune paire de pislolels d'arcon d'un pied et demi de long. Ses botles dc voyage, larges et pesanles, elaicnt lirces jusqu'a mi-cuissc, el garnies d'eperons massifs dont les moieties posscdaienl dcs arguments excessivemenl persuasifs. Des que mailre Oldcrafl cut inlroduit son ami dans une grande chambre hoisee en chcne, dans la chcminee de la- ([uelle (lambait un bon feu dc hois, il lui rcpela qu'il elail le bienvenu au manoir de Marsloke ; el, agilant une pclilc sonncllc d'argent placee sur la table, il ordonna a un do- mestique d'apporter immcdialemenl du vin cl dcs rafrai- chisscments. Cependanl son convive, apres avoir passe ses mains sur les lisons, el ses grosses holies au milieu des llammes pour se rechauffer les picds, s'inslallanl hicn commodcmenl dans un bon fauleuil en face de celui qu'occupail Oldcrafl. sembla oublier sa fatigue pour se livr. r en proic a I'anxiclc et aux soufl'rances dc son esprit. Ses sourcils so conlrac- lerenl davanlage, son visage devint encore plus p.ilc, ses veux elaicnt enfoncis dans Icur orbite, et lous ses geslcr; eiprimaienl rinquietude el le Iroulile de son cspril. II bondit comme un criminel quand le valet ouvril la porle pour apporlcr le vin et d'aulres rafraichissemenis ; quand ses regards vinrent a renconlrcr ccux du laquais, il les de- lonrna avec effroi, ct, s'approchant de la feneire, sembla gueller I'orage de ncige qui menacail d'eclalcr; puis, rc- venanl brusqucmcnt au coin du feu, il demcura profondc- ment absorl)e dans des pcnsccs penibles. Oldcrafl observa son hole d'un oeil lixe pendant un cer- tain laps dc temps, sans inlerromprc sa reverie. II parai- trail qu'il decouvrit dans I'liumeur dc celui-ci quelqiie chose qui n'elail pas enlieremcnt dc son goiit, car ses pa- roles avaient perdu la moilie dc leur cordialilc quand il versa un verre de vin et engagca le voyagcur a boire et a se rafraichir. Waller Greville pril la coupe qui lui ('■tail offcrlc, el fit raison a son ami jusqu'a la dernicre goulte; puis, poussani un profond el long soupir, il se laissa tomber sur un siege pres de la table, cl cacha sa figure dans les deux mains. L'hote, fixant loujours sur lui un regard fcrme ct scru- laleur, s'apprcla a lui faire subir une sorte d'inlcrrogatnirc. « Ce vin est bon, n'cst-ce pas, Greville? dil-il jiour commencer. Essayez-en un second verre, mon homme, vous scmblcz avoir I'cspril couvcrt dc nuagcs. Jc ne mo rappellc pas vous avoir jamais vu si cirangement emu. Vous disicz ii I'instanl que vous desiricz conferer .seul avec moi. Vous resle-l-il sur le cojur un pen du vieux levain dont vous ayez a parler? Je croyais que ce sujel devait demeurer a jamais dans le silence entrc nous, hcin? — Ces affaires soni el demeurent termiiiees, rcpondit le visiteur ; mais elles onl engendre d'aulres choses dont jc desire tc parler tout li rheure, choses qui me sonl pcr- sonncllcs. Enfin j'ai besoin des consolations el de la Iran- 112 quUlilS que jo poun-ai, seigneur, Irouver dans voti'O so- ciele et dans vos conscils, sans parler de ropporlunitc of- fertc dans cc moment par I'aliri de voire toil. Je vicns ici, maitre Oldc raft, redaracr voire liospilalite pendant iiuclqiics semaines, en attendant que j'entreprennc le voyage de rOucst. Vous voycz que je nc mots pas de ccremonic dans la forme, et quo je ne me fais aiicun scrnpule de m'y iii- viter moi-meme. An reste, quant a cela, nous nous con- naissons assez pour que jo disc qu'il convient a mes inle- rels de jonir de I'air dii VVarwiclisliire pendant ipielques mois, ct de ne pas me montrcr pendant ce Icnqjs, comme 11 doil e^^aloment vous convenir de repondre: Walter Grc- viUe, soycz le liienvcnu. — II c-t inutile d'evoquer les ombres dn lomljeau, pr.nr luc servir des expressions de notrc nonveau poete do Stratford, rcpondit I'liute, pour me dire cela, Grcvillc. Ccssc de Ijattrc les buissons, mon brave ; dcvoilc ton secret. CIinOMOUCS ET LflGENHES. quo je voio si je puis t'asslster p:i quelque chose. (Jnel nouveau crime peut done poser si enorniemont snr voire conscience? — Plus quo mes paroles ne sanraicntesprimer, Oldcraft, dil lo voyageur; mais il le faul, il faut que je t'cn fnssc lo rccit, on jen mourrai! — Maudit soil I'enrago ! murmura OMcrafl; cc que c'esl que d'etre un sot!... Qnoil la convoilisc insntia- ble, dit-il tout haul avcc quclipic amertnme, non conlentc de la fortune que lu avals auiassee de moilie avcc moi, t'a pousse de nouveau vers la table de jeu? Probablcment les des font cnlcve tout co que In avals avaricicuspment aceumule Hard sur liarJ, el cello perte t'a rendu fou? Ainsi mainlcnaiit tu viens ici jileurant mo conficr la dcconfi- ture, el me demander de nouveau la pari, pensani, comme lu viens do meledonncra entendre, que jcn'oserai pas lo refuser? — Noil, par !e ciel! repondit I'aulrc de la grossovoi.': gntturale qui lui etail particuliere , vous n'avoz non a craindre de co colli. Je voudrais ctro plongo dans la miscre jnsqu'au nienton, et pouvoir defairc le crime que j'ai corn- mis. Je suis deux fois, trois fois aussi ricbe, Oldcraft. que lorsque nous nous sommes quittos. Mais malbeureuso fut rhoure oil je le devinsi maudiles sont los actions qui m'on ont mis en possession 1 car j'ai commis un crime atroco pour oblenir ces ricbosses, et la main du ciel pese sur ma tele ! Oldcraft, tons deu.x nous scrons punis... » Oldcraft, surnommc Sans-Pour, prenail lo litre d'ecuyer de Mar.-tolic-llouso, dans le comle do Warwick; il ctait arrive a cotle dignile apres avoir etc simple procureur a Londres, cl avoir conipic los lieiires pendant hien dos an- ncoSilBr.dewsIl-Uucli. C'elail, dans toulo la force du mot, un homme hardi et calmo ; en cello occasion, lo sang- froid imperturbable de son caraclerc so moiilraavec avan- tage. 11 ne recula point d'liorrcnr a la brusque declaration de Greville ; il no mil pas sa maison sur pied pour arrotcr lo criminel apres un aveu si pen reserve ; peut-etro avait-d scs raisons pour cola. Quoi cpi'il ou soil, il est certain qu il resla fort IranquiUe d'aliord ; deboul devanl lui, en lace de rimmensc cbomineo golhiquc, se tcnail le grand visi- tour nocturne, doul le cbien, pret a defondro son maitre, rampait en abeyant. Quanl a Odcraft, toujours assis, le corps poncbe, le poignard d'uuo main, lo pistolotarme do I'autro, I'a'il II.kc sur son liute inconmiodo, il altondait. li nfi[i il se leva de son siege lo sunrire sur los levres, CIIliONKIUES se dii'igea vers la porle dc la chaniLic de chcue ou ils etaiciU reiifennes, I'ouvril vivcmeiU loiilc grande, fil iin fias oil deux dans la salle, jclaiit les ycux rapidemont a droile et a gauche; aprcs qiioi, revcnant lraii.;iiillcment a sa place, il prit la pelite sonnelte d'argent, el lagita d'un air enjoue gai pnur appcler uii valet. Waller Grevillc, cependant, giictlait avec la vigilance d'un chal lous les mouvemcnis dc son confident. De sa main droile il avail saisi convulsivcmenl la crosse dun dcs pislolets de sa ceinlurc, semlilanl do'iter de la fidelite de son ami ; mais quand Oldci-afl renlra dans la chambre, son ceil d'aigle saisit le mouvcment de Grcville, el il lui dil dc lacher son arme avant que le domeslique vin! pren- dre ses ordres. M J'ai, dil Oldcrafl au valet quand il ful enlre, des rffaires imporlanlcs a regler avec mon ami ; il est fatigue d'un long voyage, failes alliimcr du feu el preparer un lit dans la cliam- lired'amis; que Ton serve le soupersansdelai, vous mctlrez ;'i la fois sur la table lout ce dont nous avons besoin, apres quoi vous noHS laisserez seuls ; vous ferez voire ronde de silrelc, et lout etant bien I'erme vous nous quillerez pour le resle de la nuit. (Juand vous vous serez reslaure, Walter Greville, ajoula-t-il des que le domeslique ful alio baler le repas du soir, nous continuerons noire conversation ; d'ici la, calmez-vous et tranquillisez-vous I'esprit. Conime di- sent les Ecossais, il ne pent y avoir de bonne conversation cntrc un homine bicn panse et un homme affamii. » Apres le souper, I'liole se leva, fcrma la porle, prit en memc temps les pislolels de son convive, les jdaca sur la table derricre son faulcuil, ct decrochant une enorme pipe gravec et sculptec avec innnimenl d'arl, il la remplit avec beaucoup de soin ct dc tranquillite de celle feuiUe eni- vrantc qui commencait alnrs a ctre a la mode, el, se re- placant sur son siege a dos clcve, lanca des nuages dc fu- mce si epais, pendant qu'il se di.sposait a ccoulcr In narra- tion de son ami, que la voix pouvail bien arriver jusqu'a lui, a travel's le feu ronlanl qu'il conlinuait « enlrelcnir, mais la figure de snii iulcrlocuteur el meme tonic sa pcr- sonnc elaienl complelemcnt eclipsces et cachees derricre le nuage. a II faul, dil Greville, que je commence mon bistoire dc I'epoque iiu je parlis d'ici. Apres que nous fiimes parvenus a nnus emp.ircr de ce domaine, que nous eumcs enlorre sir William Harsloke, el qu'ayant gagne le proces (pic vous savez, vous ciiles pris domicile ici dans Ic Warwickshire ; vous avcz cu les biens, moi j'ai recu ma jjart en argent c6mplanl;jc conviens que le parlage a ele equitable, etje suis salisfait de ce qu.-; vous m'avez doune. « A la bonne heure, vous elcs raisonnable, mon cher ami, ri'pondit Oldcrafl ; allons, je suis bien aise que vous me rendiez justice en ceci comnie je I'ai fait a voire egard on nobles a la rose ; mais conliimez, arrivons a voire bis- toire el soyez bref, laissez la les complimenis, jo n'cn ai pas besoin, il me faul des fails. « Quand done je vouseus quilte, vous devcz penscr que je n'elais guerc dispose a aller m'elablir a Londres, oprcs lout ce qui s'etail passe. Je vendis, en consequence, le pen d'effcls ipic je pouvais avoir dans la vieille maison de Rridettcll-Docli, oii nous avions si longtemps fait nos affai- res; jo changeai mcs habits de dcuil pour des vetemenls plus elegants, et je commencai a dcliberer on moi-meme oil il me plairail d'aller vivre, et puisqiie j'el.iis en elat de Ic faire, dc pair avec la petite noblesbc du pays. Je u'avais RT LEGENDES. 113 jamais oublie Malliieu Marsloke le calholique, frere de sir William, chez qui vous aviez coutume de m'envoycr pendant son proces avec Sherloke, proces que nous per- dimes il y a quelque dix ans. L'ainiable hospilalite de Bla- ihieu Marsloke, et la vie agreable qui se mcnail clicz lui, pendant les petils sejours que je faisais de temps en Icmp.; i sa maison du comle dc Kent, avaienl fait une vive impres- sion sur moi. Je me rappelais aussi son caraelere sociable etles frequentes invilalinns qu'il m'avait failes de relourner le voir; surlout je mesduvcnais desgrandes richesscs qu'il possedait. des recits qu'il m'avail repctes .™r tanl d'argent dont il ncsavail que faire, des babuls remplis de vaissellc plate et d'argcnicrie renfermes dans son garde-mcuble, ainsi que des sacs d'or qu'il avail empiles depuis taut d'annecs sous son lit sans les compter. Bref, je resolusde visiter Malliieu Marsloke, et, parlant pour Kent, j'arrivai a Sandwich on j'appris (|u"il avail quillc la maison qu'il avail occupce, etresidait alorsdansune autre desesmaisous ii Wingham. « Je connais bien la maison, dilOldcraft, ily a par-devant un rideau de peupliers, et meme je I'y ai visile. Je me rap- pelle aussi son habitation a Sandwich ; c'est une grande maison en brique rouge, situee a I'un dts bouls de la place du marclie ; Diccon Grusp, noire agent, elait d'un cole, ct mailre llogsllesch, lelnairc, demeurail de I'autre. « Je louai cette maison, repril Greville, car Marsloke I'a- vail quiUee par la raisonqii'elle elait banteepar des esprils: on y enlendail des bruits epouvanlables pendant loule la nuit. Apres etre reste une quinzaine chez Marsloke, jo pris cette maison et dcvins son localaire. Je dois vous dire que, sur ces enlrefaites, Marsloke etail lombe lout a fail en demence, on plulot dans rimbecillite. Sa sanle elait deve- niie chancdanle, ct avec cela il elait paralylique ; aussi il elait eiichanle quand je venais le voir, parce qu'il I'lait loujours en guerre avec ses domesliques qui, disait-il, Ic devoraienl tout vivant et le luaient .i iielil fou. Vous do- vez penser que je ne lardai pas a devenir cnlierement mailre de la maison, oii j'avais mes coiidees franches. Je tins eloigncs les collateraux. rossai queb[ncs-uns de ses do- mesliques et ehassai les autres, et je fis une reforme com- plete dans la maison. Enfin le bonliomme cut envie de me consiiller sur I'intention qu'il avail de dclriiire son ancien testament ct d'en faire un nouveau. Vous comprenez que je ne fis pas la sourdc oreille a sa proposition, d'autant mieux que je supposais nalurellement qu'il avail le pro- jel de me faire son herilicr apres tous les services que je lui avals rendus. Jugez de ma surprise el de mon depit. lorsqu'aprcs nous elre enfcrmcs ensemble j'appris qu'il avail une flile demeuranl a Gand ; il I'avail "^assee de s.t < maison; repoussee depuis de Inngues aiinees pour si'lre mariceselon son inclination et contre lavolonlc paternelle, il ravnil desherilee, et sa colere avail dure Ircnte ans; inais il elait levcnu a des sentiments plus doux, el desiiail la voir avant sa morl. Ainsi il me chargea de la commission de lui ecrirc [lOur lui annoncer son pardon, il me donna aussi toules les instructions necessaires pour dresser un tes- tament en faveur de sa flilc, sans memo que mon noni y pan'il pour le moindre legs. » (f.a suite a un mimero procUain.) iifti 114 LE DEVOIR ET LIlEllOi'SMi; LE DEVOIR ET L'HEROISME CHEZ LES FEMMES. aXiANCBE DE CASTII.LE, MERE DE SAIIiT-LOUIS. Sa Tic ot !iOu iufluencc. « La louango pAlit devanl Ics grands noms, n a dil Bos- siict. Celui de Blanche de Caslille reslera a jamais illustre dans les fasles de la France ([u'elle a si disnemont gouver- nce, comme il est grave dans lous les ca-urs francais par la reconnaissance. FiUe, femme ct mere de grands rois, elle les cgala tons. Dans les diverses situations ou le sort la placa, elle lul plus noble encore parsa conduite que par sa naissance. Cetle reine peut servir demodele a son sesc, car la vertu est de lous les temps et convient a tons les elats. Blanche, d'une piete sincere, toujours allaclice a ses devoirs, fut iiicljraiilable danslcur accomplisscmcnt ; joune, entourcc Je loules les seductions des cnurs, ct livree de l)onne lieure a ellc-memc |iar son veuvage, elle n"avait pour egide que sa droiturc, I'l n'eut jamais bcsoin d'etre reprise ni guidee. o Chaste en uses moeurs, disenl les chroniqueurs, belle cnnime les (I anges, et d'une bonte inalterable, elle ne voulut jamais (1 ternir sa purete ; on I'adora , mais elle sut se fairc res- (1 peeler. » Au caraclere espagnol, fier, enlhousiaste, devoiic, elle joignaii une patience hero'ique qui la soutint conlre la ca- lomnie et la dcfendit, pendant sa regcnce, conlre les ten- talivcs de la feodalite, (pii voulait sans cesse diviser et morceler la France. Sa prudence rollechie, son aptitude aux grandes choses, lui firent ouvrir plus d'une fois les portes du conseil royal. Louis VIII, son epoux, avouait que son avis lui etait neccssaire dans tout ce qu'il entreprenail, el que cct avis etait toujours dicle par la sagesse et les interels du royaume. Mais n'anlicipons pas sur les evene- nieuts, et racontons cette hisloire si interessante de Blan- che, a laquelle nous sommcs forces de mcler sans cesse celle des princes ses parents el allies. Vers la fin du douzieme sieclc, le roi Philippc-.\ugaste, plonge dans un veuvage anlicipe (malgre Irois mariages et deux femmes encore vivanles), deplorait son isolemenl dans le palais du Louvre, qu'il achevait alors. II chcrcha une compagne a son DIs Louis VIII, I'unique fruit de son union avcc Isabelle de Hainaut, qu'il avail aimee et perdue jeune. Sa premiere pensee fut pour Eleonore d'Anglc- terrc, soeur d' Arthur de Bretagne ; mais les negocialions deja enlamees s'etant rompues , elle relourna a Londres pour y accomplir sa funeste deslince : qnarante ans de prison ct la mort. Oubliant leur aniraosilc conslante, Jean- sans-Terre el Pliilipjie-Augusle eurent une enlrevue secrete, oii ilsconvinrentde mettre fin a leur hostilite par le mariagc d'un fils de France avec une des filles du roi d'Espagne. Une brillanle amhassade fut done envoyce en Castillo, ou regnait alors Alphonse IX, dil le Bon, Ic Nohlc. Berengerc, I'ainee des princesses, avail epou.scle roi de Leon ; les deux plus jeunes faisaient rornemont de la cour a Tolede ct a Burgos. Le connelable Mathicu de Montmorency, un des plus puissanls et des plus dignes seigneurs francais ayant etc admis commo ambassadeur charge de choisir uiio reine de France, demcura quelque temps embarrasse et in- dccis. II observait eladmirail lour a tour les deux infantes sans pouvoir se prononcer ; loules deux etaienl majoslueuscs, spirituelles, jolies, non moinsremarquables par leurs ver- lus que par leur grace. Les barons franjais qui composaient CUEZ LES FEMMES. lis ramhassadc, d'aloiJ incertalns, dccidercnl iiuc le nom de Blanche serail plus doux a prouoncer que cclui dc sa soeur Urraca, el la melodic des sons fil toniber sur la Icte de la vierge caslillanne la premiere couronne du raonde. <• Les Fraiicais, dit un pnele espagnol, n'ont jamais su rcsister a la seduclion de la poesie et a celle de la musique ; leurmuse fit pencher la balance. » Peut-elre la vieille reine Alienor cut-elle encore plus de /lart a ce clioix ; elle savail d'avance tout ce qu'on pouvait allendre du caractere de sa pelite fiUc. Blanche quillo sa patrie accompagnee de la fameuse Alienor d'Aquilaine, dc son pcre el d'uue nonibreuse escorle des grands dignilaires d'Espagne, qui s'arrela an delade lioncevaux, en Gascogne. Arrivce a Bordeaux, elle ful recommandce a I'evcque Elie ct a son oncle Jcau-sans-Terre. Pbilippe-Augusle et son fils elaient accourus au-devanl de Tinfante. L'eveque de Bor- deaux celebra les fianrailles le 23 mai 4200, en presence d'un grand nombre de prelals et de chevaliers des trois na- tions. Louis el Blanche, dumeme age, n'avaientpasquatorze ans. Ce mariageeut ete celebre avecplus de pompe a Nolre- O.ime de Paris ; mais rintcrdit lance par le pape contre le roi dc France le forca d'agir autremenl. Ce ful doncaPorl- morl, pres le Chateau-Gaillard, domaine anglais, que le prince royal recutla benediction nuptiale. Lajoierepandue an milieu des trois cours reunies ne se ralcntit pas, malgre I'eloignement de la capitale ; danscs, fetes et lournois se suc- cedcrent jusqu'au retour a Paris. La jeune Caslillanne y fut recue avec acclamation ; sa grace, son arfabilite previnrcnt le peuple en sa faveur. Blanche semblail faite pour son nom : la fraicheur merveilleuse de son tcint, reflet de la purele de son ame, frappail d'admiration tons ceui qui la voyaient. Bienlol la cour changea d'aspect , la jeune prin- cesse en devinl I'ame ct I'idole. Philippc-Auguste, que son ambition et sa gloire n'avaient preserve ni de fames personnelles ni de chagrins inlimcs. s'altacba avec bonheur a sa bdle-fiUe. II avail enDn pres de lui un cocur fait pour I'enlendre et pour le consoler. Celle alliance, qui rapprochait trois grandes nations, enri- chil de plusieurs fiefs la couronne de France el ful le gage d'une paix que Ton devail croire durable. Neanmoins elle ful encore troublce par la Irabison el la deloyaule dc Jean- sans-Tcrre. Louis VIII avail un ami d'enfancc. ne la meme annee que lui, cleve sous les yens de son perc et done des plus lieureuses qualites , Arthur de Brelagne. La rupture de son mariage avec In filie de Tancrede, roi de Sicilc, le ramena a la cour de France pen de temps apres I'union quivenaildes'accomplir Philippe-Augustcl'arma chevalier de sa proprc main, lui donna un commandement, des fiefs considerables et le fianca a sa Dlle Marie, agce de cinq ans; Arthur en avail quinze. Ficr el heureux du choix du mo- narque, il retourna en ses Flats, ct ful assassine par son oncle trois ans apres, le jeudi saint 12(io. Jean, roi d'.\n- glelerre, chevauchant a ses coles en Kormandie, IVimena au bord de la mer, sur la poinle d'un rochcr a pic qui formait precipice; la, il le saisil par les chcveux, lui perca le cffiur de sa dague et le jirccipita dans la mer ou il di.sparut pour jamais. Cite ,i la cour des pairs pour ce crime comme due dc INormandie, il avail encore a rc- pondre a une autre accusation grave, car il elait prouve qu'il avail offerl I'hommage dc sa couronne au pape et au chef des mahomelaus a la fois. Declare traltre. felon, nicurlrier, il demanda un sauf-conduit qui lui ful ac- corJc pour vcnir se justilicr; niais comme il etait menace dc ne pouvoir retourner en Angletcrre, il cut peur el ne vinl point. Pliilippe-Auguste fut oblige d'ajourner sa vengeance. Louis pleura son ami Arlhur ; la cour prit lo deuil el le peuple jura ; Maine aux Anglais! Philippe-Auguste, ne suivant point I'usage de ses prc- decesscurs, d'associer le prince royal a la couronne, so contenta de Farmer chevalier avec cent autres gentils- hommes. 11 lui donna plusieurs apanages, cnire anlrcs Ic modeste manoir de Poissy, qu'on disail au pouvoir des fees, devenu I'asile de la derniere fcmme de Philippe-Au- guste, Agnes de Meranie. La, dans la retraite etleslarmes. quclques annees de bonheur et d'union furent cherement expices par la mere de Tristan, dont le nom perpelua le souvenir des malheurs de celle pauvre rcine. Blanche de Caslille trouva le moyen d'adoucirson inforlune en parta- geant sa solitude, et lui prouvanl loute sa sympalhie elson respect, elle s'enfoncaitsouvent avec elle sous les ombrages du chateau. Louis Vlllaimail aussi celle residence. Les jeunes epous, lendrement unis, se plaisaient S repandre les bien- faits autour d'eux. Blanche y donna le jour a son premier ne Philippe. Ce fut encore a Poissy que, trois ans apres, elle remercia le del d'avoir sauve la Caslille et son pere a la celebre bataille de Tolosa, gagnee sur les Maures. Deux cent mille musulmans, dil-on, y pcrdirenl la vie, el vingl- cinq Chretiens seulement succomberent, au dire des chro niqueurs caslillans. Celle addition ne rcssemble l-elle pas a certain bulletin de I'empire francais qui, pour une grande victoire, n'evaluait noire parte qu'au petit doigl d'un chasseur? Louis VIII etait engage dans une expedition contre le roi d'Anglelerre, lorsque Philippe-Auguste s'immortalisa par la fameuse bataille de Bouvines. Trophee imperissable dc son regno. Le 27 juiUet 1214, enlre Lille et Tournay, on vit fuir un empereur, deux rois, cent cinquante mille hom- mcs d'armcs et tous les vassaux rebelles qui s'etaient par- lage d'avance leroyaume. Philippe rccul alors de ses ri- vaux, comme de ses sujets, le surnom d'Auguste qu'il nc devail, avant cette cpoque, qu'au mois de sa naissance. Bien n'avait manque a cette majestueuse scene royale, lors- qu'au moment de donner le signal de I'allaque, le roi, se decouvranl, s'elail eerie : » Amis ! I'Eglise prie pour nous, » combattons pour elle et pour la France ! n Sublimes paroles qui le firenl absoudre et desarmerent Ic pape. — Le meme jour eclaira, dil-on , les succes dc Louis VIII, ot I'abbaye de la Victoire ful fondee par recon- naissance. Blanche, encore en deuil de son pere, n'avait pu suivre son mari a la guerre contre les Albigeois. Lorsqu'elle mil au m'inde, le 2b avril 1213, son second fils Louis, on fetait saint Marc I'evangelisle, les cloches des eglises se turcnl tout a coup. — D'oii vicnt ce silence? demanda la reine. On lui repondit qu'on craignait de troubler son rc- pos. — Qu'a cela ne tienne, dit-elle, allez I Et afin qu'on sonnat toutes les cloches a la fois et a fortes voices, elle se lit transporter a peu de distance dans une ferme oii elle demeura en couches, ferme qu'on nomma plus lard Grange Saint-Louis. Par la suite on y batil une eglise ; le mailre- autel ful appuye a la place meme oii se trouvait autrefois le Hi de la reine. Louis Vlll absent apprit cette bonne nouvelle ; mais au lieu de revenir il alia accomplir son vccu de pelerinage ct comhallrc les hercliqucs. Agnes de Donzy, riche heritiere duconile de Never?, fiancee d'abord a Henri, fils de Jean- sans-Terre, fut offerle au roi dc France pour son pilit-DU 110 Ml DKVOin ET LMllinOISJlE Pliili|ipo. L'affi'ont fail pnr ccllc rapture nu roi d'Anglc- Icrre dcvint le pii'Iudc do la voiigcanco de la France et dos liarons anglais les plus puissanls, qui saisirent celte occa- sion pour arracher le sceplre ,i d'aussi coupaliles mains. I.c pretexle ful Ics droits an Irono d'Ans^leterre ipio Dlancle tcuait de sa mere, Cllc ainee dc Henri 11. Une amhassade ;;oloniiellc vinl a Poissy ofl'rir la couronnc d'Anglcterre a Louis VIII, s'il voulait la rcclamera la lele d'une armee. Plii- lippc-Aiiguste s'y opjiosa formoUcmenl. Son tils, dosiranl I'oljlcnir, hesitait, craignant quclque traliison, mais les plus notables families dos deu.\ nations echangcreni des otages, ce qui ne cliangea rien a la decision du roi. Bicnlot Louis enira cncanipagne avccde nombreuscs forces navaIes,com- mandees par lo moine Euslaclie, qui, apres s'etre ruine sur lerre, etait devenu rcdoutable sur I'Ocean. Le papc, qui le premier avail crio vengeance a la morl d'Arlhur, blessc du pen dc deference Ju prince royal, le mcnaca d'excommu- nlcation ; il ne repondil a celte menace que par son entree Irioniphalc ii Londrcs. Cependant la tempete dispcrsa les si."; cents vaisseanx avec lesquels Louis etait sorll dc Calais ; les liarons ennemis personnels do Jean, et nnn de son fits, so retrouverent Anglais. La llolte francaise fut descmparce, mais la guerre ne cessa qu'avcc I'existence de Jean-sans- Terre qui mourul subitcment. Son fils Henri 111 fut s.icre solennellcmcnt avec un cercle il'or a di'faut de diadenie. Nous ne devons pas passer sous silence nn fait qui dcsslne liien h caracterede Blanche. Pen- dant I'espedilion dcson mari en Anglclerrc, I'argcnl vint a lui manquer au moment des rovers, vainement il appela son pered son aide ; inslruito dc sa situation, la princesse su presenic cliez le roi pale d'cmotion ct lui dit : « Sire, vou- Icz-vous laisser monrir voire (lis sans sccours sur la terrc iMrangere? — Je ne puisdesobeir nu ponlife. — Envoyez- lui du moins son apanage, il est voire lierilier! — Certes, Clanclie, n'en ferai rien, dit le roi. — Non vrai? dil-elle, alors je sais bien ee que je ferai moi. — Quoi done? — Que ferez-vous? — Par la grace de Dicu, j'ai de beaux enfants dc nionseigneur, lesmettrai engaged trouverai bien qui me pre- lera sur cux! « — A ces mots elle quitia le roi hors d'ellc- meme ; il la 111 rappeler, lui disant : • — « Prenez dans mou ircsor, lout ce que bon voussemblera. — Sire, dit Blanche, c'est bien park'. » Les Iresors el la llotte qu'ellc avail oblcnus pour la clelivranec du prince arrivcrcnt Irop lard. Cloque dans la lour blanche de Londres, tour celebre, depuis les Tudor jusqu'aux Sluarts, Louis recuU'alisolutiondu legal, promel- lant do se croiser contrc les Albigeois. II repassa la mer apres avoir signe un traite qui enlovait plusieurs places aux Francais ; traite que son pere ne voulut pas ratifitr et qui eansa la guerre plus lard. Le lestanient d'Alphonso IX el la morl du jeune roi de Castille , apportcrcnl la couronne d'Espagiie a Louis IX. Mais il y cut tanl de troubles, de divisions en Castille ii eel effel, le parti rcsle (idele a la France fut si faible, que Philippe el son fils renoncerenl d'eux-memes a une prcleii- lion que I'expcdilion aventureusc d'Anglcterre no Icur inon- trailqueconime une faule. Le savoiret rinlelligence de Philippe, fils aiuc de Blan- che, etaienl si prccoces, qu'ils snrpreiwicnl loule la cour. Ilmounita onzeans fortregrelle dcson aieul. Inconsolable (le la pcrle dc eel enfant, Pbilippc-Augu'^le changca, apres sa n\orl, de caractcre el de maniere de vivre. 11 borna sou ainbilion a conservcr ce qn'il avail acquis, ii mainlcnir la pais cl i cmbellir la capilale. Blanche ct le jeune Louis Jc- vinrent les objets sacresde la soUicilude du roi. Le berceau royal fut cnloure de toulcs Ics illustrations de la monar- chie ; le roi ne se plaisait que dans de nouvellcs construc- tions, au milieu de ses arehiteclcs, ou dans ses residences dele. II soumettail ses plans a sa belle-fille, qui, elcvce au milieu des mcrveiUes dc I'Espagne, ne fut point etraiigere aux embellissemcnls du Louvre el de Nolre-Uame, oil bril- laient a la fois la pile mauresque et le Irelle arabe. Philippc-Augusle avail convoque au Louvre un parlemenl feodal pour y disculer les inlerels dc la monarchic el ceux de la religion ; on s'y rendail de toules parls, lorsqu'on ap- prit I'elat desespere du roi, qui mourul a Mantes, dans les bras d'lsembergc, cetle genercuse reine, aussi belle que bonne, qu'il avail epousee a I'iige de dix-sept ans, par amour, et repudiee lelendemain, sans que personne ail jamais pu penelrer le motif de I'injuste haine qu'il voua depuis ;i celle princesse ; il la benit a sa morl, mais le dernier nom qu'il prononca ful celui d'Agnes de Mcranie. Co regue dura quarante ans el finit le 14 juillel 1225, presque le jour an- niversaire de Bouviues. Philippe-Auguste, quoique genereux, se montra souvcnl injuste pour son fils Louis VIII, cl I'eul etc davanlage sans la puissanle mediation de Blanche qui aimail et defen- dait son epoux. Le regne de ce prince fut courl, il se passa en combats, tantot contrc les hereliqnes, lantot contrc I'Anglelcrre. II fulsacre en 1225, la reine Blanche ful cou- ronncc le meme jour avec pompe cl niaguificence. La fe- condile de cello princesse I'cmpecha de suivre Louis VllI dansloules ses expeditions guerrieres, elle en cut onzc en- fants, sans perdre sa santc ni sa fraicheur. Dominant la nouvclle cour comme I'aneienne, elle s'emparacn quelquc sorte du sceplre de Philippe-Auguste et de la main de jus- tice. Louis lui abandonna avec conliance les renes du gou- vcrncmen*, el alia reprcndre aux Anglais les places qu'ils se disputaient lour a tour. Le roi Bl le siege de la Bochelle qui, apres une belle defense, se rendil a discretion au bout de trois semaines. Dc relour a Paris, apres avoir obtenn I'absolulion du jiape, il se croisa denouveau. Les maladies, la fatigue, I'insucces abrcgercnl ses jours, il ful oblige dc s'arrcler en Auvcrgnc, au chateau de Jlonlpensier oil il fit son lestamcnl, cl mourut au milieu de ses seigneurs, le 7 novembrc, Age de trenlc-neuf ans. Apres avoir nomme Matliicu de i\Iiinlninrency gardien du jeune roi, on cacha celte funesle nouvclle a la cour. Blanche, qui altcndait son royal epoux, inqiatiente de le revoir, alia a cheval au- devanl de lui avec un pompeux cortege. Le jeune Louis galopail en avanl , jaloux d'embrasser le premier son pere. Tout a coup on le vit revenir pale et conslerne, .sur ses pas il avail rencontre le chancclicr et savait la funesle nouvclle. Blanche ful au desespoir, mais sa pielc la ramena a la raison et au devoir. Elle se devait a ses enfants comme ,i la France. Des qu'on cut rendu les honneurs funebrcs au defunl, elle asscnibla le con- scil royal, et dcvaiit lui fit atlcslcr, par trois eveques presents a la morl de son eponx, qu'il dcsirail qu'ellc fut nomniee rcgenle. Elle le fut en cffLl, non sans beaucoup d'intrigucs cl d'opposilion de la part des princes du sang. La fermclc loule virile de ccllc princesse ne recula point devanl Ics innombrables difllcultcs de sa position, elle s'eii- toura de bons conscillcrs ; elle sul profiler habilement do ee confiil d'inlcrels dc chacuu, no perdil pas dc temps, convoqua les grands vassaux ;i Ilcims, se rendil elle-im'me CHEZ LES FEMMES. 117 a Snissons avec ses enfants, el descendit au palais episco- pal. Le jour meme, Ic comtedc Boulogne arma le jeiine roi chevalier, quoiqu'il eut a peine onze ans. Le priilat lui confera egalemenl I'ordre de I'Etoile, dont le collier ctait forme de trois chaiues entrelacecs de roses d'or cmaillees ; ri'loile y etait suspendue avec la devise ; Monstrant rcgi- hus aslra liam! La vie de Blanche souniise a un epoux avail ete jusqu'a- lors un modele de siniplicile el de douceur. Forcee de sai- sir le pouvoir et desoulever le sceptre, ellesemonira dijjne de commander, comme il arrive aux ames douces et fortes et aux esprits justes, qui savent se soumeltre et obeirau devoir. (La suite an prochtiin numcto.) IiETTBX D'lTHi: DAIHS AlffSlAISS pmsoM«ii3nE .\ cw.Mion (I). todiccmbrc ISil. iiL'idee de traverser le passage perilleux que nous avions (levant nous, en face d'une lril)u armee compnsee de bar- bares sanguinaires, avec une multitude aus^i compacte qn'irreguliere, elail affreuse ; et le spectacle qu'offraicnt a DOS regards ces llols d'etrcs animes, dont la plupart, en niolnsde quelqueslieuresrapides, formeraicnt unelignede cadavres et serviraienl de guides au fulur voy.igeur, nesor- tira jamais de la meraoire de ceux qui en out ete temoins. Nous avions ete si souvent trompcs par Ics Affglians, que nous avions alors peu, ou point de conGanc^ dans leurs nouvelles promesses ; et nous commengames noire marche a travers le defile redoiite, I'csprit lort inquict. Ce passage vraiment formidable compte environ cinq milles d'etcndue d'lm bout a Tautre j il est prcsso de chaque cole par une chaine de bautes monlagnes ; le soleil, mSme a celle saison, ne penetre qu'un instant au milieu de leurs llancs arides. Du centre s'echappe un torrent des montagnes dont la course impelueuse rcsiste a la gelee, qui cependant par- vient ii rcvelir ses bords d'cpaisses couches de glace au- dessus desquelles la neige se consolide en masses glls.san- tes peu favorables a la marche de nos animaux epuiscs. Nousedmesa passer el a repassercc torrent environ vingt- huit fois. A mesure que nous avancions, le defile se rctre- cissait, et nous aperci'imes les Giljies qui se porlaient en foule sur les hauteurs. L'avant-garde ouvrit un feu vio- lent ; plusieurs femmesqui s'y trouvaient, n'ayant d'aulre chance de salut que dans une marche rapide, galoperenl en avant, bravant les boulets ennemis qui sifllaient par centaines a leurs oreilles, jusqu'a ce qu'elles eusscnt fran- chi le defile. ((Toutes cchapperent au danger, escepte lady Sale, qui recut au bras une blcssure legere. Nousdevons convc- nir que plusieurs des chefs, qui avaient precede l'avant- garde, firent les plus grands efforts pour empecher lo feu; mais rien ne put retenir les Giljies, qui paraissaient bien resolusii repousser tons ceux qui oseraient intervenir en- tre eux el leur proie. La foule avanca toujours au milieu d'un feu roulant; il s'ensuivit un carnage epouvantablc. La terreur devint universelle , et des miUiers de person- nes, cherchant un refuge dans la fuilc, coururei. a'jaiidounanl bagngps, numitions, femmes et en. quement preoccupci'S de I'iJce de sauver leur vie 0 L'arriere-garde souffrit estrcmement ; et voya que le retard amenait la destruction, elle suivit I'e -'^ general et alia rejoindre les fuyards. Un canon fut i> • donne, et tons les arlilleurs lues. La lille ainee duV pitaine Anderson el le plus jeune fils du capitaine Bl ; tomberent enire les mains des Affghans. On a calcule qui, trois millc personnes avaient peri dans le defile. Vcc ic Gwaiior, 'IJ Vc'j. caaH'roin, I'lIerohiTie uucrrkrehc: Ics femmes. «8 PETITS VOYAGES n Ccful iinccharile ilc nouscmmcncr |TTisonnitTcs, el nous axrivilmcs :i Gwalior, six fenimcs ct uiie IroiUaine d'hom- ines. Khasghiwela, lo chef usurpalcur ile cetlc ville si peu coiinue, nc prctendait pas noiis ^gorgcr, niais soiilemonl fairc de nous nn ohjet de speculalioii el rcndre noire rancon la mcilleure possible. Dada KlM^e'.iiwcla. a Aussi ses Lons cl sos niauvais pi'ocedos allernaienl-ils li'une maniere (|ui nous cut seinblij fort elrange, si nous n'en avions pas discerno le molif. Unjour il esperait que DOS bonsrapporlssur son coinptepoun-aieutlui ctre utiles, el il noustraitail bien; un autre jour il croyait que nous alliens lui rester sur les bras, et il nous laissait sans pain. «Dans unde ses moments de belle Inimeur, il s'avisade nous donner un concert. Tout a Coup mon sommeil fill trouble par une effroyable cacopbonie, el les sons qui ar- rivaient le plus distinctement a mcs oreilles me rappe- laient les cris discordanis d'une bande d'aues furieux ; ils rivalisaient de force et d'eclat, et leur emulation semblait encore excitee par le fracas continuelde gens qui frappaient sans niisericorde sur des casseroles, des chaudrons, des c/iiHumoAics (cuvettes d'airain ), etc., afin d'augmenter I'infernale confusion. Impossilile de se rendormir. II Jc m'habillai, et demandai la cause de tout ce lapagc. Jugez de ma surprise en apprenant que sa royale hau- tesse nous regalait, nous, pauvres prisonnieres, d'un con- cert de sa facon. Xu\ jours de paix, il cprouve un dcli- cieux plaisir a ecouter, a cette heure matinale, le concert barmonieux execute par la troupe de I'elat. Je me con- solai philosophiquemcnt en pensantqne jedevais dorena- vanl renoncer aux douceurs d'un sommeil prolonge et inutile, et que je pourrais peut-elre remercier le prince qui trouvait bon de revciller .ses prisonnieres a une beurc si favorable a la sante. » PETITS VOYAGES SUR LES RIVIEUES DE FRANCE. LEQENDES DE3 BOBOS OB I,A LOIBG. lES FEES VEIITES DE L.\ VOUTE POLtCNAC. Les types caracteristiques des localites francaises n'ont pas etc rocueillis ; ils le meritenl cepcndant bien, par les nuances, la curicuse et piquante variele, et roriginalilc piltoresque qui les dislinguonl. C'est surlout la vie popu- laire et la vie des campagnesque I'arlisle devraif saisir, comme I'a si bien fail I'homme de talent auquelnous dc- vons les deux portraits ci-joints. Le premier est celui de Jean Gerbelin-Cerbot, paysam la Correze, qui s'est domicilie pres de la voiile Polignac, et qui sail toules leslegcndes du pays; c'est lui qui, assis aupres de ses bceul's, me conta la famcuse legende des Fees vertes de la voiile, a pen pres dans les termes suivanls : « Vousvoyezbien celtemontagneet ce roclier, surmontc de ce vieux chateau. Trois mineurs y travaillaicnt de- puis longues annees, et y gagnaient honnelement de quoi nourrir leurs femmcs et leurs enfants. Quand ils se ren- daient le matin a la inonlague, ils prenaient avcc cux trois clioscs : d'abord Icur livre de jirieres, ensuile leur lampo garnie d'liuile pour un jour, puis le morceau de pain de la journee. Avanl de coniinciicer leiir travail, ils priaieut ] Dieu de veiller sur cux dans la monlagnc, puis ils se niol- taient a Iravaillor. sun LES RIVIERES DE FRANCE. 1IJ « Uii jour, apres qu'ilsavaientliieiitravaiUecllorsquc Ic soil- approchait, il arriva que la monlagae s'cboiila dcvanl cux cl leur ferma le passage. lis secruicnl ensevelis, ol (limit: a All! bon Dieu, pauvres mineurs que nous som- mes I nous voilii reduits a mourir do faim. Nous n'avons du pain que pour un jour, el de I'liuile que pour un jour dans nos lampcs ! « lis se recoiniiianderenl a Dieu ct .se resignerent a mourir ; niais, ne voulanl pas resler oisifs lant qu'il leur resterait des forces, ils continuercnl de Iravailler cl de prier. Or, il arriva que leur lanipe Ijrula jienilanl sept ans, que leur morccau de pain, dontiis man- geaieiitjournellemcnt, demeura loujours, non pas entier, raais egalemeni gros ; Ions les jours de belles peliles fees verles, qui avaient le corps mince coiiime des aneuilles el luisanl conime du bronze dore, enlraicnt par-dessous terrr , au nombre de Irois : I'une apporlail du feu, la seconde de I'huile, la troisieme du pain; si bien que ces sept ans no parurenl qu'un jour aux mineurs. Mais, comme ih ne poii- vaient se couper les chcveux, ils etaient devenus longs a'uue aune. Pendantce temps-la, leurs Icninies les crurenl inorls ; ct, comme elles pensaient ne plus jamais les revoir, dies songerent a prendre de nouveaux maris. « Or, il arriva que I'un des Irois mineurs ensevelis poussa un soupir qui partail du fond du cccur. u .All ! s'ecria-t-il, si je pouvais revoir seulement une fois la lumiere du jour, je mourrais content ensuile. » « Le second .s'ecria en pleurs : « Ah I si je pouvais seule- ment m'asseoir ct manger a table avcc ma femmc, je mour- rais content ensuile. » " Le troisieme dit a son tour : « Ah I si je pouvais seulement, pendant une aunee encore, vivre traniiuillc ct heureux aupres de ma femme, je mourrais content en- suile. ij (I A peine avaient-ils acheve de parler ainsi , que les trois petites fees parurenl, el la monlagne craqua et se sc- para, comme vous le voyez, et forma cetle arcade basse dans laquelle I'eau enlre en poussani un tristc bruit. Aus- silol le premier s'approclia de la fente, regarda au-dessus de sa tete et vit I'azur du ciel; au niveau de sa tele, il apercul I'ciiu de la Loire. Comme il se rejouissait, .selon scs dcsirs, de revoir la lumiere du jour, Icau arriva jns- qu'a lui, cl I'cmporla morl dans le lleuve. La monlagne se separa, la crevasse s'clargit encore. u Les deux aulres mineurs, averlis par le sort de leur confrere, monlerent sur les parois intcrieurs de la ca- verne, oii, piocliant loujours, ils laillereni des e.scaliers ; puis, so trainant en rampant vers I'ouverlure oil I'eau bouillonnail, ils se mirenl .i la nage, el enfin se virenl de- hors, lis se rendirent a leur village, dans leurs maisons, etchercherent leurs femmes; mais celles-ci ne voulurent pas les reconnaitre. « Eh quoi I leur direnl-ils, n'avez-vous jamais cu do maris? — Vraiment si, repondirent-elles ; mais, depuis sept Paysaii de la Currozc. ans, nos maris sontmorlset enlcrres dans la Monlagne aux Fees Verles. » (> Le second dit a sa femme. « Je suis ton mari. » Mais c'.h ne voulul pas le croire, parce qu'il avail une barbe longuededouze pieds qu'ilavaitlnurnee aulourde son corps clqui le rcndail enlieremenl mcconnaissablc. Alors il lui dit : u Apporle-moi Ic rasoir qui est la-haul dans I'armoire de cheue ; joins-y un morceau de savon. » « II se rasa, pcigna ses cheveux. Quant il eut fiui, elle vit quo c'elait bien son mari ; elle s'en rcjouit sincerement, servit tout cc qii'elle avail de nicillcur a manger et a boirc, mil le convert sur la InUe, puis ils s'assiront et mangercnt Ires-con tents, I'un pres de I'aulre. Mais a peine le mari eul-il mange sa derniere bouchce de pain, ([u'll tomba morl. « Le troisieme mineur habita jiendant une annce en- liere, paisible cl content, avcc sa Icmmc ; mais, ,\ I'lieure precise oil il clail rcvenu de la monlagne, une seule (co reparul a la fenetre dans un rayon de soleil. Elle avail des ailes, bien qu'elle eut conserve le corps dune an- guillc. « II faut nous en aller ensemble, leur dil-cile; Picii 420 acconiplit vos soiilinils a cause de voire piiHo. » Et ils s'cn allerent dece monde ,i la fois.o Ce singulicr et sauvage conte m'inlei-cssait siiigulierc- menl, par le caractere d'iniagiiialioii sombre el naive qui le disliu.quc. 11 clail parl'ailemeiit d'accord avcc la pliysio- PUTITS VOYAGES nomie severe et vigoureuse, fine et animec du contour, ainsi iiu'avec le paysage qui nous enviioMuait. Tel est le caractere conunun dc colte region qui comprcnd la Ilaule- Loirc, la Correze, rArdeclie, le Canlal. Le bcrceau de la Loijc est encore la parlic de la Franco Paysan do rAnletlic. la plus riulic eu mines dc fer, de cuivre, de plomb, d'e- I penline, d'ardoises, etc. Cesar conipte ces peuplos p.irnu tain, d'acier, d'anlimoine, encarrieres de marbre, de ser- | ceux dont il eslimait le plus la valeur. Avcc moins d'occa- Eavirons lio Mdillas. fions de se signaler, ils ont conserve meme courage, meme pinchaut |iour les combats. Ainsi que les peuples gucr- riers, ils sont railleurs, (iirbulcnts, snsceptiblcs, amis Jes plaisirsbruyants, do la dansc, de h course, dc la cliassc ; SUR LESRIVIEBES DE FRANCE. 121 sobres etactifs, propres h la faligite ; ce penchant au metier des amies n'a pas degenere sous Napoleon. D'autres illus- Iralions ne leur ont pas manque. C'csl a ce roclier des Fees que se rattache la vieille et nolde famille de Polignac. L'histoirc lUteraire et politiipie gardera toujours, en depit des agilalions et des partis, I'lionorable souvenir du car- dinal Melchior de Polignac, ne au Puy, le H octobre 1601 . 11 fut sur le point de perir au berceau; sa nourrice I'a- bandonna dans une cour oii il passa la nuit ; on I'y trouva Ic lendemain sans nu'il lui fi'it arrive aucun accident. 11 fit des etudes brillantes, d'abord aux Qualre-Nalions, et en- suite au college d'llarcourt. Madame de Sevigne louait I'es- prit et la douceur du jeune bommc ; il entama sa carriere politique a Home, et I'amenitc, la droilure, la justesse de son esprit, reconcilicrent le pape avec Louis XIV. II passa ensuile en Pologne, oii il obtint la couronne pour le prince de Conii, qui n'en profila point, le negocialeur habile fut puni |iar I'exil de la maladresse du prince; employe dans les conferences de Gerlruidenberg. il accomplit le traitc d'Ulrecht et recut le chapeau de cardinal. Apres la mort de Louis XIV, sa disgr.ice fut complete. Rnppole, en 1722, et envoye ambassadeur a Rome, il fut nomme.en 1750, arcbe- veque d'Aucb. II apparlient au dis-seplicme el au dix-liui- ticme siecles qu'il honora tons deux. Les lellresreclament son beau pocme latin, intitule : jln(i-£«crece , compose pros de Marcigny, sur les bords de la Loire, dans celte si- tuation cbarmante, oil le lleuve quitte ses rochers el baigne un paysage dont le caractere s'adoucit. Ce poeme offre des vers digues de Virgile, une admirable elegance et une refu- tation, tanlot brillanle, (antut sublime, de cette doctrine qui delruit la moralitc Immainc en attaquant Diea lui- meme. A quelques lieues du rocher de la voiite Polignac, suivant le cours difficile de la Loire, nous n'avons point perdu le spectacle de ce beau desordre de la nature, ter- Marcigiiy. en I rible effet des antiques et vastes ex|ilosions des volcans qui, dans des siecles effaces du souvenir des bommes, ont bouleverse le pays. Parlout des riunes de chateaux sur des Montronil, colosses de basaltes, d'immenses crateres, et parmi ces geantsjetiis au hasard, un peuple iunombrable de pouzzo- lanes, de cendres et de seories. ■ Si nous nous cloignons un moment du cours incertaiu, faible el captif de la Loire, pour nous rapprocherdu Rhone, le spectacle deviendra plus terrible encore. Ce Rhone, que nous suivrons un jour, ficr de la liberie de son berceau, sc livre a toutc rimpeluosilc de ses ondes sauvages; su- W5 <2'2 TETITS VOYACES SUn I.ES niVlfcllES DE FRANHE pcrbe do ropulonce qu'il rqurnl avcc le rnvnge sur ses bords, il se prociiiile dans la mor, aprcs avoir vaincu loiis Ics olislaclcs. Jusqu'aRoanne lecaraclcresauvagedu paysse niainliont en s'affaiblissant par dpgres; les rochers calcines dc. V'il- lercsl, bien qu'environnes d'agrijablcs points de vnc qui annoiiccnt la Touraine.parlent encore dtivleil incendie dos Gaiiles; les torrcnis dccliirent les vallons; lo Itlionc les engloulit dans ses llanos, e( sur les aliMm s dont la profon- deur se derobe a la clarle dcs cicux, I'aiglc plane solitaire. Villcrc^l. C'est a Vcniay que Ics aspects deviennent rinnls, que les bois el Ics plaincs commenccnl a sourire; mais a droile et a gauche, surlout du cole du Rhone, vous trouvez des paysagcs grandioses et lugubrcs. Rochcmaure et le rochcr de Maillas, par cscnqilc, sent d'anciens volcans sur Icsquels les liommcs n'nnt pas ciaint de s'etablir. [.es mines de I'ancieu chateau dc llochc- niaurc, confuscment cparses au milieu dcs dcbiis du vol- I'frr.nv. can, out quelque chose d'inipnsant ct de Icrrihlc; el les vcsliges dc ce grand courroux de la nature se melcnl aux traces de la puissante fcodalilc. A Rochemaurc, une grande parlie des murs ou remparts soul d'un beau halsalc noir. Presque tonics les maisons dcs parliculiers y sont adossecs a des masses de laves, el onl pour perron et pour escalier des colonucs basallit|ues. Tonics les forlilicatious du cha- teau, lours, mur.iillcs, reniparls, sojil de mcnie maliere. On est encore frajipe dc la grandeur dcs cours, dos salles ct dcs apparlemenls, el de leur majeslc silencieuse. Ca el la c|uelques peiulures .i fresques, bien conscrvces, des chil- frcs et dcs ccussons, rappcllcnl uos guerres civlles el la splendeur des Icmps ancieus. In rochcr d'une elevation extreme, lout enlier de bal- sale, scrl de donjon au chalean dc llocheniaure. On n'a pu parvenir a sa sommile qu'en laillaul nn escalier avcc beaucoup d'arl dans nne gercure de la lave. Lorsqu'on est enfin parvenu sur cclle cinie aigue, on se Irouve sur la lele clienue d'un rochcr isole de Ionics parts ; laille a pic dans Ions les sens, il a au sud une ravine volcaniquc d'unc profondcur cpouvautablc, mi roulc avcc Iracas nn torrent impclucnx, succcssenr du (leuve de feu (pril a reniplace, el offrant a I'ouesl une immense dccliirure picine de ccn- dres, de scorics el de lerro noire et brulce. L'abime ef- frayant que Ton appclle les balmes de Monlbrul, n'csl au- tre chose qu'un cralerc. II est circulaire, de ccnl melres i BRITISH T AUG -21) NATURAL HISTORY. .//4/i RICHELIEU LES ILLUSTRES FRANCAIS. 12S i pen pr^s de diamelre, siir cent solxantc de profondciir. Une large oiivcrlure, au sud-ouesl, dunnail passaije d la lave, rresijue loules les paiois en soiU laiUoes a |]icdans (|iie!i|ues parlies, les ccndrcs, les laves li'ilurees; les sco- ries, les cliarbons ont forme des masses qui rcsseniblent ossez a des lours, a des bastions ou a d'aulres fragnienis do forliOcalions. Dansbeaucoup d'endroils,de larijesercvasses annoncent autant de bouches par les(piclles le feu s'esl fraye un passage. Eh bien ! desbommes ont habile ces cre- vasses, ils s'y sent taiUe des denieures; niais les liLou- lemcnts occasionnespar les pliiics, les fontes de neigesqui, fillrant a travers les maliercs calcinces, les deplacent, les affaisseiit el les renversenl ii la longue, ont force I'liommo a les abaudonner. 11 n'y reslail phis ijue deux families vers 1788; depuispeu d'annees elles .sc sent retirees. . Mais la Loire, adoucie, s'avance vers des rives paisibles el gmcieuses. Ilevenons a cc beau lleiive, qui peu a peu se de- gage de ses langes sauvages, et qui, plus riant, traverse la vieille ville de Roanne. if.a suite d tin nnmrrn jtyncham.) LES ILLUSTRES FRANCAIS. X.S OABDINAI. DE RXCHEI,IEV, et LE 13 SEPTEHIJIIE 1583, MOUT le 4 DtCEJlBRE 1612. C^!^ ^-^Ml/^' u pense, nia bourse elanl laible. Uouncz-moi de bous con- i< sells; vous m'obligerez fort, car je suis bien irresolu, « |irincipalemenl pourun logis, apprehendantforl la quan- I lite des meublcs qu'il faut; et dun autre cole, Icnanl » de voire humcur, c'est-;i-dire clant un peu glorieux, je 0 voudrais bien, clant plus a mon aise, paraiire davan- n tage. » Jin 1612, le jeune cveque publia un livre de conlro- verse, intitule : Les principaux points de la Foi eatho- liquc, covtre Vccrit presenle au roi par les ministrcs de Charciiton. Celle vignureuse altaque contre le proleslan- lismc lui fil beaucoup d'honneur; aussi le clergele chargea- Ilermau-Jean Duplcssis de ftlchelieu, el, sc- ion d'aulres, Armand, issu d'une aiicicnnojace noble duPoitou.naquit le 5 septembrc 1585, dans le petit chateau de Richelieu. II litait lo cadet d'une famille nombreuse el assez pauvre. A vingt ans, se deslinanl aux amies, sous !e nom du marquis de Chillon, il quilta Ic caslel de ses peres. Son second frere, pourvu de I'e- veche de Lucon, s'ctant fait charlreux, Herman fut nomme a sa place. Fort assidu aux devoirs de son ctat, il se distingua bienU'it parmi les membres de son ordre, conime I'un des plus eloquents et des plus habiles. La pauvrete de son eveche etia mediocrite de sa situation I'af- lligeaient sans le deconcerter; il etaitdeja am- bilieux, orgueilleux, couragcux, ruse, patient. « Je puis vous assurer, ecrivail-il a une dame u (madame de Courges), quej'ai le plusvilain « eveche de France, le plus crolle et le phis « desagreable ; niais je vous laisse a penser K quel est I'eveque ! II n'y a ici aucun lieu « pour se promener, ni jardin, ni allee, ni « quoique ce soil, de facon que j'ai ma niai- (i son pour prison » 11 ne savail comment se meubler, et ecrivail a la meme personne : « Madame, je n'ai pas besoin de grande de- t-il, en 1614, de porter la parole pour son ordre, aux etats generaux qui venaicnt d'eire convoqucs. « Les trois ordres altendaienl (ainsi s'esprime un COD- « lemporain ) a la porte de la salle, presses cl pousses au (' milieu des piques et des liallcbardes, pendant que plus « de deux mille courlisans, muguels el muguelles, etune CI infinite de gens de loules series avaienl pris les meil- Ces poetiqucs passages des livres sacres soul mcrveil- leusement propres a expliquer la joie de I'Eglise en co grand jour. La chaste eponse avail repandu des larmcs bien ameres sur.sa triste viduite. L'epoux, au bout de Irois jours, secoue la poussiere du lombeau, s'en elance radieiix, tenant dans sa main encore cicatrisee le labarum de son triomphe. Oil sont ces docleurs. ces scribes, ces Pharisien'; raillciirs qui disaient a Jesus attache sur la crois : « Si tu 11 es le Fils de Dieu, moutre-nous la puissance et de.s- 11 ccnds. » Insenses! il a fail bien niieux encore. Volri: bille rage lie savait pas demander un prod ge plus eclalant que celui par Icqiiel le Sauveur aurail pu se souslraire a la morl. Cette morl, il I'a suhie. La pierre du scpulcro s'est abaissee sur lui. D'intrcpides senliiielUs out vcille pour que les disciples n'enlevassent pas la depouille ensan- glanlee. El voici qu'ii peine I'aurore du Iroisicme jour a illumine I'horizon, que ni la pierre ni la garde ne peuvcnl arreter I'elan de ce vainqueur du trepas. II se montre au.x saintes femmes, puis a quelques disciples, puis encore a tons les apotres, enfin ii plus de cinq cents de ces homines gcniireux qui s'en etaient rendiis digues par leur persevc- rante docilite a le suivro avant son trepas. La felede Paques remonteau bcrceau du c'lristianir-nie. Mais dans le principe il n'y cut pas d'uniformite complete dans louto la calholicile. L'Eglise laline I'avait fixce au di- manche qui suivait le qualorziemc jour d.e la liiiie dc inars, apres I'equiiioxe dn pi inlemps Les Chretiens de I'A- sie Mineure celebraient Paques en ce jour-la meme oil loni- bait cette luiie, c'est pourquoi on les iiammait quarto dee:- 153 mnns. An i|uatricmo sieclc, Ic |iape Viclor liiilun cnncilc :i Homo, I't rnn y dednra f|iio, cciix qui ne siiivrMicnl p.is, pour 1,1 ct'lohiMlion de cclle Klc, I'lisajic romnin scraient cnnsiJi'res commc si'parcs Jc ruiiilc calliDlii|UO. Depuis cc Icnipn la regie a etc invariable. Mais pounpioi ce joiir-U'i plulut qu'iin aiilrc? II clait ccrlaincmont iniporlanl que cclle fele des feles, comme la uonimc sainl Gregoire le Grand, fulsolcnnisec an jour nienjcou ic graiidevijncmcnt avail cu lieu. Or, Jesns-Clirisl ressuscila l; duiianche qui suivail le qualorzienic jdur de la lune dc nisau ou mars. 11 ralliiit on outre (iviter dc se rcncoulrcr avcc les juifs qui celebrent Icur pSquc, on conimemoraliiin du miraculcux passage de la rncr Rouge, en ce memc jour qualorzicine du mois de nisan. Les Uglises oricutalcs, memo separees du centre de I'n- nitc, solenniscnl Paqucs comme les catholiqucs. Chez les Grccs, en ce jour el les deux suivanls, lorsqn'on so ren- contre, le salul consiste en ces mots : Clirislos ancslii : a Je.sus-Chrisl est rcssuscite. » La personnc salucc repond ■ Alcllws anesli : « Oui, vraiment, il est rcssuscite. » Puis les deux interlocutcurss'cmbrassent et se separcnl. Pendant plusieurs sieclcs, la semaiiie pascale tout en- tiere etait cliomce. Tout travail, lout voyage ulait iulordit. Les populations se pressaient dans le .saint temple pour se livrer a une saintc joie. Plus lard, le lundi el le mardi dc cctte semaine fureat seuls des fetes obligaloires. De nas jours, en France, dcpnis le concordat de ISOl. ces deux feries pascales sont dovenues OLivrables. Mais si la disci- pline cxtcricure a subi des modifications, I'esprit de I'E- gliso est loujours rcste ie mi'me. Cliaqnc jour de cclle se- maine a sa messe parliciiliere, les evangiles rctracent les diverscs apparitions du Sauveur rcssuscite. Les pontifos et les prelrcssont veins d'ornemcnts Wanes. Cctte coulcur est I'emljlome d'une sainle allcgresse. Deux auteurs du Irciziemc siecle relatent les divers usages que Ton observail, en France, an sainl jour de Pa- qucs. On no mangeait rien qui n'eiit ele sanclific par les benedictions de I'Eglise. Le premier de ces ccrivains,Du- rand de McnJc, vent qu'on s'y prepare par des bains, alin de ligurer, par cette purification du corps, Ic soin qu'on doit prendre de purifier I'amede toutc especc de souillurc. II ajoute qu'on se montrail exact a cctte pratique, et que Ton sc coupait les cbeveux cl la barbo, en signe de relran- chcment des vices el de la deposition du vieil bomme. Millc pratiques de cc genre, que nous pourrionsaccumuler, prouvent que dans ces siecles dc foi vivo la religion etait Tame de loutes les actions, qu'ellc presiJait aux pratiques dc la vie civile. Qu'avons-nous gagno avec noire prosaiqrie et funcste indifference? ]•',» ce nieme nioyen age, cerlaiiies eglises represcutaient une sortc de drame sacrc, des le grand nialin de cc .saint jour. Un manuscrit dc Saiiit-Benoit-sur-Loire, reproduit par la societe bibliophile de Paris, en 1859, nous a con- serve CO precieux resle des pratiques religieuses du dou- zicme sicclc. Nous desircrions conservcr le lexte lalin, mais bon nonibre dc nos lecleurs seraicut prives dif plaisir que pout leur procurer celtc piece curieuse. Si les pcrsonnes fauiiliarisees avcc la langue latino desircnl le texle, nous pourroMs plus tard en cnricbir nos coloniies. La scene a lieu dans I'egli.se dos beneJiclins de I'abbaye de Floury, ou Saint-Benoil-sur-Loire. LES S.MNTS niYSTERE DE LA BG90BBECTIOR DB N.-9. JESUS -CBRIS7. Pour imilcr la scene du si'imkrc, trnis rclig'oix pa- railrotit d'abord, prepares d /'(7i'(i»i<; cl habilles de ma- lucre a imiter les liois Maries. lis aranccront Icntcmcnt, aijnnl I'air Iritlc.ct chanleronl en [ormcJe dialogue Ics rcrs suivanls: l\ IT.EMIErE MAIUE. Ill-las ! il est done mort, cc picux pcistcur, Cclui qu'aucunc l;iule n'avait souillc. 0 deplorable evcncmciil 1 L.\ stcONDE JI.\r;lE. llelns ! il a disparu, Ic veritable pastcur; Cclui qui a racbctc -la vie du coupablc. 0 dcploraltic mort ! LA Tn01SIE.ME MAP.IE. llclas! trop mcdinnlc race des Juifs I Quelle a etc la b^irbarc frcncsie? 0 pcuplc execrable I l\ rnEJiii;nE m.\;;ie. Pourquoi, impic nalion, as-lu iiuniolc Cc Jesus si [)ur cl si sainl? 0 rage inuu'ic ! LA SECO>OE MARIE. Qu'a-t-ildonc ntcrilc, eel lioiumc juste? l)evail-il etrc cloue sur une croix? 0 condamnable nstion! LA TnOISIEME MAHIE. 0 malhcurcuscs, qu'iillons-nous dcvcnir ? Nous vo'lcI done privecs dc ce doux mailrc, 0 lamentable sorl ! LA pnEMIEIlE NABIE. .Mlons pronqilcnicul a son tomboau; Cost tout cc que nous puuvons fairc ; Prouvoiis noire devoucnienl. LA SECONDS .MAIUE. Embaumons dc rjrcs parfums Le corps trcs-s.iint dc noire mailrc, Alin que cclle prccicuse... LA mOlSlEME juniE. Afin que cette prccicuse depouillc Ke pourrlsse point dans la tombc. Lorsquc ks trois rcligicux, rcprcsenlant Us hois Ula- rics, scro7it rcnus au chwur., ils s\tpproclieronl du toni- beau qui y csl pijurc. Jls fcront comme des gens qui cticr- chcnl, et ils chanleronl ensemble le vcrset sttivant : Muis nous nc pouvons ouvrir le cercueil sans des aides ; Qui pourracnlever cclle cnorme picric qui en obstrue I'cnlree? Un Ange leur tepondra. II sera assis en dehors, a la tele du lombeau, velu d'une aube doree, ayanl une milr( sur la tele, une palinc dans la main gauche, et dans k droitc un rameau cliargi de bougies. II dira d'une voio peu (levee, mais grave : Qui cherchcz-vous dans ie loinbcau, 0 amaiiles du Clirist? lES thois mahics. Jjsus de Nazarctli le cincific, 0 habitiinls dcs cicuK. l'a^ge. 0 amantcs du Christ, vous clierclicz parrai Ics morls celui qui est vivant. II n'csl plus ici ; mais il est rcssuscitii comme il I'a dit jadis pux apulrcs. Rappelez-vous ce qu'il vous a annonce en Galilee, Ou'il lallail que le Clirisl soulTrit, ct qu'au troisierae jour 11 rcssustitat glorieux. lES TBOis jiAr.iES, se townanl vers U peuple. Nous sommes venues au lombcau du Sei;;neur En poussant dcs gemissenients. Kous avons vu un ani;c assis Qui nous a dit que le Seigneur est rcssuscitc d'cntre les morls. Aprcs ccla, Marie-Madeleine, se sepaiwU deaden j- aii- Ircs Mariis, s'approche du lombcau, cldil en le regar- dant freijuemmenl : Odoulcur! liL-las! quel durscrrcment dc cocur! Me voici done privee dc la presence de ce mailre bien-aiine ! Oh ! qui a pu enlcver de la tombe Celte depouillc chcrie? Ensuite eVe s'avance rapidemcnt a la reneonlre dcs deux personncs qui rrprcsentenl Pinre el Jean ; puis t'oi'anfdiil devaiit eux, dans itne allitude de Irislesse, elle dil : On a enleve men mailre ; Jc nc sais ou on I'a mis. Lc monument a ele trouve vide ; On n'a trouve que lc linccul el le suairc. Pierre el Jean, enlendanl ecs paroles, s'elancent en cou- Tanl vers le lomljeau. Jean, plus jeune, arrive le pre- mier el s'arrc'le u la porle. Pierre le suit, el pcneire ra- pidemenl dans le lombeau. Jean y enlre avec lui. Peu apres il en sorl, el s' eerie : Ce que nous avons vu csl elonnant. Le Seigneur a ete furlivement enleve, piEBCE, dJean. Je crois que, comnie il I'a predit, Le Seigneur est sorli revenu a la vie. Pourquoi done a-t-on laisse au torobeau Le suaire et le linceul? PIERCE. Parce que ees objcls n'etaient point netessaires Au Seigneur rcssuscitc ; Cicri plus, ils sont de sa resurrection Les preuvcs irrel'ragables. Pierre et Jean s'eloignent. Vicnt Marie-Maicleine, I'air Irisle, en cliantant eommc plus haul : 0 doulcur ! hclas ! quel dur serrcment de coeur ! Me voici done privee de la presence de ce maitre bien-aimc! Oh 1 qui a pu cnlever de la tombe Cette dcpouiUe chcrie? Deux anges apparaissent alors. Us sonl assis au pied du tombeau, el sadressent a Marie-Madeleine. Femnie! pourquoi pleures-tu9 MAtllE. Parce qu'on a enleve mon mailie, Et nc sais otiron I'a mis. DU MOIS. Uil ANGE. Nc plcure point, Marie, le Seigneur est ressuscite. Alleluia I MAlllE. Mon ccDur est ennamme du desir De voir mon maitre. Je chcrche ct je ne trouve point <33 L'endroit ou il a etc depose. Alleluia. Sur ees enlrefailcs vienl un frere religieux ve'lu en maniere dc jardinier. II s'arrcle nres du lombeau ; Femme, pourquoi pleures-lu? qui chcrches-tu ? mahie. Ami, si tu I'as enleve, dis-moi oulu I'a mis, el j'irai le prendre. LE J.VRDIMEII. Marie ! LA MADELEINE s'elanec a scs pieds et s'ccrie : Rabboni (mailrel ! Mais celui qui feint le jardinier doit se retirer comme pour eviler que Madeleine nc le louche, et il dit : IS'oli me tangere, ne me louche pas, carjcne suis pas encore monte vers mon pere el lc voire, mon Seigneur et le voire. Et en parlant ainsi, il se relircra. Marie-Madeleine sc loumanl vers le peuple, dira : FeHcitez-moi, vous tous qui aimez le Seigneur, car ceiui que je cherchais ni'esl apparu, ct pendant que je plcurais au monu- ment, j'ai vu mon mailre. Alleluia. Deux anges se pla(ant a la le'lc du scpulcre de telle sorte qu'on les voie, disent : Venez et voyez le lieu oil le Seigneur a etc mis. DEUX BISCIPLES REPOSDECT : 11 est niieut de croire a la seule Marie qui dit la vcrile Qu'a la tourbe mensongerc dcs Juil's. IE CHOEUB REPRESD : Scimus Clirislum surrexisse- A viortuis vere Tit nobis, victor rex Miserere. (Nous savons que le Christ est vraimcnl ressuscite d'entrc hs morls. 0 roi vainqucur, aycz pilie de nous.] Aussilot on eiUonnc le Te Deum. Telle est, dans le precieu.'? manuscrit de Fleiiry, I or- donnance drainalique de ce memorial de la rcsuircclion dii Seigneur. Pendant le Te Deum, le celebrant, accompa?;ic Je llambcaus tonus paries membres du clerge, porlait le saint sarrement de la cliapelle du lombeau au maitre-anlcl, et puis aussitot commencall la messe solennclle, au moment a peu pres ou le solcil paraissait sur Ihorizon. Celte pro- cession raalinale subsisle encore en qiielques provinces, et nolammeiit dans le diocese d'Orleans; mais au lieu du dramc sacre que nous venons de transcrirc, on clianle les mallnes et laudes du saint jour do Pciques, en presence du saint sacrement e.\pose sur lc tabernacle. Nousomcllons, pour cviler la longueur, des details plus considerables sur la solennilc vospcrale de la nieme fete ct les riles speciaux qui dislinguent I'office de ce grand jour .\ une autre annee, si nos lecleurs daigncnt nous continuer Iciir honorable bienvcillance. 154 LES SAINTS DU MOIS. MO IS DE MARS: 1. Samedi. St Audin, cveque d'Angers, morl en 549. St Leon, evuque de Bayonne, apotre dcs Basques et mar- tyr au 9*'siecle. St SiMPLicE, archevequc de Bourges, morl en 477. 3. nininnclie. Quatriime dinianclie de carcmc. Les Sa[Nts Mabtvrs d'ltalic sous Ics Lombards paicns, au6^ sicclc. St SiMPLiCE, pape, morl en Lc veniTablc Chari-es le Bon, comtedeFlandre, assassine en 1124. 0. Ijnndl. Ste Cuneconde , imperatricc, morte en lOiO. Ste Camille, viersc de Bour- cogne, morte I'an 437. StGebvin, abbo de Sl-Riquicr, mort en 1075. a. Mar in-rolio- ^ Perpetoe, Ste Felicie el Icurs compagiions, martyrs en 203. St Paul, ermitc de la The baide, disciple dcSt Antoine, mort en 330. 6. Samedl. St JEAN-OE-Dicir. fondalour de I'ordre de l.i Charile, mort en 1550. L'tifliiiialdp la Cliariltsi Pa- ris, esl line dc ses foiitlaiinns. Si Stienne du Limousin, Ton- dateur de h coniiicgalinn d'Obasine, morl en 1153. 9. Dimanclie. Dimaticlic de la Pa&sion. Ste FR^^fOISE, veuve, fonda- dalrice des Coilatincs ou Obtates, morte en 1440. St GBtGoiRE, eveque de Nysse, morl en 400. II a laissii plusieiirs ouvrages ^lo(]iiciiIs, rcoaeillis en ** vol. iri-fol. Le 7® concile general lui donna le litre de pere des percs . St Pacien, eveque de Barce- lone, mort vers id fin du 4'' siecle. C'e'^t un des plus grands hom- mes quel'Espagne ait iirtirtuiis; ses a'uvres soni en 2 vol. iii-loi. 10. Ijiindi. Les Qu^rante Martvrs de Sebaste, niorls par 1j glace, el puis brulcs, en 320. St Doctrovle, premier abbe de St-Vincent, a Paris, mort en 580. Ce monaslere dcvinl Tabhaye deSt • Germain- des -Pr('s,dont IVglise est anjourd'liui uiie pa- roisse de Paris. ILiliirdi. St Euloge, pretrc de Cordouc, martyr en 859. St SopnRONE,patriarebe de Je- rusalem, morl en 639 ou 644. 12. Mercredi.STGnECOiREl, dit leCrand,pape et docteur de I'Eglisc, mort en 604. Ce pontife esl dovenu, par ses verius, sa siience el loules les qnaliies, le inodele elerncl dcs papes el des cv^ques. On a re- cucilli sesceuvrcscn 4 vol.in-fol St Maximilies, martyr a The- beste, en Numidie, en 296. St Theophane, abbe en Grcce, morl exile en 818. IS.ileaili. St NicEPHORE, pa- triarchc de Constantinople, mort en 828 II a laissc plustears ccriis precieux. Ste EupiiRASiE, vierge^ morte en 410. 14. Veiidredl.STEMATiiiLDE reme des Germains, morte en 968. St Lucin, eveque dc Chartrcs, morl en 557. 15. Itaniedi. Ordination. St ADBAiiAH,crnnte, et Ste Ma- rie, sa niece, penitente er Mesopolaniie, morts cu 560 StZaciiarie, pape, morl en 752, 1 6. Oimaiiclie. Blmandic DES Rasieaux. Vi'f/. Semaincsainie. St Jui.iEN dc Gilicie, martyr au 5*" siecie. Ste EusfcuiE, vulgairemcnt Ste YsoiE, abbcsse au diocese d'Arr.is, morte en 669. St (Iuccoiue d'Arnienie, eve- que, puis reolus a Pilliiviers en Reauce, au diocese d'Or- le.ins, mort au coninience- nionl du 11* .-^ieelc. 17. liiiiidi. St pATRK.E, apu- Ue dc rirlande, singuUero- mcnt veneredans celle lie, morl en 464. St Jusepu d'Arimalliie, qui cmbauma le corps de J.-C, et i'enscvclit; mort au 1^ siecie de TEglise. Les Sts Martyrs d'Alexandrie, en 392. Ste GtRTnuDE, vlcrge ct celcbre abbesse en Brabant, morte en 652. 18. SInrdi. St Alexandre, eveque de Jerusalem, marlyr en 251. St Gvrille, archevSque dc Je- rusalem, doctcur del'Eglise, mort en 386. Ce saint esl iri's-celebre par sa vie et ses ouvrages. St Edouard, roi d'Angletcrre, assassincparordred'EliVide, sa bellc-mere, en 992. 19. MLTcredi. St Joseph. cpuux de Marie, protectcur dc la virginite dc la mere dc Dicu, mort au l*^"" sieclc, avant la predication ct la pas.sion dc J.-C. 20. JiMidi. Instilulion de Ij Ste Eucbaristie, ou Jeuui Saint. St CiiTiiDtRT, eveque en Angle- Icrre, mort en 687. St Wulfran, archeveque de Sens, morl en 720. 21 Teiidretli. La Passion ct la morl de J.-G., ou Yen- DREW Saint. En ce jour on ne ceK'bre pas le saint sacriGcc de la niesse. St Beso'it, patriarclie des moi- ncs d'Occidcnt, connus sous le nom dc benedictins divises en plusicurs congre- gations, mort en 543. Tois saints uommes Serapion morts en Egypleuu4'^ siecie. 22. Naraedi. Vcille du saint jour dc Paques, ou Samcdi Saint. St Pacl, apotre, ct \^' eveque deNarbonne, niortauS'" sie- cie. 11 ne fant pas le confondre avec Si Paul, I'ap^ire dcs iin- tiuns ei coinpa^iKui de St Pierre. StDeo-Grati-vs, eveque de Car- tilage, mort en 457. Stc Catherine deSuedo, vlcrge, princesse, morte abbcsse on 1381 thago, ct sea compagnons, martyrises par les Vandulcs d'AIVique au5* sicele. 21. I. Ce dernier mot pouvait servir d'epigrapbe a sa vie. BiefilOt le comic de Boutteville fut execute pour avoir etc se baltrc en duel, les Anglais furenl battus dcvanl I'ile de Re; le due de Itohan, chef de I'insurrcction proteslantc, ful de- clare II par le parlemeiit dcchu de ses litres de due et pair, II condamne ,i etre livre es mains de rexiiculeur de la II haute justice, lequel le trainanl sur une claic, ensemble II scs armoiries, lui fail faire le touraccoutume dans la ville II en chaus>e, tcte el picds nus, la ban au col cl une lOr- II che de ciro en ses mains; pouretre ensuite, sur un ecba- II faud dresse a eel effcl, lire a qualre chevaux jiisqu'a cc « que son corps en fut demembre, ses restes briiles au feu II d'un bucher et les cendres jetees au vent ; cent cinquanlC 11 millc livrcs a prendre sur scs biens devaient etre la re- 11 compen.se des cornmunautcs ou particuliers qui Ic livrc- 11 raient morlou vif. » Ce ne ful pas tout ; Richelieu en persoime alia mettre le siege dcvant la Hodicllc, citadille et centre du parti proles- la n I. II Le roi, dit Bassompierrc, laissa au cardinal un ample II pouvoir dont nous nous conteulames ! » En offel le pouvoir elait fort ample; le cardinal, dans les letlres patentes, elait nomme « lieutenant general II dc I'armcc dcvanl la Rochelle, avec pleinc autorile siir II tcutes les troupes de cavalcrie el d'infanterie, tant 11 francaises qu'clrangeres, et aussi sur I'artillerie pour II continuer ft poursuivre Ic siege, cl meme dans le cas II oil les habitants se voudraicnt remeltre dans leur II devoir, pour les y recevoir et prendre possession de II leur ville, eiijoignant a lous gencraux el officiers de le II reconnaitic etde lui obeircomniciisa propre personnel) La Rothi'lle ful | rise, Richelieu y penetra en tiiomphalcur, la cuirasse sur la poitrine, Tepee nue ii la main ; el le parli prolcstant ful ccrase. Ce ful un grand jour pour lui que cette entree .solen- 156 LES ILLUSTRES FRAWgAIS. nelle ; nviile dp gloire rt d'cclat autaiil que dc succes pn- i Iriomphe mililaire elait la consecialiou nalurelle el ncccs- lilique, ce Napoleon du dix-seplieme siecle seatail quece I saire de son pouvoir. Ainsi Richelieu s'nifermissail sans cessp, mais les enne- mis ne luinianquaientpas. ApeineGuslave-Adolplie parul- il sur la scene politique, que Richelieu le rcclicrcha coinnie un genie digne de le comprcuilre. « Guslave-Adolphe, dit Richelieu, etait un nouvcausoleil 0 levanl qui, ayant eu la guerre avee tons scs voisins, « avail emporle sur eux plusieiirs provinces ; il elail jeune, <( mais de Ires-grande rcpulalion ; il sclail accru de plu- II sieurs conquelcs failes sur les Moscoviles, les Polon.iis el allre des rtinicuUcs si graiidcs. i|u'ils niircnt deux hcures a parcourir une distance de cent ciiKiuanlc tniscs. (Juandle jour commenca a paraitre, il leur fut possible d'avanccr iin pen pins vile; I'un d'eux prenail la tele, et les aulrcs le suivaienl dc pres. 11 etait impossible de mar- cher a la Icle pendant plus dc Irois ou quaire minutes a la biis, ii cause diivcnl piqunnl qui Icur soufllail conslammeul dans la figure, liii pen de lemps, I'un d'eux qui les gui- daifet Ics avail, sans le savoir, cgarcs, lul rclevo par eux dans un dlat voisin de I'insensibilite ; et bicnlot apres, M. Ilngg lomba an fond dun ]irecipice, et tut presquo cnliercmciit cnscveli dans la ncige. Apres dcs efforts et des peines inoules, ils parvinrent cnOn a I'un des Iroupeaux. Les moutons etaicnt deboul, presses Ics uns conire Ics aulrcs, en une masse compacle; la jdnparl etaicnt rccouvcrls dc dix picds de neige, et Ics aulrcs avaient cte pousscs sur le montant d'une col- liiie. On cut quelque difficulle ;i debarrasser ceux qui etaicnt an dehors, et Ics bergcrs furcnt agreablemcnt surpris de voir que Ics aulrcs purcnt sorlir facilcmenl de di'ssous la neige (|ui s'olait consolidee en croule au-dessus d'eux. 51. Hogg, quillant les autres bergcrs, se dirigca plus loin vers un cndroil ou Ion avail laisse un autre troupeau. 11 vint a bout d'ca debarrasser la moilie et de les mellre en lieu de snrcl:!' ; apres qnoi il se hala de retourner a la niaisoM, en eherclianl son chemin li talons le niieux qu'jl put, car liien q\ril fit encore jour, il elnit impos^^iblc de voir a dix toiscs autour de soi ; et dans les vallnns la neige elait si epaissc, qu'elle couvrait meme la cime desarl;cs les plus (ilcves. De jour en jour les bergers sorlaient ensemble jnsqu'.i ce qu'ils eussent reuni a la lerme tons les moutons morts ou vivants; ils en tronverent la plupart ensevclis sous une epaisscur de neige de six ii dis picds. lis etaicnt tous vivants quand ils furent rc- troHves, mais il en mourul un grand nonibre pen de temps a|ires. Dans cclte null de neige el de tcmpele, dix-sept bergers pcrdirenl la vie dans le sud de I'Ecosse, et plus de trente fiircnl rdrouves el porlcs chez eux dans un elat d'insensi- bililc. Un fermier perdit qualorze cent quarante moutons, Cl pliisicurs aulrcs en pcrdirenl cliacun de quaire cents a six cents. Dans quclqucs endroils, des Iroupeaux ejiticrs finciil ciigloulis sous la neige, et personne ne sul ce qu'ils C'laicnt dcverius, jusqu'au moment oii la neige, venant n fundrc, lai>sa b;urs corps ii decouvcrt. II y en cut dcs ccn- laines d'cniralnds par les tnondations, dans Ics ruisseatix ct dans les lacs, cl ensuite emporles par la debacle ; dc sorte que leurs propriclaircs no les revircnl plus el ne Ics relrouverent jamais. A un endroit oii plusicurs courants se jettent dans le Sohvay-Frilh, ou bras de incr de Solway, il y a une espcce de bas-fond nomme Bancs de I'Esk (Bedsof Esk), oiila mareo jelle ct laisse .i sec tout ce que les couranls y emportent. (Juand I'inondalion qui snivit ces grandes neiges sc fut ecoulee, on trouva sur ces bancs les corps de deux homines, une fcmme, quaranle-cinq chiens, trois chevaui, neuf betes a cornes, cent quatre-vingts lievrcs ct dix-huit cent quarante moutons. L'Ecosse est souvent nfdigee par des tempeles de neige Ires-desaslreuses, maisipii ne sonlpnscomparablos ,i cclles donl nous venons de parlcr. M. Hogg fail un rccit Ires- inleressant de la maniere donl Ics habitants se resignenl a cescalamitcs. 11 Ce qui ne contribuc pas peu, dil-il , a la fortitude el a la resignation religieuse qui distingue le bergcr ccos- sais, c'esl la pcnsee qui se grave nalurcllcment tous les jinu-s dans son espril, que son bonheur el son aisance sont enlieremenl entre les mains de celui qui gouverne les elements. Je ne connais pasdc spectacle plus loucbant que celui d'une famillc rcnfcrmee dans un vallon solitaire, an moment d'un oragc en liivcr. El oil est la vallee du royaume qui n'ait pas une habitation de celte espece? La ils sont abandonncs a la prolcclion du cicl ; ils le savent el ils le senlent. An milieu des tourmentcs des elements el des cruclles vicissitudes de la nature, ils savcnl qu'il n'esl au- cun seconrs a esperer de I'homme ; mais ils s'altendent ii le rccevoir sculcmcnl du Tout-Puissant. Avant dese livrerau repos, le berger ne manque jamais de sorlir pour exami- ner I'etal de I'almosphere, ct il revienl en rcndre compte a la famille )dacee sous sa protection. II ne voil ricn que Ic combat dcs clemenis et la fnrcur de I'oi'age! Tous alors s'agenonillent aulour de lui, II Ics recommande ii la pro- lcclion du cicl, et quoique les rugissemenis de la tcm- pele couvrent leur faible voix, el qu'ils puissenl a peine en- tendre eux-memes Ihymne qu'ils adressenl au Seigneur, ils ne manquenl jamais, en se levant apres leurs devotions, de scnlir leur .ime raffennie, leurs esprits reprcnnent toule leur serenite, la confiance leur est rendue, et"ils s'ii- handonnentau sommeil, I'iinie rcmplie d'une douce exalta- tion et de cette paix ii laiiuelle Ics rois cl les conqucranls sont etrangcrs. n I.'ORACZ SES HIGHI.AIIDS. De toulcs les villes du monde, aucune n'esl plus er- posee nux effels deslrucleurs de ecs tempeles glacees que Tamnntonl, dans les Highlands (-1). Elle est comme encaissee et perdue entre de hautes monlagnes, d'oii les torrents se precipitenl et s'enlas- scnt sur ses fragiles edifices, cent fois dctruits par I.T violence des avabnchcs, toujours reconslruits par leurs habitants obslincs. Les regions mcridionales, avcc leurs tonncrres el leurs volcans, ne pcuvent domier I'idce dc I,*) Terra Arj'(/ts, montane?, var oji^iosllion '*hw tanrfj, Icircs bjfses 1i2 rp (luo la nature rciiiiit dc tcrrcnrs eiihlimcs ct fiinohrcs, fiu.ind dos i\'^'ions fmiilcs, lin-issccs do monts el voisincs lie la mer, sonl le llicatrc que scs convulsions ebrnnlcnt. C'cst, nil soin de la nuit, une ncige elilouissante qui, tombant en masses cpaisscs et oliliqucs, mennce dc tout cngloutir; c'est le vent qui, arrOle dans sa, course par les immcnws forrts do Head o' Dee, les pics de Urantown ct les anrracluosiles de Glen-Aven, siflle ct hurle comme si toulcs les Ics'""* inreriialcs avaiciit ronipn leur ban. Los bruits qui acronqiaqucnt cc doluge dc neii^e et ccltc rcvollo dns vents nc sont pas moins epoiivantables. La foudrc gronderait snr voire tele, vous ne renlcndriez pas, lant les miUe cataractes qui vous cntourent, les col- jincs. dont les cchus mugisscnt ;i la fois, I'Oceau lointain qui bruit, ct les arbrcs qui se briscnt, et les rocs qui se dct.iclicut ct se fracassent en tombant, se niclenl dans un liorrib'.e lumulte. Tamantoul n'est accessible que par des Rentiers ou gorges ciroites, lombeaux des voyageurs qui s'y engagent par un inauvais temps. En 1812, on trouva dens ciiurriers de la poste cteudus morts dans une de cc< avenues, que la neige comble et obstrue en pen de temps. A vingt pas dc la ville, vous peririez sans sccours. La neige vous aveugle, voire langue se glace, vos pieds s'ar- relent; quclqucs minulcs sufliscnl pour cnsevelir le mal- lieureux que son imprudence ou son inexperience a portc a braver colle guerre acharnce que les elements livrcnt a la vie de Ihommc. Par un caprice qui caractirise nssez bien la Mzarreiie luimaine, cette bourgado, qui s'bonore du nnm de ville, est, pendant les mois d'liiver, un lieu de fete perpeluclle. Vous dies siir d'y Irouver les montagnards des clans les plus sauvages, les jeunes laboureurs des basses terrcs, les jetines lassies {\) qu'un procbain mariage amcne a ce rendez-vous. On y boil, on y fume, on y danse, on s'y que- relle; c'est un bal de chaquc j'lur, une bacclianalo doLit toutes les scenes sont loin d'oll'rir un spectacle elegant ct classique. Les plus mauvais sujcls de I'Ecossc ariluenl dans ce petit endroit : vicux soldals, fermiers ruines, maqui- gnons qui cberclicnl fortune, minislres de I'Evangile cbas- ses de leur presbytcre par decision des anciens, buveurs, joueurs, chasseurs, conlrebandiers, banquerouliers, gons sans aveu, population piltoresque et dangercuse qui rccide devant une civilisation perfectionnee, et se plait a vcnir Irouver dans la prison joyeuse de Tamantoul la liberie, qn'elle pousse jusqu'a la licence, et de rusliques plaisirs, qu'elle achele a bas prix. Les mauvais sujels se donnent souvcnl rcudez-vous a ces fetes, qui sont, il est vrai, en assez mauvaise rcpulalion aupres des gens pieux el graves, et que riionnete fermier calvinisle recommande bien a son fds d'cviler soigneusement. Au mois de fcvrier 18'i5, une tempcle si violcnte vint Eurprendre les habitants de Tamantoul el leurs holes, que les oris des buveurs, les sons du bag-five ecossais (2) ct los sauts cadences du slrathspey (3) s'inlerrompirenl tout li coup. Peu s'en fallul que loule la nation irreguliere que rcnfermait ectle enceinte de rocliers ne demeurat englnutie sous cent pieds de ncige. Une tournee dans les Highlands, voyage qui, pour les coclineys de Londres, est aussi neces- sairc que le voyage d'lirmcuonville pour les Parisicns, (1) l.ais, lassk. jcnnc lille : t'c t iia iliiiiiiiuiirerossais. {■2. (iiirncmii^p. iT; Cciiilrnliu^r iliiiil li'S ligur. s sum Urs (om|ili(ni('CS. ANEt^DOTBS m'avait conJuh i\ Tamantoul, d'oi\ jo cnmptais partir nv.nt la nuit, mais ou cet orage me forca de m'arrcter. (,;iii'lle que lilt riiorrenr du spectacle, et malgrc le peril reel que nous courions, ce qui a surtoul iixc dans ma memnire Ic souvenir de cello nuit oragciise, c'est un evenement ira- giquc auquel la fete de Tamantoul servil de prelude, ct dont toutes les scenes qui se sont passecs devant moi sont encore presentes a mon esprit. Lewis Mackensie, soldal de rarmec ecossaise, le plus bel hommc pcut-i'lre qui ail ja- mais foule la bruyere des monlngnes de sou pays, faisait parlie de celle assemblee joyeuse et turbiilenle. C'etail, m'a-l-nn dit, un fort brave soblal; mais la renommee lui atlribuail plus d'un mauvais lour. l)e Dumfries a Ediinbouig , Lewis Mackenzie n'elail connu (lue sous le nom de Glibby Glelgcr (I), .sobriqurl singulicr, qui, dans le palois d'F.eosse, a une siguificalioii tres-ironique el Ires-expressive. Lewis valait apparemmenl beaucoup mieux que .sa ri ■ [lulalion ; une jeune Dlle des moutagnesv Mary Craddncli. till avail inspire un allaehement sincere, et il allail 1 e- ponscr. Mary, que j'ai vue dans ec bal ruslique, n'elail pa-; regulieremenl belle : il y avail de laine dans ses trails, de la gr.lce dans sa demarche, de la langueur dans son regard. Le rapitaine du regiment oil servait Lewis la deniaiidait aussi en mariage : mais MaryCraddork profcrait Mackenzie ; ct la rivalilc qui existait cnire les deux militaires avail crlate plus d'une fois avec une vivacile que la discipline et ■ la regularite du service n'avaient pu etoiifrer. La jeuun ■ fille, qui demeurail li deux lieues de Tamantoul, dans les monlagncs, elait venue au bal de cette ville avec sa graiid'- mere, el die avail danse plusieurs stralhspeys avec Lewis, quand le capilaine lui offrit d'etre son parlenaire pour la danse procbaine, et, sur le refus dc Mary, laissa echap- per quelipies paroles aussi iiijurieuses pour die que pour sou liancc. Une querelle violcnte commenca ; cl bientut Ic capilaine, arnie de son autorite mililaire, ordonna an soldal dc quitler la sallc et de garder les arrets. Lewis se retiia, la rage dans le ceeur. Aussilot apres cette scene, Mary, loule en pleurs, et sa grand'mere, effrayee, rcprireiit seule> la route de leur habitation. La tempcle n'avait pas encore commence quand dies qiiiltcrcnt Tamantoul; mais un quart d'lieurc aprcs leur depart, les premiers llocons de ncige lourbilloiinerent dans I'air; bientol loule ralmospberc en ful assiegee et remplie. Qu'on imagine la situation de ces deux malbcu- " reuses fcmmcs surprises par ce torrent inevitable qui les ecrasait et les etouffait, saisies par cette invincible prison dc glace, s'cndormanl sous ce froid manleau pour nc .s'e- veiller jamais, et incapables de lulter centre la mort qui les pre.ssail de toutes parts el les envahissail lenlcmciit. Le lendemain, ce fut un spectacle horrible et louchanl, qiiaiul une partie dc la neige fut fondue, et que Ton di'blaya les senlicrs qui conduisent li Tamantoul, dc voir la pauvre jcnnc fille enveloppee dans le plaid (2) do sa grand'mere, qui la pressait forlemenl sur son sein, ct qui avail inutilc- ment es.saye de la garanlir dans les larges draperies du manleau. La jcune fille, loule pale, belle encore, elincdait de gelce sous les rayons du soldi, et sans autre indice de (1) Cos paroles ne pciivnil sc irjiliiirc, et colics qui pourraicnl leurcor- rcsiniiiOic en framjais le hrgueur oHique) n'ufficnl (|u'un sons liilirulf . (2) Jl.inioan b.niolo qnr Ion iiorieen Ecosso, oiiloni i'u5:ist'»Vsl iniro- diiil on t-'iiin L'. DU TEMr? PRESENT. itinrl que SM immolilitft cITrayaiite cl cpl cclot funcslc. Vous cussicz dit une lleiir de prinlemps dont unc nuit Iroidc a glace la sevc sans flcHrir sa bcaulc. On dit que la furenr de Lewis Mackenzie, lorsque ce fatal i'vencmcnt poivint jiisiiu'i lui. approcha de la demence. Le capitaiiie ctait nn mcuilrier aux yeux du soldal; 11 avail, par son acte arbitiviire et par la querelle qu'il avail suscitce, cause la moit de Mary et de sa grand'mere, et prive Lewis de lout cc iiu'il aimail dans le monde. Le brillanl ct gai Mackenzie disparut. Cone flit plus qu'un homnie sombre, absorbc dans le senlimcnt Jc sa doulour el le desir de la vengeance. Un mois apres, je me trouvais a Edimbourg quand les sol- {lals so mulinci-ent au sujet de leur paye, et personne ne ful clonne d'apprendrc quo Lewis ctait a la tele de la revolte, ct que le capitaine O'Giicn (c'etail le nom de son rival) avail peri dans une emcute de la main nienie dusoldat. Mackenzie, accuse de meurtre snr la pei-sonne de son capitaine, el de rebellion a main armee, ful juge par un conseil do guerre, et condamne a mort. Le prinlemps ctait do rclour. Les links d'Edimbourg se couvrirenl d'un peuple nombreux des le matin du jour ou Lewis devail etre execute. Trnis reginienls, la baionnette au bout du fusil, sorlirenl de la ville el s'avancercnt en silence; bienlot on entendit le bruit sourd d'un grand tambour, dont la percussion, relenlissant a de longs intervalles, etail voilcc et rcndue plus lugubre par linlcrposilion du crepe noir qui le cou- vrait. Un ncgre africain, homnie alhleliquc, de six pieds dc haul, ct le plus redoutable boseur de son lemps, frap- pait de t'lUlc sa force sur eel instrument funebre. A voir la violence avcc laquelle il assenait ces coups intcrrompus, le sourire dc ses levrcs el fecial dc scs ycux, dont le blanc etincclait sur 1 chene de son visage, vous eussiez dit qu'il allait a une fete, et que la mort de I'honime blanc ctait un triomphe pour I'homme noir. Lewis ctait generalement aime ; quand on le vil marcher, comme le prescrit la loi mililaire du pays, derriere son cercueil que portaienl dcus de ses camarades, el s'avanccr d'un pas ferme ct mesure, I'ceil Cxe sur le gazon de celle terre nalale qui allait bicntol disparnitre a jamais sous ses pas, un fremisscment universel, un murmure silencieu.t qui semblail se commnniqucr par une sympathie elcc- trique, vinl agiler celte multitude. « Cist lull c'cst lull I'auvre garcon! — Puir fal- low (1)1 » repclaient tout has mille voix de femmes, vicilles, jeuncs, de lout age, entourees de leurs plaids, la tete couvcrte de leurs capuchons gris, quelques-unes porlant leurs cnfanls el leurdonnant le sein. C'etail chose surprenante el remplie d'emolion que celte douleur geuerale a propos d'un pauvrc soldal , que ce ressenliment populaire si profond, mais etouffe par le respect des lois; que I'expression semblablc de toutcs ces Ogures de femmes ccossaises, pales, graves, carac- tcrisees, el qu'un beau soleil levant cclairail. Un signe de la main du commandant changea la forme des trois regiments; le tambour cessa de ballre; un drapeau s'a- baissa lenlemenl; les troupes se rangerent sur Irois ligncs cgalcs, formanl un carre dont on nurail supprimc un cole. Le cercueil ful npporle et place au centre. Lewis Mackenzie s'agenouilla sur le cercueil. (IJ I'ooT fftliu: H5 La vie cl la jeunesse brillaient sur son visage, el quand le malheureux jeune homme cut defail son habit, vous au- riez cru qu'il s'agissait pour lui non de mourir sous les balles de ses camarades, mais de prendre part a quelquo jcu ruslique, et de deployer sans entraves la male vigucur donl I'avait doue la nature. On entendil quelqucs gemissements sorlir dc la foulo cmue; les femmes pleuraienl. Ellcs se rappelaient que, pour sauver un enfant, GUbby Glcdgcr, s'exposant aux rigucurs de la discipline, s'etait laisse glisscr, au moyeii d'une corde, du haul de la ciladclle sur les rochers qui la soutienuenl. II subissail dans toulc son horreur le chaiimcnt inexorable de la justice mililaire. 11 lallail voir lojtes ces teles el lous ces regards fixes, ct la slupcur peinle sur lous ces trails. Bienlot le triple rang des soldats, forces de devenir bourrcnux, se rcsserra et se rapprocha. Lewis se leva, atlacha le bandeau sur ses yeux de sa propre main, s'agenouilla de nouvcau sur son cer- cueil, joignit les mains, pria. Six balles percerenl son cccur. Mors , quel cri pro- fond , douloureux, lamentable, impo.^siblc ii esprimcr ct a oublier, relenlit au loin, comme si celte foule n'a- vail eu qu'une ame et n'avait poussc qu'un gomisscment! Vous eussiez dit que chacun des assistants perdait un frere, tant ce peuple pieux, severe ct ruslique, a con- serve un profond et populaire sentiment de nationa- lile, tant il s'associail inlimemenl au supplice du jeuno soldal. Je vis son vieux pere. invaliJe aux cheveux blaiics, au front hale, sorlir de la foule ct aller embrasser son fils mort et sanglanl. Je vis la mullitude s'ecouler lente et muctte. El le soir mcme, toute celte cmolion causce par la mort du soldal avail cede aux habitudes communes de la vie ; parmi ces femmes qui avaicnl donmi tant dc plcui-s nu pauvre Mackenzie, pas une ne songeait A lui. (Juaiil ii son vieux pere, je le rcficontini le lendemaiu, ivre comme uu monlagnard, pour.suivi par une troupe d'cn- faiits , incapable dc se soulcnir, chancelanl ii Iravcrs la place du marche, repelanl dans .son desespoir el begayanl dans son ivresse le nom de son CIs. C'cst ainsi que I'homme est fait. • LE CHRISTOPHE COLOMB OU PONT SAINT-MICHEL. La rigucur singulierede I'hiver de 18^3, qui a qualrc fois recommence, a donnc lien a plus d'un cvcncmcnt Ira- gique, a plus d'une catastrophe violcnie, el au.ssi a quel- qucs bizarres developpemenls du caraclcre humain. On saitcombien d'aspecls varies offre, pendant le prin- lemps et I'ele, le cours du beau lleuve qui traverse Paris; une double ceinlure de quais peuples d'un monde de pro- mencurs, de marchands, de chalands, hordes de maisons, et de palais de lous les Sgcs et de toutes les architectures, escorle les Dots capricieux de la Seine, et plus dune fois les artistes se sonl plu a r. produire , dans des esqui.sscs semblables a celles que nous placons ici, la physionomie animce el changeanle de la riviere parisienne. Elle a itc reccmmcnt le the.iire d'un essai de navigation aussi dangercux qu'original. Hi ANECDOTES DU TEMTS I'UESEINT. Lc joiinc D..., fils d'uii cntrcposcm- de Bercy, dejeiina, I dc son Sge, dans la maisoii dc son pere, ct paria qn'il •vers le commencement du mois de Janvier, avec des amis | desccndrait la Seine jnsiin'ii Passy, perclic sur un glai^nn do son chuix Hi sa convcnance; le pari fut acccptc. Sur un large et cpais gla^on detachc de la rive, arme d'un avi- ron fait avec une douve clouee an bout d'un baton, il s'est clance en pleine riviere, a pris le 01 de I'eau, et a navigue tres-tranquillement jusqu'ii la pointede la Cite. La, frappe du danger qui le menacail an passage des ponts , il vit qu'il avail risque sa vi&dans une entreprise aussi ptril- leuse qu'inutile. Sous les ponts Notre-Dame et au Change, le llcuve elait dcvcnu un veritable torrent. Sous le pojit Sainl-Micliel le cours estmoins rapido, mais les arc'ics ,';out elroiles etmal disposocs. Delibcrcr longtcnips einit impos- sible. Le glajon qui lui servait dc navire I'emportait avec une rapidite foudroyanle. Scs amis, places sur la rive, lc suivaient de I'reil; et il elait evident que sa vie depeudait de la s&rete de son coup d'oeil et de son adresse II n'hesiia pas. se dirigea vers le pout Saint-Michel, passa enlre les glacons qui exrontraient les arches, et arriva sain et sauf a la barricre de Passy. Cclte audace qui expose sa vie pour alleindre un but honorable el mile nicrile radiuir.ition dp tons lescCEurs, de Ions les esprils bien ncs. Mais puurquoi ce deploiement de forces perduos et de sterile danger, qui lie peut pas rapporter de gloire a cehii qui I'a couru ? IiE BBIIt GEI.E. Lc grand lIcuvc qui separe et fertilise les rives de Francj; et d'.Mlcmagne, le Itbin, que I'hiver atteint si rarcmcut, a cliarrie celle annee d'ennrnics glicoiis.Qiiaiit nu NeliOr, il gele sur divers points; on pent le passer a pieil sec pres dc INeckargemiiud, et la plupart des torrents qui desccndent des monlagnes de I'Alp on do la Forcl-Noire, charrioni de gros glacons. Les quanlilos de neige qui sont toniliees d.ins ces monies montagnes entravcnt tonics les communica- tions; les transports des comoslibles et des marcliandises ne pcuvent plus s'effecliicr qu'ii I'aidc dc traincanx ; encore les vivres sont-ils pour la plupart impropros a la consom- matiou quand ils arrivent aux uiarchcs. Du I'cslc, nii'me siir Ics griiiulos routes, il faiil six ii liuit clicvaux pour Irainer unc clinrfto que deux clievaux Toitu- rc raicut facilomciU en temps onlinairc. Plusicurs diligences nllemamlcs out verse. Leconducteur decellc qui va d'Augs- Ijourg ii I'lm n du requci'ir trcize villageois pour le tirer dos neigcs cl I'aider a conlinuer sa route. La diligence qui fait le service cntrc Stncknsh ct Ulm n'a pu davantage poursuivre sa route avcc son altelagc ordinaire. Vers le milieu du mois de Janvier, une louve ct den.'! louvctcaux de la Forul-Noirc, attires par Tcsperance cl I'odeur d'une proic qui sc trouvait abandonnee a Icurdcnt c.irnassicrc sur I'autre rive du lleuve, du cote dcla Suisse, s'l'lanccrcnl sur un glacon du Itliin qui, dans ce moment, elait iuimoljilo ct relcnu a la rive. L'elan do ces aniniaux iK'lacha le glacon qui se niit aussilul en mouvement et les emporta comme une lleclic jusqu'a rcmboucliure mcme de I'Yssel ; les longs liurlements de la l«"te feroce ct de ses pctils allirercnt les populations, qui leur laclierent plu- sieurs coups de fusil sans Ics atleindre. taut leur fuite etait rapide. On les a pris vivanis cl a demi-geles sur la rive dObcr-Yssel. [ IlandcUblad d' Amsterdam ). I.'CN'OZJDATIOIII EN CEINE. Hans les provinces situees sur la mer Jaune, les iuon- ilr.liiins out en cette annec le caractere d'uu veritalvlc de- luge. Ce.s provinces, dont cbacune nourril une population I liis nombrcusc que celle de lei grand royaume de second oidre d'Euriipe, ont eli' presque enliercmcnt submergees. Apres la retraite dcs eaux, on a non-.sculemenl Irouve des radavros par milliers sur le sol el dans les maisons, mais JHsi)ne sur la cime des arbres Irs plus eleves. Sur le fleuve d'Yangb-Tse, on a vu Hotter un grand nombre de tonncans cnntenant les cadavres de jeunes en- lanls. Ccsenfinls y avaicnl etc enfcrme-s par leurs parents qui, au niomeiil ou ils av.iient perdu lout espoir de salul, crurent qu'cn pbrant leurs enfanls dans des futailles qui snrnageraient sur I'eau, ils leur procurcraienl une derniere clionce, quoiquc fori incerlaine, d'etre sauves. On evalue a plus de dix-sept millions le nombre des in- dividus qui etaienl jiarvenus a cebapper aux innndalions, etcelte immense masse d'hommcs, reduite a la plusaffreuse misere, s'elait repandue dans les provinces circonvoisincs, .oil elle implorail la cliarite publiquc. A ce grand desastre etail venu se joiudre un autre mal- Iicnr, celui d'une haussc extraordinaire du prix duriz, qui est, comme on sail, une denree dc premiere necessilc en Cliine, et qui cntre mcme comme ingredient dans le pain. Les mandarins clicrchcnt a empecher aulanl que pos- sible la publication dc ces details effroyables. llsonl pcur que le gouvernemcnt ne les rende responsables des dom- mages causes par les inondalions, parce qu'ils ont laisse £C delabrcr Ics digues dont la conservation csl ,n leur :clinrge. ( Journal rommncial dr Patavia. i !.E SAVOIR-VlvnE EN RUnOPE. -)« Z.'aiVEIl EH axoiSbis. Une ffte magnilique avail etc donnee a la garnison ct i la ville de .Medcali. I.a garnison, qui aime son clicf, vou- Int se moutrer rcconnaissante, et re.solut, a I'unanimite, dc renonveler bal et sonpcr dans la grando sallo du ccrcle des orncicr.s. La .souscription failc ;ice sujct produisil1,200fr. L'epoque de la reunion etait lixoe a la mi-carcme; mais I'lwmme proposr, el Dieit dispose. La saison, si mauvaisc deja, redoubla .ses rigucurs : la ncige toniba pendant dix- huil jours consecutifs avec des inlervallcs dc pluie el de brouillard. Elle alteignll deux fois unc hauteur de di.x- bnil a vingt pouces, ct, au moment oil j'ccris, elle couvre encore le sol, malgrc deux demi-jours de soleil el de degcl. Les maisons s'ccroulercnt de toutes parts, vieilles ou ncu- vcs, ct des families cnlicrcs furenl sans nsile. Un homme est mort dc froid dans la rue. M. le general Slarey. dans sa sollicitude constantc pour les malheureux, Ics fit logerprovisoireraenl dans une mos- qiiee abandonnee par le caserncment, et ordonna qu'on ilistribucrail par jour deux cents pains. C'etait chose aflli- gcante a voir ijue cetle population musulmane, sc pressanl lous les matins ,i la porte du liakcm pour avoir sa portion de pain. Les officicrs de la garnison sc plaisaient a se ren- dre sous le hang.ir du niartbc pour acheter les gaieties arabcs ct se fairc piller ensuilc sur place. On s'emul dc- vant taut d» calamiles, el on renonca aux plaisirs pour les sonlager. L'argent destine a une fete fut donuc aux pauvrcs. De Idles maniercs d'agir portcronl leurs fruits, sans nul duute ; on cut dit que ce bienfait devait avoir d'avancc sa recompense. Voici ce qui arrivail, il y a Irois jours, dans les nciges de la route du Col. Cinq Europcens, et parmi cux un pharmacien qui vient s'elablir a .Miideab, avaient voulu passer, malgre le mauvais ctal dcs cliemins ; la unit les surprit entre la minede cuivre du Monzaio ct la ville; il faisait noir, ct pas une trace nimliquait la direction a » suivre. La petite caravane s'egara, el fut reduite, npres des fatigues inouies, ii concher sur la ncige. Point de feu, la nuit fut terrible ,i passer. Cepciidant le jour vinl ct laissa voir quelques gourbis a peu de distance ; on parvint a Ics gagner, non sans peine. Les Arabes allerent au-devanl des pauvrcs diables, el leur donnerenl I'bo'ipilalitc la plus com- plete el la plus attentive. On les reclianffa le mieiix que Ton put, mais les souffrances avaienl etc rudes, el ce ne fut que le lendemain que Ics cinq imprudcnls se remirenl en route pour Mcduali. (Ahbar d' Alger.) LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE. SI.MPLES COSSEllS A CEKX QUI EMHEM DANS I.E M0^De(1}. III. I.a potilci.^c a lalilc, L.1 (ciiiversalioli li IdI>Ic. — Le m.illrc cic nuisnn gaslronoinc Ciiranic loui le nionilc. — .\v3iri dinor. — Ajircs dliicr. Dans toutes les actions de la vie, raffcct.iiion, I'amour- propre, Toubli des anlrcs, regoisme, en un mot, nous rcn- (l) Voy. Ic Journal dt il. le Cur/, n' II. ^9 MQ LB SAVOin-VIV ilcnl liaissaMos ct riJiciilcs. C'est a cello loi si simple qiril faut nppnrtcr toiile la polilcsse. Ainsilc maitredc niaison no doit pas sculomciU llallcr le gout ct salisfaire les pcn- cliants gaslronomifiucsde scs convives, il doit lairecn sorte que chacun sc Irouvc a I'aise ct commc dans sa proprc maison. Un diner splendidc s'cclipsc tonjours aupres d'lin diner agrcable. Donliomic, liicnvoillancc, simplicity ct fa- eilile d'accueil, snnt d'admirablcs assaisonnenienls pour la l)0nnc chore. A ce prnpos, un Italien qui viviiil an quin- zicmc sicclc donnc a scs contcmporains d'cxc( llcnts oon- scils qui conviciincnt encore aux liommes do nos jours. (1 On olticnl, dit-il, une grandc f.ivcur par les diners donncs aii.t ctrangcrs dislingucs. 11 est trcs-convcnable aux honnetes gens deles recevoir avcc magnificence. Cela est utile 4 qui desire itre connu ct a acquerir de I'jn- lluence nu dehor.*, ct devcnir un ornement de la cite. Les invites no seront ni moins de trois ni plusde ncuf, parce que, dans le grand nombre, on ne peul s'cnicndre, selivrer a des discours suivis, ct cpie les causcrics a part ct les juies scparees produiscnt la confusion. Tout diner liieu onlonne cxigccinq condilions : un nomlireraisonnabledc convives, des gens de bonne compagnic ct qui se conviennenl, un lieu qui plnise, une heurc commode, ct un service irrcpro- cliable. Que les convjvcs ne soient ni babillards ni mucls, luais cau.seurs et mnderOs. On ne doit point s'cntrctcnir a table de choses sublilis, douteuses ou ditOciles ii compren- drc, mats plulot de ciioscs joycuscs , amusantes ct a la fois ogreables ct utiles. » II est pei-mis a un niaitrc de maison d'etre gastronome, iTiais il lui est defendu de montrer nuvertcmeni, et d'une I'acon dcsaareableauxaulrcs, scs voluptesgastronomiques, Icur atlcnte, leurs phases ct leurs angoisscs. J'ai vu un de c«s mailres de niaison inTeodes a leur chef de cuisine, tirer sa montrc, et, sans faire attention aux personncs mvitees qui remplissaient son salon, resler I'ceil (ixe sur le cadran. jusqu'au ninmcnt bicnhcureux qui le rendait ,i la seulc jouissance de sa vie. nu EN EUHOPC. sc garder le plaisir secret ct furtif dc les manger scuh ou suivrc de I'ccil, avcc un reject evident, les raets favoris ou recherclies qui avaient paru sur leur table. J'en ai vu d'autrcs, plusnaivement gloutons, no faire attention a ricn de ce qui Icscnvironnait, no pasropondreun mot pendant le rcpas; sc livrer lout entier a ce que Montaigne appelle si bie.n la vie des amcs sans etoffe, a la gourmandisc, ct so trouver, nprcs le feslin, lestcs d'unc si enorme quantitc d'alimenis, qu'il leur lallait rompre loutes les attaches de leurs vetemenls, ct sourire avcc une complaisance silen- ciouse, pendant le reste de la soiree, a la rondeur de leur j abdomen. J'cn ai \u d'anlres roseiver des plats tout cnliers pout Vous croyez peut-elre quo c'est chose tres-commodc el tres-facilc dc diner dans une bonne maison sans commeltrc aucune inconvenance ; vous pensez a ce sujet exactcmenl commc ce bon abbe Cosson, professeur de belles-lettres au college Mazarin, qui raconlait ,i son conficrc, I'abbc De- lille, un diner qu'il venail de faire chcz I'abbc de Iladon- villiers, en compagnic dc dues, dc marccliauxde France el d'autrcs gens de la cour. i( .le paric, dit Uilillc ii Cosson, que vousaurez fait cent incongruites a ce diner. — Comment done? reprilvivemcntCo.sson, fort inquiet. II me semblc que j'ai fail la niemc chose que toul le monde. — (Juelle prcsomplion ! Je gage que vous n'avcz rien fait commc persoune. Mais voyons, je me bornerai au di- ner. El d'abord, que files-vous dc voire sei'vicllc en vous nicltant a table'/ — De nia serviette ! je fis comme toul le monde : je la dcployai, je I'elendis sur moi, el je raltachai par un coin ii ma boutonnicre. — Eh bien,monchcr, vouseles le seul qniayez fait cela ; on n'clalc point sa serviette, on la lais.^e sur ses gcnoux. Et comment files-vous pour manger voire soupe? — Comme tout le monde, je pense. Je pris ma cuiller d'une main ct ma fourcbeUe de I'autre. — Voire fourcbeUe, bon Dicu ! persoune ne prend de LE SAVOin-VlVnE EN EUnOPE. fourchelte pour monger la soupe.Mais iioursuivons. Apre^ voire soupo, que niangeales-vous? — Un (cuffrais. — El que files-vous de la coqKille? — Conimo lout le monde : jo la laissai au laqiiais qui nic scrvait. — Sans la casser ? — Sails la casser. — Eh liien , men chor, on ne mange jamais un ceuffrais sans liiiser la roquille. Elapres voire ccuf frai*? — Je deniandai du bouilli. — Du bouilli I personne ne se serl de celle expression : on demande du boeuf, cl poinl de bouilli. Et apres eel ali- ment? — Je priai I'abbe de Radouvilliers de m'envoyer d'une Ires-belle volaille. — Malhcureux 1 de la volaille! on demande du poulet, du chapon, de la poularde : on ne parle de volaille qu'a la basse-cour. Mais vous ne dites rien de voire maniere do boire. — J'ai, comme lout le monde, demande duchini|iogne, du bordeaux, aux personnesqui en avaienl devanl clles. — Sacliez done que tout le monde demande du viu de Champagne, du vin de Bordeaux... Mais dites-moi (juelque chose dnnt vous mangeates voire pain. — Cerlainemcnt, a la maniere de lout le monde : je le coupai proprement avecinon coutcau. — Ehl on ronipt son pain, on ne le coupe pas... Avan- 50ns. Le cafe, comment le priles-vous? — Oh I pour le coup, comme loul le monde. U etail brij- lant, je le versai par peliles porlioiws, de ma lasse dans ma soucoupe. — Eh bien, vous files comme ne lit personne ; toulle monde boil son cafe dans sa lasse. el jamais dans sa sou- coupe. Vous voyez, mon cher Cosson, que vous n'avez pas ditun mot, pasfaituiimouvcinentquiiie fulconlrerusage.)) On ne fait pas toutes ces choses, parcc qu'elles deplaiseni necessaircmcnl au voisin ; qu'une servietle devcnue une bavelle rappelle necessaircmcnl dcs idees peu agreables, ol que dans I'emploi siinullane de la cuillcr el de la four- clielle, il y a une recherche cvidcnle ct une concentration desagreable du convive qui se rcji'.ie sur lui-mcmc. J'en dirai aulant de la malproprete en mangeanl; de la niau- vaise habitude de faire des tarlines a table, de celle de cou- per son pain en pelits morceaux ou de decouper sa viandc d'avancc, des traces que peuvenl laisser la fourchelle el la cuiller sur la nappe el la serviette. La regie gcncrale est bien simple, eviler tout ce qui peut blesser les regards, I'odoral et le gout do ceu.x avec qui vous ctes, loul ce qui indique que vous vous occupez de vous-meme beaucoup plus que d'eus. Voilii pourquoi I'homme qui gcslicule a table, nrme de son coutcau 011 do sa fourchelle, el cclui qui place son cou- teau dans sa bouclie, tomoignentde leur mauvaise educa- lion. On souffle de voir dans la bouclie d'un convive un couleau qui peut blester. uj'aientendu.dit uncfonimed'espril.desgens atafcr leur soupeet m(ic/(cr tons lours morceaux, d'une e.\lremite de la table a I'autre ; j'en ai vu icmplir leur bouclie de taut da- limenls a la fuis, que je craignais pour eux la suffocation. D'aulrcs out employe la cuiller doiil ils s'elaiont servis pour me servir desmels qui claienl devanl eux, cl n'allcz pas croire que celle dernicre facon, si elrangc, ce soil dcs pay^ans qui rndoplent. M. de Coulingo, ou. beau siccle dft Louis XIV, la rcproclie au due el ii la duchcsso de Cliau!- ncs.... On ne nail guerc pnii ; il faiil Icdevcnir. Tachez, ,i table, de ne pas gener vos voisins, el comme presque tons cem qui sorlent de Pcnfance, si vous remiicr conslamment les pieds el les jambcs, que Ton ne s'en rcs- sente ni a droile ni a gauche. Loin de lemoigncr de I'avidile pour manger des pri- meurs, qui assez souvenlsonlservieseatres-petileqiianlitr', refu,sez-les, vousn'enserez quo [ilusagreableala mailrcs.so de la maison. Mme la marcchale de Luxembourg prciiait en aversion les gens ([ui acceptaienl des pelits pois, dcs as- perges et des fraises au milieu de I'hiver, et terns ccux qui mangeaient deux fois du memo plat. La premiere aversion s'espliquerail par un peu de parcimonie; la seconde, clle en donnait elle-meme la raison : c'elait son desir (fiic Ton gonial il tout, parce que son cuisinier etait excellenl, et quelle aimait qu'on en fit I'eloge. Decouvrcz, sivouspou- vcz, les peliles faiblesses de ceux qui vous invilcnl, el mc- nagez-les; niais quand vous rcrevez a voire tour, tachez de n>n pas avoir, cl que ceux qui mangernnt a voire table se croienl cliez eux. Soyez d'une excessive sobriele; ne buvez jamais que de- deuxespeces de vin, el en Ires-petite quanlile. Une fille ne- doit pas en boire du tout. Si les fenimes m'en croyaiciil, elles ne rougiraient pas leur eau avant quarante ans; el, a moins de I'ordre d'un mcdecin, elles ne feraient jamais usage de vin. II n'y a que les vertus morales qui doivent elre communes aux deux sexes. La maniere de servir est diffcrente, scion les mai.sons ; .s'il y a beaucoup de laquais aulour de la table, ils vous npportent voire assielte chargee, el vous la gardez; s'ils- passent les mels decoupes, vous vous s?rvez vous-meme. .Mais si les domesliques soul en petit nombre, vous passcz vous-meme a vos voisins ce que Ton vous a servi, ce qui rend les diners assez ennuyeux, par la politesse qui offre d'une pari, el la politesse qui refuse de I'aulre. Enlin, I'c- qiiilibre finit par s'elablir, et Ton dine quelquefois Ires- gaiement malgre ce petit inconvenient. Si, dans les fcuiUes d'une salade, vous trouvez une rhe- nille, ou, dans tout autre mels, quelque substance qui ne soil point alimentaire, cachez voire surprise, e* peul-eire voire degoiil ; failes changer voire assielte, et tafscz-voiis, a moins que ce ne soil une epingle, hu morccau de verre ou tout autre chose dangerciise. Voire devoir aloi-s. est di' montrer eel objet au domestii|ue, afin que le cuisinier suit averli, meme gronde; car une reprimande qui pcul sauver- la vie a une creature ne doit pas elre epargnee- Atlendez, pour offrir des ]dats qui soul poses devant vous,. la prierc des mailres dela maison. .\ulrcfois, loul simple- menl, on servait aulour de soi. Mainteiianl les mailresses- de maison se moutrent jalouses de cello prerogative; ce qui sent un peu la parveuue, mais ne vous en odilige pas. moins a une cntiere soumission. » IV. Lc coslame du Jfncr. — La ronrersarton i tabic. . Lc monsieur aux bjclui|ues. — Ladainciroiicorste. — Lcqucstiooncuriilcrne Le clt*iljnjj;cur furibond. Surlout soyez exact; arrivez quclques minutes araut I'lieure indiquee, mais non plus lard. Que voire coslumc soil simple surloul ; aujourd'lmi les couleurs voyanlet 148 LE sayoir-vivue e.n euuope. rCt raffoclation de la pariire voiit conlrc Ics niivurs genC'- joles ct.contro I'egalilc civile. Un diner n'cst pas iin bal; ct vous ne pouvcz vous dislingiier que pai- I'exci'S de la proprclc ot dii soin. II y n aiissi uno ronvenance d'atjc cl inemc do pliysioiio«iic, cnmme do pnifossinn el do fortune. Si vous vouk'z oblcnir syiiipalliic ou niome indulgence do ' ccux qui s'asscyeni a la mome lablo que vous, n'ossayez pas do forcer leurs elogcs et do conlraindre leur admira- | lion par la rcclierclie d'unc loilclle sans rapporl avec voire i age el voire situation sociale, Vous feriez rire comme ce | gros monsieur ipie j'ai I'lionneur de vous prcsenlor, el qui, ' apros avoir passe quarante annees de sa vie dans une pro- fession Iros-grave, croit devoir se suroliarger do lireloqucs ' qui annoneenl de loin son arrivoe par lour tinlcmcnl nasil- ]ard, elrevctir sa poitrine do couleurs plus chaloyantes que celles du plus beau perroqnct iudien. Colic cnormo canne I apomme d'or, cos gantsjaunesirrepiocliablos, ces niagni- fiqucs manchettes, et meme ces chcveux grisonnants qu'uno teinlnre babile a deguisos sans les faire disparaiire, le transformenl en un beau lion du desert, et signaleni son ampleur majoslucuse a la raiUerio secrete dos convives etonnes. J'en dirai aulant de celle belle dame qui no pourra cerfainement pas faire liouneur au diner, tani elle est cruellement lacee. Quel o]jouvantable supplico s'impose-t-elle, pour conquerir I'avantagc equivoque d'unc taille plus que mince I Ses deu.^ bras, comme suspendus, la guindent avcc une disgrace evidsnte; scs yeux, injoctcs de sang, sortent de leurs orbites; sa respiration gencc liii perinet a peine do parler. Que de laidours veritablcs a-t-ello acquiscs pour so donner uji genre de beaute fort contes- table tout au plus ! C'est surtout a table que ces ridicules apparaissent dans lout leur jour. On y contracte une sorle d'intimito qui fail mieux ressortir le manque d'aisance ou la prctcnlion, I'e- goismc ou la grossiereto dos convives. Apres le repas, la conversalion s'aninie encore; la sottise ou I'esprit appa- raissent Un hou raconteur a sou prix. L'eclat de rire, I'ironic amere, le recit fade, long ou inconvenant, signaleni riiomme sans goi'it el mal oleve. Les beures qui suivont le diner, animces, vives, charmantes dans les bonnes maisons, sont lo triompbe de la causcrie, art qui commence (i so pordre. Nous citerons a ce propos le meme auteur ita- lien auqucl nous avons emprunlo plus baut quolques frag- ments, I'autcur de la Vila civile, qui donne de fort bons conseils sur les discours publics, el principalement sur la conversalion. « Les paroles abondantes et ornees convicnnentdevant les magistrals qui rcndont dos arrets dans les conseils pu blics, ct en presence de la mullilude asscmblce. Les dis- cours simples doivoni otre enqiloyes dans les entreliens privcs, solon que le requiort la varicle dos sujels. La \oh alors sera douce, claire, facile, et les mots seronl appro- pries aux nialicrcs en quo.slion, sans molles.se, hauteur on injure. (Juand co qui nous louche a ele expose avec nic- sure, qu'on code la parole aux aulres aOn de ne pas on- nuyer en parlant Irop. Qu'aucun mot no nous cchappe qui montre ou fassc soupconner le vice. Ouand nous n'avons rien a dire de nous, ou qui s'y rapporle, qu'on raisoni:o de choscs bonni'los, utiles, de la maniere de bicn vivro, de ce qui est raisonnable ou infame, dos moyens de bien gouvernor sa maison el la ropubliquo. Qu'on parle dans los moments de loisirs des divorsos induslrios, dcs lalenls, dos eludes, des beaux-arts, et si la discussion sortail de ses H- mites, qu'on I'y ramcne, alin d'eviler le charlatanisme des digressions. Dans les entreliens de plaisirs et de feles, il faut encore suivre un ordre raisonnable ; car c'est une chose fort reprehensible que do parlor seulcmenl pour fairo rire, et de s'ingonier plulot a Irouver des choses ridicules qu'honnctes, c'est se faire b^uffon ; mais ne savoir ricn dire d'agreable, et ne pas se prelor parfois a certains boiis mols, serail d'une humour gros.siere et sauvage. II arrive souvent que Ton pcul parlor de choscs qui semblont fu- liles, avec autorite ct savoir. » Tout cola est rbarmant et de loules les epoqiios. Laissoz a la rue et au carrefour cerlaines habitudes qui ne doivenl LE DEVUIR lit L'lIERniSME CHEZ LES I'EMMES. -iro jairwis iK'iiclri.T dans los stilons, cello, par cxemple, de s'accrocher au boiiton Je son voisin, et de le poursuivre dc questions etcrnelles. Le quesuouneur est un homme tou- jours impoli, toujours desaffreable, i^ui preleve sur vous limpot J'une :ittcnlion continucUe, et d'une I'cponse sou- vent dOpIacce ou impossible; c'est un lleau pour toutes les classes : il deplait aux gens du pcuplc comme aux gens du mondc. L'un des plus celebres poetes nnghis, Alexandre Pope, ne put ecliapper, malgre son talent, au ridicule qui poursuit les questionneurs. Une de ses amies nc I'appelait jamais que le point (Tinlcrrogalion. Elle le dofiniss.iii : Une petite chose ci-ocliuo qui faisait des questions. Ilelail bossu . Point de discussions politiques ; surlout, si vousetesjeunc. saclicz ecoutcr; et si vous avez le niallieur d'cli-c jiocte, ne cedcz pas trop facilement aux sollicitations de ecux qui vous prieront de reciter vos vers. Cctte tentation est-< lie trop forte pour vous, sacliez conservcr le calme et la mo- dostie dans I'cxposition puldique de vos chefs-d'reuvrc; C'est un lluau pour une maitressc de niaison que cos geiiies eclievcles , dont vous pouvez admirer le type dans la colonne qui jirecede, ct qui briscnt une carafe en hurlant leurs ditliyrambes. ( La suite a vn numcro procJiain. ) LE DEVOIR ET LIIEROISME CHEZ LI'S FEMMES. BI.ANCBE DE CASTII.I.S;, JILt;E DE SAI5T LOlilS. Wa Vic ct soil iiifliipitce* I SUITE Er FIN.) ■ On allaqua los amis de la reine, ses parents, le cardinal de Saint-Angc; on censura sesacles, on alia memcjusqu'ii altaqucr la pureto de sa vie et ses relations polilii|uesavec le legat. La pas.sion du comte de Champagne pour elle fut le pretexte de si crandes noirceurs, que le bruit courul, qu ayant eviille la jalousie du feu roi, Thibaul, menace par ce prince, lui avaitf.iitadminislrer un poison lent qui causa sa morl. Mais ces allegations calomnicusesdisparais,sent do- vant la verile de Ihisloire ctdoivent elre rogardiies coninie des mensonges poliliques. Chaque siecle on voit naiire ct niourir un grand nombre que le temps rcduit, comme pour prouver que les hommes ne ehangent point. Thibaut, comte de Champagne, dont la passion romancsque nuisait a la reine, recut d'elle-meme la defense de so rendre au- couronnement du prince, et s'en retourna confus et mO- content. Le jeune roi fut sacre a liheims le 30 novem- bre. La regente, sa mere, parvint, parson habilctc dans los negociations, a dissiper les intrigues. lille marchait avec son fils et un corps de troupes sur la lirctagne, lors- qu'elle apprit que deux seigneurs rebellos avaient resolu de I'enlever: le roi s'arrela a Montlhery. forlcresse bien gardee, et eipedia un courrier a Paris. Les secours Ini arriverent en foule , et la route se couvrit de chevaliers et de bourgeois awnes, qui, tous confondus, volercnt .lu secours de leur roi et le ramenereni sain clsaufavec sa mere; ils rcntrerent en triomphc dans la capilale, bien escortcs, au milieu des acclamations du pouple, quiaJorail son jeune et beau rni. Quand le calnie fut rolabli, Blanche s"appli(|na ii former un prince digne de gouverner: Pcdur cation qu'cllelui avait donne etses qualiles nalurellos lui rendirout cellc tache plusfaoilo. N"ayant pu seresoudrea le perJre un moment dc vue dcpuis le jourde sa nais- sance, Blanche, qui avait voulu nourrir elle-mome Louis el ses aulres enfanls, disail : o Non, je ne saurais endurer que « fenime au monde me piil disputcr le titrede sa more. » Et copendant, ma^grc celte affection sans bornos pourlui, «lle lui avail souvent repcte : « Mon fils, ricn au monde ne ni'est ISO •nplus clicr ijuc voin, pjurlant j'aimerais micux vous pcr- « li-c ^ue de vous s.ivoir entaf.lic do peclii' mortel. » Aidce Uu perc I'acilique, religicix jl.il en, fort insliuit, niodcslc, veitucux,c|ui moiirul en oJoiii' dc sainkle cliez Ics friires inineui's, Blanche n'en continua pas moms, sur Ics actcs de son Ills, unc surveillance active et eclairee qui produisit Ics plus heiireiix lesuitals. A repoque de sa majorite, la rcinc lui choisit line princesse dignc de lui soi,s tous les rapports, Marguerite de Provence, ((ii'il ainia tendremeiU, et dont la candcur etait pleine de charnie. Lorsque le jeune roi gou- vcrna par lui-mcmc, sa mere conserva loujours son ascen- dant dans les decisions poliliques, car clle etait habile ct cxperimcntec. On pretend qu elle ful lalouse dc Marguerite, qui, apres lui avoir enleve une partie du cccur du roi, pouvait aussi lui cnlevcr le pouvoir & il est vrai que son lieroii|ue fermelc aitdechi sous la pcnsoe que son Ills liicn- aime oublierait la mere pour la jeune epouse , cette legere ombre dans un si brillant tableau nerend pas cclte grande reine moins digne aux yens de la posterite 1 Pendant uno maladie cruelle, Louis lit le vocu, s'il en relevail, d'aller combattrc les mOdclcs. A peine retabli, il n'ecouta d'aulre avis que le sien, et partit en laissant de nouveau la regence a sa mere. En cette circonstance, elle prouva que son amour maternel surpassait I'amLilion qu'on lui supposait, car ayant employe la mediation des eveques, puis les prieres ct les larmes pour relenir son Ills, sans y reussir, elle Taccompagna jusqu'a Marseille, el, au mo- ment des derniers adieux, ayant le presscnlinient qu'elle ne devait plus le revoir, elleperditconnaissance. Malgre les abus qu'une sage administration avait re- primcs, il restait encore des pretentions a abatlre, des injustices li faire cesser , des lois a instilucr. Cemis- sant sous I'oppression du clergc ambitieux ct domina- teur, le people souffrail et murmurait. Les paysans serfs, qui ne pouvaient payer la laxe aHachee a leur condi- tion, furent jctcs dans les cacliols ct tiaites avcc cruaute par le chapilre de Paris. Charges de fers, privcs dr nnurri- ture, deja un grand nombre d'cntre eux avaicnl peri do miscre ct de faim; Blanche denianda grace pour cux ct promil dc faire justice. Irritesde la prolection ([ue la reine leur accordait, les officiers du clerge firent cnlevcr les femmes ct les enlanls, et braverent la reine. Indignee do tant d'inhumanite et d'insolcnce, Blanche, craignant do n'etre point obcie, a cause des censures ccclesiastiqucs, marchc droita la prison avec main-forte, et, elle-nieme. armiie d'un baton, frappant au cachot, elle donne le signal d'enfoncer les portes. Un millier d'hommes, dc femmes el d'enfants, sortenl de la prison et lombent aux pieds dc la reine, qu'ils baignent des larmes de la reconnaissance. La reine acheva son ouvrage, fit saisir les revcnus du chapilre, el le forca d'affranchir les paysans pour une cer- taine somme par an. Aiusi ce ful par un bienfait que cette reine, deja inalade, marqua sa derniere sortie. Apres d'cclalantsrevcrs en Palestine, les maladies el la famine delruisirenl I'annee de ssinl Louis, qui ful lui- meme pris par les infideles. Pour volcr promplemeut a sou secours, Blanche permit qu'on armal unc bande dc gens sans aveu, dont elle c sperait former une troupe disciplinee. Cc ful un nouveau lleau pour la France. Nc pouvanl sou- melirc a I'ordrc el au devoir celle dangcreuse armde, plon- gee dans la douleur par I'absence du roi ct le depiirisse- nenld'Alphonsc, son aiilrc fils, ayant appris que le roi sc disposail a dcmcurcr en Palcslinc, Blanche, le cccur brise. CUnONIQUES ET LEGEI^DES. devora scs inquietudes, selivraA un travail exccssif , et tomba dans I'epuiscment. Elle clail deja faible lorsqu'eut lieu le deplorable cvenement de Cliaslcnay, que nous avons raconlc plus haul. Une espece de langueur la conduisit, en troismois, au tombeau, le 26 novembre 1252 : elle avail soixanle-scpt ans. La pompedesesfuneraillesrcpnndita I'eclaldesa vie et altcsta les regrets de son peuple. La regente lit balir un monaslcrc pour rccucilir uiie quanlitc de pauvres fillcs or- phelincsne pouvant Irouvcr a se marier, parco que la plus grande parlie de la noblesse s'en allait guerroyer en terre saiute. d'oii pen revenaient en leur pays. Ce monaslere ful nomme le Lis, el gouvcrue par la comtesse dc Jtours, amie de la reine. E!le Ct aussi rendre une ordonnanco qui permettail a toute persoiinc servile de se racheler moyennanl une ccr- tainc somme qu'elle taxa. Cette grande princesse mourut en odeur de sainlcle, et fut inhumee n I'abbaye de Mau buisson, dans le costume des religieuscs de cet ordre, ayant de plus le manlcau royal par-dessus la robede Lurc- La couronne d'or sur la lele, la mam de la justice et li sceptre en ses mains glacces. Placce sur un siege d'or mas- sif, elle fut portec par Ics barons jusqu'a la porle Sainl-Di nis et de lii a Maubuisson, oil fut ensevelle la plus sage des femmes, celle qui atlira loutes les bcnodLCtions du cicl sur la France. Le roi Louis, en apprenanl cclte nouvelle, se prc- cipila le visage centre terre devanl I'aulcl, s'ecrianl : «Mon Dicu, il est done vrai, j'ai perdu celle que j'aimais par-dcs- sus to .lies les creatures de ce sieclc perissable !... » Puis il s'cnrcrma el passa deux jours a prier ct pleurer, sans rc- cevoir meine la reine Marguerite. Jolnville ayant pencliv jusqu'a lui, il lui dit : « Ah! scncchal, j'ai perdu ma mere I » Et il loudil en larmes. — « Sire, elle etait mor- tello, el vous attend dans une nicilleure vie ! » II ful long- tcnips inconsolable; scs pensees inlimes, scs affections teudres, scs souvenirs les plus chers, avaicnl loujours eu sa mere pour objet. Elle etait digue de ses regrets el de la vc- neralion de la Fiance enlicrc. Douce au plus haul degre du talent Je gouverner, allianl la force d'iime a la moderation el a la scnsibilite, genereuse, econome, habile el franchc, elle pent se presenter glorieusc a la posterite. CHRONIQUES ET LEGEI\DES DU MOYEN AGE. GHRONIQUE DU CHATEAU DE MARSTOKE (1). UN TESTAMENT SUPPOSE. LB HODLIIC. (I Oh! oh ! dil Oldcraft, j'aurais voulu voir ton visage, on cc moment, ton visage en forme de hache ; je jurerais que les doigts caressaient le manclie de ton poignard. — Pas le moindrcmenl ; mais je jural de tircr une pro- (I) Votj. lcil"lV, p. 132. CnnONIQUES et legendes. 1SI fonJc vpngcnnce dc ccltc mystificnllon, H j'arrotai iin jilan que je ne larJai jias a nicUre d execution. — (liioidimcl vous miles la main surlcs sacs qui elaient sonsle lit; probablcment vous fites savoir aux collaleraux affames les intentions du bonhomme, et vous lui avez 13che cette meule, de sorle qu'il a ete devord par les sicns. — Vous n'v ctcs pas encore, dit Grevillc, et c'est i«i que commence I'histoire de moii mallieur aclud. — Commence I dit I'aulre. Eli ! mais, mon garcon, ]"a- vaispris Ion preambule pourle commencement, Ic milieu ct la fln. — Vons allez entendre. Mais donnez-moi du vin, car cctte liistoire me suffoque et barre le passaged mes pa- roles. Voicile plan qiieje formal : j'invitai Marstoke .'i veiiir passer la scmaine de Noel cliez moi, a Sandwich. La ville clail alors en mouvoment. Linvasion dont les Espagnols nous nionacaient I'aisait f.iire a tout le monde des prepa- ralifs. Sandwich est, vous le savcz, I'un des cinq ports, et par consequent un lieu de (^nelque importance. C'est pour- quoi des reunions elaicnt convnquees tons les jours; les snldals etaient loges cliez les habitants; les negocianls, la noblesse ct les bourgeois equipaieni, a qui micux mienx, des vaisseaux a leurs frais, et des corps de troupes parcou- raient incessamment les bords des cotes. Jc me rendis aux assemblecs, je pris part de coeur et d'action a tout ce qui s'y fit; j'offris mes services pour faire partie de I'ex- pcdilion, et jc moolrai autant d'cnthousiasme cl dc deter- mination que les plus hardis de la ville. Cependanl une pcnsce unique s'elait emparee de moi, cello de trouverles moycns dc m'eniparer des richesses de Marsloke, et de me dcbarrasscr du vieillard sans me comproftietlre. Une pen- sec de meurire assiegeait mon esprit nuit ct jour, ct je sfcnlais que je n'aurais ni repos ni Ireve que le coup ne fut cffectuc. Juste ciel ! je no soupconnais guerc alors a quel clald'esprit eel acte me rcduirait apres I'avoir commis. Enfin, vous le savez, I'invasion ful retardce; Noel arriva, ct Marstoke rccut mon hospitalile dans la vicille maison a Sandwich. Je cherchai, parmi les soldats, matelots, ou- vricrs et hommes d'armes, dont la ville clail encombree, jc cherchai, dis-je, ct j'engageai deux domestiqiies, gens brouilles avec la forlune, et quej'avais lout lieu decroire capablcsdexecuter lout cc dont il me plairail de les char- ger, et ausquels je pourrais me Ccr en les Iraitanl et en les payaiit bien. I,e jour de Noel, je donnai a diner a plusieurs liabilants de la ville, et nous finics durcr le repas ju.squ'au Icndemaiii matin. Vous concevrez done facilemenl qu'il n'y cut ricn d'elonnant a ce que le vicux Marsloke se trouv.it soudaincmenl indispose et force d'aller secouchcr. II fut memc si maladc, que je jugeai expedient qu'il fit srm testament conime il en avail preccdemment eiprime I'in- tcnlion. — Ah I ah ! dit Oldcrafl. (Juoi 1 vous avez assaisonne sa coupe, hein I epice sou roast-beef et son plum-pudding, nu mis de la mort aux rats dans sa sauce? Ah I vous cles \m drulc, Crcville; mais vous n'avez pas assez dc letc pour ces sortes d'affaires. — Ilicn de cela, dit Greville. J'annoncai que Marstoke ctait serieuscmentmabide; et, le troisienic soir, ;'i I'lieure ou toule la ville litail livrce au sommcil, je Bs enlrer dans sa chambrc les deux droles dont je vous ai parle, avec ordres precis. Maudite soit Iheure ou j'ai imagine ce crime? Jamais jc n'uublierai les horreurs de cctlc null; ou milieu de la lempete de vent ct do pluie, il me sem- blait que la ville allait s'ecrouler cl serait rasce avant Ic point du jour. Commeje veillais a la portc de la victime pendant que le crime se commellait, je rentendis se de- battre contre les scelcrats qui retranglaienl dans son lit. (Jnand le jour vint, je retrouvai un peu de sang-froid, car j'etais alle me jeter a talons sur mon lit, comme un en- fant effraye des lenebres, ct, rellechissant que le plus af- freux de cet horrible drame elait passe, je m'occupai d'executer le resle de mon projet. J'eus quelques efforts a faire pour rassembler mon courage. Je monlai I'escalier, ct j'approchai de la chambre de Marstoke; mais il me I'allut lungtemps pour avoir la liardiesse d'ouvrir la porle. Jc craignais dc voir le corps defigure du vieillard gisant sur le parquet oii je I'avais enlendu loniher, et je restai l,i main sur la clef sans pouvoir avanccr ni reculer, comme sous rinlluence d'un rove affreux. EnOn, apres etre reste plusieurs hcures danscelte irresolution penible, les deux miserables que j'avais employes frapperent a la porle de la rue et dcmauderent a enlrer; Ic bruit qu'ils faisaient mc rappela la necessite d'agir. J'enlendis la servante ouvrir sa porle pour allcr a celle de la rue; rappelant alors loutc mon energie, je me precipilai dans la chambre, cl, courant au cordon de la sonnellc, je le lirai violemmenl, jc criai en meme temps ii la servante de dire ,i I'un de ces hommes de mooter immediatement a cheval et d'aller en loute hate a Wingham cliercherle notaire de Marstoke, parce qu'il se trouvail si mal, qu'il desirait faire immedialcmenl son tes- tament. L'rmpcieur, adii Jc coiisacriT rimpoilance (ic I'ngri- i iilture el ses bioiilails, doime chai|iie iiiini'e line fiHc splon- diJe en son hnnneur, cl il dai^jne lairo moiivoir la charrue dc scs propres mains. An nonilire des qualites qui dislinguent los Chinois, se placonl en premiere li^Mie rinduslric, et I'amour des en- fants pour leurs parents. Comliicn de lamilles chrelienne-; ponrraieni puiser cliez ces pauvrcs idol.ilrcs de graves cnscignements. Les Chinois sc dislingncnt mallieurense- nienl aussi par lenr deloyantc dans les relations commer- ciales. Le niensonge Icni est haljitiiel ; jnaisn'oiitlfcms pa/ qu'ils ignorent la religion du Clirisl. L'nc guerre aussi injuste ipie cruelle a eclatc dernierement enlre TAnglcterre et la Chine. De mechantes gens y repau.- daient une drogue empoisonncc qu'ils vendaient Ires- cher. Lempcreiir a fait une loi qui defend lentree de ce fatal lireuvage, neanmoins les Anglais onl mis de cold toute justice, parce qu'ils elaient les plus forts; ils ont en- voyc des soldals et des vaisseaux. alin Je forcer les Chi- nois a prendre et a payer la liqueur prohibce. UCetlc gravure represuuit quelques habitants rcvftus de leurs liizarres costumes Vous voyez qu'ils portent des re- lics Doltantes, les uncs par-dessus les autres; leurs cheveux sont attaches et formentune grande queue, lei on iallige une piinilion a uncoupahle; on I'a fail coucher a plat, landis qu'on lui frappe vigoureusement la plantc des pieds avec un gros b.imhou, jusqu'a ce qu'il ne puisse pkn iii marcher ni se lenir dehout. Mes diverses e.\cursions dans ce bizarre pays ont offert des particularites inleressantes ; je commencerai par le recil de I'ambassade de lord Amherst et dc son arrivec en Cliinc. I. — LBB miSDABniE. La (lottille do Tambassade anglaise enira dans la mer Jaune, qui haigne les cotes orientales de la Ciiine. C'etait par une sombre matinee. Un epais brouillard pesait sur les flols; el les coles de la Coree, a droite, la prcsquile dc I Schanton, k gauche', n'npparaissaicnt encore que sous des formes indecises a travers la vapeur. Deja le paquebol in- dien I'lndostan s'ctait ecarte du restc des navires, et le vaisseau de guerre le Lion ne parvenail qu'a I'aidc d'une canonnade non interrompue a mainteuir ensemble les bri- gantins la CUtrence et le Chakal. " Los Chinois ! » cria-t-on en ce moment du haul des haulhans. A I'oucst, la mer grouillail de jonqucs, cnibar- calions de ce peuplc, basses, simjiles et grossiercs, Ics- quelles voguaieni, cliargccs de iirovisions Je loute tspcto. .i la rencontre des vaisseaux anglais. Une multitude de beliers, de moutons, de poules, de canards; des cenliiiues de sacs de fariue et de riz ; des caisses pleines de pain el de the, de fruits el de k^gumes; des milliers de citrouilles et de melons furent anienes a borddela llottille. On n'avail pas meme oublie le vin, la bougie et la vaisselle de porce- laine; mais les Anglais durenl renvoyer, faule de place, Uiie partie considerable des provisions dont I'hospilaliti; chinoisc avail voulu les gratiCer. C'ependant une jruupie s'approcha du Liun. Elle etail monlee par plusieurs man- darins vetus d'un costume magnillque el bizarre, lesquels contemplaieni avec etonnemcnt et respect le giganlesqne edifice, et manifestaienl en m6me lemps leur embarras sur la maniere donl ils devaienl s'y prendre pour y monlcr. Le lieutenant Parish, charge par I'ambassadeur d'amener les mandarins a bord, fit descendro le long des cordages du pont dens fauteuils dans la jonque. Les principiiu\ d'entre les mandarins s'y assireni, et s'eleverenl lenlemcnl dans I'air avec une cxpre.ss'on d'orgneil et de plaisir, a la- quelle se melait touti'fois quelque crainle sur ce mode inusitu d'ascensioii aerieniie. Ils se lenaienl solidement aux fauteuils, el manifeslerenl beaucoup de joie des qu'ils sentirenl de nouveau un sol ferme sous leurs pieds. Les deux grands dignilaircs devaienl vrairaenl paraitrs un pcu singuliers a des ycuj enropeens. L'un, personnage grav.', ,-i la phy.sionomie intelligenle, portait, par-dessus une robe de femme violelle, un surtoul noir et semblabl.- a une robe dc chambrc, ct sur la poilrine . ainsi que sur le do.<, un tarre de vclmiri bliu, r.u bi illail un draijon a qu Jtre »SJ 8Ci;lSES ^rtfffs, bro.lo on ■ir. Siir son Loiincl on forme ilo ilochcr, lulsait lino [lioiTC lilcu olair i\ six facctlcs. Un cliniiclcl ii gros grains ccnrbtcs Ini dcsccndait dcpuis lo con iusrinc sur 1ft vontro. line monslaclio fincmcnl rclevcc ornait sa Icvrc suporieurc; cl sos iloi!,'ls, nrnics J'oni^k's |iUis long-; que de raison, lonaient duiicatcmciit rclcvoo sa longue li.-M-lie iionJanle. I,'aiilre mandarin so dislingunil par un air idns martial Sa ligin-c ouvertc avail une cx-prcssion de ]il)rc tiardiesse, Ohez lui, le surtoul, scmblable a une rohe de chanibre, ctait rnugc ct enlrcmi'le de 111-; d'or el res- semlilail a une coUc de maillcs. Do la coiffure dacier i\u\ rouvrait sa tele une visicro de casque du memc mclal (lesccnilait jus que sur sos rpaulos. Du sommct de cello coif- fure ponilait une (ilunie do paou fijoe a une pierrc pre- cieuse d'uu rouge pourpre. Sur les deux manchos de dessus lirillaient dos liourlicr> hrodes en or. Un etroil laldiervcrl allait de sa ceinluro d'or jusqu'an-dessns des genoux. Une armc pbccc a son cute , au Iranchant large par le bas, quelque chose ontre le sabre par sa courbure ct repce par sa pointe acerop, semldail indiipier la condition militaire du pcrsonnago. Tons deux promenaient autour d'eux dos regards etounos s pclits vaisseaux, il faut y suppleer par la coustruclion ; il faut avoir recours ii un grand nombre dc pieces soigneu- senicnt Inillees et ajuslees ensemble. C'csl la ce que je veux cssayor de vousdccrire. Le terrain du chanlicr est di.sposo de manicre a former une pente imie jusqu'a la raer; de chaque cole il y a une rangee d'epais blocs de chene, d'en- viron trois picds de haul, et eloignes les uns dcs aulres de quatre. Le vaisseau lout cntier sc tienl dessus a mesure (1,1 Vu'j. If 11' ill, |i. 120. qu'on le b.ilil, et c'est de la i|u'on lc glisse .1 I'cau qu.iiid tout est achevc. On commence parcouchor sur cos blocs un gros morceau de bois de charpontc coupe carre, qui traverse toule la longueur du navire, ct qui porle le nom de quille. Vient cnsuile rarrangcmeni des couflcs. (|uc Ton a preparees de la maniore la plus curieuse, (|ui for- ment les cotes, ct offrcnt une grande res.semblancc avec les coles du corps d'un animal. Ohacune dnii avoir la forme qui lui est propre, sans quoi lc vaisseau aurait niauvaisi lournure etne pourraitselenir sur I'eau. Ensuile on ]ue pare une maison, ou espece de hangar, aussi long que la carcassc du navire, sur les murs duqnel on crayuiuie trcs-exactcniciit la forme de chaque morceau dc chaiiicnle i snn LES INVENTIONS ET LES DfiCOUVERTES. ,i la place qu'il rtoil occuiior; ]iiiis on l.iiHc dos jibnclies il'aprescrs formos; on fait vcriir dii liiiis do divers eiidroils alin dcclioisirles iiinrccaus Ics plus coiivenaldcs. tcls que ceux quioni pousse de Iravers avecla courLe vouhip; mais on ne rcnconlrc pas loujuuis du Ijuis exaclemeiit de la lormc necessaire, et, dans ce eas, it faut la lui dnrmer de foree. Mais, me dircz-vous. comment peut-on enuilier uii morceau de bois de plus d im pied d'epaisseiir? Au raoycn de la vapeur. Chaque morceau se place dans une hoile pro- fnndc nil Ton fail penetrer la vapeur de I'cau bouillanle, jusqu'a ce qu'il devicnnesouple, et puisse secoiirber a vo- lonle; line fois sees, on les coupe de manierc a s'adapler lun a I'autre, puis on les cleve en inlroduisant nne dcs eslremites dans la quillc. Le haul du navire est traverse par des poutres d unc charpentc a I'autre. Mais avant tout ccla, cependant, des morceaux dc Ijois sont Cses presipie droits a cliaque bout de la quille : I'un s'appellc la prone, cl I'autre VelambnI. U' hatimenl prend alors la forme d un vaisseau, ou plu- lot represenle sou squclctte ; car les clnrpentes sont veri- lablement les os d'un navire. Maintenant ii laut que nous le revetissions do chair et de peau, nu. se'.on I'exprcssion du conslruclenr, il s'a^il de le border On cmploie, en ge- neral, le cliene a eel eflet, a cause de sa soliJile a toule eprcuve ; cbaque planclie separce est (ixce au\ couples, non avcc des clous qui sc rouillcraieiit promplement el laLsserairnt des Irons, mais an moyeH de longs morceau\ de bois opals, appeles chevillos, qui traversenl .i la fois la plajicho el la charpontc. Lorsquc toutes ccs choses sont en place, on s'occupe de boucher les crevasses ol les coulurcs des planches avcc do rctoupe ( c'esl-.i-dire avec de vieillcs cordos mises en pieces), introduite, serree cl bien gniidronnce. On recouvrc cii outre il'unc fouille mince de cuivre loute la parlio de.s- linee a rcslcr conlinuellemeni dans I'eau, afin d'empeclier los vcrsde mcr de pratiqner des Irons dans les planches, Los mats se preparent ensnile. Quand il s'agil de petils vaisseaiix, nn seul morceau di' bois, pris d'un beau snpin bien droit, suffit pour les laire ; ceu\ de grnnde dimension sonl composes de plusieurs morceaux .ijustos elsolidcmont lies ensemble par des cerdes de ler. lis sonl places droit a leur place el reposent snr la cpiille, ou plutut sur un autre morceau de cliarpenle sur la quille, qu'on nommc contrc-quille. Le bcaiqirc esl nne cspece de m.il oblii|ue qui s'eleve en avanl du vaisseau cl s'appuie sur la proue; vicimenl ensuiie les plajiches placees sur les poutres qui traversenl pour finnier le lillac, el voici lo vaisseau pn'l ,i r-tre lance a la mer. Co premier essai est magnilique a voir, .surtoul lor.squ'il s'agit dun vais;cnu do guerre, eu d'un b.itimont destine an voyage des Indes orientales. La lotile so presse loul autour, il est cncombre de gens qui vont a bord se lancer en niome temps dans la mer. La poup-^ est toujours la par- tie la plus rapproclioe de I'eau; et d'ordinaire, line dame prend avec bcaucoup de cereinonic unc bouleille de vin, ipi'i'lle brise contrc lavant du vaisseau, en rappclanl du nom qu'on csl convenu de lui donncr. Ccci a lieu quand lout est aclicve; mais les ouvriers avaicnt etc employes prcccdemmenl a renverscr a coups de martcaiix les grands poteau\ qui supporlaienl le vais.scau de cbaque cole, ainsi que plusieurs blocs de cliene places en dessous, afin de le laisser glisser plus facilement a I'eau. EnDn on coupe la grosse coi-de qui i-client la ponpe. puis le vaisseau descend lenlement d'ahord, el avec bcaucoup de niajesli! dans la mer, an milieu des oris et des acclamations joyeuses de la foule assembloe; les agres, c'esl-.i-diro lesdifferentes cor- desollesm.its snporieurs, sont d'ordinaire places aprcs qu'il csl lance. Maisje nai |ias la place de los dccrirc ici ; d'ail- leurs ilserait difCcile d'y rieii conq)rendre, sans voir les objets eu.x-momes. Quelques semaincs sont a peine ccouldes. cl voil.i ce galant ei|uipage i|ui abandonnc le port el se dirige vers de lointains pays. Voyez commc il s'incline avcc grace au souflle do la brise, cominc ses torches sc voilent: voyez cos blanches ct magnifiques voiles rellelcr les rayons du soleil de leurs surfaces polios ct arrondics. 11 fend les llols qui s'elevent autour de lui, el se frayc un passage nu milieu dcs eaujc. 11 se rapelisso par di gres ; bicntot cc ne sera plus qu'un point dans res|iace; enfin il disparait a nos yeux I'nissc le bonhcur ne pas I'abandonner I La solidite d'un vaisseau depend en parlie de la qualile du bois qu'on enipliie ; ou prefere gcneralcmcnt le chene en Angleterrc; anx ludcs, les vaisseatix sont construils d'un bois tres-prccicnx, Ic leak. 11 y a plusieurs qualitos dans le bois qui le rcndent propre a la construction d'un vaisseau, par exemple, s'il est solide, diir, facile a couper, s'il retiont les ehcvilles et bs clous qu'on y iulrodult, cl s'll llotte snr I'cau. Ces jiroprieles dejiendcnt de sa con- sruction particuliero. II esl curieux d'o!iScrver un tres-minco morceau do bois laiUe a leavers la vcine, tel qu'oi; pout Ic voir a I'aide du microscope. Le bois csl compose d'un nomhrc im- mense de tubes ou de conduits delicals, ranges I'un ac6;c de I'aulre, qui Iraversonl loute sa longueur. Lcsdimcnsions ue sonl pas toutes semldablcs. Au centre meme il y a nne luun- do pelites cavitcs scmblables ;i des liuUcs d'c- eumc. mais solides, el cetle masse .s'appelle la mnetle. Les conduits L-s plus rapprochcs do la mocllc sc Irouvcnt [iressos par la croissauce du bois qui les environno, etsoni par consequent mieux Dxos ensemble, cc qui donnci cetle partie du bois, qu'on nomme le caur, plus de solidite el de valeur. Ces tubes creux rcndent aussi le bois plus leger que beau,quoique sa substance soitreellemerl plus lourde ; il faul encore leur allribner sa durete. Ce sonl ccs tubes aussi qui se prelejit a rccevoir le clou qu'on y cnfonce cl Ic reliennent soliilemenl. Le premier avantage du bois consiste dans la durec; il y en a qui se pourril promplement, cl (|ui esl par con.se- qnenl loul .i fail impropre .i la couslruclion d'un vais- scan. Le fameux cedre du Liban, dnnt I'Ecriturc sainle nous parle si souveni, qnnique le plus durable de tons les arbres, ne saurait eonvenir aiix vaisseaux a cause de .sa qualile molle, fiiblc el fragile. Le cypres resiste a la des- Iruction du temps d'une manierc surprenanle: on suppose quel'arche de Noc fut faite de ce bnis. Ceiix dcs arbres qui grandisscnl lenlement sonl prcferables .i Ions les aulres, el ecus qui siilcvciil en plein air sont supericurs aux arbres des t'paisses forels. (jue pcnsez-vous du for pour la conslruction d'un vaii;- seau ? Vous allcz eroirc ([uo je vous propose une ciiigmo , cependant il est posllif (|ue les vaisseaux dcslincs a fairc de longs voya.gos sont construils en for, ct reinplissent ,i mcrveille le but qu'on s'esl propose; sous bien dcs rap- ports, ils sonl prcferables aux aulres. rarmi les avantages qn'offre un vaisseau de for, j'in- dii|uorai ceux-ci : prcmicrcmenl, .-.u bout d'un grand nom- 103 CAUSEniEs sun les iinventions et les dEcouvertes. bre d'ann(?csde servico, Ic fond n'csl j.imnis oncnmbri5 par les niauvaiscs hcrbos cl Ics coquilla^jcs, landis (luc Ics au- ti'es se salisspnt |irom]ilcincnl ; socundonienl, s'il vicnl a licurtei' conire un rochcr, Ic domniaijo poi'le sciilenicnt sur line pi'tile parlio facile a I'acconimoder, el commc ccs vaisscauxsoiit b.itis d'ordinairc au nioycn dc compnrliiiicnis Ires-solidi'squin'ont aiicun rap|iort Ics uiis avcc les aulrcs, quaiid bien meme un Iron se fornierait dans unc dc scs divisions, Ic rcsle n'cn souffrirail pas: un pai'cil sinislrc causerail en pen d'licurcsla I'uinc complete d'unvaisseau de bois. (Jiiel niagnififiuc l(''mni;,'nnp;e de la puissance luimainc, que cellc ci'calioii du vaisscau, ccs vagues domplces, ccs cs- paccs parcnurus, net Qc6m fianclii! Smivent, lorsquc j'lia- bitais la villc d'Ancone, je passais des jours entiers sur Ic mole, oil J'allais visiter uii capitainc dc nics amis, el lout mon plaisir clail dc conlcnqiler a loisir les nombreux vaisseaux, dc matures ct de formes diverses, qui sillo- naienl I'ondc dans toulcs les directions. II n'y a pas do spectacle qui donnc unc plus haute idiie dii gcnic humain cl de sa jiuissancc. Bientut, clier Ernest, je vous parlerai des dcrnicrs pro- diges ct des derniers triompbcs de rimluslric bnmaine, c"est-a-dire de la vapfur appliqui'c aux navircs dans res derniers temps. A nOS COa&BSPOND&NTG. I A M.iil L I! II. V -l.K Dcililc-s Jc rlii^lo re, lu I It-iur lit mi! i-c rif A H. L. C. D. —Lc voyage dc tout csl iroiicoiMiu. I soul pas iiilciroiiipues. I.a siiilc |iiiiiJn jplaic il :;- A M. I.. - Ustisgmcnls dc (lofcic ciircliciinc soul arcqiirs. lo ii" VI, rjiii |iainllia au coiiimtiicciiicni d'avril. ^2 faris. — TylHigraiiliic d'X. lleNr rl (lotii|i., ruc dr ^0|I|^, "il. ^j — ^ Li'; LIVRE DES FAMILIES JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE. W" e. —I" Voiun.o. i" Avcil 1845. lK MOIS DU JFAINE CHRETIEN. LES HOOATIONS. Dans cctle parlio dcs Gaulcs qui, plus larJ, pril le noui ..e Daupliinu, divers llcaux porterent, vers la fiu du cin- ijuieme siccle, uiie profondc desolation. On y resseiilit ; tasieurs tremblements de terre, Ics betes feroce.s rava- 1. ;aienl les campa^nes et venaient jeter la Icrreur ius(|ue msla ville dc Vienne qui elait, a cetteepoque, unegrande Ic. Toutes Ics nuils on cntcndait des liruits effrayanis (jiii mM-nicnt mciiacer la ville d'une imminenle mine. Saint imert elait alors cveqne de la ville que nous venous de miner. Quelle ressource employer conlrede pareils des- ires? La philosopliie huniaine cherclic a les e.'spliqucr, lis elle est impuissante a les conjurer. Le digne pasteur, iche de I'alarme de ses pnuples, ne vit qu'un iiioycn d'eii •eler Iceours, la priere. II cxliorla ses diocesains a le- : leurs mains suppliantes vers Celui-la seul cpii frap|ie ■: qui gueril, qui abal cl rclcve, ipii perd et qui re6su.scile. 11 institua.a cetefl'et, unc procession solennelie qui devait avoir lieu en chacun des Irois jours qui precedent la fete de 1' Ascension. On s'empressa de repundre ii I'invilation du pieux eveque. Les flcaux cesserent, les peiiples repri- rent leur ancienne securite, car leur esperance n'avait pas cte trompee. Mais coninie la priere n'a point pour unique fin d'implorer les grilces divines, mais qu'elle est encore I'expression de la reconnaissance, on ne suspends point les processions quand les tro's jours q'.n precedent I'As- cension rcparurent I'.ini.t-e suivanle Tuulc 1 Erli'-e dc France fut vivcment frappee de I'lieureus resullat qm avail cte obteini par les prieres ( logaliartcs ) failcs dans le Icr- ritoire de Vienne. Le concile assemble u Orleans, en 51 1 , ordonna que desormais on lerait dans cliaque diocese dcs processions analogues. Plus lard, I'Espa^^ne adopta ces Rii- gatkms on supplications solennelles, mais on les li.'ia aux trois derniers jours de I'oclavc de la Pcntecote. EnDu, Rome ne dedaigna pasde suivre rcxcmpledc la France, sa 21 162 LES SAINTS lille aineo. Lc pnpc I.con III Ics y iiisliUin vers la llii ilii huilii'inc sioclp, cl aJupla los Irois jours qui piTooilenl I'Ascpusiou. DionlM I'uiiilnrmile s'claWil, sous cc raiiport, dans loulc l'Egli^e occidculale, cl los feles des teles liumi- liees, cnmnic los noniuie saint Sidoine, ou Ics proslernc- menls ilu pcuple, ainsi que Ics appcUc un aulic aulcur, juircul place dans le cycle fcslival de I'annce chrelienric. Os processions, dans Ics paroissos de cauipagne, se foul an loinlaiu. On y clianlc des psaumes cl des antiennes ainsi (pio Ics litanies des saints. On y prlc le Seigneur de bcnii- les frnils de la lerrc. On y emploie, commc il vient d'eire dil, la puissanle intercession des amis de Dicn. Laissons parloi- I illuslrc anicur du Genie du Christianisme : n Lcs cloches du hamoau se j'ont entendre, les villageois « quillent leurs Iravaux ; le vigncron descend de la collinc, u le laboureur accoui-t de la plaine, le Ijuchenni sort de la ul'urel; les meres, fermant leurs eabanes, arrivent avcc B lenrs enfants, et les jeunes Giles laisscnt leurs I'uscau'i, « leurs brebis et leurs fonlaincs pour assislcr a la fete. On (I s'asseitilde dans lecimcliere dels paroisse.snrles tombcs « verdoyaiites des aVeux. Bioiilot on vuil parailre le clcrgc » destine a la cercmonic ; c"est un vicux pastcur qui n'cst « connu que sous le nom de eure, et ce nom venerable, « dans Icquel est vcnu se perdre le sicn, indiipic moins lc es, nous repondra : « Tant que I'empire romain a « subsisle, ilrenfermaildanssavasteetenduepresque loute o la chrclicntc : mais depuis que I'Europe est divisce entre « plusiours princes independanis les uns des autres ; si le 0 pape ei'it ete snjet dc I'un d'eux, it cut etc a craindre « que les autres n'eussenl en peine a le reconnaitre pour « pcrec imniun,et que Icsscbismesn'eussenlele frequents. 0 On pent done croire que c'est par un effet parliculier dc « la Providence, que le pape s'est trouve independanl et 11 maitre d'un Elal assez puissant pour n'l'tre pas aisement 0 opprime par les autres souverains, aDn qu'il fi'it pins » libre dans I'cxercice de sa puissance spiritnelle, el qu'il 0 piit contenir plus facilement tons les autres eveques dans u leur devoir. » Notre grand Bossuet parlage la meme opinion. A elle viennenl se rallier tous les bommes imparlianx. N'esl-il (las permis de croire .i la protection surnalurelle qui couvrc de sa puissanle egide cette principaule dont les ressonrces humaini's soul si mediocrcs? Dopuis dix siccles elle voit lombor aulour d'clle, se morceler, se modifier lani d'autrcs souvcrainetes lerreslres. Elle seule resle deboul, el les plus tcrribles lenipetes semblent de plus en plus la conso- lider. Obi inconlcstablcment, a noire avis, il y a ici !e doigt de Dieu, quoique ce pouvoir lemporel ne soil pas cssenliellemenl inberent ii la suprematie spirituelle du pape. •Juels sont maintenant les litres donl se decore le hout personnage cpii est invesli dela papaute? Ecoutez : « Gregoire, eveque, serviteur des servileurs de Dieu. » Eveque! il garde en eflot, il surveille le Iroupeau qui lui eM confie, car c'est I'etyniologie de ce lerme. Eveque, gardien, surveillant par excellence, car il a succede a I'a- polre auqucl Jesus-Clirisl a dit : n Pais nies brebis, pais mes agneaux. » — Mes brebis, c'est-a-dire les pasteurs secondaircs. — Mes agneaux, c"esl-a-dire les fideles. Serviteur des servileurs de Dieu ! parce qu'il est le vi- caire de Jesus-Cbrist qui a dit : « Que celui qui est le plus grand parnii vous( il parlaita sesapolres)deviennecommc le plus pelil, et que celui qui lienl le premier rang soil comme celui qui scrl. » Penelrez, maintenant, jusqu'au fond de ce Vatican, qui i-eunit taut d'objets d'arl dans ses vastes et nombreuses salU'S. Entrez dans rapparlcmcnl qu'occupe le deux cent cinquanle-qualrieme successeur de saint Pierre. Une cel- lule de moinc se presente a vos regards snrpris. La couchc sur laqnelle prend son rcpos nocturne I'augusle bicrarquc qui porle la triple couronne est formee de (|uclqurs botles depaille, sans anire accessoirc. Un prie-Uieu, une table tres-ordinaire, quelques images en composent le riche mobilier. Pninl de luxe dans les rcpas, une frugalile se- vere y preside. Si vous ctes admis a I'honneur de son au- dience, quelle loncbanle paternitc ! Nous sera-t-il permis a ce sujet de consigner ici une anecdote dont I'aulhenlicilc nous est garantie par un temoin oculaire? II Dans les premieres annees de son regno, le pape Gre- goire XVI avail admis a son audience un Franfais, qii venait d'occnper dans une de nos villes meridionales une magistratnre assez elevee. Celui-ci, debout devanl le papi; et ne sacbanl que faire de ses bras, les avail croises ne gligemment derriere son liabil. Un ecclesiaslique fraj- cais, qui elail simullanemenl admis, fit signe a son com- patridle pour lui faire quitter cette posture assez irreve- rencieuse. Le pape s'en apercut. u Laisscz, dit-il, laissez, un enfaul ne se gene pas ordiuaircment devanl son pore. » •2° LES CAHDINAUX. La plus haute des dignites ecclesiastiv]ucs, apres le siiu- vcrain pontifical, est cello du cardinal. On n'est point d'ac- cord sur I'origine de ce nom. On croil y voir neanmoins DU MOIS. 163 line (lerivalion du tcnne latin qui signifiele gond siir leqiid inulc line porte : cardinalis a, cardine, parce que c'est sur Ics cardinaux quo roule, melaplioiiquement parlant, Ic gouvernenient de I'Eglise. Celle olymolngie est-elle a son tour bien assise? il est permis d'en douter. Nous ne fai- sons point lei, an surplus, un article d'crudition pliilolo- gique. « Les cardinaux, dit Barbosa, sont les conseillers D- deles du pape, les lumieres de I'Eglisc, dcs lampes ardentes, les peres spiritucls, les colonncs de I'Eglise, ses represen- tanls. n An pape scul il apparlient d'inveslir de cette eminente dignite ceux qu'il en juge dignes. Eu France et dans d'au- tres payscatboliques, le chef de I'fitat demande au pape Ic cardinalat pour les sujels qu'il en juge dignes, mais il ne pent agir que par voic de reconimandalion. Le souverain puntife accorde ou refuse, selon qu'il juge convenable. 11 n'en est point de ceci commc d'une nomination a un ar- cheveche ou a un eveche, par ordonnancc royale. Toutefois menie, en ce dernier cas, le pape a le droit de refuser I'in- slitulion canonique, quoique cela soit fort rare. Le cardi- nalat est done exclusivemenl dans les mains dn souverain pontile. La reunion des cardinaux forme ce qu'on ilomnie Ic sacre college. On salt que les cardinaux, assembles en conclave apres la morl du pape, precedent a I'election de cclui qui doit lui succcder. C'est la, sans nul doule, la plus noble et surtout la plus delicate prerogative de cette haute posilion dans la hierarchic. Avant I'annee ioSG, le nombre des membrcs du sacre college etait indcfini. A cette epoque, Sixte-Quint le Dxa a soixante etdix, parlages en trois ordres. Six cardinaux- eveques composcnt le premier. Ccs eveques sont constam- ment ecus d'Oslie, de Porto, de Palcstrine, d'Albano, do Sabine el de Frascati. Ce sont les cveches dils suburbi- caires, parce qu'ils sont voisins de la ville de Rome. Cin- quante cardlnaux-priilres formcnt le second ordre. Parmi ceux-ci, plusieurs sont archeveques ou eveques el d'aulres simples prelres quant au sacrement del'ordre, mais tnus, sans distinction, sont ajipeles cardinau,x-pr jtres. Ainsi en France, au moment ou nous ecrivons, messeigneurs I'ar- cheveque de Lyon et I'eveque d'Arras sont cardinaux de I'ordre des prelres. Enfin le troisieme ordre se forme de quatorze cardinaux-diacres. Danscet ordre pcuvent se trou- ver des eveques, des prelres, des diacres, des sous-diacres et meme des clercs minores, mais jamais des laiques en ctat de mariage, comme on I'enlend quelquetois au milieu d'un certain monde nullement verse dans ces matieres. Sans doule un cardinal qui n'est point pretre pent, avec dis- pense du pape, se marier, mais il cesse aussitol d'apparle- nir au sacre college. En 124d, le pape Innocent IV accorda aux cardinaux, comme marque de distinction, le chapeau rouge, pour si- gnifier qu'ils devaient etre toujours disposes a verser leur sang pour la defense de la fui. Paul II, au quinzieme .siccle, leur accorda la soutane de pourpre. En 16^0, le litre iVeminence leur fut exclusivement decerne. Le nouveau cardinal est preconise dans le oonsisloire par le pape. Si le nouveau dignitaire n'est pas a Borne, un nblegatestenvoye pour lui porter la barrette rouge. Le sou- verain du pays la lui remetcn audience solennelle. Souvent le pape, en proclamant les cardinaux qu'il a promus, de- signe, sans les nommer, un nombre plus ou moins grand de personnes qu'il a jugees dignes de cet honneur, et qu'il declarcra, ((uand il le voudra. C'est ce qu'on appelle une nomination in petto, c'est-a-dire dans le coeur. A un prochain numero, la suite de ces notions sur la hierarchic ecclesiaslique qui comprend ( outre le pape et lescardinaux ) les patriarches, les archeveques, les eveques, et les menibres du second ordre du clerire. MOIS S'AVRIL. 1. Hards. St Uugue^j, evciiiie de Grenoble, morl eu i 152, apres 52 aiis d'episcopiit. St Meiitos, eveque do Sardes, en Lydie, raort au 2'^ siecle. S. Blercretli. St Fiian(;ois de Paule, iiiort en 15U8. Ce saiiu, fonilau-ur des mi- nimcs, fut sulhciie par le roi de France Louis XI de venir du fond de la Calabre en son tlii- tcau de Plessis-tez-Tours pour le gutTir. II refusa d'aliord ; mais le pape Sixle IV I'y conlraignit, I'lleroi mourul dans ses bras, II cxisle a Tours une eglise paroissialc suns sun invocalion St Appies, martyr a Cesarec en Palestine, en 306. St NrziEn, cvequc de Lyon morl en 515. II exisle i Lyon sous son rair(niage une niagniUque eglise parois^iale. S. cent Fep- RiER, dominicain , Ires-ce- lebre predicalcur du moycn age, morl en 1419, apres avoir evangelise prcsque ioutes les coiilrees de I'Eu rope, et les avoir edilieespar ses liaules verlus. I. Dimniielie. 1' Jimanthe apres Paqucs. St SixTE I, pape et martyr vers I'an 127. St Celestin I, pape, morl, 4.52. Les 120 Martvhsdel'Auiabene, en Perse, en 544. St PncDEscE, eveque de Troyes, morl en 861. J. Liundi. St Uegesippe, ccri- vain ecclesiaslique dcs pre- miers temps du chrisliani.smc el presque contemporain des apolres, morl vers le milieu du 2"^ siecle. St ApiiRAATE, anachorele de Syrie au 4c siecle. 8. Blardi. St Uesys, eveque dc Corintlie au2*^ siecle, St Peopet, celebre eveque de Tours, morl en 490. St Gaotier, premier abbe de Sl-Marlin pros Pontoise, morl en 1099. 9. llfrcredi. Ste Marie Egyp- tiesne, dont Icculle esllres- celebre dans toule rLglise, 1 morlc dans le 5*^ siecle. St Hcgces, eveque de Uoucn, morl en 730. Les PRisosMEUsnoMAis&martyrs en Perse, en 362. to. deudi. St Babejie, abb6 el martyr en Perse, en 570. St Pallade, evc'i|ue d'Auxemj, morl en 601 . 1 1. Veiidrpdi. St Leon ie Grasd, pape, morl en 416. CVsl un des plus illustres pontiles qui aient ocrupe la tUaire de SI Pierre. On a rc- cueilltses ceuvresen2vol. in-fol. St Antipas, martyr, un dcs disciples dc Jesus-ChrLsl, morl au l^r siecle. St Isaac, solitaire de Syric, morl en Italic au 6' siecle. 3. Knmcdl. St Sadas ie Goth, martyr en 372. St ZtJNOiv, cvequc de Vcrono, morl en 380. St Jules I, pape, mort en 332. St Floremix. abbe dun mo- nastered'Ailcs.morlenooJ. us • •- Olmnnc1io,5°(itraandio apivs FViijii.;^. St llEnMtMGiMiE, prince visi- [,'olli, maiiyi* en Lspagnc, en 580. Sj Maiis, abbe on Auvcrgnc, mort on S^o ou 530. 14. E.iinc a la voix du proire, respetlucuse envers son nii- nislcre? Comment un liommc modosle n-t-il ose franchir le scuil de cet cnfer ou loules les natures dechucs faisaient chorus contre son predeccsseur, qui avait ccpondant des qualites personnelies propres a conibattre la repulsion qui se manifestait u son approche? Comment enfin M. I'abbe Marin pul-il prendre possession de sa charge et la rcmplir sans avoir recours anx re|iressions disciplinaires? II est curieux de le dire, c'est la comedie qui est venue an sccours de I'Evangile, et voici comment. Fcnclon avait dil : Hiurcux qui s'inslruit cns'amusant! bicn avant qu'un ecrivain ecclcsiastique, M. d'Esauviller. compos.it des pelils livres de morale religieusc donl la forme, loujnurs allrayante, attache le lecleur a la solution des questions les plus sevci es et les plus elevees. Quelques- uns des petils livres de JI. I'abbe d'Exauviller rcnfcrmcnt des dialogues dont les personnagcs sont pris dans les rangs les plus inlimes de la socicte. M. I'abbe Marin s'avisa, pour fairc connaissance avec les forcats, de leur prouver qu'il y a un Dieu et qu'il faut une religion. S'il se fut aviso de faire dresser dans une des lo- calites du bagne une tribune ou une chaire, et qn'en sur- plis et en bonnet de predicaleur il cut parle a ces sourds le langagc biblique. il n'cut pas, sans doulc, niieux ete nccueiili que le prelrc espaguol; maisil agit differemment, et proceda a I'aide des pelils livres de M. d'Exauviller. L'aumonier lit acquisition d'nn nombre d'exemplaires de pelils livres egal au nombre des personnagcs qui elaicnt mis en scene par I'auteur. II enlre dans une salle, el apres avoir In a haute voix le preambule du livre qui est le point de depart d'une anecdote presque historique, 11 indique les personnagcs, lels que M. Dumont, maire bel esprit et sceplique; mailre Thomas, Gros-Picrre, Jean, etc., tons habitants d'nn village ou la religion elait aussi negligee que la morale meconnue. II dcmande alors quels sont les forcats Ics plus letlres et les plus intelligenls... On comprit qn'on allait jouer la comedie, et les plus capables furcnt desigues par la masse... Chacun des interloculeurs recul une brochure, M. I'abbe Marin garda un role, celui du cure du village. II Dt signe au premier personnage de prendre la parole, le forcat chcrcha h saisu- le ton qu'il supposait couvenable au role qu'il represenlail , le second condanine, -ipres la replique, fit comme son camarade. La scene se jou-i avec mlelhgcnce, avec vtrve; la masse des specla- tcurs, assise sur le banc du bagne, ccoulait avec curiosite. Le sujetetait severe, maisil etail irailo en langage familier; et quand le raisonneur, qui enl.issait argument sur argu- ment contre le cure in vdlage, .'it au bout de son rouleau el que, malgre ses effurls, il fi;>. lerrasse, une salve d'apl plaudissemcnls, des cris : bravo ! parlirent de loute la .salle, et le triomphe du personnage ,pie s'elait reserve JI. I'abbe Marin fut coinplct. Les forcats priient tcllement gout a cellc conference en aclion, que, le dimanche suivant, ce fut a qui nbliendrail un role. L'aumonier varia le repertoire; et des lors sa personne devinl un bcsoin pour les condamnes. II put alors donner essor a eel esprit cvangelique qui depuis lui a ac- quis I'amour non-seulement des condamnes, mais encore de tout le jicrsonnel de la marine. Je saisis avec empressement I'occasion heureuse qui se piTsenla d'enlrer en relation avec ce venerable ecclcsias- tique; il voulul bien me faire une visile et me parler lon- guement de ecus qu'il appelle $es pauvres condamnes. II aime a citer des trails meriloires qui peuvent plaider en faveur de celte classe degradee. « II y a quelque temps, me dit I'abbe Marin, il se Irouva parmi les condamnes amenes a Toulon un malheureux qui sortail du scminaire de Charlres. Cet homme redoulait les sarcasmes el les humiliations auxquelles son elat allait I'exposer Dans la ville, la nouvelle de I'arrivee du cou- pable avait fail sensation ; la curiosite s'clail eveillee, el chacun cheschail a voir ce malheureux. » En descendant de la voilure cellulaire, on avail, suivant I'usage, embarque le nouveau vcnu dans une chaloope de fatigue qui devait I'amener a la localite du bagne. Dix couples do forcats elaient aux bancs de ranies, el tousje- laienl un regard avide sur leur nouveau compagnon. L.i barque s'cloigna du rivage, el, pendant la traversee, elle fut croisee par une chaloupe chargee de curieux qui dej.i s'claienl rendus au bagne pour voir le nouvenu venu... A la vue dune barque nionlee par les forcats, les passagers pen- serent que le nouveau venu etail dans celte embarcation ; ils dirigerenl au plus pres possible leur canot et crierent aux condamnes : « N'avcz-vous pas eel homme?... Mon- Irez-nous-le. » Tous les rameurs comprirent a ce moment quelles dr- vaient elre les augoisses de cet homme, qii'on ne cherchail que pour en faire un jouet a la malignilc; ils eurent pitir^ de son abaissement, et, par un mouvemenl spoutane que nul ne commanda, tous les forcats se levcrent et cou- vrirent de leur corps leur nouveau compagnon d'in- fortune; ils repondirent negalivemenl aux quesliouneurs, et leur firent prendre le change en designant une autre barque pour celle qui porlait le malheureux. « Je suis persuade, me disait I'abbe Marin, qu'en dehors du senlimenl de pilie qu'a pu leur inspircr le condamne. ils onl eu la pensce que ce qu'ils feraient pour le caplif serail agreable au preire libre qui leur consacrail sessoins. C'est pour me payer une delle de gratitude, que ces hom- mes, d'ordinaire moqueurs et enclins a lourner Ic culle en derision, out ete charilables cl misericurdieux pour cet homme dechu. Ils se disaienl : « Cet homme a porte la soutane que porte I'abbe Marin. » lis ont cherche a en cachei* la lache a ceux qui voulaient en faire un moyen de scandale. « Vous voyez, monsieur, ajoutait le bon aumonier, qn'on pent lirer quelque parti de ces natures donl on desespere lanl. » Et il ajouta qu'apres le ferremenl el la mise au travail du scminarisle de Charlres, sescamarades dechaine n'avaienl I pas denienli le sentiment qu'ils avaienl nionlre a I'cgard de cet homme mis, comme tous les nouveaux venus, .i la grande fatigue ; c'elail a qui ferail I'ouvrage du malheureux : on lui otail de la main la beclie, la pince; on ne souffrail pas ipi'il prit la biicole pour trainer uu chariot, ni qu'il roulat la brouetle. BEAUTlSS L'aiimonier eut desire sans doulc que Ic lenips J't'proiivc que le condom ne dcvait subir avant d'olili-nii- un adoucis- scment a sa |)cine, du un cniploi, cut cle abrcge; niais Tcspril de justice coniballait cliez lui I'elan de la charile, et dans la crainle qu'on n'allribuat a des niolifs de confra- ternile la pilie quo le coupalde inspirait au pri'lre ver- lueux , raunionicr n'osait implorcr la bienvcillance du comniissairedu baj;ne. Les foicats ilevinerent ee scrupule du bon abbe, fit dcnian- derent que le preire de Cbnrtres fill dispense. des penibles travauxdu port. Loin de muniiurer du piivilosje (|u'on cut accorde a son ancienne position socialc et cu caraclere dent il avail ete revetu, chacun se pronMuca pour obtenir un eniploi de faveur pour lui. Aujourdhui il est occiipo dans un des bureaux des constructions liydrauliques. Mes eclaircurs, en se melant a la foule des condamnes, avaient recueilli, entrc autres renseigncments, une aven- ture mysterieusc a laquelle I'aumonier n'elait pas reste etranger. Voici les faits. II est d'usage, quand un forcat desire entrer en confe- rence avcc le preire du bagne, qu'il sollicite par leltre la faveur d'etre aniene |ues de lui. Un condamne a perpcliiilc, apparlenant a la classe des gens de campagno, se presenle un jour a M. I'abbi Marin, et le supplie d'obtenir du com- inissaire qu'il aulorise son cliangemenl de salle. Ce con- damne n'alk'guant aucun motif serieux a I'appiii de sa demande, I'auniunier ne crut pas devoir presenter la sup- plique a radininislrateur. ■Quelqucs jours passerent; et le condamne ayant insiste DOii-seulemcnl pour qii'on le cliangeat do localile, mais encore pour qii'iin le transportat aux bagnes de Brest ou de Rochefort, le preire voulut connaitre les motiu puis- sants qui portaient le forcat a insislcr sur son deplacemenl. Le condamne dit alors ii M. I'abbe iilarin que la localile qu'il habitait elail pour lui un lieu d'liorrible soulTrance, parce qu'il avail sans ccsse sous les yeux un camarade in- nocent que le jury avail condamne a tort pour un meiirlro. « Le crime a etc commis par moi, ajoulait Ic solliciteur; le camarade condamne a tort, qui me voit a ebaque instant pros de lui, ignore que jc suis I'auleur du crime qu'il cx- pic; mais moi, a tonics les hcures, jc suis en cont.-cl avec cct liommc, nl sa iiresence est un supplice affreux qui me rend la vie du bagne impossible a supporter. » Le bon aumonier porta au commissaire les paroles du condamne; mais radminislratcur ne crut pas devoir fairc droit a la demande. Quand le forcat apprii que son desir ne scrait pas exauce, ildil: « .le tomberai malade, j'irai ii I'hopilal, cl je mourrai. » On lit |icu d'alli'niion a cct or.icle du forcat. Cependant il commcnca bienlrjt a se rcaliser en parlie. Le condamne fut saisi par une fievre pcrnicieuse; on le conduisit a rhospiec. Des qu'il apercul I'aumonier : « Je vuiis I'avais dit, 'iionsieur; me voici ici, et bientot je serai a ramphilheatre. » Le preire voulut donner des consolations au moribond; il cliercba a eloigner de lui la pensce fatalc qui le domi- nait. Bicnlot le mal cnipira ; le inedecin declara que Ic forcat avail peu dc temps a vivre; le preire offril au con- damne les secours de la religion. « Oui, monsieur I'abbe, dit le forcat, je me confesscrai ; mais, auparavant, je dois faire tons mes efforts pour dis- culper un innocent. » Le procnrcur du roi se prdsenta au lit du moribond, ct il retut une declaration de laquelle il resultail q'l'un homme nomme Boissieux, condamne aux Iravaux forces pour meurtre ct subissant sa peine au bagne dc Toulon, elail viclime d'une crreur judiciaire. Celui qui avail com- mis le crime donna tons les details qui pouvaienl meltre la justice bumaine a meine de reparer la faute qu'elle avail failc Boissieux fut conduit vers le moribond, et il ajouta quclques indices aux revelations, en disanl : u Je suis in- nocent! » . .•^■■^ Jamais, en definitive, les philaiitliroijos neloiicheronl le but de leurs efforts, s'ils ne s'associcnt inlimcment ii la religion. II n'y a qu'elle, par I'entremise du clerge, qui piiisse guerir les plaies sociales, si cruellemcnt saignanles. Nous ne cesserons de provoquer I'association intiine de I'adini- nislration et du clerge dans I'inlcrct des inforlunes el des coupablcs; souvent le crime el I'inforlune so confondcnt et nalssenl I'un de raulre. 11 n'y a que la religion qui posscde cc grand cl puisiiint ressort (|ui plonge au fond des iimcs cl les force au repciilir ct a la cbaiile. Un ne salt pas ce que la confession et iesconscils des bons prelres relicnnenl d'iimes mallieureuscs sur Ic pencbant de leur per'e. L'inlluence des bonnes soCiirs qui se voueiit ii Texercicc de la cbarile aupres du lit des malades ct dans les grenicrs des pauvres, n'cst pas moins puissante et n'est gucre mieux connuc do la jilupart des gens du monde. DE LlllSTOinE DL' CI.EnCE DE FRANCE VISITfi An FAUBOtjaO SAINT-MARCEAU iO'.l lES BO^^I;s oeuvies. ■ 1 CS S'iEUIS nE CIlMilTE Depuis longtcnips le faiihotirf; SVuit-Marccaii, livre a lui-meme, serait devciui Ic rcpairc ilo tons Ics dOscspoirs el un giganles(|ue liopilal, si, pour ([uc persimnc iic soit Irop desherile dans cc monde, Dicu n'avait allaclie a to qui est abandonnc Je tons unc puissance d'altraclion a la- quellc la cliante no rcsiste pas. En vcrtn de ccllc Ini providonlicUe, le fauliourg rcrnil charpie jom- dcs visiles etrangcres ct des liutcs qui vien- nenl dc loin lui apporterleiir zcle, Icur ni-grnt, de doucns el cunsolanlcs paroles. Les smurs de Clianle, Ics mcmbres du bureau de bienfaisance, toutes les neuvrcs de Paris s'y donnent rendez-vous conire la maladie, lignorance cl la depravalioii. On se parlage les rues, les niaisons, quelque- fois nieme les clages ; el souvent, dans les grandes niaisons renqilies de (lauvres dc la cave au grenier, la sieur pause au renle-cliaussce une blessure, la dame des pauvrcs ma- lades s'arrele au premier elage pour lire un passage dc Vlmitalion i\ un mnur.int, pendant que le membre dc Saint- Vincent de Paul coin't consoler sous les toils nne panvre raniille qui attend, comme une fete, sa visite liebJomadaiiT, ou instriiil un enl'ant plus es\iiegle que mediant, tout eloiun' d'entendrc un beau monsieur, sans sonlane ct en clia|icaii rond, lui couseillcr d'aller Ic dimanclie a la niessc. On se plaint souvent de la ninlliplicite des ocuvres, de la profusion des quetcs, dc I'lnceilitudc de lenrs resullals : une visile au faubourg Saint-JIarceau juslificrait toutes Ics importunites dc la cbaritc, ct apprendrait bien vile on va cet argent recueilli dans les salons, au milieu dis fetes; cette monnaic arracbee pcut-elre an jcu, celle piece d'or derobi'C a la mnrcliande de modes vont s'eclianger, dans une pauvre demeure, en pain, cm vetements, en medica- ments pour le malade, en bouillon pour le convalescent Ala vue de la joie ct des benedictions dc toule une f.i- mille, qui aurait le courage de regretter sou aumone? C'ctait dans une de ces niaisons bien connues des sofurs cl dcs ceuvres, qu'habitaieiil, il y a quelques annocs, deux homines d'origines, de natures, de passes bien differcnls. maisqu'avaient rapproclies un mallieurcommun. L'uu d'eux alteignait sa qiiatre-vinglicme annee, vieux mariii d'eau douce, dhiimenr joviale et facile, sanssoucis, sans malice, Ic plus inoffensif et le plus simple des liommcs. Tanl que son bras avail ete assez fort pour lancer scs fibts. et son roil assez percanl pour les diriger, son inclier de pecheur avail sulG a son modeste desir el a scs besoiiis li- miles; il n'avait jamais dcmande pour vivre que dcs pois- snns a la Seine, et son existence avail coule, a travers les nnnees ct les revolutions, calnie et iiidifferenlc comme le flcuve qui le nourrissait ; il s'ctait marie, comme il arrive souvent aus nuvriers, pour Irouver cliaque dimanche son linge blanclii et chaquejour la soupe cliaude apres le tra- vail ; mais sa fenime, habile ouvricre du rosle et gagnant bien sa journee, etait aussi curien.sc ct remuante iju'il clail 1 insouciant ct pacifique, lisail la gazette, parlait beaucoup politique ct morale, et paraissait sintere.s.ser bien plus aux affaires des aulrcs qu'a celles dc son mari. Le bonhonime avail trop de respect pour I'lsprilet la .science de sa femnie |iour oser lui demander conipte du temps qu'elle passaH loin de la maison, el dc I'oubli quelle faisait de son pol- au-fcu; il se contentait de se plaiiidre lout dmic;Miiciit, en faisant frirc lui-mcme scs pelits poissons ; mais lorsquc r.ige cut ramene le menage au logis et les cut eiifirmes tout deux dans leur moJeste chambrc, contents de Irouver a beure fixe ses nippes rarcommoJces cl so:i diner pret, Ic peinTbiliaul (c'elail son noml so felicitait ,-i la fois d'avoir relrouve sa femme et son coin du feu, et s'cndorniait gaie- menl a la lecture d'un gros bouquin que Cilui-ci lisait cha- que soir, et dunt jamais il n'avait compris un mot ; la femnie avail plus de lumierc et dc prevoyancc, el ne se dissimulait pas renvahisscment de la misere; Veleganle (t habile ouvricre ne voyait plus mcine a raccommnder des has ; le pecheur avail du renonccr a la riviere ct elait hicii lent ii faire quelques rares commissions imparfaitemesit payees. L'argenln'arrivait plus, le credit s'epuisoit; il fal- lait se si'parcr de tout ce qn'avait appnrle et conserve dans le menage I'aiguille de I'une cl Ic lilel de I'aulrc. Le mn- bilier, la garde-robe, cl jusqu'aux couvertures, prircnt le chemin du mon'.-de-piclc, el alors la maladie vint metlic au lit la menagere pour ne plus lui permcttre de se rcle- ver; les visiles du medccin, Ics tisanes, les medicaments, la garde epuiserent tout ce ([ui restait. Le bonliomme n"c- pargua aupres de la malade ni soins ni veilles ; il fiit aide dc ses voi-sins qui lui pi\'lercnt leur temps el quebiue pen d'argent ; mais le jour on cllc mourul, le miserable grabal sur Icquel cllc venait d'expirer apparteuait depuis long- temps deja au proprictairequ'on ne payail plus, ct pasun centime no restait pour les frais de I'enterrcment. Ce fut en cetle trisle occasion que, pour la premiere fois, le pere Thibaut cut rceours aux soeurs de Cliarile. Bichc ou pauvre, noble ou people, puissant ou faible, I'homme ici-bas a bcsoin dc tout le monde. Pour qii'un seul individu puisse vivre, il faul que beaucoup raiment, ou du moins que beaucoup s'occnpenldc lui. La Providence a parlage entre tons les mcmbres de la famillc Ics devoirs el les services d'affcclion dont I'eufant a liesoin pour de- venir liommc, ct Ics lois liumaines, sujipleant par I'inleret a un scnlimenl plus eleve, ontcree des fonclions specialcs pour chacun de nos desirs, ct divise cntrc dcs millions d'individus la charge de pourvoir a tons nos besoins. Mais pour obtenir, il faul apporler, il faut Joniier pour reccvoir, et loute I'economie dc la famille et de la societe repose sur cette reciprocite de .services, sur eel cchange et cette division infmie d'affcclion ct de Iravail. Le pauvre n'a jamaisrien ;i douner. L'cufant, en cchange des soins qu'il reclame, n'offre qii'un surcroit de diffi- cullcs el de privations. Pendant que, dans les families les plus elevces, le nouveau-nc fait cnlrer avec lui les ca- resses, les doux sourircs, I'orgueil de la malernile, la per- petuite du nom ct rheredite de la rortune, le plus doux et le plus puissant inleret de la vie ; lui, il n'apportc a sa mere qu'une charge nouvclle, et preud la pl.ice du Iravail qui la faisait vivre; plus lard, sa moindre maladie, sa plus legere infirmite ruinent tons ceux qui rentonrcnt, et s'il arrive a la vieilk>sse, ses enfanls se h.ilenl dc rejeter cc fardean sans compensation, et dc ne jdus nourrir cctic bouclie inutile. La societe lui est encore moins serviable ; il ne profile ni de scs progres ni de ses facililes. Le Lou- laiiger n'a pas pour lui de pain, I'avocat de paroles, le mailre de lecoiis, le medecin de visiles, ct les millions de toils qui couvrent tout un peuple n'offrent pas i sa tele un abri. Mais les pauvrcs, il y a deu.x sieclcs, eurent en France 22 no BEAUTIJS DE L'lUSTOIRE DU CLEllGE DE FBANCE. un ami qui passa sa vie a sender leurs plaios cl a chercher les moyens do reparer en lour faveur les incgalitos du sort. Les voyaiil depouillcs de lous les biens, exiles de tous les pai'lagcs, il voulut concenlrcr pour eux, dans unc sculc insliUilion, ce que Dieu et la sociele avaicnl jusque-la disperse entre les divers degres de la faniille et les millc Institutions liuniaincs, el leur assurer, d'un seul coup et sansqu'il leur en coulat rien, le devouemenl et les services que la puissance, la fortune el Ic lionlieur ne peuvent oL- tonir jamais qu'imparfailement el par parties au prix dc niille recherches cl de mille snciilices. 11 reunil dans unc seule personnela picle el la fervcnte prieredclarcligiouse, la sollicitude de la mere, respcricnce du incdccin, les soins dc la garde-malade, la patience de la maitrcsse d'ccole, cl jusqu'a I'adresse humble et devouce de la scrvante, et de loutes les sciences el de toutes les verlus, saint Vincent de Paul Ct la sffiur de Charite. La soeur que le pere Tliibaut appcla trop lard aupres de sa femme, remplit fidelcment toutes ces missions ; elle pria surla mortdeccUequ'clle avail soignee clveillcemalade, el a qui die n'avaitcu le temps que d'apprendre a bien mou- rir, ct se lit le lendtmairi I'avocat ol I'apiiui de ce pauvre vicillard qui n'avail plus personne pour s'occiiper dc lui. Elle alia plaider sa cause aupres de son proprictaire, ob- tiut la remise de sa dctte, preserva son lit dc la vente et sauva sa vieillesse du depot dc mendicile. Installe par ses soins porlicr d'une maison qui n'avail pas de porle, le pere Thiliaul gagna a celte siuecure un petit appartcmcnt qui teiiait a la lois de la cave el de la loge. Aux murs nus pen- dait un resle de filet, vieux conime son maitre, usccommc lui, dont n'avail pas voulu le monl-de-piele, el oii venaient de temps en temps se prendre quelques souris mal avi- sccs. Un lit de sangle, un petit poele de 7 francs fourni par les socurs, et oil s'allumail, les grands, jours d'hiver, Ic rarecolreldu bureau de bienfaisance, un bancboiteux, un vieux fauteuil retire du grenierd'un hotel loinlain, compo- saicnl son mobilier; un pantalon dc loile dont les pieces de loules (ormes et de toutes couleurs avaienl di!j,i plusicurs fois rcnouvele rctoffe, nne ccbarpcd'un rouge passe, une vesle qui avail cle autrefois de velours cl un petit bonnet ii la Masaniello, etaienttoute sa garde-robe. La table n'etait pas plus splendide (|ue le logement ; il dinait tous les jours dun morceau dc pain et d'un pen dc fromage ; la gcnero- sitc de la fruitiere du coin y ajoutait quclqucfois nuc poire cuite, et quelquefoi.^ cnc.ire les ouvricrs, a I'lieuro oii se suspend I'ouvragc, en ccliangc d'un salut amical ou d'une plaisanlerie du vieux temps, Ic prenaient sous le bras ct i'cnnncnaient en cbnntaiit partnger avcc eux unc bouteillc de viii sur un conqitoir du voisinage. Lc bon vicillard, rcconnaissanl de la bicnveillancege- ncrnle, ncseplaignait jamais de ce qu'il n'avail pas, liicbait de se rcndrc utile a tous ceux qui rcnlouraienl, appretait dcs ligiics pour les pclits garcons, veillail la boutique pendant I'absence du voisin, faisanl un peu de conversa- tion avcc les bonnes femmes du quartier, saluait en riant tous les passanls, el priail Dieu pour tout le monde. Mais il avail dcs jours de fete qu'il n'aurail pas donnes pour lous les biens de la terre : c'elail lorsque, attire par le desir de faire le bien, quelque dame laissanl a la porle du faubourg son equipage, s'achcminait vers sa loge, s'as- scyait sur le banc aupres du petite poele, lui dcmandait de scs nouvclles, el lui faisait raconter comment, depuis sa deriiiiire visite, il avail passe le temps. Oe jour-la, le bonbommc ne repondail que par inler- jcclions : son elonncmcnt, sa reconnaissance, claienl plus . forts que sa raison ;ilconfondait alors les jours, les lieurcs, les pcrsonnes, demandait a unc petite fille dcs nouvellcs de sou mari, el preiiait unc dame de cliarile pour la femme d'un ciupereur. Mais il y avail sur coltc bonne etcaiidide figure taut dc joie, dans scs yeux ranimes lanl de deuces larmcs, qu'as- surcmenlnulle heure do la vie du monde, nul succes, millc fete ne devaient laisser dans le ccnur de cclle qui en clait Toccasion, d'aussi delicicux souvenirs. — Td csirinlercssant el simple tableau que nous em- priintons a un philanthrope modirnc, M. le vitomle dc Melun, qui a consigne dans les Annalcs de charile ces de- tails aussi vrais que toucbants. Ce n'esl point la un roman arbitraire, I'invcniion fri- volcet ramusemenlpassager d'une imagination d'ecrivain; ce sonl dcs fails de tous Ics jours, des fails reels qui sc reproduisent a chaque instant dans noire grande capitale, des douleurs qui se renouvellenl d'annee en annee el de mois en mois, et qui trouvent sans cesse les memos re- ll medes dans rinlcrvention bienfaisante de la religion ct l| de scs minislros. Kous ne pouvons trop le repelcr, c'cst dans I'union intimede I'adininislration et du clerge, dans le melange des idees religieuses et des idecs philanlhro- piques, que les pauvrcs pourronl trouver plus lard les se- coursles plus reels et les plus abondants. Uansun de nosprocbaius numeros, nous indiqueronsles. principales oeuvres qui prospcront aujourd'hui, lanl a Pa- ris que dans les principales villes de France. PETITES MOnAl.ES 171 PETITES MORALES. CARNET DUN VIEUX CURE. CeqDipciil arriver au globe— Manger avec Ics iloigls.— Le baicau a vapcar. La Idilelled'une Grerqiip.— La coqucuerie ilcs fcinmes il'aatrcrois. Le freiii de la rucdisanlc ft le nianicau ile I'ivfognc. — Lc porc-i'pic. Oded'un patineur. Furcar dcs saintscl des paiens conlrc les coqueucs. Le sang ct Ics cheveux. OE QUI VEUT AARIVXR AU GLOBE Lc mailrc do la cliimie modernc, lo cclebrc Lavoisier, que I'cchafaud a devore en 1795, a prouve que, si le globe subissait pendant une annee une temperature beaucoup plus cbaude, la plupart des rochcs et des parlies solides deviendraienl liquiilcs. Aprcs avoir examine ainsi ce qui arriverait si la lerre se trouvait transportee en de plus chaudes regions de I'espace, Lavoisier s'exprime en cos termes : « Par un effet contrnire, si la lerre se trouvait lout a coup placee dans dcs regions trop froides, I'eau qui forme au- jourd'liui nos Heuvcs et nos niers, et probablemenl le plus grand nombre dcs (luiJes que nous connaissons, se Irans- formerait en monlagnes solides, en rochers Iresdurs, d'a- bord dinphanes, homogencs et blancs conime le crislal de roche, mais qui, avcc le temps, se melant avoc des sub- stances dc differcnles nalures, deviendraienl dcs picrrcs opaques divcrsement colorces. a L'air, dans ccltc supposition, ou nu nioins une parlie des substances acriformcs qui lo composcnt, cesscrait sans doute d'cxisler dansretnlde vapeurs elastiques, faule d'un degrc dechaleur suffisanl; dies rcviondraient done a I'clat de liquidilc, clil en resullerail de nouvcaux liquides dont nous n'avons aucunc idee. i> L'inslincl de Lavoisier ne I'avail pas trompe, el lorsque M. Faraday apprit au monde sci' ntillque qu'en obligeant h plupart des gaz a se dcvcloppcr dans dcs vases trop elroils piiur les conlcnir, Icur proprc poiivoir de compression les amcnail a I'elat liquidc, on vil se rcaliser, en erfct, par cc procedc, des liquidcs douiis dc pro[]rieles elranges cl non- vclles. MANGER AVEC UCS DOIGTS. C'cst la mode universcUe en Orient. Vcuillcz ne pas vous rccricr trop vile. Voycz d'abord comment les cboses se pralicpient, ct peul-eire vous parallronl-cllcs moins dcsagreablcs. Les melssoni prepares avcc une delicate re- cherche. Par excmple, ce soni des concombrcs et autrcs legumes de ce genre ecrases et farcis de viande hachcc ct dc riz. Souvenl c'esl de la viande hachee enveloppce d'une feuille de vignc, cl si habilcmcnl accommodec, quo chaque fcnillc, avcc son conlcnu, restc compaclc ct se prend facilement avcc les doigls. La viande frile cnloureo de pali«f;erie. nu en forme d'une saucisse csl og.ilcment commode a nianicr; je pourrais cilcr una foule de combi- naisonsde ce genre (leur cuisine est Ires varice), quand il s'agil de soupes, de riz prepare a la mode orienlalc, cl do sauces, nous faisons usage dc cuillers. Voyage de UrijaiU a Bagdad. S.E BATEAU A VAFZUH. Quelle chose merveiUeuic qu'uii bateau a vapcur ! (Jui- conque aurait ose. il y a environ cinquantc ans, nous parlcr dun vaisseau poursuivant sa course, malgrc les vcnli coMlraiies, sans autre sccours que ccUii de la va- |icur, ci'il scmblc fort ridicule. Lors(iuc Fulton Dl Icssai de sou premier bateau ,i vapcur sur la riviere d'lludson, dans le nord de rAmcrique, les pcr.sonnes as£enddccs cu- lour dc lui s'allendaicnl [ our la plupart, a lc Irouvcr en ^T2 pirriTKs MonALES ■leraut ; cllc paraissniciit rire ot so moiiiiri- do cello alisiiril invonlion. Mais lours rioaiiomonls liront place au plus grand olonnomciil, a la vuc do co haloaii qui s'olancailen avanl conimo s'il cut elo ploiii do vie. Lc premier (|iii so (lirigca vers los Indes fiit apcrcii do loin par reqiiipagc d'uii pelit vaisscau espajjiiol, pros dc la Trinilo. En le voyanl marcher conlre le vent, vomissant la fmiico, le feu, n'ayant qu'nn soul liomme sur le lilliic, il s'iinai;ina rccoimailrc I'a'uvre du mauvais esprit, et, rempli de Icr- rcur, il regnaga le rivage ol s'eclia]ipa dans les bois. Les baleaux a vapour avaicnl doja naviguc longlenips sur les rivieres on Angletorre el en Amerique, ct cependant on n'avait pas oso so risqner a traverser I'Ocoan a I'aido des memos moyens. On croyait que la hauteur des vagues cmpecherait les palettes do I'lapper I'eau regnlicrcmont ; qu'cn outre, la force du vent soufllant sur los coles, mai- triserait le vaisseau au point dc retcnir une de ses roues liors dc I'oau. Mais on a essaye dcrnieronient de fairc mar- cher dc grands Imtcaux a vapour pour allcr d'Anglclcrro en Anuh'iqno, et roxporicnco a roussi, malgrc la rureur des vcnlsct des vagues. D'autrcs phis grands encore furenl coiistruits peu a prcs, coniius sous le nom dc la Reine Bri- lii'^nique et le VivsUlcM. Cos magnifiquos vaisscaux av.iientpresde Iroisccnts piedsde long; la force despompcs a fell ipii les faisaient mouvoir cgalait colic de cinq cents chevaiix. La Reinc Biitaitniqiic pouisuit encore scs voya- ges, mais lc I'lesidenlsc pordit mallicureusomcnl onrcve- iiaHl d'Aineriquo. On atlendit longlenips ccux qu'il devalt ramener, ils nc rcviiiiciit jamais; on linil par approndre que requipage el tous les passagcrs avaient peri. La chau- diere a sans duutc eclato, ct I'a roduit en poudre en un moment; pent-elre encore, frappe dans I'onigo par de loiirdos vagues so sera-t-il brisc en deux, et perdu ainsi dans la profondeur des oanx. Paimi los gens habitues a montor sur des bateaux a \apcur, il y en a beaucoup qui no s'espliqiient pas clai- loment comnicut la vapciir douncdu mouvement au vais- seau. Vousavez remarquo la vapour de I'cau bouillantes'e- cliappor du bccdela bouilloirequi la renforme, telle cslla puissance qui fail agir le vaisseau. On I'apiiliquo ainsi : on rcniplit line grando cliaudiero d'eau, on la chauffe, la vapour esl introduilo par un des bouts du ajUndrc, c'est-d- dirc un large conduil dans Icquel so trouvo lo piston, es- pcce dc chovillc qui sc love et s'abaissc daus lc cylindre. Snpposcz que lo piston arrive au boul par loqiiel la vapeur pcnetre, sa force irresistible le chasse aussitol au cote op- pose; niais dans ce oas, un pclit Iron s'cnlr'ouvre au cole (!u cylindre par loquel la vapeur s'ocliappc. Au memo in- stant, la vapeur s'olanee de la cliaudiero, a travcrs un au- tre conduit, a Tautre bout du cylindio,ct repousse le piston vers lc boul oi'i il so Irouvait on premier. Cello vapeur s'e- oliappc par im autre Iron, on soupnpe, ct ponetre de nou- veau au premier bout. La vapeur venant ainsi dans lo cylin- dre alternalivcment a chaqiic oxtremito, lc piston so troiive conlinucUcnient pousse en avanl en on arricrc. On •ajnutcau (liston uiio barre de for qui vo joindro une des cxtrcmilcs du cyliuilro, dc maniore a mouvoir librement, quoiquo ajustoo parfaitement sorrea; cello barre participe done au moiivcmenl du piston, et s'elancc sans cosso, soil en avanl, soil on arricre. Mais comment ce mouvement qui s'opere droit cuavant poul-iltouruerautourdes palettes de la roue? Vous avez sans doutc exaiiiiiio souvenl lc repasseur dc cou- tcan.x qui parcourl les rues; il pose le pied sur la marclio ol la fait mouvoir cgalemonl par la prcssion; mais ellc est lii'O a la grando roue |iar une barre do for, qui la fail mou- voir en lournanl dans imc direction d'lmc maniiire trcs- ciirieusc. II en est dc memo do la barre de co piston qui so inout aulour d'unc grando roue, qu'ou appolle volatile, ct rcniuo on nn'me lomps la grando rone do cli.ii|uc culc qui siijiporlc les palettes. Co soiit des planches atlaohoos au bold do la roue, qui, en frappanl I'eau en tournanl,en- liviinonl lc vaisseau. Je n'ai pas tout indii|uc, mais ccci doit siifrirc pour donner une idee asscz claire des choscs pi'iucipales. S,&. TOIIiETTE B'DNE GHXCQUE. COQITTTEMC DCS FE.MMUS d'.\UIIIEF01S. Plaulc compare la loik'tto dos fommes a rcquipemont d'unc galore. Le soin principal des dames grccques otait relalif aux ornomonts de Icur lelo. « La chcvelnrc d'unc dame, dit Apnloo, donne par ollo-niomc taut dc grace, quo, malgrc I'cclat des porlos ct dc la pourpro, nialgro la richesse dc scs votcmonls ot la rcchorcho do sa toilette, (die nc pout espercr de charmer ni de plairo, si sa coiffure n'est pas soignee. II n'est rien dc plus agreablo que de viiir les rayons du solcil so jouer dans les boucles d'unc bidlc chcvelurc, ou en jaillir on brillaiils rollels lorsiiu'cllc est opposoe a la Inmicrc. Quoi de plus beau que dc voir cos ondos, moUoment agitoos par I'haleine dos z.'phyrs, lantiJl rovctuos dos toiiUes dc I'or, ou dc cellos du niicl dc TAltiquc ct dc la Sicilo, el lanlot seniblablcs au cou mo- bile et nuance de la Colombo, reHochir lo noir et I'ebcno, ou bien I'azur dn ciel ct dcia mer! Parfumeos des essences do I'Arabie, nllongees par un pcignc d'ivoire, ol retcnues dorrierc les epaub's par une agrafe d'or on de sole, olios rcllochissonl, comme un miroir onchantour, los images voi- sines Elogammcnl rolroussces en une inUnile de tresses par une main habile, rctombant sur un cou d'albaire, olios coulcnt aux fcmnies plus do six lionros jiar jour. Los precedes employes par les fommes pour faire res- sorlir lours chnrmes, ou jiour ]iaror a certains dofauts, olaienl nomhrcux. Alexis, poi'tc comiquo d'Athenes, en parlanl des coquctlos, dil : « Une jcune fille csl-ellc po- lite, on rehaussc sa stature au moyen d'unc somellc dc lii'ge cpi'on ajoulo a ses snuliers; est-olle trop grandc, on Ini fait prendre des chaussurcs minces, ct olle marchc la tote iuclinoe sur une cpaulo. A-l-cllc les epaules trop olrnites, on lui en mcl dc pos- liolies. Son venire esl-il trop fort, des buses resserreni et rojoltont son ventre on arriorc. A-t-ollc les snureds roux, on los toint nvec dn noir dc fiimco. Est-c'.lo Imp briino, on passe do la ceruse sur son visage. A-i-id'c le leiut p.'de, on lui doiiiio dos coulonrs au moyen du fard. A-t-elle do belles dents, on lui apprond a rirc, pour que ses Icvros en s'entr'ouvrant les laissenl aporcovoir. .Si ellc n'ainio point a rirc, on la laissoa la maison ayant eiiiro los dcnls un brio de myrtc parcil a ccliii doiil les cuisinicrs couronnent les choscs qu'ils vcndent au marclie, do manicre qu'cllc s'accoutumo a monlrcr la beanie dc sa liMiii'bo. » PETITES MOr.ALES. K5 Lnclon, dnns nn do ses dialogues, donnc iiiic doscriiilinn raillcusc do la cnf|ucllcric dcs fomnios. A poinc sorties du lit, dies so rctiraienl dans lour cabinet do toilette pour se farder avanl d'avoir cle vues de pcrsoniic. U entre en- siiitc dans le detail des cuvettes d'argcnl, des aiguiercs, des miroirs, des fiolcs, des llacons qui contenaient des essences el des parfuins d'aul.mt d'cspeces qu'il y avait de partie-; du corps auxfiuellcs on les employait. (I L'Mlienienne, dit Anslophane, se parl'nine les mains ct les pieds avec des essences d'Egyple vcrsces dans nn Lassin incruslc d'or, les joiics nvec des odeurs de Phenicie, les (lievcux avec la marjolaine, les bras nvec I'eau do serpniet. » Plautc , dans ses Spectres, fait ainsi jiarler une coqueltc : « Scaplia, apporle nion miroir et la boitc oil je liens nies bijoux, afin de me trouver parce; en attendant, mels-moi le fard. „ _ Viaiment, maitressc, quo de peines tn le donnes! quelle pcinture I quelle sculpture! quelle arcbiteclure I A quo! arriveras-tn, si ce n'esl a te rendre nioins joIie?i) C'est en effet souvcnl I'unique resultat de ces immenses prcparatifs. as FUEIM DE LA MEDISAfOTE ET I.E MANTEAD DE I'lVHOONE. Le progres des iuslitiitions chreliennes n'a pas ccssc d'a- doucir b'S mrenrs et les lois; les punitions antiques sont (Vunc barlinrie on d'une singularite qui nous etonnent fort aujourd bni. Pajmi les clialimcnis en usage autrefois en Angleterre, il y en avait de fortcurieux, dont je vais vous citer quol- qiies-uns. Quand un honniie se livrait immoderement a la boisson, CI se montrail inscnsiljle aux remontrances et aux me- naces, on lo condamnail a porter le mniilmu d'ivrognc, dans I'espoir que la lionle agirait snr lui dune manicre plus salutaire. Ce bizarre costume consistait en nn lonneaii defonce par un bout; une ouverlurc se pratiquail .i Taulrc exlrc- mile el servail de passage a la tcte; le lonneau s'appuyait en mcine lemps sur les i'paules ; deux autres Irons fails de cliaque cole laissaienl passer les bras. L'ivrogne par- courait ainsi les rues, ponrsuivi par les eclats de rirc do ses concitoyens, donl il devenait nn objet de ridieule et do niepris. Pour les femnies accusees de medisances, on faisail usage, il y a deux cents ans, a Newcastle, d'une cirangc coiffure nppelee k'^rriii des rncdifimlcs. On pent en voir ' iieorc des modeles a la emu' de justice de ccUe ville. On avait pour but d'humilier les femmesqueranionr du babil attiraithnrs de chezelles, el qui negligcaieutlenrs devoirs. La panvre coupable, eonduite aussi comme l'ivrogne, par un ofOeier, a travcrs les rues, etail exposce aux regards du public, pour servir d'excmple salutaire a celles quieussenl cte teuleos de laisser a leur langue trop de liberie. La punition du [rein dcs fcmmes grondciisa n'elail pas raoins bizarre. Les voisins s'enqiaraienl do la fi'mme en question, la portaienlau bord d'uue riviere ou d'un quai, rallachaienl solidcmcnl sur une chaise, cl la plongeaienl dans lean autanlde fois que ses fautes le merilaienl. Nos ancetres adoptaicnl communemenl les cages ;on en voyait une en permanence sur le vieux pout de Londres, dans laquclle on exposal! ceux qui avaienl comniis de legc- res offenses. Bicn d'aulres punitions, etablies autrefois, sont aussi totalement abandonnces aujourd'hui. Z.E PORC-XPIC. Voici le portrait d'un porc-epic, animal fori curieui, quo vous avez pu voir souvenl dans les rues, entre les n« rETITES MOn.VLES. mains do ccs pnuvrcs cnfants ilu Picmonl. Doux par sa na- ture, il vous piquerait ceponilant ruJemont, sans le vou- loir, si vous clierchiez a le manicr. Le pore-epic nait en Alrifiue ; on le trouve aussi dans le niidide I'Europe; scs poinles noires ct blanches sont co- quettement nuancees, el servcnt frequemment a faire dcs inanchcs de plumes d'acier. On croyait autrefois que cct ani- mal pouvait lancer ses poinles de loin a ses cnnemis ; veri- table fable qu'il faul ajouler a tous les mcnsonges debitcs sur les animaux. Les poinles qui recouvrent le corps ont environ un pied de long ; tres-aigues au bout, plus epaisscs au milieu , elles se tiennent ordinairemenl a plal; mais, si le pore-epic s'effraye ct s'irrite, cllcs se herisscnt el poinlent dans loutes les directions. Sui; la tele el le cou s'eleve une crelc de poils trcs roides i|ui se canibrent en arriere; les plumes de la queue nc fiuissenl pas en poinlc, mais sont ouverles au boul, commc si on les avail cou- pecs, n'elant pas tres-solidement fixees a la peau ; elles pro- iluisent un bruit sourd quand I'animal se secoue. II y a uneespecede pore-epic au Canada ctdans d'aulres contrces de I'Amcrique du Nord, qui grimpe aux arbrcs. Les femmes indiennes brodent avec ccs plumes, lors- qu'elles sont fcnducs et leintes en couleurs brillanles, les sacs a tabac et les mocassins (panloufles en daim] de leurs maris. Co travail, fort Inginicnscmcnt dispose, pro- duilsouvenl un Ircs-joli effet. Les pores-epics sont tous d'innoccnts animaux, assez lourdsetstupides. lis dormcnt lout le jour au fond d'un Irou crcuse sur une eminence, et sortcnl la nuit a la re- cherche des racincs dont ils se nourrissent. Leur enveloppc piquante les protege seule conlre les atlaqucs dcs betes fe- roees : on dit que le lion lui-meme recule elfraye dcvant lo pore-epic hcrisse. Bingley raconle, dans son inleressanlo Biograjihie dcs Animaux, que sir Ashlon Lever conservait chcz lui un pore-epic et s'amusait souvent a le regarderjoucr surlc gazon avec un leopard apprivoise ct un gros chien de chasse. Ces deux derniers se mellaient aussilot a la poursuile du pore-epic, qui d'abord clierchait toujours a leur cchap- |ier par la fuite , mais, trouvanl la cboso impossible, il allail fourrer sa tele dans un coin, faisait entendre une espcce do grogncment en hcrissant ses poinles; les poursuivanls se piquaient alors le ncz, se qucrellaieni ciilre eux, el donnnient au pore-epic I'occasion de s'c- chapper. ODE D'UN FATINEUR. 11 y a une ode cbarmanle de Klopstock inlilulee VArl dc Tialf, c'esl-a-dire I'art d'aller en palins sur la glace, qu'on dit avoir elc invenle par le geant Tulf 11 pcinl une jcunc el belle femme, revclue d'une fourrure dbermine, el pla- ccc sur un traincau en forme de char; les jeunes gens qui renlourent font avaucer ce char comme I'cclair, en le poussant Icgeremeut On clioisil pour senlier le torrent glace qui, pendant I'hiver, offrc b roule l.i plus sure. Les chevcux des jeunes hommes sont parseme.s des llocons hrillanls des frimns; les jeunes lilies, a la suite du Irai- neau, allachent a leurs petils picds les ailes d'aeier, qui les transportcnt au lain dans un cliu dVcil ; le chant des bar- des accompagne cello danse scplenlrionale; la marchc joyeuse passe sous l«s ormeaux, donl les flours sont dc neige: onenlend craqiier lecrislal sous les pas;un iu.^laut de terreur trouble la fete; mais bicnlot les cris d'allii- gresse, la violence de Texorcicc, qui doit conserver au sang la chaleur que lui ravirail le froid de I'air, enlin la lulte conlre le climal, ranimenl tons les esprils, el Ton arrive au terme de la course dans une gr.iude salle illu- mince, ou le feu, le bal ct les feslins font succeder des plaisirs faciles aux plaisirs conquis sur les rigueurs memes dc la nature. , FUB.EUR DES SAIZaTS ET DES FAIENS COMI:C LES COQUETTES. u Si on voyail, dit Lucien, certaines femmes au sorlir au lit, on les trouvcrail plusbidcuscs que I'animal (I) dont ()) Lc siiije. PETITES MORALES. 175 le nom, proKro 4 jemi, est rcpiiti dc raauvais augure. Aussi ont-ellcs soin dc ne s'esposer aux regards d'aucun liommc dans cet etal. Elles sont cntourecs de vieiUcs fem- mes et d'une troupe dc jeiines csclaves, toutes occiipecs a leur plalrer le visage de diverscs maliercs. Ces scrvantes forinenl une espece de procession autour de leur mai- tresse, les unes portent des bassins d'argent, des aiguieres, des miroirs el des Loitcs remiilies de mixtions degou- tantes; les autres sontoccupccs a lui nelloycr les dents ou a noircir les sourcils. CVst surtout a Tarraiigement de sa. chevelure qu'elles deploicnt tout leur talent. Les fem- mes qui preferent les cheveux noirs, consomment la for- tune de leurs maris a les parfumcr avec les plus rares es- sences dc I'Arabie. Ensuite, a I'aide d'un ferchauffe a un feu lent, dies roulent les cheveus en boucles, qui se par- tagentsurle front, et descendcnt, avec un art admirable, jusquesur les sourcils, tandis que ceux de derriere, frises avec le meme soin, Holtent epars sur les epaules. Apres cell elles mettent leurs souliers, dont chaque paire a son pied de droite etson pied de gauche ; puis elles se revetent d'un manteau dont la finesse laisse apercevoir les propor- tions du corps. Des pierres orientales sont attacheesaleursoreilles; des serpents d'or ( et pint aux dieux qu'ils fussent naturels 1 ) cntorlillcnt leurs bras et leurs poigncls ; enfin Tor, des- ccndu a I'elat'le plus abject, brille a leurs pieds, en ser- vant d'ornement ,1 leurs talons qui resteut nus. Les femnies de distinction faisaient porter sur leurs tetes un parasol ; il y avait dans Athenes une procession de parasols en Ihon- neur de Minerve, au mois de chirophorion. » C'est particulierement centre les coquettes que tonnerenl les premiers orateurs cbreliens. « Outre les pendants d"oreillcs, s'ccrient-ils, elles por- tent d'autres bijoux a I'cxtremite de leurs joues. Leur visage et leurs sourcils sont colores ou peints. Leurs tu- niques sont enlrelacees de fil d'or. Leur chaussure est noire, luisante, et se tcrmine en pointe. On les voit mon- tees sur des cbars atteles de mulets blancs qui ont des freins dorcs, etsuivies d'un grand nombre de femraes atta- chees a leur service. » 11 n'y a que les formes qui aient change : cntrez aujoHr- d'hui chei le parfumcur, le coiffeur et la marchande de modes a la mode ; vous y trouverez les menies ridicules et les memes faiblesses, souvent couronnes de peu de succes, et n'aboutissant qu'a rendre la beaute moins fraiche et la disgrace plus desagreable. A|l'?f| LE BANG ET IiES CHEVEUX. Le bon roi David s'ecrie : o L'organisation de mon corps « me remplit de crainle ct d'admiralion. » Puis il rend grace a Dicu. Vous etes peut-eire persuade que voire sang ne rcnfernie qu'une scule substance, et vous screz tres- surpris d'apprcndre qu'on en decouvre plusieurs fortdis- linctes,toulesdiffcrcnleslcs unes des autres. Le sang qu'on lire du corps se divise peu de temps apres en deux par- lies; I'une est un lluidc clair et transparent, I'aulre est une substance dc coulcur foncee et prcsque aussi solide que la chair. Au bout d'un plus grand laps de temps, la parlie solide se divise encore en malicre molle et blan- che, une foule de petils globules rouges, que le micro- scope seul pent vous faire distinguer s'y formcnt aussi ; ii I'aide de cet instrument, on voit qu'ils sont transparenls n reconverts d'une peau rouge. Maintenant il faut vous dire que toutes les parlies du corps, meme les plus dures, la salive, Ics larmcs, le lait, les cheveux, les onglcs, les OS et les dents, provicnnent du sang; et, comme toutes ccschoses se composcnt d'une multitude de fibres ou fils lies ensemble, on croirait que la reunion nombreuse de ces i^liibulcs k'S forme tons. En niellaMlcn idccesun pelit nior- icau dc viande niaigic bienbouillie, vous le wnci se par- tager comme un echeveaude fils. Hegardezla gravure, ellc vous donne a droite quclques fibres vues au microscope, plus haut sont representes les globules rcunisdont ils se compo.scnt; au-dessous on vous retrace deux rangces de globules enveloppes de peau rouge, et d'autres qui n'en ont pas. Les grandes figures representent la structure d'un che- veu, non moins curieux a eludier. Chacun de DOS cheveux forme un tube delicat, a rexlremilc dtiquel se voitun gon- flemeiit, semblable a la bulbe d'une fleur, qui le retient attache a la peau. Chez les jeunes gens, ce tube est rempli d'une matiere molle de couleur foncee, qui donne la nuance a la chevelure; mais, quand pn devient tres- vieux, la matiere coloree se Iransforme en moelle desse- chee qui se repand au milieu, et le tube, n'ayant pas decou- leur par lui-meme, parait d'un blanc argente. Les trois figures, a gauche, en donnent un exemple. Vous le voyez, la sngesse de Dieu se deploie plus mcrvcilleuse que jamais dans la creation de. noire pauvre elre. Comment ne pas I'aimer et nous confier a lui? car Nolre-Seigneur a dit : « Lcschcveux de voire ti'te scront tons comptcs. » Les cheveux de certains animaux ont si pen de rapport avec k'S notros, que nous serious fort lentcs de iiier I'ana- logic qui exisle cnlre eux. Chez [dusieurs, cependaiil, nous I7G LE COURAGE MORAL pouvons observer jilus claircment ijirils sent lubiilaires. Les plumes dos oisc.iux sonl aussi ilis i-liovcux sous unc aulrc forme, cl nous les voyoiis lout u fail crcux dans la parlie ajipelcc tuya^l, conime nous I'avons deja dil, landis que dans le Mrisson dc nos contrees, cl plus encore dans le pore -epic, nous voyons dcs poinles creuses et roiJesau lieu do clicveux. LE COURAGE MORAL OA^S LA JECMSSE. BIEMrLES DE FORCE CONTBE LE SORT, UE IIESISTAKCE ET DE SUCCES DANS lES CAHRIEHES lES PLUS DIVERSES. Les jeaues peinlres et sculptcnrs. — Bcnvenato Cellini. Quenliii Melsys, etc. Personne ne peut lire sans inleret et sans admiration rhistoiro de ces honimes iiitelliirents et laborieux, places dans la derniere classe de In sociiite, arrivant a la celebritc par le travail et la perseverance, et laissant a la poslerite des chefs-d'oeuvre immorlels. Nous citerous, pnrexcmple, des cas oii de simples ouvriers sonl devenus artistes dans une parlie vers laquelle, il est vrai, Icurs premiers efforts les avaient amends ; d'autres oii Tarlistc lui-meme, parti d'un point obscur, a pris un rang distingue dans son art; nous voyons, surtout en Italic, dcs ouvriers orfevrcs. parmi ceux du moins qui etaicnt charges de copier les dessins sur les melaux, pousser I'etude de leur profession si loin, qu'ils sont arrives a dessinereux-memcs avec talent. Ainsi s'est faite I'cducation premiere de plusieurs peinlres ctsculpteurs distingues. Benvcnulo CclUni, appreuti chez un orfevre, apprit non-seulenient ii enchasser, mais encore d graver, a dessiner, sculpter, et deviiit dans la suite le plus grand .sculpteur de son siecle. Nous pourrions en citer beaucoup d'autres. Cependant les ouvriers en or et en ar- gent ne sont pas les seuls qui soient parvenus a s'immor- taliser dans les beaux-arts. Le vieiix peintre hoilandais Qiiciitin Metsys etait, dans I'originc, forgeron et marechal ferranl; c'esl poiirquoi on le couuail encore aujourd'liui sous le nom de Furgcron d'AnvcTs, ville oil il exercaitson humble profession. Frnppo dans sa jeunesse d'une inalaJie grave qui affaiblit a tout jamais sa cor.stitution, il fut oblige de renonccr a scs p6- nibles travaux, cl de se livrer i la fabrication d'oiijets d'ornemeni dclicatcmcnt Iravailles en fer, et Ires-recber- ches a cettc rpoqi.e, sciil moyen qui lui restat Je gagncr sa vie et celle do sa mere. 11 ne tarda pas a acquerir dans cetlepartie une grande reputation ; le couvercle el \'enlou- raije d'un puils (dajis le voisinage de la grande eglise ) ouvrages de la sorle, lui flrent surtnut beaucoup d'lion- neur;mais ce genre d'occupation etait encore au-dcssus de ses forces. II ne savait quel ijarti iireudre, lorsqu'uii de ses amis, frappc de la m.nniere dont il avail execute les dessins dans ces derniers travaux, lui conseilla de s'a- donner uniquement an dessin,et do s'exereer d'aliord en peignant des images de saints que les differents ordres rcligieux de la ville out riialjitudc de distribuer an peuple a I'epoqiie de cerlaines processions solennelles. Metsys Irouva I'idee bonne, I'adopta, et reussil au dela de ses es- perances; il s'appliqua des lors a I'etude de la peinturc avec tani de zele et do bonheur, qu'il sc fit une haute re- putation de son vivant, et laissa plusieurs ouvrages genc- ralement estimes, parmi lesquels il faut tiler les avarcs, maintenant au palais de Windsor, el qui out etc souvent graves. Ce tableau est assuremenl digne de sa reputation. II rcprusente deux pcrsonnages fort occupcs a compter de Targent ; ravidile, la satisfaction qu'ils eprouvent se pei- gnent admirablemeul sur leurs pliysionomies. Cependant on y reconnait I'cxpression d'un sentiment naturel, autre que cclui qui appartient seui au caraclere de ravarc. Metsys a voulu peindre probablenu'ut des banquiers et des usuriers de sa ville, doni le plaisir s'aninie a la vue de I'or, de leurs richesses, des billets de banque, el de cettc fortune enfin, dont la possession est fortcmcnt apprcciee; de tons les accessoires, le chandelier, les rouleaux de pa- pier, le |ierroquel, sunt rcndus avec unc lidelite sans egale. LE COURAGE MORAL En tons cas, raiivre etait Lion capaUe de flccliir ccUe femme qui, dit-on, accorda son ccciir et sa main au peinlre, apres avoir dedaigne le forgcron. De nos jours, Jules-Cesar Ibbulson fut d'abord peintrt de navires, puispaysagisle si remaniuable, que M. Westle compare i Bergheni, un dcs premiers artistes hollandais de ce genre. yVitliam Kent, autre artiste anglais, qui fut a la fois peinlre d'hisloire et de portraits au commence- ment du dernier siecle, plus coiinu encore comnie archi- tecte, et qui introduisit le premier parmi nous ce genre gracieux et pittoresque adopte dans I'arrangemenl de nos jardins, acquit les elements de son art chez un peintre carrossier qui le payail comme apprenti. Fran(ois Towne, paysagiste, plein de gniit et d'babilelc, s'eleva de la meme maniere. Jean-Joseph h'irby, qui, vers le milieu dudernier siecle, se dislingua par sa collection do dessins, repre- sentanl les monuments et autres antiquitiis de Suffolk, fut elu mcmbre de deux socictes savantcs, conmienca par etre peintre en hatimenls. Le celebre peintre italicn Schiavini appartenail a une famille si pauvre, qu'elle ne put aider en rien au developpement des prodigieuses facultes de leur enfant. Mais il travailla seul avec tant d'nrdeur, que le grand Tilien le remarqua et lui confia la peinture du plafond de la bibliotheque de Saint-Marc. C'cst en gravant des armoi- ricset autiesobjetsde ce genre, apprenti chez un orfevre, que le faineux Hogarth decouvrit le premier germe de son talent, et Unit par se ranger au nombre des premiers ar- tistes. William Sharp, donl tout mnnde connaitles excen- tricites, et qui fut assurcment un des plushabiles graveurs que TAngleterre ait jamais produits, passa plusieurs an- neesde sa vie a graver des collections de chiens, et des nonis sur les plaques. Robert Bead, autre graveur en re- putation, s'occupa uniquement, dansl'origine, a graverdes cartes de visile, et enfin, William Caxton, le celebre fondeur en caractercs, commenca par graver des ornements sur des canons de fusil, il panit de la et fabriqua des lettres pour les imprimeurs. Jl. Dowyer, ayant, dit-on, apercu par hasard quelques-uns de ses essais, fit connais- sance avec lui, le conduisit un jour a la fonderie de Bar- tholomeclose, et, apres quelques explications sur ce genre d'etablissement, il lui demanda s'il se croyait capable de tailler lui-meme des caracteres. Caxton exigea un jour de rellexion et repondit affirmativement. M. Bowyer, ainsi que deux de ses amis, lui avanccrent une petite sommc wee laquelle, sans autre preambule, il commenca son jouvel etat. Sa reputation s'accrut rapidemenl et a'un tel point, qu'il fournil non-sculement des caracteres aux im- primeurs anglais, qui, jusqu'alors, les avaienl tires de la flollande, mais en expedia frequemment sur le continent. Ces hommes, ainsi que beaucoup d'autres, ont eu d'au- tanl plus de morite qu'il ont eu a surmonter un grand desavantage. II a fallu rcparerle temps perdu, revenirsur lesprincipes elementaires pour reussir dans la carriere nouvelle qu'ils adoptaient, rompre avec des habitudes prises depuis longtemps, etvaincre enfin la repugnance que nous cprouvous tous a nn certain age, quand il s'agit de se sou- mettre a la discipline d'un apprentissage. (Juoi qu'il en soit, nous voyons que la perseverance et e desir tres-louable d'arriver au but les a soutenus dans ia lutie et les a fait Iriompher. Ainsi, Olivier Cromwell, celebrile d'un autre genre, qui ne livra jamais une la- taille sans la gagner, avait plus de quarante-deux ans lors- qu il parul ii larmec. L'immortcl Blake, son conlemporain DANS LA JEUNESSE. 177 ( ne la meme annee que lui ), qui passo pour le fondaleur du systeme de tactique adopte depuis par les armees navales, et qui osa le premier attaqucr une batterie avec des vaisseaux, n'aVait jamais ete sur mer avant I'agc de cinquante ans. D'autres se sont faits ecoliers a un age avance et mcme elanf vieux, pour acquerir des connaissances litterairesct scienlinques ; non intimldes par les nombreux obstacles a surmonter, ilsont poursuivi courageusementleurstravaux, impatientsdejouir de I'education dont ils etaient prives, soil par des circonstances parliculieres, soit parleur propro negligence. La vie de I'homme est courte assurement, et si la paresse I'entraine dans ses jeuncs annees, il en gas- pille une intmense et effrayante portion. Voici done le ve- ritable moyen dereparer les pertes etde multiplier le peu de jours qui nous restent. Nous faisons cepeiiJant une dis- tinction entre ceux qui se sont distingues par leurs con- naissances tardives, etceuxqui ontpu .se familiariser avec une branche nouvelle d la suite d'une education soignee et complete. Le temps de I'homme dcvoue a la science s'e- coule dans des rccherches el des progres continuels qui se terminenl seulemcnl avec la vie. Par exemple, celui qui poursuit I'etude dcs langues, est oblige de s'occuper des regies de la grammaire jusqu'a la fin de ses jours. Sir William Jones, ce savant prodigieux, qui ajouta a la va- riete de ses connaissances celle de vingt-buil langues elran- geres, etudiait encore la grammaire de plusieurs diulectes orientaux une semaine avanl sa niorl. Nous devons citer pour modele de perseverance et de courage inlrqiide, Thomme qui se livre lard ,i I'etude des langues etrangeres ; Caton le Censeur, remarquable sous tous les rapports, nous offre une preuve eclatanle de celle force de volonle, lorsqu'il enlrcpril, dans sa vieil- Icsse, I'clude du grcc dont personne ne s'occupail .i Rome a celte cpoque. Alfred le Grand, un des plus grands ca- racteres liistoriques, nous apprend aussi lout ce que les hommes peuvent acquerir non-seulemenl a un age avance, mais encore lorsque I'education premiere s'est commencee lard; Alfred, a douze ans, ignorait ses lettres. Voici I'a- necdote interessante que Tbistoire raconte sur I'origine de son gout pour I'etude. Un jour sa mere lui montra, ainsi qu'd ses freres, un petit ouvrage rempli de lettres et autres ornements colories, selon la mode du temps, qui excita vivement I'admiralion des enfanls. La mere proniit de le donner en recompense a celui qui saurait lire le premier. Alfred, quoique le plus jeune, elait, a ce qu'il parait, le plus ambitieux, il se procura un maiire, se mil serieusemenl d ri'tude, et fut bienlot en etat de recevoir le prix que me- ritait son travail. Cependant les guerres, les troubles du royaume, les tonrmenls et les privations qui assaillirent Alfred jusqu'd vingt ans, I'empechcrenl de pousser ses eludes au deld des elements de la lilterature; les memes • obstacles exislaient encore apres qu'il eut reconquis son trone et pacific le pays, a cause de rextrenic difficulte a se procurer les niallrcs necessaires. La pluparl des gens in- slruits avaient disparu a I'epoque des derniers troubles. Alfred nous apprend lui-meme, qu'au commencement de son regno quelques pretres seulenient , dans le nord du pays, savaient traduire les prieres latines de I'Eglise. Grace dses actives rccherches et aux secours qu'il demanda aux pays etrangers, il linil par reunir d sa cour plusieurs hommes des plus habiles de ce siecle obscur, et voulant metlrc a profit I'iustruclion qu'il recevait d'eui, il s'aban- -^^^r^ 25 17S donna au travail avoc un cnnrafc cl nno ilocililo qu'on nc saurail troi) aJniiror. Malgrc Ics affains |)iil.lii|\ics ct scs nombrcuscs prcoccupalioiis, malgrc la cnicUc maladie ([ui le tourmcnlait sans ccssc, il consacrait, dil-on, loutcs scs heures do loisir jour ct nuit a lire ou a entendre lire. Ce- pendanl, s'il faut en croire Asscr, I'un de scs maitres, PETITS VOYAGES (|ui nons a laisso Jc son royal elovc line Ires-inti-ressante l)iograiiluc, il avail ircntc-neufans passes lorsqu'il cssaya de Iraduire du latin. Unjour, CTi causant comme d'habi- lude avec Asser, le roi, frappe d'une citation latine faite par son mailre, dcsira que le passage fill inscrit sur un petit manuel religieux qii'il porlait toujours avec lui. PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE. £A lOIRE, SES BOBSS ET SES SOCVEMIHS. De Marclgny a Digoin. - De Diguiu i Blois. — Do Dlois i Saaranr. Paysan 3es environs de Blois. Adicn m\ roclies noiratres, aux tristes aspects, aux sau- i Ics horizons se degrgcnt, les colliues s'alaisscnt, le ciel va"es el melancoliques grandeurs de la nature 1 Peu a peu. I sourit. La vieille ville de Roanne n'cst pas encore bien gaie ; on esl en plaine; la lave el le basalte n'aflligent plus le re- gard ; mais le suufne volupteux de la Touraine ne se fait pas encore scntir. Bientot Ics cultures deviendronl plus fe- condes. Nous approchons du Berry, pays charmanl, i^ai coinme la Touraine, encore un pen sauvage corame I'Au- rergoe. SUR LES lUVlfellKS DE I'liANCE. 170 Voif-i la Mollie-Sainl-Jean, qui n'a plus rien du carac- tere siivere et basaltique di.'s roclics auvcrguales. C'cst assurement un des plus beaux paysages dc France, Ci qui exprime Men le passage d'une region austere a une legion rianle; I'ccil se peril avec cliarme dans ccs lointains et doux horizons qui signaleut ces voiles glis- sant comme des cygnes, el se repelanl dans I'eau trans- pareote. La Moilic-Sainl-Jcon. AvancoDs encore. Les plaincs s'clalent et se deroulent en longs rcplis veidoyanls ; plus do coUines, encore moins de monts cscarpes. A Nevcrs, la physionomie a tot'alement change. Travcrsez la ChariU, Gien, Orleant, Bemgcncy : oui, Kcvcrs. c'est bien Id celle fertile Touraine qui ne fournit a I'liis- toire littcraire que des souvenirs gais et rianls, et doiit Ics illuslralioDs soul toutes marquees de la mome enipreinle de bonne humour joviale qui semble respirer autour des villes de Tours et de Dlois. C'est la patrie de Jehan de Meung, le poete satirique qui ccrivit le Roman de la Rose; de ce plaisant Rabelais donl il faut bien dire un mot a nos jeunes lecleurs, car c'est le type de la Touraine elle-meme. « II exislait, dit un ancien critique, vers le commence- ment du seizieme siecle, un frere cordelier d'une imagina- tion vive et d'une prodigieuse memoire, preJicateur rc- nomme et boufl'on agreable, fortaime des gens dumonde qu'il arausait, et tort pcu de ses confreres qu'il cffacait; emprisonne par les moines, et protege par le pape ; bcue- dictin apres avoir ete cordelier, medecin et chanoino apres avoir etc henudiclin ; ahsons d'aposlasie pour avoir cgaye les cardinaus et le saint-pere; enfin retire a Meudon, il la, medecin de son diocese et pasleur de ses malades. C'est alors qu'il publie le plus fou, le plus raisonnable, !• plus grossier, le plus spirituel, le plus adroit, le plus hardl des livres. Quel est le vrai caractere de ce singulier ecrivain ? csl-c* un rouiancier extravagant qui ne merile ni I'allention ni I'cslime des hommes qui pcnsent? est-ce un philosophe adroit qui, en se moquant de tout ce qu'on hnnorail, de tout ce qu'on admirait de son temps, a vu qu'il n'echap- perait a la colere du siecle qu'en se couvrant du niasf|ue de la folic ? a-t-il ecrit pour le vulgaire eu prodiguant les faceties obscenes et les contes licencieux? a-t-il ecrit pour les sages en renferniant dans ses plus folles conceptions un sens si proCond et des lefons si solides? est-ce ud pro* 180 PETITS VOYAGES fanalnur dcs iiKKiiis ct de la religion, qui en outrage la sainlele au lil mome dc la niorl? csl-ce iin preire d'une foi sincere, qui rcspccle Dicu on se jouanl dcs honimes? Ces opmions si conlraircs ti'ouvcnl de quoi s'appuyer et se defendre dans la vie et dans les ouvrages de Rabelais. Aussi jamais auleur ne fut-il si diverscmcnl jugc ; on le Clois. nxcprise, on I'aJmire; son livre est le char me de la ca- naille, ou le mels des plus Jelicats (1). Voltaire a parle de Rabelais avcc plus de moderation, en btamant dans ses ecrits robscurite, I'ennui, les obscenitcs; il convieiU qu'il y regnc de la gaiete, de I'erudilion, et qu'on y Irouve de bonnes bistoires (-2). C'est a son avis qu'il fauts'en lenir. Le cure de l.ieudon n'a merite ni reulliou- siasme systematique dont on s'est anime pour ses ouvrages, ni le superbe dtJain dont ils out cle I'objet : il y a igno- rance ou prevention a le mupriser, commc il y a mauvaise foi ou aveuglenjcut a I'admirer parloul. Les opinions sont divisees sur les allusions comme sur le merite de ce livre extraordinaire. Les uns ont pretendu avec injustice qu'il elait inexplicable; d'autres, par im cxces conlrairc, ont vouhi tout comjirendre et tout cxpli- quer ; ils ont reconnu Louis XII dans Grandgousier, Fran- cois 1" dansCargantua, Henri II dans Pautagruel, le cardi- nal d'Aniboise ou Jean de Montlue, , <5vL'que en Alle- magne, mort en 1038. St Mallulfe, evcque de Senlis, mort vers la fin du 6* siccle. S.Ijuiidfi. StPieV, pape, mort en 1572. II jiuriaitpour nom dc ramille ccluidcltlicliel Cliislcri. C'esiua des plus grands pDuiires de oos temps tuodenies. St IIiLAiitE, evcque d'Arles, mort en 449. 11 a bisse i>lusieur5 ouvragcs «xcc!Icms, et iduaicurs auires sc soni pcrdus. St Sabdos, (iveque de Limoges, mort dans le 8*^ siccle. U. Ifiardi. St Jean devant la portc Laline. C'esi la fete du marlyre de I'a- pOireSl Jean, qui fui mis dans unccUaudiere d'liuilo biMtiibme, anpri-^s dcia porle dile Laiine, a nonic, el qui en soiiii mnacu- k-u.^ciuenl prcsrrve. Ce iiiaitirc eui lieu eu I'au 95. St Jeas Damascene ou de Da- mas, pure de I'Eijlisc, murl eu 78U. 7. Ucrcrecli. St Stanislas, evcque de Cracovie. en Polognc, marlyr en 1079. St BENuiTlI.papc, niurU'nG85. St Valehils, evcque d'Auxerre, mort au S'^ siecle. Si Sebe.ve et St Cehemc, frc- res, rcclus du diocese de Seez, morls au 7* sicclc. 8. aVeucli. L'Apparition de St WiCHEL en plusieurs lieux, Ct notanimenl au monastere de Si-Michel en Normandie, pres d'Avranches. St Piehue deTaremaise, arche- vcque de cctle vilJe, en Sa- voic, mort en 1174. St Victor, martyr a Milan, 505, O. Veiidredi. Si Gregoihe de N.4ziANZE,archevcquedeCon- slanlinople et docteur de I'Elilise, morl en oS9. Scs ouvrages en piuse et eu vers grecs suni nomljrcux ti re- ma rquables. St Hermas, disciple desapolres, niortau 1" siccle. DO. Kamedl. St Antom.n ar- clicvcque de Florence, mort en 1459. Scs (cuvres iheologtques som en i vol. in-fol. St Gobdien et St Epumque maityrs en 250. Ste Soi-ance, vicrje marlyre prcs de Bourses, en 880. St IsiDoriE, labourcur et palron de la ville de filadrid, morl tnino. 11. l>lniniirl)C. Saiutjourde lA I'tMLLUTE. (Voy. Tariiileainsi inhiule ) St Maweut, evcque de Vienne en Uaupliine, morl en 477. St Maveul, abbe de Cluny , morl en 1)94. St Gengou ou Gengoul, martyr en iiuurgogne, en 7G0. 12. Liindi. St Nehee eL Sr AcniLLEE, martyrs, 2^ sii-cle, St Pascuace, martyr a Home, en 5U4. St EriPiiAKE, arclieveque de Salamiiieen Cliypre, pcre el docteur dc I'Eglise, mort en 4U3. Les (Tuvrcs de ce ptre soni eu S vol. iu-fol. 13* Mardl. StJuuen le Si- LENCiAiiiE, evcque, puis soli- lau'e, en Armenic. mort en 559. Lu silence absnlu qti'il g,ird.i pendaui les quatie di-nniTcs aiinecs de sa vie lui a fail dunncr |p surnoiii ci-dessus. Ste Acnes, abbessc de Stc- Croix de Poitiers, morle au 6^ siccle. 14. Slercredl. St Boniface, martyr en Cllicie en 507. St Pacome, abbe de Tabenne, insUtuleur des cenobites , morl en 548. Sr Pons, martyr en 258. La ^iile de St Pons en Lan- gucJoc I'll a pris Ic iioin ; etic s'apiu'lait aujiaravani Tomicrcs- St EnEMCEUT, cveque de Tou- louse, mort en 071. — Oualrc-Temps. 15. «Jeadl. St Pierre deLamp- SAQi'E et ses compa^nons, martyrs a Lampsaque, dans I'Asie BJtncure, en 250. St Cassius, St VicTonis, St Maxime et plusieurs autrcs martyrs en Auvergne , vers I'an 200. St EupuiiAisE, cveque dc Cler- mont en Auvergne, mort en 514. 16. Veudredl. St Jean Ne- poMccENE, martyr en Jjolnjme en 1583. L't'iupereur Venceslas le fii niouiir, parce qu'il n'avait pas vuulu reveler la confession de rimpt'iatrice, son epouse. St SiiiOiN Stokc, 6* general des Carmes, mort en 1265. St UriLTi, evi'qiic dc Nnliie, en Ombric, morl en 1100. Qualre-lcmps. 17. Kaiuedi. St Paschal Ba- bylon, IVanciscain, niort en 159.'- — Qiiatre-lenips. St PossiPiiis, Cveque en Kunii- dle, disciple de St Augus- lin, morl en 450. Ste Fra5!kl'se, comtcsse de la cour de Dagoberl 11, mork- au 8^ siccle. 16. Uinianrlie. F^te lie la trcs-Ste TniMTE. St Eiuc. roi de Suede, martyr en 1151. St Tiieohote, cabarclicr, cl les sept vierjresses compapnes, martyrs en Galalic, en 505 St Vekance, marlyr en Italic, en 250. 19. LiUiidl. St Pierre CcLts- iis, pape elu m.ilgre lui, ct puis dcmissionnnire, morl en prison en 1290. St Dunstan, arclinvcque de Cantoibi'ry, mort en 988. St Hacuife, evcque d'Arras, mort au 8^ siccle. •SO. SlHTlli. St BlRNARtUN RE SiENNE, rcligicux deSt Fran 5ois, morl en 1444. St Bauuile, martyr a Mines au 5^ ou 4'^ siccle. La Frame ft I'Espagnc mil beaucuup d'lgliscs placees sous £ous son invocation. St EriiELtERT, roi des Est-An glcs, martyr en 795. St Yves, celcbrc evcque de Chartres, mort en 1115. II est auteur U'lin granu nimi- bred'ouvragissur le droit canon, la liiurgie, eic. 21. Hercredi. St Felix vi Cantalice, capucin espagnol. mort en 1587. StHosmce, reclusca Provence, morl en 021. St Gorry, crmile en Angle- terre, mort en 1170. 22. Jeudi. St Yves, cure en Bretagnc et olficial, patron desavocats, mort, 1505. St Beuvon, genliihonime de Provence, mort en 985. 23. Veudredl. Ste .Iulie vicrge marlyre en Corse 5® siecle. St Didier, eveque de Langres, martyr en 411. St Sucre , ev-jque de Nice, mort en 787. 24- Samedi. St Vinxent be Lerins, morl en 450. Ce saint est celcbre par son ouvrage dit Conimonitorium. 197 St Dosatikn ct St Uugatiln, m,irl\rs ii Nantes, en 287. S. GeiiL.M'ML FiiiJiAT. solitaire a Morldin, mort a la liu du lie siccle. 25. nimniicliP. En ce jour, rEi;lisc celcbre soIciuilIIc- mcnl en Fraiicela Flte-Uieu. Ailleurs, c'cst le jcudi pre- cedent. (Voy. I'ariirlesous re lilre.) aG. B>undl Ste Marie-5!a- DCLriNE DE pAzzi, viccgc caf- mijlile, morte en 1607. St I'riiiAiN I, pape ct martyr en 250. Ste 5Iaxiiie ou Macxe, cl StVe- VERANO, martyrs au diuccsc d Evrcus, au 6^ siecle. St Pun iiTE iiE Kliu, I'ondalcur de rUi.iloirccii llaiie, mort en 1595. I cs oraloriens de France fu- rciil foiiiics par Ic saiiii canlinal dc UoiiiUe. muri en 1G29, pcu- d'ltii qu'il disait ):i inessc. St AiiiUSTiN, apolrc d'Anglc- tcrrc, morl en 004. '•im. Manli. St Jeas I, pape el martyr en 520. St Behe Pcre dc lEglise, Ic llanibeau de i'An^letcrrc, morl cii 755. C'csi uii des plus illustics ^ciiwiiis du cailiuIiciMne. US. Mfpci-edi. St Germain, cveque de P.iris, la ^loire ifc I'Eglise gallicane, au 0' sic- cle, mort en 579. C'es! le vocable de la paroissc St-GcruiaiiJ des I'rcs, a Paris. St CiiEi.oN, marl\r prcs dc Chartres, a la liu du 5* sicclc. 29. tBeiidi. St Maximin, cve- que deTicvcs, morl en 549. St CvRiLLE enlaiil, martyr en Cappadoce, au 5" sicclc. St CoNuN et son lils, mai-lyrsa icomum en Asic, en 275. 30. Veudredi. St Felix I, pope et marlyr en 274. St Feuiunano 111, roi de Leon el dc Castillc.mort en 1252. St Malci'ille, solitaire en Pi- cardie, mort en 685. 31. Saamedi. Ste Pethosille, vieiga, qu on a considiJrce connnc lille dc St PuTre, ou du nioins comme sa fiile spi- riluclle, morle au 1'' sicclc. St Cant, St Cantien, Ste Can- TiAMLLE, Icur scEur, martyrs dc Rume, en 504. St IliiTOLVTE Galantini de Flo- rence, canonise par Leon XH, le 51 niai 1825, mort 1019. I'JS CHROMQL'ES CHIIONIQUES ET LEGENDES DU MOYEN AGE. £A VIERGE DX REKONOT. II y a dans les monlagiics du Doubs des lieux pen fru- quenles pnr les voyngours curieux, et qui ccpendant mOri- tcnirnlli'iilioii dcsnnatimrs ; dans ce nombre nousplarons vile I'i'glise do riemonnt, creusee par la main de la nature dan^ ini rocher l.iillc a pic, et oil Ton nc penetre quo par un cscalicr rapide de cent marches. Or, sur cet endroit de prie- rcs, voici uno legende non moins inlcressante que veri- table : Un jour, lorsque tout paraissail dcji sombre et que le solcil venaitlenlemcnt de s'abaisser dcrrierc les bois pleins de himiere ; lorsque dejii les rimes hclveliipies semblaient se couvrir dps p;iles hicurs de I'astre de la nuit ; un de ces soirs si beaux Jans les mnntognes, avec le calme des champs ct la pais du ciel , quand on enlendait I'onde se plaindre mnllemcnt vers le rivage du Doubs, et que la brise, bcrcaul le feuillage et les lleurs, portail a Dieu, conimc un enceiis, les doux parfums du jour. Chariot, jeune berger, orphelin du village de Ilemonot ; Chariot, viclime dii malheur, qui miu-it rbomme avant I'age, assis sur un rocher, se livrait Iranquillement a ses reves, tandis que ses cbevaux, errant dans la plaine, foulaient rherbe d'un pied mutin.Toula con|i la feuillee s'ngite pres du pSlre; il est reveille de ses distractions. — II ccoute... il respire plus has... il a peur. Une dame au front majeslueux et couronne d'cloiles, louchant a peine le sol de son pied leger, apparait a ses yeux. Est-ce un ange? est-ce une reine? est-ce une fee? Dans son port il y a quelque chose d eirange ; sa levre vormeille n'a point un rire ordinaire; son front brille de reciat de la rose mystique ; son regard pudique est renq)li d'une ineffable douceur ; tout dans elle commande le res- pect et I'amour. CependanI, comme elle se halait, vnila que son long manleau d'hermine se prcnd et s'embarrasse aux poinlesd'un eglanlier touffu Cet obstacle devait I'alla- cher et la retenir dans celte position penible, lorsque Char- lot accourt : II se bate, et, d'une main soigncuse, il deta- che les longs plis brillanis d'or de la noble dame... Mors pleine de joie : — « Enfaiit, lui dit-elle, ton obligeance nierite gratitude; tu I'auras. Je suis la reine du ciel! — Pais un vieu ; — la-haut mon pnuvoir est immense ; fais un vreu, mon enfant. — Cboisls avec prudence: fais nn v(cu , il s'accomplira.. Veux-lu le bonhcur etcrnel du paradis? » Au nnm de la reine du ciel, le prilre se prosterne la face conlre terre; il s'ecrie : n Sulul Marie ! mere des orphe- linsl... 1) L'ivresse du bonheur eteint sa voix Iremblanle. II s'etait dit bien des fois : « lleureux rbomme qui, pen- dant sa vie, obtient ce qu'il convoile!... Jlaiutenant, em- barrasse du choix, il reslait pensif. Son ange lldclc, ce ce- leste conseiUer qui berce noire enfauce a Tombre de son aile, et porte notre ame ii Dieu quand Thenre a sonnc notre dernier soupir; son ange inspirait ii son cocur de smistres pensces, et deja sa bouclie allait exprimer son vreu; il al- lait demander le ciel pour terme a sa misere... Mais le dia- ble etait lei, lui sifllant aux oreilles : u Deviens riche. Char- iot, devious riche, et tu feras merveillc pendant ta vie ! De I'orl do Tor! lui dit-il, de I'or! Ami, n'liesite pas. Quand ET LfiGENDES. la trisic vieillossc vicnl, quand la mort implacable rocl.mio, n'est-il pas toujours temps de ponser si'iieusemenl an bou- heur etirnel?... Crois-moi, Chariot, le p'us sur est d'a- bord d'etre heurcux ici-bas... » Et Mannnon romporle !... Chariot, les yeux baisses, d'une voix emue et totile lion- teuse, begaye ces mots : « Madame, puisque vous daigncz m'assister dans ces lieux, pardonnez! Ilelasi toujours nourri dans I'affrou.^e indigence, bien des fois j'ai n've le hixc et rabonjaiico. Je suis si jeune encore! je vou- drais bien en gouler... — Qui' tes vfcux soient acconiplis, repartit la Vierge, et puissenl tes ardenis desirs n'cde jnmats stiiris de quel- que amer regret ! Ta seras done satisfait. — Tu vas avoir de I'nr en abondancc. Ecoute. 11 est, non loin d'ici, dans cette meme vallee, une grotle noire et profonde sur la rive du Doubs, oii, pour garder un tresor, veille un dragon cruel ; ose y dosccndre , — et, arme de ce picux rosaire, tu ponrras encbaincr la colere du monstre et braver sans peril sa griffe et sa dent. Ne crains rien : tu sais que la voix du grand prophetr a dit : « Que Marie ecraserait la tele de I'anlique serpent. » — Tu vaincras en mon nom?Pars, sois forme et prudent. » Or, jeunes et chers lecteurs, il est necessaire que vous sachiez par quel hasard et pour quel puissant molif la Vierge s'atlardait ainsi dans les hois. Pros de Remoii'it, dans un roc olcve, il exisle un autre obscur et solilaire oil se tenail autrefois le sabbat. Le Dnubs, servant de ceinture aux abords de la roche, en defend rapproche du cole do 1 orient. Des rochers a pic des lour base et leur cime, et comme suspendus dans les airs, nc monlrent dans ces lieux, aux regards eperdus, qu'un abime effrayant el dan- gereux. Copendant nn jour, un vieil anachorete, cberchant une solitude plus profonde encore, arrive en cet endroit, fait avec du sapin un immense escalier, le suspend aux pa- rois du cratere ; la chose, il est vrai, semlde morvcilleuse, mais c'elail l.i I'oeuvre d'un saint Du haul du roc le fragile edifice menait a lanlre par cent dogres. Cost l.i que le reclus vivait seul avec Dieu. ^'oble guerrier aulrefois, dans ce sombre oratoire il immolait les plai-irs et la glulre pour acquitter OdelemenI, sans doule, un vtcu. L.i une image divine de la Vierge, conquise dans un temps par ce bonis, dans les champs de la Palestine, olail delmiil sous un dais forme de son pennon blanc, couronueo de son casque d'or, ayant pour Ironc son lourd bouclier ot sa brave epoo pour I garde d'honnenr. Des ce jour commcncent les prodiges : bieuloton s'approche de la grotle sacree pour prior avrc fervour lamndono; on en revient plus sag/ ou plus Inii- reux. L'eau qui baigne les plods de la slalue rend snudain jl la vue aux yeux eleints, guoril les tourments des loproux. ill Sa douce inlluence fait lleurir la paix dans les hamoaux on- vironnants, et repand ses tresors dans les champs aupara- vant stcriles. Les malhoureux, pour adoucir et calmer leurs miscres. lui confient, comme on fait a une bonne mere, I'un son espoir, un autre ses remords. Lorsque I'ermile cut termine sa carriere, le tresor dt- vin oxcila les envies de plus d'un manant; et vous allez voir quo, memo dans le sanctuaire, les gros ont trnp sou- vent mange les potils. Dans rabbaye de Mout-Benoit, un lier abbe, porlant mitre et crosse, un jour convoqua son ohapiiro D'un air soricux il se mil n dire : u Cost grand pilie, venora!>lps. qu'un nnir rocher, dans un lieu pordu, logo si nidjio daniol Fioro, jr la voux pour noire autcl, et des domain nous irons la quorir. » Cos paroles fi;rcnt i;n * I CllRONIQUES rommnnclomont. Done, iin maliii, rimr.qc sninlc csl ciile- vce , f I cc jour, mon Diou! on vil liion dcs yeux rcniplis dc grosses larmcs. La I'iclie callioJrali' tic Jlont-Bcnoil I'c- c.o'd alors, en pnmpe solennelle, la Vicrge, amour de nos moiilagnards. On la pl.irc dans un tabernacle richement prepare; Id on prodigne I'enccns en son honncur puiu' avoir d'elle nu moins un miracle. Mais vain cspoir I Lcs le- vrcs ennuyees d'un clianire oisif, d'un moinc I'aligue, no Lourdonnent que de I'aibles pricres, qui ne valenl pas, pour la bonne Marie, ces mnts du crcur ([ue lui murmurail le mallieureux dans la grolle veneree. Cependaut, dans Ic so- litaire vallon, tons croyaient avoir perdu une mere, clia- cun prevoyait des malheursl et la grotte, jadis si pli'ine, cstouvertc a tons lcs vents ct ne viiil plus que qnelquc passant qui vient y verser une larme. Mais Marie, au ciel, prend pitie des inforlunes. n Wcttoiis, dil-elle, un terme aux douleurs des ames afdigees ; 11 est si dons de vivrc pres des ctrurs puri ! « Mors, descendant sur I'antique cl orgueiUcuseabbaye, ellc en franchil li'gi'renient ct avec niys- Icrc tons les nuirs, el la, d'unc niainliabile et par un miracle, die ravitsa statue... — Quand le bergorla rencontra le soir, c'elait I'instant oil, desccndue du ciel, la Vierge immaculce iillait rendre I'espoir a Remonot en emporlant son imag.'. La Vierge disparut a ses yens, se prccipila dans des (lots dc luniiere , el si Chariot n'eiit cache sa face dans ses mains Iremblantes, il eut ele frappc de mort par la celeste clarle... Ilcrtut sortir d'un reve. Plus li'ger qu'un chevreau qui bondit dans les champs, il arrive a la grotte au merveil- leux tresor. Traversant I'inimense peristyle, une torche de ri'sine allumee a la main, il est bientul dans I'antre salu- lairc. Cependaut, quand il voit aux parois dc la voule que tout est noir, il se prend a tremldcr et se signe trois fois; niais il voulait dc I'or 1 — Le voila done qui se traine a tra- vers de longues coulisses ; il est pres de ceder au vertige fatal... Quand il parvient enlin a la dcrniere salle, on tout resplendit d'une lumiere etrange, des murs jaillil une Damme ctincelantecomme dans un palais de crislall il y voit suspendus en lustres de vivantes picrreries, des topa- zes, des saphirs; tout est ravissanl. Le [lalre, ebloui, aper- 9oit a ses pieds, plus presses que lcs grains sur I'aire dii riclie proprielaire, d'enormes anias d'or. — II y porte la main... Le dragon tout .i coup, de sa gueule enllammee, vomit avec furcur des tourbillons de soufre et de fumee , drroule avec vilcs.«e ses anneaux rocailleux, s'ljlance en inugLssant... Mais le malin et admit chevrier jclte le saint rosaire au con torlucux dc I'horrible monstre; le cerbere cruel expire sur le sol en gemissant. Tu triomphes, Chariot!... Sous ta vestc champetre tu vivais d'un pain noiret grossier. Que lu vas etrc hcureux avec cet amas d'or I Ta fortune, il est vrai, sent le soufre etle diable, mais pen imiiorle ; cclui qui partagera ta ta- ble et tes plaisirs n'ira point s'enquerir d'oii te viennent lcs richesses.. A peine Chariot a-t-il goule le fruit de son Ire.sor, que deja il reve honncur el noblesse; bientol grand seigneur. Par sa fortune immense, par son luxe, son faste, ( liar les de Rcmonol est vanle jusqu a la cour... Cepen- daut, quil'eut cm? .son cicur rcstait vide .. Une (emnie, |icut-clrc, comblera rabime qu'a follemcnt crcuse dans son ciL'ur lardeiite ambition ! Jadis, bn-squ'll etail pauvre, une borgerc, innocentc et pauvre comnie lui, elait dans son ca'ur pur; elle consolait ses maux , elle I'appclait son frere . Mais a M. Charles le riche il fallait un graiid noin : il le vent, 11 I'obllpnt. — L'or, coUc puissance mcrveilleuse, ET LLGENDES. 199 ouvre devant lui la porte cliez tousles hauls seigneurs, el pour lui fraycr le chcmin, l'or sail lout oplanir. Le |i,alrR Chariot, aujourdhui gcnlilhonmie, oublieux des amis qn'il laissa sous le poids de rindigcnce, des dcmain va s'unir au sang d'un riche baron. Alors, dans la grotte benie, se presscnt tons ensendile valets, pages, vassaux, landis qu'un eveque venerable, sous la pesnntc mitre et la crosse bril- lante a la main, benil eel hymen glorieux. Les nobles chS- telains environneni Charles et lui servent d'escorte, pen- dant que, pres de rentree, une bergere a gcnonx seule prio pour lui, les ycnx jilcins de larmcs; et, parnii cette foule rayonnanle dc plaisir, pas un ne fail allenlion a la pauvre plcnrcuse. Sire Charles mOme, I'ingrat! feint de delourner le regard, fier qu'il est de presser la main de sa noble compagnc. Enivre dn bonhcur , il monte I'esealier qui doit le rcndrc d.nns la plaine. Dej.i il atteignail le faite de la for- tinic, quand, roulanl des dcgrcs. il vint sur le roe se bri- ser la lele !... Epousc el fnnx amis, tout full epouvante. — Et la pauvre bergere?... la pauvre bcrgcre, a gcnoux a la porte, ful Irouvee, le matin, morlc a cote dc lui, ctrci- gnanl dans ses bras son corps ensanglanto. Quand mon picux grand pcre nous raconlait colle Iiis- toire, il disait en linissant, ct d'un accent snlcnnd : » Mcs enfanis, souvenez-vous de cet cxcmple, et apprcncz qu'il n'csl jamais Irop tut pour dcmander le ciel. » PETITS VOYAGES SUR LES PRINCIPALES RIVIERES DE FRANCE. I.A LOIUE, SES DOr.DS ET SES SOUVENinS. sriTE(l). TBADZTIOKS LOCALES OELA TOUBAinEET DS {.'aIMOU. Comme les fossiles qu'on retrouve dans lcs ontrailles de la terre indiqucnt aux savanis les differentes cpoques oil des families d'etres inconnus de nos jours ont vecu; — de mi'me les supcrslitions cl les usages encore en vigueur dans les districts et les communes de la Touraine indi- qucnt aussi lcs cpoques ou lcs Druidcs, les Remains et lcs Francs out etc mailres du sol. Ki le temps, ni le melange varie des races n'onl efface la profonde impression des croyanees et des pratiques religieuscs oubliees dcpuis des siedes, apres avoir scrvi de regie a ces liomnies qui etaienl autrefois souverains du pays, et qui formaicnt la population de I'ancionne Gaule. La celebration du [iremier Janvier, dans la pliipart des communes de I'arrondi^sc nicnt de Loches, tire evidemment son origine des coutumes drui- diques : on I'appelle Vuguillmnicn ou aguilUmcs. Tons les paysans vont, ce jour-la, de maison en mai.son, sonhaiter une heureuse annee a Icm's voisins, demandant ii grands cris lcs agiiillaunen. ce qui leur vaul en general un petit present. Dans les villes, on donne ct recoil les etrennes; niais a la campagne, I'aguiilaunen a pour but de rappe- j(| rcj. Ion" IV, p. I3J. !')0 TETITS VOYAGES ler Ic lonips cu los Drnnlcs cnii]iniont, avcc iin coutoau d'or, Ic gui sacre {i>ar.ibUc Ju clii'iic), qii'oii jcloit dans un drap de loile blanche, puis ((n'on disliibiiait nu pciiple, en ciiant : « A gui I'an ncuf; » d'oii vicnt le niolajuii- Saumur. launcn. On allribuait a cclle planlc dcs vorUis spccialos conlre plusieiirs maladies cl infii-mites, tellcs que rcpi- lopsie, la slenlile, le poison, etc. On I'eslime encore bcau- coiip aiijonrJ'bui, surlout lorsf|n'clle provicnl dii cliene memcToiil povle a croire eepondant que cctte plantc, qui |)assc pour parasite, n'est pas le giii ordinaire, niais une planle allicc peut-etrc, le lorcnthus cumpmis, qui csl tres- alioiidanl sur le cbtMie dans plusieurs pays de I'Europe, et rcssomljle infiniment au 171a'. La Uis-Ilergere, autre lete ancicnne, a lieu le jour de la Ouinipiaqcsime, c'esl-a-dire, le dimancbe gras, Lcs bcr- r;ers de cliaque haineau se rassemldeut en plcin air, si le Icmpsle permct, apporlont aveceux dcs provisions de pain, de vin, de laid, ct surtoiildes (Eiifs appelcs a jouer le prin- cipal role dans la ccremonie. Aucun dcs domestlques eldcs ji'uncs gens qui babilcnt les fermes voisines ne manque a cclle fiHe, el la nuit se passe a chanter et a danser. Le IHmaiicIie dcs brdinhnis se cidebrc dans la soiree du pri'micr dinianclic de carcuLC. Des qu'il fail null, les jeunes garrnns ct les jeunes fdles dn voisinage parcourent les champs de bles, tenant a la main une torclie cnflammee. Dans le lierri , lis portent de grands batons surmontes do paille en feu. Queli(uefois leurs torches se composent de liges dessechees de hoiiillon-hlanc reconvertes de goudron. II s'agit d'allera ladt'converle de la unicllcB oude I'ivraie, qn'ils regardcnt commo Ires-prejudiciable a la moisson. La recherche dure une demi-hcure, apres laquelle ils retour- neut cliacuu dans leurs fermes, oil un festin les attend, compose en [larlie de crepes, le metspar excellence, qn'on distribue anx jeunes gens, en proportion de la nielle qn'ils rapportent. On pretend que cetle fete leur vient des an- ciens qui rcndaicnt houneur a Cybele ou Ceres , symboles idolatriques de I'agricuUure. La veille de Noel , on garnit le foyer de la plus grosse bCiche qu'on puisse rencontrer : c'est le souche de no ou fercfcu. Lecliefde la famille monte dessus, et crie trois fois a haute voix ; No, no, no, que ce jour est serio pur Ic bon Dieu el la bonne Vicrgc ! Ic ferefeuest au feu! Qu'on se incite a genoux. On dit ensuite \m Paler twstcr, un Ave Maria, suivis de chants qui se prolongent j.isqu'a la messe de miuiiil. i\lais, avant le depart de la famille, on dislriliie de la nourriture aux bestijux. 11 est expressemeut defendu d'approcher de relablc avant la fin de I'officc ; car, celte Huit-la, tous lesanimanx out la faculle deparlercnireeux; et malheur a celui qui ecoute leurs conversations. On ra- conte dans le pays, de generation en generation, I'histoirc lamentable d'un imprudent econleur, et pas un des paysans de I'cndroit ne doute de sa verile. Certain proprietaire d'autrefois, tres-curieux de savoir ce que les boeufs avaicnt a se comninniqner, se caeha dans I'clahle; des que niinuit eut Sonne, il entenditnne deces betes dire a une autre d'uuc voix terrible : « Que fcrous-nous demain?— Nous con- si. Lorsqu'unc maladio epidemiquc se declare, on croil echapper au danger de la contagion on sc prncuranl les nouveaux jets d'un Bguicr ; on les coupe en mnrceaux d'un ponce do long, on les cnll'.e comnie un cli.ipelet, el les gens credules le portent en guise de proscrvalif. C est ainsi qu'ils se preservenl de la maladie, ou bien ils se gue- rissent promplemenl en cas d'alta((ue. Bien des femmcs mariees portent des amiilelles qui les prolegeiit au moment de Ieurs couches. L'une se nomm(! ciu\muiUiie, espece d'anneau qu'on porle, soil au cou, soil au doigl, dans le(iuel se trouve une cra\mudine ou un« dent de requin ; I'aulre est un ruban de sole blanche de denx metres cinq ccnlinielres. Quand la niort frappe quehpie individu, on se h.ile, dan', la maison, de Jeter le vin et lous les liquides possibles, de peur que r.inie du defunt no vicnnc a y lomber. S'il s'agll du pere, on courl aussilOl I'rappcr doucement SUR LES lUVlEnES DE FllAN'CL'. 203 a chaque ruche d'abeillcs, en disanl : « Mes pclits; amis, « soyez Iranquilles ; vous avez perdu voire mailre. Cepen- « dant, ne nous quitlez pas ; nous prcndrons loujours soin « de vous, et nous vous trailorons liien. » On allache aussi un morcenu d'eloffc noire aux ruclics, afin que Icurs habi- Innls s'associent an ikuil dc loute la faniille. Personne I'ignore que si Ic mailre de la maison s'emporle, jure el le querclle, sos aboilles ne prospcrenl pas conime celles qui ipparliennent a unc faniille on regne toujoiirs la honne iiarnionie. r.'cst pnnrquoi on dil souveni, en parlanl d'une somme gagncc peniblement ; « llol eel ardent est liicn bon pour « achcler des abeilles. » Les Coquards ou OEvfs de cnq. — Voici encore unc au- tre bizarre croyance du pays : les anifs nains pondus par . les poulcs sont atlribues aux vienx coqs, ct quand ils vien- nent a eclore, ils produisent le basilic, cc terrible animal, espece de dragon aile, dont un seul regard pent aneantir I'elre inforlune soumis a son inHuence. Si cepeiidant un homme fixe le premier ses ycux sur le basilic, le monstre incurt a I'instant. On m'a raconle la meme chose en Bretagne, et j'y ai vu un puits dans Icquel s'elait refugie autrefois nn crocodile doue du meme ponvoir destruclif que Ic basilic de Tnn- rainc. lleurcuscmcnl qu'un jour I'animal toniba mort sous le regard terrible d'un hommc qui avail devance le sien. Les Loups-Garous. — C'cstlenom qu'on doniie aux gens pxcommunies el aux miserables (pii onl vendu leur ame au demon, lis sonl obliges de prendre la forme dcs loiips, ccs animanx clanl fort rarcs mainlenanten Touraine. Les brous onl disparu du pays avec eux, mais tout le monde croit encore a leur existence. Les Brous derivcnl sans doute leur nom du vieux mot armoricain ftrous, qui vcut dire bois, parce qu'on protend que ces creatures galopaient loute la nuit u traversles forets ct les bois. Je liens de gens a.ssez moderes en fait de croyau- ces superstiliiiuses le recil suivanl. Joseph Guebin, petit proprietaire, qui ne craint ni les revenants, ni les fees, ni les magicicns el .sorcicrs, connail deux brous qui depuis longlemps batlenl le pays la null. Ils habilcnl lout pros dc lui, :i Jcvriere-Larcau ; I'un est un maeon d'environ soixanle ans. Scs promenades la nuit onleveille lessoiipcons : quel autre qu'un 6rou determine s'amuscrait a courir dans la foret a pareille heure, au lieu de se reposer des fatigues de lajournee? * Enfin la chose fiit prouvce par un voisin du pro- prietaire, qui, revenant lard un soir du marclio de Le- gueil, Irouva en cliomin un magnifique moulon. Persuade que celle bele egarce apparlenail a qudque Iroupeau des environs, il la pril sur ses epaules, la ramena cliez lui, et I'enfcrma dans I'ccurie avec son 3ne; mais le lendemain, au lieu du mouton, il Irouva le macon occupe a rcmplirses sabots de padle. Plus de doute, c'etail un hrou ; c'etait le re.snllat de ses vols el de la vie dcsordonnee quil avail mence autrefois. Quant a I'autrc exemple, il s'agissail d'un jeune liomme qui dovint bnm apres avoir volii un morceau de drap. Ainsi transformc, il parcourait aussi le pays la nuit, tuail el de- vornit les chicns, la volaille ct aulres animaus. II Cnit heureusement par se confesser, recut I'absolulion , et jamais plus ne gatopa. Le conleur a pu voir souvenl les reslcs des chicns a moilic devorcs ; les patlcs sc retrou- vaient presqiie loujours. Louis Manceau, marchand de bes- tiaux, iigc dc trente-six ans, ct nullement bele en affaires, qui habile la villc de Loches, et que son etat oblige li voya- ger s(mvcut, m'assura qu'il avail vu el connu plusieiirs brous. lis claient plus noinbreux, ajouta-l-il, il y a pcu d'annees, alois que les charlatans usaient des privileges dont 011 les a depouillcs depuis. Autrefois, quand on elail vole, on donnail un louis d'or a un d'eux qui vous recilait Ics pa- roles d'un certain livre ; ensuile il plaraitsurune table deux pains qui noircissaienl peu de temps apres; et si le volcur ne restiluait pas, 11 devenait brou, else voyailcondamne a gabiper depuis I'heure de VAngelus du soir jusqu'a celle du matin. Le cure de la Sclle, dans la commune de Legueil, a livre a ces superstitions difficiles a deraciner une guerre acliarnee. S'il faul en croire Charles Robin, jeune fermior du pavs, il aurait vu aussi dans son jardin, par nn beau clair dc lune, un petit moulon qui s'avancait lentcnient vers lui ; puis, comme il sc disposail a le prendre, il aurait bondi par- dessus un niur Ires-elcve, el se serail cchappe dans la forct en poussanl des cclals de rire diaboliques. 11 appela un onrle, qui accourut au jardin, et entendil en cffcl ce bruit sunialurel. L'oncle, loin de renicr celle histoirc, me conla aussi la sienne. line fcmme de sa connaissance avail sans doiile un mari6rou, puisqu'il galopail la nuit. Voulanldc- couvrir la verile, clle imagina decoudrela chemise du va- gabond a la sienne; mais les voisins ne le virent pas moins galopercettenuil-la comme al'ordinaire.bicn que la Icmme cut loujours ii cole d'elle soil le corps inajiime on queli|iie chose qui avail pris la forme du coupable. Celle croyance absurde a produit quelquelois dc facheux ri-sullats. il v a environ douze ans qu'un homme de Saint-llippolylc loniba mort sous les ballesd'un de ses voisins, qui leprcnaiipniir un 6rou. Les pcrscculionsqu'eprouva sa famine roliligei-onl a (luiller le village ct de s'elablir a Loches, qu'clle habile encore. 11 y a aussi des fcmmes brous. Unc fille de Loches pre- tend connailre une fcmme mariee de Liege, mere de fa- mille, qui a gnlopo sous la forme d'un moulon ; qu'un jour ayant rencontre lard, la nuit, uii homme sur la ronle do Sainl-Quenlin, il pril I'animal sur .ses epaules, donl Ic poids augmenia considerablcmenl chemin faisanl. Arrive a sa porle, il resia pelrilie de-surprise lorsque le moulon lui de- manda avec une voix humaine ou il Ic cnndui.sail. Saisi de frayeur, il se debarrassa de son fardeau, qui .se chan"ea aussilot en fcmme, s'enfuil en cclatani de rire ct en faisanl des sauls prodigieux de hauleur. La meme personne a vu encore, enire aulres choscs curieu,ses, la ctinsse a brii/ul, qui est, soi-disant, unc chassc aeriennc. On ne pcut cerlai- nenienl pas croire que les oiseaux soient de la parlie, piiis- qu'on reconnait dislinclemenl raboiement des chicns. Celtft nile sail aussi que Ic coquard, s'll vient ,i eclore, produit le basilic, et plusieurs enfanls de sa faniille sonl morls du nial H'Exive. II exisle encore une foule de superstitions ct de presa- ges que plusieurs aulres pays out adoptes aussi. par exem- ple, I'aurorc borcale aniionce en general la "iierrc ct le tumiiUr. Les lunes p.iles au mois de juillet ct d'aout sont de mauvais augr.re On croit que le soleil danse trois fois surl'liorizon quand il se leve lejourde la Sainl-Jean. Lo cri dcs hibous annoucc la mort. Unc brauchc d'c^lan- 204 SCENES tier suspcndue a la porte protege ses liabitanls contre la Cevre. Ouclqticfais dcs enfants nouveau-ncs se nieltent a cou- rir dans la maison, se refiigient sous le lit , ct font d'hor- riblcs grimaces ; 11 fnut poursuivre ces monslres dciialures a coups de fourclic. Gardcz-vous hien de lavcr votre linge cntre Ics deux cliiisses, c'cst-a-dire, pendant Toctave de la Fete-Dieu, lorsque les chasses reiifcrniant Ics reliiiucs de divers saints sont portees de Loclies a la viUe voisine de Beaulieu, et de Beaulicu a Loches. Si vous osiez Lravcr I'o- pinion publique a cet cgard , vous laveriez votre linceul; ne cuisez pasle pani les jours des llogations, si vous tenez a I'avoir Lon le reste de lannee (Juand vous Dlez les mar- di et vendrudi de la seniaine sainte , vos vaclies ont le gourchcl, c'esl-a-dire un ulcere aux pieds qui les eslropie. Les habitants de votre basse-cour prospereront a mervcille, si vous avcz le soin de danser le mardi saint sur le funiicr. line fois le ble seme, gardcz-vous de manger du pain roti, sous peine de faire une mauvaise rccolte Rien n'es.t plus dangereus qued'entendrc a jeun, pour la premiere fois, le cri du coucou : il aniene toujours la fievre. Les inscctcs qui voltigent le soir autour de la lunnere sont des ames cgarees, prencj bien garde qu'ils ne se brulent. Bien des personnes Inissent sur leurs assietles, a chaque rcpas, un petit morceau de viande pour I'esprit maliu ; cette offrande I'apaise. On ne salt pas ce qui peut arriver ; il est bon d'a- voir des amis partout. Les grillons portent bonhcur, il ne faut pas les troubler ; mais la Ckcrc annee, ou le Bourdon, estun insecte de malbeur : il annonce une inauvaise recolte, et la cherte du pain. Cost pourquoi on lui a donne ce nom. Les toiles d'araigneequi Holtent au moisd'auiitsont les Ills de la sainte Vierge. On doit avoir grand soin de placer son lit parallclemcnt a la pouire de lachambre, sinon la personne qui s'y eouchera eprouvera les plus grandcs infortunes. Ne vous mctlez jamais en route le vendredi; si vous rcn- contrez un lievre sur le chemin , votre voyage sera mal- heureux. Les mariagcs celebres le vendredi tournent mal ; les lundis ct niardis sont les jours les plus favorables; le nombre trcizc est fatal Evitez de renverser du sel, el de mcttre voire fourchettc et voire couleau en croix. Si vous rencontrez une femme nu-tete le matin , la journee ne se termincra pas sans quelque mesaventure. Les petiles arai- gnces annoncenl un peu d'argent , les grosses en promcl- tent davanlage. Une lilinccUe qui s'ecbappc du foyer indi- que la visile d'un etranger. Si le chaudron reste vide un jour de Icssive, la mort s'emparera Lienlot de quelque nicmbre de la famiUe. Qiiand on apcrcoit une pie disperser le fumier sur le cliemin, on peut s'atlenJre a y voir passer un cortege funcbre. Le roitelet est un oiseau sacre, car il a rapporte du feu des regions celestes , aux dcpcns de ses plumes qu'il a brulees, mais toute la geiite ailee s'cst coti- see pour le revetlr d'un nouveau plumage; tons ont fait leur offrande, exccpte Ic liibou, qui a meritc ainsi le mepris general. Quand vous mangez un ccuf, n'oubliez pas d'ecra- ser la coquiUe, de jieur que votre cnnemi ne la remidisse de rosce et ne la pose sur I'aubepine; car, a mesure que le soleil la seche, la personne qui a mange rocuf languit aussi, ct incurt. Chaque province a ses croyances superstitieuses. En Korniandie, par exemple, on raconle qu'un monsieur elabli pres de I'embouchure de la Loire avail uu CIs; un de ses fermiers vint un jour payer sa rente et la remit ou fils, parce que le perc se trouvait absent; mais il nia le fail, en disant que le diable pouvait Tcmportcr a la mer s'il manquail a la vcrite : le cou])ab!o disparul aussitul. 11 ne ful pas noyc, m.iis on I'cntend crier sur le rivage, on le voit miime quelqucfois dans sa jaqueltc, le bonnet sur la tele ; par une belle nuit d'ete, un liomme audacieux osa joucr aux cartes avec lui el perdil tout ce qu'il pnsse- dait. A Gildo, sur les coles de la Bretagne , les amcs de ceux qui out peri en traversaul I'eau font entendre des cris lugubrcs a I'apiirochc du mnuvais temps. On voil combien le clergc, qui a civilisLi la Gaule, a en- core a faire pour achever son icuvre, et combien on est en- core loin des lumiercs dont le siecle se vanle. ^'^ ''t SCENES, RECITS, AVENTURES, liXTHMTS DES PLUS rjiCEKTS VOr.lGEllHS. MISSIONS DE I.A CHINE ET DO TONC-KIMG. Nous cmpruntons le curicux el cdiOant recil qui suit a rexcellcntc anivrc chrcliennc de la propagation de la foi, qui continue avec lanl de succes la publication dcs Lelircs eJifianlcs. C'esl ce livre admirable qui conticnt les ren- sei'-nemcnts les plus precis el les plus complets sur le mouvcmcnt de la civilisation dans le monde enlier (1). (1) II esi cic rinlfrit dela religion, do In moialilc cl de la science, de faire connallre celte tcuvrc do lunnere et de cliaritc ; il suflll que dix iicr- sounos s'associenl el cuiiiribuciit cliacune pour un sou seulemeni, pout se 'procurer cclle leciuve cdifianicet inslruciivc. DE VOYAGES LcltrcdcM. Hue, mis$ionnaireaposloiiqtie, a it/. Marcou, directeur du pclil seminakc de Toulouse. Kien-TcliansFou, province de Kian-Si,2avtiH84l. Blon DIES CDEH AMI, « Ce scrait sans contredit par ma faute, et ma tres-grande fnute, si je vcnais a ouUicr que je )ie suis ici-bas qu'un pauvre pelerin, car me voila encore en course, et ce non- voau voyage sera pour le moiiis tout aussi long et beaucoup p!ns perilleux que cehii du Havre a Macao. Mes superieurs m'cnvoyant faire h voloute do Dieu au dela de Tcliin, dans la Tartaric occiJcntale, Celui qui m'a dija conduit et pro- iL'ge sur les eaux de I'Ocean me guidera aussi, si cela lui plait, a travers les lleuvesellcs routes del'empirechinois; et dej.i plus d'une fois, depuis que j'ai quiltc Macao, j'ai pu admirer la Providence divine a mon cgard. Je vais pro- filer du temps qui m'est donne a men second relais, pour vous tracer un croquis de cclle parlie de mon voyage; vous voudrcz bien me faire I'amilie do le communiquer a mes parents. Je leur enverrai mon itincraire aussitot que je serai arrive dans ma mission. « Les courricrs qui devaient me conduire a Si-Wan en Tartaric (ilaient arrives a Macao depuis plus d'un mois, sans qu'il nous flit possible de trouver un moyen quelque peu rassurant d'enlrer incognito dans le fameu.'i empire celeste. Les affaires anglo-cbinoises rendaient de jour en jour les passages plus difficiles, et comme il elail ridicule d'alleudre «n micux qui scniblait sans cesse s'eloigner, nous nous ifiAmes avcuglcmcnt entre les bras de la Providence. II lut .Iceide que je partirais le samedi, 20 fevrier, vers les sept bcures du soir, dans la barque chinoise qui fait le trajet de Macao a Canton. Un de mes courriers ctait alle visiter la joiique, et il lui avait ele promis qu'on rcserverail a noire usage unc pelile cliambre pour quatre personnes, u savoir, mes deux courriers, un seminariste indigene que je lalsse au Kian-Si, chez Mgr Rameaux, enfin la contre- bande curopeenne, c'esl-d-dire voire tout affeclionne ami. « Vers les six heures du soir, on me flt la toilette a la chinoise : on me rasa les chcveux, a I'exception de ccux que je laissais eroilre dcjiuis bienlut deux ans, au sommet de la tele; onleurajusta unecbevelureelrangerc, ontressale tout clje me trnuvai en possession d'une queue magnifique qui descendailjusqu'auxjarrets.Monleinl, passablemenl fence, comme vous le savez, fut encore rembruni par une couleur jaunatre; mes sourcils fureni decoupes a la maniere du pays; de longues et epaisses moustaches, que je eullivais depuis longtemps, dissimulaient la tournure europeennede mon nez ; enlin, les habits chinois vinrent completer la contrefacon. Un jeune Lama Mongol, converli depuis peu a la foi, et maintenanl eleve dc noire scminaire a Macao, ine ceda sa longue robe : la (unique courle qu'on met par- dcssus, et qui rcsscmble ii peu pres a un rochet, etail uiie rclique de M. Perboyre, martyrise I'an dernier dans la pro- vince de Ilou-Pc. Ce velemenl elail illuslre de larges laches dc sang, il dcvait me porter bonheur. Quand la nuit fut venue, arme d'une longue pipe qui m'avait ele donnee par Mgr RetorJ, vicaire aposlolique du Tong-King occidental, j'enGlai les rues de Macao, je traversal le bazar jusqu'au bord de la mer, coudoyanl par-ci par-la des groupes de Chinois qui ne se doulaient guerc, assurcment, que j'elais un Europcen lout prel a s'embarquer pour Pekin. « Nous saulons a la hale sur noire jonque chinoise qui RECENTS. 20j allait parlir; on commcncait a lever I'ancre. Unc fois sur le pont, je jclle un coup d'leil dans I'inlericur avanl d'y descendre, et je m'arrete pelrifie comme si je fusse arrive sur le bord d'un abimc. A. travers un epais nuage de fumde de tabac, j'apercois unc quaranlaine de Chinois, qui occupr'ienl tout le fond de la barque; ils elaientla, allonges et presses les uns contre les aulres, comme des sardines dans un baril ; le plus grand nombre dormaienl dcja et les autres fumaicnt silencie'usement leur pipe. Ce pelit cabinet myslcrieux qui Bous avait ele promis n'exislait mcmc pasl Voila mes courriers qui commencent a crier et a se quereller avec le capilaine. De peur qu'on n'en vint a quelque accom- modement, comme je ne voulais en aucune facon me fourrer dans ce guepier, je laissai mon monde hurler tout a son aise, et manifestai mon intention en sortant de la jonque. Mes gens ne tarderent pas a venir mc rejoindrc sur le rivagc; ils avaient juge prudent dc ne point se risquer dans une pareille galere. « El mainlenant que devenir? quoique bien peu avances, nous I'etions beaucoup trop pour reculer el relourner au logis avec tout noire bagage; nous abandonniimes noire sort a la Providence, bien persuades que Icujnurs on gagne a lui confler ses projets et sa vie. Nous allames done a la premiere barque qui se rencontra ; mais le pilole, les ma- lelols, tout le raonde dormait. Un de mes courriers les eveilla el leur proposa de conduire a I'inslant quatre hommes a Canlon. Le mailre demanda d'abord, tout en se frollant les yeux avec le poing, combieu il y avail de piastres a gagner. Le prix fut bientijt convenu. Je me glissai dans la barque ; tout fut aussitot mis en mouvemenl, les nialelnts crierenl leur chanson du depart, pendant que je recitals a voix basse le Te Deum, el un quart d'heure aprcs, jc dormais profondenieut, enveloppe dans ma cou- verlure. « Une bonne et forte brise nous poussail, et nous vo- guions a la garde dc Dieu vers la riviere de Canlon. La nuit fut delieieuse. Mais le lendemain nous nous apercumes que pendant noire sommeil les malelols, eux, s'elaient avises de rellechir; ils ne pouvaienl comprendre pourquoi nous n'clions pas parlis, a peu de frais, dans la barque qui avail leve Pancre la veille; pourquoi nous avions voiilu a toule force qu'on mil a la voile sur-le-champ... D'aillcurs, ils voyaieni en moi un passager qui affeclionnail les coins, qui evitail de paraitrc au grand jour ; tout cela les inlriguail un peu, et deja le nom A'Eunpcen cum- mencait a circuler parmi eux; plusicurs venaicnl cumme a tour dc role examiner furlivement ma pliysionomie, el ils s'en retournaicnt en chucholanl. Par bonheur, ils m'en- lendaient parler la languc mandarine avec le courricr, el ils furent complelemeni rassures; ils conclurent enire eux que, si je n'elais pas uu homnic dcjii riche ct puissant, j'elais sans contredit un lellre qui cnlrerait prochainement dans la voie des digniles el des honneurs. Tout cela elail a merveille; mais il s'agissail de savoir si les auloriles de Canlon mc jugeraient d'une maniere aussi favcjrable. « Vers les cinq heures du soir, le coeur mc ballail avec plus de Vitesse qu'a I'ordinairc; nous eiions arrives a une pelile ile forliCee, peu eloignee de la viUe. Les mandarins du lieu devaienl nous faire subir une inspection rigoureuse; nos personnes et nos malles devaienl elre srrupulcusement examinees. On venail de hisser a la forleresse un pavilion, pour nous dire d'arreler; nous nous recommandames a Ilieu, ft nous allendir;CS son l.nii ^.Iai^i^. !.i s n:.^:;.] :r::;s 200 SCEJiES n'ayant |'as jugii a propos de nous rcndre visile, on aliaissa If pavilion, cl nous continuamosnoli-i' route. Nous arrivamcs pendant la nuit a reniboucluirc de la riviere de Canton. La larriere etait fcrmiie; nous fumes done obliges dc mouiUer ct d'attendrc pour enlrer que le jour parut ; car pendant la nuit aucunc jonque ne pent penetrer dans la riviere; son cours est alnrs interceple par un radcau qui va d'une rive al'autre. Des que le jour commcnca a poinJre, trois coups de canon annoncerent que le passage allait etre ouvert. Le radcau se separa en deux par le milieu; nous attendi- mes un instant les mandarins qui devaient faire perquisition dans notre barque; comme ils nevinrenl pas, nous avan- c.anies, et blentot je me trotivai par le secours du bon Dieu dans cet empire chinois , ou il est defendu a tout Europeen de penetrer sous peine de moit. « La jonque nous conduisil bien avant dans la riviere, lout pres de la ville; la, nous fimes nos adieus a I'equi- page et nous louaniesune petite embarcation qui nous porta, par de longs detours, jusqu'au faubourg le plus elnigne, ou nous mimes pied a lerre. II etait dix licures du malin. Le soleil, apres avoir dissipe les blancsnuages devapeuniui naguere enveloppaient la ville et Qottaieut sur la riviere, scintillait maiutenant de la facon la plus triomphanle. Cut astre si beau et si brillant me rejouissait pen ; car j'avais a traverser une partie de la ville pour aller me refugier dans une maison cbretienne, chez le pere d'un de nos seminaristes. II fallut pourlant prendre son parti. Je priai Dieu de me conduire, et je me misresolnment en route, me tortillant de mon micux a la maniere chinoise. Tout alia a ravir. Clie- min faisant, personnene Irouva a redire anion angle fa- cial. Le courrier qui me condnisait euDla enOn une porte cntr'ouverte : je comprisque c'etait la maison hospitaliere qui devait me receler, et je m'y engouffrai sans rcgarder devant moi, a la facon d'ua homme qui s'elance dans uu precipice. « Grande fut I'cmotion, je vous assure, dans cetle pau- vre faniiUe ; car nous n'elions nuUcment attendus. Le pere, homme plein de devouement , mais quelque peu pusilla- nime, fut saisi d'une graude terrcur ; ma presence fut pour lui comme le signal de la fiii du monde. II s'em- para vite de ma personne et me sequestra dans un cabinet obscur et ctroit, avec la consignc de me couchcr ct de dor- njir de toutcs mes forces, mais surtout de ne pas m'aviser de ronller. a Pendant quejetais cense dormir profondement, d'a- pres le reglement succinct qui m'avait ele trace, mes cour- riers allerent louer une barque, faire les provisions, et preparer lout ce qui etait necessaire pour cnnliuuer la route. Ces prcparatifs c.i;igerent beaucoup plus de temps que je n'avais imagine, et je fus conlraijit de passer la nuit dans ma noire prison. « Le lendemain, on vint m'annoncer qu'on avait Irouve une jonque bonne et sfire ; mais, comme pour s'y reudre, il otait necessaire de traver.ser d'un bout a I'autrc la ville de danlon, il fut convenu que nous attcudrions jusqu'a I'cu- tree de la nuit, aOn d'effectuer ce trajet avec plus de secu- rite. Ccla ne faisait guerc le compte de mon bote ; mais il voulut bien, pour I'amour du ban Dieu, nic donner encore unjourde gcnereuse liospiialile. II venuit me voir de Icnips en temps dans mon redull; il ni'apportnit du feu pour allu- mer ma pipe, et il ne manqniit jamais, le brave bommc, de me dire tout pale et tout treniblant : n Verc, n'ayej pas peur, il n'y a rien a craindrc » — Je serais bien ingratsi jevcnais jamais a oublier de prier le Seigneur qu'il |)ayo lorgpUKut a cette genereuse famille le service qu'clle m'a rendu. « A sept heures du soir nous nous dirigcames solennel- Icment vers la jonque qui devait, en remontant la riviere de Canton , nous conduire asscz pres des montagnes du Kian-Si. Un grand gnillard de Chinois, monte sur son long systeme de jambes, ouvrait la marche ; un de nos courriers le suivaitdepres,je suivais le courrier, et d( rrieremni vc- nait le seminarisle dont je vous ai parle plus haut. Nous formions ainsi , a nous quatre , comme un (11 conductcur qui devait nous diriger dans ce grand labyrinthe qu'on appelle Canton. « Cclte ville, telle que j'ai pu I'enlrevoir, m'a fait I'effel d'un immense guet-apens. Ses rues sont molpro- prcs, etroites, lortucuses et faconnees en tire-bouchon ; on dirail qu'il n'est pas vrai pour ses habitants comme pour tout le monde , que la ligne droite soil le plus court cbemin pour aller d'un endroit a un autre. Maiutenant, si dans toutes ces rues capricieuses ; si. a la face de toutcs ces maisons bizarrement decoupees, vous jetez avec profu- sion de pctites lanternes ct des lanternes-monslres, des lanternes de toutes les formes, ornees de caracteres chinois points de toutes les couleurs , vous aurez une idee de Can- ton vu a la hate et a la lueur des falots. « Parmi cette immense population qui sillonnait en tons sens ces rues nomhreuscs, notre grande affaire, d nous, etait de ne pas nous perdre mutuellement de vue et de ne pas ronipre la chaine qui nous condnisait : clle fut briscel An detour d'une ruelle obscure, le courrier echclonne devant moi ne vit plus le Chinois qui ouvrait la marche et qui srul connaissait le cbemin Une fois disparn, on le cherchr-r ? I. a rue que nous suivions se terminait en palte d'oie, ct nous ne savions par ou nous avait echappc noire con- ductcur. Notre perplexite fut grande. Qucl.pies instants, nous criamcs, nous appelamos notre guide de tous c6l;'s; la Providence nous le rendit enCn. II s'elait apercu quo peisounc ne le suivail, et, revenant sur ses pas, il nous avait retrouves a Tcndroit memo oii il nous avait perdus. Ndus rcprlniesgaiement noire route, etnouscntramesenDu dans la jon'iue, en benissant le Seigneur du fond de I'anie. Les batclieis n'ayant pas encore tcrminc Icurs prcparatifs, nuns no pumes parlir que le lendemain. Nous passames done la nuit sur le lleuve, en face de la ville, et, pour ainsi dire, a la barbe du vice-roi. « La riviere de Canton pendant la nuit est en verilc ce que j'ai vu do plus fantastique. On pent dire qu'elle est prpSf|uo aussi pcuplee que la ville L'eau est couverte d'une quantilu prodigieuse de barques de toutes les dimensions et d'une variete impossible ii decrire. La plupartaffcctcnt la forme de divers poissons, ct il va sans dire que les Cbi- iiiiis out choisi pour modeles les plus bizarres et les plus siuguliers II en est qui sont construilcs comme des maisons , ct celles-la out une reputation assez equivo- que, toutes .sont ricliement ornees; ipielques-unes res- pleudissent de dorures, d'autrcs sont fcul[ili'cs avec ele- gance, dentelees el comme percces ,i jour, a la fac.in des boiseries de nos vicillescathedr.iles.Toules ces habitations llotlanles, cutourees de jolies lanlernes, se meuvent et fa croisenl sans cesse, sans jamais s'cmbarrasser les nnes les aulrcs. C'est vraimenl admirable! On voit bien que c'est une population aqualique, une population qui nail, vitet meurl sur l'eau. Chacun trouvc sur la riviere cc qui eslne- DE VOYAGES REGENTS. 207 cessdire A sa siilisislance.Durant la nnitje m'aiiiusai long- temps :i voir passer el repasscrd<;vanl noire joiU|iic uiiefmilo de peliles embarcalinns, ((ui n'claieiit aiiire chose c|iic des Loutiipies d'approvisiomieniciU, des bazars en miiiialure ; ony vendail des pelages, des poissons frils, dii riz, des ga- teaux, des fruits, etc. Enlln, pour completer cetle fanlas- magorie, ajoutcz le bruit incessant du tam-tam al des petards. a Le lendcmain , mercredi , nous partimcs de grand inalin, le Cdur plein d'espoir. Notre barque, celte fois, nous convenait a ravir; requipage elait peu nombreux; Irois jeuncs gens nous servaient de malelols, et leur vicille mere, assise au gouvernail, faisail I'oflice de pilote. Ces jeuncs gens nous paraissaient d'une prccieuse simpli- cite , el deja nous disions entre nous : « Voila qui va bien ; ccux-lii au nioins n'aurout par la malice de nous soup- founer. » (iLe second jour apres noire depart, un de ces Chi- nois si ingenus vint trouver nies cuurriers et leur dit, en souriant : « Voici la barque des douaniers qui vient fuire la visile... prencz bien vos precautions; nous savons que vous conduisez un Europeen. » Les douaniers arriverenl en cffel, jelcrent un coup d'oeil dans la jonqiie, ne virent pas de contrebandc , et sen rctournerent. Kos malelols nous raconterent ensuile qu'ils m'avaicnl reconnu a I'in- stanlmcmeoi'ij'etais entre dans leur barque, que cela neleur avail pas ele diflicilc , parce qu'ils avaient deja conduit un aulre Europeen, il y avail tout au plus six ans, et que leur perc, avant de mourir, leur avail rccoinmande sur ce point iiiiegrande discretion ; qu'au rcsle, nous n'avionsrien a craindre, qu'ils etoient gens dhonneur et de probile; seulemcnt ils nous conjuraient de ne point commetlre d'imprudence ; pour cux , ils scraienl assidiimenl aux aguels, « Get evenement, qui devait avoir pour nous les plus graves resultats, et qui s'annonc.iit corame le premier an- ucau d'une longuecliainede calamites, ne fut en delinilive qu'unespcciale benediction de Dieu. Jegagnai, a ctre recon- nu, I'avanlage d'avoir de plus quatre senline!lcs inleres- sces a ma surele, el dc pouvoir en oulre jouir d'une liberie plus grandc. Nous dfmeur5mes douze jours sur celte bar- que, et cc commencement de mon voyage fut vraiment delicieux. Quand nous francbi^^ions un defile bien soli- taire, rien ne m'empechail denlonner hautemcnt des can- tiques el de louer le Seigneur ; quand je renconlrais quel- que pagode sur mon (lassagc , jotais lout fier de railb-r le demon avcc les paroles du roi-propliele, el d'insuUcr d ces idolcs des nalions, auvrcs dc la main des htmttnrs. « La riviere de Canton ne m'a paru offrir sur .ses borJs rien de remarquable. Elle scrpcnie et se traine ordinairc- ment a travers une longue cliaine de monlagnes , et quand son lit, peu profond, n'esl pas slriclemenl encaisse dans de liautes rocbes laillecs a pic, ellc laisse de cole el d'aulre, sur ses deux rives, des plaines plus ou moins elendues d'un sable Bn el blanchalre. Quelqucs champs de riz el de fro- nient, de riches plantations dc bamboos et de sanies plcu- rcurs, bcaucoup de collincselevees, la iiliiparl dechanices 01 slcriles, quclques-uncs offrant pour toule parurc, sur une legere couche de terre rouge, de rares l)OU(iuets de pins el une herbe courlc desscchee, que broulenl nonclialammenl de grands troupeaux de Luflles : voila ce qu'ou rencontre ie plus souvcnl en remontant son cours. En plusieurs endroils, on voit dcnormes masses de pierres calcaires qn'on dir.nit laillecs de main d'hommc diqniis la base jusqu'au sommet, ou coupees en deux pourouvrir un lit a la riviere. J'ai dc- m.inde aux Chinois d'oii venaienl ces singularilcs. Eux, ils out trimve la chose toule simple : « C'esl le grand empereur lao, ni'onl-ilsdit, qui, aide de son premier niinislre Chum, a fail parlagcrces monlagnes pour fjcililerrecoulemenldes caux, apres la grandeiuondalion. » — Voussavcz, moncher ami, que, d'apres la chronologie chinoise, celte grandc inondalinn correspond au temps du deluge de Noe. « Une dc ces rives, qui s'elevait perpendiculairement comme une muraille colossale faile d'un seul Uoc, elait enricbic par surcroit d'un phcnomdne que je fus longtemps a comprcndrc. A une grande hauteur, on voyait deux cs- peces de galeries creusees dans le roclier ; sur ces galeries apparaissaient cumme des (igureshumaines, qui semblaient se mouvoir parmi d'innonibrables lumieres; de temps en temps, des malieres enllammces en descendaicnl et vcnaient s'eleindre dans le Ueuve. Notre jonque approcha, et alors nous vimes, amarrees au pied de la colline, une foule de peliles nacelles remplies de passngcrs. Get endroil n'elait aulre chose qu'un pelerinage du diable ; ceux qui vcnaient y praliquer leurs supcrslilions passaienl de leurs barques dans un soulcrrain, puis monlaienl, par un escalier laille dans rinlerieur de la montage, jusqu'aux galeries supe- rieures ; IJ se Irouvent lesidolesprivilegiees, desmorceaux de bnis qu'on vient adorer de fort loin ! « Les pagodes sent presque les seuls edifices quelquc peu elegants que j'aie rencontres jusqu'ici. J'ai apercu des ponls d'une architecture imposanle ; il en est un surtout qui m'a frappe par ses gigantesques proportions ; il elait lout en pierre de faille. Je n'en connais qu'un seul qui lui soil su- perieur, c'cst celui de Toulouse ; ceux de Paris ne le valent pas. Aux environs des villes, on veil s'elevcr des tours do dix a douze ctages. Toulcs affectenl la forme hexagone. Quclquefois les fenelres sont pcrcccs en ogives, et si les angles et le couronnement n'etaient pas charges de dragons volants et aulres colilicbets mythologiques, coules en por- celaine ou en faience, je crois que plusieurs de ces tours pourraient rivaliser avcc les clochers de nos belles eglises du moyi n age. Elles sont dun effcl pilloresque, surtout quand elles s'elanccnt du sommet d'une haute raonlagnc. Pcrsonne n'habile ces monuments, si ce n'esl les lezards et les oiscaux de proie ; leur unique destination, a ce qu'on m'a dit, est d'annoncer tout simpleracnt que dans la villa voisine il y a des colleges, ou Ion prepare des eleves au grade de bachelier. A part les quelques edifices que je viens de vous signaler, lout le reste est sale, noir, pauvre, mise- rable, enfume, ouvert a tons les vents el comme lombant en ruines. Villes el villages, tout fait pilie. « 11 m'est anssi arrive de faire connaissance avec les chemins publics de I'enipirc celeste. J'ai parcouru pendant ■ uno journee la route la plus fameuse du pays : ou I'appelle vitic imperiale, ce ijui n'empeche pas qu'elle ne soil piloya- blc. Elle est si etroile, que trois hommcs peuvent difficile- nient y marcher de front. Bien qu'elle soil pavce dun bout a I'aulre, ceJravail a ele execute d'une facon si irre- guliere avec des cailloux si poinlus, que cela n'esl pas, je vous assure, pour la plus grande commodite des pielons, ct remarquez, s'il vous plait, qu'on ne rinconire iei que des pielons. Les seuls moyens de Iransport, pour les iudividus el pour les choses, ce sont les epaules humaines. La roule est conlinuellenienl encombree de Cliinoisqiiivonlelvieji- nenl, charges de fardcaux cnormes au'ils porlenl luujours SCIiSES tn coiirant. lis sont toUcment nccoiiliimes a ce melior de millet, qu'ils font d'oi-Jinairc dix a douze liciios par jour, et ccla sans rclachc, n'nyant de rcpos que la nuit et durant la courte heure du repas. Lesgensaisespeuventlouera pcu de frais des chaises .i porteur. « Le grand avantagc que prcsentent les chemins chinois, c'est que d'un hout a I'aulre, et presque sans interruption, ils sont liordes d'holelleries, peu elegantes, il est vrai, mais sufflsamment pourvues de ce qui c* necessaire a des voya- geurs qui ne courent pas apres le luxe et le conforlallc. Le plus souvent, ce sont de simples hangars oii ran pcut se reposer et dormir sans delier la bourse. « La route impcriale, si chetive, comme je vous I'ai dit, rests en ontre comme etrangere a la soUicilude du gou- vernement. Nul ne parait s'occuper des reparations qu'elle cxige ; souvent elle a ete tracee nvec assez peu d'inlcUi- gence, quelquefois meme sur un plan evidemment reprouve par la disposition du sol. Quand die n'est pas convenaWe, on passe a travers champs, et ici, comme ailleurs, I'ulilile publique present sur le droit de propricle. En verlu, sans doute, du systeme de compensation, le champ, a son tour, rouge par ses empictements le cliemm de I'empereur. n Surleplateaud'unemontagneardue,hautcet cscarpee, s'clevc unc grande porte, espece d'arc de triomphe qui lixe Ja Umitc de deux provinces, celle de Canton, a laquelle j'allais dire adieu, et celle de Klaii-Si , qui forme, avec le Clie-Kian, un vicarial apostolique recemment conOe par le saint-siege a notre congregation. II est mainlenant sous la direction de notre confrere Mgr llamcaux, cveque de Slyre. En posant le pied sur la terre de Kian-Si, jcprouvai comme les emotions d'un exile qui retrouvc sa palrie. Je dcscendis le versant de la montagne jusqu'a une villc de second ordre, oii je p.nssai la null dans une auberge. Le lendemain, au jour naissant, je montai sur une jonque ; je suivis le courant d'une faible riviere qui coide parmi des coUincs plus boisecs que cclles de Canton ; enlin, apres quatre jours d'une navigation Icnle et paresscuse, j'eus la joie d'aborder a une de nos missions et d'embrasser M. Peschaud, excellent confrere que j'avais deji connu a Paris. II y avail trois semaines, jour pour jour, que j'avais quille Macao. Les Chretiens d'alentour furenl bicnlol in- slruils de I'arrivee d'un Pcre europeen ; ils viiiront tons me saluer a la facnn orientale, en me disant : « Que Dieu vous protege ! » « Je passai le dimanche au milieu d'eux, et j'y offris le saint sacrifice dans une chapcUe bien pauvre, il est vrai, mais embellie par la ferveur de ces bons ncopliyles, par les prieres qu'ils chanlaient a deux chceurs durant la messe. Ces accords ne sont pas sans doute a la hauteur des savantes partitions de Rossini et de Meyerbeer, peut-elre ne seraient- ils pas du gout des dilettanti et des virluoses d'Europe ; mais pour moi,j'y trouve quelque chose de tendre et de pieui qui penelre delicieuseraenl I'ame. Les chrctiens ont la toucliante coutume de se reunir dans leurs modesles ora toires pour chanter en commun la priere du matin ct du soir. Le dimanche, ces prieres sont beaucoup plus multi- pliees et plus longues, et a la chute du jour, on se rassem- ble encore pour chanter le rosaire en entier. Je vous assure, mon cher Victor, que j'ai passe de bien doux moments a ccoutcr leurs cantiques Le chant a quelque chose de myste- rieui et de divin. On a dii que I'homme avail d'abord chante et qu'il aval parle ensuilc. Quand la langue du premier homnic fut dcliee, ses paroles, en cffet, durcnt etre un hymne au Seigneur, rdainlenaut noire lahguc est devcnue prosaique par le peche. Mais, comme rirn n"a etc lolalcnuiit perdu par la dechcance, comme tout uoil se retrouver dans la voie de reconciliation," la priere chrclienne a du gnrdor un souvenir de ce langage primilif, qui nous sera rendu nu ciel pour chanter V Alleluia sans fin, le Tiisagion elerncl. 0 Le lundi matin, apres avoir dit la sainle messe, je mc disposal a poursuivre ma course. Noschrelicns vinrent mo souhaitcr un bon voyage. Los adieux qu'on faitau mission- naire prrnnent toujour.: le caraclere grave el imposaiij d'une cercmonie religieuse : on se reunil dans la chapelle, on chante ensemble la priere du depart; le prelre passe dans les rangs, asperge le peuple d'eau benile ; puis les fideles s'avancent par petits groupes pour sailer le pere a la inaniere chinoise ; enfin le missionnaire benit tout Ic troupeau, et apres s'elre muluellemcnt souhaite la prolcc- tion du bon Dieu, on se separe. « A la ville voisine, nous louames une petite barque pour ciintinuer notre route. Je vous ai mal parle plus haul de la voie imperiule, ct, pour reparer, aulant qu'il est en moi, celle medisance, je dois ajouter que les lleuves, ces heaux chemins traces par la Providence, sont en Chine un grand supplement aux routes artilicielles. Quand on vent voyager on transporter des inarchandises d'un lieu a un autre, il est rare qu'on ne puissc le faire par eau. La navi- gation est plus on moms acceleree, selon qu'il faut remin- ter ou suivre le cours des rivieres, selon que le vent est j propice ou contraire. Tanlot c'est la voile qui se dqiloie, el alors on pent jouir d'un beau spectacle. Comme le lit du ileuve est souvent creiise en zigzag et d'une maniere assez capricicuse, on voit au loin, sans apcrcevoir les jonqucs, un grand nombre de haules voiles de tonnes diverses qui paraissent se promener majcslueusemcnt sur la campagiie et courir sur la cime des arbres : tantot on abaisse la voile, qui se plie sur cllc meme comme un inuncnsc evcntail, el Ton vogue a la ranic. Souvent aussilcs matclols se fornient en attelagesur la rive el I'ontavancer la barque au moyen d'une longue corde, Evidemment, tout cela ne vaut pas les messsgeries et les bateaux a vapeur du beau pays de France. c( Quelquefois la navigation est d'une Icnteur vr.iiuienl deplorable. Ainsi, dcniiercmenl, pour laire quaraulc lieues, il m'a fallu perdre dix jours. Ici on ne voyage ]ioiiit pen- dant la nuit ; les voleurs en sont la cause ; on redoulc l-jur attaque, ce qui n'est assuremenl pas a la plus grande gloire de la police cliinoise. Quand le jour commence a tomber, les jonques se riiunisscnt par petits groupes, on jelle I'ancrc, el puis dorme qui pnurra. C'est alors epic commence le vacarme. Pendant toule la nuit, on niari(ue les veilles en frappant ii coups redoubles, qui sur les lam- lam, qui sur les tambourins, qui sur de gros tubes de bam- bou. Le charivari devient insupportable, quand on a le tristc honneur de se trouver aupres d'une barque mandarine. II parait de regie gcncrale que les domestiques des hauls pcr- sonnages se croienl obliges en conscience de faire trois fois plus de bruit que les aulres. Au demcurant, lorsqu'on ne va pas dans I'empire celeste precisement pour y chercher du hien-etre, on ne se trouve pas mal dans les navircs chi- nois : on y est couche sur le lit qu on sail s'y faire , on J mange ce qu'on a prepare. Les malelols sont de bravei gens qui ne se melenl pas de vos affaires, et qui n'ont avec vous que les relations qu'il vous plait d'avoir ; on peut meme y prier Dieu tout d son aise, ct on y est fortcment DE VOYAGES REGENTS. 209 excitS qiiand on voit ces pniivres finiens faire Icurs inclina- tions au sonie dii fleuvc, Li-iiK'r 1p |iapier siiporslilicux et alUimer Ics clianilcUcs routes. Chose bien remarquable! j'ai cm m'apcrcevoir que c'l'tait loujours le phis jonne de la lioufie, ou un enlant, s'il y en avail, ([\n elait cliarge dii cultc. Scrait-ce que, iiieme dans le jiaganisme, on reconnait que la pi'iere doit partir d'un cirur humble, simple et petit? (1 Apres trente-cinq jours devofage, j'ai debarque, joyeui et bien portant, a Kien-Tchang-Fou, d'oii je vous ecris cetle lettre. Mon premier soin a ete d'envoyer un espres annon- cer nion arrivee a M. Laribe, qui est actuellement en mis- sion dans un district assez cloigne. II y a deja trois jours que je I'atlends : j'aurais peut-ctre trouve ce temps fort long et fort ennuyeux ; mais j'ai cu le plaisirdc causer avec vous, mon chcr ami, el cola m'a beaucoup aide a prendre patience. KioQ-Tou, tt avriHSH. « M. Laribe a voulu me faire fete. Nous avons passe la solennite de Paques, a deux lieues do Kien-Tchang-Fnu, dans la chretiente de Kiou-Tou, lieu de pais et de solitude, oii reside ordinairement le missionnaire. Au sein d'uue profonde vallee est un gros bourg, donl le tiers des habi- tants est Chretien. Au-dessus du village, el sur le sommel d'une charmanle colline couronnee de grands arbres, s'e- leve la maison de Dieu, c'est-a-dire, une chapelle toute re- luisante de proprete ; pres de la est une pauvre demeure pour le pretre et une ecole de jeunes gens qui, du matin au soir, etudient en chanlanl leurs lecons, pendant que le magister va et vient, criant, lui aussi. de loules ses forces, el donnanl a chacun le ton. II rcsulle de toutes cesvoix un grand tumulte, qui n'a rien de fatiganl lorsqu'on y est ac- coutume ; quand on I'entend pour la premiere fois, son ctrangete lui prete un certain intcret. Parnii Ics ecoliers se trouvent actuellement quatre enfants qu'on prepare pour le seminaire de Macao, lis sont pensionnaires et entretenus aux fraisde la mission. Je vous assure qu'on s'cdifie a con» siderer ces jeunes Chinois, dont I'exlerieur est d'une modes- tie tout angelique. Je me souvieridrai loujours avec plaisir des bons offices qu'ils m'ont prodigues. o J'ai trouve bien courtes les journces passces a Kiou- Tou ; c'est une oasis que j'ai rencontree sur ma route, ou mon ame a pu se rafraichir et sc delasscr tout a sou aise. ^I. Laribe a ete pour moi un confrere, un compatriole el iin ami. Quoique les jours que nous avons vecu ensemble aient etc consacres au repos, ils ne seront peut-etre pas in- fructueux pour ma vocation. Lcsentreticnsd'un ancienmis- sionnaire m'ont donne, ce me scmble, plus d'experienco des choses de la Cliine. Quand les soldats sont au hivac, Ics consents peuvent encore beaucoup profiler en cnlendanl les veterans raconter leurs campagnes. « Les fetes de Paques ont ete solennisees avec zele et courage, quoique les Chretiens sachenl fort bien qu'une persecution est sur le point d'eclatcr dans le Kian-Si. Plu- sieurs d'entre eux ont fait jusqu'.i quinze lieues pour avoir le bonheur d'entendre aujourd'liui la saintemesse. Lejeudi saint, le Saint-Sacremenl a eli; depose dans une petite cha- pelle decoree par les neophytes. Les prieres n'ont pas cesse un seul instant de retentir sur la colline tant que le Saint- Sacremenl a ete expose. Pendant le jour, les femmes, for- mees en chocur, venaienl chanter tour a lour le chemin de la croix ; le soir, elles out ete remplacees par des hom- mes, qui ont aussi redil leurs cantiques pieux durant la nuil tout entiere. Le vendredi, M. Laribe a lave les pieds a douze enfants : celtc ceremonie paraissail toucher Ics fide- les. Enfin le jour de Paques a dignement couronne cetle grande semaine. Apres la messe, un feu d'artifice el force detonations de petards ont annonce aux paiens de la vallee que les adorateurs du maitre du ciel etaient, ce jour-la, en fetes el en jubilations. Croyez-moi, mon cher ami, si jamais il vous prend envic de pousser vos promenades jusque dans la Chine, ne manquez pas d'aller voir Kiou-Tou ; vous en .serez content. Pour moi, il faut que tout a I'heure je lui disc adieu ; je vais reprendre mon bourdon et m'aclieminer vers les glaces de la Tartaric occidentale. « En finissanl, je dois vous prier de ne point juger ce pays d'apres le tableau que je viens de tracer. Si vous al- liez generaliser les parlicularitcs que j'ai decrites, vous vous exposericz peut-etre a bien des mepriscs. L'empire chinois est immense, et il nie resle encore plus de cinq cents lieues a parcourir pour arriver a Pekin ; sans doule que, chemin faisanl, j'aurai a reformer beaucoup de mes jugemenls. « Adieu, mon cher ami, veuillez me rappeler au souve-j nir de .M. le superieur el de mes amis de Toulouse; je ne vous les nomme pas, parce que vous les connaissez tous. « Hoc, missionnaire apostolique. » ZA CARAVANE SE BAGDAD. Le temps fixe pour le depart approchait, noire vaste camp regorgeait de provisions en tout genre, chacun s'e- tant prccautionne de maniere a pouvoir se risquer au loin pendant deux ou trois mois : on aurait dit qu'il s'agis.sail d'un long voyage sur mer. Au fail, il eut ete aussi difliciie de se rien procurer en chemin que si nous avions etc lances au milieu de I'Ocean. Les chameaux aflluaienl dans le camp, charges de biscuits, de ble, de riz, d'une quanlile de basterma, espece de saucisse sccliee qui se conserve longtcmps,de /caourma, preparation de boeufou de mouton hache, accommodee dans la graisse et renfermce dans des peaux jusqu'au moment de I'employer; on en compose ensuite un mets fort agrcable au goit, en y melani des herbes el des dalles; Vlialawah, autre substance douce et solidc, faile avec le simoun, le miel, etc., n'avaient pas ete oublics. Ajoutez a lout cela des monceaux de tapis, de coussins, de couverlures, et une immense collection d'ustensiles de cuisine. L'eveque, la dame de Bassorah el moi, occupions une seule tente, diviseeau milieu, comme al'ordinaire, par'' un rideau, afin de separer leshommes et les femmes. Quoique notre caravane fi'it abondamment pourvue decliameaux, les voyageurs, composes de pelerins, de marchands, de guides, de servitcurs, etc., ne s'elevaient pas a plus decinq mille. Les chameaux elant en general employes au transport d'une immense quanlile de marchandises, il fallait cependant compter, en outre, les gens assez nombreux charges des bagages, des provisions el des tentes des voyageurs. L'e- veque n'avail pas moins de cinq de ces animaux pour lui et sa suite ; j'en avals aulnnl ; madame de Cassorah, ses en- fants et ses gens en occupaieut quinze. K'allez pas vous 27 S<0 SGEKES imaginerqiie ces bStes npparlicnnent achaque individu ; il y a uiie classe d'homnics ilaiis le pays cpii tiro grana parti dece conunerce. Ccsaiiiniaux selouent pourle temps du voyage. Leiirs moilros s'engagcnl a Ics cliarger, Ics dii- cliarger, les noumr, et a voiis procurer les coiiducleurs dont ils out besoin. Je crois avoir payci environ trois cents piastres par letc, lout conipris, et jc ne m'cmljarrassais dc rien. Cliaque maliii, de trcs-bonne heure, je Irouvais nies chameaux cliarges, dont I'un clait priH pour mon service personnel. Jc m'etais encore procure iin clicval, afin de pouvoir me derober qucti|uefois a la marcbe lenle et insi- pide de la caravane, et m'tdancer au galup dans le desert. Mon reverend compagnon, auquel je pretais souvent ma monlure, se montrait fort reconnaissant de cetle petite complaisance. Le jour du depart arriva enlin. Kous nous mimes en route ;i la pointe du jour, laissantderrierc nous line foule de parents et d'aniis atlristes, nous prodiguant leurs benedictions el leurs vceux, les yeuxen pleurs el fixes sur celte longue file d'elres aninies, comme cllc se mou- vaitlenlemenl, semblable a un serpent giganlesque qui s'a- vance en se roulant sur la vasle plaine. La masse vivanle continuait sa marcbe; les chameaux, adniirables de gra- vite, ne dcpassant jamais leurs rangs, ils aiiraient meritc les elogos du sergent europeen le plus severe. Ceu.x qui ctaient charges de porter les voyageurs avaienldes maha- rah de diverses couleurs Cxecs sur le dos, Ics uiies rouges, les autresd'un violet fouce ; le vert emcraude, le bleu s'y melaient cgalement. Ces especes de Icntcs, pouvantconte- nir chacune six personnes, offraienl raspect d'une ville ambulante, reinplie de maisons bariolees. Lesbommcsde I'escorte u cbeval fournie par le pacba de Bagdad elaient tons en parlie Georgiens, el la blaucheur de leur leiiit I'or- mail aussi uu contraste frappant avec celiii de la niullitudc au noir visage ([u'ils etaient cliarges de prnli'gcr. IK iiiar- chaient eu arriere ct en avant; les eonducteuis de cba- meaux se tenaicnl aupres du depot qu'ou lour avail coiilie ; rien enfia n'etait plus bizarre ;i voir que cc groupc bi- garre de cbamcaux charges, les ims de br.gages, les autres de voyageurs, que ce melange de cavalerie, de pelerins, de riches, dcpauvres, dc conducleurs, d"esclaves, detrou- ))eaux suivis de leurs maitrcs, qui s'elaiejit joints a nous dans I'espoir de nous les vcndre chemin faisant ; tout ce cnrtege, enfin, formait une ligne qui n'avait pas moins d'lm niille d'elemlne. Apres une marcbe de dix lieures, on fit halle. rcndant le chemin, nous avions effarijiicbe un Ironpeau eniier de gazelles qui s'enfuirenl, alarmees, en prcnaut lonles les directions. Mais la rapidite avec laquelle les guides dechargerent les chameaux et conslruisirent les tentes tient du merveillcux. En moins d'une demi-heure, vous voyez s'elever, comme sous la baguette du magicien, une ville immense; tandis quele voyageur inespcrimenle contcmple avec ebabissement la construction d'une place spacieuse a sa droile , s'il tourne les yeux a gauche, il apcri;oit une longue file de tentes qui semblent avoir surgi des enlrailles de la terre; la ville une fois balio, si je puis m'cxprinicr ainsi, on I'entoure d'un rempart de chameaux (qu'on a bien rassasies de dalles). On s'occupe ensuitedes jirecaulionsa prendre contre des attaquesimprcvues. Apres quoi les voyageurs pensent a leur soupcr. C'est le coup de I'eu di'S boucbers ambulants, obliges de repondre a la foule des acbeteurs. On lua des moulons; chacun s'appro- visionna selou ses besoins, et le choix fait, on se h.lta de preparer les mets; I'activite des cuisiniers egale pour le moins celle des faiseurs de tentes. On alluma de grands fcux sur le sol, et bienlot I'air relenlit de ce bicnheureux coup de .sifdet plus caressant a I'oreille de I'hommc i jeun que les melodies de Schubert, et qui repand sur la physionomie la ]dus .sombre un eclair de satisfaction. Leses- clavess'enipressaienld'e.tendrealerre, devanlchaque tente, unegrande nappe blancheoii chaquesociele vintse ranger, bien resolue ii i'aire bonneur au poste qu'elle s'etait chargA de remplir. Les d(imeslii|ues vinreul a leur tour achever \i s delu'is abondanls du repas joyeux : noire sociele se ciimposail de duuze personnes, toules avidesde contribuer au bien-eire general. Apres le snuper, la conversation se prolongea jusqu'a onze heures ; il edt etc d'ailleurs inusile dc songer plutul au repos, car*les rircs, les cris bruyants des Georgiens, s'inlerpellaut d'un bout du camp a I'autre, ^ . r^\ nous eussent empeclies de dormir. A onze heures done, nous nous etendimes sur nos tapis, el le sommeil ne se Ct pas at tend re. Ce fut alors qu'une troupe d'Arabes noraadcs, se preci- pilant sur la caravane, nous livrerent un combat qui nous coula plusieurs hommcs, ct dont je dois raconter Tissue. (La suite d, «i« numiro prochain.) DE FANOBAMA OQ BAVT S'CNE MONTACNE SPITE'DE l'aSCESSIOR »E PEIEB-BOTIB (1). « Jamais, dit un des voyo,s;eurs , je n'ai cerlainement oprouve une exaltation pareiUe. Les negres resles a mi- cole rcpondaient a nos hourras, el nous enlendions con- fiisi'iiicnl les acclamations des gens ebaliis assembles dans 1.1 plaine. Comme nous ambitionnions un Iriomiilie com- pU'l, nous nous preparames a passer la nuit au-dessous du col lie la montagne; en consequence, nous liissames des couvcrlures, des jaquettes fourrees, de I'eau-de-vie, des cigares, etc., tandis que notre diner se preparait plus bas ; puis nous descendimes notre senlier perilleux, pour aller ri'Clamer noire part de soupe , de saumon , etc. Dawkins ct son cousin, lieutenant du Talbot, auxquels nous avions ccrit, se joignirent a nous, mais ils se senlircnt incapables de nous suivre apres le diner. Comme la nuit approchait, je repris mon courage , ct me dirigeai vers notre singulier petit nid, accompagne de bouc keppel, et d'un negre qui porlail du bois sec ct nous alluma du feu dans une ouver- lure sous le rocher. Lloyd el Vliillpols ne tarderent pas a venir, ct nous commencimcs notre installation de nuit ; nous primes d'abord, chacun de nous, un verre d'eau-de- vie. J av.iis endosse deux paires de pantalons, une veste de ch.isse, deux epnisses jaquettes I'une sur I'autre; j'avais sur la lete un gros bonnet de laine de matelol. Ajoutpz a tout cela deux couvertures; enfin , le cigare a la boudic, nous allendimes I'beure a laquelle nous devious proclamer notre eclatante vicloire. Mais comment peindre le spectacle imposant que nous cmbrassions du haul de ce pinacle elourdissant. Kous planions sur I'ile entiere qui se dessi- nail an clair de lune calme el bc'lo, exceptc la oil les noires et larges ombres des autres mooitagnes Intercep- taient la lumiere;ca et la, nous apercevions luic lueur briller dans les plaines, ou bien le feu de quelque manu- facture de Sucre. Aucun son n'arrivait jusqu'a nous, si ce n'cst de lenips ii autre, ceUii des cris joyeux de notre so- clcte restec en bas. Enfin nous dislinguames une lumiere eclatante dans la direction de Port-Louis; puis, apres un long inlervalle, la sombre lueur du canon de nuit. Nous donniimes alors le signal convcnu •. une fusee volante parlie de notfe rctraite cclaira en un moment le pic des nionta- gnes aux depens de nous, puis nous relombiimes dans I'ob- scurite. Ensuile nousalluni.imes une flamme bleue, el ricn n'elait plus magnifique a voir que ces rocliers majeslucux inondes de ce vaste rellet; nos figures grolesf|ucs, le liord ciroil sur lequel nous etions, tout se voyait distiiictemenl, tandis que les oiseaux du tropique, epouvanles, apres s'elre elances autoiir de la lumiere, allaicnt se preripiler en bas dans les tenebres avec des cris percanis, car la gorge a noire gaucbe elail aussi sombre que I'enfer. Kous briil.i- mes une seconde damme bleue, nous lancamcs deux autres fusees, el quand nous eumes epuisc nos ressources , la pauvre lune, calme et outragce, reprit sa revanche. Apres avoir attache Pbillpots, ce dormeur ambulant du premier ordre, aux jambes de keppel, nous essayames de doruiir, enveloppes dans nos couvertures. Mais le froid augmenta ; nous bilmes toute notre eau-de-vie sans pouvoir nous re- cbauffer. Quand parut le jour, nous etions roides, gelcs, el (i) Von. namoro V, rclcr-Bntle (I ia moiihoiie. VOYAGES HECENTS. 211 affames, Je conclus brlevement, et vous dirai qu'au bout d'environ quatreou cinq hcures de travail, nous creusames un trou d.ins le roc , el nous y enfunc.imes a une assez grande profondeur noire ccbcUe de douze pieds , au haul de laquelle nous attacliames une barrique en guise de po- leau commemoratif , sans oublier de planter au-dessus le pavilion anglais. Puis nous montames rechelle, chacun a notre lour, afin de nous repaitre encore une fois d'un spec- tacle sans pareil peut-etre dans tout I'univers, el prenant conge du tliealre de nos epreuves el de nos triomphes, nous redesceiidimcs rcclielle juscpfau col de la montagne : enfin nous jetames au loin les grosses cordes, afin de coupcr toule communication avec le haul. » Le lieutenant Taylor et ses amis revinrenl sains et saufs. On les accabla de felicitations bien meritces ; car celte en- treprise est en effet une des plus brillautes qu'on ait jamais racontees dans ce genre. M(EURS SE I'lNDOTTSTAK. IBS OEOTTES b'eIEPH.AMA. — CONCEriT ISBOIT. Nous nllamcs visiter encore dans une petite ile, pres de Bombay, aux Indes orienlales, un des temples les plus re- marquablesclevesaridolatrie. Un elephant, aussi grand que nature, sculpledans le roc, a valu a cette ile le nom A'E- Uphanta. Ce temple n'eslen effet qu'une cavernccreusee a grand'peine dans le roc, donl le toil est supportc par une rangee d'enormcs piliers. Les nuirs sont dccores de statues. Le voyageur est saisi d'etonnement.lorsqu'en visi- taiit cette caverue, il apercoil une foule de ligures mon- strueuses, donl quelques-unes sont trois fois plus grandes que nature, representant les etres cruels et infanies que ces pauvres paiens ignorants adoraienl comme dieux. La muraille, a I'une des exiremites de la cave, est en- combree de figures; lallenliou se fixe aussitot sur un grand buste, ou personnagea Irois teles. Cellc du milieu expime le calme ella diguite : elle represente Brama on la puis- sance creatrice; la lete el le cou soul converts de hrillanis ornements. A gaucbe, c'est la figure de Vishnou, ou I'at- tribut conservatcur; a droile, celle deSiva, ou le svmb.'.lo do la destruction et de I'inconstance Vislmou, magniC- quement coiffe, se voit de profil, tenant dans une main une branche de Irefie sauvage, de I'aulre, un fruit sem- blablea la grenade. Un bracelet, du genre de ceux que les Indous portent encore aujourd'hui, entoure un de ses pni- gnets. Le front saillant de Siva, ses yeux fixes ct sa pby- sionomie sombre, inspirenl la lerreur; des serpents lui liennent lieu de chevelure; on apercoil sur le haul de sa lete un crane humain ; d'une main elle saisit un serpen! a sonnelles monslrueux; elle en lient un plus petit de I'au- lre; enfin, tout est calcule pour jeler I'epouvanle dans I'esprit de ceux qui la regardcnl. Ce buste a environ dix- buil pieds de haul, la figure du milieu en a quaire de lar- geur. Plusieurs autres statues sont cgalemcnt monslrucu- ses; les unes ont deux ou trois teles, quelquefois deux paires de bras; i'une a la tcte d'un elcpbaul sur le corps d'un honime. Enfin, il y a au fond de la caverne une ou deux pcliles salles obscures, ou se celebraienl sans doute autrefois les coupables mysleres de I'idolalrie ; elles sont aujourd'hui 212 SCENES occupees par les chauvcs-souris, les araignees, les ser- pents et les scorpions, dignes habitants de pareilles de- mcures. On ignore a quelle cporiue cc vastc monument, sur Ic- quel on a prodigue mal .i propos le temps el le talent, a cte construit; chaque jour amene sa destruction. I.es sta- tues et les piliers sont en partie renvcrscs. Ainsi (li>p,i- raitronl tous les temples consacres aux iJoles, et le Dieu vivaiitelseul veritable sera un jour reconnu et adore de tous ; nous verrons alors ces pauvres mallieureux esclaves du demon se reunir aux serviteurs de Dieu, sur lesquels Kotre-Seigncur Jesus-Cbrist riignera en toute justice. Nous y croyons, parce qu'il nous en a fait la promcsse. A peine avais-je fait quelques pas hors de ma lente que j'apercus un carrosse anglais du dernier siecle arrete de- vant celle du colonel Wade, attele de quatre belles mules simplement harnacbecs. N'elant pas tout a fail remis du choc inattendu qui avait bouleverse nies sens, je dout,iis |u-esque de la reallle. Mais non ; le vcbiculc el,m la , par- fail modele de ces vieilles et lourdes bcrliues de famille, les pnnneaux peints en bea-i vert, ornes de dorures, sans oublier les pointes de fer s'avanrant mennrantes, la ter- reur des gamins qui auraient etc tentes de monter der- riere ; enCn je croyais voir un de ces vieux fiacres qui parcourent encore les rues de Londi-cs, auqiiel je donne- rais cependSnt la preference s'il fallail eboisir. Les cbe- vaux vigoureux et fringants mOrilaient, en verite, de trainer qudque chose de mieux; et cct elegant equipage appartenait an gouverneur de Pesliaruur ! J'etais fort impatient de connaiire le scbab Jada, pour lequel I'Anglelerre s'engage dans une guerre dispendicuse. Ma curiosite fut salisfaite le soir meme. Je I'apercus au moment oii il sortait de sa lente pour respirer la fiaicbeur qui s'eleve a la fin d'lme journee d'ete ; mais les nuages de poussiere que soulevc autour de Uii sa nombreuse es- corte rendent sa promenade moins agn'able. Le prince, aOn d'imposer aux esprits faiblcs de la populace, et sur- tout dans la crainte des machinations perlidcs des tribus ennemies, ne fi.incbit jamais les limiles de son camp sans etre accompagne de toule sa garde pcrsonnelle et d'une nombreuse suite de cavalerie irreguliern. Ce jour-la une troupe bigarrec de f-inirnnees, qui I'a- \aient rejoint depiiis sou arrivee dans la viillee, conduisait U marcbe. Malgre I'apparence sauvage et grotesque de ces liommcs, on deviiie, a I'exi ression bardie de leurs phy- siononiie, ce qu'ils scraient capables de I'aire s'ils se Iron- vaient nieles a une scene de pillage. Leiirs costumes effient une grande variete : chacun aJcple celui qui Uii plait Jbis radMiirnlion appartienl a ceux qui [loilent la souple colte de mailles, les gantclets, le casque d'acicr ou le bonnet ku:^:Hbacli, fail de peau hrillanle d'agneau noir conimc le geai, el surmonte d'une aigrelle rouge. La cliupkum, ou longue robemu- sulmane, est generalement porlee; mais les coideurs varientencore a I'inRni, selon la fant.iisie de cbaque indi- viJu. Le turban de drap, aux plis nombreux, s'eleve sans gout sur la tele el parail digne de ligurcr avec la cummur- bund, OH ceinture ncgligeniment jclee autour de la laiile; pbisicurs d'entre eux meltent d'immenscs hottes en peau non ]irrparee , ou des .sandales lacees avec des cordes; d'aulres prefcrcnt de gros souliers ferrcs. La men.e va- riete existe dans la couleur de Icur complexion; les i.us sont blancs comme des Europcens, les autres i.'ojrs comme des negres. Ces hommes paraissent affectionner leaucoup la couleur rouge : ils donnciit cctte nuance a leurs barbes ; queli|Ucfois ils se plaisent a teindre aussi la queue et les j.imbesde leurs cbcvaux en rouge, lis monlaient tous de bonnes betes vigoureuses, el leurs armes se composaient d'une \\'gevKJhc:ail, ou carabine, d'une epee oud'un bou- clier. Phisieurs portaient, en outre, une grande lame de sabre. Ladiscqdinelcurestcomph'tementinconnue ; ils nnt Fair mi'nie I'(m'1 vexes d'etre obliges demari'bcren corps; cha- cun s'efrorce de se placer en avant, el, de lenijis ii aulre, DE VOYAGES REGENTS. 213 on voit tin cavalier s'clancer du milieu, partir aii galop en dechargcanl son arnie, et venir rcjoindre ses csmarmles avec unc egale rapidile. Ce corloge et ses usages ni'iiile- ressaient d'aulant fdus qu'ils me donnaient unc idee exacle de la cavalei'ic tant vanlee des Affghans. Bien qu'elle soit cxcellente dans le pays, etlorsqu'il s'agil de combalire Ics hordes qu'elle a renconlrees jusqu'a present, elle n'en serait pas moins aneantie en rase campagne par un seul regiment de dragons curopcens, ou du moins dispersee. Aprcs les Douranecs venait une compagnie de Roliillas, qui soul revetus de choupkoums Ideues, Icurs turbans et leur ceintures sont verts, et lours panlalons en peau de buffle ; ils sont armes de carabines et plus disposes a se sonmetlre a la discipline, cependant la confusion existe dans leurs rangs; mais ils paraissent graves en comjiarai- son de ceux dont nous vcnons de parler. Le prince parut enlin monte sur un magniQque elephant, dont la selle (■tail decoree d'ornements argenles. C'elail un hel liommed'en- viron trenle-deux ans, que la simplicile du coslunie favo- risait encore. II porlail un robe bleue foncc et un turban d'une blancheur eclalante elegamment pose sur sa tete. Mais, en I'exaininant de plus pres, on voyait gravees sur ses trails I'insouciance et une parfaite indiflerence pour tout cc (piirenvironnail. Derricre lui elailassis son wezir, un vieillard aux cheveux argentes, aulrefoislc shonjah du schah (le precepleur du roi) : il se nomme MosUa Shnkore. Un plus pelil elephant et deux gens de service du schah sui- vaient encore ; puis une autre compagnie de Roliillas, et pres d'eux les Risallah, troupe hi™ vetue. Les hommes portent un chupkum rouge et un par-dessus vert; les turbans et les ceintures sont de la meme couleur que ce dernier vetement. lis sont armes d'une epce, d'lin bouclicr et d'une lance legere, a laqucUe s'attache une petite banderole ; le drap de leurs scUes est mouchcte en vert et en rouge ; mais leurs chevaux devraient i'lre plus beaux. En somnie, ils forment unc brillante escorte. EnGn un second dclachc- ment de Douranecs complelait la garde. IiA CHASSE AD TIGRE. II cxiste dans tons les pays des animaux sauvages plus I'orls que I'homme. Cependant, grace a la puissance inlel- Icclnelle que Dieu lui a donnce, il est parvenu non-seule- ment a dompler et a dctruire les plus dangereux, mais en- core a apprivoiser ceux dont la force et I'agilite pouvaieut lui eire utiles. L'elophant, quoi(|ue le plus gros et le plus vigoureux de tons les animaux de terre, se laisse atlrapcr de differcntes manicres. Sa fureur n'apas de bornes quand il se voit prisonnier ; mais il se calnie facilement si on le traile avec douceur, et dcvient un servileur aussi fidele qu'obcissnnl. On emploie, en general, les elephants, aux Indrs oricniales, dans la chasse aux beles feroces, et sur- toul lorsqu'il s'agit de poursuivre le ligre, le plus beau et le plus cruel des aniniau'C. ... J'assistai, en 1840, a une grande chasse an ligre, que je v.iis decrlrc. Les hommes, armes de fusils, montcnt sur leurs ele- phants, dentils se .servent quelquefois comme de chevaux, mais le plus communcmeni assis dans un char ou lioudah, qu'on fixesurle dosde la bete. Un homme du pays se place loujours sur le con de I'animal pour le gnider ; puis on se di- rige vers les epais buissons, on Ton suppose que le tigre se lient cache. 11 est d'abord assez difficile de le decouvrir, parce qu'il rampea plat ventre, esperant se soustraire a la :^iBi^'^^"''\/^ vue des elephants, qn! lui causent beaucoup de fraveur. »Iais les chiens batten l les buissons ; bienlot on voit I'herbe s'agiter, eton ne tarde pas a entrevoir les raies noires de son dos jaune et lustre. C'est la le moment de faire feu ■ la balle a penclre ses chairs. Dienlot la rage remplace la pcur ; i! jette un cri furieux, espece de sour'd rugissement. 11 s'elance sur relephant le plus rapproehe, et cher- cheasaisir sa Irompe. Mais son adversaire, prepare a I'altaquc, relevc le plus haul possible cclte parlie, la jdus sensible de son elre , et s'effnrce d'altraper le ligre avec une de ses defenses. S'll reussil, le combat est bientut ler- mine; la dent le traverse de part en pari; il est ebranle el reloulc jusque sous lerre, abime .sous les larges pieds et les gonoux de relephant. Quelquefois, quand I'elephan est jeuue, la frayeur le saisit ; il se detournc au moment ou le tigre s'elance vers lui ; dans ce cas, la bi"'le sauvage se jette probablement sur I'clephant, et la position des chas scurs devient fort incommode, s'ils ne ralleignenl pas au»- 2« SCENES sitSt d'uncoup do fusil; I'lin d'eux court le risque d'etre | mcnt de relppliantepoiivantp nesniivepas lonjonrs letisre emporte dans sa rciloulalili.' niadiinp. Cqn'iidaiil cc mouvo- | ,i I'aisc, car 11 est d'urdiiiairc drlngi', el sa Lello peau tra- versee de plusicurs coups de fusil qui lui ont fail iles li'.cs- sures mortelles. D'aulres nioyens sont employps par los Inilicns pour se defaire du tifjre, donl quelqucs-uus soul fori amusauls. Lorsqu'on s'est assure de sa presence dans qu(li(ue eu- droil, les paysans ramassent une quaiUite de feuilles d'uu arbre ( sendjlaliles a celles du sycomore), i|ui est Ires-com- niun dans la plujiart des taillis; ces feuilles sont harbouil- Ices de !,'lu el sont repandues aux environs de la retraile obscure oii Ton sonpconne (|ue le tigre se renfeinie pen- dant la chalcur du jour. Si, par hasard, I'animal marclie siir les feuilles ainsi preparees, c'est fait de lui. 11 com- mence par secouer la patle pour se delivrer du nialencon- trcux obstacle; eel expedient ne rcussissant pas, il frotte la glu iiifernale contre ses maclioircs, toujours avrc la nienie intention, s'en barbouille les yeux, les oreilles, et Unit par se nietlre dans un ctat de malaise, lei qu'il se roulo parterre, peul-iHre encore sur d'aulres feuilles gluantcs > il s'en enveloppe cnmplelement, perd la vue, el, dans cette position, on pent le comparer a un homnie goudronne el convert de plumes. L'angnisse qu'il eprouve se revele bienlot par d'affreux hurlemenls, et averlit les paysans que le moment est vcnu dc frappcr srms danser Tolijcl dc Itur I I-es haljilants de qnelqucs grandes iles des Indes ont re- ciccration coi;!'s a d'aulres ruses pour causer la morl de ces ani- DE VOYAGES REGENTS. 21$ matix. Apres avoir croiise une fosse, on y enfonce tout droit, au milieu, iin \nen poiiUu; line jilaiiche, jilacec au lord, se renverse au moiiidrc choc ; on y a depose, a I'une des extrcmitcs, un morceau de viandc; le precipice est masque par des faffots ct des lierbes ; le tigre, attire par la viaiide, vient sur la planche pour s'cu emparer; mais a peine a-t-il atteini le Lord qu'il lombe aussitot, k pieu lui traverse le corps ct lui donne la niort. Quelquefuis ces gens construisent une cage d'osier assez grande pour contenir un lioninie ; un des habitants de I'en- droil, arme d'un long couteau et dun poignard, se dirigc, le soir, vers la rctraite supposee du tigre. II se loge dans la cage, el attend paticmnicnl la null. Le tigre .sort cnfin, rodant daus Ics tenebres, llairc I'liommc cache, et se dirige vers la cage. U se leve aussilul sur ses paKes de derriere, pousseun affreux rugissement; I'lionime, que rien n'epou- vnnle, saisit alors le ijionient favorable pour enfoncer son poignard dans la poilrine de I'aninial. Cetle premiere at- teiiile augnicnle sa rage ; mais I'homme, dcfendu par la solidilo de la cage, brave les attaques furieuses de son cnncmi; il lui inllige de nouvelles ct crucUes blessures qui bicntot mettcut un terme a sa vie. L'XI.S SB TAITI EM 1780 ST EN 1345. n elait reserve aux Franrais de ramcner a une civili- sation douce et huniaine celle ilc heiireusc dont les niis- sionnaires protestants ont fait pendant longlonips une parodie mi.serahle et ridicule de la sociele europi'ennc. Avantdeparlcrde la situation pn'senle de Taili, rappelons I'epoque de la decouverte, et suivons Bougainville dans la curieuse description de cetto ile charnianle. « Pendant la nuit du 5 au 4, nous louvoy.lmes pour nous elever dans le nord. Deux fcux que ncius vimcs avec joie hriUerde toutcs parts sur la cute nous apprirentqu'elle etait habitce. Le 4, au lever de I'aurore, nous reconnumes que les deux lerres qui, la veiUe, nous avnicnt paru sep,iri>es, etaient unies ensemble par une terre plus basse qui se courbait en arc et formait une bale ouverle au nord-est. Nous courions a pleine voile vers la terre, presentant au vent de cette bale, lorsque nous aporcumos une pirogue qui venait du large et voguait vers la cute, se servant de la voile el de sespsgayes; elle nous passa de I'avant et se jnignit a uuc infinite d'autres qui, de toutes les parties de I'ilo, accouraiont au-devaiitdc nous L'une d'ellcsprecedait les aulres; cUo elait cinuluilc par t2 hommcs nus, qui nous presentcrcnt des branches de bananicrs, et leurs de- monstrations atteslaicnt que c'clait la le rameau d'olivicr. Kous leur repondimes par lous les signes d'amilie dont nous pumes nous aviser. Alors ils accoslerent le navire, el I'un d'eux, remarquahle par son enorme chevelure, he- rissee en rayons, nous offrit avec son rameau de pais un petit cochon et un regime de bananes. Nous acceplames son present, qu'il atlicha a une corde qu'on lui jeta; nous lui donnamcs des bonnets et des mouchoirs, et ces premiers presents furent le gage de uotre alliance avec ce peuple. u Bientut plus de 100 pirogues dc grandeur diflerenle et toutes a balancicrs, euvironniireut les iiUi vaisseaux. Elles 2iG SCliNES etaient cliargees de cocos, de banancs et d'aulres fruils du pavs. L'echange de cos fruils delicieux pour nous conlre loules sortos de bagatelles se fit avec bonne foi, mais sans qu'aucun des insulaires vouli'it nionter a bord. 11 fallait entver dans leurs pirogues ou niontrer de loni Ics objcls d'ecbange ; lorsqu'on elait d'accord, on leur envoyait an boul d'une corde un panier ou un filel; ils y meltaienl leurs effets ct nous les notres, donn.int ou recevant indiffe- remmenl avant que d'avoir donne ou recu, avec une bonne foi qui nous fit bien augurer de leur caractere. D'ailleurs nous ne vimcs aucune espece d'armes dans leurs pirogues, oil il n'y avail poinl de femmes a celle premiere cntrevue. Les pirogues reslerenl le long des navires jusqu'a ce que les approcbes de la nuil nous Crenl revirer au large ; loules alors sc relirerenl. nL'aspecl de celle cote clevee en amphilhealre nqusoffrail le plus rianl spectacle. Quoique les niontagncs y soient d'une grande hauteur, le rocher n'y monlre nuUe.part son aride nuditc ; tout y est convert de bois. A peine en crumes- nous nos yeux, lorsque nous decouvrimes un pic charge d'arbres jusqu'a la cime isolee qui s'elevait au niveau des niontagncs dans la parlie meridionale de I'ile. 11 ne parais- sait pas avoir plus de trente toises de diamelre, et il dimi- nuail de grosseur en monlanl; on I'eul pris de loin pour une pyramide d'une hauteur immense que la main d'un decoraleur habile avail paree de guirlandes de feuillages. Les terrains moins eleves sonl enlrecoupes de prairies el de bosquets, el dans loute I'elendue de la cote il regne sur les bords de la mer, au pied du pays haul, une hsiere de terre basse el unie couverle de plantations; c'est la qu'au milieu des bananiers, des cocoliers el d'aulres arbres char- ges de fruils, nous apercevions les maisons des insulaires. « Comme nous prolongions la cote, nos yeux furenl frap- pes de la vue d'une belle cascade qui s'elanr.ait du haul des moutngnes et precipilait ii la mer ses eaux ecumantos. Ua village elait ball aupied, et la cole yparaissait sans brisanls. Nous desirions tons de pouvoir mouiUer a porlce de ce beau lieu ; sans cesse on sondail des navires, et nos bateaux son- daient jusqu'a terre. On ne Irouva dans celle parlie qu'un plalier de roches, etil fallutse resoudre a chercher ailleurs un mouillage. II Les pirogues etaient revenues au navire des le lever du soleil, et loulela journce on (it des echanges; ils'ouvrit nieme de nouvellcs branches de commerce , outre les fruits de I'espece de ceux apporles la veillc el quelques aulrcs rafraicbissemenls, tels que poulels et pigeons. Les insulaires apporlerenl avec eux loules sortes d'instrumenls pour la peche, des herminellis de picrre, des ctoffes sin- gulieres, des coquilles, etc. lis demandaient en cchange du ferel des pendants d'orcilles. Lestrocssefirent, cimime la veille, avec loyaule; celle lois aussi il vinl dans les pi- rogues quelques femmes. A bord de I'Eloile i! monta un insulairo qui passa la nuit sans Icmoigner aucune inquie- tude. « A mesure que nous avions approche la terre, les in- sulaires avaient environne les navires; rafllucnce des pi- rogues fut si grande aulour des vaisseaux, que nous eiimes beaucoup de peine a nous amarrer au milieu de la foule et du bruit. Tuus venaient en criant : Tayo ! qui veul dire ami, el en nous donnanl miUe temoignages d'amilie; tous demand.iienl des clous el des pendants d'orcilles. « On a vu les obstacles qu'il avail fallu vaincre pour parvenir a mouiller nos ancres ; lorsque nous fiimes amar- rcs, je dcscendis a terre avec plusicurs olliciers, aOn do reconnaitre un lieu propre a faire de I'eau. Nous funics recus par une I'oule d'hommes el de femmes qui ne se las- saienl poinl de nous considcrer; les plus liardis venaient nous toucher, ils ecarlaient meme nos velcmcnts conimf pour verifier si nous etions absolument fails comme cux : aucun ne porlail d'armes, pas meme de baton; ils ne sa< vaienl comment ex]irimer leur joie de nous recevoir. L« chef de ce canton nous conduisil dans sa maison et nous j inlroduisil; il y avail dedans cint] ou six femmes et un vieillard venerable. Los femmes nous saluerent en portant la main sur la poitrine el criant plusicurs fois : Tayo! Le vieillard elait pere de noire hole; il n'avail du grand age que le caractere res]iectable qu'impriment les ans sur une belli; figure ; sa lete, ornee de cheveux blancs et d'une longue barbe ; tout son corps, nerveux el rempli, ne mon- trail aucune ride, aucun signe de decrepitude. Get homme venerable parut a peine s'apercevoir de noire arrivee; il se rolira memo sans repondre a nos caresses, sans temoigner ni frayeur, ni etonnemenl, ni curiosile, fort eloigne de prendre part a I'espece d' extase que noire vue causail i tout ce peuple; son air reveur et soucieux semblail an- nonccr qu'il craignait que ces jours heureux, ecoules pour lui dans le sein du repos, ne fussent troubles par I'arrivce d'une nouvelle race. « On nous laissa la liberie de considcrer I'lnlerieur de la maison : elle n'avail aucun meuble, aucun ornement qui la disllnguat des cases ordinaires, que sa grandeur; elle puuvait avoir qualre-vingls picds de long sur vingl pieds de large. Nous y remarquanies un cylindre d'osier, long de trois ou quatre picds et garni de plumes noires, lequel elait suspendu au toil, et deux ligures de bois que nous primes pour des idoles. L'une, c'ctait le dieu, elait debout contre un pilier. La deesse elait vis-a-vis, incliuee le long du mur qu'elle surpassail en hauteur, et altachce aux roseaux qui le formenl. Ces figures, inal faites et sans proportions, avaient environ trois pieds de haul, mais elles tenaient a un picdoslal cjlindrique, vide dans rinlcrieur et sculpte a jour. 11 elait fail en forme de lour el pouvail avoir six a sept pieds de haul sur environ un pied de diamelre; le tout elait d'un bois noir fort dur. IS. Le chef nous proposa cnsuile de nousasseoirsurl'herbe au dehors de sa maison, oii il fit apporter des fruils, du poisson grille et de I'eau pendant le repas; ilenvoya cher- cher quelques pieces d'eloffes, et deux grands colliers fails d'osier el reconverts de plumes noires et de dents de re- quins ; leur forme ne rcssenible pas mal a celle de ces frai- ses immenses qu'oii porlail du temps de Francois 1". 11 en passa un au coudu chevalier d'Oraison, I'aulre aumien.et dislribua les ctoffcs. Kous etions prels a retourner a bord, lorsque le chevalier de Suzannel s'apercut qu'il lui man- quail un pistolet qu'on avail adroitemenl vole dans sa po- clie. Nous le fimes entendre au chef qui, sur-le-champ, vou- lul fouiller tous les gens qui nous environnaient ; et il en maltraita meme quclqucs-uns. Nous arretames ses reclier- clies, en lachanl seulcment de lui faire comprendre que I'auteur de ce vol pourrail etre la viclime de sa friponnerie, et que son larcni lui donnerait la mort. « Le chef ct tout le peuple nous accompagnerenl jusqu'a nos bateaux. Pres d'y arriver, nous fumes arrelcs par un insulaire d'une belle figure, qui, couche sous un arbre, nous offril de partager le gazon qui lui servail de siege. Nous I'acceplimes ; eel homme alors se peucha vers nous, DE VOYAG el d'un air Icndre, aux accords d'line flule dans laqiielle un autre Iiidien soufHail avec le ncz, il iious chanla lente- menl une clianson, sans doule anncreonlii|ue : scejie cliar- m.inte el dijne dn pinceau de Bouclier. Qualre insiilaircs vinrent avoc conliance souper el coucliera bord. Koiis Icur finies enlcndie (lulc, basse, violnn, el nous leur donnames un feu d'artiQce compose; dc fusees etdc sorpcnleaux. Ce speclacle leur causa une surprise nielce d'cffroi. « Le 7 au malin, le clief, donl le noni esl Ercli, viiit ,i bord; il nous apporla un cochon , dcs ])Oules el le pislolel qui avail ele pris la veiUe diez lui. Cut acle de juslice nous en donna bonne idee. Les insulaires nous aiJaienl beaucoup dans nos Iravaux; nos ouvriers aballaicnt les arbres el les mcttaient en bi'iclies, que les gens du pays iransporlaienl aux baleaux ; ils aidaienl de nienie a faire I'eau, emplissanl les pieces el les conduisanl aux chaloupes. On leur donnail pour salaire des clous donl le nonibre se proporliomiail au Iravail qu'ilsavaienl fail. La setile gene qu'on eul, c'esl qu'il fallail sans ccsse avoir I'cEil .i toul ce qu'on a|iportait a terre, a ses poclies menies ; car il n'y a point en Europe de plus odieux filous que les gens de ce pays. ES r.SCENTS. al7 « Cependanl il ne parait pas que le vol soil ordinaire entre eux. Ricn ne ferme dans leurs maisons, toul y esl a terre ou suspendu, sans serrure ni gardiens. Sans doute la curio- sile pour des objcls nouveaux excitail en eux de violenls dosirs, et d'ailleurs il y a parlout de la canaille. On avail vole les deux premieres nulls, malgre les sentinclles el les palrouiUcs. auxquelles on avail jele quclques pierres. Les volcurs se cachaiciil dans un marais convert d'herbesetde r iseaux, qui s'lHendait derrierc noire camp. On le nel- loya en parlie, el j'ordonnai a I'officier de garde de faire lircr sur les voleurs qui viendraicnl dorenavant. Ercli lui- niiMiie me dil de le faire , mais il eul grand soin de mon- trcr plusieurs fnis ou elail sa niaison, en recommandant bien de lirer du cote oppose. J'envoyais aussi lous les soirs trois de nos baleaux charges de pierricrs et d'espingoles se mouiller devanl le camp. u Au vol pres, tout se passail de la maniere la plus aima- ble;cliaquc journos gens se promenaient dans le pays, sans amies, seuls ou parpelites bandcs On les invitait a rentrer dans les maisons, on leur y donnail a manger. » {La suite auprochain numero.) Deuxicrae vue dc TaTli. 1.ES VOIEUHS ET Z.E GUIDE ENOOKMZ. Mon guide espagnol, qui avail recu d'avance I'argcnt de son mailre et le sien , ne se mit nullement en peine de remplir aucune des fonclions de sa charge. II jouissait d'un privilege assez common parmi les gens de sa classe, celui dedormir acheval; mais nul n'elait plus lieureu.-^cment done que lui, sous ce rapport. En premier lieu, son infir- mite(il elait eslropie), el plus encore son indolence, le rendaienl incapable de marcher une parlie de la journee, sui- vaut I'usage, soil a Iravers les mauvais chemins, soil meme a Iravers les bons. Aussi quand je voyais ces liommes rc- monler sur leurs chevaux , j'avais peine souvenl a me de- feiidre d'un mouvement d'inquielude, je savais qu'ils ne larderaient pas a tomber dans un profond sommcil. Mon bomme donnail done a pen pres la matinee enliere • la pluparl du temps vous auriez dit un hibou surpris lout a coup par la brillante clarle du soleil. C'est apres le diner, a riieure de la siesle, que ces gens aiment surloul a user de leur prerogative; la mule, de son cole, semblase pretep volonliers aux douces habitudes de son mailre, et j'ai sou- venl perdu aiiisi uu temps precieux. •218 LE COURAGE MOBAL Le malin, mon guiJe, pour comllc d'ennui, vint m'an- nniicer que mon cheval Loilait, par suile des courses qu'il avail failts dans Ics monlagnes, sans fers, et me proposa de I't'clianger conlre le bidet qu'il delivrerait des bngages; je refusal. Celle nouvelle disposilioadevait necessairement causer du retard, ct me metlre sous la dependance d'un guide quaul a la maniere dc voyager. C'etait la son but. Je tins bon , alleguant que la roideur du cheval disparai- trait avec I'exercice. Mais nous avanc.imcs difiicilement, lies chevaux ctant deja fatigues , ct obliges de pietincr dans les sables epais de la cote. Comme je savais qu'avant d'arriver a Malaga nous au- rions a parcourir les plus mauvaises routes de I'Espagne, j'en avertis le guide et lui recoramandai de ne laisser ap- procher personne de son cheval pendant la route. La suite donnera une idee du succes de ma precaution. Le petit village de Nagirola etait entierement rebati et paraissaiten voie de prosperite; lapechejointe a quelque autre Industrie, offre sans doute aux habitants de grandes ressourccs. Nous nous arret3mes danscelte ville pittoresque, qui a conserve le nom de Benal-Madena, comme au temps des Maures ; elle est balie sur une masse colossale de stala- gmite , ou deposition de carbonate de chaux. Semblable a Tivoli , elle forme sur une moins vaste eehelle des sites eiicbanteurs ; une foule de rivieres , incomparables pour la purete de leurs eaux , I'arrosenl en tous sens. Au-dessus regne le grand ct salubre village de Mijas , oii sonl venus s'etablirde nombreux proprlelaires ; mais comme il est ap- puye contre celte haute muraille de chaux, les chaleurs d'cle doivent y ctre vivement sentics. Environ a une licue au deli de Benal-Madena, a mi-c6te dc la montagnc de Mijas, on rencontre une vaste etendue do pays inculte qui s'incline jusqu'a la mer. En Iraversant cet endroit, je fus surpris de volrarriver de loin , contre Tordinaire, une bande de paysans, au nombre dequarante ou cinqiiaute au moins, marchanl tous ensemble de noire ci'ite. Je lilai aussilut a droite, afin de lescvitcr, bien que leur contenance calme et loute leur maniere d'etre ne me cau- sassenl aucune inriuictude. lis etaieni tous habiUes de meme ct revenaient cvitlcmmeiit de leurs occupations dans les en- virons, pour allor diner et faire la siesle. Mon hibou, as- soupl , peu capable de .suivre mes instructions, passa au milieu de la troupe, se livranl a sa merci. J'observai atton- livement tous leurs gestes; ne pouvait-il s'on Irouver qucl- ques-uns paniii eux qui voulussent profllcr de Toccasion offerte a lour cupiJito. J'apercus en effet deux individus de mauvaise mine, vetus difl'eremment , ct n'ayant aucun rapport avec le rcste de la bande; a peine avais-je eu le temps de rcconnaitre que ces hommes etaient des voleurs, qu'ils s'tdancerent sur mon guide que la foule les avail empecbe d'apercevoir plus tot, I'arreterent tout court et mirent la main sur les bagages; mais au moment de conli- nuer I'ceuvre, I'un d'eux parut frappe de je ne sals quelle pensec, I'autre jeta un regard percant ct insignificatif der- riere lui, puis tous deux poursuivirent leur route sans pro- ferer une parole, sans rien faire de plus. J'avais tout vu, quoique je ne me fusse pas arrete, et peu apres j'arrival devant une cabane, residence des douaniers, qui se trou- vait masquee par un terrain eleve. Ce poste, place la ex- pres pour la surcte des voyageurs, me sauva d'une avenlure dans laquelle j'aurais joue un triste role. J'elais prive de mon fusil, grdce a ce valet mcnleur de Seville, qui I'a- vait mis hors de combat le matin , apres Tavoir deja fajt raccommoder a Druxelles. Combien je fus heureux de pas- ser Inapercu! si Ics voleurs n'avaient pas craint le voisi- nage, lis auraient tout simplcment jete a bas de son cheval rimprudent dormeur, et seraient alles se refugier dans Ics montagnes avec la bete et les bagages. Pensant que nous n'avions plus rien a redouler de ce genre, je m'abslins de conter I'aventure a mon guide, qui probablement n'avail pas meme apercu un seul homnie cu chemin. Mais nous I'avlons echappe belle, car les paysans, scion leur charitable habitude, seraient restes simples spec- tateurs; quelquefols lis se mettent du cole des brigands. Dans ce cas, ma position eut ele fortperilleuse : impossible de songer a la fuite avec un cheval a moitie mort de fa- tigue. Rien n'est done plus necessaire que de voyager bien arme ; je mcritais vraiment d'etre puni de ma coupable negligence. ( Un Tour d Cordoue. ) LE COURAGE MORAL DAXS L4 JEllSSE, tXEMf LES DE FOnCE COKTRE LE SORT, DE IlESlSTAJiCE ET DE SDCCES DAKS LES CAimiEIlES LES PLUS DIVESES. (SUITB. ) MEHJONSON, COOK, DAMPIEB, DES0ABTE3, etc. Si le citoycn de nos villcs. preoccupe de ses affaires, se trouve arrete dans ses etudes scientiliques et lilteraires, comment le soldal et le marin pourront-ils vaincre les obstacles plus nombreux encore qui les assiegenl sanscesso pendant leur vie aventureuse, pour se llvreri ce genre de. travaux. Keanmoins, grand nouibred'hommes celebresen lillcrature et en pbilosophieont appartenu a ces classes do la societe. Le fameux Descarles, pour obeir a sa fainille, en Ira a I'arniee a I'age dc viugt-trois ans. II servit d'alioi'd le prince d'Orange, et plus tanl Maximilien de Daviere. II 'I assistait avec ce dernier a la balaille de Prague, en IG.O, lorsque, reuni .i I'emperenr Ferdinand II, il rumpmia hdu vitloire signalee sur Fretleric, cbcteur Palalin. Cepcndanl la vie de soldal n'enipeehait pas Descarles de ponrsiiivre ses etudes philosophiques. L'u jour, ctant en garnison n i Breda, dans les Pays-Bas, lorsqu'il faisail pariie des lrou|ies j du prince d'Orange, il apercul une foule Je gens assemMes J aulour d'une afliche coUee sur la muraille. Comme elle etaitecrile en hollandais, langue qu'll ignorait ( il elaitr.aiif de la Touraine ), II demanda rexplicaliou a un de ses vni- sins. Le hasard voulut qu'll s'adressiil justement au prin- cipal de runlvcrsile de Dort, malhenialicien distingue, u II s'agit d'un probleme de geometric tres-difficile , repnndit ce dernier d'un air railleur, doni on propose la solution aux gens les plus hablles de la vllle. » Descarles, sans st. laisser intimider par le ton et les manieres du savant pro- 1 fesseur, le supplia de vouloir bien lui Iradulre rafficlie ; d peine I'eul-on mis au couraul, qu'il assura tranquillcnicnt pouvoir accepter le defi. En effet, 11 se presenla le lendc- main chcz Beckman (ainsi se nommail le professcur), avec la solution comnletc du probleme d la prandc surprise do DANS LA J ce pcrsonnage dislingue, qui vraisomblablementn'avait.ia^ mais songe que tanl de science fi'il possible hors de Teu- ceinle d'uii coUrgc on d'une universile. Descarles, pendant son sejuur .i Breda, "a ccllc mcmc cpoque, posa les premieres bases de la plupart de ses do- couverlos malbcmaliques qui Uii ont valu plus lard l.int de celebrile ; il y ecrivil aussi un traile de musique en lalin, oinsi que plusieurs aulrcs ouvrages. Ben-Jonson s'engagea aussi comme simple soldat, pre- feranl ce rude melier a celui d'ouvrier macon, auqucl le second mariage de sa mere Tavail condamne. 11 scrvit quelque temps dans les Pays-Has, seballitcontre les Espagnnls, et acquit une reputation de bravoure dont jl se montra passablcment vain, etaiit plus age. Telle fut aussi la deslinee de Geoige Buelianan, un dos ccrivaius les plus elegants que les temps moderiies aicnt produits : ce qui prouve d'une maniere cclalante que rien ne saurail inlcrrompre les poursuites intcllecluelles des veritables amanis de la science. La vie asscz prolongee de Duchanan s'ecoula presque tout entiere dans une cruelle agitation. Ne de parents pauvres, on I'envoya a I'univer- sile de Paris pour y etre elcve aux frais dun oncle qui mourut au bout de quelques annees ; prive de loutcs res- sources, dans rimpossibilite memederetourner cbezlui, il sejoignit a un corps d'armee particulier, qui albit scrvir cn Ecosse le due d Albany. C'cst ainsi qu'il debuta dans la vie malheureuse donl les details nous retiendraient trop longtemps; il est triste de penser que Buchanan, sans ri- val parmi ses compatriotes au point de vue de la science et du genie, occupant, de I'aveu de toute I'Europe, le pre- mier rang comme poiite, n'ait recueilli a celle falale epo- qiie de troubles civils que la pauvrete, la persecution, la |n ison et I'exil. Jlais nuUe puissance de la terre ne pouvait le depouiller do son royaume , de cctle vaste intelligence oii il puisa sans doute les forces qui laidiirent a sujipor- lerses peines. II lutla centre I'infortune en se livrant plus que jamais aux travaux lilleraires , et ce fut dans les don- jons du Portugal qu'il compo.sa cetle fameuse version la- tine des ^^aumes. 11 venait d'acbever son grand ouvrage sur Pbistoire d'Ecosse, lorsqu'il mourut, age de soixanlc- seize ans, el dans le deniiment le plus complel. Se voyant pres de sa lin , il se fit rendre conipte de I'argent qui lui restail; la somnie clait si moJique, qu'elle ne pouvait siif- fire aux frais des funcrailles : il desira qu'on le dislribu.it aux pauvres. Une ville d'Espagne se chargea de lui rendre cs derniers devoirs. Voyez encorel'immortel auteur de Don Quicholle, quelle fie fut jamais plus traversee que la sienne. Cervantes dobula oiissi par Petal de soldat; il perdit une main a la guerre cl rc>ta caplif cinq ans en Algiiric. On lui rendit enfin la liberie. II revint dans son pays nalal , oil il ne tarda pas a clre compromis dans nne niauvaise affaire et jete de nouvcau en prison, par I'arret injusle des magistrals: c'cst alors qu'il ecrivit la [iremiere parlie de Don Quicholle. Peu de temps apres la publication de son ouvrage, il fut remis en liberie. Cependanl jamais Cervantes , malgre ses nombreuses proJuclioiis lilterains, no put r.-parer les maux causes par les facheuses circonslances qui le poursuivirent clant jeune. La diidicace du dernier ouvrage qu'il nous a laissc flit ecrile qualre jours avant sa mort ; il y park desa procbaine dissolution avec le plus grand calme. Cervanles mounil a soixante-neuf ans, le 23 avril 161", une annee iHl juslcapros le grand S!iali",i;>oar. EUNESSb. 210 Combien d'autrcB encore, qui ont su mcllre a profit les penibles et laborieuses annees passees au camp ou a bord d'un vaisseau , sont parvenus non-seulement a une baiile inslruclion, mais a se faire un nom distingue dans les sciences et les leltres. Si Dampier, le celebre naviga- leur anglais, n'avail pris le soin de repasser et d'accrnllrc le peu de connaissances qu'il avail rccues avant de qiiiller son pays, il est presumable qu'etant si jeune au moment de scmbarquer, il cut lout oublie, quand on songe a la vie vagabonde el indisciplinee qu'il mena pendant si long- temps. Le recit de ses voyages nous en donne une preuvc lividenle. Nous n'avons pas d'ouvrages de ce genre ecrils avec plus de vigueur et d'exaclilude ipie ces volumes: ils revelonl a cbaqne page un esprit philosopbique et profond d une vaste elenJue. A cole de Dampier, nous placcmns un nom plus ancien, celui de John Davis. Ce marin a do- convert, comme tout le monde sail, le dclroit bicn connii qui mene a la baie de Baffin. Davis n'ctait aussi qu'un en- fanl lorsqu'il parlit ; et c'esl a I'epoque ou il rcmpli.ssait les devoirs de sa profession, qu'il a du acquerir les connais- sances dont il a fail plus tard un bon usage. Non-sculc- meiit il nous a donne le recil de plusieurs de ses voyages, mais encore un traile sur Ihydrographie generale de la terre ; il fut en oulre Pinvenleur dun inslrmnenl (le quart de cercle) propre a prendre la hauteur du soleil en mer. Robert Drury, dont I'ouvrage sur Pile de Madagascar, comprenantle recit de ses ciranges aventures, est connu de tons (on vient d'en faire une nouvelle edition), merile d'etre cite parmi les auteurs cleves sur mer. Drury avail qualorze ans lorsqu'il parlit pour les hides. Au retour, Ic vaisseau echoua pres de Pile dont nous avons paile; il y resla qiiinze ans caplif, et qnand il Irouva moyen de s'li- cbapper, il avail presque ouldie salangiie nalale. Cependant il enlreprit d'ccrire sa vie, laclie ipi'il accoinplil pendant qu'il reniplissail Phumble foiiction de concierge a la Com- pagnie deslndes. L' ouvrage est ocrit avec sinqilicile et bon sens. II renfernie d'interessauls details sur les nneurs des liabilanls de Madagascar. Falconer, geiieralement connu sous le litre d'anleur du Nitufiage, vecut sur mer des Penfancc. II naqnit pro- bablemenl dans uae des peliles villes du comle de Fife, snr les limiles du Frilh et dn P'orlb ; mais on ne sail rien de posilif a Pegard de sa ville nalale, de sa famille, ni memo de la maniere dont il acquit les premiers eleinenls de son edncalion, si ce n'est qu'il Irouva un mailre iiomme Camp- bell, liomme assez instruit, qui remplis'^ait la charge de. caissier du vaisseau sur lequel le prince Falconer sembar- qua. Quoi qu'il en soil. Falconer se fit connaiire cnmmc auleur a un age peu avance: c'esl a vingt-cin(|ans, dil-on, qii'il publia son poemc sur la mort di' Fredi'iic, prince de Galles, pt're de Sa Majesle George 111. A dix ou douze ans, il avail deja compose son Aaujiuge. qui est, a ce que I'on croil, le recil de ses avenlures personnelles. Les sneces lil- teraii'cs de Falconer ne lui firent pas renoncer a sa pro- fession. 11 passa de la marine marchande au service royal, s'eleva petit a petit, et parvint a la charge de trcsorier sur un vaisseau de guerre. Peu de temps apres, il publia eel autre ouvrage qui a surtoul conlribue a faire sa repula- lion, le Diclioiwaire imirersel de la marine, qui est encore un ouvrage modele. 11 a ecril plusieurs aulrcs morccaux poeliques complelement oublies. Aussilul apres la publica- tion du dii'lionnaire, il fit voile pour le Bengale, comme trcsorier de la fre^ale P/lwrore, donl on n'cntendil jamais 220 LE COURAGE MORAL parlcr, une fois qu'elle eut passe le cap do Bonne-Espe- ranco. Oiordani , ingeniciir et malhemalicicn ilalion du dix- soplieme sieclc, fut dans I'di-iginc solJal a Lord d'unc dps galercs du pape ; ses moyons el sa bonne conduile ayant atlire I'aUcnlion de I'amii'al, il lui donna en recompense la place de Iresorler sur iin de ses vaisseaux. Giordnni, oblige (le tenirla coniplabilite, scntit pour la premiere fois le be- soin de connaiire rarilbmetique dont il n'avail pas la moindre idee. II se mil a Tetude; et,a force de perseverance, sans consei! de pcrsonne, il parvint a se ranger au nombre lies malhematiciens habiles ; enQn, apres avoir publie c|ui>li|ucs l)ons ouvrages, on lenommaprofesseurau college de la Sa- pience, a Rome. Giordan! mourul en 17U. M. John Fransham, mort a Norwich en 1810, figure aussi sur la lisle deshommes qui sesonlelevesdVux-memes; d'un aulre cote, c'esl le caraclere le plus exccnlrique qu'on puisse rencontrer. 11 resla environ deux ans apprenli chez un lonnelicr; c'esl la qu'il appril les malhemaliques. Plus lard il devinl clerc d'avoue, mais ce genre de vie sedenlaire ne convenait pas a un homme aussi petulant ; apres avoir parcouru le pays, il Unit par s'enrolcr, niais il clait si peu fait pour le service mililaire, que ses chefs ne larderent pas a le congedier. On crul a la verite s'apercevoir d'un derangement de cerveau, lorsque son abjuration du chrislia- nisme" en faveur du paganisme changea les doulcs en cit- tiludes. Bien qu'il eut publie plusicurs ouvrages a I'appui desa bizarre theologie, et qu'il se conduisilsous d'aulres rapports de la maniere la plus excentrique, il trouva moyen de se sufDre en donnant des lecons de niathematiques, qu'il etail fort habile a enseigncr, dit-on. 11 habila Londrcs plu- lieurs annees. L'histoire de John Oswald a beaucoup de rapport avec celle de Fransham. On dit qu'il apprit seul le grec, le lalin et I'arabe, pendant son sejour aux Indes, a Tepoque oii il remplissait les fonctions de lieutenant d'un regiment d'in- fanlerie; a son retour en Angleterre, il publia successive- ment plusieurs pamphlets poetiques et politiqucs, et se hi remarquer par la bizarrerie de sa conduiteel de ses opi- nions; non content derenonccr a loutenourritureanimale, il affectait une grande predilection pour la doctrine reli- gieuse des Brahnianes.Quandlarevidutionfrancaise cclata, Oswald passa le detroit et alia offrir ses services a la repu- blique ; il parvint au grade de colonel, et trouva enfin la mort dans une bataille. Colomb lui-mcme, un des plus grands hommesqui aicnt jamais exisle, s'il est vrai que les vasles projels glorieuse- mcnt realises constituent la grandeur, poursuivit avec zele, durant sa vie do marin, les etudes speciales a sa position, acquit un noni distingue parmi les plus savants geognphes et astronomes de son temps, etperfeclionna lesconnaissan- ces en litterature donl on lui avail donnc quelques notions au college. On raconte qu'il prenaitsouvent plaisir a com- poser des vers latins. L'education du fameux Cook se fit de la meme maniere. Fils de pauvrcs paysans, il faillit accepter les offres d'un voisin gonereux pour lui apprendre a lire, ecrire et comp- ter un peu. A I'age de treize ans, on le recut apprenli chez un boutiquier de la petite viUe de Swailh, presdc Newcastle: c'est la qu'il s'cprit de passion pour la mcr, et peu de temps apres, son maitre ayant consenii a rompre son traile, il s'cngagea sur un cahoteur, faisant le commerce de char- bons; puis il cntra dans la marine royale, et s'y dislingiia DANS LA JEUNESSE. de telle maniere, qu'au bout de frois ou quatre ans, on lo nommacontre-maitrcdu Mercure, qui faisait partie de I'es- cadre qu'on envoyait a Quebec. On putjuger alors, pour la premiere fois, des progres qu'il avail fails dans la partie scienlifique de sa profession, car il venait de mettre au jour cette magnifique carte qu'il a tracee de la riviere Saint-Laurent. Cepcndant, il sentait le desavantage de son ignorance en malhemaliques ; et, tout en prenant part aux operations hoslilcs dirigees contre les Francais sur la cote del'Amerique du Nord, il s'applicpia a I'elude des elements d'Euclide, dont il ne tarda pas a so rendre maitre ; puis il so tourna vers I'astronomic. Un ou deux ans apres, quand il stationnait encore dans les memos parages, il communiqua a la Sociele royale un rapport sur une eclipse solaire qui eut lieu le 5 aout 17G6, d'apres la- quelle il calcula, avec beaucoup d'exaclitude et d'habilete, la longitude du point d'observalion. Ce rccit fut imprime dans les Transactions philosophiques, et etablit complcte- mentsa reputation de marin savant et habile. Le gouvernc- ment, d'apres les solhcilations dela Sociele royale, se deci- da a envoyerdansla mer du Suddes hommesdechoix, alin d'y observer le passage precis de la planete Venus sur le disque du soleil (phenomene qui promettait d'interessants rosultals a I'astronomie). Cook fut appele au commande- ment du vaisseau (he Endeavour (I'Erforl), destine a faire le voyage. II donna dans cette occasion de nouvelles preu- ves d'habilete, ettout en arrivant au but principal, il faisait encore d'impnrtantes decouvertes gelographiques. Au retour, un an plus lard, on lui confia le comniandement d'un autre vaisseau, destine ,i parcourir lesmemes regions, mais ayant plus particulicremenl en vue la solution de cette question, concernant I'existence d'un continent polaire au Sud. 11 resla presdetrois ans absent; neanmoins, grace aux moyens admirables qu'il adopta pour conserver la sante de ses ma- rins, il revinlau pays natal, n'ayant a deplorer la perte que d'un seul homme. Apres avoir fait, a ce sujet, un rapporla la Societe royale, on I'admit au nombre des membres de ce corps savant, puis on lui decerna lamedaille d'ordeCopley, en recompense de ses Iravaux. Lerecit qu'il a fait lui-meme de ce dernier voyage passe pour un modele dans cc genre de narration. Tons nos Iccteurssavent comment setermina la brillanle carriere de Cook. II entreprit un Iroisieme voyage a la recherche d'un passage conduisant de la mer Atlantique a la mer PaciDquc, le long de la cote du nord de I'Amerique. Ce but ne fut pas rempli, mais I'infortune commandant put encore pendant sou voyage enrichir la science de plusieurs aulres dccouvertes. La mort du capitaine Cook eut lieu le 1i Janvier 1779, a Owyhie, dans une emeute escitee par les natifs de I'ile. L'Europe enliere partagea les regrets de ses compatrioles. Le gnuvernement accorda des pensions a sa veiive et a ses trois Dls; la Societe royale fit frapper une medaiUe en son honneur; I'Academie llorentine Ot son panegyrique; une foule d'aulres hommages lui furentrendus par les societes publiques et par un grand nombre de parliculiers. Voila comment les efforts perseverants de ce grand homme lui acquirent, malgre son obscure naissance, cette reputation aussi vasle que I'univers, dont le souvenir ne s'eflacera jamais, du moins tant que l'histoire parlera du sieclc oil il vecut. Mais qu'esl-ce que cette renommee, tons CCS houncurs, compares aux precieuses qualitcs mo- rales de Cook. II avail combattu, il avail ennobli son etre, ct s'etait place bien haul parmi les preccptcurs el les li LE DEVOIR ET L'HEROISME CHEZ LES FEMMES. •2-21 bienfaitcurs de I'liumanUe; il avaitcnfin su troiivcr \o. seul bonheur veritable, leseul qui soil digne de noire anihilion, le seul qui puisse offrir une ample recompense au Iravail, a retiide ct a I'aclivite de I'liomme qui s'efforcc a pratiq'ior la verlu. Aucun des camarades de Cook ne s'esl eleve au- dessus de sa condilion ; pas UQ n'a peut-elre grandi, meme sous le rapport inlellectuel. Loin de le regretler, bicn des gens diront que tous ccux qui se sont contcntes de la sphere oil la Providence les avail places ont ele probablcment aussi heureux que d'au- tres plus favorises el plus ambilieux. N'est-ce pas lii jeter un coup d'oeil trop leger sur la vie el la nature humaiue? Tout bomme qui reHechil sur le passe el sur I'avenir, se dira qu'il aurait pu elendre les faculles que Dieu lui avail donnees. 11 ne s'agil ici ni d'bonneur ni de ricbesses, on y arrive difBcilemenl; d'ailleursle bonbeur n'esl pas la. Mais il fautque nous ayous attciut quelque progres inlellectuel et moral pour elre salisfails de nous-memes; sans quoi plus de conlentcmenl possible, en jetaut un regard sur le temps passe ou a venir. Persnnne n'ecbappe a cettc puissance intcrieure, el s'il clait possible qu'uu simple desir nous procural le bonbeur en question, tous les boninies s'cmpresseraient d'user de ce privilege. Qui vouJrait vivre dans Tignorauce si, pour acquerir la science, on n'avail autre chose a faire qu'a regardcr passer les nuages? Mais le travail epnuvanio ; nous n'avonspasle courage de I'entreprendre. A dire vrai, ces lultes infaligablesdonnent ala science loute sa valeur; par elles nous decouvrons le merile qui est en nous, en mcnie temps qu'elles nous mencnl au but. et deviennent la source de cetle satisfaclion dont nous avons parle; d'ail- leurs le Iravail lui-meme finit par elre plein d'allrails. Nous pourrions citer, a cute de Cook, plusieurs aulres marins qui ont Irouvemiiyendecultiver aussi la lilteralure ct les sciences, sans jamais negliger aucun des devoirs de leur laboricuse profession. Vancourcr, forme par Cook, nous a donne le recit habilenient ecrit de son voyage au- lour du monde en 1790 et les quatrc annees suivantes. Le lieutenant Flinders, commandant I'expedilion de 1801, chargee de surveiller la cute de la Nouvelle-llollande. jpii- blia plus lard le recit de son voyage, en y ajoutani un volume de cartes fort eslimecs, qui placeiuleur auteur au premier rang des modcrnes hydrographes. N'oublions pas de rappeler ici lord Collingwood, bomme du plus grand nicrite, bien qu'il n'ait jamais rien public. La corrcspondancc qu'on a fait paraitre depuis .sa niort nous le represente comme un des meilleurs ecrivains modernes. Cependant il entra au service de la marine a treize ans, et vecut fort peu de temps sur le continent. On s'clonnail, en general, de ce talent epistolaire ; mais il avait toujours aime a lire ct a s'occuper do lilterature, et la vie errante de marin ne I'emiiecha pas de se livrer a ses gouts. II ne nous convient pas d'appeler ici I'attention sur les hommes qui vivent encore de nos jours; mais les noms des ofliciers de marine franoais, anglais, americains, allcmands, lesKolzebue, lesDumont d'Urville, lesFreycinet, qui sont a la fois d'babiles commandants et haut places comme sa- vants, se presenteront en foule a la memoire de tous ceux qui ont eludie les annales des peuples modernes. LE DEVOIR ET L'HEROISME CHEZ LES FEMMES. lA VIE DES FEMMES ORIENTALE3. VISITE AU HAREM. Les Orienlaux, conduits et formules par Mahomet, ont fait de leurs femmes des esclaves parecs; le devoir et I'lie- roisme n'apparticnnent en realite qu'a la chretienne. On cilerait vainement dans les annales orientales un caraclere comparable .i cette adorable Jeanne Gray, si pure, si sa- vante, si delicate, dont nous conterons plus tard I'bistoire. Le chrislianisme a emancipe la femme ; ce n'cst ni I'be- roTsmc ni le devoir qu'il faut allendre des esclaves orien- tales, mais une existence toule sensuelle et materie'le, la vie de gracieux enfanis, telle que I'adecrite une vojageuse anglaisede cetle dcrniere epoque. 0 J'habilaile Caire quelque temps, dit-elle, .sans avoir ja- mais ose me risquer sur un de ces ,ines gigantesques dont I'aspect est vraiment formidable. A I'exemple de la plupart des femmes du pays, je me bornais a la selle ordinaire, re- couverle d'un petit tapis de pied. Mais quand il s'agit de visiter les grands harems, I'ane colossal est absolumenl de rigueur. Au fait, je trouvai cetle monture infiniment preferable a celle de ma bourrique habiliielle. J'etais, il est vrai, sans cesse obligee de courber la tele chcmin faisant, sous lesportes; je risquais aussi de me heurler conire les fenetres saillanles des premiers elages : il fallait elre tou- jours sur le qui-vive; mais, a cela pres, le grand une mi- rile assuremcnt la preference sur les antrcs. LE DEVOIR ET L'BEROISME OHEZ LES FEMMES. 222 Ari-ivee a la maison d'HaboeJ-Efendei, ct apres avoir franchi la porte exlericiirp, jc vis que les apparlenientsdii harem ne se borncnt pas aux premier et second ctages, comme pour la pluparl des maisons des tjrands du pays : ils formcnt uneliabilalion separce, complele, el differente dc ccUe des liommes. Apres avoir traverse une salle spacieuse, pavee en marbrc, nous fumes recues a la porle du premier apparlcment, par la lllle ainee d'Uabeed, qui me fit les sa- lutations orienlales d'usage, louchant avec sa main droite ses levres et son front ; quoique entouree d'esclaves, elle voulut me debarrasser elle-meme de men costume deche- val. C'ctait le comble de la politesse; les visitcurs ne sont ordinairemcnt accueillis d'une maniere aussi (lalteuse que par les classes moyennes ; dans les grands harems, les es- claves sonl seuls charges de proccder a cette ceremonie, a moins qu'un des membres de la famille ne veuille spe- cialement honorer un personnage de haul rang. Quand je visile les nobles pays, je reprends, pour mon costume de cheval oriental, mes robes a I'anglaise ; je me dispense ainsi de certains usages humilianls. Sous les vele- meiitsturcs de I'interieur, je serais obligee de m'y soumettre contre mon gre. En ma qualited'Aiiglaise, la haute sociele m'accueille, non-seulement comme une egale, mais comme une superieure. Jamais je ne suis allee au dela des saluta- tions ordinaires en usage, a moins que je ne voulusse don- ner une marque de deference a quelques femmes agees. Dans ce cas, je m'incline respectueusement, je haisse ma main droite avanl de la porter a mes levres el a mon front, Quand j'accepte des sucreries, du cafe, des sorbets, etc., et que je rends I'assiette qui les contenail,je fais le salut oblige a la premiere femme du harem, dont le rang est in- dique par la place qu'elle occupe sur le divan. Chez moi, et quand je vais chez les femmes de la classe moyenne, je porle le vetemenl lure, qui est on ne pent plus commode et bien adapte au climat. Mais pour sortir, j'ai toujours prisle costume de cheval oriental, queje vous ai depeinl. Lorsqueladameen question m'eul aidee a oter mon par- dessus, une des esclavesde service s'en empara, I'cnveloppa dans un dclicieuxmoucboir decachemire rose brode en or, ct fut le porter, selon la coulume, dans une piece voisine; on obtient ainsi quelques instants de plus, quand le visiteur vent se retirer avanl qu'on ait pu lui presenter d'autrcs rafraichissements. Ma nouvelle connaissanee me conduisit au divan, pres de la place d'honneur reservee a sa mere, cousine ger- maine du dernier sultan Mahmoud. Cellc-ci ne tarda pas a venir ; elle me flt aussi I'accueil leplusgracieux, melaissa a sa droite, landis que la grand'mere du pacha Abbas etait a sa gauche. Peu de temps apres, la secoiide fille se reuuit a nous, m'adressaen termeschoisis des paroles pleines de bienveillance. Son costume elait si hrillanl, que je vous en ferai la description. Sa Icle etait ornee d'un cachemire fonce, torliUe aulour d'un larbovch; une magnifique gcrbe de dianianis, li.we a droite, ombrageait une partie du front. Cette gerbe se composait de gros brillauts represeiilant trois hubs an centre, d'ou s'ecliappaient trois branches de fornie ovale, longues au moins de cinq pouees. Trcs-haut, sur le cole gauche, on voyait un ncEud de diamants qui relcnait une touffe de boucles artificiclles sans doute ; le gland de soie Lieu de rigueur atlache au tarbouch sc parlagcait, et llot- tait de chaque cote. Sa loiisue tunitiue, ses largcs pnula- lons etaient en etoffe des Indcs foncce, 4 (Icurs; un beau cachemire enlouraitsa taille; elle avail surle con plusieurs rangees de grosses perles fines entremelees de grains d'or. Cependant, malgre tout ce luxe, elle n'cn etait pas moins etrangemcnt defiguree; avanl imagine de se peindre de larges sourcils noirs les plus disgracieux, de maniere a effacer entiercnienl rexpressionnaliirelledonnSeasa phy- sionomie. Les femmes de loules les classes ont, en general, adople cette singuliere manie. Une foule d'esclaves blanches, fonnant nn grand demi- ccrcle devanl nous, recevaient des mains des gens places dans I'antichambre des plateaux d'argent converts de friandises, disposees sur des plats de cristal, donl chacun renfermail trois cuillers, lesquelles porlaienl aussi chacune deux morceaux de sucreries. Puis venaient aussi le cafe, les peliles lasses de porcelaine de Chine, plncces comme a I'ordinaire, sur un pied qui a la forme d'un coquetier, non pas uni on en filigrane comme dans les maisons ordi- naires, mais enrichi de diamants Ces pieds sont assure- ment fort elegants, mais plus coiileux que de bon gout. Le cafe ne se sen jamais sur le plateau, I'esclave I'offre a chaque personne, tenant gracieusemenl le pied de la tasse entre le pouce el I'index de la main droite. Ces rafrairliis- sements ne tarderenl pas a clre remplaces par des sorbels renfermes dans des lasses de crislal, avec leurs soucnupes el leurs couvercles clcgammenl tallies ; chaque plateau avail sa riche couverlure brodee que Tesdave enleva quand elle s'approcha de nous. Apres avoir hu a peu pres les deux tiers de noire sorbet (I'usage ne permel pas qu'on en prenne davantage ), une femme vint nous apporler le grand mouchoirblanc brode, qui doitserviras'essuyerla bouche; mais il sufDl dc I'approcher de ses levres, on passcrait mt'me pom' novice si on I'employait aulrement. On nie proposa, avanl de parlir, de visiter la maison : alors la fiUe ainee mepassa le bras autour du con, el me conduisit ainsi vers une piece magnilique environnee dc divans; la partie clevee etait reconvene denatlcsindiennes, puis, au milieu de la salle, s'elevait la plus elegante fon- taine que j'aie jamais vue en Egypte, delicieusementiiiciiis- tee de niarhre rouge, blanc el noir. Le plafond, cliargi' de riches el magnifiques arabesques, contraslait singiilicre- inenl avec les murailles loutcs blanches, sans ornemenls, al'exccptiondubois qu'on avail couvertde tuilesllamandes. On me fit nionler a I'etage superieur, toujours dans l,i memo position. Rien de plus divertissant el de plus flatleuv en mrme temps, quand on songe que ces dames apparlc- naient a la famille royale de Turquie. Kous entninies dans la chanibre qui donne sur les bains, fort commodement arrangee et meuhlee de divans; mais le voisinage nous envoyait une vapeur cbaude .si dos- agreable, quo nous en sortimes volontierspouraller respi- rcr I'air frais de la galerie. Arrivees sur I'escalier, la seconde fille d'lIabeed-Effendci viul reniplacer sa soeur. Mon cou changea de bras ; nou,5 descendimcs et rentramcs dans la premiere salle ou j'avais cte si bien accueilli. Au moment du depart, la fdle ainee prit mes vetemenis de cheval des mains de I'esclave, else disposa a m'habiller; mais sa scour lui dit : « Vous les avez oles, c'esl moi qui dois les rcmctlre. » La premiere y con- sentit presque, tout en gardant le haburah, de sorte qu'elles presiderent ensemble a ma loilelte. Apres m'avoir saluee comme al'ordinaire, ellcs meserrercntcordialement la main et me bniscrcnt lo joue. Puis ces dames, suivia PETITES d'une foule d'esclaves blanches, m'accompagnerent jus- qu'a la cour, que nous (raversames pour relrouvci' la giande porle parlaquelle j'etais enlre. EUc olail toutsim- plement fcrmee par une grande nalte suspcudue, formaiit le rideau dii liarcm ; de nombreux esclaves noirs vinninl aussitol dc liiUeiicur soulevor celie redoulnble banieie; ces dames nous Jircnl adieu, et renlrerciit avec leuis fcnimes. Le gardien principal nioiila d'aborJ sur la plale- forme clevec et m'inslalla sur I'ane, landis que deux autres MORALES. 223 arrangerent mes pieds dans les eiriers , nos domesliques ayant ete relegucs plus loin derriere la maison. Quelques jours apres celle visitc, on m'envoya une sc- conde invilalion du barem, dans Inquelle on pronicllait de donncr a mon intention une fele ct un maguilique concert. Toutes les joies el toulcs les peines des fcmmes musul- manes sont sensuelles et pbysiques. Celles des femmes chrctiennes sont loules intellectuellcs el morales. PETITES MORALES. GARNET DUN VIEUX CURE. La Cluiive-Soaris. — Le Natval. KA CBAUVE-SOUBIS. la facullede voler n'appartienlpas sculemeulaux oiseaux. Les milliers d'insecles, dont les ailes niembraneuses brillcnt an solcil, scmblent mcme se complaire Lien plus dans les airs que les autres oiseaux ; les mouches, qui vont et vien- nent sans cesse, ct penelrent dans nos apparleinents, soul infalig.ibles. Parmi les quadrupeJcs volants, la chauve- souris est une des plus remarquables. Si vous n'avez ja- mais vu de pres cette singuliere petite creature, vous ne pouvez vous en faire une idee ; sa pelile figure noire pa- rait timidement au milieu de grandcs oiles decbarnees dontelle se voile, et ses yeux brillants la rendent tres-se- duisanle. J'attrapai une fols une chauve-souris dans une cbambre, que je conservni plusieurs jours. Je la nourris- sais d'insecles qu'elle devorait en se couvrant la C"urc de ses ailes, sebornanta manger les corps et rejetanl tout le reste; tantot elle s'installail sur la fem'trc, sautnit sur les mouches qui voltigeaienl conlre les vilres; lantol elle en gueltait une qui se dirigeait vers la feniHre, et s'elancait de maniere a I'altraper au milieu de la cliambre. On croil, en general, qn'une chauve-souris est obligte de selancer d'tin endroitcleve pour voler: c'est une erreur. J'ai vu la I mienne prendre son clau clant d terrc, sans la moindre I difficulte. Les ailes dela chauve-souris ne ressemblcnt pas i celles de I'oiseau, elles n'en sont pas moins admirablcs. Imagi- ncz que vos quatre doigts sont presque aussi longs que lout voire corps, recouverts d'une peau ( espece de cuir) S2i PETITES MORALES. qui s'ctend encore sur les ic»\ cotes du coi-ps jiisqu'aux pieds, vous aurcz ainsi une idoe dela cliauve-souris ; mais comme !a queue de cede lele est assez longiie, la pcau eoiuinue a s'y tilendrc jiisi|u'au bout. Ou comple jusqu'a dix-.scpt es|jeccs diffcrcntcs do cliau- ves-souris en Anglcterre, dont la plupart ne sent guere plus grosses qu'unc souris. Elles se cachent le jour, suit dans le creiix d'un arbre, soit dans de vieux batimenls ou dansl'intcricur des maisons. A peine la nuit a-t-elle paru, qu'ellcs sorlent de leurs retraites, volligcnt sans bruit, mais rapidcment, allant et venant dans les verles allces, au-dessus des rivieres, et se posenl au somnict des plus grands arbres, allirecs dans ccs lieux par I'aboiidance des insecles de loule espece, et surtout des mites qui s'y Irou- vent et dont les cbauves-souris aiment a se nourrir. Cepen- danl, c'est I'ete seulement que ces pclites creatures sont avides des jouissances qu'elles se prociirent au dehors ; pendant tout I'biver la cliauve-souris reste suspendue par ses griries de derriere, la tete baissce dans qucbpie coin obscur,cedant a unelatlctbargique qui ressemble alamort. On voit, dansplusieurs ]iays cbauds, des cbauves-souris aussi grosses que des chats, dont les ailes ont cinq pieds de largeur : elles mangent, en general, des fruits, mais on pretend qu'elles aiment a sucer le sang. X.B NARVAX. OU LICORME DE MER. Le pauvre habitant du Groiinland se risque seul a alta- quer le narval, sans s'effrayer de ses trente-six pieds de long, Cet animal, de I'espece de la baleine, produit comme ellc une quanlite d'huile tres-precieuse. On tire aussi parti de 1 ivoire magnifique de sa dent contournee postee au sommet de la tete, et qui s'avance comme une grande cornc, d'oii lui vient probablcment le nom de licorne do mer. Quoique redoulable parsa dimension, le narval cstti- mide, inoffensif, et le pecheur ue craint [las de le har- ponner. II commence par preparer un canot singuliere- inent conslruit, reconvert entiercment d'une peau de veau marin, au milieu de laquelle il fait uneouverture assez grande pour y passer le corps ; puis il cndosse un habit de la mcnie pcau, bien juste a sa taille. Une fois dans le ca- not, le bas du veternent s'etale aulour de I'ouverture et le recouvre do maniere a empecher I'eau d'arriver jusqu'a ses pieds. La conslruction parliculiere du bateau fait qu'il (lotto toujours, lors merae que la mer est mauvaise. Si cepen- dant ilvientaculbuter, pen importeau pecheur, il ne s'en effraye gucro ; un bon coup de rame le releve promptement, tandis que son habit de pcau I'a emperhe de se mouiller. Voila done ce pauvre homme elabli dans son bizarre ca- not, avcc sa lance au bout de laquelle est attache un gros peloton de corde ; il ranie harJiment au milieu des vagues orageuses; tnut a coup il voit nager un narval, qu'il a pu dislinguer de loin, la blancheur de sa peau bigarree de hrun se dclachanla merveiUe sur I'eau ; il avance doucenient et avec precaution, de peur de I'effrayer, quoicpi'il se hitc d'arriver avanl qu'il ait eu le temps de disparailre. A une petite distance delui,il lance de loutesa force le harpon sur le corps de I'animal sans le retirer. Le narval se replonge aussil6t,el le peloton se devide jusqu'a ce qu'il soit oblige de rcvenir sur I'eau, comme la baleine, pour respirer. Vous aurez peine a compreuilre que des hommes se nour- rissent de la chair et de I'huile de cet animal ; cependant on les verrait souffrir et deperir s'ils en etaientprives. Tars. — T)|in{;rapliii' d'A. r.K.M. el Cie. n;c de Seine, 32. LE LIVRE DES FAMILIES ou JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE. W 8.-I« Volumo. 1" Juiu 1845. LE MOIS DU JEUNE CHRETIEN. FfiTX SX SAINT JXA97.BAFTISTE. Pariiii les solennites institutes pour honorcr Ics grands ••ervileurs de Dieu, il n'en est point, npres cellesdeMarie, qui aient inspire une si univcrsclle nllesresse .i la catlioli- eite que la fete du saint precurspiir dii Messie. Faut-il s'en etonner lorsqu"on lit dans les divines Ecrilures que jiarmi les enfants des femmes il n'en a point pani dc plus grand que Jean-Bapliste. De quelle Louche est emane un si nia- gnifique temoignage? de celle de Jesus-Christ lui-racme. Sa naissance fut miraculeusc. Zacharie son pere, un des pretres de la loi de Moise, offrant un jour des parfums au Seigneur, pendant que le peuple se ten.iit dans le parvis du temple, eut une merveilleuse apparition. L'ange Gabriel se montra a ses regards surpris. Le mcssager celeste se te- nait debout au cote droit de I'autel, et Zacliarie etait saisi de frayeur. Ne craignez pas, lui dit l'ange ; voire fenime Elisabeth, quoique sterile, vous donnera un Ills qui sera grand dcvant le Seigneur. II aura le nom do Jean. Or, ce nom Joannes signifie plein de grace. L'ange continue : « Ce fils vous comblera de joie, il sera pour phisieurs un cc sujet d'allegresse. Des le sein de sa mere, il sera rempli c( du Saint-Esprit; ilconverlira phisieurs d'cntre les enfants « d'Israel a leur Dicu... » Zacharie ne voulut point ajouter Ibi aux paroles de l'ange : « Je suis vicux, dit-il, et men c( epoHse est d'un age avance. L'ange lui rcpondil : « Je « suis Gabriel qui me tiens en la presence de Dieu. J'ai ete « envoye pour I'annoncer cette nouvcUe. En punition de (1 ton incredulite, tu seras prive de I'usage de la parole « jusqu'au jour ou s'accomplira ce que je I'ai predit. » Le people altendail que Zacharie sortit du temple, selon la coutumo, apres avoir fait brulcr ses parfums sur I'autel. L'cpoux d'Elisabeth sort enlin, mais ne peut articuler une seule parole pour expliquer la cause de son retard. 11 se retire dans sa maison, et Elisilelli concut, selon la parole de l'ange. 226 LES SAINTS Lc lemjis ac l'cnr;uUcmcnt aniva. On porla renfaiit an temple pour la ctSrenioitie ile la olrconcision. Oii voiilait lui imposor Ic nom de iZticlui'ie. La mere disait : 11 s'ap- pellcra Jesn. Et Ton obsei'vait que dans la faniille jamais personne n'avatt purte iin tcl nom. On faisait signe au pore pour lui dcmander son avis. Zacharie jirend une la- blelte el ecrit : Jean est son nom. Aussitut sa languc se dclie, il entonne un cliant prophetique. C'cst le sublime canlique Bcncdiclus que I'Eglise se plait li repeter tons Ics jours dans son ofDce. On y trouvo surlout ces paroles adressees par le pere a son jeune fils : « Et loi, oculant, « lu seras nomme le prophete du Seigneur, car tu niar- « clieras devant lui pour preparer ses voies. » L'cnlant predestine se forliliait, nous dil saint Luc, par I'espril du Seignieur qui elait en lui. II vivait dans les de- serts, se livranl a la morlilicalion, jusqu'au jour ou sa njis- sion surnaturelle devait le faire connaitre au peuple d'ls- rael. Son viHcmenl elait des plus grossiers ; sa nourriture consistait dans les sautcrelles du desert et Ic niiel sauvage. La boisson favorite des Uebreux, le vin de palmier, sicera, ne devait jamais elandier sa soif, scion la prediction de Gabriel. II elait le predicatcur de la penitence, et sa vie devait repondre a sa docli'ine. Pour faire comprcndre aus Juifs la necessite de se purifier de leurs pecbcs, il leur donnait, dansle Jourdain, le bapleme de la penitence qu'il ne faut pas confondre a^■ec le saci'ement de ce nom. Jesu.s- Chrisl lui-ni&ne daigna se sounieltre a ccUe liumiliante pratique, alin de donner Texemple. Le Sauveur des liom- mes, la purete par excellence, le saint, le juste, descend, lui aussi, surles bords du Jourdain. Jean le baplisc comme s'il etait pecheur, et de lii le surnom de Baplisle, donne au saint precurseur. Ce bajit^me n'elait done pas, nous nc saurions trop le repeter, en faveur de quelques cin-ctiens peu instruits, le sacrement de baptenie institue pour effa- cer le peclie nriginel dans les enlants et tons les autres licches dans les adulles. Certes, I'liumanite de Jesus-Clu'ist n'etait point souiUce de celte tache d'origine. Nous avons eutendu Gabriel annoncer a Zacharie que Jean, desleseinde sa mere, serait rempli du Sainl-Esprit. D'autre part, I'Eglise croit que Marie, mere du Verbe in- carne, fut pareillement concue sans tache dans le sein de sainte Anne sa mere. C'est pourquoi nous celebrons par une solennile particuliere la naissanee de Marie, celle de saint Jean et celle du Fils de Dieu. Pour cette derniere, au surplus, nous avons des motifs encore plus augustesqui pons y determinent. Mais ces Irois nalivites sont les seules auxquelles I'Eglise a attache une feslivite speciale. Ainsi, le plus grand des enfants rfes /■<;»»/!«, pour emprunter le langiige de la Sagesse incarnee elle-meme, partage avec gesus et Marie la sublime prerogative d'un solennel memo- rial du jour de sa naissanee. Jean-Baptiste a subi le martyre de la verite. Son zele a reprocher a I'incestueux Uerode I'infamie de sa conduite lui valut d'abord la prison. Kien ne put vaincre la sainte fermele du prophete. L'impure Ucrodiade exige que la tele du saint precurseur du Messic lui soil apporlee sur un Lassin, pour en repaitrc scs ycux vindicalifs. Son horrible exigence est assouvie. Ainsi Unit la glorieuse carriere de Jeau-Baptiste avaut la mort de Jesus-Christ. II elait ui avant le Messie, comme I'aurore qui annonce le jour. II disparait de la torre avant son maitre, qui devait, lui aussi, mourir pour la verite. Jean merila done d'etre, a lous les litres, le precurseur de I'llomme-Dicu. Une fete est consacrec au martyre de Jean-r.aptiste, sous Ic nom de Decollation. L'Eglise la celebrc le 2!) Ju mois d'aoul. La nativile de saint Jean-Bapliste a etc constammonl en- vironuije d'eclat, principalemcnt au moyen 'ige. Mais d('ja, du temps de saint Augustin, ellc elait solcnilisce. An com- mencemeul du sixicme sicele, le concile d'Agde la placait immedialement aprcs celles de Paqucs, de Noel, de rE|ii- plianie, de I'Ascension el de la Pcnlecotc. On celcbrail meme une messe de la nuit>de la Vigile, comme pour les grandes solcnnites donl nous venons de parlcr. La fcle de la Nativile de Saint-Jean est plus nncienne que celle de la Nativite de la sainte Vierge, quoique tres-cerlaincmonl de- puis la predication de I'Evangile on ait honore d'un culte parliculicr la bicnheureuse mere de I'llomme-Dien. Une soi-te de careme preparaloire precedait la fele de saint Jean-Bapliste On le reduisil plus lard a trois semaines, plus lard encore a un simple jeune de la veille, el cnfin aujourd'hui, du moins en France, depuis prcs d'un dcnii- sieclc, ce jeiine est aboli. La fete elle-meme y a etc sup- primce, quant a I'obligalion de s'abstenir de loulc reuvre servile. II ne rcsle done, surlout pour nousFraucais, qu'un bien faible resle de la pompe avec laquellc nos boos et rc- ligieux ]ieres solennisoi'enl la nativile du grand jirijcnr- seur de Jesus-Christ. Dans le Ireizieme siecle, le peuple se livrail li une foulo de pratiques sans doule I'ui'l louables dans leur principe, mais qui ne provenaienl pas loujours d'une religion bien ecliiiree. Ainsi, selon Durand de Mende, on ramassait des OS el d'aulrcs immundcs objels auxquels on mellait feu, afln de produire une epaisse fumee. On voulait ainsi mel- Ire eu fuite certains dragons que I'ou croyail voler dans les airs, cl corrompre de leurs ordures les puils et les fon- laines. On promenait dans les champs des brandons fails d'ecorces d'arbre allumees. Ceci signifiait que saint Jean fut la lumicre deslinee a preceder le flambeau de justice, Nolre-Seigneur Jcsus-Chrisl. Aujourd'hui encore, en phi- sieurs lieux, la veille de Saint-Jean, on dresse dcvanl la porle de I'eglise un grand buclier auquel le cure vicnl mcttre Ic feu en ceremonie. On fait une [irocession aulour de ce feu en chantant des hymnes en I'honneur de saint Jean-Bapliste. A proposd'hymneselianlees en celle fele, il en est une dont I'origine est assez curieuse, et dont la premiere strophe peul offrir beaucoup d'inleretaux musi- ciens. Durand de Mcnde, que nous avons deja cite, raconto le trail suivant : « Paul Diacre, hisloriographe de I'f'glise « roniame, moinc du celebrc couveiit de Monl-Cassiii, « dans le royaume de Naples, voulant un jour rcnV|ilir son « ministcre, en henissant le cicrge pascal, fill Iclli'iuenl a enrouc que sa voix, auparavanl si claire, ne jiouVail « plus so faire entendre. Alin d'oblenir la guerisou de ce « mal, il composa, en I'honneur de saint Jcan-naptisle, « I'hymne qui commence par les mots : Ut qucanl luxU, « Voici la traduction de la premiere strophe : Afin que vCis i( servileurs, 6 saint Jean, pui.ssenl clianlcr les niervcit- « leux fails de voire vie, avec une voix picine el souore, « dcgagoz leur bouche coupable des liens i|ui la capt^: « vent. » A peine avait-il fiui -lue son mnl cessa, cl que Si voix redevinl aussi belle qu'auparavant. On sail qu'au onzieme sicele le famcux Guy d'Arezjn adapla a chacune des notes de la gammc du chant un nohi qui a subsisle jiisqu'ii nos jours. Le nom de chacune de ces notes est lire de la premiere syllabe de chaque liemis- liche ou demi-vcrs de celte nreuiicre strophe quo noM 1 II DU nvoiislniUiitc. Nous dovnns done presenter le Icxio, hlin, en dt'signant [lar des ciraclcres italiciues leS syllabes qui ont foui-ni le nom des notes : Vt queant laxis resonaro fibris jfira gestorum famuM tuorual SolvD poUuti (abii rcatum Sancle Joannes L'ancicn chant de celte liyrane est disrose de telle sorte qne les syllabes musicalcs «(, re, mi, fa, sol, la, nioiitcnt en realil^ celte hexachorde phonique. Dcpuis longlcmps on a change ce chant. Cc n'est pas ce cpron a fait de mieux. riini('s,ci d'aitiani plus plii.s pii'Cieu\ (pi'ils so ralUK'liciiL au liercciiu dc la religion. St pLUTARQiiE et ses compa gnons, martyrs d'Alcxan-j dric, vers 210. 20. Wimaiiclie. Fete solcn- nelji' des deux ]irinces desl apoli'cs, St Pierre et St Paul, martyrises a Rome. Voij. I'.iiUcIc sousce litre. SteIIemme, veuve, proche pa- rcntc de rcmpcrcur St Henri, morte au monaslcre dc Gurt qu'ellc fonda, 1045. 3:0. tjtfiidi. CoMJifiMoiiATiOH sn-ciALE DE St Paul, apotrc. Sr Martial, jiremier eveque de Limoj^es, mort au 5^ siecle. II fut un dosceleliresinission- itaircs cnvovcs de Uuitic avcc Si Oriiis de Pans, el cnuverlit un trc»-graud nombred"idolalres. ANECDOTES DU TEMPS PHESENT. ANECDOTES DU TEMPS PRESENT. 251 HIVER D£ 1845 VANS Z pen a pen siir Icur lit d'hopital. Accroupis tonic la jniirnce, avcc lonr drap none autour du front cl pendant en guise do bcrnons, on les dirait en emiiuscade ct cachant lenrs monsipicts pour nc point etre apcrcus. Differents dcs aulres forcats, ils sont toujours seuls avec leurs pensces, nvecla palrie, cl ne connaissent aucun jcu ni aiicune espcce dc dislraction. Si qnclipiefnis ils vous payent d'un sourirc amcr, c'est lorsque vous evcillez en cux le souvenir du desert. II nous est arrive deprononcer avec affectation lenomde Couscous- sou (2], el alors ils se prcnaicnl de joie comme des enfanls. VISITZS CHEZ LES FOETES XUR0FEEI7S. I. BfillANGER A PASSY, " J'avais resolu, en veritable Anglais, de ne pas manquer de visiter lous les poctcs celehres de TEurope entiere. C'est a Paris que me pril cctte helle resolution a laquelle je fus fid( rhinoceros cmpalo \c ligTP. 11 somblo d'aboril que loul cela soil in- compaliblp avec la bonic dc Dlou. Opcndanl rion n'csl plus simple a expliipier. C'cst le porbc qui a inlroiluit la niort dans le nionde, el puis(]ue Ics animaux soni soumis a la loi commune, une morl violenic est miiins crnelle pour pux que la maladie, les longues souffraiu'i's el la vieil- lesse. qui les rendraicut iucapables de pourvoir a leur subsislance. l.a gravurc que vous voycz represenle unc scene elrauge. La baleinc est si enorme, ipie pas un dcs gros poissons n'oserait Taltaquer senl, c'cst pourquoi ses eniiemis so rassemblent pour la eombaltre. Ceux-ci sonl de deux es- peccs. L"un a le mnseau long el pointu conmie une lance • il porle le nom i'epeedu Grpcnianii. Le museau de I'au- tre est plus large ; il est ponrvu d'une rangec de denls des deux coles : on le noinme la scie de mcr. (Juelquefois une autre especc de poisson, le llirasher (le lialleur) se rennit au combat comme dans la circonstancc suivanle que nous raconle lecapitaine Crowd. « Les thrashers, s'elcvaut a la « hauteur dc plusieurs metres, seprecipilerenlviolemment « sur elle, el la frappercnl rndemenl de lenrs queues \i- « gourcuses ; le bruit dc ccs coups relentissail ii I'orcille « comme des fusils tires a distance. Vepec vinl it son tour « allaquer la nialheurcuse baleine, la piquant sous I'eau ; « assiegee de loules parts, la pauvre creature rougil la mer tt de son .sang. Plusieurs heures se passerent ainsi i la « eombaltre el ;i la torturer, jusqu'n ce qu'enlin nous « I'ayons perdue de vue ; mais jc ne doule pr.s que les as- « saillanls n'aient oblenu sa com|ilele deslruclion. « Quel- quefois la baleine, pour echapper ii ses bourrcaux, se plonge tout au fond des abimes de la rner, ct la violence de la pressinn de I'eau les «rrete dans leur poursnitc. L'liistoire de ces poissons, asscz hardis pour atta(|uer le roi monslraeux dps mers, est rcmplie de details doul quel- ques-uns nous inlcresscnt peut-etre. L'epee lienl a I'espece des maquereaux, quoiqucbeaucoup pins grosse; il y en a de - quinze pieds de long. Sa queue est grande el j)uissanle; sa machoire exlerieure s'allonge droite comme unc epce, d'oii vient le nom de ce poisson ; la grandeur el la force musculaire dc sa queue causenl cclle extreme vitesse. el donnent a ses coups d'epee une violence irresistible. On a vu ce poisson guerrier traverser de son arme le cuivre, les planches, la charpente el toule I'epnisseur du fond d'un \aisseau. Moi-meme, j'ai examine au Musee une parlie de iiavire on se Irouvail cnfonce le museau d'un de ces pois-. sons, roinpu par la violence du choc.Quand le IJopard rc- vinl en l72o, des ludes el des coles d'Afriipie, il cut bc- soin de reparations el ful envoyc aux docks; le doublage (ilant foriemenl endommage, les ouvriers dccouvrirenl aussi au has de la carcassc le museau brise d'un gros poisson, qui avail penelre jusqu'a qualrc ponces dans la solide charpente; ils dpclarcrent qu'on n'anrait pu en- foncer une substance pareillc a cello profondeur, sans don- ner au moinsnpuf coups d'un lourd marleau, landis que le poisson s'elail conlenle de le fiapppr une fois. Du s'apcrnil avec siu'prise que I'arme sorlail 8e Tctandiord dn cole de Tavant, prcuve que le jioisson avail suivi le vnisseau a dessein : cc qui njoule a la'singularile du fait, la nian-bp rapide dn navire devant neccssalrenionl amortir lc coup. Sir Joseph llawis raconle uno cirp(mstauce si mblable, d'apres le rappnrl d'un capitaino, donl le vaisseau ful aussi traverse de ci'tto maniere ; rppeo, dans loule sa limgupur, y resia fortPmeul plongee. Elle ful sciee el envovee au musee de LonJrcs. On ]U'elend que ce poisson allaque les homuios. D.uuell nous dil dans ses Rerrcalions clmmprtrcs, qu'un bomme recut de cc poisson une blessure mortelle au moment oii il se baignait dans la Severn, jires dc Worcester. Connnent expliq\ior pourquoi ce poisson va se heurler volonlairement contre une masse pareille a celled'nn vais- seau, bu'sque ce choc doit Ini donnerla morl; car une fois le coup porle, il ne peul plus retircr I'arme qu'il y laisse cnfoncce ; on doit supposer que, tronqie par la grandeur cl la couleur sombre du vaisseau, il a cru rencontrcr une Laleino, sa mortelle ennemie. Kien n'egale la terrible voracile dc la scie de mer, ap- parlenanl ii la famillc des requins ; son museau large el ])lal est gar;ii d'unc rangee de denls aigucs. Vous les avcz dejii remaj'ques sans doule, ces animaux, dans nos Mnsecs, qui en renfermenl de plusieurs grandeurs; les uns out jusqn'ii vingl-cinq pieds de long. On assure que ce poisson so met souvent ti la poursuile dcs re(|uins blancs, monslres niarius les pins redonles, el qu'ils parviennenl ii les Iner. Lc capitaino Crowd a vu, dil-il, nn rcquin s'elancer bors dereau, el relomber dans un bateau, la chair liorriblemenl dechirce par la scie. FSCHE SE I,A BALEINE. L'liounne no se borne ]ias ii allaipuu' .sur Icrre des ani- maux plus forts que lui, il provoque encore les monslres gigantesques dcs mers. La baleine, malgre sa taille colos- salc cl sa force proiligieuse, est obligee de coder ii la puis- sance irresistible de I'homme, que Dieu avail appele dans I'origine ;i regner sur la creation. La gravure rcprosouto unede ces baloines que Ton rencontre surlont dans les mers du Sud ; de sorle que la distance lienl eloigiics dc chczeux, pondanl Irois ou qualre ans, les marins employes a ce genre de peclie. Vous avez penl-elre vu un onguent qu'on nomme spcrmacc/i ( Wane de la baleine), vous con- iiaissez aussi les bougies, timl cela se fail avec une especo de graisse renfermcc dans une grande cavile i\ I'inlericurde la leledc I'animal : on dirait, .i la voir, une immense boile carrce. Quand il iiage, celle grosse lele se plonge el repa- rail II chaque instant au-dessus de I'eau. La gravure pent vous en dunncr unc idee, la ligne blanche au-de.ssus de U tele est un filel d'eau ou de vapour que Tanimal rejelte tonic les fois que la tote parait ; car il ne respire pas par la lioucho, mais par une sorle do narine placee juste au haul de sa tele.ynand les marins, ii bordd'unbaloinier, aperooi- vcnt unc baleine s'avancer ainsi, ils s'ecrienl ; ic La voilii qui jaillit ! » On lance aussilol les bateaux, les homnies s'y prccipilonl ol ramonl de Inute leur force ii la poursuile de ranimal. pour ratti'indre avanl qu'il dispai'aisse de nouvoau. Quand ils sont arrives assoz pres, nn des homnies darde sur le dos ile la baleine une especo de lance, qu'im nnmme barpiui; I'acimal, en proie ii la douleur cl saisi de frayenr. so ropbinge ii rinslant dans la profondeur de la PETITES MORALES. 243 mer;Icharpon n'en reste pas moins onfoiice ilans Ics chairs, et, au moycn d'une grande corde iju'cn y a lixce, les hommes de I'embarcalion peuvent toujours suivrc la ba- leinc. Forcec de reparailre pour respirer, les harpons vien- ncnl rassaillir encore, el liienlot elle vcpaud anlour d'ellc des Quts de san^s au momenl de niourir, cllc iDurljillonne en agilantreaudcsa queue vigoureuse, elproduil un amas d'ecume; puis elle se renvcrse sur le dos, tommeilansla pravure. Aussitot aprcs sa mort, les hommes, Icmljoyeux de leur vicloire, enlraiiieiit le corps sur le vaisseau en chanlant de gais refrains; puis ils I'altarhent avec des cor- dcs, lui ouvreul la tele, recueilleni dans des lia(|uels le speriuaccli. et decoupenlla graisse du corps eii grandes bandes, qui, apres avoir etc haclices en pelils morccaux, soul renfermees dans des barils ou elles nc tardi'Ut pas a sc fondre en liuile cxcelleule, donl on retire Ijeancoup d'ar- gent. Une fois le gras decoupc, on abandouue la carcasse, qui n'est bonne a rien. L'enlreprise de la peclie de la baleine, dans la mer du Sud, est Ires-perilleuse, et nous ne ponvons refuser noire admiration aux hommes courageux qui s'y engagenl. Ils s'emnarquenl sur une mer loinlaine a dix niille lienes de leurs families, pour aller combaltre I'anim.il le pins mons- trueux de I'univers dans ses propres domaines. Tantot ils longcnt des coles arides et affreuses, habilees seulement par des sauvages cruels ; tanlut il leur faul traverser des bancs de glace, et si par mallicur le vaisseau allait se benrlcr conlre le moindre de ces euormes glocons, il serait pousse dans rahimc. Le temps est si froid, que le brouil- lard gele sur le pout et forme un verglas snr leijuel les hommes out peine a se tenir. Tout u coup les voila Irans- porles sous un ciel brulant, les rayons ardenls du soleil dar- dcntsur leurs teles avec une violence intolerable. La aussi, rOcean, un peu au-dessous de la surface de lean, est rcuqili de rochers trcs-diflieiles a eviter, parce qu'on ue lesapercoit pas toujours i temps. Maintenanl songez .'i ces vingl ou trenle hommes lances sur le vasle Ocean, obliges de se refugier dans leurs pelils bateaux, de ramer elde parrourir qnelquefois I'espace de niille lienes avant d'al- toiudre aiicun rivage. Tels sontles ]ierils que ces hommes affroutcnl sansmurmurer, dansle but dese procurerdeux el a leur famille une honnelc subsislancc. N'oiibliez pas qu'ils peuvent echouer, et revenir trislement au bnut do Irois ou qualre ans, sans avoir rien recueilli de tou3 leurs sacrifices ou de tous leurs dangers. Les uns nc rencontrent pas de baleines ;d'aulres en apercoiventqui soul trop pru- denles pour donner aux bateaux le tenjps d'approcher d'cllBs : ils out fait par consequent uu long et penible voyage inulile. I.'AICI.E. Si les preuves que je vous ai donnees de I'babilete, du pouvoir et de I'energie de rhomme, ont excite voire elon- nemenl, (|ue!le sera voire admiration devant la puissance et la merveiUeuse sage.sse de Dieu? L'homnie tourne a son profil les substances qu'il rencontre, mais Dieu leur a donne les ditferentes proprietes qui les rend utiles. L'hommedompte el apprivoise les betes feroces, mais Dieu les a crees tons deux, donnant a I'un, la force et la dou- ceur, qui en font de precieux serviteurs; a I'autre, la raison et I'inlelligence, qui lui inspirent les moyens de les soumcltre. Les inventions de Dieu sont parfailcs, completement parfaites. Les plus beaux ouvrages de I'honime laissejit toujours qnelque chose a desirer. Mais ce que Dieu a crco ne saurait se perfectionner. Examinons le vol d'un oiseau, de I'aigle, par exemple. Avec quelle hardiesse il s'clance de ce rocher maji'stueux poor fendre les airs. 11 agile ses ailes puissantes, et le voibi lance a une grande distance, planant aii-dessus des mers sansquenons |iuissinns nous apcrcevoir du moindre elTort. Son ceil brillanl roule dans loutes les directions ; bienlot il apercoit un objet eloigne qui ressemble ,i un pi.dnt dans I'espace, il s'elunce avec la rapidile d'une fleche. Qui a pu fixer ainsi son attention et rcvciller en lui toutes ses facnites? C'cst une orfraie, qui lient dans ses serres un poisson el qui I'emportc au nid ; I'aiglc ratta(iue dans les ZH PETITES MOIIALES. nil's, el la pauvrc Iicic, incapable dc resisler ii iuie fmce superieure, enibarrasscc d'ailleurs do son pcsant fardeau, laisse echapper sn proie; Taigle refermc aiissitot ses ailes, sc jclle dcssus, cl, saisissant le poisson avanl qu'il relombc dans I'cau, va dans sa retraile le dovnrer a TaiscTiisle excmiile de ce pouvoir (yranuiquc diiiU I'bonnclc indiislrie se voit si soiivent viclime. Mais i-cvcnons aux facultes dc cct oiseau, a leur combinaison parfaile pour accomidir sa deslinee ; n'oublions pas, (pi'a regard des animaux, il faulbiense garder de les juger d'aprcslesloisdiijusleetde rinjusle que Dieu nous a donnees pour jugor nos actions. Nous ignoroiis s'ils connaissent le bien et le raal, el si les instincts qui les entrainent ne lour viennont pas dc celni dont les reuvres soni parfaites. Le vol, par lui-nicme, exciie au pins bant degre I'eton- nement. On vousa peut-clre raconic les diverses lentalives laites plusieurs fnis par les lionimes, pour essaycr dc volcr dans les airs, (cnlativcsinntiles jusqu'a present. Lesballons s"elevcnt a la vcritc tres-bant, mais ils n'atlcigncnt pas le but ; jamais personne n'a trouvc le nioyen de rcster sus- pendu dans les airs. Nuns ne Savons meme pas coinplc'le- ment comment cc prodigc s'opcre pour les oiscaus, ipnii- quc nous les vnyions cliaipie jour voltiger dcvant nos yeux. Voici lout ce que nous avons pii oliserver : le corps cstcreux el pent sc reniplir prcsque en cnlier d'air; les ns sont aussi Ircs-creux et reconverts dc plumes a la fois le- gcres el fortes, surlout cellcs des ailes et de la (pienc. Ajoulez a ccla un sang Ire.s-cbaud, tonics cboscs qui eon- triljuentS donner al'oiscau |ilnsdc legerete qu'aux aiilrcs animaux ; puis, les muscles des ailes sont d'une dimension etd'une force Ircs-remarquablcs. Rien n'est plus curieux a cLuJicr que la plume d'un oi- seau ; vous y retrouvez la perfection et la sagesse qui pre- sident loujnurs aux ouvragesde Dieu. Prenez une plume ct examinez-la en meme temps (pic vous lisez la descri)i- tion suivanle. Remarquez d'abord combien elle est forte en coniparaison dii pnids, surtout s"il s'agil d'un luyau ou 6oi(( d'uilc. La llecbe qui en traverse toute la longueur estcomposcc d'une espcce de moellc afin dc la rendrc le- gere;mais, pour evitcr une rupture facile, ellccstcnvc- loppee d'une sorte d'ecorce dure el unie. Cellc llcrlie est creuse au bout infeiienr, coninic un tube, qu'on a|qi('llc le tuyau (ct quelquelbis le oj'lindre) ; d'une substance claii'e scmblable accUe de lacorne. Pour pins dc so'idile, reltc substance se compose de deux peaux. Les fibres dc In ]ieau intcrieure s'etendent eu longueur et se fendent .sons Tongle qnandon la taille en plume; landis (pie lesfibres dela peau cxlijrieure renveloppent de Unites parts ct empecbent la plnniedese I'endreaisiiment, ii moiiis(|uc la peau soil gratli3c aveclecanif. Duvivantderoisean, une fouledevaissiMiixdc sang remplis,senl le tube, mais ils se de.sscchent a .sa morl : c'est 1.1 cette peau que nous Irouvons ii I'inlcrieur dc la plume. Kous Irouvons encore dc cliaque cotij de la parlie su- perieure une foule de plaques minces reguliereiuent pla- ct'cs et tr(is-rapprocb(;cs les unes des antics. Si vous en arracbez une, et que vous la regarilicz attentivement, vous disliiignercz encore au bordune mnllilude de petites bran- ches, ipii, dans les ailes et la queue, s'aecmchent I'line dans rauire ; dc sorte ipie la surface d'une plume, malgiela fra- gilite des inaliercs qui la composcnt, ri'siste louglenqis avant de se briser, ct sert par cnn.s(_'qiient ii frapper I'air avoc force en volant. II faut aussi admirer I'epaisscur des plumes a.justijes sur le corps de I'oiseau, de nianicjre ii le garanlir du froid, sans qu'elles puissenl se luirisser quanj il vole raiiiJement. I,E BOA CONSTRICTEUR. On donne le iiom de boa ii plusieurs especes de gros sei'|ii'iils de !'.\iin;riqiie du Sud. Ce conslricteur est ainsi iiouiuR', parte ([u'il enlace sa proie de maniere a ne lui laisser aiicun espoirde sniiit. !1 n le iiouvoir do se rcplicr autourd'uii olijel qiielcoii(|Up; il s'atlache surloulau trojic d'lin arbre dans la forel, ot alteiid palieinmciit line viclime, soil une clievre, soil un» gazelle; puis, quand elle s'ap- rETITES MORALES. ' 215 proclie dd'aibre, le sorponl, anssi jirompt <\w. I'eelair, sc lance sui- ranimal, I'enveloppe dc ses plis nnnibrcux, et Tulrcint aver, nno telle violence, que lesosde la viclime en soul biiscs ; puis le serpent se deroule lenlcmenl el com- mencp son repas. II nc sc donne pas la peine dc macner ou de iiicllrc la liele i-n ninrcnaiix, il avale la masse cnliei'e. L'elaslicile de sa pe.ui lui domic cellc faculle. A dc'faut de i;ros animaus, 11 esl obli^re dese conlciitci- di-soiseaus el dps sin.:,'es. La nianiere duut il avale Ics gros animaux a cle decrile par des gens qui en onl Ole tenioins : lieji n'est plus cinioux. Le scrpeiil relacbe scs plis un a nil avec beaucoup de precaulion, les resscrrant Ci pcndanl de lempsa auU'c comme s'il apcrcevait une elincellc dc vie dans sa viclime; cnfin il laelie sa proie, puis Ic rcplile sc mela lecber le corps cnlicr. el Ic rnuvranld'uiic snbslancc glulincusc, il en fail une masse informe seuddable u une, momie. Aprcs ccllc longuc cercmonie, le serpent ouvrc de larires maclioires el se dispose a jouir dc sa conquelo. 11 commence par la tele. S'il s'agil d'une bcle de I'cspice des ccrfs et des chevres. tout passe a nierveille juscpi'.-i I'ar- rivee des cornes; ccpemlaul cet obslaclc tie rarrcle pas encore. Grace a la construelinn des osdc sa ni.iclioire, elle prend une telle extension, i|ue les cornes finissent par y enlrertoul enliercs. L'opcrallon se ralcnlitcnsiiile. On pent meme suivre les progres que fait la proie dans leslumac par la pointe des cornes, (|ui scinblcnt toujours pres de percer la pcau. La digestion d'un vidunie pareil e.xigc or- dinairement ipielques sLm.iines. I'indanlcelenips, les cor- nes disparaissenl graduellemeiit jusqu'a ce qn'cllcs devien- nent invisibles, el la pcau ijonllce cl Icndne reprend ensuilc sa forme et sa dimension habituedes. Le boa, pendant le travail, pcrd loulc sa puissance el pent ii peine so rcniuer. Si les Indiens le rcncoiilrent dans eel etal, ils rallaqueiit «t le Uienl sauscuurirlc moindre danger. Le boa n a pas ae nelcnses vcnmeascs comnic les aidres serpents; sa Torce scu'.c Ic rend daiiL'creu.x. rE POISSOM VOLAKT IT IE DAUPHIN. Le poisson volant esl ,1 pen presde la grosseiir du ha- reng. d'un aspect argenle, el passe pour tres-commun dans rOcc.in du Sud. ^cs longues nageoires lui permcllent non- soulement de sauter bors de Lean, mais de se lenir dans I'air a une grande distance : ce n'est aprcs tout qu'iin bond tres-elcve, (pji a pour butd'cchapper a la dent meiirlricre d« poissons pins gros que liu qui le ponrsniveiit avec .-irhar- nemcnt. Le dauphin, comme on le voil dans la gravure, usi: delouteson agililcels'efforrcdelesaisir; puis.uuand noiri; poisson se refugie dans I'ajr. de grosoiseaux de proic sont la qui rallendent. tout prets a le devorer. Ainsi nous vnvons ce ]ianvre petit poisson epouvanle, environne d'l-nnends: quand il relombe dansl'eau, rimpitoyable daupbin 1 allend encore pour le bapper. II arrive souveni que les poissons volaiils lombcnlsur les vaisseaux, quand ils prenneni leiir idau. J'en ai vu plusieurs escmples. L'ttil se rejouit a la vne d'un troupeau de ccs pois.sons volanl dans les airs, ce ipi'on pent admirer tons ies joui-s en mer, dans les parties cbaudes du globe. Ou dirait d'a- b(ud de blancbes hirondelles; ils lirillent au soleil comme de I'argenl poll, et Icurs ailes minces et Iransparentes, ou plntul leurs nageoires, lessembleut de chaque cole a de 246 PETITRS MORALES. legcrs lUinjcs. lis so n'ninissonl i|iiPli|Hof(iis an iininlu'c d'linc cenlaino, cl li' Iroiiin-aii se loissc il'orilinnire iliriirer par un chef. Comine ils olllcin'ciU In surl'iice tloscaiix, jVn ai vu quclinii'fciis i|ui lii'tirlaicnt uno V0!,'iie nu mrmit'iil de se lever, el c|iii j.iilliss.'iii'iU cxarlemeiU ihi inilleu. Lc d.iii|ililii ii'cst pas 1111 poisson, il a|pparliciit pliilot a la classc d'aiiimaiix dniil la lialeiiie fait parlie. II n'a, au fait, d'aulre similitude avec elle, si ce n'cst la forme et riiabilude de vivrc dans I'eau. Lo.s diiii|diiiis snnl dc plai- santes crealures; ils se rcuiiissent, foniieut compai^'jiie et vieniient volonlicrs auloiir d'un vaisseau. Rien n'est plus dn'de ijue Icursacces de sniele ; ils s'approchent tres-pres, IVil.ilranl taiilul d'un cute , taiilot de Tautre , quelquefois paraissani au dessus de I'cau, puis se replongeanl au fond lie la mer. C'est ainsi (|u'ils suivcnt le vaisseau pendant des heiiies entiercs, toujours sautant, toiijours culbutant, ,iusi|u'a ce que Talarmc se jelte lout a coup parmi eux, ou qu'ils apercoivent un poisson a leur convenance. Dans ce cas , la troupe cntiere s'elaiico en plciue mer, el ou la perd bienlol dc vuc. £%• ON AVIS A I.'ARISTOCRATIE. Le baron Alderson, aux assises de I'cte dernier, adressa les remarques suivantes a« grand jury du comle de Suf- folk ; « Dans le conile voisin oil je viens de faire la lour- «nee annuelle, j'ai trouve ce que je craiiis bien dene pas elrouver ici, iin jourde repos; je I'employai a visiter le «pays, et j'eus le plaisir d'assister a une partie de crosse, «a laquelle avail pris part un noble comle, lord lieutenant (iducomte. II jouail avec les maicliands, les lalMiureurs et «tous ceux qui rentoiiraient ; je ne crois pas que cetle aconduite diniinu.it le respect qu'on lui doit: on Ten ai- « mail .seiilement davantasje. Je pensc done que, si les no- iddesse meltaient plus en relation avec les classes info- « rieures,le royauine d'Anglcterre ct la .soeiete tout enliere 0 se Irouveraient etablis sur des bases beaiienup plus soli- «des. Je voudrais pouvuir convaincre tout le nionile dc acelte verile. » SE XA CONVERSATION. Neparlez pasde musique ;i uu nn'deeiii, ni ile niedeeine a un violonisle. a moins que ce dernier soil nialade, ct que le medecin se trouve au conesrt. CeUii doiit la eonversa- tion roule toujours sur les niatiercs qui lui soul familieres agit envers la societe comme la cigognc euvers le renard, lor.squ'elle lui otfrit a manger dans une cruclie profondc dont iiullc creature ne pouvait rien lirer, si ce n'est I'oi- 5cau ail long bee. XES BONNES MANIERES. Les bonnes nianieres sont la lleur du bon sens, on pent en dire aiitant des bons sentiments ; car, lorsque la loi de la bieuveillancc est gravee au fond du cncur, elle conduit au desinteressement dans les petites choses comme dans les grandes, elle inspire ee dcsir d'obligcr, et cet em- presscnient a procurer du plaisir aux autres, qui sont les sources des bonnes nianieres. EXTRAITS d'uM VIEUX JIOllALlSTf 1 T A I. 1 K >'. n (TcKt une sotle chose (|iie le cordoniiier delilierc sur les lois civiles, sur radminislration de la republique et sur la nianiere dont se fait la guerre. Les grandes cho.ses demaiideiit beaucoup de lecture, et il faul, pour les diri- ger, aviiir beaticDUp vu et savoir agir avec un examen at- teiitif. II est raisiiuiiable que ce qui concenie la mede- ciiie soil demaiide aux medecius, et que le forgeron se iiiele de forger. Lc conseil ne doit cti'c reclame ipie pour les choses douteuses et sur lesquelles noire opinion va- ric. 11 faul conseiller Icntement et avec maturile; I'avis aJopte, I'executiou sera proinpte. Le conseil ne doit point porter sur le but, mais sur le moyen d'y arriver. Ainsi les medecius ne cimsultent point sur la sanlc, mais sur la inaiiierc de vivrc saiu. Dans le gouvernemenlj on ne rnriTEs disserte pas sur la pals, niais siir Ics moycns de I'ob- lenir. » La maxime, source de tani do crimes ou do lacheles, qui pretend que qui veut la fiii veul les mnyens, ne pouvail clre approuvee par le piMiie moral duclirislianlsiiip. « Celui qui conseille par d'injiisles raisous est un niau- vais conseiller, quoiipie le Init qu'il a iudique ait ete alleint. « Toule vcrtu est, par sa nature, vnisiiic d'un vice, et elleen est souveril si proclie, qu'il est difficile de les dis- tingucr. Les liommes verlueux sont exposes a I'injustice du public, parce que leurs actes peuvent elre aiscment rejardes comme vicieux. Calon, avec une force d'.ime invincible, choisit la mort utique plutot que de voir le tyran victorieux ; il a etc celebre avec grande gloire par de tres-sages esprils pour avoir refuse la vie apres h liberie perdue. Une telle vertu pourrail loutcfois ctre amuindrie, cliangee en vice, et Calon traite de vilet depu- sillnnime comme ayant prefere de sc tuer de desespoir, lors- qu'il vit laforlunc favorable luimanquer, plutotquede s"ac- commoilerasonniallieur.C'cstaiHsiqued'autresonlctejuges infames pour s'elre tues d'uiic seniblable manicre. Beau- coup, dans les memes circonstanccs que Caton, apres s'etre defendus avec courage, presses park necessiie et vaincus, se rcndirent a Cesar. Ceux-ci meritent d'etre loues, parce que, devenus csclaves sans leur faute, ils aimerenl mieux soutenir avec fermete la mauvaise fortune, que de mettre un terme a leurs maux par un laclie trepas. Leur suicide cut paru un crime, parce que leur vie passce ne les egalait pas a rausterite de Caton, et qu'ils n'avaient point assez de vertu pour choisir une telle mort. » MO HA LES. 2.'.7 ADTRES XXTRAITS DE QDELQDES ECBIVAINS C AI II 0 L 1 QC E S tTHANCEnS. Longtemps avant que les pbilosophcs moJernes se fus- sent avises de regenter la societe avec plus ou nmins de prudence et de sagacite. d'adinirables conseils de vie pra- tique se trouvaient epars cliez les ecrivains ilaliens et es- pagnols. Nous citerons quelques-unsde cescon.seils. (1 Le veritable merite de cbaque vertu git dans rarlion, et Ton n'y arrive qu'avec les moyens proprcs a cette action. Ainsi on ne pent etre liberal ni magnitique sans argent. Qui vivra dans la solitude ne sera jamais ni fort, ui juste, ni experimente dans ce qui iniporte le jilus el dans le gou- vernement de la chose publique « Telles sont la necessiie et I'ntilite dcs amis que, sans cux, personue ne vouJrait de la vie. La phis grande pros- perite ne nous suffirait point, n'ayant personue avec qui en jouir; et dans I'adversile et la misere, les aniissculs soulagent, consolcnt , plaignent et secourent. Cnmbien d'amities ont etc plus intinies et plus lideles que les po- lentes, qui n'empechent pas les liaines les plus acbarnees? L'amitie est le seul lien qui mainlienne les cites; sans lIIc non-seulement une cite, mais la jdus petite conq.agnic tomberait dans la discorde, la dOsunion. et ne duiTiail point. Aussi a-t-on pretendu que les Irgislaleurs d(,iveut I'lus s'allacher i I'uniou et a la couconle qu'i la justice mrine, puisque l'amitie vrrit.ible est toiijours juste. L'a- niilie est ce qu'il y a de plus prnpre a conserver la riebCsse publique ; rien ne Teliranle plus que la liaine : il ne s'esl point tiouve dc puissance ni d'empire si cleve qui ait su y resisler (c L'argent fut trouve comme un moyen Ires-propre a cchanger les clioscs necessaircs aiix usages de la vie; car si la variete et la niultituile de ees choses etaient egales, l'argent serait tout a f.iit inutile. Mais leur inegalite a fait imaginer l'argent, qui en egalise les differences. Que l'ar- gent soit moderemeni drsire ; qu'on ne le recherche que pour les choses exemptes dc vice et de bassesse ; qu'il soit conserve et accru avec soin, en s'abstenant du superllu. II y a deux sortes de richesses immoltilieres. La premiere, a lavdle.quise compose de maisons, de boutiques, ctautres lieux. que Ton lone. Les revenus n'augmentent ni la ri- cliesse de la cite, ni celle de tons les corps civils, puisque I'aigenl passe seulement de I'un ,i I'autre. 11 n'y a point de preceptes a donner sur celle malierc : les lois, les cou- tunies el les st.itiits publics la reglenl. La seconde snrle de richesse imiuobilicre consisle en domaines ferliles , en terres qui ju-oduisent des choses neccssaires a la nourriture et a rornement de I'homme. « De Ions les exercices humains, aucun ne doit ctre pre- fere a ragriciilture. laquelle, doiinee par la nature, est sans violence ni injustice; landis que dans les autrcs exercices il est difficile de ne pas faire tort a quelquun pour arriver a re qui' nous est utile. Sans rien ju-endre a personue, ragricullure fournit abondamnient aux lionimes ce qui leur est nccessaire; sans elle les aulres arls seraient nuls, et la vie humaine serait grossiere, inculte, bcstiale n Les ports dc mer, ou du moins les fleuves navigables soul d'une telle ulilile, i|u'on regarde jiresque comme im- possible que la cite qui en est privee ou eloignee puisse jamais devcnir tres-rcspeclable. Le c^immercc jirodiiit en grande partie les avantages qu'on retire da dehors. Sans port il ne pent se faire qu'avec heaucoup de difficulte et pen de gain. L'experience, mere dc tonics choses. a depuis longlemps denuinlre celtc verile, et fait voir qn'un grand uomlire de peuples, an moyen des canaux creu.ses avec art et industrie, dcs lacs decharges ou des lleuves detournes, se sont cree dps ports dans leur voisinage, ou sont par- venus a navigiicr vers d'autres sur de pctites cmliarcalions. Les ports deviennent d'uue grande utilitc a tout I'litat, quand ils recoivent bcaucoup dc navires, qu.'il faut etre sfiigneux d'y attirer. Pour que la confiance du commerce soit ferme, geuerale, et qu'elle porte ses fruits, il faut re- chercher et maintcnir inviolablement I'alliance el la bonne vobnle des puissances voi.sines et cloignees. A cet effet, les arniees et une population aguerrie sont encore ncccs- saires; c'est ainsi que se conserve I'houneur national, et que Ton ne recoil point d injures. » EXAGERATION DES MODES TEMININES. EVTRAITS b'r.V Al'TCl'R EsrAGNOL. LA MECIil-rS!;, — lA BoniOCE DE BIJOBX. X J'.ii vu )iar la ville des mode?, dil un vicil auleur es- pagnol, regardees comme deshoiineteset effronlees, prises 2^5 US ILLUSTPiES FltANCAIS liienlot d,in5 los foles ot Ics solonnilus pni-ln fleiii' dcs noliles damps lloiTiilines; dies sonililnioiit clicz cllcs asroables, cnjouces, grncieuses. Cos dames so docollelaienl ol lais- saient tonibei' Icurs roLcsjusqu'au-dcssous de la poilrinc. Un (cl exoesparaissaiu viciciix, ellcs comnioncei'cnl ii rc- moiiler leurs collerelles, et (cllemcnt, que ccUes-ci arri- vei'cnt par-dcssus Knirs oreillcs. Enlin, npres ccs deux exircmites, ellcs s'.iirt'torcnl a nn milieu raisonuahle, qui dure oucorc et durera laiit que la mode I'exigera jusqu'ii ce que rune ou I'aulre des deux premieres inauieres rc- vienuo. 11 taut suivie I'usage avec convenance; careerlai- nesciioses liounes peuveiU devenir mauvaises par la force du lumps, du lieu el dcs persouiies devajit qui ellcs soul failcs. u On suit les modes jusquc dans les allitudcs et nicine dans ics lialjiludcsdercsjirU. (juand un roman senlimeiital el iarmoyaiu a paru, el que la mode lourne aux plcurs, un ccriain nombre de demoiselles cplorecs se presculent a vou.s sous fasjiccl lacrymal el peu agreable que voici : * de celui-ci, de la suivre, de nianiere qu'cn lout, rordre regne a rintcrieur. Jeune, qu'ello se couronne de roses ; vieille, quelle soil simple et grave, et lie resscmble en rien a ces boutiques de bijoux que certaines dames parve- iiues et agees s'avisent de faire rcsplendir sur leurs im- perieuses ruines. L'ancieii moraliste ne parJonnc pas ces affectations des pre 1.717, et donl le Ills donna le jour a Jcanuc-Maric CorncHle el .i Pierre-Alexis; ce dernier a laisse cinq cnfajils, donl trois .sont encore vivants; Pierre-, AJexis, qui en 1817, elait rcdnil a demandcr au niinislere. des'linances une peiilc |daco « au nom du grand Corneille, - doul je suis, cciivail-il , le vrai sang el ligne dirccte, » a clc'ngmme dcjiuis professeur au college royal de Buuen. LE LIVRE DE L.V SANTE. AHECDOTES MEDICALES, FAXTS ET CONSEILS REI^kTlFS • A LA SANTE OE L'HOMME. BES STIBIDLANTS. Excilalions faclii-os. — Leur ilangcr. — I.e Tabac. — L'AlrooI (IJ- « Mes premieres anuees, dil un philosophe, comme des auciilres prodjg i3s, out desherile les dernieres. Si je ne ■ complc pas cela au nonibre de mes remords, je le mels au premier rang de mes repenlirs ; car, pour tout fairc, et surloul le bien, la saute est le premier des outils : il est Lien diflicile dc conserver une ame saine dans un corps cacnchymc. » Un liomme, par ignorance, par laisser-aller on faux calcul, s'abandonne au luxe, a la bonne chere, al'oisivcte, a une recherche ctudice de jouissances sensuellcs, ener- (1) Cos cxfpllcnis conscits, fjue Ton ne peut trap refomiii:in(lcr 5 Iocs k'S .Igcs, a loutcs les conslilulions, i lous les elal?, auiuurd'hin surloul que riiabuudc, I'ciniui et Icxcuiple uiiivcrsels preiiitilcin les lioninies >crs uiie surexrilalion violeiile. sunt ilus ^ un nieiiccin )iliiIoso[iUe, trudit de bonne loi, p\:t 'lent errivain, H. le docleur Hcvcillc-Parisc. 32 830 LE LlVnE D Tantes;il passe laborieiisemcnl sa vie a ne rien i'aire. Qu'arrive-t-il ? L'ini|ircssionabilil(; exlremc , c'esl-a-ilire line scnsibilitc presque moiiiide, se iiianifesle; un li'gor stimulant acqiilert alois des proportions extremes, le tissu niusculaire s'amollil, Ics orijancs s'affaiblissenl ou ne reagisscnt pas snfllsnmmcnl; nne liypersecrelion dc graissc augmente Lienlut eo fatal elat de dehilitu. Si ect lionimc ne s'arrcle pas, ruminant sa palnre de bion-etre materiel ; s'il tombe, comme disait le cardinal de lliclielieu; « dans celte nature terrestre et porcliiiie qui se repose dans son lard, » il est certain que, par ce regime inerte d'une pari, abondant et surazote de I'autre, il arrive li une jdetbore morbide, ii une prostration vitale, source iuDnie de dou- leurs. Or, la nialadic est nn rude pli aux feuilles des roses sur lesquelles de pareils imprudcnls ainient a s'etendre; et ces obeses, charges de ventre et d'inllrmiles, en sont dc Iristcs et d'irrccusablcs prcuves. Combien une parcille disposi- tion est loin de eelle on Ton reniari|uc une lutlc viclo- riense de rorganisme contreses ogcnsmodilicalem's; Inlle qui donne un corps robusle a quiconque, etant done d'une activile puissante et bicn roglcc, I'exerce pleinemenl, liardiment, quoique toujours dans des liniilcs compatibles avec la sanle ! I,e mot s'endiircir, si energique el si vrai, cxprime iiarfaitcment cet elat d'energie conslnnte d'nn liomme sobrc et aclif qui porte les prcuves d'une vigon- reuse complexion sur ses membres, comme souvent aussi la gaiete dans son cociir, le calme dans sa raison. La force, la sante inallerable, s'il en est, sont les consequences na- lurelles de celte activitemcsuree, qu'on nedoit pas cesser de eonseiller. Ce jirincipe s'elend a lout, aux travaux comme aux plaisirs ; car il ne faut pas croire, ainsi que le prclendait un liomme d'esprit, que bien regler sa sante « se reduit a ne pas manger de truffes, de peur de crampes d'estomac. » Non, il faul, en toutesclioses, apprecier net- tement la vie el la ealculer au plus vrai. Suivant la veri- table et bonne manicre de compter, le bonbeur n'est que la somme des plaisirs, ipiand on en a retrancbe les maux. Jecrois que Ton doit elre tres-satisfait du ealcul si le rc- sultat est zero. Vous slimulez energiquement , vous montez les rcssorls a un degre exccssif , altendez-vous a un resullat funesle et infaillible. La faiblesse, la prostration, I'espece d'anean- tissement passager, qui out lieu apres do violentes sur- cxcitations ( ipielles qu'en soienl les causes), en .sont les preuves manifestes. Ces effets sont toujours proporlionne a rintensilc des causes, a la duriie de touto action, compa- rees a Tetal des forces organiques en exeilabilite. Or, c'est prccisemenl celte comparaison qn'il s'agit de f.iire. On p'ourrail presquedi'linir la malmlie comme le vice, un faux calcul de probabililes, une estimation erronee de la valcur des plaisirs et des peines. L'allrail du plaisir est surlout I'ecueil ou Ton eelione. L'liomme, ce grand enfanf, conduit par la folic, seinble dire : Donnez-m'en trop. De la ces besoins. pcrpetuels de sentir exalter la vie sous toutes ses formes et par une im- mense variele d'impressions ; de la encore rinlluenee cor- rosive du sybaritisme *; la vie opulcnte mal dirigve ; car de la satisfaction outree d'un besoin nail un besoin de plus ; c'est ranli([ue fable du tonneau des Danaidcs, ce re- sullat deja signal- de la loi pbysiologii|uc dout nous avons parle. Aussi est-il plus que douteux, pour quicon(|ue re- llOchil, qu'il y ait aujourd'bui, au foiul dos iimes, plus de E LA S.\NTE. contentcment. plus de vrai plaisir que dans les leinps an> ciens, qnoiqu'il y ail iuconqiarablemenl plus de luxe, do recliercbe, dc confort dans nos maisons, dans nos vele- raenls, [dis de rafliuemenl dans noire regime, plus d'in- slruclion dans nos teles. La nature de I'bomme n'a pas clinnge ; cela est si vrai que resperiencc ne corrige point : on a tons les jours des millions dc preuves de danger de la surexeitation organi(|ue; mais, passant inapereues, elles soul frappees d'inutilile. Quelle peut ctre la cause qui poussc aiiisi I'hommc dans I'abime? D'une part, le desir toujours aclif d'etre emu ; de I'aulre, c'est que le danger ne devienl jamais immediat. Selon Montaigne, pourqnoi ne met-on pas sa main au feu? C'esl que la brulure se fait aussildt sentir. Mais il n'en est pas de raeme dans les ecaris Le [iiiscur liebi'lt^. et les pas.sions de la xie liunialne. Le chalinient est nean- moins tout aussi certain, si on ne s'arrcle pas; el, comme dil cxci'lb'iumeHl I'lularque, ii nous appelons retard, dans noire ignorance, le leinps que la justice divine emploie a soulevcr I'bomme pour le precipiter. » Cetlc rellexiou d'un ingenieux )ibilosoplie de Tantiquile csl en tout applicable a la juslice de la nature ; c'esl ainsi une iNomesis qui, comme celle de rantiipiili', peut accorder du dclai, mais n'aci|uitle jamais le coupable. Les lois qui prononcent le chalimeul sont cel!es niemes de I'organisme ; elles ont elii la condition de I'exislence bicn reglec; elles appliqueul la peine a I'exislence anormale. Cos lois consliluenl la neces- silc ou In nature des cboses, conire bnpicllc il ne peut y avoir d'appcl. Celte secoudc nature qui, devenue guncrale dans I'eco- nomie, prcnd le nom de tcnqn''ranienl acc|uis, ne laisse Ires-S9tivent ancnue force a la raison : le besoin faclice, imporluu, cxigeaut, renait il cliaque instant, en vertu de cetle loi pliysiologique, qu'un organeclani excite, devenu, par cela nii'me, plus excitable, sollieile le rclour freipient de I'c'M'ilalion, el cela dans uue progression iuliiiie. Muissi LE LIVRE DE LA SANTB. 231 la force (I'une volonte supoi-icure ou dcs circonslanccs elrangeres iie changcnt ce licsoin, nc dc I'liabiludc, on peul lomber dans l.i faiblcsse indircclc oil u|miscracnt far cxces dc slimulation, surlout cii s'aljaudonnant aux gros- siers iiislincis de ranimalitc. II resle done prouve que la vivacilc, la conlimiitc des impressions, memo avcc la tolerance de I'liabiliide, ne peut SB prolonger au dcl;l d'unc ccrtaine mesurc; il faiit s'arrcter, se limiter, sc faire une raison, sous peine de souffranccs mullipliees. Niianmoins, chez lieaucoiip d'hom- mes, il n'en est pas ainsi. On sait que rien ne coiite pour cenrler I'cnnui : la faini, la soif^ los exiremes fatigues, les Hots de la mer, Ics canons foudroyants. la nialadie, la niort, sont dcs sccours |iour apaiser le monslre; les fo- lies, les crimes, les prodiges des arts, les devouemcnts, la inisere, n'ont souvent pour origine que la lerreur de I'cn- nui. Que n'a-l-on pas fait pour le comballre? II est des hommi'S qui craignent nu^mc raffreiise nionotonie d'un bicn-elre pcrpetuel ; ils veuleni dc I'agilalion ; ils savcnt qu'un siccle de vie sans ennui ne scrait qu'un nionienl. yu'on juge alors qnand il y a des liabitudcs (.■ni-acinees! quand un second temperament est pour ainsi dire super- pose aa premier ! la doulcur, repuisenient, la maladie, la hale de la morl, sont des digues tout a fait impiiissau- tes; c'estce que Ton remarque cbcz les joueurs efficnes, chez les indiviJus babitues aux liqueurs forlcs, a fumer le tabac et surlout I'opium, etc. La ineiiie remarque est en tout applicable au moral, car il se lie toujours aux excila- lions organiques; lacbair est la complice ct I'inslrument de I'espiil, dans le ma! corame dans le bieu. Pousse par cetle disposition instinctive, que tout organe excite dcvient, par cela menic, plus excitable, il se laisse aller a des exces dont les resullats sont iufaillibles, quoi- que d'abord inapercus; et dans les futurs contingenis, la surexcilalion, maler sceva cuiiidiuum, ]iarvienl bienlot a iin degre oil il n'y a plus d'equilibre possible entre I'exci- tcmcnt ctl'excilabilile; la sanle est des lors a jamais com- promise. C'est a ce point desaslreux oil arrivent les debau- ches, les voUiplucux imprudtnts, sans calcul, sans mena- gemenls, sans rellcxion. DiremiHaphysiqucnient ; Lacbair est faiblc, c'est exprimcr en memo temps le besoin d'exci- tation inherent a rorganisine ct les dangers de la surexci- tation; car, si la chair est faible, I'esprit n'est pas tou- jours prompt, c'esl-a-dire que Ics delerminalions inslinc- lives re'mportcnt trop souvent sur la raison ou la force inlellecluello. En effel, ce qui use et ronge I'cxislence .i noire epocpie, ce qui I'affaiblil et Tcpliise, c'est le poignant di-sir de s'enri- chir, et le plus tol possible, au risque memo dc ne pas jouir dece quel'on a gagne, oblenu, accumule. Aiijourd'iiui,les aiguillons de la personnalite pressent I'homme de toutes parts, ct ne lui laissent ni repil, ni delai, ni repos. Or, croit-on que I'activile devorante, I'esprit tracassier, ardent el impiloyable des affaires ; que se lourmenter sans cesse du present et de I'avenir, s'agiler vivemcnl .sous le f juct des iulerels, regarder le surplus non comme iiecessaire, maiscomme iin imperieux besoin ; sc baler de vivre [lOur acquerir, chercher a tout prix la forlune, a rclreindie corps a corps, en s'exposant aux chances lerribles elalca- toires de I'industric; faire de conlinucis et violcnls efforts pourgraudir, pour se placer sur un eclulon supOrieur, saus consuller ses forces; nc voir cofin que ce ipt'on de- sire et non ce qu'on peul, en complaut toujours sur le bonlieur de demaiii, qui n'arrive jamais, croil-on que lout cela puisse maintenir cct equilibre salulaire de I'excile- ment et del'cxcilabilile, ce type de moderation vitale qui donne ;i la sante de I'cgalile, de la Constance et de la du- ree? La socielcest comme un vasle champ de bataille oii Ton est aux prises avec I'ennemi ; il faut elre conlinuelle- menl en garde, prudent el vigilant, se cuirasser coiilre les iulerels opposes. II y a cerlainvnent dans cetle force im- pulsive d'une civilisalion exln'me quelque chose qui tend fatalement a la faiblosse, a la delerioralion organique, et les effels ne repondent que Irop bicn aux causes. C'est bien pis lorsqu'on vit liabituellement dans I'atmosphere en- , llammee des passions. Alors on dirail que le sort, con- slamment ennemi, se joue des hommes comme dcs evenc- menls. En tons cas, les premiers y perdent deux choses bien precieuses, le repos et la sanle. Qu'y a-t-il de plus propre a exallcr le principc vital, a Lriser les rcssorls dc I'economie, que les allernalives des revers ct des succes, que les soucis de I'inlrigue, les veiUes de I'ambilion, la deconvcnance de I'orgueil, les angoisses, les niecomples de I'amour-propre, el le fiel corrodant de I'envie? Quelle fulie de prendre sur sa vie, sur son elre, pour ajouler a un bietlelre fulur et imaginaire ! II est vrai que, dans ces vi- cissitudes de I'exislcnce, les excilations morales, elevant les forces au-dessus de Icur mesurc ordinaire, semblenl en augmenlerrenergie; el il est meme dangereux. puisque la force organique, lenue en reserve, est provoquee, aclivee dans la pluparl dcs cas. Mais qii'imporle ! les hommes ai- nieronl toujours mieux se plaindre que guerir, et surlout que prevenir les maux qui les alleignenl. II en ful ainsi dans tons les lemps. dira-t-on; Ton ne corrigera personne. L'experience, cetle grandc inslitutrice de tout ce qui vit, n'est pas toujours ecoulee, rien de plus vrai ; niais 11 y a le plus ou le moins, et jamais on ne vita un lei degre que maiulenant le desir, I'ardeur de gagner, de s'enrichir pour acciimuleret laisser. Aussi a 1-on remaniue que certaines maladies, par exemple lesanevrisnies du coeur, les conges- lions cerebrales, les affections morbides du sysleme ner- veux, les alienations menlales, etc., elaient inlinimenlplu.s frequenles aujourd'hui qu'aulrefois, nolamment daiis les grandes villes, il y a ici des chiffres effrayanls. .\u moins, dans certains exces, la prudence combal, I'age inlervienl; chez I'homme doue d'un pen de bon .sens la raison ne l,i- clie pas complelement les renes, qiioiqu'elle semble par- fois les lai^scr Holler; mais quand il s'agit d'ambilion, d'honneur, de gain, d'avarice, le trop n'est jamais assez. L'age ne tempore jamais, la maladie arrele a peine; il n'y a que la morl qui puisse dire : « Ici est la borne, » non prnccclrs awplius. Le piofond Pascal avail senli ce que peul I'inaclivite. « Rien, dil-il, n'esl insupportable a I'homme que d'etre dans un plein repos, sans passion, sans affaires, sans ap- plication, sans divertissement ; il sent alors son neant, son abandon, son insuflisance , sa dependance, son impui*- sauce, son vide; incontinent, il sort du fond de sou ame I'ennui, la Irislesse, la iioirceur, le chagrin, le depit, le desespoir. Aussi I'hygiene convenable a un vieillard, quoiqu'ayant des regies fondamentales, neconvient-elle aun autre vieil- lard (|ue sous pen de rapports. Lessius ne put supporter le re^'ime plus ipie pylhagoricicn qui avail si bien reussi au Venilien Cornaro. Un cenlenaire avail ccril la note sui- vaule a observer a son age : 11 i,i\ l',L lit ;,A SA.NTi;. rrcmii'i- ropns : Uii vcrre d'cnii piiiTa luiif lifuios ilu nwlin ct un ni'nrceau de pain rassis. Dpiixiomc rppas : Uii polage, un roll, uiie compote, iin vorre dn via vipin, a deux licurcs de I'ap^es-niiiji. Troisiemc rop.is : Uri>ltfuf de promeuade sans" fatigue a qunire lioures du foir* ■>/■• >" - - Quali-ieinc irpas ; Un peii d'e riz'au lail, uu vcrro d'cau .'Siicree. a neuf heiiresdu soii-,"ci'"si(^rbuclier n dix lu'urcs. ■ Celle nole porlailpoui-«pigraf,}ic-:i£'j7)fi(ocm?c. Tou- .JQuhs psi-il queces quatre'PNws con'ritirdraient a furt iicu -ue.ifciis. ' • J . '- ■■ ' • ■' ^ *• Un du incs confreres, a^e de (|ualrO;vingl-'(ri)is' aus, ra- ^ -nipirail aux Irois poiiils suivanls I'liygiofe (j^ii a pitdcjiige J.', -sji c.-u'iiere- : « Je mange peu, je'niiirclie'(i(li'ucoup H je , i^. -siiis ^Ai.N) Un autre oclogenaire asVurait'sytVe toujmirs •J -borne tce-jtrincipe : pen de nourriIuri\1if,-iijrojip 'd'excr- ^- rice ; du rwtej'un jju de vin dans niT ifquMeSiih^eniare- ch.il de nicheiiAift fl qitah-e-vingt-six aus; WiifiiiTt'i'vei- nue pei-lie a denii ciiite dans I'eau el saunotidrce.de sucrc, ou ^« .liicii avec line ponime, scion la saison'!'(,'cs divcVs'iV'ninics i •Imnsen eux-meines, snntncanmoiiis'tres-Snsc'e'plililcsd'clie diversities, liicii qit'il soil iiei;cssiiire'de*les baser sur dcs regies gciierales. ..;■■: ■■'■ ■' ' « Mon art, disaitCareme au prince de Talleyrand, est d'exciter votre appetit; 11 ne m'appartient pasde le re- gler. » Et I'arlisle avait raison. Scion Boerliaave,'«vouIcz- ;vous savoir les causes des maladies, coquos iiumera, comp- lez les cuisiniers. » Aussi les amateurs de la bonne clicre, les goinfres, les gourmands, les cliercbeurs de frnnclic lippee, jouissent-ils raremenl d'une bonne et fcrmc santc, parce qn'ils confondent toiijours I'appctit, ou pliilot I'irri- tation du palais, avec les besoius de resloninc, aiiiincl ils imposent un travail enorme de digestion. Les fins et judi- cieux gastronomes savent, au conlraire, so posseder, pour micux jotiir ct savourcr; ils connaisscnt tart d'cmnc- clier les aliniculs de fournir dcs inateriaux aux maladies. On peuletre sobre sans etre delical; ninis souvenez-vous qu'oii ne peut jamais ctre delieat .sans ctre sobre. II ne s'agit pas de llatlcr el de bentiGer sans cesse toules les puissances dcgiistalrices, il faut encore les proporlionucr an\ Taciilles orjauiqucs. Deslors n'estpas gaslrunnniecclui i|iii !c vcul; lus motifs en sontevidcnIs.La Yraiegastroiiomie est I'expression d'une oreaiiisalion distinguee, qui n'e.uste pas sans cetle moderation, ipii mange avec rcllexion ct non pour satisfnire au pur instinct de I'auimalite. Ne le cher- clicz done pas parmi ccux qui vivcnl pour manger, digercr s'ils le peuvcnt; gens cbez qui Ic palais parle jdus liaut c|uc Testomac. Qu'attendrc de I'lionnnedont ou peut dire : 'Animus suiujitiiic el iidijic siiff(ic(ilus,fin\nhc dans la de- clicaiice miserable de sa ilouble nature? II n'csl pas tou- jours pos.sible desuivre a la rigueur le eonsei!, de Socratc, evitcr de prendre do gout pour ccs aliments que I'on mange qiiand on n'a pas faun, et pour ccs li(|UCurs qu'on est tente de boire quand ou n'a pas soil'. Mais on peut neii- Iralisercel inconvenient par d'autres moyens : le plus sur est de nieltre dans les plaisirs de la table, que je.prends ici pour excmple, des intervalles plus on moins prolonges, qui dcviennent, par cela nieme, la source de nouvc.iux plaisirs. Ou salt qu'unliomme de lettres, allanlde li'mps en temps a Londres,'oblige, pour ainsi dire, de fairei de'Wiigs, laborieux diners, prevenait tonte iucommodite, en faisant dicle un jour la scmaine. L'hommc prudent, cpii faisbniie .son existence, agira loujours et en tout de cette 'maiiicre. J'aime ces piiroles d'uu celebrc gastronome : « C'est I'csto- mar qui rccoit les ti'uffes , niais c'csl la conscience qui les digere. » Voila unc incontestable veritii medicale, eii ce sens que les vrais plaisirs existent avec le suffrage ^Ic In raiso'n, q'uil faut toujours degager les voluptcs de I'iu- quietude (pii les precede et du gout qui les suit. ' On a pris du viri pour se fortifier ; on a essaye du lab'ac. te tumcur d'opium imli^cile. de ropium, da helel p«Hr se desennuyer; on a joue pour I augmenle la dose do rexcitemont. Dicniot lliabitujea se dislraire ; mais on ne s'est pas arrete a temps ; on a | lieu ; le rets est ferme ; ricn de plun difficile que d'en sur- •• CAUSlilllliS sun l.ES I.NVi:.\Tl lir. On (rouve'encbrb des homnios i\m out coiilracle ik's lialiiliiJcsf-mveset nnn moius (laii^'oi'ciisos : tantul c'l'st une soln'irl<"-,cSTOssivc, unc conliiiencc rigoureuso, ties privalioiisivial'.'calculi'cs; lanlot de mangpi-, dc trivailki-, de doiTOir.ardcs-.hciires tixoes, di'it \e corps en soufl'nr do niillo mahienos.. Il.y a lei syslcme du bicn-dl'ro iiiii fail redouler jijsqH'a. la pluic, nu vent K'|,'C4- qui souflle, an nuage qiii passe, etc, etc. II est aussi des habiludcs bizarrcs liees i d«-.fuiix.principes. Une..ie.u-oe.(%ai!io, par line prcvoyance liygieniquc tonic parlicniiTO,,'; n'avait-eUe pas ecrit sur son alhnm : « .....Touto nne soniaine se coudiei- a dix henrcs, se lever a ltHil,-.|)i:Qn'dre'. des bains, manger pen, cviter Ics emo- tions, ,iii;<; doncevpaliente, donner raison a son marl, pour ne pa^ iiVtlianft'cr le sang; avoir !e leini frais el repose dans' la. bnllanlii soiree de M. "*?» CAUSERIES AVEC SIOS FILS ERNEST sun LES IMVEKTIONS KT LES DECOUVEUTES. 9UATRIEMX: IHATIMEE. lES ASIMAUX IKVlSIBLtS. — I,A POUSSIERE .\NIMEE. KOUVEAU socr.E. — Vous vous clonniez, mon fils, disait M. de .., que je vnus signalasse comme exislanl un monde invisible, nn monde d'elres impcrccptibles a I'tEil nu, et qui remplis- sent le monde? — Ob I mon pcre, cela est bien difficile a croire ! — .le vonsl'ai dit, ce monde est un grand mystere. Lisez le fragment de journal que voici, el vous en serez con- vaincu. Lcjcune Ernest prit le journal des mains de son |ieri'. ct lut .1 baute voix ce qui suit : « L'academie des sciences de Parisarccu line conimii- nicalion interessante. ci Une lettre de M. de Uunilioldl a M. Valenciennes, liii cnnonce les nouvelles recbercbes de M. Ebrenberg sur les infusoires fossiles ( animaux microsr;i|iiques). n M. Ebrenberg a hien agrandi son empire des infusoires, il a decouvert une foule de nunvelles especcs des premie:-.i dans les eanx, prises sons la glace, pres du pole antnrc- l4(ue, par le capitaine lloss. 11 en a vu abondammenl daris I'eau de mer des tropiques, recueillie dans les zones oil elleelait parlailement claire el limpide, et oii clle n'offrait aucuncbangemenldecoulenr. lien a aussi Innivedans I'air. dans ces poussieres giises decritcs par Darwin, qui ob- scnieissenl I'air jusqu'a cenllieiies a Touest des iles du cap Veil, et qui torment une espece de brouillard dangereux pour les navigalcurs. Ce sent des carapaces enlieres 011 brisees, que prolialdement des tromlies soulcvent et em- ptirteiit an large. » •■•■ IJu'cst-ce qn'unc carapace, mou perc? ONS ET LES DECUUVEl'.TLS. 213 C'estune envelnppe, unecoque fort dure, uontinuez. « !\1. Ebrenberg a Irouve aussi que les animaux cal- eaires, dunt les luiil neuviemes de lacraie suntcoiiiposees, descendent jusqu'aii-dessous de la formation du Jura, aux Elats-Unisjnsqu'an Fergkalk; mais les especes de cos for- mations ne sont pas les memesipie celles de la craie. Vous savez d'aillenrs que, nialgre ranciennele de la cr-iie, la moitie des animaux de cette fnrmation vit encore dans la Ballique on dans I'Ocean. n I, a pitrre ponce, rcnfermee on encliasscedansle strass du llliin ( formation on ejecUon voleanique et boueuse ), est remplie d'animanx morls, 11 faut bien croire que les pelits animaux elaient venus se loger dans les fragments de pierre ponce lombes dans ([iielque mare d'eau douce, et que ces fragments ont eteapres cnveloppcs dans une ejec- tion boncuse. Conimc la pierre ponce est formec par I'ob- sidienne, et que Ics volcans sont une reaction dece qu'il y a de plus interienr dans noire planete centre sa croi'ite ex- terienre, on ne pent admetlre la preexislence des animaux^ dans les crateres. 11 faut commenccr par recueillir les fails, les hypotheses viendronl ensuile. » — Ceci a besoin d'explication. Les cadavres de ffcus ces pelits ai|iniaux et leurs enveloppes forment definitivement des pierresj des bancs de rocberset nieniedes iles; il faut des milliers d'anneesft des millions d'animanx pour at- teindrc ces resultats. Mais Dieu , dont les plans sont ini- menses. 11c manque pas de les atlcindrc ; avcc les debris des cadavres sans nombre de ces inDniment pelits. il con- struil des continents; avec la mort il fait la vie, comme avee la vie il fait la mort ! — C'est merveilleus, mon perel — Que diriez-vous, si Ton vcnail vous apprendre qu'on a cree de la pierre avec de I'air'.' — Avec de I'air? — ITest pourlantcequi est arrive. En combinant habi- lemeul les forces de la nature, la science s'est rendue mailicsse, non des causes premieres etdu secret definilif qui n'appartienncnt qu'.i Dieu, mais de la manipulation de ces lorccs. Ainsi le diamant le plus dur se dissout. la vapeur se conden.se, lout se transforme sous la main de I'homme ; les solides s'evanonissent, les liqiiides se so- liililieiit. Oct autre journal, continua M , pent vous apprendre les details de cette derniere decouvcrte et le nom du patient ct ingenieux cxperimentateur a qui cUs est due. Ernest lut doncce qui suit : « L'anteur d'unegrande decouverte, celui auquclon doit le faille plus original peut-clre dont les sciences se soient enriebies depuis pn siecle, la solidification du gaz acide cai'*)oniqiie, vient ik uiourir; i\I. Thilorier a etc emporle rap.idement dans nn .age pen avance, el an milieu des expe- i'iences curieuses qu'il ponrsuivaitavec nn zelc qui ne s'est arreic ni dc\ant les sacrifices de sa fortune, ni devant les fatigues et les dangers qui compromellaient sa vie. Nous devons un hommage a la inemoire de eel habile el inge- nieux experimenlateur qui a resoln d'une maniere si com- jilete ct par des moyens si bien combines le probleme de la solidification des gaz. Avoirreussia liquefier, puis arendre solide un gaz, un air clastiquc comme celui que nous res- pirons en le renfermanl daus uu appareil oii il se com- jjrimc de lui-meme a mesure qu'il se |iroduit ; I'avoir mis a I'elal lie neigc en le rcfroidissant sous I'inlluence de sa pro- pre evaporation, n'est pas seulement une experience Jior- IS* t'AUSERlES sun (lie el ciirioiise, pour lanuellc il a f:illii aiitnnl Ali courasc que lie camliiiiaisons ins;('nieiiscs, c'est uii fail cl'ime haiile pcirlre dans la scirnce. C'(st, en cfl'et, ce qui nous a iiermis dc venliei'unoiin'vision (In gcnio Je Lavoisier. « Mais CCS in'opriL'ti'S fiirent bicn mienx com|)i'isosloi'S- que, par ime lianlicsse lienrense, iM. Tliilorier, repelanl Ics experiences ilnpliysicien anglais surunegrande echclle, parvinlil liqueficr et par suite a solidiSerde grandes masses d'acide cnrljoniiine. « Qni n'a vu et admire Ics resultats elranges obtenns par noire conipalriote? Qui ^ e dosirera voir de scs yeux et conslaler parlni-niemelesiiouvellesinerveillessignalecs par M. Diniias, dans line de ses deniieres lecons d la Sor- boiine, d'ajires une letlre delM. Faraday? « L'illuslre physicien anglais, convaincu quo le froid lui oflV-iilun nioyen plus eflkace que la pressionpour produire des liquefaclinns on des solidilkations de gaz, a cbcrchc a proiluirc des IVoids inteiises jiar des iiouveaux iiioycns. « Or, quand on mide I'acide carbonique solide avec de "I'elber, on a dcja une temperature de quatre-vingt-dix de- gri's au-dcssous de zero au moins. En exposant ce melange dans le/vide, pour en rendre I'evaporalion phis rapide, M. Faraday est parvenu a porter la temperature bien au- dessous do cent degres au-dessous dc zero de la glace |iar I'enqdoi de lets moycus. « A ces IVoids cxcessifs, le moindre contact du corps avec nos organes determine une cnisanle brulure et une cauterisation subite. Neanmoins I'alcool, I'essence de tere- bcnlhine no gelent pas et deviennentseulemenl epais conime un sirop. « iilais, en profitant de ce froid et comprimant a trenlo on quarantc atmospheres divers gaz dans des tubes ainsi refroidis, i\I. Faraday est parvenu a lii|uefier tous les gaz connus, sauf I'oxygcue, I'azote et rbydrogene. (lEntreses mains rammoniaque s'est congeleeen un so- lide presqiieinodore.L'acidesulfureux est devenu solide. Le proloxyile d'azole en a fait autanl. Les acides hidryodiipie • et liydrobromique out pris la lueme forme. II en est de ineme de I'oxyde de cblore. (c L'acide carbonique, sous ces conditions, a fourni un solide incolore et transparent comme le cristal le jdus pur. « Et, chose singuliere, tons ces gaz solidifies, elanlexpo- sesa I'air, s'y conservent loiigleinps; leur lemperature se maiiilient si belle que leur tension est trop faiblc pour ipi'il puisse en resuller une fornialion de lluide elastique consi- derable, conmie on I'aurait suppose. » M. Faraday espere que I'oxygcne, I'liydrogene et I'a- zote ne resisterout pasaux uouveaux efforts qu'il prepare. II a bien merile de reussir, en effet, dans ses tentatives hiirdiesel pcrilleuses et qui sont digues du zele de I'expe- rimenlateurleplns habile de rAngleterre. » — No vous ctonnez done de rien, mon cher Ernest. Quand vous serez plus grand, consultez vos forces, et voyez si vous pouvez, ii votretonr, ii force de labeurctde sagacite, ctendre ce beau domiTine de la science qui ii'esl, apres tout, que I'ceuvre materielle de Dieu exploitce par I'intel- hgence humaine, rayon et ceuvre de I'intelligence divine. La cliimie est deja parvenue a reconnaiire dans la plupart des substances des elements (pie Ton n'y soupiMunait pas. Le vinaigrc, le sucre sont parlout. Nos expijrimeirlaleurs font du vinaigre avec plus dc (juinze matieres; avec des vi!'gi;tau.t de tons Ics orilres , ils font du sucre... LES INVENTIONS ET LES DliCOUVERTES. — Avec dc la betterave, par exemplel — Non pas seulement avec la betterave, mais avec le mais; et ce fragment d'un rccucil fort int('ressant et fort bien fait vous mellra sur la vole de la diicouverte iTcente: (( Le docteur I'allae, dit ce recueil, annonca le premier que le mais contenait beancoup dc maliere cristallisable. Celte opinion ne ful pas tres-bien accuciHie a I'epoque de sa premi(ire ajiparilion. L'Afad(imie n'ajonta pas beaucoup dc confiance a I'an- nonce dune decouvcrle qui lui paraissait peut-ctre lenir un pen de la fajnille des hypotheses. Mais le docteur Pallas ne sc dcc»ur;.gea pas. Parmenlier avail cru que le mais contenait du sucre cris- tallisable, et ce chimiste, qui avail eu raisoncontre tout le monde lorsqu'il vouhil fah'e adopter la pommo de terre comme aliment, pouvail ne pas avoir tort dans une opinion que malhcureusement il n'avait pu v(}rifier. U fallait done contnuier I'armenlicr; il fallait proceder avec soin aux exp(;riences qu'i;l n'avait pas failes. M. Pallas a suivicctte vole ; il a group(3 des fails, il a obtenu des produils, et il s'est pr(''sent(; uncscconde fois devant le tribunal qui doit absoudie ou condamner son sucre. Dans le nu'nioire (pi'il a envoye a I'-Vcadi'mie, rauleurdonne beaucoup de details, trop de di'Iails peut-Olre ; ildcjveloppe, il discute, lorsqu'i| ne s'agitque d'une seiile chose : prt'senter des experiences et montrcr des produils. Void done en quoi consistc la partie sijrieuse du travail, c'est la seule quidoiveinl(;resser. (( Le docteur a fail des cxpi>riences el cstrait du sucre a difft'rentes i;'poques du diiveloppcment de la plautc qui fournit le mais; mais les resullats n'ont pas toujonrs eli les mcmes; il y a des epoques, en effet, oii le sucre n'esl pas composij dans la planle. II se comporle en quel- que sorte comme le fruit lui-meme ; il a sa saison comme lui. Le docteur Pallas a fait sa premiere experience un mois avanl la lloraison. A celte epoque, la tige contenait une maliere sucriie qui etait incrislallisable : c't'lail du sirop, mais ce n'lilail pas encore du sucre. Nouvellc expijriencc an moment de la lloraison; mais les resullals ne ftirenl pas tres-diffijrcnls, au moins sous un rapport : la maliere su- criie (Jtatt plus abondante, le sirop avail plus de rubesse; la cristalli.sali(ui ne sc faisait pas encore. Un mois a]ires lo d(;veloppement de la lleur, I'analyse donna de nouv6aux produils : il ful possible d'exlraire de la masse sirnpeuse cinq jiour cent de sucre cristallisi:', avec I'aspecl brillant de sucre do cannc. A I'epoque de cetle derniere exp(>rience, le grain de mais etait muu, et sa snbslance encore tout impr(?gnee de cetle matiere laileuse (pii disparait avec le progr(;s de la matu- ration ; mais, a l'exp(5rience snivante, le grain iHait com- plijtement sec et a.ssez mii r pour eire cueilli. Cetle expiirience ful faile sur sept mille cent soixanle-cinq kilogrammes de liges qui dounerent une masse de sirop dont le docleur Pallas put exlrairc seize kilogrammes et demi de sucre cris- lallisiieldc vingt-six kilogrammes etdenii dc nu-lasse. On appr(;ciera ce nouveau sucre; on rep(;lera meme les expiiriences. Cela demande du temps, car il faiit faire une seconde fois le travail de I'auleur; mais enfin, quclqiie lard que vieune le rapport, il aura son lour, el nous saurons alors si le sucre de betterave a Irouve un nouvel alliij, et si le Sucre de canne doit craindre un autre enncmi. » LKS MILLE ET UNE KUITS LES MILLE ET LIVE KLITS D'EUROPE ET D'AJH' RIOUE, on CnOlX DF.S MEILLEltnS COXTES rePACNOI.S, ALLCMA5DS, ANGLAIS, AMEIUCAISS, ETC., ETC (1). CIRQUIEHE HDIT, RICDIN-RICSON, CONTE riovr.D. (iCe conic satirique de Belfr>j;or, s'ecria le Boy, est line riflllci'i.' fori vivc, mais [icu amiisanle pom' riiiia;,'inalion. Cost liion raflinc ! — Voire Uaiitesse vcut-elle essayer de ce paysan picard, c|»i nous est arrive I'aulre jour sous forme de malelol? — Oui vraiment, celui-la sera peut-elre plus naif. » Et le paysan picard, au palois Iraiuaut, raconla le conle que voici : II y avail un jourun roi el une reine qui n'nvaienl qu'un fds unique, fort ainiable, mais donl le cicur elail froid. 11 aimail Leaucoup la chasse, prenail prcsque lous les jours ce diverlissemenl, et s'ticartait quelquefois Lien loin de la residence du roi son pere. La poursuile d'un cerf I'avait un jour mene jusqu'aupres d'un liameau. U apercut une vieille fenime , espece de petite bourgeoise , ou de paysaiine renforcee, qui faisail marclicr devant ellc une jeune fille qu'elle ramenait fort rudement vers sa inaison. Cl'Uc fille avail a son cute une qucuouiUe, un I'useau et du lin ; mais ellc tenait dans son taldirr dcs lleurs, qu'il paraissail qu'elle avail ele cueiUir dans Ics cliani]is potn- sa parure. Le prince vit que la vieille les jelait avec indii;nalion, et Cnlendil qu'elle disaila la jeune per. un dernier trail caracleristique de cet iuleressanl paysage. I'ari^. — TjT"?fi pbie (I'A. JlB^E rl Cic. rui- ^ Seine. 32. \ LE LIVRE DES FAMILIES ou JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE. ■• 9.-1" Volomo. frJuiUet za4S. LE MOIS DU lEUNE CHRETIEN. Monseigneor rarchev^que de Paris, VISITATION SE lA SAIBTTE VIXHCE. Voici une solennite qui passe pour aiusi dire inapercue dans le cycle des fesliviles de ranuee, parce que I'Eglise ne I'a point placee au rang des grandes fetes qu'elle con- sacre a Marie. Elle est neaiimoins feconde en merveilles. On en jugera lorsque nous en aiirons raconte les myste- rieuses circonslances. An niois dernier, nous avons expose la naissance mira- culeuse el immaculee de saint Jean-Baptisle. Sa mere Eli- sabeth, scion la promesse de I'ange, avail concu, quoi- qu'elle fut dans I'age de la sterilite, cet enfant qui devait etre si grand parmi leshommes. Elisabeth, epouse de Za- charie, etait cousinc de Marie. Celle-ci porlail deja, par unc conception surhumaine, dans ses chasles ilancs, le sauveur d'lsraijl. Le messager celeste, qui avait rempli sa mission aupres de Zacharie, fut charge d'un pareil mes- sage aupres de Marie. Quand cette Vierge pure, a son tour, puisant son doute dans sa virginale et intacte pudcur, de- manda a Gabriel comment il elail possible qu'elle devint mere, celui-ci lui repondil : « Votre cousine Elisabeth, « quoique dans la vieillesse, a concu un fils. Depuis sir. « mois elle le porte dans son sein,quoiqu'on I'eul jugee « sterile, parce que rien n'est impossible a Dieu. » Mors Marie, adorant la volonte divine, repondit : a Voici la ser- <( vanle du Seigneur, que voire parole se realise. » L'evangeliste aussilot nous apprend que Marie, pressee de connailre la merveille operee dans Elisabeth, se mit en route pour visiter sa cousine. Elle arrive, et ici vont se passer d'admirables choses. L'enfant de I'epouse de Zacha- rie Ireisaillit dans le sein de sa mere, et I'Esprit-Saint inondant celle-ci de prophctiques lumieres, elle s'ecria en parlant a Marie : « Vous etes henie parmi toutes les fem- « mes, beni est aussi le fruit de vos entrailles. Et d'oii me « vient ce bonheur que la mere de mon Dieu vienne me « visiter? Ileureuse etes-vous parce que vous avcz cru, car « ce que le Seigneur vous a dit s'accomplira dans vous. » A ces mots, la Vierge entonnc ce sublime cantique dont I'Eglise ne peut se lasser de repeter les magoiliques accents. Pourquoi ne le transcririons-nous pas ici, car s'il est un jour special dans I'annee oti ce cantique trouve sa place 33 258 LES SAINTS parfaitement marquee, c'est bien sans conlredit la fi'lc do la Visitallbh. « Mon Inie glorifie le Soigncnr. «Moii espril a tiTssailli d'line vive alk'gresse dans lo « Dieu qui est moh salut. « 11 n'a pas dedaigne ma basscsse, H c'est pourquoi tons « les sieclos a venirnrappelleronl BiEmiEOREOSE. » all a opere dans nioi de grandes merveilles Cehii qui « est puissant; ct Saict est son nom. « Sa mlsericoi'de s'etend dc race en race sur ceus qui Ic «craignent. « Son brass'est monlre fort, il a lerrassc les cffiursfiiTs a et superbes. « Les polenlats, il les a abattus de Icur Irone ; les pclils. « il les a exalles. « Les indigents, il les a enrichis; les o|inlonts, il les a « dcponilles. « 11 a trailc Israijl comme I'enfant de sa predilection, « car Dieu n'a pas oublie scs miscricordicuses pronlfesses, « Ces proniesscs qu'il fit a iios peres, i Abraham, a sa « posterito jusqu'a la fin dcs sieeles. » Est-ce lii un langage simplemenl humain? Qui a inspire a une timide vierge celle haute pocsie oii tous les prodiges de la redemption des bommes sont si majestiieusemcnl proclanies? Abl le genie livre .i ses inspirations uaturelles ne salt pas mcme begayer celle langue. C'est evidemrtteHl celle du ciel, et Marie, en ce moment, etait deji lE kbei'- nacle de la divinile incarnee. La visite de Marie a Elisabeth, nous "dit I'BViH^iiste, ie prolongea pendant trois mois; puis die l-evint dahs sa maison. Pen de jours apres son de|iarl, le precurseUr nait d'Elisalieth comme I'aurore, et six moiss'elanl ecouli's, le ■ soleil de justice s'eleve radieux dahS la ct'eche de l!etli- leem. Faut-il s'ctonner maintenant que I'Eglise ait jlige coii- venable de solenniser cctte visile? Gelte fete commemo- rative ne date neanmoins que de quatre on ciiiq teilisalis, et c'est le concilede Bale, en 1-451, qui, par un dccret, la rendit obligatoire pour toute I'Eglise. Le jour qu'on lui assigna est ceUii qui suit immedialement Toctave de la fete de saint Jean-Baptiste, c'est-.i-dire le 2 juillet. Ce n'est point sans molif qu'on a fail choix d'un pareil jour qui semble rattacher la visite de la sainte \'icrge a la fele du saint prccurseur, fils d'Elisabeth. Toulefois, n'onielloiis point que la Visilalion de la sainte Vierge etait robjet d'uue fete, en 1265, dans I'ordre religieux des Freres Mineurs. Chez les Orientaux elle fut tres-anciennement celebrei'. Jamais neanmoins elle n'a ete universellement chftmee comme le saint jour du dimanche. L'Evaiigile ne nous apprend point que saint Joseph ait ete le compagnon de Mai'ie dans ce voyage. On presume neanmoins que la sainte Vierge en fut accompagnee, car on ne pent facilement croire que celle-ci tonte seule ait pu franchir une distance cousideraldc sans un protecleur, et a quel autre un .soin si honorable a-t-il pu elre confie, sinon a saint Joseph? Mais on infere de quelques aulrcs circonslances de I'Evangile, que Joseph n'enlendit pas le merveilleux colloque des deux saintos fcmmes. S'il en avail etetemoin, comment expliqucr la surprise dans laquelle fut beaucoup plus tard saint Joseph, lorsqu'il s'npercnlque sa virginale epouse etait enceinte? II ne fallut rien moins qu'on ne pyiisse pas rencontrer tin seul tableau de Visita- tion qui ne represente saint Joseph a c6t^ de Marie; au mo- ment ou celle-ci abordc sa cousine Elisabeth ?Docidement, les peiutres de siijets religieux n'etudient point I'liisloirc sacree qui dcvrnit constamment guider leur pincean. C'est un reproebe que leur adresse un des plus savants ponlifes , qui aicntporle la tiare, nous voulons dire BennltXlV. Que d'absurdites, qu(! d'anachronismes dans la plupart dcs ta- bleaux d'EgliselLa presence de saint Joseph dans une Yisilnlion en esl un exemple sur mille. El si, a ce propos, nous voulionsrclevertoules les bevues des artistes dans ce genre, noire plume aurait a tracer de nombreuses ligri^S-. Plus tard peut-elre entreprendrons-nous celle taclie, niais ce ne saurait elre ici le lieu. Sous le vocable de la Visitation de la sainte Vierge, saint Francois de Sales inslitua, dans le dix-soplieme siccle, un ordre religieux de femnies qui suivent la regie de saint Auguslin. On donne aux membres de cet institut le nom de Visitaudincs. A I'epoqne des orgies revolutionnaires de ri'rttice, on a joue, sous ce dernier litre, une piece de lh6;\lrc on les plus atroces injures elaient prodiguees a ces SiliiitttS lilies. Faul-il s'en elonner dans les lemps oii la VeriU s'appelle vice et le vice usurpe effroiitement le uom de vertu ? On proclamait bien la liberie, lorsque quarante mille prisons engloulissaientles victimes par milliers et que la gllillotnie s'appelailsainfe .'.'.' VAILIXiTXS. LeirtbiS de juillet nous laisse un espace libre pour con- tinuer les notions que nous avons commencecs sur la hie- rarchie ecclesiastique. Noire nnmero du mois d'avril ren- fcrme des notions de ce genre ; 1° sur le pape ; 2° sur les cardinaux. Kousy promellions une suite, et nous nousem- pressoiis de tisnir parole, eu suivant I'ordre numerique ad(»ptl;. 5° LES PATIUABCnES ET LES PIIIMATS. Qu'est-ce qu'un patriarche? C'est, selon I'originegram- malicale du niol, le pere des peres. On sail que ce tilrc est habiluellcment donne aux ]irincipaux chefs dc fa- niiUe qui vivaient sous rempiro de la loi nalnrelle. Tels sont Adam, Enoch, Koe, Abraham, Jacob el ses douze fds. Cenx-ci fiirent les chefs des douze Iribns. Dans la hie- rarchie de rEglise, le patriarche n'a de comnuin avec ces deriiiers que le nom. L'hisloire ccclesiaslique nous apprend que les eveques des grands sieges ont pris ce litre, a cause de limporlance de leur position et de I'nutorite qu'ils cxercaient sur les aulrcs eveques. Ainsi, Rome, An- tioche, Jerusalem, Alexandrie et Constantinople elaient des palriarcats. Au quatrieme siecle, la religion chrclicnne ' ayant fait des conqucles sur des regions qui ue parlaient point la meme langue, il parut convenable qu'un des nombrenx eveques qui y elaient clablis devint comme le centre de I'administration ecclesiastique. Ainsi pour les. Latins le palriarclie etait a Rome, pour les Syriens a An- tioche, pour les llebreux ou Chahleens a Jerusalem, potir les Cophles ou Egyptiens a Alexandrie, pour les Grecs a Constantinople. Mais si Pcveque de Rome elait en parllcu- lier le patriarche des Latins, il etait pour tous les autres le patriarche des patriarclies. ffrci est un fail rigoureuse- qu'un ange pour le ra.ssurer, en lui apprenant que celle t nient historique, et qniconque vent lire Phisloire ecrle- grossesse etait suruaturelle. Lsl-il apres ccla concevablo ~ wastique sans orevenlion en reconnailra tres-facilement DO MOIS. 2S9 raulhenljcite. Par la suite des temps, celte organisation s'est gravementmodifice on meme delerioree L'ennenii a seme I'ivraie dans le champ des peres de famille. L'lieresic, fiUc de I'orgueil, a inspire a ces grandes fractions de la callio- lirite un esprit de rehellion conlre la cliairc supreme de Pierre. EUe a mcconnii, dans le successeur de cet apotre, la siipreniatie que le divin fondalcur du clirislianismeavait conferee a ce dernier. Les palriarclies out voulu se decla- rer independanls, et leur revolle n'a abnuti qu'a la servi- tude ct a la mort. Qu'est-ce, en effet, aiijourd'hui, sous le sabre des musulmans, que le palriarchc schismatique de Constantinople? Cost le jouet du divan. Sa place se donne au pins offrant ct an dernier encherisseur. Ce!ui-ci Toc- cupc jnsqu'au moment ou il se presente un acheleur qui produit comme titre sureminent une escarcelle mieux ar- rondic que leproprielaire actuel du patriarcat. 11 n'existe done plus en realite de patriarcbes d'Anlio- clie, de Jerusalem, d'Alexandrie et de Constantinople. Les litres en sont neanmoins conserves dans la cour romaine. Ce sont des eveques residant a Rome, ct qui sont investis de ce haut titre qui les place immediatement apres les car- dinaus. lis y sont au nombre de cinq. Ce sont les patriar- cbes de Constantinople, celui d'Antioche des Crecs, celui d'Anlioche des Maronites, celui d'Antiocbe des Syriens, el celui de Jerusalem. Le patriarcat d'Alexandrie n'a point de litulaire nominalif : c'est le patriarcbe d'Antioche pour les Maroniles qui le represente. Outre ces grands patriarcals primitifs, les sieges de Vcnise et de Lisbonne confercnt a leurs titulaires la qualite de patriarcbes. EnGn les Indes occidenlales ont aussi un patriarcbe qui reside a Rome. En Fi-ance, I'archeveque de Bourges prcnd le titre de patriarcbe, qui est simplement lionoriDque et qui ne lui donnerait pas a Rome le droit de prendre place dans le rang de ceux que nous avons nommes. Tonlefois, nous devons le repeter, la dignite de patriar- cbe n'est plus aujourd'hui nulle part accompagnee de la juridiclion qui y etait jadis annexee. Les anciens patriar- cbes avaient sur les metropolitains et les eveques de leur ressort line autorile considerable. Depuis qu'il n'existe plus de patriarcbes investis de I'autorite qui dcsigne cette haute qualification, les primats ont, jusqu'a un certain poinl, remplace les premiers. Neanmoins encore, pour nous borner a la France, plusieurs ai-clieveques et eveques qui prennent le titre de primats ne jouissent, sous ce rap- port, d'aucune juridiction sur les autres prelals. Ainsi Tar- chcveque de Reims s'intilule primal de la Gaule Dclgi- que; celui de Sens, primal des Gaules et de Uermanie; celui de Bourges, primal d'Aquilaine; celui de Rouen, pri- mal de Neustrie ; I'eveque de Nancy, primal de Lorraine; cnCn, I'archeveque de Lyon porte le tilre de primal des Gaules. Ce dernier seul, en France, n'est pas un simple titre d'honneur. On accorde encore a ce siege une verita- ble primalie ; du moins, on le considere comme le premier du royaume. En 1840, on manireslait au pape la crainte de voir nommer a I'arcbeveclie de Paris monseigneur de Do- nald, archeveque de Lyon. Le souverain pontife repondit; « Paris, la grande ville; Lyon, le grand siege. » On n'a jamais vu, en effet, et probaLlemenl on ne verra jamais un archeveque de Lyun devenir archeveque de Paris. 4° lEs abcbevJqhes. Quand, apres les atroces persecutions de trois siecles, la religion chretienne, viclorieuse par la patience, eut de- trone le paganisme, les eveques qui occiipaient les sieges des mctropoles civiles, el qui exercaienl sur les autres eveques une suprematie spiritucllo, prirent insensiblcment un titre qui exprimait cette juridiction. Ce litre est celui d'arcbeveque, qui, d'apres son elymologie grecque, signilie president des eveques. C'est principalcment en Orient que nous voyons celte qualilication attacbee aux lilulaires des grands sieges. Quant a la France, nous voyons pour la pre- miere fois, au sixieme siccle, I'eveque d'Arles invest! da titre d'arcbeveque. En 817, Landran, qui siegeail a Tours, prend la meme qnalificalion. Apres ceux-ci apparaissent, sous le titre d'arcbevecbes, les sieges de Vienne en Dau- pbinc, Narbonuc, Aix , Bourges, Bordeaux, Aucb, Lyon, Rouen, Sens, Reims, Embrun. Lorsque la France se fut agrandie par les conqueles, Besanran, Cambrai , et plus lard Avignon, entierent dans la categoric des sieges ar- chiepiscopaux du royaume. En 1622, I'evecbe de Paris est erige en archevecbe. Albi, en 16T6, obtient la meme pre- rogative. Dejii, en 1516, Toulouse elait, par la grace du pape Jean XXII, erige en metropole. Tels etaicnt les arche- vechcs de France avant le cclebre concordat de 1801 entre le pape Pie VII et Napoleon Bonaparte, premier consul dc la republique. Le malbeur des temps ne permit pas la res- tauration de tons ces arclievecbes. Aries, Vienne, Nar- b&nne, .\uch, S^s, Reims, Embrun, Cambrai, Avignon, Albi, furenl desherites de ce grand titre. Pour nous res- treindre aux limites actuelles, les scules viJles de Paris, Lyon, Bordeaux, Roueu , Toulouse, Tours, Besancon, Bourges et Aix virent retablir leurs metropoles. Plus lard, sous Louis XVIII, on a pu faire revivre les archeveches de Reims, Sens, Auch, Avignon el Albi. Enlin, en 1840, Cam- brai a vu renailre sa metropole, illustice par rimmorlel Fcnolon. Au moment done ou nous ecrivons ces lignes, la France compte comme sieges arcbiepiscopaux, Paris, Lyon, Rouen, Sens, Reims, Tours, Bourges, Albi, Bordeaux, Aucb, Tou- louse, Aix, Besancon, Avignon, Cambrai. Ainsi gemisseat dans un vcuvage indcfini les eglises metropolitaines d'Arles, de Narbonne, de Vienne, d'Emhruii, qui ne sont plus que de modestes paroisses. Paris, Albi. Toulouse et Cambrai elaient de simples eveches lorsque les quatre metropoles supprimces jouissaient de leur glorieux titre, el celles-ci ne possedent pas meme un .siege episcopal. La division ci- vile el judiciairc du Icrritoire ne leur a point ete plus favo- rable , puisque ces villes sont uniquemcnt cbefs-lieux de sous-prefectures. Quelle est maintenant, d'une maniere precise, la diffe- rence qui existe entre Tarcheveque et I'eveque? Bien des personnes, dans le monde, ne peuvcnt se rendre raison de ce ipii distingue ces deux classes de prelats, et nous croyons pouvoir leur elre agreable en leur fouruissant a ce sujet les notions les plus claires. Pour repondre metbodiquemeula cette question, il faut d'abord cnvisager le caractere, puis la juridiclion, et puis encore les prerogatives bonorifiques. Sous le rapport du caractere, le pape, le patriarcbe, I'ar- cheveque et I'eveque sont parfaitement egaux. Tons ont la plenitude du sacerdoce. lis sont lous successeurs des apo- Ires. Eux seuls peuvenl conferer le sacrement de I'ordre, c'est-a-dire, en d'autres termes, qu'a eux seuls apparlienl la fecondite du minislere ecclesiaslique. En outre, chacua d'eux est ministre ordinaire du sacrement de confirmation. Seulement, et il ne faut pas I'oublier, le pape a, de droit 260 LES SAINTS divin, line suprpniatifi non-seiiloniPiit (I'lionnonr. mais dc juriiliction sur Ics autres menibros de IV'iiiscnp.nt, on, si Ton vent, de r.ipostolat. Ainsi done qunnd nn eviViuc de- vient ni-clieveqne, il n'a point ;i rcccvoir de consecralion paiiiculiere, comnie le pnMre qui devient eveque. Pour cc qui est de la jnridlcllon, ancienncmcnt los ar- chevequcs jouissaienl d'un grand ponvoir. lis confirmaient les eveques de leur province mctriipolitainc , les consa- craient et recevaient leur sernicnt d'obeissance. lis pou- Vaient visiter les dioceses de leurs snffragants, et presider aux deliberations siir les affaires importantes. Cetle jnri- diclion n'exisip plus, sinon en droit, du moins en fait. Les archeveques n'ont conserve que le droit de jugcnient par appel des affaires conlentieuses des dioceses de leur metro- pole. Chaque diocese a un tribunal ecclesiastique coiinu soiisle nom d'oflicialile. Lejugenient que porte ce triliunal, en matiere de discipline, pent Hre infirme par I'oflicialile meti'opolitaine, qui siege dans la ville archiepiscopale. Telle est, dans le temps present, la superiorite reelle de I'arcbe- veque sur I'eveque de son ressort. Par ce dernier, nous entendons la province ecclesiastique composee, outre I'ar- chidiocese, des dioceses qui en relevent sons la denomi- nation de suffragants. Ainsi Paris, arcbeveclie, a pour suf- "ragants les sieges de Cbarlres, Meaiix, Orleans. Blois et Versailles. Nos indulgenis lecteurs desirent-ils connailre les autres provinces metropolitaines ou archiepiscopales de la France? Nous pouvons repondre'a leiirs legitimes desirs. De Lyon relevent les cveches d'Autun, Langres, Dijon, Saint-Claude et Grenoble. La metropole de Rouen a pour suffragants les eveques de Bayeux, Evreux, Seez et Coutances. Sens n'a plus que Troyes, Nevers et Moulins. Dans les beaux jours de sa gloire, ce siege, un des plus an- ciens des Gaules. meltait pour legende sur ses armoiries le mot : CAMPOCT. Chacune de ces leltres designe un des sieges qui en relevaient. c'csl-a-dire, Cbarlres. Auxerre, Meaiix, Paris, Orleans, Nevers, Troyes. A la metropole de Bpinis se rattacbent Soissons, Chalons, Beauvais et .\miens. Le siege arcbiepiscopal de Tours compte dans son ressort le Mans, Angers, Bennes, Nantes, Quimper, Vannes et Saint-Drieuc. Bourges, qui coufcre a son arcbevequc le tilre de palriarclie, tient sous sa juridiction metropolitaine Clermont. Limoges,j le Puy, Tulle et Saint-Flour. De la metrop(de d'Albi re levent Bodez, Cabors, Mende et Perpignan. Bordeaux ren ferme dans la sienne Agen, Angouleme, Poitiers, Perigueux la Bocbelle et Lucon. La province ecclesiastique d'Aucli). contient les evecbi's d'Aire, Tarbes et Bayonue. Celle dej Toulouse compte Montauban, Panders et Carcassonne. A celle d'Aix apparliennent Marseille, Frejus, Digne, Gap, Ajaccio et le nouvel evecbc dc noire couquele africainc, Alger. La province de Besancon elend sa juridiction sur Strasbourg, Metz, Verdim, Belley, Saint-Die, Nancy. De celle d'Avignon relevent les sieges episcopaux de Nimes, Valence, Viviers et Monlpellier. Enfin Cambrai, qui, ,n la suite du concordat de ISOl, etait un everhe dependant de la metropole de Paris, ayant, comme il a ete dit, reconquis son rang d'archeveche, a pour unique suffragant le siege d'Arras. Passons aux droits honorifiques des archeveques. Leur costume habiluel ne differe point de celui des eveques ; mais lorsqu'ils efficient pontifiralement. ils portent de plus (pie CCS derniers le pallium. C'est une bande dc laine blanche ornee de croix noires, qui se place comme une sorte de collier sur les epaules, et de la([uelle pendent, sur le devanl et par derriere, pcrpendiculairenient deux autres bandes. Nous donnerons plus lard une description delaillee et I'o- rigine de cet insigne. Neanmoins quelques eveques jouissent du driiil de jialliiim, tels que, en France, ceux d'Aulun et du Puy. Les archeveques out le droit de faire porter dcvant eux, dans tons les dioceses qui appartiennent a leur metro- pole, la croix dite archiepiscopale, qui est le signe de leur suprematie. Ils peuvenl aussi porter dans tous ces dioceses le nianteau violet sur leur rochet. Lorsqu'un concile com- pose des eveques d'une metropole se rcunit, I'archevequc a le droit de le presider. Depuis que le gouvernement est charge de .subvenir a la snbsistance du clerge, auquel la revolulion de 1789 a ravi ses immenses proprietcs terri- toriales. les archeveques recoivenl cinq mille Irancs dc plus que les eveques, dont le trailement est de dix mille francs. La restauration donnait aux archeveques vingt-cinq mille francs, ct aux eveques quinze mille. Un regime plus eco- noniique, depuis 1830, a baissc ce laux. Nous aimons a croire charitablemenl que les contribuables en out eprouve un allegement proporlinnnel dans les impots... (Jnant aux autres prerogatives qui accompagnent le siege arcbiepiscopal, nousajonterons que le gouvernement agree pour I'archeveque trois vicaires gcneraux, et deux seule- ment pour I'eveque. Lechapitre metropolilain se compose de neuf chanoines, et celui do I'eveche n'en a que hiiit. Paris seul compte exceplionnellement seize chanoines en titre. Le nonibrc des chanoines honoraires est partont illimite. Nous offrons en tele de la pnrlie rcligieuse de notre journal le portrait de 'monseigneur Denis-Auguste Affhe, arcbevcque de Paris. Depuis le 6 aout 1810, ce prelat porte avec une .sollicitudc eniinemment pastorale le jioids d'une charge c|ui exige aulant de prudence que de zele. Mais la modeslie bien connue du melropolitain defend a nolre-]ilume les justes hommages qu'elle se plairait a pro- digiier. vi^v "*t3\ ; \.S° les EvjQtlES. Srion ce qui a ete djt plus haul, cetle denominalion hie- rarchique a deux sensi, I'un gcncrique et I'aulre special, Dans le premier, I'evetfue, episcopus ou surveillant, est le surcessenr des apolres anxquels Notre-Seigneur a donne la haute mission d'instruire les peuples par la parole et de les sanclilior par bs sacremenls. En ce sens, dans la hierarcbie d'iiistitulion', divine, les eveques oecupent !i sommile du corps de I'Eglise, sous la pnisidence et la pri- nialie du successeur de; sainl Pierre, qui est le |iape, evc- que de Rome.Un corps ne se conceit pas sans une tele.. I Celle tele est le pontife supreme, chef visible du corps I mystique. Jesus-Cbrist en est le chef invisible. L'Eglise neti saurailetre sur la.terre une abstraction meiaphysique; et ' c'est poiirtant lerevc de nos freres adoraleurs du Chrisl, separes de I'jrfiile calholique. Oh ! oui, certes, c'est bien nn reve, s^en fut jamais... A ces reveurs, que nous plai- gnomi-e est d'une population mininie, un pretre y suffit, sous le nom de cure. Si le soin de celui-ci ne pent snffire, I'eve- que lui adjoint un autre ou plusieurs autrcs pretres desi- gnes sous le nom de vicaires, secondaires, administra- leurs, etc. Nous tenons singulierement a populariser la connais- sance d'un fait qui trop gcneralenient est ignore. C'est que depuis nos revolutions poliliques le clerge ne possedant plus de propriiiles, I'autorite civile a du pourvoir a la sub- sistance dcs minislres des saints autels. Mais tons les pre- tres rccoiveut-ils du tresor national des emoluments? On serait dans une grave erreur en le pensant. Le clerge pa- roissial se compose de cures ou desservauts. Les premiers sont partages en deux classes. A ceux de la premiere le budget accorde 1 ,500 francs. A ceux de la deuxieme, j^ 1,200 francs. Enliu aux cures dits desservauts, et qui| n'ont point le benefice de linamovibilite comme les pre-i miers, I'Elal donne 800 francs. Tout pretre qui n'appar-| tient point a I'une de ces trois classes ne recoit rien dd tresor. Seulemcnt les vicaires de campagnes et dequelquesi villes de tres-petite imporlance pcrcoivent une indemnitel de 300 francs qui leur sort de traitement, conjoin tementj avec ce que leur assigneut les communes. Jetons mainte-T nant un coup d'oeil sur I'administratioa paroissiale de In DU MOIS. grande capitale. Paris contient douze cures dii premier ordre, sis de seconde classe, viiigt et une succursales. 11 est facile de calculer ce que coute au tfouvcrncmeiit toul le service du culte dans les paroisses d'une ville qui reu- fcrme plus de huit cent mille catlioliques. II n'y a done que trente-ueuf pnHres diversenient et tres-economiquement retribues. Mais le nonibre decuple des aulres prelres asso- cies ii divers titres a ce service paroissial, que percoit-il du Tresor? Ricn. Le litre el le caraclei'e du prulre n'empor- tenl done point avec eux Taffcclalion U'un traitemcnt, et si ce pretre n'csl point a la tele d'une paroisse conune cure, ou'bicn comme vicaire rural, le tresur public n'a point (i debourser pour lui la somme la plus mininie. Quels sont done Ics moyens de subsislance pour le pretre place on dehors des deux positions precilces?Sa forluue person- nelle, ou bien, quand il se livre aux travaux du niiiiislere paroissial on qnalite de sccondairo, rallocalioii pecuniaire que ha fait un consei! de fabrique. Ce serail done tres-mal a propos que la dignite sacerdolale serail consideree en elle-meme comme une place essentiellement refribuec par le budget gouvernemental. Kous avous articulii le nombre des pretres retribues a Paris, pour le service des paroisses. Pourquoi ne formulerions-nous pas le cbilfre? II s'elcvc a 42,000 francs. Celte somme reparlie sur les Irente-neuf paroisses de la capitale n'atteint pas 1,100 francs pour chacune... Et Ton se recrie assez frequemment sur la charge qu'impose a la population ce qu'oa appelle aoblc- menl le salaire du clcrge... Muis ce n'est pas au poids de Tor que s'estime la voca- tion sacerdolale, il est une moisson bien plus precieuse pour le pretre a recuelllir. Ouvricr dans le champ du pere de famille, il ne demande que la liberie d'agir. Sil lui faut le pain materiel de chaque jour, pour soulenir sou exis- tence, il demande avanl tout, avec I'apulre, non point les tresors des peoples, mais leur sanclification. Dans un prochain numero nousesperons pouvoir fournir plusieurs autres notions analogues, si nos abonoes veulent bien nous contiuuer leur indulgence bienveillanle. BIOIS H^ JVlXiJ^TT, 1. Mardi. St Gal, ^v^que de Clermont en Auvcrgne mort en 553. St Martial, premier evcqucde Limoges, mort au 5^ siecle, St TiiiERBY , abbe du Mont- d'Hor, pics de Reims, mort en boo. St Calais, abbe, mort en 542. La vUlc dc Si-Cal;iis ^Sarlliei en a iiris le nom. St LLOxonE, evcque en Breta- gne, mort du ¥ au 5^ siccle. Ste Eleosobe, vierge et mar- tyre au 3*-' siecle. 3* Mercredi, La Visitation de LA Ste Viehge. Voy. rartide sousce nom, St Puocesse et Sr Mabtinien^ martyrs au'l^' siecle. Leurs rcliijues sunt duns la superbe basilique lie St-Pierre,a Rome. Ste Monegoxde, recluse a Tours, morle en 570. 3. Jeudi, St Phocas, jardiuicr, martyr en 303, St Bebthah, evcque du Mans, mort en 623. StGu.ntuiern, abb^enBretagne, mort au 6® siecle. 4. Vendredi. St Ulbic, i5ve- qued'Augsbourg, mort, 975. St Odon, archeveque de Cau- torbery, mort en OCl, Ste Bebtue, veuve, abbesse de Blaugyen Artuis, morle en 725. 6 . Slamedi. St Piebbe de LuxEUBo^Rr., rai'dinul, eveque de Melz, mort en 1387. Ste Uolwexe, vierge en Anglo- terre, morte au 9® siecle. Le bienheureux Michel -ces- ^ Saints, religieux espagnol, mort en 1625. 6« Uimanche. St Pallade, aputre des Scots, mort vers Pan 450. St JuLiEN, solitaire en Mcsopo- tamie, mort en 370. Sr GoAB, solitaire au diocese de Treves, mort en 575. Ste Sexdurge, abbesse en An- gleterre, morte a la fin ^u 7*^ siecle. 7. Ijundi. St Paktene, Pkede I'Kglise, mort au commen- cement du3« siccle. Oti I'a appele I'AbcUle de la Side. St Felix, evcque de Nantes, mort en G84. St Glillebaud, cvequed'Aichs talt, enAUemagne, mortalu iin du 8° siecle. StBemjitXI, pape, mort 1305. 8. lEardi. Ste Elisabeth, reinc de Portugal, morte 1356. StPbocope, martyr en Palestine au 4^ siecle. St Timbaod, abbe des Vaux, dio- cese de Paris, mort en 1247 9* JHercredi. St Ephrem d'Edcsse.docteurdel'^glise, mort en 578. Scs oeuvies ont clerecueillitis en 6 Mil. in-folio. Ste Evelbiue, vierge d'Angle- tcrrc, morte au 7* si^cie. Les saints Mautvrs de Gorcdm en Ilollaude, en 1572. Les cahinisics les peiidireni en limine ilu cutliolicisme. Ccs Diartyis eiaicul au nombre de dix- iieuf leligicux ou pretres secu- liers. Admirable exemple de la tolerance lant precoinsce park's prolcslants !! ! 10. Jeadi. Les sept Fbebes UABTYRS et Ste F^licite, leur mere, a Rome, au2'' si&clc. Ste RuFiNB et Ste Seconde, vierfjes martyres au 3^ siiicle. St Udalbic, religieux do Cluny, vers 1095. Ste Asialberge, religieuse a Maubeuge, au 7^ siccle. il. Vendredi* St Jacoues, 6veque de Nisibe, I'an 550. On a de lui plusieurs discours fitrl im|iorlanls. St Pie I, pape et martyr, en 157. St Hidclpue, eveque et abbe en Allemagne, en 707. La bienheureuse Veronique GiDL.vNi.viergcd'Italic, morte en 1727. 12. Kamedi. Sr Jean Gual- bebt, abbi5 fondateur dcVal- lonibreuse, mort en 1075 Sr Nabob et St Felix, martyrs dans Ic Milanais, en 304. St Viventiol, Evcque de Lyon. mort au 6^ siecle. St Andre, jeune enfant mis i mort par les Juifs, cnTyrol, en 1402. 13. I>imaiiclie. St Eugene, eveque de Carthage, et ses conipagnons, conlesseurs de la I'oisous les Vandjles, 505. St Anaclet, pape elmarlyr, 109. St Tdbuf, eveque de Dol en Bretagne, mort en 749. Le bienheureux Jacques de Vo RAGiiSE ou DE Vabase, arcbc- veque de Genes, auteur de la Legendedoree, mort, 1298. 14. Lundi. St Bonavemlbe, cardmal, evcque d'Albano et dottcur de I'Eglise, aiort en 1274. Ses oEuvres sont ea M vol. in4°. St Camille deLellis, fondateur de I'ordre des clercs regu- liers pour le service des ma- lades, mort en 1614. Le bienheureux Gaspabd Bon, reli;iieux minime, mort en 1004. 15. Slardi. St Henbi, cmpe- roiir d'AUemagnc, mort en 1024. St Plecitelm, apotre dela Guel- dre, mort en 752. St Switiun, eveque de Win- chester, mort en 862. 16, Mercredi. St Edstuate, patriarched'Antioche, mort en 558. Sps ouvmges ne sont point parvenus jusqu'i nous. St Fdlbad, abbe de St-Denis, prcs Paris, mort en 784. St Monolphe, eveque de Maes- trichl, mort en 599. 17. JeiiiU. St Alexis, confes- seur, mort au 5° giccle. St Spebat et ses compagnons, martyrs en Alrlque, morts au 5° siecle. Ste Mabcelline, vierge, morte au commencement du 4® siecle. St Enxode, ev(*que de Pavie, mort en 521. 18. Vendredi. Ste Svupdo- RosE et ses sept fils, martyrs en I'an 120. St Abnodl, ^vequo de Melz, mort en 641. St Fuedebic, eveque d'Ulrecht, ct martyr en 858, St Bbunon, eveque de Segni ca Italic, mort en 1125. 19. Samedl. St Vincent ob Pall, pretre, leherosdela S64 charil6 chretiennCj fonda- teur des lazarisles, etc., I'l^- tcniel honneur de la FiMnC(> catholique, iiiort t-n 1060. St Arsese , anachorc'le en Egypte, aprcsavoircte gou- verneur dcs enf;ints dercm- pereur Thoodosc le Grand, niort en -iiO. St Uhkticb, cveque d'Autun, jnoitau 4^ siecle. St Stmmaqce, pape, niort, 514. 20* Pimanclie. SteMargue- lUTE, viergc niartyre , pa- tronne tilubirc d'une pa- roisse dc Paris, raorte au 5' ou 4^ siecle. Ste Juste el Ste Rcfink, mar- tyres enEspagne, en 304. St Aubele, ^vequede Cartliagi en Afrique, mort en 423. St Jerome Emiliasi, iustituteur dc I'ordre des soraasques inort en 1537. 2]. I>un«li. Ste Praxeue vierge, niorte au commen- cement du 2" siecle. St Zoteque, cvcquede Coniane en Cappadoce , martyr, iiO-1 St Barhadcesciadas, diacre en Perse, martyr en 354. St Victor de Marseille, soldat, ct martyr au 5^ siecle. II exislait a Marseille et i\ Pa- lis deux celebres communauics sons sua iavocaiion. SCENES 32. Hardi. Ste Marie Made-I LEiNE, uiie des saintes iuni- mesqui lurent Icnioins de la iL'surreclion dc J~C. EUe est famcuse parsa vie pem- tenle. Morleau 1" siecle. Paris 3 unc paroisse sous son invocaiioii. St Vandrille, abbe de Fonte- nellc en Normandie, ntort en 6G5. St Joseph de Palestine, Juif convcrti, morlcn3o(j. STMENiiLE.abbcen Auvcrgne, mort en 720. 23. Mercredi. St Apolli- NAiRE, eveque de Raveniie, disciple de I'apotreSt Pierre, mortau 1^'' siicle. St LiDOiRE, evijque du Mans mort en 597. Le btenlicureuK Rostaing de Caprcs, areheveque d'Arles, mortau 15^ siecle. 24. Jeiidi. St Loup, 6veque dc Troyes, mort en 478. Ste CiiiusTiTsE, vierge et mar- tyre, morte au 5® siecle. Ste Sigolese, abbesse en Lan- guedoc, morte au 4^ siecle, St Romain ct St Davio, patrons de la Moscovie, martyrs en 1010. 35. Vendredi. St Jacques le Majeur, apotre, martyris6 a Jerusalem enran45deN.-S. StChrisiophe, maityren Lycie, dans les premiers siecles. On le representesouvcnt com- mc uii gL'anl qui porte J.-C. : cc n'cst ({u'une allusion a son nun) qui signilie PuriL'-Clnist.] Ste Glossine, abbesse a Metz ou Glossiude, morte au 8' sii^cle. Sr Marcuerie, eveque de Tre- ves, mort au 6® siecle. 2G. Samedl. Ste Anne, mere dp l;i Ste viergc Marie, epouse de Joachim. Juslinien I^' fit bMir, en 550, une ''gliseen sonliouncur,a Con-| sianlinople. StGermain, eveque d'Auxerre, mort en 448, patron de l'^- gliseSt-Germain I'Auxerrois, a Paris. St Evrols, reclus et abbe pres de Beauvais, mort au 7' siecle. St Gondolphe, eveque de Maes- triclil, mort en 007. 27. Kimanclie. St Pasta- i.LON, mcdecin ct martyr a Mcomedie, en 303. Si Maximilien, St Malciius, St Martinien, etc., ou bien les Sept-Uormants, martyrs a Eplicsc, en 250. Dans lanuit iJu27 au 28 juil- let (791, Maxiniilien Robespierre, lesaiiguinaire lyran, ful arrfete, et mis a mort le 2S. Quel sinisire jour de fi;ie\ 6 Providence! 38. I^aiidi. St Nazairg et St Celsk, martyrs a Milan, vers I'an 08. St Victor, pape, africain d'ori- gine, mort en 202. St Issocent I, pape, mort, 417. St Samson, 6vcque, mort, 564. 30. Uardi. St Lazare, Ste Martjie ct Ste Marie, botes de N.-S. J-G. Lazare fut ressuscit6 par le di- vin Sauveur. On pretend qu'ilfut premier evi''iiue de Marseille, et qu'il y mourut, au I*' siecle. I St Prosper, eveque d'Orleans, mort au5° siecle, St Olaus, roideNorvv^ge, mar- tyr en 1050, 30 Mercredi* St Addon ck St Senen, martyrs en 250. Ste Juliette, martyre en Cap- padoce, au 4* siecle. 31. Jeudi.STlGNACEDELoTOLA lundatcurdes jcsuiles, mort en 1550. St Jean Colombisi, fondaleur desjesuatesen Italic, mort en 1307. Ste Helene de Skofde, niartyre en SuL'de, mise a mort par ses propres parents paicas, en 1160. ( SCENES, RECITS, AVENTURES, EXTBAITS BES PLUS BECEKTS VOYAGE DBS. IMPRESSIONS DX VOVAGZS D'UNE JEUNE TOURISTE. Vieniu', 27avril au 29. VISITE AD COUVENT DES CAPUCIKS. — CAVEAU MOBTIIAIIIE DES PE'INCES d'aUTIIICHE. Une des choses qui daterefit le plus dans mes souvenirs dc voyai;es, c'esl la visile que j'ai faile aujourd'hui a la chapelle soulerraine consacree a la sepulture des souverains el des princes de la niaison d'Aulriche. Celte chapelle est construite dans le couvent des Capucins ; I'eglise est fer- mee : il faut entrer par le convent. Mon domestiquc sonne, un frere se prcsente; on m'inlroduit dans un lieu, puis dans un autre ; un coUoque s'etablil, el comnie je ne com- prends pas ce qui se dit, je vais oii Ton me mene.j'ecoute et j'attends. Est-ce par faveur qu'on me fait ainsi penelrer dans les divers reduits dc ccltc austere retraile, ou lilen les capucins sont-ils ainsi en rapport avec le nionde exte- rieur? Quoi qu'il en soit, voici la sacristie oii quelques frcres achevenl leurs prieres, oil d'autres disposenl les objets du civile. Un peu elonnce de me trouvcr aupres de ces hommes a longues barbes, que je n'avais jamais vus qu'on images, etquc, dans mon enfance, jetenaispour des elrcs plus fabuleux que reels, je me sentais grave ct cu- rieuse sans le vouloir. Quand je dis que je n'avais pas en- core vu de religieux de eel ordre, je me trompe : n'a- vais-je pas fait route sur le bateau a vapeur avec un de ces hommes de prieres; enlouree de beaucoup d'autres hom- mes, n'avais-je pas ete d'inslinct et de premier mouvcment pres de ce personnage qui lisait son breviaire en silence, me sentant connne protegee par son voisinage. Je ne sais s'il comprit ma pensee, je le crois ; car il est done a coup sur d'une penetration vive, ct il y a sur ses traits plus d'espril qu'il n'en vent montrer peut-elre. Toujours est-il que la vne de mes nouveaux holes reporta ma pensee vers mon saint compagnon de voyage, et je me senlis porlee pour eux a la consideration et aux egards. Ces sentiments me parurenl rcciproques, cl comme les frcres elaicnt, me dil-on, en prieres, on me fit atlendre dans une chapelle. J'clais entree seule, jevenais de m'agenouiller devant I'autel, el nul bruit n'avait encore frappe mon oreiUe dans ce lieu,lorsqu'une psalmodielugubrevinttouta couplrou- bler ce silence. Celte harmonic, un peu sauvage, formee par des voix d'hommes, partait de I'autel oii mes regards etaient fixes ; et rien cependant ne trahissait la presence de ces musiciens invisibles. Je prelais I'oreille : tantol une seule voix se falsait entendre, ct tantot un chteur lui re- ]iundait. Ainsi done, me disais-je, I'homme peut trouver I'alimeut de sa vie dans la seule pensee de Dieu ; ainsi, celte DE VOYAUliS REUENTS. 265 nature relive, insoucianle, alliere et fougueuse, peut done fere domplee par une idee, une abstraction: Dicu! vaincue par un sentiment : I'csperance ! reduite par une vcrtu : la foil et ces passions terribles qui tyrannisent I'lmmme du monde, ces betes furieuses, comme dit I'Ecrilure, ([u'eii fait-o« ici 1 Des esclavcs humbles et dociles ; on les met sous les pieds, et la sandale parvient a ecraser le serpent. Cela est beau, et jcrepelaismonaxiome favori : « L'liomme est bien grand quand il veut I'elie. » Us ne sc doulcnt pas, ajoulai-je encore, qu'une femme est la, si'paree d'eux seulement par une cloison ; lis ue savenl pas que celte femme prie avcc cux et pour eux ; ils iic savent pas, enlin, qu'ilsont unauditeur, untemoin. Etccpcndanlils pricnt... et chaque jour, dans le meme isolement, ils accomplissent le meme acledevant Dicu seul, et pour lui seul I... 11 n'y a que la foi qui puisse conduire I'homme dans le tloitre ; il n'y a que la foi qui puisse I'y retcnir. Les voix se turenl, on vint me chcrcher. J'entrai dans un couloir.et de lajevisdefilcr, a quelqucs pas devanl moi, la legion modeste et grave; je regardai delous mes yeux jus- qu'a ce que le dernier frere ei'U disparu derriere le tour- iianl de I'escalier ; alors seulement je songcai ii suivre le guide qui me devanyait. Le guide, c'etait un des freres ; il tenait une lorcbe allumee, et me lit signedc le suivre. Je desccndis un petit escalier de pierre, et je me Irouvai dans un caveau fort sombre, conlre les mur.s du(iucl i'taient ranges symetriquement des cercueils glganlcsquc^s royale- ment ornes. Le religieux, sa tordie a la main, allait de tombe en tombe, me donnani, avec une mervcilleuse me- moire, tons les noms, toutes les dates, et tons les details historiques que je pouvais souhaiter. Tons ces debris de race rnyale, malgre le luxe de I'art et les recherches de I'orgueil, oaupaient la bien peu de place. J'eprouvai le be- soin de communiquer cette idee; je montral au capucin des armes ciselees, et je fls un geste : j'etais bien siire qu'il me comprcndralt!... La mort avail frajqie dans les rangs royaux comme ail- leurs, sans dislinclion. A cote de ces cercueils colossaui, gisait parfois une pclite lombe indiquanl le plus jeune age. Une de ces tomlies fixa longtemps mon altenlion : sur le .sommel est reproduit en sculpture, avec une grande per- fection et une remarquable veritc, le personnage qu'elle renferme. C'est une jeune fille de douze ans environ, qui scnible rendrc le dernier soupir avec le calme de I'inno- cence : de petites mains gracieusemenl croisees sur son sein d'enfant, un ciiapelet relenu par des doigtsmignons, une petite croix suspeudue a un cou dcllcat, tout cela con- sliluaitun ensemble saisissanl et atlachantau dernier point. Dire que cette enfant elait nee de tels on tels de ces rois et de ces reines ajoulerait peu a I'interet qui s'attache a soa monument. 11 n'y a que les larmesverseessurles tombes qui les immorlalisent et les sanclilient. Je suis depuis lougtemps devant le monument de Marie- Therese, et je n'en ai pas encore parle. L'enfant a pris rang sous ma plume avanl la femme de genie, le grand diplomate, le grand capitaiue, le grand monarque, la noble epouse! c'est une de ces injustices donl on ne peut guere Irouvcr le motif, et pour lesquelles on ne se sent point de repenlir; batons-nous cepcndant de la rcparer. Tout le monde salt I'histoire de Marie-Therese ; mais il en est des details de la vie des grands personnages histo- riques, comme de ces hors-d'ceuvre choisis, qui gardent leur savcur a cole des mets principaux. Marie-Therese n'avait pas une de ces ames vulgaires que les pompes humaiues peuvent enivrer : forte tete et grand co:'ur, clle savait accorder a sa position toutes les capacites de son esprit, et garder virginalement les facultcs de son 4me. Elle ne souffrait pas que le contact des hommes vint troubler la pVix du recueillemenl, du sanctuaire qu'elle avail crce en elle-meme : la grande reine avill compris I'im- portance de ces halles inlellecluelles qui permeltent de dresser I'inventaire du bagage spirituel, cl au moyen des- quelles I'elre moral se relrempe el .se viviCe. Aussi bonne epouse que grande souveraine, la reine, naivement splendide et rayonnante de faculles supremes, n'avait jamais songe a s'isoler dans , les rayons de sa 34 SCfeNES gloire, en confondant ingdnument coquc la posterite a se- pare : elle remerciait le ciel qui I'avait fait I'epouse d'uii grand liomme. (Juand la raort, en frappant avant die celui qu'elle avail toujours clieri et honore, lui cut a|>pris le dernier mot de j,a vie, elle n'eut plus qu'une volonte, celle de mctlrc a proDt ce grand et douloureux enseignemeut; et pour y parvenir, malgre tons les obstacles que lui opposaicnt le monde, ses exigences et scs passions, elle consacrait un jour par semaine a la meditation et an silence ; et ce si- lence, qu'elle nepensaitoLtenir autourdu trone, elle allait le demauder a la tombe. Tons Ics huit jours, et durant quinze annecs, la reine disparaissait aux yeux des courti- sans. Oil etait-elle? Dans un caveau et sur un cercueil... Et ce qui la conduisait la, ce n'elait pas uue de ces douleurs charnelles aussi ephcmeres qu'elles sont passionnees, c'e- tait une de ces douleurs digues comme tout ce qui est re- ligieux, stable, comme tout ce qui s'nppuie sur Dieu ; belles comme lout ce qui rcnferme I'esperance? Aussi le temps n'apporta-l-il aucun cbangemenl, aucune modification a la toucliante habitude de la reine; la mort seule put ratltre un lerme a ces visiles ediflanles. Et par I'effet d'uue pres- cience surnaturelle accordee quelquefois a ceux qui out beaucoup aime, I'epouse fiJele fut avcrtie que I'instant ap- prochait d'habiter a son tour ce lieu de rcpos, d'cntrer dans ce double cercueil prepare depuislongtempspour elle. Un jour elle viut au tombeau comme a I'ordinaire; puis elle dit, en le quitlant, au frere de la communautci qu'elle trouva sur son passage : « C'esl pour la derniere fois que je viens ici. » Le frere parul clonne, car il la voyait forte et bien porlante. « Oui, ajouta-t-elle, c'esl pour la derniere fois ; quebjue cliose me le dit, je vais bieulijt mourir. » Huil jours apres, le caveau renfermait un cadavre de plus, et le superbe mausolee que je viens d'admirer gar- dait pour la posterite deux depouilles qu'elle vientaujour- d'hui visiter avec Tinteret et le^ respect qui leur soiit dus. Si quelque chose pent surnager dans le deluge des vaniles terreslres, c'cst assurement la CJelile et le genie. L'histoire et I'art retienuent longtemps I'etranger pres du monument royal ; on veut voir, sous tous leurs aspects, ces deux grandes et nobles figures inclinees I'une vers I'autre, coucliees sur le sonimet d'un socle giganlesque ; sur ses qualre llancs sont des bas-reliefs figurant les prin- cipaux evenemenls des deux regnes. Mon guide, qui pensait sans doute qu'apres le programme debite par lui, 'on n'avait plus rien a faire qu'a passer outre, contiuuait en effel son bou office, ets'eloignait sous lavoute. Je profilai de ma solitude pour m'agenauiller un moment : prier devant la mort, c'esl lui gagncrune ba- taille. Non loin de la, se Irouvait aussi la depouille fraiche encore de ce jeune due qui naquit roi.... Marie-Therese n'elait pas la pour orner co cercueil modeste et pour prendre sola de la majesle des lombcs princieres ; tout ce qui, dans ce lieu, n'a pas ele louche par elle, est denue d'oi- ncment. Les rois de nos jours ne fondeut plus pour I'ave- nir ; ils vont comme le siecle, au jour le jour. Je me retournai ; nion guide, sa torche a la main, m'al- tendait respectueusemeut a I'cxtremile de la voute. Le jour, qui s'introduisait en eel endroit, formait derriere lui une aureole lumineuse sur laquelle il apparaissait en sil- houette vigoureuse; il aurait falhi saisir la palelte, mais ce n'elait ni le temps ni le lieu, et jemontais lesdegres du caveau, lorsque je ra'aper^us qu'un demes gants avail dis- paru. J'cn avals fait le sacrifice, mais mon officieux con- ducteur se mit a la recherche, et prelendit pouvoir re- trouver ce mince objel au milieu des rangs obscurs etser- res des cercueils de bronze. Je lui aurais evile cetle peme, si je n'avais vu dans cette inconstance le moyeu de relour- ncr encore un moment a mes tombes favoriles. Je fiis plus heureuse que le bon capucin, j'aper(;us bientol mon pauvre petit gant qui gisait humblement au pied du triJue de la grande reine. Cetle espece de defi porte ii la mort avail quelipie chose de piquant et de singulier, qui me rappela les siecles de la chevalerie ; et, par I'effet d'unc de ces evo- lutions que I'imagination opere on ne sail poiirquoi, je me Irouvai tout a coup en esprit dans renceiiilo golhique du chalcau des templiers. La je vis Rebecca jeter niodcste- raent son faible gage de combat devant ses jugos alliers; je vis rindomiitcBriantde Bois-Guilbert, raraassant ce gant de femme ; enfin loutes les belles pages du roman de la juive se placerent d'elles-memes sous mes yeux. A propos de gant perdu et retroiive, je resolus de le garder en souvenir. Je me disais en le regardant: « La mort puiiil peul-etre les Icmeraires, mais elle n'est pas, j'espere, aussi severe pour les ctourdis. » D'ailleurs, je me sentais aussi peu fiere en ce moment que Rebecca; m'avouant nai- vemeut que je voulaisvivre, si faire se pouvait, mais nean- moins resignee aussi comme elle. Odessa, 26 aolti I84i. C'esl avec bonheur que nous avons recueilli ce feuillet du journal de la ravissante voyageuse, qui, par megarde, I'avait laisse lumber. Le rccit est admirable de simplicile; on y remarque une haute philosophie unie au sentiment Chretien donl I'auteur est penetre. La femme s'y monlre souvent, et comme toujours, avec sa sensibilile, sacharite, sa bonte ; et devant uu mausolee d'enfant qui I'arrete plus longtemps qu'un autre, nous voyons aussi I'amour malernel se reveler dans ce coeur, qui semble etrele sanc- tuaire de tonics les verlus tie son se\e. Et nous aussi, au temps des conqueles, dans une de ces courses rnpides a travers I'Europe, nous nous sonimes ar- rete un moment, court comme celui que nous donnions ii loule chose, dans ce convent de capucins; remettons- nous en memoire ce que nous en ecrivious alors (1809) sur nos tableltes. Le convent des capucins, lieu de sepulture des souverains et des princes de la maison d'.Vutriche, est situe a Vienne, sur la place Newmarkt. Parmi loutes ces richesses de la mort qui se voient la, le mausolee de Marie-Therese est celui qui parle le plus a la pensee, qui airele le plus longtemps le visiteur; j'ai eu peine ii m'en detacher. L'ceuvre, qui est iidmirable, mais qu'il ne m'elait point donne ilc juger en artiste, m'a moins saisi que la vie de celte grande reine, qui .s'esl lout a coup reproduile ii ma memoire, et avec aulant de Incidite que si j'avais eu le hvre sons les yeux ; et ii son arrivee chez les llongrois, je scnlis une larme furtive roiiler sous ma paupiere. J'ai anticipe sur mon recit. Le convent des capucins, oii nous sonnnes, fut fonde par I'empei-eur Malhias el son epouse Anne; mais il ne fut conqdelemenl acheve qu'en 162-2, par I'empereur Ferdinand II L'egllse et le convent soul d'une extreme simplicile d'apres la regie de pauvrete de eel ordre religieux. Tous les elrangers sont admis sans DE VOYAGES REGENTS. SS6T difficulle a Ics visiter. On voit a droilc ct a gauche, dans ce caveau voule, les cercueils enlouros d'une grille dc fer; une seule lampe les eclaire. Le tombeau de I'empereur Mathias et celui de son epouso BOnlles plus anciens; dcpuis celte epoque, tousles piiaces de Jjmaison d'Autriche ayant ele inhumes ici, leur nom- bre s'eleve maintcnant (1809) a soisante-huit. Partni les tombes les plus reniarquables, il faut citer celles de I'empe- reur Leopold 1" et de son cpouse Elconore, de Charles VI, de I'imporatriee Marie-Therese, celle de son epou\ Fran- cois 1", que cette graude souveraine a fait clever; enlin celle de I'enipercur Joseph II. Y, mSURS I&XANDAISES. — TABLEAU DE Zi'IBLLAMSlB FAR UNE IRLAMDAISE. n cstlieureux pour raoi de n'etre pas de ce sexe qui est regarde comnie superieur dnns I'ordre de la creation; si j'eusse ete un de ces grands diguilaires de la nature hu- maine, je n'auraispas ose hasarder mon opinion sur I'or- gueil dcsIrIandais,dmoinsquc,faliguce dela vie, je n'eusse resolu d'en faire un honorable sacrilice en m'esposant aiasi, par des veriles dures, a la Iiaine et au ressentiraent de mes concitoyens. Je renonce, ct je le declare francbemenl, ii tout esprit do parli, j'ni dit tout ce que je pensais ; niais les verites que j'ai sigiialces jusqu'd present etaient plutot des defauts que des ridicules, et je n'ai fuclie personne, car un Irlanduis consentira bien (pourvu toutefois que ce ne soit pas apres son diner) a raisouncr, a discuter avec vous; mais je doute fort que sa philosophic s'etendejus(iu'a lui faire supporter les railleries d'une femme. 11 est vrai que lursque je rellechis aux absurdites, aux inconsequences dans lesquelles cet orgueil a entraine mes pauvres conci- toyens, je me sens plulot disposee a les plaindre qu'a les railler. Dans tout ce qui a rapport a I'lrlandc, les reves et les pleurs se confondent et semblent inseparables ; coinme la musique nalionale, ce pays excite des sentiments de tristesse ct de plaisir. L'orgueil de la nation forme le caraclere principal des Irlandais, il circule avec le sang dans leurs veines. En Au- gleterre, ily a des distinctions; I'aristocrate est fier de sa naissance, le citoyen de ses richesses, I'artisan de son me- tier; mais chez les Irlandais, les litres de noblesse sont les seuls dont ils tireut vanile. La probite, rindustrie, I'inde- pendance, ne sont rien; mis en comparaison avec ce prejuge national et indestructible , un homme noble, quoique a sa troisieme geneiation et ne possedant pas un sou, rougirait de se livrer au commerce. Je me souviendrai toujouis d'un marchand mercier, ne gentilhomme, qui m'amusa beau- coup en me disant, avec des yeux oii brillait l'orgueil ir- andais : « Ce n'est pas de vivre du travail de mes mains qui me rend fier ; non, grSce au ciel! quoique pauvre, je puis me vanter de mieux que cela. Le sang des O'Neil coule dans mes veines...' — En verile, repliquai-je. Et com- ment alors avez-vous pu vous mettre a coudre des ganls? — Ablc'est que... voyez-vous, madame, noire famille a eprouve bien des nialheurs... Mon pire ( que Dieu lui fasse miscricorde I ) ne voulut point ine mettre dans le com- merce, et niourut honorable. Malgrc sa pauvretc, il laissa de quoi pourvoir a ses funerailles, et ce (|ui vaut bieu mieux encore, il me laissa une copie des armoiries des O'Neil, qu'il avait longtemps auparavant fait peindre, par Jacques Malvany, sur la porte de sa chambre. Lorsque ma mere ( elle ctait du nord de I'liiande ) me fit connailre qu'il elait temps que je lisse choix d'une profession, moi qui songcais surtout ii I'honneur de ma famille, je refusal net; mais ma mere elait une femme experimentee. Levez la tete, mon fils, me dit-elle ; regardez ces armoiries de vos ancelres ! Pourquoi rel'useriez-vous de prendre un metier dans un des altributs qui le composent? Voici des lions; au milieu vous voyez un poisson, et au-dessus un gant ou- vert. Le poisson signifie les pecheurs; le gant les mer- ciers. En el'fel, voire oncle, le frere de voire pere, est mer- cier; le gant fait partie de noire ccusson. Croyez done voire mere, Benjamin, lorsqu'elle vous assure qu'il ne peut y avoir de deshonneur pour vous ;'i prendre pour me- tier I'un des emblemes de voire famille. C'est le seul que je puissc vous conseiller avec plaisir, et, comnie un brave garcon que vous eles, j'espere que vous vous en acse; el le pensionnairc de rAcademie de France a Rome remimlc, avec ses cama- radcs, le magniljiiue escalier de la Trinite-du-Mont. Bien- tot il est dans sa cliambrettc oil, d'unc fenelre de la Villa- Medici, il considerc avec melancolie les dernicies Incurs qui briUent encore sur le faite du dome de Saiut-Pierre ; et, faisant uu rctour sur lui-im'mc, il donne nn soupir ;i ses parents, a ses amis. Lien loin de lui, dans la patrie aiisentc, et il se dit avec regret : uO vous tons qui avez mon ciEur, pourquoi n'etes-vous pas ici ? vous qui auricz joui du spec- tacle le plus saiiitemcnl grandiose qui puisse toucher lame d'un artiste, en charraant ses yeux attendris (t) 1 » TAITX EBI 1785 XT EN 1845. ftllTE (2). J'ai plusieurs fois etc, nini second on troisieme, conti- nue le voyageur , me proniener dans I'interieur. Je me croyais traiisporto dans le jardin d'Eden : nous par- courions uire plaine de gazon couveric de beaux arbres fruitiers et coupce de peliles rivieres qui entreliennenl une fraicheur deliciense sans aucun des inconvenienis qu'en- traine I'liumiditc. Un peuplc nombreux y jonit des tresors que la nature verse a pleines mains snr lui. Nous trouvions des troupes d'hommes et de femmes assis a I'ombre des •vergers; luus nous saluaient avec amitie; ceux que nous renconlrions dans le cliemin se rangcaienl a cole pour nous laisser passer; partout nous voyinns regner I'hospila- lite, le repos , une ioie douce, el toutes les apparences du bonheur. Je lis present au chef du canton mi nous ctioiis d'un couple dedindesetdc canards, males et femelles : c'etail le denier de la veuve. Jc lui proposal aussi de I'aire un jardin a noire maniere, et d'y seiner differenles graines; propositions qn'il recut avec joie. Eu pen de temps, Ercli fit preparer etcntourorle terrain qu'avaienl chuisi nos jar- diniers. Je le fis liecher; ils admiraitnt nos oulils dejardi- nage. lis out bien aussi autour de burs maisnns des especes de polagers garnis de giraumonls, dc palates, d'iguames el d'aulres racines. Nous Icur avons seme du ble, de I'orge, de I'avoine, du riz, du niais, des oignons el des graines po- tageres de loute espece. Nous avons lien de croirc que ces plantations seront bien soigiiecs ; car ce peuplc nous a paru aimer ragriculture ; je crois qu'on laccoulumerait H) Ces dcliticuses puRes sonl de M. EUvacrl, uu d'j nos jcuncs compo- siteurs les plus (listiiiRues. (S) FdV. leu" VI, p. 187, facilement a tircr parti du sol le plus ferlile de I'univers. Des I'aube du jour, lorsqu'ils apercurent que nous met- lions a la voile, Ercli avail saute scul dans la premiere pi- rogue qn'il avail trouvee sur le rivage, et s'ctait rendu a bord. En y arrivant il nous embrassa tons : il nous leuail qnebpies instants eulre ses bras, versantdes larmes, el pa- raissail tres-affecte do noire depart. Pen de temps apres, sa grande pirogue viut a bord, cbargee de rafraieliisscmenls de loute espece; ses femmes etaient dedans, el avec dies ce menie insulaire qui, le premier jour de noire alienage, ctait venu s'elablir au bord de I'Etoile. Ereti f'll le pren- dre par la main, el il me le prcsenta', en me faisant enten- dre que est homme, dont le nom est Aolourou, voulait nous suivre, et me priait d'y consentir. 11 le presenta cn- suile a tons les ofliciers, cliacun en parliculier, disanl que c'etail son ami qn'il coiiliait a ses amis, el il nous le re- commanda avec les plus grandes marques d'inleret. On lit encore a Ereti des presents de toule espece, apres quoi il pril conge de nous. La bauteurdes monlagnes qui occupent tout rinlerieur de Taili est surprenanle, eu egard ii I'elendue de I'ile. Loin d'en rendrc I'aspecl trisle et sauvage, elles servent a I'em- bcllir, en variant a cbaque pas les points de vue, elpresen- tanlde ricliespaysages converts des pins ricbes productions dc la nature avec ses dcsordrcs, dont I'arl nc pent jamais imiter ragremenl. De la sorlenl une inlinile de peliles rivieres qui fertilisent le pays, et ne servent pas moins a la commodite des habitants (pi'a rornemenl des campagnes. Tout le plat pays, depuis les bords de la mer jusqu'aux monlagnes, est consacre aux arbres fruitiers, sous lesquels, comme je I'ai deja dit, soul baties les maisons des Tailiens, dispersees sans aucun ordre et .sans former jamais de vil- lage. On croit elre dans les Cliamps-Elysces. Des sentiers publics pratiques avec intelligence, et soigneusemenl en- trelenus, reiidenl partout les commuuicallons faciles. Les principales productions de I'ile sonl le coco, la ba- naue, le fruit a pain, I'iguame. le curassol, le giraumont, et plusieurs aulres racines el fruits parliculiers au pays; bcaucoup de Cannes a sncre qu'on ne ciiUive point, une es- pece d'indigo sauvage, une Ires-belle leinture rouge et une jaune ; j'ignore d'ou on les tire. En general, M. de Com- mercoii y a trouve la bolanique des Indes. Aolourou, pen- dant ipi'il a ele avec nous, a reconnu et nornme plusieurs de nos fruits et de nos legumes, anisi qii'un assez grand uonibre de plaules que les cnrieux cullivent dans les serres chaudcs. Le bois proprc.a travailler croil dans les monla- gnes, et les insulaires en font peu d'usage ; ils ne I'em- ploient que pour Icurs grandes pirogues, qu'ils conslruisent de bois de ceJre. Kous leur avons aussi vu des piques d'un Ijpis noir dur et pesanl qui resserable au bois de fer; ils so servent, pour balir les pirogues ordinaires. de I'arbre qui porle le fruit a pain : c'est un bois qui ne fend point ; mais il est si mou et si plein de gomme, qu'il ne fait que se macher sous I'ouifll. An rcste, quoique cetle ile soil remplie de tres-haules monlagnes, la quaulile d'arbres et de planles dont elles sonl ijarloul couverles ne semble pas annoncer quo leur sein renferme des mines. II est du moms certain que les in- .snlairesneconnaissenlDoinl les metaux; ils dounent a tous ceux que nous leur avons montre le meme uom d'aouri, dont ilsse scrvaieul pour nouj demamlor du fer. Mais cetle connaissance du fer, d on leur vieul-elle'f Je dirai bienldt ce que jo peiise a ce sujet. Je no connais ici qu'un seul ar- tide de commerce riche : ce sonl ie tres-belles perles. Les principalis en font porter aux orcilles de leurs femmes et de itniis enfants; mais il Ics onl tenucs cachees pendant noire sejour cfiez eux. Us font, avec les ecailles de ces iiuilres perlieres, des especes de castai^ettes qui sonl unde leurs instruments de danse. Kous avons vu d'autres quadruped^s que des cochons ; des chiens d'une cspece petite, mais jolie, el des rats en grande quantite. Les habitants ont des poules domestiques absolument semblables aux nolrcs: nous avons aussi vu des tourterelles vertes charmantes, de gros pigeons d'un beau plumage bleu de roi et d'un Ircs-bon gout, et des perru- ches fort petites, mais fort singulieres par le melange de bleu et de rouge qui colorie leurs plumes. lis ne nourris- sent leurs cochons et leurs volailles qu'avcc des iananes. Entre ce qui a ele consomme dans le sejour a terre, et ce qui a ete embarque dans les deux navires, on a troque plus de huit cents teles de volailles, et ores de cent cinqqante cochons, encore sans les travaux inquietaiiLs des dernieres journees, en aurait-on eu bicn davantage, car Its habitants en apporlaient de jour en jour un plus grand uonibre. Nous u'avons pas eprouve de grandes chaleurs dans,«ette ile. Pendant noire sejour. le thermometre de Reaumur n'a jamais monte a plus de 22 dcgres, et il a qle quelquefois a 18 degres ; le soleil, il est vrai, etait deja a 8 ou 9 dcgres de I'aulre cole de Teqiiateur. Mais un avantage ineslimable de cette ile, c'est de n'y pas elre infecte par cette legion d'insecles qui sont le supplice des pays situes entre les tro- piques; nous n'y avons vu non plus aucuii animal veni- meux. D'ailleurs le climat est si sain, que, malgre les tra- vaux forces que nous y avons fails, quoique nos gens fus- sent conlinuellement dans I'eau et au grand soleil, qu'ils couchassent sur le sol nu et a la belle eloile, personne n'y est tombe malade. Les scorbutiques que nous avions debar- ques, et qui n'y ont pas eu une nuit Iranquille, y ont repris des forces et s'y sont rctablis en aussi peu de temps, au point que quelques-uns ont ete, depuis, parfaitement gue- ris a bord. Au reste, la sanle et la force des insulaires qui habitent des maisons ouverles a fous vents, et couvrent a peine de quelques feuillages la terre qui leur sert de lit ; riieureuse vieiUessea laquelleils parviennent sans aucune incommodile ; la finesse de tons leurs sens et la beaute sin- guliere de leurs dents, qu'ils conscrvent dansle plus grand 3ge : quelles meilleurespreuves, el de la salnbrile de I'air, et de la bonte du regime que suivent les habitants! Les vegetaux et le poisson sont leur principale nourri- lure. lis mangent rarement de la viande ; les enfanis et les jeunes filles n'en mangent jamais, et ce regime, sans doute, contribue beaucoup a les tenir exempts presque de loules nos maladies. J'en dirais autant de leur boisson ; ils n'en connaissent pas d'autre que I'eau ; I'odcur seule du vin et de I'eau-de-vie leur donnerait de la repugnance, et ils en te- moignaienl aussi pour le labac, les epiceries, et, en general, pour loules choses fortes. Le peuple de Tai'ti est compose de deux races d'hommcs Ires-differentes, qui, cependanl, ont le m^me langage, les memes moeurs, el qui paraissent se nieler ensemble sans distinction. La premiere, et c'est la plus nombreuse, pro- duit des hommes de la plus grande taille : il est ordinaire d'en voir de six pieds et plus. Je n'ai jamais rencontre d'hommes inieux fails. ( La tuUe a un numiro frochain. ) IE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE. 273 LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE. SlMnES C0!«SEILS A CECX QDI EXTBENT DAHS LE UOSIE Saile(»). I 1 } MOSVHS AMERICAINES. i Impolitesse aiDericaiiie. — Conversation da pays. — Les BarbM. M. Dickens a ecrit, sur la politesse aniericaine, quelques chapitres a-ssez plaisants. Selon lui, le fond de la langue an- glo-americaine, c'est : Out, Monsieur, mots qui ne peuvent blesser personne, et que les citoyens des Elats-Unis re- petenl a tout bout de champ avec des inflexions diverses. « J'ai entendu, dit-il, ce terrible Out, monsipur, plus de deux mille fois dans iiiie journee. 11 retentissait comme les cloches, el semblait, comme elles, se pretcr a tons les mouvements de I'esprit , exprimer toutes les sensa- tions, suppleer a toiste espece de causerie, et remplir toutes les lacunes de rintelligence et du loisir. Par exemple, la voilure publique s'arrete devant une auberge de la grande route par une chaude journee. La porte de la la- verne est deja obsiruee de convives impatients qui alten- dent le diner, qui jouisscnl des rayons bicnfaisanlsdu so- leil. Unpersonnage robuste, coiffe d'unchapeau gris, s'est etabli sur I'un de ces fauteuils au.\ pieds roods, si coramuns en Amerique, et qui bercent, par leurs mouvements oscil- latoires, legentilhomme qui s'y assied. Une tele passe par la portiere de la voilure; elle porte un chapeau de paille. Croyant reconnaiire le chapeau gris, elle engage avec lui U conversation suivanle : Le coapead be patue. Je suppute bien quand je dis que c'est le juge Jefferson que je vois ! Le chapeau cues, se ialatiQant toujours, parlant lente- ment, sans aucnne emotion el sans regarder le chapeau depaille. Oui, monsieur. Le chapeac de paille. Juge, il fait chaud. Le cbapeac cms. Oui, monsieur. Le chapeau de paille. II a fait une petite pincee de froid la semaine deruiere, juge. Le chapeau cms. Oui, monsieur. Le chapead de paille, avec la meme gravite. Oui, moil- sieur. 11 se fait alors une pause, et les deux teles se contempleoC muluellementavec un grand serieux. Le chapead de paille, reprenant la parole. Si mon cal- cul est juste, voire grand proces des corporations doit elre finijjuge. Le chapeau cms. Oui, monsieur. Le chapead de paille. Quel en est le resultat ? Le chapeau cms. En faveur de liutime, monsieur. Le chapeau de paille, inlerrogativement. Oui, monsieur? Le chapead okis, affirmalivement. Oui, monsieur. (0 Von. mmiio HI, p. SS. ^ 27S Tous deux en duo, Ircs-lenlimcnl, cl en regardanl cmx qui paffciil.Ow], monsieur. LE SAVOIR-VIvnE EN EUUOTE. Noiivello pniisc. Jls se regardent encore pius siri«tise' ment iju'iiiii'dvavant. Le cn.EAi! cms, regardant a sa montre. Oui, monsieur : (le deux lieures. Le ciiapeau he pau.le, en elevant scs sonrcils, cl d'lin air dc profoiid I'loimemcnI. Uui, monsieur ! Le chapeau tnis, d'un tonposilif, en remeilanl sa mon- tre dans songousset. Oui, monsieur. Tous les avtres voyageuvs, se parlanl Van d I'aulrc dans I'intericur de la voiturc. Oui, messieurs. Le r.oeuEii, se relournanl, cl d'un Ion de mccontcnte- ment ircs-vif. Non, messieurs. Le cnAPEAU de faille, s'adrcssant au cocker , el aecc un certain respect. Oui, monsieur ; mais il me scmlilail r|ue les derniers millcs nous avaicnl coule iin assoz bon boul de temps ; c'csl un fail ct un calcn). Comme Ic cochcr ne voul.iit |iiis entrer dans colle conlro- vcrsc, dont le sujet ne sympalhisait pas avec ses idees, un autre voyagcur pritla parole els'ecria : Oni, monsieur. Le chapeau de paille, par polilesse, lui repondit de nieme, et le chapeau gris rqielales susdils mots sacramentels. Enfin le chapeau de paille demanda a« chapeau gris si celle voi- ture n'elait pas neuve. II recut la rcponse accoutumee. Le ciurEAB DE PAILLE. Jc m'cn doulais. Elie repand une forte odeur de vernis, monsieur ! Le chapead cms. Oui, monsieur. Tons les voyageurs, du fond de la voilure. Oui, mon- sieur. Le cuapeao r.ais, s'adrcssant en general ct en parlicu- licr a chacun des voyageurs. Oui, messieurs. Enfin, la capacite de chacun se Irouvant epuiseo, le cha- peau de paille, (|ui etaitevidemment Ic plus aclifet leplus liavard de ces citoyens de I'Amerique, ouvrit la portiere, s'elanca de la voiture sur la grande route, ct de lagrande route dans la salle a manger. On ne I'aurait pas attendu d'une republique, cet affai- hlissementdu caraclere individuel, cetle crainle de hlesser qui quece soil, celle apalhie de la conversalion, cet assen- liment perpetuel el insigniDant qui rend la societe aux Elals-Unis si liiide et si faligante. On est doux, on est hospitaller, on se dissimule, on sj gene, on cede son droit au droit de Ions. On perd ainsi, avec I'Sprete et les saillies aigucs du caraclere naturel, la naivete sau- vage, I'origiualite et la variete piquantes qui rcsullent des conti'astes. Miss Marlineau, qui ne cesse d'cxallersa repu- lilique cherie, avouc cependant que les Aniericains passent lour vie ii se flatter mutuellement, et le degoiit que lui inspire cette adulation de tous envcrs tons lui dicle une couiparaison liardie pour une dame anglaise : n J'en suis plus revollee, dit-elle, que de celle coulume immonde de I'umer ct de crachcr jiartout, qui laisse des traces dans lf,s salons, dans les boudoirs et dans la chamhredesdepnles n Pans I'intr'rieur dos families, le jiercHade le Ills, et le fils llatto le perc. A ce del'aut de sincerile vienl bicntol sc join- dre nil mepris genera! pour les vertus el les elogcs que I'ou accordc a tous sans y rega rder de pros, tin miserable charge de banqueroutes frauduleuseset soupconne de faux vient-il a mourir, sonelnge funebre retentit dans loules les cgliscs. Un mecbant livre parail-il, les journaux debordent de pa- negyriques. L'orateur llalle le peuple, le peuple llatte Toraleur. Les ecclesiastiques lonent Icurs ouaillcs, et les ouailles reslent eblouies en face de la superiorite de I'ec- LE SAVOIH-VIVl\E EIN EUROPE. 277 clcsiaslique; les profcsscui's adiiiirent leurs eleves, el les (•leves grandissent dcmesurenienl le mci-ile de leurs pvo- fes^eurs. Tout cula esl pueril, vulgaire, et, ce qui est pis, ognisle. Cliacuu, dans ce pays de liberte, se fait, de relofje qu'il pi'odigiie,uue nionnaie avec laquelleil aclieled'avauce I't'lni^c d'aulrui. On jelle an ncz dun eijal qni poui'rait uuii'e un mensonge d'adniiralion auquel repond un autre mcnsougc. Ce n'est pas seulement I'Anglaise miss Marliueau, ni I'ofGcier de marine Marryatt, qui accusent I'Ainerique ic- jiuljiicaiiie de ce dcl'aut miserable de sincerile et de liherte. 11 a paru a Boston, en 185a, nn pelil volnnie intitule : I'ensees sericuses sur I'epoque actiielle; nous lui erhprun- tons le passage suivant : « Sans ccsse la vanite folic de iios jouruanx rcpcte que nous S'ininies le peuple libi'e par excellence; que chez nous la lilierte-de la pensee et de I'opinion est complete. Eh bien, je delie tout observateur de ciler une seule de aos provinces ou la pensee et I'opi- nion soient libres. ("est an conlraire un fait, un fait dejdo- rable, que dans aucun lieu du inonile rintelligence n'est ]dus esclave qu'ici. iNuUe part on n'a vu s'elablir de des- potisme plus dur el plus ecrasant que celui que I'Dpinioii publiipie exeree parmi nous : enveloppee de tenebres, mo- nan|ue jjIus qu'asiatique, illegilime dans sa source, lyran qu'on ne peut ni accuser ui detroner; irresistible quand elle vent etouffer la raison, reprimcr raction, iniposer si- lence a la conviction ; soumetlant les anics tiniides ((u'elle fait raniper devant le jiremier imposteur. Soyez charlatan, I'mpnrez-vous pour un moment du prejuge populaire; vous lorcez les sages a fuir et a se cacher, jusqu'a la minute fatalc oil un imposteur uouvcau viendra vous detroner. Telle esl la situation morale et intellecluelle de I'Ame- rique, la moins libre en realite, de tonics les regions du monde. » On a pu remarquer, dans le dialogue un pen difl'us des Americains, que M.Dickens a raillii tenia Ihenre, quelqnes mols singidierement appliques : je suppiitr, je caU-ule, je combine; ce soul des locutions parliculieres au dialocte anglo-americain. Les trails ]irincipaux de ce dialecle me- riteul d'elre recneillis. Tu c«/cu(u(e (suppuler) remplace les mols pcnscr el sH;);;oser; (o yuess (deviner) est eni- ]iloye a tout moment, au lieu de rroire ou imaginer. Au lieu de directelij (lout de suite), on vous repond : A droile, en avant; riglil away. Ces piquanles alterations peuvent etre eludiees sur place, au moment meme ou elles s'operent. L'Amerique Iransfornie, en les conscrvant, les vieux mots de la mere palrie, conune I'llalie a cliange le sens du mot I'frlu, dont elle a fait la science des arts, et la Grcce !e sens du mot time. Ce qui pent parailre aussi fort logique, c'esl que ce peuple d'avenir el i'aUenle ne dit jamais : je conjecture ou j'nnagine, mais i'adcnds. Al- lendre, deviner el calculer, sont les trois mols .sacra- menlels. Dans le waggon d'une machine ii vapcur. dit M. Dickens, il est ii peu prcs certain que vous serez accoste de la facun suivanle. « J'alle.nds (je conjecture) que les chemins de fer d"An- glelerre sonl seniblablcs aux nolres. Vous repondez : Noii ! L'Americain reprend avec I'ac cent interrogiitif : Oui? — El quelle difference y a-l-il enlre les nolres et les votres? Vous le salisfailes. A cha- que pose de voire commentaire, il s'licrie • ".i/ Puis il continue dans son idiom:: — Je devine |jc presume) que vous i.'„i,ei. pas plus vile en Anglelerre. — Pardon, repondrez-vous. — Oui, replique-t-il ; el il se (ait poli- menl, persuade que vous mentez. II morJ pendant dix minutes la pomme de sa canne, et s'adressant a ceti.e poiume anlanl qu'ii vous : — Les Yankee sont comptds { regardes comme ) un peuple qui va de t'avant, el ferme. ( Aller de I'avant, going ahead, est, en Amerique, la plus grande marque de civilisation possible). Vous ne pouvez vous empecher de rcpondre ; Oui. Et TAmcricain repete affirmalivement el de facon la plus vigoureusement ap- puyee : Oui. » Ce sonl la de fort pelils details, mais qui font bien con- nailre le caractere d'un peuple. Je les prefere, quant a moi, aux dissertations savantes. C'est par ces circonstances familieres et iutimes que se Irahissenl les vrais penchants d'une nation trop jeune encore, et Irop puissanle dcjd; tro|i incomplete et trop riche, pour echapper aux suscep- libililes, aux faiblesses, a la morgue, aux niai.series des parvenus. Devant tons les voyageurs, les Americains se replient avec celle espece de seusibilile souffranle et ner- vi'use qui ne developpe pas .sous son jour le plus favorable le caraclere national. N'apercevant plus que ce cole mau- vais et tinnde, missMartineau disserte, Basile llall bavarde, Dickens plaisanle, et Marryalt se met en colore. Dans I'bisloire litteraire, on a trop rarement observe les passions de I'ecrivain; c'est cependant la le mobile, le vent qui souffle dans la voile et qui conduit le bateau. Les rancunes des Anglais les aveuglent (ropsouven(, quand ils s'occupent de I'Amerique. lis choisissent scs plus mauvais aspects et nous les prescntent. Mais que ne peut-on pas dire dece pays qui conlienl tout, qui se failde tontes pieces, qui change toujours ; qui s'elend de tous cule.s ; qui n'a de limiles naturelles que les deux mers ; qui ne sail pas lui- meme ce qu'il est, ce qu'il peul, ce qu'il doil, ce qu'il sera ; cpii n'a ni passe ni present, mais un avenir sans bornesi Vous peindrez sous les couleurs les plus diverses la vie des squaKers, qui lullent avec le desert; celle des fana- tiques qui dansent en hurlant dans les bois, et celle des marchands qui Iraversenl les Etals de I'llnion comme les eloiles filent au ciel. Toules ces descriptions isolees seront inexacles; reunissez el groupez-les, elles vous donneront une idee juste de la democratic americaine, de cetembryon giganlesque, de ces molecules errantes encore, mais qui plus lard formeronl eel ensemble colossal. Quand on reflechilsurcesresultals oblenusparles voya- geurs, on est porle a croire que le climal de I'Amerique septenlrionale a dcja excrce sur les fils des puritains une action qui les rapproche un peu de rancien sauvage des forcts americaincs. La predileclion pour ies grandes ima- ges et les vasles melaphores, I'amour de la vie errante, la froideur dans les relations enlre les deux sexes, froideur melee de dignilc, semblcnt des caracleres emprunles aux aborigenes , soil que la lemperalure ait modilie la race anglo-saxonne, ou que I'eNemple l^s sauvages ait ete con- tagieux. Dans les romans les plus remarquables de Cooper, le s.uivage rouge et le sqiialter se tonchenl ou plutol se confondent Voilii bien ues influences diverses : I'ancienne seve de la race. Taction d'un climal nouveau, la philoso- phie du dix-huilieme siecle. I'espril dcmocralique, el enflu I'espril purilain, dont, comme je I'ai dit plus haul, toules les traces ne sonl pas effacees. Plusieurs scenes rappnrtces par Marryalt et iJickens rappellenl vivement I'epoipie de Cromwell ; vous crnyez quel(|nefois lire une page de Butler, ou un ronian de Waller Scott. Par exemple, le dernier de 27S LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE. cesvnyageursvous met en face d'tm predicateur qui, ayant cte maris dans sa jcunesse, forma unc coii^i'i^galion de ma- rins, plania le drapoau naval siir son eglise, el conserva dans sa cliaire toules Ics allures d'un capilaine de navire. La premiere fois qu'il precha, on le vit arriver, une grosse Bible in-quarto sous le bras gauche et frappant sur le bois de sa chaire. « D'oii viennent ces gens-la?D'ou viennent- ils? Qui sont-ils? Oii vont-ils? Ah Cii ! repondrez-vous 7 » Mors il se mil a se promener de long en large dans sa chaire, toujours la Bible sous le bras ; puis il reprit : « Vous venez de la-bas, mes enfants ; vous vencz de la cale du pe- che. Cost de la que vous venez. Et oii allez-vous? » Encore une promenade dans la chaire. o Oil vous allez? Au perro- quetdemisaine ! La-haut (/br(e) 1... la-haut (/brtissrmo)!... la-hant {rirtforzando]]... C'est la que vous allez, vent frais, filant cent nceuds a I'heure I » Nouvelle promenade dans la chaire, !a Bible sous le bras. II y a place pour tout, on le veil, pour le passe comme pour le present, dans un pays si vaste: excentriciles an- glaises, rtouveaules francaises, echantillon de mceurs ar- rierees y tiennent a I'aise. L'accroissement de la population est proporlionnel au cadre enorme qui la renferme. La seule petite ville de Rochester, qui elait, en 1815, de 331 ames, est aujourd'hui de 13,000. Elle a plus que triple en trois ans ; onze ans lui ont sufli pour alteindre cette mulliplica- tiou effrayante de vingt-six fois son nombre primilif. Quand on pense que de telles operations ont lieu sur toute la surface de I'Amerique sans que personne s'en doute et sans qu'il y paraisse, on reconnailra sur quelle echelle tra- vaille cette sociele geante ct enfant. Elle va si vite et mar- che a si grands pas, qu'on ne doit pas se moutrer fort exi- geant sur I'elegance de ses poses : ce qui est certain, c'est qu'elle avance et fait d'enormes enjamhees. Elle met bien un pen de puerilile dans ses creations, et elle se hale d'en- terrer loule notre Europe avant que cette derniere soit bien morte : elle fait dcs villages qui se nomment Paris, et des bourgades qui s'appellenl Rome. Ce vieux monde renouvele, cette geographie ancienne en habits de carnaval, prelent a la plaisanlerie; Syracuse aupres d'Orleans, Chartres aupres de Memphis, Canton a cote de Venise. Le vieux globe se dedouble ; tout dcteint sur cette sphere jeune et iuconnue. Vous Iraversez Troie, vous arrivez a Pontoise ; de la vous passez a Monyada, a Tehecklawasaga ; vous vous trouvez dans le faubourg de Corinihe, d'oii vous arrivez a Madrid ; et successivement Thebes, Tripoli, Schenectady, Trompkins, Babylone, Lon- dres, Sullivan et Naples passent sous vos yeux. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est le pro- gres permanent de toutes ces localitos. Lii oil le capitaine Basil-Hall avalt laisse deux boutiques et une eglise, Hamil- ton trouve une bourgade ; trois ans apres, miss Martineau y trouve une petite ville: enfln Charles Dickens, deux annees plus tard, y admire des hotels, uu theitre, un mail, un port, une jetce. Cette rapidite de vegetation sociale est le miracle de I'.Amcrique. Tout cela ponsse, si Ton pent se servir d'un mot Ires-vul- gaire, comme des champignons. Nous avous I'avantage de voir ce monde politique se faire et s'arranger sous nos yens. C'est un plaisir. Aussi ne devons-nous pas, si nous sonimesequilables, demander a un pcuple qui va si vite une socicte achevee, mais seulement le commencement, I'e- bauche et la preparation d'une sociele. Ne vivez pas, a la bonne heure, dans une forge ou dans une maison qui se batit, sous le coup des marteaux qui retentissent, sous I'ar- deur des flammes qui pelillent, et parmi Ics Cyclopes qui ne pensent qu'a !eur oeuvre; mais ne leur impulez pas a crime cette activile puissante qui fail leur force et leur grandeur. II est absurde de s'elonner qu'une ration si ra- ))idemenl parvenue ait lesdcfauts des parvenues, la susce<'-> tibilile , I'ostentation, !a vanite , I'esprit de domination, I'inquietude quant a I'oninion d'autrui. On doit rendre cette justice a M. de Tocqueville, qu'il a fort bien observe les vues de cette societe ; on ne peut lui adresser qu'un reproche : c'est de n'avoir pas assez dit que la noire est vieille, et qu'elle ne peut sans danger s'i- noculer Ics maladies de la jeunesse. Comme la plupart des ecrivains de France et d'Amerique, M. de Tocqueville u'a pas ose braver notre tyran : I'opinion. La superstition de I'o- pinion nous menace; le culte des masses est a nos portes. Avant de les subir, il faudrait les elever et les ennoblir, ces masses aveugles. Deja en Amerique, I'opinion, et la presse, son esclave , ont fait des ravages extraordinaires et ac- compli d'incroyables usurpations. II semble qu'il faille a tous les peuples un tyran, et que la loi de I'humanile soit de se soumettre a un pouvoir ; celle du pouvoir est d'abu- scr. Les Americains, tout en professant les principes de- mocraliques, ont cree le pouvoir de I'opinion, et s'y sou- metlent. Ce pouvoir en est arrive a I'abus ; comme il est du choix de la nation, elle I'encourage. Armee d'un journal, c'est-a-dire d'une des batteries de I'opinion, vous y pouvez impunement piller, tuer, assassiner. Veut-on savoir ce que peut un journal en Amerique ? la recente anecdote que voici eclairera le lecleur. Un creancier vient reclamer la somme qui lui est due; son debiteur se libere au moyen d'un couteau qui lue le creancier. Le cadavre reste sur le plancher. Pour se deli- vrer encore de ce nouvel embarras, le nieurlrier, qui est un libraire, decoupe le cadavre, le sale proprement, place les morceaux dans une boile entre six couches de sel, cloue la boite, la goudronne, I'enveloppe, la ficelle, I'etiquette, et y ajoute cette inscription : Pore sale. Tout ceci se passe a Boston , chez les democrates d'Amerique. La boile est jetee a bord d'un vaisseau et espediee je ne sais oil. Par malheur, I'homme sale avail du sang, et le sel n'etait pas en quantile sufflsante; le sang coula, et la boite ouverte envoya le libraire Colt (c'est son nom) repondre de son alroce cuisine devant un jury de citoyens americains. Trois fois juge , trois fois remis en cause, toujours condamne, toujours vivant, il existait encore il y a peu de mois, et Ton s'iBteressait a lui; ses parents etaient riches, ses amis puissants, il n'elait pas de sang mele, il tenait d'une part au com- merce, et d'une autre aux journaux. C'est la, 6 philo- sophes, I'aristocratie de la democralie. Un journal de New- York, dirige par un nomme Bennett, ami de Colt, trouve la cause du saleur, du cuisinier humain, bonne et curieua a defendre.et ilia defend. Unenie pas la salaison, ce serai, - absurde el maladroit, il I'avoue. Apprentis avocats dC causes noires, jeunes suppots de ce grand art des alchi- mistes de la parole, instruisez-vous, et apprenez ce que peut I'opinion egaree. Noire journal new-yorkiste s'y prend ainsi. Le lend© main du proces, son premier-New- York, en groscaracteres, donne la description de la seance arrangee en melodrame. « Voici la none, les morceaux, le couperet, les habits: quel supplice poor raceme! Voici safeminei ses enknts, ses amis ! LB SAVOIR-VIYRE EN EUROPE 270 Pauvre nomine, d.ins quelle surejcitation et quelle ivresse se trouvail-il plonge quand il a sale son semblable 1 » Les dix heures de supfili.-e du crimiDel pendant le proces, sa dou- leur, son repenlir, sa confession (confession fausse qui le disculpe), occupentdeuxou trois pages. Plus le journaliste va, plus il s'atteudrit. « Subirune telle torture, dil-il, c'est avoir puni d'une maniere aumoinssufOsante. OBennelt ! dra- maturge magnilique I jen'aipaslu deuxde tes pages que je me sens convaincu. Ce vertueux assassin me fend le coeur, Lorsque le jury passe huit heures a deliberer, Colt ne devient pas seulement un objet de pilie, c'est un heros. 0 Bennett ! Cult etend son manleau sur les banquettes et s'endort paisiblement, pendant que sa mort ou sa vie se diicident. II dort, ce juste, et le president du JU17 vient, d'une voix Iremblante, lui annoncer la sentence. Plusieurs membres du jury fondent en larmes, Colt est foudroye. Enlin Bennett, I'admirable Bennett, s'ecrie : « Sera-t-il pendu? C'est la question. Lui accordera-t-on une revision du proces? Et le gouverneur oscra-t-il lui donner sa grace ? » 11 n'a )ias ose donner cette grace, mais on n'a pas ose punir le meurlrier; la main du bourreau n'a pas touche le protege de ropinion; mais Colt s'est suicide apres trois ans de delais. II faut lire ce que rapportent, au sujet de la pressc en Amerique, tons les ecrivaius anglais etamericains. (Juel()ues citoyens dcs Elals-Dnis ont eu le courage de dire la verite, cl ils ont couru des dangers tres-rcels. « La liberte dc la peusee et de la parole, dit quelque part un pliilosophe allemand, ne semble pas faire de grands progres sur la surface du globe. Deja un Anglais m'a denonce a la ma- lediction publique, comme ayant ose dire que Byron et Waller Scott ccrivaient mieux que la pUipart de leurs successeurs. beja un Ilalien de beaucoup d'esprit m'a livre a I'analheme italien, comme ayant avance que la peninsule aclufUeesl un pen dijehue. On m'annonce, et cela me tlatte CNlrememcnt, quayant medit de la Chine, je serai pro- chainement mis en pieces par le mandarin Uou-lou-fou, qui prend la defense du pays des theieres. Deux ou trois Amoricains des Elats-Unis ne suivront-ils pas son exemple, et serai-je pendu en efDgie a Boston, comme I'a ete recem- ment un voyageur qui avail deplu ? Le libre penseur oii se refugicra-t-il bienlot? Pour s'exprimer sans reticence sur mie contree quelconque, il faudra fonder une inqirimerie dans une ile deserte, du cote du pole. La facilite et la rapidito des communications semblent avoir rcprime, au lieu de I'encourager, I'independance des idees, et bienlut I'oji reconnailra avec etonnement que la typographic, ce second verbe de I'humanite, lui a ete donnee, comme la parole, pour deguiser sa pensee. » II faut citer en Amerique quelques penseurs indepen- dants, quelques heros du courage moral, qui sont Clay, Webster, le docteur Channing, Fenimore Cooper et Gar- rcsson. Ce dernier a soutenu Ics droits de I'esclave au peril de sa vie. Mais dans un pays oil personne ne veut servir, comment se passer d'esclaves? Les sonnettes sont bannies, sous preteste que cet usage est humiliant. Les domestiques, ou plutot les aides (helps) , car iln'y a pas de domestiques, vous laissent altendrc dcs heures entieres. Ce chapitre des domestiques est intarissable en plaisanteries plus ou moins bonnes; chaque jour est temoin des plus originales aven- tures. Une maitresse de maison attendait quelques amis a souper; ils vinrenttard, les mets etaient deposes dans un de ces poeles porlalifs destines a en conserver la chaleur. et places dans le lieu du repas. Lor.>!que les convives en- trerent, on apergut le domestique assis a table et demolis- sant, pour son usage personnel, une tres-belle volaille. Aux reprochcs qui lui furent falt# It repondit : a personne ne venail, tout aurait ete frold. d On autre laquais, dont miss Martineau raconle rhistoire , recut de sa mailresse I'ordre de ne rien falre cl de ne rien dire pendant toute la soiree, mais d'examiner seulement si cliacun avail dusucre et du lait dans son the. Peddonl deux heures i pen pres, il accomplit Cdelement ceKe mission, puis il ouvrit la porte et s'en alia. Un reroords le prit lout It coup, et, enlre- bSillant la porte, il s'adrcssa aux personncs qui occupaient un canape silue a I'autre coin de la chambre ; u Ohe, la- bas, cria-t-il de toutes fes forces, y a-t-il encore du sucre?)) Ce n'est pas seulement dans les relations de doraesticite que I'influence de la destruction des classes se fait sentir. La, comme en France, le commerce et In production deviennent democrntiques, c'est -a -dire, s'abnissent. Les acheteurs ne se classent plus ; les consommateurs sont sur un pied d'egalile; les fabricants et les vcndcurs n'ont plus qu'un seul niveau. On fait vite et assez bien pour que la marchandise soil acceptee. On fabriqueau pas de course; on achete de mfme; de Id une mediocrile g^ncrale dans les produils. Qu'importele plus ou moins de perfection? Une teinle generate s'empare dece pays aussi romanesque par les faits qu'il Test peu par les moeurs. Ce melange d'Allemands, d'Espagnols, d'Irlaudais, d'Ecossais, de Fran- cais, tombant a la fois dans la masse anglo-saxonne et hollandaise qui fait I'ancien fond de la colonic, devait donner les fruits les plus bizarres. NuUement. Ces couleurs hostiles s'amortissent et s'eteignent, comme la fusion de toutes les nuances aboutit sur la palette d'un peintre a une teinte grise et sans nom. Ce n'est pas qu'il n'y ait la-bas de terribles drames de la vie reelle. Du cote des monlagncs Rocheuses, et vers les regions du Sud, la vie dcs colons est sauvage a epouvanter; la loi se tait ou resle impuissante. II se fait dans ces solitudes dfiS actions effroyabks el in- connues. On s'est fort etonne en Europe de cette association indoustanique desThUgS et desPhansegars, qui etranglaieut scientifiquement les voyageurs Kir les gi-andes routes, et qui conslituaient une secte religieuse. Le petit volume public a Boston, et intitule : Vit de Murel el ses Con- fessions, prouve que le mefflc geore d'associalion, souinis a des combinaisons et i des lois pllis raffinees, comme il convient aux pelils-flls de la vicille civilisation europeenne, existail, il y a cinq ans seulement, aUx Elal^-Unis. Meme concours de volonte poUr le mal et le lucre ; meme cupi- dite, meme secret, meme Irregulorito savante dans I'exe- cution des meurlres. C'est sur les bords du Mississipi que se passent en gencl-al ces terribles scenes; flcuve boueux et sanglant, dont les vagues, dit un AracricSin, ont englouti plus de cadavres, el les rives cache plus de crimes quon ne le saura jamais. Certes, un ecrivaiii dc genie lireiait grand pftrli de la vie de Murtl, de celle de Mike, des recils consacres par les jouinaux & la perte des bateaux a vapeur le Home et la Moselle. Il sufDt de pnrcoUrir les proces-verbaux dcs tribunaux, tels que les papiers publics les donnent, pour reconnallre les malcriaux d^afnaliques dont I'Amerique regorge dans son etat de fdUrnaise oii se forge, comme un fer rouge, la societe dc I'avenir. Pour nous, en Europe, nous sommes forces de nous en tenir a quelques originalites assez peu importantes, telles que la culture extraordinaire et merveilleuse de 00s btrbet. S80 LE SAVOIR- VIVRE EN EUROPE. Les Aniericaiiis, £;cns aclifs nui coniiaisscnt le jnix dii Icitips et qiu savent co que toute do minutes la proprete indispensable de ce bel appcndice, ont en general le mcnton rase de Ires-pres On ne trouve qu'en France les deux types pretenlieux et originaux que voici : Leeran(lI)Ouill«ar.em«ntam«ricainlaissesubsisler,comme jel'aidit, quelques-unsdcsanciens traits nationaux : I'enlre- , prenanleenei'gie el la patienle audace dii Saxon, la temerile indomplabli' du IVornianil, nn cockncyisme exagci''.', la vul- garite deWapping, le calmo sterile et Tegoisme chiffre de Leaden-llall-Slreel, la smartness avcnlurensc du blackleg, la rigueur formaliste et exterienre du purilain. La vieille nalionalile anglaise n'a pas encore en le temps de se ras- seoir, de sn raffiner el de se Iranslbrnicr lolalemenl; ninis elle y parviendra, et bienlot on ne reconnaitra plus sa descendance. Cliaque jour, la metamorphose avance, et beaucoup de gens ne se doulent guere de ce qui sccree sous leurs yeux. En -1606, les gormes d'une rcpublique rem- plissait TAmeriquc ; personne ne s'en doutait. Aujourd'hui, une Europe colossale se forme lii-bas, et Ton n'y pense guere. Que deviendra cctte civilisation purilaine, soumise a unc education niallu'matique? C'est la premiere fois que Ton tente un pareil essai, et que la pbilanlbropie, les arts, la religion elle-meme, se forniulent par racines cubiques et par cosiniis. Le capitaine Hall rapporte que les jeunes gens de ri'cole mililaire de West-Point perdent lours nonis et sont classes matliemaliquemcnt cnnime dcs chiffres. Cetta reduction de I'bomnie a I'elnl de cbiffrcs fonclionnera-l-elle bicn? On le saura plus lard. Marriult donne une jireuve curieuse de celte roynule du cliilTre : deux jeunes fenmies en diligence parlent de leur bonnel, et en parlent malhe- maliquement. Une lelle organisation sociale ne favorise point la lilte- ralure et n'en a pas-besoin. Celte nation de fourmis labo- rieuses, d'abeilles actives, d'elres humains, dont le mouve- ment de creation est incessant, qui ne se donnent pas la temps de manger, qui meprisent leloisir, qui abhorrent le repos, est dans la situation la plus detestable pour I'art el la poesie. Elle compte cependaut quelques iraitateurs heurcus de I'ancienne litteratiu-e anglaise. Cnmme orateurs polili- ques, Webster, Clay, Everett, Coss;comme bistoriens, Ban- croft, Scboolcrafl, Butler, Carey, Pitkins, Prescotl, Sparks ; les polygrnpbes Neal, Child, Sleevens, Leslie, Sedgewick, Sanderson, Willis, Hall, Fay, Washington Irving; les roman- ciers Paulding, Ingraham, Kennedy, Bird, Fenimore Cooper; les poeles Drake, Longfellow, Sigourney, Bryant, llalbcck; les legistesKent, Sloryelllall; maissurloull'bonime coura- geux qui a dii aux Americains lenrs dangers, qui leur a indi- que les ecueils centre lesquels leur prosperile pent faire naufrage, ledocteur Channing. Le grand caraclere du talent manque ,i la pluparl; ils ne soul pas originanx. C'est un fait incontestable, quedepuisrintroduclion etiedeveloppcment de I'elemenl democralique en France, I'originalile s'y est egalement abaissoe; ni la France ni FAmerique ne pos- sedent aujourd'hui d'ecrivains aussi hardis que le furent Montaigne, Bacon, Slerne, Swift, Moliere, Cervantes et I llabelais. C'est que le gouvernement des masses, chose I clrange, ne developpe pas la liberie de I'espril ; il relouffe, et par une raison malhemalique. Lorsque tous ont droit sur tous, quiconque se delache des aulres blesse les droits de tous. Comment concilier I'originalile avec I'egalite? L'elegance et I'exaclitude, la magniloquence ou I'affelerie, pourront s'accorder avec de lelles mCEurs; la liberie et i'originalile, jamais. Faute d'uiie lideralure et d'une poesie originales, on a essaye, en Amcrique, celle liltcralure des slimulanls etdes causliques, qui n'a pas encore dii son dernier mot en France, mais qui cependant marche, et ne va pas mal. Les Americains nous ont depasses. Nos representations dra- BKi:TtSH HISTORY. Typographic d'A. Rcnfi. \mu uu. PETITES MORALES. 2S. )natii|ues n'ont pns atlcintle degre d'excitalion et de puis- sance oblenu recemmcnt par un divime americain. C'est le clicf-d'oeuvre du genre que ce draine, quj doil desespeier !es modernes crcaleurs ; il a pour litre les Regions il\[cr- nales, el Ton ne se lasse pas de Ic represenler dans toules ks provinces de I'Union. L'nuteur n'a fait aucnn frai- de dialogue. Ce sent des damnes, des pendus, dcs cliaudieres, des supplices, des ecartelemcnls, dcs flammes rouges, des liurlcments, des grinccnienls ; unc obscurile niclee desillons de feu, des mares de sang des sanglols planitifs, des foules deniallieure'.ixplongcsdans lapoix ljouillantc,etdesdiables qui arraclient des lanieres de chair liuinaine. Tout ■cela remplace Soplioclc, Shakespeare ct Corncille avec beau- coup d'avantagc. Les Americains soul touches de ce grand patliutique; ils n'ont pas le temps jle lire; ils batissenl, creuseut dcs canaux, defricheiit, labourent , et passent coninie un eclair d'un bout de I'Ameriipie a I'autre. 'Un tel pcuple ne pent pas etre i."'?llccluel ; en fait d'art comme de poesie, la premiere condition, c'csl le rapes; seul il est fecond. ^ PETITES MORALES. GARNET DUN VIEUX CURfi. Druses. — Arcliiteciure ia mojen Jgc. — Jeanne d'Are. BHUGES (1 ). 11 y a trois villes curieuses a visiter, trois cites a la fois niortes et vivantes, trois debris iiiteressants et bizarres, qui portent teraoignage, au milieu de la civilisation moJerne, des antiques splendeurs et des curieuses annales du moyen age : c'cst Bruges, Vcnise et Cordoue. La singularitii et la grandeur eteintes des moeurs musulmanes elablies en Es- pagne respireut oncore dans cette derniere ville; on peut aller a Venise admirer les derniers restes d'une republii|ue sous le joug de laquelle unc parlie de rOrient a tremble. Mais peul-etre la plus digne d'observation enire ces trois curiosites remarquables est-elle cette cite de Brujes, .senii- espagnole, semi-llamande, melee de severile et d'elegance, de grace et de bizarrerie. Arrelez-vous en face de cet hotel de ville dout les decoupures fines et delices le font res- sembler a un bijou architectural. (Juel ciscau hardi et a la fois ingenieux a fouille ces ciselures, a dispone ces orne- meuts, mele si liabilement la coquetterie a la solidile? Voila de quelles creations I'art et les temps Chretiens ctaient capables. Aujourd'hui I'herbe pousse dans ces ruesdesertes; aujourJ'hui le silence plane sur ces rues jadis animccs par un si brillanl commerce; et Ton doil savoir gre a I'artiste qui reproduit el conserve ces souvenirs perissablcs dun monde qui tut si grand et qui s'elface tous les jours. ()) Vol/, la belle cravure ao burin que les edileurs du Lirre des (amilks som heureui d'offnt !i leurs lecieurs. FIERRe-PADX RDBEMS. Combien Ton se tromperait si I'on jugeai! le genia fla- mand d'apres je nc sais quelle reputation factice de pro- salque simplicitc et de ferlilite vulgaire , a laquelle a con- tribue sans doute I'aspect de vastes plaines couvertes de nioi'sons et des chaumieres qui s'y trouvent scmees. La Flandrc, comme le prouvent si bien les edifices merveilleux de Bruges, d'Anvers el de Bruxclles; la Flandre, si emi- nemnient chrctienne, est un des principaux centres de la civilisation arlislique De niemc (pie Raphael est le repre- sentant ideal de la grace et de la beaute italienncs, llubens est le symljole de la vie exteiieure, brillante, de la force cl de la fecondite beiges. Aucuue vie ne fut plus splcndide et plus occupee que celle de Rub?ns. Ami des grands, bien- venu de tous, accueilli des rois, employe dans des missions diplomaliques, il produisit dans le cours de sa vie la somnie vraiment prodigieusc de quatoize cent soixanle el un ouvrages, dessins ou tableaux, la plupart des rhcfs- d'ceuvre. Son habitation clait un palais. De son atelier sor- lirent la plupart des illustrations arlisliqucs du siecle sui- vanl. Ce modele des genlilshoinnies , dcs arlisles et des gens d'esprit, meritail bien qu'une Liographie sp^ciale lui fut consacrec ; el nous ne pouvons trop recommander a nos lecteurs rexcellent ouvrage de M. Andre van Uasselt, inti- tule : Hisloire de la vie el des ouvrages de Ritbens. Dans noire prochairt numero, nous donnerons le resume complel de cette vie d'artisle si brillante cl si bien remplie. JXANSTE O'AaC. Au moment oii le nom de cette heroine retcntit a la fois au college deFranceetiila chambre des dqniles. rappelons ici ce grand souvenir chretiep, el empruntons a I'un dcs poiltes de ces derniers temps le beau recit dc sa mission divine. Jeanne d'.\rc s'adresse en ces mots au due de Bed- ford : Prince, je vous dirai la simple viirile : Quand dcja les Anj^his devasUuent ce roy.iunie, Prcs des bordsdu la Sleuse, ct sous un luit de cliaume, Mes parents ni'elevaienl a cote de mes sa-urs, Et tic la charile ni'cnseignaient les douceurs. .Tclais dans I'jgc heureux que la paix accomp.igne; IJuranl le jour j'allais de montapnc en monta;;nc Conduiro nos Iroupeaux, ou, chcrcliant Ic saint lieu, Chanler dcvant I'autel les louangcs de Dieu. Deux besoiiis de nion coeur, raumont* ct la pricrc, Rcniplissaiont mes instants... Dans noire iiumble chaumiere On nic parlait souvent des maux de mon pays, De nos i)rinees captifs, par leurs sujcts trahis. Et moi, me conOant en la main quidelivrc, Je nic faisais relire, aux pages du saint livre, L'liistoirc du bcrgcr que protcgcait le cici, Ou licbora partant pour sauvcr Israel. Bientot d'affreux vainqucurs en nos champs accoururenl, Nos troupeaiix, nos moissoiis dcvant eux disparnrest; Dans Ic fond dcs forcts il fallut nous caclier, Et du toil paternel deux fois nous arraeher. Parloul dcs cris, du sang, d'eternellcs alannes, El jc vis bien souvent, non sans verser des larmes, Kossoldats mutiles, que rAnglaisinsultait, Tcndrc a la charilc Ic bras qui Icur restait. 36 CHRONIQUES ET LEGENDES. Nous attendtons la mort, nous la croyions prochaitie. Un jourje m'arretui Ireniblante au \>k\\ il'uii cluinc ; J'y pleural bicn longtenips, et, tonilKmt a gcnoux, Je mccriai : Seigneur, ayezpilte do nous! Voyeznos rois proscnts, nos villes alarmcts! ri'etes-vous plus le Diou qui commandc aux armces? Si nos fautes du cicl allument le courroux, Ke frappez que men sculc; oui, jc nrolVre pour tous. Rendez, rendcz la France a sa gloire premiere Je parlais et soudain dans des tlots de lumiure, Au bruit miraculeux des celestes concerts, Une vierge des cieux m'apparut dans Ics airs. G Tes vcEux sont exauces; leve-toi, me dit-cile. « Berj^ere commc toi, simple ct faible mortelle, c J'ai porte la houlette, et priant dans men cceut, a Protege nos cites contra Attila vainqucur. a Paris revere en moi sa celeste patronne. « Le Seigneur te destine a la raeme couronne. « Et tu dois, dclivrant nos remparts asscrvis, « Degager les serments qu'U a fails a Clovis. a II parle par ma voix; sor ordre ici m'amene. a II ne veut s'appuyer d'aucune gloire liumaine. « Et, n'oiTrant aux Frangais qu'un roseju pour soutien, « Son glaive deviendra visible pres du tien. G Pars, Orleans t'appelle ensa fidele enceinte, a Et le front de ton roi demande I'huile sainte. » La vision celeste a ces mots s'euvola ; Mais ses feux m'embrasaient, oui, je les scntais la. Je portais dans mon sein sa promesse ijravee ; Je briilais pour la palmc a mcs mains ri^servee : Affranchir son pays est un bicn pr^cicux, Qu'on nc refuse pas lorsqu'on I'obtient des cieux. lie ce don solennel chaque jour plus eprise, JVmbrassais en espoir I'heroiquc cnlreprisc, Mcs jours etaient troubles, mon sommeil sans repos; J'agitais sur mon front d'invisibles dnipeaux, Et jc ne pouvais voir, dans mes saintes alarmcs, Un panache ennemi sans demander des amies Surpris de mes transports, ignorant mon dessein, Mes parents effrayes me prcssaicnt sur leur sein. Dans les bois, dans les murs de notre saiutc cbapclle, ToujourslamOme voix... « Dicut'attend... Dieu t'appelle !d Je partis... BEDFORD. Quels guerriers conduisirent vos pas? JEANNE d'aRC. Ceux qui m'accompagnaient ne me conduisaient pas. C'est moi qui, dirigeant leur escorte invincible, Leur niontrais une route a tout autre impossible. Dans le camp des Francais rcgnait un morne elTroi, Tous prcssaicnt en pleurant I'exil du jeune roi. J'arrive, un cri de guerre au mcme instant s'elcve... De Martcl dans Fierbois on court chercber le glaive ; ^ous marchons, et ma voix fait passer dans nus rangs Ces transports enflammes qui chassent les tyrans. Voila , prince, quelle est I'bistuirc de ma vie ; Je n'ai point mi5rite qu'elle me soit ravie. Ge ciel qu'on osc ici m'accuser de trahir Avail tout command^ : jc n ai fail qu'obeir. CHRONIQUES ET LEGENDES DU MOYEN AGE. COTZnNIC (1). i 'fiBfi BK coEt! La veille de la Saint-Nicolas, une societe de parents it (I'amis s'etait reunie le soir dans la petite maison que pos- (1) TraditiOQ Iraduiie de I'allemand. Nous plai^oiis dans le cours du lecil.pourlinslruaioude nos eunes leclcurs, la reprii&enutioa Ueuroc des divers systimes aslrooomiqucs. sedait ii Bnlogne Nicolas Copernic, afln de celebrer avec liii la fete de sou patron et la sieniie en meine temps. Deux vieilles coiislnes du grand homnie, qui demeuraicnt avec hii, avaieut resolu do jouer devaiit lui, a cette occasion, une petite comedie allegoriipie ayani pour sujet la recente decouvertc de cct inimortel aslronome.Les preparatifs sce- niques etaient deja prcsque cnlicrcmcnt lerniiiics, lors- cnnoNiQUES qu'un homme assez pauvrement vetu se presenle, deman- dant conime faveur d'assisler u la representalioii qui allait avoir lieu ; sur un ijeste iifOnnalil' dc Copernic, il s'assit au milieu dun groupe de spoclateurs. Le niailre presidait cclle asseniblec, assis dans son grand fauleuil, la lele couvei'te dc -la tlassique caloUe noire, et il convcrsait avec son ami d'enfance, le seigneur Jai- pies Batlista, qui elail pai'li ilc Milan on il reniplissail les I'lnic- tionsdeprofesseur, pour |]rendresaparl du diverlissenienl. La niajorile des assislauls se eomposail de ligurcs venera- Ijles, sur lesquelles il etait facile de lire ipie des sciences abstraites ell'elude de I'aslrononiie elaienl pour lieaueoup dans les rides qui les sillonnaient profondemenl. Connais- sant leur amour pour ce qui se rallacliait au priigres des connaissanccs humaines, Copernic n'avait pas liesile a leur devoiler la grande revolution qu'il avait operee dans le royaume celeste. Robert et I'aul, deux jeunes gens qui aclievaient leur education a Bulogne, etaicut les sfulsctu- diants qu'il ciit admis a cettc soiree, et encore s'il I'avait fait, c'esl qu'il n'ignorait pas qu'ils etaicnl iittires vers lui, bien plus par leur amour pour sa petite niece Sopliii', charmante enfant de seize ans, qui croissait a I'ondjre des ades protectrices des deux vieillcs lilies, que pour leur amour pour I'astronomie. Kous craindrions d'abuser de la patience de nos lecteurs si nous essajions de leur donner une idee exaete et circon- stanciee dc la comedie cpi'on vajouer, on pour niii'uxdire, qu'onjoue en ce moment devant le vieux professeur. iSous nous contenterons de leur en tracer une courte esi|uisse. Les deux cousines, Genevieve et Therese, remplissaient, I'une le rule de la Terre, I'autre celui du Soleil ; d'autres artistes du meme genre remplissaient les Planetes, et le chcEur se composait des Etoiles fixes et des EloiUs erran- tes. La Terre est assise sur son trone, recevant avec or- gueil les hommages de ses vassaux, qui, tons, decrivent humbleraent des courbes autour d'elle. Mais bicnlul, aigri par Jupiter et par Saturne, le Soleil se rcvolte centre la Terre, et, apres de longues vicissitudes et des scenes plus longues encore, il parvient a remporler, et ii forcer la Terre a tourner autour de lui. Le maltre avait ri de bon coeur pendant cette allegoric dialoguee, et, a chaque fois qu'il avait apercu une allusion aux savants, ou a son ennemi le vieux docleur de I'adoue, il n'avait pas manque de foirc a Baltista un signe d'intelli- gence. 11 s'essuyait encore les yeux, et les cousines com- menyaient a enlever I'attirail scenique , lorsqu'une forme fanlastique, se glissaut comme une apparition entre les lampes et les planches, se posa d'une maniere tragique, et, au grand etunnement de toule Tassembliie et des acteurs cui-memes, qui ne comptaient pas sur ce nouveau ca- uarade, adressa a Copernic rallocution suivante : Infame ndcromant, dont la main temeraire De sou trdne internet precipite la terre ! II n'cst point d'anathenie, 11 n'est point d'echafaud Capables dc payor tes horribles travaux .' Impiloyable Ills, dont I'adresse perfide Pour flatter le soleil comnitH un parricide, Tu chcrcheras en vain a tuir tonju^cment. Tu portcras ie dcuil jusqu'au dernier nionjcnl, £t lo bras dc la terre indisnemciil tnbic Tuacra lourdciucnl sur ta tOte d'iiiipie. Maudil soil Copernic quand (Copernic niouria ,' Uors de son scin alors la terre le vomira. ET LEGENDES. 283 EtIecicI, indign£desa coupabic audace, Au milieu des demons lui marqucra sa place. Ces vers, declames avec energie, jelerent I'clfroi dans I'Sme des auditcurs; I'orateur avait disparu, et Ton met- lail en deliberation s'il ne serait pas a propos de courir apres lui et de s'assurer dc sa personne, lorsque, en tour- nant les yeux du cole dc Copernic, on s'aperrut qu'il riait dc eel epilogue d'aussi bon cceur qu'il avail ri de la piece. « .\ rpioi bon vous occuper de ce qu'a dit un fou? s'c- cria-t-il en remarquant la Iristesse qui se peignait sur tous les visages. On ne pent plaire a tout le raonde ; les unsveu- lent ceci, les aulres veulentcela; il est tres-diflicile d'avoir raison, mes bons amis, et quand on a ce bonheur, il faut laisser clanier lousceux qui ont tort. — Je ne serais cependant pas faclic, repondit Jacques liattista, de savoir quel est eel avocat. II s'cstservi d'ci- pressions qui m'ont dccliire le cceur ; ne dirait-on pas a I'en- teudre que vous etes un horrible pecbeur, plus criminel que qui ipie ce soit au monde; qui ne devez jouir d'aucuu repos, ni sur la terre, ni dans lii tombe? — Sans doute, repliqua rastconnme ; c'est cela qu'il a dit. Mais, croyez-moi, sous I'habit de ce propliete de malbeur, se cacliait, j'en suis sur, un de mes ecoliers, ou quelque envoye de celte ame damnce du doctcur de Padoue. Moa secret n'a pas etc plus loin; par consequent, mon ami, n'avez aucun souci de toutes ces menaces. » Ce meme jour, vers miuuit, Copernic, encore assis au milieu de ses globes et de ses instruments, poursuivait la solution d'un probleme, pendant que le reste dc la maison s'abandonnail au repos. Tout a coup il entendit marcher avec precaution sur I'escalier, cl, avanl qu'il eiit pu se re> nioltre de la surprise qu'une visite aussi tardive lui causait, il vit s'approcher de sa table un liomme enveloppe d'un large manleau, dans lequel il reconnut, avec une surprise jilus gi-ande encore que la premiere, le neveu du due re- gnant, le prince Benedict. II se leva, et apercut sur sa phy- sionnmie reguliere, mais palie par le feu des passions, des nuages dccolere et de melancolie.Le prince remarqua I'e- tonnemcnt et riuquictudc de I'astronome, il soupira, et, se jclantdans un fauteuil, il dit apres une courte pause : « Je viens bien tard chez vous,mjitre Copernic ; mais j'y suis force par une prophetic qui m'a ele faite, il n'y a que ' quelques heures, et que je ne puiscompi-endre, quoique je laie lournee dans tous lessens. J'etais etendu sur un sofa dans ranlichambre de la duchesse, fatigue de runiformite de mon service, enuuye des exigences de Tetiquelte, dc- goiite peut-etre meme de la vie ; mes sens elaient plonges dans une espece d'alonie que suivit bientot un profond as- soupissement. Lesobjets exlerieurs se transfornierent fan- tastiquement devant moi, et la gaze riante des soiiges se souleva a mes yeux. Des splendides ajiparlements du pa- lais, mon esprit se trouva transporte dans les sombres ca- veaux de la calhedrale de Saint-Marc, ou re|)osent les os- sements de mes ancelrcs; la, entoure de cereueilsbrises, ■ j'errais, seul vivant, au milieu de tons ces morts couron- '' nes, moi qui n'ai point de couronne a esperer. Jl u Je ni'aperrus bientot que les portes de I'ediOce s'ou- » vraient , des Hots de lumiere y jienetrerent, et au milieu deux je vis s'avancer de niou cote une fcmme celeste ; c'e- tait Annonciade, lajeunesoeur du due. EUe s'approcha ds moi, et, d'un gesle oii se peignaicnt lout a la fois la di« S8« gniti', Id gii'icecll'aiiioui-, cllem'indiqim le del. Je levailcs yeux; Ics voi'ilos lUi tcmiile avdient dispiiru, .i Iciir iiliicc jo no vis plus iiu'uii cii'l maijiiiriciuemoiil cloile ; et sur moa front ri'|)nsail, coninio im riclic dinileme, li conslcllaliiMi iVOiioii, I'aslre qui (iivsiilc aiix ilesliiicos de mamaison. Iina- i;iiie-lol. iiiaitrc, (pii'ls scnlimciils m'agilaii'iit. Eldoiii do laiil d'oclat j'qHiiuvai.s des vcrtiscs, clje [us obligo, pour ne point tonibci-, dc ni'apiinycr sur un sarcophagc. « Cost moil syslomc i[ui couroinicra dc gloirc nolic cpncpip, ropondil lo niaitrc. Mais paripicllos doulonrs I'un ct I'anlro aclieterons-UDUSce rosullat? Quo suis-je anxyoux de mcs conloinporainsV un aslrologue, uu novatcur, nn foil!... La poslcrilo nous vcngera. » 11 but de la poine a so rcmotlre de son emotion, et il so passa ipielipie temps avnnt (pi'il put reprondrc le conrs ue ses Iravaux. Giuseppe, le famulus du mailre, avail recu I'ordro dos coHsincs de reporter au convent les costumes de tkeatro qui avaient servi a la representation de la vcillc ; car, d'or- dinaire, cen'etait que la qu'nne garde-rolie llieatralc pnu- vait se inonler, les bons pcres ayant tonjours eh reserve, pour la celebration des mysleres, des costumes dc tons genres. Lorsquela figure si Men connne du vicuxscrviie\ir so monlra a la porle de rauberge dont il (ilait un des plus zelos habitues, un ruurnnire general de salisfaclion I'ac- cueillit; ce fut a qui lui ferait place, ou lui donncrait un vcrre. « (Jue Dieu le Ijoiiisse, Giuseppe, luicria I'hommc rouge etrond qui rcmplissaitles fonclions desommelier. ' — Je ne veux pas qu'on m'appellc Giuscijpe, repondil I'arrivaut ; je ne puis pas souffrir cette grossiere pronon- cialion. Ne vous ai-je pas ditcent fois que je me nommais Pierre-Jean-Crains.-Dieu-Joseph Bcrlcl, natif du supcrbc Hagdebourg, ou vivcnt les femnies les (dus vertucuscs ct les plus beaux bommes? — On s'en apercoit bien, reparlit un marchand en jelanl un regard malin sur la jigure grelee du famulus, et sur ses jambes llageolantes. Eh bien, voyons, qu'avez-vons fait de tons ces habits, honaete Joseph Magdebourg? Avez-vous joue quelque mystere? Clir.ONIQUES ET LfiOENDES. — Un mystere? ri'pela Joseph ironiqi:ement. Vraiment, oui! Croyez-vous que mon doctc maitre puisse trouvcr du jdaisir a tonics ces babioles que vous appelez comedies, ct dont vous nous regalcz si souvenl? Nous avons un gout un pcu plus rafUne; ct c'est une tragiidie astronomiquo qui a etc representee chez nous. » Tous lesliabitues serecricreul a cc tilro, otdom.indoront tons d'nne voix ce que cola voulait dire. Joseph posa son doigt sur sa buuohe, et repondit avec gravite : « Je ne veux pas abuser d'un secret, et vous ne saui oz rien. Seulement, pour rapprocher im pen de moi voire ignorance encronlee, je vous dirai tpie, dans noire Irage- die, nous avons demontre de la maniere la plus claire, que la lerrc est nne boule qui tourno, et qui a loujours tourne depuis le commencement du niondo. — Oh! oil 1 repondit un soldal; la tcrrc qui lonrno. Voiliidu nonveau, Joseph de Magdolionrg. — Assnrement, repliqua I'orateur. Noire lerre, celle bonne grosse terre sur laquellc nous marchons, eh bien, elle tourne, et autour dn soloil encore. , — Expliquez-nous ce mystere' demande un forgcron aux epaulcs herculeennes. Par sinnt Pierre! j'aime acroire ipie In ne te joues pas de nous.ljue veux-tu dire par ces mols: la terre lourne? — Atlcrition, dit d'lui air doctoral le pelit vieiix. Suppo- sez mcs amis qu'il ful donne a queli|u'un de s'elevor dans Pair au-dessus dc la ville de Rome, comme font les grues, les eigognes, les hirondelles et aulres oiseaux voyageurs prives de raison, celle personne serait bien surprise de s'apercevoir, au moment ou elle coiilemplerait avcc le plus d'atlenlion les eglises, les palais et les jardins de celle no- ble capilale, ((ue les tours et les sommcls de ses edifices s'inclinent insensiblement et (iuissent par disparailre en- ticrement a ses yeux, se Ironvant remplaccs par d'autrcs vnes lelles que des rivieres et la merelle-raeme ; cc qui ne laisserait pas que d'etre fort drole a voir. Si cevoyageur aerieii est nnc buse comme les oiseaux que je vicus de ciler, et s'il n'a ancune teinlure de Part divin dc I'aslrono- mie, il prendra tout cela pour un jeu de son imagination on de ses sens, taiidis qn'un homme inslrnit se convaincra par la que la terre tourne avec lout ce qu'elle porle, et lout ce qu'elle renferme. Mais vous, !a-bas, respectable mailre forgcron Parmurier, qu'avez-vous a remner inces- sammentvos grospoings?Pcnsez-vousqvie les buchesaient meilleurc grace a la lumiere? — Je pcnse, repondit le colosse, que Ui le gausses de nous avec Ics visions, les grnes el la figure de fromage de Uollanilc. Voyons un pen, monsieur le savant; si la terre tourne, comment se fait-il que nous puissions nous lenir dcbont sans toiiiber ? » Get ai-gumcnl parul viclnrienx, et tous les regards se porlereut sur Josojih, qui haussa les cpaules de pilie, et ropliqua. .< Homme materiel , ct les lois de I'equilibrc , de la gravilalion ! D'aiUeurs ne voyez-vous pas tous les jours des )iersoniics qui disparaissenl sans qu'on sachc ce qu'elles soul devcnucs? c'est qu'elles out perdu Icur eqnilibre, et qu'elles soul tombeesjc ne sais ou, en Chine peut-etre? Vous rappelcz-vous ces huit scelcralsque le podeslat avail fait coiiduire ici sous bonne escorlc et qui n'elaicnt nuUe pari le lendemain? Eh bien, ces malheureux auront perdu leiir equilibre, et voila ce qui vous prouve que la terre . tourne. ' — One In l.nrenliile ]p pii|iie, rpparlil un tnillciir dont le npz boursconni' inrliiiuail i1p frriiiienls mpporls avtc Bacchus. Notre ami Joscfih-Crains-Uii'ii ile MiigJcl)niir?, a raison, je m'apeiTois liien que ,jc no suis pas solide sur mon banc, et que je chanccUerais si j'cssayais de marcher ! c'est la terre qui tounie. — Allons done, s'ecria I'hole en colerc. Voila soixanle ans que je suis clahli ici, et jamais je n'ai entendu parlor de seniMables choses. Moi, qui sais tout ce qui se passe, j'ijnorerais que la terre tourne. — Pauvres gens I repondit Joseph avec compassion. Vous vivez dans un sac, la lumiere ne frappe point vos yeui!... — Ignornnls! inlerrompil line voix sniirdo. n C'elait un liomme bien mai|rre et bien piile qui s'l'tait glisse dans la salle sans Sire apercu. Ces deux mots sufCrent pour que chaque auditour fit qiiatre pas en arriere en scsignant di>- votemenl. Des ce moment, Joseph et rinlerrupteurdenieu- rerent seuls au milieu du cercle ; mais le premier, que tout cela n'avail nuUement emu, repondil avec colere. « Sans doule , pour vous autres pedants, les arts el les sciences nepeiivenl bouger ! Mais palience. » Le pedant se redressaetquittal'holellerie, non sans avoir jete un regard plein de feu sur le vieux sorvileur do Copernic. « Qu'avez-vous fait la?lui dit Vholc a I'oreille. Igno- rez-vous que de scnihlables choses ne doivent pas sc dire, meme en plaisantant? Ami, songez-y bien, vous et voire maitre vous failes Irop de bruit dans la ville. Prenez garden Joseph se preparait d repondre a cette amicale recom- mandation, lorsquc son attention fiit delournce parTenlree d'un personnage extraordinaire. C'elait un hommc vein pauvrement; son visage blemn etait sillonne de rides, mais 11 elait facile de voir qu'cHes avaient ete creusees plutut par d'atroces souffraiiccs que parl'age ; son corps, qui avail dil elre elance autrefois, elait maintenanlcourbe et perclus d'un cole. Ses yeux, qui erraieul vaguenient ca et la, indiquaient suflisamment que la rai- son I'avait abandonne. II ei'it etc diflicile de trouver qucl- qu'un d'un aspect plus horrible. Get I'tre difforme sc traina lentement et peniblement vers une table ecarteeque I'hole lui indiqua, et,quand ileutpris place, cclui-ri dit a Joseph : « Vous avez la devant vous un lemoignage vivant de ce que je vous disais lout a I'heure ; eel homnie qui errc ici comme un fanlume aulour de nous, dont la figure el lo corps offrent les traces d'une affreuse devastation, clall, il n'y a que pen d'annees, un homme superbe, celebre par ses avantages physiques aulant que par sa science ; il elait ad- misdans la sociele des princes; partout on admirait sa pro- fonde erudition, eH'agrementde sa conversation. Eli bien, une nuit, une seule unit, Joseph, une nuit de torture a fail un cul-de-jatte d'un Antinoiis, du favori des princes le jouet du peuple et des cnfauts, el du savanl un insense. 0 mon bon Joseph, la lampe solitaire bri'ilait .souvent aussi a minuit dans son cabinet; il feuilletait incessam- ment aussi de lourds in-folio; il avail aussi un petit do- meslique rabougri comme vous ; il avail aussi diicouvertde belles clioses ; mais ces decouvertes ne plurent point aux docleurs en grec, et lout cela Unit comme vous voyez. A Lon enlendeur, salut. » Joseph ne remarqua de lout ce discours que I'epithete de rabougri qui lui avail ele appliquee, el il s'ecria avec colere ClinONIQUES ET LEGENDES. 283 enrepoussant I'hole : «Oui, vous avez raison, mon maitre.)) Aprcs avoir profere cette menace, qui fit rire les uns, et qui facha los autres, Ic petit homme quitla I'lioleUerie. 11 Quatre jours s'etaienl ecoules depuis la representation de la comedie allegoriciue el la scene que nous venons de raconter ; maiti-e Copernic elait encore, comme I'aulre fois, assis la nuit dans son cabinet, et ti-availlait. II examinait avec un plaisir visible des cercles traces sur une feuille de papier, loisqu'un domestique de sa maison se precipita, pale et hors d'haleine, dans sa chaudjre. « Qu'as-tu Gnecco? demanda le vieillard. Quelles nouvelles m'apporlcs-tii si lard ? — De mauvaises, maitre. 11 y a en has un envoye du due, accompagne de deux hommes. qui vous apporte I'ordre de le suivre a rinslanl ncerae au palais. — Cette nuit? In reves encore sans doule. — Maitre, pint a Dieu que je revasse. Mais il n'est que Irop vrai; j'ai eu tonics les peiucs du nioude a les empechcr di; monler jusqu'd vous, au risque de reveiller loule la maison . — Eh bien, dimne-moi mon manteau, mon chapeau et ma canne. » Le domestique obcit, mais avec tons les signes de la plus vive frayeur.' (I Ne le dcsole pas, continua Copernic, el ne re- veille personnc : c'esi sans doule une observation aslrono- mique que me deinande Son Allesse ; elle veul profiler du '''-^4M£,-iSl!ii' beau ciel ctoilc que nous avons ccltc nuit. Je ne serai pas longteraps. » 11 cut beau dire, il ne parvint pas a rassurer le vicux servilcur, (|ui, descendu avec lui, vit son maitre echanger qucli|ues paroles avec les envoyes du due, et sortir avec pux de la maison. L'astronome qui, dans le fond Je son ciTUr, n'ctait pas aussi tranquille qu'il s'elait effurce de le paraitre devant Gnecco, prit cependant courage lorsqu'il se vit conduire dans un des appartemenls du palais, oil se Irouvaient reu- nies toules les inventions du luxe. Apres s'etre promene qiielque temps de long en large, Ic sonimeil finil par s'em- 28f CnnONIQUES ET LEGENDES. parerdo lui, el il ne se reTCilI* que le lendemain matin, lorsqne lo eapitaiiie do garde ouvrit la porle de sa somp- tucuse prison, el y inlroduislt un jeune homnie qui n'etail rien autre (pie I'oliuliant Paul, un des adeples du vicux profcsseur. Cclui-ci, pour oler lout soupcon de connivenre a I'ofCcier qiii clait resl(> dans la cliamhrc, dit a Paul avec gaiete, de parler librcmnit, et de ne rien lui cacher de ce qu'il avail sur Ic co;ur. « Nous sommes lous inquiels de vous, repondit I'c- tudiant. Nous ne savons ce que signifie voire brusque en- levement. Nos deux cousincs soul inconsolahlcs, el dies onl resolu de venir so jeler aux pieds du souverain pour lui demander voire liberie, pourvu que vousapprouviez Icur projet. » Copernic secoua la Ifle, et dit que, quant a lui, il rc- gardail une pareille demarche comme inulile, attendu qu'e- tanl innocent, il n'av.iit rien a rcdouler de la justice du due. JEn consequence, il pria le jeune homnie de reconi- mandcr aux deux couslnes de ne point se meler de celle affaire, ct il le chargea, de plus, de les embrasser de sa pari, ainsique le vieux Ballisla. A ce nom, I'etudiant se rapprocha du maitre, el lui dit que ce profcsseur lui avail remis pour lui son auteur fa- vori, afin qu'il se consoUt dans sa solitude en le lisant. C'etail Pindare. An moment on Copernic tcndail la main pour prendre le livre, I'ofGcicr le devanca, et se mil a feuilleler le volume. « Ce sont des pricres latines, dit-il ensuile, vous pou- vez les lire. » El il lui rendit Pindare. Lorsque I'aslronome ful seul, il se hSla de compulser le livre, et, ainsi qu'il s'en etail doule, il y trouva le billet suivant de son ami. « Tu as etc Irahi de la maniere la plus epouvantable. Tes « enncmis de Padoue onl trouve le moyen de rcprescnter, « aux ycux des professeurs de Bologne , la sublime de- « couverte comme une conspiration. Les savants sont « centre loi. Notre unique espoir est dans le due qin, « par bonheur, est dans nos murs. Si lu peux parvenir a « etre admis en sa presence, le seul parti qui le restera a « prendre, sera de le rclracter, et de declarer faux tout ce « que lu as avance comme vrai. Que t'imporle ? Ta decou- « verte n'en subsistera pas moins, et quand une fois lu « seras loin de cette terre de prcjuges et de superstitions, « tu pourras te prononccr sans danger. » « Non 1 non ! s'ecria Copernic, apres avoir lu le billot. Non, non, cher mais tinnde ami, je ne veux pas que, jjour moi et pour quelques niiseraldes jours qui me rovtent ii vivre. la lumierc demeure phis longtrnips sousleboisscau. Je pretends conserver intact le merilc de ma decouverte, si petit qu'il soil, et la piur ne m , .eri jamais mentir a moi-meme . le savan^ doit ctrc loiijoiirs prel a mourir pour sa doctrine, comme le soUlat pour son drapeau ; je n'aposlasicrai jamais. » Au boul d'linc heure, le capitainc de la g,;rdo revinl, ct pria le vieillard de le suivrc dans les apparldnrjiis du due. II oheit, et, le courage retrempe par la liillcqu il vcijait de soutenirmentalemenl, i cnlra d'un pas ferine dans une vaste salle, au inilieu de laquclle i| aporciil une loiigue table couverte de papicrs, et entouree de plusieurs .scribes. Copernic apprit par son guide qu'il se Irouvait dans I'ap- parlemenldu secretaire intiinc du due, et que le profcsseur Robert, qui remplissait cet emploi, arriverail dans un mo- ment. L'astronome connaissait a fondce secretaire; il sa- vait que son esprit etail etroit, que son devouement au due etail sans bornes ; mais il .se rassura en voyant cn- Irer avec lui un jeune savant, Vincent de Burtola. Cet ai- mablc jeune bomme avail cte quelque temps I'eleve de Copernic, qui avail reconnu en lui de grandes dispositions, el surtout un amour pour les sciences abslraites qui fai- sait presagcr qu'avant pen d'annees, il occuperail un des premiers rangs parnii les savants. Mais, nomme depuis peu gouverneur d'un des jeunes princes de la maison ducalc, il ne qniltail pres(|ue jamais le palais, el il etait diflicile de savoirsi le .sejour de la cour n'avait pas gate son coeuret sa tele. Deux aiitres homines, dont I'un avail une flgure loute ronde, el I'ceil perfide el mechanl, enlrercnt en meme temps; senlement ils restorent debout pres de la porle, et Ton pouvait les prendre pour des officiersde la maison du due. Robert, apres avoir furcle dans les papiers qui elaient elendus sur la table, et cchange quelques mots avec les scribes, fit signe au vieil astronome d'approcher davantage. Quand il ful pres de lui, le dialogue suivant s'elablit eutre eux : « Comment vousappelez-vous? Qui etait voire pere, et ou etes-vous ne? — Nicolas Copernic, .mon reverend ; mon pere etait mi honnete bourgeois de la ville de Thorn, et c'est dans cette meme ville que j'ai recu le jour. — Pourquoi avez-vous quilte voire palrie pour venir dansce pays? — La celebrite des savants ilaliens, et particulieremonl celle des savants de Bologne , m'a engage a I'aire ce voyage. » Le moine s'agitadans son fautcuil etmarmotta entre ses dents. « Que n'a-t-il plu aux puissances que vous fussiez rcste dans voire pays! Scribes, faites attention mainlenani a la question que je vais faire. Le bruit s'cst repandu. Ni- colas Copernic, que, pendant ton sejour ici, tu as fait de savanles recherches, au moyen desqiielles tu aurais dc- couvert un secret de la nature, dont jusqir'ici personne ne s'elail encore doule : est-ce vrai ? » Les deux homines places pres de la porle se parlercnl a I'oreille en riant; mais le savant jeta sur cux un regard menacant. et Icurimposa silence. « Oui, repondit Ic savant avec joic, c'est la verile, mnn bon ami. Cependant je suis oblige d'avouer que lesanciens auteurs onl , dans plusieurs ouvrages , donne une idee confuse de la chose ; mais je puis dire que c'est a moi. et I a I'aide de mes amis , (pie le monde sera redevable de la I granJe decouverte que j'ai eu le bonheur de falre. 1 — Et quelle est cette decouverte'.' » demanda le gros secretaire iiitime, apres une pause. I Le groupe voisin de la porle recommenca le meme ma- j uege : le jeune homme se redressa dans son fauteuil pour i minix entendre; et Copernic songeait a Pimporlance ■ iprallaicnl avoir pour lui les mots (|u'il devail repondre, j j lors prune porte s'ouvrit, laissant voir, dans .son embrasure, j ; line tPle convene de cheveux rouges, avec un nez de per- j I ro'piel el deux yeux ternes qui se tournerent, avec une | i. vague expression de curiosilc, sur I'inlerpelle. Celui-cij ' ne reconnut pas d'abord le due; mais des que sa me-j moire I'eut mieux servi, il se prepara a lui presenter ses j I respects, ce a quoi s'opposa Robert avec severite ; la tile j CHRONIQUES rouste reslait toujours enfre les deux portes enlre-baillees, et Ton enlcndait, au milieu du silence profonil qui regnait, CCS paroles vennnl du cal)inet voisin. 0 Voyons, que va-t-il dire? Qualloiis-nous appreiulre? — Tu ne reponds pas ! rcpailit le pere, en se touriiaut tout li fait du cote de rastrononie. — Mod reverend, repondit I'interroge, vous savezvous- meme que, dans le vasle cliamp des connaissances humai- nes, plus d'un epi se presejile a I'ccil cliarme du savant, lequel serait de pen d'importance pour un conrtisan ou pour un prelre ; nia decouverle rcssemlde a un ejji : c'est une perlc pour nioi, pour le resle du nionde ce no sera p€Ut-elre qu'un caillou. Songez que je ne m'nccupe dans mes Iravaux que du giobc de feu qui est la-haut; esl-il un amusement plus innocent? — Vous eludez I'aveu que je vous demande ; ne prcnez pas tant de circonlocutions, et dites-nous tout siniplement quelle est la decouverle que vous avez faite. » La tele rouge, qui elait rcntree dans Ic cabinet, reparut a la porta, et les courtisans lui firenl place. « J'ai decouvert une nouvelle planete, repondit enfln en hesitant le vieillard. — Ah! ah! El comment s'ajipelle-t-eUe? — Vouslaconnaissezparfailement, mon reverend pere. » Le jesuite pril un peu de terre dans un vase de fleurs, et I'eparpilla sans rien dire sur le papier que parcourait des yeux tlobert. Copernic ne put s'empecher de sourire a cetle demonstration muellede sa decouverle, niais le secretaire intime n'y fit pas attention, et se borna a sccouer le papier sali. « Je la connais, moi, rcpela ce dernier. Vous vous trompez, mailre : comment pourrais-jft avoir la moindre idee d'une chose qui brille sur ma tele, a plusieurs cen- taines de milllers de lieues de nioi'.' Je ne passe pas les nuils comnie vous i eludier les astres. Encore une fois, comment se nomme voire decouverle? u Le savant repondit avec un sourirt. i< Mou pere, vous devez pourlant connaitre la grande chambre on vous traitez vos affaires, I'eDdroit oii vous vous livrez au repos? — Sans doule ; eh Men, apres ? — Mors, vous connaissez aussi ma planelc. 11 n'y a entre clle et vous que la distance de celte fenelre au jardin que vous voyez la-bas. — Par Uomere ! je crois que vous vous permettez de plaisanter avec moi 1 u On rit bien fori dans le cabinet. Le secrelaire inlime se leva, s'cssuya le front, appela un domesliquc, lui donna un ordre, else rassit en disanl ; '( C'est bien, puisque vous etes si discret, nous allonsvoir si voire servitcur Joseph aura la langue plus deliee. » Comme il achevait ces mots, Copernic vil avec elonne- mcnl enlrer dans la salle son pauvre vicux donieslique, tout pale el enloure de gardes. Joseph jcla ini regard li- Biide sur son mailre, et garda le siiencg. Celui-ti, qui n"a- vait pas souffer tant qu'il ne s'elail agi que de lui. com- menca a senlir son sang bouiUonner plus vile en pcnsanl aux mauvais iraitemenls dont son pauvre famulus avail pu ctre accable. « AUons , vieux bavard, dit Robert, avoue-nous ici ce quo tu as dil publitiuement el de Ion plein grc, des secrets de ton mailre. Ne cherche point a equivoquer, car il pour- rait I'en arriver malheur. ET LECENDES. SW — Tres-venere savant, repondit le petit vieux, apres avoir lour a lour regarde son mailre et chacun de ceux qui assislaient a rinlerrogalion, que voulez-vous que j'avoue I Quels secrels puis-je avoir a confesser? N'est-il pas la celui a qui soul il apparlienl de se prononcer sur les choses d'arl et de science? Vous m'avez tres-bien denomme : oui, je suis un vieux bavard, un horame qui, tout age qu'il est, n'a pas encore quitle ses souliers d'enfant, qui ne saitce qu'il dil, et dont il ne laut pas croire un mot. — Maudile cngeance 1 dit entre ses dents le secrelaire intime. J'aimerais mieux demolir la ville de Bologne et la rebSlir, plulul que de conlinuer ce metier pendant une heure de plus. Allons, scribe, lisez-lui ses crimes. » L'un des bomnies, assis autour de la table, pril une feoiile de papier el lut d'un ton naiillard : « Le famulus Giuseppe Bartelli,... — Je vous en supjdie, inlerromjut vivement Joseph , ne m'appelez ni Giuseppe, ni Barlelli, je me nomme tout bOB- nenient Joseph Barlel, et voila tout. — Silence, dit Bobert. o Le scribe conlinua : « . . . . Avoue r)ue, dans la (liaison de son inaitre, sise « dans cetif ville de Bologne, ont lieu des representations « de comedies obscenes ; deuxiemement, que sondit mailre « a invcnledesmoyens magiques, ii I'aide desquels il peut « contraindre le soleil a denieurer en place ; troisiemement, a qu'il a enleve des mains des agents du podeslal, hull sce- n lerats qu'ils conduisaienl en prison ; qualriememenl.... — Assez pour le moment, interrompit Robert. Ou'il rcponde d'aborda cela. « Joseph se lourna respeclueusementdu cote de son mailre, le salua, el, son tour d'esprit goguenard Temportant sur la crainte, il lui dil : « Pardonnez-moi, tres-lionore mailre, si je me pcrmels de parlerscicnce devant volredoclc presence ; raais, vousle voyez, ces reverends seigneurs me forcenl a me depouiller de mon manleau de modestie, el a parailre devant eux dans tout mon eclat. Oui, reverends, vous voyez en moi un grand homme, une tele sublime qui a devance son Ste- ele, ct qu'on aboniine, et qu'on poursuil comme tout ce qui est parfail el nouveau. El vous, mailre, que je revere si pieusemenl, pardonnez-moi si je ne liens pas la parole i|ue je vous avals donnee, de vous laisser la gloire de ma prccieuse decouverle ; vous devez voir qu il n'esl plus en mon pouvoir de tenir ma promesse, puisque je I'avais deja violee, 11 y a quebiue soir, en voire absence. — An fail 1 an fail I dil le pere avec humeur. — M'y voici. II y a de par le monde beaucoup d'honnetes gens qui ont la pretention de se faire pas.ser pour plus ((u'lls ne soul on qu'ils ne valent : le domeslique prend vnlontiers le noui de son mailre, le soldat celui de son ca- pitaine, le clerc celui de son eveque. Reussissent-ils, ils accaparenl de la gloire el des profits, mais seulement jus- (|u'an moment ou im veritable connaisseur signale la fraude ii la mullilude clonnee. Ce besoin de brlller, n'importe i quel prix, n'esl pas seulement le partage des hommes eclaires que le hasard a places dans une sphere au-dessous de leur merite, il allaque egaleraent de pauvres diables d'ignoranis chez lesquels on n'aurait jamais soupconne celte pretention.. II se cramponne meme a des choses inanimees, par cxemple i ce morceau de la creation, a ce compose de chaux, de metal et de planles, sur lequel nospereset nos grands-peres ont si paisibleraent vecu ; a 2S8 CllRONIQUES celle terrc enGn, iniisqu'il faut I'appeler par son nom. Qui s'imagiiicrnit que I'nrgucil a jm sc s'isser dans unc masse aussi inorte, ct que, pendant des siecles, elle a mene le genre Immain par le loul du nez? Mais votre hcurc est ve- nue : elle a trouvc son hommecn raoi. J'ai fait dc profonds calculs, de laborieuscs observations. Longlemps mon a^il, ion encore, a perce a travers les crevasses que Ic temps a ouverles dans la maisnn du cicl; j'y ai vu les astres dans tout I'allirail de leur loiletle, les uns peignant Icurs longs cheveux, les aulres mettant du rouge sur lours jouespalies par les longues veilles de la nuit ; souvent j'ai cntcndu ces hautes puissances se qucreller entre elles ; les unes trainajit lentemenl leurs janibcsgoulleuses, celles-lii couranl la poste conime des clourneaux. Bref, messeigneurs, je fus plus d'une fois honleux de les regarder ; niais ma surprise el ma conslernalion furent bien plus grandes encore lorsque, par occasion, je parvins aussi a appliquer mon ail de verre i. une lezarde de la terre, de cette mere qui nous berco tons sursesgenous, et donl, par respect el par reconnaissance, nous nous cachons a nous-memes les fniblesses et les de- fauls. La vaniteuse, elle nous a fait accroirc quelle occu- paitla premiere place dans le royaunie celeste, que le so- leil et les autres planetes tcnaient a honneur de la servir. II n'en est rien, je vous assure, c'est tout le contrairo : une nuit, elle ne s'en doutait pas, je I'ai vue dans ses ha- bits de scrvanle, courir ca et la, demandant un service a celui-ci, un autre a celui-la. Qu'elle avait I'air fane et in- quiet en implorant humblemeni quelques etincelles du so- leil 1 Conime elle se lidta d'on parer sou front jaune lors- ^^^^iiirritBO^ qu'elle les eut recues ! L'orgueilleuse reprit loute son ar- rogance, et son luimilite ne lui revinl que quand t(]ut son feu d'emprunt fut cteint, ct qu'il lui falUit en mendior de nouvcau. Mais, voyez-vous, elle ne fait ce mcticr-la que la Duil, pendant que tons ses enfanls dorment, afin qu'ilsne s'apercoivent de rien. Toutefois, on ne pent nous ccliap- per, a nous autres savants, et il m'a rcussi dc prendre la terre sur le fait. VoilS, mcs reverends, ma sublime decou- verte, elle est a moi, et a nul autre. Si vous voulez me la payer cent mille doublons, voici ma main, je les re- cois : mais aussi, si vous voulez me briiler pour prix de mes l/avaux, vofci mon corns, ne bn'dez que lui. » ET LEGENDES. Cette allocution, prononcee avec un serieux imperturba- ble, fit une immense diversion. Le due avait penetre de quelques pas de plus dans I'appartement, et ses eclats de rire avaient gagnc, bien entcndu, ses courtisans, qui se tc- naient les coles sans savoir de quoi il s'agissait. Copernic lui-meme avait jiarlicipe a la gaiete gcncrale, que deux personnes seulement ne partageaient pas : I'une etait I'o- ralcur, dont rinquielude ngitait convulsivement le front plisse.raulreelailllobertqui, de quelquecole qu'il se tour- nal, ne renconlroit que des visages riants qui avaient I'air de se moquer de lui. Sa c(derc elail arrivee a son comble, il dit a Joseph : « Diles-nous en moins de paroles ce que vous avez de- cnuvert, nous ne pouvons vous suivre dans voire bavar- dage ridicule. — Et bien, en deux mots, repondit-il, j'ai decouvert que c'elait la terre qui tournail autour du soleil, et non le soleil aulour de la terre. — Ecrivez, scribe, s'ecria le secretaire , et vous , con- tinua-t-il, en s'adrcssant a Copernic, reconnaissez-vous que cette mcrveilleuse decouverle n'emane que de ce pauvre homme, ct que vous n'y avez aucune part'? » Le vieillard hesita : son orgueilde savant prit un moment le dessus, il ne sc sentait pas la force de renoncer ainsi a la gloire que ses penibles travaux ct ses longues veilles lui avaient promise, il allait avouer, mais I'air suppliant de son servileur, un coup d'oeil qu'il crut surprendre sur le vi- sage du due, lout ce qui rentourait enfin I'emporla, et il repondit en balbuliant que son famulus s'occupait depuis longlemps Je I'clude des sciences, que le mailre avait recu plus d'un coup de main de I'cleve et que, quaut a la de- couverle elle-meme , Joseph Bartel pouvait aussi biea qu'un autre I'avoir faite. « A merveille , s'ecria ce dernier, accordez a la fin un peu de merile a ce pauvre Joseph, et n'accaparez pas loule la gloire jiour vous seul ; prenez acte de son aveu, scribes, j'y tiens. — Arrelcz. dit le secretaire intime. Vous n'avez pas re- pondu aux aulres accusalions contenuesdansle memoire. » On enlendit de unuveaux rires dans le cabinet, et on re- connulla voix du due qui disait: « Nousallons en entendre bien d'aulres ! que va-l-il rcpondre! — Ah 1 repartit Joseph, je puis vous assurer que nous n'avons jamais represenle chez mon niaitre que des come- dies d'enfanls, qui ne renfermaientrien de conlraire a I'Elaf ni a rEglisc. Quant aux Imit scelerats que j'aurais enleves aux agents du podeslal, la meilleure preuve qu'il n'en est rien, c'esl que je suis ici, et que, si j 'avals eu ce pouvoir pour dos ctrangers, je I'aurais employe a plus forle raison pour j moi-meme, qui me serais bien passe de me trouver de- vant vous. » La porte du cabinet se femtia, et ce singnlicr interroga- toire pril liu aussilot. Les scribes cmpaqucterent leurs pa- piers, et Ic pere Uoberl, accompagne du jesuile, sorlit de la salle, non sans jeter sur le mailre et le servileur un re- gard menacant. Ce dernier fut enlraine par ses gardes sans pouvoir adresser quelques paroles a I'aslronome. {La suite a «n prochain numero.) Paris. — Typographic Lacrampe Fils et Comp., i, rue Damiette. LE LIVRE DES FAMILIES JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE. «• lO.— I" Volume. 1" Aoat 1845. LE MOIS DU JEDNE CHRETIEN. SOIiSSINITES Di; NCIS S'AOUT. Deux niyslercs, I'lm do Knlrc-Soi,?iionr, pl rautrc de la s:iiiilc Vicrgo, sc [irrsoiiloiil a iuk mnlitntions dnns ce inois El puis cnCDPC I'E'^IUo nous y fiiil vendrer s|ipciale- iiK-'Ul la sloi'icuse el saiiilc nienioirc d'uu des plus digues mouai'qucs Junl le Roi dcs rois ail jamais gralilie la lerre. En oulre, quuls uoms sc Kseul dans Ics diplyquos de ee I nicnieinois! saiulDominitpie, saiule lli'leuc, sainl Bernard, sainl Auguslin... Que ne nous esl-il donne de crayonncr 1 riiisloire succincle de ccs pcisonnagcs que le ciel lil briUer jici-bas, pour monlrer que la reli^'ion clirelicnne peut en- jfanlcr des liiiros aupres desquels sonl Lien pales ceus que I riiisloire profane a mis sur un piiideslal. Nous ne pourrons Iparli r ipie Je saint Louis, el encore trcs-lirievemenl; d'ail- jlcurs sa vie est, pour ainsi dire, enUe les mains de loul le Jmondc. I.'Eglise romainc celebre aussi, dans le courant de ce llmois, uu miracle qui csl desi^nc sous le tilre de Notrc- iDame dcs ncigrs. C'esl par cclle felc que I'ordre clirono- illogiiuc nous ciijoint de comnicnccr. 11 en est de mcine pour les trois suivantcs, sur lesquclles nous avons a presenter dcs details. 5 AOUT. — FETE DE KOTfE-DAME DES BEIGES. Vers le milieu dn quatiienie siecle, deux epnux, de fa- millc palricienne de Home, claicnt aClises de se voir sans hOriliers de leur nom. lis firenl a la sainle Vicrgc nn vfcu par lequel lis s'engasf^i''"'' s' ''^"'" T"'^'''^ '^'''''' ''^■■""^'^''' ii employer en son honneur une bonne part dcs riclicsscs dont la Providence les avail favorises. Marie inlerceda pour ces epoux desoles, et la grace qu'ils sollicilaient leur fut accordec. Mais voici que, dans la null du 4 an j aoiil dc I'an 352, ccs pieux epoux eurenl une vision. 11 leur fut or- donno de balir en rhoniieur de la sainle Vierge un temple sur le lieu qu'ils verraient, le lendcmain. couverl d'une couche de neige. En effel, malgre la clialeur ordmaire de cc mois, surtnul dans Ics contrces mcridionales, les deux cpoux npercurent le londemain, sur le nionl Esquilin, qui est renlcrm'e dans I'enceinle de Home, uni. grande quan- lile lie noigc. Tcmle la ville fut bicnlul slupefailc d'un lei prodigc, ct I'aflUicnce fut considerable pour s'assurcr de 290 LES SAINTS sa rcalilc". Le pajip Libere avait eii. de son cote, line vision scmlilable a cclle dcs (■poiix. Siir-lo-cliamp, unc procession niagnifique I'lit organisee. Le ponlife, ayant anpres Je lui ce couple favoi-ise, se remlit sur Ic mont Esiiuilin. Arme (I'une pelle, il se mil a tianchcr la coiiche dc ncige; mais un no\iveau proJige s'opei-c a I'inslant : la neige sc parlage d'cUc-nienie, el forme comme une sorlc de canal qui des- sinc le plan sur leipiel devaient s'elever les murs laleraux de la nouvcUe cglise. Aprcs avoir rendu graces a Dion de celle scconde manifestation de sa puissance et de sa bonle, Ics epnux ordonnent que Ton so mclte a I'lruvre. Lcs tra- vaux sc poursuivent avec une telle activile, que, dcs I'an- nee suivantc, le pape Libere put consacrer au Seigneur, sous I'invocation de Notre-Dame des ueiges, le nouvcau temple. C'esl done en memoire de ce miracle que I'Eglise ci'lebre la fete dc Notre-Dame des nciges au jour memo oil la mer- veillc fut oporee. On comprenJ nuanmoins que celte fete n'clant point une commemoration quelconque des cvene- inenls qui se raltachenl a la vie de la sainte Vierge, elle doit se borncr plus specialemenl a la ville de nome, tandis qu'elle passe corame inapercue dans un graml nonibre dc dioceses de la chrctiente qui ue suivenl point le ril romain. Cost done dans la ville eternelle, et surtnut dans la magni- fique basilique de Saiule-MarieUnjeure, (pie cetle solcunite conimi'morative se fait avec pompe. ("est sous ce dernier nom, en effet, que Ton designc actnellement I'oglise dont lcs fondcmenis furcnt jetes par les eponx reconnaissants. On pense bien d'aiUeurs qu'il ne reste que Ires-peu de cbose de rcdiflce primilif. Le pape Sixte HI enricbil cette eglise du tres-prccieux portrait de la sainte Vierge, que Ton dit peint par levan- gcliste saint Luc. Le peuple a toujours manifeste pour ce pieux monument une immense veneration. Mais ce qui a le jilus conlribue a le rcndre celcbre, c'est le trait suivant, tpii nous est Iransmis par I'hisloire deces premiers siccles. En 595, la ville de Rome fut affligee d'une grande pcsle, qui moissonna un nombre tres-considerable d'babitants. Le pape saint Grcgoire I", surnommc Ic Grand, voulut se servir de la fameusc image de la sainte Vierge pour apaiser le courroux du ciel. Le clerge et le peuple se reunireut dans I'eglise de Sainte-Marie des Nciges, le matin dn saint jour de Paques. Le pontife voulut porter lui-meme le prccicux laldeau dans une procession dc penitence, qui parlit de cette cglise pour sc rendre a cclle de Saint-Pierre du Vati- can. Qnand on fut arrive au tombeau d'Adrien, an dela du Tibre, le pape vit planer sur le sommet de cet edifice un ange arme d'un glaive qu'il remettait dans le fourreau. Un cboeur d'esprits bienbeureux cntourait celui-ci, en faisant retenlir les airs de ces paroles : liciiiim cceli lalare, alle- luia; quia qucm meruisti portare, alleluia, resuiicxil sicut clixil, alleluia. Le pape, surpris, ainsi que le peuple, de ce grand prodige, se mela au ciuiccrt angcliquc, ct chanta ces paroles : Ora pro nobis Dcum, alleluia. Des ce fortune moment, la peste cessa d'exercer scs ravages dans la ville de Rome; et c'est a dater de ce jour de Paipies 593 que I'Eglise a cbante rantienne qui vieut d'etre rap- portee, etquia eu, d'aprcs ce rccil, pour compositeurs, lcs anges el le pape saint Gregoire le Grand. « Reine du ciel, « rejouissez-vous, alleluia ; car cclui que vos chasles llancs « meriterent de porter, alleluia, est sorti gloricux de la u tombe comme il I'avait predit, alleluia. 0 reine du ciel, « pnez pour uuusj alleluia. » Alin de pcrpeluer le souvenir I de ce prodige, lous les ans, qnand la procession du Jour de Saint-Marc, faitc par le cbapiire de la basilique dc Sainle- Mario i\lajcure on Notre-Dame dcs Nciges, passe sur le pont Saint-.\nge, on cbante I'anticnne Regina ca:li. Le tombeau d'Adrien, etant devcnu par la suite un cbateau fort, pril le nom de cbateau de Saint-Ange, ainsi que le pont attenanl. Kous ne pouvons avoir le dessein de donner ici une des- cription de la basilique romaine de Notre-Dame dcs Nciges, plus connue sous le nom de Sainte-Marie Majeure ; nous avons pourtartl celui dc conmiencer, dans le numcro du premier niois de la seconde annee de cette publication, 1 bisloire descriptive dcs grandes basiliques de Rome, qui seronl placees en cet ordre, qui est celui de leur dignile respective : Saint-Jean de Latran ; Sainl-Pierre du Vatican ; Saint-Paul, sur la voie d'Ostie; Sainte-Marie Majeure ; Saint-Laurent. Ce sont lcs basiliques patriarcalcs. C AOCT. — TaA>'SFICUIlAT10M DE KOTBE-SEICtiEUn. En s'abaissant jusqu'a se revetir de la nature bnmaine par amour pour nous, le Fils de Dien ne laissait transpirer la nature divine (|iie par les nombreux miracles dont il scniait ses pas. Temoins de ses merveilles, lcs apulres ne ]iouvaient sans doute s'rmpecbor de reconnailre dans Jesus- Cbrist une verlu snrliumainc. Mais, afin de les convaincre d'avance que lcs bumilialions et la mort dnnt il serait la victime ne devaient etre que Tcffct de son devouement a la rcbabilitation des hommes dans les droits dont le pcclie les avail depouilles, il voulut frapper leurs regards d'un rayon de sa divinite avant raccnmplissement de ce sacri- fice expiatoire. L'bisloricn sacrc nous dit que Jesus prit avec lui les apotres Pierre, Jacques et Jean, son frere, et lcs conduisit sur nne montagnc clevce. Observons en pas- sant qn'encore ici Pierre, comme dans d'autres circnn- A stances rapportees dans I'Evangilc, est choisi le premier* pour etre temoin de la merviille qui se prepare. Que se passe-t-il done sur cette montagne? Jesus se mil a jirier, et lout a coup son visage devint resplcndissant comme le solcil, tandis que ses vclements, babitucUomcnt d'une cou- Icur sombre, prirent la blancbenrde la plus eclatantc neige. Les Irnis apotres apcrcoiveiit aulour de Iciir maitrc ainsi transliguve Mo'ise, Ic grand legislateur d'lsracl, et Ic pro- pbcle Elie, le plus illustre de ceux que Dicu avail suscites an milieu de son peuple. Les Irnis personnages s'cnlrcle- naient ensemble au sein de celte brillante aureole dc gloire et de majesle. Quel etait le sujet de cet entielien? L'evan- geliste saint Luc nous en rcvele une partie. C'etait la mort prochaine de Jesus; c'etait le terrible evenemeut qui allait s'accoinplir dans la ville de Jerusalem, la condamnation du jusle, ct I'amour exccssif de la victime pour les cou- paMes. La frayeur avail saisi les Irois apotres ; mais une seconde merveiUe oUait encore frapper leurs regards ct angmcnicr leur tciTCur. Voici qu'une nnee lumineuse couvre Jcsus- Cbrist el ses deux illnstrcs interloculcurs. De cclle nuee sort unc voix qui fait entendre ces paroles : « C'est la 0 mon Fils bicu-aime, en (]ui j'ai place toutes mes com- u plaisances. Ecoutez-lc. » A ces mots, lcs trois apotres tomLent le visage centre lerre. La peur a glace leurs mem- brcs. Jpsus Ics loiidic , ct Icur dit : « Lovez-voiis , lie B craij;ncz point. » Us sc releveiil, i-l lie voieiil plus (|iie Jesus seiil. Tc! est le recitdc I'livjinijelisle saint Maltliicii. Saint Marc y ajoule cclte autre circonstancc. Au moiiipnl oil Pierre, Jacques el Jean npereureut le divin Sauveur entre Moise et Elie, le premier de ces npotres, prcnant la parole, s'ccria : « Maitre, II est bon do sc Irouver iei; « faisons-y trois tentes, uiie pour vous, uiie pour Moise ct « une pour Elie. » L'cvanseliste ajoutc aussitut (pie Pierre ne savail ce qu'il disait ; ('admiration dont il elait frappe lui avail suggcre ces paroles, qui prouvent la vive exalta- tion oil I'avait plonge cc ravissant spectacle. Mais ce qui prouve que Jesus n'avait voulu rendre ces trois apotres Ic- inoins de sa transfiguration que pour les premunir centre le scanda/e de scs souflranccs ct de sa niort, c'esl qu'cn descendant de la montasne, 11 leur defendil de parler de ce prodige jusqu'ii cc quil fiit sorti trionipliant du lomlieau. Ke voulait-il pas en nieme temps donner a ces trois apotres un avant-goul da Lonheur reserve dans le ciel aux ames digues de cette incffalde recompense? C'est bien sous ce rapport ipie I'E^lise envisage ce mystere dans la messe du second dimanche du careme, ou nous lisons I'liistoire de cetle merveilleuse transfiguration. La fete commemorative de eel evenement glorieux a cte fixOe au sixieme jour du niois d'aoul depuis plusieurs sii'cles. Les Orienlau.x surtoul la celebraienl avec une grande pompe. En Arnienie, elie esl une des plus solen- iielles de I'annee, sous le iioni de Verlevar. On y chante rantienne suivante, donl la lournure orientale et meta- pborique esl tres-remarquable : « La cbaimante rose flam- (I boie sur sa lige, au milieu de ses feuilles brillantes de « diverscs couleurs; sur les feuilles ondoienl par milliers II les roses tremblolantcs. » On y considere Jesus comme une rose qui s'epanouit en rayons de feu sur des feuilles .^'versement colorees, el autour de lui semblenl tourbil- Innnerd'autres roses, c'est-a-dirc, lesclierubinsquiforment en ce moment le cortege de I'llomme-Dieu. A quelle cpoque cut lieu la transfiguration de Jesus- Cbrisf.'Ona pu presumer, d'apreslereciUiue nousavons fait de ce mystere, que le divin Sauveur se IransCgura quelque temps avantsa [lassion; el si Ton vouloit suivie I'ordre des epoques, la solennite devrait etre celebree constamment a pen pres dans le printenips. On a vu qu'au dcusieme di- manche de careme on lit I'evangile ou celte transfiguralioa est rapportee. Ce memorial evangeliquey esl done Icgitime- ment place. Quant a la fete propre, I'Eglise a eu d'autres in- tentions. Le divin Sauveur, comme on I'a vu, recimimanda a ses apotres de ne parler de cclte vision qu'apres qu'il se- rait ressiiscite. La commemoration evangelique est done parlaitemenlplacee dans le careme, el la fete elle-meme, c'esl-a-dire, la revelation dece mystere est a son lour Cxce a I'cpoqueconvenable, puisqu'elle lombeapreslessolenni- tes de Piques, de I'Ascension el de la Peulecote. Cette fete prit un nouveau degre de splendour en 1437. Ce tut en celte annceque le pape Calixte III voulul qu'en ce jour on remerciat Dion de reclatante victoire que les Chretiens avaienl remporlce sur les Turcs a Belgrade. En outre, il voulul que dans cememe jour de fete onconjunit de plus en plus le Seigneur d'accorder au cbristianisme de constants succes contre les inlidelcs qui desolaienllescou- Irees calholiques Ce pape voulul que la Transfiguration ful cbomce comme le dimanche. Keannioins, des le scizieme siecle, celle obligation cessa, parce qu'on y envisagea I'lir- MOIS. 291 grace des Iravaux de la campagne en ce mois de recolte. L'Eglisegrecque considere cello fete comme obligatoirc, ct les Iravau.x y soul suspendus comme au saint jour du di- iiiaMche. Une derniere question est posee au sujel de cclte fete : cpielle est la moiilagne sur laquelle Jesus-Christ sc transfigura? (Juclques auteurs out dit que c'etait la monta- giic du Calvaire, mais on leur objecte que, selon I'Evangile, CO monl n'csl pas assez clcve pour etre celui qui esl desi- gno par revangelisle : in monlem excelsum; d'autres ont pense c|ue c'etait une monlagne voisine du fameux lac do Goncsarelh. Enfin, selon I'opinion la jdus commune, on croit que cette monlagne est celle du Thabor. On prelend que rimpcralrice sainte llelene y avail fail clever une cglisc en Ihonneur deslrois apotres lemoins de la Iransfiguralion. Si elie a e.xisle, on n'en trouve depuis longtenips aucune cspcce de vestige. io AODT. • ASSOMPTIOS DE lA SAISTE VIEBCE. Le corps virginal de Marie, ce corps qui, pendant ncuf mois, ful le tabernacle du Verbe incarne, devait-il subir la loi conuiiune, lomber dans la corruption, el devenir la proie des vers ? L'Eglise ne I'a point cru. Aussi a-i-elle in- slilue une fete deslinee a nous rappelcr la glorification de ce corps, imraediatemenl apres la morl. C'est le mystere que nous celebrons sous le nom si espressifd'Assom|ilion. Nous nous y representons cette dcpouille morlelle qui, apres un sommeil de courte duree, esl ranimce, acqniert rimpassibilite el les autres prerogatives de la resurreclioH, et enOn esl enlevee, assiimpla, par les esprits bicnheureux qui la portent dens le ciel. II est certain que, dans les anciens martyrologes, le tcrmc d'assomption esl employe pourdesigner la morl des jusles; el, en effel, par une touchante el pieuse melaphore, nous nous figurons les anges qui viennenl enlcver ces ames pre- deslinees pour les inlroduire dans le sejour dela bienlicu- reuse immortalile. Maisil fallait pour Marie quelque chose de plus. Son corps devail jouir du memo privilege (|ue son ame, el au lieu d'attendre, comme le rosle des homnns, la Irompclle des anges au jugemeni gi'neral pour se reveil- ler el secouer la poudre du tombeau, le sommeil de re corps si saint el si pur devail etre d une Ires-courle duree. C'esl ce privilege qui distingue I'assomplion de Marie de I'assomplion des autres saints. II n'est pas aise de decouvrir des traces de celte frte avanl le fameu.x concile d'Ephese ou Nestorius ful con- daninii parce qu'il deniail a Marie la qualile de mere de Dieu. II esl probable que cette solennile prit justemenl naissance dans la ville que nous venous de nommer. C'esl en elTel dans Ephese que, selon la tradition la plus accre- ditee, la sainte Vierge se retira chez I'apolre saint Jean. Au moment oii Jesus-Christ allait rendre le dernier soiipir, il recueillilce qui lui restait de force vilale pour faire en- tendre ces paroles qu'il adressa a sa sainte mere : « Femme, voila voire fils, » en parlant de .sainl Jean ; ct puis a cot apolre: « Voila voire mere.)) L'evangeliste ajoute qu'ini- medialcmenl apres, cot apolre rerul Marie dans sa maison. Or, saint Jean elait d'Ephese. On croit (pi'apres la morl de son divin Dls, Marie vecut pendant vingt-lrois aus dans h maison de ce disciple, elqu'cUe y renjit le dernier soupir. C'est done a Ephese qu'eut lieu le glorious mystere do lassomplion de Marie dans le ciel en corps et en ,ime. Toulcfois, comme ce quo nous ou disons pout lomlier ciiire les mains de personnes qui nc soul point suflisaninicut 202 LES SAINTS inslniilf s dcs dogmps callioliqucs, cl qii'il nc nous nppnr- liciit |ii)inl dn pri'sonlcr coninip arliclc de foi cc qui n'a ja- mais ell! dcliiii dans cc sens par I'Eglisc noire mere, nous devons dire que cetle croyancc nc nous est point imposcc au mi'ine de;;nj dc ri^ucur dogmaliipic que ccllc do I'as- cension dc Nolrc-SoigLieur en corps et en anie. Serait-il, licanni'iins, dignc niemlu'c dc I'liglisc calliolique, celuiqui alijnrcrail rormi'llcment I'assonqition dc Marie telle que nous la celelirous? Non, sans conlrcdit. II ne pcut apparlc- nir a un fidelc de so nictlre ainsi en opposition avec unc croyancecousacrec jiar une grande soliMiiiite telle que la cclchrc en ee jour I'univcrs Chretien. Ecoulons la pricrc que lEglise, en eeltc fete, adresse au Seigneur : o Qu'elle soit pour nous d'un salulnirc sccours, la venerable solen- nitc de ce jour, dans leqiiel la sainte Vicrge, mcrede Dieu, a soulTerl la morl temporelle, sans que les liens dc celtc ninrt aicnt pu renchainer dans le tonibeaii, cclte Vierge qui a mis au mnnde. dans une chair forniee desa propre suhslancc, votre fils, INoIrc-Seigneur Jesus-Christ. » Ccsl par-dcs.sus loutes les autres regions du monde cliri'tieu que la France s'esl toujours distinguee par son culle envers la mere de Dieu. C'est la priucipalement qu'a etc lonjuurs professec la croyanccen I'assonqilinn du corps ct de I'anie de Marie dans le ciel. L'ancienne Eglise galli- eaiie, dans son rit qui fut au huiticme siecle reniplace par la liturgie romaine, chantail, dans ces temps deja si eloi- gnes de nous ; « A juste titre, 6 Vierge, mere dc Dieu, vo- tre Ills vous a recue dans votre lienheureusc assumption, lui que vous avez si chaslemcnt recu au moment oii, par UUP foi vive, vous devicz le coiicevoir dans votre sein I II vous a accueillie, aGu que la froiJe pierre du tombeau n'emprisouriat point cello qu'aucune corruption terrestre li'avait jamais souillce. » Dans un autre endroit, la memc I'gjise dit de Marie ces paroles non moins remarquables : « 11 esldigne de vous liuier, 6 Dieu, en ce jour oil la Vierge, mere de Dieu, ne parlicipa point a la corruption du lorn- beau et n'y eprnuva point de corruplirm cbarnelle. » Voilii ccrles de maguiliquestenioignagesde lanliquitechretienne en lavcur du mystcre que I'Eglise envisage dans I'assomp- tiuu de Marie. Que serait-ce si nous allions derouler les innondirables ecrits dcs saints Peres, et surtout de saint licruarJ qui a si eloquemmeut exallo les prerogatives de Marie 1 I'assons ,i d'autres details qui peuvent ici parfaitcment trouvcr leur place, et qui nous prouveront que dans les pays orientau\ rAssomption dc la Sainte Vierge est une insigne festivite. Nous lisons dans le pcre Lebrun un trait fort curieux, raconte parPoucct, qui voyageait dans I'E- ihiopic on Abyssinie, en 1700. Laissons parler Poucet lui- nv.'mo, qui avait etc invite a la solennite de ce jour : « Je « m'y rendis sur les huit heures. Je trouvai environ doiize (( millc hommes ranges en bataille dans la grande cour « du palais. L'empereur, vein, ce jour-l.i, d'une vcste de (1 velours bleu, a fond d'or,qui trainait jusqu'a terre, avait ti la lele couverte d'une mousseline rayeea filets d'or, nm « foruiait unc especc de couronne, et qui lui laissait le ini- « lieu de la tele nu. Deux princes du sang, superbement « vi'tus, I'attendaicnt ,i la porte du palais avec un magni- « llque dais, sous lequel l'empereur marcha, precede de « scs inslrumenis de musique. II elait suivi par les sept (( prennorsminislresdc rempire;celui du milieu portail sa (I couronne iuipcriale, tele nue. Cette couronne, fermee I « ct surmoiitee d'une croix de picrrcries, est tres-magniri- « que. Je niarcliai sur la memc ligne que les niinislrcs, « habille a la tiirque, el conduit par un officier qui me Ic- <( nail sous les bras. Les officiers de la couronne, se tenant (( do la memc manicre, siiivaient en chantant les louanges « de l'empereur, el se repondant les uns aux autres ; Ics « niousquelaires venaient cnsuilc, suivis par les archers « arnics d'arcs et de Heches. Cctic niarche elait fermee par (( les chcvaux domain dc rempereur, superbement culiar- (( naches. « Le patriarche, revelu de ses habits pontificaux, par- « sinies de croix d'or, elait a la porte de la ehapclle, ac- « compagnc de pros de cent religieux veins de Llanc. Us « etaienl ranges en bale, tenant une croix de fer .i la main; « les uns dans la chapelle, et les aulres dehors. Le palriar- (( che pi'it I'enipereur par la main droite, en entrant dans (( la chapelle, qui s'appelle Tcma Chrislos, c'cst-a-dire, (( I'eglise de la ncsurreclion, et le conduisit pres de I'aulel II ii travers une haic de religieux, qui lenaient ehaeiin un « gros llambeau a la main. On porta le dais sur la tele dc « rempereur jusqu'a son prie-Dicu, qui elail convert dun « riche ta[iis, cl a pen pros sendjlable au prie-Dieu des « prelals d'llalic. L'empereur demeura presque toujours « dobout jusqu'a la communion, que le patriarche lui (( donna sous les deux especes. » Poucet n'enlre pas dans d'autres details, et ne nous fait part d'aucun des chants religieux que les Elhiopiensdurent faire entendre, en cello solennite de I'Assomplion, pour honorer Marie. Ces Chretiens, separes du centre de I'unile, et d'ailleurs infecles de I'esprit d'hercsie, parlenl ainsi dc la sainte Vierge, en faisanl leur profession de foi avanl la communion : « C'est bien la le corps et le sang du Seigneur « que le Fils dc Dieu pril de noire Dame cl souverainc a (I Ions, la sainte et pure Vicrge Marie... Amen, amen, (( amen, jo le crois. » Selou lechevalier Ricaut, anglican, qui a fait un Ires-long sejour dans la Grece, ces pcuples croient qu'aujmir dcl'As- somplion, loutes les rivieres du monde serendenl en Egypic pour faire honimage auNil, en saqualile deroi desllenves. lis se ligurent que les dcbordcmenis dii Nil .soul unc cont:- nuelle benediction du ciel sur I'Egypte, en recompense de la protection donl Ic Sauveur du monde et sa sainle Merc jouirenl dans cette conlree, cl de I'abri qu'ds y trouvcrenl pour se derober a la persecution de I'impie et perlide lie- rode. Voilci une idee iiarfailemcnt bizarre, niais die prouve I'lionneur que ces peuplcs rendent a la sainle Vierge dans le mystere de son assomption. Apres noire excursion dans ces plages lonlaines, revenons ii noire belle et chrelienne France. Si, comnie nous I'avons dit, depuis que la religion de Jesus-Christ y est etablie, on s'y est toujours monlrepleindezele pour rhonncur de la mere de Dion, il est pourlaiit une cpoque speciale oil cc cultc a recu une plus grande splendour. On voit que nous voulons parler du voeu de Louis Xlll. Ce moiiarque, par une de- elaralion donnce :i Sainl-Gormaiu en Laye, le 10 fevricr 1038, apres avoir reconnu les bienfails donl I'inlerce.vsiou de Marie Pa gralifie, place sa couronne el scs siijels sons la protection de la sainte Vierge. II etablil qu'aus jour ct fi'lc de I'Assomplion on fera dans loutes les eglises de son royaume une procession solcnnellc oil seront chantces les lilauies et aulres anliennes composees pour honorer la mere du Verbe iucarue. II vent quetoulesles coiussouve- raiiits etles membres de tonics les adminislralions assis- lent a cclte cereinouie. II vcut, en oulrc, que Ion jdace ^t't•.s■^L■^ ! NATUR-L t H.'STO^RY. t SAIKT-LOUIS. DU MOIS. 295 dans lcc'ireurdc?lolre-D,imo,r'gliscmelropolitaineJc Paris, (( line image dc la Vicrge qui licndra entrc ses bras ccUe 0 dc son precicMx Fils descendii de la croix , ct nous se- (( rons reprosonle aux ])ieds du Fils ct dc h Mere, commc < Icur orfrant noire rouronne et notre sceplrc. » On sail que Louis XIV remplit avcc magnificence Ic voeu de son augnslc pore, ct cliargca le ci'lclire Coustou d'executer cc lean gronpe de marlire blanc que nous y voyons aujour- d'lmi. On a'crilique ri'cennneiit cclto belle composition arlislique, non point sous Ic rapport du travail, niais commc n'elaul point convcnablcmcnt placce dans une eglise qui Est diidice sous le vocable de I'Assomption de la sainte Vicrge. On aurait voulu un mysterc triomphant, ct non point celle representation qui rappellc rimniense doulcur de Marie au pied de la croix. 11 I'aul, en cc cas, demandcr la raison dc cechoix a Louis XIII lui-meme. Apparlenait-il a Louis XIV de s'ecarler dcs intentions de son pere pour clever un monunientdignede plaire a ces graves ccnscurs? Nous dirons en passant que dans Ics plans de restauratiou de ccllc noble basiliipic, cc serail un veritable vandalisme que de remplaccr I'lcuvre dc Coustou par toule autre orne- mcnlalion. Ke serail-ce pas insuller la memnirc et mecon- nailre les intentions du monarque placant le royaumc dc France sous la [irolcclion dc Marie, representee dansl'alli- tudc que cc prince a%ait lui-nicmc cboisie? Un voeu doit elrc rcspccte , dcs que I'Eglise I'a surtout accueilli ; or voiii presdc deux sieclcs que « cette image » telle que la decrit Louis XIII, a cle placeedans la basilique mclropoli- tainc de Paris. Tcriuinons par la description d'un autre monument cleve a la gloire de Marie, quoique ce ne soil point pour liono- rer en parliculicr son assomplion. Mais il y a ici un rap- port Icllcmcnl inlime enlre Ics deux, que le second nous paniil en tiuil point digne d'clre place a cole du premier. Eu 1(157, c'cst-a-dire neuf ans apres la declaration prcciice du roi Louis XllI, rempcreur d'.Mlemagne, Ferdinand III, lit clever, siir une dcs principalcs places de la ville de Viennc, une superbc colonne converle d'cmblemcs qui cx- priment les privileges dont la sainte Vicrge a etc douee, et, par-dessus tous, la prerogative en vcrlu de laquelle Marie n ele concue sans la laebe du pechc originel. La colonnecst surmontec de la statue dc la sainte Vicrge. Sur le socle on lit cet inscription : D. 0. M.. scrnEMO coeli TEP.R.EOt;c iMPEnATom , rsn qecm r;ECES hecn'am, Vn.ciM DEir.in.E, uimaculat.e C0}iCErT.E. I'EH nuAM pr.isr.iPES isipepast , is peciiliapesi Do^n^•A)l Austpi.e PATPONAM SI>CnLAPI PIETATE SCSf.EPM, SE, IIBEROS, POPCLOS, EXEP.CITIIS, PnOVlNCIAS, OMMA DENIQCC CONFIDIT, DONAT, COS- SECRAT, ET IN PEPPETHAM I;EI SIEMORIAJl STATUAJI UANC EX VOTO POMT FEPIiI>A»iDCS TEP.TIUS .\l'ClSHI. Une traduction exacte n'csl point possible. Lc style lapi- daire enlalin est d'une concision que la langue franca ise ne peul rendre exactemeol. Nous nous contcnterons d'cn c.x- poser le sens : 0 A Dieu, tres-bon et Ires-grand, empereur souverain de 0 la lerre et du ciel, par Icqncl les monarques regnent; « ii la Vicrge, mere de Dieu, concue sans peclie, par la- « quelle commandenl Ics princes, cboisic par un va;u spe- ll cial dc piele pour clre la patronne parliculicrc de I'Aulri- « clie, Ferdinand Ml, empereur, scvouelui-merac, consacre i( etoffre sa pers nn» \iesc[ilanls, scs peoples, sesarmees, « ses provinces, ct lo« ce qu'ilpossede; et, pour perpeluer « le souvenir de cettc tonsccrnlion, il erige celle statue. » Nous n'avons Jias besoin de rappeler que depuis le con- cordat de 18UI, a la suite duqucl on supprima en France plusicurs fetes, celle de I'Assomplion fut maintenuc. Na- poleon, lui-meme, y avail ratlacbe I'anuivcrsairc de sa naissance ct de son noni baptismal. •2o AOUT. — SAINT LOCIS, P.OI DE FRANCE. Quel est le cbrclien, quel est surloul le Francais qui ne prononce avcc respect le nom de saint Louis, auquel ce seul nom ne rappcUe tout ce qn'il y a de grand dans ce monarque consjdere comme legislateur, comme guerrier, comme fervent disciple de lEvangile? Qui jamais a rcuni dans sa personne a un si haul degre des qualilcs dont cba- cunc pent, a die seule, illuslrer celui qui en est done? Comment, dans un cadre aussi ciroil que le notre, renfer- mcr, sculemcnt d'une maniere historique, une vie aussi pleine sous le triple aspect que nous avons indique?Ce ne saurait ctre notre projet. La vie de ce .saint et grand roi est, pour ainsi dire, cntre les mains de tout le monde, ct cc qu'il y a de tres-remarquable c'cst que sa lecture est utile a tous les ages ct a toutos Ics conditions de la vie. Oui, cette existence a resume tous les genres d'licroismc, et saint Louis pcut ctre presente commc un modele i la jeu- nesse comme a ragemi'ir. aux pauvrcs comme aux riches, aux hcureux comme aux infortunes, aux guerriers commc aux magistrals, aux vainqucurs comme aux vaincus, aui |irelres comme aux laiques, aux etrangcrs comme aux Francais. Mais quel a etc le principe fecondanl de tant de vertus? Est-ce iinephnosophicpuisee dans Plainn, Socrate, Marc-Aurele? Vraiment non. C'cst la piete dans toule sa franche expansion. Saint Louis a realise d'une maniere complete ces paroles si courles, mais si pleines de sens ; Piclas ad omnia utilis est. « La piete est utile a TOUT. » C'cst I'Espril-Saint qui nous les fait entendre par I'organe du grand Apolre. Placcz I'liommc dans telle condilion qu'il vous plaira, la piele cnnoblira tous scs aclcs, parce qu'cUe est la mere de tonics les vertus. II sera bon pere, bon cpoux, bon fils, bon prince, bon snjet, bon general, bon soldat, excellent juge, integre avocat, ami sincere, ennemi gene- rcux. Oh: que le monde est done insense qui semblc re- 2f« LES SAINTS DU MOIS. garder la 'picte comme la vertu obligatoire ct exclusive du cloitre, du sacerdoce et des divots, ct surtout des divots ! Saint Louis fut un devot..., vraimciil oui, dans loule Tex- tensiondu Icrme, el Ton ne pent lui refuser toulesies ver- lus civiles et guerriercs, toules les qualites royales lelles que la sagesse, la prudence, la fermcle, la cl^nience, et, ce qui les resume toules, !a palernite du sceptre, car le bon roi est cminemment le pore de la patrie. C'esl ainsi que Tfiistoire nous le represenle sous le chene de Vincennes, accueillanl ses sujets comme ses enfanls, ccoulaut leurs plaintes, calmaut leurs divisions, jugeant leurs proces. Apres une vie si pleine, aux yeux du monde comme aux yeiix de la foi, Louis IX, qui eiait monle sur le Irone en 1"2'26, n'etant encore age que de douze ans, mourut devant Tunis le25aoiU 1270. II etaitdans la cinquante-cinquieme anncc de son age. Ses testes furent divises : les os, ainsi que le cocur, furent places dans une riche biere. Charles d'Anjou son frere, roide Sicile, oblint les chairs et les en- irailles, qui furent deposees a Palerme, dans Tabhayc de Monlrcal ; les ossemenis furent transferes en France par le roi Philippe son fils. Celui-ci voulut porter sur ses epaules lesQcre depot de Paris a Saint-Denis, et cette abbayece- lebre les garda precieusement. Les nombreux miracles opiircs parrinlerccssioii de Louis IX dcterminerent le pape a rinscrire dans les diplyques des saints auxquels I'Eglise defere le cuUe de dulie. La hulle de canonisation fut don- nee par le pape Boniface VIII, le 1 1 aoul 1297, et la fete fixee au jour mi'nie de la mort de ce grand prince. En 1298, il se lit a Paris une pompeuse et edifianle ceremo- nie. Une procession partit de la capitale, s'achemina vers Saint-Denis pour y lever le corps de saint Louis. On porta la chassequirenfermait les ossements a la Sainte-ChapoUc, nagnere ediliee par Louis IX anpres de son palais. L'ar- chevequedeSens, accompagne de Teveque de Paris, qui en (Hait nlors suffragant, presida a cetle insigne translation. Puis le roi Philippe reporla sur ses epaules, a I'abbayo royale de Saint-Denis, les saintes depouiUes de son aieul. Quelques annees apres, c'est-a-dire, en I30.>, le pape Cle- ment V autorisa Philippe le Bel a transferer dans la Sainte- Chapelle du palais la tijte de saint Louis, et dans I'eglise cathedrale de Nolre-Dame une des cotes du meme sainl. Depuis ce temps, comhien deglises et de cliapelles ont ete erigees sous I'invocalion de ce grand saint I La capitate du monde chrelien, Rome, compte parmi ses monuments rcligieux une belle ct riche eglise de Saint-Louis. La France a trois calhedrales placees sous le meme vocable, celles de la Rochelle, de Clois et de Versailles. Paris comple quatrc de ses paroisses, y compris celle des Invalides, sous les auspices de saint Louis. La poesie religieuse a consacrea son honneur les plus belles hymnes. L'hisloire a immorta- lise dans ses annales, burine sur le bronze, grave sur la pierre, la memoire du saint monarque. L'Eglise celebre annuellement, dans une fete, ses vertus sur la Icrre et son triomphe dans le ciel. La France airae a se placer sous un aussi puissant patronage, el, les yeux Oxes sur letrone im- perissahle qu'occupe saint Louis dans le sejour de I'eler- nile bienheureuse, elle soUicite son intercession. Et n'est-ce point ici le plus eclatant des hommages que la memoire d'un monarque puisse recevoir ? MOIS D'AOUT 1. Vendredi. St Pierre adx LIENS. Oil y lionore la memoire de rciniirisonneraent de l';i|'fl're St Pin-re en divers lemps cl di- vers lieux, maissurloiit sacap- li\ito u Jorusak'iii, el dont un ange le delivra. On conserve S Rome les olivines di)nl il fut lie 4lans la prison Mamcnmc de ccUe dcrnit'rcvillc,pariirilrede Noron Les SEPT FRUHES MaCMABEES, qUI, avant Ji5sus-Clirisl, soullri rent Ic marlyre pour la loi dc Moise. Ste Fiji, Ste Esperance, Ste CiiAuiTE, fillos dc Suphie dame romainc, vierges niar- tyrcsdans les deux premiers sii-'clcs. 3, Kamedl. StI^tienne, pape et martyr en 257. St GETiiAinE, liveque de Char- tres, mort au 7^ siecle. Si Alphonse de Ligdori, cveque de Slc-Agatlie au loyaurae de Naples, mort en 17H7 II a laisse plusieurs ouvrages tbfiologiques ircs-csttmes. 8. Dlmsncho. L'Investion DU r.iinrs pe St Ktienne, premier martyr, en 415. St Nxodehe, pUarisien convert!, qui embauma Ic] corps de 6 Jesus. St Gamaliel, autre pharisien converli, qui enlerra St Elicnne dans sa campagne, a vingt milles de Jerusalem. I. Einndl.ST Dominique, fon- dalcur de I'ordre des Pre cheurs ou Dominicains, mort aBolo-neen 1221. It fut le flambeau et la mer- veilledeson siecle. Onaprelendu U Ires-grand tori que cp sainl avail instilue les iribunaux de I'inquisilinn ; ceus-ci onlcle 6ta- blis longiemps aprts la mort de St Dominique. St EurHHoNE, eveque de Tours, morl en 575. Ste Siohade, mere de St Lc^er, eveque d'Autun, morte au 7^ sietle. 1. llnrdi. Notre-Dame ces NEIGES. Voy, I'article sous ce nom. St Oswald, roi d'Anglctcrre, et martyr en 642. Ste Afre ct ses compagncs, marlyres en 504. St Mr.MMiE, premier Cveque dc Clialons-sur-Marne, mort a la tin du 5^ siecle. Hercredi, La Tbansfigd- BATIONDE N.-S. J.-C. Voy. fart, sous ce nom. St SixTE.pape ct martyr, 258. St Just et St Pasteur, martyrs en Espagne, en 504. 7. Jendi. StGaetandeThiedne, fondalcur de Tordre des Theatins, mort en 1547. St VicTRicE, eveque de Rouen, mort en 415. II a laisse plusieurs Merits. StDonat, Cveque d'Arczzo en Toscane, et St IIilaire, mar- tyrs en 5G1, St Donat, evcquc de Besangon mort en 660. 8, VendrpdI. St Cyriaqce, St Large, St S.\iauag[ie et leurs compagnons, martyrsa Rome, en 503. St 1I^RM1^I)AS. martyr en Perse dans les premiers siecles. . ffiamedi. St Rohai?}, mar- tyr a Rome, au 5^ siecle. St Secosdiel' et ses compa- gnons, martyrs en Toseane, au 5" siecle. St Ni'MiuiQUE, prctre et confes- sonr au 5^ siecle. O. Dimniiche. St Laurent, martyr a Rome, en 258. St Deuspedit ou PiEuoossg, juste, mort vers Ie5*si6cle. St Blanc, eveque en Kcosse, morl en I'an 1000. St Blaan, eveque en Ecosse, morl en 448. 1 I . I^undi. St Tiburce, mar- tyr, etSr GuROMACE, en 286. Ste Suzanne, vierge, marlyre a Rome, en 295. St Tacrin , premier eveque d'Evreux, vers le 4" siecie- St Gery, eveque de Cambrai, mort en 619. 1 3. Mordi.SxE Claire, vierge Gt alibossc fondalrice des clarisles ou clarisses, tres- cclLlire, morte en 1253. St Erruus, martyr en Sicile, en 504. StPorcaire, abbcde Lerins, et ses compagnons, m.irtyrs eti Provence, au 8« siecle. 13. BBercrcili.STHiprcLVTE, soldat, disciple dc St Lau- rent, martyr a Osti'-., en 252. St lIuTOLYTE, martyr en 258. 11 lie taut pas Iccontundrc avcc le premier. StCassien, martyr a Iniola. II I'tait maUrc d'ecule, et le gouverneur le lU mariyrlscr par CAUSERIES SUR LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES. 29S ses rropres eleves i coup* di" de stjlet, au 4^ ou 3*' sii'cle-. Ste Raoegosde, rcinc tie Fran- ce, I'juiuseclcClolairc, niortc abbcsse d'un culebre cou- veiil a Puilicra, en 587. S4. Jeinli. St EuscBE. pretrc ct niarljT vers la fin du o' siecle. St Eusebe. prelre et coiifes- seur a Rome, quil ne f.ml pas confoniire avec le prece- dent, St Marcel, eveque d'Apamee, en Syrie, en 589. Ste Anastasie, abbesse en 8fi0. Veillc de l'Assom[)lio[i, jour dejcQneei d'absliuctice. 15. Venilrerti. L'ASSOMP- TION D!-: LA STE VIERGE. Vntj. t'itrtirle sousce Hire, gr Napoleos ct St Satuhsin, martyrs dans lo 5^ siecle. Leprciiiipresi noiiimf en laiiii Keopolis ou ?ieopolus, daiil Ic:^ Iialiens onl fjit Sapoleotie. St Alvpius, t-vcque dcTajaste, en Afrique, disciple de Si Auguslin. morlvers 450, St Arnoul, eveque deSoissoas, en 1087. IG.Wuraeili. St Rocii, juste, niort en 1527. On riiivoqiie conlre la pcsle Une paroisse de Paris esi nlacee sous sun iiivocalion. St Hyacisthe, dominicain, morl en 1257. STELEiTiiEnE, eveque d'Auxer- rc, niort en 561. 17. Oimanclir. St MAtniEs, martyr en Cappadocc, 275. St Liberat et scs compagnons, martyrs en Afrique, en 485. 16. liunill. Ste IIelexe, im- peralrice, mere de Constan- lin le Grand, morte a Con- stantinople, en 5'2G ou 28. St Agapet, martyr en 275. Ste Claire de Monte - Falco, vierge, morte en 1508. St TiMOTiiEE, martyr a Rome, en 511. I 19 Uarili. St ToiOTtitK, St Agape ct Ste TiiECLE, martyrs I'n ralestinc, en 5U4. gg JiSamcrti. St PiuurrE Be- 28. JcniU. St AixrsTP;, i;v5- St Ebbos, archeveqiie de Sens, mort en 750. St Louis, pelil-neveu de Louii IX, roi de France, cvcqnc do Toulouse, ninrt en 1297. St Mauies, solil.iirc dans le Bcrri. mort dans Icfi^siwle. Le bicnbeureux Rl-ucaud, ar- cht!vei|uedeVienne.en Uau- pliine, raort en 1025. I 20. Slercredl. Sr Bernard, abbi'r de Cljirvaux, docteur dc I'Eglise, un des plus il- lustrcspersonna2:esqni aier.t paru dans Icmoim ■, mort en 1155. 1 Ses (Tuvre"; on! ^Il "ecuoillics en 2 vul. in-foL , St Mesme, solitaire a Cliinon on Touraine, morl dans Ic 5* siircle. I St PiiiLicERT, pretnierabbcde Jumit'^es, morl en GS4. i Sv Oswis , roi d Ansletcrre, morl dans le 7": siecle. I 21 . •Venili. St Privat, pre- mier i^veque de JavoU ou sm, en 1285. 1 StClalde, St Asterf. et Icurs compagnons, martyrs en Ci-' licie,en285. | St SiDOi>E Apot.uNAiRE, eveque de Clerninnt euAuvergnc,' Uiort en 482. j On adL'Iui plQsieurs^crilsas- scr inipi»rlanis. 1 St Tiioma.«, artbeveque d'A- Icxandrie, inert en 282. , 24 nimnnclie. St Barthe- 1.KME, apolre. ll|Ktrla Ic flambeau ile rE\an- gile jiisquaux exircmiles des Iiides, L'l ftil mariyiis.* en Arrnc-' nie, vers la lin du l*' sierle. St OiEN, eveque de Rouen, morl a Cbcliy pres Paris, en G85. I Son corps ful poric h Bouen^ daus I'cglisede St Pierre, qni esl dcvcnue drpuis la inagniQque i'glisc abbauale deSi-Oueu. 23. I.undi. St Lours, roi dc France, murl en 1270. Voy. I'ariicic sous re litre. St Yrieix, abbe en Limousin, morl en 591. j II a domipson nom ^uuevillc de ccue province. Ste IIi'NEGONDE, abbesse en An- , gleterre, morte en 685. Gevaudan.aujourd'iitii Men- de, martyr sous Valcricn et Galien.au milieu du 5"^ siecle. C'esi h lorl qu'un Ini dome pour predecease ur Si Sevcrien ; ceiui-ci ^laii ev^<]iic de Cabala, dans I'At^ie Mincure. Sr Richard, eveque d'Audne 26. MarUi. St Zei'Uirin, pape dans la Pouille, mort a la fin et martyr en 219. du 12"^ siccle. | St Goes, comedien, martyr a St Ber.nard Ptolejjee, inslltu- tcur des olivetains, mort en 1548. I St Ragiebert, martyr en 678. : Rome, en 286 ou 205. que d'llipponc, dncteur do i'Eglisc, morl en 450. La meilleure edition de seS ouvragesesicu 20 volumes in-*°, C'est le plus grand el le plus fi'cond des doclenrs de la foi chrclienne, aussi profond en phi- losophic qu'en iheolojiie. StJl'lien, martyr a Brioude, vers le 4^ siecle. 29. Veiidr«dl. La Decoua- TioN DE St Jeas-Baptiste. Voy. I'ariiclesurce sainl pr^- curseurdaiis Ic iiumero du mois de join. Ste Sabine , martyrc a Rome, au 5« siecle. St Merbi ou Medeiuc, abbt?, morl en 700, patron d'une paroisse de Paris. St Adelphe, eveque de Mclz mort au 5^ siecle. 30. Named). Ste Rose dc LiiiA dans le Perou, vierge, morle en 1617. St Felix et St AnArCTE, mar- tyrs a Rome en 505. St Pamuaciuls, juste, mort a Rome en 410. St Fiacre, anacborctc, mort en 650. Les jardiniers le prcnneni ponr pairon. Les voiiures de loujge nomnu'cs fiacres lircnl ce nom d'une bAtellene ou se fornja leur premier eiablissemenl ii Paris, ct qui avail pour enseigoe I'image de ce sainl. STGENcsd'Arles.grcmer, mar- 34. DImaiiche, St Ravmon tyr au 4<^ siecle. | St Eci.ALiL-s, Eveque de Nevers, morl au C^ siecle. 22. Veiidredi. St IIippoute, eveque. docleur de I'Eglisc 2? Mercredi, St Cesaire.I et martyr en 251. I eveque d' Aries, mort, 251. Ses oeuvres soot en 2 vol. On a dclui plusieursouvragcs' in-rol. I tr^i-rcmarriuablos. I STSviifnoRiEN.martyraAutun, St Pemen ou Pasteca, abbi5,t en I'an 178. | mort en 451. KoNSAT , religieux de la Mcrci, morl en 1240. Ste Isvbelle, vierge, fille de Louis Vm, el scEur de Louis IX, morte en 1270. Ste Cutuderge, reine vierge et abbesse en Anglclcrrc, au 8^ siecle. St Eose, eveque d' Aries, 502. CAUSERIES AVEC UOJi FILS ERNEST SUR LES INVEiSTIONS ET LES DECOUVEnTES. CINQUltME MATINEE. US NAVmS SUB IE CHCQUITO. — LES SODVEAOX SCCr.ES. a L'industrie humaine, dit la Gazelle d'Augsbourg, ne coniiaiiia hiontot plus de Ijornes a sou [louvoir. Les die- mins de fer silloniieiU le monde, les baltau.x a vapour fran- chissenl rimmcnsc cspacede rOctan, et un navire floUc d present sur le ChiK|uito, a di.t-huil mille picds au-dessua de b mer. La Gazelle d' Augsbourg \>\M\e, d'apres unjour- nal de Montevideo, t|uel(|ues details sur celle entrepriso nautique d'une liarJicsso inouie jiisqua present dans lej annales de la marine. En 1826, MM. Rundell et Bridge, riches orfcvres de Londres, aclieterent dans le Perou les mines d'or deTipuani et les mines dcmeraudes d'lllimani, et y envoyercnt M. Page en qualite d'agent. « Ces mines sent situees sur les rives du lac deChuquito, qui a deu.\ cent quarante-huit miUes anglais de longueur, cent cinquanle de largeur, ct dont en plusieurs endroits on n'a pu trouver le fond. Dans le voisinage de Tipuani sont d'aulres mines trcs-abondantes qui appartiennenl au general O'Brien ct a un Anglais nonime John Rugg. Ou no recolte dans ce district qu'une cspece de pomnies 296 CAUSERIES SUr, 1,ES INVlsHTlO de leiTe rou_!;cs appeK'Os cliusmo, et qiidques planlos nii- ti-ilivcs ; mais, a Test du lac, el nolaniiiiciit ii Copasacnnn ct dans los vallC'Cs do la Colivin, on tnltivc le mais, I'orge el Ics arbrcs fniiliers. Lcs ilirHciilli's i|iie Ton cprouvail pour alimcnlcr Ic grand nombre d'Indicns qui travaillaienl nux mines fiicnt naiire lidce dc constniii'c un navire qui clablirail dos comniunicalions n'.^'iilieres d'une des rives a Tautre du lac, el MM. Page, 0 liricn el Rugg rosolurcnl de lenler Tcnlrcprise. o M. I'age acbi la dans le port d'Arica un vieux bati- incnt, en cnlcva lcs ancres, les cordages, la voilure, el parvinl avcc unc peine cslreme ii en conduirc la carcassc a rcmboucbure de I'Apob-Bambo, donl les eaux se jellent dans le Cbiquilo. La, il fil venir des ouvriers d'Arica, cleva un chanlier, el, apres deux annces d'un Iravail pe- nible et conlinu, reussil enfin a lancer son brick dans le lac. Ce brick sen a transporter les approvisioiinemenls des vallees dc la Bolivie aux mines de riino el de Lanipas. Le general O'Crien, en se remlnnt de Biienos-Ayres a Lima, iiavigua sur le lac, el faillit echouer sur les coles de I'ile NS ET LES DECOUVEnTES. de Tilicaca. Celte He est, d'aprcs la tradition, le berceaii do la civilisation pcruvienne el la sepulture des aneiens rois de la conlree. On y trouve encore des cranes donl la forme scrapproclicdc cclle de toules leslelesqui figurcnt dans les curieux bas-reliefs des antiques monuments aslegues. Lo brick (ilail alors commande par un capilainc suedois, et pourvu de lout cc qui coustilue un navire en bon elal, sauf les ancres, qn'il a etc impossible de conduire a unc telle bauteur. MM. O'Brien el Begg onl execute encore d'autrcs travaux d'une bardiesse iion raoins surprenanle. lis ont transporle une machine a vapeur an-dessus des CordiUeres, creuse dans les montagnes melallurgiques de Lacaycota un canal de deux mille pieds de longueur, traverse par ncuf ecluses, el conslruit, a I'exlremite de ce canal, un chemia de fer sur lequel ils cliarrient leur mineral. » Voila, mon Ills, a quels resullats aboulisscnt, continua le pcre, ces longs rubans de fumee que vous voycz se ba- lancer an-dessus des navires et des baleanx a vapeur. Avcc nn pen de fumee que I'espril de I'homme dirige,!a naUue malerielle esldomplcc. — Qu'est-ce que signific ce mnt, nion pcre, sum de jionme, suae dc rinaigrc ? — Mon ami. c'esl quo I'arl liumnin, elincelle cmanee de Dieu, a parlout dccouverl les substances oni se caclient dans'lcs profondeurs de la malicre. Le sucre, le vinai,;re, existent prcsque parlout. Entre les sucres , il y a , dit un savant, unc lulle qui n'est pas pr6s de finir : c'esl, du reslc , ISapo- leon qui en donna le signal lorsquc I'Anglelcrre ful sou- mise a ce blocus continental donl Ics rcsullals devaient ).orlerunomorlcllc aUeinle a son commerce. Celte lutte, c'cst cellc qui so poursuit entre le sucrc de canne ct les snci-es radices anela science a Inventcs reccmmcnt. Ceus-ci nnl cviJemmeul une iiiferioritc marquee devaiil Taulre; le Sucre qui vienl dc si loin finira par snccomber en presence d'une aussi redoutableligue. Le sucrc exolique avail bicn ,issez de renncnii que liuJustrie lui a jete sur les bras; ccpcnilanl la science, celte infatigable eberebcusc, qui ne se doune pas un moment de repos, vient de lui en suscitcr un nouveau. 11 s'agit d'antres sucres qui pourraicnt fairc uncsainle allianeeavec le sucrc de bellcravc;chaque jour, dans le mais, dans la carolle, dans les narets, on rclrouve du sucrc. 11 est a croire que Ton parvicndra a nous donncr d'ex- LE COURAGE MOHAL DANS LA JEUNESSE. 297 cellent sticre ii tin prix aussi Las que Ic pain ct pcut-elro que I'eau eUe-memc. Nc mcpriscz done pas, nicin chcr Ernest, ces horamcs que vous voyez en lablicr de cuir, une pipe noire .i la Louche, un ralot ou iin snufflct de forge a la main; souvcnt ils rcaliscnt par lour labour ce que la pocsie la plus sublime n'oserait pas rover. LE COURAGE MORAL DASs LA mmii ou EXEUf Its BE FOBCE COMTHE IE SOP.T, DE IlESISTANCE ET DE SUCCES DAKS lES CAlmiEMS lES PLUS DIVEIISES. X.A JXUNXSSE S£ BEJTBI IV. II Ce fut un bicn grand jour pour Henri d'Albrel, dit un bislorien nioderne, que celuiou il cmporla dans le pan de sa robe lo vigoureux enfant destine a le venger plus tard de I'Espagne. La chanson de sa mere, dans les doulenrs de renfanlcmcnt, le vin de Jurancnn el la gousse d'ail, ont rccii depuis Pcreflxe une consecration populaire. Tout cela est devenu vrai. Henri d'Albret i'lait un prince d'un es- prit cultive. 11 avail, en maliere d'educalion, dcs idees fort avanceos qu'on dirait cmprunli'es de VEinilc. II voulut faire elever le jeune conite de Viane a I'air libre des mon- lagnes, la tele nue et lespicds dechaux. Nourrl en simple gonlilliomme, an chateau de Coroaze, dans les solitudes du Digorre, ayant passe loule sa jeunesse dans une province aux habitudes sinqdcs, au langage pittoresque, Henri con- tracta, dans ce commerce journalier avec la nature ct avec les hommes, une rectitude de pensee et un nalurel de nia- nieres inconnus aux princes grandis dans I'enceinte dcs Cours. Eleve dans les principes calvinistes par sa mere, dans le temps ou Anloine de Bourbon, son pere, combattait conlre les rcformes, a la tele de I'armee royale, le prince de Beam avail contracto, par suite de cetle deplorable dissi- dence, une indifference prccoce jiour les idiios qui passion- naient si vivemcnt son siecle. Celte indifference, enlre- tenue par le gout des plaisirs et les cntrainements de la jeunesse, elait rcndue plus invisible encore parle specta- cle des animosiles et des violences qui repugneraient a son equile et a sa moderation naturelle ; done d'un sang droit ctd'uncalmo imperturbable, lors memequ'ilserablail do- SS 298 LE COURAGE MORAL miuu |i.ii' I'ivi'csse dc scs sens, UenH de Beam ne pouvait s'associcr ni a raiJcur de tnnl de liaines, ni aux illusions de lant d'cspcranccs dont son bon sens penclrait la vcrile. Conduit un jour li la cour, a I'age de liiiil ans, cct enfant, aleite et frais, avail cliarmc Uenri II par la vivacite deses reparlics en laiigue bearnaise, la seule qu'il parlat alors. Deux annces passecs au college de Navarre lui apprirent le francais cl quelque pen de latin. Los habitudes de I'eco- lier n'enlevercnt rien a I'originalite du jcnne montagnard. Jete, apres la mort de son pere, dans Ic camp des reformes par I'autorite de Jeanne d'Albrel; proclame a la mort du prince de Conde, son oncle, chef nominal du parti, il assista a la bataille de Moncontour, a I'age de seize ans. Son coup d'ceil militaire, si on en croit les historiens, pe- nclra le vice des dispositions qui amona la pcrte de cette journee si falale aux religionnaires. Situl que la paix ful faile, il se relira dans son gouvernement de Guyennc, ct vecut surlout dans ses domaincs licrcditaires du Dcarn, oil il poursuivait les daims sur les rochers, et les jeunes fiUes dans les vallees, cntremelant ses volages amours de la lec- ture des Vies de Plutarque que Jacques Amyot venait de traduire pour I'usage des jeunes seigneurs. Ce fut au sein de cotte viUe provinciale et de ces plai- sirs faciles, que la politi(iue de Catherine vint chercher le prince de Beam pour I'unir a sa Dlle. Celui-ci n'accepla pas sans regret cette vie si nouvelle ct si contrainlc. II parut a la cour, reserve et un pen timide. Les noces vermcilles ctaient a peine terminces, que la nuit de la Saint-Darthc- lemy vint arracher au roi de Navarre tons ses amis, et I'iso- ler dune cour au milieu de laquelle il n'etait plus qu'un otage ct un prisonnicr. Ce prince pjoya sans Irop d'cf- forts sous le poids des circonstances , et crut pouvoir pacliscr avec la force de tons les sacriDces imposes comme conditions de son salut. II faut bien connaitre que I'aban- don de sa religion fut celui qui parut le moins lui cou- ter; enlre la mcsse et la Daslille, il choisit volonlicrs la inesse, et donna surce point, au roi sou beau-frere, les plus completes satisfactions. JEtlSESSE DES GUARDS ABIISTES. — B. WEST. Nous allons nous occuper mainlenant de quelqucs indi- vidus digncnient recompenses aiissi de Icurs efl'orls coura- geux, et qui sonl arrives a la celcbrite par des cliemins tout differents de ceux qu'avaient parcourus les hommes distingues dont nous avons parle dcrniercment. Cependant nous retrouverons toujours ii la poursuite des riclwsses intellccluelles ces memes hommes ploius d'energie , de grandeur d'iimc , infatigables ii I'etude, et auimcs de la meme exaltation passionncc; les qualites sont partout in- dispensablcs au succes; jamais la perseverance et I'aniijur de I'art n'ont ete pousscs plus loin que chez les peinlres impatients de se dislinguer. Deja nous avons eu I'occasian de ciler plusieurs noms appartcnant a cette classe d'hom- mes, et nous avons vu que rien ne pent les decouiager quand ds sont enlraincs vers la science. Rappelcz-vous les diflicultes qui out environne la jeunesse des Salvalor llosa, Claude Lorrain, du Caravage et do bien d'autres encore. lis n'eu sont pas moins devenus de grands peintres. Aii- jourd'hui nous coutinuerons a esquisser plus eu detail la vie de quelques artistes modcrues qui onl eu aussi a soil- tenir de penibles lulles pour se produire, malgre I'infe- riorite de Icur naissance et la singularite de leur position. Nousconmiencerons par Benjamin H'c,«(, artiste anglais, ne a SpinglieUl ( pres de Philadelphie, dans I'Amcrique du Nord, en 1738), de parents quakers, ou Irembleurs , dont il ctait le dixieme enfant. On raconte que sa mere le mit au monde en revenant d"un sermon qui I'avait effrayee au point de lui occasionner presque des convulsions, malgre les efforts du predicateur a rassurer I'auditoire epouvante auquel il venait d'annoncer la lin prochaine du monde de cc cote de I'Atlanlique, en promettant a I'Amerique les plus heureuscs destinccs, lorsque la vengeance divine I'aurait delivree de ses vices et de sa corruption. Cet incident, si legercnapparence, inllua beaucoup sur la vie de Benjamin : le predicateur, fier de I'impression produite par son elo- quence, regarda toujours I'enfant avec orgueil et interet. II ne cessa derepeterau pere, que ce Cls.d'apres cette nais- sance extraordinaire, ne pouvait manquer d'etre un jour un homme celebre. Nous ne tardcrons pas a voir les pre- dictions se realiscr. Quoi qu'il en soit, Benjamin grandit, arriva ii I'age de six ans, et rien encore ne le distinguait des autres enfants, lorsqu'une de ses soeurs, marice, vint faire une visite a sa mere avec sa petite flUe. Uu jour, Benjamin resla seul auprcs de I'enfant endormi dans son berceau, pendant quo sa mere ct la jcune femme se promenaient au jardin. Frappe de la beaute de sa niece, qu'il voyait sourire pen- dant son sommeil, il s'empara de plume, de papier, d'en- cre rouge et noire, qu'il Irouva sous la main, ctessayade retracer cette charmanle physionomic d'enfant. II fut a ce qu'il parait si heureux dans son premier essai , que sa mere ct sa socur, en jetant les yenx sur le papier qu'il cherchait a cacher, s'ecrierent ; « Mon Dieu , il vient do « faire le portrait de Sally. » Benjamin, encourage par cette exclamation, ravi de sa nouvelle dccouverte, of- frit de dessiner avec son encre rouge et noire les llcurs que sa scour rapportait du jardin. Le genie du peintre futur se revclait plus encore dans cette delicatesse et ce sentiment vrai, a un age aussi tendre, pour la beaute de la simple expression , que dans I'liabilcte du dessin qu'il a dcployee lors de sa premiere tentative. C'est peut- clre a la maniere dont Benjamin fut eleve au sein d'unc famille pour laquelle la vie s'ecoulait douce et calme, comme chez la plupart des quakers, qu'on doit altribuer le dcvcloppement prceoce du sentiment poetique qu'il ma- nifesta en cette occasion. Le pere, en voyant ce dessin, reflechit plus serieusement que jamais sur la prophelie de son ami le predicateur, et fut persuade qu'elle commcncait a s'acconiplir. Quant a Benjamin, il ne se lassait pas de faire des csquisses a I'en- cre, soit de lleurs, soit d'oiseaux, a son grand ravisscmcnt ct ii I'admiralion de ses bons camaradcs. Pendant toute une annee, il n'cut a sa disposition d'auire coulcur que de I'cn- cre, d'autre pinceau que sa plume. D'ailleurs il ignorait sans doule qu'il existat des ressources meiUcures pour la pratique de son art : car la petite societe de gens au mi- lieu desquels il vivait etail ii la fois si simple et si ar- riiiree, qu'il n'avait jamais apercu chez aucun d'eux, soit une gravure ou une pcinlure quelconque. Enfiu, ilariivi qu'une troupe d'Indiens passa par SpringDeld; on leur monira les oeuvrcs de Benjamin, qui avaient ([uelques rap- ports avec les Icurs , ct ces enfants des bois parurenl en. DANS LA JEUNESSE. 2!)9 chantcs lie co. rapprochement. Phis cxporimentes que lo jeuiic prodigp, ils nvaienl sur lui iin grand avanloge: ils employaient dcs couleurs tolalcment inconiiues ;i Dcnja- min, tellos quo I'ocre rouge ct noire; ils lui cnseigncrcnt la niaiiiero do Ics preparer. Sa mere, pour compli'lcr I'as- sorlimcut de cos nouveaux nuxiliaires, lui donna un mor- ceau d'indigo ; mais il lui manquait encore un pinccau. Aynnt appris qu'on les fnisail en Europe avec dcs polls dc clianicaii, il Irouva Inenlol dans son imagination le moyen d'y supplecr. La queue du cliat noir de la maison lui fournit de quoi faire son premier pinceau, puis il ra- vagoii le do.s de la pauvre bete lorsqu'il vouliit en avoir d'aulres. Environ un an aprcs, M. Pennington, marcliand dePhi- laJclpliie, vint par liasard faire une visite au vieiix West; on lui montra aussi les ouvrages de Benjamin. Plus con- iiaisseur que les villagoois de Springlield, il I'ut frappc dcs moyens de renl'ant, el promit dc lui envoyer, a son retour en viUe, une boite de peinture. M. Pennington lint en cf- fi't sa promesse, lecadcau arriva: le bon ct genereux mar- cliand avait cu le soin de joindre a un assortimcnt de cou- leurs, d'huiles ct de pinceaux, plusicnrs toiles toutcs pre- parees, ct une demi-douzainc de gravuies; le ravissemcnt de Genjamin etait au comhle. Jamais il n'avait soupconne I'art do la gravure, dont il voyait des modeles pour la pre- miere fuis de sa vie, et jamais rien ne lui avait paru si beau. Ses yeux, pendant le rcsle de la soiree, rcslerent prcsque toujonrs fixes sur la bolte etson conlenu. Qnelquc- iois il semblaildoulerde son bonlieur, el la prenait dans ses mains afin de so convaincre quit etait recllcmcnt posses- seur de ce precicnx trcsor. La null memo il se rcvcilla sou- vent, ct voulut encore toucher le cofl're qu'il avait place pres de son lit, tant il craignait de so sentir sous rinllucnce d'un songe, et deperdre ses ricliesses a Theure du reveil. Lcjoiir suivant, il se leva aveclejoui-, emportantau gre- nicr ses couleurs el sa toile. Tout autre occupation I'ut ne- gligee. Des qu'il pouvait se derobcr a la surveillance de ses parents, il courait au galelas oii les bcures s'ecoulaient ra- pidement dans un monde de sa creation. Enfln le maitre d'ecole, surprisde I'absence desoneleve, vintendemander la raison au pere; circonstance qui revela toul le myslere. La mere decouvrit le coupable dans sa retraite, mais elle resta emerveilloe des proJuctions de son pinceau, ct, au lieu de le grondor, die le pril dans ses bras, ct I'embrassa ovoc transport. Apres avoir compose un sujcl, il s'etait mis a le peindre; sa haute intelligence I'avait seul guide dans la preparation, le melange el les nuances dcs couleurs; I'eliauche parut si remarquable a la mere, qu'elle lui defcn- dit d'y rien ajouter. M. G;dt, le biographe de West, a vu le tableau inacheve soixante-scptans apres, eirartiste lui- menic a avoue qu'il n'avait jamais reussi depuis a retrouver quelques-unes des touches qu'on admire dans sa premiere ocuvrc. Pcu de temps apres, Pennington revint a Springfield ; sa- lisfait des progres du jcune peintre, il remmena a Phila- dclpliie. Lii, il rencontra un confrere, M. Williams, dont les tableaux, les premiers qu'il voyait apres les siens, le toiichercnt jusqu'aux larnies. Williams lui preta aussi le ]jricme de Fresnoy sur la peinlnre, ainsi que les essais de liichardson ; cos deux ouvrages sllnuilcrent encore son en- thousiasme. II rcvinl a Spriiigfii Id plus amoureux de son art que jamais. Bienlot cette passion devint contagieuse, ol prcsque tous ses camarades, sans exception, se mircnt i crayonncr parlout, el Jusque sur les murs de I'ccole. West assure qu'il a vu plusicnrs essais de cos jennes aniaiciirs que n'niirnient pas desavoues les eleve.s de rAcadeniic,; mais aucun n'avait, a ce quil lui parait, I'amour de I'arl si profondcmenl enracine. Cc passe-temps fut bientot aban- donne el oublie; lui soul persisia a en faire I'liniqiie occu- pation de sa vie, bien decide a faire, en son hnnneur, tous les sacrifices possibles. Ccpendant il n'avait rien gagno de ses travanx, pas mcme de quoi s'acheler des couleurs et des toiles; mais un eboiiistede ses voisins lui donna oljligeiimmentdespanncaux bicn unics sur les([uels il jctait ses esquis.ses avec dc ron- cre, dc la craic et du fiisain. M. Wagner, autre habitant do son village, frappe un jour du mcrile dc ses composilicms, voulul en prendre quelques-unes chez lui pour les montrer a ses amis. II revint le lendemain, et remit a I'enfaiit un ilullar en echange dcs tabbaux cpi'il tciiait a conserver. A pcu pros a la memo I'qioque, le doctcur Jonathan Moris lui donna un peu d'argcnt jionr acheter dcs couleurs. Ja- mais West n'oublia hs encouragements de ses premiers prolecteurs. Sa fimille, quoique fort a I'aiso, ne fit dit-on aucun sacrifice pour I'aider dans la poursuile de son art I'avori. Si le vieux quaker croyait loujoursau brillant ave- nir de son fils, il semblait se rcposcrenlicremcnt sur I'effi- cacilo de la prediction de son reverend ami pour amener le rcsultat altendu. tjuoique le talent si remarquable de I'enfant ne piit manqucr de flatter rorgueil du pere, ses opinions religieuses soulevaient probablemcnt en lui de graves inquietudes quant ii la U(jiiimHc de I'art en lui- mcme, el sans doule il out prefere que le jcune prodigo arriv.ll a la renommee par lout autre chemin. Benjamin, loin de partagcr cesidces, regardail la profession de pein- tre comme la jilus honorable qu'il y ait au monde. II con- naissait deja la fameuse prophclie; sa croyanre dans cette grandeur future elait telle, que, se trouvant dans une par- lie de plaisir, un jour de fete au village, sur le meme chc- val avec un de ses camarades, assez imprudent pour avouor que son pere le deslinait a ctre tailleur. West saula aussitot a has de I'animal, et s'ecria que le laiUcur futur lie pouvail avoir aucun rapport avec lui, qui etait appelc d devcnir peintre, I'cgal des rois et des empcreurs. Cos trans- ports freueliques so calmerent en grandissant, mais I'arliste conserva loujours la conviction de sa haute deslinee, et pent-ctre contribua-t-elle en partiea le soutenira Iravcrs les circonstancos bizarres de sa carriore naissante. Voici ce qui donnait ii la position de Benjamin un cachet toulparticulier. Malgreson extreme jeunesse, il fallutf|u'il poursuivil le chemin qu'il s'etait trace a I'aide scul de son enlhousiasme el de ses proiires forces. 11 n'a connu ni la misere, ni meme la pauvrete comme lant d'aulres jcuncs aspirants a la gloire, qu'elle a souvent conduits de bonne heure au lombeau ; mais, d'un autre cole, personne nc s'oc- cupa de son instruction , il out toul a faire par lui-mi'mc. Ses camarades dont nous avons parle, qui aussi manifcs- terent du gout pour le dessin, renoncerenl ,i Icur travail au bout de pen temps; lui seul devint un grand peintre, bien que ses forces physi(pies ne fussent pas au-des.sus des lours. Mais il possedait au dedans de Ini-mi'mc ci tie ar- dour, cette perseverance ii poursuivre I'objct de sesdcsirs, qui ont proiluit des mervcilles clicz tous ceiix dont les noms so placent ;i cole du sieii sur la liste des hoinmcs que nous avons vus s'elever d'cux-mcmcs, perseverance sans loquelle personne ne peul alleindre ricii de grand cl soo LE COURAGE MORAL d'lionoi'able. On a Jil, avpc verile, ([ue ks (iliis lieurcusos circonslanccs avaiciil favorisc West pendant liuit le cours lie sa vie d'ailisle. Mais a quoi ei'it servi cet lieuicnx lia- sard sans le talent qui sail en tiroi' ]iarti. Voici, la fdnpart du temps, le secret de ce qn'on appelle bonhcur. II s'agit dc savoir saisir I'occasion favorable quand cllc se presenle. West ne manqiia jamais d'aniis pour I'encourager ct I'ai- der, du moment oil la reputation de son merile s'ctendit au dela de son village natal , mais avant de se faire con- nailre et d'exciler aiusi I'interet, n'avait-il pas etc oblige decultiverses talents avcc un zeleinfatigable, lorsque, elant cliez son pore, il se Irouvait memc prive des clioscs neces- saires i son art'.' A quinzc ans,il allira ratlcniion de M. Flo- wer, liomme dc gout, qui demcurait a Lancaslre, ville peu cloignec de Springfield. W. Flower, apres avoir vu les pro- ductions du jeune artiste, qui excitcrent son admiralion, I'engagea a venir passer quclqucs jours cliezlui. Cetic visile fut Ires-proDlable a West : la gouvernanlc des enfants dc M. Flower, Anglaise d'un haul racrite, tres-versee dans I'art cliez les Grccs ct Ics Remains, dont Benjamin ignorait jus- qu'a rcxistcuce, se fit un plaisirde lui donner, ii ce sujet, quelques notions ]irccieuses. 11 fit aussi connaissance, a Lancaslre, de M. Ross, liomme inlelligent, qui avail une femme ct des fiUes d'une bcaute remarquable ; on convint que West ferait leurs portraits. II s'en acquitla si bicn, que plusicurs aulres personncs de la ville voulurcnt aussi se ■faire pcindre par lui ; son temps fut alors Ires-avanlageu- sement rempli. On ne salt pas s'il avail dcjd fait des por- traits avaul le voyage de Lancaslre, niais voici I'origine de son premier tableau d'bisloire. Parmi les gens de la ville qu'il voyait, se Irouvait un nonimc William Henry, liomme grave el instruit, ancien armurier qui avail fait forluue. Causant un jour avcc West, il lui temoigiiascs regrets de le voir employer son talent a faire les porlrailsde gens dont personne ne se souciail, si ce n'est la faniille qui les lui de- niandait, ajoutanl qu'il ferait un phis noble usage de son jiinceau s'il representail sur la toile' quclques-uncs des grandcs scenes historiciucs, el lui iudiquacomme sujet nia- gnifique la mort de Socrale ; puis il se mil a lire la vie do ccl homme si cbaleureusemenl ecrite par Plutarque. L'i- dee sourit ,i West; il .se mil aussilot a Tojuvre, etne tarda pas a terminer ce grand tableau. A peu pres a cello meme epO((iie, il renconlra sur son cliemin Ic docleur Smith, principal du college de Pbiladel- jiliie, qui enlreprit, au nioyen d'un cours .sommaire, de I'iuilier aux connaissances dassiques. indispensables au ))cinlre. Quoique le docleur Smith passat pour un homme aussi crudit qu'elegant, il prefera ne donner ii son eleve qu'une education tres-supcrlicielle; aussi ce qu'il enseigna de latin a West se bornail a bien peu de chose. Cependant ces lecons ont du lui etre utiles, parce qu'elles out servi a etcndre ses connai.ssances sur les fails de I'liistoire classi- que et sur la mylhologie. Au milieu de ses eludes, West tomba nialade, el fut retenalonglenips au lit: circonslance qui fut cause d'un nouveau developpenienl de son genie. Un jour, pendant sa convalescence, on crul qu'il relombait dans un violent acces de lievre, car il prelendait voir dis- tinclement sur le plafond une procession de fantomessous des figures d'boninics, de feinmcs, de cocbons, de pou- les, etc. Rien de tout cela ne paraissait aux yeux des gens qui lentouraieiil, ct Ions s'imagiiierent que le cerveau de West, nialgre sa guerison, (itait allaque. Voici le fait. Aiu-es avoir etc si longlenips enfermc dans une cliambre obscure, sa vue s'elait elenJue, et, s'accommodanl a la dimi- nulion de lumiorc, elle avail acquis la facullii de voir co qui clail invisible pour les aulres : ces figures du plafond n'etaient done, lout siinplcmenl, que la re|M-oduclion d'ob- jels passant dans la rue, qui se rellecliissaicat a liavers un trou place par basard dans le volet do la fenelre. En cffct. West s'expliqua tout le mystcrc, lorsque, se trouvant scul, il quilta son lit et visita la cbambre, bien decide a se ren- dre comple de ce pbcnomcne. Des qu'il en I fait sa decou- verte, 11 pensa qu'il y avail la uu principe dont on pouvait faire une application utile. II fabrii|ua IJienlut un appareil qui representail a volonte, lorsque lo soleil brillail, tens les objcls, et des portions de paysage ; cnfin il avail inveiil« la chambre obscure. Cependant quand il porta sa boilo a son ami Williams, a Pbiladelpbie, il le vil dejd en posses- sion d'un instrument du memo genre, qu'il venait de rece- voir de Londres, niais beaucoup plus parfait. Ainsi I'inven- tion de West n'elaitnouvellc que pour lui. II revint alors a Springfield. Lo pere jusque-la n'avait jamais songe que son DIsembrasserail serieusement la pro- fession de peintre, et quand bien meme il se fut babilue a cello pensee, il fallait encore lever les scrupulcs do ses coreligionnaircs. Jamais quaker ne s'elait encore fait ar- tiste. II y cut conseil de famille; mais on s'apercul que, non- seulement il serait impossible d'arrachcr le jeune homme a une carricre qu'il poursuivait avcc taut de passion , mais que sa mere elle-memc approuvaille cboix. Alors le vicux West imagina d'en appeler aux lumieres de ses confreres. II n'avait pas encore oubliii la proplielie, et complait tou- jourssurles haulesdeslinees do son CIs, sans rien deviner encore. II assembia done tons les mcmbres de la sociele, el leur fit I'expose des fails. M. Gall a donne, dans son ou- vrage, une longue description de la seance. Bornons-nous a racontcr que tons, a Funanimile, furent d'avisquole jeune homme fit usage des rares talents dont Ilieu I'avail done pour la peinlure; puis Benjamin entra : on lui declara qu'il faisail e.'iceplion a la regie generale, comme si lui out voulu consacrer la profession qu'il avail adoptee. Cello manicre elrange produisit sur I'esprit du peintre uno im- pression ineffacablc. Peu de temps apres, sa mere, qu'il aimait tcndrenient, mourul; el lorsque sa douleur fut plus calme, il quilla la maison palernelle, et alia s'inslaller a Pbiladelpbie, vers la fin d'aoiit 17oG, oil il s'annonca comme peinire de por- traits. II IroHva bientot de quoi s'occupcr. Apres avoir Ira- vaille toute la journee, il passait ses soirees avcc son vicil ami, lo docleur Smith, qui conliniia a lui donner des lecons d'histoire classiquc ct de lilterature ; mais il senlait que son education resterait toiijours incomplete tanl qu'il se Lorncrait ii I'elude des seules ocuvres d'art que renfer- mait I'Amerique. Depuis longlemps il ambilionnait de vi- sitor Rome, et mettait schelliiig sur schelling afin de pouvoir un jour accomplirco projel. Ilprenaildeux guinees(oOfr.) pour uno tele, et cinq (125 I'r.) pour un portrait jusqu'ii l;i ceinturo. II fallait done travailler beaucoup s'il voulaitmeltr« de ciJle en gagnant si peu ii la fois; mais il eut I'avantage d'acquerir en memo lemps une legerotc dans la main, une facilitc d'execHlion qu'il n'aurail jamais oblcnues s'il n'avait pas etc pousse de la sorto. Des qu'il pouvait disposer d'un moment, ill'employait aussi a eludier les styles grandioses dc I'art. On cite, au nombre des produclions de ce genre, la copic Ires-eslimee du lableau de saint Igiiace d'aprcs Murillo, qui lomba au pouvoir du gouvcrneur Uamilton, DANS LA JEUiNESSE. SOI par suilc (le la capture d'un vaisscaii cspagnnl. Cepcndant Wcsl n'allachait pas plus Jc prix a ce tabli'nu (]u'a ini au- tre, mais la copie frappa le docteur Smith, au point do lui domier I'cnvie de se faire pcindrc dans la inenie attitude que le saint. Pendant sa residence a riiiladclphie. West exe- cuta, pourM. Cook, un tableau ijuirepresentaitle Ji/ffcmenf de Suzanne, second sujet hislorique donl il parla plus tard avcc les plus grands eloges : on y voyait quarante figures toutes dessinees d'apres nature. II se dirigea ensuite vers Kew-Voik, la bourse assez bien garnie. Sa reputation lui ayant aniene una foule de modeles, il augmcnta sesprix du double. La vuc d'un tableau llamand representant un cr- mile en prieres devantunc lanipe lui inspira I'idee de faire le pendant : un bomnic lisant is. la Incur d'une bougie. II lui semblait difficile de rendre cet effet de lumiere sur un ta- bleau qu'on verrait le jour; mais il y parvint en faisant po- ser son aubergiste, qu'il placa dans un cabinet noir, un livre ouvert devant la bougie, pendant qu'il peignait au grand jour dans une cliambre voisine, d'oii il apercevait son modele a travers un elroit passage. Apres une residence de onzc mois a New-York, West ap]irit qu'un vaisseau partait de riiiladelpbie pour Leghorn, ou il Iransporlait du ble et de la farine, les rccoltes ayant etc mauvaises en Italic, cetle annec-la. L'idee lui vint aus- sitol de realiscr, par la r.enie occasion, son projet de vi- sile a Rome. Le docteur Smith en eut aussi la pensee, et rengagea a revenir proniptemcnt a Philadelpliie. Le pein- tre, au moment ouil recutla lellre, s'occupaita faire le por- trait do M. Kellg, negociant de New-York, dont le nom mi'iite d'etre conserve a cause de ses gencrcux prociides: apres avoir remis a West les dix guinees du portrait, il lui donna une lettre pour ses agents a Philadelpliie. Arrive danscettc viUe, I'artiste fut agreablement surpris en ap- prenant qu'il avait a recevoir, d'apres les ordres de M. Kellg, la somme de cinquante guinees. Sa bourse se trouvanl ainsi mieux fournie, il s'embarqua Ic coeur joyeux. Apres avoir louche Gibraltar et plusieurs autres ports des coles d'Espagne, West et ses camarades de voyage ar- riveicnt a Leghorn, d'oiiil parlit prom|itenicntpourse ren- dre a Home. Muni d'une foule de lettres adressees aux priiicipaux pcrsonnages de cclte capitale, que lui avaienl dunnees .MM. Jackson et Rutherford, les correspondants de sou ami M. Allen, a Philadelpliie, auquel le vaisseau et sa charge apparlenaient, il entra dans Rome, le 10 juil- Irt I7G0, acconipagne d'un courrier francais, que ses amis lie Leghorn lui avaicnt procure, afin de siipplecr a son ignorance de la langue italienne. Quand le bruit se rcpan- dil (pi'un jcune Amcricain venait d'arriver, et se disposait a eludicr les ouvrages des giands maitres, tout le monde savant parut intrigue. Lord Grantham (alorsM. Robinson), le rcncontra, le inena dans une soiree oii devaient s'assem- bler la plupart des personnes auxquelles ses letlres etaicnt a.lressces. Des qu'il parut, on s'apercut en general qua lexlerieur, I'etranger n'avait rien d'exlraordinaire; mais la aussi se trouvail, par liasard, le celebrc cardinal Albani, vieillard aveugle, qui deinanda naivement, lorsqu'on lui presenla West, s'il etait noir ou Wane : Son Eminence igno- rail que les Americains n'claieiit pas tous sauvages. Une fois eclaire sur ce point, il deviiit trcs-favorable a sa nou- velle connaissance, surtout lorsqu'ajires avoir explore le cr.inc du Jeune hommc (clant a ce qu'il parait, meme a cctle epo(|ue, verse dans la craimlogie), il le trouva adnii- rablemcnt bien confonne. Le jour suivant, West alia vi- siter quelques-uns des chefs-d'ccuvre tant vanfes, acconi- pagne d'environ trente personnages marquanls, cuiietu de voir I'effet que produiraienl sur le jeune quakcr loutcs ces magnificences. La premiere expression de sa surprise sembla confondre ct scandaliser ces connaisseurs ilaliens. Devant r.-lpo?/oj!, on pretend qu'il s'ecria : « On dirait un jeune Mohawk ! » L'epreuve ne fut pas favorable a West, car,malgre son talent nalurel, il lui manquailceque la cul- ture pent seule donner. Cependant, peu salisfait d'inspirer uniqucment de I'e- tonncment, parce qu'il elait le premier de ses compatriotes ou de sa secte qui fut jamais venu a Rome, il voulut nion- trer aux Ilaliens ce quit etait capable de produire avec ce pinceau qu'il avait appris tout seul ii nianier. II pria M. Robinson de poser : ce qui lui fut accorde sans hesi- ter, quoique Stengi, celebre peintre, le plus en reputation alors a Rome , eut deja commence son portrait. (Juand West eut Dni le sien , M. Robinson le fit porter chez M. do Crespigne, son ami, sans parler du nom de I'artisle. Le portrait fit sensation : plusieurs peinlres presents I'attri- buerent a Mengs, malgre le coloris qu'ils trouvaient pre- ferable a celui de ses autres productions. Mais M. Dance, I'ayant examine avec plus de soin, crut pouvoir aflirmer quel'ceuvren'etaitpas de Mengs. Iltrouvaiten effet lecolo- ris superieur au sien, mais en revanche le dessin ue pouvait enlrer en coraparaison. Cette discussion avait lieu devant West, assis daiisun coin du salon, en proie a la plus vive anxiete, ct lui etait transmise en anglais par M. Robinson. Enfin, M. de Crespigne devoila le nom de I'auteur a la grande surprise de ses convives italicns. Tous feliciterent chaleureusement le jeune Americain. Mengs, lui-meme, qui se riiunit peu d'instants apres a la sociele , examina le portrait, et fit |du mcrite de West un eloge aussi flatteur que franc et loyal. II se pint ensuite a lui donner de bons conseils sur ses etudes futures, disant qu'il n'avait que faire de vcnir a Rome pour apprendre a peindre ; mais qu'apres avoir examine tousles objetsdignes d'attirer I'at- tention d'un artiste, il ferait bien de visiter successivc- ment Florence, Bologne et Venise, de se familiariscr avec les productions des grands maitres rcnfcnnces dans ces villes, et de revenir a Rome peindre un tableau d'liisloire, I'exposer, et decider d'apres I'opinion qu'on en formerait la ligne qu'il aurait a suivre desormais. II y avait dej;i plus d'un mois que West habilait Rome ; mais, comme Salvator, il eprouva pendant son voyage des emotions si fortes , qu'il tomba dangereuscmcnt nialade. Les mcdecins exigerent qu'on le transporlal a Leghorn, d'ou il parlit quelque temps apres pour oiler consuller a Florence un fanieux medccin de cette ville. II ne se re- lablit qu'au bout de onze mois do souffrance, et resla dune faiblesse extreme; cependant \Vest, malgre sa tristo position, n'en poursuivit pas moins I'elude dc son art. 11 fit construire une table qui lui facililait les moyens do dessiner au lit, et des que ses forces le permettaieut, on le voyait manier le pinceau Mais cctle longiie maladie I'enlrainait non-seulemenl a de plus fortes depenses, mais I'empecha de rien gagner; ses fonds s'epuisaicnt. II n'etait pas encore relabli, et sa caissc ne rcnfermait plus que dix livies : un secours inat- tendu vint heureusemenl le tirer d'embarras. Un jour, sei premiers prolecleurs de Pliiladelphie, MM. Allen et le gou- verneur Hamilton dinaient ensemble, lorsrin'on remil il M. Allen une letlre de ses conespondanls etablis a Le- 502 I.E SAYOin- VIVnE EN EUROPE. ghorn. Api'es le compte ronJii dcs affaires, ils ajoutaicnl quelinies mots siir I'effcl jiroiluit a Rome par le portrait iiu'avait peinl West, de M. Roliinsoii. Encliante dcs succes de son comiiatriote , Alien pretcndit que ce jeune homme faisait honnciir a I'Ameriipie , cl qu'il voulait lui procurer tons Ics nioyciis nccossaires pour se pcrfcctioiiner dans scs etudes. « Je lui enverrai, ajoula le s^ercux negociant, 0 lout I'argent dont il peul avoir besoin. » Lc !,'OUVL'riieur, aninic des memcs sentiments, voulut contribucr a la lionne OEuvre, et quand West se presciita chcz son banquier, a Florence, pour reclamer ses deniiercs guinees, trcs-peu nonibreuses, il lui communiqua I'ordre qu'il avait recu de lui donner uu credit illimite. De Florence , West se dirigea vers Bologne, de la a Ve- nise, s'arrelant dans chaque ville aGn d'y etudier ISs ceu- vrcs d'art. Puis il revint a Rome, cl d'apres le conseil de Mengs, il executa deux sujets bisloriques qu'il exposa aux regards du public, et qui furent bien accuciUis. Ayant rem- pli le but qu'il s'ctait propose en visitant I'ltalie, il ne son- gea plus qu'a rctourner en Americiue ; niais au menie moment il rc^ut unc letlre de son pere qui I'engagoait a faire un petit voyage en Angleterre. West y consentit volontiers, et il quilta Rome, se rendit li Parme, oil il fut recu membre de I'Academie : pared hdnneur lui avait ete dcjii decerne a celles de Florence et de Bologne. Puis il ar- riva a Londres, le 20 aoiit nOo. 11 y rencontra , a sa grande surprise, ses vieux amis d'Amerique Allen, Hamil- ton el Smith : grace a eux, et aux lettres qu'il avait rap- porlees d'ltalie, il ue tarda pas a faire la connaissance de Reynolds et de Wilson, premiers peinlres anglais. Pcu de temps apres, cedant plus encore a sa propre conviction sur I'avcnir de son talent, qu'aux avis de ses amis, il pril un atelier, el commenca a cxercer sa profession. Peu de jours lui avaient suffi pour decouvrir que les chances de succes se presentaienl plus belles a Londres qu'ii Philadel- phie ; I'Amerique fut sacriDee. Alin de se faire connaiire au public, il reproduisit un des sujets qu'il avait choisi a Rome, el I'envoya a I'exposilion annuelle du Spring Gar- dens ( JarJins du Printemps ), I'annee 1764. Ce tableau ful generalemenl goute. Peu de temps apres, le docleur Drum- mond, archeveque d'York, I'invila a diner. Encliante de sa conversation et du genie qu'il reconnaissait dans ses ccu- vres, il Qt en sorle de le presenter a George III. Les fa- veurs dont Sa Majesle le combla ne laissereiil plus rien a desirer a I'artisle. L'enfanl qui avait su cultiver seul ses talents naturels se rangeail alors au nombre des peinlres les plus connus de I'epoque ; el quand bien meme la cour ne I'eut pas protege, il eCil Irouve dans le public un soulien plus genereux encore ; mais il n'aurait pu arriver aussi rapi- dement a cetle iudopendance que la faveur du roi lui pro- cura. Trente ans de sa vie furent spccialement employes d ciecuter les commandes de Sa Majesle. 11 complela les liuit tableaux qui traitaient de la vie d'Edouard HI, places dans la salle Saint-George a Windsor. 11 executa aussi vingt- liuit des tableaux qui ornaient la chapelle royale (sur Irente- six qu'on lui avait commandes ) , dont les sujels elaienl tous tires de I'Ancien et du Nouveau Testament ; niais il recut tout a coup, lors de la maladie du roi ( en 1809), I'ordre de suspendre les Iravaux commences : jamais, dc- puis,son pinceau ne fut mis en requisition. 11 s'occupa aus- silot apres de son magnilique tableau de Notre-Seigncur Jesus-Christ guerissant les maladcs ; lc Musce britannique I'nthela trois miUe guinees. Pas un des tableaux comman- des par le roi ne lui rapporla aulant. II fit plusieurs aulros sujels religieux, continuant a etudier et a travailler sans reliiche jusqu'a la fin de sa longue carriiire. Jamais il ne perdil I'habitude de se lever de bonne heurc ; ses journees se passaiont tonics de la meme manicre. 11 consacrait les licuros qui precedent le dejeuner, ainsi que ses soirees, a etudier lesujet qu'il sc preparail a execuler. Ilcnqiloyail le resle du temps a peindre. Grace a cettc prodigieuseacliviie, West produisit environ qualre cents tableaux a rhui|p,doiil plusieurs de tres-grandc dimension, etrenfermani unefoule de personnages. Ala mort de Reynolds, en1T!)l,West ful nomme president de I'Acadeinic royale in.sliluee en 1768. II remplit ce posle honorable jusqu'a sa mort (moins une annee), qui arriva le II mars 1820: il avait quatrc- vingt-dcux ans. Cependanl West, ayant sacrifie les autres etudes a celle de la peintiire, resta toule sa vie passablemenl ignorant. On assure que le president de I'Academie royale n'ecrivai I pas loujours correclemcnl; bien d'aulres que lui, il est vrai, se sont trouves dans le meme cas. Claude Lorraiii pouvait a peine signer son nom. 11 serait facile de ciler Lien d'aulres exeni|iles du meme genre. Puissent-ils scrvir a garanlir d'aulres intelligences passionnees des memes erreurs ; car on ne saurail Irop blamer ces grands arli>tes q\ii, doues d'uiie si vasle capacite, out neglige de cultiver ces connaissances lilteraires el philosopbiques si prccieuses aux beaux-arts, dont dies rehaussent toujours I'cclat en contribuant a leur perfection. LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE. SIMPLES COKSEIIS A CEl'X QUI ENTHENT SA^S LE UOiME I.A XiIONNE. Puisque les honimes onl fail leur revolution, il a bien fallu que les femmes fissent la leur; et si la revolution virile menace le se.xe faiblc d'effeuiller sa couronne el de briser son sceptre, pourquoi les femmes a leur tour n'es- sayeraienl-ellcs pas d'empieter sur le domaine des hom- mes el de se faire un royaume d'Araazones? Le temps des Ethelevina, des Malvina et des Rosalba est passe, legeres, fieres, hardies, cavaliercs, rieuses, moqueuses, avenlu- reuscs I L'eloquent George Sand a pousse dans cetle direction toule I'armee des femmes. On en a vu de ridicules au- pres d'elle, qui se croit le second homme de genie que son sexe ail donne a noire sexe; on en a vu d'absurdes el d'in- sensces qui reclamaient pour le baladlon feminin les honneurs de la chambre des deputes et les fatigues ste- riles de la legislature. Ce mouvcment a dure une dizaiuB d'annecs ; c'esl a peu pros I'ordinaire espace de ces meta- morphoses singulieres, le temps qu'ont dure les precieuses sous Louis XIV, les econonustcs sous Louis XV, les.Rencs sous la regcnce. II cclut loujours, a de ccrlaines epoques, dcs monslrcs sociaux d'unc espcce cxlraorJinQirc cl nouvelle, qui re- LE SAVOIR-VIV velcnt et annoncent un changcmenl des niocurs, une livo- lulion dans la vie nationalc. La lionne est de cc genre. La lionne est nee d'unc alliance pen legitime entre TAnijle- lerre ninderne et rindustrialismc constilulionnel. Elle est hautaine, glonense, vanitciise, innportinonte, goiirince comme la plus oulrue dcs farvcniies; elle fume, cllcdis- Rt: EN EUROPE. '*>' lionne. C'esl la fcmmc de rexageration et du faux , la fian- cOe du mensonge , la femme qui n'est plus fcmme. Grace a Dicu, elle nc pcut atteindre le but meme oii elle vise ; elle ne ditruit .jamais qu'a demi les dons de la nature, et n'est infidele qu'en parlie a sa mission d'epouse, de fille et de mere. On a vu des lionnes s'altendrir, on en a vu traver- ser les phases du sentiment et du roman; on en a vu meme qui fiuissaient par causer naturcUement , et qui consen- taient un beau jour a marcher sur la terre avec les mor- tcls. 11 en est qui , dans lalmosphere la plus nebuleuse , ont garde quclques senlimenls humains, et que les donees faihfesses ont transformees. Pauvrcs lionnes! Que Ic salon lour soit clement et favorable! lui seul peut les racheter encore, el enlourcr d'indulgence leur triste el inutile me- tamorphose. En definitive, c'est liien la chose la plus desagreable el la plus contraire au savoir-vivre que la lionne ! serle, elle perore, elle meprise, elle dedaigne, comme si elle avail fait loulcs ses etudes dans les couloirs de la chambre basso. Elle nionte a cheval comme u.ie aniazone de Fran- coni ; elle se connait en cigares comme le planteur le plus cxerce de la Trinidad, en politique comme un redacteurha- bituol do premiers-Paris; quelquefoiselle pousse jusqu'a la ihoologie, el il lui est arrive de se perdre dans lanielaphy- sique allomaude. Le but, pour elle , c'est de ne pas cire fenimc; elle tente un essai impossible pour passer a I'etat d'homme ;elle ne reussiraprobablementpas, mais elle aura I'honneur de lavoir enlrepris. Certaines facultes se sont aug- menlees et accrues sur elle, au detriment de certaines aulres. L'espritet le eoeurse sontaffaisscs; en revanche, lesjarrels sontdevenusd'acier, le front est devenud'airain, I'estomac est excellent, et le gosier solide. Les perils du duel cl ceux de I'hippodrome n'ont rien de terrible pour la lionne. Elle affronte la chambre desdoputes dans lesjourscaniculaires; elle acccpterait meme I'Acadoraie , pourvu que ce fit un jour ou I'erudilion doune, ou les plus riidcs sujets soul trailes, oil la poussiere dcs tondjcs luJiennes est secouee, ou Ton parle de Ramayana, de Vishna et de Brahma. La lionne aime avant tout ce qui est etrange. Paradoxe vi- vant, elle ne se conlenterait de rien do ce qui distingue el Caracterise le vulgaire des femnies. Au lieu d'une otto- mane, un cheval fougueux ; au lieu du parfimi des fieurs, le tabac de caporal; au lieu de la musique telle que Rossini ou Weber I'ont comprise, les hurlcmentsd'airain do nos instruments les plus redoutables; au lieu d'une poesie qui eleve et epure I'ame, une poesie alcoolique qui I'infecle el ct UQ drame boursouQe qui I'epuise : voild ce qu'aime la CONVERSATION DES nOMMES DE LEITHES. Ce n'est pas assez d'avoir de I'esprit el meme du talent, il faul savoir vivre avec ses semblablcs, et leur plaire. Les auteurs, en general, ne passent pas pour briller dans la conversation. Plusieurs meme, remarquables par la vivacitc spirituelle de leurs ccrits , ne rout pas moins ete par leur nuUite dans un salon. La Fontaine en etait un exeniple frappanl. On raconte qu'un grand personnage I'ayanl un jour invite a diner dans I'espoir qu'il cgayerait les convives par ses saiUies nalves, le poete mangea comme un simple mortel, et ne dit pas un mot pendant tout le repas; aussitot apres le dessert, il prit conge pour se n^ndre a I'Academie ; quolqu'un lui ayant fait observer qu'il arriverait de trop bonne Iieure : « Eh bien, alors, repondit-il, je prendrai le plus long. » Un autre jour il dinait avec Boileau , Racine, et d'autres beaux-es- prits parmi lesquels se trouvaienl plusieurs hommes d'E- glise; on vint a parlor de saint Auguslin et de ses reuvres. La Fontaine, sortanttout a coup d'un long silence, demanda du plus grand sorieux du monde, a son voisin, s'il croyait que saint Auguslin eiit plus d'esprit que Rabelais. L'abbc, I'ayanl exauiine des pieds jusqu'a la tete, lui dit pour toule reponse : « Monsieur, vous avez mis un has a I'envers. » Et c'elait effectivemcnt vrai. Mais voici la meilleure preuve qu'il etait incapable de suivre une conversation. Un jour, dans une reunion liltoraire, il venait d'esprimer son aver- sion pour les apartii dans une ceuvre dramatique, et les declarail absurdes, tout d coup il toniba dans une de ses profondes reveries. Boileau profita de I'occasion, et pour prouver qu'un aparle est admissible sur la scene, il de- chira pendant plus d'un quart d'heure le pauvre la Fon- taine , et mil les rieurs de son cote, sans que celui-ci eiit la moindre idee de ce qui se passait aulour do lui. Tout le monde connait ce mot si spirituellcment original de Mmede la Sabliere : u Jlon pauvre la Fontaine, vous sc- riez bien bete si vous n'aviez pas tant d'e.spril. » On sail aussi quo le fanicux Addisson n'avail pas non plus une conversation tres-interessante; il s'en eicusait en se comparanl a un capilalisle qui dispose de grosses som- mcs, et n'a pas de petite moonaie. 11 etait tres-iiabile ob- LES' l\iILLE £T UNE NUITS DEUr.OrES ET D'AMEKIQUE. LES MILLE ET CNE NUITS D'EUROPE ET D'AMERIQUE, 304 servnlfur lie cc qui sciiass.iilniUourdelui,mais exprimant fori mal, do vivo voix nii moiiis, scs proiirps pcnsa'5. Doscni'tcs, cc grand gcnic, iie poiivait pasdescoin!i-o iiis- qu'a la convci'salion. On disait dc lui qii il avail rc(;ii do la nature licaiicoup d'cspi-it en lingols, mais qnil n'cn avail pas en monnaie. El c'cst l;i sans doulc qn'Addisson a pille sa modcsle excuse. Nous pourrion? ciler dc? anccdoles do ce genre prcsque a I'infini sur Ics plus grands gonics de Ions les pays; dc la vicnt I'opinion gencralcnienl adniise que les autcurs el les philosoplics n'onl pas I'esprit dc la convcrsalinn , ct de la sans doulc aussi celle maxime dc Monlesquicu , quo moins on parle, el plus on pense. II est copcndanl facile de Irouver des cxomplcs tout aussi romarquahlcs qui prouvent inconlcslaldcnienl quo la laci- lurnitc n'cst pas la compagne oliligce du gcuie, el que Ton pcul brillcr lout a la fuis par rinlclligcnce dcs clioscs se- rieuscs el par uno conversation spiriluclle. Voltaire n'ctait pas moins cclel)re jiar sa conversation vive et mordante, que par scs nombrcux ecrils. Qui no sail que Byron , ce pocle par excellence, etait plciii d'amabilitc dans un salon? cl s'il en fallait des preuves, le lemoignago de la comlcsse dc Blessington ne saurait elre revoquc en doute. Walter Scott ctait un causcur cliarmaul; il racontail avec cspril et d'une manicre piqunntc une loule d'anecdoles, et, chose remaniuable, il ne so repctait jamais, on du moins no ra- contail jamais une cliose deux fois dc la meme maniere. Le prnfcssciir Wilson etait plein d'eloquence en public et d'a- mabilitc dans le tele a tele. Lc fameux Johnson parlait en- core niicux qu'il n'ccrivalt. Boileau et tant de beaux-esprils de son temps parlaicnt aussi bien qu'ils ccrivaient, et Texcmple de la Fontaine est une exception d'ou Ton ne saurait tirer une regie. La conversation de Franldin (tail plcine de charme; die rcspirait une douce gaiete ou sc peignait une belle anic, et un esprit enjoue autant que cultive. Lc grand naturaliste Cuvier fascinait son auditoire par sa parole puissante commc il rintercssait par sa pro- fonJe erudition. En general, les philosophes et les savants habitues a se livror a Icur meditation sonl taciturncs quand ils se trou- vent avec dcs personncs donlle ba'bil insigniliant Icur est a cliargc. Mais quand ils sont reunis en un ccrclc choisi, Icur conversation s'animc et prcnd un cssor qui entrainc et at- tache malgrc eux ceux qui les cntcndcnt. La conversation du pedant est seche, aride et tcclinique; cellc du vrai savant est clairc sans prctenlion , et son lan- gago descend a la portce de toutes les intelligences ; il amuse en inslruisant, 11 a deja cessc do parler qu'on I'ccoule en- core. De tout ce qui precede, nous pouvons conclure que la rcpulation faite aux auteurs d'etre insignifianls dans un sa- lon est loin d'etre fondee. On pout elre savant sans elre distrait, comme on pent elre distrait sans ctre savant, commc aussi les verilables savants nesont pas pedants : le pedantismcaccompagne le charlatanismeet non la science. El si Ton rcgardait de bien pros, on vcrrait que dans toutes les classes de la socicte, il y a plus de pedantisme et de pretentions que parmi les auteurs dont les veilles ont ele consacrees a I'instructiou et a ramuscmcnt de Icurs sem- blablcs. CUOIX DES IIEILLEDBS COKTES ESPAGSOLS, ALLEM.ISDS, ASGLA15, AMEIUCAISS, ETC., ETC. (1). liiirjuicmc Hult. KICDIH-RICDON, COSIE pic.vr.D. (Suilc. Un grand seigneur d'une cour voisinc, qui etait am- bassadcur a la cour du roi aupres duquel vivait Rosanie, s'cmpare de la pauvre jcune Bile. Le prince en est instruit lc Icndemain, et se met a la poursuito du ravisseur. Ce- lui-ci avail plus d'une journce d'avance, et quolque dili- gence que fit le prince, s'elant egare dans les bois, il se trouva le lendemain engage dans une forel, el reconnul, a travers les arbrcs, un chateau abandonne, dans les ma- , sures duquel il apercut cependant de lalumiorc; il allacha ■ son cheval, et s'approcha du lieu cdaire. (Jncl spcclacle ! une asscmblee de sorciers,un veritable sabbat, auqucl pre- ' sidait un demon hideux, qui racontail a scs compagnons ses exploits, et se vantait de I'esperance d'avoir, en pen de jours, a sa possession, la plusaimablcpcrsonne du monde. ■ « Je lui ai, dit-il, donne une baguette magique, qui lui pro- cure actuellemcntde grands succes; maisje me suis reserve , le moyen de la punir dc son bonheur passager ; je nelui ai dit qu'une seule fois mon nom de Iticdin-Ricdon ; elle la deja oiiblie, et elle est perdue. Je liens Rosanie; et vous pouvcz d'avance, mes amis, m'en faire compliment, d'aulant plus qu'ellc est princcsse ct Bile d'une fee ; mais elle ignore sa naissance. » Le prince, aussi ctonne qu'in- lercssc par ce spectacle et par ce rccit, s'cloigne avec furcur; et dcs que la poi.ite du jour cut paru, il rcmonta a cheval ct conlinua sa poursuile. Enlin il trouve ct at- teint ses ravisseurs, les combat, les dissipc, pcrce de son cpee le cceur de Icur chef; el, quoique blessc, ramcnc en Iriomphe Rosanie a la cour de sa mere. Le prince ne put s'cmpcchcr de declarer ii scs illuslres parents quelle clail la sincerile dc ses.scniiinenis pour I'aimable pcrsonnc qn'il venait de dclivrcr. L'opinion oii Ton ctait quece n'etaitqu'unesiniple paysanne lit oppo-er, de la part du roi ct de la rcinc, la plus vive resistance aii projetque le prince avail forme dc I'epouscr; mais I'arri- vee a la cour d'une dame suivie d'nu Iraiii niiigiiiliquc, que Ton reconnul bienlol pour la rcinc Itiaiilc-lmnge, ipii etait fee, cl veuve du roi Plan-Joti, leva toulcs les dil'ii- cultcs. EUcmenait avec elle un vieillard, que Rosainc rcconnut pour celui qu'ellc avail loujourscru son pere. 11 cxpliqua par quelle suite de circonslances il avail eleve cctti' en- fant comme etant la sienne, puisqu'ellc apparlcnail a la reine qui venait la ri'clamcr. II indiqua a quelle marque cerlaine on pouvait la rcconnaitrc : c'clait une rose tres- bien formee qu'elle devait avoir sur lc bras, au-dc.:sus (4) Voj. ouracroVUl, p. 255. PETITS VOYAGES SUn LES RIVIERES DE FRANCE. 30j (In coiule. On vi'rilin colic iiiarquc ;i laqudle clle dcvait son nuni, cl il'a|)r6s laijnollc clle I'ut rcconnuc de lout le iiionJe. L'alliaiiL-e devenait si sorlable |iour le prince, qu'ellcne souffrait pins aiicune difficuUe. Cepondant la princcsse pai-aissail encore plongee dans inie profondc reverie. Le prince la pressa vivenieni de lui en declarer la cause, ct lira d'elle I'aveu de son liisloirc r.vec I'liommc verl, et lui apprit en nienic temps qu'elle ;ivait oublie son nom. II sc sonvinl parfailcment de I'aven- tnre de la masure, et rappcla si Lien a la princcsse le nom i,u'elle avail onblie, (prcllc I'nl absolunient rassurce. Le lenilemain, jour de Icnrs noccs, an milieu du Lai qui se donnait acctle occasion, I'honime verl parailet s'approcLe lie la princcsse. Elle ralteud sans s'emouvoir, el lirant de son sac la hagucllcelle la lui rend, en luidisanl : Tciicz, [iicdin-Ilicduti, vuild voire biiijnetlc. Le demon, fnrienx, jclle no grand cri, se forme en lour- Lillons de I'nnu'e noiro, disparail, ct ne fait d'anlrc mal qnc d'elcinJrc quclques bougies et de casser un carrcau de vi'.re. — La naivcle do pay^an |iicard avail mediocreujent phi a Sa II nilcssc, qui, vers le milieu dn conic, s'elait parfailc- ment cndormie.et cpii nc munagca la vie meme du pauvre liiiunne que parce (|u'il avail disparu longlemps avanl que cc Icn ible mailre se ful evcille. |>ET1TES MORALES. Dcny.5, lyran de Syracuse, elail nn prince iuipie cl ne craignanl pas Ics dicux ; il enleva ii Jupiler un manlcau d or massif, en disanl qn'il clail bien lourd en ele ct Lien fniid en hiver, ct lui en mit un de Idine, sous prelexle qu'il scrait meillenr en lontes les saisons. — II priva Escn- lape de sa barbe d'or, alleguanl qn'il n'elait pas juste que le fils eut de la LarLe, tandis qu'A|iollon son pere n'en avail pas. — Unc autre fois, il Ironva des taLles d'argenl dans mi temple, nvcc cctle inscription : ^113; Dicux bonsl « Profilons, dit-il, de leur Louie, n El il s'en enipara. Un jour, dit Bcrnardin de Sainl-rierrc, elant alio avec Jcau-Jaciiues Rousseau prnmener an Slonl-Valericn, quand nous fumes parvenus an bant de la monlagno, nous for- mames le projet de demander d diner aux crmilcs pour noire argent. Nous arrivamcs chezeux avantqu'ils se mis- scnl a table; et, pendant qn'ils elaienl a reglisc, Jean- JaCi[ues Rousseau me proposa d'y enlrer eld'y faire noire priere. Les ermiles recilaicul alors les iilanics de la Provi- deiice. Apres que nous cumes prie Dieu dans iinc pdile cliapelle, cl que les crmilcs so furcnl acLcmincsii leiir rc- fccloii'C, Jean-Jacques me dit avec altendrissemenl : « Main- lenanl j'eprouvc ce que Jesns-Clirist dil dans TEvangile : « (Jnand plusicurs d'enlre vous seronl as.scniLlcs en mnn « nom, jc serai an milieu d'eux. » II y a ici 1111 senlimcnl de paix ctde Lonlicur qui peneiie Tame. » Jelni disaloiv: n Si I'emjlon vivail, vous soiicz calbolii|uc. n II me repoii- dil liors de hii cl les larmes aux yeux : u Ali ! si runelon vivail, jc cbcrclicrais a eirc son laipiais, jiour merile.r un jour d'etre son valel de tliaiiilirc » Une pcrsonne d'csprit vent que vous recoutiez, une pcrsouue aimablc vous eeoulo. Connailre lout le prix dn temps, dit madame de Gcnlis, c'csl .savoir vivrc. Un sommcil agile par des songcs ]ieiiiLlcs ne laissc que de la fatigue et un souvenir dcsagreable. II en est ainsid'une longue vie qui a ele mal employee. Notre religion, si belle, si grande, si noble, doit aug menter les talents, puisqu'elle exalte toutes les verlus. Inspirc-t-elle le courage , on s'offre sans crainlc ,i la mort, souvent meme avec joic; on supporte les lourmenls avec une patience inebranlaLlc. Lesniissionnaires qui clicrchcn' a allumcr le flambeau de la foi cLez les idiilalres ct les saii- vagcs en sont tons les jours un admirable cxemplc. L'liu- nianile, la compassion sonl-clles forliliees par la piele, on Iraverse les mer;, on s'cxposc a tons les dangers, dans le scnl cspoir d'etre ulile a scs semblables; on se charge do Icui's cliaincs s'ils sont esclaves ; s'ils sont maladcs, on sc di'vouc, dans un bupilnl, aux devoirs les ]iliis penibles el les phis rebulanls. La grandenr d'lime esl-elle perfcclionneo par la religion, on jiislilic en secret son ennemi, son per- seciileur ; on Ic defend, on le serlsans qu'il le saclie ; on le sccourl dans le inallienr, on Ic previenl, on le console, on raimc. Enfin, Ic de>iiilercssemcnt csl-il le fruit d'une emi- nenlc ]iide, on donnc ce qu'on possedc aux pauvres, on sc deconvic |.our convrir eeux qui out froid; on met en pratique celte parole de I'Evangile : « Uonnez a manger a ceux ipii out f.iim, a Loire a ccux qui out soif, un logis a ccux i|ni sont sans asile, ct vous scrcz Leuis de mon pere, car la )dus Lcllc dc tonics les verlus est la cliarite. » II est jiisle qn'iinc verlu si ulilc aux autres le soil encore a nons- niemes diis cctle vie on le bonlicur ii'est jamais pur et .sans melange. Sans la piele, que deviendrait I'elre opprime, llclri, deconrage ]iar une longue suite de revcrs cl de mal- bciirs? Ils'aLanilonnerail an dcsespoir, car Ics amis s'eloi- gncnldansla doiihur, et ilreslerail seul, Lsoleetinecomui. Mais si la religion I'eclaire, il supporte scs maiix avec pa- tience; si ellc renilamme, il les Leiiil cl Ics offrc a Dieu ; mais c'csl snrlonl an moment de la mort qu'elle vienlforti- licr le courage, en monlranl le cii 1 ipii douiio la recom|iens3 pour une vie Lien employee. C'est le mechanl qui nieuil. I'homnie de Lieu s'eudorl. On reparc cpielqucfuis le mal qu'on a fail, jamais ccliii qu'on a dil. PETITS VOYAGES SUR LES PRINCIPALES RlVliiRES DE FRANCE. I.A I.OIHE, SCS BOliDS ET SES SOUVESIBS. Voici TAiijou, qui succcde avec sa ferlilile puissanlc et vivc, gracieii-se el cnergique, aux aspects ravissanls dc la Toiuaiiic ; Saiimur, .\iigers, le pout de t'.e , Saint-l'lurent, 50G PETITS VOYAGES Jiassont sous nos yoiix. Pour((noi cede nolure tout a I'liciirc I Cielasne. Nous avoiis mis lo pied sur cello vicille tevrc ar- si rianlc Uevicul-cUc ajn-c el iiresinic sauv.igc? Voici la I inoricaiue, (iui a doniie naissaiice a laul a'liomnasccieljies. Saint-Fiorcm. Lcs trislos souvenirs de la guerre de la Vendee allrislenl eiirnre cos liocagcs ; niais que de souveuirsherniquesy sonl nii'les ! A Saiiil-Florciit , par exemple, ou les armees rcpu- lilieiiine el royalisle se soul lieurlecs xvcc lant do violence, cl ou trnl de sang fraucais a coule. On nc larde pas a s'cn- f'ourcr au caur menic de la Erclaguc, curicux ct admirahh noyau de I'ancienne France, nolle pepiniere de noire gloire el de noire virilile nalionales,doiilM. Pilrc-Clievaliera Irace recemnienlun si excellent tableau. Voici leporlrail caraclc- risiique de I'un de ces vieiix paysans des coles brclonnes, au costume hcrcdilaire cl venerable , a la figure fine , sa- gace ct loyale. L'cciivain que nous avons cite a merveilleusement ana- lyse les varieles si curieuscs des populations brelouues, el nous ne pouvons niieux faire quo de rcproduire ici lcs pages de eel ccrivain , deja I'lioniieur de noire jeune liltc- ralure, el auquel sdiiI rescrvees des desliuees si belles . Lcs paysans de Trcguier soul lcs Alkmands de la basss SUR LES niVlERES DE FnANCC. Drol.ignr', pnnime I'.n si Ijieii ilil M. Soiivcslrc : figm-os nvc- ii.iiilos C't nnivos, cnrnclniTs iiisniicinnls, coours placidcs, rsprils socioliU'S, que la civili-alion p.'ignc ro|iiJcmi'iil. Wiinirs Pl coslumcs vonl s'efl'aiMiil Je join- en jour siii' cclle iiiai-clic has lircloiine , a pciiie defi'iulue |iar la langiie (iiie clianlpnt les klocr. Los Moiliihaniiais ont garJii los males rt nidos figures, Ips iiinniirs siivcros el liclliijueusc^, los lialjils sonibros ct llollanls des Cliouans linirs aieiix... lis offroiil i|iicl(|ii('S su|iprLos races d'honinies; mais los remmcs y soul regti- liorenient laides, il rcxeoption de cellos des cotos, lelles que les lilies d'Aurny el coUes des iles. II n'y a pas, au con- Ire de ce pavs, une piorre, une I'onlaine, tin carrofonr, un nrliro, nn brin d liorbe qui n'ait son esprit surnalurel el sa logonde plus ou nioins druiilique. L'liabit dn paysan de Vannes est a pen pros lliabil a la frnnraise. La dimension, ou rabsciice des basques marque la diversilc des canlons. Les roulours fonceos dominenl presipie parloul. L'absurde panlalon delrune de jour en jour la braie gauloise. Mais le grand cbapeau lienl lion ; les ills des Chouans ainionl ce sombrero national Les marins ont le costume de lour clat ; la veste el le cbapeau decuir. Les femmes portent la taillc trop baute, ce qui nchcvc de les enlaidir, — toujonrs les Alreennes el les lloises, qui se mcltent fort elegam- meiit. La plupart oul des jupcs ile dossons ccarlalos. Ires- pilloresques sous la robe rctroussiic. Leurs pelits nianteaus Icnr couvreut la tote el los epaules. La Cnrnoiiailleconiple nutantd'iisages.de typos el do ens- tumos que de paroissus. 11 faut renoncer a les dotailler. Los montaguards y sont vifs el parlours, pelits cl infaligables comme lours chevaux ; les bnmmes des cutes, silencieux el farnucbes comme I'aspoct de leurs borizons. Le paysan de Carbaix, mofiant et sanvage, se revoltcrait encore volon- tiers comme au lenqis du chanoine Moreau. De Quini- por a la cute, la reserve sournoise des figures contrastc avec loelat des babils. Dans les donees campagnes de Ouimporle, le Kernewolc est plus souriant et jdus ex- pansif. 11 se laisse allcr a la luUe et surloul ;i la dansc. (Juand le bautbois du celebre Matburin retentit pour une noce, loules les orciUcs se dressent de joic et lous les picds sonl piques de la tarcntule. Le jcune gars lire dc I'armoire sculptee le petit chapeau ;i cbenilles, I'ample bragow-braz, les vestes cl les guetros brodces, le pcn-bas a nccuJs, la ceiuture dc cuir ou de laine ; la jenne fiUe met, dcvaut son polil miroir, la coiffe a barlies role- vees sur un scrre-totc eclatant, los jupes superposeos avcc grace, le corsage d'ecarlale ctde velours lace sur la poi- trine, la fraise ou le ficbu de mnusseline, les has li four- cbeltes cl les souliors ronds. Voila nos galanis partis pom- le plaisir, tlDieu sail quand et comment ils roviondront; el si ramliassadenr d'amour n'ira pas le loudemain doman- der la penncie: en innriage I Les communes dc Fouesnnn, de Concarneau, de Ponlaven, etc., renformont les plus beaux costumes et les plus belles fillcs qu'on puisse voir. Cost la ([u'on rencontre cclle grace brelonne, si adora- blomcnl naive, si finement cnergique, qui a trouve scs poi'les, mais qui attend encore ses peintres. L'babilant du pays de Leon est gomJralemenl grand et liiajcslucux. II a la figure allongce, la demarche soleuncllo, la parole leute, les habits noirs et flottanls sur une cein- Uire rouge. Son large cbapeau laisse a peine enlrcvoir son regard calme el severe. I'ersonne en Brclague ne porte les cbevcux plus longs. Les femmes sont vcUies dc noir el de blanc, et leur deuil est bleu de del. Nous avons dil cillrurs que cclui des veuves de la Cornouaille est janne. Los Leo- nards, comme dit.M. Souveslrc , porlcnt plutollc deuil de la vie que de la niort. Chez cux, lout est profondemont chrolion. lis ne cessenl de prior dopuis le borccan jus(|u"a la tombe, dans lours jnies comme dans lours peincs, dans lour maisnn comme dans celle de Dieu. II faut que le prolre hoiiisse pour eux le toil qui s'clevo, la grange et I'aire nouvos, le champ defriche.. les tresors de la recollo ct de la moisson. A partir de Hoscuff, en snivant la cole, on rencontre ccs populations sauvages dc pillenrs de mer, qui ont renoiice si diriirilcment aux anbainos du droit de bris. On los re- connait a leurs jambes nues cl ncrveuses, a leur jnpon de borlingue, a leurs largos braics, a lour polite cab)Ue blcuc, ct surtout au regard dc faueon qu'ils jellont encore sur la mer aux npproobes de la tenipotc. — Les habitants des iles semecs autour de cos coles mal famees sont colebrcs, au contraire, par la douceur de leurs habitudes patriar- calcs. Les femmes de Balz sonl un type admirable de force ct de grandeur ; elles lahourent et ensomencenl la lerrc pendant que leurs maris, qui scmblent d'une race iufe- rienre, fumenl leur pipe ou gucttent le poisson sur lo rivago. Les Uiens sont, avec los montagnards, les fire- tons les plus attaches au pays nalal. Le caractcrc general des Bretons se compose de cinq vortns ct de Irois vices. On voit que le bien I'emporte presquc de nioilie. Los vortus sont : I'amour du pays, la rosignalinu devanl Dieu, la loyaule devant los bommes, la persovorancc et rhospitalile. L'amour du pays | qui cnnqirend le cnlle du passe | est dans le sang de tons les cnfanls de rArmorique. 11 fait perir le consent ou le ma- tolot de doulour, loin de la lerrc natale, nvant que les hallos rallcignent ou que les vaguos I'engloulisscnt. II opanouit les visages ct les cn-nrs bretons, qui se rccon- naissenl sur lous los points du monde. 11 nous arrncbe des larmes cl des oris de jnie , comme au sauvage do I'Indc, des qn'un bruil, un mot, un parfum nous font songer a la palrie. El le Breton n'aimc pas sculemcnt ainsi sa province, mais son clocbcr, son toil, son foyer, le lit ou 11 vent mourir aprcs scs aieux. li cole de ses cnfanls. La resignation devant Dieu est tonic la religion du paysr.u de I'Armorique ; nous venons do le prouver par le la- bleau de sa vie et dp. sa morl. La Inyaule brelonne rst proverbiale : uiais c'cst ii tort qu'on en fait le synonyuio de la franobise. Cello (pialite. dansle sens d'cmverlnri' i!e ca'ur el d'esprit, n'appartienl qn'au Brcloii civilise, qui la pousse, il est vrai, jusqu'i'i I'audace et la contradiclion la plus opiniatre. Ouanl au paysan broton, il est droit et loyal, mais nulbnicnl ouverl. II ne monl pas , mais il ne dil iii oui ni non. II est aussi difficile de lui fairc dire cc qu'il ponse qn'inqiossible de lui faire dire ce qu'il nc pense pas. Son elat normal est la defensive. Voyez ses champs, ils sont clos d'enormos talus surmontos de plus cnormos baies. Voyez sa niaison, elle est formeo a double porte ct a triple sorrnre ; le jour y enire a peine par une lucarne eiroilo. Voyez son lil clos, si digue de ce nom : ne pourrait-on pasmome I'appcler un coffre ou une armoire? Voypz enfin ses veteiuents multiples qui renvolopiicnl, bomnie ou fomme, des pieds a la tele, comme aulant do cuirasses impouolrables? Eh bien, sou amc n'cst pas moins close que ses champs, moins barricadce que sa mai.sou, moins mystcricuse et sombre que sin lil, moins cuiras- 508 PEllTS VOVAGCS SUP, LES sec que S.1 ppi'sonnc, vis-a-vis do I'l'Mrniigoi' r|iii no liii p.Tilo point s.\ Inn^'iicnintornollo. Cello rosorvc Ini [ail.ip- plii|ucr la pudour jusqiraux sciilimonis Ics pins lionornhlcs. Psous avons vn imo more rocovnir fi'oidoinonl son liU do- vanl nous apres dix ans d'al>sonce, puis s'ovanouii' do Icn- drcssc enlrc sps bras lovsr|u'i'lle so oroyail sans lomoins. Cost la do la dignilo pcrsfMiiu'llo la plus nd'iim'c ; el lo si'n- limcnt qni a tonjonrs lonu la nolilossc liroloniic l;j:n dis inlrisncs el dos favcnrs n'a pas d'aiilrc orijjine. C'osl ilans Ic nionio orguoil c|nc le Dri'ton pnise cello tenr.oilo iialio- iialc, — qui a rosislo lanl do siiiclos a Inulcs Ics linniinnlions, qui a fait snr^'ir Knmiiioo dcvanl los mis francs. Alain Bai'lic-Torle dovanl les lioiiinios duN"cd,Anno do Crcla- gno dcvanl Louis XII, le pailomonl dovanl Louis XIV cl Louis XV, Ics Chonans dcvanl la rcvoUilion, el M. do Clia- Icauluiand dcvanl Bonaparlc ; — cello lonacilo qui anuc encore nos paysans conlie los formes do noire civilisalion, qui fail do nos soldals el dc nos marins d'Armorique dcs iiivii;ii::s i3E fuakci;. linuimos i;ifaligaljlcs. Irs dcrnicrs doljonU'onlrc Ic for lC ronuomi cl coiilre Ics assauls dc la lcinpc:c. L'ln>s|iila'il6 est si nalnrcllc au Dreion , ([u'cvilcr son scuil ct sa laldo est ui:o insnltc mnrlcllc. Ccllc vcrtu prosidc aux noccs pnlriarcalcs, aux tr.".vaux ou coninuin, an\ socours mnlnols onus Ics cprcuves, a mille usages enqUTinls do la clincilo la plus loncliaule ; mais olio a le grave incon- venient d'cnU'clonir cii Brotagne colic mulliludo dc mcn- diants d(nil la paresse vit aux dcpcns du travail d'anlrui. Lcs vices dcs Brcloussont, clicz beancoup, I'avarice; clicz prcsjuo Ions, lo mcpris do la fcmnic ; cliez Ions, I'ivro- gncrie. fdais qui n'cxcuscrail pas ccs vices conimujis a tons Icnrs parcils, on dcs liommes qui out luut dc vcrtus eliau- gcros aux aulres paysans ? C'esl dans ce nohle cl severe pays que la Loire cgaro les dcrnicrs llols de son cours, noMe el majesiiieuse a Nantes, aulanl qu'elle etailpittorcsque ct sanv.'go a sod origiiie. Names. On sail de quel c.-mimcrcc llorissant cl de quelle liono- raldo opulence jouil cello grande villo, si rcnuanpialde a la fois par I'industrie, rinlclligence ot la Inyanlc. Do la s'o- lanronl do hardis vaissoanx qui couront inccs'^amnieul lcs mors. Si vous oonnaissez quelque !)el esprit qui refuse alisolii- incnt sa sanclioo el son cui^enlonicnt a tonio elymologie, conduiscz-lc a Nanlcs , faiies-lui traverser la viilo en to:is sens, faligucz-lc en lo condui.-ant sur Ics pools si nnm- lu'cux qn'on y a conslruils. monlrcz-lui lcs dilTereiilos pc- lites rivieres (pii sillonncnl les quarliers, ct, qnaud il vous parlera de tous ccs jionts, d(unandcz-lui s'il ne sail pas quelque analogic enire lo mat iNaulcs cl lo momc mot si- gnilianl en laugne cellique cau cmirnnte. Cello etymidogie est trcs-vraiscmlilalde , el d'aulanl plus probable, que la ville, quoiquc siluoe ,i dix lieues de la mer, csl un port ma- ritime dc haute importance. Placce sur la Loire, qui Ini ameue du fond do la France dcs cbargcnicnts complcls do marcliaudiscs, cl dont remboucbure est asscz large pour pcrnicltrc aux vaisscaux venus dc la mer dc remonler un cspacc do dix licucs , ellc Irouvc dans cellc position unc ficlicsse ct unc force qui dalenlde loin, Nous pouviins rcnionlerjnsqu'an lemps de Cesar, cl la Ironvcr dcja pnissanle cl I'une des premieres villes dc la Gaulc ;i cetle opoque. Le cbrislianismo y a aussi dcs sou- venirs: Donalicn el Bagalicn, par lour marlyre, fnrcnleii 290 lcs digues apolrcs de la foi. Nous voyons mcme Kaulcs ca)]ilale d'un royanme que s'est forme Conan Meriadcc , aprcs avoir delivre TArmorique; puis, en •ii).> attaqneo par Ics Huns, qui snnl ballus par le comte ligidins, on, suivanl unc plus douce Iradition , fort accreditee cliez lcs Nanlais, frappes d'ctonncmcnl a la vue dc deux proces- sions celestes, et convertis au cbrislianismo. Plus lard , en 8^3, la ville csl saccagee par les Normands, mais buil ans apres elle se venge el massacre les pirates revenns a la cbarge. i\Iais ii Iravers lcs mille cprenves qui formcnl I'bis- toire de Nantes, el que nous n'analyserons pas toulcs, cetle ville est devenue unc puissance commcrcialo du pre- mier ordre. Jnsqu'au moment ou Henri IV y signa, le 28 avril \oQS, I'cdil de Nanlcs , sanvegarde dcs proleslanls, Ics troubles n'avaicnt jamais enlicrement ccssc; mais a dater de cellc cpoqnc , elle jouil longtcmps d'un calme profond, el en prollta poyr agraudir plus que jamais scs relations et multiplier les produilsde son negoce. Elle cul SCENES DE VO asouffrir, il rst vmi , cii I'Oj, cl Irouvn sa pari ilo. do'.i- Icurs dans I'orasie rcvoluliouiiaiic; mais die a loujours gr.rJii ses liliTS do gloire, entre aulres celui d'avoir nn iiiailro, sinon dans ses nuii's, du moins a pen de distance, le cclebi'e Abeilaid. Et, nialgre les lluns dii cimiiiieme sicclc, les Niirmands du neiivieme el Ics boui'reaus et noyevrs du dix-huilienie, i^anles est reslce une belle el giaiide vidi', ornec d'unc catlicdrale gothiiiue assez re- ni.iiviualdi', de beaux riuartiers. d'uu cuurs oa promenade m.i;;Mili.|UC, et de son vieux chateau. Elle a conserve son car.ictere proprc, c'est-.i-dire, sa force, le genie du com- merce ; el c'('>t avec un plaisir siiigulier cpie vous Irouve- roz, qu.ind vous visitcrcz Kantes, unc petite inscri|ition laliuc faite en Ibonneur du dieu du commerce, Voliaiius : la esllracee, depuis bien des sicdcs, la dcstiuec lout en- tiere do la ville. SCENES, RECITS, AVENTURES, EXThAITS DES I'l.US IIIJCEMS VOVAUEURS. YAGF.S RKCEKTS. 300 S.& STRXGA , lA PYTUOMSSE DE DOHEME. La mnrt Je mademoiselle le N'ormaud, arrivee il y a peu dr ti'uips, avail soulcve bcaiicnup d'ambilious feminines; tmlos li's carlomanciennes, ou pliitot les slrege , comma I's appcllcnlles llaliens, avaient mis dehors les pretentions les plus grandes, el les desirs les plus violeiits, pour obtenir la survivaurc du logis de I'illustre pytbonisse. On a beau- coup ri de leurs efforts, el c'cst avec raison ; car tout con- siste dans le talent de la strega, el non dans I'endroit on se font ses predictions. Beaucoup de gens nieni la realite di'scliosesipi'ils ne saveul pasconiprendre; ils n'ont pas tori jusipi'a un certain point, mais enlin il en est a I'evidence desipiclles il faut se rendre. Tunl le niondc connait la pre- diction faite a Catherine de Medicis, celle a Mme de Main- lenon, celle plus rccenlc a I'impC'ratrice Josephine. Ce soul des I'aits bistoriiples donl pcrsonne ne pent meltre Tan- tbenljcile en doute. Je ne Ics citerai done pas ici , el je me borncrai .i conler deux fails dont j'ai etc temoin. Ji' fais.iis parlie de rarniee d'llalie , en 1813, an passage du Po; beaucoup d'ofliciers francais furenl fails prisonniers par les Autricbicnsct cnvoycs en Uongrie. J'elais du nom- bre. Ou nous doima pour prison la citadelle d'.\rrath ; nous y ctions aussi bien qu'ou peutetre en pareiile occurrence, c'esl-a-ilire, loin de son pays, el privi's de sa liberie. X'ayanl rien a faire, nos journecs se passaient a boire, fumer et dnrmir; c'etail prei Ces pa- roles nousfirenl ii tons une trlste impression , el nous con- gedbimes la sorciere. Trois seniaines apres, nous rcciimesl'ordrederenlrercn f ranee; on nous fil parlir par detachemcnis, et je faisais parlie du nienie quo le jcune oflicier raillcur. Pendant loulela route, nousevilames de parlor de la prediction de la Strega, malgro que nous en fussions tons prooccupr's ; mais a la derniere etape, lorsque nous voyions deja lies- distinclcmonl les clochers de Slrasbniirg, noire jeune ca- maradc n'y lint plus. « La vieille folic en aura menli! » s'ecria-t-il en riant; el nous parlageames sa gaiele et son avis. Comme la route nous semblail d'une longueur morlclle au moninnt si di'sire d'arrivor cnfin dans noire pays, nous voulumes cliercher A la diminucr en meltanl nos cbevaux au galop ponr alloindre plus proniptemenl la fronliere; le cbcniiii etait niauvais , le cbeval du jeune sous-lieulcnant s'abattil el enlraina son cavalier dans sa chute. Nous nous arrelames ; (( Eles-vous Idesse? lui dcnianda-l-on avec emprossemont. — Porlez-nioi vile en Fi'anco, » nous dit-il d'une voix mourante, el il s'evanouit. II nous ful im- possible de nous conformer a son dcsir, car il avail etu Irop grievement blcssc en lonibant sur le pommeaii dc son sabre qui lui clait cnlre dans le cute. Nous le depo- sanies dans une maison, sur le bord du chcmin ; et nialgre de prompts sccours , il ne roprit pas sa connaissance , ct expira quclques beurcs apres. SCENES, RECITS ET AVENTURES DELAVIEMMTIllE; IE COKTEUR BD CAILI.ARD B'AVANT. 0:i se fait dans le minde une idee fau^sc dc rexislcnco des niarius, en general, ct, en particulier, du malelul, que Ton prend pour un etre bizarre, ponr un bomnie insou- ciant et abruti, Inujours macbant ou fiimanldii labac, blas- pheinant. s'enivrant dans le beau temps, pleuranl el priant dans la tempete. Lemarinn'csl point un etre exccplionnel; sous une eiivcloppe qiielquel'ois grossicre, il cache iin cocur gnicroux, une anic bronzec par les dangers, faile aux pri- vations et capable du plus rand dcvoncmcjil. Son iulix- DE LA VIE piditc, son cnlmc en presence dc la morl qui Ic menace toiijouis ail sein meme dcs mers Ics jjliis ralmes ct par le lenifis le jiliis! serein, nc sonl point le rcsullat d'une Inson- ciancc endormie ou d'un abrntissement bestial. Le spcc- laclo des mervcilles de la creation est lien plus grand pour le inarin balance sur un frele navire au milieu dc rimmen- site des mers, que pour nous, renfermes dans Ics rnes clroiles d'une ville ou niemc dans une canipagne de qutl- ques liciics. La vue du niariu ii'a point d'autres liniites que Ics prolbndcurs du ciel et la li-ne sans lin de I'liorizon. LJ, lesprits'agraiidit, I'lime s'cleve, et, nous necraiguons pas dc le dire, nullc part on ne Irouve dcs ctturs plus sinccremcnt religicux, i.his resigncs et plus confianls dans la Providence que cbcz ccs bommcs, sinqilcs d'apparcnce el riclies de loud. Pour voiis cncouvaiucre, visitcz la cabane du pcclieur el Ics cliapcUcs ou les egliscs de uos cotes. MAniTIME. 5H lis sent toujours animcs dc cclle pielc inlcricHrc qui neles rend paslij-pocrilcs, mais qu'ils gardcnl en enx-mcmes, ct qui Iciir doune de rcuergic, dcla conflance a ccs momenls su|ucmes oii. pcndani la null, sous un ciel noir, au sein dc lOccan, ils soul reveilles par la secousse epouvaulable du rncbcrcpii biiscle navire, et souvent, en meme temps, par la funiee de I'inccndie : bcure falalc, oil ils vout a Dicu tons euseinblecomme les matdols du Vengeur. Lcs vcilles dcs malclols soul egayees dans le beau temps par dcs rccils do voyages, d'avenlures, de conibals on de naufrages. rendant (|ue Ic navire ee balance, roule et niarcbe, au pied du mat de misainc, sur le gaillard d'avant, vient souvent s'elablir un conleur qui ne manque jamais d'auditoirc. Un soir, eulre antres, nous clions sous Tequateur; nous ciiiglioiis avec une belle brise, loules voiles et boniietles dehors. JIais dans ces mers, au ealme plat succcde sou- vent un grain ; et il vient avec une telle rapidile, que I'cell de rofficier ne doit pas cesser d'interrngcr lous les points de riiorizon ; le salut de tons en depend. Lcs liommes de quart elaienl rassembles sur le gaillard d'avant. a Voili une belle brise, malclot, dil Cartabut, jeune gabier de beaupre, a I'un des anciensdu quart. — Oui, repondit ccluici, la mer est belle, le veul frais, grand largue, et nous filous onze nfcuds et demi par la grace du bouDieu, c'esl egal, ouvre I'ccil, et vciUe au grain tout de meme. — II ne fandrait pas faire comme les Ilollan- dais qui metlenl le mousse a la barrc, le cliien en vigie, et vont dorinir. — Vous n'aimcz pas les llollanJais, pcre La- brague. — Je ne leiir veux pas de mal ; mais s'ils mc ral- trapenli'i Icur bord, il lera cliaud. II y a louglcmps que je serais mange par des requins, si le bon Dicu n'avail pas fait meilleur quart que les llollandais. IVelail juslcmenl pas loin d'ici ; nous avoiis donne en plciu sur une vigie ( I ). (() L'nc vigie est un roclicrJsolO qui sc liouvc il llcur d'cau, ou qui Sainle Vicrgc ! quel abordage. » A ces mots, tout le mondo se rapprocha. « Conlez-nous ca, pere Labrague. « Celui-ci ne se Ot pas prier, il tounia sa chique deux ou Irois fois dans sa bouclie, et commenca en ces termes : « Apres un sejour que j'avais fait a I'hopital de Saint- Tlionias, je m'cmbarqiiai a bord d'un llollandais pour revc- iiir en France. Je n'ai jamais pu prononcer le nom du na- vire ni du capilaino : c'clail van Der... iMa loi, le rcsle est trop dura baler. Kousclious juslemcnt dans ccs paragcs- ci. Le I" mai I'annee dernierc, il veulait une brise cara- binee, nous clions a sec de voiles, la barresousle vent, et le eapilaine fumail Irauqnillemeiit sa pipe en liuvant son grog danssa cbambrc. I'crsoime n'ouvrail I'ceil ;j'clais dans nion bainac, car j'avais encore la lievre. Tout d'un coup j'e- piouve une secousse comme si noustalonnions. Je saute sur forme uu tic.^-pciit iloi i peine. visiiile au milieu ties mers. Le gisemeni lie iHiiles les vi^ies eoiiiiurs c^l imlique sur les diles a^ec sa lartuile el s;i Iniigiiuiie. — On uiipelle aussi vigie I'lion.iuc ['Ucu sur Tavaat du navire ouii ia tOie tlu m3l, [iOjr vciller I'uorijon. 513 SCENES, le pont : nous olioiis siir uii rnclipr, l,i iiKiUirc a has, Ic navire cci'nsc coninie mic comiillc (Vcciil'. nECITS ET AVENTURES DE LA VIE BIARITIMK. « Uiic voiln I'liiit cii viic ;i I'liorizon, sons Icvcnl. Lo ca- pitaiiic saulc dans la clialoiiiie avcc (iuelf|ucs horamcs, ct pnnsse au largo en nonslaisBaat la onze, y compris les pas- saifiTs ct Ics fenimcs, sur un rochcr, sans aucun so- conrs. « II nons avail bicii pi'omis do venir ndus rcpi'cndro dcs ipi'il aurait joinl lo navire, mais Dieii I'a piini : il a )icri dans la nuil avec la clialnupe. Nousvoila done aban- doniics sur lui rochcran milieu del'Ocoan. Nous avions ra- massii un haril de bieuf, nn de lard sale, mais pas nnc goiillc d'eau ct pas un jjiscuit. Nous n'avions prcs;pio ricn sauvedrs dolirisdu navire; pas d'ahri, uiie clialcur a cuirc un Lceuf et pas nne i-nuUc d'eau! Apres Iniil jours de lor- lurcs, la soil devint si terrible, que nos levres (ilaicut cn- llecs, nous avions des vcrliges ; ca fendait le Cffiur de voir les pauvrcsfcmmes et lenrs enfants, ct lespassagcrs denn- morts, iw pouvant pas Ijouger. (c Enfinleciel, danssa bonle divine, nousenvoya uncplu'e abondanlc; nmis ramassanies de I'eau dans nne voile, ct nous rcinplimes un baril, ca nous rendit la vip. — Oiiel boiibcur ! dit Cartahut. Et Ics pauvres femmcs? — Ub ! quant a ca, nous en eumes soin. Les pauvres umcs ! On ciait ralionne d'eau ; mais Ics nialades, c'elail sacre, on les scr- vait les premiers. Nous attrapions quelques crabcs et du poisson dans les crcux de notre roclier, qui pouvait avoir un demi-quart de licue de tour; nous les faisions cuire avec dcs debris du navire. 0 Sans les malbcureuscs femmcs, notre situation descs- pcree aurait cle plussupporlable ; nn niatelot, c'cslfail pour souffrir; la Providence vcille sur lui, cllc lui donne dcs forces ct du courage. Wais les pauvres fcmmes, c'cst si faiblc : « Lo IS juin.Ie bonDicu exauca nnspricrcs. Nous apcr- riinics .i I'liorizon un joli trols-m.lts, le cap droit sur nous. (Juclle joic ! ces pauvres femmcs faillircnt en monrir ; ( iiliii nous bissames un pavilion do dctressc, fait avcc nnc cbe- mise an bout d'un aviron. Le navire approcliail touj(]Mrs. Quand il fut a porlcc de canon, il vint an vent, mil en panne; lamer clanl bdlc, il mil nne enibarealion a la incr, ct une demi-beurc apres, nous elions a bord du naviiv'. C'elait un Irois-mals de Bordeaux ; lo capitainc elail lui Brctou, nomrac Keriucc. 11 iious lit donncr du vin et dcs provisions dc sa tabic. Falb.it voir comme nous lombions la-dessus. Le bon cnpilaino a'.ail Fair aussi Iriircu.x (pio nous. (1 — Mais c'cst pas c,a, que dil le ni.ajor. Eapilainc, assc. causi', laissez-moi soigncr nics maladcs ; fani pas Ics eloaf- fcr a force de baire el de manger. » — El le vaisseau ccbone'? dit un mousse qui s'inlciC5sait vivcmcnt ;'i cetle liisluirc. II — All! nioncadel, il s'esl cnfoncc ni plus ni moi.is qu'une balcine en soulcvanl lean jusqu'an cicl. Voil.i. « Vilcsvous jamais un navire faireainsi le saulde carpo cl lancer vers le ciel une conpole d'ecnme el d'eau salOc'.' C'cst, je vous assure, nn beau spcclade ; niais il ne faut pas s'aviser d'etre sur nnc barque cl dc sc Irouver dans ses eaux. (1 Je disaisdonc que nous snmmcs rcslcs Irois mnisa liorJI de ta I'ctilc-Annetlc, cl quand nous sonimes rcnires ca ■ Fiance, nous avons ete rcmercier le bon Dicn et la bo:;iio Vicrge. J'aidil adieu aueapilaineKcrlucc en liiiserraiitbicn la main, j'ai cmbarque sur un cabolcur pour Nantes, de li CIIRONIQUES ET LEGENDES. 5(5 j'ai pris mn fciiille do route pour Brrst, et me voici, mcs 1 vcille toiijoui's surnoiis; maLscllc nous (lit : Ouvrc I'ccil, ct chcrs matdols, par la grace du LonDicu. Car la Providence I bon cjuart. it -■^BS^i,, CIIRONIQUES ET LEGENDES DU MOYEN AGE. COPEBNIC (1). (SUITE.) Raniene dans la somplueiise prison oii il avail passe la nuit, Copernic cut tout le temps de repasser les diverscs circonslances qui s'ctaient presentees dans la joiirnee. La nuit le surprit dans une melancolii|uc occupation. En de- hors de sa fenetre se proji'tail nn Lalcon donnant sur une rue ccarlee; il ne put resister a la tcntation dejeter encore un coup d'ceil sur ce ciel dont il avail tanl de t'ois trace la carle : il revolt ses etoiles favorites, et, qnoiiiue prive de ses inslrumcnts, il contemplail, de memoire peut-etre, les corps celestesau.'ifpielsil appartenail, taut ses rapports avec cu.x avaienl ete frequents. Tout a coup il enlcndit lousscr avec affectation sous sa croisee ; pensant que ce pouvait elre le signal d'un ami, il prit sa lampe el se pencha en de- liors du balcon. (luelle fut sa surprise en aperccvant une figure humaine lellemenl cinitraclee, qu'on eut dit une teto de mort, dont les yeux, semblables a deu.x cliarbons allu- mcs, etaient Uses sur les siens. Une voix caverneuso qui scmblail sorlir de la poitrine du fantume elait bicn faitepour effraycr. <) Ycy. iiumoro V, page ( jl. Le mailre so recula precipilammcnf, comme s'il eut mar- clie sur un serpent, et referma sa fenetre. Les trails liidcux de cette apparition ne lui semblaient pas inconnus, et, pourtant il se torturait en vain la memoire pour savoir ou ill'avaitdejavue. L'e.spritfrappe, il demeuraquclque temps assis dans un fnutcuil^ se croyant poursuivi par dcs intel- ligences de I'autre monde. Enfin, lorsque le courage lui fut rcvenu, il s'ecria en se frappanl le front ; « .le n'aurais jamais di'i venir ici : cello terre n'esl-cllo pas dcsscchee par un sirocco pcdantesqiie venu des deserts de la fausse science, qui soullle la mort sur le veritable savoir et sur les dcconvertes humaines. » Le capitaine de la garde entra, suivi ilu jeune hommequi avail assistc a I'interrogatoire; celui-ci (it sigue a roflicier de se retirer, et, aussilot que la porle fut fermee, il cou- rut se Jeter dans les bras du vieillard. « Bartola, s'ecria ce dernier, qui ramenc si tard pros de moi? — Snnge a toi, repondit le jeune bomnie, il faut que tu fuies, que tu quittes Bologne avanl que Irois jours soienl ecoules, — Vous plaisanlez : n'avez-vous pas vu vous-niemo de quelle maniere burlestpie s'est denouee la grande accu- sation dont j'etais robjet? — N'cn crois rieu ! s'ecria Barlola , et une vive rou- geur colora ses joues. La sagesse et I'admirable ruse dii vicux Joseph t'out sauve aujourd'bui ; il s'est monire ton lion ange en eloignant de les levres I'aveu fatal qui t'aurait perdu. Mais crois-lu que les "unemis s'y Inisscnl trompcr comme eel imbecile '.' Sougc au tout- puissant conlident 40 51^ CIlllOKIQUES ET LliOENDES, du due, dont In ns diniimn! le credit niiprOs de son illusli-e iionilont; soii£;e ii cc in-osidont d'ac.uloiiiio dnnt Ui as duvoilu rorgiipilk'uso ignoriince, d;ins la dis|iulo r|Mo, voiis eulcs eiisemhle ; s(iiis;c surlont a loji ailniiialjle decouverte ullc-meinc, ft an siocle dans lei|ncl nous vivons. — Quoi ! Carlol.i, rppai-lit Copcrnic, vous nussi. vous nic prenez pour un enlhousiaslc? — Ilomnicdcgrnie, rqilirinalcjounolionime avoc inspi- ration, mortcl mcrvpilleiix ot incompi-i'liuiisililp, (pii, non- vcau Titan, as escalade le cicl; toi (|ui rs appelii i devenir 1 iustructeur dcs sieclcs a venir, soulTrc (pio jc sois ton conseillcr en iniMnc temps que Ion ndniir.iteur. D'incroya- Lles evencmenls surgissent ii nos yonx ; ce ipic la sagesse nvait regarde conime nn conle frivole, indigne d'oecnper un esprit eclairc , dcvient une verile inconleslable qui renverso ct diHruit une croyance dc plusienrs milliors de siecles... Et cetic reuvro est ton (cnvre, a toi, liomme forme de la meme argilc que les autres liommcs, grain dc sable du lord de la mer ! Et In permets. 6 mon Dicn, que jo serro la main do eel Iiomnie ilont le hardi genie a touclio du doigl I'edifice celeste, en disanl a une jdajicle ; Marclie ! et ;l I'aulre : Arrcle-toi... — Vous vous dlianilonncz trop .i voire enllionsiasme, in- Icrrompit rastrononie, ce que j'ai etc asscz lieureux pour decouvrir, un autre Teiit fait a une auire cpoquc, je n'ai que le nierilc d'etre no plus lot. Vous-meme pcul-ctre, dont je fiis plus d'une fois a memo de juger les admirablcs dis- positions... — Silence 1 silence 1 inlcrronqiit a son tour Bartola, en I'Cgnrdnutd'un air inquitl autour do liii. — I'oiirqnoi me tairc? demanda le maltre. Nesais-je pas lout ce que vous avicz deja decouvcrt dans le cicl, les pas dogi'anl...» Le jeunc bomme se jcia a ses picds. CI .\u nom des plaies de Notrc-Seigucur, s"ecria-t-il avcC une vivc enioiion, ne me faites pas perdro la raison ! Je ne sais rien de loutcs ces rcclicrcbes snvanles, je ne vous ai jamais cntcndn en pnrlcr: souvcncz-vons-en bien ! » Copernic se leva, irritii de cello dissimulalion ; niais Bai-- tola s'allacba a sa rol)e, ses joues claicnt couvcrlcs dc la paleur dc la niorl, ses levres treniblaicnt... « Plutot que de me faire passer pour ton associe dans ;cllc decouverlc, cnfonce-moi ce poignard dans le sciu I » s'i'cria le jrune bomme. I.e niailre le regarda avec tonics les marques de !a plus ^ranJe surprise. (1 Amic celeste, conlinua le jcune bomme. In le joucs avec les rayons du solcil comme avec des ileursde diverses nuances, et Ui oublies qn'ils avenglcnl les ycux grossiers dcs autres bommes. — Jcime bonnne, dit I'aslronome, je ne comprcnds ni voire ent'iousiasme extraordinaire, ni vos cralntes exage- rces ! — Malheureux! rcpliqua Barlola. Vos yens, loujours di- ligos vers le cicl, onl-ils done ccssc de resardcr les cboses dc celtc tcrre? Voire doctrine est paradoxale et diingc- rense : vous dulruiscz d'un mot la croyance de tons les siee'cs. Ce que les ciTipereurs, les bommes Cclebrcs dc loutcs les nations out Iransmis avec respect dc genrralion en generation, vous le jelcz au vent comme la pcllicuic qui s'envole quand on vannelo grain. Avcz-vous bien sorge a cela? — Vous ctes nn bomme passionnc, malade, dit avec don ccur Copcrnic, en ehcrcbaul li di'gagersa main de I'elrclnlc convulsive du jeuue hnmme ; vous cles en conlradiclion avec vous-mume. Que dois-jc croire? vos eloges ou vos reprnrbes? — Les uns ct les autres, rcpoudit Bartola; ils ont decliirc tour ii tour cetle poilrine. Abl je vous ai loujours cacbe les penibles combats que i'avais cu a snulcnir quand je travaillais avee vous. Combien de fois, dans ma cbam- bre solitaire, je me suis apercu, a cbaque progrcs que jo faisais, que je m'cgarais. Comliien de fois je me suis pniii des decouverles que j'avais faites. 0 mailrc, (pi'clle est conpalde ct irresistible , cetle fatale curiosile qui nous porte sans ccsse a vouloir son'.cvcr Ic voile que Dieu a tendu devnnt nos ycux. — Assez, Bartola, assez! dit I'aslronome avec emotion. Si vous parlcz ainsi, jc dois commencer a croire que ma vie est en danger, et le soin de ma conservation se reveille en moi. — Ainsi, tu consens a fuir! s'ecria avec feu le jeunc bomme. Tu consens ii t'abandonncr i'l moi ? — Laissez-moi mainlcnani, rcpondil Ic vieillard; pour la premiere fois, depuis bien des amices, vous cles parvenu ii me fiiire sorlir dc mon calme ordinaire, et Ic parli que je me deciderai ii prentti'e doilctre cboisi mi'ircment. Demain vous aurez ma reponse.i> Bartola s'eloigna, el Ic niailre resia senl. Au bout d'unc benre de rccuciUemenl, il elail decide .i nc point quiller sa dcmeurc, et ii ne pas nuire, par sa fuitc, ii la boulii de sa cau.se. Dans la null du second jour de sa caplivilc, I'aslronome, reveille par nn vaearnie cffroviible qui se faisait dans la rue, s'emprcs.sa dc courir ii son balcon pour voir ce qui le causait. lies masses de people enlumiille se beurlaicul sous sa fenctre, separi!'es ,i cbaque inslaul par des peloloiis de soUlals, el se reformant quelqmsiias plus loiu; niie proces- sion, qui sortail d'unc cglisc voisiue, se dispersa confu.siJ- menl li Taspect du de,sordi'e qui n^gnaitdans le quarlier. A Iravi'rsle bruit el le tumulte, Copcrnic pouvaitopprciidrc, i I'aide deque'qnesmots qu'il saisit, qu'un evcncmenl sur- vcuu au palais elail la cause do ce mouvemenl. Comme il regardail dans la rue, il ponssa involonlairement un cri d'effroi en aperccvani, au milieu dc colic mnllilnde, son vienx servilenr Jo.-cpb Barlel el deux autres vielimes ipi'on poussait rudemcnl vers une autre rue (|u'il ne pouvail voir de sa fenctre. II ne put s'enipecber de pousser un cri el d'appoler le pauvre vieillard ; mais cetle inlervenlion do sa part n'eul d'autre resultat ipie d'allu'Cr vers sa foLieIre rallcntion du pcuple, qui se mil aussilul ii burler des me- naces coulrc lui, ct il ramasser des pierres pour les Ini Je- ter. Dans ce momcnl , nn (lassant cnvelojqie d'un capu- ebon lui cria : « Quitle la fenelre!... » et. en nieine temps, liinca dans rapparlemenl une lourdc niassuc. Dcs que Co- pernic cut remarque que eolle espeee de pierre elail rc- couvcrlc d'un papier, il se b:ila de le dcvelopper, el il lut les niols suivanis traces par sou ami Baltisia : « Ta deslince se cnnipliqne Icrriblement. Une tenlation « de nicurlre conire Ic due a rcussi cetle unit, et les eu- « ncmis soni parvenus ii t'cn fiiire accuser, ainsi que deux i( autres savants qui babilent Bulogne. L'inquisilion etcud (c sa main sur loi, connue elle I'a drji'i etcndue sur Jose] Il (1 Barlel; une promiitc fuile peul sculc le sauver de la « double colere du peuplc ct dc la Santa-Casa. Nous som- PETITES VISITES DANS QUELQUES VILLES DE l.A SUISSE. « mcs prols; le mnrceau d'or qui envclo]ipe ce papier (e « scrviia a gagiicrlc capilainc do la garJo, qui a un amour 0 iusalialile pourcc uiolal. Persuail('; que lu as le secret de (I Iraiismulcr les nii'laux, il iic doulcra pas que sa furluue « uc soil faile. La suile au piocliain nuiucro. PETITES VISITES DANS QlELQltS VILLES DE LA SUISSE MODERXE. Apri's les evenemciils siiiguliers qui, plus que jamais, niil allire vers ce pays rallenliou dc I'Europe et les pas dis v Los sauvagcs ne s'etonnercnt point du tout do pareillos pricrcs : ccs sauvagos priont aussi; mais, la conmie ton- jours, leur maniere de fairc est groles(iue. Qnand ils en- tendent sonner la cloclie du missionnaire anglais, ils ae- courcnl, sc rangent autour de lui, et rccoulcnt, on eroicul I'cconlcr.Lcs missionnaires, Inmimes rcs]icetables, du reslc, elant tombcs a lour egard dans une errcur singulicre , jo vcus dire ccUc de rcgarder un Iiomme commc^agne a la civilisation dcs qu'il a pris la vestc el le pantalon d'uu homme civilise; les missionnaires les reunissent souveni, et leur font subir dcs .sermons on des discours pcdiliquos. II est parfaitcmcnt impossible que des homines dont I'in- telligenee esl encore endorniie, I'idiome mal lixc, les ideis pen complexes, ecoutcnt seriousoment ce chef do parloment qui vient doliberer avec enx. Ils ont Ions le droit d'etre de pauvrcs onaiUes et de mauvais scnatcurs; et il est permis de eroire qu'ils rogasdont les Innclles de I'oratcur pluli'it (|u'i!s n'cconlent ses exhortations, cl qu'ils donnont plus » d'allontion a I'habit qu'ils mettenl en guise dc pantalon qu'a roloqnonoe du president : ccs hommes ages font cu que font ici les enfants; ils rog.irdcnl les costumes. - T)i>ii{,iaplii" 'd'A. UBSt ct Cic, rue dc SeiDC, 32. LK LIVRE DES FAMILIES JOURNAL 1)E MOXSIEIIR LE CURE. N" 11. - 1" Volume. I'' Septcrobre 1845. LI' MO IS DU .TI■U^'i■: f.IIRI-TIKN. I.A NATIVITE DE I.& SAINTE VIERGE. Nous vonons a peine de celohrpi' lii glorieusc assnmplion (Ic Marie dans les cieux, c'est-a-dirc, le coiichanl de ceUe eloile my.'slerieusc de la mer, Aujoui'd'liui nous solennisous son levant, l.e cycle festival de Mario, '|ui avait fini parsa morl, ou plulot son somnieil, Ic 15 aoi'it, recommence par .son apparition sur la terre, le 8 seplembre ; mais ce lier- reau de la plus humble des vierges n'est cnvironnc d'au- cune cspece d'eclat. Le momle, dont cette nalivile annoncc la procliaine delivrance, ignore ali.solumentcct evenement. Les livres saints eux-mpmcsgardent un silence profond sur la naissance de Marie. Ce n'est pas que, dans(|ueli|uesou- vrages, tels tpie le faux evangile de saint Jacijues, Tepitre siipposeede saint Evodius, etc.. on lie trouvc]ilusieurs details sur ce point; niais ce n'est point par des suppositions fa- Inilcu.^es ou mal fondecs que nous pourrions edilier nos lecleurs. Tels, d'ailleurs, lie soul point nos goi'ils. line lij- gende merveillousc n'est point sans attrait, nous en con- venons. La verite neanmoins est encore plus liclle, el quand il s'agit de la mere de Dieii, ce n'est point par uuc legende plus ou moins ingenieusc que I'nn pent parler de sn nali- vile. Esposons seulemcnt quelques corijeclures eniises par de graves ccrivains. Baronius, le celebre annalisle, f.iit naitre Marie a Naza- reth. Saint Jean-Chrysnslome place son herceau a Jerusa- lem. On lui donne pour parents saint Joachim el sainle .\nne. Le Marlyrologe romain place au 20 mars la fete du premier en ccs lermes: « Dans la Judee, fele de saint Joa- « chim, pere de la bienhenrcu.sc Vicrge Marie, mere de « Dieu. » Au 26 juillel, le meme Marlyrologe annonce la feslivite de sainle Anne: o Sommcil ou morl de sainle « Anne, mere de Marie, laquelle est mere de Dieu. » Les solennites de ces vencrables parents de la sainle Vierge sont assez ancicnnes dans rEglise, el surtout celle de sainle Anne, qui remonle au sixieme sieclc. Or ceci est une tra- dition sans conlredil fori respeclable, puis(|ue I'Eglise la con.sacree par des ftjies. An resic, le nom de sainle Aiine signifie Grace, etcelui dc Joachim est inlerprele : I'lcpa- ralion du Seigneur. Passons a la frie elle-mi:me de la nalivile de Marie. Se- lon (Jerson. un ermiteclail depuis longlempsfrappe d'une 41 I.ES SAINTS vision i|iii revcnail i'Ii.ii|Up aiiiu'c, nii 8 sepU'iiiliic. II en- londail un concoi't ailmii'.ibli> [|iii scmblail parlir dii cicl. II conjiira par unc forvenle priere Ic Soi^neiir ile lui fairc CDnnailre le innlif de ccUc dolicienso harmonic. Unc rcvo- lallnii lui apprit qin.' dans cc jour, tnus les ans, les esprits ruleslcs solciinisaioiil le jour nalal dc la mere dc Dieu. L'ormite fit pari desa vision au pape, qui s'rmprcssa d'in- slilucrla Trie duS seplcmlire. Sans corroliorcr ni allaipier le rocil du pieux liersoii, jious dircuis aver Bennil XIV, que la fiHe de la nativilii do iMarie elail celiihree a Rome avant le seplieme siecle. De la die s'elendit dans les (iiii- les, el il est certain qu'au neuvieme siecle on en faisail la solcMuite. Puis, au douzieme siecle, rempereur d'OrienI, Kmmanuel Comnene, ordonna de chomer ce Jour comme celui du dimaiiclie, el enfin, depuis ce lemps, la nalivile dc la sainle Vicrj,',; a etc placee au rang des feles solen- ncllcs ct de preceple avec une octave. lin France, depuis le concordat de 1801, ce jour est ouvralile, el loldigation s lie vnuliil y .'n'ceilir i|ii'a lomlilioii ile icniplacei' il.iiis toiiL renipirc d'Oriciil la rrliijion Llii-rliuniic par I'iJo- liilrie persaiio. Uiio saiiilc iiidignalioii s'ompare aluis dUc- racliiis ut de sou ainiiic rijjiiilo a iiii pelil noinlirc ilc coin- liollaiils. Iiivoiiuaiil le uom du vrai Itii'U, il fait placer scs liloiulards manpn's ilcs sigiies du salut a la IcHc dc Sfs ba- lailloiis, el, niarchanl avcc confiance coiitre Ic vaihi|U('iir, il le di'fait conipli'lemcnl, d reprcnd sur (.lliosnii's iiiie ^i- jjoiirciisc offL'iisivc. Cc dernier, iiialade eii ce iiioriieiil d'une giave dysseiiterie, el craigiianl d'etre fait prisoiuiicr oil iiieme tiie par lleradius, associa ii son autoritc royale sDii plus jeiinc lils Madarses, Ce que le roi des I'erscs rc- gardail comme un moyen de salut, dcviut au conlraire la cause de sa ruine. Siroes, le lils aine, se voyaiit frustre d'uii honncur iiu'il anibitionnait juslemcnl, fondil sur son pero, reteiiu alors a Scli'ucie, le jeta dans uiie etroite pri- son, etmassacra, en presence nH'iiieileicinallieiircux pcre, son propre frure Madarses. La vittoire d'Ucraclius date de I'an 6-27, ct la inort de (^liosroes cut lieu en 028. Siroes, paisilde posscsseur du trone de Perse, lie se vit pas assez fort pour continuer la guerre, et se deterniiua a entrer eii conipusition aveo lleraclius. II fut d'aliurd sti- pule (pie la ch.lsse tonleiiaiit la vraie croi.K serait reiiduo, ct que le patriarclie Zacliarie, aiusi que les nomlireux elirc- lieiis rcduits en csclavage, renlrerait dans la ville do Jerusalem. Tout s'aceomplit lidelcineiit scion le traile. Za- cliarie reporlaen Iriomplic la vcritaljlecroix a Jerusalem. lle- raclius fit son entree solcnnelle a Constantinople au milieu des acclamations du people. On y dislrlliua de nomlireuses luedailles destinees ,i immorlaliser le souvenir de la recu- peration du bois sncre. On y voit d'un cote lleraclius cnu- ronne de landers, el de I'aulre la reddilioii de la croix par lesinfideles Olempercur partit cpiclque lemjis ajires pour Jerusalem, dans le dessein de placer lui-nienie la saiiite le- lique dans I'eglise du Calvaire. II y a iei un curieux trait bistori(|ue dont le recit lie doit pas eirc oinis. Au moment on lleraclius se disposait a transferer do ses propres mains le liois sacre, il se senlil dans I'impuissaiiee d'avancer un soul pas. Kffraye, il en demaiida la cause au patriarclie. Celui-ci liii repoiidil : « Seigneur, voiis voila 'I convert d'or, les pierres precieuses reliiiseiil sur voire u ridie costume. Ce n'est point aiiisi i|ue vous pouvez inii- " ter la paiivrete et riiiimilile de Jesus-Cbrisl, quijadis « )porta lui-meme sur .ses epaules le bois de cctle croix. » .\u>siiot lleraclius defail sa cliaussure, so depouillc de la pourpre el prcnd un babit plebeien. En eel elat, rieii lie suspend sa marclie, et il s'avance vers le Calvaire, on il de- pose I'auguste fardeau dans rendroil nieme oii Chosroiis I'avail precedemmcnt eiileve. De nOHveailx troubles devaiciil iieaiiinoins encore exiler du sanctiiaire jerosolymilaiii riiisigue tropliee de la lie- demption. Les siiccesseurs de Maliomet ravireiil a I'empire roinain la Syrie, la I'alesliiie et I'ligypte. Jerusalem fut or- ciipee par les nuisulmans, (|iii ne devaieiit la rendre iiio- mentanement qu'a la valour des cruises, quatre cent soixante-liuis ans apres celle epoqiie. lleraclius, (|uoiqiie partisan de la socle des monolbeliles, avail eii soiii di; soils- iraire la reliquc aiix seelaleurs de .Mabomet, i|ualre aiis avant leur invasion des lieux saints, el I'avail transferee a Coiisiaiiliiiople. La basilique de Saiule-Sopbie en etail de- posilaire, cl on I'expo.sail li la veneraliuu piiblique pniid.int les troisderiiiersjiMiisde la .•-euiaiue s.iiiile, Lejeudi saint, elle elan .idoiee par l'ciii|iereur, le senal, la inagistraluie I't les laiqiics. Le veiidredi saint, c'elail le lour de I'inipe- ralriee, des veuves el des autres femmes. Euliii le samedi saiiil, reveijue, les pretres el tons les membres du clerge inferieur venaieiit adorer la saiiite croix. ElablLssons niaintenaiit I'origiue de la fete de I'lixaltaliou de la croix. II est certain que cello solcnnile cxislait lung- temps avant le regno de reinpcreur lleraclius. Elle elait alors joiiile a celle Je I'lnvenlion, qui se fait le 3 niai. Soixantc ans apres la recuperation (lu'eii fit Icnqicreur lle- raclius, le pape Sergius, par une inspiration divine, or- doniia que Ton ouvrit une clilsse placee dans la sacrislie de la basiliipie de Saint-Pierre. On y trouva une croix d'argent enricbie de pierreries, el dans laqiielle elait incrustee une considerable parcelle du bois sacre. La croix elait onice d'un ebrist en relief. Lc pontifc ordouna que, tons les ans, celle croix fiilexposee, le 14 septeinbre. Usuard, dans son Marlyrologe, iiuil, pour la solennile de ce jour, I'evene- menl de la recuperation de la croix par lleraclius avec celui que nous venous de raconler. Mais un motif lout special pour les Fraucaisenlre dans I'objel que I'Eglisese propose )iar rinslilution de celle fete. Saint Louis, en I2VI, recut de Baudouin, empereur de Coiistaulinople, iiiie jjorlion de la vraie croix, iiiii elait reslee en olage dans la Syrie enire les mains des templiers. A eel envoi elaienl joints |dusieurs objets digues de la plus gramle veneration, Icls que diffe- rcnts iiislrumenls de la passion de Solre- Seigneur. Le ]ueux roi voulul porter lui-meme, picds iius, el depouille de lollies les manpies de sa dignite, ces insignes rcliques, qu'il deposa dans le magnili(|ue edilice conslruil, par ses ordres, pros de son palais. C'esl ce que nous appclons la saiiite Cliapelle, restauree en ce niomenl avec le plus grand soin, el qui bienlot brillera dans la capilale au milieu de> plus beaux moiiunieiits dont elle Csl decoree. Voila les imporlanls cveMeinenls ipic I liglise celebre par raiiiiiversaire du 14 seplcmbre, coiiuii sous le iioin il I'Aiil- lalion de la sainle croix Des fails de celle ualiire ne nie- iitenl-ils pas les lioniieurs d'liiie solennile cbrelienne, puisipi'ils nous rappellent le Irioiiipbe civilisaleiir de la croix el la regeuuralion morale du iiionde'? SAINT MICHEI. ET I.ES SAINTS AISGES. II esl de cerlilinle bislorique iju'aiix premiers sieeles de I'Eglise, on rendail aux esprils celestes conniis sous le iioin danges un culle general. Les percs el docleurs. Ids i|ue saint llilaire el saint. \mbroi.se, cxhorlaient leslidiilcsa iii- voipier les angcs comme des prolccteurs. 11 n'y avaiLpour- laiit aueune fele delermiiiee )iour les honorer. Nous vcr- rons a quelle occasion une soleiijiile a lile iiwtiluee; nia:s d'abord nous devons recueillLr ce que les livres saiiils nous appienneiil sur ce point. Saint Jean I'Evangelisle, dans la celebre vision i[u'il eul eii I'ile de I'albmos, el dont le recit forme le dernier livie du N'ouvcau Testamenl, nomine I'Apocalypse, nous dil qu'il apereul au'our du Iruiie de I'Agneau plusieurs mil- lions de ces esprils ipii cbaiilaienl a L'ciivi ses louanges. L'Eerilure sainle nous fail connaitiv U's iioius de Irois de ces esju-ils liienbeureux ; ce soul ; Mieliel, Cubriel cl 11a- pbai'l. Sous le ponlilleat ,le Clement VII, en 132", ariiva a Home un pretre noinine Antonio del Duca. II professait pour b'S auges une devotion parliciiliere, et apportait .ivcc lui sept images qui repre.seulaienl aulant de ces esprils bieii- lieiireux, sous les noms de .Michel, Cabriel, tiapliai;', Uriel, '>-' LliS S S.iuUiel, Jikhiel el Diiracliicl. II avait coijie ces peiiilurcsdo celles (|iie Ton voit dans line eyiise de la ville de Palerme, en Sicilc. Anlonin obliiil la jicnnission do placer ces lniot;os dans Ics Ihcrnies dils de Diocletien ; puis Jules 111 Tantorisa .i les appcndre aux colonncs des memes Ihermes, en iuscri- vanl les nonis de ces angcs sons cliacunc de leurs images. Les Ihcimesdc Diocletien deviiirent une eglise qui ful con- >acree sous le nom de Sainle-Mai-ie des Anges. Mais, en 1559, Tie IV no voulul point reconnaitro les qnalre der- nieis anges dnnt Antonio avail iiiangure les noms dans la nouvellc eglise. II fit ilisparaiire les tableaux et effacer des colonncs les appellations de liricl, Saulliel, Judaiil et Bara- cliiel. En cela, I'ic IV se eonformait a la decision d'un de SOS predecesseurs, le pape Zacliai-io, qui, en 748, avail de- fendu de nommer les anges d'aulres nunis que ceux qui sc lisenl dans les livrcs saints, esliinant que les autres noms u'elaient (|U0 reffet d'une value superstition. On invoquait en el'fet, an luiitieme siccle, les anges Oriliel, Itaguliel, et Toljiliel dans les litanies, et le pape dont nous venous de parler voulut qu'on sc bornat aux trois noms C(muus de -Michel, Gabriel et Rapbacl. Pouniiioi cherclier a douner des noms aux iiinombrables esprits de la milice celesle? Si I'Eglise n'arrclait point le ciiursdeces pieuscs inventions, bicniot les imaginations .irdentes anraient fabrique une nonicnclature prodigieusc, dans laipielle la verilable piete u"aurait absolumeut'rien a gaguer. D'aillcurs les trois noms (pic nous conuaLssons dii- signent moins ces anges eux-niiimes que les faits qui leur sontattribues par les saintes Ecriturcs. Michaijl signifie : Qui est scmblable a Dieu, parce quil a terrasse Lucifer, qui voiil.ait s'egaler a son Creatcur. (iabrici s'iiiterprete : la Fotce de Dieu, parce (|u'il a annouce la venue sur la lerre dii Verbc etcrnci, qui s'apiiellc le Dieu fori. Ilajihael a la significalion de : Uemede de Dieu, parce qu'il indiqua an jeune Tobic le fiel du poisson qui devait guerir son pere lie la cecile. A quelle epoque s'inlroduisit le culte festival de cbacun de ces trois augos? Voici ce que les mouumenis bistoriqucs nous appreunent sur la fete de saint Michel. Un auteur, Ires-connu sous Ic nom de Metaphrasle, dit ijuc rarcliangc saint Miidiel apparut environne de lumiere dans la ville de Dulosses en rhrygie. Tour en perjjetuer le souvenir, on y construisit un temple magnifique sous I'iuvocatiou de cet ange vainqueur de Lucifer. Une fete fut aussitot etablie dans tout I'Orieiit .i celte occasion; et Conslantin le Grand voulul eriger a sou lour une eglise en I'honneur de eel ar- ihauge, sur les Lords du Poul-Euxin, en menioirc d'une apparition analogue a cclle dc Colosses. Une .seconde appa- rition aussi famcuse out lieu an I'lout-Gargau, en Sicile, et colic monlagne prit desormais le nom de Jlont-Sainl-Ange. Golle manifestation est placec en I'an ^■2o dans les Annales de Baronius. La devolion a saint Micbol s'elendita Home etdaiis lout rOccident.Le pape lioiiil'ace IV fit biilir, eiiGKI, une noiivello eglise en I'liouneur de .saint Michel sur le mole on tomhcju d'Adrien, que Ton nomme aujoiird'hui Ic clialean Sainl-Ango. La dedicace de ce temple out lien le •20 de septcmbrc. Ceci oxplbpie pourquoi I'Eglise univer- sellc a adnple ce jour pour boiiorcr par une solenuile col- b'clivo Ions Ics saints anges. Nous ne devons pas ometlrc uuo ap|iarilion dc saint Mi- chel ' tense dcvaiit Dieu conire ceux (pii les scandalisenl, I'ange « descaux, Tangedu I'en, ct ainsi des autres; elquandje u vois parmi tons ces anges celui qui met sur I'aulel le " celeste encens des prieres, je connais dans ces paroles o une espece de mediation des saints anges, je vois meme (I le fondemenl qui a pu donner occasion aux paieus de " dislriljuer leurs diviniliis dans les elements et dans les ic royaunics pour y presider : car toute crrcur est fondee 11 sur qnelque verite dont on abuse. » Alio d'honorer plus inlimenientces esprils bienveillanis cpii nous acconqiagneni, nous prolegenl, I'Eglise a voulu iusliluer une I'l'le loule speciale, qui est Dxiie au deuxieme jour d'oclobre. sous le noni de h'ele des saints anges gar- diens. Elle ne remoule pas au dela du seizienic siecle. C'est le pape Clement X qui I'a placee irrevocablemenl au jour siisdil, ellui d assigne le rang litiirgique ipfelle occupe. Que n'aurions-nous pas a dire sur le niinislere des anges dans unc inliiiile de trails (|ue nous rouruissenl I'Ancien et W Nouveau Testament ! On les voit constammenl iutervenir comme messagers du Tres-Uaut dans une foule de circon- stances. 11 n'esl point de verite revclee qui soil plus solide- mcnt fondee que I'existence et I'inlervenlion de ces esprils liienhenrcux. Laissons ii la faluile des incredules le trislc avantage de trailer de puerilites fabulcusesce que les plus ■'i-aiids liommes de lous les siecles et de tons les pays ont unaniinement reconnu sur la foi des livres saints, Les oracles i'liianes des bouches iusensees, ignoranles el de niauvaise foi, peuveiil, lout au plus, faire sourire dc pitiii les esprils graves et serieux, et ceux-ci ne peuvenl se trouvcr que dans la voie droite et morale de la religion calbolique. Uii ne saurail clre pueril avec Bossuel, Pascal el Feniilon.. COnSOLATIOH CHRETIEHNE. Dans les graiiJes Ciilamiles ofl'rez a Uieu vos douleurs, retronipez voire anie dans la pricre, pensez a ranionr du Clirisl et li ce qn'il a souflVrl pour nous, le calmc rl le cou- rage renaitronl. Dieu n'abandonne point ceux qui prieul avec nue foi sincere. S'il nous eprouve, c'est pour nous ramencr a lui. II clialie ceux ipi'il aiine. 326 LKS SAINTS DU MOIS. IVIOIS DC SEFTEmBKS. 1. LiuiiiU. St UitLEs, abbe, Athenicndenaissance.iuort a la fin d\\ V^sicclc. U villi' (le Saiiii-Gilles, rires Ninies, duilsoii orit;iiie a I'aU- l):iye que ce saiiil y foiida. St Leu ou Loup, evequc Je Sens, mort en 623. L'lie iiaroisse de Paris est pla- ice sous soil invocalion. St FiBsiiN, troisii'iiie eVL'E, vtn de Honiine, nioit en 1058. St Jlst. (jvequede Lyon, mort c-n 390. St Astomn, niarlyr, bonore a Pamicrs, niorl d>tns le 3^ siccle. 3. Mercreili. St Si)iku> Srv- iiTE (t'l'sl-a-dire, sur la co- lonne), niurl cii 59*2. STMANsuYonMANsnT, [ireniltT t'veque dc Toul, mort un 5^' siei'Ie. StGoueghand, evuquedc Secz vers I'an 571. 4. •leudi. Sr IMaiicel et Sr Vai.euien, martyrs, en I'an i-y. St M.vuj.n, diacre, mort a la fin du 4^ sieclc. Ilo^l falroiiilelavilleeldela pelile rejHilili'iiie de Sainl-Ma- rni, enIialie.CelKl.ll a une t)ii- liulaliun deliiiil iiiille 4*iiiies. 6te Hosai.ie. viergc en Sieile, raorle eii IIGO. Ste Ide, veuve, niortc au 9^- sieele. St Amass, abbede Lerins, inort vers I'an 700. 5.Wen«lreili. StLaiuem Ju:>- TiMEN, premier patri.irche de Venise, inort en 1455. St Dertin, abbe, mort en 709. St Altos, abbe en Alleniuj;ne, mort au 8»-' sieclc St Assehic, eveque de Sois- sons, niurl au 7" sietle. 6. Kamcili. St PamuoudeNi- TiUE, abbe, diseiple de sajnl Anloinc. mort en 385. St Eleutiiere, abbe ile S:nn(- Mirc, en llalie, mort vers I'an 585. St CnAGfiOALD, evequc dc Laon {vulgairemeiiL St Ciianon), mort en 553. Le B. HiiBKiiT uii ^IniABEi.i.o. evequc Valenee, murt eu l'i'20. 7»Diniaiiehe. StCloi'd, pre- Ire, le premier du .sati^ des rois dc Franec qui ait reru la qualiliculion de saint, uiorl en 500. Ste l\v.\yv., vicrge marlyrc, on liourgogne, en 251. Sr EuvtiiTi:, eveque d'Urleatis, murt en 340. St Ali'ix, eveque de Cli.iluns- sur-Marne, moil ver.-. iu milieu du 5"^ sieelc. h» laiiidi. La ^ATIVITE HE i.a S\inti; ViriiC.E. Vo'i. I'ai1u-lr- sous I'l' lilri'. Sr AitHiE.N, martyr a Niconn!-- dic, en 500. Sr SiiHioMus, martyr a Rome, dans les premiers siecles. Lcs Sts EtisEitE, Nestable, Zl- Nos.^EsTon, martyrs a G.tze. au 4"^' siecle. 9. SlRrili. St Ujieii, eveque dc Terunanne, moil en 070. i.a villede Teroiiatnie, aiijour- (riiuii'uiiiee, eialll^capilalcde^ ^Iuiiiis\iiays il'Arlois). .St Veras, eveque de Vence, en Provenec, mort vers le milieu du 5"^ siccle. Ste Os.manse, vierge en Bre- laanc, morte vers le 7^ sie- cle. 10. ]llt*i*crek, eveque ile Toul, mort au 7*^ siecle, 1 3. %'eii«lredi. SrGui, mui [ CM 1U12. St Alce, eveijue en Irlande, mort en 525. StSerdotou Saceruus, eveque de Lyon, mortau milieu du 0'-" siecle. St iMacedokids, marlvr au 4*^ s.ccle. 13. Maiiicdi. StKuloce, pa- Uiarcbe d'Alexandrie, mort en (iOS. St Amee, eveque de Sion, en Valais, patrun de la viilede Uouai, niorl en 090 St LiuoiKE, cvLiiue de Tours, mort en 571. Sr Meurille, eveque d" A n'r;ers, mort en 1007. 14:. BSimaiichc Exaltation DE la SAlSTE GuoiX. Viiy. I'ai lit leMia> le l.lie. Sr !i1aier>e, oveque dc Colo- gne el lie Treves, mort vers I a 11 345. SiE Catiieuineue Genes, veuve, morte en lolO. Ste NoTiibUROi:, vicrge, inorle en 1513. I 5.|jiiiidl. StNicetas, mar- tyr en 372. Sr iNiuniEUE, martyr, pretrede n.jme en OD. Sr Je\s le iNain, anaclioiite d Kgvple, niurl vers leeoiu- nienccmenl du o"-' siecle. f'T AiiiAiiT, abbe de Juinieges, mort en U87. IG. Mardi. SrGvrujs, eve- que de Girlb'ge el niailyr CM 250. C'cstuii des |ilus iliuslrcspt.'- res lies sii:ck>s priinilirs du cln-isiianisme. Ses ecuvres di- u'lses oni ele recueilUes eu un \oliiiue iii-lolio. St GoiiNEiLLE, pape et' martyr en 252. Ste Eu^iiemie. vicrge et mai- tyre en 507. Ste Ecgeme, vierge, iille ilu due d'Alsace , morte en 755. Iff. llercredi. tJiMtre- Tcmps. Si Lamrkkt. eveijue dcSlaestricbl, maityretee- lebre patron de Liege, niurl en 70S. Ste Golosibe, vierge martyre, a Cordone, en Espagne, morte en 855. SfE HiLiiEGARDE, abljpssc cn Alleniagne, ncc en 1098. 18. Jeuili. St Thomas ue ViLi.ENKuvE, arcbeveque de Valenee, en Espagne, mort en 1355. St Methode, eveque de Tyr, et martyr en 512. St Eerreoi,, martyr a Vienne, en France, en 504. 19. 'Vendr<'ili. Quatrc- Teiiqis St Ja>vieb, Eveque de teneveiit, et ses conipa- Linons. marly] s en 505. II csl Mii;,'iilicrt'iiifiu vciiere ;i ^alJles, duiit il csi le palioii. SrEcsruiaiE,t'veque de Tours, mort en 461. St Seine, abbe en Itouriiogne, mort en 580. Ste Luce d'Kcosse, vierge, morte en 1090. 20.*SBinedi.yualre-Tenips. St Ecstacue el ses conipa- gnons, marlyrs au 2"^ sie- cle. Uiic paroisse de P.ni^ e>i sous sou iiivucalioii. Sr Agai'Et, pape, murt a Gon- slanlinople, en 53G. Ste Suzasm^, vierge el mar- tyre en Paleslinc en 302. 2i. Ifrimaiiclio. St Mat- ■iim-,L, a|K'ilre el evanj^rliste, mini au \'-'^ .siedi!. St Gastoh, eveque d'.\pt en Provence, niorl en 420. St Lo, eveque de Coutaiiccs (en latin /.(fwrfifA ), murt en 508. Ste Malhi:, vierge a Troyes, morte en 850. tS2. Bjiiiidi. St ^Ialrice et sr.sriMnpagnons, marlyrs en 280 St Kmmeuasi), eveque, martyr el patron de Uatisboiuie,en 052. STESALAi!En(;E,abbesseiiLaon, eii 005. Sr Saimin, i)reniier eveque de Meaux, mort au 4'-' siecle. 23. Mardi, St Lis, p;qic, mai'lyr au l"^' siecle. li hu k*siirrcs>ciir MiiiiK'diiil dc raiHiirc saint Piciie Mif le Mi'-c ili: Ituiiir. SiE TiiECLE, vierge, martyre au !'■' sieelc. l.llc ariuuiiLigna rdi"Hrc sJiiil Paul daii^ pliisieurs de ses ruiir- ^ scs a|io-^litliqui's. StPaxest, martvr, disciplede siiint iJenis. premier eve- que de Paru, nnirt au 5* siecle. 24. IUcrcr**di. St Gkrard, eveque dcGbonad on Hon- gi'ic, martyr en 1090. Sr Anducue, prelre, StTuvrse. diacre, et St Felix, martyrs an 2*^ siecle. StRcstique ou RoTiRi.evoque d'Auvcrgne, mort au 5'' sie- cle. STGEnMEn,abbiSenBeauvaisi3, mort en 658. 25. «feudt. St. Geolf rid , abbeeuAngletcrre.morten 716. St Firuik, premier eveque d'Araiens, martyr en 287. STLorPit^vequedeLyon, moit en 542. St Principe, eveque de Sois- sons, frere de saint Rcmide Reims, murtau cummence- nientdu 6" siecle. 26. Vf-ndredl. Sr Gvprien el SrrJusTiSE, martyrsa ^i- cofliedie en 304. St Eusebe, pape, moi't en 310. Sr Nil le Jecse, abbe en Ita- lic, mort en 1005. %9. Kainedi. St Cos me et St Damie.n, martyrs en I'an 505. 1. 1"- (iieis U'S luMiorenl sous k' u.iiiidMwHryy/'t's.cVst-ii-riirc suns iirnciil, |i.ncc (ju'ils exei- t;.aicin la lurdciiiie gratuilc- iiieul. SrFi-oRENTiselSTlIiLiER.mar- tyi"5 en Bourgogne, en 406 Sr Elzear, conite d'Arian.et sa femmeUelpbine; le pre- mier, morlii I'arisen 1323, el la seconde.morte en 1 569 apresla canonisation desoti mari. 2 8- IHmaiiche.STWENCEs- i.AS, due dc Rolieine, mar- tyr en 93S. Sr Evci'ERE, eveque ile Tou- louse, mort au coniinence- iiient du 5*^ siecle. SiE ErsTOCiiiE, vierge, inorle en 419. St Gcra^n-, eveque de Paris, mort an conmiencenicnl du 7*^' siecle. St GiiAUiiosi), eveque de Lyon, niarlyr en 657. 29 KiiihII. St iMicuia, ar- ch;inge. Voij. I'ailii-le sons re Hire Ste TiiEouoTE, niarlyr ecu 51 H. Le uumieureux Simon, comic di'GiTny, mort en 1082. 30. Mardi. St Jerome, pic- Ire, dni lenr de I'Eglise, mi.rl en 420. (:^■|n'l■(■l'vU^c^-ilUl:^lrPll;l^ ^a sciciiiccl SJ |.icle. Scs o'U\ It's uul cie rctuciincs I'll ciiui vn- liniH's iii-li)lio. SrGuEooniE, eveque et apotre de rArmeiiic, snrnomme 17//Mmi;in^'(/r,niort an com- iiienicinenldui"' siecle. St lluSMiii, . ari-!ie\eqne^dc tluntorbery, mort en 055. LES SAISONS ET LES MOIS. SEPTEMBRE. Sons CCS saules loufTus, donl Ic feuilhge sombre A la fraicheur de I'eau joint la fraicheur de i'ombn', Le pr-chour patient prend son poste sans bruit. Tient sa lignc trcmblante, et sur I'omle la suit; Penchi'. ra?il immobile, il obserrL' avecjoie Lo Iii''ge qui sVnfoncn et le roseau qui pioic Quel imprudent surpris au pieu'e inattemlu A rhameijon fatal demeure suspendu? Est-ce la Iruitc agile, ou la carpe dorec, Ou la perche elalant sa nageoire pourpree, Ou TanguiUe argentec errant en longs anneaux. Ou le brochet gloutoii qui drpeuple les eaux? Delille. Tout, dans ce mois, nous iMppelle qup I'annee psl sur son ileclln ; le lemps est generalonienl clnir el serein: mais dej.i li's jotirs onl considerablenienl diminue, I'air com- mence ii i'tre plus frais, le soir el le malin, comme dans les jours d'aulomne. Le soleil briUe d'un eclal plus doiix, elpoiiiianl le milieu du jour a encore la clialour de I'cle. Le cliangement siirvenu dansle riclie decor des campagnes nous monlre clairement que I'anneea perdu le brillanl de la jeunesse, el meme que la richesse el I'eclal de I'iigc viril onl commence a s'evanouir. Ces champs, oil naguere le zephyr balancail mollemenl les llols d'une inoisson doree, depouillcs aujourd'hui, n'offrenl plus que le Irislc spec- licle de guerels sans verdure. I/Cspres, faucliesdepuislonglemps, soul rajeunis paruue herbe nouvelle, el les jiombreux li'oupeanx qui paissent le lendre gazoii animeni le paysage. Les liaies onl encore leurs feuilles, mais, privees des mille (leurs i|ui les email- lalenl, elles onl perdu la fraiclieur de lem- beaule. Le fruit de I'eglanlier el celui de rauhiqijne n'oni point encore re- velu leur riche coulein-. el rien ue relt've la sombre ver- dure de feuillagc; les branches du noiselier prennenl une coiileur fonctJe el s'affaissent sous le poids de leur fruit; les enfanis voicnt arriver avec joie le moment de les ra- vager. La Iranquillile hahiluelle de la saison allire les pcome- neurs; les forets silencieuses invilenl ii visiter leurs frai- ches relrailes, et des caravanes joyeuses se frayenl har- dimenl un chemin a travels les ronces ei les opines qui encombrent les senliers; fatigues, essouffles, its arrivent au ]iied d'un vieu\ chene, ]ireunenl .sous ses liranches lu- lelaires uu repas champetre que vieniientassai.sonner lap- pelil, I'exercire, I'air des chanqis el la gaiele. Mais laissons cctle liante jeunesse enivree de plaisir prendre ses innocents ehals. Quant ii nous donl lage a calme les passions, admirons le grandiose el I'imijosanle majesle des forets que In hachc meurlriere n'a pas encore sacriflees. II y a sous leurs voutes majesliieuses (pielque chose de sublime qui frappe I'iiine de ce dnux el saint res- pect, el qui inspire des rene.>;ions profondes el religieuses, comme sous la iief ou le jour pciielre ii Iraveis de riches vilraux. dans le petit nombre de nos vieilles eglises ca- lliolii|UCS, echappees i>u\ reparations d'une archilcclure vandale. L'ame a licsoin de se recueillir, ellc clierchc le silence, elle s'eleve vers son Crealeur cl se plail dans la .solitude. l.e feiiillage des arl.res n'a pas encore pris entieremenl la leintedei'aulomne; I'orme et le hi'lre presenlent en- core Cii et l.i des masses d'un vert lendre qui coulrasle avec les nuances sombres du chene el du sapin. Cepen- danl I'on.devine deja la saison qui .s'approclie. Le chant des oiseaux esl plus freipient dans ce mois que dans le pre- cedenl, mais ce soul des notes plaintives; elles out perdu de leur eclal el de leur vivacite : on croit enlendre les 328 LKS SAISUNS trisles adieiix dcs [iplils cliaiilios .-lili's .i I'olr qui sViifiiil. L'hirondcllc sc pi-epai'c a ri'iiiij^i-alion ; ciicoie (|np|(|u('s jours, et nous ne la vrrrons plus ; |iliisii'iii's li'ibiis siiivront son cxcniplc : dies voni i-ho'clier iiii clinial phis iloiix pour y passer I'hiver. Cepcndant dcs colonies d'aulres oiseaux nous arrivenl du Nord. Voici vonir la grivc rouge el la grise, nos haies et nos bois leur offrcnt une abondantc pSture. Le chasseur salue avec joie le commencement de sep- lembre, 11 va done enfin se livrer a son cruel plaisir ! Qui pourrait compter le nombre des viclimes destinecs a suc- comber? Le gastronome attend avec delices les mets deli- pals qui vonl couvrir sa table. Kl' LES MOIS. " Au\ Imhilanls de lair tiul-il Inrcr la guerre. Le chasseur prend son lube, image du tnnnerrc; II I'eleve au niveau de I'ceil qui le comluil : Lc coup pail, I'eclair hrillc, el la foudrc Ic suit. IJuels oiseaux va pcrccr la grele lueiirlricre? Cost lo vanneau plaintif crianl sur la bruverc. C'est toi, jeunc aloucllo, liabilanle dcs airs! Tu nieurs eu preludant a les lendrcs conccrls, Mais pnuiquoi celi'brer celte laclie vicloire, Ces Iriomphcs sans (Vuils cl ces conibjls sans ainire? Ah ! devouc a la niorl ranlmal dont la tele I'resenle a noire bras line digne conrjuete, l.'euiicmi des Iroupeaux, rcnnemi des moissnn-:. Mais s'il y a de la cruaule a poursuivre et tiier le gibier, nous avoiis au mollis line excuse, nous le tuons pour le manger. Nos graves voisins d'oulre-mer ne se ronleiitent pas de noire maniere Irivialc de tiier avec le fusil, oii se- rait le sport! Tirer iin lievre, c'est un a.ssassinal, discul-ils ; noil, il faut poursuivre la virtime ;i oulrance ; chiciis el che- vaux semblent partager avec 1 homme ce plaisir sauvage, jusqu'a ce quo la pauvre belc, essoiifllee, rcndue de fatigue, expire aux pieds du chasseur, sous la denl du cliien ou le fouet du sporlsmiiit qui eontemple avec orgiieil el ravisse- ment ce glorieux spectacle. Laissous CCS trisles scenes, visilons nos vergers el nos jardins. Aux lleurs oiitsuccede les fruits; mais leurs par- fiims attirent de.s myriades de mouclies, d'abeilles et de guepes ; non conlenis de nous devaster, ces maraudeiirs s'irrilenl qiiand nous les dcrangeons dans leur depredation ; ils nous poursuivent. nous chassent a leur lour, et nous nous Irouvons heureux quand nous pouviuis ecliapjier a leur terrible niguillon. Homme, sols done fier de la supe- rioritc! comma le lion de la fuble, qu'un simple moiicbe- ron s'atlaqiie a toi. Hi es foice de reeonnaitre Ion iieaiil. Voici le temps oil les vergers soul eiiricliis de leurs fruits les plus utiles; vers la Iin du mois ils en scront de- pouillijs; ces fruits sc conservent pour I'hiver ou sonl converlis en eidrc el en poire. La vigne demande encore des soins, on la debarrasse des mauvaises licrbesqiii eiilre- liendraienl I'liiimidile el feraieiit gatcr le raisin. Deja Ton commence en quelques cndrojls la veudange, mais seule- menl dans les parlies meridionales de la France, ailleurs elle ne se fera ipie dans le mois suivanl(l). Diver.ses sorles de fungus (champignons) abondeni dans les prairies, mais il faut se gardcr dc les manger sans hien les connaiire ; I'imprudence a souvent des resnllats dcplo- rables. Le gland et le faine tombent en grande abondancc du chene el du helre, c'est une nourrilurc dont les pores soul avides, elle Icscngraisse el leurdonne une chair savoureu.se. Le gardien les habiliie par ilegres ,i obeir aux notes dc son cornet, il en conduit quclqiiefois jusqu'a six cents, qu'il parvicnt a maintenir ensemble avec une grande regula- rile; a son ordre ils se disper.sent ou se rassemblenl. Le soirils relourncnlchez leurs mailres. el le matin, aii sou du cor, lesdclachemenls viennent do tons cotes rcprendre leurs rangs dans le grand troiipcau, etpareillement chaque jour, donna nt ainsi la preuve que memo celte race immonde peul elre anienee a la discipline et a I'obijissance. I'armi les animaux quo nous poursiiivons pour noire plaisir ou noire utilite, pendant le mois de la chasse, il en I'sl un (|ui, quoique ires-limido et iiioffensif en apparcnce, est un grand lleau pour les culli'ateurs ; je veux parler du bqiiii. II faut avoir habile la campagne et suivi les travaux de I'agricullurc pour sc former une idee des ravages que m Noils rii parlcroiis Ic mois procliiiiii. VIE I'liiviib: Di'S oisi;ai;\. >'2» f;iil cc'l animal riiiigeur. il iic rcsjioclc licii, ni les cliniii|fs, ni Ics janliiis; il iiiTcei'l mine lo lorrain.el il est (ruiio telle locoiiilili', (|u'il csl iiiipossililu Jr s"cn drfairo. La fouinc, lo lilaireau el le renarJ soiilsesciiiicinis iialuiols; iiiaisce lie smit |ias (les voisiiis Ires-acfrealilcs pour le feniiier; ils ne so cniileiileiil pas il'atlaipior le lapin jusi|iie Jans sun Iron, ils fonl aiissi lie rrocpicntcs visiles an poulaillor. Oil voil snuveiil ilans les champs ees Ills logeis que pousse Ic zephyr, rellelaiil les rayons ilu soloil el semlilaiit lies celiarpes il'argeiil; ee sonl des loiles lissucs par des niilliersd'insreles el coniiues sous le iinm dililsdela lioniic Vierge. C'esl aussi I'epoque do lannee on les seriienls elian;,'enl lie pcan; on en Irouve (|uelipiefois do si enlicies, que mi me T,&VtUiUM£.J'C.<^~ 1.1 |ii-llii.'iile qui coiivre les ycux est intnclft. Le ropiile sc foil ire il.ins (It's luiiffcsriinisscsd'iicrbes. i>'y frolic, et,ijlis- s;iMl avoc effort Ki tele l;i ju'eniiere dans i|iielque passage rlidit. y laisse sa pcaii rclournee comnie mi has. Mais il/'j.i voici I'aiitomiie; il va realiser les proniosscs ihi prinlemps. ISiclie saison, que Ui serais belle, si Ton ponvail tc voir venir sans penser aux rii,Mienvs ile I'liiver! Les premieres feiiilles ([iii lombent jetleiil dans Tame cede melancolie qn'on eprouve a la vi'C de la premiere ride. Ilelas I avec quelle rapidile les aulres vont suivre ! Si des licnux jours naiss;iiils on clu'iil les |ireniier-^, Les henux jours expiranls out aussi leurs cIcMces. Dnus rnulomiio. ces hois, ees soli'ils piilissiiiils Itiluicssent noli'c nine en allrislatil nos sens. Lu piinltjinps ntius inspire nnc aini:il>le lulic; l/iiulonuie, les douceurs tie la nielaneoiie. (In revoil les beaux jours avec cc vif transport Qii'iiispire uii tundro ami doiit on jilcnralt ta niorl ; I.rur depart, i|iioii[in.' Uisle, a jiniir nous tnvile ; t!i- sonl les duuv ailieuv d'nn ami qui noust^niUc; (Iharpic inslanl qu'il accoriic, on ainio .i le saisir, VA le ro'p'rel Ini-nienu' au'jrinenle le pi lisir. DiXlLI-E. L'equinoxe d'auLomiie arrive le iSseptembre; ilamene iioneralemenl des orai^es et des coups de vent; les babi- lanls lb' I'equalcur out le soleil verticnlemcnt au-dessus de lenrtete, elil n'y a d'oinbie nulle part. La lerre elanlalors rapju'ncbec du soieil, son itilluence pro;Inil les _i;randes niarces. Conmie au mois precedent, les poiiulalious des cites eiuii;renl vers les coles et vont y cliercber la sante, le plai- sir et le rcpos des affaires. La un speclacle mat^niiniue se presente a leurs yeux. (j«i ne serait frappe a I'aspectde eel horizon bleu, de ces barques dc pt'cbeur; le leveret lecou- clier du soleil sonl des scenes nouvelles qui doivent pene- Irer I'.'ime. i.ci-LKmcM.i/a. . A I.*OCEABr. MaLinirKjue Oeean, sublime, pkin ilr^lnin'. Calme el inajestueux, liirieux, indompl*', Le (cnips ilevaslaleur le cede la vieloire, Image de relernile! La June, le soleil, les t'loiles des momlcs Kn rayons L-elalanlssLintillonlsnrles Hols, Mais nc pcuvcnt |)ereer les cavcrnes prolbuiles, Centre iiiyslericux dc Mime ct de repos 1 Ueni'-tanl les rayons que I'aurore le preto, Ou les riches eoulcurs dc I'eeharpe d'Iris, Ueehire par les vents, Ics vaisscaux.la Icmpete, Tn braves leurs (rflbrls , a leurs coups lusouris ! La Icrrc, ses vullons, scs montagncs ncigcuses, lie llioinme onl tlii subir les tyranniqucs lois. A-t-il pu Ic sondcr? les sources cavcrncuscs Se eaehcnt a scs yeux ; lu nieconnais sa voix. Qu"t'S-lu ilonc, Ocuan suhlinie? Mais si ton seul aspect peul emouvoir le fo^ur, '.ine penser rie celui liont le souFIle t aninie, De rfiterncl, Ion crcaleur ! VIE PRIVEE DES OISEACX, LEei'.S MOEUfS. I.EOl'.S nAlllTlUlES, I.EUnS 1^STI^CTS. I,A PER9RIX. Le 1" seplcmbre est un jour de jnio pour les chas- seurs et dc deuil pour les panvresperdrix. liien n'arrelo lo zoledoriiommc pour ladeslruolion. Lo chasseur pouisuille !,'il)icr pour le Irisleel cruel plaisir de le poursuivrc; il n'a pas meiiie la neccssile pour excuse. Les plus inlrepidcs ex- lerminalenrs soul au-dessus du bcsoin ; il faul olre riche pour avoir le droit de luor uiic perdrix, ct il est assci rare ipie les chasseurs aimenl le iiihicr el en niauc;onl. S3(1 VIK rillVliK KES OISEAUX. Oil ,1 fiiii lies lois po'ir rcslrcindro Toxi'i-cice do la cliassc; mais cos lois iie soitl |ras failcs dans iiii Iml moral, on mo- nni,'e Ic pibior dans la crainlc do Ic dclniiic ct dc se pi-ivcr ainsi d'un |daisir. II est ccpcndani cprlain qiicDieua loiil fail dans mi Ijiil d'ulililc; en eliuliant Ics nirenis el Ics lialiilndes dosiini- mfinx, (in on acciuioit facilcmcnt la preiivo. Si la ponli-ix mango quoliiuos grains, co n'est |ins la nonnilnro iiu'ello profere , die est frinndo d'nnc foiilo (I'insecles qni, sans ello, foraient aux moissons nn nial iiToparablejaussi voit-on fjn"cllo affoclioniie los tones los niieux culliveos, c'est la qn'ollo se plait et mnlliplio, el, nialgrc Ics persecniions dont olle est i'olijol, on no peni la relegner dans dos lienx i-anvngcs el solitaires. Vons voyoz tonjours ees oisoanx icvonir avoo persovoranco an I'lia'mp qn'ils out adoplo. Or nn ne pent snpposor (pie cos lialiilndes, eel allaolio- inent an sol ciiltive ot rextronie loeondilo do la pei-diix soioni sans nn but parlicnlierdans I'economio de la nature. La Providence a lout prcvn; sa sagcsse et sa Lontc infinie avaieiit, dans ce cas conimc dans tons les autrcs, line in- Icnlion bionvoillnnte pour rcspeco bnniaine. On a dit avcc raisnn que loul t-e qui accomiKiipic iiiva- riuMemrnl le jinnjrh H les amelioralioiis tmr est iieees- xaiie. 11 est facile de prouver ((ue cellc vorito ost applica- ble a rexislonce de la perdiix. Tons los oisoanx qui so nour- rissenl sur le sol viveiil prcsi|iie excliisivenionl d'iiisecles ot de polils aniinaux qni n'enlrenl pas strictonient sous cotte donominalion, et s'il est vrai quo la perdrix mango anssi qnolqnos graiuos, qnolquos plaules bulLcuses, et rc- cueille ainsi avcc riiomme sa pari dii prodiiil do la cul- ture, les sorvioes qn'elle rend en di'triiisant los insccles qui, sans cUo, devoreraieni tout, sont pins qu'nue com- pensation do la petite part qu'ollo consomme. X. La perdrix ( Telrao Perilix do Linno) comproml deux especos, la ronimnne on gri.se [einerea), el la rouge (rufa). Cos oisoanx sont Irop coiinns pour qn'il soil noce.ssaire d'en doiiner ici nne desoiiplinn dotailloo. La rouge est ainsi nommoe dc la coulenr de sos patios. Lo m.ilo est plus gros, el les coulciirs dc sou plumage sont plus bril- laiitcs que cellos do la feinoUe ; il ost arnie d'o|iorons comme le coq. mais nioins longs ot plus arrondis. Los lions cliassonrs savcul ronnaitre an vol, dans une compagnie, los males dos fomoUos, el tnont les preiniors dc preference, liaiTC c|n'il y en a plus quo do foiiiollos, el que ccUos-ci sont plus importanles pour la roprodnolion. ("est oi'dinairomoni snr la perdrix (|ue le cliasseur no- vice s'cxorce, et il en ocliapporait fort pen chaqiie annoe si tons los tireurs ctaicnt liabilos. car c'est pont-oire I'oiscau le pins facile li luer; licnrcuscnient il se lire an vent plus de poudrc et de plomb que snr les oisoanx eu\-iiiemes. lleuroiix quand les clia.ssears ne lirenl pas los uns sur les autres, comme cola arrive Irop souveiit aux environs de Pari.'!. On roconuait Page ilcs|ierdrix a la conlourdu boc el des pattes boaiicnup mollis foiicoo clioz los jouiios que cliez colics plus ligoos. On le rcoonnail aiissi a la dorniore plume do I'aile, qui est effiloe apros la promioro nine, mais rondo I'annoo snivanlo. La grossonr ot le plnmago dc cos oiseaux varieiil beauroup scion los localitos; los pins boailx ot los plus gi'os se trouvont dans les pays les plus ferliles el les mionx cnltivos, tandis que dans les lorrcs pins maigres, lour oon- leur ot lonr apparencc out sonvonl Irompe au poinldo faire croire que c'olail iino espece dirforonio, on loul au moins lino varioti''. La perdrix est la plus focondo des gallinaces sauvagos, olle pond raronienl ninins do douze oeiifs ot soiivent jnsi|u',a vingl; cc iiombro a etc qnelqueroissurpasso de boaiicnup. Uu vionx clias.sour nous a dit avoir tronvc en \~'J7>, dans nn clianip en jachoro, nn nid dans leqiiel il y avail treiile- Irais aiifs; ils avaiont oto coniples, avaiit la convoo, par lino porsonne qui nepoiivailcioirea nnclollofocondite; vingl-trois do cos coiifs sonleclos ct los polils oiil pris lonr essnr. Afiu de rciissir a en conver nn si grand nombro, la fomolle en avail fail au milieu dn nid nne sooondc conche de .sept qu'ello avail disposes d'une maiiiore Ires-iiigc- uiense. Le nid de la perdrix est loHtsiniploment nn Iron qu'elle gratto dims la lerre secho, ou bien nn pas de clioval oil de bccnf qn'ollo garnit grossierouieni do quolqnes feiiillos. Onclqnofois olle le fail sur lo bord d'une bale, d'aulros fois dans lo bio ou lo foiii, ou encore dans la liizorne. Ou en Irouve souvonl sous I'aliri d'un pi lit bnissoiioii d'une loiiffo d'borbo. Ello ooniinence a pondre vers la fin de niai des (Tiifs d'lin gris vord.ilro, ol olle les cnnvo avec lanl de soin, qii'ollo no qnilto |ias son nid quand on on a]i|iroclio, ct il VIK I'lllVliE I)ES (IISKAUX. csl difficile de Ten cliasser ; elle le dcl'end coiirageiiscmcnt coiiire les pies elautipsoisoaiix iiillardsfiiandsdcscsfnufs. Le male ne couve pas, mais 11 prend soin de la mere, I'aide a defendre sa couvee, el souveiil il a recnnrs a rartificc iioiir eloigner les curieux dii iiid en se faisaut poursiiivre d'uii autre cote. Les pluios longiies el ahoridanlesleur sniitdan- gereuses ipiand elles vieniieiit pendant la couvee oil li)rs([ne les pelits viennent d'ecloie, lieauc(uip d'reul's sont penelres par I'eau on delrnits par le froid. ct memeipiand lesjeunes perdreaiix ne sonl edos ([ue depuls pen de jours le froid les saisil, leurs paltes n'out plus la force de les soutenir, ils lombeiitet perisseiU, nn"'nielors(pi'ilsconimencent a suivre leur mere en ([uetc de leur nourriture. Le pere et la more nionlrenl egalement une vive affection pour leur piogi'riilure; ils rivalisenl desoinsel d'atlenlion, lui indlquant la nourriture (pii lui est pro|ire. lis la de- fenilcnlcouragcusemenl conlrc ses enneniis. Les insecles, leurs larves el leurs reufs soul la nourriture lialiiluelledes jeunes perdrcaux; les oeufs de fourmi, surloul, semldent necessaircs a leur existence. Souvent le male et la femelle se serrent I'un contre I'aulre, el couvrenl les petils sous leurs ailes; lalendressc qu'ilsmontrentdans cctle situation est un spectacle vraiment plein d'interet, et nous nous plaisonsacroire que pen de personnesselivreraientalorsan barbare plaisir de leur faire du mal on mcmede les effrayer. n (Juand ils sonl decouverls par nn cliien, on alarmes ,'i son approclie, disent les personnes qui ont elelemoins du fail , le male les averlit le |iremier par nn petit cri de detresse tout parliculier: puis il prend soil vol du cote du danger, IraJnant I'aile, rampant pour ainsi dire lerre a terre en affectant beaucoup de failjlessc, de maniere a trom- per le cbien et a lui faire croire ipi'il sera une proie fa- cile ; le cliien le suit loin de la couvee. En menie temps la femelle s'cnvule licancoup plus loin, dans une direc- tion opposee, mais elle revient liientot, rappelle sa fa- niille dispersed qui s'est bloltie sous I'lierbc et le cliaume, elle la rassendjie et la guide loin du danger avanli|uelo chien ait eu le tempsde revcnir de la poursuilc du m.ile (pii a retrouve ses ailes des qu'il s'est vu asscz loin pour san- ver ses petils du dangei'. » Nous ne pouvons resisler an plaisir de ciler a ce sujet les vers suivanls du roi des fabulistes ; Quanil la perdiix Voit ses pclil.s Kii danjrer et ii'ayant iju'une pliniie nouvcllo, Oui lie peul fuir eiieor [lar les airs le Irepas, telle fait la blessee, et va traiiiant de I'aile, Alliraiit le ehassctir et le cliien siir ses pas, Detoui'iie le danger, sauve ainsi sa faniille ; Kl puis, quaiid le chasseur croit t[iic sou cliicu la pii l£lle lui dit ailieu, prcud sa voice, el rit De riicmme qui, eonl'us, des yeux en vain la soil. La perdrix s'apprivoise facilenient, mais elle ne couve pas dans I'etal domcslique. J'en ai vu une qui etait deve- nue tellement faniiliere. dans la maison oti cllc avail ele elevije, qu'elle ne manipiailjaniais les lieures de repas, elle venait e.xaclcmeni ramasser les mielles dans la salle a man- ger, et savail fori liien demander quand on ne pcnsail pas a elle; ensuite, elle allait s'etendre devant le feu, gon- llait ses plumes et soiilcvail ses ailes comme elle eiit fait au soleil. Leschiens el les dials de la maison vivaicnt aur 33 f elle en bonne inlelligence. .Malheureusenientnn cliatelran- ger, moins liien elere, la tiia un beau jour. On donne souvent .i line jioiile des oeufs de perdrix li couvcr, on met ensuite les pelils dans une reserve que Ton a besoin de peupler, el ils y vivenl fort bieu. 11 fani avoir la precaiilinn, des qu'ils sonl eclos, de leur donner pour nonrrilnre des n'lifs de fourmis, on leur donne ensnile du Inil caille doiix iiiele avec de la lailue, et du mouroii on du senecon. II leur faul qucbpie Icmps pour s'liabituer a manger vidonliersdu grain. k I.X CORBEAU. Les corlieaux sont repandus en grand nombre par tout I'miivers. lis supporlenl egalemeni le froid rigourenx des regions polaires, el le .soleil brulant des Inqiiqiies. Quelles que soieiil les contrees nu le voyageur enlreprenant ait penetre, il y rencontre I'oiseau noir et peu graeieux qui la .salue de ses rauques accents an pays nalal. Le corbeau, dans son exierieiir, ses liabitiides el ses gouts, a beaucoup d'analogie avec la cnrneille; mais il est ]ilus gros, beaucoup plus carnassier el |ilus avide. Comme loute celte race singuliere, 11 possede une grande finesse d'observalion. Apprivoise on uon, il ne ccsse d'epier ce qui se passe antour de lui. Celte faculle le rend vigilant, stir do lui-meinp, lui donne non-seulement les inoyens d'agir avec prudence el babilele ii Tbeiire du danger, mais le rend capable encore de s'accommodtr ,i loutes les siliia- lions. Voila sans doule pourqiioion ]ieul facilenient appri- voiser eel oiscaii, ainsi que tons cenx qui a|ipartieiincnt a la meine famille. Lescorbeaux babilent les pays ineulles el inontagmux, liien ipi'ils etabli.>isenl leurs iiids dans les bois ou dans les fenles abritees des rocliers, a jieu de distance des lerres cnllivees. Lenid se forme, au deliors, de brancbes qu'ils lapissenl ii rinir'rieur de laine ou de tool aitlre objet con- veiiable qu'ils out pu recueillir. Les ccufs varienl en nom- bre depuis deux jusi|u'a cinq. Leur coulenr est veidaire, taclielee de brun. Les ]ielils font entendre des cris bruvants quand ils sonl presses par la faim, et devoreni avidenienl la nonrrilnre cpie les parents leur appoitent avec beaucoup de zele el d'exactilude. Le nid est tonjiinrs ]ilace Ires-banl, alin de le protegee coiiire lalleinle des cbasseurs ; puis il est dispose de ma- niere .i lemetlreen si'irele contre d'aulresoiseaux de proie, leurs plus mortels ennemis; cepeiidanl ils reussissenl difH- cilement a s'einparer de la coiivec que les parents defen- denl vaillainmenl. Mais celle Icndre .solliciludc des cor- beaux envers leurs pelits ne dure pas longtenips ; aiissilul que cesderniers peuvent se suflire, et avani ineme quils en soienl capables, les parents les abandonneiil. les pour- Miivent et les chassenl. Ces malbenrenx atlirent alois par leurs cris rallenlioii des lioninio. el ceiix qui. Imp laibles 35-i VIE I'lllVKIi IIUS OlSEAUX. (Micorc pour vuIit, soul rcsles a W'lw, lonilieiiL au |iouvuii' lie goiis qui U's apprivoisi'iil, ul nictteiit :\ prulU Iciirs lionncs disp(3silions. Aulrcfois k'S corbcaux otaiciU plus uonilireux daus co pays ((uilsne le soul aujoiiril'liui. Suivaul le vieux |ii'o- vci'bc , cliaque rocher avail son corbeau; inais ils soul lieaucoup plus rarcs. On peut cu iilli'ibut'r la cause aux progrcs que I'agricuUure a fails eu Frauco, ce qui a cli- Miinuc Icui's ressources alinioulaii'os ol par cnus'equeuta reduil le uomlire de cesoiseaux. En elTel, ou surveille si Lien les animaux faildes cl malades,'qu'ils ue Irouveul ]ilus I'occasion de s'cniparor do Icurs viclinies ol dc com- pleter I'lmivre que la maladio a commencee. Jamais d'ail- leurs le corbeau ne ehcrclie a peuelrer la on scs services sont iiuililcs. Dans un pays pauvrc, mal cullive, donl le c'limat esl sujetii une grtmde varicle, il devieul Ires-ucces- saire, soil eu dulivraulle sol de substances auiniales cor- rojnpues, soil en delniisanl cos violimcs dc la uialadie (pii ue lardcraicul pas a uuire a loutes les crealurcs vivauUs nuliiur d'clles. Telles soul les circnnslances (|ui allireut les I'orbeaux ; mais quand los Ironpeaux viveul dans I'abondauce it la prnsperile, le uombre de ces oiseaux se reduil eu f^eneral a bieu pen de cbose. Ou les voii seulemeutde Icmps I'l autre plutut occupes a epiei' le passaijc des auimaux I'a- riiucbes, (pi'ii poursiiivre eeux qui jouisseul des bienfails de ragrieulture. Le corbeau redouble d'aclivite dans les temps lourds el orageux. Taudis qucles oiseaux cbercbeul uuab)'i coutre In pluie sous le feuillage de la Inrel ou dans les Irons el les eaverues des roi-licrs, le corbeau ne souge qu'a poursuivre la proie qii'il s'alleud a Irouverabuudanle pendant I'orage. Ses previsions se realisent presque loujours; car il ncpeul luanquer de rcnconlrcr plus d'un pauvre oiseau cpiiisi; de faligue.aiusi qued'nulres pelits mallieureux iueapablcs en- core dc vo'.er, donl il s'cmpare facilemeul, tandis qu'ils se debaltcut an milieu do la lempele. Les corbcaux aimenl Rurtout a se nourrir dejeuncs freux (espocedecorneillcs), aussi existe-l-ileulrocux uuebninc im|dacable, el lesTreux, malgre les atlaques audaciouscs de lours cruels euuemis, leuwissenl cpielquefois a les repousser el .i defendro leurs uids. Ccqiondant les coups porles par les corbcaux an mo- ment de la hiltc onl une graiidc iiuissance, ils tionueut le con Iros-roido, et seuiblent jctcr lout le poids du corps coutre lenrs advorsaires. Clioso rcmarquable, c'esl que b' corbeau, commo la |ilu- parl des oiseaux dc ce genre, appreud faedemeut a iuiilor les sous de la voix lumiaine. On pretend eu avoir enleudii parler si dislinetcmeni, que lilliision otait complete. On ou a vu un pros d'un corps do garde, et los soldals, croyant rccounaitre la voix do la sontiuello, vinrojil plus d'unc fois rqiondre inulilcmout a I'apiiol. Coltc faculte les a fuil approcier dc bicn des gens qui prennenl plaisir a los mellro cu cage et a les econler par- lor. I'liis la cruaulo s'en est melee; sous pretexlc do rendre I'arliculalion plus claire, on imagine quelquofois de lour I'eudre la languo, operation douloureuso, I'ort inutile, ,i la- i|uolle personne n'aurail recours, si tons connaissaioul mieux la slrnclure des oiseaux. Chez ciix, la languo u'a nucnn ra]ipnrl avoc la production ou la modulation des sons, I'orgaue do la voix existc a la liu broncbialo de la tracboe- artere. C'esl do la que s'ooliap|ieul tnus los sous qu'ils snnl ca]ialilesdo produiro. Les corbcaux quoruupioud jounos soul facilesa appri- I voisor, el dovienuent souvenl aussi utiles qu'uu cliion eu prolegeant los terres el cu dovurant les roliuts. roiidaut lo' oours de lour eilumlion cepcudanl, il faut exercer sur eux une Ires-grande surveillance, a cause de lours mnu- vais peuchanls. lis opronvenl poiu' cerlaiues persuimes dos antipalliies, et leurs coups de bee n'onl rien d'agroablc. (Juc d'auocdales n'a-ton pas raconloos sur lour elairvoyauco et leur subtililc. « Oisenu do mauvais auguro, dil la 16- « geudo, In lis, a Iravors les veines palpilanles et pleiues « do sanle, Ibeure marquee pour la morl. » Jamais nous ue pourrons nous rendre culioromoul couqjlc dc cello I'a- culto du corbeau deseutir a une graude distance I'animal morl ou monranl ((u'il se dispose a devorer. Nous com- preuous encore que I'odeur des miasnies qui s'olevenl de maliores corronqiuos ]iuissonl frapper de tres-loin le sous si delical de ces oiseaux, mais cpiand ou nous assure que les auimaux faildos elmaladosles allireut aussi, el ([u'aloi-s ils s't'lanccnl au jiUis haul des airs, francbi.sseul une graude distance et arrivont pros d'eux, il faut rccounaitre la un pbonomone au-dossus de noire intelligence. Co my.slore, qui s'allacbe aux habiludes du corbeau, sou caraclere A la fois grave el ruse, .sa ropulalion do longo- vito, loutes ces cboses rcunies onl excilo- en general, de- pnis los siecles los plus reculos, riuti'rot et comme une especo de voueratiou suporslitieuse. Craco a cette faculle qu on lui attril]iu> ( non saus raisou ) do jhtircr la morl, ou s'cflrayc a la vne d'un corbeau, el c'esl aiusi qfrou le de- peiul : « L'odieux precurscm- dos choses falalos, lo messa- « ger dc la donleur et de la morl. » Le changeineul qui s'est opero daus les mfeurs et les idoos de I'epoque acluellc a beaucoup diminuo le respecl qu'on porlail autrefois au corbeau. « Je no suis pas cneliu, « dil un auleur conlemporain, a converlir les iihouomenes « de la nature el les cvcnemenis accidcjilels en signes ou II indications des choses fulnrcs : la superstition s'use de « nosjours, (lie s'offaccra bienldteulieremcnt; iln'en sera « plus question, mais je craius c|n'clle ne soil remplacee « par lo deismo, riuDdolilo ot rimpiote, resultal de la sa- « gos.se dos honuues; la premiere croyauco nail do la I'ai- ci blcssc ol dc rignoraucc ; lo donle, de ringraliliido, do « rorgueil, el de la mocbnncole. » A rcpo(|ue oil les liommes croyaieul quo la Oivinilo commniiiquait avec eux an moyen do sigucs myslerieux, lo corbeau, qui pa.ssait |iour un oiseau proplioliipie, avail uuegrand(' inqiorlauco. On I'oludiailavocsoin : samauiero de voler, riullexiou de sa voix, ses mouvemenls, lout choz lui s'inlerprelail differonnucnl; on a decouvert soixantc (|uatre sous varies dans sa voix, ce qui donna aux ancieus ample maliere a discussion, curieux qu lis elaicul de savoir di-liugucr les iuHoxions plus ou moius sinislres. II exisle encore de nos jonrs, en Europe, des gens qui croient i\ la science propbotique dos corbeaux. Plus d'un ignorant villagoois Ireniblcrail s'il cnlendait, elautmalado ou trouble par sa conscience, ce croassemeut lugubro. Ainsi que nous I'avons deja dil, I'homme pent domplor le corbeau el en lirer grand |iarti; lout vorace qu'il est parsa nature, on vient ,i bout de reprinier son appetil, el de couserver la proie donl il s'est emparc. Scaligcr raconte (pie Louis XII avail fail dresser nn corboan pour la cliassc aux pei'drix. Un autre auleur dil avoir vu a Naples ehas- scr au corbeau des pordrix, dos faisans, etc. Aulu-Cello paric d'un de. c.cs auiinanx qui aecompagnait .sou niailrc ^ul lo clianip do balaillo. Urj Caiilois, d'uno stature gigan- VIE I'lUVKE DES OISEAL'X. les(iiio, ayaiit |irovni|uc rii iliid li' plus Imvc ilrs liomaiiis, Vali'rius se |iresciila, iiiais il ci'il Hi olilige ilo mier la vicluii'e u son roJoiilable aJvcrsairo, sans Ic seconrs dc soil corlicaii, (|ni no rlicirlia i|n'a |iersecnlei' le (iauluis, clioisissanl loiljonrs Ic lion el le nionicnt favonlilcs ; tanlul il liii (lonnait dcs coups do lice snrlcs mains, tanlol il s'o- lanoail a la llgnre el aiix yenx : oiifln il rimporliina de telle facnn, c|uo lo Ganlois fill vainrn. Valerius poria Inii- jours depiiis lo nom de Corvintis. Lcs corljcaux oiil sonvoiil rcmpli le role dc fiircls, qn'ils onl snrpasscs en lialjilolo ; on les n viis siiivre Ins cliirns dans U'S i,'rani,'os, ol se liviTi-volontiers a la eliasso anx rals. On cilc rcxcmple d'nn corbean qui fill clove avcc nn oiiieii ; cliassanl un jour de conipafjnie, ils arrivcront a I'di- droil d'liii loiTier, le clilon s'y procipilcle preniiev, cliassc du liois lcs lapiiis el les llevrcs, laiidis que le corbean, posle .i I'exlcrieur, s'onijjare de tons ccnx qui vienncnl de son culii; Ic cliien ne lai'de pas ii sejoindro a Ini, cl le carnage est coniplet. Buffon nous apprond que des millicrs de rats ravagercnt pendant cinq ans les ilcs Bernuides, il suppose qn'ils onl lilc dolruils par les nombreux cor- boaiix qui arrivcront dans cos parages, la Iroisiomc annce du lloau. Mais ce n'est l.i ipi'iine simple oonjocliire. Cos oisoaux out riiabiludo d'appruvisionnor lours nids de fruits, do noix ct d'autrcs aliincnls deslincs, snivanl los nns, a iioiirrirla femolle an moment do I'inciibatioii, sni- vanl d'autrcs a leur sorvir |ieiidant Tbivor i|uand lcs vivres inanqiicnl. II parait que la manio do se snisir d'objels fa- cilos a cmporter, qu'ils siiicnt bons a manger on a Ionic autre cboso. est fort coinmnne choz cos oiseanx ; ils onl (picb|uofois derobe dos articles prociciix dont on a allrilino lo vol ii dos personnos innoceules. Du a docouverl ri Erfnrlb nncorlicaii qui avail on la palionoo d'omporlor uno a niio dos |iclilos pieces do nioniiaio, ipi'il cacbaitsoiis niie picrrc dans un jardiu, el qui linirenl par s'elevcr a la somme de cinq ou six llorins. En gonoral, les oiseaus apparlonant a la fainillo dos corlicanx semblenttrcs-disposes a s'cmparer dc tonic substanco brillanle ou de coulcnr clairc; mais ils font un clioi.x qn'on no pent expliquor. Nous en parlcrons cepcndanl plus on detail i|unnd notis decrirons la pie. Lo corbean male defend conragcuscmonl aiissi sa femclle et scs pelils; des i|u'il voil.approcber los oisoaux de proie dunid, il s'elance, plane aii-dossnsilerciinemi,etratlaqne vigonronsemout nvoc son bee. S'il chercho ,1 gagner la plusbauto position, le corbean redouble d'efforts pour con- server Tavanlagc qn'il a oblenu, ils finisscnl ainsi par s'e- lever de maniere a ce qu'on lcs perdo di' vue, jiisqu'a cc quo I'lin des deux tombe a lorre opnise de fatigue. Malgrii la voracile de eel oiscau ijui cinploic toutc especc de moyens pour la salisfaire, le corboan n'cn est pasmoins capable de supporter longtonqis la faim On ne sauraitdiro nn juste le nombre d'aniices qn'il jpent allcindro, niais il osl certain qn'il vit Ircs-vloux, ot c'esl cliose rare que dc voir un de cos aniinaiix morls, a moins qn'il ne soil tuc d"un coupde fusil, moinc d^'is les pays on ils soul le plus nombreux. IE f£LICAM. Parmi les oiseaux los plus remarqnutilcs par leur orga- nisation et lours niffiurs, nous dcvons ciler le pelican. Cel oiseaii etait connn des la plus liaulc anliquite : lesliis- loriens, toulefois, lo dosigneni pins paiiicnliercment .sons le nom d'onocrolalo. qui signifie cri de I'ane. Pline eiitre autres le decrit ainsi dans son livrc d'bisloirc naliirolle : «Los onocrotales, dil-il, ressemblcnt aux cygncs cl ne s'en dislinguent guero que]iar nnegranJe poolie qn'ils onl sous Ic- Lee. Cost dans colic vasle poclie iiuc eel oisoaii, dont la voracile est proiligiouse. onlasse d'abord scs provisions. (Juaml il a fmido cbassor.il mango, parnne sorle do ruini- iialion, les poissons donl il avail rompli sa pocbe. i,a Ganlo, voisine de TOcean soplonlrional, est lo pays don nous viennent les onorrolalos. n L'osprit de I'bomnio qui cliercbe parlonl lo iiiorvi'il- leux, a Irouve dans les mo;urs de cot animal nn vaslo champ a exploiter. Aussi lo nioyoii ago, d.ins son ignorance du jiasso, s'cst servidu pelican comnio symbole de la cba- rite. L'allitude deed oiscau, au mnmcnt on il vide sa poclic dans le gros bee de scs pelils, a pii iiiduire lo vulgaire on erreur, el lui fairc croire que lo pelican .se percail la poilrine. el nonrrissait sa progonitnre du sang qui conle lie la blessure. En effel, c'esl ainsi rpi'il est rcpresonte cu sculplnre, dans les ancicnnes cglises, dans lcs blasons, en nn mot, toules les fois que Ton lenait a rejirosenler symboliquemcnt ta Cliarilc. Chose exlranrdiuairo, les peuplcs civilises de ranliquito ue rallacbaiont aucuiie idee fabiilense ,'i riiisloiro dc leur onncrolale. Le bee du pelican est cnorme, et le distingue prinripn- lomont du cygne ; cos dens oisoaux out. du rosle, asscz do rosseinblancc quant a la laillo ot a la coulcnr. Tons deux sinil des oisoaux af(iialiqHcs : co|iendant le cygne ne fro- qneiite i|ue les lacs el les rivieres d'oaii douce, le pelican. ai( 55J VIE I'lllVEE DES OlSEAUX. coiilrairc, clierelie s;i ijilui-e dajis lean tie la nii']'. Lo |ii}li- I iiage encore inieii.x inie lo cygue gracioiix. 11 I'sl ti-cs-lVc- caii, au sui'|jhis, par suite d'uiie orgaiiisalidii |uirliciiliere, | nueiU siir les coles il'Anieri(iuc. Lc corps dii pelican est Wane avec line legero. leiiile couleur de chair. L'cxlremile de son bee csl recourliee en crochel et d'un rouge vif. Mais c'esl surtout I'ini- inense poche qui s'elend prescpie de la |ioin[e de la nian- dibiile inferieurc jiisiura la parlie siiperieurc du ecu , qui donne a cct oiseau im caclicl lonl pnrlicnlier. » Ce sac, dit le pere Labal, csl compose d'une menibrane epaisse, grasse, charnuc, souple, ct elaslique comme du cuir. II n'cst point convert de plumes, luais d'un poll exlreme- nient court, fin, donx comme du satin, d'un beau gris de perle avec des points, deslignes etdesondes dediffercntes leinles, qui font un Ires-bcl cffet. Lorsipie le sac est vide il ne |>arait pas beauconp ; mais quand I'oisean Irouve une peclie abondante il est surprenant de voir la qnajitite et la granileur des poissons quil y fait entrer. n La chair du pelican est dure et sent I'luiile de poisson. Son duvet est reclicrclie, et lc sac sert aux fiimcurs jiour renfermei' leur labac. II est parfois si grand, que la lete d'un liomme y pouri'ait entrer. Le pelican se laisse facilenieut apprivoiser, il est memo susceptible d'educalion. En effel, on le dressc pour la pe- clie, comme autrefois les seigneurs dressaient les faucons pour la chasse. Les pelicans passent habiluellemeul la nuit sur les ar- brcs, mais ny foul )ioint leur nid. La femelle depose scs ceufs, au nombre de quaire ou cinq, sur la terre, sans au- tre precaution. « Les pelicans abnndent lout le long de la cole poisson- ncuse de la Uuayra (Cidonibie), clj'ai pu les examiner d'autanl plus commodemenl, qu'ils uc s'eloignent guere du rivage ; soil, en effel, qu'ils voleut au - dessus des eaux, soil qu'ils se reposent ii la surface, on les voit se lenir de preference dans I'espace qui separe la lame qui se brise de la lame i|ui s'approehe en roulanl. « Ce n'esl point en rasant les eaux que le ]ieliean elier- che sa proie; dans les grands ccreles qu'il decril en vo- lant, il en est presque loujonrs eloignc de 13 a 20 pieds. (Jnaud enfin il a apereu un poisson a sa convenance, il se laisse tomber dessus avec une roideur extreme cts'enfonce dans lean, i|u'il fait jaillir tres-bant. S'il a m-unpie son coup, on le voit s'cleverde Jionvcan dans I'air, et rccom- mencer a decrire ses cercles ; s'il a fait capture, au con- traire, ce qui est lecas lc plus frequent, il prend bien en- core son vol an boulde quelqncs instants, mais pesammenl, sans presque s'elever au-dessus de la mer, el il va s'y po- ser un peu plus loin pour savourer sa jiroie a loisir. En general, tons les animaux voraces onl ccla de commun avec le pelican ; lors(iu'ilssont slimulcs parl'aiqielil, ils sonl agiles et pleins d'aclivile, lis supporlenl longtemps le jeiine, et, quand ils sonl ]iresses ]iar la faini, leur force el leur vigilance seinblentaugmenlecs. Un seulsoin lesoceupe, ce- lui desatisfairele besoin imperienx do se procurer des ali- ments. Ont-ils fail capture, ils devoreni avidemenl leur ]ii"oie etlombent dans unelat de somnolence |dusou nioins lorpide. Le ligre', le loiip , et en general les betes feroces , des qu'ils sonl repus, cliercbent le repos. Les serpents sur- tout demeurent pendant un teni|is considerable dans un elal d'inscnsibilite qui ne ecsse que lorsipie la digestion est lerminee. La chute du pelican qui fond sur le poisson qu'il ob- scrvait n'est pas moins rapidc que celle des oiseaux de proie ; mais, du reste, elle en differe sous tous les aulres rappoils; ainsi, par cxcmple, I'cpervier (|ui guette une alouetle commence ii decrire au-dessus d'clle des cercles qu'il retrecil .sans cesse. Arrive directemenl au-dessus de I'oisean que la peur paralyse, il y reste quebpies instants sans changer de place, quoi(|ue agitant les ailes; puis, les fermanl lout ii coup, il se laisse tomber les serres elendues. Ce genre de chasse ne pouvail convenir au pelican, qui, force de saisir sa proie pres de la surface de I'eau, nepeut laclierchcr que dans les endroits peu profonds, sans cesse balayes jjar la lame, et oii rien ne reste en repos ; aussi est-ce souvent dans le momenlle plus rapiJe d'un vol en ligne droite qu'on le voit fondre sur sa pniie. Ce niouve- ment csl tellernent brusque, qu'il semble voir tomber un oiseau atteint par le plomb du chasseur. On s'y mi'prendrail d'aulant plus aisemeni, quil se laisse tomber sur sa proie, la tile la premiere, comme une masse inerle, et la saisit avec le bee; I'epervier, an con- traire, s'approehe en lournoyant du gibier qu'il ponrsnit, el descend dessus les .serres onvertes. LE SAVOIR-VIVRE EN EUROPE. snii'Lcs r.o>SKU.s a ceux <,iim emiicm pans i.i: jioNnc I.E COSTUME, lES PARIS, lA POllTESSE. ouii|umn( pis ns l( r n i|uc iioiw somiiM'S, poiini'ini foi-cor noire natu- re ? Ni; sommcs- iiouspasassez l)ien partagt'S? ?!'ou - lilioMS jamais f\ue la France esl el a loujours e(e, a lion lilrc, lomoilcle ile toutes les nalions du nionde. T-a po- lilesse francaise est pioverliiale. La Fra nee esl le centre du luimde civilise. Son goiil, son urlianile, son esprit, son iutelli.;;euce, cc senliuient exquis de la liienseance, ipielle autre nation rennit toutes ces qualiles? Aucinie ; el, d'lni commuu accord, Farislocratie de tousles pa;s envoie ses fds en France, — a I'aris, — pcrfeclionner leur educalion, prendre les lielles nninieres; mais, lielas! en cherclianta nous imiler, ils maiifinent snuvenl le but. ils Ic depassent, cl nous ponrrions lenr diie avec le lion la Fontaine : Np forroiis point notre talent, . Nous ne ferions rien avec praec. .lamaisuii loiirdaud, ijuoi (pi'il I'asse, Ne saiirait passer pour g.il.inl. Cettesnperiorite. si generalc^ment reconnue.ne laisous- nous pas tout ce ipi'il fant pour la perdre? Serait-il vrai, ipriiiconslaut, leger, ne pouvant rester en repos, le Fraii- cais, las d'avancer, voulnt retros:radcr? 11 n'est ipic Irop certain c|ue nous avons dunne ([uelciue apparence de verite a cette accusalion. Ninis cshnmoiis les Icnips a denii sau- vages dn nioyenagc, I'haliit, ranieuldenieni, la liarlie sale, les clievens en desordro. Sous iniilous cesiuodeles deplo- raldes. les roues de la regence ipii prenaieiit relTronlerie pour de I'aisauce, le cyuisine pour de la IVaindiise. et la de- liauche pour le plaisir. Nous I'aisiins niieux, nous avoiis 1 iU|Muiile de nos tiidestpies vnisins dn Nord la pipe degonlaute. Nos eleganls I imeiit le cigare, partoul le parfum uiusealioud du taliac ; dans les rues, d Ills les jardinspnblics, partoutia pipe ou le cigare ; le salon menic n'cn est jias loujours a I'ahri, La fumee no res- pecte rien, les liajjils iniprcgncs en portent I'odeur jusipie dans les .spec- tides. Ou done se refugier? Si line I Irangere, surla foi de I'urbanile fran- ciise, se liasarde sur les troltoirs, des homnies en blouses on eii paletots la j: N "u ■ coiidoient rudemenl en lui snufllaiit an visage une lioiirfec de laliac. 1 1 lies tile lunit peine ii reconnaiire a ces riides ma- niLifs les lusliionables et les Hoiiceaux dn jour. II est vrai de dire que ces jeiines gens ne passent pour des honimes coiume 11 fautipie dans la niauvaise sociele oii ils out pris leurs modeles. — Ces gaillards-la Iravaillent, dansles estami- nels. a la reforme des mccnrs de la sociele francaise. II esl pourtani des choses qu'il esl hien d'imiter de ses voisiiis, c'est ce qu'ils font miciix que nous. Les Anglais, ayanl nn climat inoins fertile que le noire, sesont appliques a ragricnllnre ; ils out perfectionne les races de lieslianx et di' cbevaux; ils out inslilue des courses ponr slimuler ramnur-propre et rinterel deseleveurs. lei I'exeniple elait linn 11 siiivre dans un lint si utile ; mais fallait-il imiler ces jockey-dubs oil des paris riiinenx soiit ouverls, on la niauvaise foi est ;i I'ordre du jour? A peine les gentlemen uliiii'iiers {{) de Loiidres ont-ils sii que nous avions des r uirses et des paris a la maniere de old England (2), tons les clubs se soul debarrasses de leurs bUiek legs (3i : ces bonnetcs geiis soiit veniis .se renqdumer aux ilepens des imilaleiirs. I'liisse la lecoii deveiiir profitable I Cerlaine- iiieiil les courses doivent etre encouragees. Mais lesjeux sont defendus en France, poiirquoi les paris sernient-ils pcr- iiiis? Aineliorons nos races de cbevaux, de bccufs, de mou- loiis, eiicoiirageons I'agriculture ; mais restons Francais. N'iniilons pas siirlout la grossiere rudesse de peoples qui siuit parfois nos emules siir ipielqnes poiiils, mais toujours jaloiix de notre superiorite. Jeniies Francais, voulez-voiis savoir Ic secret de la poli- le.sse de vos ancelres et de leur superiorite, niemc sur vous? — je regretle d'etre force de vous le dire. — Cc se- cret, c'etait leur respect poiirlesfemnies.ccsenliment clie- valeresi|uequilesfai.sait se respecter enx-niemes, alin dc- Ircdignes d'approcber de cclte belle nioilie de rcspccc buniaine qui, par sa faiblc.sse menie, est appelee a adoii- cir nos miuurs. .Mere, la feinine nous coiisob', guide nos premiers pas. nous donne les premiers conseils. Ft qui poiirrait oiiblier les lecoiis d'liue mere ! Qiielipies aiinees il) Kscrocs Jc la luiute .socieli-. (2) I.Ti vielllc-\iii;lt'liTrc'. (3) (;i'nsrl|..ssi-s |iuur :iv.pii lii. Iii> .in jni on (|UrIi|iii' aiilio iii'iilillcsse siMtiliIali!e. 53r. i.ii SAVuiii- viviiii liN Euiuiri-;. plus 1,11-J, iinii,-; vonloiis plairc, iioiis li'pm!)lons (i'offcnsor, iifuis iniitnns los foiniiH's, el voil'i i)niii'i|uoi Icur coni- mercn ailiiiicil Ics nicciirs ol |in)iluil l.i polili'ssc, Si Ics I'jjinrnis soiil Ics linnimi's Ics plus polls ilii moude, c'rsl ipie la Francniso osl In femnie la plus "racipuse. Ah! mos- ilamos, nc prcnoz nl vos moilo.s iii vos manlercs clicz.l'p- IransPi" ; (pii iTcnnnailrait unc Francaisp a cpt air ffourmo cl sous CP eosliimp par Irop masciiliu ? Mps liollps coni- pali-ioles, reslpz rpcpie vnusptcs,H:iUii'pllenipul, sans liludp, ol voiis cuuliiiucrpz a I'aire le desespoir dc toutes vos rivalcs. Moiis parlions dc courses, ct nous les apprauvious jiaree f|u'cllcs soul utiles ; nous lilamiiins smienicnl les |-iilipiiles el les vices qu'ellcs ameneront, i|u'elleson[ deja amenps cliezuous. I'renoiis-y 1,'arde, ne laissous pas I'ivraic cnvaliir nos moissons. On pent etrc cxcellcul cavalier, sansse dou- iier Ipsgnices d'un palefrpuier.Ou )ieuL fairc poiirir scs clie- vaiix sans parier. On ppul surtoul savoiravec qui Fon s'as- sncic. II u'esl ppuI-iHi'C |ias inulile de Taire conuaiire i|u'il est d'usage, en Anglelerre, dc fairc .i I'avauec dc gros paris. Les journaux cotcnl rcgulioremcnt les cliauccs dc Icl on lei clicval : « Cinq conlre iin pour Rucephale; scpl conlrc deux pour liosine, elc. « F.t puis, ipiaud les cork- ncys(l)adauds) oulmordu a Fliamecon, quand ona ameuc les paricnrs du cole que Fon veut, on lienl Ions leurs paris. /i'( les inilics s'asscmbkiil pour dccidir quel chcval (/agneiii. Maitres el jockeys parlagent le galeau. TonI le moude s'culcnd. Unc nipdcciue donueca propnsa lei on Icl chcval arrnugp Faffairc, tanl pis pour qui n'csl pas dans le secrcl. On u'en vieudra pas la en France, il faul Fcsporcr. II est unc autre course qui n'esl que ridicule, nous vun- Innsdirc la course au cloclier. Concoil-on que des cires raisounables cxposcnl des clu'- vaux de jirix, el leur vie uicuie, dans un cxercice aussi ri- dicule? Le )daisir consisle .i prendre un point de ilcpart, et a Iraversln campagiic un bul apparent, eomiiie iiu cliielier ou toute autre marque. On pari en lignc droile, ricn ne doitarrcter; plus la chose est nb.surde, plus elle fail Turcur; un I'osscilc quinze pieds s'opposc a voire passage, vous nc pouvezlc franchir, sautcz dedans, — vous cu sortirczconuiie vous pourrez. — Saulez, le resle ne vous regardc pas. Avez- vous reussi a en sorlir, meurlri, couverl de bouc? voici pour vous reuictlre un mur vernioulu et une cliule de dix pieds derrierc, sur des pierrcs el de la terrecboulee, sau- tcz, il y a ,i parier que vous vous luerez avee voire chcval, bagatelle Ic'est bien plus amusaul. Mais vousavczjoue de bonhcur, voire cbeval n'csl que couronne, vous en elcs quilte ]iour uu bras casse. Jc vous conseillc dc vous plaiudre ! No< bons ancctres n'auraipnl pas iuiagiue un parcil plai- | sir, d ils se conlenlaicnt dc coiirrc un cerf, un ronard. un licvrc; ils vivnit'iil simplrnipiil I'l ii'iUaiciil pas lilasi's. Tus voisins d'oiilre-mor. on i'cliaiip;o dcs Iccniis de !;niil ft dc polilcssc (|U0 nous leiir doniions, ont voulii nous ^'rali- fior de c|ucli|ues- unps dc leurs excpulricilus, et nous onl imiiorU; li> slreple-rhiisc. (Ir.ind niorci dii cdi-iui, AllTISTKS CKl.KRliKS. . "■'>" messieurs. ]]'<■ can do verij ivell wiOioul it. llardez cila avec vos IjrouiUnrds, voire s|iieeri ol les divertissemenls ile null de (iuel|ues-uus de vos jeunes lords. Imilez-noiis si vous le pouvez, vons Perez liien. Ouanl ;i nous, nous vnu- lons rrslcr ce que nous somines. ARTISTES CELEBHES. Cicelies de la vie dcs |i«iiitres. VELASQUEZ, rriNTTiK Esi'\r,>'nL. Toule la viede ec grand peinire fnt une siiile non inler- ronipuc d'eveneuienls hcureux. Ce fill le oOaoul lti-25, dans la niaisin dn minislre Oli- vnres, (pic I'liilippe IV, mi d'Espa;;ne, accorda a Vilas- <|nez la premiere seance pour faire son portrait. Cel cvenemenl parnt alors d'line asscz grandc impor- tance pour en roiiservcr la date precieuscment. La toile etait lie grande dimension ; ellc reprr'senlait lo roi convert d armes i'tiiicelanlcs, monte siir imma^nii(iiiuccouisier ; le fond dii tableau etait un paysage d'niie grande beanie. Une gravure de Goya en pent doniier une idee assez exacte aiix personncs ((ui n'ont pas visiti; I'Espagne.Velasipiez |ieigiiit aussi Gaspard dcGusnian. comte d'Olivariis, premier minis- Ire d'Espagne. Dans ce portrait, Olivares, comme le roi, cslsur un noble cheval amlalous, ricbemcnt ca]iaraci)nne. Quelques critiipics out dit quo ces portraits monlrenlun travail tillement eludie, ipi'il semble i(uc I'arlistc, eblcuii par la digiiite majrstucusc de ses modeles, soil tond)e dans rexageratinn en clierclianl le sublime ; rpioi (piil nn .soil, le pinceau du grand mnllre s'v fait remari|uer, el, nieine dans la simple gravure. on recoiinail le pays de Cervau(cs el de don Quieliolle ; il est vrai egalement ipic les figures du roi et de son minislre onl cetlo majeste gourmce (|ue le peintre rbercliait evidommeni .i representer. Quand le portrait du rji ful termini;, I'lulippe en fill si satisfait, ipi'il cliargea Olivares de dire a Vclasiiuez i[u'a I'a- venir riionneurde peindre Sa .Majesle neseraitplus accordi' (|u'a Ini scul. Le peintre etait an conible de ses vfcux, la cour rctentissail dc sis louangcs, les connaisscurs s'accor- daient a donner la paline a Velasipiez el Ic |daraienl au- ilessus dc liuis.scs dcvanciers.Leportraitdu roi avaitete ex- pose, par ordrc de Sa Majeste, dans la rue, en face de I'e- glise de San Felipe; les courlisans claienl dans Tcxlasc, les poi'tes firent des vers pour la circoustance, et les rivnux dc I'artiste furcnt devores d'envie et de jalousie ; enfin, Ve- lasquez et le poete dramatique Calderon furciit informcs qu'ii ravciiir ils seraient Inn cl I'aulre admisdans la so- ciete intime du roi ; Philippe s'efforca d'oublicr dans Icur cnnversalion les chagrins que liii causaient ses revcrs, el la perte du lioussillon, Je la Catalogue el du I'orlugal. Ce ful vers ce temps que Charles I" vint li Madrid, ac- coin|iagne de Bncliinghani et dc quelques autres amis des arts. Vidasquez profila do I'occasion, el Dl, dit-on, de me- moirc et .i I'iusu de Charles, son portrait, dans ini tableau oil il litait represente cbassant avec le roi d'Es]iagne. Rubens vint aussi a Madrid, en l(i-23. et coiilribua pro- bablement a faire prendre a Velasquez ce style exagerii de magniCcence que Ton reprocbe a ses premieres composi- tions. Ces deux peintres vivaieut ensemble dans riiilimilc ; ce ful la que tlubens fit son tableau de saint Georges com- batlanl le dragon, el Ton regardc celte anivrc comme la luile la plus exlravagaiileel pourlanl la plusatlrayante que I'arl. inspire d'un grain de folic, ail jamais produilc. On voii au Louvre un lonrnoi au soleil couchant, pies des murs d'un vieux chalean ; cc tableau pent donner une idee du genre par le brillant cdal de son colorls ; il est admire de bcaucoup d'arlisles. Velasquez n'avait encore que vingl-qiiatie aiis, i|uaud la fortune le comlila d'unesi haute prosperite.llii jour on il de- vinl peinire du roi, la richcsse et les honneurs furent repan- diissurlui, La meme annce, il ful nomme genlilhommc dc la chambre du roi. niihens lui nyant fait nailr..' Ic dc.sir do 43 35R AIITISIF.S CELEBIIES. visiter rilalio, l'liilip|ic liii ni acciutla l;i |ii'iniissioii sans diflk'iiUc ; el, par !ii snile, lluliejis et.inl rcvenii .i Jliiilriil eomiiie aiiibassaileiii' ile la cuiir Je Rriixelles, Velasc|uez fid ciivoye en Ualie, el s'oniliariiu.i a Bai'celonc nvec Spinola, general des arniees ilu roi en Flandre. Dans ces lenips, Icsarlisles avaient nne ^rande imporlance dans Ionic I En- rope. Philippe alia an-devanl de loiis les desirs de Vi'las- i|uez, el le defraya de son voyaj;e avec magnificence. A Venisc,ilfntlo;;edans!epa!ais dc ramliassadcur d'Espa^ne, et la livrec de I'amljassnde reriil I'ordre dc racconi|iagnci- parlonl oii il voudrail aller. A Itonic. il enl sa demcure an ViHican, oi'i il pnl visiler li sa volonle les elii'fs-d'renvre dc Raphael el de Michel-Angc. Ses Iravaiix ineesme le vol incoiistaut d'un papillou tour a lour inontaul et descendant , paraissanl al- lernativement se poser et s'elever comme planant dans les airs. Voiei un auUe rappo)'! de lemoins oculaires tolalement endesaccord avec ceux qui precedent. Deux voyageurs tra- versaieut a cheval un pays humide , sur une chanssee assez haute pour etre praticable. 11 pouvait elrc dix heures du soir ; 11 faisait beau temps, mais il n'y avail pas de luiie el la nuil ctnil sombre. Tout a coup ils virent une lumiere a environ quinze ou vingt pas sur le cute de la route. Ce n'etait |ias une claite vive, c'etait plutot une vapeurlumi- neuse qui s'elevait d'un marais convert d'une espece de mousse. Celte mousse avail etc ]iarliellcmenl enlevee, ct lai,ssait ca et la des Irons qui s'etaient remplisd'eau; une espece d.e vegetation s'en etait suivie , el les plautes ainsi produiles avaienl couuneuce a se couvertir en tourbe. On sail que, dans ces cudroits, la dee(nuposilion des vegctaux produit une grande emissicni de gaz. La lumiere qu'ils apercevaienl etait elevee a un metre environ au-dessnsdu sol ; elle voltigea dun trou a Taulrc . |iarallclemenl a la I route, juscpi'a la distance d'une ciuqnanlaine de metres , ! el s'cleignil tout d'uu coupconiiuc une chaudelle que I'on MUriVlilLLKS U souflle; elle lie pouvoil done pas provenir d'lni insccle. Jusqu a |ii'eseiU . nous n'avons fiiil que rasscmblcr iles recits poui' ct conlre, appuyiis SL'ulomeut sur des oui-dire; nousnaviiiis fi!i! ni Ics nonis di'S nnrrateiirs, ni li's lieux oil se passaicnl cos clioscs : nous savoiis Irop liicu com- nicnl de parcils rccils croisscnl el s'cmliellissenl en passanl de lioucliecu bouclie, el quelle croyanec lis niorilcnl. (Jul ne connail la fable du Imu hl'Dnljm' , I' llumme i/iti acaiu- ckc Willi aiif : Avant la fin de b journijo lis su nionlaicrU a plus (I'uii cent A presenl nous aliens cilcr, sur la parole d'lui liouuue di- gue de foi, un fail qui nous parail prouverd'uuc maniere sa- lisfaisanle cpieles feux follels soul produils par des vapeurs inllaniuialdes. Lt major L. Klesson, de Berliu , a fail plusieurs expe- riences concluslvps dans une vallee de la forel de Guliilz. Cctle vallee est creusee profondement dans un lerrain de inarne eonipacle . el elle esl niarecageuse dans le fond. L'cau du niarais esl ferrugineuse el convene d'une croule irisee , aulremenl dire presenlanl les couleurs de I'arc-eu- ciel. Pendant le jour, il cu emane des bulles d'air, el la niiit il sen elove des (lainmcs bleualres qui volligenl a la surface. Soujicouuanl queb|ue ra|iporl enlre les llaniines el les bulles d'air, le niajur remar(|ua allenliveiiienl les endroils ou ces bulles elaienl abondaules, el s'y rendit la null. II y apercut des llanniies dun bleu pourpre; il s'en approcba sans besiler, el les vil s'eloiijner a niesure qu'il avancail. 11 lit de vaius efforts pour en venir assez pres pour les examiner. Pensant ([ue le mouvemeul qu'il inipriuiaila la coloiuie d'air en avancanl. chassail devanl lui le gaz en- flaninie , el rein,in|uaiil que hi llamine sassombrissait a niesure qu'elle s'eloignait de la place doii elle einit par- tic , il en coiicUil qii'un courai>t delie el cunlinu de gaz emauail des bulles; quune fois enflanime, il conliiiuail a bruler, mais que la vive clarlti du jour einpecliait den dislinguer la lueur pale. La curiosite poila le major Blesson .i faire, a la chute du jour, une autre visile au marais. A niesure que le erepus- cule s'obscurcissait, les llainmes conimencerenl a paraiire eldeviurent graduelleinenl de plus en plus visibles; mais elles elaient plus pales que la null prei:edeiile et d'une leinte plus louge.ilre ; elles devenaieul |dus vives el pas- saicnl par degres a la couleur bleuaire, en proportion de ce que les tenebres epaississaient. C'elait une preuve qu'elles briilaient pendant le jour, bien qn'elles fussent alors invisibles. II s'en approeha . elles s'eloignereiit. II s'arrela, pensant que les llanmies re\ienJraienl a la place d'uu elles elaient parlies aussitol que lagilaliim de Pair caiiseeparsou mouvenienl, aurailcesse ; effeclivement il les vil revenir graduellcmeut vers lui. >'e pouvaiil les atlein- dre, il essaya d'y allumer un inorceau de papier; mais il les vil fuir encore , chassees sans doule par sa respiration. II mil alors son nioiichoir sur sa liouclie, et celle fois reussit mienx : le papier elait roussi et convert d'une humidile visqueuse; 11 recominenca avec un papier pluselroil, el celle fois il parvinl a recompense assnree, il ouvrit avec dextorite le coffre-fort, et mil le negociaul a momede VJMi VkW\"Si\'i-. so' presenter ii la bnniue, ii temps | our sauver son credit. A environ un mois de hi, un vol d'argeut el de billets de la somme de cinquanle mille piastres (230,()C0 fr ), ful commis a la hanque de Philadelpliie. On avail scie Icsbar- roaiix dune feneire, el Ton avail ouverl les porlcs des caveaiixavec lanl d'adrcsse, qn'il ctail evident que le vo- b'ur dcvait non-seulement posseder une forte dose de har- diesse el d'intrepidile, mais elail anssi nn habile mocani- cien. La police furela tonle la viUe et les environs, sans deconvrir la moindre trace du criminel ni des objets vo- les; I'esprit public elail vivemeni excite. Qniconqne avail quolqne chose ii pordro seiitit i|u'il y avail en campagne do bardis malfaitenrs qui probablcmenl no tarderaieiit pas i'l lui rendre visile. Tons avaioni done nil grand interel ii voir arreterol condamner loeoupal)le. Ala fin, de vrgues .sonpconscomnienroront i'l planer sur Sparks. Cependanlsa panvrele el sa probilo bien ronnnes seniblaienl leur donner nn demtaili suflisanl. .\inns avail ele lro|i goneroux pour parlor de I'avenlure du coffre-forl. el jnsqn'i'i ee moment lo negoeianl avail en honle de la pnblier, car c'eul ele se rendro la fable do la ville; cepcndani clle conimenca alors ii circuler. Le marcband, pou.ssc sans dome par un esprit de vengeance, en avail .soufllo queb|ucs mots anx direclenrs de la bani|UO, ol I'histnire s'( n elait repandue, non sans eommonlaires cbarilables, comme ecla se pratique asscz communonient. Cliacun, en la raeonlanl, ncmanquapasd'y ajouler descirconstiinces plus ou moins oxagereos. Pendant quelquos jours, Amos crnl roniarquer que ses voisins lui baltaieni froid elprenaionl avec lui desmanierosolranges, el il s'aporcul ipie des amis ipii venaienl habituelleinent, apres diner, causer dans sa briutique, s'alistonaieni de leur visile. Mais il elait li mille lieues dcsonpenniier la cause de col cloigmmenl. et il n'y fit pas grandc allenlion. So- lon Fusage, la persoimc inlorcssce elait la soule ipii ne fill pas dans le secret. Le i>remier avis (pi'il eul du soupcoii Dli VUVACliS liliCEMS. oliriix doiit il cl.iil i;enoralcmcnl rulijct fill la visile d'liii iifliiHcTilL' pulire accompniine de constables, el poilcurd'im innndal |ioLii' visiter lamaison. IVndanl loule la jouriU'C. Amos el sa fainille fiiiTiil idiiiiui's dans un cliagi-iii nii'lrdo stiipcur. I'onria premieix' Ibis ils succoinliaieiil sous le poids de radvcisile. Jusipi'a- loi's, nialgre lour pauvrelo, ils avaicnl trouvc Ic Imnlienr dans les lenioignages d'eslime qn'ils reccvaienl de Ions, l.i'iir Lonne repnialion elail plus precieusc a lenrs ycnx ijue Ions les Iresors dn nionJe, el tonl d'un coup ils se la vovaient enlever! Enx i|ni n'onraicnl |ias fail lort d'nn son li lenr procliain, se voir accuser d'un vol dc denx cenl iiui|nanle niille francs 1 L'enormile de la sommc seniMait encore ajonlcr .i I'odieux dusonpcon, ellesfaisail snccom- l)er a lenrs angoisses morlelles. I'endant les ncherclies de !a justice, ils se serraienl les uns eonlre Icsanlres, I'ceil nioriie el la lelc abaltne. Mais qnand Ic coniniissaire cut lerniine sa visile, el declara i|n'il n'y avail rien dans la niaison qni pnl a]ipnj'er I'accnsalion on jeler siir Amos le nidindre sonpcon, ce fnl alors scnlenienl c|n'ils coninien- cerenl a prenilre i|ueliine Iraiicpiillile el i|n'ils pureni envi- sager avec calme lescirconslances ijui etaienl venues Irou- liler lenr bonlienr. Amos fnl le premier a recouvrer sa serenilc liahiluelle el a rasscmlder ses idees. « Prenez courage, raes chers eufanls, ne desespernns ja- mais de la Providence. Conragel eel odieux sonpcon ne pent longlemps planer snr nous, nne vie entiere dinlegrile nons prolegera el Irouvcra .sa recompense. Dieu Iraite chacun selon ses OBUvres, el s'il .souffrc qnebiuefois •ijne linnocenl soil persecute dans celte vallcc de misere, c'esl pour Ten recompenser dans I'elernile par unc conronne de gloire imniorlelle. D'aillenrs, j'ai penl-elrc a me repro- clier dc metre monire lier de I'lialiilele ijne le ciel m'a accordce. Orgueillenx, je suis humilie. Le monde credule on irrelleclii a ecoulii I'acilcmenl les propos repaudus par ccnx que ma vanite a pu Idesser. No mnrniurons done point eonlre les decrels do Dieu. sa sainle V(donle soil I'aile. o I.es verilaMes anleurs dn crime ne penvcnt manquer d'etre liienlol deconverls, car un vol si considerable doit icrlainenn'nl donner re\eil a toul le monde, el la ve- rite se fera jour. Sinon, (piand nos voisins verront que nous sonnnes anssi pauvrcs el aussi reslreints dans nos depcnses que par le passe, qnand ils nous verronl travail- ler el ne rien changer a noire maniere de vivre, nos con- ciloyens aOront assez de lion sens el de bienveillancc pour nous rendre justice. « II y avail beaueon|i de raison el de piele dans les conso- lations que donnait Amos a sa famille; il y avail nieme nne apparence de probabilite que ses esperances se realise- raient. Mais, helas ! il lui reslail encore a supporter une longuc suite d'cpreuves el de calamiles qu'il lui aurait etc diflicilc de prevoir. Les direcleurs dela banciue, voyanl lours reclierchesinu- tiles , depulerent Tun d'eux aupres d'Anios pour entrer avec lui en pourparlers; on lui offrail unc grosse sonime, on luiassurait I'irnpunite, on le garantissail de loutos pour- suites , s'il voulail rendre I'argonl el livror a la justice ses complices, s'il en avail. En vain il protesta de sou inno- cence, exprima I'liorreurquo lui inspirait rideeseulc d'un pareil crime; le ban(|uier lui reprocha .son eudurclssemenl, el b' meuaca des suites de son obslinalion. Mais le sori-n- rier n'etait point babilue a des colloqnos qui etablis- saienl en principe (pi'il elail un miserable, sa dignite il'boiinele bomme s'offensa, el il clinssa do die/, lui sans corenionio celniqui I'y vcnail insnllor par sos sujqiosilions injiirieuses. Le banquier se rctira ploin do rage el jurant de se ven- ger. Les direcleurs de la ban(|ne tinreiit conseil , el il ful decide de faire arretor Sparks, dans I'espoir qu'en prison, an secret, scpare de sa famille el de .ses complices, il se- I'ait moins sur ses gardes, qu'il deviendrail plus facile d'acquorir des preuves maloriclles, el qu'cnlin I'i.sole- ment, les promesses el les menaces ne pourraieul mani|uer de I'amener a entrer en arrangements, el peul-clrc .i con- lesser S(ni crime. Son arreslation ful un coup de foudre pour sa famille. Ileunis, ils auraionl trouve du courage el de la force pour su|iporterle malbour, car les consolalions nuiluelles pen- vent adoncir la coupe la plus amere; mais se voir scpares, olrc prives de cot appui donl le courage cbroticn avail lonjours soutenu leur faiblcsse , le voir airache de leurs bras, Iraine en prison, et n'onvisagerde tons cotes que liaine el que mepris, qu'infamie el que lionle, c'elait un fardeau an-dessus de leurs forces: conime le lierre prive de I'ornie, ils snccombaienl faiblos el presque doscsporos. Malgro le temoignage d'une conscience pure, ils affrontaienl pour la premiere fois les orages de la vie, oux qui n'elaienl accou- Inmes qu'aux douceurs de la paix et de rnnion. lis sup- piirlerent cependanl avec resignation les privations, el la misere cpii vinl babiler leur demeure, du moment on le scrrurier cessa de pouvoir subvenir ii leurs besoins ])ar .son travail assidu; et dn pen (pi'il lenr reslail, ils Irouve- renl encore le moyeu de meltre de cole de quoi acbeler qiiebpie melsdelicat qu'ils envoyaicnl an prisonnier pour adoncir .sa captivite. I'lusieursmois s'ecoulercnl sans qn'Amos fut amene a faire des confessions, ou a donner quelque iudice quipnlconduire ,i la doconverte de preuves dn crime, el .ses persoculeurs se virenl forces, malgro lenr repugnance, a le moltre en jngement. Us n'avaiont pas la plus legere preuvo du crime; les seuls indices probables de sa culpabilite'elaienl des seiTures d'un ctrange mocanisnie el des oulils d'inie rare perfection qui pronvaiont le lalenl inconlestable d'.Vnjos, mais non sa criininalile ; mais il y en avail un si grand nombre el une si grande variete, ils avaionl du couler tanl de dcpeiise, do travail el d'adres,se, qu'il elail )ieu de juges, de jures on menjc de temoins, iini pus.senl croire qu'nn homme si panvre se fnl donne taut de peine el cut sacrilio tanl J'argonl pour les executor, s'il n'eut en pour but que de satisfaire unic|uenienl I'amour de I'arl ot sa pi'opre curiosite. Sos amis et ses voisins donnerent des temoignages una- nimes de sa stride iirobite ; mais, dans le centre - inler- rogaloire, ils avouorcnt tons cpi'lls Tavaienl vu pioursuivre avec perseverance sos rccherclies et ses etudes dans les secrets les plus caches do la serrurcrie. Et dans Petal d'irri- tation on elail I'esprit public an snjel du vol audacieux commis a la banque. si Ton fail la part do I'inlluence des vagues rumours qui circulaionl sur le comple d'Amos; si Ton y ajoulc les preuves de son extreme babilcto, sa pau- vretc ovidente. el cependanl les sonimos et le lenijis iiu'il ;ivail du sacrifier a la poursuite de ses recherchos, les noin- bronx chcfs-d (Euvre exposes devanl le tribunal, el enlin lliisloire du coffre do for raconlee avec des circonstances 346 st:E.M;s iiii \(\\ ACLS iiiii.t.Ms. pleines irex.iifi'ralioii il qui seniMaieiil liMiirdu |irodigi.', il est nalMi'ol dc penscr iiiic toiites ccs circonslancos ]iou- vaient avoir sui- Ics juits ct li-s jugcs nnc inllnenco dusas- li'ciise pour I'accu.s^, ct i|u'on se doinaiidpiait si tons ces outils n'avaii'iit jias I'li' f:ilirii|U(''s pour assuror le succiis du criuic. L'avnrat do la parlic civile appuya lialjilement sur toutes CPs circonslauccs ; sou eloquence eliraulait les cs- prits, et il paraissait Ircs-pnihalde (|ue Ic verdict scrail fatal il Taccusi', et (pi'il iie tarderail pas a confesser le crime. Beaucoup dejures, eulraines par rencliainenient de tousles fails reiiuis, a defaut de preuves pour I'liiculper. adiuet- laient la possihilile d'uii aveii, et paraissaient dis]ioses a le condaniner pour se faire un nierite de leur penetration. Mais les Americaiiis n'eu etaicnt pas encore venuscommc nujourd'hui a pendre no linnimc sur de sinqdcs soupcons, ct a acquiltcrun assassin, parcefpiela po]uilace ne regarde pas Ic nieurlre comnic nn crime. Le president lit un resume cl.iir et impartial. II convint que la nianierc de \ivrc de I'accuse et les depenses qn'il availfailes pour la production des chefs-d'oeuvre exposes de- vant la cour n'elaieiit pas en rapport avec son etat de pau- vrete, et pouvaient I'e.xposer a dc graves soupcons; mais de la a des preuves, 11 y avait uiie grande distance, et il ne voyaitpas la plus legere preuve contre Amos. Et nieme les probaljililes se trouvaienl toutes dans les outils Irouves dans sa boutique ; il ne voyait ricn, outre cela, qui jii'it se rnttacher avec le vol fait a la liani[uc. Sparks ful done acquitle. Mais comnie on ne trouvait personne sur qui I'on put reporter les soupcons ils con- tinnercnta |daner sur lui et renvelopperent de toule part. Le negociant au coffrc-l'ort et les direclcurs dc la lian(nie n'liesitercnt Jias a declarer que le scrrurier avait etc ac- quitte fautc de preuves sufjisanles, mais ([u'ilsneduntaient nullement de sa culpahilite. Ccs propos furenl rcpcles si sonvent, que la masse, indifrerente et pen soucicuse dc rccherclicrlavcrile, admit sans JifficuUe I'opinioiiqu'Amos Sparks etait un fripon. Comment la repulalion d'un homme pauvre pourrail-ellc resistor a la cnlomnie ct aux attaques aeliarnes dc riches perseculcnrs? (Juant a lui, il recutson acquitlement conime une preuve de rindependance dn .jury de son pays, el se rejouit de voir cpi'il pouvail encore compter sur la droilure el I'impartia- lite des trihunaux americaius. II endirassa sa femme et scs enfanis avec effusion, ct rentre cliez lui se prosterna avec CHX devant le dispensaleur de tons liiens, pour le rcmer- cier de sa sainle prolectifin qui venait de larracher an peril el ii I'infamic ; ils passerent le resle du jour autonr du fover avec la meme joie et le menic honhcur qu'aulrefois. Cependant Amos ne tarda pas a voir (pie hien ipi'il I'ut acipiitle par le,iury, il ne I'elait pas par I'opinion pMljlii|uc. 11 avait lu sur la ligure de pliisieiiis jiircs, et du plus grand iiomhicdcs spectatcurs, une expression qu'il iiccom|)renait que trop bien. II aurail ardemment souhailc qn'il en ful autrement ct s'en reposail sur I'avenir pour decouvrir le vrai coupable; dans le cas conlraire, il comptail sur sa vicetsaconduile irreproclialiles pour rameiier l'o]:inion de ses comiialriolis. rcpcndant il u'avait passonge aux miiyens d'existencc ; ilse senlait le courage de supporter la froideur, I'aversion dc ses voisins et les soupcons injuricux qui le poursuivaient, parce qu'il voyait des apparences qui excusaicnl I'crreur popu- laire: pourlani ilesperaitque I'avenir le rehabililerail. Slais rabseneedescbalands lui ouvritliienlot les ycux sursa posi- lioii reelle. Aucun ne lui apportait d'ouvrage ; 11 fabriquail des objels que )iersoniie ne lui achetail ; bientut le peu d'argent ecliappc aux frais de son jiigcmenl se trouva epuise, el il lui devint impossible, malgrctouteson economic et ses efforts, de subveiiir aux besoins de sa famille. lis ven- dirent avec repugnance tons leurs meubles les iins apres les nutres, et s'inqioserent chaquejonrde nouvelles pri- vations, toutcida inutilenient ; an bout de qiielques mois, il ne restait plusquc lesmurset une table, mais rien a melire dessus. Us en elaient reduils a meudier, mourir de faim, oil emigrer. II avait deja souvent pcnse ii ce dernier expiklient, assez commun en Anieriii«e, comme le seul remede aiix silualions desespiirees , et la famille aurail I'Tuigre depuis longtemps sans respcrance qu'clle nourris- sail de voirle mystere edairci, el son innocence reconnue. Knlin, il devint impossible de rester plus longtemps a I'liila- delpliie; comme ils n'avaicut pas de lonrd bagage a trai.s- porlcr et pas plus detles qii'ils n'avaicut dc credit depuis leur nialheur, ]!ersonne iic [louvait s'opposer a leur depart. lis s'embarquereut dans un bateau, el allercnts'etablira Norrislown. Lii comme ils etaicnt tons laborieux et nbli- geanls, rabondance rcnira bientot chez eux ; au lieu de regards froids et de propos insultauts, les sourires et I'a- miliede leurs noiiveaux voisins vinrent completer leur bon- benr. Mais, helas ! cc bonbeur iiedcvail pas eire de longne iliirec. Un voyageiir dc I'biladelpliie, qui se rendail aux moutaguesRlcues, passa par Norrislown; il reconnut Sparks, et raconia I'liistoire en le designant comme un malfaitcur dangereux. Le bruit sc repaudil. La pauvre famille S]iarks devint encore nnc famille de parias, et n'eut d'aiitre al- lernalive que de quilter une ville dans laquelle, au moins, elle u'avait pas d'aneiens amis a rcgretler. Les voila parlis de nouveaii; ils traverscnl les montagnes, et viMit planter leur tente a Sunbury, dans la vallee de Susipiebanna. La ils curcnt momenlanemenllc ineme suc- ces et les niemes esperances, else vircut encore arracher Ic bonhcur par la calomnie qui ne voulait leur laisser de rcpos dans aucun des Etats de rAmcrique. 11 est iiuilile dc voiis dire les iioins de tonics les villcs el de tons les villages oil ils essayerent de Irouvor le rcpos sans y reiissir. Ils avaient deja passii I'illsbury; ils pous- saienl pcuiblcmenta pied, encore plus vers I'onest, quaiid, e|iuises de faligne, ils s'arrelercnt sous un arbrc. sur le plateau ipii domiiie Middletnn, el semblaienl besiter a y deseeiidrepour faire nn nouvelessaid'etablissenient. Toule la famille s'assit autiuir de S|iarks, sur le gazon ; tons gar- daicnt nn luorne silence, ctquand lours yeiix vinrent a se rencontrer, ils ne purenl relenir leurs larmes. Amos, lui- nirme, cacliant sa iigiire dans ses mains, donna un libie i-ijurs ii sessanglots; lolls se rapprochercnl de lui, en- laces les uns dans les autrcs : les enfants pres.saient leur pere et leur mere dans nnc donee etreinle, cssayant de consoler a leur lour ceux qui leur avaient allege le poids des ealamiles des laurore dc la vie. Enfin Amos, essuyant scs larmes ct jetaiit un regard d'amour surces eires cheris : « La volonlc de Dieu soil failc, ilit-il ; si nous ne pouvons nous dispenser de plcuier, an moins ne murmurons pas; et si nous sommes condamnes ,i erreren fugitifs sur celle terre, n'oiiblions jamais la di- vine promessc qui nous assure un refuge elerucl la oii les mechanis ne peuvenl persecutcr, ct on ceux qui soul fa- ligues Ironvcnt le rcpos. Rrmereioiis Pieii des chalimeuls qu'il nous inllige o (;iiiu)Moiii:s i;t LiiciilNUKs, 347 I'oiir ilissippi' la li-islo iiK-lniicolio i|iii cluniin.iit Imilo l.i raniilli', mailaine Sparks lira ilc sa porhc iiii journal ilc I'liil.'nlolliliic r|u'iiii voyasoiirliii avail lionnr sur la riiiile. <'l se mil a lour lire I'arliclo nouvullcs diviTscs, car ils (■lu'rissaicnl Innjoiirsci'llo ville injiisle qui los avail liannis. ToMl .i i:nu]) ello jiH i los youx sur un arlicio ; ol la voix lui inanqua; snn t'moliiju I'lail si vivo, ciu'clli" pouvail ii peine respirrr. Amos saisil Ic papier, ellnl d'une voixsaccadee : u Vol (le 1.1 l)an(|ne... Sparks ji'i'sl pas coupaMe... n Puis, niailrisaul les |)alpitalions ile son roeur, il Inl a haulo voix un lonij arlirle iTouIe aviileineni par sa faniille. Un mal- failenr condamne el execule a Alliany avail confesse, pnrnii (I'aulres crimes, Ic vol de 1,1 liampie dc riiiladel|]liie, avcc dcsdelails ciri;onslancicsi|ni no laissaieni pins lapossiliilile dc lomlire du soupcon sur le serrurier. TnnI elail eclairci. nue rcaclion .s'elail faile dans I'espril )Fuldic. On dierchail Sparks pour reparer rinjnslice donl il avail cle la viclime. IMille conies ahsurdcs circulaioni sur son compic; les ,jour- nanx rclenlissaieulde ses louani^es ; on raroiilail d'imasi- nalion leurs voyages el leurssouflVances : d'aulres allaieni insi|n'ii anrmncer la niorl dc Ionic la famillc. La resolulion de Spai'ks fut hicnlol pri Qnidipiesinslanls apros, la voilurc s'arrela. Copernic sorra bienlol dans ses bras Ions Ics circs qu'il chorissail lo plus au mondo. Les trois femmcs se placcnl dans la voiliirc, le capilaine monle a cheval, el les fugilifs s'cloignent au grand galop. LE DAHLIA. Cliarmnnic lleur, I'uu dcs plus beaux ornemcnts de nos jardins en aulouinel cllo a olc ainsi nomnioe en riionncnr dn bolanisic sucdois Andre Dabl.Cctlcdenominalion a ron- conlro quclquo opposition . mais ollc a fini par Iriomphor. Colic magnilique plaulc osl originairo de rAmeriipie moridionalo; iiialgro sa licaulo, clleavaita peine etc reniar- quce jiisqu'au milieu du dix-scplieme sieclc, opoqiie on los Espagnols commoncercnl a y faire allonlion ; encore co ne fut que vers 1790 qu'clle llourit ii Madrid. Cavanillos en donna une description dans lo premier volume dun ou- vrage ipi'ilpublia en 1791. 11 en envoya,eHl802, (|l1elques planles a Paris , et M. Tbouin les cultiva avec succes. — Les Anglais prolendenl en avoir en des 1789. — Ce qu'il y a de certain, c'est ipi'en 1802 ils n'en avaienl pas, el en firent venir de Paris; on leiir en envoya encore I'annee suivantc. lis reciirenl cgalemeni des graines de Madrid en ISOi; mais ils n'en surenl rien faire, el ce ne fnl qu'apres la paix de 181 i que nous leur en envnyames de tonics les variclos dc nuances (jiie nous avions oblonucs, ct alors sculomcnt ces Hours furent connucs el adniirecs dcsama- loiirs d'oulre Manclie. Dcs 1802, ou pen apres, M. Tliouin en avail public en France une desciiplion avec dcs plancbos colorices; il docouvril bienlol riienroiise Icndanco du dablia a prendre .^ T,v|i. jA.Rciiitli;!' FENELOl. BliAUTliS lit; LlllSTOIIlK lollies Ics couleurs el loiiles les nuances , ct il siU en pro- liter nvec liabilcte. Auciine llcur n'offre un anssi grand iiomhi'c (le varicles que cellu-ci. Ellc s'i'niaille liiur a lour lie loules les riches leinles que Flore rcjiand sur uos jiar- terres.Par un heureux conlrasle, ellc cmiirunle ipieliiuefois la chasle nuance de la rose , celle reiue des lleurs i\n\ doit ,i son dou\ )iarfum d'avoir conserve le trone conteste |iar sa dangcreuse rivale; elle dispute aussi, avec le pavnt, I'l'dat de ses leinles riches et prol'ondes. — (^onime la tu- lipe , elle marie avec grace, elle harmonise avec un rari' hoiiheur des couleurs diaprees, dont I'opposilion releve encore le vif eclat; puis vous la voyez panachee conime IVeillet a la douce senteur; enfin elle se metamorphose comnie par eiicliantement. (Juel dommage ipic le dahlia soil inodore 1 IJue ne se halancc-t-il gracieusement sur unc lige tlexible ! Mais ipii pent tout avoir"? 11 est parmi les lleurs ce ipi'esl le paon chezles oiseaux : — admirez leurs couleurs, neregardez pas leurs pieds;a I'uu ne deniaudez pas de parfum , ni a I'aulrc un gosier savanl. Quoi i|u'il en soil, le dahlia est une nohlo conciucle de I'ancien nujnde sur le nouveau. Si Ton seme la graine de bonne lieurc, on obliendra des lleurs Tanlomne suivant. On accelere le resullat en la se- mant surcouche.Lesracines se conserventfacilementdans dii sable place dans une cave bien secbc. On pent les divi- ser en fendant le vicux pied , dont il faul que chaque plant conserve une |iortiou. — C'est an mois d'avril ([u'il est .i propos de planter les vieilles racines; on ne laisse monter qu'uue seule tige ct Ton suiiprime tous les rejetons qui absorberaient la seve. Ces rejetons, ainsi ipie des boutiircs, viennent bienquaud on les plante u I'ombre, et qu'ils sont abriti'spar un chassis eii verre. On pent greffer les plus belles varieles sur des tiges nrdinaires ; il suffit de les coo- per en sifllet on de Ics fendre, et de les lier ensemble en re- cnuvrant la greffe d'une couclie de lerrc glaise, avant de les mettre en pot dans du tcrreau; il est couvenable en- suile d'enterrer les pots dans une bonne couche. La lerre de hruycre enqieehe les excroissances, el augmeulc le nombre et la beaute des lleurs. (Vest, conime on le voit, une plante pen exigeanle; an contraire, trop de soins lacontrarie :c'esl sans doule pour cela que les Anglais out en taut de peine ,1 les faire reussir. .le me rappelle, a ce sujet. une anecdote qui m'a i'te racuntee il y a quebpies aunees, par un jardinier llenriste des envi- rons de Londres, dans un voyage que jc lis alors en Anglc- terre. II .clait fier de montrer a uu Francais ses scrres rt pliisieurs belles plantes , et cha(|Hc I'ois il me disait : « En avez-vous d'aussi belles en France?)) II etait fort elonne dercrevoir une reponse aflirmalive. Je hii demandai, anion lour, comment il se faisait qu'ils eussent en laut de peine a natiiraliser le dahlia, (i Oh I me repondit-il, there yon beat US (vous nous battez en cela); mais, ajouta-t-il. c'est par cxces de soin que nous avons manque. )) Un horticultenr cullivait sans succes des dahlias depuis plusieurs annees ; il les avail mis dans .sa serre chaude, mais rien n'y faisait ; ils di'perissaient en depil de ses soins. .\ la fin, enuuye de ces plantes rebelles, il les flt relirerde la serre, ouellcsoc- cupaicnt un espacc utile, el mil daulres plantes a leur place. Les panvres d.ahlias lonibes en disgrace furcnl re- legui's en plcine lerre, dans un champ an bout de son jar- ilin, et qucbpie tempsapres il vit, a son grand etonnement, qu'ils avaieni repris vigucur, etpnrtaienl des lleurs magiii- liques. nil i;i.er(;e he France. sm BEAUTES LHISTOIHR DU CLERGE DE FHANCE. FEIirEX.ON (I). Les renommees qui ont pour base un merite reel, loin de subir les ravages du temps, sendilent au contraire re- vctir un nouveau lustre a mesure que les annees s'accu- mulent sur elles. Anssi bien sail-on (pie la rouille n'allere jamais les metaux riches, et que For trouve dans les fouilles des antiques cdiQces conserve, au bout d'une longue suite de siecles, sa valeur intrinscque et son eclat. L'illustralion du genie el de la vertn est donee, conime on vienl de le remarquer, d'un plus bean privilege. On ne pent la denier au personnage dont le nom brillc .1 la tele de celle faible esquisse, ct aujonrd'hui, iiiieux encore qu'au di.x-septicme siecle, le nom de Fenclon est cntoure d'une rayonnanle aureole. Francois de Saliguac de Lamothe-Feuelon naquit au chateau de Fenelon en Perigord, le 6 aoiil 1651 . Son pcre, le comte de Lamothe-Feuelon, n'oublia rieii pour cultiver les heureuses dispositions que le jeunc enfant manifestait dans un age Icndre. A douze ans, le latin et le grec etaienl plus familiers a cet eleve si precoce qu'on ii'avait droit de Fallendre d'un .age anssi pen avance. L'education publique succeda alors a celle qu'un preccpteiir avait si parfaile- inent ebauchee. 11 fit dans I'universite de Cahors ses hu- manites et sa philosophic avec les plus grands succes. Paris recut ensuile dans son college du Plessis I'eleve provincial i|ui devait illuslrer celle maison ; el des I'.ige de quiuze ans, Fenclon, qui avait a peine commence ses etudes theo- logi(|ues, y fit un sermon tres-rcmarquable. Enlin le semi- naire de Saint-Sulpice, qui venail a peine d'etre inaugure, coinpta le jeune Fenelon parmi ses nombreux eleves, sous la direction du docle el vertueux Tronson. L'anibition du jciine seminarisle commencait ;i se dcvelopper, mais c'etail celle de saint Paul : il voulait parlir pour le Canada, el s'y livrer a la conversion des sanvages. II fallut loulc lauloritc de son oncle, evcque de Sarlal, pour le retenir a Saint-Sulpice. Bienlot ordonuc iiretre, I'ahbe de Fenelon se livra avec ardeur aux fouctions du saint ininistere pen- dant Irois annees. En I(i7'(, I'oncle I'appelle aupres de liii a Sarlal, et la encore, il faul user d'aulnrite pour I'empecher de se livrer aux missions orienlales; mais les instances du neveu de- vieunenl si vives, que le prelat est coninu' force d'v con- scntir. Keanmoins la faible same du jeune apotre le retient dans nos climats ; el alors, [lonr seconder son zele, I'arche- veque de Paris, Francois du llarlay, p'ace I'abbe de Fene- lon 7i la tele de la maison dite des Nouvidles Calholnpies. L.i, il pourra faire un graml bien en rafferaiissanl dans la foi les femmes ou Biles revenues du calvinisme. Les succes de son apostolat deviennent si eclatanls, qu'on se resoudra plus tard a leniployer ,i la conversion des protestanls du Poitou. En attendant, il occupe la place de superienr de la susdite maison pendant dix ans. (I) Xous suivons ici la vraie afci'iiUialioii ilu nnm de lairliovwino de Caiiibrai ; il s'appelail Fencliin, el nun pmiu Ffneloil, conime on I'iuipr.mc Irop souveiit. 350 liliAU nnns rcl inlc-rvnllp ilnnc oxisloncc assoz olisciirc sclnii Ic monilc, son oiiclc li; iiiiiniuis ile Fenelnn liii procure ilciix illuslres connnissnnces : le Aw. do Bcauvilliors ct Rossiicl. Li revocalion do, I'cdit de Nantes, en 1685, nc- casionna nn envoi de missionnaires dans les provinces in- fectees de I'liercsie. La Sainlonge et le Poilou echureiil a Fenelon, sur la presentation de Rossuet. Le nonvean supe- rienr desi^na comnie ses collaliorateurs I'alilic de Laiige- ron, le celebre abbe Fleury, 1 aldje Bertier, plus lard pre- mier eve(iue de Blois, et raldie Milon, alors aumonier du roi el ensnite everpie de Coiidoni. Hans les missions de ee eenre, la force armee accompai;nail les missionnaires; Fenelon conjnra Louis XIV d'elnigner lonl appareil mili- taire. La fiii catlioliipie ne s'impose jioint, ellc entre dans Fame par la persuasion. Le roi lui |ierniit de n'eniployer ipie celte derniere arme; el avec elle senle, le mission- nairc fit les plus belles conqnetes. Paris vit Fenelon. ii son retour, reprendre son ceuvre des Nouvelles Callioliques, et s'y consacrer avec nnc nonvelle ardeur. Deux ans se passent encore, el Fenelon, pendant ce temps, ne se montre pas a la cour. Toulefois il avail ete question do lui donner levecbe de Poitiers on la eoadjntoreric de la llocbelle ; mais nne rnalveillancc jalouse avail fail avorter ces projcts. Les ileux senls livres qu'il ait publics jusrpi'a ce temps soul le 7V«i/e (le ieducation des filles el le iVini.ilire des -jias- Icurs. Lc premier jouil encore d'une faveurnon conleslee. Le moment est venn d'ajipeler ,i nne baule cbarge le modeste snperieur des Nouvelles HaUioliipies. Le due de Beanvilliers fill nomme cfonvernenr dn due. if Bourgogne, petit-tils du roi. L'ablie de Fenelon fnl cboisi par le pre- mier pour remplir les importantes fonclions de preceplcur. Le voila done a cetle cour qn'un secret pressentiment lui avail fait redouter. Avec de pareils maitres, que ne devait-on point atlendre d'un |irince confic a leurs snins! La France entierc applaudil a des cboix que lc merile senl avail dic- tes. Trop sonvenl la cabale des conrs s'interposa dans des cbnix de eelle nature. Fenelon clait alors age de Irenle- biiil ans; mais nne sagesse consommee avail dans Ini per- lectionnc I'exiierience des bommes et des cboses. La favenr de sa position nonvelle ne ponvail lui faire prendre nn funestc cbang-e; car lonl n'elait pas fleurs et roses dans un posle senilibildc. Le caraclerc du jennc iirince parai.ssail mdomptablc ; son orgueil etail revollant, sa volonle obsti- nee el inllexible, ses penchants a la colere forlemenl pro- nonces, son mepris ponr les hommes biimiliant a Fexccs. Quelle tacbel qn'il faudra d'habilele ponr tiiompber de tanl do di'fanis! II faudra des miracles de patience el de fermele ponr faire de eel cleve nn prince affable, donx, humain, modere, bumble, modeste. C'csl le due de Saint- Simon qui parle ainsi, el qui reconnail dans les instituleurs lc prodige qu'ils siircnt operer dans eel enfant de hull ans. Lc jeune ]n'ince se livrail-il li un acces de violenle colere, le gonverneur el le preceplcur, ainsi que les anlrcs insli- lutenrs secondaires, oflkiers el domcsliqnes, observaient un profond silence. NuUe reponse a ses questions. Ses livres lui etaienl retires. On rnbandonnail a lui-nieme. Les rellexions, les regrets el les remords venaient alors assaillir le coeur dn eoupable; bientol il allait se Jeter anx |iieds du preeeplenr, el promellail de se faire desormais une juste violence. Mais sous lc rapporl des moyens intelleclnels, le jeunc due de Bonrgogiie donnail les esperances les plus ilatleuses; Fenelon, par nne adroilc direction, sul les mc- ner .1 bien. A I'age de Ireize nu qiialnrze ans. le due de TFS. Bonrgogne avail nnc insli'uclion siiperieure a des adoles- cents de dix-luiil ans doiit I'education ciil etc aussi soignee. Nous ne parlous pas des frcfcs de ce prince, les dues d'An- jou el de Berri, dont Frnelon devint egalcmcnl prcccpteur. Les Fables el les Dialoijues des morls, composes pour I'education de son eleve, ainsi que ses premiers onvrages, meriterenl un fanleuil a rauleur dans 1 Academic fran- caise. Louis XIV semblail avoir oublie Fenelon dans la dis- tribution des faveurs; mais enfin, en 1694, le preeeplenr pen ambilienx Cut nomme a I'abbayc de Sainl-Valery; le roi fit meme entendre quebpies excuses sur celte tardive remuneration. Rienlot neanmoins allait s'ouvrir ponr Fe- nelon la earrii're des bonneiirs ecclcsiasliques : le riche arcbevecbe de tlamlu'ai lui fiit donne Ic i fevrier 1693. Deja pourlanl nn symplome de defaveur s'litait maniresle. Fenelon s'elail montre partisan de la famense madame Guyon, dont le systcnie de spiritnalite ebrelienne ne sem- blail pas d'une severe orlbodoxie- Bossnel avail toulefois viiulii se faire bonncur de sacrer le nouvel arclieveqiie, quoique, d'antre part, il cut manifesle .son improbalion conlre Fenelon ail siijel de celte doctrine. Le nouveau pre- lat commenca son aposlolal par une preiive de dcsinle- ressement, en abdiqnanl I'abbaye de Sainl-Valery. Ce ne flit meme qn'avec peine qu'il accepla rarchevecbc do Cam- brai, en objeclanl an roi I'obligalion de la residence qui ne ponvail se eoncilier avec les fonclions de |U'eccpleur. Louis XIV permit ii Fenelon de passer neuf mois de I'annce dans son diocese, se ennlentant des Irois aulres mois pour la direction immediate des eludes de sou petit-fils. o Pen- dant les neuf mois de voire absence, lui disail lc mnnarque, vous snrveillercz de Canibrai celte education , comme si vous cliez a Versailles. » Ajoutons que de bien digues co- adjnleurs etaienl associes a la soUicitudo du preeeplenr principal ; il suffll de nommer les abbes de Ceaumonl, Fleury el de Langeron. Ici commence une ere des plus malbeureuses pour Til- lust re arebevi'que de (lambrai. Nous ne pouvons avoir le desscin d'entrer dans celte grave discussion, si penible pour le cicur lendre et aimant de Fenelon. Deux anlagonistes d'un rare merile vonl se mesurer dans celte areue. L'ar- cbeveqiie de Canibrai fail paraitre nn livre sous le tilre de ilaximes des saints. II y juslifiail, en parlie, la doctrine de madame Guyon. Bossuet combat Fenelon. La cour est divisce en deux partis. L'eveque de Meanx poiisse vivemenl son adversaire; Fenelon se defend avec douceur. La cause est portce a Home; Louis XIV el madame de Maintenon ne penvent dissimuler leur desir de voir le |iape condamner rarcheveqiie de Canibrai. EnCn, apres le ]ilns serienx el le plus long examen, rcpiivre de Fenelon est condamnee. Bos- snel triompbe; mais, disons-le sans anciine prevention, celte vicloire du grand eveque de Meanx n'esl pas le plus bean lleuron de sa couronne. Cc n'esl pas que les vingt- trois propositions extrailes du livre de Fenelon ne fiissent juslement condamnees par le juge supreme de la I'oi; mais c'esl qu'il y cut dans la poin-snile de cetle affaire non point un zcle calme el louablc pour la verile, mais une irritation de cabale pen honorable ponr Bossuet, el principalemenl pour les promolcnrs de ce dernier en cour de Bome. 11 suffit de nommer I'abbc Bossue' neveii, ipii s'avisail de Iraiter Fenelnn de bete feriiee. (jiielles expressions ponvons- nous maintenanl employer pour signaler la soumission de I'archeveque an jugement dn pape Innocent XH'? Des que Fenelon est informe (h- Parrel , il monle lui-mcmc en I)E LlllSTOIIlli UU CLIiliUli Uli I'UAiNCE, 351 rh.iire poiii- Ic |iiililioi- ii sos diocesains. Sa plume n pu eniT, ui.iis son cceur lie fill jnniais i.'riii|i(ilile. II (li'fi'iiil li son |M'ii|ile (le lire el de i;;ii iler son livie. Pierre a |i,'irle par la liomlie dii soiivcrain pnntife, el Kencloii y reconnnil la voix de Jesiis-lilirisl. II eerit :i son jiige pour In! leiiioigner la souinission la plus profonde. Mais le pape. en eondamnaiit rarelievecpie de Canilirai, el avant de recevoir niic repoiise de desaven, avail appelc le coiipable iin Ires-pienx, Ires- sainl el Ires-doele prelal ( im jtiissimo, sandsshiw, dol- tissimo vescovo). Aiiisi line pareille defaile, loin de I'n- nioindrir, csalla an conlraire le nolile vaincii. Deja, avanl I'arrel dn sonverain pinilife, Louis XIV, ponsscj par I'ln- dignc caliale. avail destilne Fenelnn de sa charge de pre- cepleur; ses ands avaienl ele euveloppes dans la nieme disgraec. La del'avcur royalc clait Ic salaire du prodige o|iere siir le raraclere dn jcune prince par la sagesse par- I'aiLe de ses ineslinialdes instiliileurs ! I)e nniividles epreiives elaieiil reservees a Fenelon ; c'esl Innjours son amour du liien qui les lui siiscile. 11 avail compose pour son aiignsle clevc uii admiralile oiivrage ipie lont le nionde coiina'l ; nons n'anrions pas besoindc iioniiner le Trlimaqiic. I'll inlidele donu'slii|ue, aprcs en avoir fail circnler i|ueli|iies copies, el encmirage )iar les eloges doiines a celte grariensc composition, vendil le ina- niiscnt a nn liliraire. Le YVVchuk/i/c fiit iiiipiinie sans noin d'aulenr. Le siicces en ful prodigieux dans loiile I'Eurupe. On esl liienlol inslruil ipie e'esl niie produclion de rarchi'- veiiue de Cambrai. La m.ilvciUance el la jalousie insinnenl an roi r|ue ce livrc esl line snlire perpetnelle de sa pcr- sonne ct de son gouveriipmonl ; niadame de Mainlenon confirme le roi dans celle prevenlion calomnieuse. Vaine- menl rarclieveqiie se discnipe el prolesle de son respecl pour le monarqnc, en re]ionssaut uue anssi oulrageanle impnlalion, Fenelon n'cn esl pas nioins de plus en plus en disgrace : il resle exile dans son diocese. C'est le langage du monde, qui ne vinl de lionlieur qu"a la cour el par la coiir. Liu prelal coinnie Fenelon ne se considcre pas comme nn exile an sein de sa faniille. Celte lougiie defavenr est pour son vasle diocese nn immense bieii. Qui pourrail ra- conler loiiles les nierveilles de son aposlolal? II se venge en chrclieii par uii devoueinent sans homes ii son prince et ii son pays; nn seul trail enlre mille .suflira. La gar- iiison de Saint-Omer, en 17(18, s'elail soulevec, parce que, dans I'impossildlite de iiourrir les soldats, le goiivernement epuise les ahaudonuait li la plus desolanle peinirie. L'e- vcqiie de Saiiil-Omer, ipii avail monlre lant d'acharne- ment conlre Fenelon dans la fainense affaire du livre des Maxivies, no fit point preuve de generosile dans celle cir- conslauce; sa hoursc resia fermee dans nn moment anssi critique. Fiinelon se depouille de lout rnrgeut qn'il pos- sede, en cmprunte de tonics parls siir des hillels signes de lui, fail passer ce Iresor ii Saint-Omer, el la troupe, eufiii arrachee aux horrcurs de la famine, reiilre dans I'oheis- sanee. Tel elait eel archeveque scriilieux que Louis XIV rejioiissail de sa presence 1 L'augusle eleve, ((iie Ton avail voiilu detaclier de son anioiir pour sou digue precepleur, conserva neaurnoiiis avec delices raffecliou filiale qu'il lui avail vouee. Mais cpie de precautions minutieuses furenl oliliges de prendre Ic due de Bourgognc el Fenelon pour enlretenir une assidne correspondance 1 Combien celle-ci honore snrlont la mii- moire du precepleur, el de I'elevel Croirail-on, si I'hislnire n elait hi, (pi'une couile cntrevnc ne leiir ful point pcrmise, pendant le sejour du prince en Flandre diirant pliisieurs iiiois, .si ce n'est en presence des ofliciers el des magistrals de la ville de Cambrai? En se separanl au bouldeipielques instants de celte eiilrevue genee (Fenelon el son elcvc no s'etaient pas viis depuis cinq ans), le prince, elevanl ii des- sein la voix, dil a I'areheveqne : ^i .le sais re ipie jp vims « dois, vous save/, ce que jc vous suis. » Les Icllres reci- proqnes du due de Bourgogne et de Fenelon monlrent jus- qu'ii quel point la confianccdn premier etail absoluc, ct la leiidresse du second profonde et eclairee. II est vraiment desolant qn'il la niorl du prince, Louis XIV ait pris liii- iiieme le deplorable soiii de livrer au.\ llammrs tonics les litlres qui se troiiverent dans les papiers du defiinl : ce I'ETITES .MOIIALES. (|ni oj] esl iirovidciiliclleiiieni i'clia|i|io fci'a luujours I'e- greltcriivec ainorlunu' iiiie aussi |)i'i'ciousecoiTos|)ondance. Iloposons-iious quelinics instaiils sur la vie intime de rai'clii'veqiie de Cainbrai, dans son palais ct au milieu de ses diocesaiiis. II y vivait d'linc nianiere calnic el ix'glee. Coiiime dtis sa jcunessii il avail conlracle In saliilaire habi- tude de se lever de grand matin, il la conserva jusiiu'a la liii de ses jours. II n'omellail jamais de celebrer le sninl sacrifice dans sa cha|iclle, et cliaque saniedi dans sa rnelro- pole; en ce jour, son confessioiin.il clail ouveri indislincle- ment li lous ccux qui s'y prcsenlaienl. Son dijier a niidi, selon I'usage du lemps, elait servi avec magnificence; mais celle-ci n'elait (|u'nn devoir de sa lianlc posilion : person- ncUcnienl jI clail d'unc sobriiHe que Ton pourrail appclcr excessive ; c'est a elle que Ton allribuail son exlremc mni- greur. Sa lable, qui coniplail habilucllemenl qnalorze ou (|uinze convives, laissail ii lout le nionde une douce liljerle : poinl de gene, mais lonjours un cnlrelien paisible, des ma- nieres aisees el nobles. Fenelon ne parlail jamais qn'ii son lour. Une licnre d'enlrclien au salon completail celle epoquc de la jounKie, et encore en enqdoyait-il une parlie a la signature de diverses cxpcdilions, sans geuer le moins du monde les douceurs de renlrelien. PETITES MORALES. I.A P£TIT£ PHOVENC£ DU J.MiniN DES TUILEISIES. Uii rayon ilc solc'il ^\m nc saniMit encore Ratncnor les pres ni les hois Vous appellc aujanlin que Ic luxe decore, Et presque sous les ycux des ruis. Mais que vous font, cnlunls, les giMiidcurs tevcUies De I'eclat d'uii vaia apparcU? Que vous font ces palais, ces marbros, cos stulucs? Vous ne voulcz que le soleil. Vous ne connaissez pas les funcstes cliiineres Qui sous le dais viennent peser ; Vous n'avez ni rcijrets, ni soucls que vos nitres Ne puissenl guerir d'un baiscr. Vous n'avez a souiVnr, a vcngcr nul outrage, Nuls droits perdus a rossaisir, El vous etes eiicor libre? : car, a voire age, La liberie, c'est le pliiisir. Livrez-vous a vosjeux ! qu'ils servenl de coiitrastes A CCS fetes qu'on :iinie ici, Ricz, cbantez, dansez ; ces lieux sont assez vasles pour Ic bonbeur et le souci. Vous allez croilre, enfants, et devenir oselaves, Si vous 6vitez le ccrcueil, lit vos pieds fatigues trainerout les cnlraves Dc I'avarice et de I'orgucil ; Tuutes les passions en vos ctEurs decliainces Ke vous quilleronl que bien lard : Lt pour ces lieux cbannant.s, ilurant loiigues annijes, Vous n'aurez pas un seul rei^ard. Mais quand le temps, vainqueur dc volie re>ist:iiic'e, De vos ans marqnera le soir, .\ir;iibli,5, iinpuissants, ranicnes a reid'iincc, Vous y revieiuUvz vous asseoir ; Vous y retrouverez I'innocente nienioiro D'un houbeur perdu pnur lonjours : Vous It'ur lieiunnderez, non pas I'oi' ni la -jloire, Mais le soleil dc vos beaux jours. MAXIME D1TBJ SAGE. Ciiaquojour est un bii-n ; ICt je vous I'.iis cbnsser, si vous n'obeissez. Assez neltemenl je ni'explique! C'est enleudu, je crois?... Moucbcltes sans n'pliqui^ Ibiniblenient de s'en approcbor, El de leteinilro au lieu de la moueber. Quiseniontre imperieux niailre Dans sou valet n'anra qu'un trailre. X.A RAISON £T Z.A BOUCEUR. Le langage de Ki raison, s'i] n'csl point exprime avee douceur, manque souvenl son but, parce ipTil est sans el- fet sur I'espril, faule d'avoir loiicbe le nvwr; le iaugage de la douceur, sansle secom'sdela raison, parvienl rarement a persuader ; il pent emouvoir le creur, mais il n'a pas ee (|u'il faut pour convaiucre Tespril. Que vos paroles soient done en memc temps empreintes de raisou et de douceur ; eiles penelreroiU I'esprit et le cncur; elles serout irresis- libles, memc aux sophismes de I'orgueil el des prejuges. InriKimiic MillM'IDLi; ri LANGUAM), rai' ilEiluUlt, ). LE LIVRE DES FAMILIES JOURNAL DE MONSIEUR LE CURE. N» 12.-1" Volume. t" Octolra 1S4S. LE MOIS DU JEUNE CHRETIEN. SAINT SEMys ET SES COMPACNONS, SUFITVUS. L'liisloirc a couronne d'line glnrieuse aui-eole les Icgis- l;ileiir.s des cm]iii'cs ; leur iinm sora loiijoiirs pronoiice avec liunneiir dans les p;eneralions les ]ilus rcciilres. (Jiii oscrait rofuscr cetle belle prcrogalivc a ces ci)ninii'rants|iacifiqiios ac'COuriis des plnf;es loinlaines vers des ))0]iul.ilioiis liar- harcs pour les civiliser par la crnix? Telle fiit la ijeiiereii'ie ndssion eonfiee par le ponlife de Rome aux saints Denys. Rustinue elEleulliere, donirEjlise de Paris, en p.arliculier, celebre an 9 octobrc la solennellc feslivile. I'onnpioi, |dut6t sur les rives do la Seine que parloul aiUeurs, Ic nom de ces illuslres apolres csl-il un objet dc pompe re- lip;ieuse ? Voici ce (jue rapporle I'hisloirc dc I'Eglise gal- lieanc a ce sujet. La partie meridionale des Gaules recnl le bienfait de la fci clirelicnne des les premiers siccles. S'il faiit en croire (iitains antenrs, sainl Luc el saint Crescent, disciples de saint Paul, auraient evangelise, Marseille ct ses alentours. Une tradition constantc dans ces contrces fait occnpcr le siege episcopal de celte derniere villc par sainl Lazare. i|ue INotre-Seigneur avail re.ssuscite. II est ccrlain d'ailleurs ipie les villesde Lyon el de Vienuc elaieul cbretiennes des le se- cond siecle, carl'liistoire de leurs martyrs, en 177, le de- monlre surabondamnienl. Le centre et le. nord des Gaulcs devaicnt prendre pari an bienfait de la foi. La sollicitude apostoliipic du pape, vers le milieu du troisieme siecle, leur procura le boubeur d'y participer, par une mission qui flit eonfiee a sept eveques. Voici leurs noms : sainl Tro- pliinie d'Arles. saint Galien de Tours, saint Paul de .\ar- bonne. .saint SaUirnin de Toulouse, saint llcuys de Paris, sainl Austremoine de Clermont et saint Martial de Limoges. Cliacun de ces niissionnaires. apres avoir converti au cbris- tianisme la ville cpii fut le premier but de leur zele, etendit le regno de Jesus-Clirisl sur les aulrcs cites et bour- gades voisines. C'est ainsi ((ue saint Denys ne se contenta point dc cnnquerir a li foi la villo dc Paris; les eglises de t;bartres, de Meaux, de Senlis et de pliisieuvs .lulres can- trees du nord-esl des Gaules hri furent rcdevablo's de leur elablissement. 43 554 Paris n'oecupnil, A ccllc epoquc, <{W Vile conmie sous le nom dfi Cile. Qucliincs li.iliilalions s'clcvaiont nil midi de celle ile, nu pied de In nionlai,'ne Sniiile-Ucnevieve, el foi-maient commK iiiie sorle dc f.iiilioiirg a cetlc capilale alors encoic dans son berceau. A I'cndroil ou s'eliive au- jourd'liiiilamelrnpolo, Nolre-Dame, etail uii temple cdifio anx impures diviiiiles que I'Egyple avail transmises aiix Komnins, el que ceux-ci nvaieiil imporlees dans les Gaules par eux conqnises Quels eflbrls de zele ne fandra-t-il pas pour arracher .i cc peup'e abruli le vil olijel de son ado- raliou, et lui faire accepter des d 'piics el uue morale en opposition si dirccle avoc leur abomiualile crnyance? Saint Denys le tenle, el il y reussit. Les miracles qu'ilopcre de- monlrenl inviiitildemenl la verile de ses paroles. Bienlot une I'slise se forme; saint Denys en est I'eveque; saint Riislique, pre. re, el saint Elculhere, diacre, eomposcntavec le prelat celle cathi'drale naissanie. Le temple des idoles est aliallu, el sur ses ruines s'eleve, en I'honncur de sainl Etienne, premier marlyr, une oglise clireticime. Plus lard, lorsqu'un edifice plus somptueux rcmplaccra In moJesle eglisc, on le placera sous le vocalile de .Marie. Ce n'est done point en vain ijiie snint Uenys et ses compngnons ont arrosij de leurs sueurs ccltc tcrre qui se presentnit d'abord conime Ires-inijralc et inlecundc. Mais, dc memo que les apolres de Jesus-Christ ont du arroscr aussi de leur san;; la semence de la divine parole pour qu'elle fructili.'il, de memc aussi ces nouveaux apiUi-es, en- voyes par le vicaire de J.'sus C.brisl sur la tcrre, dcvront fertiliser de leur sang la meme semence. Mnximilicn-llerculc etail alors n la lele de I'empire romain. Effraye des im- nienses prngrcs ilii clirislianisme dans les Gnulcs, (|ni n'en etnienl nlors qn'une province, il envoie des ordres se- vercs an gouvernour de ciile derniere. Fescenninus ou Sisinnius, digue di'legue de renipereur romain, fail jeler dans nn cachnl le siiinl eveque el ses deux acolyles; il cssaye d'ebranlcr leur foi pnr les ]ilns t. rribles menaces ; inais uue apostasie ne saurail souiUer despienrs anssi dc- voiies a la verile. Lnsse d'uue Constance qui est ii I'eprcnve de tons les genres de supplice, Sisinnius ordonne (|ue les Irois confesseurs soienl decapiti'S. Afin de derobcr :\ la vi'- neralion des clu'clicns ces precii'uses depouilles Sisinnius ordonne qii'on les jctle dans la Seine ; mais nne pieuse fenime, nomine Calnlln, parvienl a relircr les Irois corps , el leur donne une decente sepullure. Telle est snccinclenienl I'liisloirc de la pivdicalinn et du martyrc des saints Uenys, Ruslique et Eleullieie. II V aurnil mainlciianl bien des discussions .-i elablir snr Pepotiiie de la mission dc saint Denys, sur son idciilite avec I'Areopaijile, snr le lien meme oil les marlyrs rccurent la morl. Un livre on journal tel ipie celui-ci ne saurail nd- mellre des disserlalions scientilii|in's et abslruses sur des questions de celle nature, quclques mots snfliront. L'opinion qui veulque sainl Denys rAreopiigileail ele pre- mier eve.(ue de Paris place nece.ssniremenl rnrrivee de ce pontife npoire a la lin du premier siecle de lere clmjlienne. yu'etail rArenpagile? C'elait un des .juges d'Alhenes qui, au moment on saint Paul preciiail dans le preloire de ce tribunal, se converlit a la foi et devint premier eveqne de celle ville. II faudra, dans ce cas, que sainl Denys I'Areop.i- gite alt qnille In brillanle capilale ile la Grece et Teglise qn'il y avail fondee pour venir cbcreher an milieu des sombrcs el brnmcuses forcls des Gaules la clielive cite des Farisii^nS. Mais en lui-mfmfc le fait n'a riiiu d'incr'oyabrc, LES SAINTS car les missionnaires de I'Evangilc ne redonlent ni les perils ni les fnligues des longs voyages. II s'agit seulement d'une Incline Ires-considerable qui va exisler dans la suc- cession des evequcs dc Paris. En ndinetlanl (|iie sainl Denys I'Aieopagile ail ele martyrise d.ins celle derniere ville, an comniencemeni du denxieme siecle, quels furent ses suc- cesseurs jiisqu'a la fin du Iroisicme? Au surplus, nvnnt Ic moine llildnin, abbe de Sainl-Denys, pres Paris, qui ecri- vnit en 814, personne autre n'avait regardc I'Areopagile comme premier eveque dc Paris. La vie de saint Denys, ecrite en Pan 7S0, se conforme a saint Gregoire de Tours, qui nous montrc les sept evequcs dont nous avons plus haul donne les noms, arrivant en France an milieu du Iroi- sieme siecle. Tons ces missionnaires elaient d'origiiie grecque, ainsi que rindii|uc leur nom ; mais cc n'est p 'inl nne raison pour faire de sainl Denys d'Alhenes le nicn.e personnage ipie cclui de Paris. En (|iicl endroit recureni In morl les Irois .saints coiife.-- seurs? Selon ropiiiiiin la plus probable, c'est sur une mon- Ingne qui dmnine Paris, et que Ton appellc, pour celle raisoii. le Monl-Marlr.\ e'csl-n-dire, le Moiil des .Marlvrs. II est vrai que, scion quclques auleurs,Moiilmarlre n'aiirail cc nom que parce qu'on y honorail autrefois le dieu Mnrs ; mais, .selon d'aulres, le dieu Mercure y avail un temple, el le licus'appclait, pour cello raison, Mnnl-Mercurc. Toulcs ces opinions nepeuvenl se .sonlenir en presence dun fail; c'est que dans la vie de saint Denys, sous Ic ie,ne de Charles le Chnuve, la nionlagne est iiommce Mnns Marly- rum, le M ml des Martyrs. Aujourd'hui encore la barriere qui y coniluit portc cc nom, f|ui n'a pas doge lere comme celiii de Monlmarlre. Terminoiis rcxainen de cc point d'elymnlogie en disani i|ue, d'aprcs la regie des locutions franr.aises, si le nom de ce monliculc lui venail de Mars, on dirail iiecessairement Monimnrie. En prononcant el en ecrivaiil.l/ioi(/n(ii7ir, ravanl-ilernierc letlre du mot accuse roriginc clirclienne de ce nom. C'est done l.i. ou du moins au pied de celle montagne, que les tniis illiislres a|inlres de Paris scellerent de leur sang la foi qu'ils y avaiei.t prcchee. Leur supplice, loin de iiuirc a la prnpagaliou da chrislianismc, lui impriina au conlraire nne vigiieur non- velle. el quclques anni'cs npres la morl des saints confes- seiirs, il n'cxislait plus sur le sol de Lulcce nucun vesligc d idolnlric. Ainsi s'elevait sur nne sanglnnle base ce bel eJillce dc lEglise de Paris, cpii devait brillcr comme un soleil an milieu des antrcs chrelicnles du royanme des Francs. Ce qui semblail devoir cmpecher le dcveloppement du mvslerieux germe en est, au contrail e, le principe d'ac- crnissement. Taut il est vrai, comme on ne saurail Irop le rcilire, que dans le christianisme Ic progres se trouve dans ce qui. parlout aillenrs, n'est que la dechcnnce et la mine ! Inlerro^cons mainlenant la suite de la tradition. Elle nous apprend qn'une dame pieuse, apres avoir retire les corps de la Seine, on la rage paienne les avail jeles, leur procura une sepulture, ainsi que nous I'nvons deja dil. Le lii'U de celle siqinltiire fill un liameau dislanl d'une lieuu de la mnulagne oil rexeculion s'elait fnilc. II povtait le nom de Calolmnm. Bienlot fine chapclle fiit elevee sur ces prccieuses relii|ues. Les piipiilalions s'y rendaient pour iinplorer la ]iuissanle inlercession des Irois martyrs. Celle aflliience inces.snnle obligea les hahilaiils du village ii ausmentcr les balimenls deslines a helievgcr les nombrcnx peierins. An neuvieme siecle, c'elait deja nne ville en- laiu'ce dfc mui-aillfes ; S»n vi«ix nom de Cdotacum avail DU dispani pour fairp plnce a coliii de siiinlDonys, lii premier (les Irnis marlyrs; niais avaiit celle ('■pmiue le rni Dagobert avail r'einplacc la premii'iT cli.ipelle par line richc liasiliipie. Celle-ci fill dediee le 2f fi'vrier 631). L'liisloire de cclle iledicace esl Irop iiileressanli' pniir eii fruslrer iMs lecleurs. Dos la vciUe, iine niiillilude iiiiiomljralde s'elail rendiie a Calolacum pour assisler a celle imposaulo ceremonie. I'lusiciirs fidclcs eusseni desire de passer la nuil eu prianl dans le nouveau temple ; ninis une mcsurc t;eiierale ful adnplee, d'apres laipiellc il ful defendu a ipii (pie ce fi'it d'y peiielrer nvanl le maliu dii jour mcme du la dedicace. I'n seul parvint ii dejouer loule la vigilance dcs gardiens : c'elail un lepreux qui s'elail cache dans une obscure cha- pelle Ecouloiis I'hislorien Doublet : « Ce lepreux vit une 0 brillanle clarle qui penelrail par une des feiK'lres et II remplissait toule I'eglise de splendour, et ensuile de i( lumiiire , noire sauvi ur el redempleur Jesus-Christ, re- II vetu d'habils sacerdolaux et ponlificaux. accoiupa!»nedes II grands apolres saiul Pierre et saint Paul, et aussi du II glorieux apijlre saint Denys el ses compagnons saint II liiisliipie el saint Eleulhiire, lesquels lui iniuistraioni, et II pareillenient d'une troupe do saints, sainlcs el d'aiiges, II leipii'l consacra de sa divine main, et dedia de sa sacree II honche, Dt les ceremonies accoulumi'es, chcmiiia pro- II ceir clianceler les siipcrlns poi-liipios, S'entrouvrir scs cavcaux, de scs voulcs auti([iios Sorlir iin long gL-misscmcnl... ,Ii>nr niaudit, Juur TiIjI uli In luiclif iitliumarMi\ Toinle flu sing il'uri roi, frappc uno imguitc rcine ! 0 solcil ! voila ion uclat ". Cicl ! ou court cotte liordc ;ui niassaciv aguerrjo? Barbarcs, vcncz-vons effraver ina palric D'liii plus sacrili'ge altonlat ? Rrpuilioz (les rois et le sceplre ct la gloire, Ui-'gicidcs tribuns! dii inoins que leur nicmoiro Kcliajipe a vos liras ilcstructcnrs Le croira-t-on ? la niorl, u lionti; de mon a-^e ! ?J'a pu les dcrober a rinlbniale rage Dc ces tigres legislaleurs. Le forfait se consomme, et ces dieux de la tcrre Donl les bras tant de fois out lunce !e tonnerro Sonl exiles de leurs tonibeaux. lis giscnt sans lionneur olcndus snr Tari^ne 5Iais du fond du cercucil I'ombre du grand Turcnnr A glace d'oiYroi ces bourreaux ^. Eh quoi! du Hearnais la cendrc est profanee! 0 Henri, de ses miins celle horde effrenee Couroinia ton bronze (rberi ^ Dc ce perlide amour, princes, craignez riiommage; Louis fut adore i**... miis... vojlons cellc image, Ciel, protege le sang dllenri! Le crime avait lasse cellc horde mauditc, Quand des lyrans du jonr trop digne satellite Un Vandiile eleve sa voix : « Asile trop inipur d'nnc caste Gxecriible, « Getle onccinto a nics yeux fut encore coupablc « D'accuf'illir les ceiidres des rois. » Ces mols ont raninie Icur I'ureur expirante, SaintcSion, gemis ! la huhe elincelante Mulilc Tor de ton autel... Que devait respecter la loiirbe sangninaire? Dieu n'esl qn'un iiom... Ic ciel un trune imuginaire... La nmrt un m'ant clernel.,, ". 0 sacre monument ! pleure ta gloire eleinle • Hesteras-lu toujours, majpsluense encolntc Triste veuve de tes bunncurs? Lc crime est passager; IJieu soullle sur rorane Et la paix de retour avec Louis le Sane ^- Viendra consoler les doulcurs. 11 a brillc ce jour, In benis son aurore, Augustc basdirjuf, el ta voule sonore Redil le canlique du deuil '^ ; El ce peuplc de rois. de sa tombc premiere Uccueill:int k-s debris, a trouve la pi iere, Toujours lidclc a leiir ceiviieil. Falliil-il iiu'un poignard rouvnt ces calacombcs >'» ?... Qu'un parricide allreux, dans ces nouvelles lombes, Portat lepouvante el I'borreur? Dors pres du grand Henri, dans ce fnnebrc asile, 0 prince inlbrtun^! de la cendre fertile Kons naquit un consolateur 's. Des royales douleurs picux dcpositaires, Minislresdu Tres-Uaut, de nos voenx Irilnitaires Offrez a Dicn le pur encens ^^. Qn'a jamais de ces lieux TimpiiSte bannie Ne vienne profaner la touchante harmonie De vos religicux accents. NOTES inSTORlQUES SUI\ ItlVEnS PASSAGES DE CETTE PIECE. * La CL'lebrc viergcdeNanlerre, saiiileGeiievieve, moulia le plus grand zcli' |>otu' la conslruction de la premifere liasiliquc de Saint-Doiijs. 5 Cluvis, le premier roi chrctiei), se disiiiigua aprcs sa conversion par son picux euipresscment k cnibellir le saiKiuairc oil reimsaioiit les lesics lies irois aputrcsde Paris. 3 Nous avons dfji dil ce que lit Dagobert. Cclui-ci fat iniilc^ par d'au- trcs piiiifcs issus du uiOiue sang. - „j 4 CIiarlcHiagne, cent vingi ans apr^s la nnraculcuse iledlcace que nous avons rapporlcc, voului qii'on proctJdill avcc pompe a uue cercmonie dc ce genre, pour cunsarrer line nouville basilique que son predecesseur Pepin avail ediliee sur les ruincs de celle de DaL;obeit. Celle di'dicace eul lieu le 7 fevricr 775. 5 L'orillamnie, ou phikH aiiiijlinnmey ciait an petit drapcau rouge donl le basciait decoupe en trois poinles icrminccs par des houppcsde sole verle. II clait allaclte, en foraie de bannlere, au bout d'liiie lauce dnnt le biUon elait recouvcrt de lames de cuivre dor6. Quand la guerre eiait dcdaree, on allait en grande pompe cherolier dans reglise de Saiiil- Dcnys ce drapcau, que Ton regardail coninie nn g^ge assure de hi v;c- toiro. Apri-s la guerre, le drapeau eiail reniis en sa place, suspendu sur le tombeau de saint Deiiys el de scs compagnons. c Sugcr, vovanique I'eglise b;\iie pur F'epin el Charlemagne n'elaitpas asscz vasle pour cmiienir la fuule des lidcles, la III pariiellement d^nin- lir. C'cst ii cet illuslre abbe, qai goiiverna, commc on sail, le royaunie avcc bcaucoup de sagcsse, que cette eglise esl redevalile de son portal! et de ses lours. Cet aljbe lil dedlcr la basilique agrandic le dimancbe 11 jurn Wkh. 'i Le jour nii''nie oil la reinc Marie-Antoineiteful conduite ^ I'^cbafaud, le 16 octobre 1795, ronnnencerent les horribles profanations des sepul- tures royales. Ce jour-lS el les suivanis, les corps fureni exlraiis des cercueils, et puis eiiteircs en masse dans une fosse commune liors de IVglise. 8 Le grand Turcnne avail de iidiume dans les taveaux dc Saiiit-Denys avcc les rois. Louis XIV lionora ainsi la memoiie de eel illuslre capi- laine. Qaand les prolanaleurs enrcnt decouvert sa lonibe, lis s'arriML'ieni romnie saisis d'effrui. « Turenne, dil la Gazelle de France du 29 mai 1806, rcsta seiil coniine sur un champ de batallle ; les bourreaux avaienl respci'tc la gloiie de sou nom; ds seniMaieni a\oir pris la Tuiie i^i son aspect. » 9 Ell 1788, les faclieux prcluiiaient aus hoireurs de la revolulion en foTijani les passaiits A se decouvrir devant la slalue de Henri IV au I'ont-Ncuf ! ! ! Jusqu'uii pent alter I'hypocrisie des sedilieux nova- leurs !.. 10 Au commencement dc la ix^volulion, Louis XVI tHait I'objet d'un amour frenelique. La commnne de Paris avait propose de lui i-lever un monument avec celle inscription . A I'lionneur du fiire du peuple ct du restaurateur de la liberie frantjaise. It Telle ful en clTet la morale de ces tncrgumenes. Lonvel, leur digne htrilier, a dil, avec une rare impudence, lorsqu'on lui pailail d'un Dieu veugcur du crime : Dieu n'esl qu'un vom... De quelles alrotiles nc soal point capables des c/-oj/fl«/A- de celle esp^ce?... 12 Louis Will, a qui ta char te par lui octroyee a inenie Ic nom de Sage. 13 Ce prince a fonde Ic cliapiire royal de Sainl-Denys par une ordon- nance daiee du 23di^ccnibre 1815. II doit se lomiioser d'un primicier, dc dixcbanoines-evOqucs el de vingl qiialre clianoines-prdlres. En aacuiie epoque, depuis la Inmlation, te noinbre ties deinieis clianoines n'a de- passe dix-acuf. En re imimcnl, il y en a ii peine ireize. Sur la dcmande de Louis-I'Uilippc. le pape Gri^'goirc XVI a donue une buUed'ercction canc- nique dece cliapiire. Jusqu'^ ce moment/ quoique re^ue par le conseil d'Elal, labulle n'esl point miseiiexecuiion. Les clianuinesdeSainl-Ueii;s 50111 spi'ciJleniciil fliaifics ile veillcr aupii'S lies loralics royalcs el il'y va- i|iier J la prii-re. H Nous ii'aurioiis pas bosoiii de rapi'elorqiie le 13 feviier <8-20, ie due dc Itpi ri fut ossassiiie, el qu'il mourut le leiuleniaio. li Moiiseigneuiic due de B"rdcau>;, aujounl'liui en exilsons le iimiide roinle de Chaiilbord. Sa iiaissanre fut accueillie paries plus vifs trans- ports. 10 1. a feic de saint Denys a toujonrs ete ci'lebre dans lesdlverscs conlrees de la Franee. IMusieurs eglises soiit plaeees sous son invocation, et il n'esi p:is un seul dinci'se oil il ne s'eleve quelque editire religienx en son lioiineur. A Paris, relte file i'lail jadis oWigaloire roiiime le saini jour du diiijanclie. Aujotird'Uui la solennite est renvuyee an diniantlic sui- vanl. C'esla la protection loulc parliculierc de res illuslreset saints mar- lyrs que ifiglisc gallirane croit devoir I'inapprcciable avantage d'avoir ronstaniment conserve la foi catholique dans toute sa purele. Oil ! puisse- 1-rlle, surtoiit dans nos jours nianvais, la protection de ces geuereux con- fesseur.-, couvrir coiiiiiie d'uii impeneirable boudier noire pairie, qu'iin esprit de niensonge s'elTorce de pcrveriir et de denioraliscr I XA TOUSSAIMT. N. B. Gette soleiinllc n'opparlieiit point au iiiois d'octobre: mais coiiimc le pi-eniier miniero du Journal tie HI. k Cure, c'cst- a-diiv, fe ,1/ei's du jeuiie Chretien pour iiovenibre, ne renferme au- nine espete de notion sur cette fete, nous eroyons devoir eii parler suceineienient dans ce nuniero qui terminc la seric d'une anuce. Ainsi, dans TouvrajiC compose dns douze livraisons, on aura une explication complete de toutes les solennitcs du culte catliolique. Vingl-einq ans avaiU la naissance de Je.sus-Clii-isl, Marc- Agrippa, gendre tie rompcrcur Aitgtistc, fit edilier a Romo itn leniple superlie pour le diidicr a son bcaii-pere. An moment de proceder a cette dedicace, rempei-enr decline I'insigne liomniage de son gendre. Agrippa en fait honnenr a Mars el a Jupiler Veiigeur, en niemoire de la victoiiv remporlee par Augusle conlre Marc-Anloine et Cleop.-ilre. Plus tard les stalites de la deesse Cybele et cellcs des in- nomljrables diviiiiles dont on la faisait mere, jienplerent ce somplHCux edifice. On lul dnnnait le nom de Pantlieon, terme grec nui sigiiifie ilemeure de lous les dieiix. Qnand le chrislianisme viiit Ironer en vaiiit|uenr snr les mines du polylMisnie, on aliatlit les temples qui avaienl etc elevijs aux idoles. Tht-odose le Jeune avail cependaut rcspecte ce lieau monument, apres en avoir toutefois expulse les idoles et en avoir dtjfendu I'acces. En 610, le pape Donifacc IV demanda a I'empereur Pho- cas la jonissaiice du Pantheon. Sa demande fut accueillie favoralilemeni, et le pape le dedia au vrai Dieu, sous I'iii- vocallon do la sainte Vierge et des martyrs. 11 y fit trans- porter vingt-liuit chariots d'ossements des confesseurs de la foi, y placa lionorahlementces saintes reliques, et enfiti le 13 mai, il fit la consecration de eel edifice, sous le nom de Sainle-IHarie aux Martyrs. C'estl'eglise coniiue main- tenant sous le nom de la Rotonde, parce que sa forme est ronde. L'edifice est convert d'une eonpole qui a cinquatito- Irois melros de dtametre. Le centre, on sommel, est perce d'une large ouverlnre qui seule edaire I'lnlerieur du temple. Mais quel rapport pent avoir celle inaugiiralion avec la fijle de la Toussainf? Le voici. En 752, Gregoire III fit ter- miner dans la hasilique de Saint-Pierre une chapelle en rhoiiiieur du Christ Sauveur, de sa sainte Mere, des saints apotres, des martyrs, de tons les juslcs du iiioiide eiilier. Le pape (Jregoire IV fixa rauiiiversaire de la dedicace qui avail lilt; faile de celle citapelle au 1" novemhre. Itiseiisi- DU MOIS. 3S7 llenient, celle-ci el la Rolonde on Panlhi'on, rccelant les reliques des martyrs, nr Greiil qu'ttn seul et nit'nie ohjel de veneralion pnblique. On solcnnisa encejour collectivement la memoire de tons les saints. Le pape Gregoire IV se trouvanl en France, en 833, engagea Louis le Dtihonnaire a auloriser I'etahlissement de cette fele dans ses vasles Etats. La ft^slivilc; devint universelle. Le jet'tne de la veille est prescrit dans un concile, depnis I'an 1022. L'oclave ne fut (jtablie qu'en I S80, par le pape SixlclV, qui eleva la Toussaint a un |ilus liaut degre. Le concordat de 1802 a rcspecte celte fete, qui est oldigatoire en France comme le jour de dimanche. Voici comment s'exprime le comte de Maislre sur le Pantheon remain, qui a donne naissance a celle solennite : « Toutes les erreurs de I'univers couvergeaient vers loi, « 6 Home, et le premier de tes empereurs les rassemhlant 0 en un seul point resplendissant, les consacra toutes dans u le PANTHEON. Le temple de TOUS LES DIEUX s'eleva a dans tes murs, el seul de lous les grands monuments, « il suhsiste dans loule son integrite La ca|iilale du (I paganisme etail deslintie it devenir celle du christianisme, u et le temple qui, dans celle capilale, concentrail toutes « les" forces de I'idolatrie, devail reunir toutes les luniieres « de la foi. TOUS LES SAINTS a la place de TOUS LES « DIEUX ! Quel sujet intarissahle de profondes meditations « pliilosophiqiies et religieuses! C'esl dans le PAKTllEON « que le paganisme est reclifie et ramene au sysleme pri- n milif dont il ii'tjtait qu'une corruption visihle. Le nom u de DIEU sans doute est exclusif et incommunicalde; a cependaut il y a plusicurs DIEU.X dans les cieux et sur la « terre ; il y a des iulelligenees, des natures meitleures, « des liommes divinises. Les dieux du christianisme sont u les S.MiNTS; aulour de Dieu se rassenihlent TOUS LES « DIEUX pour le servir li la place et dans I'ordre qui lenr « soul assignes : spectacle merveilleux, digne de celui qui 0 noitsl'a prepare, et fait seulemenl pour ceux qui saventle « contempler. » On pourrail demander |iouripioi FEglise a inslilue une fele gi'nerale en I'lionneur de tous les saints, puisqu'elle les solennise individuellemcnt dans le courant de I'annee. La question, ainsi postie, n'est susceplihle, pour toute rc- pnnse, que de la question suivanle? L'Eglise connait-elle noitiinativemetit chacun des saints qui hahilent les ct'lesles demeures? A coup stir, il faulrepoudre ici negalivement. II est induhilable que le ciel est peiiple d'uu plus grand nonibre d'ames |ircdestinees ((ue nous n'en connaissons ici- has. Dans la solennite collective de tous les sainls, nous honorons par noire culte les hienhenreuxconniis et incon- nus. C'esl a toute I'Eglise triomphanle, sans exception, que FEglise mililanle pave ce trihnt dhommages, non jias que ces hommages puissenl augmenler la ftiliciti' des (_'lus, mais parce que leur intercession pnissanle nous est singuliere- menl profitable. Ce sont les courtisans du roi des rois. Leur suffrage aupres du monarque immorlel est une re- commandation pour oblenir ses faveurs et ses bonnes graces. El quel est le souverain d'ici has ipii puisse hlanier le re- cours aupres de ses favoris'? Llionnenr que I'on rend a ces derniersse rapporle natuiellenientau premier, el c'esl encore un hunimage medial quon lui defeie. Uonorer les sainls est done houorer Dieu nieme ; mais une pielt; eclairee distingue I'lionneur de latrie, ou dadoralior, rendu au crt^ateur seul, de Fhonneur de dulie rendu aux erealures healifiecs. 3i$8 LES SAINTS ET LKS MOIS. MOIS B'OCTOBRE. 1. Mercppsli. St RtMi, (5ve- que do Reims , apntrc ties Frani;ais, moil on 535. 11 li;i|itisa If in't'iiiiiT loi cliro- tion, r.lDvis. St I'lvT, apiili'i' (\c Tournay , niaiiyr en 280. 2* «JeiuU. Lcs Smnts Anges i;\nniENS. St Thomas, i5voqucfl'IIei'csronl, en Angletcne.niortcnl^S^. St Lecer, L'vei|ue d'Auliiii , niiulyr cu 078. 3. %'endreili. St Dkkvs I'A- reopaisilo, uvc-qucti'Mlicncs, martyr au I*""" sii-ile. St Oims ot St Victoii, martyrs, natrons de Soloure , morts en 297. St Byaries, 5*^ evoquc dc Tou- lon . mort au milifiu lUi 0* sieclc. St Gerard, aliliciu'i's dc Nnmur moil eu 759. 4. liiRniedi. St Francois d' As- sises, iiistiLnttnr dos Frurt's Mineurs, mort en 1226. St Marc, St M,\R':n;N ct scs ronipagnons . martyrs or KgyplG vers 504. Ste UoMsixE ct ses fdlcs, mar- tyres au 5*^ siccle. I O. ^'oinliodi St FiiANroTS do Borjiia, 5*^ }ieiicral de la tompa'^iinc de J(5sus , moit en 1572. St Clair, l'''"i5veqiie dervaiiles, ntoit au 4*' s'u'cle. St Pal'lix , evc'iuo d"YorU , mort en 044. St GtonoK, apolrcdu Velay, (t premier evcque de ce pays , morl au ¥ siecle. 1 S. Darnell i. St Torvqui. St Probe ot St Andruxr:, m u- tyrs on Cilicie vers I'an 504. St FiRMiN, evcque d'Uzcs en Lan<;noiliiL:, mort en 555. St Gouer, juste, morl en 774 II eiait [lareiU liu rui P(']nii. 13 |liiiB:iiu*lie. St Wn.nun, 4'vr<[UL' d York , mort en eveque de Bale, murL vi'rs le G'^' 5. Blimnnclie. St PLAcinE o\ .SI'S fnmpa^iions , martyrs en 540. St TinusEAS . I'vcquc d'Eume- iiir> en Phrygie, martyr en 177. St AroLLiSAiRK, evcque de Va lencc en Dauphine, mort en 525. O. IjuiuU' St Bruno, fondaleur .Il's Charlren\ , morl en 1102. Ste Fov el ses oompapions , martyrs d'A^L'n au S*' siecle. St Parron , alihe de Gui5ret, dans la Marclie, morl au 8'" siecle. 7. Ilardi . St Marc, pape, morl en 350. St Serge ot St Bacque , mar- tyrs nu S"' siecle. Ste Juslino, niarlyrc a Padoue, en 304. St Pallade, eveaue de Saintcs, mort a la fin du 6** siecle. 6. Mercroill. Ste Btugitte , veuve, morte en 1373, SteTh.us, pi'nitenteen Esypte, d'Anlioclie, vers le 5"^ si£;t'le. 9. •ieiMli. St Denvs , eveque de Paris el ses compagnon^ marlyrs en Ian 272. (Voycz I'aniolP sous CO tilrc.) St Dorotrer, t5v?que de Tyr marlyr au 4^ siecle. St Gl'Islun, abbe en llainaut, mort en G81 Ste PiiBLiE, veuve, murte en 303. 70l». St P\ntai.e, niarlyr, siecle. Les saintf.s Herunde ct Bemri-e, abbesses, mortes en 74.>. St Serapimn du Mont-Granario, IVanciscain , morl en 1004, 13. I'liiidi. St Kuou,vrd lo Confi'sseur, roid'Anglelcrre, mort en 1006. St GiRAnii , efunle d'Aurillac, p;Ur(in de la li ude Au- ver^ne. mort en 009, StCoi,\i\n, niarlvren Aulriclio en 1012. Ia's sept Freres MiXEURs, mar- tyrs en AlVique, en 1221. 14:. llwrill. St Calixte, pape et martyr en 222. St DoNATiEN, evequc de Reims, mort en 380. Ste Anuarrehe , patronne do Beinivais, morte vers la fin du 7*^ sieelc. 15. llerert-di, Ste Tiierese vieriie, fondalrire des Car- melites dechauss^cs , morte en 1552. C'csi uiie (lcs plus illustrcs fennues qui aicut paru dans le Riomle flnetien (;l q'li Riarclic (k' |i;iir avov' les pMis illustres iH'iivaius dc Ions lis sU'dis. Sos tiuvrji;os sout l-h grauil noiidireii d'uii rare meiil'. St LiVtSARD do Corbifjuy, abbe, mort en 560. St Bertium' , eveiine de Co- minpes, inoit en 1125. IG< Jemli. StGai. , abbe on Suisse, mort en 646, St Ai.opR, marlyr en Lorraine, en 502, St Ambrois, evi^que ile Cahors, mort en 770. StMo,\imoun, eveque de Noyon mort au 7" sicele. Ste \iistR;\re. abbesse a Laon morte en 688. St Amiue re Crete , niarlyi- , niiirl en 701. 18. *inme^ois, mort en 1.562. St Ao':iiis . eveque d'Evreux , mort a la fin du 7'' siei-lc. St Craffre , abbe en Velay, martyr donl le vi'ai nom e>l ■ TliL'olroy, mort en 728. Ste FRUtESwniE , vierfre , na- tromie d'OxI'ord, niorlc a la fin du 8'" sietlc. 30. Ijiiii*li. St AiiTEin:, inar- t)r iI'Li^yple ca 562. St B\hsahi,\s, abbe, el ses com- pa^nons martyrs en Perse, an 3'^ ou 4* siecle. St Zenore, evL^pie de Florence, mort au 4^" siecle. St Seudos ou Sisriuh.i.e. pr^lrc dc Reims, nifU'l an 7'-" siecle It. Voiiilroili.STE Heruige, duebesse de Polognc, veuve, morle en 1245. 2 I . llnrili. Ste Ursule el se^ compagnes, vier^es et mar- tyres au milieu du 5^ siecle On a d I, iiiNis s.iiis |ireii\i' [uisulvcs, (piVllcs t^.aieiil .n iinnilirr ill- orze unl e. II e^ tiiun'fiiis ciTt'iiii ini'" I: ni- ihiiii- bre elait gidui. St IliLARiuN, abijL', moil en 371. Ste Celine, viorpe, a Meau\, morte au 5*= sieelo. St Ovfflay, solitaire au dio- cese de Treves, mort a la iln du 6^ siecle. 23. Illercr<'iecle. St Chef , abbe a Vienne ea Daupbine, morl en 575. Ste Er.MEMNRB, vierce du Bra- bant, morte a la fin du 15*^ siidc. Ste Eusede, vicrge el marlyre, a Marseille, en 751. 30. aleiidi. St Marcfi. le Centl'Iiion, marlyr on 298. St E'Jcain, martyr en Reauce, au conimencenient du 5^ siecle. St Germain," Eveque de Gapoue, morl an G^ sit^cle. St AsTEiiE , arcbeveque d'A- niasee ou Anasie, docteur de 1 Ei^lise, mort au 4^ siecle On a lie liii plusirut'S sernmRS. 31 . Vl BEAUTES UE L'HISTOIUE DU CLERGE DE FRANCE. FENEI.ON (»). Au milieu de ses travaux d'administralion diocesaine et de ses penililes souvenirs, Fenelon ne connaissail d'auire distraction que la promenade. Lorsqu'il rencoulrail des paysans, il lesquestionnait sur leurs occupations cliampe- Ires. Souvenl il enlrait dans leurs modesles cabanes, et s'asseyait a leur table frugale, ii laquelle il prenait part. Au moment ou la guerre desolait le plus son diocese, le vigilant pontife u'lntcrromjiit jamais le cours de ses visiles pastorales. Les Anglais, les Allenjands, les llollandais riva- lisaienl d'egards pour le grand bomme, et il lui arriva sou- vent de tromper renqjresscment de ces trou]ies eniicmies en se derobanl aux bouncursqu'elles voulaient lui rendre. Lesdissidences rellgicuses s'effacaient ii son aspect, el ces soldals anglicans, lullieriens, calvinistes s'estimaicnl lieu- (!) Voy. liumeio XI, |i:igc 349. reux quand ils pouvaient lui servir d'escorle. A I'exemplo du divin iMailre donl il etail le dignc ministre, les pas de Fenelon elaienl marques par des bieufails, et cliacune dc ses visiles apporlail aux maux de ses diocc.sains un baume consolateur. Or il n'y cut pas dans ce vasle diocese une seule |iaroisse, nicme la plus ignoree, (|u'il n'ail visilee el tvangelisee. (Ju'on se figure done, le precejileur des prin- ces, I'auteur de Tilnnaque, le rival de Bossuet, I'lioinme donl le genie si sublil et ai fecond avail popularise la re- nommee dans toules les coulrees du monde civilise; (pi'on se figure, disons-nous, le grand arcluvcque de Canibrai , monlaut dans une chaire ruslique, parlanl ii de pauvres caujpagnards un langage qu'il a]ipropriiiil-ii lem- intelli- gence, et puis descendiuil de celte tribune, pen liabiluec a de lels orateurs, pour I'aire le cateclnsme ii des enfants de village. lei, nous ne devons point passer sous silence les avis qu'il donne dans ses Dialogues sur ['eloquence tie la chaire. Fenelon ne vent pas que les predicateurs ecrivent des discours que Ton apprend ensuite pour les debiler. II pense (|ue rien n'esl plus nuisible ii I'efl'et que doil pro- duire I'orateur chrclien. Un discours ap]]ris n'esl jiunais debite avec ce feu qui est le caractere de hi veritable elo- quence. La mcmoii-e ([ui Iravaille en ce niomenl paralvsc Taction du debit, el Irop souvenl I'audileur ne voit dans un sermon qu'un rule plus ou moins bicn ap|iris, el rempli ; la spontaneite, qui esl I'iinie du patlutique el de I'onction, ne s'y Irouve phis. Keanmoins I'excmplede .Massillon,-pour ne citer que lui seul, semble faire une exception aux inconve- nients que signale I'auteur des Dialogues. Fenelon Iracaitseu- lemenl des plans de sermon ; il les meditail quelque, temjis davance, elpuis en chaire il les developiiail. Ilsedqiartilde cette regie en une circonstaiice solennelle, lorsqu'il ful charge de prononcer le discours pour le sacre de Joseph- Clement de Baviere, archeveque-electcur de Cologne. On voil que, s'il avail voulu, sa place comme oraleur Chre- tien aurait pu elie marquee ii cole de Bossuet et de Boiir- daloue. Nous n'avons de Fenelon que ses Letlres spiriluel- les qui, ii elles seules eussenl porle son nom jusqu'ii la posterite la plus reculee. C'esl hi que se dqiloient la piiilo- sophie la plus sublime, la science la plus profonde du Cieur humain, dans le style le plus simple el le plus onclueux. Nous plaignons bien sinceremcnl les sens du monde (|ue le seul litre de Lellres siiiritucllcs degoi'ilerail el delour- nerail de celte lecture. Uelas ! il n'est que Irop vrai (|ue, dans celte elasse la phis uombreuse de la societe, on blas- pheme habiluellemenl ce ipi'on ignore. On pense bien qu'un eveijue aussi avance dans les voies de la perfection chretienne devail superieuremenl adini- nistrer le diocese cpii lui etail conlie. La main qui aviiit ecrit le Telemaque, eldoune au due de Bourgogne les plus hautes instruclions sur le gouvernemenl des peuples. Irn- cait ii des cures el ii de simples piiilres les avis les plus sages pour le gouvernemenl sjiirituel des iimes. 11 fallait principalement sur le siege de Cambrai un preiat d'une sagesse consommee, et qui ne heurtilt pas Irop brusqiie- menl les pratiques .superstitieuses que les Flamands avaieni puisees dans leur contact avec les Espagnols naguere mai- Ires de ces coulrees. Une fermele apostollqiie lemperee par la douceur, et une prudente condescendance, lui doij- naient le moyen de remedier a de graves alius, el lui alti- raieiil I'estinie et I'affeclion de tous. (Jnel cure d'ailleurs cut osii resisler a un eveqiie doiit la teiidresse jiour .ses su- 582 BEAUTES DE I/llISTOIR bordonnps elail excessive. Uii seul trait suffira. Le Cam- bresis depuis sept ans clait lo llieatre dp tons les nialliein-s qu'une guerre de ciinr|iK'te eiilraine lo\ijours avcc die. Les haliitanis elaienl reduils a rindigencc. Les pasleurs des paroisses elaii'iit ini|io.'ies a des taxes cxiremement one- reuses. Fc'iieloii se eliarge lui-meine de payer de ses deniers CBS impositions ruineuses. Un djvouement de ce genre ne s'est guere vii (|ne dans les lemps apostoli(|ues, el Fenelon les faisait reparaitre dans le dix-liiiitieme siecle ! Un trait d'nn autre genre va prouver coniljien Fenelon, malgre la disgrace de Louis XIV, savail diifendre les lois de I'Eglise que le despolisme royal de cette cpoi|He es- sayait si souvent de violer. L'arclieve(|uc de Cambrai, etle chapitre de Valenciennes dans son diocese, etaient en dis- sidence sur un point de la juridiclion spiritiielle. Les clia- noines pretendaient ne relever que du roi dans le spiriluel comme dans le temporel. La cause portee a Versailles ful decidee conformement aux vreux du cliapitre. Le roi, qui se disail habilnellenieiit reveque du dehars, voulut essayer de se faire ici, comme en d'aulres cireonslances, I'eveque du dedans. Feneloii ad/essa au chancclier de France un memoire sur les vrais principes. Une noble franebise et une respecliicuse fermele avaiont preside a cette redaction, ct la cour du grand roi fill eontrainte de reconnaiire I'l'xor- bilance de ses prclenlions sur uii domaine totalement indc- pendant de la royaule tempnrelle. On ne sera point elonne que le saint-siege, qui avail condamne le livre de Fenelon , ei'il pour I'anteur une es- time et une consideration si parfaites, (|u'il exercail a lluJiie comme une sorte de supremalie J'opiiiion que ses vertiis cl sa haute renommee lui avaient compiise. Le besoin d'abreger nous force d'omettre un grand nom- bre de trails qui sont comme aulant de perles doiit sa cou- ronne est enricbie. Nous en cilerons neanmoins un qui, dans notre siecle d'iiidifierence, poiiri'ait provoqucr de sa- lutaires rellexinns. Le chevalier de Ramsay, Ecossais elait depnis longtemps agile dune desesperaVite inquietude en maliere de religion Sa baute raison lui avail monlre dajis I'anglicanisme qu'il avail suce avec le lail une foule d'er- reurs et d'ineouMiqneuces. Elle ne pouvail reronnaiire, dans les fureurs et riinmoralite de Lutber, ni dans celles de Henri Vlll, roi d'Angleterre, une mission reformatrice in- spiree par le ciel. Les pretendus reformateurs apparais- saient au cbevalicr de Ilamsay dans touteleur infamie que la nieiUeure volonle ne serait point capable den'accr ni meme d'amoiudrir. Mais a la place de cette mensoiigere croyanee il n'avait mis que le sceplicisme le plus absolu; il n'avait garde de dogmc religieux que I'existence el I'u- nite de Dieu Le cbevalicr de Ramsay etail venu en llol- laiide, el le desirde voir Fenelon, donl la reputation etail europeenne, le delermina a venir li Cambrai en 1709. L'archeveque accueillit le voyageur avcc une bonle pater- nclle. Celui-ci nionlra lout son cieur, et ne dissimula pas combien il sernil diflieile de lui faire accepter une croyanee quelconque auire que celle ou il s'elait lixe, el dnnt le symbole clait fort bref : Je croi's en tin seul Dieu. Pendant six mois, Fenelon et Ramsay eurent des entniliens assidus. 11 ne fallait pas miiins de temps pour examiner les baules queslionscontroversees. Enliu Ramsay, dont le cceur elait droit et sincere, s'avoue vaincu. La religion calbo- lique lui para!t 1 invincible verite, ct sur-le-cbamp il passe de 1.1 persuasion a la pratique. Le cbevalicr ecossais devint un calbolique aussi eclaire qu'humbic et soumis. E DU CLERGE DE FRAN'CE i Dans les troubles que suscita le jansenisme, on vit lou- jonrs Fi'uelon ne deviant sans doule jamais de la vrnie doclrine, mais inipmuvant bantemeni b's mesures acerbes que le gouvernemeut de cette epoque cnqloyail contre les recalcitranls. Sa belle flme ne connaissail pour defendre la verite que les amies d'une charite douce el patiente; mais cellc-ci ne doit |ioinl se coufondre avec ce que le monde appelle du ncun de Uitnance, eti[ui presque loujours n'esl auIre cbose que lindifference eu maliere de religion. Ob! Fenelon avail trop d'clevalion dans lame el de foi dans le cceur pour n'etre qu'un pbilosopbe lolerani, selon I'accep- lion degeneree de ce terme... Nous lie voulons pas nous elendre sur les troubles occa- sionnes par les recalcitrants a la fameuse bulle Uniyeni- tus. Fenelon pril une assez grandc part a ces discussions religicuses, el fit loujours preuve dun profoiid atlache- menl a la saine doclrine el a la mere de loiiles les Eglises. La part active qu'il pril aux affaires poliliques de celle epoque lit voir dans rarclieveipie de Cambrai un bomme sinceremenl devone aux plus cbcrs interets de la palrie el de rhuinanile, ainsi qu'a la gbiiie du monarque donl il avail taut a .se plaindre. Le due de Bourgogne, son illnslre eleve, avail lile place nominalivement a la tele de I'armce de Flandres, el les ecbccs que nos troupes y eprouvtirenl fureiit pour ce grand prince une source d'amerlumes; mais les .sages eonseds de Fenelon les adoucirent dans une corre.siiondance secrele dont quelques fragments ont etc conserves. L'aniiee 1711 \il mourir le danpbin, fils de Louis XIV, et pere du due de Bourgogne Celui-ci dcvienl herilier pre- somplif de la couronne, el le precepleur prolilc de celle circonslance pour adresser li son ancicii eleve des conscils sevores sur les devoirs qui lui sont imposes. Ces conscils passenl ]iar I'cnlreniise du due de Reauvilliers. On y ad- mire surtout ces paroles : u 11 faut vouloir eire le pere el 0 non le mailre. II ue faut pas que tons soicnt a un seul, (( mais un seul doit etre a Ions pour faire leur bonheur. » 11 serail bien grand 1 1 liicn aime le monanpie qui se mon- trerail docile a dc semldables prescriplions Mais, bclas! la niort planait dejii sur la lele du nouveau danpbin ; Irois mois s'elaient a peine ecoules depnis que Fenelon avail redigc pour ce |iriuce un ]dan de gouvernemeni, que la lonibe s'onvrail pour recevoir le due de Bourgogne, son epouse el le due de Brelagne, leur Ills aine. A la iiouvelle de la mort de son iUusIre eleve, Fenelon s'ecrie : (( Tons mes liens sont rompus..., rieu ne m'attaclie s de bien elranges clioses. La mer a des secrets, des terreurs mystcrieuses, qu'il ne faul pas eludier sculement quaml elle commence a se faclier, ipiand elle esl en furie contre I'liommc el ses ccuvres.. Tu as lorl, Koben... Qu'cn diles-vous, enfants? ne seriez- voiis pas curieux. ii propos decii, d'enlendrc une fameuse bistoirc qui se pas.sa, il y a (pielqucs auiiecs, pros du ri- vagc meme oil nous voici ii ccltc lieure? » Lcs piloles, cbarnu''S de celle priqinsitiou, raiiprocberent lenrs tabourets du fauleuil du vieillard; Betzi renqilil de noiiveau les verres, el Henrick, prctant encore une fois I'lireiUe aux sifflcments de l'orage, souril ii I'idee q\ie le lion vieux roc ipii porlait la tour pouvail defier pendanl mille ans la furcur dc la tourmenle: puis, se toiirnanl vers ses visilcurs ; n H y a environ quinzc ans de cela, dil-il, je revenais des Indes ii liord d'un vaisseaii marcband de llambourg. C'eliiil precisemenl ii cctle epoque-ci de rannee. Rien de remarquable ne signala noire voyage jusqu'ii ce que uMis eiimes double le cap Finistcre ; mais alors apparurent tons les signes de la plus effroyable tempete. L'liorizon, se rc- trccissanl dc minute en minute, se lendit d'un voile fu- nelire, donl le vent dccouvrait ii peine les lourds.replis. Sur nos teles, des nuages epais s'amoncelaienl, s'enlas- saieiit en un dome sombre pour s'ecroiiler bienlol en tromlies el en lonnerres; priis de nous, lcs nioueltes ra- saieiil d'un vol iiiqiiicl et effarc les (lanes et les agres du navire comme pour cbeicbcr un refuge. U'innombiables marsouins moiilraieiil lenrs ecailles brillanles ii la surface des eaux, s'elevaient par iiilervalles de la vague qui s'a- baissait sur celle qui montait, ce qui , .soyez-en surs, esl le signe degros temps le phis infiiillildc que je connaisse. « Le vent soul'iliiit l«in frais, snd-ouest, et ceful avec la |dus grande peine ipie nous |ii'imes faire route vers le siul ; mais le nord re|iril seiil le dessus, el nous fit sentir son iipre lialeiue. Le soir, il gela ferme, el le brouillard saupoudra de blaiics erislanx la iiiiilure el les cordages. Une semaine apres, nous alleignimes la |iointe uordde I'Ecosse ;el, alors, loiivovanl enlre les iles Sbelland, nous gagniimes la mer DE LA VIE MARITIME. 365 (111 Nord. L;i, au cnnlrairc, calnic plal; quelques rarcs liourfecs ill,' venl fr.ippaionl courtes el rapiiles. Jai coii- Iraclc riiabiliide, cnfanls, Jc coniparsr !a voix dc I'Occaii a ccUc lie la iiaUire luiinaine : or ccs souflles de venl claicul conimc les soiipirs d'uii iiialade iiniialiciit de re- coiivror la saiile. « Nous |ioiivions aisemcnl disliiisiicr Ics deiileliircs des noirs cl iinposanls rochers de la cole d'Ecossc, el la cime de ses liaules iiioiitasrncs velues de leiir manleau de ncisc. Enlln line bonne brisegonlla nos voiles, elnouspumes faire route. Tonl allail pour le niieux. lorsqn'un soir, — il pou- vail eirc onviriiii niinuit, — nn cri rctrnlit a bord ; les bonimcs de qnarl y ri'pondircnl offrayes, ct alors mousses el matelols, se jelanl a bas des bamacs, se precipitcrcnt sur le poiil pour s'informer de ce'que c'etait. « La mer n'lilail pas niauvaise ; seulemenl de sombres nunges cliargeaieiit Tborizon. pcsamment routes les uns sur les autres, cl faiblemcnl argenles sur leurs llancs par la lune a son declin. Sans la lueur pbosphorescentc des vagues cnlre-choquees, I'Ocean ci'il iHe enveliippii d'une profonde obsciirilc, Kos yeux cbercbaieiil a pcrcer la null pour derouvrir la cause du tiinuille elrange el du cri siu- giilif r qu'oii avail cnleudu ; el vous pouvez me eroirc, gar- cons, quand c'esl inoi qui vous le dis — a ce souvenir mon Slug se glate encore dans nies vciiies, — nous reslames lous comme pelrifies de ce que nous villus. « .\ pen pres a Irois on qiiaire ceiils brasses au nord se dessinaillacoque d'linnavire de diiiien^ioiiscolossalcs, im- mobile elcomnie lixedans les caux. Immobile! caril n'avait pas un cbiffon de loile au venl ; mil briiil, mil mouvciiienl n'y revelail la presence d'lin eire humain. Flieii du riel, quel plienomcne I .M.ils, cables el vergues, loiil y elait blaiic comme la neige. Les manccuvri's pemlaienl auloiir des mills, comme des guirlandes d'albalre. « Esl-ce lie I'effroi, de relonnemenl oil de Thorreur que nous ressenliincs ii ce spectacle surnalurel? Je pense que c'elail lout cela a la fois, quand nous vimes celle masse s'apprcc'ier, s'approcher... EUe n'etiiil jdus qii'a uiie en- cablure de noire biilimcnt. « — Pare a vircr, pare I dit le capilaine d'une voix clran- glee el les cheveiix herissps. Sur comme je suis un pcclieiir, c'esl le fanlomc hoUandaisI i( — Kon, ce n'esl pas lui, repondit le niailre, les Icvres blemes el les machoires claipiant fievreusemenl ; non , monsieur, ce ne jienl etrc lui : ca n'a pas un lioinme d'equi- page a bord, cl la cbarpenic n'esl pas couvcrle, conimc celle du futjard, d'ossements bumains. C'csl le diable qui est ;i bord... C'esl un vaisseau sans .ame, artieula penible- mcnl le maitre, la paleur de la mort surlesjoucs. i( Le cn|iilaine prit son porte-voix, ei d'une voix aussi assuree que le |iennetlait sa frayeur, il liela le vaisseau- fanlume, lui demanda son nom, sa destination, comme c'esl I'usage. I'as un signe de vie ne repondil a eel appel. Seulemenl le monstre blanc venail sur nous; en moins dc quelques minutes, il ne fut plus qu'a quelques brasses dc noire navire, el nous serra de plus en plus pres, en depil des efforts du timonier el de tons les bras employes a la niaiiceuvrc. II .-'altacbail a nous comme une piece de fer a I'aimant. Une destruction inevitable, laniortetail devanlnos yeux. Nous repoussanies le monstre, enjelanl tous .i la fois SCENES, hecits et aventures nil cri (Ic torrenr. Son llniic lifurln rosonnn, sous Ic choc, cl un elide ilcHr-csse, aipicnnimc coliii d mi moiimit, nous penclrn jiisi|iriiii ca^iir. N us nouscri'imes perdus; iiinis. au nii'me inslanl, line snudaiiio rafale nouselnigiia, el, Dicii soil loue! elk- nous saiua la vie. (( — U y a du iiinnde ;i Ijnid, s'eeria le caidlainc encore ninl reniis de ce liurlement iufernal que nous vcnions d'en- tendre. Reg:ardcz, regardezl « Ciel! i|uels epouvanlaldes niysleies f|ue eoux ([iii so passenl sur les eaux 1 « Respirant alors, nous suivinics des yeux le faiilunie, I'observant avec unc allenlion palpilanle. Toujours la coque inimoliilc! toujours la mi'nie apparencc de niort! Point (le linionier ,i la roue, pas de vigie, pas de malelols aux manoeuvres. Mais an gaillard d'arriere nous piinies apercevoir dislinclcinenl deux blaiielies llgures, inininljiles cl niuelles, appuyees sur le basliugage. De hlancs nian- teaux llollaienl aulour d'elles, el leinoignaient (|ue c'claienl des creatures lunnaines. Jioire capilaiue les licla niie se- conde Ibis, el une seconde fois ce I'ul en vain; le vaisseaii s'evanouil sileueieuscnienl, comnie il nous etail apparu, dans le lirouillard. « Pendant viugl-quatrc lieurcs ajircs cclle disparition, II n'elait pas un de nous qui crul a sa ]iinpre existence, apies avoir ele si pres dans le voisiuage du iliaMe ; ou s'atlendait a lout instant a ipielqne epoiivautaljle calastroplie. Cliacun faisait la-dessiis ses conjcctui-es ; et il n'y avail lien de si improbable qui ne frtt appuye d'argunients plausibles. Tout alia bien, iioiirlant, jusi|u'an soir; mais la unit un vent du nord-esl souflla rlidenienl, cl nous (ilions rapidemenl, loules voiles dehors. Tout a coup (|uelquc chose d'informe se des- sina devant nous, jdus sombre i[ue robscuriie du la null. Elait-co un navire, un monstre inarin? Le limonier gou- verna droit dans la direction. Tons les liomnics elnienl sur le pout, les yeux braiiues sur ce point ile mire. Le cieur frissonnanl : k Cargne lesvoiles! » comniande le capilaiue, qui se niel lui-meme au gouvernail, et tail porter sur le noirobjet. Non, non, ce n'elait pas une errcur, c'etailbieii lui, rhorrible spectre c|nc nous avions vu la veille, avec cellc difference, toiitcfois, qnil etail noir, noir comme du charbon, de la llollaison au bout des mats. Exaclement comnie la veille aussi, sur le gaillard d'arriere, les deux blanches ligures s'appuyaient coniine deux pauvres pleureu- ses; leurs robes blanches lloUaient au vent de la unit. La vague baltait Iristemeulles monies Uancs du navire. Tons les hrass'armerenldc nouveau d'esparres pour se proteger, el deux ou Irois furent brisees quand le monslrc longea noire navire; puis, glissant a la surface des eaux avec la lei'crete d'un esprit, il se confondit dans le hrouillard qui nous euvironnait. It Le lendeinain le vent saula subilemenl au sud-esl, cl nous obligea a virer de bord, en nous ponssant au large a quelque distance de la Manche. Duranl la miil, nous passiinies en vue de plusieiirs biUiments espagiiols que nous inter- roge.imes pour obtenir des renseigneinenls sur le vaisseau mysterienx, mais aucuii n'avail rien vu de seinblable. Les deux jours et les deux nulls suivanles, nous fumes assez lienreux pour ne pas le rencontrer. Mais la troisieme nuit ce fnl autre chose ; a environ demi-portee de canon a noire avaiil, le spectre etail la parfaitenicnt visible. On vovail encore a leur menie place, ainsi que des sentiaelles viffilanlcs, Its deux blanches Cgures de femnies. « Nous passimestrois jours considerablement fatigues par le vent qui grossissait de pins en plus, sans auciin cvene- nieiil bien remnrqnable. el a la lombee de la nuit nous aperc.i'imes le pliare de Heligoland. Savez-vous, enfanls.ce que c'esl que le mal du pays? c'elait niieux que le nial, ce que nous epronvions, c'elait une rage devoranle d'espc- rance, et ca ne dnit pas vous etonner apres les alarnies, les dangers auxqiiels nous croyions avoii echappe. uNos C(furs lioiidissaientala vuede cesrochers, lemoins des jeux de noire enfnnce. II Le giganlesque rocher s'clevail niajeslueusement au milieu de rabime. Dressant derriere lui son aigrette de llanime, le phare envoyail, comnie aiijourd'hui, par-dessns sa tete, les mouvanles claries qui rayonnaient au loin sur les eaux. Nous approchions de plus en plus de la ciite; toiit.i coup, I'air s'ebranle et rctenlil d'une delonalion epouvantabte. Nous ccoulons. Les coups se re]ietenl une fois, puis deux, puis se succedent avec rapidile. Oependanl ratmosphcre etail pure el transparente, el Ton ne voyait rien. Impossible de decouvrir le point d'oii parlait ce lonnerro furieux. L'inslant d'apres Tom s'ecria : « — Le vaisseau ! le vaisseau ! Voyez I voyez ! « Nous regardSines dans la direction de son bras tendu, el nous vimes la coque demesiiree du vaisseau silencieux, mainlenanl di'uuate et cnclavedans une crevasse de rochers. Lesvaguesfnrieusesdeferlaient sur lepoiit, ratlaquaient de lollies ]iarts a coups redoubles : la noire careiie avail beau se cabrer, cliaque fois clle ri'touiliait plus lourilemenl, cl devait finir par s'enfoncer dans rimpiloyahlc gouffie de rOceau insatiable. El les deux formes feniinincs laissaienl apercevoir leurs silhouettes blanches quand la lame ecla- tail en I6rrents liiniiiieux le long dil navire en debris. « — Mouille I'ancre de bossoir, amcne la grand' yole! dit le ca|iitaine. Nous allons aborder noire sinistre com- pagnon de route ! II L'eqiiipage obeit en silence ; sur I'ordredu capilainr, six liommi'S santerenl dans la yole. J'etais du nombre, cl nous nous dirigeAnies sur le navire a force de rames. II A terre tout s'agilait. Le mailre pilole dirigeait en hale les malelols vers le lieu du naufragc; les torches sillou- naient la greve, etavantque nous fussions arrives, unc lliit- lillc d'eiiibarcalions de toules sortes couvrail deja les eaux. Nous I'l'imes cependant des premiers a aborder le na- vire; nous Irouvanies sa coque defoncee. disputant aux Hots les debris de sa inembrure. Nous grinpAmes sur le pout. Courageux comnie vous I'eles en tonte occasion, eii- fanls, je )iiiis vous dire que les plus braves se sentirent gla- ces d'horreiir au spectacb' qui s'nffril a nos yeux. 11 etail en effel trop surnatiirel, Imp lerrible, piiur ne pas exciter la plus profonde pitie. « Cnnliairenient a notre atlenle, I'equipage du vaisseau etail au grand complel. Mais eel equipage ne se coniposnil que de cadavres. Au pied du grand nuit, deux hommes claienl elendus sur un lapis precienx ; ce devait cire le pere et le Ills. Le plus iige, euveloppe de riches fourrure; , lenait de sa main droile le bras de son jenne compagnou. llsenihlait lui later le pouls. La Itae de son enfant repo- sait sur .son cffiur. II Une jiuine femmc serrait sou nourrisson sur sa pni- trine glacee. Elle etail belle encore sons la p.ileur cadave- rcuse; elle avail cmiserve rexpression de la douceur it de la honledun ange, memc dans la morl. a Mais la scene qui nous allrndail dans la cabine elait bien aiitrement saisi,>sanle. Tout .i rcnlour, sur les cous- DE LA VIE MARITIME. 567 sins, Jes cadavrcs, loiijours tli'scadavrcs. Les trailscalmes dcs visajjcs n'indii|iini(>iil |ias(|ii(' la vie s'en fi'it I'ctii'ee par de violeiUcs convulsiojis. « II lallail i|uclf|ue sani,'-fioid, du cnur,ii,'e et le mepris de la morl. pniii' ne |ias |ii'nlrc la raison au milieu de tclles hon-eurs. I'liis d'uii pilole devinl pins pale i|ne les corps ()u'il avail sons les yenx ; liciiiljlaul de tons ses nienilires. il remonlail rapidejnenl surle pont. je vou< assure, elune fois lii. il s'eu rctournail plus vile (pi'il n'lilail venn. El pas nn mnlelol ne serail resle cinq minnles snr le poni, si noire capilaine u'ei'il Irouve uu papier clone snr la (able, eonlenanl uiie relalinn snerinclc de I'hisloire dn navirect de ses passagers; il nous eii ilonna Icclnrc. En voici la sub- slanfe : « Le navire sc noniniail Dotia Isabella, el apparlenait a nn niarcliand porlngais. Le ca|iilairies'appelail DonCbris- lalvo- 11 faisail ronle pour Java. Son frel consislaiteii fruits du lropif|ue, vins de Porlo et conserves, cpiebiues tonnes- d'arseiiic, des caisses de cinabre. Pen de temps avanl de quiller Oporto, Don Cbrislalvo avail epuuse nne jenue per- sonne d'une f;rande beanie qui r.icconipaguait dans son voyai;e a Java; elle avail ele promise d'abord par ses pa- rents ii iin homme d'un caraclere violent el audacieux, de manieres rudes el grossieres. La jeiine fille s'elail ton- jours opposee avec nne respeclneuse energie a la voloiite de sa famille, declarant qn'elle ne cousentirait jamais A etre IVqiouse d'un homnu' pour leifiiel elle ne pouvait avoir ni ani(jur, ni eslime. Don lioilrigo, c'etait le nom de ce mechanl homme, nese Cut ]ias plulotapereu de la pas- sion des deux anianls, (|u'il resolut de s'en venger d'une manierc terrible s'lls se mariaienl; el en attendant il em- ploya de luute sorlc de menaces pour enqiecher leur union. Les jeunes gens, connaissant toule la noirceur de son anie, resseiilirent qneUpies craintes, maisils espcraienl, en quillant Oporto, se souslraire a samecbancele. liodrigo, iuslrnit de leur projel, coiicul aussilcit I'idee d'un infernal slralageme. II se deguisa fort habilemenl, et vinl s'offrir an capilaine dii beau navire Bona Isabella en qualite de canibusier. II Alors ce morlel ennemi de nos jeunes epousesrestant inconnn de I'un et de lantre, lint dans sa main la vie de tons deux a la fois. II remarqua quels niels ils mangeaient el quels vins ils buvaienlde preference; el ce ful la-dessus qu'il basa son plan de vengeance digue du demon. Un jonr il ouvril adroilemenl nne lonne darsenic el melangea anx vins et anx aliments, nne quanlite de ce fatal poi.son, plus que suflisaule pour donner la niorl a lout I'equipage. Ceci se passa quelqnes jours apres que le navire eul mis a la voile. Doii Cbrislalvo, a I'oecasion du jour anniversaire de sa naissance, donna nne fele a laqnelle il convia tous les passagcrs. (1 Les matelots ne furenl pas oublies, benreux comme S68 UISTOinE NATURELLE. des dniiphins qui se joncnl ilaiis les vngncs, ils buvnient a la snnlL' du jcune couiilc ; ime rnsride n'attoiulail jias I'au- tre : c'elail la mort iin'ils buvaieiU. La violonct' du puisoii fut Ifllc, que k's innoccnles viclimes eu i-essenlaieut [jres- que aussiiot les tcnildcs effels. Mais les pauvres femmes fui-cnt relies qui eu soiiffi'lreut le ji'.us, elles qui H'avaieul bu de ce via que quelques gorgees. « Des que HoJiigo put reconnailre les ravages produils jiarsou incroyableatrocile, elque, de lout I'equipage eldcs passagei-s, il allail i-eslei- la seule cieature vivajite, I'lior- reiu- et le remords s'emparerent de lui ; sa lete s'egara. 11 ful inslanlanemcut fiapped'une demence furieusc; el dans le paroxysme de son didire, ilse piecipita dans la mer, qui se referma sur lui pour loujours. (I Le capitaine conscrva a peine assez de force d'esprit pour relaler sommniremcnt cetle triste aventure, car peu d'beures apres ce laelie assassinal, le uavire n'etait plus (pi'un lombeau. (1 It y avail parnii les passagcrs, ainsi ((ue le faisait con- nailre le livre du bord, deux sccurs accompngnanl leur fi-ere a Sumatra. C'elaient les deux personnages du courou- nemeul del'arriere i[ui nous avaicnt lajit de fois elTrayes. Sansdoule, les inforUuiees n'avaicnl ]u-is qu'unc I'ailjle quanlile duvin enipoisonue, el probablement elles avaienl espcre, en montant sur I'arriere, que le grand air leur pro- curerait quelque snulagenient. Elroilenieut serrees dans les bras I'une de Taulre, elles avaicnt allendii aveccalme, dans ce touchant cnibrassenient, la niortii laquelle tousles|ias- sagers avaient succombe. D'apres la dale de celle note, rborriblo catastrophe avail du s'accomplir la veille dujour de I'orage, dont je voiis ai parle tout a I'lieure. Pour niieux resister a sa fiircur, les jcunes Dlles s'etaienl atlachees sur !e pout, el la idles avaient expiie. (I A peineei'imes-nous recueilli ces diverses particulariles, que nousquiltanies en bate cetle sceue de desolation ; et il etait temps, car les vagues se ruaienl aux llaucs brises du navire avec une telle violence, qu'elles ne devaienl pas larder a ledetruireentierement. Les deux cbarniantessceurs, ces deux beaux anges, nous les transportames dans le ca- not, et nous leur dounames une squdlure convenable a Test de I'eglise. Une petite pierre que le temps etl'oubli ont presque fait disparailre niontie encore I'eudroit oil elles reposeut. « Le lendemain, il ne reslait plus le moindre vestige de ce naufrage. » HISTOIRE NATURELLE. LES ZEBRES. Sous la denomination de zebre, on confond ordinaire- menl loutes les especes de solipedes a robe rayce trans- versalement. On disliugue trois series de zebres, lous originaires du suJ de I'Afrique. lis babitent les pays qui s'etendenl depuis le cap de Bunne-Esperauce jusqu'a I'e- quateur, et memo au dcla , el les uns peuplent les plaiues V ':/_■' ...- vc scclies el brulantes; les autres, de vastes plateaux presque egalemeul arides, mais eleves et I'roids. On a doune des noms divers a ces trois especes de chc- vaux rayes. Par le nom de zebre, on designe Tespece ze- bree ou rayee par excellence. En eflVl, la robe de ces i|ua- drupedesestmaniuee de largesbandes foncees sur iin fond blanc grisalre depuis la pointe des oreilles jusqu'a I'eilre- iinle lies jiieds, comme le represente assez liien la gravure. Les naluralisles ont donne le nom de daw a une es- pece de plus pelile taille , plus ideganle de forme, jire- sciilant sur la tele, le cou et le corps, des raies alteruati- vcment larges el etroites, sur un fond couleur isabelle. Le pelage des jambes de derriere ct de la queue est blanc el sans ladies. CAUSERIES SUR LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES. 369 Eiifin le couagga des Hotlenlots forme la troisieme es- pece, r|ui esl aussi lamoins elegaiUc ; les bandes sonl com- pai'alivenieiil inoins foncces,eii egardau fondobscur de sa robe, et ne s'elendcnl que siir la U'tu, Ic con et les epaules. La croupe est d'uii gris roussalre ; les jambcs el la queue d'un blanc sale. Celtc espece esl la plus docile, el il parai- Irail qu'aulrefois les colons hollandais dn cap de Bonne- Esperancc onl Icnle de la soumellre au joug de la cliarrelle. Mais on a abandoniie ce projeldepuisriulroductionde nos races chevalines, etprobablement pnrce qu'il elail difficile de la reduirc a I'elal parfail de domeslitite. Les habitants indigenes du Cap, les Hottentots, ont donne a celle espece le noin de couagga, du cri particulier de cet animal. En effel, son cri differe beaucoiipdu bcnnissemenl du cbeval, et encore i)lus du braimenl de I'ane : il consiste en une espece d'aboicmcnl saccade , dans lequel on dis- tingue rrequemmcnt la syllabe couaIi,couah. Le couagga, aulrefiiis tres-commini dans les plaines du capde Bonne-Esperance, est Ires-rare aujourd'hul; il s'est refugie dans Tinterieur des lerres, par suite de la chasse infatigable que lui livrcnt les colons. La chair, du resle, en est Ires-recherchee Conmie lecheval sauvage d'Amcrique, le couagga vil en troupes qui se composent snuvent d'une conlaine. La ressemblance dc forme et de mCEurs qui existe entrc le chcval et les diverses especes de zebres fait que, dans leur jeune age, ces animaux, au lieu d'eviter les chevaux des chasseurs, lessuivent au contrairecomme ils suivraient leur mere. La menagerie du jarJin des Plantcs rcnfernic im grand nomhre d'animaux apparte- nant au genre zcbre. Plusieurs y sont mcme nes de pa- rents importes; le couagga, surtout, s'acclimale facile- ment. II est remarquable que, parmi toutcs les especes du genre cbeval, notro race indigene est la seule qui ne presente auciine rayure constante. En effet, en commcncant par le zebre raye sur toutc la surface du corps, nous trouvons : 2° Le daw, raye sur la tete, sur le corjiS et les jambes de devanl; 3° Le couagga, raye sur la tele, sur le con et le tronc ; 4" L'ane, avec une raie en long sur le dos, et une en Ira- vers sur les epaules ; 5° Enlin lo dziggnelai, qui ne presente ([ue la raie dorsale. CAUSERIES AVEC HOS FllS ERJiEST SUR LES INVENTIONS ET LES DECOUVERTES. SIXIEME MATIKEE. I.ES U'NETTES. — LE TELESCOPE. c( Dans noire derniere conversation, mon chcr Ernest, nous avons parle de la navigation a la vapeur, celle puis- sance qui anime en quelque sorle la maliere, eel agent pro- digicux qui peice les cntrailles de la terre, rapprochc les distances; dirigee par rintelligenee de rhomme, il esl im- possible de prcvoir oil s'arrcleront scs progres. — Quel esl rinventeur de cello belle decouverle, mon pere? — Celle question n'esi pas encore bien eclaircic. 11 paraii que, des la jdus haute anliquile. Ton avail remarquc que la vapeur, sorlanl d'un vase oii I'eau est en ebullilion, avail une certaine puissance ; njais il ne semble pas que Ton ail alors songe ii I'appliquer comme moleur. Nous re|}rendrons ce sujel, qui vaut la jieine d'etre etudie en dulail ; vons vcrrcz comment un FraneaLs invenla une machine a vapeur, et comment, plus lard, les Anglais onl conslruil un navire mii par cet agent. — La vapeur n'esl-elle pas applicable a beaucoup d'au- tres cboses qu'a la navigation? — Oui, mon ami, a une foule d'autves choses : I'jmpri- merie, les chemins de fer, les usincs, les manufactures de papier, d'elofl'es de tonic espece, clc. ; I'enumeration en esl Irop longuc pour en doiiner ici le dclail. Mais, je le re- pele, nous reprendrouscc sujel. (Juil vous suffise, pour au- jourd'hul, de savoir qu'il esl po.s.sible de faire desmacbines de la force de deux on Irois cents chevaux, et memc plus, et que celle force si grande, si impelueuse, sc laisse coiiduire avec ducilile par le genie de rhomme, au point .pi'on rapplii|ue aux travaux les plus delicals comme a ceux qui 570 oausehies sur les inventions et les decouvertes. demandent imc force immense; .i la fabrication des tissus les (ilus Dns, des epingles, des aiguilles, comme a la pro- pulsion des plus grands vaisscaux, ijue Ton dirige centre les vents furioux, a travers les courants les plus rapidesl — Que Dieu est grand I qu'il est bon, men pere, de nous avoir doniie tons ccs puissantsauxiliaires I — Oui, mon fils, et nous ne sanrions trop nous incliner devant la majesle divine qui nous a done d'une intelligence capable de decouvrir et de nous approprier les forces de la nature. — Je sens combien cc que vous dilesm'inleresse, mon perc : quand je pcnse i Dieu, mon ame s'agrandit et mon coeur est plein de joio. — Voyez, mon ami, comme toules les sciences nous ojit ete enseignees pour notre bonlieurl Et toujours les plus grandes decouvcrtes out etc I'efl'et de ce que le vulgaire nomme liasard, et que nous a|ipelons la Providence. Sans lunettes, sans telescopes, point d'astronomie ; par conse- quent, point de navigation liors de la vue des cotes. Voulez- vous s.ivoir I'origine de cette invention merveilleuse? — J'en serais cbarme, mon pere. — Les lunettes ctaient deja connues depuis longtemps, quand Ic hasard Dt decouvrir le telescope... Mais d'abord, dites-moi, avez-vous jamais remarque des verres de lu- nette ? — Oui, mon pere; je sais qu'il y a des verres qui gros- sis.sent les objets, et d'autres qui les diminuent. — C'est cela. Les verres bombes on convexes grossissent les objets; ils sont utiles aux presbytcs, les personnes qui ne voient que de loin. Les vei'rcs creu.x oii concaves dimi- nuent les objets ; ils serveiit aux myo|ies, ou aux personnes dont la vue est basse. — Oui, j'ai remarque cela. — Eb bien, le fils de Jacques Melius, fabricant de lu- nettes a Midlebourg en llollande, jouait un jour, a la portc de la boutique, avec ses petits camarades; il prit, pours'a- muser, deux verres, I'un concave et I'aulre convexe, et, les placanta une certaine distance I'un de I'autrc et dans la nii'me direction, il I'ut bien olonne, lorsqu'il les dirigea sur le cloclier d'une eglise, de voir la girouette plus grosse et plus rapprocbee que d'habitude, II lit part de son ob.ser- vation i\ son pere, et celui-ci no fut pas moins ctonne ([ue I'enfant. Jacques Metius rellccbit sur cc pbenomcne, et resolut de le niettre ;\ profit. — Ainsi, c'est done un enfant qui a donnc I'idee du telescope ? — Oui, mon ami, cet enfant elant I'in^lrumeut que la providence avait clioisi. Melius imagina de plaoer des verres concaves et convexes dans un tube; il chercba, par tiUonne- nienls, quelle devait iHre la courliuro comparative de ces verres, et a ipielle distance il fallait les placer I'un de I'aulre. A cet effet, dans son Inbe.iil en introdnisit un plus petit qu'il pouvait faire sortir et rentrer a voloule, et le succcs depassa I'attente. II put distinguerclairement des objets trop eloignes pour elre discernes a la simple vue ; ces objets paraissaient comme rapprocbcs par un pouvoir ma- gique. — C'est vrai, j'ai sonvent vu cela avec une lorgnette de spectacle. Mais quelle difference y a-t-il, je vous prie, entre une lorgnette et un telescope. — Mon enfant, une lorgnette sert pour les nbjetspeu eloignes, elle est portative ; il y a ensuiteles longues-vues, aveclcsqucUes onvoit a plusieurs lieues; elles servenlaux marins ; et, enfin, les telescopes, avec lesqucls on observe les aslres ; il y en a memo de si puissants, que, par leur moyen, on voit distinctement des eloiles si eloignees do nous, qu'elles soiit cnticrement invisibles a I'ccil nu. — Mais, mon pore, comment se fait-il i[ue les longues- vues, et surtoul les telescopes, aient un si grand pouvoir? — Mon enfaul, ceei lient a lies combiuaisons d'optique, et nous commencerons I'etude de cette science I'annee MERVEILLES DE LA NATUHE. 5TI prochnine; en attendant, contcnle-loi do savoir que cliaqiic scrie de deux verrrs, doiil I'un grossit et I'autrc diminiic, a laprojirii'lo de rapproclicrlcs olijets, si I'nn plare le vcrrc concave pres derrril. et au conlrairc de los eloigner, si c'est le verre convexc. — Oni, i'ai oIjspi'vc cela. — Eh liien, en comhinant pliisicurs series, Melius vil qn'il obtenait iin pouvoir plus grand, et c'est a ccs combi- uaisons, sagement calcub'cs, qu'est due I'invenlion du te- lescope. Metius presenta une de ses hinettos aux etals generaux dellolliinde en 1609. Lcs savants, etenire aiitres Descartes, font a Melius les lion*eurs de rinvcntion. Avant lul on se servnit de tul)Cs :i phisieurs luyaux pour diriger la vue vers lcs objets eloigncs el lcs rendre plus nets ; mais ces tubes ne renfermaient pas de verres. — .le vous remercie. Je voudrais bien pourtant vous faire encore une question. — J'aime a vous voir curieux de vous instruire. — Quelle difference y n-t-il enire im telescope et un mi- croscope ? — La difference est immense, mon enfant Tie lelescnpe pcrce les profondeurs de I'espnce et rapprocbe denous des corps celestes dont nous nc sonpconnions pas meme I'existence ; le microscope, au contraire, grossit les objets les ]ihis imperceptiblcs, au point que nous pouvons en distinguer toutes les parties les plus minimes. Nous irons voir en.semble une goutle d'ean avec un microscope d'un pouvoir (res-grand, et vous screz etonne, mon ami, vous resterez dans I'admiration en voyant que cetle simple goutte d'eau, qui paralltres-pure, renferme un monde de vegeta- tions, de plantes etd'arbres de formes fantasliques ; d'ani- niaux d"especes bizarres se livrant une guerre acliarnee; vous verrcz que I'infinimenl petit n'est pas moins vaste quo rinfiniment grand, et que Dieu, etre sans bornes, d'une bonte, d'une puissance et d'unesagesse inDnies, n'est lioint,comme nous, assujettiaux bornes etroitesde I'espace pour raccomplissemenl de ses osuvres merveiUeuses 1 » MERVEILLES DE LA NATURE. I.X TONNERRE. Avant les decouverles reccntes de la pbysique, le pbe- nomene da tonncrre ctait entoure d'un voile mysterieux qui frappait egalcnicnl d'epouvante les hommes et los ani- maux. 11 se presenle sous trois formes bien differentes : I'eclair, la detonation, c'est-a-dire, le bruit qui I'accom- pagne, et la foudre, qui brise tout ce qu'elle reiieonlre. Tout le monde sail aujourdlmi que le tonnorre est un des phiinomenes de I'electricite, ce grand agent dctoutc vegeta- tion, si l)ienfaisant dans ses efl'ets de tous les jours, si ter- rible ipiand il sort des proportions necessaires a la ferti- lisation de la terre. Les nuages qui llotteut dans ratmosphere sont conslam- ment cbarges d'electricile. Quand deux gros nuages sont cbarges, I'hu d'electricile positive, I'auire d'electricile ne- gative, ils s'altirent mutuellemenl, et leur contact pniduit une delonalion proporliounee a leur volume. Lorsque Pair est renipli dun grand nombre de gros nuages cbarges d'une eliclrieiie differcnte de celle de la terre, les nion- tagnes attirent ccs nuages, et c'est alors que Ton voil ecla- lei' ces orages si communs dans les jiays montagneu.x. Ce- pendanl les bois et les edifices, dans les pays plats, attirent la foudre conime les montagncs, el produiscnt cis cffets terribles que nous voyons tousles jours. L'cclairet le bruit sont produits simultancment; mais comme la lumiere par- court I'espace avec une plus grande rapidite que le .son, il en resulte que souveul nous voyons I'eclair longtemps avant d'entendre la detoiialion : c'est ce que Ton remarquc egalemeut quand on voit tirer le canon d une certaine dis- tance. Souvenl on enlend le loiinerre rouler longuemeut, el I'echo repeter ce bruit dans diverses directions. Get effet est dti aux montagncs, aux valloes, aux bois et aux edifices, niais aussi bien aux nuages el a la surface de la terre, qui se renvoient muluellement le son; aulrenient on ne pour- rait s'expliquer comment ce roulement .so fail entendre en mer, ou il n'y a que la surface do lean et celle des nuages pour produire un effet scmblable. Pour se preserver des effets de la foudre, on prend di- vers moyens. Les uns pretendent que, pour ccarter I'orage qui les produit, il faul tirer le canon sur le nuage, aflu de le divisor; d'autres , qu'il faul faire bcaucoup de bruit, sonncr lcs cloches. Do nombreux accidents sont resultcs do la mise en pratique de cetle opinion. Le IS aoi'it 1718, la foudre tomiia, a qualre heuros du matin, sur vingl-(|uatre eglises siluees sur la cole qui s'etend de Landernau, en Bretagne, jusqu'u Sainl-Pol-de-Lcon, toutes eglises dans lesquelles on sonnait les cloches. Les eglises voisines, ou Ton ne sonnait pas, furent cpargnees. On calcule que, dans I'espace de Irente ans, dans ce canton, la foudre a frappe (rois cent qualre-vingt-six clochers, et tue trois sonneurs. D'autres s'empressent de courir pour s'abriter de I'orage, et vont souvenl se placer sous des arbres eleves et touffus ; un grand nombre de victimes onl ele atteintos dans ces deux circoustances. On augmenle le danger en s'abritant sous un arbre pendant ipie le tonnerre grondo; on sail, on effel. que le Huide eleelrique est attire par lcs lieux eleves el poinlus. d'oii il resulte un )dus grand peril dans colte situation. Nous pourrions citer de nonibreuses victimes de cetle coulume, Irop accreditee dans lcs campagnos. Tout recemmeut, dans une commune du departenienl des Vosges, un journalier, pere de hull enfants, tardanl a rentrer par un tcjnps d'orage, sa femme s'inqniele; quoi-- que naturellemeiit timide, olle n'ecoule que I'elan de son ccEur, et, bravanl les elements decbaines, elle court a la recherche do son niari, I'unique soutien de sa nombreuse famillc. Ilelas 1 elle ne devait plus le revoir : la foudre avail frappi' celui qu'elle cberchait. Eperdue, elle suit le diemin par leipicl il avail coulume de ruvenir. L'orage redouble. 572 MERVEILLES DE LA NATURE. Effrnyee, cllc vcut sc lofugicr d.ins un hois; ellc ari'ivc cssoufUce, nnennlie par la fraycur. Ello s'appuic siir le tronc d'lin gros arlirc ; a peine y est-clle, que la fouilrc tomlic, brise I'arbre, fi'appo cii mc'me Icinps la paiivrc mere, cl fait huil oi-|ilieliiis d'lm seul coup. Les cloches dcs cgliscs, les maisous isolees, a hauls pi- giions, offrent plus do danger que ccUes qui sent a peu ju'es de memo hnuleur reunies daus les villcs. iJcpuis I'iiiven- tion dcs paratonncrres, on evite les effels de la foudre ; mais Ic paratonnerre n'agissant |)as sur le fluide elecli'ique dans un rayon de plus de vingt metres, il en faul plusicurs sur les edifices d'unc grande elendue. Bien de mysluricux comme rnclion du Ihiide elcctrique ; mais ranccdote suivanle, arrivee recemment, monlre quo la foudi-c n'est pas toiijours accompagnce do delonation. M. le docteur liogiiier a, sur la domaudc de M. Arago, adrcsse a lAcadeiuie iinc note sur uti phenomcue meteoro- logique doiil il a pu observer les siiiguliers ct trislcs resul- lals. 11 s'agil d'une jeune fille moitelleraent frappce de la foudre sans que la decharge clectriquc ait etc rcvelee aux personnes presenlcs par aucune detonation. Les circon- slauccs au milieu dos(piellcs I'evenement a c« lieu, I'im- . |iossibilile d'cxpliqucr par une autre cause la mort subitc de la jcunc Idle, cnlin quelques observations faites a la levcc du corps, ont convaincu M. neguier quo !a malheu- reuse avail succombe a la comuiOlioii produile par la ren- contre de deux couranls elcclriqucs. En el'fi'l, ])ar un leuqis ties-chauil et extromemcnt sec, un cultivaleur dcs environs de Coulommiers, se trouvanl avcc sa femnic et sa fille au milieu d'unc plaine peu boisec et donl les recolles elaient en partie enlevces, vil tout a coup s'avancer vers rendroil oil loqs Irois Iravaillaienl, un nuage noir qui prcsageaitnn violent orage. 11 se hale de rcnvoyer sa fille en avant ; la jeune fille se sauve en courant prccisement dans la direc- tion du nuage, i|ui marcliail do Test a I'ouest. An bout do quelques moments, ses parents, se disjiosant a la rejoindre. s'arrelent, el raperroiveni, a six teals pas, elendue la lace ronire lerre. lis rappclleni , et ne recevant pas de reponse, iis atcnurcni. s'approcbcnl, el la IrouvenI morle; ni eux ni personne des environs n'avaient enlendu la moindre detonation, apercn le plus failde eclair. Appele pour la levee du corps, M. Regiuer conslala, trois heiires aprcs I'cvenemenl, que les mains n'elaienl pas elendues en avant; que le bonnet, lance a quaire pas, clait peree dans le fond d'une large dechirure, produile cvidemnient de de- dans en dehors, puisque tons les Ills du tissu laccre s'irra- diaient en dehors au pourlour de I'ouverlure. Ce fait est assuremeul fort curieux, sous le double rapporl des effets tonjours si bizarres ct piesque inexplicables de la foudre, et surlout de I'absence de delonation. LE LIVRE DE LA SAME, ANECDOTES MEDICAIDS, FAITS ET COHSEILS BELATIFS A LA SANTE DE LBOmOtE. I.E THE. La consommnliondutho est devciiue en France et en Eu- rope siconsideraljle mainlcnant, qnela feuillecliiuoiso pent elre classee parmiles aliments Ics plus usuels. La nianiere donl on le prepare, les modiBcalions que le commerce lui fait suliir , doivcnt done eveiller la sollicilude de lout le monde. Si le the n'avait jamais produit d'accidents, il se- rait inutile de se preoccuperdc semblables details ;maisde tristr's cxcm]>Ics atlesteiit faction iicrnicieuse qu'a pu exer- cer quelquefois I'infusion do celte planlc aromatiqnc. On n'ignorail pas, depuis quelques annees, que la preparation de cerlaines cspeces de the se faisait avec dcs ingredients de I'ordre mineral ; mais on'pouvait croire que c'etail seu- lemefit dans des circonstances cxceptionncUes. M. Davis, voyageur anglais, vit de ses propres yeux a llolian roperation suivante ; apres avoir desseche le the nuir, qui etait place dans un mortier en fer fondu, on le co- lorait alors avec du curcuma, ce qui ne presente aucun danger ; puis on jetail, sur les feuiUes, une poussiere com- pnsce de pierre gypseusc et ;dc bleu de Prusse, ,i la dose d'une cuilleree ordinaire pour sept ou Imit litres de the ava- rie. Quand le melange fut termine , le tlie presenla cello belle couleur verte si recbercliee , et laissa meme exhaler Todeur qui caracterise le the hyson. M. Davis n'avait pas dit qu'il pensait que cette manipula- tion etait appliquee sur une grande echcUe a la prepara- tion du the ; mais il existe uu fait de stalistique comnier- ciale qui devrait le faire supposer. D'aprcs JlaccuUoch, les Anglais importaient a Canton , vers le commencement du siecle, plus de 250,000 livres do bleu de Prusse par an. Des fabriiiues se sent elevees, depuis, sur le (erriloire de la Chine, et le pays fail maintenant une consommalion tres- considerable de ce produit. II est en ouire denotoriele que la feuillc ne saurait prendre, sans une preparation particu- lienscetlc couleur verle et brillanle cpii distingue les thes verls. On a cru pendant;longtemps qu'elle dependait de la maniere dont on procedait ,i la lorrefaclion ; mais, d'a)ires les renseignenienls les plus rcccnis sur la manufacture de Ihes dans la colonic de I'lnde, on s'est as.sure que les Chi- nois coloraientleurs produits avec legypse et I'indigo. Une circonstance heureuse a mis enfin la science sur la trace du genre de fraude que les habitants du celeste empire txercaient sur les consommaleurseuropecns. On apporia i\ M. Waringlon , de la Societe chimique de Londres, pour en faire I'analyse, des thes qui avaient etc saisis comme alteres ; ce chimiste les esamina altentive- ment au microscope, el il ne fut pas peu surpris de voir que les feuilles elaient recouverles d'une poudrc blanche, brillante,et semees de petils grains d'un bleu vifetde couleur orangee. Cette poudre fut isolee des feuilles , et, apres I'avoir fait passer par les epreuvts necessaires pour en determiner la composition, M. Waringlon trouva que la poudre blanche etait du kaolin ou du talc, que les grains oranges proveuaient d'nue substance vegctale, et eufln que LE LIVRE DE LA SANTE. 375 les granulations bleues etaient formees par du bleu de Prusse. Mais ces melanges pouvaient ctre accidenlels, comme ils pouvaienl resulter d'un mode de preparation applique regulieremcnt , comme faisant parlie des precedes ordi- naires de la fabrication. II elait important de s'en assurer. Le cbimisle anglais alia done recueillir, chezles niarchauds les plus renommes de Londres, des echantillons de thes verls de la plus belle espece,connue sous lenom d'impe- rial, de poudre a canon elde hyson. Soumis au microscope, lis lui presenlerent les memes couleurs que les thes ava- ries. Soumis a I'analyse, ils contcnaient aussi dn kaolin et du bleu de Prusse. En s'occupant de ce travail, M. Waring- lon apprit qu'il y avail une dislinclion de nom , parnii les thes verls, qui les classnit en deux especes dislincles : I'espece des ihes glaces et celle des thes non glaces. Ceux (pi'il avail soumis a I'analyse el qui conlcnaient tons du bleu de Prusse , appartenaienl .i la calegorie des thes gla- ces. Les ihes glaces elaienl-ils purs ou colores ]iar une .sub- stance minerale'? L'auleuren recucillitdes echantillons qui, meme a I'ceil nu , n'avaient pas la moindrc analogic de couleur avec les thes glaces. Au lieu d'etre d'un bleu ver- datre comme ceux-ci, ils presenlaient une teinte uniforme d'un jaune brun tirant sur le noir. Le microscope ne laissa voir ni grains oranges , ni grains bleus , el I'analyse ne trouva ((ue du kaolin, qui est une maliere inoffi.nsive. La subslance vegetale coloraute et le bleu de Prusse elaient absents. Detelles experiences soul conduanles, el condamneni, sans relour, cette couleur allcchante du the vert qu'on croil generalement le caraclere de I'excellence , de la su- periorile. De quelque maniere qu'on precede au grillage ou a la lorrefaclion, la feuiUene prend jamais celle couleur verle si esliniee; c'est le commerce, ou ]ilul6t c'esl la fraude qui la lui donne. La couleur nalurelle , la couleur vraie, c'est celle des thes non glaces. Mais il y a un moyen bien simple de depouiller les thes glaces de la couleur d'eniprunl qui se fait si facilemenl reconnailre. II consisle lout sim|ilemenl a les agiler par peliles quanlites dans une bonlcille dans laquelle on aura mis un peu d'eau dislillee. Ce liquide dissoul la poudre el s'en empare enlierement au bout d'une ou deux minules. II n'y a qu'a jeler, apres I'operalion , le conlenu de la bouleille sur un fillrc de monsseline, pour separer la feuille aromalique du liquide qui la purifie. D'a|U'es les experiences de M. Waringlon, ce lavage n'affaiblil nullement les proprietes du the. Meme en Texposant, pour le dessecher, apres le fillrage, a une tem- perature de cent degres , on n'affaiblit ni la delicalesse de son goul, ni le parfum de son aronie. ANECDOTES DU TEMPS PRESENT. ORIGINE DES BAX.LONS. Lesdecnuverles de I'experience soul souvent le fruit du hasard plulot ipie le resullal des recherclies. Les arls utiles doivent, la pluparl, leurs iavenlions, nioins aux specula- 374 ANECDOTES lions (les pliilosoplics (|ir,'i la favour tic la forlmie. On a Irouvc la pnudre en cliercliant loule aulrc chose, peut-etre sans avoir aiicunc vnc. Ln hoiissole n'nvait auci\n rapport avec les nulres inslnimenls de la navicfalion, qnand on fit cede imporliinic dccouverte. Pendanl comliien de siccles les hommcs onl-ils niarchc siir la sole avant d'cn connaiire le prix ct d'cn faire de si belles parurcs? La vapeiir, celte forces si ]iuissanle, q;ii, dcpiiis r|ncli(ue lenips seulenient, a pris un dcveloppcment immense, ful deeouverlc, coninie tant d'anlresinvenlinns sniilimos, par reffct du liasard. Un faiseur d'expcrienccs est line espcce de chasseur ipii suit les effels de la nature a la piste, el rpie les courses inntiles ne rcbnlent pas : un scul phenomeno qu'il dccnu- vre le dedomniaf;e hientot de son temps perdu. Y a-l-il line ambition plus belle, plus noble, que celle qui a ponr hut d'etendrc la puissance de son genie sur les moycns de decoHvrir on de iicrfeclionner tout ce qui peut contribnor a rendre les hommes plus heureux. 11 y a de ipioi s'ctonner en voyant que les inventions les plus precieuses ont souvent etc, a leur origine, conside- rees comine des choses futiles. C'est ainsi que, d'abord,les ballons furent envisages; il n'y aurait rien de bien cxlra- ordinaire de voir un jour cctte singuliere invention venir prendre place parmi les plus belles decouvcrtes faites jus- qu'ici. Vous avez souvent admire un globe majestueux s'ele- vant dans les airs, cmportc par unc molle brise ct soute- nanl une elegante nacelle pavoisee de bannieres multi- colores. Dans cette nacelle, de hardis voyageurs agilent lours drapeaux en prcuant conge de la tcrre, aux yeux des spec- tatours cbahis ; ils vonl explorer les regions del'espace, affronlant les nrages et bravant mille perils. Eh bion, mes jeunes amis, heaucoup d'entre vous sont loin do se former line idee exactc de ce que sont ces perils, el a quoi il peut servir de s'exposer a les braver. Pour eclairer voire jeune esprit, je vais commencer par une premiere narration, simple el breve, sur ce sujcl. Celle machine inerveilleuse, que Ton nonime ballon, est un globe creux compose d'un fort lissn de soieet recouvert d'un endiiit souplc ct leger, impenelrable .1 Pair. Ce fut Monlgollier qui invenla les balloiis. Les piemieis furenl fails en papier. 11 avail remarque, que la clialeur dilate I'air et le rend plus leger ; il coucut, d'apres colle observation, I'idee de faire un ballon en papier, avec une ouverlurc dans le has, el de placer sous cctte ouvcrUire un rcchaud. Le succcs qu'il oblinl de celle experience de- passa sou attenle ; le feu dilala lair a riiitoricur : alors le globe de papier s'euleva facilemenl. Ce ]iremier essai ler- mine, il en fit plusieursaulres qui tons nuissironl. Depuis, les ballons en papior ct a recliaud furenl ahan- donnes. On imagina ensnitede construire les ballons en sole ver- nie au caoutchouc. On savail que le poids du gaz hydro- gene est le quart de celui de Fair. Lc ballon, le gaz qu'il renferme, le filet quirenloure, la nacelle, loutcela reuni ne pcse pas la moilie du volume d'air doplace. II resulte de cette observation que la machine cntiere est suscep- tible de s'elover ct d'enlever avec clle plusieurs per- sonnes,des provisions, du lest, et un cable avec son ancre. Oui, un cable et une ancre; autrenieiil raeronaiite, quand il voudraildoscendro,nepourrail pass'ari'eloroi'iil voudrail; le vent reinporterail et le briscrail conire les arbres, les maisons ou les rochers. Voila pourquoi la nacelle est lou- jours munio d'unc ancre et d'un clble. Les dangers auxi|ue!s sont exposes les aeronautes sont nombroux. En juin 178.i, MM. Pilatrc de Rozier et Romain, ayant eiitrepris de passer de Fiance en Anglelerre, le feu se communiqua au gaz dc leur ballon, et ils perirent. L'inforluncc madamc Blanchard peril aussi, il y a une vingtaine d'anneos, jetee hors de la nacelle par le choc d'une cheinincc. Je pourrais citer bien d'autres malheurs arrives aux aeronaules ; mais a quoi servirait de mellre sous les yeux de mes jeunes leclcurs tant de tableaux pe- nihles ? Si Taerostat a cause de tristcs evenements, il a ele ulile aux sciences. En 1804, Gay-Lussac 111 ii Paris une ascen- sion, muni dc tons les instruments necessaircs aux obser- vations nicteorologiques. II s'eleva a plus de 25,000 pieds aii-dcssus du niveau de Paris, et fit des decouverlcs pre- cieuses. E.xcepte pour des experiences de ce genre, il ne semhle pas que les hallons aient etc d'une grande utilile. On avail cu I'idee de le faire servir a la guerre. Une compagnie de ballonniers fut otahlie a Meiidon pendant la revolulion, et Jourdan s'en servit avec succes en 1793, a la hataille de Fleurus qu'un ballon lui fit gagner. II ne parait pas cepen- daiit que depuis I'onait Irouve I'eniploi de ce moyen prali- cable. On se servait d'un ballon captif, c'est-a-dire, relenu par des cordes a une ccrlaine distance de la lerre. Cent hommes ctaieul necessaires pour tenir ces cordes. Un ol'licier place dans la nacelle faisait glisser, le long d'une de ces cordes, un billet pour le general, el I'inslruisait des mouvemenls de rennonii. On a reuonce a ce moyen. Beaucoup d'essais ont ele fails pour diriger les aeroslals conire lc venl, mais lous ont ele inl'ruclueux. M. Given, aoronaule anglais de hoancoup de merite, y a rcnonco. II avail remarque daussesnombrousesascensions. (|u'a differenlos hauteurs dans lalmospbere, il y a descou- ranls d'air dil'lerouls, dont on pouvail so servir ulilement pour sc dirigor a volonle. 11 111 construire, a eel elTcl, un immense ballon avec une nacollc-omnibus; son idee elait d'arrivcr, par ce moyen, a pouvoir transporter rapidement de Londres ii Paris un assez grand noinbre de voyageurs. II parlil done bravcmenl a onzeheuresel demic du matin, le 7 novembre 1836, accompagre de deux genllemcn ; mais ils maiiquerent Paris dans la iiiiil, et furenl petrifies d'clon- neinent (|uand, le lendemaiu matin, ilss'aperciiront qu'ils etaient dans le duche de Nassau , ayant fail environ deux colli cinquanle lioues on dix-buil lioinos : pros de qiiatorze lioues iil'lieure! M. Green n'a jamais recommence ce genre OU TEMPS PRESENT. 375 dc voyage, il savail bicn que c'elait I'effet du hasard ; mais d'lionneles induslriels, proDtaiU de rensouement general, ne craignirent pas d'annoiirer une coinpngnie pour etaldir un service rt'gulicr dc balhms niessarjers de Londres aux grandes Indeset a ionics Irs •parlies du ijhihc. J'aivu, mcs jeiines amis, les afQchcs monslrcs de celte monslrueuse compagnie sur les niurs de Londres. Je ue crois pas qu'elle ail IroMve bcanconp d'aclionnaires. AVXNTURES BU JEDNE COMTE SE T"**' Les Anglais, qui passenl pour elre, de lous les pcuples le plus serieux, porlenl souvent aux choseslcs plus futilcs toule I'energie, tous les instincts, toule la vivacilc drama- lique de la passion ! C'est ainsi qu'on les voit sc porter en foule a un combat de coqs et engager des sonimes consi- derables dans des paris pour le vainqiieur de ces luttes magnifiipics. Mais ce qui semble plaire plus encore a leur imagination ce sonl les lutlcs de chevaux. Ainsi, dernie- rement, apres avoir assislc a un slccple-chase ( course au clocber), le jeune Alfred de T"*, tils unique d'une noble el ricbe famille, se plaisail a .se faire remarquer par son exireme lemerile. Un jour il faillil pcrdre la vie dans une chute effrayanle qu'il lit, avcc un clieval vigourcux, qui, en s'emporlant, lomba, de plus de trentc pieds de bauteur, dans unepelile riviere siliiee aupres du village dc Back- wood, dans le Yorkshire. 11 ful assez heureux jiour s'en tirer sans autre accident que quelqucs contusions dont il Tut bientot retabli. Dans une autre circonslance, il donna la preuvedeson audacicusc extravagance. 11 fit le pari qu'il partirail seul dans un ballon, et qu'il le dirigerail pendant trois heures au moins. On trouve loujours des fous pour soutenir des paris centre les acles d'audace et de temerile. Ses veri- tabk's amis cbercliereut ii le relcnir et a le ramener, par de justes observations, a des idees plus raisonna- bles;plus il rencontrait d'opposiiion ou d'obstade. plus il trouvait d'lirdeur et dc plaisir a les coniballre. Eufin. le jour arriva pour niettre a execution cetle tcmeraire en- treprise. Le ciel etaitpur et le vent etait moderc. II parlit en enqiortant avec lui les vifs applaudissemenls de la fnule qui s'elait rcunie pour jouir de ce spectacle; mais a peine est-il enleve ii une certaiue hauteur, qu'il trouva un vent plus fort ([ui I'emporta rapidement dans une direclion con- traire a celle ou il voulait aller, el, lorsqu'il voulut dcs- cendre, il lacba du gaz ; mais en trop grande quanlile. De sorte qu'il ne lui en restait plus assez pour pouvoir re- monler, meme en se dcbarrassant de tout ce qu'il avail do lest. II arriva done qu'il tomba dans la mer, du cole de Yarmoulh, a environ dix niilles (4 lieues ) de terre. II se cramponna a son ballon, qui, snulenu par le vent, I'aida ii naviguer pendant plusieurs heures jn.squ'd ce qu'il fut sauve par un culler qui I'apercut, et qui s'empressa de lui porter secours. Celle dernicre lecon fit sur I'esprit du jeune conite une si vive impression, que, des ce journefasle. il se fit dans son caraclere el dans ses habitudes un ehangcmenl remar- quable ! Autant il elail fou, extravagant dans ses plaisirs, aulant il devint sage et modere dans sa conduite. Cetle force S76 ANECDOTES DU TEMPS PRESENT. et cetle agilile i'emar(Hinl)lcs (|uo la iiritiire lui nvait iton- necs ctaient nuisibles |ioiii- hu-nieiiio, lorsr|UC ccs rjualilcs ctaieiit mal cni|iIoyiJes ; ellos dcviiireiU, au coiilrairc, fori precieiiscs en sadiaiU les iililisci' a proiios. C'csl cc qui se lit bicntot reniarquer dans le caractere du jcune el noble comic dc T'". Plusiciirs jeiincs gens )ioun'aicMl, peul-ctre, dans celte avenUire, Irouvcr une bonne et utile lecon pour eu.\-memes. fabz.es. ij: lacotjreur et son fils. Un labourcur dil uii jour a son fils : — Ciiltive, men culant, cjueUjucsarponts slcrilcs; Dctruis-on Ics cbardons, Ics licrbes inutiles ; V.1, crois-iuci, nous en saurons Urci'mainl profit. 11 part. Lc fils, en voyant taut d'ouvragc : — Je n'on vicndral jamais a bout; U mc faiulrail un siccle! II pcnl clone tout courage, Et n'y ti-availlc point du tout; Lc long du jour, il dort, s'auiuse. Le pure vicnt le londcmain. De son mieux notrc fils s'oxcusc : — La taclic est par trop grande, en pout-il voir la fin ? — Ne dcfriche des lors que cc petit cspacc. II s'y met, lc cullivc avcc un air content. Autre taclio, le jour suivant ; li s'y piL'te encore avec grace. Dc procbe en prochc cnfin lc terrain est beche. Relourni^, bicntot delriche. Divisez vos Iravanx ; patience et courage Vous leront accomplir le plus peniblc ouvragc. AGATilOCLE. Agathocle, roi de Sicilc, D'un potior dc tcrre etait fils, £t fit voir qu'i'n depit d'unc naissancc vile, Sur le trfine on pent ctrc assis. Son esprit, sa valeur extreme, L'clevcrcnl au diadcnie, Etsurent, sous ses lols, maintes cites ranger. Ce monarque vint assieger Unc villc asscz importante. Le peupleen elait vain, et, malgre ce danger, Renipli dune audace insolente. DOs qu'on vil Agathocle avcc ses t-tendards, Les habitants sur Ics remparts Lui cridient, en raillaiit, pour irriler sa bile : — Tyran, fils d'un pauvrc jjoticr, Oij prcndras-tu dc quoi t;int de troupes payer? — Dans vos bourses, dit-il, quand j'aurai votrc ville. FIN DU PIIEMIER VOLUME. TABLE MATIERES CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME. P.iges. AnecflotPM (In loiupet present. La Force dii icpciilir 'i Ne Doscspcrcr de I'icn, ou Eiluuaiil Jeffcry do Ply- moulli 5 Lc Piisoiinicr d'lijie lioinljc 6 Le Piiysan marocain 7 Lecoii commerciale , ou lc Danger d'etre trup lia- bilc 9 Lcs Gueux magnifiijiies, ou Vivrc dans la s]iIcm- deur sans moycjis appari'iUs ib. Le Genois el le Galerien 52 Los Soulerrains de Walling-Slreet 54 Lnndros souterraine 33 Dick le Dososse oG line Balaille rangce en Irlande ib. L liicendie dans la neige 38 La Balaille de I'lsly racontce par un Marocain. . ib. Les jounes Sauveurs "I Le Prelre cliaritiilde ib. Los pelites Baleines des iles Faroe ib. Un Cliien lerrible 72 Lajeune Breloune 7" L'Ouragan de neige 139 L'Orage des Uighlands 141 Le Clirislriplie Oolomb du ponl Siinl-.Michel. . . 143 Lo Rliin golo 14-} L'Inondalinn on Chine 1-{5 L'llivor en Algorie ib. lliver de 18i3 dans les Grisons 231 La Cliarlreuse de Paris 234 Un linnnele Delenu 255 L'Arabe prisnnnier ib. Visile cliez les poetes europcens 237 Une Page inconnue de la vie do Napoleon 258 Origine des Ballons 373 Avenliire du jeune comle de T**' 375 Artistes relt^bres. La .leunesse de Van-Dyck 48 Bonvcnulo Ollini, Qucntin Mclsys, etc 170 Vel:isipio7, peinlre espagnol .^57 Pierre-Paul Hubens 360 rjgcs. Beanies tie I'lilstoire tin ricrgc Saint Denys 553 La Toussaint 557 Mois d'octolire 359 PotHK voyages «ur Ics rlviei-esi dc I'ranrc. La Loire, scs liords el ses souvenirs 12 La Loire (suite) 14 Lc'gendcs des liords de la Loire 43 La Maison dor du dialilc, on le Gerbicr-de-Jonc. ib. Les Fees verles de la voi'itc Polignac 118 La Loire, scs herds el scs souvenirs (suile). . . 178 La Loire, ses hords ct ses souvenirs (suile). . . . 199 La Loire, ses liords el ses souvenirs (suite). . . . 3tl5 Sinja>li<> divers. Lei Ire dc Claude Brady a sa scciir Claudine, qui se marie, sur lcs devoirs ct Ic honlicnr en menage. 11 FaiWesse des grands esprits 16. Ilcnu'llre au leudcmain 87 La Mode en iiicdecinc ib. Dignile du travail 16. (^oagnlalion dn lail 88 Les Insecles balayeurs ib. TABLE DES Hull sens vaul mious que science 88 Elviiiologic de (|nclques designations americaiiics. ib. Priere 8!) m.iximes de clia([ue jour i'Jfi Le Fer ib. Vers du Persan llafiz ib. La yilus ancienne des linrloges ib. Uii Couvenl en Algerie '127 La nieiUenre Pilule '6- Origine dos lirouillards ib. Lo Canielenn. . . . , ib. Le Lail de clievre en Espagne ib. La Pi-clie dcs perles 128 Cc i|ni pent ai'river au globe I'l Manger avec li's doigts ^b. Le Bateau a vapenr ib. La Toilette dune Grecqne I"i Le Frein de la medisance et le Maulcau de I'ivro- gnerie 1"3 Le Pore-Epic ib. Ode d'un patineur 174 Fureur des saints et des paiens contre les co- quettes ib. Le Sang et les Clieveux 175 La Chauve-Souris 2'25 Le Karval on Licorne de nier 224 La Baleinc attaipiee par les poissons 241 Pi'clie de la baleiue 242 L'Aigle 2'i3 Le Boa constricteiir 244 Le Poisson volant et le Dauphin 2i3 In Avis a I'arislocratie 246 He la Conversation ib. Les bonnes Maiiiercs ib. Extraits d'un vieiix nioralisle italieii ib. Aulres Extraits de quelques ecrivains catholiques elrangcrs 2'i7 Exageralion des modes feminines ib. Bruges 281 La Pelite-Provence 532 Maxime dun sage ib. Origine des compliments que Ion fail aux gens qui eteruueiit ib. Faille ib. La liaison et la Douceur ib. Le Laboureur et son Fils 37(i Agatbocle (fable) ib. Snvolr-Vivro cii Europe. Simples conseils ii ceux qui enlront dans le niondo. — L'Affcctalion et la Tiniidite. — Le Cbanteur de romances. — Toilette d'une jeune lille pauvre. — Un Monsieur quine salt pas sortir. — Anciens TraitesI du savoir-vivre. — Casliglione. — Fe- nclon. — La Politesse 8o La Politesse a table. — La Conversation a table. — Le Mailre de niaison gastronome. — Conime lout le monde. — Avaut diner. — Apres diner. — Le Cuslume du diner. — La Convcisaliiin a table. — Le Monsii;ur aux breloques. — La Dame Irop corsee 14.5 MATIERES. W9 PafCSi Mccurs amcricaines 275 La Lionne 502 Conversation des liommcs de lellres 503 LeCosturae.— Les Paris. —La Politesse 333 Scenes, Boci In, Avontares, exIraUs. •les plus recenis vojascurs. Le Trappeur dcs monlagnes Rocheuses 2J Une Soiree au Jlaroc 23 Le Soleil a niinuil 20 Le Duel dans la Foret->'oire ib. La Neige rouge 36 Visile a un cure de Cordoue ib. L'lncendie de la foret vierge 37 La Valise et la Bouteille, ou Aventures ccylauaises. 41 Flandres, Louvain 89 Aventures sur les bords de la riviere de la Co- lombie 92 Voyage a cheval sur un crocodile 96 M. Thiers dans un couvenl des Pyrenees 102 Une Nuit de peril 103 LTloiiime et le Tigre 104 Don Antonio Garcia de A(iuila , cure do Pitiegua. 106 Les Torches sur le Neckcr , et la Coincilie sur la glace 107 Les Chinois d'aiijourd'hui 134 Une Ascension perilleuse au Petter-Bolte et sa montagne 1o6 Capture d'un negrier 187 Comme quoi vingt loups Turont emprisonnes par le marquis de Lafayette 188 Souvenirs de la Chine 189 Incendie d'une prairie 191 Missions de la Chine et du Tong-Kinj; 204 La Caravane de Bagdad 209 Panorama du haul d'une montagne 211 Mceurs de ITndouslan t6. La Chasse au ligre 213 L'lle deTaiti en1788eten 1845 215 Les Volcurs et le Guide cndormi 217 Impressions de voyages d'un jeune touriste. . . . 264 Mocnrs irlandaises 267 La Scmaine saintc a Borne 272 La Sirega, ou la Pytlionisse de Boheme 309 Ta'iti en 1783 et en 1845 274 Pelites visites dans quelques villes de la Suisse moderne 313 Etat aclueldela Iraite des negres 342 Letlre d'un voyagcur francais 343 Sc^iicit, Rorits et Aventures de la \ic maritime. Le Conteur du gaillard d'avant 510 Une ^uit dans un pharc • 563 Vie privee des oiseaux. Les Crimes d'un rouge-gorge 20 Les Oiseanx a bord de la fregale 22 La Caille 61 580 TABLE DES Pages. Le Merle cc-Hlialniie 02 La Caillc fsniU') 90 Combat d'uu faucun ct J'une bclollc 91 MATIERES. Pages. La Pcidrix 329 Le Coilieaii 331 Le Pelican 333 TABLE DES GRAVURES SEPAREES DU TEXTE. Bruges Froulispice. BossuET Pii!,'e. 13 Van-Dvcr 48 UoTEt, DE Vll.I.E HE LoUVALS 8!) Le Cardisal de Richelieu 125 L\ JonriNEE DES Dupes ISti C0I1>EILLE 183 Jeasjse d'Am 281 Saist Louis 2;)3 Fekelos 5'(9 Rubens oiiO BRli !SH 7 AUG -2 a NATUP.AL Kl STORY.. -O'O'S'J* Paris. - liuminioric S^CH^■E1DE1( tr LAN(;r..\M1, rue clErliirlli, ). LE LIYRE DES FAMILLES JOURNAL MORAL. ilELllilElL LITTERAlRIi, lilSTORIOlE, ARTISTIOL'E, SCIEATIFIIjlE. ETC. DEUXIEME ANNEE. 184« rYr , QLAI MALAQIAIS. IS-H i LE LITRE m FAMlLlEii ou JOURML DE MONSIEUR LE CL'RE. M» 1 . — 2* Volume. 1" Janvier 1846 JANVIER- Le nom de ce mois lui vient do Janus, personnage al- legorique considere comme le porlier {jatiilor] dc I'O- lympe. On representait Janus avec deux figures, I'une de vieillard, tournee vers le passe, I'autre de jeuiie hommc, tournee vers I'avenir ; I'une grave comme la realite, I'au- tre radieuse comme I'esperance. Ce fut Numa Pompilius qui decida que Janvier ouvri- rait la periode annuelle comme Janus, auquel il etait de- die, ouvrait les portes des cieux; car sous Romulus I'an- nee commencait au mois de mars. Le grief principal centre le mois de Janvier, c'est le froid exlrirne qui le caracterise en effet ; mais c'est par ce point surtout qu'il est utile, car le froid a son r61e aussi, et son role important dans I'economie providen- tielle de la creation. Dune part, il enchaine les forces v6- gelatives et les tient au repos, afin qu'elles puissent, au 'temps convenable, se developper partout avec plus d'in- tensite ; d'autre part, il detruit des myriades d'insectes, ■d'ou ri'sulle pour nous un double avantage, puisque nos fruits ainsi ne seront pas devasl^s, et que la recoUe sera mc^nie d'autant plus abondante que le sol evidemment aura recu plus d'engrais. Et puis ne faut-il pas que I'e- vaporaiion de I'eau soit enfin retardee, ne faut-il pas, pour imbiber nos guerets, que les pluies y penetrent et qu'elles y soient retenues? ne faut-il pas aussi qu'au sommct de la montagne les glaciers fassent leur reserve pour suf- t. II. fire ensuite aux depenses de la belle saison? ne faut-il pas que vers le pole s'amasscnt et s'anioncellent des oceans immobiles et solidifii's, afin que les fleuves sous-marins vicnnent reparer les pertes des oceans equatoriaux, lors- quB au printemps I'almospliere va se delendre, et que, bicnlot apres, I'ete va menacer de tarir les rivieres, les lacs et les niers '! Sans doute Janvier ne permet pas S I'liorizon de revelir ses habits de fete, mais cepcndant la terre n'est pas de- pouillee de toute parure. Voyez : I'epine blanche montre dans les champs ses bales purpurines, et le laurier-thym deploie .ses Qeurs disposees en ombclles et son feuillage d'un eclat permanent; lif dresse encore sa pyramide tou- jours verte et le lierre maintient centre le mur toules ses feuilles qui resislent meme a I'ouragan; I'liumble buis conserve aussi toute sa verdure tandis que le sapin porte dans I'air sa tfile verdoyante. Or, toutes ces nuances pa- raissent alors d'autant plus belles qu'elles se delachent et se relevent sur la couclie de neige qui re\H au loin tout le sol; et la perspective n'a-t-elle done pas aussi sa magni- ficence lorsque le rayon solaire, qui met en mouvement la folle mesange etle gai roitelet, scintille sur les broderies pittoresques que le givre suspend aux branches des arbres comma aux toits des maisons? Mais essaycz done de compter (ousles dianiants a facetles, toutes les pierreries opalines que la gelee blanche a semes sur la plus simple \ JANVIER. cbaumiiro, surle plus raodeste buisson. Et toutcela peut- Mrc ne parle encore qu'aux yeux; niais pour I'Jme medi- tative, est-il rien de plus irapo^ant, rien de plus solennel quel'aspertde lliorizon Idrsque dans le silence niyslfrieux de la nuit, la luiio, devenue reine dn lirn>amfnt, laisse tombcr sa iomiiire douce et pure sur celte blanche t«ni([ne de la terre ondormie? Voyez aussi comme ce qui ne semble d'abord destine qii'i I'ornement de la terre porte cependant ce caraclere d'ulilite que la bienfaisante mainduCreateur imprime h toutes ses oeuvres; cette ncige, qui resplendit afm de ne pas laisser perdre un seul des rayons lumineux alors af- faiblis, est en m^me temps le nieilleur de tons les calo- riftres pour les plantes. Des qu'elle couvie I'horizon, lous les germes se trouvent merveilleusement abrites centre les rigueurs excessives du froid; qne wiainte- nant, venue des poles, la tempMe passe terte glacec pour allcr remplir an loin sa misSfon^ la 'conclie de noige inter- posee Ini dOrobe les grainos que le laboureur a sem^cs, et puis, a I'epoque dela germination, cette neige fondue descend jusqu'h la radicelle naissante et lui porte les prin- cipes nutritifs qu'elle a dissoas et retenus. Un esprit superficiel s'imagine peut-Stre que notre terre serait un paradis si partout regnait un cternel prin- tenips. Mais la reflexion nous dit bien vile que notre globe alors serait inbabitable on du nioins 4c\iei>Ura4t pourl'honinie unefort tristc demeure. Oes classes 'enttfenes d'animaux et de planles disparailraient aTK>sil6t, La forftt n'aurait plus sa rii-icre, ni le bocage, son ruisseau; 1" aspect de I'horizon, partoul dt toujears, serait 'd'une Ifatigante uniforniite; cette diversile de fleurs et de frniltS'(![ui fait notre joic, qui fait notre richesse, se Ironvcrdit infiniment reslreinte; et ce que nous apprecions tanl aujourd'hui parce que nous avons le temps de le dcsirer, une journ^e fraichc ot Iransparentc du mois de niai, nous dcviendrait monotone, parce que \a sensation la plus sua^e nous im- portune df^s qu'elle est continue. Malbeureusement nous ne savons pas reflechir, et notre ignorance diminue sans cesse I'imporlance de toute cbose ; ainsi, pour ne pas terminer ces lignes sans en tircr au moins une lejon, diles-moi, votre attention s'cstelle ar- r^t^e jamais aux decorations rbarmantes que le givre dessine sur nos vitres. La physique nous enseigne que, refroidi a I'ext^iieur par le contact de I'air, le verre, a son tour, refroidit I'air tifede de nos appartements, qui est alors force de deposer, sous forme crislalline, la vapeur d'eau dont il est sature. C'est bien; niais si vous YOulez^ chercher la loi qui priiside ^ la formation de toutes ces lignes geom^triqucs qui partent d'abord d'un axe et se ramifient, comme partent de la tige d'une plume lesbarbes delites d"ou d^rivent ensuite des barbules encore plus imperceptibles, la science humaine I'ignore encore, et c'est ainsi que ce ph(?nomfene nous paralt petit et minu- tieux. Mais un ohjet est-il done petit parce que nous ne pouvons le compicndre, cst-il minntieux quand il peut faire naflire d'nateles pensees? Pour qui salt relK'chir, n'y B-l-il pas daus ce phenomene titi utile enseignement? Voyez 'ces apparenoes floralcs qui ornent nos vitres, elles sont bri'lantes et varices , cependant un rayon du soleil les'dSaoe', ne sont-elles pas rimage de toutes nos illusions que dissipe si vite I'exp^rience? Teuliebes. L'ELire DES SAINTS FRANcria-t-elle. I.es questions sont multipli^es. Chaque reponse ne renferme que ces paroles: " Je suis chr6tienne. » Olibrius ordonne qu'on depouille la jeune martyre et qu'on I'etende sur un che\ alet pour y etre d6chir(5e de coups de fouet. L'arrct est ponctuelle- ment execute. Le sang jaillit de tout ce corps virginal , mais la foi inspire a Reine une force superieure k toute la violence des tortures. Cette epreuve ne suffit pas aux bourreaux. On lui arrache les ongles, et des peignes de fer lui d^chirent la peau de tous c6t^s. L'assemblee fre- missait d'borreur. Le tyran lui-m^me etait oblige de se soustraire k la vue de cette alTreuse scene et se couvrait lafacedesonmant«au. Les bourreaux se lassent de torta- rer plus tot que Reine de soulTrir.On la rameneen prison. L^, au lieu de se plaindre et de gemir, I'heroique mar- tyre emploie tous ses in.stants a remercier le ciel de I'a- voir trouvee digne de tant .soulTrir, et implore im nou- veau courage pour de nouveaux supplices. Au moment oil sa pri^re etait la plus fervente, Dieu daigna lui pro- curer uue ineffable consolation. Comme Jacob, endormi sur la pierre d'Harnn, elle vit une ecbelle qui atteignait jnsqu'au ciel, et sur le haut de I'ecbelle une douce co- lombe qui semblait lui adres.ser ces paroles : « Reine, je « te salue et viens t'apporter les consolations du Seigneur • pour prix de tes ardentes prieres. Sois-lui toujours fi- « dMe; le paradis t'est ouvert, et une immortelle cou- « ronne plane sur ta t^te pour recompenser tes verlus. » Apres cette vision d^licieuse, Reine se seatit tellemeut L'fiLITE DES SAINTS FRANgAIS. fortifi^e, qu'elle soupirail apres de nouveaux et de plus cruels toumients. Le matin de ce ni^me jour, Olibrius fit extraire de son cachol la sainle martyre. La tragedie devait se consom- mer Un prodige frappa les yeuxde ces monstres sangui- naires sans pourtant les attendrir. Reine etait entierement guerie de ses affreuses plaies, et sa beautc iHait plus ra- vissante que jamais. On attribua cette guerison si prompte et si parfaite Ji la magie, ou bien on n.sa prelendre que les dieux de I'Olympe, pour convaincre I'incredule de leur puissance, et la ramener 5 leur culte, avaient oper^ sur elle cette merveille; 6 insenses! Olibrius saisit cette occasion pour tenter un dernier effort. II fait briller k ses yeux un avenir pU'in de cbarmes, une existence des plus forlunoes, si elle consent a lalliance proposee. Reine, in- dignee, protesle encore plus hautement qu'elle 4tait I'e- pouse de Jfeus-Clirist, que les dieux, dont on exaltait la puissance et la bonte, n'etaientqu'une bouo immonde ou plutot des chimeres, et qu'a son Dieu seul elle etait rede- vable d'une aussi prompte et mcrveillcuse guerison. Olibrius ne peut plus contenir sa fureur. 11 la fait at- tacher k deux poteaux disposes en forme de croix et com- mande qu'on lui applique sur tout le corps des torches ardentes. Cette torture est impuissante a vaincre le cou- rage de la jeune marlyre. Ou la delache et elle est plon- gee dans une cuve pleine d'eau puante, afin que, du feu passant au froid, les douleurs soient plus aiguijs. Reine entonne aussitot ce verset des psaumes : ■ Mon Dieu, • vous ni'avez fait passer par le feu et puis m'avez con- - • duite au rafraichissement ; que votre nom soil h jamais beni. » Toute I'assistance fondait en larmes et ne pouvait comprendre qu'une personne aussi delicate filt capable de tant souffrir ni que sa Constance clir6tienne put alter si loin. Un nouveau miracle eclata pendant que Reine Hail dans la cure : ses fers .se briserent, I'eau devint limpide, la terre tre/nbia, et la Colombo qui ^tait apparue k la martyre, lui apporta une magnifique couronne qu'elle tint suspenduB sur sa tMe, en voltigeant. Puis on enten- dit une voix qui deiscendait du ciel . • \enez, Rtine, « venez regr.er avec votre epoux et recevoir la r^com- • pense de vos Iravaux. • A cette vue, plus de quatre- Mn-,ls pcrsonnes sLCnerent : • Nousabjurons I'idolltrie, • le Dieu des Chretiens est le seul vrai, le seul grand, • nous sommes ses disciples. < Olibrius, effray(5 de ce L'fiLITE DES SAINTS FRANgAIS. umulle et redoulant iine sedition, orilonna que sans re- tard la jeunc martyre fut conduite hors de la ville et qu'on lui trancliat la tfite. L'arrel fut execute, et Ion dit qu'au lieu oii lomba ce sacr6 clief surgit aussilot une fon- taiiie oil s'opereiit depuis ce lemps-lii les guerisons les plus (5tonnanles. Les Chretiens enleverent son corps, qui resta enseveti et inconnu pendant cinq cents ans. Au neuvieme siecle vivait dans le nionaslere dc Flavigny, non luin d'Alise, un saint abbe nomme figil. Dieu lui revela le lieu oil reposaient les precicux restes de la mar- tyre. On les releva, d"apres I'ordrc de Jonas, ev^que d'Autun, ot une cglise fut bftiie pour les y cxposer Ji la veneralion dos fideles. Cetle inauguration des reliques de sainte Reine sc fit avec un grand appareil, et depuis ce temps on ceR-bre la Kle de celle bienlieureuse martyre le 7 du mois de seplembre. En ce jour, dans les siijcles te se releva... son regard brilla d'une nammn subite... une expression de terreur, qui fit croirc un moment ^un malaise qu'il eprouvait, se mani- fesla sur sa figure. « Ce n'est rien, messieurs, dit-il aux pcrsonnes qui se disposaient a le secourir, ce n'est rien... c'est un souvenir... un frisson qui date de trente annees , 12 HISTOIRE DUN TIGRE. de mes veines il passera tout k I'heure dans les votres. La pens^e seule des evenemenls que je vais raconter fait dresser douloureusement le pen de cheveux qui me sont rcst^s sur la tele. Un des acleurs de I'aventure que je vais vous dire, et dans laquelle j'ai joue un role principal , appartenail a la nation anglaise; ainsi, messieurs, cliacun ici aura le droit de fremir exclusivement pour son compatriote. Je commence. Vers I'an de grace 1814, je fis connaissance du capi- taine Mac-Clencliem , de I'armee du Bengale. Un long sejour dans quelques parties pen salubres de 1 Inde avail dctruit la sante de cet officier, et il avait obtenu de resi- dcr quelque lemps au Cap, dont le climat devait lui eire favorable. Ce futlj que commenca avec le capilaine Mac- Clenchem une liaison qui plus tard devint une aniilie de- vouee. Quand le temps du conge du capilaine fut expire et que sa convalescence lui permit de relourner a ses drapeaux, il m'arracha une demi-promesse de I'accom- pagner a Calcutta, la ciledcs piilais, commele nonimont ses habitants, et de la a PoUyhagabad, oil un de mes pa- rents se livrait a la culture de I'indigo. Avant de pousser plus avant, messieurs, dit M. Robert, 11 est convenable queje vous donne quelques details plus precis sur mon ami le capitaine Mac-Clenchem , car ce n'i'tait pas un homme ordinaire, quoique k I'epoque dont je vous parle il ne fut plus que I'ombre de lui-meme : il avait les symptomes de la decadence physique de I'a- thlete, avec le teint basane de I'lndien et son laisser-aller dans la demarche; ce corps, qui ne brillait plus, comme il avait brille quelques ann(5es auparavant, par la grace et les signes de la force, etait comme ces edifices bien construils dont le temps peut emporter quelques orne- menls , mais dont il est encore oblige de respecter la masse. Le capitaine Mac-Cienchem, tel pris, etait encore un homme d'une agilit(5 et d'une force peu communes. Sa renommee etait grande a la guerre et a la chasse. Quoi- que sa modestie I'empecliat de reveler ses e.\ploits, j'en sais quelques-uns que je mettrais au d^fi les plus braves et les plus enlreprenants de tenter. Par exemple, un de ses passe-temps ordinaires etait de suivre la trace des elephants sauvages. II les excilait, et, au paroxysme de leur furie, il se prcsentait k eux et leur arrachait avec sang-froid des polls de la queue. Ce fait, messieurs, continue le narrateur, ne peut 6tre mis en doute par quiconque a connu le courage metho- dique de mon ami, et s'il est besoin de vous donner un autre exemple de son llegme , je vous dirai qua la fa- meuse defense de la citadelle de Uogungher, ou quelque nom a peu pros semblable, on vit le capilaine se tenir sur I'aHut d'une piece de vingt-quatre hors de service et donner des ordrcs a des canonniers , en leur designant avec I'index les positions sur lesquelles il fallait faire feu. A peine avait-'il fait legeste, un boulet siffle et lui emporte le doigt ^tendu. Le capilaine Mac-Clenchem, sans paraitre emu, voulant conlinuer la demonstration aux soldats, leve le doigt majeur et le place dans la di- rection du feu... une balle frappe et emporte ce second doigt. • Je leur en donnerais bien un troisieme, dit le ca- pitaine en riant , mais ils I'emportCTaient encore, etcame gfenerait pour prendre du tabac... » Et il descend en riant. Voili I'homme, messieurs, que je devais vous faire connaitre avant de pousser plus avant dans les details de mon hisloire. Maintenant nous allons marcher k grands pas dans les ^venements. Apres une travers^e assez ennuyeuse, nous parvinmcs h I'embouchure de la riviere Hooglily, et , soit parle manque de vent, soit par I'absence de marc^e ou par toute autre chose qui manquail, nous fCimes obliges de mouil- ler. C'est une douce et bonne chose que le niouillage pcvur un etre de nia nature, qui n'a pas un gout natif pour le se- jour du vaisseau. La seule pensee de fouler la terre donne une joie indicible, le sol le plus aride devient un paradis, le roc le plus dur a sous les pieds I'elasticit^ du velours. Avec quel emprcssement je demandai done h mon ami de m'accompagner ii terre! avec quelle joie j'enlendis son adhesion a mon offre! la cote n'avait rien de pittoresque et d'engageant : c'etait une immense plaine, sterile et sa- blonneuse; mais mon imagination la couvrait d'arbres om- brages, la tapissaitde gazons verts comme I'emeraude, la peuplaitd'oiseaux au riche plumage et aux chanlsjoyeux. Le grand canot fut mis h la mer pour aller faire de I'eau; le capitaine Mac-Clenchem etmoi, apies nous etre munis de provisions copieuses, nous escortames jusqu'au rivage les futailles vides qu'on envoyait se remplir. 11 arriva qu'une d'elles se defonca et fut abandonnee a terre- par les matelots. Moi, je donnais a mes jambes toute la latitude d'exer- cice qu'elles voulurent bien prendre, et quand la la.ssitude commenca a se faire sentir et que I'appetit sonna I'heure du repas, mon ami le capitaine et moi chcrchjnics un site convenable a notre collation... Mais pas un arbie ne nous ofl'rait son ombrage. Le capitaine avisa la futaille vide... nous la roulJmes a I'endroit qui nous parut le plus propice, elle nous servit a la fois d'abri et de divan, et, proteges par son ombre, nous procedames aux appr^ts du festin. Dejil la volatile froide avait recu un grand echec , le jambon volait par tranches sous la lame du couteau , nous arrosions le tout d'un vin exquis, dont les douces vapeurs ramenaient a notre esprit le souvenir du pays, la me- moire des atfections lointaines... nous avions chacun porl6 des toasts aux amis, ^ la famille... Apres avoir epuis6 la liste des parents, nous cherchions a qui porter la sanl^... le capitaine venait de decouvrir au fond de rficosse un arriere-petit-cousin auquel il n'avait jamais pensc avant son voyage, nous alliens boireal'arriere-petit- cousin du capitaine Mac-Clenchem, lorsque... Oh! ici, messieurs, dit M. Robert, il faut queje fasse une pause... II y a trente ans que j'ai entcndu lecri que je vais vous dire... et il est Vi... toujours \h... prt'sent; j'enai dansl'oreillerafrreuxrhythme, rinfernalegamme... il n'y a pas de mots pour rcndre cela, pas de phrases pour traduire ce bruit... Ouf! le frisson me court en- core... dix mille diables enrhumes , ronflant, grognant sourdement a trois pas... Qui pourrait I'oublier aprte I'avoir enlendu? qui pourrait, sans I'avoir entendu, le comprendre?... Le capitaine Mac-Clenchem domina assez son emotion pour me crier : a Regardez, Rjbert; par Dieu! prenez garde I » Le capilaine fit un bond, qui cut defi6 en legerele les chevres de nos montagnes et les revenants des romans anglais, et il se trouva sur ses pieds, derrifere la futaille. HISTOIRE DUN TIGRE. 13 Houreusement, j'eus le temps de rejoindre mon ami et de I de noire rapide et savante mancpuvrese presenlM a nou9 prendre position a sesc6tts, avant que la cause effroyable | in une distance de deux pas... sous la figure d'un tigre royal, ou plutot d'une ti^resse. Nous eOraes plustard, •conime vous le verrez, le loisir de reconnailre le sexe de notre adversaire. Voila done la lulte terrible commenc^e ; le duel ii trots, duel d'exterminalion, engage. Aucun de nous, du capi- taine .Mac-Clencliem, du tigre et de moi, ne s'elait encore trouve a pareillc affaire. Pour champ de bataille le desert , pour rempart un tonneau, pour arme notre adresse. Voila quelle etail la position. Comment le tigre avait-il pu parvenir jusqu'a nous sans que nous cussions ni^me soupconne son voisinage? Une souris n'aurait pas trouve dans ce desert un arbre, un arbusle. un sillon pour se blottir. .. Ce n'etait pas la, non plus en ce moment, I'occasion de discourir sur la rapidite de la course de la bete feroce. Je n'ai pas encore pense a lire ce que les naturnlistes, qui n'ont jamais vu de tigre aussi pri>s quf j'en ai vu uu, ont ecrit a ce sujet ; plus lard, je les consulterai. Revenons k notre tonneau. Nous i'tions done, le capitaine et moi, manoeuvrant au- tour du tonneau, dans un etat demotion qu'il est impos- sible de decrire. 14 HISTOIRE Une lueur d'esperance nous vint. La tigresse s'empa- rera peut-fitre des debris de notre repas? elle satisfera son appetit sur les comestibles, et meprisera, en cette circonstaiice, la capture de I'honnme. Deux minutes de lialte devant nos provisions nous donneraient le temps de recueillir nos esprils et de combiner un sysleme de defense. Vain espoir; L'ceH de la tigresse dardait d'aplomb sur nous : c'etait la seule proie quelle ambitionnat. Plus d'une heure s'ecoula, pendant laquelle nous con- tinuimes i faire tons les trois le manege autour de la D'UN TIGRE. tonne. C'etait au delJi des limites de la force humaine : un moment de plus, le capitaine et moi succombions de lassitude... Heureusement I'aninial eut moins de patience que nous, et sa nature irritable ne s'accommoda pas de cette strategic sans resultat. Le tigre deraeura un moment immobile, comme s'il euf mi'dite une grande resolution; enfin, se repliant sur lui- ni6me, rassemblant toutes ses forces, il prend subitement son elan, et va francbir d'un seulbond I'obstacle qui nous separe. Je n'eus qu'une pensie ^lectrique, la certitude de la mort, et je tnmbai a gonoux. Un instant apres, tout ^tonn6 de rcspirer encore, j'obc'is a la voix de mon ami, qui me dit : c( Robert, montez. » Je compris alors : notre bonne ^toile avait fait que le tonneau , plac^ debout sur son fond, presenli'it a la sur- face I'ouverture ; il pencha quand le tigre fit un effort vers lui, et mon brave compagnon, avcc cc sang-froid qui le distinguait, donna au tonneau , a»ec son pied, une di- rection telle qu'il le renversa eiitierement sur la bel« fe- roce. Le tigre se trouva alors dans une cage ou la lumiere ne p^netrait que par la bonde. Mon ami avait franclii d'un saut la plate-forme du remparl, et il avait le pied sur le nouveau genre de basse-fosse, ou d'oubliettes, que son genie et son sang- froid venaient decreer pour maintenir rennemicommun. Revenu a moi, j'escaladai la tonne et je me tins pres de mon ami. Le premier transport de joie fit bientot place a une juste crainle. La reflexion nous fit voir que nous n'a- vionspas ameliore bcaucoup notre position ; nous n'avions aucun moyende comniuniqueravecnosmatelotsrestessur la rive, nous ne pouvionslongtemps vivre surcelte espece d'esplanade en bois, sous laquelle rugissaitun esclave qui serait noire mallre au moment oil nousquilterionslcposle. Le soleil baisjait sensiblenient vers le couchant ; avcc lui s evanouissaient nos esperances d'etre secourus. [La suite au pi'ochai It Htimt'ro.) BEAUX EXEMPLES DE FORCE MORALE DANS LA JELMSSE. LES GRANDS PEINTUES. MICHXIi.AarCE. Dans sa jcunesse, I'amour de I't-tude le jela dans uno solitude absolue. II passa pour orgueiUcux, pour bizarre, pour fou ; dans tons les temps la socK'le I'cnnuya. II n'eut pas d'amis inlimes; raais seulement pour eonnaissances quelquesgenss^rieux : lecardinal Pole, .\nnibalCaro, etc. II fut liberal; il donna plusieurs de ses ouvragcs; il assistait en secret un grand nombre de pauvres, surtout les jeuncs gens qui eludiaient les arts. II donna quelque- MICHEL-ANGE. 13 fois a son noveu trenle ou quaranle mille francs a la fois. 11 disait : « Quelque riclie que j'aie eW, j'ai loujours v^cu pauvre. » 11 ne pensa jamais Ji tout ce qui concentre raltenlion du vulgaire. 11 ne fut avare que dune cliosc : son attention. Dans le cours de ses grands tra\aux, il lui arrivait de se couchcr toutliabille pour ne pas perdre de temps i sc velir. II dormait peu et se lovail la nuit pour noter ses idees, avec le ciscau ou les crayons. Ses rcpas se couipo- saient alors de quelques morceaux de pain, qu'il mettait dans ses podies le matin, ut qu'il niangeait sur son echa- faud tout en travaillanl. La presence d'un etre liumain le derangeait; il avait besoin de se sentir enfcrmt' i double tour pour etre a son aise, disposition contraire ^celle du Guide. S'occuper des choscs vulyaircs ctait un supplice pour lui ; energique dans Ics grandes affaires qui lui semblaicnt meriter son atlenlion, dans les petitcs il lui arrivait d'etre timide : par cxeniple,ilneputjamais prendre sur lui do donner un diner. 'Vasari, !e confident de Miclicl-.4ngc, parle ainsi de son ami : « Attentifau principal del'art, qui est lecorpsliumain, il laissa a d'autrcs I'agrement des couleurs, les caprices, les idees nouvclles; dans ses ouvrages on ne trouve ni paysages, ni aibres, ni fabriques; c'est en vain qu'on y chercherait certaines gentiUesses de I'art et certains en- jolivements auxquels il n'accorda jamais la moindre at- tention; peut-etre parune secrete repugnance d'abaisser son sublime genie h de telles choses. > De tant de milliers de figures qu'il avail dessinees, aucune ne sorlit de s;i memoire; il ne Iracait jamais un contour, disait-il, sans se rappeler s'il I'avait deja em- ploye : aussi ne se r6pela-t-il jamais. Doux et facile a vivre dans les arts, il elait d'une mefiance et d'une exi- gence incroyables ; il faisait lui-ni6me ses limes, ses ciseaux, etne s'en rapportaiti personne pouraucun delail. Des qu'il apercevait un defaut dans une statue, il abandonnait tout el courail a un autre marbre ; ne pou- vant approclicrdelasublimite de ses idees, une fois arrive il la maturite du talent, il finit peu de statues. • C'est pourquoi, disait-il un jour ^ Vasari, j'ai fait si peu de tableaux et de statues. • II lui arriva dans un moment d'impaticnce de briser un groupe colossal prcsque termine ; c'etait une pield. La mere du Christ n'est certainement pas a nos yeux un modele de beaule, et cepcndanl quand Micliel-Ange I'eut finie, on lui reprocha d'avoir fait si belle et si jeune la mere d'un homme de trente-trois ans. • Celte mere fut une vierge, repondit fieremcnt I'arliste, et vous savez que la cbastete de I'ame conserve la frai- clieur des trails. 1! est meme probable que lo cicl, pour rendre temoignage de la celeste purete de Marie, permit qu'elle conservat le doux eclat de la jeunesse, tandis que, pour marquer que le Sauveur s'etail reellement soumisa toutcs les miseres humaines, il ne fallait pas que la divi- nite nous derobat rien de ce qui apparlient a I'liomme. C'est pour cela que la Vierge est plus jeune que son age, et que je laisse au Sauveur toutes les marques du .sien. • Vieuxet decrepit, il fut un jour rencontre parle cardi- nal Farnese ii pied, au milieu des neiges, pri>s du Coli- see ; le cardinal fit arreterson carrosse pour lui demander oil done il allait par ce temps a son age : « Al'ecole, re- pondit-il, pour taclier d'apprendre quelque chose. > Michel-Ange disait un jour a Vasari : . Mon clier Georges, si j'ai quelque chose de bon dans la tete, je le doisk I'air elastique de voire pays d'Arezzo, que j'ai res- pire en naissanl, comme j'ai suce, avec le lait de ma nourrice.l'amour du ciseau et du maillet. » Sa nourrice- etait femme etfille de sculpteurs. Une personne lui reprochant de ne s'etre pas marie, it repondit comme fipaminondas , el ajouta : . La peinture est jalouse et veut un bomme tout entier. • Un sculpteur, qui avail copie une statue antique, se vantait de I'avoir surpassee : • Tout homme qui en suit un autre ne pent passer devant. . C'etait son ennemi, I'envieux Bandinelli de Florence, qui croyait faire oublier le Laocoon par la copie qui est a la galerie de Flvotre chien. » La proprielaire de I'epagneul comprit 'bien qu'il ifdlluit en faire le sacrifice. Au bout dume annee, le.dhienltonllju malade el mourut. Le lion s'imagina;))anauut 'qurilnue temps qu'il dormait; il voulut'l'eveilter, etl'ayanfinuti- lenient remue avec ses patles, il s'apercut alors que I'e- piigneul etait mort. Sa crini^re se herisse, ses yeux etin- cellent, sa tele se dresse, sa douleur eclate avec fureur; Ironsportii de rage, tantot il s'elance d'un boutde la cage a I'aulre ; tanlot il en mord les bafreaux pour les briser; quelquefois il considere d'un ceil consterueie corps mort do son tendre ami, et pousse des rugisseilients epouvan- tables. II etait si furieux qu'il faisait sauter, par sescoups redoubles, de larges morceaux dn plancher. On voulut ecarlcr de lui I'objet de sa profonde douleur ; mais ce fut inutilement, et il gorda le petit chien avec grand soin. Le gardien jeta des chiens vivants dans sa cage, il les mit en pieces. Enfin ilse couclia et placa sur sonsein le corps de son ami, seul compagnon qu'il eut sur la terre. II resia dans cette situation pendant cinq jours sans vouloir \irendro de nourrilure. Rien ne put moderer I'exces de sa tristesse ; il languit et tomba dans une si grande fai- blesse, qu'il en mourut. Gn le Irouva la tele affeclueuse- meiit penchee sur le corps de I'epagneul. Son gardien jileura la mort de ces deux inseparables amis, et les fit niettre dans une m6nie fosse. Les lions n'habitent que les climats sees et brillants do I'Asie et de I'Afrique; et, cequi semble prouver evidem- meiit-que l-frxees fle'leurferofcile vieftt de I'exces do la cha- l«UF,*'est que ,'daiisle m'emepaj'S , ceiix qui habitent les liautes'niontagnes, oil Tair est plus tempcre, sonl moins forts et d'unriaturel moins feroce que crux qui demeu- rent duns les sables brulants du Bildulgerid ou du Zaava. LfS'lions'de ces d^rls snnt intrepides; et, comme ils n'ont pas eproave da foree des armes de I'homme, ils seniblent les braver ; les blessures m^me les irrilent sans les-ell'rayer. Un'seul de ces'lions du desert atlaque quel- quefois line cnravaneentiere ; el lorsquc, apres un combat opiniiHre il se sent alfaibli, il bat en retraite sans tour- ner le dos. Au contraire, 'les lions qui habitent aux envi- rons des viUes et des bourgades de Tlnde et de la Barba- Fie, ayont <;onnu riionimeella puissance de ses amies, ont pordu leurcouroge au point d'obeirhsavoix menarante, de n'oser I'attaquer, de ne sejeler que sur le menu be- tail, el enfin de s'oiifuir en se laissant poursuivre par des 'emmes ou par des enfants, qui deur ^ont, a coups de ba- ton, quitter prise et Ucher vivement leur proie. Le lion est susceptible d'etre apprivoise jusqu'a un certain point, et rhistoire parle de lions alleles ii des chars de triomphe, de lions conduits a la guerre ou a la chasse, et qui, fideles a leurniailre, ne faisaient usage de leur force que centre ses enncmis. Ce qu'il y a de lies-silr, c'est que le lion pris jeune -fit eleve parini les animaux doniestiques, s'accoulume aise- meiit h vivre el h jouer innoceninicnt avec eux ; qu'il est doux pour ses niaitres, et menie caressant, surtout dans le premier Sge, et que, si .sa ferocite naturelle leparait quel- quefois, il la tourne rarement contre ceux qui lui ont luit du "bien. 'Comme .ses niouvements sont tii-s-impe- Uieux et son appetit tri!s-veliemeiit, on ne doit pas pre- sumor que les injpressions de I'education puissent tou- jiiursiles balancer ■: aussi y aurait-il du danger ii lui laisser tiop longtaiups ■soulTrir la faini, ou h le con- 'tracier en •lc4ourmoiltnrit hors de propos ; non-seulement ill-slrrriteiaontre.Hcs.maU'VaiB'traitemenls, mais il en garde ilB 'souvsilil;, tdt ;papatt len mediter la vengeance , eoniino dbconserve aussi la m^moire et la reconnaissance des bienfails.'Ouipeiit conclure de differents fails que sa colore estmdble, son courage iiiagnanime, son naturel sensible. On I'a vu souvent pardonncr a de petils enne- niis des liberies offensanles, donner quelquefois la vie ii ceux qu'on avait devoues a la mort en les lui jelanl pour proie, et, comme s'il sefiU attBeh^ par eel acte g^ne- reux, ce lion fier et courageux semblait oublier la force qu'il tonait de la nature, pour pfoteger la faiblesse. La lumiere intense du soleil paralt incommoder le lion ; il voit, la null, comme les chats; son .sommeil est court etjlcger, et c'est mal a propos qu'on apietednu qu'il dor- mait les yeux oufCrts. II vit vingt a vingt-cinq ans; il mange beaueoup a la fois, se remplit pour deux ou trois jours, brise les os et les avale avec la chair; il lui faut environ quinze livres de chair par jour ; il boit toutes les fois qu'il pent trouver de I'eau. Sa demarche ordinaire est fiere, grave el lente, quoique toujours oblique; sa course ne se fait pas' par des mouvements ^gaux, mais [Mr bonds ct par sauts, et il passe presque toujours son but; lorsqu'il s'elance sur sa proie, il fait un bond de douze'ou quinze ^ieds, tombe dessiis, la saisit avec les patles de devant, la dechireavec lesgriffes, etensuile la ilevorc avec les dents. Tanl qu'il est jeune et qu'il a de la let;ercle, il \it dn pvoduit dc sa cliasse ct quiUe rare- ment Ics diiserU et Ics foriils, oil il trouve assez d'ani- maux sauvages pour sub»ister aisemenl; mais lorsqu'il devient vicux, pesant et nioins propre a rexercice de la thafse, il s'approche des lieux fri'quenles et devient plus • dangeieux pour I'liamme et pour It's animaux doniesti- jques; seulemeut on a remarqui5 que, lorsqu'il voit des honimes et des auimaux ensemble, c'est loujours sur Ics animaux qu'il se jelte, et jamais sur les hommcs, a moins qu'ils ne le fcappent; car alors il reconnait a mcrveille celui qui vient de I'oifenser, et il quitte sa proie pour se venger. On preti'nd qu'il prefere la chair du clianieau a celle de tons les aulres animaux ; il aime au^si beaucoup celle desjeuncs elephants, ils no peuvent hii ri'sister lors- que Icurs defenses n'ont pas encore pousse, et il en \ient a bout aisement, ti moins que la mere n'arrive a leur secours. L'elepliant, le rhinoceros, le tigre et I'hippopQ- tame sunt les seuls animaux qui puissent resi^ter au lion. Quelque terrible que soil ce quadrupede, on ne laisse pas de lui donner la chasse avec des chiens de grande taille et bien appuyfe par des hommes a cheval; on Ic deloge, on le fait retirer ; mais il faut que les chiens, ct mcme les chevaux , soient aguerris auparavant ; car piesque tons les animaux fremissent el s'enfuient h la seule odeur du lion. Sa pcau, quoiqne d'un tissu ferme et serre, ne resiste point k la balle, ni meme au javelut; neanmoins, on ne le tue pre,sque jamais d'un seul coup ; on le prend souvent par adresse, conime nous prenons los loops, en les faisant tomber dans une fosse profonde qu'on recouvre avec des matieres legeres, au dessus des- quelles on attache un animal vivant. I.e lion devient doux des qu'il est pris; et si Ton profile des premiers moments de sa surprise et de sa honle, on peul I'altacher, le mu- seler et le conduire oil Ton veut. La chair du lion est d'un gout desagreable et fort, ,ce qui n'empeche pas les Negres et les Indiens dc la trouver fort bonne; sa peau sert a ces peuples de manteauiet die lit. Sa graisse eslemollientc el recommandee , dit-on, conire la goutto. '1\ craint exlremement les serpents, et c'est pour cela que, quand les llauresjiencontrenl quel- que lion, et qu'ils sont hurs d'etat de-se defcndre, de se sauver, ils defont proniptenient la bande detoile qui com- pose leur turban^et I'agitent devant lui, de mani^re h imiter \e mouvenient d'un .sei'pent, ce qui fait fuir le lion. La lionnene pioduil qu'uiic fois tons les ans; c'est au printenips qu'elle met bas ; elle n'a que deux mamelles, quoiqu'elle ait quolqucfois jusqu'a six pctits. Elle est na- lurellement moins forte ct moins courageuse que le lion ; cependant elle devient terrible des qu'elle est mere; elle se jelte indifferenimcnt sur les hommcs et les ani- maux qu'elle rencontre, et les met b mort; elle se charge ensuite de sa proie, la porte et la partage a scs lionceaux, auxquels elle apprcnd de bonne heure a sucer le sang et il dechirer la chair. D'ordioaire elle les place dans des lieux ecartes, solitaires et dedilGcile acces; et, lorsqu'elle cr.iint d'etre decouverte, elle cache ses traces en retour- nant plusieurs fois sur ses pas, ou bien elle en efface I'empreinle avec sa queue ; quulquefois meme, lorsque I'inquietude est grande, elle transporte ailleurs sespetits, et quand on veut les lui enlever, elle devient fiirieuse, les elefend jusqu'a la derniere extr^mite, et le ravisseur est presque toujours puni de sa temerile. A,U MiUSEE D'HlST.OaaE PUTU.RELiE. I,E CYNISS. ^ Apei'cevez-vous, eparses sur ccs feuilies de chfine, des loupes plus ou moins volumineuses qui vous paraissent -peut-elre de grossieres dufectuosites. Eh bien! que votre admiration s'arietc un moment, car vous ^tes en presence d'un phenomtine merveilleux. Ccs protuberances, bien improprement appelC'es noix de galle, puisqu'ellos nesont pas un produil naturel de I'arbre, mais un simple acci- dent, sont determinees par la femcllc d'un insecte exigu nommc cynips. Cette pauvre mere, dcstinee a ne pas connaiire meme ses pelils qui ne doivent eclore en effet qu'apres sa mort, ne quitte pas la vie du moins sans les avoir places dans les conditions les plus proprcs a leur developpement ; srmie d'une scie dont les dents echap- penl presque au microscope, elle blesse la feuille encore tendre et glisse son osuf dans la plaie, en y versant toute- fois une liqueur qui I'irrite et qui la tumefie. Ainsi se forme et s'accroit celle boule charnue dont I'oeuf occupe le centre, et.qui sesolidifie par la dessiccation. La petite larve se noiirrit,-en naissanl, de la substance nii^me qui I'entoure et la protege , el lorsque les ailes enfin lui sont venues, le jeune cynips perce I'enveloppe ol s'clance dans I'air. La feuille a\ait etc parfaitement ohoisie ; c'est une de celles qui persistent sur I'arbre durant tout I'hiver et qui sont, pour ainsi dire, h I'epreuve meme dc I'ouragan. Supposez cependant qu'elle tombe avant la sortie de I'in- secte, n'ayez de lui aucun souci, car tout est prcvu pour qu'il n'eprouve aucun domniage: il se laisse, en effet, rouler par le vent sous une jonohee de feuilies sbchcs oil il passe la mauvaise saison, bien abrile dans sa demeure et bien calfeutre; puis, au premier printemps, il se de- ,gage de son berceau qui ne serait plus pour lui qu'une .prison, et, deployant ses ailes, il entre radieux dans la .pleine ju_uissance desa nouvelle vie. JIais corame rien ne se pord dans I'teonomie admirable de la creation, cet etroit domicile, A peine abandonne par I'insecte, devient le palais d'une araignec qui, sachant proportionner ses ■filets i la petitesse du local, y prend cependant d'imper- ceptiblesmoucherons qui viennenta plein vol y chcrchcr aventure. Du reste, chaque plante porte ainsi des insectcs para- sites qui trouvent en elle la nourriturc et le logis. "Vous en avez eu vous-meme la preuve, car, ouvrant une noix, une aveline, vous avez du quelquefois y rencontrer un de ces pctits holes ; peut-etre meme que, rejetant alors le fruit avec degoiit, vous ne vous etes seulemeut pas de- niande comment un etre si mou pouvait sc trouver sous une coque si dure. Apprenez cependant que s'etonner a propos est le privilege de I'homme iiistruit, mais que c'est une science si lente a venir qu'il faut, des le jeune ige, s'y essayer. D'aprfes I'histoire du cynips, la presence d'une larve au coeur meme d'un epais noyau, ne serait plus pourpersonne un probleme difficile. La merc-insecle, pour inoculer son ffiuf, a pique I'amande a une 6pcque 20 PETITES PROMENADES AL" MU ou son enveloppe n'opposait encore aacune resistance; et des que les parois ont form6 successivement une voile solide, le vermissoause devcloppe lout a I'aise au sein de cetle retiaitc ou rien ne le trouble, au milieu de ces pro- visions qui desormais ne sont faites que pour lui ; mais si I'on examine avec soin la surface de la co([ue, on y rc- connait Touvcrlure praliquee par la mere , et si la trace en disparait quelquefois dan? certains fruits charnus conime dans la cerise, la prune, I'abricot, c'est parce qu'ici la seve plus abondanle s'accumule a I'orifice ct I'oblitere peu Ji peu. Dans d"autres fruits, au conlrairo, surtout quand la piqure a ete faile vers une epoque plus retardee, on voil fort elargie et presque beanie I'ouver- ture de la galerie que la larve continue de se creuser au sein memo de la puipe, comme il arrive parfois dans les poires et dans les ponimes. Sans doule, au moment de savourcr uu fruit diilicieux. SEE DIIISTOIUE NATURELLE. il n'est pas agr^able d'y surprendre une chenille plus ou moins developp^e ; mais au lieu de nous irriter d'une con-, trarietii forluitc et passagere, poussons plus loin nos re- chcrclics et voyons si cet instinct singulier qui ne nous pa- rait d'abord que nuisible, n'est pas ulilement compensi par de precieux avanlages. Or, ces petils inseclcs que nous appelons incommodes, comme si Dieu ne leur avalt pas fait ainsi qu'i nous une place dans la creation, ces peliles larves qui nous semblent si rebulantes nourrissent. des oiseaux delicats, qui viennent ensuite, sous le nomde gibier, varicr les vichessesde nos tables, ou bien encore elles fournissent a I'industrie d'inappreciables produits. Et pour ne ciler aujourd'hui qu'un exeniple, le cynips nous presente, sous ce rapport, un enseignement a me- diter, car cetinsecte ignore forme un des principes essen- tiels de I'encre a ecrire : un obscur insccte est done un des elements principaux de la civilisation ! Ilestaise, parmi les oiseaux, de distinguer le pelican. Son premier aspect annonce memo, dans ses nioeors, quelques details exccplionnels. Ses habitudes aqualiques lisent tout d'abord ii la palmure de sa palte qui, pre- nant ainsi surl'eau un large point d'appui, favorise sin- gvdiercment la natation et rend, au contraire, la marche lente et difficile. Mais voyez que d'harmonieux perfection- nemenls viennent ensuite s'ajouter! Le plumage est lustre pour que I'oiseau glisse mieux au sein du liquide qui ne pourra nieme le toucher. Puis le plumage est dense, ct celte circonstance, qui est essentielle pour que le pelican puisne conserver dans I'eau sa clialcur, senible compro- mettre la condition tout aussi essentielle de la logeiele Elle la remplit, au contraire, d'une maniere merveilleuse, car, parmi ces plumes si serrees.sontretenues des milliers de bulles d'air chaud qui rendent I'animal pluslegernon- seulement dans I'cau, mais encore dans I'atmospheei'. Bien plus, cetle densite si necessaire du plumage se trouve presque compensee par le peu de densile des os, particularite d'autant plus heureuse que, pour le pelican, le vol doit etre I'auxiliaire de la nage, car dansson mode singulier de faire la pficlie en pleine mer, I'aile concourt avec la palte pour atteindre le poisson. L'oiseau s'elevant, en clfet, a une assez grande hauteur pour n'6tre pas SCENES, RfiClTS ET AVENTURES DE LA VIE MARITIME. apercu do sa proio, profile de son regard alerte et pene- trant pour la guetler lui-meme a travers les lames tou- jours agitees, soiivent liouleuses qui semblent I'abriter; puis, quand la foule qui passe liii prusenleune abondanle pJture, le pelican reploie brusquement ses r^miges, et se laisse tomber de tout son poids sur les poissons petits et grands qui, deja tout etourdis de sa chute, ne peuvent fuir, car I'aile, s'ouvrant de nouveau, les frappe k coups redoubles, et le bee est prompt Ji les saisir. Ce bee, aplati dans toute sa longueur, se (ermine par un crochet tres- fort et comprinie : conformation qui le rend propre a prendre la proie d'abord, et puis a la couper. Mais ce bee nousoffre unaccessoire inattendu qui caracteriserait seul le pelican. C'est une poche elastique, h peine visible aux licures ordinaires, maisqui s'ampUfieetqui se gonfle quand I'animal revient de la pcche. On comprend, en elTel, que la manoeuvre du pelican est assez complexe pour n'^tre pas renouvelee Irop souvcnt. 11 ne fallail done pas (ju'il perdit le temps a devorer successivement cbaque poisson, car alors le moindre repas eut exige de liii degrandes fatigues. Mais celte poche sous le bee est une reserve oil la prise est introduite loute vivante et conservec, jusqu'i ce que, salisfait de sa peche. I'oiseau se retire sur un rocescarp(5, pour se repaitre a Inisir, ou pour alimenler ses petils. Ce n'est point sur les arbres evidemment que le pelican pouvait etablir convenable- ment sa famille. Le nid, que les parents conttruisent en- semble, est vaste et profond ; Tinterieur en est tapisse de mousse et de duvet. Le pelican, pendant la couvaison, porte avec soin la nourriture a la couveuse elle-meme, 21 qui, mere devouec, ne quitte jamais ses petils. Celle-ci ne leur donne, il est vrai, qu'une nourriture qu'elle a presquedigeree, niaiscllenesedechire pasle sein pour les nourrir de sa chair. Et celte erreur ne serait point ici signalte, si elle n'etait admise que par le vulgaire. Mais nous la retrouvons sur le front de presque tons nos mo- numents, sii le pelican a le privilege d'dtrele symbole de la charity. On .s'explique facilement I'origine de cette fable : I'observateur, place fort loin, a pris pour une plaie les traces sanguinolentes que laisse frequemment ce mode d'alimentation, et ces laches elles-memes sont d'autant plus remarquablcs, qu'elies se trouvenl sur un plumage eblouissant, car la livr6e de I'oiseau est d'un blanc parfait que releve le beau noir dcs rcmiges. Nous devious nous attendre a I'absence de toute riche nuance ; car, aux oiseaux qui lui viennent commc aux lleurs qui s'y montrent, lamer refuse loujours les vivescouleurs.Ilsemble que, sous ce rapport, si^parant neltenient son domaine de celui de la terre et de celui de I'air, elle veuille que le navigateur cnnlemple, sans etre distrait, les reflets metal- liques de ses coquillages el de ses poissons. Encore un mot pour terminer, ("ertes, le pelican pent d'abord pa- rattre bizarre dans son organisalion et presque grotesque; mais lorsque, de ce point de vue superficiel, on sail pas- ser h I'elude des acles que I'animal doit accomplir : alors dans cette patte si courte et si etal^e, dans ce vetement si ^pais et si chaud, dans ce cou si long, dans ce bee si etrange, dans ce systfeme osseux si leger, on reconnait avec admiration que tout estparfaitementassorti, que tout est mervcilleusement calculi. Teclieres. mi% MCITS ET iWEMiRES DE LA VIS iiRlTlllE. -^ .^^'ittfflEa XX CONTEUIl DC GAIXIAKD S'AVAIffT. LepereLabragueavaitk peine fini son dernier recit que le vent sauta presque subitement cap pour cap '. Ces sautes rest a I'ouest, etc de vent sont assez communes dans ces latitudes et deman- dent un coup d'ceil experimente, el tout le sang-froid et 1 D'une direction opposee. — Par exemiile : du nord au sud ; de SCfeN'ES, RKCITS la vigilance d'un bon officior pour cmpf'cber Ic dfeastre inevitable qui on seraiUa suite, ct tlont le moindreeffetse- rait de br ser la mMiire au ras du pent. Elles sont com- niunement accompagnees d'une grosse pluip qui tombe comme une avalanche et dont on ne saurait se formerune idee en Europe. L'impetuositL^ du vent est telle, qu'il est' impossible de rosier dobout sans se craniponiM»r a qiiel- que chose. Sans celte precaution un bonime sernit em- porte comme' une plume. Pendant la' tourmente le vent par court souvent toulesles poiiitesdu compas ', ct quandnl viejit h se fixer, sa force est telle, qu'il est il6cossaired''a voir fortpeu de voile dehors. To us 1 OS ph6nomenes que je vieus d'enum^rerse succe- dferent en moins- de temps que je n'on ai mis ii les decrire. Tout I'oquipago est'appelii sur le pont, des ordres rapides se renouvellent. C'hncun vole a son postc, tons travaillent avec courage, sang-froid, ordre et precision. Les voiles sont carguees'et serrees, a rexceplion des /iiinrVrs dans lesqoels nous primes trois ris'^, el du petit foe'. La mer einit grosse et bouleuse ; les vagues enormes, lourmenlces par le combat des vents, s'elevaient a une liauteur prodigieuse et se brisaient en une ecume blanche et salee que le vont rejotait en pluie sur le pont. Cepen- danttoutes les manosiivres ni-cessaires fin-ent bientot oxe- oulees, les AmitVrs et le petit /be orienle, el le navire enleve majestueusement sur la cime des vdgues, et, re- tombatit ensuite dans rabinip pour s'elcvcr do nouvoaU', faisail bravement lete a I'orage et tracait' un sillon rapide sur les monlagnes mobiles de la mer courroucee. Les manosuvrcs furent paroes ', chacunrcprit tranquilleraent .sa promenade sur le pont avec le meme ordre et la m(>me tranquillite que si le navire eut cte immobile, ce qui pa- rait tout naturel i un homme de mer, qui a \epied marin, tandis qu'un homme do terre ne pourrait faire un pas .sans 6tre lance d'un bord Ji I'autre du navire par le rotilis. Le vent avail un peu molli, il paraissail fixe et nous I'aisions bonno route. « Vous avez vu souvent de ces temps-la, pere Labra- gue, n'est-ce pas? dit Cartahul. — Tu peux I'en vanter, repondit I'ancien, j'en ai vu que celui-ci n'est qu'une petite brise aupres. — Et vous n'avez pas peri'? — Le navire a peri, et il ne s'en est pas fallu de beau- coup que j'y perde le gout du pain'; ca n'a pas et^ la faute des sauvages s'ils ne m'ont pas roll et mang6 ; ap- paremment ils out vu que j'etais un vieux dur a cuire : juslement Ji boi^ de la Belle-Snphie, on m'avait donne le nom de Pere Coriace. — Vous nous aviez promis de nous center voire nau- frage a bord de la Belle-Sophie, pere tabrague, confez- nous done ca. — Alors attends que j'aille chorcher dil' tabao dans mon equipcl '. — C'e.'st pas la peine, pere Labragile, en v'la a voire service. — Tu me cfdines, Cartahu, mais c'cst egal, c'est pas 1 Les trente-dcux divisions de la boussnle. 2 Les huniers sont des voiles carrees au-dessiis dc la Inine ; prendre des ris, c'est dirainuer la surface d'une voile. y lies' Toes sont deS voiles triiiiigulair'es sllr le beaiipr^ a I'uvant du nn'^in?; 4 LeD cordages furent ployes en rond et rcmis a U-urs places respec- tive?; s Espece dc petite armoire sans porle. de refus, a charge de revanche. — .\ltention : Cric ! CracI — Vous saurez que la Relle-Snphie etait un amour do tioi-s-mtils, bien coqiiolle, hien elonct'e sur Teauavec une miiture bien droite et bienofTilee; c'6tait leger comme une^ plume, ca filait sur I'eau commeun ijoi'land '; ca nous- avail des fanons eoniuie la yolc du capitaine, ca serrait le vent comme un chasse-niaree, en filantliuit ncEudsau plus presdu vent, un vrai amour dfi'navire, quoi ! Nous etions partis de Nanles et nous a'Vions double' le cap Horn avec un assez beau temps quand , contraries par les vents, nous filmos pou.eses jusqu'au soixanle- deusiemo degr^ de latitude sud. Nous vimes des baleincs en grand nonibro; mais nous n'allions pas la pour les pc'- cher, el nous avions assez a faire d'eviter les glares (lot- tantes qui nous entouraient dc temps en temps. Dame! nous n'etions pas a la noce. Le navire avail soull'ort, la mnitie de I'equipage etail hors d'etat de faire le quart, nous avions le scorbut ;!■ liord et nous etions rationes d'eau, rcduits a une ration d'eau par homme, mais c'est egal, ca allait loujours; — tout ce qu'il y a c'est que nous avions une vingtaine de pa.ssagers parnii lesquols il y avail beaucoup de fcmnies. — Enfin le vent devint favorable, et nous nous crilmcs sauv^s. Nous fi'imes tout k coup surpris par un coup de vent furieux du sud-esl ; nous avions nos huniers au bas ris et nous fuyions dovant le temps, mais cela ne sufflsail pas. Nous efimes noire gi'and Ininlcr emportc par le venl, et noire pelit mfllde Imne casso au ras dn elmuquet. Pour conihle de malheur le venl nous jelait a la c6te, — il 6tait impossible de rSparernosavaries, eti tousmoments nous-en faisiun.i> de 'iiouvelles. — Le troisieme jour nous fOmes demotes ras commeun ponton, excepte le grand mfil, dont nous avions conserve une partie seulement. — Vous (-tiez done ensorceles, pere Labrague? — Faut le croirc, tuujours il y a que nous aurions bien pare ca. La Helle-Sophie se comportait bravement, clle ne fai.sait pas d'eau ; tout noire mal clait dans la nuMure. Nous i'lions pourtant parvenus a installer des mats de lame de rechange ;i la place des bas milts. — Sans douto, ca pouvaitse reparer? — Oui, malelot, mais ce n'est pas lout, nous etions a/fall's sous la cote, et depuis huil jours nous n'avions pas vn lo soleil; Ton n'avait pas pris hauteur, et nous ne sa- vions pas au juste a quelle distance nous etions de tone. V'la done qu'un matin, I'liomme du bossoir, au point du jour, crie ; Terro ! Nous essayons de serrer le venl ; mais, bah ! on voulant mottre un peu de toile dehors, nous brisous la verquo du- grand hunier. Nous nous voyions affaler sur la' terre de plus en plus. Sur les midi, nous voila tombes au milieu des brisonls a environ deux lieues dfe'lh cote: I'e' capitaine no perd pas courage, il monte sur le banc du quart, prend le porte voix et dit au timo- nier : . Laisse' arrive! ! — Mais, dit le premier lieutenant, capitaine,. noUB allons au milieu des brisants. — Je lesais bien, que repond le capitaine, mais sij'ai bonne niemoi- ro, il doity avoir une passe au milieu, et si nous la Irou- vons, une fois de I'autre c.6t6, la mer sera moins mauvaise et nous Irouverons une cote de snble sur laquelle nous pourrons nous velioucr sans danger. ■ Dame, c'cst que c'ctiitun vieux loupdo mer, il avait.deja-oourU'pUisHi'une border par la. — Eh oui done! I'Une niOilette;,oiscau'de met. It ms* I'eau et' a It vol rapid©.. A"la done que le capitainc pilole la: licUc-Sophie an milieu des brisaul^, ni plus ni mollis qu'un pilole cotie-r. Nous renconlrons lo- passe eL nous entrons comnie uno FT WENTUftES DE LA VIE MARITIME. 23 mariee-. La lame etait moins forte enlre les fecifs et la cote, el le vent avait mfime un peu moUi. Nbusmouillons par douze brasses sur un fond de sable jaune, mais h peine mouilles, le vent fraichit de plus belle, nous chas- sons, et nous lalonons '. Le navire vint en travers et. fut bicnlot brise comme une coquille de noi\. HL-ureusement Doiis gijmes sauvcr tout, notre monde ,, mJme les ma- lades. Falloit voir le capitaine Lehubi, un vieux terre.- neuvier : il pcnsait k tout ; il ne quitta le hord qu'apres quo tout le monde ful ;i terre. Nous avions souve des vivres, des munitions et une partie de notre mature derechange. L^i^-f Le service- s'elablit fiomme a. bord, et. I'oo: iustalla. des | V'la-t-il pas que tout d'un coup une armeedesauvagos tenles avec les-voiles. | , xous touchons. CURIOSITfiS SCIENTIFIQUES. tonibe sur nous ! On court anx armcs, mais le capitaine Le- hubi dit : « Cost pas ca, roulcz-moi icLdps pieces d'eau- de-vie. » Eh bien, c'est ce qui nous a sauvcs. Nous avons fait la paix pour do I'eau-de-vie. Pourlant nous etions piisonniers h vue; mais licureusement le capitaine a demande a parler au chef qui demeurait dans sa capi- tale a plusieurs Houes au nord. Nous avons marcb6 en- toure des sauvages le long do la cote. Le chef nous a per- inis de passer dans une autre tribu, plus au nord, oil nous avons H& bien recus. Aprfes nous iHre reposes plu- sieurs jours, le capitaine a appris qu'il y avait un elablis- sement amcricain a soixante lieues de Vd. Mors nous avons pris courage, etapres avoir navigue plus d'un mois dans les montagnes, nous avons trouve un etablissenient oil il y avait un consul fran^ais et des vaisseaux euro- peens. Nous avons embarquc pour la France, et voilJi ! C'est egal, c'etait tout de meme un amour de bitiment, que la belle-Sophie. « Y. B. CURIOSITES SCIENTIFIOUES. COnrCEI.ATION' SE I.'£AU sans UN BRASIER. Cephcnomenp paradoxal, que M. Boutigny vient de ren- conlrer dans sesingenieuses experiences sur la calefaction, merite bien que nous n'arrivions a lui que pas a pas et en suivant. pour ainsi dire, les degres par lesquels I'expe- rimentaleur lui-menie est passi5. Et d'abord, partons d'un fait singulier, mais fonda- mental : I'eau surprise brusquement par une tres-vive chaleur nebout pas. Si on la jelte, par exemple, goutte ii goultesurune plaque de metal fortement chauffee, ellese dispose en globules doiit la temperature est inferieure h celle de rebullition ; on dirait que le liquide est ainsi tenu il distance de la plaque melallique. Mais si la plaque se refroidit, I'eau venantalors la mouiller, I'ebullition s'opere avec une extreme vitesse. L'habilete de I'operateur con- siste done surtout a niaintenir I'incandescence du reci- pient melallique. Quelques autres conditions secondaires sont encore indispensables, mais M. Boutigny les reniplit toutes avec cette adresse facile que I'habitude seule peut donner. Ainsi, un boulet rouge place dans de I'eau froide ecarle toutautourde lui le liquide, qui reste calnie et transpa- rent; puis, le boulot perdant pen ii peu sa haute tempe- rature, le liquide s'en rapproche graduellenieni, et des qu'il le louche, savaporisalion devient fougiieuse toutaus- sitot. Et si, au lieu d'un boulet , on plonge dans I'eau froide un godet rouge, le liquide sera puis6 tout aussi paisihlementque si le godet ctait froid, seulement la quan- tity du liquide contenu doit elre moindre quo ne le com- porte la capacite du godet, puisque le liquide n'en touclie ni le fond ni les parois. Mais voici une experience analogue et qui frappe da- vantage parce qu'elle est plus exterieure, plus apparente ; I'eau froide jetee sur un crible metallique ne passe pas, de telle sorte qu'on peut recuciUir de I'eau dans une ecu- moire, commc si celte fcumoire etait une cuiller; car le liquide reste suspendu au-dessus des orifices et ne les traverse pas. Ce que nous disons de I'eau s'applique du rcsle a tons les liquides. Bien plus, si Ton verse de I'acide azotique (eau forle) sur une plaque de cuivre fortement chaulToe , ces deux corps restcnt indifferenis ; et cependant la chimie nous enseigne que I'acide azotique est celui qui attaque le cuivre avec le plus d'energie , mais louto action chimiquo est empMiee, puisque la calefaction rend impossible le contact. On comprend que les exporiences de calefaction peu- vent etre varices a I'infini , et personne ne pent pr^voir h quels resullats etranges M. Boutigny lui-meme doit par- venir. Comment, en elfet, soupconner naguijre qu'il serait possible de transformer en glaciers un creuset incandes- ■ cent, ou plntut de produire la congflation de I'eau dans le sein meme d'un brasier? Mais avant de decrire cette derniere operation, de toutes la plus inatlendue, rappe- lons c« principe fundamental : tout liquide calefie (sur- pris par une tres-vive chaleur) prend et conserve une temperature inferieure h son point d'ebuUition. Ainsi, I'ean, qui boiit a 100° au-dessiis deO, n'aura qu'une tem- perature de 96°; I'acide sulfureux qui, liquefie, bofit i 10° au-dessous de 0, n'aura dans la calefaction qu'une temperature de iV au-des.sous de 0. Ce sont prteisement ces deux liquides qui vont 6tre mis en presence et qui vont concourir au resultat. On chaufTe done a blanc un fourneau, on verse dans une longue cuiller une certaine quantited'eau et quelques gouttes seulement d'acide sul- fureux, et on enfourne le melange. Les deux liquides se calefiant, I'cau prend une temperature de 96° au-dessus de 0, I'acide sulfureux prend une lempt'ralure de 1'2° au- dessous de 0 ; et desormais , elrangers au foyer qui les entoure, ces deux liquides, qui sont en contact reciproque, vont agir mutuellement I'un sur I'autre pour mettre leur temperature respective en (['quilibre, comme ils le feraient dans les circonslances ordinaires. Ainsi I'acide sulfu- reux s'echauffe aus depens de I'eau qui se refroidit, et bientoten effet le melange atteint un equilibre de tem- perature inf6rieur k 0 ; I'eau , par consequent, se gele dans la cuiller qui, retiree Jl propos, revient pleine de glace. La calefaction presenle encore d'autres particularitfa qui doivent, nous I'avouons, gftner quelque peu les theo- ries actuclles de la science. Nous csperons qu'elle par- viendra sans doute i tout concilier ; nous le desirous meme sincerenient, bien loin de nous nifler a ces csprits inquiets, qui di'jii peut-^tre se rient de son embarras. Mais aussi nous avouons avec franchise qu'il est utile par fois que des fails se dressent inopinement centre lesquels le genie de I'homme se hcurtc ot s'arrcle, car ces fails lui rappcllent, du moinsun moment, que son intelligence est limitee, mais que les oeuvres de Dieu sont infinies. Teulieres. LES MILLE ET UNE NUITS D'EUUOPE ET DAMERIQL'E. ^ LES MILLE ET Ul HUITS D'ELROPE ET D'AMERIQUE. flNGRAT. Vitalis, noble v6nitien, (5tant h. la chasse, tomba dans une fosse faite pour prendre les animaux sauvages. II y passa un jour et une nuit. .le vous laisse a penser qneUes fiirent ses angoisscs. La fosse etait obscure ; Vilalis vouliiit la parrourir, afin de \oir s'il ne trouverait pas quelque racine a I'aide de lat|U('lle il pit grimper et sortir de sa prison; niais il entendit des bruits si confus et si exlraordinaires, des £,'rop;nemenls si sourds, des siflle- inents si elnuffes, de si plainlifs luirlenients, que la ter- reur le prit, et, se tapissant dans un coin de la fosse, il resla immobile et fonime aneanii par la peur. Le matin du second jour, il entendit lespasdequelqu'un qui passait pr^s de la fosse; alors, elevant la voix d'une manierc la- mentable : " Au secours! cria-t-il, au secours! tirez-moi d'ici!. C'^tait un paysan qui traversait la forSt. Quand il en- tendit cette voix qui sortait de la fosse, il fut effray^ d'a- bord; puis, se rassurant, il s'approcha et demanda qui elait la. a Un pauvre chasseur lombe par mc^garde, et qui a passe ici un long jour el une longue nuit. Tirez-moi d'ici, au nom de Notre-Scigneur Jesus-Christ! tirez-moi d'ici, je vous r^conipenserai bien. — Je vais faire tout ce que je pourrai, » dit le paysan. Alors Masaccio (o'Mait le nom du paysan) prit une scrpe qu'il avail a sa ceinture, et, coupanl une longue branche d'arbre, assez forte pour soulenir un liomnie : « Seigneur chasseur, dit-il, ecoutoz bien ce que je vai.s vous dire : je vais descendre celle branche dans la fosse, je I'appuierai centre les bords el je la liendrai ; de cetle maniere vous pourrez remonter. — Va, r(?pondit Vilalis, dcmande-moi tout ce que tu voudras, el je le I'accorde- rai. — Eh bien, ecoutoz I comme je vais me marier, vous donnercz a ma fiancee ce que vous voudrez. n Aces mots, Masaccio descendit la branche dans la fosse; il la senlil bientol devenir pe.sante, et, au meme moment, un singe sauta joyeusemenl hors de la fo.sse. II etait tombe comme Vitalis, et il avail lestement saisi la branche de Masaccio. « C'est le diable qui m'a parle dans cette fosse! dit Masaccio en s'enfuyant. — Tu ni'abandonnes donc?cria Vitalis d'un accent lamenlable; mon ami, mon cher ami, au nom du Seigneur Jesus-Christ, au nom de ta fiancee, lire-moi d'ici ! Je t'en supplie! Je le doterai, je t'enrichirail .lesuisle seigneur Vilalis, un riche Venilien ; ne me laisse pas mourir de faim dans cette horrible fosse. » Masaccio se laissa toucher, et, revenant ^ la fosse, jcta de nouveau la branche ; il lira un lion qui fit un hurle- menl terrible en sautant hors de la fosse, el qui, par les caresses expriniait sa joie et sa reconnaissance a son li- berateur. « Oh! pour le coup, c'est le diable, cria Ma- saccio, I) et il s'enfuit epouvante. Cependanl, a quelques pas, il s'arrSta. entendant les oris lamenlables de Vilalis. (( Mon Dieu! mon Dieul criail celui-ci, mourir de faim dans une fosse 1 Personne ne vicndra done a mon secours I Qui que tu sois, je t'en supplie, reviens, ne me laisse pas mourir ici, pouvant me sauver; je le donnerai une maison, un champ, des vaclies, de Tor, tout ce que lu d(5sireras ; mais je t'en supplie, sauve-moi ! sauve-moi de eel afTreuse caverne ! n Masaccio revint et jela la branche ; il lira un serpent qui sillla gaienient en sorlant de la fosse. Masaccio tomba ci genoux, a demi mort de peur, murmurant les prieres qu'oii lui avail apprises pour chasser le demon. II ne re- vint k lui qu'en entendant les cris de desespoir que pous- sail Vilalis. « Personnel criait-ii, personne! Je mourra done? Ah! mon Dieu! mon Dieu ! et il pleurait, il san- glolait. — C'est pourtant la la voix d'un homme, dit Ma- saccio. — Oh! si tu cs encore h'l, dit Vitalis, au nom de tout ce que lu as de plus cher, sauve-moi. Veux-tu mon 26 LES MILLE ET UNE NUI.TS palais de Yenise, mes biens, nies honneurs? je te les donne ; ct puisse-je niourir ici si jc manque a ma parole. La vie! la vie seulemont! sauve-nioi la vie! » Masaccio ne put pas resistcr a de semhiables prieres melees de tant' de promesses ; il jeta de nouveau la branrhe. n La lencz- Tous, enfin? dit-il. — Oui, »repoTidit Vilalis. Et h celte fois, il liia riiomme. En sorlant de la fosse, Vitalis, epuisc, jeta un cri de joie et s'livanouit entre les bras de Masaccio. Masaccio le soutint, le secourul,, le fit revenir a lui ; puis, lui donnant le bras : «Voyons, dit-il, sortons de cette foret. » Vitalis marcbait avec peine, il elait (5puise de faim. « Mangez ce morceau de pain, dit Masaccio; » et il lui donna un morceau de pain qu'il avail dans une besace. « Mon bienfaiteur, mon .sauveur, nion saint an<;e ! di- sait Vitalis a Masaccio, comment pourrai-jo jamais te re- compenser? — Voiis m"avex promis une dot pour ma fiancee, et voire palais de Venise pourmoi. » Vitalis com- menrait a reprendre ses forces. « Oui, certcs, je doterai la fiancee, mon clier Masaccio, et je la doterai richement. .le veux que lu sois le plus riclie paysan de Ion village. Oil demcures-tu ? — A Casaletla, dans la foret; mais jp quitlerai volonliers mon village pour aller m'elablir a Venise dans le palais que vous m'avez promis. — Nous voici sortis de la furet, el je reconnais ma route ; je vous remercie, Masaccio. — Quand irai-je cher- cher la dot el le palais? — Quand vous voudrcz. » El ils se s^parferent. Vilalis renlra a Venise; et Masaccio Le serpent glissa rapidement .sous un las de fenilles seches; puis, r<>paraiBsant aussilul, il se .«oulcva sur ses anneaux, ct Masaccio vil alora avec surprise qu'il lenait dans sa gueule un beau diamanl. Les dragons el les serpents, comme on le sail, connaissenl les tresors caclife. « Un diamanl! » cria Masaccio, et il (ilendil la main pour caresser le beau serpent et prendre le diamanl. Masaccio avail du bois, du gibier; il pouvail dor.ner un beau feslin de noces; il ne lui manquait plus que de I'ar- genl : avec son diamant, il en pouvail avoir. II parlit done aussilotet arriva tout joveux a Venise; la, ilse fit enseigner la boutique d'un joaillier, et lui dit qu'il venait lui vcn- dre un diamant. Le joaillier prit le diamanl : il elait de la plus belle onu. « Combienen voulez-vous? — Deux cents ecus, » dit Masaccio, croyanli demander beaucoup ; c'e- lait ii peine ledixieme de lavaleurde la pierre. Le joaillier regarda Masaccio et lui dit.: « A ce pris, vous etes un voleur, el jevous-arr^te. — S'il vaul moins, donnez-m'en moins, monsieur le marchand, criail Masaccio ; je ne suis point un voleur, je suis un honnete homme ; c'est le ser- pent qui- m'a donne ce diamant. » La police survint, et il ful conduit devant le magistral. Lb, il r.ioonta son his- loire, qui parol une hisloire de fees; mais comme le sei- gneur Vitalis se Irouvait mele au rec!% du paysan, le ma- gistral renvoyal'affaire de\'ant les inquisiteurs d'Elat, et Mtisacoio comparut devant eux. « Conle-nous ton bistflire, dit un des inquisitours, et ne mens pas, sinon nous te fcrons jcter dans les Uigunes. » Masaccio contft'son histoire, « Ainsii luas sauve le sei- gneur Vitalis? — Oui, messeigneurs. — El il t'a promis une dot pour lu fiancee et son palais de Venise pourtoi? — Oui, meseeigneurs. — El il I'a.fait chasser comme un mendiant'/ — Ah! oui', messeigneurs, comme un men- diant, moi qu'il' avail tant supplie quand il elait dans eelte' fosse avec le singe,, le serpent et le lion. — Faites* venir le seigneur Vitalis, ivVitaJiSivint. aGonnaissez-vous eel homme,, seigneur Vitalis ! dit 1,'inqnisileur. — N'on, je ne la. connais pas,, repondil Vitalis. — 11 pretend qu'il vous a sauve la vie; — Jo. declare ne I'avoir jamais vu,, » Les inquisitours se consulli:renl. « Cot homme, disaient- ils, parlantde Masaccio, est evideinment un fou ou un fripon, il faul le meltre on prison, lo lemps eclaircira I'affaire. Seigneur Vilalis,, vous pouvez vous relirer. » Puis, faisant un. signe- a un sbiro-: «. Metlez cet homme aux Plombs. » Masaccio sejela a genoux au milieu, de la .salle. « Mes- PETITES PROMEN seigneurs' messeigneurs ! il est impossible que lediamant soil un Jiamant vol6 ; je vous assure que c'est le serpen! qui me I'a donne; le serpent a pu vouloir me tcomper, messeigneurs. II est possible que le singe, le lion, le ser- pent, tout cela soit une illusion ; mais j'ai sauv(5 ce seigneur, je I'atteste; il n'ost plus pale, il n'est plus faible et a demi 6vanoui aujourd'hui comme lorsqu'il est sorti de la fosse, et lorsque je lui ai donne de men pain ; mais je le reconnais : c'est la mdme voix qui me criait de ADES EN SUISSE. 27 luisauverla vie, avec laquelle ildit aujourd'hui qu'il ne mc connait pas. Je nevous ai pas abandonne dansla fosse ! — Seigneurs, dit Vitalis en s'inclinant devant le tribu- nal, je ne puis que repeter ce que je vous ai dit : je no connais pascet homnie; il invente centre moi une bistoire extravagante. A-t-il un seul tenioin, un seul indicc? » A ce moment, il se fit un mouvemenl d'ellroi et do surprise parmi les shires, et le lion, le singe et lo serpent enlrerent dans la salle. Le singe etait montesur le lion et tenait le serppnt entortille autour de son bras. En entrant, le lion buria, le singe grogna, ct le serpent sillla. » Ah! ce sont les betes dela fosse, cria Vitalis eperdu. — Sei- gneur Vilalis, reprit le chef dos inquisiteurs, qnand le trouble qn'avait caus6 cetle apparition fut un peu dissipe, vous demandiez oil etaient les temoins de Masaccio ; vous voyez que Dieu les a envoyfe a point nommd a la barre de notre tribunal. Quand Dieu a temoigne centre vous, nous serions coupables devant lui si nous na punissions pas voire ingratitude. Voire palais, vos biens sont confis- qufe ; vous passerez le resle de vos jours dans une etroite prison; allez. Et toi, continua-t-il en s'adressant a Ma- saccio, qui, pendant ce temps, caressait .son lion, son singe et sou serpent, puisqu'un Vinilien t'a proniis un palais de marbre et une dot pour ta fiancee, la riJpubliquB. de Venise accomplira la promesse; le palais et les biens. de Vitalis sont a toi. Vous, dit-il au secretaire du Iribu- nal, redigez un recit de toute cette hisloire, et failes-la connaltre au peuple de Venise, afin qu'il sache que la juss tice dn tribunal des inquisiteurs d'tlat n'est pas moins equitable que rigourcuse. » Masaccio et sa femme vecurent de longues annees dans le palais de Vilalis, avec le singe, le lion et le serpent; et Masaccio les fit reprfeentcr sur une muraille de son pa- lais, entrant dans la .sallo du tribunal, le lion portant le singe, et le singe, le serpent.. PETITS VOYAGES M mm. eXSIKVSL — BAUB Quel est celui denons qui, au milieu du lourbillon dos atfaires, ou de vous-;,mes jeunes amis, qui, apres une an- nee .scohiire passee sur les bancs, n'a pas desire vivre un. peu dela vie libre et indepondante des bois et des moti- lagne.iv des fUR^lS' et des lacs solitaires? I.a Suisse est, a^ nos portes ct d'autant plus agr(^able rrvi-siter que partout les reoherclies et les elegances de la civilisatron s'y me— lent auxbeautes sauvages et fiures de la nature. Arnsi do toules- parts s'eleventcles.villcs charmanles, habitees par des citojens eclaires et amis des arts, tellesque Lausanne, PETITS VOYAGES EN SUISSE. Vovay, Fribourg, Solcure, Berne, NeufchiUel , et aux flcux extrf-mitt's dc la Suisse dciix grands centres de ci- vilisation et dc commerce, Geneve du cute dc I'ltalie, BJle du c6ti5 de TAllemagne, I'une et I'autre contigues a la France. Geneve, ville d'un aspect moins sevi.'re, plus doux et lion moins pittoresqae que BiMe situee sur les bords du Rliin, est une ville forte de 28,000 habitants, cclebre par son histoire, par ses grands lionimes, par sa belle posi- tion et tout ce qu'elle renfernie. D'excellenles hotcllerics y accueillent le voyageur ; on cite specialenient I'ficu de Geni-ve sur le lac, Ics Balances et I'liotel d'Angleterre, aux Secberons, hors de la ville. Cette derniere est distin- gUL^e par son site et par les conimoditAs qu'on y trouve. L'eglise cathedrale, I'hdlel de ville, la viciUe tour de Tile, I'acadeniie, le nnisee, le th(5Mre, et beaucoup d'instituts scientifiqncs, artistlques et de culture; I'ccole fmnche et la fete publique de la distribution des prix qu'elle ac- cnrde; la grande society de lecture et sa bibliotheque si- tufe dans un beau local, justifient la r(:'putation de la vieille r^publique. Le voyageur doit visiter aussi le jar- din iMtanique au bastion bourgeois ; les busies de •I. J. Rousseau et de plusieurs autres citoyens; la biblio- theque de la ville, tres-digne d'etre conipulsee, divers cabinets d'hisloire naturelle et qudques colleclions de niineraux ; plusieurs collections de tableaux et cabinets de curiosites; le grand herbier de Candolle , celui de Httlla, le bas-relief des Alpes jusqu'au mont Rose, par Gandin, le cabinet de Satissure, oil Ton montre encore les souliers qu'il a fait faire expres et dont il s'est servi pour gravir les Alpes Plus de trois niille ouvriers s'y oc- cupent du travail de I'borlogerie, dont ils fabriquent an- nuellement soixantedix niille pieces. La fabrique de shawls de Pielet est cclebre. De la promenade appelec La Treille, de la place Maurice, de la tour du milieu de la cathedrale, de la colline de Saint-Jean, a Grand Suc- conex, on decouvre de magnifiques points de vne. Le lac de Geneve est long de 202,920 p. ou de 14 1. enlre Rollc et Thonon; il est large de 3 1. carrees; sa plus grande profondeur pres de Meille'rie est de 949 p. el son eleva- tion au-dessus de la nier de 1,150 p. Les bateaux a va- peur parcourent ce lac dans toutes les directions. Parmi les poissons dont il fourmille, nous citerons les grandes truites et le poisson excellent nomm^ ombre -chevalier. Quant il I'histoire morale et politique de Geneve, elle est une des plus inleressantcs de I'Europe, et peu de villes ont produit dans un plus petit espace, en un aussi petit nombre d'ann^es , autant d'hommes remarquables. PPEDlIOMNte BP.1'1 !:riH MUSeUM 7 AUG 29 NATURAL HISTORY. BAYARD. 29 Le caraclere general ties moeurs gene^oises est une ele- gance sobrc et un melange heureiix de I'aciivite fraii- raise et de la legularile allemande. Bale est beaucoup moins scientifique et aitistique que Geneve. Cette\ille, qui compte 16,600 liabilanls, est conside- rable et remaiquable dans Tliistoire. On doit y admirer surtout le pont du Rhin de 600 p. de longueur; la catbe- drale.qui date du temps delOlU.avec la salledu concileet le tombeau d'Erasine et de plusiears autres hommes cele- bres; I'hotel de ville, I'universite et sa bibliotUeque avec eelle d'/jrasmc, les tableaux de Holbein, la collection de ta- bleaux de .\1 . FasL-b, le beau panorama de Tliuii en relief, par H'oc/icr; le casino et la reunion des artistes, ou lesetrangers trouvent facilement acces. Dans le voisinage, on trouve ks ruines romaines de Augst; une collection de debris anticpies trouves en cet endroit existe au jardin de For- ntrd a Bale; il faut visiter Ihupilal et le ciuietiere de Sainl-Jacqurs nomnics les Thermopyles suisses, a cause du cunibat memorable conire les Francais en 1144. Un vin appele le sang des Suisses croit sur le champ de ba- laille. Un beau monument en forme d'une tour y est erige en I'honneur des soldats tues a cette rencontre ; on a aussi frappe une medaille a leur honneur, et dont il existe une belle eslanipe. Le quai du Rhin, qui est la partie la plus basse de Bile, s'eleve neanmoins Ji une hauteur 6gale k celle de la fleche de Munster a Strasboiiry. On trouve de belles vues et des promenades magni/iques sur la place dile la Pfiilz, sur la place Saint-Pierre, aux jar- dins ForcanI, Vischcr, au bois des Freres, au Wartem- berg. Si les habitudes entierement commerciales des ha- bitants donnent Si la ville un aspect severe et un peu sombre, rien n'est beau comnie le panorama du Rhin qui qui se deroule avec une joie magnifique en baignant les murs de la vieille ville et les pierrcs roses de la catlie- drale. LESFRAK\ISILUSTllES. BATARS. De touslesheros dont la vie a ete ecrite. Bayard est peut-etre le seul de tons les heros du moyen ige dont la V ie soil sans tache. et qu'on puisse louer sans aucune res- triction. Ce court abrege de sa vie ne peut done etre qu'un excellent exemple a suivre pour ceux qui trouve- ront dans le recit de ses vertus magnanimes de quoi cul- l)ver et fortifier, en nieme temps, les qualites que la na- ture a niises en eux. Bayard (Pierre tiu Terrad, seianour de), surnomme le Chevalier sans peur et sans reproche , elait smiple , modeste, ami sincere, pieux, humain et magnanime; son ame reunissait toutes les vertus ; et telle fut la perfection dc cet illustre chevalier, que, sans le temoi- ?;nage unanime des historiens contemporains, la postcrite ii'aurait peut-etre vu en lui qu'un modele chimL'ri(jue et inimitable. II naquit, en 1476, d'Aymond du Terrail et d'Helene des Allemans, au chateau de Bayard, dans la vallee de Graisivaudan, a six lieues de Grenoble. La maison du Terrail , une des plus anciennes du Dauphine , etait qualifiee de noble et ancienne chevalerie, d'ecarlate de la noblesse. Le jeune Bayard, eleve sous les veux de son oncle George du Terrail, eveque de Grenoble, puisa de bonne heure, a I'ecole de ce digne prelat, le germe des vertus qui devaieiit I'illustrer un jour. « Mon enfant, « lui ditaitce bon eveque, sois noble comme tes ancetrcs, « comme ton trisaieul, qui fut tue aux pieds du roi Jean, ic a la bataille de Poitiers; comme ton bisaieul et ton ve fut livre aux flammes, en place deGreve, au milieu des chants et des dansesd'une populace en delire! II n'en reste que de tres-faibles parodies et le tomheau vide, qui attirent encore a Saint- £tienne-du-Mont un grand nombre de pieux pderins. Un des plus eclatants miracles opM's par I'intercession de sainte Genevieve est celui connu sous le nom de mi- racle des ardenls. Sous le regne de Louis-le-Gros, en 1329, une horrible epidemie exercait sesravagesa Paris; c'etait comme un feu secret qui brillait et tuait ceux qui en etaient atteints. Etienne, ^v^que de Paris, imposa des prieros et des jeunes pour desarmer la colere cdeste, mais le mal semblait s'accroitre; enfin, il ordonna une proces- sion solenndlo oil Ton porteraitles reliques de sainte Ge- nevieve a la cathMrale. A peine celles-ci entraient dans I'enceinte du temple, que tons les malades de I'epidemie furent gueris, k I'exception de trois qu'une foi vive n'ani- mait point, sans doute, en ce moment. Le prodige fut v^rifie par le pape Innocent II, qui vint a Paris, I'annee suivante, et k la f6te principale de la .sainte qui se cde- brait alors comme aujourd'hui le 3 Janvier, le souverain pontife voulut qu'on en joignit une autre sous lo titre do sainte Genevieve des Ardenls, que Ton solennisa le 26 de novembre. Notre illustre .saintejustifia de la sorte, a plu- sieurs litres, lo nom de palronno do Paris qui lui a ete d^cern6. En 1823, mademoiselle Delphine Gay a publie une charmante piece po6tique en I'honneur de sainte Gene- vii;ve. Nos lecteurs nous sauront gre d'en citer quelques fragments ; BASILIUUE DE SAINT PIEKUE DU VATlCAiN A HOME. 59 cour. Depuis 1830, le monument a etc decouronne de son nureole religieuse. La stupide impiete lui a rendu le nom de Pantheon dont la terreur revolutionnaire I'avD't jadis emphatiqucmeut decore. Le Panlltciin! c'est-;> dire, le palais ou temple des dieux... et quels dieux lerrstrcs y recurent les honneurs de la sepulture'? il suffit d en nom- mer un... Marat... le plus ignoble et le plus sanguinaire des terroristes de 1793. Esperons que le bon sens public finira par triompher des liches pr^juges des profanaleurs de cet edifice, et qu'enfin la piete pourra voir reparaitre sur ce dome lesigne civilisateur et reparateur de In croix, au nom ct par la vertu duquel sainte Genevieve conquil I'auguste litre de patroune de Paris. L'abbe Pasi. ji Patronne de la France, amour de nos aVeux, Sur tes aulels uouveaux daigoe abaisser les yeux. Ce n'est point le pasteur que la foule accoinpagnc. Qui, descieux enflammes reclamant quelques pleurSj ProBFieoe ton image k travers la campagne, Pour obtenir de toi des epis ct des fleurs ; Ce soDt des rois, sajnte bergere, Ce soDt des rois quiviennent te prier; Benis-les, et devant ta houletle legere Leur sceptre va s'liuroilier. II est necessaire de remarquer que celte piece fut in- spiree par I'inauguration de la belle fresque peinte sur la coupole de la nou\elle eglise de Sainle-Genevieve, par I'habile peintre M. (iros. Cetle Eglise fut visitce parte roi de France Charles X, accompagne de sa famiUe et de sa BASILIOLE DE SAIH-PIERRE DU VATICAN A ROUE. Au pied des collines du Vatican paYen, Wron avail fait construire un immense cirque. L&, le peuple de la grande reine des cites alloit se rassasier de ccs spectacles qui faisaient la moiliS de son existence. Panem et eir- censes «du pain ct les jeux du cirque », tel etail I'abject materialisms de ce peuple deg^ni're qui se pavanail du litre de peuple-rm ! c'usl la que le prince des apotres saint Pierre fut attache sur une croix, la iHe en bas, car il s'estimait indigne de mourir comme son divin maitre. En I'an 106 de I'ere chrelienne un des successeurs de saint Pierre, le pape Anaclet, eleva en ce nieme endroit un mo- deste oratoire pour abriler Icsrestesdu prince des aputros. Aupres du cirque exislait un temple dedit; h Apollon, le dieu dela pnfeie. Uneconfianco superstitieuse y reunissait plusieurs idolStres qui venaient y consulter le sort. Les paroles des oracles ^taientles vaticinia, parce que le vales ou prStre de I'idole, agile par I'obsession divine, preconi- sait ou chantait, cancbal, les arrets du destin. La coUine myslerieuse pouvait done porter, a bon droit, le nom de Valicanum, Vatican. Mais, 6 profondeur des jugemenls de Dieu ! Bientot devait venir le temps oil le veritable valesy rendraitde vcridiques oracles, el ceux-ci, plus in- faillibles que ceux du dieu de Delos, devaient etre ac- cueillis par les nations civilisees et polies qui composent I'empire catholique. La colline devait done garder son nom providentiel de Vatican, et elle le conserve depuis dix-neuf sieclcs. Le petit oratoire du pape Anaclet se maintint debout au milieu d'une horrible pers(5cution qui dura Irois siecles. Quand enfin le glorieux Conslantin rendit le calme k I'e- glise, il fut aise de reconnailre le lieu oil reposaicnt les restcs du grand apotre. L'hisloire raconte i ce sujetun trait fort curieux. Con- slantin ayant accede sans peine au desir du pape saint Sylvestre, qui voulait eriger une grande basilique sur la tombcau de saint Pierre, resolut de presijer a cetle inau- guration religieuse. C'etait en 319 ou 321. L'empereur , revelu des habits de sa dignite , accompagne de sa bril- lante cour, se rendil au lieu destine a celle conslruclioii : la, il sedepouilla de son costume imperial, deposa sa cou- ronne, et, se prosternant k lerre, il versa d'abondanles larmes; puis se relevant, il prit unepioche, se mith creu- ser une partie des fondements; et, ensuite, chargeantses epaules d'une hotte, il relira de I'excavationdouze holtees de lerre en I'honneur des douze aptMres ; il decrivit enlin sur le sol humecle du sang d'un si grand nombrc de mar- tyrs la place de la nouvelle eglise. Au 18 novembre 323, la nouvelle basilique fut dediee a Dieu sous linvocation de saint Pierre. Le corps de cet apotre avail etc exhume et place par le pape dans une grande chasse d'argent que surmoutait une croix d'or pur du poids de cent cinquante livres. L'eglise avail la forme d'une croix laline el Ton y avail employe desma- teriaux fournis par les mines des temples paiens. An point central de la croisee s'elevait un aulel environne .le douze hautcs colonnes que Ton croil avoir appartenu iiu fameux temple de talomon. Le corps de 1' edifice presen- lail cinq nefs formees par qualre rangees de colonnes. On peut sen faire une idee par la calhMrale de Paris qui presenle une disposition semblable. La principale facade avail cinq portes donnanl entree dans chacune des nefs : on en praliqua plus tard quelques aulres aux extremiles laterales de la croisee. Un grand nombre de papes, suc- cesseurs de saint Silvestre, embellirenl el enrichirenta I'envi ce venerable sanctuaire, oil un grand nombre de re- liques d'autrcs martyrs avaient ete deposees. Les divers autels de cetle basilique repondaient par leur magnifi- cence a celle de I'autel principal. Mais,h;itons-nousd'ar- river a l'hisloire de la basilique actuelle qui doit piquer la curiosite de nos lecteurs, et d'ailleurs I'espace qui nous est reserve nous impose une grande brifevele dans la des- cription de I'antique temple constantinien. Depuis onze siecles, moyennant des reslaurations par- tielles, l'eglise fondee par le saint pape Sylvestre I et l'empereur Conslantin etait debout, mais elle menacait ruine. Nicolas V, elu pape, en 1447, fut le premier qui consul le projel d'une construction nouvelle. On demolit d'abord un edifice pai'en qui 6lail derriere la tribune ou absidedeSainl-Pierre, etsnrce terrain on ddifia une vaste et majestueuse tribune, sans toucher, pour le moment, ii I'ancien edifice. Nicolas n'en vit au surplus que quelques coudees elevecs sur ce sol d(^blay(;. II mourut en 1445 et I'entreprise ful suspenduo. Calixte 111 el Pie II ne s'occu- peienl point de ce dispendieux travail. Paul II, devenu pape en 1464, reprit le plan de Nicolas V et y depensa plus de cinq mille ecus d'or. Quelques aulres papes con- 40 tinufcrent d'embellir I'ancienno ^glisu. Aii celebie pontife Jales II il utait reserve tie donner enfin une impulsion decisive a ce grand projet. Ce pape appela k Rome Icsplus habilesarchitectes et adoplale plan de Lazaro Bramante, qui donnait h la nouvelle basilique la forme d'une croix grecque k Irois nefs ; la grande facade devait Hre ornee ISASILIUUE DE SAINT 1>IEUUL de deux clochers ; le centre devait porter une immense coupole environnte de trois rangs de colonncs : celle-ci devait s'asseoirsurquatre gigantesques piliers. Au 18 avril 1S06, le pape Jules II, malgre son grand age, descendit dans la profonde excavation ou devait Hre posee la pre- miere pierre d'un de ces piliers. Cctte fois, le travail fut poursuivi avec une telle ardeur que, dans peu de temps, cesquatre colosses s'eleverentjusqu'a lacornichedestiniie a supporter les quatre arcades sur lesquellcs le Bramante voulait appuyer la coupole. La mort enleva le pape en 1513, et I'archilecte en 1514. La construction fut inter- rompue. La Providence appelle au Irone pontifical Jean de Mii- dicis, sous le nom de Leon X. Ce pape, passionne, pour les beaux-arts, confie la poursuite de I'cEuvre h trois il- lustres architectes San-Gallo, Joconde de Verone et Ra- phael d'Urbin; mais la cbambre apostolique epuisee d'ar- gent ne pouvait fournir les sommes n&essaires. Le pape a reoours a la piele des fideles etpromet des indulgences «i ceux qui contribueront de leurs deniers h cetle magni- fique entreprise. La plumetombe des mains lorsqu'elle est forcee de signaler, h cette occasion, la naissance d'une hferesiequi couta tant do larmes h rhumanite, et dont les terribles suites se font sentir encore apres trois siecles. Un moine fougueux, Martin Luther, se met a pr^clier cen- tre I'abus des indulgences. Assurement, rien de micux : I'figlise d(5teste les abus. Puis il attaque les indulgences elles-mSmes. Ici la logique de Luther est evidemment en dcfaut; parce que des hommes debauches abusent de la liqueur qui provient du raisin, faudra-t-il maudire la vigne et la d^raciner? Leon X ne saurait done etre ac- cuse d'un zcle trop ardent pour rcdification de la basi- qiio de Saint-Pierre et considere commc le promoteur de cette desolante scission dans le seinde lachr(?tiente. Faut- d, diio.T nous, avec I'Evanjiile, que le censeur aitl'ocil Diauvai^ parce que le pontife ael(5 bon? L'ouvrage s'avanja neannioius,etleplan de croix grec- qne fut chang^ en celui de croix latine : mais, en 1520, Raphael rendait le dernier soupir, et Baltliazar Peruzzi rempla(;a le grand artiste. A peine celui-ci avait-il mis la main Ji Tceuvre qneL^on X, encore jeune mouruten1521. 11 scrait trop long de racontcr les mille autres incidents qui, pendant plusieurs ann^es, vinrent entraver ou modi- fier la grande entreprise. Nous dironsseulement que, pour cequi regardela coupole, I'architecte Buonarotti, nomme par Paul III, et si connu sous le nom de Miehel-Ange, eleva I'edifice jusqu'au tambour dont le dome devait^tro le couronnement. II y travailla encore sous les papes Ju- les III, Marcel II et Paul IV, et sous le pontifical de ce dernier, le sublime artiste paya son tributk la mort, mais il avail laisse un modfele de la coupole. Ceci avail lieu en 1564. Hitons-nous d'arriver i Sixte V. Souslui, Jacques de la Porte et DominiqueFontana termin^rent cctte oeuvre admirable. Au 13 juillet 1588, huit cents ouvriers com- mencerenl le prodigieux dome, etau 11 mai 1590, il s'e- levait niajestueusemenl dans les airs, jusqu'a la lanlerne. En 1605, le cardinal Borghese, devenu pape sous le nom de Paul V, voyant que la partie superieure de la basilique etail terminte s'occupa de la construction de I'autre partie. 11 jugea quele plan de la croix grecque ne presenlait point un edifice assez vaste pour contenir la concours des fideles dans les solennites majeures. II re- vint done a la croix latine et voulut mf'nie qu'on la pro- longed plus que nelecomporte sa figure naturelle. Nous n'avons pas besoin de dire que dans la croix grecque les quatre branches sont d'une longueur dgale, tandis que dans la latine la branche inferieuro est beaucoup plus longue. l»lj VATICAN A HOMK. 41 Une description m\ pen detaillee dece somptucux mo- nument pourra en donner une idee aux lecteurs qui ne sont point familiarisfe avec cetle merveille de I'architec- ture calholique. Une grande place d'e forme elliptique se presente d'a- bord aux regards. Le pourtour en est forme par deux ga- leries i jour en demi-cercle, chacune de ces galeries, percee d'arcades a quatre rangees de colonnes qui forment deux corridors couverts, tandis que I'aliee du milieu plus large est destinee aux voitures et par consequent n'a pas de toit. Les colonnes ont soixante et un pieds de hauteur et portent un entablement sur lequel sont placees deux cent onze statues de onze pieds et demi de hauteur. Au centre s'eleve un superbe obelisque egyptien qui a cent quatre-vingts pieds de haut. A droite et a gauche sont des fontaines, dont I'eau s^levant a une grande hauteur retombe en nappes 6paisses d'abord dans un premier bas- sindegranit oriental, et puis dans un autre bassin octo- gone dont la circonference est de quatre-vingt-neuf pieds. Le plus petit diametre de cette place intcrieurement est de cinq centquatre-vingt-huit pieds, le plus grand en a sept cent trente-huit. Cette premiere place est suivie d'une seconde, ayant la forme d'un trapeze ou table qui a deux cent quatre-vingt-seize pieds de long sur trois cent soixante-six de large. Les deux ccites rectilignes de cette place sont la continuation des galeries de la premiere, et vont rejoindre la grande facade de la basilique. lei commence le perron exhausse sur \mgt-deux mar- ches a trois paliers ou repos. Aux deux coles sont pla- cees les statues de saint Pierre ct de saint Paul que fit fairs le pape Pie II, par Mino de Kiesola. A la plus haute rampe du perron so dcploie la facade principale de la basilique, sur un developpement de cent vingt-quatre metres environ, ou trois cent soixante-douze pieds. Sa hauteur est de centcinquante pieds. Ce frontis- pice est forme de colonnes et de pilaslres corinthiens sou- tenant une architrave avec une frise et une corniche. Sur la corniche s'eleve un atliquo perc6 de fen^tres. Aux deux exiremites devaient s'clever deux clochers dont un etait deja construit, maisque Ton fut oblige d'abattre, parce qu'il offusquait la vue de la coupole. Toute cette facade est en pierre de travertin qui est une espfece de marbre. On lui reproche d'etre unpen basse, proportionnellement k I'ensemble de I'edifice ; neanmoins I'architecte voulut ainsi la construire pour donner au dome un aspect plus svelte etplus pyramidal. Entrons dans le portique qui a lui seul forme un edifice si vaste, si riche, si imposant, qu'il a pu passer aux yeux de quelques gens simples pour la basilique elle-meme. En effet, ce vestibule a quatre cents pieds de long sur plus de soixante de large. Comment decrire les peintures, les statues, et tous les ornements dont il est decor6? Nous dirons seulement qui chacune de ses extremites est placee sur un riche piedestal une statue equestre. A droite c'est Constantin, a gauche c'est Charlemagne. Cinq portes introduisent dans le temple. Celle du mi- lieu est en bronze. Ses bas-reliefs representent la vie de saint Pierre et les faits principaux du pontificat d'Eugene IV, qui la fit faire. La cinquieme a droite est muree et ne s'ouvre que tous les vingt-cinq ans pour le jubile. Par I'une des trois autres portes onpenetre habituelle- I ment dans la basilique. Elles portent les noms des papes Paul V, Urbain VllI et Innocent X. La grande nef a de chaque c6t6 quatre hautes et larges arcades que sou- tiennent de gros piliers dont chacun presente deux pi- astres engages. Enire les pilastres sont menagees deux niches superposees. Chaque niche est ornee de la statue colossale d'un des saints fondateurs des ordres religieux. La vodte esttiteoree de rosaces en stuc dore. Au centre de la croisee, sous la vaste coupole, est place le graud autel papal. Lorsque lo souverain pontife y ofiicie, il a la 42 HISTOIRE D'UN TIGKE. figure canstamment toiirnoe vers lo fond do la nef oil sont les cinq porlps el consequeniment vers lus lidi'les. II est important d'observer que la basilique est dirigi'O de I'orient ii roccidenf, en sens inverse do Notre-Dame de Paris et qu'ainsi place a I'autel, le pape regardeie levant. Les principales eslisps de Home ont leur axe dans cello direction. Get autel ainsi isole, et auquel on monte par sept marches, est couronne d'un magnifique baldaquin souteiiu par ([)uatre.colonnes. Le tout est en bronze dort, et ilepuis la base des colonnes jusqu'au sommct de la croix qui do- mineje baldaquin on compte cent trenle-deuxpipds. I'our se faire a Paris un objet de coniparaison on dnit se rap- peler que la grande voute de Notre-Dame a ruie hauteur de cent pieds et que lo baldaquin dont nous parlous per- cerait cette voute la depasserait de trente-deux pieds... le gradin de I'autel lui-mfeme est garni de six grands chandeliers. Au milieu, sans tabernacle est la croix. Quand le pape y officie on y met un septieme chandelier dont le cierge est plus haut que les autres. Celui-ci sym- bolise la suprematie pontilicale. Le bronze du baldaquin, dont nous avons parlc, ptse plus de cent niillicrs et a et^ tire du Pantheon. La dorure, ainsi que la main-d'oeuvre, monlerent a cinq cent trenle-cinq mille francs. La basi- lique en est redevable au pape llrbain VIII, niort en 164i. Au del^ de I'autel s'etend la branche superieure de la croix. Au fond on admire la chaire de sninl Pierre. C'est une haute et large tribune de bronze dans la(|uelle est enfernie le siege m6me de bois sur lequel le prince des apotres s'asseyait. Cette tribune est supportive par les statues colossales des quatre principaux docteurs de I'figlise. En avant sont saint Auguslin et saint Ambroise, derriere sont saint Jean-Chrysostome et .saint Athanase ; les deux premiers pour I'feglise latine, les deux derniers pour I'Eglise grecque. Si nous devious mainlenant parcourir celte immense basilique, decrire toutes les magnificences des trois bran- ches de la croisee de la grande nef et des deux collate- rales, il nous faudrait, non point un simple apercu, corame celui-ci, mais un volume entier. Arrelons-nous a la coupole, sous laquelle est etabli I'autel papal et le somp- tueux baldaquin dont nous avons parle. Ce dome repose sur les quatre piliers dont il a ete parle. Chacun de ces piliers a trois cents pieds de contour et cinq cents pieds dans les fondemenls. Sur les quatre grands arcs qid por- tent la coupole est un magnifique enlablementsur la frise duquel sont inscrils, en mosaiiiue, les mots suivanis : Tu es Pelrus el super hane petrain oeilifirabo Ecdesiam meam, el libi diibo chives regni cwlorum. « Tu es Pierre et sur celte pierreje bAUrai inon Eglise elje te donnerailes clefs du royaumc des cieiix. • Les lettres de cette inscription ont sept pieds de longueur et semblent n'avoir pas un pied. La coupole est double et les murs ont vingt-quatre pieds d'epaisscur. Les piliers ont cent soixante-huit pieds de liauleur. Depuis le pave jusqu'au sonimet de la croix, Ji lexlerieur, ce dflme a quatre cent vingt-quatre pieds. La lanterne seule en a cinquante-quatre et la croix en a vingt. La boule, qui a sept pieds de diametre, pent contenir seize personnes, et un escalier en facilite I'entree aux curieux. Ainsi I'elevation totale de ce dome equivaut d'abord aux deux tours de Notre-Dame de Paris poseesl'une sur I'autre et les surpasse de vingt-quatre pieds. Outre la grande coupole, la basilique de Sainl-Pierro en possede dix autres plus pelites, qoatre rondes et six ovales. Terminons par les dimensions de I'eglise entiere. La basilique de Saint-Pierre a six cents pieds de long, sur quatre cent quarante de largeur, a la croisee, en sorte que Nolre-Dame de Paris, dans .sa longueur totale, enlrerait dans la largeur de Saint-Pierre du Vatican. La nef prin- cipaie a quatre-vingt-six pieds de largeur, et cent qua- ranlequatre de hauteur. Nous n'avons en France que la cathedrale de Beauvais dont la voMe^gale la hauteur de cclle de Saint-Pierre de Rome. Jusqu'fi ce moment, la construction totale de ce gigan- lesque edifice a coiite prfes de trois cent cinquante mil- lions de notre monnaie francaise. L'6glise n'a ni chceur ni sanctuaire. Le Chapitre c^lebre ses offices dans une grande et superbe chapelle qui Equi- vaut, elle seule, k une belle Eglise. On ne voit dans cette enceinte ni bancs ni chaises, et ToBil pent se promener a loisir sur les riches compartimenlsde marbrequi ferment le pave. Au dessous de celui-ci, subsiste celui de I'an- cienne eglise de Constantin h laquelle on descend par un escalier devant I'autel principal. La voiite de cesouterrain a onze pieds d'elevation. La, au-dessous de I'autel papal, est celui ditia confession de Saint-Pierre, oul'on conserve les insignes reliques des deux princes de I'apostolat, Pierre et Paul. Pour se faire une idte un pen positive de ce grand edi- fice, il faut lire la description complete qu'en donneM. le chevalier Gaetano Moroni, un des principaux officiers du palais de sa saintete Gregoire XVI, pape actuel. M. I'abbe Pascal, auleur de loule la partie religieuse de ce journal se propose do publier bionl6t, en un fort volume in-8°, les Bnsilifiues dc Rome, avec des gravures. Les articles qui figureront dans cette deuxieme annee de notre publi- cation en sont des r6sumes. L'abbe Pascal. SCENES, RECITS, A VENTURES, EXTRAITS DES PLUS ROTTS VOYAGEURS, ETC. AVENTURE COMIOUE AUUIVtE AU CAPITAIiNE MAC-CLENCHEM, DANS LE DfiSERT DE HOOGHLY. ( SUITE ET FIN. ) Quoique le peu d'espace dans lequel il pfit s'agiter neulralis&t la force musculaire de noire ennemi, nous I'entendions gronder sourdement , conime le volean qui menace d'une (Eruption procliaine. Nous etions lA comme sur une mine qui d'un moment h I'aulrc allait lancer avec elle la destruction. La physionomie, jusqiie-14 impassible. HISTOIRE DUN TIGRE. 45 du capitaine, prenait line expression d'incertitude qu'il s'effoi'Qail en vain de cacher. Tout a coup ses trails se modififerent, un sourire illumina sa pile figure, il placa son index sur ses levres, en signe du silence qu'il me commandait; je le vis s'abaisser sur lui-m^nie, plier les genoux avec precaution , etendre lo bras droit comme s'il se fit agi de prendre une Iruile dans un des beaux lacs de I'Amerique, et, nvant que je pusse deviner ce qu'il allait faire, il se redressa sur ses pieds, et je le vis tenant et hissant ii lui, comme un cable, la queue du nionstre qu'il avail entrevue a rnrifice de la bonde, et qu'il a\ait tiree jusqu'^ la racine. J'aidai aulant que je pus a cetfe nou- velle mancEuvre. II etait demontremathematiquenicnt quetant que nous pourrions conserver le tonneau entre nous et la ligrcsse, notre salut etait assure. Nous pouvions esp^rer aussi que nous tratnerions I'ani- nial jusqu'au rivage, ou, a I'aide de nos compagnons, nous pourrions nous en rendre maitreset Tamenervivante au Jardin des Planles, a Paris, ou au Jardin zoologique de Londres, et I'esposer avec ccsmols, formule liabituelle d'hommage : Tiyre royal (femelle) donnc par le capitaine Mac- Clencliem el M. Robert. Peut-Stre avions-nous tous deux , mon camarade et nioi, la meme pensee sans nous la communiquer. Nous descendlmes avec pi^dence. Mais qui comple sans son tigre, rompte deux fois. Nous avions mal calcule nos forces respectives, car, bien queprivcedel'usage de ses jambes dederriere, la tigresso nous entraina a sa guise et traca elle-meme I'itineraire qu'elle voulut parcourir. Tous nos efforts pour I'arn^ter furent vains ; elle se dirigca, et nous avec elle, vers I'inte- rieur des (erres, continuant ses grondements sourds, et nous regardant de son a?il fauve, comme si elle nous con- siderait comme sa prqpriete. Nous parcourumes ainsi un mille; le capitaine tonait forme la queue de I'animal, moi, Je me cramponnais de loute la force de mes phalanges a la basque d'habit du capitaine. Et ici, messieurs, je dois une confidence k la vcrite du recit, je veux vous montrer ce que vaut I'espece humaine, quand la question du salut et de I'inti^ret prive est en jeu. Oui, j'avouerai qu'il me passa une idee infer- nale par le cerveau : j'eus la tentation de IScher prise el d'abandonner mon compagnon. Tout ce que je puis dire pour ma justification, c'est que si j'avais tenu la queue de la \iHe et que mon compagnon cut cte a ma place, il aurait peut-elre eii la meme penseo que moi. Peut-etre aussi, messieurs, tous, taut que vous Ales ici, auriez-vous subi la meme tentation en pareille circon- stance; j'aime a le cioire pour avoir la conscience plus l^sere. Je n'ai pas cidi a la tentation. Pourquoi? je I'ignore. f'^tait-ce par crainle d I'lre rattrape par mon ami, ou par la tigresse, ou peut-^trepar les deux?... Jonesais... A ce moment, je n'avais pas I'iutelligence de I'analyse, et dc- puis jo n'ai pas cherche a me rendre coinpte de la position. Quclques asperites de terrain, des racines d'arbres h la surface du sol , rendirent un moment noire course moinsrapide, etce ful, sansdoute, ce moment de repit qui permit a mon courageux et intelligent ami de concevoir une de ces pensees hardies, un de ces moyens imprevus de salut, qui ne pouvaient ^tre enfantes que par une ima- gination active comme la sienne. Le moyen qu'il trouva, je veux, je dois mJme le recom- mander a quiconque, dans ses voyages, sc trouvera dans la position critique oil mon ami le capitaine et moi nous nous sommes trouves. L'experience a ote faite, le doute niaintcnant ne peul ^tre que I'oeuvre de la mauvaise foi. Je vais donner la formule de sauvetage ou de salut. £tes-vous poursuivi par une tigresse dans un desert ** lIlSiOlKE b'UlN TlGUt; quelconque, et ctes-vous paiu'im, par adrcsse ou par force, a emprisonner la biMe leroce sous un tonneau dont la partie superieurc n'esl pas defoncee? avez-vous Irouve le moyen de tirer comme iin cJble la queue de la susdile bSte feroce, et, vous cramponnant a ellc, aTez-voiis mis le tonneau enire votre adversaire etvous? Nous admettons, messieurs, que vous en soyez a ce conimu nous y etions le capitaine ot degr^ de succfes , moi. Conlinuons la formule. Quand vous vous apercevez que I'animal furieux est doue d'une plus grande force que la voire, et qu'au lieu d'etre mcne par vous, il vous mene, et que, par conse- quent, vousnesavez pas oil vous vous arrelerez, parceque vous ignorez oil il s'arrfetera, prenez alors la queue dudit animal feroce, comme si vous aviez a la main un cable, une ficelle ou m^me un simple fil de chanvre ou de Iin, tournez la queue sur elle-meme, et faites un noeud non coulant, un fort nocud a la mariniere, de fa^on k ce qu'il ne puisse pas glisser ni passer k travers le trou de la bonde du tonneau quand vous lacherez prise ; I'animal trainera alors sa prison apres de lui, maisil cessera de vous trainer avec elle, et vous pourrez fuir. C'est ce coup hardi, messieurs, c'est cette experience miraculeuse que tenta avec succes le capitaine Mac- Clenchem. LINNE ET BUFFON. m A peine le noeud fut-il forme avec la queue de la ti- gresse, que mon ami m'enjoignit de pousser les cris les plus ai°us qu'il flit possible ; les sons les plus discords sor- tirent de ma gorge et de celle du capilaine. A defaut d'in- struments, je brisai I'une centre I'autre deux bouteilles de vieux rhum , qui par hasard se trouvaient dans mes poches, et nous parvinmes a inspirer i la tigresse I'effroi qu'elle avail longtemps su nous inspirer. Nos cris redou- blerent en raison de la vitesse de sa fuite, et bientiit elle se jela dans un epais fourre, et nous la perdimes de vue. Ce coup hardi fut sans contredit le plus beau fait de la vie demon ami le capilaine; et, malgre sa modeslie, il ne put quelquefois se defendre de rappeler oet episode de ses voyages. Le ncEud coulant est un trait d'une audace et d'une intelligence bien peu commune. « II y eut un moment terrible a passer, m'a dit depuis mon ami; c'est celui oil nous lichames la queue. Qui pouvait nous dire que le DOBud ne tilerait pas?C'etait la lout le probleme de notre existence. » Et il ajoutait : « Tirer les polls de la queue des elephants, prendre des crocodiles a la main, dompter les hippopolames, tout cela n'est qu'un jeu d'enfant en comparaison de notre nceud de tigre. » Avec quelle joie, continua le narraleur, nous retrou- vAmes sur le rivage nos hommes d'^quipage. Les cano- liers etaient sur le point de pousser au large ; il faisait presque nuit, et toutes les recherches pour nous retrouver avaient He vaines. En voyant sur le sable les traces du passage d'un tigre etles debris de notre repas disperses, on conclut que nous avions ete la proie de la bele f^roce. Arrives a bord, nous racontimes nos aventures au ca- pilaine et aux gens d'equipage; les polls de la tigre.sse, dont nos mains elaient encore couvertes, donnerent un cachet d'aulbenticite k notre recit. Le capilaine Mac-Clencliem fut I'objet des compliments de tous les passagers. Quant k moi, je ne tardai pas a toniber dangereuse- ment malade. Le delire me prit ; on ne parvint a me calmer qu'en attachant le bout d'une grosse corde au pied de mon lit, et en me donnant a la main I'autre ex- tremite, que je lirai des heures entieres, comme s'il se fut agi de continuer encore I'experience du capilaine Mac- Clenchem. Quand je fus plus avance dans la guerison, le docleur ordonna qu'on me mit encore entre les doigls des petites ficelles, ci I'extremil^ desquelles je me plaisais toujours k faire des noeuds marins. Je me relablis enfin, mais lentement; et depuis lorsj'ai pris ce type d'insouciance que vous me rcprochez quel- quefois, et qui nie permct de premier a peine I'oreille au« ri^cils habituels des chasseurs. .I'avouerai que ce qui a rapport a la vie plus ou moins incidenlee du lapin et du lievre me trouve peu sensible. Cependant, continua M. Robert, pour donner conclusion complete a mon recit, je dois vous dire que la curiosile poussa le capilaine Mae-Clenchem k prendre plus lard des informations sur la tigre^se et le tonneau; mais tout ce qu'il put connaitre, par les naturels du pays, c'esl que denx ou trois annees apres le passage du batiment (|ui nous porlait, deux jeunes tigres furent lues dans le voi- sinage. Tous deux avaient une forte excroissance a la ra- cine de la queue, a peu pres de la grosseur et de la forme d'un petit baril d'huile; et quoiqu'on n'ail jamais pn se procurer, en depit des recherches, qu'une peau de ti- gresse manquant de la parlie la plus essentielle comme ornement, le capilaine crut pouvoir affirmer que ces jeunes tigres Etaient la progenilnre de la tigresse en question. II est d'aulant plus a regrelter i]ue ces pelils tigres n'aient pas ete pris vivanls, qu'independamment de I'altrail quils auraient ajoule a une colleclion zoologique, ils auraient jete une grande lumiere sur une question encore obscure malgre toutes les discussions, celle de savoir jusqu'^ quel point les sensations produites sur une mere par les objets exlerieurs peuvent inlluer sur la confornialion physique du germe qu'elle feconde dans son sein. Le recit de M. Robert mit fin aux anecdotes de v^nerie qu'on debitail a la taverne d'Arrowsmith. Depuis ce jour, quand un chasseur prelude au recit de ses expeditions, on a invenle, pour le rappeler au si- lence, une formule qui est devenue proverbiale : « Parloz- lui du tonneau du capilaine Mac-Clenchem , » dil-on. Et I'assemblee de rire et d'ctouffer par des hourras la voix du conteur. BlOORAPIllE SCIEniFKJLl I.INNE ET BUFFON. Mes enfanis, ne ful-ce que pour echapper a I'ingrali- lude, consacrons un souvenir ii ces hommes de genie qui, porlant devant nous la Inmiere, nous ont revele la na- ture et nous ont presque mis dans la confidence des se- crets sublimes de la creation. L'annfe 1707 vit naitre deux naturalistes eminenls, I'un en Suede, I'autre en France : Linne el BulTon. Comme tant d'autros grands hommes, Linne recut d'a- bord les dures lecons de I'adversite. Sa vie nous offre mSme un exemple mtjmorable de ce que peuvent reunis le courage et la volonle. A peine age de dix ans, il elait d^j^ tellement entraine par la passion des planles qu'i! negligeait ses etudes latines pour courir dans les champs ; et son pere, pasteur austere d'un simple village, prit une idee si fausse de ses dispositions naturelles qu'il le mil en ap- prentissage chez un cordonnier. Heureusement pour Linn^, heureusement pour la science, le merile du jeune bolanisle fut compris ou devinc. Linne put revenir aux eludes de son choix, et I'universite d'Upsal le compta bienlol parmi ses eleves. Toutefois, il dut y vivre encore quelque temps entoure de privations, s'il est vral qu'il ait ete reduit k raccommoder pour son usage les vieilles chaussures delaissees par ses camarades. Cinq ans apres, on lui confia la direction du jardin botanique, et puis la soci(5te royale des sciences d'Upsal le chargea d'aller en Laponie pour recueillir et pour decrire les planles de 46 LINNE ET BUFFON. cette singulifero contr(5e. A son retour de ce p^nible voyage, il voulut donner des lecons publiques ; mais la jalousie inquiete d'un professeur lui suscita des tracasse- ries qui le deciderent k se retirer k Fahlun, celebre sur- tout par ses mines de cuivre. 11 chercha, par quelque pra- tique de la niedecine et par des lec'ons de miueralogie, h subsister clietivenient dans celte ville, et pent-fetre ne serail-il pas sorii de eelte position critique et obscure, si une jeune personne, qui pressentait niieux que lui tout ce qu'il pouvait Mre, h'eiVt exige, pour devenir son Spouse, qu'il consacrAt encore a I'eludo Irois annees. Linn(5 passa tout ce temps en HuUande cliez un riche proprietaire, nonimc: George Clillort, qui lui-m^me 6lait passionne pour I'bistoire naturelle el qui possedait un jardin, un cabinet et une biblidthi'que mngiiifiques. Get excellent bomnie raccueillit a\'ec d'autant plus de cordia- lite que Liniie lui avail ele presente par I'illuslre niMe- ciu JJoerliaave. Vous devez comprendre, nies enfanls. combien fut grande la satisfaction de Linne, qui jouissait ainsi avec calme et abundance de tout ce qui pouvait ^tendre ses connaissances et nietlre a I'aise le d(5veloppe- ment deses idees. Aussi n'a-t-il manque jamais I'occasion de proclamer bien baut sa reconnaissance, et Ton peul dire qu'il a verilablemenl immortalise son bienfaiteur par les ouvrages qu'il a publics cbez lui C'esl encore cliez ClilTorl que Linne donna de I'ensemble a ses vues et en fit les premieres applications generates. Deja I'bistoire naturelle avail etc traitiie sans doute dans des ouvrages nombreux el savants;_ mais ce n'etaient guere que des CBuvres 6parses , incompletes ou confuses. On n'avail point distingue nellenient les cspeces, on n'avail mime pas essav6 d'en faire le catalogue complet; les descrip- tions n'en Maient point redigees sur un plan uniforme, ni exprimees en termes d'une signification precise; les md'thodes suivies pour les distribuer avec ordre n'etaient pas rigoureuses; enfin les noms assignes aux espijces va- riaient presque au griS de cliaque auteur, et Ton etait sou- vent reduil a se servir de phrases descriptives qu'aucune memoire ne pouvait retenir. Linne fut fr.n\ipe de tons ces inconveuients qui relardaienl les progrfe de la science el jugea qu'il ^tail necessaire d'y porter bien vile un re- mfede. C'esl alors qu'il etablil cefte admirable classifica- tion qui lui a merits dans la zoologie, mieux peul-itre qu'en botanique, le litre de legislaleur. Sa nomenclature est commode, en effet; son langage technique est remar- quable de precision el d'energie; des idees pittoresqucs etincellent partout sous sa plume, qui se cree souvenl des mols rnervcilleusemenl expressifs. Parfois cependauL son style, Irop charge d'allusions el de metaphores, de- viant obscur en voulant fitre trop concis; enfin ses gran - des divisions surloul out ele si heureusement calculees que la pluparl demeurenl dans la science conime un le- moignage (5clatant de sa perspicacity. Mais il eut dans Bulfon un rival done de trop riches facuUes, dont les ou- vrages 6taient trop etendus et trop parfails, pour que les siens ne lombassent pas d'abord au second rang. Toule- fois le merile prodigieux de ses travaux zoologiqucs s'est fait jour peu h peu ; et quelque brillaule qu'ail itA la destinee du naturaliste franfais, nous devons dire, pour iMre juste, que Linne desormais est en zoologie le prince do tous les naturalistes. La gloire non plus ne lui manqua pas de son vivanl. Toutes les acadtjmies de I'Europe s'honorerent de I'avoir pour associe, les rois eux-meme.s lui dounerent des marques insignes de consideration; il fut auobli par .ton souverain el decore de I'ordre de I'fi- loile polaire. Mais I'ilUisIre Cuvier, a qui nous devons LINNfe ET BUFFON. 47 lous ces details biographiquBs, fait remarquer avec amer- tume que les lettres de noblesse ne lui furent pas accor- dees pour avoir en quelque sorte fonde la botanique, mais pour avoir decouvert un moyen de faire giossir Ics pedes que produisent certaines moules de Suede. Quoi qu'il en soil, Linne fut demande par le roi d'Espagne et par le roi d'Angleterre ; Louis XV ne dedaignnit pas de lui envoyer des graincs lecueillies de sa royale main; mais dans la simplicite de sa vie, Linne devait etre peu accessible aux lionneurs du monde ; sa cliaire de botani- que dans I'universite d'Opsal sulUsait a son bien-etre et il son ambition; et, quoiqu'il aimat a ilrii loue, quelque plante singuliiire ou quelque animal i'trange pouvait seul lui faire eprouver de vraies jouissances. Vivaiil avec ses Aleves, qu'il considerait comnie ses enfants, prompt ii s'(5- mouvoir comme a s'apaiser, il ne fut guere trouble par les attaques de ses antagonistes qui le traiterent souvent avec rigueur; et bien qu'il en ait eu de fort celebres, parmi lesquels nous avons la douleur de trouver Bulfon lui-meme, il ne prit jamais la peine de leur repondre, sui- vant ainsi le consed que, bien jeunc encore, il avail rocu du sage Boerhaave. Seulement, profUant de I'homonymie que presentent en latin les mots Buffon et crapaud (Bufo), il se vengea de son puissant rival en lui dediant, sous le nom de Bufonia, une plante infime sous laquelle s'abrite le crapaud. Au contraire, la plus etroite amitie I'unit toujours a nuire celebre Bernard deJussieu, qui fut cependant son heureux emule en bolaniqne. Une anec- dote curieuse raconte ainsi leur premiere entrevue. JIal accucilli en Angleterre inalgr6 le patronage puissant de Boerhaave ct celui de sa propre renommee, Linne vint a Paris sans recommandations. Bienlot il arrive, encore ignore, dans une de ces lierborisalions oil Jussieu recueil- lait les plantes des champs et les designait ii ses eleves. Ceux-ci, qui souvent essayaient de metlro ii I'epreuveson admirable sagacite en mutilant les plantes ou bien en les d^figurant par I'addition de parties prises a d'autres genres, lui en presentent une composee de pieces rappor- ttes. Le savant et moiicste professeur hesilait ii pronon- cer, lorsqu'un inconnu proclame et prouve la fraude ma- ligne des eleves. Linne ^eut ou moi pouvions la di'coitvrir, s'ecrie naivement Jussieu. Eii elfet, c'etait Linne. Jussieu I'embrasse avec transport, etle souvenir de leur vive af- fection se trouve consncre dans ia science par la dedicace de tout un genre de plantes, qui porte le nom du bota- niste francais. Du reste, Linne avait le caractere fiicile et bienveillant, ses moeurs etaient vertueuses et sa via retiree. Fort atta- che aux principes religieux qu'il lenait de son pire, il ne parlait de la Divinite qu'avec respect, at saisissait avecj un plaisir marque les occasions nombreuses que lui f,f- frait I'hisloire naturelle de faire connaitre ttiule la sagesse du Createur. Ses depouilles mortelles fura'nt recueiUies dans la cathedrale d'Upsal, et Gustave 111 oomposa lui- meme son oraison funebre. La Providence, qui .se cache souvent dans ci! (]ue nous appelons le ha.sard, cnchaina dune maniere irnjjrevue le jeune Buffon a I'etudo de I'histoire nat\)relle. Fils d'un conseiller au parlement de Bourgogne, il n'^tait encore animeque d'un dfeir vague d'instruction et de renommee, lorsque sa nominaliun a la place d'inlenilant du Jardin- des-Plantes, vint donner une direction fixe kses idees et lui ouvrir la carriere ou il s'est immortalise. Jusqu'a lui, l'hi.stoire de la nature n'avait ele era rile avec ■fitendue que par des compilateurs sans talent, le s autres Duvrages ge- neraux n'offraient que de seches nomencla tures. Linne n'avait pas encore produit son oeuv re etsem blail ne s'oc- cuper plus specialemenl que de bg lanique, jl existaitdes 48 PETITES SOIREES observations excellenles et varices, mais isolfes ou bien reslreintes k des objels particuliers. Buffon, alors hostile ii toute espi'ce de classification, resolut cepcndant de faiie de toutes ces connaissances acquises un vaste el magni- fique ensemble. N'ayant ni la patience ni les organes physiques convenables pour observer au microscope ct pour decriro les details, il confia conipletement a I'liabile Daubenton, nlors son ami, le role modestc et accessoire de descripteur des formes exterieures et de I'analomie. 11 se reserva tous les morceaux d'eclat, toutes les theories generales, et surtout il 'voulut ^tre le peintre des moeurs des animaux. Mais il n'a lr»jt6 veritablement que de I'histoire des mammifferes, car celle des oiseaux est due en grande partie a son coUaborateur Guineau de Mont- beillard. II n'y a qu'une opinion sur Buffon considere comme ecrivain, car peisonne peut-etre ne I'a egalepour I'eli'vationdu point devue, pour la niarchelbileetsavante des idees, pour la p'ompe et pour la majesle des images, pour la noble gravile des expressions, pour la dclicieuse harmonie des periodes. On lui reproche parfois uncer- tain defaut de flcxibilite, ct ccpendant il a souvent riussi h rendre les plus petils details avec une grace enchante- resse. Les retlf.xions morales par lesquelles il cherclie a varier la monotonie d'un sujet quelquefois aride mon- trent presquo partout I'exquise sensibilile de son hne. Enfin, ses tableaux de grandes scenes de la nature sont d'une verite parfaile et empreints chacun d'un carac- tere propre et ineffacable; aussi la reputation de son livre fut-elle prompte et universelie. Les hommes ^minents de tous les pays rendirenta I'auteur deshonimages unanimes. Linne seul, peut-fitre, fit exception. Mais les allusions ameres du naturaliste su^dois etaient encore pour le na- turaliste frajicais un nouvel hommage et le seul qu'ilpilt attendre dun rival trop epris lui-m^me de la louange pour consentir a la parlager. D'ailleurs, vous le savcz, cette inirQiti(5 fut reciproque, ciiconstance bien dt^plora- ble assurement; car la science, qui eAt tant profite du eoncours preeieuxde ces deux hommes de genie, se trouve au contraire obstruee d'une foule de mots superflus in- troduits Ji I'envi par les illustres chefs de deux fccoles ennemies.. Pour etre \rai, nous devons dire que Linne I'emportei comme classificateuret Buffon comme ecrivain, que lun n fonde la science et que I'autre I'a popularisee ; qu'ils soiit enfin .le complement indispensable I'unde I'au- tre ; Linne s'etant surtout distingue par la methode et par les detail:,, et Buffon par les grandes vuesd'ensembleetpar le colons. Mais ponr etre juste aussi, nous devons ajouter que Buffon, avec cette noblesse d'Sme qui ne craint pas d'avouer une longue eneur, s'etait rallie, dans les der- nieres annees desa vie, a la necessite d'une classification; ASTUONOMIQUES. et nous devons bien regrettter qu'il ne s'en soit pas .se-^ rieusement occupe hii-mfime, car celle qu'il a donnee pour la nombreuse famille des singes est un veritable chef-d'oeuvre. Enfin ses id^es quant ii rinfiuonce qu'exer-" cent la delicatesse et le developpement relalif de chaquef organe sur la nature des diverses especes resteront comme point fondamental de toute hisloire naturelle, de nieme que .ses idees sur la degeneration des animaux et sur les limilesque les cliniats, les montagnes et les mers assignent a chaque espece, sont de veritables decouvertes qui se confirment chaque jour et qui ont donni5 aux re- cherches des voyageurs une base fixe, dont elles man- quaient auparavant. Comme Linn(5, Buffon savoura long- temps la gloire qui lui ^tait peut-6tre plus nteessaire, ear il vivait dans tout le i'aste d'un grand seigneur. On dit mi5me que, pour ecrire ses ouvrages, il avait soin de rovetir d'abord ses habits les plus somptueux, comme si la solennite de son costume devait communiquer a son style plus de .splendeur. Ce qu'il y a de sur, c'est que sa i conversation ctait presque vulgaire et negligee. Quoi qu'il ^ en soit, Buffon recut de plusieurs souverainsetrangers et notamment de Frederic le Grand, roi de Prusse, etdeCa- Iherine II, imperatrice de Russie, les temoignages de l.i consideration la plus elev^e ; il vit, sous Louis XV, sa terre patrimoniale 6rigee en comte, et, sous Louis XVI, .sa statue de marbre placee a I'entree du cabinet du roi. fitranger aux cabales qui, au-dessous de lui, agit^rent la litt^rature et I'tlat, il ne r^pondit jamais aux critiques obscurs qui essayerent vainement de gater sa vie tran- quille et douce. Et 11 en devait etre ainsi ; car, comme naturaliste m^me, Buffon sera toujours une de nos plus hautes sommiles scientifiques; et comme ecrivain, s'i! n'a trace qu'une des grandes pages de I'histoire naturelle, cette page du moins, qui rcsplendit d'un style magique et pur , sera toujours un des plus beaux monuments de la langue francai.se. Pciur nous, mes enfants, ce qui dans Buffon nous etonne et nous afflige , c'est qu'i cette Sme d'elite ait manque peut-etre la chaleur si suave du senti- ment religieux ; c'est qu'au milieu des merveilles de cette creation qu'il analyse et qu'il sent, au milieu des dons et des bienfails du Createur, dont il tenait lui-meme une si belle part, sa reconnaissance ait pu rester muetle et que son admiration niSnie soit toujours froide, m^lrique et sans elan. Peut-Stre aussi ce silence (Strange peut-il s'ex- pliquer par une faiblesse? Buffon aimait a I'excessa re- nommee, il craignit de la conipromettre aupres des esprils fur(s de son temps qui, voyant Dieu dignement honore dans ses oeuvres, eussent aiguise leur critique centre Tapolo- giste et change leurs eloges en dedains. Teulieres. ; CAL'SLRIES m PERE DE FAMIUE. PETia*XS soit LEES ASTRONOMIQITES. Mes enfanls, I'astron omie a pour domaine la plus ma- gnifique part de la creation, le firmament. Si5rieuso et solennelle, cette noble science n'a pas besoin d'ornements Strangers, cai: elle a pcmr elle et la sdrete de ses m(5- Ihodes et la s plendeur d e ses resultats. Mais par son ele- vation mtmc et par les connaissances premieres qu'elle exii;e, I'astronomie ne se trouve-t-elle pas reellement trop au-dessus de votre jeune intelligence? Non, mes enfanls. D'abord les notions sullisantes de geometric, d'optique et de niecanique viendront se mettre aisement a votre dis- position; et puis, quant a la science elle-meme, elle se fern pour vous elementaire, mais ^li'nientaire seulement. PETITES SOIREES ASTKONOMIQIES. 49- par la forme, par le choix, par la inethode, car au fond toutes les qucslions impoitanlcs scroiU post-es par nous et resolues. Voyez en elfet notre programme. Nous com- menceions par un mot sur la lunette, puisque c'est h ce merveilleux instrument que I'astrononiie doit surtout ses progres. La lunette fut derouverte par hasard. Desenfants pour s'amuser alignaient des verres.et, leur curiosite re- itardant au travers, ils furent bniyanimenl emerveilles d'apercevoir tout pres d'eux le cloclierdu village, qui elait cependant tres-cloigne. Un lunelier intelligent sut profiter de ce fait; mais il eut le malheur de soumettre son ceu- vre aux ^chevins de la ville, qui criliquerent I'instrn- nient comme fort incommode parce qu'il n'admettait, di- saienl-ils, qu'un ceil seulenient, el I'artisle perdit le lemps k lulter contre I'insoluble probleme d'une lunette qui pit admettre simullanement les deux yeux. HeureusementGa- lilees'empara de I'invention pourl'ameliorer, etdejJi, quoi- que aide d'un simple grossissement de Irenle fois au plus, ce celebre astronome italien acquit a la science des faits qui rendent a jamais sa memoire illustre. Mais touts la puissance de la lunette ne fut verilablement reconnue que par Kepler, une des gloires scientiliques de I'Allemagne. Kepler elablit en effet que I'eclat de I'image depend du (liamelre de l"un des verres appele objectif, et que I'ampli- fication de I'image depend de la longueur de la lunette. Au- zou, astronome francais, presque eclipse parmi ces honimes de g^nie, construisit une lunette qui avait cent metres de longueur, c'est-a-dire la hauteur du dome des Invalides; il oblenait ainsi un grossissement de six cents fois ; mais cet instrument etait tres-difTicile a manier. Newton, Thomme le plus Eminent que I'Angleterre ait donne a la science, Newton, a qui nous devons tant de faits et tant de lois, Newton, sans le vouloir, retarda le perfectionnement de la lunette en declarant qu'il 6tait impossible qu'une lu- nette a grand pouvoir amplificatif fut contenue dans des dimensions mnniables; erreur deplorable, car quand un homme de genie se trompe, il arrete son siede pour long- tenqjs. Et pourlant Tolon, refugie francais en .\ngleterre, combatlit victorieusement I'erreur de Newton. En r^a- lite, le grand obstacle au pouvoir amplificatif de la lu- nette, c'est de fabriquer du verre sans bulle, sans strie, surtout dans de grandes dimensions. Or, le moiudre de- faut dans la lentille rend I'image defectueuse. Un simple ouvrier vient de doter la p'rance de ce prodige de I'art, et la France aujourd'hui fait .seule des verres purs avec des dimensions incsperees , et ces verres ne produisent pas de couleurs. Pr^s de Paris, on coule maintenant des lenlilles on objectifs d'un metre d'ouverlure, et landis qu'hier encore nous n'avions au plus qu'un grossissement de onze cents fois, aujourd'hui le grossissement .sera de six mille fois. On transportera done ainsi la lune, par exemple, si pres de la terre, que I'observaleur pourra niieux examiner ce satellite, qu'il ne pent voir de Geneve le mont Blanc. Or, cette cime de nos .4lpes est facilement ^tudiee de I'observaloire de Geneve. Nous pourroiis done connaitre enfin la constitution physique de la lune. Je ne manquerai pas de vous donner quelques details sur I'humble inventeur de la nouvelle lunette, car si nous devons citer avec reconnaissance les savatits qui menent la science, quoique la renommee protege leur souvenir, nous devons surtout .sauver de I'oubli les artistes mo- destes dont les contemporams eux-memes ignorent le nom. En effet, I'habile opticien qui par des instruments T. II. delies seconde si bien les investigations de I'astronome doit partager avec lui nos liommages, puisque le genie de I'art devient ici I'auxiliaire et le complement du ge- nie de la .science. Quoi qu'il en soit, ce perfectioiuie- meut des lunettes sort admirablement au perfectionne- ment nieme de la science; mais il ajoule de nouvelles dilT.cultos pour I'astronome, de nouvelles fatigues, de nouveaux devoirs. L'astronomie comtemplative des C.hal- deens cHait commode, simple, facile; mais I'astronome actuel est sourais a une foule de details qui epuisent sa patience et compromettent sa vue. Or, c'est par les de- tails qu'une theorie scieutifique s'eleve ou s'ecroule. Des qu'un detad , quelque petit qu'il paraissc, heurte une theorie, elle doit lomber, car elle n'est pas dans le vrai. Vous comprendrez mieux, mes enfanis, dans une de nos prochaines soirees, les difficultesde detail qui pesent desor- mais sur I'astronome; mais il est important que deja vous .soyez avertis.sur ce point comme aussi sur une autre erreur assez ordinaire. Vous enlendrez dire souvent qu'on est heureux d'etre astronome, parce qu'on a le privilege d'a.s- sisler a I'imposante scene que presentenl les profondeurs de I'espace. Assurement le nionde stellaire e.st dans la creation malerielle I'objet le plus eleve sur lequel puisse s'e.xercer et se complaire la pensee humaine, et I'astro- nome y trouve, en efifet, les plus dignes jouissances; mais personne ne songe aux mille peines qu'elles lui coii- tent. Notre climat est brunieux, il faut s'exposer, immo- bile, a tons les caprices de fair; le ciel est ordinairement couveit, il faut altendre avec anxiete qu'un eclairci .se forme. Le fil d'araignee qui sert de point de mire est d'une extreme lenuite, et une partie de son epaisseur, si elle etait negligee, entrainerait une erreur capitate. II faut done cclairer arlificiellement I'appareil. Mais les mouvenienis oscillatoires de la tlamme deplacent sans cesse le point de mire; puis, tandis que I'aslronome se tient haletant d'attention et le regard tendu vers I'astre, la vapeur meme de son haleine se depose sur le verre et I'obscurcit, et le voila dans Tallernative ou de perdre, pour essuyer la lentille, I'instant favorable a I'observa- tion, ou bien de ne la faire qu'a travers un nuage. En- fin, tandis que la vision dolente amuse I'oeil et le repose, la vision tendue le fatigue et le perd. Si done, mes en- fants, les avantages reserses a l'astronomie sont inimen- ses, n'oublions pas toutefois qu'il n'est pas de science oil le travail soit plus laborieux et I'abnegation plus com- plete; car voyez comme I'astronome doit partager sa vie : il faut que la nuit il observe et que le jour il niedite. Quoi qu'il en soit, nous verrons que la lunette ne se com- pose veritablement que de deux verres. Le plus grand est appele objeelif parce qu'il est lourne vers I'objet; le plus petit est appele ociilaire parce qu'il est place presde I'oeil. Nous verrons comment I'objectif produit I'image aerienne de I'astre et comment I'oculaire ou loupe aniplifie celle image. Quant au tube de la lunette, il ne remplit aucun role essentiel. Sa fonction principale ne consiste qu'a maintenir les deu.x verres dans une relation convenable. On pourrait done a la rigueur se pas.ser de ce tube qui frappe le plus les regards du vulgaire; mais I'objectif et I'oculaire sont indispensables. Peut-etre cependant vous entendrez citer la lunette de Franklin comme n'ayant He formee que d'un seul verre. Le fait est vrai ; mais pour ne pas laisser a votre surprise le temps de s'egarer, je dois vous dire bien vile et lout .simplement que Poeil de r,o - PF/riTES SOIKEES ce savant AiiKM-icaiii, so trouvant confiirm6 en loupe, ne ronilait olieclivemcnt necessoire que I'objectif. Mais avcc lette lunetle cxceplionnellc, le yrossisscment ne pouvait (Hre considerable, car comma le pouvoir amplificatif de- pend de rexigiiil(5 nii^me de I'oculaire, vons comprenez que I'oeil de Franklin ne ponvait rivaliser, sous ce rap- port, avec nos loupes qui n'ont que le volume d'une tele d'epingle. ■ Mais continuous notre pelit programme. Apr^s avoir bien compris quel auxiliaire puissant nous trouvons dans la lunette pour explorer au loin le firmament, nous etudie- rons les belles lois do Kepler, ces lois qui le ravireni telle- ment lui-mfmequ'il s'ecria : • Jo vaisecrire mon livre.jo ne sais ce qu'en fera la posterite; mais que m'importe ! Dieu n'a-t-il pas attondu' six mille ans un contemplalciir de ses ceuvres! » Parole \aniteuse, sans doute, mais que nous n'avons pas le courage de reprocber a Kepler, car les (Sblouissements de I'amuur-propre se comprennent, mes enfanls, quand on est clioisi de Dieu pour d6voiler au monde de si grandes \erites. C'est sur la lerre ensuite que se recueillera notre i^tude, d'abord parce que la terre est la demeure de I'liomme, et puis parce que c'est I'astre qui nous sert d'observa- Ibire, I'astre qui nous fournit nos points de repfere comme notre point d'appui. ^fous verrons alors que si le mouve- riient sideral Semble trte compliqueet presque irregulier, celle confusion apparente devient uiie r6gularit6 parfaite si Ton tient coniptc du deplacement de la terre, c'est4- dire du point ni6me d'oii se fait I'observation. La terre est isolee. Les anciens la placaient sur un elephant, sur une tortue, on bien ils la fermaient dans une sphere de rrislal. Nous verrons qu'elle tourne sur elle-meme et qu'elle circule autour du soleil, ce qui determine I'alter- native des jours et des huits et la succession harmo- nieusedes saisons. La surface de la terre presente des as- peritfe qui nous paraissent prodigieuses et que nous ap- pelons chaines de niontagnes; mais a grande distance ces inegalites s'elfacent, et vue du soleil ou memo de la lune seulement, la lerre paratt spherique comme les au- tres planetes. Bien plus, la surface de la terre est brillante comme le disquo de la lune ; elle doit nieme jeter plus d'eclat, car elle a plus de volume. Nous diiterminerons la densite moyenne de la terre lout aussi bien que s'il nous etail donn6 de pouvoir evaluer la density specifi- que des differentes substances dont notre globe se com- pose pour en conclure la density moyenne de I'ensemble. (rr, quoique nous n'ayons encore qu'i^gratigne, pour ainsi dire, la pellicule du globe, dejji nous connaissons des substances de densites bien differentes. Mais ce n'est point par la balance que, comme les physiciens, nous apprecierons la densite moyenne de la terre; nous la do- terminerons d'une nianicre peremptoire par des mesures di.' raouvement. C'es;t encore par des mesures de mouve- ment que nous resoudrons neltement la question capi- t;le de la temperatyro terrestre ; et remarquez bien, mes ehfaiils, que les preuves vont nous vcnir d'oii nous sem- Wions peut-etre les attendrele moins. Ainsi, c'est la lune qlii nous fournira le moyen de renverser ici le systeme de Bdlfon. .Ce prince Hes naturalistes francais, qui n'eut .jamais de rival pour le charme des diiaWs etpour la ma- gnificence du style, ri^gnait en soaverain dans le monde savant iorsqu'il annouca que nous marchions a la plus effroyable congelation. Or, la vilesse de la lune est bee ii ASTRONOMIQUES. la temperature de la terre, et comme cette vilesse n'a pas varie depuis deux mille ans, c'est- ii-dire depuis les pre- mif-res observations aslronomiques, il est evident que de- puis vingt sitcles la temperature de la terre na pas elle- meme varit^ d'un cenlieme de degre, car ce l^ger chan- gement eCit suffi pour alti5rer le mouvement de la lune. Si done la terre marche vers la congelation, c'est du moins avec upe bien consolante lentelir. La vitesse de la lune me rappelle une preuve remarquable de sagacity que donna I'astronome Gassendi, qui n'(5tait alors Age que de hull ans. Des nuages tlottantss'interposaient enlre la lune eU'horizon; sescamaradesdisaient quec'elait evi- demment la lune qui courail et les nuages qui etaient stationnaires. Gassendi, pour prouver que la lune ne se deplacait pas ainsi, mais que c'etaient bien les nuages qui fuyaient, se mit sous un arbre et placa la lune entre deux feuilles; or, la lune ne quitia pas rette position; elle etait done immobile, et le deplacement rapide ijtait celui des nuages. La ligne visuelle ou point de mire donna raison au jeune Gassendi. Se procurer une ligne visuelle bien nette dans I'espace, c'est done se sauver de beau- coup d'iUusions, el cette ligne visuelle nous fera facile- ment reconnaitre que si le displacement de la lune est in- sensible pour un moment donne, cependant il se mani- festo et se mesure des qu'on met, par exemple, une lieure d'intervalle entre les deux observalions faites sur cet as- tre avec le point de mire. A I'etude de la terre succedera celle du soleil. Sa dis- tance a une base mesurable sur la terre m6me. Nous de- terminerons que celte distance moyenne est de Irenle- huit millions de lieues; et, pour vous faire une idee de cette distance, donnez-vous pour mesure une vitesse qui soil familiere, celle cl'un boulet de canon, vitesse de pro- jection la plus rapide que nous puissions produire. La Vi- tesse initiale du boulet, c'est-k-dire a sa sortie meme de la piece, elant de deux cents metres par seconde, ce bou- let metlrait quarante ans pour nous arriver du soleil! Mais comme cette vitesse du boulet est un peu vague peut-etre, car elle'n'est pas uniforrac et depend de la qualite et de la quantite de la poudre employee, ii est mieux de chbisir une de ces mesures que nous voynns dans les habitudes de la vie. Nous allons done prendre pour mesure la loconijjtive de nos chemins de fer, qui, du resle, est elle-meme comme une sorle de projectile. Eh bien, une locomotive anim^e de nos plus grandes vi- tesses et parcourant vingt-huil lieues a I'heure emploie- rait cent cinquante ans pour nous arriver du soleil!!! Nous parlous de la distance moyenne de cet astre, car sa distance n'est pas toujours la meme; il y a done une sai- son ou elle est plus, grande et une saison ou elle est plus petite. Or, contrairement a une bypotbfese fort naturelle, le soleil e.st I'hiver plus pres de nous etl'ete, plus loin. Le volume du soleil ^lantl'iOO.OOO fois celui dela lerre, vous verrez que notre planete, sur laquelle s'agilent tanl d'ambitions, n'est qu'un atonie par rapport au soleil, qui lu!-meme cependant n'est pas la plus volumineu.se des eloiles. Toutefois ces dimensions du soleil sont prodi- gieuses, car si Tonfaisait couiciderle centre du soleil et le centre de la terre en superposant les deux astres, la surface du soleil depasserait celle de la lerre non-scule- ment jusqu'a la distance de la lune, qui est a quatre- vingt-quinze mille lieues, mais encore une fois au dela. Les taches que presente le disque du soleil nous permet- PETITES SOIREES lent (le reconnaitre qu'il tourno sur lui-m6me; quant Ji riiabitabilite de cet astre, nousdeveloppeions cette ques- tion que la philosophie se posa d^s la plus haute aiiti- quiti5. Pylhagore croyait que tous les astres etaienl ha- bitus; Orpliee disait que le lion deN^m^e etait tombe de la lunc; Fontenelle, dans sa Pluralile des Moiules, refu- sail des habitants au soleil. Xous ferons comme Fonte- nelle, mais parune autre raison. Le spiritucl philosophe pensait que la chaleur excessive du soleil devait rendre cet astre inhabitable; iiiais la constitution physique du soleil nous est connue. Nous verrons que, dans sa partie principale, le soleil est trcs-probablement un corps obs- fur enlnur6 d'abord d'une almosphero nuageuse, et puis, a la surface, d'une autre atmosphere incandescenle. Par consequent, la chaleur afl'aiblie par I'atmosphere nuageuse interpos^e, ne serait pas trop intense sur le corps meme du soleil. La variation qu'eprouve le poids d'un corps transporle dans les differents astres appuiera mieux notre opinion negative. Que peserait un homnic Iransporte dans le soleil? le poids nioyen d'un homnio a la surfijce de la terre est de 50 kilogrammes, a la surface du soleil ce poids serait vingt-huit fois plus considerable, o'est-a-dire un honime peserait l.iOO kilogrammes. Certes, notre force musculuire, suffisante pour porlcr notre corps sur la terre, ne pourrait, k la surface du soleil, le soutenir, et le corps s'ccraserail sur lui-nieme comme si 28 quin- laux nous etaient en ce moment ajoutcs sur les epaules. Ainsi I'homme ne pourrait habiler le soleil. Remarquez ici , mes enfants, que I'expression tomber cjiangerait singulierement de valeur si nous passions sue- cessivement dans les difl'erents aslrcs. Tomber sur le so- leil ou bien sur la terre, ou bien sur une petite planete comme (xres, nous presenlerait des resultals tres-divers. En supposant que notre corps put se tenir deboul sur le soleil, 11 y serait aplati par le moindre faux pas ; en tom- bant d'un premier etage a la surface de la terre, notre corps pourrait dtre bless(5, mais k la surface de Ceres cclte chute serait pour lui sans danger. Je vais vous etonner peut-ctre, mes enfanis, en vous disant que la densile du soleil est quatre fois moindre que celle de la terre. Le soleil n'a guere, en efTet, que la densite deseaux du lac .4sphaUite (mcr Morte). 11 est done leger, mais 11 e.st considerable, et son volume enorme lui donne une telle masse, que si le soleil ctait place dans I'un des bassins de la balance, il faiidrait pour lui faire equi- libre mettre dans I'autre bassin Irois cent cinquante-cinq mille globes comme la torre. C'est par celle mas.se qu'il enchaine et mailrise toules les plunelcs. La temperature du soleil esl-elle conslnnte? la lumiere et la chaleur qu'il rayonne vers la terre ol vers I'espace ont-elles varie d'in- tensil(S? Cesont des questions que nous devrons rcsoudre nettement. Je ne fais aujourd'hui que les annoncer. En quiltant le soleil, notre attention se portera sur lUercure, planete la plus voisine de cet astre et dont I'an- nee ne dure meme pas Irois mols; elle recoit une lu- miere et une chaleur sept fois plus intense que celles qui nous arrivent sur la terre ; Vcnui:, plani^te presque aussi volumineuse et presque aussi dense que la terre, recoit ehcore, par sa pro.iimitc du soleil, deux fois plus de lu- miere et de chaleur que notre globe. Nous parlerons de ses phases faciles a ob.server et de ses monlagnes qui sent Ires-elevees. Ulurs nous Inli-re.ssera surtout par sa forme, p:ir sa couleur, par une periodicite de soisons analogue h ASTRONOMIQUES. 51 celle de la terre. Je n'ai pas besoin de vous dire que notre etude s'arri5lcra surtout sur la lune, notre satellite, dont nous separe une dislance moyennc de 9j,(l00 licues ; nous verrons pourquoi la lune nous pre,sente toujours la meme face; nous prouverons, quant a sa constitution physique, que la lune n'a pas de mer, qu'elle n'a pas de glace, qu'elle n'a pas d'atmosphere ; nous parlerons de ses prodigieuses montagnes, de ses immenses craleres; nous parlerons de son action dominalrice sur la partie liquide de notre globe, et de 1<\ nous tirerons la mesure de sa , masse; mais nous verrons que la lune n'exerce pas d'in- lluence sur I'atmosphere, et que, par consequent, elle n'est pour ricn dans les phcnomenes de la pluie ou du beau temp.^. Nous p'jrtant ensuile sur le disque enorme de Jupiter, nous y trouverons encore la confirmation de ce fait astro- nomique : c'est que les grands corps ont peu de densite. Celle de Jupiter est ii peu pres la densite m^me du so- leil ; eel astre est quatorze cents fois plus volumineux que la terre, mais il faudrait mille cinquante-cinq globes comme lui pour faire ^quilibre au soleil. Deux de ses quatre satellites sent plus grands que notre lune. C'est \k que nous trouverons le moyeii d'apprecier la vitesse de la lumiere qui, parcourant 77,000 lieues par seconde, ne pouvait trouver sa mesure sur la terre, puisque, ponr faire le tour de notre globe, elle n'emploierait guere plus d'un dixieme de seconde. Nous eludierons Sitlurne et son unneau, nous elu- dierons I'vanus, cette planete placee sur la limite de notre systeme solaire; et puis, avant de passer au monde merveilleux des etoilcs, nous dirons un mot des planeles telescopiques, c'est-a-dire des planetes qu'on ne pent apercevoir a I'oeil nu. Hier encore elles n'elaieni qu'au nombre de quatre, Vcsia, Juvm, Ceres et Pullns, une cinquieme est venue s'ajouler aujourd'hui et former ainsi la duuzieme planete de notre systeme solaire. Astree n'est certes que fort petite, mais elle nous interessera, mes enfanis, parce qu'elle vient enlrelacer son orbite a celle des quatre planetes telescopiques deja connues ; et nous nous demanderons si toules cinq ne seraient pas les fragments d'une plancle primitive mise en eclats. Mais le soleil lient encore sous sa dependance un grand nom- bre d'astres siiiguliers que nous devons etudier sous le iiom de comHes. Entin noire ])cn.«ee, s'elancant dans les plus lointaines parlies du firmament, s'arr6tera sur ces iiinombrables solcils que nous appelons les Huiles. II en est qui se forment, il en est qui s'eteigncnl; il en est dont la couleur change, doiil I'eclat se modifie. Tous ces fails meritcnt assuii'mcnt d'etre ronnus, d'etre etudics; des considerations clevees s'en deduiront nalurellement. Je ne tcrminerai point noire petit programme sans vous dire que nous aurons ii mesurer des objels inucces.iibles, et pourtant j'espere que nous y parviendrons. Eufin, mes enfants, nous rencontrerons parfois des questions fort de- licates, nous les aborderons sans temt'rite , mais avec franchise, car, voyez, il n'en pourra lesuMer pour nous qu'un avantage ; si la science nous r(5\ele la solulion de- siree, nous proliterons avec bonheur de celle nouvelln perspective ouverle a noire admiration; si la science, an contraire, resle indeci.se ou muelle, notre ftme s'inclinera devant Dieu pour reconnaitre que I'intelligence de I'homme est liniitee, tandis que la puissance du Oealeur est infinie. Tei'liekf.s. 52 KSQDISSES IIK I, A VIK, FI, AM A M)l",. ESOl'ISSES [IE L\ VIE FLAMi\NI)B. ciiapithf. FRRSiiRn. SISKA VAN-ROOSMAEE.. Lps linns l;oiirpeo;s di: I'ar.cienne Kcolc. — T.r?; rlievaliiTs (I'ln-histric de la nouvi-l'e. On voyait, il y a quel- qiies annecs, dans une des nies qui hordent le cime- liere d'Anvers, one an- cicnne ct fameuse boutique d'epicerirs qui s'elait tou- jours fail roniarquer par le l)on marclie el la bonne qualil6 de ses luarolian- dises. Celte bouliqne avail oujours apparleiMi k la nieme famille, dont les membres, depuis plusieurs generations, s'y succi'daient de pere en fils. Le dernier proprietaire etait James Van-Roosmai?l, fils de Franck, qui etait fils de Charles, lequel etait fils de Gjspard Van-Roosmai'l; il a\ait rpousr Siska Pot, des- cendanle du fameux Peter Pol, dont deux rues portent encore le nom '. Les deux i'poux, consacres des reuf.mce au commerce, constamment occupes d'ailleu's de leurs atfaires, n'a- 1 Peter Pot etait un noble qui fonda en 143.1, a Anver?, le m nas- tere de Saint-Salvador, connu generalemeiit sous le nom du monas- tere de Peter Pot; en ir»75, i\ fut bn'ile par les Iconoclastes; les nom- breux descendants de ce noble furent en grande parlie d'liiimbles bourgeois appeles les Pots ^Potten]. vaicnl pu encore Irouver le temps de so melire an niveau de la civilisation modei'ne; en d'auli'cs tcrtues de se fidiiriscr. I.eurs habits, fails d'lui drap grossier, t'taient fort simples el n'olfiaieiit ^uere de vari(;lt'' sous le rapport de la coupe. Toule leur Mr.lerobe se composait de Irois habille- ments bien distincis : celui de lous les jours, celui du dimanche, enfin celui de Pfiques ; ce dernier ne sortant janmis de rarnioirc que pour ce saint jour. II elait facile de voir que ces bonnes gens, attachi^'s conime lis etaient aux anciens usages avec leurs habils d't^toffe el de forme si simples, devaienl servir souvent de jouet aux jeunes merveilleux de la ville qui, pares dt! ces brillanis habils dont I'apparence fail lout le merile, passaiont devant leur boutique en s'amusant a leur lancer des regards meprisants ou des sarcasmes ironiques. Pour eux, ils n'y faisaient seulement pas attention ; ils savaiont fori bien que chaque homme a sa valeur. " Clinquant que lout cela, disaienl-ils, chez nous c'est raoiusbrillant, sans doute, mais plussolide. » Ils avaient conserve I'habitude de diner a midi. Anssi, quand cette heure sontiait, la soupe etait toujours sur la table. Ils jnuissaicnl hien aussi de quelquesaulres imperfec- tions qui donnaient naissance a plus d'une attaque peu charitable. Ainsi ils ne savaienl pas un mot de francais, ils n'avaient jamais senti le besoin de ce perfectionne- ment oblige de I'edncation des gens comme il faut; leur ignorance a ce sujet leur avail attire bien des quolibets. Religieux, industrieux, modestes, et par-dessus tout amis de la tranquillitti, ils pensaient, dans leur simplicite flamande, qu'il valait mieux mettre tous les jours de c6te un sou ?agne honnJlement que d'acqucrir en peu de temps une immense fortune par I'astuce el la fraude ; en un mot c'etait le vrai type des bans bourgeois fla- mands de la vieille licole. Le ■vieux Van-Rnosmai'l avail une jeune fille nommee Siska, 6gee de quinze ans el dejii grande pour son ilge. Elle etait douce d'une figure assez distinguee, de beaux cheveux blonds , et des yeux bleus d'une expression douce et melancolique; c't'tait un des jobs types des enfanis du Brabant. Elle avail recu unesorted'eduration al'c'cole de la vdio, elle avail appris d'abord I'orthographe et rarithmetiquc, puis a se faire loutes surtes douvrages que les bonnes ESyiilSSES DK L bourgeoises apprecieiit sous le rapport de lutilite; c'est- ii-dire qu'elle en savaitun peu plus que la scrvante pour tout ce qui avail rapport au menape. Coninie scs parents, elle elait simple, pieiisc, de plus obeissante et affeclionnee; elle ne nionlrait jamais le moindrc signe de violence, de paresse oj d'obstinalion ; enfiii elle se mnintcnail toujours dans la posilion d'une (ille soumise et respectueuse, calculant qu'avec le mari que se3 parents lui deslineraieni, elle aurait a soulenir I'honneur et la reputation que la famille s'etait acquise dans leur important commerce d'<5picerie- Or, comment se fait-il que cetlememe boutique, rcstce uuverte pendant cent ans, se Irouve tout a coup fermee? Quel nialheur arriva done ii Van-Roosmai^l pour qu'un beau jour tousses ustensiles, tels que pots, cuves, flacons, rruches, etc.... passassent dans la boutique d'un reven- deur? L'histoire snivantc vousdira comment elpourquoi. II est bon de vous informer d'abord que, dans le voisi- nage de notre bouliquier, vi\ait un maitre cordonnier, un des meilleurs amis de M. Van-Rousmael, avec lequel il se promcnaitsouvent le dimanche sur le pont de pierre a Anvers'. lis jouaient aux cartes ensemble, et sem- blaient etre les deux freres, parlageant leurs plaisirs et lours peines. Tout a coup un cliangemenl notable se ma- nifesta dans cette etroite liaison, et pour de singuliers motifs!... Le cordonnier avail mene jusque-la une vie Ires r6:ju- licre et etail parvenu, par de sages economies, a acheter la maison qu'il liabitait. Un beau jour, pendant que Van- Roosmat'l etait retenu chez lui par la fR-vre, 11 fit percer sur le devant de la rue, deux fenStrcs, et sur les vitres il fit peindre en magnifiques leltres de couleurs, diverses recommandations en francnis, relatives ;i ses marchan- dises. Dans le milieu on lisait . .\ la Bolte sans couture, .Magasin de bottcs et souliers de Paris ; • ce qui etait un mensonge, carilfabriquait lui-meme sesboUes et ses sou- liers, comme d'liabitude. Au-dessous on vojaitun dessin representant un liomme qui se regnrdait dans une botle bienciree.et qui semblait ebloui par I'iclat du cirage. A VIK IbAMA.MJK. 55 Au-dessus de ce chef-d'a-uvre du pii/f cHaient Merits ces mots : ■ Veritable cirage anglais. » Ce qui etait une autre fourberio, carc'etait lui-meme qui lefabriquail; il y avaitune difference, toutefois, c'est qu'il le faisait payer quatrc fois plus cher. L'enseigne du coin portait cclle 1 Promenade favorite des habitants d'.^nvers. inscription .- cc Souliers en caoutcbouc, I'oudre do savon, Semelles de liege, etc. » Quand Van-Roosmael eut recouvre la sante, un jour qu'il se promenait dans la rue, son regard toniba aveo suiprise sur la fen^tre du cordonnier; il s'arr^ta subite- ment, puis il fixa, avec tousles signes dela stupefaction, cette longue .suite d'enseignes ; il eut peine a rassembler ses idees. On eut dit un eiranger egare qui cherche a re- Irouver son chemin. Qu'est-ce que cela \eut dire? pen.sa- t-il, ceilainement ce u'est pas la la boutique de Spinael, a nioins qu'il ait change sa maison, sans queje le sache; il est plus probable que c'est un autre qui sera venu s'e- tablir lit dans I'intention d'escroquer le public, en lui jetant dela poudre aux yeux, dans le but de mieux I'at- traper. Du re.sle,je m'en vais eclaircir tout cela. Pendant que Van-Roosmai-I etait a faire ses reflexions, un monsieur sortit dela boutique et s'arreta sur la porte. II etait vetu d'un paletot de drap a raics bariolees, d'un gilet blanc ; il portait de plus une grande chaine dor, a laquelle t^taient attaches un loignon, une montre et plu- sieurs cachets. Une tres-belle barbe noire parfaitement frisee, entourait son visage, et ses cheveux, arranges avec art, r;:ppelaient exactemcnt les figures en cite que Ton voit derrit^'re les vitraux d'un perruquier. .Ah ! jiensa Van-Roosmael, ce doit etre lui, quel beau garron! Mais le nouvcau voisin alia droit a lui, et lui frappant surl'epaule, il lui dit : « Vous voil^ done gueri, I'ami? • Van-Roosmaijl, ctonnti, fit deux pas en arriere, et regardant son ami de la tHo aux pieds : « Comme vous ^tesbeau! Est ce que vous avez gagne le grand numere it la loterie? on alors, vous avez done fait quelque riche heritage? S'il en est ainsi, que Dieu vous benisse, jevous le souhaile de lout mon coeur ! C'est vraiment tres-sur- prenant, mais c'est egal, je n'oublierai jamais qu'il y a quelque temps vous aviez les cheveux rouges. Quelle transformation!!!... » Spinael se mil a rire dun air de pilie et de dedain. II repondit avec cetle aisance que I'ou remaiqiie cliezunhomme qui a rhabitudedu nionde : « Van-Roosmat'l, vous ne deviendrez jamais riche en restanl encroijte comme vous I'^lcs dans vos vieilles ha- bitudes; nc voyez-vous pas que le monde a change? Si LES miLLE ET UNE NIHTS personne, aujourd'liui, no peul gagner d'argeiU sans tromper ; Ics bonnes niarcli.indises ne se vendent plus qu'ii moitic prix, et celui qui s'obstine i vouloir vivre comme un bon bourgeois, dovient bienlot vieux et hers d'itat de travailler, avant de pouvoir dire ; « Ma fortune est faite. Ainsi vous, mon ami, vous voulez avoir, pour \os chaussures, de bon cuir, de bon ouvrage bien con- ditioniie et surtout ne pas payer cher. C'est bien dilTerent avec les dandys , au rnoins aveo eux les affaires sont bien plus avantageuses; aussi, vous leur faites tous les mois une paire de bottes qui vous coute fort peu de cbose, qui n'a que I'apparence, et vous la leur faites payer tres-cber : u'est done lout benefice. La stupefaction de Van-Roosmael etait h son conible, et il se demandail s'il ne revait pas, en entendant Spinael lui debiler des choses aussi etranges', il cnminencait a croire que celui-ci avait perdu la raison ; tout Ji coup, rinterrompant, illuidit: « J'aisouvententendu dire que vos jeime France oubliaient souvent de payer -, je vous conseille d'y prendre garde; plusieurs decespetits messieurs sont couclies sur mes livres; et, la ou il n'y a pas de laine, on ne peut pas tondre. Mon principe, ii moi, est qu'il vaut mieux gagner uu peu nioins , mais gagner honnelenient et sans avoir rien a se reprocher, que de gagner beaucoup par des moyens qui sont loin d'i^tre honn^tes. — Vous parlez cOnime on parlait anciennement, mon brave honime, dit Ic cordonnicr en lui frappantsur I'epaule avec un air de dedain; si e'est la volenti de Dieu, dans deux ou Irois ans, nous verrons qu'est ce qui aura le mieux fait son chcmin. Men fils Jules est a Paris pour se melire bien au courant de ce genre d'affaires ; c'est un garcon aclif, intelligent qui va se faire aux bonnes manieres, et je fondesur lui les plus belles esperances. — Qui'? lui a Paris, dites-vous? — Jules? — Comment Jules? mais moi qui suis le parrain de voire fils, je suis certain que son nom etait Jean comme le mien. — Jean, SI vous voulez; Jean est h Paris, seulement il a change son nom, si vulgaire, pour celui de Jules, qui est bien plus distingue ; et ma fiUe Therpse, qui est enlvie en pension - cette semaine, se nomme maintenant Horlense ; je vous prierai done de vous abstenir de les appeler Jean et Th^rfese devant mes pratiques. » Van Roosmael regar- dait alternativement les inscriptions qui elaient sur les ■vitres et la mise incroyable de son ami, d lui dit en rc- muant la t^te d'une maniere douteuse : D'EUItOPE ET DAMERIQUE. « .lo ne crois pas, Spmael, quo vous preniez la bonne route; j'aivu plusieurs foisdes gens bien elablis employer detels moyens, et se voir,bient6t apres, forces de fermer boutique. Aprescela, chacun voitles chosesasa maniere, et vos affaires ne me regardent pas. Brisons la et ne par- Ions plus de tout cela. • Quelque temps apres, Spinael vient voir I'epicier ; et, apres s'elre vante de la bonne lournure que prenait son commerce, il paria d'un grand achat de cuirs qu'il de- vait faire a un tanneur, fort enibarrasse dansses affaires, et il appelait cela « tnic a/faire brillanle. » II sutsi bien s'y prendre pour eloigner les soupcons qu'aurait pu con- cevoir le brave liomme, que, grilce ii une ruse qui obtint toutlesucces desirable, ilparvinta soutirera Roosmael, a titre d'emprunt, unesommede mille francs. 11 prit I'enga- gement de la lui rendre Irois mois apri^s. En meme temps, il lui prit mesure d'une nouvelle paire de chaus- sures qu'il devait, disait-il, le faire revenir de ses pre- ventions. Huit jours apres les avoir mises, I'epicier en perdit les semelles; et, au lieu de ses mille francs, il ne put jamais lirer de son ami, M. Spinael, que des iriots et de vaines promesses. Cette derniere circonstance apporta du refroidissenient dans les relations des deux voisins, qui, ci dater de cette epoque, ne se saluerent plus quand ils se rencontraient, ce qui n'enipechait pas les enfants de continuer ^ se voir et de rester dans de bons rapports. H. G. (La suite au prochain numero.) LES MILLE ET Ul NOITS D'EUROPE ET U'AMERIQUE. I.A PROMENADE SE SCHA-ABAS , Itlll HE I'LliSE. CONTE ORIENTAL. Scha-Abas, fatigue de I'uniformitB des plaisirs de sa ceur, ennuye d'entendre dire tous les jours qu'il etait grand, le seul des rois de la lerre qui meritiit d'etre de- core de ce nom imposant, voulut enfin juger par lui- mfeme si la voix du peuple confirmerait celle de ses cour- tisans. Un jour que la cour etait rassembl(5e chez le grand vizir pour deliberer sur la maniere de pouvoir persuader au peuple qu'il elait le plus heureux peuple de la terre, parce qu'un bourgeois d'lspalian ne payait que dix to- mans d'imposition , tandis qu'un Armenien en payait quinze, le sophi, qu'on croyait occupe de frivoles plaisirs sortit du palais, depouille de ses ornements, qui no sont que trop souvent la seule superiorite que le grand qui do- mine a sur I'esclavequilesert. II traverse tout Ispahan sans que ses oreilles soient frappees des cris de joie dont te peuple faisait retentir les airs quand il avait le bonheur LKS MILLE KT UNK JSUITS O'EUKOPE ET OAMEKIQUE. SS d'apei'cevoir la face sacree du roi des rois. II a peine a s'accoutumer h ce silence et a resler confondu avec cette populacf qui, la veille, avail baiso la poussiere de ses pieds, « C'estun asse? bon prince que Scha-Abas, disait a son camarade un vieux soldat qui passait a cote de lui ; mais mon aga, avec lequel je suis mal, je ne sais pas pour- quoi, el quiesl bien avec le vizir, je sais bien pourqiioi... — Camarade, n'esl-ce pas pour lui avoir fait present de la riche prise qu'il a faite dans la derniere cam- pagne? — Justenient. L'aga, dis-je, est cause que je n'ai encore pu obtenir la double paye que doivent rece- voir ceux qui ont vers^ leur sang pour la palrie. J'ai d^ja voulu m'en plaindre au sophi, qui aime les bons soldats, mais je fus repousse par les gardes, qui pretendaient qu'un cliien conime moi n'etail pas fait pour parler a un aussi grand prince que Scha-Abas. » Abas allait I'interrompre, mais il en ful delourne par un grand bruit qui s'eleva tout a coup; c'etail une fcmme qui s'arrachait les cheveux et vomissiiil mille impreca- tions contre le cadi Abdoul, qu'elle venait de quitter. « Le malhcureux! je sais bien que si je lui avals vendu cette petite piece deterre qui borne la vue de son jardin, je n'aurais jamais perdu mon proces, et ce miserable Nassit ne vivraitpas de ma ruine, dont sacupidite est la cause. Ah! Abas, .\bas, si lu savais comment la justice est administree dans la villo d'lspahanl » Abasdemanda qui etait cette fcmme; « Cesl la veuve de I'lmon Jlar- inoutb, ce bon derviche qui edifiait la Perse. II y a deux bines qu'il est mort en laissanl six cnfanls, avec le pen de liien que sa femme vienl de perdre. Je ne sais si ses plainles sont fondees , car je ne me niMo plus des affaires depuis que I'honn^te Ogul a etc exile. — Ogull (Juoi?... Oue dis-tu? E iMais rhomme s'etaitdeja confondu dans la foule. Ogul elail un sage; ses vertus lui avaienldonne la |ilace de vizir el la confiance de son mailre; mais ce fu- renlces mcmes vertus qui lui firent perdre I'une el I'au- tre. Les courtisans, indignes de ce qu'on disail loujouis Ogul le sage, le sage Ogul, avaient jure de le perdre ; ils reussirent, car il n'est pas dillicile de perdre un sage qui, a la calomnie, a I'imposture, ne sail opposer que ses vertus. Abas devint rc^veur : on le deviendrait ii moins, sur- t(]Ut quand on est sensible. Le prince I'etait ; et, a cette iiualite, present heureux de la nature, il joignait le dfeir le plus vif et le plus ardent pour le boidieur de ses sujets. II en aurait vu raccomplissement s'll eut eu plus du pru- dence et moins de condescendanra pour ses rainislres. Triste et inquiet de ce qu'il venait d'enlendre, il sort de la ville, se promene le long du lleuve Zenderouth, qui en baigne les murs. Tout en marchant, il faisait des retours sur lui-meme..., lorsqu'ilvitun guebre assis surlerivage. • Guebre, je le sidue, dit Abas en s'approchantde lui. — 0 serviteur d'Ali, dil le guebre en so levant, que le feu eclaire toutes les demarches! Si tu n'as rien d'impor- tant il me communiqucr, laisse-moi, je le prie ; carl'astre brillant qui nous eclaire va bientdt disparaitre et nous refuser salumiere divine. II fautqueje parle encore, avant la nuit, a Scha-Abas, pour qu'il me fasse rendre une raai- son et un petit champ que j'avais pres de ce bois, et que le fils du vizir vienl de m'enlever pour en faire un lieu de repos apres la cliasse : c'est le seul bien que m'ait laisse mon pere, je n'en ambilionnais pas d'autre, et je me consolerais mcme de cette perte si un vertueux vieil- lard, qu'un reversaprecipitedansl'infortune.nesevoyail, par eel accident, sans asile et sans ressource. Adieu! Puisses-tu longtemps encore jouir de I'astre qui anime et feconde la nature. ■ — Guebre, encore un mot; je pourrai peut-etre te servir aupres du prince. — Tu es done un courtisan, un ami du vizir; en ce cas-li, je ne veux pas etre servi par toi. — Je suis le capitaine de la gardedu sophi. — Et pourquoi he lui dis-tu pas ce qui se passe, puisque.tu approches de sa personne sacree? Pourquoi ne mets-tu pas au jour les exactions et les crimes des vils 'llatteurs qui I'enlourent et I'empechent de faire tout le bien qu'il voiidrail'' Pourquoi eloignes-tu de son Irone la veuve el rorphclin...? Sache qu'il ne suffit pas de ne point faire de mal, qu'il faut aussi empAcher quo les au- tres n'en fassent. Genereux Ogul ^ tout est bien change depuis que tu ne gouverncs plus la Perse! — Ne crains- tu pas la cotere du sophi, si ses discours viennent sjses oreilles? — Malheur a lui, s'il punissait Ihonime qui oss- rait lui dire une verile ulde. — Mais cet Ogul n'a-t-il jjaj; trahi le sophi"? — Le Iraitre est celui qui V aaj-agittisey, demande-le au peuple, qu'Ogul a rendu hcOreux. ,» AbaB ful frappe ; il se ressouvinl dans ce moment des conseils pleins de sagesse que lui donnait autrefois le prudent ej. judicieux Ogul ; il ouvrit les yeux ; il vit la legereto dei prelextes sur lesquels il I'avait condamne. Sonccour's? serra de douleur, et des larmes amtjres coulerent le long de ses joues. « Tu pleures, lui dit le guebre; aurais-tu contribue a la disgrace d'Ogul? Viens avec moi voir I'homme extraordinaire qui partage ma solitude, v SchaT Abas le suivil sans rien dire, niaudissant le moment on il avail eloigne Ogul de sa presence, et oil il avail donnu sa confiance a un trailre... Ilss'enfoncent dansle bois; le guebre le qujtie el reparatl bient6t, conduisant par la main .son bote. " Que vois-je, dit.\bas, c'est Ogul! — Gufebre, s'ecrie celui-ci, guijbre, prosterne-toi, c'est noire auguste souverain! » Et deja ils sonl a ses pieds. • Levez-vous, mes amis, leur dit d'une voix douce ce prince reellemenl grand dans ce moment: jesuis coupable envers vous, el vous eles ii mes pieds... Ogul... mon cher Ogul, me par donneras-tu le mal que je I'ai fait? Ah! j'en suis assez puni. — Prince trop genereux! eh! de quoi es-tu cou- pable envers les sujels? Toute la Perse ne connail-ellfe pas la bonte de ton cceur? Ne te cherit-elle pas comme son pere? Ne verseraitelle pas tout son sang pour con- server iin seul de tes jours? Ah ! s'il y a des malheureux dans les vastes filats, ce n'est pas par loi qu'ils le sont, c'est... — • Arrele, Ogul, je sais ce qui s'esl passe : il est vrai que je n'ai point eu de part aux injustices qui se sont commises; mais elles. se sonlcommises, etvoila mon crime. Je le reparerai, mon ami; des ce moment, tu es vizir; suis-moi. — Magnanime Abas! s'ecrie Ogul, je te prie de ne pas m'exposer une seconde fois ^ de nouveaux orages : je vis tranquille, content de mon sort ; je n'ai plus d'ambilion ; tu Irouveras assez de fideles serviteurs qui s'empresseront de concourir avec loi au bonheur de tes su- jels. — Ogul, jete I'ordonne. — J'obeis, Abas, el le suis." Ils prennenl ensemble la route d'Ispahan, ils entrent. • Perses, s'ecrie tout a coup Abas, Ogul est voire vizir. » Un cri general se fait entendre, on se prosternp; les Per- sans, transportes dune joie unanime, eli'vent le sophi et le nouveau vizirsur leursmains et lesportenten Iriomphe dans le palais des rois. 5t) I'EHTES IMIOMENADES Le vizir eiileiul les ciis d'allcgresse que jelte le peuple : il accourt; le nom d'Osul frappe ses oreilles ; il fremit, il raperroit, il pillit... « Qu'oii le saisisse, s'ecrie Abas, qu'on le mene au siipplicc. » Le vizir allait peiir; mais Ogul, le gcii^reux Ogiil, inlercede pour lui. « 0 Abas, qu'il ne soil pas dit que la premiere action qui s'est faite a ma renlree dans Ispahan soil le supplice dun homme. Dieu me preserve d'occuper une place souillee du sang de ce malheureux. I'ardonne-lui, magnanime Abas, ses re- mords nous vengeront. » Abas lui pardonna; mais il n'e- chappa pas a la vengeance du peuple, qui le mit en pieces. Le soldat, la veuve el le guebre curcnt justice. Ogul fut toujours ce qu'il avail 616, un liomme verlueux ; il fil le bonheur du peuple, et merita a son mailre le surnom de Grand, et I'amour de ses sujets. Pur M. iabbc K... de Strasbourg. PETITES PROMENADES AU IIUSEE D'lllSTOIIlE i\TL'RELLE. I.E TIGRE. Le tigre ne se Irouve que dans I'Asle el dans les par- lies les plus meridionales de I'Afrique; il n'esl pas mou- chete, mais il a de tongues el larges bandes en forme de cercle. Ces bandes prennent sur le corps, se rejoignenl en dessous, el formenlsur la queue des anneaux alternali- vement noirs et blancs. Le plus grand de tous les ligres est celui qu'on appelle ligre royal : il esl fori rare, de la bauteur d'un cheval, c'esla-dire, quit a qualre ou cinq pieds de liauleur, el jusqu'a treize ou quatorze pieds de longueur; il esl plus a craindre que le lion.n Celui-ci,dil Tilluslre M. de Butfon, oublie souvenl qu'il esl le roi, c'esl-h-dire le plus fort de tous les aiiimaux ; niarchanl d'un pas tranquille, il n'altaque jamais I'homme, a moins (ju'il ne soil provoque. II ne precipile point ses pas, il ne court, il ne chasse que (]uand la faini le presse. Le liijre, au contraire, quoique rassasie de chair, semble toujours allere de sang ; sa fureur n'a d'aulres inlervalles que ceux du temps qu'il faul pour dresser des embilches. II desole le pays qu'il habile, il ne crainl ni I'aspecl, ni les armes de I'homme; il d6vasle les troupeaux d'animaux domes- liques; met a mort toutcs les bfiles sauvages, allaque les petils elephants , les jeunes rhinoceros, quelquefois meme il ose braver le lion. » C'est un lyran brutal, qui vou- drail depeupler I'univers, pour regner seul au milieu des victimes qu'il egoige. Des ongles crochus et des dents meurtrieres, voilii les armes plus offensives que defensi- ves, qui sonl les instruments de son appelil sanguinaire. Le ligre, trop long de corps, trop has sur ses jambcs, a les yeux hazards et elincelanls, la langue couleur de sang el les caracleres do la basse m6cliancete; sa rage lui fait devorer ses proprcs eiifants, et d6cbirer leur mere lor.s- qu'elle vent les defendre. Ileureusemenl I'espece n'esl pas nombreuse, el pa rait confin6e aux conlrees les plus chau- des de I'lnde orienlale. Comme ce sang ne fait que I'allerer, il frequeiitelcs eaux pourelancher sa soifelpour surprendre les animaux qui viennent s'y desalliSrer; sou- vent il abandonne la proie qu'il vient de mellre ^ morl pour egorger d'aulres victimes; il plonge sa l^le dans leur corps, pour sucer a longs trails le sang dont il vienl d'ou- vrir la source, qui, le plus souvenl est tarie avant que sa soif s'eleignc. Lorsqu'il vienl d'abatlre un cheval ou un bceuf, el qu'il crainl d'etre inquiel6, il les emporte dans les bois en les traiiianl avec tant de legerete, que la vilesse de sa course en parail a peine ralenlie. Get ani- mal fail des bonds de plusieurs toises, el c'csl I'elaslicile lie ces sauts qui le rend si terrible, puree qu'il n'esl pas possible d'en eviler I'efl'et. A Sumatra el dans quelques autres pays, on eleve les maisons sur des pieux de bam^ bou, pour se mellre a I'abri des incursions de ces furieux animaux, el dans le Gange ils viennent quelquefois b la nage pour se jeler dans les petils bailments qui sent k I'an- cre; ce qui oblige a se tenir sur ses gardes, surloul pen- dant la null. On rapporto le combat d'un tigre conlre des elephants. On fit enlrer au milieu d'une enceinte de cent pieds en Carre, formee par une haute palissade de bambous, trois elephants destines pour combaltre le tigre : ilsavaient un grand plastron en forme de masque, qui leur couvrait la tele avec une parlie de la trompe. On ne lacha pas d'a- bord le tigre qui devail combaltre, mais on le lint alta . che par deux cordes; de sorte que n'ayant pas la liberie de s'elancer, le premier elephant qui rapprocha, lui don- na deux ou trois coups de sa trompe sur le dos. Ce choc ful si rude, que le ligre en ful renverse eldemcura quel- que temps etendu sur la place, sans mouvement, comme s'il eul ele morl; cependanl d6s qu'on I'eul delie, quoique celle premiere atlaque eul bien abattu sa furie, il se re- leva, fit un cri horrible el voulut se jeler sur la Irompe de relepliaiil qui s'avancailpour le frapper; mais celui-ci la repliant adroitemcnl, la mil b convert par ses defenses qu'il presenta en m6me temps, et donl il alteignil le tigre si il propos, qu'il lui 111 faire un grand saut en I'air. Cet animal en ful si etourdi, qu'il n'osa plus approcher; il fil plusieurs tours le long de la palissade, s'elancant quelque- fois vers les personnes qui paraissaient aux galeries. On poussa ensuite trois elephants conlre lui, qui lui donne- rent de si rudes coups qu'il conlrelil encore une fois le mort, el ne pensa plus qu'a eviler leur rencontre. lis I'eussenl lue, sans doule, si on n'eut pas fail finir le combat. Un vaisseau de la compagnie des Indes rapporta, il y a quelques annees, plusieurs animaux etrangers, el entre au- tres deux ligres destines pour le due de Cumberland. Ce prince voulanl connallre la nianifere dont ces animaux chassent leur proie, fit licher un des ligres dans une par- tie de la fori5l de Vindsor, oil Ton avail form6 une en- ceinte avec des toiles. On y fil enlrer un cerf : le tigre courul aussitfit sur lui et voulut le saisir par le Dane ; mais le cerf se defendil si bien de son bois, qu'il I'obligea de reculer. Le tigre ne renonca pas au combat, il revint a la charge et essaya de prendre le cerf au cou ; il ful re- pousse avec la meme vigueur; enfin a la troisieme alla- que, le cerf le jeta fort loin d'un coup de son bois, et se mil a le poursuivre; le tigre alors abandonna la parlie et XV MUSKE UHlSKjIltt; iNAl I lltLLK. -S7 se s3uva dans la forSt. II se refugia sous les toiles, parmi un troupeau de daims, et en attrapa un, qu'il tua sur-le- champ. Pendant qu il en sucait le sang, deux Indiens charges de le garden, lui jelerenl sur la iSle une espece de coiffe; et s'on etant ainsi rendus maitres, ils I'enchai- nerent, et apres lui avoir fail manger le reste du daim, le muselerent et le reconduisirent dans sa loge. Le due da Cumberland donna la liberie au cerf qui s'etait si vail- laniment defendu, apres lui ;ivoir l;iit niellre au C(iu un tres-large collier d'argent, sur lequel on avaitgra\c I'ii- venture du combat. On raconte qu'un jeune ligre elant dans un vaisseau qui faisait voile pour I'Angleterre, s'echappa de sa loge et grimpa sur la vergue du grand mat. Tout I'equipage en fut alarms. Un matelot lut assez hardi pour monler a I'endroit oil se tenait le tigre; il lui passa une corde au cou. Get animal, loin d'etre furieux, se laissa conduire ainsi jusqu'a sa cage. II parait que le trouble de ce mon- stre, qui ne trouvait aucune issue au milieu des eaux, avait change .ses nioeurs; il etait devenu presque docile, au moins soulTrail-il I'approche de son liberaleur. On voit aux Indes des tigres a demi prives ; mais on a soin de les tenir muscles, les yeux bandes et attaches en lesse. Les seigneurs orienlaux en m(?nent a leur suite, mais ils sont renfermes dans des cages, ou enchaines sur de pelits •chariots. La tigresse produit quatre ou cinq pelits, el sa rage ■devient extreme lorsqu'on les lui enleve; elle brave tous les dangers et suit les ravisseurs, qui, pour I'aniuser, re- lachent un de ses pelits; elle s'arrete, le saisit et I'cm- porte pour le nietlre i I'abii : mais elle revienl a In charge quelques moments apres, et lespoursuit jusqu'aux portes des villes ou jusqu'a leurs vaif.^eaux, a moins (juc tous ses pelits lui aient cle rendus; et si elle perd lout espoir de les recouvrer, elle pousse des cris lugubrcs, des luirle- menls affreux qui font fremir ceux monies qui les enten- dent de loin. IJans les Indes, lorsque le ligre se trouve environne de chasseurs qui lui prcsentenl I'epieu, il s'accroupil sur la queue el soutient longtemps les coups de lleches qu'on lui tire; enfin sa rage s'allume, el il s'elance avec rapidite sur ceux qui le lirenl; mais d'aulres chasseurs liennent la poinle de leurs epieux tourn^e vers lui, et le percent au moment oil il esl pret a saisir leurs compagnons; si on le manque, dans un instant il clrangle, dechire et enleve les chasseurs. Les Chinois estiment beaucoup les peaux des tigres ; les mandarins mililaires en couvrent leur chaise dans Its marches publiques, et k la cour, les princes en font des couverlures, des coussins pour I'hiver : mais, en Europe, ces peaux ne sont pas dun grand prix ; Ton prefere celles du leopard de Guinee et du Senegal. Les Indiens man- gent la chair de cet animal et ne la trouvenl pas mau- vaise. On pretend que le poll de sa moustache, pris en pilule, est un poison pour les animaux et pour les hom- mes. Si le fait est vrai, on doit peul-^lre I'altribuer a sa durete et ii sa roideur, de maniere qu'une telle pilule agil sur les membranes de I'estomac de la mcnie maniere 58 PETITES PROMENADES qu'un paquet de peliles aiguilles. On dit monie que le tigre craint tellement lo poison dc sa moustache, que quand il va boire dans une eau courante, il se place pa- ruUelement au courant de I'cau, de peur d'avaler quel- qu'un de se^ polls. II y a en Amerique des (elions presque aussi grands et aussi beaux que leligre. Leslndienslescombattent avec le sponton et la dcmi-pique. Geux qui liabitent Ics pays des Amazones racontent que le crocodile ile ce pays a jusqu'ii vingt pieds de longueur, et qu'il met la tete bors de I'eau pour saisir le tigre quand il vient boire au bord de la riviere ; alors le tigre enfonce ses grilTes dans les yeux du crocodile; mais celui-ci en se plongeant dans I'eau, y entraine son cnnenii, qui se noie plutot que de lacher prise. 11. G. TOKTUES MAHINES. — I.E CARET. Une des infirmites do noire intelligence, c'est de se liiisser surprendreet dominer par leserreurs les plus vul- gnires, par les preventions les plus etranges. Quelle est, par cxemple, parmi les personnes serieuses elles-memes, I'opiniou la plus commune surla torlue. Cette opinion se resume tristement en un proverbe injurieux qui cite la tortue comme le symbole de findoleiice. Certes les an- ciens, dans leur poi^sie mythologique, se placaient plus pres de la verite en la considerant comme I'embleme de la circonspection ; mais ils n'^taient pas encore lout h fait dans le vrai, puisque les tortues aquatiques, qui sent Ics plus importantes et les plus nombreuses, nagent toutes avec une elegante vitesse. Du reste, il nousserait facile de prouver que cetlo locomotion si lente qu'on reproclie k la tortue terrestre, est ii la fois la plus commode pour I'a- nimal, la plus conforme aux oirconstances essentielles de sa vie, la plus utile pour I'homme. Mais la figure qui precede cet article nous averlit que nous devons aujour- d'hui nous occuper surtout de la grande espi^ce marine qu'on designe sous le nom de caret. l.es tortues ont un air de famille qui les separe nette- ment des aulres reptiles. Leur corps ovalaire est plus ou moins comprisdans un double bouclier : I'un superienr, appeltS carapace; I'autre inf^rieur, nomni^ plastron. Et d^ja dans ce premier caractiire exterienr, dans ce tteu- Dient plus ou moins osseux, se manifeste une condition d'harmonie qui nous ferait aisemcnt distinguer la tortue terrestre de la tortue aqualique. Gelle de terre, plus ex- posee aux chocs ainsi qu'A la pression, devait ^tre par consequent mieux garantio ; sa carapace forme done une volute plus epaissc, plus dure, plus ciiitreo; et non-seule- ment elle abrite tout le corps, mais encore elle olfre une place ouso recueillent completement la tele, les pattes et la queue. La vitesse, il est vrai, se Irouve ainsi sacrifiee a ce mode souverain de protection ; mais qu'imporle la vitesse a un animal qui n'en a besoin ni pour attuindre une prole, ni pour ^chapper au danger, car la tortue ter- restre se nourrit surtout de plantes,et dte qu'elle est me- nacee, elle se condense dans sa boile, forleresso inacces- sible. L'ennemi songerait-il, par hasard, aattendre que la tortue soil forcee de sortir pour aller paitre ou se desal- teier ; mais ne faut-il pas d'abord que I'assiegeanl lui- memo veille h sa propre surete-, et puis quelle patience pourrait tenir centre la lortue qui supporte sans peine et durant plusieurs jonrs I'abslinence la pUis complete. Et si rennenii, nayant pas de temps k perdre, chcrchc bieu vile quelque point vuln6rable autour de celto place toute muree, qu'il prenne garde de ne pas rencontrerdu moins le bee de la tortue, car ce bee robuste et tranchant ne blcsse jamais k demi. La lortue aquatique devait etre moms armee, car elle est moins menacee : d'ailleurs, elle a pour sauvegarde la vitesse ; mais pour que la natation soil rapide et facile, elle exige d'autres conditions assorties; elle exige uotam- jnent que la carapace soitmoUe, mince, aplatie, et toutes ces conditions peuvent fetre accordees sans nuire ii I'ani- mal, puisque n'elant pliis en contact qu'avec I'eatf, il n'& mtSmo point de frotlement a supporter. Mais k ces mo- difications, qu'il etait fort simple de prevoir, s'ajoulent des perfectionnements inattendus. Son immense poumon AU MUSEE D'HIST rempli d'air offre un double avantage : il rend la tortue plus legere et lui permet de rester longtemps sous I'eau sans respirer. Aussi n'est-il pas facile d'aspliyxier uno tortue, et la t^nacite de la vie est encore un privilege re- marquable de ce reptile si nieconnu. Cette reserve d'air donne 5 Tanimal la possibilite de dorniir h la surface de la mer dans les conditions hydroslatiques les plus par- faites. Un autre perfeclioniicment tres-favorable a la nage, c'est que toulcs les parlies du corps prennent une forme elalee. La patle surtuut s'elargit en ranie puissante avec ses doigls longs ot palmesi cette disposition eminemment nautiquc so montreau plus haut degre dans le caret qui, n'ayant pour demeure que I'Oc^an, devait etre, en elTet, d'autant niieux organise pour la natation. Cette magnifi- que tortue no s'eloigne pas beaucoup du rivage, quoii qu'elle n'y vienne que rarement. Et cette emigration, si perilleuse pour elle, doit particuliferement nous interesser, car k mcsure qu'on salt mieux observer, on dccouvre des fails etonnanls, dea calculs admirables choz les animaux mfimes qui paraissaient les plus slupides. Consideronij seuloment cette tortue marine dans la circonslancela plus difficile de sa vie, c'est-a-dire au moment oil elle doit s'occuper enfin de ses oeufs. fividemnient elle ne pent lea fonserver aupres d'elle dans le milieu mobile qu'elle ha- bile, et ne peul non plus rester avec eux sur le sol. D'aiU leurs elle est privee, comme reptile, de la caloricito ne- eessoire pour les couver. II faut done qu'elle aviso an parti le plus sage, a I'expedient le plus siir : or, cetle tortue qu'on suppose si depourvue d'instinct, connait pourlant une grande fonclion du soleil que la plupart des hommes ignorent peut-etre; elle salt que cet astre bien- faisant reserve quelques-uns de ses rayons pour faire eclore les milliers d'oeufs que lant 4e pauvres meres lui confient. Suivez-la maintenant dans les plus apparents details de I'execution : elle quitte la mer pendant la nuit, car elle risque moins alors d'etre apergue; elle distance ses OBufs sur le point le niieux expose du rivage et les couvre d'un peu de sable ; elle les, revit de sable pour les derober a tons les regards, mais la couclie en est legere pour ne pas gener Taction calorifique du soleil; toutefois elle les enduit d'une substance visqueuse qui fixe le sable et le retient, afin que si le vent vient eourir sur la plage, il ne puisse les mettre a decouvert. La cou- vre n'est cependant pas et ne devait pas etre h I'ahri de toute atlaque, car it imporle que la famille de la tortue soil limitSe comme toutes lea autres ; mais le grand nom- OIUE NATURELLE. » bre des oeufs compense pleinement toutes les pertes. Quoi qu'il en soil, c'est I'homme surloul que le caret doit rcdouler. Pour s'emparer do la tortue de mer, le pScheur I'attend sur le rivage, la retourne et la laisse ensuite s'epuiser en vains efforts, car elle ne peut plus se replacer sur ses pattes. Cette pfiche est la plus expeditive et la plus ordi- naire. Les Cbinois en pratiqucnt une autre qui leur est pro- pre : ils se donuent ici pour auxiliaire un singulier pois- son qu'ils dressent ii une manoeuvre encore plus singuliere. Ce poisson appeliS remorc porte sur sa t^te, fort plale, un appareil forme de lames transversales qui sont herissees d'epines et qu'il ahat ou releve h son gre i il s'en sert ha- biluellement pour s'accrocher au requin, par exemple, et se dispensant ainsi de nager, il profile pour ses voyages de cet excellent mode de transport, et pour sa nourriture, il n'a qu' Le pere Van Roosmael , dun air plus satisfait, re- mercia le docteur, lui serra la main el continua tran- quillement sa route. [La suite a im iniiiliaiii niimfro.) PETITES PROMENADES All IIIJSEE D'llISTOIRE NATURELLE. L'ordre des rongeurs est netlement caracti'rise par les deux grandes dents que chaque mSchoire porte a la par- tie aiiterioure. Ces dents soul taillees en biseau, et vous aliez facilement comprendre d'oii leur vient celle forme particuliere. Une dent so compose en general de deux .substances difTerentes : I'ivoire, qui en constitue la masse, et I'email , qui la recouvre. L'email est plus dur que I'i- voire , de telle sorle que si, par un mouvement special des m&choires, il y a frottement entre la partie ^maillee d'une dent et la partie eburnfe de I'autre, celle-ci seule AU JlUSfiE D'HISTOIRE NATURELLE. 83 doit s'user. C'est precistoent ce qui se realise dans les rongeurs, oil voiis voyez que le frottement alternalif des dents oppos^es a pour resultat inevitable la forme en bi- seau qui les termine et les aiguise. Mais ne craigncz pas que ces dents finissent ainsi par se delruire reciproque- nient, car la coucbe qui se reproduit elant proporlion- nelle h celle qui s'use, cliaqne dent conserve toujours ses niemes proportions. Vous pressentez aussi, mes enfants, que par cela m^me que la reproduction denlaire est con- tinue, afin de compeuser I'usuie qui est incessante comme elle, s'il arrive qu'une de ces dents se casse ou plutot soit arrach(5e, celle qui lui correspond, ne trouvant plus a s'user par le frottement, peut se developper dune fa- con inonstrueuse, au point de decrire une spirale et de lilesser mime I'animal par sa longueur demesuree. Les autres dents des rongeurs olfrent encore une par- ticularite remarquable; leurs cretes se disposent d'une maniere transversale, et cette circonstance devient im- portante en ce qu'elle se lie merveilleusement k une exception que presente aussi la raaclioire elle-meme. Cbez les autres mammiferos, en effet, la miichoire est li- mits dans son mouvement et ne peut agir que de bas en haul, que verticalement. Chez les rongeurs, elle jouit encore de la faculty de se mouvoir horizonlalement, d'a- vant en arriere et d'arricre en avant. Or, quand elle opere ce mouvement, les deux series de dents faisant I'of- fice dune double lime, il en resulte une puissance d'ac- tion qui explique fort bien, par exemple, comment I'a- nimal, quoique petit, peut ronger un gros arbre en quel- ques minutes. Le regime vegetal predomine dans les rongeurs. Chez tous, I'inslinct est admirable, mais ne tend qu'au bien- etre, qu'a la conservation de lauimal ; de telle sorte qu'aucun d'eux n'est susceptible ni de sentiments affec- tueux ni d'educabililc. En Ic^le de cet ordie se trouvent places d'abord I'ecu- reuU et la marmotte, et puis le castor. Peut-itre vous pa- lait-il singulier de voir reunis dans la meme famille deux animaux qui semblent aussi inverses que I'ecureil et la marmotte; I'un, svelte, leger, vivant au somniet des ar- bres, I'autre, massif, lourd et vivant sous le sol ; mais I'observalion vous fera reconnaitre que peu de nuances intermediaires sufBsent cependant pour passer des for- mes semi-aeriennes de I'ecureuil aux formes subterra- neennes de la marmotte, comme aussi quelques degres insensibles menagent la transition entre I'organisalion terrestre de la marmotte et I'organisation aquatique du castor. x'xcmisuii.. L'ecureuil est de tous les rongeurs le plus sveHe, le plus ruse, le plus vif, le plus gracieux. Ses oreilles sent terminees par un long pinceau de sole, qui les rend plus elegantes et mieux ornoes. Sa queue toulTue, qu'il raniene sur sa tete en forme de panache, de parapluie, de parasol, lui sert tour k tour de balan- coire dans ses evolutions et de point d'appui dans le re- pos. Sa robe est toujours d'une proprete remarquable. II met une sorte de coquetterie a la lustrersans cesse, et ne neglige rien pour la preserver de toute souillure et mime du simple contact de I'eau. Doux et timide, il ne niord que dans ses moments d'inipatience et n'a d'autre sauve- garde que la fuile. Mais pour que I'ennemi donf il a peur ne songe pas a I'attaquer, il prend aussitut un air fanfaron qui est, en verite, fort comique. II conserve dans toutes ses poses comme dans tous ses mouvements un melange de gentillesse et d'cspi^glerie qui interesse et qui plait. On aime h le voir surtout lors- que, vivement preoccupe, dressant I'oreille et dardant. ses regards, il semble llairer la brise qui doit le prevenir du danger. II s'asseoit pour le repas, et son corps se trou- vant dans une position verticale, ses pattes anterieures, devenues libres, lui servent comme deux mains pour porter I'aliment a sa bouche et pour I'y mamlenir. Deli- 8i cat pour sa nourriture, il n'acceple jamais le fruit qu'un autre a entame. Econome, m^me en captivity, il ii'Liban- donne pas le fruit qu'il tient pour prendre celui qui lui est offert, mais il va U'abord le deposer dans sa caclietle et s'empresse ensuite de revenir. II boit la rosea que la nuit depose sur les feuilles; car s'il dcvait, pour se (lesal- terer, quitter I'orbre qu'il habite, il perdrait trop souvent sa security ; aussi n'en desoend-il que raremenl et lorsque la necessite I'y contraint, par exemple, lorsque I'ouragan qui secoue I'arbre et le d6racine ne lui laisse desormais que ce moyen de salut. Son ongle long et effile lui rend trfes-facile Taction de grinipcr, mais lui refuse la possi- bditiS de courir sur le sol autrcment que par une serie rapide de petits sauls. 11 n'entre dans I'eau que par force, mais il nage saris peine, quoiqu'il prefere toutefois s'em- barquer au besoin sur un fragment d'ecorce oq de bois. Sa queue lui devicnt, dans les deux cas, d'une utilite re- marquable, car elle lui sert de gouvernail quand il nage ou bien de voile sur son radeau. Ceci doit voussurprendre saps doute, et nous avouons que pour y croire nous- meme, nous avons besoin de toute I'autorite d'un natu- valiste comme-Linnee qui rapporte, en effet, que lorsque I'ecureuil veut traverser un fleuve sur un corps llottant, il releve sa queue et I'etale a Taction du vent, de telle sorte qu'il est poussii bien vite a Taulre rive. Son nid est un modele d'art et de proprete. La char- pente en est formee de petites bilchetles qui s'ajuslent avec symetrie ; a Text^rieur, il est recpiivert d'une mousse epaisse qui le rend impermeable a Tair comme a Teau ; Tinlerieur, lapisse de subslances moUes, est large el commode, tandis que Tcntr^e, au contrairc, en est fort etroite. Ce nid s'ouvre a la partie superieure, circonr stance qui pent paraitre defavorable, mais il estsurmpute d'un petit dome qui Tabrile de la pluie et no laisse memg penelror qu'un demi-juur. L'ecureuil dorl, pu eg'gt, pregr que lout le ten^ps que le spied occupe Thori^on et ne commence guere k se ipetlre en activUs qu'au cr^pus- cule. Au moindre bruit, il est sur picc| ; ipais sjiphapt fttff bien distinguer si Tarbve qui remue nest agile que par le veni, il ne se met en fpile que lorsqu il se sent verila- blement menace. Quaqd il est poursuivi, sa tactique est as.spz ingeuieuse ; il court dp branche en brancbe, par lignes brisL'es et dans tqutes les directions, et comme ja forme aceree de ses p)]|lps lijj permpt dp sp tenir en sens inverse de la peiaflfpu'r §V)r T^'pRrce Ifl^lflS !l P'"'* ''^*^' il a soin de placec s^ccessiven^ql^t chaqHP tiraifjcbe entre lui el Tagresseur. Dans les environs de sa demeure et presque toujours sur le m^me arbre, l'ecureuil se menage des greniers d'abondance pour Thiver, car il n'est pas soumis, comme le loir et la marmotle, au phenomfene de Thibernation. Ces magasins d'approvisionneraent sent lout simpleipept des cavitfe qu'il dissimule avec de la mousse, et daqs lesquelles il recueille a Tarriere-saison une quantile con- siderable do noisetles, de glands, d'amandes de pin. Mais ne pensez pas qu'il les prenne au hasard , il les clioisit, au contraire, avec une sagacite surprenanle, n'admeltant dans sa reserve que des fruils sains, les seuls qui puis- sent en effet se conserver. 11 scmble avec ses pattes anlc- rieures faire essai de leur poids pour mieux les reeou- naitre; et il ne manque pas de rejeter au loin Taraande menie qui lui paraitsuspecte, comrae s'il comprenait que celle-la seule sullirait pour galer toutes les aulres. t>ET|TES PROMENADES Quant k sa distribution g^ographique, l'ecureuil s'itend dans toutes les contrees du globe, excepte la Nouvelle- Hollande, qui, du reste, se distingue par une zoologle ex- ceptionnelle, elparloutil nous offre une nouvelle prpuve de Tinlluence modilicatrice desclimats; car,a mesure que nous le suivons de plus en plus dans les regions froides, nous lui voyons une fourrure dont la finesse augmenle et donl la nuance s'eclaircit. Dans le commerce, les four- rures des ecureuils du nord portent tpules le nom de pelit-gris; mais ce tilre ne convient qu'a eelle de l'ecu- reuil de la Caroline, qui se trouve cependant dans presque tpute TAmerique septentrionale. Cette fourrure est, en effel, plus abondante que les aulres, plus briMante etplus soyeuse. C'est de TInde que nous viennent deux especes d'&u- reuils bien dislinctes : Tune ii plaques noires et rougeatres en dessus, a nuance jaune en dessous, Tautre a couleur de rouille presque uniformp avec le bout de la queue tout a fait blanc. Notre ecureuil common est en dessus d'un roux plug ou moins ardent et dun blanc net en dessous; sa chair estassez savoureuse, mais de toute sa depouille on n'em- ploie guere que la queue pour faire des pinccaux. II offre done jusqu'a present pen de ressources ^ Tindustrie. Dans quelques contrees on profite de son extreme pe- tulance pour lui imposer le travail, et, en quelque sorte, Tobligation de gagncr sa vie. On le renferme, en effet, dansun tourniquet qu'il met en mouveraent pour se don- per de Te^prpipe , et c'est ainsi qu'on lui fait moudre cliaqpe jgijr upe quantite considerable de poivre ou de pqi^. ' '■ ' " T. I,A MARMOTTE. I^Passons maintenaiit a la marmotle que vous apeicevez ici avec ses longucs moustaches et sa robe gris sombre en dessus et fauve en dessous. Elle a le corps trapu, la jambe courle, Tongle puissant. Sa patle seule suQirait pour indiquer un animal cssentiellement fouisseur. C'e^t en elfet dans un terrier prol'und que se tient la marmotte, aux llanos des hautes montagnes, sur |es limites de la r^- AU MUSfiE D'HISTOIRE NATURELLE. 8S gibn boisee. GB ISrriei' s'diivre par une galerle {)eii d^- cliv^ qiii sert d'eritfSe et de sortie ; I'intcrieur est spa- cieux, propre ct chaux , car celles qui doivent I'occuper en rommun le tapissent de mousse et dc foin et creusent une galerie Uiterale pour porter au loin lout ce qui pour- rait le salir. Ce domicile, si different de celui de I'erurcui!, devait amener dans les formes de la marmotte des modifications correspondantes pour la rendre propre h la vie souler- raine. C'est aussi vers ce but que concourent et I'aplatis- sement de sa tete et le raccourcisseinent de sa queue; car vous comprent-z qu'une tfle arrondie serait ^enante pour petietrer sous le sol, comme une queue longue pour s'y mouvoir; Cependant la marmotte n'cst pas encore telle- menl eloignee de lecureuil, qu'elle ne conserve avec lui quelques rapports, quelques trails de famillfe. Amsi elle s'asseoit comme llii pbur manger et ello bolt peu, elle gHmpe asscz vite, itiias seulement cntre les fcnies des ro- cliers, s'aidant alors de son dos comme font nos petiis ra- moneurs, qui paraissent m^me hii avoir emprun(6 cctte maniere de s'elever entre les parois abrupfes mais elroi- tes de nos cheminees. Enfin elle s'apprivoise faciiement et pout eire drcssee ci quelques exercices qu'elle n'ex^- culc, du reste, qu'avec une sorle de niauvais vouloir , car la captivite, comme a I'ecureuil, lui est si dure quelle ctsse d'avoir des petits des qu'elle a perdu soil independance Mais une particularile bicn remar(puible et jusqu'k present inexpliquec, c'est son aversion instinc- tive centre le cliien, aversioii qui est encore plus pro- fonde peul-elre que celle du chat et plus difficile h cor-^ riger. La distribution geographique de ce rongeur est infini- ment plus restreinte que celle de I'ecureuil. On peut memo dire que la niarniotle ne se trouve guere que dans les Alpes. Ceperidaiil I'lnde en presehte tine espece dont la fourriire est toute noire; mais la riiarmotte proprement dite est fort commune dans nos Alpes francaises. On lui fait toutefois une chasse peu active, d'abord parce qu'il est difficile de la surprendre, et puis parce que I'industrie en retire peu de profit. Sa chair peut ^tre mangee, mais elle relient toujours une saveur sauvage; sa fourrure, quoique grossiere, peut etre mise en oeuvre. Aristole, le naturaliste de la Grt!ce, n'a pas connu la marmotte; Pline, le naturaliste deRome. n'en parle sous le nom de ral-ours qu'avec peu dinteret, parce qu'il ignorait les details qui nous sont acquis aujourd'hui. Nous-mJmes, si nous n'en pouvions juger que par les marmottes engourdies qu'on Iraine dans nos rues sans tenir compte des saisons, nous la croirions privee de tout instinct. Eh! combien d'aulres prejuges que viennciit ainsi rectifier les progres de la science! car nous ne con- naissons, pour ainsi diro; que les animaux domestiques, ou bien ceux qui, restes encore dans la vie sauvage, vivent assez pres de nous pour que noire observation puisse quelquefois les atlcindre. Les moeurs de la marmotte merilenl, en etTet, d'etre etudices. Ne pouvant fiiir sur le sol que tres-lenlemcnt, elle s'ecarte peu de sa demeure, afin d'y rentrer au nioindre bruit; elle y reste meme tout le jour, quand I'air est seulement humide ou froid. Lorsqu'elle sort avec ses compagnes pour chercher sa nourrituie ou pour prendre sur 1 hcrbe quelque loisir; elle poiirvoit d'abord a sa securile. Vous ne vous en douleriez peul-etre pas en aperc^vaiit de loin la petite troupe, plus joyeuse assure- ment que ne permet de le supposer la morosite prover- biale des marmottes que nous amenent dans nos villes les enfanis de la Savoie; inais si vous faites encore quel- ques pas, vous entendez tin cri tres-aigu, espece dc siffle- mcnt par lequel I'animal exprime sa frayeur comme sa colere, et aussitot toute la caravane se met en fuile ver^ le terrier. Le cri d'alarme a i'te jete par une d'ellcs qui, plac^e i I'ecart, faisait le guet sur un point eleve. Ce r6le de sentiiielle avancee, que chaque marmotte rem- plit a son tour, vous etonne moins sans doute depuis que je vous ai pr^venus de tout I'instinct de conservation qui se manifesto dans les rongeurs. Mais vous ne vou^ attendez guere a I'office qui leur est encore successive- ment impose quand I'heure est venue de se preparer 3 I'hibernation, c'est-h-dire h cette lethargie annuelle qui semble suspcndre dans I'animal toules les fonction.s de la vie. 11 faut, en effet, qu'elles amassent avant I'hivet' une grande quantity de planles, non pour s'en nourrir puisque leur abstinence doit etre complete, mais poui- calfeutrer leur domicile et s'y couclier plus mollement. Elles s'emprcssent done, au mois de seplembre, de faire fi I'envi ces provisions ; mais pour les transporter plus vile, chacune d'elles tour it tour, se metlant sur le dos ct tenant haul les paltcs, forme ainsi comme une espece de Iraineau, de charrctte que les aulres chargent et lirefit adroitenient; et, ce qui est plus merveilleux encore, celle qui rend ce pcnible service a le soin de se placer la tete en avant, disposition qui a le double avanlage d'attenuer poiir elle et pour ses compagnes les elfets du froltenient , car le corps glissant ainsi dans le sens mfme de la four- rure, la traction en est d'autant moins douloureuse, et comme le frottement est moins rude, la charge est par consequent plus legere. Cependant la fourrure finit par s'user sur le dos, mais elle se reriduvelle pendaht I'hiver, et cet accident ne lai.sse au prinlemps plus de trace. Leur maniere de s'elablir dans leur sejour hibernal n'est pas moins singuliere : apres y avoir recueilli la quantite d'air qui doit suffire durant plusieurs mois i leur respi- ration si ralentie, dies en ferment I'ouverlure avec une terre si fortement gachee, qu'il serait plus facile de forer le sol partout ailleurs que sur le point qu'elles out ainsi mure. Puis chacune d'elles se fait une boule de fuin oil elle se met comme dans une pelote, et ce surcroit de precaution est surtout hecessaire daiiS la marmotte, car c'est en elle que le phrnomene de rhibernation s'accom- plitavec le plus d'intensite. Mais, direz-vous peut-filre, pourquoi done la marmotte, que le froid engourdit si facilemeriti va-t-elle se placer dans le voisinage des neiges eternellesj c'est-a-dire dans les conditions qui doivent le plus rbstreindre .sa vie ac- tive et prolonger sa vie lethargique? Je vais essayer de votis repondre, et, bien loin de renconlrer ici des fails contradicloires, inharmoniqiies, nous y trouvons, au con- Iraire, I'application d'une des plus belles lois de Thistoire - nalwelle. Cerles, mes enfanis, je ne veux ni ne dois trailer d'une maniere subsidiaire une question aussi capilale que celle de la distribution geographique des pl:intcs el des ani- maux , car ce ne sera pas Irop, je pense, d'y con.sacrer une de nos Iccons. D'ailleurs un mot doit sulEre quant a present, afin de ne pas perdre de vue le phenomene de I'hihernalion, qui, special a quelques animaux seulement, 86 I'OMPfilA ET IIERCULANIIM. n'en est pas mollis fort important sous le rapport scienti- tii]uc. Pour que clinqiie zone do la Icrre, pour quo cluique cliniat ait ses habitants, les conditions d'exislence sont varices ci Tintini. Ainsi, le daim bondit tout a I'aise sur )a pointe des rochcrs, et le bceuf se promcne gravement parmi les paluroges, landis que le dromadaire se plait au milieu des sables et que la baleine sejoue au sein des eaux, la marmolte, dcstince a vivre pres des glaces et sous le sol, a dii recevoir aussi une organisation assor- tie a ce mode d'existence ct le prefere ni^me a celui de lous Ics aulrcs animaux. Et piiisquc la region qu'clle lia- bite ne pouvait lui olTrir aucune ressource alimentaire, il fallait bien qu'elle put resoudie le probleme de passer lout ce temps sans nourrilure et sans douleiir. Mais la" possibility de vivre ne se concilie avec I'abstinence com- plete qu'a une seule condition, c'est que toute cause de deperdition soit momentan^ment suspendue, de telle sorte que les forces ne s'epuisant pas n'aient pas besoin d'etre par consequent renouvelees. Or, I'bibernationproduitd'au- tant niieux ce resultat, qu'elle semble arreter menie les fonctions qui ne doivent cesser qu'avec la vie. Du reste, le sonimeil, qu'il ne faut pas confondre avec elle, nous en fait ccpendant entrevoir et comprendre les elfets, car par lui nous pouvons, apres le dernier repas de la veille, atten- dre sans peine le premier du lendemain, supportaut ainsi, sans meme y prendre garde, une diele asscz prolongee. C'est dans ce sens que le proverbe qui dorl dine exprime une verile, car n'allez pas croire que le sommeil puisse veritablement faire ellipse du diner; seulement il rend ralimentalion moins necessaire en diminuant les perles que I'exercice fait ^prouver; mais comme il ne suspend pas la digestion, I'estomac s'emeut bientot et determine le reveil. La torpeur hibernale a une action infiniment plus profonde, car elle va presque jusqu'a paralyser le coeiir et les poumons. Cependant comme la vie continue lentcment sous les apparences de la mort, comme les fonctions essentielles ne sont pas tout k fait eteintes, il y a necessairement une legere deperdition que repare peu a peu la graisse amassee dans I'animal a I'arriere-saison. Du reste, pendant sa periode d'activite la marmolte eprouve le sommeil comme tons les animaux, quoiqu'elle soit plus que tons les autres soumise a I'hibernation. Con- sid6res done en elle seulement, ces deux phenom^nes out des differences caracteristiques : I'un se reproduit cha- que jour et ne prend que quelqiies beures, I'autre n'a lieu qu'une fois Van et dure plusieursmois. Et s'il fallait les distinguer encore sous un rapport plus important, par exemple dans leur resultat, je vousdirais: lamarmotte trouve dans le sommeil un refuge centre la fatigue el dans rhiliernation un preservatif conire la faim. Ainsi, mes enfanis, cet engourdissement hibernal, qui vous pa- raissait peut-etre une condition fiicheuse pour la mar- molte, est pour elle au contraire un plaisir salutaire, un indispensable bienfait. Remarquons meme que ce phd- nomene elrange est \\& dune nianiere si intime aux circonstances dans lesquelles I'animal se trouve natu- rellcment place, qu'il ne se manifesto plus des que la niarmotte, devenue captive, n'a plus de diete a sup- porter. mm, RECITS, AVENTLiRES, EXTRAITS DES PLUS RECENTS VOYAGEURS, ETC. FOI«F£IA ET HERCUI.ANUM. En 1713 un ouvrier de Portici, qui creusaitun puits, ventit de la resistance sous la pioche dont il se servait; c'^taient des fragments de marbre qui t'amenerent a d6- couvrir un petit temple et quelqiies statues. On ne donna aucune suite a cette decouverte ; seulement, vingt-cinq alls plus tard, le roi de Naples acheta ce terrain pour y biUir son beau palais de Portici, etc'est alors que les tra- vaux neressites par Ics fondations r^velerent I'existence de toute une ville souterraine. Des fouilles furent ordon- necs, i I'aide desquelles on put se mettre sur la trace des nicEurs, des arts, des habitudes et de la civilisation des habitants de cette ancienne citi5. I'OMPEIA ET C'etait bien la, en efTet, qu'exislaient dans I'antiquit^ trois villes, Herculannm, Stabia et Pompeia, ense\ clips sous les cendres, le gravier et les piprres lors de I'erup- tion du Vesuve qui eut lieu I'au 79 deJ. C. , sous I'em- perpur Titus, et pendant hiquelle Pline I'ancien pcrit vic- time de ?a curiosile. Seize ans ovant, ces memes villes avaient beaucoup soufTert dun Iremblement de terie; les traces en sont encore tres-apparentes a Pompeia, oil Ton a reliouv6 des monuments qui n'elaient pas entierement ripares. II est impossible de rendre les impressions qu'oii eprouve devani les restes de ce ^rand dcsastre. Ces villes celebres et malheureuses ont fourni au musce Bourbon, a Naples, d'immenses et inappreciables richesses. Tout cela y est enlasse; les peintures k frcsque, enlevfcs aces cilfe detruiles, emplissent deux salles de cette vaste col- lection. Herculanum etait une jolie ville de la Campanie, a une lieue et demie ^ Test de Naples, oil brillait tout ce que I'art antique avaitde plusgracieux, de plusexquis. Puis, quand d'aulres temps furent venus, et que le souvenir de la calastrophe fut oublie, sur ce sol calcine qui re- couvrail la»ville ensevelie s'^leverent deux villages, Por- tici et Resina, dont les premiers babilanlsne sedoutcrent jamais que sous leurs maisons, a une profondeur de quatre-vingts pieds, avait existe autrefois une cite riche, brillante et luxueuse. Les fouilles, commencees h la lin du dernier siecle, furent abandonnees puis reprises, et, en 1828, elles etaient deja fort avancees. Seulement, comme la ville enterree se trouvait sous des habitations et sous un palais, elle n'a pu ^tre deblay^e entierement; a mesure qu'on faisait des fouilles, on comblait les exca- vations apres avoir enleve les objets d'art. Aussi, il y a quelques annees, il n'y avait plus qu'un |seul theatre de visible. Le mfime fait s'est reproduit pour les mines de Stable, dont on ne voit plus rien. Neanmoins on a pu s'assurer que les rues d'Hercu- lanum etaient tirees au cordeau et pavees avec des laves du Vesuve ; elles elaient crarnies de Irotloirs, quelques- unes etaient ornecs de colonnades. On a decouvert jus- qu'ici a Herculanum trois temples, parmi lesquels deux possedaient des fresques et des bronzes precieux avec des inscriptions; un monument fun^raire avec piiSdestaux ; le theStre, dont nous avons parle, situe sous Resina, orne in- terieurenient de marbres de diverses couleurs et de sta- tues de bronze representant des liommes et des chevaux : ce ttieiitre est fort curieux en ce sens qu'il presente le seul exemple d'un theatre couvert dans I'antiquit^ ; un forum construit en rectangle avec des porliques elegants, pave en niarbre, orne d'une foule de statues, parmi les- quelles deux statues equestres en niarbre et des statues en bronze de Neron et deGermanicus; des maisons riches et somptueuses, avec des pavages en mosaique et en marbres de couleur et des fresques nombreuses. C'est parmi ces mines d'une ville qui n'est plus que Ton a re- trouve la maison la plus grande qui ait ete habitee en Italic par de simples particuliers ; elle se compose de beau- coup de chambres disposees autour d'une cour inlerieure, il'un gynecee ou appartement des femmes , d'un vaste jardin qu'entourent des arcades et des colonnes, et des salles hautes el larges ou se reunissait probablement la famille. Dans les villes de Tantiquilo, bicn plus encore i]ue dans nos villes modernes, on etait expose h voirii cole des HEU(,l]LANU.M. 87 palais de fort inodestes masures; c'est dans un pareil voisinage que Ton apercevait, a Herculanum, la bouliqu d'un barbier avec tons les instruments de -sa profession, les bancs oil Ton s'asseyait en attendant son lour, I'etuve. el les epinj;les dont on se servait pour coilTer les dames; plus loin la maison d'un chirurgien garnie de plusieurs instruments de I'art. Dix-buil siecles se .sont ccoules de- puis la catastrophe, et la ville semble avoir ete deserlce la veille; les objets sont presque tons dans un i'lat de conservation merveilleux. Des choses parfaitement vul- gaires conlirment a chaque pas cette opinion. Dans une des maisons on a retrouve de la farine a I'clat do pale, un torchon plie, et dans des vases de Icrre cuite des graines, du ble, des lentilles, du grnau, une carafe avec de I'huile (celle-ci etait dessechce), un pot a onguent et un vase de verre contenant le rouge doiit les dames se servaient pour leur toilette. On n'a encore trouvfe dans Herculanum que quelques squelettes Ce fail donne lieu de croire que la majorite des habitants qui, selon toutes lesprobabilites, se trouvait la au moment de I'emption , aura pu se soustraire a la niorl. — Les plus precieux de tous les objets decou- verts sont, sanscontredit, des manuscrits dont la matiijre se compose defeuillesde Cannes de jonc, collees les unes i cM des autres, el roulees sur un cylindie de bois, places dans une armoire en marqucterie; qiielques-uns avaient ete pourris par I'humidite, et, a peine exposes a I'air, ils tomberent en poussiere; d'aulres etaient reduils en charbon. Cependant, grJce h I'emploi d'un procede ingenieux , on put en derouler plusieurs. Les premiers manuscrits grecs ainsi deroulcs furent : un Traite de la philosophie d'Epicure, un ouvrage de morale, un poeme sur la musique, el un Traite de rheloriquc. D'aulres lexles sont peut-elre destines a revoir le jour, peul-dlre une oeuvre inconnue, egale en merite a celles desTacile, des Ciceron, des Demosthenes et des Virgile, va-t-elle occn- per au premier jour tout le monde savant. Pompeia, ville situee au pied du Vesuve, etait autre- fois celebre par son commerce ; elle fut decouverte en 1748. Les points les plus eleves des bailments etaient cou- verts d'une lave deplus de dix-huit pieds d'epaisseur. Quoi- que moins spacieuse qu'Herculanum, elle est neanmoins fort bien decoree : elle est d'ailleurs plus avanlageuse- ment siluee, altendu qu'il ne se trouvait au-dessus que des vignobles ou des lerres cultiv^es. Depuis 1812, les travaux de deblaiement permirent de penctrer dans I'interieur, et Ton y trouva d'anciens edifices parfaite- ment conserves. La ville ofTre a decouvert toule son en- ceinte de murailles ; de sorte que Ton connail toute I'e- lendue qu elle avait en realile et lout ce qui reste a faire pour achever de decouvrir et de deblayer I'interieur. II resulle qu'il y a encore cinq sixi^mes de la ville a des- encombrer. Que de richesses doit-on trouver encore ! Les rues de Pompeia sont elroiles, les maisons fort pe- tites aussi, k I'exceplion de quelques monuments publics qui ne manquent ni de richesse ni d'elegance, a savoir: huitrtemples, deux th(?atres, un amphilheaire magnifique, deux places ornees de porliques, d'un forum , d'une basilique et des thermos. L'ensemble est mesquin et est loin de I'idce qu'on se fait loujours d'avance des habita- tions romaines. Les chambres des maisons ne sont guere en general plus grandes que des alcoves ; les boutiques font egalement tres-petites, mais les peintures, ks ensei- PETITS VOYAGES gnes el les inscriptions, encore trts-lisibles, sont des ob- jets vraiment dignes de remarque. Les tableaux qui or- nent I'lnterieur des habitations sont d'une fraicheur re- marquable. C'est en 4825 que Ion d^couvrit la belle maison particulifcre appelee Casa del put'ta Iragico, lon- gue de trente niMres et large de quinze, contenant dix- neuf rhambres, un atrium et nn peristyle avec force ta- bleaux et mosaiques de la plus grande magnificence. Par un ordre du roi regnant, tons les objels antiques, statues, nieubles, ustensiles, etc., etc., qui seront trou- pes h I'avenir, devront etre lais.ses et conserves en place. Cette mesure paralt d'abord sage et raisonnable ; mais quand on considere quo tous ces objels precieux, places directement au pied du Vesuve et a la porlee de la lave en fusion, se trouveront encore exposes a un nouveau de- sastre, semblable a celui qui les a enfouis il.y a dix-huit cents ans, on se demande s"il ne vaudrait pas niieux les voir transporter au Musee, conime cela a eu lieu dans I'origine, sauf a lai.sE lUANCE. 91 flu pays, pour aider le commerce des moutons, exemplerent du droit de passage sur leurs lerres tous les troupeaux qui seraient inferieursa cent tetes de belail. Aussltot lesber- gers se concertcrent enire eux pour reduire leurs trou- peaus au-dessous du chiffre fixe et ne pas payer. Blenldt on t'dt cherclie en \ain dans toule la province cent mou- tons reunis. Un berger qui en menait quatre-vingt-dix- neuf se presenta pour passer; le seigneur I'arrota ; le paysan pretendit qu'il ne devait pas le peage; une dis- pute s'eleva; le seigneur, impatiente de voir (|u'un nia- iKiut ne voulait pas lui ceder, declara quo qiialrc-viiigl- dix-ncuf mmilons et un Champcnnis faisaienl cent hrles, et fit Jeter, dit-on, dans le fleuvc le ruse et opi- niiitre berger. Le premier bouig qu'arroso la Seine en Champagne est Saint- Parre, qui s'etend en ligne droite sur la grand'- route voisine de la rive gauche. Pres de Villemoyenne, le meme Deuve entoure un terrain assez vaste pour en faire une ile, la plus importanle de toutes celles qu'il ait formees jusque-la. Ses deux bras se rejoignent a Clerey, puis il passe devant Saint-Aventin, village d'origine ro- maine comme le nom semblerait I'indiquer, si Ton s'en rapporte a la tradition. Or, il est bon de reniarquer que tout monument antique, en France, remonte, d'apres la croyance du peuple, au temps de C&ar et a I'epoque de la conqui^le des Gaules. Enfin la Seine arrive h Verrieres pour penetrer dans cette campagne bien rultivec, mais basse et sujette aux inundations, oil s'eleve la ville de Troyes. RAVKBtiiE. {La suite au prochain numero.) mils RECITS ET AVEXTURES DE L\ VIE MARITIME. NAUFRAGE DE I.A I.EOFOI.OINE ROSA. Depuis plusieurs annees, la lemp^te semble avoir pris possession des mers. Ses fureurs se signalent cliaque fois par des desastres dont la lamentable nouvelle va jetor la conslernation dans les innombrables families de nos villes marilimes. L'annee 1842 a ete la plus malheureusement fcrlile en sinistres de ce genre ; le plus elTroyable est le naufrage de la Leopoldinc Rosa, dont des temoins ocu- laires nous ont trace Thorrible detail. Dans les premiers jours de mai, ce navire partil de Bayonne pour Montevideo, sous le commandement du brave et infortune capitaine Frappaz. II avail i son bord, outre son equipage, Irois cent trois personnes, hommes, femmes, enfanls du pays des Basques, laborieux emi- grants que I'espoir d'un avenir meillcur enlrainait hors de leur patrie, vers les plaines incultes de I'Uruguay. La traversee avait ete longue, mais la terre (Stait pro- rhe, et deja raltente d'une heureuse traversee faisait ou- blier les privations du voyage, quand, a I'atlerrissage, la 9!! SCfeNES, RtClTS ET AVENT WopoWi'tie Roja fut assaillie par line tenipMe Sud-Siid- Est, qui la portaif. en rote, vers laffuello Ja dressaient aiissi Ips courants. Apres trois jours de lutto et Ji la fin d'unc nuit dont I'obsrurilo doublait encore les dangers, sons meme avoir eu connaissance dps brisants, le bAliment toucha. U plait alors cinq heure? du matin. Au jour, on rc- ronnut la terre; la Lcnpnidhie Rosti ('tail engngeo surlcs rScifs nommi^s Los- Caslillos '. Le navire elait perdu sans ressourres; on s'occupa de sauver les liommes. Porle en cijte par le ressac, le navire n'avait entre la terre et lui que la distance d'une eiicS- blure et demie (environ 250 metres). Les enibarcations t'lircnl) Siiccessivenient mises i\ la mer, toules furetit hri- sees. Sans perdre courage, le capitaine ordonne d'etablir un va et vieHt. Un homme se jelte it I'eau et parvient a gagner la terre, tandis qu'eperdus, tremblants, osant c^ peine esperer, les passagers silencieux epienl chacun de ses mouvements. Seul, il ne peut suffire a la violence des llols. Sur un ordre du capitaine, trois niatelols s'e- lancent, arrivent a terre apres mille efforts, vont en aide h leur compagnon; rriais h peine ont-ils fde quarante brasses du gros grelin qui doit .servir au salut comnuin, que le courant lui fit faire un cercle si grand, que les quatre matelots, cntraines par la force du gri^lin, hlclient prise en se voyant dans les brisants et cherclient k se .soiistraire a la mort. Pas un caillou, pas un arbre, pas le plus simple pieu pour amarrer le bout sauveur. Un autre moyen de salut se presente ; un radeau est construit, les passagers refusent d'en faire usage; trois d'entre enx ont .seuls le courage de s'y exposer; mais conduits par le cou- rant isous le couronnement du navire. ou les vagues s'e- levent effrayantes comnie des montagnes, les trois passa- gers et le radeau disparaissent dans I'abinie. Acelte vue, I'esperance fait place au desespo'ir, le desespoii- prodnit de nouvelles resolutions. Plusieurs se jeltent danS la mer; mais inhabiles a latter, saisis et roules par le rpssac qui brisait avec fureursurles rochers, la plupartsedtbat^ tent peniblement et perissent sous les yeux de leurs com- pagnons. Ceux-ci s'arr^tent inducis ct epouvantcs; ne sachant pas nager, ils redouteut un pareil sort; mai.s eus- sent-ils su nager, eusscnt-ils eu plus de courage, pou- vaient-ils abandouner sans secours celte foule de femiheS et d'enfants auxquels ce moyen de sauvetage etait intpr= dit? Pouvaient-ils livrer a une mort rerlaine et alTrcusB les Stres pour I'amour desquels ils avaient alTronte I'U- cean et I'exil? Eli'rayeS dii .spectacle qui se deroule h leurs regards, embrassant leurs families eplorees, ils .se replient sur le navire, qui du moins lour promettait en- core quelques beures d'exislence. Une circonstance servit encore a les retenir a bord, c'etait la sctne lamentable qu'olTrait le rivage. Le sinistre avail attire'sur la plage une foule de ces miserables Gau- rhos, race immonde et sanguinaire, qui, parcourant la cdte, s'emparaient des debris, brisaient les nialles, pil- laient leUr contfeuu et menacnient de leurs drmes qni- conque paraissait voulbir s'opposer h ISurs rapines. Troife perils itnmirierits s'olTraieht aux passagi^rs : la submer- * Rescifs d.-ingereux situes sur la c jte orientale de 1 Unigiuiy, a SIX lieues environ du cap Sainte-Marie, qui forme un des cutea de I'emboacharfe de Rio dp. Ih Plata, et i qaaranle liedes de Mdntfevideo. URES DE LA VIE MARITIME. sion du navire, les brisaiits en fureur et I'a-vidit^ des Gniichos. Les mallieureux naufrages choisirent celui qui leur laissait encore un rayon d'esp^rance, ils restferent. Opendant, avec le jour, la tempeto augmentait de vio- lence ; la mer, qui venait Se bri.ser sur les llancs du b^ti- ment en lui imprimant d'efTroyables secou.sses, deferlait sur le pont ct le balayait d'un bout a I'autre. Tout ce qui restait h bord chercha un refuge sur I'arriere, et 1^, serres I'un centre I'autre, attendant la mort, les infortu- nes ne donnaient signe de senlinient qu'alors que la voix du capilaine faisait entendre des paroles de confiance et de consolation. II elait du resteli son poste, jaloux de niourir avec son bJliment, amarre sur la dunetle, infati- gable, observant le temps, qui paraissait vouloir se cal- mer en faisanl esperer un changemeril au coucher du so- leil. Sa prevision s'acconiplit ; le vent se calma au large, mais comme il arrive apres la tempfite, la lame devint plus forte h terre, et les brisants n'en mugirent qu'avec plus de fureur. Pendant cet borrible jour, la Leopoldinc Ilosa avail resist^, mais vers cinq lieures du soir un craquement sourd se fait entendre : I'arriere cedait. La dunette a I'instanl s'ouvre et la mer I'envahit. Alors, 6 douleur, 6 scene decliirante! plus de soixante individus, hommes, femmes et cnfants, entasses pele-mele dans cet etroit es- pace, se trouvent en un moment submerges! La terreur, la douleur, la priere, dans leur plus poignante expres- sion, elevenl leurs cris du milieu de cette foule qui se debat dans une indicible agonie... Bienlot on n'entendit plus rien que le clapotenient de la lame sur les parois de la dunette. Tout avail peri h I'exception de quelques personnes qui, restees sur le pont, parvinrenl ^ se hisser sur le capot. II ^tait alors nuit close. Une parlie du pont, rompu par la moilie, etait separee de I'arrifere, oil resis- taient encore les survivants; la mer couvrait incessam- ment ce dernier asile, et chaque lame emportait quel- qu'uti de ces inforlunes. Bienl6t le malheur est h son comble, le navire S'eiltr'ouvre de loutCs parts; ses di- verses parties roulcnt epnr.ses dans les flols, et il ne reste plus aux iidufrages que la trifle ressource de se cram- ponner h I'liii de ses debris, dans I'espoir de gagner la terre avec lui. Le coeur se resserre eu depcignant des scenes qui, dans I'espace de quelipics hcures, rasserablent tout ce que la soufTrauce humaiue a de plus lamentable et de plus horrible. Qu'est-ce que I'homnie? De celte multi- tude en lutle avec la mort, quelques-uns se sauvent, le plus grand nonibre peril; il en est qui louchenl la terre et expirenl en la touchant. De ce nombre fut le jeune el mallieureux capilaine Frappaz. .lete vivanl sur la plage, il ne surv^cut que quelques instants k la perte de son navire; il expira sans secours, glace par le froid, brise par les contusions recues a bord pendant les dix-huit heures ii I'agonie de SBril bilimsnt. Sa iflort fiit.lb prix de son dcvouement. On rendit Ji son corps les honncurs de la sepulture; une main ahnie placa sur la terre qui couvre ses restes une croix de bnis, deux simples branches d'arbre, signes de sa foi conime de son esperance. L'ahbe K. JEAISNE D'ARC. FAITS JIEMORAIILES DE L'HISTOIRE. 95 JEANNE D'ARC. Apresavoir delivie Orleans, apres avoir fait sacreiaKeims leroiCUarlesVll, Jeanne d' Arc, sacliantquesa mission etait terminee, voulait retourner dans son villa2;e; on ne le lui permit pas. En dijfcndant Compiegne, elle tomba au pou- yoir desBourguignons, qui la li\rerentaux Anglais. Ceux- ci, loujours battus par une I'emmc, buniilies, par conse- quent, voulurent se \enger; leur vengeance fut une ISchcte, ils fircnt le proces a celle dont le seul crime elait d'avoir sauve son roi et son pays. Aussi,a peinelalTaire fut-elleinstruite, qu'on prodigua I'argent et les menaces afin den liiter la conclusion ; mais un obstacle s'opposait au prompt accomplissement de cette iniquite, c'etait I'interet que I'accusee avait su inspirer a ses juges eux-memes. Cependant ceus-ci avaient ete cboisis parmi ses ennemis. Jeanne eut a re- pondce dans les ioterrogatoires qu'on lui fit subir plu- sieurs fois sur sa premiere entrevueavec Charles VII ; elle refusatoujoursdes'expliquersurce quelle lui avail revele pour lui prouver quelle ne voulait pas lui en imposer. Quaod elle fut conlrainte de s'expliquer, elle le lit d'une maniere a pen pres inintelligible, et en eraployant I'alle- gorie; elle raconla avec beaucoup de details tout ce qui concernait ses apparitions et les voix qui la conseillaient ; elle rapporta, avec la plus grande ingenuile, tout ce qu'elle avait vu, entendu ou dit dans ses entretiens se- crets avec les saintes qui, tous les jours, voulaient liien lui apparaiire pour I'engager a repondre hardimenl. Elle ne pensa jamais a nier les predictions qu'elle avait faites dans ses lettres; bien plus, elle annonca ii ses juges qu'avant sept ans les Anglais abandonneraient un gage beaucoup plus important que la ville d'Orleans. Or il faut remarquer que Paris fut repris par les Fran- cais, le 13 avril Hi6, c'est-ii-dire six ans apres que ron eul parle de cette prediction pendant le pro- ces de Jeanne. Les inlerrogatoires devenaient chaque jour plus frequents et le proces ne faisait pas un pas. Les reponscs de I'accusee, le resuUal des visites auxquelles on I'avait soumise, les renseignemenis pris dans le village oil elle etait nee, tout tendait a prouver son innocence. Tous les Iflchps artifices dont on se servit paur etablii* sa culpabilitii resiiirent sans effel, il y eul menie (Ijius son tribunal plusieursassesseurs qui, indignes de I'iniquU^.de tous ces moyons, cesserent de prendre part au procijs. x,; L'ev^que de Beauvais ne savait plus que faire, lors- qu'elle lomba nialade; on soupconna d'abord le prelat d'avoir voulu empoisonncr la prisonniere. Cependant le projet du due de Bedfort echouait si Jeanne monrait d'une mort ordinaire; des ordres furent donnes en consequence, et les .\nglais eurent d'elle le plus grand soni pendant tout le temps de sa maladie. On finit par se decider a re- duire tous les chefs d'accusalion a douze seulement; puis on ecrivit a I'universite de Paris pour avoir son avis sur les questions generales. L'universile envoya une opinion conforraeaux esperances du tribunal de Rouen, et la pro- cedure fut poussee activement; elle ne fut pas nieme in- lerrompue pendant la quinzaine de Piques. Les Anglais poursuivaient de leurs menaces les juges et I'eveque de Beauvais lui-meme, qui n'en finissaient pas assez vite. On mit en usage la ruse la plus infilme. Jeanne se laissa Iromper par les perfides conseils d'un nomme I'Oyseleur. On I'avait persuadee que si elle reconnaissait I'autorite de I'Kglise terre.stre ou militante, .ses juges, qui se prelendaient inveslis de tous les pouvoirs de cetle Eglise, la condamneraient aussitot a mort. .\ussi, quand on I'interrogea sur cet article eile ne voulut pas repondre et se contenta de dire : « Je crois bien que I'Eglisn militante ne peut errer ou fnillir, mais quant a mes dis et fais, je m'eii rapporle a Dieu qui nieafait faire ceque jeay fait.)) Alorson luiannonca que si elle ne faisait amende honorable a I'feglise, elle s'expo- sait aux peines du feu eternel quant ^ I'ftme, et aux peines du feu corporel quant au corps. • Vous ne save/, ja ce 94 JEANNE DARC. que vous dicles, conlie nioy, reprit-elle, qu'il ne vous en prenne mal au coips et h I'ame. » Le lendemain, I'ev^- que de Beauvais se transporta dans sa prison ; elle pro- lesta courageusement conlre tons les aveux qu'on pour- rait lui arracher par la violence. C'est alors qu'on paria de lui fairs donncr la question ; mais on craignit qu'elle ne succombat, et ce projet affreux ful abandonne. Le 24 mai U51, Jeanne d'Arc fut amende sup la place du cimetiere de Saint-Ouen, pour y ecouter sa sentence. Deux t^chafauds ^taient dresses ; sur I'un siegeaientle vice- inquisiteur, le cardinal d'Anglelerre, I'eveque de Noyon, I'ev^que de Boulogne et trenle-trois assesseurs ; sur I'au- tre se trouvaient Jeanne et Guillaume firard qu'on avait charge de la precher. Le bourreau. qui avait amene un chariot h qnatre chevaux, se tenait prita enlever la vic- time ct a la conduiro a la place du Vieux-Marche oil etait le biicber. La place elait pleine de peuple. Guillaume £rard, dans un discours violent, proftra les invectives les plus grossieres centre I'accusfe, contre les Francais restes fideles i» Charles VII, enfin contre le monarque lui- m^me ; u C'est a toi, Jeanne, lui dit-il, que je parle et te dis que ton roy est h^retique et schismatique. » Jeanne fut encore assez courageuse pour interrompre ce forcene. « Par ma foy, sire, repondit-elle, reverence gardee, car je vous ose bien dire et bien jurer, sur la peine de ma vie, que c'est le plus noble chrestien de tous les chrestiens, et qui mieux aime la foy et I'figlise, et n'cst point tel que vous dicles. > Alors le predicateur cria a I'apparitcur Massieu : • Faites la taire! » • Ce sermon achev6 (on I'appelle dans le proces predi- cation charitable), Massieu lut une cedule d'abjuration et, apres la lecture, on somnia Jeanne d'abjurer; elle re- pondit qu'elle ne comprenait pas ce mot et demanda conseil. L'apparileur Massieu se chargea de ce soin. Get liomme, qui avait pour metier de conduire les condam- nes en prison, au tribunal ou k I'echafaud, se sentait emu de compassion en faveur de Jeanne; il lui fit comprendre ce qu'on voulait d'elle, et lui conseilla de s'en rapporter k rfiglise universelle : • Je me rapporte, dit Jeanne. Ji rfiglise universelle si je dois abjurcr ou non. » — ■ Tu abjureras, s'ecria I'odieux Erard, ou tu seras arse { bril- lee ). • Elle declara de nouveau qu'elle se soumetlait^ la decision du pape, en ripelant toutefois qu'elle n'avait rien fait que par les ordres de Dieu ; que son roi ne lui avait rien fait faire, et que s'il y avait eu quelque mal dansses actions ou dans ses paroles, il venait d'elle seule et non d'autre. Alors I'eveque de Beauvais se leva et lut la sentence redigee diis la veille. II eut I'impudence de dire que I'accusee refusait de se soumettre au pape, bien qu'elle eut, un instant aupiiravant, allirnie le conlraire. Cependant les temoins manquaient, Jeanne avait recuse plusieurs chefs d'accusation, et la procedure se trouvait ainsi entachee de nullile; la responsabilite devenait terri- ble. Aussi les juges, fort inquiets, tenaient beaucoup ii I'abjuration; menaces et prieres, tout ttait mis en usage. Pour arriver Ji son but, I'eveque de Beauvais ne craignit pas de remettre i un autre jour la lecture de I'actc de condamnation; aussi fut-il injurie par les .4nglais indigni?s de ce retard; mais il preferait aux injures et h la culerc cette abjuration si desiree. Enfin, succombant a tant d'instances, Jeanne annonca qu elle s'en rapportait sur le lout a sa mere sainte Eglise et ses juges. Guillaume Erard lui dit alors : a Signe maintenant , autre- ment tu finiras aujourd'hui tes jours par le feu. » I La cedulo dont on lui donna lecture cuntenait seule- ' ment la promesse de ne plus porter les amies, de laisser croitre ses cheveux et de quitter les habits d'homme. Elle avait ete entendue par une foule de temoms, et n'a- vail que huit lignes, comnie plusieurs personnes I'aflir- mferent. Or la piece que Jeanne signa apres qu'elle eut (5te pr&enlee, non par le grelTier du tribunal, mais par Laurent Callot, secretaire du roi d'Anglelerre, etait lon- gue de plusieurs pages. Elle s'y reconnaissait dissolue, heretique, seditieuse, invocatrice de demons, coupable enfin des forfaits les plus contraires et les plus abomina- bles. Cette infidelit(5 fut reconnue, on en trouva les preu- ves les plus evidentes dans les declarations du gretfier qui avait lu la premiere ccdule dans les depositions de l'apparileur Massieu et de plusieurs autres temoins. En- fin I'evt^que de Beauvais lut la sentence qui condamnait Jeanne d'Arc, pour reparation de ses fautes, au pain de douleur ct a I'cau d'angoisse, pour le reste de ses jours. Jeanne pensa que desormais condamnee, elle allait ^tre livree a I'Eglise qui avait obtenu sa condamnation : o Me- nez-moi en vos prisons, disait-elle, et que je ne sois plus en la main de ces Anglois. • Mais I'eveque de Beauvais dtait inipuissant pour donner satisfaction h une si juste requete, Jeanne fut rameni'e au chateau de Rouen. Les chefs anglais devinrent furieux quand ils virent leur victime leur echapper; quelques-uns d'entre eux voulurent frapper de leur dpfe I'eveque et les juges. Le comte de Warwick declara ^ ces derniers qu'il etait extr^- mement prejudiciable aux interetsdu roi d'Angleterre de sauver Jeanne du supplice : oN'ayez cure, dit I'un d'eux, nous la retrouverons bien. • Les Anglais ne s'en venge- rent pas moins sur elle et accrurent pour la malheureuse les horreurs de la prison. Elle avait pour gardiens cinq archers dont deux ne quitlaient pas la porte, et les trois autres I'interieur du cachot oil ils s'etaient etablis. Pen- dant la nuit on I'attachail par deux chaines de fer fixfes au pied de son lit, et pendant le jour a un poteau par une autre chaine qui lui passait aulour du corps. Elle avait repris ses habits de femme et subissait tou- tes les consequences de sa condamnation. On cherchait en vain un priStexte pour une sentence plus severe; on finit par arriver au but qu'on se proposait. Dans son som- meil on lui enleva ses vetements, et Ton mit Ji !a place des habits d'homme. Elle supplia ses gardiens de lui ren- dre ses vetements de femme; on fut inllexible, elle fut forcee de rester vfitue en homme. A I'instant niftme plu- sieurs temoins, postfe \kk dessein, se montrerent pour se porter garants de cette infraction prdtendue aux ordres de I'Eglise. L'ev^que de Beauvais et quelques-uns des juges entrent aussilot dans la prison, et font dresser pro- ces-verbal. En sortant I'eveque prend a part le comte de Warwick, et lui dit en riant : « Fare well, fare well, faites bonne chere, il en est faict. » Le lendemain le tri- bunal, pour conserver encore une apparence de forme, interroge la prisonniere, delibtire et rend un arrdt qui condamne Jeanne d'Arc « eomme relapse, exromimmiee, rejelec du sein de I'Eglise el jugee digue par ses forfaits d'etre ahandonnee a la justice sh-uliere. » Dans la matinee du jour fixe pour le supplice (31 mai 1431), r(Svfque de Beauvais chargea frere Martin I'Ad- venu de donner lecture a Jeanne d'Arc de la sentence qui la condamnait ^ inert; d'abord elle temoigna la plus pro- JEANNE fonde douleur, et s'ecria avec des sanglots : « Dieu le grant, juge des grans torts et ingravances qu'on me fait. » Bientot elle se confessa k frere Martin, et demanda in- stamment ii communier. Mais il se presentait une diffi- culte : Jeanne avail ele declare heretique, excommuniee et relranchee du. nombre des fideles, pouvait-on, devait- on lui administrer le saint sacrement de I'Eucharislie? Frere Martin dep^cha I'apparileur Massieu vers I'eveque de Beauvais pour I'informer du desir de Jeanne. Alors se passa quelque chose d'inouY, quelque cliose qu'on ne voudrait pas croire si cela n'etait pas consigne dans le proces ; I'eveque de Beauvais, apres avoir consulte quel- ques-uns des juges, fit repondre i frere Martin, qu'il pouvait donner a Jeanne d'Arc alesacrementde I'Euclia- ristie ettoutes chosesquelconques quelle deinandcrait. » Ainsi I'eveque de Beauvais, dans un moment de com- passion, se laissa llechir, malgre la cruaute dont il avait faitpreuvejusque-la.et nereflechit pas qu'il annnlaitain^i sa propre seiftence et proclamaitl'innocence decelle qu'il avait condamnee. D'apri.'sranlorisalion de I'eveque, frere Martin I'Advenu fit communier Jeanne, qui reout ce saint sacrement avec une grande huniilite et des larmes abon- dantes. Son courage et sa fermele parurcnl se ranimer ; elle apercut en ce moment I'eveque de Beauvais : « Evfi- que, lui dit-elle, je meurs par vous; si vous m'eussiez raise aux prisons de court de PEglise, cecy nenie fOt pas advenu : pour quoy je appelle de vous devani Dieu. » A neuf heures du matin Jeanne, revetue des liabils de son sexe, monta dans le chariot du bourreau, assistee de fr^re Martin I'Advenu etde here Isambard de la Pierre. Le chariot etait entoure de huils cents soldats anglais, armfe de baches, d'epeos el de lances. La place etait rem- plie d'une niullitude immense. Soudain on apercoit un homme, les trails bouleverses, la figure baignee de lar- mes, penetrer ii Iravers la foule et les Anglais surpris, puis monler sur le chariot de Jeanne : cet homme n'etait autre que I'Oyseleur; les remords I'avaient mis en cet etat, et il accourait pour supplier Jeanne de lui pardon- ner. Sans le conite de \\'ar\vick, il eut ete massacri a I'instant par les soldats anglais. II ne dut la vie qu'il I'ordre donne par le comte de le chasser aussitfit de la ville. Cependant les lamentations de Jeanne, sa douleur na- vrante, la piete qua respirait dans ses paroles et dans son maintien, avaient louche tons les assistans. A son arrivee sur la place du Vieux-Marclie, le peuple avait dejJi laisse echapper des larmes. Le biicher s'elevait sur une plate- forme, lion loin de laquelle i'taient dresses deux ^cha- fauds. Sur I'un siegeaient les juges ecclesiastiques et ci- vils, lebailli de Rouen etson lieutenant Laurent Quesdon; sur I'autre etaient les prelats. Nicolas Midy, docteur en th^ologie, adressa d'abord a la condamnee un discours d'admonition : apres quoi Jeanne s'agenouilla pour prier; elle declara de nouveau que son roi ne lavait pas induile aux choses qu'elle avait failes, rcprehensibles ou dignes de louanges; puis elle se rccommanda a la piete de tous ceux qui Etaient presents, et pria les pretres qui etaient la de dire une messe pour elle. A cet instant non-seule- ment le peuple, mais les juges, les soldats anglais, tous enfin etaient attendris et fondaient en larmes. L'eviSque de Beauvais se levant lut la sentence qui, comme la premifere fois, renfermait pour Jeanne des exhortations melees de calomnies et d'injures; elle finis- sait ainsi ; u Nous vous declarons relapse et heretique par D'AHC. US noire prfeente sentence; nous vous livrons ;i la puissance s&uliere en la priant de moderer son jugement h voire egard, en vous evitant la mort et la mulilaliun des mem- brcs.. Formule pleine d'hypocrisie, car deja le bourreau tenait la torche. Encore fallait-il que la justice seculi^re prononrfl I'arr^t de mort, else charge^t d'ordonner I'exe- culioii. Or le bailli de Rouen el sesofficiers ne prononcerent aucune especede sentence, et ne donnerentaucun ordre. Quand I'evt^que de Beauvais eut fini sa lecture, deux sergents s'avanceient pour faire descendre Jeanne de I'echafaud. Elle enibrassa ardemment une croix qu'elle avail demandee et qu'on lui a\ait ajiportee d'une eglise voisine,.et se laissa conduire par frere Martin I'Advenu: mais elle fut saisie et entrainee au supplice par les sol- dais anglais furieux. Elle s'ecriait en invoquant le ciel : " Ah! Houen ! Rouen! seras-lu ma derniere demeure? . Quand elle fut au pied du biicher, on la coiffa de la mi- tre honteuse de I'inquisition, on y avait ecrit ces mots : ■ Heretique, relapse, apostate, ydolastre. . En face du buchcr etait un tableau avec cetle inscription : . Jeanne, qui s'est fait nommer la Pucelle, m'enleresse^ pernicieuse, abuseresse de peuple, divineresse, superslilieuse, blasphe- meresse de Dieu, mal creant de la foy de Jesus-Christ, vanleresse, ydolastre, cruelle, dissolue, invocaleresse de diables, scismatique et heretique. . Jeanne supplia qu'on lui donnat un crucifix : un soldat anglais rompit un ba- ton qu'il trouva et en fit une sorte de croix ; elle la prit, la baisa et la mit dans son sein. Se3 longs cheveux epars flottaient au gre des vents ; Au pied de I'echafaud, sans changer de visage, Kile s'avan9ait k pas lents. Trancjiiille elle y monta : quand, debout sur le taite Elle vit ce biicher qui Talhiit devorer, Les bourreaui en suspens, la damme deja prete, Sentant son cceur faillir, elle baissa la tele, Et se prit a pleurer. c. Delavigme. Une fois monlee sur le biicher, on la lia a une colonne en piatre, construile k ce dessein, et on mit le feu au bois amonceM. Frere Martin I'Advenu, tout enlier aux soins qu'il donnaitpieusement a Jeanne, ne voyaitpasia flanime qui s'approchait de lui ; mais Jeanne s'en elait apercue et I'averlit; elle lui dit de se reculer en le priant de r'es- ter au pied de I'echafaud et de lever sa croix devant elle en lui parlant assez haul pour qu'elle pOt enlendre. 11 obeit avec ce zele el ce devouement dont il avait donne dejii plusieurs preuves. Pour que personne ne pill doutcr de sa mort, on avait elevij le bucher a une Ires-grande hauteur; de celle mani^re lout le peuple pouvail aperce- voir la viclime. Or I'eltivalion du biclier rendit son em- brasemenl plus difficile et le supplice plus long et plus cruel. Tanl que I'inforlunee conserva un peu de vie, on lentendil prononcer, du milieu des flamnies et parmi les gemissements et les sanglots, le nom de Jesus. Quand elle eut ele consumee, le cardinal de Winchester fit ramasser ses cendres et ordonna de les jeler dans la Seine. Celle qui mourut ainsi apres douze mois de captivile, avait sauve son roi et la France; son roi et la France ne firent aiicun effort pour la sauvera son tour. On assure qu'au moment oil les flammes etouflferent le nom de Jesus dans sa bouche, une colombe s'eleva du bucher, en presence des Anglais epouvantijs, et s'envola vers le ciel. Telle fut du moins I'illusion produite, par le remords, dans I'ame des bourreaux. Ravehgie. 90 INFULENCE DE LA LUNE SUU LE TEMPS. INTIilTENCE SE IiA I.T7NE SUR I.X TEMPS M. Arago a observe que dans la ijueition do savoir si la lune a une influence sur le temps, il y a deux opinions opposees. La majority des hommes ne doute -pas de cette influence, et dans ce nombre se trouveiit : les marins, les bateliers etles laboureurs; mais ties-peusehasarderaicnt a predire si le changement de.teiniis aura lieu a lapleine ou a la nouvelle June, ou aux quartiers, s'il y aura du beau ou du mauvais temps; la plupart pensent ccpen- dant qu'un changement do quelque espece aura lieu a I'une de ces epoques. De I'autre cole les astronomes et les savants en general atlribuent cette opinion a un pre- jugiS populaire, et ils ne voient pas de raison dans la na- ture des vicissitudes de Tatmosphiire pour croire qu'elles doivent avoir lieu un jour de la lune plutot que I'autre. Dans cet etat de choses M. Arago et d'autres savants ont examine avec attention les observations pieteorologi- ques faites dans des annees differentes, afin de voir quel changement pouvait operer la nouvelle et la pleine lune. Le premier etat atmosph^-rique auquel ils ontdirige leur attention est celui dela pluie. II y a Irois couples de periodes (si nous pouvons em- plover I'expression) dans lesquelles on peut compa- rer I'influence de la lune: 1" La nouvelle et la pleine lune, c'est-a-dire les epoques pii la lune est alternative- nient plus pres et plus loin du soleil ; S" le perigee et I'a- pogee, c'est-a-dire les moments oil elle est le plus pres et le plus loin de la terre dans le cours de sa revolution mensuelle; 3° la dcclinaison nord et la declinaison sud, epoques oil la lune reste plus ou moins longlempsau-des- sus del'horizon dans la duree d'un jour. Les savants ont tire leurs conclusions principalemont de I'elatdu temps a ces phases. Le docteur Midler de Berlin a fait, pendant seize ans, des observations six fois par jour; et il a lrou\e qu'i Berlin il avait tombe un peu moins de pluie et de neige, quand'la lune est Jison apogee, quo lorsqu'elle est k son perigee. Le professeur Schiibler, de Tubingen, a fait une serie d'observations sur le temps pendant le long espace de vingt-huit ans. II a trouvi, qu'en vingt ans, il yavaiteu 3066 jours de pluie dont 1609 avaient eu lieu pendant que la lune etaitcroissanle, c'esl-a-dire dansle passage de la nouvelle a la pleine lune, et 14o7 dans le decroissant, c'est-a-dire pendant le passage de la pleine i la nouvelle lune. Le plus grand nombre de jours pluvieux fut entre le premier quarlier et la pleine lune, et le plus petit nombre entre le dernier quartier cl la nouvelle lune; les deux aulres epoques eun'ut de la pluie a peu preslememe nombre de jours. Conime la plupart des annees prises individuellement s'nccordaient assez bien avec le resuUat total, cette observation conduisit a une conclusion assez satisfaisant*, quedansr.\llemagne, il y a plusde pluie un peu avant la pleine lune qu'un peu avant Vi nouvelle lune dans la proportion de six a cinq. Schiibler \aria ensuite ses calculs; il prit un k un les jours de la lune au lieu de reunir sept a huit jours. II trouva que dans vingt- huit ans il y avait eu 148 jours pluvieux A la nouvelle lune, 156 au premier quartier, 162 a la pleine lune, et 130 au dernier quartier ; d'oii il parait resulter que le jour de la pleine lune a eli, des quatre phases, le plus sujet a la pluie; mais il trouva aussi que la chance de pluie etait encore plus grande, trois jours environ avant la pleine lune. A Monlpellier, M. Poitevin est arrive a des resullats differents de ceux que nous venous de rapporler. II a trouve, en dix ans d'observations, qu'a la nouvelle lune il y avait un jour de pluie sur quatre; au premier quar- tier un sur sept; a la pleine lune un sur cinq; et au der- nier quartier un sur quatre. Nous voyons ici qu'ii Monl- pellier il est tombe de I'eau plus souvent iila nouvelle qu'a la pleine lune ; tandis qu'un resultat contraire a ete observe en Allemagne. D'apres les observations qu'il a faites a Vjenne, M. Pilgrim a trouve que, s'il y avait vingt-six jours pluvieux a la nouvelle lune, il y en aurait vingt-neuf a la pleine lune, resultat qui s'accorde assez bien avec celui de M. Schiibler. Un grand nombre d'ob- servationsfaites a Geneve pendant unep^riode de trente- ti'ois ans, montre que le nombre des jours pluvieux dans celle yille aux quatre phases de I'age de la lune sont : nouvelle lune 123 jours, premier quarlier 122, pleine lune 132 jours, et dernier quartier 128 jours. Ici le nombre est plus grand pour la pleine lune que pour la. nouvelle, comme dans presquc toutes les autres suites d'observations. Mais si Ton prend la quantite positive de pluie qui est tombee, au lieu du nombre de jours seule- ment, on trouve un resultat qui renverse toules les con- clusions precedentes; car, si la quantite de pluie tombee les jours de nou\elle lune est representee par i32, celle du premier quartier sera de 430; a la pleine lune 416; et dernier quartier 369 ; ce qui montre qu'il lombe plus de pluie a la nouvelle qu'ii la pleine lune, quoiqu'il .serablit y avoir plusde probabilite de pluie a la pleine lune qu'k la nouvelle. On a encore considere la lune, non plus sous le rap- port de la quantite de pluie reellement tombee; rnais de I'etat nebuleux du ciel. M. Arago appelle une belle j_qur- nee celle ou le ciel est clair k sept heures du matin, deux heures apres midi et k neuf heures du soir. 11 appelle nebuleux les jours dans lesquels, a ces heures, le ciel est obscurci de nuages. II a examine les observations faites pendant seize ans Ji .\ugsbourg, et il a vu qu'il y avait I u : Bc.illx joins. Jmirs nelnileux. .\ la nouvelle lune, 31 61 .\u premier quartier, 38 S7 A la pleine lune, 26 61 Et au dernier quartier, 41 53 Ces resultats s'accordent assez bien avec ceuif que nous avons cites de Schiibler, dans lesquels on trouve plus de jours pluvieux dans la semaine qui precede la pleine lune que dans les trois aulres seuiaines du mois lunaire, et ils s'accordent egalement pour la quanti(6 ab- solue de pluie. Typogr.ipliie I.Ar.n*MPR cl Ci^, i uc DamielU;, -2. CHROMCLE DES IIOIS. AVKII.. r-^Cr: ui de vous, mes enfanls, aux jours froitls et neigeux d'hi- ver, n'a soupire pour le re- tour de ce mois forlun6 ? Mars a beau vous dire, par I'orsane du calendrier, qu'il preside a la renaissance du printemps, au lieu du riant berceau qu'il vous annonce, vous ne voyez, helas! que des givres et des brouillards-; il a beau vous presenter un odo- rant bouquet ^e violettes et d'hyacinlhes des bois, ou une fraiche guirlande de paquerettes et de primeveres, toules fleurs venues aux rayons d'un doux soleil, vous n'cn avez pas moins la sage precaution de garder votre manteau, car vous savez trop bien que la bise et la gelee sont conime certains oiseaux de passage, elles s'en vont et reviennent plusieurs fois avant leur dernier depart. Mais en avril vous assislez au verilable reveil du prin- temps; le soleil, degage des vapeurs pluvieuses de le- quinoxe, monte jilus briUant surrhorizon, les collines et les ]ilainps, les rives des rnisseaux et les rivieres des chemins; tout reverdit a perle de vue; des vents tiedes et parfunies fremisscnt dans les feuilles naissantes, entre les blancs rameaux de I'amandieret les boutons de roses qui s'ouvriront plus tard pour former la couronne de mai, Dejala fauvette, lamiisange etle chardonneret gazouil- lent dans les buissons,tandis que rhirondellebMitson nid sous ravant-toitdesvillasetdeschaumieres ;le souffle dcla vie fail bruirel'insecle sous I'herbe, chanter I'alouette dans la nue, folitrer le poisson dansles ondes ; la nature, naguere engourdie, se reveillefraicheetbrillantecommela chrj'sa- lidedevenuepapillon.ou, si vousaimez mieux, comme la Belle au Bois dormant, apresunlonget magique sommeil. T. II. Quel bonheur pour vous, mes enfants! Yoici revenir la douce saison des promenades h la campagne, autour des bales, au milieu des bois, ou Ton fait de si d^licieux gou- ters, de si aimables causeries ; plus tard, sous les mfimes ombrages,vousferezpeut-^lredesr^vesserieux,inquiets... mais ne troublous pas la felicite de votre bel age... Le mois d'avrd, que nous complonsle quatrieme dans notre annfe, ^tait seulement le deuxifeme dans I'ancienne annee de Romulus, laquelle navait que dix mois et com, mencait avecmars. Environ 600 ansavant notreere.Numa, second roi de Rome, retrancha quelques jours a chacuD de cesdix, alors tres-longs, eten forma Janvier et fevrier. II sera bon de savoir aussi que, sops la premiere race de nos rois, le mois d'avril terminait Tannee civile, qui, de la sorts, commencait avec le mois de mai. Nous trou- verons dans ce fait I'explication la plus satisfaisante que Ton puis.se donner sur I'origine du fameux poisson d'avril. La voici eu peu de mots. Nos bons aieux ^laient comme nous dans I'usage de se faire des cadeaux au re- nouvellement de I'annee, seulement ces cadeaux consis- laient d'ordinaire en poisson, iequel est excellent k la fin d'avril, surtout la sole et le maquereau ; or, par une or- donnance d'un roi de la deuxieme race, le premier mai ayant cesse d'etre I'ouverture de Tannic, les presents de poissons ce.sserent aussi , au grand di5sappointement des personnes accoutumees k de pareilles aubaines. Depuis lors compter sur une chose qui ne devait pas se r&liser etait comme si Ton avail continue de compter sur un poisson d'avril donne en etrennes, et, par extension, donner un poisson d'avril a signifie attraper quelqu'ur* en lui faisant accroire ce qui n'est pas. Les Remains , qui avaient place chacun de leurs mois sous les auspices de quelqu'une de leurs divinites, con- sacrerent le mois d'avril a V|inus; c'est aussi pendant ce mois qu'ils c^lebraient les cereales, les floreales et autre.« 7 98 K'les en I'huiineur de ki tene, commefeconde noiirrice des peuples. lU \a nommerent aprilis, du ■verbo aperire, ouvrir, pour foire entendre qu'en avril le sol, purge de frimas, s'oitvre aux douccs inlhionces de la clialeur, ou encore que ce meme mois ouvrc pour le cullivateur le cercle des travaux et le tr^sor des esperances. En effet, c'est en avril, et sous le signe du laureau, embleme du laboura.qe, que commence I'annee agricole. Malheur Ji I'liomme des champs qui, pendant la durce de ce mois precieux, s'endormirait dans une coupable negli- gence! il perdrait le fruit de ses peines, ou du moins tout espoir d'une abondante r^colte, car pour recueillir avec usure, il est indispensable de semer et de planter. Avril est I'image fidele du temps de la jeunesse pen- dant lequcl il importe de jeter dans les esprits et dans les cceurs la semence des bonnes choses, les principes du savoir et de la sagesse; plus tard viendra la moisson, douce recompense des peines qu'on aura prises. Malheur Ji celui qui ne comprend pas de bonne heure une verite aussi claire et se laisse aller a une pernirieuse paresse ! L'insense! H s'imagine ne perdre qu'un mois, qu'une annee, et c'est sa vie enliere qu'il peid ; quelle que soit la bonte do son fonds, il n'a pas seme h temps, la recolte est manquee, incomplete, insuffisante. Que d'fitres doues des plus heureuses dispositions se sontainsi vou^s volonlairement a une inferiorite qui doit durer toute leur vie ! Prevenonsdesterilps regrets, travaillonsardemmentlors- que nous le pouvons encore, travaillons comme le culliva- teur attentifafairecbaque chose en son lieu, en son temps, selon le climat qu'il habite ou le terrain qu'il exploite. Observez-le cet homme laborieux : des que les brises d'avril ont caress6 les jeunes bles, il s'arme de la pioclie ou de la pelle, de la faucille ou du secateur, parque son troupeau ou attelle ses boeufs. Dans certaines provinces, il seme I'orge ou I'avoine derniere, il repique les choux ETITi:s I'HOMK.WDES AU MUSliE DIUSTOIUE NATURELLE. 1J5 lagne, delruisant ses privileges et son ancien gouvernc- ment ducal. Tous les nobles bretons se souleverent avcc le peiiple et rappelerent Montfort, qu'ils avaient chasse peu de temps avant. Dugncsclin, soUicito de prendre parti pour le roi centre ses compalriotes, refusa et resta neulrc. Cette neutrality fut inal interpr^t^e ; ses actions et ses sentiments furent calomnife, et il recut du roi une lettre de reprorhes. Indigne, Duguesclin lui renvoya I'e- pee de connetable, en jurant de ne la reprendre jamais, et resolut de so retirer en CastiUe. 11 etait deja en route, i]ue Charles V, revenu a de meilleurs sentiments, en- voya auprfes de lui le due d'Anjou. • Veez-ci I'cpee d'lion- neur de votre service, \u\ dit le due; reprencz-la, le roi lo veut, et vous en venez avec nous. » Duguesclin se laissa'entrainer et recut de Charles V le meiUeur accueil et la mi.ssion de purger les provinces meridionales des .'Vnglais. Satist'ait de voir que le roi lui epargnait le dii- plaisir de combattre contre les Bretons, il accepta, et lui dit avant de partir ces paroles, qui annon^aient sa fin prochaine : « .le ne sais si je retournerai du lieu oil je vais : je suis vieilli et non pas las. Je vous supplie Ires-humblement que vous fassiez la paix avec le due de liretagne, et ainsi que vous le laissiez en pai.x, se soumet- tant ^ son devoir; car les gens de c;uerre du pays vous ont trte-bien secouru h toutes vos conqu^tes et pourront encore [aire s'il plait de vous en servir. • Ces nobles paroles, dans lesquelles respire I'amour du pays , furent les dernieres du connetable au roi de France. Apr6s plusieurs exploits, il arriva devant Ran- don dans le Gevaudan, dont Clisson faisait le siege. II prit des mesures telles que les Anglais promirent de se rendre si dans quinze jours ils n'avaient pas de renforts. .\vant I'expiration de ce terme, Duguesclin mourut sous sa tente entourf- des guerriers ses amis. C'etait le 13 juin 1.380. II etait cige de soi\antc-six ans. Son dernier conseil il ses amis fut d'epargner dans la guerre les gens d'£gli.se, Ics femmcs, les enfants, les vieillards et tout le pauvre peuple innocent de ces querelles. Donnant ensuite I'epee de connetable a Clisson, il lui dit en le regardant fixe- ment ; « Rendez-la au roi de ma part, il saura bien la donner au plus digne. » Puis il expira. Au jour marque, les Anglais rendirent la ville et voulurent en deposer les clefs sur le cercueil de Du- guesclin, dernier et ^clatanl hommage rendu au grand homme. Le roi voulut qu'il fCit en crre h Saint-Denis, au mi- lieu des tombeaux des rois, au pied de celui qui devait le recevoir lui-mSme; il fit clever le mausolee du con- netable avec cette insciiplion : Ci git le connetable Du- guesdin . Telle fut I'existence de ce grand capitaine, I'une des plus glorieuses des temps passes. PETITES PROMENADES AU MUSEE D'fllSTOlRE NATURELLE. IiE CASTOR Le castor se distingue ais6ment des deux autres ron- geurs. D'abord ses dents ant6rieures, plus vivement lail- lees en biseau, sont par consequent plus trancbantes. L'e- mail en est d'une belle couleur or.nnge, d'une epaisseur remarquable, et surtoiit d'une durete qui prouve qu'elles ne sont plus fades sculement pour ecorccr des fruits on couper des racines, mais bien pour user le bois le plus resistant, pour abattre les plus gros arbres; ensuite la palmure de ses prttes posterieures annonce un animal nageur, car la membrane qui setend entre les doigts, donnant au pied plus de surface, lui permet ainsi de s'ap- puyer sur Teau; mais les pattes anterieures sont restees des organes de prehension, les doigts y sont libres, et chacune d'elles forme une sorle de main dont Fanimal se sert avec une adresse mcrveilleuse. Enfin de ses habitudes aquatiques resultent d'autres caract^res qu'il suffit d'e- noncer. D'apres la loi qui regit les mammifercs plus ou moins destines h vivre dansl'eau, le castor doit avoir des 11G i'ETrri:s imiomenaues au musee niiisToiiui natuhelle. formes ampliliees, et, en efiet, vous voyez que ses pro- portions sont grandes relativcnieiit a celles de la niar- niotte el de Peciireuil. Deux conditions encore doivent 6tre remplics : il fadt que I'orifice nasal et le conduit au- ditifsoient fermes au liquide et que la fourrure soil im- permeable. Or, par une simple contraction rausculaire, Toreille et le nez s'oblitiirent completement, et I'eau glisse sur tout le corps sans le mouiller. C'est ainsi, mes en- fants, qu'il y a toiijours liarmonie parfaite entre Torgani- sation et les mcEurs, c'est ainsi que, dans les plus petits details, les formes sont toujours admirablement appro- priees aux ciroonstances exterieures. Nous devons ^tudier le castor avec d'autant plus de soin que, dans la biographic de ce ccMebre rongeur, I'oxa- geration on nifme I'liypothcse s'est souvent mise a la place de la verite. Son corps est epais et court, sa fourrure fine et douce, ses membres robustes, ses ongles loni;s et forts. Si vous voulez juger de la puissance de sa mJichoire et do la du- ret^ de ses dents, 11 me suffira de vous dire que celui que possede le Museum use les plaques de fer qui protegent le grillage et la porte de sa demcure. Tous les os du cas- tor sont egalement d'une extreme duret^; leur poids est aussi considerable. Mais ce qui le caract(5rise nettement parmi les mammiferes , c'est la constitution lout excep- tionnelle do sa queue. On la prendrait, en verite, pour un fragment de poisson laiit ellc est couvertes d'teailles im- briquees, c'esl-ii-dire disposees comme les ardoises de nos toits. Elle parait meme d'abord faire une disparate bizarre avec tout lereste du corps; niais quand on soiige k I'office essentiel qu'elle doit remplir tour h tour sur le sol et dans I'eau , on admire toutes oes modifications qu'elle a subies en se revetant d'ocailles au lieu de soies, en prenant une forme aplatie, en devenant large et mus- culeuse, car dans I'eau c'est unu rame vigoureuse qui nieut le corps. N. I.E HANKTETOSr. Le liainK'ton est un coleoplerc presque massif, qui ne se met guere en mouve- ment qu'apres le coucher du soleil. Sa marche est lente et difficile, son vol lourd, roide et bruyant. Lorsqu'il veul prendre son cssor, les (ilytrcs s'ouvrent ct se sou- ^levent pour laisser libre le jeu des ailes membraneuses. Mais cclte dispo.sition , avantageuse comme moyen de protec- tion, est defavorable pour le vol. 11 mange le matin, 1> soir et meme la nuit; raais, durant le jour, il rcste immobile sur les plantes et comme endormi , s'abri- tant sous le>i fenilles qui le raclionl, on bien dissimule sur le rameau par sa propre couleur. 11 se nourrit ex- clusivement de feuilles tendres, et c'est ainsi qu'il de- pouille les arbres et surtout les arbrisseaux. Du reste, il prefere certains cantons, et ne lesquitte que reduit enfin a porter ailleurs ses ravages. Les migrations do I'insecte sont parl'ois si nombreuses qu'elles forment comme un uuago epais et tumultueux. Et ce n'est pas cependant h I'etat d'insecte parfait, c'est-a-diie pendant sa vie a^rienne, que le hanneton commet le plus de d^gSls, mais bien k I'etat de larve; car alors, caclie sous le sol durant pres de trois annees, il fait perir la plante dont il ronge les racines les plusdelicates. .\u I'ontraire, devenu insecte parfait, il ne vit guere qu'uno vingtaine de jours, ct si la famille se montre pendant cinq ou six semaines, c'est parce que tous les liannetons n'eclosent pas ensem- ble, mais successiveraent : prevoyance admirable pour le mainlien de I'espece, qui pout ecbapper ainsi aux caprices nidme de la saison, puisquo, precoce ou tardive, la chaleur doit evideniment favoriser ou ceux qui sont les premiers eclos ou ceux qui naissent les dcrniers. La femelle ne survit aum&le que deux ou trois jours, c'est-i-dire le temps n6- cessaire pour placer ses ceufs dans les conditions les plus convenables a leur developpement. La larve, naissant un mois apres, trouve a sa portee les ladicules des plantes qui croissent alentour; et quand, deja froides, les soirees d'octobre lui annoncent la venue procliaine de I'hiver, elle s'enfonce bien vite sous terre; car elle salt, a sa nais- sance, ce que la physique du globe ne nous enseignc que bien lard : qu'a une certaine profondeur, la eouche sou- terraine demeure ctraiigere aux changements atmosphc- riques, et que, par consequent, dans toutes les saLsons, sa temperature est uniformc et modercc. La larve passe ainsi toute I'epoque rigoureuse sans se nounir, sans se mouvoir; mais le retour du printenips la rappelle vers la surface du sol, aupres des nouvelles radicules qu'elle mange encore a loisir, jusi]u'au moment ou elle devra redescendre de nouveaii pour eviter les alteintes mortelle,- dc I'hiver. Cependant, a travels cettc vie qui se dcrobe periodiquemenl .sous les apparences d'une complete le- Ihaigie, le developpement de la larve ne s'arrete point, et des metamorphoses successives la rapprochont de plus en plus de I'etat parfait qu'elle acquiert cnlin a son troisieme prinlemps; de telle sorte que les lian- netons qui doivent se montrer en 1846 sont dejii nes de- puis 1843. Pour ne pas retarder, par une remarque anticipee, la biographic succinctc du hanneton, nous avons du parler de ses ravages, comme si I'insecte clait essenliellenient, nuisible. Or, il n'y a pas d'animal nuisible d'une maniere absolue ; et, par exemple , le hanneton ne le devient que dans une seule circonslance, et cette circonstance ne se realise meme que par I'intervenlion malencontreuse de Ihomme, qui se plaint ensuite des niaux qu'il doit le plus souvent se reproclier. Et d'abord, un animal n'est pas nuisible lorsqu'il ne detruit que pour se nourrir, et dans la limite meme de ses besoins. Car une place lui ayant ete faite dans la creation, il doit, comme tousles autrcs convives, prendre sa part au banquet de la vie ; et notons m6me ici, en passant, que, quoique le repas .soil .servi pour ainsi dire a discretion, I'animal, laissiS h lui- infme, ne commet jamais d'exces, et, jusqu'au milieu de la profusion, un instinct sulfisant de temperance le gou- vi'rne encore et le rclient. C'est quand il est domesliqne. LA PUOVENCK 1|- c'est-^-dire quand les habitudes nalurclles sonl profondu- nicnl mndifiees par rinlluencederhomme, c'est alorsseu- lement que I'animal se laisse aller a des ecarls. Ainsi le hanneton ne niaiipe que dans la mesure de sa faim, et, on restant dans cette limite, il nous est fort utile, car ii emp^che la trop grande muUiplicite de certaincs plantes, dont il est charge, en elTet, de dHruire les feuillcs et les bourgeons. II nf peutdonc fitrenuisible quo s'il devient k son tour trop nonibreux; mais cet equilibre n'est trouble que par la faute de rhomme, qui detruit lui-m^me les animaux destines acirconscrirela propagation del'inspcte. Ainsi sans parler de cette foule de petils oiseaux insecti- vores que le chasseur n'epargne gufere, le cultivateur lui- nu^nie poursuit a outrance la taupe, qui le debarrasserait d'une enornie quantite de larves du hanneton. II exter- mine aussi sans pitie le carabe dore, actif coleoptere qui respecte toiites les plantes et les protege surlout contre I'insecle parfait, sans se faire payer, comme la taupe, de ses discrets services. Enfin, I'insecte est caloranie par le proverbe qui dit: Elourdi romme un linniielon. Ce proverbe, en elfel, ex- prime tout simplement une erreur. Le hanneton, qui a le vol laborieux, sail asscz de geometric pouressayer tou- jours d'executer son trajet en ligne droite : et si, le jour, dans sa frayeur, il se heurte parfois centre les obstacles, c'est que la dispbsition de ses ailes ne lui perraet point d'avoir de la souplesse dans le vol ; mais, dans une lu- mi(>re alTaiblie, comme son regard est plus k I'aise, il peut alors diriger mieux ses 61ans. Insecte crepusculaire, le hanneton ne devait interesser ni par la grace de sa forme, ni par I'eclat de sa livree, ni par I'elegance de ses mouvements. II fuit surtout I'ffiil de I'homme, comme s'il pressentait que son plus grand danger, peut-6tre, c'est de tombor aux mains de ces en- fants mal Aleves qui, par une ignorance coupable, s'aniu- .sent h tourmenter sa courte existence et a prolonger son agonie. Nous disons mal eleves , car comment ne pas avertir I'enfance et Fempecher ainsi de prendre pour loisir la souffrance muette d'un insecte qui, extenue par la difete et alourdi par le lien qui comprime sa patte et g^ne son aile, ne peut se mouvoir et moins encore voler. Teiiliebes. LA PROVENCE. UN JEDBTE FARISIESr A UK DE SES AMIS. Mon cher Auguste, voici pr6s de six seniaines que je suis en Provence; a ma sortie d' Avignon, j'ai suivi les bords charmanis du Rhone aux verts ridcaux de peu- pliers; j'ai vu Tarascon et les ruines seculaires de son chateau; Aries encore grecque par le costume de ses f'emmes et romaine par ses monuments; Marseille, reme orientale du Midi, assise au bord d'une mer tiedie par le soleil , et fifere de compter plus de mSts dans son port que d'etoiles au ciel de ses belles nuits. Je me reserve de te faire plus tard la description de cette ville. .Maintenant je suis a Aix, splendidement loge sur la place des Pr^cheurs ; de ma fenetre je vols .s'^lever de- vant moi le beau peristyle du nouveau Palais de justice. orn(i des statues de Portalis et de Simeon; an milieu do la place , entre des ormes seculaires, surgit Tobelisque d'une maguifiqup fontaine surmontec d'un aigle qui v IIS LA PltOVENCE. prendre I'essor. Quatre lions ile pierre, couchfe sur le socle du mouumenl, regardent quatre belles nappes d'eau lomber a flols d'ecume dans un large bassin. J'ai, d'ail- leurs, visite dans ses details la ville antique et severe d'oii je t'ecris; j'ai fait connaissance aveo son cours et ses boulevards, qui sent dignes d'une ancienne capitale de la Provence ; avec les Thermes de Sextius, cause premifere de la fondation de la ville; surtout avec la bibliolheque Mejanes, qui ne coutient pas moins de cent miUe volumes et douze mille manuscrils. J'ai vu dans la paisible cite du roi Rene d'Anjou de magniliques eglises, de grands palais, un assez riclie musee, dcs fontaiues d'eau cliaude ct le fanieux autel de la Tarasque, atteint naguere par la foudre. Cependant rien de tout cela ne fera I'objet special de ma lettre ; je veux t'entretenir, pour aujourd'hui, d'une excursion que j'ai faite dans les environs de cette ville. Je le parlerai de la monlngne de la Victoire, de Marius, des Ambrons et des Teutons, de Teutobochus, ds la val- lee de Vauvenargues, du GaraguaC, de Roquevafoui-. A la seule enumeration de ces litres, je crois d'ici te voir sourire et douter quelque peu d'une erudition si su- bitement acquise. Je t' excuse, cher ami, tu n'as pas voyage, toi, tu ne sais pas combicn on apprend vite et beaucoup en voyageant; il suflit pour cela d'un peu d'attention; un jour sans doule tu I'epronveras; en at- tendant, ecoute mon recit; je te le fais pour t'instruire et pour famuser selon le principe d'Horace : iiiile didci. Un jour que, pour jouir de la fraicheur et de I'ombre, je descendais vers le delicieux vallon de la Torse, silue a un petit quart d'heure d'Aix, j'apercus du cote du levant un bleuSlre pilon de montagne, plongeant alors sous un ciel sans nuees et dominant avec majeste sur un groupe de collines agrestes, rocheuses, entrecoupees de vallees profondes. Un patre qui se rencontra sur mon chemin, e( auquel je demandai le nom de ce roc gigantcsque, nic r^pondit en provencal que c'etait/ou Drlubn de la Yic- lort; je compris que ces mots signifiaient la Monlagnr ou plutflt le Temple de la Victoire. Je me souvins alors d'avoir lu dans mes livres au col- lege que Marius, revenu d'Afrique et consul pour la se- conde fois, avait defait les barbares dans la province ro- maine etsauve la republique du plus grave peril qu'ellc eiil couru depuis Annibal. J'eus la curiosite de voir de mes yeux le theatre de ce memorable evenement, qui va- kil a la montagne dont j'apercevais le sommet le nom de Monlagne de la Victoire. Pour executer mon dessein, je me munis de quelques provisions de voyage, pris un guide avec nioi (car un guide est necessaire pour ne pas s'cgarcr dans les gorges profondes de la montagne) et me mis en route pour le pit- toresque liameau de Beaurecueil, bftti sur les premieres assises de la montagne de la Victoire. 11 me serait impos- sible de te dire combien j'ai trouv6 charmantc cette pro- menade dans la campagne d'Aix. Aussi loin que pouvait s'etcndre ma vue, des centaines d'habitations blanches ou jaunes pointaient sur les hauteurs, ou se derobaient dans des vergers d'oUviers et d'amandiers; partout de jolies tonnelles de mdriers, de longs cordons de figuiers et de vigncs, de verts cerisiers charges de leurs fruits rouges et projetant leur ombre sur les vieilles tours des puits. Ce qui attirait surtout mon attention, c'etait des sortes de maisonnettes en buis ou en bitisse que j'aper- cevais sur presque toutes les hauteurs oil se trouvait un bouquet de pins ou do chines ; autour de ces maison- nelles des branches mortes elaient hissecs au bout des ar- bres ou de quelques bignes fichces en terre. Mon guide m'apprit que c'etait ce qu'on appelle dans le Midi des posies a feu. « La chasse au poste, me dit-il, est ici un des plaisirs que les bourgeois recherchent le plus a la campagne; des les premiers jours d'octobre, ces maisonnettes, que vous voycz nues k present, sont revStues de verdure; ces branches mortes, qu'on appelle cimeavx, sont fortement I-A I'UO consolid(5es : on dispose ca et Ici des appeaux vivants de grives, de seires, de merles, de gros-becs et autres oi- seaux. A la naissanee de I'aube, le chasseur est k son poste, et quand la matinee est belle, c'esl-a-diresereine avec un petit souffle dc mislral, la chasse est ordinaire- ment assez bonne. • Cependant , nous arrivAmes a Beaurecueil, oil je me coucliai de bonne heure apri-s un souper cliampetre, ar- rose de quelques verres de vin cuit de Langesse. Le lendemain diss la pointe du jour nous commencSi- mes notre ascension, et c'est alors seulement que je pus •voir le front niajestueux de la montagne. Figure-toi une masse de granit d'une hauteur gigantesque et de plusieurs lieues de long, taiUee a pic comme un rempart; le cral^re chauve et denude court vers le levant pour se relier aux lointaines racines des Alpes. Apres plusieurs heures d'une marche toujours ascen- dante sur le c6le ouest de la montagne, nous atteignimes enfin ii un endroit oil la cr^te rocheuse s'abaisse conside- rablement. Apres I'avoir franchie, nous nous trouvilmes sur le versant septentrional, qui, par une pente insen- sible, descend vers la vallee de Vauvenargues. Nous voyioiis sous nos pieds le chiteau carre de ce charmant vdlage, tandis que, au-dessus de nos t^tes, s'elevait en- core le sommet que nous voulions gravir et qui semblait s'^loigner h mesure que nous avancions. U ne nous fal- lut pas moinsde Irois heures pour y arriver. Nous y parvinmes pourtanl au moment meme oii la lumiere naissante commencait k safraner les cimes tehe- velees du piton; rien de solennel, de radieux comme le soleil se levant dans les embrasures bleuSlres des hautes montagnes; des rubans vermeils et roses sillonnaient les nuees qui voltigeaient dans I'azur, le ciel resplendissait comme une tente doree, et la terre, tout a I'heure inerte et niuette, offrait le tableau d'une sublime resurrection. Ce spectacle me fit oublier ma lassitude, et tandis que mon guide songeait a preparer le dejeuner, appuye centre la sail lie d'un roclier, je ne pouvais me lasser de prome- ner mes regards sur le ciel, sur la montagne et I'immense plaine deployee a nos jiieds. Quelques personnes arrivees avec moi m&dirent que I'esplanade oil je me trouvais s'appelait la breche; on y arrive par le nord-ouest, ct au midi elle se termine brus- quement Ji la roche taillee a pic; une balustrade en ma- connerie y forme une barriere de suret(5. A droite et a gauche surgissent deux pointes gigantes- ques au sommet desquelles on peut parvenir en grinipant dans les dechirements de leurs flancs. Sur le point le plus rapproche du ciel apparait une croix, doux symbole d'esperance qui semble place la pour conjurer la foudre et apaiser la temp^te. Tl n'y a dans ce lieu d'autres ouvrages de la main dos bommes qu'un ermilage ruine, une chapelle aujourd'hui restaurie, et une petite citerne au milieu de I'esplanade. Apres avoir, ainsi que mon guide, repare nos forces au moyen du havre-sac que nous avions apporti^, je m'a- vancai du bord de la Breche, oil je trouvai quelques personnes qui venaient comme moi visiter ces lieux sau- vages. C'etait pour la plupart de bons cuUivateurs, des ou- vriers et quelques enfants, venus de 'Vauvenargues avec I'instituteur et le cure du pays, r.e venerable pasteup, qui avail I'air d'etre un homme solidement instruit, don- VENCE. ^'3 nait aux gens qui elaient autour de lui quelques expli- cations sur les fails importants autrefois accomplis dans cette plaine de I'Arc, deroul^e maintenant a leurs yeux comme une carle gtographique. . Mes amis, Icur disait-il, vous voyez devant vous un ancien champ de bataille oii les Remains dont je vous ai parle quelquefois, et les Teutons, nation barbare venue du Nord, se disputerent I'empire du monde. . II faut, mes enfanis, que vous sachie/. d'abord qu'a cette epoque les barbarcs commenoaient ii se rendre redou- tables ii la republique romaine. Les Cimbies, les Teutons, les Ambrons et autres nations sorties des fortHs de la Germanie, aujourd'hui TAIIemagne, se jeterent en masse sur ritalie, defirenl une armee romaine el auraient pro- bablement detruit Rome si, par un decret de la Provi- dence, ces barbares, au lieu de continuer leur route, ne s'elaient portes dans la p^ninsule iberique, autrement I'Espagne, oil ils etendirent leurs ravages. . Cependant, harceles par les habitants de cette contree, ils revinrent vers I'opulente Italic, et taillerent successi- vement en pieces dans les Gaules trois armies romaines envoyees pour les combattre. U arriva, dans ces circon- stances, deux choses sans lesquelles Rome eill ete perdue : la premiere est que les barbares se diviserent en deux bandes, I'une gagna la Suisse pour entrer en Italie par les frontieres du nord, tandis que I'autre s'avancait i travers la province romaine, marcbant egalement vers rilalie. La seconde chance qui sauva Rome fut que le fa- meux Marius elait revenu d'Afrique, oil il avail capture Jugurtha, I'Abd-el-Kader de cette epoque. Marius, envoye dans les Gaules ci la tete d'une nouvelle arm^e romaine, se garda bien d'engager de suite la bataille avec des enne- mis exaltes par leurs victoires. « En habile general, il forma ses troupes a I'art de la guerre et leur apprit k supporter les fatigues, la soif et la faim ; il s'etait relranche dans un camp inexpugnable, au quarlier, voisin du Rhone, appele aujourd'hui la Ca- margue. « Ala fin, les barbares, ennuyes de nepouvoir en venir aux mains, laisserent Marius derriere eux et prirent la route de I'ltalie, demandant aux Remains s'ils n'avaienl rien a envoyer dire a leurs femmes. . lis mirent six jours a defiler. Quand ils eurent passe, Marius leva son camp et les suivit. Les deux armees ar- riverent pres de la colonie d'Aix appelee alors les Eaux de Sexlius; les Remains occupaienl les hauteurs qui sont a la droite du Cinus, aujourd'hui I'Arc i les barbares elaient a cheval sur le petit fleuve. « Comme les Remains mouraient de soif, une partie d'entre eux descendirent des hauleurs pour en puiser dans la riviere. II y eut \k un combat terrible oil les Am- brons furent maltraites, el qui ensanglaiita les eaux de I'Arc au point que les soldats qui s'y desaltererent bu- vaient plus de sang que d'eau. « Cependant le gros de I'armee des barbares s'etait porte dans les plaines de Pourrieres, la-bas dans ces champs de vignes et de bles a perte de vue. Marius rangea son armee en bataille en s'appuyant toujours sur les hauteurs pour n'elre pas enveloppe. Les Teutons, briilant de venger leurs allies, attaquerenl en masse les soldats remains des- cendus dans la plaine par une habile laclique de leur general, car a mesure que les legions, faisanl semblanl de plier, regagnaient les coUines, le terrain devenait des- 120 LA PR avantageux pour les barbares, et leurs coups n'avaient plus de vigueur. Toutefois la victoire etait vivement dis- putee, et I'on ne sail ce qui serait arrive, si un corps de troupes romaines, place en embuscade, ii'eiit fondu tout ^ coup sur les derrieres des ennemis; ceux-ci, frappes d'une terreur paniquc, se di'bandent de toutes parts et les Roniains en font un cllVoyable massacre. Trois cent mille bnrbares restereut, dit-on, sur la place. 1 Les femmes des vaincus combattu'ent clles-mSmes avcc une h^roTque valeur, et, voynnt que tout etait perdu, elles se firent ecraser, ellcs et leurs enfants, sous les roues do leurs chars. « L'armee romaine, qui avait peu soulTertdans la ba- laille, eleva un trophee i son general, et il en reste en- core quelques vestiges sur la rive gauche de I'Arc, pres Ic pont de la Pugere. « La quantite de cadavres ensevelis dans ces plaines fut si considerable qu'elles leur firent donner le nom de Campi pulridi, d'oi'i est venu celui du village de Pour- rieres. • Le cure ayant cess(5 de parler, chacun se mit en fiais de refle.xions sur les 6vteements dont il venait de faire le recit, et j'adressai moi-meme quelques questions au pasleur sur I'histoire de Teutobochus, roi des Teutons. • On ne sail presquc rien de ce personnage, me repondit-il; les uns pretendent qu'il fut tue dans la ba- taille Gomme semble I'altester une inscription trouvee a OVENCE. Tretz; d'autres, s'appuyant sur I'autorite de I'histoire, souliennent qu'il fut conduit a Rome pour orner le Iriomphe du vainqueur, et qu'il felait de si haute laille qu'il depassait de toule la tete les trophecs de Marios. ■ J'(5tais si charm6 de I'erudition toute locale du bon cure, que j'acceptai avec plaisir I'offre qu'il me fit de parcourir une partie de la montagne pour m'en expliquer les curiosites. Nous montSmes done sur la crSte en nous dirigeant vers le levant, promenantnos yeux sur un des plus vasfes panoramas qui puisse charmer les regards du voyageur ; des plaines accidentees, de vertes collines, des forfets de pins et de chines verts, la vallee de la Durance avec sa riviire large et turbulente, I'elang de Berre et les plus bizarres horizons se deroulaient devant nous. A nos pieds du cole du nord apparaissait un charmant village avec un chjiteau de forme carr^e. • Vous voyez Vauvenargues, dit mon cicerone; c'est par cette vallee que Marcellus conduisit un d6tachement romain pour se mettre en embuscade dans le bois de la Peyrote, a une lieue d'ici, et pour tomber ensuite sur les barbares. Plus tard, Marius distribua ces terres a ses veterans, d'ou est venue la denomination laline do Vau- venargues, vallis veteranica, vallee des veterans. > En parlanl de la sorte, nbus arrivJmes a un endroit oil la roche se creuse et s'ouvre en immense portique ; nous descendimes dans un enfoncement semblable h une large chaudiere. Parvenus a une profondeur assez conside- rable, le gouffre se retrecit et devient inaccessible en plongeant dans les entrailles de la montagne. L'imagination poetique des Provencaux a invente mille fables au sujet de cet abime, qu'ils appellent Garagay ou (iailagay. La plusanciennc tradition dit que Marius, vou- lant s'attirer les bonnes graces de la druidesse Galla, fit immoler et precjpiler dans ce gouflre trois cents prison- niers ambrons ; mais Marius a bien assez de ses sanglantes proscriptions sans lui attribuer des crimes imaginaires. Le fait est qu'on n'a jamais pu connaitre le fond du Garagay, bien que quelques personnes s'y soient fait des- cendre avec des cordes; la fraicheur du lieu et plus en- core une secrete emotion de terreur les ont empfich^es d'aller jusqu'au fond. « Ce goull're, comme quelques-uns I'ont prelendu, n'est pas le cratere 6teint d'un ancien volcan; il n'exi.ste par loule la monlasne nucun debris de matiiires calcinees ; CONSCIENCE 121 d'ailleurs, la seule inspection de son embouchure suffirait a prouver qu'il n'a jamais vomi de tlammes ni de laves. Son origine ne peut dire raisonnablement attribuee qu'i I'evaporation de I'air central, a une epoque oil I'ecorce du globe en feu commencait a se refroidir ct h passer de I'elat de liqnide h celui d'une p3te de plus en plusconsi- slante. Telle est, du moins, I'opinion du savant cure, et tu penses bien que c'est aussi la mienne. ■ Cependant le jour baissait , il toit temps de regagner la ville. Nous nous mimes done k descendre en prenant la direction de Vauvenargues, par oil le cbemin devait Hre plus facile, h ce que nous dit le cure, que nous ac- compagnimesjusqu'cL I'entree du village. L^, ayant pris conge de lui, nous nous dirige^mes i trovers les collines qui nous separaient d'Aix du sommet desquelles mon guide, avant d'arriver a cette ville, me fit remarquer les hauls piliers qui soutiennent, a trois lieucs de la, le beau viaduc de Roquevafour. C'est un magnifique travail que vont admirer tous les voyageurs ([Ui passent 4 Aix. J'y suis alle moi-mSme ct I'ai trouv6 digne de sa renommee. Quinze pilaslres, d'une masse prodigieuse, y ferment quatorze grandes arches, sous I'une desquelles passe I'Arc tel qu'un faible ruisseau; puis, les pilaslres contiiiuent k s'elever comme desgeants pour atteindre au niveau de deux montagnes, et faire passer de I'une a I'autre, dans les airs, le canal qui doit conduire k Marseille une partie des eaux de la Durance. Quant au site de Roquefavour, il est tout a fait pitlo- resque; il y avail la dans le moyen Age un mouaslere oil saint Honorat, eveque d'Arles, s'arri^lait souvent dans ses voyages k L(!rins. Dans la suite la piet6 des Bdeles lui a dedie un ermitage dans ce m6me lieu. Complelement ruin6 par le temps ou la main des hommes, d a ete res- taure depuis peu par un prStre espagnol el par les sacri- fices de pieux Chretiens. Voila, mon cher Auguste, ce que j'avais a te dire sur la plus agreable journee que j'ai passce en Provence; ma pensee s'est eleclrisee a I'aspect de lieux si riches en souvenirs, et il est probable que I'image de Marius ct des Teutons me suivra jusque sur les bords de la Seine. Aix, V) mars 1840. P. S. On me propose a I'inslant d'aller visiter le riant Gemenos, chanli5 par Delille, et la belle vallee de Saint- Pont; comme je sais que tu y tiens beaucoup, je te ren- drai compteprochainementde mes impressions de voyage. Charles Chacbet. CO\SCIE\CE. Quel tr&or plus doux que celui d'une bonne conscience qui, comme un miroir fiilele, ne nous repute rien dont nous puissions souffrir! Quelle delectation intime et viclorieuse, d'a- percevoir toute sa vie en un seul et merne point, et de n'avoir pas k se reprocher le malheur ou les larmes d'autrui! II est sans doute des faiblesses inseparables de I'huma- nit6; mais le .souvenir de ces fautes ne d(5- truit pas la paix interieure, lorsqu'on peut se dire n'avoir •offense ni les autres ni soi. L'homme de bicn s'absout et forme le dessein de se perfectionner. Comparez cet eta t heureux a la tempdte des remords, a la crainte, Ji I'effroi qu'ijs trainent apri^s eux ; ct Ton verra se realiser I'image vraie ct terrible des furies qui poursuivent le scelerat, et qui jeltent le desespoir de I'enfer dans son ccBur. Conscience derive de cum et scire, savoir avec ou dans soi. En effet, la conscience est ce retentissement interieur qui nous indique qu'une action est juste ou injuste, bonne ou mauvaise. Une des proprietes les plus ^clatantes de la nature de l'homme, qui atteslent sa haute prerogative au- dessusdesanimaux.estcelle dela connaissancedu bien et du mat moral par rapport aux autres etres et a ses sem- blables. C'est un besoin de la vie intellectuelle d'exister sans reproches ni remords de la conscience pour Hre heureux. Nil conscire sibi, nulla pallescere culpa. "Con.science! consciences' eerie J. J.Rous.seau, instinct divin, immortelle et celeste voix, guide assure d'un etre ignorant et born^, mais intelligent et libre; juge infaillible du bien et du mal, qui rends I'bonime semblable a Dieu ; c'est toi qui fais I'excellence de sa nature et la morality de ses actions; sans toi, je ne sens rien en moi qui m'e- leve au-dessus des betes, que le triste privilege de ra'ega- rer d'erreurs en erreurs, k I'aide d'un entendement sans rdgle et d'une raison sans principe. » m MILLE ET Ul IITS D'EUROPE ET D'AIIERIOIE ClIOIX DES PLCS JOLIS CONTES FBANCAIS ET ETRANGEHS. I.'OFTIBIISME. SONGK. J'avais rellechiunjouren- , tier sur le bonheur qui est le partage du mechant, et sur rinfortune qui poursuit rhomme vertueux; la nuit I deployait ses voiles ; niais ! qui peut dormir sur le du- y vet, tandis que le malheu- reux soufTre, et que ses ge- " r missements plaintifs accu- yp.' sentnotrereposetreveillent dans nos ccpurs I'invincible sentiment de la pitie? Ce n'est point le philosophe, OH, pour mieux le qualifier, ce n'est point I'ami des hommes : son &me sensibin est trop bien liee au sort de ses semblables, pour ■ qu'elle s'isole comme celle du mfchant. L'Sme de I'homme vertueux ne veut point fitre heureuse , ou veut I'etre avec runivers. Mes sens aifaiblis avaient cede aux pavots du somnieil; mais ma pensee, libre et puissante , n'en suivit pas moins le cours de ses meditations. Je ne perdis point de vue les destins de I'intortune, mon coeur veillait et s'interes- sait pour lui. J'etais encore irrile , quoiqu'en songe, du spectacle que m'oll'rait cette miserable terre, ou le vice insolent triomphe, oii la vertu timide est fletrie, per- secutee. J'eprouvais ces tourments, dont ne peut se defendre I'homme qui ne resserre point son hre dans le point de son existence. Attriste, je traversais d'un pas lent les belles campagnes d'Azora, mais la tranquillite qui regnait sur la face riante de la nature ne penetrait point jusqu'k mon coeur. Toutes les scenes d'injuslice, de forfaits, de tyrannie,[s'o£fraient vivement k ma pensee. D'un cote, j'entendaislescris de I'indigence affamee, qui se perdaient dans les airs; de I'autre, la joie folle et bruyanle d'bommes insensibles et barbares, regorgeant de superfluity. Tous les malheurs qui accablent la race humaine , tous les cha- i^uns qui la ruinent et la dfevorent, se retrac^rent en foule 4 ma memoire; je soupirai , et la pointe douce et amere de la pitie blesbidelicieusemeatmon cosur Des larmes briilan- ■^ ruisselerent sur mes ues : j'exhalai mes plain- s etj'oubliai la sagesse usqu'a murmurer centre la main puissante qui arrangea les evenements du monde. « Dieu ! m'ecriai-je, que mon oreille n'entende plus les soupirs de la misere et les gemissements du desespoir; que mes yeuxne tom- bent plus sur I'homme egorgeant son seniblable; que je ne sois plus t^moin du glaive etincelant du despotisme et des chaines honteuses de I'esclavage ; ou donne-moi un autre cceur, afin que je ne souffre plus avec un monde de malheureux. H6lasl tu as donn^ la vie h tant d'innocentes creatures qui ne te la demandaient pas! Etait-ce seule- ment pour les voir naitre, souffrir et mourir? La dou- leur parcourt ce triste univers comme un ouragan fou- gueux, landis que le plaisir est aussi rare et aussi leger que I'aile inconslante du zephyr. » J'allais continuer mes plaintes, lorsque je me sentis en- lev^ dans les airs par une force inconnue ; la terre trem- blait ; le ciel s'allumait d'eclairs, et mon ceil mesurait avec effroi I'espace immense qui se decouvrait sous mes pieds. Je reconnus que j'avais peche ; je eriai : « GrSce, 6 mon Dieu, grSce a une faible creature qui t'adore, mais dont le ccEur a ete trop sensible aux maux de I'huma- nite! " Tout a coup je sentis mes pieds aflermis sur un sol inconnu; je me trouvai dans une obscurite profonde; j'y restai plongequelquo temps, et voici qu'un rayon plus rapide et plus percant que I'eclair vint dissiper les lenebres qui m'enveloppaient. Un genie, revetu d'ailes brillantes, se presenia devant moi : a la llamme cilcst^ qui luisait sur sa t^te, aux caracteres de la Divinite em- preints sur son visage lumineux, je le reconnus pour un des anges de I'fiternel. • £cuule, me dit-il dun ton qui me rendit le courage, ecoute, et ne censure pas plus long- temps la Providence, faute de la mieux connaitre : suis- moi. » Je le suivis au pied d'une montagne dont le sommet fendait les cieux. Je monte, ou plutot je gravis. Figurez- vous des rochers enormes, su^pendus les uns sur les au- tres, qui a chaque instant menacent de tomber et d'ecra- ser les plaines. Au milieu de ces points de vue efTrayants, I'oeil cherchait en vain un arbre ou une planle qui lui rap- peliit la nature animee ) LliS MILLE ET UNE NUITS des rocs a moilie calcines par les eclats de la foudre. Je suivais en tremblant mon conducteur; et les hurlements des (igres et des lions, rendus plus allreux par I't'clio, epoiivantaient mon oreiUe : ii cluujue pas j'avais bcsoin dii bras de eel ange secourable pour me soutenir, et je voyais a mes cotes, 6 spectacle terrible! des compagnons malheureux qui, voulant escalader ces rochers eleves, se tenaientsuspendusaleurspointes, mais qui, bientbt lasses de I'effort, chancelaient, appelaient en vain k leur se- cours, roulaient, tombaient ecrases, et devenaient la proie des tigres qui se disputaient dans les vallons leurs mcmbres palpitants. Je crus qu'un pareil sort m'attendail, lorsque I'ange me dit : •< Ainsi la Providence punit I'audace temeraire des mortels. Pourquoi rhonime veut-il penetrer ce qui est impenetrable? Son premier devoir est de reconnaitre sa faiblesse. Tout route invisiblement sous la main d'un Dieu; ce Dieu veut te pardonner; il veut plus, il veut t'eclairer. • A ces mots, il me toucha la main, et je me trouvai au sommet de la monlagne. Quelle douce sur- prise.' Le pencbant oppose oil nous descendinies, 6tait un jardin tout a la fois agreable et magnifique, oil la ver- dure, le chant des oiseaux,le parfum des fleurs, enchan- laient tous les sens; un cbarme superieur y passionnait l"^tre le plus indifferent. Mon divin conducteur me mon- tra dans I'eloignenient un temple d'^tonnante structure; la route qui y conduisait etait si mysttrieuse, que sans guide il etait impossible d'y parvenir. A notre approche, les portes du temple s'ouvrirent ; nous entr^mes, et soudain elles se refermerent avec un bruit de tonnerre sous une main invisible. « Personne ne peut les ouvrir, personne ne pent les fermersi ce n'est la voix puissante de Dieu, » me dit mon prolecteur auguste. Saisi de respect, je lus ces mots ecrits en lettres d'or : " Dieu est juste, sa voie est eacbee; qui osera vouloir approfondir ses decrets? » Je jelai uu coup d'oeil sur la hauteur magnifique de ce temple : tout cet edifice mnjes- tueux reposait sur trois colonnes de marbre blanc ; au milieu s'i'levait un autel; a la place de I'image de la Divi- mte, monlait une funiee odoriferante, dont la douce va- peur remplissaitle temple. A droite de I'aulel etait sus- pendu un tableau de marbre noir, et vis-a-vis etait un miroir compose- du plus pur cristal. L'ange me dit . • Cestici que tu vas apprendre que si la Providence rend quelquefois un homme de bien malheureux, test pour le conduire plus sfirement au bonheur. » II dit, et disparut. Ce n'est plus la froidc terreur qui glace mes D'ELROPE ET DAMERiyiE. 125 sens; c'est une joie pure, douce, ineffable, qui reraplit mon Jme. Je versai des pleurs d'attendrissemenl, mes ge- noux llechirent, mes bras se leverent vers le ciel, et je ne pus qu'adorer en silence la bonte supreme. Une voix ma- jestueuse, qui n'avait rieu de terrible, me dit : « Leve- toi, regarde et lis. » Je porlai les yeux sur le miroir, et j'y vis mon ami Sa- dak , Sadak, dont la vertu constante et courageuse m'a- vait souvent etonne, qui savait braver I'indigence et meme la faire respecter. Je le vis assis dans une cliambr dont les murs etaient depouilles ; il appuyait ,sa tete lan- guissanle sur le dernier meuble qui lui reslait, le cceur consume par la faim, et par le dfoespoir plus cruel en- core. Une seule larme s'echappait de sa paupiere, larme de sang! Malheureux, il n'osait pleurer. Quatre enfants criaientk leur pere et lui demandaient du pain; le plus jeune, faibleet languissant, couche surun reste de paille, n'avait plus la force de gemir; il exhalait les derniers soupirs d'une vie innocenle. La femme de cet infortune, aigrie par le malbeur, oubliait sa tendresse et sa douceur naturelle, pour lui reprocher I'exces de leur misere. Ces pbintes cruelles dechiraient son coeur, et ajoutaient ii son supplice. Sadak se leve, detourne la vue de ses enfants, et, tout malade qu'il est, se traine pour leur chcrcher quelque secours. II rencoutre un homme, auquel il avail autrefois rendu les plus grands services; cet homme lui dcvait I'emploi honn^le dont il jouissait. Sadak lui expose I'etat deplorable oil il se trouve ; il lui peint ses enfants pres d'expirer dans ses bras faute d'un peu d'aliments... Celui-ci rougit d'etre force dele reconnaitre, regarde d'un ffiil inquiet si on ne I'observe point parlant ii un homme qui porte la livree de I'indigence; il se debarrasse du pauvre suppliant par de vagues promcsses, des politesses froides, et tout a coup s'ecarte ix grands pas. C'etait au moins pour la dixieme fois qu'il traitait avec inhumanite celui de qui il tenait tout. Sadak, desespere, porte ses pas au hasard, lorsqu'un de ses creanciers I'arrete, le charge d'injures, rassemble le peuple aulour du malheu- reux, le menace publiquement, et est pret a le frapper, plus par mepris que par courroux. Enfin, je le vis, er- rant de porte en porte, tendre une main supplianle, tan- tot rebute, lantot recevant I'aumone qu'on donne a I'im- porlunite. II achete un pain, le porte, le partage a ses enfants, pleure dejoie en apaisant leur faim, et remercie iU l,ES MILLE ET UNE NUITS a genoox la prnvidenci' des riclies benMictions qu'elle vient de repandre sur lui. Jejetai un cii de doulcur, d'otonnpnient et d'pfl'roi. Mes yeux, charges de pleurs, se toui-nerent sur le tableau de marble noir, et une main invisible y traca ces mols : " Acheve de contompler Sadak, et condamne, si lu I'oses, la Providence qui rtgle tout. - Jo repoi-tai la vue dans le miroir, et j'y revis mon ami Sadak. Mais qu'il etait chan- ge! que la sc6ne (5lait difVerente! Ce n'est plus I'indigent Sadak, pauvre, il est vrai, mais tendre, vertueux, com- pntissant, plcin d'honneiir et d'humanit(5; c'est Sadak dans I'abondance, devenu opulent par un heritage inal- lendu; c'est Sadak qui, dans le sein corrupteur des ri- chesses, a mis en oubli les vertus qui lui elaient chores. Assoupi dans le luxe, il est dur, il commande avec ai- grenr, et ne souffrant plus, il ne se snuvient point qu'il est des malheureux, et que lui-mfme I'a ete. Je lus aussilut avec une admiration respectueuse re que le tableau mys- lerieux m'enseignait. • Souvent la vertu souffre, parce qu'elle cesserait d'etre vertu si elle ne combattait pas. Lorsque I'auguste Providence fait descendre la misere sur la tete d'uu mortel, la patience sa scEur I'accompagne, le courage la soutient, et c'est par ce don que la vertu se suffit k elle-meme, et qu'elle devient beureuse lors mi5me que I'infortune semblel'accabler. ■ Mon ceil avide ne tarda point h se reporter sur le mi- roir. Quel objet plus interessant pour mon coBur! C'est ma patrie que j apercois, ma chere patrie, la ville beu- reuse oil j'ai pris naissance! Mais, ciel, que vois-je 1 Tout a coup une armee formidable a inonde ses campa- gnes, a environne ses fortes murailles, a prepare pour sa ruine les machines infernales de la destruction. Le ferest prct, la vengeance et la rage allunient leurs flambeaux. 0 superbe ville! tu trembles, malgre tes fiers defenseurs. Tes tresors enllamment dans le cceur de I'ennemi la soif du pillage. Tu veux lui opposer une courageuse resis- tance. Vains efforts I il monte, il escalade tesorgueilleuses tours ; le sang coule, la mort vole, la flamme ravage; tu u"es plus qu'uu triste monceau de pierres que couvre une epaisse fumee. Mes malheureux concitoyens, echappes a lenibrasement, errent dans les bois : mais I'horrible fa- mine les attend dans ces dfeerts; elle les d^vore lente- ment, et prolonge leur suppHce et leur mort. Dieu juste! m'^criai-je, un million d'hommes tomberont les victimes d'uu seul ambitieux, les enfants serontegorges sur le .sein de leurs meres, les cheveux blauchis des vieillards scrcn Iratnt^s dans le sang et la poussi&re, I'innocente beaute i deviendra la proie d'une foule meurtriere, une ville en- tiere disparaitra, parce que la cupidite d'un monstre aura , convoite ses richesses! « Un pays rempli de prevari- cateurs, r^pondit le tableau, merite le chMiment d'une Divinite trop longlemps mt5pris6e. Ceux qui n'elaient point coupables sunt arraches au danger de le devenir; et si la main de la Providence les a frappfe, c'^tait pour les preserver d'un naufrage bien plus horrible que ne Test le tourment d'une mort passagere : leur refuge est dans le sein de la clemence d'un Dieu cternel. ■■ Le palais du ministre Aliacin, dont les pyramides do- rees percent la nue, s'^levait avec trop de magnificence, pour qu'il ne vint point frapper mes regards. Que de fois I'indignation avait saisi mon cceur a I'aspect de ce mons- tre heureux qui, avec une ame venale, un C(i?ur barbare, des moeurs depravtes et un g^nie despolique, avait comme enchaine la fortune a son char! Son elevation etait le fruit de ses bassesses, ses tresors le prix de sa trahison. II avait vendu sa patrie pour de For. Une pro- vince cntieregemissait sous son oppression. Tanlot il riait du faible murmure d'un peuple ploye a I'esclavage -, lantfit il traitait de cris de revolte ses gemis.sements etouffes. Chaquejour il commettait un nouvel attentat, et chaque jour le succes couronnait son audace. Cependunt I'interieur de son palais n'offrait, lant sur la soie que sur la toile, que des trails de gen^rosit^ et des cxemples de vertus. Les busies des grands hommes de I'antiquite ornaient la maison du plus laehe scelerat; et ces marbres muets, loin de parlerason cceur, ne le fai- saient pas meme fromir lorsqu'il les rcgardait. Je con.si- derai ce mechant, rev6tu de puissance, 'entoure de Hat- teurs, redoute de ses ennemis, encens6 publi(piement, et maudit, maisseulement tout bas. MiUe rareles precieuses D'EUUOI'E ET (lecoraic'iit son cabinet, et chacune d'elle ne lui avail coiite qu'une injustice. La pourprc le couvrait aux depens de ccux qui allaient nus, et le vin qu'on lui versait dans une coupe ornee de pierreries, pouvait etre considere conime un extrait des pleurs quil faisait repandre. II sort d'une table fastueuse, et va mettre aux pieds d'une concubine le patrimoine d'un orphelin. II se tient avcc elle a la fenO-tie, et de li il voit tranquillement met- tre a niort un citoyen sensible et courageux qui a ose lui lepresentei' I'abus de son pouvoir. On etrangle rhomme de bien, et un couirier vient une heure apres annoncer nil ministie que le Sultan, pour reconnaitre ses services signales, lui fait present d'une terre considerable. Le nionstre sourit, et, devenu plus puissant, il songe a se ren- dre plus terrible. Ma liaine centre cet odieux tyran devint si forte, qu'impatient, je tournai a plusieurs reprises mes regards sur le tableau, comme pour liAter I'arret qu'il devait prononcer ; mais I'ien n'y paraissait encore trace. Ma vue relombe tristement sur le cristal uierveilleux. J'apercois Aliacin entrant dans un cabinet secret. Quelle satisfaction pour mon coeur ! La nature, les njalbeureux et la terre sont venges. Cet homme puissant, qui semblait le plus lieureux desmortels, lit une Icttre, palit, tremble, frappe son front de cette meme main dont il egorgeait I'innocent. Agile d'un desespoir qu'il ne peut vaincre, il va, vient, erre en furieux, decliire par la crainte plus que par les remords. 11 arraclie toutes les marques desa dignite, les foule aux pieds, et dans sa rage il jileure comine un en- fant. Je cherchais a deviner le sujct de sa fureur, lors- qu'un de ses favoris, plus vil que son maitre, perce jus- qu'i'i son cabinet; etj'apprends la cause deson desespoir. Uii de ses confidents, espion a la cour, venait delui ecrire qu'unorage nouveau s'ctait forme; qn'il allait perdreson rang et son credit, s'il ne possedait pas assez d'adresse pour detourner le coup. Aussitot ce honteux favori con- seilla d'une voix ferme a son maitre ce que lout autre n'aurait pu lui dire impunement. Ce conseil affreux plut au barbare. 11 ordonua qu'on amenat sa fille en sa pre- sence. Nouremi parut. Elle etait belle, et elle avail des vertus. Dieu! avec quelle borreur elle entendit quo son pere voulait la livrer au Sultan, conime une vic- time immolte h son insatiable ambition I Elle londje presque sans sentiment aux genoux de son pere ; elle fait parlcr les pleurs de la beaute, de la nature, de I'inno- cence Un regard severe lui commande d'olk'ir ; elle obi'it ct nieurt. U'AMEKlQliE. 12S delicieux. On le croirait couche sur des epines. II crainl pour sa vie, il se leve, il parcourt a pas Iremblants son palais ; il tronve ses esclaves endormis, et envie leur pai- siblc sommeil. Le jour luit ; toujours inquiet, toujours soupronneux, il I'remit quand il mange, il pSIit lorsqu'il boit, incertain s'il fait couler la nourriture ou la mort dans son sein. Si quelqu'un s'eleve, mille serpents ron- gent son sein : c'est I'adversaire qui doit un jour le ren- verser; c'est I'homme redoutable qui doit s'asseoir a sa place. Plein d'une atlente respectueuse, je consullai la table des augustes jugemenls de I'filernel, et je lus : « La ve- rite est terrible au mediant; elle est sans cesse presente a ses yeux,; c'est elle qui fait son supplice ; il ne voit que ce iniroir redoutable, oil il lit son injustice et la difl'ormilo do son Jme. » Tout a coup un bruit sourd cumme celui d'un tonnerre loiutain se fait entendre-, je tourne la vue sur le palais d'.^liacin. Ses jardins, ses pyramides, ses statues, lui- nieme, tout (ilait disparu. A la place de ce sejour, oil tons les plaisirs etaienl rassembles, on ne voyait plus Aliacin en devint-il plus heureux? Je le vis dans I'asile du repos, etendu sur le duvel, ou plonge dans un bain quuii repairo de couleuvres impures, rampant dans des marais fangeux. Tel est le fondement des palais que le crime a batis. Les mots suivanls, graves sur le niarbre noir, me decouvrirentce (ju'Aliacin etait devenu : « 11a 6te balayc de dessas la terre comme la vile poussiere, et les races futures douleiont s'il a exislc. » Cet effiayant tableau ne sortira jamais de ma memoire, ct depuis ce temps je gemis en voyanl un bomme puissant. On contemple ses ricliesses, moi je le vols expose au bras de la justice divine. Mon ceil plus attenlif revola sur le miroir, et j'apercus Mirza et Fatm^, amants tendres, ge- nereux, etdans cet 4ge oil I'onconnait lentliousiasrae de la vertu. Ce mfme jour venait de les unir, et leur ten- dresse mutuelle leur proniettait une longue suite de jours aussi fortunes. La douce ivresse du bonheur brillait dans leurs regards, et Icurs sentiments se confondaient avec une douceur touchante. Fatmi5 avail la beaule d'une vierge, sa pudeur; ses graces, et ce doux incarnal dont I'eclat est si fugiuf. Le plus beau corps renfermail le ccBur le plus noble. Fatme recompensait la tendresse de son upoux d'un aimable sourire; son front rougissait, et ce rouge adorable etait I'cffet de I'amour le plus pur. Comme leur silence exprimait bien ce que leur langage ne pouvait rendre! Mon coeur tressaillit de joie au se- duisant tableau dela vertu ri^compensee. Comment I'ami de I'bomme pourrait-il voir deux ccBurs heureux, sans 6lre emu de plaisir et sans applaudir a leur bonheur! Ccs deux epoux se felicitaient d'etre unis, parce qu'ils 126 LES MILLE ET UiNE NUITS pouvaient faire le bicn ensemble. lis etaient riches et sa- tisfaits de I'etre, parce qu'ils pouvaient soulager la foule lies nialheureux. Le jour de leur hymen, ils voulurent que des coEurs aussi scnsibles que les leurs goOtassent la mfime felicite : ils niarierent de jeunes filles ^ leurs jeunes amants, lorsquo I'infortune etait le seul obstacle qui s'op- posaitaleur union. Mirza veut que tousles coeurssoient a I'unisson du sien ; son Sme sublime voudrait soufller surla nature entiere un bonheur universel et inalterable. « Chere Fatme, disait-il, nous ne sommes pas les seuls « heureux, el dans ce moment quelqu'un nous b^nit; « nous avons fait descendre I'hymen dans de tristes chau- 11 mieres; des coeurs innocents se sont ouverts a la joie ; « I'amour consolateur a efface I'image de leur misere; « et nous, nous verrons leurs enfants sourire a notre ap- II proche. Fatme, leurs caresses seront notre plus douce 11 recompense ! » Ces limes tendres et vertueuses formaient le plan d'une vie utile etbienfaisante : leurs enfanlsdevaient etreeleves danslessaintesmaximesdelasagesse et dela religion, qui leur enseignera, avant tout, a etre simples etbons, parce que la simplicity et la bont6 sont le principe de toutes les vertus; on nourrira dans leur ame flexible et tendre les impressions d'humanite et de commiseration, parce qu'il faut etre sensible, afin d'etre homme. Ce couple charmant et respectable, s'enQammant aux transports de leurs cCEurs, voyait deja leur posterit6 heriter du sang genereux qui coulait dans leurs veincs. Dans ce ravisse- ment qu'inspirent I'amour, la vertu, le bonheur, ils tom- benta genoux devant I'fitresupr^me. « Grand Dieu ! s'e- i< criaient-ils, donne-nous des enfanls dignes de toi ! (1 Qu'ils soient humains ; qu'ils marchentdans les voies « de ta justice et de ta bonte supreme ; ou s'ifs doi- 11 vent s'ecarter des lois salutes que nous ch^rissons, i< qu'ils ne recoivent pas une existence qu'ils aviliraient 11 ur el sans enlrailles, vendanta I'el ran- ger la coiironne de son epoux, I'hQnneur de sa patrie, el 'cs droits de son enfant; lo frere d'un roi malheureux, jeune et insolent, ambitienx el immoral, perdu dans I'o- pinion ; tin seigneur tout-puissant, d'aliord valeureux et clievalere.<^que, sage et de bon conseil, sincere dans sa piete comme dans i-on amour lilial , commetlant tout ii coup, dans un seul jour, un sacrilege, un parjure et un assassinat ; devenant (our ii tour I'ennemi ou I'allie de I'e- tranger; en tout cas combattanl loujours centre un mo- narque et un pays que ses serments, son lionneur et sa religion auraient du I'engager it defendre : voila les prin- cipaux personnages de ce drame ep.ouvantable, et que nous n'aurons pas besoin de nomnier :.on a reconnu Charles VI, Isabeaude Baviere, le due d'Orleanset le due de Bourgogne. Voici oil en elaientParis, la cour et la France, quandle due Jean regnaiten Bourgogne. Lorsque Philippe le llardi, son piM'e , vint h mouriren 1404, Jean avait dejii trenle et un ans. On I'avait surfiomme sans pe«r a cause de I'in- tiepidite avec laquelle il s'etait conduit a Montenai. Mar- guerite de Baviere, qu'il epousaen1385, lui avait appor- te en dot lescomtesde Hainault, deHollandeetdeZelande. La Bourgogne put esperer d'abord la paix et la justice sous un regno qui s'annoncail bien. II avait paye les dettes les plus imporlantesdeson pere, il avait allege le fardeau des impots, jusque-la ecrasant, etil avait promis denou- veau I'exportation des vinset des cereales. Enfin il avait force le"s Anglais k lever le siege de I'tcluse, il leur avait pris Gravelines et il leur eilt meme enleve Calais, si de miserables intrigues, ourdies a la cour, ne I'eussent tout k coup, rappele. Un changement funeste ne tarda pas a s'operer en lui. Neveu du roi de France, premier pair du rovaume, possesseur de plusieurs grandes provinces, il etait humilie quand il songeait que dans le conseil il n'oc- cupait que la cinquieme place. Sa susceplibilite en fut cruellement blessee. D'un autre cote, un motif plus serieux lui inspira une haine implacable centre le due d'Orleans. Et ii ce sujet lo8 JEAN SANS PEUR. il est bon de rappeler que I'ambition ne fut pour rien dans la rivalite qui eclalaenlre ces deux princes. Leduc d'Orlearis avail fait ;ui due Jean un de ces aliVonts qui ne se pardonnent pas. Jean ainiait tendrement sa femme, ct les caloranies ou les indiscretions de son rival devaient exciter sa colere. Un portrait niontre publiquement, des couplets chantes, furent les motifs du projet concu par un epoux furieux et jaloux. Cen est fait, Jean sans Peur a fait le serment quo ;le due d'Orleans allait niourir, et il s'appr&te, par la dissimulation et la feinte, h preparer les voiesaux executeurs do ses sinistres volontes. Unemai- son voisine de I'liotel de Nemours, le petit sejour de la reine, a recu un nouvel h6te clandestinement, c'est un gentilhomme normand, le capitaine d'Oclonville.homme peu scrupuleux; avec lui ontele embusques les freres Guillaumo de Seas, de Courteheuse ,de G nines, Courtensi, valet de chambre du roi, et'd'autres gens, plus ou moins ennemis de la famille d'Orleans. De la rue Barbette, d'Oc- tonville allait communiquer frequemment a I'hc'itel de Bourgogne avec Jean sans Peur. Cependant le due de Berry avail fait tons ses efforts pour reconcilier lesdeus rivaux'; ilttailmeme sur d'avoir reussi, puisqu'un acte dans ce sens avaitele signe parl'un et I'autre; ils avaienl couche une nuit ensemble dans le meme lit ; le lendemain ils avaienl communie encore en- semble, avec une meme hostie partagee en deux ; la memo table les avail reunis chez le due de Berry, a I'hutel de Nesle. Le due d'Orleans vivait dans la securite la plus |)rofonde ; le mardi 2i2 novembre 1-i07, il se rendit au petit sejour de la reine et y passa la soiree. Toutesa suite etait partie, avec I'inlention de reveuir le cbercher a mi- nuit. Mais ii neuf lieures, Courtensi, qui se pretend char- ge d'un ordre du roi, survient et prie le due d'Orleans d'aller sur-le-cliamp a I'hotel Saint-Pol, oii sa presence estnecessaire , ils'agit d'une affaire imprevue, urgenteet grave. Leducse fait seller une mule el part en compagnie de deux nentilshommes et de trois pages portant des flam- beaux. Prevenu par Courtensi , d'Octonville a embus- que ses homnies dans plusieurs renfoncemenls de la rue Barbette ; tous sent amies jusqu'aux dents. A peine est-il arrive au milieu de la rue, que le due est abandonne par ses deux gentilshommes, il n'a plus avec lui que ses pages qui, avec leurs torches, guident la mar- che de leur maitre. Toutacoup d'Octonvilleetses complices s'avancent; le due les prend pour des voleurs et leur crie : — Je suis 1 e due d'Orleans! — C'est a toi que nous en voulons, — re- pond d'Octonville, et d'un coup de sa hache d'armes, il coupe la main que le prince appuyait sur le pommeau de sa selle ; puis il lui assene un coup sur la tete ; le due lombe alors; un troisieme coup lui fend le crane et faitjaillir la cervelle. En ce moment un des trois pages ose prendre la^^defense de sun maitre, il tombe pri.'s de lui mortelle- ment blesse. D'Octonville tralne le corps du due aupres d'une borne, et, allumant une torcliede paille a un falot, il s'assure que le malheureux est bien mort et s'eloigne JEAN SANS PEUR. 139 avec sa bande. — Des voisins utaienl accourus aux cris du page qui se mourait ; mais dcs chausses-trappes, dres- s^esal'avanceet i) dessein, avaient ralenti leur course. Les meurtriers purent s'eloigner; on n'en reconnut qu'un. Le roi jouissait alors d'un de cee rares instants oii la raison remplajait la demence dans son esprit affaibli; il aimait avec lendresse son frl-re, le duo d'Orleans. Aussi, a la nouvelle desamorl, evenement inouietsi deplorable, il fut en proie a la plus violente douleur. II ordonna a loute sa maison dc se tenir sous les armes ; la reine Isa- beau, epouvantee, s'enfuit a I'hdtel Saint-1'ol presdeson epoux. Les assassins, tout en fuyant, avaientmis le feu a plusieurs maisons de larue Barbette pour occuper les ha- bitants du quartie.- et gagner de I'avance : toute la popu- lation du Marais et de Saint-Antoine etait sur pied et se pressait sur le lieu de I'evenement. Tons les seigneurs pre- sents chez le roi ou chez eux, dans leurs hotels, avaient arme tous leurs gens. Jean sans Peur nia tout d'abord ; il avoua ensuite, et pretendit qu'il n'y avait la que la juste vengeance de I'afTront fait a son honneur ; enfin la chose fut celebree comme une action meritoire par le cordelier Jean-Petit, qui apparlenait a la maison du due de Bourgogne ; en tout cas cet assassinat ne fut que le prelude des plus epouvantablesexces. Les deux|partis, c'est-ii-dire les deux factions d'Orleans et de Bourgogne, s'entre-tuerent dans la capitale el dans les provinces. On avait d'abord soup- conne le sire de Cani que le due d'Orleans avait cruelle- ment'outrage, maisceseigneuravait et(5 bien vite reconnu innocent. Jean sans Peur poussa I'audace jusqu'a se presenter dans la chambre ardente, oil gisait le corps du defunt; bien plus, il n'avait pas hesite ii porter un des coins du poele quand le cadavre fut Iransporte de I'eglise des Blancs-Manteauxala chapelledesCelestins, construite par lesordres du feu due, apres ce bal funesle oil le roi avait failli perdre la vie. Ce fut le prevotde Paris, Tigmonville, qui decouvril le vrai coupable ; le due de Bourgogneetait au conseil quand on vint avertir les dues de Berri et de Bourbon. Aussilot le roi et lous les membres du conseil se retirerent. Le lendemain Jean sans Peur revint ; le due de Berri remplacait le roi, comme president du conseil. On refusa I'entree de la salle au due de 'Bourgogne, et on I'ac- corda au comte de Saint-Pol, qui raccompagnait, mais c' etait pour lui ordonner d'arreler I'assassin. Furieuxde ce qu'il regarde comme un affront, Jean sans Peur s'eloi- gne a grands pas de I'hotel de Nevers. II arrive k son hd- tel, se fait amener un cheval sur lequel il s'elance, et se fait suivre de d'Octonville et de ,ses hommes; il passe les barrieres, galope sans s'arr^ter, et, apres unc course de trcnle-cinq heures, se trouve en surele dans ses faats du Nord. Brebant et plusieurs gentilshonimes de la maison d'Orleans I'avaient vivement poursuivi ; ils I'eussent meme rejoint etpris s'iln'eut eula precaution de rompre le pont de Saint-Maxence, ce qui arreta la poursuite. A une heure il arriva a Bapaume, et, enchanle de se voir a I'abri, il ordonne quedesormais on sonnera I'AnLjelus dans cette ville, tous les jours a la meme heure, h perpetuite. De plus il y fait une fondation religieuse pour consacrer la memoire de cet evenenient heureux et inespere. Le chateau de Lens, protege par une nombreuse gar- nison , recut dans ses murs d'Octonville et ses compli- ces, qui Irouverent la un refuge. Jean n'avait sejourne que quelques heures a Bapaume; il se rendit en toute hate a Arras, puis a Lille. C'est la, qu'^ Tissue d'un con- seil oil s'etaient reunis les principaux seigneurs de sa cour, il resolut d'avouer hautement I'assassinat du due d'Orleans. Peu de temps apres, dans le discours prononce en son nom a rassembl(je des etats de Flandre, il fit re- presenter le due d'Orleans comme un tyran, dontlui, due de Bourgogne, avait cru, autant par justice que par piete, devoir delivrcr le pays. II n'en resta pas la ; il se fit don- ner par les tots de I'argent et des bommes. La cour de France ne se crut pas en etat de lutter. Jean sans Peur s'etait avance jusqu'a Amiens. La, Jl recut les envoyes qui venaient lui apporter la promcsse qu'on oublierait le passe, el des propositions de paix ; on exigeait seulement qu'il livrSl les assassins. 11 repondit par un refus. Les conferences durerent dix jours, puis on accorda les lettres d'abolition ; il se rendit au conseil, et le nioine Jean-Petit Et son apologie : il eut I'audace de soutcnir cette these, a savoir que Jean sans Peur n'avait ete qu'agreable au Seigneur et utile a la France en de- barras.sanl la terre d'un tyran, et qu'il avait droit, de la part du roi, a toutes series de recompenses, « a I'exem- ■ pie, dil-il, des remunerations qui furent faites a mon- • seigneur saint Michel, pour avoir tue le diable , et au « vaillant homme Phinees, qui perca Zambri. ■ L'assas- sin fut absous; il etait le plus fort. II niarcha aussitot au secours de son beau-frcre, Jean de Baviere , conlre lequel les Li^geois, depuis longtemps (^crasesd'impots, s'etaient revoltes. lis I'assicgeaient dans Maii'stricbt. Jean de Bourgogne tombe sur eux et les met en deroute. Vingt mille Liegcois reslent sur le carreau, et le vainqueur ramene dans Liege I'ev^que delivre. Le prince-i'veque • deshonora, dit Mezerai, sa victoire et son « caractere, en faisant jeler dans la Meuse des milliers de « ses diocesains, lies deux a deux, et en elevanl aulour « de Liege des forets de roues et de gibels. ■ Cependant, la duchesse d'Orlears , forte de I'absence du due Jean, Tavait fail declarer ennemi de I'Elat. Toute la France s'etait partagee en deux camps, les Bourguignons et les Orleanais. Ccs derniers prirent le nom de d'.irmagnac, qui s'elail place a la tele de ce parti. Le signe de rallie- menl des Armagnacs etait une croix blanche h angles droits; leur enseigne, un baton «o«ei(x. Le signe des Bourguignons etait une croix rouge, oblique, nommee 140 JEAN SANS PEUR. eroix de saint Andre; leur enseigne, un robot. La France fut ravageo en tout sens par des bandes feroces, compo- sees de brigands, servant indistinctement tons les partis, rdpandant sur leur passage le nieurtre, I'incendie, et cachaiit apres ces crimes, toujours impunis, leurs victi- mes et leur bulin dans des chateaux oil personne ne son- geait i les poursuivre. La France elait done menacee d'une perte inevitable ; la guerre civile et la guerre etrangere s'unissaient pour devorer ce malheureux pays. Jamais, dans aucun temps, chez aucun peuple, I'histoire n'ofTrit une pareille succes- sion do crimes et de malheurs. Le desaslre d'Azincourt avait enleve b. la France sa derniere armoe; les Anglais parcouraient victorieusement toutes nos provinces, et au milieu des calamites de la patrie, une odieuse princesse se plongcait dans lout ce que le vice et le crime ont de, plusscandaleux et de plus immoral. Desespcree de la mort de Boisbourdon, la reine Isabcau avait decide, dans son exaltation, la ruine de la France et la perte de sa famille ; elle avait aussi enipoisonne le dauphin Louis et son frere Jean ; et toute la race royale se fut Irouvee aneanlie , si le troisieme prince, a la connaissance de ce double crime, ne se filt enfui. Neanmoins Isabeau, a qui le nom seul du due de Bourgogne inspirait une terreur indefinissable, serapprocha de lui pour avoir son appuidans I'execution de ses plans de vengeance et d'ambition. Ainsi, la France seniblait toucher a son dernier mo- ment, recelant un traitre dans son sein et foulee aux pieds par un ennemi redoulable ; peut-elre allait-elle cesser d'exister comrae fitat. Sans doute elle a tro^ive des I'cssources iniprevues aux epoques les plus desastreuses, et des grands liommes, dans des temps oil ils paraissaient impossibles. Mais centre la trahison, lepatriolisme, le cou- rage et le lalent sont impuissants. La France rassembla done une armee presqu'egale a celle des Anglais. Toutes les provinces de Bourgogne s'elaient levees centre I'en- nemi conimun. Les Bourguignons niarchaient sous les or- dres des deux fils de Jean sans Peur. Henri V, roi d'An- gleterre, effraye a la vue de forces aussi considerables, ne songeait plus qu'ii la rctraile. Deja mSme il gagnait la ville de Calais ; la famine et la contagion desolaient son armee. Bientot il n'allait plus rien en rester, et elle n'avait pas encore combaltu. Le conseil de la cour de France avait decide qu'on n'at- taquerait pas ; on voulait laisser se consumer en detail I'armee anglaise afTaiblie de plus en plus chaque jour. Mais le connetable Charles d'Albret s'indigne centre ce qu'il appelle une IJchele ; il s'ecrie « que c'est le faire de lii- « ches homnies que surmonter une arm(5e par famine et « non par armes. • Par malheur il enlraina la majority du conseil, et la meme imprudence, commise h Poitiers et ii Crecy, produisit la miime catastrophe. Les Anglais sou- tinrent I'attaque avec sang-froid; le desospoir leur tint lieu de force et d'ardeur. La melee devint furieuse; dix- huil chevaliers s'elaient devours; ils avaient fait le ser- mentde mourir ou d'aballre sous leurs coups Henri V au milieu des siens. lis se lancent centre les bataillons an- glais ; Henri est renverse de son cheval ; il va perir, quand le fidfele David Game vole h son secours avec une troupe d'elite et le degage. Les dix-huit braves succombent. Les deux fr^res du due de Bourgogne perissent dans la ba- taille. Jean les vengera ! Bientot, Chatillon voit se reunir sous ses murs une ar- m^e nouvelle, aussi nombreuse que la premiere, et com- posee presque tout entiere de Bourguignons. Elle se pro- pose de se joindre a I'armee du roi pour marcher aux Anglais; mais la maladroite et inipolilique conduile.de la faction d'Orlfans rendit inutile ce dernier et admirable ef- fort. Peu importait a ce parti le malheur de la France, si le due Jean elait encore battu. Le roi envoya un ordre qui dut arrcter dans sa marche I'armee coalisee. Mais Jean sans Peur, trop courageux et surtout trop indocile pour obeir, marcha encore jusqu'^Lagni, oil il s'arrOta cepen- dant : mais il y resta deux mois sans recevoir I'autorisa- tion d'avancer. D^ja le parti anglais dominaita Paris et jusquo dans le conseil du roi. La halte forcee du due Jean a La- gni lui avait valu le surnom de Jean qui n'a hale. La fac- tion d'Orleans trioniphait k la cour et dans le parlement de Paris. Le due de Bourgogne n'etait plus considir^ que comme I'assassin du frere du roi. II eut I'audace, affron- tant I'indignalion gen^rale, de donner publiquement sa protection au due de Lorraine, exile pour cause de fclonie, et de se presenter avec lui devant Charles VI, en plein parlement et devant les pairs de France. A sa vue, I'avo- cat general, Juvenal desUrsins, s'ecria : ■ De par le roi, que tous ses bons et loyaux servileurs se rangent de son cole! etque lesennemis du bien public sejoignent au due de Lorraine!' Aussitot, tous les seigneurs allerentse ran- ger autourdu roi ; Jean sans Peur lui-mcme, entrain^ par leur exemple et obeissant a la force des choses, suivil les autres ; el le due de Lorraine, resle seul, n'eut d'autre ressource que de se Jeter aux pieds du prince et d'iinplo- rer son pardon. Pour plaire a leur souverain, les courlisans avaient faita Jean sansPeur toutessortes d'outrages. Le traite d'Auxerre, qui avail reroncilie les deux factions, est annule. Dte lors, le due de Bourgogne ne songe plus qu'ii punir tant d'insolence et qu'a venger tant d'affronts. II bridait de combatlre les Anglais; il s'unit i eux dfes lors; il part pour Calais et y conclut cet odieux trail6 de 1416 qui fut le prelude d'autres traitfe pins odieux encore. Celle affaire de Calais resia d'abord secrete ; le due de Bourgogne dis- simulait; avant de se separer du roi, il ne voulait com- promellre ni son influence ni son credit; il voulait avant JEAN SANS PEUR. Ul tout se conserver les nioyens d'ouvrir a Tarniee anglaise les portes de Paris. Guy, seigneur dePresle,etrisle-Adam,secondes par des traitres achetes dans la capitale avec I'argent du due Jean, s'introduisent de nuit dans Paris le 29 mars 1418. C'est P(5rinet Leclerc, qui avail derobe a son eclievin les clefs de la porta de Bussi qu'il avail livrees. lis s'emparenl de la ville, asseniblent leurs complices et ameutent celle foule de gens sans aveu, d'etrangers sans foi qui pullullent dans toules les grandes villos el qui prenncnl part a toutes les revoites. Bientot, on veil entrer dans Paris les troupes bourguignonnes. Alors commence un epouvantable mas- sacre, une horrible boucherie qui dure trois jours. On egorge le connctable d'Armagnac, le grand maitre des arbaletriers , le mar&hal de Rieux, le chancelier de Marie, delix archevtSques, dix evSques, trente seigneurs de la cour, des presidents, des conseillers du parlement, et une multitude de bourgeois. « 11 en fut tue, dit Fabert • dans son Hisloire des dues de Bourgogne, plus de mille, « incises sur le dos en forme de bande, en haine du parti « d'Armagnac. ■ Certains auteurs portent ce chiffre a trois mille. On en jeta une foule d'autres en prison. A son entree, Jean sans Peur fut accueiUi par le cri de : Aoi'l all noble due qui abolit les ittipots! Les rues, encore rougiespar le sang, etaient jonchees de fleurs. 11 se rendit a Saint-Euslache, ou Ton chanta solennellement le Te Deum. II priten main les renes du gouvernement, rendit a Eustache de Laistre les fonctions de chancelier, imposa au parlement comme premier president Morvilliers, ■nomma I'lsle-Adam et Chambord marechaux de France, et Pierre de Nedonchel grand veueur ; il donna une somme enorme au boucher Caboche, chef des fecorcheurs, et une poignee de mains au bourreau de Paris, Capeluche, quilui rendu soudain cetle marque d'affeelion, touchante intimite! Mais ces hommes ignobles lui etaient indispen- sables. Neanmoins il n'eut pas longlemps besoin de ces odieux instruments, et quand ils devinrent inutiles il sut les briser. Ces assassins et ces bandits ne pouvaient long- temps dominer; Jean sentit que la moderation devait avoir son tour, mais la moderation ne convenait pas k ceuxquelepillageet I'assassinat faisaient vivre. Lesegor- geursse plaignirent, etreprochercnt publiquement au due de Bourgogne de menager h dessein les Armagnacs. Une emeute etait imminente, lorsque Jean fit avancerde nou- velles troupes qui en eurent bientot fini avec ces bandes d'assassins. On pendit Capeluche, Caboche et vingt-six chefs des emeutiers. Le reste ne bougea plus. Le lende- main de cetle scene, la corporation des bouchers, qui setait signalee par sa violence et sa cruaute, demanda gr4ceet s'empressa de se soumettreauducdeBourgogne. Jean el Isabeau etaient desormais allies, mais ils agis- saienl sans but determine, sans aucune cspece de plan, leur seule pensee etait celle de la vengeance. Et quelle etait la cause de tons les crimes, de tous les desordres commis a Paris comme dans les provinces? L'etat de demence d'un monarque qu'une femme perdue et un prince orgueilleuxetvindieatif menaient alors comme un enfant. Or cette femme etait reiue et regente, et ce prince etait plus riche et plus puissant que son roi. D'ailleurs peut-on s'arreter dans la carriere du crime ? Le duo Jean, apres avoir assassine le frere de son souverain, devenait traitre a son pays, il allait livrer la France et ses propres Etats a I'etranger, et la reineelle-nieme la secon- dait dans tous ces forfaits ! Une pareille habitude du crime devait depasser toutes les limites du possible. Cependant entre Jean sans Peur et sa complice il n'y avail aucun point de contact, aucune sympathie. aucune conformited'instinctsetd'idees; cettealliancenionstrueuse n'etait fondee que sur une seule base trop fragile pour pouvoir durer. Quand le ressentimenldeJean futcalmeet qu'il vit qu'au lieu d'un allie il avail un maitre, quelque reste d'un ancien sentiment de pudeur luivenant en aide, il se ressouvint qu'il etait Francais : bientot il ne dissimula point son desir de se rapprocher du roi et de revenir au sentiment de ses devoirs. II vit le dauphin dans une pre- miere entrevue a Poissi-le-Fort pres Melon, en juillet •1419. II baisa la main dujeune prince, qui I'embrassa ensuite. On convinl d'un second rendez-vous qui fut fixe h Montereau au 26 aoilt. Le dauphin avail ete exact au rendez-vous, il s'elait arr^te dans la ville oil il attendait. Jean sans Peur ne partit de Paris que le 10 septembre. L'entrevue devait avoir heu sur le pont de Montereau. On avail mis le chateau a la disposition du due de Bourgogne; chacune des extremites du pont devait ^tre gardee, I'une par des soldatsdu roi, I'autre par dessoldats bourguignons; I'en- tree du cote du chateau etait aupouvoir de ceux-ci, celle du cote de la ville etait aux hommes du dauphin ; chaque prince ne devait avoir pour suite quedix senlilshommes. A son depart de Paris, Jean sans Peur y avail laisse une nombreuse garnison commandee par Saint-Pol et I'lsle- Adam ; puis il avail fait mener i Troyes Charles VI, la reine Isabeau et la princesse Marguerite. Enlin il prevint le dauphin de son arrivee au chJiteau de Montereau. On placa les gardes comme on en etait convenu, el cha- cun des deux princes arriva de son cote avec ses dix gentilshommes. Le dauphin avail avec lui Tanne<;uy-Du- chatel, Louvel, les sires de Barbasan, de Courvillon, le vicomte de Narbonne et six autres seigneurs. Comme le due Jean se levait pour parlir, ses familiers insisterent pour qu'il n'aliat pas a ce rendez-vous : — Aliens, leiu- 142 JEAN SAN dit-il, il faut marcher oil il plaira h Dieu de nous con- duire; je ne veiix point qu'on me roproche que la paii ait t'le rompuu par ma lii-hcie. Et il marcha vers le pont, accompagne des sires de Massorat, Saint-Georges, Thoulongeon, Montaigu, Noailles et cinq autres officiers de sa maison. Un espa'ce restait libre au milieu du pont, ferme par une double barriere. Les deux princes furent en presence ; le duo s'agcnouilla et dit : — Monseignenr, jo suis venu a votre commande- ment; yous savez la desolation de ce royaume, votrc do- maine a venir, et quant h moi, je suis prfet et appareilI6 d"y exposer les corps et les biens de moi et de mes vas- saux, allies et sujets. — Le dauphin, se d^couvrant alors, le remercia et I'aida ^ se relever. — Beau cousin, lui dit-il, Tous savez que, par le traits depaix nagufere fait a Melun (lors de I'entrevue de Poissi-le-Fort) , entre nous, fumes d'accord que, au dedans dan mois, nous nous assemblerions en quelque lieu pour traiter des besongnes (affaires) duroyaume,et pour trouver maniere de resister aux Anglais, anciens ennemis du royaume, et jurastes et promistes, et fut elu ce lieu oii nous sommcs venus au jour diligemnient, et nous avons altendu quinze jours enliers; si vous prie que nous advisions, ainsi que nous I'avons Ik jure et promis, si nous trouvons moyen de resister aux Anglais. Jean sans Peur repliqua qu'on ne pouvait Hen advi- ser oil [aire sinon en la prrxence du roi son pire et qu'il fallait qu'il yvint. « Et le dit seigneur (le dauphin) tres- doulcement lui dit : — Qu'il irait vers monseignenr son pere quand bon lui semblerait, el non mie a la volont6 du due de Bourgogne, et qu'il scavoit bien que ce qu'ils feroient tous deux, le roi en seroit content. Et y But aucunes paroles, et s'approcha ledit Nouailles dudit due, qui rougissait, et dit : Monscigneur, quiconque le veuille voir, vous viendrez a present a votre pere; en lui cuidant mettre la main sur liii, et de I'autre tira son epee comme A moiti^. Et lors ledit messire Tanneguy- Duchatel prit monseigneur le dauphin entre ses bras et hors de I'huis de I'entree du pare (enceinte reserv6e au milieu du pont), et y en eut qui frapperent sur le due de Bourgogne et sur ledit Nouailles, et allerent tous deux de vie ci trepassement. * » Maintenant est-il vraisemblable que le dauphin ait ele I'auteur ou ni6me simplement le complice de ce meurtre qu'on peut regorder, du reste, avouons-le, comme une represaille de celui du due d'Orleans? non, evidemment non. D'aiUeurs le dauphin avail un int6r6t majeur a faire alliance et cause commune aveo le due de Bourgogne. Aussi Juvenal des Ursins, icrivaincontemporain, etranger a toutes les intrigues, et qui n'etait d'aucun parti, est-il le plus digne d'inspirer quelque creance parmi tous ceui qui, souvent par passion, quelquefois par inter^t, n'ont pas craint de publierau sujet de ce sinistre evenement les versions les plus contradictoires. II ne faut ajouler que mediocrement foi k ces recits, fabriques longtemps apres, sur des traditions erronees. On ue sail meme pas si Tan- neguy-Duchatel, bien loin d'avoir frappii lui-ni§me Jean sans Peur, n'etait pas rentrfe de suite dans Montereau avecle dauphin. Du reslecelui-cifutaussilot accompagne, en s'en allant, du priisident Louvet, Robert-Loire, Fran- cois de Grimaux, Pierre Frottier, Olivier Cayet et Pou- 1 ffiiloirt dc CluirliB f/, JuTcnal des Ur.-ins, p. ISO. S PEUR. chant de Namac, s^nechal d'Auvergne, tous venus avec lui. Les quatre autres elaient restes sur le pont. Quand aux seigneurs du due Jean, Nouailles seul avail ose le defendre. Ses compagnons cependant etaient en nombre suffisant pour le venger, or ils rentrerent tous au chateau de Montereau. Toute la suite et I'escorle de Jean sans Peur s'en retournerent aussitOt. Le corps du due de Bourgogne etait reste sur le pont. des valets I'avaient depouill(5! On ne I'enleva qu'a minuit pour le deposer dans un moulin. Le lendemain on le porta k rh6pital de Montereau, oil it fut enseveli dans une des bieres destinees aux pauvres et enterre dans I'eglise 'pa- roissiale aveo son jupon, ses hotisseaux et sa barrelte. Uu an apres, par ordre de son fils Philippe, il fut transfer^ a Dijon et inhum^ a la Chartreuse dans un lombeau splen- dide. Sa veuve, la duchesse douairiere de Bourgogne, distribua aux pauvres 3,000 livres, altendu que le due n'avait pu pourvoir a ce legs par son testament. Bient6t surgirent de toutes parts des accusations. On mit d'abord I'assassinat sur le compte de la dame de Giac, dont les instances, disait-on, avaient decide Jean k se rendre k I'entrevue. Puis on accusa Philippe Jossequin, favori du defunl. lis avaient Hi achetes tous deux, disait- on, par les Armagnacs. Ce qu'il y a de certain, c'estque les Dijonais rasferent la maison de Jossequin sur la place Sainl-Jean, qui etait mouH notable. 11 se refugia dans le Dauphinfe, oil il mourut d'une maniere miserable. Ses biens avaient ^t^ conBsqufe, vendus, et avec le prix la duchesse avail achete la chStellenie de Nevers. Quant a la dame de Giac, elle donna plus de creance encore aux bruits accusateurs en se refugiant aupres du dauphin ; c'etait au moins une maladresse. Jean sans Peur £lait partout dMest§ et maudit, excepts en Bourgogne; k Paris comme dans ses ttalsdu Nord, il s'^lait conduit comme un tyran, impitoyable et cruel. Avec ses Bourguignons il ^tait affable et liberal. La reine Isabeau en avail peur et I'Anglais le reduulail. Quoi qu'il en soil, sa mort ne servit k personne en France, elle ne fut utile qu'aux ennemis du pays. A.-L. Ravebgie. PETITS VOYAGES SUH LES RIVIEKES DE FRANCE. 143 PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE. LA SEL>'E, SES BORDS ET SES SOUVENIRS. En presencedela villedeTroyes, la Seine recoit, a sa droite et a sa gauche, une foule de ruis- seaiix, alimentes par des sources voisines, et de petites rivieres qui se dispersent Ji travers les prairies pour les arroser. Dans ce nonibre il faut noter le Lo- zain, la Magre, I'Hurande et la Profonde. Le fleuve se A'wise en ^ outre en une foule de bras dont le plus gros se porte a droite et, se detournant de la ville, va bai- gner Pont-Saint-Ilubert et Pont- Sainte-Marie, un des faubourgs deTroyes.De nombreux courants p(5netrent dans la ville, la ceignent de toutes parts et alimenlent ses usines. Ces canaux furent crea- ses a grands frais par Thibaut IV, comtcde Champagne, moius pour seconder I'induslne et I'activite de la cite, que pour la fortifier et Tembellir. Autour des remparts, des alltes d'arbres forment une double enceinte de promenades qu'on appelle le Mail. Dans les fosses, attenanls aux promenades du faubourg Saint-Jacques, sent 3'autres allees basses en forme de berceaux, arrosees non pas par ces eaux bourbeuses et stagnantes qui croupissent au pied de beaucoup de nos cites, mais par une onde limpide et courante formte en- core par un bras de la Seine. Ces fosses preseutent I'as- pect d'un petit vallon dont les coteaux sont des talus ver- doyanls. Qji peut dire que les abords de Troves sont charmanis, et ses longs faubourgs contribuent alui don- ner I'apparence d'une belle ville. Mais Tespoir qu'on a pu concevoir un moment est bient6t decu. Des rues sales et etroites, des maisons de bois petites, noires et mal bilties, voila ce qui frappe la vue; nean- moins on y entrevoit certains edifices qui, tels que des eglises nombreuses, un Hotel-Dieu remarquable, une maison de ville avec une facade fort curieuse, consti- tuent des monuhients dignes d'examen. Mais tout cela est perdu au milieu d'une foule de maisons irr^gulieres et disgracieuses. Comme il n'y a pas de carrieres dans la localile et qu'on ne peut faire venir de la pierre que de Chitillon avec les plus grandes diiliculles, puisque la Seine, en cet endroit, n'est pas encore navigable, il en resnlte que Ion n'emploje gutre pour construire que la charpente et !a pierre de craie , ce qui donne aux maisons un aspect noirilrc et sale. La boucherie de Troyes est remarquable en ce qu'on n'y voit jamais de mouches; il ne faudrait pas se hiter cepeudant d'attribuer ce phenomene ou h des miracles ou aux prieres de samt Loup, mais bien plulota I'obscu- rite et k la fraicheur du lieu oil un courant d'air est sans cesse entrefenu. Nommfe d'abord Augmto-Bona, puis Trerassh, cnfin Chiliin TricmsinoTvm sous Jules Cesar, Troyes etait dans I'antiquit^ la capilale des Tricasses. Ce peuple, dans la division romaine des Gaules, fit partic tour a tour de la Celtique, puis de la dcuxieme et de la cinqui^me Lyon- naise ; sous les Francs, il composa la Champagne, ainsi nommee de ses vastes plaines. Ce nom de Trccnssis ou de Treca, d'oii on a fait Troyes, remonte, s'il faut en croire certains etymologistes hasardeux, a une colonie de Troyens ; selon d'autres savants, k I'existence de trois chMeaux anciens, dont le principal etait celui des com- tes; le deu.xieme s'elevait derriere le couvent des Corde- liers; le troisicme, ruine par un incendie en 15S4, ^tait situe entre Saint-Nicolas et I'ancienne porte du Beffroi. C'est \h que I'empereur Louis le Bfegue traita le pape Jean VIII, apres avoir recu de ses mains la couronne im- periale, au concile qui se tint dans la cathedrale de Troyes. Tons ces chateaux etaient reliiSs les uns aux autres par une suite de remparts avec bastions, etde forts tres-rap- prochfe. On attribue une origine antique k ces fortifica- tions, comme I'attestent les noms de Tours de Paris dUeelor et d'Andromaque, de Porle de Jules-Cesar, qui leur furent donnes sous Francois I", quand elles fu- rent reconstruites ou ri^parcps dans I'intention de repous- ser I'invasion menacante de Charles-Quint. Ces denomi- nations, tout a fait dans le goiit de la renaissance, mon- trent que les beaux esprils du temps aimaient k rappeler la parente fabuleuse de la capitale de la Champagne; cela etait conforme d'aiUeursau gout gfeeral de la nation qui faisait remonter son origine a Francus ou Francion, fils d'llector. D^s le cinquiime sitele, Troyes joue un grand role dans I'histoire. En 431, Atlila se trouve en face de ses murs, apres avoir ravage la Bourgogne. Saint Loup, eveque de cetle ville, voulant la sauver, va au-devant du barbare avec tout son clerge. On arrive au camp ennemi ; tout k coup le cheval d'un chef des Huns, effraye par les rayons lumineux du soleil que rellelent les habits pontificaux de r^veque et les ornements sacres qu'on avait apportesen grand nombre, se cabre et se renvcrse sur son maitre qu'il ecrase dans sa chule. Furieux de celt« catastrophe, Attila allait ordpnner le massacre de la deputation, quand un sentiment soudainde respect lesaisit:il promitasaint Loup d'epargner la ville, qu'il visita seulement comme ami ; puis il descendit le tleuvejusqu'k M^ry et Pont-sur- Seine. Plus sauvages que les Hung, les Normands ravagererit Troyes au neuvifeme siecle. En 1228, Thibaut, comte de Champagne, y soutint un siege contre les barons qui voulaient ravir la r^gence i Blanche de Caslille, dont il etait le courrois chevalier. Saint Louis vint h son secours, et fit en cette occasion ses premieres armes. En 1415, Troyes fut prise par lo due de Bourgogne, et reprise, treize ans apres, par Charles VII et Jeanne d'Arc. Sous le regne et par les ordres d'Isabeau de BaviJre, ie parlcment y fut transfere, en 1420; ce fut li que cette reinemaria sa fiUe Catherine a Henri, roi d'Anglelerre apres le traite infame qui livrait la France aux Anglais. Charles VIH, Ji son depart pour lllalie qu'il allait con- querir, fit k Troyes une enlrtesolennelle. Sous Charles IX, 1*4 , PETITS la Saint-BartWlemi y laissa des traces cruelles. Enfin Napoleon y etublit h trois reprises son quartier general et le centre des operations par Icsquelles il repoussait I'invasion des coalises. Attila et Napoleon sont le premier et le dernier de ces personnages fameux dont nous ve- nons de donner la liste et dont I'liisloire vient se lier a celle de la cite Cliampcnoise. ATroyes, deux choses sont dignes d'observation : d'a- bord c'est la singularite remarquaUe d'une ville Mlie au milieu deseaux et qui n'd pas une seule fontaine, les liabi- VOYAGES tants pr^ferant I'eau de puits a celle de la Seine, pourtant plus salubre, et qui leur epargnerait les fievrcs dont ils sont atteints. Ensuite c'est la frequence des incendies; il n'y a pas de ville en France qui ait passe plus souvent par I'epreuve du feu : en 1188 et en 1524, elle a cle brOlee. Leolocher de la cathedrale a ete foudroye buit fois et chaque annee la ville estravagee par les flammcs. lleu- reusement que le nombre des pompiers y est considerable et leur zele excessif. Jadis la Seine etait navigable h la hauteur de Troyes ; Vue de Troyes. ••elle ne jouit plus de cet avantage a cause des nombreu- ses tranchees qui arrosent la ville et y alimentent une foule d'usines. Depuis quelques annees Troyes possede un canal qui sert h la navigation depuis Marcilly et est d'un prix inappreciable pour le commerce et la richesse de la tasse Champagne; la contrfe a maintenant un aspect ani- me qui n'attriste plus le voyageur quand il suit la vallee de la Seine depuis Troyes jusqu'a Mery. La se trouve un petit port qui donne au paysage du mouvement et de ■la vie. On y apercoit tres-souvent une barque de p6- cheurs ou une legfere nacelle, chargee de promeneurs, dont I'aspect rejouit le regard qu'attristaient autrefois des prairies monotones el des iles marecageuses. De nombreux canaux de derivation penetrent de toutes parts, nous I'avons dit, dans la ville de Troyes; ilssereu- ■nissent aprfes la porle du faubourg Saint-Jacques, nom- raee aussi porte de Jules-Cesar. Mais ils se divisent en line foule d'autres ramifications auxquelles se rattache le bras qui s'est ^loigne de la ville et s'est grossi, en se de- tournant, des eaux de la petite riviere de la Barse, dont la source se trouve sous le chSteau de Vendoeuvre. Parmi ces bras, les principaux ont des noms particuliers. Dans la ville il y a le grand et le petit rii, nom gencrique des ruisseaux dans la Champagne et la Brie. Bur la rive droile de la Seine, au-dessous de Troyes, la Melda va arroser Sainte-Maure, Saint-Benoit et Villecerf, prend a Chauchi- gny le nom de Noue-des-Rondes et s'eoarte d'une demi- lieue du fieuve. La Seine laisse echapper, dans tous les sens, une foule de courants qui ferment un long archipel et arrosent un grand nombre de villages, dont le plus impor- tant possede au plus quelques centaines de chaumieres d'un aspect cbetif et pauvre, sale et repoussant. C'est qu'on ne possede dans celte localite aucune es- pece de bois de charpente, ces materiaux ne sont abon- dants qu'a I'extremile sud du deparlement de I'Aube. Ou en est reduit h construire les maisons avec des carreaux de terra preparfe k I'avance et durcis ii I'air, que Ton as- seoit sur une maconnerie de blocailles ou de craie ^levee d'un pied au-dessus du sol. Des lors ces cabanes peuvent s'enlever facilement de leurs bases et deviennent pour ainsi dire transportables. Aussi un plaisant proposait-il la formation d'une compagnie pour monter i Troyes une fabrique et un entrepot de maisons ; de cette fafon cha- que habitant pouvait choisir sa demeure et se la faire expedier ii domicile. En tout cas les possesseurs de ces maisons auraient el6 forces de renouveler souvent leurs achats, car, en depit des precautions prises contre les invasions du fleuve, et I'attention que Ion a de ne con- struire les fondations qu'avec la craie la plus dure et la plus solide, les pluies et les inondations ont min^ bien vite les constructions les mieux faites en apparence, et celles qui durent une centaine d'annees sont consider&.s comme de respectables reliques. A gauche de la Seine, entre le fleuve et la route de SUR LES RIVIERES DE FRANCE. 1-4j Paris qui coloie la vallee et s'eleve sur le haul des colli- nes en commandant la plaine, coulent plusieurs petits ruisseaux, et se trouvent des etangs parmi lesquels on remarque celui de Megrigny. En cet endroit le fleuve concentre ses eaux, son lit devient plus large, plus pro- fond; il entreenfin a Mery pour y devenir navigable, en \erlu dune ordonnance royale. Mais les bateaux ne re- montent la Seine jusqu'a Mery que dans la saison des hautes eaux. Mery, chef-lieu de canton, est d'un agr^able aspect ; son petit port a du mouvement, il est le premier qui ait elk ouvert a la navigation sur la Seine-, on y em- barque les produits qui arrivent de toys les points du departement de I'Aube. Dans la ville on ne remarque guere qu'un pit^ de maisons qui, sans ^tre mieux con- struites, sont cependant plus neuves et plus propres que les maisons de Troves; ceci est le resultat du dtsastre qu'eprouva cette ville au mois de fevrier 1814. Bliicher et ses Prussiens avaient ete battus a cette ^poque par les Francais dans les plaines de Mery. Furieux de sa defaite, Bliicher jura de s'en venger : il mit le feu a la ville et ne laissa pas une seule de ses maisons debout. La grande route de Paris passe assez loin de Mery et s'eloigne encore, au dela de cette ville, de Romilly el de Pont-sur-Seine. Elle eilt traverse cesdeux cites si Ton n'eut consults pour cela que I'interSt des habitants et la curio- site des voyageurs ; mais les inondations eussent rendu la route impraticable pendant I'hiver. Aux environs de Me- ry sont des pepini^res nlagnifiques; on y eleve les abeilles avec succes. Le terrain commence a devenir meiUeur, on s'apercoit que le plateau fertile de la Brie n'est pas loin. Le bassin de la Seine, plus clendu, s'elargit et s'entoure d'epaisses moissons reservecs il la capitale. La p6che y est aussi plus abondante, on y trouve tons les poissons d'eau douce, jusqu'a latruite. A la sortie de M^ry, la Seine se dirige directement VllC dc Culllljtli. Test i I'ouest ; elle evite d'entrer dans le departement de la Marne, le c6toie seulement un pen sur la droite et de- tache le canal Sauvage, celui des moulins et d'aulres bras qui s'avancent au-devant de I'Aube pour la recevoir. Le terrain, incline, enlraine I'Aube qui va se jeter dans la Seine a I'extremite sud du departement de la Marne, pres de Saron et de Marcilly ; c'est co que disent les paysans de la contree dans une de ces phrases rim^es qui seni- blent avoir inspire au pere Huffier sa gtographie tech- nique : Sotre Marcilly et Saron Le fleuTe d'Aube perd son nom. L Aube a eu jusqu'ici un cours beaucoup plus etendu que celui de la Seine, et depuis longtemps s'est trouvee navigable ; aussi a-t-elle pu, en raison de son importance, donner son nom i un departement. Mais elle se reunit II. d'une maniere trop ^videnle h la .Seine pour qu'on hesite a croire que ce soil elle qui doive perdre et son nom m4me et son existence. Tout en recevant I'Aube a Marcilly par I'lnterm^diaire de ses canaux, le bras principal du fleuve court toujour^ en appuyant sur la gauche, et laisse echapper'plusieurs au- tres ramifications qui se rejoignent a I'un de ces nombreux confluents dont la conlr^e est parsemee. Romilly, bourg important, s'etend sur la rive gauche dans la longueur d'une lieue. La principale source de sa richesse et la plus imporlante branche de son commerce consistent dans la fabrication des aiguilles et dela bonneterie. Son chateau, vraiment remarquable, est entoure de beaux peupliers et possede un pare coupe par des canaux richement umbra- ges. Un riche banquier en est le proprietaire. La Seine se dirige ensuite vers I'abbaye de Selliferes, oil les cendres de Voltaire furent Iransportees en 1778 10 146 ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE. par les soins de M. Mignot, son neveu, alors abb(5 du lieu. Treize ans apres, I'asscmblee nationale, jalouse de possdder les restes du philosoplie, los fit exhumer et transporter k Paris au Panthion. A. L. Raveiioie. ESQUISSES DE LA VIE FLAMAPE. CHAPITRE III. 5ni VEDT TROP S'BLGVEB , TOMBB SODVENT BIEU BAS . (Suite.) tin sourire de gratitude eclaira la physionomie sou- cieuse du cordonnier, qui s'^cria en levaut les yeux au ciel : « Je dois remercier Dieu de m'avoir inspire la pensee de venir chercher aupres de vous , \'an Roosmael , ma derniere consolation ! Vojci le seul moment heureux dont j'aie joui depuis plus d'un an... Que Dieu vous recom- pense, ami, de me I'avoir procure I Mais ecoutez-moi at- tenlivement, et vous reconniitrez qu'il est impossible de soulager les maux qui m'.ii cablent, autrement que par une affectueuse compassion ! Vous savez ddija quelle Strange folie me saisit tout a coup ct me poussa a vouloir copier les manieres frangaises. En renoncanl ainsi aux coutumes de mon pays pour cellos de contrees elran- geres, j'ai hasarde les benefices certains do ma premifere Industrie contre des apparences trompeuses. Le proverbe qui dit : • micux vaut tin oiseau dans la main que deux dans le buisson » est une verite irrecusable... Que n'en ai-je ete convaincu plus tot! Maisle plus grand mal dans tout cela, c'est que mes propres enfan(« ont partag^mon erreur et suce le poison d'une education vicieuse. Ce fut la principale source de mon extreme misere. Si je n'avais pas mis ma fille dans un pensionnat fran^ais, je serais en- core mailre Spinael... Mais que vois-je? Van Roosmael, TOuspMissezl... vous tremblez! — Nevous preoccufez pasdemoi... continuez, je vous prie... Je pensais a Siska, qui est aussi dans une institu- tion francaise. — Rappclez-la, Van Roosmael... rappelez-la! A peine pourrez-vous la reconnaitre maintenant! — Peut-Stre avez-vous raison , men ami ; mais de grace, conlinuez! Je suis impatient de savoir si je puis vousserviren quelqvie chose. -*-Ehbien! dono,Van Roosmael, lorsque le danger, au- devanl duquel j'avais aveuglement couru, fut si proclie de moi, queje ne pouvais faire autrement que del'aper- cevoir, il me restait encore asscz de bou sens pour que je fusse capable d'esquiver une ruine totale. Mais I'edu- catioii (i la (ranfaisc qu'avaient recue mes enfants, ayant etouffe dans leur cccur tout sentiment filial, ils dovinrent bientdt les maitres dans ma marson, et moi, je fus leur serviteur. .. Ils ont joue, danse, festoyij, jusqu'i ce qu'il ne me resist absolument rien , et alors ils ont continue leur vie de plaieirs, contracte des dettes, vendu mes biens et mes meubles. Pour mettre le conible Ji leurs affreux precedes, ils ontalTecte de me regaider comme un imbe- cile et se sont railles de moi quand j'ai essay6 de les raji- peler a leur devoir. Enfin, Van Roosmael, ils m'ont si indignement traite que jp suis tombe malade... Alors, ils m'ont abandonne k mon niallieureux sort, comme s'ils eussent voulu hJterma mort par I'horreur de I'isolement oil ils me lalssaient. A cet endruit de son recit I'artisan se tut; sa voix, en prononcant la derniere phrase que nous venons de rap- porler.avaifprisdesintonationssourdesqui trahissaient la souffrance morale que hii causait le .souvenir de la con- duitedenatureedeses enfants. Son ami, lui aussi, demeura silencieux... II etait comme atterr^ par cette triste reve- lation. Cependant, apres une pause de quelques minutes, Spinael rcprit : « Et maintenant, ma maison est entlerement vide... lis ontemporte toutce qu'elle contenait, tout jusqu'ii la cou- verturede mon lit. Ma fille 1 quej'aimaissi tendreraent et qu'en d^pit de sa coupable conduite, j'aime toujours, ma Therftse est allte vivre a Bruxelles ! Mon fils John , voire filleul, est rctourne a Paris... Et a mon tour, je vous le r^pete, ami Van Roosmael , je dois quitter Anvers, ou chaque visage en face duquel je me trouve, me semble devoir elre celui d'un creancierprfit k m'ap- peler fripon ou mendiant. Avec la pauvrete, mes sen- timents d'honneur me sont revenus... Je ne saurais continuer de vivre ainsi... Et pourlant comment ame- liorerai-je ma situation?... Personne ne voudra m'em- ployer ; aucuii maitre cordonnier ne me prendra comme simple ouvrier. Je n'ai plus d'babita propres pour me v^tir, ni de couverture pour me garantir du froid dans mon lit. II ne me reste plus d'argent pour me nourrir et la chambre que j'occupais est loute a un etranger... il faut quejelaquittc;apres-demain...hyas! Van Roosmael, j'ai voulu prendre un essor trop eleve etje suis tombe bien has, comme vous voyez. » L'epicier avail ecoutS, la larme ^ I'fleil, I'histoire de son ancien ami ; et quand ce dernier se tut pour la seconde fois, il lui dit d'un (on fache : « Spinael, je ne comprends pas pourquoi vous me cachez ce que je suis le plus curieux de savoir. Vous pretendez qu'il faut que vous quittiez le pays... Je n'eu vols pas dutout la neoessite. Un veritable ami peut faire beaucoup, lorsqu'il en a In ferme volonle. Apprenez-moi done le chiffre auquel montent vos delles. — Je devine! s'ecria I'artisan, pen6tre d'admiration et de reconnaissance, je devine vos intentions charitables... Mais je n'accepterai pas le sacrifice que vous meditez. Je suis assez heureux d'avoir trouve un honnSte homme qui ne me regarde pas comme indigne de sa sympathie et de son assistance. Separons-nous, Van Roosemael. Je tra- vaillerai desormais sans relache, et si je ne rfeussis pas cL payer toutes mes dettes avant de mourir, ce ne sera pas du moins la bonne volonte qui m'aura manque. Donnez- I ESQUISSES DE LA moi votiemain, monbonami,en signe de parfaite recon- ciliation et de consolant adieu, et priez quelquafois pour raes enfants! • Ed voyant Spinael a'opiniatrer ainsi dans sa resolution, r^picier parul renoncer a son projet. 11 quitla soa siei^e en disant : « Je no puis vous Corcer a accepter mon assistance... Mais vous ne refuserez pas, j'espere, de prendre un verre de vin avec moi avaut ,de vuus en alter. J'ai encore dans ma cave une bonne bouteiUe qui dale de I'annee de la comete. Rasseyez-vous done, Spinael, et ne perdez pas courage, je vous le repete encore une tois. Le malheur ne vient toujoursquc trop vite, niais souvent aussi la fortune arrive inopiaement. » Ea aclievant ces mots, Van Roosmael sortit de la chambre et descendit dans sa cave. Lorsqu'il reparut, peu d'instaats apres, dans I'arriere-boutique, il tenait, outre la fameuse bouteille de vin de la comete, deux gobelets qu'il posa sur la table et emplit jusqu'au bord, en s'e- criant : « Aliens Spinael, puisqu'il faut absolument que nous nous separions, buvons h. votre sante et a votre bonne chance! Et,ajouta-t-il, apres que lecordounier eut, k son exemple, avale le coutenu de son verre, puisque vous ne Koulez en aucune manitjre accepter mes services, vous pouvez bien au moins me dire ii combien se montent vos dettes, et de quelle facon vous comptez vous y prendre pour les acquitter. Le travail manuel ne rapporte pas beaucoup, ainsi que vousle savez vous-meme, et si vous n'yjoignez quelque petit negoce, vous parviendrez diffi- cilement a amasser une somme suffisante pour vous liqui- der. — Cela n'est que trop vrai, dit Spinael avec un soupir. Mais pour la satisfaction de ma conscience, j'economise- rai sur mon pain quotidien, pour payer, chaque annee, une partie de mes dettes ; et, qui sait? si Dieu m'accorde une longue vie, peut-Mre r^ussirai-je a m'acquitter en- tiereraent envers mes cr^anciers, car enfin il n'est pas im- possible d'epargner, je suppose en vingt annfe, une somme de six cents florins. _ — Six cents florins, repela le boutiquier. Des flprins de Hollande? — Non, de Brabant. Je devais beaucoup plus que cela ; mais lors dela rente de ma maison, ceux de mes crten- ViE FLAMANDE. 447 ciers qui avaient pris leurs hypotht;ques sur cette pro- priete ont ete soldes. — Ab!.. Au reste .«ix cents florins de Brabant, ce n'est pas une enorme somme. Allons, Spinael, buvons ua autre verre de vin. Comme vous le disiez tout a I'heure, il n'est nullement impossible de metlre de cote une sem- blable somme.... Quant i vos enfants, il faut esperer qu'ils se reformeront... Nous avons ete jeunes, nous aussi Spinael, et . I'on ne pent placer une vieille tele sur de jeunes epaules, • dit le proverbe. Mais je m'apcrcois que nous n'avons rien i melt:resous la dent, en de^ustant notre vin... Altendez-moi une minute, je vais chercher quel- ques bi.scoltes. » ■V'an Roosmael, cesta absent beaucoup plus longtemps qu'il n'etait necessaire pour s'acquitter de la commission qu'il venait de se donner a lu!-m^me. Quand il rentra, il tenait elTectivement une assiette deljiscottes, qu'il posa sur la table avec une distraction visible; apres quoi, se tournant vers le cordonnier, il lui dit d'un ton serieux : • Spinael, votre pere etait le meilleur ami ot le plus proche voisindu mien, nous avons grandi, vous et moi a cote I'un de I'autre, nous avons joue ensemble, et nous avons ete inseparables, non moins que si nous eussions ete treres, jusqu'a I'Sge de quatorze ans. Vous n'avez jamais ete mon ennemi, autrement vous ne m'eussiez pas aujourd'buiconfie vos peines ; moi, jesnis toujours reste votre ami, et la preuve c'est que le recit de vos chagrins m'a arrache des larmes; je pense done avoir le droit de vous assister dans votre detresse et de vous prater au moins un peu d'argpnt pour le voyage que vous allcz entreprendre. Toutefois, ■ comme les bons Gomptes font les bons amis, je vous demanderai de me donner un recu de la petite somme que je vais vous ; remettre : vtiyez, il est tout pret ; signez-le sans le lire ; c'est une marque de confiance que j'ose atlendre de monmeilleur ami, et qui m'epargnera toutenouvelleobjec- tion de votre part a ce prSt indispensable;, car vous ne pouvez reellement vous mettre en route avec huit ou dii florins que vous avez peut-^lre dans votre poche... Toujours est-il que je ne le .souffriroi pas. i> Spinael. qui ne possedait pas seulement un cens, fut interieurement charme de celte offre genereuse ; il serra la main de I'epicier, prit la plume et signa. A peine eut-il acheve d'ecrire son nom au has du papier que lui avail presente Van Roosmael, que celui-ci s'ea empara. Puis elevant sou verre, il s'ecria gaiement : • A vos succes dans notre chere patrie, ami! et a la prosperite de votre nouvelle boutique '. Allons, repondez done k ce vceu sincere, et ne me regardez pas de cet air effare... Spinael, mon ami, il faut en prendre votre parti ; vous ^tes attrap^, attrape, attrape ! Hourab! hourah ! — Je ne comprends pasc&q,ue vous voulez dire, mur- mura I'artisan, stupefait de cet acces dhilarite. Cepen- dant vous riez de si bon coeur, que je ne puis faire autre- ment quede me rejouir aveo vous. Maisvoyons.dites-moi, qu'y a-l-il,? — Ce qu'il y a? Regardez le recu que vous venez de me donner. • Ell parlant ainsi, le boutiquier, tout en tenant le papier a quelque distance de Spinael, lui montrait du doigt la ligne oil etait ecrit en gros caractere le nombre • niille. • « Mille florins! s'ecria Spinael en essayant de saisir le papier, ce k quoi il ne put reussir. 148 ESQUISSES DE LA — Oui vraimentlreprilVanRodsmaeltl'un air de triom- phe, oui vraiment, mille llorins, et les voici! ajouta-l-il en jetant siir la table quelques leltres de change, et un sac d'argent. — Jenelos prcndrai pas! ditle cordonnier en pleurant d'emotlon. Je ne les prendrai pas ! vous pourriez croire que tel etait le but secret de ma visile. — Cepcndant, objecta I'epicier, vous ne ferez pas la sottise de me laisser I'argent dont vous m'avez donn6 le recu... Je vous enprie, Spinael, causons serieusement et raisonnablement. Ecoutez : je suis riche ; Siska, mon unique enfant, ne connaitra jamais lo besoia, ou ce sera assurement sa faute. Notre commerce nous rapporte an- nuellement plusieurs milliers de florins ; outre cela nous avons le revenu de nos proprietes... Qu'est-ce done pour nous, je vous le demande a vous-m4me, la petite somme que vous vous obstinez a refuser? Une bagatelle. Nous voila d'accord lii-dessus, n'est-ce pas? A present, com- prenez bien la marche que vous allez suivre. Vous satis- faites immediatement vos cr^anciers. Ce sont autant d'ennemis que vous aviez et qui deviennent vos amis. 3'ai une petite maison en ce moment inoccupee, oil vous allez vous etablir, vous achetcz une provision de cuirs; vous engagez des ouvriers ; je vous aiderai jusqu'a ce que votre travail suffise a vos depenses. Au-dessus de votre boutique, ferivezsimplenient : — Jean Spinael, cordon- nier. Confectionnez des chaussuressoiides ; je vous recom- raanderai a toules mes pratiques, et comme il n'y a point sur le recu que vous avez signe, d'epoque fixe pour le remboursement du pret que je vous fais, vous I'efl'ectue- rez k votre aise. Si.ensuite, les lecons de I'adversit^ ren- dent vos enfants plus sages et ouvrent leur coeur au re- pentir, ils viendront, de leur propre mouvemeni, implorer votre pardon. Et maintenant, ami Spinael, procurei-vous des habits simples mais propres, car dimanche prochain, apres vfepres, nous irons ensemble au pent de pierre, boire une bouteillede forte biere et jouer aux carles une beure ou deux. VIE FLAMANDE. — Ne m'offensez point par votre hfeilation prolong^e, repliqua Van Roosmael. Soyez persuade que la joie que j'eprouve aujourd'hui en me voyant en elat de vousren- dre service est bien sup^rieure a celle que me causerait un benefice de dix mille florins. Embrassons-nous, Spi- nael, et demeurons toujours amis. » Les deux hommes se precipiterent dans les bras I'un de I'autre, sans prononcer un mot. Leur extreme Amotion les privaitmomenlanement de I'usage de la parole. Enfin Van Roosmael, ayant recouvr(5 Ig calme qui lui etait ha- bituel, reprit : • Vous me ferez plasir, Spinael, de ne point parler de celte petite affaire a madame Van Roosmael; sansdoute, les femmes'sont, elles aussi, obligeantes, meme g^nereuses, mais a leur maniSre etsuivant leur fantaisie, el rarement permellent-ellcs a leurs maris de I'etre selon leursidees... Et permettez-moi de vous donner encore un autre avis... Gardez-vousM'avenirdesjeunes gentUshommes francais I — N'ayez point de crainte sur ce chapitre, mon bon ami. Je connais ces oiseaux-lii... et dorenavant si un Francais me commande une paire de souliers, je refuserai de la faire. — Arretez Spinael ; ne vous jetez pas toujours dans les extremes : les Francais, commercanls ou bourgeois qui se sont fixes dans noire bonne ville d'Anvers, sont, a ma connaissance, de Ires-honnetes gens, et je comple m6me plusieurs d'entre eux parmi mes meilleures pratiques. Aliens, mon ami, metlez dans votre poche votre argent et vos billets, et venez aveo moi visiter voire nouveau logement. » Peu de jours apres celui oil avail eu lieu celte scene touchante, Spinael prit possession de la maison que lui avail louee Van Roosmael. Deja la nouvelle boutique du cordonnier toil bien approvisionnee de cuir et bien gar- nie de souliers. Deux ouvriers compagnons travaillaient, a.ssisi cotedu maitre. En quelques mois, Spinael parvint ;i se faire une bonne clientele, grice aux pressanles re- commandations de Van Roosmael, et aussi k I'excellenle qualile des chaussures qu'il confeclionnait. Tous les di- manches, les deux amis allaicnt npres les offices se pro- mener jusqu'au pont de pierre; la ils buvaient ensemble une bouteille de biere, el dans la soiree, ils faisaient leur parlie de cartes, soil dans un cafe, soil dans leur propre ' logis. En un mot, ils avaientrepris toules leurs anciennes habitudes, et sans la deplorable conduile des enfants de Spinael, ilsne se seraient souvenus du passe que pour se r^jouir doublement de leur bonheur actuel. — Dois-je profiler de sa g^nereuse bonte ? disait Spi nael en se parlant a lui-meme. LE CHEVAL. 149 eiSTOlRE NATURELLE. I.E CHEVAI.. On ne saurait ecrire une histoire complete ou abre- gie du cheval sans la faire preceder du magnifique exorde de Buifon dans la description de cet utile et brillant qiiadrup&de. . La plus noble con- . quete que I'liomme ait • jamais faite est celle de - ce fier et fougueux ani- • mal qui partage avec lui . les fatigues de la guerre « el la gloire des combats .- aussi intrepideque son maitre, le cheval voitleperd et TafTronte ; il se fait au bruit des armes, il I'aime, 11 le cherche et s'anime de la m^me ardeur ; il partage aussi ses plaisirs, ii la cliasse, aux tournois, a la course, il ; brille, il etincelle; mais docile autant que courageus il ne se laisse point emporter a son feu, il salt reprimer ses mouvements; non-seulement il ilechit sous la main « de celui qui le guide, mais il semble consulter ses de- . sirs, et obeissant loujours aux impressions qu'il en re- « coit, il se prteipite, se niodere ou s'arr^te, et n'agit que « poury satisfaire; c'est une creature qui renonce Ji son « fitre pour n'existcr que par la volonte d'un autre, qui « sail mime la prevenir, qui par la promptitude et la pre- " cisionde ses mouvements I'exprimeet I'execute, qui sent • autant qu'on le desire et ne rend qu'autant qu'on f eul, « qui solivrantsans reserve, ne se refuse a rien, sert de « toutes ses forces, s'excede et meme meurt pour mieux « obeir. ■ A ces qualites brillantes developpees avec tant de charme par le celebre naturaliste se joignent d'autres avan- tages qui frappent moins les yeux et qui ont un haut de- gre d'utilite. Le cheval de labour, celui qui traine nos diligences ou les lourdes voitures de roulage, ont des qualites moins eclatantes, il est vrai, mais lis possedent une graade force musculaire, une grande patience a supporter les plus rudes travaux et le plus vifatlachement pour leur maitre. On voit souvent, dans les campagnes, ces colosses de Tespeoe obeir, avec une docilile parfaite, a un enfant qui les guide. C'est un veritable triomphe de la force de rintellisence dominant celle de la matiere. Le cheval, comme tous jes animaux les plus utiles a homme, est naturellement doux et dispose a vivre en socltSte avec lui ; on le dresse facilement a tous les usages, ses qualites naturelles se perfectionnent par I'educalion ef il accepte avec plaisir I'autorite d'un maitre, orsqu'il trouve en lui douceur et protection. ^°* LE CHEVAL. II est tres-rare qu'un clieval .ibandonne a lui-meme nc revienne pas a la niaison dhatiilation ; il y trouve, il est vrai, la nourriture et le couvert ; mais ne trouverait-il pas I'un et I'aulre dans hi profondeur des forels s'il s'y jelait? II y a dans ce seul fait plus que de I'instinct, plus que de Thabitudo, il y a de ratlachement pour le lieu et les personnes. Depuis les temps primitifs il y a eii des chevaux dans presque toutes les contrees de I'ancien monde et sous toules les latitudes; il semlile que la Providence, consi- deranl son uliliK; pour les elablissements des bommes. I'ait multiplie a dessein sur la surface du globe, ainsi que I'es- pece canine que Ton rencontre du pole nord au pole sud avec des qualiles et des instincts appropries a tous nos besoins. Cependanllecontinontamcricain,dont les savanessont peupleesaujourd'hui declievauxsauvages, n'en possedait pas lorsque les Espagnols en firent la facile conquete. Les anteurs de cette epoque pei^nent en couleurs energiques Tetrroi dont furent frappes les Piiruviens et les Mexicains lorsqu'ils -virent les cavaliers espagnols montes sur ce qu'ils prenaient pour des monstres, s'elancer dans leurs rangs presses. Les amies ii feu, ce tonnerre de I'bomme blanc, ne produisirent pas un ctfet plus terrible sur ces inofTensives populations, que leschevaux ardents etrapides qui etaient a leurs yeux les ministres des divinites infer- nales. On comprend facilement par la terreur que cau- saient cesetres surnaturels quels durent otre les massacres qui signalerent les premiers pas des Europeens en Ame • rique. Maintenant les chevaux s'y sent tellement multiplies qu'ilsyvivental'etatsauvageet par troupes innombrables dans les vastcs pampas et les forets encore incxplorees. BufTon se plaint des effets de la servitude sur les che- vaux qui non-seulcmerit y perdent une partie de leur fierte, mais ont la bouche deformee par le mors et sont quelquefois blesses par les hariiachements qu'onleur im- pose; malbeureusemenl ilcst impossible de les dompler, de les guider, d'en tirer les boiis services qu'on en exige sans employer ces moyens. Le cheval sauvage peut avoir quelque chose de plus fier, mais aussi plus farouche que le cheval prive, traile dansde bonnes conditions; mais il n'en possede ni la grilce, ni I'elegance, car le basard seul preside a sa reproduction. Be tous les animaux, le cheval bien conforme est celui qui olTre les proportions les plus parfaites, sa laiUc est elevee, il n'a nila courte grosseur da bcEuf, ni la grosse tete de I'ftnc ; tout indique chez lui I'agilite ainsi que la vigueur : il a la tete haute, I'oeil intelligent et vif, desoredles petites et mobiles qui ajou- tent une nouvclle expression ;\ sa physionomie; une longue criniere orne son cuu ; sa queue trainaiite et touffue est un utile et magnifique ornemcnt. C'est au mouvement des orcilles d'un ctieval que Ton peut juger le plus surement des sentiments qui I'animent ou des passions qui I'agitent. Lorsqu'il marche, surtout avec rapidite, ses oreilles se tournent en avant comme pour percevoir les sons et pressentir ce qu'il doitrencon- trer; dans la colere il porte les oreilles en arriere, en- semble ou allernativemcnt; lorsqu'il est fatigue, les oreilles s'abaissent. Lorsqu'un cheval eprouve quelque forte passion, quel- que dosir violent, il raontre quelque fois les dents, sur- tout quand la colere I'anime etqu'ilalavolonte demordre. M. de Buffon dit'que le cheval a cinq sortes de hennis- sements diU'erenls, relatifs 5 differentes passions : I'alle- gresse, I'amour ou I'atlachement, la colere, la crainte et la douleur : il fait remarquer aussi, que les chevaux qui hennissent leplus'souvent, surtout d'allegresse etdedesir, sont les meiUeurs et les plus genereux. Les chevaux dorment peu, quatre a cinq heures de sommeil leur suffisent; encore apres etre restes deux heures couches, se relevent-ils pour manger. Quoique le cheval soil d'un naturel tres-donx, il est ce- pendant sensible a ['outrage et s'il supporle longtemps des mauvais traitements injustes, il n'en conserve pas mains le souvenir, etil se venge crucUement lorsqu'il en trouve I'occasion fa\orable. C'est une des preuves les plus pe- remptoires de son intelligence; car s'ilaccepte une tSche jusle et modcree, il ne supporte pas passivemcnt une in- justice reitcree. Nous voyons chaque jour un cheval atlele b une char- relte lourdcment chargee faire tous ses efforts pour la faire mardier, il ne s'arretc epuise et harasse que lors- qu'il a reconnu I'impossiblite absolue d'avancer, muette protestation centre la cruaute interessee dtson maitre ; et presque toujours le charretier, plus brute que son cheval, au lieu de comprendre la lecon, jure, crie, frappe cruel- lement la pauvre bete et donne k la foule assemblee le hideux spectacle de la force brutale venant en aide a la slupidite. Comment serait-on etonneaprescela si le cheval ainsi mallraite se venge de son bourreau? Et c'est a Pa- rissurtout, dans la capitale du monde civilis^, que les charretiers et les rochers offrent sans cesse aux regards ce hideux et degradant spectacle, que Tautorite pourrait faire cesser. Une qualite que les chevaux possedent. c'est d'^lre sensibles aux eharmes de la musique. Les chevaux aiment le son de la trompette, elle les anime, les excite et les pousse en avant en leur communiquant une ardeurnou- velle; on voit dans les cirques oil se font des exercices equestres, des chevaux qui marchent et evoluent en me- sure; la main qui les guide y est sans doute pour quel- que chose, mais le sentiment musical ne doit pas y 6tre etranger. II existe une loi k peuprfes generaleparmi les animaux, c'est qu'ils peuvent vivre six ou sept fois le temps qu'ils mettent a 'Operer leur croissance; celle du cheval s'efTec- luant en qua:tre ans, il vit ordinairement de vingt-cinq a t rente ans. La cannaissance de I'Sge d'un cheval est une chose tres-importante . mais des plus difCciles a acquerir, et qui exige une assez grande habitude, par suite des ruses sans nombres dont se servent les niaquignons pourdissi- nuiler tous les vices et les d^fauls des chevaux qu'ils menent en foire. Les salieres du cheval se creusent lors- qu'il vieillit, mais .c'est un indice insuffisant; on arrive plus positivement h la counaissance de son age par I'in- spection des denls. II en a quarante : viagt-quatre iiiSi- chelieres, quatre canines et douze incisives; les juments n'ont pas de denls canines ou les ont tres-courtes. On juge de I'iige en examinant avec attention les incisdves et les canines qui sont plus ou moins usees , le palais dont les rides s'effacent, et les sourcils dont les poils blan- chissent avec le temps. Herodole, Pline et d'autres anciens auteurs parlent des nombreuses troupes de chevaux qui vivaient en pleijio LE CHEVAL. liberie dans plusieurs contrees de I'Europe et de I'Asie oil il n'y ani tigres, ni lions, ni carnassiers assez forts pour les meltre h morl et s'en repaitre. Les loups sans doute et les ours pouvalent bien saisir de jeunes poulains, mais ils y regardaient a deux fois avant que d'attaquer un clieval sauvage, \if, ardent, impctueux et tres-capable de se defendre. D'ailleurs ces animaux ■vivaient alors en societe, comme ils le font aujourd'liui lorsqu'ils sont a I'etat de liberie, et ils savaient parfaitement bien s'entre- secourir. En Ukraine et cbez les Cosaques du Don, ainsi que dans les plaines de la Tartaric , on voit de tres-nombreuses troupes de chevaux sauvages qui vivent ets'ebattent dans des prairies sans bornes. A en juger par ceux que nion- tent les cosaques russes, ces chevaux sont pelits , laidg, mais ardents, infatigables el sobres. lis paraissent ^Ire doues d'une intelligence tres-developpee , marchant en troupes, et reconnaissant entre eux la supreniatie d'un chef, qui est ordinairenient le plus vigoureux ; ceclief com- ISI mande une troupe qu'il dirige et guide avec soin, et qui lui obeit avec docilite. Ce que Ton en raconte ne parait pas improbable, quand on songe a la societi- des castors et des abeilles, ou a rintelligence du chien de berger, animaux qui ne sont pas plus eleves que le cheval dans reehelle des 4tres. En general les chevaux recherchent la society. Lors- qu'ils ont cesse de paitre dans les champs, ils se rassem- blent volontiers en groupes, en attendant I'heure de ren- trcri la ferme. Les jeunes chevaux aiment a courir, a bondir sur la pelouse, mais ils s'eloignenl peu de leurs 'meres, qui sui- vent du regard leurs ebats , et dont ils comprennent que la protection leur est indispensable. Dans le Leonnais, en Brctagne, oil on e!e\c de nom- brcux chevaux, on se sert de jumcnts pour les charrois, mais on en met trois ou quatre a une peite charrelte pour ue pas les fatiguer ; on les voit alors suivies par un menie nonibrede poulains qui trottent i leur cote. L'Amerique meridionale, surtout les rives de rCru- gay et les contrees habitees par les Patagons sont peuplees de chevaux sauvages que les naturels prennent i I'aide du lasso, dont ils se servent avec une nierveilleuse adresse. L^, des qu'un cheval est fatigue, onl'abandonne; il se sauve dans la plaine, et on en saisit un autre pour continuer la route jusqu'a ce qu'il soil ausi rendu de fa- tigue. En France mfme, il y a peu de ancles, il y avail aussi des chevaux sauvages. Dans les *astes domaines des vi- comtes de Kohan, au milieu des solitudes dela Bretaqnp, il existe une sombre et vaste fori^t qui etait encore plus etendue aux quinzieme et seizifeme siedes; sous I'om- brage de ces vieux chenes, qui avaient peut-etre tu les mysteres des druides, dans les peliles vallees fraiches et arrosees par de clairs ruisseaux, vivaient pres de mille chevaux et cavales dont on ne connaissait jamais bien exactement le nombre, et qui, comme les cerfs et les daims, fuyaient la presence de I'homme. Lorsque le cor des chasseurs faisait retentir les echos dela forft, on Toyait se precipiter dans une course rapide, non-seule- ment les sangliers nombreux et les loups, mais aussi ces chevaux , dont on avail i>eine ii dompter I'humeur fa- rouche et independante quand on reussissait a s'en em- parer. Mais quittons ces fougueux habitants des steppes et des pampas, pour nous occuper des races diverses qui ont acc^pte le protectoral de I'homme, et qui en ont recu de grands perfectionnements dans la taille, la force ou la rapidite, suivant les usages auxquels on les destine. Les chevaux arabes ont ete de lout temps reput& les meilleurs et les plus intelligents; ils sont de taille me- diocre, Sns, vifs, plulol maigres que gras, et d'une admi- rable Vitesse a la course. 11 faut qu'un Arabe soit bien pauvre pour ne pas avoir un cheval, qu'il regarde comme un veritable ami, qu'il (raile avec douceur, et qui lui rend attachement pour attachement.PeupIe emineniment pasleur et guerrrier, I'Arabe, n'ayant pour s'abriter que sa tente, il y fait enlrerses chevaux qui y vivent avec sa famille, y couchent, y mangent, sans jamais faire de mal il qui que ce soit, mSme aux plus petils enfants, qui vont souvcnt jouer avec eux , et tr&s-probablement ne leur epargnent pas les espiegleries. Nous connaissons aussi certaines parties de la France oil les gens de la campagne aiment passionnement les chevaux, les trailent avec beaucoup de douceur, et en 152 LE CIIEVAL. oiU les plus grands soins. Ce sont ordinairement les pays de production, et leur inter^t bien entendu fait compren- dre auxcultivateurs que I'cxces de la fatigue et lesmau- vais traitements font di^generer les races. Apr^s le cheval arabe, les plus estimfe comme ohe- vaux de selle sont les barbes, ils sont aussi tres-propres a la course; mais il n'y a que c.eiix de premier choix qui aient autant de nerf que les arabes. Les chevauxd'Espagne, les andaloux particulierement, forment une magnifique famille ayant beaucoup de sou- plesse, de feu et de fiert^ , leur robe est ordinairement noire ou marron fonce ; on pretend que ce sont les meil- lours pour la guerre, et ceux dont I'allure majestueuse pr6te le plus aux grandes ceremonies. Les chevaux anglais, qui precedent en ligne directe des arabes et des barbes, ont aussi une grande reputation ; ils sont forts, vigoureux el hardis, mais lis laissent a de- sirer du cote de la grace. Les Anglais ont d'aiUeurs ap- porte une intelligence parfaite a croiser les races de ma- niere a les perfectionner ; ils aiment les chevaux et les trailent avec beaucoup de douceur, leur epargnant les fa- tigues excessives et les brusques changements de tempe- rature, cause d'une grande quantity de maladies qui font perir ces animaux. C'est Ji ces soins minutieux, aces habitudes de confort qu'ils 6lendent jusqu'aux animaux domestiques, que nos voisms doivent leur belle espece chevaline , plus encore qu'a I'usage des courses, qui les passionnent et les interessent au plus haut point. Ces courses, dont les plus celebres ont lieu a Epsom, nous semblent peu propres k reveler les qualites reelles des chevaux; ils y d^ploient il est vrai une vitesse ex- traordinaire dont I'utdit^ est fort contestable; mais cette Vitesse meme n'est pas I'^tat normal ; c'est I'exception , c'est la suite d'un regime en dehors des lois de la nature, et que Ton norameenlrainemcnt. L'amelioration des races est le pr^lexte, les paris sont le but; c'est un moyen de se ruiner en ereintant de pauvrcs b^tes. Nous ne parlous pas des steeple-chase ou courses au clocher, il ne s'y trouve ricn pour rutilit(5 , ni pour le ccEur, ni pour I'esprit. Le plus clair des resultals ce sont des bras casses et des cotes enfoncees! pauvres gens! Les Turcs et les Persans surtout ont de magnifiques chevaux de selle, qu'ils laissent a I'air dans les campa- gnes la nuit comme le jour, mais en ayant le soin de les couvrir de tapis, surtout en hiver, pour eviter le trop grand refroidissement. Les chevaux que Ton prefere pour les equipages vien- nent de la HoUande, et surtout de la province de Prise. Les danois sont gen^ralement de forte taille et largement etoffes, excellents surtout pour les attelages et pour la guerre. lis sont de ces races vigoureuses que devaient recberchei;les anciens chevaliers, lorsque, charges de fer, ils entraient en eampagne. La France possede aussi une grande variety de chevaux ; mais elle a beaucoup k faire pour generaliser les belles et bonnes races, pours'affranchirdu tributqu'ellepaye Si I'e- tranger. Malheureusement on n'y comprend pas assezque la bonne production est insuffisante, si lessoins hygi^niques et les bons traitements ne viennent pas la seconder. Nos nieilleurs chevaux de guerre et de carrosse viennent du Limousin et de certaines parties de la Normandie ; la Bretagne, r.4uvergne et le Morvan ont de bons chevaux de trait, et des bidets, race peu distinguee, mais trapue, vigourcuse et remplie d'ardeur. Le cheval est herbivore etgranivore; il mange dupain avec plaisir , se montre tres-friand de sucre et boit vo- lontiersdu vin. Les chevaux que les Arabes destinent ^ etre des coureurs rapides pour la chasse , ne mangent que rarement de I'herbe et du grain ; on les nourrit plus i particulierement de dattes et de lait de chameau, qu'on leur donne le matin et le soir. En Basse-Bretagne, conlree oil on Sieve beaucoup de chevaux, les paysans, pourvarier leur nourriture, pilent et melangent avec I'orge les bourgeons tendresde Tajonc marin ; ils pretendent que les chevaux nourris ainsi ont le poll plus lisse et plus brillant. S'il exisle parmi les chevaux de v^ritables colosses, comme ceux dont se servent nos brasseurs, il y en a aussi de trcs-petils, de veritables lillipuliens de I'espece; les Anglais les nomment poneys. Une chose digne de remar- que, c'est que ces petils chevaux naissent presque tons dans des iles. Ainsi on en vuit dans les Orcades, en Corse, et dans I'lle d'Ouessant. Quolquefois ils ne sont pas plus grands qu'un gros chien de Terre-Neuve; mais ils ont en general beaucoup de feu. Nous avons dit que les chevaux avaientplusieurs sortes de hennissements, ils ont aussi plusieurs allures, le ga- lop, le trot, le pas et I'anible. En general on parvient par I'Sducation a corriger les defauls naturels d'un cheval, et a developper les qualites cachees qu'un habile ecuyer sail dccouvrir. Nous, en avons la preuve acquise et pour ainsi dire palpable par LE BOA. 1S3 les resultats auxquels parvient M. Baucher. Ainsi un che- val de lourde encolure peul acquerir de la ligferetc ; un cheval r6tif devient docile; un cheval ombrageux entend sans sourciller les coups de feu que Ton tire pres de lui. II existe cependant une chose que Ton ne peut prevoir, que Ton ne peut maitriser, ce sent ces paniques subiles querien ne presage, cesvertiges nommes mors aux dents, qui saisissent un cheval quand on y pense le moins, qui se communiquent menie avec la rapidite de I'l^clair et causent de cruelles catastrophes. Combicn de families ont vu transporter pres d'elles, sanglants et mutiles, un fils, un pfere, une mere, sortis peu d'heures avant pour unejoyeuse promenaSe! Un recent ev^nement de cetle nature a prouve que nu\ n'etait a I'abri, et qu'il frapp.iit les plus eleves comme les plus humbles. Chaque jour nos feuilles publiques enregistrent ces malheurs; on en parle pendant quelques jours, puis on les oublie. Non-seule- ment aucune mesure n'est adoptte pour les prevenir , mais les moyens proposes ne sont pas exp6rimentes; cela cependant en vaudrait bien la peine. L'un a propose un appareil qui delache le timon de la \oitiire, ce qui ne garantit pas les passants; I'aulre offre une bride qui peul resserrer inslantanementles narinesdu cheval et I'arreler faute d'air ; I'autre, se fondant sur ce qui se pratique dans les incendies pour faire sortir les animaux indociles, dans les ports de mcr pour embarquer les chevaux, en Espagne pour maintcnir les mules ef- fray^es par I'orage, propose une visiere mobile qui puisse ii volonte couvrir les yeux du cheval , et lui derober la vue de I'objet qui I'effraye : on leur met dejb des visieres laterales. Enfin nous croyons que cette question interesse assez I'humanite et la siirete publique pour attirer I'attention des personnes qui ont le devoir et le pouvoir d'y veiller. Olivier Le Gall. I.E BOA CONSTRICTOR. f' Un voyageur que I'amourjle la science conduitdansles pro- fondeurs des deserls de I'Afrique, dans les parties les plus brulantes de I'Afri- ^'(|ue, accabl^ de fa- tigue et de chaleur, croit quelquefois "C. trouver un instant ' ',^de repos lorsqu'il arrive dans une val- leeoii vegetent quel- ques arbusles k la ,

rent vainement echapper. II nes'arrete que lorsqu'il est parvenu ci saisir une vic- time destinee a assouvir sa faim, et il prefere en general 154 LE BOA. les pctits animaux, qui sont plus faciles a alleindre, i vaincre eta devorer. Ccpendant, lorsque c"est un gros animal qui se (rouve a sa portee, s'il craint une resistance sericuse, au lieu de le ■saisir avec la queue, il Tenlace de tant de contours, il le presse avec tanl de violence, qu'il lui brise les os et I'e- touffe en meme temps en lui saisissant les narines avec les dents ; son haleine d'ailleiirs, empestee et putnde comme celle de lous les serpents, suffirait pour asphvxier on cnnCDii. Mais ce n'ost pas le tout que de saisir sa proie. il faut la devorer ; et comme il n'a pas, ainsi que le tigre et le lion , des griffes et des dents capables de depecer un animal trop gros, il I'enlraine centre le Irene d'un gros arbre qui sert de base pour le presser, jusqu'ii ce qu'il ait allonge cette masse inertc et infornte ; puis,lorsqu'il en a diminmi la grosseur, il I'imbibe d'une salive vis- queuso et I'avale par de puissantes aspirations souvent repetees ; c'est de 1^ que lui vient le nom de constrictor. ^1 '. 1( I 1 1 perdant momenlanemfint sa force et son activite, tombc pour cinq ou six jours dans une sorte de sommeil letbargique. Les negres et les sauvages pro- fitent de celte circonstance favorable pour I'^trangler ou Vassommer; ils y sont pousses par le desir naturel de se debarrasser d'un aussi dangereux voisin, et par celui de manger sa chair, qu'ils trouvent sans doute savouieuse et delicate. Le serpent boa est d'a\Unnt plus a craindre pour les animaux qu'il veut atteindre, que sa locomotion est d'une extreme rapidilc, malgre son enorme masse. lioule en spi- rale sur lui-m6me, il se deloche avec vigueur comme un ressort d'acier, et s'i51ance i leur poursuile; comme il nage avec facilile, il ne peut etre arretc par un fleuve ou un bras de mer, il so rouleavec promptitude jusqu'a la cime des arbres les plus eleves, et lorsqu'il veut francliir une grandc distance qui le separe d'un autre arbre, il entortille sa queue autour d'une forte branche, et se main- tient ainsi en suspens ; puis, se balancant par un mouve- ment nerveux, rapide comme la pensee, il se jette .sur I'arbre voisin et s'y accroclie. II n'est done pas surprcnant que ce monstrueux ser- pent ait inspire une profonde terreur i quelques peupla- des sauvages de I'.Mrique, et aux habitants du Nouveau- Mon^e avant sa decouverte. Dans plusieurs endroils m^me, on lui voua une sorte de culte, on lui dressa de grossiers autels, et, commek une divinity malfaisante, on alia meme jusqu'a lui sacrifier des hommes. .4]ors on pre- tendait que le serpent boa, on devin, annoncait par des mouvements plus rapides et par des sifllements plus aigus les grandes catastrophes qui menacaicnt les peoples. II est fort possible, en effet, que I'air tres-charg6 d'electri- cite, avant les trombcs, les tremblements de terre ou les orages, iuflue puissamment sur les organes des serpents, et leur cause des mouvements desordonnes. On entoure volonticrs de merveilleux tout ce qui est grand, fort, cruel et en dehors des lois ordinaires de la nalure ; le boa ne pouvait y echapper. Les historiens et les voyagcurs, frappes par sa grandeur et sa puissance, ont souvent exagere I'un et I'autre, soit pour emouvoir les imaginations, soit pour relevcr leur 16- merite en exagerant les dangers qu'ils ont surmontfe. Sur ce point, on ne doit adopter leurs recits qu'avec une grande circonspcction. Pline raconle que I'armee conduite parKeguIus sur la c6te septentrionale de I'Afrique rencontra, pres du fleuve Bagrada, enire Utique et Carthage, un enorme serpent ayant cent vingt pieds de longueur; ce monstre surprit et devora plusieurs soldats romains qui s'ctaient ecartes du i gros de I'armee pour se baigner ou se desalterer dans ceJ lleuve. On le combattit, mais les traits s'dmoussaientj centre ses impenetrablesecailles; on ne parvinl a le tuer I qu'cn lui lancant uue (?norme pierre a I'aide d'une ma- 1 LE CHASSEUH DE CHAMOIS. tbS chine de guerre ; alors il cut le dos tiise et expira. La depouille. de ce redoutable enncmi fut suspendue dans un temple ii Rome. Tout porte a croire qn'il s'agit dans ce recit d'un ser- pent boa, particulierement la circonstance de I'haleine empestee dont il y est parle. Quant ii la longueur du rep- tile, on peut raisonnablement penser que Pline I'aura doublee, ce qui lui laisse encore une dimension capable de satisfaire les amis du merTeilleux. N'en est-i! pas de mfeme de renonne serpent dont parle Diodore de Sicile, et qui (ut tue en E^'Tpte, non sans beaucoup de peine et de dangers? On peut placer au rang des fables le serpent dont parle lie pere Gumilla dans I'histoire natUi-elle de I'Orenoque. Ce serpent, dit-il, etait tellenient grand, que dix-huil Es- pagnols s'assirent sur lui sans s'en apercevoir, le prenant pour une longue et grosse poutre. Owen pretend qu'il y a pres de Batavia des serfients dont la longueur ne s'eloigne pas beaucoup de cinquante pieds. Ccci se rapproche davantage de la verite. Sledman, dans son expedition a Surinam, eutVoccasion de reconnatire par ses yens toule la puissance et i'activito du serpent boa. En suivant les boi-ds d'une riviere il ren- <;ontra un serpent enroule sur iui-meme, et qu'il ne re- connut parfaitement que lorsqu'il en fut a quinze ou dix- huit pieds. Celui-ci releva xi\ement la t^te, agitant sa langue avec rapidile et lixant sur Stedman des regards flamboyants. Ce dernier saisit son fusil et fit feu sur le serpent, qnil atteignit desa balle. A ce choc inattendu, il s'agila avec violence, brisant et coupant tons les arbustes qui se trou- vaient a sa portee. Stedman, enhardi par le succes de sa premiere atlaque, fit feu une seconde fois sur Tanimal, dont la fureuret I'agitation devinrent extremes ; ce ne fut qu'au troisieme coup que le serpent, attaint dans une partie plus vulnerable, expira. On lui trouva vingt-deux pieds de longueur, et les nfe- gres declari-rent que c'etait un jeune serpent Age lout au plus de douze ans. La femelle du boa confie au sable ses oeufs, qui n'ont que deux ou trois poucesdans leurplus grand diametre; c'est la chaleur de Vatmosphere qui les fait eclore. Mais il est hors de doute qu'une granrie partie de ces (Eufs sent detruits par de petits animauxqui s'en nourrissent, et que plusieurs des jeuncs serpents abandonnes ainsi sans defense perissent, ou sont devores par des oiseaux de proie et des animaux carnassiers. Ces causes destructives empeclient la trop grande mul- tiplication de ces enormes reptiles qui seraient si dange- reux pour les populations. D'ailleurs, il en est des grands serpents comme des crocodiles, des lions, des tigres et autres betes feroces : la civilisation les refoule peu a peu loin des habitations des hommes, dans les profondeurs des deserts ou des monlagnes inaccessibles. Olivier Le Gall. LE CHASSEUR DE CHAMOIS. J'avais fait un jour, dans mes voyages, la rencontre d'un S'yrien , chasseur de chamois. Pendant la route, il m'avait raconte plusieurs aventurcs fort intcres- santes qui lui elaient arrivees en chasse. II remarqua par hasard que je prenais des notes en i'ecoutant : « Parbleu! me dit-d tout a coup en s'interrompant, faites mieux; ^crivez en entier rhistoire que je vais vous couter, et soyez persuade que personne, avant vous, n'aura entendu un pareil recit. » J'acceptai avec empresscment et je u^e^llmal bientot tres-hcureux d'avoir recueiUi une des histoires les plus merveilleuses que j'aie jamais enten- dues et que je livre, en substance, ii la curiosite des lec- teurs : L'annee precedente, c'est-a-dirc un an avant notre rencontre, mon chasseur a\ait decouvert une femelle de chamois prcle a mettre bas. Pendant huit jours, il la sui- vit avec une perseverance inouie pour decouvrir I'endroit oil elle deposerait ses petits. "Parfois, pour eviter lout bruit qui eut pu trahir sa presence, il etait oblige d'oter ses boltines et de marcher pieds nus; une fois meme, force de gravir un rocher a pic, il coupa tous les boutons de ses habits, afin d'eviler le leger frolement qu'ils au- raient produit sur la pierre. Enfin il decouvrit que les deux petits, mis au monde par la femelle, nichaient dans , une espcce de grotte naturelle que le hasard avait placee sur le sommet d'un rocher escarpe, pour ainsi dire inac- cessible. Des deu.x cotes du roc s'ouvraient deux precipices pro- fonds, etfrayants, dont I'oeil ne pouvait sonder I'immen- site! Une espece de pent naturel, forme par d'etroits fragments de rochers reunis, s'elevait au-dessus de la •grotte, asile des jeuoes chamois; passant au-dessus de rabime, ce pont ratlacbait ce rocher a d'autres masses de pierres aussi enormes. Ce passage naturel etait trop eleve pour que les jeunes chamois pussent y monter ; il J56 LE CHASSEUR n'otfrait un moyen de salut qu'ci leur mere. Le chasseur 6tait enchante de celle disposition des iieux, si favorable k ses projcts. U s'avanca pour prendre les petits, qui semblaient ne pas pouvoir lui echapper. Tout h coup la mere, qui I'avait apercu, se precipita sur lui avec cette furie aveugle que I'amour maternel inspire quelquefois aux plus faibles creatures. Le danger qu'on pent courir dans ces attaques ne re- sulte pas tant du choc lui-meme, qui est peu violent, que de I'adresse avec laquelle ces animaux essayent de faire entrer leurs cornes aigues et recourbees en hamecon dans les jambes du chasseur, pour le faire tomber dans les DE CHAMOIS. precipices. Souvent meme il arrive que I'homme et I'ani- mal, attaches ainsi I'un a I'autre, roulent ensemble au fond de I'abime. Notre chasseur ne pouvait tircr sur le chamois; il n'a- vait pas trop deses deux mains pour se soutenir au-des- sus du gouffre qu'il traversait. A peine eut-il le temps de parer avec ses pieds et le mieux qu'il put cetto brusque atlaque, et il continua d'avancer. Alors Tangoisse de la mere fut a son comble; elle se precipita vers ses petits et se mit a courir autour d'eux comme pour les preserver de toute attcinte. Peu de temps apres, elle sauta en bon- dissant sur le fragment de roclier en plate-forme auquel s'appuyait le pont naturel dont nous avons parle, et voi- sin de la grotte ; puis, du haut dc cetle position , elle ap- pelaa elle, par des cris plaintifs, ses deux petits. Mais les deux pauvres chamois essayerent en vain de sravir le rocher, leur faiblesse les en empfechait; ils dechiraient inutilement leurs jambes faibles et deli- cates centre les asperites de la pierre. Leur mere les en- courageait par des bonds et des sauts qu'elle paraissait leur donner en exemple, mais les infortunes ne pouvaient franchir un obstacle infranchissable pour eux. Quelques minutes s'ecoulerent ainsi ; le chasseur avait gagne du terrain. Quelques passeulemcnt le separaientdesa proie, et il allait faire un nouvel effort pour s'enapprocher et, la saisir, quand un spectacle vraiment extraordmaire s'offrit a ses yeux. , Descendue de son rocher, la femelle avait appuye forte- ment ses pattes de devant sur les parois du roc, tandis que cellcs de derriere paraissaiont entrer dans lesol, tanil elie y nicttait d'energie. Dans cette position, elle formal M LE CHATEAU DE VEAUCE. 137 one espfece de pont qui permettait a ses petits d'arriver enlln h la plate-forme, d'oii ils pouvaient s'echapper par une de ces arcades nalurelles menagees dans les rochers et qui travcrsaieiit le precipice. Les chamois sem- blerent comprendre le danger qui lesmenarait et I'inten- tion de leur mere. En effet, en moins d'une seconde, ils grimp^rent le long de ce corps protecteur, ainsi que I'eussent fait des chats, et furent bientot en lieu sdr. Au m^me instant, le chasseur mettait le pied sur la plate-forme abandonn^c ; il trouva la grolte ogalement dt'serte. Deux coups de fusil partirent avec un fracas que I'echo repcta de rocher en rocher ; mais le bruit sec de deux balles qui vinrent s'aplatir inoffensives sur la pierre annonca que le chasseur avait manque sa proie. LE CHATEAU DE VEAUCE. T I il'ancienne province du Bour- bonnais, situee au centre de la France, a forme le departe- ment de TAllicr. Cette portion de notre territoire fut habitee, dansl'antiquit^, paries Eduens, les Arvernes et les Bituriges. A r^poque de la guerre des Gaules, les Boi'ens, avec la permission de Jules Cesar, vin- rent s'y etablir; leur capitale, nommee Gergovie, Gergovia, a M confondue par quelqucs savants avec la Gergovie des Arvernes, Gergocia A>ver~ norum, assiegeepar Vercingetorix et delivree par Cesar. Plus lard, sous les empereurs, le Bourbonnais fut en- clave dans la premiere Aquitaine; puis, au cinquieme si^cle, il devint la propriete des Visigoths et des Bour— guignons, auxquels les Francs le ravirent apros la bataille de Vouille et la mort d'Alaric. Les sires de Bourbon en rest^rent lesmaitres pendant tout le moyen age. Moulins est le berceau de cette illustre maison. Louis l" transmit, cette province a son successeur, et leur post^rite en con- serva la domination. Ainsi les Bourbons y furent tout- puissants jusqu'a la mort du fameux eonnetahle tue en 1527 au si^ge de Borne. A cette 6poque, le Bourbonnais fut confisque et reuni h la couronne; depuis, il fut donne en apanage ou en douaire i des princes ou a des prin- cesses du sang. Le costume des habitants de I'AUier est piltoresque; leurs longs cheveux, qui tombent sur leurs epaules, leurs larges chapeaux, leurs pantalons flottants, tout cela ne manque ni d'impr^vu ni d'originalit6. Le patois parle dans ce pays, qui separe ceux^ou la langue d'oil et la langue doc ^taient usitfes, n'offre rien de remarquable, si ce n'est la maniere dont les paysans font trainer dans la^pro- im LE JEU DES VINGT QUESTIONS. nonciation Ics syllabcs fiuales. Parmi los grands hommes auxq_aels le Bourbonnais a doune le jour, il faat compter lemaxefhal de Berwick, le marecbal de Villars etle trop celehre connetable dont nous avons parle. — Une cel6- brit^ Don moins grande, mais d'une autre nature, s'at- tache dans le meme pays aux eaux minerales de Vichy, de Neris et de Bourbon-rArchambault. L'AlIier possede peu de monuments druidiques, mais beaucoup d'antiquites romaines. On en voit de reraarqua- bles a Ncris. Le nioyen Sge y a laisse des traces encore vivantes, une foule de chateaux, de forteresses, de nious- tiers, d'egUses, d'abbayes; la revolution en a detruit une grande partie, mais elie n'a pu tout abattre. Le voya- geur admire encore le chiiteau de Moulins, celui de Bour- bon-rArchambault, I'eglise d'Yseure, VEcce homo de Saint-Pourcain, etc... Le chateau deVeauce, pres d'£- breuil, dans le canton de ce nom, Tun des cinq dont se compose Tarrondissement de Gaunat , est un monument digne d'observation. Gannat £it autrefois partie de I'Au- vergae et en fufc demembrt^c avec son territoire par Phi- lippe-Auguste, qui donna la ville et le pays a Guy de Dampierre, pour avoir vaiacu le comte d'Auvergne, re- volte centre I'autorite royale. La Tallee qui Tentoure, agreable et fertile^ est appelee la Limagne du Bourbon- nais. |C'est dans la vallee d'fibreuil que se trouve le chiiteau de Veauce, dont nous donnons le dessin. Biti en 1080, il est majestueusement assis sur une masse de roches tres-elevees, pres desquelles viennent aboutir plusieurs collines rangees en demi-cercle; ia partie de cet arc, ouverte aux regards, laisse apercevoir une cani- pagne admirable dont I'horizon s'etend au loin jusqu'a I'immense chaine des niontagnes de I'Auvergne. Cette belle -vallee d'£breuil, ainsi nommeedela petite ville dont nous avons parle, et qui est un chef-lieu de canton, fut, comme Gannat, enclavee dans la province d'Auvergne; elle est arrosee par la Sioule, un des affluents de I'AUier. LaSioule, apres avoir traverse un pays fort accidente, va se Jeter sur la gauche dans la riviere qui donne son nora k tout le departement. Au pied du chateau s'entr'ouvrent de'profonds ravins oil la Veauce se brise en grondant a travers des rochers dont les formes pittoresques engagent I'artiste a s'arr^ter. Restaure en 1844 et d^core dans le style de la renais- sance, Veauce se trouve place au nombre des ch?iteaux de France qui se font remarquer autant par I'interSt historique qui s*y rattache que par le merite et la beaute de leur architecture. II a inspire a un poete, M. Tudot, les vers suivants : Ricbe et noble castel oii la Veauce fougueuse Fait raonter le bcuit sourd de son onde ecumeuse LiUtant dans le ravin, TU fais bieo d'etre assis sur la roche sublime, Commandant a la plaine et dominant I'abime De ton front soaverain. Riche et noble castel ! d'oii la belle nature Apparait imposante et pleine de verdure, Quand sur la terre en deuil Le dieu du printemps souffle, et, recbauffant les branches, Jette des papillons. des chants et des fleurs blauches Dans la plaine d'ifibreuil I On aime autour de toi ces c6tes escarpees. Par ta malD d'un geanl suhiiement coupees, Cet espace oii I'ceil fuit Jusqu'a ces monts lointains, horizon de myst^re, Volcans niorts qui jadis firent trembler la terre Et qui n'ont plirs de bruit; On aime devant toi cette jeune riviere Festonnant la prairie et la campagne cnti^re De son filet d'argent, Cet espace fertile oir des zones rayonnent, Ces cicichers et ces toita auxquels les heures donnent Un aspect si changeant. Dans les jardins, la vie est parfumee et douce : On estheureuK et calme au milieu de la mousse Et des arbres joyeux ; Et camme les jeta d'eau qui s'elancent sans trevc Loin du gazoii, en jets de cristal, on eleve Son ame vers les cieux. Le befiVoi des vieux temps et les tours crenelees, Que le passe rongea mais n'a point ebranlees, Sur les murs gracieox D'un moderne castel, fils d'uue main savante, Projettent la noirceur de leur masse eloquente Et Torahre des a'ieux. Les deux chateaux sent la, hardis et magnifiques, Avec les vieux sommets et les jeunes porliques Qui n'ont point de passe : Cclui-ci souriant dans sa fraiche parure ; Cclui-la recueiili dans sa golhique armure Comme un vieillard lasse. Et la vieille tour dit tout bas : Chevalerie! * Croisades! vieux blason ! religion L patrie 1 Et sainte loyaute! Et lejenne castel dit : Noblesse, elegance, Art moderne et savant, richesse, bienfaisance, Noble securite! Et tous ces souvenirs, ce beau ciel, ce beau site. Font de ces lieux riants , ou le bonheur s'abrite, Un sejour enchante. Sejour rempli d'ivresse, et de calme et de joie ! Un vieillard, qui vit naitre et mourir sur sa voie La grace et la beaute, Disait de ce castel : « Oh I la premiere pierre • C'est Dieu qui la posa dans un jour de lumiere » Et dans un jour d'amour> « Et depuis ce temps-la, non pas des chatelaines, « Mais des anges d'en haut, sous des formes humaines, a L'ont habits toujours! » LE JEU DES VLIT (II^STIONS. ])i. Rusch, un des agents diplomaliques des £tats-Unis qui residerenta Londres, de 1819 a 1825, etait recu dans les cercles les plus distingues de cette capitale. II a pu- blie une narration des principauxeveaemeots publics ou prives qui ont eu lieu pendant son sejour en Angleterre; nous en extrayons I'anecdote suivante, en laissant parler I'auteur : il s'agit d'un diner donne par Canning. 11 n'aurait pas el6 facile de reunir une compagnie qui pdt rendre un diner aussi attrayant, ni de ehoisir un moment plus propice. Le parlement venait d'etre proro- ge; M. Canning et ses deux co-minislres, M. Huskisson et M. Robinson, ressemblaient ^ des oiseaax dont on vient d'ouvrir la cage. Une aimable et piquante causerie nous avait retenus h table jusqu'a dix heures, et M. Canning,, voyant que nous ne temoignions aucun dfeir de lever la seance, nous pcoposa de jouer aux vingt questions. Ce LE JEU DES VINGT QUESTIONS. 159 jeu eiait nonvcau Innt poor moi que pour mes autres collegues du corps diplomatique, bien que nous fussions deji depuis Ion;;lemps ea Anglelerre. II s'agissait de de- ■viner la penseede qnelqa'un au moyen devingt questions. Les questions, de mfeme que les teponses, devaient ^tre simples et directes. La pcnsee ne devait avoir pourobjet ni une idee abstraite, ni une chose occulte, ni un mot scientifique ou technique ; 11 fallait que ce fill un sujet bien connu de tout le monde ou se rattachant 4 I'bis- toire universelle. Ce pouvait etre un nom celebre d'hom- me ou de femnie, ancien ou moderne, ou bien quelque (Euvre d'art ou quelque souvenir, generalement connus, mais on ne de\ait penser aucun evenement isole, comme une bataille, par exemple. Telles etaient les principales regies de ce jeu original. II fut convenu que ce serait M. Canning, assiste du chancelier de Vechiquier, son roi- sin, qui adresserait les questions, et que je ferais les re- ponses, en consultant egalement mon voisin, qui etait lord Granville. Lui etmoi, en consequence, nous devions avoir en conimun la pensfe qu'il s'agissait de deviner au moyen d'inductionstir^esdenosr^ponses.Cespreliminaires arrdtes, le jeu commenca : Premiere question (par M. Canning) : Ce que vous avez pense appartient-il au regne animal ou au regne ve- getal? — Reponse : Au regne vegetal. Deuxieme question: Est-ce manufacture ou non? — Manufacture. Troisieme question : Est-ce unsolideou un liquids? — Un solide. Ici, un plaisant s'6cria : Comment ce pourrait-il &tre un liquide, a moins que ce ne fit une soupe aux le- gumes? Quatrienie question ; Est-ce une chose qui soil une, ou qui soit composee de parties ? — Une. Cinquieme question : Est-elle d'un usage particulier ou public? — Public. Sixieme question : Existc-t-elle en Angleterre ou hors I'Angleterre? — En .\ngleterre. Septieme question : Est-elle unique, on y en a-t-il plusieursde la menie espi;ce? — Unique. Huitieme question : Appartient-elle a I'histoire, ou n'existe-t-elle quo de nos jours? — L'un et I'aulre. Neuvieme question : Est-ce un objet d'omement ou d'utilite? — L'un et I'autre. Dixieme question : A-t-il quelque contact avec la per- sonne du roi? —Non. Onzieme question : Le porte-t-on, ou se soutient-il de lui-meme'? — On le porte. Douzieme question : se transmet-il par succession? — (Comme lord Granville et moi nous I'igaorions nous- mi!mes, nnus ne repondiraes pas a cette question ; mais comme, d'un autre C(5le, notre hesitation m^me pouvait jeter quelque lumiere snrnotre secret, il fut convenu que la question oompterait comme si Ton y eiit repondu.) Treizieme question : S'en sert-on au couronnement' Oai. Quatorzieme question : Dans la salleou dans I'eglise? — Probablement dans toutes deux, mais 4 coup sur dans la salle. Oninzifeme question: N'cmploie-t-on cette chose que dans la ceremonie du couronnement, ou bien s'en sert-on a d'autres occasions? — On s'en sert egalement a d'autres occasions. Seizieme question : Est-elle cxclusivement vegetale de sa nature. Ou bien est-ce un compost de vegetal et de mineral? — Elle est cxclusivement vegetale. Dix-seplieme question : Quelle est .sa forme? (Nous repoussames cette question comme trop directe, et la com- pagnie nous approuva; mais alors M. Canning seplaignit de rinju.-,tice dont il serait victime) si I'on comptait cette question au nombre des vingt; et, a cet egard, la com- pagnie se prononca en sa faveur. ) Seconde dix-seplieme question.,: Est-elle ornee ou sim- ple ? (Nous nous defendimes egalement de repondre a cette question comme trop precise ; mais nous ne fiimes sou- tenus de personne.) Je repondis alors : Simple. Dix-huitieme question : S'en sert-on dans le ceremonial ordinaire de la chambredes Communes ou de la cbambre des Lords? — Non. Dix-neuvieme question : L'uneou I'autre decescham- bress'en sert-elle? — Non. Vingtieme question : Est-elle immobile ou mobile? Mobile. Laliste des vingt questions setiouvant epuisee, il y eut une pause solennelle. L'inter^t avait cruprodigieusement a mesure que le jeu approchait de sa fin; et, quand on en futa la vingtieme question, on eCitdit d'une course oil deux chevaux rivaux approchent du but poitrail k poitrail. M. Canning ^tait visiblement inquiet; on s'apercevait qu'il craignait de perdre la partie, ce qui devait arriver s'il ne devinait pas I'enigme. II garda le silence pendant environ deux minutes, puis, promenant sur la compagnie son ceil percant oiietincelaittant d'esprit, il s'ecria, mais d'un ton qui n'etait pas trop assure : Jepense que ce doiC etre la bagiette dd GRAND-SENtaiAL. — Et vraiment c'etait le mot que nous avions pense. Cette baguette est une sorle de baton blanc, long el sans ornement, ii peine plus gros que le doigt du milieu ; elle justifiait parfaite- ment lesreponses que nous avions faites. En repondanta la neuvieme question, 'lord Granville et moi, qui nouscon- certions a voix basse quand il s'agissait d'une reponse qui n'etait pas toute simple, nous nous rappelames que cer- tains vieux auteurs ont ecrit que le lord Grand- Seni5chal portait un bJton pour chasser les intrus qui voudraient penetrer dans le tresor de Sa Majeste. Quand on en vint h la douzieme, M. Canning expliquala nature desa ques- tion en citant la verge delordChambellan, laquelle, dit-il, ne se transmet point liereditairement, chacun de ces fonc- tionnaires ayant a se procurer cette verge a ses frais. Je dis alors qu'il ne s'agissait pas de la verge de lord Chambellan ; mais, comme disent les enfants, nos adver- saires brulaient, et je dus prononcer ma reponse negli- gemment, de crainte d'y fixer I'atlention. Le, questions ICO L'ANGE ne furent point faites aussi rapidement qu'on pourrait le supposer en les lisant : il y eut quelquefois d'assez longs intervalles entre ellcs, lesquels furent egay^s par les sail- lies des convives. Lejeu dura en tout uneheure, et il ab- sorbait tellemenl I'attenlion de tout le monde, quele vin cessa de circuler. Le succesdeM. Canning, qui fetaitun DU CIEL. des hommes les plus habiles que j'aie jamais connus, full accueiUi par des applaudissements nombreux ; nousautres diploniates lui dimes alors que cette epreuve nous servi- rait de le^on, et que nous aunons soin de bien cacher nos secrets pour qu'un observateur si sagace ne les d^couvrit pas. L. M. Un jour, le coeur brisS par la douleur am^re, J'avais porte mes pas dans cet auguste lieu Oil I'cime.recueillie en face du mystere, Dtehire le lien qui I'attache a la terre, Pour s'envoler a Dieu. Etseulje contemplais dansun pieux silence Cette foule a genoux, levant les mains au ciel; Seul aussi j'ecoutais'la voix de I'innocence Qui traverse la voiite et dans les airs s'^lance, Douce comme le miel. Et malgrS moi, mes yeux 6taient mouill^s de larmes, Et sous ma faible main mon cceur battait plus fort, Et tout mon etre entier, vainou par tant de charmes, Implorait le Tres-Haut de calmer mesalarmes, Oud'ordonner ma mort. Tout i coup dans la nef une vierge se Ifeve, Et vers les saints autels marche en baissant les yeux. EUe etait jeune et belle, et sa demarche breve La faisait ressembler h ces beautes qu'on r^ve Quand on est amoureux.... Oh ! Je la vols encor dans la saintechapelle, ficarlant des Chretiens les flotssilencieux : J'entends encor son nom : elle avail nom Angele, Et comme moi, chacun se disait : « Qu'elle est belle ! • C'est un ange des cieux 1 » Oui, je la vols encor, quand sur I'humide pierre. En croisant ses deux mains elle s'agenouilla ; Je vols son oeil briller sous sa chaste paupiere, Je vois battre son ccEur sous sa robe legere, Pendant qu'elle pria! Bient6t lo vieux pasleur, pour se rendre aupres d'elle, Descendit les degres que lui seul pent franchir, Ettrois fois il bcnit le vraipain du fidele, Qui, nous rendanth Dieu, doit d'unefm cruelle Plus tard nous affranohir. Et la timide Angele unissait sa priere A celle qu'adressait]lepr6tre du Seigneur; Et levant ses beaux yeux, qu'elle fixait h terre, Elle sentit soudain un rayon de lumiere Se glisser dans son coeur. L'homme de Dieu la vit, etdans sa bouche pure II deposal'hostie.embleme de fervour ; Puis il lui dittout bas : «Que cette nourriture Te conserve, ma fdle, exempte de souillure, L'amante du Sauveur ! » Elvers sa mere, alors, ellerevint ^mue, Cachant dans ses deux mains son beaufront virginal. Moi, bientot je sortis en detournant la vue, Et mon ame, un instant au doux espoir rendue, Ne sentait plus de mal. Alexandre S.... 4 Typographic Lacr4MPB ni8 et (Je, rue Damielle , 2. CHROXIOUE DES MOIS. JUIN. l-ia cigale chante, — les bonspaysans sont heureux si cetle dou- teuse harmonie est vive et continuelle, car c'est pour eux le presage d'une abon- danle moisson. Les champs etalent an\ brillants regards tlu soleil tout ce qu'ils onl de richesses ci- reales. Le plus petit arbrisseau se hite de prendre sa plus belle parureetde melanger sa fleur atoulescellesqui couvrent la terre. Laroses'cpa- nouit.on dirait qu'ii tous les yeux elle jette un gros rire. L'ccillel de I'lnde, avanl de s'elancer, regarde par une fai- ble ouverture si le jour est assez beau pour se faire voir ; puis, per^ant sa corolle, il surgit rouge de sang ou blanc de neige. Le chevre-feuille se tord autour du treillage; il va cietla, capricieux ou vagabond; — le soir, li toutes ces fdles du printemps coquettement ecloses, la brise vient derober le parfum qu'elle vous apporie en vous caressant. — Et alors le Iknive roule nonchalamment sur sa couche de sable; le ciel purpure par le soleil coucliant se rellete dans son sein ; de loin en loin sur la limpidc surface sautdlent les carpillons ; unemoite vapeur T. II. blancliatre se degage des ondes, comme du bain ambre d'une sullane, si bien que tout cela vous donne I'insur- monlable desir de briser I'liumidemiroir, el, plongedans la masse diaphane, de laisser I'eau se jouer dans vos che- vcux dpars en faisant des perles sur voire front, — et, comme un triton folatre, vous environner de I'ecume ar- gentee, au risque d'effaroucher un peu des myriades de petilspoissons. — La Colombo altardee passe silencieuse- ment au-dessus de votre li>le, elle se hate de gagner le vieux clifine sur les branches duquel sa compogne I'at- tend ; — le rossignol, au contraire, gazouille joyeusemenlet semble recherchcr avec une artistique fatuile la charmille oil il poLirra trouver quclque admirateur ; les cloches sonnent pieusenient Tangt^lus, que I'air balance jusqu'a vous; — ctcette sublime poesie ne se termine qu'au mo- ment oil, calme et majestuoux,rastre des nuils, montant a I'horizon, semble venir dire : Silence, me voici 1 — Oh; quand vousavez vu ces belles soir&s de juin, vous avez rendu gri^ce k Dieu de deux choses, n'est-ce pas : de vous avoir enloure d'une si merveilleuse creation, et puis de vous donner pour I'admirer le silence meditatif qu'on ne rencontre que loin des cites. Mais voici la fete de saint Jean-Baptiste ; — des que la nuit est venue, vous pouvez voir, pour peu que votre perspective ait quelque etendue, les feux de joie allumcs [lar chaque village et m^me chaque liameau. — C'est une belle el ancienne coutume que celle-ci. M. Court de Gebelin, dans son histoire du calcndrier, dit qu'elle a reniplace les feux sacr6s que les Orienlaux allumaient h 11 102 SAINT mimiil ail morrn'iit du solstice d'eU', alors qu'ils common- ^aienl le rcnouvelk-mont do leiir annee par un sacrifice a leur divinity. Les feiix dejoie elaient accompagncs en m^me temps de Yceiix et dc prieres pour la prosperite dcs peiiples et des bions de la lerre ; on dansait alentoiir comme on Ic fait encore, car il n'y a pas de fete sans dansp, et les plus agiles sautaient par-dessus, absoUiment comnie vous pouvez I'avoir tu dans tout village du midi. En se reti- rant, cliacun emportait un lison, et le resle elait jete an vent, afin qu'il balayat tous les malheurs qui pouvaient menacer le pays — comme il balayait ces cendres. Plusieurs siecles apres, lorsque le solstice ne fut plus I'ouverture de I'annee, on oontinua egalement I'us-age des feux dans le rafme tfmps, par une suite de rhabitude et des ideas religieuses qui's'y etaient attachees. D'ailleurs, il eut ete btesn Irisle d'aniantir un jour de joie pnur le pauvre peuple, surtout dans une epoque oil il y en a\ait si peu; aussi cet nsage s'est-il maintenu jusqu'a nous. On Irouve ces etinoelantes manifestations jusqne dans le fond de la Russie. Les habitants de ces froides con- trees, dans les erreursdu paganisme, celebraientle 2ijuin la fete de la decsse des fi'uits qu'ils appelaient Rupal. Aujourd'hui encore, ils passent la nuit qui precede la Saint-Jean dans les divertissements et les festins; comme nous, ils allument des feux de joie autour des(|uels ils dansent. Et sans donte parce que Tesprit epais du va\- gaire n'a pu abjurer tout d'un coup les croyances su- perstitieuses qu'il s'etait faites, il a donnci le nom de Bupal-Niza 5 la bienheureuse sainle Agrippine, dont la iHe se c^lebre a cette (5poque. Les jours de Juin sont les plus longs de toute I'annee'. II est des pa\s oii, pendant ce mois, la nuit dure ^ peine quatre heures. — En Islande, un phenomene remarqnablese produit tous les ans a cette epoque : le soir de ce jour, le soleil ne fait que toucher^ Thorizon et il reprend aussitot sa course dans lo cicl, ce qui fait que pendant vingt- quatre heures il n'y a pas de nuit. C'cst de la que ce mois est appele Noll, Lapa Muniidr, mois sans nuit. Le mouve- ELOl. mcnt du soleil doit etre curieux Ji voir; Platon fit un premier voyage en Sicilo pour jouir, sur la hauteur du mont Etna, du spectacle du soleil levant ; moi je serais bien capable d'aller en Islande, quelque beau jour de juin, — pour voir le solstice d'ete. Dans toutes les contrees de la France, depuis la fin de Juin jusqu'en Novembre, on fait parquer les brebis sur les terres qu'on vcut engraisser; c'est-i-dire qu'on leur fait passer la nuit au milieu des champs, dans une en- ceinte formee de claies, que Ton transporte oi) Ton veut, Les bergers ont alors une cabane posee sur des roulettes. lis la placent hors du pare, et pendant leur sommeil les chieus font la garde autour du troupeau. Ce moyen d'en- grais est generalement employ^ comme un des plus puis- saBts. Quant k I'histoire de ce mois, elle est pen longue. De m6me qu'avant la fondation de Bome, le mois de mai, maior, etait le dernier de I'annee, juin, Junius, etait le premier; il etait consacre a la jeunesse, comme mai a la vieilleseeet aux decrepitudes. Les fetes qu'il ramenait s'ouvraient par celle d'une deesse, dont le nom, Came ou Crane, signifie; tftte, commencement; eUe etait femme deJanus^ dieu du Temps. La constellation de ce mois est I'ecrevisse ; ceci avail fort bien son sens, dans lu langage des signes; car, pendant ce mois, le soleil rctourne du solstice a I'equatreur, et cette marche, pour ainsi dire retro- grade, imite celle de ranimal de ce nono. En 1748, I'annee a Pise commencait au 25 juin. Cet usage remontait aux temps des fitrusques, de qui les Remains I'avaient emprunte. Ce n'est que depuis 174(> que les Pisans nous imitent ; ce fait est attests par une longue inscription qu'on lit gravce en lettres d'or sur la rive gauche de I'Arno; il y est dit que le grand-due de Toscane ordonna ce changemeht par un edit. Les travaux d'agriculture de juin con.sistent principa- lement dans le fauchage des foins et le fanoge des prai- ries. Andr6 Thomas. L'ELITE DES SAIMS FR.W'CUS. SAIKT XI.OI, EVEgUE DE OTOYON ET BE TOBRWAY. lOn^uos veillec's d iiivor J 0 veux raconter I'histoire d'Eloi , de I'illustre patron des forgerons et des or- fcvres, de ce grand saint dont I'espiit de critique judicieux a pass(5 a la posterity sur les ailes d'une tradition populairc. Son nom est un de ceux dont on garde !a m(5moire; dans les irand'mere raconte a ses petits-enfants les Episodes de sa vie, et on le voit gra- vement apparaltre dans les legendes miSrovingiennes. Son existence est enipreinte d'une certaine couleur rc- manesque qui plait ^i I'esprit, sa figure so pose largo- mcnt au milieu de celles de ces premiers Gaulois qui' vcnaient d'abandonner le gui de Teutates pour la croix' de Jesus Christ. Au nord de Limoges est un petit village perdu dan? les bruyfercs, ot qu'on appelleCadalllac. En 388, vivaient dans cette coutree Eucher ct Terrige, simples bourgeois craignant Dieu et repandant autour d'eux d'ahondanles aumoiies. Une nuit que Terrige etait endormie, il lui sembla Voir un aigle planant dans les airs et fondant sur etle Ji trois reprises differenles. Elle rapporta ce songe a SALNT ELOI. iCj un bon pr^tre, qui lui pi'edit quelle aurail un fils qui s'eleverait dans Ics voies du Seigneur, et serait appele a une grande saintete. Aussi I'enfant que Dieu lui envoya fut-ii nomine Eligius, ce qui veut dire citoisi de Dieu. Ses parents ne negligerent rien pour lui procurer une education chrelienne, et ils I'eleverent dans Ics exercices d'une piOte qui d'uilleurs lui etait naturelle. Vers rjge de quinze ans, on songea a lui faire embrasser une car- ri^re. Remarqnant son adresse extreme, son pere le con- fia k un ortevre de Limoges, nommii Abbon, qui consen- lit i I'inslruire dans son iStat. La docilite el les char- mantes qualites du jeune apprenti lui gagnerent tous les cCEurs; pendant qu'il devenait habile dans I'art de tra- vailler les metaux, il suivait avec une assidnile rigou- reuse Ics instructions de I'Eglise, et ses longues medita- tions les gravaient a jamais dans sa memoire. A trente ans, £loi se decida i quitter sa terra natale et se rendila Paris, oil regnait le roi Clotaire. Bobbon, tre- sorier de I'epargne royale, etant informe de son babilete, I'employa a frapper la monnaie et k divers ouvrages de son ressort. C'est a cette epoque qu'un concours fortuit devi'nements Tint mettre en relief le talent et la baute probite du saint orfevre. Le roi Clotaire, qui se passait maintesfantaisies, avail imagine une chaise bizarre, ou plutut un trdne splendide compose d'or et de pierreries. II s'agissait de faire exe- cuter ce projet. Les ouvriers de Paris, consultfe par ce prince, avaient declare I'oeuvre, sinon impossible, du moins au-dessus de leur talent. Sur ccs entrefaites, Bob- bon eut I'idee de parler h £loi du caprice royal, et de sa- voir s'il oserait se cbarger de le satisfaire. Kloi demanda E]i)i proseiile k CiuUire la seconde chaise. (jue les mat^naux n^cessaires lui fussent remis, et se mit sur-le-champ a I'ouvrage. Au bout de quelques semai- nes, il fit privenir le roi qu'il etait pr6t Ji livrer la chaise commandee. Clotaire, surpris et charmo de celte dili- gence, se rendit chez lui et se montra enthousiasme de la beaute de I'ouvrage. « Comment pourrai-je te recom- penser, lui dit-il, si je proportionne le salaire au merile du travail? — Attendez, repondit Eloi, il me reste, sire, quelque chose b, vous montter. » En disant ces mots, il preseiita k I'assemblie une seconde chaise, absolument semblable k la premiere, et fabriqu^e avec I'or et les pierreries qu'il avait eus de reste. L'etonnemenl du roi fut a son comble, il se refusa a croire que les deux sieges eussent ete formes avec les matieres fournies. On fit apporter dcs balances, et leur poids seul parvint k le convaincre de la verite. Le prince rendit soleniiellemcnt homuiage ix la delicatesse d Eloi, et declara qu'une pa- reille conduile dans les petites choses temoignait de ce qu'il pourrait faire dans un poste plus eleve. A partir de ce jour, £loi fut attach^ a la cour du roi de Fiance. II etablit son atelier dans le palais mfme, et devint I'orfevre a la mode. Ses qualites et sa modcstie, encore plus que son talent, le faisaient rechercher des giands et lui mi5ritaient la consideration g6neraie. Clo- taire passait aupres de lui ses moments de loisir et se di- vertissait k le voir travailler en causant des affaires de son royaume. 11 lui devint bientfit si necessaire qu'il ciaignit de le voir s'eloigner et qu'il voulut se I'attacher par des liens indissolubles. Les promesscs qu'tloi lui fit de oe pas le quitter ne purent lui suffire; il voulut I'en- gagea- par serment. Pour cela, il le pria de venir k sa mai- son de plaisance de Rueil, a deux lieucs de Paris, et U'l, il le pressa de lui jurer fidelite sur une caisse remplie de rdiques. £loi, se souvenant de la parole de Josus qui proscrit lout jurement dans la bouche de ses disciples, se- defendit humblement d'obeir, tout en proteslant qu'il consacrorait k Clotaire tous Ics jours de sa vie. Mais comme celui ci, qui ne cedait pas facdement, le prcssait de plus en plus, le saint homme, reienu par le devoir et sollicite par I'amilie, fjnit par fondre en larmes sans vou- loir s'expliquer. Le roi vit alors ce qui se passait dans son esprit, et, n'attribuant sa resistance qu'aux scrupulcs de sa conscience, il prit autant do soin de le consoler qu'il en avail mis a I'embarrasser d'abord. « Une sim- ple parole detoi, dit-il, vaut mieux que le serment d'un autre, u C'est vers ce temps que se forma la liaison de saint ftloi avec le jeune Dadon, plus tard eveque de Rouen, et connu sousle nom de saint Ouen. Malgre leur diflfcrence d'age, car filoi avait une vingtaine d'annees de plus que' son ami, leur union fut toujours sincere, el, fondee sur une estime r^ciproque, clle ne s'eteignit qu'avec leur vie. Quoique son existence s'ecoulat au milieu de la cour, ilne faut pas croire qu'filoien adoptatles habitudes cor- rompues ; il entreprit au contraire d'y mener une vie plus reglee qu'auparavant, et s'astreignit a des penitences austeres. La purete de ses mcEurs, ses devotions conti- nuelles faisaient I'admiration de ceux parmi lesuue's il vivait, et dont il etait k la fois la critique et I'exemple. Clotaire etant mort, son fils Dagobert, roi d'Au. Tenant sa meche allumee, il s'olanca vers un baril de poudroqu'on avait, par hasard, tiri^ de la sainte-barbe. Tout I'^quipage anglais, .se voyant pres de perir, fut saisi d'effroi. Les Francais qui fetaient dans les vaisseaux de Jean Bart, I'ayant entenda, so mirent promptement dans des cha- loupes, monterent h I'abordage du vaisseau ou il elait, taiUerent en pieces une partie des Anglais, firent les autres prisonniers, s'emparerent du vaisseau. En vain lo capitaine anglais representa-t-il qu'il etait daus un port neutre, Jean Bart I'enleva et le conduisit h Dunkerque, II laissa au port de Bergen I'aulre vaisseau anglais qui n'etait pas complice de la trahison du capitaine- • 11 est bon dobserver cependant que pour tout marin le baril de poudre qu'un avait , par hasard, lire de la sainte-barbe, est une absurdite. Car il faudrait admettre que CO baril fiit decouvert, ce qui seraitune absurdileplus grande encore. Une autre version pri'tend avec plus de vraisemblance que Jean Bart s'olanca h I'eau, et qu'ii scs oris ses fideles malelots accoururent. Quoi qu'il en soit, cette seule anecdote senible tout a fait, quant au fond, dans les limites de la possibililo. II n'en est pas de meme pour toules les autres plus ou moins burlesques que cite Richer , et qui tendent^^ faire de Jean Bart un porson- nage houffon et grossier. En 1693, il se trouva commander le vaisseau le Glorieux, de 62 canons, sous les ordres de Tour- ville, et assisla a la brillante affaire de Lagos, qui vengea la marine franciiso du dcsastre de la Hogue. II JEAN BART. 173 se scpara ensuilc de la (lotic, et ayant fait, prfes de Faro, la rencontre de six navires hollandais, il les fit cchouer et les brilla. Rentre h Toulon, il rerut bienlot I'lirdre de venir a Duiikerque prendre Ic commandemont de six fregates destini^es h ramener de Vlecker en France une tlotle chargce de blii. II fut aussi heureux (ju'cn 1691 et con- duisil heureusement son convoi a sa destination au travers de nombreux vaisseaux ennemis. Le \o decembre de la meme annee, il prit encore pres des bancs de Flandre trois fregates anglaises qui escortaient des bJtimenls por- tant des munitions de guerre de Norwege en Angle- terrc. Le 28 juin de I'annse 1C94, Jean Bart partit de Dun- kerque pour aller au-devant d'une llolte chargee dc ble. Le lenderaain, entre le Texel et la Meuse, il renconira, a douze lieues au large, huit navires de guerre hollandais dont I'un portait le pavilion de contre-amiral. La Qotte de grains etait lombee entre leursmainsetdejii ils avaient amarine tous les vaisseaux qui la composaient. Jean Bart assembla son conseil k deux portees de canon des vais- seaux ennemis ; le combat fut decide, bien que les chances ne fussent pas egales, et Ini-meme aborda le contre-amiral Hyde de Frise monte de 58 pieces de canon. En une demi-heure il enleve ce navire apres lui avoir tui5 ou bless(5 cent cinquante honimes. Le contre- amiral rerut dans cette action un coup de pistolet dans la poitrine, un coup de mousquet dans le bras gauche, et trois coups de sabre a la tete. Deux autres navires de 50 et de 30 pieces de canon tombeient en son pou- voir; les autres prirent la fuiterTiotre inlrepide marin s'assurn aussilot du convoi, amarinases prises et rentra glorieu-scment dans les ports do France. Le roi, pour recompenser Jean Bart de cette action, lui accorda des lettres de noblesse et lui permit de placer une lleur-de- lis d'or dans I'ecusson de ses armes. II fit aussi frapper une medaillepour transmeltre ^ la poslerite le souvenir du combat du 28 juin IG94. On y voit la proue d'un navire qui est au bord de la mer, et Cer&s sur le rivage, tenant des epis. Apres la prise du convoi, le ble. qui valait trente livres le boisseau, tomba a trois livres. C'est ainsi qu'un seul homme fit renaitre par sa biavoure la joie dans sa palrie, qu'une disette inouTe avait plongee dans la desolation. Voici un trait qui prouve le degre d'exaltation qui ri'gna durant cette cclebre bataille; nous le rapporterons d'apres Richer. « Un jeune marin provcncal R^ dit-il, une action qui merite d'etre rapportee. Joan Bart dil, en abordant le vaisseau contre-amiral des Hollandais, qu'il donnerait dix pistoles a celui qui lui apporterait le pavilion de contre-amiral, et six k celui qui lui apporterait le pa- vilion de poupe. Ce marin s'elance avec les autres sur le vaisseau ennemi, monte au grand mat pour enlever le pavilion; le contre-maitre I'apercoit, et lui tire deux coups de fusil dont I'un lui perce la main, I'ailtre la cuisse. Le marin d'un sang-froid presque incroyable en- veloppe sa main avec son mouchoir, et sa cuisse avec sa cravale, continue de monter, enlfevele pavilion, s'en fait une ceinture, descend et va sur la dunette pour enlever le pavilion de poupe. II I'a deja detacheSi moitie, lecontre- maitre I'apercoit encore et lui porte un coup d'espoiilon. Le marin se rolourne, prend une hacho d'armes qu'il porle i son c6t(^', en donne un coup du pio au contre- maitre, lui cr6ve un oeil, le renverse par terre, continue de detacher le pavilion, I'ajoute a sa ceinture et va les porlor tous deux i Jean Bart, qui lui donne la recom- pense promise. • Au mois de novembre suivant, Jean Bart partit de nou- voau avec son escadre pour aller en Norwege chercher un convoi de ble qu'il ramena a Dunkerque, sans ren- contrer dans sa route un seul vaisseau ennemi. Les Anglais et les Hollandais ayant, en 1693, fait des preparatifs immenses pour renouveler leur tentative de detruire quelques-uns des ports francais, leur armee navale parut le 14 juillct devant Saint-Malo, qui lancait chaque jour sur eux tant d'intr^pides corsaires. Le lende- main, elle jeta sur la ville neuf cents bombes, dont cinq cents porterent. Dix a douze maisons seulement furent brulees, et trente-cinq ^ quarante endommagees. Jugeant alors I'impossibilitederecueillir des resullats plusimpor- tanls, I'escadre mit a la voile le 1 5 et vmt mouiller devant Dunkerque. Mais Jean Bart etait Ik, qui par ses habiles manoeuvres et le feu bien nourri qu'il entretint dans I'un des forts, obligea bienlflt I'ennemiti seretirer, apres avoir jetc dans Dunkerque douze cents bombes et tirt' deux mille coups de canon qui ne firent pas pour cent pisloles de dommage. Tel est le tri.ste re.sultat que recueillirent, apres des frais immenses, les Anglaiset les Hollandais pour se ven- ger de la vdle celebre dont lesheroi'ques et terribles cor- saires leur avaient cause tant de desastres depuis trois siecles. Louis XW, pour recompenser ses nouveaux services, accorda a Jean Bart une pension de deux mille livres, et eleva son fils au grade de lieutenant de vaisseau , ([uoi- qu'il n'eut alors quedix-huit ans. A cette epoque, Louis XIV voulut faire quelque diver- sion en Angleterre en faveur de Jacques II; mais I'expe- dition echoua. Jean Bart recut I'ordre d'aller croiser avec son escadre dans le Nord. II sortit de la rade de Dunkerque, Te 17 uiai , h dix heures du soir, malgre quatorze vaisseaux qui s'y trouvaient pour emptVher sa sortie. Apres trente et un jours de croisicre, il jnignit une floUe hollandaise de quatre-vingls batimenls, escortee par cinq vaisseaux de guerre qu'il attaqua aussilot et qu'il enleva apres un combat tres-opinialre. 11 etait occupe k capturer le convoi, lorsqu'une escadre de douze vaisseaux de guerre hollandais arriva vent arriere. Jean Bart retira alors ses equipages des prises qu'il avait amarinees, fit pas- ser Ions ses prisonniers dans I'un des vaisseaux de guerre qu'il renvoyacnHoIlande,mitle feuauxquatreautres;et ce ne fut que lorsqu'il eut vu la derniere de ses quatre prises consuinee jnsqu'k la quiUe qu'il mit & la voile devant I'cnnemi confondu d'une telle audace. Pour rentier dans les ports de France, il lui fallut encore passer h travers trente-trois vai-sseaux anglais et hollandais. Louis XIV, digne appreciaCcur des hommes qui illustr&ienl son rcgne, cHeva Jean Bart, a la suite de cette campagne, au grade de chef d'csradre. II etait alors age de quarante-six ans et domi. On a pretendu h tort ou a raison que ce fut Louis XIV lui-meme qui apprit a Jean Bart cette nomination en lui disant : 'Jean, llarl , je vntis ai fail chef d'cscadre, • et que rinlrepide marin lui fit cette reponse devenue ccle- bre : ■ Sire, vuiis avez bien fail. ■ Si Jean Bart a rcellc- 176 JEAN ment fait cette reponse, cela prouvc qii'en homme supe- rieur, qui a la conscience de ce qui! \aut, il a exprim^ avec une belle naivete rintime pressenlinicnt de ses forces. Quelques mois apr^s, le prince de Conii ayant ete elu roi de Pologne, Jean Bivt seid fiit jugfi capable de la pe- rilleuse mission de faire passer Ic prince ^ travers une mer couveiie d'ennemis. A cet clTet, il fit armer six fre- gates, les plus fines voilieres qu'il put Irouver, mil k la voile dans la nuil du 6 au 7 septembre, et, le 26 du BART. nieme mois, cntra en rade de DaiUzick. A son arriv^e, le prince de Conti apprit que son competiteur avail dejii etc couronne ; il crut alors ne pas devoir poufser plus loin ses pretentions, et fit inimediatement rcmcttre a la voile. Jean Bart le ramcna en France avec autant de bonheur qu'il I'avait conduit. La paix signee a Riswick, en 1697, lermina la corriere maritime de notre lieros , qui n'avait ete qu'une longue suite d'exploits. II en profita pour se reposer , au milieu de sa famille, des fatigues qu'il essuyait depuis e-l/Ifl- t£«,1Ai' Jean Bait s'elanci ml haril de poiidri un temps considerable. Mais la mort du roi d'Espagne, Charles II, qui nomma par son testement le due d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, unique b^ritier de la monarchic espagnole, amena une conllagration generale. « Le roi, dit Faulconnier, qui s'attendait bien a une rupture, avail envoye des ordres dans les ports de France d'armer les vaisseaux de guerre qui y etaient, et particulierement ii Dunkerque. L'on y travailla aussitot k armer une esca- dre qui devait i^tre comniandee par M. Bart, a qui le roi avail envoye un fort beau vaisseau de 70 pieces de canon, appeli5 le FendanI, fort bon voilier, nou- vellement construit au Havre, et sur lequel notre illustre marin devait se meltre a la tSte de cette escadre. Ce brave officier , ravi de monter ce navire, travailla avec tant d'activite a mettre ses vaisseaux en etat d'aller en mer, qu'il fut surpris d'une pleuresie qui le mil au tombeau, le 27 avril 1702, a I'Age de cinquante-deux ans, regrctte generalenient de tout le mondeet particulifc- rement du roi, qui savait bien qu'il ne Irouverait qu'a- vec peine un officier de sa capacity, pour remplir un poste aussi difficile que celui de ce port. • Telle fut la Rn de cet homme celebre qui, apres avoir He respecte par le canon des bataiUes, mourut au foyer domestique. • II avail, dit Faulconnier, son contempo- rain, la taille au-dessus de la mediocre; le corps bien fait, robuste et capable de resister a toules les fatigues de la mer. II avail les traits du visage bien formes, les yeux bleus, le teint beau, les cheveux blonds, la physionomie heureuse el tout a fail revenanle. II avail bcaucoup de bon sens, I'esprit net el solide, une valcur ferme et tou- jours ^gale. II 6tail sobre, vigilant et inlrepide : aussi prompt k prendre son parti, que de sang-froid k donner ses ordres dans le combat, oil on I'a toiijours vu avec cette presence d'esprit si rareet si necessaire en de sem- blables occasions. II savait parfaitement son metier, el il I'a fait avec tanl de desinteressement, d'approbation el de gloire, qu'il n'a du sa fortune el son elevation qua sa capacite eta sa valeur. » Le corps de Jean Bart fut enterr6 dans le chceur de l;i paroisse de Saint-Eloi de Dunkerque ; on y lit encore cette epilaphe sur la pierre tuniulaire qui est adossee contre la niuraille lalerale de cette eglise : D : 0 ; M. Cy gist messire Iban Babt, en son vlvnnt eke/ d'escadre des nrmees novates dn Toy, chevnlier de Vordre militaire de Saiiit-Louis, nali/de cede viLle de Dunkerque, decede le 27e d'avril 1702, dnns la 52e annee de son age, don/ it a ete employe vingt-cifiq au service de sa Majesle ; el Dame Mahik lACftUELiSE Tuggb sa/emme aussi native de cette ville, qui mourut le i /eerier 1719, (igee de 5b ans. Prie: Dieu pour leurs Cimes. PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FUANrt:. i" PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE. . 1 out a coup, apresavoir J .lepasse Crancey, la Seine Vieunit tous ses bras dis- ■? |ierses et devient un fleu- ve imposant, des lors na- ■^ vigable; son courant ne ren- contrant plus d'obslacle devant elleen aval, elle coule desormais libre et forte. Ello baigne, apres Crancey, le bourg Ires-antique de Ponl-sur-Seine. C'esI pres de cette localile que I'ar- mee d'Allila fut delruile par Aelius. Chilpe- ric y rampa quand il marcha a la rencontre de Sigebert, campe lui-meme k Arcis-sur- Aube. Pont-sur-Seine fut donne par Louis XIII h Louise de Guise, veuve de Francois de Bourbon, prince de Conti; elle le vendit au surinteiidant Bouthillier de Chavigny, qui y fit bitir un chateau magnifique sur les plans de Lemuet; il se composait de quatre corps de billimenl a deux eta- ges synietriques, ayant aux angles des pavilions carres. Sous I'empire, ce chateau appartenait h la mere de Napo leon; cet honneur causa sa mine; il fut briile et detruit par les allife, et le bourg n'echappa point aux fleaux de I'invasion. Mais, comme Mery, il put se relever de ses mines. Pour reparer tant de mallieurs, Louis XVIII donna a ce bourg important le titre de ville, et lui iniposa le noni de Pont-le-Roi. Mais, en depit de lavolonte royale, Pont- sur-Seine relint son ancien nom, donl il etait si fier, et n'en conscrva pas moins, du reste, le titre de ville. Non loin de la Seine, a Test de Pont-le-Roi, se trou- Vuc Jti Pdraclel. vent de grosses pierres brutes dont quelques-unes ont jusqu'a vingt-quatre pieds de circonference. Ce sont ou ill's autels druidiques, ou des monuments eleves par At- liki sur le champ de bataille pour y faire des sacrifices. On rencontre encore dans les environs des monuments que Ton a preteiidu faire passer pour des tombeaux re- mains; mais les armureset les medaillesqu'on y a trouvees n'attestent pas une origine aussi reculee. Aprfes le village de Marnay, la Seine envoie vers la droite le canal de Cour- tavant, qui permet a la riviere de Villenose d'etre navi- gable. Puis, se partageant en deux bras dont le moins important prend le nom deVieille-Seine, elle se divise en- core en plusieurs branches et inonde les vastes prairies qui s'etendent au nord de Nogent et de Bray ; I'autre se di- ll. rigo vers Nogent et recoit I'Ardusson, petite riviere pleme de souvenirs. C'est sur les bords de ces eaux tranquilles que trouva un asile, apres ses malheurs, le celebre Abeilard, qui fut I'objet de tant de persecutions. II s'y bftlit une pe- tite chapelle en feuillages qu'il nppela le Paraclel, .suit en I'honneur du Saint-Espritauquelon I'accusait injuste- ment de ne pas croire, soit par allusion au mot grec pa- raclfsis, consolation, parce que c'(5lait le premier lieu oil il eut pu trouver un refuge contre les poursuites do ses ennemis. Mais la liaine et la mcchancete vinrent en- core le tourmenler dans cet endroit, oii son talent , d'ailleurs, n'avait pas tarde a lui atlirer une foule de dis- ciples. I 12 178 J'ETITS VOYAGES Oblige de qiiitler sa letraile, il appela Heloise, qui ac- courut avec ses rcligieiises et y fonda la rtltbre abbaye du Paradet. Apies la mort d'Abeilaid , HcloVse obtint e corpi! de son epuiix, qu'on liii rapporla de Chalons, et unjnieme tombeau reunit enfin apres lour mort deux iri- fortunes que la falalili' avail loujours, pendant leur vie, tenus sepaies. Nogcnt-sur-Seine nous offre bion d'autres souvenirs. C'est une petite ville, sur les confins de la Champagne, qui apparlint au neuvieme sitcle aux abbes de Saint-Denis, puis passa au doniaine royal, dont elle fut distraite par le surinteudanl BoulhiUier de Chavigny, qui la vendit a la famille de Noailles, dont le chef fut le dernier proprie- taire de cette cite'. Napoleon etait h Nogent en 1814 lorsqu'il apprit que, dedaignant les negociations quidevaient servir de base aux negocialions du congies de Cbatillon, les allies, a I'insligalion de I'Angleterre, voulaient que la France ren- tiat dans ses limilcs de 1792. Irrite de pretentions si excrbitanles, Napoleon reprend I'offensive, defait I'ennemi dans cinq affaires, le culbute partout, car a cbaque endroit ou il clait, dans cette derniere et douloureuse lulte conire la fatalite, la vicloire lui reslait fidele, ou plututsend)lait ^tre hon esclave. Mais il ne pouvait pas se multiplier, et I'ennemi, repousse sur un point, revenait sur un autre. .\vant de quitter cette ville pour secourir une autre po- sition nienacee. Napoleon la mit a I'abri d'un coup de main. Les maisons qui regardaient la campagne furent crenelees, des artifices furent prepares pour faire sauter les ponts au besoin Le general de Courmont fut charge de la defense cts'en acquitla honorablement. Pendant trois jours Nogent resista a I'armc'e du prince de Schwarlzem- berg, et ses defcnseurs ne I'abandonnferent qu'a la der- niere exireniile, c'est- C'est par ce Irou-lit, « repondit un moine, que les Anglais sont enlrcs en « France. » En effet, ce meurtre n'eut d'autre resullat que de ranimer la fureur des guerres civiles et d'omener une nouvelle invasion etrangere. Le pent de Montereau a ete en quelque sorte purifie par Napoleon. C'est la que le grand capitaine accomplit un de ses actes les plus glorieux, et foudroya d'une ma- nlere terrible les enneniis du p^iys, qu'il eorasait presque en merae temps sur les bords de I'Vonne et sur ceux de la Seine. Deja vainqueur a .Mormant et a Nangis, il vou- lut pousser plus loin ses succes, et il atlaqua a Monte- reau le prince de Wurteniberg, qui, apres la prise de Mo- ret, avail concentre ses forces dans les plaines situ^essur le coufluent de I'Vonne et de la Seine. L'ennemi recula etonne et demanda la paix. Mais la mauvaise eloile qui presidait depuis trois ans a sa destinee engagea Napo- leon a rejeterces propositions qui pouvaient lout sauver peul-fitre. Quoique la Seine soil navigable depuis Mery, et bien Cfu'elie ait recu I'Aube et la Voulzie, elle a encore si peu d'imporlance qu'on la nomme dans ces localites Petile- Seine, et que la navigation s'y trouve souvent inlerrom- pue il I'epoque de la sechcresse. Elle ne devient reelle- ment importante que par sa jonctiun avoc I'Vonne. Ea cet endroit, sa rive droite est bordee de collines qui ca- client anx yeux les plaines fertiles de la Brie, cou\crtes de moissons jaunissantes. La rive gauche a un aspect tout diilerent. Le sol y est aride, plein de rochers et de bru;eres. De la le nom de Galine, donne ancienne- nient i> la contree ; Gatine deriverait, diton, par corrup- tion, du mot vaslo, vaslave, ravager. Mais le travail et I'indnstrie ile Ihomnie ont \aincu celtc slerilile funeste, et snr les cutcaux qui se succedent depuis Varennes et la Grande-Paroisse, et qui semblaient destines par la nature a ne produire que des ronces et des planles sauvages, on voits'i'lever des treillesmagnifiques dont les fruits exquis vonl couvrir nos fables les plus recherchees. A trois lieues au-dessous du confluent de I'Vonne, la Seine recoil le Loing, petite riviere qui vienl de Saint- Sauveui, dans le departement de I'Vonne, et dont le cours est de trenle lieues; elle alimaiite le canal de Loing, qui joint la Seine a la Loire. Ce canal fut creuse sous Henri IV, qui en eoncul lui-meme le projct. II commence a Buges, au-dessous de Montargis, else forme de la reu- nion des canaux de Briare et d'Orleans, qui viennent de deux points diflerents de la Loire; il suit le cours de la riviere du Loing, qui s'avance a droite ou a gauche, et avec laquelle i! se confond souvent ; puis il entre dans le ifcpartement de Seine-et-Marne ; tons deux pa-tent en- suite a Nemours et a Moret, et se jellent ensemble dans la Seine vis-a-vis de Saint-Mammcs. Pri's de leur confluent on voit des fondations appelees le Vieux-Morel, sur les anciennes limites du Gatinais et du Hurepoix. Ces ruines sont peu apparenles, elles re- monlent a plus de douze siecles. C'est li peut-6tre qu'etait la villo, le bourg ou le liameau de Lulo-Fao ou Leucofao, efface maintenant de la carte et presque des souvenirs de I'histoire. Cette localile a ete confondue avec Dormelles- sur-Orvane, ou Theodoric, roi de Bourgogne, et Theode- bert, roi d'.\ustrasie, livrei-ent une bataillea Clotaire, roi de Paris. La Seine, grossie par le Loing, couleji travers une val- lee i'troite bordee de coleaux dont la cime se couronne de bois. A gauche apparait la lortH de Fontainebleau, k droite s'elevent celles de Valence et de Champagne, vieux restes de ces forets primitives dont jadis furent couvertes les Gaules , principalement la Brie et le Gatinais. Sur la lisiere de ces forets sont les villages de Champagne, de Thomery, qui possede d'admirables treilles, et de Samo- reau, qui domine le fleuve. En face de ce dernier, la rive va en s'elargissant sur la gauche, et il s'en ^chappe une etroite vallee qui semble d'abord se perdre au sein de la forM, puis se prolonge et court jusqii'a Fontaine- bleau, qu'on distingue dans le fond, entre deux coteaux couronne de vignes. L'horizon devient plus borne sur la Seine ; il se res- serre encore quand le fleuve passe sous le pent de Va- lois, monument du presque entierement a la munifi- cence de Louis Will, qui'fournil tousles bois necessaires a sa construction. Ce pent en a remplacc^ un plus ancien dont les ruines apparaissent plus has, sous Samois et He- ricy, villages situes a mi-route de Moi-et ii Melon. L'im- porlance de leur position sur les deux rives du fleuve s'e- tait fait sentir avanl la fondatiou de Fontainebleau ; elle 08 PETITS VOYAGES SUU LES lUVlERES DE FRANCE. ful perdue qnnnd die dcrniere villc sorlil de terre. Oil a donnc le nom de Samois a la plus anciennc porle de Moret, ce qui a fait supposer ix ce village une anti- quite fort reculoe. Quand Louis le .Icune fit bStir la cha- pelle de Saint-Salurnin, qui fut I'origiiie de Fontaine- bleau, il accorda a cetle fondalion, par une charte de 4169, six muids de vin, mesure de Samois, Ji prendre dans son clos d'Hericy. Si le vin y ilrfmiK. dit la charle, il sera supplee par celui d'Hericy. Cela prouve en tout cas combien e-it anrienno la reputation de ces vignobles. C'est pres de Samois que se noyerent en se baignant les deux comtes de Sancerre, freres jumeaux de la race royale, nes le mcme jour, morls dans la ni^me journee, el inhu- mes dans la meme tombe, ii I'abbaye de Barlieau. Le village d'Hericy fut autrefois une petite ville ornee de mnrs dont il reste quelques traces. 11 communiquait avec Samois par nn beau pont de pierre dont les ruines subsistent encore. La construction en est attribute aux Remains, el la demolition a Luuis XL qui I'aiirait fait ii- (ruirc dans le but de se garantir des invasions des Bour- Viie di! MoiiliTt'.iii guijiions, avec lesquels il etait en guerre. L'ancicn clii- teau d'Hericy appartenait a la famille d'Hcnriette d'En- tragues, qui poss^dait aussi dans les environs le chateau de Graville. On trouve dans ce dernier un tour de lit et quelques nieubles dii temps. Sur la rive droite de la Seine, a I'an^le forme par deux coleaux, dont I'un suit le fleuve et I'aulre un petit ruis- reau qui s'y jelte, s'elevait autrefois la celebre abbaye de Barbeau, fondee par Louis 'VH ii Seine-Port, au-dessous de Melun, et transferee en cet endroit sur les limites du territoire d'Hericy et de Fonlaine-le Port. On ignore le veritable motif de ce'.te fondation, qui fut faite avec une magnificence toule royale. On a dit que Louis VH avail eleve cette abbaye en memoire d'un barbeau pecbe en cet endroit et dans les intestins duquel on trouva une pierre precieuse. On a pr6tendu, d'un autre cote, qu'il avait fait biUir Barbeau sur les instances d'Alix de Cham- pagne, sa seconde femme, pour remercier Dieu de lui avoir donn6 un fils, Philippe-Auguste; mais il y a la une errenr, puisque ce prince est ne en H65, c'est-a-dire vingtansapres la fondation de Barbeau. L'eglise de I'abbaye poss6da le corps de Louis VII, qui avait demande a ^tre enlerre. Charles IX eut la curio- site de faire dteouvrir sa tombe, et on trouva le corps as- sez bien conserve. Le cardinal de Fustemberg restaura le lombcau avec le plus grand soin ; I'ubbe de Rastignac, dernier titulaire de cetle abbaye, qui possedait bien d'au- tre> monuments remarquables,le fitreconstruireensuiteen entier. Mais, depuis, tout a 6te detruit et nivele. L'feglise a i'tc demolie, et les b^timents du cloitre furenl donnes, sous le regime imperial, a la Legion d'honneur pour en faire une maison d'education dostinte aux orphelines de cet ordre glorieux. Tout cela estdevenu la propriete d'un simple parliculier. Au nord de Barbeau commence la foretqui couronne la coUine et s'etend jusqu'a Fontaine-le-Port, village situe, comme I'abbaye, h I'emboucluire d'un petit ruisseau. En cet endroit le lleuve change de direction ; il court vers I'ouest, passe au liameau de Massoury, sur la lisiere du JJuisson du m6me nom, et ^'a arroser Charlrettes. On s'est ba.se sur uno prelendue etymologie fort pea eupho- nique pour avancer que ce nom, qui signifiait toutsim- plement pctil cliulcau, s'etait forme des deux mots cliere relraile; ce qu'il y a de vrai en cela, c'est que rien n'est plus agrfeable que ce village. De sa position elevte sur la rive droite de la Seine, on jouit d'une vue delicieuse qui s'etend ju.squ'^ la partie nord de la forfit de Fonlaine- bleau. A Chartrettes, on voit le chateau du Pre, nne des nombreuses maisons de plaisance que posseda Gabrielle d'Estrtes. A. L. Ravergie. LES AVENTCKliS BIZARRES DE M. DE COGNE-FETU. in m mmm mmu m i. m mmm, COME IIOKAL. CllAPlTRE I. La am lie CoBne-FOio. — »I. de Cosne-F#Iu. Je vous prosente M. de Cogne-Folu p6re. C'est un petil liomme qui grisoniic et qui petille; il couil, il va, il vient eomme une loupie, — et il i:orle une grosse canne sous le bras. Runlier depuis trenle ans, il s'est trouve fort cmbar- rassi' du bcsoin d'activite qui le dihore. II a fini, faute de micux, par TappUquer aux chases les plus communes de la vie ; — s'il sort pour se promener, il renlre aprcs avoir fait dix licues; — s'il gralte la terra avecsa canne, il finitpar y pratiquer une fosse de six pieds. Une fois, il a essaye d'un emploi quelconque dans un ministere. II brisait par jour deux paquets de plumes, rossait troisgarcons de bureau ct brouillait tous les folios des registres. — Au bout d'une semaine, il avait otfert sa demission. Du roste, c'est le mcillcur homnie du monde; il a etc eleve [dans d'excellents principes. — II se trouvait avec I'oncleFrejus. On pau\re diable lesaccosle. M. de Cogne- Fi'lii pcre. Fetu avait oublie sa bouise, et, comme I'oncleFrejus n'a jamais d'argent, — il lui donna le chapeau de I'oncle Fit'jus. Par exemple, si vous le regardez d'un air mechant, il vous passera sa canne au tra\ers du corps. Je vous en averlis. Madame de Cosne-Ffin. Madame de Cogne-Fetu est devant vos yeux. M. de Cogne-Fetu I'a epousee I'liiver dernier, parce qu'il n'avait pas autre chose a faire, — et qu'elle-ni^me I'avait dcfie de lui offrir sa main. C'est une femme de taille ordinaire. Henry Monnier a fait d'elle vingt portraits. Bile se lient la tete haute ct les pieds en dehors. Elle porle un chapeau a plumes les dimanches et sait bon nombre de rccettes centre les lirulures. Sa vivacite est pour le moins aussi grande que celle (le son epoux. Si bien que lorsque monsieur et madame de Cogne-Fetu se prominent ensemble, I'oncle Fr6jus a toujours le soin de so tenir a distance, de peur qu'en se choquant ils ne viennent a prendre feu I'un I'autre et que I'incendie ne se propage jusqu'a hii. Or, I'oncle Frejus craint extremement les incendies. Cette respectable dame, qui ne conipte pas moins que quarante printemps.est sur le point dedonner un iKirilier au nom desCogne-F^tu. Mtijjmo (le Cu^iic-rulu, L'uitcie Frejus. Voici venir I'oncle Frejus. L'oncle Frejus est le personnage le plus veitueux qui se puisse e.\traire des nielodrames de I'empire. II a beau- coup connu M. Marty, et il fait ses delices de la sociiSte de M. Moessard, — artiste de la Porte-Saint-Mailin et prix Montyon. L'oncle Frejus est grand et sec. II porte une perruque blonde qui lui descend sur les yeux. — En revanche, sa physionomie respire I'onction et la niansuetude. L'oncle Frejus ne manque jamais d'aller voir lever I'aurore. — II fait peu de bien, mais il pourrail en fane da\anlage. Malheureusement il ne met jamais d'argent dans ses poches, il craint les voleurs. Les voleurs respec- tent si peu la vertu, — quand elle est riche! L'oncle Frejus n'a jamais contredit personne. II est lonjours de I'avis de son beau-frere contre sa soeur, ou de sa soeur contre son beau-frere, a moins cependant qu'il ne soil de leur avis muluel sur chacun d'eux; ce qui lui arrive maintes fois dans la nirme journee. L'oncle Frejus a le nez barboudle de tabac, ce qui est le propre des gens vertueux. II est eternellement mum d'une tabaticre de corne, qui lui vient en ligne directe du valet de chambre de I'abbe de I'ftp^e. — II ne lit aucun journal, dans le but de conserver sa vue. L'oncle Frejus n'a pas d'Sge. 182 LES AVENTUR Expltcallonfi, que plusleurs jjii^eroni ii<>cessalres, Bur rorigliie flu mot Cogiic-F^iu. M:unlenant que vous connaissez les personnages do cctte vciridique liisloire qui va sederouler sous vosyeux, — je puis entrer librementen matiere. Car je ne suis pas de ces auteurs qui vous racontent tout simplcmpnt I'histoire de Pierre oil de Stanislas, sans vous dire au juste de quel Stanislas ou de quel Pierre il s'agit. Loin de la. J'imagine done avec plaisir que lorsque \ous verrez passer mes acteurs dans la rue, vous n'eprouverezaucune hesitation k dire : Voici monsieur de Cognc-Fetu ; Voici madame de Cogne-Fetu; Voici I'oncle Frejus ; Bien qu'ils aient peu vieilli depuis ce temps-la ; Car men liistoire date — de ce temps-la. Un mot encore, je vous prie. II y aura des gens assez taquins pour prctendre qu'on ne s'appelle pas Cogne-Fetu. C'est parce que je connais la malice humaine que je dois m'attendre ci tout do sa part; — aussi vais-je d^truire cetle objection avant qu'on ne I'ait soulevee. On ne s'appelle pas Cogne-Fetu, grand Dieu! Mais comment s'appellerait-on, de grfice'? Cogne-Fetu a-t-il quelquB chose de deplaisant en soi? Au contraire. Cenom sent la boniiecompagnie a une lieue, et la particule qui le precede en releve merveilleusement le gout. 11 n'est pas vraisemblable, diles vous. Aliens done! Et que diriez- vous, s'il vous plail, si je m'avisais de marcher sur les traces de Voisenon, qui raconte avec un grand serieux les avenlurcs du prince Je ne sais comment avec la prin- cesse Nc vous y fiez pas, dans le royaumede A"?m;)oj7e ou? Voila qui est bien autre chose. Cogne-Fetu est, ce mesemble, infinimenl plus presentable que ces noms-la. D'ailleurs, pour achever de vous convaincre, je vous dirai que Cogne-Fetu prend son origine d'une terre sise dans le Gevaudan. Ceci pos^, — va done pour Cogne-Fetu. Oft l'in»trOC coinniencc. Depuis quelques mois, M. de Cogne-Fetu se laissait bercer par les doux nives que faisaitnaitre dans son iime Vapproche de la palernite. II regardait complaisamment sa femme et causait avec I'oncle Frejus en lui 6pargnant les invectives donl il raccablait d'ordinaire, — ce qui fait que celui-ci ne laissait pas que d'etre visiblement embarrasse de sa personne. Lui, I'elernel conciliateur des deux puissances conjugales, se trouvait chfimer d'emploi. II ecoutait benoUement les louanges adressees de pait et d'autre au fulur nourrisson, et, dans un mo- ment d'entrainement, it avait ete jusqu'a promettre de lui acheter une carriole et un cheval de bois. — En v6rit6, il ne pouvail faire moins pour sa filleule. Je dis sa filleule, — parce que M. de Cogne-Fetu avait decide que son heritier serait une herititre; et comme sa femme, par extraordinaire, avait ete de son avis, I'oncle Frejus s'etait range vitement k leur opinion. II itait pret 5 le soufenir devant le monde entier. — C'est une fillf^, avail dit M. de Cogne-Fetu, et comme nous nous y altendons, elle sera la hienvcnue. Ah! si c'etait un garcon, cela me plairait infiniment davan- tage. Mais je ticns h ne pas etre desappointe ; je vous ES BIZAUKES. repfeledonc, Frejus, que c'estune fille et pas autre chose. Et lorsque I'oncle Frejus, qui n'avait jamais compris ce raisonnement, voulait hasarder la moindre reflexion, M. de Cogne-Fetu ajoufait d'une voix terrible : — Une fdle, Frejus, une fdle! Et I'oncle pacifique se taisait, en jouant avec sa laba- tiere de corne. Tous les soirs, auprte du feu, se balissaient pour le marmot d'innombrables chateaux en Espagne. — 1 Ma fdle, disait le pere, ne fera point une pctite- maitresse comme Ton en voit tant; ce sera une femme de tete, et je veux lui montrer la geometrie. — Pourmoi, dit I'oncle Frejus, si elle se conduit bien, je Jui achi;(erai un cheval de bois el une carriole, vers rSge de trois ans. — Je pretends, disait la mere, qu'elle soit gracieuse comme une grande dame et qu'elle fasse la r(''verence comrae uneniailresse de piano. — Pour moi, dit I'oncle Frejus, je lui achelerai une^ carriole et un clieval de bois, si elle se conduit bien, vers I'Sge de quatre ans. — Elle n'aura point de vapeurs, ajoulait le pere; une education virile me plait; je lui ferai faire des armes, et elle tirera le pistclet comme Saint Georges. — La broderie, replii|uait la maman, sicd on ne peut mieux aux jeunes fdles. Je lui montrerai le crochet et le- plumetis. — Pour moi, dit I'oncle Frejus, vers I'iige de cinq ans, si elle se conduit bien, je lui achelerai une carriole et un cheval de bois. — J'aime h voir uno jeune personne s'^lever au-dessus de son sexe. Elle expliquera Vauban a livre ouvert et elle sautera les fosses sur un biilon. — Je .serai sa premiere maitresse. Je suis siire qu'elle mettra tous ses soins k m'obeir. Pauvre angel chere \alhalie! — Pour moi, dit I'oncle Frejus, je lui achetcrai, vers rSge de six ans Mais il fut interrompu par un soubresaut de M. de Cogne-F(5lu. — Nathalie! Nathalie! s'ecria -t-il ; el pourquoi Na- thalie plut6t que Fm/f'jfonrfc, madame'? Me feroz-vous I'amitie de me le dire? Nalhalie, un nom de sauleuse.... — He! de grJce, fit I'oncle Frejus. — Et poiirquoi, dlt madanic de Cogne-Felu en s'ani- mant, ne s'appellerait-elle pas Nalhalie? En quoi ce noni cst-il si nialsonnant, je vous le deinande? — Doucement, ma sceur. — Je trouve asscz etiange, conlinua M. de Cogne- Eetii, la pretention de disposer de ma fille sans men consontement ; sans doule, ce n'est rien encore de la noDinicr, vous I'eleverez dans vos priucipes et vous la marierez a votre guise. — PrecistMiienl, repliquait madame; Nathalie epousera un avocat, et c'cst nioi qui ferai le mariage. — Un avocat! Frt'j us, I'avcz-vous bien entendue? un avocatl 6 extravagance des femmes ! Mon gendre sera banquier ou je perdrai mon nnm. — Un banquier! Fri'jus.coniprenez-vousbien'? Homme interesse! il trafique de sa fdle pour de I'argent, il la sacrifio au veau d'or. — Ilola ! criait I'oncle Frejus, la paix, la paix ! — Madame de Cogne-Fetu, je vous montrerai que je suis Ic maitre a la fin. — Jlon clier beau-frere! — Monsieur de Cogne-F(5tu, je vous ferai voir que ma fille est il moi. — Ma chere sceur I I.'oncle Frejus eourait, essouffle, de I'un a I'autre, comme un volant eritre deux raquettes. — Ahls'erria madame dcCogne-Fetu, peut-on trailer ainsi une femraedans un(^tat semblable au mien! Quand je pensc, Frejus, que c'est vous qui m'avez conseille ce mariage ! — Peut-on s" montrer deraisonnalile a ce point! Fre- jus, je vous en voudrai toute ma vie! — IJuclle union pesante I Frejus, le ciel vous en de- mandora comple. — Vous qui me vantiez sa douceur, FrSjns ! — Vous ne tarissicz pas sur son caraclfere. Voyez maintcnant quelle tyrannie ! quelle cruaute! Alil mon- sieur, il taut que vous n'ayez point de pitie dans I'iime. DE M. DE COGNE-FETU. 185 bonnaire. SI. de Cogne Fetu se pendit ;i tons les cordons de sonnette en gc^missant. — Qu'ai-je fait? s'ecria-t-il; mon naturel m'a encore emporte. Pauvre petite femme! Adele, Josephine, de- lacez votre maitresse.... Ah! Frejus, c'est vous qui etes cause de cola. Soignez votre sceur, man ami, et faites ma paix avcc elle Je vais alter me promener. Ces scenes me font ti-op de mal. On emporia madame de Cogne-Fetu. — Son bouillant epouv, re.sle seul sur le champ do bataille, jeta une der- nifere fois autour de lui un regard oii le repentir le dis- pulait ti la victoire, et apres s'etre muni de sa canne, il quitta d'un air pourfendeur le theitre de ses exploils. Une lieure apres cetle crise, madame de Cogne-Fetu mctlait au monde le hcros de notre livre. L'attiqnc de lerf?. Une pareille scene, dans ma position... Je vais avoir dcs attaques de nerfs, c'est sur... Ah I — .iu noni du ciel, dit I'oncle Frejus, ne vous en avisez pas! — A'l'e... oh! ah! ah ! Et madame de Cogne-Felu, en se debatlani, alloni;ea plusieurs coups de pomg dans le visage de I'oncle de- Koire lioros nail irop (d(. II naquit trop tot, — cefat son premier tort. Jamais enfant nes'annonca par de plus feroces piaille- ments. Jamais Jupiter n'ebmnla de plus de cris la voOite azuree. L'oncleFrfejus en fiit abasourdi. Keanmoins, il le trouvacharmant. M. de Coffiic-F*lH so dispute avoc un coolier. — II est rejoiiil par Tonclc Frojus. — Cf qai sVusuil. — Epaiiclie- menis du ewur. — Kcpi'iMC des liosiiliio*. L'oncle Ff^jus courut toute la journee a la recherche de M. de Cogne-Felu, pour lui apprendre I'evenement heureux qui perpHuaitsa race. — II le trouva se dispu- tant dans la rue avec un cocher de lutecienne auquel il reprochait impelueusemeiit de lui avoir crie gare sans ajouter I'epithele de monsieur. — Concoit-on cela, Frejus, et avez-vous jamais rien vu de comparable a I'impudence de ce drole? — Ah ! Dieu suit loue , je vous trouve enfin. — Laissez-moi lui donner de ma canne sur les reins. C'est I'alfaire dedeux secondes. — Si vous saviez — Le maroulle I le ruslre! le belitre I — C'est a nepasy croire.... — Mais je le retrouverai... nuniero 312... relenez-le bien, Frejus. — Je suis Of cle! — Ilcin? fit M. de Cogne-Felu en le regardant de la tete aux picds ; qu'est-ce que vous diles done? oncle de qui, oncle de quoi? — Parbleu ! de I'enfanl que le ciel vicnt de vous en- voyer. — Deja ! dit M. de Cogne-Felu stupefait; diable d'at- la([uo de nerfs ! — Rassurez vous, loul le monde se porle a merveille. 18i LES AVENTURES BIZARRES DE M. DE COGNE-FETU. — All! Frejus, ah! nion ami! rcmolion me suffoque. Comment, je serais pere! CoiiroiisI vite. Feiulex-vous, fendez-vous, Frojiis, vous allez comme un hanni-'lcn. — Un lianneton, un hannelon... nous couions comme dcs gendarmes. — Preparez-moilesprit. II faut vousarracher les mols de la boiicho. Quel homme lerrible vous lailes! Vous ne m'avez rien dit encore de cet enfant. Fst-ce une fille? — Non. — Un garcon? — Non. — Comment, non? serait-ce un enfant a deux teles? — Non, miUefois non! — Quoi done '! Quoi donc?Quoi done? fitM.de Cogne- Fctu en pietinant d'impalience. — C'est un rds! — Vous m'ahurissez, vous ne me laissez pas le temps de parler. Hclas! oui, c'est un fils, et vous vouliez une fille. C'est un mallieur. — Mais au contrairc, vivent les fils!... Frejus, en Sles- vcus bien sur ? — Sans doute. — Vous me le jurez? — Certainemenl. „1 1. lu — Ah! courons. Mon cher Frejns, pr.'ssez le pas. Un rds, quel lionheur! Chere femmel Cher oncle! — Je I'ap- pellerai Clolaire. — AVe ! aie ! — Qu'est-ce done? — Ne contrariez pas ma soour; elle veut le nommer Alphonse. — Alphonso? jamais. — Songez a son etat. — Vous avez raison. J'aurai I'air de C(!der, — mais je I'appellerai Clotaire. On etait arrive. M. de Cogne-Ft^tn ne fit que troisen- jamb^es de I'escalier. Unefois chezlui, il selaissa lomber sur un fautenil, domin(5 par I'explosion des sentiments pa- ternels, jusqu'alorsinactifs dans son cfeur. Tout a coup uneporte s'ouvrit —et Josephine apparut tenant dans ses bras, enveloppe de lange*, I'herilier des CogneFetu. Dissimulant sa joiesous uneapparence digne et ri5servi'e, I'heureux pere s'avanca vers le marmot. Puis il le considera longuement. — Frejus, ne Irouvez-vous pas qu'i! me ressemble? — 11 y a le nez, dit I'oiicle avec bonhomie. — Ft la bouche? — La bouche aussi. — Et le menton? — Le menton encore. — N'est-ce pas? — II y a meme les yeux, ajouta I'oncle Frejus. — Les yeux ! les yeux ! le pauvre petit ne saurait les ouvrir. VoilS comme les fiatteurs t^garent les hommes. Josephine! allez me chercher du vin et une gousse d'ail. — Qu'en voulez-vous faire"? — Frejus, si vous aviez lu la vie d'Henri IV.vousm'e ■ pargneriez cette question. — Venez le tenir unpeu. L'oncle Frejus s'avanca avec precaution et rccut a son tour le precieux fardeau. — M. de Cogne-Felu, ayant pris unair solennel, frotta d'ail les Ifevresdu nourrisson. 11 voulut ensuite le faire boire, mais ce fut plus difficile, et il ne reussit qu'^ I'inonder de vin. L'enfanI, trouvant la sensation disagreable, se mit a beugler avec fureur. De plus, et faisant preuve d'une vigueurpeu commune dans un age aussi tendre, il donna du revers de la main dans le verre que tenaitson pere et le fit choir sur le plancher, ou il se brisa en plusieurs morceaux. — Le petit driile aura du caraclere! s'ecria M. de Cogne-Fetu enchante ! — Oui, ilest joli le caraclere! murmura sourdement l'oncle Frejus, qui avait recu sa part du vin renverse. En ce moment, madame de Cogne-Fetu ayant envoye reclamer son fils, on se rendit dans sa chanibre et Ton fit cercle autour de son lit. — L'oncle Frejus raconta I'epi- sode du verre, en epongcant son habit marron avec un mouchoir. — Pauvre enfant! dit la mere. Cher Alphonse! que cela est bien de sa part ! M. de Cogne-Fetu palit. — Ne la contrariez pas, lui dit l'oncle Frejus en le li- rant a part. — Soil, repondit-il; mais vous, qui serez son parrain, prometlez-moi de le nommer Clotaire. — Eh bien.... jevousle promets. — Je coniplesur votre parole. — .Ah I mon Dieu ! dit madame de Cogne-Fetu en sur- saut ; mais j'y pense, rien n'est pret, ricn n'est dispose pour cet amour nous n'avons pas m^me de nourrice. Frejus, mon bon frere, il faut que vous nous trouviezcela. — II y a, dit M. de Cogne-Felu, des biberons fort commodes qui sunt recommandes par tous les journaux. — Voulez-vous un biberon"? demunda l'oncle Frc'jus. — Point du tout, rt'pondit la mere, une nourrice, une bonne nourrice jeuneetbienporlante, rien qu'une nourrice. — Remus et Romulus, observa M. de Cogne-Felu, fii- rent allait(!'s piir une louve. — Preferez-vous lalou\e? dit l'oncle. — Mon frere, ne I'ecoiitez pas. Nous n'avons que faire| de tousces animaux. Une nourrice, je vous prie. — Allons, Frejus, ce que femme veut, je le veux. Allezl chercher une nourrice et promeltez-lui de bons gages.! Rien n'est trop cher pour Clolaire. Ici madame de Cogne-Fe'tu s'agita sous ses couvertures.i — De quel Clotaire parlez-vous? dit elle. — Paibleu ! de noire fils. Mais un coup d'a'il de l'oncle Frejus arrela rindiscretl beau-frere, qui, pour ne point sortir dcs goiids, s'esquival prudemment de la chambre. LES CROI — Frejiis, dit gravemenL madame de Cogno-Fetu, avjiit de partir il faut me proniettre une chose. Vous se- rez le panain de mon enfant, jurez-moi que vous le nom- merez Alplionse. — Je vous le promets, repondit-il. — C'est bien, je suis tranquiile, allez maintenant. Et le congediant d'lin air inajestueux, madame de Cogne-Fi'tu lira ses rideaux. — Diable ! diU'oncle Fri'jus, en se gratlant I'oreille, j'aurals pourlant bien voulu I'appeler Magloire. Gomnieiil I'onrle Frtjus sordi d'euiliarraR. Toutelait prepare pour la solennile du bapleme. La matinee qui pr^ceda re grand acte religieux vH I'oncle Frejus lout a fait en dehors deson assiette habi- tuelle. II semblait doming par une preoccupation puis- sanlequi I'isolaitdes evi^nemcnts ambiants. On eiit ditun savant accable par I'obscurite d'un problfeme et s'aven- turantau milieu dediverses routes pour en decouvrir la so- lution. — Quelquefois un eclair illuminait son regard : il croyait entrevoir le biais desire, mais un nuage obscur lui succedait rapidement etie rcplongeait dans d'epaisses l^n^bres. Les voituies arrivaient. II se laissa conduire dans I'une d'elles. Mais h mesure qu'on approchail de I'eglise, il 6tait facile de voir que son inquietude allait en augnientant. La ceromonieconimenca. L'oncle Frejus faisail passer sa labatiere de sa main ' droile dans sa main gauche, el vice versa. II marmottait SADES. 183 quelques mols de lalin d'un air plein d'effroiet s'clTacait aulant quo possible derriere un pilicr. Le prelre lui demanda : — Comment nommez-vous I'cnfant? L'oncle Frejus jeta les yeux autour do lui. Son beau- frere priait devotieusement. II se remit un peu et s'em- pressa de repondre : — Je ne sals pas. — Comment, dit le pr^tre, vous ne savez pas? — Non, je vous assure. — N'etes-vous pas son parrain? — II est vrai. — Quel est votre nom alors? — Magloire... mais L'oncle Frejus se pencha h I'oreille du prctre, et lui paria bas. — Bon! c'est facile i arranger. Etil baptisa I'enfant. M. de Cogne-FtHu arriva trop tard pour entendre le nom qui lui avail ete donne. Mais quand, rentre chez lui, il interpella Toncle Frejus d'un : — Ell bien! comment s'appelle-t-il? Celui-ci repliquasans hesiler : — Clotaire. II est vrai que lorsque sa sceur lui fit la mSme ques- tion, il ne manqua pas de repondre avec aplomb : — Alphonse. En cela, lecher onclen'avail menti a personnc. L'enfant s'appelait CLOTAiiiE-Ai.PnoNSE-MAGLomE de Cogne-Fetu. Charles Monselet. ETLDES SIR LE llOYEX AGE. LES CROISADES. CONSIDERATIONS GENERALES. Les croisadrs sont un deschapitres les plus imporlanis de I'histoire du moyen age. Pour les bien .comprendre, pnur se penetrer de rinlluence qu'clles ont cxercee non-seulement sur I'epoque qui leur est contemporaine, mais encore sur les temps qui les ont suivies, il f.iut, ou consuller les histoires parliculieres auxquelles elles sont melees, ou compulser les autcursqui en ont fait le sujet special de leurs recherches et de leurs ouvrages. Dans le pn niier ras, examinees an point de vue de I'histoire des pays qui y ont pris part, les croisades revelent des aspects contradictoires, et elles nedeviennent que I'accessoire du sujet principal auquel elles se rallachent ; dans le second cas, 186 LES CROISADES. rimmensitd des iWlails dans lesqurlsles historiens speciaux des croisadcs out cru iiccessaire d'eritrer, elTraie le rommun deslecteurs, el, quel que soil Ic lalent reconnu des auteurs, empJche qu'une intelligence peu ,exereee ne saisisse les causes, les elTels et les ev^nements principaux des guerres saintes. C'est en vue d'eviler ce double ecueil que nous avons entrepris ces premieres Eludes sur le moyen Sge. Les dissentiments religieux ont entrain^ hors des limi- tes du vrai lous les auteurs qui se sont occupes de I'ap- pr&iotion des croisades. Les catholiques ont loue I'esprit et les resultals de ces pieuses enlreprises; ils n'ont vu, dans rimpulsiun donnee paries papes et dans le devouc- ment passionne des princes d'Europe, qu'une sainle exal- tation degagee de tout mobile mondain. Les protestanls, au conlraire , et avec eux les ecrivains appartenanta 1'^- cole de Voltaire, ont mis tout ensemble en question la sinccrit6 et le desinteressement des uns et des autrcs. Ceux-li font deriver des croisadcs une foule d'avantages que rien ne contrebalance; ceux-ci leur denient toute in- fluence favorable sur les temps qui les ont suivies. 11 est malheurcusement dans la nature de I'homme d'exagerer tout, le bien comme le mal, de niesurer a I'echellc de ses preventions ou de ses prejug6s les causes et les effets, d'exalter le principe qu'il defend, de rabaisser celui qu'il attaque. Ne reverrons-nous done jamais apparaitre un historien candide qui pese d'une main loyale le pour et le centre, qui, ne se preoccupant que de la verite, m.ir- cbe d'un pas ferme dans le droit chemui qui y conduit, donne tort a ceux qui ont tort, raison a ceux qui ont rai- son, sans acception des personnes, sans acception des eroyances? Au defaut d'un plus digne, nous essaierons, dans les esquisses que nous tracerons, de tenir la ba- lance entre les divers auteurs que nous avons consultes' et mis plus d'une fois h contribution. Lorsque I'etendard de Jesus-Clirist se de.ploya pour la premiere fois, un saint enthousiasme fut le seul mobile des chefs et des soldals. Aucune preoccupation mondaine ne se joignit k la pieuse exaltation des premiers croises. L'Occident ne se pr&ipila point sur I'Orient pour obtenir quelques avantages materiels, pour ob^ii a quelque n6- cessite politique : delivrer le tombeau du Sauveur , ou- vrir aux pelerins le libre acces des lieux saints, telle fut 1 unique pensee de la premiere croisade, de Termite qui I'inspira comme du pape qui la precha , des princes qui la giiiderent comme de la multitude qui les solvit en arborant sur Tcpaule le signe de la Redemption. Diek le VEUT ! lei fut le vcliicule, le cri de guerre, le mot de ral- liement do tous. Slais si le desir de delivrer la Terre- Sainte anima et domina exclusivement le premier et le dernier des glorieux cbampions de la Croix, Godefroi de Bouillon et saint Louis , d'aulres mobiles nioins purs di- rigerent la plupart des chefs qui prirent part aux croLsa- des intermediaires. Pour beaucoup denire eux, le Saint- Seiiulcre fut le pretexte plutot que le but de leur devoue- menl. L'ambition pour les uns, I'avide desir de la gloire pour les autres ; la soif des richcsses pour ceux-ci , ou des honneurs pour ceux-lk; une arriere-pensee pour • Nons cIlLTons enlrc ;iiitres : aiifliaiid, Histoire des croisadcs; Mills liis. lory of the Crusudcs ; Wilkeii's Gcscbiclit« der Kreuiziigu ; Becker's Wcll-cs- chichlc; Bclim's Al>iiss dor Gcschichlc des Miltcldlcri ; HJlam's View ot the sUleu of Europe during llie n'ddlc a^rcs ; Gilhiiiis'. Decline and fail of llie roman empire; Guiiol, Essais tiisloriques ; Heereii, Voltaire, Daniel, Moiites- ijiiieu. Capetigiie, Sismonde de Siimondi, Cartu, Roberlson, MachiftTct, Art de verilier les dales, etc., elc. tons : voilh k quoi fut dil cet ardent enthousiasme qui, depuis la secondc croisade jusqu'ii la derniere exclusive- ment, couvrit de tant d'ossements les rives du Jourdain. En faisant abstraction des principes d'une saine politi- que, d'apres lesquels les croisades, considertjes comme entreprises miUlaires, utaient une lourde faute, un depla- cement inutile, une sterile depense d'hommes el d'argent, reconnaissons done que le sentiment religieux, pousst; & ses plus extremes limites, guida seul les compagnons de Godefroi de Bouillon et ceux de saint Louis. Les premiers atteignirent le but : J(>rusalem fut d^ivree, I'etendard de la Croix Holla sur ses murailles, le tombeau du Sauveur fut rendu h I'adoration des Fideles. Mais ce qui devait assurer le triomphe de la sainte cause, fut precisement ce qui en prijpiira la mine. Godefroi, dans la puretii de son zele , se retusa a porter la couronne royale dans les lieux oil Jesus avait portt; la couronne d'fpincs. Celle sublime abne'gation, ce noble desinteressement, ne furent point imites par sessuccesseurs. Godefroi ne s'etait occupe que d'un tombeau; les Bauduuin, les Amaury, les Lusignaa ne se prcoecuperent que d'un royaunie : le Sainl-Sepul- cre ne fut plus pour eux qu'un accessoire de leur cou- ronne. Voyez quelles furent les consequences de ce chan- gement dans les idees : les croises avaient triomphe des Musulmans lorsqu'il ne s'etait agi que de delivrer la Pa- lestine ; ils succomberent a diverses reprises lorsqu'ils ne furent plus conduits en Asie que par le diisir d'y maintcnir un royaunie. Quanl les ambitions per.sonnolles eurent ete mises en mouvcment par la fundtition du royaume de Jerusalem, de la principaute d'Antioche, des comtes d'Ldesse, de Tri- poli, etc., les croisades cesserent d obeir a une impulsion unique. Des partis se formerent, la division se mit entre j les chefs, ehacun voulut Iravailler pour soi, tout en fei- gnant de Iravailler pour la Religion. La soif des honneurs J et des richesses enfunta des trahisons. Apres s'etre cru j dispenst; de tenir parole aux infidelcs, on en vint a man- j quer defoi aux fideles. Alors, malgre les renforlsamenes' par de nouveaux croises — et , peut-etre meme , h cause de COS renforts, — chaquejouron perdit quelque portion du lerriloire si cherement paye. Jerusalem letoniba au pouvoir des Sarrasins; et, au point de vue du but primi- tif, tout le sang chriJtien dont s'tjiait abreuve le sol de la Palestine, se trouva avoir coule sans resultal, sinon sans gloire. Puis, lorsque animii des mSmes sentiments qui avaient conduit Godefroi de Bouillon a la victoire, saint Louis s'elanca pieuscment, mais impolitiquemeiit, sur les traces des premiers Croi.sfe ; lorsque, a deux reprises dif- ferentes, ileonduisita la mortl'elite deses nobles etde ses soldiits, il se tiouva qu'il elaitlrop tard pour que lasain- tetii du but assiirul le triomphe de I'entreprise. Le pres- tige etait detruit : les infidcles avaient apprisii vamcre les Chretiens, etie saint roi paya de sa vie les falales erreurs de ses devanciers. Toutefois, on voudrait en vain le nier, si la cause ch»6- tienne etait perdue en Asie, si le but des croisadcs nefut pas atteint, d'immenses, d'inappreciables avantages diS- coulerent des guerres saintes : on avait seme en .4sie, on recueillit en Europe. Al'epoque oil, a la voix de Pierre-l'Ermite, les popula- tions so presserent sous I'etendard de la Croix, les habi- tants de la vieille Europe etaient plonges dans les tt^nfebres de I'ignorance, se debattaienl sous I'etreinte de la misere et gcmijsaient sous 1e poids de leurs chainos. Le commerce langnissait, ou plutot le commerce n'exislait pas. Venise seule, erace a ses relations avec le Levant, concentrait dans son sein et repandait parcimonieusement le peu qii'ellc possedait de cotte source de la prosperilc des Klals. Le rescau feodal, qui avait fini par s'eteiidre sur LES CROISADES. «87 tonte I'Europe, livrait a la rapace ambition des grands feirdalaires, d'un cole, le poiivoir imperial, d'un autre, le pouvoir royal, parlout , enfin, cette multitude qui s'ap- pelle le peuple. L'aulorite des papes, apres avoir servi d'utile frein a celte licence, s'etait tellement accrue dans la puissante main de Gregoire V'll, qu'aucunc li- mile ne semblait plus la devoir borner. Places entre les exigences toujours croissartcs du Sninl-Siege et les em- piclements successifs des grands vassaux , les monarques voyaient se retrecir de jour en jour davantage le cercle lie leur influence. Les choses en elaient au poml que lout semblait pres de perir en Europe, et que, s'appuyant d'unp fausse interpretation d'un passage des Ecrilures, chacim annoncail la fin prochaine du monde. Les croisa- lies opererent seules le mouvement qui sauva la socieic en la renouveljnt tout enliere. Au son de la Irompelle sacrte, voyez la vieille Europe snrtir de sa Iclhargie, briser I'cntrave feodale et se pre- ripiler sur les pas de Gorlefroi. Toules ces populations qui ne reverront plus leurs foyers appauvrissent momen- lancmcnt, il est vrai, le sol de la patrie, qu'elles laissent sans culture; mais qu'imporle oil le fer les moissonne, puisqu'elles sont prccondamnees a perir par la guerre. Mieux vaut encore que ce soil en Syiie, en Palestine, plutot que daps les champs de leur pays, dans ces champs dcvenus, depuis I'elablissement de la feodalite, le theatre deseuerres qui ont desolechaquc royaume, chaque pro- vince, chaquc ville, chaque bourgade. Au moiiis la Eiance, rAUemagne, I'ltalie, rArgleterre se reposeront de leurs longucs querelles, d'incessanis brigandages ne les ccuvriront plus de sang et de ruine.<. Si les cpissont plus rares, on les laissera du moins murir, et aux proprie- taires des scmailles appartiendront les moissons. Cette fculequi part pour la croisade, celte foule systematiqnc- ment abrulie par I'oppression , va Irouvcr son al- franchissemcnt sous la banniere de la Croix. En passant a Byzance, elle rougira de son ignorance; en abordant les splendides rivages de I'Euphrate, elle aura honte de sa pabvrele ; a laspect des infideles, elle .sera fiere d'elre chretienne, fiere de tirer I'epec pour la cause du Christ. Les litains deviendront des gucrriers invincibles ; les chevaliers, dis heros. Et, pendant que le sang des crui- ses coule sur les bords du Jourdain ; pendant qu'un giand nnmbre de leurs chefs succombe devant Solynie, le ri^seau feodal voit ses mailles se briser Tune apres I'aulreen Eu- rope. Cetle multitude de pelils fiefs que leurs proprielai- res ont ete forces d'aliener ou d'cngager pour se mettie en elat de fignrer dans les rangs des croises, les voila qui font successivement retour a la couronne , car leurs antiques possesseurs sont morts en Palestine. La feodalite jelte d'ephemeres racines dans Tephemere royaume de Jerusalem, et voila qu'en Europe ses vieilles racines se dessechenl faute de seve, el mcurent: l'aulorite royale s'enrichit de ses depouilles. Puis, lorsque les debris de I'armee sainle reverront leur patrie, les seigneurs echap- pes au fer des Sarrasins seronl animes d'un nouvel esprit. Encore enivres des parfums de I'Orient. des delices ener- vontesde cetlicureuxclimat.ils an ronl honte de leurs vieux chateaux cri^neles, des maigres arbrcs de leurs forSts ; c'est de Tor qu'il leur faudra, de I'or pour retrouver leurs 188 BOEIIF, TAUUE delices el leurs voluples d'Asie ; et, poui- so procurer cot or, ils vendront aux communes leur alTranchissement, aux serfs leur liberie. I.es comtes, les barons, ces adversaires redoutablesdu trone, lendronl maiiitenant les mains aux chaines royales: a leurs vassaux ils ont vendu I'indepen- dance, et les rois leur acheleront la leur. A cote de ces avantages incontestables dus aux croi- sades, placons les developpements donnes au commerce et a la marine, I'amour des beaux arts, que Constanti- nople inspira aux croises, en mSme temps qu'elle faisait briller a leurs yeux leslumieres des sciences ct deslettres. Les nations de I'Occident, separees depuis la chute de I'empire carlovingien, se retrouvcrent en Asie, s'y rap- procherenl et renoucrenl les liens brises d'une commune origine. Ce furent les croisades qui enfanterent la cheva- Icrie, sublime inslilution, gr^ce a laquelle la bonne foi, la loyaute, la generosity devinrent les fidelcs compagnes de la valeur : desormais les faibles ne seront plus sans defenseurs. Ce fut a I'Orient que I'Occident dut les pro- grte de sa civilisation : les chevaliers en rapporterent la semence en Europe, etlarepandircnt dans les manoirs et dans les chAleaux ; de la elle descendit parnii le peuple, et, en s'y dfeveloppant, enta I'^lemcnt dt'^mocratique sur relementmonarchiqueetaristocratique,seul,jusqu'a!ors, en possession du pouvoir. Les antiques liberies commu- nales rcQurentunenouvelle existence, crirentet fleurirent h I'ombre des villes, gr4ee aux progres merveilleux du commerce etdel'industrie. Lapropriete foncifere, acquise et defendue par I'gpee, cessa d'etre runique source du pouvoir et de la libei ti .- I'argenl enlra en partage avec elle et lui fit equilibre. Toutefois, on doit convenir que les avantages qui ri- sultferent plus lard des croisades ne s'oblinrent qu'au prix d'abus bien regretlables. Les generations qui prirent part aux guerres saintes s'habituerent a repandre le sang ; et une certaine fi^rocite s'introduisit dans les ma-urs eu- ropeennes : apres avoir fait bon marcli6 de la vie des AU ET VAC HE. musulmans, on en vint a ne pas menager davantage I'existence des Chretiens ; el, soil dans les guerres do nation ii nation, soil dans les guerres intestines, la civi- lisation qui s'infiltia graduellement en Europe ne suffit pask neutraliserla barbarie des combatlants. D'un autre cote, I'amour des richesses et des plaisirs descendit de la haute classe dans la basse, et les tristes examples de de- bauchfs (|ui' les croises rapport&rent d'Asie, exercerent une funesle influence sur les moeurs de I'epoque, voire nieme sur celles des epoques suivanles. L'agriculture eut surlout a soull'rir de ces guerres (51oignees qui se prolon- gerent en Asie pendant pies de deux siecles. On s'habi- tua a preft^-er I'epee h la charrue; et ces habitudes belli- queuses nuisirent plus qu'elles ne furent utiles au deve- loppement de la prosp6rite publique. II fallut de tongues annees avant que I'Europese remit du terrible ebranle- ment cause par les croisades. Pendant bien des siecles encore, la carriere des armes eut le dessus sur toutesles autres, et le farouche soldat se crut bien superieur a I'humble el utile laboureur, au paisible marchand et a I'habile artiste. Disons done que les croisades ont fait beaucoup de bien et beaucoup de mal ; mais que le mal fut passager et que le bien fut durable. Quelle difference entre ce que Thomnie s^me et ce que Dieu lui fait recolter! Pour etendre leur influence, deja si prodigicuse, les papes ont tentij d'assujeltir I'Asie a leur domination ;et voila que, dans le million d'hero'i'ques defenseurs qu'ilsont livres au glaive musulman, ils per- dent les plusfermes soutiens du si(5ge pontifical. — Apres avoir ete chercher sur des bords lointains les moyens de peser plus lourdcment sur le trone, les grands vassaux rapporlent a leur suzerain un coeur docile et des genoux ob^issants. — Pour oblenir la remission de leurs peches, d'humbies serfs s'etaient croises et avaientcouru delivrer le Saint-Sepulcre ; et voilii qu'ils trouvent en Asie leurs letlres d'affranchissement, et qu'ils rapporlent en e le eerme de la liberie ! Cyprien de Lespan. IIISTOIIIE XATURELLE. BIEUF, TAUR.EAU ET VACHE. Hloins vif, moins elegant, moins intelligent surlout que le cheval , le bueuf est, sans contredit, pour I'homme, le plus utile de lous les animaux, en comprenant la vache qui est sa femelle. Le bceuf et la vache font la richesse de noscampngnes; ils sont les plus puissants auxiliaires de l'agriculture, seule base d'une prospiSrite solide. Pastourage el labourage sonl les mamellcs de I'Elal. — Cette maxime de Sully ne sanrait etre trop meditce par les hommes politiques ; elle est la regie de la sagesse ; elle cree la puissance fondfe sur le travail. Malgrt^ leur allure lourdeel rustique, peut-fttre nieme i cause de cette allure, les bffiufs et les vaches don- nenl aux paysages une grJice toute particuliere; soil que, calmes dans leur force, ils chemincnt lentement dans les gras paturages oil I'herbe s'^l^ve a mi-janibe; soil que, couches k I'ombre des grands hclros, pendant les ardours du jour, ils rumiiient avec impassibilile, landis qu'nn petit pStre, un faible enfant, arme d'un scepire do coudrier, veille sur ces redoulablessujets toujours deciles a sa vois. Lesvioux tableaux deWouwermans etde Paul Poller, ceus de Brascassal, qui adectionnent surlout ces ani- maux, sont generalenienl recherches. De lous les quadrupedesdenosclimals lemperes, lebcEul est celui qui poss^de au plus haul degre la force de trac- tion -, son cou musculeux et court, sa large poitrine, s,i masse ^norme, lui donnent une force irresistible, d'autani plus puissante qu'il est plus patient et qu'il ne se decou- lago jamais. Allele a une charrelte ou a la charrue, il avance sans cesseet continue ses offorts avec perseverance j jusqu'is ce que I'obslacle soil surmont^; sou seul d^faut est dans la lenteur de ses mouvemonls. Copendant, aux epoques paliiarcales on s'en .servait pour voyager ; les rois de France eux-m^mes, dans les an- BCCl'F, TAIREAU ET VACIIE. 18'J ciens temps, Ics employerent 4 cet usage. Tout le monde connalt lesvers de Boileou : Quatre bffiuTs atfeli'S, d'ltn pas Urdifct V-iil, Pru.inei'a'enl Jans Paris le monarijiie iiiJuViit. En general, le joug que Ton impose au bopuf est place sur le (los a la naissance du cou ; c'est la que reside sa plus grande force, et c'est ainsi qu'il lire le plus utilement. II existe cependiint plusieiirs provinces oil on place le joug sur la tele, ce qui oblige le boeuf a tirer par les cornes. Le boeuf a moins de docilite que le cheval, et 11 faut bieii se gar.icr de le trailer avec rigueur lorsqu'on veut I'habituer au labour; on doit, au contraire, le flatter de la voix et de la main, lui donner une nourriture bien a son goit, de I'orgo bouillie, des feves, en y ni^lant du sel, dont il est tres-friand ; puis I'atteler pres d'un boeuf dejii dresse, egal en force, avec lequel on I'habitue a vivre .i la mdme mangeoire. Sans ces precautions, il deviendrait farouche et indomptable, cc qui arriverait egalemeni si on se servait Irop lot de I'aiguillon. Les boeufs destines k la charrue ne doivent pas ^tre trop gras ; on prefere ceux qui ont la tete courte, les cornes for- tes, les yeux gros et noirs, le niufle camus, le front large, la croupe ^paisse, la poitrine Ires developpee, lesjambes nerveuscs. On s'en sert depuis trois ans jusqu'ii dix,puis on les nourrit tres-largenient pour les engraisser. Le laurcau que Ton conserve pour la reproduction de I'cspece est fier, courageux, mais d'un earaclere farou- che; il faut eviter de I'irriter par de mauvais traite- ments et m6me de se presenter a lui avec des couleurs qui lui deplaisent, parmi lesquelles le rouge tient le pre- mier rang. On salt qu'en Espagne et en Portugal le peuple est passioniie pour les combats de taureaux, exercices san- glanls qui ont lieu dans de vastes cirques et qui ofifrent de grands dangers pour les combattants. Le taureau se developpe moins que le boeuf; il est moins charge de chair; mais sa force musculaire est en- core plus grande, do meme que ses mouvements sont plus rapidcs et plus brusques. Les vaches sont beaucoup moins fortes et plus dociles; on les altelle tres-rarement h la charrue ; il faut paur cela une necessite absolue. On pretend que les vaches noires sont celles qui donnent le meilleur lait, et les blanches celles qui en produisent la phis grande quantity ; mais il y a lieu de faire des reserves Ji ce sujet. Les bonnes vaches lailieres se rencontrent sous toutes les couleurs, lorsque la nourriture est saine et abondanle, surtout quand on peut y melanger un peu de sel, que ces animaux aiment pas- sionnement, ainsi que le vin et le vinai?ie. Une .seule vache est quelquefois la proviJence d'une pauvrefamille, comme un nombreux troupeau est la vraie source de riohesse pour une ferme. A combien d'usagcs en effet peut servir le lait que Ton trait deux fois par jour! Non-seulement, saine et douce liqueur, il rafraichit et nourrit mais un morceau de presure le transforme en cailles qui laissent pour residu le petit lait employe dans la mi'decine ; la creme devient un beurre exquis comme ceux de la Prevalais et d'Isigny; si Ton veut, elle se transforme en jonchees et en fromage k la creme ; et les homages aussi, quelle variete, depuis celui quise fabrique dans les gras piturages de la Hollande jusqu'ii celui qui nousvient desvallees de la Brie! II faudrait des volumes pour enumercr lous les biens qui deeoulent de la posses- sion de nombreux troupeaux. La chair de la vache, moins recherchee que celle du boeuf, n'en est pas moins un aliment tres-sain. Per- sonne n'ignore la delicatesse de celle du veau. La peau de ces animaux, tannee et corroyce, serta mille usages dans le commerce et dans les arts; de leurs cornes on fail une ecaille grossiere comme on en fit les premieres vilres avant que I'usage du verre se filt eneralise ; les os ser- vent a faire du noir animal, si utile our les raffineries et I'agriculture ; I'huile de pieds de euf est du meilleur emploi pour les mecaniciens qui;.-! lillent le fer. 190 BCEUF, TAUREAU ET VACHE. Ces animaux sont de I'ordi'C des ruminanls, o'est-ii-dire qu'ils out plusieurs cstomacs. Conlrairemunt au cheval, ils mangent Irte-vite, et loi'squ'ils oat rerapli le premier estouiac, qui se nomme panse, ilssecoucbentetruminent; c'est-ii-dire que par una operaLion inlerue ils font passer successivement !es aliments au deuxieme estomac, nomme bonnet ; au troisienie, aomuu' feuUlel ; et enfiu au qua- la digestiou se trouve par- trjfeme, nomme caiUclIc , faite. IlsalTeclionnent, ouire I'lierbe ordinaire des champs, la luzerne, le sainfoin, la vosee, les navets, la pomme de lerre, I'orgc bonilli*!, etc. On doit leur donner de I'eau biea olaire, car ils n'aiment pas, comme les chevaux, celle qui est trouble. La forte cbaleur les incommode beauconp plus que les grands froids; aussi, vers le mi- lieu du jour, les voit-ais eue : ce devait elre un effel de lonnerre renvoyeet repete par les monliignes. Tandis que je regardais aulour de moi avec une surprise que je no pourrais bien definir sans y mellre un peu de frayeur, je vis de la cime la plus elevee se detacher une masse de ncige. — Une parlie s'eleva commc une poussiere, I'autre se precipita comme un rapide torrent sur un rocher qui s'avancait en saillic. Ce choc fit 61ever encore une espece de brouillard, et le reste de celte m:isse enornie lomba aux pieds de la monlagnc ; la vapeur qui s'en eleva pour la Iroisieme fois, ainsi quo I'^branlement de lair, se fit senlir jusqu'Ji moi el a ,oies coBjpagnons de voyage, quoique nous en tussiojis'ii un quart de lieue. ■ Ge phenomene se repeta duranLpJasieurs minutes, avec •Je^meme bruit ct les monies circonstances. Nos guides nous diretlt que ces Zapnujes.dopoussiere (c'est ain.si qu'ils oomment ces brouillards deneige) lombcnt souvent au mois de juillet. lis s'empressercnl en m6me lemps de nous assurer que si nous eussions eli5 a deux cents pas plus pres ou direclement devant la chute, I'ebranlement de I'air aurait pu nous rcnverser, ou du moins nous don- ner une forte sccousse, pour peu que nous ne nous fus- sions promplcment detournes. — .4 leur manierc de par- ler je compris que ces gens-li aimaient tant leur pays, que meme ses phcnomenes les plus dangereux leur cau- saienl quelque satisfaction ; et si je n'eusse aper(;u le petit clocher de Bagnires, j'aurais craint que nos guides, pour nous faire admirer leurs montagnes, ne nous fisscnt pas- ser dans un senlier oil nous aurions ete sirs de rencon- Irer une avalanche. AsDBK Thomas. L'ELiTE DES SAINTS FRAXCUS. SAINT LEGXR. Dame de Suissoiis Ce saint (5vdque est di- vcrsemenl nomme par les Bollandisles, Mabillon, Ur- sin et les autres historiens qui out (5cril sa vie. En latin, on I'appello Leo- degarius ; en francais, Leulgar, Lutger, Lcguier et Leger. 11 naquit en Neustrie, de parents nobleselv crtucux; sa mere, Sigrade, devenue veuve , se fit religiouse dans I'abbaye de Notre - U flit ament- des sa plus lendre en- fance k la conr de Clolaire 11 ; ce roi Hail encore fort jeune; il avail succede k son pere Chilperic I" en .58i, alors qu'il n'Mait ag^ que de quatre mois. Sans I'energie in- teressee de sa coupable mere, Fr^degonde, la faiblesse de son age ct de ses acles aurait mis son royaume Ji la merci delabrancho royale d'Austrasie, qui avail jure sa perte en contestant meme sa Icgilimite. Mais a pres une balaille sanglante livree i Droissy , dans le Soissonnais , oil 'Vinlnan, due de Champagne, que Childebcrt avail en- voyi? centre son neveu, fut eiilierement defail, et son ar- mee massarrec, Clotaire II, porte par sa more, prit posses- sion de Paris et dela Bourgogre. Ala mortdeFr6dcgonde, qui arriva vers 597, il fut bien obligt5 de rcslituer une partie de ses conqii6tes; mais Thierry, roi d'Austrasie, etant mort ("galement, les seigneurs auslrasiens so deli- SAINT rent de Bi'UDeliaut ct Jes fils de l«ur voi pour se mctlre sous la puissance de Clolaire, qui aiusi se trouva posses- seur de la France entiere. Ce Mirovingien est un dcceux qui ont merile I'eslime et raffection de leurs pcuples; it mainlint une Stride ob- servation des lois sans affaiblir lesdroils de I'autorile royale, el favorisa le clerge en assurant son sort. Leger, eleve acettecourjuyait avec une sainte perseve- rance loules les fetes et lous Ics plaisirs qui eussent pu se- Juire son jeune Ige. A peine avait-il fait ses premiers pas dans la vie, que deja il avail eu le bonheur de compren- (Ire que sur cctle terre il ne pouvait y avoir de reellos vo- liiples; Dieu seul devinl I'objel de son culle fervent, et la priere son unique bonheur. II ful envoye a Didon, son oncle maternel, cvequc de Poitiers; ce prelat le mil sous la conduite d'un prc^lre vertueux et savant, el pour achever ensuite son t^ducation, il le fit vcnir dans som palais, oil il remarqua avec plaisir ses dispositions reli- ijieuses. La pratifjue du renoncement atoules les choses et la profonde humilite que Leger ffi^rjail continufillement confirmerent Didon dans ropinioniquiikavait du merile extraordinaire de son neveu , a^ssi'l'^leva-l^ilau djaco- nat, quoiqu'il n'e&t encore que vingt ans,en le dispen- sant de lobservation des canonsUe lf]iHli.se. Peu do tejnps aprfes, il lui confera rarchidiaoooal, et lui confia Je gou- vcrnement de son diocese. La^-sasipsso, 'Wloquenee et les vertus de Lfeger luiattiierent brwtifit'l'eslimo el I'amour de lous ceux qui le connurent; .ah inort de I'abbe dc saint Maixent, directenr du monastero de Saint-Mn- xence, Didon ne crut pouvoir lui Jdanner un meilleur successeur que son propre neveu ; et pendant six ans, Leger consacra son zele et ni6me sa fortune h la prospe- rile de cello communaute. Pendant ce temps. Clevis II, roi de Neuslrie et de Bour- gogne, avail succeile a Clolaire II ; en mouranl, il laissa irois enfants en has, Sgo sous la tutelle de saiute Ba- thilde Icur mere, insliluee regente du royaume. CeKe vertueuse reine n'osa porler seule le fardeau du gou- vernemenl de Tfitat, et elle s'envirGnna d'hommes capa- bles de lui donner de sages conseds, tels que saint tloi de'Noyon, saint Ouen de Rouen. Un autre pr^tre qui a-vait .acquis une grande repulationtde sainlel^ fulappele a la cour ; c'etail saint Leger. L'eveche d'Autun devinl vacant en fiS'J. Nul mieux que lui ne pouviiit remplacer le pr^at qui vcnait de mourir; ausii fut-i!,a cetleepoquc. inveslide la plenitude du sacerdoce qu'il devait exercer dans celte ville. Quelques troubles 3'(5taient elevesi-lamort del'ev^que. La presence do Leger eul bientot ramene la paix dans lous les coeurs. II prodigua toute sorte de scoours aux pauvres deson diocese; il instruisit le people, decora les cglises, et les enrichit de vases precieux et d'ornements. 1-e baptisterede la calh6drale etaltassez delabre, it le fit leparcr avec magnificence; et, grace k ses soins, les reli- ques de saint Syniphorien y furent transferi-es. Enfin. il asscmbia un sYnode a Aulun, eu 670, qui donna lieu k divers canons concernant la roformalion des mcBurs; la plupait eurenl principalement pour objet I'ordre mo- nasti.]ue ; il nous en resle encore plusieurs. En f)CO , apprenanl que Cloiairo III etail morl , il se roiiditpromplement h la cour. Le gouvernement que Cliil- deric excrcait avec beaucoup de prudence sur I'Austrasie LEGER. 193 lui avail gagne une partiede la noblesse. Mais, d'un autre cdl6, fibroin, se faisanl de sa propre autorile maire du palais, prit le parti de Thierri qu'il fit proclamer roi. Ce rtgne n'eul pas longue duree ; le..;cruaules exercees par ce mini.stre eurenl bienlol renverse le faible parti qui le sou- lenait. Childeric, devenuseul maitrcl'eul faitmourirsans Leger et quelques aulrcs livdques qui obtinrent par leurs prieres qu'il lui laisserait la vie. II ful cnfcrnie dans le monaslere de Luxeuil apres avoir 6le. rase, et Thierry ful envoye a I'abbaye de Sainl-Denis. Childeric II mil toulc sa confiancu en saint Lt'ger pen- dant les premieres annees de sa puissance, et ce pieux evf'que prit alors tant de part aux affaires civiles, que quelques hisloiii'ns lui ont donne le litre de maire du pa- lais. Mais le roi, quijoignait a sou jeune age un caraclere ardent ct imp6tueux,s'abandonnabienl6la loules .sorlesde voluptcs el poussa le desordre jusqu'a epouser sa propre niece. Saint Leger lui adressa d'abord des rcproches secrets; puis, voyant I'lnutililo de ses lenlalives, il eul la magna- nime hardiesse de condamner publiquement la conduite coupable du roi. Les calomnies de Wulfanid, depuis quelque Icmpsrmatre du palais, jointcs aux rigueurs em- ployees par saint L^ger, perdiieul ce dernier dans I'ami- lie du roi, et.au lieu d'ecculer ses sages reprimandes, il I'exila a Luxeuil, oii^lail enferme Lbioin. Cepondanl en(.67.!, Childeric mourut assassine par Bo- dilloii, quis'ualdo, Napolilain, en fitjeler les fondements d'apres les plans de I'architecte Pierre- Paul Olivieri. Elle fut continui'e parle cardinal Alexan- dre Montalto , et termince par le cardinal Francois SAINT-ANDRE-DE-LA-YALLE. 201 Perrelti, son neveu. Piiul Olivieri, comme nous I'avons dit , avait eleve le batiment a une cerlaine hauleur, lorsque la mort !e surprit. Charles Maderno fit le chfflur , la Toiile el le dome; et enfin le cavalier Char- les Rainaldi execula la facade, qui est une des plus belles de Rome. — Elle est toute de travertin a deux rangs de colonnes corinthiennes, d'ordre composite. Les entrK-colnnnemenlssont remplis par des niches garnics de statues de la plusgrande beaute; celles de saint Gaijlan et de saint Sebastien sontsoi ties des mains de Dominique Guidi ; celles de I'apotre saint Andre et du bienheureux Andre d'Avellino ont ele failes par Hercule Ferrata. Au- dessus du portique on remarque deux anges du Fancelli. L'interieur de I'eglise est magnifique. La premiere chose qui frappe les regards c'est le maitre-autel ; il est isole etn'aqu'un labernacleavecdeschandeliersdebronze dore. Derriere se trouve le choeur, dont les murailles peintes a fresque par le cavalier Pr.-ti , dit le Calabrois, reprcfentent I'hisloire de I'apotre saint Andre. La voiile du chosur se divise en plusieurs compartimcnts : on y voit six Vertus, plus grandes que nature, peintes^ fresque par le celebre Dominique Zampieri, connu sous le nom du Dominiquin; los qualre evangelisles dans les quatre coins du dome sont egalement sortis de son pinceau, et, avec les peintures de la voule, ce sont les plus estimes de tous ses ouvrages. La coupole, entierenientpeintc par Lanfranc, re- presente les saints dans la gloire. — Le rafime sujet a ete grave en huit feuilles par Charles Cesi. Apres avoir admire celte superbepartie de l'interieur, on ne peut resister au desir d'examiner en detail les riches ehapelles qui s'elevent des deux coles. La premiere a gauche appartient a la famille Ginetli, qui a depense quatre-vingt mille ecus pour lafairebalir. Elle est revclue de marbre, jaspe, agate et autres picrres pricieuses. Le chevalier Carlo Fontana en a fourni I'ad- mirable dessin. Lebas-relief de I'autel, taille par Anioine Roggi, represenle un ange avertissant saint Jo.-eph de fuiren Egypte; on s'extasie autant devant la sollicitude peinle sur les traits du messager celeste que sur I'air de confiance divine qui colore la figure du vieillard. Le miime sculpteur a fait le buste du cardinal Ginetli, ainsi que la Renommee portant les armes de cette famille. — Alexandre Rondoni a laille les quatre statues qui decorent les qualre coins de cette chapelle. L'illustre maison Strozzi fit bitir la chapelle suivante sur le plan donne par rimmorlel Michel-Ange Buonarotti. La Notre-Darae-de-Pitie tenant Notre-Seigneur mort sur ses genoux est un de ses chefs-d'oeuvre. Sur chaque cdte de I'autel il y a une statue et un candelabre coule en bronze. On y remarque, en outre, douze colonnes en marbre dit pidocchioro el granilcllo oriental. Un descen- dant de la famille Strozzi a fait elever les qualre tom- beaux de basalte qui decorent l'interieur; ils rciiferment lesdepouillesmorlelles des quatre fils de Philippe Strozzi, mar^chal de France, c'est-a-dire du cardinal Laurent Strozzi, de Leon Strozzi, general des galeres de France et de Naples, Pierre Strozzi, general d'armee d'Henri II, et de Robert Strozzi. Les pelites ehapelles avoisinant le choeur possedent des tableaux de la plus grande beaute : ici un saint Charles- Borromee peint par Barthelemi Crescent! ; la un Andre d'Avelino disant la messe, execute par lecavalier Lanfranc ; puis dans celle du Crucifix une Assomption d'Antoine Barba Longa, Messinois, (51eve du Dominiquin; I'autre a cote de la sacristie possede un tableau de la Sainte Fa- mille et des anges peints par le ra6me Lanfranc. Seule- ment ilesta regretter que cette derniere production de cet artiste ne soil pas comparable k celles qu'il offre dans cette eglise a I'admiration de la posterity. Un grand tableau de saint Caetan a ete peint par Andr6 Camassei dans la chapelle' dediee au saint de ce nom; c'est ce qu'on y voit de plus remarquable avec la bordure de (leurs de Laura Bernasconi. A c6te de la porte laterale se trouve le tombeau du comte Tieni Vicentin, en marbre noir. Deux statues sculptees parDominiqueGuidi portent le buste du comte, au- dessus du monument. I.a chapelle de saint Sebastien est Egalement dotee de plusieurs chefs-d'ceuvre : le portrait de ce saint, I'un des meilleurs ouvrages de Jean de Vecchi, et le tableau de la Viergeavec le petit Jesus mettant un anneau au doigt de sainte Catherine. Cetle toile, oil Ton retrouve toute la grace et la verity que Raphael savait donner a ses ceuvres, est de Jules Remain, I'un de ses meilleurs Aleves et celui qui a su I'imiter avec le plus de bonheur. Non loin de cette derniere chapelle on voit celle qu'a fait eriger la famille Oricella'i de Florence. Elle est tout incrustee de marbre et de pierres fines. Matteo de la cite de Castello en fut I'architecte. On y voit un tableau de- saint Michel chassant les demons; il est d'une remarquable beaute. Le cardinal Maffei Barberini, depuis pape sous le nom d'Urhain VIII, voulut aussi avoir sa chapelle dans celle eglise oil de si illustres families en posseduient deja. II la fit eriger par le m^me Malteo de la cite de Castello; sur I'autel est un magnifique tableau represcntant I'assomp- tion de la 'Vierge. Sur les cotes, la presentation au temple et la visitation de sainle Elisabeth revetent les murailles. Ces ouvrages, ainsi que les peintures de la voile, sontdus au pinceau du cavalier Dominique Passignani. On y re- marque encore plusieurs belles statues de marbre : sainte Marthe de Francois Mocchi , saint Jean I'evangelisle d'AmbroiseJIalvicino, saint Jean-Bapliste de Pierre Ber- nino, et sainle Madeleine de Christophe de Bracciano, qui a egalement sculpt^ en marbre un prelat de la famille Barberini, qu'on voit a main gauche au-dessous d'un saint Sebastien peint a I'huile par le cavalier Passignani. II existe du mcme cote une chapelle tres-obscure et prcsque souterraine ; on I'a dediee a saint Sebastien, parce que son corps fut trouve dans ce lieu, oil le farouche Diocletien I'avait faitjeter. Pasquin de Montepulciano a fait les deux sepulcres qui sont sur les arcades vis-a-vis des portes de cette eglise: I'un est le tombeau du pape Pie II Piccolomini; I'autre, de Pie III, son neveu. Us furenl eleves en ces lieux par les soins du cardinal Alexandre Peretti. J. B. 2(» MOLltCRE. LES FRANCAIS ILLUSTRES. MOI.IEB.I:. Vj'est line liisloire' qui com- mence a la maniere d'un ro- man noureujc,\es Trois Vncleurs rivuii.T, le Mi'decin valant, la Jalovsie de Darbouille el Barbuuille dans le Sac. Ccs Irois dernieres renfer- maient, dit-on, le germe du Medecin maUjrd lui, un ca- nevas inl'orme du troisienie acte de Georges Dandin el une scene des Fombcries. Quant au i>urtcKr awoi/rcuj-, dont Boileau lui-meme regrettait la perte, on se souvient de la decouverte mira- 1 e chano. lie Mcliere. ciileuse que le theatre de I'Od^on pri'tendit en avoir faitc et de la representalion qui s'ensuivit au mois de mars 1845. Le nianuscril, qu'on affirmail avoir ele retrouve dans les papiers du comedicn Lagrange, etait depos^ au foytr, oil chacun pouvait \enir en prendre connaissance. Malgre cela, il s'cst Irouve des critiques pour nier I'au- Ihenticite de celle decouverle et trailer de pastiche le DoHeur amoureux de I'Odeon. Nous laissons a de plus compelenis que nous le soin de se prononcer sur une question si delicate. Ces pieces, et quelques aulres empruntees aux Italiens, formaicnt le reperloiie de Molitjre. De Beziers, on ne sail Irop oil il dirigca sa troupe. On a prelendu qu'il avail donne quelques representations a Buideaux, dans une salle situee rue Monlmejan, aujourd'hui demolie. — Dans ce tumps-la, le tambour annoncait le speclacle par les rues de la ville, et la reprerenlation ne pouvait se pro- longer plus lard que sept heures du soir. Les honneles femmes ne s'y montraient guire et Ion n'y soulTrait pas de juifs. Le parterre ne coulail alors que six sous. Quoi qu'il en soil, il est certain que ses voyages dans la province furenl coupes par de frequenles excursions a Paris, oil il avail lambition de s'etablir. — Sur la fin de 1C57, nous le relrouvons ii Grenoble, oil il demeura pendant le carnaval de I'annee suivanle. — II vint ensuile se fixer a Rouen et y passa Tele, sans doute dans le but de se rapprocher de la capitale. A cette epoque, en effel, ses demarches devinrcnt plus actives^ plus pressantes que jamais; d'aprcs I'opinion de ses camarades eux • memes, il avail des formes insinuanles el une sorle d'ha- bitude innee des manieresde la cour; nul mieux que lui nesavait concilier les qualitessi opposees de rhomme de cceur et du courlisan. Dans sa troupe, il s'etail reserve I'emploi de faire I'annonce des pieces el de haranguer le public a I'occasion, emploi souvent difficile el dout il se tirail toujours a son honneur. — II n'ejt done pas de peine ii se creer de puissantes protections et a gagner bienlot les bonnes giSces de Monsieur, qui lui fit avoir acces aupri'S du roi et de la reine-mfere. Ce lad parfait dans les diverses circonstances de sa carriere multiple n'esi pas un des coles les moins curieux dece grand ca- raclere. II devait en venir a ses fins. Le 2i octobre <6o8, sa troupe fut admise ii jouer la tragedie de Nicomrde devant toule la cour, sur un theilre eleve dans la salle des gar- des du vieux Louvre. — A la fin de la piece, dans un re- merciment au roi, il demanda la faveurde representer un de ses divertissements, el il robtint. Le Dectcur amou~ reux, qu'il avail choisi, excita la gaiety la plus franche parmi la noble assemblee. De ce jour, il fut accord^ a ces nouveaux-acteurs de s'etablir k Paris sur le theatre du Petit-Bourbon, et de 20-i MOLIERE. jouer aUernalivement avcc les comddiens ilaliens, sous le litre de troupe de Monsieur, — conimc I'indiquent ccs deux vers do la Muse his(oriquc de Loret : Celtc Irotipe de comedicnB Que Monsieur avoue elre siens. Le premier pas elait fait, Moliere ne tarda pas b se re- viler par ses oeuvres sublimes ; il sentit que la scene francaise allait lui appartenir, et il resolut d'en foire une feole de philosophie. On sail comment il y parvint, et les noms de ses chefs-d'cEuvre sent aujourd'liui dans toutes les bouches. — Ce furent en premier lieu les Prccieuses ridicules qui I'annonc^rent aux Parisiens ; jamais succes ne fut si marque ; I'affluence des spectateurs I'obligea dfe la seconde representation a doubler le prix des places. La pifece se soutint ainsi pendant quatre mois de suite. Le monde vint au Petit-Bourbon se reconnaitre dans ses fagons de bel esprit et dans son langage emprunte au style guinde des remans. Cela porta un coup funeste aux Gillie, aux Alcandre, aux Mandane, aux Climanthor, aux 'Artamfene; ct I'astre de la mythologie en houlette menaca d'etre un instant obscurci par I'epaisse bedaine de Gorgibus ; — « Courage, Moliere! lui cria-t-on du fond du parterre ; voila la bonne comedie. » Vraiment la reforme produite par cette piece est plus grande qu'on ne saurait le croire. Mi5nage, qui assistait a la premiere representation, dit en sorlant a Chapelain : — « Nous approuvions, vous ct moi, toutes les sollises qui viennent d'fitre cntiqueessi finement et avec lant de bon sens; croyez-moi, il nous faudra briiler ce que nous avons adorfi et adorer ce que nous avons briile. » Ce fut h cette occasion aussi que Moliere essuya le premier feu de la critique. On fit plusieurs parodies de sa piece, par- mi lesquelles Saumaise doit Hre inscrit pour trois, qui sent: — les Verilables Precieuses, le Proces des Prccieu- ses et la Pompe funebre d'une Prfcieuse. Ce qui devait toutefois attenuer la portee de ces diatribes aux yeux du public, c'est que ce m^me Saumaise, chose singuliere, avait mis en fort mauvais vers les Precieuses ridicules, tout en decriant I'autcur de la facon la plus injurieuse dans sa preface. Sganarcllc vint ensuite et fut plus g^ncralement ap- pricie des litterateurs. Depuis son sejour k Paris, Mo- lifere avait corrige son style, — et Ton s'en apercut. Ce nouvel ouvrage d'un auteur que les Precieuses avaient rendu desormaisc^lebre, attira la foule pendant quaranle soin!'es , bien que le mariage du roi retint la cour hors de Paris. — .lusqu'i present, Moliere s'ilait refuse k livrer aucun de ses manuscrits i I'impression. On fut oblige de recourir a un subterfuge pour obtenir son con- sentement, et Sganarelle fut imprim6 pour la premifere fois, sans privilege et sans nom d'imprimeur, par le sieur de Neufvillenaine, qui I'avait retenu en enlier apres en avoir vu les cinq ou six premieres representations, et qui le d^dia k Moli(!re. — Cette Edition est exlr6mement curieuse par la peinlure qu'il y donne de la manicre spiriluelle dont le principal r61e etait rempli par I'auteur- acteur. Vers ce temps, le theatre du Petit-Bourbon ayant i5te dimoli pour construire la facade du Louvre qui est du c6t6 de Saint-Germain-r.4uxerrois, Louis XIV donna a Moliere et aux comedicns italiens la salle que le cardinal de Richelieu avait fait bSlir dans son palais, el qui pril le nom de Ihiitre du Palais-Royal. — Don Garcie de Aararrc y fut represente en 1661. Ce fut sa premiere chule. II courba la tSte sans murmurcr el se contenta plus tard d'en faire passer les traits les plus dignes dans plu- sieurs autres de ses comedies. — VEcule des Maris, qu'il donna peu de temps apres, lui fournit I'occasion d'une revanche brillante. Cette c^poque peul ^tre regard^e comme la plus heureuse de sa vie. II voyait naitresa gloire el ne pressenlail point encore les persecutions dont il devait bientot etre I'objet; la ville el la cour avaient les yeux sur lui ; le roi vcnait de I'adnieltre rccemment dans son intimity, ct parmi les courtisans, c'etait a qui s'empresserait de suivre I'exem- ple du roi. Les gens de qualite, trouvant sans doute qu'il etait de bon gout de faire rire a leurs depens, faisaient pleuvoir.chez lui des memoires de toule cspece, pour I'in- struire du caractere de tel et Icl, afin qu'il s'en servit dans ses cadres et pour que ses tableaux fussentdes por- traits. On le voyait souvent, apres le spectacle, entoure d'une multitude de genlilshomnies, occup6 Ji chercher partoul des tablettes pour recevoir leurs communications. — . Ces messieurs lui donncnt souvent a diner, dit un critique contemporain ', pouravoir le temps de I'inslruire en dinant de tout ce qu'ils veulenl lui faire melire dans ses pieces; mais comme ccux qui croient avoir du merite ne manquent jamais de vanite, il rend tnus les repas qu'il recoil, son esprit le faisantallerde pair avec beaucoupde gens qui sont beaucoup au-dessusde lui. L'on ne doit point aprte cela s'etonner pourquoi Ton voit lant de monde ^ ses pieces; tous ceux qui lui donncnt des memoires veulenl voir s'il s'en serl bien ; lei y va pour un vers, tel pourun demi-vers, tel pour un mot, et tel pour une pen- see dont il I'aura prie de se servir : ce qui fait croire justement que la quantity d'auditeurs interesses qui vont voir ses pieces les font reussir, et non pas leur bonte toute seule, comme quelqucs~uns se le pcrsuadcnt. r, D'apres ces quelques lignes, on voit que Moliere se Irouvaitdans ime position de fortune honorable, puisqu'il rendail aux gentilshommcs tousles diners qu'il en rece- vail. Combien d'hommes dc letlres, dans ce temps-l^, n'en eussent pu faire autanl? Sa comedie des Faclieu.r est le resultat de cet amas de notes, et l'on pcut dire que tout le monde y a travaille. Elle fut representee k Vaux, chez Fouquet, en presence du roi et de la cour, avec un prologue de Pelisson. Plus tard Louis XIV donna ix Mo- liere I'idee de la scene du Chasseur, qui fut ajoul(5e aux representations de Saint-Germain et du Palais-Royal. — Les personnages qui y etaient rallies en prirenl si bien leur parti « qu'il s'en trouvait qui faisaient en plein th^S- tre, lorsqu'on lesjouait, les m^mes actions que les come- diens faisaient pour les contrefaire. • Le public de Paris eut beaucoup d'indulgence pour un ouvrage concu , appris et represente en quinze jours. Mais Moliere n'etait pas fait seulement pour ce me- tier de courtisan rimeur. II sentait sourdre dans sa tHe autre chose que des intermedes et des ballets. Le coeur humain ofTrait un plus vaste champ d'clude h son re- gard profond ; I'homme, et non I'honime de la cour ou de la ville, voila ce qu'il voulait peindre. Au lieu de ces bizarreries, de ces coutumes, de ces singularites, de ces manies, de ces travers particuliers a son ipoque, qu'il a I Donncau de Viii. MOLIERE. 203 Stales dans les FAcheux, e'elaicnt les bizarreries, les cou- tumes, les travers tie toujours qa'il voulait reproduire, c'etaient les mceurs eternelles, les grandes passions au lieu des petits vices. II voulait que son theSlre s'appelat theatre du cceur, et non theeitre du Palais- Royal. — Cette idee, il la realisa d'une facon aussi largo quo sublime dans VEcole des Femmes, piece qu'il eut tout le temps do parfaire, dans I'espace de dix-huit mois que sa troupe fut delaissee pour les representations de Scaramouche, recemment arrive d'ltalie. Tarte it la crcme. Scaramouche parti, Moliere eut son tour. L'Ecole des Femmes fit beaucoup de bruit, quoique k la premiere representation elle eiit ete generalement con- damnee par les gens du monde. Pourmoi, je pensequ'elle fut trouveetrop vraic, quele rirequ'ellechercheparuttrop douloureux, que les plaies qu elle expose semblerent trop saignantes. On n'^tait point habitue k voir dans la come- die un SI fidele tableau de la misere morale ; on en fut effraye. Jamais poete n'avait pousse plus avant ses ex- plorations dans la vie intime ; nul autre que lui n'avait mis rime plus a nu. C'est que Moliere ecrivait alors avec son ame el avec son sang, c'est qu'il s'est representi5 lon- guement, patiemment, cruellement, dans le role d'Ar- nolphe ; c'est que ce drame est son histoire, I'histoire de sa vie conjugate avec la comedienne Bejart, cette femnie de si peu de cceur qu'il avait ^pousee par amour et qui le trompa par vanite. Pauvre grand homme! quel cou- rage il lui a fallu pour se mettre lui-mSme en scene et pour servir en pature a la foule assemble le propre spec- tacle de ses tourments, de ses inquietudes, de ses soup- 50ns, de son supplice de tous les jours et de toules les nuits ! — Ainsi fait le pelican lorsqu'il dechire ses entraiUes et qu'il les partage k ses petits affames : Les declamations sont comme les epees : Elles Iracenl Hans Tair un cercte cblouissanl, Mais il y pend tonjours qucique goulle de sang. On a dit que la malignite infame abusa de ses infortunes domestiques pour jeler sur lui le ridicule qu'il avait si souvent joue dans les aulres. S'il en est ainsi, la posterito I'a bien venge maintenant. Elle n'a laiss^ que la honte a la Bejart. — Comme toutes les plus admirables de ses pifeces, VEcole des Femmes souleva une nuee de critiques dont pendant six mois entiers I'horizon lilteraire fut obscurci. C'est ce qui fait que Loret en parle de la sorte dans sa gazette : Pie;e qu'en plusieurs lieux on fronde, Mais oil pourlani va lant de monde Que jamais sujel important, Pour le Toir, n'cn altira tant. Toutefois Moliere ceda au desir de repondre h ses ad- versaircs, et ce fut ce qui le perdit. Des lors commenca pour lui une lulte mesquine, inces;ante, acharnee, a la- quelle il laissa son repos, et qui ne contribua pas peu a repandre sur ses jours cette teinte de melancolie qui de- puis ne I'abandonna jamais. Sa Crilique de I'Ecole des Femmes ouvrit le feu, et bientot il se vitbafoue par Bour- saultdans unecomedie representee k I'hotel de Bourgogne .sous le litre du Porlrail du PeuHre ou la Contic-Criti- (Jiie. — Moliere repliqua parVImpromplit de Versailles; mais sa colore etant tombee en mSme temps sur les co- medicns de I'hotel de Bourgogne et sur les marquis, la guerre ne tarda pas a ^tre d^claree et k devenir generale. L'hotel de Bourgogne fit coup sur coup reprt^senter I'/m- promplu de I'Bolel de Conde et la Vengeance des mar- quis, I'une en vers et I'autre en prose, I'une de Mont- fleury et I'autre de de Villiers, qui tous les deux avaient ^te tournes en ridicule dans VImpromplu de Versailles. Mais un trait qui est oublie peut-etre et qui doit vivre eternellement pour la honte de son auteur, c'est celui que .206 MOLl je vais rapporter. — Le due de '** s'elait niontrc un des plus inipitoyablcs censours de I'iVo/c dcs Fcmmes. — « Qu'y trouvoz-vous ij redire? lui demanda un con- .naisseur. — All! parbleu, ce quo j'y trouve a redire est plaisant : Tarle a la rrfme! — ^Jlais (iiile a la cretnc n'est point un defaut, repondil le bel esprit , pour le decrier comme vous faitcs. — Tarle a la crciiie csi execrable, ri- pondit le courtisaii ; laric a la crcme, bon Dieu '. Avec du sens conimun, pcut-on soutenir une piece oil Ton a mis laric a la crcme! — Celte conversation, sVHant r^pandiie, ful bientot dans toutes tes bouches, ct dans sa Ciiliquc ilcl'Ecole dcs Femmcs, Moliere n'eut garde d'oublier le tarle a la cremc, qui toil passe en proverbe. Le due fut si vivcment pique d'etre mis sur le Iheillrc, qu'il s'avisa d'une vengeance indigne d'un homme de son rang. Un jour qu'il vit passer Jloliere, il I'aborda ;avec les plus alVables demonstrations, el, profitant dui mo- ment oil celui-ci s'incliDait, il lui prit la teleentrc 'les mains et lui frotta le visage conlre les boutonsde son' ha- bit, qui etaient durs et tranchanls. — Moliere eut la fi- gure ensanglanlee. — On ne peut trop s'iiidigner d'une alrocite pareille, et I'expression manque pour fletrirune aussi stupide IJchete. On comprend des lors combicn sa position dut dtre difficile, et conibien elle I'eiit encore 6te da-vantage sans la puissanle protection dont Louis XIV I'-entourait hau- lement. II scniblait que le grand roi eut pris a tache de faire oublier au grand ecrivain les injures de ses enne- mis en le comblant de bienfaits ct d'honneur. — Nul doute que ce ne fiit pour rcconnaitre cetle auguste ami- tic que Moliere composa la Princesse d'Elide et le Ma- nage force ou liallcl du Roi, ainsi nomme parce que le roi y dansa une entree dans la representation qui en fut faile au Louvre. Deux ans apres I't'co/f dcs Femmes. Moliere revint a des travaux plus s^rieux et plus digncs de son gi^nie. II donna le Fcstin dc Pierre. L'etrangele du sujet, la har- diosse des nioycns dramatiqiies, I'inlerdt d'un genre tout nouveau, ne trouverent point grSce vis-a-vis le public. Le Feslin de Pierre tomba. — Louis XIV choisit ce moment pour venger son poete de I'opinion et devancer le jugemont de la posterite. Dc m^me qu'apres VEcole des Femmes il s'etoit empresse de le comprerdre dans I'litat des gens de leltres qui eurent part a ses liberalites, de meme, apresl'insucc&s du Feslin de Pierre, II auto- risa ses comediens k prendre le titre de Comcdiens du Roi et leur accorda une pension de sept mille livres. — Pendant ce temps, Moliere 6tait outrageusement traitede corrupteur de la jeunesse et d'alhi^e, dans un ecrit signe du sieur de Rocliemont. .le passe rapidement sur V Amour medecin, fait et re- presenle dans cinq jours, et qui commenca la croisade centre la Faculte, — pourarriver pluslol au Misanthrope, cecri sublime d'une trislesse amere, celte ardente satire de la socicte, cet honiiSte courroux d'un homme blessiS au coeur. .Sous I'habit aux rubans verts d'Alcesle comme sous le manteau d'Arnolpbe, qui ne reconnaitrait encore Moliere'/ — Le croirait-on? le Misanthrope eut ii peu pres dans le principe le meme sort que le Feslin de Pierre. A laquatricme representation, il n'y avail dcja presque plus personne. II estvrai qucle Jodelel deScarron faisait alors furcur. Le grand homme ne se rebuta point. II essaya de rap- feRE. peler les spectateurs par un ouvrage de nioindre porlec, — par une farce. .4u Misanthrope, il joignit le Medecin. malgrc lui, et de cetle facon Alceste put passer a la fa- vour de SganarcUe. — II supnrima ensuile cetle derniere piece, quand le merite de la premiere fut suflLsamment reconnu. Mais nous voici arrive a I'episodele plus orageux de sa laborieuse carriere. Laissons de cole Melicerle ct le Siri- lien, et venonsen de suite a ce drame de Tarlufe qui souleva, avant et apres son apparition, tanl de declama- tions ct lant de baines. Bien que des prelats et le 16gat lui-m^me en eussent juge favorablement a la lecture, il •■n'en eut pas moins Ji e.«suyer tout ce que le zele exogere ebiice devotion mal entendue ont de plus dangcreux. 'G« n'^lait cependant que sous le tilre de Vlmposteur qu'il s'etait hasarde a le produire sur la scene, et en de- guisanl le principal personnage sous I'ajuslement d'un homme du monde, c'esta-dire en lui donnant iin pelit chapeau, de grands chcveux, un grand collet, une epce et des denlellcs sur I'habit. Toutes ces precaulions furenl inuliles. Le lendcniain de la premiere repr&enlalion, ordre lui fut envoye de siisperdre Ics suivantcs. — En vain dep^chat-il sur-le-champ ses camarades La Grange et La Thorilliere au camp devant Lille ou elait le roi, afin de revoqucr ccl arrSl; le fanalisme devait trioniphcr. Ce ne fut qu'au bout de deux ans que Louis XIV, desibuse. donna une permission aulhentique de renieltre cette piece au theatre. II avail enfin compris que c'elait rcndre ser- vice a la religion elle-meme que de demasquer ses faux ser- viteurs. — En recompense des peines qu'il s'etait donnees et des tracasseries sans nombre qu'il avail cues a subir, les camarades de Moliere voulurent absolument qu'il eilt double part, sa vie durant, toutes les fois qu'on jouerait Tarlufe. Dans I'inlervalle compris entre la defense et la reprise, au milieu de ses demarches el de ses sollicitalions, il ne s'cn clail pas moins remis h I'ouvrage avec une ardeur nouvelle. II semblail que les persecutions n'eussenl d'aulre effel en ce moment que d'allumer sa verve. La meme annce vit p.iraltre successivcmenl Amphilryon, Ceorges Dandin et VAvare, — Irois chefs-d'oeuvre. Le dernier c^da loulefois pour quelque Icmps h la prevention g(5nt^- rale. C'elait alors une singularile, un defaut meme pour une comedie en cinq acles, que d'i5lre ecrile en prose. ' Aussi l',4i'arc parlagea-l-il la mauvaise fortune du Feslin de Pierre. II fut retire i la seplieme represenlalion. Qu'on ne s'ctonne done pas si Moliere y fit succi^der immMialement M. de Poureeangnae. II ne serail pas descendu a un pared comiqiie s'il n'avait eu jamais pour spectateurs que des Condii, des La Rochefoucauld , des Montausier, desBcauviUiers, des dames de Monlespan et de Thianges. Mais le peuple exigea de lui des Shrigani et des Scapin, ct ses occup.ilions de direclcur de troupe remp^cherent de porter plus loin qu'il I'aurail voulu les bornes de I'art dramatique. Neanmoins, cetle annee vit rassociafion de Moliere et ; de Corneille dans la IragMie ballet de Psyche. L'atiteur du Cid voulut bien s'assujeltir au plan de I'auteur de Jir de Pourceaugnae. Quinault se joignit a eux pour tourner les couplets que LuHi mil en musique. La magni- ficence di'ployee dans la represenlalion qui en eut lieu ' au palais des Tuileries pendant le carnaval, ct le concours de ces qualre homines ci51ehres, ajoul^renl un nouveau MOLIEUE. 207 lustre a cette piece, qui sera toujours renomm(!'e pour un grand nombre de trails, et surlout par le tour ncuf et de- licatdo la declaration de I'Amour a Psyche. Louis XIV donna ensuiteaMulierc le sujet dcs Amanls mugnifigues, qui ne furent repr^senles qu'a Saint-Ger- m.iin-en-Laye, et qu'il s'ubstina toujours a gardcr en manuscrit nialgre Ics ^loges des courtisans. Ceux-ci, pi- ques sans doute du peu de succes de leurs instances, fu- rent inoins favorables au Uuiirgeois gcndthomme ; niais Paris applaudit a la virile du tableau qu'on meltait sous sps yeux, el la foule imposa bieiilot silence aux detrac- leurs, Les Fourberies de Scapin ct la CviiUeste d'Escarba- gnas, — celte peinture des ridicules de la province, — furent suivies des Femmcx savunles, qu'il travailla plus a loisir. L'aridite apparentc du sujet nuisit d'abord au succfo de la piece, mais le public ne tarda pas a revenir deson indifTcrence. L'actualite de queiques scenes, enire autres celle de Trissotin et Vadius, — qui fut vraiment ecoutce aux portes du cercle de Mademoiselle, au Luxem- bourg, — lui fit obtenir une vogue dont elle est tou- jours restee en possession. C'esI evidemment une de^ses (Eiivrrs les plus cbaliees ct les mieux conduites. La dernicre comMie de Molifere fut le Malade imagi- naire, — ce fut aussi son dernier soupir. C'cst un triste recit. A la troisicme representation, il se scnlit plus souf- frant que d'habilude. — Molifere itait poilrinairc. Depuis longtemps il suivait un regime et elail astreint a I'usage frequent du lait. — II pria ce jour-la .ses camaradesde commencer le spectacle k quatre heures precises. Vaine ment sa femme et Baron le presserent de prendre du re- pos et de ne point jouer. — "Eh! que feront, dit-il, tantde pauvres ouvriers? Je me reprocherais d'avoir neglig^ un seul jourdeleur donncr du pain." — .4yant dit cela, II eu- tia dans sa loge et s'habilla. A peine se fut-il montrfe sur les planches, qu'un hoquet violent vint lui couper la pa- role. II s'arrcta, et poursuivit au bout de queiques minu- tes; on savait que cette iiifirmUe lui etait habiluelle. De temps en temps il se detournait pour crachcr le sang. II vint ainsi a bout des deux premiers actes. — .\u troi- sierae, les elTorls qu'il fit pour achever son role augnien- lerent son oppression, et I'-on s'apcrcutau divertissement quen prononcant le mot jam il lui prit une convulsion qu'il lijcha en vain de de^uiser aux spectaleurs par un rirc forc^. II tomba dans les bras' de ses camarades. ■ On le porta chez lui, danssamaison rue de Richelieu, — du cole qui donne .sur le Palais-Royal. La, sa loux iaugmenla considerablement et fut .suivie d'un vomisse- .ment de sang qui le sulToqua. II mourut entre les bras .de deux de ces soDurs reli^ieusps qui viennent qu^lcr ^ Paris pendant le careme, et qu'il avail letiriies chez lui. Pauvre comedien! Louis XIV fut vivement louche de cette parte. II enga- gea I'archeveque de Pans a ne pas lui refuser la sepul- ture dans un lieu saint. Ce prelat, apres une enguile exacte sur la religion et la probite de Moliere, permit qu il fill enlerre duns le cinieliere de la petite chapelle de Saint- .loseph, au faubourg Montmartre. — Le convoi se fit Iranquillement, le mardi, 21 fc-vrier 1C7 !, a la cJorte de plus de cent flambeaux portes par ses amis. Moliere avail vecu cinquante-trois ans. II avail trenle-huit ans lorsqu'il commenca 4 ecrire. Apres sa mort, le Iheitre resla ferme pendant quioze jours. — Peu do temps ensuite, Lulli oblinl la salle du Palais-Royal pour la faire servir au spcclacle de I'opcra. Mademoiselle Poisson, fille de DuCioisy, nous a laisse ce portrait de Moliere : • II n'etail ni trop gros, ni trop mai^re; il avail la taille plus grande que] petite, le (xirl 208 MOLIERE noble, la jambe belle ; il marchait gravcment, avail I'air serieux, le nez gros, la bouche grande, les Ifevres 6pais- ses, le leint brun, les soiircils noirs el forls, el les di- vers mouvements qu'il leur donnait lui rendaient la pliy- sionomie exlrSmemenl coniique. A I'egard de son carac- tere, il elait doux, complaisanl, g^nereux. II aimait fortk haranguer, et quandil lisailses pifeces aux com6diens, il voulait qu'ils y amenassent Icurs enfants, pour tirer dcs conjectures de \eurs mouvements nalurels. ■ On a.pretendu dgalemenl qu'il lisailses pieces k sa ser- vanle , nommee Laforet , pour juger, par rimpression qu'elle en recevait, des passages accessibles aux intelli- gences les moins cullivees. — Je me represenle aisemenl les grands eclats de rire de la servanle aux dialogues Lj =t:i^diitc I.afurC-l. cnormesdeM. Jourdain et de Nicole, — el peul-ftre aussi une larnie furtive au sombre dfeespoir du luleurd'Agnes. Je ne m'etendrai pas sur le genie de Molifere. II res- pire k chacune de ses pages ; personne encore ne I'a rem- plac6. — Molifere n'est pas Frangais, disait un Anglais; il est de tous les pays. Malgre une voix sourde et une cerlaine volubilite de langue, c'etait un comedien consomni6 dans les r61es de haul comique, lels que ceux d'Harpagon, d'Orgon, de Mascarille, d'Arnolphe. — II jouait avec une telle verite, que le public ne distinguait plus I'acteur du personnage qu'il repr^sentait. Le sieur de Vize lui-mfime, qui ne le trouvait qu'une « copie de Triveliu et de Scaramouche, • ne laisse pas que de dire en parlanl de VEcole des Fem- mes : ■ Jamais comedie ne fut si bien reprt'senlfe, ni avec tant d'art ; ohaque acteur sail combien il y doit faire de pas, et toules les ceillades sonl comptees. Apres le succds de cette piece, on peul dire que son auteur me- rite beaucoup de louange pour avoir sibicnjoueson role, pour avoir si judicieusemenl distribu^ tous les aulres, et pour avoir enfin pris le soin de faire si bien jouer ses compagnons, que Ton peul dire que tous les acteurs qui jouenl dans sa piece sonl des originaux que les plus habiles mailres de ce bel art pourront difflcilemenl imiter. • Moli^re etait ador6 de ses camarades. On a vu qu'il ^tait mort pour n'avoir pas voulu leur faire perdre le produit d'une representation. — Ce fut lui qui servit de p^re k Baron, rest6 orphelin a I'ilge de douze ans. — S'il poursuivait les medecins au theitre, dans la vie privee il lui arrivait de leur rendre d'importanls ser- vices, comme le prouve le canonical qu'il fit obtenir au lils du docleur Mauvilain. — Chcri de ses plus illus- Ires contemporains, de Boileau, qui I'appelait le contcm- plateur, de Chapelle et de Lafontaine, il n'etail pas moins estime des grands ; il vivait avec le mar^chal duo de Vivonne dans cette familiarite qui egale le merite k la naissance, el le grand Conde assurait que sa conversa- tion lui apprenait toujours quelque chose de nouveau. Nous avons ecarl6 a dessin de ces pages les anecdotes trop connues et celles donl I'aulhenticile nous a semble contestable. — C'est un travail sferienx que nous avons voulu faire, el non un MolUrana. L'Acad^mie francaise, pour se consoler, par uneesptee d'adoption posthunie, de ne I'avoir pas admis au milieu d'elle pendant sa vie, fit placer son buste dans la salle de ses stances, avec cette inscription : Itien nc manque k sa gloire, il inanijuait h ]a noire, Une souscription nalionale lui a elev6 en outre, dans ces derniers temps, un monument digne de son genie, du aux ciseaux de Pradier, au coin de la rue Richelieu et de la rue de la Fontaine-Moli6re, — presque en face de la maison oii il est mort. II n'a laiss^ qu'une fille; — et sa veuve ^pousa en se- condes noces le comedien Eustaohe-Francois Detrich6, plus connu sous le num de GuMn. Charles Monselet. PETITS VOYAGES SUR LES niVIEUES DE FRANCE. 209 PETITS VOYAGES SUR lES RinERES DE FRANCE. LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVENIRS. fSDITE.) (juand nous avons passo Chaitreltes et le chJteau du Pri, nous apercevons plus loin, toujours sur la menie hauteur, le village de Livry, dontle chateau a eu pendant i|uelquetemps pour proprietaiie la famille de la Ferron- nays. En face de Livry, et sur sa rive gauche, la Seine baigne la longue terrasse d'un autre chateau ; c'est celui de la Rochette, village dont le nom significatif annonce combien le terrain en estaride. En effet,le sol elait couvert uniquementde biuyeres steriles, quand M. Moreauforma leprojel, en 1760, d'en operer le defrichement. Le gou- M'rnomcnt lui confia pour ce travail les enfants des hos- I'lces, et bientot ces landes infertilesdisparuront sous des liois magnifiques. Aujourd'hni les promeneurs de Melun se donnent rendcz-vous a la Rochette. Puis, quand nous arrivons a Melun nous voyons, sur les coUines qui dominent la rive droile de la Seine, le chiteau de Peny, qui jadis fut le lief seigneurial du vil- lage de Vaux ; le village a pris son surnom du chateau, (llette propriete resta longtemps en la possession d'une famille du mSme nom qui se trouva eteinte au milieu du quinzieme siecle, en la personne de Pierre ou Perrinet de Peny. .\lorslaseigneurie passa, parsuile d'unmariage, dans la ninison de Guerchy et devint, en 1 538, I'acquisi- tion de Tristan, marquis de Rostaing, gouverneur de Melun. Le marquis aimait beaucoupsa terre de Vaux-le- Peny, h laquclle il lit des additions considerables. Apres la mortdu deinier enfant mile de cette race, tue dans le duel malheureusoment celcbre du due de Nemours centre le due de Beaufort, le domaine echut a madaine deLavar- din, illustree par I'amitie de madame de Sevigne. Enfin, en 1728, cette terre futachettepar M.Freteau, secretaire de la grande chancellerie; son fils fitabattrel'ancien cha- teau eteleva en 1766 celui quise voit maintenant. C'est la que M. Freteau de Saint-Just, conseiller au Par- lemcnt de Paris, fut exile i sa sortie de la citadella de Jioullens oil on I'avait enferme. C'est encore en ce lieu qu'il se retira apres la dissolution 'de I'assemblee consti- tuante, ou il avail ete envoye, conime depute, par la no- blesse de Melun et de Moret, et oil il reniplit ^ deux re- prises les fonctions de president ; c'est de la enfin qu'il sortit pour enlrer dans les prisons de la terreur, qu'il ne quitla ensuite que pour monter sur I'^chafaud. Le proprietaire actuel du chSteau de Peny est M. Fre- teau, baron de Peny, pair de France, conseiller a la cour de cassation. Get Edifice s'eleve au milieu d'un pare im- I mense que M. Freteau a embelli d'apres les dessins des plus habilespaysagisles; il domine tous les environs. Des lenetres du salon et de la terrasse, qui sert de toiture en quelques endroits, on jouit d'un des plus beaux coups d'ceil que presente la Seine dans son cours. On apercoit lefleuve, a gauche, qui sort des profondeurs de la forSt de Fontainebleau, puis qui coule h travcrs d'agr^ables II. prairies encadrees dans des collines que couronnent des bois et des vignes, ou que parsement de charmantes maisons. Vis-k-vis, les rives de la Seine, plus basses, laissent h decouvert une plaine immense couverte ca et la aussi loin que le regard peut s'en assurer, de hameaux et de villas. Sur la droite on voit le fleuve s'enfoncer, a Melun, sous les arches de son double pent, et reparaitre encore au sortir de la ville pour s'enfuir vers Paris. A son entree dans Melun, la Seine se divise en deux bras et partage cette ville, comme la capitale, en trois par- ties : la Cite, le quartier Saint-Ambroise et le quartier Saint-Aspais. Aussi certaines personnes ont-elles la pre- tention de prouver que Paris a ete construit sur ce plan et citent-ellesa tout propos leproverbeassez impertinent : Apres Melun, Paris, qui ne tendrait a rien moins qu'a fairedu chef-lieu de Seine-et-Marne la premiere des vilies de France. II est vrai de dire que I'origine de Melun remonte ii une antiquite recul6e; Cesar, qui, dans les'ptieme livre de SOS conimentaires, Tappelle Melodunum, y clablit pendant un certain temps le centre deses operations mi- litaires. Du mot b.tin Mclodimum est derive le nom fran- cais Melun. On n'a aucun document certain sur les com- mencements de son histoire ; il serait absurde de repeler avec conviction qu'une reine d'figypte, nonimee lo, se serait arrSlce, dansses voyages a travers le nionde, dan.s rile formee par la Seine en ce lieu pour y fonder une ville qui se serait appelee d'abord Isis, nom sous lequel on I'avait deifiee. — Comme on pensait que cette deesse 6gyptienne avail obtenu autrefois des anciens habi- tants de Melun les honneurs d'un culte special , on youlut s'assurer s'lln'y avail pas quelques traces d'edifices construils dans cette intention. On ]iensa que ces vestiges elaient les Testes memesd'un batimentsituepr^sde Notre- Dame. Mais ce n'etaient lout simplement que des mines du dixieme siecle. Autrefois Melun ctait une ville fortifiee que defendait unchiteau situe au nord de I'lle. Ce cbiteau servit sou- vent de residence k nos rois; ses murs furent temoins de bien des evenements graves enregistrcs par I'hisloire. C'est la que se refugia Isabelle de Baviere, de deplorable memoire, quand I'approche des Armagnacs la contrai- gnit de quitter Paris. Le chateau-fort, en depit du r6Ie important qu'il joua a plusieurs reprises, a eu le sort de taut de monuments elevespar la feodalite. Le dernier roi qui I'ait habite est Charles IX. Depuis le rdgne de ce prince, I'entFetien de cette forteresse fut neglige. Lorsdu sejour de Louis XIV a Melun, elle fut regardee comme inhabitable, et le monarque fut oblige d'aller chercher un asile dans une maison de Fouquet, alors vicomte de Melun. Les dernieres traces de ce monument ont disparu il y a quelques annees, on n'v voit plus que le bas d'une a 'J 10 PliTirS VOYAGES tour qui scit iiuiinlouant au bureau Je I'aJmiuistratiou des cochos. Melunfutplusd'uue foisassie^e. On ritn'es combats que cetle villo eulii soutenir, en 1419, eonire le roi d'Angle- terre et le due do Bourgogne trainanl avec eux le pauvre roi de France Charles VI, quand ils entreprirent leur guerre infJme contre le Dauphin. La ville, bien defendue par Barbazan qui n'avaitavcc lui qu'une fad)le garnison, sut resister pendant six mois h tous les efforts de rarm(5e coaliseo. Ce siege eut un inlerfit tout paj-liculier. Juvenal desUrsins nous a raconte ces comb its corps a corps que se livraicnt Ics chevaliers anszlais et franrais dans les mines pratiquees sous le faubourg de Bifevre, A Tepoque de la Ligue, Melun rcsta (idele au roi et eut alors h re- pousser plusieurs fois les attaques des ligueurs. F,u 1814, le canon des armees etrangeres tonna h ses portes. Depuis un dcmi-sieele, la population de Melun, qui s'accroit rapidemeut, a presque double. Unc administra- tion active el nitclligenle a dole la villo de quais magni- fiques, de rues larges, de vastes places, qui ont rem- place des ruelles oil I'air penetrait h peine, ou la cir- culation t'tail difficile et que d'ignobli's masures avaient encombrees jusqne-la. C'est dans celte vdle ijue se croi- sent les deux grondes routes de Geneve et d'flalie, qui viennenl la vivifier et donner une facilile et une activite nouvelles Ji son commerce. Melun a deux ponts sur la Seine et une prefecture d'uu bel aspect, quin'est autre (lu'uneancienne abbave de be- nedictins dont le dernier litulaire fuU'abbe de Calonne, lefrere du minisire de Louis XVI. On y voit en nulre un hotel de ville, une bibliotheque as^cz riche , un tribunal, autrefois convent des Carmes, une salle de thi'atre, un hopilal, une maisou de reclusion oil peuventf^tre renfer- mes donze cents condamnes, une fabrique de sucre de belleravcs, une caserne de cavalerie et deux eglises : Notic-Dame et Saint-Aspais. Cette derniere possede de tres-beaux vitraux et des sculptures remarquables par leur goiit etleur leg^rete. Kntre la ville et le faubourg Saint-Liesne coule rAlmonl qui, venantde Nangis, vase Jeter dans la Seine a Tangle du pare du chateau du Peny. Cette riviere, peu impor- tante d'aiUeurs, setrouve neanmoins, quand elle arrue a Melun, augmi'ulee des eaux des canaux et des cascades du celehre chateau de Vaux (maintenant Vaux-Praslin), bati par Fouquet, et que La Fontaine a celebre dans son elegie adressee aux uympltes de Vaii.r; morceausuperieurcment ecrit, oil respire, a cote d'une philosophic douce, un senti- ment profond, et qui d'adleurs etait presque un acte du courage. On pent fttresilr de faire froncer le^ sourcils au pre- mier habitant de Melun auquel on s'adressera, si on lui deaiande a manger une angiiille; ce niouvement d'irrita- tion nous est exp'ique, dit on, parl'origine de I'existence d'on ancien proverbe. Mille versions ont circule a ce sujel, \oici la plus vraisemblable ; Un uomme l.angnille, de .Melun, avail ete charge de jouer le role de Saint-Bar- ihclcmi dans un mystere qu'on representait. .\ la vue du couliau ct des pinres dont on allait se jcrvir pour donner une idte, par imitation, du supplice du saint liomme, noire pauvre acteur, efTrayi, prit la fiction pour la realile el se mit it pousser des cris elTroyables. De la vint le dictun populaire : o II est comnie Uinijiiilte de Melun qui rrie aianl qu'on I'rcorilie. » En sorlanl de Melun, le Reuve arrose le hameau des Pourncaux, qui se Irouve conligu i la ville et possede plusieurs maisons do plaisonco tros-agreables, ainsi qu'une superbe manufacture de faience. Ce hamcuu est dependant du Mce, .village place comme lui sur la rive SIR LKS RIVIICr.E.S DE FHANCE. 211 droite (le la Seine, quoiqu'un pen an dessous. Le Slec, jadis le jVWis, veut (lire mi'lairie. La levrasse liu pare el ceHesdes autrt•sjardin^i qui doniinent le lleuve preseiilent le plus charmanl conp d'ueil. A uiie certalne distance de la Seine, a gauche, on voit, adossi?9 aux bois, deux agreablea V]lla.;es, Dammerie-les- Lys et Farcy, peuples d'une foule d'elegantes demeures. Le premier de ccs villages tiie son noin de I'abboye du Lys, fondee parla reine Blanche, dont lecoeur y fut long- artir de cette epuque, Sainte-Assise a ele la propriete de plusieurs personnes.qui toutes ronteinbellie au prix d'enormessa- crilices. MamtenanI, elle appartientau prince Charles de Beauveau, qui y reside habituellement et se plaits I'en- tretenif avec un godt exquis el une attenUon remarquable. .Sainte-Assise est situee dans la commune de Saint-Port, oil lecourant va bientot nous porter. Ce beau chateau, bit' ti en amphitheatre a I'extremite d'une vaste pelouse, ap- parait de Ires-loin, avec sa facade blanche, etseniontr* pendant longtemps au voyageur qui navigue ou passe pa' la rive gauche sur la route de Pont-Thierry. Sur cette memerive gauche et vis-a-vis d'eSainte-Assisa on rencontre rembuuchure de l"ficolle. Avant de se per- dre dans la Seine, cette petite riviere alimenle plusieurs mouliTis. Bientot nous aliens decouvrir, loujoursa ;'auche, le hameau de Tilly, tout pres de Alaison-Rouge, oil Ton voit encore les ruines des anciens bains de la charnianle et hisloriqup Gabrielle. Ce qui en est resle pcut donner une idee de ce qu'etait cette ravissante habitation. En avant subsisle encore une terrasse soutenue par desepe- rons dignesd'attirerratlenrtion. Tilly, Slaison Rouge et Si- tanguelte, que nous voyons aupres. sont des dependances du villagedeSaint-Eargeau oil nous sommesenlin, etdont leclocher nous apparaissait depuis longtemps. En face, c'est-a-dire sur la live droite, a une lieue en- viron deSainle-.\ssise,se trouve Saint-Port ou mieux Seine- Port I port sur laSeine), convert demaisjnsdelicieuses, par- mi lesquelles il en est dont les jardins se prolono'ent jusque sur lesbords du lleuve et secontinuentjusquedans les lies qui bordent la rive. En hautde Saint Port on voyait se dresser, au dernier siecle, le fameux pavilion Bonret, construitpar le fermier general du mime nom pour y recevotr Louis XV. Un de nos plus elegants ecrivains, M. LeonGozlan, nous a la- contedans nnecharmante nouvelle, inOitBlee Ccquccoiila une perhe, les tribulations et la ruiiie de cette espi'ce de bourgeois-gentilhomme a qui un caprice royal litperdre sa fortune et presquela raison. Cette somptaense demeure eut ensnite pour proprietaires le due dt Bassano et MM. Moreau, de Paris, qui I'onl feit demolir. 11 en reste seulemcnt deux cavaliers, en avant de la foret de Ruu- geaux d'oii Ton a une admira-ble voe. Vi.s-a-vis la ferme de VUlers, un peu au desjous de Saint-Port, se tcuuve Croix-FoBl'aine, chorniante habita- tion, la dermere que noosrcncontcerons dans le depai te- aient de Setoe et-il»rne. En elTet, c'est la que nous quit- tons' ce territoire fertile et riche, parseme de toutes les construclions qu'une aristocralie opulente a su y relever ou y creer depuis peu. Bientot nous entrons dans Seine-et-Oise. Le premier village qui s'offre a nous est celui duCoudiay, dont le ce- liibie Chilean, au milieu d'unparc immense, fut ipiehpie temps en la possession du marechalJourdan. Plus bas, le Plessy-Chenet livre passage ii la route de Fontainebleau. Sur la rive droite, nous voyons se deployer la ferme de Saint-Guildar el le village de .Mosans sui-Scine, vis-a- vis duquel se Irouve la fermede Pressuir-Punt. Puis, apres avoir cotoye Saintery el lemagnilique chateaudeChamplii- Ireux, sijourde M. le comte Mole, qui eut rhonneur d'v recevoir le roi il y a quelques annees, nous arrivons en vue de Corbeil. La Seine pavUige en deux cette petite ville, chef-lieu d'arrondissement du de|iartemcnt de Seine-et-Oise etsiege d'un tribunal de premiere instance. II y'a a Corbeil une bibliolheque publique, un petit theatre, un hospice civil, un depot de farines con.sideraUo, et de magnifiques mou- lins mis en mouvement par la charmante riviere d'Essonne, que formenl celles de Juignes el d'Elampes. 212 PETITS VOVAGF.S Un pont mollis en pierre et moitie en fer rclie les deux quartiers I'un a r:uitre. Le vieux Corbeil , ou quartier Saint-Leonard, doit son nom ^ une egiise qui mirile peu de fixer les regards ; il se trouve sur la rive droite et fait parlie de la Brie francaise. Le nouveau Corbeil, ou quartier Saint-Spire, est divise en deux parties par la riviere d'Essonne. On y voit une cglise sous I'invocation de saint Spire, que fonda, dit-on, au onzii'me siMe, Aimon,Ie premier conite de Corbeil. Detruite entiijrement par un incendie enlliO, on la rcconstruisitdepuis, mais les derniers travaux ne furent aclieves qu'en 1 437. L'origine de Corbeil remonte ci une liaute antiquite. Ce fut une place de guerre, importanle par sa position. N^anmoins, et en d6pit de son anciennct^, nous nous dispenserons de faire deriver son nom de celui de Corbu- lon, gouverneur dcs Gaules, ainsi que Font fait certains 6tymo!ogistes pour le moins avenlureux. Cette ville fut assi^gee en vain par les Bourgaignons et les Anglais a I'epoque de lenr ligue centre le dauphin, depuis diar- ies VIL Sous le regne de Charles IX, les calhcliques su- rent s'y defendre avec courage conire les liuguenots, dont ils repousserent les attaques. Plus tard, devenue hugue- note par un de ces retour.s dont la fortune possede seule le secret, elle se laissa prendre par le due de Parme, qui vint I'attaquer avec les ligueurs et les Espagnols. A r^poque de I'invasion etrangere, le pont de Corbeil fut coupe pour arreter les allies dans leur niarehe sur Paris. Les deux arches qui sautercnt ont cte remplacees, le fer y tient lieu de la pierre. Aujourd'hui , Corbeil a perdu sa gloire miUlaire et s'en console en augmentant chaque jour son importance commerciale. N'oublions pas que la creation][^d'un chemin Vilc (Ic Corbeil. dc fer a et^ pour cette ville une source nouvelle de mou- yement et de prosperity. A la sortie de Corbeil commence pour nous une char- mante navigation au milieu de villages agreables et do chateaux magnifiques. Sur la gauche, nous laissons les chateaux de Lagrange-feu-Louis et de Mousseaux, le vil- lage d'Ery et le chJteau de Petit-Bourg, bili par le duo d'.4ntin, qui y recut fr^quemmenl Louis XIV etmadame de Montespan. Petit-Bourg devint sou.s Louis XV un ren- dez-vous de chasse, qui eut tour i tour pour habilanls, depuis cette epoque, la duchesse de Bourbon, Perrin, administrateur des jeux, et, il y a quelques annees, un riche banquier espagnol, M. Aguado; c'est maintenant le sejour d'une colonic d'enfanls, analogue, sous quelques rapports, h la colonic agricole dc Metlray. Viennent ensuite les chateaux de Grand Bourg, de Trousseau et de Fromonf, dont les jardins, de caract^re si romantique, viennent finir sur les bords du fleuve-, ^ droite, nous voyons s'^lendre le village d'litiolle, dont le chateau fut la propri^te de M. Lenormant, le mari' de la celebre madame dc Pompadour; enfin le chMeau \le Bourlanger et Soisy-sous-Iitiolle. Depuisquelques instants nousapercevonsun pont magni- fique suspcndu sur la Seine; c'est le pont de Bis, superbe ouvrage qui a pris la place du bac et a ^tc hiiti par I'an- cien et genereux propri^taire de Petit-Bourg, feu M. le marquis de Las Marismas. II relie le charmant villnge de Bis, que nous laissons a gauche dans I'inl^rieur des terres, ainsi que le hameau de Laborde, au village de Champrosay, que nous voyons a droite h une petite di- stance, et qui renferme un grand nombre de niaisons de plaisance. Bientfit nous avons d(^pass6 a gauche le hameau du Petit-Chatillon el celui du Giand-Chatillon ; alors nous decouvrons a droito, au sein de la plaine el au bas d'un groupede collines, !e joli village de Draveil. A une lieue de Ris et au-dessus d'Athis, avant Ablon, SL'R LES RIVIEU nous voyons une petite riviere, I'Orge, se joter dans le neuve apres avoir arrose Dourdan et Montlhery, deux villus qu'ont rendues illustres les mines respectables do leurs rhiteaux feodaux. Situee sur une hauteur dont elle occupe le sommet, la tour de Montlhery, semblablo au plumetqui orne le bonnet d'un grenadier, attire les regards du voyageur. Des hauteurs qui eiitourent Corbeil, on I'apcrcoit conime on peut la voir, h Par[S, du haul de la coupole de Sainte-Genevieve; cette tour, que M. Viennet a pris pour sujet d'un ronian historique a la fois interes- saiit et serieux, embrasse un horizon d'au moins quinze lieucs. Depuis les guerres religieuses, Ablon occupe un rang important parrai les villes des environs de Paris. Les huguenots y eurent un temple oil ils exercerent leur culte librement, en vertu des ordres de Henri IV et en depit des clauses du traite qui avait preside a la reddition de Paris, clauses par lesquelles on exigeait au moins une distance de cinq lieues ; or, Ablon ne se trouve qua qua- Ire lieues et demie de la capilale. La Seine ne larde pas a recevoir I'Vonne, dont les sources sent a ViHegagnon, non loin de Provins, pres de ES UE FHAXCE. 213 celles de la Voulzie. Cette riviere coule sur un terrain si poreux et y decrit tant de detours que, bien qu'elle soit alimentee par de nombreux ruisscaux, assez abondants pour mcttre des moulins en mouvement, clle reste a sec pendant les trois quarts deTainiee dans presque louteson etendue. Sculemcnt, au-dessus deBrie-Comle-Robert, grJce a des sources importantes, elle devient assez forte pour alimenter un grand nombre d'usines qui ne s'arriHent jamais, quelle que soit la saison. La route de Melun a Paris traverse I'Vonne sur un charmant petit pent, puis entre a Villeneuve-Saint-Georges, place sur la rivedroite du fleuve, au confluent aes deux cours d'eau. Un grand nombre de jolies maisons donnent a ce village quelque chose d'attrayant. Arrive a Choisy-le-Uoi, la Seine passe sous un pont large et splendide dont la construction remonte a I'annee 1610. Ce bourg renfermait jadis une maison de plaisance construite pour mademoiselle de IMontpensier. A la mort de cette princessc, la niaison appartint au dauphin, fils de Louis XIV ; on I'eehangea alors contre le chiteau de Meudon, que madame de Louvois possedait. Toute trace de ce Chilean a disparu. C'cst lii que Louis XV faisait de Vue Jc Bcc.. si frequents voyages avec madame de Pompadour. Les bosquets et les jardins delicieux n'ont pas laisse de ves- tiges, la charrue a tout boulevers^. Sur cette terre, na- guere consacree au plaisir, on a etabli des fabriques de maroquin, dc fa'i'ence et d'acides mineraux. .4u-dessus de ■ ce bourg est une petite ile d'un elTet charmant, qui entre bien pour quelque chose dans la splendour du panorama offert par la Seine en cet endroit. Kous laissons sur la gauche Vitry et ses riches pepi- nieres, puis nous apercevons deux iles assez importantes et le Port-a-l'Anglais, derri^re lequel se deploie une im- mense plaine. Le nom de ce petit village indique sa trisle origine. Pendant le regne de Charles VI, les Anglais, que la trahison avait rendiis maitres de Paris, etablirent eii ce lieu un camp pour surveiller la capitale et pour cou- per les communications que le dauphin aurait ete lente de nouer par le moyen de la Seine avec les Parisiens. A I'extrimite de la plaine, sur le penchant d'une petite col- line qui derobeij nos yeux Tallreux Bicelre, nous voyons un village : c'est Ivry avec ses jolies maisons de plai- sance, au nombre desquelles il faut citer celle de M. le comte Jaubert. Le lerritoire dlvry s'etend jusqu'au.x murs de Paris et renferme les hameaux de la Gare et d'Austerlilz. Devant nous s'eleve, sur une chaine de collines, le triple bourg dc Charenton , au pied duquel passe la Hi PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE. MarnCj tlonl nous n'avions pas encore soupronne 1e voi- sinage, Ci\v ju-^qu'ici elle s'est caclice derrieie U's nom- breuses iles qu'elle furiiie ii rextrcniile de son confluent avec la Seine. La Maine prcnd sa source dans le depar- temenl de la Haule-Marne, aux environs de Langres (ii la Marnotle), arrose I'exlremile sud du deparlement de I'Aisne, penetre dans celui de Seine-et-Marne pres de la Ferte-sous-Jouarre, baigne Meaux et La.;ny, et sans s'ar- riMer dans le depart°nient de Seine-ct-Oise, elle attaint celui de la Seine, oil elle se joint a ce dernier lleuve au pied des carrieres de Cliarenton. La Marne a un courant rapide qui rend sa navigation difficile; dans plusieurs localiles 11 a fallu etablir des pertuis etdcs barrages pour Jivlser et alTaiblir son cours. Apres sa reunion a la Seine, on distingue longtenips encore ses eaux, a leur rapidile, a leur nuance j auni\tre, et au limon epais qu'elles char- rient avec elles. Au qualorzieme sierle, les rois de France possedaicnt un chateau a la pointe de ce confluent. C'est la que Jeanne do Navarre fut niariee ^ Pliilippe, comte d'fi- vreux ; cetle priucesse habita ce chateau jiisqu'a sa mort. On appclait alors cet endroit le Srjouv du roi ou les Carrierex; c'est ce dernier noni qui est reste a la localile apres la destruction de la royale demeure. A I'epoque des troubles qui suivirent la captivite du roi Jean, son (ils, le Dauphin, jela la un pont de bateaux sur la Seine pour aller assieier Paris. C'est a I'exlremile de ce pont, du cote de la plaine d'lvry, qu'il fut force de livrer aux revoltes, vcnus ^ sa rencontre, un sanglant combat. A gauche dps carrieres de Charenlon nous voyons les premieres maisons du village de Conflans, contigu au premier. Pendant longtemps les dues de Bourgogne y possMerent un beau ebSleau. A I'issue de la guerre it hi- quelle donna lieu, sous Louis XI, la IJiiiie du bien pu- blic, il y ent un tiaile conclu a Paris, qui porte le nom de tra te de Coullaus, paroe que la negocialion s'ovivrit dans le chJleau des dues de Uourgogne, oil le comte de Cha- rolais (J«j»uis Chai'les le Temeraire) s'etait retire avec ses pai ti^saflB, jKHiUaiit que le roi elait maitre de la plaine d'lvry. Lc ministre "Villeroi a fait construire une superbe niai- son de plaisance sur reniplaccment de ce chateau ; de- puis pres de deux siecles elle est la propti^le des ar- chcveques de Paris, qui, dans la belle saLson, y vont chtT- cher la solitudeetie repos. Sur la bauleur .selrouvent des reservoirs dans lesquels une machine hydraulique fait nionter I'eau du fleuve, qui, de la, se rcpand par des ra- naux multiplies dans les bassins du parterre, puis s'e- chappe encore pour alimenter les fonlaines du voi-sinage. Une petite plaine de quelques arpents separe senle la niaison de I'archcveque de Bercy. Le chiteau des sei- gneurs de ce nom, que Ton voit de la rive, fut repare et embelli sous Louis XIV, et c'est d'aprcs les de-sins de Le Noire que I'on arrangea lesjardins. Dans cetle admi- rable propricte le botaniste truuverait d'inappreciables tresors; mais il y a la un garde inipitoyable i|ui en d(5- feiid I'entree a tous, excepte aux induslriels riverains qui ont acquis ii prix d'argent le droit d'y faire des de- pots. La terrasse louge la Seine pendant un quart de lieue a pau pres, et Ton y jouit d'un point de viie niagnifique. Le village de Bercy, qu'on pent considerer comme un • des fauliourgs de Paris, cimsisteenunelongue suite debii- -tiraents vastes et uniformes qui bordent le lleuve ; ce .sunt des entrepots pour les vins. Jadis on passait la Seine dans un hac, aujourd'hui on la traverse sur un pont construit en eel endroit, et appele pontde Bercy. Nous lais^onssur la rive gauche le hameau d'Austerlitz, qui tire son nom d'un des ^venements les plus glorieux de notre histoire, et celui de hi Gare, qui pos.sede une importante verrerie, et nous pi'n^trons enfin dans Paris, entre le quai de la RJipee a droite, et le Uigubre edilice de la Salp^lriere a gauche, pour passer plus loin, en face de I'Arsenal. Laissons le bateau qui nous porte desccndre le cou- rant du fleuve aux eaux vertes, et resumons un peu la partie de noire voyage qui se trouve iri terminee. Sans doute nous aurions pu desirer de passer a travers des- villes plus riches et plus elendiies, de traverser des con- trees plus pittoresques et plus varices; mais, en somme, nulle part rimagination n'aurait ornt^ de souvenirs plus charmants les rives d'un lleuvp ; nulle part elle n'aurait pu retracer des bords qui excilassent aulant d'emolions profondes, autant de sentiments graves ou touchants. Pour qui voyage dans la haute Seine lout a un cbarme sur- prenanl. on ne resiste pas ii I'altiait ,de ces rives, a leur grice indefinissable; mais jusqu'ici rien n'indique en- core i'imporlance et la majeste que doit acqiierir plus tard ce fleuve puissant, et pourlant on doit avoir deja de- vini' ,sa grandeur future. Les premiers, parnii les voyagours qui ont explore le cours de la Seine, nous Tavons prise a sa source ; nous avons ob.serve peu a peu son accroissement, ^ chaque pas nous avons nolc raiigmentalion de son lit, do ses undes; nous avons vu , pour ainsi dire , nous servant d'une figure du bon vicux temps, cetle nymphe, d'abord en- fant, grandir et devenir une fenime accomplie, aux formes arrelees. Maintenant la Seine va nous presenter le spectacle d'nne bien auire activite ; devenue large et forte, elle Iraversera des ciles puissanles, riches et peu- plces, et s(!mera sur ses bords un mouvement et des in- cidents mille fois plus varies; les souvenirs bisloriques vont surgir en foule; cependani elle va perdre ce charme allache aux e.ssais el aux elTorts d'une jeunesse qui tra- vaille et qui lulle. Les rives que nous allons voii' sunt pai'Uiut etudi^es et reproduiles; ces villes. que nous allons traverser ne sunt plus dc celles oil le voyageur ne s'arrfte que s'il y passe une .grande route. Nous voyons un fleuve sans cesse sil- lonne par des emharcations ou par des bateaux k va- peur cJjarges de curieux ou dartistes; un fleuve qui a une histoire, chronique vivanle decrile en mille et mille volumes. En un mot, la basse Seine est en quelque sorte, comme di.sait Napoleon, la grande rue d'une ville im- mense, dont les trois quartiers principaux seraient Paris, Rsuen et le Havre. Cependani noire embarcation a franchilePonl-\euf,et nouscherchons en v.iin sousladeuxieme arche, du cotedu quai de I'ficole, ce pelit chateau qui avait son gouver- neur, el qui s'appelait la Samaritaine, nom cht'ri pen- dant longleiiips des Parisiens, loiijonrs assembles sur le pont pour ecouler les .sons aigres et percaiils de son ca- rillon. Le baliment tombait de vetuste, la pompe avait et6 reconnue inutile, on se decida a lout aballreen 1813. Mais nous voici au sein de la capilale, abordons un inflanl, f t examinons un peu le vieux Paris du haul de ce terre-plein sur lequel s'appuio le Pont-Neuf. A,.-L. Bayehghc. ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE. its ESOUISSES DE LA VIE FLAMAOE. CUAPITRE III. eni VEUT TROP S'ELEVEB, TOMBE 800VENT BIEN Bas. (Suit?.) Le pert- Van Roosemael profila du trisle exemple d'lloitense Spinael pour declarer a sa femme la ferme volontt' oil il elait de retirer Siska de pensiou. Le dock'ur Pelkmans so joignit i lui pour faire sentir la Docessite d'une telle rt'solulion. Comme Irois ans s'elaienl ecoules depuis quelle n'avait vu sa tllle, m.ndame lioosemael.se ranqea plus lacilenient a leur avis qa'iU ne s'y alleinlaient. En consequence, iwe leltre fiitecrile a la direclrice de pension pour la remcrcifr des soins dunnes a Siska et pour prevenir cetle deniiere que le 15 couranl, a qua'lre hi-urcs de I'apres-midi, madame Van Roosmael Idllendrait a la station du chemin de fer. Ce jour-Ik, en effet, une demi-heure environ avant I arnvee du convoi, m vit entrer dan. le deharcadere une dame d'un iige mftret d'un air respectable. Elle avail un manteau de drap fia, et son bonnet, a la verite, de forme on pen antique, elail garni d-unedentelledeprix \ coup 'ur ce devait ^tre la femme de quelque bon bour.-eois qui ..vau profile du beau temps pour se paror de ses habits Ju dimancbe. Neanmoins die sY-lait munie d'uu immense parasol qui pouvail lui servir de parapluie en cas do- rage. Le cceur de madame Van Roosemael, — nos lecteurs 1 ont surementdeja nommee,-battait b,eu fort en ce mu- msnt, car elle allait pre.sser sur son sein maternel .sa Sisk-, son enfant cherie, et Irouver dans ces lendres embrasso- nients h compensation de toutes les querelle.s, de tons le-s ennu,s, de lous les chagrins qu'elle avail supporles Jans son menage po„r parvenir a lui donner une bril- lanle education... Quelle joie elle allait eprouverl Mais voil6 qu-on entend les rusis,sements du convoi M-oi npproche. Les employes de radministration se pre- cipitent hors des bureaux et des ma.aasins, et accourenl .la debarcadere. Le bruit succede au silence, et c'esl au mii.eu d'une foule tumullueuse que s-arrele la machine uionstre. La bonne dame, tremblante d emotion, va se poster alors sur lepas.sage desvoyag-urs, el elle examine curieusement chaque visage de femme... Deja lesbrillanls Equipages sunt partis, les lourds om- nibus se mettenl en mouvemenl; en moins de cinq mi- nutes la voie de fer se trouve libre ; le. employes retour- nenta leurs bureaux; la foule se disperse. La mere Van Roosemael voit les porles se fermer; I'inquielude s'empare de son ume ; elle reste immobile a I'entree de la station, comme si un pouvoir occullc la clouait k cells place. Tout & coup elle tressaille ; elle vienl d'a|iercevoir h quelque distance, pres d'un cabriolet de louagp, unejeune per- sonne debout, dans I'attitude d'une personne qui en at- tend une autre.— Serait-ce Siska'/... Oh ! non. c'e.st im- po.ssihle !... A I'elegance de sa toilette, on juge que cettc jeune dame appirtienta h haute classe de la sociele. Sa robe de soie, d'une couleur eclatante, laisse a decouvert une grande parlie de son ecu qu'un chaie de barege ne suffit pas a cacher. Le long de ses joues lombenl dcsgrap- pesdecheveux.el deux plumes se balancenl sursoncha- peau. Elle tient a la main une jolio petite ombrelle ; a ses pieds sont enla.sses deux grandes malles et une douzaine de cartons. Ce ne pent 6tre son enfant! Telle etiiit la conclusion desremarqiies de mailame Van Roosemael, lorsque la jeune fille, elanl venue a se reiourner avec un monvemenl d'impalience, elle recounut alors parfaitemont les trails de Siska. — Ml fille I s'ecria-l elle; el en prononcinl ce peu de mots elh s'elance avec la vivaoite de lajeunesse. Des lanncs de joie mouillent ses paupieres; un sourire feclaire saphysionomie, elle ouvre les bras, et s'ccrie de nouveau avec Taccent du bonheur : . Siska I mon enfant! » ^ La jeune personne parul bien un peu meconlente de s'cntendre app 'ler da ce nom vulgaire; mais, cedant pvomplemenl n I'lmpulsion de son coeur, elle seprecipita v.rs sa mere en s'emparant deses mains, et, les pressajil foitemenl enlro les siennes, elle lui dit d'un ton etran- gemenl de^nge : — R)njour,mamnn, comment va voire sant«? el papa se porte-t-il toiijoursbien?... Oh! preftezgardBl vonsalkz 2IG ESQUISSES DE L ecraser nies cartons... Savez-vous queje \ous altcnds ici depuis fort longtemps? Dans cl'aulrescirconstances, ces paroles n'eussent peut- felre point laisse de trace sur I'csprit decette mere indul- genle -, niais en ce moment, elles blesserent son cceur, comme aulant de coups de poignard. fctait-ccla, en effet, le langage qu'elle avait ie droit d'attendre de sa lilie, apres une aussi longue separation? Quoi ! pas uii baiser, pas un elan de tendresse ponr relle qui, afin de satisfaire ses desirs, avait non-sculcmcnt repousse les conseils, mais encore lutte avec lavolonte de son epoux? Combien cette froideur immeritge devait I'affliger ! EUe s'efforca pourlant de contenir sa douleur. Pendant ce temps, les valises et les cartons avaient ete places dans le cabriolet, qui se trou\ ;Mt maintenant si en- eombr6, qu'il n'etait plus possible que deux personnes pussents'y asscoir. Mademoiselle Van Roosemael ordonna au cocher de partir devant, parce qu'elle preferait, dit- elle, se rendrc h pied chcz son pere. Nous ne nous trom- perons certainement pas en atlirmant que la vanite eut une grande part dans cette determination, ct que la co- , quette jeune fille 6tait surtout desircuse de se montrer avec son elegante toilette aux Anversois de sa con- naissance qui habitaient le meme quartier que sa fa- mille. Siskaouvrit done son omb'relle, etd'un pas leger elle se mit en marche sans accorder aucune autre marque d'af- fection a sa pauvre mfere. Celle-ci ne pouvaits'empSclier desentir maintenant la justessedesavisdu docteur. L'es- prit absorbe par ces tristes reflexions, elle semblait plil- tot une servante qui suit sa maitresse, qu'une mere qui accompagne sa fille. Les deux fenimeschemiraient depuis quelque temps en silence, lorsque mademoiselle Van Koosemael, exominant sa mere de la tete aux pieds avec la plus inconvenante curiosite, lui dit tout a coup : — Mais, maman, comme vous Ues etrangement babil- lee avec cet atfreux bonnet et ce manteau h la vieille mode! on vous prendrait pour une femme du peuple. Je vous en prie, cachez re parasol campagnard, car nous avons absolument I'air de paysannes arrivant de leurvil- lage. Madame Van Roosemael repondit d'une voix brisec qui trahissait sa soufl'rance : — Men enfant, je suis hatillee comme ma mere s'habil- lait avant moi, et on ne peut s'attendre a ce qu'k mon Sge je change ma manifere de me vetir. Mais Siska n'avait pas attendu sa reponse ; elle s'occu- pait en ce moment a regarder les passants, afin de jouir de I'effet qu'elle produisait sur eux. Comme on traversait le march(5 de la ville, un jeune homme s'opprocha d'elle avec un visage si riant et un air de si parfaite intimite qu'on les aurait volonliers pris pour la soeur et le hire. Madame Roosemael ouvrit ses yeux aussi grands que pos- sible, pour tacherde le reconnaitre. Quant a lui, loin de se laisser deconcerter, il se mit a marcher a cote de Siska ct lui dit en francais d'unton cavalier : — Eh I bonjour, mademoiselle Eudoxie! Vous voila done sortie de pension!... Anvers auia le bonheur de posseder dans ses murs une personne aussi accomplie! En yinli, c'est une bonne fortune pour nous autres jeu- nes gens, qui rencontrons rarcmcnt un tel assemblage de perfections. \ VIE FLAMANDE. A ce compliment emphatique, Siska repondit en afl'ec- tant une confusion qu'elle n'eprouvaitpas : — Vousplaisantez, monsieur Georges... Mais comment so porle votrescEur Clotilde? — Oh! tres-bien, dit-il negligemment. Puis il ajouta avec une expression ironique el en designant madame Van Roosemael : — C'est sans doute votre femme de chambre? A cette question, Siska devint toute rouge, moins de colore peut-6tre que de honte, et I'exces de son embar- ras lui ota pendant quelques instants I'usage de la parole; enfin, faisant un effort sur elle-meme : — Non... c'est ma mere, dit-elle. — Ah! vraimcnt! s'^cria !e jeune homme. Et se re- tournant vers la bonne dame : Pcrmettez-moi de vous faire mon compliment, madame. Vous avec la une ado- rable hlle! En achevant cos mots, il salua I'epiciere avec une po- litesse si exageree, qu'elle touchait de bien pres a I'im- pertinence. Madame Van Roosemael avait assez de bon sens pourle comprendre; aussi ne repondit -elle que par une legere inclination. Encore tout emue de cette scene inconvenante, elle demanda h sa fille : — Pour qui done nous prend ce jeune Francais? II a certainement cru s'adresserSi quelque autre, car il vous a appelee Eudoxie; comment pouvez-vous ecouter les sols propos d'un freluquet qui vous est inconnu? Ces observations ne parurent nullement du gout de Siska, qui prit un air renfrogne. — Vous imaginez-vous par hasard, maman. qu'apres avoir passe trois ans dans un pensionnat francais, j'en sortirais aussi gauche et aussi sauvage que lorsque j'y etais entree? Ce jeune homme ne m'est pas inconnu... II venait voir frequemmcnt k ma pension sa sceur Clotilde, qui est mon amie d'enfance. ■ — Quoi! s'eeria la mere ctonnee, scrait-ce Pierre Van- derlangen? — Eh ! oui, maman, c'est M. Vandertangen. — Et tu n'es pas honteuse, ma fille, de faire tant de bruit avec un faineant qui ne sail que gaspiller I'argent de sa famille! — Mais, maman, cela n'enip^che pas qu'il ait acquis a Paris, oil il a vecu, de fort bonnes manieres; c'est un jeune homme qui connait le.'' usages du monde. — Est-ce done pour suivre les usages du monde qu'il passe son temps a baguenauder dans les rues et a vexer, par ses impertinences, des personnes respectables?.., Quoi que vous en pensiez, je vous diifends do lier desor- ESQUISSES DE L mais conversation avec des drfiles aussi impudents. Je vous dirai encore que vous vous appelez Siska et non Eu- doxie. Tii's-mortifiee de celle reprimande, Siska repartitavec un pen d'aigreur : — Esl-ce ma faute si les dames de ma pension ontjuge a propos de djanger mon nom Ijourgeois centre un plus convenable? En entendant sa fille s'exprimer de la sorte, la nial- heureiise mere songea inxolonlairement a Ilortcnse Spi- nael, et, sous I'impression d'une si ficheuse pensee, elle lui eiit assuremenl dit quelques dures Veritas, si elles ne fussent alors precisement arrivees devant la porte de leur boutique, oil VanRoosemaelelaitoccupe a moudredu cafe. Comme line se trouvait la aucun etranger, la jeune fille n'hesila pas a embrasser affectueusement son p^re; le brave homrae etaitravi de revoir son enfant brillante de sanle et de grace, et il en temoignait assez bruyam- ment son allegresse, lorsque ses demonstrations furent intcrrompues parSiska, qui s'ecriaen francais : — Mes cartons nepeuvent rester ici... 11 faut que je les fasse monler dans ma chambre... — Cocher! ajoula-t-elle, prenez-les et suivez-moi dans I'escalier. Une beure apres qu'elle se ful ainsi retiree dans sa cliambre, elle etait encore occupee a deballer ses cha- peaux et ses robes, a ranger ses llacons de cosmetiques et k mettre ses clieveux en papillotes. Pendant qu'elle se livrait a ces travaux importanls, elle chanlail le re- frain d'une romance franraise : a O ma belle, " Soii-moi fidele ! et aulres du meme genre, d'une voix si eclatante qu'on I'enlendait dans la boutique. Le pere Van Roosemael restait immobile d'etonnement derriere son comploir; sa main droite se reposait- sur la manivelle de son moulin a cafe, tandis que de lagauclie il se graltait, ou plulut s'ecorchait la tete avec la distrac- A VIE FLAMANDE. 217 nees de ma femme ! Le doctcur Pelkmans avail raison quand il disait qu'un jour je m'en repentirais... La situation de la pauvre mere etait aussi bien digne de pitie. Torturee par ses craintes malheureusemcnt trop molivees, et par les reproches de sa conscience, elle s'e- tait assise dans un coin obscur de la cuisine et pleurait solilairement. Les plcurset les plaintcs ne produisirent pas plus d'ef- fet sur Siska que les remcntrances et les priires. Rien ne pouvait la detourner de la mauvaise voie dans la- quelle elle etait entree, si bien que la tendrcsse maler- nelle de I'epiciere finit un beau jour par Temporler dans son ccDur sur son juste mecontentcment, et qu'a force de chercher des subterfuges pour apaiser I'irrilation de son niari, elle en vint a ne rien voir de reprehensible dans la conduite de sa fdle : ■— Tout au plus pouvait-on lui reprocher quelques caprices, un peu d'obstination; mais voili tout. D'ailleurs I'enfant etait encore bien jeune... avec le temps, elle se corrigerait. < Par cette excessive indulgence, madame Van Roose- mael oblint quelques marques de tendresse de la pairt de Siska, qu'elle ne cessait de vanter i ses pratiques : . — Noire fille, leur disait-elle, est fort instruite... Elle comprend lefrancais mieux que le ilamand... elle danse commeune Parisienne... elle chante comme au theatre... enlin, c'est un vrai bijou. Etfectiveiiient, Siska avail rccu une fort jolie educa- tion. Elle savait assez de francais pour etre en etat d'e- changer dans cette langue de fades compliments; a la vcrile, elle commetlait dans la conversation plus d'une faute grossiere centre les regies; mais son assurance et sa vivacite emp^chaient ses auditeurs de s'cn apercevoir. Elle avail bien oublie d'apprendrerarithmelique, science d'ailleurs trop aride pour une jeune personne delicate et nerveuse ; mais quoiq+i'elle fill incapable de dresser une facture, elle etait en etat de calculer que si sur Irois pre- tendants elle venait k en perdre un, il lui en resterait encore deux. De ses lecons de geographie elle n'avait retenu qu'une chose, h savoir, que Paris est la plus belle villedu monde, le paradis Icrrestre des femmes, qui y passent leur vie dans des fetes continuelles. Quant a la mythologie grecque, elle se souvenait fort bien que Venus etait ia deesse de la beaute et que Cupidon etait son tils. De lion d'un homme dont les idees sent toules boulever- sees. Ses yeux erraient vaguement dans la boutique, et de tristes previsions assombrissaient son esprit. Lui aussi pensait en ce moment k Hortense Spinael, tout en cnurmurant de temps en temps : — Quel imbecile ai-je ^te de ceder aux volontes obsti- plus, elle connaissait tous les noms francais des diffe- renles especes d'etoffes, des diverses facons de robes, des nombreux genres de coiffures dont se servent les 218 grandes dnmos. — VoilJi en quoi consislail la hellp Edu- cation de la fillc de I'honnJto (Spicier onversois El main- tenant, nouslo domanrlons, elail-elle iin vrai bijou, oom- n>e sa rflire cherrhait a se \>; pprsuadrr, ou seulement une poupee liabillee h la mode du jour? II est vraisemblable que le pere Van Roosemael n'au- rail pa5 repondu ;i la question que nousvenons de poser lie maniere a satisfaire I'orgueil maternci de sa femme. On doit du moins le supposer, d'aprfe les reflexions sui- vantes que vers ce temps-li il communicpia a son confi- dent, le docteur Pelkmans : — Si nous avions profile de vos a\'is, docleur, noire Siska serait i present installee a noire comptolr, egale- ment salisfaile de sa position el de la noire. Elle aurail pour nous autant de tendresse que nous lui en portons, el nous serions a peu prfes certains de lui hiisser, a noire morl, une belle fortune et des affaires florissanles. Au lieu de cela, voyez ou en sont les chosesaujourdbui ! Noire fi He est assise, 11 est vrai, dans la boutique; mais evidemment elle ne prend nul inler6t ii noire rommerce. Elle a dcvant elle un tablier de soie qui lui tomboa peine jusqu'aux genoux; quant aux bonnets, elle n'en porle ja- mais, et persiste a se coiffer en cbeveux conime si elle ilevait parattre h quelque assemblee. Toute la journee, •elle ne fait que rire et babiller avec un tas de freluquets qui n'ont pas un sou dans leur pocbe, et qui, sous pre- lexte d'essayer des ngares, envahissent mon magasin et i"n eloignent les lionnAtes bourgeois. J'ai deja perdu la moilie de mes pratiques... Ami Pelkmans, quaod je ne ^erai plus de ce monde, cette maison que je liens de mon p^re, et que je comptais transmeltre a ma Hlle, sera promptenient ruinee , car elle ne consenlira pas a epouser un homme de noire classe ; et a quoi sont bons les frivoles jeunes gens dont elle recherche la .societe"? Ab! vous aviez raison, docleurl Une education solide, mais simple, eut fait de ma Siska une bonne meiia;;ere, une femme d'inl^rieur. Elevee dans la crainte de Dieti, elle aurail pris le gout des occupations utiles et de la vie domestique. Hclas! c'est ainsi que I'on raisonne toujours, docteur, et que les .sages reflexions n'arrivent qii'apres Tinfortune : — C'est quand leveau estnoyc qu'on couvre le puits. ESQUISSES DE LA YIE FLAMANDE. eS.APITnE TV. MIEDX VAUT TARD QUE JAMAIS. Depuisle premier jour de sonrelour sous le toil pater- . nel, Siska desapprouvait, ou pour mieux dire critiquait lout ce qui s'y faisait. Pas une seulo habiluile de scs pa- renls ne trouva grioe a ses yeux ; lout lui parajssait vul-i gaire ou inconvenant. D'abord elle s'etonna qu'on pfil di- ner avant trois heures. Quant a elle, ce lui serait lout h fait impossible. Elle n'avait pas un appetil de paysaune. A celle declaralion, le pere se facha, la mi^re se desola. Alors Siska eut des violenles attaques de nerfs ; m^me elle toniba en syncope. Un medecin francais, tres-expert dans '"art de guerir les maladies de fanlaisie, ayanl etc ap- pM par la famille, raconta tant d'elTets etrane.es et effrayants produits par la surexcilation des nerfs, que ces bons parents demeurerent persuades de la nocessite de diner seulement k trois beures. Leur estomac dut pour- tant soulTrir de ce retard, car ils se levaient re;;uliere- menltous les m-alins a qnalre beures, au lieu que la pa- resseuse Sislm ne descendail jamais dans la boutique et ne sorlait pas souvent de son lit avanl neuf. Api-es la critique de I'henre des repas vint celle des mels dont ils se composaienl. II fallait absolument mellre exprespnur elle a la broche, tantot un pigeon, tanlot nn poulet. Ses pocbes Maient toujours pleines de pastilles au rdron, et d'autres bonbons pecloratix. Elle ne voulait pas non plus cnnsenlir a aller le dimancho avec sa mere a la messe de six heures; dansl'hiver, ellese seraitenrbum^e; dans I'ele, elle ne pouvait resler au milieu de gens du peuple sans en etre malade. La grand'messe durail Irop longlemps ; on gagnail froid aux pieds sur les dalles. Mais la messe de midi, a la bonne heure. La, on voit de belles toilettes, et, apresleservicedivin, on pent faireun tour de promenade sur le gazoii du cimeliere afin de nionlrerson manlelet neuf. Voyezlellearlecidesa mere 5 quitter son bonnet garni de denle!le pour mellre un cbapeau d'etofTe, et ses souliers hilniiblr rniihire pour des boUines larees ; autremenl la vanileuse enfant eftt refuse de sortir en sa conipagnie. Mais comme la mere Van Roosemael paratt mal ii I'aise dans son nnuvel accoutrement ! Son cbapeau lui ecorclie les oreilles, et de plus la rend h moitie sourde. A peine fail-.'lle trois pa.s de suite sanssarreler pour serouer son pied, comme s'ii setrouvail smbarrasse dans un filet, tant les lacets qui serrent sa chaossure a la mode lui engour- dis.sent le bas de la jambe. Pauvre femme ! sa conlrariele est si vi\'c en voyant les passant se moquer d'elle, que des goutles de stieur perlent sur son front. Le brave epicier n'elait pas moins lourmente qne sa femme par la fantasque Siska. Jusqu'alors, ii avail ete le maiire dans son interieuT et avail gouverne ses affaires avec tant de prudence que son commerce prosperait ad- mirablcment. Maintenant il n'en ttailplus ainsi. Le dfe- .ordre rggnait dans la maison, (out ce qu'il considerait et ESQUISSES DE LA proposait conime cnnvenable et utile, etait dedaigneuse- mentrcjele parsa lille; souvent mSine, celle dyrniere lui donnait a cnlendre qu'elle Irouvait ses idees etroiles et stupides. Si alors le bonliomme se mettait en colere, la discoide eclalait aussilot dans cetle famille. Siska et sa mere se tenaient d'un cote ; le pei'e restail seul de I'autre. (Juant ail dciclciir Pelknians , il se vil si nial ac- cueilli par les deux femmes, qu'il prlt bienlot en degoiit ieur mai^on an point de n'y plus vouloir mettre Ics pieds. Cepondant, le pere Van Roosemae!, qui n'avail pas 6l6 (5leve au milieu des dissensions domestiquos, et qui, par nature non muins (|uc par habitude, ainiait h voir ru- gner au'onr de lui la paix et le contentement, so resigna , h lolerer une infinite de changenjenlsdont la plupart lui etaient fort desagreabli's. Mais il souffrait beaucoup de ce boulever-ementsubit dans sa maniere de vivre. Aossi s'entendait-il dire plus d'une fois par ceax de ses anciens amis qui le rencontralent dans la rue : — Comme vous maigrissez,VanRoosemaelI Seriez-vous malade"? Sur un seul point, le bonhonime n'avait point voiiUi I'eder, ;i sa', oir : les attaques dirigees par Siska contre la boutique m^nie de son pere. Selon elle, cetle tiouti.jue ne devail, ne pouvait pas rester comme elle etait. Mais l)Ourenvenir a ses tins, la jeunc lille rompril qu'il lui faulrait beaucoup de perseverance et de ruse. En effet, i-'etait derriere ce coinptoir que Van Roosemael avait grnndi. Au fond du magasin, on voyait le vioux fauleuil sur lequel s'asscyaitsa grandmere. En un mot, celtc bou- tiiiue.clait son pays natal, son univers.et a la conservation lie toules les dioses qui s'y trouvaient semblait 6trp at- tachre une parlie de son existence. Aussi, pour vaincre rohstiiiation de son pere a ne point vouloir decorer sa biuitique a la fran^aise, Siska eul nen-seulement recours au\ larmes, aux crises de nerts; mais encore elle feignit ira\oir perdu I'appetit et le sommeil. Tout ce manege dura un an, oui, m\ an, an bout duquel Van Roosemael, a la fois fatigue et afilige de cette incessante persecution, dit enfin d'une voix aussi Irisle que .sa pliysionomie : — Ell bien ! done, failes ce que vous voulez. Helas! ces paroles, que d'iniportunes instances lui avaient arrachecs, rctenlirent a son oreille aussi lugu- brement que si on TeQt force do prononcer lui-ui^uie sa sentence de mort. II se sentil phjsiquemenl et morale- inent brise. Des lors il commen^aadepi5rir et a s'aclienii- ner lenlement vers la lombe. Plus d'une fois, Siska, en rencontrant son regard, I'prouva un trouble iudefinissable, une sorte de vague pressentiment de mallieur. Mais le mouvcment de re- pentir dont elle se sentait alors comme in\incit)lemcnt .saisie travcrsait son esprit comme un eclair. Van Roose- mael, morne ct abattu, ne lui ailressait nul reprucbe ; silencieux et immobile, il suivait des yeux les ouvriirs ni-rupes a mettre sens dessus deseous sa vieille boutique, ct a ancantir ses plus chers souvenirs. Les etioits car- naux du vitrage cederent la place i des glaces magnifi- i|ucs, el les lampes furent remplacees par de brillanis bees de gaz. Deux garcons de boutique .se tenaient les bras croi.ses derriere le comptoir, tandis que Siska, ou plutot mademoiselle Eudoxie Van Rooseniael, dont la chaise el.iit placee sur une petite estrade, pres de la fe- nelre, lisait des remans francais. VIE FLAMANDE. 219 Le nialheureux vicillard en etait venu a un tel degr^ d'accablemenl que toutes choses, sans en exceptor la so- ciete et la conversation de Spinael, semblaient lui *tre devenues indilTerentes. L'honnete cordonnier avait fait (juelques speculations sur les peaux, qui I'avaient mis en position de pouvoir lui rembour-ser le prMde mille florins. Ceppndant, la negligence et le desordre regnaiont plus que jamai.= dans la boutique de Van Roosemael, qui, de plus en plus soufTrant, sn vit enfin force de garder d'a- bord sa chanibre, puis son lit. Comme il ne se plaignait que d'un grand atlaiblissement, sa famille, persuadee qu'il n'avail besuin pour se retablir que d'nn profond repos, se borna a I'entourer d'attentions et de soins. Un matin pourtant le malade manifesta le desir de voir le docteur Pelkmans et son voisin Spinael. Madame Van Roosemael les envoya chercher tous les deux. Le medecin arriva le premier. II demeura longlemps seul aupres de son ancien client. Quand il redescendit, il elait pSIe et Iremblant. Du moment ou il se trouva ea presence des deux femmes, il lixa ses regards courrou- ces sur Siska, et s'avanca vers elle d'un air sombre. Torturec paries angois.ses de I'mquietude, et dominie par un indicible sentiment de terreur, la jeune lille ^ten- dit ses mains devant elle, comme pour repousser cette sinistre apparition. Le docteur saisit son bras, et, le pres- sant fortement, s'ecria d'une voix sourde : — Voire perese meurt. perverse enfant! etsans les cha- grins dnnt vous avez abreuve sa vie, il aurait peut-^tre encore bien des jours h vivre!... En achevant cetle intcrpellalion foudroyante, il rejeta Siska a demi evanouie sur son siege et sortil priTipilam- ment pour aller chercher un prStre, avec lequel il ne tarda pas h rcvenir. Apres qne le monrant eut recu les consolations de I'fi- glisp, il murmura d'une voix gemissante : — Oiisontma femme et ma fille?... Je voudrais les voir Tunc et I'autre, docteur. ..Mais, je vous en prie, soyez in- dulgent pour la pauvre Siska... Ne I'accablez pas de re- proches trop severes! — ,le vais la chorclier, repondit simplement le doc- teur. Assises a cole I'une do Vaulre dans I'arriere-boutique, la t^te cachee dans leurs mains, les deux femmes san- 220 ESQUISSES DE LA VIE FLAMANDE glotaient convulsivcmcnt. Le desespoir auquel Siska etait cn proie aurait attendi-i un cosur de pierre. Les paroles accusatrices du docleur resonnaient encore a son oreille comme une malediction divine, elles avaienl dechire le voile qui lui couvrait les yeux... Siska se reconnaissait coupable -, mais, lieias! il etait trop tard, le mal quelle avait fait ne pouvait plus etre repare. A re spectacle deux larmes roulerent sur les joues de Pelkmans, sa physionomieperdit un peude son expression de severite pour prendre celle d'unc affliction profonde, et s'approcliant de la repentante jeune fille : — Malheureuse enfant! vous avez pi'clie contre la loi de Dieu... Au lieu de suivre ce saint comniandcment : Tes pere et mere honoreras qu'avez-vous fait?... Mais je ne veux pas vous jeter dans le desespoir. II vous reste encore un moyende salul... Repentez-vousetamen- dez-YOUs ! Tachez de vous r^eoncilier avec Dieu et avcc votre peremourant qui vous appelle.,. Allez vers lui.... Mais prenez garde ! s'il quitte ce monde lerrestre sans etre convaincu de votre repentir, s'il racurt sans cette derniere consolation, la mal6diction de Dieu vous poursuivra eler- nollenientdans cetle vie et dans I'aulre. Siska baisa en pleurant les mains du docteur, ct so rendil en tonte hJte dans la charabre de son pere. Main- tenant assistons aux dernicrs moments du malheureux Roosemael. Au chevet deson lit, nous voyons, treniblants d'cmotion, Spinael et le docleur. A I'extremilfe opposee, Siska, agenouillee, entoure sa mere de ses deux bras, et supplie le vieillard do lui accorder son pardon. Le mori- bond, dont la figure s'eclairesoudainemeni d'une expres- sion de bt^atitude celeste, leve sa faible main, I'etend sur la t(He de son enfant, puis il murmure d'une voix faible : « Je te bonis, ma fille. • Et aussilot son 4me, deployant ses ailes, prend son ossor vers les cieux... Aujourd'hui, la boutique d'epicerie que les Uoosemael avaient tenue de pere en fils depuis pres d'un siecle, est fermee. En se retirant du commerce, la mere et la fille ont egalement rcnonce a tout plaisir, a tout amusement. Leur vie solitaire estentierementconsacreea dese.\ercices de piete et a des acles de charile. — Et si vous visitez, un vendredi matin, I'eglise des Dominicains, ouvrez la porle k droite et p6netrez dans le vieux cimetiere , jusqu'a la muraillesur laquelle se trouvent representes les tour- ments des 4mes qui sent dans le purgatoire , \h vous ver- rez une jeune fenime prosternee, enveloppee dans un nianteau brun et le visage convert d'un voile. Si vous I'examinez altentivement, vous remarquerez les grains d'un rosaire que font glisser ses doigts, et de temps en temps vous entendrez un soupir de contrition sincere sorlir de sa poitrine oppressee. Toutefois, son immo- bilite est telle que, dans le demi-jour oil elle se trouve, vous la prendriez pour une statue. Et si ensuite vous la voyez se lever, s'incliner respectueusement devantun torn- beau place en ce lieu, et s'eloignera pas lents sans vous avoir seulement apercu, vous pouvez etre sir que cetle jeune femme est Siska Van Roosemael. Nous n'osons plus vous entrelenir. des enfants de Spi- nael, qui continue a prior Dieu chaque jour de les retirer de I'abime du vice oil ils se sent volontairement plonges. Esperons toutefois que les prieresdel'lionnfite artisan se- ront enlin exaucees. L'OURS. m niSTOIRE NATURELLE. I.OURS. Ijiii n'a vu dans nos villages, surlout a I'approche des foires, un animal de graiide laiUe, couvei't d'une epaisse fouriure brune ou noire, d'apparence fort lourde, et dont le grognement sourd indique assez que la muse- liere n'est pas une garantie inutile? Un homme cependant guide, ^ I'aide d'une chaine, ce sauvage compagnon, qui a sa voix se redresse sur ses patles de derriere, etale de larges griffes et s'appuie d'une maniere grotesque sur un long bJiton qui lui sert dans ses exercices. Le son d'un tambourin et d'un fifre aigu lui donne une cadence douleuse; il saute pourleroi, il saute pour la ligue, absolument conime un civilis6 ; il tient un cliapeau et salue la compagnie en lui montrant les di'nis. Ce danseur recalcitrant est un sauvage habitant des montagnes, un ours, puisqu'il faut le nommer parson nom, qui deploie sesgricesdouleuses devantune reunion ou les enfants sont toujours en niajorite. La famille des ours est r^pandue dans toules leshautes Diontagnes de I'Europe, de I'Asie et du nord de TAnK^'- riquc; on en trouve aussi dans certains pays de pliiine oil il y a de grandes for^ts qui lui servent de relraite. On connait I'ours gris, le brun, le noir , et le blanc, qui ne se trouve que dans les regions polaires et liabite surle rivage de Id mer. L'ours gris est le geant de I'espece ; on le rencontre dans les for^ts les plus pri:fondes de rAm(5rique du Nord, pres des lacs ; aussi feroce que fort, il attaque intr^pide- ment les plus grands animaux, le bison m6me, qui sou- vent succombe apres une vigoureuse defense. Aucun ours n'est d'une humeur plus insociable que l'ours gris ; il aime la solitude, et malheur a qui passe h la portee de sa griffe ! 11 faut une grande resolution aux chasseurs pour I'attaquer, car les blessures I'irritent et, quel que soit le nombre de ses agresseurs, loin de fuir, il s'avance bravcment contrc cux. L'ours brun est le plus commun dans les montagnes de I'Europe; sansetre aussi redoulable que l'ours gris, il faut prendre de grandes precautions pour le chasser, car c'est un animal adroit, qui ne manque pas d'agilile et qui est doue d'une grande finesse ; c'est uri rus6 mon- tagnard qui a plus d'un tour dans son sac et qui est dau- lant plus dangereux qu'il cache sa ruse sous une appa- rence de lourde bonhomie. Comnie ces animaux habilent les sommets les plus inaccessibles, ils ne desccndentdans les valines que lorsqu'ils sont presses par la faim ; et ils regagnent promptement leurs tanieres apres avoir ravage les pares de moutons ou enleve quelque jeune veau. Les montagnes oil ils se retirentdans des cavernes sont ensevelies sous la neige pendant les trois quarts de I'annfe ; les sentiers, a peine traces, y sont peu surs, mcme pour les chamois, et longent des precipices sans fond ; il faut done prendre des guides et s'aventurer au risque de s'egarer , de p^rir sous des avalanches , de rouler dans un gouffre ; et lorsqu'ii la suite de ces dangers, qui naissentdela nature des lieux, on se trouve en face d'un ou de deux ours alTamcs, il faut encore un admirable sang-froid pour ne pas les manquer, car ils marchent volontiers sur le feu. On pretend que dans le Nord, en Lithuanie et en Sa- mogitie, quelques paysans les chassent d'une maniijre qui exige une grande resolution , mais ^ laquelle ils sont portes par le desir de soustraire leurs troupeaux et leurs ruches Ji ces redoutables depredateurs. L'un d'eux armi d'une hache tranchante se hasarde en avant des autres chasseurs vers les lieux ou l'ours doit setrouver; il s'avance avec precaution, retient m^me son haleineet marche comme un ^claireur en pays ennemi , de crainte d'une surprise qui lui scrait falale. Lorsqu'il apercoit I'animal, qui I'a senti de loin, surtout s'il est an vent, il grimpe avec agilite dans un pin ou lout autre arhre. L'ours arrive a son tour, alleche par la proie qu'il con- 222 LOURS. voile, il lourne aulour do I'arbre, se dresse sur ses pat- tes de derriere, leve Ic museau et examine le terrain de tous les cotes ; car sa mefiance habiluelle est eveillee et combat son natuiel carnassier ; enTin il se decide et monte h I'arbre assez peiubk>ment jusqu'au moment ou il atteint les premieres branches. C'esl alors que I'liomme assene vigoureusement des coups de bache sur ses pattes, coups qui le font rouler a lerre; puis, au signal conveiiu, les chasseurs accourent et achevenl leor eoQemi desor- niais sans defense. Les pieds de I'ours sont an mets assez estime par quel- ques habitants du Nord; mais la chair en est niauvuise; ce que Ion recherche le plus, c'est sa fourrure, qui se place tres-facilement dans le commerce et sert parlicu- liereinent h confectionner des coiffures mililaires, kol- backs et bonnets d'oursun. Les ours ne mangent pas spulement de la chair, ils sont aussi tres-friands de fruits, de chiilaignes et surtout de niiel ; lorsqu'ils trouvenl une ruche, ils la devorent avec tant d'avidile que tout y passe, miel, cire et meme les abeilles, qui ne sont pas toujours assez aleites k prendre leur vol. Que pourrait I'aiguillon de ces insectes contre leur impenetrable toison'.' Les yeux et le nez peuvent seuls en elre atleinls. Pendant une grande parlie de I'hiver, Tours, refugie dans sa caverne, apres s'itre bien engraisse, y passe le temps a dnrmir ou a se lecher laplante des pieds, ce qui i'aide.a ce qu'ilparait, k supporter ces mois d'abstinence. Dans quelques coutrees des Iiides orienlales il exisle de pelils ours noirs, qui nesont pas plusgrosqu'unboule- dogue et qui ne manquent pas de vivacite. L'ours blanC, qui, conime bolis I'avons dit, babite les regions polaires, est ineonlestablement le plus grand du genre. En lo96, le voyageur Baremls, qui, le premier, a frequenteles regions rapptocheesdu pole, emporla commo tropUee de son voyage les peaux de deux de cesaniniaux qu'il avail lues : I'une avail douze pieds de long, Tautre plus de ooze. Quoique lours blano se nourrisse particu- lierementdephoques et de poissonsi|u'il parvient hsaisir, il n'en est pas moins un objet de terreur pour les insu- laires et les habitants du littoral, dont il decime les Iroii- poaux lorsqu'il peul arriver parmi eux sans fetre apercu. Sa subsistance est encore plus precaire etsujelle a plus d'mcerlitudesquecelle de lours des niontagi»es. Les pho- qiics, toujours suit la defensive, se precipilenta I'eau du plus loin qu'ils I'aper^oivenf; les poissons lui sont encore plus difliciles a saisir ; et raiemenl il se risque il altaquer les habitations des liommes. Cependanl il est arrive que des naviros detenus par les glaces se sunt vus lilleralp- meiit assieges par des ours blancs affanus dont la faim duublait I'intrepidite. Les coups de feu ne les iirriitaient pas, ol les matelols etaieiit reduits a les combatlre de la hache et de la pique. Dans un des deriiiers salons, le peintre Biard a expose un tableau saisissant de verite, representant une barque altaijuee par une troupe d'ours blancs. Les matelols des equipages baleiniers, lorsqu'ils se ha- sardentsur les glaces, ont quelquefoisiise defendredeces rudes assaillanls; on en cite un qui, si' trouvant face k face avec un ours blano dontl'aspect elail terrible, pensa que la relraite etait chose des plus prudenles ; mais il n'osa pas engager une fuite precipitee sur un tenain oil le moindre faux pas pouvail lui devenir fatal en deter- minant une chute. I! se retira dune pas ii pas, mais suivi de pros par lours; alors it eut la pensee de jeler la gafe qu'il portait : I'aninial s'en empara, la tourna et la re- lourna enlre ses pattes avec curiosite,puis, la laissant k lerre, conlinuasapoursuile plusrapidemeiit, car le malelot avail gagne pied. Celui-ci sacrifia successivemenl ses gros gants de laineel son chapeau, chaque fois avec le tnfeme succes, carl'ourss'arrilait pour les examiner en lout .sens et les llairer. Ce manege donna le temps auxhommesdo I'equipage de venir k son sacours et de le debarrasser de son importun conipagnon. On cite plusieurs traits de la sagacile des ours blancs; en voici un enlre aulres : un phoqno se reposait sur la glace pres d'un trou destine a assurer sa fuite s'il aper- cevait quelqne dangereux ennenii. ITn ours, qui I'avarl vu, s'enapprocha le plusdoucement possible, puis, a une certiune distance, plongea dans la mer, gagna la reliaite sur la(|uelle il se fiait et s'empara de lui. il arrive quelquefois qu'un ours imprudent, allant d'llol en ilot (t do glacun en glacon, se Irouve conipromis lors- qu'une debacle arrive; emporle lout ii cou|), il voit fuir au loin le linage d'oii il elail parti, et s'd ne succombe pas k la faim, plus il s'avance vers le siid, plus il voit !e glacon qui te porte se fondre et dispar'aitre, jusqn'a cc qu'eulin, entraine par une vague, il aille tiiiir au fond Je la mer son aventureuseodyssee. • Olivikii Lf. G.1LI.. LA MORT DUN ANGE. 223 LA HORT D'ra mi^ Y^fW-Jr- Le plus (entire, le meifleur de lous les anges, auc|uul nous avonsdonne ITiorrible nom de L V MOKT, a pour mission d'en- lever doucemenl noire ta'ur au moment ou it se brise dans noire poitrine et de le porler d'une mam leg^re dans ce chauJ et delicicux Eden qui flcurit par-dela les nues : c'est I'aii^e de la derniere heurc. II a pour frere I'ange de la pre- miere heure, qui donne a riionime deux baisers : le pre- mier, pour qu'd commence ia vie; ie second, pour qu'il se reveille la-haut sans blessure, et qu'il enfre en souriant dans la vie nouvelle, comme il est entre en picurant dans I'autre. Ators que les champs debataille se trempaient de sang et de larincs, et que I'ange de la derniere heure y faisail une riche moisson d'Smes, son oeil se mouilla, et il dit : • Ah! je veux aussi mounr une fois comme meurent les « hommes, afia de connaitre leur derniere douleur, etde « pouToirl'adoucirqiiandje tranchcrai lefil de leurvie. ■ L'iiicommensurable cercte dcs anges qui s'entr'aimenl l^-liaul se resserra autour de I'ange compatissanl, el its promirenl a leur ami de I'entourer de leurs rayons de feu a son dernier moment, afin qu'il Tiit bien sdr que ce serait la morl. — Et son freie, dont !e baiser entr'ouvre nos l&vres glacees, comrae Taurore entr'ouvre le calico glace des tleurs, appuya tendreme lit son visage centre le sien, et s'ecria : « Qu-jud jc t'embrasserai de nouveau, « 6 mon frere, ,tu seras deja morl la-bas, et tu habi- ler.is de nouveau parmi nous, o Tout palpitant d'eniolion etd'amour. I'ange de la der- niere heure descendilsur un champ de balaille ou, seul, reipirait encore un jeune et beau soldat dont la poitrine mulilee ne se suule\ait plus que faiblement. Le heros n'avait aupresdelui que sa fiancee qui pleurait; mais ses larmes briilantes qui lombareBl sur son visage, il ne les sentail plus; et ses gemissomenls n'arrivaient a son Oreille que comme un bruit lointain du combat. L'ange se penclia surlui, et aspira dans un loug baiser son ^me, qui s'echappait de sa poitrine brisec*; il conGa cetle 4me a son frere, qui la bniia une secouiJe fois, — et elle sourit. L'ange de la derniere heure, [lenetrant conime un rapide eclair dans cette demeure inhabilee, rechauffa le cadavre, rendil le mauvemenl au cffiur el lui insullla une nouvelle vie. Maiscombieu il eula soulfrir do cettefatale inrarnalion! Le lourbillon du nouveau fluide nerveux submergeait la lumiere si vive et si puissante qui bril- lait na^uere dans ses yuux,; — ses idees, si vastes, si libres tout a I'heure, se Irainaient, lourdes et lentes, dans I'etroite et brumeuse enceinte du cervcau; — tous les objets exterieurs avaient perdu leurs formes vaporeuses, leors couleurs suaves ut veloutees ; ils arrivaieiit a lui, sees, an;;uleux, diiTormes, lacbeles de couleurs sales et ternes, penibles a voir, plus peinbles a toucher; les sen- sations s'aheurlaient a son moi", plus obscures, plus in- times, plus bruyaiiles ; — la faim commencait a le ron- ger, la soil a le briller; — la douleur mordait ses nerfs. — Alors, sa poitrine sanglante et brisej se souleva p?- niblement ; il rcspira, et sa premiere aspiration fut un premier soupir d'angoisse vers le ciel qu'il avait quitle. « Ne serait-ce pas ce que Thomme appelle la mort? ■ pensa-t-il. Mais comme il n'apercutpoint de rajon de feu, comme il nesentitpointle baiser de son frere, il vit qu'il se trompait, etque c'elait ce que Ihomme appelle la vie. Le soir vint. L'ange perdil ses forces et sentit comme un voile de plonib descendre et peser sur sa lete ; — c'e- taient Ics avanl-coureurs du sommeil. De leur clarte so- laiie, les ima:.;es exterieures passerenl dans une eloutTante atmosphere de feu, — les ombres projelees dans le ccr- veau par le jour se diviserent et revetirent des formes colossales; un nouveau monde sensuel s'ouvrit devant lui, bizarreetfantaslique : — c'ctaient les avant-coureuis des songcs. Enlin, le froid linceul du sommeil I'envclop- pa dans ses plis; et, plonge dans une epaisse nurt, il dc- meura engoutdi et seul comme nous aulres hommes. Mais, alors aussi, vous voltigeSles devant son cime.songes, enfanls du ciel, avec vos mille prismes capricieux, cl dans I'un de ces prismt's vous lui raontiates un cercle d'anges etdescieux rayonnants. II lui sembia que de son corps se delachaient, I'une apres I'aulre, les epines de la douleur. — • Ah ! s'eiria-t-il dans I'elan d'une trompeuso « joie, mon sommeil etait done la mort I » — Mais, lors- qiie, lecoeuroppresse, les veinescharg'es dun sang epais et lourd, il se revedla; lorsqu'il apercut la lerre et la null: — ■ HolasI ditil, ce n'etait pas encore la mort, ce « n'en elait que I'image, quoique j'aie entrevu les anges " cl li'S rayons de feu I • La fian ee du soldat ne s'elait point apercue qu'un ange avait pris les traits de son amant. Elle continua d'aimer cetle statue vivanle dont I'Smes'elait envolee; et, joyeuse, elle serrait dans sa main la main de celui qui elait deja si loin d'elle. Mais l'ange, a son tour, aima, de toule I'energie d'un coeurd'homme, ce coeur abuse ; puis, devenu jaloux du corps qu'il animait, ilse prit h souhai- ler de ne point mourir avant elle, afin de pouvoir I'aimer assez longtemps pour qu'elle lui pardonnSt plus lard, dans le ciel, de lui avoir fait presser dans ses bras un ange et un amant tout ensemble. Helas! elle mourut la premiere! Sa derniere douleur avait courbe trop has le calice de cette fleur; la lige s'elait brisee, etelle ne pon- vait plusse nlover, Elle se coucha, la tendro fleur, noii comme le soleil , qui se plonge dans la mer en semant pour adieux des (locons de pourpre dans les nuees ; mai> comme la chaste lune, qui , k minuit, argente le firma- ment, et se couche en se derobant modestement a nos 2-24 LA MORT DTIN ANGE. yeux dans les longs plis de son voile blanc. La Mort se fit pr(5ceder desa soDur, plus tendre qu'elle, — la Defaillance. — Celle-ci touclia le coeur de la fiancee, ct son visage brilant se glaca, — les roses de ses joues se fanferent, — la p^le neige de I'liiver, sous laquelle verdit le prinlemps de I'eternile, couvrit son fronlet ses mains Unelarme d'amour s'cchappa alors de I'ccil altendri de I'ange, et il lui sembla que son coeur ilail pass6 dans cette larme, comme la perle qui se detache du coquillage Irop miir. — Puis, la bien-aimee, se reveiUant encore une fois avant de se rendormir pour toujours, ouvrit les yeux, altira I'ange vers elle, I'embrassa.... el mourut en disant : u Maintenant. je suis avec toi, frere! » — Lui, alors, s'imagina quec'etait son Wre celeste qui lui avail donnd dans ce baiser le signal de la mort; — mais il ne vil point de rayons de feu, et il soupira en pensant que ce n'etait pas encore la mort, mais bien I'ineffable douleur que cause a I'bomme la peile d'un etre aim(5. « Pauvres bumains que la souffrance accable, s't5cria- « t-il, comment, fatigues que vous 6les, pouvez-vous at- « teindre la vieillesse, apres avoir vu disparailre, I'un « apres I'autre, tons ces jeunes et frais visages qui vous « entouraient au printemps de votre vie; apres avoir vu " les tombeaux de vos amis se poser devant vous comme « autant de marches de I'escalier funebre que vous au- « rez un jour a descendre ? Et, aprfes tout, cette vieillesse, « qu"est-elle autre chose que la muette et morne soiree « qui eclaire un champ de bataillejonche de cadavres . glacfe? Pauvres humains, comment voire coeur pcut-il • porter ce fardcau sans se briser? » Le corps auquel avait appartenu I'ilme du soldat qui babitait les nuages, conduisit I'ange parmi les hommes, si froids, si durs, et le mit en contact avcc leurs injus- tices, avec leurs vices, avec leurs querelles, avec leurs passions. Autour de ce corps se serra la ceinture d'6- pines que tressent les rois, et dont ils etreignent les [leuples pour que les grands en enfoncent chaque jour les pointes plus avant. — II vit les talons aigus des aigles armoriales dechirer le fianc deplumd de leur proie; el il entendit celle-ci gemir en battant faiblement de I'aile. — II vit le vice, tel qu'un gigantesque serpent, envelopper le monde de sessouplos et noirsanneaux; il vitsa langue empoisonn^e s'insinuer dans le sein de I'homme et y de- poserson venin. — Le tendre coeur de I'ange, qui, pen- dant toute une eternity, avait baltu centre les cosurs ai- mantsdes autres anges, sentit alors pour la premiere fois I'aiguillon de la haine ; et cette blessure fut si douloureuse pour cette i\me toule remplie d'amour, qu'il en eut peur, et qu'il dit : « Comme Thomme souffre a mourir! » — Mais ce n'elait point la mort, car il ne parut pas d'ange ni de rayons de feu. Au bout de pen do jours, il fut demesurenient las d'une vie que tant d'hommes supporlent pendant plus d'un demi -siecle, et il soupira ardemment apres sa celeste pa- trie. — C'elaitle soir.etson 5me se senlait sympalhique- ment altiree vers le soleil couchant. Les poignanles dou- leurs qui dechiraient sa poitrine blessee pesaient sur son coeur et I'oppressaient. Les joues colorecs d'une rougeur febrile, il gravit lenlement la coUine qu'occupait lecime- tiere, ce vertarriere-plan de la vie, — asileoii dormaient tant de corps dont il avait libere les ames. II s'assitsur la torabe froide et nue de la fiancee qu'il avait si tendre- ment cherie, et, de celte tombe, ses yeux se reporterent sur I'astre du jour qui s'eleignait. Puis, ramenant son re- gard sur son corps amaigri : . Poitrine mutilee! s'ecria- « t-il, tu nesouffrirais plus mamlenant, tu dormirais « aussi la, pres d'ELLE, si je ne t'avuis pas forcee de con- « tinuera vivrel» — Sespenstes se reporlerent alors sur I'existencesi tourmentee de I'homme; et les angoisses de sa blessure lui rappelerent celles au prix desquelles I'homme achete la verlu et la vie, et qu'il avait ep:)rgntes a Time qui naguere babitait son corps. La vertu lui sem- bla un effort tellement sublime, qu'il ne put se defendre de verser des larmes de compassion sur ces hommes d'e- lile qui, nonobstant les exigences de leurs besoins, non- obstantles tentalionssemees k plaisir devant eux, non- obstant I'epais brouillard qui couvre la route de la vie, niarchent d'un pas ferme, les yeux sans cesse fixes sur I'etoile polaire du devoir, 6lendant leurs bras au milieu des tenebres pour attirer sur leurs coeurs les coeurs qui soulTrent, et n'ayant pour eclairer leurs pas que la pale et vacillante damme de I'esperance, semblable au soleil qui se couche dans une partie du monde pour se lever dans I'autre La force de I'eniotion rouvrit sa blessure; et son sang, — ces larmes de Time,' — arrosa I'herbe de la colline ; — son corps defaillant chancela, puis tomba, toujours saignant, sur la tombe dc la fiancee. — A tra- vers les pleurs qui voilaient ses yeux, le soleil couchant lui apparaissait comme une flottante mer toule rose ; — de luintains echos bourdonnaienl Ji son Oreille comme le murmure de voix aimees; — puis.un sombre nuagepassa devant ses yeux, — il lui sembla que la nuit venait, et avec elle le sommeil... Soudain, un ciel resplendissant s'ouvrit devant lui, et il apercut des milliers d'angesaux ailes etincelantes : — • Ah I s'ecria-t-il faiblement, c'est i< encore loi, songe Irompeur!... » Mais I'ange de la pre- miere heure parut entoure de rayons de feu, et, lui don- nant le baiser liberateur, lui dil : € Non , c'est bien la (I Mort, cette fois, 6 mon frfere I » ^- Et le jeune soldat et sa fiancee sourirent en r^p^tant : « Oh! oui, cette fois « c'est bien la morl ! » Joseph Bernier. Tyji. L-champb 111, cl Comp., ric Daiui.lle, 2. CIIROMOUE DES liOiS. AGUT. L/a toiTp voit jaunir sa robe de verdure. Le soleil sem- blo epuiscr louto la force de ses layons pour accomplir rocuvie de la malurile. A la place des epis qui forn;aienl sur les champs iiu ocean do- re, on ne voit plus que quel- ques ronccs se Irainant epui- sees et privecs de I'onibre qui protegeait leur existence. Lcs Wucls sunt louibOs, I'ardent coquclicot a laisse fjner ses quaire feuilles! — La pelile glaneuse parcourt seulo I'a- rene isolee, sa main forme un anneau aux maii^res epis qu'elle peul recucillir; Irisle, elle reviendra vers sa cliaumiere, car les moissonneurs I'ont oubliee et les oiseaux du ciel ont derobe la moitie du pen qu'elle puuvait amasser. «01i! pense-t-olle, les homnies ne ni'ont rien laisse, ils n'ont pas eu pitie de moi dans leur abondante moisson. Cumbien il y a plus de bonle dans le ccEur de ces petites fourmis que jc vois sur ce sillon ! I'une d'elles traine une enorme provision vers son asile souterrain, niais lout ii coup elle s'arr^le haletante, les forces manquent a son courage ; alors une de ses compagnes accourt vers elles, el, prenant la moitie du pesant fardeau, elles le transportent ensemble vers le logis conimun. • T. II. Les arliresconimencent a laisser voir lears fruils ver- millonnes ; la p6che veloulee cchange sa couleur vert pale conlre une nuance janne et pourpree. II semble que, faite pour I'liomme, elle veuille allirer ses regards par une belle apparence. La poire jaunil aussi son satin, et la pomme cboisit une des trois couleurs, rouge, blanclie ou verle, pour s'en parer. Pendant ce niois, les villes perdent tout ce que la bonne socicte conipte d'liabilants. II est de mode, lors memo que ce ne scrait pas par sante, d'aller chercher au join les bains de mcr. On va a Dieppe ou a Boulogne, d'aulies se liatent de gagnei' la Suisse ou rAllemagne. Los routes du nord comme celles du midi sont sillonnees par de brillantcs chaises de posle. Ce qu'on nppelle simplcment le bourgeois de Paris ne fait pas d'aussi loinlaines excursions. II se conlente d'aller le di.nandie ouvrir les volets verls de sa blanche maison d'Auteuil oudcRoinaiiiville, et munid'uncljapeati de paille ainsi que de I'in-eparable gilet rond de toile grise, il fait mille fois le lour de son petit jardin, qu'il prci:d pnur un nianoir seigncuiial. II est alors fort rare que sur les piliers qui forment sa porte d'entiee on ne vole pas deux lions ou deux cliiens en faience. Apres le bourgeois, le prolclaire prend sesplaisirsd'ele d'unc autre facon. 11 ainie les promenades aux bois de Boulogne el de Vincennes, les voyages a Saint-Cloud et a Meudon. Ne parlons pas ici de ceux qui s'arr^tent k la verdure poussiereuse des boulevards exterieurs, ni de ceux qui chercbent un adoucissement a la brulante tem- 15 •l-ll) SAINT BE est convenu de pcrature dans le rloaque boisc qu'on nommor los bains h qiiade sous ! Le quinzieme jour du niois d'aoOt est line des plus grandes files chritionnes, c'cst I'Assomption dc la bicn- lieureuse vierge Marie. L'Eglise cclebre alors la inort de la mfere de Jesus-Christ ct son gloi'ieux enlevement dans le royaunie celeste, oil elle regne au-dessus de tous les clioeurs des anges ct dps saints. C'est la plus belle des fetes inslituees en son honneur, la consoninialion de tous les myslferes de son admirable vie; c'est enfin la que commence pour elle sa veritable gloire elernelle. Le mois d'aoul, appele anciennement sexlilis ou le sixieme, parre que tel etait son rang dans le calendrier de Romulus, recut sous le onzibme cnnsulat d'Augiiste une autre denomination. Macrobe nous a conserve, dans le premier livre des Salurnales, I'Mit suivant publie par • le senat : » Parce que, dans le mois sextilis, Cesar Au- gusta a commence son premier consulat, a eu trois fois les honneurs du triomphe, a vu marcher sous ses auspices les legions du Janiculc, a reduit I'Kgyptesous Tobeis-sance du penple roniain et termine la guerre civile, 11 plait et il plaira an senat que ce mois, le plusheureux pour I'em- ,ijre, soit desormais appele Auguste. • C'est de ce mot que nous avons fait aout, nom aus.si lourd el barbaro que le premier est noble et harmonieu.N. Le soleil entre alors au signe de la Vierge, compose de vingt-huit etoiles. Les peintres et les poe'.es figurent colte ronstellalion sous les traits d'une jeune fille qui porle en ses mains des epis. Les Egyptiens celebraient pendant ce mois la fete de Nephvlis. Les Grrcs,sans doule par imitation, y avaieut une fete semblable 'a celle des Tabernacles chez les Hibreux. Les uns et les aulres elevalent des tentes couronnees de feuil- lage et y vivaientcomme dans un camp. On y remarquait cependant quelque diflference. Chez les Juifs, toute la nation c'tait obligee a ce genre de vie, et chez les Grecs il n'y avait que neuf tentes destinees a des deputes de chaque tribu ; celte solennite durait neuf jours chez les (irecs, taudis que pour les Juifs elle finissait au bout du septieme. Dans la Provence et le Languedoc, I'arbousier se cou- RiNARD. vre au mois d'ao6t d'un grand nombre de fleurs blanches et de gros fruits coulcur dc pourpre ; mMes a sa feuiUe d'un beau vert et elegamment dentelee, ils offrent un aspect brillant. Dans certains villages voisins de Mont- pellier, les paysans appellcnt ces fruits fraises des mon- lagnes, ^ cause de leur ressemblance avec les fraiscs or- dinaires. Ce n'est pas de la m^me maniere ni ii la meme I'poque qu'on bat le ble dans toute la France. Dans le Midi on le bat, au mois d'aodt, des qu'il a ^te coupe, sur une grande aire elablie en plein champ et qui se renoiivelle chaque annee. C'est un terrain qu'on prend soin d'apla- nir et de consolider pour en fernier les fentes ou le grain pourraitseperdie et les insectesse cacher. On y etend une couchc lie gerbes qu'on frappe avec des fleaux. — Les Grecs pratiquaient cet usage ; seulement, au lieu de bat- tre les gerbes, ils faisaient passer sur I'aire des chevaux dont les pieds detachaieut le grain en le foulant. Homere parle de cette coutume dans I'une des plus belles pages de Vlliade. En voici la traduction par Cabanis : . . . Dans les juursqui siiivent tos ni«U$on5, Lccitoycn rusliqiie, enrivlii dc leiira doiu, Sous les iikds des clievniix scpare dans une aire L'orgc et lepur froinenl de In poillc l^ii;ci'C< Nous devons k ce mois des fleurs aussi nombreuses que celles du printemps, comme la tubereuse et les roses musquees; niais, il taut I'avouer cependant, I'arriere-sai- son ne donne guere que des fleurs inodores; on dirail que la lerre s'est ^puisee en faveur du printemps de tous les sues dont elle compose ses parfums. Les principes co- lorants eux-m^mes sont moins vifs et moins animes. Les rayons affaiblis du soleil n'auraient-ils plus la force de les murir, et la terre le pouvoir de les elaborer? Nous voyons du moins que les fleurs d'automne sont beaucoup moins riches en couleurs que celles du mois de mai. C'est a cette ^poque qu'on achfeve la moisson desdivcr- ses cen'ales et qu'on recueille les graines. — Vers les der- niers jours il n'esl pas mal de rentier les orangers afin d'feviter les pliiies de seplembre qui sont tongues et fVoides. Andre Thomas. nilTE DES SAINTS FRAXCAIS. SAINT BERNARD. sans iJ guile, n Oiiiit Boinard, I'une des unineiites gloires del'Eglise fiancaise, naquit a Fontaines en Bouigogne, en 1031. II occupa le premier rang dans llesdebats religieux qui bou- nverterent I'Europe au dou- zieme sifecle, :'t sa seule vo- cnte imprima souvent une direction nouvelle a la poli- Itqiie des etats. .Sans ordres, vi?tu d'une laiiie giossiere ct ceint d'une eolde dech3n\re, il fit retentir sa parole dans loule la chretiente et trembler les rois do la terre. Le defaul d'espace nous oblige k tracer il traits rapides I'histoire de sa vie. Regarde comme I'un des plus grands homines de son siecle, dans les pages de 1 histoire est consigne le nom du redoutable abbe de Clairvaux. Bernard descenduit d'une famille noble ; son pere, Te- cein Sorus, portait un nom celebre et respecte, etsa mere, Ali.\deMonlbard,elail alliee aux dues deBourgogne. Quel- que temps avantsa naissance, elle crut entendre dans .'iOn sein unchien qui aboyait etellerevela ce fait k son conl'es- seur, qui lui predit que I'enfant qu'cllc mettrait au monde S.VINT BERNARD. se distingucrait par sa fiJi'lilc religicuse ot pai- I'eiiergie avec laijuelle il repandrait les doc fines evaiigcli(|ues. Cette ve:tueuse mere nourril avec amour ce fils piedes- line, et ne permit pas cpie, commeses deux aines. il em- brassSt la carriere des armes. Elle le placa chez Ics moi- nes de Clialillon-sur-Seine, oil il se forma dans les sciences et dans lapiete. Sa penetration etoitsi remarquable.qu'il depassa bientottous scscondisciples et fit I'admiration de ses mattres cux-memes. II (5tait pour cliacun d'une affabi- lity et d'une complaisance a loute ^preuve, et niontrait une vive aversion pour les choses lerrestres qui plus tard devaient, mali;rc lui, occuper ses instants . .\u sorlir do I'ccolc, Bernard perdit sa mere; il avail dix-neuf ans a peine et les occupations de son pere lui donnaient enlifcre Iibcrtt5. De faux amis cherchercnt a I'entrainer dans les cgarenients communs a la jeunesse; il leur resista et rompit avec ceux qui lui avaientadrcsse de perfides conseils. Des lors il seconsacra interieurement a Dieu et lui fit un vocu de chaslete imiolable. Cost au point qu'ayant un jour arrete ses yeux sur une femme avec trop de curiusile, il fut aiiime d'uQ tel repentir, qu'il alia se plongor dans un etangjusqu'ii ceque le froid I'eut engourdi dune maniere complete. Craignant de nouvelles tentations, il abandonna sa famille else rendit a la mai- son de Cileaux qui veuait d'etre fondee a Cliulons sur- Sa6ne par le bienheureux Robert, abbe de Molesme. Ne- pouvant y elre admis de suite comme il I'aurail desirfe, il travadla a gagner des proselytes Ji la vie monastique. U lui avait ele_ accorde a un si haul degre le don de I'elo- quenceet de la persuasion, que la plupartde ceux qui I'e- coutaient ne pouvaient plus se detacher de lui, et le sui- vaienl comme des disciples. .Vussi, lorsque Bernard s'ap- prochait dun village oucommencait un discours, on voyait les femmes entrainer leurs maris, et les meres leurs fils, dans la ciainte qn'ils ne les abandonnassenl aprfes I'avoir enle).du. Ses freres enx-mi>mes, elant venusle voir, subi- rentcet ascendant et renoncerent d'un rommun accord a tons leurs biens lemporels. Ilsse rondiront ensemble aupres de leur pere, et, les larraes aux yeux, le vieux Tecein leur donna sa benediction, ne gardant aupres de lui que sa fille Humbeline et son plus jeune enfant Nivard. Gui , I'aine dela famille, ayant dit a ce dernier, en le quittani, qu'il aurait tons les bicns de la maison : « Vous prcnez done le ciel pour vous, repondit I'enfant, et vous ne me laissez que la terre? » Peu de 'temps apres, il suivit leur exemple, et rien ne fut capable de le retenir dans le monde. Quant a Bernard, il se vit aborde a Cliilillon par une deputation de femmes auxquelles ses exhortations avaient enleve leurs epoux. II les engagea hse cloilrer, et fonda pour elles le monaslere des Billettes dans le diocese de Langres. N'ayant plusaucun inter^t que celui du sa- lut, il conduisitses freres et ses proselytes ^ Citeaux, oil I'abbe saint fitienne les re^ut avec unesainte effusion. Bernard avait alors vingl-deux ans. La vie de mortin- cations qu'il adopla, et qui paraissait Sire au-dessus des forces humaines, lui fit perdre ii peu priis I'usnge de ses sens; son esprit s'isela lellemeiit de ses impressions cor- porelles, qu'il voyait sans regarder, et mangeait sans goilter les aliments. Le silence et I'oheissance, ces deux puissantcs vertus, furent loujours praliques par lui avec la plus austere severitiS. Les travaux utiles el peniblesaux- quels se livraicnt les moincs de labbaye, ne pouvaient lasser son courage infaligable, et ce n'etait pas sans afflic- tion qu'il voyait quelquefois I'abbe reprimer son anleur el lui ordonner le repos. ,\ ces exercices i! joignait sans ccsse la prifere et la meditation, et il a plus tard avou6 que c'elait dans Tes champs qu'il avait rccu du ciel ses principales lumiercsct sa haute intelligence des ecritures sacreis. L'exemplc de Bernard el de ses compagnons attira tant de .monde a Cileaux, que I'abbe de cette maison songea a lui donncrdessuccursales. Ildirigea un premier essaim de religieux sur la Ferle-sur-Gr6ne, I'a-utre sur Pontigny, et le troisieme, sous la conduile de Bernard, sur Langres. Sans argent el sans protection, le nouvel abbe et les douze ficres qui I'accompagnaient, partirent a la garde de Dieu dans la direction qu'on leur avait indiquee. lis arrivc'rent dans un veritable desert, qu'on appclail la vallee d'Ab- sinlhe, et qui 6lait cclebre par les vols et les brigan- dages qui s'y commellaient. Resolus a s'y elablir, ils fi-. rent leurs preparatifs en consequence. Pendant que Ics uns defrichaient les champs , les autrcs coupaidnl du bois pour construire de polites cellules. Les habitants du pays, touches de leur pauvrete, If s assistferent de leurs aumoues. Bernard nomma son fi ere Gerard cell^rier, son frere Andre portier, et alia se fuire benir ii ChMons-sur- Marne, par I'evique Guillaume, comme premier abb(5 de Clair\aux, nom qu'il donna a son naissant monaslere. Ce ne flit point sans entraves quo cetelablissements'affermit. La misere des moines futsouventsi uffreuse, que, denues detout, ils formerentle projet de rentrer dans le monde. LespressantessollicitatioDsde I'abbe Ics ramenerent 5 de meilleurs sentiments, et vers I'annee 1116, de grands secours d'argent mirent Clairvaux en etat de fournir de- sormaisaux besoins de ses religieux. Sa prosperite devint avee le temps si considerable, que du vivantde son fonda- leur, on vit se fonder cent suijcaiilc succursales de cette abbaye. Lorsque Bernard se vit superieur d'une communaute, .son inclination pour les austerites se sjtisfit tellement, qu'il fut alteint d'une maladie cruelle et desesperec. On . le mit entre les mains d'un charlatan, soi-disant mede- cin, qui le soumit a un traitement absurde. II ne se con- tentait pas de le medicamenter a tort et ^ '.avers; il le nourrissait de viandes malsaines et se faisait rendre par lui les plus ignobles services. Guillaume, abbe de Saint- Thierry de Reims, s'en elant apercu, fit eclater son in- dignation et demanda au nialade s'i! ne songeait gas a -se plaindre : ■ Je vis parfaitement bien, repondit-il, et je suis traite selon mon merile. Car auparavant des homines raisonnables m'obeissaient , et mainlenanl je suis rMuit, par un juste jugement de Dieu, a oheir a une bSte qui est sans raison. ■ 11 avait coutume de dire que si les moincs savaient a quelles obligations Dieu les as- treint, ils ne mangeraient pas \in morceau de pain qui ne flit trempe de leurs larmes. Ce qu'il aimait dans la pra- tique des mortifications, c'elait le myslere dont elles de- vaient 5tre entourees. Aussi repugnait-il a se distinguer des aulres, et lorsqu'on sut qu'il portait un cilice, il le quitia pour ne point s'en faire un nitrite aux yeux de ses disciples. Bernard rentra dans sa communaute apres un an de souffrance; il eut le bonheur d'y recevo'ir son propre pere, qui suivit I'exemple de ses enfanis en embrassant la vie interieure. II fonda vers cette epoque le monastfere des Trois-Fontaines dans le diocese de Chilons, et en- ais SAIM BERNARD. voya en 1 1 19 une colonic de nioines en Porlugal, oil ils ^lablirenl I'abbaye de Taronca. 11 fut convoque par saint tliennc, abbe de Citeaux , a uno assemblee generale dans laqnolle il redigea avec lui le dtilnil des coutumes de leur ordre sous le nom de Livrc dcs i's, — modele de legislation i-cligieiisc. A la priei'c de ses amis, el mil par un vif senliraent d'amour divin, Bernard prit la plume el composa divers ouvrages qui eurent beaucoup de relentissement dans rJiglise. De ce nombre, on cite les Votize dcgn's d'hu- miiile et les Uomelics de iincarnalion du Verbe. Le don' des miracles ne lui fut pas nun 'plus refuse, et I'un des plus celebies ful cclui de la malediction des mouclies de Poigny. Les liberalites d'Enguerrand de Coucy lui ayant permis de biMir un clottre dans ce vilUige, cet edifice fut eiivalii des les premiers jours par une innombrable quan- tite d'insectes bourdonuants qu'on ne pouvait par\enir a disperser. Bernard les excommunia publiquement, et le lendemain on les trouva jonchant le pave et en si grand nombre, qu'il fallut les ramasser avec des pelles et des cliariots. Clairvaux recut une fois la visile d'une troupe de gen- lilsliommes qui se disposaient a courir les fetes, les tour- nois et les passes d'annes. Bernard les engagca i s'arre- ter, mais ils refuserent et repartirenl aussilot, craignant de se laisser seduiro par ses discouis. L'abbe les suivit et . I)u..iaiii cl .-r, d:, sD present;! ii eux comme ils avaient le pied sur retricr. 11 leQr otiVil de la biijre en leur disant ; « Buve/. a la santc des iimes ! • Puis, il les laissa aller. — A quelqucs lieues de la, les voyageurs scntii-cnl dans leurs cccurs des mouvonients si extraordinaires, qu'ils rebrouiserenl die-- min et vinrentse jetcr aux genoux du saint homrae, qui rccut leur sermeir de vivre dcsornuis au service de Dieu. BLM-nard fit un voyage i Paris en M22, el y prononca son sermon sur la Conversion dcs mwtus. qui pasiepourun clief-dceuvre. II revint au convent suivi dcs plus illuslrcs membres du clerge el de I'universite qu'il avail subju- ^ucs par son eloquence. II parvint en outre ii ramener a la vieaposloliquequeKiuesprelatspuissanlsqui, jusqu'a- lors, avaient mene une conduite pen legulieie. Sugcr, abbe de Saint-Denis, filienne, evequo de Paris, el Henri, arclicvcque (le Sons, abandonneient la cour da|)rcs-ses conscils, el devinrent I'edificalion de I'tglise. La repulalion de l'abbe do Clairvaux commcncnil h ac rcpaiidre; Rome die inenie avail enlendu relenlir son nom, et il (5tait en correspomlance rcglee avec les plus grands cardinaux du siecle. C'esl alurs, en 11'i7,, qu'il commenca 6 jouer un role actif dans IcsafTaires pu- bliqucs. La retiaile de I'ev^que de Paris, dont nous ve- nons de parler, avail fort indispose le roi Louis le Gros, qui aimait eel- ecclesiaslique et son huineur enjoueo. Bernard, aiileur de sa conversion, ful charge d'apaiser le ressentimenl de ce prince, auquel il remit une lettre d'exciises du cbapilre general de Citeaux. 11 ne craignit pas de se proslerner a ses pieds, en le conjurant d'ou- blier sa colcre. Mais Louis restanl inflexible, lambassa- deur changea de ton, et, an nom du sacerdoce qu'il repr^- sentait, il lui fit entendre desevereset|iienacanles paroles. Le pape Ilonorius II, obligi d'intervenir , envoya en France son legal, le cardinal Mathieu, qui coavoqua un concile k Troves, en Champagne. Le roi fut coiidamne par I'assemblee, et se soumit a sa d(5cision. Bernard composa, pendant ces debals, son Trait' de la Grctce et du Libre Arbitre, et le concile le chargea de donner une constitution au nouvel orJre des Templicrs, SAINT RERNAIiP. 220 ijui on avail faitlaclemaniic par rcnireniise de son granil maitre, Ungues dePaganis, et du palriarche de Jerusalem. L'estime qu'on faisait du saint abbe lui suscita de nom- breux ennemis, au uombre desquels on place Henri, eve- (]ue de Verdun, qui, pour le noircir aupres de la cour de Rome, ne eraignit pas d'ernployer les plus noires calom- nies. Sans examiner la validite de ses accusations, un bref arriva d'llalie, signe du cardinal Ilaimery. qui condam- nait Bernard sans explications. Celui-ci, entraine par I'a- mour de la veiite, repondit d'une nianiere si claire et si precise, que .son innocence fut glorieusement reconnue, et que la honle des outrages qu'on lui avail fails retomba surses calomnialeurs. Le siege de CluMons elant vacant, on choisit pour pas- tour le saint fondaleur de Clairvaux. Mais son luiniilile. naturelle ne s'accommodant pas de cetle charge, ilia re- fusa comme il le fit plus lard a Langres.aRcims, a Milan et a Genes. Honorius II etant mort le 14 fevrier 1130, le sacre conclave se reunit, et. elul pour papeGregoire de Saint- Ange sous le nom d'Innocent II. Le cardinal Pierre de L^on, dont Tambition aspirait au trfine pontifical, fit agir ses amis qui prolesterent centre I'clection de Gr^- goirc, et le proclamerent h son tour. II prit le nom d'.V- naclet II, etsnt attirer dans son parti Rome, le Milanais, la Guyenne et la Sicile. Ayant un pouvoir plus i'lendu que celui d'Innocent, il le forca h se refugier en France, et le poursuivit de ses decrets et de ses anathenies. Le papo fugilif s'arreta k Etampes, oil il convoqua un pre- mier concile. Le roi Louis le Gro.-; y assisla, et Bernard, a la demande des princes de I'tglise, fut force de s'y rendre. Cumme il demandait ce qu'avail h faire un pau- vre nioine comme lui dans une si noble reunion, on de- cida que le choix du pape regnant serait remis a sa seule sagesse. EITraye d'une telle commission, il fit de vains elforls pour s'en dispenser; mais, coutraint d'obeir, il se prononca en favour d'Innocent. Le concile proclama aus- sit6t ce dernier pape legitime; le roi el les eveques de France se rangerent de cet avis, ct le roi Henri d'Angle- terre suivit le mouvement general. La voix du saint abbe donnait done un pape au monde. A parlir de ce jour, il devenait rhommo le plus influent de la chrotient^. Le due de Guyenne, Guillaume, prince violent ct debauche, persislait a mepriiSer le jugement de I'assemblee. Bernard entra dans ses lerres, et le fit venir au monaslere des Chitelliers, ou il le garda buit jours pour lui faire abjurer ses erreurs. II y fill parvenu sans les evcnements qui le ramencrentpremalurement a Clair- vaux. Iimoce!;l II, pendant le car^me de 1131, se disposa h visiter la ville de Liege, ou Lolbaire, roi des Remains, de- vait le recevoir. II n'est sorle de complaisances que ce prince n'employa pour s'atlacher le cceur du souverain pontife. Lorsqu'il crut y avoir reussi, il le pria de lui rendre les investitures des eveques que son pere avail codecs a la cour de Rome. Le pape, cntoure d'clrangers, craignait de les irriter par un refus; Bernard, qui I'ac- compagnait, voyant son ombarras, prilsur lui de rpjoter la demande de la facon la plus formelle. Lolliaire n'osa pas insister, et Itmoccnt Ten recompensa en le couron- nant quelques jours aprfes roi de Rome et de Germanie. De retourdans son monaslere, I'abbe de Clairvaux eut I'honneur d'y recevoir Innocent lui-m6me et les cardi- naux les plus eminents. .V Taspect des murs de I'abbaye, ils se sentirenl tons atlendris. lis virent s'avancer an-de- vant d'eux la sainle compagnie, porlanl une croix do bois grossieroment equarrie, et chantant de pieux canliqnes. V^tn de bure comme ses freres, I'abbe n'avait rien qui put le dislinguer. Les grands dignilaires recurent une lo- con profitable en voyant la mis^re el la vie laboriouse de ces pauvres moines, et en faisant dansleur esprit la com- paraison de lour ^tat el de leur faste. Le pape, en parlant , emniona Bcrnird au concile de Reims , oil fut couronne Louis le .leune. Le .saint abbe dirigea vers ce temps , en Angleterre , une co- lonic de roligieux qui fonderent les abbayos de Revesley el de Fonl.-iines, dans le diocese d'A'ork. — Innocent le condnisit ensuitea Plaisance, et le chargea de pacifier les Genois e; les Prsans qui etaient en dcsaccord. Apres avoir relabli la bonne harmonic entre ces pouples, il accompa- gna le pontife a Rome, oil I'ambitieux .\naclet s'etail re- tire dans le chaloau de Saint-Ange. II ecrivit au roi' d'.ingleterre pour lui dern:inder dessecours, et ce monar- que se hiila de lui envoyer des troupes el de I'argent, Mais ces forces nesuQirenl pas a reduire Tanlipapo, qui demeura enferme dans sa forteresse. De graves dissensions s'elant eleveos enire Tempercur Lolhaire et le due de Souabe, Conrad, Bernard se rondit en .411emagne comme legal, et parvint a calmer le res- scnliment mutuel de ces princes. II converlit en passant la duchesse Alcide de Lorraine, et revint il Pise, oil le pape convoquait un concile nouveau. On le recut avcc de si grands honneurs, qu'on out dit que c'elait lui qui commandait 'd la chrelicnte et qui presidait cot augusle cunseil. An.selme, archeveque de Milan, s'clait declare pour Anaclel, et avail attire cello ville dans son hercsie. L'abbe de Clairvaux fut charge de la tirer d'crrcur et I'e la re- concilier avec le pouvoir spiriluel. II partit, accompagne des cardinaux legats Guy de Pise et Malhieu d'Albe, et de Pevique de Cliarlres, Geofl'roy. A deux lieuos et de- mie de la cite, ils virent arriver une foule de ciloyens qui poussaient des oris de joie. Chacun voulait baiser les piedsdu saint bommc ou couper un morceaudesa robe. Les autoriles recurent en grande pompe la deputation, qui fit son entree au milieu d'un peuple enthousiaste et des acclamations universelles.- II no fut plus question d'heresie. L'archevcque recon- nut sa faute el la pleura sincerement. Bernard, louche de son repentir, le rctablit sur son siege, et, pour echapper aux hunnours qu'on lui rendait de tons coles, il revint dans son convent, apres avoir fonde, dans le Milanais, un cloitre tiiJ il laissa quelques-uns de ses disciples. Les interets de I'tglise ne lui permircntpas de mener longlemps une vie obscure. Le due de Guyenne, Guil- laume, seduit par I'evC'que d'Angoulome, chaud partisan d'Anaclel, commenca a perscculer sans mesure les prelats qui roconnaissaient Innocent. II donnait un libre cours a sa furcur, lorsque Bernard lui assigna un rendoz-vous a Parthortay , en Poitou. La, dans la conference qu'il eut avec lui, il ebranla forlement son cceur, mais comme I'esprit faible de ce piince n'osait pas enibra.'ser les inte- rets de la verite, il Ten punit d'une maniere terrible. Apres avoir celebre le saint sacrifice, il placa sur la pa- tene une hostie consacree, el prononca un analhi^me cen- tre sa d&obeissauce. .\u mcme instant, le due, fiappe de 230 SAINT BERNARD. verliges, mesura la lerre ctse roula comme un frenelique avec de grandes convulsions. Bernard lui ordonna de se lever, et lui prescrivit un plan de conduile. GulUaume montra la plus grande soumission, et promit de demeurer fidele a I'avcnir. Mais, des le ik-parl du saint homme, il retomba dansses egaremenls. Du fond de son monaslcre, celui-ci lui adressa un Icltre foudroyante. La murtsubile de revequo d'Angoulfirae, son niauvais genie, qui arriva en nicme temps, decida de son entiere conversion. Pour cxpier ses pechcs, ce seigneur renonca h tous les bicns de la terre et entreprit un pelerinage au lonibeau de saint Jacques, en Galice. Pend inl le Irnjct, il disparut, et ja- mais on ne sut ce qu'il etait devenu. I Bernard publia en 11.36 ses Disserlations sur leCan- tique (les Canliques qu'il dedia au pricur do la char- treuse des Portes. Mais le schisme qui divisait I'tglisevint troubler sa tranquillite; il se mit en route pour I'llalie . et fulmina contre Anaclct dans ses predications. Rcger, roi de Sicile, qui soutenait re dernier, avail plusieurs fois ravage les terresdu saint-siege , il lui preJit qu'il serait ballu par le due Ranulfe, et le fait arriva comme il I'a- vait annonce. Ce prince, afin de fixer ses irresolutions, voulut voir plaider devant lui la cause de lapapaute; Auaclet lui envoya pour legal le cardinal Pierre de Pise, qui sefaisait fori deterrasser Bernard par ses arguments. Mais celui-ci lui donna de telles rai.sons, qu'il lui fit aban- donner le parti donl il etait I'avocat el reconnaiire la souvcralnele du veritable pontife. L'anti-pape mourul sur cesenlrefaites, et cct evenement semblail devoir lout concilier lorsque les srbismaliques lui donnerenl un suc- cesseur dans la personne de Victor IV ■ Fatigue de cetle persistance, I'abbe deClairvaux se rendil aupres de Vic- tor lui-mcmc et le conjuisit aux pieds dlnnocenl qui lui pardonna son ephemere rLvalile. Le saint homme commencait ^ 4tre si connu et si vc- nere qu'il ne pouvait faire un pas sans si voir accueilli par des acclamations generales. Son crMit n'avait pasde homes, el il en usail avec fermete quand il croyait agir il il.in5 line njSctiiltlcc. pour la gloire de Dieu. Ayant appris qu'on sacrait un ^veque de Langres qu'il jugeait indi,^ne de eel hoiuicur, il Iraversa son election. Le ducde Bourgogne et I'abbc de Cluny la sDutinrent ; il en ecrivit au pape, qui d6posa sur- le-champ ledil evSque et le rcmplaca, d'apresses conseils, par Godefroy, prieur de Clairvaux. — Innocent lui mcme ne fut pas i I'abri de ses censures. Bernard le fit ployer dans les discussions qu'il eut avec lui, el I'obligea a re- tablir dans la charge de cardinal Pierre de Pi.^e, qui avail perdu ses litres et ses dignites par son altachemenl passager a I'herfeie. Un celehre docleur contemporain, donl le noni el I'his- toire sont devemis populaires, Pierre Abailard, a la suite des mallieurs qu'il avail eprouves dans le monde, se re- lira dans le diocese de Troyes, et y fonda Tcrmilage du Paraclel. Beaucoup de facilile et une erudition superfi- cielle lui parurenl suffisants pour juslifier les dogmcs bi- zarres qu'il prona dans .sp-s Merits. Bernard alia le voir dans sa relraile pour I'engager a revoquer ses proposi- tions; Abailard dcmauda au conlraire a le.s exposer dans un concilc qui fut convoque a Sens. La dispute fut vi\e el se terniina par la coudamnation du novateur, qui en- appela au siege aposlolique. Le pape, instruitde celle af- faire, ordonna que les livres incriminps seraient jetes au feu, et que I'auleur serait enferme dans un nionaslere. Mais Bernard tempera une pareille rigueur ; il sul tou- cher par la persuasion I'espr t du savant rebclle, el sefit de son adversaire I'ami le plus devoiie. .Abailard entra de plein grc dans le cloitre do Cluny, ou il passa le reste de ses jours. Le fondaleur de Clairvaux joua dans bien d'aulres cir- constances le rile de media teur; le roi de France, le pape et le comte de Champagne ayant vu s'^lever entre eux de graves difficulles causees la plupart par de simples affaires de famille se mela de pacifier les trois puis- sances, et n'y reussil qu'aprcs des peinos incroyables. SAINTE ISABELLE. 251 Ses efforts furent pourtaiU couronni's de succes, el Louis VII conclut avec le comte uii trailc qui fut ratifie par son manage avec Alix de Champagne. Le pape Innocent II niourut en 1143 et ses succes- seurs Celeslin 11 et Luce Un'ayantgouverne I'fe^lise qu'un an et demi a peu pres, le sacre conflave placa sur le trone pontifical un disciple de Tillustre moine, Merre Bernard de Paganelles, aljbe desTrois-Fontaines, qui prit le nom d'Eiigene 111 et donna I'ordre a stm ancion niailre de pri'clieren tous lieux une croisade que medilait le roi de France. Bejnard cbeit avec ferveur et enj;a,:;ea dans cette entreprisB l'eni|jereur d'Allemagne, Conrjd, et les principaux seigneuis d'lla!ie. Le troisieme dimanclie aprfes Piques de lannee 1 1-47, le concile de Chartres se rtunit et nomma le pauvre et puissant reli.^'ieux chef supreme de la croisade. II n'accepta ce litre qu'en ce qui regardait la preconisation de cetle guerre sainte, et des le depart des troupes pour I'Orient il I'abandonna tout a fait. Gilbert de la Porrfe, ev^que de Poitiers, ayanl voulu joindre a I'explication des fecritures des vaines subtilitcs theologiques, Bernard I'appela au concile de Reims, oil il confondit ses fausses connaissances. — Plus tard au con- cile de Treves, le saint abbe defenditla verluderabbessc sainte llildcgarde qui avail etc injustement ascusee. — En le quittant, le pape Eugene U' pria de hii faire un don utile ipi'il put ;^ardcr pour I'amo ir de lui. 11 ecrivit alore lescinq livresrfc/« Comideiation que Ton regardeconime 'e meilleur de ses ouvrages, et les lui dedia. La croisade ayant eu des suites d^sastreuscs, le credit de Bernard en fut vivement ebranle. II ne se vengea des invectives dont on I'accabln que par le plus rigourcux silence. Sa vie ac- tive et ses austerites avaient ruine son corps, et vers la fin del 1 5i, il annonoa ^ ses disciples sa'mort prochaine. II eut cepcndaiit la foree de faire un voyage a Metz, a la priere d'lllin, archev^que de Treves, et il reconcilia cello ville avec qui'lqucs princes qui la nienacaient. Le roi de Sardaigne,Guniard,apprenan; son etat dangcreux, vint ii Clairvaux pour I'entretenir encore. Bernard le pressa de renonccr a son royaume et de prendre I'habit de son ordre. Commece prince resistait, il n'insisia pas; niais II lui dit qu'un jour il reviendrail prononcer ses vOBux daas son monastere. La prediction se verifia. Apri's avoir fourni la carriere la plus nicritoire tt la plus gloneuse, aprei avoir pacific Tfiglise et les rois, — Bernard niourut le 20 aout I15:i, a I'llge de soixante-deux ans. Les nornbreux miracles qu'il avail opereslui valurent de son vivant une renommde de saintetc qui s'elenJitpar loute I'Europe. Ce moine miserable, expirant sur un gra- bat, avail tenu danssa main les destinees des royaumes; son -genie est de ccux que Ton admire et qu'on ne rem- ]ilace pas; — on dit le sieclc dc suiiil Ucrnard conime on dit Ic sieok' de Louis XIV. DE LA FREDli'.Rli. SAiKTE iSAB!:i.z.s:. f ille. sccur et tanle de rois, fa pieusc el modeste IsaboKe se cache au milieu de ces grandeurs comme line simple vio'.cttcegarcei^ansun champ de lis. Fflle de Louis Vlll, cemonarqueaucoeur delion, et de madame Blanche de (iaslille, — soeur de saint Louis (t pelite-fille de Phi- ^'; lippe-Augu.-le, — Isabelle *:' iccut du ciel, avec la plus J haute naissance, tous les dons ct tuules les qualites que Ton iidniire sur la lerre. Comme ^" les filleules des fees des le- gendes, die joignit aux trc- sorsdu ccBur et de I'espril une beaule qui n'aval point d'egale. Cetle Glle unique de la familb- eut sept frcres, tous plus Sges qu'elle, et devint I'objet common do I'alTection de ses parents et de tous ceux qui I'enloure- rent. — Elle naquiten mars 1223, pour la gloire de Dii u et I'edification de la France. L'educalion de la princcsse fut confiee -i mailame Louise de Boisemont, gouvernante d'une piele et d'une sagesse admirablcs. Blanche ne cessa pas pour cela de surveiller \a jeunesse de sa fille, et I'inslruisit elle-meme des prin- cipes et des devoirs sacres de la religion. Sous de pa- reilles instilutrices, Tenfant vit se d^veloooer dans son ame 'es inclinations les plus pores. Ses seuls penchants lern sires avaient pour olijet les sciences abslraites, eta (|uinz_' ans elle parhiit le latin comme les ckicleurs les plus i\ nommes. On la vit sonvent corriger les manuscrils des sainles Ecritures, lorsqu'i s avaient ^1^ Iranscrits par de^ copisles inexperimenles. Elle acqu t en menie temps une grande habilele dans les travauN d'aiguille, el consa- cra les ouvrages de ses mains a Icrnemenl des eglises. A peine dans I'adolescence, elle pi it la ro-olution d'ap- partenireternellemeiU a Dieu el de ne jamais s'allacher a la lerre par les liens du rnaiiage. Des la morldn roi sou pere, la princesse, agee de viiigt ans, fc fit une regie im- muable de conduile qui peut se lesumer en Irois mots : la priere, I'etude et le Iravail. Sa position a la cour I'obligea, pendant un temps, a garder un certain decorum et a se vctir d habits co:ifor- nies au rang qu'elle occupait. Mais elle ne faisait cela que pour obeir k samere, et monlrait I'eloignement qu'elle avail pour le mondc en refusanl de prendre part aux divertissements et aux fetes oil poiaissaient sesbelles- swurs et les dames de haute naissance. Le projet qu'elle avail form^ de ne point conlracler dalliance lui valut. non pas des persecutions, mais des ini- porlunites sans nombre, auxquclles elle eut beaucuup de peine a resisler. Sa beaule celi^bre, et ce que Ion racon- lait de ses rares vertus, alliierent une foule de prelen- dants, qui se flatlerent successivement de vaincre sa repugnance. Frederic II, empereur d'Allemagne, demanda sa main en I21i pour son fils, le prince Conrad, alors 23-2 SAINTE ISABELLE. Age de seize h dix-sept on?, ct souvcrnm des roymimos de Sicile, de Jerusalem et dc Souabp. I.e roi Louis IX se rendit aupres de sa sopur pour intorccdcr en faveur du jcune homme, et le pipe lunorent IV lui ocrivit pour I'engager a souscrire a uii hymen qui donnerait la pai.x ;i I'Europe. Maislsahelle deuionra inebranlable. ctrepondit & reux qui la sollicit.iieut que la dcruicre des viergfs chreticnnes ctait au-dossus de la prejuiere femme clu monde. Son irrevocable decision clanl counue, on cessa de la pressor, et le souverain ponlife lui adressa une se- ronde Icltre, cu il ralTermissait dans sa resolulion, et lui dcmnndait pardon d'avoir cberche a Ten dctourner dans un but Icmporel. La princesse, (5lant sortie vicloricusedecelteredoulable i'preuve, continua a vivre dans le palais dc son Hero comme sous les grilles d'un cloilro, s'enlourant de fillcs sa.i;es qu'elle diri.;eait par ses conseils et par ses exem- ples, nionlrant pour clle-meme une rigueu:' extreme jeunant conliuuellement, ou prenaut si peu dc chose qu'on ne pouvait comprendre comment elle avail la force de se soulenir. Ses auslerites ne s'arretaient point la; elle so frappaitjournellement avec une discipline, se levaitavant rauiore et s'imposait de longs silences qu'elle ne rom- pait sous aucun pietexte. Lorsque sa table ctait garnie, elle en faisait enlever les plats les plus dclicals et les adrcosait a quelquo bfipilal ou quclquc couvcnt sans re- venus. Le roi Louis, la voyant uu jour occupte a coudre un bonnet de bn qu'elle avait fil^, I'engagea a lui en fa're present, ajoulant que toules les fois qu'il s'en coilTeraitil se rappclloraitsa complaisance. Isabelle hesila, et, voyant qu'il insistait, elle lui avoua qu'elle le destinait a Jcsus- I,..l,L'lk- d I.I.IM., I\. Christ. Le roi ne la pna pas davantage. Lorsqu'il fut parti, e'.le envoya son ouvrage a une pauvre fenime qui vivait de ses cha rites. — Ce qie vous fcrez pour les pauvres, avait dit sen divin maltre, c'esl pour moi que vous le ferez. — Me.: dames de Montfort, qui avaient assisSe a cette scfene, so rendirent sur le-champ auprfes de la pauvresse et lui achelcrcnt re bonnet pour une souime considerable. II fut plus tarj conserve comme une relique par les reli- gieuses de Saint-.\ntoine. La fortune de la princesse, quoique fort elcvce, ne laissait pas que de diminuer beaucoup par I'abondance de ses liberalites. Parvcnue a un certain 5ie el voulant se preparer une retraite paisible, d'apres le conseil de son confesseur Hemery, chancelier de I'Universite, elle jela Jes fondements du monaslere de Lon^jchamps, desline i des fillcs del'ordre deSaiiite-Clairc. Pendant les travaux, elle reunit six docleursen Ibeologie, au nonibre desquels etait saint Bonavcniure, et les pr'a de lui composer une regie. En 1200, elle fit son cnlrce dans la ,'ininte maison avec vingt religieuses qu'elle devait diriger dins les voies spiriluelles. l.a pieuse fondatrice donna d'abord au con- vent le nom de \'Hiimilite ^'olre-Dame, qui ful plus lard remplace par colui de Lougchamp's. C.el elablissemeut se trouvait a une bene et demie ile Paris, du rote du cou- chant. La pompe des ceremonies qui s'vpraliquaicntp"n- dant 1 : seniainc sainle y attira louglemps la ville et la cour. La ferveur des disciples d'Isabelle ne put longlenips s'accommoder de la regie trop auslcre qu'elle avait ct.-i- blie, etellesle luiavouerent franchoment. Isabelleeu donna avisau roi saint Louis, qui en refera au pape Uibain IV, el celui-ci y apporia de majeures modifications. C'est SAINT-JEAN -DE S-FLORENTINS. depuis ce temps qne les fillcs de Sainte -Claire se sont op- pelees Uibanislcs. II est a remarquer que la princesse, quoique retiree ilans le clollre et y pratiipianl li's plus rudes austeritos, no voii'.ut pas prendre riiabit ni faire profession de la vie monastiqiie. Elle donna pour raison les nombreuses infir- mites auxquclleselleetait sujelle, etqui I'eussent obligee d'uscr ("e dispenses frequences. Ses six derniercs annees fiircnl en diet remplies par de cruelles maladies et de con- tinueiles soiillVanres. Apres avoir purifie una derniere 255 fois sa vertii dans ce purgatoire anlicipe, Dieu la rappela a lui, et le 22 frvrier 1270, elle moiirut au milieu de la conimunaule reunie. Saint Louis, en revcnant du parle- nient de Tours, voulut assister a la ceremonie de sa se- pulture. — Rev^tue de I'uniforme du couvent, elle fut deposee dans lescaveaux funeraires, et le roi adressa aux religieuses un discours plein d'onction pour les consoler de cette perte. Agnes d'Harcourt, qui fut depuis abbesfe de Long- champs et qui vecut dans I'intimite de la princesse , S.iiiite liabelle au milieu de ses relisiense?. rcri-vit I'hisloire de sa vie i) la prii-re dii roi de Sicile. Elle y piirle d'un grand nombre de miracles, attestes par di's temoins di;,'nes de foi, etdusa son'intercession. Leur eclat el leur multitude ayaiit rempli bientot le pays de la icnommee d Isabelle, le pape Lean X, sollicite de toutcs parts, rend t un bref par lequel il la declara bieiilieiireiise et permit de lui rendrc un culte religieux. Isiibelle seniblait depuis son enfance avoir ete piedcs- tini'c a une pareille gloire. Sa pii'te etait tellement admi- ree, que lor-qu'on la peignait, ses demoiselles d'honnenr ramassaient ses clieveux et les gardaient precieusement. — Pourquoi de semblables soins "? leur demaiida-t-elle un jour. — C'est, repondirent-elles , que nous voulons avoir de vosrcliques lorsque vous serez sainte.— Isabelle, dit Agnes, rit beaucoup de la reponse et plaisanta de bon ccBur sur cette precoce veneration. DE LA FrEDIEI\E. IIISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIQUES DE Ml SAINT-JEAN DES-rZ.ORENTIN'S. Florence, cette villc des nobles el dc In force indh-i- duelle, ainsi que I'appelle M. de Sismondi, fut autrefois la cile du pillage et en meme temps de la devotion, comme elle est aujourd'hui I'asile drs arts et des pl.nisirs, ou, si vous prcferez, la ville des fleurs, pour (larler le Ian- gage gracieuxde I'un de nos meiUeurs ccrivains. — Siluee Ji une petite distance des Apennins, elle senible reposer sur des coussins dc verdure. Anciennement, ce fut une ville bien malheureuse. tou- jours tyrannisee parlesMedicis ou incendiee par des ban- des de bravi qui prenaient le nom de Gibelins, et lors- qu'elle pouvait ecliapper a I'une et I'autre de ces perse- cutions, ravagec par la peste, ce lleau terrible que Dieu crea dans un juur de colere contre les honimes. Florence, qui, un beau jour du quinzifeme sii'cle, d(5- creta Jc'sus-Cbrist son roi perpeluel , et dans un cn- thousiasme guelfe Gt placer sur la porte duPfl/fl;:o T«- chio une inscription constatant cette election, a toujours -2J4 SAINT- JEAN-DES eu line grande devotion pour saint Jean I'evangeliste. C'cst a saint Jean qu'un Florenlin demamle protection, c'est par lui que se fait un sorment. Cliarles Vll[ a, dans cetto ville, jure par ce saint; laissons parlor Pliilippe de Coniines : « Le roi entra en la cite de Florence ; et luy avoit ledit Pierre fait haljiller sa maison, et ja estoit le seigneur de Balasat (de Balzac) pour fairo ledit logis : Icquel quand il sceut la suite dudit Pierre de Medicis, se prit i piller tout ce qu'il Irouva en ladite maison, disant que leur banque a Lyon lui devoit grande somme d'argent : et entre autre chose il prit une licorne entiere (qui valaitsix ou sept mille ducats), et deux grandes pieces d'une autre, et plusieurs autres biens. D'autres firent comme luy : ea -FLORENTIiNS. une autre maison de la \ille y avoit retire tout ce qu'il avoit vaillant:le people pilla tout. La seigneurie eut par- tie des plus riches bagues, et vingt mille ducats conlaiis, qu'il avoit son ban a la ville et plusieurs beaux pots d'agate et lant de beaux camayeux bien lailles,que mer- veillos, qu'autre foisj'avois veus, et bien trois mille me- dailles d'or et d'argent, bien la pesanleur de quaranle li- vres : et crois qu'il n'y avoit point lant de belles me- dailles en Italie. Ce qu'il perdit ce jour en la cite valoil cent mille ecus, et plus. Or, estantle roy en la cite de Florence, comme dit est, se fit un traiste avec eux, el crois qu'ils le firent de bon coeur. lis donnereiit au roi six mille vingt ducats, dont ils emporterent cinquante mille Gonlant et le reste en deux pajemens assef briefs : i S.iinl JcaiwlL's-I-lmuiil,, ft porterent au roy toutes les places dont j'ai parle ; et chargerenl leursarmes, qui csloient la fleur du lis rouge et en prirent de ci'lles que le roy portoit, lequel les prit en sa protection et garde, et leur promit et jura sur /'o«- let saincl Jclum, de leur rcndre leurs places qiiatre mois apres qu'il seroit dans Naples, ou |ilus tost s'il retournoit en France : mais la chose prit autre train, dont sera parte cy aprfes. » Afin de ne pas laisser en pays etranger un roi auquel nous devons nous interesser comme Francais, je dois vous dire que son expedition fut assez malheureuse. Ses pretentions au royaume de Naples n'eurent aucun bon resuUat pour lui. A son relour il s't'lait forme une confederation pour I'emp^cher de rentrer dans ses fitats, et la douteuse vicloire qu'il gagna dans la plaine de For- noue ne put que lui ouvrir le passage qu'on lui dispu- tait. — C'est il regard de cette batadle que Coniines nous fait do Charles VIII un portrait qui ne sent en rien la llatterie du courtisan : « Je le Irouvai aime de toutes piei-es ot nionte sur le plus beau clieval que j'ai vu de mon temps, et sembloit que cejcune liomme fust lout autre que sa nature ne por- toit en sa laille et sa complexion. II eloit ties craintif a parler, ctl'est encore aujourd'hui ; aussiavoit-il etenourri en grande crainte ct avec petiles personnes, et le cheval le niontroit grand et avoit le visage de bonne couleur et la parole audacieuse et sage. • (si ce n'ctail,M. de Co- mines, on pourroit croire que c'est le cheval qui parle.) Jacques de Pergame racontela harangue qu'il fit a ses soldats : « Chevaliers, soldals, considerez que vous etes Francois, dcsquels la nature et propriele est de souffrir force choses comme lesGauIois, ayant toujours tenu Stre plus glorieux de mourir en bataille que d'etre pris. Si nous vainquons, tous les Itoliens sont k nous, et si nous sommes vaincus, ne vous chaille, France nous recevra qui defendra assez son pays. Bief noire cas seurement : si vous avez autre courage qu'a vaillammentcombattreet qu'ainiiez mieux honteusement par fuile vons relirer et SAINT-JEAN-DES-FLORENTINS voirvotre roi et naturcl .-itisnour dolent et captif te-mains de ses ennemis, ditos-lc de bonne heure. • Qiiillons Florence el roinoue, oil nous nous sommes peiit-elre arreles Uop lon^temps, el renlrons a Romep:ii' la Strada Giulia. La Sliada Giulia est line Ires-belle rue, tiree au cor- deau a perle de vue jiisqu'au I'onle S/s(o, clle parcourt I'espace d'un miUe environ. On y voil de beanx edifices, notamment le palais des Sachetii, oil Ton admire une Viergp du Tilien, et I'e^lise de Sainl- Jean-des-Florenlins, balie sur les bords du Tibre, h cole de I'ancien pont Ja- niculrinus lerait par Sixle IV. C'esl en 1588 que fut construile aux depens de la na- tion florentine, sur les dessins de Jacques de La Porte, IVgli-se dont nous avons h parler. Le portail qui, dans I'o- rigine, n'avait aucun ornenienl, fut reedifie par Alexan- dre Galilee, qui orna egalenienl la facade de colonnes d'ordre corinthien. — Les peres de lOratoire de Saitit- I'hilippe Neri en ont eii longtempsla desservance; c'est aujourd'liui une paroisse de Rome. L'inlerjeur est diviseen trois ncfs avec de pcliles cha- ■ pelles oroees de marbies et de Ires-belles peinlures. Le niailre-autel ful eleve aux frais de la faiiiille Falco- nieri par Pierre de Corlone, les sculptures qu'on y re- marque sont toutes dues a d'excellenls artistes. Cclle de marbre blanc, representant leBaptemede noire Seigneur Jesus-Christ, a ele taillee par Antoiiie Rag^i ; celle d« la Foi, par lUrcule Ferrala; el celle de la Cliarite, par Do- minique Guidi. Les niedaillons et Verlus en slue, qui garnissent les cotes, sonl dune belle ixeculion. On y voit deux sepulcres : I'uri, celui (!e M. Corsini, fail par I'Algardi, el celui de M. .\cciaioii, par Hercule Fer- rala. Les peinlures du mailre-aulel ont ele tracees par Lanfranc et Baccio Ciarpi. Uessous reposent les saints martyrs Proie et Jacinthe. Lcur fele se celebre dans celle cglise le 1 1 soptembre, el leur transUilion le 21 jnin. Sur I'aulel, a doite, dans la cliapelle dite de la Croi- see, on voit un lablead de saint Come et saint D.imien condaninesaux flammes ; il fut pcint par Salvator Rosa, eel liomme peintre et poele donl on a dit que I'exislence romanesque avail commence parmi les brigands des Abruzzes et qui, arrive ii Rome, oil I'appelait Lanfranc, clone sur un grabal par la misere et la fievre, s'ecriail : ' Point de IrJve avec le soucil Point de re!4che a la dou- leur ! La fortune, tuujours mon ennemie, semble avoir oublie que jc vis, que je sens dans chacun de mes mem- bies des nerfs, des muscles ; que j'ai un esprit, un pools, un coeur, que je fremis et souffre dans chaque pore. Des le premier soupir que j'exhalai en cette vie, je fus en butle aux eteriielles injures du sort. Soumis & de rudes travaux sans recompense, j'ai courlisc les arts ; car, lan- dis que je m'attaclie ii un lointain espoir, je puis a peine gagner nion pain journalier. Pour moi, vainement le so- ■leil brille, et la Icrre fertile donne du ble el du vin. Si je lance a la mer ma barque fragile, la iempjle vient I'as- saillir; si, pour secher nies voiles, je les deploie, le ciel envoie un nouveau deluge. Si j'allais cbercher cos cam- pagnes de I'lnde oil les sables sont nieles d'or, sans doule, pour prix de mes peines,je les trouvcrais transformesen plomb! — fiveille, mes pensees sont ameres ; endormi, mes reves sonl des chateaux en I'air. — Ma richesse est seulement en esperances, el, quand ellesserontevanouics, un hopilal me reserve le lit de I'indigence! — Grand Dieu ! cependant , et moi aussi je suis peinire I Ne pour- rai-je done trouver une riante couleur pour raviver la teinte sombre de ma vie, oii lout est efTort, nialheur et combat! — Des voix amies me crient encore : « Espere • et travaille! ■ Toujours travailler et toujours mourir de faim! • Oh! que Ion comprend bien, apres avoir lu ces lignes traduiles dune canlate composecdans des jours de malheur, la Irislesse profonde et niJme Tamer deses- poirque, dans loutessesd'uvres, il a laisse parailre comme la pensee constanle on le souvenir affreux qui frappait son ccBur ! — Son tableau de saints Come et Damien est un chef-d'oeuvre. Sous la nef droile, ii I'aulel de la premiere chapelle, il y a un tableau de saint Antoni'n, qu'on attribue au Pas- signani. A cote, on en voil un aulre oil saint Jean-Bap- tisle plane dans les airs, au-dessus de la viUe de Flo- rence; Pieri en est I'auteur. La deuxieme chapelle possede une Notre-Dame, de Charles Marata. La Iroisieme, un saint Jerome, avec paysages et plu- sieurs figures, duFlorenlin Toussaint Titi; puis,quelques fresqucs assez peu gracieuscs d Elienne Pieri. La qualrieme renfermc une Xolre-Dame-de-Pilie, de Jerome Sermonette. Fontebuoni el Auguslin Ciampelli ont decore la cha- pelle de la Vierge, dune Nalivile et d'une Assomplion. Sous la nef gauche, le premier autel erige par la famille Sachetii renferme un crucifix niodele par Prosper Bres- ciano, el jete en bronze par Paul de Saint-Quiris, le Par- mesan. Dans la voCite, la vie de Nolre-Seigneur, peinte par Lanfranc. De ce cole, I'autel de la croisee offre un tableau de sainte Marie-Madeleine portee par des anges. Celle ceuvre est de Baccio Ciarpi, maiire de Pierre de Corlone el eleve de Toussaint Titi, qui a decore la chapelle suivanle d'un tableau de saint Francois. Nicolas Pomarancio a aussi travaille a ces autels. Les deux dern^eres chapelles, I'une dediee a saint An- loine, abbe, I'aulre a sainte Anne, sont enrichies de fresques el peinlures de Ciampelli, d'Antoine Temp^te, de Colci et de Jean-Baptisle Vanni, Florentin. Le grand tableau de la predication de sainl Jean-Bap- tiste au desert, qui avoisine la petite porle lalerale, est siane Nardini. J. B. 236 LE GRAND CONDE. LES FRAKAIS ILLUSTRES. Z.-E GRAM'S C09TDE. I. Dno illuslre naissance, iin courage indomplable, une comprehension sure et ra- pide, un coeur niagnanime et clievaleresque, — lout scmlila se reunir pour don- nerun illuslre copitaine au iecle de Louis XIV. Tanlot ' ■ combaltant pour defendre ou s^lorificrla France, Ian- lot allumant dans son pays TO une guerre civile el desas- treuse, Louis de Bourbon, - par ses lalenis militaires, acquit dis litres inconlestables a I'admiration de la pos- terile. Ileurcux si, moderant la fierte de son carartere, il n'eit point demande h I'etranger des armes cnntre sa patrie ! Rival et conipagnon d'armes de Turenne, s'il marcha souvent h ses cotes, il le vit souvent a la lele des Krancais lui disputer le champ de hataille. Presque aussi celebre par ses erreurs que par son g'enie, il remplit de son nom I'liistoire du dix-scplicmesiecle, et, pour le dis- tinguer des princes de sa famille, on dit — le grand Conde. Louis de Bourbon, due d'Enghien, et plus lard prince de Conde, vint au monde a Paris vers I'annee 1621. On le placa tout enfant chez lesjesuiles de Bourge.s, oil son pere surveilla d'un oeil severe les progres de son educa- tion. AstreinI a la ponclualil6 universitaife, et n'ayant rien qui le distinguSt de ses condisciples, le jeune eleve fit a I'ecole I'apprenlissage de I'egalite des camps, ou de- vait s'ecouler sa vie. Mais ses disposilions brillanles I'ele- ■verent bienlol au-dessus de la foule; a hull ans, il ter- mina ses classes de laHn; h onze, il composa un Iraile de rhelorique et soutint des theses de philosophie, a dix- sept, il fit son entree ii la cour. C'etai tun beau jeune hommeiil'ceil impetueuxetb la d-- marche fi^re. II accueillit avecreconnafssancelesavanccs du monde qui le rcelamait, mais son Jme independanle fut violemmenl choquee du dcspolisme de Richelieu-, la princesse sa mere evila de I'exposer a la colere du vin- dicatif cardinal et I'introduisit a I'holel de RanibouiUet, oil regnaient le be! esprit el la quintessence des modes. Dfe I'annee suivante, le due d'Enghien parlit et fit sa premiere canipagne sous le marechal de la Meilleraje. II se distingua aux sieges d'Arras, de Ciilliduro, de Perpi- gnan et de Salce. Pendant qu'il travaillait ainsi i sn renommpe, son pere le fit monder pour epouser la niece de Richelieu, mademoiselle Claire Clemenre de Maille- Breze. Malgre relnignemcnt profond qu'il rcssentait pour cetle jeune personne et pour sa famille, \e due n'osa re- sistor et conclut cet hymen par obeissance filialc. Richelieu meurt; — Louis XIII nomme le due d'En- ghien general de I'armee de Champagne el de Picardio ; — les Espagnols entrent dans la premiere de ces provin- ces el mellent le siege devant Rocroi ; — le roi suit au toniheau le cardinal-ministre; — on presse le due d'a- bandonner la fronliero et de marcher vers Paris pour s'emparer de la regence; — il sacrifie son ambition h I'in- lerit du pays, et vole au secours de la ville assiegee. L'armee qu'il conduit a marches forci'es traverse un de- file, el dans la nuit se range en balaille devant les enne- mis. La journee de Rocroi fut inscrite dans les fastcs glo- rieux de la Fiance ; seize mille Espagnols y perdirent la vie, et le vieux comle de Fuent^s, qui commandait lenr infanlerie, peril sur le brancard qui servait a le. Iranspor- ter. — A genoux, au milieu de I'armi^e, le general de vingl ans rendit giice a Dieu de sa premiere victuire. Apres aVbir chasse I'etranger, le due d'Enghien voulut le punir; et, se dirigeanl vers la Moselle, il s'elabht de- vast ThionviUo. La resistance heru'ique des assieges lou- cha son coeur, il manda le commandant de la place et le conduisitaux remparts exlerieurs. «Voyez!» lui dit-il en lui monlrant les mineurs prSls a faire .sauler les forti- fications. Le goHverneur se rend et d'Enghien enlre dans la ville, ii qui il a su epargner les horreurs d'un assaut. — De relour a Paris, il recoil le gouvernement de Cham- pagne, el Slenai pour recompense. Au commencement de la campagne de IC'i'i.le due fut adjoint il M. de Turenne , qui commandait l'armee du Rhin opposee aux Bavarois. Le general Mercy vcnail k leur lele de s'emparer de Fribourg, et il s'elait forlifii^ dans une position aupres deses murs. Le pays, convert de hois, de rochers el de ravins, lui paraissait devoir arreter I'intrepidite franraise. Mais il comptaitsansnos geueraux. Au moment oii il y songe le moins, il enlend batlre la charge; il court aux armes et sa vigoureuse resistance ne permel pas de prevoir lissue du combat. Les Francais, fatigues, hesitenl el se replient, lorsque le due arrive a la lele du regiment de Conti, et jelle dans les rangs stran- gers son baton de commandement. Ses troupes exaltees puisenlde nouvelles forces dans leur enthousiasme, et se pi ecipilenl comme la foudre.— Mais lesoleil, lombant sous I'horizon, mil un ternie Ji la balaille, et cen'est que trois jours apres qu'une nouvelle atlaque, en debusquant Mercy, le plus illuslre general du temps, fit passer ce litre ci son vainqueur. Jaloux de profiler de ret avanlage, dEnghien marche vers Philipsbourg el enleve cclle place apres onze jours de tranchee onverte, avec cinq mille liommes et dix pie- ces de canon. Cet cvcnement incroyable eut a Paris le plus grand relentissement. > La chose est vraie, dit ma- dame de Sevigne, mais elle nest pas vraisemblable. » Cetle conquele fut suivie de celles de Guermesheim, de Spire, deWornis, d'Opperiheim,de Mayence, deCreulz- nach, de Landau et de Manheim. Suivant I'liabilude LE GRMD mu. BR I lISH LE GRAND CONDfi. tiu temps, Varmee reiUrait en France passer les quarliers (I'hiver, et re n'elait qua la belle saison que I'on lepre- iiait les lios'ilites. Ell l6io, Ic duo d'Enghien entra en Allemagne.oul'at- tendalent Mercy el les Bavarois. Apr&s quelques affaires d'avant-gardo, les deux armees se Irouverent en pre- srrice devanl Norliiigue. L'eiinemi occupaitun village oil il avail pris une position fonnidaljle. Le due veul alla- quer; — c'est en vain que Turenne Tarretc; I'audace fut celte fois mieux inspiree que la prudence. — Apres avoir fail des pertes considerables, Mercy bat en retraite, et les Francais s'emparenl de Norlingue. de Dnnlcespiel et d'Heilbron. D'Enghien commeiicait deja a iMre popu- laire; une grave Tiialadie qui pensa I'enlever lui monlraa quel point il elail aime, par les transports que Ton fit eclater a sa convalescence. Le cardinal Mazarin, qui dirigoait alors les affaires pu- bliques, voulutdonnerau diiclecommandementderanneo de Flandre ; mais Gaslon d'Orlcans, qui par parentlii'se, la coiiduisail asscz mal, iie voulut point ceder ce qu'il ap- pelait ses droits. Le vainqiieur de Uocroi trouva unbiais pjur arranger I'affaire, et offrit a ce prince de. servir sous ses ordres. Sa proposition fut acceptee avec em- pressement, et I'illustre capitaine donna a rarniee I'exem- ple de la soumission el du respect dus a la liierarchie militaire. II pril part au siege de Courlrai , et maudil. plus dune fois les eternelles indecisions de son general, qui se laissail mener par I'abbe de La Riviere. C'est par cette faiblesse de caractere et par celte hesitation que fut manque I'eng.igenient de Bruges. Les armees francaise et espagnole s'etant rencontrees dans la pluine de ce nom, la balaille fut renvoyee au lendemain par I'ordre du duo d'Orleans. Pendant la unit, les enne- mis apprircnl que d'Enghien commandait I'avanl-garde, el, profilant des tenebres, ils battiient en retraite pour evilcr le combat. — Au lieu de les poursuivre, les Frau- cais meltent le siege devant Mardick; une vigoureuse sor- tie les surprend et leur enleve beaucoup de monde ; d'En- ghien accourt aussitot, rallie les troupes et repare eel echtc. — La place s'etant rendue, d'Orleans rendit justice Conde jclte dans les rangs ennemis son l>aloD de commandeiacnt. a son valeureux subalterne, et le replaca au poste su- preme, qu'il tant de litres, il etait digne d'occupe.'. .Malgre la saison avancee, le nouvcau general concut une enlreprise inspiree par son genie hordi et a\entu- reux. Dunkerqne passait pour une des plus importantes forleresses de lEurope. Avec une armee epuisee et r6- Inile a dix mille hommes environ, il r^solut de s'en einiiorcr. Ranirnanl par son assurance la confiance de se.-. soldals, il repousse les Espagnols et s'empare de Fnrnes en deux heures. II etablit ses magasins dans celte ^ille; el, pour la mellre a I'abri d'un coup de main, il la forlifie en moins de quinze jours; — bizarre occupa- tion d un conquerant qui, pour parvenir a delruire une place, e(; it oblige d'en conslruire une autre. — L'ennemi s'inquiete d'une pareille activile, et s'avise d'assieger I'assiegeant liii-nieme; — mais il est force de se replier, el Dunkeique abandonnee ouvre ses porles au vainqueur. Qiiinzc jours apres ce trioinphe, Henri de Bourbon, prince de Conde, expirait a Paris dans les bras de son fils. Le due d'Enghien, cruellemenl eprouve par cede perte, lui siicceda dans ses charges de chef du conseil de la regence, de grand maitre de France el de gouver- neur de la Bourgogne et du Berry. Dapres la coulume de sa famille, il echangea ses lilres conlreceux de son pere, et fut connu depuis sous le nom de M. le Prince. La campagne de 1647 venait des'ouvrir, Mazarin of- frit a noire heros la conduite de I'armee de Catalogue. — Confiant en son eloile, le grand Conde parlit pour I'Es- 238 LE GRAND CONDE. pagne ct fiit recu par scs troupes avec acclamation. Mais, Irop enfant gJte de la victoire pour ne pas i'tre prcsonip- tueux, il crut n'avoir qu'i se baisser pour r^coUcr cle nouveaux lauriers. - Qi'i! qu'on appelle les violons, et qu'on me prenne Wrida en mesure! • Sur un air de sa- rabande et musiciens en l^le, les Fran^ais ouvrent la tranchee. Mais ils se lasscrent de chanter. Andre Britt, gouverneur de la place, se defendil avec une telle opi- niatret6, que la fanfaronnade resla sans jesultat, et que les danseurs payi'rcntcux-memesles violons. — Le prince abandonna I'expiilition sur ces entrefaites, et revint il la cour, ou commencaient ;i s'agiter d'etranges interSls. Les vexations du cardiual-ministre avaient cree k Paris un parti de meconlents qui fomcntaient la discords et qui devinrent le noyau de la Fronde. Cond6 eniploya son influence a calmer les troubles civils, mais avanl qu'il eilt pn y reussir, les ihterfts de I'fitat I'appelerent'en Pi- cardie. — A la tete de trente mille hommes, il met le siige devant Ypres, et repousse I'arciiiduc, qui le voit entrer dans cctle ville sans pouvoir I'en emperher. En guise de represaiUes, celui-ei s'empare de Lens. Le prince le poursuit et le joint sous les murs de cette citi5, dans la plaine du mJraenom. L'espiit entreprenant du general ennemi rendait TalTaire decisive; une defaite pcrdait la France et entrainait I'invasion. Conde, penetr^ de la gra- vitt5 descirconstances, joignit k son intrepidilc ordinaire lesconseils de la prudence. — Au milieu de la nuit, il or- donne la relraite; rarchiduc s'emeut du mouvcment qui regno dans le camp fran^ais et, des I'aurore il s'apercoit de cette niarche retrograde. Le general Beck s'ebranle avec la cavalerie lorraine, se precipite sur les fuyards; mais, en un clin d'cuil, une conversion s'opere, et I'armee francnise se Irouve rallite sur une eminence qui com- mando la campagne. Les Lorrains, attires dans la plaine, combattcnt avec une energie qui rend la victoire daur teuse; I'infanterie espagnole, immobile comme unrochei', resiste ci toutcs les atlaques; — mais, enivrees de gloireet rapides comme les balles, les troupes de Cand6 finissent par entamer leurs bataillons et les battent sur tons les points. Dans cette memorable journee , qui coiJta cinq cents hommes a la France, I'ennemi perdit cent vingt drapeaux et laissa dix. mille corps sur- le champ de ba- taille. — Deux heurcs avaient sulfi pour tout decider. M. le Prince, rappele a la cour, y fut recu en Iriom- phateur; la reine lui donna, comme temoignage de satis- faction, le pays du Clermontois i titre de possession h6- r^ditaire. Ici s'arr^le la premiere periode de la vie du grand Conde. Nous allons maintenant le voir jouer un rile ac- tif dans les troubles interieurs du royaume et dans les auerres civiles de la Fronde. n. Madame de Longueville, la belle et galante duchesse, I'intre^ide frondeuse, recul M. le Prince, son frcrc, avec un etalage de sentiments qui n'(itaient pas desinteresses. Mais c'est en vain qu'elle chercha ii le gagner au parti des rebeiles ; il repondit k toutes ses prieres : « Je m'ap- pelle Louis de Bourbon, et je ne veux pas ebranler la couronne. • La reine, de son cote, eniploya les supplications les plus pressontcs pour le decider a appuyer le ministere. Conde ne sut point lui resister; el, abandonnant son per- sonnage de mediatcur, il se declara pour la cour et porta ainsi un coup terrible a sa popularity. Les ennemis du cardinal occupaient la majeure parlie de la capilale; — le prince dresse un plan de campagne, el veut faire investir la ville par I'armee. La maison royale se refugie a Saint- Germain, et Ton commence le blocus de Paris.— Les Pa- risiens, h cette nouvelle foudroyanle, maudissent mille fois le nom du heros et nomment le prince de Conti ge- neralissimo de la Fronde, h I'instigation de sa scEur, ma- dame de Longueville. Ainsi, ces dissensions intestines, appelees avec raison la guerre ties [emmcs, commencaient par mettre en presence les deux frferes dans les camps opposes. Le projet d'affamer la capitale rencontra des obstacles insurmontables, vu I'lnsufTisance desressources desassie- gcants. Pendant qu'ils s'occupaient Ji des miseres, la Fronde recrutait des d^fenseurs en province, et faisait tous les jours de nouveaux proselytes. Le due de Longue- ville, k la tJte de dix mille hommes, le due de la Tr6- moille et le vicomie de Turenne se joignent aux rebeiles; — Mazarin commence i trembler. — Dans cetle situation desesperee, Conde prend la plume; — a sa voix, Longue- ville, la Tremoille et Turenne rentrent dans le devoir. — II ne se contente pas de cette victoire, et fait conclure le traite de Saint-Germain qui met un tcrme a ces premieres hostilit^s. Le peuple a la memoire courte. — Le prince ramene au Palais-Royal, la reine et son miiiislre, et la I'oule salue d'acclaniations celui qui venait de I'exposer anx horreurs d'un pillage. — Une telle affection parut dangereuse a Mazarin, et d63cejour, le perfide Ilalien entoura Conde d'un i5|iais resea\i d'intrigues et le mit au ban de sa po- litique astucieuEe; L'ame noble et genereuse du prince ne pouvant pene- trer les ruses du cardinal, il crut a scs prolestations, et par I'appui qu'il lui- fournit, il se fit detesler des chefs principaux de la Fronde. Ce minislre ne fut conlent que lursqu!il vit le grand capitaine on guerre ouverte avec tous ses amis; il ne craignit point alors de le faire toni- ber dans le piege qu'il lui preparait depuis longtemps. Le lundi, 18 Janvier 1649, Conde se rend au conseil de regence qui se tenait au Palais-Royal. Le capitaine des gardes de la reine, Guitaul, le salue profondement et lui reclame son 6pee. Le prince devine tout et sourit ame- rement : — C'est done la le prix de mes services ! — II demande a voir Anne d'Autriche ; on nc le lui permet pas. — Mes amis, dit-il aux soldats qui I'accompagnent, ce n'est pas ici la bataille de Lens. — Plus loin, on ren- contre un couloir obscur. La trahison insigne dont il est victime lui fait craindre qu'on n'en veuille a ses jours. — Guitaut, dit-il h son guide, ceci ressemble bien aux etats de Blois. — Ne craignez rien , monseigneur, repond le capitaine, je ne m'en serais pas charge. — . Le prisonnier etant arriv6 au passage Richelieu, une voiture se presente. Conde reconnait son fiere de Conti et son beau-frfere de Longueville. II les complimente sur cette reunion de famille, et Ton se met en route pour Vin- cennes. Tout a coup, la voiture so brise ; grande rumour. M. le Prince, I'homme le plus leste do son temps, en- jambe la portiere et prend ses jambes a son cou. .Mais il s'cntrave, un soUlut le rejoint, ct il est laniene vers scs compagnons, le pislolet sur la gorge. — On entre dans \n forteresse ; Conii demande une Imilution do Jesus-Chiisl. — Donnezmoi, dit Conde, rimitalion de M. de Beaufoit, ijiii s'est evade I'aulre semaine. Ce n'elait point assez pour Mazarin de s'etre empare lies princes, il vouhit avoir en son pouvoir la (jfincessc d(^ Conde, la princesse mere et le jeune due d'Enghien. Mais , prevenues par un avis fidele, elles trompenl la surveillance de ses espions et se refugient a Monlrond. Poursuivios de pres par ses agents, elles traversent la France, et, le 31 mai, font a Bordeaux une apparition so- lennelle. — Le cliirurgicn de M. le Prince, a qui I'entree de Vinucnnes itait permise, alia lui porter celte nouvelle et le trouva qui arrosait des oiillets el des giroflees. — Men ami, repondit le prisonnier, aurais-tu jamais pense que j'arroserais men jardin pendant que ma femrae ferait la guerre? Le minisire, apprenant que le parlenient de Bordeaux venait de rendre un arret en faveur des prisonniers, as- siegea celte ville qui resista opiniilrement. Pour dejouer les projets d'evasion que formaient les amis des captifs, il les transfera pendant ce temps au cliMeau de Mar- coulTy, et de la au Havre-de-Gr4ce. Le comte d'Harcourt ayant ele charge de les escorter pendant la route, Conde, cine sa gaiete n'abandonnait jamais, tit sur lui cette rlianson qui courut bienlut par les rues : Cel tiomnic -^rO; cl conrl. Si rameiix dans riii«toirc, Ce grand lomti- d'HarconrI, Tont rayoiinaiil de ^loire, Qi.i sernurut Ca?at cl qui repril Tnrin, Est mainlenint rccors de Jnles Mazarin. \nne de Gonzague , princesse palatine et amie du ^i.ind Conde, pai'vini 41ui gagnerla Fronde, qui reclama ■:i mise en librrte. Le parlement de Paris agit dans le iiii'me sens, et le chef des faetieux, Paul de Gondi, cardi- nal de Relz, appele communement le Coa'ljuteur, y tra- \ailla de tout son pouvoir en excitant le peuple centre le ministre. Le due d'Orleans et la noblesse, indignes a la fill de I'injure faite par un Ilalien sans nom au premier prince du sang, exigerent une delivrance immediate. Ce dechainement general terrifia Mazarin qui voulut du moins avoir I'air de ceder de bonne grJce. II se fit ou- vrirla prison d'fitat et sejeta aux gonoux de Conde, dont il baisa la botte en le conjurant d'oublier le passe. — Le prince sortit sans le regarder en lui jetaiit un : — .idieu, monsieur le cardinal. La reine recut le prisonnier avec une amabilite sans egale ; elle lui fil la reparation la plus eclalanle et le re- tablit dans ses biens, ses charges et ses gouverncments. Pendant qu'il remontait au faite de la puissance, son persecuteur, honni et bafoue, etait chasse de Paris et dressait dans I'onibre les plans de ses intrigues pro- chaines. La fierte de notre heros fut la premitMe cause de ses nouvelles disgraces; elle le brouilla avec le Coadjuleur, VAme de la Fronde. Dun autre cOte, Anno d'.iulriche, secritement dominee par le cardinal, ne rSvait que la perte de son enncmi. — Pendant la nuit du .5 au 6 juillet, I'hdlel de Cond6 est cerne par les gardes-francaises ; le prince leur echappe par une fuite precipitee et se refngie LE r.IlVND CONDE. 250 a Saint .Maur. — Le levain qui, depuis sa captivile, s'e- lait amasso dans son coeur, y avait fait germer de vifs ressenlinienis conlre une palrie qui reconnaissait si nial ce qu'il avait fait pour elle. Comme le Remain Coriolan, il denianda a des ctrangers,.vengeance de ralTront qu'il avait recu, onbliant qu'un enfant doit tout savoir souffrir de sa mere ! IIL II y a dans les jardins de Versailles une blanche Re- nommec qui inscrit les fails d'armcs de Conde au livre de riiisloire. A ses pieds sont epars des feuillets arraches ; — lis portent des noms glorieux ; ils parlent desvictoires de I'Espagne; — et c'est Conde qui les a remportees, — et c'est la France qui les a perdues. M. le Prince, rappele a Paris, crut devoir y reparaitre avec une cour tres-nombreuse. Des son arrivee, la reine rend centre lui une declara- tion foudroyanle. Ce prince se justifie et autorise en secret son ami Sil- Icry a traiter avec les Espagnols. Le parlement dfilibere el somme Conde et le Coadjuteur de comparaitre devant lui. — Les deux adversaires se rendent au Palais-Royal avec une suite de mille hommes chacun. Une querelle s'engage entre leurs gens; Paul de Gondi, effraye du tumulte, prend la fuite; il est surpris par La Rochefou- cault qui le saisit par le cou entre les deux baltants d'une porte, et ne le liche qu'au moment ou il allait etre as- sassin^. — La balaille s'arrete et le conseil donne gain de cause a Conde. — Quclqiies jours apres, son carrosse se trouve arr^le par une procession. II met la tete a la portiere, reconnait Gondi, se jetle a g'noux dans la rue et lui dcmande sa benediction. Le cardinal le benit fort gravement et conlinue sa route; — le peuple, louche de cette humilite envers un prelat dont on connaissait les exces, crie bravo pour M. le Prince et suit M. de Retz en I'apostrophant et en I'accablant d'injures. Les ceremonies de la majorite de Louis XIV se prepa- raient, et M. le Prince fut prevenu qu'il y serait ar- r^le. II prit la fuite sans retard apres avoir vainement chercheas'accommoder avec la reine; et comme il apprit qu'elle envoyait centre lui d'.4umont avec les ordres les plus rigoureux, H se decida isoutenir la guerre civile. — II leve dix mille hommes en Guienne et s'empare de I'Angoumois, du Perigord el de laSaintonge. — Le comte d'Harcourt, general de I'armee royale, entre dans Bourges et fait prisonnier le prince de Conti. — Mazarin profite de ces troubles pour rentier publiquemcnt au ministere. — Le due d'Orleans leve une armee et s'allie a Cunde; le due de Nemours et le due de Rohan-Chabot , gou- \erneur d'.\njou , suivent son exemplc ; — I'Espagne fournit des homines et de I'argent. Madi-moisflle d'Orleans fait declarer conlre le roi la ville qui porte son nom. — A son tour, I'armee de la cour s'empare d'.4ngers, et le general Turenoe bat a Ger- geau Sirot et le due de Beaufort. M. le Prince, en apprenant ces nouvelles, abandonne le camp d'.4gen en Guienne, oil il s'etait retire ; — sous I'habit d'un simple courrier, et sous le nom de Motle- ville, il traverse sans escorte une partie de la France, passe a travers les troupes ennemies et rejoint son armee 240 LE GRANn CO.NDl!:. ii Lorris. — II s'enipnre lie Montai'gis et de ChJteau- Gaillard ; — il bat le mareclial d'llocquincourt a Claicau et le poursiiit jusqu'a Auxerre. — Mais il est oblige d'a- Landonner ses soldats pour so lendio a Paris. Iiiterrogi'^ par le parlement, Conde consent a se sou- mettre, si Mazarin quitte le royaume. — Cppendant son general, Tavannes, s'empare d'fitampes. — On lui ol'fre d'assassiner le Coadjuteur et le cardinal; il refuse avec horreui'. — Son armee recoit en triomphe mademoiselle d'Orlcaus et mesdames de Fiesque et de Funlenac; ces ■deux dernii;res dames sont creees militairement marc- cltales de cuiiip devant les troupes assemblees. Pendant que Turenne bat Tavannes aux portes d'Or- leans, Conde prend Saint-Denis, qu'il ne garde que quel- ques jours. — Mademoiselle d'Orleans fait une levee de troupes. — Turenne , k la t^te de soldats eprouves , marche sur Pans, et Conde, retranche dans cette capi- tale, se range en batailla le long du faubourg Saint-An- toine ; — les deux armees fondent I'une sur I'autre ; — apres un horrible carnage, les regiments de M. le Prince se replient; — mais les Parisiens se barricadent et leur coupent la rctraite; — Turenne les onveloppe, les ac- cule contrc les remparls et va les lailler en, pieces, lors- qu'on entcnd rctcntir le canon de la Bastille... Au m6me instant, la porte Sainl-.\ntoine roule sur ses goods; I'armee de Conde rentre dan* la ville et sur les remparls de la vieille prison d'Etat, mademoiselle d'Or- leans, nouvelle providence, dirige un feu soutenu centre les soldats du roi. Turenne, trompepar la fortune, ordonne la retraile, et Conde, rccu par sa liberatrice, ne pent que s'ecrier en versant un torrent delarraes : • — Ah! Mademoiselle, j'ai perdu tous mes amis. » C'est alors que quelques partisans presserent vivcment le prince de s'emparer de I'autorite souveiaine ; il rejcta cette idee avec indignation ; — il refusa en meme temps le tr6ne de Naples, qu'on lui offrait avec inslance. — Le besoin de la paix se faisant senlir, des tentatives de con- ciliation furent faites, et le renvoi de Mazarin decide ; — Conde deinanda a negocier : • II n'est question que de vous soumctlre, • repondit la fiere Anne d'.Autnche; — et le sujet revolte se jeta dans les bras de I'eti anger. Allie ii Charles de Lorraine, !\L le Prince chassc Tu- renne de son campde Villeneuve Saint-Georges, et s'em- pare de Chiileau-Porcien, de Rhetel, de Mouzon, de Saint-Menehould, de Ligny, de Bar-leduc, de Void etde Commercy. II est nomme generalissime des armees d Es- pagne. — Les troupes royales lui roprennent le Barrois, et une partie de la Champagne. — L'archiduc lui accorde des secours, mais la lenteur et I'hesitation des generaux places sous ses ordres compromettent gravement ses in- ter6ts. La Bourgogne et la Guienne lui sont a peu pres ■enlevees, et Mazarin en plein conseil le fait declarer traitre et prive de ses biens, de ses honneurs et du droit desuc- ceder a la couronne. Battu par Turenne dans les plaines de Picardie, Conde se retire a Cambrai, apr6s avoir op6r6 une glorieuse et savante rctraite. — L'armee du roi s'empare du Quesnoy et ravage le Hainaut. — 11 la chasse de cette province, mais il eprouve des revers dans les plaines de Buuchain. L'Espagne nomme don Juan d'Autriche general de ses armees. — Turenne invcslit Valenciennes ; — M. le Prince d6livre cette ville ct bat completcraent les Franjais, qu'il poursuit jusqu'en Artois. A la lete de qualre niille ca- valiers, il defiit qualorze miUe paysans attroupiis clans le.s Pays-Bas et s'empare de Saint-Guillain. — Au milieu des travaux de la guerre, il trouve le temps d'aecui illir le roi Charles II detrone par Cromwell, et rend hommagc h sa noble misere. — II se porte ensuite sur Candirai, as- sicge par Turenne, et le debusque; — mais il perd Mont- medy, par la negligence de ses subalternes. Comnie le diii d'Yurk, (|ui suivait le roi d'Angleterre , lui lemoignail sa surprise ace sujet : — Ah! vous ne connaissez pas les Espagnols, lui repondit Conde ; pour voir des fautes a la guerre, c'est avec eux qu'il faut la faire! — Les sucto de Turenne conlinuent par la prise de Saint- Venanl et cie Mardick ; il met enlin le siege devant Dunker'fue. — Cond(5 et don .luan d'.4utriche s'avancent vers cette ville ; ce dernier propose de s'engager dans les dunes el de presenter le combat. Le prince .s'y oppose do toules ses forces, maisvoyant que don Juan ne tenait aucun compte deses remontranccs, il demande au due de Glocester s'ii a jamais vu de batailles. — Non, repond le jeune homme. — Eh bien , jioursuit-il , vous allez en voir perdre une sous une demi-lieure. — Comme il I'avait pr(?dit, les Espagnols furent repousses, et cclle defaite entraina la prise de Dunkerque, de Bergues, de Furneset de Dun- dermonde. — Don Juan seretira kla suite de cet echec, apres avoir disperse .son armee dans les |ilaces de la Flan- dre. — Les troupes royaless'emparerentaussilotde Gra- \elines, d'Oudenarde, de Menin et d Ypres. — Le nil d'Espagne, Phili[ipe IV, se rcsolut enfin a propoter la paix. Elle fut debattue dans les conferences de Tile des Fai- sans, entre Mazarin et don Luis do Haro. — Pendant que le piince, si vivement iiiteresse a la question, en atten- dait Tissue, des anibassadeurs lui vinrent offrir le tr6ne do Pologne, qu'il ne voulut point accepter sans le conseii- tement de son souver.iin. Lb trail(5 des Pyrenees, en pacifiant I'Espagne cl la France, remit Conde en possession de tous ses biens et de tous ses litres. II fut recu par la cour et par le loi avec la bienveillance la plus affectueuse, et la satisfait.on qu'il en ressenlait ne lui permit pas de refuser I'ai'colade de Mazarin. Ici so terniine I'liisloire de la rebellion de cc granil homme. La murt du caiilinSI minislre, airivee quelqne temps apres sa rentreeii Paris, fut le conible des bienfails celestes et le debarrassa de son plus cruel ennemi. IV. Nous voici arrives a la dernii;re phase de ['existence du vainqueur de Rocroi. Son esprit aventureux s'accordait. tout il fait avec I'amour des conquf'tes qui devorait Louis XIV, et le jeune roi s'entendit a merveille a\ee le vieux general. En 1607, M. le Prince, depuis quelques annees dans I'lnaction, forma le projet de .souir.ellre laFranche-Comle el le presenta ii Louvois, qui I'appuya vivement. II pailit au commencement de 1668 et s'empara de Besancon, de Salins et de Dole. II Iraversait les champs de bataille et s'aventuraitdansia mt^lee, conduisantson fils par la main el lui expliquant la tactique niililaire. Noble ettouchani spectacle qui monlre comment on pent unir au plusma!e LE GRAND C0ND£. 2il courage Ics plus tendres sentiments de la nature. — En (juatorze jours, la conquete fut lerrainee et Condi' nomme guuverneur de la pro'^ince qu'il avail soumise. A cette epoque, la couronne de I'olo;;ne lui fut offtrte Jenouveau; mais, surl'ordredu roi, il la refusa, sacri- liant son ambition aux devoirs de I'obeissance. — C'est vers ce temps qu'il se sepnra puljliqucnient de madarae Je Conde, niece de Richelieu, p(iur laquelle il avait lou- jour:^ ^prouve une aversion insurmontable. Louis XIV, se plaisnant un jour des outrages de la llollande et cherchant le moyen de la punir : — Je n'en connais qu'un, sire, lui dit Conde, c'est de la sounietlre. — I! n'en falUit pa« davantage et la guerre fut resolue. — On se mit en maiche a la tfile de cent dix mille liommes. — Pendant que le roi et Turenne agissent de leur cole, Conde prend Wesel, rcprime la revolle des Suisses, et s'lnqiare successivement d'Emmerick, d'Hults, deDorkel, d'Huessel et de Rees. — Le prince d'Orange defen lait rissel. Pendant qu'on I'DCcupe par des escarmouches, Conde ordonne le passage du Rhin, et cette habile ma- noeuvre est couronn^e de succes. Le heros recoil a celle occasion une balle dans le poignet ; cette blessure I'oblige a abandoifner le commandement et ii subir une retraite niomentanee. Mais les prospcrites de la Fiance nous suscitcrent de nombreux ennemis, et les frontieres furent envahies. — Le piiiice, encore souffrant, vole k la defense de sapatrie, ravage I'ilectorat de Treves, et fait lever le siege de Charleroi. II ouvrit la rampagne de 1(373 en parcourant la Hol- lande, qu'il 6tait charge de conlenir ; la negligence du mi- nislre Louvois le placa dans une situation critique, et ce ne fut qu'a I'aide de savanets manoeuvres qu'il echappa aux coups du prince d'Orange. La Franche-C :mte, qu'un traite de pais avait remise a I'Espagne, redevint I'objet de la convoitise du roi de France. En 1674, ce prince marclie a sa conquete; — Conde occupe les Pays-Bas et opere devant les Imperiaux Ctitidti a ClianliilT. sa jonction avec le marechal de Bellefonds. — Le prince d'Orange rassemble les allies et les decide a aitaquer le grand capilaine, qui avait pris position pres de Charleroi. ■Le II aoiit, les ennemis presenlent la bataiUe; les Francais les prenncnt en (lane, et les lailleut en pieces en leur enlevant cent cinq elendards.— On raconle nean- moinsqueles Hollandaischaiiterenl un TeOcumalaHaye, s'attribuant qnand mime I'honneurde la victoire. Apres avoir fait lever le siege d'Oudenarde, le prince rotourna a la cour de Versailles pour rendre ses respects a Louis XIV; mais comme la goulte ei les rhumatismes le retarJaicnl et qu'il voulait s'en e.vcuscr aupres de lui: — lion cousin, repondit le roi, ne vous pre^sez pas; quand on est aussi charge de. lauricrs que vous I'eles, il est tout simple que Ton ail de la peine a marcher. . En 1673, le grand Conde partit poursa derniere cam- pagne a la IJle de soixante mille hommes. — Ilenlredan^ les Pays-Bas, s'cmpare de Tirlemont et de Saint-Tron, bat les allifo sur tous les p .ints, ct piedit par ce mot la II. destlnee deCrequi, qui venait d'etre defait a Consarbruck : — II ne lui manquait que d'etre battu pour dtre un grand capilaine. — II entre enfin en Alsace et prend position en face de Montecuculli apres I'avoir oblige a lever le siege d'Hagueneau. — L'ennemi repasse leRhin, et Jl. le Prince rcntre a Paris, apres avoir ravage leBrisgau. Conde ne reprit plus les amies.— Ici se lermine la bril- lante carriijre qui le place au rang des plus grands capi- taines connus, et assure a son nom une immortalite glu- rieuse. — .^pres avoir quelque temps aide deses conseils I'inexpericnce du monarque, il abandonna tout h fuit la cour et se retira a Chantilly. Cet asile champetre deviul le rendez-vous des hommes les plus remarquables du temps. — D'Estrade, Barillon, Polignac, Bouclierat, Le N6tre, Bossuet, Bourdaloue, Labruyere, La Rochefou- cault, Boileau, Racine, Sanleuil, Lafare, mesdames de Scudery et de Lafayette y avaient leurs grandcs entrees. L'csprit du prince, naturellement vif, se perm'ettait quelquefois I'epigramme. — Comme un grimaud vint un 16 242 PETITS VOYAGES joui' lui presenter I'l'-niUiDhe (!e Muliere : « All ! mon ami, lui dil-il, je I'avouerai lianclieme.it que i'ainiciais bien mieux que Muliere rae pieseiitiU la tienne! » A soixanle-quatre ans, Ic vicux s;enci'al, trop longlcmps oublieux dcs devoirs (le la religion, modifia ses principes etimbrassa a\ec fermete la pratique de ses croyances. Vers la fin de 1686, il seutit a la faiblesse de scsoiganes qu'il allait bienlot quitter la terre. — Comme le pere Ber- gier rassislait et I'eiigageait a pardonncr a ses ennemis : • All! pourqiioi me parlez-vous de pardon? lui dil-il. Vous savez que je n'ai jamais conserve le plus li'ger res- sentiment cojilre personue. » Le due d'Eni;Iiien eiitre et sejelte dans ses bras. « Mon cher fils, lui dil-il, vous n'a- vez plus de pere! » Le 11 deeembre, ii midi, il rendit le dernier soupir". Louis XIV, en apprenant cette funesle nouvelle, s'e- cria : « J'ai perdu le plus grand lionime de me.-ifilats ! - Et Bossuet le lepeta dans uu paneg; rique celebre. C'est ainsi ([ue niourut le grand I'.onde.ce guerrier il- lustie qui fut, d'apres I'expression du pliilosoplie de Eeincy, l'.iIi[i;u (Ii; SOI) iiiuih'i:. tiABillKI. RlcilABD. PETITS m\m m m iiniEiiEs pe fr.\\'ce. LA SEINE, SES BOUDS ET SES SOUVENIRS. (suite.] Ui;e foule de souvenirs bistoriques el illustres out dej;i accompagne la Seine jusqu'ii Paris; une fuis parveuue ii celte immense cite, elle reveille parlout de nouvelles idees, de nouvelles impressions. Tout en traversant le centre de noire capitale, le fleuve se divise en deux bras pour eiivelopper trois ties, voisines les unes des aulres; ces trois lies ont ete leduites il deux depuis que le bras qui separait I'lle I.ouviers du quai de I'Arsenal a cte conible. Plus de vingt pouts, presqiie tons d'une admirable conslruction , font comiiiuniquec ces quartiers dont la population est immense. Les arches de quelquesuns d'entrc eux lie sont plus sunliargees de ces maisons golbiques dont les Iwhitiinls vivaieni au mi- lieu d'inressants dangers. C'est Louis XVI qui a com- mence cette destruction si utile; il.fil d'abord demoUr les bicoquesdonl le pont Marie etait encombre; le pout Saint-Michel vit disparaiire, en 1811 , ses deinieres mai- sons. Depuis le jardin du Roi jusqu'au champ de .Mars, on comple quarante-neuf quaisspacieux, ombrages pros- que tons darhres nouvellemenl plautes; les quais se prolongent sur les bonis du fleuve dont ils emprisonnent les eaux pendant deux lieues , et dont ils encaisseut le lit. La Seine baigiie les pieils d'une foule de monuments que nous ne decrirons pas niinutieusement ; tons les In- dioateiirs rcgorgent de ces descriptions. Neanmoins nous allons jeler un regard en arricre et fuuiller un peu I'his- toire de la grande ville pour y relrouver I'origine des changements qu'elle a subis, et y relire les evenements imporlauts dont le fleuve qui la traverse a ete le te- moin. Ce qu'on nppelail le vioux Paris comprenait, au moyen age, trois quartiers bien distincls : au nord la viile, au centre la Gite, et au sud de la Seine rUuiversite. L'en- ceintc des murs commencait h la hauteur du canal de rOurcq, au-de.s.sous du pont d'Aiistcrlitz. A droito, le llcuve laissait ei hopper un embranchemont qui aflluait dans les fosses de la ville, et venait ba:gncr les murs de ^ Ba-lille. Ce lugubre edifice, eleve pendant le legne de .wiailes V, par ie prevot des maichands Aubriut, fut le tbeitre dcvenemenlsreniarquablesou sanglanfs; sa plus- graude celeliril* et sa ruiiie appartiennent h I'bistoire de notre premiere revolution. 11 y a dix ans, les fondations de cette ancienne fortc- resse, qui scr\it anssi de prison d'fital, cxistaicnt en- core; I'reil pouxait penetrer dans ces caves obscures oil s'accompliient des crimes nombreux que les exagerations et la cnyulite populaires ont su rendre encore plus af- i freux. Sur son emplacement s'est elevee la colonne de Juilk't et s'est ouveite une gare; cette gare, ainsi que le commenceinent du canal de I'Ourcq, ne sont que les an- ciens fosses du chateau. Un terrain assez etendu et inha- bite le separait de la ville ; ce terrain, appele Champ au Pl^tre, s'etendait de la rue Saint-Antoine a la riviere. L'an 1396, le due d'Orleans fit bJlir, au bout de ce champ, vers la rive du fleuve, un superbe hotel, achete plus lard par la ville, qui y logea son arlillerie. II fut emprunte h diverses reprises par Francois I"', qui y fit fondredes canons. Voyant couibien ces batimcntsetaient commodes, il finit par les conserver en depit des recla- mations des Parisions, qui ne manquaicnt pas de justice. Une parlie du jardin, celle du sud, etait occupee par le mail qu'on voyait se di'vclopper le long de la Seine dans la direction du quai Morland. A Tangle deceit paries fosses de Paris, se dressail la tour de Billy, semblable a la garde avancce de la Bas tille. En \r>3S elle fut detruile par le tonnerre. Sou, Charles IX les granges d'artillerie furent clles-mt^mes detruites par un terrible incendie. La poudri^re fit ex- plosion ; des pierres, lanc&'s dans les airs, retombiTent jusque dans le faubourg Saint Marceau ; dcs poissons, si Ton en croil la chronique, furent atteiiits dans la Seine et reparurent sans vie ii la surface de I'eau. On s'em- pressa, bien entendu, de faire letomber la cause de cet alfreux evenemeiil sur les huguenols. Ilebiiti sous le re- gne d'Henri III, i'Ar.senal fut, h parlir de ce moment, lai residence du grand maiire de I'arlillerie ; c'est en cettei qualile que Sully I'habitait. Les curicux ue manquent pas de vi.'iiler le cabinet oil ce grand niinisire recevaiti Henri IV. Les balimcnts furent uugmente- par le regent SUP. LES RIVIEUES 1)E ElUNCE. 243 c'est lui qui lour a donne la forme qu'ils onl actiiclle- nient ; nous nous garderons Liien de lui eji faire nulre compliment. L'Arsenal contient aujourd'lmi une biblio- tlieque donl dairies Nodier, get aimable penscur el ce charmant ecrivain, elait un des conservaleurs. C'est sous la regence que lo mail fut rcmplace par un quai large et vraiment ulile. N'oublions |ias de mi.'nlionner en cet endroil I'existence de ces vastes batinienls, construits par Napoleon, et coiinus aujouid'hui sons le nom duGrcnier d'abondance; construclions enonnes lesleessans but et sans deslina- tion, qui prouvcnt senloment combien les idees chan- gent en politique I'onime on econoniie. En I'jce du quai doiit nous parlous exislait, comnie nous I'avonsdil, une lie, nommee I'ile Louvicrs, couverle de clianlicrs, el qui s'est trouvee reunie a la lerrc ferine; le bras du lleuve qui laseparaitdu quai, el oil sejournaiontdes caux vertes el eroupissanlcs, a (ile comb e, ce qui a rendu a la ville un immense terrain qu'on n'a pus encore employe. L'Ai'senal louehail jadis au vaste et trop fameux liolel Saint-Paul, achete par Cliarles V, alors dauphin, pen- dant la caplivile de .lean, son perc; on tient a conscrver a ce prince le magnifiqne surnom de Sage, et cependanl il n'est pas de folies qu'il no fit pour embellir son nou- veau sejour, qu'il nomma I'llustct des grunda Esballe- tncnls. C'est la qu'lsabeau de lia\iere, d'odiouse momoire, termina ses jours dans la douleuc et dans les remord?, a ce qu'onl dil quelques chroniqueurs; reduile, par les in- sulles de la populace et des.lugiaiseux-meines, a pas.ser sesjournees loin des fenotres de son liutel, auxquelles tl lui etait inler.Jit de se raontrer, elle compril, mais trop lard, qu'un traitre est loujoursmeprise, et de ceux qu'il a veudus et de ceux qu'il a servis. Quand elle niourut, son corps fut descendu en secret dans une modeslc eni- barcatiun, et deux moines de Saint-Di'nis vinrent rece- Toirses depo'iiilles pii's du pout au Change. Non loin de Fhotel Saint-Paul s'elevait utie masse d'e- difices qui ne deparaienl nullemont ce dciTiier : nous voulons pailer des monumenis rebgieux de I'Ave^Mm'ia (celui-ci est aujourd'hui une caserne d'infaaterie), el de I'eghse Saiiit-Gervais, refaite au siecle deniier dans le plus alTrcux de totts les sljles. Ces edifices etaieiit miles a de magnifiques tiulelsaa nuuibrti desquels on distin- geait I'bdtet de Seus, habile par le cbancL-ber Diiprat, aujourd'hui envahi par une entreprise de roulage et re- convert d'uu bauiguoii aussi b'.anc que ridicule. Les rives du Henve out otl'ert pundant longlcmps en cet endroil une pente naturelle qui exposait frequem- nienl les quais et tout le quartier aux degats causes par les debordoniLUits ii I'epoque de la foiile des neiges ; nous avofis vu des baluaux, seul mo\en de circulation alors possible, sillonner bien souvunl les abords de ces rives si longlemps oubliocs. Apres plusieuis sie^des d'une ex- ■ perience deplorable, on s'est decide, il y a dix ou douze aiis, a elever ces terrains et a les proleger par d'admira- bles quais. Ensuite les regards du voyageur embrassaient la place oe Greve aux sanglanls souvenirs, oil les bourgeois do Paris eleverent, au qualorzieme sierle, leur hotel de ville. Jusque la ils n'avaient eu qu'un pai loir, on mai.son com- mune, dans la vullec de Misere oil se trouve I'ancien quai de la Ferraille. .A parlir de cette place, les bords de la Seine ne constituaieat encore, au commenceuient du legne de Louis XIV, qu'un terrain incline sur lequel s'oiivraient deux ignobles ruelles. souvent inondees, et oil se cacliaient des ecorclieries. On donna au marquis do Gevres la permission d'y elablir des maisons jusqu'a la premiere pile du pont Nutie-Dame et du ponl au Change, i In condition que ces construclions auraienl pour assises des voiiles percees par des arcades. C'est au milieu de ce pale repoussanl do g ;thiques dc- ineures que s'elevait le grand ChJilelet, fcrin,:iit I'enlree du pont au Change par si vasle et epoiivanlable masse. .\ la place de celle forleres.se se drcssail, au douzieme siecio, une tour de bois conslruile, dil-uii, par Jules Ce- sar, oil dcmeurait le pievoL de Paris, el oil Ton empri- sonnail les scelerats qui de\aient monler sur rechafaud it la Greve. C'est par une feriHre ce ce monument qu'on jcli dans la Seine Bois-Bouidon, I'amant u'Isabeau de Bavicre, apres ra\oir enferme dans un sac, sur lequel avail ele ecrile la foraiule judiciaire : Luii:cz passer lit justice dii mi. Ce qu'on appelait la Vallee de Misi-r.; coinnunCMit au Graud-Chalelet et allait aboulir au Louvre. Cuii\erl d'a- bord de marais, ce terrain fnt bienlot oicupr pjr des maisons; puis, sous Charles V, on se mil a cjiislruiro le quai de la Ferra-Hle ou de la Megisserie, alinquc le Lou- vre pill comniiiniquer avec le reste de la viHe. Pliilippe- Aiiguste s'etait fait balir, hors des murs d'enceinte, un cbaleau appete iwpara, donl on a fait le Luuvie. Celie deaieure, comme tons les chalenux d'alors, servail a la fois de residence, de forieresse et de prison. On y lint en- ferme pendant longlemps Feriand , comle de Flandre. Ce ifut, dans I'origine, un paraltelogramme ayanl ^ ses cijli's et il ses angles vingt trois lours reliees ensemble comme en faisceau. Une d'elleseta'.tappplee la tour de la Librairie ; Charles V y avail renni quelques iivres, et ce noyau a sirvi a fonder la bibliolheqiie Royale. On a demd'i sncee.ssivemeal les diverses parlies de ce vieux tfldvre poutr le reconstniire comme il est aujour- d'hui. Cos travaox comnienciirent sous Francois I"' et se conlinuerenl jusqu'a Louis XIV, qui avait coi;cu le proji t de rouiiir ce palais a celut des rtifleries. Ces travaux fu- rcnl abandonnt's a diverses rep is-s, mais Xapoleon les fit ponsser acthement ; espL-rons q ic dans pen d'annees tout .".era lermitie. C'est une ocdonnanrede Charles VI qui fait, poiirla pre- miere fois, menlioi des Tuileries; celle ordoniiance de- clare que les luei ies el ecorcheries devront eire Iranspor- lees au delii des fosses du Louvre, hois Paris, pres d'une fubrique de tuiles, nominee la Sablonniere, siluee on bord de I'eau. CenI ans apri;s, Nicolas de Nenfville de Ville- roy avait fait elever un petit chateau siir cet emplace- ment. Francois 1"' vouliit I'acheter el le donna k sa mere, Louise de Savoie, qui avait recon; u malsain le chilrau des Tournelles. Catherine de Medicis, trouvant cet holel au-de-ssous dune leine, le fit abaltre, et Ton comnienca il construire a sa place le chaleau des Tuileries. Dans I'origine, I'edifice etait separe du jardin par une rue; Lenotre bouleversa tout le plan des bosquets el du parterre; la rue disparul el on conslrnisit deux ler- rasses inagniliqiies, depuis la place ie.-i Bastions, siliiee aux porles du jardin, jusqu'anx alios du chateau. Si Ion sortail par la porle de la Confeience, qui s'ouvrait du ciile du quai el oil abouli.-sail lenreinle .«eplenlriunalede la ville, on enlrait dans le Coi;rs-la-Ueine ; celle proine- 2a PETITS VOYAGES nade fut pendant lon,;lcnips fprmeeaii public; c'est pour son agiemeiU personnel quo Maiie de Medicis I'avail fait planter. Deux lies sculement sunt comprises aujourd'hui dansle milieu dc la Seine et au centre dc Palis; jadis on en comptait six. L'ile Lonviers dependait aulrefois de I'hfitel Saint Paul, en face duquel ellc elait siluee; ombragee d'abord par dcs arbres magnifiqucs, ellc avail ete- plus lard occupi'e par des cliantiers de hois. Plus loin, on voyait l'ile auxVaclies, I'ameuse parses excellcnis palura- gesetscparec, par un petit bras du llcuvc, de I'lle Nolre- Dame, qui appartenait aux e\Sques de Paris. Henri IV avail concu le projet de joindre ces deux iles; ce fut Louis XIII qui I'executa, el lu terrain, nomme alors ile Saint-Louis, se couvrit en peu de temps d'ateliers, de mai- sons, et pril I'aspecl sous lequel nous le voyons aiijour- d'hui. Par le moycn de deux ponts, on elablit une com- munication de cetle ile avec les deux rives; im troisieaie pont, qui s'eleva a rextremite occideiilale, \int gagncr la Cite. Lo Grand-Ch,"ili L'ile de la Cite, plusetendue que les trois aulres, a ete, en quelque sorle, le berceau de Paris. .\ scs rues tortueu- ses el sales, on reconnait I'anlique Liilclia, la viUe de boue. La forme de la Cite represenle assez bicn celle d'un navire enfonce dans des sables el amarrc au bord par des ponis noml reux. C'est la probableinent I'oriiJSine du vaisscau que la ville dc Paris porle dans ses arnioi- ries. 11 y a trois siecles, la Cile offrait un bizarre a.specl. Celte masse cunipacle, sans quais ni place publique.iHait herissee de lours etde clocbcrs; la Cile a rcnfcrme jn.squ'a soixanle-dix-sept eglises ou chapelles; une population, trop nombreuse pour un si petit espace, y etouffait; la Seine y elait couverle de ponls, les ponls elaienl sur- cbarges de maisons, et le voisinage du lleuve etait seule- ment annonco par des exiialaisons infccles qui s'ccliap- paienl par de degoutanls abreuvoirs. A Test, on voyait I'llotcl-Dieu, la basilique de Notrc- Danie, el conime une gerbe de monuments religieux, donl la forct de clochers et de clochetons semblait onibiager l'ile entiere ; dans la parlie ocidenlale, on voyait Taiiti- quc palais habile succe^sivement par les rois Faineants, les comics de Paris et par les premiers princes de la dy- naslie Capclienne. En rendant le parlemenl sedentaire, Philippe le-Bel lui lit cadcau de la moilie de son palais; Charles V, lasse de rallluence des gens ii proof's, quilla ce sejour pour celui de I'holel Saint-Paul. Les plus \ieilles conslructions que Ton puisse reconnaitre encore aujour- SUK LES RIVIKRES DF. FRANCE. -2lo (I'liui, (Inns le paUiis dc Justice, renionlenl au roi Robert. A I'anglc lie la rue de la Barillerie et ilu pout au Cliani^e, selevc encore la tour oil Ion placa, en 1370, la premiere grosse liorloge qu'on aitvue a Paris. Au-dessus du lan- ternin se Irouvait, avant la revolution, la cloche du palais, qui ne sonnait que pour annoncer la naissance oula mort des rois et iles dauphins. Elle eut la trisle mission de donner le signal pour la Saint Bartlielenii. A une rerlaine distance se dressait latourde JIonl.:;om- mery, oii 1 infurtune gentiUiumme de ce noni alia e.\pier. dans une longue captivite, la mort qu'il avait invoIont.Ti- rement doiinee a Henri II; e'eot aussi la que Ua\aillac flit eiiferme avant son supplice. Derriere le palais de Justice, et dans une ile qu'un ca- na', creuse expres, separait de la Cite, se trouvaient Ics jardins oil les magistrals, apres de fuliganls Iravanx, ve- naicnt souvenl se reposcr. Le lerre-plein du ponl Nenl', cette langue de terre oil s'eliive la statue d'Henri IV, elait une lie habilee par des jiiifs et occupce par un moulin ()ui leur apparlcnait. AprCs leur e^pulrion du royaiinie :ij .. /.v-s^ Lc rcUl-CI-.ile par Philippe le Hardi, I'ile et le moiilin des jiiifs prirent le nom de Bussy ou de lilot du Pasteur. [Is s'ahinierent tons deux sous le terre-plein du pent Neuf quand Henri III, is la saison des basses eaiix, ordonna de rom- bler le bras du fleuve qui les sc'parait de lile du PaUiis, afin de commencer la construction du pont. Ces travaux furent interrompus pendant Ics giierresde la Ligue; on ne put les achever que vers la fin du ri^gne d'Henri IV, dont la statue fut erigee, qnelques annees .-ipres la mort de ce prince, sur le milieu du pont. C'cst non loin de lii quese trouvait la Samarilaine, dont nous avons parte. AvanH que le ponl Neuf existM, la Cite communiquait par le moyen de six ponts avec les autres quartiers de Paris. Au nord se trouvaille pontNotre-Dame, construit en bois d'abord, puis rebJlti en pierre il y a trois siecles. Le pont aux Changeursou au Change, et le pont aux .Meu- niers, venaient ensuite, si proches I'un de I'aulre, que, sous le ve^ne de Louis \HI, ils furent consumes par le mSme incendie. Le pont aux Meuniers ne fut pasrebiti, il etait devenu inutile depuis la construction du font Neuf, et il obstrua t d'ailleurs la naviyatiou a cause des ba- teaux de moulin amaires a ses arches. Au sud se Irouvait le punt aux Doubles, nom d'une petite monnaie donnee a cette i'poque comme pcage. Cc pont, nomnie aujour- d liui petil pont de IHotel-Dieu, a ete debarrasse, il y a quelques annees, des constructions dependantes de I'ho- pital, qui ne laissaient aux pietons qu'un passage fort etroit. Maintenant les voitures y circulent. 2(0 PKTITS VOYAGES Aii-'ie-sous rill fO'tl S linl-riii-rlcs ronslniit pour le service [Wi-liciilicr de rHcMi'I-Dieii, le Pelil-Pont abou- ti.«sait n la rne S;iinl-facqMe>: pniir nl'rr s'etvj:oiifrrcr sous le porclie entr'niiverl ct liicleiix du pelil CliAlclct. Depuis le Iroiziemesierlo il fill emporte tlouzc fois par les inon- dations, el doiizi' foisilfiit rcconslriiit. C'esten l72()(|u'on I'a rebSlirommcil csl aiijounl'lmi. Enfin, il y availlepont Saint-Michel, aii:si iiommi^ de I'antique cliapelie silu6e dans levoisinage.et oil Philippe Aii;j;nsle avail reculehap- t6me. Cclle chiipclle s'olevail a lanjle de la rue de la Barillerie, ('IfiitalialUif apiesic fam^>nx incendiede1776, (juand on voulul dej^agor el emhollir les abonls du Pa- lais. Mais nous n'avons encore rien dil de la rive gnurhc, oi'i nousallons fairo cependant, cii fails et souvenirs interes- sants, une nioissoii non moins ahondanle que sur la rive droite. De ce cole reiiccinle de Paris commonrait il In haiilcur de la rue des Kosscs-Saiiit Boinard et des Fosses-Saint- Victor, qui, commy Icur nom I'indiqup, etaient voisines dosremparls dela rnpilale. Sur le bord de la Seine, en face I'holel Saint-Paul et la forteresse Barbette, on voyait la Tournollc, qui defendait rentrcc dc la ville et piGtegeait la navigation du lleuve. Sur lennplar-emerl de la barriere qui s'y tronvait atiossce, Louis XIV avail fait edilier un arc dc Irinniplie analogue a celui dela porte Sainl-Denis, plus pelit seulenicni. Mais Ics arc, ides de ce monument, etroites et basses, elaient incommodes et qtielquefois mftme danp;ereuses pour les p'C'loiis ct Ics gens en voiture; Louis XVI prit le parti de le I'aire de- molir; neanmoins, I'usage s'est maintenu d'appeler porle Saint-Bernard remplarement de ret edifice. Un peu phis loin s? Ironvait la Tournclle des Bernar- dins, ou lour Saiul-Beinard, dent I'oiigine elait plus an- ciemie que celle du hord de I'eaii. C'ist la que commen- cait le quaidela Toaraclle,au boutduquel.verslarue des Grands-Degres, la pelite riviere dela Bievre .sejelait dans la Seine. Les moiucsdeSai II t-Virtor, qui vonlaientaniener cctte petite riviere dans riulerieur ie lour abbaye, avaient acliele ce droit au couvent dc Sainle-fJeneviovo, dont elle ■baignait les tones. Eii conslruisantud certain nnnibro de digues, ils deloiiv! erent la Bievre dc son lit; mais, par malheur, cetle \r tile ri\ icrc est sujelle a cies ini nAilions qui rendentson voi.sinaw f'llal ; o-n lui permit de revenir a son ancien lit, ct elle alia lepi'cndrcson embouchure au- des.sus de Piiris. Ce rnisscau, pen ciirsiderable d'aillcuis, n'cst impor- tant que parce qu'il met en mouveinent de nomhreuses usincsqui conslil;!cnl Ics re.ssources du faubourg S^iinl- Marcel. Parnii cis maiuifiiiniTS, la plus consideralile, coinme la plus renommeo, car sa cel.'britc est enropeennp, est celle ou s:" fabiiqiicnt cos niaeniriqnes tapisscriesdites tapis des Gobelins, nom que prend la Bii'vre en cet en- droit. Apres les lieux que nous venous dc diirrire, on tron- vait au bord de I'cau une grove oil Ton voyait, amonce- lees sans ordip, sans legularile, des maisons que les gros- ses eaux envabissaient a chaqiie instant, puisq'je rien nc les prntegenit, jii.squ'a I'mdroit oil Ics fond,!, inns des bltimenls de I'llol 'inicu ont re.«serre ce bras dc la Seine. Eiisuile s'elevail le petit Chi'itelet, au.s.si aneien que le grand. Ces deux monunien's, selon toiite probabilite, Etaient deux cbilcaux furts b<\lis sur cbacune des deux rives par les Romans ipriir pio'ifcr la file; en ne pouvait penctrerdans i'ilequo paries deux ponlsdoni ces forlercssesi'taicnt les gardes avanrccs. Pendant Ion. temps le petit Chfitelel fut une prison oil Ton renfermait lesga- leriens et oil logeail le prevol des man-hands ; on y payait un droit avant d'iiitriiduire n'imporle quelle deiiree dans Paris. Ce chateau elait moins vaste ct moins allieux h voir que le grand Chililelet, mais il eliiit encore plus in- commode; le seul chemin qu'il laissSt libre aux passants (5l3it line arca.'le ^Iroite et obscure, et qui devint tout a fiiit iuipralicablc pour les pielons quand Paris eiit vu les voitures se miilliplicr; aiissi, b la lin du dernier siecle I'avait-on abaltu. .\ parlir du pelit Cliidelet s'etendail le quai de la Glo- rietle, ronslniit par les galeriens renfermes dans cefort. OiilebMit pour donner un support aux fondations des batimcnis qu'on cleva plus tard enlre la Seine et la rue de la Iluclielle. On a dctruit une partie des maisons, et Ic quai s'est elargi en prenant le nom de Saint-Michel. Nous arrivoas ensnit;' au quai des Angnslins, le plus ancien de tons ceux (|ui .snient a Paris. Sous le r^gnedc saint Louis, cequai n'ctait pas autre chose qu'une petite place oil croissaient des sanies, et oil, pendant Tele, on voyait les bourgi-ois se promencr. Dans les aulressaisons cet endroit etait toujours faugeiix. Chaqiie hiver les mai- sons du voi-sinage etaient envahies par les inondalions, qui di'gra.laicnt leurs fondations et Ics mcnacaient tou- jours de mine. Ce fut par ordre de Philippe le Bel que flit conslruit le quai acliiellemeut exislant et qui c6tnyait le couvent de-; Augustins pour aboutir a la porte Dau- pliine. En fare de la rue Giienegand se Ironvait le chiitpaii Galllard, sur remplaccnient occupe aujourd'hui par la desrente II ne faul rien promeltre quo Ton ne veuille tenir » a d it la sagessedes nations. Lemoins ricbe desoncles fai- sait jnurnellement d'ameres meditationssiircettemaxime. ' Lui qui avait un comple oineit chez les fournisseurs de son beau frere, el qui ne fermail jamais ledit comple, pnuvait-il serieusement se livrcr Si I'achat d'une car- riole et d'un cheval de bois? Un homme d'iige pent s'en- detter cbez un tailleur, chez un marchand de tabac ; — mais chez un fabricant dejoujoux, quelle apparence ! Aussi avait-il cliercho d'ahord a etouffer le souvenir de sa promesse. far malheur, son malicieux ennemi , M. de Cogne-Fetu ne I'avait pas soulTert, et cbaque fois qu'ils passaieut ensemble devant un etalage il ne man- quait jamais de lui crier d'une voir pcrcante : . — Ell bien I Frejus, et ce cheval de bois? et cette car- riole'?... Le plus sourd des oncles entamait aussildt une disser- lalion snr lagriculture coniparee. Mais si son terrible adversaire le poussait ^ bout : — Soil, disait-il, je ne d mande pas mieux que de faire les frais de ce vehicule enfanlin. Pourtant, nion reveu connait-il bien encore la valeur deschoses, et nioi m6me devais-je lui faire ce present avant quatre ans revolus? — Quatre ans? vous avez dit trois. — Point du lout. — Vous avez memc dit deux. J'en suis sur, ne repli- quez pas. Mais vous n'avez rien dans ISuie! Vous riez des devoirs les plus sacres. Vous verricz votre fdleul, au fort de I'hiver, courant par les chemins, — nu, pieds nus ! que vous ne quitteriez pas pour lui voire enveloppe mar- ron. Que dis-je ? vous lui oteriez le pain de la bouche !... Allez, Frejus, vousetcs un niechant hommc. Tenez,vous me failcs horreur !... Et le plus conspne des oncles n'osait repliquer h ces viulentes philippiques. Enfin, il s'arma de resolution. II sorlil un matin ( t peneira dans diverses boutiques, afin de se fixer sur le prix des equipages de carton. 11 les examinait longucmenl, sous tuules les faces, s'en faisait expliquer le mecanisme ; el, lorsque le marchand, apres avoir cole rarticle, attendait obsecpiieusementsa rejionse, — il ouvrail sa labaticre, bumail une large prise et sor- tait silencieusement. On conrail apres lui, — il prcssait le pas. Un commis t'appela melon. II ne se delourna pas, il aimait ce legume. Pendant une semaine, il poursuivit ses peregrinations i travers les magasins de jouels d'enliants, A la fin, sans en rien dire a personne, on 1« vit s'en- firmer dans son appartement. Qnand il en sortit, son re- gard etait gros de my.steres, ses paroles Irahissaient une preoccupation evidenle. Ce manege dura trois jours, — pendant lesqnels lepluS discret des oncles ne cessa de se barricader chez lui. On I'epia. [IE M. DE C I.e premier joiir, on cnlendil le bruit d'unescie. Le second jour, on distingua le son d'un marleau. Le Iroisieme jour, on senlit rodeiir de la peinture. .M:iis il ful impossible de ricn voir, — les Irons de Idules les serriires ayant etc liermetiipiement boufhes. Eiifin le soir du qualriemo jour, le plus triomphant il<>s oneles olTriten grandc pompo, a son filleiil Mauloire, — un cliariol, — iin veritable chariot, aver roues, bran- rard el lout ce qui s'ensnil. In cliariol qu'il aviiit fabriquc — lui-meme. Un beau cliariol, vraimeni! Le jeune (loyne-Felu ne put s"enip''cher de faire ecla- ter sa joic, et cassa plusienrs assicttcs a celle occasion. Puis, il s'cmpara de Toulou, le chat de la rnaison, et I'allela de vive force au petit carros inais ilsse prirerit p;ir lu bras el dovinreiit iiisfparablcs Sanclie etait un trfes-bon enfant, d'une famille aisee et respeclable. II etait, non pas I'oppose de son nouvel ami, mais son edition revue et corrigee. II savait conime lui de temps en temps jcter son cliapeau par-dessus Ics mou- lins et faire au besoin du bruit comme quatre; — mais il reflei-liissait qiielquefois, et avaiit de saiiter le; fosses il nViait pas rare de le voir s'cnqu^rir de leur largour afin de no point se rompre le cou. Deja sa prudence et sa laison commencaicnt a exeroer une influence saliilaire sur Cogne-Fetu, — lorsqu'un nou- veau venu peni'tra dans leur classe et atlira bienl6l tous Ifs regards. C'clailTitube. Titube, — vousn'enconnaissezpasd'autre, — etait le plus intrcpiJe loiislic du pensionnat, la personnification du ta- page, de I'espieglerie et de la faini!antise; — la niche in- carnee, le complol en chair et en os. II jonglait h trois et fabriquait des cocottes les yeiix fermes. II etait le |rlus fort k tous les jeux et lo raisonneur le plus impertiirha- ble qui se pit voir de neuvieme en scconde, depuis I'Zi- pilome jusqu' aux harangues de Cicejon. Aussi ne I'a- bordait on qu'avecces paroles sacrameutellcs : . Titube! fais-nous rire. • La diversile de ses talents frappa d'admiration no!re heros, qui se prit d'abord a lourner autour de lui avec une avide euriosite. Titube s'en apercut, et se proposa d'en faire son second, son acolyte, son claqueur en chef. Mais Cogne-Ketu ne tarda pas a lui montrer qu'il etait digne de figurer au premier plan, et il le depassa meme dans plusieurs circonstances. Mors Titube lui olTiit son amitie, — et le ciiur de Clotaire se trouva des lors par- Iag6 entre Sanche et Titube, c"est-a-dire, entre I'etude et la dissipation. Profoud symbole ! Per plexites dc Traqiipiiarfl. — le jcuiie Cosiie-FOlii recoil diicrses roiileos. Le caractere du jeune ecolier ne laissait pas que de surprendre un peu ses maitres. Des qu'une nouvolle etude lui etait propos^e, il I'enibrjssait immediatenicnt avec tant d'ardeur, qu'il faisaitd'incroyablcs progres, et lais- sait bieu loin derriere lui la totalile de ses condisciplcs. — Mais, au bout de quelques semaines, cette ferveur toni- bait d'elle-mfime, et I'ouvrage 6tait abandonniS pour un caprice imprevu ou quelque travail nouveau. En se con- duisant de la sorte, il etait clair qu'il ne pouvait acquerir de solides connaissances, — et e'est ce que Traquenard, excellent homme du reste, lui representait oordialement. Clotaire s'armait alors d'une ferme resolution, — qui pouvait durer de vingt-quatre rr f — Qu'est-C3 que ceta fail"? L'ile est a moi, done le pccroqiiet m'appartii'nt. Mange le penoquel. — .le' n'aiiiie pas le perroquet cm. — .Mors fai»-le caLre. — Avec quoi ? — Imbecile! avec du feu. — Ou est le feu ? — Puisque tu fais Vendredi , tu devrais le savoir. I'rends deu,\ morceaux de bois. — Les voila. — Frotte. — Ell bii'n! quoi? dit Titube en I'roltaut. — Frotte toujours — et lougtemps. Us finiront par s'en- tlammer. — Ah ! ma foi ; j'y renonce, dit Vendredi, apies s'(5tre livrc pendant un quart d'heure a cct e.xeicice. — A la guerre conime a la guerre! Donne-moi du pain d'epice. — II n'y en a plus, dit Robinson, la boucUe pleii.e. — Comment! tu as tout mange '! — Tu n'en as pas voulu. — Sans boireV — Le fait est que la soif me de\ore. II s'avanca vers le fosse pour se desallerer. Mais quel- ques grenouiUes elfrayees par son approclie, du gazoitoii ellesetaient recueillios s'clancerent la tile premiere dans I'eau xerte, qui se referma sitr elles en boudlonnant. Ce tableau champetre le fit reculer de deux ou trois pas, — et il ne put se resoudre ii elancher sa soif dans nn li(|i;ide aussi habite. Le soleil tombait sous I'liorizon. Le vi ut fraicliissait, el le ciel assombri commencait a se piipier d'uii million d'elincelles. — Le gosier en feu etl'espnt decourage.Co- gne-Fetu ecoutait dun air contril les jeivniiades dc Ti- tube, qui criait famine et ne pouvait envi.-ager .sans effioi I'idee de passer la nuit sur un arbre. Dans le cceur de.'' deux coupahles se glissait dejii le rrpentir. Et Clotairc . saisi.ssant tout ii coup le \ olume tie Robinson Crusoe, le lan- fa avec colere dans le fosse, (4 ildis[iarntenuiiclind'oeil. En ce moment, un bruit de pas et do voix se fit en- leiidre derrieie la haie. — Alerle! alerle! s'eciia Tilub;', cesoni lescannibalesl — Defendons nous! dit Cognc-Velu. Mais avant qii'ils eussent le temps de .'•e leconnaitie, ils se sentirentvigoureu.'sementempoignes par (|uatie bras robusles, orncs du paremeiitsjaunes. Us rSvaient de cara'ibes, — c'etaieat des gendai m. s qu'ils avaient .sous les yeux. 0 civilisation! voila de les coups! Malgre leurs larmes el leurs supplicalions, force leur fut de suivre les represenlanls de la loi. Heureusement qu'4 moitie chemin ils renconticront Pierre le jardinier, qui, se portant caution poureir , obtintle^.rdeliMance el les ramenaau chJieau. Titube etCogiie-Felu nese le Brent pas dire deux fois et revinrenta grands pa.'^,run pour man- ger, I'autre pour boire, — et tous lej deux pour dorniir. Le lendemain, ils furent leconduils a la pi'nsion, ou leurs camarades les roiisidererent avec un profond eba- hissement. Clolaire sentit son creur se sorrcr au regard de reproche que lui adressa Saiiche. — Le directeur les lit appeler, et sans autre forme de pro es les cundaniua a huit jours de cacliot. Chaque cacliot etait une petile cbambre niie, dont la fenetie, soigneusement grillee, donnaitii une grande hau- teur sur la coiir des recreations. S.mf quelques gamins ignoi'ants du ."-espect que Lon doit ii riiifoitune, la pUi- partde leurscondisciplesplai.:;nirent leur. sort mallieiireux oladmirerentla resignation heroiiiUL'ipie uuntraient da: s les fers ces deux illuslrcs voyagenrs. CllAllLEr .MO.NSELET. LANE. 253 HISTOIRE NATURELLE. I.'ASrE. On a loiiglcmps discule la qiieslioii de savoir si l'4ne est de la meme famiUe (|uo le clieval. Buironliii-mi'nie, aprcsl'avoirassczlongiiement agitee, est conduit a conclure que I'ane est uiie espece bien dis- liiitte el lion un clieval de^enere. En elTet il differe essen- tiellement de cet animal par la taiUe qui est plus petite, la tetoqiiiesl plus grosse, les ore i lies qui sont plus longues; d'ailleuis il est plus patient, moins Tier, moins ardeni, nioins impetueux, mais aussi plus obstine. II cxis'e encore enlre ces deux esperes d'animaux des diiriTences plus tranchees. Le clieval hennit etl'Ane brait; tout leiuonde connait cecri aigre, discordant, passant du grave il I'aigu sans la moindre transition, it qui pour nos Orcilles est excessiveinent desagreable. L'ine cependant paraits'ycomplaire, ct lorsque levant .e museau et rabat- laiit en aniere ses longues oreilles, il rrpete ce cri, il SL'iiible le faire avec complaisance et s'i5couter. Ain-i que lebueuf, I'ine neboitque I'eau la plusclaire; on a pnHendu qu'il n'enfoncait pas son ncz dans I'eau, paice qu'il avait peur de ses oreilles; c'esl encore 1^ un conte fait a plaisir et adopte avec empressenient comme lout ce qui est absurde ; le fait est qu'il craindrait en enl'oncant son museau de troubler I'eau de la fontaine oil du ruisseau oil il se desSltere. Sa sobriete est aussi proverbiale que son obstination, il se contenle de la nouirilure la plus grossiere et mange avec phiisir des cliarduiis; ce que le chcval se garde bieu de faire, car U clioisit nii5me I'hcrbe la plus tendre et la plus delicate des palurages. Lesines ont ele calomnies, et c'est a tort qu'on Icsre- prc'sente conime des animaux slupides; ils son! au con- traire douesd'une intelligence assez developpeeetsuscep- tiblesd'altachcmentpour le maitre qui les trade avec dou- ceur. Ce qui, par nialhcur, arrive rarement pour e x comme pour le clieval. Lorsqu'on volt un ane se rouler surle gazon ou la fou- gere, meme quand il est charge dequelqucs olijels, on est dispose il altnbuercetaclea la stupiditiSde son caraclere, tandis qu'il ne le fait en realite que parce qu'on r;cg'ige de I'elriller et de le mener a 1 abrcuvoir comme Ics clie- vaux. II supplee done comme il le pent au manque de st ins de son maitre. C'est lesouffredouleurde la ferine et du nionliii, oil il rend crpendantles plusulilos services. Plusieuis fois nolic grand I'abuliste a laisse percer dans ses ingenienx apo- logues ce qu'il pensait du caractore de I'ane, et il a par- faitement dislingue la dilfcrence qui existe enlre I'ineplie et la bonte jointe ii trop de candeur. Qui ne s'cst intvressi- au pauvre line des Jn/Mi.(i;,rma/«(Zps deUi pcsic, lorsque: I'll loup, qnjliiiie pen cleir, pniiira jijr »a lnr.ini;iii; Qu'il fallail dcVdUtir cc nuudit animal, Ce pele, cc falciK, cause de IimiI le m.tl. Tou'tes proportions de taille garddcs, I'ane possede au- tant de force musculaire que le cheval; il a I'oeil boii, I'ndo- asfl L'ANE. rat excellent et I'ouYe d'une extreme delicatosse, ce que la conformation de ses oreillcsexplique parfaitement. Unede scs qualiles les plus remar(|uables, c'est d'avoir le pied tres-sur, de ne pas broncher et do passer fans hesiter dans deschemins bordesde precipices oil un cheval ne se hasar- derail pas. Cetle faculte existe aussi chcz le mulct, produit de line et de la jumcnt, qui possede d'excel- lentes qualiles pour le transport des fardcaux , lequel toutefois ne peut se reproduire : preuve que le cheval et I'Ane sont deuxespeces bien distinctes. Les cines originaires de I'Arabie sont d'une taille beaucoup plus grande que dans nos climats; lis ont plus de liertc, marclient la tJte haute et ne sunt pas sans grace dans leurs allures. Cela pro\ient sans doute de ce que les pays chauds leursont favorables et de ce que les Arabes, les ligyptiens ct d'autres peuples pasteurs les traitcnt avec douceur, les soignt'nt bien et ne les excedent pas comme le font beaucoup de paysans en Europe. Le voyageur Chardin dit : ■ II y a deux series d'ines • en Perse : lesancs du pays, qui soul lenls et pcsanls, et . dont on ne se sert que pour porter des fardcaux ; el une " race d anes d'.4rabie, qui sonl de fort jolics betes et les « premiers Jines du monde : ils ont le poll poli, la t^te c. haule, les pieds legers; ils les levent avec action, niar- < chant bien, et Ton ne s'en sert que pour monlure. Les « selles qu'on leur met sont comme des bals ronds et " plals par-dessus; elles sont de drap ou de tapisserie « avec les harnais ou lesetriers ; on s'assied dessus, plus « vers la croupe que vers le cou. • Nous avons vu des peintres qui, voulant representer I'entree du Christ a Jerusalem, le peignaient monte sur un iiiie.chetif animal, la tete et I'oreille basse. C'eUit un veritable anachronisme de lieu; carl'ane de .ludce est un animal qui ne manque ni de lieite ni de distinction. C'csl en comni^moralion de cette cntriie soleunells ct de la fuile en fegyple, que nos bons aieux instituereiit la I'ete de I'Ane, qui se celebrait avec une naivete digne de la fete des Fous, dont elle faisait partic, assemblage gro- tesque di: chosps sacrces et boulTunnes. L'i:ie qui avail porte le Christ, disail la tradition, a\ant fui la Judce, passa la mer comme sur un pout, a pied sec, vint prendre terre a Aquilfe, ct mourut a Verone, oil la Kle de I'Ane fut etablie. — Dans quelques villes on con- duisait h. I'eglise un ano revStu d'une chape et d'un sur- plis; dans d'autres, comme Beauvais et Autun, une jeune fdie belle etbienapparentee, vetue des plus beaux a tours, elait montee sur un ane richement caparaconne; elle lenait un joli enfant enlre ses bras, el le cortege, compose de prelals, prelres et habilants, musique en tele et bannieres deployees, parlant de la cathedrale, se rendait a I'e^hse designee. L'ane alors elait place du cole de I'e- vangile a I'aulel; on disait la inesse, et a certains endroils couunele Gloria, le Credo, etc., le priilre s'ecriait: hi liaiiJ hi han! Puis, lepeuple rcpelailen chcEur le miime cri. — La pro^e Je celle niesse fut composee par Pierre de Cor- beil, archevcque de Sens. Chaque strophe finissait ainsi : Hocz sire ajne, car clutilez Belle bouclie rcclii;;iiez; Ou aiiia du foiii ai,e£ £1 do I'avoine a planle (en abondiiice}. Ces fetes furcnt en vogue aux treizieme, qualorzieme et quinzieme siecles; elles elaienl suivics de folics inde- cenles, qui les firent condamner par les Peres el les con- ciles. La dcrniereenl lieu a la naissance de Louis XIV. II cxisle en Asie, depuis le Senegal jusqu'en Chine, des lines sauvages qui viventen troupes assez nombreuses el que les anciens nommaient onagres; ils sont vifs, le- xers ii la course, el ordinairemenl d'unerobe un pcu plus claire que I'Ane domeslique. Avant la conquiJle du nouveaumondeparles Espagnols on n'y connaissait pas plus les lines que les ohevaux; aujourd'hui ils y sont tres-mulllplies, surlout dans les conlrfcs les moinshabi lees de rAuieriquemeridionale, ou ils marchenl en troupes el repoussenl les autres anunaux qui cherchenla se meler parmi cux. Le lail d'Anesse est rcpulii comme un excellent spcci- fique dans certaines maladies, et ce remede elait connu des anciens Grecs; mais on I'avait complelemenl oublie, lorsqu'une circonslance vint le remellre en vogue. Fran- cois I"' se trouvait reduit a un etat de marasme et de langueur, suite des fatigues de la guerre et encore plus des exces auxquels il se livi ait. Toule la science des mede- cins elait impuissante pour conibattre ce mal qui mena- caitla vie du roi. Alors on lui appritqu'un jiiif de Con- stantinople, plus habile que les medecins de I'Occident, trailail avec succes ces maladies et ohlenait des gueri- sons merveilleuses. On fit venir ce medecin, qui ordoniia I'lisage du lail d'Anes.^e, re.iiede doux, qui, joint a un re- gime severe, renditauroi lasanlc; iln'en fallutpasdavan- tage pour meltre en honneur le medecin et le remede. L'exemple venail de haul, la mode s'en«nipara, et, de- puis cotte 6poque, on a toujours ordonne I'usage du lait d'Anes=e dans les maladies de poitrine et de langueur. Pour avoir ce lail de bonniu|ualile, ilfaulque Ifmesse soil jeune, saine, leiiue tres-prupre , nourrie de foin, d a- voine, d'orge el des herbages les plus elficaces a conibattre les funesles inlluences de lj maladie; il faul aussi eviter que le lail .se refroidisse et aulaiit que possible ne pas le laisserexposea Fair. Dans les giandcs villes, nous voyons des aniers conduire au pas de course des troupeaux d'inesses qui sont nourries de cianiere a produire la plus grande qiianlitfe mais non la meilleure qualile de lail, et qui, echauffees par de longs Irajets, remplissenl mal I'objet auquel on les destine. Un malade gueri par ce remede naturel temoigna sa reconnaissance par les vers sulvants que Ton a derniere- ment rajeunis : Par sa bniitO, par sa substance, D'une rincfse le l.iil m'a rendu la saute; Et je dois plus eu cette circonslance Alls ines qu'a la Faculte. La peau de I'ijno est tres-dure, serree et en nK'me lemps elasliquc; les Orienlaiix en font le sagri, que nous ncmmons chagrin ; on en fait aussi de tres-bonnes ta- blelles de portefeuiUe el d'excellenles peaux de lambour, car elle possede plus do sdcheresse et de sonorile que toutes les autres. Olivier LE Gall. Typographic Lalkampb Tils el L', rae Damiclle, 2. mm\m DES iiois. s---V,.---c s^i'j,t:^. SEFTEMBRE. r lus de flcurs ! — L'orange montre son enveloppe d'or pur, la grenade en s'ouvrant etale aux yeux de I'homme ses symetriques rangees de rubis, I'arbre dont la feuille fit le premier velement d'A- dam se cliargo de fruits, le noyer jette ses richesses sur la terre, et I'orme se dc- pouille de sa verdure au souffle inipetueux du vent, tandis que sur le ciel courent de blancs nuagos , etrange cohorts de corps vapeureux, se poursuivant et se heur- tant, parfois aigus et gigantesques, puis ronds et diss(5- mines en lacs de neige et d'azur I — C'en est fait de . r(5ti5 ; il passe, mais, a ses derniers instants, pour se faire regretter davantage, il nous doane, a de rares in- fervalles, quelques beaux jours avec un soleil si doux qu'on croirait au retour du printenips. Le 'I" septembre , epoque ordinaire des vacances, est impatiemment attendu par les jeunes habitants du college. — Alors, la porte de fer s'ouvre. Ah ! comme on s'elance joyeux au-devant d'une tendre mirel heu- reuse de vos succ^s, elle s'empresse de compter vos couronnes et d'admirer les magnifiqucs volumes si bien disputes a maint camaradeet si bien remportespar vous, k son grand depit. — Alors, tout semble beau et nou- it. veau ; I'air de quelque province que cesoitestau moins un parfuni en comparaison de celui qu'on respirait na- guere ; les arbres du jardin paternel , fussent-ils souf- freteux et bienlot morts, deviennenl admirables des qu'on se rappelle ceux de la cour du college; les paves d'une rue, enfin, si Ton ne voit que cela, prennent quelque chose du jaspe et du porphyre. — 0 liberie ! ton prestige n'existe pas pour ceux qui te possedent toujours, et ceux que tu ne visites que rarenient te goCltentavec delices ; — ce serait a vous donner envie d'fitre prisonnier quel- que temps pour bien sentir, apres, les charmes d'etre libro ! Ce mois portait, chez les figyptiens, le nom de Pao- phi; chez les Grecs, celui de Broedomion : ces deux mots efaient, I'un et I'autre, une allegoric. Cost pendant I'^quinoxe que la mer se dechalne avec le plus de fureur. Combien de freles barques brisees par sa colore ou de vaisseaux engloulis dans son immensite ! Pauvres pecheurs! pauvres niatelols ! Les uns ont em- brasseleursenfants le matin, ilssont partis le coeur plein d'esperance, et le lendemain on n'a trouve que leur cada- vre sur la greve; les autres ont dit adieu b leurs vieux peres, et cet adieu est devenu eternel; pas memo une lombe pour eux, pas une petite croix noire, pas une fleur plantte sur levert mausolee par la famille en pleurs, on I'aniiti^ en deuil. Septembre etait le second mois de I'annee egyptienne, et le Iroisieme du calendrier des Grecs; chez ces der- niers, a cette Epoque, se celubraient lous les ans les petits 17 -2;;8 SAIN mystdrcs, et tous les cinq ans les grands myslferes A't. ■ leusis. Romulus lui assigna une autre place: il en fit le septieme uiois de son annee ; de la, cette designation nu- nierique de September, qui lui fut conservce par Ce.-ar. De nn>mc qu'ils avaient cliange le nom de Se.vlilis et de Quinlilis, le senat el los empereurslenlercnt pliisieurs fois de clnn^cr celui do Seplembcr. — Du nom de Tibere on le nomnia Tiberius, puis Germaniciis en I'lionneur de Domiliou qui avaitadople cesurnom; A)i(onimis,en me- moire d'Antonin Ic Pieux ; Hcreiiles, pour flatter Com- mode, qui aimait ii prendre le nom et la parure d'Uer- cule , enfin Tacilus, sous I'empirc de Tacite. — Ces dilTerenles tenlatives fuvent inutiles; le peuple remain avalten horreur les noms de lant de monslres cmironnes, et ce u'etait qu'ave.; degoiit qu'on se les rappelait. An- tonin seul, entre tous, meritait une exception; on re la lit pas, tandis que le Uirlie Octave, parvon-u, a force de politique, a faire oublier le triumvir, avait«u I'lionneur de placer son nom d'Auguste dans Ic calendrier. Que conclure de celte iaijuste preference, simon que In gloire se dislribue soQvent comme la fortuoe : — au hasard ? A Rome, septcmbre elait consacr6 i Vulcain, dieu dos forgerons, a qui le labourcur, duntrannee recommence, est redevable du soc et <}«s autres instruments necessaires ii I'agrlcuUure. De plus, il ramcnait tous les ans la ci5- rcmonie da clou sacre, que le grand preteur, mapstrat qui renilaitia justice, planlail au Capitole, dans le tem- ple de Mincrve. Home chi'clienne renouvelle cette ceremonie toutcs les fois que le pape fait I'ouverture de rannce sainte ou d'un jubile. (>l usage remonte a la plus haute antiquite. Pline nous enseigne que les Remains I'avaient rccu des pre- miers habitants de I'llalie, des Volsiniens, qui planlaient annuellement un clou dans le temple de la deosse Norlia. On pourrait supposer que ce clou etait fait, dans son ori- gine, pour marquer le nombre des annces, d'autant plus que plusieurs nations plucaient a I'equinoxe d'automne la T UEMI. creation de I'univers. Les Remains I'atteslaient eux-m6- mes, puisqu'au 23 de septembre ils celebraient la lete de Venus generatrice, de Venus, le symbole do la pui?sance qui cree. — Une autre observation, non moins curieuse, c'est que I'ancien calendrier de Rome marque, au 13 sep- tembre, le depart des birondelles, tandis que dans nos contrees, bicn plus froides que I'ltalie, nous voyons cos oiseaux plus tardifs a partir. Ils ne s'eloigneut de Franco que vers la fin do septembre. On a souvent revoque en doute ce fait de I'emigratioii des hiiondelles, et parmi les naluralistes modernes deux opinions tout ii fait contraires, eniises par les anclens ecrivains, trouvent encore des partisans. Glaus Magnus crut avoir decouvert et s'empressa de conslaler quo ces insectivores passaient la saison rigoureuse dans un 61at dasphyxie au fond de I'cau des marais. L'hypothi'se du savant ^veque d'Upsal semble avoir ele parlagee par Linnceus et meme par Klein, dans sa dissertation de hi- bernaculis hirundinum ; Cuvierlui-menvo, dans son hi.s- toire du Begnt animal, dit, en parlant de rhirondelle : « tl parait certain que cet oiseou s'engourdit en biver, et pssse cet etat au fond de leau des marais. » Mais Mau- duyt, Spnllanrani et Natleres, onl proiive, par une espcrience dobservation, que cette hypothcse n'elait nullemont fond^. L'emigration des hii ondelles , tout iiK'xplicable qu'elle soit, est encore I'opinion qui compte )e plus de partisans en histoire naturelle. Septembre, enfin, voit recolter le sarrasin, espeoe de bl6 noir qui nourrit le pauvre de quelques provinces du Nord, et le niaVs, destine a engraisser le fin chapon du Maine. — .4pres avoir plante les fraisiers, ecussonne les jcunes p6chers et les amandiers, on recolte encore, pen- dant ce mois, un autre aliment du pauvre, la pomnie Je terre, vulgaire mais utde tuberculc que planta Parmen- tier. Andue TiioM.ts. L'EllTB DES mU Fil.WCUS. SAIETT HEUSr. Vers le milieu du rin- quieme siecle, les afi'aires de rfiglise se resscniaient dans les Gaules de la deca- dence de I'empire remain; mais la Providence, qui salt tirer le bien du miil par des lessor's inconnus a la prudence humaine, dispo- sait une eclalante revolu- tion, qui contribuit ega- lement ^ I'lionneur de la religion et ci la civilisation d'une des plus belles par- ties du globe terrestre. Pour crla elle se servit des Franrais, people belliqu'.ux qui se fixiit dans les Gaules apies de tongues excursions sur les bords du Rliin , et qui jclait ainsi le germe de la monarrliie francaisc. Renii, archev6que de Reims, fut le prin- cipal instrument de ce bienfait providentiel , et c'est avec raison que nous, enfants de ces vicux Gaulois et de ces braves Fracks , nous le venerons comme nolie apotre. De frequentes inondations jointes aux descentes des Rarbares avaient ravage le sol gaulois. Treves avait ete prise et saecagee plus d'une fois. Reims avait vu tousses habitants disperses par la fuite ou massacres par les Huns et les Vandales. Cette derniere ville, que saint Je- rome appelle une puissante cite, avait en ce tcmps-lii un saint evfque, nomme Nicaise. Ce bon pasleur, dans cette exiremile, n'abandonna pas son Iroupcau; il resolut, s'il ne pouvail le delendre, de mourir pour lui ou avec lui : il sut inspirer ci tout le monde le courage de mouiir pour SAINT REMI. Jesus-Clirist, el il y eut clans une seiile rue un tel car- nage, que tons ses habilanls furent egorges. De lii le nom de la rue des Martyrs que porlait cette rue. Baruch, suc- cesseur de saint Nicaise, recueillait avec peine les debris de celte eglise desolee, quand le Seigneur vint meltre un tefme a tant de maux par la naissance de saint Remi. Cel evenement eut quelque chose de miraculeux. Un so- litaire, nonirae Monlan, s'etail fait un lieu de retraite aux environs de Laon. Ce saint liomme elait aveu^le, mais dans celte epreuve, parfaitement soumis a la volonle de Dieu, sa charite le rendait plus sensible aux cala- mites publiques qu"a ses propres maux ; il ne cessail de conjurer le Seigneur, avec larmes, de se laisser enfin lou- chcr des miseres de son peuple. Un jour, entre autres, que dans la ferveur de son oraison il se plai^nait avec dou- leur de Tetat pitoyable oil se trouvait la religion dans les Gaules, il se sentit doucemcnt assoupi , et Dieu, qui, coranie on le voit dans les saintes ficritures, se commu- nique parfois dans les songes, lui fit connaitie pendant son sommeil le dcssein oil ii elait de souloger son peuple en lui envoyant un eveqne, nomme Remi, qui, devenu riionneurdelareligion.reduiraitla nation desFrancks sous le joug de i'Kvnngile ; que Cilinie etait de^tinee a metlre au monde ce nouvel apotre, etqu'ileut a Taller incessam- menl Irouver pour lui apprendre cette heureuse nouvelle. Cilinie elait une charitable dame qui habitait le cha- teau de Laon, elle servait Dieu de concert avec son epoiix Kmilius, seigneur de haute quality et de merite reconnu, ainsi que le dit Sidoine Apollinaire dans une leltre qu'il (5crit a Principe, d\«que de Soissons, cgale- ment fils d'Emilius et de Cilinie. Ces vcrtueux epoux etaient avances en 3ge lorsque Montan vint leur reveler la vision qu'il avail eue, et de meme que Sara, la femme d'Abraham, Cilinie se'prit a rire on refusant d'ajouter foi h une semblable nouvelle — Les cvenemenls juslifierent la prediclion ; au bout de neuf mois, elle mil un enfant au monde, et on le nomma Remi. Monlan ne fut pas le seul qui concourut aux desseins de Dieu sur Remi. Toule sa famillefut remplie des bene- dictions du ciel. On lui donna pour nourrice une femme nommee Batiamie. Celsin, fils de celte derniere, frere de lait et par la suite disciple de saint Remi , Principe son frere, Loup son neveu, Tun et Tautre ^veques de Sois- sons; sa m^re, Cilinie, sans parlor de son pere Emilius otaient d une rare verlu ; tons sonl reconnus parTEglise commo jouissant de la celeste beatitude. Los parents de Remi n'eurent rien plus a coeur que de .•seconder par leurs soins les vues que le ciel avail sur lui Ilsn epargnerent rien pour cela, elRemi, repondant par- laitement aux soins de ses parents, croissait en grke et ensagesse devant Dieu et devant les hommes. Ilincmar du que ses progr6s dans la vertu etaient relTet de la Mnctification qu'il avail recue des le venire de sa mere II s inslruisit dans les s-ciences et belles-lellres avec un succes qu'on ne pouvait atlendre de son jeune bge el pour prouver que son education fut soignee sous t'ous les rapporls, je crois devoir rappoler qu'il exisle encore des vers de sa facon. Son esprit naturel, la capacile qu'il avail acquise, sa douceur, la sainlete de ses mceurs, et enfin son extreme polilesse joinle a une sagesse extraor- dinaire, lu. gagnaienl I'oslime et l'amiti<5 de lous ceux qui avaient le bonheur de le connaltre. 239 Mais Remi ne se sonlait pas appelo a vivre pour le moiide. Docile aux impressions du Saint-Esprit il cher- cha dans la solitude ces celestes>olulpes qui 'vous 66- goiilenl si vile des plaisirs de la terre. On voyail encore du temps de I'archev^que Hincmar, un ondroit solitaire :^ cole du chateau de Laon, ou il aimait k se relirer pour prier. Cost par ces exercices de la retraite que Dieu forme ses saints aux fonctions apostoliques jusqii'au jour de leur mamreslalion. Remi ne put si bion se cacher que 1 o'clat de sa verlu ne se repnndtt bionlol au dehors et le temps marque par le Trcs-Haut pour la consolation des Gaules arrive, on offiit a noire jeune saint l'archev6che de Reims devenu vacant. L'usage des premiers siocles elait que les ev^ques des metropoles civiles fussenl o.dinairement honoriis dans radministration ecclesinstique du litre de melropolitain Celui de Reims a joui de ce privilege avec une distinc- tion qui lui donnaitun plus grand nombre do suffra^ants qu'a I'eveque de Treves. Ilincmar fixe a douze le nombre dcsvilles qui lui etaient subordonnoes. Remi ne voulut point d'abordaccepler lesliaules fonc lions qu'on lui ofTrail, et il fallut tout I'empire que pou- vaient avoir sur lui ses directeurs spirituels el les prieres de lous les habitants de la ville pour le conlraindre a revenir sur sa resolution. La graced la nature avaient concouru !. former ce nou- vel apotre : il elait d'une haute laille qui aurail paru ex- c6der la grandeur naturolle, si celte taillen'eiilele tout a fait propoi tionnee en loules ses parlies ; c'est cequ'a jus tide, au milieu du dix-sepliemesiecle, I'ouverture de sa chisse. II avail le front large et eleve, le nez aquilin les yeux vifs, la barbe longue, les trails du visage beau.x et r.:.gul,ers. Enfin tout son exlerieuravaitquelque cho.e de grave et de doux qui inspirail de I'amour et de la venera tionpoursapersonne.Lesqualitesdesonamorepondaient parfaitement k celles du corps : a un esprit vasle, eminent solide et delical tont ensemble, il joignait une profonde sagesse et un hero'i'que courage qui le mellait en elat d'executer avec succes les grands desseins qu'il fcmait pour la gloire de Dieu. Devenu arcbev^que, il Irouvait dans la medilation des sa.nles Ecntures ces grands sentiments qui op,Vaionl des changemenfs merveilleux dans son diocese par le minis leredela parole ; ou bien il arracliait a I'arianisme ou aupaganismelesGauloisetlosFrancks. Gre-oiredeToui- fail I'eloge de son eloquence; Sidoine Apollinaire Hib 9 ep. 7) le compare tanlot ;\ un fieuve, tant3t h la foudre ■' il ne juge de cette eloquence que par ce qu'il en avail vu dans que ques-uns de ses ouvrages; que devait-ce cHre quand elle etait animee de cette action vive el de eel air de majeste donl les rois memo ne pouvaien't sou. tenir tout leclat ? Persuade, suivant la maxime du Sauveur, que plus if elait grand, plus il devait s'humilier, il s'adonnaa uno parfaite humihte ; il enlretenail le mepris qu'il faisail de lui-m^me par les haules idees qu'il lirait de la grandeur de Dieu dans la priere. Ella etaient toules sesjouissanoos On raconle que I'apolre saint Paul apparaissait a >aint e^an-Chrysoslome, pour lui expliquor les passages de ficrilure les plus obscurs. •Remi jouit d'une semWable favour, car plus d'une fois il fut, dit-on, honore pendant ses ferventcs oraisons de la visile des princes des apfi- 200 SAIM trcs saint Pierre et saint Paul. La tnulilion a conserve I'ideede cet insigne privilege; on le voitrepresente dans le tableau de la belle chapelle de Sainl-Ilcmi au monastere de Sainte-Claire. Soignoux d'assujetlir la chair a I'esprit, c'elait par le jefiiie , les veilles et de continuelles mortifications qu'il s'en rendait maitre absola. Les pauvres et les malades le trouvaient toujours dis- pose h les assisler, les consoler et les soulag'er par I'au- moiie, qu'il accompagnait de salulaires instructions. A I'excmplc du saint patriarche Joseph, il amassait du grain dans les annees d'abondance pour le distribuer aux pau- vres dans les jours de disette et de stt'rilile. En outre des predications qu'il faisait tousles jours aux paYens, Dieu a\ait accordiS par des miracles la con- firmation des sainles veriles qu'il annoncait, et la plu- parl des gentils qui I'avaient entendu ne pouvaient re- REMI. sister k la grace. Lo seigneur de Ketliel eut un jour I'a- vantage d'assister avec son epouse a une predication du saint 6vcque. lis furent I'un et I'autre si fort touches de ses paroles, qu'ils resolurent de renoncer a I'ldolatrie, et d'embrasser la religion chrelienne. Us vinrent le trou- ver dans cetle intention et Ini demandcrent le ba|)leme. Le saint, apres les avoir inslruits, leur confera ce sacre- nient. Et ces nouvtaux Chretiens concurent tant de con- fiance en .ses prieres, qu'ils le supplierent de demander poureux unegrSce^ Dieu. Depuis plusieursanneos qu'ils elaient maries ils n'avaient point d'enfanis, et cepen- dant ils souhaifaient ardemment d'en avoir : c< Saint pcre, dirent-ils h Remi, vous voyez notre affliction, il ne tient qu'a vous de nous consoler; employez vos prieres aupres du Seigneur, si vous nous oblenez un enfani, nous vous I'abandonnerons, vous en serez le pere en esprit, et vous I'eleverez vous-meme dans la religion de Jesus- ianijmc aii\ G.iuluis. Christ. » Remi, sensible a leur peine, oflrit ses voeux au ciel pour obtenir co qu'ils desiraient, et il fut cxauc6 : ils eurent un Ills I'annee sulvante, ils lui donnerent le nom d'Arnoul, et Dieu I'apiiela par la suite a la vie apostolique, a I'episcopat, et mJnie a la couronne du martyre. En ce temps-lb, Clovis, jeune prince en qui la nature avail reuni toutes lesqualites propres 'i former un de ces heros que le ciel destine aux plus glorieux evenements, resolut dans la vingt-cinquieme annee de son age de I'ranchir enfin la barriere qui avait arrete jusque-la les rois ses predecesseurs. Honteux des vaines tenlativcs que quatre de ses devanciers avaient failes duns les Gaules, il s'avanca des environs du Rhin, a la Icte dune armee formidable, jusqu'au milieu de la Gaule-BeU-e. Son projet etait d'exterminer ce qui pouvait rosier de I'empire re- main dans ces belles contrOej el d'y etablir son Irone sur es ruines. La fortune seconda ses projels, il pous-a ses conquetes jusqu'a Soissons, lieu de residence ordinaire de Syagrius, chef des armees romaines, il mil ses soldats en fuite, obligea Alaric, roi des Visigoths, cliez qui ils'e- tait refugie, a remetlre cntre ses mains eel infortune ge- neral, qu'il imniola ii la gloire de ses armns el au salut de sa conquete. Clovis avait d'abord fixe sa residence dans Soissons; maiscomme il ecoulait aulant la prudence que la hardiesse, il resolut de gagner le ca>ur des pcuples qu'il venait d'assujetlir, et pour ccla, sans abjurer encore ses erreurs en niatieie de foi, il voulut respecter la reli- gion des Gaulois. Et, a I'exemple des rjis visigotlis el bourguignons, non-seulement, il laissa une enliere liberie il ses nouveaux sujets en maliere de croyance ; mais en- core, il montra et exigea de tons le plus profond respect pop.r les eveques calholiques. Cela est encore prouve par ce trait que racontent lous le= historiens : Le roi franck so servait de la victoire avec toute la moderation possible et faisait tout ce qu'il pouvait pour reprimer la li- cence eH'avidili deses soldats; mais ces dcrniers, habi- j 1 SAINT RE MI. 201 !ues an pillage el i la devastation, ne.'oniprenaient nulle- nicnt les poliliques intentions de leur chef, et partout oil ils passaienl ils laissaient qnelque trace de leur naturel vanJale. Pour eviter ces violences, Clevis imai;ina de ne jilus leur faire traverser les villes; c'est ainsi qu'i) la consideration de saint Rcmi , il en nsa a I'egard de Ruinis; il marclia le long de la ville, par le chemin interieui que, du temps d'Hincniar on nommait en- core cheniin harbnresque. Cependant malgre les ordr.s qu'il avail donnes, quelques solilats qui dtaient sortis des rangs trou\erent moyen d'enlrer dans la ville; ds y pillerent une eglise , emporlerent Ees ornenients et ses vases sacr^s. Parmi les objels enleves par ces pillard^, ily avail une coupe d'une lieaule extraordinaire. Saint Remi,connaissanl les bonnes dispositions de Clovis, la lui fit redemander par quelques-wns de ses ecclesias- tiques. II lesrecut avec beaucoupdebonle: « Saivez-moi, leurdit-il, jusqu'a Soissons, c'est 15 quejedois faire le par- tagedubulin; je feral en sorte que le vase tombe dans mon lot, et je vous le remellrai en main, pourle rendre a I'li- vSqiicRemi. • II execula toutce qu'il venaitdepronielire; maislorsqu'on fut sur le point de tirer au sort tout ce qui devait se parlagcr du butin, il temoigna le dosir qu'il avail de voir mettre de cote le vase qu'on lui reclamait. Tous les soldats se faisaient un plaisir de contentur le prince ; mais un soul exprima sa cupidile par une bru- tale exclamalion, disanl insolcmment que le roin'aurait que ce que lesort lui donnerait. L'armeeentiere fut surprise decotte grossierete. Clovis se contenta de prendre le vase el dele remettreentre les mains d'un des envoy^s de saint Remi, pour qu'il lui fiit rendu de sa part. On salt comment, I'annee suivante, Clovis fit au malheureux sol- dat un sanglant souvenir du vase de Soissons. (Greg. Tur., Hist, franc, liv. 2. ch.27.) Clolilde, fille de Chilperic, niece de Gondebaud, qui avail le bonheur d'etre chr^tienne, elait devenue I'epouse de Clovis, et son d&ir le plus vif ^tait de faire embras- ser sa religion asonipoux. Deux choses vinrent lui donnur espoir de voir realiser ce desir : Clovis avail assez de lu- mieres pour reconnaitre que la mulliplicite des [dieux en detruisait la nature et que les vices infames dont ils se faisaient honneur etaient incompatibles avec la saintcle qui est inseparable de la divinite. D'un autre cole, ellc s'etiit liee avec le venerable ev^que de Reims, dont les \(£i\\ les plus ardents s'adressaient au ciel, pour la con- version de Clovis. Clolilde ne fulpaslongtempssansparlerduchristianisme au roi son epoux, avec le succes qu'on pouvait atlendre d'une jeunefemme, tendrement chcrieetpleincde merite. Le roi fut d'abord ebranle el conrut la plus haute eslime de la foi chrelienne; mais il ne parlait pas de changer, ces grandes ocuvres n'etant pas le pur etfel dela convic- tion et nes' operant qu'avec les graces victorieuses que le Seigneur donne quand il lui plait ; Clovis permit cependant a la reinede faire baptiser ses enfants. Malheureusement le premier, nommelngomer, mourutdanslasemainemfme deson baplfime. Le roi eclala en reproches el ne manqua pasd'altribuer cetle morta la colore de quelqu'un de ses dienx. La reine, aidee des exhorlalions de saint Remi, soulint cetle epreuve a\ec un courage digne de la foi qui I'animait. Des I'annee suivante, elle mit au monde un second enfant, qu'elle fit encore baptiser. II tomba aussilot dangereusement malade, et deja, le roi, outre de colC'ro, menacait de chasser tons les Chretiens de son royaunie, quand celte fois Dieu, louche des prieres de la vertueuse mere, rendit lasantea I'enfant; les preventions du roi se dissiperent avec son chagrin, et il commenca d'avoir quelque confiance au Dieu de Clolilde. Celte der- niere, quin'avait d'autre ambition qued'i'tcndre le regno de Jesus-Chrisl, vitavecjoie les nouvelles dispositions de son mari, et lorsqu'il voulut, dansun de ses moments d'a- mour et de liberalite, lui assurer un douaire digne d'elle et de lui : « Seigneur, lui dit-elle, le bonheur d'une chre- lienne est pour la vie future ; je ne vous dcmande d'au- 2G-2 SAINT KEMI. tre faveur que la liberto de vous eulrctenir souvcnt de celtc felicile suprfime que je ne desire pas nioins pour vous que pour moi. • Elle ue cessa plus de ruxlioi'ler i quitter les idoles pour adorer le Dion veritable; le seul, lui repelait-elle, qui, d'une parole, a tire la lerre ct la mer du neant. Un jour qu'il partait pour aller faire la guerre aux Al- lemands, nation redoutable de la Germanie, et dont tou- tes les autres out depiiis pris le iiom : • Seigneur, lui dit-elle, si vous voulez vous assurer la victoire, invoquez le Dieu des clireliens; c'esl le dieu dcs armees, le niaitre des succes et des rovers! N'oubliez pas la parole qua ce moment je vous engage en son nom : si vous recourez i lui, rien ne pourra vous resister. » Clovis s'en souvint un peu lard. Ses troupes pliaienl de tous cotes, et il se voyait au moment d'une deioule complete, quand il s'ecria, en gemissant ct en se prosternant h la vue de toute son ar- infe : « Dieu de la vertucuse Clotilde, c'cst a toi que j'ai recours. Fais-moi vainqueur, et je n'aurai plus d'autre Dieu que toi ! » Tout change a cos mots; un courage im- provu et tout divin aninie les Krancks. Les Allemands, fi'appes d'une terreur panique , liohent pied de toute part; leur roi tombe entre les morts, et le champ de ba- taille reste a Clovis. — Ce glorieux evenement se passa dans la plaine dc Tolbiac, aujouid'liui Zulpich, entre Bonn et .lulicrs. Clovis tint parole. Dans la route m^me, en repassant par Toul, il cmmena avec lui un saint et savant prfetre nommc VeJasle, dcpuis eveque d'Arras, afin de se faire instruire. Saint Remi joignilses soins ii ceux desainl Ve- daste; ei bicntot le bapteme du roi dut etre celebre. Le jour de Noi'l de I'annee 49i>, les rues de Reims etaient lapissees depuis le palais jusqu'a I'l^glise, le bap- tistere magniriquemcnt oriie , les cloclies sonnaient a tou- tes volecs; les cierges jelaient dans le temple des (lots de lumiere, et I'encens enibauraait les airs. — Clovis, le roi des Francks, marcbant au bapleme, entrainait a sa suite toute uno hierarchic de rois dans la religion chretienne. Sa femme, ses soeurs, les offioiers de sa maison, ses soldats et le peuple le suivaient. Ce fut une de ces fMes dont les oris d'allegresse devaient nionter jusqu'au ciel pour se melangcr aux chants de gloire des archanges. Mais ce qui frappa surtuut ces barbares idolilres, ce futsurtout le norabre et la modestie dcs ministres sacres et I'appareil niajestueux dcs ceremonies catholiques. Le roi, transporte d'admiralion etcomme hors de lui-m6me, (lit a saint Remi qui le conduisait par la main : • Mon i-hre, est-ce la le royaume de Dieu que vous m'avez pro- mis? — Mon prince, repondit I'evdque, ce n'en est que Tombre; et, lui montrant les flots sacres : Voilb, poursui- vit-il, la porte qui vousy conduit. • (Ilincmar, Vit. S. Re- mig., I. 1, p. 327.) Clovis demanda le bapl6me avec empressement; alors, Remi prenant ce ton d'eloquence qui faisait si bien en- trer chacune de ses paroles dans le cceur de la multitude : . Courbez la t^le, fier Sicambre, sous le joug du Tout- Puissant ; adorez ce quevons avez blaspheme, et foulez aux pieds ce que vous avcz adore jusqu'ici. » Lui ayant faie ensuile confesser la foi de la Trinite, il le baplisa. Trois mille Fran<;ais voulurent aussi recevoir I'eau sainte dcs mains du vertueux evSque. Alboflede et Lentilde, soeurs de Clovis, suivirent celte religieuse im- pulsion. Quelle joie durent eprouver les principaux au- teurs de cette regeneration desGaules ; Clotilde et Remi ! Apres le bapteme de Clovis, notre vertueux prelat ccn- tinua d'iustruire le premier roi chrctien qui enlrait dans le cathohcisme avec toute I'impetuosite de son imagma- lion de feu. Un jour qu'il lui faisait lecture de la passion duSauveur : « Ah! s'i'cria le prince, que n'etais-je \h avec mesFrancais I • (Fredeg. ep. c. 21.) Depuis cette ipoque la religion chretienne se repandit avec une merveilleuse rapidite dans toutes les Gaules, et Clovis, protegeant plusquejamais une loi qu'il avail adop- tee, se laissa diriger par saint Remi d.ms presque toutes ses actions. A propos dela guerre qu'il venait de declarer a .41aric, nous voyons cette lettre que lui ecrit le saint : « Unegrandenouvelle, seigneur, est venue ju.squ'a nous, c'est celle de votre seconde expedition; elle ne .m'a point surpris etje vols par \k que vous ne degenerez pas dela verlu de ces genereux ancfitrcs dont vous sortez. » Puis continuant avec cette autorite queson age, son me- rite et son caractere lui donnaient a I't^gard de ce prince : « Prenez, dit-il, la craintede Dieu pour principe et pour base de voire conduite, soulenez, par votre Constance dans le bien, ce que le Seigneur attend de vous apres vous avoir porte au degr4 de I'honneur oil vous vous trouvez eleve. Clioisisscz ensuile des conseillers et des ministres qui fas- sent honneur i la dignile royale dont vous etes revStu, dignite que vous devez remplir avec une certaine grandeur d'iimeet qui vous niette au-dessus de tout interjt. Jamai.^ vous ne saurez trop honorer les pretres du Seigneur, ccouliz done leurs conseils avec plaisir, persuade que le bien de Tfitat proviendra toujours de la bonne intelligence que vous eiilretiendrez entre le sacerdoce et I'enipire. — Soulage?, protcgez votre peuple, etendez specialement voire cliarile sur les veuves et lesorphelinset coniportez- ^ vousde telle maniere que tous vos sujels vous regardeiit ■ commc un piire plulot que comme un ma'itre ; ce qui ar- rivera si on voit que vous aimez la justice et qu'elle sort de voire bouche ; que la porte de votre palais soitouverte k tout le monde, puisque vous devez la justice il tous, (ju ainsi personne ne sorte mecontent d'aupres de vous. N'cmploycz les grands biens que vous avez recus de la main de Dieu que pour les repandre avec joie sur ceux qui out droit d'attendre ce soulagement de vous dans leurs besoins; que cette g(5nerosite eclate surlout dansla delivrancc des caplifs en les affranchissant du joug de la .servitude. Enfin, si vous voulez rcgner en grand foi ct passer pour 6tre vcritablemeut et noble et magnanime, admettez votre jeunc noblesse a vos plaisirs; parl^ vous I'affectionnerez a votre personne, etvous vousl'attachercz loujours davanlage ; mais ne traitez d'affaires qu'avec ceux qui ont mt^riti5 voire consideration par leur ■'ige ft leurs services. » (Sirmond. t. 1, Concil. Gallic.) De si b'.aux, de si grands sentiments furent recus de Clovis avec lout le respect qu'il avail pour le saint qu'il considerait commo un maitre et un pferc en Jesus-Cbrist, et tant qu'il les suivit on put dire que la main de Dieu leconduisail jiour la gloire de I'tglise el de la nation. Saint Remi avail accompli la grande oeuvre de con- version qu'il mMilait depuis longlemps et qu'il avaitde- mandee au Seigneur avec tantd'instance;ils'occupa apres cela d'etendro le bienfait du cathohcisme a tous les peu- ples des environs. Dans la premiere Relgique, a Melz, a Toul, a Treves, dans les Vosgcs, sa charity et ses predi- cations laiss^rent de tcls souvenirs, qu'aujourd'hui encore SAIME ADELAIDK. 21.'-. on ti'ouvedans ces differcnU pays un culle tres-rervent pour ce saint. M. Diissaussoy, dans pon hisloire de saint Kemi, alTirme ce failot place au noinbre de liuit cents les cliapellcs qui, dans ses conlrces, lui sont dediees. Remivecut trcs-longtcnip^, ct ccpendant on I'enlendait s'ecricr avcclopropliele : « Mon Anie ne peut pliissoulenir I'aideur avec laquelle elle suiipire apres la demeure du Seigneur I — Mon ame laiiguit a foroe d'atlendre que vous la delivriez de ses peines, 6 mon Dieu ! — Men Jinie, en- tljiTimee du divin amour, soupireapres vous aNec ardeur, ardeur si violenle.qn'elleseri'pandsouventj usque sur mon corps ! » — II avail pies de qualre-vingt-seize ans lorsqne le Seigneur accomplit les veeuxde ce grand saint. Ce mo- ment qui le fit passer de son exil dans la celeste patrie I'ut pour lui un instant de paix et de beatitude, il avail perdu la vue depuis quelqucsjours, mais avant de mourir il la recouvra miraculeusement ; On eiit dil qu'avant de. I'atlirer a lui Dieu voulait qu'il sentit et vit une derniere fuis le bonheur qu'il avail su repandre autour de lui. II venaitdes'ecrier : «Quand, Seigneur, irai-jeau-devant de vous? il n'y a que vous, 6 mon Dieu, qui puissiez remplir la capacite du mon coeur et me rassasier. • La parole ex- pira sur ses levres decolor^es, etia mort en passant laissa toule rempreiute du bonheur sur la figure venerable de ce servileur de Dieu. Ses funeraillcs se firent avec grandc ponipe ; d'abord il fut enterre dans le ciineliere de Saint-Ciiristoplie dans la cbapelle. De grands miracles se firent sur son tnmbeau el pendant la translation do ses cendres qui a ele operce plusieurs fois. — Hincniar lui fit fane cette inscription : Uuc lihi, Hrmiiji, ptbricmit, maijne, se[nilchnim Ilinciiianis, prwsul dueliis uiiiore lui. El icjiiicm Demintis Iribual milii, sancle, prcculu. El di(jiiis iiurilix, mi vciierandc, lids. J. B. SAINTE ASiSLAIBE. Un dit qu'cKe desiendait de Charlemagne, par les fem- mes; son pore elait Rodol- plie II, roi de la Buurgogiie superieure, qui la fianca de bonne heure au fils du roi d'llalie, vers le coinnience- menl du dixieme siecle. Les traditions manquent sur ses premieres annt'es, mais les prcuvesd'ardcniepieleet d'e- nergie morale qu'elle donna dans la suile font supposcr qu'elle recut une education en harmonie avec les dis- positions religieuses que le ciel semblait avoir mites au fond de son amc. Ce fut en 947 qu'eut lieu son mariage avec Lothairo. Adelaide n'avail alors que seize ans, mais deja ses vertus lui avaient concilie le ccEur de son people. Devenue reine d'llalie, e!le ne fit emploi de la loule-puissance que pour etendre davanlage ses bienfaits ; son influence s'e.ver- caitde la facon la plus hrureusc sur le caractere de sun (ipoux. II fallut que les sourdcs menees d'uu ambitieux vinssent Iroubler la paix de oe regno. Berenger, marquis d'Yvree, convoitail depuis loagtemps le troiie de Lo- tbaire; une goulle de poison versee dans la coupe de ce dernier favorisa son desir. II se fit couronner a sa place par la force des armcs; et, comme pour revclir son usur- pation d'un soniblant de legalilc, il demanda pour son ■fils Adalbert la main d' Adelaide, lajeune veuve. Cellc-ci ne put s'empeclier de montrer son indignation. ■Le menrlrier de son iqioux lui faisait horreur. Ne i>ou- .vantesperer de jamais vaincresa resistance, il la fit Je- ter,, elle et sa fiUe Emma, pauvrc pelile creature, agee de Irois ans a peine, dans un afl'rcnx rachot de la fortcresse de Garda, au bord du lac du mcnie nom. La, privee de lout, fans commuiiii ations, sans cspoir, objel d'une cruaute jalouse et inventive, Adelaide atlendait la moit avec I'angelique resignation des im.es pu res. Deux hommesccpendautveillaieiit sur elle etsongeaient aux moyens de la dclivrer. C'elaient Tevcqiie de Eeggio et Alberto Azzo, seigneur de Canossa. Grace ;i I'orqu'i Is firent reluire aux yeux des gardes, ils viment a bout de se creer des intelligences dans la place et a crcuser un souteriain aboutissant de la campagae a la tour oil elait renfermeeleur ex-souvcraine. Par une nuit ob.-:cure, Ade- laide s'evaJa, njui sans passer a travers mille dangers. Elle altondit le jour, cacbce dans les roseaux du lac, et rtjoignit, dans une barque de pfecheurs, ses protccteurf qui raltciulaient sur I'autre rive. IMaliieurcusement I'liveil n'avait pas tardea etre donne h la forlerosse, des cavaliers venaient d'etre lances dans toutes les directions. Cercngcr lui-meme s'elait mis .i la letu d'une cscorle nonibreuse. On raconte que, blottie dans un champ de bles, .Adelaide I'entendit passer il vingt pas d'elle. Un cri, un gestc, unmouvement, eussent sufii pour la trahir et causer sa mort peut-etre. Apres miUe dangers, miilc angoissrs, elle parvint cependaiit ii se re- fugicr chez le fidele Alberto Azzo, qui la recul dans son cliileau de Canossa, dout la posilion, sur un roc inac- cessible, la mettail a I'abri des alleintes de son persecu- te ur. Peu de lemp.^ apri;s, Dieu lui eiivoya un partisan dans la personne d'Otlioii de Sa.ve, que les seigneuis ilaliens, lasses de la lyraunie de Berenger, avaient apjiele a leur secours. Otliou deposa I'assa.-sin de Lothaire, et, louche des verlus el des malheurs d'Adelaide, il la supplia de venir paitagcr son trone. Le mariage ful celebic avec pompe pendant les f^les de Noel de I'annee 9oI , et 2Gf SAl.ME AnELAinE. les deux nouvr.niix i'poux parlircnt pour I'Allemagnp. Dans son ncuvel empire, Adelaide n'ent pas d'eH'orls a fairo pour s'allirer ]es benediclions qui accomp:ignaient scs pas. Son ini'puisable charite fil le lionhcur de ses su- jels; aussi les plus sineeres manifeslalions eclalerent-elles ti la naissance de son fils Othon 11. Elle s'applii|ua a I'en- lourcr des meillenres lecons, el a faire germer ilans son jeune cocur les prineipes inimualdes de I'amour divin. Ce fut a celle epoqne que son epoux fut nonime empe- reur d'Oecident et reeut la eonsecralion des mains du pape Jean Xll. Parvenne au falle de la grandeur hu- niaine, elle fit regner la paix et la foi au sein de son royaume.Les hisloriens ccnt(mporains affirment qu'elle s'entendait parfaitenient aux affaires difficiles do Ifilal, et que son adminislralion laissa de fecondcs traces de pro- gres sur le sol germanique. A onze ans, Ollion 11, que ses qualit^s sludieuses tem- blaienl. recominander , fut juge digno d'etre associii a Tenip're, el, bienlut apres, il epousa la fille de I'empe- reur de Constantinople, belle et vertucuse princesse, mais ;i qui Ton a reproclie un peu de liauleur a I'egard do sa sainte belle-mere. Les choses en etaient IJi, lorsque le vieil Otbon descen- dit au tonibeau, aprbs avoir merile, par sa sagesse et I'eclat de ses armes, le surnom de Grand. Cetle perte laissa un vide immense dans I'Allemagne, et .idelaido n'eut pas Irop de loule sa puissance et de lout son zfele pour le conibler. Ses pieux conseils parvinrent cepen- dant ^ gnider I'inexperience de son fds; mais, au bout do quelque lemps, celui-ri, ^gare par des flatteurs, seduit par des courtisans qui firent briller a ses yeux les spler- deurs mondaines d'un pouvoir absolu, essaya de secouer ie joug de rautorile malernelle. Adelaide supporia lout : la desobeifsance, le n.cpris et, gradiiell(n ei,t les Ivailc S.uiMc AdcUJc caclifC dans Ici bloi. menis odieux. Elle passait ses jours h prier le ciel pour la conversion de son fils; puis, enfin, forcee de quitter une cour que menacaient d'envahir les deporlements et I'iniquile, elle se retira chez Conrad, son frere, roi des deux Bonrgognes. Othon II reconnut trop lard la faute qu'il avail com- mise, et bient6t la voix publique, qui est presque tou- jours la voix de Dieu , se dcclara hautement contra lui. Lesalfaires du royaume se resscniaient de I'absenced'.A.- dolaide, et les grands dignilaireseommencaienta se plain- dre. L'enipereur vittotnber cnlicrement le voile qui cou- Trait sa raison , et fit faire des diMiiarcbes pressanles auprcs de .«a m6re, dans le but d'oblenir d'elle qu'elle rentnita la cour, pour y occuper le rang qu'elle lenaitde DIeu et du vceu de r.Xllemagne tout enti^re. Adelaide no crut pas devoir sarrifier d'aussi grands intertls au dou- loureux souvenir dei offenses qu'elle avail recues; elle coda done. L'entrevue et la reconciliation se firent dans Pavie, en presence de saint JIayeul, abb(5 de Clugny, et du roi Conrad. L'enipereur, gagne par le repentir, se jeta a ses genoux ; elle le releva en I'cmbrassant, et tout fut oublie. Mais le ciel voulut sans doule le punir d'un moment d'erreur, en abregeant la duree de son regne. II niourut trois ans apres, laissant I'empirea son fils, sous la double tulelle de sa femme et de sa mere. Malgre celle precau- tion, la minorite d'Olhon III fut marquee a son debut par d'orageuses dissensions, qui faillirent ebranler .son lr6ne; la prudence de sa mere les dissipa heureusement. .Ses pre- mieres annees annoncaient des qualilcs eminenles ; elle les d(5veloppa avec un soin loutparliculier. Les sciences et les leltrcscaptivaient principaU'mctill'csprit du jeune mo- naique, qui fit venir auprcs de lui le moine Gerbert, lorsque la perseculion I'eut oblige a quitter le diocese de Reims. Ses premiers pas dans la carriere des armps ne furent pas moins couronnes de sucres. Les hordes barbares de I'Elbe et de I'Oise furent repoussees par lui jiisqu'au fond de leurs mariVages, et il preta au pape I'appui de son epee pour le delivrer des obsessions de ses voisins. Enfin, SAINTE ADELAIDE. 203 a I'ilge prcroce tie seize ans, il recut la couronne impeiiale aux acclamations unanimes do son peiiple. L'heui't' etait sonnee pour Atlelaide de recueiUir main- lenanl le fruit de ses Iravaux et de ses peines. Tranquillo, heureuse, honoree, elle ne s'occupa plus qu'a repandro le bien aulour d'clle et h faire eclore les fleurs de reli- gion sur celto lerre allemande que Ton a nominee terre de mysticile. Qiioiqiie dans un age assez avance, sa cliarite ne fut jamais trouvee en defaut. Elle institua dcs mon.isteres, decora les eglises, envoya des missionnaircs sur It's frontiferes septentrionales de I'empire. Attentive au\ moindres souffrances, elle allait humljicment votue, ct ohsorvait rigourcusement les pratiques des jeunes et dcs \eillcs. On raconte que, de son vivant, Dieu lui accorda le privilege d'operer dcs miracles, ct il en est phisieursque Ton cite h I'appui de cetle assertion. Un rcligicux avait rccii d'clle une certaine somme pour etre distribueeaux pauvres, surle seuil de son palais. Au moment de la re- partition, il s'apercut que le nombre des pauvres etait beaucoup plus considerable que le nombre des pieces d'argent, et il jugea a propos de Ten informer. — Allez, lui repondit Adelaide, et ayez confiancecn Dieu. — Le frere, connaissant la haute saintcte de I'impcratrice, sor- tit sans repliquer, et dans ses mains il vit alors sc rcnou- veler le prodige de la multiplication merveilleuse dont parle I'Evangile. Cliaque pauvre se retira avec une piece d'argent. Sjiiite .\cle!aldc p.ii-()onnanl .*i son lil3, Une autre fois, ce fut un paysan boiteux qu'elle guerit avec le seal secret d'une oraison. Chaque matin, il avail I'habitude devenirlui oCfrir une corbeille de fleurs et do fruits, et elle le recevait avec cette aimable bonte qui rendait son approche si facile. Unjour, entre aulres, qu'il avail laisse echapper ses bequiUes, elle lui ordonna, apres s'etre prosternee devanl les reliques de son oraloire, de les ramasser et de se mettre a marcher sans leur appui. Dieuexauca son desir, et le premier usage que le pauvre homme fit de ses jambes fut de se prosterner aux genoux de sa liberatrice. L'avenir, dit-on egalemcnt, n'avait pas de voiles Ji ses regards. A un grand festin, oil se Irouvaient rasscmbles les principaux seigneurs de la cour, elle se prit tout a coup a annoncer lesmalheursdu royaume et lamort prorhaine de I'empereur. « Helasl helas! s'ecria-t-elle, beaucoup mourront bicnlot ; Othon lui-m^nie sera du nombre. Ah ! enlevez-moi aux doulours de cette vie! • Les eVenements justifiereiit plus tard sa prediction, mais le ciel lui ac- corda la fa\eur de n'en pas cHre temoin. Dans la derniere periode de sa vie, elle accomplit de nonibreux pelerinages, afin de se preparer a la mort. Elle contribua puissamment a la r^edificalion de I'cglise de Saint-Martin de Tours, et y fit don d'une parlie du ma- gnifiquemanleaud'Olhon le Grand. Saint Adelbert, saint Mayeul ct saint Odilon furent tour a tour les directcurs de cetle ame pieuse, ct sa reconnaissance pour eux ne connut point de bornes. Le dernier a ecrit I'histoire de sa vie, qui a ete rapporlee ensuite par Canisius et par Leibnitz. Un dernier eclair signala la fin de celle existence si bien remplic. Un de ses neveux, roi de Bourgogne, avait perdu I'afl'ection deses sujets qui s'elaient souleves centre son autorile, et menacoient de s'allier aux Sarrasins qui savancaient du cote dcs Alpes. N'ecoutant que son zele, malgre son grand .age et la longueur de la route, Adelaide se rendit dans le camp des rebelles, et di!'ployant cetle cnergie dont elle avait jadis donne tant de prcuves sur le tr6ne d'Allemagne, elle fitrentrer dans le devoir ccs fa- rouches revokes. Une faible fcmme fit ce que la force des 2f'f> SAINTE' araies n'avait pu faire. II est vrai que ccltc femme elait femmeel mereil'cmperour. Mais col effort avail epuise ses forces, et sa fin devait ^tre prochaine. An jour de I'anniversaire de la naissance de fon fiis, en depit des souffrances aigues quelle ressen- tait, elle voulut sorlir pour dislribuer elle-meme ses au- mones. Ce fut ee qui Taeheva. La mort vint etendre ses deux ailes noiressur sacouclie. Jamais derniers moments ne furent empreints d'une plus divine serenite ; un sou- rire qui n'appartenait dejJi plus aux sensations de ce nionde llottait sur ses leyres pales ; sa pensee s'eclairait AGNES. interieurement; un feu celeste animait son rcL^ard , elle avait de ces paroles pleines do beatitude cl d'aspiration qui sont leproduit do laseconde vuecpie Dion diinneases serviteurs aux portes de I'eternite. Cji aiige prit son ame au sortir deson corps, et I'alla porter imnu'dialement aux regions des splendours sans fin. Ainsi s'eteiguit sainte Adelaide, imperatricc d'Occi- dent, le 16 decembre 999, dans son monaslore de Seltz, sur lesbordsdu Rhin. De la ri!i;[ ii-;!'.E. iiiSToiRE ET mmmm des basiliqies de boie. SAISITE-AGNES. '-•'est une belle place que celle de Navona. Elle est bii tie sur les ruines du cirque Agonalis de I'empereur Alexandre Severe; icil'eglise Sainte- Agnes , la le palais du prince Paniphile, puis celui des seigneurs de Cupis, et enfin dans le lointain la tour du palais d'Altomps. — Au milieu, devant Sainte-Agnes, se trouve une admirable fontaine qui est regardee comnie le chef-d'ceuvre du cavalier Berriin. C'est un grand rocher perce a jour, d'ou I'eau sort en abondance par plusieurs ouver- tures et se repand dans un grand bassin. Quatre sta- tues de marbre etalent leurs formes colossales sur ce rocher: ce sont les quatre principaux fleuvesdu monde: le Gauge de Francois Baratia, le Nil d'Antoine Fancelli, le Danube de Claude Franc et le Rio do la Plata d'An- toine Raggi. — Sur ce rocher s'eleve encore un obe- .lisque de pierres ^gyptiennes seme d'hieroglyphes ; ce mouolithe fut trouve dans le cirque de Caracalla sous le pontificat d'lunocent X ; il a quatre-vingts palmes de haut, sans compter sa base ni sa pointe de bronze dore oil se trouve uuecroix surmontee d'une oolombc. — Aux deux bouts de la memo place deux belles fontaines a plu- sieurs jels versent I'eau de la Trevi dans deux grands bassins de forme octogone. La plus prochc de Saint- Jacques est enrichie d'un triton el d'un d;i'.iphin de marbre tallies par Michel-Ange h cote de la belle statue de Neptune par Bernin. — C'est au pape Grogoire XIU que sont dues ces fontaines. L'eglise Sainte-Agnes est d'une ffiagnificence bien rare quoiquc d'une mediocre grandeur. Elle fut constiuitepar ordre du pape Innocent X. Le chevalier Barromini fut I'architecte de la facade et de la coupole, le resle avait etc preeedemment construit sur les dessius de Jeroma Rainaldi. Elle est surmontee de deux clocbers dont I'un possedeune horlyge d'un singulier travail fade par M. Rio- SAlNTEAGNfeS. 207 chv , pretre Savoyard. — Lc portique a trois portesaux- qviellcs on monto par un magnifique escalier. Un grand iiombre de colonnes, en pierre de taille, d'ordre corin- Ihien, ornent cette partio do Fextcrieur. L'intcricur osten forme de croix grecquc ; huit colonnes coiinthiennes tout incrustecs de beaux marbrcs, soutien- nent la voute de slues dores et de peintures de Baciccio. Sous les quatro ares qui fornient la croix grecque, il y a trois grandes chapelles ornees de bas-reliefs et de sta- tues desmeilleurs sculpteurs. — Tous les sept aulelsque renfernie cette eglise ont un grand tableau de relief en marbre blanc tresOn, ciseli par I'elite des artistes. Le maitre-autel est tout incruste d"alb!itre et orn6 de quatre colonnes de vcit antique, supporlant un baldaquin. Le bas-relief, de Dominique GuiJi, represente une Sainte famillo. ~ k droite, enentran', le premier autela un bas-relief de Francois Rossi, dont le sujet est tire do rhistoire de saint Alexis trouve mort sous un escalier, ayant encore dans la main le billet qui le fit reconnaitre et qu'il ne se lairsa arracher qu'aux pieds du pape Innocent [. Hercule Ferrala a execute en marbre bhno dans la chapclle suivanle la statue de sainte Agnes, sous une perspective en forme de niche. Le bas-relief de I'autel Sainte-Emeranliane representant le martyr de cette sainte est aussi du memeauleur. Celui de I'autel suivant a etc taille par Antoine Raggi : i)ny voit sainte Cecile en conference avec le pape saint Uibaiji en presence de Tiburce son mari et Valiirien son beau- Il ere. Le Saint Sebastien que renferme la cliapelle consacree au saint de ce noin ctait une slalue antique que Paul Lamp! metamorpliosa en saint. On voit h c6le un bas- relief de marbre blanc qui reproduitle martyre de saint Euslache et desesconipagnons. Ce travail, commence par Melchior Maltais, fut termine par llcrcule Ferrala. Le tonibeau qui s'el^ve au-dessus de la porte princi- pale de I'egUse est celui d'Innocent X. II a ete sculple par Jean-Biiptiste Maini. Du cote gauche de la chapelle Sainte-Agnes est un escalier par lequel on descend dans lessouterrains, ou corridors qui soutenaient lesgradins de I'ancien cirque d'Alexandre Severe; c'est la que la sainte dont cetle eglise porte le nom fut exposee; mais, pour satisfaiie ii cet egard la curiosite du lecteur, nous aliens lui raconter un peu en quelles rirconstances. Sainle Agnes etait ciloyenne de Rome. Sa rare beaute la fit recliercher des I'&ge de Ireize ans par les jeunes gens des premieres families de la villc. Mais die repondit que son ca'ur appartenait a un epoux invisible qu'ils ne con- ^^iM naissaient pas. Cetle reponse et la profession publique qu'elle faisait du christianisme, alors que les empereurs remains avaient declare la guerre St I'feglise, servirent de prelexte aux plus passionnes de ces jeunes gens pour la faire a^-r^ter. — Son plus cruel accusateur fut celui qui avail temoignii I'aimer davantage. Conduito devant le juge, elle tut trouvie si jeune et si delicate, que le magistrat crut pouvoir se flatler de la sc- duiro par des caresses. Mais il trouva dans Agnte un cceur forme, impenetrable, et une force d'ame qui n'est pas toujours donnee a I'age mCir : Les menaces succederent aux caresses, on crut qu'on pouvait effrayer celle qu'on ne pouvait emouvuir. On lui fit voir d'impitoyables bourreaux qui portaient k leurs mains des instruments de mort. Agnfes a leur aspect de- meura inebranlable. Les chaines les plus lourdes, les tor- tures, les supplices n'eurent pas plus d'effet que les se- ductiims. Le magistrat, confondu par tant de fermelc dans u:i cffiur qu'il avait cru facile ^ vaincre, jugea que cette sainte enfant serait plus sensible aux outrages fails k sa pudeur qua la perte de la vie. II la menaca de la con- duire dans un lieu infJme pour punir, par la plus barbare prostitution, I'affront qu'elle faisait a Diane et a Minerve, dont elle refusail de reconnaitre la virginite. Agnes fut plus epouvanli-e a cette menace qu'a toutes les autres ; neanmoins sa confiance en Dieu, loin del'abandon- ner, lui dicta cette reponse : K'sus-Christ est trop jaloux de 1.1 purete de sesepouses pour soulfrir que je sols des- honoree ! — Offen.se de cetle nouvelle hardiesse, lejuge la fit a I'instant conduire dans un lieu de debauche oil on la depouiUa de ses vetemcnts. — Aussitot Dicu permit qu'elle fut entiferement couverte de ses cheveux et im- prima dans I'esprit de ceux qui assistaient a cette horri- ble scene un si grand respect pour elle, qu'ils n'oserunt la regarder sans une sorle de frayeur. — Un jeune de- bauche eut la hardiesse de fixer sur elle des regards immodestes; aussitfit on vit briller le feu du ciel, qui, semblable h un Eclair, vint frapper ses yeux, et le ren- verser par lerre, apres I'avoir aveugle. Tant de mcrveilles panirent au juge de la sainte au- tant desujelsde confusion et de honte. Transportc- de co- lere, il condamna Agnes i avoir la tele tranchee. — On voit sur I'autel de cette jeune vierge un bas-relief oii elle est representee nue et niiraculeusemenl couverte de sa chevclure, c'est un des plus beaux ouvrages de I'Algardi. J. E. MA7UE DE MEDICIS. VARIETES IIISTORIOl'ES. MARIE DE KESICIS. V oici un tie ces sin- giilicrs caprices du sort W\:"- iu' feit commoncer une ra- i' vie dans un palais, sur ' '' un trone , el. qui veut W& fill 0" I'afh^ve dans une chaumiere, sur un gra- bat. — Marie de Medi- cis a M reine, puissante, ct heureuse ; die est morte ignoree, pauvre, '&'}i et abandonnee. — Hen- [Ji?*' ri IV venait de ripudier ' * Marguerite de Valois, et vous savez le peu de cha- grin que cetle derniere rcssenlit de cet'.e sepa- ration. Lc roi n'avait pas d'herilier, les interets de la Erance le forc^rent h sp remarier, il jela les yeux ducole de la Toscanp, et IJi il \it la fille du grand due Fran- cois II et de Jeanne, archiduehesse d'Autriche. Elle etait nee le 26 avril 1573. II I'epousa au mois de deccm- bre 1600. Le traite de niariage tut ccmmence par M. de Sillcry, et conclu par le due de Bellcgarde, qui elait por- teurde la procuration d'Henri IV. Ce fut h Lyon que les deux epoux s'entrevirent pour la premiere fois. Marie etait belle. « A Paris, dit un auteur conlempo- rain que j'accuserai peut^tre d'un peu de llatlerie, elle est admiree, sa maiesl6 y triomphe, elle y faict voir au- lant de vertus que sa corone a de fleurons, une devo- tion sans feinle, une gravite sans orgueil, une modestie sans contrainte, une magnificence sans dissolution, vne beaut(5 sans artifice, vne bounte qui rauit it emporle les cceurs, vne pudicite qui ne pevt souffrir autoiir d'elle que ce qui a de I'amour pour la vertu, do la liaino pour le vice : rien de souille n'approche I'aulel de I'union. La premiere annee de son niariage porte aux Francois une ioye si rare qu'ils n'en ont en qu'une pareille en un siecle, et qui merite que le mois qui la leur a donnee change lo nom de seplerabre en celui de dauphin. Comme elle n'a voulu eire lemme qu'cn portant le nom de Royne , elle a trop de courage pour vouloir eslre mere a moindre tiltre que d'vn dauphin. > Conime on le voit, la premiere annee de cetle union fut b^nie par la naissance d'un enfant qui devait etre plus lard Louis XIII. A celte occasion, et pendant quel- que temps, le roi, a qui elle donna cinqaulresenfanis, ne cessa de rcpondre aux sentiments d'alTection que lui te- moignait sa femme, et vraiment leur amour reciproque elait grand. Un jour allanf a Saint-Germain avec Henri IV, le co- cher fut assez maladroit pour faire verscr la voilure dans la riviere, al'endroit d'un bac. Sans M. de la Chalai- gncraie, qui, au peril de sa propre vie, se pr^cipita dans I'eau et en relira la reine par les cheveux, e'en elail fait de Marie de Sledicis ; mais k peine put-e'le pronnncer .une parole que sa premiere inquietude fut pour le roi, — et elle ne voulut en croire que ses yeux lorsciu'on lui afTirma qn'il elait sauve. Malheureusement son epoux n'etoit pas constant d.ins ses alTeclions; elle, s'adonnant a son caractere jaloux , laissait paraiire dans se.s moindres aclions les chagrins que lui caiisaient ces iMfidelites. Peut-etre avec plus de douceur, elle eftt pu rappeler le roi a de meilleurs sentiments; mais sa nature ilalienne etait inconipalible avec cette vertu. — Henri fitpartirde Paris la marquise de Verneuil, sur I'avis qu'il avail reou des tentatives que la reine devait faire coiitre la liberte et la vie de cetle femme. Le due de Sully aflirme qu'a partir de ce:ie ^poqiio il n'avait jamais vu les deux epoux vivre huit jours ans se quereller. Une fois memo, au comble de rirrilaliiHi, Marie, levant la main, auraitfrappe leroi, — si le venerable ministre n'eut arrete son bras. — Ces moments de colore n'elaient , il est vrai , causes que par les desordres d Henri IV; mais neanmoins ils ne pouvaient qu'excitcr le scandale. Aussi apres un nouvel accos de fureiir qu'elle eut le matin avant de partir pour Fonlainebleau, le roi lui fit dire que si elle ne voulait vivre avec plus de dou- ceur et changer tolalement de conduite a son egard, il serait contraint de la renvoyera Florence avec tons ceux qu'elle avail amenes de ce pays. — Par ces derniersuiols il voulait sansdoute parlerde la marechaled'Ancre et de Concini, pour qui la reine avail l^raoigne une vive ami- tie. — Comnieon lepense bien, cetle menace n'eut aucune suite ; ces instants de trouble ecoules, le ciel redevenait toujours calme pour les deux ^poux, et memo apres la mort d'Henri IV, la reine nippi'lait avec des larmes de regret les jours heureux qu'elle avail passes aupres de lui. Tant il est vrai que Ton se rappclle les instants de bonhcur plus facilement encore que les heures de souf- france. On reproche a Marie de Medicis d'avoir conserve tons les defnuts des femmes de sa nation : on a dit qu'elle etait altiere, entelee, grondeuse, irascible, violente meme et jalouse a I'exces ; on a oublie de dire qu'elle etait sensible et bonne; il senible cependant qu'au milieu de tant de defauts il devait bien y avoir qnelques qualiles! Dans un ouvrage public sous le tilre Hisloire de la mere el du /Us, et que Voltaire affirnie avoir ili fail par Riche- lieu, il e-t dit qu'elle a demande au roi la giJcedu mare- clial do Biron, el cependant ce dernier avail manifeste rintention de la chasser du tr6ne el d'arracher le sceptre k son fils ; il raconte la reponse d'Henri en ces termes : « Les crimes du marechal sent Irop averfe et de trop grande consequence pour I'Etat pour que je pnisse le j sauver. Si j'elais assure de vivre autant que ce mare- chal, je lui accorderais volontiers sa grSce, paice que J8 saurais me garantirde ses mauvais desseins; .niaisj'ai Irop III MARIE DE MEDICIS. 260 d'affection pour vous et pour mes enfants. pour que je vous laisse une telle epine au pied, dont je pouvais vous delivrer avec justice. 11 a ose conspirer rontre moi, dont il connait le courage et la puissance, il le ferait bicn plus volonliers centre mes cnfanls! » Lorsque le roi avail quelque alTliclion, il aimait sou- veiit is'en cntretenir avec la reine, quoiqu'il no put ren- contrer en elle toutes les consolations qu'il eut recnes d'un esprit experimente dans les affaires ; il lui Irouvait parfois tant de douceur el de complaisance, qu'il parlait longlemps avec elle de clioses que proliablement elle' ne compreiual pas. Ce fut a la suite de I'une de ces conversations que, lui temoignant de la douleur de ce qu'il I'appelail madame la r^gente, — « 'Vous avez raison, dit-il, de dfeirer, que nos ans Solent egaux, car la fin de ma vie sera le commencement de vos peines; vous avez p'eure de ce que je fouettais voire fils avec un peu (le severile, mais quelque jour vous pleurerez beau- coup plus du mal qu'il aura ou de celui que vous rece- vrez vous-meme .... D'une chose vous puis-je assurer, qu'etant de I'humeur que je vous connais, et prevoyanl celle dont il sera, vous entiere, pour ne pas dire tetue, madame, et lui, opinialre, vous aurez assurcment niaille h departir ensemble. » Cerles on serait lente de croire que le roonarque lisait dans I'avenir; — sa prophelie ne devail que Irop rece\oir un accomplissemenl. Marie elait avide de gloire et de triomphe, elle eut la faiblesse de solliciter avec chaleur son couronnement ii Saint-Denis. Le roi s'y etait longtemps refuse, car il ne voulait pas arracher au tresor les somnies inimenses que coutaient les fetes publiques en pareille occasion ; il se laissa vaincre enfin, et cetle ceremonie eut lieu le 13 mai de I'annee 1610. (t Jamais, ditMezeray, assemblce de noblesse ne fut si grande qu'en ce sacre, jamais de princes mieux parez. jamais les dames et les princesses plus riches en pierre- ries, les cardinaux el les eveques en troupe lionorant I'assemblee, divers concerts remplissanl les oreilles el les charmanl, on lit largesse de pieces d'or el d'argent, avec la satisfaction de lout le monde. Cependant on prepare son entree pour le dimanche suivant avec une grande magnilicence, on ne voit qu'arcs triomphals, que devises, que figures, que trophees, que theatres qui doivenl re - tenlir de concerts. Parloiit on trouve des fontaines arli- ficieJes pour marque de grjces representees par les eaux, gland nonibre de harangues se preparent, les coeurs se dispusent a parler plus que les langues, tout Paris se mel en armes, nul n'epargne la depense pour se rendre digne de parailre devanl celte grande princesse, qui, vraimenl triomphanle pour elre femme d'un roi revere et re- doute de tout le monde , doit enlrer en un char de triomphe. • Oui, tons ces preparalifs de (Mes se font dans I'lm- mensecite, — loules les bannieres se deploienl, — eties cloches vonl sonner des voices de fete, — lorsque tout a coupuncridedeuil retentit dans toute la France, — Henri le Grand vient d'etre assassine I Cel honihie evenemenl jeta partout I'effroi et la con- sternation. II y eul dans I'ame de quelques honimesun de ces soupcons alTreux qu'on ose a peine ecrire. Sully s'enferma dans son arsenal, et ne fut point voir la reine, ce qui est explique par les insinualions qu'il a glissees dans ses memoires el par celles de ses secretaires. — 11 crut que Marie de Medicis avail trempe ses mains dans le sang dc son epoux. 270 MARIE DE MfiDIClS. Cela, peut-ctrc, parce que la pauvre fcmme eut dans cet alTrcux moniunt loule I'energie qu'il Tallait avoir pour mailriser les larmes de la veuve tt se sacrifier ii son triple devoir de reino, de mere el de regente. « II y avoit, dit I'auteur de I'liislorial de Marie de Me- dicis, partout tant d'elonnemcnl, quo si elle, par son cou- rage, n'eCit releve les autres, la tourmente faisoit tlotler les plus fermes. L'esprit de Dieu donne de la lumii;re a son entendement el de la force ci sa Constance pour la resoudre a faire revivre le pere en son fils. Passant cou- rageusement et prudeniment sur les formes scrupuleuses du dueil des roines et de la solitude des quarante jours, elleconduisit le roy au parlement, la puissance pour lors la plus entiere de I'fitat. Quand il sortit du Louvre pour y aller, on avoit oommande aux gardes de crier vive le roy! mais il n'y avoit partout que des pleurs, et n6annioins ce ieune prince remarqua bien que de Vic, enseigne des gardes, auoit crie le premier. Sur les dix heures, le roy vestu de vioUet, nionte sur un petit clieval blanc, vint aux Auguslins : tons les princes, seigneurs et officiers de la corone estoientii pied, il fut receu ii la porte par deus presidents et quatre conseillers. 11 est assis au throne de la iustice souueraine des roys, en I'auguste temple de leur maieste. 11 est reconnu roy, et elle priee par les princes, pairs et officiers de la corone de mettre la main au ti- mon du vaisseau si serieusement battu et agile, prendre la regence et administration du royaume durant le bas aage du roy son fils. — Le mesme bruit qui porte parle monde la mort du p6re asseure le r^gne du fils, le pou- uoir de la mere ! • La conduite de la reine, dans ces circonstances, etait d'autont plus justifiee, que I'Espagne alors avail fait se- cretement olWr au prince de Conde, qui se trouvait h Milan , un chemin facile pour arriver a la royaut6 en France; on n'en resia mC-me pas la, I'ambassadeur d'Es- pagne essaya de piinetrer a cet ej;ard les sentiments du pape Paul V, et, quelque fou que put etre le projct de detroner la dynastie de Henri IV, toujours est-il que de grands troubles auraient pu naiire d'lm manque d'encr- gie et de promptitude dans raccomplisscment des pre- miers actesdela regence; car si, depuisle traile de Vcr- vins, la France goiitait une paix qu'elle n'avait jamais connue, les factions calholiques et proteslantes u'(5tant plus contenues parun roi ferme et puissant, pouvaientde nouveau se heurter au pied du trone et peut-elre I'e- branler. Le prince de Conde, irrit(5 centre la France, parce qu'il avail b. se plaindre d'llenri IV et du parle- ment, I'Autriche, blessee de la protection accordee aux pctits felals d'AUemagne et d'ltalie, I'Espagne encore fu- rieuse des desseins, pour elle hostilcs, du monarque de- funt, lout cela n'etait que trop de motifs pour hiiter l"6tabli3sement de la r('gence. Du reste, le parlement avail compris I'urgence d'une prompte decision, et quoiqu'il ne fiU pas accoutnm^ a I'honneur dejuger des questions de cette importance, il sut encore s'entendre assez pour n'obeir qua ses lellexions, et non, comme on I'a dit, aux impertinentes bouladesdu due d'Epernon. Toulefois, rcn- dons justice a ce dernier : il etait de son inter^l de voir nommer Marie de MMicis a la r('>gence, el il a pn man- quer de respect a une assemblce pr6te a statuer sur do semblables questions, ma-is il dit, au milieu de scs soUcs declamations, une chose qui prouverait encore rinterft qu'il prenail a la palrie : • Ce qui pcut se faire aujourd'hui sans peril ne se fera peut-elre pas demain sans carnage ! » La reine, devcnue ri'genle, fut la cause de bien des ■ mallieurs, — cela est vrai ; — mais, il faut le dire, le parle- ment, la noblesse, les princes du sang et les miuistres contribuereiil bcaucoup au desordre qui signala I'epoque de sa puissance. Henri IV avail dit a son Spouse : — La fin de ma vie sera le commencement de vos peines! — En effet, a peine les funt^railles du grand roi eurent H& faites, qu'une confu- sion inexprimable el tumuUueuse devint le fruit d'un gouvernement inhabile a reprimer les machinations des principaux corps du royaume. Marie de Medicis etait faible de caractiare ; on I'egara davanlage en lui faisant enlrevoir des complots el des crimes qui n'existaient pas. Elle eloigna les ministres sur lesquels elle devait s'ap- puyer : Sully, Jeannin et ViUeroy furentdisgracies; tan- dis qu'elle prodigua sa favour au due d'fipernon , au nonce du pape, au pere Cotton, et surtoul aux epoux Con- cini, couple italicn, dont le man dcvenail niarechal de France sans avoir jamais commando une bataillc, el dont la femme savait, nu milieu de la detresse gencrale, amas- ser deux fois plus d'or que n'en possedaient alors les dif- ferents rois d'Europe. — Les triors mis en reserve par I'au- guste victime de Ravaillac furcnt bieulot epuises. — II fallut multiplier les impots et rendre ainsi le people rcs- ponsable des malheurs de la regence et des dilapidations commisesparConcini. — C'etait en servant I'humeurjalouse de la reine que ce dornior el sa femme s'etaienl eleves, ce fut en I'irrilant centre les princes et les minislresqu'ils conservferentleurautorile. — Partout ilslui avaient failen- trevoir des conspirations et des attentats centre son gou- vernement; tout seigneur qui n'etait pas leur ami dcve- nail un ennemi de la reine. La pauvre femme, Irahie ainsi par tout le monde, faible dans les moments oil il fallait le plus de force, et exer^ant la rigueur lorsqu'il cilt fallu employer lout autre moyen, vit bientot son royaume tomber dans un etat de desordre et de depr(5da- lion universelle. — Les Concini mettaient tout a prix; les graces, les privileges, les ditferentes charges' du royaume furent vendus au plus offranl et dernier cncliiTJsscur. Au milieu de ce bouleversemenl general, la reine se vit forcec d'achcter ses sujcls plulot que reprimer leur re- volte. M. le prince de Conde etait arrive h Paris accom- pagne d'une nombreuse escorle de princes, seigneurs et gentilshommes, la plupart ayant abandonne lacour pour venir au-devaut de lui ; ce ne fut qu'au moyen d'une forte pension a lui donnee qu'elle crut apaiser son alti- tude menacanle. — Le memo precede fut employe envers le prince de Conti, le comle de Soissons, les dues de Guise, - deMayenneetplusieurs seigneurs etofficiersdelacouronne.," — Neanmoinselle nepulempfcher que les nobles desertas^ sent de nouveau la cour pour allcr sejoindreauxmenibrel de la famille royale armes contre elle, et pour empiVheif la coalition de la revolte elle descendit jusqu'a la priereS ainsi, apprenant que le prince de Conde el le comte da Soissons s'elaient reunis i Droux, oil ils parlaicnt liaulej ment des torts de la reine et de leurs meconlentementi personnels, elle leur deptkha le marquis d'Ancre pour le| supplier de vouloir bien revenir a Paris, oil elle s'ef-j forcerail de les satisfaire en tout ce qu'ils pourraienl de-^ mander raisonnablemenl.— Ces messieurs se rendirent scs supplications, et elle regarda cet acte de soumis;iorl inleressee comme une beurcuse circonstance. '270 Cela, peut-etre, parce que la pauvre fcnime eut dans cet alTreux momi'nt loule I'energic qu'il fallail avoir pour maStriser les larmes de la veuve et se sacrifier a son triple devoir de reini ' "'". « II y avoil, •* Marie de iU- dicis, partout rage, n'eiit r les plus Term son cnlender resoudre ii fi rageusement du dueil de; elleconduisi la plus entie aller, on av niais il n'y ce ieune pr gardes, aui vestu de i aux Augus la corone presidents la iustice maieste. pairs el > nion du ", car, quelques niois apres, Louis Xlll faisait reconnaitre sa niajorile par le parlement. La reine vcut conserver son pouv,oir; Richelieu, alors simple ev^que de Lucon, charge par les elats geneiaux de haranguer le roi, se fait adroitement aimer de la mereetdu fsls, ilsupplie le jeune monarquedeperseverer dans sa sage conduite et d'ajouter au litre augusle de mere du roi, le nom de mere du royaume. Marie se laissa prendre S ces demonstrations, et elle crut trouver en Richelieu un soutien ferme et eclaire. De son cole, le roi dut prendre k son profit la miJme opinion. — Le mare- chal d'.4ncro et sa femme etaiciit encore dans toule leur puissance. Richelieu sut les fiatler;— Concini fit iiommer secretaire d'fetatde la guerre et des affaires etrangeres celui qui, par la suile, devint son ennemi mortel. La reine avait ele ja'ouse de son mari, die fut jalouse MARIE DE MEDICIS. de son fils. Les actes d'aulorile quecedernierdevait faire commo roi lui seinblaient aulant d'arrache b sa puis- sance. Des lors, il faut I'avouer, son humeur devint in- supporlab'.ea Louis XIII, qui d6ja n'avaitaucune amitic pour elle. La cluite on plulotl'assassinat du marochal d'Ancie fut le signal do la grandedefaveur de la reine mere. Ce mal- heureux niinistre auqnel on ne pouvait rpprocher aucun crime capital, fut tue pardoVitry, capitaine des gardes, cl sur lorecit de ce crimp, Louis XIII, ditle Juste, s'(5cria : Dieu soit loue, mon ennenii est mort! Et an m6me in- stant il envoya prendre la marecliale pour la faire conduire dans I'une des cliambresgrillees du Louvre. Un historien, qui semble partisan de ces actes d'iniquite, ose meme avouer que le roi « flt avcrtir sa mere, qui eloit encore dans le lit, parce que commo ellese vouloit levei-, on lui \int dire la mort du marecbal, ce qui la fit remettre au lit pleurantet soupirant {Mi'moires conccrnant la rcijcncc de Marie de Medicis, t. 2. p. 499 ). » Vous savez comment la malheurcuse Leonore GaligaV, vouve du marecbal d'Ancre, fut accuseo de magie et de sorcellerie et sur quelle place ses membres brises furcnt livresau bOcher de I'infaniie et de la cruaut^! Le jour meme ou ces evenemenis avaicnt eu lieu, on fit, parordre du roi, sortir les gardes de la reine mere du Louvre , et on lui donna qnejques gardes de son fds avec ordre de ne laisser entrer ni sortir pcrsonne qui ait pu voii- Marie de Mi'dicis, sans une permission expresse du roi.-^Les portes de ses appartements furent mur^es; on lui 6tam&me le droit d'allerse promener dans les jardins du Louvre. Cette journee changea tolalement la face des choses ; la regenle n'e\islait plus; et si elle parvenait h apaiser la cruautedu roi, ce ne pouvait ctre que pour sortir de la prison oil elle etait renfecm^e. Sans doute pour recompenser leur maniere d'exe- cutor ses ordres, le roi donna i de Vitry la charge de mar6ehal de France et a M. de Luynes le poste de pre- mier gentilhomme du roi ; c'etait juste, les assassins se sonl de tout temps partage les depouilles de leur \ic- tinie! La reine mere ne put soufTrir longlemps I'etat de captivite dans laquelle on la tenait ; elle demanda la permission de se retirer au cbMeau de Blois. Louis XIII lui accorda ce lieu de detention ; mais ce fut a peine s'il •voulut la voir un seul instant avant son depart, et s'il permit a ses sffiurs d'embrasser leur mere. Richelieu, soit pourservir une reine qu'il pensait de- voir rentrer en faveur, soit pour plaire au roi en adou- cissant par 1& les rigueurs qu'il eroyait utiles enverssa mere, suivit Marie de Medicis a Blois; il y resta peu de temps. — On le relegua dans les fetats du pape h Avignon , ou il ecrivitson livre de la Perfection du Chretien. La prisonnif're du chSiteau de Blois ne put voir tombor ainsile sceptre de ses mains sans s'efforcor de reprendre par tous les mqyens ce que ses.ennemis lui faisaient perdre. Trompant le roi sur ses vi^rilables intentions, pour obtenirplus deliberte, elle feignit dodesavouerceux qui travaillaient h sa cause. Puis demandantla permission d'allerkMouIins, elle sepreparaa ce voyage, qui enrealite n'etait qu'une fuite dissimulee; mais on decouvrit son projet,etsa captivite n'cn devint que plus etroite. Alorselle eul recours h un moyen dnergique et dangereux : la nuit du 21 fevrier 1619, elle s'^vada du chateau par une fenelre. Ce fut M. le due d'fipernon qui la recut dans ses bras et qui laconduisit immediatemenl i Loches, ou I'at- tendait uno escorte de gentilshommes et d'archers. Get evenemcnt causa Ji la cour de Louis XIII une grand« rumeur ; on supposait que de hautes intelli- gences existaient entre Marie de Medicis et les ennemis du roi, — on crut des lors que la guerre civile si long- temps contcnue allait devorcr la France. La fugilive pour justifier sa conduite se plaignit dans ses ecrits des mauvais Iraitemenls qu'on lui avail faitsubir et de I'intention oil avail etc le roi de resserrer encore sacaplivile. Maintenant,ajoulait-elle, son fils pou- vait trailer avec elle, ce qui n'asail pu tMre fait jusqu'a- lors. C'est a compter de ce moment, qu'on peut reprocher a cette reine d'avoir arme des soldats centre son fils et de n'avoir pas songe que, pour le salul de la France, elle devailoublierses rancunespersonnelles. Leroi avanca avec une armee formidable.; on se battit au pent de Ce, et la France sembia vouloir se detruire elle-mfime. — Cette affreuse discorden'eut deresultatsavantageux que pour Ri- chelieu, quimenageantun raccommodement entre la mere et le fils, reussit a faire signer un trade, le 1G aout 16211. La reine revenait enfin a la t(5te du conseil ; elle employa tout son pouvoir a y faire entrer rev6.qiie de Lujon, quelle venaitdecreer cardinal, ctparvenanta son but, elle eutun acces de joie comme si cedevait etre pour elle le commen- cement d'un avenir plus heurcux. Le cardinal devint nii- nistre, Marie le favorisaitloujours; — ellerrut qu'clle allait gouverner par lui, jusqu'au moment oil elle s'apercut qo'ilexeculait regulierement tout ce qu'ello pouvait exi- ger, mais qu'il savait aussilot, pardesmoyens imprevus, atlenuerreti'etdcsesvolonles. — Louis XIII devait avoir un maitre : des que ce n'etait plussa mere, ce ne pouvait etre que Richelieu. — Au retour de I'expedition de La Rochelle tout le monde put s'apercevoir de la mcsintelligence qui coramen^ait h s^parcr le cardinal de la reine, et lorsqne des lellrcs patentcs le nommi;rent premier niinistre, un ordre de la reine lui ola la surinlendance de sa maison. Quelquei anneesapres, Marie, qui haissaitle rival qu'elle s'etaitdonn^ auprte du roi, obtint de celui-ci une pro- messe de defaveur pour Richelieu, il devait etre renvoye de la cour pour n'y plus reparaltre; mais au moment oil tout le monde eroyait a la chute de I'ancien eveque de Lucon, il y eut, aucontraire, une nouvelle fortune pour lui. Son pouvoir sur le roi fut a jamais assure, et Marie, I'une des premieres viclimes de cette journee qu'on ap- pela cede des Dupes, fut arretiiede nouveau par ordre de son fils et conduile ii Compiegne, pour y etre detenue l||, dans le chateau. Bsg Le mallieur qui la frappait s'appesanlil sur tous ceuxSm qu'elle avail proteges jusqu'a ce jour, et la Bastille ou d'aulres prisons s'ouvrirent pour tous ses amis el servi viteurs. Pendant longtemps la veuve d'Honri IV avail et^ lai mattresse du royaume. A la l^le d'une armee h Angers, k Angoulenie, a Tours ou k Loudun, donnanl des ordres a ses geni?raux Mayenneet d'Epernon, ou bien dirigeant les volontes deson fils et meme cellesdesesministi'cs, elle avail jusque-la, excepts pendant son court sejour a Blois, .senli ployer sous sa mamlesdeslinees dela France; mais a compter de ce jour ou celui qu'elle avail eleve vcnait I MARIE DE MEniCIS. 273 d'abjurcr ^ tout jamais la. gralilude qu'il lui devait et d'exi^er du roi une ordro d'incarreration, la pauvre reine rommenra cctle triste existence q\ii descend pen h pen au milieu dcs souffrances et des humiliations jusqu'au grabat qui la vit mourir. De m6me qu'elle s'etait 6vad6e de sa prison de Blois die rcussil^ s'ouvrir les portes du chMeau de Compiegne, etnesetrouvantpasen sdrcte dans le royaume commande par son fils ou plutol par son rival aupres de lui, elle se rendit a Bruxelles. A la mfme (^poquc, Gaston, Wre unique du roi,m(5con- (cnt de Richelieu et de Louis XIII, quilta la France et se iclira en Lorraine. Alors le cardinal ministre publia une declaration dans laijuelle tous les amis et les domestiques de Monsieur, qui I'avaient suivi dans son lieu de retraite, I'Inient regardes commecriminels de lese-majesti5. En en-. registrant cet Mit, le parlement cruttrouver au moins de la severite dans cette mesure, et, aprfrs avoir longlemps debattu la question, il y eut un arr6t de partage. Le roi, indigne de ce qu'on avaitose s'etablir juge de ses propres volontes, nianda le parli'mont au Louvre et lui ordonna de venir.b pied. Tous les membres humblement proster- nes recurent la royole reprimande. M. de Cbateauneuf, garde des sceaux, leur dit qu'ils etaient sortis des bornes deleur juridiction, et quant a tout cela le roi leur eut ajoute un reproche outrageantsurleurd&obiissance, il prit rarri)t qu'ils avaient rendu et le d^chira. — On comprend alors le peu de cas que durent faire ces m^mes bommes des lettres, requites, et suppliques que leur adre.?sait Marie de Jledicis centre le m^me Riclielieu, — I'une de ces requetescommencait : a Supplie Marie, reinedeFranceetde Navarre... disant t^lM'ii^iifi, , w \\ '^^^-iiiiy '11' Marie de Mcdicis, dnns un grabat ^Cologne, retail le nonce du pape. qu'Armand Jean Du Plcssis, cardinal de Richelieu, par loutessortesd'artifices etde malices etranges, tacbed'alte- rer, comme ilavaitfail deja I'annce passee, la sanle du roi, I'engageant par ses niauvais conseds dans la guerre, I'o- bligeant a se trouver en personne dans les armees picines de contagions, aux plus grandes cbaleurs, et le jetaut tant qu'il peut dans des passions et apprehensions extrjordi- naires centre ses plus proclies, et conlre ses plus fideles serviteurs, ayant dessein de s'emparer d'une bonne partie de I'etat, remplis.^ant les charges les plus imporlantes de ses creatures, et etant sur le point d'ajouter un grand nombre de places niaritimes et frontieres au gouverne- ment de Bretague et de Provence, pour tenir la France assiegee par cos deux extremites et pouvant par ce moyen avoir le secoursdes etrangers chez lesquels il a des intel- ligences secretes. • Cetle requele finissait ainsi : • Ladite dame reine voiis supplie de faire vos tres-humbles remontrances, tant sur le scandale que produisent les violences qui sont et pourrout etre faitos a la personne de ladile dame reine, centre I'lion- neur du k son mariage et naissance du roi, par un scrvi- teur ingral, ciue sur lout ce qui est contenu en la presenle requete sur la dissipation des finances et achats d'armes, II. places fortes et provinces enlii.'res , violementsdcs lois de I'etat, et autresfaits quivous sontconnus et publics a tout le royaume, et vous fcrez bien. Marie. > Non-seulement le parlement venait de recevoir un af- front pour s'etre occupe de semblables affaires, mais en- core la reine, qui alors le suppliait en femnie infortunec, avait jadis use de rigueur envers lui et I'avait insults au moins aussi bien que Louis XIII. Les plaintes r^ilerees qu'elle avait adressees au roi centre le cardinal Richelieu contenaicnt des accusations fondees, mais malheurcusement les personncs qui les re- digeaienty glissaient, avec une haine aveugle, des men- songes qui annulaient la force des assertions sericuses. De la le mepris que fit Louis XIII do toutcs cclies qu'elle lui envoyait, et I'animosile de Richelieu centre celte pauvre reine desormais obligee de cherclier un re- fuge comme un vagabond cherche I'hospitalile. Dans Ics Pays-Bas, la bienscance et un reste d'amour pour la France la forcent a quitter Bruxelles parcc que la guerre vient d'eclater entre I'Espagne etle royaume de son fils; elle va en Anglcterre, et, si elle n'y est pas repoussee sans secours et sans pilie, c'est que Charles 1" n'a pas t'coute les barbarcs conseils de Richelieu. louche de com- 18 274 PETITS passion pour sa belle-inerc, non-scu!cmont il lui donne line retraite dans ses filals, mais encore il adresse les inslances les plus pressantes pour que lo peu qu'elle dc- niande h Louis XIII lui soil occorde. Ce dernier fit re- pondre qu'il s'en rapporlait ii la decision de son conseil, ct cninme son conseil olieissait h Richelieu, ce fut h cet impitoyable minislre que !o sort de la veuve d'un grand roi fut encore une fois confie. Vous devinez ce qu'il ad- vint, il n'y eut pas une voix pour elle. Tous voulaient qu'elle fiit rel^S"^6 f" Toscane, comme si ce n'eCit pas 6te pour Marie une horrible humiliation que d'etre ren- voy^e du pays oil elle avail droit de denieure. Les troubles qui regnaient en Angleterre ne permcl- taient plus a Charles de conlinuer I'hospitalitiJ qu'il lui avait accordt^e. Elle se refugia a Cologne, et, cette fois, ce ne fut plus du manque d'egards et de faste qu'elle eut a se plaindre, mais bicn de la misere. — Elle se vit forc^e de congedier ses valels un a unjusqu'au dernier. — Pour vivre, elle vendit sou argcnlefie, ses nieubles, m6me ses VOYAGES hardes.et quandelle neposscda plusrien,la fille du grand due de Toscane, la veuve d'Henri IV, la reine de France, la mere de Louis XIII connut la faim, car le pain lui manqua ! Le nonce du pape vint la voir i Cologne ; il I'a- vait prcsque reconciliee avec son fils, il la trouva malade et denuee do tout; alors il la supplia de pardonner J) Ri- chelieu ; elle y consentit; mais lorstjue, pour gage de ce pardon, renvoy(5 demanda le bracelet qu'elle porlaittou- jours a son bras : « Ah ! e'en est trop! » dit-elle; et elle ne voulut plus revoir le nonce. Quekjues hcures apres, elle succombait h une maladie de langueur. Son dernier soupir s'e.\hala dans une chau- miere, sur un lit qu'eul refuse le moindre de ses valets. Pauvre reine! malgre tout, le blame trouve une large place dans votre histoire; mais, quand on a suivi le noir sentier que vous avez parcouru, depuis le trone jusqu'au grabat de Cologne , on s'ariele sur votre tombe pour plaindre et non pour maudirc! Andre Thomas. TETITS VOYAGES SIR lES RIVIERES DE mm. LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVENIRS. (suite.) A un quart de lieue environ, plus loin que Saint-Cloud, on voit se detacher, sur Ic fond de I'horizon, lemont Va- lerien. Cette monlagne, qui s'eleve comme un dime a travers les airs, poss6dait jadis un humble ermitageque les missionnaires surent loujours embtllir. Ce fut long- temps le rendez-vous des pelorins qu'une curiosite peu evangcliquc altirait en ce lieu autant pour leur plaisir que pour leur salut. Au bas du mont consacre, le village de Surene donnait a'jx bu'.curs peu difficiles son petit vin rendu celebre par un proverbe ; c'est l', — et I'orna d'un paraphe qu'il trouva de fort bon gout. II tut gueri du roman. Son deuxieme acces littcraire se manifesta a la lecture des tragedies de Racine, — que commentaienl vers ce temps-la les elcves de la division Traquenard. Vivemenl impres-ionne par les splendours de la scene, el le cer- veau rempli de coups de theatre, — il eulreprit un melo- drame du plus grand effet, qu'il decora d'un litre pom- peux, dans le gout du jour : MORB.iCK, CHEF DE BRIG.\NDS, MELODBAME E>- TliOIS ACTES. Au lever du rideau, on apercevait une fort^t, — oil ro- daient plusieurs figures a polence. — Morback, envelopp(5 dans un manleau rouge, avec un arsenal de poignards et de pistolets a la ceinture, arrivail en jelanl des regards sombres aulour de lui ; — el, apres un instant de silence, il disait d'un ton sinistre : « Amis, il fait beau ce matin. • A quoi il etail nature! que les voleurs repondissenl oui ou non, selon I'tlal de I'atmosphere ou leurs impressions personnelles. — Mais le dramaturge, ne Irouvant pas sans doule celle reponsc a la hauleur des circonslances, mil dans la bouche de I'un d'eux I'expression d'un doule narquois : ■ Tu crois? " demandait Bras-de-Fer. Morback repartait : ■ Oui.» Son interloculeur disail : ■ Ah! > Ici, I'auteur ne Irouvant plus rien a ajouter, laissa ces messieurs fort satisfails d'avoir constate la beaute de la temperature. II fut gueri du drame. Enfin, un cours de versification vint encore faire lour- ner celle bonne t^le d'etourdi. X peine connut-il les pre- ' mieres regies de la poesie, qu'il resolut de mener ii fin un poeme epique en I'honneur de Xapoleon. — Le premier vers lui arriva si vile; qu'il crul deji I'avoir lu quelque part. Nonobstant cette consideration, il ecrivit au haul de son papier : 284 CHANT PBEMIER. El il commenca de la sorte : LES AVENTURES BIZAURES a I'avenant. — Cogne-Fetu Jo cIliiiIc ce lii-ros qui i-cgna sur la France... La suite n'arrivait pas aussi facilement. — II passa une heure a se graltcr le fronl el a murniurer enlre ses dents : " Qui regna sur la France... sur la France... Qui fit... qui dit... qui... » Rien ne vint. — Sanclie s'elait ap- procliii de lui depuis quelques nionieiUs, et le rcgardait d'un air doucement moqueur : — Voila une heme que tu chanles, lui dit-il; as-tu bienldt fini ? — Tout a I'heure, repondit le poi'te qui venait di.' dScouvrir un biais pour en sortir a son honncur. Et, mettant un point apres Fiance, sous cet unique vers il ecrivit : FIN DU ClUNT PREllIKIi. Puis, sous le regard sourignt de Sanche,— il coutinua immedialement a la suite : CHANT SECOND. A la fin, impatient^ de n'etre pas plus fecond que pour le precedent, — il griCfonna : J'ai clianlu ce Iiltus qui regna sur la France. Et il lermina par de superbes majuscules. FIN DU POEME. II fut gueri dela litteratureen geni-ral, — et des pol'uies epiques en particulier. En se jetant ainsi a corps perdu dans le trop ou dans lo Imp peu, Alphonse g;Ua, gaspilla, ruina completement ses plus heureuses qualites et ne put acqu(;rir que des coiinaissanccs superficielles, les pires des connaissances. L'e.xemple de Sanche fut impuissant h le raniener ; I'ami- tie, qui les unissait lous les deu.x, lui faisait rendre jus- tice ;i sa perseverance et prendre part h ses succes ; mais s'il Tadmirait sincerement, il ne sentait pas la force de marcher sur ses traces. Premiere represeiil.illon de S »i\t-A!\«k i;t V ii.ixcotn r ou les EFFI':T»i DE I. A r(»KTI \l':. II lui arriva peu de temps apres une autre aventiire. Le professcur Traquonard, qui, sous de modesles de- hors, cachait de liautes pretenlions, concut le projet de faire represenler a I'une des distributions de prix — une piece de sa composition. Le dircctcur y donna les mains. Les eleves accepterent la proposition avec enthousiasme, et Cogne-Felu avec frenesie. Pour obtenir du boii- homine un r6le important dans I'ouvrage, il lui voua su- bitement un culte fanatique, ramassa cent fois son niou- choir etveilla avec un soin scrupuleux a la nettele de ses verres de lunette. — Sa flatlerie fut recompensi-e. Tra- quonard luiconfia le personnaj;e d'un rauscadin de I'eni- pire, superieurement frise et I'csprit empanachedes llcurs les plus superbes du jardin de rhelorique, tellcs — que melaphorcs, apostrophes, oalachreses, syiiecdoques , li- lotes, antitheses, metonymies, etc. La charpente du dranie etait du reste d'une simplicity extreme et d'une moralite sous le nom de Saint-Ange, s'etait lie au college avec le jeune Valincourt, represonte par Sanche ; il le retrouvait plus lard dans le monde, el, remarquant sa position pivcaire, feigiiait de ne point le reconnaitre. La roue dr, la fortune tournait sur cesentre- faites, et Valincourt, pussesseur d'une brillanle fortune, venait fiualement au secours de Saiiit-.4nge, plonge dans une alTreuse misere. HA P, Cette vertueuse peripetie etait d'un excellent excmple, et Traquenard coniplait beaucoup sur un succes. Alphon.se niangeait et dormait en repetant les scenes de son emploi. Non seulement il ne se contenta pas d'ap- prcndre son role, mais il apprit aussi la pifece eutiere, afin, disait-il, de se bien penetrer des situations. — Le vieux surveillant 6tait evidemment flatte d'un tel zele. — Les repetitions se succederent rapidenient. Cogne-Felu soufflait a gauche, a droite -, il soufllait loiijour.s, il souf- flait partout, — il soulTlait lesoulileur lui-ineme. Enfin, le grand jour apparut. Un iheitre avail ete dresse dans la cour de retablisse- ment. Des guirlandes, melees aux draperies, lui donnaient un aspect coquet et de fort bon gout. Les parents so pres- saienl en foule. II y avail la un veritable public, — mais '«C^ un public indulgent et sans facon, qui arnvait les mains pleines de braves el qui avail oublie les sifllelsa la porte. Ileureusement pour Cogne-Fetu ! Mais n'anticipons pas. — Notre heros, a la vue de cette multitude dc teles curieuses et attenlives, sentit naftre en lui une emotion qu'il ne put mailriser. Incapable de se roidir centre un sentiment quelronque, il s'abandonna au dccouragement et s'exagera les difficultes de sa position. — Ce fut avec un tressaillement nerveux qu'il entendit commencer I'ouverture. — II fallut que Sanche rentrai- n;U sur la scene; il sentit en entrant ses jambes flageoler sous lui. DE M. DE COGNE-FETU. 283 La loile se leva, Le silence le plus parfait regnait dans I'assemblee. Le modesle Yalincourt abordait le biillant Saint-Ange, et clierchait vainement k s'en faire reconnaitre. — Comment te portes-tu? lui demandait-il. Un plail-il dedaigneux etait la reponse de Cogne-Felu; — mais il se trouvait alors tellement bouk'vorse que, roulant dcs yeux effares autour de lui, il repondit sans savoir ce qu'il disait : — Pas mal, et loi ? Traquenard bondit sur son siege et, de la coulisse ou il se tenait dans I'anxiete d'un auteur que Ton joue, — il lui envoya un plail-il furibond. — Plait-il ? lui dit egalenient Sanche lout bas. Et le souffleur repeta k diverses reprises, sur divers tons : — Plail-il... Plail-il... Plait-il... Cogne-Fetu se relourna en m^me temps vers la cou- lisse, vers Sanche et vers le souffleur. 11 ne coniprenait rien. Tout k coup, pousse par le coude de Sanche, la me- moire lui revint, et il s'ecria avec .'olubilite : — Eh quoi I mon cher Sainl-Ange, lu nenie reconnais pas, tu ne reconnais pas Valincourt, ton camarade, ton ami, ton Pylade? Est-ce ma mauvaise fortune qui en est cause? Tu sais quelle fut ma destinee : je suis n6 de pa- rents pauvres, mais honnetes; a quinze ans... Traquenard tomba aneanti. — Mais tu n'y pcnses pas, dit Sanche en le tirant par I'haliit, c'est mon r61e que tu declamcs. C'est moi qui suis Valincourt, c'est toi qui es Saint-Ange ; c'est moi qui dois le center celte hisloire. Cogne-Fetu resta — bouche beanie. On fut oblige de passer la scene premiere; cela lui donna le temps de se remettre pour les suivantes, — el, sauf quelques empi(5tements sur les r6les de ses camara- 1 des, il put enlin achever le sien d'une maniere a peu prte convenable. — Lorsque Traquenard vit son ceuvro marcher a la satisfaction generale, il se remit un peu de I ses alertes, et les bi-avos qui accompagnerent le denou- I ment lui firent entieremcnt oublier ses angoisses dcs pre- mieres scenes. Alphonse de Cogne-Fetu fut plusieurs fois couronne. Son pere et sa mere, de concert avec I'oncle Frejus, en ' pleurerent d'attendrissement. Pendant les dernicres vacances qu'il passa au sein de ses parents, — il lut attentivement une feuille progressive a laquelle ils s'etaient recemment abonnes. Pour son maUieur! Co(?ne-F<^ui roiide un journal rl^volulfonnairc. — II do- mande la ICte de Traquenard. — II peint i fresque. — Violoiite pOri|i<^lie. L'anmie suivante devait voir se terminer I'education de notre heros. On remarqua, des sa rentree, qu'il ap- portait une certaine arrogance dans ses actions, et qu'il se monlrait plus retif a I'endroit de la discipline. — Le vieux Traquenard crut alors devoir redoubler de seve- vile, et se montra d'autant moins indulgent, que son eleve avancait d'autant plus en 4ge. Pour la premiere fois de sa vie, Cogne-Fetu apprit I'art de dissimuler, il se soumit aux punitions, il alia nieme jusqu'a sourire 4 son persecuteur. — Mais, quelques jours apres, de sour- des rumeurs semblerent agiter I'ecole. On se faisait pas- ser de petits papiers, on en prenait des copies, on fo- mentait evidemment quelque machination. — Alphonse de Cogne.-Fetu vonait de publier le premier numcro d'un journal qu'il intitulait : L'lNDfiPENDAXT ! Ce specimen ne contenait que deux articles. Le pre- mier, du redacteur en chef : — Mori aux profisseiirs! et le second, du jovial Titube : — ^1 bas Traquenard ! Alphonse, pousse k bout, ne gardait aucune mesure. II comparait le respectable surveillant k fison, et emetlait I'avis de le faire bouillir avec de certaines herbes, sous le specieux pretexte de le rajeunu-. — Titube proposait des moyens plusdoux : il s'agissait de garrotter la victime et de lui chatouiller la plante des piedsjusqu'hce qu'elle mouriit de rire, — (rcpas excessivement plaisant et qui n'a rien de cruel en lui-meme. Mais un hasard, le plus funeste des hasards, fit tomber cette proclamation incen- diaire dans les mains de Traquenard en personne. II en fut allerre, — et courut auprcs du directeur, — qui decida sans delai le renvoi des agitaleurs et fit pre- venir leurs parents. En pleine classe, et d'une voix for- midable, le vieux professeur interpella les deux publicis- tes, et leur fit connaitre I'arret par lequel ils (5taient chassesde la maison. Chasses 1 ! I Cogne-Fetu pAIit. — Titube ricana. — Dans une heure, ajouta le professeur, vous ne screz plus ici. Voici I'instant des recreations; vous allez rester enfermes dans la salle.Vos families sont prevenucs. Adieu, messieurs ; tachez de profiler de celte lecon. Les cloves sortirent en silence, frappes de stupeur. Seul, en passant aupres de son ami, — Sanche se jeta dans ses bras, fondant en larmes. Force de suivre ses condisciples, il ne le quilta qu'apres lui avoir longuement serre la main. Lorsque les deux complices se trouverent seuls, — Al- phonse secoua la l^te, comme pour chasser les Iristes pcnsees quil'assi^geaient. — Titube; s'6cria-t-il, une derniire vengeance! — Qa va. — Donne-moi du charbon. — En voila. — Et mainlenant, prends garde! 286 Une heure aprcs, I'onclo Frejus nrrivail, epouvanIO ; — ol, i» la suile d'une longue altercation avec Traqueiiaid, — il partit avec son neveu, vis-h-vis duquel il se renfcr- ma dansun morne silence. Uii roulement de tambour rappelle Ics ecoliers en classe. Le front baigne de sueur, ilsrajusteut leurs vele- meiits et s'apprctont Ji reprendre leurs etudes. — Tout h coup, les premiers arrives font relentir un grand ^clat de riro. On se pressc, on se bouscule, on penetre dans la salle, et I'hilarite devient generate. — Traquenard arrive avec un visage inquiet. — A sa vue, les eclats de rire redou- blcnt; onse pamc, on se roule, on se tord sur les bancs. — II jetle les yeux autour de lui. Sur les mursblanchis a la cliaux, des fresques an charbon forment une galerie fan- tastique. — C'est bien lui, Traquenard, avec son nez k corbin, sa perruque et sou habit vort-pomme. Le dessi- aaleur n'a point permis d'i'quivoque : on lit en gros ca- racteres : Extslencc ecolastlqiic el inylliologifitie dc Traquenard. Puis on distingue successivemenl de rapidesebauches, — avec ccs inscriptions : Traquenard son du sein deR oiides. Traquenard esl bf rce par les MoHei^. Traquenard est nourrl par la chevrc Ainallb^e. Traquenard jnue a\ec un pjntjn. La premiere dent de Traquenard. Les IneoDeeqneuces de Traquenard. LA FRliGATE LURANIE. Et finalcmenl : Traqueuardeslplact auraug des cousUllallODs. Le professeur s'affaissa sur une cliaise. Tant de sc- cousses avaient ^branle sa constitution. On le mit au lit, et quinze jours durant il fut ties-gravement malade. Cogne-Fetu s'elait trop venge. CU.VBLES MONSELET. mil REMITS ET A\ ENTIRES DE L.\ VIE IIARlfll. XA FBXSATS IL'SKANIX. I. Le chateau de Penmarek est une vieille demeure feo- dale, situee pr6s de la cute en Basse-Brelagne ; malgrii plusieurs degradations qu'il a subies pendant lesguerres de la ligiie et des factions qui signalerent la minorite de Louis XKI, il conserve encore un aspect assez imposant. On voit avec interet ces tours mutilees, la guelte qui domine le donjon, et la chapclle, qui seule rappelle des idces de grice et d'elegance au milieu do cet appareil de force. C'est la, que vivait dernieremont, dans une solitude presque absoluc, M. Penmarek qui s'y etait retire aprfes la perte cruclle de sa femme, morle a Saint-Pol de Leon quelques annecs auparavant. M. Penmarek avait deux fils, son cspcrance et sa con- solation, et ii avait reporte sur eux toute la tendresse qu'il avait vouee h leur mere ; de lour cote Arthur et Ber- trand se montraient digncs en tout de I'amour de leur pere, par leur passion pour le travail, Icurs prevenances et Ui docilite avec laquelle ils ecoulaienl et suivaicnt ses avis. Arthur, I'aine, avait toujours temoigne la volenti de devemr marin, ce qui allaitbienavec son caractere ferme LA FREGATE ct rosolu; Borlrand, au conlraire, rSveur et coiilemplatif voulailetre medecin. Comrae ricn ncs'opposaitii coqu'ils suivisscnt ccs deux honorables carrieres, 11. Peiimarek y consentit facilenient. Pendant une belle soiree du niois de juin, les deux freres assis pies de la barriere verte qui ferme I'avenue etaient occiipes h trier des champignons, des ceps et des mousserons qu'ils avaient cucillis dans le bois; leur p4re marchait lenlement enlisant un ouvrage qui parais- sait bcaucoup I'inleresser. Tout a coup Arthur pousse un cri, se leve priScipitam- ment et s'elance sur la route oil il venait de voir un jeune marin Irebucher et tomber, son frere le rejoiL;nit rapide- ment ainsi i[ue M. Penmarck, et ils Iransportirent sur un banc le jeune homnic, qui dans sa chute s'etait foule le pied droit. Une foulure sans doule est rarement dan^ereuse , mais elle faiteprouver de \ives douleurs, rend la marcbe impossible gtneccssite un repos absolu pendant plusieurs jours. Lorsque .M. Penmarek se ful assure qu'il n'y avait pas de fracture, aide dequelques paysans qu'il avait appeles, il placa sur une civiere le jeune homme, quilui exprimait LURANIE. 287 avec vivacit6 sa reconnaissance, et il le fit transporter au manoir, ou des soins empresses luifurent prodigues; pen- dant ce temps, Arthur, montanl sur Favori, son cheval, s'etait elance bride abattue vers Lannilis, d'oii il reviat deux heures apres, avecledocteur Guillou. La reponse du medecin ful des plus tranquillisantes: il annonca un peu de (ievre, mais une prochaine guerison. 11 exigea le repos le plus complet pendant quelques jours. Celte fJcheuse circonslance avait rompu la monotonie de la vie de famille cliez M. Penmarek ; c'etait tout un evenement. Les jeunes gens, avec celle curiosite iuquiete qui est presque toujours I'apanage de lajeunesse.auraient voulu aller fuire de longues causerics avec leuj- nouvel h6tc, Arthur surtout, dont le costume du jeune marin avait reveille toutes les emotions el les espoiances. Mais leur pcre s'y opposa, afin de ne pas faliguer ce jeune homme ; seal il le vit et appril de lui qu'il elait novice a bord de la fregale I'Uranie qui avail peri dans la Mediterranec, qu'a la suite de cet evenement il avait eteembarque sur un brick de Saint-Malo et dirigede ce port sur Brest, oil etait sa famille ; il s'y rendait, lors- que dc>ja fatigue d'une penible journee de marche, il heurta une pierre, tonibaet sedemil le pied. Sespapiers, qu'il lira del'etui en fer-blanc oil ils etaient Toules, confirmdrent pleinement son recit. Comme il paraissait etre d'un caraclfere fort doux et qu'il lemoignait beaucoup de reconnaissance des bons precedes que Ton avail pour lui, M. Penmarek ecrivit a sa famille el oblint qu'il passerait quinze jours de convales- cence au manoir. Lui-nieme, n'ayant k Brest que quelques parents eloiL;nes, y adhera facilement, quelques jours de plus ou de moins n'avaient pas la mi^me importance que s'il eiit ele allendu par un pere et une mere. Enfin apres une scmaine de souffrances qu'il sup- porta avec courage, le jeune liorame se trouva assez bien retabh pour pouvoir descendrc aujardinet s'y promener en s'appuyant sur une canne. Alors commencerent les tongues caaseries et les interminables interrogations sur la mer, les vaisseaax, les ev(5nements maritimcs, enfin toat ce qui pcut frapper etsaisir des imaginations jeunes, iTides de recits merveilleux. M. Penmarek, voulant arr^lercel elan auquel du reste son hole se pretait avec une parfaite complaisance, temoi- gnaitquelque meconlentenient, lorsque cedernierprit I'en- gagemcnt de raconter ses aventures de mcr a ses deux jeu- 288 LA FHEGATE LllRANlE. lies amis, au jardinier Jean el au fils du formier, Yvon Braoiiezec, qui savalt asscz de francais pour pouvoir com- prendre et suivreavec inlert^t sesrecils. Le lendemain pendant la soiree, toute la famille 6tanl riunie au salon, le jeune homme prit la parole en ces tennes : VISITE AU PORT, CONSTRl CTION ET LANCEMENT. Je Tous ai dejiidlt, messieurs, queje me nomme Yves Tlialouarn et que je suis fils uni([ue d'un brave officier quo j'ai eu le mallicur de perdre, il y a quinze mois. Mon p6re, qui est mort capitainede vaisseau, elaitdans toute I'acception du mot ce qu'on appolle un oflicier de fortune : sorti des rangs les plus humbles de la marine, il avait commence par etre mousse, et, tres-probablemeiit sans la revolution il ne se fiit jamais elevi5 au dela du grade de chef de timonnerie; mais les circonstances vin- rent seconder son calme courage et developperent des qualiles qui le placerent au premier rang parmi nos offi- ciers pratiques. Je ne puis mieux couronner son dioge qu'en vous disantque I'amiral WiUiaumcz I'avait en con- sideration loute particuliere et que le commandant le Bozec le reconnaissait 'comme un digne rival dans la science du pilotage; il faisait passer un coiivoi et sa fr(5- gale djns les sinuositesdesecueilsou unchasse-maree'ne s'aventurait qu'en Ireniblant. Mon pere pussedait une embarcation dans laquelle nous faisions tous deux de vt^ritables voyages de long cours; car nous allions dans cette coquille de noix visiter Ouessant, Camaret et I'tlede Sein, en bravant les redou- tables courants du Raz et les milliers de rochers qui he- rissontles abor Js de la bale des Tropasses. Nous pouvions dire il juste tilre comrae les pScheurs de la cote lorsqu'ils se trouvent dans ces redoutables parages : 7a Doutr .' va iicourit da tremenat ar Has, Rac va lettr a so bihan, hag ar mor asobras 0 mon Dicu ! aidcz-moi \ passer le Raz, Car mon navire oat pelit, et la mer est bien ^ranile. Nos amis regardaient comme des imprudences ces sor- ties qui nous conduisaient m^me jusqu'a Lorient et a Saint- Brieuc; mais mon pere trouvait du charme k braver le danger eta m'habituer i voir la mort face a face sans baisser les yeux : c'est necessaire dans notre elat. 1 Petit navirc ile commerce en u?a;;e sur les cftles de Brctagnc; sa m.Uure el sa voilure soiit lout ce qn'il y a de plus simple, n'ayanl ni liaiibans, m liiines, ni perroquets. Suuvcnt les voiles son! leiotcs d'une couleur rougwUre. Lorsque nous rcstions en ville, il me conduisait dans le port et me faisait suivre pas a pas les travaux de construction des vaisseaux et les rtparations de ccux qui entraient dans les formes' pour 6tre refondus-; nous allions dans les corderies voir commettre ' les nombreux cordages necessairesen marine depuis ies plus gros cAbles jusqu'au bilord. Nous allions d'autres fois il I'atelier des boussoles, k la sculpture, a I'avironnerie, h I'arsenal, dans les magasins g(,'iieraux eljusqu'6 la manutention oiise coiifectionnent les masses enormes de biscuit ndccssaires aux equipages. Ilvoidait m'initierde bonne hcureaux plus petils details d'une carriere a laquelle il me destinait et pour laquelle je monlrais une vocation decidte. Je n'^prouvais pas de plus grand plaisir qu'ii voir exdculer les manceuvrcs des voiles, passer ou depasser les niAts, manocuvrer le ca- non de mer ou le metlre Ji la serre '. Quelquefois, dans nos excursions, nous suivions le cours d'Ajot dans toule sa longueur en admirant celle magnifique promenade; puis, Iraversant les cours du sombre et vieux chateau qui domine I'entree du port, nous netardions pas a y rejoindre quelques anciens amis de mon pere installs sur cette partie du rocher, que les Brestois nomment la pointe aux Blagueurs, expression moins eli5ganle que piltoresque. De la la vue plane, vous le savez, sur la rade immense si bien defcndue par I'art et la nature; on d^couvre le goulet '^, les galerics de la pointe espagnole, le fort Berthaume sur son rocher d'un aspect ("trange, et au loin les eaux blcues de I'Ocean. Ce spectacle, que nos vieux marins contemplent avec boii- heur, y attire tous les jours ces invalides dela mer. Dela, al'aided'une longue-vue, ilssuivent du regard les navires 1 qui paraissent ii I'horizon ou qui s'engagent dans les 1 passes du goulet : longtenips avant leur arrivije ils IcsJ nomment par leurs noms, car un niarin exp^rinicnle re-j connait non-seulement la classe d'un navire, mais son nom ou celui de son capilaine a la hardiesse, I'habiletc ou la timiditiS d'une manoeuvre, ainsi qu'ci sa mature ou ; sa niarche. 1 Formct, bas^ins rcvctus en pierre de laille oil Ton fait enlrer un vaiiscaa jKuir rinspecter, le rcparer ou le rcrondre. — Quand il y est entrc on ferme les porles d'echise, et i I'aide de pompes on retire I'cau. 2 Rpfandre un vaisseau, c'est retirer les parties qui le composcnt et les re- placer successivement afin de conserver son gabarit. s Comm«ttro, terme de corderie. Faire les cordages, aussiires, dblos, grcHns, dnsscs, itagucs, etc., elc. 4 Scrre. C'est uu amarrage .1 I'aide de la brague, des palans , de raiguiUellc fortemeiil soucques on serriis, puur maintenir les canons pendant le niauijis temps. On met i la serre comme premitire et deuxi^me batterie. 5 Entree de 1ft rade de Brest, lougne, elroite et prutegce par de m.m- brenses batteries. Typ. LacnAMPB QI= et Cump., rue Damietle, 2. CflROMQUE DES MOIS. OCTOBRE. L ne fait plus chand et il ne fait pas encore froid. Voilii le mois d'oclobre. C'est un mois de transition, tout sim- plement. II acheve et il commence; il acbeve de cueiUir ses fruils et il com- mence a labourer ses terres arables. II coupe les vendange^ en deux. II jelle ■&t^ sa ligne a pteher dans un coin et arme son fusil Lefaucheux pour la cliasse h travers buis. Qa, mon genlilliomme, mettez voire habit anglais, votre casquette anglaise, vos bottes anglaises, et montez sur votre clieval anglais, aveo votre cravache anglaise a la main. Voicila meute quijappe, qui lourne, quiaboie; voici les piqueurs, les veneurs et toule celte bande bruyante qui n'attend plus que votre signal pours'elancer comme un caucliemar poursuivi par une fanfare. Les poetes nous ont chante bien souvent les plaisirs de la chasse, el'h mon avis ils ne I'ont pas fait encore autant qu'elle le merite. Songez done quels grands souvenirs hisloriques reveille le son Gerement melancolique du cor dans les forets! L'avez-vous jamais ontendu sans vous rappeler le cortege eblouissant des dames de haul lignage posees sur de blanches haquenees, des faucunniers avec la plume k la toque el I'oiseau sur le poing, de Vhallali furieux et des torches flamboyanles, seniant derriere elles des sillons d'etincelles ? Un beau et splendide spectacle que celui-la et dont le Jockey's-club devrait bien un jour ou I'aulre, dans un de ses caprices princiers, ressusoiler la pompe toule royale : La chasse nous fait tomber dans le banquet, et le ban- quet c'est surtoutetprincipalement le mois d'oclobre. On goute alors celte_^boissou qui n'est plus du raisin el qui T. II. n'est pas encore du vin. C'est a qui s'en ira lourner le robinet de la cuve, oil da sourds grondements annoncent une fermentation d'heureux presage; et il n'est pas rare, dans ce cas que le choc des verres ne devienne le pro- logue d'une de ces conversations petiUantes et enjouees, oil I'esprit fait lui aussi sa vendange. GrJce i. I'edit 19 290 OCTO pr^fectoral, le gibier se promfene impunement sur les tables, nart;uant le corps entier de la gendarmerie. Aprosle banquet, la danse; aprf-s le Qacon, la musette. Mais la danse au grand air, avec la lunepour lustre unique, ou, a defaul de June, un quinquet entre les feuilles d'un arbre ; un piquant melange des kermesses de Teniers et des befories de Boucher ; la ferme et le chateau qui se donnent la main. Le classique tonneaude I'orchestreest dressedans le fond ; le menetrier joue en aveugle et comme doiventjouer biencertainemenllesmusiciensdamnesdel'£'«/i'rduDante. Mais qu'importe a ce monde joyeux qui saute plulot qu'il ne niarche, qui bondit plut6t qu'il ne saute? La joie eclate dans lous les youx, et c'est sans '.nul souci de la mesure que les groupesse croiscnt ct s'entrelacent. La rcnde est le denofimont du banquet, comme le banquet est la suite de la vendange et de la ohasse. Mais qui sera le diinoiiment .fie la ronde maintenant? fitendez unrpeu Ininvahi et .ecoulfizle ventse taine. C'est la pluie, la jplui&qui procode d'abord.par larges^outtes, puis par gotfttesiplus fines-ellplus sorrees, et ertfin par un abat d'eaa violent, general. En peu d'instants, I'alarme cstau milieu des danseurs, et c'est aussitcU un sauve-qui- peivt elTroyable parmi lasoHc de bal. Les granges sont envaliies de m^-me que les hangards;; tout est bon pour lesjeunes filles qui abritent leurs charmants visages sous leur mouchoirouleurtalilier. Leplaisir n'a que le temps d'ouvrir ses ailes et de s'envoler vers nos antipodes. Chacun ne songe plus qu'a regagner sa mai^an, a travers les flaques ri'ccntes du chemin et les sentiers boueux qui conduisent au village ; heureux encore si Ton y arrive sans autre inconveuient que celui d'etre mouille jusqu'auxos, et si un bon feu de sarments pent conjurer h temps les symptomes d'une fluxion ou d'un rhuniatisme ! La pluie ! — c'est une des pages les plus tristes du mois d'octobre. La pluie, qui scintille a travers les der- niers ravons du soleil, comme une lamie dans un regard ! .4vco la pluie, gemissent les girouettes au bord des tolls d'ardoises; avec la pluie tombent aussi les sapins de nos belles monlagnes sous le fer de la hache. Pauvres arbres, ils esperaient long-temps encore sans doute voir des oi- seaux suspendus a leurs branches et des reveurs assis a I'ombre de leurs vicux troncs! Les supeibes rhetoriciens de la revolution avaient de- baptise le mois d'octobre pour lui donner le nom de ven- demiaire, qu'il partageait avec le mois de septembre; el si nous remontons dans le passe, nous lui verrons bien d'autres transformations et bien d'autresbapt'emes encore. Laissez-moi done deshabiller ce mot, essuyer.lapoussiere des siecles qui le recouvre et vous le montre.r dans son enfance romaine, tout herissii de piques et de faisceaux. Mors il s'appelait or (o imber, le buitieme Sans le ralen- drier de Romulus et le dixi6me depuis'Numa. C'est a ce dernier rang qu'il s'est d^finitivement maintenu, sans BUE. qu'aucun almanach liegeois aitessayi5 de le lui contesler, mais non sans avoir failli bien des fois perdre son nom a defaut de son rang. Ce fut ainsi qu'Antonin I'appela/'dMs- tinus, en I'honneur de sa femme Faustine ; Commode, inviclus, en I'honneur dudieu de la guerre; et Domitien, domitianus, en son propre honneur. Comme on le volt, ce n'ost pas la faute des empereursTomains si octobre " s'oppelle encore octobre aujourd'hui, et continue a s'ap- peler octobre jusqu'a la fin des siecles. Des fetes presque aussi nombreuses que ses jours le signalaient dans la ville paienne. C'etaient celles de Bacchus, le dieu couronne de pampres; et, par un bizarre rapprochement, celles drs morts ou cleiilheries. Les cypres- se melangeaicnt ainsi fatalement avec les roses, et les larmes de deuit ne servaient qu'a faire gresiller davantage le feu de joie. Maisle pagonisme aimait, onle salt, & s'en- tourer de pareils contrastes, et il y avail loujours un de ses yeux pour la gaiete et un autre pour la tristesse. De ces f^tes nous n'avons cortserve que la danse en I'honneur dps vendanges, sans les bacchanales pourprees qui I'accompagnaient chez lesanciens. Les laventellesdes Napolitams et les valaqucs des Grecs modarnes ont perpe- tue iusqu'a present cet usage immemorial, qui est loin de menacer des'eteindre et qui durerasan^ doute autant que les vignes du 'Pausilippe et de la Bourgogne, aulant que les frais Champenois et les brunes villageoises du Medoc. C'est 1^ une sorte de joyeux remerciments adresses a la nature, el un devoir dans un plaisir. Done, Mathurine.etvous.Gros-Pierre.termezlescontre- vents et niettez la "premiere buche au feu ; que le chtMie vionne changer sa robe de verdure pour une autre de braise ; et tenez bien surtout la porte close, afin que I'lui- niidite du dehors ne penetre pas ici. Nous ne nous chauf- fons pasencore ii cause du froid, mais seulement k cause de la pluie. Entendez-vous comme ellebat aux vitres de la fenelre? .-Vllons, grand'mere, approohez voire rouet de ratrequillamboie, etdiles-nous un de ces rccitsd'autre- fois que vous savez si bien, pendantque, groupes autour de vous, nous murmurerons ces deux vers du chantre- d'Eioa : Qu'il est doux, qu'il est doiix d'ecouter des histoire5), Des higtoircs du temps passe !. .. "vlOJL SAINT ELZEAR ET SAl.NTE DELPIILNE. 291 L'ELITE DES SUMS FRAXCUS. SAUTT XI.ZEAS , comte d'Arian , et SAIW TE DELPEINE , sa femme. e saint personnage dont nous al- "loDs retracer la vie fournira une preavc iirefragable de la possibilite du sahit dans les hautes positions du monde, apres surtout que le divin Sauveiir a declare dans son Evangile, qu'il etait plus difficile a uc I'iche de se sauver qu'a un cha- meau de passer par le trou d'une •^ur, il n'y vit qu'un moyen de plus pour secourir les indigents et se livrer plus largement aux bonnes oeuvres de tout genre. A force de mediter la loi du Seigneur, il concut un si grand mcpris pour tout ce qui passe et un amour si ardent pour les biens im- perissables de I'eternite, qu'il semblait ne plus tenir a la terre. La journee etait, en tres-majeure partie, employ^ a la prifere et a la recitation de I'office de I'Eglise, el pen- dant la semaine il parlicipait souvent a la sainte eucha- ristie. Une grande partie de la nuitsepassaitdansl'oraison mentale, et pendaut tout ce temps il se tenait k genoux. On croirail qu'une vie pareille devait rendre Elzear mo- rose, de mauvaiso humeur, incommole aux personnes qui I'environnaient : on serait dans I'erreur. La vraie pietii est loujours gaie, accessible, douce, accommodante. Elzeai etait d'une conversation aimable , sans aigreur en repre- nant, et faisant loujours eclater c'ans ses paroles cetle chn- rite qui, selon 'rApotre, est paliente, humble, toleranle, benigne. II donnail pareillement ii la geslion de ses afTaire* temporelles le soin qu'elles exigeaient. A la guerre, il da ployait une grande bravoure : I'epoque ou il vivait lui en fournit trop frequemment I'occasion. C'est encore a tort qu'on se figurerait impropre aux combats ou.au gou- vernement d'une maison considerable et d'une grande for- tune, I'homme voue a la plus tendre piete. II faut ici rappe- ler les paroles de I' Apotre. La piete est utile a toules choscs. Un reglement que le comte Elziar fit pour sa maison est une preuve eclalaute de la haute sagcsse que pent inspirer a un Chretien la profonde piete dont il fait profession. Nous devons ici le transcrire, parce qu'il pent servir de modele, et qu'il est d'ailleurs une eloquenle preuve de cc qui vient d'etre dit sur les effets d'une devotion toul a la fois sincere et eclairee. « 1" Que tous ceux qui composenl ma maison assistcnt a chaque jour a la me.sse quelque aSaire qu'ils puissent « avoir. Si le Seigneur est bien servi chez moi, rien n'y n manquera. i( 2° Si quelqu'un de mes domestiques jure ou blas- (1 phcme, il sera sevdrement puni et puis honteusemenl « expuUe. Je ne puis esperer que Dieu repande sa bene- « diction sur ma maison, s'il s'y Irouve des homnies qui 11 se devouent au demon. Pourrais-je soufTrir chez moi des « bouches infectes qui portent le poison dans les ames? « 3" Que la pudeur soil respeclee. La moindre atleiulc II quelle pourrait souffrir ne saurait restcr impunie dans II la maison d'Elzear. « 4° Les hommes et les femmes doivent aborder le tri- 0 bunal de la penitence une fois par semaine. Que per- i( Sonne ne soil assez malheureux que dene pas communier « aux principales solenniles de I'annee. » ij« L'oisivete sera bannie de ma maison. Le matin, c< chacun elevera son coeur a Dieu par une fervenle priere u et lui offrira toules les actions de la journee. Les hommes 292 SAINT ELZEAU ET et les femmes iront ensuite a leur ouvrage. Dans la ma- « tinee, ils auront quolque temps pour vaqiior a la niedi- « tation, mais je ne vcux pas de ccux qui sont perpeUiel- « lemenL k Teiilise. lis agissent ainsi, non par amour de « la contemplation, mais par repugnance pour le travail. « L'Espril saint, en nous decrivaiil la femme pieuse, nous « apprend que , non-seulement elle prie , mais encore « quelle est modeste, docile, assiducau travail, etqu'elle <( prend soin de sa maison. Les femmes de mon service « prieront le matin, ct emploieront le reste do la journee « au travail. « 6" Je ne veux pas que Ton joue a des jeux de hasard ; i( il est facile de prendre une recreation innocente, sans « se livrer a la paresse. Je ne veux pourtant pas que moii (c chSiteau ressemble a un monast^re, et que mes gens « vivent oomme des ermites. Je ne leur defends pas de « se rejouir, mais j'entends qu'ils ne fassent rien contre « leur conscience, et qu'ils ne s'exposent pouit a offenser « Dieu. « 7° Que la pais ne soil jamais troublee dans nia fa- « mille; IJi oil rfegne la paix Dieu liabite. Une famille est « divisee par Tenvie, la jalousie, les soupgons et les rap- « ports, comme en deux armfees qui cherchent continuel- (I lement k se surprendre , et qui, aprte avoir assi^ge le « maitre, le blessent et le devorent. Je cherirai ceux qui « seront fideles au service de Dieu, mais je ne souffrirai « pas ceux qui s'en declareront les ennemis. Ceux qui ne « craignent pas Dieu ne peuvent acquerir la confiance de 0 leur maitre, et ils dissiperont sans scrupule sa fortune. « Un maitre entoure de pareils domestiques est, dans sa « maison, comme dans une tranchte assi^g^e par les en- « neniis de toutes parts. « 8" Qnand une dispute s'elfevera, je veux qu'on observe « inviolablement le precepte de I'Apotre, qui veut que la « reconciliation se fasse avant le couchcr du soleil. Qu'on « oublie, a I'instant mfime, la faute commise, et que Ton 0 ^toulfe loute espece d'aigveur. Jesais qu'il est impos- uvres. Que dirons-nous surloul de la charile du comte d'Arian ? Ses visiles les plus douces elaient celles qu'il faisail dans les h6pitaux, surtoul dans ceux qui etaient pcupli'-s de k'preux, dont le nombre etail si grand dans ce sifecle. Chaque jour, illavaitles piedsidouze pauvres et lesser- vait froquemment k table. En 1310, survint une cherte extraordinaire. C'etail pour Elzi^ar une occasion de de- SAINT ELZEAR ET SAINTE DELPHINE. 293 velopper I'immense amour dont son coeur (5lait embras^ pour le prochain. Aussi il versa de tres-abondantes au- mones dans le sein de I'indigence. Comme on s'etonnait de cette tendresse pourles pauvres, il repondait : « Com- « ment pouvons-nous demander a Dieu son royaume si « nouslui refusonsun verre d'eau, dans la personue de ses • amis los plus chers?Ne nous fait-il pas trop d'honneur « en daignant recevoir quelque chose de notre part? » Apres la raort de son pere, Elzear fut oblige de passer dans le royaume de Naples pour prendre possession du comle d'Arian. II n'y Irouva qu'un peuple rebelle qui prenait parti pour lamaison d'Aragon, centre les Francais. II n'employad'autresarmesque la douceur et la patience pour \aincre ses resistances. Son parent, le prince de Ta- rente, lui disait : » Laissez-moi chJlierlesrcvoltes; j'en « ferai pendre un certain nombre et lour exeniple pro- ■ duira son effet. Contentez-vous de prier pour moi ; je « ferai le reste. • Elzear lui repondait : . Eh quoi: vous ' voudriezqueje prisse possession de mon gouvernement ■ par des massacres? Les bons offices produiront plus " d'eOet. II n'y a pas de gloire pour un lion de mettre en " p eces desagnenux. Mais il ya quelque chose deverila- • blement grand a voir unagneau triomphant des lions. « Le peuple, emerveille d'une douceur si extraordinaire, eut honte de sa rebellion, se soumit etinvita le comle a pren- dre possession deson autorilo. Un exemplesuffira pourprouver combien I'amede notre saint etait grande. En parcourant divers papiers, il trou- va des lettres qu'un officier servant sous ses ordres ^cri- vait i son pere. Elzear y ^tait traite de la maniere la plus indigne. L'officicr s'clTorcait de persuader au p^re qu'il n'avait rien de mieux a faire qu'i; d&heriter un fils plus propre a faire un moine qu'un guerrier. Delphine ellc-mcme elait indignte et disait a son marl qu'il etait impossible de pardonner unfourbe qui cachait une haine aussi violentesous un dehors d'attacbement etde fidelile. 29i SAIM ELZEAR ET SAINTE DELPIIINE. Elzeai' riipondit quo Jesus-Clirist proliibait la vengeance ifit orJonnait de pardonner Ics injures, ot qu'en conse- quence il allait jelcr cos Icttrcs accusatiices au feu. II n'hesita pas a le faiie, et le coupable ne recut jamais au- cun reproclie. L'Idstoire de la vie dc saint Elz^ar ne dit point si jamais I'officier fut informc de cette admirable gcnerosile de son maitre. Elzcar fit administrer exactement la justice dans son comte et les ofTiciers coupablcs n'eurent point a se felici- ter de sa condescendance, qui en ce cas aurait ete blima- ble. Maisquand Icsnialfaiteurs etaientcondamnesa mort, il allait les visiter, les consoler, les exciter au repen- tir. Quand des biens avaient ete confisquds, il les rendait sccretemcnt aux veuves et aux enfants. Apres avoir et6, pendant cinq ans, en Italic, il obtint dii roi Robert, frere de saint Louis evfiquc de Toulouse, la permission de re- tourner en Provence. Ses vassaux du chiteau d'Ansois lui firent une brillante reception, dont il elait si digne. Quelque tempsapri-s, Elzearet Delpliine se firent recevoir dans le Tiers Ordre de saint Francois, en s'engageant a porter sous leurs liabits du monde ccux de eetle congre- gation, et a reciler cerlaines prieres, sans toutefois que leur omission les rendit coupables de peche. Depuis deux ans, Elzear i'tait en Provence, lorsque le roi Robert le rappcia en Italic^ oil il le crea chevalier d'honneur, titre qu'on reservait aux plus braves et aux plus meritants. La veille de sa reception, il passa la nuit en prieres, etie jour niemeil communia avec une ferveur si touchante que tout la cour en fut singulierement edifice. Robert donna a notre saint une eclatante marque de sa confiance, en le choisissant pour pr^sider h I'cducation de Charles son fils, due de Calabre. Elzear dissimula, pen- dant quelque temps, les defauts de son eleve, afin de bien connaitrela trempe desoncaractfere; puis, ill'avertit avec douceur, en lui I'aisant envisager la necessite d'acque- rir les vertus auxquelles I'obligeaient sa haute naissance et son avenir de prince et surtout de cbi'etien. Le jeune prince, touche des discours de son saint precepteur, se jeta a son cou en lui disant : « II est temps encore de « commenccr, dites-moi ce que je dois faire. » Des ce mo- ment le royal disciple fit des progres rapides dans les sciences et'dans la vertu, et devint plus tard un prince recommandable par ses excellentes qualites. Le roi Robert, voulant passer en Provence, laissa la re- gence de son royaume ii son fils Charles, sous la conduite d'Elz^ar, qui devint chef du conseil. Voyant les pauvres dans I'abandon , notre saint postula comme une grace la charge d'etre fait leur avocat. « Quel office me demandez- « vous la! dit le prince en riant, vousn'avez pasacrain- « dre des competiteurs; je mels sous votre proteclion tous n les pauvres de mes £lats. » On vit alors Elzear charge d'un sac et parcourani les rues de Naples pour recevoir les requites des malheureux si Irgitimement places sous son patronage. II ecoutait leurs plaintes, leur dislribuait des aumones, et ne laissait peisonne sans consolation. Comme le hautposte qu'il occupait fai.sait necessairement passer par ses mains les nominations aux places et les fa- veurs qui decoulaient du troue, les ambitieux voulaient acquerir son amilie par des pr&enls. Elzear les refusa toujours. « II n'est pas, disait-il, facile h un bomme qui a c( commencd it prendre, de savoir oil il conviont de s'ar- « r^ter. Les pr&ents enllamment la cupidite. » Une occasion memorable fit surtout eclater la valeur et la prudence guerriijres d'Elzear. L'empereur Henri VII, malgre I'opposilion du pape Clement V, rcsolut d'envahir le royaume de Naples. Robert envoya centre lui son friire Jean et le comic Elzear. En deux batailles, Henri VII fut complelement battu, et les Napolitains firent honncur de la victoire surlout au comte d'Arian. Le roi Robert dota levainqueur de riches presents, qu'il accepta par bien- seance, et qui aussilot dcvinrenl le domaine des pauvres, auxquels il les dislribua. En 1323, Elzear, accompagne d'un grand nombre de seigneurs, vinta la cour de France en qualite danihassa- deur extraordinaire pour dcmander Marie, filledu comie de Valois, deslinee a epouser le due de Calabre. La ni'- giicialion roussit pleiuemcnt, et Elzear fut comble d'hon- neursa Paris. Mais ce devait etre le lerme de .sa carrii're mortelle. II y lomba dnngereusement nialade. Depuis longtemps il avait fjiit son leslament, par lequel il leguait ses biens-meublesii sa digne t'pouse Delphine, et ses terres a Guillaume de Sabran, son frere. On pent bien penser que les pauvres n'y elaient point oubhes, non plus que les nionasli;res, les h6pilaux et ses domesliqups. Quoique sa vie eilt (■1(5 celle d'un saint, il voulut, en ce moment solennel, faire uue confession generate. II recut le saint viatique et I'extrome-onction avec une ferveur digne de sa foi, et enfin, etant tomb(3 dans une p(5nible agonie, il rendit i\ Dieu sa belle ame, le27septembre 1323, n'(5tant encore Jg(! que de trente-huit ans. Les cours de France et de Naples t(>moign6rent a I'envi leur doulcur de la perte d'un homme aussi {'minent sous tous les rapports. Pour se conformer a ses dernieres volontes, on tiansporla son corps en Provence, ou il fut inhume dans I'eglise des Frauciscains de la ville d'.\pt. Plusieurs miracles s'op^- rerent par son intercession sur son tombcau. Le pape Clement VI les fit constaler, Urbain V signa le d(:>crct de sa canonisation, etGrt'goire XI le publia en 1369. Delphine surv(icut longtemps a son (^poux , et elle cut le bonheur bien rare de pouvoir I'invoquer comme saint, du moins la derni(;re ann(;e de sa vie, puisqu'elle mourut le 26 septembre, en ladite ann(.''e 1369. Cette veuve ("'tait resttie a la courde Naples jusqu'Ji la mort du roi Robert ar- Tivie en 1343. Alors la reine, nomm6e Sancie, renonranf aux grandeurs humaines, s'^lait retiree au convent des Cla- risses de Naples, accompagnfe de sa chere Delphine. Cette reine etant morte, Delphine revint dans le chateau d'Ansois en Provence, oil elle vecut dans la pratique des plus h(j- roiques vertus jusqu'i samort, arriv^e, comme il a (ni' dit, en 1369, dans la soixante-seizieme annce de son ^ge. Ses reliques se gardent avec celles de saint Elzear son (•poux. Ainsi la mort ne si-para ni leurs corps ni leurs iimes. II est difficile de trouver dans I'histoire des saints de la Franc(5, un couple pareil ii celui dont nous venons de retracer suo- cinctement la vie. Aussi leur mcmoire y est-cUe honorte des b(;n(idictions les plus meritiies. L'abbe Pascal. LA BIEi\HEl5REUSE MARIE DE L INCARNATION. 295 BIENHECREUSi: MARIE SE I. INCARNATION' conuuti, dans I e mondL-, .-^ous le nom DE MADAME ACARIB, VICOMTESSE DE VILLEMOR. Vers le milieu de la scconde nioilie du seiziemesiiicle si tiistemunt fa- meux par les dechirements reli- gieux et politiqucs, an moment oil la pernicieuse ivraie de I'heresie croissait dans le champ myste- rieux du pire de famille a\ec une telle vigueur, quale pur fro- ment semblait devoir en elre com- pletement ctouffe, Dieu siiscila des imes remplies de son esprit qui, par une ijminenle piiile, proleslaient contre les lion- leiises defections dont I'Eglise catholique elait al'fligee. C'est surtout dans le sexe faible que se manifesta cet lieroisme de la foi, el il ful vrai de dire avec I'Apolre : Dieu a clioisi ce qu'il y a de plus debile dans lo monde pour contoiidre ce qu'il y a de plus furt. Trois femmes illustros etoiinerent alors le monde par une saintete d'au- tiint plus admirable et meriloire, qu'ellcs occupaient dans la sociele un rang distingue, et que leur etat d"e- pouses et de meres de ramille semblait devoir les de- tourner, non pas de I'obsorvation des preceptes Chre- tiens, mais des voies de la perfection evangtlique. Cos trois femmes furent madume Acarie, vicomlesse de Ville- mor, madame la baronne de Chanlal et madame"Le Gras, nee Louise de Marillac, dont un des onoles elait garde des sceaux, et I'autre uiarechal de France. Nous avons a retiacer aUjOurd hui la \ie de la pre- miere. Barbe Avrillot, connue sous le nom dc bienheureuse Mane de I'lncarnation, naquit a Paris le I''' fevrier 1366. Son pere, Nicolas Avrillot, etait maitre des comptes de la cliambre de Paris (aujourd'hui Cour des compte.s) et chan- celier de la reine de Navarre , premiere eponse de Henri IV. Par sou pere elle tenait aux maisoiis desUuraut de Gheverny, des Yaudelard, des Bruslart, des Sillery, et par sa mere Marie Lhuillier, aux families des Vignacourl. M^m- des Menin, des Mesgrigny, des Brochart, des Xicolai, des Loiigueil. Dans la suite, la famille Avrillot s'allia a la maison des Mole de Champlatieux, dont un descendant I'sl aujourd'hui pair dc France et a occupe avec distinc- liuu un miuislere. Certes. nous savons bien que tous ces lionneurs ne peiivent ajouler un rayon de plus a I'aureole d'linmortalile cbietieiine dont est eeintle front de la bien- lieureuse Marie de rinearnation. Mais ceci corrobore ce qui a ete dit sur le choix que lit ic S.'igneur de celte illustre dame, pour edifier ses contenipoiains places au sommetde la socicHe.La maison paternelle de uotrebien- licureuse ofl'rait le modcle des verlus chreticnnes , et se distinguait surlout par un attachement inviolable a la re- ligion catholique. en un moment oil, comme nous I'avons deja expiime, I'heresie de Luther et de CaKin recrutait un trop grand nombre de zelateurs fanatiques. La jeune Barbe Avrillot vint au monde apres plusieurs enfanlsque ses parents perdirent au bcrceau. Sa mere la placa sous la protection de la sainte Vierge, et quajid sa lille cut sept ans, elle la presenta a Nutre-Uame de Liesse, cclebre pe- lerinage de la Picardie. En ce temps c\islait sur les bords de la Seine , aux portes de Paris, une illustre abbaye connue sous le nom de Long-Champ , et dont il ne subsiste en ce moment d'autre souvenir que la promenade frequenlee, dans la seraaine sainte, par les pei'sonnes dun certain monde dit 298 LA BIENHEUREUSE MARIE DE LINCAUN ATION. fashionable, ct qui assurement n'a ricn de commun avec la perfection evangelique. Cost dans ce couvent que Barbo ful placee, a I'&ge de onze ans, pour y 6lre clevee sous les yeux de sa lanle malernelle, filisabetli Lliuillier, rcligicuse d'une grande vertu. La jeune pensionnaire se fil bientot distinguer par sa douceur, sa docilit6 envers les institu- ■ trices ct son amabiliti envers ses compagnes. Quoique dispensee des austeritfe des religieuses, elle se livrait dejh h certaincs pratiques de mortification que son 3ge sem- blait devoir lui interdire. Souvcnt on dut la roprimander sur cet exces d'amour et de zele pour la penitence. II est aise de coniprcndre combien fut fervente la premiere communion a laquelle elle fut admise. Ce jour devint pour elle le plus memorable et le plus fortune de sa vie, bien differente en cela de tant de jeunes personnes qui oublient si facilement, dans la dissipation deleur jeunesse, cet acta dont le precieux souvenir devrait a jamais vivre dans leur ccEur. La pieuse pensionnaire aurait tres-volontiers consenti a consacrer toute sa vie au service de Dieu dans cetle communaute, aupres d'une si vertueuse tante et dans une maison qui avail pour elle lant d'attraits. II lui fallut neanmoins rcntrer dans le sein de sa famille, a I'Age de quatorze ans. L'on vit dans le monde une jeune personne riclie des dons de la nature, do la naissance et de la fortune soupirer, avant tout, pour la rctraite, ne vivre dans une. brillante societe qu'ii regret, ct iinportu- ner continucllement sa mere pour en oblenir la permis- sion de se devouer aux soins des nialadcs. L'Holel-Dieu de Paris etait le sujet favori de son ambition, et elle biii- lait de s'associer aux humbles scrvantes des pauvres qui, dans celte maison, Irouvent leur bonheur h soigner les malades les plus degoiilanls. Mais Barbe etait fille uni- que; lui laisser embrasser I'etat rcligieux semblait h ses parents, quoique Ires-pieux eux-m6mes, un sacrifice to- talemcnt impossible. La mere combatlait les penchants de sa fille avec une obstination telle, que trop souvent elle alia jusqu'Ji la durele: On eiit dit qu'elle souffrait de se voir surpassee en piete par sa fille, ct Barbe etait ac- cablee de mauvais traitements. On a peine a comprendre un scmblable travers d'esprit. Dans le grand hiver de 1581 a 1.58:2, il ne fut pas permis a la jeune personne de s'approcher du feu. Elle en eut les pieds geles, et, pour la gui'rir, il fallut exiraire des os caries par le froid. Barbe supporla tout avec une patience admirable, et c'e- tait la servir h son gout que de lui procurer le' moyen de soulfrir beaucoup pour son Dieu. Elle ourait consenti a vivre ainsi, dans une gene conlinuelle, plulot que d'etre obligte do ceder a des sollicilations d'une autre nature, et qui, pour tout autre, auraient sembl^, en y accedant, un moyen sCir de s'affranchir de cetle tyrannie malernelle. On voit flue nous voulons parler de son etablissemeni, mais le mariage lui rcpugnait infinimenl plus que tout autre chose. II fallut nc^anmoins ecouter les propositions qui lui furcnt faites a cet egard. Pierre .\carie, vicomte de Villemor et seigneur de Mon- berrault, fut I'cpoux propose par les parenls de notre bienheureuse. II avuit fait ses etudes dans le c(5lebre col- lege de Navarre, ;i Paris, et y avait puise lesprincipcs de foi sans lesqucls la science ne sert qu'^ enfler ou b per- dre. Sa mere venait d'acheter pour lui, corame cela se pratiquail alors, une charge de mallre des comples, qui lui assurait un Hnl distingue dans la haute magistrature. Le mariage fut celebre, a Paris, le 24 aoijt 1582. La nou- velle epouse eut bient6l conquis I'estime de tout le monde par les belles qualites dont elle etait douce. On la nom- mait ordinairement : la belle Acarie. Neanmoins, tou- jours eloignee du faste mondain, elle negligeait la pa- rure et les nouvclles modes, et il semblait que son rang en souffrait. Sa belle-mere et son epoux, quoique eux- memes reniplis de piete, furent obliges de la conjurer de se rendrc aux exigences de sa position. La jeune vicomtesse crut devoir acc6der h leurs desirs, tout en gemissant en elle-ni^nie de ne pouvoir suivre ses inclinations de simpli- city. II serait impossible d'enumerer en delail les bonnes ceuvres anxquelles elle se livrait. Qui pourrait peindrc sur- tout la charity dont elle ^tait remplie pour les indigents, et son zeleasecourir toutes series d'infortunes? On avait en elle une confiance si grande qu'en peu de temps elle se vit comme la distributrice officielle des aumones des per- sonnes charitables. Henri de Navarre lui-mi^me, a qui l'on avait tres-avantageusement parle de madame Acarie, lui envoyait vingt-cinq ecus, chaque fois qu'il faisait sa partie de jcu, pour eire distribues par elle. Les hopitaux fetaient pour elle des lieux de di'lices. Elle y faisait en < m^me temps les fonctions d'apolre par ses exhortations aux malades, qu'elle finissait par converlir, s'ils avaient eu le malhcur de vivre jusqua ce moment dans I'oubU de Dieu. On calcule que son zijle a converti au mollis dix mille pecheurs obstincs. On cite surtout un gentilliomme de province, vrai barbare, tyran de son epouse qu'il avait forcee de se confesser 5 un garcon d'ccurie doguise ei pri^tre. II avait envoye h Paris cette mallieureuse epou.si pour y suivre un proces. Madame Acarie, ayant eu oc- casion de la connaitre, repandit dans cetle iime les plus' deuces consolations. Bientot le gentilhomme arriva,ct dut faire connaissance avec la nouvelle amie de sa femme. II fut tellement louche de la vertu si aimable de madame Acarie qu'il devint un tout autre homme.'II abjura com- pletement sa perversite, se converlit, et ne cessa, jus- qu'a son dernier soupir, de parler avec admiration de celte femme benie dont la charile I'avait retire d'un si profond abime. M. Avrillot, pere de notre bienheureuse, Halt deja vieux eteloigne de sa fille; il vivait dans sa terre de Monber- rault, en Champagne. Madame Acarie I'appela dans sa nlfeison d'lvry, pres do Paris, et liti prodigua les soins les plus tendres et les plus empresses. Elle eut la consolation de le voir rempli des sentiments les plus cluetiens, daii! les derniers jours de sa vie, qu'il termina dans ce village, Notre bienheureuse ne complait encore que dix-huit ans, et en avait passe deux dans I'elal de mariage, quand son mari enlra dans le parti de la Ligue. Mais, en 1o9i, lorsque Henri IV se fut rendu mailre de Paris, il exila SI. .\carie de la capitale, sans le priver de la liberie. Sa charge de mailre des comptes lui fut enlevee. II avail contracle des dettes immenses en favour de son parti. Ses creanciers, sans ^gard pour sa jeune femme, qui avait pu rester a Paris pendant que son ^poux vivait aupres de Villers-Cotlerels, firent tout saisir dans le domicile conjugal. Tandis que, entourte de ses six enlanls, elle elait a table, les huissiers pen^trtrent dans la maison, lui enleverent lout son mobilicr, jusqu'Ji la chaise sur la- quelle elle etait assise. Ce cruel evenement ne put allcrer la tranquillilc do celte belle Sme. Livr^e au besoin, et , pouvant a peine procurer un morceau de pain b ses en-f ait '] isel c-| :i LA BIENHEUREUSE MARIE DE LINCARNATION. 297 fants, elle se soiimit, sans murmurer, k une position si penible. Apres tHro parvenue, avec des peines inoui'es, a placer ses enfanis, deux au college, deux au couvent de Long-Cliamps, et les deux plus jeunes chez des parenls, , elle trouva un asile chez madame de BeruUe, mere du saint cardinal de ce nom. Ses ennemis I'avait inipliquce dans un proces criminel oil son honneur et sa vie, ainsi que ccux de son ^poux, etaient gravement menaces. On la vit se renfermer dans un cabinet, compulsant des pa- piers, reglanl des niemoires, puis sollicitant aupres des magistrals, devorant Ics refus et les humiliations, se trou- vant ipielquefois mise a la porte par d'insolents valets, et toujouis calme, patiente, resignee. Que Ton se figure dans une position pareille une dame naguere riche et n'ayant point un moyen de ressource dans la foi qu'elle aurait repudiee, et Ton sera convaincu que le plus vio- lent desespoir serait la seule consolation qui Uii resterait. Oh ! que la piele est vlilc a lout! selon les paroles de I'ApoIre, dejii citees!! ! Os terribles epreuves devaient ^tre accompagnecs de nouvcaux malheurs. En 1596, comnie elle rexenait de Luzarches, oil son mari avait obtcnu la permission de resider, elle se cassa la cuisse, et deux fois encore le mOme. accident devait se renouveler en d'autres circon- slances. M. Acarie avait ete enfermc dans la forleresse de Pierrefonds. Son epoute, en revenant de lui faire virile, tomba de cheval et se cassa pour la deuxieme fois la cuisse. Elle resta deux heures etendue sur la terre sans aucun serours. Deux villageois, enlin, la placi'rent sur une mauvaise charrette, et la ranienerent a Paris dans ce triste equipage. Un eleve en cbirurgie manqna la premiere operation de la cure. Pendant deux heures que dura la seconde, elle ne poussa pas un seul cri, a tel point que roperaleur fut oblige de lui demandersi elle elaitmorte... Quatre mois de soulFrance la retinrent au lit. Enfin, I'an- nee suivante, revenant de voir son fils aine au college, elle se cassa encore le meme membre. Trois nouveaux mois de vives douleurs la clouerent sur son lit, et ne pu- rent point allerer la sainte resignation de cetle victime eprouvce par les sonffrances morales et physiques. Enfin M. Acarie, k force de soUicitations, obtint de se rapprocher de .sa sainte compagne et vint habiter Ivry. Plus tarcl, il reconquit une partie de .sa forlune, et les deux epoux purent s'occuper d'elablir leurs enfanis. L'aine fut allach^. dans la suite, a la cour de Louis XIII. Le second embra.ssa I'eint ecclesiaslique et devint cha- noine de Rouen el grand vicaire a Ponloise, qui appar- tenait alors ii ce diocese. Le troisiijme futun mililaire de ■dislinclion, el un de ses descendants est mort, il y a quel- qnes annees, a Strasbourg. Les Irois fille-; se lirent Car- melites. Nous verrons que la mere avail fonde eel ordre en France. Les bornes dans lesquelles nous devons nous renfermer non-i empechent de raconter les d-marches innombrablcs que madame Acarie dut faire pour arrivcr Ji fonder eel elablissement. La verlueuse Calherine d'Orleans, du- chesse de Longueville, fut choisie par la Providence pour s'associer au zele de noire bienheureuse Celle-ci fut ap- pelcc i communiqucrses plans d'instifution dans une as- semblee de giands et pieux personnagcs. Saint Francois de Sales e.vamina le projet el I'approuva. L'autorisation fut demandee au pape, el Ton decida quil fallait sans re- lache s'occuper de la fondation des Carmelites, sur les- quelles sainte Therese,'en Fspagne, avait fait rejaillir un si grand eclal. On choisil I'emplacement de Nutre-Dame- des-Champs, dans le faubourg Saint- Germain, lieu isolo beaucoup plus encore a cette epoque que de nos jours. Le local elait trouve, mais il fallait le peupler, et ce n'e- lait pas la moindre difficulle. On avait jete les yeux sur les carm^liles d'Espagne, et Ton voulail que quelques- unes de ces sainles filles vinssent a Paris inaugurer la fondation. Les superieurs s'y opposerent. En attendant, madame Acarie reunissait chez elle plusieurs dames et filles pieuses pour preluder a I'installalion de la nouvelle communaute. La duchesse de Longueville elablil enfin, aupres deSainle-Genevieve, une communaute qui devini, pour ainsi dire, le germe de I'institution naissanle. Ma- dame Acarie en etait la direclrice, I'Ame et le modele, quoique encore ce ne fut poinl un vrai convent de Car- melites. On negociait lonjours pour obtenir des carmelilesespa- gnoles. Henri IV lui-meme avait vu ses instances rep'ous- sees. II fallut menacer d'excommunication le superieur general de ces carmeliles pour obtenir quelques soeurs qui vinssent a Paris. On parvint enfin, avec des peines incroyables, i en faire arriver quelques-unes, qui furenl inslallees dans le nouvcau couvent du faubourg Saint- Germain ; encore memo elles ne s'etaient decidees qua condition de pouvoir revenir en Espagne lorsquc la com- munaute serait enfin constituce et qu'elle aurait reuni un assez grand nombre de religieuses francaises. Nous ne pouvons dire I'accueil qu'elles recurent et raconter la pompe de leur installation. Madame Acarie jouissait en- fin de la recompense de tant de peines qu'elle s'etait donnees. Quel bonheur pour elle de visiter cetle commu- naute, qui en peu de temps elait devenue florissante ! Le zele de madame Acarie ne se borna pas a Paris ; elle voulut encore fonder une maison pareiUe k Ponloise, et elle y r^ussit. Le 14 Janvier 1 60-5, le nouveau convent s'ouvrit en presence de la sainte fondalrice accompagnee de ses Irois filles, de M. de BeruUe, de sa mfere, qui avait jadis recueilli madame Acarie dans Tinfortune, de plu- sieurs autrcs personnages el de dames pieuses. Dijon, Amiens, Tours, Rouen, etc., virent surgir dans leur sein des communaules du meme ordre, et toujours on voit madame .4carie ii la l^te de ces fnndations. Ce fut encore elle qui provoqua I'inslilution des religieux oraloriens, dont M. de Berulle , dcpuis cardinal, fut le premier su- .pcrieur. L'epoux de noire bienheureuse descendit dans le toni- beau le 17 septcmbre 1013. Dcgagee du lien conjugal, la veuve ne s'occupa plus, comme on le pense bien, que de se retirer dans le cloilre. Apres s'y etre preparee, quoique loute sa vie eCit cle si pure, si pleine de devouement a toutes les bonnes ceuvres el de renoncement^ sa voloiite, elle entra dansle monaslt-re d'Aniiens, y fit son noviciat, sans vouloir se dispenser des exigences d'un ri'glement qui est fait surtout pour eprouver les vocations, et le 7 avril 161 i elle pril I'habil sous le nom de Marie de I'lncarnalion. Ici il faudrait beaucoup plus d'espace que celui qui nous .est fourni par un simple prC'cis de cetle belle vie, pour decrire toutes les merveillesdont I'histoire nous presente le detail, au sujet de la nouvelle carm^lite du couvent d'Amiens. Madame .4carie elait enfin arrivee au terme des voeux qu'elle avail formes des sa plus tendre enfance. La maladie vint frequeniment eprouver de plu.s 298 UASlLiyUE DU PANTHEON, A HOME en plus cette kme absorbee en Dicu ot la trouva de pins en plus fuli'le. Son elat faible et languissant avail elTrayi- ses amis, qui la (Jftermineifnt LMilin h se lappiodiei' cle la capitalo pour y recevoir plus lacilenient Ics secours tic I'art. Eile I'ut dune tiansferi'e au couveiil. de Poiitoise. En arrivanl dans cette cumniunaute, le 7 dorembre 161-6, ellc se jela aux piedsde la supeiioure : • Ma mere, se- « pria-t-elle, je vieas ici vous donner bien de la peine, f! car j'en donne beaucoup partuut oiije vais. ■ Lb sejour de la mfere Maiie de I'lncarnation fut tres- utile a la communaule de Pontoise. Elle en tennina la construction et enricbit la cliapelle des plus riches orne- nients. Neanmoins les carmeliles de Pontoise ne jouiient pas longtenips du bonheur de posseder la sainte fonda- tiice de leur ordre en France. Le 7 fevrier 1618, elle tomba malade pour ne ])lus se relever. Les souUrances les plus aignes pendant deux niois firent eclaler do plus en plus la haute piete de cette illustre carmelite. Eiifin le 48 avril de la meme annee, elle echangea une vie d'a- mertume contre les joies ineffables du ciel pour lequcl elle avail conslamment soupire. Elle elait agee de cin- quante-deux ans et deux mois. Son corps fut inhume dans la cliapelle du convent, et un peuple innombrable ne cessait de sV'crier : « La sainte est inorte, la sauile est « niorte! » On se disputait le moindre objet qui avait pu lui apparteuir. On a vu saint Francois de Sales, sainle Jeanne do Clianlal, Marie de Medieis, ia reine Marie The- rese d'Autriche et une fouie de nobles personnages venir humblement prier aupres du lombeau qui recelait ses pieusos depouilles. M.. le garde des sceaux Michel de Ma- rillac, qui avait si bien connu notre bienheureuse, obtint de Louis XIII raulorisalion de prendre dans les ateliers de riitat les marbres necessaires pour lui eriger un mau- solee. Mais comme ce monument elait plulot considere eonime une chisse que comme un tombcau, il fallait I'au- lorisation du souverain pontife pour y deposer le corps de Marie de I'lncarnatioh. II elait regie a Home qu'on ne rendrait un honneur religieux aux corps des personnes mortes en odeur de sainlete que cinqnante ans apres leur dt'ccs. 11 fallait cet intervalle avant de proceder aux in- formations relatives a la beatification. Neanmoins il fut permis de placer ce corps dans le mausolee en 1642, mais ce n'a ele que le 24 mai 1791 que le pape Pie VI, apres uu murexamen des miracles opores par I'intercession de Marie de rincarnalion , la declara BIENHEUREUSE. 11 ne man(|ne plus qu'une canonisation pour la mettre au rang des SAINTES. Pendant les troubles reAolutionnaires de 1793 et 94, le corps de cette bienheureuse fut soustrait presque mira- culeusement a la profanation. Ses reliques furent reinle- grees au convent de Ponloise le 7 mai 1822. Le comte de Monthiers avait jusqu'h ce jonr conserve precieu.scment ce saint depot, Une parlie oependant fut remise a I'evfeque de Versailles, qui en euricliit la paroisse de Saint-Merri, a Paris, ou tons les ans on celebre en I'honneur de la bienheureuse Marie de I'lncarnation une solennite qui y altire beaucoup de monde. L'abbe Pasc.vl. IIISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIOUES DE ROME, EASII.IQDX SU PANTHEON, A HOME, NOTBE-OAME HE L.4 nOTUNDE. Lorsque le voyageur croil, apres avoir admire Saint- Pierre du Vatican, ne plus devoir rejicontrer dans Rome rien autre chose qui soit capiible de J'etonner, il est le jouet d'nne grande erreur. Qu'il repa.sse le pont Saint- Ange, et bientdt ses yeux seront frappes, au milieu du rioiie Pigna, d'un vaste dome qui lui donnera une haute idee de ranciennc grandeur roniaine. C'est en ell'et le plus magnifique veslige qui rcste sur les bards du Tibre de tant demerveilles architocturales donl lesol remain se couvritsous le regno d'Auguste. Un quart de siecle avant la naissance de Jesus-Christ, Marc Agrippa, qui avait epouse la fillede Tenipereur que nous venous de noniracr, erigea cesomptueux monument h la gloire de son beau-pi're. Quand il fut termiue, \u- guste n'en voulut point accepter la dodicace. Alors il le consacra au dieu Mars et a Jupiter vengeur, en memoire des vicloires remportees sur Marc-Antoine et Cleopatre. Plus tard, la destination en fut chan.5ee. Cybele, la mere des dieux, en devint la principale divinite. On y erigea une.stalne en I'honneur de chaque dieu de I'Olympe. Cha- cun y avait son effigie soit en bronze, soit en argent, soil en or, et quelques-unes de ces statues etaient meme de pierres precienses. C'est pour cela que les Romains, em- prunlanta la langue grecque une harmonieuse denomi- nation, donnerent a cet edifice le nom de I'anlkton, qui signifie le temple de tons las dieux. Au moment oil loute la splendeur paienne elait inauguri'e dans ce riche mo- nument qui sorlait a peine des mains des habiles archi- lectcs qui I'avaienl eleve, naissait au loud de la Judee, BASILIQUE DU PANTHEON, A ROME. dans une pau\re elable, un debile enfant, qui venait ren- 299 Terser la superbe idolatrieet se preparait a faireservir le Pantlicon a son propre culte. 11 est exlremement digne de remarqiie, en elfel, que ce grand monument soil le scul qui ait survecu aux ruines dont le christianismc trioni- plialeur couvrit le sol de I'ancicnne capitale du monde paien. On montait priniilivenient au parvis ou portique de ce temple par sept marches: cinq d'enire elles sont aujour- d'liui cachees sous le pave. Le portique est soutenu par seize enormes colonnes d"uneseule piece de granit orien- tal. Huit sont rangees de front sur le devant et portent la corniclie, snr laquelle etait un bas-relief representant Ju- piter fuudroyaot les geanls. Les huit autres colonnes sou- tiennent I'interieur du portique; toules ont dcs bases et dcs chapiteaux de marbre blanc, d'ordre corinthien. Les solives qui portaicnt le plafond du portique etaient cou- vertes d'epaisses lames de bronze. A la suite de ce parvis grandiose s'eleve redifice, qui est de forme ronde elsur- monte dun ddme. A Paris, on peuts'en faire une idee en considerant la halle anx farines dans le quartier Saint- Euslache; mais il n'existe aucune parite cnlre les deux edifices sous le rapport de la magnificence. La coupole est percee a son centre d'une grande ouverture qui donne le jour dans I'interieur du monument. Cette coupole est la plus grande qui existe dans le monde, puisqu'elle a une circonference superieure, il estvrai de tres-pou, au dome de Saint-Pierre du Vatican. Le celebre arcliitecte Bra- mante, qui fit le premier plan de Saint-Pierre, disait, en montrant le Panthi^on : « Je veux le placer en I'alr sur « ma nouvelle wlise. • Le diametre de cette coupole est de cent trenle-quatre pieds, soil quarante-cmq metres a peu pres. Le dome de Sainte-Genevieve a Paris (connu aussi sous le nom de Panth&n), n'a qu'iin diametre de soixante pieds environ. Mais ici, comme a Saint-Pierre, le genie chretien a montre une hardiesse tres-superieure a celle des paiens. Le Pantheon dWarippa est lourdement pose sur le sol, tandis qu'ii Rome et k Paris la coupole des deux edifices est lancee dans les airs, A Rome, les quatre grands piliers qui souliennent la coupole du Va- tican ont une liauteur de cinquante-six metres. .ivant de passer a une description plus detailloe de ce monument, nous devons faire I'histoire de sa destination chretienne. Quand la liberto eut ete rendue a TEglise par le grand empereur Constanlin, ct qu'apres Irois siecles de pers(5- cutions affreuses la croix eut enlin triomphe, les temples du paganisme furent de toutes parts renverses. Constan- tin fit batir a Rome plusieurs eglises, et ue voulut point faire servir au culte catholique les somptueux monuments de ridolatrie. II emp^cha neanmoins la destruction du Pantheon d'Agrippa. Les papes, comme on sait, n'etaienl point encore maitres de la ville de Rome. Xv commence- ment du vii« siecle , le pape saint Boniface IV demanda a I'enipereur Phocas I'autorisation de consacrer au vrai Dieu ce monument, qui etait reste a peu pres intact. II ohtint la faveur qu'il sollicilait. Les statues des divinites paiennes furent enlevees. Boniface y fit eriger un autel it Dieu, sous I'invocation de la sainte Vierge et de tous les martyrs. II fit creuser une vastecrypte sous cet autel, et y fit porter plus de vingt charretees d'ossements des saints confesseurs de la foi, dont il avail fait exhumer les restes dans les divers cimetieres de Rome. C'est aloi-s que le Pantheon prit le nom de Sainle-Marie-aua--Martyrs. Saint Gregoire IV, en 834, ayant etabli la fete de tous les saints, qu'il fixa au 1 " novembre, et que Boniface IV avail bornee a la ville de Rome et dans le Pantheon purifie, cette (?glise devint comme le berceau de la solennile con- nue sous le nom de la Tou.ssaint. Plus tard, Saiulo-Marie- aux-Marlyrs devint un titre cardinalice. Vu chapitre 800 , BASILIQUE DU PA y fut elabli, et Ton cslimc que c'cst le plus ancien tie Rome. Avant la cons&ration de cet bdifice au vrai Dieu, il s'y etait fait quelques changements. Caracalla avail rem- place par dos pilastres de niarbre les cariatidos de bronze qui exislaicnta Tinterieur dans les espaces qui separaienl les quatorze fenfires , depuis tres-longtemps niurees. L'empereur Constance II, en 663, lorsque deja le Pan- theon etait une eglise, fitenlever les tuiles de bronze dore qui couvraicnt la coupole et le portique, et les fit trans- porter a Conslantinople. Bcaucoup plus tard, au commen- cement du dix-septiome siecle , le pape Urbain VIII fit enlever les plaques de bronze qui recouvraient les gros- ses poulres du portique, pour en fairc le superbe balda- quin de I'autel papal de Saint-Pierre. Mais, en compen- sation, ce pape y fit construire deux clocbers qui ornent les extremiles du portique. Avant ce pontife et depuis ce temps, on a fait plusieurs reparations a cet edifice. Au sujet de la coupole on raconte un fait curieux. Lorsque I'empereur Charles V visita, en 1 536, la ville NTHEON. A ROME. de Rome que ses troupes avaient si horriblement sacca- gco en 1527, il voulut monter sur cette coupole acconi- pagne seulement d'un chevalier remain nomme Crescen- tius. Le monarque elant arrive sur les bords de I'ouver- ture qui eclaire I'^glise se penchapour en voirl'interieur, sans qu'il lui arrivfit aucun nial. Qiiand on fut descendu, Crescentius rapporla a son vieux pere ce qui venait d'a- voir lieu et lui dit : « Au moment oil I'empereur etait t incline sur les bords de I'ouverture, j'aiete teiit^ de le (( pousser pour le piecipiter et venger ainsi I'affieux pil- « lage de Rome. » Le pere lui repondit : « Mon Ills, ce « sent de ces choscs que Ton fait et que I'un ne dit pas. o Nous lisons ce fail dans le Dizionario di eriidizione , nouvellement public par le chevalier Moroni, et dont plus de trcnte volumes out d6ja paru. II estlempsde faire la description de cette somptueuse basilique noiumee aujourd'hui vulgairement Nolre-Dame de la Rotondc ou la Ronde, a cause de sa forme. On a vu que la sommite de cette coupole etait perc6e d'une large ouverture qui n'est surmontee d'aucun toil. Au milieu du pave qui correspond a cette ouverture est un bassin du mfme diametrc destine a recevoir les eaux pluviales. Le grand autel est dans un enfoncement semi- circulaire , qui a ete pratique dans I'epaisseur du mur, yis-ii-vis de la porte d'entree. L'arcade qui y donne ac- cf-s est soutenue par deux grosses colonnes de marbrc jaune antique. D'autres enfoncements creuscs dans les murs prodigieusenienl epais de cet edifice forment autaiit de chapclles qui sont au nombre de six, trois k droito el trois k gauche de I'autel principal. Chacune de ces cha- pelles est ornee de deux colonnes de marbre antique et de deux pilastres. Ces colonnes, egalement espacees dans le pourtour, soutiennent une magnifique corniclie de marbre blanc, qui regne sans interruption autour du mur circulaire sur lequel s'appuie la voute do la coupole. Celle-ci est decoreede cinq rangi5es de caissons encadife. Entre les aulels creuses dans le gros mur, on remarque huit aulres aulels adosses k ce mur et dccores de colonnes corinthiennes d'un seul morceau, en divers maibres an- tiques. Enfin le mur, aux endroits unis, est reconvert de riches marbres jusqu'a la corniclie, ainsi que le pave de la basilique. Jusqu'au ponlificat de Pie VII , un grand nombre de petites niches ovales, dans le pourtour de I'eglise, etaient ornees des busies d'arlistes celebres qui y avaient leur sepulture, ou dont on avail voulu honorer ainsi la me- moire. En 1820, lous ces busies et plusieurs portraits peints furent honorablement places dans une galerie du Capitole. Nous ne voulons nommer que quelques artis- tes fameux inhumes dans ce temple. Le grand Raphael y NAPOLEON. 301 repose. Par son testament, il avail regie que sursa tonibe on ^leverait un autel decore d'une statue de la Vierge, sculptec par Laurent Lotli. Ces dispositions furent exe- cutoes en 1520, cpoque de sa mort. Le cardinal Bembo fit graver le distique suivant sur le cole droit de cet autel : Il!e hie est Raphat-l, tiiTiuit quo sospite vinci Eerutn magna parens et moriente mori. « Ci-git Raphaiil, par qui la nature craignit d'etre vaincue « pendant qu'il vivait, et de s'eteindre quand il raourul. » On a critique avec juste raison eel eloge du cardinal Bembo, a cause de son extreme exageralion. En 1833, la confri'rie dile des Virluosi , donl lont parlie les chanoi- nes qui desservent cette basilique, voulut s'assurer si les cendres de I'illustre Raphael reposaient dans le Pan- theon. On fit des fouilles le 14 septembre de ladile an- nee, et Ton Irouva en elTet lesossements de Raphael dans une biere de bois, sous Tare que surmontait la statue de la vierge de Lotli. On les deposa dans une belle urne de marbre. A cote de Raphai.'! repose Mengs, autre fameux artiste qui, neannioms, ne merite pas les pompeux eloges par lesquels on a cherche a le comparer a Raphael. Le celebre compositeur Sacchini, qu'immorlaliseson OEdipe a Colonne , repose dans la m^nie basilique. Nous ue pouvons omettre un tombeau qui doit singulierement interesser les Francais. On y lit ; . Nicolas Poussin, pifc- lor gallus. » Les Romains revendiquenl pour leur patrie ce grand peintre, parce qu'ils pretendent que, quoique ne en France, c'est en Italie qu'il s'esl forme. Honneur au Francais qui a grave ce dementi sur les murs d'un des plus magnifiques monuments de la ville eternelle ! Au maitre autel de cette eglise on v(5nereune image de la sainte Vierge, qui fui portce de Jerusalem a Rome, et que I'on croit peinte par saint Luc. Tels sont les documents qu'il nous est permis de four- nir sur cet 6difice, dans une simple esquisse qui suffira peut-etre pour en donner une idee aux personnes qui n'ont pu I'admirer de pres. L'abbe pascal. ITAPOL^OH, I. // Hail une fois — ainsi doit, en elTot, com- mencercettemerveilleuse histoire, qu'on ne se las- sera jamais de redire et d'ecouter. Peut-tilreest-ce une grande hardiesse a nous de pren- dre la plume, — pour retracer cette page eclatanle, au has de laquelle s'6lalent les glorieuses signatures de Be- ranger, de Victor Hugo et de tant d'autres encore qui ont fait de leur gloire — un bouquet a Napoleon. N'importe. Plus d'un humble ouvrier a mis les mains k I'ceuvre sublime de la Colonne; plus d'un artiste obscura taiUe un chant dece poemeen bronze, — qui, de sa base colossale, lournoyant sans reliche a travers les canons, les chevaux, les tambours, les ponts renverses, les villes en llammes, les rois vaincus, le monde fibloui — sen vient aboutir a une capote grise et a]un petit chapeau. Poeme splendidement populaire! II est des masuresde village qui ne connaissent la figure de celui qu'ils appellent tout simplement Vempereur, — que par une lithographie ou une statuette en pl4tre. L'liomme des champs ne Ten regarde pas mains avec emo- tion etrespect, non pour ce qu'elle est, mais pour ce qu'elle lui rappelle. — N'est-ce pas son cteur qui fait la ressem- blance? Ceci pose, — enlronsdans noire recit. 11 elait une fois un enfant qui naquit sur un tapis de batailles, dans une ile de rochers et de taiUis, d'un pere orateur et d'une mere qui avail fail la guerre, selon I'ex- pression de M. de Las-Cases ; cet enfant ne marqua ses premieres annees par aucun deces traits qui font crier au prodigc et au phenomene ; il fut au contraire silencieux et reflechi, et, dans son sejour ^ I'ecole, prefera toujours sa seule sociele, si je peux m'cxprimer ainsi ,a cellede ses camarades. On eilt dil, Ji le voir se promener, reveur, dans lejardin de Brienne, qu'il s'oocupait deja i fouiUer sa jeune pensee et k la tourner vers les choses profondes de I'avenir; ses paroles avaient cette fiere brievete qui fut plus lard le signe [distinctif de son eloquence. Le mot jaillissait avec I'idee. Cet enfant fut vile un homme. — Tout en mangeant des cerises a Valence avec une jeune fille, il reniporta un prix de philosophie au 'concours de I'academie de Lyon. La revolution grondait alors sourdement comme un lon- nerre lointain, etsansdoute il I'&outait venir en compri- mant les battements de sa poitrine. Sans doute il se disait que son heure etait pres de sonner, et que c'est dans ces tourmentes populaires qu'un homme fort pent trouver. place Jise produire — ou jamais. II vit done, avec ce pale sourire qui lui etait habituel, planter le premier arbre de la liberie. II entendit done arriver la voix terrible de Mi- rabeau,avec ce regard froidement ardent qui nel'a jamais quitle. Mais quand un bomnie dupeuples'envint poser un bonnetrougesuria t^teduroi LouisXVI, il fronca le sour- ed — et il attendit. Napoleon retourna en Corse. II laissa faire la grosse be- sogne de la Republique a ceux qui s'appelaient des noms de Robespierre, Marat et Danton, remettant a un autre moment son voyage a Paris. II laissa passer la trombe, .sans vouloir ni la pousser ni I'empecher. Seulement, comme il fallait un aliment k celte time de feu, a la t^te d'une poignfe de ses compatriotes il s'essaya energiquement k repousser I'invasion anglai.se. Le premier adversaire avec lequel il se mesura fut Paoli, — un adversaire k sa taille, celui-lij, et qui avail ete sa premiere idole. Un jeune NAPOLtON: homme.contre un vieiUard. Mais quel vieillaril, et surlout quel jpune homnie ! L'heure avanrait cependant ou son g^nie allait enfin ponvoir se reveler. Toulon etait k prendre. On jeta les yeux sur lui et on en fit un commandant d'artillerie. II n'est personne qui ne sache par cceur ce premier feuillet de son liisloire, qui di^cidade son avenir et(iue lui-meme aimait lant a se rappeler plus lard. La gravure a maintes fois retrace I'arrivee de ce Corse maladif, — aux chcvcux longs et plats, la main dans son large habit republicain, — parmi lesrepresentantsdu peuple et les g^n^raux, suti- jugues par son audace. Dednigncux et ferme, il balaya I'ineplie etforcases chefs k lui loisser faire so>i mclier, comme Hdisait; on fit alors im cercle autour de son sang-froid, et le premier boiilet qui s'elanca du canon pointe par lui fut le signal qui I'annonra au nionde. Son prestige venait de conimenccr. — U forme son etat- major k la batterie des hommossans peur. Ce simple of- licier dont il serre la main, c'cst Duroo; ce seigent qui sable une leltre avec les fclals d'un obus, c'est Junot. II en fera des dues et des princes a^ant peu. . Avancez ce jeune homme, ecril lo general Dugommier au comite de salut public, ou bien il s'avancera tout seul. . Oette pa- role fut retenue par le comit(?, qui essaya deux ou trois fois de faire couper la t6te a Napoleon, niais toujours en vain. II n'etait plus temps. Apr(!S une premiere excursion en Italic, il centre a Pa- ris et refuse un commandement en Vendee. II ne veut pas faire la guerre civile. Dansun petit logement de la rue de la Michodii?re, seul avec Junot et Sebastiani, celni qui doit etre emporeur et roi, la clef de voiite d'un siccle nouvean, I'arbilre des souvcrains de I'Europe, est en ce moment accoud^ sur une lable grossifere, I'ceil fixe sur des plans et des livres de tactique, I'esprit nagcant en pleine conquijte — Qt -n'altendant qu'une seconde occa- sion pour rcmonter sut la scene. AUendre, ce fut la le premier secret de Napok'on. II n'altcndit pas longlemps cette fois. Un jour qu'il fal- -lait ecraser une emeute et defendre le grand principe re- volutionnaire, la Convention le nomma general de I'armee de I'interieur. Ce fut dans ce poste important qu'il s'oc- cupn d'organiscr I'armee parisienne et qu'il put 6tudier de prcs la population des faubourgs, dans les relations directes qu'il eut souvent avec elle. — Plusiears de ses harangues, et m&me de ses saillies, soht encore resides dans la mi^moire de quelques bonnes gens. A cetle epoque il ^pousa Josephine Tascber de la Pagerie, veuve du conite de Beauharnais, general en chef de I'armee du Rhin, one des femmes les plus belles et les plus ainiables de son temps, et la seule qui lui ait donne ces instants heureux qui I etaient pour lui rnmmc les entr'actes de sa Et quelqne temps apri's son mariiige, il partait pour cetle immortelle ciimpagiic il'ltalic, oil il devait jetcr les fondemcnts do sa domination, et oil dcvaient elre aussi renouvelcs et surpasses les prcdiges les plus fameux de I'antiquite guerrii-re. La, chacun de ses pas est une epopee, — soil qu'il re- NAPOLEON. ;loire. — SOS Ifeve le courage ahnttu de trente mille soldals manquant deteul; — soit qu'en moins d'une seninine il detruise deux armees et s'ouvre un roj'aume defendu par les Alpcs; — soit qu'avec douze cents homnies, et sur une seule menace, il on amene quatre mille a reddi- tion; — soit que sous le feu de IVnnemi il lance un drapeau au milieu d un pont foudroye; — soit enfin. que lour h tour et a la fois oapitaine, diploinate, n6go- ciateur, il jelle I'epouvante au sein de la cour de Vienne, force le pape a capituler, abatte le lion de Saint-Marc, refuse deux millions d'une toile du Domini- quin, ou signe, en dernier lieu, au fond d'un modeste village, un traite sans exemple dans les fastes liistoriques, — magnifique denoument de ce drame improvise, qui commenca pour les puissances etrangeres cette immense stupefaction de vingt annees, et pour la France ce fana- ti«me d'entliousiasme dont elle ne s'etait jamais pris pour aiicun triomphateur! Plus rapide quel'eclair qui dechire le ciel, sa renom- mee eblouissait le monde, a lueurs soudaines et precipi- tees. A peine ^ge de vingt-sept ans, il elait devenu un demi-dieu pour ses soldats, et, de cette premiere campa- gne dale ce culte solennel qu'ils lui ont toujours voue. Un mot de lui etait electrique. Sa parole heurtee, brisee, saccadec, allait de rang en rang frappcr droit au ccEur de ces homnics li^ro'iques et les transfigurer en geants de la fable. — Ilsavaientsurtouten lui cette foi ardentequi fait accomplir des miracles, et je crois qu'ils eussent marchi sur des (lots, persuades qu'a sa voix,*comme a'cellc dun 504 NAPOLtON. autre Moise, les flols allaient s'entr'ouvrir pour leur li- vrer passage. N'avons-nous pas tous connu de ces types energiques, et n'en savons-nous pas encore qui ne par- lent jamais de leur jeune chef d'aulrefois sans passer la main sur ieurs yeux, k travers un sounre nielancoli- que? Est-il un de nous qui soil passe indifferent devant ces tableaux populaires, oil de vieux grenadiers gisant sur le sable, coupes, troues, morceles, se trainent en rampant sur son passage avec un en de victoire dans un dernier soupir ! Paris sejeta sous son char; — mais Napoleon n'accepta de ces honneurs que tout juste ce qu'il lui en fallait pour attendre. Car il attendit encore. II se deroba aux accla- mations qui le poursuivaient dans les rues et dans les thiitres , et courant au-devant des d&irs secrets du Directoire , il tourna ses regards vers I'Orient , — et partit bienlot pour cette expedition fabuleuse, dont le projet etait sans doute eclos dans sa tete h la lecture des conquetes Diocletienncs. Cette phase de sa vie est etrangement superbe. EUe donne a Napoleon cette aureole poetique qu'il recliercba sans cesse. Celui qui avail fait clever un monument a Virgile, devait aspirer Ji relever les statues cnl'ouies des Pharaons et a planter I'etendard francois a cote des ai- gles roniaines. La brulante majeste du desert avail quel- que chose qui atlirait ses pas; et peut-ftre aussi venait- il demander au passe des lerons pour I'avenir; peut-tHre venait-il, etranger hardi, dans ce nionde muetde sphynx, de colosses, de pyramidos, de cimetieres et de villes de- sertes, demander le secret de la vie h la mort, de la grandeur au neant. — Nul doute alors que le cadavre de I'ancienne Egypte ne lui ait repondu. Ses deux ennemis furent le soleil et la peste. lis ne I'emptehferent pas cependant d'imprimer son pied puis- sant sur le Mont-Thabor, et d'etonner une galcrie home- riquede quarante siecles — au spectacle d'un combat de dix-neuf heures qui restera comme une consecration eternelle des armes de la France : /"\ Mais alors, le moment approchait a grands pas oil la France allait avoir besoin dun chef supr6me, par suite de raffaissement d'un gouvernement debile. Une crise im- minente appelait un coup de mailre audacieux. Napoleon remit a Kleber le commandement de I'armee d'fegypte, et s'empressa d'accourir ii Paris, — oil il arriva tout expres pour assister aux dernieres convulsions delarepublique. — Ce fut alors que son ambition laissatomber ses voiles etap- NAPOLF.ON. parutdanssafierenudite. — Apresavoir,dan6la journijedu | fenStre, il s'installa aux Tuileries 303 18 brumaire, faitsaulcr la representation nationale par la | qu'il et, la premiere nuit y passa, on raconte que le talon de sa botle ne cessa de relentirsurles dalles sonoresdu palaisde la monarchie. Le voila done premier consul ! — Une fois a ce faite, il prelude a ses destiuees futures par I'etablis- sement d'une autorite forte et puissante. II rappelle les emigres, organise les prefectures, les tribunaux, la banque, ouvre h I'industrie des -voies nouvelles , et com- aience au sein de la capitale ces travaux d'embellisse- qicnt si souvent interrompus par le canon. Aussi cette :iclivite dans ce repos est-elle une des faces les plus sur- prenantes de ce genie multiple, qui r.e se dt'lassa de la ;;uerre que dans la legislation. — Napoleon avail trente .ins alors. Les pompes et les fetes dont la nation 33 plaisait ,1 I'enlourer n'avaient point entame sa nature spartiats. .11 savaitlavaleurdes vanites, et regardait plutot une ova- lion comnie un moyen que commeun but. Chez lui cliaque ;ias en poussait un autre. II comptail avec I'enthousiasme .1 lisait une virtoire prochaine dans les acclamations qui ■aluaieut sa voiture attelee de six chevaux blancs. Copendant, il ne faut point croire pour cela que lame de Napoleon se tournal impatiomraent vers la guerre. Son reve, comme celui de tons les esprits superieurs, fut le reve de la paix universelle, et plusieurs fois il cssaya des ouvertures avec le cabinet de Londres. — « La « guerre qui, depuis huit ans, ravage les quatre parties « du monde, doit-elle ^tre 6ternelle"? n'est-il done aucun • moyen de s'entendre? » 6crivait-il a cette 6poque au roi d'Angleterre. Et, certes, sa moderation ne sera point suspectee ; trop souvent le vainqueur de I'Europe fut I'es- clave des circonstances. Alors ses propositions pacifiques ne furent point entendues, et r.\utriche, associant sa poli- tique a la politique haineuse de la Grande Bretagne, prit de nouveau les amies conlre la France, comme si depuis Arcole la memoire lui etait cchappee. — Force d'obeir ii sa deslinee, Napoleon fit nn appel aux Fraiicais, qui ac- coururent en foule aux accents de cette voix si connue, qui leur avait toujourspromis lagloireet qui avait toujours 506 NAPOLEON. tenu parole. Unc armee tie reserve fut formee ^ Dijon et (lirig(5e vers Geneve ; ct, tandis qu'on croyait le premier consul au scin dc la rapilale, occupe des afl'airos du gou- vernement, il venait, aiix cris de surprise et d'enlhon- siasme general, se nieltre un beau matin a la t^te de cette nouvelleot non moins glorieuse armee d'llalie. Des Tuileries, il s'elanca done sans effort sur le mont Saint-Bernard, — et les hauts faits recoramencerent. La vieille garde, elite des guerriers de Tornite d'ltalie et d'figypte, date fa renomniee du jour de Marengo; placee comme une redoute do granit au milieu de la plaine, elle appelle I'attention de Napoleon par sa coura- geuse immobilile. En peu de temps, il reconquiert tout ce qu'il a perdu en Italie et dicte de nouveau des lois a I'Autriche. — Puis, il revient applaudir a I'Opera ses chanteurs et ses musiciens favoris. L'admiration de la France ne connait pins de bornes. D'un coup d'oeil, Napolton pent mesurer son espoir. En vain les conspirations I de partis essaient-elles \ \ d'entraver sa marche ; fort de I'appui general, il ne s'arrete plus, il va, il va toujours. — Oil va-t-il? Nous allons \oir. — Mainlenant il resume la France tout entiere : il est I'neil, a pensee et le bras de ce vaste corps. Rien no se fait sans lui, rien ne sefait que par lui II absorbe et ronccnlre en un seulpouvoirlous les pouvoirs le I'Etat. II realise ce -N mot de 1 v Sieyes a Boulay, Talleyrand, Cabanis et Rcrdercr epou- vantes : 0 — Nous avons un maitre. Napoleon veut tout fairc, sait tout faire et peut tout faire I ■ II couronne I'oeuvre de sa politique par le concordat, — ce grand acte religieux qui est la transition solen- nclle de la republique a I'empire, — parce qu'il com- prend que I'ordre parfait en France ne peut ctre achettS qu'au prix du retour des croyances catholiques. Et seulement alors, le monde commence ii voir clair dans celtc pensee, et a se reprendre a suivre pas a pas celte longue ecole buissonniere de la gloire aulour de la reli- gion... Voilii done oil il voulait en arriver! — C'est done a ce resultat que viennent se reunir et ses efforts gigan- tesques , et ses bataiUes, et ses troph6cs,et ses reve- ries, et ses Etudes de guerrier, de diplomate et de le- gislateur. — Sortis du giron de I'Eglise, c'est par les chemins victorieux de I'llalie et de I'figypte qu'il nous y fait rentrcr! II voulait eire un homme complet. II le fut. Pour cela, il s'appiiya sur les trois pouvoirs qui font le pouvoir su- preme: I'epee, la croix, le sceptre. — Napoleon est sur- tout grand par le concordat, quoiqu'il en ait pu faire un moyen d'ambition. Le retablissement du culte est sa plus belle victoire, parce que c'est a la fois une victoirc sur le passe et une victoire sur I'avenir. C'est la reconstilu- tion eclatante du principe divin. Et il lui appartenait de mcner a bout ce hardi projet et de s'entourer du prestige de I'apdlre, a lui, a qui nul prestige n'a jamais man- que. Done, coninie jadis Henri IV, Napoleon alia a la messe, et, qui plus est, il y conduisit son annee. Le lendemain, il se faisait nommer, — disons mieux, il se nommait consul a vie. C'etait raser deja la royant6 de bien pres. Mais il avait resolu de passer par tous les echelons qui y conduisent. Avant de mettre le pied sur le dernier, il fonda I'egalit^ de la gloire dans I'institution des recompenses na- tionales, telles que sabres, fusils, etc., remplacees definitivement quelque .y^ NAPOLEON. 307 fondation de I'ordre de la Legion I civil, ce monument legue a I'admiration des peuplcs. De beaux preludes, — et de beaux litres aussi a la toute- temps apres par la d'lionneur; et, aide des conseils de Merlin (de Douai), (ie Begouen et d'autres savants legistes, il cr^a le Code puissance ! Enfin, le 18 mai 1804, le vcea du senat appela Napo- leon au trone et declara la dignite imperiale heredilaire dans sa famille. — C'en est fait. La France bat des mains a son avenement. Son rSve est accompli. II fonde une dy- nastic nouvelle! — Lui-meme a raconl^ sa fortune en quelques lignes qui parlent plus baut que tout ce que nous pourrions dire ici. « La France, qui voulait se " preserver a toutprixde la contre-rcvolulion,se rappro- « chait de moi, parce que je prometlais de Ten garantir ; - elle voulait dormir h I'ombre de mon epee. — La forme « republicaine ne pouvait pas durer, parce qu'on ne fait " pas des r^publiques avec de vieilles monarchies. Oe que •1 voulait la France, c'elait sa grandeur. Pour en soutenir " redifice,il fallailaneantirles factions, consolider I'ttuvre « de la revolution et fixer sans retour les limites de I'fitat. • Seul.jepromettaisala France de remplir cos conditions. . — Je ne pouvais pas devenir roi. C'elait un litre use, il • portait avec lui des idees recues. Mon liire devait Sire • nouveau comme la nature de mon pouvoir.... Je pris le « nom d'empereur, parce qu'il etait plus grand et raoins ■ defini. » Empereur ! en effet, — empereur comme Cesar, qui avail, ainsi que lui, elonne le monde par son genie et ses conqu^lesl Empereur comme Charlemagne qui avail, lui aussi, unpied surl'Orient et Taulre sur rOccident! Em- pereur ! il ne pouvait pas elre autre chose qu'empo- reur! — Et certes, si jamais vanile dut elre amplemenl satisfaile, a coup sir ce fut celle de ce monarque de frai- che date, aux pieds duquel s'inclinaient, non-seulement la France, mais encore I'Aulriche, I'ltalie, I'Espagne, avec leur cortege de princes, de rois et d'empereurs aussi ; — ce fut celle de ce soldat d'hier qui se reveillait avec un nianteau d'hermme sur I'epaule et un globe entrp les mains ; — de ce jeune officier de fortune a qui i! fal lail un pape pour son couronnement; — de cet etranger qui venait refaire une sociele nouvelle avec des homnies nouveaux, el qui, mieux que Louis XIV', pouvait s'^crier, sanscrainte d'etre dementi, non plus cetle fois : — « L'filat c'est moi, » mais bien : « — L'Europe, c'est moi ! « Cri qui fut entendu de toutes parts, — et que I'Europe ne devait pas lui pardonner .' Charles MONSELET. 508 CAUSEIUES AVEC MON FILS SUR LANATOMrE ET LA Pll YSIOLOGIE. CAUSERIES AVEC MOI FILS SUR L'AMTOlllE ET LA PflYSlOlOfilE. Combien je suis hcurcux, inon clier Ernest, de te voir prendre un si vif in- tcret a nos p&tites causcries intimes au cofn du feu ! Le temps est si pi^cieux et passe si vile, et les peincs de la vie sont si longues parfois, que les heures consacrces a I'etude sont en quelque sorte unc victoire remport^e sur I'ennemi. Combien je suis heurcux encore, mon enfant, de te voir ^viter la compagnie de ton camarade Adolphe, qui, jcune rlietoricien comme toi, mais eleve fort mediocre, alTecte dejil dans les salons les allures d'un homme fait, cruyant que I'bomme se reconnait k unbabil effemine et dans I'art dc.jouer aux cartes! Passe-temps bien vide, surtout lorsqu'il n'offre aucun intercH; mais passion ter- rible et funeste lorsqu'il devient une speculation. Avant de retourner a ton grec, a ton latin et it ta phi- losophic... de college, occupons-nous d'un sujet s6rieux, utile, et qui peut etre un complement k ta bonne educa- tion. Jeconnais les sentiments rcligieux, ta naive etpoetique admiration pour les merveilles del'artet de la nature. — ]e connais ta raison et ton coeur, aussi j'ai vu hier sans etonnement avec quelle ardeur, quel devouement tu portals secours b ce pauvre vieux Baptiste le jardinier, qui a failli succomber a une hemorrhagic aprcs s'etre bless^ avec sa faucille. Cet evenenient, q\ii t'a cause nne si grande Amotion t'a aussi supgere une pensee que j'approuve, c'est-a-dire de pouvoirdans I'occasion, etsans pour cela te faire disciple d'Esculape, donner des secours plus prompts, plus utiles, et mieux entendus. Pour cela, il faut audier Ihomme. U f.iut apprendre cette admirable machine echappi5e des mains de la Pro- vidence, et donl les rouages et le mecanisme sont tel- ement partaits qu 'un souffle peut tout ddranger. « L'homme, a dit Platon, est une Aine qui se seri d'un eorps. » Je neveux point ici cheroher h p6netrerces mysteres sa- cres de I'ame et del'intelligcnce, ce sont des articles defoi dontl'explicalion echappe a nos recherches, et qui prou- vent notre faiblesse u I'egard dc la puissance du Createur. aissons I'ame a Dieu, elle appartienl ii Uii seul, et ta- chons de la lui conserver toujours pure et sans lache. Occupons-nous simplement du corps. Etudions danscelte soiree c miment est fait ce corps, de quels elements d se compose; et quandnous connaitronschacune de ses par- lies, nous verrons ensuite comment elles se component, et comment elles fonctionnent. Le corps se compose do parties diires et dfe parties molles. Les premieres sont les os, dont la reunion foiuie le squelette. Quelques-uns s'arliculent enlre eux par une espece d'enyrenage immobile, comme par exemple ceux de la t(Sle ; les autresj'lels que les os des menibres, sont recou- verts a leurs extrcmites d'une matifere solide et glissante, qu'onnomme cartilage, qui tapisse egalementdes cavit^s particulieresdanslesquelles ces os ontleur point d'union. Cescavites, ditesCapsules articulaires, sontconstamment humectees par un liquide appele synovic. Outre ces capsules qui mettent les os en rapport les uns avec les autres et favorisent leurs divers mouvenienis, ils sont encore retenus et attaches, pour ainsi dire, au moyen d'un tissu appele ligament dont tu comprcndras I'utilite lorsque nous etudierons leur mode d'action. On distingue des os longs qui torment les menibres e( les parois de la poitrine ; Les OS larges qui circonscrivent les cavites; Les os courts qui se trouvent aux parties du squelette partout oil uno grande solidite se trouve jointe a des mouvemenls parliels tres-born&. Sauf un trfes-petit nombre, tons les os sont generale- ment doubles, c'est-k-dire qu'une ligne droite sfparant le squelette en deux parties fegales, chaque os a son sem- blable du coto oppose. Le squelette, examine de haul en has, peut etre divise ainsi : r La tete. Col. Poitrine. Abdomen. Bassio. „„ , . f superieurs, d Les membrcs I . ^, . i. inferieurs. Les parties molles recouvrent immMiatement les os, d'aulres sont contenues dans les cavites formees par les os. Outre cela, diversliquides de nature spcciale et particu- liere circulentincessamment et en abundance dans toutes les parties du corps. Les parlies molles qui recouvrent immediatemeut les OS sont, enprocedantdel'exterieur a I'os lui-meme : La feau, sorte de vetement qui enveloppe le corps, toile pour ainsi dire parsemee de petits trous, ouver- tures microscopiques appelees fores, dont la propriete est ou d'absorber ou d'exhaler, c'est-k-dire, on bien de pomper les fluides qui doivent pdnetrer dans le corps, ou bien de rejeter au dehors ceux que le corps ne doit pas conserver interieurement. La partie interne de la peau que j'ai comparce a une espece de toile ou vetement est doublee pour ainsi dire par une membrane mince, d'une sensibilile extreme, dite membrane muqueusc, qui est a la peau interieure- ment ce que I'epiderme est exterieurement. Sous la peau est une couche, rescau ii mailles contigui's, mais sqiarees, qu'on appcUe tissu celluhiirc graisscux, qui donne a la peau sa configuration particuli(>re et di- verse, selon les parlies qu'elle recouvre. Dans ce tissu cellulaire sont de petits vaisseaux appeles veines, urteres o\xvaisseauxlym]>haliijuts, scion la quality du liquide qu'ils renfermcnt et que nous etudierons en temps et lieu. CAUSERIES AVEC MOX FiLS SLR LHYOIENE. 309 Puis vicnnent les mtisclcs, masses rouges fibreuses, en quelque sorle t'lastiques, servant a I'execution des mou- vements ct s'lmplantantf aux os par le moyen de cordons fibreux appeWs tendons. Les muscles sont par insertion, par intersection ou par enveloppes, separes les uns des autrcs et terminespar une membrane lisse, resistante etluisanle, appelee aponeuroses. Dans les interstices des muscles, de leurs fibres, etc., ck et la sont les vaisseaux dont je t'ai parle dejb, — les nerfs. cordons blancs, qui de la tete ou de la co- lonne vertebrale se ramilient dans toutes les parties dii corps. Les veincs, conduits k valvules destines ii rapportcr le sang vers le centre oil il doit etre elabori, et qui est le coEur. Les arteres, conduits sans valvules destines au con- traire ii porter de ce raeme centre, le ctpur, et a toutes les parties du corps, lesang qui a subi cette elaboration. Quant aux parties molles qui sont contenues dans les cavites osseuses, elles'sont de plusieurs sortes. On entend par orgtine, une partie du corps qui fonc- tionne d'une facon particuliere, et qui a une forme et une structure qui lui sont propres. On appelle visceres tout organe contenu, soit dans le crane, soit dans la poilrine, soit dans le ventre ou abdo- men. Le mol parcnchijme indique un tissu propre aux organes glandulcux ., composes de grains agglomeres, unis par du tissu cellulaire et se dechirant avec plus ou moinsde facilile. Sous le titre d'apjiureil, on coniprend la reunion d'un plus oumoius grand nombre d'organes concourant simul- tanement h une seule et m^me fonction. On designe par le mot voies les canaux ou r&ervoirs que traverse un des liquides du corps, ou dans losquels ce liquide est contenu. Un sijsteme est I'ensemble de toutes les parties d'un m^me tissu, qui, n'importe sa position sp^ciale ou rela- tive, a la m6me organisation, '.es memos proprietes el les mi^mes fonctions. Le mot vconomie signifie I'ensemble de toutes les par- ties qui constituent le corps. Je n'entrerai pas , mon cher Ernest, dans de plus grands dcveloppcments en ce moment sur ces principes elementaires de I'anatomie humaine, cette petite descrip- tion bicn imparfaite te donnera I'idee generate de la composition du corps, ct lorsque nous arriverons a I'ex- plication des divers phenomcnes dela vie, deja familiarise avec les termes techniques, tu comprendras plus facile- mentlesd^monstrations>anatomiques, moinssuperficielles, etles donneus explicatives sur les fonctions geni^rales, par- ticulieres, spteialcs ou relatives de I'oiganisme. C'est ce qui formera le sujet de nos prochoines cau- series, en un mot, notre etude de la pliysiologie. J. PovEK, d. m. P. CAUSERIES AVEC HON FllS SUR L'HIGIENE. L'hygiene, mon cher fils, est I'artde conserver la .sanl6. EUe esla I'homme bien por- lant, ce que la m6decine est i I'homme malade. Elle fait connaitre tout ce qui pent direclement ou in- direclementtroubler les fonc- tions naturelles, renverser leur ^quilibre et amener la nialadie. Elle apprend les regies a suivre pour maintenir, autant que possible, I'exis- tence dans son etat physiologique et pour defendre le corps contre les atteintes du mal. Enfin elle demontre, basee sur la morale et la raison, le juste milieu qu'il faut observer entre I'abus et la privation. Elle est hygiene publique, lorsque ses regies sont rela- tives aux masses selon les climats, les habitations com- munes, les coutumes, les mceurs et les lois. Elle est hygiene pHvee lorsqu'elle s'applique h I'homme individuellement ; aussi ses regies varient-elles selon les 3ges, les sexes, les temperaments et les individualites. En UD mot, l'hygiene est une etude facile et indispen- sable que trop souvent le vulgaire dedaigne; et dont il restreinta son propre prejudice les sages applications. L'hygiene a son resultat materiel comme son resullat moral. Hcureux qui sait en 'apprecier I'importance, car les regies qu'elle impose pour le corps peuvent reagir sur I'intelligence, et I'agrandir en apportant un frein aux passions. — Vois cet ivrognc, ce d^bauche, ce joueur; tous trois ort commence par desfautes contre l'hygiene': alors tout a ete poureux uue suite de desordres qui les ont conduits a la miscre, au deshonneur, h la mort. L'hygiene permet qu'on use desbiensque la Providence a confies a I'homme, mais elle defend qu'on en use avec exces. Elle repousse egalement comme immorale ot odieuse la privation volontaire, qui est un crime ertverssoi-meme, envers son prochain et envers Dieu. Au lieu d'aller respirer, ce so;r, I'air infect d'un esCaminct, de gorger ton estomac de substances agreables un moment, mais susceptibles de bouleverser ta sante et ta raison , tranquille d'cspril et de corps, tu rccueilles en te promenant sous ces fraichesallees les bons avis que ton pere te donne : c'esila, mon enfant, prendre une bonne lecon d'hygifene physique ct morale. L'hygiene coniprend : 1° Les objets qui nous entourent. Ce sont fair, la lumiere, I'electricite. Ceux a I'influence desquels nous sommes assujeltis : Ce sont les saisons, la temperature, les climats. 2° Les objets qui nous couvrent : Les vetements. Ceux qui nous scrvenl pour le repos. Par exemple, les lits. dIO CAUSEIiiES AVEC HON FILS SLU LllVClENE. Ceux enfin solides ou liquides par lesqueU nous ontre- tenons la souplesse et la pioprele de notre corps. 3° Les objels qui nous alimenlent, quels qu'ils soient. 4° Puis les secretions, les mouvements, les sensations el les tonctions intellecluelles. Nous examinerons cliaque chose en son lieu ; mais avantd'enlrer dans aucun dcvcloppement, je crois conve- nable, men fils, de te faire prealablement I'explicalion sucoincte de ce qu'on enlend par temperament, alin que tu saches i'tablir la diHerence qui existe entre chacun d'eux. Bien des gens du monde confondent la consliltilioii avec le lemperamcnl. La constilulion est rassemblagc de toutes les parties quicomposent rorganisation parlieuliere de diaqueindi- vidu. Ainsi, une bonne constitution est celle ou tous les organcs, tous les systt:mcs, tous les appareils, developpte avec egale force, agissent avec Ogale eneigie et fonc- tionnent avec la meme aisance. Les (empirammls sont les ditKrences qui resultent de la predominance marquee de tel ou tel systeme-ou appareil special, avec les autres systemes ou appa- reils. Ainsi- la pr(?dominance gencrale des liquides sur les solides donne I'idee du tcniperanienl mow, qui se recon- nait a des chairs boursoullees et sans vigueur quoique volumineuses. Si le contraire a lieu, on dil le lempiTanient solide ou sec. La lytnphe est un des lluides de notre corps qui cir- cule dans un appareil de vaisseaux parliculiers. Ce Iluide est incolore et tres-abondant. II acquicrl dans le lorrent de la circulation des proprietes nouvclles, lorsqu'il se trouve en contact avec d'autrcs fluides dont la combinai- son concourt a la formation du sang. Eh bien ! les individus chez lesquels la lympho circule avec execs ont un temperament qu'on appelle lympha- tique, etqui se reconnait aux signes suivants : Peau blanche et molle. Cheveux blonds, lisses etsoyeux. Formes arrondies, epaisses, sans elaslicite ni consis- tance, ni energie decontpactdite. De li, paresse naturelle dans les fonctions, dans les mouvements; faiblesse dans les sensations; absence des passions fortes et exaltees. En general lelfemperanientlymphatiquocst hereditaire ; il est tri's-frequent dans les conlrees humides ou froides, et nousverrons, plus tard, lesmodificateurs que I'hygiene pent lui ofl'rir. Dans les grandes villes en general, le temperament lymphatiquedomineche?. la plupartdcs enfanls qui nais- sent; I'exces de la tendresse materndlc, I'exces des pre- cautions de tout genre, au lieu dele modifier, ne font que I'accroitre, landis que chez les gens de la campagne la faiblesse native ne tarde pas a se tonifier. Ce temperament est un de ceux qui afHigcnt le plus I'espece humaine, on ne saurait I'^tudier avec assez d'at- lention, car I'hygiene, dirigee avec/tact et combinee avec un pcu de medecine,[peut le modifier enormement. Lorsque le sang propremcnt dit circule en plus grande abondance que la Ij raphe, dont je vions de t'entretenir, il constitue le temperament sanguin. ta peau est d'une coloration vermeille, les cheveux sont durs et d'une teinte foncee, le visage est sec, les yeux ouvcrts etbrillants, les muscles fortement prononcfe, les formes saillantes et peu arrondies. A ce lemp^rament appartiennentia vivacitddes mouve- ments, I'activite de I'intelligence, I'energie des passions. C'est le propre de la jeunesse, principalement chez I'homme, et qui existe presque toujours dans les contrees oil regno une temperature chaude et seche. Le temperament nervcux dilTere du temperament lym- pliatique en cela, que la peau e.st d'un blanc mat, qu'au lieu d'etre boursoullee et arrondie.elleestmaigre et seche. Les cheveux participont a celle esp(."Ce de surexcitation, ils sont d'une teinte plus ou moins foncee, ils sont plus ou moins durs et peu boucles. Le Iluide nerveux prMomine sur tous les aulres d'une maniere Iranchee, et son intluence est immense sur les fonctions physiques, morales et intellectuelles. Ce temperament s' observe dans I'enfance et principa- lement chez les femmes. C'est lui qui leur donne cette exquise finesse de tact et de sensibilite qui leur tient lieu de force et surexcite leur Anergic. Les mouvements sont rapides, exaltes, el parfois peu durables: la prostration suit de pres relfervescence. II engendre les arts, la poesie, et Ji c6te des plus fortes passions, il donne naissance aux plus nobles et belles pensees, aux plus grandes et louables actions. II s'observe dans toutes les conlrees, mais principale- ment dans relies oil la temperature seclie domine. Le tempt'rament alhlcliijue est caraclerise par la pre- dominance du systeme musculaire, dont le volume, la durete sont considerables. La tfteest petite; les cheveux crdpus, rudes et courts; les epaulessont largement dcve- loppees, le tronc est durement dessine; les membressoni courts et trapus. Les mouvements sont d'une puissance extreme; mais les facultes intellectuelles sont en raison inverse. Ce temperament se remarque en general dans les pays froids et sees, chez I'horame adulle. Le temperament bilieux esl en quelque sorle un tempe- rament mi.xte ayantquelquechose des temperaments san- guins et nerveux. Une peau si'che etbrune; peu d'embonpoint, durete dans les formes, grande vivacite dans les mouvements, violence dans I'emporlement des passions : lels sont ses principaux signes. II se remarque chez I'homme fait etchez les individus quiselivrent aux travaux reguliers de cabinet; son exces, son exaltation produisent la melancolieetses consi?quences. Telles sont h peu prfes les diverses series principales de temp^ament. Mais il peut se faire que deux ou iroi.s espijces de temperament se trouvent prSdominer en- semble sur les autres, et alors ils forment autant d'es- pL'ces composees et speciales a I'individu, et, dans leur appreciation, il faut tenir compte des causes suscepti- bles de les modifier nalurellement, par exemple I'agc, le .sexe,lesclimats etlemilieu dans lequel I'individu est place. Tu vols deja, mon cher fils, par cette enumeration ele- nientaire des temperaments, que les rfegles de I'hygifene, qui peuventetregen6rales pour une classeenlierede tem- peraments de meme nature, ne ^ont poinl applicables a tous les temperaments; qu'il est done utile de bien ela- blir les bases de ses appreciations et de ses applications, selon les climats et les individus. LE IMU.NCE CHAIII.ES STUAUT. 511 L'liygienc est done encore une science d'observation et de tacl qui vous fail connaitre que telle chose convient a Tun, qui est uuisible a I'autre, et reeipioquenient ; etqu'il ne faut pas, d'apres un syslenie general, poser des regies nvariables et placer tous les individus sur un seul et mftineplan. J. I'oveb, d. ni. P. VARIETES UISTORIOIES. I.E PRIIVCE CHARIiES SXIART VllGAlHEMEM N0MM£ LE JEL.NE PRfiTENDAST. L ' mallieureuse destin(5e dcs Stuarts (Tre un sujet non nioins triste u'interessant a mediter. S'il est rai qu'une grandc partie de la ataiile qui s'cst atlachce a leurs as doive etre altribuee^i leur naniere de pcuser et d'agir, tou- tefols, apres avoir fait la part de leurs faiblesses, de leur ('goisme et de leur imprudence, I'observaleur sans prevention sera force d'admettre qu'ils eurent des temps bien diHiciles a traverser, et que leur chute fut due non nioMis aiix circonstances exterieures qua un manque de conduite. De tous les Stuarts, le plus interessant a nos yeux est, sans contredit, le royal martyr Charles Pre- mier. I.orsque nous parcourons le recit de ses'longues nlTrances, notre pitie, notre sympathie, noire amour, i! tour a lour excites; et nous spnlons s'allumer notre iiiiiurialion, quand nous voyons calomnier sa memoire, ti (lonner une interpretation mensongere et mechante a -I - pensees, a ses paroles, a ses actions., De son temps, iV,]]rit (Je parti, I'ardeur de la lulle, le froissement d'in- trivis opposes, pouvaient fiiire excuser les ecarts d'une 1 vollantepartialite;mais,de nos jours, lorsquela tombe ;iliiile les dernicrs rejetons de cette famille infortunee, (111 a peine a eoncevoir racharnement avec lequel cex- tjiiis ecrivains poursuivent, apres tant d'aiinees, I'oeuvre (','-■ la liaine, et fouiUent avec leurs puignards dcs cendres que le malheur cut du rendre sacrees. .\pres Charles Premier, le hcros que nous avons sous f les yeux est, sans doute, de tous les Stuarls, le plus [ digne de notre interSt. Le romanesque a ele tellement m^le Ji la vie de ce prince, son caractere offre tant de nuances opposees, que son histoire ne saurait manquer de capliver I'atlcntion des lecteurs de tous les pays. Les idees ctroites de Jacques II etouffent I'amouret le respect que ses malheurs poiirraient lui meriter. L'inertie el la lourdeur d'esprit de son fils. le vieux pretendant, n'ont aucun droit a noire sympathie. Le jeune chevalier, au contraire, .se recommande a nous tout d'abord par son caractere chevaleresque, son inlrepidite, sa conduite si digne d'un prince, et sa male beaute. II deploya tant de genereuse audace lors de son premier debarquement en Eccsse, tant demagnanimite envers sesennemis vaincus, que nous ne saurions nous defendre de nous inleresser a lui, ni mime dedesirer soulriomphe, i mesure que nous parcourons le recit de laventureuse entrcpnse qui fadlil replacer son peve sur le Irone dc ses ancelres. Cela n'est point surprenant : ilest dans la nature de rhommo de se ranger du parti du plus faible, de meme que Ton favo- rise de ses vceux un joueur centre lequel la chance sc declare opiniAtrement. II est peu de lecteurs, — de ceux du nioins qui ont un ccEur genereux, — qui n'aient desire que les Troyens triomphassent des Grecs, qu'llector I'empoital sur son arrogant adversaire ; il en est peu qui n'aienlpas sympathise avec .innibaldans ses gigantesques efforts pour ecraser la tyrannic romaine ; qui n'aient pas cpouse la cause dc I'inforlunee Rose rouge, en parcou- lant les annales des guerres civiles qui dechirercnt I'An- gleterre. Ainsi, nous le repetons, il n'esl pas elonnant qu'un prince jeune, brave et malheureux, ayant de sou cole les droits de la legiliniite, faisant des efforts qui tiennent du prodige pour alteindre le but de sa noble ambition, et ne succombant, en dehnitive, que par la lachete morale do ses compagtions, fasse vibrer les cordes les plus d^licates de notre coeur lorsque nous lisonsl'his- loire de ses hauls fails, et alors meme que nous sentons cjmbien il imporlail au bonheur du pays que la maison . d'llanovre deraeurat en possession du trone. La raison el le sentiment n'adoptent pas le meme drapeau dans celle lutte de deux principes; mais k present que toute possi- bilite dc succes pour les Sluarts est a jamais disparue, nous pouvons donner un libre cours i nos senereuses sympathies, el souhaiter que ce qui ne se peul pas se puisse. L'ouvrage que vient d'ecrire M. Ch. L. Klose, ecuyer, sous le litre de Memoires du Prince Charles, est palpitant d'interet. Les fails qui y sent relates ont ele puises aux meilleures sources, et le style de la narration est simple, sans pretention, coulant el anime. La plupart des choses qu'on y rencoiy.re sont, il est vrai, deja connues du pu- blic, grace aux romanshisloriques de Walter Scott; lord Mahon, de son cole, dans son histoire d'Angleterre, a rendu pleinement justice acet episode si romanesque des annales de I'Angleterre. Neanmoins , le nouvel ou- vrage a pris une place qui n'etait pas encore occupee, et Ton peul le considerer comme un livre qui manquait. L'hisloire de cette memorable entreprise est en sui une chose sicomplelemenl a part, qu'elle meritait d'etre trai- tee de la maniere que M. Klose a choisie. II a donne, comme introduction a son recil, un resume lucide et bien ecrit des aventures des Stuarts jusqu'a I'apparition du jeune Charles dans I'arene politique ; il y a joint une courte relation de la rebellion de 1715, qui eul lieu sous les auspices de Jacques III, pere de Charles. II nous a fourni, en outre, l'hisloire de la vie privee du jeune pre- tendant, etdeses aventures obscures durant les quaraule -.12 LE PRINCE CHARLES STUART. ilerniercs annues de soncxislcnce. Mais le veritable inle- nHdu livrese conrentro sui rannec 1745; et, pour notre part,Tious duclarons avoirlu les di'tailsde cftle rebellion roijale avec presquc aulant dinlerct que si Ics fails prin- cipaux ne nous eusscrit pas ete connus. Parcouronsrapidemcn I les passages les plusdramatiques de I'aventureuse et courte carriere niilitaire de Charles, a partir du moment ou il r§solut, seul et sans appui, de se confier a la generosite de ses partisans ecossais. A cette epoque, la France et les' aiitres gouvernements d'Europe se tenaienl k I'ecart et refusaient de porter aucun secours ace dernier rameau d'un Ironc illustre, pour I'aidcr a reconquerir les possessions de ses aioux'. Son p^re lui- mfime etait eoQtraire a uiic entreprise si hasardeuse, et s'opposait h ce qu'on fit aucune demarche active sans la rooperation de la France, cooperation que, comme le avenl, les pcrso\ines familieres avec la politique de cette epoque, le jeune Stuart n'avait auciin motif d'esp6rer. II y cut plus : ses adherents ecossais furcnt unanimes pour le dissuader d'enlrer enEcosse, declarant I'entnpprise in- sensee Ji moins quelle no tut appviyee de toutcs les forces de la France. Enrin,lorsquc, nialgre tout, il cut debarquo dans les Hebrides, le premier partisan de sa maisonqu'il rencontra, Jlacdonald, le supplia d'abord, et lui recom- manda presque ensuite de relourner en France ; puis, le prince ayant refuse de renonccr a sa tentative, le fidele Macdonald dcserta sa cause, refusantde sacrilierles guer- riers de son clan pour une cause desesperee. Plus tard, lorsque d'autres adherents le joignirent, le m6me langago fut tenu avec aussi peu de succcs : Charles pcrsisla dans son dessein, et les chefs ecossais prirent conge de lui. Seul, un jeune Highlander ', enflanime par la noble per- siHeranceet le courage indoniptable du prince, manifesia I'intcntion de servir sa cause. — « Vous voulez-donc « me suivre, vous? » s'eeria vivementle jeune Stuart que toutle monde abandonnait. — « Je le veux, rc'pliqua le « Highlander; nul autre ne tirilt-il I'epee •pour vous. je « mourrai pour mon prince! i> Charles recompensa ce g^nereux elan par des elogcs (]ui furcnt autant de coups de poignard pour les chefs qui avaient recul^. Une ar- dente Emulation saisit aussitot loutes les ames ; la fidelite I'emporte enfin, et, pcrcant la triple ecorce de I'interet personnel, lenlhousiasine qui avait fait baltre un c(EUr trouve de I'echo dans tons les autrcs. Ainsi se forma le noyau de I'armee du chevalier, liienlot ce ruisseau prit son cour et devint riviere. Des chefs puissants accoururent en foule sous la banniere des Stuarts. Cope, general des troupes royales, bat en retraite dcvant cette armee im- provisee. Le prince entre dans Edimbourg et occupe le palais de ses ancfitres. Oh! ce fut la une heure d'orgueil pour I'antique Edina, lorsqu'un Stuart rentra dans ses murs pour donner a I'Anglcterre un monarque ecossais! Alors on reconnut la justcsse des previsions de Charles, alors il fut clair qu'une aide ctrangere aurait detourne les sympathies, excite des jalousies, affaibli les affections du peuple. Oui, Charles avail eu raison, en d(5pit des doutes de ses amis, des pressentiments de son pere; seul, sans appui, il etait entr6 en ficosse, n'apportanl pour triomphcr que le prestige d'une vieille el noble cause, qu'un zelo ardent, qu'un bras jeune et intrdpide. Les scmhlables s'attircnt : I'enthousiasme avail enfante I'en- thousiasme. Maintenant, la capilalede .ses ai'eux elait en son pouvoir, loute une nation triomphait de son triom- phe. Dejoyeuses reunions, quen'elTrayail point la rapide a|iproche des ennemis, eurent lieu dans le palais. Un infaillible pressentiment de virtoire jaillis.^ait de chaque parole, de chaque regard du royal aventuricr. Sa cheva- leresque bravoure lui avait gagno les coiurs des femmes',: rficosse etait a lui. Toulefois, il ne laissa pas le temps se consumer en di- 1 Habitant des monlagnes. \ertissenienls frivoles; des iiles 11 vola aux combats, et se pr^para, anime du pins fervent espoir, a se mesurer avcc I'armee royale qui s'approchalt. Pour la premiere fols, k Prestonpaii.s, les forces rlvales se trouvercnten pre- sence. L'avantage du nombre etall du cute des royalistes; mais que peut-11 centre I'enlhousiasme dont briilent les coeursde leurs adversaires? Cbarles, tout palpitant d'une LE PRINCE CHARLES STUART. 313 genereuse ardeur et ne doutant pas de la victoire, com- munique son assurance a tous les siens. La bataille s'en- gage. Les glorieux pressentimcnts du prince se r^alisent ; dans moins d'un quart d'heure {miruhile dichi .') I'armee anglaise est defaite, Charles est vainqucur. Les Highlan- ders, par I'impetuosite de leur attaque, jettent le desordre dans les rangs de leurs ennemis, les taillcnt en pieces. les dispersent. Cope fuit. Sept cents prisonniers demeu- rent dans les mains des vainqueurs. Charles deploie alors toute la magnaniuiite de son Anie : les blesses des deux partis recoivent les memes soins. Le jeune conquerant rentre en triomphe dans la ville de ses anc^lres; il y est accueilli par les [ilus vivos acclamations : la beaute cou- ronne la valeur. Mais Charles, conser\ant la nieme egalite d'ame, ne se laisso point enivrerpar I'orgueil du succes; loin de la, il refuse d'allaquer le chateau d'/idimhourg, pour ne pas esposer les habitants de la ville aux repre- saiUes de la garnison. 11 ne veut pas meme se venger sur ses prisonniers de la mort inlligee 4 ceux de ses soldats qui sont lombes au pouvoir de i'ennemi, bien que ses adherents insistent pour que, dans leur inter^t comme dans le sien, il maintienne, en rendant le mal pour le mal, un^pied d'egalite entre le gouvernement et lui. Un repos glorieux succede a res premiers triomphes. Mais bienlot laugmenlation de ses troupes lui permet de pe- nelrer en Angleterre. Charles n'hesite pas. .4 la tetejd'une armee d'environ six miUe homraes, il quitte fedimbourg 3li I.K I'UiNCE ClIAr.M'.S STUAUT. ct cntre en campa!;nc. Nous tlisons i la l.6te d'unearni^c! S'll on eilt cU' vraiment ainsi, pcut-elre le succes aiirait- il couronno son cnlicprise. Mais non ! Les chefs erossais et ii'landais qui faisaicnt paitic dc cctto armce en claipnt k's veiitables commandants, lis formaient Ic conscil de guerre du prclendant, ol, par le dt'saccord de leurs.vucs, cmpi'clianl toule unite de direction, ilsamenerent la ruine de la cause qu'ils soutenaient. Non que lord Georges Murray (hi un general inhabile; loin de la ; mais son ir- resolution, son dcoouragement au moment le plus dfeeisif de la campa^nc, firent evanouir les briUuntos esperanccs de son maitre. MalgriS quclques dissensions de peu d'importanre, en avant, neanmoins, marclie I'armt'C rcbclle, qui pouvait devcnir I'armee royale, si elle elait favorisee par la for- tune, ou plutot par la Providence. A la fin, Derby est oc- cupe par elle. On n'est plus qu'i cent trente niilles de t.ondres (environ 209 kilometres). Deja I'epouvante saisit la capilale; deja Georges II a mis scs tresorsi I'abri sur un vaisseau h I'ancre dans la Taniise. La victoire semble s'offrir au t(?nieraire chevalier, pourvu qu'il s'avance pour la saisir. Lui-m6me ne doute pas du succes. 11 va triompher... mais non; il va faire naufroge en vue du port, et ce ne seront point scs ennemis qui lui arrache- ront la victoire, ce seront ses propres amis, ses plus M- voiuis partisans! Les chefs ecossais ont peur de pousser plus avant. Le peuple, di.sent-ils. ne s'tst pas souleve en assez grand nombre en faveur des Stuarts ; de puissantcs armees les attendent pour les diitruire d'un seul coup. En, faisant retraite sur I'tcosse, on pent au moins conserver cette province. Une marche de plus en avant metlruit tout en peril. Stupide raisonnement! Alors ou jamais de- vait sooner I'heure de la victoire. Charles le sentait bien : . Reculer, disait-il , c'est briscr notre talisman ; moi, « victorieiix jusqu'ici , je seniblerai dejii vaincu! Le « monde croira notre cause perdue, et, si on le croit • unefois, elle lesera en elTet. On nous suppose invinci- • bles, c'est \h le prestige qui nous a donne ju.squ'Ji prc^- • sent la victoire. Reculez, ne filt ce que d'un pas, et je > puis m'appr^ter a m'enfuir de ma patrie. » Ces ar- guments si logiques ne lirent aucune impression. Les .iaa'iRiilllil chefs ne voulaient pas recevoir de lecons d'un jeune homme impetueux qui no demandait qu'a se precipiter au milieu du danger. La prudence Itur convenait. lu- senses, la prudence est votre arret de mort! Le prince delirait de rage et versait des larmes de de.sespoir. Tout dependail de la resolutign qu'allait adopter le conseil de guerre; Charles commando, — sujiplie; — vains efforts ! Losort en (itait jete. Alors brilla manifestcment la fatale eloile des Stuarls; le destin .semblait intervenir lui-nii5me el dire: « Ju.sque-la, mais pas plus loin! • On commenca done la retraite. Les soldats <5taienl hors d'eux-mfimes. La confiance irresistible qu'ils avaient montree jusqu'alors s'^tait changec en un sombre decou- lagemenl. Alors, aussi, pour la premiere foi.s, Charles ne montra plus en public cet enthousia.snie qui avait donne lant d'energie aiix efforts de ses soldats. 11 temoignait de la niauvai.sc humeur, etiaissait voir, par sa taciturnite, combicn cello retraile lui repugnait. En cela il cutevi- demment tort; .sa situation elait difficile, il est vrai, mais nous croynns qu'il cut du paraitre cederde bonne grSce, et dcmander ensuite aux chefs dc rassenibler I'armee, pour qu'il fit comprendre aux soldats la necessile de la relraite. Alors, dans le cours dc sa harangue aux trou- pes, ilauraitdit : « Soldats! vos nobles chefs n'ont point ■ peur pour oux, mais pour vous; c'est vous qu'ils veu- " lent mettro a I'abri du danger ; c'est pour vous qu'ils • ordonnent la retraite: Us ne respirent, eux, qu'esp^- « ranee et courage; lis appellent de tous leurs voeux " le combat. Oh ! plut a Dieu qu'un serablable enthou- • siasme cnnammiit vos cceurs! » Puis, quand des mil- liers d'acclamationsauraient prolesle du desir de I'armee de risquer la bataille, le prince, tirant au.ssilot avantage de ce gen(ireux mouvement, se serait tourne du cote des chefs en s'ecriant : "En est-il vraiment ainsi? 0 mes " amis, voyez comme vous vous eles trompes ! vos sol- • dais parlagent votre hero'fque ardeur; rangcz-les done, • placez-moi h leur l6te, etcourons ii la victoire! • Cette ruse, bien excusable, aurait cu, nous n'en doutons pas, un succes complet. Mais en cut-il eteautrement, le prince n'en aiirait pas moins dCl paraitre satisfait de la retraite; il aurait dO publierune proclamation dans laquelle ileut (lit qu'il regardait cette pretendue marche retrograde comme la route la plus sure pour parvenir au triomphe. i:t, mailrisant ses sensations, commandant a son visage, une .satisfaction plus qu'ordinaire eut du briUer dans ses I raits. Quoi qu'il en soil, si son armce eiit pu itre de^ue, le pays ne I'aurait pas ele. Le talisman litait efi elTet brise ; desormais on regarda comme perdue la cause du pre- lendant. Ni habilete, ni bravoure, ni succes meme, ne purent faire recouvrer I'avantage neglige. Une fois en- core, I'armee du prince entre en ficossc. La retraite s'ef- iectue dans le plus grand ordre. A FalUirk, une seconde armee ruyale est defaite. Tout est inutile. Le prince, pourlant, sort de son decouragcment. Chaque fois qu'il se trouve en face de ses ennemis, loute son enorgie se reveille. Mais Ic gouvernement anglais reconnait enfin la necessile de plus vigourcuses mesures. I'n Cope, un Hawlev ont ete battus ; mainteTuuit un membre de la famiUe" royale, le due de Cumberland, prend la direction de la guerre. Les deux armees se rencoiLtrent a Calloden. Le prince Charles est encore uiio fois tout confiance, tout entliousiasme. Le miime esprit anime la majorite de ses troupes; elles se croient invincibles. Mais uiie fatale at- taque nocturne, une surprise tenteo qui lichoue, ebran- Li: I'RINCE CII lent la confiance. L'armee du prince, apres avoir effectue de nuit une marche de plusieurs miUes pour e^ecuter un mouvement concerte, est contrainte, au point du jour, de rejoindre ses anciens quartiers, at de livrer bataille. Comme on devait s'y altendre dans de telles circonstan- ces, les ficossais sent defaits. Ce conibal, sar lequel re- posaient les destinees de la Grande-Brctagne, est perdu, et Charles n'est plus, encore unc fois, qu'un vagabond sans palrie. Le suivrons-nous dans sa fuite aventureuse, a travers des perils qui ont tout I'interet d'un ronian? Le montre- rons-nous ecliappant, comme par un miracle, a une poursuite ob^linee'? Non; assez d'aulres avunt nous ont trace ce tableau. Enfin, le jeune pruendant parvient a s'embarquer sur un petH batiment, et retourne, pauvre ct sans espoir, dans le pays d'oii il s'est elance a une con- qucte qui fut un instant possible. Pauvre il en etait parti, plus pauvre encore il y revint. Mors, du moins, s'il etait pauvre en soldats et en argent, il etait riche en zele, en courage, en esperances, en audace; maintenant la ba- taille a ete livree, la bataille a Hi perdue : son zele s'est attiedi, son courage I'a abandonnc, ses esperances sont detruites, et il n'a plus le droit d'etre audacieux. Par une ISchete que les exigences de la politique ne peuvent faire excuser, la France renferme dans la Bastille le royal aventurier qui a joui5 une couronHe et qui I'a perdue. Be'idu a la liberte, il retourne en Italic pour y achever sans gloire une vie qu'il avail si vailiamment et si teme- VRLliS STIAKT. - r^l^i raircment exposce. Malheureiix dans ses affections do- mestiques, il chercha un dedommagemcnt dansd'ignobles plaisirs. Enfin, il tomba dans une sorte de lethargic mo- rale; mort pour le monde, maisjctant encore, a I'occa- sion, quelques dclairs de vie. Visite un jour par un voya- geur anglais qui lui parla de 1745, le vieux prince se ra- nima one fois encore. Son ardeur de jeune homme, son enlhousiasme chevaleresque, se reveilliirenten lui quand il se retrouva, par I'entrainement du r6cit, au milieu de ses fideles monlagnards, livrant encore et gagnant des batailles; puis, se rappelant tout h coup I'affreuse desti- nee de ceux de ses partisans qui etaient morts sur le champ d'honneur ou sur I'echafaud, il poussa un faible cri dagonie ets'evanouit. llexpiraen 1788, etson frere, le cardinal d'York, dernier rejeton des Stuarts, mourut vingt ans plus tard. Ainsi s'eteignit obscurement une race royale, image de ces larges ct rapides fleuves qui se perdent dans le sable avant d'atteindre UOcean. Nous n'avons donne qu'une rapide esquisse de cette histoire romanesque, et nous avons neglige les noms aussi bien que les dates ; nous renvoyons ceux de nos lecteurs qui les voudraient connaitre a I'ouvrage de M. Klose. Maintenant, le Guelfe le plus fanatique ne sau- rait s'empScher de laisser tomber unesympathique laime sur la trisle destinee d'une famille ainsi condamnee par le sort ; peut-etre mSme la jeune souveraine qui regne aujourd'hui sur la Grande-Bretagne a-t-elle songe plus d'une fois avec Amotion a cet aventureux pretendant, dont le triomphe eiit arrache a ses anc^tres une cou- ronne qu'cUe porte avec taut de grlce, de bonheur et de di"nite. -^Coa,..^. _r_ — 516 LES MILLE ET L'NE NUITS LES MlllE ET L'l MITS D'EUROPE ET D'AllERIQLE CnOIX DES PLCS JOLIS CONTES FBA^•CAIS ET ETKANGEBS. IiXONARD I.E JOAII.I.IER 00 LES DEUX MOSIIES. onT voyageur que ses affai- res ou ses gouts appellent h Bayonne, est dans I'usage d'admirer d'abord I'heureuse position de I'ancienne capitalc des Basques, sur les rives charraantes de la Nive et de I'Adour ; il ne manque pas ensuite de s'extasicr devant les imposantes fortifications dues au genie de Vauban, et illustrees par le fameux siege de 181i; il lieut aussi a se promener, le long des remparts, dans ccs magnifiques AUees marines ornees de si belles pierres taillees, et qu'uue foule Elegante et fashio- nable envahit tons les diniancbes; il est surtout curieux de ■visiter, aux heurcs du reflux, cette grotte mysterieuse oii les patrons des barques, les poetes du lieu et les flols de rOcten viennent briser, r^veret dormir tour ^ tour. .Mais apres ces premieres visiles, toules fecondcs en impressions (style de tourisle), si I'idee lui vient de par- courir les trois quarliers de la ville formes par les deux rivieres, il avisera mainles curiosiles plus ou moins di- gues de son attention. La plus remarquable est une bou- tique de joaillier situee au milieu de la rue d'Espagnc, et dont I'etalage, etincelant de bijoux d'or et d'argent or- nis de fines pierreries, pourrait avec honneur prendre place a Paris, dans le Palais-Royal ou au boulevard des Italiens. Jusque-lb, rien qui sorte de I'ordre nalurcl des choses : on con(;oit facilement qu'un orfevre opulent cher- che, S Bayonne comme ailleurs, h ^clipser ses rivaux; mais ce qu'on ne comprend pas aussi facilement, c'est un groupe sculpt^ en relief place au-dessus de la porle de la boulique, et repr&enlant les attributs de I'orfevrerie, soutenus en apparence par deux figures ^gypticnnes tel- lement s6clies et noires, qu'a leur premier aspect il est impossible de ne pas reconnaitre deux verilablcs mo- mies. II y a quelques annees, un savant eleve de Champol- lion, passant a Bayonne, trouva si (Strange ce monument, qu'il lui parut devoir necessairement renfermer un sens myst^rieux doni, ^ defaut de signcs hiSroglyphiques, le joaillier ou ses amis pouvaient seuls lui donner I'expli- cation. Voici ce que lui raconla une pcrsonne digne de foi, et qui etait au fait de toutes les aventures de Leonard le joaillier, car telselaient le nom et le titre inscrits en let- tres d'or sur I'enseigne rouge-cerise du riche marcband. II y a dix ans k pen prfes qu'on voyait encore a Bayonne un bon vieuxbatelier gagner sa vie a p6cher kla mer ou dans r.\dour, h passer les commis des marchands d'un quai du port Ji I'autre, ou ti promener les oisifs sur la ri- viere. Or, ce batelier avail un fils unique nomme Leo- nard, au(iuel il deslinait pour lout heritage ses filels et sa barque, celle-ci, munie dedeux belles rames, d'un petit mSl peint en vert et d'une voile latine. Toute I'ambition du brave homme etait de voir son fils lui succeder dans le metier qu'il lenait lui-meme de son pere ; sa femme d'ailleurs, et quelle femme de menagel parlagcait toutes ses manieres de voir, el ils se disaient souveiit I'un i> I'autre : Quand on n'a qu'une petite bar- que il ne faut pas gagner le large; Leonard sera prehear comme moi, et ses enfanls seront pMieurs comme lui. Cependant, par une beureuse derogation a leurs princi- pes, quoiqu'ilsne sussent lireni I'un nil'aiitre, ils avaient envpye leur fils a I'ecole gratuite des Freres, et le petit Leonard, tout espiegle qu'il etait, fit des progres si rapi- des, qu'en peu de temps il savait bien lire, avail une belle plume,' connaissail passablemcnt son arilhmetique et son orthographe. Mais ce qui rinteressoit plus que tout le reste, c'etait la geographie el I'liisloire nalurelle, sur- tout celle des pierres precieuses. II savail par ccEur lout ce qu'en disaient les petits abreges mis entre ses mains; ce n'etait pas grand' chose, mais pour siippleer a leur in- suffisance il s'arrJtail souvent devant les tHalages des li- braires et des bouquinistes, et il trouva de la sorte le moyen de fairoun coursgratuit de gi5ographie sur de belles car- tes illustrees et enluminees. Bref, il etait clair que Leonard pouvait pretendre a au- tre chose qu'il 6tro patron de barque; il se plia pourtant aux exigences de ses parents, qui etaient un peu aussi celles de la nccessite ; il apprit a manier les rames, a di- riger le gouvornail, a ferler et deferler la voile, Ji jeleret retirer les filels; mais aprijs un certain temps il fut aise de s'apercevoir que celte viene lui allaitpas du tout; au moindre prelexte il esquivail la corvfe, courait llaner par les rues, ou stationner devant une nouvelle carte du ruyaume deGolconde, au grand risque, pour ses epaules, de pousser enfinaboiit la longanimite palernelle. Les choses allaient de ce train, lorsqu'un beau jour en passant sur le port, il s'apercut que la fregale h vapeur I'Orenoque faisail ses prepaiatifs de depart; ce navire, qui venait du Havre, avail reliche a Bayonne pour r^pa- rer quelques avaries ; maintenant il allait faire route pour rP.gypte; d^ja la vapeur s'echappait des soupapes avec un! silTlement horrible, etsa haute cheminee, semblable a une tour de I'enfer, s'enveloppait d'une noire vapeur. Loin d intimider Leonard, ce speclable formidable ne fit qu'aug- D'EUROPE ET DAMERIQUE. ZI-, menter le desir qu'il nourrissait dcpuis longtemps de faire iin voyage de nier. Conime il ouvrait de grands yeux, a travers les ondiilalions de la fum^e il apercut une pan- carte imprimee suspendue 5 la poupe du vapeur; il par- Tint avec peine a tire ces mots : L'Orhwque est de parlance pour Alexandrie. On de- niandc un jeunc homme dc bonne lolunte. sachanl lire el ecrire, pour scrvir an salon el a la lablc du eapilaine. Leonard se sentait quinze ans, une grande envie de voyager et un plus grand degoilt de ramer sur la Nive et I'Adour. La deliberation ne fut done pas longue : sans prendre le temps de consuller son pere qui se fut peut- etre oppos^ a son dessein, il monte par Techelle de corde dunavire, qu'il saisit, ivre de joie, comme rechellememe de la fortune. Les connaissances que possedaient le jeune homme, et son air ouvert, convinrent au capitaine, qui, sans plus de formalites, I'admit h son service, et fit inscrire son nom sur le livre de I'equipage. • Leonard, lui dit-il en lui frappant legerement sur I'epaule, tu auras dix ecus par mois et la table ; fais ton devoir, etje ne t'oublierai pas. » Quelques heures apres I'Orenoque avait perdu de vue la cote francaise. La fregate,excellentemarclieuse et favo- risee encore par le vent, volait, en quelque sorte, sur les ondes, ce qui encourageait Leonard k se livrer aux plus beaux reves qu il eut fails de sa vie. La navigation fut d'abord des plus heureuses; le vais- seau doubla sans aucun obstacle le cap Finistere, longea les rivages du Portugal et de I'Espagne, et entra dans le detroit de Gibraltar, oil les courants quijportent a Vest augmenterent encore la rapidite de sa course. Mais par- venu dans les parages de iles Baleares, au milieu m^me de la nuit, il fut oblige de s'arreter, car le vent selait calme, et quelques-unes des pieces de la macbine a va- peur venaientde se deranger; pendant que le mecanicien travajllait a les remettre en jeu, trois ou qualrc matclots harasses par la clialeur, car on etait alors au mois de juillet, eureut la folle idee de descendre dans la clialoupe et de se mettre a I'eau; Leonard, toujours un peu espie- gle, ne manqua pas de faire comme eux. Un coup de sif- ilet avertit bientut. les nageurs de remonter ^ bord. lis obdissent a I'instant, et Ton retire la clialoupe, personne De s'apcrcevant de I'absence de Leonard. Le jeune impru- dent s'ctait trop ecart^ du vaisseau... Quand il vit qu'on ■ I'oubliait il poussa des cris percants, mais le bruit des roues remises en mouvement empecha de I'enlcndre, et le navire reprenait sa premiere vitesse... Leonard le suivit quelque temps des yeux a la clarte des etoiles, puis il ne le vit plus... Vous figurez-vous quelque chose de plus horrible qu'une situation pareiUe? Le jeune homme na- 318 LES MILLE ET UNE NUITS geait comme un poisson; niais de quoi lui servait-il? Les forces devaient enfiii lui manquer, il allail dcscendre dans ces tOnebreux abimes ou jamais I'ancre n'a trouve de fond, et oil les monstres marins eux-memes redoutent de penetrer. Deja sa vigueur s'affaiblissail el I'espoir d'echapper k une mort affreuse ne lui etait plus permis; alors, se rcsi- ynaiit k sa destin^e, il confia son Sme ii Dieu, et lui de- manda paidon d'etre parti sans avoir seulenient dit adiea k son vicux pere, ci sa mere qui I'aimait tant! Puis, se tournant sur le dos, il se eoucha, comme dans un cercueil, entre les vagues, qui de temps en temps le couvraient de Icur 6cume. II ne tarda pas a tomber dans une sorte de lijtliargie, pendant laquelle il cessa d'avoir conscience de ce qu'il faisait. Plusieurs heures se passerent ainsi, quand il se scntit subitemeiit saisi aux cheveux par une main vigourcuse. II ouvrit les yeux et vit le solcil levant qui semblait sorlir de la mer comme d'une vaste couche etincelanle d'or et de pourpre. Leonard, recueilli par I'cquipage d'un brick francais qui faisail e:alemcnt route pour I'Egypte, fut traite avec En disantres mots il montrait del'index deux grandes momies adossees contre Ie mur. " A combien me les passez-vous ? fitLfJonard, qui ve- nait aussi d'avoirune idee. — En France , vous revendrez facilement cela pour une valeur de quatre cents sequins, vous m'en donnerez done deux cents; la proposition vous va-t-elle? — C'est cher, mais je tiens si fort a vous obligor que j'accepte Ie march^. — Dansce cas, cela fait tout juste les cinq cents sequins queje vous devais pour votre diamant. » Leonard , rentre dans sa demeure avec I'cmplete sin- guliiire qu'il venait de faire, donna cours a son idde. II se hata de taire avec un canif une incision dans Ie ventre de chacune des momies, et placa dans ce creux toutes ses picrres, soigneusement enveloppees dans du coton pour eviler qu'elles ne fissent Ie moindre bruit. II recola par- faitement Touverture et altendit I'^venement. Comme il I'avait prevu , Ie marchand ne manqua pas de revenir avec un officier de la police pour faire une vi- sile domiciliaire. D'EUROPE ET DAMfiUlQl'E. « Jeune homme, fit-il en entrant, Ie bruit se repand ([ue vous avez decouvert un tresor ; la justice vient s'in- forraer de la verity. • A ces mots, les deux visiteurs se mirent a fouiller par- tout, jusque dans Ie turban du jeune homme. Us ne trou- verent nan que les trois cents sequins comptes la veille. Le marchand n'eut garde, comme on Ie pense bien, d'in- specterles momies par lui vendues assezcherement. Cc fut la le terme des tribulations de Leonard. Sa mau- vaise ^toile venait enfin de se coucher, et la bonne se Ic- vait toute brillante. Par I'effet du hasard, le m6me vapeur qui I'avait pris a Bayohne, et qui devait un pen plus tard se perdre sur les cotes d'Afrique, le ramena dans sa patrie apr6s six ans d'absence. II retrouva son vieux pere ramant sur I'Adour, et .sa mere, qui, n'esperant plus le revoir, I'avait longtemps pleure, puis avait repris sa quenouille et filait chaquc jour sa t^che de chanvre. Mais bienlot tout changea do face : revenu dc Paris, oil il etait alle pour realiscr la vcnte de ses pierreries, il se vit possesseur d'une fortune qu'on n'a jamais connue au juste, mais qui certainement depas.sait plusicurs mdlions. Aussi ne songea-t-il guere h inquieter Ie malheureux qui lui avait vole sa pacotille d'figypte. II prefera faire construire le bel hfitel qu'il possede ac- tuellement a Bayonne dans la rue d'Espagne. Pendant cc temps, il a etudie I'art du lapidaire, dans lequeUil a fait tant de progres qu'il est actuellement en etat de diriger un des plus beaux (;(ablissements qui existent dans co genre. Son immense fortune, qui augmcnte sanscesse, le met a m^me d'avoir h sa disposition les productions les plus pr&ieuses de la mineralogie. Du rcstc, il aime toutes les sciences, et sa maison est le rendcz-vous des artistes et des savants de tout Ie pays. Une epouse aimable , associde h son bonhcur, en aug- mente encore le prix. Quant a son pere et a sa mere , il leur a donne une belle maison, des champs et un enclos, sur les bords dc leur riviere. C'est !a qu'il vient lui-meme bien souvent de- viser de ses souvenirs d'enfance avec sa mi;re, Slant au beau soleil d'automne, ou avec son pfere, parcourant en- core d'un regard complaisant ces ondes riantes de I'A- dour que ses rames ont frappees tant de fois. Charles Cuaubet. Tsposrapliii; licn.iMPE el C^-, rue Damijllc, 2. CORONIOUE DES MOIS. NOVEMBRE. liies feuilles sont tombees. — Hier il en restait une sur le sycomore que vous voyez au bord de ce ruisseau gonfl^; mais est venu le \ent, une frenetique rafale a suffi pour enlever a ce pauvre arbre sa dernifere preuve d'exislence. — Comme il est triste avec ses ■ quelques rameaux tordus! ne dirait-on pas un immense spec- tie qui montre ses bras et ses doigtsdecharnL's! Qu'a-t-il fait de sa robe de sole Terte, et pourquoi n'a-t-il aujourd'hui qu'un pan de burepour se cou- vrir? Serait-il mort, cet arbre? non, silence! — il dort. — 11 a fait comme ces grandes coquettes que vous ne connaissez certainement pas, ces belles dames, qui le soir, deposent sur un meuble discret leurs beaux che- veux d'emprunt, leurs blanches dents de William Rogers, avec des Qots de velours et de cachemire qu'elles foulent du pied en allant vers la couche que le sommeil va venir bercer. Ainsi I'arbre laisse tomber ses feuilles jusqu'^ la derniere ; gisantes k terre, il semble qa'il les regarde presqueaveod^dain, qu'il leur dit ces mots cruels: Allez, ■»Ousetesvieillesetpass^es demode! Puis pourattendre le jour oil son superbe fournisseur, le printemps, lui apporte une autre parure, il s'endort. — Eh bicnl bonsoir, monsieur le sycomore, dormczbien. T II. Aliens! roses enfants aux teles blonde's, quittez voire sourire joyeux et votre giise blouse de lln, reboutonnez voire habit ci collet bleu. Novembre vient d'apparaitre avec sonSaglttaire, et deja le tambour du college a battu le rappel. Un dernier regard au lac qui vit tant de fois dans ses ondes votre ligne si fatale aux ableltes. Dites bien a Jasmin, le jardinier, de donner tous ses soins au petit arbrisseau que vous avez plante I'autre jour; i Justine, la cami5riste, recommandez les scarab^es et les papiUons que vous avez si impiloyablement transperces dans vos jours de cruaute entomologique. Une dernifire caresse a ce pauvre Medor, qui a une goutle d'eau dans le coin de I'asil et qui remue lentementla queued la t^le. Ilacompris votre depart. II vous accompagnera bien sur jusqu'a la grille du pare, et quand les roues du wiski feront voler la poussiere de la route il y atlachera son regard mi'lancolique aussi longtemps que possible. Et pour vous, jeunes filles, la cloche sonne aussi. Sceur Marlhe a deja demande a soeur Isabelle si vous n'etiez pa.s de retour. Aliens! unbaiser^ votre grand'mere, unelarme a votre maman et depSchez-vous de lui dire un mot dans lecreuxde I'oreille ; car les clefsa la main, dame tourriere attend. Demain, sera le deuxiferae jour de novembre, — la f^te des moits, — scene sublime de poesie religieuse lorsqu'on la voitau village, — dans un de ces villages oil Ton croit il Dieu. Le soleil a I'horizon dort encore dans un nuage; ses rayons, pJlispar lebrouillard, n'arriveront pasaujourd'hui jusqu'ii la lerre. i\ PETITS VOYAGES Leglas fun^bre commence la solennit^ de deuil. Les porles de I'^glise sont b^antes. — Pauvre ^gliec a vodte de cliene ! pauvre clocher qui n'a d'autre orgueil que de di'passer en hauleur loules les maisons d'alen- tour. Chaque scntier, conduisant des hameaux au temple, voit venir un a un les villageois vfitus de noir ; ne dirait- on pas les grains d'ebone d'un cliapelet a chaine grise ? Ce sont de bonnes et vieilles fommes, aux figures bfilees par le soled, aux reins courbes par le travail; de robustes paysansdontles doigtscalleux et forts cr^veraient le gant d'un gentilhomme du boulevard pour lui donner une poignee d'amitie, — si le gentdhomme demandait un ser- vice aux paysans. Puis des vieillards qui semblent regar- der a terre les troas que forment leur b;Uon, enfin de belles jeunes filles tnstes et pales aujourd'liui que tout le nionde a une larme dans le coeur, parce qu'on se souTiont que naguiire un cercueil passait sur ce meme chemin. Le glas funebre a cesse de se fairo entendre. — Le pretre commence la messe desmorts. — Ensuitedeux fois il fait le tour du catafalque et deux fois il le benit. Les portes du .temple se Touvrent, la cloche jette par les airs sessonoresvolees. On fait la procession desmorts. — Dans mon village le luxc.du bedcau est inconnu comme les (Epaulettes aa;Fos grains, Kpre a dr^agonne d'or, et la pique a fer decoupe. — Ce n'est qu'un enfant qui ouvre le cortege, seulement la croix qu'il porte est trois fois grande comme lui. Puis vie/inent d'autres cnfants vetus aussi de robes blanches, quelques m(5diocres amateurs de plain chant, — et le pretre ; — derriere ce dernier les fidi-des, c'est-il-dire : tons les assistants. Cetle modeste procession se dirige vers un cimetiere oil on ne voit point de marbres de Carrare, mais bien des cypres, des saules aux branches qui pleurent, et des ga- zons. — Devant une croix de pierre qui s'c'leve au milieu. le prdtre s'arr(Slc. — II parle; son discours commence par cos mots, qu'il ne dit pas en latin : — Bienheureux ceux qui seront morts dans la foi ! Sa voix a fait coulee les larmes silencieuses de la resi- gnation. — La c<5remonie religicuse est finie. La foule se divise dans le champ de la mort, chacun va vers une tonibe. Ce malheureux vieillard, comme il vient baiser cetle pierre sur laquelle on lit: 18 ans! — Et cette femme, qu'il y a d'espiSrance et de douleur a la fois, dans les larmes qu'oUe repand sur ce monticule de terre ! — Plus ] loin, ces enfants, qui joignent leurs petites mains it qui prient parce qu'on leur dit de prier, et qui regardent le ciel parce qu'on leur dit que leur mere est 1^ haul, — ' lorsqu'ils s'eloignent, lepluB jeune dit b son frere : Si maman ne revicnt pas demain c'est qu'elle ne nous aime plus!... Voilii ce '^u'est novembre : un instant €e deuil, deux ' jours de froid, trente nuits de vent, d'un vent qui dans" vos corridors viendra hurler pourvous faire peur. Et puis J c'est le mois qui voit sur I'aire diSpooJIler le ble de sai robe d'or. Aprts qubi on entend la -hache du bilcheron frapper a mort les vieux chenes de la fori^t; vous les verrez ces arbres, jadis si Tiers de leur taiUe giganlesque, rentrer dans le moindre grenier eu humbles fractions, — qu'on appelle fagots. Puis a la place de leur suuche ver- moulue on planteraun jeune ormeau ou un petit h6tre que ( le vent fora bien longtemps grelottcr avant qu'il ait la I force de se dresser devant I'ouragan et de le df'lier. Une chose essenlielle que j'oubliais de vous dire, c'est I que novembre est le onzieme mois de I'annee d'aprfes le calcndrier julien ou gregorien, et comme I'indique trfes- savamment, tout almanach redige par un arri^re-petit- neveu de Mathieu Laensberg. Andre Thomas. PETiTS mm m les rivieres de frmce. LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVEMRS. jBn quittant les Petits Ande- lys, la Seine arroso les vil- ^^K lages de Roquetteet deMuids, sur la m^me rive, et coule en droite ligne vers Louvicrs, qu'elle semble avoir I'inten- tion d'aller visiter; mais, comme par une reflexion sou- ddine, elle fait un brusque de- tour, abandonne k Vironvay la direction qu'elle suivait, et court de.nouveau vers le nord, laissant i sa droite Ande etHcrqueville, a sa gauche Portcjoye, Tournedos et Pose ; ces derniers se trouvent dans une presqu'ile entour^e par la Seine et I'Eure. C'est vis4-vis le village appele Pose que debouche la jolie ri- viere d'Andelle k travers un charmant vallon, vari6 par divers genres de cultures, peuplo de hameaux, au milieu desquels s'elevcnt les agreables fabriques d'Amfreville- es-Monts. Des hauteurs voisines on apercoit I'Andelle et la Seine, qui bientut va I'emporter dans son sein, se d6-, tourner I'une de I'autre, puis se rejoindre, enfin se mijler en.semble en descendant vers Pont-de-l'Arche. Le village de Pitres s'eleve k I'ouest sur la poinlc de la coUine arroste par I'Andelle. On y voyait jadis un ch5- teau royal oil I'empereur Charles le Cliauve tint une as- semblee de seigneurs et d'6vi^ques que nos faistoriens ont appelfe concile. Au confluent de I'Andelle se trouve la c6te celebre oil une histoire tragique et touchante donna naissance a une construction dont il ne reste plus rien aujourd'hui. La chapelle fun(5raire elevi5e sur le lieu oii expira le coura- geux jeune homme sous le poids d'un precieux fardeau, avait H6 chang^e en un vaste moutier qui lui-mf-me a fait place a une maison de plaisance. Aujourd'hui on ne voit plus rien de ces debris tOuronn& de lierres, qui in- spir^rent a Ducis les vers oil il deplore la fin lamentable de deux etres a qui la falalite semblait avoir refuse toute espece de bonheur sur cette terre. SUR LES RIVIER Le fleuves'eloigne d'Amfreville etde la c6teaux regret- tables soavenirs, puis recoit I'Eiire sur la riie oppotee. Sortie des 6tangs situes entre Mortagne et Verneuil, sur les limites du d^partement d'Eiire-el-Loir, I'Eure tra- verse ce territoire dans toute sa largeur, baignoChartres et Louviers , arrose Notre-Dame-de-VaTidreuil , que Ion voit h gauche, et s'unit a la Seine en face du village du Manoir; puis le fleuve se dirige vers Pont-de-l'Arche, dont on apercoit deja les tours demantelees, les vieux remparts et les clochers. Cette ville a ete fondee par I'em- pereur Charles le O.hauvc, et c'est ce prince qui a donne k cette ville ce nom de Pont-de-l'Arche, dont I'ttyniolo- gie, quoiquetres-simpIe,a toujours embarrassi5 les savants. Pont-de-l'Arche a ete pendant longtemps I'une de nos meilleures places fortes; cette ville n'est pas sans gloire dans nos fastes militaires, elle a soutenu plusieurs sieges justement c^lebres. Ses habitants s'honorent d'avoir les premiers ouvert leurs portes h Henri IV lorsqu'il fut oblige de reconqut'rir ses Etats les armes a la main. On y voit un pent de vingt-deux arches sur lequel passe la route de Rouen. Cette route, descendue de Louviers h travers la forfit, remonte la cole pour aller retrouver le fleuve il Sainl-Ouen. A I'extremitd du pontse trouvent encore les debris du chateau et de la tour qui en protegeaient I'en- tr)5e. Ajoutons que la mariie se fait scntir jusqu'a Pont- de-l'Arche. Apres avoir depasst' cette ville, la Seine alimente le petit port de CriqueboBuf, puis se divise en une foule de bras pour enceindre des iles verdoyantes. Enfin, a Fre- neuse, elle penetre dans le departement de la Seine-Infe- rieure, qu'elle ne quitte plus et s'empresse d'aller porter le mouvementet la vie dans la ville d'Elbeuf. Cette ville, aujourd'hui commercante et riche, constitua pendant longtemps un duche-pairie qui' appartenait a la famille de Lorraine. Depuis elle est descendue au rang de chef- lieu de canton. L'une des lies que forme la Seine pres d'Elbeuf s'appe- lait Oscelle ou Oissel, h I'epoqueou les pirates normands ravageaient la France, et leur servit souvent de refuge; on n'a pas encore pu savoir quelle 6tait celle de ces iles qui fut ainsi choisie pour retraite; cependant bien des nienioires ont ete lus, a ce sujet, a I'Academie des inscrip- tions et belles-lettres. C'est peut-etre pour cette raison qu'on n'est pas pins avance. A I'cxtremite de la petite plaine d'Elbeuf, on apercoit une SL'rie de rochers roides et escarpes couronnes d'ar- bres toujours verdoyants et qui se succedent sur la rive d.ins une etendue considerable en cachant, comme der- riere un impenetrable rideau, la foret de Rouvray. Quel- quefois ces rochers sont tallies en forme d'etages au sein desquels les hommes se sont creuse des maisons ; dans d'autres endroits sont suspendus des quartiers de roc qui semblent toujours prcts a rouler au milieu des eaux. Quelques-uns de ces accidents de terrain offrent mfime quelque chose d'effrayant, spectacle que le voyageur est etonne de rencontrer le long d'un Ueuve aux eaux si paisibles. Sou.s ces rochers mSmes, et sur les bords de la Seine, s'elevent le village d'Orival, dont lis ont prislenom, puis celui d'Oissel-la-Riviere et celui de Saint-Etiennc, ou s'ouvre aux regards I'immense plaine de Sotteville, qui se prolonge jusqu'ii Rouen, dont les clochers peuvent tHre dis- tingues ;» Elbeuf. ES DE FRANCE. 525 Si Ton considerc la rive opposee, on sent son Jme sou- lagee de ces horreurs pittoresques; de ce c6ti, la vue se repose sur des bords verts et anim6s, sur des iles om- bragiies , semees de quelques chaumiijres aux couleurs et a la construction bizarres. Entre les eoteaux et la ri- viere se multiplient des villages bien plus agriables , bien plus nombreux que sur la rive gauche. Nous voyons d'abord Saint-Aubin en face d'Elbeuf, dont il devien- drait un faubourg grilce a la construction d'un pont; plus loin apparait le port Saint-Ouen, oil, pour la mo- desle somme de vingt centimes, on s'embarque sur le bateau de Rouen ; plus loin encore s'^leventSaint-Crespin, .Amfreville et lilaville, qui ont tons trois de eharmantes maisons de plaisance. C'est au-dessus du village de Port- Saint-Ouen qu'ap- paraSt la cdte qu'une hero'iue cc'lebre gi'avit chaque jour, pendant quarante ans, malgre la neige, la glace, la oha- leur ou I'orage, pour deniander et attendre sur la route celui qu'elle avait perdu dans de lointaines contrees. C'e'" du haut de la colline que, pour la premiere fois, en venant de Paris par la route d'en bas, on decouvre la ville de Rouen ot ses vastes alentours. La Seine forme alors un veritable archipel au milieu duquel elle semble vouloir seperdre : c'est un nombreinfini d'llesdetoutesles formes et de toutes les 6lendues. Les roches de Saint-Adrien, qui confinent h. la cote de Port-Saint-Ouen , sont tres-pitto- resques d'aspect; puis c'est la montagne de Belbeuf cou- ronnee par le chateau et le pare du meme nom, aux jar- dins immenses, du haut desquels le curieux, place ciubord des terrasses, jouit de-la vue la plus "magnifique; enfin les hauteurs se succedent jusqu'i la roche de Sainle-Ca- therine, dont la Seine baigne le pied avant de penetrer dans la ville de Rouen. Pendant que le fleuv»^e laisse aller a la pente qui I'en- trainc, mettons-nous a gravir la cote Sainte-Catherine, et tilchons de nous y reposer un peu. Puis il nous faudra faire une abondanle collection des coquillages fossiles que possede la montagne, et nous rendre apres au bout du Cours-Dauphin, nomme maintenantCours-de-Paris; alors, du haut de la terrasse situee sur le bord de I'eau, pres de I'eglise Saint-Paul, nous aurons un admirable speclacle. A gauche, I'horizon est borni par de beaux eoteaux, et la Seine, formant une foule de replis tortueux, decoupe une chaine d'iles vertes et riantes, qui semble se noyer dans un lac immense; de I'autre cfitfe du fleuve, une suite de prairies interminables se prolonge depuis Saint-Etienne et Sotteville, dont on apercoit les clochers et les maisons piltoresques.jusqu'au Cours-de-la-Reine ou Grand-Cours, situe a I'entiee du faubourg Saint-Sever, dont on voit les casernes, la vieille eglise et les maisons de bains. A droite, la vallee du Robec et de I'Aubelte nous an- nonce dans le fond le bourg de Darnetal, et livre passage s. Andr6 Montorip , vice-l^gat d' Avignon , qui avait ac- cueilli Vincent i son retour d'Afrique, le conduisit avec lui a Rome, oil il le logea dans son palais. Lh, il reprit le cours desesetudes interrompues.et, quelque temps apres, se rendit en France, porteur d'un message secret pour le roi de France, Henri IV, qui le refut et I'entretint en par- ticulier. Des lors il ne quilta plus sa patrie, et commenca a se livrer h la predilection de son ?ime en visitant les hopitaux de charit(5. — II fut, h son retour, victime d'une vivacile deplorable ; on I'accusa publiquement de vol, et la voix qui s'elevait etait celle d'un homme integre, mais abuse par les apparences. II se contenta de repondre que — « Dieu savaitia virile.- — Elle fut en elTet plus tard pu- blic, et son accusateur au diisespoir soUicita un pardon qui lui avait ete depuis longtemps accord^. La reine Marguerite de Valois, inslruite du merite de Vincent, le nomma son aumonier. II quitta ce poste ci la mort du roi, pour prendre possession de la cure de Cli- chy. II v^cutuneannee entieredansce petit village, ador^ de ses paroissiens et r^pandant des bienfails autour de lui. On I'arracha k cette heureuse paix pour lui confier I'Mucation de MM. de Gondi et de Joigny, encore fort jeunes ; • Quand je m'eloignai de ma petite eglise de Cli- • chy, dil-il, mes yeux etaient mouilles de larmes, et je ■ benis en sanglolant ces hommes et ces femmes qui ve- • naicntvers moi etquej'avais tant aimes... » Dans sa nouvelle position, I'ex-cure se trouva un pcu contrarie des honneurs et des deferences dont il ^tait I'objet. Une mission qu'il fit vers celte (5poque et qui eut les rfeuUats les plus admirables, accrut encore son credit et I'indisposa davantage centre le monde. II en fit la confi- dence h son ami M. de Berulle, et sans pr6venir personne autre, il parlit a I'improvisle pour aller occuper la cure de ChJlillon-les-Dombes en Bresse. Les instances de la famille de Gondi nepurenlle decider Jilaisserses nouveiux paroissiens -,11 trouva I'etatreligieux de ces contrces veritablement deplorable; le relachement du clerge et le voisinage de Geneve I'aggravaient de jour en jour. Assiste d'un ouvrier evangelique , nomme Louis Girard, il entrcprit une reforme, et ses courageux efforts furent couronnes de succ6s. II fonda la premiere confrerie des dames de la charite, et posa la premiijre pierre de cette institution qui devait etre plus tard la providence des mallieureux. Sa reputation lui amena un jour le comte de Rougemont, un des plus celebres duellisles du temps, qui, touch^ de repentir par les paroles du saint, confessa ses fautes, vendit ses biens, les distribua aux pauvres et passa le reste de sa vie dans une peni- tence austere. En arrivant h Chatillon, Vincent avait installe son pres- byt^re dans la niaison d'un protestant nornm^ Beynier. Ses seuls exemples loucherent tellement son hole, que non-seulemcnt il abjura, mais qu'il devint encore un de ses fervcnts acolytes. La maison de Gondi, qui n'avait jamais cesse de le rap- peler , finit par vaincre ses repugnances. Sollicite de toutes parts, Vincent de Paul fut contraint de ceder, et quitta Cliillillon , escort^ par la ville entiere pleurant comme un seul homme. Revenu chez M. de Gondi, alors general des gaR-res, il profita de la charge de ce seigneur SMNT VINCENT DE PAUL MUSF'JM NATUR/'.U HISTtmY, SAINT VINCE pour se rcndre comple de I'^tat des forcals qui depeii- daient de lui. II en fut effrayo, et entroprit de les tirer de cet abime. Scs tiavaux furent benis par le Seigneur, et le roi Louis Xlll,sur le rappoil qu'on lui (it, le nomma grand aumonier des galeres de France. Un trait de la vie de saint Vincent, que nous ne pou- TOns passer sous silence, est celui qu'il accomplitii iMar- seille, oil il s'elait rendu incognito. II remarqua, des les NT DE PAUL. 329 premiers jours, un galericn qui s'abandonnait au deses- poir et rofusait toute esptjce de consolations. Celait un contrebandier condamne a trois ans de caplivite. Crai- gnant de le voir succomber a sa doulenr, et enflamme par la charite, Vincent obtint par son credit la permission de prendre sa place. 11 resta enchaine pendant plusieurs se- niaines, et lorsque ses amis le firent delivrer, il porlait la trace ineffacable des fers dont il avait He charge. La vie de ce grand saint est, a parlir de ce momeni, occupee par des cntreprises jusqu'alors jugees impossi- bles, el dont sa perseverance el son infaligable amour de rhumanile viennent aisement a bout. A Macon, il elablit la confrerie de Saint-CharIes-Borromee,destince a secou- rir les pauvres indigenes et Strangers. A Bordeaux, et de concert avec le cardinal de Sourdis, il opera une revolu- tion morale dans les galeres de I'faat. Un mahomelan, qui I'entendit, se fit bapliser et ne se s^para jamais de son liberateur. A^anl de s' eloigner de celte ville, il alia revoir ses pa- rents et leur fit promellre de vivre toujours dans I'hurai- lite d'une vie obscure. II les abandonna dans les larmes, et poursuivit sa carriers aposlolique. A I'aide d'une pen- sion offerte par niadame de Gondi, il fonda, en 1624, le college des Bons-Enfants, dont il fut nomme principal. Cette institution etait consacree a rcunir des ecclesiasli- ques ^prouves qui, aux frais de la compagnie, devaient se repandre de temps en temps dans les campagnes pour instruire el calechiser les paysans. Elle prospera tellement et acquit une telle reputation, qu'elle fut designee comme lieu de relraite aux jeunes pLctres avanl leur ordination. Vincent de Paul, par lettres patentes du roi, fut, eti 1632, mis en possession du seminaire de Saint-Lazare. II elablit le plus grand ordre dans celte maison, et oblint en outre un local suffisant pour loger les galeriens de Paris. II demanda plus tard une audience a Richelieu, et ce cardinal, qui appreciait siirement les hommes, se rendit aussitot a ses vues. Avec son concours, il jela a Marseille les fondemenls d'un hospice dcsline aux prisonniers dont il connaissait les souffrances pour les avoir parlagees. II ^i] lUMMi est impossible de continuer I'histoire de Vincent sans s'exposer a tomberdans des rediles. Faisantsucceder les bonnes oeuvres aux bonnes (ruvres, et niulliplianl aulour de lui les missions religieuses, il complait ses minutes 330 SAINT VINCENT DE PAUL. d' existence par le nombre des proselytes qu'il ramenait !i lafoi. C'est ainsi que dans la foule des retraites lesplus lieu- reuses qu'il dirigea ou dont il fut I'insligateur, on cite celle du faubourg Saint-Germain, a Paris, et celle do Saint-Lazare, oii il regul tous Ics fideles qui se pr6- senterent Ji lui, bien que ce logis fiit specialement af- fect^ aux conferences theologiques. II elablit ii Paris la premiere congregation des Filles de la Charity ; les regies qu'il leur donna sont regardees comme un chcf-d'ceuvre de sagesse. Elles furent toujo^irs les enfants de sa predilection. « Elles n'ont, disaitnl, pour monastercs que les niaisons des malades, pour cellule qu'une chambre de louage, pour chapelle que I'eglise de leur paroisse, pour cloitre que les rues de la ville ou les salles des hopitaux, pour cloture que I'obeissance, pour grille que la crainte de Dieu, et pour voile qu'une sainte et exacte modestie. • Lesi5venements politiques qui bouleversaient la France fournirent alors aux missionnaires I'occasion de montrer toute I'ctendue de leur devouement. La maison de Saint- Lazare fut changeo en une -veritable cascnie, et chaque prStrepartagea sa demcureavecun soldat.Maisla famine, suite inevitable de la guerre, vint desoler les provinces fran(;aise=, et la Lorraine cntre autres fut decimee par la misere. A ce fleau, se joignircnt la peste et le pillage des compagnies errantes. Vincent, a la tHe de scs prfitres, so transporta dans ces contrees pour arrcter le cours de ces desordres. A I'aide des auradnes qu'ils obtenaient des gens riches, ils nourrirent une immense population que les desastres dn temps avaient riduile au deniiment le plus affreux. Toul, Metz, Verdun, Nancy el plus de vingt- cinq villcs ressentirent les effets de leur charite admira- ble. Ce n'etait pas seulement sur leurs compatriotes que s'etendait leur sollicitude ; les Anglais refugic^s furent ac- cueillis par eux comme des frercs, et partagerent le pain du missionnaire, alors que, repousses par leur pays,, ils ne trouvaienl pas d'asile sur un sol etranger. Penetre de douleur par ces ev^ncmenls terribles, Vin- cent prit une soudaine resolution. 11 Toulut s'adresser au minisire meme ; lui, I'humblepr^trc ne craignit pasde re- garder en face le front redoutable de Richelieu : « Monsei- gnetir, lui cria-t-il, donnez-nous la paix! Ayez pitie de nous! Donnez la paix a la France! • Et Richelieu, qui connaissait I'homme ([ui plenrait a scs pieds, regretla peut-6tre les s6veres conseils que lui avail dictes sa ri- goureuse politique. Ce c^lebre cardinal, juge trop s6verement par la pos- l^rite, mourut apri^s avoir pacific I'Europe, et le roi ne tarda pas Ji lesuivrc. Vincent de Paul assista Louis XIII a ses dernicrs moments. II le fit sans faiblesfeetsans com- plaisance, ct sut faire passer dans rime du monarque une sainte confiance et une pieuse fermete. Malgre les intrigues de la cour a la mort de ce prince, Vinc<>nt ne prit aucune part aux troubles de la regence. Le cardinal de iUazarin, qui prenait les renes du gouver- nement sous le patronage de la reine Anne d'Autriche, le nomma membre du conseil eccl^siastique. Ce tribunal examinait les affaires religieuses et decidait des titres des- candidats aux dignitfede I'figlise. Quoique, dans ce posts eleve, ilfiil ledispensateurdes graces, jamais il n'accorda rien a ses proches nik ses amis, persuade que Ihumilite d'une vie ignoree est le don le plus pr^cieux que le ciel puisse nous faire. II etait si peu courtlsan que, pour se presenter a la cour, il ne voulut jamais acheter une sou- tane neuve. — Etles pauvres? repondait-il. Vers la fin de sa vie, Vincent, comme s'il cut compris ■ qu'il allait quitter le monde, multiplia autour de lui ses CEuvres de bienfaisance. II fonda les Orpheliiiesau Pre aux- Cleicset placa cet etablissement sous la main de mademoi- selle de rfetang ; il institua la maison des filles de la Croix, destinces a elever les jeunes personnes, puis les filles del la Providence, les fdles de Sainte-Genevieve et enfin lef premier hospice des enfantstrouves.il sut si bien interesser i a cette derniere fondation, les dames de la cour, qu'a la suite d'une pathelique exhortation qu'il leur avail adrcssee. dies dolerent celieude refuge de 40,000 francs de rentes. C'estla le plus beau titre de Vincent a rimmortalite. Les troubles de la Fronde furentquelque temps pourlui un objet d'inquietude; pour prevenir les liorreurs de la gnerre civile, il osa serendre aupres do Mazarin et I'en- gager a quitter le pays. Cette genereuse audace surprit fort le ministre, mais la repulation de Vincent elait si populaire, qu'il n'osa le disgracier lorsqu'il eut apaise I'orage. Les fatigues de toutessortes, dont la viedu saint liomme n'aiait ele qu'un enchainement perp Elle eut la pensee d'aller finir ses jours en terre sainle ; — mais ses enfants etaient trop jeunes encore! Saint Francois de Sales vint a Dijon precher le careme de I'annee 4 604. Elle quitta Monthelon, oil, depuis son veuvage, elle habitait la maison de son beau-pere, etvint entendre I'livfque de Geneve. Elle pensa que mieux que tous les pretres qui avaient jusque-14 dirigeson coeur, ce prelat lui indiquerait la voie qu'elle devait prendre en obeissant a Dieu. Francois de Sales rerut sa confession et lui dit : • N'ecoulez que I'impulsion de votre ame, car c'est le Seigneur qui vous appelle. » Peu de temps apres, madame de Chantal maria I'ainee SAINTE JEANNE DE CHANTAL. de ses filles an baron de Thorens , et recommandant au •prtsident Fremiol le jeune baron de Chantal, alors age de quinze ans, elle annonca sa determination irrevocable de se retirer dans une nouvelle consjregalion qu'elle fon- dait sous le nom de la Visitation de sainte Marie. Un cri de douleur dechirant et unanime accueillit celte nouvelle. Ses enfants se tordaient a ses pieds; son vieux pere la baignait de ses larmes en s'ecriant : « 0 mon Dieu! il ne m'est paspermis de ra'opposer a I'exe- rution de vos desseins ; quoiqu'il doive m'en coilter la vie, je vous ofTre, Seigneur, cette chfere enfant; daignez la reccvoir et ftre ma consolation I » Puis il la serra dans ses bras et la benit. Le jeune baron de Cbantal, siiffoquo parses ssanglots, arrachait de sa poitrine les motsles plus toueliants pour retenir sa mere; enfin, voyant I'inutilile de ses, efforts, il se coucha sur le seuil de la porte par cii madam.' Cbantal devait passer. Frappee, elle aussi, jus- qu'aux larmes, elle s'arrfite, besite en regardant son fils, puis tout a coup, levant ses yeux vers le ciel, elle fran- chit la derniere barriere que I'amour maternel luj oppo- sait. — Dieu I'avait appelee! Ce fut dans Annecy qu'elle commenca I'etablissement de sa congregation. Deux femmes pieuses qui I'avaient suivie, composerent d'abord avec elle la modeste commu- naute fondce en I'anni^e 1610, le dimancbe de la Trinite. Peu de temps apres , dix aiitres dames sollirilerent leur admission, et le cardinal de MarqnemonI, archev^que, fit par ses conseils changer la congregation en ordre reli- gieux. Alors madame de Chantal et ses compagnes pro- noncerent des voeux solennels. C'elait a la fondatrice de ce nouveau monastiire qu'en apparlenait la direction. Elle recut le litre de m&re, et, en cette qualite, secroyant responsable detoutesles irre- gularites commises contre la rfegle, elle priait continuel- lement, demandant au Seigneur bien des graces qu'elle possedait deja. Ses prieres et ses oraisons jaculatoires etaient faites avec une si grande fervour, qu'il eri resulta pour son corps des inflammations lelles que plusieurs fois elle faillit en perdre la vie. Pour repondre aux conseils que Francois de Sales lui donnait & cet egard, elle disait : « Le monde enlier mourrait d'amour pour un Dieu si airaable, s'il connaissait la douceur que goilte une Sme a I'aimer. • A ces maux physiques vinrent se joindrc des malheurs de famille, sans pouvoir un in- .stant ebranler sa pieuse resignation. Le president Fremiot mourut. — Lejeune baron de Chan- tal fut luc, laissanl de son recent mariage avec Marie de Coulonges une petite fille qui devait 6tre plus tard la mar- quise de Sevigne. — Le comte de Toulonjon, son gendre, qu'elle aimait tendrement, et qui etait gouverneur de Pignerolle, fut aussi frappe par la mort. —Ces diffcrentes douleurs survenues coup sur coup, et qu'elle ressentit vivementdans le fond de son ame, lui fournirent occasion d'offrir k Dieu le sacrifice de toutes ses affections. De la ces lecons qu'elle donnait si souvent k ses sceurs sur la necessite du renoncement aux choses creees. • Notre-Sei- gnour, disait-elle, a attache le prix de son amouret de la gloire eternelle a la vicloire que nous remporterons sur nous-memes. Voire intention, en venant a la Visitation, a du i^tre de vousdesunir de vous-m6mes pour vous unir it Dieu ; c'est un petit champ ou si Ton ne meurt Ji soi- meme on ne portera point de fruit. Vous ne serez Spouses de .lesus-Cbrist qu'autant que vous crucifierez votreju- gement, voire volonte et vos inclinations pour vous con- former k lui. » Elle fonda diverses maisons de son ordre, notamment a Bourges, Dijon, Grenoble, Moulins, Nevers, Orleans et Paris. Dans cette derniere ville, elleeut a lutter contre la persecution. Mais .saint Vincent de Paul la fit sortir vic- torieuse ck>s combats que lui suscitait la jalousie. 33* CAUSERIES AVEC MA FILLE Madame la duchesse de Savoie la fit venir h Turin, en 1638, pour fonder une communaule de la Visitation de sainte Marie. Anne d'Aulriche, reine de France, I'appela a Paris, et ce fut en atlant a Saint-Germain-en-Laye , pour faire visile a I'augDste personne qui desirait la voir, qu'elle fut frappce de rinflanimation de poitrine qui devait finir ses jours. Des qu'elle s'aper^ut que son heurc elait venue, elle donna ses dernieres instructions k ses compasnes, recut les sacrements avec une evangelique piiile ct toutle calme que donne une vie sanstache. — Elle monla vers le Sei- gneur confiante en lui. — Pouvait-ellecraindre d'etre jugee par celui qu'elle avail tant aime? J. B. CAUSERIES AVEC MA FIllE SUR lA CHIIIIE LA PLUS ELEMEXTAIRE ET SES APPLICATIONS. Dans I'ancienne et savanle Egyple, la science se transmet- tait du pere aui en- fants. Je ■vais faire de mtoie avec toi, nia bonne Marie; je pren- drai -sorn de ne pas fatiguer ton esprit, et do ne fe presenler que des; fails degages de I tout I'attirail des hypotheses preten- tieuses qui, souvent, en obscurcissent le sens. J'espere ainsi te econcilier avec la chimie, que, comme les gens du monde, tu OSes a peine abordcr, de memo que si c'etait une science aride, barbare ou abstraite, et beaucoup au-des- susdelon intelligence. 11 est vrai qu'autrefois, quand elle meritait a peine le nom de] science, elle n'etait lo plus souvent raise en pra- tique que par les philosopties et les raisonneurs, qui avaientune facon de dogmaliser tout a fait occulte, etqui lui avaient conserve les caracteres hieroglyphiqucs de la vieille Egypfe, ou elle a certainement pris naissance du temps d'Hermfes, qui existait probablement avant le de- luge. La civilisation semble vraiinent avoir suivi le mou- vcment du soleil ; elle a marche d'Gccidcnt en Orient : la Chine, laChaldee, I'Epypte, la Grece.l'empire remain, etc. Avant de se constituer, la science oscille ordinairemcnt entrela theorieetla pratique. Trois epoques la dominent : dans la premiere, I'intelligence observe les fails et est libre des enlraves de la superstition el des prejuges systo- matiques. Dans la seconde, la pensee domine le champ de I'exp^'rience pour se rt'fugier dans le domaine de la speculation mystique et surnalurelle. De la I'origine do tant de doctrines fanlastiques des adeptes de I'art sacre et del'alchimic. Dans la troisteme, qui est la noire, la lumiere semble apparaitre apr^s les tenebres, la raison se manifesle en- touree de ses formes severeset des preuves propres k con- vaincre. Nos pocjles el nos anliquaires chimisles ont fouiUe dans lous les recoins de I'histoire sainte et de I'histoire profane; ils se sent empares des fables les plus anciennes, que, par des efforls inouTs, ils ont souvent di'tournees de leur veri- table sens pour les appliqucr J> leur objet. Qu'('tait-ce k lour avis que la toison d'or qui occasionna Ic voyage des Argonaules? Un livre ferit sur des peaux, qui enseignail i\ faire de I'oraumoyen de la chimie. N'ont-ils pas eu aussi quelque raison de relrouver cetle science dans la fable d'Esculape qui revwifie les morts, dans celle de Jupiter transmuc ' en pluie d'or, de Gorgone qui lapidi/ie ^ tout ce qui la veil, de Midas Ji qui Bacchus accorde le don de convertir en or tout ce qu'il louche, du ph('nix qui renaitde ses cendres, etc., elc. Les anciens Grecs admetlaient rindestruclibilile de la matiere, sur laquelle reposent aujourd'hui les doctrines fondamentales de la chimie. Us admetlaient qualre ule- mcnls : la terre, I'eau, I'air et le feu, lesquels cntraienl dans la conslilulion de lous les corps. En 1 2t 4, naquil Roger Bacon, auquel on atlribue I'hon- neur d'avoir introduit la chimie en Europe. Ses manu- scrits contiennenl la recelle de la poudre h canon, qui a remplace le feu gr^geois ', dans lequel entraient aussi du nitre el du soufre, et peul-elre une huile volatile, ainsi qu'un metal appele potassium. De cetle epoque du moyeu age datent reellenienl les alchimistes, ou cbercbeurs de la pierre philosophale, qui pr^tendaient transformer en or et en argent les metaux les plus communs. lis ont voulu qu'on les dislinguat, par le litre special de fliilosophes liermeiiques, des philosophes vulgairos, des profonds melaphysiciens, des Descartes, Newton, Leibnitz, etc. Ils se croyaient les philosophes par excel- lence ctles seuls sages; ils traitaienl leur philosophic de divine, et regardaient la chimie propiement dite comme une science indigne deux. Les plus celebres des alchimistes furent : Arnault de ViUeneuve, c^lebre nnSdecin, qui, le premier, a icpandu I'usage de I'eau-de-vie. On pretend qu'il a recllement eu la pierre philosophale. R. Lulle, ne en 1239, fut son disciple. II fut un des nie- decins les plus habiles. 1 Transform*!. 5 Transrormcjcn (tiorre. S Invenlc, dil.^11, par les Grecs, avail la prtipricle de IrOler dans I'eau. ^ SUR LA CHIMIE. 335 Basile Valentin, moine bcncdiclin, qui nous a laisse quelques ouvrages. Isaac et Jean Isaac furentses contem- porains. Paracelse, 6Ieve de Tun de cos demiers, a change ia face de la medeciue. 11 mourut en 1541. On Ta appele ie.mon- arque desarcanes. Ses ouvrages, sontpourlaplupart, peu intelligible^, de raeme que six miUe traites au moins, dans lesquels est deposee la science du grand ceuvre, comme on I'a auasi appelee. Nicolas Flamel, dont les immenses richesses ont fait croire qu"il avail reellement possede la piorre philoso- phale. Pour suivre I'ordre chronologique, j'aurais du le placer avant Paracelse *. 1 Nicoli? FiaincI eta.it un paarre emvain pnblic qui lozfiaJt rne des Ecri- vains, pr^s I'cglisc S3iat-Jarque«-ia-Bouc))<:ri« (donl il ne nous regie plas au- jourd'ltui que la tour). It raconte NAPOLEON. 541 Peu de scs rayons, comme le solcil lorsqu'il est sur le point de se coucher. — La Russie triomphe, mais d'un trioniphe feroce et sans precedent dans les annales de la guerre. Le froid lui vient en aide, comme elle s'y alten- dait sans doute; la main gele sur le fcr, les larmes se glacent sur lesjoues; on dirait qu'il picut non pas de la neige, mais de la mort. Trisles, mais sans murmures, nos [ilialangos hero'iques se couclient sur leur dernier lit, con- liantes jusqu'au supifime moment dans le genie de leur chef, et se disant encore en expirant : — Laissez faire, il saura bien nous tirer de li). Napoleon ne devait pas les en tirer. Que pouvaient son eoeur et sa tete centre un danger qui ne venait pas des hommes, mais qui lui etait suscite par la nature seule? Lutterait-il centre les Elements, ces ennemis invisibles? Seul, oui, sans doute. II irait tonjours droit devant lui, et droit devant lui, il rencontrcrait Saint-Petersbourg. llais ses soldats furent les premiers a le detourner de ce projet; ses lieutenants reculerentdevant I'idee d'aflronler de nouveaux perils, dans un paysde fiimas, a la poursuile de ces hordes faruuches qui poussaient I'heroisme jusqu'a I'atrocite. Napoleon dut cesser [devant leurs instances. « — Vous savez, dit-il, dans uue proclamation, I'histoire de nos di'sastres et combien est petite la part que les Russes y ont prise. lis peuvent bien dire comme les Athe- niens de Themistode : nous etions perdus si nous n'eus- sions ete perdus! Quant a nous, notre unique vainqueur ■c'est le froid, dont la rigueur prematuree a trompe les habitants eux-memes Vit-on jamais plus de chances favorablcs derangees par des contrarietes plus imprevues"? La campagne de Russie n'en sera pas nioins la plus glo- rieuse, la plus difficile etia plus honorable dont I'histoire moderne puisse faire mention. » II se decida done a la retraite, et laissant a Murat le commandcment de cette armee a moitie detruite, il reprit la route de Paris, etcouruta son tr(ine desTuileries comme si un pressentiment secret lui cut dit qu'il allait bientut lui echapper. Uue levee solennelle detroiscentcinquantemille hommes fut ordonnee a la nouvelle de la defection prus- sienne,et peudetenipsaprte, unesecondede cent quatre- \ingt mille. — Mais deja la trahison lecernaitde tons les coles. La coalition, reveillee en sursaut par les desastres du Nord, secouait sa chaine. La France elle-m^me etait lasse de batailles , saturee de conqu^tes; un indicible ^puisement pesait sur elle et arretait I'elan de son pa- triotisme. Elle ne suivait plus les pas de son empereur qu'avec resignation ; I'obeissance avail remplace I'en- thousiasme ; la oil il y avail eu fanatisme autrefois, il n'y avail plus maintenant que doute et froideur. Les temps etaient venus enfin oii Napoleon etait monte si haul qu'il ne pouvait plus que descendre, — et il descendit. Deux clfurts encrgiques encore : Lutzen et Bautzen! — Dernier eclair de ce tonnerre dechu qui va gronder dans les niurs de Dresde pour la derniere fois ! Car le cercle des puissances etrangercs se retrecit chaque jour davan- tage autour de lui. C'est effrayant. Son beau-pcre est le premier parmi ceux qui s'apprJtent a I'ecraser et qui I'ecraseront. II n'y a pasjusqu'a deux enfants de France, — lloreau et Bernadotte, — qui ne prennent les amies conlre lui, lui par qui ils etaient tout, sans qui ils n'eussent ete rien. C'est uue ligue immense enlre les potentats de I'Europe, un hourra formidable cohtre cet homme dont ils s'occu- pent a creuser la lombe. L'avcnir refusera de croire Ji ce duel cirange de vingt centre un, de vingt epees centre une epee, de vingt bourrcaux pour une seule tete. La gran- deur de Napoleon prend a cette 6poque un caroctfere de sublime fatalite ; son 5me trompee dans les revers briUe d'une energie nouvelle et plus forte. Mais son ^nergie doit suecomber sous le nombre. II tombera sous le poids de I'Europe entiere, comme un de ces Titans auxquels il ne fallait rien moins qu'une montagne pour les broyer. Napoleon s'etait fait Titan, I'Europe sefit montagne. Leipsick est le signal de cette grande deroute, qui ne s'arrete qu'ii Francfort. Desormais I'ivresse des ennemis est au comble, et precipitant catastrophes sur catastro- phes, ils regardent deji comme abattu le parvenu hautain dont ils ont eu si souvcnt a subir les lois. — Seul, sans escorle. Napoleon rentre au sein de Paris silencieux; il trahie dcrriere lui I'Europe et tons ses souverains, et c'est ce moment-la que choisit le corps legislalif pour imposer des conditions k sa demande d'une nouvelle levee d'hom- mes. Mais lEmpereur n'est pas tellement accable, que sa fougue ne se reveille au contact d'un obstacle intem- pestif. 11 casse le corps legislalif. — « Moi seul, dil-il, je suisle represenlant du peuple. Etqui de vous pourrait se charger d'untel fardeau?Le tr(ine n'estquc du boisrecou- vert de velours.... E»t-ce queje ne sacrifiepas mon or- gueil ct ma fierte pour obtenir la paix? Oai,je suis tier parce que jc suis courageux; je suis fier parce que j'ai fait de grandes choses pour la France Relourncz dans vos foyers. » Cet acte d'absolutisme ne retarda pas sa chate. — Deja les allies debouchaient par tous les points de la France h la fois. Les cosaques traversaient les campagnes de I'Est, la lance au poing, brulant et pillant toutsurleur passage. — Alors commenca pour lEmpereur cette guerre de ha- meaux, pleine de surprises, de hasards, de virements, de contre-manoeuvres, d'embuscades ; guerre sans reUche, plus rapide qne le vent, allant de Test a I'ouest, du nord au midi ; hier ^ Champaubert, aujourdhui aMoiilmirail, demain a Montercau ; oil le terrain etait dispute pied k pied, corps a corps; oil I'Empereur couchait tantot dans la chambre d'un cliarron, tantot sur la paille d'une grange, d'autres fois sur le seuil d'un presbytere, — se multi- pliant sur tous les points et dans toutes les occasions, courant mille fois au-devant du danger qu'il semblait defier par son elrange audace ; faisant face a tout et 4 tous, a la ruse, i la trahison incessante, aux propositions des ennemis, aux murmures de son etat-majur; semblable a un lion accule, terrible, fin, ecumant, attentif, essouffle, qui salt qu'il joue sa vie centre plus forts que lui, et qui ^ pourtant ne desesperc que lorsqu'il se sent frapp6 ii mort. Ses lieutenants n'etaient guere plus heureux. Soult se v rctirait sur Toulouse. Augereau allait evacuerLyon. Bor- deaux ouvrait ses murs aux Anglais. Le comte d'Artois cntraitdans la Bourgogne. C'etaita chaque pas une porte vendue, une ville forcce, par oil debouchait a chaque in- stant un peuple autrichicn, russe, allemand. prussien. La France etait percee a jour et debordee par tous ses fleu- ves et toutes ses frontiercs. Plus de salut nuUc part ; I'in- vasion etait partoul. Le torrent roula de la sorte jusque devant Paris, — oil Napoleon arriva trup tard pour se met- tre en travers de ses Hots tumullueux. Malgre I'h^ro'ique defense de la garde nationale sous le commaadement du 342 NAPOLEON. vieux Moncey, et le eonconrs des braves et des citoyens rcddition vengea d'un seul coup, ce jour-la, toutes les ca- de loute classe, Paris ful livr6 le 31 mars lisU, et sa ' yiitales liaineuses de I'Europe. IMlM'!!;i!,; -r';' Napoleon tomba de toiile sa hauteur, et avec lui ce grand ceuvre de I'enipire, auquel il avail vou6 sa vie en- tiere. Tout croula en mSme temps sous ses pas, son peuple, son tronc, sa dynastie; et ainsi se realisa ce mot cilebre : 11 est venu rcfaire le lit des Bourbons. — Le poignet meurtri par les ]tliissances alliees, il signa k Fon- tainebleau I'aclede son abdicalion, — il soufda lui-meme sur sa race afin que sa race s'cleignit, — et apres avoir dit adieu a ses soldats et embrass^ I'aigle de France, il partit pour lile d'Elbe, oil le monde I'exilait, en cvilant toutefois de passer par Avir^non,oii I'atlendaitle poignard des futurs assassins de Brune. Charles Monselet. X. '^ — :_-r ^^iBSSSi-^*'-^*^'*-" LA TRINITE DU MONT, A HOME. 313 HISTOIRE ET DESCRIPTION DES BASILIQL'ES DE ROME. I.A TRINITE DU MONT. u bas du mont Pincius se I trouve la place d'Espagiie. An milieu s'i'levent un obe- lisqueet une fontaine; I'obe- lisque est le meine qui resta longtemps dans les jardins de la villa Medici, doiit on apercoit le palais a rcxtremi- te septentrionale. — Le cardi- nal Alexandre de Medici, titulaire de saint Pierre arf vincu- la, I'y fit transporter avecdeux conques, qui venaientdes thermes de Titus. La fontaine, erigee en forme de barque, fut comniandee parlepape Urbain VHL en memoire de la prise de Lo Rochelle {1628); — ce fut un honiniage rendu aux armes du roi Louis le Juste , et en m^nie temps un monument eleve a la cliute du calvinisme en France. A cote du convent des Minimes, on voit leur eglise : la Trinite-du-Mont. Ce fut le roi Charles VIII qui en jela les fondements, en 1494, lorsqu'il passa par Home pour aller a la conqu^te du royaume de Naples. Francois de Paule, fondaleur de I'ordre des Minimes, vivait encore. Aux disciples de ce saint, fut confie le culte de la Trinite- du-llonl. llss'en acquitterent avec le soin religieux qu'ils apportaicnt a toute chose; et, prolegee par les cardinaux de Macon, de Lorraine, d'Eslrees, leur eglise devint une des superbesbasiiiques romaines. Comme toutes les feglises de Rome, celle-ci olTre ce prestige de grandeur que la foi des peuples et le genie de I'artisle jetaient a profusion dans les temples sacres. — Immense bienfail de la religion qui donna aux espritsune crande et sublime emulation. — Au sortir de I'ere bar- bare , lorsque la poussiere d'une epoque vieillie com- mencail de tomber sous le soleil de la foi, chaque lieu saint devint aussi le but vers lequel tendaient les ceuvres de genie. Les papes, premiers et grands civilisateurs, avaient compels quelle impulsion les arts pouvaient at- tendre de leur preponderance. lis di'clarerent que toute ceuvre digne de I'adrairalion generale serait offerle a Dieu et placee dans les egUses. — Us firent plus. — La miscre pouvait tuer le genie, lis ne voulurent pas que I'art veritable pilt connaitre la pauvrete : leurs tr^sors furent ouverls aux peintres et aux sculpteurs qui vou- urent consacrer leurs travaux i I'histoire de la foi. Alors de tons cotes I'ltalie enfanta des hommes, des hommes au coeur brOlant et passionne, Ji la main puis- sante et bardie, et ces hommes leguerent tant de chefs- d'oeuvre a la posterite qu'on edt dit un defi jet6 aux siecles a venir. — Tout cela se fit avec une seule pens^e, la foi ! — Voila ce qui fit I'ltalie des quinzieme et seizieme siecles, cequi enfanta celts multituded'artistes si grandsel sinombreux,qu'ilssemblenta euxseuls former un univers! De meme que I'ltalie avait ete le berceau du catholi- cisme, ellc fut le sol cheri des arts. Ses mines avaient ete rougies par le sang des premiers martyrs, ses temples les premiers ouverts, furent aussi remplis par les pre- mieres productions du genie. — Ses enfants furent les premiers croyanls. lis furent aussi les premiers artistes. — De mfme que les peuples athees n'ont produit que mine et vandalisme, les nations chrotiennes out apport6 Ji la gloire leur tribut de chefs-d'ceuvre et de monuments. On monte a la Trinite par un double escalier en forme d'eperon, borde d'une balustrade en pierre. Le portail, style en ordre corinthien, a pilastres, est devanc6 par 344 LA TRINITE DU MONT, A ROME. deux colonnes qui s'^levent de cliaque cote. Au-dessus sont sculptees les amies de France soutenues par dcs anges. — Deux clochers surmontent ce portail. L'eglise n'a qu'une nef. Le mailre-aulel, plusieurs fois rec'onslruit, fut elabli dans son etat acUiel, par les plans de I'architecte fran^ais Jean de Champagne. — II y a fait , enstuc, le inyst^re do la sainleTriiiitfe entouri-e d'anges, ainsi que saint Louis et saint Vincent de Paul. — LaFuite en ligypte, par Piccioni -, le Couronnement de la Vierge, par Fredt'ricZuccaro,remplissentruades cotes. — L'autre, peint par Perrin del Vago, reproduit divers traits de la vie de la mtre du Christ, et deux proplietcs en grand : Isaie et Daniel. — Au milieu, et presque dans la voute, on voit des anges portant les amies du cardinal Pucci. Puis I'Assoniption , fresque commencee par Tadeo Zuccaro, finie par Frederic, son frere, qui a aussi peint les pro- phetes et les orueinents places Cii et lii avec une admi- rable protusion. Aux deux cotes du choeur se trouvcnt deux petitescha- pelles qu'on doit ^galement k I'architecture de Jean de Champagne. Apres le maitre-autel, restent a examiner les chapelles qui ornent si ricliement chaque llanc de la nef. On en compte dix, etcliacune possede quelque chef-d'oeuvre de peinture, au has duquel briUe un nom celebre que Ton devine toujours sans avoir lu. Dans la premiere chapelle, h droite, on voit le tableau a I'huile du bapl6me de Notre-Seigneur, execute par Le Naldini; les fresques qui revetent les cotes et la voiite sont dues au meme pinceau. — C'est la vie de saint Jean- Baptisle qui a fourai lesujetdeces fresques. — On remar- que surtout la decollation du saint et la danse de I'impure Herodiade. La deuxieme chapelle ne possede qu'un tableau repre- sentant le bienheureux saint Francois de Sales. — Oul'at- tribue h Fabrice Chiari. Dans la chapelle suivante, un Christ niort est olTert a la veneration. II y a aussi quelques figures k I'buile. Les douleurs de la Passion font le sujet des fresques de la voiite. — Ce travail est tout entier de Paris Nogari. Les deux chapelles qui viennent apres celle-la n'ont r^ellement que leurs fresques de tres-rcmarquables. Ces peintures sont anciennes mais bonnes. La premiere, qui reproduit la Nalivite de Jesus-Christ, n'a pas laisse a I'art le nom de son auteur, neanmoins c'est une osuvre de nie- rile. La crois^e du meme c6t6 est partout peinte egalo- ment k fresque. On y voit entre autres le Jugement der- nier, par un eleve de Michel-Ange, qui cut I'ambition vanitouse de deveuir I'emule de son maitrc, lorsque ce dessin avait ^te commande par le papc pour la chapelle Sixtine. La cinquieme chapelle, fondee par la signora Lucretia della Rouijrc, a ete peinte sur le dessin de Daniel de Vollerre. — Non-seulement ce peintre y a mis son g^nie, maisaussi celui deseseleves. — Le tableau del'Assomption sur I'autel, et la presentation au temple, sortentdu pin- ceau de Jean Paul Rossetti. Dans les arcades, I'annoncia- tion etlanativite du Christ; dans lesangles, les prophetes, sont de Daniel mSme. — Marc de Sienne el Pelerin de Bo- logne ont illustre la votite, de cette bistoire subl'ime de la "Vierge. — Chaque facade a un cbef-d'oeuvre: — I'une, la nativiledeNotre-Dame,deBi2zerorEspagnoI, — et l'autre, le massacre des innocents de iVIichel Albcrti ; — tous Aleves de Daniel de Vollerre. A gauche, dans la premiere chapelle, on voit Notre- Seigneur en jardinier, apparaissant a Madeleine. Ce ta- bleau est un de ceux devanl lesquels on s'arrete longtemps avec bonheur : le pinceau nous offre sur cette toile des chairssublinies de^ton et de verite ; voyez la pileur rayon- nante du Christ et I'etonnement de Madeleine. Ce chef- d'oeuvre ainsi que les histoiresa fresques dans les demi- ronds, sous les arcades, et la voiite, sont de Jules Ro- main, etde son beau-fr6re,.Iacques Francois, ditleFacteur; tous deux el6ves de Raphael d'Urbin comme Perrin del Vago, k qui Ton doit la piscine de Siloe et la resurrec- tion de Lazare qui ornent aussi le mime lieu. La signora Helena Orsini a faitconstruire la deuxidme chapelle par Daniel de Volterre qui a passe sept ans a ce travail. Sur I'autel, ladescente de la croii^ les fresques de la voute, les peintures^de sainte HelAne, les ornements, compartiments en stuc, et bas-reliefs, sont dus a Daniel de Volterre. La troisifeme chapelle n'offre rien de comparable aces inerveilleuses productions du genie qui semblent s'fitre entassees les unes sur les autres. La quatrifeme possede un tableau de la nalivite et la creation del' bom me avec unpaysagede Cesar Piemontais. La voute est enrichie de fresques represeotant I'histoire de Marie : ce travail est dij k Paul Ledapse, ainsi que les prophetes qui sont si hardiment jetes sur les piliers. La derniere chapelle a appartenu au prince Borghese; — Cesar-Nebbin, Jacques de I'lndago, Perin del Vago et Lorenzelto I'ont dolee de plusieurs chefs-d'cBuvre. J.B. CAUSERIES AYEC M,ON FILS SUR LA PHYSIOLOGIC. 34S tACSERlES AVEC HON FILS SUR LA PDYSIOLOGIE. II. a physiologic, mon cher Er- nesl, est la science qui nous apprend le mccanisme de toutes les fonctions dont I'en- semble constitue la vie mo- fMelle. Or, mainlenant que tu as une idee de ce que Ton entend par appareih, je vais, en me placant au niveau de (on premier degre d'instruc- tion k ce sujet, examiner avec toi chacun d'eux en particulier; et pourrepondre a la question que tu m'adres- sais ce matin, jevais essayer de fexpliquer les rouagcs de Vuppnrcil digestif, si je puis m'exprimer ainsi, ct I'acte de la digestion DE LA DIGESTION. Au fur el !i mesure que les aliments solides ou liquides sont intioduils dans telle ou telle partie des voies diges- tives, ils y subissent un travail d'elaboration particuliere et des alterations successivcs. Tout cela c'est la digcslion. Pour que tu comprennes plus facilement I'etude mcca- nique de I'appareil, voici un apercu succinct et general de ia fonction : Les a(»«cH/ssont introduits dans la bouche. C'est la pri'hension. Ils y sont broyes par les dents. C'est la maslicalion. lis y sent reduits en une masse appelee bol alimen- tuire, et humectes par un liquide destine h leur faire acquerir des proprictes essenlielles. Cela forme Viyisalivation. Bientot ils francliissent la bouche et passent dans I'o!- sophagc, sorle de tube allong^ qui doit les transmettre jusqu'a Vcflomnc. Ceci se nomme la di'gbtlilinn. Arrives dans Testomac , poche plus large, plus ihs- tique que I'cesophage, ils y subissent une transformation nouvelle et sont rdduits, au bout d'un certain la'ps de temps en une p5te, qui a recu le nom de chyme. De la le mot chymificulion. Tout ce 4"! est irapropre h passer a I'^tat de chyme est rejete par le vomisscment. Cet estomac, cette poche, ce sac en quelque sorte, se- crete un liquide particulier qui est dit sue gaslrique, dont la propriety est de concouri^ h la formation du chyme. Quand cette Elaboration est termince, quand a eu lieu ■la chymificalion, I'ouverture infirieure de I'estomac (le pylore) livre passage au chyme, qui vase repandre dans Vinteslin grcle , longue continuation du canal digestif, connu sous le nom general dc lube inlrsdnal, sauf quel- ques denominations diverscs selon sa position, son trajet et ses usages, et dans toquel ce chyme passe a I'etat d'un liquide blancliitre nomme chyle, mf-le lui-m6me avec la bile, liquide s6crLHe par le foic. Ce phenoraene de la fonction est la chylificatioti. Tout ce qui est impropre a former le chyle est rejete au dehors par les voies naturelles inferieures ; mais ce qui est chyle est absorbe par une innombrable quantity de petits vaisseaux lui servant de vEhicule jusque dans I'in- terieur d'une sorte de tuyau dit canal Ihorucique, situe au-devant de la colonne vertebrate. Par ce canal Ihora- cique, le chyle arrive dans une veine qui communique au cccur, puis du cceur est reporte dans le poumon, oil il acquiei^t par le contact de lair des proprietes nouvelles et vivifiantes; et enfin du poumon revlcnt k une autre par- tie du cceur, oil il est devenu iu sang, et sous cette forme est lance dans le torrent general de la circulation pour servir a I'entretien de la vie. Comme tu le vois d6ja, tout I'appareil digestif pourrait ^Ire compar(5 a un long tube presentant dans son par- cours diverses formes completeraent dissemblables, agis- sant de facon differente, mais qui n'en sont pas moins un seul et mime canal, dont quelques organes voisins sont auxiliaires pour Vaccomplissement de la fonction. La bouche est une cavite dont I'ouverture est formte par les levres; son plan superieur est la votiic palatine ; son plan inferieur, la langue; 'son plan bi-lateral, les joues; elle est bornee anterieurement par les dents, pos- terieurement par le voile du palais. Les levres sont distinguc'es en superieure et infi^rieure, se reunissant par des angles aigus que Ton nomme com- missures ; plusieurs muscles concourent k I'execution rapide et ties-vari^e de leurs mouvements. Les mdchoires sont egalement doubles. Deux os forment la michoire superieure; celle-la est immobile; un seul OS constitue la mJchoire inf(?rieure, et c6lui-la pent au contraire executer de forts mouvements d'elevation et d'abaissement, mais aucun de rotation. Le palais est le resultat de la voute formee par la reu- nion des OS maxillaires superieurs. Le voile du palais est ce prolongement membraneux qui fait suite a la voiite palatine; il separe posterieure- ment la bouche du pharynx, que nous ctudierons plus tard ; a cliaque cote il se termine par deux autres prolon- gements appelcs piliers, pr'es desquels sont deux glandes nomm^es amygdales, et enfin, dans son milieu, il donne naissance encore a un prolongement allonge, qui est la luelle. Enfin I'ouverture posterieure de la bouche, qui a re^u la denomination : isthme du gosier, est I'espace compris entre le voile du palais, ses piliers et la base de la langue. La langue est un muscle compose de faisceaux parti- culiers, dont la direction est differente, ce qui lui donne une extreme mobilite. Elle est retenue a sa face inferieure par un repli membraneux appelE frein ou filet, ce qui 3«6 CAUSERIES AVEC MON FI empfiche ses mouvemenls desordonnes. Voila pourquoi, d'apres le dicton populaire, on dit d'un bavard, qu'il a eu le filet bien coupe. Les joues sont deux cloisons chaniues tr^-elasliques ayant leui- point d'altache aux maxillaires superieur et inferieur, el sont constitute par la reunion de plusieurs muscles dont Taction et les divers mouvements, combines avec ceux dcs li?vres, formcnt les traits du ■visage et I'ex- pression do la physionomie. Les dents sont au nombre de seize Ji chaque mJchoire. Ce sont de petits os fort durs encli&sses dans une serie de trous appeles alveoles que I'on rcmarque au bord inferieur des maxillaires sup^rieurs et dune fa(;on inverse aux maxillaires inferieurs. La partie conlenue dans I'alv^ole est la racine; le tissu qui I'y retient est la gencive. Au-dessus de la racine est le collet, qui separe cctte derniere de la coitroniie, et la CQuronne est recouverte d'une substance blanche solide, inalterable au contact de I'air, Vemail. Les dents sontdestintea couper, k dechireret abroyer. Aussi sont-elles distinguees en incisives, en canines et en grosses et petites molaires. Les dents incisives ont une racine simple: elles sont nu nombre de 'quatre, et situees au milieu de I'arcade dentaire. Les canines, au nombre de deux, une de chaque cole par niSclioires sont cor.tigU(?s aux incisives; elles n'ont cgalement qu'une racine et sont vulguirement appelees dents de I'ceil. Les molaires, divisees en petites et grosses molaires, viennent ensuite terminer I'arcade, Elles ont plusieurs racines, et la derniere dent molaire , qui forme de chaque cote I'extremite de I'arcade, est ce qu'on appelle dans le monde la dent de sagesse, parce qu'elle nc parait que dans un rne pas d'affronler le danger, et, se rap- pelant les paroles de I'fivangile, il se mil a I'abri de toule lentation pour n'avoir mfrme pas la crainte d'y tomber. II enira comme pensionnaire dans le seminaire de Saint- Sulpice , certain qu'il etait d'y rencontier de dignes emules dans la voiedela perfection. M. de Bretonvilliers, homme d'une rare pi^tt^, 4lait alors suporieur dece seminaire. MM. Tronson, Lesehassier etBouin en dtaient les principaux directeurs. Ses progresdans la science furent rapides; tout annon- cait en lui un homme de hautys esp^rances, lorsque la mort vint lui ravir son p^re et sa mere. Ce fut ane epreuve bien cruelle pour le coeur sensible du joune de la Salle ; il eut besoin pour la supporter de toute sa foi en Dieu et sa chretienne resignation. Cet evenement le rappela a Reims aupres de ses freres et soeurs, dont il devenait le tuteur. Sessoins etsasolli- citude a I'egard deces enfants furent le prelude du 6i- vouemenlque, par la suite , il devait montrer pour la jeu- nesse.Neanmoins, il sut, au milieu des preoccupations de la famille, conserver la pensee du but sacre qu il se pro- posait d'atteindre. En 1672, il recut le sous-diaconat. M. Roland, theolo- gal du chapitre de Reims, qui dirigeait lo jeune Invite, ne putle decider a rerevoir la pretrise qu'en 1678. II se croyait indigne de cette grAce, quoique ses vertus lui eus- sent morite I'admiration de toutes les peisonnes qui le connaissaient. Devenu pretre, son Sme semblaitne tenir queduciol; les affections de son creur et son amour pour Dieu se pei- gnaient si sensiblement sur son visage, que des pecheurs furent ramenes h, la religion apres lui avoir seulement vu oflfrir le saint sacrifice de la messe. Sa reputation de saintete s'elendit au loin, et jusque- la 11 n'eut rien a souffrir de la calomnie, ce poison subtil jetant sur la vie d'un homme sans reproche une amor- tume qui le fait se souvenir que la justice n'appartient qu'a Dieu. II fut choisi par ses superienrs pour diriger une societe d'ecclesiastiqnes envoyes dans une petite ville, oil la negligence des pasteurs avait enfante la plus affreuse depravation. — Ses discours et surtout son exemple produisirent un salutaire repcntir dans I'ame des pecheurs; el bientot il eprouva la douce consolation de voircesmemes hommes, qui avaient ele jusqu'ii renier Dieu, mouiller des pleurs de la penitence les dalles de leur modeste eglise et solliciter la grace qu'ils avaient un instant meconnue. Les habitants de ce lieu lui vouerent depuis une pieuse veneration, et ils le regarderent comme le plus grand de leurs bienfaiteurs. La cure de Saint-Pierre, i Reims, devint vacanle. M. Roland, directeur de I'abbe de la Salle, lui conseilla de permuler son canonical pour devcnir le pere spirituel de cette paroisse oil son zele el sa piete pouvaient ope rer unbien immense. Quel(]ue disproportion qu'il existAt entre ces deux benefices, il n'hesila pas i suivre lescon- seils de celui qui sur la terre lui lenait place de Dieu. Mais son archeveque ne consentil point ii ce que son 356 LE VENERABLE JEAN-BAPTIST E DE LA SALLE. tions; onl'accusa de rigidity cruclle cnvors sps freres et on les d('si.^na comme d'innorentes victimes de sa piete chapitrcfiU prive d'une aussi grande lumiere; le jeune protie n'cut celte fois que le nierito de I'lmmilite et de la soumission. La communouledessoeurs dile de I'EiifanI Ji'sus, foii- dee par M. Roland, pour I'education des pauvres fdles, a-vaitbesoin d'un directeur. L'abbc de la Salle, se sentant partieulierement appele a I'inslruclion de la jeunesse, accepta cet emploi; son zele et son courage sauverent cette coramunaute de la suppression qui la menaca apres la mort de M. Roland. Les autorilcs de la viUe de Reims conrurenlla crainle devoir I'institulion de I' Enfant Jesus tomber h la charge de la ville. Des lors, il fut forlemeut question d'aneantir cette ceuvre. M. de la Salle redigea undiscourssi touchant et oii ilexposaitsi bien les avan- tages immenses que la religion et la morale retiraient de la charitable institution de M. Roland, que non-seulement les autorites ne songerent plus k la supprimer; mais, de plus, elles firent dclivrer des leitres palenles qui assu- raient son existence, en la garantissant d'une trop grande pauvrete. Ce futpeut-etre dans la direclion deces ecoles de filles que I'homme genercux dont nous(5crivons la -vie trouva sa premiere pensee des ecoles cliretiennesi. 11 voulut essayer dans sa propre maison et sur ses jeunes freres Teffet de la regie qu'il se proposait d'etablir dans son in- stitution. 11 leur fit observer un rigoureux silence, qu'in- terrompaient seules les priisres et les lectures. La paix profonde, et I'esprit de meditation qui en furent le re- sultat , lui prouverent que ses plans etaient parfaitement en harmonie avec les besoins des coeurs religieux. Cette conduite aurait du lui meriter les eloges de tout le monde; elle devint au contraire une source de tribula- mal cnli-ndue. II courba bumblement la liile devant d'injustc.sreproches, cherchant a peine ase justifier-,scu- lement, il comprit des lors que Dieu lui reservait une longue suite d'epreuves, et que dans cc monde le b'en qu'il voulail fairc ne lui attirerait que des soulTrances et des humiliations. Fidele imitatcurdu Christ, il s'en rcjouit en se rappelant que son divin mailre n'avait reQu des hommes que douleurs et outrages en echange de ses bien- faits. — Sa force morale ne fit que s'en accroitre; aylint reuni^uelques hommes de bonne volonte, il ouvrit les 6coles chretiennes et gratuites. Une pauvre maison, dont il payait la localionde ses propresdeniers, devint le ber- ceau de cette pbilanlhropique Institution qu'on voit au- jourd'hui dans toutes les villes de France, avec cette de- vise evangelique : Laissez venir a nous lespelils enfanis! La premiere ecole fut oaverte sur la paroisse Saint- Maurice, J) Reims. La paroisse Saint-Jacques posseda la seconde. Des obstacles sans nombre et des inimities auxquelles il n'aurait pu s'attendre, s'elevferenl au-devant desoii in- stitution. Les gens du monde I'accablerent de mepris, parce qu'il s'occupait trop probablement de cette cla.^se d'hommes, jusqu'alors vouee it I'ignorance et au denii- ment. — Les chanoines, sans songer au zele charitable qui le faisait agir, pretendirent qu'il deshonorait le cha- pitre, en se faisant maitred'ecole. — Ses amis I'abandon- nirent presque tous en taxant sa piete de folle extrava- gance. — Enfin les corps enseignants crurent voir dans cette cpuvre uneatteintea leurs'privil^ges ; ilslui vouijrent la haine la plus implacable. — Pauvre serviteur de I'en- Lcpiiie de It S;iI1u di^lribuant ion bien .iiixpaiivres. fant de Nazareth, se debattant au milieu d'un monde inique pt ego'iste, n'ayanl pour consolation que la voix desa conscience, qui lui disait; tes actions montent \ers Dieu! Et pendant qu'on I'insultait, pendant qu'on I'abreuvail d'outiages et de calomnies, un recevait I'immcnsc^ bien- fait de son institution! Les monies hommes, ameules par quelqucs voix puissantcs , qui le suivaient dans les rues LE VENERABLE JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE. 357 bit qu'il avail fait prendre aux freres de cps (5coles, (out en le bafouant et en souillant de boue son visage et ses vStemenls, envoyaient leursenfants dans ses ecoles : trou- peau de betes immondes ([ui, en recevant le pain qu'on leur donnait, jelaienl du venin ii la face ! Lcs calonmies infimes, comme les insultes et les huees de la populace, n'avaient pas altere I'ardeur chretienne de M. de la Sallo pour ses ecoles; aux invectives, il rcpon- dait par un sourire de bienveillance et d'humilite; aux huees et aux mauvais traitements, il repondait par des aumones. — En 1684, une affreuse disette frappa le peu- ple ; I'homrae insulte et bafoue par le peuple, vendit son patrimoine, et ce fut au peuple qu'il en dislribua jus- qu'a la derniere obole 1 Ses disciples avaient eu quelques craintes sur I'avenir de leur institution; ils ne pouvaient s'empeclier de les exprimer ii M. de la Salle, et Ms lui faisaient comprendre que la chose qu'ils redoutaient le plus etait la misere, tandis que lui n'avait pas une seniblable crainte a c6t6 dela fortune que lui donnait sa naissance. Devenu pauvre comme eux, il les reunitautour de lui, et leur montrant le ciel : Notre fortune, dit-il, elle est IS, c'est notre foi en Dieu ! — A compter de ce jour, les pauvres freres fer- merent les yeux sur un avenir qu'ils avaient mis entre les mi'insdu Seigneur. Les ecoles clireliennes eurcnt dans Reims un resullat si heureux, que leur reputation s'etendit dans toute la France. Les villes de Guise, de Rethel, de Laon et Cliil- teau-Portier, reclamerent leur part de ce bienfait. Les cures de diverses campaynes sollicilerenl pour leur com- mune renvoi de quelques-uns de ees disciples, mais il fut impossible do les satisfaire, vu le petit nombre de freres instituteurs que possedaient alors les ecoles. Les cures, qui avaient senti tout le prix de I'enseigne- ment institue par M. de la Salle, lui adrcsiirenl des H'unes gens pour qu'il les formAt a I'art precieux d'elever chretiennemenl la jeunesse.- C'est ainsi qu'il devint non-seulement le fondaleur de renseignemerit primaire en France, mais qu'il elablit aussi le modele et leplan des ecoles normales, et que plus tardil donna nais- sance aux ecoles d'adultes, sous le nom d'ecoles domini- cales. Independamment de ces diverses institutions, il crea son premier noviciot preparaloire dans sa maison. II y admit un certain nombre d'enfants de quatorze ou quinze ans, qui annoncaient des dispositions pour la vie religieuse. — Tel fut leprincipe desetablissenients de ce genre qui ont depuis ete retablis en 183S; il en existe a Paris, a Lyon, k Avignon, ii Toulouse et dans diffeientes aulres villes. En 1688, M. dela Bannondiere, cure deSaint-Sulpice, a Paris, fit demander a M. de la Salle de venirdiriger lcs ecoles desa paroisse. Dans I'interet de son ceuvre, et pen- santqu'a Paris plus qu'ailleurs il pouvait lui donnerune extension convenable, il se rendit au VOBU de M. de la Bannondiere , et quelques mois apres les fr&rcs qu'il avail amenesaveclui purent prendre possession des ecoles de la paroisse Saist-Sulpice. C'est alors que, pour AL de la Salle, il n'y eut plus ni paix ni repos. Le calice d'amertume que le Seigneur pre- parait ji sa sanctification devait etre vide jusqu'a la lie. Les cures, apres I'avoir pris sous leur protection, I'aban- donnaient tout ii coup en lui reprochant des torts imagi- naires, ou en se faisanl I'ecbo de la calomnie dont il etait victime. Les sages reglements qu'il avail instilues, llia- devinl unsujet de critique etde malveillance, etbiendes fois sa pauvre communaute se vit reduile h la misere la plus affreuse. Tant d'ameres douleurs, jointes aux jeiines el aux privations que s'imposait I'abbe de la Salle, porterent unegraveatteinle ii sa sanle. II conlracta un rhumatisme qui le priva de tout mouvemenl. Le mat etait si violent, qu'ayant resiste a tous les moyens ordinaires de I'art, on fut force de couclier le malade sur une sorte de gril place sur des cbarbons ardents et de lui causer une dou- Lc pert' dc Id Salle sur Ic gril. leur plus grande que lemalmeme. Si ce supplice rappelle celui de suint Laurent, la patience et le calme admirable dont le pauvre pretre fit preuve rappellent aussi les ver- lusdu saint martyr. Quelque temps apres, lorsqu'il fut rendu k la vie,' la persecution rcrommenca, loujours plus acharn^e centre lui. Le clerge de Paris, sans doule abuse par quelque infernale machination, descendil jusqu'Ei ordpnner une enquete dans sa maison. On interrogea ses disciples et on voulul donner a leurs reponscs une interpretation defa vorable pour lui. — Xa milieu de ces humiliations, it paraissait calme et heureux ; trois fois, il avail voulur6- signer son litre de superieur des ecoles chretiennes, et Irois fois on I'avait force a le reprendre; mais apres I'in- digne precede dont on venail de I'accabler, aprfes le juge- ment inique qui le declara incapable de conduire une congregation qu'il avail creee et dont il avail jusque-la dirigela niarche ovectanldeprudence etdesagesse, ilsolli- cilader.ouveau la nomination d'un autre superieur. Sesen- nemistriompherent, I'archeveque de Parisdonnaun direc- teur de son choix aux disciples de M. de la Salle ; mais ces pauvres gens s'etaient accoutumes ei sa charitable aulorile, ils en avaient reconnu lout le prix el ils refu- serenl celte fois d'obeir a I'archeveque. — M. de la Salle, alarme de la lournure serieuse que prenait un evenement dont il etait la cause involontaire, se rendit en personne chez le prelal qui avail acceple sa demission. II le vilet lui paria pour la premiere fois; il le suppliad'assumer sur lui toute la responsabilile de la desobt'issance de ses dis- ciples et de ne faire retomber que sur lui le chatiment que cette faute pouvait meriler. Tant d'liumiliteet d'ab- negation ouvrirenl les yeux de I'archevjque; il compril qu'il a vail mal juge un liomniedehien ; mais lesinimilies auxquelles il avail obei sans le savoir etaienl trop puis- santes et il s'etail trop avance pour reculer. Le nouveau 3o8 LE VfiNfiRABLE JEAN-BA PTISTE DE LA SALLE. superieur ful maintenu; seulemcnt son avitorilu se borna h une superiarite de nom, car les frt'res avait'iit manifesto rinlenlion dese retirersion leur olait leiir pferespiriluel. Acette epoque (1705), monscignoni- Colbert, archfivS- que de Rouen, voulut introduire dans son diocese Ics nouvelles ecolcs chretiennes ; il en fit etablir une h Dar- netal et Irois a Rouen. M, de la Salle lui envoya quel- ques-uns de ses instituteurs, et ce no furent pas ceux qui souffrirent le moins des tribulations de la misere et de la calomnie. Au moment oil le venerable de la Salle croyait pouvoir jouir de quolque repos, une nouvolle accusation vint fondre sur lui. Un jcune ecclesiastiquc, M. Roger, consa- cra une partie de sa fortune h I'achal d'une niaison a Saint-Denis, et 11 I'olTrit au fondateiir des ecoles chre- tiennes pour en faire un noviciat. Le pere du jeune abbd eut connaissauce de cette donation, et il osa accuser leser- viteur de Dieu d'avoir suborne un mioeiir. La persecution dont il etait I'objet le forea a s'eloigner pour quelque temps. 11 se dirigta vers le niidi do la France et vint a Marseille. Dans celJte puis il remit son ame entre les mains Seigneur, le 7 avril 1719. L'abbe Xavier Mcsoeolle. I I SAINTE J5ERTIIE. 3S0 SAINTX dZRTHE , ABBESSX Bl; BtANGY, BN ARTOIS. Aje seul nora de Berthe nous rcporte au lemps du mojen age, a cette bril- lante tipoque de toiirniiis, de gucr- res et de croisades. II evoque de blanches statues, coujhees sur les pienes des tombeaux et dont les clieveux lissesencadrentsilencieuse- mentle visage de marbre. Mais ce nom est hereditaire en France, et celle dont nous voulons raconler la vie est ant^rieure h ces iiges he- roiques oil les cours d'amour pro- fessaient la gale science et oil des tribunaux de dames s'assemblaient pour juger les chevaliers. Certlie est une fille primitive, issue d'un vieux sang gau- lois, et qui vecut parmi les Fredegonde et les Brune- haut, ces lerribles descendantes de Merovee. Certaines parties de son existence sent entourees d'un profond mystere, et la tradition, en passant par la bouche des ge- nerations, est devenue, sinon mensongere, au moins exces- sivement douteuse. Berthe naquit h la cour de Clevis II, et peu de femmes pouvaicnt revcndiquer une plus haute origine. Son pere, le comte Rigobert, s'etait iUustre dans la corriere des ar- mes, et sa mfere Ursane elait proche parente du roi de Kent, en Angleterre. On ne nous a point conserve de de- tails sur sa jeunesse ; certains auteurs alTirment qu'elle aima un chevalier nomme Raoul, et qu'elle saerifia cette inclination ii lobeissance qu'elle dut monlrer aux ordres de son pi-re. Celui-ci lui donna pour epoux un grand sei- gneur, allie independant du roi de France, et qu'on ap- pelait le comte Sigefroy. Berthe, pcnetree de ses devoirs d'epouse, se consacra tout entiere au bonheur de son mari et a I'education de ses enfants. Une logende romanesque nous montro le fidele Raoul rempli d'admiration pour la vertu de celle qu'il avait tant ainiee, lui consacrant sa vie et I'entourant d'une protection etrange et mysterieuse. Mais quelques historiensdementent ce fait chevaleresque comme- peu confornie aux mcKurs des guerriers de cette epoque, beaucoup moins forts sur les beaux sentiments que sur les grands coups depee. Berthe fut mariee a I'Jige de vingt ans, vers Tannee 666, et de cette union naquirent cinq filles, dont les deux ainees se firent plus tard une grande reputation desain- tete sous les noms de Gertrude et de Deotile. Sigefroy etant mort apres vingt annecs de bonheur conjugal, la sainte veuve forma le projet d'abandonncr le monde et de se renfermer dans un monastere qu'elle avait fait bStir sur la riviere de Ternois. Ses deux plus jeuncs enfants lui ayant ete enlevees par leciel, elle crut pouvoir se consacrer a Dieu sans trahir ses obligations de mere. Ses filles Gertrude et Deotile ma- nifesterent I'intention de la suivre, et dies se retirerent Sjiitle BtrUic (fLfeiitl,int sa fillc. loutes Ics Irois dans I'albaye de Bla igy, dont Berthe fut nommee abbesse. Mais elles eprouverent bientSt, de la part d'un seigneur appe:e Roger, une assezvive persecution. La beaute de Gertrude Sigefroy etait celebre dans le pays ; sa figure angclique respirait Tinnocence, et sa taille elait souple et svelte comme un roseau. Roger ne put la voir sans I'aimer, et les passions des Francs de ce temps- lii, encore a demi barbares, elaicnt indomptables comme leur carartere. II demanda Gertrude a sa mere ; mais la timide jeune fille refusa de la quitter pour suivre un epous 500 SAINTE BEUTHE. qu'elle ne connaissait pas. Elle se croyait a I'abri de ses poursuiles dans le clotlrequi lui scrvait d'asile, lorsqu'on apprit que Roger s'avancail avec des homnics d'armes, et pr^tendait assiegor le monaslere et en arracher Ger- trude en di'pit de I'abbesse et d'elle-meme. Que pouvaient opposer a ces forcenes des femmes isolees et sans moyens de defense? Bientot on aperroit un nua;^e de poiissifere, on entend distinctement le pietinement des clievaux; les portes sont frarassces et les pas des cavnliers lesonnent surlesdallesdescoriidors. fiperdues, lesreligieuscs fuient de toutes parts et se precipileiit danslancf. Edessepres- sent les uiies centre les autrcs corame un troupeau de bre- biselTrayi'Cs.etl'on n'enlend sous les vodlesdu temple que le bruit etoulTe de leur respiration haletanle. Gertrude et Deotile embrasseut les coins de I'autel. Seule, conservant sa fermetc et son courage au milieu de la desolation uni- verselle, Berthe est debout et attend en silence. l,a porle s'ouvre, Roger apparjU Tadl en feu ; a I'aspect du lieu saint, ses compagnons, frappes de respect, se decouvrent et s'arrelent. Berthe elcnd la main vers le ravisseur; elle lui montre Gertrude agcnouiUee, elle s'ecrie : ■ Vous voyez Gertrude qui a recu le voile de la main des fev(^ques, elle appartient ii Dieu; auriez-vous bien la hardiesse de la lui disputer? • A ce discours, a I'accent inspire de I'abbesse, ^ la majeste de sa pose, Roger hesite : il recule devant le sacrilege qu'il a jure d'accoinplir, et ses soldats qui I'en- tourcut I'enlrainent loin des murs de I'abbaye. Mais le volcan qui biidait dans son cceur jetait encore des llanimes ; excite par le ressentiment, il se presenle ;i la cour de Thierry 111 et accuse Berthe d'infidelile el de haute trahison. Son credit, son air de sincerite, rendent ces charges accablantes ; tile est mandee a la cour de France pour avoir a se defendre des niefaits qui lui sont imputes. Ce n'est point sans regret ni sans apprehension qu'elle quitta son cher monaslere. ■ Priez pour moi, dit-elle k ses filles, qui salt les epreuves que Dieu pent nic rfeerver? • Coninie elle I'avait prevu, son voyage ne s'effeclua pas sans encombre. A une journee deTernois, on vit arriver une bande de soldats commandes par Roger, lis entoure- rent la petite caravane et firent I'abbesse prisonnicre. Mais un envoye du ciel, ou plutot un ami de la tcrre veillait; Rooul apparait a la tele d'une nonibreuse com- pagnie. A sa vue, la troupe de Roger cherche son salut dans la fuite, etcelui-ci, oblige de battre en retraite, s'e- loigne, le depit dans r6me, et formant de nouveaux pro- jets de vengeance, qu'il no put jamais acconiplir. Raoul s'offril pour escorler Berthe jusqu'ii Paris, et elle crut pouvoir accepter ce secours de celui qu'elle re- gardait mainlenant coninie un ami. 11 la conduisit jus- qu'aupres du roi Thierry, qui reconnut combien on I'avait caloniniee. line put s'empficher d'admirer ses vertus , et lui en donna un eclatant temoignage en I'assurant de sa royale protection. Ainsi, les intrigues que Roger avail destinees h la perdre n'avaient servi qu'a la glorilier el k rendre impuissantes desormais les perfides meuees de ses ennemis. De retour ii Blangy, Be] the travailla a donner a sa communaute une constitution reguliere et definitive ; elle fit construire dans I'inlericur du monaslere trois dif- ferentes egliscs, I'une sous le patronage de saint Omer; I'autre, sous celui de saint Waast, evSque d'Arras, et la troisieme, sous celui de saint Martin de Tours. Elle avail pour ce dernier saint une affection particuliere, et fit bllir en son honnenr jusqu'a sept eglises sur divers points de ses lerres. La constitution de son cloilre, qui renfermail alors soixanle religieuses, elanl bien elablie , elle_fil connuitre sa resolution de se demetlredela charge d'abbesse en faveur de sa fille Deotile, et la forca d'ac- cepler ce litre , malgre ses pricres et cedes de toutes les soeurs. A partirdece moment, Berthe so renfermadansune cel- lule ou elle demeura loute sa vie, et qui ne lui permeltait pas de communiquer avec I'interieur du couvcnl. La, elle passait desjourneesentieres el quelqucfois des nulls dans I'oraison et la contemplation, conlinuanlcependantjusqu'i sa morl i faire a la communaute une instruclion journa- licre par une pelile fenetre pratiquee a sa chambrelle et donnant dans une chapelle oil lout le monde se reunis- sait. A une cerlaine heure, I'abbesse Deotile, accompa- gnie de sa soeur Gertrude et de ses religieuses, venait saluer Berihe qui paraissait et adressait de sages conseils a ses filles d'adoption. Puis, la fenetre se rel'ermail, et elle retombail vivanle dans ce lombeau dont elle avait scelle volontaircment la pierre. Berthe pratiqua ces exercices de picte avec une fer- vour qui ne se dcmeutit jamais ; elle mourut a I'ige de soi\aiile-dix-neuf ans, vers I'annee 725, et emporla avec elle I'amour des sainles femmes qu'elle avail dirigees. Vers la fin du neuvieme siecle, I'invasion des Normands rcpandit la tcrreur dans I'abbaye, et les religieuses pri- rcrit la fuite, emportant avec elles les reliques de sainle Berihe et de ses deux filles. Elles remonlerent le Rhin jusqu'a Jl.iyence, el s'arrSterenl d ms cette ville, ou Ton tenait alors un coni^ile auquel assistait Arnoul, roi d'Alle- magne. Elles y rencontrerent Rotrude, abbesse dErstein, qui leur offrit un asile et so mil complelement a leur dis- position , fondant pour ces pauvres refugiees le mona- slf?re d'Alziac, pres Strasbourg. Quant & I'abbaye de Blangy, en .\rtois, elle fut rebitie au onzienie siecle et donnce k des religieuxde I'oidrede saint B'jnoit par le comte ('e Flandre qui les mil en pos- session de ses anciens revenus. Malgre I'opposilion des religieuses d'Alziac, lis Trent re- venirles reliques qu'elles avaient empovteeset qui furerit conservees tres soigneusement jusqii'au scizieme siccle, oil Id guerre qui eclata entre Francois \" et Char- les-yuint obligea Ics lienedictins a prendre la fulte. Les reliques de la sainle furent placees provisoirement dans SAINTE-CROIXEN-JEBUSALEM. 361 riiospice de Saiiit-Jean-du-Mont, et, dte que la paix fut relablie, revinrenl a Blangy, ou elles demeurerent jus- qu'a I'epoque de la Kevolution. — La f^le de sainle Berthe se celebre le quatrieme jour du niois de juillet. DE LA FlIEDlkltE. ui^ToiRE ET mmmm des basiliques de roue. SAIVTE-CROIX-EN-JERUSAIEM. '-'ette basilique n'ayant ete bStie que pour recevoir una partie de la sainle croix, il n'est pasinutile pour en con- nailre I'histoire de remonler aux evenemenls qui pre- cederent, en le provoquant, cet acle de picte. Constantin le Grand venait d'abjurer le paganisme npres la visible protection qu'il avail rerue du cici, et pour la premiere fois la religion du ("lirist s'elait assise sur le trone des Cesars. D'apres saint Eusebc, I'imperalrice Hclene, mere de Constantin, n'cmbrassa pas le catliolicisme en meme temps que son fils. Mais si die ne rcrut le baptcnie qu'apies la miraculeuse vicloire remportce par celui-ci, die sembia I'avoir depasse de bcaucoup dans la perfection evange- lique. Sa conversion, quoiquc tardive, fut si parfaite que depuisellcpratiquatoules lesvertus avec la plushuroique rigidile. — C'lHaicntsurtoutsa foi en Jesus-Christ et son amour pour les pauvres qui la dislinguaicnt. Constantin eut a reprimer la jalousie de Licinius, qui venait de prendre les armes centre lui. II le rencontra dans la Pannonieetle delit en 31 1 pres de Cibale. Satisfait d'une promple victoire, et du resle n'ecoutant que la clemence a laquelle il elait naturellement porte, il lui laissa la vie en lui accordant la paix. — Mais Licinius, que I'ambition devorait sans cesse, oublia bientot la ge- nerosite de son bienfoiteur, et pour I'outrager une nou- velle fois d'une maniere sanglante il persecuta les Chre- tiens, quel'empercur avail mis soussa protection. Cet acte de cruaute devait etre puni, et apres avoir employe vainement les voics de pacification, Constan- tin lui declara la guerre. — De chaque part les armees etaient nombreuses ; Licinius comptaiit sur la valour de ses soldats et peut-^tre prenant en lui-meme son orgueil pour de la force, disait haulcment qu'apres la victoire qu'il etait sur de remporter il exterminerait jusqu'au dernier des Chretiens. Constantin, mettant en Dieu sa con- fiance, sedisposait au combat par le jcune etia priere; il se contenta d'ordonner que le Labarum fiit porte de\ant son armee. Licinius redoutail rette banniere, il n'ignorait pas que la victoire I'avait constamment suivie, et il crut s'affranchir de la puissance de celte cgide chretienne en defendant a ces troupes de diriger leursattaques ducote oil ellese trouverait, et en leur conseillant de nc pas mfme 56S NAPOLfiON. la regarder. Ces vainespr&autions ne purentle soustraire au ch&timent que Dieu lui reservait. Deux fois il fut vaincu; d'abord pres d'Andrinople au raois de jiiiUctde I'annee 351, ou il perdit plus de trente-quatre mille hommes, puis pres de CalceJoine, oil, de toutesonarmie, troisniille liommes a peine purcnt echapper a la moit. — II fut lui-meme fait prisoniiier (jar Constantiu, et ce ge- nereux conquerant lui eiit loujours laisse la vie et la li- berie, s'il n'eilt ete convaincu qu'iltravaiUaitsourdement h exciter de nouveaux troubles. Cette -victoire avail fail de Constantin le maitre de I'Orient. — En 325, le concile general de Nicee fut assemble par ses soins, et I'annee suivante il ecrivit k Macaire, eveque de Jerusalem, que sur le mont Calvaire il voulail faire eleverune masnifique eglise. Saiiite Helene, quoique deja fort avanceo en Sge, se cliargeade I'execu- tion de ce pieux monument et ellese rendit en Palestine, Oii I'appelait aussi un autre desir non nioins saint et louable. Elle voulait decouvrir lacroix sur laquelle le Fils derhomme avail accompli rarlesublinie dela redemplion. Pour en venir a son but, elle devait eprouver d'innom- brables difficultes ; mais rien iie put la rebuter, tant elle 6lait sure qu'elle ne ferait qu'accomplir la voloiite de Dieu. C'^tait la coutame chez les Juifs de creuser une fosse aupres.du lieu oil le corps des personnes condamnees^ morl etait enterre, et d'y jeler lout ce qui avail pu servir a leur execution. Apres avoir fail fouiUer dans les divers endroits du Calvaire qu'on lui iadiqua, la pieuse imperatrioe trouva le saint sepulcre. II y avail aupres trois croix, avec les clous qui avaient perce les pieds et les mains du Sau- veur, el rinscription que les Juifs avaient fait attachcr au-dessus de sa iHe. Cette inscription etanl separfe, on ne savait comment distinguer la veritable croix ; on les ap- pliqua separ(5menl Tune apres Tautre sur le corps d'une femme qui etait mourante; les deux premieres, quietaient celles des deux larrons, n'opererent aucun effet; mais lorsqu'elle fut louchee dela troisieme, elle se trouva par- faitement guerie. Sainte Helene lemoigna la joie la plus vive k I'occasion du miracle qui lui faisait connaitre le saint instrument de la redemplion. Elle fonda une chapelle 5 I'endroit oil ce precieux tresor avail etelrouve. Avant de parlirde la Pa- lestine, elle visits tons les lieux que noire religion a mar- ques de si venerables souvenirs, et elle les orna de somp- tueux edifices. Elle rappela les cbretiens exiles, rendit la liberie k ceux qui gemissaient dans les prisons ou qui tra- vaillaienl aux mines. Puis ayanl fail assembler lesvierges consacr6esau Seigneur, elle leur donna unrepas oiielle les servit de ses propres mains. De retour a Rome, sainte Helene fitconstruire I'eglise de Sainle-Croix-en-Jerusalem. Une portion de la croix de Notre-Seigneur y fut deposee dans un Hm de la plus opulente magnificence. Mais les siecles en passant sur cet Mifice le detruisirent. Le pape Benoil XIV en confia la reconstruction a I'architecte Dominique Gregorini. Le porlique est soutenu par des colonnes el des pilastres dant qualre en granit. Le maitre-aulel isole est orne de qualre belles colonnes de marbre qui soutiennent un magnifique baldaquin. Au-dessous de cet aulel, il y a une belle urne antique de basalle dans laquelle sont conserves les oorpsdes saints marly rsCesari us elAnasta.se. La voule de la tribune est dfecoree de fort belles fresques de Pin- turiccliio. J. B. HAPCLEOF. III. i ous ces evenements se succedent et s'accu- mulent avec une rapi- dite sans egale. Jamais bomme ne mena I'his- toire plus grand train. II est lombc, et cepen- dunt le monde liesite encore k croire a sa chute. Qui voudrail en effet reconnaitre dans cette voilure k peine escorlee, qui galope tristement sur la route de Provence, celui qui mit I'Europe a ses pieds apres en avoir distribue les royaumes k ses proclies et ii ses generaux? Qui verrait un empereur dans ce proscril? Le voil^ qui repasse par son premier chemin, temoin de ses premiers triomphes, de ses premieres ambitions; et, sans doute qu'en traversant cesvilles aujourd'hui muettes, il se prend a recommencer savie d'aulrefois, au temps oil le people s'empressaitsurle passage dujeune general d' Hal ie,oulesferamessemeltaient aux fenfires pour voir le piile el fier vainqueur de I'E- gypte., qu'elles saluaient de leurs sourires el de leurs mouchoirs? Que de souvenirs ! Lk est Lyon, theatre de sa gloire naissante; ici Valence, oil il se rappelle avoir cueilli des cerises avec mademoiselle du Colombier ; c'esl Frejus qui le vit debarquer pour alter culbuler le Direcloire ; Frejus, oil il s'embarque aujourd'hui pour alter occuper les quelques pieds de terre que I'Europe lui accorde en soupirant. II s'en va, le grand empereur, — et la nation consternte le regarde partlr, empkdiee qu'elle est par les hordes etrangeres qui sont venues la b&illonner jusque dans sa propre capilale. II part en fugitif, traversant la France d'un boul a I'autre, cl emporlanl avec lui le secret de cet enthousiasme qu'il savait si bien allumer dans toutesles BRn !SH 7 AUG 29 NATURAL KfSTORV- \ •as H NAPOLEON. 3C3 l^tes, car c'est en vain que sur sa route rarmee cherche a lire dans son regard el k deviner dans son geste, cnmme si elle n'attendait de lui qu'un signal pour tenter encore !e sort desbatailles. Napoleon, le front courbfe sur sa poi- trine, ne commandc plus au destin. Ce fut pendant que Louis XVllI rentraitdans sa bonne ville de Paris, qu'il mouilla dans la rade de Porlo-Ferrajo. Sa cour se composa de sa mere, de sa sceur et d'une poignee de braves de la vieille garde, la veritable cour de France, celle-la. On elait alors au mois de mai 1814. Jusqu'au mois de fevrier de I'annee suivante, Napoleon rongeason frein en silence, trompant son besoin d'activite par des travaux imporlanls qu'il fit executer dans I'ile, par des quais qu'il fit construire, par des routes qu'il fit percer. Mais sapenseeconslante elait attacheesur la France, et, redevenu spectateur ottentif, il suivaitdans les feuilles publiques la marche du gouvernement de la coalition, dont chacune des faules elait un enseignement pour lui. Les Bourbons n'avaient pas voulu accepter le trait- d'union de I'empire. Brusqueraent, sans transition ils avaient ramene I'Elat au regime d'avant la republique. Entre Louis XVI et Louis XVIIL ils avaient ecrit sur le registre de la monarchie ;Ci, uue lacune. — Une lacune quia nom Napoleon. — El le roi datait tranquillement ses edits de la dix-neuvieme annee de son regnc. II fallait que les Bourbons s'abusassent etrangementsur la lassitude de leurs sujels, et la hardiesse elait grande a venir faire si bon march^ du passe de 93. Peut-etre aussi I'emigra- tion voulait-elle prendre sa revanche, mais on ne prend pas de revanche avec le peuple. Les factions qui vinrent a se former le prouverenl bientdt; enpeu de temps, etmal- gre I'egide raenacanle des allies, un orage s'amoncela de Douveau autour du trone. L'agitalion elait extreme ; la presse se debatlait violemment sous le pied de la cen- sure grossierement travestie. Ce fut ce moment-la que Napoleon choisit pour jeler au hasard un decesdefismerveilleux, — auquel le raonde elait habitue, maisqui devail pourtant etonner le monde. II voulut essayer de renouer son avenir aux acles mala- droiU des Bourbons, et il y reussit. De telleshardiessescon- fondent moins peul-eire par leur succcs que par leur conception; mais Napoleon elait I'homme des hardies- ses. Sans avoir prevenu personne, un matin, portant sa conspiration toute dans sa tele, il avertit sa garde de se tenir pr^te a quitter I'ile d'Elbe. Cette nouvelle fut ac- cueillie par une acclamation unanime, et I'ivrcsse des soldals ne connut plus de bornes quand il leur dit en mettant le pied sur le brick qui portal t sa fortune: — Grenadiers! nousallonsen France, nous aliens a Paris I Cette fois c'elait une grande et decisive parlie qu'il se preparait a jouer a\ ec renlhousiasme. II allail avoir enfin le mot supreme de son prestige. C'elait un homme qui venait conquerir un royaume, non pas avec une armee, mais seul, et rien qu'avec son nom. 11 debarqua dans le golfe Juan, et se mil resoliimenl en marche sur Paris a la t^te decinq cents hommes de sa garde, de deux cents chasseurs et de centlancierspolonais. C'elait un spectacle inoui, sans exemple, qu'un coup d'Etat ainsi tenle ; mais Napoleon avail jete dernere lui toute relenue et toute prudence, et il s'avancait^avec cette audace, dont les resullats font de la folie ou du genie. Un fait le mon- Irera. Devanl Grenoble, un bataillon lui barrait le passage et avail pris position j instruit de ce contre-temps, il s'empresse de mettre pied a terre, et suivi par sa garde, I'arme baissee, il decouvre sa poitrine et s'ecrie : — Si parmi les soldals de Grenoble, il en est un qui veuiJle tuer son general, son empereur, il le pent ; me voici ! — Le cri de T'it-e I'cmpereurl est la seule reponse du bataillon, Joueur hardi. Napoleon en etail venu a ce point d'enga- ger sa fortune sur une carte. De ce moment, et a parlir de Grenoble, oil la popula- tion, a defaul des clefs qu'clle n'avait pu arracher aux chefs militaires, vint metlre i ses pieds les portes de la ville apres les avoir abaltues, de ce moment la question ful a peu prfes decidce. Les proclamations firent le reste. Jamais I'empereur n'avait parle un langage plus mogique, plus enliainant ; — ■ Soldals, y disait-il, dans mon exil j'ai entendu voire voix ; je suis arrive a Iravers tons !es obstacles ettous les perils. Votre general, appeleau tr6ne par le choix du peuple, vousest rendu : venez le joindre... Soldals ! venez vous ranger sous les drapeaux de voire chef. Son existence ne se compose que de la voire ; ses droits ne sont que ceux du peuple et les volres ; son in- ter^l, son honneur, sa gloire, nesont aulresque voire in- teret, voire honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge; I'aigle a-vec les coulears nationales vo- lera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre- Dame : alors vous pourrez monlrer avec honn.eur vos cicatrices, alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait, vous serez les liberaleurs de la palrie... Dans votre rieillesse, entoures et consideres de vosconcitoyens ils vousentendront avec respect raconter vos hauls fails; vous pourrez dire avec orgueil : El moi aussi je faisais parlie de cette grande armee qui est entree deux foisdans les murs de Vienne, dans ceux de Rome, de Berlin, de Madrid, de Moscou, qui a deli\re Paris de la souillure que la trahison et la presence de I'ennemi y ont em- preinte I • Pi'ecede par ces paroles. Napoleon entra dans Lyon en avant de ses troupes, porle en Iriomphe par mille bras. La, il s'arreta un instant pour casser les deux chambres et convoquer exlraordinairement les colleges electoraux de I'empire ; puis il repril sa marche k Iravers la Bour- gogne, au milieu de I'enivrement general. Pendant ce temps, lecomted'Arlois fuyait accompagne d'un seul ser- viteur, el Louis XVII!, frappe d'effroi gagnail precipi- tamment la fronliere beige, apres avoir mis tons les deux sa tete a prix, el au mSme instant oil la presse arislocrale annoncait leslermination probable du lemeraire usurpa- leur. Cefut le 20 mars, versJe soir, que Napoleon arrivaaux portes de Paris, a la suite d'une longue journce de mar- che. Comme a Lyon, comme a Grenoble, la population se rua sur lui. On ne faurait donner une idee de cet im- mense empressement qui lenait presque du delire. Na- poleon ful porle dans le palais des Tuileries, oil Talten- daient les grands dignitaires de I'empire. — Cette nuit-IS, le bataillon sacre bivouaqua sur la place du Carrousel. Des le lendemain, I'empereur se remit a I'cBuvre. Le congres de Vienne ne lui laissait plus aucun es- poir de paix. La coalition avail jure de ne pas deposer les armes qu'elle ne I'eut mis hors d'etat de troubler desormais le repos de I'Europe. Apres avoir done re- constitue le gouvernemeni, proclame la liberie de la presse, appele Benjamin Conslant au conseil d'£lat, il s'occupa de preparer activement la France a une nou- 564 NAPOLEON velle guerre qui devait resumer toutes les autres et ren- dre pour jamais au pays le rang niosnifiqiie qu'il avail conquis sous son regne. II arma les places fortes, fit fa- briquer des canons, rappela sous les drapeaux les anciens mililaires reformes ou en relralte; et deu\ mois apres il se trouvail a la tete d'une armee de plus de qualre cent Le balaillon sacre Livouaquant stir la place (In Carrousel. cinquante mille lioninies, pietea soutenir le chocdel'Eu- rope et a se laisser conduire a la vicloireparcelui qui en connaissait si bien les chemins. Deu\ combats brillanls, ceux de Ligny et de Fleurus, ouvrircnt cette nouvelle campa^ne. II en fut renipli d'es- poir. BUicher elaitbatlu, rennemi refoule. Napolton crut qu'il allait ressaisir la fortune et balayer une fois encore devant ses pas les puissances reunies, ^ la jouruee de Mont-Saint-Jean. Ce fut sous ces auspices favorables que s'entama cette derniere et terrible parlic; jusqu'au soir I'avanfnge resta du cot^ des Fiancais; onseballail avec furie etlccanon labouiail profondementlesniassesserrees des .\nglais, que leur immobilite sculpturale faisait rosscmbler ^ des machines de guerre plut6t qu'k des soldals; — la nuit venue, per.sonne ne doulait de rentier trioinpbe. II fallut qu'a ce moment des circon- slances d'une nature tout inipr^vue vinssent changer souiiainement la face des choses et creuser un largo tombpau h celui qui revait dejji sons doule le char du conquerant. lin de Fleiinu. NAPOLEON. On sail la funesie issue de cette fatale tragediede Wa- terloo. Ce flit sur ce champ de balaille que vinrent s'a- bimer les dernieies esperances de rhonime du siecle. Le nombre, la trahison, les lenebres, lout se reunit pour I'accabler. Sombre et les poings serres, il pas^ait rapide comme un eclair dansune lempi'ae.et se jetant au milieu de la melee furieuse il essayait en vain de rallier les fuyards et d'arreler le desordre. L'aiglc d^chiree flottait devant ses pas et semblait lenvelopper d'un solennel iinceul. Aulour de lui, ses vieux grenadiers m^chaient silencieusement leur cartouche et se serraient aupres de son cheval. Enlrafne dans la deroute, 11 ceda a la neces- site et il se retrancha sur Charleroi, aprfes avoir vu litte- ralement ccraser sa garde heroique. Celte fois I'empire elait mort et bien mort. La France ne devait pas pardonner une defaite ^ celui qui lui avait fait tant de victoires. La chambre dcs represenlants se d^clara contre Napoleon vaincu, et c'est a peine si quel- ques voix s'eleverent pour lui, en presence de Tiniraense desastre oil dix-neuf mille Francais avaient laisse leur vie et sept niille leur liberie. On prefera rouvrir pour la deuxieme fois les portes de Paris aux etrangers, sans ba- taille, sans condition, avec une armee esale en forced la leur. — Napoleon en versa des larraes de sani», du fond de la Malmaison, ou il s'etait retire. Mais ce fut tout. Quelques jours apies, il partit pour Rochefort, comme il etait parti pour I'iled'Elbe, dans la voiture d'un de ses officiers etavec linlention de passer aux £tats-Unis. Sesadieuxa la France furent iternels. Alors commenca pour le grand homme cetle periode de vexations sans nombre, de tyrannies etroites, de con- trari^tes tour a tour absurdes ou atroces, — toujours Hches. Au lieu de respecter cetle figure imposante d'un empereur decouronne, les souverains s'eflorcent de la rabaissera leurs propres yeux. C'est par d'odieux prece- des qu'ils se vengent de celui dont !a magnanimile a leur 6gard ne se dementit jamais; et leur rage avilissante ne 5GS doit plus s'arreter maintenant que sur le seuil d'un toni- beau. — Celte autre histoire demande un cruel sang- froid dela partde I'ecrivain qui la raconte, et plus d'un v a deja brisesa plume en sentant le rouge de I'indignntion monter a son visage, Pourlant nous irons jusqu'aii lerme de noire tiiche. Napoleon atlendit quelques jours k I'ile d'Aix les sauf- conduits du gouvernement. Las de ses retards, et sur la proposition du capitaine Mailland, il se decida a s'em- barquer a bord du vaisseau le Sellcinphon, afin d'aller demander une hospilalile genereuse a I'Angleterre, — idee noble et encore haulaine qui ne pouvait germer que dans une semblable t^te ! « Altesse Royale, ecrivait-il au prince regent, en butle aux factions qui divisent mon pays et a I'inimitie des plus grandcs puissances de lEu- rope, j'ai consomme ma carriere politique. Je viens, comme Themistocle, m'asseoir sur le foyer du peuple bri- tannique ; je me mels sous la protection de ses lois que je recl.ime de Voire Altesse Royole, comme celle du plus puissant, du plus constant et du plus genereux de mes en- nemis. » La reponse ne se til pas attendre. Ce fut un ordre de deportation a Sainle-Helene ! Cejour-la, I'Angleterre se couvrit d'une honte eclatante. En consequence. Napoleon passa du Ucllerophon sur le IS'orlliumberlatid. Un amiral eut le soin prcalable de visiter ses effets, aide d'un employe des douanes; on se- questra son argent, on desarma les personnes de sa suile, et si on lui laissa son epee, en dehors de I'ordre ministeriel, c'est que sans doule il ne se trouva personne d'assez hardi pour aller la lui demander. — Je le crois bien, Le lundi, 7 aout 181.5, le navireappareilla pourSaintc- Helene. La suite de I'empereur avait ele reduite it qualre personnes dont les noms sont dans toutes les memoires : Rprfrand, Las-Cases, Gourgaudct Montholon. — Soixanle- dix jours apres, I'equipagese Irouvait en vue d'un rochcr africain. — Tout etait fini. =^^^=""^"^■^1^/ t'l -,^=!'\ .:^.„,],J" Napoleon s'einbarquant sur le vaisseau U BelltTophon. ^/\\\ 366 IV. nien de plus sinistre, au dire des voyageurs, queTas- pect de Sainte-llSl^ne. Qu'on se figure une vall6e tres- etroite, resserree entre deux chaines de montagnes i pic et tout ci fait st^riles. Lb est Ichameau. Plus loin, le clie- min est coupfepard'horribles pr(;'cipices, par des abimes sans fond. Nulla verdure, aucuno trace de v^gfetation, un volcan ^teint: voila lout. — Un de ces gouffres a ete nomm^ Bol de punch dudiable par les habitants da pays. Des vents continuels, violenfs, invariables; un soleil rare et qui atlaque le foie lorsqu'il se montre ; des pluies abon- dantes entretenant une humidite permanenle dans le sol; une eau malsaine, dont on ne peut se servir qu'apres I'avoir fait bouillir : voilb pour le climat. — La vne de la mer qui s'^tend des hauteurs de Longwood entretient rjme dans une melancolie profonde. ■ Une cahute s'^leve sur ce pic prometheen, expos6e k toutesles influences d'une atmosphere empoisonnce. Des senlinelles en habit rouge sont placees sous les fenetres et se promenent de long en large. Parfois, des malelots ve- nusdel'Europe.eten relirhe dans cette ile, s'aventurent Ji braver une consigne severe et s'avancent avec precau- tion vers cetic maison solitaire pour tacher d'apercevoir derri6re les rideaux une ombre, une forme. 11 n'est pas rare alors do les voir se retirer les larmes aux yeux et leur bonnet b la main. Souvent, vers I'heure demidi, un homrae sort de cette maison. II estvfttu de loile comme un planlcur cl convert d'un chapeau de paille' grossifere ; ses mains sont croisSes derriere le dos, son ceil est fixe a la lerre; les traces de- NAPOL la maladie se lisent d{'ja sur son visngo. Revcur et abattu, il s'arrSte devant un negre qui b^clie et qui sourit en le regardant, ou bien il lient un enfant entreses genoux et cause avec lui. D'autrcs fois il nionle a cheval, et, dans un espace de quelques pieds carres, levoilji qui « tourne sur hii-meme ronime dans un manege. » S'il veut fran- rhir la limilcdu camp anglais, lasendnellea I'ordre dele couclier en joue. Chez lui, eel honime est force de vendre son argen- terie pour vivre, etc'est a peine s'il peut se procurer une nourrilure sullisante. Uo agent du gouvernement est 1^ pour elever d'odieuses reclamations au sujet de quelques bouteilles de vin ou de quelques livres de viande. Ce fiON. 567 sbire, dont I'histoire n'a conserve le nom que pour qu'il fiit eternellement (16tri, I'assassine chaque jour, longue- ment, en detail, ii coups d'epingles. II lui interdit d'entrer dans aucune maison, et de parler a aucune dcs per- sonnes qu'il rencontre dans ses promenades, soit a pied, soit a clieval ; il deporte au Cap un de ses serviteurs les pluscliers; il renvoie son medecin en Europe ; il place des espions aupres de lui pour Yoler ses papiers. Puis, un jour, h bout de ses infamies, et netrouvant plus rien pour hater I'agonie de son prisonnier, il lui ecrit une lettre pour exiger « des excuses, a cause du langage peu modert5dont il s'etait servi dans leur derniere entrevue. » Des excuses, — Ji Hudson-Lowe! Hudfon-Lo^'e. Lm, pourtant, senlantsa fin venir, il dicte ses campa- gnes et decouvre un a un les voiles de sa pensee. II passe en revue les fails de son hisloire et les resume en larges traits : « ,I'ai reforms le gouffre anarchique, dit-il, et dobiouille le chaos. J'ai dessouille la revolution, ennobli les pcupk's et raffermi les rois. J'ai excite les emulations, recompense tons les merites et recule les limites de la gloire. Tout cela est bien quelque chose. Sur quoi pour- rait-on m'atlaquer, qu'un historien ne puisse me defen- dre? Seraient-ce mes intentions? mais ilesten fond pour m'absoudre. Mon despotisme? mais il demontrera que la diclalure ^(ait de toule necessile. Dira-t-on que j'ai gene la liberie? Mais il prouveraque la licence, I'anarchie, les grands desordres elaient encore au seuil de notre porte. M'uccusera-t-on d'avoir trop aimc la guerre? Mais il montrera que j'ai toujours 6le aftaque. D'avoir voulu la monarchic universeWe? Mais il fera voir qu'elle ne fut que I'cEuvre fortuitc des circonstances, que co furent nos cn- nemis eux-mf'mes qui m'y conduisirent pas a pas. Enfin, sera-ce mon ambition ? Ah! sans doute il m'en trouvera. et beaucoup ; mais la plus grande et la plus haute qui fut peut-(Jtre jamais: celle d'etablir, de consacrer enfin I'em- pire de la raison et le plein exercice, I'entiere jouissance de toutes les facultes huniaines? Et ici I'historien peut- fitre se trouvera reduit a devoir regretter qu'une telle ambition n'efit pas Hi accomplie, salisfaite.... En bien peu de mots, voilfi pourtant toule mon hisloire. » C'est ainsi que parle, sur ce roeher, ce moribond illus- tre, — dans une chanibre pauvre, entre quatre cloisons, enloure de deux ou trois amis de sa mauvaise fortune. Celui qui donna des couronnes aux uns, qui replaca les autres sur leurs trones briscs, est lachement abandonne k la niort a deux mille lieues de la patrie. On emp^che d'arriverun seul Franrais jusqu'h lui ; on leprive des nou- velles de son fils et de sa femme ; quatre grandes puis- sances donnent le spectacle inoui d'enchainer un homme sur un ecueil. — Et de loin.'le monde regarde avec effroi, selon I'expression energique d'un poete, Cctic grande figure en sa cage accroupic, Ployee, el les genoux aux deals. 368 NAPOLEON. Mais il est pres de sa mort, le grand capitaine. Le cli- mat meurtrier du tiopique \a finir ce que la torture d'Hudson-Lowe a commence. — Un pr6tre est a cote de sa chambre. ■ 3e suis ne dans la religion catholique, dit- il, je \eux remplir Ids devoirs qu'elle impose, et recevoir les .secours qu'elle adminislre. » — Le 3 mai, k deux heures de I'Hpres-midi, il demando le saint viatique, et, tout le monde s'etant eloigne, il demeure seul avec le pr^tre. Seul avecDieu ! Napoleon ri-ceianl le lutujiie. II lui appartieni, en effel, de donncr ce haut exemple tde Brelonne I'n un bel amphi- theatre; elle flit nominee, en vortu d'un (li'crct dela Con- vention, forSt de I'Unite-Nalionale; mais depiiis elle a repris son ancien nom. Sur la lisiere dcs hois on apercoit d'abord Houiteauville, vis-a-vis de Yainville, puis le chJtcau dc la l!cilleraye;sa belle situation, son pare ma- gnifique et tous les embellissemenls que ses divers pro- prietaires y ont ajoutfe tour a tour en font un des plus d^- licieux sejours qu'on piiisseliabiter. II appailcnait, il n'y a pas longtomps, & madame de Nagn, (|ui lit d'enormes depenses pour ajouter aux agremenis de celte demeure que les voyageurs et les clrangers visitent sans discon- tinuer. Mais il nous faut mainlenant un pilote experimenti^, car la navigation devient de plus en plus dangereuse. depuis que nous approchons de Caudebec. Nos regards peuvent contompler dej^ un agrealile vallon oil vient se Jeter le Fontenelle. C'cst sur los bords de celle petite ri- viere que s'elevait aulrefoisl'abbayedeSaint-Wandiille, dont le fondateur, du ni^me nom, etait parent par alliance des membres qui composaient la fameuse maison de Pe- pin. Les ruines ne rappellcnt peut-^tre pas des souvenirs aussi grands que Jumieges, mais elles ofTrent quelque chose de plus pittoresque. Nous ne rctrouverons la ni les traces d'actions lieroiques ou cbevaleresques, ni la place oil I'exil retint des grands hommes enchaines, ni le sejour des monarqucs, ni le Iheitre d'avcntures mon- daines; ccs ruines ne nous parleront que de solitaires et de saints personnages qui n'eurent tous qu'un dfeir, qu'un but, celui de mcurir ignores. Dans les mines de Saint-Wandrille lesjeunes filles de Caudebec ont imagine de transporter le mys(erie:ix se- jour des fc^es, dont elles se racontcnt, pendant lessoirees d'hiver, les faotastiques histoires, C'est que ces fragments d'architecture, ces pans de mur qui menacent mine, ces piliers et ces arceaux elances, ces voules si hardies, sur- tout quand le vent vient mugir a Iravers les decombres, sont bien capables d'elTrayer des imaginations feminints. Tout cela est si fragile, si prfet k s'ecrouler, que I'hiron- delle, en efileurant ces ruines de son aile, en fait tomber a tout moment une pierre, un fragment, dont la chute sublle trouble le silence profond de I'abbaye. Le temps n'est pas loin oil ces restes sculptes, comnie suspendus dans les airs ct mutiles chaque jour par 'a fureur des orages, cesseront de Jeter la crainte dans V!\me du voya- geur curieux et de la timide jeune fille. Sur le versant occidental de la vallee de Saint-Wan- drille, ou de Fontenelle, se dresse une petite chapelle d6- dii^e k saint Satiirnin. Le coteau oil elle estsituee, nom- me par certaines rhartes Mont-des-Vignes , fut autrefois renomme pour ses vins. Du hant de cette colline on a une Tue charmante sur le vallon de Caubecquet ; on aperce- vait jadis I'ile Belcinac, entre Saint- VVandrille et Caude- bec, lie oil se trouvait I'abbaye de Saint-Coude. Un jour on cliercha vainement les tours antiques de ce monaslere et les bois verdoyants qui I'enveloppaient ; tout avait peri, abime sous les eaux. Puis deux siecles apres , en I6i'l, on vit rtle reparailre, chargee dequelques ruines; mais elle ne s'etait remontree que pour peu de jours, car la maiee vint une seconde fois I'engloutir. Aujourd'hui on ignore menie la place ou elle etait situee. Seraientce par hasard les restes de cetle ile errante et mobile que promeneraient, dans les parages dangereux de Quille- beuf, des ^cueils caches sous les (lots et toujours de- places par le (lux et le reflux? Quant au versant oppose du Mont-des-Vignes, vous le descendez h travel's des maisons demarinierset quelques fermcs eparses cJi et la, s'elevant au milieu d'un massif d'arbres, parare obligee des habilalions charmantes du pays de Caux dans lequel nous venons d'entrer. Alors vous voyez s'^tendre sur les rives du fleuve les maisons pitloresques dune delicieuse petite ville, dontl'origine est une simple bourgadede p^cheurs. Voila Caudebec, toute SUR LES RIVIERES DE FRANCE. fiere d'avoir dans ses armoiries trois eperlans d'argent sur fond d'azur. Les niaisons du pcirt, avec leurs terr-jsscs chargees d'arbustes et de lleurs, rappellent assez cerlaines villcsdltalie ; le vieux marin deCaudebec, retire sur la rive de la Seine, oil il voit passer les pavilions qu'il ren- conlra sur tmt de mors, tient a s'assurer tous les matins quil n'a pas quitte le sol natal, en regardant avec amour les roses et les (pillets dont il a orne sa fenetre. Un mot de Henri IV, devena populaire dans les en- virons de Caudebec, a rendu celebre Veglise de cette petite ville : • C'est ici, dit le Boarnais, la plus belle chapelle que j'aie jamai-; vue. • Cette eglise est en elTet une des plus remarqnablcs de la France, par le luxe et la delicatcsse de son architectuie. Le clocher est en py- ramide, entour^ de couronnes superposees les unes sur les autres, ce qui au premier coup d'oeil lui donne assez d'analogie avec les minarets des viUcsd'Orient. Si Ton passe Caudebec, et qu'on s'arr^te.an pied des rochers dont le fleuve est borde en cet endroit, le re- gard se dirige sur un petit edifice de forme carree, dont la simplicile ne soUicite guere I'artiste, dont I'obscurite n'atlire pas I'historien, mais auquel les matelols ontvoue un culte venere et qu'ils s'empressent d'orner de leurs offrandes apres en avoir fait de loin I'objet de leurs prieres. Nous parlous de I'ermitage de Notre-Damf-de- Barre-Y-Va, dont les murailles disparaissent sous une foule d'ex-voto; on y voit des tableaux voues par les pilotes k la Vierge au plus fort de la template ; a la voute sontsuspendus ces petits navires naivement sculptes dans le bois, que pendant les annees d'une longue et lointaine captivile, de pauvresmarinsont executes de leurs propres mains et dedies h la Vierge, comme t^moignage dc leur gratitude apres la delivrance. Apres Caudebec, le lleuve fait un brusque detour, et se partage en deux bras qui formcntune ile,Ia derniere que Ion trouve jusqu'au Havre. Le bras droit gagne Ville- quier, dont le chateau, tout moderne qu'il soit, merite- rait, grikc a sa belle position, a sa structure elegante et a ses jardins, une visile detaillee ; la rive gauche s'en va arroser Vatleville, un des anciens fiefs du chateau de la Meilleraye. Enfin la Seine a reuni ses deux bras, etbaigne le basdelacote de Norville, que nous voyons sur la droile etduhaut de laquelle on a un panorama admirable. Au- dessous de Norville sont situes, surl'autre rive, le village d'Aizier et celui de Vieux-Pont; c'est 1^ que commence I'embouchure dela Seine. Le lit du lleuve devient tour i coup plus large, et Ton distingue au loin le rocher de Quillebeuf qui s'avance dans la mer, semblable a un fa- nal destine a guiderles pilotes. Quillebeuf est la capilale d'un petit pays appeTe le Roumois, silue entre le fleuve et la villi', qui allait jusqu'u Elbeuf et constituait autrefois une des subdivisions de la Normandie. Silue S I'e.xtremite nord du departement de I'Eure, dont il est le seul etablissenient maritime, ce port consiste toutsimplement en unroclierlong etetroit, coupe par des rues en pente, assez mnl bAties, en face duquel on a construit une jet^e. L'origine de (Juillebeuf, ce mo- de.'s qui ont beaucoup d'analogie avec les melaux, eton est en droit de le regarder comme un corps metailique gazeux. Deux \olumes, par exemple deux litres d'bvdrogene me- langes avec un litre d'oxygene, s'unissent direclement si Ton y met le feu et disparaissent en entier. II en resulte une violente explosion et de l'eau. C.clle-ci est done formee de deux volumes d hydrogene et d'un volume d'oxygene; ou en poids de 12 1|2 d'hydrogene et de 100 d'oxygene combiitrx ensemble '. Le mot hydrogene veul dire gene- raleur de l'eau. 378 CAUSERIES AVEC MA FILLE 11 ne peut s'unir dircclcmcnt qu'a-vec un autre gaz ap- pele chlore. II existe dans la composition do tous les vSg^taux et de tons les animaux. Le fer cliaulTe au rouge dans un courant d'hydrogene devient tres-dur. 1,'argentct le cuivre y deviennentau con- traire fort mouset pi-esque aussisoiiplesquedii plomb. On devrait dans les arts mcttrc h profit ces proprietes remar- quables. Son poids exlrjmement leger le faitservir pour emplir les aerostats, mais il passe a (ravers los tissus; on lui pre- ffere, surtoutpour les voyages d'une certaine duree, le gaz d'eclairage estrait de la distillation de la houiUe quoique beaucoup nioins leger. 1 hectolitre d'air pese ^ 29 gr. 95 c. 1 hectolitre d'hydrogeno 8 gr. 93 c. Difference 1 21 gr. 02 c. Un ballon rempli de 1 hectolitre d'hydrogene et plongii dans I'air, peut done soulever un poids de 121 grammes y compris le poids de son enveloppe qui, pour les grands ballons, se fait ordinairementen soie recouverted'un ver- nis dont la base est le caoutchouc. Une enveloppe bien faite pese environ 23 grammes par hectolitre. Depuis pen de temps, on fait un emploi tres-avantageux d'un me- lange d'hydrogene et d'air pour souder le plomb avec le plomb lui-meme, c'est-a-dire sans aucun autre metal Btranger. On dirige un jet enflamme sur les parties du metal que Ton vcut reunir. L'hydrogene, melange avec I'oxygene dans les propor- tions qui peuvent former I'eau, et employe en forme de jet, produit, quand on I'enflamme , une des plus haiiles temperatures. Pour empecher la flamme de se communi- quer au melange explosif , on place dans le conduit un certain nombre de toiles metalliques tres-serrees. En Angleterre, on a employe ce melange endainm^, di- rige sur un corps solidc, qui, chautle au blanc, devient 1 CombiTtaieon veiil ilirc union intimc des corjis, qui alors forjrent des corps nouveun\. Lorsqiie ilos ludlieres nc sunLqiie mtiUnijiiea, ellos ne suliia- sent ancuno lransfonn.ition. Awtujt d'enlLunmer le melange d'liydrof;enc ab d'oxygene, lis restenl a reUt de gaz-LeuD ccMnbtnauon produil de I'eau, qui ne resscmble ccrlaineminl en rien aux pt'emenh qui la romposenl. Nous verrons que Tair c^l foiinii d'un melange de gaz ovv^^ne et d'nn autre gaz appele azote. S'il arrivail qnc ces deux gaz se combinaesent, nous serions iinmediateinent aspliyxies , car de cette combinaison resulteraient des osydes d'azote, des acides azoliques (xapeurs nitreujes et eau forte). assez lumineux pour des tel^graphes de nuit. Un kilo- gramme d'hydrogene qui brule produit une chaleur qui mettraiten ebullition 344 kilogrammes d'eauou quifon- drait 430 kilogrammes de glace. Un meme poids de charbon produit trois fois moins do chaleur. On pri^pare ordinairement I'hydrogfene avec un melange d'eau, d'acide sulfurique et de debris de fer ou de zinc dans les proportions qtii suivent : Pour obtenir 10 litres de ce gaz, par exemple, on prend 268 grammes d'eau, 88 grammes d'acide sulfurique, 58 grammes de zinc ou 1 9 grammes de fer. On lobtient encore en meltant de la tournure de fer dans un tube que Ion chaiilTe foptement, et ii travers le- qucl on fait passer lentement un courant de vapeur d'eau. Celle-ci, dans I'un et I'autre cas, se trouve decomposee. Son oxygene s'unit au metal, et l'hydrogene devenu libre se degage. PREiMIER PROCEDE. A 'Vase danslequel on met de la grenaiUe de fer ou de zinc. BTubeplongeant dans I'eau par lequel on verse I'acide. C Tube pour I'licoulement du gaz. D Epiouvelto que Ton emplit J'cau, qui est remplacei; par le gaz. nmiTTT A{i[>iri;ils pour preparer I'hyilrc SUR LA CIIIMIE. 379 SCCOND PROCKDE. E Cornue dans laquelle on fait bouillir de I'eau. F Tube traversant un fouineau. G Tube pour I'ecoulement du gaz. H Cloche pleine d'eau, dans laquelle se rend le gaz. Nous venons devoir qu'elleest. fornice de deux volumes d'hydrogene et de un d'oxygene, combines. Cetk'grande decouverte a H6 un pas immense. L'eau est unedes parlies constituantesles plus conside- rables de noire globe. Elle forme plusdes troiscinquiemes desa surface. Son role est immense dans tous les pbeno- menes de la nature ; elle est indispensable a I'exislence des animaux et dcs plantes, qu'elle conslitue en partie. La plupart des mineraux out ete formes dans son sein. Elle e.xisle sous toutes les formes. X I'etat solide, elle conslitue vers les terres polaires des montagnes de glaces perpetuelles au niveau des mers ; mais, a d'aulres lati- tudes, ce n'cst qu'ii une hauteur assez grande qu'on les trouve. Lesbauteursou les neigess'acrumulent successivement augmentent rapidement eu allaut du pole ^Tequatcur. Vers le 70° degre de latitude elles commencent a 1030 m. Vers le 43= id. ill. 2930 m. Vers I'equateur id. id. iSGO ni. Ces amas de neigcs eternelles et celles accumulees dans les bassins et les valleeseleves, constituent d'immenses glaciers permanenls. Les avalanches forment des glaciers accidentels a des hauteurs beauceup moins grandes. Ce sont ceux quo Ton a le plus visiles. On les a sou- vent compares h une mer agitee par la lempete, et ils for- ment I'un des plus effroyables spoclaclcs de la nature. Les glaciers les plus remarquables dans nos climats sont au Mont-Blanc et dans les Alpes. Pres Chamouny on trouve le glacier des Bois, qui a cinq lieuesde long. Au nord-ouest de saint-Gothard on remarque I'immense gla- cier qui forme la source du Rhone. On trouve aussi do la glace dans des grottes et dans dcs caverncs. L'eau forme enfin lagelceblanche, legivre.lagr^le, etc. A I'etat liquide, elle forme les mers, les lleuves, les lacs, etc. Aretatdo vapeur, cllepcoduit dans ratmosphere celle humidite invisjble qui se condense par le refroidissement etdonnela rosee, ou ocwsionne lesnuages, les brouillards et les brumes quand cette condensation n'est qu'incom- plete et que l'eau y existe sous forme de vesicules Ires- tenues , suspendues dans ratmosphere comme de pelits aerostats. Le diametrede ces vesicules aqueuses est d'environ 1/133 de millimiitre. Elles ne pcuvent etre re- gardecs comme de la vapeur aqucuse (qui est toujnurs in- visible), mais comme de l'eau tres-divisee et alTectant un ^tat particulier. On les appelle cependant vapeur ve- siculaire. La quantite d'eau contenue dans ratmosphere est con- siderable, car, en 24 heures, une masse d'eau quelcon- qiie diminue de 1 millimetre de hauteur en moycnne, h la temperature ordinaire. Un metre carre 6vapore done 1 litre (ou 1 decimetre cube) d'eau en 24 heures, et un seul kilometre carr6 de la surface de la mer (5vapore dans ce court espace de tj'mps 10,000 hectolitres. On doit ajouter k cela l'eau en vapeur qui s'exhale de la lerre humide et celle que produit la transpiration des vegetaux et des animaux. Elle est pour chaque arbra d'environ 12 kilogrammes en 2i heures, et la transpira- tion d'un homme donne environ 1 kilogramme de vapeur (ou 1 litre d'eau). J'appelle ici transpiration, non-seule- menl celle qui a lieu par les pores de la peau, mais sur- tout celle qui s'effectue par le jeu des poumons. II y entre par jour environ 18,7S0 Hires d'air, qui en sort a la tem- perature du corps ou 37 degres, et eel air en sort entiere- ment charge d'humidite. Get immense reservoir d'eau suspendue dans I'almo- sphere a I'etat de (luide elastique, ne forme cependant en nioyenne que la soixante dixieme partie de son volume. Dans les ouragans, la vitesse de I'air est d'environ 26 lieues & I'heure et de 6 lieucs en temps ordinaire. Ce- lui de I'equateur et celui du p61e ne mettraientguere que 8 jours pour se rencontrer. Cette vitesse produit dans les couches atmospheriques un equilibre d'humidite qui n'est trouble que dans quelques circonstances. La quantite d'humidite contenue dans I'atmosphere est (onjours en rapport croissant avec sa temperature. Tu sais bien qu'en ete, lorsqu'on apporte une bou- teille de la cave, I'air q;,ui vient la frdpper y laisse de I'humidite ; et qu'en hiver, I'air chaud de nos appar- temcnts depose sur nos vilres refroidies des dessins cris- fallins en forme de feuilles de fougere, ou une quantity d'eau souvent fort incommode. Cela t'explique le phenomene de la rosee, qui se pro- duil lorsque.sous un ciel pur, la lerre, operant son rayon- nement, c'est-ii-dire cedant sa chaleur k Tespace sans en recevoir en echange , les couches atmospheriques qui viennent fiapper a ces parlies refroidies se refroidissent elles-memes et deposent I'humidite qu'elles ne peuvent plus contenir. Par un ciel convert il ne se forme point de rosee, parce que les nuages empechent le refroidissement de la lerre. Si celle-ci leur envoie de la chalfiur, elle en recoil d'eux a son tour. Quant a la pluie, elle est produile par des courants d'air froid qui, se m^langeant ii des couches d'air plus chaud:, condeosent une partie de la vapeur qui y est con- tenue eteu fbrmenl de la vapeur vesiculaire, qui ensuite se condense complelement. Ce que je viens de I'exposer cxplique pourquoi il pleut bcaucoup plus dans les pays meridionaux que dans les autres. Par exemple, a Cumana (Colombie), oil la temp6- perature est de 27 a 34 degres, il lombe par an une couche d'eau de 2 metres 43 centimetres. A la latitude de Paris, celle couche n'est que de 0,48 a 0,50 centi- metres, ou environ cinq fois moindie. 3S0 L'AIGLE. UlSTOIRE NATURELLE. Ii'AIGIiX. Ucbout sur la cime escarpoe d'lin pic desAlpesoudes Py- renees, le V05'a.;;pur contemple aver ndmiialion la nature toujours belle, meme lorsqu'elle n'offreaux yeuxque mines et desolation. Les hautes montagnes couvertesd'une neige eternelle, les roehers dcchires, les torrents qui bondissent en ^cumant, quelquessapins hardiment jetessur les bords d'un abime, captivent tour i tour ses regards; mais il manque la vie a ces scenes sublimes, il y recherche la presence de quelques etres animes. Toutk coup un chamois parait, il bondit avec legerele sur la corniche d'un roclier, d'autres le suivent et sem- blent se jouer pres du gouffre, oii lemoindre faux pas peut les precipiter ; mais un d'entre eux a leve la t^le, il fuit, il se pr^cipite, tous les autres le suivent ; qui peut causer cette Icrreur soudaine? Un aigle a paru dans la haute region des airs, et, rapide fomme I'eclair, il s'elancait sur la proie facile qu'il aper- cevait, lorsque le chamois agile a fui dans une relraite im- penetrable; et c'est un lievre retardatairesur la cimeplus humble d'unecolbne que le tyran des cieux portera dans son aire pour servir de pature b 'ses petils alTames. Telles sont les scenes qui se repetent dans les bautes montagnes, et qui sont en harmonie avec I'horreur el I'aprete des sites. L'aigle a de tout temps ete nomme le roi des oiseaux et les naturalistes en comptent Irois especes : Vaigle royal ou grand aigle, l'aigle commun et le }>e(il aigle. Tous pos- sedent certaine pliysionomie commune qui les place dans t.'ai^le po'iituivant im lie la meme famiUe, maisilsse distinguentles uns des autres par la taille et par des particularites de caraclere; car le petit aigle ne partage pas le courage brillant des deux aulres, et au lieu de planer en silence dans les cieux comme dans son empire, il fait entendre souvent un cri plaintif que repetent les cchos des montagnes. Dans les aigles, comme dans presque toutes les families d'oiseaux de proie, la femelle est plus grande que le mb\e, mais celi/i-ci est plusimpetueux, plus farouche et plus in- traitable. La femelle de l'aigle royal a jusqu'a trois pieds et dem de longueur depuis la pointe du bee jusqu'a I'extreniite des pieds, et jusqu'a huit pieds et demi ou neut pieds d'envergure. Le bee de l'aigle. est fort, crochu, de la couleur d'une coriiebleuatre, dales ongles noirs el Iranchants; sa force est telle qu'il enleve facilement les li^vres et m^me les jeunesagneaux : lorsque les animaux dont il fait sa proie sont trnp lourds pour elre transporles, il les devore en partie et abandonne souvent le reste. SCfcNES, RfiClTS, II n'habite pas seulement les montagnes de I'Europo, mais aussi cclles de I'Asie et des parties froides de I'A- merique; il parait nieme qu"il esl peu sensible aux va- riations de la temperature, car, son vol etant extrSme- nient elevc', lorsqu'il descend dans les plaines il passe presque sans transition des regions ijlacees de I'atmosphere dans celles on les rayons du soleil se font le plusvivenient senlir. L'aigle royal a le cri fort et percant, son regard est d'une extreme vivacitii ; on a mc^me pretendu, mais sans apporter d'autres preuves qu'une tradition populaire, qu'il regarde le soleil en face sans etre.febloui par sa lumiere, mais on nous permettra d'en douter. Get oiseau, quoique d'une extreme terocite, n'a pas les instincts bas du vau- tour, qui s'acharne sur des charognes infectes; l'aigle, quelque presse qu'il soit par la faim, n'y touche pas, mais il chasse seulement alors avec plus d'activite le gi- bier vivanl ; c'est surtout lorsque ses petits sent trop jeunes pour pouvoir par eux-memes suffire a leur sub- sistance, que le pere uu la mere poursuiventa outrance les animaux. L'aigle est I'oiseau dont la vue est la meilleure, et elle lui sert plus que I'odorat pour la chasse a laquelle il se livreavec ardeur; lesvautours, au contraire, sentent ad- mirablement, et les moindres (Emanations apportees par les vents les guident vers la proie. L'aigle fait son nid, que Ton nonime aire^ sur la cime de quelque rocher inaccessible, dans un lieu sec autant que possible et garanti des vents ; il est compose de petites perches de cinq ou six pieds de long, qui sont entrelacees, puis recouvertes de pluiieurs couches de bruyere et d'herbe seche. II parait que I'aire, une fois construile, de- vientson domicile habituel et de toute la vie. Comme lous les grands animaux carnivores, il est in- sQciable, et c'est lout au plus s'il s'astreint a la vie de fa- mille; jamais il ne se reunit en troupes nonibreuses, la mesinlelligence s'y mettrait trop vite, les bees et les ser- res ne larderaient pas a ensanglanter I'arene jusqu'a ce ((ue le plus fort reslat seul roi et mailre absolu par droit de comiuele. L'aigle change de couleur avec I'age; il est d'abord d'un jaune pale, puis il devient fauve, et en vieillissant, ses plumes blanchissent en partie. Dans le Nord surtout, il y en a qui sont presque blancs. AVENTURES, ETC. 381 L'aigle commun est de couleur brune ou noire, il existe une moins grande diflerence de taille enire le mSle et la femelle (|ue dans l'aigle royal; il a Tins des yeux couleur noisette, la peau qui couvre la base du bee d'un jaune vif, le bee couleur de corne bleuSitre, les doigts jau- nes et les ongles noirs. lU'duit en captivite, l'aigle devient triste et de plus en plus farouche, il accueille du bee et de la griffe tout ce qui I'approche; la servitude I'irrile, il lui fautses monta- gnes neigeuses, ses pics desol^s et les sonibres nuages au-dessus desquels il aime a planer en liberte. Les peuples anciens, qui I'avaient presque divinise, en faisaient le compagnon du maitre des dieux, dont il te- nait la foudre dans ses serres ; les augures consuUaient,son vol et en tiraient des presages, qu'ils trouvaient toujours moyen de justifier d'une nianiere phisou moins specieuse. Personne n'ignnre que les Remains prirent ce roi des airs pour embleme de leur nationalite ; les aigles romaines parcoururent viclorieusement les trois parties du monde alors connues ; comme depuis les aigles de la France gui- derent la grande armee jusqu'an jour oil ils furent arr^- tes dans leur vol par la trahison. Olivier Le Gall. SCEIS, RECITS, AVE\TCRES EXTR.\1TS DES PLUS REGENTS VOY.IGES. UNE VISITS A ISPAHAN'. Le 5 fevrier 1833, nous quittames le toit hospitaller de I'ambassadeur d'Anglelerre ' a Teheran ; et nous nous mimes en route pour Ispahan. Notre suite formnit un cortege d'un aspect assez imposant : elle consistait en nn Mehmandar ^, un Jellowdah ', un Pischkimoud *; 1 Sir J.lin Camplifll. 2 tin Mi'limandar est tin officier charge d'accomp,ignerle3 voy.ii,'eurs en Perse, itc \iauy%t)[r a leiirs besoins el de les prolcgcr. 3 Ln Jellov\dnli, est un groom en cbef. * Lc Piiclikidiiioiid est un doniestique cliarge du service exclusif du raaitrc. un cuisinier (natif du Bengale), et deux Metliers ', pins un mulctier charge de conduire nos quatre mulels por- tant nos bagages. A I'exception du cuisinier et du mu- lelier, qui etaient perchtjs sur les bagages, le resle de la troupe etait a cheval. La plaine de Teheran f^tait couverte d'une neige tres-epaisse ; il n'y avait de praticable^que le sentier que nous suivions. Le soir nous arrivames a Karinogird, vaste caravanse- rail situe a environ six fursuks de la capitale; nous y passames la null, car nos bagages, que nous avions de- 1 Un .Mellier est un palcfrenicr ordinaire. 3B2 SCENES, RfeCITS passes en chemin, se trouveront retardes et n'arrivereiit point. II s'ensiiivit que nous fumes obliges de dormir sur le sol avec nos seuls manlcaux pour couveiture. Ce fut k I'obligeance d'un autre \ayageur que nous fumes rede- vables de quelqucs vivrcs. Notre muletier n'arriva quo le lendemain dans lapr^s-midi, parce qu'il avait jiige a pro- p06 de s'arreter chez quelqucs amis qui habitaient un vil- lage sur la route. II rcrut du Mehmandar une bonne cor- rection qu'il n'avait pas vol6e. Le 7, nous quittfinies le caravcnserail, et, vers le mi- lieu du jour, nous sortimes de la region des neiges pour entrer dansle desert sale, oil nous cheminamesjusqu'au 9, jour auquel nous arrivames a Koum, de grand matin. Koum est une grande ville, quelque peu en ruine, bien que le schali Tail restauree de son mieux depuis qu'il est monte sur le trone. A son avenement au pouvoir, il exempta les habitants de I'obligation de payer aucun tri- but, etilleuraccorda,enoulre quelqucs autres privileges; c'fetait le resullat d'un voeu qu'il avait fait lorsqu'il etait prince royal. Cette ville est bien plus grande que Tehe- ran, et, vue du nord-ouesl, elle olfre un aspect trfes-pitto- resque. Elle est renommee pour sa poterie. La principale mosquee est cel^bre comme lieu d'asile; ceux qui s'y re- fugient ne peuveiitelre inquietes, quel quesoit le crime qu'ils aient conimis. Le 10, nous passimesla nuit dans un caravanserailap- pele Passangoune. A partir de cet endroit la route rcde- vint rooheuse et fort en pente,; elle tjtait, en outre, cou- verte de neige. Depuis que nous avions quitte Teheran, la contr6e que nous avians parcourue fetait la plus nue et la plus monotone qu'on se pursse imaginer, un triste de- sert borne par des montagnes, et que n'egayait I'aspect d'aucun arbre, si ce n'est ii I'approche des villages, les- , AVENTURES quels jusquc-lJi n'avaient et6 qu'en petit nombre. Les caravanserails sont, a peu d'exceptionspres, les seuls en- droils oil le voyageur puisse se rcpaser sur la route; on les rencontre, en general, a une distance de six a liuit fur- suks ' I'un de I'autre. Maisil faut bien se gardor de con- fondre ces caravanserails avec des auberges ou I'liflte et ses garcons se disputent I'honneur de vous servir. Un ca- ravanserail est un b.itiraent rectangulaire a un 6tage, oil Ton trouve de nombreuses cellules qui d'ordinaire sont toules remplies d'ordures. Ces refuges sont inhabit6s, si ce n'est par les voyageurs qui s'y arrCtent pour y passer la nuit. On ne pent s'y .procurer d'aliments, et il faut que cliacun transporte h dus de mulct les vivres et les objels de couchage dont on a besoin. Le 11, nous arrivSmes ^ Seinsin, oil, par une coinci- dence assez etrange, dontj'eus la preuve par une inscrip- tion quejelus sur une parlie de mur, sir Hartford Jones, ambassadcur d'Anglelerre h la cour de Perse, s'elait ar- rete preciscment a pared jour, vingt ans auparavant. Apr^s une longue traite, le 1'2, nous atteignimes Kas- chan, petite ville ruinee, qui ne m'offrit rien de reniar- quable, si ce n'est une longue et I u-ge rue pavi-e qui tra- verse la ville d'un boutti I'autre. Dans I'apres-dinte, trois hommes rcrurent une rude bastonnade en face du caravan- siirail. lis (Staient coupables de vols : I'un d'eux ne recut pas moins de neuf cents coups sur la planle des pieds ; la chair etait presque re Juite en bouillie, et je suis siir que le pauvre diable restera estropie toule sa vie. Le 1.3, a quelques quatre fursuks de Kaschan, nous commencames de gravir quelques collincs assez t'levees, et, apres que nous eiimes suivi un sentier tournant, nous arrivAmes en vue d'une magnifique chute d'eau d'une grande hauteur, alimentee par un petit lac et situee ti mi- montagne entre deux gorges. L'eau de ce lac etait d'une belle couleur bleu-clair ; je n'avais pas encore rencontre en Perse d'endroit si delicieux. Deux fursuks plus loin, nous vimes se deployer devant nous une vallce bien cul- livee, richement boisee, et du milieu de laquelle surgis- sait un village nomni^ Kohroud. Ce doit ^tre, en et6, un bien agriSable s6jour ; maisl'hiver, le froid y esttres-vif. J'y ai aperju les plas jolies femmes qui se soient jamais offcrtes i> mes regards; leurs grands yeux d'un noir fonc6 jelaient un tel eclat, qu'on en etait comme trans- perce. Cette vallee renferrae dinnombrablcs varielfe d'arbres fruitiers, et elle produit en outre ;,une grande quantile do grain, nolamment de I'orge. LeJendemainmalin , lorsque r.ous nous apprfitions k pour- 1 Lc furau^ oil p.M'as3ntji: cgalo 3,005 mulrcs. EXTRAITS DES PLUS suivre notrc voyage, nous apprlmes qu'une ricente chute de imige avail si complelemcjit bloque ia route, qu'elle 6taitimpi'alicable.Toutefois, une couple dcvillageois s'of- frireiitci nous guider par un sentier delouine qui traver- sait la monlagiie, et oil, selon eux, la neige lie devait pas f tre epaisse. Ces guides nous precederent a pied, eu son- daiit le clieminavec de grands batons. Mais, au bout d'en- \iron un demi-fursuk, ils s'arreterent et nous assure- rent qu'il etait impossible de pousser plus avaiit, a cause de I'epaisseur de la neige. Neanmoins, il force de promes- ses et de menaces, nous liniuies par les decider ^ conti- nuer leur ticbe, et, apres beaucoup de difficullfe, nous parvSnmes a nous frayer un passage, lequel nous conduisit dans la plaine qui s'elcnd au pied de la montagne; lii, nous primes conge, tout ensemble, de nos guides et des regions neigeuses. Le soir du jour suivanl, nous ariivi- mes Ji Mourehaulhaut, caravanserail silue k neuf fursuks d'Ispahan, Le 1 (i , longtemps avant I'aurore, nous nous remimes en route. Au lever du soleil, nous atteignimes Gez, petit village oil nous dejeunimes, et oil nous fimes une halle d'unc hcure. Le temps 6lait tres-clair, et la temperature fort douce; on n'apercevait pasun vestige de neige. Nous arrivimes asse;« de bonne heure en vue de I'ex-capitale de la Perse. Cette ville est d'une bien plus grande etendue que Teheran, ot, de toutes les citfo persanes, c'est celle dont I'aspect m'a paru le pluspittoresque. Ses nombreuses mosquees, dont les domes dores elincelaient sous les rayons d'un soleil d'Orient, lui impriment un cachet de grandeur et de magnificence qui laisse de beaucoup en arriere la capitale actuelle, si insignifiante en comparai- son de sa rivale. Nous entrames dans la ville par la porte de Teheran, et nous nous dirigeames incontinent du cote de Julfa, fau- bourg situe vers le sud et habits par une colonie d'Ar- meniens. Nous nous y procurames un logement dans une niaison placee au milieu d'un magmfique verger. A peine etions-nous arrivi§s, qu'un vieux pr^tre italien vint nous faiie une visite. Ufetait, a ce qu'il parait, le chef des ca- tholiquesde Julfa, lesquelsne sent pas aussi nombreux que les Arineniens; ceux-ci ont un evfique particulier. Nous trouvilmes dans le Padre Johannes — c'6lait le nom du prctre catholique — un homme excellent el tres-obligeant, qui nous ful bien utile pendant notre sejour. Le 17, nous nous occupjimes a parcourir Ispahan, et le bon pr6tre nous accompagna. Nous \isitimes d'abord le palais du roi, vaste edifice situe Ji I'extremite d'une avenue de grands arbres, les plus beaux qu'il y ait dans le pays. L'interieur merite surtout d'etre vu. Plusieurs des appartemenls, uolamment les salles ci manger, sent ornfe d'anciens tableaux persans representant pour la plupart des batailles oil, comme de juste, les Persans ont toujours I'avantage. Les figures le plus en vue sont tou- jours celles des rois, qui sont representes, invariable- ment, au moment oil, par la seule puissance de leur bras, ils mettent en fuite de nombreuses legions d'ennemis. Le coloris de ces tableaux est supcrbe; niais les artistes, h. ce qu'il parait, pratiquent un profond m(5pris pour les lois de la perspective; car, dans plus d'une de ces peinlures, les rois victorieux pourfendent des ennemis 6loign& d'eux de plusieurs milles. Indepeiidamment des tableaux de batailles, il y en a d'auties qui repr&entent des divertissements ti I'oriea- RECENTS VOYAGES. 383 tale, oil figurent de dilicieux groupcs de danseuses. On rencontre aussi des portraits de certaines habilanles des harems de Shah Abbas et de ses successeurs; il y a vraiment la d'adorables visages. Vue du palais, I'avcnue est magnifique : ces rangees d'arbros furcnt plantees par Shah Abbas; mais, comme on laisse mourir les vieux sans les remplacer par de jeunes plants, avant qu'il soit longtemps il ne reslera plus de celle splendide avenue quo quelques troncs decouronnfes. Dans cette Perse , jadis si florissante, on laisse lout lomber en ruine, el le palais nieme n'esl pas exempt de cette commune deslinee. Aprcis avoir quitti; la royale demcure, nous parcouru- mes les rues d'Ispahan : quelques-unes, quoique egale- menl en ruine, du moins en partie, soni encore tres bel- les et offrenl des resles d'une antique splendeur. Le bazar est spacieux, mais le petit nombre de niarchandisesqui y sent exposees ne temoigne que Irop du pen de prosperity commei'Cialequ'olTre le pays. De tons les edifices, ce sont les mosquies dont on soigne davantage la conservation ; leiirs domes d'or, sur lesquels frappenl les rayons du so- leil, font un ctTel charmant. Pendant que nous parcourions la rue principale, un soldat .s'approcha de nous et nous informa que le com- mandant niilitaire d'Ispahan desiiait que nous I'honoras- sions d'une visile. Nous nous hatimes de nous acheminer vers la demeure de ce personnage , laquelle ^tait tout proche de I'endroit oil nous nous trouvions, el nous y fCimes recus de la facnn la plus hospitaliere. Ce com- mandant mililaire 6tait Georgian, et il ne le cede, en rang et en pouvoir, qu'au prince-gouverneur. Son coslumc of- frait un melange de modes asiatiques et europeennes : son habit, espece de frac en diap rouge, etail orne de deux enormes epaulettes d'or; il portail un panlalon a la turque, none a la lurquc par une Lande de cichemire rouge; a son c6ti5 pendail un cimeterre de Khorazan, et un poignard georgien brillait a sa ceinlure. Ainsi que la gen^ralile de ses compatrioles, c'elail un homme d'une beaule remarquable. Son second dans le commandemenl, Gtorgien comme lui, 6tait aussi present. Apres une vi- site assez courle, pendant laquelle on servil h la ronde du kalianus, du the et des conserves, nous primes conge. Lejour suivanl, nous nous proraenions encore dans la grande rue, quand nous apercumes le peuple qui s'a- massail. Nous nous enquimes de la cause de ce rassem- blenient, et Ton nous appril qu'il allait y avoir une execu- tion. Les victimes 6laient un homme el une femme : le premier etait Juif et I'autre Musulmane. lis avaient ete pris en flagrant delit d'adultere, el comme ce crime aux yeux des Persans fetait singulierement aggrav6 par la religion que professait le coupable, I'epoux s'clail abs- lenu d'en lirer une vengeance sommaire el il en avail ap- pele k la justice, laquelle avail condamne les deux crimi- neU ilre pendus aurailieu de la grande rue. En considera- tion de ma qualite de Franc, lafoule me fit place et je me trouvai tout prfes du lieu d'ex^cution. Une polence de forme grossiere, avail He dressee, et, gardes par six co- quins a face palibulaire, les deux condamnes se lenaient debout au pied du gibet. La femme etait voilee, mais d etail facile de voir le Iremblement convulsif dont la pour availsaisi lous ses niembres. Tout presd'elleeiaitson mari, vieillard de soixante ans etdeforlmauvaise mine. Le Juif etait un beau jeune homme, et monlrait une grande 384 SCENES, KfiCITS, ferme[6 au milieu de ces terribles apprets. De toules parls retentissaienldes maledictions dontili'lait I'objet : «Mau- « dit Juif ! chien impur! Comment un animal aussi im- ■ mondea-t-ilosest!permettieilesouiller nos foyers! etc.« Le jeune liomme ne repondait i ces vociferations de la foule que par un regard empreint du plus profond mepris. On pouvait dire de lui qu'il etail isole au milieu de cetle multitude, car il n'avait aupres de lui aucun de ses co- religionnaires. Et bien en prenait a ceux-ci ; dans I'elat d'exasperation oil se trouvait le peuple, si un Juif s'etait montr(5, on I'eiit infailliblement massacre. Peu de minutes aprfes notre arrivee, les bourreaux s'occuperent h ajuster une corde autour du cou du Juif, puis ils soumirent la femme ci la mfinie ceremonie : dfes que Icurs mains la toucherent elle poussa des cris af- freux. Pendant I'espece de lutte qu'elle essaya, son voile et son tchoder tomberent et nous laissa voir son visage et ses formes. Je ne crois pas avoir apercu une plus belle creature. Elle n'avait pas seize ans. Je me tournai du c6te du padre Johannes, etje lui demandai s'il n'exislait aucun moyen de lui sauver la vie; le digne homme, qui pleurait ii chaudes larmes, secoua tristementla tele et me repondit a voix basse : « II n'y a pour elle aucun es- poir! » — La corde fatale fut enfin plac^e autour de son l-iulidi.. cou, et on la liissa, ainsi que son complice, sur les epau- les de deux bourreaux, tandis que les autres ajustaient les cordes au haul de la potence. C'etait une scene a fendrc le cosur ; les cris de la femme etaient epouvan- tables a entendre, et si grande etait sa lerreur, que peu de moments avant quon la lancit dans I'eternite, des Hots de sang jailUrent de ses narines. Tout etait pret : le voile et le tcliuder furent replaces sur la tSle et sur les epaules de la jeune femme, et les deux infortunecs victi- mes perdant tout 'i coup leur point d'appui sur le dos des bourreaux, se trouverent suspendues par le cou. Les (raits du Juif, que rien ne voilait, se contracterent aussitot d'une fajon si horrible, que je n'y pus tenir plus longtemps et que je m'enfuis sans savoir oil. Le 23 du m^ine mois se termina le jeiine du Raraazan, k la grande joie des habitants de la ville, qui consacre- rent toute la journee a des fites et ii des r^jouissances. Je ferai observer ici que ce jeune est le plus rigoureux qu'on se puisse imaginer, et que cette penitence dure tout un AVENTURES, ETC. mois lunaire. Aucun musulman, du lever du soleil a son coucher, ne doit prendre la moindre nourriture ni boire la moindre goutle d'un liquide quelconque ; il lui est meme interdit de fumer. 11 en resulte que, pendant toute la journee de ce jeOne, on fait de la nuit le jour et qu'on la consacre h la debauche et h livresse. Conime I'annte est lunaire chez les mahometans, le mois de Ramazan parcourt le cercle des saisons ; aussi, lorsqu'il tombe au milieu des chaleurs de I'et^, la penitence est-elle tene- ment rude que beaucoup de personnes souffrent horri- blement de la soif. II y eut toutcfois a Ispahan un homme qui n'eut pas a se rejouir de voir commencer un nouveau mois •■ ce fut' notre Jcllowdah, qui se trouva atteint et convaincu de nous avoir largement voles. 11 avait de plus, soumis nos chevaux h une telle diete, que, si nous ne nous en (5tions pas apercusa temps, le mal eiit ett; sans remede. Nonob- stant le temoignage des dilTerentes personnes auxquelles il avait vendu les rations de nos chevaux, le miserable n'en persista pas nioins a nier de toutes ses forces. Nous le traduisimes en consequence par-devant Dawoud- Khan, le commandant militaire, qui ne fut pas longtemps a decider le cas : il fit administrer au Jeltowdah une si rude bastonnade qu'il ne tarda pas a faire laveu com- plet de ses m^fails. Nous le chassames, bien enlendu, de notre service; mais son cliMiment ne se horna pas a la bastonnade prealable qu'il avait recue : on le retintquel- que temps en prison et, quand il en sortit, on le gratifia d'une seconde edition de coups de biton, comme coupable d'avoir vole un deses co-detenus. Le faubourg de Julfa. oil nous residSmes durant notre sejour a Ispahan, est entierement habite par des Arme- niens, qui, au prix d'un certain tribut qu'ils payent au roi de Perse, out obtenu divers privileges. lis sent tous Chretiens et se divisent en deux scctes, de Tunc desquel- les, — lescatholiques romains, — notre pwrf/'c Johannes etait chef il I'epoque oil de notre visite. Un (5vfque arme- nien est a la tele des autres, qui appartiennenfii I'figlise armenienne. Ispahan etait alors gouvernee par un des plus jeunes fils duShah, qui, bien qu'iige seulement de dix-neuf ans, avait dejii une famille composee de huit cnfants que lui a\aient donnes plusieurs fenimes. L'elevation de la plaine sur laquelle est siluee Ispa- han n'atteint pas celle de Teheran , car elle n'est que de trois mille cinq cents pieds anglais (1,067 metres) au- dessus du niveau de la mer. II s'ensuit que I'hiver est bien moins rude dans la premiere de ces deux villes : il n'y tombe comparativement que trcs-peu de neige, et il y croit diverses especes d'arbres qui sent inconnues a Teheran. Pour jouir de la plus belle vue d'lspahan, il faut en clre cloigne de trois niiUes (.5,828 miitres) ; a cette di- stance on domine la ville et Ton en embrasse I'ensem- ble : elle offre alors un coup d'ceil magnilique. Quant a raoi, je n'ai pu la contempler sans tristesse, car j'aperce- vais de douloureux presages de sa decadence : encore quelques annees, et le voyageur qui traveisera cette plaine u'aura plus devant lui que les ruincs d'lspuhan. C. Stuart-S.willi:. Tjp. Lie BAMPa lils et Coinp., rue Damictte, 2. BRn !SH 7 AUG 29 NATiJR.'^,!, JHSTOnv. -^■^PKEijHOWr CHARLEMAGM I LE LIYRE DES FAMILLES A NOS LECTEURS. rourquoi ne ferions-nous pas nos complimenlsde bonne f ann^e a nos lecteurs, — ct Ji nos leclrices? Leur sommes- nous done tout k fait in- ^dilTerents? Ne tenons-nous pas i la famille par notre •'tilre d'abord, et ensuite par 'nos sympathies profondcs "pour tout ce qui se ratla- cbe aux traditions de morale . ~ et d'harmonie interieure? — A ce titre, nous avons place dans les reunions de la soi- ree , pres du fou , entre deux paravenls. A ce tilre aussi, nous croirions manquer a I'un de nos devoirs les plus doux si nous laissions passer le Jour de I'An dans un dedain superbe ou dans un silence egoYste, lorsque lant de gens se font une obligation de ce qui n'est qu'un acle de convcnance, qu'une formalite de convention. Les vceux et les complimenls d'un journal vis-a-vis ses abonnfe risquent toulefois de faire naitre plus d'un sou- rire sur des levres malicieuses. Une demonstration sem- 111. ^^^r blable peut ne pasparaitre cntierement d^sinteressee aux yeux de bien des personnes; nous le savons, — et c'est pour cela justemcnt, parce que nous nous sentons fort de notre conviction et penelre de la bonte de notre CEuvre , que nous ne craignons pas de marcher le front haut et de nous mettre au-dessus de la raillerie. Oil done est le cas etonnant qu'au milieu de la presse passionnee, tumullueuse et induslrielle, il se presente un organe probe, de bonne foi, — une publication qui ait fait son chemin et qui n'ait dil son succes qu'a son pro- pre m^rite, a sa seule valeur, et cela en dehors de lout cliarlatanisme et de toule reclame? lit qu'y a-t-il d'ex- traordinaire a cequecette publication prenne aujourd'hui son rang, le rang qui lui a ^ti; arcorde par I'eslime du nionde et en general de toutes les classes de la socielc? Le Lime des Families vient d'entrer dans sa troisieme annee. C'est done avec des fails qu'il peut parler aujour- d'hui. Le Livre des Families a realise ce probleme difficile d'un journal selon la religion et selon le monde. Konde dans ce double but, il ne croit point avoir failli a sa fa- che, et chacun de ses pas a el6 niarqu6 profondemont dans la voie du progres. Tout en 6voquant les choses et 1 UN AN A PARIS. les hommes du passe, 11 n'a point delourne scs regards de I'avenir; les iiges anciens n'ont ele pour lui que la le- con dcs iges futurs. II salt qu'il est avant tout journal du dix-neuvi^me sifeclc, et que le chrislianisme a lou- jours marelie en avant dcs idees et dcs evenements. Nous ne sommes plus au temps des persecutions et des guerres religieuses, alors que le champ de la foi se fcrti- lisait du sang des martyrs. Ce n'est plus par I'epee qu'on enseigne, mais par la plume. Les dcrivains ont remplace les soldats. La propagande d'autrefois, la propagande ^ coups de haclie ou de mousquet, devenue plus paticnie ct plus raisonnee, ne se fait plus aujourd'hui que par le livre et par le journal. C'est par dc mutuelles concessions que la religion et le nionde peuvent arriver ^ une union souhaitable. Ces con- cessions, le Lime des Families s'est impost la tache de- licate d'en definir les limiles. Sa morale a rev^lu les cou- leurs les plus riantes, ses lecons ont emprunte la forme du ronian; ses cxeniples, il a ete les chercher au sein m6nie de cette societe ^ laquelle il s'adrcsse. II s'est sou- venu que Bossuet et Fiinelon elaient a la fois hommes d'cglise et hommes du monde. Le Livre des Families a aborde les sujets les plus di- vers, avec unegal bonheur. C'est ainsi qu'il a raconte en meme temps la vie du saint et la vie du comedien, les batailles du capitaine et les tolles du grand peintre, — com- prenanl que les unes comme les autres ctaient fecondes en hauls enseignements, et qu'il n'y a pas une page de I'existence humaine oil ne se montre le doigt de Dieu. C'est a celte ligne de conduite, a cette franchise d'a- percus, a rette impartialite d'examen, que le Livre des Families a dii tout d'abord une parlie de son succ^s. Aujourd'hui, le Livre des Families a gagne ses epe- rons. II s'est conquis une place honorable, solide, dans Ic monde litteraire comme dans le monde religieux, dans le salon comme dans I'eglise. II marche seul, il n'appar- tient h aucune coterie; sa banni6re se dt'lache hardi- ment des autres bannieres de la presse. II a su faire son profit des erreurs et des fautcs dans lesquelles sont tom- bees la plupart des publications mensuelles, pour eviter d'y tomber h son tour. La deuxidme annee a f5te surtout signak% par des pro- grfes notables, tant dans le choix de la redaction que par le d^veloppement apporl6 a I'illustration du texle. A pre- sent, le Livre des Families pent soutenir dignement sous ces deux rapports la concurrence avec les meil- leures revues fran(;aiscs et etrangeres. L'art ancien et moderne dans ses plus beaux monu- ments, I'histoire dans ses pages les plus rcsplendissantcs, les lettresdans leurs livres les plus celfebres devaicnt na- lurellement avoir droit de cite dans nos colonnes. La science n'a pas ele moins bien traitee dans ce charmant tournoi de I'intelligenoe. Des plumes exercees et speciales I'ont depoiiillee de cequ'ellepouvait otfrir d'abslrait aux yeux des gens du nionde. GrSce h eux, I'hisloirc natu- relle, I'hygi^ne, la physiologic n'ont plus trouve de lec- teurs rebelles ou fatigues. Le Livre des Families est appele, par I'esprit de sa fondation, i parconrir une belle etfeconde carriere. L'a- venir ne sera pas en resle avec le pass^. Nous niarche- rons toujours en avant dans la voie lumineuse que nous nous sommes tracee; on jugcra de la valeur de nos ame- liorations progressives par le numero dece mois, qui ou- vre dignement notre troisiime annee. Cela vaut loutes les proniesses possibles, et cela parle plus haut que tous les prospectus du monde. — A ce compte, et dans les conditions de la presse actuelle, metlre sous les yeux de nos souscripteurs un livre de morale et de plaisir, d'a- grement et d'inslruclion, de luxe et de bon marche, n'est- ce pas leur donner les meilleures etrenncs qui se puis- sent rencontrer par le temps qui court? Tii. IloilZE UN AN A PARIS. I. La preface ne sera pas tres-longue. — II ^lait minuit quand j'entrai dans Paris. Paris alors dormait comme un seul honime. Malgre ma bonne volonte, comme il ne fai- sait pas de lune, il me fut impossible de lui trouver une physiononiie quel- conque, belle ou laide, bourgeoise ou dramati- que. Paris rondait com- me un cent-suisse. Voila tout. — Autant que je pus en jnger, le som- mcil de Paris me parut fort pai*ible et parfaitement ressemblant au sommeil d'une ville de province. II y avait bien par-ci par-la quelques gens altardes qui (ilaient le long des rues, quelque croisee de mansarde lente k s'etcindre, une chan- son d'ivrogne au coin d'une borne, des voitures qui se croisaient a de rares intervalles; mais ce sont cboses qui se voient partout. — La diligence qui m'apporlait galo- pait bruyauiraent, allegrement, preslement, le cou plein de grelotset de hennissements, lespieds chargfede rua- des et d'^tincelles, au milieu de I'ebranlement general des vitres des portieres. Pans ne s'en imouvait pas, el la laissait passer.— D'abord un tel silence vint troubler mes idees, et jo crusun moment que ma montre retardait. II fetait bien minuit. Non pasce minuit auquel s'attendaient mes yeux et mes oreilles, ce minuH tHincelant, rempli dc jets de gaz et de foule, ce minuit parisien que j'avais r6ve bien des fois dans le minuit de la province, digue enfin de la moderne Babijlone ,—ma\s un minuit placide, rangi5, pas trop noir, qui n'inspirait ni curiosite ni ter- UN AN rear, un minuit en bonnet de colon. A I'encontre de ceux qui ecrivent I'histoire, Babylone me sembla parfaitement faire de la nuit la nuit et du jour le jour. Done, ma pre- miere deception en arrivant fut de trouver Paris au lit, la cbandelle soufflee. Mon Dieu ! oui, Paris dort. C'est une verite qu'on ne pent longtcmps se dissimuler. Polypheme fcrme son oeil; la fownaise eteint ses charbons; la cuve cesse de bouil- lonner. Cela est triste h dire, — et quel.jues esprits r6- tifs a la realite se riivolteront peut-elre conire celte as- sertion ; mais, dece que les maraichers, les boulangers, les poetes, les compositeurs de journaux et quelqucs au- Ires constituent une exception qui se retrouve egjlcment dans chaque sous-prefecture, il ne s'ensuit pas que Paris soit ce pcrpetuel enfer, aux soupiraux toujours ardents, aux cavernes sans cesse rougies, a travers lequel nous ont promene tant de plumes railleuses. — Voir de la sorle, c'est prendre tout simpleiuent la boutique d'un forgeron pour la gueule du Tartare. La diligence s'arriila. — Uu commissionnaire chargea ma malle sur ses epaulos et me conduisit a un hulel, le premier yenu, je lui en laissai le choix. Quoiqu'il me fit passer par de petites rues passablement etroites el deser- tes, il ne manifesta aucunement I'intenlion de me pren- dre a la gorge et de mc laisser pour mort sur la place, apres m'avoir devalise. La Gazette ilv:> Tribunaux en baissa beaucoup dans mon esprit. — Pendant le trajet nous ne fimes non plus aucuoe rencontre ficlieuse, si ce n'est celle d'une patrouille. Cinq ou six hommes, parta- g& en deux sections, enveloppes de longs manteaux gris, muels, sombres, "mysterieux, marchant avec d'inGuies A PARIS. 5 precautions, embrassaient les deux cfitfa de la voie publi- que. On les eut pris volontiers pour des voleurs. Chose elrange; dans ce Paris nouveau, reg^nere, pur»e, ncltoye, comble, pave, brosse, civilis6, ce n'est plus le crime qui fail peur, c'est la justice. II y a eu mutation de r6les. Le crime a fait sa barbe, il a peigne ses chevcux, il a mis des gants a ses mains, il a renonce ^ la vieille rou- tine de riutimidation ; pen s'en faut qu'il n'ait I'air de tout le monde et mSme mcilleur air que tout le monde. Par contre-coup, la police s'est affublee de toute la fantasmagorie du m(5lodrame : manteaux sombres, feu- tres espagnols, loques bizarres; elle s'est prise a burler avec les loups quand il n'y avait plus de loups; elle s'est inslallee dans les souricieres quand il n'y avait plus de souris 6 prendre ; elle s'est cnfarinee comme le chat de la fable, mais trop grossierement pour ne pas laisser de- couvrir le minet sous le minot; — de sorte que la police est aujourd'hui la seule chose un peu pittoresque que Ton soit expose ^ rencontrer la nuit. 11 y a loin de ce Paris dormant, et dormant bien, au Paris flamboyant ou lugubre que je m'elais figure. — J'a- vais vingt ans. Paris avait ele jusque-lci mon desir uni- que, mon reve impatient, I'aliment corrosif de mon am- bition, une autre Chanaan cnfm. De loin, Paris m'appa- raissait comme une merveille lesumant toules les mer- vellles et toules les magnificences, centre etourdissant, faite verligineux, ville fcerique, a la fois Tbebej, llem- pbis, Tyr, Ninive, Athenes, Rome, Venise, LonJres; uns accumulation de tous les rayonnements et de toules les prudigiosiles ; quelquo chose qui ressemblait a tout et ne ressemblalt a rien, que je coiip;e.iais conlusement comme un aveugle comprend la lumiere, et qui devait m'eblouir en se r(5velant en moi. C'elait le Paris de Char- lemagne, de Louis XIV, de Napoleon; le Paris gros de rbistoire du monde, dont chaque pierre est un evcne- menl, dont chaque maison a reiifermo un hommeouune chose cclebre, dont chaque rue a vu passer une revolu- tion ; vasle pandaemonium fail de boue, de sang et.d'or; le Paris du giierrier et du preire, du philosophe et de la fommc r — cite fumeuse, inquiete, active, terrible au mourtre, terrible ii !a joie, brulant I'existence comme on briile le vin pour en faire de I'eau-de-vie, comme on brtlle I'eau-ilc-vie pour en faire du punch. — C'^lait le Paris de Sainte-Foix, de Regnier, de Moliere, de Crebil- lon le fils, de'Jean-Jacques, de Voltaire, de Sleriie, de UN AN A PARIS. Mercier, de Balzac,— et peut-Hre aussi le Paris d'Eugfene Sue. J'avais habille mon geant de satin et de velours, brode sur loutcs les coutiires; je lui avais donnfe la levre insolenle, le regard spirituel, la chevelure en coup de vent, la botte vernie avec le talon rouge; je I'avais ap- pele du nom de tons les grands, beaux, heureux et effron- tt^s esprits de tous les siecles : Bassompierre, Granimont, Richelieu, Saint-Georges, Beaumarchais, — ou bien, de- lournanl I'aile de ma fautarsie, — comme on fait d'un mannequin complaisant tour a tour empereur ou chif- fonnier, je I'avais salue Clopin-Trouillefou, Mandrin, Car- touche, Poulailler ; des favoris roux encadraient sa face hideuse et deformee; d'enormes pistolets garnissaicnt sa c.einture ; il se tenait sous un porche de calhedrale ou ■sous un auvent de cabaret,, laid, cynique, etrange, gri- macant, trisle ou souriant, honteux ou goguenard, gro- tesque de Callot, boh6nie de Hugo, mendiant de Murillo, bandit de Le Sage. — Ainsi faisais-je de Paris I'infiniment beau ou rinliiiiment laid, I'infMiiment riehe ou I'infini- ment pauvre, souvent tous les deux a la fois, mais toujours I'infiniment grandiose. Rien de rachitique, de malade, de soulTreteux, de rapetisse, de ridicule. Un grand seigneur ou un escarpe ; — pas uu bourgeois. Un pourpoint galonne ou une veste tachee de vfn ; — pas un paletot. H^las! — le lendemain, j'avais vu le Paris reel. Je vous dirai done, si vous le voulez bien, ce que e'est que Paris et m^me aussi ce que c'est qu'un Parisien, — chose plus dillicilel Si vous lesavez, vousne me lirez pas, el tout sera dit. Je saisquej'arriveapresbeaucoup d'au- tres, c'est ce qui me desole; mais je sais que beaucoup d'autres viendrontapriismoi, c'est ce qui rae console. 11 en est de Paris comme de I'Ocean : les poetes et les peintrcs en feront le sujet eternel de leurs toiles et de Icurs pa- .ges, de leurs croules et de leurs chefs-d'a'uvre. Paris est un iiwdi'lc qui pose pour tout le monde. Les uns le pei- gnent en pied, les autres en buste; ceux-lk en font une academie, ceux-ci une miniature; il en est qui le nion- trent de face, de profit, de trois quarts; j'en ai rencon- tre qui se contentaient d'un ceil ou d'un pied, de moins encore. On me demande d'etre vrai. Je le serai ; — a cela pres cependant que je ne reponds pas des dislraclions de mon niodele. Si mon modele biille ou fait la grimace , s'il a les yeux rouges ce jour-lJi, s'il ne se souvient plus aujourd'hui de la pose d'hier, la faule n'en sera jelee que sur lui. — Peut-6tre adviendra-t-il, par suite, que le Paris de tel chapitre sera lout oppose au Paris de tel autre. Pour cela, que Ton ne crie pas a la contradiction, ou, pire encore, au parado.\e. D'ailleurs, Paris m'a tout I'air lui-mSme d'un paradoxe effrene. Ceux qui sent venus avant moi ont adopte pour la plupart des formes convenues, un cadre precis. Les ti- mides, les ingenieux, les amusants et quelquefois aussi les philosophes, se sont deguises en Persans, en Turcs, en Tartares, en Mogols, en Armeniens, en Japonais, en Chinois et en Cochinchinois. Dans ce cas, Paris s'appe- lait Lspahan, Bagdad, Constantinople. Le dix-huitieme siecle lout entier s'est longtenips amuse de cetle masca- rade; le severe Montesquieu et le turbulent Diderot se sont tous les deux airubl(?s du turban et de l.i robe bario- loe aux tongues manches pendantes : ■ Que Mahomet vousdonne la prudence des lions et la force des serpents I ■ ont-ils dit il M. Jourdain, le bourgeois de Paris. — En- suite est arrivee la mode des spectaleurs, des observa- UN AN leurs, des crmiles. Quelques ecrivains privilegies ont rencontre des fees, des genies, des ombres illusli-es qui se sont fait un veritable plaisir de leur servir de cicerone et dc leur fournir la clef des charades de la rue et des logogriphes du salon. De plus humbles se sont contentes d'un petit vicillard ou d'une petite vieille, centcnaire pour ritabitude, a I'ceil vif, a la voix eassfe, au sourire malin, au nez barbouille de tabac, porlier ou marquise, gentilhomme ou fcmme de chambre, ayant bcaucoup \u, beaucoup entondu, bcaucoup retenu, — un debris du sie- cle passe, qui, entre deux acces de toux, crachait une epigramme ou un portrait contemporain. De ces formes, je n'en ai voulu aucune ; il m'a semble qu'il etait plus simple, plus facile et beaucoup moins ce- remonieux dc s'en aller tout seul, par son etroit senlier, avec sa fantaisie pour compagne. Je n'ai pas menie voulu du nous conslilutionnel, — car il se peut faire que de temps a autre je sois seul do mon avis. C'est un voyage sans lacon que j'entreprends, non le biton ferre, ma is la badine b, la main, un cigare enlre les dents, risquant tout au plus une telaboussure de cabriolet ou un mechant di- ner hors de mon hotel De celle facon, j'ai I'air de tout le monde, — ce qui, aujourd'hui, en lilterature, est la meiUeure maniere de ne ressembler a personne. Pans n'est pas une ville, c'est dix villes. On dirait une mosaique immense, ici vcrle, ici blanche, ici bleue. Je parle du Paris plastique, materiel, du Paris de pierre, le seul dont j'eus a m'occupor des les premiers jours-, — c'est untoutfaitde morceauxdifrerentsetcoususlantbien quo mal les uns aux aulres, et puis passes a la teinture de chaux et de plMre. II y a plusieurs Paris dans Paris, les- quols hurleni d'effrol de se voir accoiiples et sont par- faitemenl divers de mo?urs, de costumes, d'habiludes, de figures et delangage, comnie aulant de contrees differen- tes et lointaines. — II y a d'abord le Paris du Palais-Royal et des boulevards, un Paris leste, coquet, brillant, tout resplendissant de beaux magasins, de belles glaces et ile belles dames; le Paris des ihcMres et du luxe, des mini- steres, des restaurants aux plafonds dor^s, des dandyset des hommes de bourse, de la finance en gantsjaunes, des niaisons bien aerees, largement distribuees, meublees ri- chement; le Paris du comfort, qui dine bien, se porte bien, ctale des breloques sur son gilot, — qunnd c'est la mode des breloques, — et un diainant a sa chemise; le Paris qui a un buffet a la place du ventre, un coupe h la place des pieds, un chiffrc ci la place du cocur, un opera A PARIS. 5 nouveau dans la t^^le et des actions de toules les lignes de fer dans loutes les poches de tous ses habits. Celui-li c'est Paris I", premier par la grSice de Dieu et de la piece de cinq francs. II y a le Paris du Marais, — un Paris mort, endolori, fabuleux ; quelque chose comme une momification, une necropole, un grand vide, unenorme bSillement. L4,cha- que porte a son guichet , chaque guichet son suisse, chaque Suisse son dogue, chaque dogue ses crocs. Les fe- nC'lres sont pourvues de barreaux comme des prisons d'elat. On y respire une insoutenable odcur de parle- ment, de robes rouges, de victimes cloitrees; — et aussi de quincailliers retires du commerce, de vieilles filles de- meurant au troisieme litage, de celibataire, de rhuma- tisme, de barbel en laisse, de parties de boston, d'abat- jour vert, d'enfants prccoces, de pots a fleurs, de roman moisi et de porlier chauve. — Du Marais aux Boulevards, il n'y a que cent pas. II y a cent lieues. II y a le Paris qui n'est qu'une ile, — la Cite, — ile grouillante, active, rev^che, boueuse, la veritable Lutcce, le veritable Paris peut 6tre, le Paris de Nolre-Dame et du palais de Justice. — La Cite, c'est la vieille ville histo- rique dont le noni ^voque h I'imagination une foret de clochelons, de pignons, de tours, de fleches, de donjons, de toits de plomb ; c'est surlout la ville du bourgeois pur- sang, de ee bourgeois de la Cite qui a traverse les sie- cles; sage et riche orfevre, expert en vaisselle plate et en gobelets d'argent, I'homme des comedies qui s'appelle Gcronle, Orgon, Sganarelle ; qui a une belle fille k ma- rier, — et qui fait une garde vigilante autour d'elle. Quand le bourgeois avait fernie sa boutique, ce qui arri- vait toujoursde bonne heure, la Cite devenait autrefois un repaire d'assassins et de tire-laines, un coupe-gorge, un egout qui roulait du vin et du sang. — Le progr^s a fait bonne justice de toutes ces abominations. Un bee de gaz est aujourd'hui dans la rue aux Ffeves. Tout a cote, — separe par ce peu d'eau qui est la Seine, — il y a le Paris latin. Celui-la n'est pas le moins curieux de tous ni le moins tranche. C'est le Paris du tabac et des longs cheveux, de la queue de billard et du livre de droit, de la Sorbonne et du restaurant h 22 sous; un V^.- ris jeune, alerle, joyeux, de bon appelit, mauvaise t^le, bableur, intelligent, — la ressource de la France scienti- fique, politique et litteraire. Le quatrieme Paris, salucz-le! c'est le faubourg Saint- Germain. On pourrait I'appeler Paris-le-Grand, car nulle part il ne se decore de plus de fierte, de plus de dedain royal; nulle paitla pierre n'affecte un quant d sot plus vaniteux ; en aucun endroit le pilastre ne s'eleve plus severement eli^gant, le balcon ne se rehrousse d'une facon plus massive et plus pompeuse. Au besoin, ce Paris-la pourrait se passer de blason. — C'est le Paris des hotels illustres, de la pairie et des ambassades; des dessus de porte peints par Boucher, des lambris magnifiques, des glaces, des fauteuils Louis XV, des consoles, des mar- bres, dcspanneaux, des porcelaines de Sevres, des toiles de Greuze, de loutes les choses vraiment belles et conse- quemment un peu vieilles;— c'est le Paris des dernieres marquises et des dernieres duchesses, de Telegance vraie, de I'esprit souriant ;— le Paris qui commence au Luxem- bourg pour finir au palais Bouibun, en passant par I'Ab- baye-aux-Bois. il y a encore le Paris des Halles, cclte terre classique UN AN A PARIS. doi tropes de Vade ot de L&luse ; le pays dcs forts et dcs dames, du celeri el des poings sur la harjclie, de Manon Giroux et de Cadel-Butcux.— II y a le Paris de Tile Saint- Louis, qui ne risqueraitrien i s'appeler Vanncs ou Mon- tauban, et ou, Its soirs d'ete, cliaque famille vient respi- rer le frais sur le devant de la porte. — 11 y a le Paris des Juifs, un endroit sombre, etroit, sansprogrfes, unghcllo des sieclespassesetde toujours,barbesblanclies, nezrccourbes, regards inquiels, noirs cheveux. — II y a le Paris des barrieres et de la banlieue encore; le Paris des Batignol- Ics, un Paris d'hier, propre et battant neuf, avec une po- pulation de trenle miUe ilmes; — le Paris deBercy, qui est un cabaret giganlesque; — le Paris du Gros-Caillou, la ville des invalides , — le Paris de Belleville, de Montmarlre, de Montparnasse, delaRapte.de laCourtille,de la Villette et tant d'autres que j'oublie, et qui sont aulant de villes bien distinctes et bien caracleristiques, dont pas une ne ressemble a celle d'i c6l6, ct qui, toules, malgrfe leur individualitiS criante, — serrees,pressfes, entasstes,reliees en botte par le cordon dcs fortifications, — fornient ce grand corps que Ton nomnie Paris. C'cst la ce qui fait que Paris manque d'unit(5 dans son ensemble. — Paris n'a pas do pliysiononiie gene- rale, il n'a que des pliysionomies paiticulieres. 11 n'a pas une originaliti, mais cent originalites, — Par suite, aussi difficile a peindrequeleProtee antique, dont il eni- prunte loutes les mclamorphoses. Et c'est un rude empruntcur que Paris! II emprunte h tout le monde, au monde de gauche ct au monde de droite, au monde qui n'est plus et au mcnde qui est en- core.— Je parle toujours du Paris de pierre.— II emprunte h Florence son palais Pitti pour en faire le palais du Luxembourg ; il emprunte a Septime-Severe son arc de Iriomphe pour en faire Tare de triomphe du Carrousel ; il emprunte la colonne Trajane pour en laire lacolonne Vendome ; il emprunte Rome entiere et la Grece avec elle pour en faire ses eglises, son Panthdon, .ses Catacombes, ses octrois et ses corps-de-garde : quoi de plus en- core?— Je vous le dis en verity, rien n'est moins parisien que Paris. Encore, si c'etait tout ! Mais le Paris de chair et d'os n'imite-t-il pas en cela le Paris de mocllon? Le Paris liumain, si je puis parler de la sorte, n'emprunte-t-il pas, lui aussi, son costume, comme ses monuments emprun- tent leur architecture — non pas a Rome, celui-la, mais i. Londres? Non-seulement son costume, mais encore son langage, sa nourriture, ses demarches, ses mceurs, sa vie cnliere ! — Paris n'est-il pas le grand imitaleur par excel- lence, peut-eiro rien que Fimilateur? Et quand je par- courrai le Paris de la pensee, de I'industrie, des arts, qui salt jusqu'oii pourra me conduire ce fil de I'imilation, et si je ne retrouverai pas encore et toujours I'imitatioa a chaque pas et sous toutes les formes? — Vs je verrai le Paris poijte imitant Sophocle et Tacite, jouant des pieces renouvelees des anciens, intitulees Virginie et Lucrcce ; — le Paris musicien, imitant I'ltalie et I'Allemagne, s'appe- lant Rossini et Meyerbeer, Donizetti et Liszt ; — le Paris peinire imitant les artistes byzantins, badigeonnant de fresqucs primitives les porches de ses temples, avec un ciel d'indigo piqu6 d'^toilesd'or; — le Paris savanl-com- mercant-marchand, imitant le feu, le vin, le diamant, lotoffe, la poudre, la sante, la jeunessc, lout ce qui pent ctre iniite, et aussi et plusparticulierement loutce quine pent pas I'hve. Qu'on se rassure pourtant. — Je promets, d'un autre cote, di! reunir tous mes efforts pour decouvrir que ce Paris n'a pas imite ce qui est bien et dument ct lui, ce qui est soncEuvreet sa creation; et, pen t-6lre en cherchant bien, finirai-je par mettre la main sur cette chose rare, sur cet heureux phenix. — C'cst anjourd'hui que je me mots en route pour ce voyage. — Portiere, voici la clef de ma chambre. — Quand rentrera monsieur? — Le 1"fevricr. Chakles Monselet. LES DOUZE APOTRES. — SAINT PIERRE. LES DOUZE APOTRES. INTRODUCTION. Le monde parcourait son quaranlieme siecle. — Les enfaiits dcs liommes, n'ayanl plus souvenir de la foi de I'Eden, avaient eleve un autel ii toutes leurs passions. Athfenes avec ses sages, Alexandrie avec ses philosophes, Simon-Pierre prend la parole et lui repord par ces mots : -—Vous Stes le Christ, le fils du Dieu vi- vant! ■ — Confession eclalante, qui, pour recompense, lui attire ces autres paroles: «— Vous etesbien heureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce n'est point la chair et le sang qui vous ont revele ceci, mais mon Pere, qui est dans les cieux ; et moi aussi, je vous dis que vous 6les iO LES DOUZE APOTR Pierre, et que sur celte pierre je biitirai mon ^glise, con- tre laquelle les porlcs de I'cnfer ne pr^vaudiont point. Je vous donnerai Ics clefs du royaume des cieux, et tout ce que vous lierez sur la lerre sera nussi lie dans les cieux, comme tout ce que vous d(5lierez sur la tcrre sera aussi deli(5 dans les cieux. » — Confinualion claire et ividenle de la primauto de saint Pierre, du pouvoir spirituel des apotres, et creation divine de la liierarchie papalel Mais le pecheur de Capharnaiim n'avait pu depouiller encore toute sod enveloppe charnelle, il aimait la vie terrestre et redoulait la mort ; aussi, lorsque le Christ predit les souffrances qui I'atlendent a Jerusalem, il le supplie de fuir un lieu si fatal pour lui, et d'eloigner, autant qu'il elait en son pouvoir, le calice de douleur dont il doit s'abreuver. — « Uetirez-vous, Satan ! s'ecrie J^sus, vous m'files h scandale, vous n'avez de goi\t que pour les die- ses de la terre ! » — L'amour dunt le Christ brulait pour I'humanitS causait cette sainte irritation conlre un senti- ment de crainte ou de pitie qui cut eloigne le sacrifice qu'il devaitacconiplir. Combien Pierre, en entendantces paroles, dut comprendre que la loi nouvelle elait line loi ^'abnegation et de renoncement a soi-mcme I quelle le- •con pour le preparer, lui aussi, h la croi.\ dont il devait ^tre charge plus tardi La bonne foi de Simon-Pierre est probablement I'une des verlus qui lui meritcrent I'affection du Christ. Sou- vent il revolt deseveresreproches, mais toujours c'estlui, plus parliculierement, que Jesus choisit pour rendre te- moignage des actes desa vie humaine. Sur une haute montagne, Pierre, Jacques et Jean sont conduits par le Christ, et, auxyeux deces troiihommes, le visage duFils deDieu deviant brillantcomme le soleil, et ses vetements preunent la blancheur eclatanle d.e la neige. En meme temps ils voient paraitre Moise et Elie, qui viennent s'entretcnir avec lui. Et Pierre, extasie de Oct instant delueur celeste, dita Jesus: .—Seigneur, nous sommes bien ici ; faisons-y trois tenles, une pour vous, une pour Moise et I'autre pour £lie. » N'y a-t-il pas dans ces paroles, oil il s'oublie lui-meme, une touchanle nai- vete, et, en mi5me temps, un commencement d'oubli de la terre ? Mais I'heure du sacrifice allaitbient6t sonner. Jesus, le cceur plein de tristesse, avail dita Pierre : « — Jevousdis «n veriti5 que, dans cette meme nuit, vous me renonce- rez trois fois avant que le coq chante. » Et Pierre, suc- combant au pech6 de la presoniption, avait r^pondu : « — Seigneur, quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point. » Aprfe la priere au jardin de Gethsemani, oil Pierre s'etait endormi pendant que son maitre avait souffert, Judas vintaccomplir par un baiser, I'ceuvre inf^me de sa trahison. Pierre, pour defendre la celeste victime, lira son epee et en frappa I'un des servi- teurs du grand-pretre ; mais il remit son arnie dans le fourreau, selon que Jesus le lui ordonna, et il suivit le Fils de Dieu que Ton menait ehez Caiph^ II enlra dans la cour de la maison du grand-pretre, pour savoir ce qui allait arriver. — C'est dans celle cour que trois fois il eut peur, que trois fois il menlil, et [qu'aulant de fois il fit serment de n'avoir jamais connu le Christ. Cruel cha- timent d'un inslant de presomption ! Dieu permit cette iniquite afin que, par la suite, le pauvre apotre ne comptiU pas autant qu'il I'avait fait sur sc\-propres forces. — Oh; que de larmes coulerent sur ses joues pour ra- ES. SAINT PIERRE. cheler ce peclie! combien dut Mre poignant pour lui le regard que Jesus lui jela lorsque, pour la Iroisieme fois, le chant du coq se fit entendre ! — Les souffrances san- glanles qui prerederenl le crucifiement, la marclie vers le Calvaire, le dernier cri de I'humanile, tout cela dut bien torturer le cceur de Simon, surtout lorsqu'il se rappela la prediction qui lui avait He faite. — Saint Jerome dit que les joues de saint Pierre furentcreus^es par ses larmes de repentir. Tout elait consomm^. Le troisieme jour le Christ ressuscita d'entre les morts et apparut aux sainles fenimes. Ce fut Jean qui vint ap- prendre cette confirmation des prophelies il Simon-Pierre, lis coururent vers le tonibeau, ils n'y vireiit que des linceuls. — Mais I'ange qui avait apparu ;i Marie-Madeleine fit dire aux apotres de se rendre en Galilee, oil Jesus se ferait voir a eux, ainsi qu'il le Icur avait annonc6 avant sa mort. Quelques jours apres,sur les bordsdela mer Tiberiade, Simon-Pierre, Thomas Didynie, Nalhana(_-I, qui etait de Cana en Galilee, les fils de Zebedije, et deux autres des disciples de Jesus, se prcparaient a pecher; ils entrerent dans une barque, mais pendant toule lanuil ils ne prirent rien. Le matin etant venu, le Christ parut sur le rivage, sans que ses disciples I'eussent reconnu; il leur demanda s'ilsn'avaientaucunenourriture. « — Non,r^pondirent-ils. — Jetez le filet du c6l(5 droit dela barque, etvous en trou- verez. • lis le jeterent aussitot, et ils ne pouvaient plus le retirer, tant il elait charge de poisson. Alorsledisciple que Jesus aimait dit a Pierre : « — C'est leSeigneur. ■ Pierre le reconnaissant mit un vetement, car il elait nu, et se jeta dans la mer pour fitre plus tot aupres de lui, et pour se prosterner a ses pieds. Jesus dit aux apotres : « — Apportez de ces poissons que vous venczde prendre. » Simon-Pierre rcmonta dans la barque et lira i lerre le filet qui etait plein de cent cinquante-lrois grands poissons. J&usdit ensuileaux apotres : « — Venez diner, » etayant pris le pain il leur en donna ainsi que du poisson. Apres qu'ilseurentdini',Jesusdila Simon- Pierre: • — Simon, fils de Jean, m'aimez- vous plus queue font ceux-ci? — Oui, Sei- gneur, i'6pondit-il, vous savez queje voiisaime. » Jesus lui dit : I — Failes paitremes agneaux. • II lui demanda de nouveau : • — Simon, fils de Jean, m'aimez-vous? » Pierre repondit: «—Oui, Seigneur, vous savez queje vous aime. » Jesus lui dit: • — Faites paiire mes agneaux. » — Pour la troisi&me fois il lui demanda: « — Simon, m'aimez-vous? » Pierre, louche de cette troisieme demande sur la m^me question, craignit d'avoir dejci trop parl^ de son propre amoursans bien connaitrecelui qui pouvaitexisterdansle coeur desaulresapotres, et, baissant la ISle, ilgarda le si- lence. Jesus lui repela : • — Faites paitre mes agneaux. • Sublime naivete du p£-cheur de Capharnaiim I Une fois il a d^jJi trop compte sur sespropres forces, et, se rappe- lant ses fautes, il evite en tremblant la presomption qui en avail ete la cause. C'est a la suite de cetle sci;ne louchaiUe que Ji5sus preditii Pierre lessouffrances qu'il doitepiouver et m6me son genre de mort : • — Lorsque vous eticz plus jeune, lui dit-il, vous vousceigniez vousmeme, et vousalliezou vous vouliez ; mais lorsque vous serez vieux, vous(?lendre2vos mains, et un autre vous ceindra et vous miMiera ou vous ne voudrez pas. » Saint Pierre se rejouit en ecoulanl ces funi.'bres paroles, car il compril dte lors qu'il boiraitdans LES DOUZE APOTRES. —SAINT PIERRE. II le calice de son niailreet qu'il aurait occasion de faire une reparation publique de son premier peche. Une dernieie fois assembles sur une montagne de Gali- lee, les onzeapotres virent apparailre Jesus-Christ; quel- ques-unsd'enlreeuxavaientencoredesdoutes, maisil leur dit: « — Toute puissance m'a ete donnee dans lecieletsur la terre; allez done et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Pere, du Fils et du Saint-Esprit! » Le Messieavait accompli les propheties, 11 etait remon- te vers son Pere. Maintenant voici ces liommes pauvres, illettres, de- nu^s de tous secours humains, charges d'accomplir la civilisation universelle, — et leur chef, celui qui a recu mission de les conduire dans la voie de gloire, c'est un p^cheur, un simple pScheur. Oh ! ou done serait leur force et leur couragesi le Saint-Esprit n'allait bientot descend re sur eux ! Le jour dela Pentecole, r^unis dans un meme lieu, ils entendirent tout a coup un grand bruit; on eiitdit le vent soufflant avec toute la violence et limpetuosite que lui donne une tempSte. En niAme temps de petites flammes s'arreterent sur chacun d'eux, et aussitdt, aninies de I'es- prit de Dieu, aucune langue ne leur fut etrangere. II y avail alors dans Jerusalem dcs Juifs de toutes les nations qui sont sous le ciel. Des que ce miracle fut connu, ils s'asseniblerent en grand nombre et furent epouvantes de les entendre parler ainsi tous les langages humains. — Les Parlhes, les Medes, les filamiles, les peuples dela Mesopo- taniie, de la Jud^e, de la Cappadoce, du Pont et de I'Asie, les Cretois et les Arabes s'anfitaient ebahis en se deman- dant d'oii venait un evenement si extraordinaire. Quelques- uns, peu sens(5s dans leurs sarcasmes, pretendirent que les apotres etaient ivres et pleins de vin nouveau; alors Pierre se pr&enlant^leva la voix et leur dit : « — 0 Juifs, et vous tous qui demeurez dans Jerusalem, ^coutez ce que je vais vous dire, et reflechissez sur mes paroles. Ces per- sonnes ne sont pas ivres, conime vous le pensez, puisqu'il n'est encore que la troisi^me heure du jour, niais c'est 06 qui a et6 annonce par le prophbte Joel : « Pour les der- • niers temps, ditle Seigneur, je repandrai de mon esprit • sur toute chair : vos fils et vos fiUes prophetiseront; ' vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards au- « ront des songes. En cejour-laje repandrai de mon esprit . sur mes serviteurs et sur messervanles etilsprophetise- ■ ronl;jeferaiparaitreenhautdesprodigesdansleciel eten « bas des signes extraordiriaires sur la terre ; du sang, du « feu et une vapeur de fumee; le soleil sera change en « tta^bres et la lune en sang, avant que le grand jour « du Seigneur arrive et paraisse avec eclat. Et pour « lors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera « sauvfe. »'0 Israelites, ecoulez les paroles que je vais vous dire : vous savez que Jesus de Nazareth a ete un homme que Dieu a rendu celebre parmi vous par les merveilles, les prodiges et les miracles qu'il a faits par lui au milieu de vous. Cependant vous I'avez crucifie et vous I'avez fait mourir par les mains des mechants, vous ayant ete livr^ par un ordre exprcs de la volonte de Dieu, et par un decret de sa prescience. Mais Dieu I'a ressusciti5 en arretant les douleurs de I'enfer, elant impossible qu'il y fut retcnu, car David dit de lui : i< J'avais toujours le Seigneur prfeentdevant moi, parcequ'il est a ma droite afin que je ne sois pas ebranle; c'est pour cela que mon coeur s'est rejoui, que ma langue a chante de joie et que ma chair mfeme reposera en esperance, parce que vous ne laisserez point mon coeur dans I'enfer et ne permettrez point que votre saint eprouve la corruption. Vous m'avez fait connaitie le chemin de la vie, et vous me remplirez de la joie que donne la vue de votre visage. » Mes freres, qu'il me soit permis de vous dire hardiment du patriarche David qu'il est mort, qu'il a ete enseveli, et que son se- pulcre est parmi nousjusqu'a ce jour. Comnie il etait done prophele et qu'il savait que Dieu lui av;iit promis, avec scrment, qu'il ferait naitre de son sang un fils qui serait assis sur un trone, dans cette connaissance qu'il avait de I'avenir il a parle de la resurrection du Christ en disant qu'il n'a point ^t^ laiss6 dans I'enfer et que sa chair n'a point eprouve la corruption. C'est ce J^sus que Dieu a ressuscito, ct nous sommes tous temoins de sa re- surrection. Aprfesdonc qu'il a i5ti5 61eve par la puis.sance de Dieu et qu'il arefu I'accomplissement de la promesse que le Pere lui avait faite d'envoyer le Saint-Esprit, il a repandu cet Esprit saint que vous voyez et entendez maintenant. Car Da\id n'est point monle dans le ciel : or, il dit lui-meme : Le Seigneur a dit h mon Seigneur : Asseyez-vous a ma droite, jusqu'a ce que je reduise vos ennemis a vousservir de marche-pied; que toute maisou d'Israel sache done tres-certainenient que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jesus que vous avez crucifie. » Les Juifs, en enlendant ce discours, furent emus de coniponction, et ils direnta Pierre et aux autres apotres : « — Mes freres, que faut-il que nous fassions? » Pierre leur repondit: • — Faites penitence, et que chacun de vous soit baptise au nom de Jesus-Christ, pourobteniria remission de ses peches, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. » Trois mille personnes recurent ainsi la parole et le baptijme. Le mfime jour, ^ la neuvifeme heure, Pierre el Jean moutaient au Temple pour assister h la priere; ils virenl a la porte un homme boiteux des le ventre de sa mere, que Ton mettait la tous les jours afin qu'il demandSit I'aumone h ceux qui enlraient; cet homme ayant vu Pierre el Jean les pria de lui donner quelque secours. Pierre s'arretant lui dit : « — Regardez-nous. » 11 lesregardait at- lentivement, esperant recevoir ce qu'il avait demande; I'a- polre lui dil : • — Je n'ainior ni argent, mais ceque j'aije vous le donne ; levez-vous, au nom de J6sus-CUrist de Na- zareth,etmarchez. • Le boiteux selevaaussitotet commenca i marcher. Le peuple etonne vint s'attrouper autour des deux disciples, etilsemblait leuratlribuer le merilede cette action; mais leur chef, saisissant avec ardeur toute occasion de glorifier son divin maitre, dit : « — C'est par la puissance de Jesus que nous avons gu^ri cet homme. » Les priilres, le capitaine des gardes du Temple et les Sadduceenss'etaientirritesenvoyantque,parleurssimples discours, les apotres convertissaient k la nouvelle loi des populations tout entieres; mais lorsqu'ils eurent connais- sance du miracle que Pierre et Jean venaient d'operer, leur colore n'eut aucune borne, et ayant failvenir ces deux hommes, ils leur demandcirent par quelle puissance ou au nom de qui ils avaient agi. Pierre prit hardiment la parole, et toujours c'esl la foi ardente qui deborde de son coeur: • — Puisque, dit-il, on nous demande raison aujour- d'hui du bien que nous avons fait ij un malheureux, nous vous deelarons, a vous tous eta tout le peuple disrael, que c'esl par le nom de notre Seigneur Jesus-Christ de Nazareth, crucifie par vous etressuscile par Dieu d'entre 12 LES DOUZE APOTIIES— SAINT PIERUE. ]es morts, que cet homme a cti^ gueri ct qu'i! est debout devant vous. C'est eetle pierre que vous autres architerles avoz rejelt^o, et qui cependant a ele faile la prinripale pierre de l'ani;le. La fermct6 el I'eloquonce de cet apdtre, que I'oii con- naissajt pour un homme du peuple, ne firent qu'augmen- ter I'etonnement de ceux qui I'entendaient, et dej'a les enfants d'lsrai'l qui ne croyaient pas en Jesus-Christ commenrferent a sentir dans leur ca'ur le trouble el I'incerlitude. Neanmoins les Sadduceens firent defendre;i ces nobles athletes de parler a I'avenir au nom de Jesus- Christ. Impuissante prohibition, qui ne pouvait qu'au<; Sa t r tr t e r 1 un bo teux menlerleur rele, tant leur foi elait devenue inebranlable ! Le nombre des fideles allait croissant, et il n'y avait point depauvres parmi eux, parceque lous ceux qui pos- sedaient des fends de terre ou des maisons les vendaient et en rnetlaient le prix aux pieds desapolres. Un homme nomme Anaiiie, etSaphire sa femme, vendirentainsileur patrimoine. lis vinrent en deposer le prix entre les mains de saint Pierre, s'en reservant secrelement une porlion. Mais le pasteur du Iroupeau chretien eut a I'instant con- naissance du mensonge qui lui elait fait, elayant denian- de, d'abord ^ Ananie, puis^Saphire, s'ils n'avaient vendu leurfondsde terre que pour celle somme, ils repondirent oui I'un apres I'autre, et I'un apres I'autre ils rendirent i'esprit, frappes par la colere de Dieu. — Terrible et juste repression de I'esprit du nial qui se glissait deja dans le berceau du christianisme. Tourraente par les pro^resde la nouvelleloi, epouvanle par les miracles que faisaient les apotres et surtout par les nombreuses guerisons qu'op(5rait seule I'ombre de Pierre, le grand conseil fit metlre en prison les douze disciples du Christ ; mais un ange leur ouvrit les portes de fcr et leur commanda de sorlir pour aller de nouveau pr^cher en liberttj la doctrine de \ie. Le capitaine des gardes du Temple et les princes des prf tres s'assemblerent pour d(5lib6rer sur le sort de ceux qu'ils croyaient encore leurs prisonniers ; mais, au moment oil ils exprimaient leur grand embarras sur ce point, on vint leur dire que ceux qu'ils avaient ecroues dans la maison publique etaient a cette heure dans le Temple, oii ils enseignaient le peuple. Transportes de rage, les puissants Sadduceens les firent de nouveau conduire devant eux; mais celle fois ils se virent forces de les trailer avec douceur, dumoins dans les rues de Jerusalem, car la foule eiit la- pide les soldals el le grand conseil. Un pharisien, nomm(^ Gamaliel, sut tirer le conseil de I'embarras oil il elait en lui disant ces paroles : • — Ne vous melez point de ce qui regarde ces gens-lJi, et laissez-les faire ; car si ce conseil ou cette ceuvre vient des hommes, elle se delruira, tandis que si elle vient de Dieu, vous ne pourrez la d^lruire, et vousseriezen danger de comballre conlre Dieu mdme. • — Ils se rendirent a cet avis, et ayant fait fouetter les apotres ei leur ayant dcfendu de parler k I'avenir au nom de Jesus, ils les rcnvoyirent. — Race de viperes, chaque outrage que vous faisiez eprouver b ces defenseurs de la foi, chaquo coup doni vous les frappiez, elait un nouvel ebranlement donn^ au vicil edifice de vos anciennes croyances! Peu de temps aprte, une grande persecution se souleva con- lre I'eglise, et lesbrebis, effrayecs des hurlementsdesloups, se disperserent dans la vallee. Les pasteurs seuls reslerent inebranlables, protegeant leur fdible Iroupeau conlre les coupsdontraccablailunjcune homme nomme Saul. Pierre et Jean furentenvoyesen Samarie pour imposer les mains et donner le Saint- Esprit a ceux qui avaient reeu la pa- role de Dieu; et, dans la ville de Samarie, un niagicien, nomme Simon, ayant ele baptise, offrit de I'argent h Pierre pour qu'il lui donnJt le droit de faire des miracles comme lui. Mais Pierre, indigne, le repoussa en lui di- sant : « Que voire argent perisse avec vous, vous qui avez cru que le don de Dieu put s'acquerir avec de I'ar- gent ! » Saiutfilicnne avail donne savir pour Jesus-Christ, ilve- nait de prendre dans le ciel la premiere couronne,rougiedu glorieux sang des marlyi's; Saul, arrele sur le chemin de Damas, apres avoir domande le ba|ileme au disciple Ana- nie, confessait lenom du I'ds de Dieu el le redisait ii J^- LES DOIZE APOTRES. — SAINT PIERRE rusalem.L'£)glise, dans un instant de calme, etendait ses salulaires influences dansloute la Judee, la Galilee et la Samarie. Pierre, parti deJLydde.oii il avail gueri Ic para- lylique Enee, ressuscitait a Joppe la vertueuse Tabilhe, et, dans la maison de Simon le corroyeur, il recevait la visite d'un ange qui lui disait d'aller a Cesaree bapliser le centurion Corneille. Ensuile il avail vii celle nappe 13 mysterieuse par laquelle Dieu avalt voulu lui faire com- prendre que Toeuvrede redemption ne s'adressait pas seu- lement aux Juifs, mais bien aux gentils et k tous les idu- laties de I'univers. — Le lendemain, il suivail les deux domestiques de Corneille et le soldat qui etaient venus le chercher, el, arrive a Cesaree, dans la maison du centu- rion, qui, a sa vue, se jetail a ses picds, il lui disait : Ln ange vient ordonner j saiut Ficrre d'aller bapliser le cenluiiun Corneille. • — Relevez-vous, car je ne suis qu'un iiomme comme vous !« et il le baptisait. De Cesaree il se rendit a Antioche, oil I'Evangile faisait de nombreux proselytes qui commencaient a porter le noni de cliretiens. Les douze apotres s'etaient partage le monde; Pierre etait destine a porter la parole de Dieu ^^'^t^^r^ CHARLEMAGNE. 17 valion au pouvoir, le champ de bataille de Testry deve- nait le tombeau de la royaute des Merovingiens et de la mairie neuslrienne; une illustre race succeda a des rois abcitardis, que Ton ne montrait plus qu'une fois par an k leurs guerriers. Charles Martel alTermit sa puissance en repoussant I'in- vasion arabe. Onze ans apres la mortdu vainqueur d'Ab- derame, Pepin le Bref se fit ^acrer par saiiU Boniface, el le pape Zacharie approuva cetle usurpation necessaire, qui reg^nerait la royaute. Une nouvelle dynaslie commence done ; avec elle de nouvelles destinees s'ouvreni, une nouvelle tJche parait. Deux grands homnies, des le debut, se chargferentdel'ac-. complir. II s'agissait d'arreter I'invasion germaine et d'immobiliser la conquete , enfin de r^unir sous une m6me loi le territoire de la Gaule. Les vues setournaient aussi de deux autres cotes : \ers TEspagne, centre les Sarrasins; vers I'llalie, centre les Lombards, ennemis de la papaute, qui dut aux Carlovingiens sa grandeur nais- sante. Pepin le Bref laissait done un immense heritage de gloire ct de conqu^tes ; la main puissante de Charlemagne pouvait tout contenir,et le genie du filsne relevapasme- diocrement la reputation du pere. Avant de mourir, re roi prudent avait eu soin de faire sacrer ses deux fils, Charles et Carloman, par le pape Ktienne II, et de faire un parla;:;e solennel du royaume : I'Occident fut assigne a Charles, I'Orient a Carloman. Le premier fut couronne ■d Noyon, le second recut a Soissons les insignes de la royaute (9 octobre 768). Charles, I'aine des deux fils de Pepin, avait huit ans de plus que son frere : il elaitne dans I'annee 742, qui sui- vit la mort de son illustre a'leul Charles Martel. L'union conslante qui avail fait la force de Pepin et de Carloman, le pere et I'oncle des deux jeunes princes, ne regna pas longteraps entre eux, et une rupture ne tarda pas a eclater. Apres avoir fait un voyage autour de ses fitats pour ttudier le pays et la nation, Charles, I'esprit deja plein de sa grandeur future, tourna les yeux vers I'Aquitaine, oil remuait un redoutable rival, le vieil Hunold ; le de- fenseur de I'Aquitaine venait de quitter tout k coup sa relraite de \ingt-lrois ans, pour venger sur des princes inhabiles la mort de son fils Waifre, assassine par Pepin. Tout le pcuplese leva i la voix de son ancien maitre, et Hunold put se (latter, ii cet enthousiasme de la nation, d'avoir deja reconquis son duche. Charles et Carloman passent la Loire, mais la discorde lessepare; Carloman renimcne ses soldats, et Charles reste seul charge du poidsde la guerre. 11 eut une victoire pour son coup d'essai. Hunold fut battuetpris;c«.il ki lost alloit Dovaiil ax s'eu alloil CHnUnt Dc Carlcniainc el dc Roland, Et d'Olivier, el de vaasaus Ki raorurcnl i Baiiisolievau', C'est Robert Wace qui nous a Iaiss6 ces vers dans son roman de Rollon. Cette bataille de Roncevaux esl ce que Ton a le mieux retcnu du regne de Charlemagne. La guerre d'Espagne n'tjtait pourtanl qu'une affaire de minime importance, car I'invasion sarrasine tarissait, et ce Hot longtemps \ictorieux venait mounr au pied des Pyrenees. Le grand roi s'liloigna tri,stement de I'Espagne; il re- tint aupres de lui son armfe epuisee et lanca centre la Saxe de nouvelles troupes. Co furent les Saxons qui paye- renl cette d^faile et qui e.^suyerent la colere de Charle- magne. Deux balailles mcurlriiiies apaisercnt la fougue des Germains, Badenfeld el Buckholz; les baplfimes et les CHAllLE soumissions se multipliaient, mais un heros restaita la Saxe epuisee ; Wiltikind, dont la fortune el le patriolisme balancaient les destiniies de Charles; Tassillon, I'eteiiiel ennemi des descendants de Pepin, dont il etait parent, s'etait soumis. Cependant Wittikind rassemble ses guer- riers dans la vallee du Soleil, en un lieu nomme Sonne- tlial, et les entraine contro les Francs. II est battu et s'cnfuit pendant que Ton decapite quatre mlUe cinq cents prisonniers. Celte cruelle exteulion ne brisa pas la r&istanoe du heros saxon. II revint duNord avec de nouvelles recrues et se fit batlre deux fois encore par le roi en personne. Enfin, lasse de ses malheurs et des massacres de ses com- pagnons , il preta serment et se fit bapliser a Paderborn. Un grand nombre de guerriers, suivis de leurs femmes et de leurs enfants, imiterent son exemple ; on en vit, dans I'enlliousiasme de leur recenle conversion, qui se pr'ci- pilaient au devant du cheval de Charlemagne, en recla- mant le bapleme h grands cris. Us paraissaient tellement las de la guerre et de ses ravages qu'ils le regardaient conime leur sauveur, comme un nouveau Messie. Cette souniission mil fin i la premiere periode de la guerre saxonneet procura huitansdepaixa cescontreesravag^es. Pour Charles, la paix elait aussi occupee, aussi remplie que la guerre. Ce gi5nie merveilleux ne connaissait pas le re- posetsedtlassaitau milieu destravauxinterieursde loutcs les fatigues des combats. II roulailalors dans son esprit de vastes projets. Deja, pendant que ses lieutenants combat- taient en Saxe, il avait fait en Italie plusieurs voyages. II s'etait mis en relation avec I'empire d'Orient. II passa a Rome les fetes de Paques de I'annee 781 . Aprfes la vic- toirc de Buckholz, Cailoman, son fils, y recut le bapt^me et changea son nom en celui de P6pin ; puis il fut sacre, par le pape, roi de Lombardie ; Louis fut sacr^ roi d'Aqui- taine. C'elait .sagesse de la part de Charles d'enlretenir ainsi ralllance que son pere avait commencee et fondle avec la papaule , il pr^parait aussi par ce nioycn les voies k ses deux fils, et s'il ne lui ^tait pas permis de leur le- guer son genie avec son royaume, du moins il leur assu- rait un appui et legitimait leur avcnemcnt. Cette mSme annee, I'imperalrice Irene lui demandait sa fiUe ainee pour son fils Conslantin. Charlemagne accepta de bonne grlce. L'alliance fut eonclue et juree. Charles etait bien le grand monarque de I'Occident, et des lors il songpait i reconstituer ce glorieux empire dont il reu- iiissait lous les debris, dont il protegeaitsi hcureusement les frontieres. Quand Wittikind eut recu le bapleme et que la Saxe fut accablee, sinon soumise, le roi retourna a Rome. Lk etait son espirance, son allies fidele. Le pape Adrien le recut a bras ouverts; car lui aussi trouvait son coniple a cette amilie du monarque franc. Ses negocia- lions et son habilele politiq\ie furent d'un grand secours a la papaule, qui conimcnca des lors a compter parmi les puissances royales, apres que Charles I'eut d^barrassee des Lombards et affranchie de la domination imperiale. De Rome le roi regagna Worms, y recut le serment des Bretons de I'Armoriqne et convoqua son ban et son ar- riere ban pour la guerre de Baviere. Tassillon, toujours battu et toujours rebelle, fit cette fois une complete sou- mission ; condamne a la diete d'lngelheim, il alia niourir dans un couvent. C'etait la prison ordinaire des ennemis de Charlemagne. Son duche fut reuni Ji I'empire et sou- mis b la juridiction que Charles avait etablie dans tous ses MAGNE. W fetats. Les Bavarois vaincus, il fallut battre les Avares, leurs voisins et allies. Ce fut I'affaire d'une courte cam- pagne; une guerre de huit ans les avail epuisfe. Charlemagne n'en avait pas fini avec les Saxons. Wittikind etait a la verile soumis, mais les courages n'e- taient pas encore partout abaltus, et le fier Saxon regret- tait peut-fetre, en voyant ses anciens compagnons courir aux combats, les serments qui engageaient sa fidelite. Charles, pour dompter plus silrement ses ennemis, se fit des allies parmi eux, et alluma la guerre civile. Mais les allies douteux niassacrerent un beau jour ses collecteurs d'inipots. A cette nouvelle inattendue, Charles fonda Neufheristall sur les bords du Weser, jurant qu'il ne quitterait pas ses campemonts avant d'avoir brise la li- berte saxonne. II executa a la letlre cet arret de mort. Un nouveau massacre de quatre mille guerriers le di- barraisa des plus rebelles. Enfin, dansl'annee 803, il tint a Saltz une diele celebre oii furent publies les capitulaires qui complelerent sa conquJie. Chaque tribu conserva ses lois et la liberty civile; mais toutes furent soumises aux ^vSques et aux juges royaux. Une dime fut imposce aux habitants. Les moyens de colonisation furent aussi employes par Charlemagne avec quelque succJs. II transporia dix mille Saxons dans I'Helvelio et dans la Belgique, et corobla tous ces vides par des colonics de moines, de serfs et d'ar- tisans. La blessure mortelle une fois portee a la Saxe, il fallut la cicalriser, et celte fois encore ce fut I'Eglise qui vint au secours du grand roi. C'est par le clerge qu'il ef- faca jusqu'aux traces de cette sanglanle guerre. Des villes furent bities, et septev^ches elablis enSaxe. Les moines se chargerentdedefricher lesboisetde cultiver cette terre fecondee par le sang des heros. La Saxe se trouva done non-seuleraent conquise, mais transformee. C'est le prnpre des grands hommes de pa- railre crt^er ce qu'ils ne font que changer, et Charlemagne revela dans cette conquete tout son genie createur. Les Saxons ne firenl plus qu'un seul peuple avec les Francs- Austrasiens, et la limile du Rhin ne fut plus une barriere entre les deux nations, reunies par la main d'un grand roi. On comprend a peine comment ce prince pouvait suf- fire h tant de guerres. Pendant qu'il pacifiait la Saxe, il combattaitau Midi contre les Sarrasins. II avait k coeur de venger la defaiteet la mort de Roland sur les Basques, qui I'avaient accable, etsur les Sarrasins, qui I'avaient chasse devant eux et enferm^ dans les gorges de la Vas- conie. Le jeune roi d'Aquitaine luttait avec succes contre ces deux nations et parvint a relablir les marches cspa- gnoles jusqu'aux bords de TEhre. Toutes ces guerres, qui appelaient sans cesse Charle- magne du nord au midi de son empire, avaient un grand sens. Les Francs defendaient alors leur empire, leur re- ligion, leur nationalite, triple interest que Charlemagne comprit et soutint par son cp^e. Ces guerres systemati- ques, qui furent au nombre de cinquante-trois, ^(aient commandees par des necessites politiques. Elles eurent un immense resultat : d'arr^er la decadence du nionde qui continuait depuis Auguste.de niettre fin au desordre universel oil I'humanite tout entifere 6tait plongee. Char- lemagne apparatt a la t6te de la societe moderne, comme son fondateur et son pere. « C'est sous sa main, dit M. Guizot, que s'est op^ree la secousse par laquelle la 20 CHARLEMAGNE. soci(5le europeenne, faisant volte-face, est sortie des voies de la destruction, pour entrcr dans celles de la crea- tion. > C'est \k le veritable mot de Charlemagne : il fut crea- teur, qu'il I'ait voulu ou non, qu'il I'ait su ou ignore. L'histoire de ses guerres nous le niontre assez clairement, le dtHail de son administration va nous en convaincre. Nous avons dej^ indique, en passant, que I'avenement de la race carlovingienne fut comme une deuxieme in- vasion de la France germaine sur la France romaine-, le fait est constant ; la Neuslrie et la Bourgogne , ou Brunehaut, deux siecles auparavant , avail chcrche a relablir I'ordre romain, furent sacrifices sous Charlema- gne ^ I'Austrasie ; 1^ ctaient la jeunesse el la vie ; la ctaient les guerriers conqu^rants. Tout avec Charlemagne devient tudesque, jusqu'aux habillements du grand roi. C'etait done I'psprit de I'Austrasie qui dominait dans ce vastc empire, depuis I'febre jusqu'a I'Elbe, depuis le Uhin jiisqu'au Vulturne. Que de peuples renfermes dans I'en- ceinte deces fleuves, el, pour lesgouverner tous, un seul h(mime, une seule volonle! II fallait done une puissante administration, et Charle- magne ne crul pas pouvoir mieux faire que de revenir aux formes romaines. Esprit d'ordre avanl tout, homme de la civilisation, il nepouvait supporter ce chaos de tou- tes choses, et travailla k tout regulariser. Gouvernement Dci guerriers saxons, leurs feniinos et leurs enfjnl', vienneiil se jeler aux pieds de Cli.uK tclamanl le bapl^ine. local et gouvernement central, il organisa tout avec une rare sagesse, un admirable accord. II eut ses dues, ses comles, ses viguiers,ses cenlcnicrs, qui composaient une hierarchic complete; c'est par eux qu'il levait des trou- pes, adiiiinistrait la justice, percevait les impots. La fut tout le secret de sa superiorits^, surtout dans la maniere dont il sut former son armee; a la bande indisciplinee de Clovis, il substitua un recrutement territorial d'hommes libres, qui atteignait jusqu'aux plus pauvres ; le clerge lui-m^me dut fournir son contingent, seulemenl il lui fut defendu de paraitre a la guerre ; c'etait du reste une inno- vation priidente. La justice elait rendue, dans los assembleesprovincia- les, selon les us et coutumes de chaque nation ; leshom- mes libres y etaient admis, mais ils abandounerent pcu sistibles, auxqucls le vulgaire a donne le nom de pres- sentiments; — force mysterieuse, rellet lointain dela pres- cience divine! La soiree etait triste, pluvieuse, car on etait au mois de novenibre, epoque de pluies torrentielles en Irlande ; le vent gemissait sous les voiites, frappait contre les vi- traux ; de-i ombres gigantesques s'agitaient aux yeux du reverend pere, des formes ind^cises semi 1 lient surgir de MATTHEW. 29 lerre ; des sons etranges, sans nom, le faisaient tressail- lir; la chapelle, plongee dans I'obscurite, avail rev^tu ee caractere iniposant, presque menacant, propre la nuit aux etifices gothiques. II se sentit accable d'uno trislesse sans cause, un leger frisson parcourut ses mem- bres, il eut peur enfin pour la premiere fois de sa vie. Cependant, les heures s'ecoulaient sans amcner aucune vision ; le jour ne pouvait tarder a parailre. Le pere Matthew se prit done a sourire de ses pueriles lerreurs ; puis, comme la fatigue commencait a le dominer, il ra- battit son capurhon sur sa tele, ferma les yeux et s'en- dorniit profondement. Son sommcil ne fut pas de longue durce; les accords de I'orgue I'interronipirent bientot, et la vision annoncee s'offritaux regards du moine confondu. La pauvre femme arait dit vrai : ellc avail va, et ce qu'elle avait vu, elle I'avait raconte sans rieii omettre, sans rien exagi^-rer! La porte de la sacrislie s'ouvrit devant le pretre, qui a cliapellc dti couveiil des Capucins de Cork. gravit lentement les degr6s de I'autel ; le pere Matthew, pousse alors par une force inconnue, alia s'agenouiller pres de lui,et le saint sacrifice commenca : le pere don- nant les repons, son coeur battail, sa voix tremblait, mais la foi ne I'abandonnait pas. Puis, quand la niesse fut dite, I'orgue se tut, les chants s'^teignirent, et le pre- tre se tourna versle pere Matthew : « ficoute, lui dit-il ; en expiation d'un sacrilege com- mis il y a deux cents ans, la justice divine m'avait con- damne a errer sur la terre jusqu'au moment oil un saint consentirait 'i m'aider dans la celebration du sacrifice de la messe. Ma penitence a dure longlemps, et je com- mencais Ji la croire elernelle quand le renom de ta sain- tete est venu jusqu'a moi : je t'ai appele, tu es venu. Grace h loi, ma penitence est accomplie; mon expiation terminee, la justice de Dieu satisfaite; gr;^ce a toi, le re- pos m'est enfin accorde. Mais tu ne resleras pas sans re- compense; forme un voeu, et, quel qu'il soil, apprends que le pouvoir m'a ete donne d'cxaucer mon liberateur. — Si ton pouvoir est tel, repondit le moine, et s'il vient de Dieu, je ne rcjelterai pas ton otTie, mais je n'accepte- rai rien pour moi : c'est pour I'lrlande asservie, pers^cu- tee, que j'eleve mes mains au ciel. L'fiternel a donn^ h celte terre esclave la resignation et la foi ; mais a quoi lui servent .sa foi et sa resignation, quand ces vertus chretiennes ont & lutter sans cesse centre I'influence toute-puissante du plus odieux, du plus degradant des vices? N'est-il pas cruel de voir les enfants de la verte firin, divises entre eux de village h village, de paroissea paroisse, preparer, par leurs m&intelligences interieures, le triomphe de leurs ennemis; et n'est-ce pas rintompe- perance traditionnelle du peuple iriandais qui a enfante ces factions innombrables, ces rivalites contre nature, cetle diversite d'opinions, ces haines parricides entre les enfants de la meme patrie, que la mime inforlune et une religion commune devraicnt r6unir sous !e meme dra- peau? Grace a la passion de ses fils pour les boissons en- ivrantes, I'ile des Saints a forgi^ ses propres chaines, noire riche patrie a ele livreo par ses enfants au joug inipi- toyable de Telranger! « Donne-moi le pouvoir d'arrachcr mes freres k la ma- lediction qui pese sur cux ; qu'k ma voix les Iriandais, 50 LA TORTUE. reunis sous le drapeau de la temperance, ne forment plus qu'un seul tioupcau soumis h un seul pasleur, mar- chant du m^me pas au memo but! . Alors le cliarme sera rompu, et cclte noble contriie reprendra sa place parmi les nations. — Que ton va^u soil exauce au nom du Dieu vivant ! repondit le pretre reconcilie. Parcours lesliameaux et Ics villes, la plaine et la monlagnel va, pr6che la temperance et I'union, c'est-^-dire la force ; Dieu sera avec loi, et la victoire t'est promise I » La vision disparut aussitot. Aux premieres lucurs du jour naissant, le pere Matthew regagna son convent, et, des lo londemain, I'lrlande saluait I'avenement d'une ere nouvelle ; aux accents du moine inspire, les populations s'emurent et se convertirent; I'usage des liqueurs fortes fut abandonn^, les fds rfegSncres do I'antique Hibelniese presserenten foule sous la pacifique banniere de ce nou- veau Pierre I'Ermite. Chacun prenait I'engagement d'une vie nouvelle, personne ne viola son serment. L'Irlande recueille aujoiird'hui les fruits de ce retour salutaire a la sobriete : bien dirigee, bien unie surtout, clle a vu I'fi- ternel benir les elTorls du p^re Matthew, et, si elle n'a pas encore completement secoue le joug du Saxon, du moins le triomphe est prochain, et I'heure de la liberie ne peut tarder a sooner. Ce que des siecles de guerres acharnees n'avaient pu faire, laparoled'unmoinedesarmel'a faitenquelquesmoisl Voila ce que mon bote me raconta. II etait dfeore lui- menie de la medaille que le pere Matthew impose aux pecheurs converlis, symbole de force et d' union qu'on rencontre aujourd'hui sur toulcs les poUrines irlandaises, labarum nouveau sur lequel le doigt de la Providence semble avoir inscrit, comme autrefois sur I'etcndard de Con-tantin, cette legende faraeuse qui estune promesse : In hoc signo vinces ! Le dug de Rovigo. IIISTOIRE NATUREllE. Autant la gazelle est rapide a la course, autant la tor- tue est lento ^ se mouvoir ; et comment irait-elle viler la pauvre bete qui emporte avec elle et sa maison et son bouclier? Mais les pieds legers de la gazelle la defendent moins bien centre ses ennemis que la carapace de la tor- lue contra les siens. II est positif que, sans I'homme, qui appelle I'intelUgence en aide au g^nie de la destruction, la tortue serait un des animaux les niieux preserves cen- tre la dent et la griffe des carnivores. L'ecaille qui recouvre son dos se nomme la carapace ; elle est fortement bombee, tandis que eelle qui defend les parties inferieuresl'est beaucoup moins, et se nomme le ptefroti; c'estenlre ces deux boucliers que I'animal retire sa t6te et ses pattes, seules parlies vulnerables quoique couvertes de petites teailles. Les tortues n'ont point de dents, mais leurs machoires sent revCtues d'une corne dure comme le bee des oiseaux, exceple la toilue a gucule ou chelide, dont la bouche res- semble a cellc des batraciens. On compte vingt-qualre especes de tortues, et proba- blemenl toutes ne sonl pas encore connues; elles diffe- rent par les moeurs, puisqu'il y en a qui ne s'eloignent pas du rivage de la nier, d'autres qui preferent le voi- sinage des eaux deuces, courantes ou slagnantes; d'au- tres enfin qui aimenl les terrains sees el Aleves ou les plaines couvertes de broussailles. Les unes ont leur carapace d'ecaille tres-bombee, ce qui leur pcrmet de se remettre sur pied lorsqu'elles sont renversees, d'autres I'ont beaucoup plus plate, de ma- niere que, placees sur le dos, elles ne peuvent plus quitter cello position. Quelques-unes mSme sont privees d'ecaiUes, mais revalues d'un fort cuir visqucux. On en voit qui ont des pieds avec des doigts palmes; d'autres, des especes de nageoires ressemblant assez i des extremites de rames qui seraient recouvertes de pe- tites &ailles. Leur taille varie aussi extr^mement, depuis la tor- tue marine gigantesque, qui pfese pres de mille livres, LA TOUTUE. 31 jusqu'ii celles de la plus petite espece, qu'un enfant eniporteiait dans sa main. La tortue marine habile par- ticulieremcnt les reijions equaloriales de I'ancien et du nouveau monde, oil on la trouve en troupes innombrables sur le rivage de la mer, dans les lies et dans les conti- nents. Comnie sa chair est saine, substanlielle et agrea- ble au gout, les marins en font une grande consommation, ce qui fait diversion aux salaisons qui sont la base de la nouri'iture de bord. Elles se voient par miUiers sur les rochers et les bas-fonds converts d'algues marines qu'elles paissent sans cesse; quelquefois aussi elles brisent et mangent des coquillages. Elles ne sont pas, k ce qu'il parait, ex- clusives dans leurs gouts; car, apres avoir broute dans leurs paturages marins, elles aiment a se rassembler Si I'embouchure des grands fleuves, oil elles restent plon- gees dans I'eau douce, n'ayant que la tfite dehors. Les marins nommcnt cette espece lorlue franche ; c'est au commencement d'avril qu'elle va deposcr ses ceufs sur le rivage ; pour cela elle se rend sur une partie oil le sable est fin, mobile, et hors de I'atteinte des plus hantes marees ; elle y creuse plusieurs trous et y place ses oeufs au nombre de plus de cent. Ces ojufs spheri- ques, ayant plus de deux pouces de diametre, sont re- converts d'une membrane qui ressemble a du parchemin humide. Dans les regions torrides ou la tortue habile, le sable estassez fortement echauffe par les rayons du soleil pour faire eclore ses ceufs apres vingt ou vingt-cinq jours; alors les pelites lortues, ayant au pins deux ou trois pouces de longueur, sorlent else dirigent vers les eaux voisines; mais loutes n'y parviennent pas, car les animaux car- nassiers en delruisent considerablement. II y a dans les eaux de la Mi'diterrande une grande tortue a peau, connue sous le nom de luth; eWc est de forme allongee, et sa carapace presente trois aretes lon- gitudinales formant saillie. Quant a la tortue franche ou gigantesque, elle a une carapace composee de treize larges ecailles verdjitres, disposees sur trois rangs, celle du milieu formant des hexagones prcsque reguliers. Ces grandes lortues ne viennent jamais dans nos cli- mats que par suite de quelques accidents de mer. En <7S2, il y en eut une qui vint s'echouer dans le port de Dieppe; elle pesait environ neuf quintaux; en 17Si, une autre, de taille gigantesque, fut prise dans le Perthuis d'Antioche enlre la Rochelle et I'ile de Rhe. Le Card, autre tortue marine, est moins grande que la precedente, et elle a le museau plus allonge ; on la trouve aux Antilles, oil on la recherche pour ses oeufs et surtout pour son ^caille ; quant a sa chair, elle est beaucoup moins bonne que celle de la tortue Tranche. Les devastations causees dans les algues qui couvrent les recifs servent d'indices pour trouverles grands trou- peaux do lortues, quand on en veut faire une pSche abondante. On les prend de plusieurs manieres : avec la folle, grand filet h mailles tres-forlcs; en les retonrnant sur le dos avec des leviers, quand on les trouve sur le rivage; en lesharponnant, lorsqu'elles paraissent Ji lasur- face de I'eau, avecun instrument nomme varre, qui enlre dans recaille; une cordelette est attachee ace harpon,et permet de Tattirer a bord; le seul obstacle qu'on puisse rencontrer est le poids enorme de I'animal. La p6che de la tortue se fait habituellement de null, a la lueur des torches, et offre un spectacle des plus pilto- resqnes, surlout lorsquela tortue est surprise sur la plage. La bourbcuse est une espece qui affectionneparticulife- remenl les eaux douces; elle est beaucoup plus petite que celle de mer el que la plupart de celles de terre. Sa ca- rapace est noirJlre, sa queue est longue comme la moiti^ du corps; ses doigts, ties-distincis, sont reunis par une membrane, elle en a cinq aux piedsde devani, et quatre i ceux de derriere; elle se trouve dans lesclimats tem- peres et cliauds de I'Europe , en Asie, particulierement dans les Indes. Dans les pays situ^s sous une latitude un peu elevee elle creuse des trous en terre pourhiverner; aux premieres chaleurs du printemps elle sort de ce trou et passe presque tout son temps dans I'eau douce. Elle depose ses ceufs dans la terre ou dans le sable, comme celle de mer. Cette tortue devient facilement domestique , on la place dans Its bassins des gardiens, qu'elle delivre des vers, in- secles et limacons; on en trouve beaucoup en Provence et en Languedoc. La molle, la plus grande des lortues d'eau douce, se rencontre surlout dans les rivieres du sud de la Caroline et pcse souvent desoixante a qnalre-vingis livres; sa cou- leur est brun-fonce, et elle estcouverte d'une forte peau qui ressemble a un cuir de boeuf tannd. Cette lorlue est farouche et mord avec violence ses as- saillanls ; elle a les paltes garnies d'ongles crochus ; sa chair est delicate. La grecqiie, ou lortue'commune, est celle dont les mou- vements sont le plus lents ; elle a beaucoup de ressem- lance avec la tortue d'eau douce, mais son dos est plus bombe : si on la relourne, elle ne tarde pas, par un le^er mouvemenl d'oscillatlon, areprendresa position premiere. Ellesenourritd'insecles, de limacons, d'herbes, de fruits et Ton en fait facilement un animal domeslique. Dans les latitudes elevees elle se creuse un soutenain pour I'hiver. C'est au soleil d'ele qu'elle confie le soin de faire More ses oeufs, qu'elle depose dans le sable ou dans une terre legere. Comme tons les ovipares, les lortues tiennent un rang assez important dans Techclle des etres; lemouvementde la locomotion nes'etfectue pas cliez elles comme chez les vivipares, en porlanl lesjambes en avant ; mais elles les plient el les ecartent de maniere a former un mouvemenl de levier quiporlele corpsp!us loin que le point de depart. La tortue est longlemps Ji elTectuer sa croissance ; ce qui indique une vie Irfe-longue. Aucun animal d'ailleurs n'a ce que Ton nomme vulgairement la vie plus dure : on s'est livre ^ eel ^gard a des experiences qui ont produit des rcsulats presque incroyables. On a vu dqs torluespri- v^esdesorganesindispensables^ la vie chez tousles a ulres animaux, et qui vivaient encore pendant des mois entiers. L'ecaiUe du caret est la plus rechercliee de loutes dans le commerce; car elle est plus cpaisse, d'un tissu finet d'une couleur tres-belle ; celle de la tortue franche, moins volumineuse, doit une partie de ses beaux reflets aux lames m(5talliques ou aux aulres mati^res sur laquelle on I'applique. Olivier Le Gall. 32 TABLETTES PARISIENNES. TABLETTES PARISIENNES. Le LivRE DES Familles a pris Tengagement de tenir seslecteurs au courant des nouvdles artisliques du monde parisien et aussi des meilleures productions de la liKera- turc et de la science contemporaines. Cest una mesure dont on nous saura d'autant plus de gre, que I'impartia- lile la plus severe guidera toujours nos jugements, et que notre plume ne trempcra jamais qu'apres mir esamen dans I'encre de la louange ou du blilme. On comprend que nous eloignerons de cette revue les productions trop frivoles, et que notre critique ne s'atlaquera qu'aux oeu- vres de resistance. Mais il est des oeuvres nouvelles et des noms nouveaux quo nous irons souvent chercher; heureux plus tard si nous avons pu nous faire I'eloile d'une gloire naissante ou I'annonciateur d'un livre 11- lustre. — Cette sorte de profession de foi nous a paru utile a placer en quelques lignes. — L'ancien hotel du cardinal Fesch vientde s'ouvrirk I'exposition annuelle de I'association des artistes. Cest une charmante reunion des toiles de tous les mattressou- verains, un riche assemblage des chefs-d'oeuvre des temps passes et des temps modernes, un fouillis pittores- que de toutes les ecoles. Le ravissanl Gillcs, de Walleau, y coudoie la niagnifique llalaille des Cimbres, de notre poele Decamps. Greuze, Prudhon, Vanloo, Leopold Robert, Eugene Delacroix, s'y sent fait dignement repre- senter; des statues etdesdessins completent ce nierveil- leux ensemble. II n'y a pas jusqu'a niadame la duchesse d'Orleans qui n'ait detacbe un tableau de sa galerie, en faveur de Tassociation des artistes. Si nous disons en outre que cette exposition est 6golement une osuvre de bienfaisance, nous sommes certains que tout Paris ne peut manquer de se diriger imm^diatement vers I'hotel de la rue Saint-Lazare. — Les predications de M. Lacordaire ont recommence cette annee b Notre-Dame, et continuent toujours a attl- rer la meme affluence de monde.Cbaque dimanche.un auditoire Elegant, serieux, penseur, s'empresse autour de la chaire du r^v^rend domini- ; cain pour recueillir les fruits dores de sa parole. Un tel succfess'explique facilement. M. Lacordaire a vecu de la Me du dix-neuvieme siecle; ivant de fouler d'un pas si- lencieux les dalles des cloi- res, il a pos(5 son pied dans es miUe sentiers divers de la foule, il s'est mele aux pas- ■^ions de la multitude. Le Ian- gage qu'il parle aujourd'hui seressentun peu du voyage .(u'll a fait a traverslesplaines humainespour arrivcr aux colUnos divines; s'il Shrank' les masses aussi forlement, c'est qu'il leur parle en hommo recemment convaincu, en homme convaincud'hier et non pasde toujours; s'il arrive a persuader le monde, c'est que c'est avec le langage du monde qu'il liabille la religion; enire lui et ses auditeurs la rhaire ne larde pas a dis- paraitre, el bienlot ce n'est plus qu'un des leurs qui les iiistruit et les exliorte; sa voix a cet entraincment pro- fond qui n'apparlient a nul autre; il jelte des regards a droite et a gauche dans I'hisloire moderne; il interroge les cendres des grands homnies d'hier; il demande leur secret aux inventions et aux decouverles les plus recen- tes ; il analyse les livres nouveaux pour les llclrir ou lej exalter. — Voila pourquoi M. Lacordaire, homme de coeur et de haute inspiration, pr^tre du present et de I'a- venir, a toutes les sympathies de la foule. — Plusieurs feudles politiques ont donne des extraits remarquables de ses derniers discours. — Parler du bey deTunis,c'estvenir un peu lard sans doute; aussi n'en parlerons-nous que pour rendre bom- mage i sa fastueuse bienfaisance. Dans un temps oil la misere se dcbat douloureusement sous Thaleiiie ghicee de riiiver, apres avoir survecu h I'inondalion, il est beau de voir un de ces princes qu'il y a peu d'annces encore nous traitions de barbares, donner le premier I'exemple de I'humanUe. — Le nom d'Abnied-Pacha ne sera pas perdu pour le people, et les pauvres de Paris comme ceux de Roannc garderont precieusement le souvenir de ses bien- faits. C'est un beau voyage qu'a entrepris la Sa Majeste tunisienne, avec la charite pourcompagne de route! — Un de nos plus renommes voyageurs, qui a su con- stammentallierlapoesieariiistoire. et le charmed unarra- teur au sens profond du pliilosophe, a publie ces jours-ci deux volumesd'un interSl puissant, auxquels I'actuulite va prater beaucoup de vogue. Nous voulons parler de M. Poujoulat et de ses Eludes africaines. — Cetouvrage, Merita un haut point de vue et dans le cadre le plus ge- neral, est a la fois une description et un recil, un roman et une histoire ; I'Algerie vient s'y refleter tout entiere avec ses paysages brCiles, ses mceurs originales, ses gucr- res sanglantes, son passe plein de souvenirs religieux, sa physionomie morale et I'avenir de ses races. Les grandes figures de saint Auguslin, de Cervantes, de Jugurtlia et d'Abd-el-Kader projettcnt leur ombre sur ce tableau ; et I'cEuvre francaise y est plusieurs fois caracterisee d'une manii.'re serieuse et capable de faire rellechir les hommes de gouvernement. — Nous signalerons plusieurs chapi- tres, tcls que le recit de I'assaut de Conslantine , la celebration de la messe sur une colline d'Hippone, les considerations finales sur I'lniluence du prCtre en Algerie, qui seront lus par lous les esprits reellement prtoccupes de ce c6te grandiose de notre histoire. Les Etudes afri- caines resleront, non comme une tentative imparfaite, ainsi que le pense la modestie de leur auleur, mais comme un livre national et aussi complet que possible. — A ce litre, nous le recommanderions avec empressement, si le nom et le merite de M. ''oujoulat ne le recomman- daient encore mieux que nous no pourrions le faire. Pai'l Serv.\is. Typoiraphic LAciiiMPB nis el C', rue Damielle, 2. BKlliSH 7 aCG >!) NATURkL hlSTOF.Y. LA FOKTMM. UN AN A PARIS'. 11. Le lendcmain de mon arrivee, Paris s'est de- guis6 des talons a ux epau- les et est parti pour le bal. On elait en hiver. C'est tout au plus s'il me fut possible de le reconnaitre sous I'elegant habit noir qu'il avail rcvStu. S'il est une epoque de I'annee oil Paris est le moins semblable a lui-mSme , c'est surtouten carnaval. Tout le reste du temps, il etale un sans-facon de costume et une oisivete d'esprit, qui le font parfois considerer, de I'une et de I'aulre maniere, comme le plus pauvre horame du monde. liln carnaval seulement, il tire de sa commode son frac le pluslustreet ses bons mots les plus spirituels, pour montrer qu'il n'est mort ni pour I'elegance, ni pour les traditions du beau langage. Autant il etait a I'aise dans sa robe de cliambre et dans son pantalon a find de tout a I'heure, autant le voila maintenant serre dans sa cravate et bus- que dans son gilet. Tout a I'heure, il n'aurait su que re- pondre aux soUicilations les plus vives et aux instances 1 Vcir la paje 1. HI. Ics mieux expiimei'S ; i present il abonde en apercus in- genieux, en paradoxes elourdissants ; il parle k la fois dcs choses les plus serieuscs et lej plus futiles ; il discute po- litique comme pas un conseiller d'etat, et va vous tour- ner un madrigal qui eiit fait pAlir Saint-Aulaire de ja- lousie.— Ca, quel est le vrai Paris, est-oe celui de la veilleou celui d'aujourd'liui? Est-ce sa placidite ou son esprit qui fait son deguisenient? Vraiment, il y a une difference enorme entre le Paris de I'ete et le Paris de I'hiver. L'hoinme que vous saluez , dans le salon ne ressemble en rien au meme homme que vous avez salue dans la rue, la derniere semaine. Telle femme qui vous paraissait laide et maussade, vous inonde a present de sa nierveilleuse beaute et de ses sourircs flamboyants. — A la bonne heure, au moins. Tous ceu\ qui verront Paris encadre par le bal, a la lueur des bou- gies, au son de la musiquc harmonieuse des quadrilles, ne pourronl manquer d'en eire eblouis la premiere fois; et ceux-la Tauront vu verilablement sous son beau cote. — Les bals de la liste civile, ceux des ambassades d'Au • triche et d'Anglelerre sont surlout renommes parmi les plus eclatantset reunissent les illustrations de tout genre. — Un choix arislocralique preside dans les soirees du faubourg Saint-Germain, qui chercbe par tous les moyens en son pouvoira rappeler les souvenirs dun passe galant, maitre aux choses du gout et de I'elegance. La encore, retentissent quelques-uns des beaux noms de I'ancieune noblesse et se groupent les rares heritiers des grandes 3 Zi UN AN A PARIS. maisons, pour prolcsler silencieusement contre k's enva- libsemcnls de la sociole nouvelle. — Lcs bals de la finance et de I'induslrie appellont a eux la richesse, qui souvent leur tient lieu de tout; I'or et I'argent empruntent mille formes, et j'ai vu des toilottes de femnies qui semblaient, dcs vitrines delacheesdes magasins d'orfevrerie. — Les fetes de M. de Rothschild font mal aux yeux, disait un invito qui savait garder sa vue tres-nelte chez lui. Restons un moment dans cette region, dont le triple Element constitue ce qu'on nomrae le raonde parisien. — Lepointde vuesuperficiel en est tout sMuisant, sans con- tredit; et si ce n'etait le deplorable abandon, par les hommes, des modes francaises du dix huilieme siecle, rien n'cmp^cherail de se croire h h coar de Lo\iis XVI, dans le salon d'un Montmorency on chez un fcrmier-ge- n^ral. Le costume noiret Wane, qui nous rend uniforme- menl pareils k des avocats, est le senl obstacle S cetle illusion. — Pour ce qui est do la conversation et des grSces de I'esprit, ne croyez point ces ccrivains quinteux qui \ous disent que nous ne savons plus causer ni medire, que le bel art du madrigal s'en est alli5 dans hi pocJre des derniers gentilshommes, et que nous ne sommes bons tout au plus qu'b discuter du merite d'un cheval. Je vous dis que nous ne sommes pas plus beles que nos peres; el que pour ne pas avoir conserve leurs culottes de velours, et leurs habits de toile d'or, et leurs gilets a fleurs etranges, nous n'en avons pas moins adopts leur facon de faire et de dire en ce qu'cUe pouvait avoir de bon. Comme eux, nous savons assez d'art et de poesie pour renvoyer pen- dant une lieure le volant d'un paradoxe sur la raquotte de la discussion. Le plus grave de nos hommes d'affaires peut au besoin parler romance et barcarole, comme un maitre de guitare des ruelles disparues ; et il est bien peu d'actionnaires, parmi les plus actionnaires, qui se hasar- dent a causer des derniferes fluctuations de la Bourse en presence d'une joliefemme, qui fait sourire ses dents der- ri^re un ^ventail a franges. Onjnue; le whist etlo lansquenet sontparticulieremenl en vogue. — Quelquefois un concert est intercalc daus le bal. — 11 y a deux ou trois ans, singulier caprice! qtiel- quesmaitresses demaison avaient imagine de faire venir Neuville ou Levassor, pour entendre cespelites rhanson- nettes normandes que les doux artistes eiicellenl h execu- ter — D'autres fois, c'est une grande partie de com(^die, que I'on organise sur un pied royal : une partition nou- velle de M. de Flottovv ou une piece in^dite de M. AVa- lewski. Cette annfe, le prince de la MosUowa vient de se faire construire une salle d'opera dans la Chaus- see-d'Antin ; on ne salt quand en aura lieu I'inaugura- tion. — Au nombre des plus charmantes comediennes de salon, on cite principalemcnt madame la vicomtesse Duquesne et quelques-unes de nos fcmmes de lettres dis- tingu(?es. Paris en carnaval est tout au plai.sir et a la belle hu- meur ; cette atmosphere joyeuse qui s'echappe du premier etage, se repand egalemenl dans le magasin et nionle dans la mansarde. — Les bourgeois ont leur bal qui ne le cede a aucun autre pour I'entrain et la franclie gaiele. Onze heures sonnies et la bjrre de fer mise en trovers de la devanture, on n'entend plus que lebruit du violon dans toute la longueur de la rue Saint-Martin et de la rue Saint- Denis. C'est l'6poque des gros brillanls a la chemise et de la guerre du dessous-de-pied avec le panlalon. — Plus haul, c'est la crepe qui chante etqui saute dans la po^le; c'est la chaise 'qu'on brise en eclats pour enlretenir le feu; c'est I'accordeon quiglapitun nocturne sentimental. Maintenant le quinquet 'i I'huile a remplace le candcla- bre; une seule veilleuse est placee sur un tabouret au somniet do I'escalier en sp'rale. — Pan, pan. — Entrez, s'il vous plait. — Vous ^tes aunonc^. II y a aussi le bal des artistes, qui possfcde une physio- nomie a part. La, un habit trop beau serail conspu^; ur> habit trop sale ne serait point de mise. II faut ce milieu qui caraclt'rise justemenl le peintre ou le musicien. Ce n'est guere qae la d'aiUeurs qu'on peut trouver I'origina- lile individuelle avec I'esprit quand nifme. — Je ne parle pas du talent; M est convenu qu'il court les rues. Mais la conversation y est compos(5e des Elements les plus fantas- que? et des pensees les plus conlradictoires ; le plaisir y revet les formes les plus saugrenues. — Les bals d'ar- tistes sonlrares malhenreusement, et Ton en pcrcoit faci- lemon-t la causp. Celui qui a ci peme de quoi se loger, lui et son merite, dans une espare de quelques pieds carris, ne peut pas se permeltre de trancher de ramphitryon et d'offrir chaque semaine un raoit a ses confreres. — Bon a Horace Vernet et a Alexandre Dumas. Rpsle pour tout le monde le bal masqu^, cette grande hotellerie pitloresque ou Paris s'emprcsse, les derniers jours de carnaval. Reste le bal masque, c'cst-a-dire le bruit, la foule et Teclat ; et la plume rouge au-devant du feutre, et les dentelles au poignet, et le ealon sur toutes les coutures, et la sole, et le .■satin, et I'elegance et le bel air ; ces choses qui se loue.nt pour un soir et qui vous font pour un soir homme d'un autre siecle ou d'un autre pays. Le bal masque est a peu prte la seule chose curieuse qui ne se voie qu'a Paris, depuis que Vcnise a vu mourir son carnaval lant renomme. C'est le veritable niveau social, le joug de lleurs rdve des phalansteriens; I'^galite en est la premiere loi, le plaisir en est la seconde. Imaginez une cohue, un tuniulte, une masse de gens desoeuvres qui se heurtent, se pressent, se coudoienl, s'apostrophent, s'in- jurient et s'embrassent. — Le bal masque d'aujourd'hui appelle a lui la rue el le salon, ou pour mieux dire il les reunit tous les deux ; il fait passer I'une h travers I'aulre, la rue eclaboussant le salon et lui meurtrissanl le pied sons son epais Soulier de cuir; le salon laissant tomber sur la rue quelque peu de sa poudre et de son tabac d'Es- pagne, et lui piquant les jambes de sa fine t'p^e de vi- comte ou de pair ; la rue et le salon, bras dessus bras dessous, riant et chantant, I'un s'abaissantjusqu'ou I'au- lre peut monter, I'un s'elevant jusqu'ou I'autre peut des- cendre; tous les deux arrivant a une sorte d'esprit im- provise, demi-masque, demi-braillard, trivial autant que le salon peut le faire, a'ambique comme la rue comprend I'alambic, I'espril de I'un dans le corps de I'autre, le corps de I'autre dans I'esprit de I'un, Mascarille sous I'ha- bit de Moncade, Moncade sous I'habit do Mascarille. — Ne croyez pas d'ailleurs elre oblige a venir y faire pa- rade de I'esprit que vous pouvez avoir, ou de celui que vous n'avez pas; non, le monde ne vous liendra comple que de ce que vousvoudrez bien lui donner, rien de plus, rien de moins. Vous Stes libre d'y venir avec voire es- prit du dimanche ou votre sottise de tous les jours; si vous etes b^le, rien de plus naturel aux yeux du monde; si vous otes spiriluel, tant mieux pour lui comme pour vous ; vous 6tes riche, quoi de surprenant ? vous f tes UN AN A PARIS. 35 pauvre, quoi de plus simple ? Soyez jeuneou vieux, beau ou laid, ayez de la grSce, du bon ton, de la polllesse, ou, si vous I'aimez mieux, livrez-vous h votre nonchalance, a votre franc-parler, prenez vos coudees larges; qui que vous soyez enfin, soyez sOr que le bal masque vous accucillera sans contesle, sage ou fou, trisle ou gai, He- raclite ou Democrite. Le bal masqu^ a des temples nombreux situ^s k chaque coin de Paris et des barrieres. Le people qui veut une petite part de toutes les joies, par cela nieme qu'il a une grande part dans toutes les niiseres, route ces jours-lii sa gaiete malsainedanslesguinguettesdu Chcmin-Vert etdes boulevarts exterieurs. — Ici la philosophie du carnaval commence h devenir un peu plus soucieuse; on se prend malgr^ soi ^ regarder derriere les coulisses, et quels ignobles mystferes ne decouvre-t-on pas alors! — Le Mont-de-Piel^ est le moindre des sacrifices auxquels le peuple achete ses plaisirs des jours gras, plaisirs qui se resument d'ordinaire dans rabrulissement par le vin bleu. — Ces peintures ont tenl6 I'imaginalion ardente de quelques ^crivains; a notre avis elles sont plulot faites pour inspirer la tristesse que la curiosite. Notre plume les indique seulement, mais elle ne s'y arr^tera pas. Le bal est done la grande occupation de Paris pendant le mois de Janvier. — Ajoutons-y egalement, lorsque la saison le permet, les parlies de potin aux bassins du La rue el le salon. Luxembourg et des Tuileries ; — e( puis la ttte des rois, cette naive tradition de la famille. — C'est aussi I'^poque fructueuse des Italiens, dont les repr&enlations sont comme les entr'actes des bals du grand monde, et ou les loges rem plies de femmes ricbement values presentent un coup d'oeil etincelant a I'admiralion du nouveau de- barqu^. La musique ilalienne n'est dans ce cas qu'une facon de prMe-^ite, un motif de rendez-vous ; on y vient surlout pour essayer relTel d'une robe nouvclle ou pour faire de la chronique scandaleuse. C'est aussi, — nous alliens presque I'oublier, — le mo- ment des pluies supr^mes etde la boue continue. Or, s'il y a un chapitre h ecrire, c'est principalement sur la fange proverbiale des trottoirs parisiens. Apres I'eau, I'air et le feu, la boue peut Stre classee, du moins sur cette partie du globe essentiellement crottee, comme un nouvel Element et prendre place en cette qualite dans les ma- nucls de physique. Comment la boue se produit d'un in- stant ^ I'autre, c'est un phenom^ne, une enigme. Dix mi- nutes d'une pluie volante .suffisent pour changer en cloaque le quartier tout a I'heure le plus net et le mieux entrelenu. — Mais peu importe au bourgeois de Pans ! au contraire; le bourgeois va k la pluie comme le fer k I'aimant et le papillon k la chandelle. C'est sa glu, i lui. C'est juste au moment ou le ciel se rembrunil, qu'il songe a I'alTaire imporlanle qui I'appdle ^ I'autre quartier de la ville; et point ne remettrail si belle partie au lende- main. Neanmoins comme le bourgeois de Paris est un liomme prudent et de precautions, il se munit du para- pluie qui fait ses delices, du parapluie, ce roi des meu- bles ; et le voilk qui se met en route, apres avoir declare que cette pluie ne serait rien. — Remarquez bien qu'il est persuade du contraire; sans cela il ne serait point sorti. — Mais quelle jouissance pour lui et quelle noble eonquSte de choisir le pave le plus propre au milieu do ces paves engloutis par I'averse ; de dispuler aux plus opiniitres le trottoir du cote des maisons; de hausser et de baisser alternativement son parapluie selon la taille des passants, tout en risquant de I'accrocher dans les cn- seignes ou d'eborgner ceux qui sortent des magasins ! II ferait dix lieues de la sorte, sans s'apercevoir qu'il est trempe jusqu'aux os. De temps en temps, el pour I'acquit de la conscience, il h^le un omnibus qui I'eclabousse, mais il a bien le soin de ne s'adresser jamais qu'au plus complet. S'il a I'occasion de passer par la place du Car- rousel, il la saisit avec empressement, dut-il meme Otre force de faire un detour pour cela. II peste centre le vent, il maudit les gouttieres et les ruisseaux, mais cu n'est pour lui qu'un theme purement de convention. Examinez plutijt I'aimable expression de sa figure, lorsque la vio- lence de la pluie le force a se refugier sous une porte co- cliere. — Ah ! messieurs, quel abominable temps ! s'i- 56 LES DOUZE APOTRES. — SAINT ANDRE. crie-t-il en saluant avec urbanite. — Vient-il a monter chez un de ses amis, la scene prend alors un aspect plus heroVque ; c'esl avec une orgueilleuse salisfaclion et un sourire de conquerant qu'il s'entend adresser des repro- ches sur son imprudence : — Comment avc/.-vous pu vous decider a sortir par une pluie semblable? C'est de I'entetement, de la folie! vous en ferez une maladie, bien certainemenl; voyez un peu conime I'eau ruisselle de voire redingote! — C'est vrai, repond-il ; et demon cha- peau aussi. — Ainsi fait le Parisien, cet homnie souve- rainement heureux, qui prend le temps comme Dieu le lui envoie, et qui ne se plaint autrement que pour la forme; etre a demi aquatique qui passe ci travers les plus grandes tempeles, sans en presque rien sentir. — Pour un Parisien qui allrapera un rliume de cerveau a s'etre mouille les pieds une demi-journee, trente provin- ciaux gagneront une fluxion de poitnne. Mais le Parisien est une plante qui a souvent besuin d'6lre arrosee par I'eau du ciel. Charles Monselet. m DOUZE APOTRES. SAINT ANDRE. Andre est le frere de Simon-Pierre, comme lui fits de .lonns ou .lean, ne a Bethsa'ide. — La mSme profession les attache sur la meme barque jusqu'au moment ou, ayant recu leur mission bi'ro'i'que, ils vonl chacun de leur Cute porter la loi nouvelle et monrir en temoignage deleur fni. A la voix de .lean-Bap- tiste qui prechait en Ga- lilee, les Juifs avaient pu comprendreleniysterieux ^venemoiil quu Dicu |.Lrparait a la re,:;encration du monde; quelques Ames douses de fervour et d'une sainte penetra- tion se tenaient immobiles dans I'attenle d'un prochain accomplissementdes propheties. Convaincu de la veritti des discours de Jean, Andre s'elait fait son disciple, el pour rpcueillir ses paroles il le suivait ainsi que quelques pieux enfanls d'lsrai^l. — Sa foi et sa bonne vo!onl6 lui valurent uneri^compense : il fut I'un des premiers qui reconnurent le Messie en la personne du Christ. Une expression d'aniour et de veneration prononcee par Jean-Baptiste a la viie de lesus devint pour lui le rayon de lumiere c6leste qui Ini fit entrevoir la verit*. Jean avail dit en montrant le divin Fiis de Marie ; 'Voici I'agneau de Dieu. Andre avec un autre disciple, que differents peres croient 6tre Jean I'fivangelis'.e ou I'opolre Philippe, s'attacherent presque furliveraent aux pas de Jesus-Christ. — Une croyance confuse agilait leur iime en ce moment ; ce no ponvait etro deji la foi, maisc'elait I'csperance. El en recompense de cede sainte avidile de voir le Reilempteur, lui meme va se reveler a eux. Jean en disant : 'Voici I'agneau de Dieu, avail fait allu- sion k I'agneau pascal qui arrachait a la mott les pre- miers n& des enfanls d'lsrael : soil qu'il prophetisH ou qu'il conniit dejJi ce qu'6tait Ji5sus, il rendait hommajie a I'augusle victime qui bienlot devait racheler le monde entier. Andre et son compagnon, frappes d'une subile ap- prehension, n'ont pu s'empecher de suivrele Christ, mais ils n'osent encore I'approcher. Le Fils de Dieu les aper- coit, et alors sur la question qu'il leur adresse : Rabbi ! r^pondent-ils, nous cherchons voire demeure. — Pre- texte naif oil se point I'hesitalion et la simplicite de ces deux hommes. — Alors celui a qui ilss'adressaient voyant la puret6 de leur Sme, s'ecrie : Venez et voyez! — lis passerent plusieurs heurcs avec le Christ. Quelle joie An- dre dut ressenlir en se voynnt I'un des premiers a qui il etaitdonnede contempler leSauveurdu monde. Combien il y eut pour lui de consolation dans les maximes celestes qu'il entendit pour la premiere fois. — II sentit des lors qu'un irresistible lien rallachait au divin reformaleur : les resolutions qu'il forma durent lui faire entrevoir ses glorieuses destinees ; mais les temps n'etaient pas encore venus oil les ap6tres devaient marcher avec le Christ, recevoir leur mission heroique pour ne le quitter qu'a son premier pas sur la montagne du Calvairo. Apres avoir acquis une conviction presque certaine que rottente d'Israi?! Mail comblee, Andre se h.'ila d'aller vers Simon-Pierre pour partager avec lui le tresor pre- cieux qu'il venait de decouvrir. Une amilie lendre et devouee existait enlre ces deux freres. Pierre aimait Andre, Andre aimait Pierre. Leurs Iravaux etaienlcommuns, leurs joies devaient I'filre aussi. Simon ayant entendu les recits de son frere, voulut k I'instant contempler, lui aussi, le regeneraleur du monde. Ce fut sur les bords du Jourdain, sur ce Heuve celebre pour avoir mouilie le Christ de ses eaux, que saint An- dri renconlra celui a qui Simon voiilait eire presente. — Vous savcz comment en le voyanl Josus-Clirist changea le nom dei'imonen celui de Pierre. A celle circonslance, Andre doit sans doute le tilrc qu'on lui donne, d'hitro- chirfeur mipfes de Jrsiis-Christ. Plusieurs peres de I'l^'gli-se disent que les deux fils de Jonas furent lomoins, aux ncce? de Cana, du premier mi- racle qu'ait fait I'Homme-Dieu. Le troisieme jour d'une noce, — el en cetemps-l^ ces fetes duraienl huit jours, — .Jesus y vint avec quelques personnes qui le suivaient deja presque liabiluellemenl pour entendre ses discours: LES DOUZE APOTRES. — SAINT ANDRfi. 37 Ic vin venanl h manquer, Marie de Nazareth, qui se Irou- vaitaussi a ce festin, dit i son divin fils ; lis n'ont plus de vin. — Le Christ ne se rendit pas immcdialement au riesir manifesle par sa m^re devoir accomplir un miracle qui pouvait ouvrir les yeux de tous ceux qui I'enlou- raiont. II differa, pense saint Chrysostome, parce que le besoin de vin n'elait pas enrore assez connu de tous Ics convics et que dans un instant la soif allait Ics rendre bicn plus attentifs au prodige qu'i! allait arcomplir, car son intention n'('tait pas autant de procurer du vin que de donner la foi h ces enfarils d'lsraijl. Dans la salle oil se celebrail la fc^te, il y avait six grandes urnes do pierre pour scrvir aux purifications en usage parnii les Juifs. Jesus les fit reniplir d'eau; puis ayant invoque le nom de son p^re ; Puiscz mainlenant, dit-il aux scrvilcurs, et portez en au maitre d'hotel. Ce dernier, apies avoir goule I'eau qui venait d'etre changee en vin, ne sachant d'oii venait cette liqueur, appela I'epoux ct lui dit : Tout homme sert d'abord le bon vin, et lorsqu'on a beaucoup bu il sert le moins bon ; mais vous, pourquoi avez-vous reserve jusqu'a cetle heure ce que vous aviez de nieiUem? A la stupefaction de I'epoux et a sa grande satisfaction, succeda I'etonnenient de la foule qui par ce miracle au- rait dQ comprendre la puissance divine de Jesus. Apres ces fetes que le Christ semble partager pour montrer aux hommes que les rejouissances paisibles et legitimes sont agreables k Dieu, Andre et Pierre retour- nent a Capharnaiim. Quelques jours se passferent; puis, la m6me voix qui appela Simon ordonna a Andri d'ahandonner ses filets. La vocation de ce dernier est absolument la mSme quo cello de Pierre. Jesus etant venu sur le bord du lac de Genesareth, se Irouva accablc par la foule qui se pressait autour de lui pour entendre sa parole. II entra dans une barque arretee au bord de I'eau. Lorsqu'il eut cesse de parler au peuple, et apres la peche miraculeuse qu'il avait faire aux fils de Jonas, il leur dit : Vousn'etes plus desormais pfecheurs de poissons, mais bien pficheurs Sjinl Aiiiln!' rencoiilrai:eliii li qui SiiDiiii voiiUil olre pri^sente. d'hommes, suivez-moi. — Ilsobeirent et marcherent avec leur nouveau maitre, sans songerau sort qui pouvait les attendre. Dans cct acte d'abandon de tout ce qu'ilspossedaienl, il y a une abnegation d'autant plus sublime, que leur foi n'etait encore ni assez vive ni assez eclairee pour leur donner la sainte persuasion que les biens a la conqucte desquels ils allaient, elaient infiniment preferables h la pauvre existence qu'ils laissaient avec leurs barques et leurs fdets. Car quoiqu'il soil dit qu'Andre et Pierre, ainsi que plusieurs enfanis d'Israel, eussent deja reconnu le Messie en la personne de Jt'sus, ils durent malgre tout conserver leur caractfere d'hommes et surtout de juifs. — Nul peuple de ces temps ne fut plus incredule, et si par moments les oeuvres du Christ venaient ^tablir sa divinitij d'une nianiere evidenle, I'efTet produit par ses miracles ^tait bientdt detruit par I'espritde scepticisme qui aveu- glait tous les enfants d'Abraham. — C'etait la derniere lulte de Satan centre Dieu ; au moment d'etre vaincu et de porter sa tSte sous les talons de la femme qui devail I'ecraser, il tiut employer loute sa science tenebreuse J obscurcir lesoleil de regeneration qui venait rendre la yic a I'univers; c'est alors qu'il inspire aux scribes et aux pharisiens les blasphemes qui n'attribuent a J^sus d'autre puissance que celle du prince des demons, et que plus tard, dans sa rage impuissante, il donne aSimonle magi- cian le droit de faire des miracles pour effacer ceux des apfitres. — Andre et Pierre etaient par moments 6claires 38 LES DOUZE APOTR d'un rayon de foi; puis vcnait rinstant de doute et de decouragcnienl, I'a'uvre de Satan a cdt^ de celle de Dieu. Cependant, il faul le dire a la gloire d'Andre, sa foi n'ei'it- elle pas He aussi vive que celle de Pierre, son instant d'in- credulite ou de faiblesse ne I'a pas conduit jusqu a renier son niailre. La fci do saint Andre se manifeste d'une maniere evi- dente, lorsque sur la monlagne qui borde le lac de Ti- bLM iade le peuple , qui avail suivi Jesus pour entendre scs discours et etre temoin de ses miracles, vint a man- quer du pain necessaire a sa nourriture. La foule s'etait tenue longlemps dans un etat de niu- tisme et de comteniplation ; elle venait de recueillir ces paroles que la bouche d'un Dieu pouvait seule prononcer pour la premiere fois : — Aimez vos ennemis; faites du bien il ceux qui vous haissent ; benissez eeux qui font des imprecations centre vous, et priez pour ceux qui vous calonuiient. Si un homme vous frappe sur une joue, presentez-lui encore I'autre; et si quelqu'un vous prend votre mantean, ne I'empSchez point de prendre aussi voire robe. Donnez a tous ceux qui vous demanderont, et ne redcmandez point votre bien a celui qui vous I'emporle, trailez les hommes de la meme maniere que vous voudricz quils vous traitassent. Si vous n'aimez que ceux qui vous aimcnt, quel gre vou? en aura-t-on, puisquo les gens de mauvaisevie aiment aussi ceux qui les aiment? Et si vous ne faites du bien qu'a ceux qui vous en font, quel gr6 vous en aura-t-on , puisque les gens de mauvaise vie font la m^me chose ? Et si vous ne pr^'lcz qu'^ ceux de qui vous esperez recevoir la mtoe gr5ce, quel gre vous en saura t-on, puisque les gens de mauvaise vie se pretent aussi de la sorle pour recevoir le meme avantage? Pour vous, aimez vos ennemis; faites du bien h tous et pretez sans en rien esp^rer, et alors votre recompensesera grande et vous serez les enfants du Tres-llaut. Quelle plume pourrait decrire I'etonnement et I'admi- ration des peoples qui Scoutaient ces maximes? Depuis truis jours ils suivaient Jesus, ct dans le desir et I'avidite oil ils etaient de I'entendre, ils oubliaient meme les be- soins de leur corps. J^sus levant les yeux et voyant cette foule immense, dit : Oil aclielerons nous du pain pour donner ^ manger h tout ce monde. Si je les renvoie en leur maison sans leur avoir donne de quoi se soutenir, les forces leur man- queront en cliemin parce que plusieurs d'cntre eux sont venus de loin? Philippe repondit : Quand on auraitpour deux cents deniers de pain, cela ne pourrait suflire a en donner ^ chacun la plus petite part. JIais .\ndre, qui avait enlendu celle question du Christ, comprit que celui qui avait commande h la fievre d'aban- donner sa mere, qui avail ressuscile le fils de la veuve de Nairn , change I'eau en vin aux noces de Cana et gueri le paralylique a la piscine de Bethsaide, pouvait bien rassasier la foule seulement par la puissance de sa volont^. • II y a ioi, dit-il , un petit garcon qui a cinq pains d'orge et deux poissons. » Ces paroles, sans prou - ver d'une manifere evidente I'apprehension qu'avait An- dre du miracle qui allail etre opere, expriment I'allenle oil il etail d'une reponse qui devait apaiser I'inquielude de la foule. — Jesus lui dit; Faites asscoir tout le monde. Et commo il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu, cinq millfe hommes s'y assirenl. — Puis il prit les pains, et ayanl rendu graces, il en dislribua a tous ceux qui etaient ES.— SAINT ANDRE. assiselleur donna aussi des deux poissons aulant qu'ilscn purenl desirer. — Lorsque le peuple se fut rassasie, les apolres remplirent douze paniers des morceaux qui rcs- laient des cinq pains d'orge. La foule se retirait, et pour rendie t^moignage de ce miracle , elle n'eut qu'une pensee : • C'csl 1^ vraimenl le prophete qui doit venir dans le monde. « A Bcthanie, dans la maison de Lazare, la curiosite des Grecs sert i prouver la deference que le Seigneur avait pour saint Andre : attires a Jerusalem par la f^le de Pii- ques, ils entendirent parler des miracles que faisait Jesus et surtout de la resurrection toute recente de I'homme chez qui il halitait alors k Betbanie. Ils s'adresserent a Philippe qui etait de Bethsaide en Galilee, et lui dirent quils voudraient bien voir Jesus. — II semble que celui- ci ne croit pas pouvoir oblenir par lui-m6me ce qu'il doit demander a son maitre pour satisfaire le desir des Gen- tils, d communique a Andre sa crainte, et ce dernier se joignant a Philippe, obtient de son divin maitre la grace qu'il vient lui demander pour des etrangers. — L'heure est venue, leur repond J6.' L'abbe Poujet refuta cetle ob- jection par des raisonnemenls pleins de douceur et de verite, et apres une discussion tout h fail innocenle. La Fontaine fut si satisfait des reponses du bon pr6lre, qu'il le pria de revenir. — Oa peut bien penser que ce der- nier n'y manqua pas. Bientol remplissant aupres de lui celte consolante mission que le Christ legua misericor- dieusementa ses ap6tres, M. Poyjeln'eut plus qu'a I'ame- ner a condamner lui meme les quelques ecrils tombes de sa plume dans un instant de gaiete licencieuse. — Ce fut un peu dilTicile, mais il y parvint. — La Fontaine n'avait jamais pense faire une oeuvreimmorale et nuisible en riniant ses conies. Dans son etrange simplicile, il s'etait figur^ que, si I'homme portail un velement, c'etait par luxe ou par raison almosphcrique. Jamais, a table ou dans toule autre situation, on ne lui avail entendu faire des re- cils que la pudeur condamne. S'il en avail ecrit, seton lui, c'etait lout simplement pour faire rire ses amis. Apres des conferences assidues el peut-^tre un peu laborieuses de la part de M. Poujet, La Fontaine, con- vaincu et resign^, recut le saint viatique avec des senti- ments dignes de la candeur de son Sme et des vertus du meilleur chrelien. — Ce fut 'a cette heure solennelle de sa vie, qu'en presence des membres de I'Academie, il refuta les vers licencieux qu'il avail Perils. — C'etait un sacrifice, car ses ouvrages etaienl peliUanls d'esprit el de genie ; mais il elail Chretien avanl d'etre po'ete. — A sa refu- tation il ajoula une protestation authentique den'employer ses talents i> I'avenir, s'il recouvrait la sanle, qu'^ des sujets moraux ou pieux. C'est pendant celte maladie qu'il faul raconter le mot si piquant de la domeslique qui le gardait. — Ah ! dit-elle un jour en voyanl les soins assi- dus de M. Poujet, ne vous occupez pas tant de lui, il est plus bSle que mechant. Et une autrefois, elle s'ecria avec un air de compassion ; Dieu n'aura jamais le cou- rage de le damner. Notre bonhomme vecut encore. — II put, ainsi qu'il le dil lui-mcme, relourner h I'Academie, parce qu'il s'y amu- sait. Mais la mort qui I'avail menace de si prte semblait visiblemcnt pour lui planer encore sur sa tele. Une lettre qu'il ecrit a M. de Maucroy et que nous rapporlons ici a cause des sentiments de foi qui y sonl si vivement expri- m&, prouve d'une maniere evidente I'apprehension falale qui avail assombri sa vie, autrefois si rose el bleue ; • Tu le Irompes assurement, ecril-il en 1695, s'il est bien vrai comme M. de Soissons me I'a dil, que tu me croies plus malade d'esprit que de corps. II me I'a dil pour tacher de m'inspirerdu courage; maiscen'esl pas dequoije manque Je I'assure que le meilleur de lesamis n'a plus a compter sur quinze jours de vie. Voila deux mois que je ne sors point, si ce n'est pour aller a I'Academie, afin que cela m'amuse. Hier, comme je m'en revenais, il me prit au milieu de la rue une si grande faiblesse que je crus verilablement mourir. 0! mon cher, mourir n'est rien, mais songes-lu que je vais comparailre devanl Dieu? Tu sais comment j'ai \6cn. Avanl que tu recoives ce billet, les porles de I'eternile seronl peut-etre ouverles pour moi. » Sa crainle elait proph^tique. Au mois de mars de la mi^me annce il mourut. II avail passe soixanle-treize ans sur la lerre. II fut enterri dans le cimetiere de Saint Joseph, dans le mfenie sepulcre oii, vingt-deux ans avant, on avail place son iUuslre ami Moliere, autre feuille tombee comme lui de I'ai'bre du genie et que nulles aulres feuillesnesont venues remplacer. Lorsqu'on deshabilla le poete pour le metlre dans son lit, qui n'etail plus quo I'anlichambre de son cercueil, on le Irouva convert d'un cilice. A?iDRE Thomas. 48 PETITS VOYAGES PETITS VOYAGES SLR LES RIVIERES DE FRAXCE. LA SEINE, SES BORDS ET SES SOUVENIRS. (suite.) Une plaine immense el marecageuse, pour le dess6che- ment de laquelle on a fait plusieurs fois d'inutiles sacri- fices, entoure QuiUebeuf ; c'est a son exlremite que se trouve le village du Marais-Vernier, baigne par la Seine. Au-dessus des maisons du Marais-Vernier s'elevele cha- teau qui appartient au marquis de Mortemart, bati i mi- cole sur le revers de la montagne longue et resserree qui forme k son exlremite la pointe de la Roque. Cette montagne, coupee perpendiculairement, presente h Toeil une serie d'assises composees de rochcs horizontales ; depouiUee et sterile, elle domine cependant uii territoire fertile et couvert de gras paturages. Dans les Danes de la Roque on trouve un grand nombre de fossiles de tout genre ; pi es du chiteau de Mortemart, une crypte pro- fonde, d'oii Ton a extrait jadis Ics pierres qui ont servi k construire Saint-Ouen-de-Pont-Audemer, est formee par une carriere depuis longtemps abandonnee. En gravissant le point le plus eleve du plateau de la Roque, nomm6 dans le pays le Camp-des-Anglais, vous jouissez d'une vue magnifique. Alors se presente a vos regards la scene la plus variee : au nord, la pointe oil est QuiUebeuf, celle de Tancarville et les cotes du pays de Caux ; a Test le grand Marais-Vernier et des collines couronnees de bois ; au sud, la vallce de la RiUe avec Pont-Audemer, qu'onentrevoit dans le fond; enfin a I'oucst I'embouchure de la Seine, large, imposante, vivifiee par le raouvement des ports du Havre et dellonfleur, et par les vaisseaux qui enlrent dans le Deuve ou qui le quit- tent. Si vous aimez les souvenirs d'autrefois, en quittant la pointe de la Roque vous devez aller visiter la grolte de Saint-Geremer, devenue populaire sous le nom de Saint- Beranger. Ce pieux cenobite y passait sa vie dans la so- litude, lorsque la direction de I'abbaye de Penlalle, situee sur les bords de la Rillo, lui fut confiee, bien malgre lui, par Sainl-Ouen, i5veque de Rouen. Les moines de I'ab- 'baye, jaloux et haineux par excellence, durent cacher le ■ressentiment que cctte decision leur avait inspiree; un soir m^me, ils depeciierent verslui quelques uns des leurs, sous prelexte de le presser d'accepter I'lionneur qu'on lui -decernait. Le lendcniain, au lever de I'aurore, quand on vint a la grolte, Geremer elait absent, la relraile etait inbabitee; loutes les recherches furent vaines. Les moines firent courir le bruit que le saint liomme etait monle mi- raculeusement au ciel; cependant des peclieurs des en- virons retrouverent le froc du pauvre solitaire qui llutlait sur les eaux ; le corps avait disparu. Au-dessous de la pointe de la Roque, la Seine recoil la RiUe, qui arrive du deparlement de I'Orne, apri;s avoir baignii I'Aigle , Beaumont , Brionne et Pont-Audemer. Dans sa vallee, d'une etendue de vingl-deux lieues, on voit des sites admirables, et les ruines de la magnifique abbaye du Bee, celles du chJleau de Montforl, de celui de I'amiral d'Annebaut et du monaslere de Pentalle. A I'em- bouchure de la Rille, la Seine a forme, par des alluvions successives, un herbage immense, appele Bancdu-Nord. Ce terrain, qui a atteint un diametre d'une lieue, n'a plus aujourd'hui que le dixieme de son ancienne'^elendue. Le fleuve, fatigue de fuir loin de ses bords, est devenu moins vagabond, et il s'occupe chaquejour dereconquerir ce qu'il avait perdu. Derriere le Banc-du-Nord on voit s'etendre les marais et les prairies de Conteville. Le village eul jadis ses comtes; I'un d'eux , du nom de llellouin, aiina Arlette, qui avait longlenips vecu au chciteau de Robert-le-Diable, I'epousa et devint par celle union le beau-pere de Guil- laume le Conqueranl. Conleville se trouve appuyiS au re- vers du mont Courel , dont le plateau est couvert de bruyeres immenses. Au pied de ce penchant, si Ton re- vient par la Seine, on apercoitBerville, dont le fleuve ar- rose Icsextremiles. Ce village tire sa seule iniporlance de la posf'e qu'y font, depuis 1812, par suite du deplace- menl des vases, les biliments qui, descendant vers le Havre ou montant vers Rouen, s'y reposent pour prulitei des vents lavorables ou des marees de syzygie. Sur laulre versanl du mont Courel , sur les rives de la Seine, on voyait s'elever autrefois I'abbaye de Gres- lain, construite par Arlette el son epoux sur les ruines d'une antique chapelle, pour remercier Dieu d'avoir rap. peli5 la jeune femnie ij la sante et b la vie. Les fondaleur.' de ce monaslere y recurentleur sepulture; par malheur, on n'a conserve aucune trace du tombeau d'Arlelle; I'ab- baye elle-meme ne presente plus a I'observaleur qu'uni masse de debris inl'ornies. Acbeti5e par un ancien arma- teur de Honlleur, M. Lalleman, elle a cto changee en une habitation fort agreable. Quelques cabanes de doua- niers, voila tout ce qui reste du village de Greslain, qu s'etait fundi pen a peu aupres de I'abbaye, et que nous voyons figurer dans le diclionnaire geographique de Vos- gien comme un gros hour;; de Normaiidie. Au hanieau de Jobles, le fleuve va recevoir le ruisseaii de la Vilaine, encaisse dans un vallon a la fois sauvage ei pilloresque,ii travcrslequel il precipile ses eaux rapides. Sur les bords de ce ruisseau s'eleve le village de Carbec, dont on voit deja les maisons. Carbec possede une soured qui attire une foule de pelerins; ceux-ci accourenl se purifier dans ses eaux merveilleuses pour y recouvrer la sanle. Puis nous allons passer devanl le plateau de Falou- ville-sur-mer, couronnii de bruyeres comme le mom Courel, el nous alleignons enfin Fiquefleur, sur le revers dela colline, arembouchure de la petile riviere d Orange c'est en eel endroit que finit le deparlement de I'Eure e' que commence celui du Calvados. Du haul de la cole de Fiquefleur on jouit de la vue la plus agreable. La route qui arrive de Paris, passant pat Rouen et Pont-Audemer, court sur les flancs de la mon-, tagne ou elle serpenle, cotoie I'eglise balie en forme dflj croix grecque, non loin de laquelle habitail autrefois une SUR LES RIVIE conimunaut^ monaslique, dontlesmembresseconsacraient au soulagement des pauvres el des pelerins. G'est a Fiqucfleur que commence la petite plaine tra- versee par la petite riviere de Morel. Non loin de son em- bouchure, on trouve le village de Saint-Sauveur, qui n"esl, a vrai dire, qu'un faubourg de Hontleur, oil Ics ba- teaux viennent prendre du bois et de la brique en echange des moulei et des poissons qui forment leur cargaison. Le long de ce rivage paissent les beaux et gras troupeaux designes sous le noni de moutons de Beuzeville ou de Presale. Enfin nous voila tout pres des jeleesde HonOeur qui, s'avancant dans la mer, semblent inviter les navires a se refugier enire leurs bras. Rien de moins brillant que I'enlree du port h HonQeur ; le commerce est aujourd'hui sans acliviledans cette ville di'chue. Depuis que la traile des noirs est abolie, que tout s'est centralise au Havre, et que les harengs, dont les bancs frequenlaient autrefois la cole, ont disparu, Ilon- lleur a ele frappee d'un coup mortel. Son port s'avance RES DE FRANCE. 49 de plus en plus chaque jour vers sa decadence; la vase, parlout amoncelee, encombre ses bassins, et le gouverne- nient rests indifferent a tant de niaux. Les bois du nord et la houille continuent seuls a entretenir les derniers restes de la vie commerciale dont la ville de Honlleur a joui pendant longlemps '. On ne possede aucun document sur I'origine et la fon- dation de Ilondeur; tout ce qu'on sail, c'est que Guil- laume le Conqucrant y fit un sejour avant sa mort. Hon- lleur put jouir obscurement de sa prosperite jusqu'aux guerres de religion. Alors elle eut a soutenir deux sieges centre Henri IV, qui assista en personne i I'une de ces attaques. La canon d^truisit a celte epoque les forlifica- tions, qu'on n'a pas relevees ; quelques debris qui en res- lent font juger de I'importance de la place. Dans des lemps plus rapproches du noire, Honfleur a recu les vi- siles de I'enipercur Joseph, de Louis XVL de Napoleon, du duc'd'Angouleme el de la ducbesse de Berri. Honfleur est une ville assez triste et mal consliuile; il Vuc dc Honfleur. laul consacrer quelques heuresa son examen pour y d^- 1 ouvrir quelques maisons passables et I'entree; par la route de Caen dont plus d'une grande ville serait fiere. I'ne cliose cependant est bien digne d'arrfiler le cuneux ou le voyageur : c'est le pelerinage de Notre-Dame-de- lirace; cette chapelle s'eleve sur la montagne siluee a loucst, qui commandep'-esque a pic la ville dc Honfleur. On y monle par une route que des Iravaux toutmodernes ont rendue carrossable. Sur le haul de cetle colline, tout pres de la chapelle , se dresse un christ colossal , a I'un des carrefours formes par la route. Du sommet de cetle elevation, termineeen plate-forme, I'oeil enibrasseun ad- 1 I n cvcnemcnt fdclieui esl encore tcdu tout reccmment empirer la position ilrjA dc?c5peree de cette ville. Le quai du bafsin neuT, p.ir suite du tassemcnt lies terres et de I'action des eau», a subi un ecarlemenl de trois metres et devra clre reconslruit enti^rement. Or c'est une depcnse de 100,000 Tr. eu,iroD. rommciit fera la pauvre ville d'Honllour? III. mirable panorama. Le plateau de la montagne se teimine brusquement au pied de la croix mt^me, du ctjle de la mer; des eboulements considerables s'en dc'tacbent do lemps en lemps, et roulent sur le rivage oii, du haul du rocher, le pti'cheur, atlcnlif a ses filets, nous apparait comme un point sur la greve. Au has de la montagne se trouve un chemin qui con- duit a Vasony el au charmant chAlel de Blosseville. Der- riere Honfleur, sur la rive gauche du fleuve, on voit d'ini- menses prairies et des bois epais s'avancer au sein des flols; puis, par un conlraste bizarre, apparait le pays de Caux avec sa serie de falaises blanchalres s'elevant a pic au-dessus de la Seine, et n'offrant au regard que des ro- chers decharnes jusqu'k Tancarville, dont nous aperce- vons la pointe a rextiemile de I'horizon. Cependant rien ne peut donner une idtje dela richesse de ce pays de Caux queccs falaises, dont nous venons de no PROMENADES AU MUSEE DE GEOLOGIE. parler, caclicnt anosyeux. Parlout des campagnes coii- vcrles de moissons jaunissaiiles ou d'arbres charges de fruils; dans les palurages, des bestiaux de la plus admi- rable race ; aulour des chateaux et des fermes, ties arbres magnifiques pour les ombrages, voila le pays de Caux. Mais une chose merite suitout d'atlirer-raltention : c'est la populalion forte et belle de ces campagnes, ce sonl ces cliarmantes Cauchoises aux yeux bleus, au frais visage, h la laille ^lancte, et dont I'eclatante beaute se trouve en- core rehaussee par une coiffure elevee qui, en depit de certains detracteurs, ne manque pas d'elegance. Au-dessous de Tancarville et citoyant les falaiscs du pays de dux, la Seine va douMer le cap du Ilode, coule devant Saint-Jacques, Saint-Vigor, Sandouvi lie etOudales, relraites pittoresques des pechenrs de la cote, et baigne le pied du chateau d'Orcher, dont nous apercevons les ave- nues sur le haut de la colline; massif et sans art dans sa construction et son architecture, ce chateau a ete bSti h la place d'une ancienne forteresse qui defendait ancien- nement I'entrce du lleuve. Ce manoir est fort connu de tous les marins qui fre- qucntent ces parages, il leur sert en quelquesorte de fa- nal poursc garer des ecueils et des bancs dont le bassin de la Seine est parseme a sa hauteur. Entre tous les sei- gneurs auxquels appartint ce domaine dans I'origine, un seul uniqueraent a survecu k I'oubli, cost Robert d'Or- cher, qui suivit Robert le Diable en Palestine. Dans des temps bien post^rieurs, eette propriete d'Orcher fut un des qualorze domaines que posseda dans notre pays \'ii- cossais Law, qui, apres avoir acquis des milliards, alia mourir ii Vonise dans la misere. Nagufere encore, ce caslel.qui depend du village de Gonfreville, situ6 par derriere, avait pour proprietaire la bonne et cha- ritable marquise de Nagu, qui, a Orcher comme i. la Meilleraye , marqua tous les jours de sa vie par des bienfails. Elle aura aupres do Dieu de puissants inter- cesseurs dans les pauvres, dont elle prit toujours b tichc d'adoucir les soufTranees. A. L. Ravergie. PROMENADES AU Ml SEE DE GEOLOGIE. INTRODUCTION. I. Alfred, vous connaissez dejk I'histoire naturelle de quel- ques animaux, mais vous ignorez encore celle du globe que vous habitez.« Au com- mencement, Dieu crea le ciel et la tcrre." Ces paroles si sMiiples,qu"on lit dans toutes les histoires saintes et dans le catechisme , contiennent la matiere d'une grande science. La g(^ologie (ainsi nomnide de deux mots grecs, dont I'un signifie terre, et I'aulre', discours) embrasse tous les Siges de la planete oil le Crealeur nous a places. II faut, en effet, nous representer le globe terrestre comme un Mre qui a eu sa formation, sa croissance, et qui est parvenu maintenant h son 6tat viril. Vous ne vous etonnerez done plus si vous m'entendez par- lor de I'enfance de la terre : vous songerez seulement a la votre, a ces premieres annees qui ont suivi votre naissance , et dont le souvenir est pour vous en- vironne de ten^^bres profondes. Quand vous voulez acque- ri, des renseignements sur cet Sge oublie, vous vous adressez a votre mere. Puisant dans sa m^moire, elle en tire une response a toutes vos questions. Souvent elle vous ■raconte m^mc dos rv^nements qui ont precede voire naissance, et dont la trace serait a jamais perdue pour vous si elle n'avait pris soin de la conserver. — Voilii qui est bien pour obtenir des instructions de ma mfere ; je lui demande : ■ Oii les choses en ^taient- elles avant que je fusse au monde? » et elle me r6pond toujours juste ; mai^, comment faire pour tirer de la terre le recit des evenements qui ont devancS la naissance du genre humain? — On s'y prend absolument de la mjme maniere : il faut I'intorroger. — Comment? la terre parle done? . — Oui, mon ami; ce n'est pas un langage articulfi, comme celui des hommes, ni meme comme la voix des animaux; mais c'est une forme de langage que les savants coniprennent , et que vous comprendrez comme eux quand je vous en aurai donne la clef. Lai.s.sez-moi d'abord vous faire quelques questions bien simples. En jouant dans le jardin avec vos caniarades, n'avez-vous pas re- marque un amas de rocailles, qui ont servi i batir une espece de grotte? dans ces pierres n'avez-vous pas re- marqu6 des incrustations de coquiUages? — Oui, nous en avons m^me detache des fragments qui avaient la forme de colimacons allongiis. — Comment ces coquiUes d'animaux appeles moUus- ques ont-elles pu s'envelopper dans la substance dure de la pierre? n"est-il pas raisonnable de supposer qu'a I'epo- queou cet amalgame eut lieu, la densite du calcaire qui empAte aujourd'hui ces coqudles n'cxistait pas? C'etait une espece de vase, tenue en dissolution par la presence des eaux, et qui s'est durcie sous I'influence de I'air sec, quand les eaux se sont retirees. Ne voit-on pas encore tous les jours des terres glaises, d'abord huraides, qu'on piitrit dans la main comme de la cire, prendre bient6t, sous I'aclion du feu, ou simplement sous celle de I'atmo- splierc, une consistanco tresgrande"? Supposons mainle- cant que des corps ctrangers, comme des debris de pois- sons, des coquilles ou des os de niammiteres, soient en- gages dans cette boue sedimenleuse ; qu'en resuUera-t-il '? — U arrivera ce qui arrive lous les jours quand je marcUe sur une (crre liumide et molle : la forme de mon pied s'imprime dans la malii;re argileuse. — Precisement. Le iiom qu'on donne a ces empreintes vegftales ou animales, couservees depuis I'origine des choses dansle sein de la terre, est celui de fossiles. — Ainsi, les figures cylindriques que nous avonstrou- vces dans les rocailles dujardin etaient des- fossiles de moUusques. — Continuons. Ces picrres ont ele lireesd'une carriere dans les environs de noire demeure. 11 faut done que les lieux oil nous habitons aienl ete envahis autrefois par les eaux. — Ce sonl sans doule les Deuves ou les riv ieres du pays qui ont di'borde. — Non, mon ami; carles mollusques dont \ous parlez sont des mollusques marins, qui ne pourraient pas vivre dans des eaux donees. — Est-ce que par hasard la mer serait venue autrefois se promener dans notre jar Jin? — Comme vous dites; les eaux de la mer ont occupc non-seulement votre jardin et les environs, mais encore, «l sans doule a plusieurs reprises, toule la surface du globe. — Y a-t-il de cela bien longlemps? — Ce sont des eveneraentsdont ni moi, ni voire pere, ni aucun des hommes qui ont vecu sur le monde, n'ont ete les lemotns. — Je vols maintenant commenl on arrive a deviner par le raisonnement ce que vous appelez I'histoire de la terre. — Ce n'est pas tout. Je vous ai dit, et vous comnien- cez a voir par vous-m^me, que les choses ont plu^ieurs fois change de face sur le globe terrestre. La creation a eu ses epoques. Youssavez qu'en liistoire on designe par epoque une mesure de temps, durant laquelle s'accomplit un ordre limite de fails. On a encore donne a ces chan- gementssuccessifs, qui ont amene I'achevement de noire planete, le nom d'Jges de la terre, par allusion aux pe- riodes humaines, I'enfance, la puberte, I'adolescence, la jeunesse, qui ferment les diverses epoques de la vie. — J'ai pourtant lu dans mon hisloire sainle que Dieu crea le ciel, la terre et ses habitants dans I'espace desix jours. — Cela est vrai : mais il faut bien segarder desert'pre- senter les jours de la creation comme nos jours actuels, qui commencent avec le lever du soleil, et finissent avec soncoucher. Moise, I'auteur inspire, n'a point voulu dire que ces grands evenements, dont la suite constitue I'his- toire de la formation du globe et cells des etres crees, fussent I'ouvrage de six fois vingt-quatre heures. Le mot liebreu yom, que Ion a traduit par jour, signifie epoque, reiohUion. Chacun de ces jours a done pu avoir plusieurs siecles. — Voili des jours bien longs! Comment se fait-il que Dieu, qui est tout-puissant, n'ait pas fait inimediatemcnt toutes ces choses? — Dieu est tout-puissant sans doule ; mais il a voulu nous enseigner par lui-m^me la loi du travail et de la patience. C'est une image grossiere, il est vrai, que de I'llO.MEiNAUES AU MISEE DE GEOLOGIE. I 51 comparer I'ouvrage du Crealeur a celui d'un arlisan ; mais Bossuet n'a pas dedaigne cetle comparaison, etnous pouvons bien nous en servir apres unsi grand ecrivain. Or, une niaison ne se construit pas subilemenl de toutes pieces ; olle s'eleve, pour ainsi dire, pierre a pierre, etage par etage ; quand une fois la bitisse a recu son couronne- mcnl, on y inslalle les personnes qui doivent I'habiter. Celte image nous donne une idee bien relrecie du travail de developpement qui a perfectionne, a Iravers les Sges, la demeure actuelle de I'liomme. — Je ne me faisais point cetle idee des six jours de la creation, et je ne sais trop si mon professeur y souscrira. — Oui, mon enfant : lorsque Sa Saintete Pie Vil vint a Paris, il eut une entrevue avec les savants de I'lnsti- lut; or, dans ce concile d'un nouveau genre, il n'hesita point ^ reconnaitre, comme orthodo.xe, rinterpretation que je vous ai donnee. Lesjoursjf'nf'smqucs sont des revo- lulions seculaires, qui se succedent entre elles pendant de longs inlervalles, et qui marquent comme des temps de repos entre les grandes operations de la nature. — Qu'entendez-vous par la nature, s'il vous plait? — Jo suis content de celte question, et je vais la re- soudre. Les savants ont attache differenls sens au mot nature : sans nous arrOler a leurs interpretations, qui ne sont pas loujours conformes i la foi calholique, nous en- lendrons par la nature I'ensemble desloisquele Crealeur a elablies, et dont il se sert, soil pour former, soil pour conserver lout ce qui existe. — Ainsi done, nous allons au musee de geologie : y a- t-d beaucoup de tableaux et de statues dans ce musee- la? — Je vols ce qui cause votre erreur, mon jeune ami. Vous avez ete aux musces du Louvre, vousy avez vu des ouvrages de I'art, et vous en cnncluez que lous les mu- si'es doivent ^tre destines a recevoir les creations de la peinlure et de la slatuaire. Detrompez-vous ; la nature a aussi ses monuments, qu'il est juste de recueillirdans des elablissemenls publics. Nesontce pas, en effet, des mou- lures, des sculptures veritables, que ces empreintes au moyen desi|uelles la nature a garde les formes des animaux anlediluvicns, comme 'on conserve sur le plaire les trails cheris et venerfe de grands hommes que la mort en- leve. — Qu'entendez-vous, je vous prie, par animaux ante- diluviens? — Je vous ai parle des ages de la terre ; chacun de ces 3ges avu une population d'animaux, aujourdhui eteints, dont les debris servent a caracteriser, je dirai meme i) re- conslruire I'elat general du globe durant leur periode d'existence. On nonraie ces Hres anU'dilui'iens, pour les distinguer de ceux qui vivent maintenant a U surface du globe : ils sont elTectivement anterieurs a la derniere ca- tastrophe qui a change Petal primitif des choses, et que les sain les ftcritures designent sous le nom de deluge. Ce sont les resles, les empreintes de ces animaux delruitsque nous allons visiter tout a I'heure dans le musiie de geo- logic. — D'oii a-t-on recueilli ces debris des creations antedi. luvienncs? — Ces medaillesde la terre sontrepanduespresque par- tout a la surface du globeetdanssoninterieur; onleslrouve dans les carrieres. dans les mines, dans les feiiles et ca- vcrnes des rochers, ou mi>me a peu de distance de la PARALLfeLE DE JUGUUTIIA superficie du sol. En 1799, un marchand devindela rue Daupliine, a Paris, en faisanl dcs fouillcs dans sa cavo, di'couvritunepit^ce osseuse, d'une grandeur considerable, enfouie dans une glaise jaunJlre et sablonneuse. Ce frag- ment voluniineux clait une tele debaleine. On a decouvcrt plusieurs ossements fossiles dans les carriercs de Mont- uiartre. — Pourquoi nommez-vous ces debris, des niedailles? — C'est un usage Ires-ancien que celui de frapper des niedailles d'or, d'argent ou decuivre, pour fixer le souve- nir d'un cvenementnalional, conimoune victoire, la nais- sance d'un prince ou I'avenement d'un souverain au Irone. L'art de decliiffrer les inscriptions marquees sur ces medaiUes, de les rapporter a des (5poques certaines, de reconstruire par ce moyen I'histoireella chronologie des faits, constitue une science qu'on appelle la numismnlique. Cette science offre des traits de similitude avec la geolo- gic. Les geologues sc servant aussi des cmpreintes trou- vees dans le sein de la terre, veritables mMaillesfrappees par la nature, pour retablir la miSmoire des ivenements qui sesout passes tr^s-anciennemcnt a la surface de noire globe. — ConiEnent se fait il que je n'aie rien lu sur cesmi- dailles-la dans les anciensauteurs? — La geologic est une science moderne. Les anciens avaient biendecouvert des debris d'aniniauxantediluviens; mais, dans leur ignorance de I'anatomie compar^e, ils avaient rapporli I'existence de ces fragments cnormes k telle d'une an,tique race de gcants qui auraient vecu au- trefois sur la terre. C'est amsi qu'ils placaient des tom- beaux partout oii ils rencontraient des os d'elephant. — Qui done a creelffgeologie? — Une science ne se cree pas tout de suite et par I'ef- fo:t d'un seul homme ; elle croit et se developpe avec le temps, au moyen d'une suite de d(5couvertes ajoutees les unes aux autres. II serait trop long de vous raconter toute I'bistoircdelageologiejje vaisprcndre seulementquelques noms qui marquent les grands progres decelte histoire du monde. Bernard de Palissy, simple poller de terre, qui fut un grand artiste dans son metier, deduisit de I'ob.serva- lion des coquilles fossiles quelques idees pleines de jus- lesse et tout a fait etonnantes pour son siecle, sur la for- mation des couclies du globe. Mais I'homme auquel la geologic est vraiment redevable de son existence, celui qui , porta le flambeau de la philosophic naturelle sur les mines des anciens mondis, c'est BuBfon. U vit que I'histoire de notre planete avait eu ses epoques, ses mouvements, ses revolutions, etqu'iletait possible d'en retrouver les traces. Apres lui, le savant qui a le plus fait pour determiner le caractere des ages du globe, fut Cuvier. Au moyen d'un principe nouveau, celui de la correlation dcs organismes, il reslilua, pour ainsi dire, a la lumiere les anciens ani- maux que le Createur avait formes et detruits Un artiste celebrc, M. David (d'Angers), s' est charge de transporter sur le marbre les traits de Georges Cuvier. Vous allez voir cette statue dans le musee de geologic. — Le statuaire a mis a cole du savant un globe troue, et, dans ses mains un fragment du monde, voulant exprimer par cette belle image que le genie de Cuvier avait en quelque sorte per- ce k jour I'ecorce de notre planete, et en avait fait sortir par cetle ouverture la revelation des faits qui consti- tuent I'histoire des six jours. Le DOCTRun N... PARAUELE DE JLGLIlTllA ET D'ABD-EL-KADER. Il y a quelque chose d'im- mense et d'ete:nel dans I'hom- me qui est inslruil el qui pense. .4u lieu de n'occuper qu'un point elroit du globe, il habile lout runivers; au lieu de ne vivrequedans I'heurefugitive, il vit dans les siecles, il a I'age du monde, I'ige de I'histoire; il rcprcsento tout le passe du genre humain ; il n'est pas sim- plemcnt un homme, ce sont les lionimes qui vivent etrevivent en lui. Cette possession des lemps et de I'espace par I'elude est merveilleuse comme la me- moire qui lege dans un coin du cerveau les cieux, les mers, les montagnes, lous les grands tableaux de la crea- tion. Un Numide, il y a dix-ncuf sikles, soutint le choc de la puissance romaine; on s'en est plus d'une fois souvcnu depuis qu'un marabout resiste avec tantde perseverance aux amies de la France en Afrique. Essayons done d'cla- blir un parallele delaille, motive, complet, qui nous fasse bien comprendre Jugurtha el Abd-el-Kader. Jugurtha, le neveu, le fils adoplif de Micipsa, ne passa point son jeune ;^ge dans de niolles frivolites-, beau, ar- dent et fort, il domplail les coursiers, lancail le javelot, disputail le prix de la course avec les jeunes gens de son Age, goiitaLl sans fatigue les joies de la chasse, el nul ne frappail plus l6t que lui le lion, le ligre ou la pantli^re dans les montagnes ou les forels de la Numidie. Abd-el Kader i {I'esclave du Tout-Puissant), homme aux formes charmantes, a la figure grave .et reveuse, aux belles mains et aux jolis pieds, apprit sans mattre a monler a cheval des ses premiers ans ; toujours il se monlra solide sur le dos des chameaux ; bien jeune encore, il elait adroit a lirer le fusil, nionle sur un coursicr; en poursuivantau galop un cavalier, il raballait a unegrande distance. Micipsa, pour deharra.sser ses fils i'un rival inlrepide, biiilanl el populaire, I'avail envoye commander un corps en Espagne, dans la guerre do Numance ; mais au lieu d'y tiouvcr la morl, Jugurtha y Irouva la gloire, une 1 Abd-cI-kiiJer e = [ ni; en 18US, (l.iris le vnisiiLige tie Madeira. ET DABD-1 belle rcnommee, et Tamitie de Scipion. II dit dans son coeur : a moi le royaume de Nuniidie! Apres la mort de Micipsa, il ne recula point devant un crime pour ecaiter de son clieniin lliemsa! qui importunait le plus son am- bition. Lorsque Adherbal, \cngeur de son frere, prit Ics armes, Jugurtha commenra par lo vaincre et finit par lui faire arracher la vie a t^irtlia (Constantine) au mepris des lois de la capitulation. Maiire de la Nuniidie, il se niain- tenail par la vigueur de sa volonte, I'liabilele de sa di- plomatie, le courage de ses troupes diivouees a I'indepen- dance africaine. Abd-el-Kader , en entrant sur la scene, n'a eveille la EL-KADER. S5 jalousie dans I'Jime d'aucun chef musulman ; son iiaissan' genie n'a derange autour de lui le plan d'aucun dmir, d'aucune puissance arabe. Aussi n'a t-il pas eu besoin de precipiter personne dans la mort pour se delivrer d'une rivalile remuante. Le cadi Sidi-.\hmed qu'il fit mourir a Azzew elait plutot un traitre qu'un competiteur. PrOlra et guerrier, fils de Mahi-Eddin repute saint, lequel conip- tait lui-nieme plusieurs marabouts parmi ses a'leux, Abd- el-Kader, environne de bonne heure de respects pieux et de brillants pr&ages, s'est presente commo I'apotre et le defenseur de I'islamisme menace par la France ; les croyants d'.ifrique I'ont accepte pour guide et pourap- Aba-el-KaJcr parUiil Je Id reli; pui. • Quand il parte de la religion, dit un de sespoetes, ■ il fait pleurer I'oBil qui n'a jamais \erse une larme. • Ce fut en 1832 que les Francais entendirent pour la pre- miere fois prononcer le nom d'Abd-el-Kader. Successeur de son pere dans le bcylik de Mascara, il parut a la tSte d'intrepides bandes arabes qui se precipiterent inutile- ment sur la ville d'Oran devenue francaise depuis le mois de juillet 1830 par la soumission de Hassan-bey. Pro- clame sultan des Arjbes le 28 septembre 1832, son elec- tion fut consideree comme une ffiuvre du ciel. Les visions merveilleuscs et les signes prophetiques ne manquerent pas au berceau de sa grandeur. Lorsqu'il s'en alia visiter le tombeau de Mahomet, les saints de la Mecque lui di- rent : ■ Tu regneras un jour! » Jugurllia, dans les mauvais jours de sa fortune, pou- vait a force d'argent, d'activite et de genie, retrouver des troupes, reconstituer un parti contre Metellusou Marius. Mais il n'avait pas I'immense ressource du fanatisme re- ligieux qui ranime ^ternellement la bravoure, rassemble les debris et lance des forces nouvelles; Abd-el-Kader, toujours vaincu par nos armes, est toujours debout parce qu'il est puissant comme une croyance, mvsterieux comme le destin, et qu'il est profondement enracineausol comme I'idee musulmane au coeur de lArabe indonipte. Tout sentiment qui a Dieu pour mesureet pour butprend dans son energie quelque chose d'imperissable. Abd-el-Kader, banniere vivante, personnification belliqueuse de I'isla- misme africain, ful-il reduit a n'avoir que sa natte de palmier ou de jonc , que son cheval ou son chameau, serait encore redoutable. A un signal du marabout guer- rier, le desert pourrait s'ebranler; chaque vallon, cliaque plateau, chaque detour de montagne pourrait vomir des milliers de cavaliers. Jugurtha avail appris^Numance que tout etaitci vendre a Rome, et c'est avec I'or autant et plus qu'avec le fer qu'il atlaquait les Remains ; il acheta la moitie du senat, il fit main basso sur les consciences des bords du Tibre ; les belles quahtesdeCalpurnius et d'Albinus, la verlu de Scaurus elaient -venues echouer contre I'or de .lugurtha ; sauf de rares exceptions, le peuple seul etait alors hon- nete et pur a Rome, et les richesses du Numide avaient pour les nobles d'irresistibles seductions : la cupidite romaine fut pendant longlemps tout le secret de la puis- sance de Jugurtlia. I'AllALLtLE DE JUGURTllA ET D AI5 D-EL-KADE R. 54 Dans riige oil nous sommes, I'or n'a rien perdu de son ponvoir, et loules les consciences ne sont pas inlrailables. Pourtant Abd-el-Kader , qui sail re qui se passe dans noire pays, n'y a achete personne : I'emir n'a pas les tresors de Jugurlha , et puis, disons-lo, les Francais ne vendent pas la France. Autant qu'on peut en juger par les recits de Sallusle, les batailles de Jugurtha, avec les elephants de plus, res- semblaient assez aux batailles d"Abd-el- Kader; elles se coniposaient de ruses, de pieges, de fuiles simulees; les chevaux africains, accoutumes aux asp^riles des lieux, s'echappaienl a travers les focbers el les broussailles. Les Numides avec leurs javelots blessaienl ou tuaient de loin conime aujourd'liui les Arabes avec leiirs longs fusils, .lugurlha Irompait, faliguait, harcelait Icnnemi ; c'est encore aujcurd'hui la tactique du chef arabe. On corrom- pait les sources, on enlevait ou on d^truis;iit les vivres a Tapproche des domains ; on lombait sur les Iratnards, les imprudenis, sur tons ceux que ne protegeail pas le corps principal de I'armee. Les premieres victoires de Metellus raltrislaient parce que les inepuisables ruses du Numide les lui faisaienl payer beaucoup trop cher; il n'alteicnit forlement Jugurtha qu'en livrant les champs h la devasta- Uon el en livranl au glaive tous ceux qui s'offraient h lui en age de porter les armes. Ces especes de razzias, que nous avons imilees en ce qu'e'lcs ontde moinsatroce pour atleindre dans ses interelsrArabe qui vousechapppe toujours , avaient.decourage Jugurlha, epouvanle la Nu- midie. Nous ne croyons pas que Jugurtha ait rien emprunti h la discipline des armies romaines. Apres une bataille les soldals Numides se dispersaient, reprenant chacun le che- min de sa cabane, et cela ne s'appelait pas une desertion. Uien de r^gulier n'exislait dans les forces de Jugurlha; peut-ctre n'cut-il pas ose soumeltre a une organisation pcrmanente la farouche energie d'hommes accoutumfe a I'independance. Abd-el-Kader a montre plus -d'aulorit^ ou plus de giinie ; il a etabli des troupes regulieres ; nous avons les lois eties reglements qui forment son code mi- litaire. L'armee d'Abd-el-Kadcr, un peu fictive, caril n'a pas toujours les premiers elements pour appliquer sa le- gislation militaire, rarmcede I'l'niir, disons-nous, .separ- tage en yntini (cavalerie) ou Inia/las (cavaliers) , en askars (marcheurs ou fanlassins), en Uibiljius (canouniers). II a determine I'uniforme de chaque arme el de chaque grade, le mode d'avancement, I'adminislration des vivres, (Stabli des decorations el des recompenses. La bravourp, la piete, la palience,voila les conditions ducommandement. . L'of- • ficier, dit Abd-el-Kader, est a sa troupe ce qu'osl le • coeur au corps de I'homme. > Les chefs des cavaliers et des fanlassins portent des insignes en gui.se d'epaulettes; on lit sur ces insignes des inscriptions arabes donll'une exprime I'idee que la patience dans le commandement est la clef de I'assislance divine. Jugurtha devail etre eloquent; Sallusle nous ditqu'au moment d'une grande affaire le chef numide parcourait les rangs de tous sos balaillons et les echaiilTait de scs dis- cours. Lorsqu'il allaa Rome plaider sa cause dcvanl le senat, il ne lui fut point permis de se faire entendre de I'illustre as.semblee, mais les senateursqui s'etaienl repus de son or avaicnt senii aussi le pouvoir de .sa parole. Un grand charme s'attachait a la personne de Jugurtha; la belliqueuse jeunesse de Numidie s'eljit passionnee pour lui, ct dans Texpcdilicn dE-pagne,il claitdevenu, d'aprcs Sallusle, I'idole de l'armee comme la Icrrcur des Numan- tins. Jugurtha exer(;ait done beaucoup d'empire par son prestige personnel ; mais nous croyons qu'Abd-el Kader en oxerce bien plus encore. Telle est .sa seduction que parfois meme les officiers francais n'ont pas pu s'y dtVo- bcr '. L'emir joint a I'attrail des formes cxquises et au double litre de marabout etdeguerrier les qualitesde sa- vant el de poi^te. Ses amis nous apprennenl que, quand il monteson coursiernoir, il paratt modesle comme un petit enfant, el se couvre a moilie la figure ; ce qui n'emp6che pas qu'on ne compare sa vigucur a celle du lion. La poesie arabe conlemporaine nous repdte que I'espril de l'emir est plus vaste que la mer, qu'il est le savant des savants, le savant des marabouts, et que les pins grands lalcbs (c'crivains) s'inclinenl dcvanl son genie; qu'une lelire qu'on lui adresse ne reste jamais une heure sans reponse, et qu'il eniploie toujours les plus belles, les plus pures expressions. • Noire mailre, disent les po(?les de l'emir, est comme « la ros(!e qui lombe du ciel, comme la biise du prin- > temps qui parfume les jours des esclaves de Dieu , « comme le soleil des beaux mois dont lout le monde veut « avoir un rayon, comme le jpune jasmin qui embaume, « comme la rose qui se balance an lever du soleil, comme ■ la violelle appuyec sur une frfi'e tige et qui ne change « jamais, comme la cotomhe qui rouconle des le matin el « que les oiseaux viennenl ecouter, enfin comme une pe- • tile vague de la mer qui bat sans cesse les tiancs des • rochers , cat sans cesse noire mailre frappe I'oreille - du doux bruit de I'explicalion du livre divin (le • Coran). ■> Les vers d'Abd-el Kader sonl connus sous les tentes el les gouibis de I'Afiique; plus d'un cavalier les chante pour charmer I'ennui de ces longues courses ou parfois on fait des lieues sans rencontrer un seul arbre. L'emir a consacrS par des vers le souvenir de ses principaux fails d'armes; aprcs a\oir pris Tlmecen , il comparait la c\li arabe a une araic dont il aurait eonquis I'alTection. « En ■ me voyant, disait I'emir-poete, Tlmecen m'a donne sa ■ main a baiscr ; je I'aime comme I'enfanl aime le cceur ■ de sa mere: j'enlevai le voile qui enveloppail son long « visage, el je palpitai de bonheur : ses Jones 6taient « rouges comme un charbon ardent. Tlmecen a eu df» s avoir prononce sa petite boutade avec une moue charmante, elle attendit un mot, une excuse, une reponse au moins. — Salviati, en proie a une profonde preoccu- pation, detourna la tete, absolument comme s'il n'eut pas entendu. — Mon pere, adressa-t-elle ci Matteo Turbi, voyez done comme il est triste, toujours triste! Le vieillard hocha la tete en regardant Salviati. — Ahljene serai jamais gail murmura le jeune homme en essuyant une larnie. Jeronimo dit bonsoir b la famiUe Turbi. — Et Salviati Carbone, sans prononcer une parole, suivit son pere et sa sceur d'adoplion. C'elait dans le faubourg Traslevero quo demeurait Matteo Turbi. II occupait une pelite maisun, presque une chaiimierp, et avec le peu qu'il gagnait comme batelier sur le Tibre, il se fit trouve heureux si Salviati, par son caractere sombre et mysterieuse.-nent taeiturne, n'eOit trouble ses esperances et ses ri^ves de boiilieur. Ils cntierent done tous trois dans cette n aisonnette, et la jeune fi'le, ayant allume une modeste lanipe, vint la placer sur uno table oil trois couverts, proprement eia- les sur une nappe blanche, indiquaient I'heure du repas. LE SANPIETRINO. 59 Cliacun pril un-.siege. — A la faiblc lueur de la lampe nous poiwons mainlenant regaider les deux personnages i]ue nous ne connaissons que de nom. MatteoTuibi elait vieux, nous I'avonsdit ; il avail des clieveux gris.quelquesridescouraientsur son from, sui van t les differentes impressions qu'oxprimait sa pliysionomie; ses joues n'etaient pas revelues de ce coloris de force et de sante qui semble stereotype sup les faces prolelaircs ; an contraire, une teinte assez pile indiquait quolquo fai- blesse de temperament, ou plulot une l'iitij;»e prcsqnc maladivc, caus(5e par un travail long et peniblc. Nean- moifis, II y avail sur ses trails un air de douceur et do bonte inalterable. Virginia, sa fille, qu'il avail surnommce A'irgo el que nous continuerons a nomnier ainsi , par respect pour le caprice paternel, elait au moins jolie. Son front tanl soil peu bruni par une indiscretion du soleil, ses joues lege- rement purpurines, ses dents blanches bien encadrces dans ses levres de corail, la disaienl Italienne ; mais une bizarrerie de nature s'etail plu in lui donner deux types, car son nez decrivait une ligne prcsque droile avec son front, et son menton, aussi parfaitement arrondi qu'un ovale geometrique, reclamait pour la Grece la gloire d'une aussi charmante creation. Je ne vous ai pas parii desesyeux; ils etaient noirs certainement ; — mais ce qui fait mal a dire, c'est qu'en ce moment ils avaient un petit cadre rouge qui indiquait que des larmes les avaient mouilles. Un silence parfait regnail au sein de celle innocente famillo. Matleo Turbi regardail Salviali, puis sa fille. Parfois il arrivait qu'apres s'clre arr^tes en m6m» temps sur le sanpi^trino, les yeux de la jeune fille et du pere se renconlraient, et alors, si Ton eiit pu lire dans leur occur, on aurait vu la m6me pensee. — Sal- viali ne detachail point ses regards de la nap[ e qui s'etalail devant lui; seulement, immobde par moments, il scmblait se prefer tout enlierasa conlinuelle preoccu- pation, ou bien, la main dans son vetement, il froissait avec inquietude le billet que lui avail remis le niysli'- lieux inconnu. Malleo cherchait un ingenieux moyen de rompre la monolonie de ce silence. II n'en trouva aucun ; alors sa parole dul franchenn nt exprimer sa pensee : — Salviali, dit il, ne vois-lu pas que tu nous allrisles lie la trislesse et que ton silence nous fait mal? Le sanpietrino releva la iSte. Ce reproche, fail avec line anpelique douceur , venait de frappor vivement son extreme sensibilile. — 11 vit une larme dans les yeux de Virgo et une douleur reelle sur les traits du vieux Turbi. Sa trislesse el sa pr(5occupalion, quoique presque ind^- pendanlesdesa volonte, lui semblerent une faute d'autant plus grave qu'elle avail trouble le repos de sa famille adoptive. » — Ob! s'ecria-t-d, pret a fondre en larmes, mon pere, Virgo, pardonnez-moi ! — Je vous donnedespeines et des inquietudes, a vous qui m'avez donne du pain et I'liospi- lalile! .le n'ai que de I'ingratilude pour vous qui avez eu pour moi lant d'amilie! Oh! c'est afl'reux ! voyez-vous, il faul que je sois fou ! car uii homme en etat de bon sens ne se comporterait pas comme je le fais depuis deux ans. — iMiin pere, ma sceur, pardonncz a un malheureux ! Et le sanpietrino sc jela aiix genoux de Malleo Turbi. -^Mun fils! fit le vieillard en le relevant , dune simple observation lu veux faire un reproche, et quand je t'accuse dune velleite, lu veux I'accuser d'un crime! mon enfant, ne pleure pas ainsi. Salviali cclatail en sanglots. Virgo s'etail levee, el prenant un des bras du jeune homme : — Man fiere, s'ecria-l-clle, mon bon frere, qu'as-tu done? Et la pauvre enfant fit un cITort, pour, elle aussi, em- peclier son emotion d'eclater en sanglots. — Oh! lenez, reprit Salviali, je suis un miserable, je ne sais quel demon est enlre dans mon ciEur ; mais lorsque je devrais ^Ire heureux de la modeste profession que par vos soiiis on m'a donnce k Saint-Pierre, lorsque par mon amitie pour vous tous je devrais vous payer du bien que vous m'avez fail, eh bien ! il me vienl dans I'ame des pensees maudilcs. Je m(i figure que mon p6re, Jean Car- bone, doit, du haul des cieux, voir avec douleur son fils devenu sanpietrino, et il me semble qu'une force irresis- tible m'appelle sur uu champ de bataille, le sabre k la main ou le m ousquel sur I'epaule, vers la gloire, la gloire, cette deite sublime qui devient alors I'unique soleil de ma \ ie ! — Salviali, lu nous quitterais done ? — Tu oublierais ton vieux Matleo Turbi? — Tu ne voudrais plus penser a la petite Virgo? — Et quand je mourrais, tu ne serais pas au cbevet de mon lit! — El un jour, moi je courrai seule par les rues de Home I — Ah ! ne me parlez pas ainsi ! non, non, ce n'est pas possible ! Je n'ecouterai jamais ces maudites illusions, je suis sanpietrino elje resterai sanpietrino. — Ne dois-tu pas, reprit Matleo Turbi en radoucissant sa voix, devenir un jour le mari de Virgo? Virgo laissa lorober le bras de Salviali qu'elle serrait dans ses mains, et un mouvemenl de pudour inclina sa tele vers la terre. — Oui! prononca le fils de .lean Carbone , nous nous marierons et nous vivrons heureux. — Aliens! il revient a lui. Pardonnons-lui ses distrac- tions, et pour le lui prouver embrassons-le. Et ils ^changerent tous Irois le saint baiser de la recon- ciliation. — Puisque nous voici revenus h la gaiele, je vais vous center quclque hisloire, n'est-ce pas, Virgo? dil le vieux Turbi. La jeune fille sautail de joie. — Oh! fit Salviali, si vous voulez me donner un mo- ment de consolation, raconlez-moi cette epouvantable ca- tastrophe qui vit mourir mon pauvre pere. — Mais c'est trop trislel s'ecria Virgo dejh alarmee. — Cela seul a le privilege de me charmer. — Mon Dieu! mon Dieu! que je suis malheureuse; pour faire plaisir a mon futur mari, il faudralui faire de la peine ! — Non , une derniere fois, racontez-nous cela , mon bon Matleo, et puis jamais plus nous n'en reparlerons. — 11 le veut , murmura celui-ci; allons, Virgo: la femme doit obeissance a son mari. Le vieux batolier, apres avoir rappel^ ses souvenirs par un instant de reflexion, commenca son recil ; — Jai ele temoin des evenemenls que je vais ruconter; GO LE SANPIETRINO. aussi, qiielque surpronants qu'ils soient, croycz que ma parole ne pent Ics f;iire qu'au-dessous de leur effroyable realite. — Cetoit en 1788, j'habilaisla pclile ville de Mi- lelo et ma maison tnuclinit celle de nioii augusle ami Jean Carbone ; il etailvenu habileria Cahbre pour vivre liiin de sa patrie, qui n'avait ete qu'ingrate envers lui. Vous etiez bien jeunes lous deux; loi, Virgo, tu parlais ^ peine, et toi, Salviati, quand tu te dressais bien, la l6le depassait celle d'un chevreau. — L'ete de 1782 avail eu des chaleurs lorrides; I'hiver, comme I'automne, vil tombertantde pluiequ'une inondalion ccuvritles plaines, et alors bien des amis et des parents separes par leseaux ne devaicnl plus se revoir sur la terre. J'ai oui dire que le moisde fevrier avail loujoursete fatal ;'i quelque partie du monde. C'esl pendant ce mois qu'Herrulanum el Pom- pei furenl ensevelies sous les laves du Vcsuve. En Sicile, la ville de Catane, qui s'etait tanl de fois reconstruile apresavoircte si souvent renversoe par de^ Iremblemenls de Icrre, fill encore delruile au mois de fevrier. Nous vimes se lever le cinquieme jour de ce mois funeste; le ciel (ilait beau, il faisait presque froid ; lout a coup, vers le milieu du jour, les animaux se prirenl i pousser des cris extraordinaires ; leur instinct venail de deviner la calamite qui allait fondre sur le pays. Les chiens don- naienl un hurlcmenl long el conlinuel ; les chevaux hen- nissaienl el se cachaienl avec frayeur; les chats, le poil herisse, I'oBil injecte de sang, gontlaienl leur dos en joi- gnanl leurs qualre pattes, comme si un ennemi terrible les avail menaces. Les abeilles s'agitaient inquietes et Iroublees; on vil m6me un sanglier saisi de terreur se prfecipitcr du liaul d'un rocber. — Un bruit semblable a celui de la foudre grondail dans les entrailles de la terre, et bienldt on ciit dit que d'immenses calaractes brisaient les masses de granil ou tombaienl du haul des montagnes; Vuu de MileLO. la mer rendait un mugissemenl plus epouvanlable encore, el le peuple de la Calabre, les bras tendus vers le ciel, implorait la misericorde de Dieu. En ce moment il n'y avail plus ni fortunes ni rangs ; les meres emportaient leurs enfanls dans leurs bras; les hommes, leurs vieux peres, el tout le monde s'arrelailau milieu des plaines, prevoyanl que les viUes allaienl s'ecrouler. — En effet, en moins de vingt secondes, cent villes ou bourgs ne purenl resister au dechirement de la terre. II y eul sur le sol des mouve- ments si ternbles que Ton ne pouvail rester debout. Tan- tot on eul dit que le globe so retournail sur lui-m6me, tantot on fremissait d'horreur en le voyant s'entr'ouvrir en abimes hideux. — Monteleone venail de disparaitre ! Parghilia avail vu lous ses Edifices s'ecrouler en ecrasanl ses mallieureux habitants; dans la petite ville de Miloto, a peine si deux maisons restaienl encore debout. Le bourg de Poleplene avail broy6 deux mille personnes en se ren- versant de fond eu comble, el d'un couvent de religieuses une oclogenaire seule s'etait sauvce. — Tout cela, je I'ai dit, etail arrive eu moins de vingt secondes. — Alors on enlendit parlout une clameur de delresse el de supplica- tions, lei, sous des murs prets & lomber, une mere tenait ses deux enfanls contre son sein; la, un vieillard porlail sa vieille epou.se dans ses bras el il ne pouvail avancer ni rcculer, car aulour de lui la terre avail ouvert une fis- sure qui vomissait de la boue el du feu. — Les citoycns qui n'avaient pas ete lues ou blcses durenl chercher a sauver quelques viclimes. Ton pcre Jean Carbone, tou- jours brave et audacieux, vinl a moi te conduisanl par la main: « Tiens , me dit-il , garde nos enfanls, tandis queje vais sauver quelques malheureUx! — Je lui ob- jeclai que moi aussi je voulais concourir a une ceuvre si LA FREGATE L'URANIE. 61 sainte. — Et nos enfanls, s'ecria-l-ill — Je vous prcssais tous deux sur mon occur, il vousembrassa, etau moment de vous quitter pour ne plus vous revoir : Matleo, me ciit-il, si je meurs, ale pitie de mon fils! ct il partit en faisant un signe de croix. — Une lieure apres, en voulant arracher un vieillard a la mort, ilfut i'crase par I'ebou- lement d'une muraille. Le vieux batelier suspendit un instant son recit pour accorder quelques larmes a la memoiie de son ami. Sal- viati et Virgo pleuraient aussi. — A cole de Mileto s'elevait lecouventde Saint-felienne del Bosco; les cliarlreux qui j'liabilaient s'i'taient fait aimer de tout le pays par leur inlarissable bienfaisance. La catastrophe ducinq fevrier renversa la maison ; mais ils s'etaient refugies au milieu de leur grande cour, et ainsisauves, ils mouraient de faim, bloquespar les ruines. Deux ou trois jours apres, le bruit se repandit qii'on avail enlendu leurs oris, qu'ils n'etaient pas morls; alors quel- ques citoyens se devouerent; au travers des dangers les plus grands on put leur apporter des vivres et les sous- traire a leur cruelle destinee. Parghilia n'etait peuplee que de femmes, de vieillards, d'enfants, car tous les habitants valides exercent le metier de terrassier, et, suivant leur usage, ils ^laient partis pour la France, I'Espagne ou I'Al- leraagne, d'ou ils ne devaient revenir qu'a la fin de I'au- lomne. Les malheureuses Parghiliennes ne pouvaient ni deblayer les rues de lour ville, ni eiiterrer les cadavies qu'on trouvait sous chaque monceau de debris. On leur prodigua les premiers secours. Beaucoup d'enire elles etaient devenues folles el couraient les cheveux epars en demandant leurs peres ou leurs nourrissons. Le 7 fevrier, il y put un nouveau tremblement de lerre, et cette fois les habitants de cet horrible pays ne pou^ vaient plus reconnaitre le sol, tant les sentiers, les routes et les cheniins avaient ete bouleverses. Une viUa- geoise, agee de neuf ans, fut surprise au milieu des champs par la seconde catastrophe: la pauvre enfant ne savait oil porter ses pas, elle ne voyait que precipices ou dechiremenls de la terre ; ellepleurait etlevait vers le ciel ses deux petiles mains, lorsqu'elle vil venir h elle une chevrequi se prit^b^ler. L'animal avail reconnu lenfanl, carc'elait la chevre dela maison. Hegardant la petite fille, elle semblait lui dire : Suis-moi. Celle-ci compril et fut asscz heureuse pour ^tre conduite chez son pere, oil deja Ton pleurait sa mort. A Jerocarne, un carme nonime Agazio avail cherche le salut dans la fuite; mais un do ses pieds resla pris dans une crevasse qui se referma, et ses oris ne pouvaient etre enteiidus de personne ; un nouveau tremblement rouvrit la crevasse et lui rendit ainsi la liberie et la vie. Je ne finirais pas aujonrd'hui si je devais vous repeter tous les evenements que j'cntendis raconler a la suite de ces malheurs inouYs. Salviali ne voulait entendre que ce qui avail rapport a son pauvre pere. II se fit un instant de silence, apres quoi le vieux Mat- leo chercha par une conversation moins Irisle h egoyer un peu ses enfants ; puis, conime il se faisait lard, chactin moRta dans sa petite chambre. Quand le jeune sanpietrino se vit seul, il prit le billet qui lui avail ete remis dans I'osteria, il y sttacha long- temps son regard. L'horloge de Santa-Maria-in-Traste- vere sonna; il se leva, hesita un instant, puis : — Oh I dit-il, je veux seulement savoir ce que ce per- sonnage pent vouloir de moi et je reviendrai. Je vais des- cendre par la fenetre dont I'auvenl ne ferme pas ; a mon relour je rentrerai par le m^me endroit, sans que Matloo se doute quo je suis sorli. Aliens. Sahiati III tout ce qu'il veiiait de dire; mais au mo- ment oil il referniait I'auveiit de la fenetre, il lui sembla entendre du bruit dans la maison. II s'arrela comme s'il eiit commis un crime. Puis, n'entendanl plus rien, il se dirigea vero le monle Pincio. Joel. SCEAES, RECITS ET AVEXTLRES DE LA VIE llARITlilE. XA FRXGATE I.'DRANIE ■. II. C'est \k aussi qu'il faut entendre les interminables recils de voyages, de combats, de naufrages, d'evene- ments de mer si varies el si dramatiques; rinterSt y est toujours soutenu ; maislorsque les imaginations s'echauf- fent, la verile y recoit de cruelles cntorses. De la le nom significatif de ce forum maritime. Acelteepoque, VUrunie, magnifiquefrcgatedesoixanle pieces, etait encore sur leehantierdeRecouvrance presdes belles cales couvertes ^ ou d'autres vaisseaux se trouvaienl a des degres plus ou moins avancfc. I Voir 1. II, p. 286. 5 line c.ile coiiverte csl une vasle ncf au-de?siis d'une ca'e inclinoe; 'l-'iiDrmes coloiine:, L'lcii;;nccs de 70 3 80 pivdi rune dc I'aulre, soulienncnt line loiture hemispliericiue qui s'elive aisez liaut pour laisser I'air ct le jour y ponelrcr, louleii garantisiant de: cllels de i'intcnipcric 'c navire cu coustruclion. J'avais vu poser la quille et la fausse quille, I'elrave qui se courbait gracieusement a I'avant, retambut qui s'elevait a I'arriere oil se place le gouvernail; puis les membres recourbes qui faisaient ressembler la fregale ;'i un grand squelette avant que les bordages ne fiissenl veiius s'y joindre, ne laissant de vide^ que les sabords prets a recevoir ies canons. Man pere me fit meme etudier les dilferentes qualites des bois de construction, suivant qu'ils avaient ele con- serves sous des hangars, en plein air, ou dans la vas& rccouverle d'eau. Cette etude etait indispensiiMe ; insi que la connaissance du chanvre,et meniedu fer qui joue aujourd'hui un si grand role dans la marine. Je n'ai jamais cprouve un intcr^t plus vif et plus ;Cu- 62 LA FUEGATE LURANIE. tenu qu'a suivre tous les details de celte fregate que je devais luouter, el i laquelle moii existence semblait s'i- dentitier. Eofin, les travaux ayant etc pousses avec une grande activite, lu fregate se trouva termiiiee ct a meme d'etre lancie pendant une gr.inde mareed'autant plus favorable qu'il etait a presumer que levent, soufflant du largo, con- linuerait et la rendrait extraordinaire. Tandis que I'on travaillait a I'exterieur, les menui- siers preparaient les emmenagements interieurs ; on voyaitse dessiner, la cliambre du commandant, le carre des officiers ; les soutes' ^ pain, iicliarbuu, ^voiles ; celles des maitres^ la fosse aux lions', la fosse aux Ccibles, la cambuse et la sainte-barbe pj^te a recevoir les poudres. La scie, le rabot etla verloppe agissaient au dedans, et le long nijrteau des calfats'repondaiti leurs bruits, par mille coups destines a presser les bordages de maniere ^ faire du navire un tout homogene comme une seule piece de bois. L'ing6nieur etait fier de sonceuvre et il avait raisonde I'etre, carle gabaritdcsa fregate etaitun raodelede bonne facon. Deja les vieux officiers de marine et les matelots dissertaient de ses qualites futures ou de ses defauts presumes. Sera-t-elle bonne marcheuse ? obeira-tellebien a la voile et au gouvernail dans les virements de bord? fendra-t elle bien la lame ? quel sera son tirant d'eau? etc., et cent autres questions qui etaient postes, com- baltues ou resolues souventavec temerite; car la mature. Biitimetit cii reparalioD. la voilure et I'arrimagc exercenl aussi une grande in- fluence sur les qualites d'un navire. On a vuun vaisseau, mediocre marcheur sous un capitaine, prendre plus d'ac- tivite sous un autre qui decouvrait la cause de cetto Ifinteur et la faisait disparaitre. Les pr^paratifs curieux de la mise b I'eau furent faits avec une extreme activite. 1 Cases en menuiscrie pour niellre le pain, le Liseiiit, tes voiles, etc. i Muttrit. — On connait sous le iiom de maislcance les niuitrus culfals, tanonnicr, d' equipage, voilier, etiarpenliers, etf., el aiHsi le capitaine d'artnes soiia-orricier t\n\ a soin des amies et qui est le commissaire de police du bord. S Foeie aux iiona, cacliol oil on met ]«^ 1 o isine^ r ca'< I'ranls. On Hablit sur le plan incline de la calle de construction un appareil en cliarpente et en cordage, nomme her ou berccau, qui devait glisser et emporler amsi la frtigate a I'eau sans qu'elle perdit sa position perpendiculalre. II consistait a placer dans la longneur de la quille une piece de bois nommee coijtte et puis des pieces verticales nommees colombiers et ventrier.s. — La clef debout, les saisines et une s^rie de cordages roidis, Irop longs k decrire, se joignirent k cat 6chafaudage pour maintenir la frigate 4 Calfitf, ouvriers qui cli.iulTenl le navire, enloncent retonpe dans les coulurei. surveillent Ici Toics d'eau ct LA FREGATE LURAME. 65 alaquclle on enlevasuccossivement, avec des precautions infinies, les supports qui la soutenaient. Cetle delicate operation etant terniinee, des ouvriers armes de longs pinceaux, frotlerenl de suif fondu toutes les rainuresetles parties de I'appareil dont on passa I'in- speclion la plus niinutieuse. Le lendemnin, jour de K-te et de trioraphe, le soleil se levant radioux dissipa la brume qui pesait sur la ville et la rade, comme un lourd voile gris. On avail craint la pluie, mais le ciel nous favorisa. Des le matin le rappel retentissait dans les casernes de la marine, les officiers en grande tenue circulaient dans les rues; les dames dans leurs plus brillants atours se dirigeaient vers la grille du port; les ouvriers aussi avaient leurs habits de fete, la joie brillait sur toutes les figures. C'est qu'il y avail dans la mise ii I'eau d'une belle fregate, plus qu'un interet de curiosite ; tous eprou- vaient aussi un sentiment de fierte nalionale en faveur de notre belle marine. Les abords de t'l'ranie ayant ele d^barrass^s de lout f e qui pouvail faire obstacle el gener les manoeuvres, on avail erige un amphitheatre pour les autorites maritimes €t les personnes invitees; d'un autre cole les quais etaient converts d'une foule mobile, agitee, bruyanle, landis que, cent embarcations diverses, ornees de drapeaux flotlants fendaienl les eaux calmes du port etoffraienl le spectacle le plus anime et le plus pitloresque. La Iregate, veritable geant, dominait toute cette scfene etl'on pouvail juger de ses formes elegantes etgracieuses. Deux immenses pavil- ions, developpes par la brise i sa proue el h sa poupe, monlraient avec orgueil les couleurs de la France. Bienlot la mar^e etant arrivee au plein, le bruit du tambour et de la musique mdilaire cessent de reteotir; cette fouli-', tout a I'heure si agitee, se calme comme par cnchantement ; on eilt enlendu le fremissemenl d'une feuille agitee par un vent leger. C'est que le monienl soleimel approche el tous les ca'urs sont emus des mcmes crainles et des memes esperances. Le porte-voix fait entendre un commandemenl que repelenl les echos du port, et le bruit sourd des masses annonce que I'ordre est execute ; quelques pieces de bois tombenl avec fracas, de nouveaux commandemenis se succedenl precis, impe- rieux et aussitot executes. Tous les yeux sonl fixes sur I'enorme masse : lout a coup on croit la voir s'ebranler, un cri longlemps comprime s'echappe de la foule; la fre- gate marcheen effet.lenlement d'abord, puis avec rapidite, entrainant et renversanl tousles obstacles dans sa course. En moms dune seconde , elle s'elance dans la mer, sa preceinte fend lesvagues, laissant a sa suite un long sil- lage, elle se balance gracieusement sur les llots donl elle semble prendre possession et dont elle augmenle I'agita- tion ; sans les cables de relenue elle irait se briser contre le quai oppose. Plusieurs fois deja, lemoin de cet imposant spectacle jamais il ne m'avait aussi vivemeatimpressionne que dans cette circonslance. Ce beau navire en effet allail voir mes premiers pas dans la cairiere maritime; je devais affronter avec lui les tenipfeles de I'Ocean , les calmes souvent plus dange- reux encore , peut-i^tre aussi les chances de la guerre et visiter des contrees lointaines dont j'avais entendu tant de recits eblouissants. /-'(>ani'c,ayantetelancce, fulimmediatementconduite sous la niAture pour y recevoir ses bas mils ; alors on put voir cette coque svelte et gracieuse qui annoneail la reine des mers ; un de ces beaux vaisseaux enfin, que les An- glais semblent douer de sentiment el d'intelligence en les nommant a man of ll'ar. Quelle difference des formes coquettes d'une fregate aveccelles des galiotes hoUandaises pesanles elcarrees; desbalaourds prussiens, des chasse marees el dogres, y6- ritablesportefaixde la mer, qui, lourds etsans graces, ont toujours I'air essouffles sous leur charge pesante, el plon- gent peniblemenl dans la mer leurs faces barhouiUees de galipot. Cependant, le commerce possede parfois de jolis navi- res; lels que les trois-mals de Bordeaux et du Havre, les somptueux paquebots americains, les briks elegants el les fines got'letles. Je dois le dire , car il faut rendre jus- lice il loul le monde. La fregate n'i:tait pas encore lancee que le comman- dant s'occupait avec un soin tout particulier de la com- position de son equipage, el il etait merveilleusement seconde par le commissaire des classes qu'il complait au nombre de ses amis intimes. II recherchail autant que possible les maitres etniatelots ^prouves, vigoureux, in- gambes. II voulail enfin un equipage d' elite. Au nombre des maitres engages pouria campagne, nion pere vil avec plaisir Pierre Raban, surnommc pere Gar- celte; ce vieux loup de mer avail longlemps navigue sous ses ordres et lui avail voue une affection toute parti- culiere. Maitre Raban venait de debarquer depuis pen de mois, apresavoir faitun voyage de circumnavigation; il n'en fut pas moins empresse de s'embarquer de nouveau- car il s'ennuyait morlellementa terre.apres Irois moisde sejour auConquet, son pays natal; sejour pendant lequel il courait la grande bordee , c'est-Ji-dire qui etail em- ploye a visiter tous les cabarets du pays et des envi- rons. Slaitre Raban etait un matelot de la vieille roche, avec tous les defauts el toutes les qualiles qui distinguenl ces braves gens ; c'elait le type de I'insouciance et de la pro- digalile, mais il etait brave jusqa'a la temerite, honnete el ami devoue. Grossier dans ses habitudes et dans son langage, loutcherlui sentait le goudron. £tanl mousse, il navigua dans I'lnde avec le celebre capitaine Surcouff' ; plus tard il fut prisonnier sur les pontons de I'Angleterre, aussi avait-il pour les .4nglais unehaine vigoureuse ^ga- leeseulement par celle qu'il portaitaux bateaux a vapeur. Un pareil homnie etait un guide precieus pour moi, el j'ai tenu i vous le faire connaitre parce que je lui dois plusieurs des recits que je vous transmettrai. Olivier le Gall. I Pameiix capitaine Ac corsairc dc Sainl-Malo, qui fut la icrreur du cam- merce aoglai, pendant Icj gucrres de I'Empire. ot TABLETTES PARISIENNES. TABIETTES PARISIEl'ES. I 'ouverlure ties cham- bres et Ics bals du monde constituent le principal element de la clironiqne du iiois dernier. — Les salons de madame DucliStel etde madame de Ram- buteau sont parlicii- lierement rccberches, a cause de I'amenite ;j;racieuse et del'esprit eharniant qui y pre- sident. — Au dernier bal Aonnk par la du- chesse de Galiera, un LOmmcncement d incendie est venu jeter le trouble au milieu des quadrilles; un instant on a pu croire a une calastrophe; par bonheur il n'en a ricn cle ; et quelques robe.s froissecs, quelques bijoux perdus, lei est seulcmcnt le rcsullat de cetle panique. La diplomatic est tout entiere acquise aux fetes de M. le prince de Ligne, — absolument comme les beaux noms de la science et de la litlcrature se donnent rendez- vous aux soirees de M. de Salvandy. Parnii les holes ha- bituels et alTectionn^s du ministre de I'inslruclion publi- (]ues, nous devons citer M. Ponsard en premiere ligne. -r- MM. Victor Hugo, de Lacrelelle et Augustin Tliierry ri'u- nissenl ^galenient une fois par seinaine I'eiite des homnies d'art et de poesie. Lepere des Burgraves a lu I'aulre jour une piece de vers inedile sur les harmonies de la cam- pagne. Inutile de dire si I'on abattu des mains. A I'Academie, nous avons eu la reception de M. Ch. deRemusat, — ^ homme de politique, de philosophic etde lilterature ; esprit grave el superieur, appele au fauleuil de Royer-Collard. Le discours du noble recipiendaire est digne d'etre remarqu^, et il a ete vivement applaudi. — Mainlenant les trente-neuf immortels s'occupent a cher- eher un successeura M. de Jouy. L'opinion publique ap- pelle de tons ses vopux M. de Balzac, M. Alfred de Musset ou M. .lanin. Pendant ce temps, la mortfaitsa moisson d'hiver; deux ecrivains s'en sont alles, a peu de jours d'inlervalle I'un de I'aulre. Ce sont M. Theodose Burette et M. Jacques Chaudesaigues, un historien et un critique. — Des voix eloquenles sc sont fait entendre sur leur fosse et ont pro- nonce quelques paroles pleines d'un regret bien senti. Un monument par souscription doit i'lre uleve a iM. Th. Burelte. Le monde des rrtisles se lieil dans une sphere plus discrete, ou il faut aller chercher les nouvelles pour les savoir. — M. Eugene Delacroix termine en ce moment une tele de Christ pour le prochain salon. — On parle aussi d'un superbe buste de Saint-Just, par David d'.An- gers. — L'autre semaine, M. Guizot a recu de la reine d'Espagne une toile de Murillo, reprcsenlant saint Jean Baplisle. .4u-de.ssous sont ecrits ces mots : « Offert h M. Guizot, ministre des affaires ^trangcres de France, par S. il. C. dona L«abella secunda.. • On vient de frapper,a I'liotcl desMonnaics, unemedaille grand module, destinee a Stre dclivree en ri'compense aux ciloyens dont le zele s'est le plus manifeste lors des re- centes inondalions. — D'un cote, on voit la Charite ve- nant au secours d'une pauvre femme ensevelie sous des decombres, avec celle inscription : o SecouEs apportfs aux inondes de la Loire, 1846. » — Le rovers porte, au milieu, dans un cercle d'eloiles : « Honneur et reconnais- sance. » Puis alentour : «.4u courageux devouement, aux sympathies genereuses. » — Cetle medaille est une desplus belles qui soient sorties depuis longtcmps des ateliers de la Monnaie. Le premier concert du Conservatoire a eu lieu vers le milieu du mois. Haydn, Mendelssohn, Beethoven, Jomelli, Weber et tout le cortege des grands niailres, ont fait les frais de cette soiree, ou le violon de AL Alard et la voix de M. Alexis Dupont ont ete parliculierement applaudis. — Les choeurs sont en voiede progres. — II y avail la I'elile des amateurs el des gens du monde; on eiil dil une representation aux Italiens, et des plus brillantes, je vous assure. Apres Robert Uruce, ce pastiche de la Dame du Lac, el dont aujourd'hui on ne parle presque plus, un nou- veau compositeur s'est revel(5 d'une heureuse facon a rOpi-'raComique. — Nc louchez pas a la Heine parlage aujourd'hui avec Gibby In Corneimisc les sympathies du public. Le succes de I'un vaut le succes de l'autre. M. Boisselol n'a rien a envier a M. Clapisson. — Quel- ques niorceaux de celte partition nelarderont pas a deve- nir populaires, entre autres un bolero d'une couleur excessivement coquette, el un duo ravissanl qui se Irouve, je crois, au deuxiijme acte. Le debut de M. Boisselol est un evenemenl, par ce temps de pclites romances et de barcarolles (|ui lapissenl plus que jamais les vilres des marchands d'harmonie. La science a applaudi ces jours derniers a la nomina- tion deM. Leironne comme direclcur de I'i'role des Char- les. — La France entiere applaudira a la petition que so propose de deposer a la chambre la Socict(5 des gens de lellres, pour reclamer I'achevemenl du Louvre. Pail Sebv.ms. Typographic Lacrampb fils el Cf, rue DamleUc, 2. BP.n !SH MOSFLV, 7 ACG J!) NATURAL HISTORY. UN Ai\ A PARIS ii 1 Inltneui d'lin rt;>l,iuranl. 111. Un dcs spectacles les plus attrayanls pour nioi , dans nion enfancc, — lorsque \e- nait a passer une menagerie furaine, — c'elait d'assister au repas des animaux. Ce plaisir, dont j'etais privfi de- puis qnelque temps, je viens d'en relrouver la sensation en voyant Paris a table. Una [lage ou deux, ce n'est pas trop pour retracerun tableau si digne d'altenlion. Avant de dire comment noire beros pense et parle, lai?sez-moi done vous dire de quelle ma- niere il mange, — quoique rien ne soil moins romanes- que, assurement. Mais c'est de I'hisloire que nous avons la pretention d'ecrire. II y a quatre facons de manger : — chez soi, — chez les autres, — dans les restaurants, — dans la rue. Si Ton m'en trouve une cinquieme, on sera bien avis^. — Gene- ralement parlant, on se nourrit moins bien a Paris que partout aiileurs. Cela depend de plusieurs causes. Les uns n'ont pas le temps ; les autres n'ont pas les moyens. Pour ce qui est des aliments indigenes, il n'en existe pas ; • Voir pages 1 et 35. Ill a moins que vous n'appeliez de la sorle cesracinesvenues au milieu des platras de la banlieue, ou ces fievreux ani- maux qui paissent dans les fossesdes fortifications. Le sol parisien est le plus pauvre de tous ; la vigne n'a jamais pu y prendre : c'est comme un crSne de soixante ans sur le- quel il ne pousse que des cheveux de perruque. En fait de vignes, sur le sol de Paris il ne pousse que des echa- las en boisde teinture. On comprend que le pauyre diable reduit a un pared regime se prenne d'un amer regret pour les paturages de sa Normandie ou du Languedoc. Peu a peu, il arrive par la repugnance a un exces de sobriete qui le fait sem- blable aux ^ruminants de la plus maigre encolure; les re- pas homeriques de la province s'elTacent graduelleraent de S3 memoire, et sa plus vive esperance est de realiser un jour le probleme du vivre sans manger. Tristeespoir! diront quelques-uns. — Mais je ne parle ici que du mal- heureux que ses faibles ressources obligent a se sub^tan- ter exrlusivement des produits fabuleux du departement de la Seine. II en coile done assez cherpour diner passablement, — et fort cher pour bien diner. Nous ne nous appesantirons pas sur les repas du monde et de la famille, qui sont les plus connus, quoiqu'ils soient les moins communs. Le piltoresque n'est pas \h. ^ Ou nous le trouverons, c'est dans les restaurants et au coin des bornes, non dans les salons de la Chauss^e-d'Antinnidans les inlerieurs bour- 5 66 geois quolidiennemcnl voiics au poiilol el Ji la salade ; inais un peu dans la niansarde, et parlout aussi ou se rencontre un grand appetit, mile b une grande missjre. II y a des restaurants do loutes sortes el de tout prix ; il y en a de fort beaux a bon marcW, il y en a de tres-chers qui sont tr^s-laids; I'oeil d'un Parisien ^pur-sang est in- dispensable pour Ics discerner. A la jeunesse dor^e et a la fashion appartiennent la Maison d'Or et le Cafe de Paris; aux Turcarets de la Bourse el aux ^lecteufs en vacances, Y6ry el Vefour, les deux jumeaux des cuisines parisiennes, les classiques du genre. — Apres eux un abime. Ce serail une erreur grossiere de croire que ces four- neaux illustres ne brulent absolumenl que pour les eslo- niacs millionnaires et pour les fils de famiUe cousus d'ar- eent. Les pauvres enont aussi leurparl, — el nousn'enten- dons point par IJi ces bouliquiers qui se font une fSte d'aller chez Vefour une fois dans leur n>. — Non. Ce sont mille de ces jeunes fous, sorlis de Clicliy par une porte pour y rentrer par I'aulre, trou^sdedottes, doubles deniemoires, cribles d'assignalions, .et qui seraient fort embarrass^ ' de manger autre part qu'au boulevard des Italians, ou le credit a ou\erl domicile. lis dinent a vingl francs lors- qu'ils n'onl pas de quoi diner a vingt sous. C'eslcet indus- triel qui vienl d'acUeter sa ruine dans une poignee d'ac- lions,et,qui faisantsauter unbouchondeSiUery.lraile au toin d'une table la vente de sa fabrique ou de son usine; — ce sont lous ces Titans du commerce et de I'exploita- tion, prets b tomber ecras6s sous le rocher de la faillite, pauvres gens dont la chute entrainera demain celle de cinquanle aulres, el dont la derniere rasadeajoule encore un dernier billetdebanque au passif de leur bilan! Et puis aussi, ces piles rejelons des grandes families ruinees, fiers et modestes hidalgos de la Bretagne ou de la Touraine, qui \iennent noblement el melancolique- menl diner d'une colelette, parce qu'ils croiraienl dero- ger en portanl ailleurs leur blason mutiW. — Combien en ai-je yu de ces tristes jeunes gens, parmi ceux-la qui portent les plus grands noms el qui cherchent encore in- Yolontairement a leur cote la garde d'une epee absenle, s'eleindre lentement comme des fleurs d'un autre pays, en eardant jusqu'Ji la fin le rang hfereditaire, el pour n'a- Yoir pas voulu mordre au pain du peuple, — ce pain qui les aurait si bien nourris ! Les restaurants de haul lieu sont, dans les nuits de carnaval, le IhiiSlre de joyeuses el folles comedies aux- quelles noire moralile nous empeche de faire assister nos lecleurs. Avec un peu plus d'eclat chez noire jeunesse, ce seraient les petits soupers de la Regence ; mais allez done imaginer les petits soupers habilles de noir et en pantalon ! Parlez-nous du premier ^lagc du Palais-Royal et des restaurants k prix fixe. La, point de pretention, de folie, de chapeaux jeles par-dessus les moulins. C'est sufEsam- menl Elegant et sullisamment nutritif. Des glaces, une tapisserie rouge, des tabourets en velours. Trois plats, pas plus, pas moins. Nous entrons sans transition dans la region des diners k deux francs cinquanle, k deux francs et 'd un franc soixante. — C'est qu'en effet, il n'y a aucune transition du Minaret k Tavernier. — Le pre- mier 6tage du Palais-Royal est parfailemenl constitulion- nel ; lout le monde y dine el tout le nionde y est k son aise. L'employ6 y salue son chef de bureau que la faim a sutptis loin de son menage; on y a vu des pairs de I'N AN A PARIS. Vrance et des carabins. — Lk, verilablemcnt, les hommes sont egaux, non plus devanl la charte, — mais devant la carte. Le diner a un franc vingl-cinq estl'exlrfme limite du diner (Equivoque. — En dehors de cela, il n'y a plus que les restaurants qu'on n'avoue pas el qui pour celle raison so derobcnl dans les rues les plus obscures sous les en- seignes les moins voyantes. II faut un peu les chercher pour les trouver; et cependanl la galerie en est innom- brable. Mieux yaudrail compter les grains de sable du rivage ou les romans d'Alexandre Dumas. — II en est m6me quise passenl d'enseignes eld'annonces; on monte un ^lage ou deux, on pousse une porte, on s'assoit si- lencieusemenl devant unelable; au bout decinq minutes el sans que vous ayez pris la peine de rien demander, I'ombre d'un garcon vous apporte I'ombre d'un potage, el successivemenl jusqu'a I'extinction de I'ombre de voire appetit. — II est honteux de dire le peu d'argent que cela coiUe, et voili pourquoi on n'a pas ose I'aflkher. Pourlant il n'est pas un pauvrediable, ouvrier ou artiste, qui ne connaisseune soixantaine d'etabUssemenlspareils dans chacundes arrondissemenls de Paris, — On appelle cela une pension bourgeoise. II y a quelque chose de curieusement penible dans I'aspecl des restaurants de bas etage, — aussi mal ^clai- res dans le jourparlesoleil, qiiele soir par les quinquets. Ce n'est pasla qu'il faut chercher le bruit, lanimation, la gaiele ; les convives ont de bien plus graves et de bien plus serieuses preoccupations. lis sont \k pour manger, el pas pour autre chose. C'est brutal, mais c'esl comme ce- la. — Examinez-les plutot; le front avidemenl penche vers leur assiette et la main sans cesse plongee dans la corbeilledu paind discretion. Ce sont bien eux. ma foi ! qui s'inquiiSleraient de leur voisin el de la lournure de cliaque nouveau-venu. — Le dlneur k dix-huit sous ressemble au sage d'Horace ; la foudre lombant sur sa l^le ne parviendrait pas k I'^mouvoir. — II s'agil pour luide prolonger son existence d'un jour encore. Un tel repas est done une chose austere el solennelle ; ce n'est pas un plaisir, c'est une affaire. Celui qui a examine les physionomies de ces h6tes agiles et muets, y a lu bien des drames el bien des mys- leres, — sans abuser de ce dernier mot. Pour moi, je n'ai jamais pos6 le pied dans ces temples (Sieves a la Faim, sans m'y sentir cloue irr&istiblement. — Au miheu de ces hommes de peine, de ces artisans, de ces lailleurs sans ouvrage, on decouvre ck el la une tSle de vieillard, noble,, blanche et inclinfe ; ou bien encore quelque jeune fille, maigre et mal vStue , qui devore dans un coin — triste ' poeme ! jeunesse ^teinte sous des haillons! blonds che- veux arrachfe par la maladie! doux regard creuse par la misferel — souvenl aussi une redingole uste jusqu'ii la Irame , qui monlre une decoration fanee enlre les fenles de la boutonniere. Que de douloureu.ses histoires, que de romans ignores, que d'avenirs brises des leur aurore ! — Mais k c6le de cela, lout pres de la porle, alerte et ^pa- nouie, il y a la jeunesse, la sante, I'espdrance, c'est-a-dire quelque brave enfant de dix-huit ou de vingl ans, vile enlri, vile sorli, qui a lestemcnl expMif son repas sans presque y songer, musicien ou poi^tc, peintre ou sculpteur, poui\qui le temps a des ailes, et qui, du fond de sa sou- riantc el active pauvrele, reve les splendeurs sans fin de 1 la gloire et le Iriomphe du genie ! — C'est I'endroit cclaire UN AN A PARIS. 67 du tableau, le pan de ciel azure dans les brumes, un rayon qui se leve sur des murs qui Yont s'ecroulant. Le quarlier Latin, entre tons, a reduit a sa derniere expression la question de Insistence a bon march^. — II n'est pprsonne qui ne connaisse, de reputation du moins, les officines de Viot et de Fliroteaux. Les Viot particu- lieremcnt y ont fail dynastie; ilspullulent aujourd'hui de telle sorle que les etudiants sont obliges pour les recon- naitrede lesnumeroter comme des omnibus, ou d'ajouter ci leurnom uu sobriquet assez analogue pour I'ordinaire a celui dont un celfebre satirique a immortalise le restaura- teur Mignot : Hi dins Ic monde cntier Jamais empoisonneur ne GtmicQX son mdtier. Anssi, k cote de Viot Vempoisonneur, y a-t-il Viot l'ftom('ci'dc,et puis encore Viot \'aquatiqite,\e plus celebre Un diner dans la rae. des trois. — Ce qui n'emp^che pas ces philanthropiques ins- titutions de regorger de monde du matin jusqu'au soir, et de se \enger de leurs blasph^mateurs un peu a la manifere du soleil, — c'est-k-dire, non pas en les eclairant, ce qui serait trop dire, mais en les nourrissant. Maintenant, s'il vous plait, prenons noire vol vers les mansardes, ces nids sans mousse et souvent sans fenftre, oil le soleil entre comme il peut, et I'orage comme il veut. Les oiseaux de ces cimes, vous les avez nommes ; ce sont pour la plupart desouvriferes a I'aiguille, ou bien les en- fants prodigues delamMecine eldu droit. On y vit beau- coup k I'aventure et a la facon des cigales : on y cbante iternellement , on n'y amasse jamais. — La Providence des mansardes, c'est le cr(5mier, c'est le rStisseur, c'est I'epicier : deux sons de lait el una fliite, voila pour le de- jeuner ; une aile de volaille et une fliite , voila pour le diner; si I'on soiipe, une finite et un neufchStel font I'af- faire. Mais qui a jamais soupe dans une mansarde? — La cuisine y est maintenant pass^e Si I'^tat d^risoire ; le cabas a m depuis longtemps rejoindre le pot-au-feu; on a une cheminee comme meuble d'agr^ment, pour se chauffer la plante des pieds, voilk tout. Avant qu'il soil longtemps, esperons-le , les femmes ne toucheront plus S ces abomi- nables legumes , et ne prepareront plus de leurs doigts ces sauces naus^abondes, au parfum desquelles s'^vanouis- sent lout prestige et loute poesie. — C'est li un progrfes que les esprits delicals appellent de tous leurs voeux. Pour moi, — si incomplet et si frugal qu'il puisse paraitre, — mieus vaul le diner de la mansarde que celui du restaurant. Je n'ai jamais pu manger un beef- teack ou un civet sans ^tre poursuivi par le souvenir des chroniques de Montfaucon ou le fantSme d"un angora sans sepulture. Les plaisanleries des petits journaux sur le caoutchouc applique i I'art culiuaire me reviennent en memoire Ji chaque coup de fourchelte; et I'eau m'est un nectar aupres du Micon le plus authentique ou du Chi- blis le mieux certiEe. — C'est encore I'histoire du^ratdes champs qui ne mange bien que chez lui, mais du rat des champs egar4 dans les fourneaux de la rue de la Harpe et de la rue Saint-Jacques. — Fi d'un festin que la crainte assaisonne! De la mansarde a la rue, il n'y a que la distance de cinq etages. Franchissons-les. — Ceux qui dinentdans la rue, c'est le commissionnaire, c'est le voyou, c'est le men- diant, ce sont les inBniment petits enQn. Pour ceux-1^ ont^te invent&s les fritures en plein vent et lespommes crues. Mauvais repas! dites-vous; el pourtanl, voyez-les y mordre a belles dents , le long des boulevards et des quais ; misere ambulante et cynique, qui s'essuie la bou- che du rovers de la main lorsqu'elle a Gni, et entre cbez le marchand de vin pour s'y bruler la poitrine avec de I'alcool. — Ceux qui dinent dans la rue, ce sont encore les rSveurs et les Qaneurs, classe moins nombreuse, qui s'en vonlemiettanlun petit pain sous leurs pas, le front perdu dans la contemplation et dans I'aspiration. — Cesoiit aussi ces infortunes arrives k leur dernier sou, el qui roulent a I'heure de leur derniere bouchee une pehsee mauviise de vol ou de suicide. 68 LES DOUZE APOTRES. — SAINT JEAN- Apres ceux qui dinent dans les rues, — il y a ceux qui ne dinent jias du tout. Mais nous voila, je crois, au lerme de notre relation, nous avons parcouru tour a tour les diffcrenls cercics de ce voyage enlrcpris Ji Iravers les flammes des fourneaux et les grincenients des tournebroches. L'idee ni'en est venue a I'approche des jours gras, etl'on conviendra que le moment pouvait ^tre plus mal clioisi. — J'ai cru devoir ^ dessein en ecarter quelques peintures, telles que celles des tables d'hote qui caclient derriere elles un tapis vert ou pis encore. — Dieu suit loue! nous rcvoyons enfin la lumiere, ct nous allons rentier dans une atmosphere plus sereino et plus .suave. Le temps seulement de laisser faire la digestion a ce Garganlua qu'on nomme Paris, et nous lui denianderons a son reveil les secrets de son organisa- tion intellectuelle, comme nous venous de lui demander a present les secrets de son organisation materielle. CllABl.ES IIONSELET. LES DOUZE APOTRES. SAINT JEAN. Il I'ut le disciple bien- • aime Fri^re de Jacques et fils de Zeb^dee, il elait p^- cheur. Le miracle qui rem- plit de poissons les barques de Pierre, d'Andre et de leuri compagnons Jacques et Jean, fut le signal de sa vocation. Jesus lui dit ces paroles , qu'il avait adress^es deja a Pierre et a Andre : oSuivez-moi, je vous ferai devenir pecheur d'hommes. » II abandonna tout ce qu'il poss^dait pour _ suivre le divin mailre. — Jesus-Christ, dit saint Marc, surnomma Jean et Jacques son frere Boanerges, c'est-a-dire enfants du lonnerre. On ne connait pas la signification synibojique de cette appellation. Jean etait le plus jeune des aputres. Sa virginite de coRur et de corps est supposee d'une inaniere presque irrecusable par les Pt;res de I'figlise. C'est sans doute cette vertu .sublime qui lui valut I'amicale preference de Jfeus-Christ. Certainement le Suuveur aimait tous ses apotres, mais il eut pour celui-ci vine tendresse particu- liere, autorisant de la sorle cette affection si noble et si jpure qui fait la veritable amitie. Avoir 6te ainsi aime du Fils de Dieu est le titre de cloire le plus grand qu'un honime puisse posseder. Jean n'en connut peut-etre pas d'abord lout le prix, II ne com- prit pas que sur la lerre sa purete lui mi^ritait de lemplir la celeste niis.sion d'ange consolatcur; mais quand il eut vu lumber le voilequi, jusqu'a la croix. obslruait ses yeux, c'est alors que le souvenir de la haute distinction a la- nuelle il avait ete appele dut lui donner cette energie qui feconda ses 03uvrcs. Aussi combien de fois, dans le cours de S3 carriere, le surprenons-nous attendant avec impa- tience le moment ou il pourra se reunir a celui qui la aime, a celui qui I'a honore parmi les homnies de ce tilre d'ami de Jesus Christ! Comme tous il aura ses instants de mesquine huma- nite il ne verra \a lumiere que lorsqu'elle sera remontco vers le ciel ; maisdesqu'il la connaitra, il deviendra reelle- menl digne de sa vocation. Les premiers acles de la vie de saint Jean sont enla- ches, comme ceux de tous les apotres avant qu'ils aient recu le Sainl-Esprit, de cette faiblesse terrestre qui 6tait quelquefois inspiree par leur altachement pour leur mai- tre. C'est ainsi que Jean, ayant vu un hommequi chassait les demons au nom du Dieu sauveur, vinl dire : « Maitre, nous avons empeche les exorcismes de ce disciple, parce qu'il ne nous suit point et qu'il ne vient pas avec nous. » J&us lui repondit: • Ne Ten emp6chez point, car celui qui n'est pas contre vous est pour vous. . Une autrefois, voulant aller a Jerusalem, le Christ en- voya devant lui quelques uns de ses disciples, parmi les- quels se trouvaient les enfants de Zebedee, pour lui pre- parer un logement dans un bourg samaritain. Mais les habitants ne voulurent pas le reeevoir, parce que, sachani qu'il se dirigeait vers Jerusalem, ils avaient peur de se compromettre en lui accordant I'hospitalit^ qu'il denian- dait. Jacques et Jean, irriles de cet acte de durete, vinrent dire k Jesus : ■ Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu du ciel descende et qu'il les de- vore? • Ces pauvres pfiiheurs, dans leur jiigement encore tout materiel, croyaient que I'outrage devait etre chAlit' par la malediction. Jesus leur adressa quelques paroles qui durent leur apprendre combien ses maximes ^laient dilTerentes de I'ancienne loi, qui eut favorise leur pre- miere impulsion : « Vous ne save?, pas, leur dit-il, h quel e.sprit vous etes appeles. • — II vaut sans doule leur parler de I'esprit de giSce et de misOricorde, preueux tresor pour rhumanile, donl bientot il va les enricliir. — « Le Kils de riiomme, ajoute-t-il, n'est pas venu pour perdre les honinies, mais pour les sauver." — Jeanet Jacquesalle- rent cherclier dans un autre Icu j I'hospilalile qui leur ^tait refusee. A Jerusalem, la mere des enfants de ZebWees'approche du Gil) ist avec ses deux fils, et I'adore en lui laissant voir qu'elle detire lui demander quelquo chose. • Femme, que vonlez-vous? • lui demanda !e Ki!s de Dieu. ■ Ordonnez, dit-elle, que mes infanls que voi' i soii;nt assis dans votre royaume, I'un a voire droite, I'autre^ voire gauche. » — Jesus, s'adressant a Jacques et il Jean, leur repondit :' « Vous ne savez ce que vous dcuiandez ; pouvez-vous LES DOUZE APOTRES. — SAINT JEAN. boire !e calice quo je dois boire? — Nous le pouvons, » repondirent ceux-ci. — II leur repartit : • II est vrai que vous boirez le calice que je bolrai ; mais pour ce qui est d'^(re assis a ma droite ou b ma gauche, il ne depend pas de moi de vous I'accorder; mais cela sera donne k ceux pour qui mon Pere la prepare. • Les dix aulres ap6tres, ayant enlendu les paroles des fils de Zebedee, en concu- rent de I'indignation. Mais leur maitre les appela et leur liit : « Vous savez que les princes doniinent les peuples et que les grands les traitent avec hauteur. II n'en doit pas etre de m^me parmi vous; car celui de mes disciples qui veut devenir le plus grand dolt etre le serviteur des autres, et celui qui veut etre le premier doit etre votre esclave; ainsi que le Fils de I'Homme n'est pas venu pour (Jtreservi, mais pour donner sa vie pour la redemplion de plusieurs. » Jesus aimait Jean : c'est celte predilection particuliire qui fait assister cet apotre avec Pierre et Jacques a la glorieuse transfiguration sur le mont Thahor, et qui lui donne pendant la C6ne I'inefrable bonheur de reposer sur le sein du Christ, au moment mSme oil il prononcait ces m paroles ameres : — 'En verile, en vcrite, je vousle dis, un d'enire vous me trahira. » — Les disciples so regar- daient entre eux, cherchant quel pouvait filre le traiire Simon-Pierre fit signe h Jean de demander a Jesus que etait celui qui devait commeltre une action aussi lache. Le disciple que Jesus aimait lui adressa la question que lui dictait .Simon. Jesus r^pondit : • C'est celui h qui je presenlcrai du pain quej'aurai trempe. ■ Et ayant Irempe du pain, il le donna Ji Judas Iscariole, fils de Simon. — Mais les apotres ne comprirent pas que c'elait ce mal- heurcux qui, pour Irenle pieces d'argent, devait vendre son mailre. C'est encore I'altachement que le Redempteur a pour .lean qui le fait temoin de son agonie au jardin do Gethse- mani : Jesus, etant arriv^ dans un lieu ainsi nomme, dit a ses disciples: ■ Asseyez-vous ici pendant quejevais prier. • Iln'emmenaavec lui que Pierre et les deux filsde Zebedee, et devant eux il tomba dans cette affliction sublime qui s'exprime par ce cri d'humanite : « Mon iinie est trisle jusqu'i la mort ; demeurez ici et veiUez a\ec moi. » Et il s'eloigna un pcu, se prosterna le visage centre terre» Sdii.l Jean c-l |i;.,ii^.' J,ii priant et disant : « Mon Pere, s'il est possible, faites que ce calice s'eloigne do moi : neanmoins qu'il en soit, non commeje le vcux, maiscomme vous le voulez. ■ — II re- vint vers ces trois disciples, il les trouva endormis. ■ Quoi I leur dit il, vous n'avez pu veiller une heure avec moi? Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tenlalion : I'esprit est prompt et la chair est faible. • En- core une fois il s'eloigna pour prier, et, revenant bienlot aprcs vers Jacques, Pierre et Jean, il les trouva encore endormis, parce que leurs yeux elaient appesantis de sommeil. Pour la troisieme fois Jesus s'eloigna et adressa a son Pere la m^me priere et les memes paroles. Et celte fois revenant vers ses disciples : ■ Dormez mainlenant, leur dit-il, et reposez. Voici I'heure qui est proche oil le Fils de I'Homme va ^tre livre entre les mains des pe- cheurs. Levez-vous, allons, celui qui me Irahit doit eli e pres dici. • — L'instant d'aprfes, Judas arrivait avec une troupe de gens, arm^s d'epees et de batons, qui avaient ete envoyes par les princes des pr6tres et par les anciens du peuple. — Le traitre baisa le Christ, en lui disant : « Je vous salue. » J^sus ne lui repondit point par des re- proches ou des maledictions : • Mon ami, lui dit-il, qu'e- tes-vous venu f.iire ici? ■ — Jesus fiit conduit chez Caiphe ; tous les apotres I'avaient abandonne, un seul le suivit : saint Jerome et saint Chrysostome croient que c'est Jean, fils de Zebedee. — En effet, lui qui aimait son maitre et qui en etait aime, lui qui avait lecu des preuves d'alTec- tion, comment ciit-il pu s'arracher 6 rinqnietuJe de sa- voir ce qu'on allait faire soufTrir au Messie! Les memos Pferes de I'feglise pensent que c'est encore cet apotre qui. 70 LES DOUZE APOTR usanl du credit qu'il pouvail avoir aiiprfes du grand pr6tre eomme en ^tant connu, avail introduit Pierre dans le lieu oil trois fois il renia son maitre. Jean dut Hre le temoin des outrages et des supplices que les Juifs firent eprouver au Fils de rHomme. Ses larmes durerit couler en voyant I'accomplisscment des propheties dont il ne comprenait pas encore toute la con- solanle verite. 11 vit les gouttes de sueur ct de sang qui mouillferent le cliemin qui conduisait au Calvaire; et IJi, i cole de la paiivre nii>re de douleurs, il frcniit en entcn- dant les coups de niarleau quienfoncaient des clous dans les membres du Sauveur. Quelle joie au milieu de son desespoir vint inonder son anie lorsque, du haul de I'instrument de sacrifice, le Christ, voyant Marie qui restait seule sur la terre, dit : « Femme,_voilci voire fils! » puis a lui, disciple bien-aimi5 : « Voila voire m6re! • Avec bonheur il accepta celle mis- sion de devouement, et jusqu'a la derni^re heure il la reraplit. Tout etait consomm6 depuis trois jours. .lean fut I'un des premiers k qui la resurrection fut rdvelee. — Marie- Magdeleine 6tait venue depuis le malin au sepulcre, ou le corps de Jesus avail il& depos6 : la pierre tumulaire etait olee. Elle courut Irouver Simon-Pierre et I'autre dis- ciple donl nous ecrivons la vie ; elle leur dit : . lis ont enleve du sepulcre le corps du Seigneur, et nous ne sa- vons oil ils I'ont mis. » Les deux apolrcs se halerent d'ac- courir, mais Jean courut plus vile et arriva le premier. En se baissant il vil les linceulsel le suaire, mais il n'osa cnlrer qu'apres Simon-Pierre. — C'est lui-mcme qui, dans son Evangile, raconte ce fait, et il dit ces mots : « Get autre disciple qui etait arriv6 le premier au sepulcre y antra aussi. » — II vil el il crut, car ilsr.esavaient pas encore ce que I'Ecritureenseigne, qu'il fallait qu'il ressuscilit d'enti e les morts, » C'est le soir de ce mSme jour que Jean eut le bonheur de voir le Christ ressuscite : il se trouvait dans le lieu ou les disciples elaient assemblies. Les portes etaient fermecs, parce qu'ils craignaient les Juifs. Jesus vint au milieu d'eux, leur dit : « La pai.t soil aveo vous I » puis leur monlra ses mains et .son cote encore stigmatises des sainles prcuves du crucificmont. Une autre fois sur le bord de la nier de Tib^riade, il put contempler le Sauveur. C'est alors que Pierre, desi- gnant ce disciple, demanda : « Et celui-ci. Seigneur, que deviendra-l-il? • J^sus lui repondil : a Si je veux qu'il demeure jusqu'^ cequeje vienne, que vousimporle? Pour vous, suivcz-moi. « II courut sur ces paroles un bruit parmi les apotres : ils crurent que Jean ne devait point mourir. Cependanl le Christ n'avait pas dit : « II ne mourra pas ; » mais : « Si je veux qu'il demeure jusqu'a ce que je vienne, que vous imporlel • C'est saint Jean lui-mSme qui a 4crit la plupart des fails qui le concernent, et j'ai cru ne niieux pouvoir les raconler qu'en employant autant que possible ses propres paroles. II termine son livre de verity par cetle naive af- firmation de bonne foi : « C'est le^m^me disciple qui rend temoignage de ces choscs, qui a feril ceci, et nous savons que son temoignage est veritable. » Apres I'ascension du divin Mailre, Jean precha I'livan- gile dans la Judee et la Samarie. II cut pour champ de bataiile le vaste pays occupe par les Parthes, lorsque le moment fut venu de combaltre les erreurs des Gentils. ES.— SAINT JEAN. C'elait alors le seul peuple qui osat dans I'univers disputer aux Remains I'empire du monde. L'histoire n'a pu con- I server les traces des merveilles que Jean fit pour ce pays. Nous savons seulement que, repassant dans I'Asie Mi- neure, il vint babiter la ville d'Ephfese avec la Vierge Marie, qui mourut dans sa maison. Toutes les eglises de r,\sie etaient gouverni5es par I'apotre bien-aime. Ses ver- tus et ses miracles I'avaient environiie de la v^n^ralion des Chretiens el du respect des idolatres. II passa ainsi de nombreuses annees dans les travaux de I'aposlolat, allant dans les provinces voisines pour y ordonner des ev^ques, ou pour y former des chr^lienles nouvelles, et distribuant a lous ce qu'il possedait. Quoi- queXimothee ait 6le institue par saint Paul ^veque d'E- phese, et qu'il ail &lh reconnu par le concile de Calc6- doine, saint J(5r6me regarde Jean comme I'apdlre qui a gouvern6 d'une maniere loute speoiale les eglises de I'A- sie, elTerlullien le reconnail comme ayanl etabli I'ordre episcopal dans ce pays. Mais la vie d'un enfant de la croix ne devait pas s'e- couler sans quclques jours de souffrances sanclifianles : Fan 93 de Jcsus-Chrisl, Doniitien le fit arreter el conduire a Rome. Le farouche empereur ordonna qu'on I'amenat en sa presence, et, loin de se laisser toucher par la vue de ce venerable apotre, dont les cheveux avaient blanchi au service de Dicu, il eut la barbaric d'ordonner qu'on le jetM dans une chaudifere d'huile bouillante. En enlen- danl prononcer cetle sentence, saint Jean eut un mouve- menl de joie. II allait done retrouver son Maitre, qu'il avail lant aim(5, et lui rendre eternellement amour pour amour. — Dieu ne voulut cepcndant lui accorder que le mi5rite et I'honneur du marlyre. Jete dans la chaudiere d'huile bouillante, il ne ressentit auiJune douleur, ct, ci la grande consternation des spectateurs, il en sorlil sain el sauf. Domitien, epouvante de ce miracle, n'osa faire mourir celui en faveur de qui il s'etait accompli. II se contenta de I'envoyer travaillcr aux mines dans I'ile de Pathmos, I'une des Sporades, situees dans la mer Egee ou I'Ar- chipel. C'est la que, martyr, apalre et prophfete de la foi nou- velle, saint Jean (5crivitson .Apocalypse. Ce mot signifie re- velation ; et en effet, ce livre mysterieux n'a cle fait que pour devancer proph^tiquement I'execulion des ceuvres des temps derniers. Saint Jean esperait que le rude tra- vail auquel il etait condamne finirait bient6t sa vie par la gloire du marlyre, mais son esperance fut encore decue. Domitien ayanl ete assassine, Nerva, homme d'un caraclere doux el pacifique, fut elevii k I'empire; ce qui permit ii I'apotre de retourner h Ephese. C'est vers cetle epoque de sa vie que, dans une ville voisine d'Eph^se, ayanl confie k un ^vdque le soin d'un jeune homme qui, aux graces du corps, joignait un na- turel vif et ardent, il vint peu de temps aprte demander .son jeune proU'ge. Mais I'^vfique, baissant les yeux, lui dit avec larmes ; « 11 est morU — Comment? repril le venerable apotre, et de quel genre de mort? — Mort k Dieu ; et au lieu d'etre k le servir dans I'Eglise, il s'est cm- pare d'une monlagne ou il exerce le brigandage avec une troupe de gens semblablcs a lui. » A ces mots, saint Jean dechira ses velemcnts el exprima son dese.-poir par ses larmes. « Qu'on m'am(>ne un cheval, dil-il, et qu'on me donne un guide. » Bienlot arrele par les sentinelles des LES DOllZE APOTRE voleurs : « Menez-moi a voire chef, » leiir dit-il. — On le conduit vers le jeune homme, qui attendait les armes a la main.. Mais, saisi de frayeur en reconnaissant saint Jean, il prit la fuite. Alors le vieillard oublia son grand 3ge etses infirniites, et il se prit a eouiir pourrattcindre : « Mon lilsl mon fils! lui cn'ait-il, pourquoi me fuyez- vous? pourquoi fuycz-vous votre pe. e? qi e craignez-vous d'un vieillard faible et sans armes".' Mon fils, ayez pitie de moi : ne craignez point, il y a encore esperance pour votre salut. Je repondrai pour vous k Jesus-Christ, je souffrirai tres-volontiers la moit pour vous. Demeurez, S. -SAINT JEAN. 71 croycz-moi, c'est Jesus-Christ qui m'envoie vers vnus. • Le jeune homme ne put r(5sisler a ces tendres paroles; il s'arreta, jeta ses amies loin_delui, et, tombanl aux pieds de I'apolre, il fomliten larmes. Glorieux d'avoir arrar h6 cette brebis au loup, .lean prit ce jeune homme par la main et I'amena dans I'osseniblee des fidelps, et le leur presenla. II ne se sopara de lui qu'aprcs I'avoir retabli dans I'eglise par I'absolulion de ses peclies et la participation aux sacremenls. Ce fut aussi dans la ville d'liphesc, en revcnant da Pathniis, que saint Jean ecrivit son Evangile pour i' S.iii>t Jeji] coiuuilit iin jeiioe liLtmirie i^iii s'clait Tail ctief de brJijJnds. pondre au desir manifeste par ses disciples et par loules les eglises d'Asie, qui voulaicnt posseder un temoignage aulhentiquedela verite. Dans son oeuvre, saint Jean nous deoouvre la divinil6 du Sauveur, les aulres evangeli&tes en avaienl fait connailre I'humanile. II Ecrivit aiissi trois lettres que nous avons encore; ellos sont dignes ilu Cis- ■ciple favori de celui qui est lout amour. Saint Jean vecut jusqu'i une exlii5me vieillesso. C'est i cette epoque de sa vie que par son propre e.xemple , et par un trait admirable de simplieite, qu'on lui allribue, il autorise les na'i'ves recreations prises dans le but de re- poser lV.spi'/( cl Ic preparer ainsi ii de nouvcaux travaux. II possedait une perdiix qu'il avait apprivoisee, et sou- vent il se promenait hors la ville en llaltant et caressant cet oiseau. Un jour, il fut rcncontri par un chasseur qui parut s'etonner de voir un homme desi grande rcnommee se Uvrer it un divertissement si pueril: « Que teni'Z-vous a la main? lui demanda saint^Jean. — Un arc, repondit le chasseur. — Pourquoi ne le laissez-vous dans une ten- sion conlinuelle? .— Parce qu'il perdrait sa force. — C'est precisement pour la mfme raison, dil I'innocent vieillard, que je permels a mon esprit de se detcndre un inslant.v — Cette prufondesagesse coiifondit le chasseur; ilsecourba devant I'apiilre en lui rendant hommage. Kiiiluit, a cause de ses infirmites, a ne pluspouvoir se rcndre li I'eglise, ses disciples I'y portaient. II n'avait plus assez de force pour faire de longs et savanis discours comme il en faisait autiefois; alors il se resumailen cette maxime de charite qu il repelait sans cesse : « Mes chers enfants, aimez-vous les uns les autres. » Par\enu enfin a sa centieme annce, il remit son ime entre les mains de celui qui I'avait laisse reposer sur son sein. Il ful eiitejre dans la ville d'fiphese. 72 LE MUNSTER. HISTOIRE ET DESCRIPTION DES CATOEDRAIES DE FRANCE. CATHEDnAI.E SE STRASBOURC. Cette fameufe cathedrale, le Munster, dont la lour passe pour la premiere des merveilles de I'Allemagne, et qui a inspire a Goethe des pages si ^loquentes, esl un des monuments les plus etonnants dont I'art chrelien puisse s'enorgueillir. Avant lere chrelienne, s'elevait , sur {'em- placement de cette construction grandiose, un bois sacr6 i]ui fut coupe par les Romains pour faire place ci un tem- ple d'Hercule. Clovisy fit eriger une eglise en bois, a la- quelle on adjoignit plus tard une chapelle souterraine et un choeur construit en pierre. Tout cela fut incendi6 au onzieme sifecle par Hermann, due d'Alsace; ce qui en reslait fut detruit, en 1007, par le feu du ciel. Ce fut I'evfique Werner qui jeta, en 1015, les pre- mieres fondations de la cathedrale, achevee en 1275. L'e- vfeque Conrad de Lichtemberg fit construirelatourqu'on Toit aujourd'hui; comraencee par I'architecte Erwin de Steinbach, elle fut terminee par Jean Hiilz, de Cologne, en U3!l. Charlemagne avail fait .reb&tir, avant les tra- vaux accomplis sous I'episcopat de Werner, redifice eleve du temps de Clovis. L'horloge placee au has de la lour superieure esl con- sidcrce par les hisloriens comme la troisieme merveille de I'Allem^igne. La cathedrale rf unit deux styles : elle rappelle dans beaucoup de ses parties I'archileclure by- zantine, qui a cree Saint-Sernin de Toulouse, else ralla- che, sous bien d'autres rapports, a I'archilecture gothi- qne, qui a produit Notre-Dame de Paris, les calhedrales de Reims, d'Amiens et de Chartres; ccs deux styles ont line beaule et une grandeur qui charmcnt Ics \eux ct elc- vent rima;^ination. Le clocher du Munsler est le plus eleve des edifices con- nus, si on en excople la plus gratide des pyromidcs d'K- livpte, qui est plus haute de douze pieds qualre ponces seulement. Sa hauteur e^l de cent quaranle deux metres onze cenlimelres (soit quatre cent trente-sept pieds et demi), ti Ton son rapporte au resultat des operations triyonometriquesexeculcespiirdes ingenieursgeographes. De la base au sommet, on comple six cent trcnte-cinq de- gres : la Notre-Dame de Paris n'atteindrait pas la moitie de ce clocher; les deux tours de cette basilique, hautes de deux cent deux pieds, ne depassent que d'un pied et demi la plate-forme de la tour restee a I'etat de projet, et que rccouvre une simple toiture. En examinant avec attention la facade de I'eglise, on distingue ses cinq etages. Lepreniiei s'eleveaudessusdes porlads que recouvrent des figures et des scenes reli- gieuses; e'est la quese voient les quatre statues equestres de Clovis, de Dngobert, de Rodolphe de Hapsbourg et de I.ouis XIV. Celle ci fut erigee au commencement de la restauralion. Le deuxieme etage compreiid la rose en vi- trauxpeinls, de cent cinquanle pieds de diametre, et deux galeries, I'une a droite, I'aulrc ii gauche. Au-dessus de la rose sont des niches oil s'elevaient jadis Ics statues du Christ, de la vierge, et des douze apotres. Les corniches de la galerie de droile sont orneraenlees d"une foule de sfeaes de demons et do sorciers auxquelles on a donne le nom de Sabbat; ii gauche se dresse un hercule a demi nu, ancienne idole trouvee dans les decombres du vieux temple qui occupait autrefois I'emplacement de leghse. Le troisieme etage comprcnd le clocher et la plale-forme oil commence le quatnenie etage. C'est la que s'eleve crlte tour dentelee, merveilleuse, dont I'audace, la legereti*, I'elegance, sont au-dessus de loute idee; percee ii jour dans toule sa longueur, elle nest soulenue que par la maconnerie de ses angles. A cet etage la tour est entouree de quatre tourelles hexagones, percees dememe a jour, avecdesescaliersenescargot. Les communications avec celte partie de I'edifice out lieu par le moyen de ponis en pierre plate. Le cinquieme etage est forme par la Heche, pyramide octogone, evidee, ac- compagnee de huit escaliers tournants avec des rangees de petiles tourelles. En hant s'eli.'ve' la lanterne avec sa I'ouronne et ses roses ; enfin la croix, terminee par une pierre octogone qu'on appelle le bouton. C'est un spectacle effrayant que de voir des curieux, avides d'emotion, gravir la tour jusqu'a cetendroit pour arriver a re boulon, d'un pied de liaut et de quinze pou- ces de diametre. Aprfes avoir atteint la couronne, il faut grimper en dehors en s'accrochant ^ des barres de fer. (Juelques individns, d'une temerite sans egale, debout sur ce boulon, out vide, dil-on, des bouteilles d'un vin genereux a la gloire de la ville de Strasbourg; d'autres y ont lire un coup de pislolet ou bien s'y sont tenus en eijuilibre, la lete en bas. 11 ne leur arriva aucun malheur. I.E MUNSTER. "3 Un Anglais fut moins heureux au siecle dernier: par suite d'un pari, il accomplissait un troisieme tourde la plate- forme sur la balustrade qui la borde, lorsque son pied glissa : le malheureux tomba sur le pave d'une hauteur de deux cents pieds. Son chien, le voyant perdre I'equi- libre, poussa des cris plainlifs et se jeta en avant pour le relenir : de son premier elan il tomba ct vint expirer a cote du cadavre de son maitre. L'abbe Grandidier a donne une His(oire de I'cgb'se lie Strasbourg (2 vol. in-i", 1776} ; c'est une (Euvre recom- mandable. On y lit que le moine Ermoldus Nigellus, dis- gracie par Louis le Debonnaire et retire il Strasbourg, fil un poeme pour regagner les bonnes graces de son souve- rain ; il rentra bientot en faveur;et c'est dans cctouvrage qu'on trouve une description detaillee de I'eglise telle qu'elle existail a I'epoque des premiers Carlovingiens. On peut voir aussi de precieux renseignemenis sur la ca- Ihedraleactnelle dans les Ei/lises Francaises, de MM. Cha- puy et de Jolimont (2 vol. in-folio, 1829), qui ont am- plement traile tout ce qui est relatif a I'historique , a I'exlerieur eta I'interieur de cette admirable eglise. Hile servif, apartir duseizieme siecle, a deux cultes differcnls, et entendit par consequent resonner sous ses voCiles ks voix des plus grands predicaleurs des temps modernes. Cetle construction etonnante excila dans les premiers temps un si grand enthousiasme en Allemagne, qu'elle donna naissance a une confrerie connue dans I'histoire sous le nom d'ficole destailleurs de pierre de Strasbourg, et dont les chefs etaient les architectes de la calhedrale ; celte association s'occupait de la reception des apprentis, des ouvriers, des maitres, et avail etabli des regies et des signes qui constituaient entre ses membres une sorle de franc-maconnerie. Le Munster ne compte pas dans son histoire toutes ces fables merveilleuses qui semblent s'Stre atlachees comme ii plaisir a la catbedrale de Cologne, dont on ignorcrait la chronique si Ton ne cunnaissait pas la legende de Sainle L'rsule el des onze miUe vierges, ainsi i|ue celle du DiaOle vole. Tontefois celte histoire eternelle et popu- laire du demon, tentateur ne des justes et des saints, se Irouve sculptee en pierre sur les murs el dans les bas-re- liefs du Munster, comme nous I'avons vue reproduile sur tousles monuments du moyen Sge religieux. M. Saint- Marc Girardin [Xotiers poliliques et litteraires sur I' Al- lemagne), s'est appesanli avec raison sur cette apparition du demon dans la vie des saints ; il ne faut pas y cher- cher aulre chose, evidemment, que la lutte de la passion conlre la vertu. Ces moines et ces legendaires, grossiers redacleurs de la vie des saints, personnifiaient sous la forme du malin e-sprit celte resistance necessaire des mauvais penchants, et, au lieu d'une analyse melaphy- sique des passions, mettaient ces dernieies en action ; c'est ce drame aux mille peripeties, souvent grotesques, toujours naives, qui se trouve represente sur les pierrcs de nos vieilles eglises. A.-L. Ravergie. CONKAD DE SOUABE. COXBAD DE SOUABB. ^mL Je ne me pardonnerais pas, Dilri lecleurs, de vous introduiie dans la classique Forfil-Noire Alii-" ' ~j= SI J ecnvais un ronian mo- 2 derne destine a potter le nom de nouvelle nouvelle; mais ayanH'intentiond'etaleravos yeux une de ces brumeuses pages d'AUemagne, contcm- [loraine de ce royal croise que Leopold d'Autriclie fit (.■nfcrmcr et du fidele Blon- de), connu de vous peut-elre, par les accents que lui a pre- li's Gri'try, je ne me fais nul scrupulede vous faire fouler le tapis de feuiiles seches, donneausol des forets par leurs diL-nes secu'aircs, et gainelS ca et la des taches de sang que le malheureux voyageur a laissees tomber sous le fer de I'assassin. Dans la Souabe, sur les bords du Danube et au milieu t'elaForet-Noire, on voyait, en 1190, ii deux cents pasdu neuve, une pauvre chaumiere dont les murs n'etaient que branches et terre delayee, sous un toit de paiUe, comme durent etre les premiers toils du monde et comme sont aujourd'hui les toils 'des pauvres seulement. C'etait la demeure d' Albert et Hermann Durkhartr, deux freres de- venus biicherons, malgre une naissance noble qui eut pu les appeler aux grandeurs. lis elaient en cela victimes de la haine de Conrad, due de Souabe, qui, apres avoir fait condamner teur pere comme coupable d'attentat contre la vie de I'empereur Frcideric II , avail profited de la con- fiscation des biens de cclte famille. Albert plus age que son frere, qu'il aimait d'une sainte amitie, jura de con- sacrer sa vie a la vengeance ; mais la premiere fois qu'il voulul accomplir son fatal serraent, au lieu de tuer Con- rad, il tua un de ses olliciers, vieil ami de son pere. On ne put decouvrir d'oii parlait la lUcbe qu'il deslinait au due, et qui avail si cruellemcnl tromp6 son adresse. II regarda le crime qu'il venait de commettre comme une preuve que le ciel n'approuvait passa resolution, et y re- noncant par desespoir, il se fit bucheron, amenant dans une chaumiere son jeune frere, seul objel desormais de ses alTections. Peu k peu il s'accoutuma a la vie laborieuse qu'il avail embrassee, et il s'efforca d'y habiluer Hermann. Dans les palais des margraves, il avail, quoique jeune en- core, compris la nullile d'une existence passee dans les voluptes seigneuriales. Chaque jour consacr^ au travail cuanuel lui apporlait aucontraire une sorte decalmeetdc delicesdansle repos qu'il goulait la nuit. Comme le philo- sophe grec, il jela dans la mer ses richesses qui I'eussent emp6che d'etre heureux, etrenoncanti jamais ilia fortune qui aurait pu lui etre rendue et i> ses litres de noblesse , il fil voeu de rosier dans Thumble condition de bicheron. — 11 alteignait sa trentieme annee, son frere avail dix- huil ans. — A ce dernier qui n'elait qu'un enfant lorsque les evencments que nous avons racontes s'accomplis- saient, il fit enlrevoir les douceurs que promettait leur indepcndance. Hermann ecouta bien Albert, mais il ne se rendita son raisonnemenl qu'en voyautKimpossibilile de recouvrer le rang auquci sa naissance lui donnait droit. Albert se maria; il epousa la fille d'un pauvre batelier du Danube, qui ne lui apporta en dol que sa beaule, sa verlu et son amour. Cel evenement ne changea rien dans I'cxistencepresque sauvage des deux frferes; la chaumiere fut un peu agrandie, voilil tout. Alors, et pendant quel- qucs jours, Albert crut avoir trouve ce bonheur parfail apres Icquel court I'humanile tout entiere. II Iravaillait le jour durement peut-Stre; mais le soir, k son rustique foyer, il lelrouvail sa jeune femme, sa lendre Marguerite, el son hire, son rSveur Hermann , k qui il evitailaulant que possible les abondantes sueurs du metier. Pour ces deux etresquiseparlageaienlsoncoeur.il ei'it donno savie, pour leur c^iargner une douleur il (.Citdonne de son sang. Marguerite le payait de retour el laimail comme il mc- ritait del'elre; mais Hermann, devenu sombreeltacilurne, availprcsqucmalgrelui-memejetc un regard honteuxsurle passe oil, a la place de I'epee posee en pal sur le blason de son pere, il ne voyait plus qu'une hachc de bucheron. La conduite de son frere lui semblail alors indigne de la haine qu'il concevail contre la societe lout entiere. ],a Souabe etait en ce temps-lb saccagee par des hordes de bandits qui choisissaient pour refuge, aprte leurs san- glanlesexcursions.les cavernes immensesde la For6l-Noire. Hermann avail souvent rencontre ces hommcs etranges qui scmblent vivre aussi tranquiUcmeut que toutle monde, quoiqu'ils soient continuellement au pied de la potence qui doit les pendre. II s'etait familiarise avec leurs figures smislres et leur air souverair.ementorgueillcux; lesarmes qu'ils porlaient fascinerent ses yeux ; il rrut qu'entre eux el Us soldals de Tempereur, il n'y avail d'aulre dilTerence que le costume el le chef.— Bienlot, si on lui eiit demandt5: Que preferez-vous entre un biicheron et un bandif? il eul certainemcnt repondu : Un bandit. Le soir d'une chaude journee d'et6, Albert remontait paisiblcment le Danube, se dirigeanl vers sa chaumiere, oil il esperail trouver le baiser de son epouse et I'amilie d'llermann pour se d^lasser. Ce jour-lb, il s'etail eloigne plus que de coutume de I'endroit qu'il habilail ; unebeue dedistancerenseparailencore; il lui prit tout b coup une telle faiblesse causee par la fatigue el la chaleur, qu'il ne put resister au be^oin de se reposer un instant; quittanl le sentier qu'il .^uivait, il enlra dans la (otH et s'etendit sur I'herbe fratche et la mousse qui tapissait les berceaux d'arbustes que la nature avail fails plutut pour les lezards que pour les hommes. — La, bienlot enivre du parfum sauvage qu'exhalaient les planles et les cht^nes verts, fas- cine par la lueur rose qui courail dans le feuillage et qui temblait lutter avec les ombres de la nuit, il s'endormit. — Son sommeil ne dura qu'une heure, il fut subilement interrumpu par des eclats de voix asscz bruyanls. 11 allait 1 CONRAD DE SOL'ABE. 75 se relever el chercher a decouvrir quels pouvaient Stre Ics personnages qui chuisissaient ainsi le milieu d'une foret pour salle de conciliabule, lorsque quelques mots qu'il saisit distinclement lui firent reconnaltre le genre d'en- tretien etlaclasse d'individusquivenaient de le reveiller. — II ecouta : c'etaient des bandits, mais de Qers et vrais bandits, comptant le nombre des morts qu'ils devaient la nuit mOme envoyer dans I'autre monde, et les sommes que probablement ils se partageraient en honnetes cama- radcs. Ils parlaient assez souveut tous a la fois, et ne se taisaient que pour entendre les reflexions ou les ordres d'un homme qui devait etre leur chef. — La discussion s'etait animee peu a pou ; il s'agis-ait de savoir si I'on tuerait ou ne tuerait pas les trois ou quatre habitants du cliiteau de lianherst, qu'on devait piller la nuit meme. Parmi les redoutables discutants, les uns exprimaient le d&ir f^roce de s'assurer par leur poignard du silence de leurs victimes ; d'autres, aussi feroces pent etre, mais plus speculateurs, ne voulaient tuer que ceux qui ne pourraient fournir une rancon convenable. — Ils ne pu- rent s'entendre amiablement sur cet effroyable sujct, ils en vinrent aux voix ; il y eut parlage. — Alors le chef, usant du droit que lui donnait son titre et invoquant les coutumes etablies, nomma I'un des bandits, et, I'avertissant que sa reponse mettrait fin a la discusion, lui demanda ce qu'il croyait utile de faire. — Albert ecoutait avec un sentiment d'horreur dont il ne pouvait se dtfendre ; mais tout i coup illuisemblaqu'unserpentlemordaitaii'cccur ; des paroles vinrent resonner a ses orciUes comme des coups demarteau frappessur sa t^te; ilentenditla reponse du bandit inlerroge: — c'etait la voix de son frere! Cette revelation foudroyante paralysa completement les forces du malheureux Albert. La horde sanguinaire a\ait pousse un hurlement feroce en recevant I'arret de mort prononce par celui a qui le chef s'etait adresse. Puis ils s'etaient precipites vers une barque amarrie au rivage, pour traverser le lleuve et alter porter le meurtre et la devastation au chateau de Manherst. Albert n'avait pu s'elancer i leur poursuite, arracher son frere au crime qu'il devait commettre ou se faire massacrer par ses infames complices. II essaya de se redresser en appelant Hermami de sa voix brisee par la stupeur ; mais comme en ccs moments affreux d'un reve oil toutes les forces employees ^ pousser des oris n'aboulissent qu'^ une sorte de rSilement inarticule, il ne put sortir de sa poitrine qu'un gemissement douloureux et sans force; il retomba sur la mousse, froisse, brise, aneanti. — II eut un instant devertige indicible. Ce qu'd venait d'entendre lui parais- sait si horrible, qu'il fit ainsi que ces pauvres gens qui se trompent eux -memos sur leur position d&esperee, il crut qu'il venait d'etre la victinie d'un songe, mais d'un songe sanglant et infernal. — Enfiu son sang refroidi reprit un instant son cours dans ses veines, il put se lever et mar- cher. II vinta I'endroit oil devait s'etre tenu le concilia- bule des bandits, I'herbe etait coucheesur la terre ; a la lueur de la lune, il put se convaincre qu'elle avail ete foulee rccemment par les pietinemenis de plusieurs per- sonnes. II s'approcha du Danube qui miroitait paisible- ment les astres du ciel dans sa limpide transparence, et il vit au loin la barque fiJant sur I'eau ; elle n'apparais- sait plus que comme un oiseau noir aux ailes deployees, choucas volant vers un cadavre. Albert ne pouvait plus arreter cette bande maudite, seu- lement il lui etait peut-etre possible d'empecher le crime qu'elle allait commeltre. 11 se jeta dans le fleuve pour le traverser a la nage ; mais il n'eut pas fait vingt brasses que les forces lui manquerent de nouveau, el il n'aurait eu d'autre tombeau que les eaux du Danube, s'il eiil ete plus eloigne du bord. Ainsi, vaincu dans ses tentatives, il se precipita k genoux sur le sable ; ■ Mon Dieu ! s'^cria- l-il, je ne puis done empecher un crime! oh I venez a moa secours: » Et il s'elanca verssa chaumiere, oil il elail sur -6 CONRAD DE SOUAlJf;. de trouver line harqiip pour traverser le ileuve si, ainsi iju'il I'esperoit encore milgre tout ce qii'il avail entemlii, Hermann nc se troiivait pas a la place qu'il occupait or- dinairemenl a la table du bi'icheron. Sa fenimc otait seule; Hermann avail disparu depuis le matin. Albert jeta fa hache, et, sans repondre aux ques- tions que Marguerite lui adressait, il se pr^eipila vers le lieu ou il ?avait pouvoir passer le fleuve. Le batelier, voyant sa paleur et le desordre de ses vele- ments, fit un mouvement de surprise. — Qu'est-il done arrive au brave bucheron Albert? donianda-t-il. — liien, lien, r^pondil .-ilbert en saisissant une rame pour hater le passage. — Quand il n'arrive rien, reprit le batelier avec cette persistance curieuse, si commune h tous les gens de basse condition, on n'a pas une figure comme la voire! — Que voit-on sur ma figure? demanda Albert in- quiet. — La frayeur au moins. — Depecljons-nous, maitre Brandergolli! s'^cria le bi'i- cheron, depi'chons-nous, au nom de Dieu 1 — Je voisbien que vous n'allez pas de I'autre cote du Ileuve pour rouper un arbre ou en planter un. — Vous etes paye pour passer les gens dans votre barque, el non pour lire sur leur vivage! El en prononcant ces paroles oil s'exprimail sa colere douloureuse, Albert saula sur la greve; il avail enfin tra- verse le fleuve. II courut, il bondil de senlier en senlier, s'ecorchant les pieds et decliirant son visage aux ronces qu'il ren- conlrail. II arriva trop lard. Le chSiteau de Manlierst elait pille et ses habilants gi- saicnt dans la cour, elendus sans mouvement dans une mare de sang. .Albert tordit sesbras de desespoir, il essaya de rendre la vie a ces viclimes des bandits; ses efforts furent inutiles, les cadavres elaient dc^ja froids. — .4lors il repril le chemin de sa chaumiere, niaisses traits avaient vicilli de dix ans. — Kli bien ? lui demanda Brandergoth en le voyant re- prendie place dans sa barque, ^tes-vous plus Iranquille? Albert mil sa ti^le entre ses mains et ne repondit pas. — Par la sainle Mere de Dieu! reprit le batelier, vous n'avex pas I'air gai. — De grdce, laissez-moi ! murmura Albert. — Voila qui me semble bien etrange! pensa Brander- goth. Marguerite vit revenir son ^poux ; elle se tordil a son ecu pour iScber de le consoler, car elle lisait sur ses traits unepoignantedouleur. Elle tenia lous les moyens possibles de surprendre en mSnie temps la cause de son desespoir. — Serail-il arrive malheur h ton frere? dilelle. Albert devint plus pSle encore qu'il ne retail; mais il ne repondit que par un hochemenl de t^te. — Esl-il mort? un animal feroce I'aurait-il devore? — II n'esl pas morl. — Mais alors, au nom de Dieu I reponds, Albert, qu'as- lu? ne dois-je pas parlager les soulTrances comme les joies? — II est de ces douleurs trop fortes pour un homme, s'ecria celui-ci, qui briseraient le coeur d'une femme rien qu'en le louchant. — Mais c'cst done un bien grand malheur que lu me caches? Albert pril les deux mains de sa femme, el les serra centre sa poilrine en levant les yeux vers le ciel : — Mar- guerite, dil il, Dieu nous a mis sur la lerre pour souffrir! Marguerite se detacha avec frayeur de celte elreinte tendre, mais si horriblement triste. — Oil est done Hermann ? dit-elle ; il n'esl pas dans sa chambie, son lit est vide I Cependanl 11 m'a dit a I'heuie oil le soleil se eouchail qu'il avail grand sommeil, et il s'ctail retire dans sa ehambre pour dormir. — Oh ! il est sorti par eetauvent qui est encore ouvert ! Sainle Vierge! que signifie lout cela? En ce moment, I'auvenl que Marguerite venait de de- signer se rouvril, Hermann parul; it sedisposaila rentror dans la chaumiere, maisil s'arrJta en voyant son fierect la femme de ee dernier qui allachaient sur lui leurs regards accusateurs. — Mon frere! s'ecria Albert d'une voix qu'il ne put empi'cher d'exprimer ses angoisses, d'oii viens-lu? Hermann, a ces mots, demeura comme frappe de la fou- dre, il lui sembla que le crime qu'il venait de commetire etait grave sur son front en caraeleres de feu. — Tout k coup il fit quelques pas en arriere ; puis, sans repondre a ces paroles d'amilie el de lerreur a la fois, il disparut ra- pide comme un jeune cerf epouvante. — Mon frijre I mon frere! prononca Albert en se pre- cipitant sur les traces d'Hermann. Puis il I'appela par son nom, et r^peta vingl fois ses exclamations oil percail le desespoir. Mais la fortt elait noire, Hermann avail disparu. Albert tomba epuise, halelant et presque sans connais- sance dans les brasde Marguerite. Ce ful une null terrible pour le biicheron et pour sa femme ; ils attend irent Hermann jusqu'ii I'aurore, Her- mann ne revint pas. II allail faire grand jour, el Albert n'avail pas dormi un seul instant; lout ii coup on frappa a la porte de la chaumiere : il allaouvrir,croyantenfin que c'etail son frere, mais il ne vit que des hommes d'ormes avee un officier de police. — Le bCicheron Albert Durkhard? demanda ee dernier. — C'esl moi, repondit celui a qui s'adrcssaient ces pa- roles. — Au nom de I'empereur, vous etes mon prisonnier! Et les soldals se jeterenl sur lui pour le garrotter. Marguerite, echevelee, poussa un cri de lerreur et tomba evanouie. — Laissez-moi embrasser ma pauvre femme et la voir revenir a elle, s'ecria le bucheron. Vous m'emmenerez apres oil vous voiidrez. — La loi n'atlend pas, repondiU'homme de justice. — Pauvre .Marguerite! dit Albert. Les sanglots brisii- rent sa voix. Les soldals enliaiiierenl leur prisonnier. C'etail Conrad, due de Souabe qui, en sa quality de seigneur vassal immediat de I'Empire, jugeail les crimes commis sur le territoire de son duche. Albert fut accuse devant lui d'avoir assassine les habitants du chateau de Manhersl. Le batelier Brandergoth s'etait fait son denon- cialeur; il I'avait vu se diriger en courant vers le chS- leauet revenir un instant apres, pale, el les mains souillces de sang. En effet, en youlant arracher les viclimes a la mort. CONRAD D s'il en etait encore lemps, Albert n'avait pas songe a prendre des precautions indignes de son devouement. — Combien de temps suis-je reste au chateau de Man- lierst? demanda le bucheron a son accusaleur. — Autant de lemps qu'il men aurait fallu pour tra- verser une fois le Danube. II elait de toute evidence quAlbert n'aurait pu com- niettre les trois nieurlres et le pill.ige qui lui elaient impu" lessansavoir a luttercunlreies victimes. Or quelques mi- nutes ne pouvaient suffire a la perpetration de ce triple crime. Conrad de Souabe, malgre sa durele b.ibituelleet I'envie qu'il avait de condamner le fils de I'un de ses an- ciens enneniis, ne trouvait encore dans I'arcusation au- cune preuve sudisantC' a I'anet de mort qu'il voulait rendre. — Si vous n'alliez pas pour commettre un crime an cbateau de Manherst, demanda-t-il a Albert, qu'y alliez- vous faire? — J'allais prevcnir le conite de Manherst de Tallentat E SOUABE. 77 qui devait 6lre dirige centre sa personne et ses biens. — Vous connaissiez done le crime avant qu'il eClt 6le accompli ? — Qui, repondit .\lbert; et il raconta ce qui lui etiit arrive dans la foriH. — Vous avez du, reprit Conrad, reconnailre quelques- uns des bandits que vous pouvicz apercevoir. — Je n'en ai reconnu aucun. — Pourquoi done alors n'avez-vous rien repondu a Brandergotli lorsqu'd vous a demande oil vous alliez? Si vous aviez reellement I'inlention d'enip6cher un crime sansaucune crainle de compromettreses auteurs, vous ne pouvicz garder le silence sur votre resolution, et la pre- sence on le secours de Brandergotb ne devait pas vous sembler inutile. Albert, en presence de cetle logique serree, diflicile a combaltre, chercha vainement une reponse convenable. — Vous redoutiez done la presence de Brandergotli? Ceci ne prouve qu'une chose : c'est que, ou vous avez ete complice du crime, ou vous connaissez ceux qui I'ont commis, car de toute maniere vous avez temoigne I'inleret que vous prenieza garder le secret. Dites-nous le molif qui vous a fait agir ainsi. Le malheureux Albert garda le silence; il Cr3i:.:nait en disant un seul mot de faire deviner la terrible verite qu'd voulait cacher, mfme au prix de sa vie. Conrad, qui ne demandaitqu'un pretexte pour exercer sahaineenvers celte faniille Durkbard, dont il relrouvait un des membres sous sa main, considera le silence d'AI- bert comme une preuve incontestable do sa culpabilite. II rendit un jugement qui declaiait Albert consalncu de crimes, ou de coniplicite dans les crimes qui cliaque jour ensanglantaient la Souabe. Et, faute par lui d'avoir fait connaitre en trois jours les noms des devastateurs et meurtriers qui avaient devasle le chateau de Manherst, il la condamnait a dtre pendu. En entendant cetle inique sentence, Albert se leva : — I'enju ! dit-il; je suis noble, et si Conrad de Souahe la oublie, il n'a qu'a demander a son intendai.t oil elait la baronnie de Durkbard. — .\u lieu d'une potence le bourreau preparera sa haclie, repondit le juge. Le jour de ['execution arriva bienl6l. Un echafaud fut dresse sur la granJe place d'Augsbourg. Albert avait refuse de repondre aux nouvelles questions que lui adressaient les gensde justice; il avait fait le sa- crifice de sa vie, et en I'oHrant il Dieu, il demandait griice pour son frere, voila tout. Le peuple hurlait aulour de I'instrument de supplice; les fenfires des maisons elaient transformees en cadres oil s'empilaient des tetes. Enfin le condamne sortit de la pri- son pour marcher vers I'echafaud. II s'avancait d'un pas ferme et courageux, seulement de lemps en temps il le- 78 PETITS VOYAGES vait les yeux et semblait cliercher quclqu'un parmi la foule. Conrad de Souabe, monli' siir un clieval richemenl ca- paraconnf, avait aussi voulu jouirdela vue du supplice. En ce moment, Albert mettait le pied sur la premiere marche de Techafaud. Une femme, les cheveux ^pars, les traits horriblement contractfe par la douleur, vint se jeter^ aiix pieds de Conrad, en criant : — GrSce! grdce pour jDon dpoux ! il est innocent. C'dtait Marguerite. Conrad detourna la tcte en faisant un geste d'impa- lience. Albert, arrive sur le hant de I'^chafaud, baisait en ce moment le christ que lui presenla'it un prfitre. Le bour- reau, appuy^ sur son instrument de mort, attendait le signal que Conrad devait lui faire pour finir d'un coup d'espadon le drama dont .Albert elait le heros. — Tout h coup un bomme s'ouvrit pa.ssage au tra\ers de la foule, et, se dirigeant •vers Conrad, il lui remit un parchemin sur leqiiel on voyait le sceau du grand justicier. Conrad leva son epce h la bauteur de sa tete et lui fit decrire un demi- cercle; aussitot le bourreau laissa tomber son arme de sa main etdelia les mains d'Albert. Conrad avait disparu. — Monseigneur le due vient de faire pour vous un si- gn il de vie et de liberie, dit le bourreau en s'adressant Ji Albert. — Que Toulez-YOus dire? — Vous teniez done beaucoup k voir comment je tra- vaille? Aliens, il faut y renoncer. — Mais qui done m'a fait grace? — Le due lui-mi5me. .41bert descendit de rechafaud et \int se pr^cipiter dans les bras de Marguerite, qui faillit niourir de joie comme elle avait failli mourir de douleur. Le peuple hurla beaucoup plus fort que jamais. Tigre, priv^ subitement de sa proie, il prouva, par son feroce mccontentemcnt, que quand il venait pour s'emouvoir de la mort d'un bomme, il n'aimait pas a ^tre trompe dans son attente. Un geolier s'approcha d'Albert, et lui frappa sur 1'^- paule pour I'avertir de sa presence, en disant k voix basse : — Suivcz-moi, un bandit veut vous parler dans son ca- cbot. Albert devint livide comme un cadavre et suivit le geo- lier. On le condulsit dans une cellule oil un prisonnier gisait etendu sur la paille. — Albert! murmura une voix mourante. — Hermann! prononca le b&cheron en se precipitant vers son frere. — Je vais mourir! pardonne-moi ! — Oh ! non, tu ne mourras pas lorsque pour te sauver je m'etais moi-mSme condamn^ a la mort. — Je suis blessi;! dans quelques minutes j'aurai cess6 de vivre! — Mais qui done t'a ainsi meurtri? — Les bandits avec lesquels j'avais eu le malheur de me lier. lis m'ont appris ce matin le sort qui t'ctait re- serve, alors le desespoir le plus affroux s'est enipare de moi. lis voulaient m'emp^cber de venir me jeter aux pieds de Conrad pour lui tout avoucr; je me suis battu avec eux, ils m'onl blessc, mais pas assez pour m'arrfiter dans ma course. Maintenant que je t'ai sauvi, je puis mourir! Adieu! — Mon frere ! mon pauvre frere ! Albert ne pressait plus dans ses bras qu'un cadavre ! PETITS VOYAGES SUR LES RIVIERES DE FRANCE. LA SEINE, SES BOUDS ET SES SOUVENIRS. (suite et fin.) Apres avoir quittele chateau d'Orcher, le fleuve donne naissance a une petite bale, et recoit dans ses eaux celles de la Lizarde, jietite et faible rivifere qui coule k tra- vers une riante vallee et va baigner la ville d'Harfleur, dont nous apercevons de plusieurs lieues le clocher aigu, fleche curieuse, qui constitue, ains'i que le portail de I'e- glise paroissiale, un morceau prteieux de I'architeclure normande. Cette jolie petite ville d'Harfleur, appelee par Monstrelet le souvcrain port de Normandie, ^tait flo- rissante autrefois comme centre du commerce maritime de la province dont elle ^tait un des principaux boule- vards, grSice h ses fortifications. Aujourd'bui elle est bien decbue de son ancienne importance, et n'est plus que I'ombre d'elle-m^me ; elle n'a pas conserv6 plus de trois h quatre cents maisons. La fondation du Havre, la revo- cation de I'iJit de Nantes, les guerres itrangeres et les guerres de religion ont amene sa ruine. Aujourd'bui ses remparts sont demolis, et son port, autrefois si plein de vie, est remplace par des plaines ou paissent des bes- tiaux. Ainsi il semble que la nature elle-m6me ait pns a tJ- cbe de contribuer Ji cette dteadence complete et irreme- diable. Au commencement du seizieme sifecle, HarfleuT voyait ses murs baign& par la Seine; a partir de cette epoque le fleuve s'est 41oign4 cbaque jour davantage, et la ville s'en trouve separ^e maintenant par une demi- lieue de marais longtemps infects et improductifs, mais aujourd'bui cultiv^s et changes en jardins agr&bles et en fertiles prairies. II ne reste done plus Si Harfleur que le souvenir de ses i malheurs imm^rites, un passi5 glorieux, les restes inipo- sants de ses fortifications, la Deche et le portail Elegant de son ^glise; les flammes de quelques barques de pS- cheurs qui viennent, h rembouchure do la Lezarde, cherclier un abn, rapiiellent seiiles aux Harfleulais que leurs aieux ont vu longtemps llotler sous leurs murs les pavilions d'Espagne.et de Portugal. L'endroit qui fit naitre le projet de la conquSle de I'Angleterre est encore un probleme pour les historiens, qui lie s'accordenl pas a ce sujet ; les uns pr(?(pndenl que Guillaumele BJitard \int recevoir & Harfleur tldouard le Confesseur, et lui confia une flolte pour reconqu^rir son trone que lui avail enleve Canut ; les autres racontent que I'entrevue se passa a Barfleur. On n'a jamais su i quoi s'en tenir sur un ev(?nemenl non moins important, niais plus funeste, sur le fameux naufrage a la suite du- quel perirent tous les enfants de Henri I", roi d'Angle- terre, avec cent cini]uanle jeunes gens de la cour; ce de- sastre, corame on sait, fut occasionne par I'iniprudence des niatelols qui, apres s'elre enivres, engagerent la lllanche-Ifefel ses mallieureux passagers au sein de cer- tains rochers a fleurd'eau, en un lieu nomnie alorsRaz- de-Catte, maintenant Raz-de-Catteville. SUR LES RIVIERES DE FRANCE. 7-1 On ignore encore si ce sinistre arriva a la sortie de Bar- fleur ou a celle d'Harfleur ; M. Augustin Thierry (Ilis- loire (le la conque'lc de I'Angleterre par les Aormands) a adople la seconde version. Quoi qu'il en soil, cette petite ville d'Harfleur joua, ^ partir de cette epoque, un grand r61e dans I'liistoire de nos rivalites et de nos guerres avec les rois d'Angleterre; ses habitants opposerent alors aux coups du malheur qu les accabia trop souvent tout ce que rintclligence peut indiquer de ressources, et tout ce que le patriotisme peut donner de courage et de fermete. Nous aliens en citer un exemple. Dans I'annee lilii, h I'epoque de la demence de diar- ies VI, I'ambitieux Henri V vint debarquer devant Har- fleur et s'en empara; puis il la detruisit de fond en comblc. Enfin, pour s'en assurer la ccnqu^te a jamais, il eut I'idee d'en bannir les habitants, et de la rcpeupler avec une colonie d'Anglais. Alors on declara toutes les maisons de la ville propri^tes du vainqueur et, le mfme jour, on exila aCalaisseize cents families, qui n'eurent la permission d'emporter qu'une parlie de leurs vetements et cinq sols p^r t^te. Avant de partir, ces infortunes avaient eu la" douleur de voir brtiler sur la place publi- que leurs charles et tous leurs tilres de proprictes, ter- riers, etc Quelques-uns, ne pouvant se decider a quitter leur patrie, obtinrent d"y rester, mais aux plus dures conditions : ainsi il leur fut k jamais interdit d'ac- querir et d'heriter. — Puis, une fois sa colere assouvie, le monarque anglais Bt relever les fortifications qu'il avait en partie detruiles. N'oublions pas de mentionner qu'avant de publier et d'accomplir cet acte de barbaric, I'excellent monarque alia processionnellement, pieds nus et le cierge au poing, dcpuis la porte de la ville jusqu'a I'eglise paroissiale, I'our rcndre grace a Dieu de sa noble entreprise. Enfin, Henri Vcrut se fairepardonner pirleciel tanldebarbarie, en lui consacrant un faslueux monument qui a surv^cu aux ravages de la guerre et a ceux du temps. Ce monu- ment, comme I'a dit CasimirDelavigne, C'est le clocber d'H.irQcur, debout poor nous apprendre Que I'ADglais i'a bill mais ue i'a su defendre. En effet, vingt ans apres, cent quatre Harfleutais oserent concevoir le dessein de rendre, nouveaux Thrasybules, la liberie a leur patrie ; on sut se menager des intelligences avec quelques milices des environs; les conjures du de- hors s'approcbferent de la place pendant la null, et au point du jour on donna le signal de I'allaque. La garnison anglaise fut egorgee, et les porles furent ouvertes a Char- les VIL — Par malheur, Ihistoire ne nous a pas conserve les noms de ces citoyens courageux. Cepeadant, pendant 80 PETITS VOYAGES deux siecles, a I'heuro mime de I'assaut, on sonna clia- que malin cent qualre coups de cloche en souvenir de celte action memorable et de scs auteurs. Quoi qu'il en soil, Hartleiir ne fut pas heiireuse et joiia de mallicur ; car die lomba une seconde fois au pouvoir des Anglais, el Charles Vll fut oblige de la reprcndre une seconde fois, en 1449, sur le roi Henri VI. Le roi Charles prit part en personne a ce siege, oil il s'exposa beaucoup, conime le raconle Monslielel, cs fosse's cl is mines, sa su- lade sur la tele el son piivois en main. A Harfleur on colebre, le mardi-gras, la fete de la Seie, ceremonie ou pluldt mascarade assez semblable a la fele des Anes de Bcauvais, des Coinards d'livreux, de la Merc-Folk de Dijon et des Sous-Diaercs de Paris, qu'on appelail par derision les DiacrcsSous. 11 est a regretler que les gens qui ont mis lant d'cmpressement a relablir la ridicule mascarade de la.Scic, imaginee pour la plus grande gloire d'une seule faniille, n'en aient pas mis au- tant a faire revivre une coutume bien autrement natio- nale, celle de ces cent qualre coups de cloche qui rap- pelaient une action eclatanle et un heroique devoue- nient. Tons ces dereglements de I'imaginalion s'etaient, au douzii^me siecle, empares de toules les tetes en France, et semblaient par leur nature tirer leur premifere origine des saturnales du paganisme, pendant lesquelles les mai- tres elaient forces de servir leurs csclaves. Le jour des F devoir d'obeir i I'assemblee, qui, le vcndredi 19, s'^tait ajournee au lendemain saraedi, et s'avance jusqu'a la porte de la salle. Les gardes francaises avaient recu la consigne de ne laisser entrer personne. Bailly est surpris de cet entourage inaccoutume ; mais il est rei;u avec de grands egards par I'officier de service, qui lui permet d'entrer dans une cour pour y ccrire une protestation. Surviennent quelques jeunes deputes qui, emporles par la fougue de leur age et par la colere qu'ils ressentent a la vue de cet outrage, veulent penelrer de vive force. Ueureusement Bailly se bite d'aceourir; il les calme, il les emmene en les suppliant de ne pas compromettre, par de I'imprudence, I'officier plein de courloisie qui s'est monlre si modere, lout en faisanl respecter les ordres de ses superieurs. Inutiles remontrancesl La foule augmente, le tumulte s'accroit; on resiste aui summations faites par la troupe, onveut a toule force se reunir ; les plus exaltes vonl jusqu'a proposer de s'assem- bler en seance sous les fenetres monies des appartemenls duroi. D'aulres, plus raisonnables, se contenlenl depar- ler de la salle du jeu de [paume ; aussitot la foule s'y pre- cipile, le proprielaire s'empresse de la mettre a la disposi- tion de I'asseniblce. Bien souvent nous avonsvisite cette salle, a Versailles,, ruede Gravelle, pres celle de I'Orangerie, monument c6- lebre et bien modeste de I'un des evenements les plus decisifs de la Revolution franfaise el qui, il y a quelques annees, scrvaitd'atelier a un peintrede batailles fameux. Cette salle etait vasto, aeree, mais les murailles elaient tristes el nues ; il n'y avail pas de sieges : on veut faire asseoir sur un fauteuil le president qui refuse, et declare qu'il reslera debout comme loute I'assemblee. Le bureau est un simple banc ; a la porte veillent deux deputes, I'assemblee se gardail elle-mSme. Mais bient6t arrive la prevoto de I'hotel qui offre ses services et releve de leur poste les deux gardiens improvises. Le peupleetail accouruen grand nombre; il Staitmonle- dans les tribunes, il garnissait les murs et les toils voi- sins. La deliberation est ouverle. On est unanime pour bikmer I'ordre de la cour, on s'eleve centre cette suspension arbilraire, et plusieurs moyens sont proposes pour arri^ter kl'avenir les empieie- ments d'une pareille prerogative que rien ne legitime. Les esprits deviennentde plus en plusexaltes, on s'agite, on en arrive deja aux partis extremes, on va jusqu'Jt proposer la motion de se rendre i Paris en corps el a pied. On accueille avec explosion cet avis imprudent, on le discute, lorsque Bailly, toujours modere, toujours de sang-froid, elTraye d'ailleurs des malheurs qui peuvent fondre pendant le chemin sur I'assemblee, exposee ainsi a la violence, craignant aussi la division, combat de toutes ses forces la motion et la fail abandonner. C'est alors que Mounier prend la parole et propose i tous les deputes de jurer, parun sermentsolennel, qu'on ne se separera pas avant qu'une constitution n'ait kii donnee a la nation. On accueille avec acclamation la proposition de Mounier, et la formule da serment est ar- 92 FAITS MEMORABLES DE L'lllSTOIRE DE FRANCE lee seance lenante. Bailly reclame I'honneur tie jurer le premier, et doniie lecture de la formulesuivaiile: « Vous « prelez le serment solennel de ne jamais vous separer, « dj vous rassembler partout oil les circonslaiices I'e.xi- « geront, jusqu'a ce que la constitulion du royaume soil • etablie etalTermie sur dps fondemenls solides. » Bailly avail prononce ce serment d'uiie voix liaule et retenlis- sante, qu'on avoit enlendue du dehors. Tout le mcmJe ii la f jis, repete. ■ Nous lejuronsl ■ tous'les^bras selevent tendus vers Bailly, qui, debout, impassible, recoit le serment profere par loules ces voix. Aussilot le peuple qui enloure le jeu de paunie pous^e les cris de Vive I'as- semblec! Vice Ic roi! et montre par la qu'il ne fait que reprendre un droit qui lui apparlient. Ainsi un engnge- ment solennel, dont une foule immense, sans colere et sansliaine conire la royaute, elaitle temoin, allait assu- rer, grace h des lois, I'exercice des droits les plus sacres. Les deputes s'occupent ensuite de signer la declaration qui vient d'etre adoptee. Parmi eux, un seul, Martin d'Aucb, fait suivreson nom'de la qualification d'opposant. A linstant mfeme, il estl'objetde plusieurs interpellations ; on s'atlroupe aulour de lui en tumulte. Poui se faire en- tendre, Bailly est obligii de monler sur une table; il in- terpelle tranquillcment le depute et lui fait observer que s'il a le droit de ne pas si.gner, il n'a pas celui de former opposilion. Le depute opposant mainlient le mot ajoute, et I'assemblee, donnant un exemple admirable de respect ^>our la liberte, admet la qualification, et permet quelle subsislesur le proces-verbal de la seance. Ce n'etait la que le premier coup porte il un ordre de clioses qui avait fait son temps; mais il etait serieux, il devail avoir un retenlissement plus serieux encore. Par malheur pour la royaute, la noblesse lui fit parler un langa^e qui n'elaitplusde circonstance,et, dans la seance du 23, Mirabeau, par sa foudroyante apostrophe au mar- quis (le Breze, indiqua claircment la marche qu'allait suivre le niouvement revolutionnaire, que rien desormais ne pouvait arreter. PBISE DE L.\ BASTILLE. Apres la seance royale du 23 juin, I'assemblee avait continue ses deliberations malgre les ordres du roi ; cetto desobeissance audacieuse etait deja un commencement dhostilites; la reunion definitive des trois ordres futun vrai triomphe pour le tiers etat. Les premiers travaux de I'as- seniblee, nommec plus tard constituante, etaien! graves; il nc s'agissaitde rien moins quededonner une constitution a I'Etat qui n'en avait pas. Mais il y avait 1^ des horames fernies, energiques, en ineme temps que prudents, et qui ne se laisserent alter ni a la colure ni au decouragemenl. en presence de toutes les humilialions dont ils lurent jouri;ellement abreuves. Cependant des agitations populaires eclataient chaque jour a Paris. Le peuple avait delivre des gardes fran- caises, enfermes pour cause d'indisciplino, a I'.Abbaye; le jardin du Palais-Royal devenait le rendez-vous des agi- tateurs, qui I'avaient transform^ en un vaste club oil ils peroraient, montes sur des chaises. La cour, pour parer il tons ces dangers, commettait imprudence sur impru- dence. Comme tous les gens qui ont peur et qui ont recours aux moyens extremes parce qu'ils savent que leur cause est niauvaise, elle se rejetait sur de dangereux complots, armes perfides qui se tournent toujours, dans des circonstances semblables, centre ceux qui s'en ser- vent, et faisait approcher des troupes de Paris. Bienlcit le renvoi de Necker est decide; cet eviinement et le depart du niinistre congedic font perdre a la cour les dernieis restes de la popularite que lui avait value cet liomme d'fitat. Les journees des l'2, 13 et 14 juillet ont marque dans riiistoire. On ne peut nior que la provocation ne soit ve- nue de la cour: le prince de Lambesc chargeant aux Tui- leries,avecle Royal -Allemand, une population inoffensive, avait excite dans tous les cceurs I'lndignation et le desir de la vengeance. Camille Desmoulins, haranguant le peu- ple au Palais-Royal, avait ete I'auteur de I'emeute. Bien- tot le peuple se dechaine, brule les barrieres, pille les boutiques des armuriers, et les brigands, armes de pi- ques, reparaissent. Les bons citoyens, les electeurs se reunissent alors a I'hotel de ville; ils appellent a eux le prevot des marchands et Ic lieutenant de police, et on precede sur le papier, c'est-k-dire en projet, a I'arme- ment de la milice bourgeoise. La milice est en effet instiluee ; du moins on s'occujie dans cliacun des districts de Paris de I'organisation de cetle garde civique, qui fut I'origine des gardes natio- nales. Dans la matinee du lundi 13, le peuple avait de- vaste Saint-Lazare et pille le garde nieuble pour y prendre des amies. Les gardes francaises et les milices du guel avaient ete enrolees dans la garde bourgeoise. Cependant le prevot Floselles avait piomis des armes; il attendait, disait-il, douze cents fusils, et plus encore les jours suivants- Le soir, on conduit a I'hotel de ville les caisses d'artillerie annoncees; on les ouvre, elles sont pleines de vieux linge. Le prevot court les plus grands dangers; le peuple crie a la traliison. Pour le satisfaire on ordonne la fabrication de cinquante mille piques. Des bateaux charges de poudie descendaient la Seine, on les arrele, et leur contenu est aussitot distribue a la muUi- tude. La plus grande confusion rcgnait a I'hotel de ville; oa ne savait a quel parti s'arreter : on avait a craindre hois Paris les troupes etrangeres du niarechal de Broglie, et dans la ville des hordes de brigands. Puis il fallait a chaque instant calmer le peuple et detruire ses soupcuns. Dans les rues avoisinantesle desordre etait a son conible. tout le quartier prfcentait I'aspect d'une ville en etat de siege. La nuit fut pleine de perils. Des brigands me:ia- cerent I'hotel de ville, qui fut sauve par Moreau de Saint-Mery. Ce courageux elecleur avait fait d'avance apporter quelques barils de poudre, auxquels il menaca de mettre le feu : la foule s'enfuit epouvantee. Cependant on avait depave les rues, creuse des fosses ; on prenait enfin tous les moyens de rfeister a la force. Paris avait dejii une milice, dirigee par le regiment des gardes francaises avec I'arlillerie de ce regiment. Deji le mot de Bastille etait prononce, tout indiquait que de ce c6te-la les evenements seraient decisifs. La situation de cette forteresse, au milieu d'un quar- tier trfe-populeux, devait attiier I'attention de la cour; dun autre cote, on avait pris toule sorte de precau- tions pour mettre la place a I'abri d'un coup de main. A peine les troubles avaient ils commence, qu'on avait fait sortir une partie des prisonniers; six k huit seulement reslaient, il n'y avait plus de revolte k craindre L'un ET DES ARME J'eux, du nom'de Tavernier, avait ele enferme dans une .nulro clianibre. Dans celle qu'il avait quillee, on avail oijvcrt une meurlriere qui commandait I'enlree inli- rieure, et on y avait mis un fusil de rempart; on y iivait renforce la garnison, qui se montait k cent qualorze liommes. De plus, le chclleau conlenait quaire rents biscaiens, quatorze coffrets de boulcts saboles, quinze niille cartouches, un grand nombre de boulets, ileu\ cent cinquante barils de poudre du poids de cent vingt-cinq livres chaque. On avait transporte ces barils (le I'Arsenal a la Bastille, dans la nuit du 13 au 14, et on les avait deposes dans le cachot de la tour de la Liberie et ii la sainte-barbe sur Ta plale-forme. De phis, on avait transporle sur les tours, le 9 et le 10, une ^norme quantile de paves et de vieux ferrements. Pendant la nuit on avait taille de nouvelles embrasures de canons. En face de I'hotel du gouverneur on avait braque deux pieces. Evidemment ce plan de defense devait se relier ^ I'at- laque qui devait avoir lieu dans la nuit du 14 au 13 conlre Paris, et pour laquelle trente mille hommes avaient 'He rt'unis aulour de la capilale. Cetle arniee, ou Ton ne es franc;aises. 93 voyait que des regiments etrangers k la solde de la France, etait sous les ordres du marechal de Broglie. D'ailleurson ne pouvait pas supposer que la Baslille put ^tre allaqu(?e, bien loin d'Hre prise, avant I'altaque pro- jetfe, pour laquelle devaient concourir des troupes noni- breuses. Le baron de Besenval, commandant I'armee royale sous les ordres da marechal de Broglie, avait adress^ deux billets a M. Delaunay, qui lui ordonnaient de tenir le plus longtemps possible, en lui annoncant de prompts et puissants secours. Les deux billets furent sai- sis et lus a I'hotel de ville. En depit de ces contre-lemps, le projet de la cour eut probablement rfussi sans I'im- prudence du prince de Lambesc, dont la brutale echauf- fouree amena les consequences les plus desastreuses. Cependant I'assemblee etait plongee dans la consterna- tion. En vain fit-on supplier le roi d'ordonner le renvoi des troupes et I'organisation des gardes bourgeoises; I'as- semblee, neanmoins, ne perdit pas courage, fit adopter les arrStes les plus encrgiques, et se choisit M. de La- fayette pour vice-president. Les nouvelles les plus alar- mantes ne cessaient de lui arriver; les bruits les plus siniitres couraient sur les projets de la cour, l'as.=embke devait rester livree a des regiments etrangers. On avait vu les princes et les princesses se promener a I'Orangerie, flatter les officiers et les soldats, et leur fairs apporler du vin et toules sortes de rafraichissemenls. On preparait ainsi h I'avance I'execulion du grand projet. Paris allait ■'•tre altaque pendant la null, le Palais-Royal devait ^Ire enveloppe, I'assemblee dissoute; puis on allait satisfaire aux besoinsdu tresor en faisant banqueroute et en emet- tant des billets d'Elat. Ce qu'il y a de bien certain, c'cst que les chefs avaient rccu I'ordre de faire marcher leurs troupes du 14 au 15, les billets d'fetat etaient prets, les casernes des suisses etaient remplies de munitions, et le gouverneur de ',;. bas- tille avait demenage, ne laissant dans le chateau que Ic choses dont on ne pent pas se passer. L'assemblce, toujours inqui<;le, altendait tonjours im- patiemment des nouvelles de Paris. Le sang coulait. di- sait-on; lout etait perdu. Enfin le roi avait consenti a ce que I'armee s'eloignat; mais il etait trop tard, et bienlot on apprit les evenemcnts de la journte du 14. Deja, dans la nuit du 13, une foule immense de peuple s'etait acheminee vers la Bastille. On avail deja tire quelques coups de fusil, on avait crie plusieurs fois : A la Baslille! On sitail habitue deja a I'idce de delruire ce monument caractcrislique, dans lequel se personni- iiail un '.ong despolisuie. On deniandait sans ceise des u FAITS MEMORABLES DE L' armes et de la poudre. Le bruit courail qu'il y en avail un d^pflt immense a I'hotel des Invalides. Le comman- dant, M. de Sombreuil, en defend I'entree; il repond qu'il lui faut des ordres de Versailles. La multitude ne veut rien comprendre; elle se precipite, force les portes, se saisit des canons et d'un grand nombre de fusils. Cependant un people immense assiegeait la Bastille. On donnait pour pr^texte que le canon de la forteresse etait tourn^ contre la ville et qu'on devait empteher qu'on ne tirat sur Paris. Le depute d'un district demande la permission d'entrer dans la place, le commandant y con- sent. En la visitant, il compte trente-deux Suisses et quatre-vingt-deui invalides; on lui promet sur I'honneur de ne pas faire feu avant d'etre attaqu6. Pendant que ces pourparlers ont lieu, le penple, qui ne voit pas paraitre son depute, s'irrite, et celui-ci, pour calmer la foule, est forc^ de se montrer. Enfin il se retire vers onze heures. Une demi-heure apres survient une autre bande avec des armes, criant : a Nous voulons la Bastille! • Alors la garnison enjoint aux assaillants de se retirer; ils persis- tent dans leur dessein. Deux hommes, plus intr^pides A.-L. Ravergie. =<^<^^^^i^iM^>^?^ LA FREGATE L'URANIE. 95 SCENES, RECITS ET AVENTURES DE LA VIE MARITIME. I.A FREGATE Ii'URANIE >. m. Vous savez que la miture de Brest, une des plus belles que Ton connaissp, est situee au pied du chateau. Un massif de maconnerie en granit lui sert de base ; elle est composee de trois hauts mSts ou bigues qui sont assem- bles i leur extri^mit^, se terminant h angle aigu par une sorte de hune qui se Irouve elevee ^140 pieds au-des- sus de la nier vers laquelle elle est fortement inclinde ; des clefs ou traverses maintiennent I'appareil, qui en outre est retenu en arriere par de solides haubans, Irte-forte- ment roidis par des caps-de-moutons ' ferres. En tSte'des bigues, des gros palans et des calicornes ' avec des rouets en fonte sont frappt^, et la manoeuvre d'en bas se fait a I'aide de treuils ou cabestans *. Les bas-m^ts furent promptement i^levcs perpendiculai- rement au-dessus de I'^lambrai , trou par lequel on les Introduit dans le pont, de maniere que I'extr^miti^ basse aille s'assujettir dans des pieces de charpente nommees car- lingues, etablies dans la cale. Les mats sont perpendiculaires, comme vous le savez, excepts le mdt de beaupre , plac6 k I'avant horizontale- ment. Les autres sent : le grand m&t, au milieu ; le mSt de misaine a I'avant, et le m4t A'artimon a I'arriere. Cha- cun d'eux est couronn^ d'une htme, plateau demi-circu- laire au-dessus duquel s'elevent les niAts de hune; puis en- core plus haut, les perroquels. Ces derniers mSts peuvent se depasser, c'est-h-dire etre amenes le long des bas-mits comme des tubes qui glisseraient centre unecolonne; le beaupr^ a un boule-dehors qui fait le m^me office. Horizontalement aux mJts etappuyees centre eux, sont les vergues destinies k porter les voiles. Des balancmes suspendent et dirigent les vergues. Des drisses hissent ou amfenent les voiles qui sont eten- dues et presentees au vent par des eeoutes et des bouli- nes. Je ne toqs parlerai pas de la voilure de la fregafe et de son elegant Edifice de cordages, qui se croisent dans tous les sens et dont pas un seul n'est inutile. De ces corda- ges si multiplies que le vent fait fr^mir ou sifSer, selon qu'il sounie avec plus ou moins de violence, comme une immense harpe ^olienne , les uns sont places k demeure et servent de point d'appui pour maintenir la mSture : ce sont les manoeuvres dormanlcs ' du gr^ement ; les autres sont les manoeuvres courantes ', c'est h. dire qu'ils agissent h I'aide des poulies pour donner le mouvement et la vie aui vergues et k la]voilure '. En faire le detail serait trop 1 Voir t. 11, p. S86; (!( I. lit, p. 61. ' CapB-de-moutoni. — Poulies en forme ie spTiereaplalie, avec Irois Irons el une rainure lur le aens circutaife ; leur wage principal esi de rider le bout d'en bas des Uaubans. 8 Co^icorne. — Reunion de deui grosses poulies ou monflles i trois rouets. * TrntiU et cabeatans. — Tout le monde connait le trenil, car it sert i manceuvrer la ch^Trc qui est d'un usage general. Le cabestan est une sorte de treuil pcrpendiculairc oil I'cHort se fait Iioriiontalemeat par lea kommcs ranges SIU los leviers. long, trop tecbnique surtout. Mais les occasions d'en parler, ainsi que de toutes les autres parties constitulives des navires, se reprfeenteront ; car les recils detaches que je vous ferai seront ceux des aventures qui me sont arriv^es h. moi-meme ou qui m'ont ^te racontijes par des marins qui en ont ele les acteurs. Comme presque tous ces 6venements se sont passtjs en mer, le navire y jouera naturcUement le premier role. Enfin, la fregate bien griie, armee, montee par un brave tiquipage , se rendit en rade, et peu de jours apres nous mimes k la voile. DEUXIEUE PABTIE. Lorsque nous partimes de Brest, longtemps nos regards s'attacbferent au rivage ; la brise itatt fraiche, et nous vfmes disparaitre successivement nosamis qui nous adres- saient du rivage un dernier adieu, les tours du cli&teau, puis enfin les cotes escarp4es qui dominent I'Ociian. La null arrive, et le jour du lendemain n'eclaira aulour de nous que I'immensit^ des mers. La fregate devait se rendre sur les cotes du S^ntjgal pour y reprimer la traite des negres qui s'opi5rait clan- destinement malgre la stivfere surveillance des croisieres, et en meme temps pour prolt'ger nos comptoirs ou lo commerce des gommes s'y fait stir une grande ^chelle. Notre traversee eut lieu sans incidents remarquables, et avec une rapidite qui vint confirmer la bonne opinion cpie Ton avail de noire fregate. En ma qualite de pilotin, j'litais attache h la timonerie, ce qui me donnait de lon- gues heures pour r^ver, lorsque j'etais a mon poste prfe de I'habitacle , et quand le mal de mer voulait bien me le permeltre. Arrives sur les cotes da Senegal, quelqnes ^vdnements de mer saisissants, qui vinrent nous frapper coup sur coup, fprouverent la sohdittj du navire et I'energie de nos hommes. Nous avions pass6 quelques jours a Goree, ilot volcanique, qui, par sa position et sa rade, est un point important de la cote occidentale de I'Afrique; nous n'y avions trouve qu'une chaleur ^louffante, des negres peu propres et des mulAtresses surcbarg^es de bijoxix, ayant K ifanc&urres dorfflantea : haubans ; galhanbans ; £tais des mitts majenr et d'arlimuD, des mils de bone et perroquels de fuugue , des perruquets et per- rucbes , drailles des foes et \oiIea d'etai. 6 UantBUvrea courantes: drisses; ytagues; balaocines, bras; eeoutes; boa- lines. A\itree ccirdages : cables; grelins ; baussi^res; cayomes; palans. *1 Potture. Grand mdt : grande voile; grand hunier; grand perroquel; grand perroquet volant. SIi4aine : petit bunier; petit perroquet; petit perroquet volanL ArtimnK : perroquet de fougue ; perrucbe. Beaupr^ : civadiere ; contre-civadi^re. Puis les bonnettes et voiles d'etai Iriaugulaires et les foes; ces Toiles ne sont pas etendues sur les vergues comme les voiles carrees: c'esl avec del eeoutes et des boulines qu'elles sont d^ploy^es on serrcet. 96 LA FREGATE LURANIE. nn madras autour de la iHe, et qii'on ne pouvait trouver jolies qu'Ji I'aide d'une graiidc bonne volonte. Vers lo soir. nous aperciimes unegoeletio loule peinle on noir, qui glissait sur la mer unie comme une glace, prit chasse des qu'elle nous appr^ut, et se couvrit cle toile, en s'orientant au plus pres , ce qui lui elait favo- rable; aussi la vimes-nous bienlot disparaitrea rhorizon. Le temps etait calnie et lourd, le ciel etincclant, la mer bleue refletait nos mJts et notre greement, en vain cher- chait-on quelque trace de vent ; nous etions enchaiiies, pourainsi ilire, a notre place. L'olTicier de quart referma sa longue-vue avec humeur.ct se mil h marcher a grands pas, ce qui etait de mauvais augure. Tout 4 coup, ccpen- dant, il s'arr^ta, se passa la main sur le front, examina I'horizon, puis se porta rapidement vers I'habitacle, ou I'aiguille de la boussole, au lieu de rester tremblotlanle et fixee vers le nord, tournait et retournaitsur clle-mJme comme si, devenue animee, elle eiit et^ en proie a une Vive inquicl'tude. Aussilut, le vigilant officier fait monter le nionde, ser- rer les voiles, amener les perroquets, prendre toutes les dispositions comme si nous etions assaillis par une vio- lente tempSte. J'avoue que ces dispositions m'intriguferent beauconp, car je nevoyaisqu'un ciel pur, et, a I'horizon, un petit nuage blanc qui, semblable a une legero loison, s'avancait dans le ciel. Le pere Kaban, en passant pres de moi, me dit Ji I'oreille : .Nous aliens danscr, men camarade.' Les previsions de rolRcier ne tardi;rent pas h elre jus- lifiees, et bien nous arriva que ce fut un homme d'expe- rience. Ce petit nuage s'avanca avec une rapidite extra- ordinaire, grossit a vue d'eeil, et un coup de vent affreux, un grain blanc enfin, lomba sur nous comme la foudre. .4utant nous etions calnies quelques minutes auparavant, autant les elements dechaines nous secouerent alors avec violence; la mer devint horrible, la mature craquait, quelques voiles qui n'etaient pas encore serr^cs furent dcralingu(5es et emportees Dieu salt ou. Ballottes par les flols, pousses avec rapidite par le vent, inondes par une pluie battante, nous courumes un grand peril, car nous range;\mes k honneur une chaiue de recifs ou nous nous fussions perdus corps et bims, si la Providence n'eut pas veille sur nous. Nous apercevions les lames onfirnies qui se brisaient sur ces roches aiguiis, et leur ecume pUos- phorescente qui etait emporlee au loin par les vents. Une heure apres, le ciel avait reprissa srrenite, la mer son calme trompeur, et tout I'equipage travaillait a re- parer lesavaries caus(5cs par le grain blanc. Ces oragcs sont aussi courts que violents, d est vrai ; mais, comme dans les mers tropicales ils tombent a I'lmprovisle sur un navire, ils sont excessivement dangereux; c'est pour eux surtoutquel'on doitappliquerledicton : ■Veilleaugrain.> Nous venions de subir une rude epreuve; mais, dans la vie de marin, on en a lel'ement, et de loutes nature;, que Ton finit par voir le danper avec une sorte d'insou- ciance; on ne peut jamais compter sur le leiidemain, on dort paisible, n'^lant sepnre de la mort que par quel- ques planches. Le lendemain, i peine parlail-on de cet episode; mais bienlut un nouvel ev(5nemcnt vint captivcr notre attention , et fairo oublier ce grain blanc si brutal. Deux ou trois tronibes passerent pres de nous vjrs la fin de lajournee et nous olTrireiit un spectacle tellement merveilleux , que nous oublii'iniei qn'il y avait un grand dcnteri le conlemplcr de Irop jrjs. Tj(>. ? . c lAVPE I}l3 ct Comp., me Dairielle, ?. BRITISH MUSEUM 7 AUG 30 NATURAL HISTORY. , m AJf A PARIS \ PromeDade de Longcbam^is. IV. Les predications, — la piomenade de Longchamps, — les concerts, — I'ouver- tureduSulon etiesgrappes de lilas signalent les der- iiiers jours de I'hiver et I'aurore du printemps. ■'^ C'est une epoque animee, - j bruyaute, pleine de phy- - -sionomie; les rues se net- i - toient, le ciel s'ouvre aux :J_ rayoDs tiedes, et de toutes parts voici que les oiseaux et les Parisiens reviennent s'abattre dans les prome- nades, la oil les grjnds arbres poussent de petits bour- geons, les uns dessus, les autres dessous. Les carrosses ne sont plus crottes jusqu'au ventre ; el si quelquefois encore une giboulee creve sans ditB gare, au moins le soleil a-t-ii la galanterie de fralerniser avec elle et d'a- doucir par la I'inclemence de son precede. On se surprend a laisser 6leindre le feu de sa cheminee, on sort sans manteau, on marche d'un pied plus siir; — oij va-t-on? vous le savez bien , oil va lout le monde : a I'eglise, au sermon, au Siabat. Quelques oraleurs Chretiens, — parmi lesquels on dis- tingue M. Lacordaire, M. de Ravignan et M. Cffiur — onl le noble privilege d'allirer une foule elegante autour I Voir [..jei 1, 33 el 65. UI. de leur cliaire. C'est parfois injustemenl que I'on crie a' la frivolite de noire epoque : ceux qui jettenl un bliime si prompt sur la generation actuelle ne Tout pas vue grou- pee, un jour de la semaine sainle , sous les voutes dun temple retentissant d'une parole eloquente et grave. La France est le pays oil il ne faut desesperer de rieu , c'est I'arche des Iradi lions ; et, croyez-moi, la piele est en- core aussi vivace a Paris qu'au fond de la province, ou sembleraient vouloir la releguer quelques esprils sou- cieux. Parce que Ton bStit de coquettes eglises, toutes relui- santes d'.icajou et d'or, d'un aspect mondain, ce n'cslpas une raison pour crier a la desolation el a la decadence du catholicisme. — La dedans, jene vols tout au plus qu'une question d'architeclure,le joli d^trfinant le beau, le slylf grec remplacant le style gothique. Les clochers coiitaient Irop cher, et & defaut du genre solennel on a adopl(5 le genre gracieux, — quand on pouvait s'entenira la sim- plicile. Sancta simplicilas! — Ce n'esl pas seulement aux edifices religieux que ce faux gout s'applique. L'af- feterie est parloul, a chaque coin de rue, au fronton de tons les hotels finis d'hier. HeureusBmenl qu'il reste encore a Paris assez de vieux etseveres monuments, — Notre-Dame, Saint-Euslache, Saint-Germain-l'Auxerrois, — pour se consoler du luxe moderne inlroduit dans I'arl chrelien. Les ceremonies du culte onl conserve la lout leur prestige et leur majesty ; el sous les arceaiix noirs des piliers, il semble voir quel- quefois Hotter des ombres d'anges. — Une veritable fete de car^me, c'est lejour desRameaux. Je ne sais rien de OS plus charn ant que ce bruit de branches et de feuilles qui se fait autour des egliscs, sous Ics ponhe?, dans les rues avoisinantes. C'esl la religion qui c^iebre le prin- lemps. Si vous n'avez cntendu courir, dans les dMaJes obscurs ettortueux dela Cite, ce fr(5missemcntjoyeux des ranieaux, vous iiinorcz uue dos plus donees et des plus ravissantes emolioiis doiit celle pieuse coulume est la source. La nuisique qui se fait le soir du jeudi saint est sou- vent execulee par des fenimes du munde, — et c'est une inspiration dont on duit leslouer.LeS(n6(iedirigeait alors vers Jerusa- lem. Les Samarilains refuserent de donner un asile au fils deDieu, etl'evang^liste saint Luc, auquel nous devons le recit de ce fait, met dans la bouche de Jacques, comme dans celle de Jean, ces paroles d'indignation conire les habitants du bourg impie et inhospitalier: • Seigneur, voulez-vous que nous conimandions que le feu descende du ciel et qu'il les devore? > — Cerles, cette terrible de- mande prouve la force des passions encore humaines de CCS deux hommes; mais combien aussi elle attesle chez eux la colere nee de leur amour pour leur divin maitre! Ainsi que tous lesaulres apotres, saint Jacques le Ma lOi LES DOIZE APOTRES.— S jour assisia h ce rcpas soloniicl pcmlaiil leqiicl ful elublie I'institiilion de la divine eufharislie; niais il fut I'uii des trois seulonioni que Jesus conduisit apres la cene au jar- din de Gellisemani at auxquels il dit : • Mon Sine est trisle jusqu'a la niort; demeurez ici-el vcillcz avec moi. • Vous savez comment, s'elant un pen eloigne et s'etant alors proslern61e visage centre terre, leChrist poussa vers son Pere un long cri de douleur, et comment, revenant vers ses disciples, il les trouva endormis. Trois fois il s'eloigna d'eux, Irois fois il les vit succomher sous I'ap- pesantissemcnt du sommeil.Enfin, illeur dit : « Dormez mainlenanl et vous reposez; voici I'heure qui est proche, AIM" JACQLES EE MA. IE UP.. le Fils de I'liomme va etre livre entre les mams des pe- clicurs. » Judas Iscariote s'avangait en etfet pour accom- plirl'ceuvre des tenebres. Ce qui advinl alors pour Jacques le Maj, jr fut, lielas I un acle de faiblesse el d'abandon. Pierre et Jean seuls . de pres ou deloin, suivirent leur maitre; les autresapo- tres s'enfuirent. Parmi ceux-ci se trouvait done Jacques, fils dv Zeb^dee. Apres sa resurrection, Jesus-Cbrist se montra sur le bord de la merde Tiberiadeh plusieurs de ses disciples ; saint Jacques se trouvait avec Simon Pierre, Tliomas, ap- pele Didyme, Natbanael qui etait de CaD» en GaliK'C, el Siipplivjilp saiiil J,if<]Lie3 le Majeiit. Jean, fils de Zebedee ; IJi il put contenipler leSaiiveur, marque des sligmates de la croix, et il entendit confier ^ Pierre les agneaux et brebis du divin pasteur. Le Fils derhomme^lait rcmonte vers son Pere, lais'ant a chacun de ses disciples une partdu monde a defricber. La mission de Jacques s'etendit aux douze tribus d'Israel dispers(5es en divers lieux de la lerre. II porta la nouvelle loiauxpeuplesmaUieureuxquig^missaientdansl'esclavage du paganisme. Ses ceuvres secondaicnt par I'excmple ses saintes predications; il ne portait qu'une seule tunique et un simple nianteau de lin. II ne mangeait ni viande ni poisson, et il est dit a sa grande gloirc qu'il conserva une virginite perpctuelle (Eusebe, livre li, 6, 9). LeglisedEs- pagne, s'appuyant f •• I'autorite de saint Isidore de Se- ville, al'ribue il sail 'acq'ies leMajeur les premieres con- versions opcr6es sur an lerri'oire a la religion du Christ. Apres avoir longlemps comballu pour la gloire de son mattre, et avoir enrichi la nouvelle foi de nombreusesct pr(5creuses conqu^les, rap6tre revint a Jerusalem, d'on il etait parti poi- alleraccomplir sa mission, et la il n'at- tendit pas longtemps lejour deson trromphe. Agrippa, pe' H-fils d'Hi'rode, (Sieve h Rome sous I'empe- reur Tibcre, nourri dans les vices et les monstrucuses cruaulesdu paganisme, connudecelteanomaliebumaine qui eut nom Caligula , avait su , en flaltant Ulcliement les passions de ce dernier prince, meriter sa confiance et son amitie. A peine parvenu & la pourpre imperiale, Ca- ligula, voulant t^moi^ner son attachement pour Agrippa, le cr& et lui donna le titre de roi des Juifs. Le farouche et nouveau souverain s'empressa de venir monter sur le Irene qu'il d'evait souiller de ses crimes. II etait roi des Juifs; it crut done devoir atfecter un grand zele pour la loi de Moise, et il suscita contre les disciples de Jfeus- Christ une persecution qui devait lui gagner le cccur des Juifs. Faisant un voyage de Jerusalem h Cesart'e, dans le but d'y celebrer la f^te de Paques de I'annfe 43, il leur fit la promesse formelle d'employer toute sa puissance a eleiudre le flambeau de la chr^tiente, dej^ leve sur I'uni- vcrs comme un soleil qui bienl6t devait I'envahir. Saint Jacques le M.ijeur futunedes premifcres viclime-s de cctlehideuse politique. II le fit arrfeler qnetques jours avant la solennilc de Pilqucs, et il ordonna qu'on lui tranchSt la (^lo. Dapres Clement d'Ale^andrie, Eu^Stle rapporte qne \e ECr.lSK I)E denonciaic'ur de I'aiiotre ful si vivement Louche du cou- rage et de la. consUince inebraalablo qu'ilopposa aux bai- baries exeicees contru lui. que subilemeiU il se declara chretieu lui-meme, demandant comme mie gr&ce d'etre decapile avecia viclimedc'sa debition. On pensc bienque le farouche Ayrlppa ne refusa pas S ce malheureux la fa- veur qii'il solllcitait. Conduit au supplice avec saint Juc- qjjes, ii lui deuianda pardon do I'avoir jeleainsi enlre les mains duses bourreaux. L'apulrelui ouvrit ses bras, etie serrant coiitre son coeur : > La paii soiLaYec vous, » lui dil-il. SAINT-DSNIS. <0'' Au mSme lieu et a la nieme heure, la mort les delia tons deux pour les laisser montur glorieusement vers le iJieu qu'ils venaient de confesser. Saint Jacques le Majeur est le premier des ap6tres au- quel ail ele doiinee la conronne du mnrtyre. Agrippa, qui I'avaiL fait uiourir, estle premier roi p?r- secuteur de I'fi.^ilife. Dieu le frappa conune il meritait de I'etre : il mourut sons le poiils de la colore divine , pas- sant subitement du falle des grandi-urs etdes voluptes du triomphe pnieii aux douleurs el a I'elTroi de voir, meme avanl de mourir, son corps devore par des vers. iiisTOiRE ET mmnm des cataeorales de frwce. EGI.ISE DE SAINT DENIS. Au milieu des lies dont ■ I Seine est parscmee, a -£ lest de Paris, on voit s e- --- lever un hardi clocher 4 lui domine le pays d'a- |;j!^ 'eiilour et rcparait long- ; I emps encore apres qu'on ; a quitt^ la ville dont il [est Tantique et illustre Iparure; ee clocher est celui d'une admirable : eglise oil nos rois trou- j verent jadis leur scpul- I lure, dont la vue inspi- Irait i Louis XIV de si ' Iristes apprehensions, et danslaquelle la toiirmente r6volutionnaire vint bou- leverser les merveilles de I'art chretien et profaner la cendre des morls. L'eslise abbatiale de Saint-Denis reveille en nous des souvenirs puissants, dei emotions profundes ; son impor- tance, au point de vue de I'art, nous attire et nous re\t;!e de- precieu.x enseignements. Lorsque, sous I'empiie et sous la reslaiiration, on repara les. ravages de 93, dont I'auteur du Genie du Christianisme oous a laisse une si curieuse et si eloquente nomenclature, on pensa moins a fake de ce monument un temple ou un asile pour les lombeaux qu'un museo ; puis il fut question d'ouvrirles porte* de cette enceinte sacree aux grands hummes de tout genre, parnii lesquels on devait choisir les gloires dignes du Pantheon; on en aurail fait un lieu d'uttente «u, a des epoqiies fixees, les representants du pays de- vaient nommer, comme dans un concours, ceux qui au- iai«nt le mieux merite, par des services rendus, I'hon- neurd'eatrer dansle dernier asile de Voltaire et de Rous- seau. L'execution d'un paied plan elait-elle possible? c'esl ce que Ton ne saurait dire -, toujours est-il qu'il prenait sa source dans un sentiment honorable. Un Pantheon manquant, on aurait eu du moins une abbaye de West- minster. Un passage des Anliquilis, d'AnJre Duchesne, jette (luelquejour sur I'ori^iiie do I'eglise de Saint-Denis : • Saint-Denis n'elait, au commencement, qu'une ferme • appelee CaluUiacus, du nom de la bonne dame Calulle. ■ qui y enlerra et lionora d'une chapelle les glorieux ■ corps de saint Denis et de ses compagnons EleuUiere « et Rustic, apres que, pour ne vouloir reudre de faux « honncurs a; I'idole de Mercure, on leur eut abattu la > teste sur la pente de Mont-Mar re. Pepiiis, e'.lc creul ■ en Uameau, et de liameaii en village, que sainte Gene- ■ viefue, du lemps de Cliildiiric, quatriesme de nos roys, « enrichit du retablissemcnt de la chapelle susdile, qui « tombait sous ses propres ruines, et lejuel demeura « sans graiide celebrile jusques au regne de Dagoberl, • I'espace de cent quarante annees. — Saint Denys a bien « toujours este grandement revere en France. Nous I'ap- « Ions nostre aposlre, et nos roys I'ont toujours advoiie • pour patron et protecteur de leur couronne. • II y eut dabu.d en oet endroit un oratoire oil venaient prier les peleiins attires par le renom et le souvenir des truis martyrs; a la fin du cinquieme siecle, cet oratoire fut agrandi, gr3i e aux aumones des Parisien5,par sainte Genevieve et le pr^tre Genes. Le tombeau de ces trois martyrs, qui, plus turd, devint celui des rois de France, s'enrichit alors et excila plus vivement encore la curio- site des fideles. On y voyait de petites pyramides couver- tes d'un grand voile de sole rehausse de broderies d'or et de pierres pcecieuses. Au-dessus se voyait une cclombe d'or qui servait piobablement, comme cela etait I'usage, a cimtenir la sainte Eucbari.^tle. Plus taid,cette construc- tion fut encore uiodifiee et reijut de nouveaux orne- meiits. Parini les fondatcurs ou les bienfaiteurs de I'abbaye et de I'eglise de Saint-Denis, il faut compter, apres saiuli" Genevitive et Genes, saint Eloi et Dagoberl (629), Pepin le Bi.ei', Charlemagne et le moine Airard (a la fin du hui- tieme siecle), Suger et Louis le Gros vers H31. Vers I'an 4'281, el en 1327, on apporta des changemenis im- poclants dans la construction de I'eglise, el on y fit des ie[iarations considerables. Aussi, I'etat actuel de redilke pre»eule-t-il les traces diverses de plusieurs epoques de I'architecture du nioyeu %e. Le huitieuie siecle nuos a 104 fiGLISE DE lais'e Ics cryples on chapelles souferraines. Le porfail et les deux lours qui existent acluellement, ainsi que les deux premi&ros arcades avec les \oiltes en ogive du ves- tibule dc IVijlise, remontent au douzieme ou au treizieme siicle. A celle ^poque, on refit le chevet et le cliceur, et, apr^s tous ces Iravaux, on s'aperQut que I'alignement, dans la nef, ^lait tr^s-defectueux. La facade du monument a cent qnatre pieds de lar- geur, y compris les conlre-forls des faces laterales; elle est percee de Irois grandes portes ; au cintre de celle du milieu se trouve un bas-relief repr^sentant Jesus-Christ au milieu des anges et des sainis ; au-dessous on voit Dieu avec I'agneau pascal ; au chambranle de la porte se SAINT-DENIS. Irouvent, sculptees, les vierges sages et les vierges foUes. Lh s'elevait jadis un pilier de pierre avec la statue dc saint Denis; tout cela fut detruit en 1771. C'est cettean- nee que le mauvais goit particulier au dix-buitieme si&- cle priva I'eglise de Saint-Denis d'objels d'art vraiment precieux, et ne reussit qu'a abStardir le style primitif, vraiment caracteristique. C'est ainsi qu'elle se trouva privee de celle statue de Dagobert, revetue de la chla- myde, sculptee peu apres la mort de ce monarque, et qui s'elevait sous le grand clocher; c'elait un monument trte-ancien de la statuaire du moyen age. C'est encore en 1771 qu'on badigeonna I'int^rieur de I'eglise, oiisevoyaicnt avant des traces d'or, de bleu. de rouge et de violet, signes curieux qui monlraient comment ^taient peintes les murailles et les colonnes avant I'cpoque oil elles furent ornees de lapi^series reprc- senlant des sujels religicux. On voit (|ue laTerreur ne fut pas seule a devasterce beau monument. Au treizieme siecle, les facades d'eglise etaient encore tres-severes ; bion que modifiee au qualorzienie siecle, celle de Saint-Denis est imposante parsa simplicite.Con- slruilo par I'abbc Sugor, rile a conserve des traces d'ar- chilecture romane, comme le l^moigncnt Ics arcs en plein-cintre; c'est de I'epnque de la transition. Les cre- neaux que Ton remarqiie au milieu de celte facade indi- quent suffisamment quelle devait Hre la puissance des moines. Ces creneaux sont pOslerieurs au reste de la construction. C'est derri^re le mur de cetto facade qu'un porclie fut elabli quand lesorgues, ce perfectionnement du culte, eurent ^l^ etablies dans I'eglise. La facade elle-mdme est siirmonlte de deux clocliers de hauteur inegale; le plus grand a deux cent soixante-dix- sept pieds de haut ; I'aulre n'on a que cent qualrc-vingts. Celni-ci olTre a I'ceil des arcs en plein-cinlre qui indiquent I'anriennele de son origine ; celui-li porle, autour de sa pyramidc, sept clochelons perces d'arcs en ogives, sou- lenus par des colonnes Ues-legeres; scs conlre-forts sp riivisent en deux ('■loLes de fenJtressans menenux; ccmme dans I'autre, on y remarqne des croix grecques scnlplees dans un cercle. Les clochelons en pierre de celle belle tour, couroiinee p;ir la flechp principale, ont ete conslniils d'apres les inspirations de I'lirchilecliire romane; les (le- ches en charpente ne prevalurent que dans une epoque postcneure. Enire les deux tours se voit le pignon de I'eglise, indi(|iiant la pente du grand comble, et orne d'unc rose decoupt'C comme une denlello. Get ornement admi- rable date du regno de saint louis, dont il ra[pclle Ic style. Ce fut I'abbe Suger qui alia choisir lui-meme dans les forets Ics bois destines Ji couvrir I'eglise de Saint-Denis; on apporia un soin exlri^me dans celle parlie imporlanle des conslructions. Les plomhs qui recouvraient ces char- KGLISE DE S pentes etaient rehau«scs, en phis d'un endroit, de figuros en relief, d'ornements incrustes tres-varies, et qiielquefois meme de dorures. Un fait, dipne de remarque, merite line mention lonle particuli^re. Des briques, dont la forme et la fabrication rappellent celles des monies maleriaux employes dans I'anliquile, ont ^le trouvees a des epoques rapprochees de la notre dans les substructions des e<;li>es de Paint-Denis et de Sainte-Genevievc de I'aris, fondees au cinquieme siecle. Or, ce miMange de la briqne et de la pierre ile- monlre que le mode de construction employe par les jtreniiers Chretiens a line ressemblnnce etonnante aver celui que les Rnmains avaient adopte dans les derniers siecles de i'Empire. L'edlfice a trois cent trente-cinq pieds dans sa lon- gueur, et cent vingt-cinq dans sa plus grande largeur; sa hauteur est de quatre-vingt-huit pieds ; la nef en a cent quatrc-vin£:t-onze dans sa longueur, depuis la porle principale jnsqu'au dernier pilier, et a trente-cinq pieds sept pouces dans sa largeur, y compels I'epaisseur des piliers. A droile sont deux bas-cotes; a gauche il s'en trouve un autre avec un rang de chapelles. I. a croisee de I'eglise, dans I'intervalle de la nef et du chcpur, est ornee de deux grandes roses Ires-finement sculptees el dont chacune a Irenle-sept pie de diamelre. A la place des anciens \itraux il y en a di t 'jrnes, en verre blanc, avec des bordures a comparti ^n verre de couleur. — De la nefjusqu'au chopur on i>Sple dix marches on ruarbre blanc ; le chcnir a qualre-vingis pieds de long ve, a gauche, au-dessous des qualre piliers servant de soutien a I'une des tours. Cette construction remon- terait, dit-on, au regno de saint Louis, qui aurait fait restaurer le mausolee. Trois bas-reliefs, d'une forme sin- guliere, y representent une legende dont nous emprun- tons le recit ii Montfaucon : ■ Un nomne Ausoalde, reve- • nant de son ambassade de Sicile. aboida ii une petite " lie oil il y avait un vieux anachoiele, nomme Jean, . dont la saintete allirait bien des gens dans cette ile, . qui venaient se recommander ii ses prieres. Ausoalde ■ entra en conversation avec ce saint homme; et clant lOtJ EGLISE Dr. SAINT-DENIS • lombe sur les Gaiiles el s\ir le i-oi Dagobert, Joan lul • lilt qu'ayant ele averti de prier Uieu pour I'ume de ce ■ prince, il avait vu sur la mcr des diables qui tenaient ■ le roi Da^obert lie sur un esquif, et le mcnaient, en se • batlant, aujc manoirs dc Vulcain ; que Dagoberl criait, • appelant a son secours saint Denis, saint Maurice et « saini Martin, les priant de le delivrer et de le conduire « dans le sein d'Abraliam. Les saints coururent apiei les " diables, et leur arracherent cette Sme, el I'emmenercnt • nu ciel en cbantant des versets et des psaumes. » C'est au-dessus de la statue coucbee du roi que se tcouve, sous une voilte, cette. remarquable legende sculp- tee sur la pierre. Prcs du choBur, au fond des bas-c6tes, on Toil trois morceaux de sculpture admjrables; ce sont, a gauche, les mausolees ii deux etages de Louis XII et de Henri II, et a droite celui de Francois I", tons trois en niarbre et d'un art vraimenl mcrveilleux. Ces magni- fiqiies tombeaux avaient ete transpocles pendant la revo- lution au nuisee des Pelits-Augustius. Ce fut Francois V", siendre de Louis XII, qui fit clever le premier. II n'est pas inutile de relever, au sujcl de ce monument, I'erreur dans laquelle dom Germain Millet a fait tomber la pUipart des savants; rarcliitecture a elc faito a Tours, en tUll, par Jean Juste et Francois Gentil ; les figures onl ete executi'-es, a Paris, en 1318, par Ponce Treliati. Sur le soubassement sont sculples en relief dif- ferents evenemenis d)i regne de Louis XII; ses victoires en Italic, dans le Milanais, la balaille d'Agnadel, et le siege de Genes avec Tentri^e du roi de France dans cette ville. Snr le milieu du niausolee, les figures nues de Louis XII el d'Anne de Brelagne, sa femme, sont etendues sur un sarcopbage de niarbre ; les ouvertures qui existent au ventre sont celles que Tembaumement a necessilees. Entre les arcades sont, assises, les stalups des douze ap6tres, d'un mauvais style d'ailleurs et assez peu con- servees. Les arcades, par exemple, sont d'une elegance charnianle ; leurs arabesques, delicates et fines, sont du go&t le plus exqiiis de la Renaissance. Sur un socle,, au- dessus de I'entablemenl, on veil Irs slatues du roi et de la reine, en niarbre coninie lout le rcsle et a genoux de- vant un prie-Dleu. Aux angles du soubassemcnt se trou- vent quuire slatues encore assises, et plus grandes que nature, represcnlanl les quatre vertus cardinalcs; elles ■ont ele eolevees et posees sur quatre des, en une mi^nie ligne, a I'entree daclioeur, lournees vers la neL Le tombeau de Francois l'^' a ele erige a ce prince par Henri II, son fils et son successeur, en I'annee ISijO ; il est en niarbre bbnc. Francois 1" et sa femme, Claude de France, y sont figures comme ils elaienl apres leur mor.l, et plus grands quo nature; ces deux slatues, dues a Pierre Bonlemps, sonl ilendues sur une estrade. Sur la Frise est sculptee en relief la bataille de Marignan, dite aussi balaille des Geanls; plus loin la balaille de Ceri- zoles; on remarque dans les admirables bas-reliefs de ces soubassemenls une scene curieuse de vivandieres qui, chargees de leurs batteries de cuisine, de vivres et d'en- fants, se biitent de suivre rarraee. Sous une voute d'ara- besquesetde bas-reUcfs due i Germain Pilon, desgenies eteignent le flambeau de la vie; d'auties representent I'lmmortalile do I'inie, celte divine luniierc qui I'em- porte sur le royaume des tencbrcs; puis d'aulres stalues figurent les quatre propheles de IWpocalvpse. Tous les- bas-reliefs sont fins comme des camees anti- ques ; on dislingue, dans les scenes de balaille, les ca- nons, les costumes du seizieme sifecle, les arbalijtes dont on sc fcrvait des ro|)oque de Pliilippe-Augiiste; puis ce sont les portraits des heros de Marignan. On voit le due de Guise, a cheval pri's de Francois I" el cbargeant I'en- nenii, sur une des faces du monument; on y trouve en- core le poilrait de Trivulze, celebre par ses exploits et par I'originalite de son epitaphe. Les cwnemenls de oe mausolee sonl dus k Ambroise Perret, a Jacques Chan- Irel, a Bastion Galles, a Pierre Bigoigne et a Jean de Bourges. Ponce Jacquio, Ambroise Perret et Pierre Rous- sel travaillerent avec Germain Pilon et Pierre Bonlemps aux admirables bas-reliefs du soubassement. Le tombeau de Henri II a ete construil d'apres les dessins de Pliilibert Delorme, sur la plate-forme. On voit le monar(|uo et Catherine de Medicis, sa femme, ii genoux ; ces deux slatues sont en bronkie. Au-dessous, au milieu de douze colonnes d.'urdre composite, Henri II e-l, la reine de France sont couches sur un sarcopbage; ce sont les deux plus belles slalues de Germain Pilon. Le soubassement est ornii de bas-reliefs; aux angles, quaire figures de bronze, de grandeur colossnle, d'un style a la fois severe el gracieux, representent les quatre vertus car.Iin'ales avec leurs allributs. D'abord le mausolee fut depose au sein d'un petit edifice circulaire construil e.x- pres en dehors de I'eglise, et divise eii six pelites cha- pelles en Irefle oil devaient se trouver des statues de bronze ou de marbre. Joachim du Bellay a fail une tr^s longue epitaphe ii Henri II; nous rappoilons la fin de celte piece curieuse, gravee sur un grand tableau expose k la cloture du cheeur, prfjs du mausolee de Francois l". Viiils qui sur Ions avo7 [a gloire dii pinccnii, L'.irlilire du cuivn; el' I'buiiiiciir du ci^tau, Aniiituz dc Huiirj Id viviijet nil ccmni in argument. Mais vuns, princes du saUi;. el lei qui dc Id FraticG £s Ic seni arncniflnl el lascHle c.perancc, Fils d'iiivnicililc pere, invincilile Kraiifuis, Qui as au sceplrc lieiijninl le sccplrc ccussais, fiilissez ,i HenrT des loinUes Ciiricnnes, £i'ii;ez h Ueiiry dea puinli» plianennec. El, eomine au liiin Tuns les bnns pi;res roinaiiis Di>nncrciil ce surnuni : Deljces des liumains, lUeltex sur son tombeau eii ijravure profonde ; Cj-ijil le ruy Henry, qui ful I'amuur du inouiie. Le mausolee de Turenne a subi des vicissitudes nom- breuses. On sail que le corps du grand honime fut tratis- portii du niusee des Monuments fianciiis et place, au mi- lieu d'une cerenionie iinposanle, dans une chapelle du dome des Invalides, en 1S00. II fut retire de eel asile en 1815 el roporte a Saint-Denis. On sail au.^si ([.tic presqueloules les abbayes possedaient une fontaine, ordinairement placee d.iiis une des cours du cloilrc el servant a une foule d'usages. La fontaine de I'abbaye de Saint-Denis en a ete enlcMJe, et ce monu- ment, ties-curieux du reste, est aujourd'bui place dans deuxii;ine cour du palais de I'eculedes Beaux-Arts. Kous lie termiuerous jias sans mcnliunner le sjrcopliage Chretien servant d'aulcL, dans une chapelle du cliceur, el iuiiLe des sarcophages romains les plus simples; celui- ci est eu maibre blanc, avec des pilastresel des caniie- "/ Ff-.TE NATIONALS DE SAr^T JEAN A FLOUENCF,. lOT kirps ondulees conime pour utie corbeilli". An milieu, on y voit une crnixaii-dessiis d'un vase. La piprre tombale de Freilesronde, qui rrmonto h I'an 60fl, a ete troiivet' a Saint-Gcrmain-des-Prps, et' est main- lenant dans les cavpaux de S.iint-Denis. Les pJOTrpstom- bales constUuaient une mode bien differentede celle des siecles precedenis qui ont laissp dans les egliscs chre- tiennes une foule di' sopnitures couvprles d'ornements, de sculptures et dp relii'fs; lapirrre lomba'e n'offre pas de saillie; celle dp la reine di" Neustrie est une espere de mosaique composee de marbres de couleur et d'emaux ; tout cela est scelle par un mastic dans' les cavites d'une plojjne de cuivre; la rpine estde grandeur nalnrelle; son visa;j;e, ses picds et ses mains sont liguri'S seulement par le contour sur la plerre : aussi doit-on supposer qu'ils etaient peinis, el la peinture aura disparu , ou qu'ils etaient recouverts de plaques d'un metal precieux et grave, el; le melai aura etc enleve. On lit sur la pierre cette inscription, gravee i> une epoque posterieure : Fredegnndia regina, usnr Chilperici regis. Ces pierres tombales formaient un dallage somptueux etavaient Tavaotage de ne point gfener la circulation dan* les 6glise9. A. L. Ravebgib. FETE mmm m mi jeax a florexce. CEREMONIE DES OFFnA>DES. Nul peuple ne ressembia peut-^fre aulant aux Athii- ■niens que les Florcntins pour le gofit des fetes, des jeux, •des divertissements publics, comme aussi pour le senti- ment vif des arts, qui semblent en relour avoir fait de la patrie des Medicis leur sejonr de predilection. Florence offre encore de nos jours I'expression la plus complete de ritalie letlree et artisti'. La se pnrle I'lhilien le plus pur ; les chefs-d'oeuvre de I'iirt antique et moderne y ahonilent, soit dnns' les musees et les palais, soil dans les eglises et sous leurs portiques, soit enfin sur les places publiques ; ajoutons que dans la riante vallee oil coule I'Arno, qui la baigne de ses eaux limpidcs, la nature a multiplie comme a plaisir ses aspects les plusgracienx. II y a IS une sorte d'anisson du genie de I'homme et de la nature, qui s'est reproduit plus d'une fois sous I'in- Buence d'heureux climats ou de localites privilegiees. Les fJles populaires de Florence etaient nombreuses et magnifiques aux jours de la puissance et de la splendeur de cette celebre r^publique du moyen Age ; mais nulle n'e- galait en ^clat celle de saint Jean, patron du peuple Oo- rentin, celebree, suivant la coutume de I'liglise , le 24juin. Originairement cette fete ^tait, comme en gene- ral les f^tes des patrons celestes des villes, purement re- ligieuse, bien qu'ii Florence elle eilt une pompe parlicu- lierement notable; mais vers la findu qualurziimesiecle, elle se compliqua dfs manifestations solennelles de la nationality, de I'esprit commercial et de la puissance flo- rentine, dans la brillante ceremonie de la presentation des offrandes que les villes, les seigncuries et les bour- gades soumises par les Florentins envoyaient a I'eglise gne du grand-due Francois \". ' La fJle de saint Jean est celebree avec la plus grande « pompe, en sorle qu'on voit jusqu'aux jeunes lilies en « public ce jourlii. Le nialin, le grand-due, place sous • undais, parut sur la place du palais, dont les murs « ^taienl ornes des plus riches tapis. Le nonce du pape ■ etait a sa gauche, et plus loin I'ambassadeur de Fer- " rare. Devant le prince passerent toutes ses villes et ses • forteresses, h mesure qu'elles etaient appelees par un « heraut. Quand on nomma Sienne, par exemple, on vit « se presenler un jeune homme, vetu de velours blanc et « noir, portant a la main un grand vase d'argent et la " louve siennoise. II fit son ofTrande au grand-due et lui " dcbila un petit discours. Apres celui-la en vinrenl " d'autres, scion qu'on les appelait, mais c'elaienl de « petits garcons mal v^tus, encore plus mal monies sur <■ des chevaux cu des mules, I'un donnant une coupe, « I'autre une bannifere rompue ou dechiree. Une bonne « parlie passa assez loin, sans dire un mot, sans montrer • de re.'pecl, et parfois meme ayant fair de se moquer. " Tous ces derniers representaient les chMeaux eloigncs « et qui dependent de Sienne. Tous les ans celle cere- « monie .se renouvelle pour la forme. " II passa aussi un char et une pyramide de bois, au " pied de laquelle etaient do pelils enfants, fijurant des • saints et des anges, et a son sonimct, un homme de- • guise en saint Jean et attache a une branche de fer. « Tous les officiers, et particulierenient ceux de la Mon- « naie, suivaienf. Derriere ce cortege, vcnail un auire • char, portant des jeunes gens, depositaires des Irois « echarpes, prix reserves pour la course des chevaux • barbcri, que les cavaliers, portant les armes de leurs . patrons, Icnaient a h main. Les chevaux sont petits, ■ mais beaijx. Le palais du grand-due etait ouvert et « plein de paysans a qui on nionlrait tout ; dans la grande « salle on dansait; enfin, il seniblait que ces gens, pen- ce dant cetic grande fjte, se rafraichissaient la memoire • de la liberie qu'ils ont perdue. • Ces solennites subirent les alterations nalurelles du temps et des circonslances ; on peul dire qu'elles varic- rent comme les niceurs et le caraclere de la nation floren- tine. On a repre.senle dans la gravure qui accompagrie cet article la lete de I'annee 1766, qui subit la derniere reforme. On y reniarque un carrou.sel. Elles ont enti^re- ment ce.sse en 1808, avec la destruction des chars et de tousles objets qui servaient a leur celebration. A. BoiTBUCIIE. C/CO •KJ^^O^^cX-- LA PROVENCE. 109 LA P110VE\XE. LETTRE D UN JEUNE PABISIEN A SON AMI. Je ne sais pas pourquoi, nion cher Auguste, la route parcourue de Marseille it Toulon n'a pu me distraire de certaines preoccupations secretes. — Cela tient-il a un vague desir de revoir Paris, a mon humeur un peu me- lancolique, ou bien aux souvenirs de mademoiselle Pau- line Mercier? Je te le laisse a deviner. Je parcouraii pimrlant un charmant pays ; les bords de rUuvcaune etalaienl a mes yeux leur luxe de vertes pelouses et de frais ombrages; les stores releves de ma berline m'ont permis de voir la rianle ville d'Aubagne, avec son haul clooher et ses fabriques de poterie; puis Cujes an bord d'uiie plaine sans issue , dont I'hiver fait uu lac et I'ete une verte prairie ; puis encore le Beausset, avec ses maisonsgrisesetsesdebrisde fondalions romaines. Mais rien ne m'a plus vivement impressionne que I'aspect romanesque des vastes gorges qui se trouvent entre ce village et Toulon. Figure-toi des masses de roches a perte de vue, les lines couronnees d'une epaisse foret de pins, les autres nues comme des cous de vautour. Une route etroite, obscure, caverneuse, serpenle par la, de compagnie avec un tor- rent qu'elle passe et repasso sur plusieursponts. On croi- rait descendre la route desolee de I'enfer du Dante; et les sourds giimissements des puis de ces niontagnes, meles a I'ecbu du torrent, font penser aux cris des damnes qui ont lajsse I'espeiance a la porle de leur noire demeure. Tu auras pu quelquefois, mon ami, Jeter les yeux sur une Vue de Toulon d'apres Joseph Vernet ; et, au-dessus de la ligne que dessinent, parallelement a la mer, la ville, I'arsenal, le fort, la rade, toutes ces merveilles dont j'es- sayerai tout a Iheure de te donner une idee, tu auras remarque des montagnes rondes, chauves et noiritres, qui furment le fund du tableau. Je cheminais precisement au fond de ces montagnes, que des feux volcaniques onl iivT^ii d Uliyii e violemment dechirees, pour y former cet affreux vallon qu'on nomme Ics gortjes d'Olliouks. La, dans les anfracluosites du roc, une eau noire et profonde semble dormir. .4pres quelques detours dii 110 LA PROVENCE. chemin sinueiix, on la relrouve ecumcuse et bondis- sante, mais il lie faut pas s'y fier. Vienne la pluie, et ]e torrent, descendant des hauteurs d'Evenos, avec la tem- pete, remplira la gorge, nous roulera comnre des fetus de paille ou comme de faibles iosectes jusqu'au fond U n'en fut molheureuseriieiit lien. « Par exiraorilinaire, une K'lo devail avoir lieu chej le lalioursur : il allail marier sa fiHe, et, en k'llc ocrurrpnce, la plus pauvTe chaumhere se met en frais et attire les regards, « Or, un soir denov^'mbr^, soir humideet froid, comrne I'hiver i[ui s'avanc.iil, la fille du payan, acccmpagnee de son frere, elait allee passer la veillee dans le voisinage cliez une de ses amies qui I'aidnit ii cimfectioimer ses lia- ttllements de no™. Pour le pere de faniille, fatigue des travaux tie la jouniee , il s'elait couclie de bonne hcure , ainsi quesa femrne elsa vieillemere. Mais a peine elait-il a son premier somme, que deux coups assez ruJement I'lappfe ^ la porle le r^veillerent en sursaul. • — Cesont lesenfants, sedit-il, elj'aioublie de tirer le verrou. •> II se leva done, et, sans defiance aucune, ouvrit la porte oil Ton venait de heurtcr. Mais au lieu de la fraithe figure de ses enfants, Irs vis.ngos sinisfres de quelqucs hommes armes se monlrerenta lui. Le maltieureux allait demander la vie sauvc pour lui et les sicns, mais les vo- loiirs ne lui en laissereiit pas le temps ; un coup de feu I'elendit roide mort a Icurs pieds. Cl'I horrible meurtre ne suffil pas aux brigands. Us nionlerept dans les ihani- brcs, massacrferent sans pitie la femrne el la mere du pay- san, et s'emparerent dune somme de cent francs, qui iHait tout le tresor de la famille; puis, ayant mis Ic feu dans riuterieur, ils se relirereut, fermant bicn la porte de la maison a[)res eux. « Ils avaient Tespoir que liucenJie ferait disparailre les traces du crime; mais le feu s'eti'ignit bienlot, faute d'un courant d'air suflisanf, et lorsque la justice, atlirre par les plaintesdesesperees des enfants du fjaysan, accou- rut anr les lieux, elle put avoir sous les yeux le spectacle le plus horrible. . On fit des arrestations, et I'pn ^'e^lpara du fameiJx Ferrandin, chef suppo.st; d'une bande de malfaileurs ex- ploilanl les communes des environs. Bienlot des indices nombreux ne permirent plus de douter qu'on avail la main sur le principal auleur du Iriple meurlie de Six- Kours, et II semhlait que le denoiimenl de ce drame el.iit dcsormais du ressorl de la cour d'as.sises. . Un incident imprevu est venu lui donner une autre is.sue. Une confrontation de Ferrandin avec les traces laissees sur los lieux etant devenue necessaire, I'accuse I'ut conduit a Six-Fours, menollcs aux mains, au milieu d'une troupe nombreuse de gendarmes et de soldats; I'o- peralion etait terminee elle cortege regagnaitpaisiblement Toulon, lorsque Ferrandin, s'apercevanl qu'il etailpresque unit, resolut de teirter un audacieux moycn d'evasion. |{(Iectivement, au passage d'un bois assei fourre, il pousse rudementdans un fosse le gendarmeqnise trouvait le plus presde lui; puis, avec la rapidite du chamois, il se lance a lorps prrdu dans la foret, franchit les ravins et les roches, ettrompe si bien Icspoursuiles des gendarmes, qu'il finit l>ar leur echapper completenient. ■ Le procureur du roi, inslruit de oe fait, exp6die quatre cents hommes de la garnison, quibatteiU les forils el les montagnes voisines, jusqu'a onze heures de la nuit, sans oblcriir aucun resullat. « Ce['endanl I'al.irme est dans loute la campagnede Toulon; des que le soir avance, chacun se barricade clicz soi, rcdoutjut la visile du brigand, qui est parvenu. dil on, it se procurer un fusil et des munitions en d^sar- mant un chasseur qo'il a surprjs dans un poste aux grives. • Mais Ferrandin, au lieu de fuir vers la fronliere, ne songe qu'a rallior .>^a troupe et a se signaler par de nou- vcanx exploits. 11 est fier sans doute de lenir lui scut loute une pop\ilalion en halcine, et de montrer ce que pent I'auilace d'un scelcrat determine. Ce n'est pas la fuitp, c'est Tjne bataille qu'il lui faut La bataille s'est donnee, horrible et sanglante. " Un homme h qui Ferrandin avail rendu quclque .ser- vice ^ I'epoque de I'incendie du MouriHon, et que main- tenant il allait voir chaque noil pour se procurer du pain, averlit la police de ce qui se passait el donna quelqucs indications sur les lieux oil Ton pouvait espercr de ren- conti er I'assassin. « Sur CCS indications, quatre vingis voll'geurs, loute la gendaimerie de la ville, des commissaires de police et uu certain nonibre de bourgeois armes de fusils a deux coups, se meltent en niarche vers une hauteur escarpee qu'on Icurdesigne commele repairedu brigand. " Le chef du d^tachcmerit dispose son monde avec in- telligence; les lieux sont fouilles el cerncs de toules parts, et bienlot on apercoit Ferrandin saulant d'une roche a I'aulre, lanlot nieltant de profonds ravins enire la troupe et lui, lanlot gravissant des hauteurs a pic, comnie un ve- ritable sauvage; et tout en courant de la sorto, il char- geait et dcchargeail son arme, et faisail le coup de fusil avec les plus rapproches. « C'est en ce moment que I'infortane Honoral, chef des commissaires de police, s'etanl avance pour sommcr le brigand de se rendre, recut un coup de feu en pleine poitrine... La population toulonnaise tout entiere a re- gretle ce brave homme, martyr de ses devoirs, et qui n'a laisse h sa veuve d'aulre moyen de subsistance que la oharite publique et la commiseration du gouvernemcnt. " Gependant Ferrandin, serre de plus pres, cnlend les balles sifller autour de lui, et s'apercoit qu'on a renonc6 a le prendre vivanl. II redouble alorsd'energie, s'applique a bien viser el blesse plusou nioinscinq ou sixdesesagres- seurs. Eufin, un vieux paysan, ancien chasseur, arrive b porlee et lui liiche son coup de gros plomb ; le voleurest alleint a la l^te, s'alfafsse un instant, mais se releve bien- lot pour ajuster un volligeur qui fondait sur lui ; le vol- tigeur, plus teste, le pievieni etiui diicoche une ballequi I'atteint ii I'epaule. Lablessure est legcre; mais Ferrandin, etourdi, tombe de nouvcau. On s'empare de lui. II ne re- prend coiinaissance que pour se voir place sur un tom- bereau a cute de sa victime. • C'est ainsi que le lugubre cortege rentre dans Toulon. « On fit au Gommissaire de police des funerailles ma- gnifiques.Ouant au bri.gand, il est mort quelques semaines apres des suites de la bicssure qu'il avail recue ^ la lile.n Tu penses bien, mon cher Augu^te, que cetle hisloire n'clait pas faite pour egayer mes idees. J'elais inquiel, pensif, soulfrant comme dans un mauvais rdve. Cette route commencait recUeuient a m'etTrayer, lorsque lout a coup, au lieu de I'enfer que je me cro\ais pres d'at- tuiiidre, je vis un verilable paradis terrestre. C'etaieul les jarJins d'OUioules. Noiisovions, autour de nous, de verts bosquets d'oran- gers couverts de leurs pommes d'or, de jolis pavilions enloures de fonlaines el se cachant avec grace sous des 112 LA PUO massifs de grenadiers, de jujubiers et de palniiers. La vue de ces juidins, dignes de Grenade el de Seville, dis- sipa notre humeur sombre; la gaiete reparut sur le visage ties voyageurs, et nous arrivimes, saluies des parfums et des souvenirs d'Ollioules. La, J3 nie suis trouve dans les bras de mon pere : c'est te dire qu'en un moment j'ai ressenti plus de bonheur que dans les six mois de voyage. Quetedirai-jedeToulon.quemon pere m'a fait parcou- rir dans ses moindres details? C'est actuellemenl une vdle de guerites, encombree de marins et detrangers. Depuis la conquete d'Alger, la population de Toulon s'accroit avec rapidile; c'est au point qu'elle ne pout plus tenir dans les murs : aussi, pour nia part, je donne ma sanction au projet d'agrandissement adopte par la niunicipalito de la VEiNCE. ville, et qui doit faire de Toulon une cilede premier rang. En ellet, c'est peut-felre un spectacle unique dans le monde que celui de celle rade immense qui sallonge dans les terres et vient expirer sur les quais de Toulon. Une belle escadre est a I'ancre sur les eaux bleues, et voil passer de nombreuses embarcations venant des coles d'Afrique ou d'Ualie. Autour de la rade s'^levent des villages ou des cta- blissements dignes de fixer rattention du voyageur : Le nouveau port de la rade et le MouriUon, vaste fau- bourg renfermant de beaux cliantiers et de Ires-belles casernes, dominees par le fort Lamalgue-, Saint-Mandrier, grand liopilal de la marine, situe dans une presqu lie, au pied d'une vaste colline qui est ii pro- prement dire un bouquet de lleurs. (le dois a I'obligeance '^ ,. -SSSV'.t ■de I'excellent M. Roux, directeur des travaux, d'avoir vi- sit6 tousces lieux en detail. Je me suis bien amuse, sur- tout du fameux echo de la grandecilerne) ; La Seyne, job village, oil sonldes fabriquesde bateaux a vapour ; Enfin I'arsenal, aussi spacieux que la ville, et dont les chantiers pourraient , chaque annee, livrer a la mer une flotte de ving-cinq vaisseaux de ligne. La corderie, les forges, les usines ii vapeur, la salle des modeles, celles des cuivres, le cabinet, les boussoles, les bassins de caie- nage, les bagnes des formats, les approvisionnements en canons, obus et boulets ; six a huit mifle ouvriers qui travaiUent 1^, sans compter trois mille condamnes, sont toules choses qui surprennenl le voyageur. Mais ce qui le ravit d'admiration, c'est la nouvelle salie d'armes, veri- table temple de la guerre, oil I'on peut se promener sous de longues nefs de sabres et de mousquels, voir des vases, des harpes, des lyres, des tleurs, des lustres el des palniiers aux longs rameaux, construits avec des pistolels, des poignards, des grenades, des lames de sa- bre, des baguettes de fusil et autres engins de guerre. Ce sonl de vrais chefs-d'ceuvre dus i des artistes de re- nom, et qui relevent les trophees enges au souvenir de nosgrandes victoires. Aprt's nos instructives promenades de I'arsenal, nous alliens souvent avec mon pere nous rcposer dans lesval- lons d'Ollioules etdans les sites pitloiesques de ces moii- tagnes, entourees de si beaux jardins. Je sentais mon ame plus ii I'aise, mon ca'ur plus beureux, car il y a dans les oeuvres dela nature une sMuisanle mugic qu'on ne trouve pas dans les ccuvres de I'art. \.\-: MO.NT SAlMMIClllCL. 11j IE 1I0\'T SAI\T-MICIIEL. Dans une vaslc baic sablonneuse cnire la Brclagne el la Norniandie,ayantGranvilleaunordetSainl-Malo;i I'oucst, on voit s'elever comme ua geant lo mont Saint-Michel et la cclebre abbaye qui le couronne. Ce rocher, dont la masse granitiqiie a deux cents pieds J'elevationj surmontii par une multitude de biUimenls, lours crfnelees, monaslere, cglise elanceo, clooliclons de la plus gracieuse archilecture golliique, frappe Ics regards et excite autant de surprise que dadmirallon. Isole au milieu d'une plage unie que la mer recouvre deux fois par jour de ses nols,on d Ira it la sentinelleavan- I'ee, le genie prulecleur de nos rivages. La situation du mont Saint-Michel, les fortificalionsqui I'enlourent, sa plage dangereuse, leflux, les courants, en font une place forte du plus difficile acces. Les pelerin pacifiques qui venaient y prier, le voyageur curieux qui y cherche des souvenirs, etaient etsont encore obliges de prendre des guides du pays pour eviter les lisses , gouf- fres invisibles , d'un sable mobile qui se derobe sous les pieds. Ces dangereuses fondrieres se rencontront particulie- rement dans le voisinage des ruisseaux qui tracent deux cours sinueux dans la bale; il s'en forme d'autres quel- quefuis apres les temp^les, et ilfautl'oeil exerce des gui- des pour disliii^uer le sable ferme et solide do celui qui engloutirait le voyageur. La plage au milieu de laquelle se trouve le mont Saint- Michel est tellement unie que la maree y monte avec la rapidite dela foudre, et par suite de la disposition des co- tes, elle s'y cl^ve a une hauteur double des autrcs points, c'est-a-dire a quarante-cinq pieds, et meme plus lorsque les vents viennent du large. C'est surtout dans les grandos marees d'equinoxe que ces effets se fontsenlir avec uno extri^me violence, el telle est alors la rapidite duflux, que le cheval le plus agile ne pourrait sauver son cavalier. La constitution geologique des rivages voisins, d'accord avec la tradition et des vestiges de forets sous-marines, ne laisse aucun doute sur I'ancienne position du mont dans lesterres. Quelque terrible calaclysme, cause parun trem- blement de terro ou un affaissement du sol. Ten aura separe dansdes siecles recules ; n'a-l'on pasvu, le 17 avril III. 1446, la mer, rompant ses digues & Dordrecht en llol- lande, engloulir pres do cent millc personnes! Au bas du mont Saint-Michel, on trouve un village as- sez sombre, d'une physiononiie qui sent son moyen Age, c'est-a-dire avec des ruelles etroiles, irregulicres, el des maisons plus pitloresques que commodes. Ce village est compris dans les fortifications qui enlourent le mont ; le principal commerce des habitants y elait autrefois celui des chapelets, des medailles,deslivrets, etc., que lespcle- rins achetaient pour t^moigner de leur devotion au_bien- heureux archange. Pour arriver sur le plateau du mont, on franchit une porte pres de laquelle sent deposees deux pieces de canon. 8 114 LE MONT SAINT-MICHEL. prises sur les Anglais lors du siege de 1 423. Pour arriver auchileau il fautparcourirun veritable labyrinlhed'esca- liers trfes-roides, de couloirs voiites, d? soulerrains, de magasins Ji boulets; I'enlrfc est protegee par deux tours engranit. On y voit,entreautrescliosestris-curieuses, unemuraille de soixantc-dix pieds de hauteur, le long do laquelle on peut hisser les vivres i» I'aide d'une machine; les soutor- rains de Monlgommery etdu refectoire, qui ont deux cents pieds de longueur sur dix-huit de hauteur ; les in-pace ou oublielles avec les voiltessurmontees de trappi's qui y communiquent; La salle voiitce ou se tcnaient les assemblees generales de I'ordre de Saint-Michel, fonde par Louis XI en 1463. L'eglise, remarquable par la hardiesse de .son arrhi- leoture, est en partie soutenue par des piliers souter- rains^ longue de cent-soixante-dix pieds, elle est large de cent cinquante pieds dans sa plus grande largeur , et en compte soixante-huit de hauteur sous voiitc. Autrefois ses richesses etaienl considerables, car les rois et les grands seigneurs qui y venaient en pelerinage se faisaient un hon- neur d'y laisser des temoign.iges de leur picte. On y montrait, entre autres ehoses curieuses : une statue de saint Michel que Ton a pretendu I'^lre d'or massif, niais "^ui probablement etait seulement recouverte de feuilles Our; Une 6pee et un bouclier dits de saint Michel ; le hou- clier en cuivre, presque ovale, avec des croix aux extre- mites, et I'^pee ou poignard d'une forme bizarre. La tra- dition pretend que I'arcbange, ayant vaincu un monstre idesolait r[rlaiJtres vicux et infirmes, qui ne pouvaient etre dc- portes it cause de leur grand ^ge et de leur taiblesse. Au- jourd'hui, le chateau, I'abbaye et l'eglise servent demai- son centrale de ri?clusion; ify existe un quartier pour les condamnes politiques. L'air salin, les vents violeats, les brumes et rhumidit6 des graves en font une prison fatalo pour beaucoup de condamnes; il fauk csperer que dans tin temps peu ^loigne on y renonccra. Du sommetduraonastere, qui est a environ quatre cents pieds au-dessus du niveau de la mer, on a une vae extrS- memcnt etendue sur la Manche et sur une longue zone des cotes de la Normandie et de la Bretagne. Olivier LE Gall. [L'aLeiysTTE. 1,'alrnietfe, au matin, 3Vvuille avec I'aurore, Et, par ses chants joyetut, eile aoi:once aux hameaux Lejeune astre du jour qui de pourpre colore Le riant sommet des cot«aux. L' ombre s'elface alots et Tuit sur les montagnes; Tous les clujeurs des oiseaux co.Tmencent leurs concerts, El le parfum des flours s'eleve des cacnpagQes Avec la muaique des airs. Mais lorsque la nature, alTaiss^e et muette. Sous les feux du nrridi succombe au po^is du jour, Sue Tor flottant des bles, seule encor I'alouette Voltige avec des chants d'amour. Scule enfin; quand le soil demL-voile s'avance, Et qu'un calme profond regne aux champs, dans les hois, L'alouette 6veillee, au milieu du silence. Fait encore entendre sa voiK. Et sa voix rt'jouitraine innocente et pure Qui, dans un donx transport, fnin du monde et du tfuil, Va dn jour expirant recueilhr le murmure EC les beaux accords de la uuit. FAITS MEMOUABLES DE LlIISTOmE DE FUANCE, ETC. iHS FAITS MMORABLES DE I'DISTOIRE DE FRANCE ET DES ARMEES FRWCAISES DEPUIS 1780 JISQU'A NOS JOL'US. REPAS DKS OABDES DII COUPS ET DKS OFKK.IERS DU REGIME.NT DE KLANDBES A VERSAILLES. Cedant a de bons conseils, Louis XVI avail consenii a se rendie a I'assemblee nationale aprfo la prise de la Bas- tille; eel acle de confiaiice avail provoque une explusion decrisd'enthousiasmc, el le relourduroiautliiteau avail ete un verilahle tiiomplie. A Paris, ou avail pris des nie- sures imporlanles apres le premier moment d elonnement eldestupeur causes par une n icloirc^laquelle on s'atten- dait si peu el donl les consiSijueni es avaienl inspire d'a- bord une vague lerreur. Bailly venait d'etre nomme maire de Paris, Lafayette commandant de la milice. C'est alors que le roi so decida it faire lo voyage de Paris, oil Bailly leregut el le conduisit a I'holel de ville. Cette demarche et le rappel de Nicker rameuereu! pour quel- qucs momonls I'esprit pulilic, et la confusion des ordres au sein de Taiseniblee acheva d'aceuiiiplir la revolution. BientuI des Iravaux serieux, et avant tout la question desapprovisiouneraenls. si diflieiloa resoudre pour Paris qu'une inressante disctte tourmen'ait, ocruperent nuit et jour les inembres de l.i municipalile. Lafayette, eel bomme au caractere honnOle etpur, el donl le rule, pen- dant deux ans, rdle glorieux. consista a faire respecter les lois, organi'sa en pen de temps la garde nationale. L'inlluence tMle donl il jouissait n'empecha pas, nean- mom.s , les massacres de Foulon et de BerlUier. Le relour de Ni cker a Paris fut une lungue ovation. La si- tuation des partis deVenait inquielanle et leur division in6vitable; si d'un cot^ les parlements, la noblesse, le clerge, la cour, agissaicnl de concerl, puisqu'ils repre- senlaient les mSmes inlerils, defendus tanlot par le jeune Cazales, tantot par 1^ celebre abbe Maury ; dun autre cdte.leparli populairecommenraitase diviser parce qu'il allait vaincre, paroe qu'il avail vaincu deja ; la, Barnave etles deux Lamel^i exercaieni imc influence reelle et si- rieuse. Mais le plus audai i'-u.\ comme le plus influent les chefs pop'alaires elail Mir:ibeau, donl nous raconle- •ons la vie extraordinaire, en faisaut connailre son carac- vere, son. gi^nie etses dessi ins. Ce Mil en cetle annee (1789) que la terreur, excilee Y ■' la fausse nouvelle de I'arrivee des brigands, ceselres immondcs qui paraissaient deja dans les emcules popu- laires, fit armer tcule l;i nation el rendil generale la re- volution du lijuillet. Les brigands venaieni, disait-on, incendier les campagnes et couper les moissons avanl leur inalurite! On soupconna avec raison le parti popu- laire d'avoir fait semec ees bruits; ce qu'il y a de cer- tain, c'est que le r&ulial en fut pour lui decisif. Bienlut les provinces et les caiupagnes furent en proie aux trou- bles, a rincendieeti toulesles alroeUes donl elaientca- pables les paysars abrulis par le long servage de la leo- dalite, exasperespar la misere. II devenail evident qu'une mcsure seule pouvail arracher le pays a eel etat deplo- rable; cetle mesurepou\ ail e.le tilreaulre chose que lare- nonciation sponlanee, par lous les privilegies, aux droits pretendus legaux qu'ils liraienl d'une longue possession? Dans la nuit du 4 aoul, I'aboUlion des droits feodaux et de tons les privileges fut decielee; et cetle reforme, dejii accomplie de fail, recut la sanclion de ia loi. La declaration celebre des Droits de IHomme, placee en tete de la constitution de 91 , occupa plusieurs sean- ces de I'assemblee, conjointemcnt avec les discussions sur la conslitulion et sur le veto, cetle arme fragile donl la royaule pouvail faire usage pour suspendre momenta- nemenl les volonles de la representation nationale. Pen- dant ce temps I'agilation augmenlaitii Paris, des rassem- blenienls tumullueux avaienl lieu au Palais-Royal, et Camille Desmoulins conlinuait a s'y dislinguer par son originalile, son audace el le cynisme de ses idees. Necker, en entrant aux alfaires, avail trouve -400,000 francs seu- lement dans la caisse du tresor ;des mesuresdesesperees, decretees d'urgence, n'avaienl reussi qu'ii faire entrer queli|ues millions a grand'peine ; le roi et la reine avaient fail poller leur vais.sellea la Moniiaie. Cependanl, lagiavite de la situation ne faisail qu'em- pirer. Place eiitre un people qui voulait lui faire babi- ter Paris pour s'assurer de sa personne, et une arislo cratie qui eiit voulu I'amener ii .Metz, au sein d'une place forte, pour le gou\erner, le roi elail en proie aux plus vives anxieles. Les intiigues de la cour ne respeclaicnt plus rien, el la Itltre du tomte d'Estaing ^ la reine ne conjura pas le danger que devaienl faire naitre ces ma- chinations. Un poste avail ele 6tabli a Sevres pour defen- dre la route de Paris a Versailles ; bientol le regiment de Flandre fut appele, et son arrisee causa des murmures dans la ville; les courtisans gagnerent les otTiciers, et, le 2 oclobre, les gardes du corps donnerenl un repas aux chefs des principaux corps delagarnison. Des fetes en pre- sence dela misere generale ne pouvaient qu'irriter lepeu- ple. La cour se laissail aller ii des esperances dangereuses. La salle du theatre servil au feslin. Les courtisans, des speclateurs d elite remplissaient les galeries et les loges Parmi les invites on remarquait les officiers de la gardi nationale de Versailles. Le repas fut Ires-gai, et bientol la gaiete, excilee par I'ivresse, exalla les esprits. C'est ce moment que Ton chuisil pour faire entrer les soldals des regiments de la garnison. Les officiers, levant leurs ver- res et I'epee a la main, portent un toast k la famille royale. On refuse ou tout au nioins on oublie de boire a la nation. Alors, les trompettes relenlissent, on sonne la charge, el les convives prennent les loges d'assaut avec de grands cris. L'entliousiasme degiinere en delire ; I'air si connu : 0 Hkhard! 6 mon roi! I'univers I'abaiidunne! est chanle par des cenlaines de voix qu'aniinenl le \in et la folic. Tuus jurent de d^fendre le souverain jusqu'a la derni(;re goulle de leur sang, el appellenl a eux, [Our le braver, dis daubers encore imaginairei. U6 FAITS MfiMORABLES DE L'll ISTOIRE DE FRANCE C'est alors qu'on disliibiia des cocardcs d'une seulc couleur, blanches on noircs. Tout co qu'il y a de jeune dans la reunion, hommes el femmes, rherrlie a s'exaUcr encore en se rappelant dos souvenirs glorieux, des recits chevaleresques. Puis, lout a coup, la cocarde tricolore, couleur qui deja etait cclle de la nation, est, comnie on I'a depuis assur^, fouK-e aux pieds. En depit de certaincs negations, ne peut-on pas croire quo I'ivresse ait conseille une pareille inconvenancc ? en lout ras, ne pouvait-elle pas s'excuser? Les vrais coupables, d'ailleurs, n'ctaicnt- ils pas ceux qui avaicnt provoque une de cos reunions oil eclatent, au milieu de renlrainement, des devouements I'phemferes, el dont le rcsnllat est d'aigrir, par une com- paraison funeste cntre la joie des uns et la douleur des aulres, des esprits deja Irop irriles? Sur ces enlrefaitcs, quelqucs courtisans volent cliez la reine et la supplieiit de so rendre dans la salle du festin ; die resisle d'abord, puis elle se deride. Le roi revenait de la cliasse; on le presse a son tour, on I'entraine. A leur en- tree, ils soul enlourcs ; les plus animes se jetlcnta leurs pieds, des cris incroyables eclatent de toutes parts, et les princes sont ramenes chei eux en triompbe. On concoil aisement I'espoir el la satisfaction profonde dont ces ma- nifestations durent penelrer le occur d'un roi et d'une reine que la volonte d'une assemblee puissanle avail deji depouilles, el que les menaces d'un peuple souleve ve- naient incessammcnt troubler; mais y avail il de la pru- dence a interpreter ainsi ses droits, a compter de la so'lo scs forces? Bientol cclle fete ful conniie; on en exagi'ra les details ; ce devouenient olTert au roi fut regarde comme une insulte faile-au peuple; ce repas somptueux contrastait Uep.i> de d'ailleurs mallicureusenient a\ec les be;oins d'une popu- lation affamee. Les violences contre les personnes reconi- raeiicerenl ; le peuple tralna par les rues, a Paris, un jeune bomme qui avail afl'LCte de porler une cocarde noire. Le lendemain de ce fameux frslin, les gardes du corps diinni:rent un dejeuner dans la salle du Manage; la memo scene se renouvela. On alia encore cliez la reine, qu'il etait ais6 d'engager plus facil-mcnt que le roi dans une demarcbe provocaute. Marie-Anloinclle repondit que la journee de la vcille Uii paraissait decisive, et de-ira en resler lii; n(:>anmoins le coup etait porle ' Le people el la cour, egalemenl irriles, ne songi'ient plus, Tun ((u'a s'assure'r die la pcrsonnc du roi, rautre qu'i I'enlrainer h Melz. III. JOUHNEES SANGLANTES DES 4, 5 et G OC.TOBRE. LE PEtPLE ATTAQUE LE CHATEAU DE VEHSAILLES. dependant la niiserc elail au comble; en depit des me- surcs prises d'urgence par Bailly et pnv Necker, les farines mamiuaient et la faim se faisait c'rue'.lement sentir. Le i, uue agilation extraordinaire se manifcsta; neanmoins les palrouilles, renforcecs, purent contencr la muUitude. Mais le lendemain 5, au matin, les groupies devinrent plus nombreux, la journt5e allail 4tre plus se.rieuse ; les femmes, ne trouvanl pas de pain chez les bou langers, coururent is I'hdtel de ville, et repoussant de leurs-. -in^s les bommes, parce que, disaienl elles, les hommes na-- gi.ssent point, elles firent reculcr, a coups de pierre, un batailhm de la garde nalionale en bataille sur la place. On enfonca une porte, et les brigands, armes de piques, envabirent I'holel pour lincendier; on les repoussa, mais ils avaient eu le lemps de monter a la grande cloche el de sooner le tocsin. L Aussilot la population des faubourgs accourt ; le nomm* Maillard, I'un des beros de la BasliUe, pour delivrer 1^ commune assiegee et la dcbarrasser de ces femmes ma- nacanles, prend un tambour et entiaiiie rette horde fa- rieuse, qu'il a reunie comme pour la conJuirei Versailles, ET DES AUMEES FRANOAISES. in II avail le projet de les abandonner en route. A la t6te de cesfuricuses, armeesde IjJIons, demancliesa balai, quel- ques-unes de fusils et de coutelas, il traverse le Louvre et les Tuileries, bien malgre lui; aux Champs-£lys(!es il reussit h leur faire abandonner leurs armes, sous pretexle qu'il vaut mieux pour elles se presenter a I'asseniblee comme des suppliantes ; mais il devenait plus que jamais impossible de les dissuader d'aller a Versailles. Dcja des bandes affreuscs s'ebranlenl, elles traineiit des canons; la foule pressail la garde nationale qui, a son tour, pres- sait Lafayette de I'emmener ii Versailles. Ainsi tout le monde formait les memes vceux, avail les memes desirs. Tout elait calme au chileau, mais I'assemblce elait orageuse; le roi venail de lui reuvoyer, au lieu d'une simple acceptation du projet de constitution et de la de- claration des droits, des observations et des promesses a long terme. Celte hesitation pouvait, a la rigueur, se jus- tifier; mais les circonslances itaient trop pressantes et devaient I'emporter sur loute autre consideration. Robes- pierre et Duporl se plaigoent ameremenl; Potion rappelle les repas des gardes du corps el les vociferations des con- vives enivres. Gregoire apprend k ses collegues qu'un meunier a ete invito, par lettre, k ne pas moudre, et qu'on lui a olTeit pourcela deux cenls livres par semaine. Le lumulte devient affreux; ii onze heures on recoil la nouvelle que Paris marclie sur Versailles. Mirabeau con- seille il Mounier, elu tout recemment president, d'aller au chateau pour engager le roi a accepter sans observations ; I'asseniblee se range it I'avis de iMirabeau. Au moment oil Mounier allailsorlir, on annonce I'arn- vee de Maillard et de sa horde; .Maillard est introduit, les fenimes se precipilent dans la salle ; il raconte alorset la di»elle de Paris el le desespoir de sa population; il parle de la lettre ecrite au meunier. Une voix accuse Juigne, I'eveque de Paris; on repousse avec indignation celte calomnie. Maillard est rappele a I'ordre avecsa de- putation ; on finit par leur persuader quelcs niesures sent prises pour reniedier a lout. Mounier se rend au chateau ; il est entoure par les femmes et force d'en emmener six avec lui. II s'avance a travers les bandes armees de ba- ches, de piques, de biitoni ferres. Une pinie abondante tonibait depuis quelques instanls. L'allroupement est dis- sipe par un detachemenl des uardes du corps ; mais Mounier est rejoinl par les femmes et trouve au cbaleau, en ordre de balaille, les dragons, les Suisses, le regiment de Flandre et la garde nationale de Versailles. Six au- tres femmes se reunissenl aux aulres; elles sonl accueil- lies par le roi, qui leur adresse de bienveillantes paroles et s'apiloie sur leur misere. L'emotion les gagne ; une d'entre elles, une jeune et belle crealuie, est tellement iQterdite ii la vue de Louis XVI, quelle trouve a peiue la force de dire en picurant : Du pain' Le roi, aussi (5mu quelle- meine, Teri^brasse, et celte depulation le quitte avec des larmes dans les yeux. Ces femmes atlendries vont raconter aux aulres I'ac- cueildu roi: celles-cin'en veulentriencroire, reprochenta leurs compagnes d'avoir ete seduites par I'or de la cour, el se disposent a les metlreen pieces. Le comte de Guicbe el quelques gardes du corps volent ii leur secours; au ni4me instant quelques coups de fusil parlenl on ne sail d'oii ; deux gardes sonl atleints ainsi que plusieurs fem- mes. A quelques pas plus loin un des agitateurs, suivi da plusieurs fenimes, se fait jour a travers les troupes et s'avance jusqu'a la grille ; il est poursuivi par M. de Sa- \onnieres, qui a le bras casse par une balle. L'irrilatiou elait extrtoe. Le roi envoie a ses gardes II • lAITS Ml'.MOIiABLKS l)K L'UISTOU'.E [)K KRANC.K, ETC I'onlrc dc ne pns liror et de renlror h I'hotel. Dans cu moment des roups de fusil Icursont envoyes par la giirde n:i(ionale de Versailles, et ils y repondent. Le roi ne donnnit anrune ri^ponse a Moiinipr, qui le faisail supplier de sc hiler; sa sanction devait calmer toils les esprils. Le president de I'asseniliU'e avail hJlte do re^agncr son posle. Pendant re temps le conseil agi- lait la qneslion dii dep:irt du roi; rela dura depuis six Ijeures jusqu'Ji dix lieures du soir. Le roi resistait. Les vnitures qui allaient emniener la reinc etses enfanis fn- rent arretees ; daide^irs la reine elle-nifme refusal t de quitter son epoux. Mounier finil pnr ohtenir I'arreplntion si lon;>temps at- lendueet Irouve In salle des seanres abandonnee par les deputes, mais garnie de femmes qui demandent du pain apres avoir ap|ironv6 tout ce qui venait d'etre fait. Mou- nier leur fit donner tout le pain qu'on put trouver. La plus graude faute commise dans celte nuit fut d'avoir laisse sans assislonre res handes affam6es, que le besoin avait poussecs hois de Paris. Sur ces entrefaitcs arrive Lafnyelle; il avait pendant longtemps lulle conire la milire parisienne qui voulait aller a Versailles. Les troupes etaient d'avis de s'assurer de la personne du roi, de le plarer au milieu d'ellcs, et d'en oblenirl'execution de ses promesses. Lafayette avait reussi a relenir son arm^e jusqu'au soir; mais la niulti- lude augmentait toujours et travaillait la milire; elle avait plus d'une fois dejh essaye d'atlenler aux jours du general. Des bandes armees se rendaiont encore ci Ver- sadles, il fallait y suivre I'insurreclion pour tScher de s'en rendre maitre. La commune ordonna a Lnfayetle de partir, il partit ; en chemin il fait preter a son armee ser- ment de fidehle au roi, et entre a Versailles vers minuit. II rourt chez le roi, lui fait part des precautions prises, el lui olTre son devouement. Le roi se calme et se retire dans ses ^ppartements. On n'availronfie h Lafayolle que les posies extrrieurs; la garde du cbaleau et d'autres points iniporlanis avait ele laissee aux Snisses, aux gardes du rorps et au regi- ment de Flandre dent la fideliteelait doiiteuse. On avait d'abord ordonne aux gardes de se i-etiier; puis on les avait rappeles; mais ils n'avaient pu se rendre qu'en petit nondjre a leur poste. D'ailleurs le trouble t'tait si grand qu'on avait oublie de defendre tousles lieux abor- dables; on avait laisse une grille ouverte. Quofqu'il en soit, aucun des postes donncs a Lafayette ne fut ni at- laqiie ni enleve. L'assenib'ee, en depit du desordre cxlerieur, avait re- pris sa stance, que la multitude interroriipait detemosen temps .en criani : Du pain! Impaliente, .Mirabeau s'^crie d'une voix formidable que I'assemblee n'a d'ordj-e ii re- cevoir de personne et menace de faire ovaruer les tribu- nes : il est couvert d'applaiidisscments. Mors Lafayetle assure Mounier que la tranquillile e.'-t relablie, et I'as- .semblee, apres s'etie ajournee au lendemain, se sopare au ni Le peuple, disperse de lous cotes, semhlait calme; La- fayette comptail, etavec raison, sur Ic devouement ctl'o- bei.ssance de son armee. II avait mis rhfilcl des gardes du corps a I'abri de loule tentative; rl avait commande de nombreases palrouilles. A cinq lieures du matin il s'e- . lendit tout haliille sur un lit. Le peuple sortait de son repos momenlan6 et se mon- trait dej;"i aux abords du cliiVcau. Un garde du rorps, ii la suite d'une rixe aver quelques bommes de la popu- lare, fait feu d'une fenfire. Les brigands poussent des liurlemenis, penelrcnt par la grille qui elait ouverte, et gravissent un cscalier que personne ne dr^'fcnd. Mais tout ^ coup deux gardes du corps se presentent, arrolent les assaillants, et ne se retirent qu'apres la plus courageuse resistance, apres avoir defendu chaque porte, chaque issue. «Sauvezlareine! ■ s'ecrie lebrave Miomandre,run de res bommes hr^roVques. La reine enlend ce cri et n'a que le temps de se refugier dans la cliambre du roi. Pen- dant sa fuite les brigands sont enln's dans les apparte- menls de la reine ; sa rouche est deterte ; ils veulent aller plus loin, mais les gardes du corps, plus nombreux, ont eu le temps de se retranrher : les assaillanis h&itent. C'est alors qu'au bruit de ce lumulte, les gardes-fran- caises, pas.s^s dans les rangs de Lafayette, quitlent leur poste et courent disperser les brigands. lis trouvent les gardes du corps relrancli(?s dernere une porte : ■ Ouvrez, « s'ecrient-ils, ce sont les gardes-franraises, qui n'ontpas " oublie qu'a Fontenoi vous avcz sauve leur regiment! • La porte s'ouvrc, et tons fiaternisent et se scrrent les mains. Au dehors tout ^tait confusion. Lafayette n'avait pu se reposer qu'une demi-heure, il n'avait pas eu le temps de s'endo'rmir, quand il entend des cris; il s'elance sur' un cheval, et rencontre une foule furieuse qui allait mas- sacrer plusieurs gardes du corps; 11 les arrache a la mort, envoie ses soldats au secours du chSleau, et se trouve soul pour ainsi dire au milieu des brigands. Un de res derniers dirige contre lui son fusil; sans se deconlenanrer, Lafayetle ordonne au peuple de lui amener cet bomme; on le saisit et on lui brise la t^te sur le pav^. Lafiiyette, suivi des gardes qu'il a snuves, vole au cbSleau et y re- trouve ses grenadiers. On I'entoure, on lui jure de mourir pour le roi. Les gardes du rorps crinicnl ; vice Lafayette! Toule la rour, qui lui devait la vie, lui expriniail avec transport sa reconnaissance. Madame AdelaYde, tante du roi, s'ecrie en serrant Lafayetle dans ses bras : « General, • vous nous avez sauves! » Le peuple voulait que le roi \int a Paris; un conseil .s'assembia, et le depart du roi fut deride. On jetle par li's fen^tres des billels qui annoncent rette nouvelle. I.ouis XVI se montre au balcon avec Lafayetle, on crie vioe le roi! Mais des menaces accuciUent la reine, qui s'est approchee." Que voulez-vous faire. marfame?. lui demande le general. — Accompagncr le roi, repond courageuse- ment la princesse. — Sui\e7-moi, n reprend Lafayette, et il I'aniene toute surprise sur le balcon. Des hommes du peuple rerommencent leurs cris menacants; un conp do fei pouvait parlir. D'ailleurs on ne pouvait se faire en- tendre, il fallait parier aux yenx. Le general s'incline, prend la main de la reine et la baise avec respect. Alors (les transports eclalcnl avec les cris de piiv la reine! vive Lafayette! La reconrilialion est faile. Le roi prie La- fayetle de faire quelque chose pour ses gardes. Le ge- neral en prend un , le conduit au balcon et lui met sa liandouiibre en I'embrassant ; les applauilissemenis du I'.enple montrenl aussil6t que la paix est faite avec les f gardes, et que de ce c6le aussi il n'y a plusrien ii craindre. L'assemblee, apprenant le depart du roi, rendit un dii- oret qui la dedarait inseparable de la personne du sou- verain, et le fit acoompagner par cent deputes. Lafayette axaiil fait suivre, par un diitaiUement de ses troupes, la plupart des bandes lieja parties et auxquelles il inlerdi- saitaiDsi le rotour. Oil avait arrache aux tirig.inds qui les portaient au bout de leurs piques les letcs de deux gardes Ju corps egoges. Louis X\ I tut re^u par Bailly a I'Hotel- de-ville. « Je reviens, dit-il, avec conliance au milieu de mon peuple de Paris. • Bailly repete ces mols a ceux qui ne pouvaient entendre, el oublie le mot confiance. — IE SANGHER. JI'J . Ajoulez avec confiance, dit la reine. — Vous ttes plus heureux, rcpoiid Bailly, que si je I'avais dit moi-mSme. • La f.iniille royale alia liabiler les Tuileries, deserles de- puis un sieclc, et on en confia la garde a la milice pari- sienne; aussi Lafayette fut-il regard^ par les courlisans comme un ge6lier : il n'eut pourtant jamais qu"un seul desir, celul de proteger son roi. A.-L. Ravebcie. lilSTOIIlE NATI'REILE. X.E SANGLIEH. Le sanglier est, ainsi que le cochon, un animal brutal, n'ayant que des appelils grossiers, et dent rinlolli.i;ence se borne a peu pres a raccomplissement des actes les plus materiels de la vie. Le sanglier, n'etant autre chose que le coclion a I elat ^sauvage, a la mSme grossierete dans les habitudes, les nieniesgoutsimmondes, la mi'ine voracile que cet animal, auquel il ressemble presque de tous points , ayant comme lui le poil rude el grossier, la pcau epaisse et peu sen- sible aux influences exterieures. Cependant le sanglier possede des defi'nses plus gran- des et plus tranchantes, un boutoir plus fort el une hure plus longue. On remarque aussi qu'il a les pinces des pieds plus separces ct le poil loujours noir. La disposition ties pieds, la maniere dont la terra a ete fouillee. des pctites branches cassises, sont autant d'indices qui revelent a un piqueur experimenle I'age^ la force, les habitudes dun sanglier. Le cochon, par excniple, fnuille la terre ca et la, mais superficiellement, landis que le sanglier trace presque loujours un sillon en ligne directe el tres-profondement creuse. Lorsque les sangliers sont jeunes, on les nomme en lerme de chasse belts dc conifiagnie, car alors ils sui- vent souvcnt leur mere et marchent en troupe ; au moin- i:o LF. SANCLIER. dre bruil, ils se reunissenl do maiiiere a pouvoir se de- fondre coiitie renncmi qui les menace; on pretend mjme que les plus gros se metlent en avaiil cl forment une petite plialange au milieu de laquclle les plus faibles sont a I'abri. Ce qu'il y a de certain, c'e^l que la femelle devient furicuse quand on lui enleve ses petils, et que, dans ce nioment-lJi, elle est redoutable pourle chasseur. On croirait difncilemcnl qu'un animal aussi gros, aussi peu taille pour la course, puisse s'elancer avec une rapi- dile si grande, qu'elle egale celle des mcllleurs chlens : aussi ne faut-il pas se fier a cette pesanteur apparente. Lorsque lesanglier devient vieux, II fait comme Tours, ui redierche les cavornes solitaires ; lul, so refugie alors dans les parlies les moins frequenlees lies furels, pros de quelque marecage oil II trouve une nourriture de son gout. Lii, vivanlscul, ce sauvage ermile devient encore plus rude, plus intrailable qu'aupniavanl : ce recoiii de I'or^t devient .-a propriete ; ils sont a lui, les vieux clienes couverts de mousse, les enorni schutaigniersau feuillage touITu , le lioux piquant, le myrlille, les roseaux qui s"clevent dans les bas-fonds; 11 trouve dans cet endroil ecarte la solitude qu'll aime, des glands, des chitaignes, des raclnes tendres qui font ses delices. Malheur done a qui viendra le Iroubler dans son bnnheur I C'est un pro- prietaire jaloux, et la nature lui a donne des defenses Iranchantes. Ccpendant le bruit lointain du cor se (ait entendre; ce sont des fanfares dont les sons, apportes par les brises, arriveiil jusqu'ii lui; il se souleve dans la bauge oil il elait accronpi, son poll se herlsse, ses ycux ardents semblent Jeter des llammes; c'est qu'il a senti I'approche des chasseurs et des cbiens. Bienlot de jeunes sanglicrs, menes baltant par la meute, traversent la forOt dans leur course rapide; quel- ques-uns sont lues par les chasseurs, d'aulres s'echap- pent; le vieux solitaire aussi estenfin relance. Use retire d'un pas alourdi par I'age; sa retraite estlente, mais ha- bile; les plus bardis ni;1tins n'approchcnt de lui qu'en he- sitant, car il se retourne souvenl et a propos pour leur faire tete; alors, d'un coup de defense, il ouvre le venire a Tun, tandis qu'il brise les cotes de I'autre; le cercle des i assadhiiits s'elargit, les chasseurs eux-memes hesitcnt quelqucfois en tirant, car le \ieil habitant des forels a la peau dure, presque impcni^lrable & la balle, et une bles- sure douloureuse ne ferait que redoubler sa furie. C'est done un veritable triomphe pour le chasseur adroit qui parvient ii abatlre un sanglier de premifere j force, car cette victoire n'est jamais sans dangers serieux. Aussi, lorsque les chasseurs out tue quelquesuns del ces animaux, font-ils retenlir la furet do joyeuscs fan- fare-;; et, lorsque le soir ils rentrcnt en ville avec leuij conquete, cette entree Iriomphale se fait souvent a clarle des torches et au bruil des vivals. Les sangliers iiesont pas aussi dangereux pour les cul-J livateurs que les lonps et les renards, qui ravacent leurs troupeaux el leurs poulaillers; cependanl lorsqu'ils se muUiplient outre mesure, ils traversent, en se vautrant, les champs de ble et y causent du notables degSts. La chair du marcassiii ou jeune sangher n'est pas mau- vaise, quoiquelle ait un gout sauvage dont loutes les LE RENARDJ 121 pri-paralions culinaires ne peuvent la debarrasser. QuanI au vieux, on n'en mange guere que la hure, qui est d'aillenrs regardee comme la piece d'honneur. OuviEH L£ Gall. 1.1: RENARD. Nous aliens nous occuper d'un fin matois, mailre re- nard, si connu par ses ruses, le Cagliostro, le Figaro des quadrupedcs. I.orsqu'un renard rode aulonr d'liii poulailler, ce sera miracle s'il ne trouve pas quelque poulu a croquer; car si son esprit est fertile en stralagemes, sa gourmandise en stimule I'activite, et sa patience est a toute epreuve. Le loup, sanguinaire et brutal, ne connait d'autre droit que celui de la force; niais le ren.ird comprend et pratique la diplomalie, ni plus h'. moins qu'un Talley- rand ; s'il tue, s'il cgorge, c'est du moins avec des formes moins acerbes ; et certaincment, s'il pouvait parler, il invoquerait la legalite et le fait accompli Le renard ressenible beaucoup a certains chiens, niais ii a proportionncllement la l6te plus grosse ; le poll roux, plus long, plus touflu ; les oreilles plus courles, la queue plus grosse et plus garnie de longs polls, le regard sour- nois, les mouvemenis brusques et in(|uiets. Comme ces animaux aiment beaucoup les oiseaux de basse-cour, ils se rapprochent volontiirs des fernies si- tuees a proximite des laiUis; la ils se creusent de pro- fonds terriers, qu'ils disposent avec beaucoup d'art, de nianiere a en cacher I'entree le plus possible; c'est I'en- droit oil ils se refugient lorsqu'iU se sentcnt trop vive- nicnt poursuivis, et oil ils elevent leurs petils jusqu'6 I'age oil ils peuvent sortir sans trop de danger. II arrive souvent que les chasseurs, ne pouvant forcer un renard avec leurs cluens, bouchent I'entree du terrier lorsqu'il est sorti, et se tiennent pres de li) en enibuscade. Le renard, presse par la meute, rabat vers son domicile, el, trouvant I'entree obstruoe, recoit le feu des chasseurs. S'il n'est pas atteint, il fuit avec precipitation, niais ne tarde pa-; a y revcnir pour essuycr une seconde decliarge ; alors, comprenant I'impossibilile absolue de rentrer chez lui, il se sauve ii travcrs champs jusqu'a ee que, harasse de fatigue, il soit atteint et tue. On fait aussi entrer dans le terrier des bassets a jambes torses, qui se glissent jus- qu'au fond du repaire; niais on envoitqui sent plus pres- ses d'en sortir que d'y entrer, car le renard a la m^choire forte et les dents acerees ; sa morsure, des plus cruelles, emporle la piece. Quelquefois, un promeneur solitaire, jaloux de jouir des beautes de la nature h son reveil, parcourt lenlemcnt les alleesfraiches et tortueuses d'un laillis. Le calme, les jeux de I'ombie et de la lumiere, les guutteletles de rosce tremblanles sur les feuilles, tout lui presente des images de bonheur, lorsque tout a coup 11 enlend de longs gla- pissemenls, un cri semblable il celui du paon ; c'est un re- nard qui chasse des lievres, des lapins, et seme la des- truction sur son passage; ses levies sont souillees de sang et \l cherche encore une nouvelle pioie. Le renard ne se contente pas de chasser a la course, il emploie mille ruses pour garnir son gaide-nianger; infa- tigable mineur, il travaillera longucment a se creusei une issue pour penetrer dans une basse-cour ; puis, proli- tant d'une nuit sombre, il renversera les derniers obsta- cles. .\lors, arrivant a I'inproviste, il tuera tout ce qui se trouvera sous sa dent, enlevera ses victinies, lescachera ou les transportera dans son terrier, niais toujours de nia- niere k les eloigner du theitre du carnage et a pouvoir les retrouver au besoin. Lorsqu'il a remarque des plages, des pipees, disposes pour piendre de pctits animaux ou des oiseaux, plus dili- gent que le chasseur, il fail sa ronde avant le jour, en- leveles animaux qui se sontlaisse prendre, les tue et les cache, soit parmi de hautes fougeres, soit sous la mousse, en attendant le moment favorable de venir les reprendre sanacrainte. . Je fis un jour, dit Buffon, suspendre ii neuf pieds de hauteur, sur un arbre, les debris d'une haltede chasse, de la viande, du pain, des os; des la premiere nuit les re- nards s'etaient si fort exerces a sauter, que le terrain au- tour de I'arbre etait battu comme une aire de grange. • 11 est probable que ces renards de BulTon se seront re- tires avec dedain, en disant que la \iande etait trop cuite et le pain trop rassis. Du reste, les renards mangent de tout, non-seulement des animaux, mais aussi du fromage, des oeufs, des insec- (28 LA FR-EGATE LUnANIE. tes, du miel, des fruits, dn raisin surtoiit, dont ils sont tres-frianda. Leur goiit pour le miel est tres-prononce, mais n'est pas toujours facile a satifaire, car Icsabeilles sont vigilantes et leurs. aiguillons causent des blessures cuisantes; alors ils se roulent par terre avec leurs enne- mis, qu'ils (5crasent; manoeuvre qu'ils repetent plusieurs fois avec la plus grande patience ; puis, s'elan^ant sur la ruche, ils emporlent le miel et la cire qu'ils pcuvent saisir. S'agit-il de s'emparer d'un herisson, expedition peril- leuse: le renard leguette; mais celui-ci, des qu'il I'aper- 50il, se met en boule et se h^risse do piquants ; y mordre n'est pas chose facile, mais le renard lepousse, le tracasse, le fatigue si bien avec les pieds de devant, quit le force k s'ctendre, non sans en avoir recu mainte blessure : c'est alors qu'ille saisil. « Un jour, dit un observateur, je me promenais dans un taillis tres-fourre, voisin d'une ferme, et ou plusieurs sentiers se croisaient. £tanl arri\e prfesd'uncarrefour, je vis un renard qui se glissait parmi les genSts et les ajoncs ; comme il marchait avec d'infinies precautions, je vou- lus voir quelle grande affaire le conduisait en ce lieu, et je me cachai dans un buisson pour mieux examiner. Apres quelques minutes d'atlente, je le vis sauler sur la route, du lieu ou il etait blolti. 11 repcia trois ou quatre fois ce niancgp, dont je ne comprenais pas le but; mais bientdt le mysleie fut teluirci lorsque je le vis bondir sur un lapin qui passa b portee, juste a la place ou il s'etait si bien exerce a tomber dans son elan. • On pretend que si des dindons ou des poules poursui- vispar un renard se refngiaient dans un arbre, ils ne Uii echapperaienl pas pour cela. le renard tourne autour de I'arbre, tanlot lentemenl, tanlot avec rapidity ; il fait la roue, saute, cabriole, se met sur le dos, et captive telle- ment Tattenlion des pauvres volaliles, que plu-ieurs, fati- gues, elourdis, se laissent tomber et sont saisis par le- maiire sycophanle. II parait que le renard est un objet d'horreur pour les oiseaux, car, (lit BufTon ; • Les gcais et les merles, des qu'ils I'apercoivent, font entendre des ciis et expriment leur antipathic en fuyant au plus loin. A I'elatde domesticite et enchaine, le renard perd una- partie de sa ferocite, et ne detruit pas la volaille qu'on laisse error pres de lui. II existe, dans le Nord surtout, des renards de toutes les couleurs, noirs, bleus, gris-argenli^, blancs, etc., dont plusieurs fournissent des pelleteries eslim(5es; mais I'es- pfece commune ou rousse est la plus g^neralement r^- pandue. Olivier i.e Gall. SCENES, RECITS ET .\VE\TIRES DE LA VIE IIARITIIIE. I. A FRrCATE 1,-UAAIVIE >. IV. On voit en mcr deux especos de tronibcs : les unes sont, dit-on, le produit des attractions et des repulsions clcc- triques qui impriment une forte impulsion gyratoire a des masses d'air entratnees de la circonforence au centre; les nuages ebranles suivent ce monvement, et descendent en forme de c6nes jusqu"a la surface des caux. Les aulres sont evidemment proJuites par des feux souterrains; on en voit les premiers mouvemenlsdans la mer, qui surun point donne parait comme en ebullition ; ce bouillonne- ment, qui d'abord se produit sur un point tres-restreint, etend sensiblement son cercle. Alors, de temps en temps on apercoit comme une vofite de cristal qui s'eleve, puis s'abaisse; des vapeurs sulfureuses remplissent I'atmo- sphfire; enfin , une colonne d'eau s'eleve comme un tube immense jusqu'aux nuages, et marche en tour- billonnant suivant limpulsion du vent, jusqu'a ce que, rompue par un obstacle , ou s'affaissant sous son propre poids, elle laisse retomber avec violence la masse I Voir 1. II, p. 136 ; tl I. 111. p. 61 d 93. d'eau qui la compose, et qui ferait sombrer un navire. La trombe qui nous occupa le plus, par son eclat et les phenomenes qui I'acconipagnferent, fut une de ces der- nieres. Nous etions menaces d'un calme plat comme celui que nous avions eprouve la \eille, la chaleur etait etouf- fante ; mais maitrc Raban nous montra au loin une partie du ciel couvcrte de nuages ponimeles ; et, comme il ne manquait jamais de placer des provcrbcs de marin a lout propos et hors de tout propos, il nous dit avec gravite, en pr^parant le siBlet suspendu a sa cliaine d'ar- gcnt : ■ Tumps pomiiivli', fille Tirilee, e Nu soul p.is (le loiigue durtic. » A peine eut^il ladie son provfrbe, que la briae s'eleva avec force, comme si le bonhomnie Eole avait perce une de ses oulres. On fut oblige de prendre deux ris ' dans les hunierssous lesquels nous naviguions. Le ciel, cependant, conservait sa sereuiti ; I'ocoident etait en feu, et les nuagis blancs, se colorant allernalive- LA FRf.GATE inent de pourpre, de rose el de jaune, offraienl un admi- rable spectacle en se redetanl dons les (lots mobiles qui roulaient en larpes lames. Sur un point cependani, la mor i'tait^cumeuse ct blanchatro comme si une immense four- naise I'eit mise en ebullition; de cet endroits'eleva peu a peu, avec un ijrnndement sourd, iinecolonne d'eau de la plusparfaite linipiilite qui montait en toiirnani avec rapi- dity, et que les rayons du soleil coloraient des plus vives conleurs du prisme et de Parcen-ciel. Tout Tequipage admirait celte magnifique trombe, qui s'eloigna rapide- ment du point oil elle s'ctait formee. Le commandant lui fit envoyer deux ou trois boulcts qui ne I'atteigniient pas; LURANIE. 123 il voulait experimenter par lui-meme si la trombe at- teinle par un projectile se dissoudrait; c'esl un fait, da reste, que j'ai eu I'occasion de constater depuis plusicurs fois. A peine cetle trombe eut-elle disparu qu'il s'cn forma deux aulres pres de nous ; mais celles-ci elaient d'une na- ture differente; elles parlaientdes nurges, qui, s'elant avances au-dessus de nous en moins d'une heure, cou- vraient deji une parlie du ciel ; une nuee epais^e seuibla se condenser et former un lourbillon noir qui prit une • forme eylindriqiie, diri'geant vers la mcr sa pointe ex- treme el altirant I'eau avec une grande violence comme- W'':'i'"' '^ mt - \ f /n / ^ > le ferait une pompe puissante ; le vent devenait impeluoux etsoufflait par rafales avec lant de furie, qu'il nous fai- sait donner une forte bando ' tl compromellait une pai- lie de la miilure; lelonnerregrondaitet de sinislres eclairs siUonnaient la nue sombre. Cetle trombe passa pres de nous avec une elTrayanle rapiilite, et son mugissement t'tait si fort que Ton entendait h peine le porte-voix du commandant et le sifllel aigu des maitres d'equipage. .\pres avoir couru pendant quelques minutes, le meteore se rompit avec bruit, et un veritable deluge s'epancha du nuage; jecrus que nous allions (>tre engloutis. Apres ccs epreuves qui se suivirent de si pres, et qui 1 Prendre un Tie. — Le* ris soni des bandes Je la loile a »oile, zarmei d'otilleU el garceltes pour diminuer la voile lor^qiic le veiil c-l Irop fori. On prend un, deux, trois ris, rle., siiitaiil le cas. — La garcette est une trcsse failc de trois, cinq, sept on neuT fils de caret ou bitord. Celles des ris sunt plus grosses an milieu qu'aui eitremites. * La bande, — In navire doune la hande a triliord ou a liaLord, c'est— a— dire qu'il pencbe plus ou moins furlement sur le cole droit ou sur le colc ^auehe. nous avaicnt fait oublier le n^grier, il fallut songer a re- lourner J Goree pour visilcr loules les parties do la frii- gate et faire de I'eau fraiche, cor nos coisses en l6le com-' mencaientii se vider. La mer etant redcvenue belle quoi- que un peu houleuse, le commandant eu profita ^our faire faire lesercice; malheureusement, dansun coup lie roulis. un matelot qui se trouvait a I'empoinlure ' de la grande vergue IJclia prise el tomba dans la mcr. Aus- silijt le cri sinislre ; L'n homme a la mer! relenlit, I'an- xicte se peignit sur toutes les figures, et les mesures de sauvelage furent rapidemeiitcommandecset execulijes; la bouce ', ayant elelancee, flolta dansle siUage du navire, I Empnintum. Ellremites des vergues. 9 ffotii^c, ordin-aircment en !ic;:e, surmontee d'un pa\iilon. II en eiiste one auire qui ptfut rendre plus de serriccs ; elle est conipnsije de dena ^-loltea crenx en ciiisre, rapables de soulenir un grand poids. Lne barre de fer lionzonlale les unit, et une autre placee au milieu s'elese vcrlirale .\ I'aide d'un lest de plomb p'aee a sa liase La partie la plus clevce hors de I'e.itl est raunie d'un appareil qui fait jaillir une hiniiire lors.jii'on jette la bouee, c'ejt uu petit pbare qui pendant la nuit pent guider rbomnie qui se noie elle cannot qui se Jiri^c vers lui. 124 SCfcNES, RECITS montrant son petit pavilion rouge, derniere espcrance du malheureiix qui s'elTorrait de I'atleindrc, mais il est dou- teiix qu'il y fiit parvenu. Ah ! combien nous sembli'rent longues ces quelcpies minutes pendant lesquclles nous apercevions seulement la tele ct quolquefois un des bras du matelol, qu'il elevait pour implorer du secours. Le canot qui avait etc promplement mis h I'eau, et que six homnics comniandes par un eleve dirigeaient avec peine, arriva au moment ou cet honinie, dont les forces ctaient epuisees, allait disparaiiro pour loujours. Un cri dc joio s'ecliappa de loutes les poilrines lors- , AVENTURES, qu'on le vit saisi par ses camarades et depose dans le ca- not. .lamais je n'ai eprouve une Amotion plus saisissante quo pendant cette scene, qui ne dura que quelques mi- nutes. Le matelot, transporte a bord, recut lous ies soins que necessitait son elat; on cut quelque peine Ji le rappeler ii la vie, et les premiers niols qu'il prononra en pressant hi main d'un de scs camarades furent pour exprimer le de- sir de boire une ration deau-de-vie, ce qui lui fut oc- troye. Olivier Le Gall. SCE\ES, RECITS, AVEMIRES, E\TR\1TS DES PLUS RECEXTS VOYAGES. VOYAGE DU VAI.FARAISO A CAI.I.AO, A I.IMA, A Ii'ARCHIFEI. GAI.AFAGOS. Nous trouvons dans une correspondance inlime, dont une hcureuse indiscretion nous a permis de percer le mystere, de curieux details sur des contrees aujourd'luii peu explorees, et dont limporlance a ete grandealors que rEspagneetaitparvenue,gr3irea la possession etaux tiesors duMexiqueet du Perou.a se faire I'arbitrodes dcstincesdu nionde. Un voyage de 'Valparaiso a Callao, a Lima, a I'ar- chipel Galapagos , est une cbose nssez rare pour exciter Vinteret, surlout quand on saura que I'auteur, jeune aspi- rant de marine, n'a pas pense le moins du monde a ecrirc pourle public. N'oublions pas qu'ilabien voulu devenir lui-mfime complice de I'indiscrction qui a trahi sa con- fidence, en nous permettantde rtWeler lesdelailssuivanls: Quelques jours apres I'airivee de I'anural Hamelin a Valparaiso, le navire de M. R... de M... se trouvait sous voiles et se dirigeait vers Callao, le Piree do Lima, cette ville des ruis qui commei;cait a s'clever du temps de Pi- zarre, et dans laquelle cet aventurier se relira apies le meurtre du dernier des Incas de Quito. Au Pcrou, le voyageur peut observer une race toute nouvelle. Les liommes, de taille moyenne,ont le tcint cuivr6, le nez epate conime les sauvages, etlcs yeux fen- dus en amande comme les Andalous; a ce type on de- vine leur origine mixle. Maisccs Peruviens ont aussi de- geriere de leurs ancetres, remarque qu'on peut appliqucr a tous les peuples de lAmeiique du Sud. En voici un exemplc remarquable em[irunto a la vie politique des Peruviens : — Callao a un port magnifique, compose de deux batteries circulaires pouvant porter quatre it cinq cents pieces de canon. Les Espagnols, qui comprenaient I'importance de ce point forlifie, y entrete- naient le materiel d'artillcrie nccessaire. Mais, dans la guerre qu'ds euienta soutcnir avec les Chiliens, la fregale \ Estramudure leur ayant ^te enlevee pendant une nuit par I'escadre ennemie, sous les ordres de lord Cochrane, ils se virent obliges de livrer au vainqueur le port de Callao. Alorsle Perou se fit republi(iue; la republiqueeut ses presidents; I'un d'eux, plus avide que les aulres, Rl aux Peruviens un discours magnifique, tendant a demon- ker I'lnulilite ce ces canons et I'inleret considerable que feur vente rapporterait au tresor, speculation qui nepou- vait qu'augmenter la confiance de leurs voisins, encore amis de la paix. Le president, dont j'ignore le noni, ful ecoulc ; lesuperbo armementfutvendu. Les Peruviens eu- reiit dc I'argent, mais ils perdirent leur force et leur di- gnite. Aujourd'hui le fort s'cleve sur des fosses conibles . les murailles tonibcnt en mine, et une cinquantaine de mauvais canons armcnt quelques embrasures. Aussi qu'arrive-t il? Les Anglais menacent des qu'on leur re- fuse quelque djmande ; aux menaces succedent les de- monstrations : ce sont des navires briiles, des villes bom- bardees II ya un an encore, un vaisseau de qualre-vingls canons, le Coliinijunod , ctait embosse devant la ville, canons prets a tirer; force fut d'acquiescer aux reclan.a- tions, et ainsi sera toujours ce pauvre pays. Lima, a deux lieues de Callao, se voitde loin , grace a ses soixantedix-sept clcchers qui se dressent a I'horizon comme des minarets. Pour arnvcr a cette ancienne resi- dence de la splendeur espagnole, on suit une route dif- ficile, sablonueuse; on entre dans la ville par une porle peinte en vert, el, nialgre de hautes et nombreuses forti- fications , il est difficile de se croire dans une place for- tifiee. Comme la pluie est cliose rare dans le pays, les maisons sont couronnees de terrastes avec bon nombre de lleurs et d'arbuslcs. A vol d'oiseau, la ville ressemble a une vjste plaine jaune, emaillee, coupee dechemins noirs ct droits. Prcsque lous les edifices sontbas, n'ont en general qu'un etage; mais ils ont un certain air de grandeur. Le- cours d'entree possedent presque toutes des fresques, scenes du moyen Sge, .scenes de religion ou de la gueric d'independancc; ces peintures sont generaleraent d'uiir execution grotesque. Les couvents y sont nombreux. Dans I'un d'eux, ap- pele Santo- Domingo, on remarque un plafond sculple sur bois, representant des rosaces et des couronnes sem- blables, sauf les dorure-, aux plafonds ciselesdeVersaille^ et du Louvre. Au milieu d'une cour s'elance un jet d'eau qui arrose tout I'enclos; les colonncs ct les mors sont re- vctus d'une coucbe tres-mince de faience peinte. Au des sous d'un certain nombre de tableaux, representant le: extases, la mission ou les miracles du saint, on peut lire: des inscriptions en langiie caslillane. Sous le portrait d'un ancien moine de I'ordre, une de ces legendes don I EXTRAITS DES PLUS RfiCENTS VOYAGES. lis nait au religieux represenle le nom de saint Napoleon. Parnii les groupes qui ajsislaienl a I'office dans la cha- pelle du mona«tere, on distinsuait des nalurels, descen- dants sans melange des anciens sujets des Incas. I.eur lournure, leurs habdiements , leur figure, les font dif- lerer beaucoup des aulres Peruviens, issus de ces indi- ;^enes et des Espagnols. Les fenimes sonl pelites, bonnes et sericuses; leurs cheveux sont relevei ou pendent sur leurs epaules; plusieurs sont coifTees d'un liirse chapeau; iput puncho est fait en lama. Ce qui caraclerise surlout leur costume, c'est un tablier de couleur noire qu'elles portent sur le cote gauche, signe national de deuil adopte depuis la mort du dernier des Incas. Avant d'arriver a V Alameda, promenade publique, on pnssa devant un monument fort connu , les bains de la Perirltoli, femmc celebre par ses vices et sa beaute, et qui, dans sa folie orgueilleuse, obtint d'un vice-roi de faire paver en or un chemin qu'elle avait coutume de prendre. Inutile de dire qu'il ne reste pas un vestige de ce pavage splendide. Sur I'Alameda, on pent voir les femmes porter le saya et le manto, ce capuclion avec lequel clles s'enveloppeni la tele, les epaules et la figure, et ne laissent voir que I'oeil; ce qui rappelle I'u.sage ancien du masque dans la joyeuse et brillante Venise. Lima, la ville des enfants du soleil. est, du reste, dans une decadence complete; on la quitte avec le sentiment dune Irislesse profonde. rite aux endjoits oil la lave en fusion a change de roule. La on voit.la lave boursoullcc, compacle el tour- PROFIL ANGLAIS. ii- montee; le cratfere n'est par ronsfquenl pas eloigne. Mais il elait trop lard pour aller jusquo-li) ; on rcpril le cho- min du mouillage. L'expciditjon laissa sans regret ccs lerres descries oil Ton ne trouve que des lorlues, des veaux marrns, el ou I'on n'a pas rn^me la chance de rencontrer un de ces sauva.^cs rendus ctlebrcs-par le Vendirdi de Robinson. Dans un procliain voyage, le jeune niarin auquel nous devons ccs renseignements curieux \isiler3 la Polynesie; nous aurons de nouvelles iudiscr^tions a offrir '3 nos lec- teurs. Ravebgie. PROFIL iWGLAIS. U s'euibarqua sou.s Londo[i-Bridge, a bord du paquo- bot Vlismcrald, et prit terrc ii Boulogne par un soir de printemps. QuanJ \'Esmcral(l s'ungagea enlre les jetees, les faquins du port aperrurcnl de loin sur le pont (|uel - que chose d'infornie et de rouge qui reluisait aux rayons de la lune. En mOnie temps, la brise de mcr leur ap- porta un infernal pu'fum de caoutchouc sans odeur, im- permeable i) I'eau du ciel, mais permeable ii la transpi- ration. Les faquins se froll(;rent Ic.^ mains avec allegresse. Us lavaient reconnu. C'^tait lui , en effet. Plus le paquebot approchait , micux on voyait sa large face ecarlatc, encadree de fa- \ oris chamois, son nez busque, sa levre plated son front ogival, couronmi d'un cliapcau conique i longs polls re- brouss6s. C'etait bien lui. Comment Ic meconnaitre? Vit-on ja- mais a un autre qu'i) lui ces cols de clienaise en cime- terre, aigus, ligides, ^chancres, tcrribles? Un autre put-il etaler jamais sur I'hemisphere d'un abdomen plus exorbitant des brelojues aussi temeraires? Non, non ! Fiez-vous-en d'ailleurs aux porteurs de Boulogne. lis le connaisscnt dcpuis leur plus lendrc cnfance. Us vivent de lui. Boulogne entier \ it de lui. Sans ce gros homme, la colonne napoleonienne no dominerait bientdt plus que les ruincs de quatre cents holels gariiis. II est 15, sur le pont, les jambes ecartees afin d'elargir sa base. II se dandine et gSne imperturbablemcnt la raa- ncEuvre en devorant les restes d'une gigantesque boite