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Collection Guillaume THÉÂTRE

ALPHONSE DAUDET

L'Obstacle

Pièce en 4 Actes

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PARIS

LIBRAIRIE MARPON ET FLAMMARION

E. FLAMMARION, Succ^

26, KUE RACINE, 26 Tous droits réservés

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L'Obstacle

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IL A KTIi TIRE DE CET OUVRAGE

25 exemplaires siif paf'ier du Japon et lo exemplaires sur Chine.

Tous ces exemplaires sont numérotés et parafes par l'éditeur.

Collection Cl II il Li iiuic

THEATRE

ALPHONSE DAUDET

L'Obstacle

Picce en 4 A'ilcs Illustmtioiis

DE Bl ELEB, GAMBARD, IVIAFOLD ET MONTEGUT

PARIS

1. 1 R R A 1 R I E j\I A R P O N ET FLAMMARION

E FLAMMARION, Succ^

26, RUE RACINE, 20 Tous droits réservés

VICTOR KONING

Cette pièce a été représentée pour l.i première fois Jii Tliéâtre .lu Gymiuse le 27 décembre iSyo.

PERSONNAGES

HoRNus (60 ans) JNBI. Lafontaine.

Didier d'Alein (2e ans R. Duflos.

Le Conseiller (57 ans Paul Plan.

Sautecœur Léon Noël.

COFFINEAU, garçon d'hôtel Torin.

Marquise d'Alein (;o ans). . . M"" Pasca.

Madeleine de Rémondy (20 ans) . , Raphaële Sisos.

Estelle (40 ans Desclauzas.

N0ÈLIE (22 ans) Darlaud.

La Supérieure Gucrtet.

Maguelonne Lécnyer.

Une Sœur Tourière Ren.irt.

S'adresser, pour la mise en scène, à M. Ch. ÎNIasset régisseur général dit Gymnase

La Musique de l'aubade et du petit cantique est de M. Ryxaldo Hahn. On la trouve à la librairie Hartmann, 20, rue Daunou.

ACTE PREMIER

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A NICE

Un après-midi de dimanclic pendant le cai - naval. Le salon dj l'appartement qu'occupa la Marquise d'Alcin au rez-de-chaussee de l'hôte! Bcllevuc, sur la promenade des An triais. Dan<s le fond, balcon de pierre et véranda fleurie a laquelle on arrive par deux marches dans toute la largeur du salon. De grands stores baissés pend m t la première partie de Pacte cachent le splendide horizon. Porte à droite, au fond, don- nant sur la chambre de la Marquise. A gauche, premier plan, porte d^cntrée.

Quand le rideau se lève, Coffîneau, le garçon d'hôtel, est en train d'installer un lunch sur une table au premier plan. Impression de fraîcheur et de dcmi-joîir, en contraste avec Véclalante lumière qu'on devine au dehors.

SCExNE PREMIERE

MAGUELOXXE, COFFIXEAU.

Magueloxne. coiffure provinciale, assisect regardant Coffineau avec slupéfaclion.

Bonne mire des ang-es! monsieur Cof- fineau, en voilà des événements... et c'est vrai, tout ça>

6 L'Obstacle

CoFFiNEAu, geste majestueux et imbécile, tout en disposant son lunch.

Vrai comme l'Histoire du Consulat et de l'Empire.

Maguelonne, ejjarée.

L'histoire du.... Qu'est-ce que c'est donc encore que cette alTaire-Ià?

COFFINEAU.

Quelque chose de magnifique à lire, mademoiselle .Maguelonne, et qui figure dans la bibliothèque de Thôtel. Vingt- quatre volumes de cette dimension!... Si le cœur vous en dit, pendant votre séjour à Nice....

.Maguelonne.

.Mille fois aimable, monsieur Coffincau. Coffineau.

.Mais de rien, de rien, mon enfant.... vous êtes si gentille sous ce petit bonnet.... Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour vousr (// se rapproche.) C'est de .Montpellier, ce genre de coiffure?

U Obstacle 7

-Maguelonne, râcarlanl sans avoir l'air.

Oui, c'est de Montpellier. Mais, pré- parez donc votre lunch.

COFFINEAU.

Oh! rien ne presse. La cavalcade ne sera guère ici que vers quatre heures.... Est-ce que vous viendrez voir ça avec vos

dames r

.Maguelonne, souriant.

Non, la marquise ne m'a pas invitée, et comme nos fenêtres sont à l'autre bout de l'hôtel....

CoFFINEAU.

Ile bien! moi je vous invite.... pas ici..., mais dans un coin du jardin nous serons très bien pour tout voir, tout....

.Maguelonxe. minaudant.

Je ne suis pas si curieuse. Coffineau.

\'raimcnt> Et gourmande... r Êtes- vous g-ourmande? (Lui offrant du raisin.) Voyons, une grappe de muscat?

8 L'Obstacle

Maguelonxe, regard vers le fond.

Ohî non, si on venait....

COFFINEAU.

Laissez donc; la marquise fait sa sieste.

Magueloxne.

Mâtin! le licau muscat....

COFFINEAU.

Mordez là-dedans, qu'on voie vos jo- lies quenottes.

Maguelox.xe . grappilla n ! .

Et autrement, ça s'appelait, cet en- droit que vous disiez:

CoFFixEAU, attaquant la grappe de l'autre côte.

Il est bon. heinV Magueloxxe.

Du vrai sucre. Coffixeau, la bouche pleine.

Quel endroit:

L'Obstacle g

iMaguelonne.

Ce château la marquise a vécu si long-temps enfermée avec son mari.

COFFINEAU.

Et vous dites que vous n"êtes pas curieuser

Magueloxne.

Oh! ce n'est pas pour moi..., c'est pour ma maîtresse et sa cousine, que cette histoire amusera joliment.

COFFINEAU.

Ça s'appelait Mry..., le château de \'iry-sur- Seine.

.Magl'eloxxe, s'ciitrant le nom srlLibe par syllabe.

\'iry-sur-Seine !

COFFINEAU.

Il y avait une long-ue charmille en terrasse au bord de l'eau. C'est qu'ils marchaient des heures, des journées, tou- jours dans la même allée, et tous deux seuls, car la marquise ne voulait le secours de per- sonne pour g-arder et soigner son malade.

lo L'Obstacle

Maguelonne.

Est-ce qu'il était méchant? C'est qu'un homme dans cet état-là....

COFFINEAU.

Pas méchant si vousa"Ou1cz; seulement l'air sournois et ne disant pas deux paroles dans un jour..., et puis, est-ce qu'on savait, une fois dans leur chambre....

.Maguelonne.

C'est vrai que dans les chambres on ne sait jamais.... : Elle rit.)

CoFFixEAi". riant.

\'oyez-vous ces petits bonnets de .Montpellier.... bien, allc.^-vous donc?

.Maguelonne. .jui s'est levée.

Il faut que je remonte, ces dames vont rentrer.

Coffineau.

Point du tout.... vos dames sont à vêpres, n'est-ce pas? Alors vous avez le temps..., il y a un sermon du père... com- ment donc?... ce fameux capucin qui vient prêcher tous les carnavals à Nice.

L'Obstacle

ir

iMagueloxne.

Ça ne fait rien, je me sauve. (Elle gagne la porte.)

CoFFiNEAU. la retenant par la taille.

Et la fin de mon histoire, vous ne voulez pas la savoir?

(La porte s'ouvre violemment.)

SCENE II

Les .Mêmes, IIORN'US, tout gris, barbe, cheveux et vctcment.

HoRNUs, regardant le panneau supérieur de la porte ouverte en dedans.

C'est bien le numéro deux, ici? Je ne me trompe pas?

12 L'Obstacle

COFFIXEAU.

- Parfaitement. Monsieur désire?

.Maguelonne, déjà d.ins le corridor et d'une voix de malice.

A revoir, monsieur Cofiincau.

COFFINEAU.

-Mais attendez donc. J'ai quelque chose à vous dire.... (// s'cLtiicc derrière elle.)

IIouNus, l'arrêtant par le bras et lui fai- sant faire demi-tour.

Permettez, jeune homme... d'abord cette carte à la marquise d'Alein.... Vous êtes à son service, je suppose?

CoFFIXEAU.

Non. monsieur... seulement g-arçon de l'étag-e, en train d'installer une collation dans l'appartement de Mme la Marquise. (// montre la table.) Tout de même si monsieur veut me donner sa carte....

HoRNUS, tendant sa carte.

Voilà.

U Obstacle i3

CcFFiNEAU,/.7// uii pcis Cil remoutaul puis s'arrête après avoir regardé la carte.

Oh! mais monsieur est une vieille con- naissance pour moi.... M. Ilornus, l'ancien précepteur du petit Didier.... Jusqu'à la mort du Marquis vous veniez au château une ou deux fois par an avec votre élève.... iMonsieur ne me remet pasr (// se campe.)

HORNUS.

Ma foi, non.

COFFIXE.VU.

Mon père était passeur à Mry-sur- Seine... CotTmeau!

HORXUS.

Ah! (-4 part.) C'est étonnant comme il y a des noms qui ne vous rappellent rien. {Haut.) Et VOUS êtes à l'hôtel Bellevue de- puis longtemps?

COFFINE.XU.

Dame! oui. Vous comprenez, ce métier de passeur ça n'avait pas d'avenir... c'est ég-al! faut que j'aie rudement change. '\'oilà

14 L'Obstacle

dcjà monsieur qui ne me remettait pas; et depuis deux jours que Mme la Marquise est descendue à l'hôtel, j'ai beau me planter devant elle, me mettre dans son œil de toutes les façons....

IIORNUS.

bien I si elle ne te reconnaît pas. inutile d'insister, va. mon g-arçon. C'était un mauvais temps pour elle, ce temps de \'iry; et rien de ce qui le lui rappelle ne saurait lui faire bien plaisir.

L'Obstacle

13

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SCENE III

Les .Mêmes, LA AL\RQUISE, au fond, ciitf ouvrant la porte de sa chambre.

La -ALvrquise.

^Liis qui est doncr... J'entends jaboter depuis une heure.... i Apercevant Hormis et venant vers lui la main tendue.) Hornus! ah! enfin.... Il faut venir à Nice pour vous avoir. {Elle lui serre la main avec effusion.)

i6

^Obstacle

CoFFiNEAU, à demi-voix à Li Marquise.

Madame a vu:... tout est prêt. La Marquise.

Quoi donc?

COFFIXEAU.

Le lunch, le petit lunch que ^Ladame la ^Larquisc... m'avait dit....

La Marquise.

Oui, oui, allez.... (// se campe.) Allez! Coffineau, à part, ve.ré de ne pas cire

reconnu.

C'est un peu fort d'être chany-ê comme ça! (// sort.)

=■ W,nl!#

LObslack

SCENE IV

HORXUS, LA .MARQUISE. La Marquise.

On vous retrouve enfin, méchant homme.

IIoRxrs, soiiri.int.

Oui. vous avez raison, un méchant homme, un vieux ég-oïste. C'est un peu votre faute aussi, madame; Didier et vous m'avez trop gâté.... Je suis trop bien dans mon creux de rocher... mon bateau, mes livres, le sentiment que ma tâche est finie....

i8 L'ObsLuic

La Marquise, rayoïuunle.

Et bien finie, mon clier Ilornus. Je vous dois l'enfant le plus charmant, le plus noble, solide de cœur et d"csprit.... \'ing-t- six ans, mon ami!... \'ingt-sixans, et pas un trouble, rien... pas une incertitude dans le rcg-ard. dans la pensée.... [Baissant la voix.) C'est-à-dire que je commence à n'avoir plus pour.

IIORXUS.

Peur! Et de quoi pouvicz-vous avoir peur?

La .Marqlise.

Oh! je sais, je sais, nous n'avons ja- mais eu les mêmes idées là-dessus. Mais c'a été l'épouvante de ma vie, cette hérédité du mal paternel.

HORNUS.

Pourtant, madame.... La Marquise.

J'y ai tout sacrifié à cette terreur-là, jusqu'à laisser mon enfant grandir loin de

L'Obstacle 19

moi, à vous le donner pendant dix ans, pour lui éparL;-ncr tout contact, toute impression dangereuse; si bien qu"aujourd"hui encore, il ignore quelle était la maladie de son père et qu"il ne la connaîtra jamais....

IIORXUS.

Précautions exagérées selon moi: mais peut-être avez-vous eu raison..., les mères ont toujours raison.

La .Marquise.

.Alaintenant, laissons le passé, laissons le noir, soyons tout à Tivresse de nos fian- çailles, car, ainsi que vous disait ma lettre. Didier va se marier. Nous sommes venus à Nice en partie de plaisir avec la jeune fille et ses parents. Les distractions sont rares à Montpellier.

HoRNUs. souriant.

En effet. La ]\L\rquise.

Le carnaval de la mer bleue a séduit nos jeunes gens; moi, j'y ai vu surtout le

20 L'Obstacle

voisinage de mon clier Hormis, l'occasion de lui montrer notre petite fiancée et de le consulter sur un point de conscience... voici : je n"ai parlé de rien à la famille, ai-je mal fait?

HORXUS.

Mais non... certainement.... Que vou- liez-vous dire, puisqu'il n'y a rien >... ^'oyons, les dates sont là. madame...

L.\ M.\RQUISE.

Oui, sans doute....

IIORNUS.

Et d'abord, c'était apprendre à votre enfant ce que vous voulez lui cacher.

La -Marquise.

Justement....

MORNUS.

Sans compter que la province est tou- jours en meiiance contre ce qui lui vient de Paris et qu'il n'en fallait pas plus pour faire manquer le mariage.

U Obstacle

La iMarquise.

Ah! mon Dieu! mon pauvre petit!... qu'est-ce qu'il deviendrait?

HORNUS.

C'est donc le g-rand amour, une de ces passions....

La Marquise.

Ah ! mon ami.

HORXUS.

Ainsi... ces choses-là existent encore.... Spiral adiiiic avior!

La Marquise.

Quoi donc?

HoRXus, souriml, un peu confus.

Pardon, madame, un vieux fond de cuistrerie qui remonte.... De Montpellier, n'est-ce pas, la jeune fille?

La Marquise.

Oui. ^'ous savez qu'en sortant de l'ar- mée, Didier m'était revenu avec des idées de grande culture. Le Midi le tentait, le Midi de son maître.... Et moi, mon mari mort, \'iry

22 L'Obstacle

vendu, j'étais ravie de tout ce qui pouvait nous dépayser, nous éloig-ner de nos an- ciennes tristesses.... Jachetai donc le do- maine de Colombières, et c'est dans une propriété voisine de la nôtre qu'il a ren- contré Mlle de Rémondy.

IIORNUS.

Rémondy r j'ai connu des mag-istrats de ce nom, pendant que j'habitais .Alontpcl- lier.

La .Marquise.

En effet, le cousin, le tuteur. car .Madeleine n"a plus de parents depuis long-- temps. est conseiller à la Cour d'appel. Un homme du monde, encore jeune....

I-IoRxrs.

Jeune... et il n'épouse pas sa pupille/... il manque à sa tradition de tuteur.

La .Marquise, souriant.

Il était marié... il vient même de perdre sa femme récemment, c'est ce qui a prolongé nos fiançailles.... Nous avons encore la sœur, .Mlle Estelle, une bonne crosse fille

L'Otstade 23

de quarante ans qui n'a pas trouve de Némorin, poupine, dévote, g-ourmande, en perpétuel ronron d'admiration devant le « Conseiller mon frère ».

IIORNUS.

Et la jeune personne? La .Marquise.

Charmante, musicienne, pas province du tout, pas trop Parisienne non plus, de leur alTreux Paris-Xew-York... élevée chez les Dames Bleues....

HORNUS.

Le couvent de l'aristocratie, diable! La .'Marquise.

Une vraie jeune fille, et qui garde bien le mystère de la femme qu'elle sera demain

IIORNUS.

Enlin, elle l'aime? La AL\rquise.

Plus discrètement que lui, à coup sûr; une vraie jeune fille, je vous dis.... Je peux cependant affirmer une chose : c'est que.

24 L'Obstacle

très entourée, très recherchée pour sa bonne gTâce et sa belle fortune, elle a préféré mon lils.

HORXUS.

C'est déjà une preuve de goût. La Marquise.

Du reste, vous allez la voir; ces dames vont venir en sortant de vêpres.

IlORNUS.

Didier est à vêpres, lui aussi? La -Marquise. sourLint.

Non... il n'en est pas encore là... il est môme en pleine distraction mondaine, une cavalcade org-anisée par des officiers de son ancien régiment.... Tout à l'heure ils défi- leront sous nos fenêtres.... l'occasion, j'ima- gine, de se montrer à sa future dans un joli costume de carnaval.

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I

4

L'Obstacle

25

SCÈNE V

Les Mêmes, ESTELLE, .MADELEINE, LE CONSEILLER.

Estelle, entr ouvrant Li porle sans entrer , modes départementales, pointe d'accent local parisianisé, elle dit « Montpcyer, <■< une chase, capucéïn. »

C'est nous.... Le temps de quitter nos chapeaux et nous redescendons.

3

26 LObstack

La Marquise.

Et ce sermon? Estelle.

Superbe!... Ce capucin, ce capucin, non !... par exemple, on mourait de chaud.

La ALvrquise.

Alors avalez vite un sorbet en passant.

Estelle, entrant et regardant la table servie.

Dieu ! que de bonnes choses : c"est trop tentant, vous permettez >

(Elle se verse un verre d'orangeade.)

La Marquise.

Entrez donc, ALidelcinc, c'est .AL Hor-

nus.

Madeleine, entrant.

Ah! M. Ilornus est arrivé? (Lui ten- dant la main.) Didier m'a bien souvent parlé de vous, monsieur.

IIoRNUS, s'iuclinant.

Mademoiselle....

L'Obstacle 27

Le Conseiller, qui s'est approché, froid et hautain.

Monsieur est sans doute l'ancien pré- cepteur....

La M.vrquise.

Un ami, un fidèle ami. {Les prcseutant.) Monsieur Hornus, monsieur de Castillan.

{Les deux hommes se saluent.)

Estelle, s'approchant. un sorbet à la main.

Ah ! monsieur , mon compliment. Votre élève vous fait le plus grand hon- neur.... Comme disait le Conseiller mon frère....

Le Conseiller, la coupant, d'un ton sec.

Restez-vous là, ma chère? moi je

remonte.

Estelle, troublée.

Mais moi aussi, moi aussi. Mon cha- peau m"étoufFe. (.4 Madeleine.) Et vous, mon enfant }

Madeleine, 5e débarrassant de sa coiffure.

Mais le voici quitté, mon chapeau. Tenez, cousin, emportez ça.... Jai trop peur

cP) L'Obst.-:clc

que la cavalcade arrive pendant mon ab- sence. {Elle donne son chapeau au Conseiller, puis se ravisant.) Ah ! mon Dieu! et moi qui oubliais.... Attendez, cousin.... (.1 la Mar- quise.) Figurez-vous, madame, j'ai commis une indiscrétion.... Vous savez, cette jolie jeune fille qui mange à table d"hôte en lace de nous avec son père ?

Estelle.

Ile ! pardi! les Mérès de Montpeyer.... La .Marquise.

Eh bien, cette jeune fille.... Madeleine.

... m'a priée de vous demander une place... {montrant le balcon) pour voir le défile...

La Marquise.

Accordé.... Et pour le père aussi. Madeleine.

Oh! non, le père est un sauvage qui ne voit personne.

L'Obstacle 2q

La Mauquise.

Bien, mon enfant; prévenez votre amie.

Madeleine, au Conseiller.

"\'ous entendez, cousin.... Les Mérès, au 24, le même étage que nous. Mlle Noëlic descendra avec cousine Estelle, (railleuse) puisque votre dignité ne vous permet pas....

Le Conseiller.

Oui, j'avoue que ce genre de masca- rade ne m'amuse guère, et je m'étonne môme qu'un garçon sérieux comme Didier....

Estelle.

Je suis un peu de l'avis de mon frère. Madeleine.

Mais c'est pour les pauvres, il ne pou- vait guère refuser....

La Marquise.

Puis, c'est tout son ancien régiment.

Hornus.

-— Et enfin quand on a vingt-six ans, il faut les faire sonner, monsieur de Castillan !

3o

L'Obstacle

Le Conseiller, s'inclinant.

Chacun sa façon de voir. .Madeleine.

Hé! riiomme rig-ide, prenez garde, vous allez écraser mes plumes.

Le Conseiller.

Xe craipfnez rien, petite cousine, tout ce qui vient de vous m"est trop précieux....

IIoRNUs. entre ses dents.

Ilum ! hum ! bien g-aLintin, le chat fourré....

UObstack

ol

SCENE VI

LA MARQUISE, MADELEINE, IIOR-

NUS.

Madeleine, à l.j Marquise.

Elle est charmante, Xoëlie Mcrès, vous veirez.

La Marquise.

Un peu bavarde, il ma paru.... A table la lanq-uc lui va comme un battant de moulin.

32 L'Obstacle

Madeleine.

Elle parle pour deux, son père ne dit jamais rien. Et puis elle est comme moi, elle va se marier... et elle est si contente, si contente..., ça la S'rise!

IIoRNL's, avec un bon sourire.

Et vous, mademoiselle, êtcs-vous con- tente ?

Madeleine.

Oh! oui, mais je suis moins cxpansive. La Marquise.

\'ous êtes née pourtant au pays du soleil comme notre ami lîornus....

Madeleine.

Alors, c'est que je porte mon lAIidi en dedans.

La Marquise, souriant.

On dit que c'est le plus terrible, ce Midi-là, mii^-nonne.

Madeleine.

Bien possible. {Virement, en remontant

L'Obstacle 33

vers le fond.) Si nous ouvrions le store, voulez-vous, madame > On entend déjà des cris, de la musique.

La Marquise.

Oh! c'est encore loin, ma chère.... Pen- sez, il faut qu'ils s'arrêtent à la préfecture, chez le général....

Madeleini:.

C'est vrai, nous avons le temps.... La Marquise.

Allons, venez ici qu'on vous voie.... Je ne vous ai jamais.... Elle est pourtant un peu à moi, cette grande fille... tout le monde n>e la prend.

[Elle l.T fait s'asseoir tout près d'elle, ten- drement.)

HORXUS.

Mademoiselle Madeleine, est-ce tou- jours la mère Sainte-Marie qui est supé- rieure aux Dames-Bleues?

Madeleine, 5e levant, très étonnée. ' Toujours, monsieur Ilornus.

34 L'ObsLuk

La .Marquise, jouant le dépit.

Là. quand je le disais... je ne peux pr.s l'avoir une minute.

AL\DELEiNE, souri.inl.

Oh! pardon, mais c'est si exti'aordi- naire que ^L Ilornus connaisse mon cou- vent....

HORXUS.

Dans tous les coins, depuis la cour des Grandes, la cour Sainte-Cécile, jusqu'au vieux cloître il y avait de mon temps un parterre de roses.

Madeleine.

Il y est encore... mais comment? HoRNUs, déclamant.

Saluez un ancien inspecteur des écoles. La AL\rquise.

Et le dévouement d'un ami qui a sa- crifié tout son avenir à l'éducation de Didier.

HORNUS

J'ai été bien récompensé, madame.

L'Obstacle 35

La Marquise.

Pas assez, mon cher Ilornus, pas assez. Madeleine.

C'est drôle que je ne vous aie jamais vu.

HORXUS.

Parce que je suis très vieux, mon en- fant, presque aussi vieux que le plus vieil arceau du vieux cloître....

Madeleine.

J'y suis pourtant entrée toute petite aux Dames-Bleues et n'en suis sortie que l'an dernier. Oh! mon cher couvent.... Avec ses fêtes toutes fleuries, les paiimpes Manches de nos mères, s'abritaient toutes nos peines d'enfants, c'a été ma vraie famille: et encore aujourd'hui, si j'avais un g-rand chag-rin. il me semble que je cour- rais là tout de suite.

La Marqlise, lui prenant l.i main.

Méchante! Mais vous aurez une fa- mille, maintenant....

36

L'Obstacle

Madeleine.

Oh! je le sais bien, madame. La Marquise.

Madame:-... Il y a des jours vous m'appelez maman....

Madeleine.

Pardonnez-moi... c'est un mot dont je n'avais pas l'habitude, avant vous, mais je m'y ferai....

{Elle l'embrasse.)

HoRNus, l\is, sourire ému.

Gentille! {On frappe.)

La ALxrquise.

•— Entrez.

L'Obstacle 3j

'A

^

/.

SCENE VII Les Mêmes. NOËLIE.

Madeleine, all.int an-devant de la jeune fille.

Bonjour. {L'amenant vers la mar- quise.) Mlle Noëlle Mcrès.

NoËLIE.

Je m'excuse, madame. La ALvrquise.

Ne vous excusez pas, mon enfant, je

4

38 L'Obstacle

suis ravie de ce double plaisir que je puis donner à ma chère fille et à vous.

Madeleine, regardant vers l'entrée.

Et cousine Estelle:... Elle ne descend pas?

NOËLIE.

Mais non.... Elle et son frère étaient en g-rande conférence avec la femme de chambre, votre petite Magaielonne... et puis un g-arçon de Thôtel {emphase comique) que M. de Castillan a fait comparoir.

IIoRNus, inquiet.

Un g-arçon de l'hôtel? Madeleine, souriant.

Oh! cousine Estelle a toujours des histoires avec le service.

NOELIE.

J'ai vu que ça traînait, je suis des- cendue toute seule.

La Marquise, remontant vers sa chambre.

Xowè avez fort bien fait.... Tenez, mon cher Hornus, venez par ici. En attendant

L'Obstacle

39

jMlle de Castillan, nous allons laisser nos deux petites mariées (elle se reprend), ou fiancées enfin, se faire leurs confidences devant ces assiettes de bonbons....

IIORNUS.

Elles seront plus à l'aise qu'avec nous. La Marquise, à Maicleine.

Surtout, si vous entendez les masques, faites-nous sigrne.... {Elle sort avec Hormis p.ir 1.1 parle du fond.)

40

L'Obstacle

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SCÈNE VIII MADELEINE, NOËLIE.

XoËLiE. elle va, vient, jamais en place, parlant très rite.

J'aime beaucouples façons de Mmed'A- lein, elle a quelque chose de droit, de cor- dial, c'est bien la mire de M. Didier.... Il

L'Obstacle 41

s'appelle Didier, nest-ce pas> Le mien s'ap- pelle Robert, un joli nom, aussi, pas vrai> Robert.... Quel dommage qu'il n'ait pas pu m'accompag-ner!... vous auriez vu comme il est gentil!... Mais ses parents, ce carnaval de Nice les a effrayés, ils sont si sévères! Tout à fait M. de Castillan, de ces visages fermés, sans lumière, dont on ne voit jamais les yeux; la maison inhabitée, c'est froid, c'est humide.... Brrr....

.Madeleine, lui offrant une assiette.

Un fruit, voulez-vous?

NOELIE.

Ça ne vous a pas fâchée, ce que je vous ai dit?

.Madeleine, souriant.

Mais non.... X0ELIE.

C'est si effrayant, ces familles l'on entre sans connaître personne, comme en pays perdu ! Il faut que le mari vous guide : c Prends garde..., mets tes pieds là, ne

4-

42 U Obstacle

marche pas ici..., ne parle pas de ça à ma tante, jamais ceci devant mon oncle.... »

Madeleine, gaiement.

\'ouscn ferez autant pour les vôtres....

NoËLIE.

Moi ? Je n'ai personne. J"ai perdu ma mère de bonne heure; je ne l'ai presque pas connue. Mon pauvre père, vous Tavez vu. c'est un fantôme. J'ai tout mis dans Robert, il faut que Robert me tienne lieu de tout....

iMadeleine.

Je suis orpheline aussi, moi, de père et de mère....

NoËLIE.

\'raimcnt ?... une ressemblance de plus entre nos deux destinées. {Elle lui prend les mains.) Il faudra être bien amies, dites? Xons verrez, je suis une bonne enfant.... Je parle beaucoup, mais ce n'est pas ma faute..., une habitude que j ai prise à la maison, de faire les demandes et les réponses,... père ne dit jamais un mot. Si je n'avais pas eu mon piano, je serais morte

L'Obstacle 4.3

d'ennui.... Aimez-vous la musique? Moi, i"en suis folle. Nous en ferons beaucoup quand nous serons dans nos ménages, vou- lez-vous ?

Madeleine.

Je crois bien !

NoËLIE.

Le malheur, c'est que nous n'ayons pas pu nous marier le même Jour, à la même église.... Seulement vous, je sais, vous attendez la fin de votre deuil. Dieu ! que c'est long-, ce temps des fiançailles... vous ne trouvez pas ?

.M.vDELEiNE, riant.

-Mais non, pas trop; on apprend à se connaître....

NoËLIE.

Se connaître!... Est-ce qu'on n'a pas toute la vie pour ça? C'est du temps perdu, allez. Moi, d'abord, dès le premier jour, dès la première minute, s'il avait voulu m'em- porter au bout du monde....

^4 L'Obstacle

Madeleine.

C'est bien loin.

NOËLIE.

Oui, vous, vous êtes plus réservée; pourtant je ne m'y fierais pas. Au fond de ces beaux yeux tranquilles.... A propos, je voulais vous demander, avez-vous déjà votre bag-ue de fiancée ?

Madeleine.

On me Ta donnée hier soir, je la porte pour la première fois aujourd'hui. (Elle se dégante.)

NoËLlE.

Voyons.... Oh! qu'elle est jolie, toute en brillants.... La mienne, c'était moitié perles....

Madeleine.

Montrez. Noëlie, tristement.

Ne m'en parlez pas, je l'ai perdue... en venant, dans le wagon J'ai eu un chagrin! Je n'ai pas osé encore l'écrire à Robert.... J'en étais si fière, de ma petite bague....

L'Obstacle 45

Madeleine.

Oui, c'est bien cela que j'éprouve en reg'ardant la mienne... de la fierté. .. Notre premier bijou de femme, le premier anneau de notre chaîne.... Il faut vite qu'on vous la remplace.... Une bague perdue, c'est yrave.

NoËLiE, gaiement.

Oh! je ne suis pas superstitieuse.... J'en perdrais dix. j'en perdrais vingt.... à présent que voulez-vous qu'il m'arrive? les derniers bans sont publiés; c'est juré, c'est signé.... (Tout tas, éperdument.) Et je l'aime, je l'aime, je l'aime !

(Tumulte au dehors, fanfare, tambours de basque, rumeur de foule.)

M.\DELEiNE, se levant.

Ah ! pour le coup, les voilà. {Elle remonte.)

XoÉLIE.

Quoi donc r La cavalcade ? Bravo !

-Madeleine, qui a relevé le store et se penche dehors.

Oh! que c'est joli. {Courant vers la

^6 i:Obsla:le

porte de Li diMiibrc et appelant.) Venez vite! maman! Monsieur Ilornus! Mam-an! Maman I

SCENE IX

Les Mêmes, LA ^L\RQUISE, HORNUS entrant par la droite au fond.

La Marquise.

Elle Ta bien dit. cette fois.

UObslacîe 47

IIORNLS.

Comme votre vraie fille. Madeleine.

EtcousineEstellequine descend pas.... Qu'est-ce qu'ils font là-haut? c'est extraor- dinaire....

XoELiE. sur le balcon.

.Madeleine, venez donc voir ces grandes capes noires, dans la première voilure, on dirait .M. Didier.

.M.vDELEiNE, se icuclunt.

Oui, c'est assez sa tournure. L.v Marquise.

Oh ! c'est lui, c'est bien lui. •Madeleine, à Hormis.

Sait-il que vous êtes arrivé, monsieur Ilornus?

La Marquise.

Pas du tout.... -Madeleine, à Hormis.

Oh ! qu'il va être content : mettez- vous là.

^8 L'Obstacle

IIORNUS.

Non. non, restez, je vous en prie... ses yeux iront à vous d'abord..., j'aurais beau nie mettre devant, il ne me verrait pas....

Voix au dehors, dans la foule.

Halte! halte donc!

NOKLIF.

Tiens ! le char, qui s'arrête devant rhutel.

I o/.v au dehors.

Chut! chut! Silence!

Cliœur dJ voix dliomincs, au dehors, Cl! sourdine.

Que tambour et viole Vibrent lentement, L'aubade espagnole Se chante en fumant.

La Marquise, souriant à Madeleine.

Je crois que cette jolie musique est pour vous, ma chère enfant.... Allons... approchez !

L'Obstacle 49

Madeleine.

Xon; merci, merci, ça me g-cnc..., je suis mieux Là.... Vous, Noëlic.... {Elle se retire.)

NoËLiE, s' écart an t.

Ah ! mais non, mais non. Robert m'en voudrait, ce n'est pas pour moi, cette aubade.

Solo de voix d'homme.

Au balcon de ma toute-belle J'apporte des bouquets fleuris Choisis par mon amour fidèle, Roses, violettes et lis.

Le cliœnr.

Que tambour et viole Vibrent doucement, L'aubade espagnole Se chante en aimant.

HoRNUs, dans son coin, très ému.

Oh! lamour! la jeunesse!

Solo.

Montre-toi, reine de jeunesse. Reçois mon hommage embaumé, Et que sur ton front m'apparaissc L'enchantement d'un ciel de mai.

30

L'Obstacle

Cliœiir.

Que tambour et viole Rythment leur accent, L'aubade espagnole Se chante en dansant.

L'Obstacle

51

SCÈNE X

Les MÊMES, DIDIER, LA ESTUDIAN- TIN A.

DmET^. franchissant le balustre du balcon et sautant sur la scène, masqué, son petit chapeau à la main, la mandoline en bandoulière.

La musique est finie, maintenant les

02 L'Obstacle

chanteurs font la quête, c'est la loi de l'Es- tudiantina. Par ici, camarades.

[Les masques franchissent le balcon der- rière lui et s'alignent au fond de la véranda, la mandoline au poing, grands manteaux noirs des étudiants espagnols, gants blancs, dentelles aux manches et petits loups noirs. Didier saule au cou de sa mère et l'embrasse.)

La Marquise.

Doucement donc, grand enfant! Didier, à Madeleine.

Et ma petite Mad, qu'est-ce qu'elle donne à la musique >

.Madeleine.

Rien pour le vilain masque! (Montrant Noëlie.) Adressez-vous à côté.

Didier, à Koëlie.

Ah ! pardon, je n'avais pas vu.... [Sa- luant.) Mademoiselle. (// lui baise la main.)

Noëlie.

Votre aubade est divine, le monsieur à la guitare.

L'Obstacle 53

Didier, revenant vers Madeleine.

Rien pourle vilain masque, très bien.... (Se démasquant.) Et pour Didier?

-Madeleine.

Pour Didier, une belle surprise..., tour- nez-vous et regardez. {Elle le met en face d'Hornus.)

Didier, avec un cri.

-Mon maître! mon bon maître! (// lui saule au cou.)

IIoRNLS, l'étrcignant.

Didier! .Mon petit, mon cher petit! Didier, à sa mère.

Mais comment l'as-tu sorti de ses ro- ches, notre vieux lézard gris?

IIornus.

Un miracle ! et c'est mademoiselle qui la fait. (// montre Madeleine.) Je suis venu tout exprès pour la voir.

Didier, triomphant.

bien ! crois tu qu"il a du goût, ton élever... Et bonne, autant qu'elle est jolie.

5.

54 L'Obstacle

Madeleine, bas, un peu confuse.

Didier! Didier! Didier.

C'est vrai, ma petite Mad, je n'ai pas le bonheur discret.

NoÈLiE. d'un cLin.

C'est moi qui comprends ça! Didier.

Je voudrais le dire, le crier à toute la terre que je vous aime et que je suis heu- reux, maintenant surtout que je vous ai tous, tout le cœur de mon cœur, ma mère, mon vieux maître Ilornus et ma chl're petite femme !... Oui. ma femme, il n"y a plus à s'en djdire. puisque vous avez ma bayue. (// lui a pris la main.) Reg'arde, Ilornus; re- gardez, mademoiselle.

NOËLIE.

Oh! je la connais, elle est très jolie. Madeleine.

Et je l'aime bien, ma bague.

i:Obst.uk

55

Didier, avec transport.

Et moi donc, si je l'aime! (// taise la va^^^'uc et la main passicvinémeut.)

]\)ix, au dehors

En route! En roule! Un masque, au fond.

Allons, Didier. Didier.

Tiens! au fait, j'oubliais ma cavaleadc. En route! {Les masgiies ont disparu. Lui. avec des baisers à la ronde.) A t-jut à l'heure. mes chéris! {Il enjambe le balcon et dispa- rait. Tous se pencJient pour le regarder. Les chants et les cris s'éloiùnient.)

56

L'Obstacle

SCENE XI Les Mêmes, LE CONSEILLER.

Le Conseiller, appelant à mi-voix.

Madeleine! Madeleine!

Noélie, qui est la plus rapprochée de lui, à mi-voix à Madeleine.

Madeleine! voilà M. de Castillan. ^L\DELEiNE, se retournant. Au Conseiller.

Enfin.... Mais arrivez donc!

L'Obstacle

^7

Le Conseiller, à mi-voix.

Non! vous, vous..., venez. M.-vDELEiNE, s' approchant.

Qu'y a-t-il>

Le CoNSEiLLEn, bas.

.Alontez vite près crEstclle... quelque chose Je terrible.-., que je ne peux pas vous dire ici

.^L\DELEI^■E.

.Mais....

Le Conseiller.

Allez! Allez donc! (// la pousse vers la porte.) Je vous en prie... et l'exige au besoin.

Madeleine, sortant.

Ah! mon Dieu!

58

L'Obstacle

**t^-

SCÈNE XII Les Mêmes, moins .MADELEINE. La Marquise, qui a qitittc le iKtlcon.

iÀLidcleine s"en va, va-t-ellc donc? Le Conseiller, remontant d'un pas.

Près de sa cousine, madame. HoRxus, s approchant.

Est-ce que Mlle Estelle est souiïrantc?

L'Obstacle 5()

Le Conseiller.

Un peu souffrante, en effet. La .ALxrqlîse.

^Liis je monte pr^l^s d'elle. Le Conseiller.

Inutile, madanie; l:i présence de ALi- deleine suffira.

NoËLiE, resiée l.r dernière au balcon, s'ap- proche en fredonnsiut :

L'aubade espagnole Se chante en aimant.

[Elle s'arrête devant le froid et le silence, puis timidement an Conseiller.)

Est-ce que Madeleine ne va pas re- descendre?

Le Conseiller, gravement.

Oh! non, mademoiselle. XoÉLiE, très gênée.

Alors, madame..., je vous demande la permission.... Je vous remercie bien....

6o

L'Otst^iclc

La Marquise.

Du tout, mon enfant.

(Xoelie salue Hormis gentiment, puis le Conseiller arec crainte.)

NoÈLiE, bas.

Oh! ce M. de Castillan, il vous glace. (Elle sort.)

UObsîaclc

6r

SCÈNE Xlll

LA MARQUISE, HORNUS, LE CON- SEILLER. La ^Urquise, après un silence, résolu- ment au Conseiller. _ Enfin, ce nest pas grave, ce qua Mlle votre sœur r Le Conseiller.

- Assez î^rave, madame, pour nous oblL a;cv il quitte? Nice aujourdliui même....

62 L'Obstacle

La Marquise.

Vraiment ■?

HORNUS.

Sans doute ce sorbet pris à la hâte.... La Marquise.

Alors nous allons partir ensemble comme nous sommes venus?

Le Conseiller.

Impossible! La Marquise.

Pourquoi? Le Conseiller.

Des motifs on ne peut plus sérieux. La Marquise, après un silence.

Qu'est-ce qui se passe, voyons? Le Conseiller.

Je suis ici pour vous le dire, madame.

La ALvrquise, surprenant son regard à Ho mu s.

Oh ! vous pouvez parler. Monsieur est de la famille.

L'Obstacle (y^

Le Conseiller.

\'oici!... je viens d'apprendre une chose qui, si elle est vraie, meUrait à néant des projjts chers à nos deux maisons....

La Marquise, à demi-voix, se soulcnant à peine.

Ah! nous y sommes.... IIoRNUS, à part.

Cofllneau, parbleu! Le Conseiller.

En ma qualité de parent, de tuicur, je dois me livrer à une enquête, et d'ici couper court à tout rapport entre nous.

IIoRXUS, qui s est rapproche.

Je crois savoir ce dont il s'ag'it, mon- sieur, et l'enquête en ce cas nous pouvons la faire tout de suite; la mère est là, le précepteur aussi, nous sommes tout prêts à vous répondre, et nos affirmations vaudront peut-être des racontagres de domestiques.... C'est de la maladie du marquis d'Alein que vous voulez parler, je pense?

64 L'Obstacle

Le Conseiller.

Justement, monsieur. Le fait est-il vrai?

HORNUS.

Malheureusement oui. Le Conseiller.

Alors, sa démence, sa séquestration pendant des années....

IIORXUS.

Tout cela est vrai. Le Conseiller.

Pourquoi ne nous en a-t-on pas pré- venus?

PiORNUS.

Parce que ce mal n'avait rien d'hérédi- taire, qu'il fut tout accidentel, et que lors- qu'il s'est manifesté l'enfant avait déjà deux ans.

La .Marquise.

Ceci est la vérité absolue, je le jure. (.1 lin regard tf Hormis qui semble Vinter- roger.) Continuez, mon ami.

L'Obstacle (.5

HORNIS

C'est pendant une expédition au Séné- iral, dans sa dernière campag-ne de mer, que le commandant dWlein fut frappé d'une insolation suivie dj nitning-ite et plus tard de maladie mentale....

La T^Iarquise.

Dites aussi que. jusqu'alors, personne dans la famille....

IIORXUS.

Ni allié, ni ascendant, n'avait été atteint de cet affreux mal. Didier était né, je vous le répète, Mme la marquise me le confia pour l'élever et le tenir à l'abri même du spectacle de la maladie.... le père mort, la mère a repris son fils....

Le ]\Lvrquise.

Qui n"a jamais eu la moindre atteinte, la moindre menace.... C'est pourquoi je ne vous ai rien dit....

Le Conseiller.

Je ne mets pas en doute votre bonne foi, madame.

6.

66 L'Obstacle

HoRNus, entre ses dents.

Fort heureux !

Le Conseiller.

Mais ces questions d'hérédité sont si délicates.... Il y a toute une science nou- velle, indéniable, des lois dont il serait imprudent de ne pas tenir compte.

IIoRNLS, violemment.

Jolie, la science nouvelle, et rassurante surtout; une façon de compliquer, de sinistrer la vie. qui déjà n'était pas si com- mode, ni si p-aie.... On vient nous parler d'une enquête. Mais si elle se faisait dans toutes les familles, cette enquête, avec ce que nous traînons de tares physiques et morales, qui de nous pourrait y résister: Je vois bien ce qu'on nous reproche, mais ce que vous nous apportez, vous, est-ce que je le sais, le savcz-A'ous vous-même? Croyez- moi, monsieur le Conseiller, il faut en jouer discrètement de ces lois d'hérédité, elles condamnent trop d'innocents et servent d'excuse à trop de vilenies.

L'Obslacle 67

Le Conseiller.

Nos manières de voir diiïorent, mon- sieur, et pour le cas présent, j'ai des res- ponsabilités auxquelles je ne saurais me soustraire. .Mlle de Rémondy n'a pas d'autre parent, d'autre défenseur que moi ; je verrai, je m'éclairerai....

IIoRxus, virement.

Je me demande vous pourrez le faire mieux qu'ici >

La 3.1arquise, à Hormis.

Laissez, mon ami. je comprends les scrupules de .AL de Castillan, et ses recher- ches n'ont rien qui m'effraye. .ALais je pense à Didier.... que lui dire? quel prétexte lui donner?...

Le Conseiller.

Le prétexte? .ALais toujours le même, que ma sœur est souffrante: et nous aurons un motif tout trouve pour prolong-er la séparation autant qu'il sera nécessaire.

L'Obstacle

La Marquise, arec prière.

Oh ! que ce ne soit pas trop long ! HoRxus, à mi-voix, ton de blague.

Ça dure, les enquêtes.... Le Conseiller, //'o/ic/z/c/z/.

Je n"y ai aucun intcrct, monsieur.... La Marquise, au Conseiller.

Et vous comptez partir.. .r Le Conseiller.

Tout de suite, madame.... Le temps de fermer les malles....

La -Marquise.

Pourquoi tant de hâtc> Le Conseiller.

Pour couper court à une situation \-«^ nible et fausse.... Supposons un instant l'enquête défavorable.... Songez au tort que s'est déjà fait la pauvre enfant....

HoRNus, ironique.

Du tort, croyez-vous> Mlle ^Ladeleine est un si beau parti....

UObstacle 69

La Marquise, viveiiicul, comme pour cm- pJdicr l'effet de i imper linence d'IIornus.

Au moins me pcrmcttrcz-vous de la voir, de l'embrasser encore une lbis...r

Le Conseiller.

Je vous en prie, madame, n'insistez pas. Ma sœur doit avoir déjà bien assez de mal à la décider. Ce serait l'émouvoir inuti- lement.

La ^Lvrquise.

Comme vous voudrez, monsieur. Je vous demande seulement et c'est une mère qui vous prie que si, par malheur, une rupture a lieu, le vrai motif n'en soit jamais donné à mon lils. Il ne sait pas.... je veux qu"il ignore toujours.

Le Conseiller.

Je m'y eng-aye pour moi et pour les miens.... Tous mes hommages, madame, et ayez bon espoir.

La .M.vrquise.

Merci !

{Le Conseiller s'incline respecliicuscmcnt

70 L'Obstacle

devant la Marquise, adresse un salut très Jroid à Hornus et sort.)

HoRNCs, entre ses dents.

Tartuffe!

(RidcTi.)

ACTE II

Le domaine de Colombicrcs, chez les dWleiii, aux portes de Montpellier. Salon de campagnj en rotonde, au rcz-de-chaussèe; porte au fond, très haute, ouvrant sur le parc par un large perron à plusieurs marches. Tentures claires, meubles Louis XVL Porte à gauche. Croisées à droite et à gauche. Piano. Bibliothèques.

/s}

Jj

SCENE PREMIERE DIDIER. IIORNUS.

Didier, ouvrant une fenêtre dont il fait claquer les persiennes.

Ici, ce sera chez nous, tout à fait chez nous.... chez les jeunes, comme dit maman. (// va à une autre fenêtre.)

HORNUS.

Mais tu n'as pas besoin de tout ouvrir.

76 L'ObsLu-lc

Didier, ouvrant l.t fenêtre et lespersiennes.

Si, si, je veux te montrer, il faut que tu voies... .c'est pourcelaqueje fai amené de Nice.... Quand tu penseras à nous, à tes en- fants, c'est bien le moins que tu connaisses le cadre, l'installation de leur bonheur. (De- bout devant la fenêtre, écoutant.) Tiens, la voiture qui rentre: maman va nous appor- ter des nouvelles.

IlORNUS.

Encore souffrante, la cousine Estelle:-

Didier.

Oui.... Je n'ai pas de chance avec cette famille-l:i; quand on va publier nos bans, toujours quelqu'un tombe malade. C'a été d'abord la femme du Conseiller, maintenant la cousine Estelle.... L'ennui, c'est que Ma- deleine ne la quitte pas d'une minute ; voilà trois jours que je ne l'ai pas vue, depuis leur départ de là-bas.... Enfin je me console en préparant notre petit ménage. Regarde le beau piano que je lui ai fait venir de Paris, toutes les partitions nouvelles.... ma

L'Obstacle 77

table bien en face... C'est si bon, la mu- sique en travaillant....

HORNUS.

Je vois le travail d'ici. Didier.

.Moqueur! En tout cas, nous ne man- querons pas de livres. (Montrant les deux bibliothèques.) Les miens de ce côté, par ici les siens, reliés, choisis, ceux qu'on ne lui a pas laissé lire et que je me réserve de lui faire connaître.... Je te promets qu'il y en a. C'est bien simple, elle n'a rien lu.... Vois-tu les bonnes heures que nous allons passer, quelle joie d'initier ce jeune esprit aux grandes et belles choses..., ma femme et mon enfant tout ensemble. J'en suis à bénir ces pauvres gens qui m'ont tout laissé à lui apprendre. Je serai un peu pour elle ce que tu as été pour moi, un maître soig'ueux et doux.

HoRNUs, railleur pour ne pas paraître ému.

Dis donc, tu ne vas pas lui apprendre le latin?

^M. Ir

^'

m^f

i

L'Obstacle

Didier.

Avec ça que tu ne me l'as pas fait ai- mer, toi, le latin. Te rappelles-tu ce coin de Provence nous lisions les Géorgiqiics près d'un rucher, dans les lauriers-roses.... Les abeilles d or du poète bourdonnaient autour de nous, à croire qu'elles sortaient du livre.... C'était si beau, c'était si vrai, j'ai crié : « Je comprends! » et je t'ai sauté au cou....

IlORNUS.

Toi, tu n'auras pas besoin des Gcùrgi- qiies pour que ton élève te saute au cou....

Didier.

Tu ris. ... tu ris toujours quand on parle d'aimer. C'est pourtant une grande chose, l'amour, mon vieil Hornus.

IIORNUS.

Oui, peut-être..., je ne sais pas. Didier.

^'raiment^ tu ne sais pas..., et cepen- dant, comme tu m'avais ouvert la poésie, la passion, c'est toi qui me l'as révélée.... C'est

f

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Mfc^t

L'Obstacle

79

pour t'avoir entendu dire le sonnet d'Ar- vers. Oh! il y a longtemps de cela; tu sais, ce beau sonnet....

Hormis.

Oui, oui.... Didier.

Tu y mettais un accent, une flamme.... j'avais quinze ans ce soir-là... j'en ai eu vingt tout de suite.... Ne rien savoir de l'amour et vous le faire si bien comprendre, c'est sur- prenant tout de même.... Il est vrai que ces vers sont si émouvants.

(DécL-imcint .) Ma vie a son secret, mon âme a son mystère...

IIoRNus, récitant après lui et s'animant.

Un amour éternel, en un seul jour conçu. Le mal est sans espoir, aussi j"ai le taire, Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

(// s'interrompt en voyant entrer la Mar- quise par le fond.)

Didier, sans voir sa mère.

Continue donc.

78 L'Obstacle

Didier.

Avec ça que tu ne me Tas pas fait ai- mer, toi. le latin. Te rappelles-tu ce coin de Provence nous lisions les Géorgiques près d'un rucher, dans les lauriers-roses.... Les abeilles dor du poète bourdonnaient autour de nous, à croire qu'elles sortaient du livre.... C'était si beau, c'était si vrai, j'ai crié : « Je comprends! » et je fai sauté au cou....

IlORXUS.

Toi. tu n'auras pas besoin des Géorgi- ques pour que ton élève te saute au cou....

Didier.

Tu ris.... tu ris toujours quand on parle d'aimer. C'est pourtant une grande chose, l'amour, mon vieil Hornus.

HORNLS.

Oui, peut-être.... je ne sais pas. Didier.

Vraiment: tu ne sais pas.... et cepen- dant, comme tu m'avais ouvert la poésie, la passion, c'est toi qui me l'as révélée.... C'est

L'Obstacle 79

pour t'avoir entendu dire le sonnet d'Ar- vers. Oh! il y a longtemps de cela; tu sais, ce beau sonnet....

HORNI'S.

Oui, oui.... Didier.

Tu y mettais un accent, une flamme.... J'avais quinze ans ce soir-là... j'en ai eu vingt tout de suite.... Ne rien savoir de l'amour et vous le faire si bien comprendre, c'est sur- prenant tout de même.... Il est vrai que ces vers sont si émouvants.

(DécLinhint.) Ma vie a son secret, mon âme a son mystère...

HoRNUs, récitant après lui et s'ani niant.

Un amour éternel, en un seul jour conçu. Le mal est sans espoir, aussi j'ai le taire, Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

(// s'interrompt en voyant entrer la Mar- quise par le fond.)

Didier, sans voir sa mère.

Continue donc.

Ho

L'Obstacle

HoRNUs, troublé.

Non, non, une autre fois.

Didier, se retournant et apercevant sa mère.

Ah! voilà maman.

SCÈNE II Les Mêmes, LA MARQUISE.

Didier, à sa mère.

Tu viens de là-bas?

L'Obstacle Va

La .Marquise, gênée.

Oui. {Reg.ird triste à Ilorniis.) Didier.

Ile bien, notre chère Estelle? La Marquise, froidement.

Elle va mieu.x. Didier.

Enfin!... j'ai cru qu'elle allait mourir, celle-là aussi, pour nous retarder encore. {Riajit.) C'est d'un égoïsme épouvantable, ce que je dis là.

HoRNus, souriant.

Mais si naturel ! Didier, à la marquise.

Tu vois, j'étais en train de lui montrer notre futur chez nous. (Surprenant le geste navre de sa mère, et la câlinant.) Ne sois donc pas jalouse, tu en auras ta part de ce bonheur qui te fait envie..., tu entreras ici qu:\nd tu voudras, comme tu voudras.... D'a- bord, je te connais, on aurait beau t'inter- dire l'entrée, il n'y a ni portes ni fenêtres

82

L'Obstacle

pour t'empécher d'arriver jusqu'à ton gar- çon. (.1 Hormis.) Tu sais ce qu'elle m'a fait pendant ma campagne de Tunisie.... Nous étions en expédition dans le sud. .. Le pays perdu... un soleil... des fièvres.... Un matin, je sortais de ma tente ; mon ordonnance me crie : « Mon lieutenant, une dame pour vous. » Je me retourne : « Tiens! maman l » Elle était venue tout droit, toute seule, et aussi tranquille....

La Marquise.

Pourquoi pasr puisque tu y étais. Didier, Fembrassant.

Ah! chérie.

\

L'OHtciclc

m

SCÈNE III Les -Mêmes, Un Domestique.

Le Domestique.

Le tapissier est pour la pose du baldaquin.

Didier.

Dans la chambre de madame? Bien, j'y vais. (Un pas vers la gauche.)

La .'\L\rquise, à mi-voix.

La chambre de madame.... Pauvre en- fant !

84

L'Obstadc

Le Domestique, à Didier.

Et puis le o-arde-chasse qui voudrait parler à monsieur le marquis.

Didier, revenant.

Sautecœur? Faites-le venir. {LeJomes- ti.^ ne sort.)

SCENE IV

DIDIER, LA MARQUISE, II0RXU3, puis Le Cjarde-ciiasse.

IIoRxus, :i Didier.

Est-ce que c'cstton fameux Sautcccju"!'-

L'Obstacle 85

L.\ .Marqiise.

Ce braconnier dont il a iiiit un garde- chasse.

Didier.

Lui-même.

IIORNUS.

Et comment s'en tirc-t-il. de ses nou- velles fonctions >

Didier.

A men'eille. La AL\rquise.

Oui, mais dans le pays, quelles cla- meurs !

Didier.

Bah! ma réputation d"orig-inal était déjà faite.

La Marquise.

Peut-être même un peu trop. Didier.

N'aie pas peur, maman. Une fois ma- rié, tu verras quel homme raisonnable.

8

86 L'Obstacle

Sautecœur, dcJwrs sur le ferron.

-Monsieur Didier, je suis là. Didier.

Mais entre donc, mon vieux.... Qu'est- ce qu'il y a>

Sautecœur, se découvrant.

Messieurs, madame, la compagne! Avant d'emmener les chiens, je voulais sa- voir si monsieur le marquis était toujours décidé.

Didier.

Décidé?... mais je crois bien! Hornus.

Comment! tu renvoies tes chiens r... Didier.

Oui, Madeleine en a peur, une peur nerveuse.... Je lui fais ce petit sacrifice, et je suis content de le lui faire.

La Marquise.

Attends un peu.

L'Obstacle 87

Didier, virement.

Attendre > Pourquoi? La Marquise, gênée.

Tant qu'elle n"est pas là.... Didier.

Elle y sera bientôt.

HORNIS.

Mais c'est une vraie privation.... Toi sans tes chiens!

Didier.

Oh! pas pour longtemps. D'abord je les aurai pendant la chasse, puis nous irons les voir chez le garde; elle s'habituera.

Sautecœur.

Peut-être bien qu'eux ne s'habitueront pas à se passer de vous, monsieur Didier. Il y a surtout Miraclette.... Elle a du senti- ment, allez, cette bête-là! Je ne sais pas comment nous allons la tenir. Enfin, puisque c'est la consig-ne....

Didier.

Ah! dame! il faut s'y faire à la consigne,

88 L'Obslacle

maintenant que tu représentes la loi.... Est- ce qu'il te semble pénible, ton métier de g-arder

S.VUTECŒUR.

Ce n'est pas qu'il me soit pénible.... Seulement ça me chang-e un peu.

lioRXL'S.

Je comprends : ça doit le changer, puisque c'est tout le contraire.

Didier.

Voyons, tu dois être content... le cou- vert toujours mis, une bonne soupe; tu dors la conscience tranquille ...

Sautecœur, regard de complaisance à son costume battant neuf.

C'est vrai qu"on est mieux tenu.... Tout de même ça me semble drôle quand il faut mettre la main sur un... sur un délin- quant.

Didier.

Pas de faiblesse, dis donc!

L'Obs'.adc \V)

HORNUS.

Pas trop de scvéritc non plus. La .Marqi se

Il ne faut pas qu'il lui arrive niallieui"! Sautecœur.

Ah! madame... Ça braconne, mais ça n'est pas méchant. S'ils étaient méchants... j'aimerais mieux, parce qu'alors on irait de sa colère, et chacun pour sa peau. Non! je vas vous dire, monsieur le marquis, ce qui me gêne, c'est que je connais trop les trucs de ce pauvre monde-là. Ça n'est pas juste.... Non, je sens bien que ça n'est pas juste.

Didier.

Pourquoi? Sâutecœltr.

Parce que les g-ardes... les gendarmes... faut pas que ce soit trop malin.... Ils ont déjà la loi pour eux.... Si les chiens se mêlent d'avoir autant de nez que les lièvres... ah^rs, il n'y a plus de bon Dieu, vous comprenez....

90 L'Obstacle

Didier.

Ça ne fait rien; coiirag'C, mon brave, pense à ta femme, pense à tes enfants; il faut faire souche nouvelle, souche de braves gens.

Sautecœur.

J'essayerai, monsieur le marquis, mais nom de nom! j'aurais cru que c'était plus facile. . . . Messieurs, madame, la compagne. . . . {Il sort.)

Didier.

Va, mon bonhomme! {A Hormis, en re- gardant Sautecœur descendre le perron.) 11 n'a pas mauvaise tournure.

IlORNUS.

Ma foi, pour un voleur habillé en gen- darme....

Didier, gaiement.

N'est-ce pas que c'est à s'y tromper?... Maintenant, voyons ce tapissier. Je reviens, mère. (// sort par la gauche.)

L'Obstacle

91

SCENE V

LA MARQUISE, HORNUS. {Un grand temps.)

HoRNUS.

bien? La Marquise.

Fini!

HORNUS.

Je l'avais compris rien qu'en vous voyant.... Alors c'est non?

92 U Obstacle

I La Marquise.

i

Absolu..., définitif....

HORNUS.

Et toujours le même prétexter... l'hé- ritage paternel?

La Marquise.

Oui! Pour lui, le père était malade avant de partir ; et la fièvre prise au Sénégal ....

HORNUS.

N'a été que l'occasion, la détermi- nante... Oui, je m'y attendais.... Et vous avez répondu?

La Marquise.

Que pouvais je répondre, mon ami? Puisque cette pensée-là jel'ai eue, moi aussi . . . qu'elle m'a fait trembler si longtemps pour Didier, et qu'aujourd'hui encore, dans cet horrible doute, je ne voudrais pour rien au monde que mon fils soupçonnât la vérité.

HoRNUS.

C'est égal! Il Ta menée rondement, son enquête, AL le Conseiller..., trois jours!

\

L'Obsiaclc 9!

La Marquise.

\'oiis ne le croyez pas sincère?

HORXLS.

Oh! non. La Marquise.

Ce sont de braves gens cependant.

HORNUS.

Elle, je ne dis pas: cette grosse chatte innocente et gourmande..., mais l'autre, le Conseiller son frère....

La Marquise.

Ainsi, vous pensez?

IIORNUS.

Je pense que du jour sa femme est morte, M. de Castillan n'a plus songé qu"à rompre le mariage de Didier et à garder pour lui cette jolie fille et sa belle dot.

La Marquise.

Hornus!

HORNUS

C'était écrit sur sa fiorure en lettres

94 - L'Obstacle

comme ça!... Ce qui m"ctoniic, c'est Made- leine; elle ne dit rien, elle ne proteste pas?

La Marquise.

Mais non....

HORNUS.

Ici, je ne comprends plus.... Connaît- elle le motif de la rupture?

La Marquise.

Certainement ! C'est avec cela qu'on l'a terrifiée : l'effroyable perspective d'une exis- tence semblable à la mienne, la folie du mari en menace sur les enfants.... Et puis, je vous le répète, ?iLadeleine est la vraie jeune fille, élevée selon la loi mondaine.... Que voulez-vous qu'elle fasse? elle peut pleurer, pas trop fort, et protester, bien platonique- ment, puisqu'elle n'est pas majeure.

IlORXUS.

Pourtant elle l'aime..., un amour tran- quille, je veux bien; parce que jusqu'à pré- sent, le chemin était uni comme un miroir. Mais je comptais sur l'obstacle, le divin ob- stacle qui fait le dJsir, qui fait la passion....

L'Obstacle 95

Avec un £;-arçon comme le iK'ilre. que diable! et ce qu'il y a dans les yeux de cette petile- là, j'espérais un départ, une révolte.... le coup de la banquette pour les chevaux de sang"! IIop!

La M.\rquise.

bien! non, rien. Je n'ai pas même pu la voir.

HORNUS.

Alors, qu'allez-vous faire? Apprendre à Didier....

La Marquise.

Moi.oh!jamais....Jenepourraispas.... .Mon pauvre enfant! Qu'un coup pareil lui vienne de sa mère! Je les ai prévenus : « Faites votre commission vous-mêmes ».

HORNUS.

Ils vont la faire) La Marquise.

La sœur, pas lui. IIoRNus, entre ses dents.

Ah! tant mieux. (Haut.) Et quand cela>

o6

L'Obstacle

La Marquise.

Tout de suite.... J"ai amené Mlle de Castillan dans ma voiture.

HORNUS.

Et est-elle? La Marquise.

Je l'ai laissée à la laiterie, en train de se bourrer de crème.... pas plus émue.... Tenez, la voilà.... Elle ne se doute vraiment pas de ce qu'elle vient faire.

L'Ohlr.clc

07

SCENE VI

Les Mêmes, ESTELLE, entrant par le perron.

Estelle, épanouie, s'essuyant les lèvres.

Dites-moi pourquoi, bonne madame, les personnes un peu fortes adorent le lai- tage) J'adore le laitage. {Apercevant Hor- mis.) Ah! monsieur le professeur....

9

98 UObslack

IIoRNUS, S inclinant.

?iiadcmoisellc. (// remonte.)

Estelle, reg.TrJ.ant tout autour.

Et Didier? La Marquise.

Il est là, il vient.

Estelle, s'asseyant sur le canapé.

Ah ! il fait bon ici ! Très coquet, ce petit salon. J'y suis déjà venue avec Madeleine. .. Elle le regrettera plus d'une fois en y son- geant. Enfin, on se fait une raison.

La Marquise, à II or nus.

Vous sortez, mon cher IIornus>

HORNUS.

Oh! je ne suis pas loin. La Marquise, frémissante.

Je vous en prie, mon Dieu ! {Il sort par le fond.)

I

L'Obstacle

99

SCENE VII

LA MARQUISE, ESTELLE, puis DI- DIER.

Estelle.

Il est fort bien, ce monsieur; d'une discrétion, d'une réserve!... \'oyons, j'ai tous mes petits objets..., l'écrin..., les lettres. (Elle les pose soigneusement sur un meuble à côté d'elle.) Inutile de vous dire, chère amie .... pas un mot de ce que vous craignez . . . .

Loo L'Obstacle

La Marquise, avec angoisse, les yeux sur la porte de gauche.

Oui..., oui....

Didier, entrant par la porte de gauche, avec un cri de stupeur.

Ah! cousine Estelle..., vous voiIà>... Vous êtes donc tout à fait sur pied>

Estelle.

Mais oui, vous voyez. Didier, à sa mère.

Comment ne m'as-tu pas dit?... (A Es telle.) -"Madeleine est avec vous?

Estelle, nuance d'e}jibarras.

Non, non. elle n"est pas venue..., vous comprenez..., la pauvre petite....

Didier.

Ah! mon Dieu!... que lui est-il arrivé? Estelle.

Rien, rien..., seulement, pour ce que nous avions à nous dire....

Didier.

A nous dire?

L'Obstacle loi

Estelle, gaiement.

Oui! J'ai une communication très sé- rieuse à vous foire, mon cher Didier.

Didier.

Quoi donc>

ESTELLE.

Mon Dieu ! c'est assez embarrassant à expliquer, d'autant qu'on ne vous a pas pré- venu, à ce que je vois... (cherchant le regard de la Marquise qui se détourne) quoique au fond, cependant, rien de plus naturel.

Didier.

Que de préambules ! qu'y a-t-il r Voyons, cousine

Estelle.

Mon ami, les jeunes filles ont des ca- prices, vous le savez.

Didier .

Des caprices >... Estelle.

Ça va, ça vient, comme un écureuil dans sa cage. On n'est jamais sûr de rien

9-

102 L'Obstacle

avec elles.... Depuis quelque temps, je voyais

la nôtre inquiète, agitée.... Comme je lui ai

dit : « Ne te rends pas malheureuse.... Si tu

crains de ne pas faire son bonheur..., c'est

un garçon de sens..., il comprendra tout de

suite. »

Didier, nerveux.

Mais c'est qu'au contraire, je ne com- prends pas du tout, mais du tout.

Estelle.

Allons, mon ami, remettez-vous; vous tremblez comme la feuille de l'arbre....

La M.vrquise, à Estelle d'une voix pro- fonde.

Ah! je vous en prie, finissons-en. Didier, s'ex.iltJiit.

Finir' quoir... voyons... quoi? La Marql'i?e.

Didier, mon enfant, la jeune fille que tu aimes, celle que tu as choisie, te dégage de ta parole.

L'Obstacle io3

Didier, avec un cri.

Allons donc ! Qui a dit cela? Est-ce que c'est possible)... Me dégage de ma parole!... Mais moi, j'ai la sienne et je ne la lui rends pas.

Estelle.

Pourtant vous êtes un homme d'hon- neur, monsieur le marquis, et c'est la seule façon d'agir dans cette circonstance.

Didier, éclatant.

Bon sang- de Dieu 1 Qu'est-ce qui m'ar- rive là?

Estelle.

^ Mais ce qui est arrivé à tant d'autres, qui ne se sont pas bouleversés comme vous faites.

Didier, à vii-voi.x.

Oh ! c'est affreux.... Je rêve, je rêve ! {A sa mère brusquement.) Tu savais ça, toi?

La Marquise.

Oui....

104 L' Obstacle

Didier.

Et tu ne m"as rien ditr... Ah! c"c:t mal....

La Marquise.

Je ne voulais pas croire... J'espérais toujours.

Didier.

Alors, ce départ de Nice, cette soi- disant maladie..., tout cela était convenu entre vous?

La xMarquise.

.Mon enfant I.., Didier.

Non, vraiment, je ne te comprends pas.... Il fallait me prévenir. Je me serais expliqué, défendu. [Se tournant vers Estelle. ) Car enfin, mademoiselle, que me reproche- t-onrDe quelle basse calomnie suis-je vic- time?

Estelle, innocemment.

-ALiis pas du tout. Il n'y a pas l'ombre de calomnie. Eh! que voulez-vous qu'on re-

L'Obstacle io5

proche à un brave g-arçon, un parfait "-entil- hommc comme vous, mon cher Didier?... Dans la noblesse de .Montpellier, ce n'est qu'un cri : « Il est charmant! » Cro3-ez-moi, mon ami, vous prenez au trag-ique un de ces malentendus comme il en arrive tous les jours!... Pensez un peu; pour les futurs mariés, les fiançailles sont un apprentis- sag-e. On se surveille, on se guette, et na- turellement, si les goûts, les caractères ne s'accordent pas.... Il vaut mieux avant qu'après, hé? Didier.

C'est horrible ! horrible ! Estelle.

En définitive, qu'y a-t-ii eu entre vous?... Des paroles, quelques lettres.... Vous lui rendrez les siennes. {Prenant les objets à côté d'elle.) Yo'ûix les vôtres..., sa bague... (croyant qu'il ne comprend pas) la petite bague que vous lui avez donnée....

Didier, navré, presque avec une voix d'enfant.

Oh! elle me rend ma bague!

io6 L'Obstacle

Estelle, tenant toujours l'écrin et se tournant vers la Marquise.

Je ne sais pas comment cela se passe à Paris, mais chez nous ces sortes d'objets ne s'achètent qu'à condition. Tous nos bi- joutiers les reprennent, ils y sont habitués. {A Didier, triomphante. ) Ainsi, vous voyez!

Didier, à sa mère, à demi-voix.

Ah! écoute, emmène-la; je crois que je vais la tuer!

Estelle, effarée.

Qu'est-ce qu'il dit) Didier, éclatant.

Je dis que c'est une infamie, un men- song-e abominable, et que je ne crois pas un mot de tout ce que vous me racontez.

Estelle, suffoquée.

Par exemple! Est-ce que vous nous croiriez capables, moi, le Conseiller mon tYèrc....

DlDIEP.

Parbleu! \'ous, pauvre inconsciente...

L' Obstacle 107

La -MAKonsi:.

Prends g'arde. Didier.

On vous envoie parce qu'on n'a pas osj venir.

La Marquise.

Mon enfant, je t'en prie! Didier.

Ali! laisse-moi.... (Montrant Estelle.) Cette lâcheté de me mettre en face d'une femme! Il savait bien, lui, que je ne lui per- mettrais pas de finir; que dès le premier mot, je lui aurais fendu la figure en quatre. {Il fait siffler sa badine qiCil a prise sur le piano. A Estelle.) Allez-vous-en, tenez, allez-vous-en, je ne sais pas j'en arrive- rais....

La Marquise.

Didier!

Estelle, gagnant la porte.

Miséricorde!

io8 L'OtsLicle

Didier, jetant sa canne et n'élançant vers

Estelle.

Non, non, Estelle, mon amie, ne partez pas, ne me quittez pas ainsi. (// la ramène.) Voyons, vous êtes une bonne créature que j'aime, que je respecte, pardonnez-moi! J'ai parlé dans la colère. . . . on ne sait plus ce qu'on dit, ce qu"on fait.... il ne faut pas m"en vou- loir..., tout cela est si terrible, si imprévu..., song-ez donc, j "étais tout près de mon bon- heur, je m"en croyais sûr! et puis.... et puis....

{L'émotion Vétouffe, la Marquise se dé- tourne et pleure.)

Estelle, gagnée par l'émotion, essuyant ses yeu.x.

iAlais, mon pauvre enfant, vous me re- tournez avec vos larmes. Vous allez me faire pleurer, moi aussi. iNloi qui aime tant voir les gens heureux, tous bien ensemble. Vous comprenez, je ne serais pas venue, si j: m'étais doutée.... Non, la main sur la con- science, je ne croyais pas vous faire tant de peine.

L'Obstacle ioi>

Didier, bondissant.

De la peine! On m'emporte mon es- poir, ma joie, mon cœur, mon sang-, ma vie..., tout ce que j'ai, ce qui est à moi, à moi, rien qu'à moi, on me le vole, on me l'arrache, et on appelle ça me faire de la peine.

(// rit nerveusement .)

Estelle.

Quelle exaltation, mon Dieu! Didier. ljpren.int violemment par le bras.

.Alais, malheureuse femme, regardez donc autour de vous. Cette maison, c'est la sienne, c'est la nôtre..., ces meubles sont pour elle, nous les avons choisis ensemble. . . , tout est prêt, tout l'attend.... son piano..., ses livres.... et maintenant vous m'apprenez qu'elle ne veut plus, qu'elle ne viendra pas... . Mais ce n'est pas possible. Oh! dites-moi que ça n'est pas, que ça ne peut pas être... ma mère ! . . . Madeleine !

(// se jette sur le divan oii il étouffe ses cris, ses sanç!;lots dars les coussins.)

no

VObslsuic

Estelle, bas, éponrautcc.

Mais c'est un acccs. un VL-ritableaccls '. (La silhouclle S Hormis se dresse an fon.i sur le perron . )

La Marquise, poussant doucement Estelle vers la porte.

Allez, alLv..., laissez-lc.... Estelle.

Ah! mon Dieu!... et quand je pense que notre pauvre Madeleine!... {Elle s'en va les bras au ciel, en causant avec Hornus.)

L'Oht.nle

SCENE VIII LA .MARQUISi:, DIDIER.

{Didier sanglote sur le divan. -S'j mère s'est rapprochée et le regarde, très tendre. L'n temps. Puis il se redresse, reste assis, passant sa main sur ses yeux comme sHl sortait d'un lourd sommeil.)

Didier, regardant autour de lui.

- Elle est partie? La Marquise.

Oui.... Je n"ai pas osé la retenir, t'.i ctJ-is tellement hors de toi....

112 U Obstacle

Didier.

Bien, bien: cela est mieux ainsi.... Nous n'aurions pas pu parler devant elle... (// se lève, marche de long en large, enfin s'arrête devant sa mère.) Voyons, le motif? le vrai motif de ce refus, tu le connais, n'est-ce pasr tu vas me l'apprendre >

La .Marquise.

Mais, mon pauvre enfant, je ne crois pas qu'il y ait autre chose que ce qu'on t'a dit..., un caprice de jeune fille. C'est si obscur, si fermé, ces petits êtres.

Didier, d'un geste plutôt que des lèvres.

Non.

La .Marquise.

Ou encore le scrupule d"un cœur hon- nête qui ne s'est pas senti à l'unisson avec le tien; peut-être qu'elle a craint de ne pas t'aimer assez.

Didier.

Alors pourquoi voulait-elle de moi? Pourquoi m'a-t-elle dit qu'elle m'aimait: pourquoi me la-t-elle écrit --J'ai ses lettres,

L'Obstacle II. 3

son portrait. (// ouvre son portefeuille et en lire les objets, nerveusement, à mesure.) Tiens, regarde; et au bas du portrait, ce qu'elle a sig-né de sa main ... Lis... lis tout haut, que je l'entende....

La .Marquise, lisant.

« A Didier, pour l.i vie. i- Didier.

Elle m'aurait donc menti r [Il lui arrache le portrait.) Avec ces yeux-là, si francs, si droits, cette bouche jeune et bonne.... Des yeux de mensonge, car Allons donc ! {Baisers frénétiques au, portrait.) Tu connais Made- leine comme moi, ma mère; tu la sais inca pable d'un caprice aussi lâche, aussi cruel. Donc, pas de caprice avec elle, mais plutôt quelque triste mystère de famille qu'on m'a toujours caché, et que je saurai bien cclaircir.

La y\.\KQ\:iSY., feignant la surprise.

Un m.y stère r Didier.

Sais-tu, là, tout à l'heure, au milieu de mon désespoir.... cette pensée m'est

114 L'Obst.ick

venue qui a séché mes pleurs et m"a mis debout tout de suite....

L.\ Marquise, tremblanlc.

Quoi donc? Didier.

C"est qu'il y avait peut-être, sur le nom que je porte, une tare, un déshonneur....

La Marquise.

Oh! mon enfant, que vas-tu supposer là?

Didier.

Mais je suppose tout et tu ne dois pas m'en vouloir. Comprends donc qu'en dehors de la blessure faite à mon cœur, il y a pour toi, comme pour moi, dans cette rupture, une atteinte à l'honneur du nom, de la famille; il fautbien que je cherche. Au risque de nous affliger, de nous meurtrir! (La rapprochant de lui, et de très près, tout bas.) Dis-moi- dis....

La ^L\RQUISE.

Que veux-tu que je te dise?

L'Obstacle 1 1 5

Didier.

Ce que lu sais.... \'a! si cruelle que soit la confidence, après ce que je viens de subir, je peux tout entendre.

La Marquise.

Je t'assure.... Didier.

Pour Famour de ton fils, réponds-moi, je te supplie de me répondre....

La AL\rquise, à voix l\isse.

Parle..., je repondrai. Didier.

-Mon père, ce pauvre être que je n'ai jamais fait qu'entrevoir de loin en loin, couché, anéanti....

La Marqu'ISE.

lié bien> Didier.

Avant que la maladie le terrassât, est-ce qu'il n'aurait pas eu dans sa vie une faiblesse.... une....

ii6 UObsLule

La Marquise, ne le laissant pas finir.

Tais-toi, Didier! Ton père a été le plus loyal soldat, le plus noble et le plus fier des hommes..., rien dans son existence contre le devoir, contre l'honneur. Ça, je te le jure; je te le jure.

Didier.

Ah! quel bien tu me fais! (Il s'écarte d'un pas en s'cssurant le front.)

La Marquise, à part.

Il ne m"a rien demandé, à moi.... Pas même effleurée d'un soupçon.... Ah ! le noble enfant !

Didier, revenant vers sa mère.

Ainsi, c'est un outrage sans raison qu'on nous fait.

La ^L\rquise, iimi.icment.

Un outrag-e> Didier.

Et le plus sanglant! Tu ne trouves pas?

L'Obstacle 117

La Marquise.

Non.

Didier, bondissant.

Comment? La ALvrquise.

C'est-à-dire... je ne crois pas qu'on ait eu rintention de foutrag-er.

Didier.

Qu'est-ce qu'il te faut, alors?... Ah! tiens, les mères, vous êtes toutes les mêmes.... Ainsi, toi, mes cris ont pu t'émou- voir tout à riicurc, tu as pleuré de me voir pleurer. Mais au fond, je suis sûr que tu es contente.... Oui, oui, tu es contente.... Je ne m'en vais pas, tu me gardes!

La AL\rquise.

Méchant. Didier.

Eh bien! g-ardc-moi, mais tu ne m'empê- cheras pas d'accomplir mon devoir. {Il prend son chapeau et sa canne.)

L'Obstacle

La -Marquise.

Didier, vas-tu > que vas-tu faircr

DlDlER.

Xaie pas peur, rien que de très simple et de très sensé; il y a un tuteur, un res- ponsable. C"est avec lui que je vais m"expli- quer.

SCENE IX

Les Mêmes, HORXUS. qui est entré sur les derniers nwls.

IIoRNUs, à Didier.

Il t'enverra coucher, le responsable; et, à sa place, je n'hésiterais pas.

L'Obstacle 119

Didier, couranl à lui.

Ahl Ilornus. c"cst toi.... Tu sais ce qui marrive, tu sais ce qu"ils me font

IIORNLS.

Oui; et je sais aussi que tu vas faire une sottise.

Didier.

Vraiment?

HORNLS.

Ta prétends demander raison à ce monsieur.... Remarque qu"il ne m'est pas sympathique, le justiciard.... .Mais en défi- nitive, tu ne peux pas lui couper les oreilles parce que sa pupille ne t'aime pas.

Didier.

Ce n'est pas vrai, elle m'aime. Je te dis qu'elle m'aime. {A sa mère.) Tu le sais. tu l'as vu. Elle me l'a écrit, juré.... Car ne vous y trompez pas, c'est une passionnée, sous cet air de réserve, celle qui paraphe son portrait d'une déclaration aussi brû- lante. ..

120 UObstacl-:

IIoRxrs, r interrompant.

Alors, c'est qu'elle t'aimait et qu'elle ne t'aime plus.

Didier.

Mais, pourquoi r

HORXUS

Pauvre petit! tu en es làr... Tu de- mandes pourquoi au cœur de la femme....

Didier, avec un cri de larmes.

-Mais moi, je n'ai rien fait.

IIORNUS.

C'est le secret de cette enfant.... Il n'y a qu'elle qui pourrait te répondre, et encore.

Didier.

bien ! nous allons voir ce qu'elle me répondra.... {Effroi de la Marquise, Hormis la rassure d'un geste. Didier em- brassant sa mère sur le front.) Au revoir, mère.

IIorxus, le retenant par le bras.

Dis donc, petit, prends garde.... Quand on a reçu un congé aussi brutal que le tien,

L'Obstacle 121

s'en aller geindre, réclamer, demander pour- quoi Ion ne vous aime plus, ce n'est pas une démarche bien digne... (mouvement de Didier) ni le vrai moyen de se faire aimer.

Didier.

Je te répète, Hornus, ce que j'ai dit à ma mère. .Madeleine n'est pour rien dans tout ceci. Je la sens victime comme moi, prise au même pièg-e... et. tu viens d'en convenir, c'est par elle seule que je puis découvrir la vérité.

La Marquise.

Tu ne la verras pas, mon pauvre enfant, on ne te la laissera pas voir.

Didier.

Par exemple ! .Mais je défoncerai les portes, je mettrai le feu à la maison. Il faudra bien qu'elle sorte, que je la voie!

HORXUS.

En effet, le feu à la maison... ce serait un moyen.... Seulement elle n'est pas chez elle.

122 L'Obstacle

Didier.

Qui te Ta dit >

IIORXUS.

Mlle Estelle, tout à riicurc. en la rac- compagnant.

Didier.

Ils Tont fait partirr

IIORXUS.

Non! Mais pour éviter tes poursuites, elle s'est réfugiée chez les Dames-Bleues, dans son ancien couvent.

Didier.

Est-ce vrai? La Marquise.

Tu vois donc bien que c'est elle qui ne veut plus d^ ce mariage....

KORNUS.

A son âge. au temps nous vivons, une jeune fille ne se laisse pas enfermer de force.

L'Ohtacle i :3

Didier, accable.

Oh! que c'est cruel.... S'enfermer contre moi. contre mon amour.... Qu'elle ait lait cela, elle!... elle!... (// se lotisse tomber sur le divan.)

L.\ -Marquise.

Xe te désole pas, mon chéri.... Ce n'était pas la femme qu'il te fallait, tu le vois bien.... Nous t'en trouverons une autre plus dig-ne de toi.

Didier, d'une voi.x profonde.

C'est celle-là que j'aime, ma mère. C'est celle-là que je voulais.... D'ailleurs [sourire navré), si tu m'en trouvais une autre, comme tu dis. es-tu bien sûre que je ne serais pas reçu par le même affront >

La .Marquise.

Pourquoi r quelle idéer

Didier.

Ah! mes amis, mes amis, que je suis malheureux !

124 L' Obstacle

HORNUS,

Enfin, tu ne vas pas te casser la tête parce qu'une petite fille n'aura pas voulu de toi. Voyons, tu n'es pas seul; tu as ton vieil Hornus, tu as ta mère..., et veux-tu que je t3 dise? Nous ne sommes vraiment aimés que par nos mères. Ça a l'air d'une romance ce que je te dis là, et pourtant c'est Texpé- rience de toute une existence d'homme que je te livre. Il n'y a que la mère qui nous aime. Ah ! pourquoi meurent-elles avant nous !

Didier.

Ne parle pas de lamour, Ilornus; tu ne le connais pas, et tu t'en vantes.

Hornus, gêné.

C'est vrai, je ne le connais pas. Mais que diable ! il n'y a pas que l'amour au monde. Il y a la fierté, la dig-nité. Allons, Didier, il taut en finir avec cette histoire. On t'a rendu ta bag-ue, tes lettres; renvoie- lui les siennes, rends -lui son portrait et qu'il n'en soit plus question.

UObstacle I25

Didier, bondissant.

Son portrait ! Jamais de la vie.

(// le ranuisse sur le meuble arec les lettres.)

IIORNUS.

Que comptcs-tu en fairc>

Didier.

Je ne sais pas. On verra bien.

L.\ Marquise.

."Mon fils. Hop NUS.

Nous n'avons rien à craindre, madame, Didier est un honnête homme.

Didier.

Laisse-moi donc tranquille, à toujours me parler de dig-nité, d'honnêteté. Je ne suis pas un philosophe, comme Ilornus, ni un ang-e comme toi, ma mère. Je suis un pauvre passionné qu'on trompe, qu'on vole, et qui ne cherche qu'à se venger. {Regardant le portrait.) « A Didier pour la vie. » C'est écrit, de sa main. bien ! si elle veut le

126 L'Obst.icle

ravoir, son portrait, j'y mets une condition : c'est que je ne le rendrai qu'à elle, et lors- que je l'aurai entendue, de sa bouche, me dire bien en face : «t Je ne vous aime plus, je reprends ma parole, je ne vous aime plus! »

La -Marquise.

-Mais ce n'est pas possible, mon ami. HoRxus, vivement.

Pardon, madame, ce qu'il demande me semble juste, et je crois pouvoir l'obte- nir. (.4 Didier.) C'est une entrevue avec ^ladeleine que tu veux, n'est-ce pas>

Didier.

Oui, mais rien que nous deux, nous deux seuls.

HORNLS.

Bien ! Et si, après votre explication, elle te déclare qu'elle ne t'aime plus....

Didier.

Si ce qu'elle a sig-né elle-même, elle le rétracte elle-même, alors je lui rends tout ce

L'Obstacle 127

que j'ai d'elle, son portrait, ses serments, et je la laisse libre de sa volonté.

HORNUS.

Sur l'honneur. Didier ! Didier.

Sur riionneur. Hornus !

{RiJcvi.)

ACTE III

h

LE COUVENT DES DAMES-BLEUES

Cnc cour avec galerie de cloître ancien. Un p.irtcrre de t'oses. Des b.mcs. C'est Vaprès-midi d'un l-eau jour de mai. Dans le fond, à demi cachée par les roses, une novice s'active à faire un bouquet. Silence recueilli oii ne s'entend que le cliquetis des grands ciseaux.

SCENE PREMIERE

DIDIER, HORNUS, La Sœur tourière, venant tous les trois par la droite. An fond, NOLLIE, en tenue de novice,

cueillant des roses.

La Sœur tourière, à Didier et Hormis.

Si ces messieurs veulent attendre ici un moment, je vais prévenir notre mère.

{Elle remonte par la gauche sous la ga- lerie.) 12

1-M

L'CbsLuIc

SCENE II

HORNUS, DIDIER. NOËLIE d.vis le fond.

HORXUS.

Eh bien nous y voilà... tu es content? Didier, bas.

Ilornus, j'ai peur.

HORNL'S.

Laisse donc. c"est ici comme à Li

L'Obstacle 1.35

bataille. Tu connais ça... toujours un petit frisson pour commencer, et après le premier coup de feu.. .

Didier.

Tu crois quon me permettra de la voir?

IIORNLS.

C'est convenu avec la Supérieure. Didier.

Elle a peut-être changé d'avis ?

IIORNl'S.

Non. Je te répète que c'est une femme très droite et très sûre, sa parole vaut la parole d"un brave homme.

Didier.

Et .Madeleine est-elle prévenue r

HORNLS.

Pas encore. Didier.

Ah ! mon Dieu, si elle allait ne pas vouloir?

i36 L'Obstacle

HORXUS.

Ne tïnquiète donc pas. La Supérieure s'est chargée de tout; seulement tu sais ce que tu m'as promis. Je me suis engagé pour toi.

Didier.

Ne crains rien.

HORNUS.

Pas de scène comme avec la cousine.-., sois calme.

Didier, sûr de lui.

Oli! ça....

HORNUS.

C'est que je te connai?, mon Diable..., une fois sorti de ta boîte....

Didier.

Non! non! Je réponds de moi. HoRXUS, i-egni\i.vit le cloître

Est-ce joli toutes ces roses dans ces vieilles pierres..., et quel recueillement! quelle douceur!

L'Cbsl.-clc

iJ-

-- Oji, c'ct ici qu'elle a pTandi, qu'on la clcvéc à tromper, à mentir. [Le poing Icvj, en menace.) Ah ! maison maudite.... jj voudrais qu'il ne restât pas de toi une pierre debout.

IIORXUS.

Eh bien ! merci, si c'est comme cela que tu commences.

La Tourière, apparaissant sous la ga- Icrie à gauche.

.Madame la Supérieure prie ces mes- sieurs d'entrer chez elle un instant.

{Hormis et Didier suivent la Sœur par la sralerie de sauche.

i38 L'Obstacle

SCENE III

XOËLIE puis .MADELEINE.

XOÈLIE.

Là!... je crois que j'en aurai assez pour fleurir le maître-autel.

{Elle s'assi'e.i à côté de ses fleurs sur un banc.)

.M.\DELEiNE, debout derrière elle, un livre sous le bras et sans la reconnaître.

Voulez-vous que je vous aide à faire vos bouquets, ma sœur }

L'OhLiclc i.v)

NOËLIE.

Bien volontiers, mademoiselle. .Madeleine, tress.iilLiiil.

Ah! mon Dieu, cette voix. ^Xoclic se retour ne.) Est-ce possible?

NoELiE, très c.ilme, sourire triste.

lîonjour, .Madeleine.... Je savais que vous étiez ici pour c^uclquc temps; la Su- périeure me l'avait dit, seulement j'étais en retraite, voilà pourquoi nous ne nous sommes pas rencontrées.

Madeleine.

Mais moi, je ne me doutais pas.... Quelle surprise !... Personne ne m'avait dit.. .

Noëlie.

Personne ne pouvait vous parler de Noëlie, ici on ne sait pas ce que c'est.... Cette pauvre Noëlie. vous vous la rappelez?. . . Bien enfant, bien frivole, mais pas méchante ! oh! ça, non.... pas méchante...- Eh bien, c'est fini, il n'y a plus de Noëlie.... Pour tout le monde je suis la « postulante » en atten- dant de m'appeler sœur .Marie-Thérèse.

140 L'Obstacle

Madeleine.

Ma pauvre amie!... mais que s'est-il donc passé? moi qui vous croyais si heu- reuse.

Noi^LiE.

Je suis très heureuse, Madeleine. Par exemple, depuis vous, j'en ai eu, de mauvais jours, je l'ai bue jusqu'cà la lie toute la mi- sère humaine : lâchetés, trahisons, men- songes.... Si vous saviez..., si je pouvais vous dire..., mais mon malheur est trop laid, je ne peux pas en parler, même à une amie comme vous.... Ah! l'horreur.... Enfin laissons cela. Maintenant Dieu m'a prise... je suis bien.... Faisons mes bouquets, voulez-vous?

Madeleine, assise à côté d'elle et travail- lant.

Moi aussi, j'ai eu de la peine.

NOËLIE.

Vous ne vous êtes pas mariée non plus? Madeleine.

Non, au dernier moment, cela n'a pas pu se faire.

LZb;lL:cle in

NOËLIE.

Est-ce sing-ulier, cette analooie de nos deux existences. (Daissjnl la voix.) Comme les hommes sont menteurs, dites, comme ils sont lâches!... Il vous a laissJe?.,. Jl n'a plus voulu, le vôtre aussi?

M.VDELEINE.

Oh! non... moi, ce n'est pas cela..., mon tuteur s"est opposé..., c'est moi-même qui n'ai pas voulu.

NûËLIE.

Vraiment!... Pauvre monsieur Didier, qu'il a soulFrir!... Mais comment avcz- vous pu, vous qui êtes si bonne?...

Madeleine.

Ce n'est pas ma faute, allez!... un obs- tacle, un obstacle insurmontable..., le père de Didier était fou..., on nous l'avait toujours caché..., et fou dans des conditions telles que le fils infailliblenient.. .

NOÈLIE.

Ah ! le malheureux.

143 V Obstacle

.Madeleine.

Cela m'a causé un profond chag-rin.

XOËLIE.

Et alors, comme vous l'aviez souvent dit, vous êtes venue vous réfugier dans votre ancien couvent....

Madeleine.

M"al:riter, me recueillir quelques jours. Tous mes souvenirs sont ici, je revis toute mon enfance.... J'aime surtout ce petit cloître. L'après-midi, pendant la classe de chant, je viens m'asseoir sur ce banc avec un livre.... Elle n'est pas commencée encore?

NOËLIE.

La classe de chant :•... Non, pas encore, je ne serais pas là..., c'est moi qui la fais.... On m'a mise à ça et à la chapelle.

-Madeleine.

Oh ! je vous dois de bonnes heures.... La fraîcheur de ces voix de fillettes me berce, m'apaise. C'est un repos béni.... Il me semble que je n'ai plus de peine. [Un si-

L'ObsLuic 143

Icncc. Les deux jeunes filles conlinuenl à faire leurs l'(>u.]uels.]

XoELiE, roix profonde.

Oh! l;i paix du cloître, il n'y a pas d'autre asile..., a'autre refiig-c contre la vie, la triste, la cruelle vie. Certes, j'ai été bien frappée, bien meurtrie.... bien! tout à l'heure, en coupant mes roses, je songeais comme tout cela est loin et vague.... De ma dou- leur je n'ai plus qu'un engourdissement.

iM.\DELEIXE.

^'ous ne regrettez rien du monde? NoËLiE, vivement.

Rien. Madeleine.

\'ous êtes complètement heureuse? N0ËLIE.

Complètement, non. Je ne suis encore que postulante. Mon bonheur ne sera com- plet que lorsque j'aurai prononcé mes vœux.

M.\DELEIXE.

Ce sera, quand?

'•-:4

L'OlK^Udc

Oh! quand notre mère voudra. Elle dit que je suis trop jeune, qu'il faut attendre,.., encore attendre ! {A\-cc passion.) Oh ! le jour de ma prise de voile, ce jour-là, oui, je serai tout à fait heureuse.

Madeleine.

~ Je voudrais avoir le courage de faire comme vous.

L'Obstacle

140

SCÈNE IV

Les .Mêmes, ESTELLE, LE CON- SEILLER.

Estelle, 5e retournant comme pour par- ler à quelqu'un.

Je la vois, merci. {S' approchant du banc oh travaillent les deux jeunes filles.) ALidi- leine!... adieu, ma toute belle.

.^L-VDELEiî^E, se levant, ires surprise.

Tiens, vous voilà? (Elles s'embrassent. ) Le Conseiller.

Bc-njour, petite cousine.

146 U Obstacle

Madeleine, un peu effrayée.

Vous aussi? Qu'y a-t-il donc? qu'est-ce qui se passe?

Le Conseiller.

J'allais vous le demander. Estelle.

Nous avons reçu une convocation de la Supérieure.

Madeleine.

Je ne saispas, elle ne m'a rien dit.... Je vais toujours la prévenir.

Le Conseiller.

On y est allé, cousine. Madeleine.

Alors, asseyez-vous un moment. Estelle, épanouie.

Ahl qu'il fait bon ici..., c'est frais..., ça embaume.

Madeleine, à demi-voix., à cause de la novice qui ramasse ses bouquets.

Et de là-bas, rien de nouveau? Per- sonne n'est venu?

L'Obstacle 147-

Estelle.

Non, personne.

M.\DELEINE.

Pas de lettre non plus> Estelle

Non. Madeleine.

Ah! tant mieux. Estelle.

Hier, en allant à Taudience chercher le Conseiller mon frère, j'ai croisé h landau de la Marquise..., nous avons échangé un salut un peu froid... mais très correct.

Le Conseiller.

Je crois maintenant que c'est une af- faire jug-ée.

Estelle.

11 ne faut plus penser à tout cela, chère mignonne.

Madeleine.

Ah ! je voudrais bien ; mais c'est comme

148

L'Obstacle

une pierre que j'ai sur le cœur..., Tidce que ce pauvre garçon se désole à cause de moi....

Estelle, émue.

C'est vrai qu'il ms faisait peine, chez lui, l'autre jour....

Le Conseiller, entre ses dciils, furieux.

Qu'est-ce qu'elle va lui dire> Estelle, qui le guette, se reprenant vile.

Seulement Parisien, vous savez, et si volaye, oubliant si vite.

Le Conseiller, à la novice qui s'en va emportant ses bouquets.

Je vous en prie, ma sœur, ne vous en allez pas... si c'est notre présence....

Noëlie.

Non, non, mes bouquets sont finis, je les porte à la chapelle. {Elle disparait par le

fond.)

%ij

^i^*'.*

L'Obstacle

149

**^

SCENE V

Les xMèmes moins NOËLIE.

Estelle, bas à son frère.

Tu i'as reconnue? Le Conseiller.

; •— ^laderaoiselle Mérès.

lALVDELEîXE.

Oui.... ^'ous savez pourquoi elle est entrée aux Dames-Bleues?

i3.

i5o L' Obstacle

Estelle.

Un coup de tête..., mariag-e rompu..., une histoire un peu comme la vôtre, avec cette différence que c'est le fiancé qui n'a plus voulu.

.M.\DELEINE.

Mais la raison de cette rupture, la con- naît-on}

Estelle, roulant des yeux de mystère.

Une aventure scandaleuse arrivée à la mère autrefois..., toute la ville s'en était occupée..., et alors vous comprenez....

Madeleine.

Cependant elle n'y était pour rien, elle. Estelle.

Dieu! non, la pauvre petite. Le Conseiller.

Mais allez donc épouser la fille d'une mère pareille I

Madeleine.

Et vous trouvez ça juste, vous, que

L'Ol\st.uic

loi

les enfants soient responsables des finîtes de leurs parents?

Estelle.

ElTectivcmcnt..., il y a quelque chose....

Le Conseiller, interrompant.

Juste ou non, c'est la loi et il faut la subir. Elle l'a si bien compris, la pailvre fille, qu'elle est venue s'enfermer ici, plu- tôt que de s'exposer à de nouveaux refus, de nouvelles humiliations.

Madeleine.

Ah! vous aurez beau dire, mon tuteur; on éprouve devant cela un sentiment de pitié, de révolte.

J32

L'Obst.icle

1

-'/Sc^l,

SCÈNE VI

Les Mêmes, La Supérieure, TIORNUS arrivctnl par l:i galerie de gauche.

La Supérieure.

Monsieur le Conseiller, je suis votre servante.

Estelle, se levant.

Ahl voilà ma mère. (Mouvement de stupeur à la vue d'IIornus. qui sal: e froide- ment.)

L'Ohl.ide i53

La Supérieure, à Estelle.

Restez, je vous en prie, mademoi- selle. IMontranl le fond.) Nos petites fau- vettes de la classe de chant n'ont pas encore commencé leur ramage, nous serons bien ici pour causer.... \o\xs connaissez monsieur Ilornus, je n'ai pas besoin de vous le pré- senter. (.1 Madeleine.) Toi, ma petite liUe, laisse-nous un moment, mais ne t'éloigiie pas trop, nous aurons besoin de toi.... Oh! ce n"est pas la peine de t'émouvoir. Tu sais que nous t'aimons tous, que tous nous te voulons heureuse.... (L'embrassant an front.) Va, mon enfant, va; Je t'appellerai. {Madeleine s'éloigne par la droite.)

f54

L'Obstacle

SCENE Vil Les .Mêmes moins .MADELEINE. La Supérielre, à Honnis.

^Mettez-vous là. mon cher Ilornus, (Hornus s'incline, elle-même s'assied) et venons au fait tout de suite.... (S'adressavt au Conseiller et à sa sœur.) M. le marquis d'Alein, quoi que vous ayez pu lui dire, de- meure convaincu qu'on fait parler et a^'ir Madeleine contre sa volonté [mimique indi- gnée d'Estel e); il désire avoir avec elle....

HORXUS.

Elle seule.

L' Obstacle ir>r>

La Supérieure.

Un entretien définitif elle lui signi- fiera ses sentiments. A cette condition, il se résigne, accepte la rupture et rend les gages d'affection qu'on lui a confiés. Est-ce bien cela, monsieur Hornus?

HORNUS.

Parfaitement. La Supérieure.

Il m'a semblé que c'était le moyen de sortir d'une situation délicate, pénible pour tous. ALais avant d'en parler à Madeleine, j'ai voulu avoir votre avis.

Le Conseiller.

Permettez-moi de vous dire d'abord, madame la Supérieure, combien je regrette de vous voir mêlée à ces tristes débats de famille.

La Supérieure.

Et pourquoi, monsieur de Castillane Remarquez que j'en suis un peu, de vos deux familles : très ancienne amie de 'M. Hornus. qui représente ici le marquis

i56 L'Obstacle

d"Alein, j"ai eu prcs de moi pendant dix ans Mlle de Rémondy. Je Tai élevée, lui ai tenu vraiment lieu de mère..., il me semble que ma place est toute naturelle dans cet arbi- trage familial. Le Conseiller.

Si j'ai regretté de vous y voir, madame, c'est que, malgré toute ma déférence, je suis obligé d'opposer un refus formel à ce que vous nous demandez. Cette entrevue n"est pas possible.

La Supérieure.

Et la raison? Le Conseiller.

L'accueil fait à ma sœur l'autre jour. Estelle.

Vous ne vous imag:inez pas, ma mère.... Une violence.... un délire I... Voyons, mon- sieur Hornus. vous étiez là; et ma démarche n'avait rien que de naturel, en somme I

Ho:^Nus, ironique, se tournant vers la Su- périeure.

Oh! très naturel: on venait surprendre

1

L" Obstacle 157

ce pauvre g'arçon en plein bonheur, lui an- noncer brusquement une rupture dont on ne lui donnait même pas le motif.

Li: Conseiller.

\'ous nous aviez priés de le taire, le motif.

HORNLS.

Vous savez bien que vous n'en aviez pas.

Le Conseiller.

Pourtant, le fait est incontestable. Le père de y\. le marquis d'Alein a été fou, un fou dang-ereux, isolé pendant plus de quinze ans.

HORNUS.

Dès le premier jour, monsieur, nous avons épuisé cette discussion. Oui, la mala- die a existé, mais sans hérédité possible, puisque l'enfant....

Le Conseiller, V interrompant.

Hé, monsieur, l'enfant est aussi désé- quilibré que le père.... Si nous prenions tous les actes de sa vie....

i58 U Obstacle

HORNUS.

Je vous défie bien de trouver dans Ui vie de Didier autre cliose que de la bonté, de la vaillance.

Le Conseiller.

Voyons, voilà un fils de veuve, un fils unique, qui, pendant son année de service obligatoire et sans le moindre g-oût pour le métier de soldat, part en Tunisie comme volontaire.

Estelle.

Si cela n'est pas de la fêlure! Le Conseiller.

Il fait la campag'ne, on le nomme offi- cier; immédiatement il démissionne.

HORNL'S.

Puisqu'il n'aimait pas le métier.... Le Conseiller.

Pourquoi est-il parti?

HORNUS.

On manquait d'entrain dans son régi- ment. Didier portait un beau nom. il a voulu

L'Obstacle 159;

donner Icxcmplc. A'ous pouvez appeler cela démence, nous disions héroïsme autrefois.

Estelle.

Entin, monsieur, depuis deux ans que le marquis d'Alcin habite notre pays, ses excentricités \ sont fameuses. Je ne sais si vous connaissez l'histoire de son g-arde- chasse.

HORNUS.

Sautecœur> oui, je la connais. Le Conseiller, à Li Supérieure.

Fig-urez-vous, ma mire, une famille de bandits, vermine de prison, braconniers et pillards de père en fils.... Eh bien, c'est un de ces Sautecœur que le marquis vient de prendre pour g-arder ses bois. Est-ce de l'héroïsme cela, monsieur?

HORNLS.

Ce n'est pas de la folie non plus... es- sayer de rompre une hérédité de misère et de honte! Utopie si vous voulez; et encore, je n'en suis pas sur.

i6o L'Obstacle

Le Conseiller.

Je. ne parle pas des duels, des paris extravag-ants.

Estelle.

A Nice, cette mascarade sous le balcon de sa fiancée..., cet hôtel pris d'assaut de- vant la foule.

Le Conseiller.

Un frénétique, un casse-cou, je vous dis.

HORNUS.

Non, monsieur le Conseiller..., un jeune homme!... ce qui devient très rare au- jourd'hui.

Le Conseiller.

Attendez-le un peu, votre jeune homme, vous m'en donnerez des nouvelles.

Estelle.

Je vous assure, monsieur Hornus, que l'autre jour à Colombières j'ai eu un fou eu face de moi, un fou à faire peur.

L'Obstacle i6i

IIoRNis, souriant.

-Mais c"cst lamour, cela, ma pauvre demoiselle, l'enrag-emcnt d'un cœur pas- sionné à qui l'on vient d'cnleverce qu"il aime.

Estelle.

bien, si c'est cela l'amour, c'est effrayant.... Mais je ne veux pas le croire. (Elle se tourne vers la Supérieure.)

La Supérieure, décroisant ses mains avec un bon sourire.

Ce n'est pas moi qui vous rensei- gnerai.

HoRxus, gaiement.

Le fait est que nous formons ici un sing-ulier tribunal pour juger ces questions de mariage et d'amour. {A la Supérieure.) Vous qui n'êtes qu'à Dieu, ma mère..., moi, un vieux garçon, très vieux.... Mlle de Cas- tillan qui me paraît tout ignorer de l'exis- tence.

Estelle, indignée.

.Mais le Conseiller mon frère a été fiancé, lui, marié.

14-

i62 L'Obstacle

HoRxus. bas.

Et même veuf. Estelle.

Je ne lai jamais vu dans un état pareil. Houx us

En effet, on ne s'imagine pas .Al. le Conseiller....

Le Conseiller.

Le mariage est pour moi un cng'age- ment sérieux qui ne comporte pas d'exalta- tion romanesque. Du reste, il ne s'agit plus de mariag-e ici. La décision de .Mlle de Ré- mondy est absolue à ce sujet; nous ne nous occupons que du plus ou moins d'oppor- tunité d'une entrevue....

HoRNus, vivement.

Qu'il est de toute justice de nous ac- corder.

Le Conseiller.

Ce n'est pas mon sentiment.

HoRNUS.

Alors, vous donnez raison à toutes nos

L'Obstacle

i63

niclîances, puisque vous craig-nez de mettre en présence nos jeunes g-ens.

Le Conseiller.

Nous sommes au-dessus de vos mé- fiances.

Estelle, majestueuse.

A cinq cents pieds au-dessus. La Supérieure.

En tout cas, on pourrait toujours con- sulter .Madeleine.

Le Conseiller, avec liàsitjtion, les lèvres serrées.

- -Madeleine n'est pas majeure et ne sau- rait agir sans l'assentiment de son tuteur; mais enfin, comme il vous plaira, madame la Supérieure.

La Supérieure, appelant.

.Madeleine ! Madeleine !

164

LObstacle

SCENE VIII

Les Mêmes, MADELEINE app.ir:tiss.iiit pcir la galerie à droite.

La Supérieure.

Viens ici. ma fille, et parle-nous bien à cœur ouvert.

.Madeleine.

Oh! mon Dieu..., que veut-on encore de moi?

HORNUS.

- Une chose bien simple, mademoiselle... Didier demande à vOus revoir.

L' Obstacle i65

JMadkleine, effrayée.

Oh! non....

HORNUS.

Pas longtemps.... Juste assez pour vous entendre dire que vous ne l'aimez plus.

Madeleine.

Non, pas cela..., je vous en prie..., jamais..., je ne pourrais pas.

riORNUS.

Enfin, puisque vous ne voulez plus de lui, le pauvre enfant, puisque vous lui re- prenez votre amour....

Madeleine.

Mais je n'ai pas dit..., ou du moins, c'est bien malgré moi; j'ai été assez malheu- reuse de ce qui arrive....

HORNUS.

Rien ne s'est fait sans votre consente- ment.

Madeleine.

C'est vrai.

i66 L'Obstacle

HORNUS.

Eh! bien, donnez-lui-en l'assurance, il ne demande que cela.

Madeleine.

C'est au-dessus de mes forces.

HORNUS.

Pourtant, mademoiselle, il faut avoir le courage de ses actes. Qu'avez-vous à craindre d'un bon et loyal g-arçon, qui vous respecte et qui vous aime de tout son cœur?

Madeleine.

Je ne peux pas lui dire la cause de mon refus, il faudrait mentir. (.1 la Supérieure.) Non, non, ma mère ; je vous en prie, je vous en prie 1

La Supérieure.

Malheureusement, ce jeune homme a ton portrait, tes lettres, et c'est à toi seule qu'il veut les rendre.

Madeleine.

bien, mais qu'il les g'arde. Je ne lui réclame rien; trop heureuse si ce sou-

L'Obstacle 16?

venir pouvait le consoler du mal bien invo- lontaire que je lui cause.

HoRNLS, à par!.

Tiens! tiens!... mais bravo. EsTELLi:, avec élan.

En ciïct. nous n'y pensions pas, per- sonne, voilà qui arrangerait tout.

Le Conseiller, nerveux.

Sans doute... qui arrang-erait tout..., mais un jour peut venir notre cousine serait gênée de savoir ce portrait, avec la dédicace qui l'accompagne, aux mains de son ancien lîancé.

Madeleine.

Pourquoi? L.\ Supérieure.

On suppose le cas, mon enfant. d"un nouveau parti se présentant pour toi.

HoRNUs, regard au Conseiller.

Peut-être est-il déjà en route, ce nou- veau parti . ... et c'est j ustement ce que Didier ne veut pas admettre.

i68 L'Obstacle

Le Conseiller.

Comment ccla>

HORXLS.

Tant que Mlle de Rémondy ne lui aura pas exprimé sa volonté, il la considère comme eng-agée avec lui et ne laissera per- sonne toucher à son bien, je vous en ré- ponds.

Le Conseiller.

Quelle folie !

HORNUS.

La folie de l'amour, vieille comme le monde.... De celle-là, oui, le pauvre enfant est frappé, à fond et cruellement.

Le Conseiller.

Donc, si je comprends bien, voilà une jeune fille qui ne pourra plus se marier sous

peine d'un éclat, d'un scandale....

^Lvdeleine.

Il n'y aura pas de scandale, mon tu- teur. Dès ce moment, ma résolution est prise. Je ne me marierai jamais.

L'Obstacle 169

L.v SUPÉRIEURE; gaiement.

En voiUi, du nouveau ! Madeleine.

Je suis rentrée dans ce couvent, et je suis décidée à n'en plus sortir.

Estelle, virement.

x\h! mais non, par exemple! HoRNUS, à part.

Elle est sincère au moins celle-là. La Supérieure, à Estelle.

Rassurez-vous, mademoiselle, les vo- cations chez nous ne se décident pas aussi vite. [A Madeleine.) Tu comprends bien, ma chère petite, que je ne peux pas, pour le moment, prendre ta parole au sérieux. Nous

aurions trop l'air de nous tourner vers le bon Dieu pour nous sortir d'embarras. Seule- ment, il est temps d'en finir.... Voyons, il est bien convenu, n'est-ce pas, que tu ne veux plus ce mariag-er

Madeleine, nerveuse.

Non, ma mère, ce n'est pas ainsi qu'il

i5

170 L'Obstacle

faut dire. 11 me semble bien, au contraire, que cette union me convenait, que nous aurions pu être heureux ensemble; mais on m'a dit, on m'a fait comprendre que ce n'était pas possible, on m"a montre un avenir si sombre, si elTroyablc....

HoRNUs. violemment .

On vous a trompée, je vous le jure.... Oh ! chère petite Madeleine, dire que vous avez eu ce bonheur, que Dieu vous a fait cette o-râce de trouver ce qui est si rare au- jourd'hui, ce que vous ne rencontrerez plus jamais peut-être, l'amour dans le mariage, et le vrai, le grand amour, jeune, charmant, passionné, fidèle..., ce rêve de l'honnête femme, vous le teniez et vous le laissez fuir!

La Supérieure, souriant.

Ah! mon Dieu, mon cher Hornus. mais jene vous reconnais plus.... Tant de flamme, de véhémence!...

Estelle.

Quelques prédicateurs de ce genre, les couvents seraient vite déserts.

L'Ohsl.u'lc 171

Le Conseiller, à Madeleine.

-~ Des phrases, mon enfant, rien que des phrases; et au bout de tout cela l'existence de la marquise d'Alein, quinze ans de mar- tyre et de larmes dans l'épouvante et la so- litude.

La Supérieure.

Le fait est que c'est bien terrible aussi. {Serrant Madeleine contre elle.) Chère fille!

Le Conseiller.

Mais son tuteur était là. madame, et si mon affection n'avait pas suffi à l'éclairer, J'étais bien décidé à employer contre ce mariag-e toute l'autorité que me donne la loi encore pour quelque temps.

La Supérieure.

Alors, mon enfant, tu r'as plus qu'une chose à faire.... Accorde à ce malheureux, car il est vraiment à plaindre....

HORNUS.

Ohl oui. bien à plaindre.

172 L'Obstacle

La Supérieure.

Accorde-lui les cinq minutes qu'il te demande, aie ce courage, et vous n'enten- drez plus jamais parler de lui.

Le Conseiller.

En y songeant, ma foi. c'est encore ce qu'il y aurait de plus simple.

HoRNUS, railleur.

^'oyez, M. le Conseiller lui-même est de cet avis, maintenant.

iM.vDELEixE, après lui silence.

Je recevrai ce jeune homme quand vous voudrez, ma mère.

La Supérieure.

Mais tout de suite. ÎMadeleixe, surprise.

Comment > La Supérieure

Il est là... chez moi..., il attend. -Madeleine.

Soit, je suis prête!

L'Obslacle

173

La Supérieure.

(Elle sonne deux coups à la cloche pendue sous l'un des arceaux, puis s'ad ressaut à Hormis et aux autres.) Nous allons entrer à côtL-, dans le parloir, si vous voulez bien. {A la iSœur tourière qui est venue à l'appel de la cloche.) Dites à la personne qui est chez moi de se rendre ici, dans le cloître.

Estelle, bas, au Conseiller.

Je trouve ma mère bien imprudente... Voyez-vous qu'il lui vienne un de ses accès!

HoRxrs. comiquement, pour leffrayer.

Le terrible, c'est que ça se gagne.. . (Geste d'épouvante de la vieille fille.) Oui, mademoiselle..., même à distance!... (Us sortent.)

'74

L'Obstacle

■m

j f

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A.

SCENE IX

Madeleine, seule.

Tout de suite comme cela.... Qu'est- ce que je vais lui dire, mon Dieu!

{Les élèves de la classe de chant défilent en S'iençe, deux par deux, sous les arceaux du fond, menées par Noëlie.)

UObstaclc 173

SCÈNE X .MADELEINE, DIDIER.

Madeleine, regardant venir Didier qui entre par la gauche.

Qu'il est pâle! comme il a chang-é!... En si peu de jours!... (7/ s'est arrête devant clle^ _ Un silence. puis timidement.) Bonjour, Didier.

Didier, s inclinant.

Mademoiselle, je..., pardonnez-moi.... Je... je ne peux pas.... {Il s arrête haletant, la <rorge serrée, la bouche, les maiva toutes

176 U Obstacle

tremblantes.) Enfin, c'est affreux!... Avoir attendu ce rendez-vous avec tant d'ang-oisse ! et puis maintenant que j"v suis, que je vous ai là..., ridée que mon bonheur, ma vie, dépendent de ces quelques minutes, que jamais plus.... Voilà que les mots me man- quent, quand il me les faudrait si beaux, si éloquents.... Oh! mais ce n'est qu'un mo- ment, je vais pouvoir.... Attendez, restez.... je vais pouvoir!...

.Madeleine.

Je vous en prie, calmez-vous, apaisez- vous. {Elle le fait asseoii- sur le banc el reste debout près de lui.) Aussi, pourquoi venir, pourquoi chercher à vous torturer

encore >

Didier.

Pourquoi je suis venur... je ne sais plus. Je vous vois, je vous entends.... Ah! que je suis bien.

Madeleine, troublée.

Didier.

L'Obstacle 177

Didier, la tête levée vers elle.

Mon amie. -Madeleine, se reculant.

Ne m'appelez plus votre amie! Je vous ai fait trop de mal. Gardez ce nom pour une autre.

Didier.

C'est vrai, j'ai bien souffert.... Pensez, notre petit chez -nous, -bas, qui vous attendait.... la maison toute prête, parée pour vous recevoir, et puis on me dit : « Elle ne vient pas, elle ne viendra jamais. » Et j'ai vécu tout seul là-dedans.... Oh! oui, on m'a fait beaucoup de mal. Mais ce n'est pas vous. Je suis sûr que ce n'est pas vous.

.Madeleine, vivement.

Si, Didier! c'est moi, moi seule. Je veux que vous n'accusiez que moi.

Didier.

Vrair... bien vrair... C'est vous?... Alors, c'est que j'ai commis quelque faute que j'ignore, car enfin, vous êtes juste, vous êtes bonne, et pour me punir aussi

178 L'Obst:icle

sévèrement, il faut que je vous aie paru bien coupable.... .Mais de quoi> Depuis quinze jours je cherche, je me demande.... \'oyons, dites-moi. aidez-moi, que je puisse me dé- fendre.... Quand on condamne un h()nime à mort, c'est bien le moins qu'on lui dise ce qu'il a fait.

.M.\DELEIXE.

\'ous ne m'avez rien fait. Je n'ai rien à vous reprocher, je vous jure.

Didier.

Et pourtant, vous ne voulez plus de moi.... J'avais votre amour. oh! ne dites pas non. j'avais votre amour et je l'ai perdu! \'ous vous étiez donnée « pour la vie ». vous vous êtes reprise.... et cela sans raison? Est-ce que c'est possible?

^Udeleixe.

Quelque chose en dehors de vous..., de moi.... une fatalité de la vie qui nous sépare!

Didier.

Quelle fatalité?... Xows en aimez un

L'Obstacle 179

autre? Avouez -le -moi donc... Je préfère tout à cette horrible incertitude... Made- leine, vous aimez quelqu'un? Qui est-ce? Votre cousin, n'est-ce pas?

iM.\DELEiNF.. stupéfaite.

M. de Castillan? Jamais.... Quelle idée 1 Didier.

C'est qu'il vous épouserait bien, lui:... et avant que son deuil finisse.

M.\DELLiNE, hésitante.

Lui, croyez-vous? Didier.

Vous ne vous en êtes pas aperçue? C'est assez visible pourtant.

Madeleine.

Oh! non..., non! de sa part, ce serait trop mal.

Didier.

Trop mal, pourquoi?... Ah! Je devine, je devine.... Il y a loniii^-temps que j'aurais m"en douter. C'est de que vient la calom- nie; c'est cet homme qui m'a chassé de

L Obstacle

votre cœur. Et qu'il Tait fait uniquement pour se mettre à ma place, voilà ce qui vous indigne, vous, généreuse et loyale.

Madeleine.

Non, non, Didier. Rien de tout cela. Personne ne vous calomnie.... Je n'ai jamais aimé personne que vous, vous le savez bien !...

Didier, avec un cri.

Ainsi, vous m'aimiez!... C'est vous qui le dites.... \'ous m'aimiez!

Madeleine, voulant se reprendre.

Je le croyais du moins.... Il me sem- blait bien....

Didier.

Et maintenant vous ne m'aimez plus.... Est-ce possible, Madeleine? J'ai voulu vous l'entendre dire à vous-même.... Tenez, vous me demandiez pourquoi je suis venu> Main- tenant je me rappelle, je suis venu pour cela, exprès pour cela.... Mais vous ne pourrez pas me le dire, que vous ne m'aimez plus..., vous ne le pourrez pas.

UObst.ick i8i

Madeleine.

Il le faut pourtanl. Didier.... Il le faut.... Je le dois!... {Musijjue religieuse dans le couvent. L'aubade du premier acte transcrite pour l'orgue et des voix d'enfants.)

Didier.

Ecoutez!

Chœur de fillcllcs, dans te fond.

O Vierge Marie, Lis éblouissant, Ta grâce illumine Tout le firmament.

Didier.

Écoutez... ce que chantent ces enfants. Madeleine.

Un cantique à la Vierge. Didier, très ému.

Un cantiquer... mais c"est Tair de notre aubade, à Nice.... Souvenez-vous.

Madeleine, écoutant.

C'est vrai. Didier, bas.

Léchant de nos fiançailles.

iS2 L'Obstacle

Madeleine.

Oh! mon Dieu. {Elle s'est laissé tomber sur le banc et fredonne en suivant la loin- laine ritournelle de l'orgue.)

L'aubade espagnole Se chante en aimant.

Didier, penché sur elle, et parlant tout bas, pendant que la musique continue.

Tout ce qu'il nous rappelle, cet air-là, dites, Madeleine.... Cette terrasse là-bas..., le ciel pur, la mer sans une ride, du bleu partout, et vous que je tenais à pleins bras, que j'appelais ma femme, ma chère femme, à voix haute, devant tous. (// la serre dou- cement dans ses bras.) O le beau rêve, le beau rêve!... Recommençons -le, veux-tur. . Ta main, ta petite main dans la mienne. Ta tête sur mon épaule... écoute-la. écoute-la encore l'aubade que te donne le bien-aimé.... Mad..., ma petite MaJ....

.Madeleine, laissant aller sa tête sur son épaule.

Didier! {Puis debout brusquement.)

L'Ohstnclc i83

Qu'est-ce que je fais!... Mon Dieu! non. non.... laissez-moi.

Didier, essayant de la ressaisir.

.Madeleine! Madeleine! Madeleine.

Non, je vous en prie, ce n'est pas possible.

Didier.

Mais, pourquoi? Au nom du ciel! Pourquoi? Mais c'est à devenir fou.... Made- leine, voyons, vous m'aimez, tu m'aimes! Ta main me l'a dit..., ton bras..., la brûlure de tout ton être.... Tu m'aimes....

M.VDELEINE.

Ah! vous êtes cruel.... C'est une pitié de me torturer ainsi.

Didier, la voix changée, très calme tout à coup.

Cruel, moi?... Pardon! Je ne voulais pas être cruel..., c'est fini..., je ne vous torture plus.

(// tire une enveloppe de sa poche.)

i84

L'Obstacle

Madeleine.

Que faites-vous? Didier.

Votre portrait, vos lettres, tout ce que j'avais de vous, voilà. (// les pose sur le banc.) Dites-moi maintenant que vous ne m"aimez plus. Si, si, il faut, je veux que vous me le disiez.

.Madeleine, détournint l:i tête.

Je ne vous aime plus. Didier.

Adieu.

(// fait deux pas. chancelle et se laisse tomber sur le banc.)

^ife.

L'Obstacle i85

SCENE XI

Les Mêmes, LE CONSEILLER, HOR- NUS, La Supérieure.

.Madeleine, dans les tras de la Supérieure.

Ah! mes amis, qifest-ce que j'ai faitr Je lui ai dit que je ne l'aime plus ; et de cette minute même, je me sens à lui comme ja- mais.

Le Conseiller.

Allons donc! vous savez bien que c'est impossible. (.4 la Supérieure.) Emmenez-la, ma mère, emmenez-la.

i6.

i86 UObstaclc

La Supérieure, entraînant la jeune fille.

\'iens..., viens.

HoRNUS. qui s'est rapproché de Didier et lui met la main sur l'épaule.

Courage, tîls.. . Tu as bien agi; la vie te récompensera..., allons, arrive!...

Didier.

Attends. (// se lève brusquement et marche droit au Conseiller.) Un mot, mon- sieur de Castillan. (Le doigt levé sur safi- gure.)\ous savez, vous. {Madeleine au fond s'arrête et écoute.) Elle est libre pour tous, mais pas pour vous.... Si jamais vous leviez les yeux sur elle.... [Mouvemeni de Madeleine retenue par la Supérieure.)

Le Conseiller, très hautain.

Oh ! monsieur, les hommes comme vous n'ont rien de bien effrayant : on les douche et on les enferme.

Didier.

Vous dites?

L'Obstacle \?r

Li: Conseiller.

je dis. monsieur le marquis d'Alein. que vous voilà fou comme voire père, et qu'on ne se bat pas avec un fou.

IIoRNLS, avec un mouvement pour s'élan- cer.

Monsieur! Didier, le retenant.

Laisse, Hornus, laisse.... Enfin, main- tenant, j':u compris!

[Rideau.]

ACTE IV

MEME DECOR QU'AU SECOND ACTE

Le coquet salon blanc, « chez nous ». de Co- lombières. Rien de changé. Les meubles aux inémcs places; la haute porle-fenétre eut réou- verte au fond sur le perron.

SCÈNE PREMIERE

Didier, 5z//" le divan, plusieurs gros livres de médecine à côté de lui, un autre à la main, et lisant à voix haut;.

« Ainsi le fils d'un fou semble destiné « à la folie.... L"homme porte en lui, léguée « par ses parents, la carte muette de ses « maladies.... Et la vie des héréditaires se « passe à signifier la mort! » (Il ferme le livre et le jette sur le divan.) Est-elle si- nistre, cette science moderne, avec son héré- dité ! Ils n'en veulent plus sur le trône et ils l'installent dans la famille, au cœur de

194

L'Obstacle

nos foyers, comme une menace, une angoisse perpétuelle.... [Il se lève et marche. ) Et d'abord, est-ce quon connaît ravenir? Est- ce qu"on peut deviner à lavance la carte d'une maladie, quand chaque instant de l'existence, chaque passion, chaque g'estela modifie, cette carte, et la compliquer... Moi, tout petit, j'étais paraît-il tout le portrait de mon père.... Deux ans après, j'ai tourné à ma mère brusquement, le re- gard, lallure, les cheveux.... Maintenant à qui est-ce que je ressemble?

(// s'arrête devant la glace et se regard: avec anxiété.)

L'Qbslacle

SCÈNE II DIDIER, HORNUS. HoRXUs, dehors, sur le perron.

Didier!! Didier. Iressaill.viL

Ahl c"cst toi.

HORNLS.

Allons! Un tour dans les vig-nes.... Il fait un temps clair et vif.. . l'écorce des pla- tanes claque.... c'est un vrai plaisir de mar- cher.

ig6 U Obstacle

Didier.

Non, merci.

HORNUS.

Mens donc, j'ai mon \'irgilc dans ma poche; nous dirons du latin aux abeilles, comme quand tu étais petit.

Didier.

Non, pas ce matin.

HoRNUS.

Pas de chance, ce n'est jamais ce matin avec toi.... Voyons, quand ce ne serait que pour ta mère! Depuis qu'elle a connu ta scène avec ce misérable, ça l'ennuie de te voir seul, absorbé; je ne sais pas ce qu'elle se fig-ure.... Arrive donc... Tu ne veux pas?

Didier.

Pas aujourd'hui, je t'en prie..., de- main!... Je te promets que nous ferons une grande course.

Hornus.

Allons, va pour demain.

L'Obstacle

197

Didier.

Bonne promenade, mon vieux maître

{Hormis s'éloigne.)

SCÈNE III DIDIER, puis LA MARQUISE.

Didier, seul.

Pauvre mère, c'est vrai que depuis ce jour-Là, elle me guette, elle se tourmente.... {Reçrardant ses bouquins.) Ne laissons pas traîner ces gros livres; si elle les voyait, mon Dieu! (// ramasse les livres et va les enfermer dans le tiroir de sa table.) Après

198 L'Obstacle

tout, ma destinée est faite, ce fatras n"y clian- gera rien.... (Fredonnant.)

Au balcon de ma toute-belle J'apporte les bouquets fleuris Choisis par mon amour fidèle....

L.\ Marquise, entrant par le fond.

Tu n"es donc pas sorti avec Hornusr Didier.

Non, mère. La M.\rquise.

Pourquoi?

Didier.

-- Je ne pouvais pas ce matin.... « J'es- père, » comme disent les gens d'ici: j'es- père, ce qui signifie : J'attends.

L.\ Marquise.

Qu'est-ce que tu attends? Didier, soiirianl.

Le bonlieur, mère cliérie.... II est en retard; mais j'ai comme une idée qu'il vien- dra; aussi, tu vois, je l'attends.

L' Obstacle iqq

La Marquisp;.

.Mais tu l'as, le bonheur, mon ami. si tu ne voulais pas trop demander à la vie... Enfin! vois, rcîî-arde : fortune, santé, jeu- nesse, le monde ouvert devant toi.... (Un temps.) Pourquoi ne fois-tu pas un i^-rand voyap-e avee Hornus:

Didier.

Un voya£;-e'- La Marquise.

Le pauvre homme faime tant ! Tu l'em- mènerais où tu voudrais.... Quand je pense que depuis cinq mois, depuis Nice, il ne nous a pas quittés d'un jour.

Didier.

bien, et toi, si je voyage, que de- viendras-tu ?

La Marquise, doux sourire.

Je ferai ce que lu fais ce matin, j'atten- drai !

Didier, tendrement.

Je ne veux pas, c'est trop énervant.... Non, non, ne me parle pas de voyage!

coo L'Obstacle

La Marquise.

Alors remue-toi, chasse, monte à che- val, va voir tes vignerons.... Reprends ta vie.... Si tu savais comme tu me désoles, toujours enfermé ici, tout seul, à remâcher je ne sais quelles noires lectures.... {Elle regarde autour d'elle, puis à voix basse.) Un jour je les brûlerai, tes livres!

Didier, souriant.

Qu'est-ce qu'ils t'ont fait? (// regarde la bibliothèque.)

La Marquise.

Ils m'ont fait?... Ils te font du mal. Didier.

Mes livres? Ils en sont bien incapables, reg-ardc donc ! je n'ai que des poètes et de la musique....

La Marquise.

Oh ! ce n'est pas ceux-là. Didier.

Je n'en ai pas d'autres....

L'Obst.icle 20I

La marquise.

Si je cherchais ! Didier.

Tu trouverais quelques vieux philo- sophes moroses.... Ne te tracasse donc pas, ma pauvre mère.

La Marquise, lui prenant les mains.

?*L\is c'est toi, malheureux enfant, qui te tortures, qui te rends malade.

Didier.

Malade?... (Avec feu.) Je ne le suis pas et n'ai pas envie de l'être, je te jure!

La .Marquise.

Pourtant, tu es allé à Montpellier, il n'y a pas huit jours, voir un médecin.

Didier, rianl.

Ah ! ces mires ! quelles bonnes agences de renseig-nements.... bien, oui, je suis allé à Montpellier consulter le vieux Gui- mard, pour des névralgies qui m'empêchent de dormir.

202 L'Obstacle

La Marquise.

11 t'a g-uéri? Didier.

Ma névralgie, radicalement.... {Sou- riant.) Mais je ne dors pas tout de même.

La Marquise, ap?-ès un temps.

Il a été médecin de marine, ce Gui- mard?

Didier, l'air étonné.

Ah! je ne savais pas. La Marquise.

Il a navigué avec ton père..., il ne t'en a pas parlé ?

Didier.

Non.

La marquise, nerveusement.

Du reste, il n'aurait pu que confirmer ce que je t'ai dit, après la révélation que t'a faite cet homme. C'est que tu avais déjà deux ans, lorsque ton père....

L'Obstacle co3

DlDlElt.

Mais je le sais bien, voyons.... llornus et toi me l'avez dit et redit.... Laisse donc ces choses du passé, maman, elles sont trop tristes, trop cruelles.

L.\ Marquise.

Mais alors, pourquoi?... Didier, l'interrompant.

Chut! Écoute.... La Marquise.

Quoi donc?

Didier, se penchant à la fenêtre de droite et appelant dehors.

Eh! là-bas, quelqu'un!... Allez donc voir à la grille, il me semble qu'on a sonné.

Le Domestique, du dehors.

C'est ouvert, monsieur le marquis. Didier, joyeusement.

Ce doit être le facteur? (// s'élance vers le fond.)

204

L'Obstacle

SCENE IV Les Mê.mes, SAUTECŒUR. Sautecœur. r.iir trisle.

Non. monsieur Didier. c"est le garde. Didier, dépité.

Ah I bonjour. Sautecœur. saluant.

Monsieur, madame, la compagne. La -Marquise.

Bonjour, Sautecœur.

L'Obstacle 2o5

Didier.

lié bien, comment ça marche-t-il là- basr... Les chiens r les bois? le marais?

S.VUTECŒUR.

Dieu merci, les bêtes ne vont pas mal ! . . . Elles envoient leurs bonnes caresses à mon- sieur et à madame.... Il n'y a que Miraclette qui continue à se languir, à se languir.... C"est vrai que M. le marquis n'est pas venu seulement tirer un coup de fusil depuis des mois

La Marquise.

X'est-ce pas. Sautecœur?... Dites-lui donc.

Sautecœur.

Ah! madame, rien qu'une battue dans le marais avec son maître, je suis sûr que la pauvre bête se retrouverait sur ses pattes.... Ou alors que M. le marquis me permette de la lui conduire de temps en temps, qu'elle le voie. Ça serait une vraie charité de chrétien.

2o5 L'Obstacle

Didier, nerveux.

Non, non, pas de chiens ici : surtout en ce moment.

La .Marquise.

Tu es dur.

Didier, virement au garde.

C'est tout ce que tu as à me dire, mon vieux?

Sautecœur, gêné, se grattant la tête.

Y a encore quelque chose. Didier.

Qu'est-ce qu'il y a> Sautecœur.

Du grabug-e. Didier.

On panneaute > On te vole ton bois r Sautecœur.

Oh! ça, pour sûr; ils ne s'en privent pas.

VObsldck 207

Didier, gaiement.

Alors, tu dresses des procès-verbaux, j'espère?

Sautecœur.

Ah! monsieur le marquis, j'en suis ma- lade; chaque fois que je fais un verbal, j'ai envie de m'envoyer un coup de fusil.

Didier.

Pourquoi?

Sautecœur.

Parce que.... (// hésite, puis avec vio- lence.) Parce que j'en ai assez de faire le gendarme, que j'ai le braconnage dans le sang-, et que cette plaque que vous m'avez donnée, là, sur ma poitrine, il y a écrit dessus ce La Loi », me fait fumer la peau pire qu'un fer rouge.

Didier.

Mais, malheureux, tu veux donc aller en prison, comme ton père, tes frères..., crever comme ton oncle Antoine au fond d'une mare, avec une chevrotine dans la tête?

2o8 L'Obstacle

Sautecœur.

Oui, vous avez raison, je me suis dit tout ça et puis le reste, mais qu'est-ce que vous voulez? J'ai essayé.... Je peux pas, je peux pas.

La Marquise.

Mais enfin, mon pauvre Sautecœur, quel plaisir peut-on trouver à cette vie er- rante, misérable?

Sautecœur.

Ah! madame, vous parlez de ce que vous ne connaissez pas.

La Marquise, souriant.

En effet. Sautecœur.

Si vous saviez ce que c'est, une course de nuit dans les bois, voir luire un fusil qui vous cherche, se terrer, s'embûcher, aux ag-uets comme un lièvre, l'oreille en lair et tout de suite sur ses pattes! (Il fait avec les mains le double geste des oreilles et de pattes.) Je vous en prie, monsieur le mar quis, cherchez-vous un autre g-arde; moi

L'Obstacle 209

c'est lini. je me languis trop, j'en meurs. Je suis comme Miraclette.

Didier.

Et ta femme r Qu'est-ce qu'elle en ditr Sautecœur.

.Ma femme >... C'est une Sautecœur, vous savez, la fille de l'oncle Antoine.... Eh ben, je l'ai prise de nuit dans la ga- renne, posant des collets avec nos deux garçons.... La femme et les fils du garde- chasse!... Croyez-vous que c'est dans le sang!

Didier.

Alors, tu penses qu'il n'y a rien à faire?... Sérieusement, garde, la main sur la conscience..., sur ta plaque, pendant que tu la portes encore >

Sautecœur.

Sérieusement..., rien. Didier, amical et bon.

bien, va-t'en, animal.... Rends tes insignes, braconne. .., et ne te fais pas pincer.

i3.

2 10 L'Obstacle

Sautecœur, arec ejfusion.

Ah! merci.... (// lui bais3 les mains, puis saluant, tout joyeux.) .Monsieur, ma- dame et la compagne.... {Il sort.)

Didier, rappelant.

Attends, attends, je vais avec toi.... Il faut que je fasse rép-ler ton compte.... (.4 la Marquise.) En voilà, un héréditaire!... Et sans moyen de défense, livré comme la brute à tous les instints de sa race.... Crois-tu qu'il est touché, celui-là? (Il sort par le fond, derrière le Q-arde.)

L'Obstacle 211

SCENE V

La Marquise, seule.

Et toi, mon pauvre enfant, es tu assez frappé!... Toujours cette même idée en tête.... l'iiérédité ! et tout ce dont elle te menace.... Non..., non..., ce n'est pas pos- sible, il faut tirer mon fils de là.... Si Hor- nus voulait, pourtant.... A nous deux, nous pourrions peut-être..., mais le moyen est si terrible, jamais il ne consentira.... Il ne croit pas assez au dang'er, il ne voit pas comme moi le vertig^e qui monte dans les yeux de mon pauvre petit.... Comment le

212 L'Obstacle

convaincre r Comment lui fournir la preuver... (Regardant autour d'elle.) Si seulement je savais Didier cache ses affreux livres!... Ses philosophes, comme il les appelle..., si je mettais la main dessus.... (Regardant dans la bibliothèque.) Alors Hornus me croirait.... et peut-être qu'il voudrait bien.... (Fermant la bibliotlièqiie.) Kon. ...pas Va.... (Elle ouvre un autre meuble, nerveusement.) non plus!... [Elle le referme.) Ah! dans sa table.... (Elle vient à la table, essaye d'ouvrir le tiroir, n'y parvient pas, et s'acharne des deux mains, penchée, furtive, presque à genoux.)

L'Obst.icle

cij

SCENE VI LA MARQUISE. IIORNUS.

HoRNUs. ouvrant brusquement h porte du fond et apercevant la Marquise derrière la table.

Oh! madame.... pardon. La ryL\RQUiSE.

Hormis !

IIORXUS.

Je croyais que Didier était là.

214 L'Obstacle

La ÏNIauquise, se relevant, un peu gênée.

Non, c'est moi, mon ami. Didier va

revenir.

HORNUS.

Quel miracle qifun temps pareil! Il VOUS met de la joie dans les veines.... Vous cherchez quelque chose?

La Marquise.

Rien. .. rien.... Ah! mon cher Hornus, vous devriez bien me donner un peu de votre belle humeur.

HORNUS.

Mais, madame, je vous dirai comme à Didier tout à l'heure, sortez, espacez-vous. Il y en a, de la joie, dehors, on n"a qu'à se baisser pour en prendre. Tout est blanc £Ous vos amandiers. Le thym et la lavande embaument. Et une lumière!...

La Marquise.

Mon enfant ne la voit pas, lui, cette lumière ; il ne voit pas les amandiers en fleurs.... Alors qu'est-ce que vous voulez que cette splendeur me fasse?..

L'Obstacle 2i5

HORNUS.

Il est dOiic aveugle maintenant, notre Didier)

La Marquise.

Aveugle et sourd!... Envoûté, fasciné, pris dans une idée fixe il est en train de se débattre, comme cette mésang-e que j'^i vue une fois dans un des grands sapins de l'avenue tourbillonner de branche en bran- che, éperdue, les ailes battantes, avec un petit chant d'ang-oisse qui, à la fin, s'est chang-é en cri ! . . .

HORXUS.

Il y avait une couleuvre au pied de l'arbre?

La Marquise.

Oui.... L'oiseau fasciné, à bout de forces, a lâché brusquement de ses deux petites pattes, replié ses ailes inutiles et s'est laissé tomber, lourd et droit comme un fruit.... Vous allez voir.... C'est ce qui va arriver à mon enfant.

2i6 U Obstacle

HORXUS.

Comment r Vous pensez que le souve- nir de son amour le hante, le fascine à ce point?

La Marquise, avec un beau sourire de mépris.

L'amour!... Allons donc! Il y a beau temps qu'il n'y pense plus.

HORNUS.

Alors quoi? La Marquise.

Quand je vous le disais.... Il ne faut pas que l'enfant sache, il ne faut pas qu'il se doute jamais.... Du jour ce méchant homme lui a révélé le mal de son père....

Hornus.

^'ous croyez que c'est cela? La .Marquise.

De ce jour, mon fils n'a plus été le même. Mais reg-ardez-le vivre!... Pas une sortie, pas une distraction. Il se cache,- tout l'ennuie, une parole à prononcer lui

■L'Obstacle 217

pèse. Son cœur, qui était si tendre, se dé- tache de tout, de ses chiens comme de sa mère.... Eh! oui, de sa mère, et de vous aussi, et de tout.

HORNUS.

Mais pourquoi ne voulez-vous pas que ce soit le souvenir de Madeleine ?

La Marquise, imp.itientcc.

Il n'y a plus de .Madeleine. Je vous dis que c'est fini, cette affaire-là.

HoRNUS.

Fini ! Fini ! Voilà bien une jalousie de maman. Moi, je vois au contraire, dans tout ce que voiis me signalez, les symptômes d'une passion tenace, d'une plante robuste, de durée, comme il peut en venir sur ce terrain-là.... Absorbé? je crois bien..., dé- taché de nousr... Puisqu'il ne pense qu'à elle.... Enfermé ici tout le temps?... Mais il n'y a pas un meuble, pas un objet qui ne lui parle d"elle, ici!...

La Marquise.

Non, non. Didier est bien trop fier. Dès qu'il a su qu'elle ne voulait plus de lui....

2i8 L'Obstacle

HORNUS.

Certainement, il est fier; aussi, il re- nonce, et il souffre..., et il guérira. {Avec intention.) On g-uérit.

L.v Marquise.

Oui, si c'était le mal que vous dites..., si c'était Tamour, mais hélas ! je suis telle- ment sûre.... (S'approchant de l.i table.) Venez ici; vous qui êtes fort, ouvrez ce tiroir, onvrez-le, je n'ai pas pu.

HoRNUs, ouvrant le tiroir.

C'est dur!

La Marquise, sortant du tiroir les livres de médecine dont elle lit les titres à me- sure.

" La Folie des enfants. " " L'Héré- dité des maladies nerveuses. " (Elle ouvre un livre.) Et tenez! En voilà un que j'ouvre au passage marqué. (Lisant.) « Ainsi, le fils d'un fou semble destiné à la folie!... » (Elle jette le livre.) La folie! la folie! toujours la folie! En doutez-vous encore? Et si vous saviez combien d'autres preuves, les ques-

U Obstacle 219

lions qu'il me fait sur son père, ses visites aux médecins.

HORNUS.

bien, tout ce que vous lui dites, tout ce qu'il apprend des médecins est fait pour le rassurer.

La Marquise.

Vous voyez bien que non, qu'il ne pense qu'à son père et à riiérédité de l'hor- rible mal.

HORNUS.

bien, en admettant.... que craignez- vous r

La .Marquise.

Ce que j'ai toujours craint, toute ma vie, malgré vous ! Et ce que maintenant vous craignez vous-même, la.... [Elle ne prononce pas le mot.)

HORNUS.

Oh ! ne dites pas cela, madame. La ALxrquise.

Mais il faut bien que Je le dise, puisque

220. L'Obstacle

cela est. [Baissant la voix.) Ah ! mon pauvre ami, je les connais ces silences, ces som- breurs..., cette apathie, cette indifférence pour tout. {Plus bas encore.) C"est comme ça que le père a commencé... Et depuis deux jours, le mal augmente. Avez-vous remarqué, hier soir, ce matin, son agitation, ses brusqueries, ses mots sans suite?...

HoRNus. perdant pied.

Mais, madame, il chantait ce matin; je l'ai entendu.

La Marquise.

Oui, comme la mésange, avant le der- nier cri.

HORNUS.

Enfin.... Que faire? La Marquise.

L'arracher de cette idée, à tout prix.

HORNUS.

Et le moyen? La Marquise.

Il y en a un. La pensée m'en est venue.

UObstacle 221

depuis longtemps déjà, et par lui, le pauvre enfant, sans qu'il s'en doute.

HoRNt s.

Par lui?

La Marquise, après un silence et un long regard craintif autour d'elle.

Supposez qu'il apprenne tout à coup..., quil n'est pas le fils de cet homme.

HORNCS.

Comment r La Marquise.

Alors plus d'iic'rîdité, plus d'idée fixe.

Horxus.

Mais, madame.... La AL\.rquise.

Il nest pas l'enfant de cette folie.... {Un temps.)

Horn-us, effrayé, bégayant presque.

Mais pour que Didier ne fût pas le fils du marquis d'Alein....

19.

222 L'Obstacle

La Marquise.

bien, quoi? J'étais jeune, j'étais belle, le pauvre être n'existait plus. ..

HORNUS.

Oh!

La Marquise.

Le roman ne serait pas si invraisem- blable, en vérité.

Hornus.

Je plaindrais l'homme qui le raconte- rait à votre fils, madame.... Et d'abord il ne le croirait pas.

La Marquise.

Si, je sais quelqu'un qui peut tout lui dire, quelqu'un de qui il croira tout.

Hornus.

Qui donc? La Marquise.

Vous. Hornus.

Jamais!... Jamais cet abominable men- songe....

L'Obstacle 223

La Marquise.

Si, Hornus, il le faut, il le faut.. . C'est le seul moyen de mettre sa pauvre tête en repos.

Hornus.

En repos!... Mais c'est lui créer une nouvelle torture. Vous enlevez à votre en- fant l'orgueil de sa mère, et c"est vous!

La },L\rquise.

Oui, moi, pour l'arracher à la folie..., . à la mort peut-être.

(Un silence. Hormis fait quelques pas, puis revient vers la Marquise.)

Hornus, bas, tremblant et comme avec une rage sourde.

Et quel est l'homme que vous avez honoré de cette faute imaginaire r... Quel nom devrai-je dire à votre fils, sUl me le de- mander... Quelle preuve pourrai-je donner)

La xMarquise.

De preuve, il n'y en a pas.

224 L'Obstacle

HORNUS.

Est-ce un vivant? Est-ce un mort?

La Marquise.

Vivant! vivant!... Comme les preuves manquent et que l'enfant sera difficile à persuader, il faut que le père se nomme et qu'il avoue.

HORNUS.

Mais qui consentira jamais r... \'ous avez trouvé quelqu'un?

La M.\rquise, tas.

Oui!

{Elle le regarde avec des yeux si par- lants que le vieux fait un pas en arrière.)

Hornus, ému aux larmes.

Oh! madame....

(// cache sa figure dans ses mains trem- blantes.)

La Marquise.

Allons, Hornus..., ceci nest presque plus ua mensonge.

L'Obstacle 22S

HoRNL's, relevant le front.

Comment ? La Marquise.

Avec ça que vous ne m'avez pas tou- jours aimée !

HoRNUs, fièrement.

Mais je ne vous l'ai jamais dit, à vous, ni à personne au monde.

La .^LvRQUISE.

Vous n'aviez pas besoin de me le dire; je le voyais bien.... Et c'est cet amour, que je sentais profond et noble, qui m"a fait vous confier rnon fils avec tant de sécurité, certaine que cette passion sans espoir pour rhonnête femme que j'étais, vous la repor- teriez en tendresse sur mon enfant.... Et je ne me suis pas trompée, Hornus.

HORXUS.

Alors pourquoi voulez-vous que j'a- bîme, que je salisse ce que j'ai de beau, de pur dans mon existence, ce qui fait ma gloire, ma fierté?

225 L'Obstacle

La Marquise.

C'est la vie de mon enfant, de notre enfant, que je vous demande.... Je vous jure que cela seul peut le sauver.... Hor- nus..., mon ami.

HoRNUs, sujfoqiianl.

Non, madame, je ne pourrais pas.... Ces mots horribles m'étoufferaient au pas- sage. Non, non, pas cela. C'est au-dessus de mes forces.

La Marquise.

Eh bien, si c'est trop pénible pour vous, moi je parlerai.

Didier, criant au dehors.

La grille ! ouvrez la grille toute grande ! La Marquise.

Ah! le voilà! {Elle ramasse et serre dans le tiroir les livres épars sur le divan.) Je ne vous demande que de ne pas me dé- mentir.

HoRNUs, avec effort.

J'essaierai, madame.

L'Obstacle

227

SCENE VII

Les MÈ.MES, DIDIER.

(// entre sans chapeau, les cheveux an vent, dans une agitation extraordinaire ; sans prendre garde à sa mère ni à Hormis, il cherche autour de lui dans le salon, ouvre le piano, une partition sur le pupitre, prend dans la bibliothèque quelques jolis livres à reliure blanche quil pose sur une petite table, tout cela avec fièvre et nerfs.)

HORNUS.

Eh ! bon Dieu ! qu'est-ce qu'il t'arrive donc>

228 L'Obstacle

Didier, su?-pris, }n.^is satis s'interrompre.

Tiens! Hormis.... Je ne te voyais pas. La Marquise.

-Mais qu'as-tu, mon enfant r Que fais-tu r Didier.

Laisse.... laisse..., je prépare.... Plus tard... je te dirai....

{Regard d'épouvante de la mère à Hornus.)

HoRXus, à part.

C"est vrai qu'il est dans un état sin gulier.

La Marquise, arrêtant son fils par la main.

-- Didier! Didier! écoute.... Didier, distrait.

Ma mère.... La Marquise.

Écoute-moi.... Regarde-moi, bien en face.

{Elle le prend à pleins t-ras.)

L'Obstacle 22q

Didier, souri.vit.

Eh bien, je te regarde. La Marquise.

Ce que j'ai à te dire est si grave, si terrible pour ta mère, d"une telle impor- tance pour toi ! {Mouvement de recul d'Hor- mis.) N'est-ce pas, mon cher Hornus?

HoRXus, très bas.

Oui, oui....

La -Marquise, à Didier.

Tu te souviens qu'un jour, dans un moment de détresse, amené à douter de l'honneur, de l'intégrité du nom que tu portes, tu m'as questionnée sur la vie de ton père....

Didier.

Je me souviens en effet. La .ALvRQUiSE.

Depuis ce jour, mon enfant, j'ai comme un poids sur le cœur, un remords dont il faut que je me débarrasse.... De ton père, je n'avais rien à dire. Une vie sans tache. Thon-

23o L'Obstacle

neur intact.... .Mais pourquoi ton interroga- toire s'est-il arrêté r Ta mère, il fallait me questionner sur ta mère.... La tare que tu cherchais était peut-être là..., {baissant la voix) ta mère se serait avouée coupable.

Didier, arec un cri et un bon rire.

Coupable, toi!... Et de quoi, pauvre chère maman? Voilà une chose qu'on ne me

persuadera jamais.

HoRNUs, triomphant.

Ah! j'en étais bien sûr qu'il ne voudrait pas vous croire.... Vous ne le connaissez donc pas, votre Didier?

Didier, fermant la bouche à sa mère qui veut parler.

Tais-toi.... tais-toi. (-4 Hornus.) Mais enfin, que signifie?...

HORXUS.

Un mensonge, mon enfant, un mensonge héroïque qu'elle essa3'ait de te faire pour t'enlever à l'idée fixe qui te harcèle, à cette peur du mal héréditaire....

U Obstacle 23 1

Didier, gaiement.

- Mais, grâce à Dieu! je ne l'ai ja- mais eue, cette peur-là.... D'abord parce que j'ai la tête solide et les yeux bien en place. Je ne connais pas le vertige. Et puis, ces nouveaux catéchismes de la science mo- derne, je ne les accepte pas aveuglement.

HORNUS.

Bien, mon petit.

Didier.

_ ]e pense avec toi, mon vieux maître, que pour lutter contre les puissances mau- vaises du sang-, de l'hérédité, l'homme porte une force morale et intérieure qui, s'il veut, peut l'affranchir de ces lois de fatalité.

Hornls.

Eh! parbleu! C'est ce qui nous diffé renciedelabrute.

La Marquise.

Mais alors, mon enfant, pourquoi la vie que tu mènes, pourquoi ces lectures si- nistres où tu t'abîmes, tes visites mysté- rieuses à ceux qui ont connu ton père>

232

L'Obstacle

Didier.

Rien de plus simple. L'enquête dont on nous avait menacés, je lai faite, moi, et sérieusement.

La -Marquise.

Tu vois ! Didier.

Je devais la faire, cette enquête, ma mère.... Il me fallait la preuve, acquise maintenant et dûment certifiée, qu'il n'exis- tait aucun danger, non pas pour moi, j'étais bien tranquille, je te le répète, ^ mais pour le repos, la sécurité de celle qui, un jour, consentirait à être ma femme, et qui, à cette heure même.... {Élevant la voix.) Mère, je te disais ce matin que le bonheur était proche, que je l'espérais ... Tiens.... regarde !

L'Obstacle

233

î^

SCENE VIII

Les .Mè.mes, .MADELEINE au fond, montant le perron.

La AL\RQiiSE.

Madeleine !

Didier, s'élançant vers la jeune fille.

Arrivez, arrivez, ma chérie.... la mai- son attend, tout est en place.... Chez nous.... vous voilà chez nous !

204 L'Obstacle

Madeleine, très émue, allant vers la mar- quise.

Voulez-vous me permettre de vous appeler encore maman >

Didier, à sa mère.

Embrasse-la, va! Si tu savais comme elle a été vaillante. (La Marquise serre la jeune fille dans ses bras.)

La Marquise, gaiement.

Oui, je Tembrasse.... mais qu'on me dise au moins ce qui s'est passé.

Madeleine.

Il s'est passé, mère chérie, qu'après lui avoir dit que je ne l'aimais plus, j'ai pleuré toute la nuit du chagrin que je lui avais fait. Je le voyais toujours devant moi comme à son entrée dans le cloître, si pâle, avec sa bouche qui tremblait. Pauvre ami ! {Se ser- rant contre Mme d' A le in.) Ah! je vous en prie, mère, g-ardez-moi contre votre cœur. j'y serai mieux pour ce que je veux lui dire et qu'il faut que vous entendiez bien tous. {Émue, mais la voix très ferme.) Di-

VObstncle 235

dicr, mon cher Didier, je n"aurai pas assez de toute une vie de dévouement, de ten- dresse, pour vous payer des peines cruelles que je vous ai causées; et comme vous là- bas, dans le soleil de Nice, à mon tour je voudrais crier à toute la terre que vous êtes mon mari, mon cher mari, que j'aime éper- dument, de toute la force de mon âme. (Elle se cache dans les bras de la Marquise, pen- dant que Didier se jclle sur sa main et la courre de baisers.)

La Marquise.

Tout ça ne me dit pas pourquoi l'on s'est méfié de moi.... Méchants enfants! si long-temps vous cacher de votre mère....

Madeleine.

C'est moi qui l'ai voulu. Notre bonheur en dépendait. Songez que j'étais aux mains d'un méchant et d'un habile, à qui ma dot faisait décidément envie, qu'ayant la loi pour lui, il pouvait me retirer du couvent, m'em- raener Dieu sait où, tendre à nçtre Didier quelque mauvais piège.... Voilà pourquoi j'ai tenu ma volonté secrète; et c'est seule-

236 L'Obstacle

ment ce matin que Mlle de Rémondy, majeure et maîtresse de ses actes, a sig-nifié à xM. le Conseiller, fort surpris, son prochain ma- riag-e avec le marquis Didier d'Alein. Vous me pardonnez, maman?

La Marquise.

Ah ! chère fille ! Didier.

Qu'en dis-tu, vieil Hornus?

HORNUS.

L'obstacle, parbleu! le divin obstacle! La jeune fille est devenue une vraie femme....

La Marquise.

Oui, mais en attendant le mariage, qu'allons-nous en faire, de cette petite Icmme-là?

Didier.

Comment? La Marquise.

Dame! Je ne peux pas la garder ici.... ïadeleine, souriant.

Oh! mais j'y ai songé.

L'Obstacle

237

SCÈNE IX

Les Mêmes, La Sœur tourière.

La Tourière, droite sur le perron, robe bleue et cornette claire, avec un claque- ment de mains ecclésiastique.

^L1demoisclle -Madeleine... Allons!

Madeleine.

Oui, ma sœur.... (.1 la Marquise.) ^'ous voyez, je suis encore au couvent jusqu'à mon mariae:e.

238

L'Obslcicle

La Marquise, riant, à Di.iier.

Ne te désole pas..., tu iras la voir.

HORNUS.

Et on ne l'y laissera pas longtemps!

TABLE DES MATIÈRES

Acte Premier

Acte II '

Acte III ^'^

ACTE IV '^

■ARIS. IMPRIMERIE LAIIURE.

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PQ Daudet, Alphonse 2216 L ' obstacle

03 1891

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