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L'ÉVOLUTION

DU VERBE

EN

ANGLO-FRANÇAIS

(XIP-XIV SIÈCLES)

F. J. TANQUEREY

DOCTEUR ES LETTRES

PARIS

LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION

EDOUARD CHAMPION

S, QDAI MALAQUAIS, $ I9IS

Téléphone: Gobelins 28-20

L'ÉVOLUTION DU VERBE

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ANGLO-FRANÇAIS

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MAÇON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS.

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L'ÉVOLUTION

DU VERBE

EN

ANGLO-FRANÇAIS

(XIP-XIV^ SIÈCLES)

F/jr'^TANQUEREY

DOCTEUR ES LETTRES

PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION

EDOUARD CHAMPION

5, Q.UAI MALAQ.UAIS, 5 I9I5

Téléphone: Gobelins 28-20

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INTRODUCTION

Tous les philologues ont, semble-t-il, exprimé sur la nature de l'anglo-français des opinions différant fort peu les unes des autres. D'abord ils admettent tous, et avec une rare unanimité, qu'on ne saurait le considérer comme un dialecte français. Nous ne ferons aucune difficulté pour faire nôtre l'idée généralement reçue et nous ne nous imposerons pas la tâche impossible de comparer le fran- çais d'Angleterre au français de Bourgogne ou de Picardie. Mais, et cette question de dialecte mise à part, nous ne pouvons pas accepter entièrement les idées qui ont cours sur le caractère de l'anglo-français. Pour montrer ce qui le distingue des dialectes du continent et préciser un peu sa nature, que la négation qui précède n'explique pas, on dit simplement qu'il est une sorte de français mal su, mal parlé, mal écrit. C'est ce que nous trouvons exprimé dans cette phrase de Gaston Paris (Vie de saint Gilles, xxxv) :

« L'anglo-normand, y lisons-nous, n'est pas à proprement par- ler un dialecte; il n'a jamais été qu'une manière imparfaite de par- ler le français ; ceux même qui s'en servaient avaient conscience de cette imperfection et cherchaient à l'atténuer, soit chez eux, soit

chez leurs enfants On parlait plus ou moins bien, sans que

jamais on pût empêcher quelques traits anglo-normands de se glisser dans ses discours ou ses écrits. »

Nous avons cité cette phrase de Gaston Paris parce qu'il y exprime cette conception de l'anglo-français de la façon lumineuse qui lui est habituelle ; d'autres philologues auraient pu nous four- nir des idées semblables. Il y a certainement dans ces lignes une part de vérité que nous ne chercherons pas à diminuer ; elles mettent en évidence l'importance de ce qu'on pourrait appeler le coefficient personnel en anglo-français. On peut trouver dans cer- tains auteurs des expressions, des formes, des fautes qui leur sont propres et qui n'ont d'autre cause que leur ignorance de la langue

H INTRODUCTION

qu'ils écrivent. Mais tout d'abord, il ne faut pas oublier que le français, langue littéraire, était en Angleterre une langue enseignée: quoi de plus naturel qu'on essayât de corriger les fautes qu'on commettait soi-même ou qu'on entendait commettre autour de soi ; cela du reste aurait pu se produire si l'anglo-français avait été un dialecte ordinaire. Si les Anglais cherchaient à atténuer chez eux ou chez leurs enfants les particularités de leur français, cette tendance pourrait se retrouver dans les personnes instruites ou à demi instruites qui parlaient un dialecte continental. Un bourgui- gnon ou un manceau n'essayaient-ils pas parfois de se défaire de l'accent, des expressions qui dénonçaient leur origine mancelle ou bourguignonne ?

Ensuite Gaston Paris omet de nous dire quel était ce français qu'on enseignait en Angleterre entre iioo et 1400 et dont on violait les lois. Ce n'était certainement pas le français de France, car si cela était, nous devrions dans l'anglo-français du xiii^ et du xiV siècle retrouver à côté des « quelques traits anglo-normands » ce qui caractérise le trançais du xiii"-" et du xn"" siècle. Or tous les faits nous montrent et tout le monde reconnaît que l'évolution de l'anglo-français a été indépendante de celle du français continental. On doit en conclure qu'il y avait en Angleterre un « type » spé- cial de français avec ses formes, ses habitudes propres, distinct et indépendant des dialectes continentaux : autrement dit, l'An- gleterre possédait ce que les Anglais appelleraient un « standard French » particulier. De sorte que les « imperfections qui se glis- saient dans les discours et les écrits » étaient, non pas des fautes de français, mais des fautes d'anglo-français.

Ces quelques idées a priori laissent donc supposer que l'anglo- français a été autre chose qu'une mauvaise manière de parler et d'écrire le français ; ce sont des preuves véritables que nous en trouvons dans l'étude que nous avons laite sur le verbe. Celle-ci met en évidence quatre points, que révélerait également toute étude générale sur l'anglo-français : d'abord l'unité de la langue dans un ouvrage donné ; puis l'unité de la langue à un moment donné; ensuite l'évolution réelle qu'on peut observer pendant les trois siècles de son existence; enfin l'influence restreinte exercée sur elle par l'anglais. Ces quatre points sont, croyons-nous, si évi- dents qu'il pourrait sembler inutile d'y insister : nous en diront cependant quelques mots.

INTRODUCTION III

L'unité de la langue dans un même ouvrage peut se remarquer dans les textes anglo-français du xiv'^ aussi bien que dans ceux du xii" siècle. Or, quand on écrit un ouvrage d'une certaine étendue dans une langue qu'on ne connaît qu'imparfaitement, on n'y observe pas constamment et d'un bout à l'autre le même usage : telle forme qui aura tout d'abord paru correcte disparaîtra après quelque temps pour faire place à une autre ; les formes fautives arriveront, pour ainsi dire, par paquets, et la fin de l'ouvrage ne ressemblera plus au commencement. Ceci ne se présente jamais ou n'arrive que très rarement en anglo-français : la fin des Evangiles des Dompnées, du Manuel des Péchés, de la Vie de sainte Agnès ne difiere en rien, pour la grammaire, de leur commencement. On ne saurait attendre cette unité d'un auteur écrivant une langue qu'il sait mal.

Cependant, nous devons faire observer que deux ouvrages écrits par le même auteur à quelques années d'intervalle nous montrent parfois, au point de vue de la langue, des différences très marquées; Miss Pope l'a observé dans les œuvres de Frère Angier, et nous le montrerons, sur un point spécial, pour celles de Chardri. Nous n'attribuerons pas ces changements à l'ignorance, mais nous y verrons le premier caractère de l'anglo-français : c'est une langue qui évolue très vite.

En second lieu, et comme nous le disions tout à l'heure, deux auteurs contemporains écrivent sensiblement la même langue ; il se peut que certains d'entre eux emploient des formes qui leur soient particulières, d'après le degré d'exactitude de leur connaissance du français. Nous ne nierons pas que ce que nous appelions tout à l'heure le coefficient personnel n'ait son importance; mais ces par- ticularités ne sont que de simples détails disséminés dans l'ouvrage, parfois employés une fois ou deux seulement ; à tel point qu'elles ne nous suffisent jamais pour nous permettre d'attribuer à un auteur déterminé, avec tant soit peu plus de certitude que pour le français continental, la paternité d'un ouvrage d'origine douteuse. Tout écrivain employant une langue imparfaitement connue de lui a ses fautes de prédilection auxquelles on peut le reconnaître et ce fait est des plus rares en anglo-français.

Cependant, il nous faut avouer que la langue de certains auteurs ne concorde pas exactement avec celle de leurs contemporains ;

IV INTRODUCTION

Adgar n'écrit pas exactement la langue de Thomas. Remarquons cependant de quelle nature sont ces divergences : sur tous les points ces deux contemporains diffèrent, Adgar nous montre l'usage qui est destiné à prévaloir quelques années plus tard. N'est-ce pas dire que Thomas, comparé à certains de ses contemporains, écrit une langue plus ancienne ?

C'est un fait bien connu que la langue littéraire à toutes les époques est plus ou moins en retard sur la langue parlée ; ceci est très marqué en anglo-français, et nous y trouvons le second carac- tère de cette langue : les meilleurs auteurs emploient une langue très teintée d'archaïsme.

-Que l'anglo-français ait subi une évolution, nous ne pouvons pas en douter et nous espérons que notre travail le montrera plei- nement ; pour être précis, nous dirons que nous entendons par évolution un développement, qui peut être inégal et irrégulier, suivant une ligne déterminée : tel changement se produit à une certaine époque; il reparaîtra à l'époque suivante, il s'aggravera, et se propagera. Cela peut s'observer constamment dans la conjugai- son anglo-française. Si l'anglo-français n'était qu'une manière incorrecte d'écrire le français, dont on cherche à atténuer les imperfections, à la rigueur, on pourrait comprendre que certaines formes fautives se répètent, mais non pas qu'elles montrent un développement indépendant et à peu près régulier. Ajoutons que cette évolution en anglo-français ne ressemble pas à celle que nous montrent les dialectes du continent ; d'abord, comme nous l'avons vu, elle est beaucoup plus rapide; surtout, elle est inégale. La rapidité de cette évolution jointe à la tendance à conserver les formes archaïques a eu une conséquence assez curieuse : celle de maintenir en même temps des formes ayant les âges les plus divers. Il en est résulté une confusion extrême, non seulement dans les formes, ce qui est déjà grave, mais dans les sons. Et ceci est un des caractères les plus importants de l'anglo-français : il nous montre un mélange des formes de toutes les dates.

Enfin notre dernière raison pour ne pas accepter entièrement l'idée de G. Paris, c'est que l'influence de l'anglais a été fort peu importante ;nous n'avons pas relevé dans la conjugaison de trace de cette influence ; la syntaxe a été un peu touchée, mais le nombre des solécismes dus à l'anglais doit être fort restreint et appartenir à

INTRODUCTION V

quelques auteurs du xiV' siècle. C'est le vocabulaire qui a été le plus profondément modifié par cette influence ; ceci a son impor- tance, sans être extrêmement grave ; même après cet influx de mots étrangers, l'anglo-français reste du français et resterait un dialecte français s'il en avait été un avant. La proportion de mots anglais en anglo-français doit être inférieure et de beaucoup à celle qu'on trouve dans le canadien moderne.

Mais si l'influence de l'anglais a été minime, le fait que l'anglo- français, coupé du continent, n'est pas resté en contact avec le français populaire et parlé, a été pour lui gros de conséquences. L'anglo-français a conservé la plus grande partie de son vocabu- laire, les principales règles de la syntaxe française, une conjugaison française ; en somme ce qui peut sembler l'essentiel de la langue écrite. En réalité, c'est peut-être l'essentiel qu'il a perdu en per- dant la prononciation française ; les sons ont dégénéré et se sont confondus, les phonèmes ont pris dans plusieurs cas une valeur arbitraire et cette confusion s'est fait évidemment sentir sur la con- jugaison aussi bien que sur la forme même des mots. Et nous avons ici le quatrième caractère de l'anglo-trançais, le plus important : séparé du français vivant, il a perdu la notion de la valeur des sons français.

Voilà donc d'après nous ce qu'est l'anglo-français ; une langue avec son unité et son développement ; elle est caractérisée par la rapidité de son évolution, le mélange qu'elle oflVe de formes d'âges très diflérents et la confusion qu'elle a laissé s'introduire dans sa phonétique. Nous attribuons la plus grande importance à. ce der- nier caractère, non seulement à un point de vue général, mais spé- cialement pour la question que nous allons traiter : la conjugaison. Nous sommes persuadé que le plus grand nombre des phénomènes qui vont nous occuper ont leur origine et leur explication dans la phonétique.

*

* *

Les quelques pages précédentes que nous avons employées à pré- ciser nos idées sur l'anglo-français ne nous semblent pas superflues. En effet si cette langue n'est qu'une manière fautive de parler le français, une étude générale sur la conjugaison est impossible et

VI INTRODUCTION

illusoire; impossible, car quel que soit le nombre des citations que nous donnerons, nous n'épuiserons jamais le nombre des formes réelles ou simplement possibles ; nous ne pourrions que dresser un catalogue précaire de formes, toujours incomplet et toujours sujet à révision ; illusoire, car à quoi bon essayer de donner une exposi- tion méthodique de formes fautives qui, si elles ne sont que des fautes, ne sauraient avoir d'âge spécial et ne pourraient s'exposer que dans un ordre arbitraire ?

Si au contraire, comme nous le croyons et comme nous venons de le dire, l'anglo-français a été une langue, d'un genre spécial, langue littéraire avec son évolution et son usage propres, une telle étude est non seulement possible mais utile. On parle constam- ment de la « corruption » de l'anglo-français et ce terme est sou- vent le seul qui puisse caractériser d'une façon adéquate l'état de la langue qu'emploient certains auteurs. Mais dans une langue aussi ana- lytique que celle-ci, les seules flexions un peu complexes qui restent se trouvent dans le verbe ; aussi l'étude de la conjugaison doit être le meilleur moyen que nous avons à notre disposition pour suivre pas à pas les progrès de l'évolution et la marche de la décomposi- tion.

Nous nous sommes servi pour le travail qui suit de deux sortes d'ouvrages : les œuvres littéraires des xii% xiii'^ et xiv'^ siècles et les textes qui n'appartiennent pas à la littérature, textes politiques, diplomatiques, familiers, légaux (fin du xiii% xiv= siècle). La dis- tinction entre ces deux catégories d'ouvrages est souvent délicate, parfois arbitraire.

Dans l'étude des œuvres littéraires, nous avons recueilli deux sortes de renseignements : les uns sur la langue des auteurs, les autres sur celle des scribes. Pour arriver à une connaissance aussi assurée que possible de la langue des premiers, nous avons évi- demment suivi les règles de la critique textuelle, et nous n'admet- trons aucune forme qui ne soit absolument assurée, quel que soit le texte emprunté. Cela est si évident que nous ne devrions pas y insister. Cependant c'est une faute plus commune qu'on ne le croit et on en trouve des exemples jusque dans l'excellent travail que M. Stimming a mis à la suite de son édition de Boeve de Haumtone.

Non seulement nous ne nous fierons pas toujours aux éditions

INTRODUCTION Vil

imprimées, mais même, dans certains cas, l'accord des mss. ne nous semblera pas une preuve suffisante de l'authenticité d'une forme. Il arrive très fréquemment que tous les manuscrits donnent une leçon qui n'a pas être celle de l'auteur : nous pourrions en citer de nombreux exemples : en voici un aussi simple que commun : il arrive que tous les mss. reproduisant un texte du xii'^ siècle donnent la terminaison analogique en ei à certains impar- faits de I ailleurs qu'à la rime ; dans ce cas, l'accord des mss., s'ils sont tous postérieurs à la date à laquelle ei remplace ou dans ces terminaisons, ne suffira pas à authentiquer cette forme; nous n'hé- siterons pas à la rejeter si dans le poème, d'un côté noua pouvons relever des imparfaits étymologiques de I qui ne sont pas douteux de l'autre, si nous n'avons aucune rime qui nous montre les mêmes imparfaits de I sous la forme analogique.

La probabilité en eifet est que tous les scribes ont remplacé dans les mêmes conditions la forme moins commune par la forme plus commune à leur époque. Il est vrai que tous les cas qui se présen- teront ne seront pas toujours aussi clairs que celui-là. Nos meil- leurs moyens de contrôle pour l'authenticité des formes de la langue d'un poème resteront donc la prosodie : nombre des syllabes du vers pour certaines formes, rimes pour les terminaisons. Mais nous ne pourrons pas oublier que la versification anglo-française est un instrument de contrôle fort imparfait : les vers sont de longueur variable, et il pourrait nous arriver par une heureuse correction, de rétablir un vers et une forme qui auraient été l'un et l'autre incor- rects dans le poème original. Ensuite, comme l'a fait remarquer M. Meyer, certains auteurs, pour satisfaire aux exigences de la rime, ne reculent pas devant le barbarisme. Par conséquent une forme isolée, même si la mesure du vers ou la rime semble l'attester, peut nous être à bon droit suspecte.

C'est une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas hésité à multiplier les exemples ; une forme qui semble assurée à plusieurs reprises doit être sûre.

Ily a encore un assez grand nombre de formes que nous pour- rons attribuer avec quelque certitude aux auteurs plutôt qu'aux scribes, en vertu d'une règle que nous avons observée constamment dans cet ouvrage; elle n'est pis d'une rigueur absolue et ne peut s'appliquer que dans les ctudçs gérîérales; lorsqu'on sort des études

Vni INTRODUCTION

particulières, sa vérité nous semble évidente. La voici : une forme ancienne peut toujours être reportée à la date de «la composition de l'ouvrage, une forme moderne à celle du manuscrit.

Ceci laisse déjà à supposer que le nombre des renseignements que nous recueillerons de la sorte sera assez réduit, et qu'ils ne nous éclaireront jamais sur certains points (comme les syllabes proto- niques). Sur ces points et sur plusieurs autres, la langue des manuscrits, et pour la période postérieure à 1275 celle des textes non littéraires, sont nos seules ou nos meilleures sources d'informa- tion ; ici plus que jamais une très grande prudence sera nécessaire et nous aurons surtout à nous garder des généralisations hasardées. Nous avons pu remarquer bien souvent que plusieurs scribes, par ignorance ou par mattention, peuvent commettre indépendamment la même erreur sans que la forme fautive ait réellement pour cela passé dans l'usage anglo-français. Ce ne sera guère que la répétition d'une forme non assurée qui pourra nous convaincre de l'authenti- cité de cette forme. Et ici encore, nous trouvons une nouvelle rai- son pour multiplier nos exemples.

Ce n'est pas cependant que nous pensions devoir négliger les formes isolées; les fautes même sont souvent significatives et nous éclairent sur la valeur réelle de certaines formes en nous montrant avec quelles autres on pouvait les confondre. Pour n'en citer qu'un exemple Jean de Peckham écrit par ei;^ la première personnne des prétérits en avi, ce qui nous montre qu'il ne faisait pas de diftérence entre la désinence ai et celle par exemple des deuxièmes personnes du pluriel à terminaison masculine. Les renseignements de ce genre ne sont pas rares et nous les enregistrerons à titre d'indi- cation.

Tels sont les principes que nous nous sommes efforcé d'appliquer dans les pages qui vont suivre ; pour la langue des auteurs, nous avons choisi nos exemples parmi les formes attestées par la rime ou la mesure du vers en y ajoutant les formes anciennes, même quand elles ne sont pas autrement attestées; pour la langue des scribes, nous prenons celles pour lesquelles le désaccord des mss. nous montre qu'on ne peut les attribuer à l'auteur et les formes nou- velles dans certains cas, même quand l'accord des mss. semblerait permettre de les faire remonter à l'auteur lui-même.

Pour nous garder contre les barbarismes que commettent les

Introduction ix

auteurs et les incorrections accidentelles des scribes, nous nous sommes permis dans un grand nombre de cas de donner beaucoup d'exemples ; peut-être nous est-il arrivé quelquefois d'en donner plus que l'occasion ne le comportait.

Nous avons exposé assez brièvement ces quelques principes, non parce que nous pensons que leur nouveauté rende une longue explication nécessaire, ils sont moins originaux que prudents, mais pour qu'on puisse connaître à l'avance le degré de certitude que pré- sentent les formes qu'on va lire, et aussi pour qu'on apprécie la soli- dité de la base sur laquelle repose notre travail.

Nous avons jusqu'ici considéré les œuvres non littéraires comme ayant la même nature et la même autorité que les manuscrits des textes littéraires, et en le faisant, nous avons semblé admettre que ces deux catégories d'ouvrages sont écrites dans la même langue. Cela n'est pas exact ; il y a entre la langue littéraire et la langue politique, diplomatique et familière un certain nombre de diffé- rences, qui d'ailleurs s'effacent à mesure qu'on avance dans le xiv*' siècle, en raison de l'influence que la seconde a exercée sur la première.

Nous ne pouvons pas insister ici sur ce qui distingue ces deux branches de l'anglo-français ; nous verrons quelques-unes de ces différences dans notre seconde partie ; aussi pour ne pas confondre les formes provenant de l'une ou de l'autre de ces variétés de l'anglo- français, nous avons pour chacun des points les plus importants de la conjugaison consacré une étude spéciale aux textes littéraires et aux textes non littéraires.

Notre ouvrage est divisé en deux parties de dimensions fort iné- gales.

Dans la première, qui est la plus longue, nous retraçons l'évolu- tion des formes du verbe; nous avons adopté pour ce sujet la divi- sion traditionnelle : désinences personnelles, modes, temps. Cette fiçon de diviser les formes du verbe n'est cependant pas très logique ; dans les modes, par exemple, nous étudions des modes à un temps (impératif, infinitif), et pour les autres modes un seul temps de ce mode (ainsi, le présent pour le subjonctif). De plus, nous avons souvent hésité sur la nature de certains phénomènes; avons-nous un changement de désinence, ou un changement particulier à un temps? Tel autre phénomène doit-il s'appliquer à

II

X INTRODUCTION

un mode tout entier, ou se limiter à un seul temps? Il n'est pas toujours possible de le dire, et on verra peut-être que nous avons trop souvent admettre des distinctions assez arbitraires.

Ce qu'on peut dire en faveur de cette division, c'est quelle est assez commode et nous avouerons n'en avoir pas trouvé de meil- leure.

Dans notre seconde partie au contraire, nous avons pu adopter un ordre essentiellement logique ; nous y groupons les formes pour les expliquer. Nous aurons donc à reprendre un certain de formes parmi celles que nous aurons exposées dans notre première partie. Nous espérons avoir réduit au minimum le nombre des répétitions nécessaires. Ce plan nous aura permis de séparer les questions de tait des explications parfois hypothétiques que nous leur donnons.

BIBLIOGRAPHIE

Nous n'avons pas l'intention de donner dans cette bibliographie un catalogue complet de tous les ouvrages appartenant à la littéra- ture anglo-française ; cependant, nous pensons qu'on y trouvera les œuvres les plus importantes de la littérature française en Angle- terre. Dans la liste qui suit, nous mentionnons d'abord la date à laquelle nous plaçons l'ouvrage, puis l'auteur, connu ou probable, et nous indiquons brièvement l'édition dont nous nous sommes servi ; nous ajoutons les études particulières dont l'ouvrage a été l'objet et que nous avons mises à profit ; certaines d'entre elles nous ont rendu les plus grands services, mais aucune d'elles ne nous a dis- pensé de recourir aux textes mêmes, chaque fois qu'ils étaient acces- sibles et de faire nous-même pour chaque ouvrage notre étude sur la Conjugaison.

Nous avons adopté, pour la plupart des textes, les dates générale- ment admises, ou celles que les éditeurs leur ont données ; nous ne les avons changées que dans un petit nombre de cas et pour des raisons qui nous ont paru graves.

A. OUVRAGES LITTÉRAIRES.

1110. Philippe de Thaùn : Cumpoz (édit. Mail). Études particu- lières : Fenge, SprachlicheUntersuchung d.Reim. d. Comp. (Stengels, Ausg. und Abhand.).

1121. Le Voyage de Saint Brandan (édit. Suchier, Rom. Stud. I ; ms. de l'Arsenal, Auracher Ztft. II). Études particulières: Brekke, Étude sur la Flexion. . ; Hammer, Die Sprache der A. n. Brandans- legende ; Birkenhoff, Ueber Metrum und Reim (Stengels Ausg. und Abhand.).

1130. Philippe de Thaûn : Bestiaire (édit. Walberg. Cf. Remania XXIX, Zeitschrift XXV). Études particulières : Herzog, Zeitschrift XXVI. Tobler, Herrigs Archiv CV .

Ml BlBLlOGRAMllt

1150. Saint Alexis, niss. A et L (édit. G. Paris). Études particu- lières : i'orster uiid Kosclnvitz, Uehungsbuch. Cf. Rom. XXXI.

1145-1150. GeotîVoi Gaimar : L'Estorie des Engleis (Master of the Rolls ; Sir Thomas Duffus Hardy). Études particulières : P. Meyer, Rom. XVIII; J. Vising, Étude... Cf. Kupferschmidt, Rom. Stud. IV.

\'ers 1150. Élie de Winchester ' : Distiques de Caton (édit. Stengel ; Ausg. und Abhand.).

1150? Psautier d'Oxford (édit. Fr. Michel). Études particulières: Meister, Die Flexion . . ; Koschwitz, Zeitschrift II ; Harseim, Vokalis- mus und Konsonantismus.

Entre 1150-1160. Havelok (Master of the Rolls). Cf. Kupferschmidt, Rom. Stud. IV.

Vers 1160. Psautier de Cambridge (édit. Fr. Michel). Études parti- culières : Fichte, Die Flexion.,; Schumann, Vokalismus und Konson- nantismus. . .

1160-1170. Psautier d'Arundel (édit. Beyer, Ztft XI et XII).

1160. Adgar : Légendes de Marie (édit. Neuhaus). Études particu- lières: Rolfs, Rom. Forsch. I.

1160-1170. Thomas: Tristan (édit. Bédier, S. A. T.) Études parti- culières : Rôttiger, Der Tristan des Thomas.

1160-1170. Drame d'Adam ^ (édit, K. Grass). Études particulières: V. Merguet, Das Sprachgebrauch... Dramas Adam.

1160-1170. Lai du Chèvrefeuille (édit. Fr. Michel).

1160-1170. La Folie Tristan (Oxford) (édit. Bédier, S. A. T.).

1170. Sœur Clémence de Barking : Vie de sainte Catherine (édit. Jar- nik).

1170. Quatre Livres des Rois (édit. Le Roux de Lincy). Études par- ticulières : Langstroff, Die Verbal Flexion,,; Merwart, Die Verbal Flexion..; Plahn, Les quatre Livres des Rois; Schlôsser, Die Lautverhâltnisse...

1170. Horn (édit. Brede et Stengel, Ausg. und Abhand.). Études particulières : Oskar Dahms, Die Formenbau...

1174-1183. Jordan Fantosme, Chronique (édit. Fr. Michel). Études particulières : Vising, Étude..; Hermann Rose, Ueber die Metrik... (Rom. Stud. V).

Après 1170. Guillaume de Berneville, Vie de saint Gilles (édit. G. Paris, S. A. T.).

1. G. Paris place cet auteur dans le second tiers du xii*^ siècle ; nous croyons pouvoir préciser et le mettre vers 1150.

2. Ouvrage plutôt français qu'anglo-français, en dépit de certaines rimes.

BIBLIOGRAPHIE XIII

1175-1180. Benêt, Vie de saint Thomas (édit. Fr. Michel). 1185. Hue de Rotelande ' : Ipomédon (édit. Kôibing et Koschwitz). Études particulières: Kluckow, Sprachliche... Studien ûber Prothese- laûs. Fin du XII^ s. Renaut de Montauban (édit. Matthes, Jahrbuch fiir rom. und eng. Lit.).

Donnei des Amants (édit. G. Paris, Rom. XX\'). Guischart de Beauliu, Sermon en vers (édit. Gabrielson). Homélies (Zeitschrift I). 1190 ? Simon de Fresne, Roman de Philosophie (édit. Matzke, S. A. T.).

Vie de saint Georges (édit. Matzke, S. A. T.). Com. Xlir' s. Everart de Kirkham ^, Distiques de Caton (édit. Sten- gel, Ausg. und Abhand.).

Psautier à rimes couées 3 (édit. Gœdicke). 1212. Frère An2;ier, Dialogues de Gréo;oire le Grand. 1214. Vie de Grégoire le Grand (édit. P. Meyer, Rom. XII).— Études particulières : Tim. Cloran, The Dialogues of Gregory the Great; Mildred K. Pope, Étude sur la langue de Frère Angier. Vie de saint Osith (édit. Baker, Mod. Lang. Rev. M). 1210-1230. Chardri, Josaphat ; les Set Dormans; le Petit Plet (édit.

Koch). Études particulières: Mussafia, Ztft. HI. 1230 ? Robert Grosseteste, Le Chasteau d'Amour (édit. Cooke, Carmina

Anglonormannica) . 1230. Denys Pyramus +, Saint Edmund (Master of the Rolls, édit. Tho- mas Arnold). Études particulières, G. Paris. Rom. VIII. 1230. Saint Laurent (édit. Sôderhjelm). 1230. Robert de Gretham, les Évangiles des Dompnées (ms. British

Muséum, Addit. 26773). Après 1237. Edward le Confesseur >' (Master of the Rolls).

Vie en vers d'Edward le Confesseur (édit. P. Meyer, Rom. XL).

1. Nous conservons la date donnée par' G. Paris ; nous crovons cependant qu'elle devrait être reculée d'une quinzaine d'années.

2. G. Paris fait d'Everard de Kirkham un contemporain d'HIie de Winchester : en réalité il a lui être très postérieur.

3. Il faut reculer d'une cinquantaine d'années la date que Gœdicke assigne à ce Psautier ; nous observons que M. Vising a fait la même remarque (cf. Romanis- chen Jahresberichtes XII).

4. Nous n'avons pas cru pouvoir placer ce poème, comme l'a fait G. Paris, au commencement dernier quart du xn*^ siècle.

5. La dédicace montre que le poème est postérieur à 1237.

XIV BIBLIOGRAPHIE

1230-1250. Saint Thomas ' (i^dit. P. Meyer, S. A. jT.).

Bocve de Hauintonc (édit. Stimniing). Milieu du XIII^' siècle. Amadas et Ydoine (édit. Andresen, Zeitschrift XIII).

Petite Philosophie (édit. P. Meyer, Rom. VIII, XV). Le Roman des Romans (ms. British Muséum, Royal 20 B XI\'). Le Chevalier, La Dame et le Clerc (édit. P. Meyer, Rom. I). Saint Auban (édit. Atkinson). Etudes particulières : Suchier, Ueber die... Vie de saint Auban.

Sermon en Vers, Deu le Omnipotent (édit. H. Suchier). Études particulières : BokemûUer, Zur Lautkritik der Reimpredigt. Sardenai (édit. Raynaud, Rom. XI et XIV).

Aspremont (édit. Langlois, Rom. XII et P. Meyer, Rom. XIX). Otinel (édit. Langlois, Rom. XII).

Manuscrit du Pèlerinage de Charlemagne (cf. édit. Koschwitz). 1256 ? The Songofthe Church (édit. Wright, Political Songs). •1260 ? Saint Julien^ (ms. Brit. Mus., Old Royal 8 E XVII). 1260. William de Waddington, Manuel des Péchés (édit. Furnivall,

0. E. T. S.).

Fragments d'une traduction de la Bible (édit. Bohnardot, Rom. XVI). 1265. Érection des Murs de New Ross (édit. Fr. Michel). 1267. Pierre de Peckham, Lumière as Lais (édit. P. Meyer, Rom.

VIII, XV et XIX). 1260-1280. Lament of Simon of Montfort (édit. Wright, Political Songs). The Song of the Barons (ibid.).

Chermaus, Assumpcione Notre-Dame 3 (ms. : Brit. Mus. Cot.Dom. A XI).

1. Nous reculons quelque peu la date que donne G. Paris.

2. Saint Julien. Nous conservons à ce poème le titre de Saint Julien qu'on lui a donné à cause des premiers vers :

Ici comence un estoire,

De seint Julien la mémoire (cf. Rom., XXIX, 21). Ce sont surtout des préceptes moraux et religieux écrits dans une langue assez soignée^sous forme de dialogue entre saint Julien et son disciple ; la versification est généralement correcte ; nous plaçons ce poème au commencement du dernier tiers du xni<: siècle : la langue ne diffère que peu de celle de William de Wad- dington.

3. V Assumpcione Nostre Dame Seinle Marie, par Chermaus. Nous avons ici un poème fort intéressant et qui ne manque pas de mérites ; nous n'avons pas tou- jours à nous louer du scribe du ms. Cotton Domitien A XI qui nous l'a trans- mis ; la versification a être assez correcte :

BIBLIOGRAPHIE XV

Genèse Notre-Dame ' (ms. : Brit. Mus. Cot. Dom. A XI).

Plainte Notre-Dame^ (ms. Bodl. Greaves 51).

The Song of Derniod and the Earl (édit. Goddard Orpen). Après 1274. Li Rei de Engleterre (Master of the Rolls). 1280-1300. Li ver deljuïse (édit. de Feilitzen, ms.Bibl. Nat. 19525).

Satire sur le siècle ' (ms. Brit. Mus. Royal, 20 B XIV).

Heures de la Vierge + (ms., Brit. Mus. Harléien 273).

Walter de Henley, Le Dite de Hosebondrie (édit. Royal Historical Society).

Segnours, ore escotez, ke Dieus vus benve [bcncie] Par sa mort(e) dolerouse kl nus dona la v\o. Le nom de l'auteur nous est conservé dans les derniers vers : Ma dame, a ton honur fet ai ceo [cette] chanceun Jeo ay a noun Chermaus, n(e) ubliez mie mon noun. Ce poème offre de grandes analogies avec le suivant et la Plainte Notre Dame,

1 . La Genèse Notre-Dame est un poème très intéressant qui ne manque pas de valeur littéraire; c'est toute l'histoire sainte, Ancien et Nouveau Testament, racontée très simplement et non sans émotion ; nous en avons une copie soignée, comme pour le précédent, mais les fautes sont encore trop nombreuses.

2. La. Plainte Notre-Dame présente des ressemblances réelles avec la Genèse et surtout YAssiimpcione; nous ne serions pas étonnés si ces trois poèmes étaient dus à Chermaus ; nous préparons d'ailleurs une édition de ces poèmes nous discuterons ce point.

5. La Satire sur le siècle est un autre poème de 1926 vers, qui a encore une réelle valeur littéraire ; la versification n'est pas très correcte, ni la langue : Oyez, Seignurs, sermun ; Ne orrez si veirs nun. Le siècle est alez Tut turné a déclin, Près est de la fin ; Al oil le veez.

4. Les Heures de la Vierge sont écrites en vers assez corrects ; en voici un spé- cimen :

64 r. Si Deu ne garde la meson. En vein travaillent li mason ; Si Deu de tôt nen est gardein, Cil qe la gaite la garde en vein ; En vein devant le jour levez Qe le pain de dolour manges ; Qant ses chers amis mort serrunt Le héritage Deu avrunt.

Nous joindrons à ces Heures le Placebo en romance qui appartient à hi même époque .

XVI BIBLIOGRAPHIE

Anonyme. Hosehondrie, Seneschaucie (édit. Roval Hist. Society ; ms. Canibr. Univ. Ee, i, i). Fin du XIIP siècle. LOrdie de Bel Eyse (édit. Wright, Political Songs).

Miracle de sainte Madeleine (édit. Rom. XXII).

Saint Nicolas (édit. P. Meyer, Rom. IV).

Pronostics de la Mort (édit. P. Meyer, Rom. IV).

Poème allégorique (édit. Rom. XV).

Chansons anglo-normandes (édit. P. Meyer, Rom. IV),

Lai du Cor (ms. Digby 86, d'après l'édition de Wulft). 1292. Wil. Rishanger, Cronica et Annales (Master of the Rolls). 1300 ? Petite Sume des Set Pèches Morteus ' (Br. Mus. ms. Harléien

4657)-

Les xxxvi mestre folies ' (ms. Brit. Mus., Harl. 4657). Antecrist ' (ms. Brit. Mus. O.R. 8 E, XVII). Evangile de l'Enfance (édit. Gast, Die beiden Redaktionen... Mss. Bodl. Selden supra 38 ; Univ. Camb. Libr. Gg, i, i), 1300-1310. Gautier de Bibblesworth, Manière de Langage (édit. P. Meyer).

Le roman de Foulques Fitz-Warin (édit. Moland). 1301. Traillebaston (édit. Wright, Political Songs). 1303. Siège de Carlaverok (édit. Nicolas).

1307. Pierre de Langtoft, Chronique (Master of the Rolls, édit. Tho- mas Wright). 1307-1308. Lamentations au sujet de la mort d'Edward I" (édjt.

Wright. Political Songs). 1310-1315. La Plainte d'Amour ^ (mss. Bodl. Rawl. Poetry 241; Brit.

1. Petite Sume des Set Pèches Morteus ; Les xxxvi vicstre folies ; Antecrist. Nous mentionnons ces trois poèmes, non pas à cause de leur valeur littéraire, qui nous a semblé nulle, mais parce que nous y avons trouvé la matière d'observations importantes ou curieuses ; en particulier, l' Antecrist, écrit presque en entier au futur est |^ une mine d'observations pour la forme de ce temps au xive siècle.

2. Plainte d'Amour. Nous avions pris copie de deux des manuscrits de la Plainte d'Amour avec l'intention de publier ce beau poème. M. J. Vising nous a devan- cés et nous n^ avons pas à le regretter . Nous ne partageons cependant pas son opinion sur l'auteur de ce poème ; la langue nous semble sensiblement plus ancienne que celle du second tiers du xive siècle, et nous ne croyons pas Nicole Bozon capable d'avoir écrit ce poème qui dénote un talent très supérieur à celui de l'auteur des Vies des Saints et du Char d'Orgueil. Nous avions tout d'abord placé ce poème vers 1280.

BIBLIOGRAPHIE XVII

Mus. Harl. 273). Études particulières : Johan Vising, La Plainte d'Amour. 1300-1330. Apocalypse (édit. P. Meyer, Rom. XXV). Saint Paul (édit. P. Meyer, Rom. XXIV). Vie de sainte Marguerite (édit. P. Meyer, Rom. XL). L'Evangel translate de latyn en franceys ' (ms. Brit. Mus. Cet. Dom. A XI).

Ms. de la Destruction de Rome (édit. Grôber, Rom. II). Ms. des Règles de Grosseteste (édit. Royal Historical Society, Bodl. Douce 98).

De Conjuge non ducenda (édit. Wright, Latin poems commonly attributed to Walter Mapes). Vers 1330. Nicole Bozon, Contes (édit. P. Meyer, S. A. T.).

De la Bounté des Femmes.

_ _ Vies de Saints ^ (Brit. Mus. Cot. Dom. A XI). _ _ Vie de saint Paul l'Ermite (édit. Baker Mod.

Lang.Rev.).

Vie de saint Panuce (édit. Baker).

__ Vie de saint Richard de Cicestre (édit. Baker,

Rev. des Langues Romanes, LUI).

_ _ _ Le char d'Orgueil (ms. Brit. Mus. O. R. 8 E,

XVII; Bodl., Bodley425)-

_ _ Geste des Dames î (ms. Brit. Mus. O. R. 8 E,

XVII).

Proverbes de Bon Enseignement 4 (mss. : Brit.

Mus., Old Royal 8 E XVII; Arundel 507; Harléien 957; Addit. 22283; Bodléienne, Selden supra 74; Rawl. Poetry 241; BodJey 425 ; Bodley 761). Vers 1330. La Passioun Notre Seignour 5 (ms. Brit. Mus. Harl. 2253).

1. VEvangel translate a certainement plus de mérites que l'Antecrist ; nous le plaçons au commencement du xive siècle, car la langue rappelle celle de l'Apo- calypse.

2. Nous désignerons par Vies de Saints et l'indication d'un folio les exemples que-nous avons tirés de la Vie de Marie Madeleine et de celle de sainte Agnès que nous trouvons dans le ms. Cotton Dom. A XL

3. Pour la Geste des Dames, cf. Rom. XIII et XXIV.

4. Les Proverbes de Bon Enseignement ne sont peut-être pas de Nicole Bozon ; M. P. Meyer a signalé sept mss., nous en avons découvert un huitième. Nous avons déjà copié ces huit manuscrits et nous donnerons sous peu une édition de

ce poème.

5. La Passioun Notre Seignour. Ce poème sur la Passion, d'environ 2.000 vers donné par le ms. Harléien 2255 (cf. Lgerton 2710) doit appartenir à la seconde

XVIIl BIBLIOGRAPHIE

1334. Nicolas Trivet, Chroniques (ms. Brit. Muséum, Arundel s6).

1350 , Poème religieux (ms. Royal 20 B, XIV).

1385. Le Héraut Chandos. Poème du Prince Noir (édit. Mildred K.

Pope). Études particulières : Johan Kôtterit7-Sprachliche und text-

kritische Studien. 1397. Worcester Ms.

La liste des ouvrages que nous venons de donner ne prétend pas être un catalogue complet de la production littéraire anglo-française de riio à 1400; il y a un certain nombre de textes, imprimés ou manuscrits, que nous avons consultés et que, pour une raison ou pour une autre, nous n'avons pas mis à profit dans notre étude, ni cités dans notre bibliographie.

Nous n'avons pas du reste accordé la même importance ci tous les ouvrages qui précèdent ; ils nous ont tous servi, mais notre effort a surtout porté sur un certain nombre d'auteurs ou d'ou- vrages que nous considérons comme des points de repère, des centres autour desquels on peut grouper la production littéraire anglo-française, et qui représentent mieux que tous les autres l'an- glo-français à ses différents moments. Ces ouvrages significatifs sont :

moitié du xiye siècle. Il est possible que le scribe doive être tenu pour responsable d'un certain nombre de formes fautives que nous rencontrons dans ce poème ; en voici les derniers vers (33 v.) :

De coe devum requere la sue pite

Al nostre cher seignur qui maint en trinite

Tant cum nus sûmes el secle, si poums reclamer.

Icoe si nus otreit li parmanables Deus Qui fist home e feme, cel e terre e mer.

[. Poème Religieux. Nous avons étudié ce poème en lui donnant la date du ms., car nous n'avons pas pu lui assigner une date même approximative ; il est écrit en vers de 12 syllabes, et à certains points de vue il rappelle la Plainte d'Amour et semblerait appartenir au commencement du xivc siècle ; d'un autre côté, il con- tient beaucoup de formes qui sont certainement de la seconde moitié de ce siècle ; nous n'emprunterons que fort peu d'exemples à ce poème. Voici les vers du début (65 V.) :

Queor ke tut volt aver si ke ren ne li faille

Si aprenge d'amer chose ke dure e vaille ;

Li grain prenge a sun oes, a vein queor lest la paille

Le noel a sei gart, e jet al fu l'escaille.

BIBLIOGRAPH XIX

Pour le commencement du xii^ siècle^ le Cumpoz et le Bes- tiaire ;

Pour le milieu de ce siècle, l'Estorie de Gaimar, en établissant le texte à l'aide des variantes, ce qui est ordinairement assez facile ;

Pour la période 1160-1180, les Psautiers, le Tristan de Thomas, la Vie de sainte Catherine à cause de la régularité de la versifica- tion, et les Quatre Livres des Rois ;

Pour la fin de ce siècle, la Vie de saint Gilles et l'Ipomédon.

Les poèmes de Frère Angier et ceux de Chardri (en corrigeant pour ce dernier le texte de Koch) nous donnent une excellente idée de la langue du commencement du xii^ siècle.

Avec les Evangiles des Dompnées, nous trouvons la langue du commencement du second tiers du xii'' siècle, et celle du milieu de ce siècle dans le Saint Auban.

Le Manuel des Péchés de William de Waddington est le meilleur modèle que nous ayons de la langue du commencement du troi- sième tiers de ce même siècle, et le poème de Dermod, du qua- trième quart.

Pour le commencement du xiv^ siècle, nous avons choisi le poème de l'Apocalypse ; le nombre considérable des ouvrages de Nicole Bozon nous permet de nous faire une idée aussi adéquate que possible de ce qu'était l'anglo-français vers 1330, et le poème du Prince Noir avec le Worcester manuscript nous fait connaître la conjugaison à la fin du xiv^ siècle.

Ce n'est pas seulement à cause de leur valeur intrinsèque que nous avons mis à part les quelques ouvrages précédents pour en faire la base de notre travail ; nous avons été guidés dans notre choix par une autre considération des plus importantes : celle des dates.

Il était indispensable que nous eussions un certain nombre de points de repère absolument assurés et assez rapprochés les uns des autres, auxquels nous puissions rapporter les principales formes nouvelles. Nous les avons trouvés dans les ouvrages que nous venons d'énumérer ; il en résulte que la date des autres textes n'a plus qu'une importance relative, les exemples qu'ils nous offriront ne devant servir qu'à appuyer ceux que nous aurons rencontrés dans l'autre classe de textes : pourvu que les ouvrages les moins importants appartiennent approximativement aux dates que nous

XX BIBLIOGRAPHIE

leur avons assignées, nous sommes sûrs de ne pas commettre d'er- reur grave. C'est ce qui nous a permis de faire entrer en ligne de compte les textes manuscrits que nous avons cités et dont les dates ne sont pas très assurées, en admettant même que nous ne nous soyons pas parfois gravement trompé dans notre chronologie.

Nous ajouterons un mot sur notre façon de citer : pour les œuvres en vers, nous donnons le numéro du vers ; nous donnons pour les exemples que nous tirons du Voyage de saint Brandan la leçon du ms. de Londres (Suchier) et celle du ms. de l'Arsenal (Auracher) ; pour les ouvrages dont nous n'avons que de mauvaises éditions, ils sont nombreux, l'Estorie des Engleis, la Chronique de Fantosme, les poèmes de Chardri, nous nous sommes efforcé de rétablir le texte exact, et cela n'a pas été une des moindres difficultés que nous ayons rencontrées . Pour les ouvrages dont les vers ne sont pas numérotés (comme la Chronique de Pierre de Langtoft) nous donnons d'abord la tomaison s'il y a lieu, puis la page, enfin le numéro du vers dans la page. Pour les œuvres en prose (Foulques Fitz Warin), nous n'avons donné que la page, excepté pour les Psautiers et les Quatre Livres des Rois nous citons par livre, psaume ou chapitre, verset.

Nous avons vérifié, et à plusieurs reprises, les citations que nous avons faites, cependant il est évident que quelques erreurs ont s'introduire ; nous espérons qu'on tiendra compte du nombre con- sidérable des citations pour nous pardonner les erreurs matérielles qui se sont glissées dans cet ouvrage .

B. OUVRAGES NON LITTÉRAIRES.

a) Lettres.

Royal Letters, Henry III (R. S.), édit. Rev. W. W. Shirley.

Vol. II, 1249-1270. Lettres de Rois (Documents inédits).

Vol. IL 1305-1396. Royal and Historical Letters (R. S.), édit. F. G. Hingeston.

1399. Lettres de Jean de Peckham (R. S,), édit. G. T. Martin.

1277-1289.

BIBLIOGRAPHIE kXJ

Literae Cantuarienses (R. S.), édit. J. B. Sheppard.

1312-1408. Letters from Northern Registers (R. S.), édit. Rev. James Raine.

1270-1347.

b) Textes politiques, diplomatiques, etc.

Rymer's Foedera.

Vols. I, II, III, IV, V, VI (1256-1399). Statutes of the Realm, dans les « Publications of the Record Commis- sioners. »

Vols. I et II (1275-1599). Early Statutes of Ireland, John to Henry \' (R. S.).

Vol. I, 1280-13 20. Parliamentary Writs, dans les « Publications of the Record Commissio- ners ».

Vol. I et II, 1280-1320. The Acts of Parliament of Scotland, dans les « Publications of the Record Commissioners ». Vol. I.

(■) Documents des finances, municipaux et autres.

Liber Rubeus de Scaccario (R. S.), édit. H. Hall.

Vol. III, 1266-1325. The Blacke Booke of the Admiralty (R. S.), édit. Sir Travers Twiss.

\'ol. I et II, 1291-1391. Historié and Municipal Documents of Ireland (R. S.), édit. J. T. Gil- bert.

Vol. I, 131 5. Munimenta Gildhallae Londoniensis (R. S.), édit. H. T. Riley.

1. Liber Albus.

1280.

2. Liber Custumarum.

1280. Munimenta Academica (R. S.), édit. Rev. H. Anstey.

1348-13 58. Registrum Palatinum Dunelmense (R. S.), édit. Sir Ihomas Duflus Hardy.

Vol. I, 131 1-13 14;

Vol. II, 1 234-1 316 ;

Vol. III, 1302-1338.

XXII BIBLIOGRAPHIE

Chartularies of St Mary's Abbey, Dublin (R. S.), cdit. J. T. Gilbert.

Vol. I. Registrum Malmesburiense (R. S.), édit. Rcv. J. S. Brewer.

Vol. I et II. (Chartularies of St Mary's Abbey, Dublin (R. S.) édit. J. T. Gilbert.)

Vol. I.

d) Annales monastiques contenant des documents en français.

Annales Monastici(R. S.), édit. H. R. Luard.

1. Annales de Theokesberia ;

1263.

2. Annales de Burton ;

1263.

3. Annales de Oseneia ;

1277-1347- Chronica Monasterii Sancti Albani(R. S.), édit. H. T. Riley.

1. Thomas Walsingham Historia Anglicana ;

1297.

2. Willelmi Rishanger Chronica et Annales ;

1259-1307.

3. Gesta Abbatum.

Vols. II et III 1298-1399.

Annales Londonienses. 1291-1330.

e) Autres annales.

/) Textes légaux.

Year Books (R. S.), édités par A. J. Horwood et par L. O. Pike.

15 volumes, 1 292-1 346. Year Books (Selden Society), édités par Prof. Maitland.

9 volumes 1307-13 17. Calendar of the Close Rolls (Calendars of State Papers), édités sous la surveillance du Deputy Keeper of the Records. 1307 sqq.

Il nous resterait à citer deux catégories d'ouvrages : ceux qui traitent de la conjugaison en français, soit qu'ils étudient toutes les formes du verbe, soit qu'ils prennent pour sujet un mode, un

BIBLIOGRAPHIE XXII

temps, une désinence, une forme ; que le verbe soit spécialement le but de leur étude, ou une partie seulement de leur sujet. Nous avons contracté une dette immense envers tous ces auteurs, mais leur nombre est tel que nous ne pouvons pas songer à les mention- ner ici . On pourra voir dans les notes qui suivent chaque question combien nous devons à cette catégorie d'ouvrages.

Nous ferons simplement remarquer ici que nous nous sommes servi de la traduction française de l'ouvrage de M. Suchier sur les Voyelles toniques, ensuite que par la Grammaire de M. Meyer- Lûbke, nous entendons la traduction française de sa grammaire des Langues romanes et par la Grammatik du même auteur, nous comprenons son Historische Grammatik der Franzôsischen Sprache.

Il y a une autre catégorie d'ouvrages qui nous a été du plus grand secours, nous voulons dire les études qui ont été consacrées à l'anglo-français : tantôt des études générales, comme l'étude sur le dialecte anglo-normand du xii^ siècle de Professer Johan Vising, ou Laut- und Formenlehre der Anglonormannischen Sprache des xiv. Jahrhunderts d'Emil Busch, ou l'Orthographia Gallica de Stûrzinger. Plus souvent, ce sont des passages d'ouvrages généraux, comme le Français et le Provençal de M. Suchier, les nombreux . articles de M. P. Meyer que nous avons mis à profit ; plus sou- vent encore les introductions les éditeurs ont étudié leurs textes : pour ce dernier genre de travail, nous ne pouvons pas passer sous silence l'étude que M. Meyer a consacrée aux contes de Nicole Bozon, ni le travail si riche que M. Stimming a mis à la suite de son édition de Boeve de Haumtone.

Malgré notre désir d'avouer publiquement toutes ces dettes, bien évidentes du reste, et de témoigner de notre reconnaissance à tous ceux qui nous ont précédé et des labeurs desquels nous avons profité, nous devons renoncer à les énumérer ici. Dans le corps de cet ouvrage, et toutes les fois que l'occasion s'en présentera, nous serons heureux de rendre à César ce qui appartient à César.

Saint- Andrews, mai 19 14.

Il me reste encore à remercier tous ceux qui m'ont facilité ce long travail : M. Antoine Thomas tout d'abord, notre maître, dont les conseils m'ont été si précieux ; ceux qui ont bien voulu revoir

X\|\ BIBLIOGRAPHIE

les épreuves de ce livre : M. L. R. Tanquerey, professeur au lycée de Tulle, M. J. A. Videment, Lecturer à l'Université de Sheffield. Mon dernier mot sera pour exprimer à ma mère toute ma recon- naissance pour l'aide matérielle et morale qu'elle n'a cessé de me donner et dont je puis seul apprécier toute l'étendue.

Lorient, juillet 1914.

Cet ouvrage a été imprimé pendant la guerre ; quoique mobilisé , je n'ai pas voulu en interrompre l'impression. Aussi fai en corriger hâtivement les épreuves pendant les loisirs que nie laissaient mes devoirs militaires .

A bord du Tibre, Octobre 1^14.

PREMIERE PARTIE Les Formes

LIVRE PREMIER DÉSINENCES PERSONNELLES

CHAPITRE PREMIER LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER

La première personne du singulier, dont les désinences se sont unifiées d'une façon si remarquable en français moderne, présentait dans l'ancienne langue une assez grande variété de formes; il en résulte qu'elle nous donne la matière de nombreuses observations. Les différentes questions que les désinences de cette personne sou- lèvent sont: a)rt'; b) 1'^; c) la gutturale; d) les terminaisons en -eie; e) les terminaisons en -ai.

a) L'^. On sait qu'en français moderne l'c atone est la dési- nence caractéristique de la première personne du singulier du pré- sent de l'indicatif des verbes de la première conjugaison. Cet ^' se rencontre en anglo-français, non seulement avec les verbes de I, mais, plus ou moins régulièrement, à toutes les conjugaisons.

I. PREMIÈRE CONJUGAISON.

Étymologiquement, deux classes de verbes de I seulement pré- sentaient dans l'ancienne langue une désinence en e atone : d'abord ceux qui se terminaient par un groupe de consonnes impossibles à prononcer, comme iitr (d'où j'entre) ; ensuite ceux qui en latin étaient accentués sur l'antépénultième (comme diibito, je doute). Ce second cas se ramène naturellement au premier; car si le verbe est accentué sur l'antépénultième, la chute de la voyelle pénultième produit un groupe de consonnes nécessitant un e d'appui. Ce groupe, il est vrai, s'est réduit de bonne heure ; double a rapidement passé à Jo///t'; néanmoins, en français, le souvenir confus de l'ori- gine de cet e final le maintint assez longtemps après qu'il eut perdu sa raison d'être. Dans le français continental du reste, cet (' muet disparaît totalement pendant un certain temps et les verbes

4 l'évolution du verbe en anglo-français

accentués sur l'ainépénultième subissent, par la suite, le même traitement que les autres verbes.

Le français s'est implanté en Angleterre à une époque les e analogiques à la première personne du singulier étaient extrêmement rares, sinon absolument inconnus. Par conséquent, rien de plus naturel que de supposer que les premières œuvres anglo-fran- çaises n'oftTent que des désinences régulières à cette personne. Ce n'est cependant pas ce qui s'est produit : dès les premières années du xii"" siècle, nous trouvons au moins un auteur qui emploie à Toccasion la forme présentant une muette irrégulière. Tous ses contemporains cependant ne nous montrent que des formes étymologiques et pendant environ un demi-siècle les exemples que nous fournit cet auteur demeurent uniques ; cette inconsistence est tout à fait caractéristique de l'anglo-français.

Pendant cette première période (iiio-iiéo) de l'anglo-français par conséquent, nous rencontrons un seul auteur irrégulier et un grand nombre d'autres qui n'emploient jamais que les tormes éty- mologiques. Nous ne citerons aucun exemple tiré des ouvrages de ces derniers : il serait oiseux de faire une énumération de formes parfciitement naturelles et qu'on pourra trouver dans les études de détail consacrées à chacun de ces ouvrages. Nous ne ferons d'excep- tion que pour l'Estorie des Engleis de Gaimar: dans ce poème les formes étymologiques sont fréquentes et assurées par des rimes ou la mesure des vers. On y trouve aussi, semble-t-il, quelques formes irrégulières (cf. aux vers 688, ^698, 4974); mais aucune d'elles n'aurait pu subsister dans un texte critique. Dans chacun des cas que nous avons rencontrés, il suffit de supprimer Ve introduit par le scribe ou par l'éditeur pour rétablir la mesure du vers ; par exemple on doit lire au vers 688 :

Bien le vus jur, sil vus affi et non jure.

On pourrait facilement relever plusieurs autres exemples ana- logues dans ce poème. Parfois il faut adopter pour rétablir la forme régulière, la leçon de certains manuscrits, leçon rejetée par l'éditeur. C'est ainsi qu'on lit au vei's 3698 :

U io ne note nule bealte

LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 5

alors que les trois autres manuscrits D, L & H donnent la leçon correcte :

U il n'en ot nule bealte.

A côté de ces formes corrompues par les scribes, nous en trou- vons un nombre considérable de régulières (cf. à la rime, afi 668, 4355;/)^;w 1143, 2301 ; et 711, 2761, 4907, 6030, 6034 et plu- sieurs autres; et dans le corps des vers 669, 707, 4618, 6298). Il en va de même d'Elie de Winchester qui, dans ses distiques de Caton, nous offre plusieurs exemples de formes régulières comme enort (mort) au vers 174.

Tous ces ouvrages que nous pourrions citer nous représentent aune exception près, la totalité des œuvres antérieures à 11 50, et Ton voit qu'ils montrent tous la plus grande régularité ; il fallait évidemment une ombre à ce tableau et c'est le Voyage de saint Brandan' qui la donne. Quoique Fun des premiers ouvrages anglo- français, ce poème nous présente un cas indiscutable de la forme analogique, et c'est le plus_ancien exemple que nous ayons de cette forme". Cet exemple ce trouve à la rime du vers 1302; on y voit Jt';;w/;/^' rimer avec />m/6'. Cette rime se trouve dans le manuscrit de Londres et dans celui de l'Arsenal. Dans ce même poème on a encore relevé une autre rime très discutable aux vers 1451-1452 :

lie (: nie).

M. Willenberg a fait fort justement observer que cet exemple n'a aucune valeur probante si ;nV = nego; cet f apparaissant dans une interrime peut provenir de l'ignorance ou de la négligence du scribe. Mais M. Willenberg a tort de croire que la présence de 1'^ irré- gulier est mieux établie si nie est un présent du subjonctif. Nous verrons plus tard que, pour les verbes de I, la première personne du singulier de ce temps a conservé longtemps, en tous cas pen- dant les trois premiers quarts du xii^ siècle, la forme régulière sans

i.Nous verrons que sur bien des points le Saint Brandan se détache nettement du croupe des ouvrages de son époque et qu'il annonce l'usage en honneur 50 ou 75 ans plus tard. Nous penchons à croire qu'il a été fortement remanie par le scribe du manuscrit de Londres. Cette opinion est confirmée de tous points par l'étude du manuscrit de l'Arsenal BLF 285,' publié au volume II de la Zeitschrift.

6 l'évolution du verbe en anglo-français

atone. Il est donc difficile de ne pas admettre que dans cet exemple IV de toutes façons et pour les deux verbes appartient au scribe.

Par conséquent nous ne pouvons retenir comme exemple de IV analogique que la première rime du Voyage de saint Brandan que nous avons citée. Mais jamais un exemple isolé n'a eu beaucoup de poids, et nous pouvons conclure que pendant la première moitié du xii" siècle les premières personnes de I sont toujours régulières.

Pendant la seconde moitié du xii'^ siècle et la première du siècle suivant, la forme étymologique reste la règle chez tous les auteurs, la seule employée chez la plupart. Les formes avec voyelle atone ne se rencontrent que chez les auteurs qu'on appelle « incorrects ». Il serait peut-être bon, maintenant que la question se pose d'elle- même, de déterminer la valeur que nous attribuerons aux différents témoignages et de dire quels sont ceux que nous considérons comme les plus significatifs. Si, pour un point déterminé, les auteurs « corrects » d'une période nous montrent tous le même usage, nous en conclurons que cet usage représente la règle de la langue littéraire ; si de leur côté les auteurs « incorrects » nous montrent l'usage contraire, nous considérerons que c'est surtout le témoi- gnage de ces derniers qu'il nous faudra examiner.

En effet, la langue des écrivains, même au moyen cage et surtout en anglo-français, est toujours et jusqu'à un certain point archaïque ; elle tend encore à le rester davantage, à proportion de la difficulté ou de la rareté des échanges avec la langue populaire. Pour cette double raison, les plus corrects des écrivains anglo-français, surtout pendant la période dont nous parlons, nous donnent avant tout des preuves de la vitalité des traditions littéraires au point de vue de la langue. Ceux au contraire qui nous semblent incorrects, se souciant moins ou incapables d'écrire comme le faisaient leurs pré- décesseurs, reproduiront aussi exactement que possible l'usage courant de leur temps, et c'est justement cet usage qu'il nous importe de déterminer, s'il est possible de le faire.

La seule difficulté sera de démêler ce qui peut n'être qu'une erreur individuelle, et nous sommes sûrs d'avance que ces erreurs ne sont pas rares, des faits généraux.

Cela n'est pas toujours facile ; mais une particularité morpholo- gique répétée dans quelques auteurs indépendants suffit pour indi- quer une tendance assez générale. Si cette même forme est

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 7

employée à l'exclusion de toute autre par quelques auteurs, même incorrects, c'est la forme qui tend à devenir habituelle et normale à l'époque.

Nous aurons donc à examiner les auteurs corrects, sans attacher une trop grande importance aux renseignements qu'ils nous four- nissent, surtout sans fonder notre jugement uniquement sur les indications qu'ils nous donnent; ensuite à voir si, chez les autres, les formes avec e atone ont quelque généralité. Si elles en ont, nous conclurons que ces désinences analogiques sont devenues à l'époque que nous préciseront ces auteurs, la forme normale de nos premières personnes du singulier, quelles que soient les conclu- sions que les autres auteurs aient pu nous suggérer ; si elles restent accidentelles, nous admettrons que la forme étymologique n'a pas été déplacée.

De 1150 à 1250, ces auteurs corrects restent le majorité ; Adgar, pour la question actuelle, en est au même point que Gaimar, quoique ordinairement il représente un état de choses plus avancé. Chez lui aucun e analogique qui puisse résister à l'examen (cf. I, Eg. 19; VR 23 5;MX, 113; XVII, 516, 613; XXI, 87 ; XXVIII,

178).

Il en va de même, et cela est moins extraordinaire, pour le Tris- tan de Thomas (31, 908, 1334), la Folie Tristan (84, 302, 334), et le Lai du Chèvrefeuille. Les formes correctes sont les seules employées par sœur Clémence de Barking dans sa Vie de Sainte Catherine (cf. vers 47, 385, 647, 688), par Jordan Fantosme (cf. les rimes des vers 343, 498, 1024, 1360), et dans le drame d'Adam (cf. vers 85, 130, 136, 243, 402, 628). Elles sont moins communes, mais toujours les seules dans le poème de Horn (cf. vers 362, 565, 466, 729), et dans Haveloc (755, '^(>C).

Gaston Paris, dans son introduction à la Vie de Saint Gilles, cite un certain nombre d'exemples de formes étymologiques dans ce poème ; ainsi, nous n'avons aucune raison de retenir comme un exemple provenant de Guillaume de Berneville de Ye analogique le demande du vers 2041 cette première personne précède un mot commençant par une voyelle :

Jo ne dcmand(e) a cette feiz Pour clore le xii^ siècle, nous trouvons Guischart de Beauliu qui

8 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

nous offre un nombre considérable de premières personnes régu- lières, assurées, soit par la rime (cf. vers 145) soit par la mesure du vers (cf. 524, 667, 1148, 1201, 1202, 145 1, lire à ce dernier vers espoent).

Nous ne donnons aucun exemple tiré des poèmes de Simund de Freine; on pourra les lire dans l'Introduction de M. Matzke'.

Dans chacun des trois poèmes de Chardri, les rimes sont fré- quentes : devi)i ( : fin) au vers 359 du Josaphat ; cinuant ( : demein- tenant) dans le même poème au vers 918 , cri rime avec « esbaï » dans les Set Dormans au vers 1441 et peu s avec « sens » au vers 105 du Petit Plet. Le même état de choses formes étymologiques fré- quentes, formes analogiques absentes se remarque dans le Saint- Laurent % dans le Psautier à rimes couées (Harléien, 4070), dans le Saint Julien ' même dans le Saint Auban^.

Dans la Vie d'Edward le Confesseur les premières personnes du présent de l'indicatif des verbes de I, et elles sont nombreuses, sont absolument régulières.

Translat y rime avec « barat » au vers 30 ; oi' avec « enclos » au vers 60 ; cunt avec « dunt » au vers 7 5, etc. ;la régularité d'autres formes est attestée par la mesure des vers 350, 811, etc. Une seule forme semble faire exception, au vers 711; on y lit en effet ciinte; mais la voyelle finale est en hiatus, nous venons de voir au vers 75 la forme régulière; rien ne nous empêche donc, comme nous l'avons fait pour la Vie de Saint Gilles, d'attribuer \'e final au scribe.

Les exemples sont spécialement nombreux et assurés dans le « Fragment d'une traduction de la Bible » publié au tome XVI de Romania, p. 183, sqq. (milieu du xiii"^ siècle). On rencontre à la rime dans ce fragment apel (: Israël) (vers 397); demand ( : grant) au vers 44e ; y«r (: amur) au vers 526, tandis qu'on ne trouve aucune première personne incorrecte ; la même remarque s'applique à l'Assumpcion Notre-Dame de Chermaus ; voir par exemple fol. 81 v°.

1 . Page xli.

2. Porpens ( : tens) ; comeni ( : Lorenz) 75 ; les {: après) 202 etc.

3. Pens (: tens) 65 ro ; 76 ro, etc. Assurés par la mesure du vers : coi'eit 67 ro ; pli 67 V'O; mervoil 69 ro; os 72 ro.

4. Devin ( : vesin) 68 ; teniiiii ( : enterrin) 1845.

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 9

Par conséquent, comme nous le disions tout à l'heure, entre II 50 et 1250 nous trouvons un nombre considérable d'auteurs qui n'emploient que les formes régulières à la première personne du singulier du présent de l'indicatif des verbes de I.

Les Légendes de Marie, le Tristan, le Lai du Chèvrefeuille, la Folie Tristan, la Vie de Sainte Catherine, Horn, la Chronique de Jordan Fantosme, le Drame d'Adam, la vie de Saint Gilles, le Ser- mon en vers de Guischart de Beauliu, les poèmes de Simund de Freine, ceux de Chardri, le Saint Laurent, le Saint. Julien, la Vie d'Edward le Confesseur, le Saint Auban montrent un grand nombre de formes étymologiques et ne montrent que celles-là.

La longueur même de cette liste laisse à penser qu'il ne reste que peu d'auteurs qui présentent Ve analogique entre 1150 et 1250. Et parmi les auteurs dont il nous reste à parler maintenant, il y en a chez lesquels la forme incorrecte est extrêmement rare. Le Psautier de Cambridge par exemple ne nous présente qu'un seul cas d'c irrégulier, c'est le parole qu'on trouve à '1, i. Il en est de même des Quatre Livres des Rois: cet ouvrage nous donne un nombre considérable de tormes régulières et une seule forme analogique piie, l\\ 20; les Distiques de Caton d'Everart de Kirk- ham nous fournissent encore (19, e) un exemple assuré de cette forme ; prie ( : mie).

On serait très tenté de considérer cet e unique, de parole et de prie, comme de simple lapsus calami ou une mauvaise rime. Cependant, après un certain intervalle, ce dernier verbe apparaît de nouveau sous la forme analogique dans un auteur ordinaire- ment très correct, Robert de Gretham . On pourrait presque clas- ser celui-ci parmi les auteurs ne présentant jamais la forme analo- gique ; dans ses Évangiles des Dompnées nous n'avons relevé qu'un seul cas la mesure du vers exige un e. C'est prie (59 r") ; ce n'est peut-être qu'un vers faux, car on retrouve pri ( : respundi) 68 r°, et passim assez fréquemment. De plus le nombre d'exemples de premières personnes régulières est considérable dans ce poème, on trouve à la rime deinaut ( : cumant) m r°; glorifi ( : respundi) 68 ; ciuit ( : mund) 9 . Si nous passons maintenant aux formes du corps du vers assurées par la mesure, nous nous trou- vons en présence d'une liste beaucoup plus étendue : citons seule- ment : aim 84 ; gel 34 r" etc.

10 L EVOLUTION DU VERBK EN ANGLO-FRANÇAIS

Les mC'mcs remarques peuvent être faites au sujet du Saint Edmund ; un grand nombre de formes étymologiques sont assu- réeb soit par la rime ou par la mesure du vers^ par exemple ciiiit ( :Edmunt) au vers 199; cornant (: avant) au vers 706, etc. Un assez grand nombre à'e cependant se trouvent écrits. Quelques-uns sont très évidemment dus au scribe ou à l'éditeur, par exemple au vers 2917 qui donne recorde ( : morte) et il faut lire record : mort.

Dans d'autres cas la correction ne s'impose pas aussi nettement ; ainsi on trouve au vers 3954 :

Cum jeo aime tant cum sei vifs.

Ici il est extrêmement probable qu'il faut lire: Cum jeo aim tant cum scie vifs.

Dans les quatre ouvrages que nous venons de citer, il est possible, sinon probable, que les quelques e analogiques qu'on rencontre sont le résultat d'une simple négligence. Mais nous ne pouvons pas nous débarrasser aussi facilement des exemples que nous rencontrons dans le Psautier d'Arundel, les deux poèmes de frère Angier et dans Boeve de Haumtone.

Dans le Psautier d'Arundel, les e sont assez communs : on trouve fie (10. i) ; habite (22.9) ; ourc (27.2).

Nous n'avons dans les poèmes de frère Angier que deux exemples de formes irrégulières, mais ils sont absolument certains : paise (: mesaise) 11 a; revire (: dire) a.

En ce qui concerne Boeve de Haumtone, il est très difficile, peut- être impossible, de dire avec quelque exactitude comment sont trai- tées les personnes qui nous occupent ; elles sont écrites au moins neuf fois sur dix avec 1'^' final ; mais la versification est tellement irrégulière que nous ne pouvons tenir aucun compte delà longueur du vers : de l'étude de la versification, cependant, nous pouvons tirer deux conclusions, l'une positive, l'autre purement négative :

On rencontre, assez rarement toutefois, des premières per- sonnes de I à la rime dans des laisses masculines : par ex. chaunt (: combataunt) i^, coininand (: vaillans) 2401 ; dèmand (: devant) ^jij ; otriiÇ: devis) 3254, et quelques autres.

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER I I

2" Les premières personnes de ces verbes ne se trouvent jamais à la rime dans les vingt laisses féminines.

Il y a donc présomption pour que eiin 689; niaiind, 64; qiiid 130 etc. appartiennent en propre à l'auteur de Boeve de Haumtone. On trouve cependant dans cet auteur un nombre assez considérable de cas il semble que l'on doive pour la mesure du vers conserver 1'^; par exemple, affie 159, envoie 54, porte 112, ose 3759; et proba- blement dans quelques autres cas encore. Mais nous sommes ici dans le domaine de la conjecture.

S'il était loisible, dans une étude de la langue anglo-française, de distinguer dès périodes clairement marquées, nous pourrions dire que pour la question qui nous occupe nous arrêtons la première période après Saint Auban. En effet, tous les ouvrages qui le pré- cèdent et le Saint Auban lui-même ont un caractère commun : c'est de ne présenter jamais ou de présenter très rarement Ve analo- gique à la première personne du singulier du présent de l'indicatif de I. Cette distinction cependant est tout arbitraire; lorsque nous arriverons à l'étude de quelque autre point, nous verrons que cette première période, qui montre une unité réelle pour la question qui nous occupe maintenant, ne correspondra plus à la réalité et nous aurions à tracer une nouvelle ligne de démarcation à quelque autre moment de la littérature anglo-française. Nous pouvons cependant admettre que tous les ouvrages de cette période ont au moins un caractère en commun : celui de ne piésenter que très rarement Ve analogique à la première personne du singulier des verbes de I.

En un mot pour résumer aussi complètement et aussi brièvement que possible les résultats de cette étude, nous pourrons avancer les points suivants :

La présence d'un e irrégulier est assurée, pour im petit nombre d'exemples dans un petit nombre d'ouvrages : le Voyage de saint Brandan (i cas), le Psautier de Cambridge (i cas), le Psautier d'Arundel (3 ou 4), les Quatre Livres des Rois (i cas), les Dis- tiques de Caton d'Everart de Kirkham(i cas). Frère Angier (2 cas), les Evangiles des Dompnées (i cas).

Plusieurs cas assez douteux peuvent se relever dans le poème de Saint Edmund et dans Boeve de Haumtone.

Si nous ne prenons que les formes assurées, nous voyons qu'un seul verbe se trouve employé sous cette forme plus d'une fois :

12 l'Évolution du verbe e\ anglo-français

prie. Par la suite, nous pourrons observer pour ce même verbe une très grande hésitation ; il apparaîtra tantôt sous la forme étymolo- gique, tantôt avec Vc analogique. Les autres verbes ne se trouvent employés qu'une seule fois. Un seul de ces derniers, fie, a un thème vocalique ; les autres montrent un thème consonantique, et, pour quelques-uns au moins, comme demainc, parole, on peut expliquer leur forme par l'influence des verbes accentués sur l'antépénul- tième.

Les dates de ces formes impliquent une nouvelle difficulté ; si on attribue la rime du saint Brandan à l'auteur du poème, ce que nous ne pouvons pas ne pas faire, puisque le manuscrit' de l'Arsenal est d'accord sur ce point avec celui de Londres, nous devons admettre que notre premier exemple d'un e incorrect remonte à 1120. Remarquons que les exemples les plus rapprochés de celui-là lui sont postérieurs de quarante ans (1160).

Si nous appliquons maintenant le principe que nous énoncions tout à l'heure, nous dirons que l'exemple du Saint Brandan est une irrégularité purement individuelle; en réalité, nous pensons qu'elle diffère matériellement de celles qui suivent ; l'au-teur de ce poème a employé la forme fémine pour demaine, sous l'impression que c'était un verbe analogue à repaire, c'est-à-dire accentué en latin sur l'anté- pénultième. Cette forme n'a donc été qu'une erreur personnelle, une faute d'orthographe. Après 1 160, il n'en est pas tout à fait de même : le nombre des formes nouvelles nous prouve que c'est une ten- dance générale de l'anglo-français qui se fait jour. Les forces con- servatrices, qui restent toujours puissantes en anglo-français, empêchent les formes féminines de la première personne de se généraliser, et, encore vers 1250, elles marquent une tendance plu- tôt qu'un fait accompli.

Du reste l'absence de cet e est si bien établie et sa présence si exceptionnelle que la consonne finale subit des modifications pho- niques qui datent évidemment de la seconde moitié du xii^ siècle au plus tôt. Les premières personnes évoluent comme si elles ne devaient jamais prendre Ve. On trouve ainsi des cas de vocalisations de 1'/ (par conséquent postérieurs à Gaimar), comme apeii qui se lit dans le Petit Plet de Chardri au vers 439; ou de chute de Vu finale : atoiir (tourner) au vers 1962 de la Vie de saint Gré- goire, etc.

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER I3

Pendant la seconde moitié du xiii^ siècle et pendant tout le xiv^ le nombre des formes analogiques augmente et celui des formes étymologiques décroît évidemment dans la même proportion.

Dans les auteurs immédiatement postérieurs à 1250 ces dernières sont encore de beaucoup les plus nombreuses, et elles le restent autant qu'on peut l'affirmer jusqu'à la fin du xiv^ siècle. Ce n'est donc pas simplement au point de vue du. ntviihre des e analogiques que cette seconde période se distingue de la première. Pour nous, la différence réelle est la suivante : tandis qu'avant 1250 les auteurs qui emploient les formes modernes restent l'exception, après cette date, tous les écrivains (au moins ceux qui montrent un certain nombre de premières personnes du présent de l'indicatif des verbes de I) emploient un nombre plus ou moins considérable de formes analo- giques.

De plus il semble ressortir de l'étude que nous avons faite que pendant cette période, quelques verbes se montrent surtout sous la forme ét3'-mologique, d'autres sous la forme analogique. Mais les verbes qui se trouvent employés très souvent prennent indifférem- ment l'une ou l'autre de ces formes ; et si certains verbes semblent n'avoir que l'une d'elles, c'est probablement qu'ils n'ont pas été assez communs à la première personne du singulier pour présenter des exemples de l'autre. Ce n'est donc purement qu'une question de hasard. D'autres textes pourraient nous suppléer les exemples qui nous manquent. Il est donc inutile de chercher ici une progression et un ordre quelconque; inutile aussi d'essayer de déterminer quels thèmes sont affectés de Ve analogique plus communément que les autres. Il n'y a pas eu progression, et par conséquent on ne peut découvrir de loi. Nous ne tomberons pas dans la même erreur que les grammairiens de l'Orthographia Gallica, qui voyant les pre- mières personnes affectées d'un e dans certains cas, et dans d'autres conservant la forme étymologique, ont voulu, sinon expliquer, au moins donner des règles pratiques d'orthographe et introduire un ordre même artificiel régnait la seule fantaisie; nous donne- rons cette règle tout à l'heure, non pas à cause de son importance, mais pour montrer combien devait être profonde la contusion qui rendait de telles subtilités nécessaires pour les expliquer.

Cette confusion a commencé à régner vers 1250; nous avonsvai- nement tenté de diviser le siècle et demi qui sépare cette date de la

14 l'évolution du verbe en anglo-français

fin de h littérature anglo-française et de trouver dans la dernière moitié du xiir' siècle un peu plus de régularité que pendant le siècle suivant ; nous ne pensons pas que l'étude des textes justifie une pareille distinction.

Nous allons donc montrer que les mêmes verbes se trouvent fréquemment pendant cette période sous l'une ou l'autre de ces formes.

I. Les verbes à dentale nous ont semblé tout d'abord conserver assez exactement leur forme étymologique ; mais nous ne pouvons voir dans la différence entre le nombre des formes sans e et celui des formes avec e, différence assez minime du reste, que l'effet d'un hasard.

Certains verbes de cette catégorie, parce qu'ils sont très fréquem- ment employés, nous fournissent un nombre considérable de formes correctes. Parmi ceux-ci, il faut citer en première ligne les verbes qui proviennent de mander, le simple se rencontrant plus rarement. Les deux verbes, coiiiniander et demander se rencontrent très fréquemment sous la forme correcte jusqu'à la fin du xiv^ siècle. Par exemple on trouve :

cornant (: enfant) dans la Genèse N*^ D^' 52 ; (: habitant) dans l'Erection des Murailles de New Ross au vers 217 ; (:atant) dans les Chansons anglo-normandes VI, i; (: maudiant) dans William de Waddington au vers 1864.

demand (: avant) dans la Genèse 61 (ratant) dans les Chansons VI, 2; (:combattant) dans la Plainte N^ D^ au vers 115 et dans Wal- ter de Bibblesworth, 174.

Nous ne citons pas pour ces deux verbes d'exemple tiré du corps du vers ou d'ouvrages en prose, on en trouve jusque dans Foulques Fitz Warin, Pierre de Langtoft, les Proverbes de Bon Enseignement et les Vies de Saints de Bozon ; mais l'irrégularité de la versification ne nous permet pas d'arriver, à la certitude.

Certains autres thèmes à dentale montrent aussi une certaine régularité : citons rapidement acort (: tort) dans The Song of the Barons vers 40; record au vers 8770 du Manuel des Péchés, à la rime du vers 41 de la Vie de Saint Panuce. Mais ils sont relativement peu nombreux et les formes correctes sont assez rares.

Les thèmes vocaUques se trouvent aussi très fréquemment sans Ve analogique, et comme précédemment ce sont surtout certains

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 15

verbes qui semblent garder avec une difficulté plus ou moins grande la forme étymologique. Le premier de ceux-ci est « loer ».

On le trouve ' sous la forme lo, ho ou Ion dans un grand nombre d'auteurs, par exemple dans l'Apocalypse a, 232 ; au vers 235 de la Vie de Sainte Marguerite ; à la rime du vers 40 du Siège de Carla- verok ; dans Pierre de Langtoft, I, 478, 15, à la p. 144 des Règles de Grosseteste, etc.; on peut encore ajouter, dans les Contes de Nicole Bozon, aux §§ 22, 129, etc.

Prier n'est pas moins commun, et nous nous contenterons de donner pour la forme pri les exemples les plus récents. On la lit dans Pierre de Langtoft très fréquemment, par exemple dans le pre- mier volume aux pages 100 (vers 24), 118 (vers 4), 476 (vers 16) et passim. Elle n'est pas rare dans les Règles de Grosseteste (cf. p. 124) ; on la trouve dans les Vies de Saints de Bozon (95 r"), aux vers 215, 268, 297 delà Vie de Saint Paul l'Ermite, et au vers 1293 de la Vie de saint Richard; dans le Prince Noir au vers 4142 ; dans les Chroniques de Nicolas Trivet (Arundel 56) 47 r°. C'est donc, pour ainsi dire, dans chacun des auteurs de la fin du xiv^ siècle que cette forme se rencontre. Et nous trouvons encore un nombre rela- tivement considérable de thèmes vocaliques sans Ye analogique : def\ rime avec « repondy » (prêt.) au folio 104 des Vies de Saints de Bozon, merci avec « servi «(part, passé) au vers 3833 du Prince Noir, etc.

Enfin, il y a un nombre assez considérable de thèmes en r à échapper à l'analogie, conjur au vers 9997 du Manuel des Péchés, au vers 1420 de l'Apocalypse (a, 3 et 7); à la page 20 de Foulques Fitz Warin. Quelques autres verbes sont moint souvent employés, mais sont assurés sous la forme étymologique, par exemple aor qui. rime avec « dolor » au vers 267 de la Vie de Sainte Marguerite, dcsir qui rime avec « servir » au vers 155 de la Vie de Saint Panuce, de Bozon et qu'on retrouve encore rimant avec «venir » au vers 198 de la Vie de Saint Paul ; ou })iestir qui rime avec « azur » au vers 6 du Siège de Carlaverok, etc.

Nous ne voudrions pas abuser des énumérations, mais quoique la liste des premières personnes du singulier régulières que nous venons de donner soit déjà longue, nous. citerons encore un certain

I . Nous ne citons que les formes assurées.

i6 l'évolution du verbe en anglo-français

nombre de formes dont nous rencontrerons les contreparties un peu plus loin.

Le verbe oser se présente fréquemment à la personne qui nous occupe sons la forme c)j- ; donnons quelques références pour cette personne. On la rencontre à la rime du vers 6 de la Plainte d'Amour; elle est assurée par la mesure du vers 24 de the Songof the Church, du vers 69 de Traillebaston et se lit dans un grand nombre d'exemples plus douteux.

Aifii et reclaiin sont employés aux vers 168-169 de la Vie de Sainte Marguerite; paroi sq lit au vers 209 de la Plainte Notre-Dame; conseil est rencontré au § 49 des Contes de Nicole Bozon. N'oublions pas la forme doini, une des formes de la première personne du sin- gulier du présent de l'indicatif du verbe donner ; on la relève dans de nombreux passages de différents auteurs, tels que Foulques Fitz Warin, p. 49, ou Pierre de Langtoft, Second Appendice.

Remarquons ici que nous n'avons guère donné que les exemples assurés par la rime ou la mesure, quoique cela ne soit pas nécessaire et qu'un exemple qui n'est pas assuré n'en ait que plus de valeur, montrant que la forme qu'on signale a duré, non seulement jusqu'à l'auteur, mais peut-être même jusqu'au scribe. Nous verrons tout à l'heure dans un certain nombre de cas les scribes rétablissant inconsciemment les formes originales que les écrivains avaient abandonnées.

II. Pour passer maintenant à l'autre côté de la question, nous allons voir aussi rapidement que possible les verbes qui prennent Ve analogique après 1250. Et cette revue somiriaire des formes nouvelles de la première personne du singulier a un double objet : d'abord elle montrera qu'aucun auteur, pour peu qu'il ait à employer ces pre- mières personnes, n'évite entièrement les e analogiques; en second lieu, que ce sont aussi exactement qu'on peut s'y attendre, les mêmes verbes que ceux que nous avons énumérés dans les pages précé- dentes, qui le prennent.

Rappelons tout d'abord que les huit exemples de formes modernes antérieures à 1250 : parole, deinaiiic, ourc, revire, paise, habite, prie, fie nous ont montré six thèmes différents (thèmes en /, //, r, s, t, et thèmes vocaliques) et que quelques-uns de ces mêmes verbes ont reparu au siècle suivant sous la forme étymologique.

La même variété ou la même incohérence, et à un plus grand

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER I7

degré, doivent se retrouver pendant les cent cinquante dernières années de la littérature anglo-française.

D'après ce que nous disions plus haut, il est impossible de décou- vrir de quelle façon IV analogique a gagné les différents thèmes ; autrement dit, de distinguer les différents points la contagion a commencé; même, quoique nous puissions remarquer que certains thèmes semblent plus aff'ectés que d'autres, nous ne pouvons légiti- mement en rien conclure ; car ceux qui offrent le plus grand nombre d'exemples, sont justement ceux qui se trouvent le plus emploj^és, et sont représentés également dans l'autre classe de pre-* mières personnes, celles qui conservent la forme étymologique.

Ici encore nous trouverons des verbes qui nous semblent employés plus fréquemment que d'autres sous la forme analogique ; nous ne pouvons trouver à ce fliit d'autre explication que l'emploi plus ou moins grand de ces formes. Il est digne de remarque cependant que les verbes à thème vocalique, nous fourni un grand nombre d'exemples. C'est un verbe à thème vocalique prier, qui se trouve, comme nous l'avons dit, très fréquemment sous la forme étymologique. Prie est du reste assez rare; on en rencontre un exemple à la page loo de Foulques Fitz Warin. D'autres verbes ont très régulièremment Ve, comme le verbe affier; affie, forme que nous avons déjà relevée dans le Psautier d'Arundel et dans Boeve de Haumtone, se lit dans un très grand nombre de cas à la fin du xiii'= et pendant le xiV siècle, au vers 15 de la Plainte Notre-Dame, au vers 354 de Dermod, à la page 69 de Foulques Fitz Warin, au § 61 des Contes de Nicole Bozon, et très fréquemment à la rime dans le poème du Prince Noir : cf. les vers 710, 1080, 1528, 4056. Faisons aussi observer que nous n'avons pas trouvé d'exemple de la forme correcte, après 1250, pour ce verbe assez usuel.

Les autres verbes à thème vocalique donnent moins d'exemples que le verbe fier; nous avons rencontré certefie dans Pierre de Lang- toft II, 206, 24; guye dans Foulques Fitz Warin, p. 71; rencye au § 5 1 des Contes de Nicole Bozon : supplie au vers 3206 du Prince Noir.

Faudra-t-il conclure que les verbes à thème vocalique prennent l'c plus souvent qu'ils ne gardent la forme régulière ? ou devrons-nous admettre que certains verbes de cette classe, prier par exemple, sont plus, réfractaires à l'f que d'autres comme atfier ? Une telle conclu-

2

i8 l'évolution du verbe en anglo-français

sion ne nous semble pas bien assurée ; elle est cependant possible, et il est certain que, jugeant sur les exemples que nous avons recueillis, de deux verbes ayant des formes absolument analogues, l'un prend ordinairement la terminaison moderne, tandis que l'autre reste ridèle à la forme ancienne et étymologique ; et ce fait en soi est assez curieux. On doit le rapprocher de la règle qui est donnée par l'Orthographia Gallica (CO 65 et H 1 8) ; nous citons CO : Item quando non expresse non ponitur signum (c'est-à-dire le pronom sujet de la première personne du singulier) ante verbum, ut : vous pry, tune/?;-}' vel m'^^y débet terminare in )'.

(CO 66). Item si signum expresse ponitur, tune y mutabitur in/ et addetur e corne je maffic, jeo vous prie. Et hec régula intelligi- tur, ubi diccio terminatur in y, sed si terminatur in consonante, non tenet régula, ut je vous iiiaiic.

Conséquemment, d'après ce ms., les verbes qui ont un thème terminé par / prennent 6' lorsque le sujet n'est pas sous-entendu. H du reste donne une règle absolument contradictoire : Et sachez qant jeo est mis devant le verbe(s) ut hic : jeo vous pry, jeo mafy, oustant le jeo escriverez i en lieu de y et joignez e à luy, come vous prie, m a [fie, etc. Cette contradiction n'a d'ailleurs aucune importance : cette règle, comme tant d'autres du même ouvrage, est absolument fantaisiste et n'a été suivie par personne. Elle nous montre cependant qu'au temps même cet ouvrage fut composé, la forme sans voyelle atone était considérée comme la seule régu- lière pour tous les verbes de I. Seuls les verbes en /, pour des rai- sons et dans des conditions qu'on ne comprenait pas pouvaient être employés, tantôt avec, tantôt sans e.

La seconde partie de la règle n'a pas été mieux observée que la première ; les thèmes consonantiques apparaissent très fréquemment avec ïe analogique. En première ligne, nous devons citer les thèmes sigmatiques et les thèmes à dentale; pour ces catégories de verbes nous nous contenterons d'un petit nombre d'exemples.

Parmi les verbes à thème sigmatique, le verbe oser se rencontre plus fréquemment que n'importe quel autre avec Ve analogique; on trouve des exemples de ose pour ainsi dire dans chaque ouvrage, par exemple dans la Plainte Notre-Dame au vers 53 ; dans Pierre de Langtoft I, 204, 16; au § 61 des Contes de Nicole Bozon. Prise est aussi commun, nous en relevons un exemple à la rime avec

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 19

bise au vers 377 de la Plainte d'Atnour ou au vers 1136 du Prince Noir.

Le verbe laisser apparaît le plus souvent à cette personne sous la forme laisse ; elle est assurée par la mesure du vers 5 3 du Manuel des Péchés : à la page 32 du premier volume des Chroniques de Pierre de Langtoft, vers 7.

Tels sont les verbes sigmatiques qui se rencontrent le plus sou- vent, et il est probable qu'ils sont plus employés que n'importe quel autre verbe de cette même classe. Pour ceux-ci, nous trouvons des cas à'e analogique, mais ils sont isolés, comme le repose qui rime avec chose au vers 2 de la cinquième Chanson publiée par M. Meyer dans Romania.

Nous pourrions sans difficulté trouver un non.ibre probablement plus considérable d'exemples pour les verbes dont le thème est ter- miné par une dentale; citons seulement quelques verbes assez employés comme couimandc qui se lit dans la Genèse Notre-Dame au folio 78 ; au vers 56 de TOrdre de Bel Eyse (quoiqu'il soit écrit à cet endroit comniand'), au vers 4135 du Prince Noir. Tous ces exemples sont assurés par la mesure du vers. Citons encore quelques autres formes qui se trouvent un peu moins communément, comme présente qui rime avec attente au vers 3138 du Prince Noir (ici encore le scribe du ms. Worcester, qui date de 1397, écnl présent^; dans les Contes de Nicole Bozon, § 83, on trouve encore comité.

Mais ces deux derniers verbes et quelques autres ne se rencontrent sous cette forme qu'assez rarement.

Parmi les autres thèmes consonantiques, on ne trouve pas souvent de verbes qui apparaissent plus d'une fois avec Ve analo- gique; cependant le verbe aûrer n'est pas très rare sous la forme ailrc; on la lit dans le Dermod au vers 2980 elle rime avec créa- ture ; de même on la rencontre au § 80 des Contes de Nicole Bozon et dans quelques autres occasions. Citons encore, parmi les verbes ayant thème en r, plore qui se lit dans Pierre de Langtoft (I, 240, 8).

Nous ne voudrions pas pousser trop loin une énumération qui ne prouverait pas grand'chose de plus que ce que nous venons de montrer ; il ne sera peut-être pas inutile cependant de montrer que les autres thèmes verbaux se trouvent aussi représentés dans la liste assez longue des verbes qui prennent cet e irrégulier. \oic\ un

20 l'Évolution du verbe en anglo-français

thème en ;// : aynie qu'on trouve rimant avec clayme, troisième personne du singulier du présent de l'indicatif, au vers 673 delà Plainte d'Amour, et qu'on retrouve encore au folio 14 de Nico- las Trivet. Les thèmes en / simple et en / mouillée ne sont pas rares sous cette forme ; on a parole au vers 298 de la Vie de Sainte Marguerite, et iiierveille qu'on lit dans la Plainte d'Amour au vers 46. Les thèmes en n ne sont pas très communs, cependant nous trouvons à citer jiuie au vers 10119 du Manuel des Péchés et corne à la page 85 de Foulques Fit;; Warin.

Nous avons encore à nous occuper du verbe donner ; nous citions tout à l'heure quelques exemples de la forme étymologique ou plus exactement de la forme sans e, il nous reste à donner ici quelques cas de la forme avec voyelle muette. Donne, donne ou doine sont des formes très communes pendant la seconde partie du xiii^ et pendant le xiv^ siècle ; nous en avons des exemples aux vers 1012, 3080 du Manuel des Péchés, dans Pierre de Langtoft

(11,434, 34)' et^^-

Tronve au contraire est rare, nous n'en n'avons rencontré dans les œuvres littéraires qu'un seul exemple ; il se lit dans les Contes de Nicole Bozon au § 17.

Nous ne donnerons pas plus d'exemples de ces formes modernes; celles que nous venons d'énumérer suffiront, croyons-nous, à mon- trer que pendant le siècle et demi qui précéda la fin de la littérature anglo-française, elles sont devenues assez fréquentes. Mais elles sont loin d'avoir réussi à faire disparaître les désinences étymologiques. Les écrivains de cette période ont emplo5'é indistinctement l'une et l'autre de ces formes, mais de préférence ces dernières. Certains verbes ont peut-être conservé l'une plus longtemps ou adopté l'autre plus tôt, mais il est dangereux de vouloir trouver des règles que les contemporains étaient incapables de découvrir eux-mêmes. Il est facile peut-être d'expliquer pourquoi les deux thèmes consonantiques qui se rencontrent le plus souvent sous la forme moderne sont les thèmes à dentale et sigmatique.

Pour les verbes en /, l'analogie seule peut expliquer la présence de Ve muet; il n'est nulle part moins nécessaire que là.

Dans les autres cas, 1'^ est plutôt phonique qu'analogique (voir seconde partie, chapitre F').

Les œuvres non littéraires écrites en anglo-français ne présentent

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 21

pas un nombre très considérable de premières personnes du singu- lier; il est évident que ces personnes trouvent difficilement place dans une collection de lois, et nous aurons ici à nous passer presque entièrement du témoignage ordinairement si précieux des Statutes. Dans les Rymer's Foedera, nous pouvons cependant relever un cer- tain nombre d'exemples, et en considérant l'ensemble des cas que nous avons recueillis, nous voyons que les & analogiques sont rares jusqu'en 1338. Avant cette date, les exemples de premières personnes régulières sont assez communs : les thèmes vocaliques, comme pri (1256,1, 589; 1278, II, 97; 1322, III, 924...), wwy (1278, II, ()~ . .?), enjranuchi {i2']'x,, II, 97. -Oj ^^s thèmes à dentale comme o'raM»/(i273, II, 11; 1297, II, 769 et 773), olw;//// (1273, II, ri), et quelques autres encore se trouvent sans la voyelle analogique.

Il en est de même des Parliamentary Writs et des rares exemples que nous lisons dans les Statutes : dans les premiers de ces recueils, nous avons relevé prl (1322, II, Appendice, page 196); graunt (1315, II, 427) et quelques autres; dans le second, nous trouvons dtym (1306, I, 249). Les documents historiques et municipaux nous en ont donné quelques autres qu'il est inutile de citer ici. Le seul cas d'un e irrégulier que nous rencontrions à cette époque se trouve dans les Rymer's Foedera : c'est grante que nous trouvons en 1327 (IV, 244). Comme on le voit, c'est fort peu, même si on tient compte du nombre restreint d'exemples que nous fournissent ces textes.

Disons aussi un mot de la littérature familière qui a sur ce point une assez grande importance; nous y retrouvons à peu près le même état de choses que dans les Rymer's Foedera. Les Lettres écrites pendant le xiii'' siècle, comme celles de Jean de Peckham, sont extrêmement correctes. Nous y avons relevé un nombre très fort de premières personnes du singulier sans e qu'il est absolument inutile de citer ici. La seule irrégularité que nous ayons notée, c'est la forme prie qui se lit dans une lettre de 1280 (92), à deux reprises. Les lettres qui ont été écrites pendant les premières années du xiV siècle, comme celles que nous trouvons dans le recueil des Litterae Cantuarienses, contiennent surtout des dési- nences étymologiques; les autres restant exceptionnelles.

A partir du second tiers du xiv^ siècle, on remarque aisément que tous les textes que nous venons de citer présentent un nombre beau-

22 l'Évolution pu verbe en anglo-français

coup plus considcrable déformes analogiques: ce caractère est abso- lument général. Un seul texte de 1338 dans les Rymer's Foedera (vol. V, page 46) en offre trois exemples: approve, /w> (pour lou), ratifie; un autre de 1356 (vol. V, page 856), en montre quatre : donne, quitte, relessc, jure. Les lettres enfin ne manquent pas de nous donner un certain nombre d'exemples de formes analogiques à la même époque :prie est employé fréquemment sous cette forme dans les Litterae Cantuarienses, pcciisc se lit dans le même recueil, p. 865 à la date de 1360 ; il en va de même pour les lettres anglo-françaises qui se trouvent dans les Documents inédits; on peut citer: prie qui est d'un usage très fréquent (par exemple 1382, 231), envoie (it,^6,

-78)-

Par conséquent, il semble bien que les e analogiques, qui se

trouvent sporadiquement à la fin du xiii'' siècle ne deviennent assez

fréquents qu'au commencement du second tiers du xiv% en même

temps dans les textes officiels et dans la correspondance privée.

Dans les Year Books, les formes étymologiques et les formes analogiques sont toutes les deux communes, et il semble que nous ne pouvons tirer des nombreux exemples que nous avons sous les yeux, que l'une des deux conclusions suivantes : ou les scribes (plus exactement les étudiants qui ont recopié les Year Books) ont changé le texte d'une façon qui ne nous laisse aucun espoir de retrouver des traces assurées du texte original; ou bien que l'emploi ou le rejet de Ve final dépendait uniquement de la fantaisie de l'écrivain. On peut cependant être un peu plus précis. Dans les Year Books qui vont depuis 20 et 21 Edw. I'""" jusqu'à i et 2 Edw; II (1292-1307), les formes correctes sont en majorité ; on rencontre, ^ra;//, quit, pos, cleyni, surtout ton ouhnu; les e deviennent plus nombreux dans 2 et 3 Edw. II (1308); le ms. Y (qui date de 13 12) en donne un assez grand nombre d'exemples pour 3 Edw. II : pose, quide, etc. Enfin 13 et 14 Edw. 111(1339-1340), présente cet e à peu près partout. Mais de toutes ces dates, il n'y en a qu'une d'assurée, c'est celle du ms. Y. Le témoignage de ce manuscrit suffit du reste à nous montrer qu'au commencement du xiV' siècle, les iormes analogiques étaient fort nombreuses dans la langue légale.

Les renseignements que nous fournit l'étude des textes non litté- raires, quoique peu nombreux, ont une certaine importance ; ils viennent confirmer et, jusqu'à un certain point, corriger ceux que nous fournissent les ouvrages littéraires.

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 23

Ils les confirment en nous montrant que IV analogique s'est géné- ralisé indistinctement pour tous les thèmes des verbes et que, à une certaine époque, les deux formes ont été employées par les écrivains sans qu'il y ait pu y avoir pour eux une raison de préférer l'une à l'autre.

Mais ils les contredisent sur un point au moins; il est évident que dans les textes politiques, les formes originales de la première personne du singulier des verbes en / se sont en somme mieux con- servées que dans les œuvres littéraires. Pour ces dernières, le libre emploi de Ve analogique remonte, d'après nous, à la seconde moitié du xiii'^ siècle ; pour les autres, la confusion ne saurait remonter plus haut que le milieu du xiV' siècle. A laquelle de ces deux sources de renseignements devons-nous nous fier ? Il nous semble évident que les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature nous ofl^rent les meilleures chances de certitude. La corruption de la versification ne nous permet pas de distinguer avec sûreté la part du scribe de celle de l'auteur, et nous croyons devoir conclure maintenant qu'un cer- tain nombre des exemples qui nous semblaient certains, non pas ceux qui se rencontrent à la rime, mais ceux qui paraissent assurés parla mesure du vers, doivent provenir des scribes et non des écri- vains.

Nous résumerions donc ainsi l'histoire de Ve analogique à la première personne du singulier du présent de l'indicatif des verbes de I, en tenant compte des renseignements fournis par les deux classes d'ouvrages que nous avons consultés:

Ve irrégulier apparaît probablement très tôt en anglo-français; peut-être en 1120, certainement en 1160.

2*^ Après 1160 et jusqu'à 1250, les e analogiques restent rares et limités à quelques auteurs; il y a une tendance évidente à introduire l'atone à la première personne ; mais cette tendance est plus que contrecarrée par l'attachement aux formes archaïques.

Entre 1250 et 1350, lèse irréguliers se multiplient dans les ouvrages littéraires ; mais un assez grand nombre de ces formes doit provenir, souvent en dépit des apparences, des scribes plutôt que des auteurs.

Pendant la seconde moitié du xiv^ siècle, au plus tard, chaque verbe de I peut prendre indifi'éremment la forme étymologique ou la forme analogique.

24 l'évolution du verbe en anglo-françals

Les premiers exemples nous montrent que dès le début, cet e s'est attaché à tous les thèmes ; il en va de même par la suite.

6'' Cependant, certains thèmes et certains verbes ont, semble-t-il, montré une certaine préférence pour l'une ou pour l'autre de ces formes, prier montre le plus souvent la forme originale, fier la forme analogique. Il ne faut pas attacher une grande importance à cette remarque.

Verbes de I proparoxytons.

Les proparoxytons latins de la première conjugaison prennent en français un e muet qui a tout d'abord été un e d'appui ; par exemple le repaire du vers 286 a du Roland, dans lequel la muette a faire son apparition avant la chute de la dentale.

Nous ne dirons que fort peu de chose du traitement que cette classe de verbes a reçu en Angleterre ; il ne saurait différer beaucoup de celui qu'il a subi sur le continent.

Dès le commencement du xii^ siècle, il semble que le souvenir de l'origine de la voyelle muette ait disparu chez les auteurs anglo- français. \Je qu'on voit à un verbe comme repaire semble n'avoir pas plus de raison d'être qu'il n'en aurait dans ai'ir par exemple ; par conséquent, au commencement même de la littérature anglo- française, on tend à traiter ces verbes comme tous les autres verbes de I, c'est-à-dire à supprimer leur voyelle muette.

Les exemples que nous avons relevés ne sont pas très nombreux, ils montrent dès le commencement, non pas que l'unification s'est faite complètement, mais qu'elle est en voie de se faire.

C'est ainsi que nous trouvons dans le Saint-Brandan, au vers 1358, repair qui rime avec air (même dans le ms. de l'Arsenal); cette même forme se retrouve au vers 302 de la Folie de Tristan qui reproduit la même rime. D'autres verbes se trouvent employés sous cette forme encore plus souvent que repairier, par exemple désirer. Nous trouvons désir constamment : au vers 12 du Pro- theselaûs de Hue de Rotelande, rimant avec plaisir dans Adgar (IX, 113); avec suspir au vers 963 du Donnei des Amants; il rime avec tenir au vers 631 du Tristan de Thomas. On le rencontre jusqu'au xiv^ siècle; il rime avec venir au vers 198 de la Vie de Saint Paul (Bozon).

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 25

Il en va de même pour douter, qui est un des verbes proparoxy- tons de I les plus employés. C'est ainsi que nous trouvons dans les Dialogues d'Angier ci la rime dont : (tout), (120 b) ; ce verbe se rencontre encore sous la forme <//// au vers 555 de Thomas, au vers 647 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking et au vers 837 du Josaphat de Chardri. Citons encore chiil pour culche dans Tristan (au vers 547), pris dans la Folie (au vers 370) Toutes ces formes sont assurées.

Même les verbes terminées par g, comme juger, apparaissent quelquefois sans leur f, ce qui, comme le fait remarquer M. Meyer Lûbke, est rare : nous trouvons dans Adgar (XVIII, 10^) jiig; le texte donne :

Jo juge kil est digne del faire

il faut évidemment lire : jug ; cette même forme se rencontre d'ailleurs dans les Quatre Livres des Rois, (I, 16, 7); citons encore chaJeng au vers 252 du Protheselaus de Hue de Rotelande qui est assuré par la mesure.

Au xii'' siècle, on trouve un petit nombre de ces verbes employés avec Ye étymologique; mais il faut plutôt admettre que c'est une irrégularité du même genre que celles que nous avons eu l'occasion de citer pour les autres verbes de la même conjugaison, comme le blâme restitué par M. Bédier au vers 149 du Tristan, ou des e qui sont encore sentis comme des e d'appui comme damage (: éritage) au vers 821 du Donnei, ou cz/i'o/jt' (: richoise) au vers 2150 de la Vie de Saint Gilles. Tous les autres exemples nous montrant que les verbes accentués sur l'antépénultième ne diffèrent en rien des autres verbes de I.

Lorsqu'un e d'appui est inutile, ils conservent plus ou moins longtemps la forme analogique (sans e). Certains d'entre eux se ren- contrent très tard sans l'atone : par exemple désir qui se trouve dans William de Waddington (au vers 8665). Nous le remarquons sur- tout pour la première personne de cuider :on trouve quid au \ers 33 de The Song of the Church ; il rime avec petit au vers 93 de l'Erection des Murailles de New Ross ; avec mardi au vers 7 de The Lament of Simon de Montfort; avec rendi dans le Manuel des Péchés au vers 4750 ; au vers 4 de Traillebaston ; on le trouve à la page 82 de Foulques Fitz Warin.

26 l'évolution du verbe en anglo-français

Au commencement de la seconde moitié du xiii*-' siècle, certains de ces verbes prennent Vc analogique plus ou moins fréquemment, dans les mêmes conditions que les autres verbes de leur conjugaison, comme cioiitc dans la Plainte d'Amour, vers 769, 800;

E jeo me doute de damage. Mes jeo me doute de malcse.

dans les Heures de la Vierge, 89 et le Placebo, 69 r°, tous les deux assurés par mesure du vers; à la page 79 de Foulques Fitz Warin, au vers 280 du Prince Noir. .., etc.

L'anglo-français diplomatique et légal ne diffère en rien de l'an- glo-français littéraire sous ce rapport.

Autres conjugaisons.

Ce sont évidemment les premières personnes du présent de l'indicatit des verbes appartenant à la première conjugaison qui prennent 1'^'. Mais il n'y a aucune raison fondamentale phonique ou morphologique pour que cet e n'atteigne pas les autres conjugaisons aussi. Si présent et merveil prennent e, rien n'empêche que sent et voil ne le prennent aussi. Et comme nous allons le voir, nous trou- vons en anglo-français des exemples assez nombreux de ces per- sonnes provenant de verbes de II, III, IV, ayant un e final exactement comme les verbes de I.

Cependant, nous avons dit précédemment que cet e est à la fois en partie phonique et en partie analogique. L'utilité phonique de Ve est la même pour présent et pour sent ; mais les actions ana- logiques sont beaucoup plus puissantes pour le premier que pour le second. Non seulement présent subit l'influence des verbes de sa classe qui avaient déjà régulièrement cet e, mais il semble que la troisième personne du singulier de ce même temps a quelque influence. En effet si, pour entrer, on dit j'entre et il entre, pour- quoi dirait-on il appelle et j'appeu, pour appeler?

Pour les verbes de II, III, IV, au contraire l'analogie est beaucoup moins forte, les troisièmes personnes du singulier n'ont pas d'c et la seule influence extérieure qui puisse s'exercer sur eux provient de verbes d'une conjugaison différente.

Ici donc Ve serait encore plus phonique qu'analogique et

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER

^i

ceci expliquerait en môme temps, pourquoi il y a des e à ces conju- gaisons et pourquoi il n'y en a pas davantage.

En même temps, cela nous met sous les yeux la raison pour laquelle cet e n'est pas devenu la caractéristique de la première personne du présent de l'indicatif dans tous les verbes en anglo- français.

Les premiers exemples de cet e irrégulier remontent assez haut dans la littérature anglo-française, puisqu'on les trouve déjà dans le Psautier d'Arundel : par exemple voisse (42, 2) pour vois (vado), et venche (39, 8) de venio . Ils nous offrent à cette date reculéeun exemple des deux sortes de verbes destinés à prendre le plus sou- vent Vc irrégulier : verbes en 5 et ceux qui sont terminés par une palatale.

Cependant, nous remarquons que ces exemples sont absolument isolés à cette époque, et ceux que nous avons recueillis immédiate- ment après ceux de ce Psautier appartiennent à la fin du xiii'' ou au xiv^ siècle.

Foissc ne se retrouvera même qu'à cette dernière époque dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 180, 23 et pas si ni).

Nous en trouvons toutefois quelques autres qui sont à une moins grande distance du Psautier d'Arundel ; et parmi les verbes terminés par s, c'est le verbe faire qui est le plus souvent irrégulier. Fas ou /(T/;^ ne disparaît jamais complètement, mais il doit céder beaucoup de terrain h face ; notre premier exemple absolument sûr se lit au vers 595 de la Plainte d'Amour cette forme rime avec chasse. Dans les autres ouvrages du xiii^ siècle, nous en relevons plus d'un cas ; mais il est fort possible que le plus grand nombre appartienne aux scribes du siècle suivant.

Par exemple, dans le poème que nous venons de citer, au vers lé, il fimt lire fas avec le ms. Harléien ; il en va de même pour les formes qu'on rencontre aux vers 3583, 2996 du Manuel des Péchés. Au KW siècle, /cia' devient très commun : Pierre de Langtoft semble se servir très fréquemment de cette forme (cf. par exemple II, 88, 27 ; II, 202, 9) ; on la rencontre encore au § 143 des Contes de Nicole Bozon; au vers 33 de la Vie de Saint Panuce, du même auteur, et en dehors de la littérature, dans les Rymer's Foedera (1274, II5 30; 1345, V,. 452 et /)âf5.f/w).

L'identité fa^^, ha:;^ a pu amener cette nouvelle identité /</a', hicce ; cette dernière forme se trouve au § 143 des Contes de Bo/on.

28 I.'l^VOLUTIOM DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Nous ne trouvons aucun verbe terminé par s à prendre l'é aussi fréquemment q\ie faire ; citons encore reconoise qui se lit dans les Rymer's Foedera (1345, V, ^52).

Par conséquent cette classe de verbes ne nous offre pas des exemples très variés. Il n'en est pas de même de ceux qui sont ter- minés par une palatale. Le nombre des formes provenant de verbes différents est ici considérable. Postérieurement au venche du Psautier d'Arundel nous trouvons à la rime dans Boevê :• rmgke (: avaunte) au vers 2945, (laisse en-anl^; il faut sûrement lire rend (: avant); mais au point de vue du scribe (commencement du xiv'' siècle), la rime est significative. Rengke se trouve encore employé en maints autres endroits ; ainsi, dans ce même poème de Boeve, au vers 2458 ; dans Foulques Fitz Warin aux pages 41 et 54 et passim; au § 80 des Contes de Nicole Bozon. Tenir ne se rencontre pas si fré- quemment sous cette forme, on peut citer toutefois îieuhe dans Foulques Fitz Warin, p. 54 ; tiengè dans les Vies desSaints de Bozon, au fol. lO-i r°. Marge n'est pas rare ; le plus ancien exemple que nous en ayons se trouve au vers 719 du Saint-Emund, et n'est pas sûr. Par conséquent tous les exemples précédents peuvent être rap- portés sans hésitation au xiv^ siècle. (Cf. Palatale à la première personne du singulier.)

Les thèmes à dentale, comme cela a lieu pour les verbes de L pren- nent assez communément un e épithétique; citons rapidement /)cr^(^ au vers 2604 de Boeve, mette au § 55 des Contes de Bozon ; promette, qui est extrêmement fréquent dans les Traités de Rymer (1297, II, 766; 1308,111,68; 1327,1V, 244; 1345, V, 452; 1398, VI, 586; 1380, VII, 245). Ce verbe, si fréquemment employé dans les Traités, n'a qu'assez rarement la force étymologique (cf. 1297, II, 773).

Lorsque la première personne se termine par une lettre mouillée, étymologique ou non, Ve est employé très fréquemment au moins pour certains verbes.

Les exemples toutefois sont assez rares pour 77 mouillée : nous avons relevé deveygne dans Pierre de Langtoft, Serment de Jean Balliol, II, 192, 3; le même texte dans Rymer a devien. Cet exemple {deveygne) semble isolé. Il n'en va pas de même pour le présent de l'indicatif de vouloir : voile est extrêmement répandu. On trouve cette forme tout d'abord au vers 1484 de Boeve, au fol.78r° de la Genèse Notre-Dame, au fol. 81 v" del'Assumpcionede

LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 29

Chermaus ; puis dans l'Apocalypse : a 208 côté du reste de voil, vuil 3 et Y, 548). Puis elle apparaît encore dans Pierre de Langtoft, II, 330, 9, etc.; Bozon l'emploie souvent, par exemple dans le deuxième Appendice de Pierre de Langtoft, II, 444, 27. Enfin on la trouve à la rime avec « toelle » dans les Vies des Saints du même auteur ^)t, r°. En dehors de la littérature, les traités de Rymer nous en offrent de nombreux exemples (1273, II, 11).

Les autres thèmes consonantiques prennent très rarement cet e ; donne qui est employé au fol. éo du Placebo en romanz, de même que requere et requirt, qui se lisent dans les Literse Cantua- rienses (respectivement 1323, 112 et 1326, i7i)sont des exceptions.

Dans tous les exemples que nous avons cités jusqu'ici, Ve peut être considéré comme jouant le rôle d'un e d'appui, en étendant quelque peu la signification de ce terme. Il nous reste à voir main- tenant un certain nombre d'e irréguliers, auxquels cette explication ne saurait s'appliquer. Ce sont ceux qui suivent certains radicaux vocaliques. Quelques verbes n'en sont que rarement affectés comme veye = video qui se lit au fol. 78 de la Genèse Notre-Dame ou treye de traire employé par William de Waddington au vers 17 18 du Manuel des Péchés. Il y en a au contraire un qui, à partir d'une certaine date difficile à déterminer, mais ne pouvant pas être posté- rieure au commencement du xiV siècle, se rencontre presque tou- jours avec cet c : c'est le verbe dire. Nous trouvons très fréquem- ment die à la rime, dans Pierre de Langtoft (cf. par exemple I, 50, 6; l, 128, 2;I, 200, 14, I, 280, 9 ; I, 320, 15; I, 380, 25, etc. ').

L'exemple die (: lundi) au vers ^2 de l'Erection des Murs de New Ross, montre que dans ce cas Ve doit être attribué au scribe du xiv^ siècle.

D'autres auteurs du xiv^ siècle emploient aussi cette forme, mais beaucoup moins souvent que Pierre de Langtoft. Nous voyons die rimer avec glutunie, dans la Petite Sume des Set Péchez Morteus (99 b); elle est employée à la page 18 du Dite de Hosebonderie de Walter de Henleye, etc. Nous en trouvons encore plusieurs exemples en dehors de la littérature : dans Rymer, dans les Litera; Cantuarienses, dans la Chronique de Londres à une date très ancienne (1262, p. 5).

I. La forme régulière, i/j, se rencontre dans le même auteur deux fois à la rime : II, 526, 25 II; 266, 28.

30 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Par conséquent, on peut voir que chacune des classes précédentes présente un certain nombre d'exemples de verbes différents, plus ou moins nombreux suivant la classe. Mais chacune d'elles a aussi un verbe qui prend plus souvent que tous les autres cet e irrégulier : face, rcnke, promette, voile, die sont les principaux.

Au point de vue de la date de cet e, nous nous trouvons dans l'embarras. Ce sont les textes non-littéraires qui nous donnent les dates les plus précises en même temps que les plus anciennes : face, 1274; promette, 1297; voile, 1273 ; die, 1262. Comme on le voit, ces exemples appartiennent tous au troisième tiers ou au quatrième quart du xiii^ siècle. Les exemples littéraires semblent plus tardifs. Les rimes que nous possédons sont du commencement du \W siècle; les exemples antérieurs à ceux-là sont très douteux et peuvent être rejetés sur les scribes. Il nous semble donc légitime de considérer l'addition de Ve comme appartenant à la fin du xiii" siècle, en dehors de la littérature, au commencement du xiv^ dans les œuvres littéraires.

Nous aurions pu citer plus haut les exemples d'^ irrégulier que nous avons relevés dans la langue légale; l'incertitude des dates nous a foit préférer traiter de ces formes séparément. encore nous retrouvons les mêmes classes, et les mêmes verbes. Faire, vouloir et dire ne se trouvent que très rarement sans e à la pre- mière personne du singulier du présent de l'indicatif. Face se lit à peu près partout, par exemple 32, 33 Edw. L', 121 ; 3 Edw. II, 156, 162 (Ms Y : 13 12); voyle se trouve dans 22 Edw. I", 483, 511, etc., et die da.ns 20 et 21 Edw. L'', m, 163 ; dans le ms. Y (13 12) 3 Edw. II, 123.

Avec ces verbes nous nous contenterons de citer quelques exemples de personnes terminées par une palatale pour donner une idée de leur nombre. On trouve euteiihe, 21 Edw. L', 289; prenhe, 22 Edw. P', 409 ; venke (vendre), 30 Edw. I", 143 ; plei)ike, ibid., 259 ; tienke, 3 Edw. II, 170 (Y), etc.

Beaucoup de ces exemples appartiennent vraisemblablement, comme on le voit, au commencement du xiv^ siècle; nous ne pou- vons pas être sûrs de la date d'un certain nombre de formes voca- liques qui prennent e comme oye (prétérit) 21 Edw. 1", 181 ; oye 3 Edw. III, 2 '.

1. Sue (;=^ sui) 13 et 14 Edw. 111; et /«c (=: fui) 11 et 12 Edw. III, 197, sont es dés'eloppements phoniques, sinon réguliers, du moins fréquents, de sui, fui.

LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 3I

Les renseignements que nous fournissent les Year Books con- firment les conclusions que nous avons tirées précédemment.

II. L'5 FINALE.

Régulièrement un certain nombre de verbes prennent s a la pre- mière personne du singulier du présent de l'indicatif : d'autres verbes ont pris par analogie cette s dès les commencements de la langue. En français moderne cette s, limitée en ancien français à certains verbes, a pris une extension considérable et est devenue la caractéristique de cette personne dans trois conjugaisons sur quatre. En anglo-français, cette consonne n'a pas réussi à prendre une très grande place comme désinence de la première personne du singulier; sa fortune a même été moins brillante que celle de Ve.

Nous allons tout d'abord énumérer les cas qui montrent la chute de 1'^ étymologique ou de Vs datant de la période pré-littéraire, puis nous étudierons les formes montrant l'addition d'une s.

A. S étymologique.

Deux catégories de verbes sont régulièrement terminées à la pre- mière personne du singulier du présent de l'indicatif par s, les verbes en SCO (dont les inchoatifs), et ceux dans lesquels la terminaison en io ou eo est précédée d'une palatale . Ces personnes sont le plus sou- vent régulières dans tous les ouvrages anglo-français, littéraires ou non. Inutile même de citer des exemples.

C'est probablement dans la première de ces catégories qu'il iaut ranger la première personne du singulier du présent de l'indicatif de pouvoir. Puis' se trouve partout, depuis le Brandan (1427), Horn (2028) (écrit pus) et le Donnei (675) (écrit peus), jusqu'au Saint-Julien il rime avec hus (69 r"), et à Pierre de Langtoft (I, 100, 2é). Parmi les verbes terminés par gutturale plus i{c)o, le plus

I. Pour l'origine depuis (= possio), on peut voir Liicking (Mundarten, p. 154), qui la rapporte à « poteo », et Gaston Paris, dans Romania,ViI, 622, de même que Schulzke (e et 0 brefs plus / en normand, p. 9) qui la font remonter à un hypo- thétique « posco ».

32 l'évolution du verbe en anglo-français

important est (ac'io ; il serait aussi focile qu'inutile de citer plusieurs lignes d'exemples de/rt^ '.

On peut citer aussi comme appartenant à la même classe un verbe beaucoup moins employé à la première personne : Gis se trouve dans le Brandan, vers 1417 ; et il rime avec avis dans Saint- Julien, 76 r°.

Par analogie avec fa^, analogie amenée probablement par la similitude de fet et de het, haïr fait à la première personne du sin- gulier hai ; les exemples ne sont pas rares; nous en trouvons un au vers 558 du Tristan de Thomas, il rime avec faz ; le Psautier de Cambridge nous en donne un autre (5, 5) qui est écrit bais.

Pour six autres verbes, Y s est aussi ancienne, quoiqu'il soit pos- sible qu'elle ne soit pas aussi régulière ; les verbes rover, trover, prover puis aller, donner, ester ont depuis le commencement de la période littéraire une s, qui ne semble pas étymologique et sur l'origine de laquelle on n'est pas encore d'accord. Cette s se rencontre aussi bien dans les textes anglo-français que dans ceux du continent.

Truis est relativement fort commun ; nous verrons plus tard les quelques changements que cette forme peut subir; mais nous avons déjà eu l'occasion de faire remarquer que la forme moderne est extrêmement rare dans nos textes. Celle qui nous occupe mainte- nant au contraire est assez commune du xiii'^ au xiv^ siècle^.

La première personne du singulier du présent de l'indicatit du verbe rover est certainement moins employée, et les exemples de

1. Voici cependant quelques références : Cumpoz 66; Brandan 1474; Drame d'Adam 351 ; Horn (H) 3160 (écrit fas); Donnai 175, 367 (écrit faç) ; Vie de Saint Grégoire 470; Robert de Gretliam 23 ; Saint Julien 68 vo (fas); Apocalypse 1273, (fas) ; Sainte Marguerite 419 (fas); Foulques Fitz Warin, p. 25.

2. La forme truis, trois a été souvent étudiée ; on pourra voir les principales hypothèses sur l'origine de cette forme dans les ouvrages suivants :

Diez, Gramniatik, 113, 256; Mever-Lùbke, vol. II, p. 191 ; Freund, Verbal Flexion, p. 21 ; Nyrop, Grammaire, § 116, 4 ; Gaston Paris, Romania, VII, 623 ; Schulzke, op. cit., p. 9 (trocso).

Dans les textes anglo-français, nous trouvons truis au vers 309 de Gaimar (écrit trofs); dans Adgar, VII, 154, à la rime avec puis ; au vers 777 de la Vie de Sainte Catherine; dans le poème de Horn 369 (écrit trofs) ; au vers 232 du Donnei, au vers 26 du Siège de Carlaverok.

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 33

mis ne sont pas très répandus '.Pendant le premier siècle de la litté- rature anglo-française, on en rencontre plusieurs ; mais nous n'en avons relevé aucun postérieur au milieu du xiii'-' siècle. C'est la seule forme que nous connaissions pour cette personne.

Pniis est rare dans les ouvrages littéraires ; nous n'en trouvons qu'un seul exemple, à la rime du vers 777 (avec truis) de la Vie de Sainte Catherine ; mais est extrêmement commun dans les diffé- rents Year Books. Les formes que cette personne peut prendre dans les recueils de textes légaux sont des plus variées ; mais on ne peut pas ne pas remarquer la régularité avec laquelle toutes ces tonnes conservent Vs -.

Aller fait toujours vois. Cette forme est extrêmement commune 5 et se conserve intacte, au moins en ce qui concerne la consonne finale, dans toute la littérature anglo-française.

Il y a un verbe qui, sous l'influence d' aller, a formé sa première personne en -ois : ester, qui f;iit estais. Cette forme est relative- ment assez rare ; voici les quelques exemples que nous avons pu relever : arestois rime avec vois (vao) au vers 7632 de l'Ipomédon ; on trouve Qncort estois, dans les Quatre Livres des Rois (III, 17, i) ; dans l'Apocalypse, 6 et y 152.

Enfin diiins se lit dans Adgar, XXIX, 159, il rime avec juins; dans Fantosme, au vers 594; dans Robert de Gretham, G^ ; dans le Saint Auban, 488, dans la Vie de Sainte Marguerite, 273 ; dans Foulques Fitz Warin, 69, et dans bien d'autres endroits encore.

En dehors du présent de l'indicatif, on trouve régulièrement s à la première personne des prétérits en si, comniQ fis, dis (jpom les exemples, cf. Prétérits en .f/).

1. Ruis ne se rencontre guère qu'au xii^ et au commencement du xiii^ siècle ; on en voit des exemples dans le Cumpoz, au vers 3 191 ; dans Gaimar, aux vers 708, 3893 ; dans Adgar, XL, 542 ; dans Guischart deBeauliu, au vers 249. Au siècle suivant, on le trouve au fol. 58 r" des Évangiles des Dompnés, au vers 10 d'Oti- nel (écrit rufs).

2. Prus se lit dans 20-21 Edw. 1er aux pages 53, 319, 363; profs dans 30 Edw. 1er, g^; prcofs est de beaucoup la forme la plus commune : i et 2 Edw. II, 147 ; 3 Edw. II, 147 ; 3 Edw. II, 62, 138, dans Y.

3. Pour l'origine de ces formes, on peut consulter Lûcking, Mundarten, p. 212 (vadio); Foerster, Rom. Studien, III, p. i8(vado); et P. Marchot, Latin vulgaire de la Gaule du Nord, vaiisio, eslansio et daiisio (Studi di filologia romanza, vol. VIII, fasc. 23) (Cité par Nvrop, Grammaire, II, 425).

3

34 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Ceci dit, il nous reste maintenant à donner la liste des rares exceptions aux formes que nous venons de citer. On n'en trouve aucune dans toute la littérature du xii^ siècle. Le premier exemple assuré que nous puissions citer est tiré du poème sur l'Erection des Murs de New Ross ; on y rencontre la rime : plcvi (: dem}^) au vers ii8; on a aussi dans le même ouvrage plevi (: hardi) vers 202, mais on pourrait aussi bien pour ce second exemple lire har- dis ; la forme étymologique se retrouve d'ailleurs au vers 179, rimant avec ennemis.

Le premier des deux exemples que nous venons de citer est le seul cas certain de la chute de ïs que nous ayons relevé au xiii^ siècle ; on peut v ajouter doiii donné par le ms. A (milieu du XIII'-" siècle) pour le vers 8332 de Tlpomédon. Nous en rencontrons davantage au siècle suivant.

L'Apocalypse nous en montre deux exemples : fa au vers 1273 «/oy (ester) au vers 239 ; mais ces deux exemples peuvent provenir des scribes, le premier de celui de y, le second de celui d'à, et cela rejetterait ces formes à la fin du xiv* siècle.

Pour donner et trouver la chute de Y s est plus assurée. Ces deux verbes tendent à prendre la forme de tous les verbes de leur conju- gaison, même, comme nous l'avons vu, à prendre Ve analogique. Comme formes sans (' et sans ^ on peut citer triif au vers 127 de l'Apocalypse (ms. ,3) ; '%« '<^ 1'^ P^ige 49 Je Foulques Fitz Warin, etc. Dans les Year Books ces deux formes sont assez communes, de même que pruf (y. g. 22 Edw. I", 575). Un autre verbe dans ces recueils perd assez fréquemment son s, le verbe pouvoir. On lit puyge (= puis-je) 20 et 21 Edw. F'', 193 etpassiin.

Par conséquent, il est clair que l'anglo-lrançais montre une régu- larité très grande pour toutes les personnes qui ont s ; le petit nombre des exceptions que nous avons citées en est une preuve. On pourrait même sans hésitation les rejeter toutes et les consi- dérer comme des exemples de négligence cléricale.

B. S irréi^uUère.

La correction est à peine moins grande pour la question qu'il nous reste à étudier : les s irrégulières sont réellement rares, non

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 35

seulement au xii^ siècle, mais même pendant les trois siècles dont nous nous occupons.

Dans les différents ouvrages du xii' siècle, nous avons relevé sept exemples de i""" personnes du singulier présentant cette s : toutes sont^ à un titre ou à un autre^ douteuses.

D'abord, nous pouvons hésiter sur le temps auquel appartiennent certaines formes.

Il semble bien que nos auteurs n'aient pas toujours nettement distingué entre di, dico et dis, dixi. Di est très commun, il est vrai (voir les rimes dans Adgar, V. R, 15 ; dans Guischart de Beauliu, 896, etc., etc.).

Il nous semble cependant que les exemples suivants de dis sont des présents plutôt que des prétérits. L'un d'entre eux est le dis (: mis) qu'on lit dans les Légendes de Marie (II, 34) :

Si fist l'en celui dunt (ore) vus dis.

Un autre dis (: pais) est employé par Gaimar, au vers 2145 de l'Estorie des Engleis :

En icel tens dunt jo vus dis,

le sens est certainement « dont je vous parle », dans les deux exemples ci-dessus ; citons aussi dis (: pris) au vers 2605 de l'Ipo- médon.

Ces exemples sont à dire le moins discutables, et quoique nous penchions à les considérer comme des présents, nous ne saurions en faire état pour prouver l'existence de ïs irrégulière au xii^ siècle.

Voyons maintenant si les autres cas que nous avons relevés à la même époque sont plus probants.

L'un d'entre eux se trouve sous la plume d'un scribe du xii'' siècle, c'est le recrei:{ du Roland d'Oxford (vers 3892) ; ensuite nous trouvons dans deux ouvrages de la même époque suis, d'abord dans les Quatre Livres des Rois (II, 7, r8), puis dans la Chronique de Jordan Fantosme (au vers 2004). Il est vrai que le dernier de ces deux exemples appartient probablement au scribe et doit être reporté à la seconde moitié du wW siècle. Du même genre que le suis de la chronique de Fantosme est

36 l'i-volution du vi;ki5E en anglo-français

l'exemple que nous fournit le Donnei des Amants : esli:{, qui se lit au vers 8^4 ; nous n'hésiterons pas à l'attribuer au scribe du manuscrit. Plus curieux et aussi plus difficile à placer est l'exemple que nous relevons au vers 735 du Roman de Philosophie : se:;^. Cette forme est assez insolite en anglo-français, et nous ne croyons pas en avoir rencontré d'autre exemple. Il est curieux dans ces conditions que cette forme soit donnée par les deux manuscrits (O ses) ; elle doit, cro3'ons-nous, provenir de Simun de Fresne lui- même.

En résumé, nous trouvons au xii^ siècle :

I" Un exemple assuré de Vs dans le Roland d'Oxford (recreiz) et un autre non moins sûr dans les Quatre Livres des Rois. Mais la présence dans ces deux cas d'une s irrégulière pourrait à la rigueur n'être qu'un lapsus calami des deux scribes.

Une i' irrégulière qui nous semble assez sûre dans un auteur florissant sur les limites du xn^ et du xiii^ siècle.

Deux autres formes qui peuvent appartenir aussi bien ou mieux aux scribes du xiii'^ qu'aux auteurs du xii^ siècle.

Un nombre assez considérable de formes qui peuvent être soit des prétéiits de forme régulière, soit des présents de l'indi- catif.

Après le xii^ siècle, les cas d's irrégulière deviennent plus nom- breux et plus assurés sans devenir fréquents. La confusion que nous signalions entre le présent et le prétérit continue et même s'ac- croît. Dans les exemples suivants, lorsque le doute est possible, nous croyons bien avoir affaire à des présents^ mais nous avons pu nous tromper.

Les verbes qui prennent le plus volontiers 1'^ à cette personne sont ceux dont le thème est terminé par une palatale. C'est tout d'abord le cas pour ilis ; voici quelques exemples assurés par la rime nous croyons avoir rencontré des présents à forme irré- gulière :

Au vers 4198 d'Edward le Confesseur dis (plutôt dixi que dico) rime avec promis; la même forme rime avec occis au vers 2009 de Dermod (cà côte de di : si, 2296) ; avec apris au fol. 80 de la Satire sur le Siècle. Nous en avons quelques exemples à la rime dans Boeve de Haumtone ; mais on sait que l'auteur fait facilement rimer des mots dont la terminaison diffère d'une s ; citons toute-

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 37

lois le dis qu'on trouve dans une laisse en -is au vers 613 ; et un autre exemple, plus douteux, qu'on lit au vers 2593. Pour ces deux cas^ M. Stimming admet que 1'^- irrégulière s'est introduite au présent de l'indicatif. A partir de la fin du xiii'' siècle 1'^ est assez commune à cette forme, par exemple dans William de Waddington (J/~) au vers 5126, et passiiii dans Pierre de Langtoft.

Nous relevons un autre verbe à palatale, qui comme dire et élire (dont nous avons déjà cité un exemple) se rencontre assez souvent avec cette consonne parasite : traire. Nous trouvons déjà ireis dans le ms. O du Bestiaire (1720); puis au vers 39 d'Edward le Confesseur ; et cette forme rime avec fes au vers 98 du Poème Allégorique. Nous ne donnerons pas plus d'exemple pour cette forme qui est aussi correcte que y^/~ ou conois ou tais; le français connaît les deux formes trai et trais : mais rano;lo-francais ne semble emplover que la seconde.

Les mêmes difficultés ne se rencontrent pas pour les exemples suivants. Ce sont bien des formes analogiques ou plutôt des formes avec s irrégulière ; elles sont bien peu nombreuses. Lis est employé^dans le poème d'Edward le Confesseur à la rime avec pro- mis au vers 1447 ; conclus rime avec plus au vers 12 du Siège de Carlaverok; olri^ rime avec devis dans Boeve de Haumtone au vers 3254.

Voilà les quelques exemples dont nous sommes siu's ; ils se réduisent à trois pendant le xiii'^ siècle : un verbe de I et deux verbes de IV.

A l'intérieur du vers lés cas d'i' irrégulière sont à peine plus nombreux : ceux que nous fournissent les poèmes de Frère Angier ont presque la valeur de ceux que nous avons cités précédem- ment ; ils ne sont du reste pas nombreux et se réduisent à deux verbes de IV : ris au vers 2212 de la Vie de Saint Grégoire Qi pleins dans les Dialogues 107 a, deux fois (cité par Miss Pope). A la fin du même siècle nous trouvons dans William de Waddington as 8767 A, qui n'est très probablement qu'un lapsus calami pour ai.

Le xiv^ siècle est à peine plus incorrect, et il est probable que le plus grand nombre des s irrégulières que nous allons citer pro- viennent des scribes, et datent par conséquent surtout du xv^ siècle.

Dans Pierre de Langtoft les formes irrégulières sont rares, les

38 l'évolution du verbe en anglo-français

seules que nous ayons relevées sont : assol:^ de absoudre II, 468, 3 ; viiys (video ou videam) II, 270, 24 donné par A (C vais, D veysse ; B, comme d'habitude, donne la bonne leçon vei) ; Nicolas Trivet a doys, 48 v°, sous Tinfluence de voys ; le Prince Noir proDies, 2427.

Aux temps autres que le présent, \'s fliit aussi son apparition la même époque. Au prétérit, on la trouve assez fréquemment : par exemple dans vis, 2^ appendice de Pierre de Langtoft, II, 428, 29 ; et dans le Prince Noir, vers 1652 (cf. Prétérits en I).

On ne trouve jamais s à l'imparfait.

Les 5 irrégulières sont très rares dans l'anglo-français non-litté- raire : on retrouve dans les Traités de Rymer la confusion entre dico et dixi que nous avons rencontrée fréquemment dans la langue littéraire, par exemple dis est employé, sans qu'il y ait place pour le moindre doute, avec le sens d'un présent à la date de 1380 (VII, 2-14); outre cette forme, nous avons relevé dans le même recueil deux présents de l'indicatif seulement qui présentent Vs : escris (1274, II, 30), tienks (i}')6, V, 856).

Le phénomène est encore plus rare aux autres temps, nous ne trouvons à citer que le passé défini rcsceii- (recipui) dans les Literae Cantuarienses (1359, 8éo), qui peut fort bien n'être que le résultat d'une erreur cléricale, car dans le même recueil les formes correctes sont particulièrement nombreuses ; et l'imparfait de l'indi- catif ^.fto dans Rymer's Foedera (1362, M, 377) qui semble aussi le résultat d'une erreur.

Comme on le voit, les cas 1'^ non étymologique s'est intro- duite sont très peu nombreux, dans ce genre de textes.

Il en est exactement de même pour la langue légale ; on trouve quelques rares s irrégulières des dates assez modernes, et pour dire le moins, douteuses. Par exemple suis (30 Edw. l", 279), dis (plus commun, 17 et 18 Edw. III, 135, 147, 171, 183).

Comme on a pu le voir dans les exemples précédents, :^ prend souvent la place de s, et cela à une époque assez reculée. Sans par- ler de /«:( et de bû~ qui sont réguliers, on peut remarquer le recrei\ du Roland d'Oxford, Veslii du Donnei, que nous avons donnés plus haut. Dans un poème de la fin du xii'^ siècle on rencontre manjui. Vie de Saint Gilles, vers 991. Nous avons encore cité st':{. Roman de Philosophie; o/;/-, Boeve de Haumtone ; di:{, William de

LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 39

Waddington ; assol:;^, Pierre de Langtoft. On trouve aussi au prétérit y?- (Psautier de Cambridge 118-121); (cf. Prétérits en 5/); resceui dans les Literae Cantuarienses.

Comme conclusion à cette étude, nous ajouterons les quelques lignes suivantes :

Us s'est remarquablement bien conservée elle était éty- mologique ou antérieure au xii^ siècle ;

La présence d'une 5 irrégulière n'est assurée qu'au xiii'' siècle, et, pour un très petit nombre de cas seulement, à la fin du XII'' ;

Les s irrégulières restent, à toutes les époques et dans tous les genres d'ouvrages, extrêmement rares.

IIL La palatale.

La palatale a pris une certaine extension en anglo-français ; pour des raisons que nous examinerons plus tard, c'est au xiii^ siècle que, comme consonne finale de la première personne du singulier du présent de l'indicatif, elle se trouve le plus fréquemment emplovée. Au xii^ siècle, le nombre de verbes prenant c, g ou k, reste très petit; ce sont d'abord, et on pourrait dire uniquement, les deux verbes venir et tenir qui l'adoptent au présent de l'indicatif et au prétérit. Vienc et vinc, îienc et tinc se maintiennent presque sans changement pendant les trois siècles qui nous occupent'. Les seules variations que l'on puisse signaler sont des modifications purement graphiques qui atteignent également toutes les formes à gutturale. La consonne finale est écrite tantôt par c, et c'est la gra- phie la plus commune, comme dans le Comput^ iienc, 126 ; dans Brandan, veine, 1428 ; <: est une autre graphie qui se rapproche de la précédente mais qui, au point de vue phonique, a une certaine importance; on ne la trouve que rarement, wn^. Psautier d'Oxford, 39, 10; g est beaucoup plus usuel; Adgar, par exemple, l'emploie presque exclusivement : vieiig, XL, 47 ; ieng, Chansons, VII, 32, etc. Presque aussi commun est le k, quoique cette lettre n'appa-

I . Pour vienc on peut voir une explication dt h palatale (i de venio passant à la consonne) dans Koschwitz, Pèlerinage, p. 90. Pour vinc, voir Foerster, Zeitschrift fur romanische Philologie, III, 494-495 ; aussi Romania,X, 216 (Cornu, Vin(c) = Venui).

40 l'évolution du verbe en anglo-français

raisse pas tout à fiiit aussi tôt, comme dans ve?ik, qui se lit dans la Plainte d'Amour, 565. La forme picarde, ch ou chc, est relative- ment rare; on lit: viiicb, dans Saint Edmund 1225, et vcnchc dans le Psautier d'Arundel (39, 8). Il faut considérer Ve de viene, Adgar, XIV, 55, comme un lapsus du copiste, si c'est réellement un e.

Ces différentes formes de ces deux verbes nous ont permis de passer en revue les différentes graphies de la gutturale ; c'est du reste un point qui n'a pas grande importance, du moins en anglo- français; la graphie peut varier d'un scribe à l'autre; la seule chose qui ait quelque importance c'est la rareté dans les textes littéraires de la forme picarde.

Quelque temps après tenir et venir, un certain nombre de verbes a3'ant la consonne n dans le thème prirent la palatale comme finale de la première personne du singulier du présent de l'indi- catif. Nous trouvons ainsi entenc^ au vers 592 du Compur, dans la Plainte d'Amour, 56e, etc., peut-être par analogie avec ticiic, teiic de tenir ; nous trouvons de même prcuc dans le Brandan, vers 1304.

A partir du milieu du xii'^ siècle et jusqu'à la fin du xiii*^ siècle, le nombre des formes qui nous occupent devient plus considérable et il est utile pour la clarté de les classer suivant la lettre finale du thème.

En tenant compte de tenir et de venir, ce sont les verbes dont le radical est terminé par ;/ ou qui contient ;/ comme le groupe »/, 7id, qui présentent le plus grand nombre de cas d'addition de cette consonne.

fl)ND. Le verbe prendre a presque constamment r ou g. On trouve déjà dans Thomas prciig, 6^j ; et il est employé à la rime dans la Folie Tristan (: reng) au vers 495 ; prenh, se trouve dans le Roman des Romans, 34 ; enpreng (: chamberleng), dans le Poème Allégorique 80 ; etc. Plaindre ofi^re des exemples à la même époque que prendre. Pleing se trouve dans Thomas au vers 141 3 côté de /)/«//;(: Bringvain), vers 970) ; et dans une rime dou- teuse de la Folie Tristan (: desdeing), 854 ; on retrouve encore plusieurs fois la même forme dans le courant du xiii^ siècle. Rendre a évidemment subi l'influence de prendre. On a renc

I. Qui peuvent évidemment appartenir au scribe.

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 4I

dans la Vie de Saint Grégoire, vers 1843; rench, Angier, 64 a; et dans Boeve de Haumtone un certain nombre de rimes qui ne montrent rien : rcnc (: toucliant), 2945 , rcugkc (: avaunte), 2945, lire rend; avaunt ; et renhe, 2438.

\o\c\ enfin quelques autres verbes d'un emploi plus rare : reiiicyng, Poème Allégorique, 83 ; feyng, ibid., 208, et au vers 262 d'Elie de Winchester ; rccoiich, Angier, 64 r"a.

Nous ne prétendons pas dater ces différentes formes avec quelque précision ; il est très possible que si nous ne trouvons qu'au com- mencement du XIII'' siècle des exemples de la forme reric ce ne soit que l'effet du hasard. Il est plus prudent de considérer les verbes précédents comme faisant partie d'une seule classe dans laquelle la palatale s'est introduite progressivement. C'est vers le milieu du XII'' siècle que nous trouvons les premiers exemples assurés de la palatale pour ces verbes, à l'exception de tenir et de venir.

NT. Les verbes en -nt qui prennent cette consonne sont beau- coup moins nombreux; nous n'avons même relevé que sentir qui nous présente les formes : senk (Chansons, V, 6), et sciig (Poème Allégorique, 193); elles sont du reste d'un usage fréquent, quoique tardives.

b) R plus D ou V; R simple.

Un assez grand nombre de verbes dont le thème est terminé par r, soit simple soit suivie d'une consonne qui tombe devant c ou k, se rencontre avec la palatale dans les textes anglo-français. C'est même, nous semble-t-il, la consonne qui est la plus affectée après n. Au moins nous avons un exemple très ancien d'un thème en r suivi d'une gutturale, c'est requicrc (Quatre Livres des Rois, IV, 5, 18); après cette date, la forme avec palatale devient la forme ordinaire de première personne du singulier du présent de l'indicatif de quérir. Il en est de même pour mourir ; quoique nous n'ayons pas relevé pour ce verbe d'exemple très ancien, il peut y en avoir qui nous aient échappé. On en trouve un toutefois dans le Saint Edmund, au vers 719 sous la forme marge, et écrit mnrg dans les Chansons (MI, 10). Lorsque IV est suivie dans le thème d'une consonne dentale ou labiale, qui disparaît devant la palatale, la première personne de l'indicatif de ce verbe prend volontiers cette consonne, comme scrc de servir, Angier, 50 r'' a (cité par Miss Pope), ou picrc que l'on trouve dans Horn, vers 3500, et pierk, deuxième Appendice de

42 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Pierre de Langtoft (II, 442, 29), tous les deux venant de perdre.

f) Il est assez rare de trouver d'autres thèmes verbaux prenant ou susceptibles de prendre c ou k à la première personne. On peut citer cependant un thème en / mouillée : couseih (Angier, 78 b); {rvi^xs conseil (: foeil), id., 65 a); un autre en // : /^ra/wr (Angier, Vie de Saint Grégoire, iioo).

On trouve même au xiv^ siècle parmi les rares formes à palatale un verbe dont le verbe est terminé par / : paroiigc, second Appen- dice de Pierre de Langtoft, II, 442, 29.

Pour Angier, qui présente des formes en c plus variées et plus nombreuses que n'importe quel autre auteur anglo-français, voir la liste dans l'étude de Miss Pope, p. 36, et Timothy Cloran, p. 59.

d) Il y a quelques verbes qui ont étymologiquement à la fin du thème une palatale qui ne doit pas se confondre avec celle dont nous venons de parler.

Par exemple testiinong, Psautier de Cambridge 80, 9; et enuing. Quatre Livres des Rois, I, 16, 12 ; vouch, Horn 1145 venant respec- tivement de testimonier, enuingdre, voucher (vocare).

e) Quoique la palatale ne soit pas d'un usage extrêmement fré- quent en anglo-français, il arrive parfois qu'elle sorte du présent, et même de l'indicatit et qu'elle affecte d'autres personnes que la première. C'est ainsi que nous trouvons au futur, première per- sonne : crc. Quatre Livres des Rois(I, 23, 17); icrc (ibid., II, 6, 22); iercs à la deuxième personne du singulier (id., II, 22, 27); à l'impé- ratif, deuxième personne du singulier, la forme très commune {cu)iyienc(\h\à.., II, 10, 13); (j//i-)//V»r, Psautier d'Oxford (26, 20); etc., demanc qui est plus rare (cf. Angier, Dialogues, 91 a); à la troisième personne du singulier du prétérit, iiiicl (Quatre Livres des Rois, III, I, 49); comme on le voit, sauf pour l'impératif de tenir, cette extension du c est limitée à de certains auteurs.

Les premières personnes à palatale sont très peu nombreuses dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature et nous n'ob- servons pas la grande variété de formes que nous venons de signa- ler dans les œuvres littéraires : disons tout d'abord que cette con- sonne s'y présente principalement sous deux formes g et h, dont la première est de beaucoup la plus commune. Les seuls verbes que nous ayons rencontrés avec la palatale sont ceux dont le thème est terminé par une ;/, et parmi ceux-ci tenir et venir sont certaine-

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 43

nient les plus employés sous cette forme. Nous ne recommencerons pas à énumérer de nouveaux exemples pour ces deux verbes ; on les rencontre à peu près partout, dans les Traités de Rymer (1303, II, 918) dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1333, I, 539), dans les Literae Cantuarienses (1363, 908). Prendre se rencontre aussi, mais moins souvent, comme enipreiik dans les Traités de Rymer (1323, III, roo8). Ajoutons-y un exemple qui est beaucoup plus rare, recoma nul; , qu'on lit dans les Literae Cantuarienses (1363, 909).

Nous pourrions répéter les mêmes remarques au sujet des textes de langue légale; nous ne citerons qu'un exemple qui nous montre une forme assez rare de la palatale : eiiteiigh qui se trouve dans le recueil 22 Edw. P"", p. 333, et qui est répété deux fois.

Si cette consonne dans tous ces textes est d'un emploi assez rare au présent de l'indicatif, il va de soi qu'elle doit se rencontrer encore plus rarement aux autres temps et aux autres personnes, le seul exemple que nous ayons relevé en dehors de ceux dont nous venons de donner une idée se trouve dans le Registrum Palatinum Dunelmense on lit deviiik (13 11, I, 92).

Cette question n'a donc eu qu'une médiocre importance en anglo-français; à partir de 11 60 la palatale a commencé à atteindre un petit nombre de verbes; elle semble avoir atteint le maximum de son emploi vers le milieu du xiii^ siècle ; on n'en rencontre guère que des exemples isolés au xiV, spécialement rares dans les textes non littéraires.

VALEUR DE CETTE CONSONNE

Avant d'abandonner cette question, il est bon de nous demander quelle valeur a été attribuée à cette consonne par les écrivains anglo-français; évidemment, ici, seuls les textes littéraires, avec leurs rimes, peuvent nous être de quelque utilité. Nous n'avons relevé qu'un tout petit nombre de rimes nous montrant que la gutturale dans les formes que nous avons citées a conservé sa valeur propre ; rappelons la rime de la Folie Tristan (: reng), celle du Poème Allégorique (: chamberleng) et une ou deux autres. Elles nous montrent que la palatale se taisait sentir surtout, nous semb!e-t-il^ au xir' siècle et peut-être aussi postérieurement.

j|4 L EVOLUTION DU ^•ERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Mais le plus grand nombre de rimes que nous avons recueillies tendent à prouver que le h était purement graphique; rappelons les rimes de Boeve de Haumtone; celles du Manuel des Péchés de William de Waddington {enteuh, rimant avec sacrement, avec comant, avec brevement. Cf. les vers 2699, 35 52, 9247), celle des Chansons Çpleinic rimant avec teint, V, 26).

Si on attribue aux scribes seuls les graphies de la première per- sonne du singulier qui présentent une palatale, ce qu'il est pos- sible de faire, on n'en aura pas moins à conclure qu'au plus tard vers la hn du xiii^ siècle la consonne a perdu sa valeur dans ces terminaisons. Il est probable qu'on l'aura considérée comme fai- sant partie de la graphie de la voyelle nasale à laquelle elle est le plus souvent jointe.

Ces considérations ne nous poussent donc pas à adopter l'hypo- thèse de Horning ', qui voit dans la gutturale l'origine de \'s moderne caractéristique des premières personnes du singulier dans les trois dernières conjugaisons. Un autre argument contre cette théorie, s'il était nécessaire d'en chercher d'autres, se trouverait dans la forme tieiiks que nous avons relevée dans les Rymer's Foe- dera et citée plus haut.

Les autres consonnes à cette personne sont rares : les formes comme devijtl (Rymer's Foedera, 1273, II, 11), tient (jd., ibid.); tient (Royal Letters, 1249, II, 52) n'ont aucune espèce d'impor- tance.

Ce ne sont que des fautes d'orthographe qui n'ont que très peu de valeur, mais qu'il n'était pas inutile de signaler.

IV. Autres temps. A. Premières personnes du singulier terminées en

DIPHTONGUE + C ATONE.

I. La voyelle atone. Un des phénomènes les plus caractéristiques de l'anglo-français,

I. Cf. Horning, Romanische Studien, V, XVIII, pp. 708 sqq., et Meyer-Lûbke, II, p. 191 .

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER ^5

est kl disparition de la voyelle atone après une diphtongue ^ ; on en trouve des exemples pour toutes espèces de mots; mais la conju- gaison du verbe à la première personne et à la deuxième personne du singulier et à la troisième personne du pluriel de certains temps nous en donne des exemples remarquables. Cette question, à vrai dire, est avant tout une question de phonétique, et si nous nous en occupons en détail dans un ouvrage de morphologie, c'est que d'abord, il nous semble impossible de tracer une ligne de démarca- tion absolument infranchissable entre ces deux parties de la gram- maire; ensuite nous avons le droit de nous demander si les lois phoniques générales ont agi avec la même régularité sur les diffé- rentes parties du verbe; en d'autres termes, il est possible à priori que l'amuissement de l'atone finale n'ait pas été absolument régu- lière, que Vc ait été maintenu plus longtemps dans certains cas que dans d'autres.

Nous ne pouvons traiter maintenant qu'un point de cette ques- tion ; nous aurons à y revenir à propos de la seconde personne du singulier et surtout de la troisième personne du pluriel. Pour cha- cune de ces personnes nous suivrons autant que possible la même marche : d'abord nous examinerons la valeur de la voyelle atone pendant le xii^ siècle, époque à laquelle cette question n'offre pas de difficulté; pour les deux siècles suivants, nous aurons à distin- guer deux classes, la première contenant les imparfaits de l'indi- catif et les conditionnels, l'autre tous les autres temps présentant l'atone en hiatus; pour ces deux classes, nous verrons tout d'abord les cas Ve atone est conservé, puis ceux il est rejeté : cette façon de procéder nous permettra d'envisager tous les aspects de la question^.

A la première personne du singulier, la vo5'elle atone se trouve en hiatus dans la position posttonique à plusieurs temps : à l'impar-

1. La question a été souvent étudiée; nous ne citons pas ici les différentes monographies ; au point de vue général, on peut voir : Meyer-Lùbke, Grammaire, I, 261 et 289; J. Vising, Étude, p. 70, et Litteraturblatt, IV, 310; P. Meyer, Romania, I, 71 ; Koschwitz, Zeitschrift, Il 482 ; Suchier, Ueber.., p. 5 ; Stimniing, Boeve, 181.

2. Pour (' ne comptant pas dans la mesure du vers, on peut voir dans Sucliicr, Œuvres de Beaumanoir (I, cli), un pliénomène analogue ; cl', aussi Rydberg, Ges- chichté des franz. c ; la thèse accessoire de M. Faral.

^6 l'évolution du verbe ex anglo-français

f-iit de l'indicatif des verbes de II, III, IV et à tous les condition- nels après la monodiphtongue ei ou les diphtongues oi, ai.

a. XU" SIECLE.

Au XII"-' siècle, la voyelle atone est le plus souvent conservée. Néanmoins on peut remarquer très tôt en anglo-français quelques cas de chute de l'atone; cette chute ne semble d'abord qu'une irré- gularité attribuable à certains scribes ou à des auteurs peu soigneux ; nous n'en avons qu'un tout petit nombre d'exemples. Le Psautier d'Arundel nous montre trois imparfaits de I sans e : crioii (30, 29); humUiou (34, 15) ; riiioiiii (37, 8). Pour le conditionnel, le Psautier d'Oxford nous donne /^ra (39, 11); pour le présent du subjonctif Jordan Fantosme nous montre sei (au vers 511) :

Quarante jorz de terme ke seie mer passant, Sire.

Dans ce même auteur, on trouve un assez grand nombre à'e posttoniques à la première personne du singulier qui ne comptent pas dans la mesure du vers ; mais ils se trouvent tous à l'hémis- tiche (cf. vers 144, 145, 406, 1965); tandis que les formes qui ont conservé à l'atone sa valeur étymologique sont très nombreuses (cf. vers 502, 592, 143 1). Horn a des exemples assurés de formes régulières (vers 668 a, 877, 968, 2368), douteux de formes abré- gées (668 b). Le poème de Renaut de Montauban a une forme abrégée, avec inversion du sujet :

Le -porter li respont ; « Ore aie joie déhee... p. 12.

On pourrait trouver quelques autres exemples dans les manu- scrits écrits à la fin de ce siècle, comme poai que le ms. Royal 13 A axi donne au vers 1878 de l'Estorie des Engleis (lire poï). Sans vouloir rechercher tous les exemples de cette irrégularité qui n'ont pas pu manquer de se glisser sous la plume des scribes, nous nous contenterons des quelques cas que nous venons de signaler : ils ne sont pas nombreux, mais ils nous montrent que la tendance à sup- primer l't' muet final remonte à environ 1160 et que cette tendance se manifeste également pour tous les temps qui ont cet e.

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 47

b. XIII" ET XIV^ SIÈCLES

I. Impartit et conditionnel.

Nous ne pouvons pas espérer retrouver au xiii^ siècle la régula- rité du siècle précédent; après 1200, nous ne rencontrons plus que de rares auteurs ne connaissant que les formes étymologiques. Il y en a cependant, et nous pouvons citer Robert de Gretham qui n'emploie jamais les formes abrégées, il nous donne par exemple gisi'ie, 32 (3 syll.) ; piirrcic 43 (3 syll.) ; et l'auteur d'Edward le Confesseur, diroie, 58 (3 syll.) ; savroie, 2223 ; ameroie{^ syll.), vers 4654. D'une façon générale les auteurs contemporains de Robert de Gretham et immédiatement postérieurs nous montrent un mélange constant des deux formes, mélange dans lequel les formes abrégées vont prédominer de plus en plus. Dans les trois poèmes de Chardri, nous pouvons observer une progression significative : de l'un cl l'autre, on peut clairement voir le nombre de formes correctes diminuer constamment. Dans le Josaphat d'abord, nous avons deux exemples assurés de la forme régulière, aux vers 11 17 et 1893

Ke ne saveie ki il fut ;

Nun frez, car nel vudreie mie.

On pourrait trouver d'autres exemples ; mais ils sont tous discu- tables. La voyelle finale disparaît dans un seul cas, au vers 2562 :

Nel freie pas en nule nianere.

Dans les Set Dormans, les formes étymologiques assurées sont proportionnellement moins nombreuses ; nous en relevons deux, aux vers 715, 1073 :

Ne vus esparnireie pas ; E si purreie manger pain.

Les formes abrégées deviennent aussi nombreuses que les autres; elles apparaissent aux vers 11 27 et 11 27 :

Kar jo purreie ja tant errer, Ke ne savreie pas repeirer.

^8 l'évolution du verbe en anglo-français

Enfin dans le Petit Plet, la proportion se trouve renversée ; nous ne trouvons dans ce poème^ les premières personnes qui nous occupent sont particulièrement nombreuses, ce qui rend nos conclusions d'autant plus sûres , que 3 cas la voyelle muette étvmologique muette est conservée : I-14, 215, 879. Elle disparaît au contraire dans 12 cas, aux vers : 151, 269, 272, 451, 471, 473, 478, 462, 1247, 1598, 1605, 1623.

Ces exemples sont trop nombreux pour que nous citions ces douze vers; qu'il nous suffise de dire que la disparition de IV muet final ne saurait ici être causée par l'inversion du pronom sujet, cette inversion n'ayant lieu qu'une seule fois, pour le vers 1623.

L'étude des trois poèmes de Chardri nous montrerait donc que, ou bien le poète est devenu de plus en plus négligent avec les années, mais nous ne croyons pas qu'on ait fait cette remarque pour la langue de Chardri ', ou, ce qui est plus vraisemblable, que pendant la vie même de l'auteur, l'amuissement a fait des progrès considérables. Cependant avant de tirer une conclusion aussi rigoureuse, que le petit nombre des exemples fournis par les deux premiers poèmes ne nous permet pas de tirer, nous devrons compléter notre étude sur la première personne et comparer les résultats qu'elle nous fournira avec ceux qui nous seront donnés par la deuxième personne du sin- gulier et la troisième du pluriel. Nous nous contenterons de retenir le fait, sans attacher une importance exagérée aux chiffres , que dans le Josaphat, les formes régulières sont plus nombreuses que les autres, dans les Set Dormans elles sont en nombre à peu près égal; dans le Petit Plet en nombre considérablement inférieur.

Nous ne trouvons pas du reste dans les poèmes qui ont été écrits à peu près à la même date que ceux de Chardri une confir- mation de ce que ngus venons de voir, ce qui, en anglo-français,

T. Cependant nous ne pouvons pas ici ne pas faire remarquer une coïncidence à dire le moins fort curieuse. Miss Pope a montré qu'il y a dans la langue de Frère Angier une évolution ou, pour mieux dire, un progrès à l'envers nettement mar- qué. C'est ce que nous observons sur ce point spécial de la disparition de la muette posttonique en hiatus dans son contemporain Chardri. Faut-il y voir un phéno- mène général ? Est-ce une particularité des deux auteurs? Il est probable que c'est cette seconde hypothèse qui est la plus vraisemblable. Mais dans ce cas cette dété- rioration progressive de sa langue ne pourrait plus servir à prouver que Frère Angier a appris le français sur le continent et l'a oublié en Angleterre, car on ne peut trouver dans les poèmes de Chardri la moindre trace d'influence continentale

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 49

n'a rien de très étonnant. Frère Angier emploie bien les deux formes (cf. Miss Pope, p. 23), mais il est douteux que Denis Pyrame ait employé à la première personne du singulier la forme abrégée; le seul exemple qui pourrait le faire croire c'est la forme qu'on trouve au vers 599 :

E durrey vostre gareysun,

dans lequel dnrrd pourrait fort bien être un futur. Mais même en admettant que ce verbe soit un conditionnel d'où 1'^ muet aurait disparu, les formes qui l'ont conservé sont beaucoup plus nom- breuses; citons-en quelques-unes, versé, 925, 932, 1260.

Si fesei(e) les serventeis ; Kar nel otreiereie mie ; Nel ferei(e) pur tut le mound ; Car je quidoue veirement.

Et si nous rappelons ce que nous avons dit tout li Theure à pro- pos des Évangiles des Dompnées et de la Vie d'Edward le Confes- seur, nous verrons que certainement deux, probablement trois con- temporains de Chardri n'emploient jamais la forme sans Ye muet étymologique. Cela ne doit pas suffire cependant pour nous faire rejeter le témoignage de Chardri, au contraire; il est probable en effet que celui-ci représente l'asage ordinaire, tandis que les autres écrivent une langue plus littéraire, pnr conséquent plus conserva- trice et plus -archaïque.

Il est certain que les scribes et les écrivains de la seconde moitié du xiii'^ siècle négligent le plus souvent Ve final dans ces formes. Par exemple le scribe de la Folie Tristan l'omet souvent, et en l'omettant détruit le vers (cf. par exemple vers 349, 398, 643, 823), de même on trouve un grand nombre de cas analogues dans le manuscrit D de l'Estorie des Engleis et de la Chronique de Fan- tosme. Il en va de même pour tous les mss. écrits à cette époque. Quant aux auteurs, nous pouvons voir qu'ils emploient indifterem- ment les deux formes; cependant, autant que leur versification incorrecte nous permet d'en juger, la voyelle muette compte très rarement dans le vers. Le poème de Boeve de Haumtone ne nous donne aucun exemple pour lequel nous puissions affirmer avec quelque certitude que la forme correcte est gardée. Dans les Heures

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50 L KVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

de la Vierge, nous pouvons rencontrer un petit nombre d'exemples qui présentent la forme, étymologique, comme es foye au folio 68 r°. Il V a cependant plusieurs ouvrages, parmi ceux qui présentent quelques exemples de premières personnes du singulier de l'impar- fliit de l'indicatif ou du conditionnel, qui amuïssent constamment IV atone de cette première. Parmi ceux-ci on peut citer un poème relativement correct, la Genèse de Notre-Dame. Dans ce poème, nous avons rencontre un certain nombre de terminaisons abrégées (d. 8, 58 r°, voJdrey ; 63 v\ avcy ; 65 v°, conusey (: fey) ; disei. (: mei) 76 ; William de Waddington qui nous donne un nombre considérable de formes abrégées (par exemple au vers 7879 descinmt avec dei, et avec parlai au vers 9903 ; pesai avec dépeçai au vers 9484; poei avec lei au vers 8779; et l'intérieur du vers, les exemples sont nombreux et probants, cf. 2674, 9913, 9949) ne nous donne aucun cas assuré montrant la persistance de la muette. Nous pouvons donc conclure que vers la fin du xiii^ siècle, la muette ait à peu près absolument disparu des premières personnes du singulier de ces deux temps.

Cependant au siècle suivant les exemples nous montrant qu'elle a persisté sont relativement nombreux et probants. On la trouve dans les écrivains en prose, dans les Contes de Nicole Bozon : Jesoyc § 143 ; dans les poèmes à versification incorrecte comme Pierre de Langtoft et la Vie de Sainte Marguerite, au vers 86. Pour ces deux classes d'ouvrages, nous ne savons pas si ïe muet conservé ou réta- bli est graphique ou se prononce. Mais si nous trouvons un poème dont par extraordinaire la versification est relativement correcte, nous remarquons que 1'^" compte très fréquemment dans la mesure du vers : c'est ainsi que nous trouvons dans le Siège de Carlaverok donroie au vers 28 ; la Vie de Saint Richard, de Nicole Bozon, nous donne au vers 548 : esfeie :

Dunt jeo esteie tant grevé.

dans le poème du Prince Noir ineiitiroye (: joie) 3773 ; oseroie (4 syl- labes) 10 1.

Il est donc évident que Vc muet après avoir à peu près entièrement disparu à la fin du xiii'^ siècle se montre de nouveau au xiv^ dans un assez grand nombre de cas. Cependant il ne fout pas se dissimu- ler que les exemples d'où IV étymologique sont absents à cette

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 51

époque restent beaucoup plus nombreux que ceux il se trouve; nous ne citerons pas ici d'exemple d'un phénomène trop évident. Tous les écrivains, même les plus corrects, nous montrent des formes irrégulières plus ou moins nombreuses, mais le plus souvent plus fréquentes que les autres. Même le poème du Siège de Carlaverok ou celui du Prince Noir ont un nombre considérable de ces formes '. Cette première personne arrive à rimer librement avec la première personne des prétérits de I, cf. plus haut les exemples de William de Waddington ; et avec le futur, comme aloi (: dirroi) au vers 35 de De Conjuge non ducenda.

2. Présent du subjonctif.

Les présents du subjonctif qui à la première personne du singu- lier présentent une diphtongue suivie d'un e muet ne sont ni aussi nombreux ni aussi employés que les deux temps que nous venons d'étudier; nos conclusions ne sauraient donc être sur ce point aussi sûres que précédemment. Nous avons vu plus haut que Robert de Gretham et l'auteur d'Edward le Confesseur n'emploient pour l'im- parfait et le conditionnel que les formes régulières; il en va de même pour le subjonctif: le premier nous donne aie, veie au fol. 26 r°, le second scie au vers 94; il faut encore ajouter à ces deux auteurs Denys Pyramus; nous n'avons relevé chez celui-ci qu'un seul de ces subjonctifs et il est régulier, vers 3954 :

Que jeo aim tant cum seie vifs.

Pour ce qui est de Chardri, nous n'avons pas dans ses différents poèmes un nombre suffisant d'exemples pour pouvoir suivre très exactement le développement de l'amuissement; dans Josaphat la forme étymologique se retrouve dans trois cas, une fois à la rime : seie (: veie, via) au vers 354, et deux fois dans le corps du vers, vers 1781 et 2157 :

Jeo grant ke jeo seie tué ; Ke mort seie devant vus mis.

I . Pour le dernier de ces poèmes, Miss Pope (p. xi) a remarqué que l'amuisse- ment n'avait lieu que lorsqu'il y a inversion du sujet; ceci est du reste absolument spécial au Héraut de Sir John Chandos. A la liste des cas d'amuissement donné par Miss Pope, on peut ajouter le vers 4261.

52 l'évolution du verbe en anglo-français

tandis qu'on ne trouve qu'une seule forme abrégée, au vers 1914: Si vulez que scie baptisée.

Dans les Set Dormans, nous avons une forme étymologique et aucune forme incorrecte, au vers 1124 :

Vout ke j'aie le sen perdu.

Dans le Petit Plèt au contraire, il n'y a encore qu'un seul de ces subjonctifs, au vers 771, et il a perdu son e final :

E quident ke jeo seie d'asez.

Après Chardri et même pendant la dernière partie du xiii* siècle, les subjonctifs se rencontrent encore asstz souvent avec Ve muet; mais il n'est pas toujours possible de savoir si cet e compte dans la mesure du vers.

Le poème de Saint-Auban nous en donne au moins un exemple aussi sûr que possible, au vers 485 :

Proiez pur moi ke ne soie flecchiz.

On relève encore dans les Heures de la Vierge joie (2 syllabes), soie au vers 86 de la Vie de Sainte Marguerite; aie au vers 3004 du Poème du Prince Noir :

Que je nen ai (e) le meliour.

Cet e est assez souvent écrit dans la Chronique de Pierre de Langtoft, mais aucun de ces exemples n'est assuré par la mesure du vers. La Vie de Saint Paul l'Ermite de Nicole Bozon nous donne (vers 144, 147, 148) j-f/V, eye, veye.

Les formes étymologiques restent donc suffisamment nombreuses jusqu'à la fin du xiv^ siècle; mais elles sont toujours, croyons-nous, en nombre inférieur à celui des formes irrégulières. Celles-ci se trouvent très nombreuses pendant la seconde moitié du xiii'^ siècle; Boeve de Haumtone en contient un certain nombre; mais il semble que toutes doivent être mises au compte des scribes; ainsi on lit sei au vers 1044, et cette forme est donnée par les deux manuscrits. Il est remarquable que le manuscrit D qui est de la seconde moitié du xiii^ siècle nous donne un plus grand nombre de formes abré- gées (cf. vers 958, 1063, 125^, etc.) que le ms. B qui a été écrit

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 53

au xiv% de même dans le Manuel des Péchés, la forme sans e. est la règle, et on en peut dire autant de la Plainte d'Amour, cf. vers 587:

Que (jeo) sei done de bon cotel, (2 mss.);

Au siècle suivant les exemples de la forme nouvelle ne sont cer- tainement pas aussi nombreux; Pierre de Langtoft semble en avoir quelques exemples. On trouve encore sd au vers 86 de Traillebaston ; au fol. 26 de Nicol Trivet, etc.

Le traitement que la première personne du singulier des sub- jonctifs terminés par une diphtongue et un e muet a reçu en anglo- français est donc sensiblement le même que celui que nous avons pu décrire pour l'imparfait de l'indicatif et le conditionnel, quoique la disparition de la muette y soit moins marquée. On peut résumer en quelques mots les différentes phases de la disparition de cette voyelle muette.

Les premiers exemples qui nous montrent la chute de la voyelle muette en hiatus datent de la seconde moitié du xii'' siècle partir de iiéo); ils sont d'abord peu nombreux et limités à un petit nombre d'écrivains et de scribes.

Au xiii^ siècle, et dès les premières années de ce siècle, l'amuissement de cet g semble faire de grands progrès; les poèmes de Chardri nous montrent la rapidité avec laquelle les formes abrégées gagnent du terrain. Mais même cette époque, on ren- contre certains auteurs qui ne connaissent que les formes étymolo- giques.

Pendant la seconde moitié de ce siècle, celles-ci disparaissent entièrement chez plusieurs auteurs, et deviennent sporadiques chez les autres.

Au siècle suivant, les formes incorrectes restent la majorité; cependant, il est évident que dans un très grand nombre de cas et chez plusieurs auteurs, \e étymologique a été maintenu ou rétabli.

Nous n'ajouterons qu'un mot sur ces premières personnes dans les textes non littéraires. Il est presque inutile de faire remarquer que nous ne pouvons parler ici que de graphies et ensuite que de par leur nature ces textes n'ont employé que fort rarement les premières personnes du singulier; les Statutcs par exemple ne nous fournissent pas un seul exemple. Nous devons reconnaître que

54 l'évolution du verbe en anglo-français

nous n'avons pas pu remarquer dans ces textes une recrudescence des formes régulières pendant le xiv^ siècle. Celles-ci sont assez rares après 1300; avant cette date, nous pouvons trouver des écri- vains soigneux, comme Jean de Peckham, qui n'omettent jamais Vc final : on lit dans ses lettres : eie (1280, 94); soie (1284, 554)- Ceci ne se rencontre ja:mais au siècle suivant, les formes régulières y sont sporadiques; citons cstoie dans lès Histor. and Municip. Documents of Ireland (13 13, 279); purroye dans les Traités de Rymer (1367, VI, 558) et quelques autres. Ce dernier recueil ne nous donne guère pour le siècle dont nous parlons que des formes sans muette; il en est de même des Litterae Cantuarienses. Il est inutile de citer des exemples qui, même dans ce dernier recueil, restent relativement peu nombreux.

Nous pouvons dire exactement la même chose des Year-Books; ceux-ci contiennent un nombre infime de formes régulières, par exemple soie 3 Edward II 83, donné par le ms. Y (13 12); mais de telles formes sont rares.

Il est donc aussi clair que possible que la forme régulière dans les textes diplomatiques, familiers, légaux a duré jusqu'à la fin du xiii^ siècle et est devenue rare au xiv''; cependant cette conclusion perd de sa valeur de ce fait que les meilleurs textes non littéraires ne nous ont fourni aucun exemple. ,

2. La diphtongue.

Nous ne pouvons pas ici nous occuper de la diphtongue tonique qui diffère selon les temps. L'imparfait de l'indicatif, le conditionnel, le subjonctif d'être, de devoir, de voir ont la diphtongue ei ; celui d'avoir a régulièrement ai; celui de jouir 0/, etc.

Nous nous contenterons simplement de faire remarquer mainte- nant que ei passe à ai (disai : parlai, William de Waddington 9905) et a oi au xiV^ siècle (iiiejiiiroie : joie, Prince Noir 3773); et que ai passe à. ei (eie, Jean de Peckham 1280, 94); même oi (pye, Poème Allégorique 157).

B. Chute de la dernière syllabe muette.

Un phénomène tout différent et d'une importance beaucoup moindre est celui qui nous montre la chute d'un é muet précédé

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 55

d'une consonne. C'est la première personne du singulier de l'impar- fait du subjonctif qui nous fournit des exemples de cette chute de la voyelle muette et cette chute est évidemment accompagnée de la disparition d'une des s de la terminaison, quelquefois des deux. Nous pouvons le remarquer dans un certain nombre de cas que nous fournit le poème de Boeve de Haumtone, par exemple avantas que nous trouvons au vers 1713; une forme analogue se lit au vers 1575. Enfin et toujours dans ce même poème nous rencontrons au vers 1014 osa a qui a perdu Vc muet et les deux s.

Ces formes sont surtout communes dans les textes légaux elles se rencontrent constamment; nous ne nous arrêterons pas à citer un grand nombre d'exemples : citons seulement pledas dans le Year Book 31, Edw. V"' , p. ^^j; demandas dans i et 2 Edw. II, p. 138 (B et P donnent -jTj-c). Ce phénomène n'a d'importance qu'en tant qu'il montre que la muette finale tendait à tomber dans quelque position qu'elle se trouvât.

C. Premières personnes du singulier terminées par ai.

Deux temps présentent à la première personne du singulier la diphtongue ai : tous les futurs et les prétérits de la première conju- gaison. Ajoutons-y deux présents de l'indicatif ai et sai et, après la chute de la voyelle muette (voir ci-dessus), un présent du sub- jonctif a/V. Du reste, si nous parlons maintenant de ce présent du subjonctif, nous pourrions à la rigueur mentionner aussi tous les imparfaits de l'indicatif, les conditionnels et d'une façon générale tous les temps qui nous ont occupés dans notre avant-dernière section. En eff^et, tous ces temps, à une certaine époque, perdent leur voyelle muette et, d'un autre côté, nous savons que la diphtongue ai a passé de très bonne heure à ei. Et en efi'et, il se trouve que les modifications de la diphtongue ei coïncident souvent avec celles que nous allons observer dans la diphtongue ai, et nous nous per- mettrons d'attirer l'attention sur ces points une coïncidence nous a frappés. Mais nous nous bornerons surtout à montrer les modi- fications qui ont été subies à tous les temps elle se trouve par la seule diphtongue ai. S'il se rencontre des formes de cette diphtongue qui sont spéciales à certains temps, nous les omettrons ici pour n'en parler que quand il sera question de ces temps.

56 l'évolution du verbe en anglo-français

Nous ne ferons qu'indiquer la substitution de la voyelle y à /; cette graphie, comme on le sait, est très générale en anglo-français dès le commencement du xiv^ siècle (voir l'Apocalypse) sinon plus tôt (cf. le Manuel des Péchés et les autres poèmes de la fin du xiii'^ siècle); on peut lire à ce sujet les règles données par VOrthogra- phia Gallica, p. 28 : XVII (T 17) : « Quandoque / stat immédiate ante vel post m, n vel //, potest mutari in y ut legibilior sit vel stare in sua natura. (H 92) Item quandocumque hec vocalis i inter m et n vel u ponitur, potest mutari in y ut litera sit legibilior legenti. »

Le changement de 1'/ en y n'a donc été tout d'abord qu'un souci très louable de faciliter la lecture, dans les manuscrits, des groupes de lettres la présence d'un / pouvait en augmenter les difficultés. Mais, comme tant d'autres règles données par l'Orthographia Gallica, celle-ci n'a jamais été strictement observée et au xiv^ siècle les deux voyelles / et y ont été librement prises l'une pour l'autre. Nous ne reviendrons plus sur ce point qui n'est pas de notre compétence.

Il sera plus utile de nous arrêter sur les trois développements principaux que nous pouvons observer pour la diphtongue ai :

1. Ai passe à ci puis à oi.

2. Ai passe à a.

3. Ai passe à e.

I . Ai passe à ei, oi ' .

Le premier de ces développements est fort connu, car il provient de la confusion des diphtongues ai et ci (cf. dans l'ouvrage de

I. Dans le verbe, le passage de -ai à -ei ne s'observe pas seulement à la pre- mière personne du singulier; on en trouve un autre exemple pour un impératif, seconde personne du singulier ; mais ce changement est beaucoup plus rare. On le trouve à l'impératif du verbe faire : fei ne se rencontre que dans certains manu- scrits et il reste beaucoup moins commun que la forme étymologique /a/. Un des exemples que nous avons relevés avec la diphtongue ei se lit dans deux manuscrits du Saint Laurent pour le vers 593, dans le ms. P (manuscrit qui donne aussi le Saint Alexis et date du commencement du xive siècle; du reste les trois impératifs de faire que ce ms. donne pour le Saint Alexis sont réguliers : 35 a; 44 c; 67 e); et le ms. B du vers del Juise (seconde moitié du xiiie siècle). On ne retrouve cette forme que dans les mss. de la fin du xiv^ siècle et encore très rarement. Pour cette question, on peut voir BokemûUer, op. cit., p. 21.

La question que nous venons de traiter n'appartient que d'assez loin à notre

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 57

M. Suchier, les Voyelles Toniques et dans le Boeve de Haumtone de M. Stimmingce qui est dit dans le diphtongue aiy Quand nous avons parlé de la diphtongue de l'imparfait de l'indicatif et du conditionnel, nous avons cité des exemples du phénomène contraire. Mais l'anglo-français a toujours montré un certain goût pour la diphtongue ei de sorte que le passage de ai à ei est beaucoup plus commun que le phénomène inverse.

Remarquons toutefois que nous trouvons à toutes les époques et dans toutes les catégories de textes des exemples de la diphtongue ai. Quant à la graphie en ci, nous nous contenterons de citer quelques dates. C'est le futur qui nous donne les premiers exemples de cette graphie et nous remarquerons qu'elle sera toujours plus commune à ce temps. C'est au début du xiii^ siècle, principalement dans les œuvres de Frère Angier, que nous en trouvons les exemples dont l'ancienneté nous semble assurée : citons rcncontrei au vers 2722 de la Vie de Saint Grégoire. Nous pouvons trouver chez les contemporains de Frère Angier d'autres exemples de formes ana- logues : au vers 2857 d'Edward le Confesseur (^garrei), au vers 257 d'Aspremont; au vers 599 du Saint Edmund; au fol. 68 des Heures de la Vierge; mais aucun de ces exemples n'a l'autorité de ceux que nous fournit Angier en raison du laps de temps qui s'écoule entre la composition de ces poèmes et la date des divers manuscrits qui nous les ont conservés. Néanmoins nous sommes assurés que nos premiers exemples datent du commencement du xiii^ siècle.

Au xiv^ siècle cette graphie est très commune au futur, surtout dans certains ouvrages parmi lesquels on peut citer l'Apocalypse

sujet : le passage de la diphtongue ai à ei est avant tout sinon uniquement une question de phonétique. Mais, ce que nous voulons montrer c'est que les lois phoniques ne s'appliquent pas absolument et sans distinction à toutes les parties du verbe. La loi telle qu'elle est donnée pourrait laisser croire que, après une certaine époque, toutes les diphtongues ai passent à ei; et nous venons de voir qu'il n'en est rien : certaines formes prennent très vite et assez généralement la graphie ei à la première personne du singulier, par exemple le futur; d'autres ne semblent pas avoir adopté sinon aussitôt, au moins aussi complètement la graphie part?/, les prétérits en Avi par exemple; enfin, il est certain que la seconde per- sonne ^de l'impératif de faire ne prend cette dernière diphtongue que fort rare- ment et conserve la graphie étymologique, en lui donnant probablement la valeur générale que la" diphtongue ai a prise.

58 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

(a, 142 ; 3. 219 ; 7, 140), les Contes de Nicole Bozon 137), les Chroniques de Nicole Trivet (folio 29 r°).

En dehors de la littérature, le nombre des formes en ei n'est pas moins considérable, parmi celles qui nous semblent assurées, nous pouvons citer porrey dans les Statutes (1285, I, 24), la date de ce statut est donnée comme douteuse, serrei (1306, I, 249), Ces exemples nous montrent que la diphtongue « s'est trouvée employée au futur, en dehors de la littérature, au plus tard au commence- ment du xiv^ siècle et il est probable que si nos textes non-litté- raires remontaient plus haut dans le xiii^ siècle, nous aurions trouvé des exemples encore plus anciens, rejoignant ceux que nous fournit Frère Angier.

Quant aux prétérits en avi, nous n'avons pas trouvé dans la lit- térature d'exemple assuré de terminaison en ei avant le xiV' siècle. Il y a pour cela une excellente raison. On sait que l'anglo-français a perdu assez tôt (milieu du xiii^ siècle) le sens de la distinction de l'imparfait et du prétérit : le mélange de ces deux temps dans cer- tains auteurs est caractéristique.

Par conséquent, vers le milieu du xiii'^ siècle, les trois phéno- mènes suivants se sont produits ou sont en train de se pro- duire :

confusion de ai et de ei ; chute de la muette posttonique aux premières personnes du singulier, terminées par ei Ce) ; con- fusion entre l'imparfait et le prétérit.

Il en résulte que, étant donné une forme parlei dans un texte de cette époque, nous ne pouvons jamais savoir d'une façon certaine si nous avons à faire à un impartait ou à un prétérit, autrement dit à parlai ou à parleie.

La même difficulté insurmontable se présente en dehors des textes littéraires; nous avons relevé beaucoup d'exemples de ces formes douteuses, mais il pourra sembler bien inutile de les énu- mérer. Cependant quelques-unes nous ont semblé plus assurées que les autres, ce qui peut n'être qu'une illusion. Jean de Peckham, à bien des points de vue, est suffisamment correct et \echaiingey qu'on lit (p. 128) dans une lettre de 1280 nous semble un prétérit. Ce qu'il y a d'assuré c'est que de tous les exemples que nous avons relevés, il nous est le plus souvent impossible d'affirmer que telle forme, tel verbe, dans tel texte est certainement un nrétérit ou un

LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 59

imparfait. Mais nous pouvons sans trop nous aventurer^ admettre que la confusion de sens a justement été rendue possible par le pas- sage de ai à ci au prétérit et que dans le nombre considérable d'exemples douteux, il est sûr que les prétérits sont en nombre plus ou moins important.

Or cette confusion commence probablement vers le milieu du xiii^ siècle.

2 . Ai passe à oi ' .

Pour ce nouveau changement de la diphtongue (que ce change- ment soit direct ou que oi provienne de ai en passant par ei, ceci est un phénomène phonique qui ne nous regarde pas) nous nous appuierons surtout, pour la raison que nous venons de donner, sur les futurs.

Les premiers exemples assurés de la terminaison oi à ce temps se trouvent tout à fait au début du xiii^ siècle dans les poèmes de Frère Angier. Il est beaucoup moins utile pour cet auteur, comme on le sait, de citer les rimes, puisque le manuscrit qui nous a con- servé la Vie et les Dialogues Grégoire le Grand est très probable- ment de la main de l'auteur et ne peut être en tout cas que de quelques années postérieures à la composition de ces poèmes ; de sorte que les exemples d'Angier qui suivent ont tous la même autorité.

On trouve au présent de l'indicatif 0/ (habeo) (99 d 9, 148 b 2) et au présent du subjonctif o/f (habeam) (112 b 33); au futur de l'indicatif beivroi (69 c 8); diroi (102 a 29); porroi (88 b 15) ; au prétérit /?r(WO«^/W (: toi) (48 b 18); /wi'oi (: moi) (103 à.2-Ç);aiueuoi (99 b 35) ; entroi.

Mais on peut observer que la diphtongue oi est très rarement assurée au xiii'^ siècle et aucun autre auteur de la même époque que Frère Angier ne nous a offert un aussi grand nombre de formes en oi, surtout aucune qui soit aussi assurée, et nous aimerions attri- buer aux scribes la plupart des exemples que nous avons relevés. On ne trouve en effet que seroi : enblancheroi au folio 67 r" des Heures de la Vierge, enblancheroy au vers 3 des Pronostics de la

I. Pour le passage de «/ à 0/, cf. Ulricli,Zoitsclirift, III (i), 587.

6o l'évolution du verbe en anglo-français

Mort, dirroi au vers 5 de l'Ordre de Bel Eyse. Une rime assez peu probante se rencontre dans Amadas et Ydoine sousferrai (futur) (: octroi) Andresen 86.

Ce n'est du reste qu'au xiv^ siècle que nous trouvons cette ter- minaison fréquemment et dans les rimes probantes, comme dans le De Conjuge non ducenda le futur dirroi rime avec l'imparfait aloi (au vers 35). Cette forme dirroi se trouve du reste avec une certaine régularité au xiV^ siècle ; on la rencontre assez fréquem- ment dans différents auteurs. Citons par exemple dirroi dans Pierre de Langtoft (I, 34, 11); au vers 9 du poème que nous venons de citer, De Conjuge; à la p. 18 de Foulques Fitz Warin et dans un certain nombre d'autres ouvrages encore.

Du reste il est évident que cette terminaison n'est pas strictement limitée au futur du verbe dire, d'autres verbes la prennent aussi, mais moins constamment, comme tend roi (au vers 17), froi (au vers 3 1), ^orro/ (au vers 32) dans Trnillebaston. Nous trouvons aussi soi pour sai dans les Rymer's Foedera (1368, VI, 586) ; mais c'est la seule forme de ce genre que nous ayons trouvée pour le verbe savoir.

Dans la langue légale, nous en retrouvons quelques exemples, par exemple dirroi dans 20 et 21 Edw. l" (p. 17), mais ils sont à tout prendre peu nombreux, isolés et ne se trouvent jamais dans les recueils les plus corrects.

Quant aux prétérits en avi, nous supposons qu'il a y avoir à la première personne du singulier des formes en oi, mais nous n'en avons relevé aucun exemple assuré.

Remarquons d'ailleurs que, à notre avis du moins, nous n'avons ici, comme dans la section précédente, le plus souvent qu'une gra- phie ; il nous semble fort douteux que le futur et les prétérits de I ait jamais eu en réalité une première personne en oi. De bonne heure, la diphtongue ai s'est confondue avec ei ; à une certaine date, cette dernière a été écrite oi, peut-être sans changer de son (voir notre seconde partie, chapitre III). Les scribes qui écrivaient par oi les imparfaits et les conditionnels ont cru légitime d'étendre cette graphie aux futurs et aux prétérits en avi. Mais cela ne signi- fie pas et les exemples que nous avons cités ne prouvent pas que les premières personnes de ces deux temps aient pour terminaison la diphtongue oi prononcée soit o-i soit o-a.

LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER

3. Ai passe à a.

Le passage de ai à a est un phénomène phonique assez général en anglo-français ' ; nous pouvons peut-être dire qu'il est surtout remarquable dans les désinences du verbe, quoiqu'il n'y soit pas extrêmement commun. Deux remarques s'imposent à nous tout d'abord : nous ne rencontrons de ce phénomène, dans les désinences du verbe, aucun exemple qui soit assuré par la rime, ce qui est fort significatif déjà; et ensuite, ce qui Test davantage, ces formes semblent propres à certains manuscrits seulement.

Nous en rencontrons les premiers exemples sous la plume de certains scribes du xiii^ siècle et même du xii^. Le manuscrit d'Oxtord du Roland nous en offre deux cas : muvera au vers 311, et miirra au vers 1867. Le manuscrit R de l'Estorie des Engleis (qui date du com. du xiii^ siècle), aux vers 609 et 1260, le manuscrit L. de Jordan Fantosme (3^ tiers du xiii^ siècle), au vers 1345, et le manuscrit O de Horn (com. du xiv^ siècle), au vers 4641 écrivent sa poursai. Des formes analogues se rencontrent encore à plusieurs reprises dans les différents manuscrits du dernier poème que nous avons cité, en voici quelques exemples : O a atnerra au vers 891 ; H, avéra au vers 3764, ira au vers 3813 (le manuscrit H date de la fin du xiii^ siècle).

Le manuscrit B (xiv« siècle) de Boeve en présente lui aussi un petit nombre (on peut citer /m au vers 801), tandis que ces formes sont relativement communes au futur et même au prétérit dans D, qui est postérieur à 1250, Ainsi le scribe de ce dernier manuscrit écrit: lua (== tuai) vers 1307, doua (= donai) 1060, enragera 2235, serra 2698. Nicole Bozon emploie cette désinence à la prernière personne du singulier quelquefois ; dans ses Contes on lit au § 44 //'û! et Nicolas Trivet emploie serra 62 v°.

Ajoutons encore que dans les œuvres littéraires nous trouvons cette réduction même au conditionnel ; la diphtongue aie, qui, comme nous venons de le voir, perd souvent Ve muet final, passe quelquefois à a. Dermod emploie viiiira 2753, irra 3392 pour viulraie, irraie. Il est possible que le même changement se soit effec-

I. Stimming (p. 195) nous donne quelques exemples de ce passage de ai à a dans la tonique et la protonique; en voici quelques-uns du xii^ siècle qu'il n'a pas cités et qui ne manquent pas d'intérêt : saiie dans le Psautier de Cambridge, 40, 4 côté de saine 6, 2); tarrai, ibid. 41, 4; dans le Tristan de Thomas chative 1 5 10 ; companie 2835 ■,fasance 1954.

62 l'évolution ver be en anglo-français

tué à l'imparfait de l'indicatif mais nous ne pouvons, pour les mêmes raisons que précédemment, en être certains.

Les cas analogues la terminaison ai passe à la voyelle a sont plus fréquents dans l'anglo-français non littéraire. C'est le futur qui nous fournit le plus grand nombre d'exemples, surtout, semble-t-il, parce que ce temps, embrassant sous une seule forme tous les verbes, se trouve plus souvent employé dans les textes que nous avons à étudier; si la première personne du singulier du prétérit de la première conjugaison se rencontrait aussi fréquemment, il est Certain que nous aurions un nombre aussi considérable d'exemples fournis par cette personne. Les Rymer's Foedera particulièrement nous donnent un grand nombre de premières personnes du futur terminées para ; on les trouve à diiférentes dates : pour ne citer que les plus importantes nous trouvons (1368, vol. VI, ^S6)aconiplira, ferra, deuioiirra; dans un traité de 1372 (voL VI, 709) on trouve une dizaine de ces formes contre deux ou trois formes régulières. De même dans les Documents inédits on lit : serra (1382, 231).

Les seuls exemples du prétérit de I se trouvent dans le dernier recueil que nous venons de nommer ; on y rencontre envola (1382, 231), affia (1^82, 236).

Ces quelques exemples que nous avons énumérés suffisent tout au moins à montrer qu'à partir du second tiers du xiv= siècle les premières personnes avec terminaison en ai se rencontrent fréquem- ment avec la terminaison a.

Une fois au moins le verbe avoir présente la même modification à la première personne du singulier du présent de l'indicatif; on lit en effet a (1365, VI, 472) pour af dans une formule de tabellion public ; il est possible que ce ne soit qu'une erreur cléricale car les autres formules portent ai.

Il est à remarquer que les Statutes présentent un certain nombre d'exemples de premières personnes terminées par la dipthongue ai ou ci et qu'on ne peut observer dans aucune d'elles la réduction de la diphtongue k a. On trouve ainsi porrey (1286 ', 1, 211), serrei, porterray, conustray (1306, I, 249) ; de même pour avoir, ay (1286 ', I, 211). Il est vrai que tous les exemples que nous avons ne vont pas plus loin que le commencement du xiv^ siècle. Ceux que

I. Date douteuse.

LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 63

nous avons pu relever dans les Parliamentary Writs cependant des- cendent un peu plus bas dans ce siècle ; on trouve en effet à la date de 1322 (p. 202), eidrei, meintendrei , socurrei, defendrei ; mais tous ces futurs sont écrits avec la diphtongue ci.

Au contraire dans les Year Books ces désinences en -a sont extrêmement communes : avéra 20 et 21 Edw. I" 191, purra 33, 35 Edward I" 399 etc ; dans iG Edw. III c'est la seule dési- nence de la première personne du futur. Les exemples sont moins nombreux au prétérit ; on relève cependant esposa, 20 et 21 Edw. P"" 121, et haiUa, 3 Edw. II 185 (Y).

De même pour avoir, agc (^= ai-je) se lit dans 21 Edw. I" 173, 195, ce n'est peut-être qu'une faute de lecture, ij peut avoir été pris par l'éditeur pour un g.

Il n'est pas facile de conclure sur des données aussi incertaines, il semble toutefois que l'on puisse admettre que :

a pour ai remonte à la seconde moitié du xii^ siècle ce changement est rare ;

qu'il a été un peu plus fréquent au xiii"^ siècle et encore plus au xiv^ siècle ;

qu'il est surtout le fait de quelques scribes assez ignorants;

que la grande majorité des auteurs, même des écrivains non littéraires, ignorent cette forme ;

et que cet a ne rime jamais avec 1'^? ordinaire.

4. Ai passe à e\

Quant à la voyelle e pour ai, elle est extrêmement rare ; au futur nous n'avons rencontré ç\nt avère à la page loi de Foulques Fitz Warin, tt frei (= ferai) donné par le manuscrit D. de Boeve de Haumtone pour le vers 926. Citons encore la forme très dou- teuse remeindre au vers 2036 du Josaphat de Chardri (L et O).

Au prétérit cette désinence se trouve encore, mais dans un seul auteur, Jean de Peckham, qui écrit dans ses Lettres célèbres (1280, 94), esciimiuiei (1280, 149), snjfrei (1280, 99).

Il sera peut-être utile de résumer maintenant en quelques mots ce que nous avons vu dans les pages précédentes.

I. La terminaison en -ai (y) reste à toutes les époques la dési nence la plus commune.

I. Cf. Grôhers, Grundriss, I, 3, 552,

6^ l'évolution du verbe en anglo-français

2. Seule avec celle-ci, la terminaison en -ei se trouve employée avec quelque régularité; et elle se rencontre assez fréquemment comme terminaison de la première personne du singulier du futur. On en relève des exemples à partir du commencement du xiii'^ siècle et elle est relativement commune au xiv^

3. La diphtongue oi se rencontre certainement dans un auteur du commencement du XIII'' siècle, Frère Angier; mais ce n'est qu'au XIV* que nous trouvons quelques autres exemples de cette forme. A l'exception des cas que nous fournit l'auteur que nous venons de nommer, nous n'avons aucune preuve que la diphtongue oi ait été autre chose qu'une graphie.

4. La désinence en a elle-même n'est peut-être qu'une graphie, car nous ne l'avons jamais rencontrée à la rime ; elle semble spé- ciale à certains scribes qui ne sont pas nombreux.

5. Enfin la désinence en e est encore beaucoup moins emplo3'ée et ne se trouve pas dans plus d'une demi-douzaine d'exemples.

LE RADICAL DE LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER

La première personne du singulier ne présente pas une unité assez réelle pour que nous ayons à signaler des modifications géné- rales dans le radical ; nous pourrions à la rigueur en trouver quelques-unes , mais ce serait surtout des modifications purement phoniques, qui ne nous regardent pas.

Nous croyons cependant pouvoir attirer l'attention ici sur deux phénomènes, d'importance difi:'érente : le premier a la nature d'un détail; c'est l'allongement du thème de certains verbes de I à la pre- mière personne du singulier : les verbes à thème vocalique. Comme type de cet allongement, nous pouvons citer la forme ho de loer, qui se rencontre très fréquemment au xiv* siècle (cf. plus haut). La voyelle double a développer rapidement un son consonan- tique que les auteurs ont représenté par un lu : /otf est commun en dehors de la littérature, spécialement dans les Year Books (cf. supra). La diphtongue oi est rare, quoiqu'elle provienne de cette môme tendance à allonger le radical ; à moins qu'on ne veuille voir dans 1'/ le développement d'un son accessoire destiné à adoucir l'hiatus. Loie se rencontre dans les Rymer's Foedera, iy)6,\, 856.

LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 65

La seconde question est plus importante ; elle se rapporte aux différentes formes que prennent à la première personne du singu- lier les verbes donner, trouver, rover, prover. Le premier montre indifféremment tout d'abord l'une des deux diphtongues ni ou oi; duins et do'uis sont tous les deux fort communs ; mais cette diph- tongue se trouve employée même pour les formes qui ont perdu 1'^ et pris Ve analogique. Doine se rencontre assez fréquemment au xiv^ siècle ; c'est évidemment une contamination entre doifis et donne.

La question principale qui est soulevée par les autres verbes se rapporte à la consonne du radical. Ces trois verbes montrent très fréquemment le v de l'infinitif sous forme de /. L'introduction de cette consonne dans le thème remonte assez haut, puisqu'on trouve trofs dans le ms. Arundel XIV de Gaimar (commencement du xiV-' siècle). De même on trouve nifs au vers lo d'Otinel; mais ces formes ne sont vraiment communes que dans les textes de la langue légale ; nous avons cité plus haut des exemples de la pre- mière personne du présent de l'indicatif du verbe prover ; on a vu que dans les Year Books cette personne a toujours une/.

La présence de cette consonne dans ces différentes formes s'ex- plique par le désir de ramener cette personne à une forme moins différente de la forme normale du verbe à toutes les autres parties de la coniusaison.

CHAPITRE II LA DEUXIÈME PERSONNE DU SINGULIER

LA CONSONNE DE LA TERMINAISON

k.—SetZ.

On sait que, étymologiquement, la deuxième personne du sin- gulier est terminée par s, sauf lorsque la consonne finale du radi- cal est une dentale \

Nous ne trouvons à aucun moment en anglo-français un état de choses absolument correct. Il serait plus agréable que réellement rigoureux de distinguer dans l'histoire de l'anglo-français, à propos de cette deuxième personne du singulier, comme sur beaucoup d'autres points, des phases et une évolution bien marquées. Il est impossible de le faire. Cependant, pour mettre un certain ordre dans une question qui n'en comporte guère, il nous sera néces- saire d'introduire un certain nombre de divisions. On peut à la rigueur admettre dans l'histoire de la seconde personne du singu- lier deux moments : le premier voit le z^ prendre une extension de plus en plus considérable mais régulière : le second est marqué par la confusion absolue entre 5 et ~ et par la tendance à considérer cette dernière consonne comme la caractéristique de cette per- sonne.

Il ne faut pas se dissimuler ce que cette formule précédente, comme toutes les autres, quand il s'agit d'anglo-français, a, d'un côté de trop absolu, de l'autre d'inexact. Elle est trop absolue, car à toute époque de la littérature et dans tous les auteurs, on relève un nombre considérable de formes régulières; inexacte, car il arrive

I. Stimming, dans son édition de Boeve de Haumtone, donne (pp. 229-230) sur les consonnes 5 et :^ une étude dont les conclusions ne différent pas matérielle- ment des nôtres (cf. en particulier le dernier § de la page 230).

LA DEUXIÈME PERSONNE DU SINGULIER 67

que dans ce que nous considérons comme le premier moment on observe une confusion aussi grande que celle qui, d'après nous, carac- térise le second.

Le premier moment pourra sembler très court : il s'étend depuis le début du xii^ siècle jusque vers 1170.

C'est durant cette période que le :<; commence à se généraliser et que son extension est soumise, semble-t-il, à des lois phoniques. Comme M. Meyer-Lûbke l'a montré, la combinaison de Vs et d'une labiale donne à cette époque :{, sinon toujours, au moins très fréquemment. Aussi on trouve un ^ de cette sorte dans la plu- part des premiers écrivains anglo-français. Toutefois ce n'est que dans Gaimar que cette consonne est attestée par la rime comme combinaison de labiale et de 5 ; on lit en effet dans l'Estorie des Engleis se^ à la rime avec mostrez au vers 2747 ; à la même époque ou antérieurement nous pouvons relever d'autres exemples qui n'ont pas la même valeur parce qu'ils ne sont pas placés à la rime : dei::^ se lit au vers 3416 du Cumpoz et dans le Bestiaire aux vers 939, 2681. Plus tard encore, mais toujours dans des auteurs du XIF siècle, on retrouve cette même forme dans la Vie de Sainte Catherine au vers 297, dans le Drame d'Adam au vers 124, au vers 165 d'Elie de Winchester. Peut-être en a-t-on aussi un exemple dans deis : veis dans Everart de Kirkham (80 a b), à moins que ce ne soit un exemple de l'irrégularité contraire. Se^ que nous avons déjà vu dans l'Estorie des Engleis, est très commun, soit dans les œuvres en prose ou dans le corps du vers ; citons les formes qu'on relève dans le Psautier de Cambridge (68, 7); dans Sœur Clémence de Barking (au vers 266); dans le Drame d'Adam (aux vers 153, 293, et 125 il écrit 5<7q), au vers 256 d'Elie de Winchester. Les autres verbes à labiale ne sont pas très fréquemment employés à la seconde personne du singulier ; citons toutefois un exemple qui de toutes façons est très ancien, wo;{ employé au vers 1322 du Voyage de Saint Brandan.

Mais tous les exemples précédents, à l'exception du premier, ne sont pas attestés par une rime; s'ils appartiennent aux scribes, ils sont sensiblement postérieurs à l'Estorie des Engleis (Ms. du Bran- dan, 1167).

Il faut du reste remarquer que, même pour ces verbes, les termi- naisons étymologiques ne sont pas rares : citons entre autres dans Gaimar, deis au vers 3694; ses dans le Drame d'Adam 899.

68 l'évolution du verbe en anglo-français

A peu près à la même époque que les verbes à labiale, les verbes à vélaire montrent à leur tour un ;(, par exemple dans les Psautiers qui donnent /i7/~ (Oxford 103, s) dix, (Cambridge 89, 3) ; mais l'em- ploi du - représentant vélaire -|- i- ne semble pas encore très géné- ral ; le premier exemple qui soit assuré par la rime se trouve dans la vie de Sainte Catherine, de Sœur Clémence de Barking au vers 258: (iespi:^ ( : fiz).

De tous les verbes à vélaire, c'est faire qui montre le plus sou- vent ce ~ à la seconde personne du singulier : fai\ se trouve déjà dans le Psautier d'Oxford (103, 5) ; dans Adgar (XIII, 20) et au vers 2955 de Horn la forme 7^:^ montre peut-être une réaction de /;rt^ ; citons encore fûi\ qui se lit dans le Sermon de Guischart de Beaulieu (au vers -]86). Tous ces exemples ont ceci de commun qu'ils se rencontrent dans le corps du vers seulement ; de toutes façons, les plus anciens apparaissent vers 1 170 au plus tard.

Le verbe dire ne présente que très peu d'exemples de cette seconde personne avec ^ ; nous trouvons toutefois la forme di^ dans le Psautier de Cambridge (89, 3).

Les formes régulières se rencontrent à cette époque plus fréquem- ment que les autres '. Fais est plus souvent employé que fai~ dans le Psautier d'Arundel (même référence). Dans les autres ouvrages elle est fréquente, quoique, elle non plus, n'apparaisse jamais à la rime.

Tels sont les cas de :^ pour s que nous avons rencontrés à cette époque, et l'on peut trouver très remarquable, pour l'anglo-français, la manière très régulière dont le ^ gagne progressivement de nou- velles classes de verbes.

Cependant le psautier de Cambridge fait exception à cette régu- larité; on lit en effet dans cette traduction trois exemples de ;;^ ne rentrant dans aucune des catégories précédentes et assez difficile- ment explicables: le présent de l'indicatif dor:^ (43, 25), ou le :{ peut provenir de la chute de la labiale, et deux subjontifs : dcstiirni

I. Il est vrai que Koschwitz prétend que dans ce cas 5 provient de:{. Voici ce qu'il avance (Zeitschrift fur rom. Phil., II, Compte rendu du travail de Meister) : « In faii steht nicht ;{ fur 5 ; sondern umgekehrt in den beiden Formen, fais hat jùn- geresidas ursprûnliche :^ verdrângt, gerade so in iw fur wî;ç ». La forme primi- tive aurait donc eu :^, mais les plus anciens textes ont /a/5 (cf. Roland, vers 2582). Voir Etienne, p. 306.

LA DEUXIÈME PERSONNE DU SINGULIER 69

(131, 10) etdeclitii (140, 4), à côté de déclines, 26, 10. On ne peut s'empêcher de remarquer que ces deux derniers exemples sont les seuls qui ne présentent pas la voyelle analogique e. On est donc natu- rellement tenté de lier les deux faits et d'expliquer la présence du :^ par l'absence de la muette (cf. les subjonctifs en EM, et Seconde partie).

Mais en même temps qu'il gagne de nouveaux verbes, le :( perd du terrain sur d'autres points ; un certain nombre de verbes à den- tale se présentent à la deuxième personne du singulier du présent de l'indicatif avec -f ; plusieurs des exemples qui suivent, peut-être tous, pourraient être considérés comme de simples fautes d'ortho- graphe. Mais même si on l'admet, ils montreront que dès le com- mencement du xii^ siècle de telles fautes étaient possibles et fré- quentes. Citons quelques-unes de ces formes. Dans le ms. A de l'Alexis (88 d.) on trouve déjà veis, forme qu'on retrouve dans le Psautier d'Oxford (34, 25), dans le Psautier d'Arundel (34, 24 et passiiii), dans Adgar (XXVIII, 115); voir aussi l'exemple d'Eve- rart de Kirkham que nous venons de citer (veis ( : deis) 80 a b). De même, creis se trouve au vers 2754 de l'Estorie des Engleis et est donné par les quatre mss., ce qui est une présomption que cette forme appartient à l'original,, puis aux vers 847 et 882 de la Vie de Sainte Catherine, enfin dansAdgar, XXX, 183.

Enfin prens se lit dans le Psautier d'Oxford, 19, 17 ; et en ce qui concerne ce dernier exemple, est-il nécessaire de recourir à l'expli- cation de Koschwitz qui tient que le d qui appartient étymologi- quement au radical a été considéré comme une dentale paragogique et a priori ne faut-il pas admettre seulement, pour expliquer cette forme, une théorie qui puisse en même temps rendre compte de veis et de creis ?

Il nous semble que l'explication la plus satisfaisante en même temps que la plus simple, est celle qui voit dans ces changements le commencement de la confusion des deux phonèmes, cette con- fusion qui doit devenir complète dans le cours du xiii*^ siècle, époque à laquelle 5 et :^ seront absolument interchangeables. Ce qui pourrait encore nous confirmer dans cette opinion, c'est qu'aucun des exemples n'apparaît à la rime; ils peuvent donc, même celui que donnent les quatre manuscrits de l'Estorie des Engleis, appar- tenir aux scribes. Il en résulterait que nos premiers exemples de ce

70 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

phénomène remonteraient bien à la seconde moitié du xii*^ siècle, mais seraient rares à cette époque et seraient plutôt des irrégularités en quelque sorte personnelles qu'un usage tant soit peu général.

Comme nous le disions tout à l'heure, le second moment, celui s'affirme cette confusion, semble commencer avec les Quatre Livres des Rois (iryo). Il est inutile de dire qu'à cette époque, et même beaucoup plus tard, les formes régulières soit en s soit en :^ sont encore extrêmement nombreuses ; il est facile d'en trouver, non seulement au xin*" mais aussi au xiV' siècle. Cependant, il est nécessaire de remarquer ici qu'entre les formes correctes qu'on trouve dans l'Estorie des Engleis, par exemple, ou dans les Quatre Livres des Rois et celles qui se lisent dans Pierre de Langtoft ou Nicole Bozon, il y a une différence essentielle. Les auteurs des deux premiers ouvrages emploient tantôt j et tantôt :^ suivant l'idée qu'ils ont de la correction grammaticale ; ils connaissent la diffé- rence entre les deux consonnes et n'ignorent pas la règle, seulement ils l'appliquent souvent mal. Pour les deux derniers, l'emploi de l'une ou l'autre de ces deux consonnes n'est qu'une affaire de chance ; ils ont peut-être quelque règle (cf. Orthographia Gal- lica, CO, § II, p. 6 ; 73, p. 7) quoique cela soit très douteux; mais ces règles n'ont rien de commun avec la grammaire fran- çaise. Surtout ils ne font pas la moindre différence entre les deux phonèmes.

Il n'est pas facile toutefois de préciser à quel moment ces formes d'apparence correcte deviennent simplement une question de hasard.

Pour étudier cette question, nous énumérerons d'abord, aussi rapidement que possible, les cas qui nous montrent:

1. L'emploi de s pour ~;

2. L'emploi de :^ pour s; mais plus spécialement :

a) :( s'ajoutant à un thème consonantiquesans altérer la consonne précédente ;

b) i se joignant une voyelle ;

c) :( se joignant à une dentale (/~ ou d~).

I. s pour ^.

L'emploi de s pour ~, dans tous les verbes à dentale devient assez commun apprès 1170; aller, croire, mentir, oïr, pouvoir, prendre,

LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 71

seoir, voir apparaissent fréquemment à la deuxième personne du singulier du présent de l'indicatif avec la forme en s. Nous don- nons quelques références pour creis, mens, os, prens, sies, veis '. Quoiqu'elles soient très incomplètes elles pourront sembler déjà assez nombreuses, et nous aurions pu aisément en citer un plus grand nombre. Toutefois, si l'on considère que la plupart de ces personnes ne sont pas employées d'une manière très fré- quente, même que nous n'avons qu'un nombre très restreint de secondes personnes du singulier, les exemples que nous venons d'énumérer prennent une valeur plus considérable et montrent avec une clarté suffisante que la consonne s prend fréquemment la place de ;( ; quoique nous ne puissions pas ici préciser les dates de ces différents changements, nous voyons qu'ils sont déjà nombreux dans les premières années du xiii'= siècle et s'étendent, comme il est naturel, jusqu'à la fin du XIV^

2. :( pour s.

Ce que nous avons observé tout à l'heure en étudiant le xii^ siècle, se retrouve encore dans les œuvres des siècles suivants; les verbes à labiale et les verbes à vélaire prennent de plus en plus communé- ment ;{ à la deuxième personne du singulier du présent de l'indi- catif. Et il nous semble que, pendant un certain temps au moins, c'est consciemment que les auteurs ont continué à substituer dans ces deux cas :^ à s. Devoir, par exemple pourrait nous fournir un nombre considérable d'exemples, citons ceux quenousavons relevés pendant la première partie du xiii'^ siècle : ^f/^ se lit dans les Quatre Livres des Rois (I, 17, 43) ; dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1331); Miss Pope en cite un exemple dans les Dialogues (36 r°). Citons encore Robert de Gretham qui l'emploie au fol. 89 v°, le vers 297 du poème de Saint Auban, etc.

I. Creis, Saint Laurent, 357 ; Aspremont, 206 (écrit cres) ; Robert de Gretham, 73 ro (écrit creies) ; Sainte Marguerite, 1 12 (écrit crois); Pierre de Langtoft, I, 202, 7 (écrit crays) ; etc.

Mens, William de Waddington, 10202 ; Os, Saint Laurent, 221.

Petis, Saint Laurent, 700 ; Aspremont, 204 : Prens, Chardri, Josaphat, 1663.

Syes, Boeve, 1249; Genèse N^ D^, 75 r".

Veis: Saint Laurent, 545 ; Edward le Confesseur, 1065 ; Robert de Gretham, 76 ro.

72 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Nous pourrions de la même façon trouver de très nombreux exemples de h forme jt',~, elle se rencontre dans la plupart des auteurs du xiii^ siècle'. Quelques autres verbes, moins employés du reste, peuvent encore se rencontrer, citons seulement resccii^ (qui est malgré sa forme un présent de l'indicatif) dans Pierre de Langtoft II, 208, 5. En résumé, si les exemples de ^ à la deuxième personne de l'indicatif sont sensiblement plus nombreux dans cette période que dans la période précédente, néanmoins ce n'est qu'ex- ceptionnellement que nous trouvons de nouveaux verbes.

Il en va tout autrement pour les verbes à vélaire; nous retrou- vons bien avec ^ tous les verbes que nous citions tout à l'heure, même les formes avec ;( deviennent plus constantes r/fl'/- devient la forme à peu près unique ^ et nous ne rencontrons pour ce verbe aucun exemple assuré de la terminaison étymologique. Mais de plus, de nouveaux verbes sont atteints, citons /;> qu'on lit dans la note de la page 50 des Quatre Livres des Rois; cunm\ dans le même ouvrage II, 17, 8 ; attrei^ se trouve dans les Dialogues Grégoire le Grand de Frère Angier, 2 a, etc. Ces formes, par la suite, vont se généraliser très rapidement.

Enfin le :^ gagne encore plusieurs verbes n'appartenant à aucune des classes ci-dessus; plusieurs verbes à linguale le prennent, sinon très régulièrement, du moins fréquemment; le Saint Auban nous donne de cette façon vo^ (de vouloir) au vers 185, veii~, 1297; voil:(, 1668 ; nous trouvons d'autres exemples du même genre dans plusieurs autres auteurs, quoique en moins grand nombre, comme voel:(^ dans la Vie de Saint Grégoire au vers 403.

Ces formes, sauf peut-être les deux dernières que nous venons de citer, ont une certaine régularité : le ■{ semble y conserver sa nature, celle d'une consonne double. Nous verrons dans les pages qui suivent des exemples franchement irréguliers. Nous voulons toutefois, avant de parler de ces derniers, faire remarquer que, même pour les trois classes de verbes que nous avons énumérées, l'usage n'est pas général au xiii^ siècle; il varie au contraire presque d'un auteur à l'autre. Il est évident par exemple que certains écri- vains, tels que Chardri, préfèrent employer s à la deuxième per-

1. Sei se lit dans le Saiut-Laurent, 171 (mais ses 810); Robert de Gretham 34 ro (mais ses 66 r") ; Saint Auban, 218.

2. Fin\, Robert de Gretham, 65 vo, 39 vo(faz); Aspremout, 195.

LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 73

sonne du présent de Tindicatif. On peut trouver chez ce dernier s pour ~, mais nous n'avons pas relevé d'exemples de l'usage contraire. 11 a régulièrement (fo ( : jadis) Petit Plet 133, iv/Lf Josaphat, 124, 483, vniis Petit Plet 1642. D'autres même, l'auteur de Boeve de Haumtone par exemple, n'emploient guère que les formes en s ; le seul exemple d'un ;^ à la deuxième personne du singulier que nous puissions citer dans ce dernier poème c'est ^(V^, 100 ; et encore il est fort probable que nous avons ici un pluriel précédé d'un pronom singulier (cf. Stimming^ p. 12e, Anmerkungen 51). On trouve d'ailleurs chez Boeve s dans la plupart des cas chez d'autres ;( est employé: ses (3179) vais (407), vois (2616) (tous les deux de vouloir), dis (: garnis) (2393), etc.

Robert de Gretham qui écrit :^ après les labiales, comme nous l'avons vu, conserve s après les linguales vols (: avéols) 18 ; vous 26 r°.

Ce qui montre le plus clairement la confusion entre 5 et :^ ce sont les cas où, dans le même auteur, le même verbe prend indif- féremment l'une ou l'autre des deux terminaisons ; les exemples sont nombreux au xiir siècle et quand l'une et l'autre forme sont assurées par la rime nous ne pouvons douter que l'auteur ait perdu le sens de la différence entre les deux lettres. Il est vrai que nous avons déjà vu cela dans les auteurs antérieurs aux Quatre Livres des Rois, à une époque il est difficile de croire que la distinction entre 5 et ~ ait déjà été abolie; mais cela n'arrivait que pour les verbes ou les classes de verbes qui étaient en train de changer de terminaison. Il est évident qu'un tel changement, surtout dans une langue aussi peu stable que l'anglo-français, ne pouvait pas se pro- duire tout d'un coup et que l'on doit s'attendre à trouver les deux formes concurremment.

Après les Quatre Livres des Rois, au contraire, ce changement perpétuel de s en ::^et réciproquement s'observe à peu près pour tous les verbes. C'est ainsi que dans ce dernier ouvrage : vai::;^ et vas (de aller) vei^ et vais (de voir) se trouvent côte à côte, la forme ;^ restant beaucoup plus fréquente que l'autre pour ces deux verbes. Il en va exactement de même, toujours dans les Quatre Livres des Rois, pour les verbes ayant régulièrement s : ^675 et dei::^, dis et ^//;^, fais et fai:(, vols et voli ; pour les verbes de cette catégorie la pro- portion des.f et des ~ est très variable, :( prédomine pour faire et

74 l'évolution du verbe en anglo-français

pour dire, se trouve en nombre inférieur à celui des 5 pour vou- loir et devoir. Si nous passons à d'autres auteurs nous trouvons ses et sc\ (respectivement au vers 8io et 171) dans le Saint Lau- rent, vols et voeJ~ dans la Vie de Saint Grégoire (vers 1514, ^03).

Et nous pourrions montrer dans chaque auteur, ou à peu près, cette hésitation entre les deux formes.

Mieux encore que ces variations de la consonne finale, trois faits, qui à vrai dire n'ont pas l'extension des faits que nous venons d'étudier, prouvent l'identité absolue de :^ et de s pour les écri- vains anglo-français de ce temps. Jusqu'alors :^ était considéré natu- rellement comme une consonne double, désormais, il ne sera plus qu'une consonne simple qui pourra :

s'ajouter à un thème consonnantique sans altérer la consonne précédente ;

se joindre à une voyelle ;

se combiner avec une dentale. . C'est surtout aux thèmes terminés par r, m, n ou / que ;( s'ajoute sans modifier le thème. Nous avons déjà vu cette consonne devenant la désinence de la deuxième personne du singulier pour un thème en ;;/ dans le Psautier de Cambridge, 43, 25. Mais alors la consonne thématique disparaissait devant le ;( : désormais ce :( n'aura plus et ne peut plus avoir d'influence sur le thème. Les exemples sont très nombreux : eiiquici\ dans les Quatre Livres des Rois, I, 28, 16; qiier:{ (: clerO dans les Dialogues Grégoire le Grand 3 a ; )mie)\ dans les Quatre Livres des Rois, I, 25, 28 ; moer:{ dans la Vie Saint Grégoire au vers 2568 ; iw/' dans la Vie de Saint Grégoire au vers 403, t'o/7^ dans le Saint Auban 1668 ; tieuT;^ dans les Quatre Livres des Rois, I, 25, 28; dans Horn, 976 ; dans Angier 26 a et quelques autres. Tous ces exemples montrent très clairement ce que nous avons annoncé tout à l'heure, à savoir que les auteurs dont ils sont tirés ne comprenaient plus que :^ à la seconde personne du singulier était étymologiquement la somme totale de la désinence s et de la dernière consonne du thème ; autrement dit, ils ne voyaient plus la différence essentielle entre 1 et s.

Ceci est encore mis en lumière par les deuxièmes personnes du singulier à désinence vocalique e ou et, qui prennent ~ après

LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 75

leur voyelle. Lorsque cette voyelle est c, il devient impossible de savoir si l'on a affaire à la deuxième personne du singulier ou à celle du pluriel, car on sait que nos écrivains anglo-français n'hé- sitent pas à faire suivre un sujet au singulier d'un verbe au pluriel (cf. /// ave:^, dans Horn 3971 H et ce que nous avons dit plus haut de poe:^^. Cette faute d'accord cependant n'est pas très fré- quente et nous pouvons prendre les exemples suivants comme des deuxièmes personnes du singulier ; qiiide~ Horn, 87e (dans les 4 manuscrits) ; sace~, Saint Gilles 423 ; aie~ id. 460. Il y a d'autres exemples, et ils sont nombreux au xiv^ siècle ; mais ils sont plus douteux et il est inutile de les citer.

On doit reconnaître toutefois qu'il est rare de trouver :^ à une deuxième personne du futur ou d'un prétérit en A : nous en avons cependant quelques-unes et il se peut qu'il y en ait d'autres qui nous aient échappé ou qui se trouvent dans des auteurs que nous n'avons pas consultés ; nous pouvons toutefois citer l'exemple du Donnei des Amants, ie7idra~ (au vers 1000), et avra:( que donne le ms. A pour le vers 1092 de l'Ipomédon.

Enfin il arrive, assez fréquemment même, que les écrivains anglo-français font précéder d'une dentale le :{ de la désinence, montrant par aussi clairement que possible que, pour eux, le :( est une consonne simple. Le premier exemple que nous avons pu trouver se lit dans la Folie de Tristan et doit sans aucun doute être attribué au scribe, c est fait i Ç: laiz) 370'. Le traducteur des Quatre Livres des Rois écrit lui aussi, Jjcd~, II, 19, 6 ; le scribe d'Ed- ward le Confesseur rrt7/;(. 2933. Les graphies de ce genre sont rela- tivement fréquentes dans le Saint Auban i)ieiii:(^ 827, doi1:( f)'y'] , faitx_ 129 ; citons encore l'exemple de Bozon sort:{^ qu'on peut lire dans le deuxième appendice de Pierre de Langtoft, 11^ 428, 30.

Signalons aussi une forme très insolite ines:(^ ; elle se trouve dans le Saint Gilles au vers 301 et nous semble une erreur cléricale pour niet^.

Le mélange absolu des désinences en s et en ;(, en même temps que les trois faits précédents, montre bien que dès le commence- ment du xiii^ siècle au plus tard, les auteurs anglo-français avaient entièrement perdu la notion de la diff"érence qui sépare 7^ de s.

I.M. Bédier dans son édition rétablit /a;':^.

76 l'évolution du verbe en anglo-français

Ceci est un phénomène phonique sur lequel nous n'avons pas le droit de nous arrêter plus longtemps, mais que, du reste, nous retrouverons lorsque nous étudierons la deuxième personne du pluriel et les participes en é.

B. Chute, de la consonne de la terminaison.

La consonne de la terminaison tombe quelquefois ; c'est un fait assez rare, trop fréquent cependant et qui a trop d'analogues pour qu'on puisse le mettre en doute. On en rencontre déjà un premier exemple dans le ms. A de l'Alexis : perde (présent du subjonctif) 12 e; dans les Quatre Livres des Rois, Vs ou le :( tombe après la diphtongue ai : fai (III, 19, 13) ; Boeve présente trois exemples de ce phénomène : l'un qui n'est pas à la rime, va, 2080, et auquel on peut opposer le vas du vers 3701 ; les deux autres sont à la rime : affie (: mie) 47, die (: Nubie) 1 5 18. Tohler (Vermisch. Beit., I, 25, 26) considère ces deux verbes comme des impératifs. Il nous semble difficile de nous ranger à cette opinion ; le plus qu'on pour- rait dire, c'est que c'est sous l'influence de l'impératif que ces deux verbes ont perdu leur s. Voici les deux vers ils se trouvent :

Messager, je voil que tu ore me afie. (v. 47)

Di moi, dont tu es, je voile que tu le die... (15 18)

Nous devons reconnaître que ces deux derniers exemples n'ont peut-être pas toute la valeur que leur attribuait Tobler ; quoiqu'ils se trouvent à la rime, ils ne sont rien moins qu'assurés et peuvent tout aussi bien provenir du scribe que de l'auteur Ils ne sont donnés que par un seul manuscrit, et nous sommes à peu près cer- tains que l'auteur du poème fait rimer sans scrupule des terminai- sons qui diff^èrent d'une s (cf. laisses I, XI, XVI, XXII). Par con- séquent, rien n'est plus possible que le texte original ait porté af/ies, dies, et que la chute de 1'^ ne remonte qu'au xiV^ siècle. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons les considérer comme des impératifs, et pour nous, sans aucun doute, ce sont des subjonctifs ; il nous est d'autant moins difficile de l'admettre qu'il y a eu avant eux, surtout si nous les rejetons au xiv' siècle, des cas analogues qui montrent la chute de la consonne finale à cette personne. Il y en a évidemment quelques-uns de postérieurs à Boeve de Haumtone,

LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 77

quoique en petit nombre ; face dans Pierre de Langtoft, I, 194, 11 (C. seul) ; face dans Nicole Bozon, Contes, § 4, etc.

LA VOYELLE

Graphies de l'atone .

La voyelle atone qui dans certains cas précède l'^ est ordinaire- ment exprimée par e. On .peut relever d'autres graphies, mais elles sont peu nombreuses. Le Psautier de Cambridge emploie quelque- fois a : dunas (17, 48). Il ne faut pas confondre cette terminaison as avec celle de estas (id. 9, 21, et dans le Drame d'Adam, vers 1 14).

On rencontre aussi ne dans le même psautier (pour cette termi- naison cf. Suchier, Grammaire, § 35 d, et Stimming, p. 184) par exemple, dnnaes, 144, 16, sorte de compromis entre es et as.

Il est plus commun de trouver la muette exprimée par /. Ceci se produit spécialement au xiv^ siècle et c'est surtout le verbe faire qui semble susceptible de prendre la terminaison -is : facis se lit par exemple dans Boeve (2590) dans Nicolas Trivet (47 r°), etc. On peut citer encore /rt^'Z/V (Boeve, 2301).

Chute de Ve atone après la mono-diphtongue ei.

C'est évidemment le même phénomène que celui que nous avons déjà eu l'occasion d'étudier à propos de la première personne du singulier ; nous en parlerons donc très brièvement, d'autant plus que le petit nombre d'exemples que nous fournit cette seconde per- sonne ne nous permet pas d'arriver à des conclusions aussi précises que précédemment.

La voyelle atone le plus souvent semble se conserver à l'imparfait jusqu'à Robert de Gretham qui nous donne encore les exemples suivants saveies (3 syllabes) 91 v°, pliireies (3 syll.) ibid.

Cependant au subjonctif d'être, nous trouvons déjà dans Chardri seis, Sept Dormants, 1566 ;

Ki ne deïst : « Jhesu beneit sois tu ».

Citons encore dans la Vie de Saint Edward (Rom. XL, vers 11, 44) erreis :

Vallct, tu erreis malement . Plus tard la même forme se rencontre dans Boeve, aux vers 1907,

78 l'évolution du verbe en anglo -français

221 J, mais la mesure du vers dans ces deux derniers cas ne peut rien nous apprendre. Au xiv^ siècle, nous ne retrouverons cet e ni à l'impartait ni au subjonctif; il a disparu, autant qu'on peut l'affir- mer, de l'orthographe aussi bien que de la prononciation : solays, Pierre de Langtoft, II, 208, 7 ; savays, Nicolas Bozon, Contes, § 32; sais (subjonctif d'être), Pierre de Langtoft, I, 478, 17.

Atone parasite.

Il est encore beaucoup plus rare que la voyelle atone s'introduise elle n'est pas étymologique; ici encore nous pouvons nous demander si nous n'avons pas affaire à des deuxièmes personnes du pluriel avec un sujet singulier (cf. 2^ pers. plur. en -es^. Cest ainsi que nous avons toiles dans Edward le Confesseur, 751, creies (i syll.) au vers 11, 45 de la Vie de Saint Edward (Romania, XL) et encore dans Robert de Gretham (73 r°) ; oyes (= oz), Heures de la Vierge, 68 r°. Il est probable que cette atone est purement graphique et même une faute d'orthographe des scribes.

La voyelle tonique.

Nous n'avons aucune observation générale à faire sur la voyelle tonique à la seconde personne du singulier. Nous ferons simple- ment observer ici que le verbe être présente ordinairement la forme es ; ies est rare, sauf dans certains auteurs du xii^ siècle, en particulier Sœur Clémence de Barking (cf. vers 302, 355).

Nous ajouterons aussi quelques mots sur les différentes formes que peut prendre le radical du verbe vouloir; quelques-unes de ces formes ont déjà été étudiées; nous n'espérons pas donner toutes celles qui peuvent se rencontrer en anglo-français, maisnous pen- sons avoir relevé les plus importantes. Le radical de la seconde personne est très fréquemment et très longtemps en vel- ; on trouve par exemple vels dans les Quatre Livres des Rois, III, 17, 10 (cf. pour cette forme Lûcking, Mundarten, p. 228).

De cette forme en dérivent naturellement deux autres : d'abord veus ' qu'on lit dans Boeve de Haumtone au vers 407, phénomène

I. Pour la question générale de la vocalisation de 17, on fera bien de consulter Stock dans les Romanische Studien, III, 473 ; J. Vising, Etude, p. 87 ; Schiôsser, Die Lautverhaltnisse der Quatre Livres des Rois, pass/'m ; Schumann, Vokalis- nius und konsonantismus des Cambridger Psalters, 43.

LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 79

phonique général de vocalisation de 17 qui ne nous regarde pas, et en second lieu veals, comme bels donne beals ; cette dernière forme provient donc par un processus régulier de la forme vels (cf. Foers- ter, Zeitschrift fur romanische Philologie, i, 564) ' ; elle se trouve dans les Quatre Livres des Rois au moins deux fois (I, 21, 3 ; II, 13, 26).

Le second thème de la seconde personne du singulier est emprunté à l'infinitif; nous trouvons vols dans les Quatre Livres des Rois (II, 13, 26) à côté de venis ; dans Robert de Gretham cette forme rime avec « aveols » au fol. 18 v°, forme qui passe naturellement à vous, comme au fol. 26 des Evangiles des Domp- nées. Le radical voel- qu'on trouve sous la forme voel^ au vers 403 de la Vie de Saint Grégoire est régulier, mais plus rare.

Enfin la seconde personne emprunte le thème de la première en oi ; nous relevons dans le Saint Auban voil~ au vers 1668, et dans cette forme 17 disparaît quelquefois, comme dans voi:^ que nous donne le ms. B de Boeve de Haumtone pour le vers 2616.

Telles sont les principales formes de cette personne, elles sont, comme on voit, assez variées, mais suffisamment régulières.

I. Pour cette question de eal, cf. Meyer-Lùbke, I, p. 163 ; Suchier, Gram- maire, p. 81 ; et les différentes monographies sur le Psautier d'Oxford (Harseim, p. 282), le Psautier de Cambridge (Schumann, p. 25), les Quatre Livres des Rois (Schlôsser, p. 21), etc.

CHAPITRE III

LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER

De toutes les désinences, ce sont celles de la troisième personne du singulier qui offrent à notre étude la matière la plus abondante, et peut-être aussi les remarques les plus importantes. La raison de ce phénomène est facile à trouver : c'est en effet la troisième per- sonne du singulier qui se trouve être la plus employée, et qui offre les désinences les plus variées. Par conséquent elle a été plus sujette à l'usure et a offert moins de résistance que des personnes moins communes ou plus homogènes.

LA CONSONNE FINALE

Toutes les troisièmes personnes du singulier sont terminées éty- mologiquement par une dentale. Comme on le sait, cette dentale peut être caduque ou appuyée.

Nous allons voir que l'évolution de ces deux sortes de dentales en anglo-français, autant qu'on en peut juger, si elle n'a pas été exactement la même, du moins a suivi des directions parallèles.

A. La dentale caduque.

La dentale caduque, avant de disparaître, a passé par trois états ; elle a d'abord évidemment été t ou d dans l'écriture aussi bien que dans la prononciation ; puis, mais le plus souvent sans changer de graphie, elle a pris le son de //; doux ' ; enfin, avant de dispa-

I. Voici une courte liste des auteurs qui ont étudié la question de la dentale à la troisième personne du singulier ; Gaston Paris, Introduction de l'Alexis, p. 98 ; Freund, Verbal Flexion, p. 17, 18 ; Koschwitz, op. cit., 60-62 : Mail, Cumpoz, 82 ; Meister, Psautier d'Oxford, p. 68 ; Fichte, Psautier de Cambridge, p. 65 ; H. Suchier, Reimpredigt, XX; Rydberg, op. cit., 89, 202 ; P. Meyer, L'Escoufle, Introduction, p. iij ; Willenberg, Romanische Studien, III, p. 409, note 2.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 8l

raître complètement, la dentale qui n'est plus prononcée joue encore un certain rôle dans la prosodie lorsqu'elle suit un e muet, exactement le rôle que 1*5 finale après une voyelle muette joue dans notre versification traditionnelle, elle empêche l'élision de cette muette. C'est principalement M. H. Suchier qui a mis en lumière cette action de la dentale caduque à la veille de disparaître complètement '.

Ces difi'érents états de la dentale ont été successifs ; mais rien ne prouve que les changements dans la nature de la dentale se soient produits en même temps pour toutes les terminaisons qui la pos- sèdent. N'est-il pas même possible que cette consonne se soit main- tenue plus régulièrement à la terminaison de certains verbes pour des raisons, d'analogie par exemple, qu'il nous est difficile de découvrir ? Les généralisations ici, comme ailleurs, sont fort dange- reuses. Elles le sont d'autant plus que pour certaines valeurs de la dentale les points de comparaison nous manquent ou ne sont pas absolument sûrs. Tout le monde admet que la dentale caduque a passé par un son transitoire analogue au th doux. Une raison phonique, tout à fait a priori, nous oblige à le supposer ; mais le son, exceptionnel en français, trouverons-nous la preuve de son existence dans nos textes ? Comme on le verra tout à l'heure, nous pouvons avoir quelques présom|")tions en faveur de l'existence de ce son ; jamais une preuve indiscutable. Sur un autre point le doute est non seulement permis, mais de rigueur. On admet générale- ment que lorsqu'une dentalticaduque rime avec une dentale appuyée on a une preuve aussi certaine que possible que la dentale caduque a conservé sa valeur primitive. Cela est assez juste pour nos textes du xii^ siècle ; mais une telle rime perd beaucoup de sa force pro- bante, sinon toute force probante, si l'on peut montrer dans un texte plus ancien une preuve que certaines dentales appuyées ou s'affaibhssent ou tombent.

L'étude de la dentale caduque présente donc un certain nombre de difficultés qui pourront nous arrêter plus d'une fois : questions de classes, questions de verbes, doutes sur la valeur phonique d'une graphie, doutes sur la valeur d'une rime.

Ce qui peut nous aider dans ces difficultés, c'est le nombre rela- tivement considérable d'exemples que nous avons pu relever.

I. Ou plutôt immédiatement après sa disparition.

02 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Nous étudierons successivement la dentale caduque dans les ter- minaisons : -et, -at, -it, -ut.

I. et = lat. at '.

Un fait indiscutable ressort de l'étude des premiers textes anglo-français : la terminaison -cl (troisième personne du présent de l'indicatif des verbes de I, et des subjonctifs en am) rime libre- ment avec des mots en e muet pur, et jamais avec des mots avec une dentale appuyée. Ce qui signifie que cette dentale est tombée et a dépassé les deux premiers états que nous distinguions tout à l'heure. Le fait est si évident que nous nous y arrêterons à peine.

Et cependant, pendant très longtemps, les scribes écrivent ce / qui a disparu de la prononciation. Dans les Lapidaires en prose publiés par M. Paul Meyer au volume XXXVIII de Romania, nous trouvons, entre autres exemples, trovet à la p. 271, portet à la p. 272.

Quelques exemples seulement suffiront à prouver cette chute de la dentale. Le Comput nous donne sipiefie ( : Marie) 883 ; iiiaiire (: dure) 136 et au subjonctif (f/V (: mie) 115. De même dans le Voyage de Saint Brandan on peut trouver crie Ç^: Marie) 1253; maine (: paine) 439 ; abrase (: grisopase) 1691 ; espande ( : grande) 1427, etc.

D'après Walberg, p. Iviij, dans le Bestiaire, -at rime 83 fois en e pur et ne rime jamais avec e suivi d'une dentale appuyée. A mesure que nous avançons, nous trouvons des exemples nouveaux qu'il est bien inutile de donner ici. Gaimar, Adgar, Sœur Clé- mence de Barking, Fantosme, le Drame d'Adam en offrent des exemples par centaines. Toutes ces rimes sont concluantes ; dès le début du xii^ siècle en Angleterre cette dentale a bien disparu de la prononciation et le plus souvent de l'écriture.

Ces cas même sont beaucoup trop nombreux dans le Cumpoz, le Brandan, le Bestiaire, pour qu'on puisse croire qu'elle ait gardé jusqu'à cette époque sa valeur secondaire de //; doux.

Par conséquent l'anglo-français n'a pas connu les deux premières valeurs de la dentale caduque dans la terminaison et at.

I. Cf. Romania, VII, 622. Willcnberg, Romanische Studien, III, 409, n. 2; P. Meyer, l'Escoufle, Introduction, iii.

LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER 83

Mais celle-ci est restée, au moins partiellement avant sa dispari- tion totale, SOUS sa dernière forme, celle de dentale de liaison ' ; elle peut empêcher l'élision à l'intérieur du vers.

L'étude de cette question présente de nombreuses difficultés, et trop souvent, nous resterons dans le domaine de la conjecture. Remarquons tout d'abord qu'on devrait distinguer ici deux ques- tions assez différentes : la question phonique et la question proso- dique ; en d'autres termes, il ne serait pas indifférent de préciser jusqu'à quelle époque la dentale caduque finale s'est fait réellement sentir dans la prononciation devant une voyelle comme une con- sonne de liaison, et à partir de quel moment son maintien n'a plus été qu'une habitude prosodique traditionnelle-. Ce n'est certaine- ment pas avec nos textes anglo-français que nous pourrons résoudre cette question d'une façon satisfaisante ; mais nous pourrons peut- être nous former une idée de ce qui s'est passé dans ce dialecte : nous pourrons poser en principe que, tant que la non élision sera la règle, la dentale aura conservé une valeur phonique. Au con- traire, lorsque l'hiatus ne sera plus qu'une habitude particulière à certains auteurs, une sorte de tolérance dont ils useront quand le besoin s'en fera sentir, nous pourrons être assurés que la pronon- ciation de la dentale finale, dans les conditions que nous avons dites, ne sera plus qu'un archaïs'me, ou un artifice prosodique.

Et, il ne nous est pas très difficile de trouver l'auteur qui, le pre- mier, montre un nombre considérable de cas d'élision : c'est Adgar. Avant lui l'hiatus est la règle : même, l'auteur du Voyage de Saint Brandan ne semble jamais faire l'élision. Il est cependant impos- sible de montrer une progression régulièrement croissante dans le nombre des élisions d'un auteur à l'autre : nous ne trouvons pas une régularité absolue dans les dialectes du Continent, et à plus forte raison, nous ne pouvons pas espérer que l'anglo-français soit plus régulier que le français même.

Il arrive au contraire fréquemment, et même dans les premières années de la littérature anglo-française, que certains ouvrages pré- sentent, à ce point de vue, un état de choses tantôt plus avancé,

1. Cf. J. Vising, op. cit., pp. 79-80; Sucliier, L'eber..., p. 80; Rcinipredigt, p. XX ; Paul Meyer, L'Escoufîe, Introduction, p. iij .

2. Quoique la versification en ancien français soit très près de la phonétique, ses règles ont toujours être, sur certains points, en retard sur la prononciation.

84 l'évolution du verbe en anglo-français

tantôt plus ancien que d'autres œuvres contemporaines. Par exemple, la comparaison entre les deux poèmes de Philippe de Thaûn est fort curieuse : Mail, dans son étude sur le Cumpoz (p. 21), trouve dans ce poème trois cas d'élision à l'intérieur du vers, contre dix elle n'a pas lieu (cf. aussi Willenberg, Rom, Studien, III, p. 409, n. 2). La proportion est exactement renversée dans le Bestiaire : dans cet ouvrage on trouve 44 cas d'élision contre 12 d'hiatus ; ces cas se trouvant énumérés par Walberg (cf. p. Iviij), nous nous dispenserons de les citer. Mais ce qui est plus étonnant, c'est que les élisions sont proportionnellement moins nombreuses dans un ouvrage sensiblement plus moderne, l'Estorie des Engleis, que dans le Bestiaire. Ceci montre déjà avec quelle irrégularité la dentale a été maintenue en anglo-français.

Nous en verrons d'ailleurs de nombreux exemples dans les pages qui vont suivre.

Pour le moment, nous nous contenterons de donner successive- ment dans l'ordre chronologique les cas d'hiatus, puis les cas d'éli- sion qu'on trouve dans les difterents poèmes anglo-français.

Nous venons de dire un mot de l'Estorie des Engleis ; il est évi- dent que les élisions y sont certainement moins nombreuses que les cas contraires, la proportion y est environ de 2 à 3, à très peu de chose près. Il est à remarquer que les présents du subjonctif sont beaucoup plus nombreux que les présents de l'indicatif. Citons quelques-uns de ces vers : nous avons au présent de l'indicatif, cric au vers 4976 :

Merci crie a sun seignur.

Nous pouvons en énumérer davantage pour le présent du sub- jonctif : rende au vers 799 ; vienne au vers 3867 ^face au vers 4990 ; puisse au vers 6063. Voici ces vers :

Rende a la dame sun dreit 799,

Vienge a curt hastivement 3867,

Face un offre a sun seignur 499°)

Kil rende al rei sa cité 5954>

Li mal trebuz puisse il prendre 6063,

Vienge al curt, ses diz orras. 6126.

On en pourrait trouver plusieurs autres. Dans Adgar au con- traire, les cas de non élision sont très rares : nous n'en avons

LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER 85

relevé que deux ou trois d'assurés, et un nombre à peine plus con- sidérable de douteux. Voici ceux qui nous semblent sûrs.

Ke len les puisse enganer IV, 12,

Qiie ameinet entre ses gens. VI, 19.

Au contraire les cas d'élision sont très nombreux ; nous ne don- nerons pour le prouver qu'un petit nombre de références : IV, 30 , VI, 60; VII, 41; IX, 138; XV, 44; XVI, 15; XVII, 780; XVIII, 141 ; XXI, 107, 133 ; XXVI, 129; XXVIII, 181, 205; XXXIV, 21 ; XXXVI, 44 ; XXXIX, 105, etc.

Élie de Winchester dans sa traduction des distiques de Caton peut nous fournir plusieurs exemples de non élision : cf. vers 190- 656:

Te mette a bandun ; Kar al busuin se mustre il tut dis .

Dans le Tristan de Thomas, l'élision est certainement devenue la règle; nous en trouvons des exemples aux vers 171, 204, 425, 437, 641, 1658, etc. Pour ce qui est de l'hiatus, nous sommes quelque peu embarrassés : le savant éditeur, M, Bédier, semble en admettre au moins un, au vers 2819 :

Il ne coveite altre ren .

Au contraire, dans un très grand nombre d'autres cas, il s'efforce de faire disparaître l'hiatus, sans que nous puissions savoir sur quel principe il s'appuie pour admettre les uns et rejeter les autres. Par exemple au vers 1788, il écrit :

Si s'en apareille un flavel,

alors que les deux manuscrits. Douce et Strasbourg donnent : si s'apareille. Il en va de même pour le vers 2582 ; le texte imprimé porte :

Idunc suspire et plure et plaint ;

mais dans les deux manuscrits que nous venons de nommer, on lit : Dune... Pour ces deux vers au moins, nous n'hésiterions pas à préférer l'hiatus à une correction qui ne s'appuie pas sur le texte ; surtout puisque M. Bédier lui-même admet que les fragments de

86 l'évolution du verbe en anglo-erançais

Strasbourg et le fragment Douce n'appartiennent pas à la même famille (cf. Le Tristan de Thomas, vol. II, p. 8). Ce ne sont du reste pas les seuls cas d'élision douteux ; il y en a plusieurs autres l'hiatus est, sinon aussi probable que dans les deux vers précé- dents, tout au moins aussi vraisemblables que l'élision : au vers 952 le manuscrit donne :

due li n'estoce autre amer, M. Bédier ajoute : //;/ devant anUe. Au vers 975 on lit :

Regarde en la main Ysolt, édition Bédier : Si regarde... ; au vers 981 :

Hidonc plure e merci crie, texte imprimé : merci li crie. Au vers 1026 :

De ce se derve e enrage, texte imprimé : E de ce... ; au vers 1 164 :

Gete un cri e rien ne dit ; texte imprimé : Si gete... ; au vers 2195 :

Puis li demande u il vait,

texte imprimé : E puis li...

Dans un très grand nombre d'autres cas, l'émendation proposée par l'éditeur est plus vraisemblable, sans être assurée ; nous n'en citerons qu'un exemple, le vers 869 :

Trove Ysolt chantant un lai ;

M. Bédier intervertit l'ordre des deux premiers mots du vers, et il est fort possible qu'il ait raison. Pour tous les autres cas, nous croyons les corrections malheureuses ; en particulier, nous ne pou- vons admettre celles qui sont proposées contre l'autorité de deux manuscrits '.

I. Il fout du reste ajouter que M. Bédier n'est pas lui-même très sûr de la validité des corrections qu'il a imprimées ; on peut voir la note assez hésitante qu'il consacre à ce point (vol. II, p. 30, n. 2); M. Bédier n'y cite que cinq cas en tout (y compris le vers 2819) il croit l'hiatus possible. Nous en admet-

LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER 8/

Par conséquent, il est assez difficile, en se fiant au texte imprimé, de se faire une opinion exacte sur les cas d'hiatus dans Thomas^ alors que l'éditeur semble être parti de ce principe qu'il devait sup- primer tous les hiatus possible et qu'il y a réussi en ajoutant aux vers ces hiatus se produisent quelque monosyllabe, tel que e, si etc., ce qui est toujours assez facile.

Cependant, du moment qu'on admet que des cas d'hiatus se ren- contrent dans Thomas, et qu'on en trouve d'autres dans les auteurs contemporains et même postérieurs, il semble difficile de pouvoir faire un choix entre les casque nous fournissent les manuscrits, de reconnaître les uns et de rejeter les autres sans avoir pour cela des raisons graves fournies par les manuscrits eux-mêmes ou par la grammaire. Nous devons donc, nous semble-t-il, faire entrer en ligne décompte les cas d'hiatus que M. Bédier a rejetés sans auto- rité suffisante. Mais même après que nous l'aurons fait, il n'en res- tera pas moins vrai que le nombre des élisions reste encore supé- rieur au nombre des hiatus ; la proportion en faveur des premières nous a semblé légèrement plus forte que celle que nous avons cal- culée dans l'Estorie des Engleis.

Il en va sensiblement de même pour la Folie Tristan. Les éli- sions indiscutables sont assez nombreuses (cf. vers 47, 60, 156, 247).

M . Bédier admet que dans un seul cas l'élision n'a pas eu lieu (cf. p. 12):

Bêle, ne vus en membre il? 659

Il rejette au contraire celui qu'on trouve au vers 373: -

Li fols se turne a cest mot,

et imprime : a icest mot .

Si nous passons maintenant au poème de Haveloc, nous trouvons que l'élision au contraire est plus rare que l'hiatus.

trions bien davantage. Pour se faire une opinion il ne faut pas du reste ne con- sidérer que les habitudes de Thomas lui-même ; il est bon de les comparer à celles de ses contemporains dont la langue se rapproche de la sienne ; nous ne voyons que très peu de différence entre la langue de Thomas et celle de Gaimar. Or, dans Gaimar la non élision, comme nous venons de le montrer, est très com- mune.

88 l'évolution du verbe en anglo-français

Le seul cas assuré d'clision, autant qu'on peut l'affirmer, se lit au vers 718 :

Aval la gcltc igniclenient,

tandis que les cas d'hiatus semblent assez nombreux, par exemple aux vers

La demande ou il ert nez 537, Si Dieu la mette a honur 642, Le cri lieve en la cité 708 .

Mais Haveloc est une exception à cette époque ; la Sœur Clé- mence de Barking, qui ne saurait être de beaucoup postérieure au poème d'Haveloc, fait ordinairement l'élision (cf. vers 27, 34, 253, 669, 854, 1014, 1671, 1817, 1868, 1926, 2068, 2375 (2 cas) 2425, 2495, 2521, 2685, 2687).

Nous avons cependant relevé quatre cas assurés de non élision :

ko te mande il par mei 559,

Que nul mustre en sa parole 510,

Vers lui se turne a itant 2153,

Dune cumande ignelement 2246.

Il est beaucoup moins aisé de savoir si dans Jordan Fantosme l'élision a lieu ou non, non pas seulement parce que les vers dans la Chronique, comme chez la plupart des auteurs anglo-français, sont irréguliers, mais parce que, comme l'ont tait observer Ml J. Vising, M. H. Suchier et M. Paul Meyer, l'auteur mélange d'une façon capricieuse les vers de douze, de quatorze et de seize syllabes.

Toutefois l'hiatus semble assuré dans un petit nombre de cas:

Ne quide en sa vie estre desprisunez 240,

Le cuer al plus hardi en tremble e chancelé 242,

En romanz devise un bref, d'un anel i'enseele; 538.

Les deux suivants sont plus douteux :

Mes ki bon conseil saverad, vienged avant, sil die (14 syllabes)' 179, Suspire e purpense cument ele est alee ^ . 777

1 . Ici on trouve un exemple de ce que nous avons dit plus haut ; on pourrait facilement réduire ce vers de 14 syllabes à 12 en lisant : mes ki bon conseil savrad, vienge avant, sil die. Nous préférons même cette leçon (cf. futur).

2. LV muet à l'hémistiche me semble ne pas compter dans Fantosme.

LA TROISIÈME PERSONKÉ DU SINGULIER 89

L'élision est certaine dans les cas suivants : vers 107, 302, 492, 779, 796, 2054.

Quant au Saint Gilles, nous avons compté environ soixante-dix cas présentant l'élision, et nous avons pu en passer quelques-uns. M. Gaston Paris cite onze cas elle n'a pas lieu, vers 70, 135,

482, 617, 634, 776, 1329, 1386, I581, 2844, 3524 (cf. p. XIX,

n. i) ; on peut y ajouter trois autres:

E comandct a ses scrvanz, 580,

Ne ren k, urne en pussed user, 1267, Li abes lur mustret e dit 2557.

Chez Guischart de Beaulieu enfin les exemples d'élision sont extrêmement nombreux ; nous en avons compté plus de trente, et il y en a davantage (cf. vers 32, 35, 112, 177, 213, 268), et il n'y a en tout que quatre cas assez douteux, de non élision.

Le peissun prend le verni ke il quide user 893,

Le verni trove il duz e trove puis amer 894,

N'en i ad nul tant fort nel voille envahir 1086,

Quanque li hoem ad ci trestut mette en guage 1492.

Nous ne croyons pas qu'on puisse trouver d'autres cas d'hiatus dans Guischart de Beaulieu, et des quatre exemples cités ci-dessus deux au moins sont assez douteux (894 et 1492) car ils sont en par- tie des conjectures de l'éditeur. Les cas d'hiatus sont rares dans ripomédon ; en voici un que nous lisons au vers 1434:

Ameine il tut son harneis.

Le poème de Renaut de Montauban nous fournit au moins un exemple d'hiatus, p. 13 :

Par les degrez de marbre comencet a puer .

Dans le Drame d'Adam, les cas sont peu fréquents et l'élision semble toujours avoir lieu (cf. vers 63, 112, 510, 514, 599).

Pour dire le moins, il n'est donc pas très difficile de tirer une conclusion de l'étude de la langue des écrivains du xii'= siècle, et la raison est facile à comprendre: le maintien de la dentale de liaison à partir de 11 60 environ, dépend presque entièrement du goût personnel et des habitudes des auteurs.

Nous n'irons pas toutefois jusqu'à dire que les habitudes des

90 l'évolution du verbe en anglo-français

écrivains anglo-français prises dans leur ensemble sur ce point spé- cial manquent entièrement d'unité et que chacun d'eux a été uni- quement guidé par sa fantaisie ; nous ne le croyons pas et nous pensons même que les pages précédentes nous montrent une véri- table évolution ou plutôt progression dans la langue II se peut qu'il y ait des exceptions comme Adgar; cela arrive ailleurs qu'en anglo-français ; le mouvement général est cependant très bien mar- qué dans ses grandes lignes et progressif.

Il y a conséquemment un certain nombre de points qui nous semblent ressortir assez clairement des pages précédentes.

La dentale de liaison n'a conservé une valeur phonique que jusque vers 1160. Les différences que nous avons notées sur ce point entre le Cumpoz et le Bestiaire pourraient faire croire que ce changement s'est effectué pendant la vie même de Philippe de Thaûn, et cela est fort possible, mais bien douteux ; le grand nombre de cas d'hiatus qu'on trouve dans les écrivains immédiate- ment postérieurs nous pousserait à croire qu'il faut reculer cette date. Mais on ne saurait descendre plus bas que 1160. Du reste, il est fort possible que la même date ne puisse s'appliquer à tous les auteurs, ni à toutes les parties de l'Angleterre.

Après II 60, la dentale n'a plus qu'une valeur de convention, que certains auteurs reconnaissent, mais qui semble presque ignorée des autres. Cependant la grande majorité des auteurs, peut-être même la totalité, a conservé le souvenir de l'usage des écrivains de la période immédiatement précédente, et montre un certain nombre de cas d'hiatus .

Ce nombre va décroissant à mesure qu'on se rapproche du XIII'' siècle.

Pendant cette dernière période, la question ne se simplifie pas, au contraire; on peut même tout d'abord se demander si elle existe. L'usage de maintenir la dentale de liaison diminuant visiblement, il faut admettre qu'à un certain moment dans l'histoire de l'anglo- français, cette dentale a disparu complètement. Quel est ce moment précis? Il est impossible de l'indiquer avec quelque certitude.

Ce n'est pas seulement parce que comme aux autres périodes chaque auteur a des habitudes qui lui sont propres, mais surtout parce que, à partir de 1200, l'irrégularité de la versification ne nous permet jamais de savoir si nous avons à faire, dans telle ou telle

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 91

occasion, à un cas d'hiatus ou à un vers court. Nous sommes le plus souvent réduits à des conjectures plus ou moins hasardeuses; pour tenter de donner plus de solidité à une base aussi fragile nous avons établi pour les auteurs les plus importants, en dehors des vers qui présentent un hiatus ou une élision possible', la propor- tion des vers normaux, des vers longs et des vers courts.

Lorsque cette proportion est fortement en faveur des vers nor- maux ou, si cela arrivait, des vers longs, il y aurait plus de chance, étant donné un vers quelconque, pour qu'il soit normal ou long plutôt que court, et si les cas nous pouvons nous demander si nous nous trouvons en présence d'un vers court ou d'un hiatus se présentent avec une certaine fréquence, nous pouvons avoir une quasi-certitude que quelques-uns au moins de ces vers présentent bien des hiatus. En d'autres termes si nous trouvons qu'un auteur n'aime pas les vers courts, nous pourrons, lorsque nous aurons à décider si un vers est court ou présente un hiatus, pencher pour la seconde hypothèse.

C'est ce qui a lieu pour Chardri; chez lui, tout d'abord, le nombre d'élisions est considérable : voici quelques chiffres qui, quoique ne représentant pas tous les cas d'élision, en donneront une idée : Josaphat: 304, 348, 370, 97e, 1143, 1453, 1641, 1680, 1836, 1837, 1940, 2580. Set Dormans: 400, 608, 1117, 1119, 1245, 1283, ^479' 14995 i539j 1768, 1880, 1882. Petit Plet: 154, 559, 882, 918, 1305, 1371, 1754.

Dans tous les cas précédents, l'élision rend les vers justes.

En outre, on peut relever un assez grand nombre de cas il est possible que l'élision n'ait pas eu lieu; or en étudiant la versifi- cation de Chardri, on trouve, exclusion faite des vers contenant un cas possible de non élision, que pour les trois poèmes il y a envi- ron 12 °/o de vers courts, 14 °/o de vers longs et 74°/o de vers nor- maux ; il n'y a donc que 12 chances sur 100 pour qu'un vers donné soit court; il est donc probable que la majorité des cas suivants représentent des cas d'hiatus.

Josaphat :

Ki ken dieu mal u bcn ; 23.

Nen sace en tiite manere ; 726,

I, Dans un long poème le nombre de ces vers est trop petit pour changer sen- siblement les proportions dont nous parlons dans les lignes suivantes.

92 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-PRANÇAIS

Kil me quide issi deccivre : 9^3 .

Estendu se lance a terre; 1094.

Kil ne pusse cstre truve; 1174.

Cil levé od sa cumpainie; 1675 .

Ke ne venge a celé feste ; 1736.

Kil li aide a cel besoin ; i939«

L'enfant le grante erraument ; 2443.

Set Dormans

Ki cest pais deive aveir ; 11 04.

Meintenant se lance a terre ; 1556 (cf. Jos. 1094).

Ne vus grève en ceste vie; 1724.

Kil vus tenge en unité ; 1837.

Pes nus tenge en tute terre; 1842.

Petit Plet;

Li veuz hoem se dresce a tant; 547.

Lem le troeve en l'escripture ; 603 .

Se il dechece enveillesce; 605.

L'em l'esproeve en maladie ; 736.

Amur prise e met en haut; 1283 .

Il y a donc dans les trois poèmes de Chardri 19 cas l'hiatus est possible (douze présents de l'indicatif et sept présents du sub- jonctif). Comme les vers courts sont relativement rares chez ce poète, il est évident qu'un certain nombre, peut-être la plupart, des vers que nous avons cités ne sont pas des vers courts. En d'autres termes quelques-uns de ces vers, lesquels? nous ne pou- vons le préciser, présentent encore des exemples d'hiatus.

Si nous admettons que la moitié de ces vers sont courts, il en restera encore une dizaine l'influence de la dentale caduque se fait encore sentir.

La proportion serait alors entre les cas de hiatus et les cas d'éli- sion, environ de i à 5, peu différente, comme on le voit, de celle que nous avons trouvée dans la Vie de Saint Gilles.

Après les poèmes de Chardri, nous voyons les cas de non-élision diminuer encore. Nous n'avons pas pu déterminer de proportion entre les hiatus et les élisions dans le long poème de Robert de Gretham ; mais nous avons pu nous convaincre que les Evangiles des Dompnées contiennent des exemples des uns et des autres. Inutile de citer des cas d'élision, voici deux vers elle ne se fait certainement pas ; tous les deux se lisent au fol. 23 r°.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 93

Ki guverne e terre e ciel, Ne cesset il loinz enveier.

Il y en a évidemment quelques autres ; mais le texte restant encore à établir, nous n'en citerons pas davantage.

Le Psautier en vers coués, Harléien 4070, présente aussi un nombre assez considérable de cas d'hiatus, comme :

Ki se fie en sei 156 d.

Ki dune a ses druz 323 e. Si te vienge a gre 380 f .

Mais le nombre des hiatus est probablement inférieur à celui des élisions (cf. Gœdicke, p. 25).

Avec le Saint Edmund et le poème d'Edward le Confesseur, nous pouvons arriver à des résultats plus assurés.

Dans le premier de ces ouvrages, la versification est relativement très correcte, plus correcte que celle des poèmes de Chardri, sur- tout si on prend la peine de rétablir le texte, ce qui est ordinaire- ment très facile. Voici la proportion des vers courts, longs, nor- maux :

Nous avons trouvé 90,5 % de vers normaux, 7,5 % de vers courts et 2 "/o de vers longs.

Or, si dans ce poème il y a un nombre considérable d'élisions (par exemple, à l'intérieur des vers 160, 235, 314,833, 1792, 1847, 1963, 2211, 2252, 2367, 1737, et pour le subjonctif 650, 838), nous ne trouvons que des exemples fort douteux d'hiatus ; voici tous ceux que nous avonsrelevés:

Vers Occident garde e veit 1252

Mais ici il faut probablement lire: regarde.

Qui les regiuns done e toit 1785

D'après le vers 2071 il semblerait que rcgiiin ne compte que pour deux syllabes (cf. aussi Miss Pope, op. cit., p. 72 et 73, n. i); mais il est plus naturel de prendre ce mot comme ayant ici trois syllabes.

Lothebroc sonne en engleis. 1885 Sonnent conviendrait aussi bien pour le sens.

94 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

A ccis parle Ingar c dist : 2163 . E si parle al messager : 2316

Il est probable que pour ces deux derniers exemples il faut lire parole qui est la forme ordinaire à cette époque, et même plus tard, comme dans Dermod, vers 1434.

Par conséquent, il nous semble qu'il ne reste pas un seul cas pro- bable de non élision dans tout le poème de Saint Edmund.

A première vue, il semblerait qu'il en aille tout autrement dans la Vie d'Edw'ard le Confesseur ; les élisions sont évidemment nom- breuses, mais on rencontre quelques cas d'hiatus dont on ne peut pas disposer aussi aisément que dans le poème précédent par des changements très simples du texte. Nous ne citerons qu'un petit nombre de ces exemples :

Tuz surmunte etuzjustise 385,

Chef e cors gette en Tamise 499,

Benoit sacre enoint a rei 657,

E mut le moneste e prie 666,

Tendrement suspire e plure 732, etc.

On pourrait croire que ces quelques vers présentent des exemples bien caractérisés d'hiatus; mais il faut observer : Que le texte n'est donné que par un seul ms., ce qui ôte aux exemples précé- dents beaucoup de leur autorité; Que la versification de ce poème est beaucoup moins correcte que celle du poème précédent. On ne trouve guère que 60 % de vers normaux ; plus exactement, la Vie d'Edward le Confesseur nous semble écrite en vers de huit et de sept syllabes ; on trouve d'assez longues tirades dont les vers n'ont pour la plupart que sept syllabes, par exemple 603 sqq. Par contre les vers de six syllabes et les vers longs sont très rares.

Il en résulte que, pas plus pour ce poème que pour le Saint Edmund, nous ne pouvons admettre l'existence de l'hiatus à la troisième personne du singulier en g, il y a de fortes présomptions pour que l'élision soit régulièrement effectuée dans ces deux poèmes.

Nous croyons que les résultats auxquels nous sommes arrivés jusqu'ici présentent un certain degré de certitude. La méthode qui consiste à établir des proportions entre les vers courts, longs et nor- maux, et à fonder tout le raisonnement sur les chiffres qu'on obtient, pourra peut-être sembler très aventurée et ressembler un

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 95

peu trop aux combinaisons des jeux de hasard. Elle a été certaine- ment appliquée, plus ou moins délibérément, avant nous, et doit nous conduire dans la question présente à des résultats qui ne sont pas négligeables, qui même ne doivent s'écarter que de très peu de la réalité.

Tout au moins, elle nous donne ce résultat positif que dans les poèmes de Chardri les vers courts sont rares ; or, nous trouvons un certain nombre de vers qui doivent contenir des exemples d'un usage qui se trouve dans les poèmes immédiatement antérieurs. Il semble très naturel d'adopter la seconde alternative. De l'autre côté, les vers courts dans Edward le Confesseur sont fort nombreux (35 °/o) nous n'aurons donc pas à recourir à l'hypothèse de l'hiatus pour expliquer les quelques vers que nous avons cités.

Nous en conclurons que Ve de la terminaison latine -at ne s'élide pas toujours pendant le premier tiers du xiii'^ siècle ; que les exemples que nous fournissent les poèmes de Chardri nous semblent presque isolés à cette époque ; enfin que les auteurs qui le suivent immédia- tement et appartiennent au second tiers du même siècle, ne montrent aucune trace de cet usage.

Pour les œuvres postérieures à la Vie d'Edward le Confesseur, le moyen indirect de contrôle dont nous nous sommes servis tout à l'heure vient à nous manquer complètement. A partir du Saint Auban, la versification devient trop irrégulière; la proportion des vers qui s'écartent de la normale est trop élevée pour que nous puis- sions avancer quelque chose avec quelque certitude, et nous ne sommes même pas assurés qu'il y ait un seul cas de non élision.

Cependant les vers courts l'hiatus de la muette finale de la troisième personne du singulier rétablirait la mesure du vers sont, dans le Saint Auban particulièrement, en très grand nombre; en fait, si on admettait pour ce poème la non élision dans tous les cas elle est possible, nous en trouverions beaucoup plus dans le Saint Edmund, que dans Edward le Confesseur, et même que dans Chardri. Ce serait déjà, nous semble-t-il, une raison suffisante pour rejeter tous ces cas d'hiatus possible. Voici les vers les cas se rencontrent: 24, 59, 103, 104, 175, 184, 363, 369, 454, 475, 506, 572, 652, 685, 698, 739, 1642, 1704 et quelques autres. C'est trop pour que nous puissions y croire. Dans les autres poèmes du milieu du xiii'^ siècle, nous n'avons aucun exemple assuré d'hiatus. L'éli-

96 l/èvOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

sion a communément lieu dans Aspremont et Sardcnai et il est douteux qu'il taille voir des hiatus dans les quatre vers suivants :

Kc chevalier face en sa cuntreie ; Aspremont. 74.

Li arcevcsche se dresce en estant ; 246 :

Si comence a lui parler; Sardenai, 64 (L & O.)

Si le comence aprochier; 10 j.

Pour ce dernier vers on pourrait peut-être lire « a aprochier » (cf. vers 247 O).

Nous croyons cependant qu'il est possible de considérer se dresce en estant, Si comence a lui parler, comme de véritables formules poétiques léguées par la poésie antérieure et acceptées en bloc avec leur ancienne valeur prosodique;, et s'il en est ainsi ce sont pour ainsi dire de véritables clichés, des cas d'hiatus inconscient, et les autres exemples de Sardenai et d'Aspremont n'ont plus assez d'au- torité pour nous fliire admettre que les auteurs de ce poème con- naissaient plus ou moins exactement l'existence ou la valeur de ce que nous avons appelé la dentale de liaison.

Du reste, les deux poèmes que nous venons de citer ne sont cer- tainement pas les seuls à nous donner des exemples de ce genre; c'est ainsi que nous retrouvons jusqu'au commencement du xiv^ siècle de ces formules, qui sont des clichés prosodiques autant que des clichés épiques. Citons par exemple dans V Evangile de l'En- fance (62 b), mss. O et C :

Si se comence a dresser

Mais à part quelques exemples de ce genre, nous n'avons pas relevé de cas assuré d'hiatus à cette époque. Si nous prenons The Song of Dermod and the Earl, nous pourrions de prime abord croire retrouver dans les vers suivants des exemples de la persis- tance de la dentale de liaison :

Revmund parole a sa gent 1434 A haute voiz levé un cri 345 5.

Mais dans ce poème, la proportion de vers courts est très forte ; nous en avons compté 35 "/o ; autrement dit, il semble être régu- lièrement écrit en vers de huit ou de sept syllabes. Par conséquent il est très difficile d'admettre que nous pouvons avoir dans ce poème un seul exemple d'hiatus.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 97

Nous pensons donc que si, à la rigueur, on admet que la den- tale de liaison ait laissé des traces dans la Vie de Saint Auban, et nous n'irions certainement pas jusque là, on doit arrêter de toutes façons à la date de ce dernier poème le phénomène qui nous a occupé dans les pages précédentes.

Du reste, dans les poèmes à versification régulière du xiv'^ siècle, le siège de Carlaverok ou le poème du Prince Noir, nous n'en avons relevé aucune trace.

Conclusions sur la dentale de liaison.

Nous ne cacherons pas que les conclusions que nous permet de tirer l'étude précédente ne sont pas aussi précises que nous pour- rions le désirer.

Un certain nombre de faits toutefois en ressortent et nous paraissent absolument indiscutables. En voici l'énumération :

La dentale finale dans les troisièmes personnes en et = at n'a jamais en anglo-français connu d'autre existence que celle de den- tale de liaison.

Cette dentale a gardé une valeur phonique jusque vers 1150 ou II 60 au plus tard.

Elle se rencontre depuis le commencement de la littérature française en Angleterre et dure, soit jusqu'à Saint Auban (vers 1250) soit au plus tard jusqu'à The Song of Dermot and the Earl (ver- 1270).

4" Pendant cette longue période la fortune de la dentale de liai- son a connu des hauts et des bas ; elle a été souvent employée suis vant les goûts particuliers de chaque auteur, et il arrive qu'elle est plus fréquente dans un auteur du xiii'' siècle, comme Chardri, que dans tel autre au xii'- comme Adgar.

Malgré tout, en considérant les grandes lignes de l'histoire de cette dentale, on voit que son emploi diminue d'une façon pro- gressive entre iiio et 1250.

II. La dentale dans les terminaisons en a (d).

Tous les futurs, les prétérits de la première conjugaison, le pré- sent de l'indicatif du verbe avoir, et un peu plus tard, du verbe aller ont la troisième personne du singulier terminée en a suivie d'une

7

98 l'évolution du verbe en ANCiLO-FRANÇAIS

dentale caduque. Il serait intéressant de connaître exactement révo- lution de cette dentale en ano;lo-francais. Malheureusement, les ren- seignements que les rimes peuvent nous donner, sont beaucoup moins précis encore que pour les désinences en c (/) ; les rimes en a pur et les rimes en n avec dentale appuyée sont très peu nombreuses; pour les premières on ne trouve guère que les monosyllabes, ça, la, ja et des mots latins ou savants ; pour les secondes, nous avons relevé dans le Roland les composés de battre, mat première personne singulier de mater, qiiat, il y en a probablement quelques autres, mais il n'en reste pas moins vrai que les rimes sont rares. C'est en partie pour cela que la plupart des écrivains anglo-français emploient les formes qui nous occupent actuellement surtout en interrime ou les font rimer avec quelques autres mots en a terminés eux aussi par une dentale caduque. Il en résulte que le plus grand nombre des rimes ne nous apprend rien. Il y a encore, nous semble- t-il, une autre raison pour que nous soyons dans l'incerti- tude. Nous pensons que la dentale finale caduque a pris et a con- servé pendant quelque temps un son affaibli correspondant assez exactement au //; 'doux anglais; or, ce son n'est en français qu'un son transitoire qui ne pouvait se rencontrer que dans des mots à terminaisons analogues; c'est pourquoi, tant que la dentale caduque a conservé ce son de la spirante, les auteurs anglo-trançais ont été réduits à n'user guère que des interrimes s'ils voulaient rimer exacte- ment; et s'ils ne riment pas exactement, à quoi nous servent leurs rimes ? Nous sommes donc ici dans le domaine des conjectures ; mais puisque l'on admet généralement que la dentale intervocalique française a passé par un état analogue à celui de //; doux, il semble difficile de ne pas croire que le même phénomène se soit produit pour les terminaisons en aï, surtout dans un pays le son //; doux a une stabilité qu'il n'a jamais eue dans le français du continent. Et ce que nous disons des terminaisons en -at s'applique presque autant aux terminaisons à dentale caduque en -// et en -ut.

Nous voyons en effet, au commencement du xiii*^ siècle, que les terminaisons qui nous occupent ne riment ni en a pur ni en a appuyé. Si nous prenons par exemple le Cumpoz, nous pourrons relever plus de cent interrimes de troisièmes personnes du singulier des prétérits de I, de futurs, du présent de l'indicatif d'avoir. Dans ces rimes, et dans le corps du vers, la dentale est constamment con-

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 99

servée dans l'écriture ; mais elle n'a pas la valeur de la dentale appuyée du mot bat par exemple. Qu'elle ait encore une certaine valeur, c'est ce que montre, semble-t-il, l'absence absolue des rimes de ces terminaisons avec des mots en a pur.

Car comment pourrions-nous expliquer dans ce poème l'ab- sence complète de rimes, qui, dans les ouvrages subséquents, devien- dront relativement nombreuses? La seule raison que nous puis- sions imaginer, c'est que la dentale n'a pas encore disparu, mais a pris un son qui n'est pas celui de la dentale appuyée. Ce raisonne- ment nous donne une présomption, sinon une preuve, que, vers I iio, la dentale caduque des terminaisons en -at avait un son affaibli, qui ne saurait être que celui de th.

Il est du reste probable qu'elle ne l'a pas conservé très long- temps, et les poèmes suivants accusent la disparition progressive de cette dentale. Le Voyage de Saint Brandan, le Bestiaire et l'Estorie des Engleis contiennent un certain nombre chacun de rimes accou- plant une terminaison en -at avec quelque mot en -a pur. Le petit nombre d'exemples que nous relevons dans ces trois ouvrages tend à nous faire croire que l'évolution n'était pas encore com- plète et que les poètes n'employaient guère ces rimes qu'à leur corps défendant. Le Brandan n'en a qu'une seule : va (^ : la), à côté de plusieurs interrimes ; le Bestiaire en a davantage ; ad qui rime surtout avec des .futurs et des prétérits (^ail ( : purat) 499; ( : dunat) 801; ( : bevrat) 3061, etc.) se rencontre dans des rimes en -a pur: (: Honocrotalia) au vers 1239; ( : mandragora) au vers 1576, et un futur rime de la même façon : vera ( : assida) au vers 1264. Gaimar ne nous offre pas un nombre aussi considé- rable d'interrimes : durra ( .: la) au vers 6062.

On est donc fortement tenté de considérer la période qui s'étend du Brandan à Gaimar (1121-11 50) comme le moment pendant lequel la dentale caduque de ces terminaisons perd la dernière valeur qu'elle était appelée à prendre.

Quoi qu'on puisse penser de cette hypothèse, il est hors de doute qu'après Gaimar la dentale caduque a disparu entièrement de ces terminaisons. Chez Adgar, Simun de Freine, Fantosme, Guis- chart de Beauliu, elles riment couramment en -a pur ; nous n'en donnerons que quelques exemples, car ce fitit a été reconnu bien souvent déjà.

100 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Adgar entre autres exemples nous donne : ge1ta( : la) V R 222 ; iih'im ( : ca), VI, 2, 175; au vers 699 du Roman de Philosophie de Simun de Freine on lit va ( : la). Dans Jordan Fantosme, nous rencontrons le présent a à la rime avec ja aux vers 1220, 1247 ; le futur atoidra rimant avec Albania au vers 530 ; le prétérit avua avec delà aux vers 531, 2521; apela avec la au vers 1961 et plusieurs autres.

Nous pouvons donc considérer comme assuré que nos terminai- sons ont définitivement perdu leur dentale vers 1150.

Cependant, si ce son transitoire disparaît assez vite, nous croyons que le souvenir de son existence a persister assez long- temps dans un certain nombre de cas particuliers. C'est du moins de cette façon que nous interpréterions la graphie du scribe de Guischart de Beauliu qui représente la dentale finale non appuyée d'un futur par le signe qui en vieil anglais représentait le son du th doux. Du reste, il ne nous convient pas de discuter la valeur de ce signe dans nos manuscrits; nous pouvons toutefois rappeler que le signe //; ou un signe équivalent n'est pas rare du tout dans les difiïrents manuscrits anglo-français : à côté de charrad qu'on trouve pour le vers 89 dans le Sermun de Guischard de Beauliu on ren- contre encore suffriâ pour le vers 910 dans le même manuscrit.

Mais beaucoup mieux que la graphie de Guischart de Beauliu, et les graphies analogues s'il y en a, le j-aisonnement que nous tenions précédemment peut nous convaincre qu'à une certaine époque, la dentale avait le son de th et même nous préciser le moment elle l'a perdu.

Si dans le Cumpoz, le Brandan, le Bestiaire et l'Estorie des Engleis les interrimes en a sont nombreuses, les rimes en a pur rares ou absentes, et que, après Gaimar, ces dernières deviennent presque aussi communes que les premières, c'est que la dentale finale a eu entre iioo et 11 50 un son qu'elle a perdu après cette date.

in. La dentale dans les prétérits en /.

Pour les prétérits en /, nous pouvons, dans nos textes anglo- français, trouver la dentale, avant sa chute, sous deux formes, d'abord avec sa valeur propre et rimant avec des dentales appuyées;

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER lOI

ensuite, mais ici nous ne pouvons guère avancer que des liypo- thèses très discutables, avec une valeur affaiblie.

Les exemples qui nous montrent des^ troisièmes personnes de ces prétérits à dentale appuyée sont rares en anglo-français, mais ils suffisent pour nous montrer que le souvenir de l'usage ancien n'a pas entièrement disparu jusqu'au milieu du xii^ siècle. C'est ainsi qu'on trouve dans le Cumpoz raeniplit à la rime avec dit aux vers 1802 et 1122, dans Gaimar entre autres exemples, menti rime avec dit (au vers 2773) ; enfin dans Fantosme on trouve ;///r- m rimant avec vit (au vers 596). Nous pourrions citer un exemple plusrécent: rt/c^/^/V qui rime avec vit au vers 1179 du Saint Gille; cette rime semblait à juste titre probablement suspecte à Gaston Paris qui propose de lire atendeit : veit.

Néanmoins les exemples que nous fournissent le Cumpoz, Gaimar et Fantosme suffisent pour établir la présence, exception- nelle si l'on veut, de la dentale caduque jusque dans la seconde moitié du xii^ siècle; elle peut être un phénomène morphologique aussi bien qu'un phénomène phonique.

Il est certainement plus- difficile d'établir d'une fitçon satisfai- sante l'existence de la dentale avec son transitoire. Nous avons cependant de fortes présomptions, sinon des preuves absolues, qu'elle a eu le son de la spirante.

Il est certain que plusieurs auteurs, celui du Voyage de Saint Brandan spécialement, s'abstiennent de faire rimer ces prétérits autrement qu'entre eux. Cependant les mots terminés en / pur ou en / avec dentale appuyée sont assez nombreux, et cela rend l'abstention de ces auteurs plus significative que pour les troisièmes personnes en a. Nous avons peut-être une preuve plus positive si on peut accorder quelque valeur probante à certaines rimes de Gaimar.

Dans l'Estorie, cnmbatit rime avec Edelfrid (vers 1013) et avec Berefrid (vers 1625). Ces deux noms avaient alors en anglais comme consonne finale un //; doux. Ces arguments sont loin d'être absolument convaincants; mais d'un côté comme nous venons de le voir, la dentale finale des prétérits en i subsistait, quelquefois au moins; et de l'autre, comme nous allons le montrer elle avait à la même époque disparu dans un grand nombre de cas ; il est difficile de ne pas admettre que le son intermédiaire n'a pas laissé quelques races dans les textes de cette même époque.

102 L liVOLUTION DU .VKRBE EN ANGLO-PRANÇAIS

Les rimes les plus nombix'uses nous montrent ces prétérits rimant avec des mots en / pur; par exemple déjà dans le Cumpoz nous relevons failli (: ami) 167 ; veuqui (: enemi) 781 ; rmiibali (: enemi) 827; raciiipli (: di) 941. Cf. aussi vers 969, 1971, 3147. Il en est de même du Bestiaire, comme on peut le voir aux vers 143, 296, 2381 .

Dans Gaimar les cas la dentale est absente sont beaucoup plus fréquents que ceux elle est conservée, et les rimes ne sont pas rares, eveilli {: cri) 237 ; (: cri) 855 ; reciiilli (: fini) 4851 ; cnm- bali (: hardi) 5081.

Dans Fantosme, et à l'exception du cas cité plus haut, la dentale a disparu ' ; nous avons relevé -un nombre assez considérable de rimes probantes dans la Vie de Sainte Catherine, de Sœur Clé- mence de Barking (cf. vers 491, 1784, 736) et dans Adgar (II, .68; m, 35; XVIII, 171 ; XIX, 156; I Eg. 28; I Eg. 56 0- Dans ces deux derniers auteurs, c'est le seul genre de rime qui sub- siste. Nous n'irons pas plus loin ; les rimes que nous avons citées montrent que la dentale caduque a définitivement disparu des Pré- térits en ivi, vers 1175- Nous la verrons du reste reparaître, mais appuyée d'une s sous l'influence des Prétérits en si ; ceci est du reste une question toute différente que nous traiterons plus tard.

En résumé, pour ces prétérits, la dentale a subsisté sporadique- ment pendant les trois premiers quarts du xu" siècle, elle avait cependant commencé à disparaître dès le début de la littérature anglo-française, mais elle ne disparaît définitivement sous cette forme qu'au commencement du quatrième quart du xii^ siècle.

Quant au son intermédiaire de th, on peut croire qu'il a disparu avant 1 1 7 5 .

IV. Chute de la dentale dans les prétérits en // Çd).

Les exemples que nous relevons pour cette question comportent eux aussi un certain élément de doute, beaucoup moindre toutefois que pour les troisièmes personnes que nous avons déjà examinées.

1. Cf. J. Vising, op. cit., pp. 89 et 85.

2. Rime avec merci qui lui-même rinie avec immaculati. I Eg. 120.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER IO3

Les rimes sont presque toutes des interrimes, mais dans le plus grand nombre des cas nous trouvons les prétérits faibles rimant avec des mots terminés par une dentale, il nous est fiicile de déterminer la valeur de cette dentale finale.

Nous avons pour cette question à distinguer entre deux sortes de prétérits, les prétérits faibles de la cinquième classe et le prétérit du verbe être.

Pour les premiers, on peut avancer deux faits de la première importance :

on ne les trouve jamais écrits sans la dentale finale ;

ils ne riment jamais avec des mots en tt pur ; ces mots sont évidemment assez peu nombreux en français, mais cependant nous en trouvons un certain nombre (cf. plus bas).

Les seules rimes que nous trouvions nous montrent les prétérits faibles rimant avec les prétérits forts pour lesquels la dentale n'est pas caduque, et ces rimes se rencontrent à toutes les époques de la littérature anglo-française. Or il est absolument certain que la dentale appuyée de ces derniers prétérits s'est toujours mainte- nue, ce qui montre par conséquent que la dentale caduque s'est conservée de la mênie façon.

Voici quelques-unes de ces rimes.

Dans le Cumpoz, vers 907, on trouve aparut ( : cunut) ; dans le Bestiaire vers 428, fl/)rtn// rime avec cuncut, etc. Vers le milieu du xii" siècle on trouve inorut, pour ne citer qu'un seul verbe, fré- quemment à la rime; dans Gaimar, il rime avec dut au vers 5142; dans Thomas avec ut, vers 3067 ; dans le Folie avec sout, vers 222 ; dans Adgar avec dut, VII, 69, avec conut, I Eg. -88, avec out, XXVIII, 191, etc. Dans ce dernier auteur et dans Simund de Freine, nous pouvons relever un nombre considérable d'exemples analogues.

Ces rimes se trouvent encore dans la plupart des écrivains du siècle suivant ; nous n'en citerons pas davantage : Angier, Chardri, Robert de Gretham et tous les autres montrent très fréquemment à la rime les verbes de la cinquième classe des prétérits en -ni, rimant à la troisième personne du singulier avec ceux des trois premières classes.

Ceci nous montre que ces verbes n'ont jamais perdu leur den- tale finale en anglo-français.

104 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Le prétérit du verbe être a échappé à la loi générale des prété- rites en -/// : il a perdu à la troisième personne du singulier sa dentale finale de très bonne heure. Le premier exemple que nous ayons relevé de la forme /// attestée par la rime se lit dans Gaimar elle rime avec Jesu au vers 1341; dans Adgar elle rime avec/w ( :=r focuni) V R, léi. On relève un nombre considérable de rimes analogues dans Chardri (cf. Koch, p. xxxvi) ; elles se trouvent aux vers II 17, 1132, 13 10, 1422 de Josaphat, au vers 13-I1 du Petit Plet, etc. Fh a donc perdu sa dentale vers le milieu du xii'' siècle et au siècle suivant les rimes qui assurent cette forme sont aussi très nombreuses; cependant, et jusqu'au milieu du xiii'^ siècle^ on peut rencontrer des exemples la dentale est conservée, par exemple dans les Dialogues de Saint Grégoire //// rime avec tut de taire (fol. 49 b); dans Robert de Gretham (fol. 38 r°) il rime avec put, de pouvoir et dans la Plainte d'Amour (au vers 834), avec eut d'avoir. Il est donc possible que certains auteurs plus corrects ou aimant les formes archaïques aient à l'occasion rendu à la troisième personne du singulier du prétérit d'être la dentale qu'elle avait perdue depuis à peu près soixante ans ou plus ; mais il faut remarquer que les rimes que nous avons citées unissent toujours à fu la troisième personne d'un prétérit fort, et jamais à un autre mot. On serait donc en droit de se demander si ce n'est pas le pré- térit fort qui, lui aussi, perd sa dentale exceptionnellement. Quoi qu'il en soit, il est tout à fait évident que dans l'immense majorité des cas, fu est employé sans dentale depuis le commencement de la seconde moitié du xii^ siècle. Il peut y avoir, même au xiii^ siècle, quelques exceptions, mais elles ne sauraient prouver grând'chose.

Au xiv^ siècle, la dentale, comme nous l'avons vu et comme nous le verrons, apparaît de nouveau appuyée par la consonne s ; just est une des formes les plus employées, spécialement dans les textes non littéraires.

CONCLUSIONS SUR LA DENTALE CADUQUE A LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER

Tels sont les éléments qui nous permettent de nous faire une idée de l'évolution de la dentale caduque finale aux différentes troisièmes personnes du singulier en anglo-français.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I05

Ces terminaisons nous offrent, croyons-nous, des exemples de tous les états par lesquels cette lettre a passé avant de disparaître.

Les prétérits faibles en ni, à l'exception de celui du verbe être, conservent cette dentale jusqu'à la fin. Pour les prétérits en /, nous avons plusieurs rimes qui nous montrent cette dentale conservée sporadiquement vers le milieu du xii'^ siècle et prenant probable- ment vers cette époque un son transitoire qui a être analogue au fb doux, spirante dentale douce. Les troisièmes personnes du sin- gulier terminées par a ont probablement, elles aussi, pris ce son affaibli, au moment fii perdait sa consonne finale. Enfin, l'étude de la versification des poèmes antérieurs au Saint Auban montre que les troisièmes personnes du singulier terminées par e ont con- servé la dentale caduque sous forme de consonne de liaison, au moins jusque dans le premier tiers du xiii*^ siècle, peut-être jusque vers 1250.

B, La dentale appuyée.

La dentale appuyée montre une tendance à poursuivre la même évolution que la dentale caduque, quoique les résultats de cette tendance soient beaucoup moins généraux que ceux que nous avons déjà observés.

Il n'est pas rare de trouver cette dentale exprimée par fh; cette graphie est généralement due aux scribes et ne se rencontre guère que lorsque l'influence de l'anglais est devenue assez forte, c'est-à- dire dans la seconde moitié du xiii'^ siècle. C'est ainsi que nous trouvons dans la Satire sur le Siècle rilb : despith au folio 80 ; dans l'Apocalypse (jeetlj) y., 352. On pourrait certainement donner un plus grand nombre d'exemples, mais il semble peu utile d'in- sister davantage sur une simple graphie.

Du reste, quoique tJ) pour ^ ou ^ se rencontre encore au XIII'' siècle, des cas assurés de la chute de cette dentale se trouvent au siècle précédent. Gaimar est le premier auteur chez qui nous relevions des rimes probantes, nous montrant la chute de la den- tale au présent et au prétérit; par exemple le présent suiniin ' qui

I. On peut consulter sur ce point ce que dit Behrens, Beitràge zur Gescliiclite der franzôsischen Sprache in England, Franzôsischen Siudien, V, p. 142.

io6 l'évolutton du verbe en anglo-français

rime au vers 2880 avec gcnin au vers 3020 avec passiun; il se trouve aussi i\ Tintéricur de vers sous cette forme. Du reste d'autres poèmes nous donnent des rimes analogues pour d'autres verbes ; Horn fait rimer au vers 11.46 cspcl avec novel quoique cspclf reste plus commun '.

Le ^/ = dit (dicit), au premier vers de la strophe 31 du Saint Alexis, donné par le ms. L, appartient aussi évidemment au xiii^ siècle quoiqu'il soit possible de ne le considérer que comme le résultat d'une erreur cléricale.

Pendant tout le xii^ siècle, nous n'avons d'assuré par la rime qu'un seul cas de la chute de la dentale fixe au prétérit ; elle se trouve encore dans l'Estorie des Engleis ; Gaimar y fait rîmer traît- sit (= transit) avec Beverli, au vers 1689 et avec Tosti au vers 5061. Ordinairement ce mot savant rime avec des terminaisons à dentale caduque. Il est possible de considérer ici la chute du / comme un fait d'analogie, plutôt que comme le résultat d'une évo- lution phonique.

Enfin, une autre forme est assurée encore au xii^ siècle, c'est l'imparfait er qui se trouve au vers 1214 du Roland d'Oxford, elle deviendra du reste par la suite assez commune (cf. Horn, 82, O).

Au xiii^ siècle, le nombre des rimes du genre de celles que nous venons de citer, est très petit, nous ne voyons que ciir (pour ciirt de courir) rimant avec /r;7/r au vers 313 d'Aspremont.

Dans le corps du vers les exemples sont beaucoup plus nom- breux, le poème de Boeve nous en présente un très grand nombre de cas, ainsi ^ pour est au vers 853 etc.; Edward le Confesseur a vai au vers 993, Otinel aer (de ardeir) au vers 38 etc. ; William de Waddington covien au vers 5325. Tous ces exemples peuvent n'être que des négligences des scribes, il convient peut-être de ranger dans la même classe le reniahigii qu'on lit au vers 239 du Bestiaire, dans le manuscrit O.

Au prétérit, nous relevons un fait légèrement différent dans tcnc au vers 1630 du Saint Aubin, link dans Edward le Confesseur au vers 362, la gutturale de la première personne persistant à la troi- sième y fait tomber la dentale ^.

1. On trouve aussi dans l'Estorie des Engleis la forme régulière, vers 2652; citons encore espel^ qu'on lit au vers 2154, du même poème.

2. On trouve cependant iinct.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I07

Nous ne trouvons que relativement peu d'exemples de cette chute de la dentale appuyée au xiv^ siècle; ce n'est pas une de ces irrégularités presque régulières comme on en trouve tant à cette époque. Nous n'avons qu'un très petit nombre de cas à citer, et parmi eux les rimes sont rares. Dans le siège de Carlaverok on a preng, p. 2 6«ç dans Pierre de Langtoft, on trouve à la rime reqiicr (II, 272, 22) et au prétérit, pris (Pierre de Langtoft, II, 60, 10); on lit fis, dans Foulques Fitz-Warin, p. 22. Citons encore es qui est assez commun dans le manuscrit Egerton des Miracles de la Vierge (cf. VI, vers 207), et qu'on trouve aussi dans le manuscrit qui donne le poème de Renaut de Montauban (cf. p. 22).

Les cas la dentale appuyée disparaît sont relativement très rares dans les ouvrages non littéraires, les textes les plus corrects, comme les Statutes, les Lettres de Jean de Peckham, même ceux dont la correction est plus douteuse, les Rymer's Foedera par exemple, ne nous en offrent aucun exemple; nous avons pu cepen- dant en recueillir quelques cas, on verra qu'ils sont à la fois peu nombreux et de peu d'importance, étant donné le grand nombre d'ouvrages consultés. Le premier exemple de la chute de cette dentale se trouve à la date de 1285 dans les Early Statutes of Ireland (p. 94) : amon pour amonte ; on voit que la voyelle muette est tombée tout d'abord, puis la dentale a suivi. Dans le Liber Rubeus de Scaccario la date de 1300, vol. III, p. 987), on a fui pour fuit ^= fut; ci pour est se rencontre dans le Registrum Palatinum Dunelmense (1302, III, ^i); pies ( = placet) se lit dans les Letters from Northern Registers (1304, 103) et es dans les Mem. Pari. 1305, § 136; coveneye est une forme très rare de l'imparfait de l'indicatif employée une fois dans le même recueil Dans les Literae Cantuarienses on trouve ne pas pour n'est pas, qui se rencontre du reste dans la même page (1309, 195), enfin dans une lettre de 1393 dans les Documents Inédits on trouve reqiier.

Les exemples sont plus nombreux dans les Year Books, mais ils ne sont pas plus probants ; on trouve assez fréquemment au lieu de est soit es (dans esse, est-ce) soit e, la première de ces formes se lit dans 20 et 21 Edward L', p. 231; 21 Edw. P"", p. 183, et passini ; la seconde dans TEyreof Kent 13 13, III, 133. On peut citer encore quelques exemples de la chute de / après consonne : defen 20 et 21 Edw. I", 175; remeign i et 2 Edw. II, "-j ; jeisse pour feist 3 Edw.

io8 l'évolution du verbe en anglo-français

III, 6; après voyelle covcudrcy 33 et 35 Edw. V', 179, di 17 et 18 Edw. III, 149.

Comme on le voit le nombre d'exemples est très restreint ; ceux que nous fournissent les Year Books sont de dates très indétermi- nées et on pourrait sans trop de difficulté considérer chaque cas pris individuellement comme une preuve de l'ignorance ou de la négligence des scribes; cependant ces exemples nous donnent des indications qu'il vaut mieux ne pas négliger et en les compa- rant aux quelques cas que nous avons trouvés dans les œuvres litté- raires nous nous rendons compte que la dentale finale même appuyée tend à s'amuir et à disparaître.

Aux exemples précédents, nous pouvons en ajouter quelques autres qui ne manquent pas d'intérêt; ils montrent à la troisième personne du singulier et l'imparfait du subjonctif la chute de la dentale finale de l'addition d'un e muet. Ces exemples ne se ren- contrent que dans les Rymer's Foedera et les Statutes. On trouve ainsi aprochase (1351, V, 754), vciiJlûise (1338, V, 46) dans le premier recueil. Feusse et fuisse sont employés beaucoup plus sou- vent : deux fois dans les Statutes (1369, I^ 390; 1378, II, 9) et une dizaine de fois dans le Rymer (1392, 716, 1396, 829). Mais la plupart des cas nous trouvons feusse nous montrent que cette forme ne doit pas provenir de la troisième personne régulière; en effet ce mot se trouve le plus souvent dans la formule si fwtre propre personne y feusse présente ; il semble donc qu'on ait plutôt affaire à une attraction de la première personne du singulier.

DÉSINENCES EN ST

L'irrégularité plus ou moins grande suivant les auteurs et les périodes des désinences en sf est une des caractéristiques de l'an- glo-français. La question est naturellement assez complexe. Tout d'abord on peut voir qu'elle est double : quelles sont les troisièmes personnes du singulier qui prennent indûment 1'^ devant la dentale finale? Quelles sont celles qui perdent Y s qu'elles devraient régu- lièrement avoir ?

En second lieu, à quel moment Vs a-t-elle cessé d'être prononcée et est-elle devenue purement .graphique ? Enfin, après que Vs a perdu dans cette position sa valeur propre, suivant quels principes

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I09

OU quelles règles, s'il y en a, les auteurs l'ont-ils écrite ou omise ?

La plupart de ces questions, comme nous le verrons, sont con- nexes.

Pour plus de clarté, il nous semble indispensable de distinguer dès maintenant deux périodes : pendant la première, qui est la plus importante au point de vue philologique, c'est la torme du verbe latin qui est la cause directe, même la cause unique, de la présence de 1'^ dans cette terminaison ; pendant la seconde, la présence de cette consonne est due à des causes qui n'ont rien de commun avec l'étymologie ; la fantaisie de l'écrivain, des soucis d'élégance, tels que ceux que nous révèle l'Orthographia Gallica, des analogies plus ou moins extraordinaires sans parler des bévues des scribes concourent à produire les formes que nous relevons.

Il est toutefois impossible de fixer les dates ; la fantaisie, l'analo- gie etc., se trouvent déjà au xii= siècle et agissent en même temps que les tendances régulières.

Avant d'entrer dans les détails de la question, nous pouvons faire observer qu'elle ne diffère qu'assez peu de la question de Vs à la première personne du singulier. Le seul point qui sépare ces deux questions, c'est que Vs peut être graphique à la troisième per- sonne du singulier et qu'elle ne l'est jamais à la première. Nous allons voir que le développement de Vs devant le t suit la même marche que 1'^ finale.

L Régulièrement ce sont les inchoatifs, puis les verbes en -sco qui prennent Vs devant la dentale de la troisième personne du sin- gulier.

L'anglo-français a eu vite fait d'étendre cette s à la plupart des verbes à palatale, et nous trouvons des exemples de la termi- naison en st pour ces verbes dans les premiers textes que nous pos- sédons. Aucun des exemples que nous avons relevés ne se trouve assuré par la rime, ce qui n'empêche pas un fort grand nombre de ceux-ci d'être très anciens. Nous n'en citerons que quelques-uns et tout d'abord ceux qui nous paraissent prendre constamment cette s au xii^ siècle.

Le manuscrit A de l'Alexis nous donne au moins deux exemples de ces formes : destniist (28 b), et gist (50 a)' ; cette dernière

I. Vom gist, cf. Thoniscii, Roinania Y, 67; Focrstcr, Zcitschrift fur roni. Pliil. II, 178.

Four phiisl, cl. Stcngcl, Zcitschrift fur roni. Phil., I, 106, 107.

IIO L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-rRANÇAIS

forme nous est aussi donnée par le ms. L. Elles datent par consé- quent du milieu du xir' siècle. Le Voyage de Saint Brandan nous ortre aussi plusieurs exemples qu'il est plus difficile de dater : braist (au vers 930), esïist (au vers 107). Citons surtout taisl (au vers 376); cette forme en effet se rencontre et même assez fréquem- ment dans plusieurs autres auteurs ; cf. taest dans les Dialogues Gré- goire le Grand (48, c, 24, Timothy Cloran).

Le Bestiaire nous donne sufist (vers 361) ; le Psautier de Cam- bridge plâist (50, 17); (cf. plaesl dans les Dialogues Grégoire 71, c, 41 Timothy Cloran u. s.) '. Sœur Clémence de Barking a paist (vers 13), naist (vers 14) et bien d'autres exemples pourraient être cités.

Nous ne voulons pas cependant allonger la liste, car dans toutes les formes que nous avons données, Vs est assez facile à expliquer et, autant que nous pouvons en juger, constante. Il n'en est pas de même d'un certain nombre d'autres verbes à palatale : laisser, faire, traire.

Prenons d'abord le verbe laisser ; la troisième personne du sin- gulier du présent de l'indicatif de ce verbe se présente sous les deux formes : laist et lait\ il n'eçt pas..^ass.uré que ces deux formes pro- viennent--Je deux infinitifs différents. La première iinie 2vsc plaist au vers 383 du Tristan de Thomas et est encore employée dans le corps du vers 3786 de ce même poème; lest rime avec est dans Edward le Confesseur et se rencontre passhn dans le corps du vers. Le ms. R de l'Estorie desEngleis (première moitié du xiii^ s.) l'em- ploie plusieurs fois (cf. vers 2633, 2814). Nous en trouvons des exemples dans la Vie de Saint Emund, dans la Vie de Saint Gré- goire (vers 938), dans William de Waddington (2183), dans le Saint Auban (1440), etc.; enfin c'est la forme constamment employée dans les Statutes.

Citons encore très rapidement quelques exemples de la forme sans j, qui tout en étant moins fréquente est à peu près aussi ancienne en anglo-français. La plus ancienne rime que nous ayons rencontrée se lit dans le Tristan de Thomas au vers 1993, lait (: estait) ; les mss. C, D et L de l'Estorie des Engleis l'emploient

I. On trouve cependant ^/^)// dans les Quatre Livres des Rois (cf. II, 19, 37); cependant la fonne plaist est beaucoup plus commune, on la trouve 37 fois (cl. Merwart, p. 12).

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I I I

aux deux vers que nous avons cités (2633, 2814). Une autre rime se lit dans les œuvres de Guischart de Beauliu (: estait) au vers 70. Et les exemples de cette forme continuent à être aussi nombreux, à mesure qu'on avance dans la littérature anglo-française. On la rencontre aussi dans les ouvrages non littéraires et l'exemple le plus ancien se trouve dans le Liber Custumarum, à la date de 1280, p. 288, sous la forme lel.

Comme on le voit, l'existence de lait à une époque reculée est assurée d'une manière satisfiiisante; mais la forme avec -st reste toujours la forme ordinaire de la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif de laisser. Quant à faire, c'est le contraire qui est la règle; fait, fet est à toutes les époques la forme la plus communément employée. Les exemples qui nous montrent faist sont beaucoup plus rares ; le plus ancien que nous ayons relevé ne remonte pas au milieu duKii*^ siècle ; il se lit dans les Quatre Livres des Rois (II, 22, 12) ; on en trouve encore un autre cas dans le ms. Ode Hovn, fest au vers 1365 ; le poème de Boeve de Haumtone nous en offre encore un cas au vers 120, mss. B et D, et B seul nous donne la même forme aux vers 1026, 1080; citons encore les Lettres de Jean de Peckham (1280, 92), et surtout toute la série des Year Books cette forme est fort commune (cf. par exemple 14 Edward III, 53 Qipassiiii').

Nous pourrions répéter à peu de chose près les mêmes remarques à propos de trait \s\ cette forme est fréquente, l'autre, traist, est rela- tivement moins rare que faist. On la rencontre déjà dans le Roland d'Oxford, au vers 3959; dans le corps du vers 4717 de l'Estorie des Engleis (4 mss.); dans les Dialogues Grégoire le Grand, 71, c, 24 (cf. Tiraothy Cloran, p. 18).

Quelques autres verbes à palatale se rencontrent encore, mais plus rarement avec la désinence -j'/ à la troisième personne du singu- lier. Nous avons relevé par exemple dist au vers 2596 de Boeve; dans les Set Dormans de Chardri liist {= lucet) au vers 1666. Ajoutons encore un autre exemple tiré de Boeve de Haumtone : condust au vers 2290 que M. Stimming considère, à tort, croyons- nous, comme un prétérit.

Cette liste d'exemples assez longue peut suffire à montrer que, à un moment ou à un autre, et très souvent dès le commencement du xii"^ siècle, l'anglo-français a employé Vs à la troisième personne

112 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-l-RANÇAIS

du singiiliLT du présent de l'indicatif de la plupart des verbes h pala- tale.

A coté de ces verbes à palatale, pour lesquels l'^- peut s'expliquer, nous rencontrons un certain nombre de thèmes à labiale ou à den- tale pour lesquels la présence de Ys à la troisième personne du sin- gulier du présent de l'indicatif n'est pas aussi naturelle.

Les exemples qu'ils nous fournissent sont du reste moins nom- breux et ordinairement plus récents que ceux que nous avons déjà précédemment cités. Le plus ancien exemple que nous ayons relevé pour les thèmes à dentale remonte au xiii"^ siècle ; on le lit dans le Saint Edmund,où il est assuré dans une certaine mesure par la rime, c'est vest (vadit) (: lest) aux vers 1361-1362'; un peu plus tardivement, on rencontre une rime, douteuse encore, dans le Poème Allégorique, vers 263, coiuhasl (: estast) (lire combat-estat). Tous les autres exemples que nous pouvons citer doivent probable- ment être attribués aux scribes : dans le ms. O. de Guischart de Beauliu au vers 70, on trouve vest que nous avons déjà rencontré dans le Saint Edmund ; pocsl (vers 235) &t post (vers 6281) dans le ms. A (milieu du xiii'' s.) de l'Ipomédon. Arst se lit dans Pierre de Langtoft (I, 186, i), et puist dans les Litterae Cantuarienses (1338,

653)-

Les rimes ne sont pas plus nombreuses pour les verbes à labiale

et la plus ancienne que nous ayons est encore postérieure à la rime

de Saint Edmund, c'est vist (vivit) (: Crist) dans les Heures de la

Vierge, et cette rime y est répétée aux folios 62 et 63 v°.

Boeve au vers 2995 a sest de savoir, forme qui se retrouve assez souvent dans les Year Books à des dates indéterminées; citons encore dcist au vers 50 du poème sur l'Antecrist, de devoir.

Pour les verbes en / et en n les exemples ne sont pas très rares, et au moins l'un d'eux doit remonter assez haut, même s'il appar- tient comme il est probable, au scribe. C'est espciist qui se lit au vers 265 de l'Estorie des Engleis et nous avons cité précédemment (cf. une autre forme du même verbe qu'on rencontre au vers 2154 du même poème : espel^ (=1 espelst ?) ^

1. On pourrait rejeter cette forme sur le scribe en lisant lait.

2. Pour la (orme espelt, on peut voir Gaston Paris, Alexis, p. 189, 70 e. Espelt est donné par le ms. R ; D àonnz espalt, hespaut, Wespeaut. Dans cspeli, le ;^

La troisième Personne du singulier 113

Les verbes en / nous fournissent plusieurs autres exemples ; citons vaust dans le Mem. Pari. 1305, § 56; veust dans les Litterae Cantuarienses 1338, 653 ; dans 32, 33 Edw. I", p.. 5, et passim dans les Year Bocks.

Les thèmes en n sont assez rares, citons empciusl au vers 1809 de Thomas (ms. Str.^ du xiir' s.);geeiist dans le Saint 'Auban au vers 589, ces deux derniers exemples ressemblent à des prétérits en si, mais le contexte montre clairement que ce sont des présents.

Il nous semble évident que dans les verbes précédents (verbes à labiale, en /, en n\ Vs ne saurait avoir une origine étymologique; à la rigueur, on pourrait encore admettre cette origine pour les thèmes à dentale, quoique, comme nous le verrons plus tard, cela ne soit pas très vraisemblable; pour les autres, la désinence en -st ne peut être qu'analogique.

C'est ce que pourra nous montrer l'extension de la consonne .f à d'autres troisièmes personnes du singulier. D'autres temps que le présent de l'indicatif prennent irrégulièrement la désinence en -st ; tout d'abord certains prétérits. On sait que seuls les prétérits en si y ont droit; cependant, et souvent très tôt, d'autres prétérits se montrent sous cette forme : les différents prétérits en ivi, et, à quelques années près, les prétérits en ni. Les premiers furent affectés d'abord ; on trouve dans un bon nombre d'auteurs du xii^ siècle des prétérits en ivi montrant à la troisième personne du singulier la terminaison -ist ; par exemple le Psautier d'Arun- del nous donne cisist (18, 4); finristÇ^j, 10), etc. Dans l'Es- torie des Engleis, des formes analogues sont extrêmement com- niunes à l'intérieur du vers, et quelques-unes d'entre elles doivent appartenir à l'auteur, car la rime nous montre que Gai- mar donne quelquefois cette terminaison à des prétérits en ivi, par exemple, on trouve : viarist Ç: asist) au vers 2010; resplcndist au vers 6107. A partir de Gaimar, les rimes de ce genre sont assez communes, citons dans la Vie de Saint Gilles laugitist (: mesfist) au vers 143. Ces quelques exemples pourraient nous dispenser de recourir aux auteurs du xiii^ siècle ; chez eux les rimes ne sont pas rares (cf. Boeve de Haumtone vers 303, 599; Sardenai, vers 178,

doit être une graphie, assez rare, mais qui n'est pas unique de st. Nous trouvons dans Horn ^employé (par le scribe?) avec une valeur différente. Giiiiris;^se lit dans le ms. O aux vers 75 et 90 ; évidemment ici - équivaut à t7.

8

114 L EVOLUTION DU VHRBli KN ANGLO-FRANÇAIS

etc.) C'est surtout l'étude des manuscrits écrits au xiii'' et au xiv' siècles, littéraires ou non, qui nous montre la tendance que tous les prétérits de cette classe ont à prendre à la troisième personne du singulier la terminaison en -isl.

Le nombre des formes en iist des prétérits en ui est au moins aussi considérable, si celles-ci sont un peu plus tardives; plusieurs d'entre elles sont assurées par la rime, citons mnrrusl (: soûst I. S.) dans la Folie de Tristan au vers 22', cuiiust (: fust I. S.) dans les Set Dormans au vers 1239 ; conceust (: frust = fructum) au folio 49 de la Genèse Notre-Dame. En dehors de la rime nous en trou- vons de nombreux exemples dans Gaimar, viorust 129}, par iist 2252, etc., etc. , parus t se rencontre au vers 162 du Donnei des Amants. Ces derniers exemples doivent ou peuvent provenir des scribes, par conséquent ne remonter qu'au xiir' siècle; en effet, pen- dant ce siècle et le siècle suivant, les scribes aussi bien que les auteurs emploient pour les prétérits en /// la forme avec s aussi sou- vent que la forme sans s : moriist, pantst, corust, se rencontrent dans le Saint Julien 78 v°, dans Boeveau vers 3 266, dans le Saint Auban vers 287, dans William de Waddington au vers 1259, ///5/, reciist, cunust, crust, dans le Genèse, Boeve, Chardri, William de Wadding- ton.

Ce sont, comme les exemples précédents le montrent, d'abord les prétérits en /// de la cinquième classe, et, un peu plus tard peut- être, ceux de la troisième qui prennent cette s. Au xii^ siècle et au xiii'^ on ne trouve aucun exemple assuré de la désinence en si pour la première et la seconde classes.

Ce n'est guère qu'au xiV siècle que cusl,pJust, pust, liusl, iiiust, deviennent très communs ; fusl est fréquemment employé à cette époque, on le rencontre dans la plupart des ouvrages du xiV^ siècle, surtout en dehors de la littérature.

Nous ne citerons aucun exemple de formes de prétérits en isl (de ivi) et en iisl en dehors de la littérature ; qu'il nous suffise de dire qu'elles ne sont rares dans aucun des recueils politiques, diploma- tiques, ni dans les Lettres.

Pour les prétérits en / celui de voir seul, se montre assez com- munément avec .s7 ; on lit vist dans Gaimar au vers 65e (ms. R,

'• Mnrrust est peut-être ici, comme le croit M. Bédier, un impartait du sub- joiKtif.

LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER 1 1 5

commencement du xiii^ siècle) et au vers 2 148; on le rencontre à la rime avec prist dans The Lament on the Death of Edward ?' au vers 37, à la rime avec mist dans les Vies de Saints de Bozon au fol. 93 v°, au vers 975 de William de Waddington et très fré- quemment dans les ouvrages non littéraires. Les autres prétérits en /, les prétérits en avi et a (= habet) apparaissent beaucoup plus rarement avec Vs ; cela provient probablement de la règle de l'Or- thographia Gallica que nous citons plus loin, à moins que la règle ne provienne, comme elle devrait le faire, de l'observation de l'usage.

Tenir et venir ne nous donnent que très peu d'exemples : tinst dans The Lament on the Death ofEdw. L'' au vers ; veinsl dans les Lettres de Jean de Peckham (1280, 94); dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323, III, 858) et quelques autres.

La désinence ast au prétérit est rare, nous en trouverons très peu d'exemples dans la littérature ; nous pouvons citer toutefois dans Pierre de hzngiok parla si (I, 180, 6) et priast (II, 24, i). Dans les ouvrages non littéraires, les formes analogues sont plus nombreuses, sans être communes : citons poiast dans les Rymer's Foedera (1348,

V, 612), dans les Documents inédits (1382, 32e), etc. Pour avoir nous ne trouvons ast que dans les Year Books, cf. par exemple 1 1 et 12 Edw. III, 197.

Pour tous les autres temps, la terminaison st est encore plus rare ; dans la langue littéraire nous relevons seist (= siat) au vers 2642 de Boeve, mangust (manducet) dans Walter de Bibblesworth (p. i')^), amoust est employé par le scribe du ms. A (milieu du xiir^ s.) de l'Ipomédon (vers 3456); on pourrait en trouver quelques autres dans les recueils de textes politiques et légaux ; poaist, imparfait de l'indicatif de pouvoir, se trouve dans les Sta- tutes(i37i, II, 20), fl'/5/(=habeat)dans les Rymer's Foedera (1366,

VI, 296) et quelques autres peut-être, mais en tout petit nombre. Conclusion : Un grand nombre des dernières formes que nous

venons de citer sont très tardives ; nous ne pouvons même assigner une date précise à celles que nous avons tirées des Year Books; mais une conclusion s'imposa : dès le milieu du xii' siècle, surtout au xiii= et xiv^ siècle, l'anglo-français tend à renforcer d'une. ^ soit dans la prononciation, soit, comme il est possible, dans l'écriture seule- ment, les dentales étymologiquement appuyées, mais que les phé-

ii6 l'Évolution du vEKBii en anglo-français

nonicnes phoniques naturels ont privées de leur consonne d'appui. La raison de ce phénomène est très claire, nous avons vu que les dentales finales tendaient toutes à disparaître, Vs parasite devait assurer leur conservation. Puis Vs se généralisa quelque peu et vint soutenir la dentale caduque des prétérits en ivi, elle avait persistéassez longtemps, et des prétérits en m qui ne la perdaient pas.

II. Beaucoup moins commune que le phénomène que nous venons d'étudier, est la chute de Vs étymologique dans la terminai- son 5/', et cela s'explique par la tendance que nous venons de remarquer dans tout l'anglo-français et qui consiste à renforcer d'une s le t final après voyelle. Au présent de l'indicatif, nous avons relevé un certain nombre de verbes en -sco qui perdent de temps en temps cette s, par exemple le cunnit du vers 337 du Brandan (ms. 1 167); mais les formes comme celles-là sont rares.

C'est surtout au prétérit (prétérits en si^, et à tous les imparfaits du subjonctif que nous pouvons observer la chute de 1'^ étymolo- gique.

Pour le premier de ces temps, les exemples sont nombreux, anciens et assurés. Déjà dans le Brandan, au vers 1151 nous lisons cwiduit, qui même s'il appartient au scribe, remonte au commence- ment du troisième tiers du xii'' siècle. La seule rime d'ailleurs que nous ayons à cette époque ne se rencontre pas avant la Vie de Saint Gilles; dans ce poème on lit en effet : sttrst (: curt) au vers 1469.

Les autres exemples qu'on trouve dans les ouvrages de ce siècle proviennent plutôt des scribes et appartiennent probablement au siècle suivant.

C'est ainsi que nous pouvons citer : y?/ au vers 98 de Gaimaret dans Adgar V R 114; destruit dans l'Estorie des Engleis au vers 1026, conduit au vers 11 54 de Jordan Fantosme, assii qui dans le Saint Gilles rime avec une forme en st au vers 386.

Il est évident que le xii^ siècle, auquel du reste les exemples pré- cédents peuvent appartenir, doit nous présenter de nombreux exemples de cette disparition de Vs. Nous allons en citer quelques- uns, parmi ceux qui se trouvent à la rime. Il est permis de trouver assez curieux que de tous les exemples que nous avons relevés au siècle précédent, surst seul se trouve à la rime et qu'au contraire à

1. I^our l'amuib^senicnt deTi, on peut lire Ulbrich, dans la Zeitschr., t. II, 522.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER II7

partir du Chardri, les rimes deviennent très nombreuses. Ceci montrerait que quoique Vs eût disparu, les auteurs pendant quelque temps ont évité de faire rimer les terminaisons des prété- rits en si avec des mots le / n'était pas appuyé d'une s. Les auteurs du xiii^ siècle ne sont pas arrêtés par ce scrupule, et nous trouvons un bon nombre de rimes significatives. Chardri par exemple, a dist à la rime avec abit dans Josaphat au vers 847 ; le Saint Laurent nous offre dit (: vit) aux vers 142, 121 ; le même prétérit rime avec le participe passé écrit dans les Chansons (I, 7 et 8). Dcstruit rime avec nuit au vers 1143 de Dermod. De plus, si 1'^ que, au siècle suivant, les prétérits en ivi prennent assez sou- vent est purement graphique, nous pouvons regarder comme des exemples probants les rimes que nous avons déjà citées : prisi : vist, The Lament on the Death of Edw. L' vers 38 ; misf (: purvit) dans les Vies de Saints de Nicole Bozon, 93 v°. Les formes, à l'intérieur du vers, cette s disparaît sont du reste extrêmement nombreuses ; nous en citerons quelques exemples pour montrer que tous les pré- térits en si sont atteints.

Parmi les verbes à thème vocalique que nous n'avons pas encore vus, on peut citer : dcstruit dans Pierre de Langtoft (I, 52, 12); retrct dans Foulques Fitz Warin (16); rescotit Chandos (431). Les thèmes consonantiques sont très bien représentés ; thèmes en // : enfreint Vievve de Langtoft (L"" x\ppendice, II, 416, 23) ; joint Nicole Bozon (Contes, 51); Nicolas Trivet (19 v"); plcint Nicole Bozon (Contes, § 53).

Dans les Statutes, les formes régulières sont à peu près les seules employées ; citons cependant// (1322, I, 185) à côté de /.f/ (1278, I, 45)^ etc., etc., dans Rymer les cas de chute de Vs sont assez nom- breux, plaint par exemple est assez souvent répété; on le trouve aussi à la date de 1292 dans les Hist. and Mun. Doc. of Ireland (p. 205). Dans les Year Books, la forme sans s est la forme ordi- naire, pour tous les prétérits en si, ple\nl,fe\nt, ireit, etc.

Il en est de même de la troisième personne du singulier de l'im- parfait du subjonctif, qui montre assez fréquemment la chute de Vs étymologique .

Mais pour cette personne, ce phénomène est beaucoup moins général et beaucoup plus tardif que dans les prétérits que nous venons d'étudier. Les exemples cependant se rencontrent dans la

ii8 l'évolution du verbe en anglo-français

littérature aussi bien que dans les ouvrages politiques, diploma- tiques et familiers mais avec quelques différences.

Nous avons pour la première classe de textes anglo-français (textes littéraires) à distinguer entre les conjugaisons.

Les désinences en -at dans les textes littéraires sont limités à certains manuscrits et appartiennent probablement au xv^ siècle, comme le confessât, laissât qu'on lit au fol. 55 des Chroniques de Nicolas Trivet. La graphie 7^ (^= st) nous semble un phénomène tout différent : ronforta:^ et cuntnsta:^ qu'on peut lire dans le Psau- tier d'Oxford, ne sont peut-être que des étourderies du scribe (68,

A part quelques exemples de ce genre, l'imparfait du subjonctif des verbes de i est constamment régulier.

Nous n'avons donc pas à nous en occuper.

Les autres conjugaisons sont beaucoup moins régulières et la chute de Vs est assurée pour plusieurs imparfaits du subjonctif, quoique les rimes ne soient pas nombreuses. Nous ne trouvons en effet à la rime que fit (: voleit) dans le Genèse Notre Dame, au fol. 53 v°; c'est évidemment une mauvaise rime et elle ne peut nous éclairer sur rien, même pas sur la présence ou la disparition de Vs; fit, du reste, se retrouve encore dans les Contes de Nicole Bozon au § 517, etc.

Dans Dermod, nous trouvons aussi fatisit au vers 218, poiit au vers 125 ', ont se lit dans Walter de Bibblesworth, 145 -jâut dans The Song of the Church, vers 23.

La plupart de ces exemples datent de la première moitié, ou du commencement de la seconde moitié, du xiv= siècle.

Les cas de chute de 1'^ sont plus nombreux en dehors de la litté- rature et plus généraux. On trouve un bon nombre de formes en -at même dans les recueils les plus corrects ; les Statutes ont Icssat (1344, I, ^00) înonstra, prova (135 1, 1, 325) et plusieurs autres pos- térieurs aux trois exemples précédents. Nous n'en citerons pas davantage, qu'il nous suffise de dire que dans tous les recueils, Rymer's Foedera (1278, II, 108) % même dans les Lettres de Jean de

1. Dans ce même poème, on trouve plusieurs formes qui peuvent être, soit des imp. du subjonctif, soit des prétérits. Cf. 69, 5037, 3318. Il en va de même pour tous les autres ouvrages du xive siècle .

2. C'est le plus ancien exemple dans ce recueil.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER II 9

Peckliam (1310, 36) les imparfaits du subjonctif de toutes les con- jugaisons se rencontrent très communément à la troisième personne du singulier sans 1*5 étymologique.

Dans les Year Books ces formes sont particulièrement nom- breuses.

Par conséquent, pour cette chute de Vs étymologique aux diffé- rents temps, nous remarquons un accord assez rare en anglo-français entre les auteurs et les scribes. Pour les prétérits c'est entre 11 60 et 1170 que les premiers exemples apparaissent (manuscrit de Londres du Voyage de Saint Brandan, Saint Gilles); pour le présent, les premiers exemples datent de la même époque; pour l'imparfait du subjonctif, les troisièmes personnes du singulier sans s ne remontent qu'à la fin du xiii^ siècle (Rymer, peut-être les exemples littéraires) ou au xiv'^ siècle (Jean de Peckham, Bozon).

La forme régulière est dans les œuvres politiques, diplomatiques, familières, la forme ordinaire; dans les œuvres littéraires, la forme unique des imparfaits du subjonctif de I.

III. Valeur de l'^. Il nous reste maintenant à combiner les résultats de ces deux études, introduction d'une s parasite, chute d'une s étymologique, et à voir si, en confrontant ces résultats, nous ne trouverons pas l'explication de ce double phénomène.

rt) Pendant la seconde moitié du xii^ siècle, et, comme il est pro- bable progressivemement, nous voyons 1'^ apparaître devant la den-, taie de la troisième personne du singulier des présents des verbes à palatale, des prétérits en ivi, des prétérits en /// de la cinquième classe. Ces faits sont assurés par des rimes qui pour n'être pas très nombreuses pour chaque catégorie de troisièmes personnes, sont suf- fisantes pour les établir.

Pendant le même laps de temps, 1'^ étymologique tombe à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif de certains verbes, et des prétérits en si. Mais ici les rimes sont plus que rares ; nous n'en trouvons qu'une (après 1 170) dans le Saint Gilles.

Sans vouloir pour cela rejeter les exemples qui sont assurés dans une certaine mesure, soit par la date, soit par la concordance des manuscrits, nous pourrons regarder ces chutes de Vs comme excep- tionnelles et en conséquence nous admettrons, ce qui nous semble évident, que, pendant toute cette période au moins, 1'.^ étymolo- gique subsiste non seulement dans la graphie, mais aussi dans la

120 LKVOLUTION DU VRRBE i:\ ANr>LO-FRANÇAIS

prononciation. Les cas qui montrent hi chute de cette consonne sont, si l'on veut, des fautes. Ceux dans lesquels elle s'est intro- duite pendant cette période la prennent par suite de leur développe- ment phonique normal, ou par analogie.

Ij) Il est plus difficile de déterminer la valeur de 1'^ dans la dési- nence qui nous occupe pendant la première moitié du xiii^ siècle. Les verbes et les temps que nous citions tout à l'heure continuent à la prendre assez régulièrement, les prétérits en /// voient en outre les verbes de leur troisième classe suivre ceux de la cinquième, les présents des verbes à dentale font comme les présents des verbes à gutturale.

De l'autre côté (chute de Vs étymologique) aucun fait nouveau n'apparaît; on peut dire uniquement que le nombre des présents et des prétérits en si sans leur 5 montre un certain accroissement. C'est en somme une période indécise et nous croyons que l'^ ne se faisait déjà plus sentir aussi régulièrement dans la prononciation.

Tous les doutes disparaissent pour la seconde moitié et surtout vers la hn du xiii^ siècle, les présents à labiale, ceux dont le thème est terminé par / et ?/, les prétérits en / apparaissent plus ou moins fréquemment avec une s parasite.

Le nombre des prétérits en si sans s augmente aussi, et l'on voit les troisièmes personnes dont la terminaison régulière est en isf •rimer librement avec celles qui devraient avoir la désinence //. Faut- il admettre que toutes doivent prendre Vs, ou qu'aucune de ces troi- sièmes personnes ne doit l'avoir ? Ce que nous avons vu dans la première période nous empêche, semble-t-il, d'adopter l'une ou l'autre de ces conclusions, ou plutôt la seconde alternative seule est vraisemblable en comprenant par ce que nous avons dit que 1'^ a cessé de se prononcer, et s'écrit ou ne s'écrit pas à la volonté de l'écrivain.

La preuve indiscutable la plus ancienne que nous ayons relevée de la disparition de Vs dans la prononciation se trouve dans un auteur de la fin du xiii^ siècle, William de Waddmgton ; il fait rimer au vers 25 du Manuel des Péchés plest avec seel (= septem) '.

Mais tout en disparaissant de la prononciation Y s a laissé des traces

I. Cf. Ulbrich dans l'article que nous venons de citer. En dehors delà conju- gaison les preuves de la chute de Vs remontent à la fin du xii^ siècle.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 121

que nous retrouvons de temps à autre dans les graphies : en tombant, cette consonne a allongé la voyelle précédente et en même temps elle a pu servir à indiquer la longueur de la voN'elle précédente.

En anglo-français cette longueur ou cet allongement peuvent s'ex- primer, quand ils s'expriment, de bien des manières : par une s chez les auteurs soigneux, par/; chez d'autres, plus souvent en redoublant la voyelle allongée.

Au xiV^ siècle la confusion s'accroît ; des présents du subjontif, des imparfaits de l'indicatif, le prétérit du verbe être, le présent d'avoir, des prétérits en avi (plus rarement) prennent 1'^; en même temps elle disparaît de nombreux imparfaits du subjonctif; mais ce n'est pas exactement un foit nouveau : c'est le résultat ou l'exagé- ration de ce qui se passait dans la période précédente, la confusion absolue entre les voyelles longues et les voyelles brèves.

C'est pour avoir observé probablement sans le comprendre, cet ensemble de faits un peu complexes, que les auteurs de l'Orthogra- phia Gallica ont énoncé cette règle bizarre (p. 8):

Et saches qu'en verbes du présent temps et pretert escriverez s, commebatist (H 30); et : Item in verbis presentis et preteriti tempo- ris, scribetis st après i,c, 0, 11, corne batist,fist, est, tost, lust etc.. (CO 73). Item in présent! et in preterito tempore inter /, e, 0, u et t dé- bet s scribi, ut est, fist. tost, lust etc.. et in preterito inter a et /, ut aninst (CO 96).

Ce qui signifie que toutes les troisièmes personnes du singulier du présent et du prétérit à terminaison vocalique, sauf les présents en à, doivent prendre st. Nous pouvons remarquer que cette règle n'a pas été très régulièrement appliquée : nous trouvons un assez grand nombre de personnes qui, d'après la règle, devraient prendre cet si et qui ne l'ont pas, et d'autres, à thèmes consonantiques, qui ne devraient pas le prendre et qui l'ont.

Cela n'est du reste pas pour nous étonner le moins du monde.

TERMINAISONS EN ht.

Nous avons dit tout à l'heure que Pamuissement de l'.s- dans la terminaison -st avait produit un allongement de la voyelle précé- dente, allongement qui avait été représenté de plusieurs façons. Nous croyons en effet qu'on doit considérer comme une simple

122 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

variante graphique de la terminaison que nous venons d'étudier une forme assez rare et tardive, mais significative, les terminaisons en

On les trouve dans un certain nombre de textes, assez incorrects, c'est-à-dire qui ne respectent guère l'orthographe traditionnelle : par exemple dans Amis et Amiloun voiisiht, mespreiht, 267 etc.; dans le Chevalier, la Dame et le Clerc conveniht 231; dans les Royal Letters du règne de Henry III. Dans ces lettres, on lit : juht (pré- térit) et ////;/ (imparfait du subjontif) ; grauntaht (imparfait du sub- jontit), 1265, II, 298 '.

Vh s'est aussi généralisée aux personnes 1'^ n'était pas étymo- logique ; les exemples sont assez nombreux : citons dans Amis et Amiloun osaht, 414 ; onht, 533 ; dans le Chevalier, la Dame et le Clerc, coniiht (Cf. ces différents prétérits et l'article de Behrens : Beitrâge zur Geschichte der franzôsischen Sprache in England, I Lautlehre der franzôsichen Lehnwôrter ; Franzôsischen Studien, V Band, 2 Heft; p. 183).

Nous disions tout à l'heure que la chute de 1'^ avait produit un allongement dans la voyelle précédente; le terme allongement n'est peut-être pas assez exact ; nous pouvons lire dans l'Orthographia Gallica quelques explications concordantes sur la valeur de cet /; : voici en effet ce que nous lisons p. 8 :

(H 91, CO 18) Item quando aliquà syllaba pronunciatur quasi cuni aspiratione, illa sillaba débet scribi cum 5 et / in loco aspiratio- nis, verbi gratia est,cest, plest.

(T 7, H 29) Item quedam sillabe pronunciate quasi cum aspira- tione possunt scribi cum s et /, verbi gratia est, plest, cest.

Enfin le ms H nous donne encore quelques détails assez précis sur la prononciation de cette s :

(H 35) Et quant s est joynt (a la t, ele avéra lesoun)de h, corne est, plest serront sonez eghl, pleght.

Cette incursion dans la phonétique avait son utilité, car elle nous montre que Vs ne s'était pas à proprement amuie, mais qu'elle avait pris à peu près le son de l'aspiration : la graphie par h était donc très naturelle.

I. Cette graphie n'est du reste pas particulière aux verbes ; on trouve dans le même recueil de Lettres : cette pour cette, et par analogie cehci.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I23

Ajoutons cependant que, d'après Femina, «/ doit se prononcer cet ; autrement dit, croyons-nous, 1'^ en disparaissant de la pronon- ciation a simplement servi à allonger la voyelle précédente.

LA VOYELLE

La voyelle muette qui précède la dentale caduque a elle aussi été la source d'un assez grand nombre de modifications dans la forme de certaines troisièmes personnes du singulier. Nous«pouvons clas- sifier ces modifications sous trois chefs :

Chute de la voyelle et maintien de la dentale.

Chute de la voyelle et de la dentale.

3" Voyelle irrégulière.

I. Chute de la voyelle et maintien de la dentale.

Il y a en anglo-français un certain nombre de verbes de I qui sont employés presque constamment sans voyelle muette avant la den- tale finale. La forme irrégulière qu'ils prennent ainsi leur donne l'ap- parence de verbes de II non-inchoatifs, de verbes de III ou de IV.

Le plus commun parmi ces verbes, et celui qui fait le premier son apparition sous cette forme, c'est le verbe envoyer. Au com- mencement du xii^ siècle, ce verbe a la forme normale. Cf. par exemple les Psautiers d'Oxford et de Cambridge. Le plus ancien exemple de la forme enveit que nous ayons rencontré se lit dans le Psautier d'Arundel (33, 7). Il y en a même, croyons-nous, un autre qui lui est antérieur : envei(e)t : dei(e)t au vers 5 du Cumpoz ; c'est en tous cas la leçon du ms. S. C'est à peu près à l'époque du Psau- tier d'Arundel qu'il faut placer les deux exemples que nous rencon- trons dans Jordan Fantosme, aux vers 1422 et 1509. Tous les deux sont assez sûrs, étant assurés par la mesure du vers. Il est inutile de multiplier les exemples ; ceux que nous avons donnés établissent suffisamment l'existence de cette forme pendant le troisième quart au plus tard duxii^ siècle (cf. Suchier, Ueberdie..., p. 62).

Citons encore rapidement quelques-unes de celles que nous ren- controns pendant les siècles suivants : Chardri dans son Josaphat (vers 2809), fait rimer enveit avec seit ; on retrouve encore cette forme dans le Saint Thomas (I, 33); dans le Saint Auban (1722);

124 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

dans le Roman des Romans (710) ; dans Renaut de Montauban 17, 39; 18, (cité par Suchier). Parmi les exemples qui se rencontrent au xn"" siècle citons ceux qui se lisent dans les Rubriques du ms. d'Edward le Confesseur (III, i) ; dans Pierre de Langtoft (I, 72, 12); la rime de l'Apocalypse, h, 13 : enveil Ç: esteit).

Cette liste, qui pourra sembler un peu longue, montrera que cette forme est commune dans les oeuvres littéraires depuis 1175 au moins .

Il nous reste cependant à citer quelques cas le verbe envoyer est employé régulièrement à la troisième personne du singulier, c'est-à-dire avec muette sans dentale. L'Ipomédon nous en offre un exemple (au vers 8781) ; dans le Josaphat de Chardri (vers 988) et le Roman des Romans, que nous citions tout à l'heure pour l'autre forme, nous trouvons la rime : enveic (: veie) ; à l'époque même de Chardri, nous voyons encore enveiet dans le Lapidaire en prose (Romania XXXVIII, p. 271). Mais des exemples comme ceux-là sont rares dans la littérature.

Un assez grand nombre de verbes ont été entraînés par l'in- fluence d'enveit, otircit par exemple. Cette forme se trouve assez tôt dans la littérature anglo-française. Le premier exemple que nous ayons de cette forme se trouve dans le Saint Auban au vers 142; on en trouve deux autres cas dans le second Appendice de Pierre de Langtoft (I, 73, ; I, 86, 2).

De même qu'on trouve quelquefois la 3'' personne du singulier de enveicr sous la forme correcte, ainsi, mais assez rarement, ottreier prend la forme sans dentale avec muette : Saint Auban a ottn'c au vers 478, et Langtoft âoltraie (I, 90, i).

Nous trouvons au xiii^ siècle quelques autres exemples que l'on peut fort bien rapprocher de ceux que nous avons déjà cités : dans Saint Auban on lit lot (loer) au vers 1468 ; on trouve encore blanchoii dans Boeve de Haumtone (369).

M. Suchier (Ueber die..., p. 5 2) rapproche la forme enveii de lait; au point de vue du sens, ce rapprochement est tout à fait satisfai- sant ; mais il laisse quelque peu à désirer au point de vue de la forme. Au moment nous trouvons les premiers exemples de enveit les diphtongues ei et ai étaient encore distinctes dans la majo- rité des cas; la confusion commençait certainement à s'établir, mais elle n'était pas encore assez avancée pour que, en créant une nou-

TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER Î2)

velle forme, les auteurs anglo-français n'en tinssent pas compte; l'analogie de lait aurait pu amener la forme envait qu'on trouvera du reste plus tard, mais non enveit. Il nous semble plus probable que c'est veeir qui, au moyen de veit, a attiré enveit et les autres.

Nous allons voir d'ailleurs que le cas précédent n'est pas le seul nous pouvons reconnaître une action analogue d'une troisième personne d'une des trois dernières conjugaisons sur un verbe de la première. Nous trouvons déjà à la fin du xii^ siècle hotmrt qui rime avec curt au vers 29 à 58 del'Ipomédon ; c'est une forme analogue que nous montre plurer qui prend très fréquemment à la troisième personnesingulier du présentdel'indicatif la îoïme. phirt, àpartir delà seconde moitié du xin"" siècle, par exemple dans Boeve vers 763.

Cette forme est surtout commune au xiV^ siècle ; elle est même à peu près la seule employée pour ce verbe. On la trouve dans Pierre de Langtoft (II, 25e, 13 la rime); I, 240, i) ; on relève aussi plourt qui rime avec sourt dans De conjuge non ducenda (au vers 148) et la même forme se trouve dans Foulques Fitz Warin (pp. 99, 100), et dans les Poèmes latins attribués à Walter Mapes (294).

Il en est à peu près de même pour demorer, Wil. Rishanger emploie demurl et deinort (p. 287, 361) et Pierre de Langtoft en a aussi quelques exemples (cf. I, 8, 21, I, 10, 12 ; I, 64, 18).

Il est probable que ces deux verbes ont subi l'influence de verbes ayant une dentale fixe comme courir ou mourir.

Une forme analogue, c'est parolt, parout qu'on lit dans les Heures de la Vierge (60 r"), et dans le Sermon en vers Deu le Omnipotent (105 b). Nous pouvons ^jouter quelques verbes isolés ou au moins assez rarement employés, salut, dans Pierre de Langtoft (II, 28, 21), nait (de neier) (Id., II, 282, 15).

Le nombre des verbes qui dans les œuvres non littéraires se pré- sentent avec une dentale sans voyelle muette n'est pas très considé- rable, le plus fréquemment employé est le verbe demorer qui se trouve sous la ïormedeniort (ou avec quelque autre voyelle au thème) d'une façon' constante. A peu près tous les textes que nous avons étudiés en montrent quelque exemple, même les plus corrects, comme le livre des Statutes ; nous n'avons même relevé aucun exemple de la forme avec voyelle muette.

Les autr es verbes ne se présentent pas sous cette forme avec la même constance, celui qui se rencontre le plus souvent après démo-

126 l'évolution du verbe en anglo-français

1er, c'est envoyer; eiivoil, par exemple est employé plusieurs fois dans les Literae Cantuarienses (1432, 408). On peut ajouter aimif qui ne se litque dans les Rymer's Foedera (1326, IV, 231).

Nous avons encore à mentionner un certain nombre de subjonc- tifs qui perdent leur e muet et gardent leur dentale : seil, ait et piiist sont fort communs évidemment (pour les deux premiers, voir subjonctifs en iant), le second est assez librement mélangé avec puisse. Les autres subjonctifs de ce genre sont exceptionnels ; citons retrait qu'on trouve à la rime dans la Chronique de Pierre de Langtoft (II, 244, 2).

II. Chute de la voyelle muette.

Il arrive, aussi, et plus fréquemment encore que certaines per- sonnes régulièrement terminées par e muet perdent cet e muet '. Ce phénomène est ancien en anglo-français, il date même de la pre- mière moitié du xii'' siècle. Le premier exemple bien assuré se lit dans l'Estorie des Engleis de Gaimar au vers 4967 ; on y trouve aquit rimant avec respit. Cette tendance à supprimer Ve final était déjà dans les habitudes desscribes de cette époque; c'est ce que nous montre le regret du scribe du manuscrit L de l'Alexis (88. c) et ajust employé au vers 917 par le scribe du Roland d'Oxford. A peu près à la date même de ce dernier exemple, covoit est d'un usage plus général ; on rencontre cette forme au vers 91 du Drame d'Adam elle est assurée par la mesure du vers: on trouve même à la rime un verbe à thème vocalique : agre rimant avec aie au vers 2895 ^^ ripomédou.

Nous n'avons plus relevé d'exemples assuré de cette forme avant lexiv^siècle ; dans les Rubriques d'Edward le Confesseur (XIV, 3), elle est assurée par la rime, coveit (: aparceit), tandis que l'auteur du poème emploie covoite (au vers 180).

Les quelques exemples précédents montrent que la chute de la voyelle muette a lieu uniquementpour les thèmesà dentale appuyée surtout chez eux qui ont perdu la consonne d'appui.

Par la suite, les exemples sont nombreux pour cette dernière classe

I. Pour !a chute de la voyelle finale, cf. Cornu dans Romanische Forschungen, XXIII, p. 1 10.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I27

de verbes. Jeter en particulier dès le xiii" siècle, prend la forme getà la troisième personne du singulier du présent l'indicatif. On en trouve de nombreux exemples dans Robert de Gretham, par exemple à la rime avec muet (au fol. 6i v°), et un autre attesté par la mesure (au fol. 43 r°). Boeve en a un cas au vers 970.

Les exemples sontspécialement nombreux dans la Plainte d'Amour, quelques-uns sont très sûrs, comme celui du vers 988 qui fait rimer get avec seet (de savoir) ou celui du vers 641 ; dans ce même poème, ceux qu'on rencontre au vers 365 et 482 sont moins assurés. Nous ne citerons pas touslescas de^^^u'on trouve au xiV' siècle, ils sont trop nombreux; Pierre de Langtoft en particulier en a plusieurs et Bozon l'emploie fréquemment (cf. Vie de Saint Panuce, 83).

A part jeter nous ne trouvons pas un très grand nombre de verbes sans la muette. On peutconsidérer comme un exemple du xiV'siècle, la graphie du scribe du Saint Edmund qui écrit abit (: descunfit) au vers 893 ; il faut lire abite : descunfite ; les exemples de ce genre sont communs. Comme forme employée par un auteur on peut citer encore dont qui se lit dans Pierre de Langtoft (II, 374, 15).

On trouve aussi un petit nombre de subjonctifs comme uict qui se lit dans l'Apocalypse (a et 3 478).

Les verbes précédents ne sont du reste pas les seuls verbes à den- tale que nous rencontrions sans muette à cette personne ; ce n'est même pas la classe qui nous fournit le plus grand nombre de cas. Et si nous voulons, pour introduire un certain ordre, classer d'après le nombre des exemples qu'ils nous fournissent les différents thèmes verbaux, nous verrons que ce sont ceux terminés par fid{t) qui arrivent les premiers ; après eux, on trouve successivement les thèmes en r plus dentale, puis les thèmes en s plus dentale. Cette distinction est assez arbitraire, et n'indique pas du tout l'ordre suivant lequel les différents thèmes à dentale ont été atteints; et même le nombre d'exemples fournis par chacune de ces catégories ne veut rien dire en soi. Si les formes sans c des verbes en nd sont plus nom- breuses que celles des verbes en si, cela n'a d'importance que si nous savons qu'il y a un nombre sensiblement égal de verbes éga- lement employés dant les deux catégories. Or nous ne le savons pas ou plutôt nous sommes à peu près convaincus qu'il y a plus de verbes en nd que de verbes en st et rt. C'est pour cela que nous n'in- sisterons pas sur ce point et que nous n'attachons pas la moindre importance au nombre des exemples que nous citons.

128 l'évolution du Verbe en anglo-i-rançaIs

Nous ne rencontrons au xii"- siècle aucune troisième personne du singulier du présent de l'indicatif des verbes en n plus dentale delà première conjugaison sans la muette étymologique. Au xiii^ siècle au contraire, les cas cet c disparaît sont très nombreux et. assurés dès le commencement de ce siècle.

En effet, c'est dans Chardri que nous rencontrons notre premier exemple; nous trouvons dans le Petit Plet (au vers 389) citniant rimant avec cumandement ; désormais mander et ses composés seront très souvent employés sous cette forme ; par exemple, elle se trouve encore à la rime, au vers 2640 du Manuel des Péchés, dans Pierre de Langtoft.

Dans le corps du vers, plusieurs exemples de cette forme sont plus ou moins assurés par la mesure; citons rapidement dans Boeve les vers 910 et 2745, dans William de Waddington les vers 2313, 6149 (A), 7875, 10256 (A et B), dans Pierre de Langtoft, II, 366, 21, dans Foulques Fitz Warin, pages 38, 103, etc.

Amender nous donne aussi un nombre respectable d'exemples, quoiqu'il ne soit pas extrêmement employé. C'est ainsi que onient se lit dant Robert de Gretham (au fol. 37 r°) ; dans les Rubriques d'Edward le Confesseur (LXI 9, fin du xiii* siècle) et ces deux exemples sont attestés par la mesure. Cranter n'est pas plus rare sans cette muette à cette personne ; nous nous contenterons de citer la rime de Pierre de Langtoft, I, 372, 8 et aussi dans le même auteur, II, 70, 14. Ce dernier auteur emploie très fréquemment présent pour présente, quelquefois même à la rime (on peut voir : I, 384, 24 ; II, 46, 20; II, 122, 18 ; II, 308, 9, etc.).

Donnons encore quelques verbes qui se rencontrent moins fré- quemment; on lit dans le Saint Edmund, au vers 1963, la rime grniiil de gronder (: frunt); dans Edward le Confesseur, une autre rime rapproche, au vers 147 1 -1472, agravent de gent ; chant se lit au vers 2896 de Boeve de Haumtone, dans Pierre de Langtoft (II, 344, 23); coiint dans les Contes de Nicole Bozon (au § 87), dans le Prince Noir (au vers 736), etc.

Comme on le voit, les exemples sont nombreux et la liste aurait pu être plus longue encore. Elle suffit à mettre en évidence ce fait que les formes sans muette à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif des verbes en ntÇd) se rencontrent assurées et assez nombreuses dès le commencement du xiir' siècle, et qu'elles

LA TROISIEME PERSONNE DtJ SINGULIER I25)

augmentent d'une façon considérable à mesure qu'on avance dans la littérature anglo-française.

Il est plus rare que Ve tombe pour les verbes de II, de III ou de IV ayant un thème en ;7/(J) à la troisième personne du subjonctif présent; on en trouve quelques exemples, mais ce phénomène appartient en propre au xiv" siècle '. Plusieurs sont assurés comme dans Pierre de Langtoft défend (II, 206, 12, à la rime) et 7-eiid (I, 414, i).

De même, quoique l'exemple soit moins sûr, coiisoit au vers 468 de la Vie de Sainte Marguerite.

La moisson de formes sans e que l'on peut faire parmi les verbes dont le radical est terminé par r suivie d'une dentale, est aussi très abondante. Nous ne citerons cependant que trois ou quatre de ceux qu'on rencontre le plus fréquemment : garder, porter, et leurs composés, recorder, conforter.

Gard est très commun, mais assez tardif; on le lit dans Boeve au vers 761, dans William de Waddington (A), au vers 4853, dans la Manière de Langage, 391 ; et très fréquemment dans les Contes de Nicole Bozon, par exemple, aux paragraphes 108, 118, 132 et passini. Nous ne l'avons pas rencontré à la rime ; mais l'exemple du Manuel des Péchés est assuré par la mesure.

Les exemples de port remontent à une date plus reculée; cette tonne est assurée par la mesure du vers 795 d'Edward le Confesseur elle est moins sûre au vers 3441 de Dermod ; quant à Pierre de Langtoft, il l'emploie fréquemment la rime : I, 352, 346; I, 130, 10; II, 30, 6, etc.); on la relève encore dans William Rishanger, 292.

Citons encore, record dans William de Waddington, au vers 3069; confort d3.ns Pierre de Langtoft (I, 208, 19).

Comme on le voit pour certains de ces verbes, la chute de ïe date du commencement du xiii"-' siècle, quoiqu'elle soit encore rare à cette époque.

Nous aurions pu ranger dans notre première classe (dentale appuyée pour laquelle la consonne d'appui disparait), les verbes dont le thème est terminé par une dentale précédée de s, cette s disparaissant, comme nous l'avons vu, vers le milieu du xiii^ siècle.

I. Cf. d'ailleurs Subjonctif en (>»/!

130 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-ERANÇAIS

Citons toutefois deux ou trois exemples de ces verbes : le ms. D de Boeve (2^ moitié du xiir s.) nous donne iast, au vers 948; et bdst au vers 2104; cette dernière forme se retrouve encore dans Pierre de Langtoft (I, 118, 8; II, 412, 9, etc.); dans ce dernier auteur, prcsl se rencontre constamment (cf. par exemple I, 142, 24, 1, 242, 9; I, ^88, 5; II, 336, 7).

irasl enfin se lit dans les Contes de Nicole Bozon, § 131, etc.

Comme on le voit, tous les exemples sont postérieurs à l'amuis- sement de s devant /.

Comme nous le disions tout à l'heure, ce sont les thèmes à den- tale qui perdent le plus régulièrement leur c étymologique; ce n'est pas que nous n'ayons un assez grand nombre d'exemples d'autres thèmes montrant à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif pour les verbes de I, du présent du subjonctif pour les autres conjugaisons, la même irrégularité. Mais pour nombreuses qu'elles soient, ces formes restent sporadiques en ce sens qu'on trouve rarement plusieurs exemples du même verbe, même dans des auteurs différents.

Cependant, le verbe donner apparaît sans e deux ou trois fois : dufi est assuré par la rime au vers 2646 du Manuel des Péchés ( : resun) ; on trouve donn dans Wil. Rishanger à la page 338, et il peut se rencontrer encore dans quelques autres auteurs du xiv^ siècle. En même temps que donn, citons quelques autres verbes dont le thème est aussi terminé par ;/ ; les exemples qui suivent sont tous tirés de la Chronique de Pierre de Langtoft : soiin (I, 358, 22); enclyii (I, 180, 17; II, 100, 19) ; sojorii (I, 456, 18). Ces trois der- niers exemples sont assez sûrs.

Les thèmes en r ne sont pas très rares dans l'^' ; l'une des formes est attestée par la rime : pJiir ( : dolur) au fol. 58 de la Genèse Notre-Dame; dans ce même poème, on rencontre siispir, ibid ; Pierre de Langtoft peut ici encore nous fournir plusieurs exemples, ainsi repair (I, 282, 8); enfin on lit âcvoitr au § 99 des Contes de Nicole Bozon.

Pour les autres thèmes, nous trouvons deux exemples que nous pouvons dater assez exactement ; le premier est os ( : purpos) au Vf rs 2066 du Manuel des Péchés ; le second est aini : claiiii au rubricateur du poème Edward le Confesseur XXXII (fin du xiii^ s.).

Pour terminer, citons deux thèmes en / et en / mouillée, pour

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 131

lesquels la date est plus douteuse : aval, dans Boeve de Haurutone^ au vers 2512, et comisayl dans Pierre de Langtoft (I^ 83, 13).

Au subjonctif, les exemples sont rares et tardifs, nous n'avons rencontré que voyl qui est très fréquent dans Pierre de Langtoft (cf. par exemple, I, 442, i; II, 212, 16).

Les thèmes en 'c sont représentés par guère de guerreier, dans Boeve, 3048 ; surtout par agre, qui se trouve à la rime dans une laisse en e fermé dans la Chronique de Pierre de Langtoft (II, i, 96, 20).

On trouve à citer un peu plus de thèmes en i : merci, dans Boeve 1379, peut appartenir au scribe; la troisième personne de crier cri est plus fréquente et elle est assurée par la rime dans cri ( : saili) qui se lit dans Dermot 2420 et par la mesure du vers dans la Chro- nique de Pierre de Langtoft (I, 358, 20) qui l'emploie aussi quel- quefois. Citons encore une forme que nous verrons assez souvent en dehors de la littérature : pri par exemple dans Wil. Rishanger (292). Nous n'avons rencontré qu'un seul thème en u, qui du reste est à la rime, mais seulement au xiv* siècle : sain, Pierre de Lang- toft (II, 92, 9).

Les thèmes vocaliques ne nous ont pas fourni beaucoup d'exemples de troisièmes personnes du singuHer du présent du subjonctif per- dant leur e étymologique ; citons oy (= audiat) qu'on lit dans l'Apo- calypse (a 190).

Dans enter, Boeve 2748, profer, Pierre de Langtoft, I, 124, 3, recover, id., I, 328, 16, nous n'avons pas chute de la voyelle muette, mais une métathèse, fréquente en anglo-français.

Comme on le voit, la chute de Ve muet à la troisième personne du singulier est devenue vers le commencement du xiv*^ siècle assez générale, en ce sens que peu de thèmes verbaux réussissent à con- server toujours intacte la forme étymologique ; cependant les exemples que nous avons cités montrent que certaines diflérences existent entre les différents verbes à ce point de vue; nous pourrons les résumer en quelques lignes :

Deux temps sont affectés, le présent de l'indicatif et le présent du subjonctif; mais pour de second temps, la chute de la muette reste relativement rare, tandis qu'elle est commune pour le premier.

Pour le présent de l'indicatif, on remarque que certains thèmes sont affectés plus tôt et plus généralement que certains autres. Les

13- L EVOLUTION DU VEKBE EN ANGLO-FRANÇAIS

exemples que nous avons recueillis montrent une réelle progression, et on peut admettre qu'elle représente exactement ce qui s'est pro- duit dans la réalité. Les premiers verbes à perdre leur voyelle muette sont ceux dont le thème est terminé par une dentale simple ou double ; pour ces verbes, la chute de la muette remonte à la fin de la première moitié du xii*^ siècle. Lorsque la dentale finale du thème est appuyée par n, r ou s, la muette ne commence à tomber qu'au commencement du xiii'' siècle. Pour tous les verbes qui précèdent, la chute de la muette est fréquente. Elle l'est moins pour les autres thèmes consonantiques ///, ;/, /', s, l et 1 mouillée ; ils perdent leur (' muet plus rarement et cela n'arrive que pendant la seconde moi- tié du xiii^ ou le xiv" siècle. Les thèmes vocaliques viennent ensuite pour la date et pour le nombre.

Quant aux quelques subjonctifs présents qu'on rencontre sans leur voyelle muette, c'est au commencement du xiv^ siècle qu'il faut rapporter les exemples qu'ils nous fournissent.

La chute de Ve atone final est un phénomène très fréquent dans la langue non littéraire ; à l'indicatif des verbes de I, comme au subjonctif des verbes de II, III et IV, ce sont surtout les thèmes en n suivis d'une dentale qui sont affectés. Dans les Statutes of the Realm, recueil les exemples sont particulièrement nombreux, nous avons relevé un nombre considérable de ces cas. Le verbe mander et ses composés en particulier se rencontrent très fréquem- ment à la troisième personne du singulier sous la forme niaund '. La forme régulière se trouve aussi, mais elle est beaucoup moins commune (13 51, I, 327; 1357, I, 346; 1275, I, 26); on pourrait dire que, approximativement, les formes écourtées sont trois fois plus nombreuses. Le verbe qui, après mander, est le plus souvent rencontré sans Vc étymologique est le verbe granter. Remarquons que, par la nature du texte, ces deux verbes sont d'un emploi très fréquent. Pour ce verbe encore, la forme courte est sensiblement plus commune que la forme normale, d'après nos calculs, grani se rencontrerait un peu plus de deux fois plus souvent que graiite. Les autres verbes en Jil, nd sont d'un emploi plus rare que ceux que

I. Maund, ou ses composés, se rencontre dans les Statutes aux endroits sui- vants : vol. I, 127s, 27; 1326 ; 1330, 264; 1350. 320. 322; 1353, 330, 333, 357 , etc. Grant est employé dans le premier vol. 1326, 255; 1351J 325, 2 fois: 1351, 326; I353> 3SO.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 133

nous venons de citer; on en rencontre toutefois quelques-uns, comme sur mont (1360, I, 370).

Tous les autres cas de chute de la muette au présent de l'indi- catif, ils sont du reste peu nombreux, proviennent de verbes ter- minés par une dentale appuyée par r comme eiiiport (1363, II, 383), ou par s, comme arrest (1353, I, 330), coiist (1357, I, 354); on remarquera du reste que ces trois derniers exemples sont sensible- ment plus récents que ceux que nous trouvons pour mander et granter.

Les autres recueils non littéraires ne montrent pas, sinon la même correction, au moins la même régularité ; cependant, ce sont tou- jours les verbes terminés par n plus dentale qui se trouvent le plus communément : spécialement, mander et granter. Ces deux verbes se lisent très fréquemment sous la forme inand, grant dans les Rymer's Foedera ': les Mem. Pari. 1305 -, dans le Liber Rubeus de Scaccario^, dans le Registrum Palatinum Dunelmense -^, etc. Les autres thèmes en d ou / appuyé sont déjà plus communs que dans les Statutes sous la forme abrégée : port se rencontre souvent dans Rymer's (1306, II, 1013 ; 1339, V, 139); dans les Mem. Pari., 1305 (§276); dans les Litterae Cantuarienses (1356, 830); dans le Liber Rubeus de Scaccario (1328, III, 886); dans le Blacke Booke of the Admiralty (1385, I, 453). On trouve encore accord, record dans la plupart de ces textes (Rymer's 1318, III, 724, Liber Rubeus de Scaccario 1323, III, 886), et on pourrait relever un grand nombre d'autres verbes de I, ayant un thème semblable à celui des précédents qui perdent à l'occasion Ve étymologique de la troisième personne du singulier.

Il n'est pas facile de rapprocher ici les textes politiques des œuvres littéraires, à cause de la différence des dates. On pourra remarquer cependant que 1'^' tombe aux verbes en n suivie d'une dentale dans les premiers textes non littéraires, et que, même à cette époque, cette chute est très fréquente.

On pourra remarquer encore que pour les autres thèmes à den-

I. 1277, II, 86; 1318, III, 724 ; 1334, IV, )94 ; 1390, VII, 677. 2- §§ 7 et passirn.

3. 886,894.

4. 1256, II, 1314 ; 1305, 61.

134 I. EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-I-RANÇAIS

taie les dates, dans les œuvres littéraires et dans les autres, coïn- cident aussi exactement que possible.

Mais ce ne sont pas seulement les thèmes à dentale qui sont représentés dans la liste complète des exemples que nous fournissent les œuvres familières, politiques et autres. Nous trouvons ici encore un assez grand nombre de thèmes en n et en r, par exemple doun dans les Early Statutes of Ireland 1320, 282, desù- qui se lit dans différents recueils (Rymer 13 16, III, 495; Literae Cantuarienses

1363, 910). Les autres thèmes consonantiques sont rares : pays (de

peser) se lit dans les Letters from Northern Registers 1314, p. 144. Citons encore quelques thèmes vocaliques : iiiercy dans les Parlia-

mentary Writs 1305, 153 ; pri qui est très fréquent dans les Memor.

Pari. 1305; par exemple §§ 113, 113, 172, envoi dans Rymer 1^14

111,495.

Ces cas sont non seulement moins nombreux que ceux que nous avons examinés précédemment, mais la chute de Ve est beaucoup moins constante; par exemple, merde sq trouve assez souvent dans les Rymer's Foedera, et prie est commun dans les Mem. Pari. 1305.

Les dates sont du reste sensiblement les mêmes que dans les ouvrages littéraires.

La chute de la muette au subjonctif est plus régulière en dehors de la littérature ; elle a lieu dans deux cas principaux seulement : dans les verbes qui présentent un thème en nd (et plus rarement en rt) ; dans les verbes qui ont une / mouillée au subjonctif. Ici les Statutes et les autres textes sont d'accord.

On trouve pour ces deux catégories du subjonctif de nombreux exemples : nous nous limiterons aux principaux : défend, se lit dans les Statutes (vol. I, 1344, 300); dans les Rymer's Foedera (1278, II, 103, 108; 1323,111, 1013; 1336, IV, 480; 1393, VII, 747); dans le Liber Albus (1334, 419); dans le Registrum Palatinum Dunelmense (13 12, II, 853).

Les autres verbes de IV en -ndre fournissent des formes sans e presque aussi nombreuses ; pour en abréger l'énumération nous ne citerons que celles qui sont employées dans les Statutes : rend (1230, I, 268); vend (1350, I, 321; 1353, I, 338), etc. Comme autre thème à dentale, nous avons par exemple départ, Statutes 1388,

11,56.

Pour les verbes qui ont 1'/ mouillée au subjonctif, les exemples

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I 3 )

ne sont pas très variés, mais ils sont fréquents. Ainsi on lit : voill dans les Statutes (1309, I, 156), dans les Mem. Pari. 1305, § 199, et dans plusieurs autres recueils. Assoil (iissoill) se trouve d'une façon très régulière dans les Rynier's Foedera : on trouve ce verbe dans la formule « Que Dieu assoill », employée chaque fois qu'un roi d'Angleterre décédé est nommé, ce qui arrive fréquemment, par exemple 1307, III, 13; 1333, IV, 566; 1367, VI, 568; 1383, VII, 416,417; 1395, VII, 798'.

Si on examine au point de vue des dates les exemples précédents, on voit que les exemples tirés des Traités de Rymer sont antérieurs à ceux qu'on trouve dans les Statutes, de peu d"années pour les radicaux qui présentent une / mouillée (commencement du xiv^ s., dans les deux cas), et d'un nombre assez considérable pour les autres (Statutes, milieu du xiV s.; Rymer quatrième quart du xiii^). De plus, si on s'en tient aux Statutes, on voit que la chute de la muette a eu lieu au présent de l'indicatif avant d'atteindre le présent du subjonctif.

Nous voyons donc qu'à ce point de vue la langue des Statutes et la langue littéraire concordent entièrement.

Nous parlerons très brièvement de ce qui a eu lieu dans les Year Books l'on peut observer un état de choses analogue. Ce sont surtout les verbes qui ont leur radical terminé par -nf, -nd qui perdent Ve muet post-tonique à la troisième personne du singulier : demaiit se rencontre dans un très grand nombre de p.issages (20 et 21 Edw. I", 12} ei passiiii), et aussi graiint, amoiint.

Parmi les autres verbes à dentale, on peut signaler porter qui nous offre souvent la forme port (20 et 21 Edsv. I", 147). Nous rencontrons aussi d'autres verbes présentant la même irrégularité : thèmes en -s comme pourchasser, ou vocaliques comme avouer, par exemple, piirchas est employé dans 30 Edward P"", 223 ; et avoiv dans 32-35 Edvv. P^ 9 ex. pas si m.

A la troisième personne du singulier des subjonctifs en ani et en îam, le même phénomène se produit et dans les mêmes conditions : il est facile de relever un certain nombre d'exemples comme remi 30 Edward \", 33; rc\poiid, dans le même recueil, p. 505 ; perd, ibid., 233; respond 31 Edward P"", 477. Les exemples sont extrême- ment nombreux dans la plupart des recueils.

I, C^omparer le verbe anglais to assoil.

î}(y l'kVOI-UTION du VERBH en AN(;LO-rRANÇAIS

Si nous considérons les dates de ces exemples, nous pouvons remarquer que les Year Books qui nous donnent le plus grand nombre d'exemples sont ceux dont nous ne pouvons fixer la date avec certitude; les autres, ils sont peu nombreux, en offrent beau- coup moins, par exemple 7(1312). Ceci est pour nous faire croire que la plupart des cas montrant la chute de cmuet sont postérieurs au xiv^ siècle.

ADDITION DUN e ATONE

Le phénomène contraire à celui que nous venons d'étudier s'observe dans un grand nombre de verbes de II, III et IV: à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif qui, pour ces verbes, se termine par une consonne, les écrivains anglo-fran- çais d'une certaine époque aiment, dans certaines conditions, à ajouter un e atone.

Nous n'avons relevé de cette irrégularité aucun exemple au Nii'' siècle. Même au siècle suivant, les exemples assurés sont rares: nous n'en avons trouvé que très peu à la rime. Citons dans le Roman de Philosophie de Simund de Freine par/c (: quarte) (au vers 938); dans le Sermon en vers Deu le Omnipotent f(W5^»/(?(:pulente) (8, b). Ces deux exemples, quoique isolés, suffisent pour nous montrer que la tendance à ajouter dans certains cas un e muet non étymologique se fait jour dès le commencement du xiii^ siècle. Remarquons encore que, comme on le voit, ces deux troisièmes personnes qui, les premières, prennent Ve irrégulier, appartiennent à des verbes dont le thème est terminé par une dentale appuyée. Ce ne sont du reste pas les seuls cas que nous ayons rencontrés dans les ouvrages de cette époque ; mais les autres, se trouvant tous à l'intérieur des vers, doivent appartenir plutôt au xiv^ siècle et sont à dire le moins discutables. Boeve de Haumtone en présente plusieurs: inette (au vers 59), départe (au vers 864); aucun n'est sûr. Dans le Roman des Romans, nous en rencontrons un autre (au vers 69) : reverte, et nous lisons mainte dans la Lumière as Lais (O. R. 1 5 D II). Ce n'est que dans les auteurs du xiV^ siècle, que les exemples deviennent très nombreux, et pour la plupart peu dou- teux : le phénomène devient plus commun, plus constant et plus assuré. Cet e irrégulier affecte surtout les thèmes à dentale, au

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I37

point que pour certains verbes comme mettre et battre, la forme avec e devient la forme régulièrement employée.

Voici pour ces deux formes quelques exemples que nous tirerons principalement de Pierre de Langtoft et de Nicole Bozon. Mette se rencontre très fréquemment dans le premier de ces auteurs (cf. en particulier I, 8, 19; I, 30, 20; I, 178, 9; I, 314, 8; I, 358, 9 et passim) tandis que met, qui du reste se trouve dans la Chronique (cf. par exemple I, 386, 23) est peu employé. Un grand nombre de ces formes irrégulières dont nous venons de donner les réfé- rences semblent assurées, quoiqu'il n'y en ait aucune à la rime. Nicole Bozon dans ses Contes et dans les Proverbes de Bon Ensei- gnement emploie mette fréquemment ; citons dans les Contes les §§ 21, 25, 132 et dans les Proverbes de Bon Enseignement O. R. 8 E XVII, 325. Nous pourrions citer encore un assez grand nombre d'exemples de cette forme tirés des auteurs contemporains.

Il en va de même pour batte qui est au xiv^' siècle d'un emploi fréquent; Pierre de Langtoft (I, 242, 17 ; I, 444, 25 et passim), Nicole Bozon (dans ses Contes, §§ 6, 7, etc.) s'en servent commu- nément; on le lit encore dans l'Evangile de l'Enfance (mss O et C), 119 c.

Perdre, sous la forme perde, n'est guère plus rare (cf. Pierre de Langtoft, I, 92, 16; II, 200, 19 ; Contes de Nicole Bozon, §§ 39, 46, 51, 117); en un mot, les trois verbes précédents prennent fort régulièrement cet e parasite dans les œuvres des écrivains littéraires du xiV siècle.

Aucun autre verbe ne montre la même régularité, plusieurs du reste sont beaucoup moins employés que les précédents. Aussi nous n'avons trouvé qu'un petit nombre de formes arde, comme dans Pierre de Langtoft (I, 242, 6) et dans les Contes de Nicole Bozon (§§ 112, 131), mais nous ne nous souvenons pas d'avoir rencontré la désinence régulière de la troisième personne du singu- lier du présent de l'indicatif de ce verbe après William de Wadding- ton. Citons encore avec l'atone pende dans Pierre de Langtoft (II, 124, 14), sourde dans les Contes de Nicole Bozon 120), transgloute dans le même ouvrage 54).

Tous les exemples précédents, comme on le voit, nous montrent l'addition de la muette aux thèmes à dentale.

Nous rencontrons un petit nombre d'exemples dans lesquels 1'^

138 l'évolution du verhh en anglo-français

s'ajoute à d'autres thèmes. Ainsi nous lisons dans Boeve de Haum- tone: riiiiipc au vers 883 (scribe); dans un poème du xiV' siècle, nous trouvons deux rimes : apere (: père), rescoue (: coue)quise lisent toutes les deux dans le poème du Siège de Carlaverok, respective- ment aux vers 28 et 73. Citons enfin voUe au présent de l'indicatif qui se trouve au § 21 des Contes de Bozon.

Par conséquent, cet c irrégulier s'ajoute principalement aux thèmes à dentale, et les plus anciens exemples pour ces thèmes remontent au commencement du xni^ siècle. Mais 1'^? ne devient commun qu'au xiV siècle et il affecte surtout certains verbes, ceux dont le thème est terminé par une dentale. Et c'est à la même époque que les autres thèmes se trouvent gagnés par l'atone.

Ce même phénomène se rencontre dans l'anglo-français politique et diplomatique, quoique il n'y ait pas la même importance ni la même régularité que le phénomène contraire (chute de Ve étymo- logique à la 3^ personne du singulier des verbes de I). Dans les Statutes, on ne peut relever d'addition d'un e muet qu'après les verbes ayant un radical terminé par une dentale ; ici encore ce sont les verbes qui ont la dentale précédée par n qui sont les plus atteints : on trouve par exemple les présents de l'indicatif suivants: apende dans le premier volume à la date de 1278 (p. 44); pciidc (1350, I, 310) ;^é;/mft' (1376, I, 398; 1381, II, 18; 1389,11,62; 1396, II, 93). Parmi les autres thèmes à dentale, on peut citer: perde (1360, I, 370), promette (1382, II, 24). Comme on le voit, le nombre des exemples augmente sensiblement pendant la seconde moitié du xiv^ siècle.

Les autres recueils de textes politiques ou diplomatiques ne pré- sentent pas la même régularité ; ce ne sont plus seulement les verbes en tui qui prennent cet e irrégulier, quoiqu'ils puissent nous fournir des exemples assez nombreux, comme appende et respounde qu'on lit dans le Registrum Palatinum Dunelmense (1302, III, 41) et passim dans les Rymer's Foedera, mais tous les autres thèmes à dentale et tous les autres thèmes terminés par une consonne ou une voyelle. Nous ne citerons que quelques-uns des nombreux exemples qu'on peut relever dans les textes non littéraires : parmi les thèmes à dentale, nous trouvons dans les Mém. Pari., 1395 : perde 49); mette 389); dans les Literae Cantuarienses sourde (1394, 965); dans les Rymer's Voedera promette (1361, VI, 345).

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 139

Nous n'en citerons pas davantage ; ces quelques exemples nous montrent que les principaux thèmes à dentale se trouvent atteints et que cela arrive dans un grand nombre de recueils. Pour les autres verbes nous énumérerons rapidement quelques formes : ciisiiyte et denioerte se lisent dans les Traités de Rymer (respective- ment 1325, IV, 157 ; 1347, V, 539). Citons encore este qu'on trouve dans les Documents inédits (1396, 282).

Tous les exemples qui précèdent ont ceci de commun qu'ils n'apparaissent qu'à une date très tardive.

Il est rare que l'addition de cet e coïncide avec la chute de la dentale, cependant on en rencontre quelques [exemples comme le coure au deuxième volume de Rymer (1300, 868) et nioeve qui se lit dans les Literae Cantuarienses (1394, 95 5)-

Pour le prétérit de estre, on trouve quelquefois à la troisième personne du singulier fiic ; mais cette forme peut n'être qu'une graphie assez extraordinaire ou une étoiirderie des scribes pour la forme très commune feu ; fue se lit par exemple dans le Registrum Palatinum Dunelmense, premier volume, p. 347 (13 13) et un cer- tain nombre de fois dans les Rymer's Foedera.

Le nombre des exemples d'e irréguliers que nous fournissent les Year Books est considérable, mais de dates peu certaines. Remar- quons toutefois que le ms. Y. de Edw. II (13 12) en présente plu- sieurs.

Ce sont surtout les verbes à dentale qui montrent cet e parasite: cette nouvelle forme est devenue la forme ordinaire pour certains verbes comme surde, rende, descende, mette, abate, ioude, chete ; on peut y ajouter este qui est plus rare (cf. 22 Edw. I^', 421 ; 1 1 et 12 Edw. III, 425) et même l'imparfait du subjonctif 'uste (14 Edw. III, 97, 215).

Les autres thèmes consonantiques peuvent être représentés par vesh, voyJe, etc.

La chute de la dentale se remarque dans die qui est très com- mun, par exemple 20 et 21 Edw. I", 181, 185; 21, Edw. P', 895, etc., dans suye (de suivre) qui ne se rencontre que plus tard, dans parfoitrnye. Ces trois derniers exemples peuvent servir à montrer qu'à l'époque les Year Books étaient écrits, la dentale finale, non appuyée par une consone, avait disparu de la pronon- ciation, en allongeant probablement la voyelle précédente.

140 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-IRANÇAIS

M. Stimming (Boeve de Haumtone, p. 183) pour expliquer les formes mette, dcparte. ruinpe que nous avons déjà citées et M. Sucliier (Reimpredigt, p.xv) pour expliquer consente, admettent un changement de conjugaison. Les exemples ci-dessus du xiii'' et du xiV^ siècle, littéraires ou non, nous montrent clairement que cette explication n'est pas recevable. Elle nous conduirait à admettre que la plupart des verbes de II, III et IV à dentale appuyée passent automatiquement et en bloc à la première conjugaison; de plus, notre étude de la première personne du singulier et les faits que nous avons exposés à propos de la troisième personne du sin- gulier du présent de l'indicatif des verbes de I nous montrent des phénomènes analogues qu'un changement de conjugaison n'expli- querait pas. Ici encore nous avons, comme nous l'exposerons dans notre seconde partie, un phénomène phonique.

DÉSINENCE ie.

Nous pouvons ranger parmi les verbes qui prennent c à la troi- sième personne du singulier ceux qui se terminent par ie '. Quelques-uns de ces verbes au moins présentent vraiment une nouvelle désinence, distincte de celle de la deuxième conjugaison inchoative. Ce ne sont pas du reste les verbes de cette conjugaison qui sont les seuls à prendre cette terminaison ; nous rencontrons aussi sous cette forme des non-incohatifs et des verbes de IV. En voici quelques exemples :

D'abord, parmi les incohatifs, nous trouvons, rimant en /, dans Pierre de Langtoft : establye (cf. I, 42, 12; II, <)G, 16 ; II, 32, 27 , dans le corps du vers les exemples sont encore plus nombreux) ; foye(ci. la rime I, 128, 21); les Contes de Nicole Bozon ne nous donnent pas d'exemple assuré; citons toutefois enmaJadye aux§§86, 1 19, etc.

Les non-incohatifs sont très peu nombreux ; nous en relevons un sous cette forme sous la plume du scribe de la Destruction de Rome : siijfrie (peut-être un prétérit ?) ; Pierre de Langtoft nous donne encore dans sa Chronique mentye (II, 282, 3); mais cet exemple n'est pas à la rime.

I. Cf. 3e personne du pluriel, désinence en i{y)i'iit, et participes passés en /(.v>.

LA TROISIÈME PERSONNt: DU SINGULIER 141'

En dehors de la seconde conjugaison, un seul verbe prend assez régulièrement cette nouvelle désinence, c'est le verbe dire. On trouve en effet die dans de nombreux auteurs ou manuscrits ; Pierre de Langtoft encore ici nous fournit un grand nombre d'exemples qui sont sûrs, car ils sont attestés par de nombreuses rimes (cf. par exemple, I, lo, 21; I, 178, 18; II, 270, 6, etc.); mentionnons encore dans le même ouvrage un composé de dire qu'on trouve aussi à la rime: inandie (II, 270, 19). Un autre verbe de IV est attesté sous cette forme par une rime dans un autre poème, la Bounté des Femmes de Nicole Bozon ; nous y trouvons en effet rye rimant avec courieysic au vers 85. On ne peut pas s'étonner de ne rencontrer sous cette forme que ces deux verbes de IV; il faut en effet pour que la désinence en ie soit possible que le thème du verbe ait / pour voyelle accentuée ; de tels verbes sont assez peu nombreux et peu employés.

Nous n'avons pas rencontré de nombreux verbes de I affectés de cette désinence dans la langue littéraire ; nous aurions pu en citer un certain nombre, tels que auuncic, jifgie, si nous avions voulu faire entrer dans notre étude la langue du xV siècle ; les manuscrits de cette époque nous fournissent un nombre assez considérable de formes comme les deux précédentes ; nous ne citerons ici que enfounàrie que nous avons relevé dans les Chroniques de Nicolas Trivet (47 v"), quoiqu'il ne soit pas bien assuré que cet exemple appartienne au \\\^ siècle.

En dehors de la littérature, le seul verbe de II ou de IV que nous ayons rencontré est le verbe dire : die n'est pas rare dans le second volume des Statuts et moins encore dans les Rymer's Foedera pour la seconde partie du xiv^ siècle.

Nous relevons encore une désinence ou plutôt deux autres dési- nences en ie en dehors de l'indicatif présent ou en dehors des deux conjugaisons que nous venons de citer. Un certain nombre de verbes de I montrent cette syllabe à leur troisième personne du singulier du présent de l'indicatif ou du subjonctif : les composés du verbe nuncier sont spécialement réguliers. Nous lisons par exemple dans le Black Book of the Admiralty : promiucie sous la date de 1291; c'est, du reste, la forme de ce genre la plus ancienne. Reniincie se rencontre deux fois sous la même date (1357), dans les Rymer's Foedera (VI, 50) et dans les Actes du

142 L EVOLUTION DU VliRBE EN ANCILO-FRANÇAIS

Parlement d'Ecosse (I, 520). Et il serait possible de citer un plus grand nombre de cas analogues pour ce verbe.

Comme autre verbe de I, citons occiipic qui se trouve dans le ■second volume des Statutes, p. 35, sous la date de 1383.

Enfin, nous trouvons encore une troisième classe de ces dési- nences dans les subjonctifs pour lesquels la consonne finale du radi- cal est une consonne mouillée, veoillie "et voillie, de vouloir, sont employés dans le Black Book of the Admiralty (1291, 18, 30 et 42); ayJliese trouve dans le même recueil de textes (1291, II, 30). Enfin un verbe qui a un subjonctif en am mais qui prend le plus souvent une lettre mouillée à ce temps (cf. sub.), prendre, se rencontre à la troisième personne du singulier sous la forme préi- gnie dans les Rymer's Foedera à l'année 1328 (IV, 340). Il est pro- bable qu'ici 1'/ ne sert qu'à indiquer la mouillure de la consonne précédente ; cependant, il arrive aussi que ïe muet disparaisse com- plètement et on peut se demander quelle valeur attribuer à cet / qui reste seul. Lui donnera-t-on la valeur d'une muette, ou lui laissera-t-on sa prononciation ordinaire ? La forme voillit se trouve, assez rarement du reste, dans les œuvres non littéraires, par exemple dans les Statutes (vol. I, p. 102, 1285).

Les terminaisons en ie sont donc bien assurées à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif ou du subjonctif de certains incohatifs, de deux verbes de IV, dire et rire, et de plu- sieurs verbes de I.

Ces exemples datent tous du commencement du xiv<= siècle.

Il en est de même pour les subjonctifs que nous avons cités en dernier lieu.

On pourrait être tenté de considérer tous les exemples que nous avons énumérés comme représentant tous la même forme d'une désinence nouvelle. En réalité, nous avons affaire à trois phéno- mènes entièrement distincts. Les quelques exemples que nous a fournis la langue littéraire forment seuls ce que nous appelions la nouvelle désinence en ie et nous voyons que cette désinence affecte uniquement les verbes dont la troisième personne du singu- lier du présent de l'indicatif est terminée régulièrement par //. De ces verbes, seul le verbe dire se rencontre sous la forme die dans les œuvres non littéraires.

Vi a une origine toute différente dans les deux autres cas : pour

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I43

voillie, ûillie, preignie Vi est purement graphique : ////", igni ne sont que des graphies, l'anglo-français en connaît encore beaucoup d'autres, des lettres mouillées / et n ; 17 n'y fait donc pas partie de la désinence.

Quant à rcnoHcie et aux formes analogues qui appartiennent sur- tout au xV siècle, nous avons encore un phénomène tout diffé- rent ; ici 1'/ provient de l'infinitif. Nous verrons, quand nous étudie- rons ce mode, qu'cà une certaine époque, l'anglo-français a retrouvé les terminaisons en ier, mais elles n'ont pas toujours été employées avec les verbes qui l'avaient étymologiquement ; et, ce qui nous intéresse ici, 1'/ a été souvent ajouté à des personnes qui n'y avaient aucun droit. C'est ce qui nous explique les quelques formes que nous citions plus haut et d'autres analogues.

GRAPHIES DE l'aTONE FINALE

La langue littéraire écrit toujours l'atone finale à la troisième personne du singulier, tout au moins dans ces auteurs que nous avons étudiés, par e ; il n'en est pas de même pour la langue non littéraire qui emploie un nombre assez considérable de graphies différentes.

Mais aucune de celles que nous allons citer, n'a la moindre fixité; toutes sont sporadiques, et dans certains cas, nous pourrions sup- poser que telle graphie extraordinaire n'est qu'un lapsus calami si nous ne savions pas par ailleurs que l'on rencontre dans d'autres formes du verbe et pour d'autres mots ces mêmes graphies employées d'une manière plus constante pour représenter la voyelle atone.

Au présent de l'indicatif, nous trouvons que l'atone s'est très bien conservée dans le cas elle subsiste, aussi bien que pour ceux elle a été ajoutée. Signalons seulement la graphie ee qui n'est pas très rare et se rencontre par exemple dans les Statutes, vol. I, p. i6i (13 II) Çsoefree).

On trouve en outre dans Rymer : ey, comme dans dcmorgcy, à deux années d'intervalle, en 1300 (vol. II, p. 868) et en 1302 (vol. II, p. 913), ou encore la diphtongue ou qui est employée deux fois dans ce dernier recueil : jaissoiit (1357, VI, 10); piiissotit (id., ibid.). La graphie co même se trouve un certain nombre de

144 L EVOLUTION' DU VERBE EN ANGLO-I-KAKÇAlS

fois dans les Statures pour le subjonctif du verbe faire: faceo se ren-^ contre trois fois dans les Statutes de l'année 1285, une première fois à la page 102, les deux autres p. 103.

I. Troisièmes personnes du singulier en a.

Quelques verbes se rencontrent en français ancien et moderne qui ont la troisième personne du singulier terminé par a : le prin- cipal de ces verbes est le verbe aller, et nous allons examiner quelles ont été les formes que ce verbe a prises à la troisième per- sonne du singulier.

La forme régulière et étymologique est vait ' et pendant un cer- tain temps, c'est la forme qui a prévalu en anglo-français. Il est inu- tile de citer tous les cas cette forme si commune se rencontre, qu'il nous suffise d'en mentionner quelques-uns: Cumpoz, 355, Brandan, 153, Adgar XIII, 49, Tristan (: fait), 21, etc; cette dernière rime se trouve encore au vers 317 de la Vie de Sainte Catherine.

La diphtongue est écrite par ei dans l'Estorie des Engleis veit (: feit) au vers 1774, ce qui du reste provient assurément du scribe ; la même rime sous la même forme se retrouve dans la Vie de Saint Gilles au vers 603 et au vers 1513 veit rime avec Icit de laisser.

On trouve aussi dans le Sermon en vers de Guischart de Beau- liu, vait (vadit) : fait (facit) : trait (trahit): lait (laxat) : estait (imparf.) : esmait (3'' personne du singulier du présent du subjonc- tif) : plait (placitum), etc., vers 67-78. Frère Angier emploie de même cette forme que nous lisons, par exemple, 139 a 35. On trouve cependant quelquefois veit rimant avec une diphtongue ei dont le premier élément est un e fermé. Cette rime se trouve dans Robert de Gretham qui est cependant un rimeur scrupuleux (pour un écrivain anglo-français) ; veit (: beneit) au folio 22 v^ ; une rime de la même nature se trouve encore au vers 783 du Saint- Edmund : veit y rime avec dreit et cette dernière se lit encore au vers 783 du fragment d'une traduction de la Bible (Rom. XVI, p. 183 sqq.). Mais les rimes de ce verbe avec fiiit, trait, etc., restent toujours les plus nombreuses.

Une troisième variante de cette première forme, c'est la graphie vet ; on la trouve par exemple dans Adgar (V R, 103); elle devient

I. Pour voit, cf. Mussafia, Zeitschrift, 1,409.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I45

dès lors de plus en plus commune, elle rime en e ouvert comme dans la rime vet (: set = septem) au vers 3847 du Saint Edmund. Certains auteurs (ou scribes) emploient concurremment les trois formes ; c'est ainsi que dans Simund de Freine, nous trouvons : vait, Saint-George, vers 106; veit, ibid., vers 804; vel, Roman de Philosophie, 1137; une ou deux de ces formes peuvent appartenir au scribe. Nous n'avons pas pu relever dans un même poème des exemples assurés par la rime de ces trois formes, mais elles sont librement mélangées après le Saint Edmund (que nons plaçons dans le second quart du xiii^ siècle).

Au xiv'^ siècle, nous rencontrons une quatrième forme plus curieuse qui, dans la deuxième moitié du siècle, devient très com- mune ; la diphtongue analogique ei suit l'évolution de la diph- tongue ét3'mologique ei et devient oi : voit se trouve par exemple dans Foulques Fitz Warin (p. 99), dans le ms. B (1350) de l'Ipo- médon (vers 1301) et n'est pas rare dans les Rymer's Foedera après 1330, ni dans les Year Books ; mais cette forme n'apparaît jamais à la rime dans les œuvres littéraires.

Sous une forme ou sous une autre, la troisième personne du singulier d'aller dérivée phonétiquement de vait persiste donc pen- dant toute la littérature 'anglo-française.

La forme va a cependant fait son apparition assez tôt : le pre- mier exemple assuré que nous ayons rencontré se lit dans l'Estorie de Gaimar : on la trouve dans deux endroits :va (:trovad), au vers 4009 et (:saluad) 5804 ; Adgar nous en offre au moins un cas (: ad) I R 20 et la même rime se retrouve au vers 588 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence. Nous pouvons en signaler aussi dans la Vie de Saint Gilles deux exemples qui ont échappé à Gaston Paris {cï. Introduction de Saint Gilles, p. xxx) ; on lit en effet va (:ca) 18 18 et (: suna)25 3 .

Dans Chardri, on ne trouve jamais va à l'intérieur du vers ; à la rime, cette forme existe, quoiqu'elle ne soit pas la plus commune. Comment peut-on expliquer cette distinction ? Chardri considé- rait-il cette forme nouvelle comme moins correcte ou moins litté- raire que ve(jy puisqu'il ne l'emploie que lorsque la rime l'y oblige? On trouve va à la rime avec cJmnta dans Josaphat, vers 873, avec despcça dans le même poème, vers 2354; et avec tniva au vers 1061 des Set Dormans. Dans Simund de Freine, cette même

10

14^^ I. 'ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

tonne ne se trouve employée qu'en interrime et n'est peut-être pas imputable à l'auteur ; elle est moins commune que veit.

Va se trouve aussi dans Robert de Gretham, mais est relative- ment peu répandu ; on peut citer va (:a) au fol. i6 v". Va est assez employé au xiv" siècle: on peut citer parmi les formes assez nom- breuses qu'on rencontre: dans Pierre de Langtoft I, 80, 36 cette forme est à la rime et passiiu. Il est à remarquer que le ms. B de cette chronique (ce ms. date de la seconde moitié du xiv^ siècle) contient va très souvent. Dans la Bounté des Femmes de Nicole Bozon, on la trouve encore à la rime avec verra au vers 15e et dans le Prince Noir avec conta au vers 2486. Comme on le voit, va n'est pas rare en anglo-français et cependant il n'a jamais été aussi souvent employé que la forme étymologique qui a persisté et qui a été en faveur autant ou plus que la forme analogique.

Ce qu'il faut surtout remarquer, croyons-nous, ce sont les lents progrès que cette forme a faits tout d'abord. Le premier exemple assuré que nous ayons est antérieur au milieu du xii^ siècle et au commencement du xrri% comme nous le montrent les exemples de Chardri, les écrivains un peu soigneux ne l'emploient guère que quand ils ne peuvent pas faire autrement ; nous en dirions presque autant de Robert de Gretham, qui date du second tiers du même siècle ; en tout cas il est évident que ce n'est qu'au xiv^ siècle que cette forme devient vraiment usuelle. C'est du reste aussi la période pendant laquelle les écrivains sont le moins regardants.

En dehors des ouvrages littéraires, va n'est pas très employé : nous ne pensons pas en avoir rencontré d'exemple dans les Sta- tutes ; il y en a quelques-uns dans les Rymer's Foedera et dans quelques autres recueils, mais la forme étvmologique est soit la seule emplovée, soit la forme habituelle.

Pour le verbe ester, nous trouvons les deux mêmes terminaisons fondamentales, quoique les formes que ce verbe prend à la 3^ per- sonne du singulier du présent de l'indicatif soient beaucoup moins variées que pour aller. Tout d'abord ester fait ordinairement à la troisième personne du singulier estait ; nous rencontrons unique- ment cette forme au xii^ siècle dans la langue littéraire ; elle est à cette époque assez fréquente et est employée par l'auteur de Saint Brandan au vers 1477 ; les Psautiers d'Oxford et de Cambridge l'emploient aussi. le premier, psaume 102, 12, le second. 118,90;

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I47

dans le Tristan de Thomas nous Tavons plus d'une fois à la rime ; elle rime par exemple avec ait au vers 1122. Saint Gilles la fait rimer avec /fl'/7 (de laisser) au vers 1985. En dehors des rimes nous la trouvons plusieurs fois chez Gaimar, dans Horn au vers 1023; dans les Quatre Livres des Rois, II, 18, 29... à l'intérieur des vers 1787 et 2010 du Tristan de Thomas.

Esta n'est pas rare même à cette époque ; mais on peut faire ici la remarque que nous avons déjà faite à propos de va dans les poèmes de Chardri. Gaimar, qui présente un certain nombre de formes esta à la rime, n'emploie jamais que estait lorsque les néces- sités du vers ne le forcent pas à prendre une terminaison en a. C'est ainsi que nous trouvons dans cet auteur «f^rt? rimant avec ad au vers 2832 : on le rencontre dans le corps du vers ou en interrime dans le poème de Horn aux vers 5 27, ,5 38, 1022, il est peut-être au scribe, comme dans le corps du vers des Légendes de Marie d'Adgar XXVIII, 257 et passini.

Après le xii'' siècle cependant, la seule forme employée est cette forme en a ; malgré tout, on peut dire qu'elle n'est pas très fré- quente : cela tient à ce que ce verbe est déjà en train de disparaître. Voici les quelques exemples que nous avons relevés : au folio 75 du Saint Julien, il se trouve dans le corps du vers ; il rime avec passera au tolio 62 r" des Heures de la \^ierge, on le trouve en interrime dans William de Waddington cj/tz : aresta vers 3286, et dans le corps des vers 3687, 6792 ; citons enfin Pierre de Langtoft, I, 428, 8 ; et Foulques Fitz Warin, p. 93. La dernière rime pro- bante en a que nous ayons rencontrée se lit dans l'Evangile de l'Enflince, mss. O et G, strophe 172, vers d.

Aresler enfin qui prend assez souvent la forme en a connaît aussi et assez, tôt la forme analogique : aresie (: tenpeste) Robert de Gretham 107 v".

En dehors des œuvres littéraires la troisième personne du singu- lier du verbe ester est d'un emploi assez rare ; le Liber Custumarum la donne au moins une fois sous la (orme estet, à la date de 1302, p. 1)0. On trouve fréquemment esta dans les Year Books (cf. par exemple 20 et 21 Edw. F'', 179 ; 31 Edw. F'', 349; Eyre of Kent 13 13, III, 159; II et 12 Edw. III, 133; 12 et 13 Edw. III, i8i)- mais cstef se trouve (dans ce dernier recueil, p. 186).

148 l'kvolution nu vhrbe en anglo-français

II. Lf thème a la troisième personne du singulier.

Les changements que subit la vov.elle du thème à h troisième personne du singuHer sont nombreux et importants.

Nous avons toutefois à faire une distinction entre les modifica- tions phoniques qui ne sont spéciales ni à cette personne ni au verbe et celles qui ne se rencontrent qu'à la troisième personne du singulier. Les premières ne nous intéressent pas ici, les secondes appartiennent seules à notre sujet. Mais cette distinction n'est pas toujours très facile à faire : dans les pages qui suivent on trouvera évidemment beaucoup de formes dérivant des formes étymologiques par une évolution régulière, cette évolution a pu être plus générale que nous ne l'imaginons ou qu'on ne l'a reconnu jus- qu'ici.

Cela en particulier est vrai des formes très nombreuses que prennent les verbes pouvoir, estovoir, vouloir. Cependant nous n'avons pas cru devoir les passer sous silence.

Nous omettrons donc surtout les modifications les plus générales et les plus connues : le passage de /// à 11 ; celui de ie à £■ et à / (jient, tent, tiut); celui de oc à. 0 et à u {proeve, prove, pruve...^ -^^le passage de (7 à ûieth i (oitreie, otlrnic, ottn'e) eic...

Mais pour les modifications qui restent, une autre difficulté se présente : nous ne devons parler ici que de celles qui atteignent la troisième personne. Celles que nous trouvons à une autre personne du même temps ou du même mode seront étudiées à ce temps ou à ce mode. Il est encore possible que, faute d'exemples à d'autres per- sonnes, nous ayons attribué à la troisième ce qui aurait appartenu à tout un temps ou tout un mode.

Nous ferons donc tous nos efforts pour bannir des pages qui suivent : i" toute question purement phonique ; toute question qui peut être plus générale.

Mais nous n'oserions pas affirmer y avoir complètement réussi.

Les différents points qui vont maintenant retenir notre attention sont les suivants :

a) La consonne finale du thème ;

b) Allongement de la voyelle thématique ;

c) Abrègement de la voyelle thématique ;

d) Pouvoir, estovoir, vouloir.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I49

a) La consonne Ji nu le dn thème.

Les moditications subies par la consonne finale du thème sont peu nombreuses et peu importantes, si nous négligeons celles qu'on peut observer à d'autres personnes.

La présence d'une lettre mouillée {pregii, siège de Carlaverok vers 26, renieign i et 2 Edw. II, 7) sera étudiée plus tard.

Signalons simplement l'apparition de la consonne latine dans escript (Nicolas Trivet 16 r°).

b) Allongement de la voyelle thénialique.

Ce phénomène qui appartient au xiii'' et au xiv^ siècle, n'atteint jamais qu'un nombre très restreint de verbes.

L'allongement prend différentes formes; ou bien la voyelle du radical est redoublée, ou bien elle se diphtongue, ou encore une autre voyelle s'ajoute à la voyelle étymologique.

Les thèmesqui redoublent la voyellesont ceux dont la partie voca- lique est un e ', soit étymologique, soit dérivé ; et parmi ces verbes c'est savoir qui nous donne le plus grand nombre d'exemples. Seet est commun et date probablement de la fin du xiii^ siècle; nous le rencontrons au vers 690 du Saint Auban, au vers 9 5 du Manuel des Péchés et passim; dans Walter de Bibblesworth (144) ; dans Pierre de Langtoft (I, 70, i et passim) ; dans Nicolas Trivet (48 r°), au vers 45 de la Geste des Dames. Cette liste n'épuise ni les exemples qu'on peut trouver, ni les auteurs qui ont employé cette forme. Disons encore qu'elle est très fréquente dans les Year Books {ci. ^3 et 35 Edw. I", 55 ; 3 Edw. II, 66 etc.).

De la même façon faire donne quelquefois fect, mais dans des textes assez récents, comme Walter de Bibblesworth (145) et dans quelques Year Books ; de même choir au xiv= siècle prend la forme cheet par exemple dans Pierre de Langtoft (I, 380, 24); laisser qui, à la même époque, apparaît sous la forme lest devient leesl dans le même auteur (I, 86,8 ; I, 380, 13); cette dernière forme est assez rare ; nous n'en avons trouvé d'autre exemple que dans la langue légale.

I. Phénomène phonique bien connu. Cl". Suchiei'j Voyelles toniques, p. 33.

150 I. KVOLrilOX DU VERBE l'X ANGLO-IKAXÇAIS

/V(7 pour l'i'il, vct estime forme du même genre ; on la rencontre au vers 2917 du poème d'Edward le Confesseur, et elle provient assurément du scribe.

D'autres verbes apparaissent encore à l'occasion avec ce double c, comme .VéV//; de seoir dans l'Apocalypse (a, 352) et une forme un peu différente ^^.(^(7/5/ qui se trouve au vers 589 du Saint Auban.

Ces mêmes formes se rencontrent de temps en temps en dehors de la littérature ; citons encore un exemple que nous avons relevé dans les Year Books et nulle part ailleurs : seert {ij et 18, Edw. III, p. 263). Il n'y a donc qu'un nombre restreint de verbes à redoubler la voyelle thématique e ; les cas que nous avons relevés dans les œuvres littéraires doivent pour la plupart être attribués aux scribes ; quelques-uns, comme scel (savoir), peuvent donc dater de la fin du xiii"' ou du xiV siècle : il est probable que les autres ne remontent pas plus haut que le xv^

Les exemples sont beaucoup plus rares, exceptionnels même, lorsque la voyelle thématique est autre que e. La voyelle a se trouve répétée dans aa qui se lit dans le Sermon en vers, Deu le Omnipo- tent (35, d); les Documents inédits (1346, p. 81) et dans quelques autres endroits '.

Dans les mêmes conditions, la voyelle / est redoublée, à notre connaissance, dans trois exemples qui tous se lisent dans le Saint Auban : viit (vivit) au vers 3 60; dcspiit :xu vers 646, cheriit au vers

655.

Autant que nous en pouvons juger, la voyelle redoublée ne compte que pour une syllabe-.

L'allongement du thème par redoublement de la voyelle théma- tique n'a donc pas eu une très grande importance ; il est certaine- ment assez tardif.

Le nombre de cas de diphtongaison que nous rencontrons est plus petit encore ; mais plusieurs de ces cas sont certainement très anciens. Ici encore, c'est le verbe savoir qui nous donne le plus grand nombre d'exemples ; seit se lit déjà dans le Psautier d'Oxford (72, II); dans l'Estorie des Engleis cette forme se rencontre à dif- férentes reprises, par exemple aux jvers 4598 (R) et 3221; le

1 . Cf. au prétérit pcissad, Nicolas Trivet, 8 r".

2. Cf. Infinitif en -(Yr.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I5I

Tristan de Thomas nous la montre au vers 1209. Mais seule la forme que nous lisons dans le Psautier d'Oxford nous assure de l'existence de la diphtongue au xii^ siècle ; nous n'avons relevé à cette époque aucune rime, et les rimes que nous trouvons posté- rieurement ne prouvent plus rien, puisqu'alors la diphtongue ei rimait en f ouvert. C'est surtout entre 11 50 et 1250 que cette forme nous a semblé être le plus employée et nous avons trouvé dans les auteurs écrivant à cette époque un très grand nombre d'exemples. A partir de la seconde moitié du xiii'^ siècle, elle devient plus rare, quoiqu'on en trouve encore plusieurs cas, jusque dans les Contes de Bozon (cf. § 132). C'est cette diminution du nombre de ces formes qui nous a permis d'attribuer dans la majeure partie des cas aux auteurs même les formes avec diphtongue que nous avons rencontrées.

Par analogie avec seit (ou fûit,feit}\ les écrivains anglo-français ont employé beit de haïr, que nous rencontrons par exemple dans l'Évangel Translaté, au folio 87 r°.

Quelques autres ouvrages du xii^ siècle nous montrent pour le verbe savoir une autre diphtongue : ie. Nous ne pouvons douter que cette nouvelle forme soit aussi ancienne que la précédente puis- qu'on la trouve déjà dans le Psautier d'Oxford (9, 30 ; -| 6, 8 ; 98, I...) elle est plus commune que set ou que seit. Cependant les autres textes de la même époque ne nous ont donné aucun exemple bien assuré de cette forme ; il est vrai que certains poèmes nous la montrent, comme l'Estorie des Engleis au vers 4598 ou le Tristan de Thomas aux vers 984, 1 109. Mais elle semble employée seule- ment par certains scribes ; l'exemple de Gaimar se trouve en effet dans le manuicrit H (xiv^ siècle), ceux du Tristan dans le fragment de Turin (T', vers la fin du xiii* siècle). Ce n'est guère que vers 1250 que nous avons relevé des exemples vraiment nombreux de cette forme. Siet se lit par exemple dans le Siège de Carlaverok au vers 4; dans les Chroniques de Londres sous la date de 1327, page 60; dans Foulques Fitz Warin, à la p. 38; au vers 2925 de la Chronique du Prince Noir et dans un grand nombre d'autres ouvrages de la même époque. Du reste les œuvres 4ion littéraires nous montrent fréquemment siet ou sciet.

Un petit nombre d'autres verbes se rencontrent aussi avec cette diphtongue : chief ' se trouve emplové plusieurs fois dans le Manuel

I. Cette forme n'est régulière qu'en apparence. Au xiii'-' siècle»' c.idit » est repré- senté par chel.

1)2 L EVOLUTION DU- VERBE EN ANGLO-EKANÇAIS

de Pcclics de William de W'addington et parmi les termes ana- logues, on peut citer hiet de haïr au vers 2536.

Tous ces changements dans la forme de l'élément vocalique du thème sont assez naturels ; il y en a d'autres qui pourront sembler plus extraordinaires. Ainsi, la diphtongue eo se rencontre dans un assez grand nombre de cas ; nous verrons plus tard que pouvoir, estovoir, vouloir se présentent assez communément sous cette forme. Quelques autres verbes de III la prennent aussi, comme cheot de choir ' qu'on trouve à une date très reculée dans le Voyage de Saint Brandan au vers 1156; s col {de savoir) dans les Contes de Nicole Bozon, 34 ; nicol dans le Year Book 3 Edw. II, à la page 181.

Il faut du reste observer que pcot, esleot, iiieot, veot dérivent de formes étymologiques, comme nous le montrerons tout à l'heure ; cheot et scot sont des formes analogiques irrégulières.

L'addition d'une voyelle parasite est un phénomène peu différent de la diphtongaison ; répétons ici encore les trois exemples de Frère Angier que nous avons eu déjà l'occasion de citer et qui se lisent tous les trois dans les Dialogues Grégoire le Grand (cf. Timo- thy Cloran, p. 43), placsl 71, c. 51, taest 48, c. 24, Iraest ji,c. 24. De la même sorte est sael de savoir qui se lit dans le Saint Auban au vers 1568 et est surtout commun dans les Year Books, tandis que seiet (même verbe) provient plutôt de seet avec une insertion d'un / pour corriger l'hiatus ' ; cette dernière forme se lit dans les Statutes (1267, I. 198, 307).

Aer de ardre dans Otinelvers 38, pleieiit dans les Early Statutes ot Ireland 1285, 50 nous semblent plus difficiles à expliquer.

c) Simplification de la voyelle du thème.

Ce phénomène est encore plus rare et se produit plus tard que celui que nous venons d'étudier : il se trouve dans des verbes que nous avons déjà mentionnés : laisser qui donne Ict pour lait, tenir et venir ont fréquemment au présent titii et vint au lieu de tient, vient, par exemple dans les Heures de la Vierge aux folios 60 et

1. Cf. Suchicr, Grammaire, § 28 c, p. 79.

2. S'il y a hiatus, il faut admettre que les deux voyelles se prononçaient sépa- rément.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I53

6r r°. Dans les Statutes et ailleurs on trouve aussi et. plus commu- nément pour ces deux derniers verbes teiit et veut. Mais ces modifica- tions phoniques ne sont pas de notre ressort et nous nous conten- tons de les indiquer en passant.

Nous verrons plus tard des cas analogues de simplification de la voyelle du thème pour pouvoir, estovoir, vouloir.

d) Pouvoir, estovoir, vouloir.

Nous trouvons pour ces trois verbes un nombre considérable de formes qui dérivent toutes phoniquement de la même origine, ou tout au plus de deux origines différentes.

Nous pensons, quoique cela ne soit pas exactement notre sujet, devoir les indiquer très brièvement, car elles diffèrent parfois les unes des autres à un tel point qu'il est difficile de reconnaître en ces formes le même temps et la même personne du même verbe. Nous commencerons par pouvoir; nous verrons en même temps que les difterentes formes de estovoir correspondent presque une à une à celles que nous aurons citées ; quant à celles de vouloir, on ne trouve pas une grande différence entre elles et celles des deux autres verbes. L'examen de ces trois verbes aura au moins cette utilité qu'il montrera toutes les formes possibles de la troisième personne du présent de l'indicatif des verbes de III.

La forme ancienne et correcte piiet, cstuet n'est pas très com- mune en anglo-français ; on la rencontre un petit nombre de lois au xii^ siècle, par exemple dans le Psautier de Cambridge (ii8, 92 etc.), dans Fantosme (770), dans Thomas (vers 89, 2637), dans Adgar (xix, 41), dans Saint Gilles (683); elle devient assez rare au xiir siècle, et nous n'en avons relevé aucun exemple dans les textes littéraires du xiv^ siècle. Cependant les textes politiques et diplomatiques de la même époque la présentent quelquefois, et le dernier exemple que nous en ayons encore rencontré se lit dans les Rymer's Foedera dans un traité de 1390 (VII, 783) elle se trouve répétée plusieurs fois. Cette persistance des anciennes tormes et, comme le montrera ce qui suit, le curieux mélange de formes d'âges différents est bien caractéristique de l'anglo-français.

Poet est plus commun; on trouve cette forme dans le Saint Bran- dan (1633), dans l'Alexis (ms. A, 203 d), dans Thomas (2928) et

1)4 L EVOLUTION DU- VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

dans la plupart des auteurs du xii"-" siècle. Elledure jusqu'auxiv"^ siècle et est très répandue dans les ouvrages non littéraires les plus cor- rects, par exemple dans les Statutes (1275, I, 37, etc.). Pot se trouve dans les ouvrages anglo-français les plus anciens, elle est même plus répandue que poel déjà au xii^ siècle, mais cela peut provenir des scribes. En effet pendant très longtemps on ne la trouve qu'à l'intérieur du vers et en interrime avec estot; la pre- mière rime probante que nous ayons rencontrée date du xiii^ siècle. C'est estot (: ot) dans Robert de Gretham 29 r°. On pourrait donc admettre que la plupart des exemples que nous rencontrons anté- rieurement à ce dernier sont le fait des scribes; mais comme le Cumpoz (vers 63), le Bestiaire (vers 717), Gaimar (vers 269), Tho- mas (vers 89) en ont des exemples, nous sommes forcés de reculer la date de l'apparition de cette forme jusqu'au milieu du xii'^ siècle; la difficulté subsiste donc. Comment se fait-il que, entre 11 50 et 1200, nous ne trouvions que des interrimes et que nous n'ayons jamais une de ces formes rimant avec les prétérits en /// classe I, ou les imparfaits de la T"^ conjugaison ? Il est à croire que Vo de ces deux formes n'est d'abord pas un 0 qui puisse rimer avec Vo de anwt ou de ot ; ce n'est qu'une graphie qui équivaut ou à peu près à oe.

Après le commencement du xii*" siècle, du reste, ces deux formes (^pot, estot^ semblent devenir assez rares; elles sont sporadiques. Quoiqu'on puisse encore trouver pot au xiV^ siècle, par exemple dans les Mem. Pari. 1305, § 126.

Les trois formes que nous avons vues jusqu'ici sont régulières; il s'en trouve d'autres, dès lexii^ siècle, qui le sont moins et qu'il est plus difficile d'expliquer ; telles sont : peot (cf. Suchier, Voyelles Toniques, page 78, § 28 c) qu'on trouve dans le Brandan au vers i 5 , et qui dure jusqu'au xiv^ siècle (cf. par exemple les Contes de Nicole Bozon, § 8, etc . ) ; f.v/t'O/ au vers 16 du même Brandan et qu'on peut aussi bien que peot, avec lequel il rime, attribuer au scribe (date du ms. II 67); cette forme peut d'ailleurs n'être qu'une graphie de ne, oe. Les ïovmes pont, Brandan 245 (peout Nicole Bozon, Contes, § 19), estoui, Brandan 246, dérivent peut-être de celles qui pré- sentent eo, à moins que, comme ont habuit, avait donné ot avec lequel il coexista pendant longtemps, on n'ait admis que la forme pot supposait une autre forme pont ; toutes les formes précédentes

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 155

peuvent donc être ramenées plus ou moins directement à celle qui a la diphtongue étymologique.

Nous trouvons, toujours dans certains textes du xii*^ siècle, une autre série de formes qui ne peuvent pas s'expliquer de la même façon : celles qui ont leur point de départ dans la ïorme poil ou puit- Ces deux diphtongues qui en anglo-français sont équivalentes (cf. Suchier, op. cit., p. 6), § 24) proviennent peut-être, mais d'une façon assez obscure, de la forme oe; plus vraisemblablement, elles se rattachent au subjonctif /)t?m^ (cf. Subjonctif).

Elles ne sont pas rares même au xii^ siècle, quoique nous préfé- rions les attribuer aux scribes du siècle suivant. C'est ainsi, pour ne donner que quelques exemples, qu'on trouve puit, estiiit dans Tho- mas (aux vers 2637 et ^ij), puist dans les Parliamentary Writs (1298,318); dans les Rymer's Foedera (1312,111, 369 etc.), dans le Year Book 13 et 14 Edw. in(p. 349).

Pour la forme en oi on trouve poit, estoii dans le Brandan (vers 1376), dans le Saint Gilles (au vers 3140). Au xiii'' siècle, elle se rencontre dans la Plainte d'Amour (au vers 230), etc., etc., et elle est employée jusqu'à la fin du xiv^ siècle, par exemple dans Nicolas Trivet (5 r°).

La première de ces deux formes, celle qui contient la diphtongue ni, a donnée phénomène phonique bien connu de l'anglo-français, u ' comme dans put, estiit qui se trouvent dans le Psautier d'Oxford (54 13); dans Thomas (94, 1064); Gaimar (1839); Adgar (XXI\', 23), etc., et qui sont extrêmement communs dans les Year Books, mais relativement rares dans les recueils politiques et familiers les plus corrects (comme Jean de Peckham ou les Statutes).

Telles sont les principales formes que la troisième personne du singulier de ces deux verbes est susceptible de prendre. Il y en a plusieurs autres qui n'ont ni l'importance ni la généralité de celles que nous venons de passer en revue.

Nous pouvons signaler les formes curieuses : pet - dans William de Waddington (3603, et passiiii dans A), dans l'Evangile de l'Entance (mss. O et C, strophe 77, vers d). Pet est surtout com-

1 . Cf. Suchier, Grammaire, 65, V 24 h : 11 peut du reste provenir aussi de w ; cl. id.,.ibid., p. 79, §28 c.

2. Pour pet, d. Suchier, op. cit., p. 79, ;' iHc.

156 l'évolution du verbe en anglo-françals

niun dans les Year Books, on peut en trouver des exemples dans 20 et 21 Edw. !"■, pp. 233, 237, 241, 25 1, etc. ; /?(7/t'/ est aussi relativement fréquent dans la langue légale ; on rencontre cette forme dans 12 et 13 Edw. III, m, 289, etc.

La graphie moderne se rencontre enfin dans la première moitié du xiV-' siècle pour les oeuvres littéraires, par exemple peut ' dans les Contes de Nicole Bozon au § 2 et sensiblement à la même époque, en dehors de la littérature, comme dans les Statu tes (1326, I, 287, etc.); mais la plupart des formes que nous venons de citer se trouvent employées simultanément à un moment ou à un autre des trois siècles qui noiLs occupent.

Nous ne nous étendrons pas aussi longuement sur les différentes formes que le verbe vouloir a prises à la troisième personne du sin- gulier du présent de l'indicatif ; elles sont un peu moins nombreuses que celles de pouvoir (et c'est pour cette raison que nous ne les avons pas toutes données simultanément), mais les formes propre- ment anglo-françaises s'expliquent toutes de la même façon dans les deux cas.

La troisième personne régulière volt (Suchier, op. cit., p. 77, §28) est la plus commune au xii'^ et au xiii"^ siècle; elle se trouve dans le Cumpoz (vers 153); dans le Brandan (vers 155), et dans un très grand nombre d'autres endroits. Vidt, qui ne diffère pas du précédent, se trouve aussi fréquemment : dans les Psautiers d'Ox- ford (21, 8) et de Cambridge 1) dans le Tristan de Thomas (78), dans le Saint Gilles (620). Volt passe aussi naturellement à vont (cL Thomas).

On peut trouver aussi en grand nombre des formes à diphtongues; nous pensons toutefois que ces formes sont en anglo-français posté- rieures aux formes à voyelle ; cette diphtongue est tantôt oe, voelt, au vers 225 du Drame d'Adam, tantôt ne, vuelt, Psautier de Cam- bridge (21,8), eo, veolt dans les Psautiers d'Oxford i) et d'Arun- del(32, 12), que l'on trouve encore dans les Contes de Nicole Bozon, sous la forme veot 7). Ce que nous avons dit de pont, estout, pot, estot peut se répéter de vont et de vot au vers 1228 de la Vie de Saint Gilles; vnelt de son côté a donné la forme moderne veut qui est rare mais qu'on trouve dans Adgar (cf. Prologue, vers

I. Nous n'avons jamais rencontré ?i/<?M/.

LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 157

II). En admettant même que cette forme soit due au scribe, il faut reconnaître que la forme moderne se rencontre dans la première moitié du xiii^ siècle.

Il nous reste à mentionner les formes en oi qu'on trouve pour vouloir aussi bien que pour pouvoir. Ces formes sont aussi assez difficiles à expliquer; on les rencontre au xiii^ et au xiv^ siècle : voit se trouve pour le vers 1022 de Boeve dans le ms. D. (seconde moitié du xiii^ siècle), aussi dans la Satire sur le Siècle (au folio 80 v'') ; dans le poème religieux du ms. Royal 20 B, XIV (au folio 65 v"), et voyt se lit encore dans Wil. Rishanger (p. 277),

Il est encore moins facile de classer les différentes formes que le verbe vouloir, en dehors des textes littéraires, prend à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif; nous rencontrons en eftet à la même époque des formes marquant des étapes phoniques aussi différentes que possible. C'est ainsi que voet se trouve dans les Statutes jusqu'au commencement du xiv^ siècle (1300,!, 137) et vont dans les Literae Cantuarienses encore plus tard (1326-189).

Feiit apparaît dans les Statutes à la date de 1275 (I, 26) ; tandis queir// se rencontre dans le même ouvrage en 1267 (I, 197). Une des formes les plus communes est veot que nous lisons dans le Registrum Malmesburiense (1275, I, 207) et dans les Year Books très fréquemment (cf. 31 Edv^. P', 435, 2 et 3 Edw. II, 109, etc.).

Toutes les formes précédentes dérivent de la forme étymolo- gique : nous en trouvons encore quelques autres qui ne peuvent guère s'y rattacher : par exemple voysl dans les Early Statutes of Ireland 1285, 60; dans les Year Books voillt, 16 Edw. III, 259 et vost, id. ibid., qui nous semble inexplicable, sans parler de plusieurs autres.

La seule conclusion que nous puissions tirer de l'examen de ces formes c'est que, comme celles de pouvoir, elles représentent deux types : l'un qui aboutit à la diphtongue eu et qui est exprimé par de nombreuses graphies : ue, oe, eo, el, etc. dont l'étude est du domaine de la phonétique.

Le second type montre la diphtongue /// ou oi.

Pour pouvoir, comme pour vouloir, le second type est beau- coup plus rare que le premier. Nous tenterons plus tard d'ex- pliquer plus pleinement l'origine et les rapports de ces deux formes.

CHAPITRE IV LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL

La première personne du pluriel nous offre un nombre de ter- minaisons assez considérable ; au lieu de les distinguer, comme on le fait ordinairement, en personnes fortes et en personnes faibles, nous les diviserons en terminaisons féminines et en terminaisons masculines. Les premières seules comprendront des formes fortes, et un nombre assez grand de faibles ; les secondes ne comprendront que des faibles. Cette division nous permettra d'étudier plus facile- ment et d'une façon plus rationnelle les différents changements qui peuvent se remarquer à la première personne du pluriel.

A. Terminaisons féminines.

L'étude des premières personnes du pluriel à terminaison fémi- nine comporte deux questions :

I. L'extension que la terminaison féminine a eue en anglo-tran- çais.

IL Les modifications qu'elle a subies.

Ces deux questions, nous semble-t-il. épuisent complètement la matière,

I. Leur extension.

I. Les fortes.

Le nombre des personnes fortes à la première personne du plu- riel est des plus restreints en français ; la plus constante et la seule qui ait subsisté dans la langue moderne est celle de la première per- sonne du pluriel du présent de l'indicatif du verbe être : sommes. A côté de cette forme l'ancien français en avait, pour la même per- sonne de ce temps, une autre qui a disparu. Le futur de ce verbe

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 159

avait aussi une forme spéciale dont la langue moderne n'a pas con- servé de trace.

Deux autres verbes nous montrent aussi à cette personne du pré- sent de l'indicatif une forme forte : faire et dire.

Nous trouverons dans l'anglo-français des exemples de ces cinq formes : sommes, esiues, ermcs, f ai mes, (fîmes:

a) Etre. L'anglo-français a connu et employé les deux formes fortes du présent de l'indicatif du verbe être. Nous ne parlerons pas ici des différentes modifications que sommes a subies dans notre dia- lecte ; ces modifications ne sont pas en effet particulières à cette forme forte ; les faibles en omes nous les montrent également : nous les étudierons donc toutes ensemble '.

La seconde forme est distincte de sommes et a une origine diffé- rente. Elle n'a jamais été très emplovée en anglo-français et, si on la compare au nombre d'exemples que nous fournit la première, on voit qu'elle a à toutes époques été rare et sporadique. Cependant, nous la rencontrons dans un grand nombre d'auteurs et pendant près de deux siècles, ce qui est la preuve d'une certaine vitalité.

Nous pouvons remarquer tout d'abord qu'au commencement du xii'^ siècle, elle se rencontre à peu près dans chaque auteur ^ ce qui nous prouve que son emploi ne provient pas de fantaisies per- sonnelles ; mais chacun de ces auteurs ne s'en sert que rarement ce qui montre que cette forme commençait déjà à disparaître ; enfin, à mesure qu'on avance dans la littérature anglo-française cette forme devient de plus en plus rare et n'est plus usitée au xiv^ siècle -.

Voici la plupart des exemples de esmes qu'on peut relever dans nos textes anglo-français : Philippe de Thaûn l'emploie une fois dans le Bestiaire au vers 1475 ; Gaimar en montre aussi un seul exemple dans l'Estorie des Engleis au vers 373 ; Hue de Rotelande l'emploie au moins deux fois dans son Protheselaûs aux vers 460 et 497 ; il en est de même de Jordan Fantosme qui nous en a donné deux exemples dans sa Chronique, aux vers 495 et 999. Dans les Quatre Livres des Rois, nous l'avons rencontrée une fois (I, 21, 5); dans le poème de Renaut de Montauban nous retrou-

I. l^our sommes, d. Thurneysen, Somes; Zehschrit't, X\'1II, 276. 2.. Pour la forme esmes, cf. Gaston Paris, Introduction de la Vie de Saint Gilles, p. xviij ; et Meyer-Liibke, Grammaire, II, § 21 1 .

I 6o l'évolution du verbe en anglo-français

vons cette forme, écrite aimes, page 32. C'est le poème de la Vie de Saint Gilles qui nous a donné le plus grand nombre d'exemples à cette époque; csnies se trouve dans le corps des vers 864 et 2417 et à la rime avec pesmes au vers 959. Remarquons que cette rime du Saint Gilles est la première que nous ayons trouvée; ici la question de la rime n'a "que fort peu d'importance; esnies élzm dès le commencement du xii'' siècle une forme archaïque et devenant assez rare au siècle suivant^ on peut sans hésitation l'attribuer aux auteurs plutôt qu'aux scribes qui, au contraire, ont remplacer plus d'un exemple de cette forme par le plus ordinaire sommes.

Pour en arriver au xiii* siècle, nous avons trouvé dans les Évan- giles des Dompnées esmcs au fol. 34 v^ ; à peu près à la même époque esmes est employé six fois dans le Psautier en vers coués (Harléien 4070), ce qui ferait croire que ce Psautier a une origine ou un modèle beaucoup plus ancien. Plus tard, les exemples de cette forme deviennent très rares : on lit emes au vers 3 5 1 1 du poème d'Edward le Confesseur; dans Dermod, au vers 2520, nous le trouvons encore ; il rime avec faimes au fol. 82 de la Satire sur le Siècle et se rencontre deux fois, aux vers 125 et 634, dans le Fragment de la Bible publié par Romania (vol. XVI) et dont l'ori- ginal doit remonter au xii'" siècle.

C'est le dernier exemple que nous ayons rencontré de cette forme dans les œuvres littéraires. En dehors de la littérature elle est tota- lement inconnue.

Etre est le seul verbe qui ait, dans sa conjugaison, à deux temps différents, une première personne du pluriel forte : le second temps est le futur et la forme forte est ermcs (erimus). Celle-ci du reste n'est que peu emplovée et n'a duré, en anglo-français, que fort peu de temps.

Nous trouvons ermes uniquement au xii^ siècle et chez un petit nombre d'auteurs, par exemple dans Horn au vers 1919. L'emploi de cette forme est donc sporadique. En particulier, les auteurs d'œuvres non littéraires l'ignorent absolument.

b) Faire. La forme forte de faire se rencontre encore assez fréquemment en anglo-français '.

Voici quelques références qui montreront que la forme forte de faire est assez commune et a persisté assez longtemps.

I. Pour fiiiwes, cf. Paris. Romania. VU, 622 : Freund. Verbal Flexion, p. 18.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL l6l

Le Comput l'a au vers 831 ; le Psautier d'Oxford et celui de Cambridge en ont quelques exemples (cf. 73,9 pour le premier; p, 6, pour le second).

Adgar l'emploie (XVII, 36), les Quatre Livres des Rois aussi (I, 21, 5); de même nous en voyons un exemple au vers 1123 de la Vie de Sainte Catherine. On le rencontre au vers 4073 de Horn, et trois fois dans Fantosme (vers 625, 1425, 1744), ^'^ même nous le lisons dans Guischart de Beauliu (aux vers 854, 1725); et deux fois dans la Vie de Saint Gilles (187, 1945).

Frère Angier l'emploie aussi, plus souvent même que n'importe quel auteur anglo-français ; on trouye f aimes dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 983), feiiiics dans le même poème (vers 904); même foiiiies, cité par Miss Pope, se trouve dans les Dialogues (au fol. 81 V a). Faillies se lit, au vers 933 a du Psautier en vers coués. Entîn le dernier exemple que nous ayons relevé de la forme forte de faire se trouve dans la Satire sur le Siècle à la rime avec eyiiics (82 r"). Comme on le voit cette lorme se prolonge assez avant dans le xiii"' siècle .

Il est évident du reste, si l'on considère le nombre relativement restreint des formes que nous avons citées, que la forme faible a être encore plus employée que la forme forte; celle-là est attestée par la rime à une date très éloignée ; le Bestiaire l'a déjà : jaisum (: guerpissum) (117); on ne la retrouve cependant pas dans les Psautiers d'Oxford et. de Cambridge : mais ils sont, une exception et elle est employée par la suite dans chaque auteur.

Si nous nous occupons maintenant des ouvrages qui n'appar- tiennent pas à la littérature, nous voyons que la forme forte de faire est extrêmement rare. Nous ne l'avons relevée qu'une seule fois dans les Statutes, recueil qui se fait remarquer par la correction et le caractère archaïque de sa langue ; cette forme faisincs (avec s parasite) se trouve dans le premier volume des Statutes à la page 157, sous la date M 11 ; ainsi ce cas isolé est l'exemple le plus moderne que nous ayons rencontré.

c) Dite. Il en va tout autrement de dire ; pour ce verbe la forme torte dimes est dès le commencement du xir' siècle plus exceptionnelle encore que ne le sont faisincs ou es mes ; nous n'avons trouvé qu'un nombre insignifiant d'exemples de cette forme forte. On la rencontre dans le Bestiaire deux fois : aux vers 31 4 et 151 1 ;

II

l62 l/ÉNOLUTlON DU Vl-KBE EX ANGLO-ERANÇAIS

dans riîstoric des Engleis au vers 343 ; peut-être pourrait-on trou- ver quelques autres cas au \ir' siècle, mais ils restent sporadiques. Il est donc inutile de dire, plus inutile encore de vouloir démontrer que la forme faible est la seule que connaissent les ouvrages de la langue politique, diplomatique, familière, légale et la plupart des œuvres littéraires '.

2. Les faibles.

Les terminaisons féminines faibles de la première personne du pluriel sont beaucoup plus communes que les terminaisons fémi- nines fortes.

Elles comprennent : Les formes en -cviics qui sont employées à côté des désinences masculines pour le présent et le futur de l'indi- catif;

En second lieu les premières personnes du pluriel de tous les prétérits et qui se terminent en -aines, -inics, -innés;

3" Certaines terminaisons en -ieiiies. -eiines.

Au point de vue de l'extension de ces formes, les prétérits ne peuvent nous oflrir aucune difficulté, car ils conservent le plus régu- lièrement du monde les terminaisons que nous venons d'énumérer ; tout au plus pouvons-nous soupçonner un petit nombre de prété- rits en -ivi de prendre une désinence masculine en -iiis. Nous ne trouvons pas la même régularité pour les deux autres terminaisons qui sont un peu des terminaisons d'occasion.

Faibles en -onies. La. terminaison en -oiiies est rare dans l'an- glo-français littéraire, surtout pendant le xii'^ siècle. A cette époque, nous avons relevé quelques exemples, ordinairement isolés, dans différents poèmes. Ainsi le Voyage de Saint Brandan nous a fourni, manuscrit de l'Arsenal, les exemples suivants : vivoiiies au vers 761 ; avoines au vers 762; couver soines au vers 718. Dans l'Estorie des Engleis, on rencontre un exemple qui a déjà été cité bien des fois avant nous : conussuines qu'on trouve à la rime avec sûmes. Mais il faut remarquer que cette forme se rencontre dans l'Epi- logue du poème (au vers 373) et que cet Epilogue n'est donné que par les mss. L et D.

T. Cf. .Mevcr-Liibke, Grammaire, II, ^ 169.

LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL 163

C'est tout ce que nous pouvons citer au xii'' siècle. Au commen- cement du siècle suivant, ces exemples ne se rencontrent que dans un auteur, Frère Angier, qui nous a donné eioiiies (: somes) 72 b. Les exemples deviennent plus communs à la fin de ce siècle. Le scribe de la Destruction de Rome emploie poroiiies au vers 795 ; à peu près à la même époque nous en relevons encore un autre, qui, n'étant pas employé à la rime, est peut-être moins bien assuré que les autres : aiuomiis {j= avons) dans Walter de Bibblesworth, r6o. Ils deviennent au xiv^ siècle un peu plus fréquents sans devenir communs : Pierre de Langtoft nous en offre un exemple non attesté du reste par la rime : voJuiues, II, 272, 2 ; et dans le premier Appen- dice on lit encore rciiieiioiues, II, 400, 28. Enfin Nicolas Trivet, ou son scribe, l'emploie un certain nombre de fois : aïoniiis, 48 ; cscrivoinus, ibid. et passiiu.

Trois temps peuvent donc dans les œuvres littéraires prendre à l'occasion la terminaison -ornes : le présent et le futur de l'indi- catif, le présent du subjonctif, les trois temps qui ont à cette première personne du pluriel la désinence -ons.

L'anglo-français diplomatique et politique n'emploie guère plus souvent cette terminaison; elle se rencontre uniquement avec deux temps : le présent et le futur de l'indicatif.

Au présent on trouve ^rnitnluinmes à la date de 1274 dans les traités de Rymer (II, 33); enîendoiiies dans le même recueil de textes (129 1, II, ^^c)) ; preysomes dans les Historié and Municipal Documents of Ireland, en 1292 (pp. 208 et 209); aiwni's dans Barthélémy Cotton (1295, 303)> ^^ ^^^^s ^^s Parliamentary Writs (1299, I, 321) ; osoiiies dans les Literae Cantuarienses (1335, 567).

Ce sont à peu près tous les cas de présents en -oiiies que nous ayons relevés; ils ne sont pas très nombreux. Les futurs sont encore plus rares ; nous ne trouvons sotis cette forme que les verbes être et faire : seromes dans Rymer's Foedera, à la date de 1337 (IV, 785); et dans Barthélémy Cotton (1297, 340); feromes se rencontre encore dans ce dernier auteur au môme endroit et à la même date en 1297, p. 3.|o.

Non seulement ces formes sont rares, mais i" elles ne se trouvent jamais dans les recueils les plus corrects, comme par exemple les Statutes ou les Lettres de Jean de Pcckham. En second lieu, si l'on peut tirer une conclusion d'un nombre si restreint

164 l'évolution pu VERBE RN ANGLO-FRANÇALS

d'exemples, cette forme est limitée à un petit nombre d'années, tous nos exemples se trouvant compris entre les deux dates extrêmes 1274 et 1335.

Au contraire, les exemples de cette désinence sont très nom- breux dans la langue légale et descendent certainement jusqu'à une date beaucoup plus récente, mais que nous ne pouvons malheu- reusement pas préciser. On trouve déjà un grand nombre de ces formes dans le Year Book 21 Edw. P'', irraiitoiims, p. 6^ ; poomes, p. 81, deniandomus, p. 103, puysumes, p. 149, piissitines, p. 63, fesuuies, p. 63, tmverseromes, p. 55 ; dans les Year Books suivants on peut relever perdisomes, domvnes, defessoiiics, devomes, suomes (suivre), etc., etc. Tout ce que nous pouvons assurer c'est que la plupart de ces formes appartiennent au xV siècle, quelques-unes peut-être au XIV^

Nous n'avons relevé, en dehors des ouvrages littéraires, aucun exemple d'une première personne du présent du subjonctif en ornes.

Eiines. Cette désinence n'appartient pas à l'anglo-français lit- téraire : le seul exemple de cette désinence que nous puissions citer en dehors du français diplomatique et légal se rencontre dans le premier appendice de Pierre de Langtoft, et c'est la traduction d'une Bulle Papale. C'est un imparfait de l'indicatif: cstciiiies que l'on trouve à deux reprises (II, 394, 34; II, 420, i). L'influence du style diplomatique est évidente ici.

Dans la langue diplomatique et politique, au contraire, la dési- nence cimes est très employée. On la trouve comme terminaison de la première personne du pluriel à trois temps : l'imparfait de l'indi- catif, le conditionnel et l'imparfait du subjonctif; elle est relative- ment comniune avec les deux premiers temps, rare au troisième.

Le premier exemple que nous en ayons trouvé à l'imparfait de l'indicatif se trouve dans les lettres de Jean de Peckham sous la date 1283 (p. 439) : esteimes \ c'est du reste l'imparfait du verbe être qu'on rencontre le plus communément avec cette désinence. Estcinies ou ses variantes est employé assez fréquemment dans les Rymer's Foedera (cf. par exemple 1297, II, 749 ; 1320, III, 853). D'autres ouvrages l'emploient aussi avec plus ou moins de régula- rité : citons par exemple les Literae Cantuarienses (1341, 696, 2 fois); le Registrum Palatinum Dunelmense (1313, I, 386) et quelques autres encore d'importance secondaire.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 165

Les seuls autres imparfaits de l'indicatif que nous ayons rencon- trés sous cette forme se lisent dans les Rymer's Foedera, pardo- neimes (1323, IV, 22), et dans les Literne Cantuarienses, avexincs, 1331, p. 366.

On pourrait, semble- t-il, négliger ces deux dernières formes qui sont isolées, et considérer la désinence en -eiiues comme apparte- nant en propre à l'imparfait de l'indicatif du verbe être dans la langue politique et diplomatique.

Nous pouvons faire observer dès maintenant qu'il y a un grand nombre de textes qui ne présentent aucun exemple de cette forme à l'imparfait de l'indicatif; d'abord et surtout les Statutes ou plus généralement tous les recueils de textes politiques.

Au conditionnel, les formes sont plus nombreuses et plus variées; mais tous les exemples que nous en avons recueillis, et ils sont très nombreux, se trouvent dans un seul recueil, les Rymer's Foedera. C'est ainsi que nous trouvons pour ce temps : d'abord le verbe être sous la forme seriemcs (1339, V, 114) qui est d'un emploi assez commun. Nous avons. remarqué en outre que le plus grand nombre des exemples que nous avons relevés nous sont fournis principale- ment par les verbes de IIl et de IV ; pouvoir par exemple est très fréquemment employé sous la forme porriciiics ; on la trouve déjà en 1297 (II, 741); c'est ainsi la plus ancienne de ces formes; elle est d'un usage fréquent après cette date dans ce même recueil (1297, II, 742; 1320, III, 853 ; VII, 496; etc., etc.). Il en va de même pour faire: fcricnics (1320, III, 853; 1339, V, 114). On trouve cependant quelques exemples de verbes de I et de II : comme poiir- cbacerictnci (1339, V, 114), k'iuidmes (1297, H? 749)^ ^^ l'on voit par ce dernier exemple que, ce qui est très naturel, ils peuvent être aussi anciens que les exemples que nous fournissent les conjugaisons les exemples sont plus nombreux.

Pour l'imparfait du subjonctif nous n'en avons rencontré qu'un seul exemple, et il se trouve encore dans les R\mer's Foedera : c'est fiiissicnics (1339, V, 115). Nous n'avons relevé aucun subjonc- tif en -iaiii affecté de cette terminaison, et cela est assez extraordi- naire (cf. Terminaison en -ieiis).

L'on peut voir, grâce aux exemples que nous avons cités, que les terminaisons en- -/(•;//•« sont réparties entre 1297 et 1385, autre- ment dit, elles occupent tout le xiV' siècle; elles sont cmplovées

i66 l'évolution du w.Rmi ex anglo-fkançals

pour la désinence de ki première personne du pluriel de trois temps ; elles sont surtout fréquentes pour le conditionnel.

Lorsque nous étudierons ces temps, nous nous occuperons de voir comment ces désinences sont employées relativement aux autres désinences possibles.

Les Year Books présentent aussi cette désinence à trois temps : l'impartait de l'indicatif, le conditionnel présent et le présent du subjonctif; c'est ainsi que pour le premier de ces temps on trouve : avey mes (20 et 21 Edw. L^^ 359; 33 et 35 Edw. P"", 49, 513, 531. I et 2 Edw. II, 109; 3 Edw. II, 175). C'est la forme la plus répandue avec esiciiiies qu'on trouve dans la plupart des recueils (cf. par exemple 21 Edw. I", 61 ; 32, 33 Edw. I", 395, 397, 418, 521, 533, etc.). On trouve encore à ce temps: recouiseymes (20 et 21 Edw. L'', 311), sohimes, voleinics, etc.

Les conditionnels sont moins nombreux : citons piirreiiiics (30 Edw. P"", 21, etc.) et le subjonctif en lAM eyeins (Jbid. , 81).

Comme on le voit, cette terminaison est beaucoup plus géné- rale dans la langue légale que dans la langue politique et même dans la langue diplomatique, et elle n'atteint pas exactement les mêmes temps.

IL Chmi^h'iiu'iils dans la forme des premières personnes du pluriel jéininines.

'a) La consonne finale.

La consonne finale est ordinairement s, plus rarement ~. Nous ne citerons aucun exemple de désinences féminines avec s, celles qui se trouvent dans les pages précédentes suffisant amplement.

:{ est- employée d'abord dans la langue littéraire vers la fin du xiii^ siècle, peut-être avant. C'est ainsi qu'on trouve dans le Manuel des Péchés de William de Waddington sumei, 7098, A. Cette gra- phie devient surtout fréquente au xiv^ siècle ; dans certains auteurs elle remplace même d'une façon presque régulière la désinence en s ; cela, il est vrai, peut provenir des scribes ; par exemple, cette graphie est fréquente dans certains mss. des Proverbes de Bon Ensei- gnement et dans les Chroniques de Nicolas Trivet.

Ce changement cependant est assez rare dans la langue non lit-

LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL 1 67

téraire, et ne se trouve jamais dans les recueils de textes corrects ; nous lisons dans Kymerso)iuiu'i, seroiiiiiie- (1337, IV, 785); por- chûcerieiiic- (1339, V, 114). Nous n'avons pas relevé un seul exemple d'un ^ à une première personne du pluriel au prétérit.

Il est aussi assez rare que cette consonne, s ou ^, tombe. On en trouve surtout des cas dans la langue littéraire, et la plupart de ceux-ci peuvent n'être que des lapsus calami ; le premier exemple de ce fait que l'on puisse citer se lit dans le ms. d'Oxtord du Roland ; fcsiinc au vers 418; on trouve encore assemhlame dans le Saint Auban vers 1446 ; feïiiw (prêt.) dans la Satire sur le Siècle 86 ; fume dans l'Evangel translaté au fol. 88 r" et quelques autres exemples disséminés dans tout le reste de la littérature anglo-tran- çaise. Cette chute de la consonne finale a aussi un caractère spora- dique dans la langue non littéraire, comme pour n'en citer qu'un exemple dans siimc qu'on trouve deux fois dans les Literae Cantuarienses, 13 18, pp. 47 et 51. Tous les exemples précédents ne sont peut-être que des fautes d'orthographe ; mais une faute d'or- thographe, qui n'est pas le résultat de l'inattention ou d'un oubli, a son importance ; dans le cas présent les exemples de premières per- sonnes du pluriel féminines sans .f tendent à montrer que cette s avait disparu de fort bonne heure de la prononciation.

/;) La voyelle atone de la terminaison.

Le plus souvent la voyelle atone de la terminaison est exprimée par £', et on ne peut trouver à aucune époque de la littérature anglo-française une autre lettre qui soit employée aussi Iréquem- ment.

Voici cependant un certain nombre de graphies qui se trouvent avec une certaine tréquence :

U. De très bonne heure // a été employé avec la valeur d'une voyelle atone ; la première personne du pluriel du présent de l'in- dicatif d'être semble spécialement aftectée ; snmns se voit déjà dans les psautiers d'Oxford (r 19, ; et d. 102, i^ ; 123, 6), et d'Arun- del (9, 9, etc.) ; dans Gaimar (au vers 302); dans la Folie (au vers 740, cette graphie est certainement due au scribe); dans les Homélies, 137. C'est la forme qu'on voit fréquemment employée dans le ms. L de Fantosme (cf. vers 739 et passim). Et cette gra- phie de soin mes se retrouve pendant tout le xiii'" siècle et le xiV.

i68 l'évolution du verbe en anglo-français

D'autres présents de l'indicatif se rencontrent aussi avec la ter- minaison oniiis ; citons par exemple aiuomns ^= avoms dans Walter de Bihblesworth, p. i6o ; avomiis et escrivonins dans Nicolas Trivet au fol. 48 r" ; mais ces formes sont beaucoup plus rares et plus tar- dives que les exemples de siiiniis que nous venons d'énumérer.

On rencontre u avec la valeur d'une atone assez fréquemment pour les autres premières personnes du pluriel à terminaison fémi- nine. Le Psautier d'Arundel spécialement emploie assez souvent la désinence -W//5 pour les prétérits : levamus {i<^, 9), esperaiiins (-^2, 22), receiumis (_|7, 8) ; nous trouvons de même dans la Folie Tris- tan à la rime avec sumus, ////«//,v au vers 739. Robert de Gretham ou, plus exactement, le scribe du manuscrit de Londres (Add. 26773) emploie overamns (23 r"), prophetamns, parlamus (88 v°) et beau- coup d'autres; dans Boeve nous relevons doimiiiits (vers 1602); Nicolas Trivet en a un grand nombre comme feymns (prétérit) (48 r°) ; et plusieurs autres exemples se rencontrent qu'il est peu utile d'énumérer ; ce qui nous semble évident, c'est que cette gra- phie a été surtout employée, et a été employée d'abord pour le verbe être et les prétérits.

(Pour H employé comme voyelle atone, on peut consulter Suchier, Ueber, à la p. 30, et Stimming, Boeve de Haumtone, p. 183, ligne 43. Voir aussi le chapitre III de notre seconde partie.)

Les textes non littéraires ne nous oflrent rien de nouveau sur ce point : les désinences en -us pour les premières personnes à termi- naison féminine ne sont pas rares dans l'anglo-français diplomatique surtout pour le verbe être ; ainsi les Traités de Rymer nous donnent un exemple de siinms pour l'année 1297 (II, 790) et nous pour- rions donner une longue liste d'exemples allant jusqu'aux dernières années du xiv^ siècle.

Les autres présents de l'indicatif ne sont pas rares ; citons dans les Rymer's Foedera entendomus (1291, IL 539); dans les Parlia- mentary Writs </iw;///.? (avom^) (1299, I, 321); dans Barthélémy Cotton femniis, seroiiins (1297, 340) pour ne citer que les plus anciens exemples.

Dans tous ces recueils, les terminaisons en -us sont fort com- munes pour les prétérits, et ils se rencontrent à toutes les dates ; on ne saurait dire qu'un verbe quelconque est plus employé sous cette forme qu'un autre ni que cette terminaison est plus commune dans un recueil que dans un autre pour ce temps.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 169

II en va de même pour les Year Books.

En résumé : la terminaison -iis se rencontre à toutes les époques et dans toutes les catégories de textes de la littérature anglo-fran- çaise ; les temps et les verbes qui en sont affectés plus spécialement sont les présents de l'indicatif, en particulier le présent du verbe être, le futur, le présent du subjonctif; tous les prétérits. Les termi- naisons en -ienies n'ont jamais la terminaison en -lis.

i. Les graphies qui montrent / comme voyelle atone sont beaucoup plus rares que les graphies par //. Dans la langue litté- raire nous ne trouvons que seiniis qui est emplo)'é dans The Song of Dermot and the Earl au vers 2309. Cette terminaison est presque aussi rare dans la langue politique; nous ne trouvons à citer que quelques exemples isolés comme : sujfrymis, dans les Municipal and Historical Documents of Ireland (1292, p. 208); et poymis (pûmes) et savymis (sûmes) dans les Letters from Northern Registers (1306, 133). Dans la langue légale on peut rencontrer quelques formes en -i)iis, comme priinis (21 Edw, I", 25). Ces formes sont exceptionnelles ; mais nous pouvons remarquer qu'elles contiennent toutes un / (sauf un cas qui présente la diphtongue ci) dans le thème.

c) Chute de la voyelle atone.

Remarquons tout d'abord que pour les premières personnes ter- minées par 'Oiiies, sa.uï sont mes, les terminaisons sans muette se con- fondent avec les terminaisons masculines en -ons. Pour les impar- faits et les conditionnels qui sont terminés en ietnes ou eimes une confusion analogue se produit ; lorsque la muette disparaît on ne peut distinguer la forme qui en résulte des désinences régulières en ienis. Autrement dit, il est impossible dans ces deux cas de pouvoir reconnaître si une forme sans voyelle atone et avec /;/ provient de la forme féminine ou si elle n'est qu'une variante de la forme masculine.

Par conséquent nous ne pouvons parler dans ce qui suit que des premières personnes fortes et des premières personnes du plu- riel des prétérits.

Dans la langue littéraire la chute de la voyelle atone pour ces différentes personnes est aussi rare que possible ; nous n'en avons rencontré qu'un nombre de cas insignifiant pour les désinences

170 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

fortes, par exemple .s7////.s- du scribe de la Destruction de Rome (au vers 706). Ceux que nous avons relevés pour les désinences faibles sont encore plus tardifs et il arrive que rien ne peut permettre de décider dans chacun de ces cas si cette chute de la muette provient de l'auteur ou du scribe. Cela a lieu en particulier dans la Chro- nique de Nicolas Trivet, elle n'est pas aussi rare qu'ailleurs. Nous ne pouvons donc pas savoir si ce phénomène appartient à la période que nous étudions. Citons toutefois à titre de renseigne- ment le veynis (de voir) qu'on lit dans les Contes de Nicole Bozon (au § 46). Les autres exemples que nous avons trouvés dans les différents auteurs de la fin du xiv^ siècle peuvent être attribués aux scribes.

Dans la langue non littéraire au contraire, les exemples montrant la chute de la voyelle atone sont assez fréquents. Remarquons d'abord que nous n'en avons relevé qu'un exemple pour les pre- mières personnes du pluriel fortes : siinis qui se lit dans les Histo- rics and Municipal Documents of Irel. (1292, 208).

Il ne nous reste donc que les prétérits, et ici les cas la chute de la voyelle atone a eu lieu sont trop nombreux pour que nous songions à les citer tous. C'est surtout dans les Traités de Rymer que nous en trouvons des exemples : quelques-uns, connue cspn- saiiis, 1272 (I, 883), remontent au troisième quart du xiii'^ siècle ; le plus grand nombre appartient au siècle suivant ; citons retaillanis, 1306(11. 1019) ; chargeams, 1324 (IV, 30); envoiams, i'^26 (IV, 194), etc., etc., etc. Dans les autres recueils les exemples, quoique en moins grand nombre, ne sont pas rares; tmitauis se lit dans le Registrum Palatinum Dunelmense, 1372 (I, 275), enveaiiis dans la Chronique du Monastère de Burton (1258, 455). C'est dans la langue légale que cette chute de l'atone est la plus fré- quente. Etre se montre très fréquemment à la première personne du pluriel du présent de l'indicatif sous la forme siuns (cf. par exemple 21 Edw. P"", 79 ; 30 Edw. \", 23, 53, 59, 61); à par- tir de cette date (1302) les e atones posttoniques deviennent rares et dans les recueils suivants la forme abrégée est sinon la seule que Ton rencontre, du moins la plus commune.

Il en est de même pour les prétérits ; on uouvq funis , veniiiis, piir- chasams, dans les dernières années du xiir siècle, à côté des formes normales. Dans les recueils qui datent du commencement du

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL I7I

xiv^ siècle, les e atones deviennent extrêmement rares ; on trouve alors feyms, rescums, chaceaiiis, portanis, etc. Mais nous ne pouvons dater avec quelque précision aucun des exemples que nous venons de citer, surtout les derniers, et par conséquent nous sommes ten- tés de les attribuer tous ou presque tous au xv-" siècle.

S'ils n'ont aucune valeur en eux-mêmes, ces exemples cependant nous montrent bien que l'anglo-français tendait à se débarrasser entièrement des terminaisons féminines à la première personne du pluriel.

(/) s parasite.

Entre la voyelle tonique et Viii s'introduit quelquefois une s para- site ; cette s est très rare dans les désinences féminines fortes ; le seul exemple que nous puissions citer se trouve dans le Livre des Statutes et cela dans le seul cas d'une terminaison forte que nous trouvions dans ce recueil pour le verbe faire : faismes dans le pre- mier volume (131 1, 157).

Les désinences féminines faibles au contraire se rencontrent assez communément au xiv= siècle avec cette lettre parasite. Les textes littéraires nous fournissent un certain nombre d'exemples ; mais ils ne se trouvent tous au plus tôt qu'au xiii^ siècle et semblent pour la plupart dus aux scribes : citons ciintasmes, truvasincs aux vers 1545, 1549 du Saint Auban ; oceismes, oïsnies, aux vers 1527, 1533 du même poème; veiiisines au vers 3514 d'Edward le Confesseur, etc..

Au contraire la langue diplomatique et familière en présente un nombre considérable, et ils sont employés avec une telle continuité, sinon régularité, que nous pourrions en citer des exemples pour ainsi dire d'année en année. Le premier cas que nous en ayons relevé se trouve dans Rymer's Foedera, à l'année 1297; t^'est un prétérit en ni, prévus mes (II, 769) et à. la même date nieusmes (II, 777). Ces deux exemples sont pour ainsi dire les précurseurs de ce qui sera jusqu'à un certain point un des usages réguliers de la langue politique du xiV^ siècle. Nous trouvons des prétérits en avi, comme niaudasnics dans les Parliamentary Writs (1325, II, 695, et 710) ; ^■ranfasmes dans le premier Livre des Statutes (1344, 302) et vol. V des Rymer's Foedera (1339, 507); des prétérits en

172 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

ivi comme oitaidisnics dans les Parliamentary Writs (1325, II, 712, j 21) ; envai s mes dans R^mer's Foedera (13 15, III, 635); des prétérits en /, comme tciiisnies dans Rymer (13 11, III, 298), ci smes Çmème recueil, 13 10, III, 220; 13 11, III, 362); surtout des Prétérits en /// ; nous avons déjà vu que les deux premiers exemples sont des prétérits appartenant à cette catégorie ; au xiV^ siècle ils deviennent extrêmement communs ; ils sont surtout fréquents vers 1360; et ces formes durent au moins jusqu'à la fin du xiv^ siècle, par exemple le susincs des Documents inédits (1399, 502).

Cette s parasite est plus rare aux terminaisons féminines de l'im- parfait et du conditionnel ; nous n'en avons relevé qu'un exemple après la diphtongue ie dans le conditionnel porriesiues employé dans Rymer's (1385, VII, 496).

Cette s se rencontre aussi mais assez rarement dans les Year Books ; aucun des cas que nous avons lus ne peut être attribué avec quelque certitude à une date antérieure au xv^ siècle ; aussi est-il inutile de s'y arrêter.

(') La voyelle accentuée.

La voyelle accentuée est régulièrement l'une des quatre voyelles 0, pour les présents, a, i, it, pour les prétérits ; et la diphtongue ie, pour l'imparfait, le conditionnel et l'imparfait du subjonctif; faire présente la diphtongue ai, être (esmes) la syllabe es .

Nous allons maintenant examiner les différentes façons dont varie cette partie de la terminaison, ou du thème pour les per- sonnes fortes.

0. L'anglo-français littéraire emploie de préférence comme voyelle accentuée pour la première personne du pluriel du verbe être au présent de l'indicatif la voyelle //, ce qui est conforme à la phonétique anglo-française (et normande). La forme s mues se trouve partout dans les textes littéraires, et nous pouvons l'ajouter dès maintenant dans les autres.

Sommes n'est pas inconnu, tant s'en faut, mais il reste relative- ment rare ; le premier exemple qu'on rencontre se trouve au vers 19 du Tristan de Thomas ; mais il se trouve dans le corps du vers, ce qui importe peu ; de plus il appartient au fragment de Cambridge

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL I73

et celui-ci, d'après de La Villemarqué, est de la fin du xiii'' siècle, et en outre « n'offre aucun trait de l'orthographe anglo-normande » (Bédier, II, 2). C'est assez dire que cet exemple n'a aucune valeur pour nous.

On trouve somes dans Horn au vers 3668 ; il est plus ou moins assuré par la rime pour la première fois dans les Dialogues Saint Grégoire, somes Q. eiomes) 72 b. La forme se trouve par la suite plus fréquemment, mais elle reste une graphie assez rare et est toujours douteuse. Au contraire, pour les personnes faibles, // ne se trouve que dans l'exemple de l'Estorie des Engleis et du premier Appendice de Pierre de Langtoft.

La langue diplomatique fait un usage plus fréquent de 0 ; les Rymer's Foedera en particulier montrent cette voyelle presque aussi souvent que la forme avec n ; et cela est surtout vrai des formes faibles pour lesquelles la voyelle 0 est beaucoup plus commune que //. Les exemples qui montrent -tvnes sont environ quatre fois plus nombreux que les autres.

La terminaison en -unies ne se rencontre guère qu'à un petit nombre de présents, comme grantuuimes dans Rymer's Foedera (1274, II, 33), aviimes dans Barth. Cotton (1295, 303) ; et, mais ceci peut n'être qu'une coïncidence, nous n'en avons pas relevé d'exemple après la fin du xiir' siècle.

Nous observons le même état de choses dans la langue légale : // est assez fréquent pour le verbe être, surtout lorsque Ve muet final disparaît ; 0 est environ trois fois plus employé pour les per- sonnes faibles qui ne perdent pas leur e posttonique.

// et 0 sont, pour les premières personnes du pluriel qui nous occupent maintenant, les voyelles toniques les plus importantes et dans la plupart des auteurs les seules employées. Cependant nous trouvons un certain nombre de graphies plus ou moins phoniques pour représenter le même son vocalique. // est rarement écrit ('//, parfois /// vers la fin du xiV^ siècle ; par exemple on trouve souilles dans les Royal Letters Henry III, 1261 (p. 169), soiiiiiits dans les Rymer's Foedera (1348, V, 636); siiyiiies st lit dans le même ouvrage (1378, MI, 193) et dans les Literae Cantua- rienses (i 327, 242).

0 peut prendre la forme oe par exemple dans soeines (Pari. Writs, 1315, II, 427), ou eo : seomus (20 et 21 Edw. I", 336). Ces quatre

174 L HVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

formes, assez rares d'ailleurs, peuvent s'expliquer sans trop de dif- ficulté.

Il est plus difficile de reconnaître une simple modification pho- nique dans quelques formes isolées qu'on trouve déjà dans certains auteurs du xiii'' siècle, mais qui peuvent être mises au compte des scribes, comme : seines au vers 3271 de la Vie de Saint Grégoire, et seiniis au vers 2309 de Dermot.

Cependant on trouve encore eiiies dans les Year Books : poèmes (i I et 12 Edw. III, 303 ; 365), poems (3 Edw. II, 22 (A) ; 69 (Y) ; 133 (Y); 154 (Y) : 160 (Y), etc. Et ces exemples ont une cer- taine valeur car ils se trouvent en grand nombre dans le ms. Y, ms, assez soigné qui, selon Maitland, date de 13 12.

La voyelle /. Nous n'avons relevé aucune variation dans la forme ou les graphies de la voyelle tonique /.

La voyelles. La voyelle a est assez fréquemment, au xiv^^ siècle, écrite par an ; nous n'en trouvons aucun exemple dans les textes purement littéraires pour cette raison que les prétérits de I à la première personne du pluriel sont rarement employés ; tous ceux que nous avons relevés sont réguliers. Nous avons cependant un exemple de nu dans un des plus mauvais manuscrits des Proverbes de Bon Enseignement (Bodley 425).

La langue politique, au contraire, nous donne un très grand nombre d'exemples de cette graphie an, et c'est Rymer qui nous fournit la série la plus complète. Le premier exemple date de la fin du xiii'^ siècle : c'est mandannies, 1282 (II, 197) ; puis on rencontre successivement loaunies, 1297 (II, 749), greanmes, envoiaumes (id., ibid.), et au siècle suivant chargeamws, 1323 (IV, 22), etc. Dans les autres recueils les cas de an, quoique moins nombreux, se ren- contrent encore assez fréquemment, comme par exemple, pour la langue politique, dans les Parliamentary Writs, premier volume enveiannies (1300, 341).

Nous nous bornerons à ces quelques exemples que nous venons de citer ; il nous faut cependant faire remarquer que certains auteurs et en assez grand nombre, de même que plusieurs recueils de textes diplomatiques ne nous offrent aucun exemple de première personne du pluriel du prétérit ; cela provient en grande partie de ce que, en anglo-français, la distinction entre imparfait et prétérit s'efface, et en particulier la première personne du pluriel de ce

LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL I75

temps est fréquemment remplacée par la personne correspondante de l'imparfait ; ceci se remarque surtout dans les ouvrages littéraires, alors que les textes qui n'appartiennent pas à la littérature sont presque toujours réguliers.

La diphtongue ic. Nous n'avons pas pour les différentes gra- phies de cette diphtongue à nous occuper des textes Uttéraires qui ne nous en donnent qu'un exemple. Dans les recueils diploma- tiques, la diphtongue est relativement très bien conservée.

Au conditionnel, il est rare de trouver une autre graphie et la forme normale est employée environ huit fois plus souvent que toutes les autres formes réunies. Nous ne citerons plus de ces formes régulières, nous avons déjà eu l'occasion d'en donner plu- sieurs. La seule divergence qu'on puisse signaler est l'emploi de la diphtongue ei qui se rencontre un certain nombre de fois et à une date assez reculée (fin du xiii^ siècle) ; c'est ainsi que nous trou- vons pîirreirnes dans les Rymer's Foedera (1297, II, 742).

A l'imparfoit de l'indicatif, la proportion de formes correctes n'est plus aussi forte ; celles-ci sont même en nombre sensiblement inférieur à celui des formes qui présentent la diphtongue ei, que nous venons de signaler au conditionnel. On trouve ainsi esteiiiies dans les Lettres de Jean de Peckham (1283, -159) ; dans les Lettres de Canterbury (1341, 696) au moins deux fois ; pardoneiiues dans Rymer's Foedera (1323, IV, 22). La diphtongue ei passe, assez rare- ment, il est vrai, à <// comme dans estaimes qui se lit dans le premier volume du Registrum Palatinum Dunelmense (13 13, 386).

Le seul exemple que nous ayons trouvé d'un imparfait du sub- jonctif avec cette désinence montre la dipthongue ic. Ces variations, d'un temps à l'autre, n'ont probablement pas la moindre impor- tance ; c'est l'usage général qu'il faut considérer. En combinant les résultats que nous avons trouvés aux différents temps, nous voyons que les deux diphtongues ie et ei sont toutes deux fréquemment employées, la première, qui est la plus régulière, restant la plus commune. La diphtongue ie ne passe jamais à e, et (j/ très rarement à ai, jamais à oi.

Dans les Year Books, la diphtongue ie ne se rencontre jamais ; on ne trouve que ci et e\ ; cependant il nous faut encore signaler une autre forme de cette diphtongue : oi est employée quelquefois, par exemple ^zns estoimes (i et 2 Edvv. II, 156). ce qui est un dévelop- pement très normal de la diphtongue.

lyé l'évolution du vrrbh en anglo-français

ai. La forme forte de faire présente à l'origine la diphtongue ai ; lorsque les deux diphtongues ai et ei se seront confondues, la ïormc jeivies l'emportera sur la forme étymologique. Nous n'avons relevé aucune rime prohante, mais il fiuit que la confusion ait eu lieu un certain temps avant le commencement du xiii'= siècle, puisque nous trouvons les Dialogues de Grégoire le Grand foimes au fol. 8i a.

Cette dernière forme est rare.

es. La graphie es persiste probablement pendant tout le XII* siècle, puisqu'il la fin de ce siècle nous lisons csmcs (: pesmes), au vers 959 de la Vie de Saint Gilles. Mais déjà dans les poèmes de cette époque, nous trouvons la graphie ei, par exemple dans Jordan Fantosme (au vers 495). Nous n'hésiterons pas du reste à attribuer cette graphie au scribe (D, milieu du xiii'' siècle).

Il en est de même de l'exemple de Robert de Greiliam au fol. 34 v°. Dans la seconde moitié du xiii^ siècle, c'est ei qui se ren- contre toujours et eimes rime avec feiines, comme au fol. 82 de la Satire sur le Siècle ; dans l'exemple que nous a fourni le poème de Renaut de Montauban, la diphtongue est même écrite par ai. La graphie parc simple est rare.

Cela correspond du reste exactement avec ce que nous avons dit de l'amuissement de s devant une consonne, et à l'évolution des diphtongues ei et ai.

Il y a dans la langue non littéraire un certain nombre de pre- mières personnes du pluriel féminines qui, à première vue, pour- raient sembler avoir une nouvelle terminaison, avec déplacement de l'accent ; par exemple suffrismiu": qu'on lit dans les Lettres de Jean de Peckham (1280, 102) \ feiseiues dans Rymer's Foedera (1297, ïlj 749) j reqiiiesmes à^ns ce même recueil (1325, IV, 90); fiesmes Aiws les Documents inédits (1396, 289).

Tous ces prétérits semblent avoir souffert un déplacement de l'ac- cent, et l'avoir sur Vu ou Ve qui précède Vin ou 1'^ parasite. Il n'en est probablement rien ; et nous avons affaire ici à des voyelles épenthétiques ou svarabhaktiques, produites par le groupe conso- nantique -sni, groupe qui peut être étymologique, comme dans regtnesmes, ou dont 1'^ peut avoir une origine analogique, comme dans suffrisumes.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 177

B. Terminaisons masculines '.

Les terminaisons masculines peuvent prendre quatre formes -ans, -ions, -iens, -ms.

Ici encore, nous aurons à nous occuper de deux questions entiè- rement dilîerentes : l'extension de ces désinences, en sed)nd lieu les formes qu'elles adoptent.

L'extension des formes masculines ne nous arrêtera pas longtemps ici. Il nous suffira pour le moment de faire remarquer que ces ter- minaisons affectent la grande majorité des premières personnes du pluriel; qu'il est assez rare qu'une désinence ordinairement mascu- line devienne féminine, et que du reste nous avons signalé tous les cas que nous avons relevés de ce phénomène quand nous avons traité des terminaisons féminines.

Il V a cependant une autre question qui pourrait nous retenir plus longtemps, c'est la distribution des trois terminaisons : -ons, -ions et -iens. Mais cette question nous a semblé appartenir plutôt à l'étude des différents temps. Nous nous contenterons maintenant de dire que la terminaison en -ions se trouve toujours à l'imparfait de l'indicatif, nu conditionnel, assez irrégulièrement dans les subjonc- tifs en iani et rarement dans les imparfaits du subjonctif. (Cf. ces temps.) Nous nous arrêterons plus longuement sur les formes des désinences masculines.

I. La voyelle nasale.

Ce qui caractérise cette désinence, c'est la présence à la dernière syllabe d'une voyelle nasale masculine, suivie ou non d'une s. En anglo-trançais, cette voyelle nasale a eu différentes graphies; ou pour mieux dire nous trouvons naturellement pour cette terminai- son toutes les graphies que l'anglo-français a données à la nasale de () ouvert.

I. Ct". Lorentz, Die crstc Person pluralis des \'crbums in AltfVanzosischcn : Mever-Liibl;e, Grundriss, 1, 366; Korting, I, 121 ; Paris, Romania, XXI, 559-560: VII, 623; Vendryès, Revue critique, 1901-1902, p. 149; Ouvau, Remarques (Mémoires de la Société Linguistique de Paris, 161); Rotlienburg, Die endung -ons. (Archiv fur das Studium der neuercn Sprachen und Literaturen, 460.)

i~S l'hvolution du vekbe kn angi.o-i-rançais

L:i première graphie considérée souvent (et pas toujours juste- ment) comme caractéristique de l 'anglo-français est celle en //. Elle se rencontre spécialement au xii'' siècle, quoiqu'elle soit très fréquente à n'importe quelle période de la littérature française d'An- gleterre; c'est la seule qui soit employée dans le Cumpoz, le Voyage de Saint Brandan, le Bestiaire. On voit ensuite une et, plus tard, plusieurs autres graphies prendre place à côté de la graphie ii.

La première en date de ces nouvelles graphies est la graphie oui. Nous la rencontrons pour la première fois à la rime ' dans l'Estorie des Engleis de Gaimar : Jisoni (: Grégorium) (1023); savoiii ( : reli- giom) (1039); lisoiii ( : Encarnacion); et conqueroms (4337), depar- toiiis (4338) dans le corps du vers; les formes en h existent toujours et sont plus ou moins fréquentes suivant les manuscrits, ce qui nous ferait rejeter tous les exemples précédents au xiir siècle. Dans Horn, cette seconde graphie est assez commune, l'auteur ou le scribe emploie oin et //;/ indifféremment et fait du reste, comme il est naturel, rimer entre elles les deux terminaisons : avron ( ; ba- run) (150); departon ( : sermon): tenom ( : abandun) 3162 sqq. Le scribe de Fantosme connaît cette forme, mais il ne l'emploie que rarement; nous en avons compté en tout cinq exemples, contre une trentaine de formes avec u. Elles sont plus fréquentes dans le Drame d'Adam; il y en a près d'une dizaine; c'est ainsi que dans tous les auteurs du xiir siècle, à partir de Gaimar, on trouve des exemples plus ou moins nombreux et d'une date peu assurée de la terminai- son -oni. Nous ne pensons pas que ces exemples appartiennent aux auteurs, puisque les scribes de la même époque les ignorent entiè- rement. Angier n'en connaît point d'autres, et désormais ces formes seront plus communes^; le fait même semble si constant qu'il est impossible désormais de l'attribuer uniquement aux scribes : Robert deGretham, par exemple, l'emploie aussi fréquemment que la termi- naison en //;on la retrouve dans Boeve de Haumtone (cf. vers iroi, sqq.); dans William de Waddington, dans les Heures de la Vierge elle est assez fréquente. Dans l'Ordre de Bel Eyse elle est seule employée et dans Wil. Rishanger elle domine (cf. 284, etc.).

Par conséquent, nous pouvons être assurés de deux faits :

1. Ces rimes du reste n'ont que très peu ou aucune valeur.

2. Ce fait peut encore nous pousser à mettre au compte des scribes la plupart des exemples que nous avons rencontrés au xii^ siècle.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL I79

I" Dans la première moitié du xir siècle, c'est n qui est la gra- phie à peu près unique.

2'' A partir du commencement du xiii'^' siècle, peut-être à partir de 1250 seulement, o devient très commun.

Nous pouvons rester dans le doute en ce qui concerne la période intermédiaire; cependant, quoique nous trouvions des rimes dans Gaimar, il est probable que le nombre des graphies en o prove- nant des auteurs a être très petit et qu'elle n'a été employée que vers la fin du siècle.

Il faut donc conclure que cette désinence n'a guère fait son appa- rition en anglo-français qu'à la fin du xir" siècle, ou au commence- ment du xiii^

Il est fort commun de rencontrer au xiV siècle la graphie oiiiii. L'on sait que les écrivains anglo-français ont, dans plusieurs cas, exprimé certaines voyelles nasales, comme au et on, en plaçant un u entre la vovelle et la consonne nasale (cf. E. Busch, p. 12 sqq. et 25; Stimming, p. 173 et p. 192; cf. aussi participe présent). Ce n'est guère qu'à la fin du xiii^ et au xiV siècle que cela a eu lieu pour la première personne du pluriel; mais à cette époque cette graphie devient rapidement très commune. Les exemples sont nombreux chez Pierre de Langtoft : avroiims, responomns , volotuits, etc. (c{. I, 100 sqq.); clirroiiiiis (:Apolynus, lire Apolyouns) (I, 98, 25); voleiinis, onvunis, fiissomiis, etc., se lisent dans différents pas- sages du même auteur. On peut aussi remarquer que c'est le meil- leur manuscrit de cette Chronique qui emploie le plus régulièrement cette terminaison. Dans l'Apocalypse, dans Walter de Bibblesworth (134, 159 et passiiii), dans les Contes et les Vies de Saints de Nicole Bozon, dans les Proverbes de Bon Enseignement (spéciale- ment peut-être, ms. Arundel 507), dans les Chroniques de Nicolas Trivet (ci. 62 v" et passiiii), dans le Poème du Prince Noir (vers 171, etc.), les terminaisons dans lesquelles le son nasal est exprimé par ou sont extrêmement fréquentes. Mais il ne faut pas oublier que toutes les différentes formes que nous avons vues ne sont, au point de vue de la nasale, qu'autant de variantes d'un seul son : celui de 0 nasalisé.

Les mêmes changements ou à peu près se trouvent dans les ouvrages non littéraires. Il faut cependant remarquer que, soit parce que les textes diplomatiques et autres que nous avons sont

l8o 1. 'ÉVOLUTION' DU .VKRRE EN ANGLO-FRANÇAIS

d'une date plus rapprochée de nous que les ouvrages littéraires, soit pour quelque autre raison, nous ne trouvons pas dans les premiers textes diplomatiques une période la voyelle // est employée à l'exclusion de toute autre, ou mt'me plus régulièrement que la vovelle ('. Dans le premier volume des Statutes, les deux voyelles alternent et il serait difficile de dire laquelle se trouve le plus sou- vent employée. Dans les Parliamentary Writs, et dans les traités des Rymer's Foedera qui correspondent à la même époque, la ter- minaison en -oins, est certainement plus fréquente, sans être pour cela exclusive. Au contraire, dans certains recueils de lettres, on trouve à la fin du xiii'-^ siècle, majorité de terminaisons avec u: dans les Lettres de Jean de Peckham jusque vers 1290, -unis (jim^ est pour ainsi dire la seule terminaison employée; il en est de même des Royal Letters Henry III à la date de 1253. Quelques années plus tard, il nous semble évident qu'il v a eu un certain changement dans l'usage et la vovelle 0 se rencontre plus fréquem- ment. Il ne faut peut-être attacher qu'une très médiocre importance à ces variations qui dépendent des auteurs, des scribes et de la fantaisie des uns et des autres; elles ne sont du reste que des varia- tions orthographiques et correspondent toujours à un son unique.

La graphie par ou présente très peu plus d'intérêt; elle semble avoir fait son apparition dans la langue non littéraire vers le com- mencement du dernier quart du xiir' siècle; nous en relevons des exemples dans des lettres de Jean de Peckham écrites vers 1283, et cette diphtongue, qui n'a jamais été aussi employée dans la langue" politique que les terminaisons en // ou en 0, se rencontre cependant dans la plupart des recueils de textes. On en trouve un assez grand nombre d'exemples dans les Rymer's Foedera (1290, II, 472), dans les Parliamentary Writs (1297, I, di^, dans les Mem. Pari. 1305, quoique assez rarement (comme § 388); plus souvent dans le Liber Custumarum. En un mot, cette graphie dans la langue politique n'est pas rare, mais elle n'a jamais supplanté les autres voyelles, spécialement 0.

Citons encore, pour en terminer avec les textes politiques et diplomatiques, la désinence la voyelle 0 est répétée : par exemple, le volooms des Rymer's Foedera (1308, III, 58); on trouve cette graphie trois ou quatre fois et il est à croire que ce n'est pas autre chose qu'un lapsus du scribe.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL l8l

On ne trouve guère dans les Year Books que o et //, rarement o/i.

L'on voit Jonc que la désinence en oitii{s) qui fait son apparition vers la fin du xiir' siècle n'a pas eu l'extension qu'on lui a souvent attribuée; elle peut être fréquente dans certains ouvrages, il se peut aussi qu'aucun texte du xiv"^ siècle ne soit sans la montrer; mais en somme, elle n'a jamais eu la régularité qu'a eue par exemple //;/ dans la première moitié du xii'' siècle.

Il nous reste, pour en finir avec les graphies de la nasale, à signa- ler une désinence de la première personne du pluriel en oiiips moins commune que toutes les autres.

Même en dehors de la lans^ue littéraire, ces terminaisons avec /' sont rares : on n'en rencontre que dans les Literae Cantuarienses : prioinps, osomps, fassoiiips sous la date 1363 (p. 914); quant aux textes littéraires ils ne nous présentent qu'un nombre très restreint de formes avec p; nous n'en avons relevé que dans le Ms 7 de r Apocalypse, soioiiips (wers 316). On pourrait peut-être en trouver d'autres exemples, mais ils sont certainement très rares.

On peut remarquer, à propos de cette terminaison, dans les Year Books, un fait curieux; à partir de i et 2 Edw. II (ci. pp. 19, 88,. etc.) le verbe entendre prend à la première personne du pluriel du présent de l'indicatif la terminaison avec p; cntendomps se ren- contre très fréquemment (cf. par ex. 2 et 3 Edw. II, p. 106; dans 3 Edw. II (Y)); et dans la plupart des recueils, c'est le seul verbe qui se présente sous cette forme; dans ceux entendre n'est pas le seul à fournir des exemples, les autres cas sont extrê- mement rares; nous n'avons relevé que agardouips (2 et 3 Edw. II, 160), pkdoinps (3 Edw. II, 30). Il est curieux, et pour nous inexpli- cable, de voir une terminaison réservée, sans raison apparente, à un seul verbe.

II. La consonne finale. I. Sa forme.

Conuue nous le verrons dans les pages suivantes, la plupart des premières personnes du pluriel sont terminées par une sifflante; nous allons dire tout d'abord un mot aussi bref que possible de la forme de cette sifflante.

102 L EVOLUTION DU . VHKBE HX ANGLO-FRANÇAIS

Dans le plus grand nombre des cas cette consonne est s; mais elle est parfois remplacée par -; ce ^ se trouve aux premières per- sonnes à terminaison masculine à peu près dans les mêmes condi- tions que pour les personnes à terminaisons féminines; on la rencontre surtout après les terminaisons en on m, non pas qu^une lettre entraîne l'autre, mais l'introduction de otin pour un et de ^ pour .s dans l'orthographe anglo-française a lieu à peu près à la même époque. Nous n'avons relevé aucun cas de ^ employé après la ter- minaison -icii.

2. Extension de Vs.

Une connaissance superficielle des textes anglo-français suffit à montrer que les premières personnes du pluriel prennent l'^ ou la rejettent de la taçon la plus irrégulière du monde. Nous allons, dans les pages qui suivent, tenter de nous rendre compte de la pro- portion des désinences sigmatiques et asigmatiques aux difiérentes époques de l'anglo-français.

Un premier point se laisse constater tout de suite : le plus grand nombre des auteurs montrent les deux formes, non seulement dans le corps du vers, mais même à la rime suivant les nécessités de la versification.

Cette première constatation doit déjà nous mettre en garde contre la tentation de tirer des conclusions trop précises. Nous devons nous contenter de marquer les lignes générales de l'histoire de Vs à la première personne du pluriel; et nous verrons que, même dans ces limites, cette histoire est assez curieuse. Elle peut se résumer en ces quelques mots :

Vs se présente d'abord dans un grand nombre de désinences, et quelquefois dans toutes; puis elle perd peu à peu du terrain au point de devenir rare. Après avoir passé par un minimum vers 1250, les personnes en i" deviennent de plus en plus nombreuses et finissent par devenir la forme ordinaire de la première personne du pluriel.

Les trois premiers poèmes du xir siècle se trouvent à peu près au même point pour la question qui nous occupe. L'analyse des premières personnes du pluriel nous montre, avec un certain degré de certitude, que les formes sigmatiques prédominent. Le Voyage

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 183

de Saint Brandan, tout d'abord, n'en connaît point d'autres, et nous ne nous arrêterons pas à citer des exemples tirés de ce poème.

Le Cumpoz et le Bestiaire sont moins réguliers, tous les deux ont la rime des désinences étymologiques aussi bien que des termi- naisons asigmatiques. Mais les premières sont beaucoup plus nom- breuses (5/1 environ).

Nous trouvons par exemple comme terminaisons asigmatiques dans le Cumpoz, apclum ( : équinoctium) au vers iS77; ( : raisum) au vers 1371. Dans le Bestiaire, nous avons relevé au vers 113 : ciiteiidum ( : raisun). Comme exemples de terminaisons ét\molo- giques, citons dans le premier de ces ouvrages : dcDiiisternius. venus ( : leuns) vers 1666 sqq.; a pel uns (: leuns) 313 i et quelques autres : dans le second avitiis ( : limuns) au vers 672 apelnns ( : nuns) au vers 1 136.

Donc il semble à peu près certain que chez les auteurs qui ont écrit entre 11 10 et 11 30 ou même plus tard, la forme sans .v reste exceptionnelle.

Remarquons toutefois, avant de nous arrêter à cette conclusion, que dans les deux ouvrages de Philippe de Thaïm, l'usage du corps du vers diffère énormément de celui des rimes. La proportion totale de toutes les premières personnes du pluriel sans distinction de position n'est plus du tout celle que nous donnions tout à l'heure. Les désinences sigmatiques ne sont plus que les 14 ''/o (dans le Cumpoz) et les 13 '^/o (dans le Bestiaire) du total. Évidemment puisque la tendance, comme nous allons le voir, de l'anglo-français à cette époque a été de faire tomber 1'^, un grand nombre des dési- nences asigmatiques doit provenir des scribes. Mais quel nombre ? N'est-il pas probable que Philippe de Thaùn lui-même a écrit sans s plusieurs de ces désinences ? Et puisqu'il n'hésite pas, le cas échéant, à se servir à la rime des formes nouvelles, n'est-il pas possible qu'il les ait employées assez librement ' dans le corps du vers? Nous ne pouvons évidemment pas trancher la question et nous devons nous contenter de signaler un fait : les désinences sigmatiques dominent à la rime, et une probabilité : elles ont pu dominer dans le corps du vers.

I. On conçoit en" effet as>.cz facilement qu'un auteur « soigne» plus ses rimes que le corps même du vers.

184 l'hNOLUTION du VHKBE ex ANGLO-l-RANÇAIS

Ceci montre bien que les jiroportions et pourcentages peuvent facilement induire en erreur.

Ce qui pourrait nous faire croire que dans les poèmes de Philippe de Thaùn, il faut (aire entrer en ligne de compte, non seulement les rimes, mais aussi les personnes employées dans le corps du vers, c'est que dans les ouvrages qui suivent le Bestiaire, nous trouvons un état de choses qui s'accorde, non pas avec l'usage que nous révèle l'étude des rimes, mais bien avec celui que nous trouvons dans le corps du vers. Pour les Psautiers évidemment nous pouvons accuser les scribes d'avoir supprimé des s; mais on pourrait alors se demander pourquoi ils ne les suppriment pas tous. Les deux terminaisons se rencontrent en effet dans ces traductions; entre le Psautier d'Oxford et celui de Cambridge, nous trouvons une légère différence dans le premier les désinences sigmatiques sont les 10 °/o du total et les 12 % dans le second.

Mais plus frappant encore est le fait que le poème de l'Estorie des Engleis proprement dit, qui n'est que d'une quinzaine d'années postérieur au Bestiaire, ne contient aucun exemple assuré de la forme en s. Nous ne trouvons celle-ci que dans une interrime : conqueroins : deiiiandoDis au vers 4337. Il est vrai que l'épilogue, donné par deux manuscrits (L et D), nous montre à la rime deux personnes sig- matiques, (ipeliius ( : Saissuns) au vers 260, et lerniiits ( : nons) au vers 282.

Comme on le voit, c'est fort peu. Et cette ignorance de la forme étymologique est très significative dans un auteur comme Gaimar.

Par conséquent, pendant la première moitié du xii^ siècle, voici ce que nous avons vu :

Un poème (le A'oyage de Saint Brandan) qui n'emploie que les désinences étymologiques;

Deux poèmes (le Cumpoz et le Bestiaire) qui montrent une grande majorité de ces désinences à la rime et le contraire à l'intérieur du vers;

Un quatrième poème (l'Estorie des Engleis) qui connaît à peine la forme régulière;

Deux ouvrages en prose (le Psautier dOxtbrd et celui de Cambridge) qui préfèrent la forme nouvelle de la désinence.

Nous conclurons que, pendant cette première moitié du xii^ siècle, le nombre des formes régulières a décru, et, semble-t-il, très rapi-

LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL 185

dément. Il est probable qu'au commencement de cette période elles ont été très nombreuses, spécialement chez certains auteurs; mais il est tout aussi certain qu'à la fin elles sont devenues rares.

Dans la seconde partie de ce siècle, les progrès de la forme asig- matique sont visibles. Il faut cependant diviser en deux classes les auteurs de cette période : quelques-uns, et ils sont très peu nom- breux, préfèrent encore ou emploient communément la forme éty- mologique; les autres l'ignorent ou à peu près.

Il faut citer parmi les premiers Jordan Fantosme: dans sa Chro- nique les désinences sigmatiques se rencontrent huit fois à la rime ', sur un total de 24 laisses en -uns; les laisses en -an sont un peu plus nombreuses, nous en avons compté 29, et elles ne contiennent qu'une première personne du pluriel diuui au vers 1573. Au reste à l'intérieur du vers, nous n'avons relevé que des formes asigma- tiques, et elles sont particulièrement nombreuses, environ une soixantaine. Toutefois, étant donné le nombre de formes en s à la rime, nous rejeterons sur les scribes les exemples qu'on trouve dans le corps du vers et nous conclurons que Jordan Fantosme emploie presque uniquement les formes étymologiques.

Le nombre de ces formes est déjà beaucoup moindre dans l'ou- vrage que nous mettons dans la même classe que Fantosme, les Quatre Livres des Rois. Plâhn, et nos chiffres concordent avec les siens, trouve que les désinences sigmatiques forment les 48 % du total.

Tous les autres ouvrages de la seconde moitié du xir siècle que nous avons étudiés nous montrent un état de choses entièrement différent. Le poème de Guillaume de Berneville sur la Vie de Saint Gilles contient encore un certain nombre de formes régulières assu- rées : il y a en tout dans ce poème 5 premières personnes du plu- riel en -uns à la rime -, et trois interrimes en -uns '. On compte par contre treize rimes en -un ■* et cinq interrimes >. Si nous comparons seulement les rimes, les formes nouvelles forment un peu plus des

1. Cf. vers 600 sqq.; vers 1552 sqq.

2. Aux vers 864, 1026, 1682, 205), 5264.

3. Aux vers 749, 2419, 3403.

4. Au.x vers 297, 1371, 1909, 2573, 2594, 2840, 2843, 3170, 3216, 3406. 3453'

3793-

5. .Vux vers S15, 1945, 2489, 2817, 3367.

r86 l'évolution du verbe en anglo-français

71 % du total. La proportion ne change pas si nous faisons entrer en ligne de compte, d'après leur graphie, les interrimes. Mais nous ne savons pas si nous ne devons pas compter comme formes étymo- logiques toutes les interrimes quelles qu'elles soient. On compren- dra aisément qu'un scribe ait dans les interrimes supprimé des s qui n'étaient plus usuelles à son époque, on concevrait plus difficilement qu'il les eût ajoutées. Dans ce cas, les formes sigmatiques plus toutes les interrimes seraient aussi nombreuses que les autres. Ceci montre d'une fliçon concrète la vanité des pourcentages. Nous croyons devoir nous en tenir à ce que peut nous montrer l'étude des rimes proprement dites et conclure que probablement dans le Saint Gilles les formes nouvelles sont plus employées que les autres.

Dans le corps du vers d'ailleurs ce sont les seules employées.

Le poème de Horn ne nous offre aucune difficulté; les premières personnes du pluriel sont nombreuses à la rime comme dans le corps du vers, et partout elles présentent la désinence sans .s" ' .

Avant que de quitter le xii^ siècle, nous mentionnerons encore deux auteurs auxquels nous attachons ordinairement une grande importance; mais dans la question actuelle, leur témoignage ne nous servira que fort peu.

C'est un état de choses tout spécial que nous montre la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking : la première personne du pluriel n'y rime qu'avec elle-même et les cas d'inter- rime sont communs -. Or, dans ces interrimes, comme dans le corps du vers, la graphie est toujours la graphie -/////. Dans le Sermon en vers de Guischart de Beauliu, nous ne rencontrons aucune rime; quant aux formes qui sont employées dans le corps du vers, elles ne montrent que très rarement la terminaison étymo- logique '. Ne pourrait-on pas conclure de cette absence de rimes ou de rimes significatives dans ces deux ouvrages à une hésitation ou une ignorance de la part des auteurs ?

Quoi qu'il en soit, la marche générale de cette désinence pendant la seconde moitié du xii^ siècle est encore assez claire. Quelques

1. Aux vers 150, 154, 136, 609, 1592, 1399 mss. C et O. 2861, 287^», 5025, 3027, 3928. 3156, 3162, 3164 mss. C et H.

2. Aux vers 225, 733, 1067, 1 loi, 1 1 17, 1807, 2051, 2145, 2627. 5. Au vers 352.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL lôj

auteurs préfèrent ou emploient la terminaison étymologique; d'autres (comme Sœur Clémence de Barking et Guischart de Beauliu) semblent hésiter à employer l'une ou l'autre: mais la majorité des écrivains adoptent hardiment la forme nouvelle, quittes si la rime l'exige à se servir de la désinence sigmatique.

Pour ce qui est du xiii'^ siècle, nous trouvons dans les premières années de ce siècle, deux auteurs qui emploient d'une façon assez régulière, sinon uniquement, la forme étymologique : Frère Angier et Robert de Gretham.

Il est nécessaire^ à propos du premier, de hiirc quelques distinc- tions : Miss Pope a trouvé que dans la première partie des Dialogues, oin, c'est-à-dire la forme asigmatique prédomine, alors que ans est plus fréquent dans le reste de l'ouvrage. Pour ce qui est de la Vie de Saint Grégoire, l'on n'observe pas de différence de ce genre, on y trouve une grande majorité de formes sigmatiques, par exemple dans le premier tiers du poème, on ne trouve la désinence sans s que quatre fois : osoiii 507 ; feroiii 213 ; façoni 910 ; pciisoiu 940 '. Il y a donc eu progression constante des formes sigmatiques dans ces ouvrages.

Le second auteur dont nous devons parler maintenant, en aban- donnant quelque peu l'ordre chronologique, c'est Robert de Gre- tham. Les Evangiles des Dompnées nous présentent un état de choses qui leur est particulier et qui les rapprochent des ouvrages de Frère Angier. Chez Robert de Gretham, les deux terminaisons se rencontrent également à la rime : responderuiii (: nun) 6 ; ciifenduDi (: lessun) 8 r" ; ardiins (: oreisuns) 12 r" ; espenissous (: oreisuns) 12 r°. Le nombre de terminaisons sigmatiques cependant est moindre que celui des premières personnes sans s. Mais ce qui, d'après nous, est digne de remarque, c'est que, dans les interrimes, c'est-à-dire lorsque l'auteur n'a pas à se soucier d'ajuster ses termi- naisons en vue de la rime, il n'emploie (lui bien plutôt que le scribe) que les désinences sigmatiques.

Voici donc deux auteurs relativement corrects, qui nous montrent jusque vers 1230 un nombre considérable de formes étymologiques

1. Avec s on trouve : rimes rendons (: oreisons) 988 ; avons (: oreisons) 1058 ; srrons (: sermons)- 1 103 ; en interrimes irons : tnovons 663 ; criengons : dciissoiis 895 ; l'eions : sentons 1027, etc. ; dans le corps du vers : errons 6')j.

i88 l'évolution du verbe en anglo-français

assurées par la rimt et dont nous n'avons aucune raison de douter.

Au contraire, chez les autres auteurs du xiir siècle, on ne trouve guère que la terminaison sans s. Simund de Freine, Chardri, les auteurs du Saint Laurent, du Saint Thomas, du Saint Edmund, de la Petite Philosophie, d'Edward le Confesseur, ne nous offrent pour ainsi dire aucun exemple de désinence sigmatique, tout au moins à la rime ; les autres sont au contraire assez communes.

\cvs le milieu du xiii^ siècle, nous voyons donc que la grande majorité des auteurs abandonnent souvent entièrement la forme sigmatique ; quelques-uns l'emploient encore : Robert de Gretham par souci peut-être de correction, Frère Angier sous l'influence du continent probablement. Mais la très grande majorité des auteurs de cette période l'ignorent.

Ils précisent ainsi en l'accentuant la tendance du siècle précédent.

Pendant la seconde moitié du xiii' siècle et pendant tout le xiv% nous observons un revirement qui ne laisse pas que d'être un peu étonnant; pendant quelque cent cinquante ans, la forme sigmatique va par saccades et à-coups, si l'on peut dire, regagner le terrain qu'elle avait perdu pendant les cent cinquante années précédentes. Vers la iin du xiii^ siècle, nous rencontrons un certain nombre d'auteurs qui connaissent ou même qui préfèrent la désinence avec s. Dans le Roman des Romans, nous ne voyons à la rime que des terminaisons sigmatiques : poiuis (: lamentaciuns) 91 ; prisuus (: toisuns) ; dans l'Ordre de Bel Eyse, il en est de même ; nous n'avons l'intérieur du vers, d'ailleurs) que des terminaisons avec s : ilevoiii{ (169, 171) ; avo)}i:{ 193 ; averoii^ 194.

Pour d'autres, les deux terminaisons s'équilibrent, comme dans les Heures de la Vierge : reqnemvu (: don) 60 ; dioms (: mesons) 64 r°. William de Waddington a quelque chose qui lui est spécial. Il a bien à la rime les deux terminaisons, et la terminaison asig- matique est plus commune encore que l'autre : dcviim (: surnun) 68; savom (: illusion) 1142 ; mais ce qu'il y a chez lui de plus étrange, c'est que les personnes en 111ns riment toujours en us ; on trouve ainsi : veiuns (: geluz) 1594, 2 fois ; deviuns (: nus) 7280; savioms (: nus) 7912. Ce même phénomène se retrouve dans le sermon en vers, Deu le Omnipotent : seilns (: nus) 49 e '.

j. Peut-on, comme le fait Suchier, considérer que Vu de nus, gelus se nasalise et rapprocher ces formes de nuns =r nus cité par Fichte, Fle.xion im Cambridger

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 189

Par conséquent, entre 1250 et 1300, les formes en s regagnent du terrain et deviennent aussi communes que les autres.

Au xiv^^ siècle, les formes sigmatiques deviennent de plus en plus nombreuses ; c'est la terminaison que nous trouvons ordinairement dans l'Apocalypse, quoique aucune rime ne nous l'assure, ce qui, dans le cas actuel, est peu nécessaire ; nous en trouvons une dans le Siège de Carlaverok : dions (: lyons) 36 ; et de très nombreuses dans Pierre de Langtoft. Dans cet auteur, les terminaisons asigmatiques ne se rencontrent qu'à Tintérieur du vers, comme : êlisoni (II, 280, 12) (B et D) ; averomn (II, 94, 3), et encore elles sont rares, tandis que les terminaisons sigmatiques sont très communes, à la rime comme dans le corps du vers (cf. supra les exemples donnés pour les terminaisons en 07/). Nicole Bozon, dans ses Contes comme dans ses Vies de Saints et les Proverbes de Bon Enseignement, s'ils sont de lui, emploie principalement les terminaisons avec s. Il est même assez rare de rencontrer dans le corps du vers, dans les Vies de Saints, par exemple, la désinence uni (cf. toutefois iissum 93 v°). 11 en est exactement de même des Chroniques de Nicolas Trivet et du Prince Noir.

La question de la consonne finale des désinences masculines de la première personne du pluriel est, comme on le voit, assez embrouillée ; il est difficile d'extraire d'exemples nombreux autant que contradictoires une idée générale sur le développement de cette personne, si toutefois il y a eu réellement développement.

Une seule conclusion, semble-t-il, est possible. Les formes sigma- tiques pendant tout le xir' siècle et la première moitié du xiiP' ont progressivement perdu du terrain. Des exceptions se rencontrent et ces exceptions sont importantes, puisqu'elles comptent des auteurs comme Guillaume de Berneville peut-être, certainement Jordan Fantosme et Robert de Gretham. Malgré tout, l'usage que suivent ces auteurs reste exceptionnel.

Ce terrain perdu, les formes avec s le regagnent pendant le siècle et demi qui suit, et le regagnent si bien que les formes asigmatiques sont devenues extrêmement rares à la fin du xiV siècle.

Psalter, p. 88 ? Nous croirions plutôt voir dans ces rimesunc prouve que les Anglais prononçaient diflFicilèment le son nasal ///;, et Tassimilaient non pas au son le plus voisin (qui serait on ou in) mais, si on peut dire, à la «raphie la plus voisine //.

I90 L EVOLUTION DU VHRI5E EN ANGLO-FRANÇAIS

De plus, l'étude de Tanglo- français non littéraire nous donne le meilleur des arguments en faveur de cette conclusion. Dans tous les textes non littéraires que nous avons étudiés, textes qui datent au plus tôt de la fin du xiii^ siècle, les formes sans s sont extrême- ment rares. Les plus corrects ne nous en offrent aucun exemple, comme les Statutes, les Parliamentary Writs et quelques autres, et en admettant que quelques cas aient pu nous échapper, il n'en restera pas moins vrai que ces formes ne sont qu'une exception. Le seul recueil qui présente un certain nombre de terminaisons asigmatiques est le recueil de Traités de Rymer. Voici les exemples que nous avons relevés : veiion, porom, avom qui se trouvent l'un après l'autre dans un texte de 1256 (i, 588) ; puis en 1276 donom (l, 839). Enfin nous avons rencontré encore quelques autres exemples analogues, six ou sept, à différentes dates du xiv^ siècle, le dernier exemple datant de 1390 (VII, 667) ; on voit que ces quelques cas sont disséminés sur une période d'environ 150 ans ; et ils semblent être relativement plus fréquents pendant la dernière moitié du xii^ siècle, ce que notre étude de la langue littéraire pouvait nous faire prévoir.

Enfin, si nous comparons ce nombre de formes asigmatiques, dans Rvmer lui-même, à celui des cas avec s, nous verrons que ces derniers sont infiniment plus nombreux. Il en va de même pour les autres recueils qui ont de ces formes sans s ; nous en rencontrons deux ou trois cas isolés dans les lettres de Jean de Peckham pour l'année 1283; dans les Historié and Municipal Documents of Ireland sous la date 1292 (p. 209), au § 127 des Mem. Pari. 1305, etc.

Dans quelques ouvrages seulement leur nombre est sensiblement plus considérable ; dans les Literae Cantuarienses, ils se trouvent assez fréquemment avant l'année 1359 ; dans les Annales de Bur- ton, leur nombre est environ le sixième du nombre total des pre- mières personnes faibles. Enfin, dans les Royal Letters Henry III la forme om est prédominante jusqu'en 1263. Si maintenant, au lieu de considérer le détail des textes que nous avons étudiés, nous jetons un coup d'œil général sur cette branche de la littérature anglo-française, nous pourrons avoir une idée d'ensemble au moins tout aussi précise que celle qui se dégageait des œuvres purement littéraires. La forme asigmatique est connue et employée par un

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 19I

certain nombre d'écrivains ; c'est une forme qui est surtout abon- dante pendant les dernières années du xiii'-" siècle, trait vraiment anglo-français. Cela cependant n'empêche pas que la forme habi- tuelle, même pendant le xiii'' siècle, ne soit la forme avec s. Pour les Year Books, la question est très simple : jusqu'au recueil 21 Edw. !'-'■ inclus, c'est-à-dire jusqu'à la fin du xiii^ siècle, la forme -oiu prédomine visiblement. A partir de 3 i Edw. I", c'est le con- traire qui a lieu, ouïs (^) devient très commun et la forme asigma- tique est de plus en plus l'exception. Dans Y, qui est de 13 12, cette dernière est à peine les 17 "L du total.

On voit donc que, quoique la question soit fort embarrassée et semble très embarrassante, insoluble même à première vue, tous les textes anglo-français concordent et montrent que les formes sigmatiques, après avoir passé vers 1250 par un minimum, ont fini par devenir à la fin du xiV- siècle, la seule forme employée.

Terminaisons -ions. La désinence -ions subit les mêmes modi- fications que la désinence -oiis ; c'est-à-dire que la vovelle accentuée est tantôt // tantôt 0 ; mais nous n'avons relevé aucun exemple de oit avant le xiV' siècle. De plus, les mêmes variations se repro- duisent en ce qui concerne la présence ou l'absence de Vs finale.

Un seul changement est particulier aux désinences en -ions ; les différentes graphies sous lesquelles se présente la vo3'elle en hiatus.

Dans la grande majorité des cas, la vovelle / est conservée intacte ; c'est la graphie la plus habituelle jusqu'à la fin du xiv-' siècle.

Quelquefois cependant la voyelle c se rencontre à la place de Vi étymologique ; mais cette graphie est relativement rare dans les ouvrages littéraires ; nous en relevons par exemple un cas dans Chardri : csteyiim au vers 171 2 des Set Dormans, et il appartient probablement au scribe (Cotton, Caligula A IX, seconde moitié du xiiP siècle) ; le manuscrit O présente au même endroit eslcyoïis. Cette dernière désinence qui montre une diphtongue est encore moins commune dans les ouvrages littéraires que la précédente. Nous la retrouvons par exemple dans le Saint Auban : estoiuiii au vers 1538, et au vers 143 (w/cv///;/) de la Vie de Saint Panuce de Nicole Bozon.

E, ci ou oi se rencontre au contraire très fréquemment en dehors de la littérature- aux différents temps qui ont régulièrement Vi en hiatus.

192 L EVOLUTION DU VRRRK EN ANGLO-FRANÇAIS

A l'imparfait de l'indicatif, c n'est pas très commun dans certains textes. Voici quelques-uns des exemples que nous avons pu relever. Dans les Mem. Pari. 1305, nous lisons csiaviis (au § 127); cette forme se retrouve dans le premier volume des Statutes à la p. 191 (13 12) et dans le Registrum Palatinum Dunelmense (esteuncs).

On trouve encore dans les Literae Cantuarienses aveoms (^\t,i%, 47 j ^33^5 334) i poyeoDis employé deux fois dans une lettre (n*^* 582) de 1385.

La diphtongue est plus commune à ce temps, et nous nous con- tenterons de donner les formes les plus répandues. Estoious se lit par exemple dans les Rymer's Foedera en beaucoup d'endroits, le plus ancien datant de 1294 ' ; dans les Documents inédits à la date de 1307, p. 19 et passim, dans les Literae Cantuarienses aux dates de 1340 et 1341 (n°' 695, 697), etc.

D'autres imparfaits se rencontrent aussi, mais en moins grand nombre, soldons dans les Statutes (1344, I, 303); faisoicns dans les Rymer's Foedera (1360, VI, 107).

Nous retrouvons le même état de choses pour le conditionnel : formes assez peu nombreuses avec c {barrcoDis de haïr dans le Regis- trum Palatinum Dunelmense, 1312, I, 853); très nombreuses avec la diphtongue : purroions dans Rymer's Foedera (1336, M, 83 ; 1367, VI, 584 ; 1391, VII, 092), ferroions (1383, VII, 409; 1388, VII, 611) ; serroions, irroions, vcnoions.

Les autres temps au contraire prennent toujours la vovelle /, quel- quefois (', mais nous ne les avons jamais rencontrés avec la diph- tongue ci ou ('/.

Ces temps sont le présent du subjonctif de certains verbes, l'im- parfait du subjonctif et quelques présents de l'indicatif.

Le présent du subjonctif le plus commun est celui du verbe faire ; la forme faceoins se rencontre constamment ; nous ne pou- vons pas citer tous les exemples que nous avons relevés et qui ne sont qu'une partie des cas que l'on pourrait recueillir. On la ren- contre dans les Statutes (I, 1340, 293); dans les Parliamentary Writs (13 12, II, 44 ; 1312, II, 45) et un nombre de fois considé- rable dans les Rymer's Foedera '.

1. Voici quelques autres références : 1294, II, 620; 1324, IV, 94; 1360, VI 256 ; 1361, VI, 345 ; 1362, VI, 393 ; 1373, VII, -, etc.

2. Faceoms, Rvmer's 1296, II, 714; 1331. IV, 459; 1339, VI, 116; 1362, VI, 367.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 193

D'autres verbes encore se présentent au présent du subjonctif sous cette forme comme deniorgeons dans Rymer's (1359, VI, 118) ; establisseoms (id. 13 10, III, 853), âdresseoms (id., 1345, V, 439).

Il y a aussi un bon nombre d'exemples de l'imparfait du subjonc- tit, mais c'est toujours l'imparfiiit du subjonctif du verbe avoir : eusseonis est très commun '.

Nous pouvons enfin citer un petit nombre de présents de l'indi- catif, comme mandcoms dans le deuxième volume des Parliamentary Writs (1312,44) ; dcstiirheonies dans les Rymer's Foedera (1296,11, 714) ; delaisseoins (ibid., 1360, VI, 259) et quelques autres.

Ces quelques exemples de présents de l'indicatif avec e en même temps que la rareté de cet e à l'imparfait et au conditionnel peut nous amener à nous demander si cet e était encore senti comme un équivalent de 1'/ en hiatus ; la question est douteuse et nous la reprendrons dans notre 2" partie (Cf. 2" partie, chapitre III).

C'est aussi la voyelle / qu'on trouve le plus fréquemment dans la langue légale, volioiiis (3 3 et 3 5 Edw. F"", m) ; perdrioms (3 Edw. II, 134 (Y) ; 160 (Y). Nous avons rencontré aussi, quoique assez rare- ment, k voyelle c : csteoms (33 et 35 Edw. V', 315) et plus souvent ei : aveiums (33 et 35 Edw. I", 467; 11 et 12 Edw. III, 113); purreioin (20 et 21 Edw. I", 47), serreioms (11 et 12 Edw. III, 447) ; évidemment on pourrait citer un grand nombre de cas montrant cette diphtongue passant à oi.

Mais saut les exemples avec /, nous ne pouvons guère faire fond sur les formes que nous présentent les Year Books.

Il nous reste encore à citer avant d'en venir aux terminaisons en iens, une désinence qui se trouve assez rarement, mais trop souvent toutefois pour qu'on la passe sous silence : la désinence en oins ; on en trouve quelques cas dans les Rymer's Foedera : poyins (1282, II, 197) ; rcœiiessoyiis (1300, II, 867) et peut-être quelques autres ; on relève encore dans les Mém. Pari. 1305 : piissoiiis 127) ; dans les Royal Letters Henry III : enveoins (1267, 3 11) répété deux fois.

On pourrait se demander tout d'abord si cette nouvelle désinence n'est pas une erreur cléricale pour la terminaison beaucoup plus

I. Eusseonis, Pari. Writs 1324, II, 677 ; 1525, II, 677 ; en 1325, pp. 692-693 ; dans sept lettres consécutives, sur neuf I. S. d'avoir quatre en -eoins ; Rymer's 15 10, m, 8)5 ; 1326, IV, 188.

13

194 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

commune ions ; nous ne le croyons pas ; il serait plus vraisemblable peut-être que cette terminaison ne fût qu'une variante ou un déve- loppement irrégulier de la terminaison oioiis, ou une désinence spéciale (cf. 2^ partie, chapitre III).

Il nous sera permis de considérer la terminaison de ces quatre exemples comme ayant une individualité distincte.

Chute de la voyelle dans les désinences niascnlines en ons. Il arrive que la voyelle tonique de la terminaison disparaisse quand elle est en hiatus avec la voyelle du thème ' ; les cas de cette sorte ne sont pas très communs, nous avons pu cependant en rele- ver un certain nombre dans les ouvrages non littéraires ; le cas le plus fréquent est celui du verbe pouvoir qui fait fréquemment à la première personne du pluriel du présent de l'indicatif ptw^ ; nous rencontrons cette forme par exemple dans le Registrum Palatinum Dunelmense (1312, 191); dans les Literae Cantuarienses (1350, 560) ; enfin, dans les Rymer's Foedera, passim, pendant la seconde moitié du xiv^ siècle. Il est plus rare de rencontrer la même syné- rèse pour d'autres verbes ; et il y a pour cela une excellente raison, c'est qu'il n'y a que peu de verbes qui peuvent présenter un" hiatus entre deux 0 ; et s'il y en a, ils ne sont pas employés à la première personne du pluriel aussi souvent que le verbe pouvoir. Nous n'avons pas trouvé d'autre exemple de contraction de 00 en 0 ; mais il y a quelques cas nous voyons la voyelle accentuée 0 disparaître après la diphtongue ai (é/). C'est ce qui explique des formes comme seims pour seioms dans Rymer's Foedera (1322, 924, vol. III) ; ou eyms pour eions dans les Literae Cantuarienses (1361, H76) ; et à l'indicatif t'/7ir//;/5 pour enveioms dans les Annales de Burton (1258,

1155)-

Ces formes sont assez rares, et elles ne se trouvent que dans des textes d'une correction assez douteuse ; par conséquent, il ne faut pas leur attacher une trop grande importance, en soi. Mais elles pourront nous éclairer sur certaines tendances de l'anglo-français, et jointes à des formes analogues, elles nous fourniront peut-être des indications précieuses.

I. Il semblerait plus naturel de dire que c'est la vo3elle du thème qui disparaît; si nous ne le disons pas, c'est que la distinction n'a que peu d'importance. La forme sous laquelle nous exposons la contraction poons pons nous permet de traiter en même temps la contraction seioms seims.

LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL I95

La terminaison (f)ens '. La terminaison ie^is est très rare dans la langue littéraire ; on ne la rencontre que dans un ouvrage qui n'est pas entièrement anglo-français, le psautier d'Oxford ; il nous donne deux subjonctifs en em : exhalciem et hem, -q 19, et deux subjonctifs en iam : poissieni et desserviem, 0 6. Eiens, que nous lisons dans les Distiques de Caton d'Everart de Kirkham (91 d), est trop isolé dans la langue littéraire pour n'être pas une erreur matérielle du scribe.

Il est donc impossible d'établir le moindre rapport entre ces deux formes isolées et d'un anglo-gallicisme douteux et les formes si nombreuses que nous allons voir dans les œuvres non littéraires. La seule conclusion possible est que l'anglo-français littéraire n'a pas connu ces formes.

Il en va tout autrement pour les ouvrages politiques, diploma- tiques et familiers.

On trouve cette désinence sous deux formes et elle est employée à quatre temps différents. Les deux formes sont la forme avec / et la forme sans i, les quatre temps sont l'imparfait de l'indicatif, le conditionnel, le présent du subjonctif en iani, enfin l'imparfait du subjonctif.

Les imparfaits de l'indicatif en iens et en oiens (cf. supra) ^, sont extrêmement nombreux ; le premier exemple que nous ayons rencontré se place à la date de 1294. Nous le lisons dans les Rymer's Foedera, voliens, vol. II, 620 ; ce même verbe se trouve répété sous cette forme un certain nombre de fois ; dans Rymer d'abord (1294, II, 620 ; trois fois ; 1304, II, 946), dans les Parliamentary Writs (1324, II, 679; 1325, II, 694; 1325, II, 713; 1325, II, 721), et dans différents autres ouvrages. Nous trouvons aussi avec la même terminaison l'imparfait du verbe être : estiens et estoiens ; celui du verbe avoir, avicHs (Pari. Writs 1325, II, 722) et les termes teniens, venieiis, votiliens, savicns, convoitiens, fntetidiens, main- lenîens qui se trouvent toutes dans Rymer's Foedera à des dates variant de 1294 à 133 1.

Pour l'imparfait de l'indicatif, nous ne trouvons aucune désinence en eus.

1. Cf. G. Paris, Rom., XII, pp. 559-360. Vendryès, Revue critique, 1901-2, 149 sqq.

2. Après ce que nous avons dit, nous n'insisterons pas sur la diplitongaison de I'/.

196 l'évolution du verbe en anglo-françals

Le conditionnel nous fournit un nombre presque aussi considé- rable d'exemples, la plupart cependant ne se rencontrent que dans les Rymer's Foedera. Le premier exemple de cette terminaison pour le conditionnel se place à la date de 1294 ; c'est averiens (II, 620); les quatre conjugaisons sont représentées dans la liste d'exemples que nous avons sous les yeux ; pour la première, nous avons accor- driens (1299, II, 834), passeriens, enverriens ; pour la seconde, acm- plenens (1297, II, 749), har riens \ pour la troisième, averiens que nous avons déjà cité, porriens, verriens, voiirriens, ce dernier est très fréquent; pour la quatrième serriens (1297, ^I» 79^)' fërriens. Il est remarquable que les verbes de III et de IV se trouvent avec cette forme beaucoup plus fréquemment que ceux des autres conjugaisons. Le dernier exemple de ces conditionnels se trouve à la date de 1385. Le conditionnel ne nous offre qu'une seule forme d'où l'i ait dis- paru, purrenis qui se trouve dans les Literae Cantuarienses 1360, 872, elle est répétée.

Les subjonctifs en iam ne présentent qu'un nombre assez restreint de terminaisons en iens, et ces terminaisons sont limitées à être, avoir, pouvoir et vouloir : soiens dans les Rymer's Foedera (1299, II, 833); aiens (ibid., 1378, VII, 201^ ; peu s siens (ibid., 1297, II, 770); veulliens (\\:)\à., 1369, VI, 644).

Les dates extrêmes que nous avons pu relever nous sont encore données par les traités de Rymer : ce sont 1297 et 1378.

Les formes sans / ne sont pas, cette fois encore, sensiblement plus nombreuses ; le recueil de Rymer nous en fournit deux et il est le seul qui en ait ; ces deux formes sont : ptiissens (1299, II, 834) et peussens (13 10, III, 217).

L'imparfait du subjonctif a autant de formes en iens que deux quelconques des temps que nous avons examinés ; et, quoiqu'elles y soient plus nombreuses qu'ailleurs, elles ne sont pas limitées au seul recueil de Rymer, comme c'était le cas pour le présent du subjonctif Le premier exemple qu'on en trouve se lit dans le pre- mier volume des Statutes, eiissiens 1297 (124), il est répété deux fois ; cette même forme se lit encore dans Rymer et à la même date (II, 764, 800) et par la suite devient extrêmement commune ; on la trouve de même dans les Parliamentary Writs (1325, I, 694), et un grand nombre d'autres recueils l'ont aussi. Aucun autre verbe ne pourrait montrer le même nombre d'exemples

LA PREMIÈRF. PERSONNE DU PLURIEL 19-

que le verbe avoir, quoique plusieurs se trouvent assez fréquem- ment, comme le verbe être, fcussiens (ParïiamemâTy Writs, 1360, I, 184, Rymer's 1303, II, 92^, etc.). Cette désinence se montre moins régulièrement aux autres verbes, quoique, ici encore, toutes les conjugaisons soient représentées.

Comme on le voit, c'est dans les traités de Rymer que nous trouvons toujours les premiers en date des exemples que nous avons à citer, et il est assez curieux que l'année 1297 dans Rymer comme dans les Statutes soit celle qui marque l'introduction de cette forme.

Dans les Parliamentary Writs, nous pouvons relever un certain nombre de cas montrant la chute de 1'/ en hiatus à ce temps ; ce sont tous des imparfaits du subjonctif d'être et d'avoir: enssei/i (1299, I, 319 et 321 ; 1325, II, 602) et deux autres fois pour le verbe être : feussems (1300, I, 340). Il y a cependant un exemple encore pliis ancien que ceux-là, il se trouve dans les Actes du Par- lement d'Ecosse, eiisseiiis (1233, I, 479).

On rencontre aussi sporadiquement cette terminaison à un cin- quième temps, le présent de l'indicatif : poeins est encore assez répandu, on le trouve dans Rymer's Foedera (1297, II, 766 ; 1324, IV, 627 ; 1342, V, 346) et dans les Literae Çantuarienses (1322, 76,2 fois). Ce dernier recueil nous donne même un autre exemple pour un verbe de / : doutens (1341, 696), qui pourrait bien cette lois n'être qu'une erreur du scribe, un lapsus calami ; mais on ne peut se débarrasser aussi facilement des nombreux exemples que nous avons cités provenant du verbe pouvoir.

Nous pouvons maintenant combiner les renseignements qui nous sont fournis par les différents temps qui montrent cette désinence.

Nous verrons d'abord qu'elle présente presque toujours un /, et qu'on pourrait expliquer les formes sans /, puisqu'elles sont assez nombreuses, par l'ignorance ou la négligence des scribes ; en second lieu ces terminaisons ont fait leur apparition vers la lin du xiir^ siècle; les témoignages des différents textes sont si concordants qu'on serait tenté de donner à cette apparition une date exacte, celle de 1294 ; mais ce serait quelque peu aventuré. Ces formes ont duré pen- dant tout le xiV^ siècle, elles semblent avoir été le plus nombreuses dans le premier tiers de ce siècle, quoique cela encore puisse bien n'être qu'une coïncidence ; il est certain toutefois que ces formes deviennent de plus en plus rares dans le dernier quart du xiv^ siècle.

198 l'évolution du verbe en anglo-français

Le temps qui a pris cette désinence le plus volontiers, est l'impar- fait du subjonctif; puis le conditionnel, enfin l'imparfait. En der- nier lieu, vient le présent du subjonctif; quant au présent de l'in- dicatif, il est inutile d'en parler ; la désinence irrégulière en -eus n'affecte qu'un verbe à ce temps, pouvoir.

CHAPITRE V LA DEUXIÈME PERSONNE DU PLURIEL

DESINENCES FEMININES

Nous distinguons, comme nous l'avons déjà fait pour la première personne du pluriel, les deuxièmes personnes du pluriel en deux classes suivant que leur désinence contient ou non une voyelle muette posttonique.

Comme pour la première personne du pluriel les désinences féminines peuvent appartenir à une forme forte ou à une forme faible ; ce sont du reste les mêmes verbes, être, faire, dire ', qui prennent la forme forte, mais il n'y a qu'un seul temps qui ait la terminaison féminine faible.

Le parallélisme entre les deux premières personnes du pluriel ne s'arrête pas ; dans les pages qui suivent, nous allons rencontrer presque toute la série des phénomènes qui ont déjà arrêté notre attention au chapitre précédent. Et c'est pour cette raison que nous traiterons les différentes questions qui s'y rapportent plus succinc- tement que nous ne l'avons fait.

I. Extension.

Nous devrons donc d'abord dire un mot de l'extension des formes féminines à la deuxième personne du pluriel. Les désinences faibles sont toujours régulières et ne nous arrêteront pas ; les désinences fortes ne montrent pas la même régularité.

Comme dire et faire abandonnent la forme forte à la première personne du pluriel, il leur arrive, quoique moins souvent, de devenir faibles à la deuxième. Ceci est surtout vrai de dire.

r. Pour faites, dites on peut voir Neumann, Zeitschrift, II, 158.

200 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Die^ n'est pas rare et remonte au moins aux premières années du xiii" siècle, comme en fait foi l'exemple que nous en relevons au vers 119.] de la Vie de saint Grégoire, exemple isolé, mais signi- ficatif. Moins sûr est le die;;^ que nous lisons dans le Petit Plet de Chardri, au vers 1418. C'est encore la forme fiible que l'auteur (ou le scribe) de Boeve de Haumtone emploie au vers 3302, et qu'on retrouve dans la Plainte Notre-Dame, au vers 96 (impératif) et au vers 211 de l'Erection des Murs de New Ross. Un exemple à la rime (: volez) se lit au vers 2286 du Manuel des Péchés de William de Waddington, et ce même auteur en présente un autre exemple dans le corps du vers 1103 ; mais cette dernière forme est douteuse; venant après si, elle peut être un subjonctif.

Au xiv^ siècle, die:(^ devient très commun ; l'Apocalypse, Pierre de Langtoft et Nicolas Trivet nous en fournissent des exemples.

Quant à maudire, la forme faible est la forme ordinaire (cf. ninii- disse:^ au vers 873 du Petit Plet).

FaiscÂ^ est très rare ; nous n'avons de cette forme aucun exemple assuré : le seul cas que nous puissions citer est donné par le ms. A de la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 246, 9) ; les manuscrits B C et D donnent tous les trois feïsses qui est préférable à tous les points de vue.

Être ne prend jamais la forme faible.

L'anglo-français non littéraire, au contraire, garde avec la plus grande régularité les formes fortes ; nous n'avons relevé qu'un seul exemple, une forme faible ait pris la place d'une forme forte : faceti dans les Chroniques de Saint-Alban (1326, 225); et cette forme est d'autant moins étonnante que c'est un impératif. Ce passage à la forme faible se trouve pour dire dans les Year Books, mais il est à remarquer que die:^ ne s'y rencontre guère qu'à l'impé- ratif ; de sorte qu'il est plus naturel de voir dans cette forme comme dans les exemples analogues que nous venons de citer, un des résultats de l'influence du subjonctif sur les autres modes.

Ajoutons que cette régularité est peut-être expliquée, en partie tout au moins, par le très petit nombre de secondes personnes du pluriel fortes qu'on rencontre dans les textes anglo-français diplo- matiques et politiques.

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 201

II. Les formes de cette terminaison . a) La consonne finale.

La consonne finale est généralement s ; :^ fait son apparition dans la Folie de Tristan et le Saint Gilles qui ont tous les deux este;^, respectivement aux vers 264 et 2015. Cette graphie est très rare au xii^ siècle et ces exemples peuvent être mis au compte des scribes ' ; car ce n'est qu'au xiv'^ siècle que nous trouvons un nombre asse-z considérable d'exemples de cette graphie ; ceux qu'on relève au xiii'^ siècle, fête- de Boeve (791), de Dermot (2073), de Walter de Bibblesworth (154) sont en somme très clairsemés.

Au siècle suivant, on rencontre au contraire la forme le~ qui devient pour certains auteurs la graphie habituelle : il semble inutile de remarquer que ce changement de graphie ne correspond pas à un changement dans l'accentuation, les nouvelles formes ne rimant jamais en é fermé.

Cette graphie est aussi fréquente dans les textes non littéraires, et on pourrait dire que, à partir du commencement de la seconde moitié du xiv^ siècle, elle est devenue la graphie prédominante; cela est surtout vrai pour les Year Books.

On peut donc considérer que les premiers exemples de cette graphie remontent au moins à la fin de la première moitié du xiii^ siècle. Elle est donc, semble-t-il, sensiblement plus ancienne que la graphie correspondante de la première personne du pluriel.

Il n'est pas rare de voir tomber à cette personne la consonne finale : le premier exemple que nous en ayons remonte à une date assez ancienne, c'est le dite du psautier d'Arundel (10, i). M. Meyer- Lùbke - a voulu expliquer cette forme isolément : il y a cependant dans les textes anglo-français un nombre assez considérable d'exemples analogues, et si nous n'en trouvons pas d'autre au xii'^ siècle, les siècles suivants nous en fournissent plusieurs. Nous relevons par exemple dans Boeve : este (2216), dite (1964), veuiste (611) dans Pierre de Langtoft : maiste (II, 438, 22), este, dans l'Evangile de l'En- fance (ms. O 206, c) dans Foulques Fitz Warin : iins(]iiite(jo^); dite

I. Ms. Douce d. 6, milieu du xnie siècle ; ms. du Saint Gilles, xiii'-" siècle. 2. (jrammatik. p. 40,$ 32.

202 LEVOLUTIOX DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

dans le ms. A de l'Ipomédon (vers 2995), pour n'en citer que quelques-uns dans la langue littéraire.

Les exemples sont assez rares dans la langue politique et diplo- matique ; nous avons cependant : este dans Rymer's Foedera (135 1, V, 709) ; ils sont un peu plus communs dans la langue légale, por- tate(2i Edw. \^% 121), fête (30 Edw. P^ 141), este (14 Edw. III,

313)- Il nous semble difficile d'étendre à toutes ces formes l'explication

proposée par M. Meyer-Lûbke, et trop facile de les ranger dans la

classe, qu'on est peut-être tenté d'agrandir outre mesure, des lapsus

calami. Nous tenterons dans notre seconde partie de donner une

raison phonique à cette chute de Vs.

h) La voyelle atone.

A ces personnes, comme partout ailleurs, la voyelle atone post- tonique est ordinairement exprimée par e; à partir du xiii^ siècle, on rencontre assez communément la voyelle / avec la même valeur, surtout pour les formes faibles. Citons pour les fortes : eslis au second vers de la Lumière as Lais; pour les faibles : tuastis dans Boeve (2216) ; commandàstis au vers 19 de la Lumière as Lais; descenâislis dans Boeve (1247, D) ; tenistis, ibid. (vers 1716), etc.

Cet i se rencontre aussi dans les textes diplomatiques et familiers, par exemple pari astis dans les Literae Ccntuarienses (1336, 593). C'est surtout dans les Year Books qu'on peut relever cette graphie : eytis (: êtes) (21 Edw. l", 283; 11 et 12 Edw. III); seysiiis (30 Edw. P", 91); coniastis (31 Edw. l", 297).

Dans ce dernier recueil, ces terminaisons sont des plus com- munes.

Les exemples de la langue littéraire nous montrent que cette substitution de / à Ve muet ordinaire ne doit pas remonter plus haut que les premières années du xiv^ siècle, ou les dernières du XI^^

c) Chute de la voyelle atone.

Il n'est pas très rare, au moins dans les textes non littéraires, de trouver des exemples de désinences féminines de la seconde per-

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 203

sonne du pluriel d'où la voyelle posttonique a disparu ; on trouve par exemple pour les personnes (ortes fait -^ dans les Rymers's Foedera (1330, IV, 453), et dans les Annales de Saint- Alban (1320, 74).

Les exemples sont plus nombreux pour les personnes faibles ; ces- sai â^ dans les Literae Cantuarienses (1357, 636); donaf:( et mandat^ dans les Documents inédits (1382, 231); mais tous les exemples que nous en avons relevés se trouvent dans la dernière partie du xiv^ siècle.

Nous en rencontrons plusieurs exemples dans les Year Books : feffati (^oEdsv. I-, 191) ;/e/- (30 Edw. I-, 75,247, etc.); suppo- sais (31 Edw. I", 361); ets (33 et 35 Edw. I", 471, etc.); toutes ces formes sont de dates très incertaines.

Nous avons trouvé à deux reprises la deuxième personne du plu- riel du présent de l'indicatif de être sans la dernière syllabe : est dans Boeve au vers 1683, et dans la Genèse Notre-Dame 79 r°.

Ces deux exemples sont isolés dans la langue littéraire et cette forme est inconnue à la langue politique, diplomatique et familière, et ne se retrouve plus que dans la langue légale (par exemple dans 30 Edw. P"", 3) et passim.), elle estassez fréquente.

d) Le premier s de la désinence.

La deuxième personne du pluriel du verbe être et toutes les deuxièmes personnes du pluriel féminines faibles ont une s après la voyelle tonique. Cette s appuyant le / était destinée à disparaître comme elle le fait dans la désinence en ist de la troisième personne du singulier. Malheureusement ici, nous sommes en présence de deux difficultés : d'abord, nous ne pouvons trouver que des inter- rimes, ensuite ces secondes personnes sont très peu nombreuses. Nos conclusions ne pourront pas comme précédemment s'appuyer sur un nombre suffisant d'exemples bien attestés.

Le premier cas de la chute de s que nous trouvions dans la langue littéraire se lit au vers 11 38 du Saint Gilles : Jutes; cette même forme se trouve encore au vers 4697 du Manuel des Péchés. On rencontre dans la Lumière as Lais, vers 17 et 21, commandatis, ahurnates. Il est vrai que tous ces exemples peuvent appartenir aux scribes (seconde moitié du xiii= siècle).

Mais ce qui prouve bien que pour l'auteur ou le scribe de la

204 L EVOLUTION DU VEUBl- EN ANGLO-FRAKÇAIS

Lumière as Lais Vs n'a plus dans cette position qu'une valeur con- ventionnelle, c'est que à quelques vers de distance ces deux mêmes verbes apparaissent encore, mais sous la forme étymolo- gique : commandastis au vers 19, ahurnastcs au vers 26.

Postérieurement à ce poème, les exemples de la chute de s deviennent (relativement au nombre de ces personnes) fort com- muns pour les désinences faibles. Ils sont au contraire très peu nombreux pour le verbe être. Les quelques exemples qu'on relève de la forme êtes (Nicolas Trivet : ete^, 47 r°) se trouvent dans les ouvrages de la fin du xiv" siècle et peuvent par conséquent prove- nir des scribes du siècle suivant.

Faire au contraire ' prend assez tôt et fort souvent une s à laquelle il n'a aucun droit. Le premier exemple que nous ayons rencontré de la forme (estes se lit dans le Boeve de Haumtone au vers 2061. Il est vrai qu'il peut être au scribe et appartenir au xiv^ siècle. A cette époque du reste, nous en relevons plus d'un exemple, dans Walter de Bibblesworth (1-13), dans Pierre de Lang- toft (II, 78, 18), dans Nicole Bozon, etc.

Surtout certains textes non littéraires préfèrent /cy/t'j à la forme régulière (cf. Rymer's Foedera et Letters from Northern Regis- ters).

è) La voyelle accentuée.

Nous n'avons que très peu de remarque à faire sur la voyelle accentuée des deuxièmes personnes du pluriel féminines.

I. Les Faibles.

Le seul changement dont nous puissions faire mention atteint la voyelle a des prétérits en avi. Vers la fin du wW ou au xiv^ siècle elle est parfois écrite au : par exemple dans Robert de Gretham, on lit portùiistes et trovatistes (au fol. 62 v") ; William de Waddington, dans le Manuel des Péchés, vers 3555, fliit rimer rcne'uuisles avec une désinence en astes.

En dehors de la littérature cette graphie est commune, surtout dans les moins corrects des recueils; les Year Books en particu-

I . Nous !)"avon.s relevé aucun exemple de ilistcs .

LA DEUXIÈME PERSONNE DU PLURIEL 205

lier en présentent de nombreux exemples. Mais ils semblent tous assez tardifs.

2. Les Fortes.

Nous n'observons pour les personnes fortes que les changements phoniques qu'on rencontre, non seulement dans le verbe, mais à toutes les autres parties du discours ; par conséquent, les variations : faites, feites, fctes, dont nous avons cité de nombreux exemples, sortent de notre sujet.

Il en est de même d'une autre graphie, plus rare du reste, cites pour estes. Cette graphie ne se trouve pas dans les œuvres littéraires et n'apparaît que dans les textes politiques les moins réguliers, par exemple dans les Letters from Northern Registers, ou dans les Year Books (21 Edw. I-, 283).

Le verbe être prend aussi, rarement du reste, à cette personne la ioxme yestes (2 syllabes) au vers 2935 du Prince Noir, probablement sous l'influence de ies.

TERMINAISONS MASCULINES

Les deuxièmes personnes du pluriel à désinence masculine se présentent sous trois formes :

a) La forme ^^ et ses variantes :

b) Eii^.

c) kl.

On voit donc que toutes les désinences masculines de la deuxième personne du pluriel ont un caractère commun, celui d'être termi- nées par la consonne ^ ; elles diffèrent dans la nature de la voyelle accentuée. Nous commencerons donc par ce qui leur est commun, la consonne finale, et nous étudierons ensuite la voyelle dans cha- cune des terminaisons.

A. La consonne finale.

I. Ses formes. La consonne fmale des deuxièmes personnes du pluriel taibles se

2o6 l'évolution du verbe en anglo-français

présente à nous sous diverses formes. La forme correcte en i\ est aussi la plus fréquente et on la trouve pendant les trois siècles de la littérature anglo-française.

Elle est unique au xii* siècle et reste la désinence la plus employée dans les deux autres. On trouve cependant assez tôt le \ remplacé assez irrégulièrement par d'autres consonnes, qui ne sont jamais rien de plus que des variantes graphiques. Les diffé- rents changements que nous allons signaler n'ont qu'une impor- tance minime, aussi nous ne nous y arrêterons que le moins pos- sible.

s est la première en date de ces variantes ; elle se rencontre déjà dans le Voyage de Saint Brandan, cette lettre est employée d'une façon relativement fréquente à la place de :^ : on lit par exemple merveilles au vers 472, etc. ; mais il est plus que probable que ces formes proviennent du scribe et doivent par conséquent être reportées à 1167. Le seul autre ouvrage du xii' siècle qui nous montre un assez grand nombre de deuxièmes personnes du pluriel en s est le Psautier de Cambridge, et on ne les rencontre jamais dans cet ouvrage à l'indicatif, ce qui peut n'être qu'un hasard ; on lit au subjonctif et à l'impératif : festes (117, 28) ; veuilles (4, 4), (B, ei) ; remembres (x, 5); seies (79, i) (ms. B seulement). La désinence en es est rare dans tous les autres auteurs du xii"' siècle; on la trouve sporadiquement dans Adgar, comme esties (XL, 427). Elle devient plus générale à partir de Frère Angier ; dans la Vie de Saint Grégoire seulement on trouve : aies {^10) ; pnesses (1653) ; dans le Saint Laurent, on a : soies (113) ; âmes (120); visites se lit dans Robert de Gretham (23 v*') ; apportes (: destrer) (98); verres, (1554), et plusieurs autres se relèvent dans Boeve; elle se trouve dans une interrime de la Lumière as Lais, manges : murres, 75. Nous pouvons en citer rapidement quelques autres exemples, comme consentes (Aspremont, 292); oes (Dermot, 933); isteres (ibid., 1882) ; repentes (dans William de Waddington, 3556); verres (ibid., 4044). En résumé elle devient au xiii^ siècle à peu près aussi com- mune que la terminaison régulière en e::^.

Au siècle suivant cette graphie n'est pas rare ; on la rencontre encore dans l'Apocalypse, verres, y 590 ; dans la Vie de Sainte Marguerite (cf. vers 229, 235, 245, etc.). Elle n'est pas absente des ouvrages de Robert de Grosseteste, ni du Siège deCarlaverok, ni de

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 207

la Chronique de Pierre de Langtoft, ni de Foulques Fitz Warin, ni de Bozon, ni du Prince Noir. C'est dire qu'on peut la trouver dans la plupart des auteurs sinon dans tous les auteurs anglo-français du xiv= siècle. Si l'on pouvait trouver le nombre ou tout au moins la proportion des désinences en s (chose à peu près impossible), nous cro3'ons qu'on trouverait une diminution très sensible de ces formes au xiv^ siècle .

Il ne faut pas oubUer que cette forme, comme nous l'avons dit, n'est qu'une graphie de^; il y a des rimes en assez grand nombre qui montrent que les auteurs anglo-français ne percevaient plus de différence entre ^ et :^.

Nous ne croyons point que cette confusion ait été déjà établie au temps du Voyage de Saint Brandan, aussi les terminaisons en s que nous trouvons à un certain nombre de secondes personnes dans cet ouvrage doivent être mises au compte du scribe. Dans le Tristan de Thomas, nous avons la rime : gardes : prenez (52) ' et dans le Donnei : penics : save:{ (329) -, qui montrent que pour le scribe, sinon pour l'auteur, q et es étaient des terminaisons équivalentes. Plus tard encore, on rencontre de nombreuses rimes de cette espèce : sojurnes : ferre^, Plainte d'Amour (252); serres : cree^, William de Waddington (4044), et bien d'autres encore.

Cette terminaison rime du reste très bien aussi avec toutes sortes de terminaisons en s ou ;^. Nous en avons de nombreuses preuves : le Siège de Carlaverok au vers éo fait rimer verres avec r^~ ; dans le Prince Noir, es rime avec les participes passés de I, doutes (j. nomez) au vers 3430 et entendes (; trespassez) au vers 3448.

Citons, avant d'en finir, une forme dérivée de la désinence en es : le seies~^ du Psautier d'Arundel (23, 9) ; c'est, soit un lapsus du scribe et c'est le plus vraisemblable, soit une contamination de q et de es.

La terminaison qui présente au lieu de ~ une dentale est au moins aussi ancienne que la terminaison es : nous la trouvons en effet pour la première fois dans le Voyage de Saint Brandan, elle est employée à la rime seet (: voiez), 359 ' ; cette rime montre qu'au plus tard vers 1 167, on assimilait cf accentué à e^.

1. Fragment de Cambridge, lin du xni= siècle; probablement continental.

2. Manuscrit du xiii^ siècle.

5 . Le ms. de l'Arsenal a sees : voies .

2oS l'Évolution du verbe en anglo-français

Le Psautier de Cambridge montre cette désinence un grand nombre de fois; elle y est même plus répandue que la terminaison es : seied (6i, lo) ; conmi (80, 3); (B ez) ; conuîssed (141, 4); viiillied (14), 2);chaulcd (146, 7); 70^^(148, i) (5 fois); heneissed (y; 6). De même dans le Psautier d'Arundel, appriniet (33, 5); adorel (28, ^)\§Jonfiel (21, 4).

Si l'on met à part ces trois ouvrages la désinence en cd est rare au xii^ siècle. On ne la trouve ni dans Gaimar, ni dans Fantosme, ni dans la plupart des autres auteurs de cette époque.

On pourrait se demander comment il se fait que cette désinence se trouve ainsi limitée à un si petit nombre d'auteurs; la réponse n'est pas fLicile à donner.

Plus tard dans la littérature anglo-française, nous nous trouvons en présence d'un plus grand nombre de désinences en et, cependant elles restent limitées à certains auteurs : Robert de Gretham l'a quelquefois, quoiqu'elle ne soit pas commune chez lui. Voici les exemples que nous avons relevés dans les Evangiles des Dompnées : poet (au fol. 6 v°) ; rendet (23 r°). De même dans Boeve, elle est parfois employée, on relève : ensct (au vers 2126^ ; fiiet (au vers 273). Elle est relativement plus répandue dans Edward le Con- fesseur, qui nous donne devet (86); eict (618); seet (850); on peut attribuer au scribe (milieu du xiii^ siècle) l'exemple qui se trouve dans une des rubriques : inivisset (VI, 2). Elle est presque la seule employée dans le ms. Cambr. Univ. Libr. Ee i i delà Hose- bonderie de Walter de Henley.

Nous pouvons en relever d'autres exemples dans différents auteurs, comme niettet, Satire (81 r°) ; voudrct : avendret, Chevalier, Dame et Clerc (509); troveret, Walter de Bibblesworth (143).

Nous trouvons cette désinence encore au xiv^ siècle assez répan- due, sans qu'elle gagne beaucoup de terrain ; recevet, dans l'Apoca- lypse (y 1041); dans Pierre de Langtoft ; pcnset (I, 496, 16), B, C et D, er; ksset, (A et B) (II, 52, 19) ; passet (II, 78, 23). On peut en trouver quelques autres dans d'autres auteurs : pusset, Vies de Saints, de Nicole Bozon (93 v°), facet, Nicolas Trivet (31 r°).

Cette terminaison n'a donc pas été très employée en anglo-fran- çais, quoiqu'elle s'étende depuis 1160 jusqu'à la fin du xiV^ siècle. Elle n'a jamais gagné beaucoup de terrain, est restée limitée à un petit nombre d'auteurs et n'a jamais eu l'importance des deux dési- nences précédentes.

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 209

Cette terminaison ne fait son apparition que très tard dans la langue littéraire ' ; nous ne l'avons même pas relevée dans la Chro- nique de Pierre de Langtoft proprement dite. On en trouve plu- sieurs exemples dans le second Appendice de Pierre de Langtoft, comme aviseti (II, 436, 7); abreggct- (II, 244); aict{ (II, 434, 5); cslaii^ (II, 436, 4), et dans le manuscrit Bodléienne Douce 98 qui donne les Règles de Robert Grosseteste. Les Chroniques de Londres à la date de 1339 ont piisscl;:^, ^/iW^ (p. 73). Cette terminaison est rare chez Nicole Bozon (cf. sc'ict:^. Contes, § 21), excepté dans certains manuscrits, comme les mss. Selden, supra 74 et Bodley 761 des Proverbes de Bon Enseignement. Elle est très commune chez Nicolas Trivet et l'on peut citer volet:(^ (8 r°) et scrrel\ (47 r°), etc. Et dans le Prince Noir, aurel^ (962); vet^ (1243); voillief- (1647).

Nous ne dirons qu'un mot de l'emploi de ces diverses con- sonnes dans les textes qui n'appartiennent pas à proprement parler à la littérature ; on retrouve dans la langue diplomatique, poli- tique et familière les mêmes consonnes que celles que nous avons examinées dans les ouvrages littéraires. La désinence en e^ est, semble-t-il, la plus commune ; es, c/:^ ne sont pas rares ; et est beau- coup moins fréquent.

Il est fort difficile le plus souvent de déterminer la proportion suivant laquelle les trois premières sont employées ; cette proportion varie d'abord suivant l'époque, suivant les auteurs et enfin varie aussi énormément dans le même auteur. Dans les Statutes, par exemple, nous trouvons dans un serment à la date de 1335 (vol. I, p. 274), que sur huit futurs à la deuxième personne du pluriel, sept sont écrits par q et le huitième est écrit es ; un autre serment de 1346 (vol. I, p. 306) présente un nombre encore plus considé- rable de ces deuxièmes personnes, il s'en trouve au moins trente et toutes sont écrites par t'~. En 1332, au contraire, nous lisons deux textes analogues à ceux que nous venons de citer (vol. I, pp. 247, 248); le premier de ces deux textes a 24 t'/:( contre 2 e:^, le second 15 es contre i e{. Ces exemples tirés du recueil le plus correct et le plus consistant montrent bien à quel point les trois désinences que nous étudions étaient mêlées et, si on peut le dire, interchan-

I. Cf. Hchrcus, Beitràge, Franzôsische Studien, V, p. 195.

14

210 l'Évolution du verbk hn anglo-français

geahles. Dans les Rymer's Foedera, la terminaison et~ devient de plus en plus commune à partir du commencement du second quart du xiv^ siècle ; elle est même plus fréquente que la terminaison <'~. Les auteurs des Literae Cantuarienses semblent, jusque vers 1250, ne pas employer très souvent cette terminaison ct^, et la dentale est ordinairement absente des deuxièmes personnes du pluriel masculines avant cette date; pendant les années qui suivent, elle devient assez commune.

Tous les auteurs et recueils que nous venons de citer emploient ces deux désinences plus souvent que n'importe quelle autre; et se rencontre chez eux, mais assez rarement. D'autres auteurs cependant semblent l'affectionner, comme Jean de Peckham : on la trouve plu- sieurs lois dans diverses lettres à partir de 1280.

La seule conclusion que nous puissions tirer des œuvres non littéraires c'est que la forme normale en e^ est employée à peu près constamment dans tous ces textes ; la forme qui présente une den- tale avant le :( se trouve dans les plus anciens textes non littéraires, mais elle ne devient vraiment fréquente qu'à partir du commence- ment du second quart ou du second tiers du xiv= siècle. La termi- naison en es n'a pas eu un emploi aussi étendu, quoiqu'elle ait été employée probablement plus tôt que et^ ; encore moins fréquente est la désinence en et qui est, sinon limitée ci certains ouvrages, au moins très rare dans la plupart. Dans les Year Books, la consonne finale est le plus souvent :( ou /:( ; on trouve t assez fréquemment dans 20 et 21 Edw. I" et s en même temps que :{ et que t à partir de I et 2 Edw. IL

Comme nous ne pouvons apporter aucune précision sur les dates de ces différentes formes dans les Year Books, nous les négligeons entièrement dans notre conclusion. En combinant les renseigne- ments que nous fournissent les autres écrits anglo-français, nous trouverons que des quatre désinences en usage, c'est la désinence régulière en e^ qui est à toute époque le plus généralement em- ployée. Celles qui présentent ^ ou / datent toutes les deux de 11 67 au plus tard ; la désinence en es est commune surtout au commence- ment du xiii" siècle, et devient plus rare à la fin de ce même siècle et au siècle suivant. C'est ce qui explique pourquoi nous ne trou- vons pas un grand nombre de deuxièmes personnes en -es en dehors de la littérature. Et n'a pas eu la généralité de es; cette terminai-

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 211

son n'est jamais très commune excepté chez certains auteurs. La désinence en ct:( qui présente le ^ et la dentale est peu commune dans les œuvres littéraires, sauf dans les manuscrits datant des der- nières années du xiv^ siècle. Elle est plus habituelle en dehors de la littérature; elle date de la lin du xiii= siècle, mais ne devient commune qu'à partir de 1325 ou 1330.

2. Chute de la consonne filiale '.

Avant de passer à l'étude de la voyelle des terminaisons mascu- lines, il nous reste un mot à dire d'un phénomène, qui tout en n'étant pas très commun, se présente quelquefois : la chute de la consonne finale.

Comme un grand nombre de consonnes finales, celles que nous trouvons à la deuxième personne du pluriel tombent parfois, que ce soit le ^ ou plus vraisemblablement 1'^- ou la dentale. Nous avons ainsi très tôt des deuxièmes personnes du pluriel à désinence voca- lique. Le Psautier d'Arundel, Horn, Fantosme ou leurs scribes nous en fournissent déjà plusieurs exemples ; aporte, Psautier d'Arundel (28, 12); vienge, Horn (869) ; esmerveille (ibid. 4190); rende, Fantosme (305, 1884). Le xiii'' siècle nous donne un assez grand nombre d'exemples comme wa»6'(maneus) quiselit dansle Josaphat de Chardri au vers 2838 ; vole, dans la Satire sur le Siècle (81 v°), etc. Cette chute de la consonne finale se rencontre aussi sporadi- quement dans différents auteurs du xiv^ siècle, comme Vescrifey (pour escrifcyt) de l'Apocalypse, ,3, 87, sans que nous puissions savoir si la forme abrégée est due au scribe ou provient de l'auteur. En dehors de la littérature, ce n'est guère que dans les Rymer's Foedera que nous trouvons des exemples de ce phénomène, et ils restent toujours en petit nombre et sont très dispersés; citons contrevene (1325, IV, 131), considère (1342, V, 346), et il y en a encore quelques autres. La consonne finale ne s'est donc pas toujours maintenue ; et nous croyons que les terminaisons vocaliques de la seconde personne du pluriel proviennent des terminaisons à dentale ; celles-ci sont déjà, comme nous l'avons vu, très peu nombreuses en anglo-français, et cela suffirait pour expliquer le petit nombre des terminaisons voca- liques.

I. Cf. Meyer-Lûbke, Grammatik, § 32.

212 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

B. La VOYELLE

a) Désinences en c:(.

Les changements que la voyelle peut subir sont évidemment moins nombreux et n'ont pas beaucoup plus d'importance que ceux qui affectent la consonne. Dans toute la littérature anglo-française nous n'en trouvons guère que trois.

I. Redoublement de la voyelle de la terminaison.

Ce phénomène que nous avons déjà observé à la troisième per- sonne du singulier et que nous retrouverons à l'infinitif et au parti- cipe passé, n'est pas spécial au verbe (cf. Suchier, Grammaire, loc. laid.). Ve précédant la consonne finale est redoublé comme dans restée:^, Chardri (Set Dormans,no8); free:;^ (Petit Plet, 281 '). Nous ne pouvons savoir avec certitude si ces deux formes appartiennent à la langue de Chardri lui-même ; elles sont données toutes les deux par le ms. Cotton Caligula A IX, qui appartient à la fin du xiii" siècle ; le ms. Cotton Vespasien A VII donne pour l'Ipomé- don veneei, estee^ (vers 4567, 6504). Comme les auteurs du xiii^ siècle ne nous ont pas fourni d'autre exemple de la terminaison ee:!^ et comme le xiv^ siècle nous en donne un assez grand nombre, par exemple avisée^ de Foulques Fitz Warin, 80 ; alee:{ du clerc de la Destruction de Rome, vers 906 ; Jreei dans les Trente-six mestre Folies au folio 97 r°, forme qui se retrouve encore dans les Contes deBozon, § 63 et dans Nicolas Trivet, 47 r", il est plus naturel de la considérer comme particulière à la fin du xiii^ et au xiV siècle.

Les deux exemples de Chardri, s'ils appartiennent à l'auteur ce qui est peu probable nous montrent que ce double e ne comptait que pour une syllabe :

Resteez vus ici un petit. (Set Dormaus, vers 1108.) E vus treez une curteisie. (Petit Plet, vers 281.)

Les autres exemples ne nous donnent aucun renseignement sur

I. Il est possible que nous n'ayons pas dans freei une désinence en ee^ ; il a pu y avoir métathèse, et, dans ce cas, le premier e représenterait la voj'elle du thème.

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 213

la valeur de ee. (Cf. du reste infinitif et participe passé). Nous avons remarqué, sans parvenir à nous l'expliquer, que c'est le futur du verbe faire qui nous présente le plus souvent la double voyelle.

L'anglo-français non littéraire présente un certain nombre d'exemples Ve de la terminaison est écrit deux fois : le cas le plus ancien qu'on en trouve se lit dans les Rymer's Foedera à la date de 1294 (II, 627), ce qui concorde bien avec la date du manuscrit de Chardri, apelees ; puis un peu plus tard baillée^ et deliveree:^ à la date de 1299 (II, 839); les autres recueils nous en offrent aussi un certain nombre de cas, mais tous appartiennent au xiv* siècle, comme freet:^ qui se trouve répété dans le premier livre des Statutes (1332, 247); tc?idree~ dans les Parliamentary Writs (1305, 162); demandee:{^ voyllee-^ qui se trouvent tous les deux dans les Memor. Pari. 1305, au § 236; haslee:yAzns les Literae Cantuarienses (1318, 44), etc. Comme on le voit, les exemples que nous pouvons citer sont assez peu nombreux, ils se trouvent dispersés dans un certain nombre d'ouvrages^ et sur un certain nombre d'années.

Comme dans la langue littéraire, c'est vers la fin du xiii^ siècle que se rencontrent les premiers exemples de cette terminaison et c'est au siècle suivant qu'elle est le plus employée. Nous ne pou- vons pas dater avec la même précision celles que nous trouvons en assez petit nombre du reste dans les textes légaux : avérée^, 22 Edw. P% 633; vetidree-, 31 Edw. P"", y33; free^, 33 et 35 Edw. I", 299, 347; coulissée:^, i et 2 Edw. II, 79, etc.

Enfin, il ressort clairement de l'étude des trois classes de textes que nous avons à notre disposition, que l'anglo-français n'a pas employé très fréquemment cette terminaison et que le redouble- ment de r^ n'a jamais eu beaucoup de vogue à la deuxième personne du pluriel.

2. La diphtongue ei.

La seconde modification que peut subir la voyelle de la désinence c'est de passer à ei (pour le passage de e fermé a ei en anglo-français, cf. Stimming, p. 175, Busch, op. cit., p. 15, et Suchier, Gram- maire, § 18. Voir aussi notre seconde partie, chapitre II). Ce passage s'observe assez rarement pour les deuxièmes personnes du pluriel,

214 L i:VOLUTION DU VERBE EN ANGLO-ERANÇAIS

quoique l'on puisse cependant en rencontrer quelques exemples. L'auteur ou le scribe du Boeve en a trois : /rm (3054); frcy:^ (2566); fcreys (2930); le poème d'Aspremont nous en donne un, au vers 10, aeix_; nous en relevons un autre exemple dans l'Apoca- lypse : escrifey (ji, 87). Au xiV siècle, il semble que cette diphtongue puisse passer à ai, comme dans estait^, dans Pierre de Langtoft (II, 436, 4). Par conséquent, elle affecte deux présents et un imparlait de l'indicatif, deux futurs et un subjonctif présent en ia)ii.

Il n'est pas probable qu'il faille faire remonter ces terminaisons en cil '"^ celles que nous étudierons tout à l'heure; l'intervalle de temps qui sépare ces deux classes d'exemples est trop considérable pour qu'on puisse admettre une influence des plus anciennes sur les plus récentes, d'autant que, n'étant pas assurées par la rime, les désinences que nous trouvons dans Boeve et Aspremont peuvent provenir des scribes et appartenir au xiV^ siècle, ce qui est le plus vraisemblable.

Cette diphtongue ei est extrêmement rare dans les textes non lit- téraires; nous n'en avons relevé qu'un petit nombre d'exemples. Ils se trouvent dans les Foederade Rymer : sachei^ (1299, II, 840), ou avec une dentale finale : voylleyt, aveyt (1279, II, 133); et dans lesLetters from Northern Registers: w/Z/^V^ (impératif) (1346, 244).

Les autres recueils ignorent absolument cette terminaison. On la trouve sporadiquement dans le Law French ; on peut en citer un petit nombre d'exemples comme avendreys {21 Edw. l", 93); i'H'^ (22 Edw. P', 353) (qui peut du reste être fort bien une synérèse pour veiei), chargereii (30 Edw. l", 243) et quelques autres. Tous les exemples sont assez peu probants ; et il serait possible de les attribuer tous à l'ignorance ou à la négligence des scribes, si nous ne savions que le passage de e à ci est un phénomène phonique dûment constaté dans Tanglo-français du xiii'^ et du xiv- siècle. La deuxième personne du pluriel n'a certainement pas beaucoup souffert de ce changement.

Signalons encore, avant de terminer l'énumération des différentes formes que prend la voyelle tonique des deuxièmes personnes du pluriel masculines, un changement qui ne semble pas avoir l'im- portance de ceux que nous avons signalés : c'est le passage de ^;^ à

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 21 5

oe^. Ce phénomène est extrêmement rare et ne se trouve que dans les Rymer's Foedera et pour un seul verbe, devoir : devoe^ (1297,11, 790). Il n'y a pas à en tenir compte.

3. Synérèse.

Le troisième changement que nous avions annoncé a une certaine importance. Dans un petit nombre de cas, nous pouvons observer une synérèse s'effectuant entre IV de la terminaison et la voyelle du thème (verbes à thème vocalique). Ce phénomène est, dans les œuvres littéraires, beaucoup plus rare encore que la chute de la consonne finale; nous ne trouvons guère que 0^ au vers 117 de la Vie de Saint Grégoire, et vei^ commun, même sur le Continent, dans l'expression vei::^ci ; au vers 1243 du Prince Noir, nous rencon- trons vetz^ comme présent de l'indicatif.

Il en va de même pour la langue non littéraire : celle-ci ne pré- sente qu'un tout petit nombre de formes dans lesquelles la voyelle de la désinence disparaît ; le petit nombre de ces exemples en même temps que la qualité des recueils qui les donnent les rendent peu satisfaisants. Néanmoins, nous citons les trois exemples que nous avons relevés : dans Rymer's Foedera, on trouve seit:^ (1324, IV, 30); dans le Liber Albus : contemi:^^ {== continuez) (1365, 367). Ajoutons encore po/;^ dans le Year Book 14 Edw. III (109). Ce n'est donc que dans un nombre très restreint de secondes personnes du pluriel que nous pouvons observer cette chute de la voyelle accentuée ; il serait possible de considérer certains des exemples que nous venons de citer comme de simples lapsus calarai ; il reste assuré, croyons-nous, que la vo^'elle accentuée disparaît quelquefois de certaines de ces personnes ; vet:^, o~, seit^ sont des exemples de synérèse, assez rares, il est vrai, mais qui n'ont rien de bien éton- nant.

h) Terminaison <'/;(.

Cette terminaison vient, comme on le sait, de la désinence latine ètis\ à l'origine elle apparaît au subjonctif de I et au futur.

Ces désinences en ei:^ se rencontrent dans ranglo-français du xii'^ siècle et elles ne sont pas aussi rares que Willenberg ' le pré-

I. Historische Untcrsuchung, p. 535.

2l6 L'r.VOLUTION DU VERBE EK ANGLO-IRANÇAIS

tend. Le Comput en a sept, dont six riment avec Dieis : giinriicn'i:( (2307), Intvcrcii (2836), ^/t';v/~ (2847), (T;r;r/;(30i i), ^-^^-^(3048), avrci::^ (3071). Enfin, la septicMne, Inivereiiy rime avec demaneis (au vers 2054). Elles sont toutes régulières, excepté sacei:;^ qui est un impératif. Cet emploi de n^ uniquement à la rime, dans un auteur aussi ancien que Philippe de Thaûn, prouve que déjà à cette époque la désinence était archaïque et n'était employée qu'en cas de nécessité.

Cependant on la retrouve encore plus tard chez quelques prosa- teurs. Le Psautier d'Oxford ' a deux futurs avec cette termi- naison : serrei^ (126, 3), errei~ (94, 7). On rencontre encore dans le même ouvrage sept impératifs ou subjonctifs : perisseii (2, 12), sacei:^ (93, 8, 2 fois, mais sache;(, i fois, 4, 4), beneissei^ (65, 7), heneisei^ (102, 20), benedisei~ (67, 28), establisscly (117, 26), regehis- sei:^^ (96, 13) ; la diphtongue pour ces sept formes est irrégulière. - Dans le Psautier de Cambridge, nous n'en relevons plus que deux exemples, ce sont nriintei- (47, i-j), qui est un subjonctif présent en m/et est, par conséquent, régulier, et percevei^Ç^S, i), subjonctif en iam. Remarquons que le ms. B donne pour ces deux verbes la terminaison e^.

Le Donnei a enfin une autre de ces formes, la dernière que nous ayons relevée : vodrci~ (985) qui est un futur, et régulier. Les manuscrits L et C du Cumpoz nous en offrent aussi quelques exemples qui peuvent remonter plus haut que la date à laquelle ces manuscrits ont été écrits. Le ms. C nous donne au vers 1305 sacei:( (sapiatis), tandis que L nous donne troverei\ au vers 2053, devei\au vers 2237, averei:^ au vers 2847. Il est impossible de dater ces quatre exemples, tout ce que l'on peut dire, c'est qu'elles ont été employées postérieurement au Cumpoz, puisqu'elles n'appartiennent pas au texte du poème même, mais qu'elles sont au moins aussi anciennes que le manuscrit dans lequel elles se trouvent (C et L sont tous les deux postérieurs à 1150). Elles peuvent provenir d'un texte de ce poème intermédiaire entre le texte primitif et la rédaction de ces deux manuscrits.

Nous devons faire encore une remarque sur les formes qui se

I . Pour les deux Psautiers, il faut vraisemblablement faire remonter ces formes aux traducteurs, c'est-à-dire à la fin du xie siècle pour le Psautier d'Oxford et au commencement du xii^ pour celui de Cambridge.

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 217

rencontrent dans les Psautiers. La date à laquelle nous rapportons ces traductions est celle des manuscrits eux-mêmes ; mais on sait que l'original date au plus tard des premières années du xii'' siècle. Lorsqu'il s'agit de formes nouvelles, nous pouvons toujours les attribuer à la date des manuscrits et nous ne pouvons nous tromper dans ce cas que par excès de prudence. Mais quand nous avons affaire, comme ici, à des formes anciennes nous ne pouvons que les faire remonter à la date des traductions elles-mêmes. Il en résulte que nous placerons au commencement du xii'^ siècle, et non vers II 60, les terminaisons en -«;{ que nous trouvons dans les Psautiers.

Comme on le voit, la terminaison ^q a donc été encore assez fré- quemment employée dans la première moitié du xii* siècle ; déjà cependant les auteurs qui l'employaient la considéraient probable- ment comme archaïque : elle est devenue assez rare pendant la seconde moitié du xii^ siècle et disparaît par la suite.

On peut aussi observer, et ceci nous semble digne de remarque, que des dix-neuf exemples que nous avons relevés, sans compter les exemples des mss. C et L du Comput, dix sont réguliers. De ces dix, six se trouvent dans le Comput, deux dans le Psautier d'Ox- ford, un dans le Psautier de Cambridge, un dans le Donnei. Ceci montre que la forme en ei\, en tant que désinence régulière, tend à disparaître et que après iiio, elle ne se trouve qu'à l'état spora- dique. Neuf autres sont irrégulières {sacei:;^, perisseiei, benissci-, esta- hJissei^, regehissei:() ; on n'en trouve qu'une dans le Cumpoz, les autres proviennent des Psautiers. On peut remarquer que pour ces neuf formes, la désinence régulière serait /q, et ceci nous explique immédiatement la présence de la désinence ei : elle provient d'une confusion entre une désinence archaïque (provenant de etis) et une diphtongue ie, qui est elle-même en train de disparaître en passant à e. Du reste, les exemples ci-dessus ne sont pas les seuls cas du passage de ie à ci (cf. Stimming, op. cit., p. 202; Suchier, Voyelles toniques, p. 88, § 29 e). Le perceveii du Psautier de Cambridge est une forme analogue '.

Citons pour en terminer avec la seconde personne du pluriel en ^:( quelques « monstres » que nous avons relevés dans Rvmer's et qui peuvent n'être que des erreurs cléricales :

I. A )iiei!ei:{ au xcvs 508 du l^olnnd d'Oxford est évidemment un lapsus calanii pour iiuierrei-.

2t8 1,'hvoi.ution du vf.rrf. f.\ anci.o-français

Introduction d'une nasale : feiissent:^, puissent:^ (131 ij III> 262, 263).

O comme vovellc accentuée de la désinence : vcrro:^ (^j^^y IV, 345)-

y X comme consonne de la désinence : purrex (1342, V, 346).

r) Terminaison /V;^.

Nous n'avons pour l'étude de la diphtongue dans cette terminai- son que deux questions à traiter : 1'/ de la désinence et le passage de la diphtongue ie à la voyelle c.

I. Quand elle est conservée, la diphtongue garde le plus souvent en anglo-français sa forme ordinaire ; cependant, au xiv^ siècle, nous rencontrons de temps en temps le même phénomène que celui que nous exposions ci-dessus à propos de la terminaison en ions : c'est-à-dire que 1'/ en hiatus prend quelquefois la forme de la diphtongue ei ou oi. Les œuvres littéraires ne nous offrent que fort peu d'exemples de ce passage ; cependant, nous en trouvons un d'abord dans le poème d'Edward le Confesseur, csioie::^ au vers 4055. Il est plus que probable que cette forme est due au scribe et ne date que du xiV^ siècle; car elle est absolument isolée à cette époque. Au contraire, dans les manuscrits qui datent du xiv siècle, nous avons rencontré de temps en temps des exemples de dési- nences analogues.

Du reste, c'est en dehors des œuvres littéraires que nous trou- vons le plus grand nombre d'exemples; nous n'en citerons qu'un tout petit nombre; les plus anciens, croyons-nous, ne datent guère que de la fin de la première moitié du xiv^ siècle, comme arestoic' que nous trouvons dans le Registrum Palatinum Dunelmense (1341, I, 593), ou estoie:<^ employé dans les Rymer's Foedera (1361, VI, 155 ; 1362, VI, 373 ; 1365, VI, 467), ou dans le même recueil, dévoie- (1362, VI, 399, etc.). Cette désinence est encore plus com- mune dans les Year Books, nous trouvons constamment des formes comme pu rreiei (20 et 21 Edw. I", 21); avreyei (21 Edw. l", 143); ^5/orq(32 et 35 Edw. P"^, 333 ; 2 et 3 Edw. II, 80), Par conséquent, sans être extrêmement commune, cette forme de la désinence n'a pas été rare, surtout en dehors de la littérature.

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 2I9

2. Étymologiquement huit temps peuvent prendre la désinence en ie:( ; il nous reste maintenant à étudier quels sont les temps qui la montrent en anglo-français et combien de temps ils la gardent. En d'autres termes, il nous faut nous occuper maintenant de l'exten- sion de cette désinence.

La réduction à ^ de la diphtongue ie est un des phénomènes les plus connus de l'anglo-français, et il s'observe évidemment à cer- taines secondes personnes du pluriel. Mais ici comme ailleurs, c'est un phénomène purement phonique, dont l'étude n'appartient pas à notre sujet '. De plus, si nons tentions de déterminer les dates aux- quelles la diphtongue ic à ces personnes passe à c, le résultat serait de mince valeur et risquerait d'induire en erreur. Si ce n'est, par exemple, que vers iiéo que nous trouvons les premiers exemples assurés du passage de /V~ à e^, il ne faudrait pas conclure que la

I. Cette question, que nous n'avons pas à traiter, est certainement une des plus délicates que nous présente la phonétique anglo-française. Nous devons faire ici une distinction entre la diphtongue ie qui est monosyllabique et les désinences en ie dans lesquelles Vi est syllabique (Voir plus bas.)

Il y a de plus un certain nombre de difficultés que nous avons nous-mêmes rencontrées, quoique notre étude ne soit pas un travail de phonétique.

i) On admet généralement que le passage de /Va c a la même date que les pre- mières rimes qui accouplent cette diphtongue avec un e pur. Rien n'est moins sûr, et une telle conclusion dépasse singulièrement les prémisses. De telles rimes prouvent simplement que les poètes anglo-français faisaient rimer deux sons qui n'étaient pas homophoniques. Les graphies des manuscrits nous montrent que cette diphtongue a bien en réalité fait place à la vovelle e, mais nous pensons que c'est sensiblement plus tard.

2) L'étude des rimes ne nous donne d'ailleurs que des renseignements vagues et incomplets, car elles ne peuvent jamais nous montrer jusqu'à quel point la diphtongue s'est maintenue ; elles ne nous éclairent et encore fort imparfaitement que sur un côté de la question. Ici encore, c'est l'étude des manuscrits, contrôlée en général par celle des rimes, qui pourra le mieux nous instruire.

3) Nous ajouterons encore' un mot sur le passage de ^ à ie au xiv^ siècle. Le phénomène de l'umgekehrte Schreibung qu'on invoque ordinairement ne nous semble pas très satisfaisant surtout dans le cas actuel. Il serait nécessaire de montrer comment des graphies qui dataient de plus de deux siècles ont pu influencer d'une façon aussi générale des écrivains et des scribes qui montrent toujours une con- naissance si minime de la langue de leurs prédécesseurs. De plus auraient-ils trouvé leurs modèles ? Admettra-t-on qu'ils sont allés chercher les formes en ie dans les plus vieux manuscrits, assez peu nom.breux, qui en oflVaicnt des exemples ? Cela est fort invraisemblable. Dans notre seconde partie, nous essaierons une autre explication.

220 L ÉVOLUTION DU VERRF. EN ANGI.O-PKANÇAIS

réduction plus générale de la diphtongue ne s'est, dans aucun cas, produite avant cette date ; on peut peut-être, pour d'autres mots, trouver des exemples beaucoup plus anciens.

Tout cela nous donne d'excellentes raisons pour ne pas intro- duire dans un sujet de morphologie, des questions purement pho- niques.

Mais sans vouloir traiter la question entièrement, nous trouvons entre elle et notre sujet, des points de contact.

Par exemple on peut, sans vouloir discuter la question générale du passage de /V à e, se demander jusqu'à quelle époque la dési- nence icT^ a pu subsister, si après avoir disparu pendant un certain temps, elle n'a pas été employée de nouveau, si même dans certains cas^ elle n'a pas subsisté d'un bout à l'autre des trois siècles qui nous occupent.

Voilà les questions que nous allons traiter maintenant. Ainsi comprises, elles sont, nous a-t-il semblé, beaucoup plus morpholo- giques que phoniques.

Ce qui donne, à notre avis, plus d'intérêt à cette question et en même temps nous donne un certain droit de la traiter ici, c'est qu'il nous semble que toutes les terminaisons en /e~ n'ont pas reçu le même traitement : on doit tout d'abord distinguer deux terminai- sons en /'^~ : Tune dans laquelle la désinence est monosyllabique (présents de l'indicatif, impératifs, présents du subjonctif en eni et en am, imparfaits du subjonctif), l'autre pour laquelle 1'/ en hiatus est syllabique (imparfaits de l'indicatif, conditionnels, présents du subjonctif en iani).

L'anglo-français n'a pas conservé cette distinction très exactement, ou plutôt il a fait passer certains temps de la seconde classe dans la première. Notre étude nous a montré qu'il fallait diviser en trois groupes nos désinences en ie^ : deux groupes qui perdent Vi en hiatus, un troisième qui le conserve toujours. Le premier groupe comprend certains présents de l'indicatif, de l'impératif et du sub- jonctif (en em et en aui); pour ces temps, 1'/ disparaît de bonne heure et reparaît tard ou rarement ; le second groupe comprend des désinences en ie monosyllabiques (imparfaits du subjonctif) et dis- syllabiques (subjonctifs en iani) ; pour ces deux temps, 1'/ subsiste plus longtemps et reparaît plus tôt. On pourra considérer comme un peu factice cette distinction entre les deux premiers groupes;

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 221

nous pensons qu'elle correspond à la réalité. Le troisième groupe est formé des temps (imparfait de l'indicatif et conditionnel) qui ne perdent jamais leur i (/ syllabique).

PREMIER GROUPE

Présent de l'indicatif, impératif, présent du subjonctif des verbes de I ; présent du subjonctif en aiii ' .

Tous ces temps ont la deuxième personne du pluriel terminée en latin par atis, et étymologiquement ont en français la désinence /q lorsque le radical du verbe est terminé par une gutturale (cf. Infinitif et Suchier, Voyelles toniques).

A ces temps, la désinence en ie:( se rencontre en anglo-français jusqu'aux Psautiers et même plus tard. En voici quelques exemples pour chacun de ces temps :

a) Présent de l'indicatif et impératif des verbes de I.

Jttgie:;^ se lit à plusieurs reprises dans les Psautiers d'Oxford et de Cambridge (dans le premier, dans les passages suivants : 2, lo; 8i, 3 ; dans le second : 25, i; 81, 2; 81, 3). Il en est de même de esleecie^ dans le Psautier d'Oxford (2, 11) et de Cambridge (2, 11 ; 95, 11; 96, 12; 104, 3); et de annunciey^, Psautier d'Oxford (9, II), de Cambridge (95, 2 ; a, 6).

On trouve encore dans le Psautier d'Oxford, mangie::^ (126, 3); dans celui de Cambridge, verseillie^ (67, 33).

h) Présent du subjonctif des verbes de I.

Ici encore les Psautiers nous fournissent un certain nombre d'exemples qui proviennent généralement des verbes qu'on a pu voir dans le paragraphe précédent : jugie^ dans le Psautier d'Oxford (57, i); cschalciei dans le Psautier d'Oxford (i, 18); dans celui de Cambridge (•/;, 20).

c) Subjonctifs en aiii.

Enfin, on peut en dire autant pour les subjonctifs en aiii : beneissie:^ est employé 17 fois dans le Psautier d'Oxford, une fois dans celui de Cambridge.

Dans ce dernier ouvrage, on relève encore ciinuissiexÇ^- 3 ; 45, 10), regeisiei{-u, 4).

I. Pour /e provenant de i? précédé d'une palatale, on peut voir l'article de J. Vising dans la Zeitschrift (VI, 372V

222 L EVOLUTION DU VERBH EN ANGLO-FRANÇAIS

Après les Psautiers, et toujours au xii^ siècle, les cas de formes régulières en ie:{ appartenant à l'une des trois classes ci-dessus sont très rares. Il est possible que nous ne lés connaissions pas tous (les rimes étant peu nombreuses) et que beaucoup de diphtongues aient été réduites par le fait des scribes.

L'Estorie des Engleis nous donne la rime esiiierveillie:;^ (: sachiez) au vers 4646 ; un ouvrage en prose, les Quatre Livres des Rois, nous fournit trois exemples de subjonctifs de I : corucie:{ (I, 12, 14); vefigieiQ., 18, 25) ; algie:( (I, 28, 22) avec Vi étymologique. Et en admettant avec Gaston Paris que pouvoir a eu un subjonctif en am, on trouve encore puissie:^ qui dans la Vie de Sainte Cathe- rine rime avec auriez (au vers 441) et avec aiez (au vers 535); dans la même Vie, pJaignie:^ (vers 2527) rime encore avec aiez.

Par conséquent les exemples de formes régulières se prolongent jusqu'à la fin du xu" siècle, et il est sûr que si nous avions les textes exacts écrits à cette époque, nous en aurions trouvé un nombre plus considérable.

La réduction de la diphtongue ic est cependant attestée par maints exemples.

Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans le détail de cette question presque purement phonique ; mais, pour donner une idée de la confusion qui s'établit dans la dernière partie du xir' siècle entre les deux sons ie et e, nous nous contenterons de citer les rimes très nombreuses que nous fournit le poème de Jordan Fan- tosme. Chez celui-ci, la confusion peut sembler complète; par exemple dans les laisses : vers 126-154,213-241, 1267-1721,1313- 1320, 1592-1600, 1977-2029, les deuxièmes personnes dont nous parlons maintenant riment librement avec des terminaisons é' pur; c'est le même état de choses que nous remarquons dans les laisses 51, 59, 67, 77, etc. de Horn. Aucun autre poème ne nous fournit un nombre aussi considérable d'exemples. Cependant nous pouvons faire quelques observations :

On peut relever quelques laisses toutes les rimes sont cor- rectes, cf. dans Fantosme, vers 492-496, mais ces rimes sont peu nombreuses.

D'autres laisses sont à peu près correctes; il y a majorité de rimes en e ou enic; cf. vers 213, 241 de Fantosme, et les laisses 51, 67 etc. de Horn.

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 223

On peut discuter la valeur même de ces rimes ; on peut très bien concevoir que le poète emploie couramment des rimes insuf- fisantes, sans qu'il confonde absolument pour cela les sons qu'il rapproche ainsi ; autrement dit, il peut faire rimer e avec ie tout en conservant à cette dernière sa valeur de diphtongue. C'est ceque nous ne sommes pas loin d'admettre, d'autant plus facilement que, dans la grande majorité des cas, la graphie traditionnelle est absolu- ment correcte, même à l'intérieur du vers (cf. laissiez, vers 1076,

1974)- Ces graphies doivent remonter à l'auteur ; on ne voit pas bien

un scribe du xiii^ siècle les rétablissant de sa propre autorité.

Il en résulte que Jordan Fantosme, et avec lui tous les auteurs de cette époque, font rimer assez librement les deux désinences, mais conservent dans une certaine mesure la distinction qui existe entre deux sons.

Nous n'avons pas relevé de faits aussi significatifs dans les autres écrivains de la fin du xii^ ou dans ceux du commencement du xiii"^ siècle. La seule remarque que nous puissions faire, c'est que, lors- qu'ils nous montrent à la rime les secondes personnes du pluriel qui nous occupent, ces rimes nous montrent le mélange absolu des deux terminaisons. Le poème de Boeve de Haumtone est très significatif sur ce point. Nous devons mettre sur le même rang, ou même considérer comme de valeur plus grande encore le témoi- i^nage des scribes du commencement du xiii'^ siècle ; ils en sont arrivés à ne plus employer à la deuxième personne du pluriel^ pour les temps dont nous parlons, la diphtongue te, tandis que leurs pré- décesseurs de la seconde moitié du xii^ siècle l'emploient encore à l'occasion .

Ceci nous permet de conclure que nos deuxièmes personnes du pluriel ont perdu leur diphtongue étymologique vers la fin du xii^ ou au commencement du xiii^ siècle.

Mais cette diphtongue perdue ne l'était pas pour toujours; elle reparaît, très irrégulièrement, il est vrai, à la fin de ce dernier siècle. Nous ne pouvons pas toujours distinguer dans l'irrégularité des graphies l'usage suivi sur ce point par les écrivains littéraires du xiV^ siècle, et cela est d'autant plus impossible que cette diphtongue ainsi rétablie apu n'être que graphique ; mais sa présence à la fin du XIII'' et pendant le xiV siècle est assurée dans les œuvres litté- raires et en dehors de la littérature.

224 L EVOLUTION DU VERBE J-N ANGLO-FRANÇAIS

Nous n'avons relevé que peu d'exemples de ce phénomène dans les œuvres littéraires : citons cependant aîinuiicie:^ qu'on lit dans l'Evangile de l'Entance, ms. O, strophe 9, vers c ; d'autres manu- scrits de cette époque en fournissent encore des cas isolés. Dans les ouvrages familiers ou politiques, nous trouvons quelques exemples de la terminaison /V~, à l'indicatif, au subjonctif ou à l'impératif de quelques verbes de I : par exemple, nous trouvons efforciez dans les lettres de Jean de Peckham (1284, )^o);arestoiex dans le Registrum Palatinum Dunelmense (13 14, I, 593), forme dans laquelle la désinence est évidemment dissyllabique ; cèssiei à l'année 1365, dans les Documents Inédits (p. 171), et dans Rymer's Foedera (1375, VII, 62); de même laissic:;^ se trouve dans les Documents Inédits au même endroit, et plusieurs fois dans Rymer (1375, VII, 90; 1386, VII, 500; 1389, VII, 635). Ce sont les seuls exemples que nous ayons relevés, et les exemples contraires sont infiniment plus nombreux.

C'est à peu près à la même époque que les subjonctifs en aiii reprennent eux aussi à l'occasion la désinence en zV;^. En voici quelques exemples : cognoissic~se lit une fois ou deux (sur un nombre assez considérable de cas) dans les Rymer's Foedera {d. par exemple 1376, III, 118); pnissie:^ n'est pas rare, on le trouve dans les Literae Cantuarienses (1322, 6-|) et communément dans diffé- rents Year Books (cf. par exemple 12 et 13 Edw. III, 189), quoique la forme sans / y soit plus ordinairement employée. Ajoutons encore la forme soeffne:(^ dans les Rymer's Foedera (1379, VII, 90), 1'/ n'est pas étymologique.

Par conséquent les derniers exemples des formes régulières en ie:{ pour les quatre temps datent de la fin du xii^ siècle. Un siècle plus tard, cette désinence apparaît de nouveau, elle est irrégulière parfois, elle n'est pas employée très souvent et est presque confi- née, semble-t-il, aux ouvrages non littéraires.

DEUXIÈME GROUPE

D'après les nombreux exemples que nous avons recueillis, la ter- minaison ie^ a été traitée d'une façon analogue à la deuxième per- sonne du pluriel des subjonctifs et iam à celle des imparfaits du subjonctif qui ont étymologiquement cette désinence. Nous rassem-

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 22)

blons ici deux terminaisons différentes à l'origine : celle des sub- jonctifs en /rtm (comme celle des imparfaits et des conditionnels) est dissyllabique; celle des imparfaits du subjonctif est monosyllabique. Cependant il est évident que les premiers n'ont pas reçu le même traitement que les imparfaits et les conditionnels, et qu'au contraire ils semblent avoir eu le même sort que les imparfciits du subjonctif auxquels nous les joignons. Nous aurions même pu rapprocher ce second groupe du premier. Nous aurions peut-être le faire. Car entre ces groupes, la seule différence, et nous n'osons pas insister sur ce point tant elle nous paraît mince, est que les formes que nous avons rencontrées pour ce groupe en iiéo et 1200 nous ont semblé moins exceptionnelles que pour le premier. On peut aussi ajouter qu'en second lieu, les nouvelles formes en lei se rencontrent plus fréquemment dans la langue littéraire du XIV' siècle et sont plus nombreuses dans les textes politiques et diplomatiques.

Les présents du subjonctif en iaiii doivent avoir régulièrement ie;;^ à la deuxième personne du pluriel. Pendant la majeure partie du xii^ siècle, la forme étymologique se rencontre fort régulière- ment. Le Cumpoz nous en donne au moins deux exemples : sacie:(^ au vers 125 ; algie:;^ au vers 3343; sachiez rime avec esmerveilUe^ au vers 4645 de l'Estorie des Engleis. Le Psautier d'Oxford toutefois nen présente aucun, tandis que nous en relevons deux dans le Psautier de Cambridge : sacici, 99, 3; voilliey, 104-15. Sachiez se retrouve fréquemment dans la plupart des auteurs de la fin du xii^ siècle, par exemple au vers 214 de la Chronique de Jordan Fantosme, dans une laisse les rimes en ie dominent (cf. page précédente); au vers 1739 du poème de Horn, trois fois dans les Quatre Livres des Rois (I, 6, 9 ; I, 9, 6); aux vers 170 et 1447 de la Vie de Sainte Catherine, et probablement dans un certain nombre d'autres exemples. Les autres présents du subjonctif en iaiii sont moins fréquemment employés à cette personne : nous trou- vons cependant dans les Quatre Livres des Rois :ûlgii'~, I, 25, 35 ; ■viengic^ au vers 2538 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clé- mence de Barking.

Enfin l'imparfait du subjonctif de certains verbes présente ou doit présenter aussi cette désinence en ie^i à la deuxième personne du pluriel. Les imparfaits du subjonctif qui correspondent à des prété-

15

226 l'Évolution du . verbi-: en anglo-prançais

rits en avi ou ivi ne la prennent jamais'. Sont seuls à l'avoir les imparfaits du subjonctif qui correspondent à des prétérits en /, en si, et en ui. C'est pour les verbes de la première de ces trois caté- gories que ie:( est le plus commun, par exemple, nous en trouvons des cas très nombreux dans Jordan Fantosme qui emploie veissie:;;^ un très grand nombre de fois, comme aux vers 676, 1204, 1283, 1763.

Il en va exactement de même pour les imparfaits du subjonctif en ui; jusqu'à la fin du xii'' siècle, nous rencontrons un nombre considérable de formes étymologiques : oussie:^ est employé au vers 279 de la Vie de Sainte Catherine, eussiez au vers 984, peussiei au vers 1330 de la Chronique de Jordan Fantosme.

Pour les exemples qui précèdent, nous n'avons pas à tenir grand compte de la position qu'ils occupent dans le vers. Du reste, à priori, il est probable qu'ils appartiennent aux auteurs; les scribes du xiir siècle ont plutôt été tentés de réduire les diphtongue qui s'étaient conservées que de rétablir celles qui avaient disparu. Mais si, par impossible, nos exemples proviennent des scribes, nous ne pou- vons trouver dans ce fait qu'une preuve plus forte de la durée de ces formes. Nous sommes donc certains de nous cantonner dans les limites de la vraisemblance et tout au plus de rester en deçà de la réalité en les attribuant aux auteurs.

Pour les raisons que nous avons données plus haut, nous ne cite- rons aucun exemple de deuxièmes personnes du pluriel de subjonc- tifs en iavi et d'imparfaits du subjonctif montrant la réduction de la diphtongue. Nous nous contenterons de dire que pendant tout le xiii'' siècle, nous n'avons relevé aucun exemple de la forme éty- mologique; il en existe peut-être quelques-uns qui ont pu nous échapper. Pour dire le moins, ils sont, s'ils existent, sporadiques.

Mais cette forme apparaît de nouveau au xiv^ siècle, à côté de l'autre.

Les exemples que nous avons pu relever sont assez nombreux. Voici d'abord ceux que nous donnent les subjonctifs en iam. Pierre de Langtoft en a un certain nombre, comme saciex_ (I, 78, 12); on trouve encore voylliex^ (I, 10, 25) (qui se rencontre encore dans plusieurs auteurs; par exemple au vers 1647 du Prince Noir: voiUieli), et vigniei (I, 19, 4, 13) employé aussi par Nicole Bozon

I . Sauf irrcgulièrcment conitiie dans ulissiei au vers 462 de la Chronique de Jordan Fantosme ; mais cette irrégularité est rare.

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 227

(?) dans les Proverbes de Bon Enseignement, et, par Nicolas Trivet, 45 v", 49 r°; sachiex^ rime avec travailliez aux vers 1177 et 1399 de la Vie de Saint Richard.

Dans la langue non littéraire, les exemples, à partir d'une cer- taine date, sont encore plus fréquents ; c'est le verbe savoir qui apparaît le plus souvent sous cette forme : sachie~ se trouve un nombre considérable de fois : par exemple dans les Statutes, pre- mier volume (1297, 123, 123; 13 18, 187; 1340, 289 ; 292 ; etc.); les Parliamentary Writs nous offrent de cette forme des exemples presque aussi communs ; quant aux Rymer's Foedera, on peut remarquer que cette forme est surtout fréquente entre les années 1340 et 1370 ; après cette date elle est peut-être moins souvent employée (cf. Présent du subjonctif).

A côté de savoir, et très commun encore, nous trouvons le verbe vouloir avec 1'/ étymologique à la deuxième personne du pluriel du subjonctif présent : voyllie::^ dans les Lettres de Jean de Peckham (1283, 423); dans Rymer's Foedera (V, 1340, 164, 198 ; 1362, VI, 399 ; 1364, VI, 452) ; dans les Royal Letters Henry IV (13995 5)' ^^"^- Nous pourrions peut-être allonger encore cette liste ; mais les exemples que nous avons donnés nous suffisent ; car ils montrent que la forme régulière fait de nouveau son appa- rition en dehors de la littérature une vingtaine d'années avant la fin du xiii^ siècle et qu'elle se trouve communément au siècle suivant.

Dans les Year Books, le seul verbe qui prenne quelquefois, et encore assez irrégulièrement, cet /, est le verbe savoir ; sachiez se rencontre de temps en temps, par exemple dans le Year Book i et 2 Edw.II, 160 (Y).

Si nous combinons les résultats que nous a donnés pour cette question, l'étude des ouvrages httéraires et des textes politiques, nous voyons que 1'/ a été conservé dans les subjonctifs en /«w, pen- dant les trois siècles qui nous occupent. La chaîne d'exemples qui montrent cet / semble interrompue seulement pendant un peu plus que les trois premiers quarts du wn" siècle ; certains verbes, en premier lieu savoir, ensuite vouloir, semblent avoir conservé dune fiiçon irrégulière, mais presque ininterrompue la forme étymolo- gique.

C'est le même fait qui se reproduit, à peu de chose près, et à la même date pour l'imparfait du subjonctif.

2 28 l'Évolution du verbe en anglo-français

Dès le début du xiv= siècle, dans la Vie de Sainte Marguerite, nous trouvons veissic^ au vers 315 : Aspremont fournit un exemple de cette même forme au vers 117 ; le poème du Prince Noir aux vers 3383, 3926, etc.

Aucun autre verbe ne nous a fourni un aussi grand nombre d'exemples : William de Waddington nous donne cependant au vers 3 185, ym.szV:^, forme qui se retrouve encore au vers 544 du Prince Noir, elle rime avec l'imparfait de l'indicatif trouvie^.

Il en va de même des ouvrages non littéraires : nous trouvons jeussiiey^ dans les Rymer's Foedera (1325, IV, 181); w//5m/q dans les Literae Cantuarienses (1327, 209) ; duissie^ dans ce même recueil (1383, 537); dussiez dans Rymer encore (1364, VI, 438), etc.

Les Year Books ne nous ont fourni aucun exemple assuré d'une forme en -iei à ces imparfaits du subjonctif.

Comme on le voit, ces renseignements fournis par les imparfaits du subjonctif concordent avec ceux que nous ont donnés les pré- sents du subjonctif en iam. Ils semblent simplement remonter un peu plus haut dans les œuvres littéraires (William de Waddington) ; mais il ne faut peut-être pas attacher d'importance à cette diffé- rence.

TROISIEME groupe

Imparfait de l'indicatif, conditionnel.

Les deux temps mentionnés ci-dessus, dans les ouvrages litté- raires comme dans les autres, présentent toujours Yi étymologique. Les exemples sont trop nombreux pour que nous nous y arrêtions longuement : citons, dans des textes du xiii'^ et du xiv* siècle, Deu le Omnipotent, 57 f; Siège de Carlaverok, 4; Prince Noir, 1647. De même tous les textes non littéraires contiennent un certain nombre de ces exemples (cf Rymer's Foedera, 1357, VI, 583; Pari. Writs, 1298, I, 318 ; 1299, I, 319 ;Jean de Peckham, 1289, 697). Il y a bien un petit nombre d'exceptions dans le Law French ; mais elles n'ont rien de bien assuré et nous ne nous en occuperons pas davantage.

LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 229

La seule modification certaine qu'on puisse observer, c'est le passage de la voyelle / à la diphtongue oi (cf. supra), et encore ce passage est relativement rare, comme nous l'avons dit.

Mais 1'/ sous sa forme normale ou sous forme de la diphtongue oi est toujours présent à la deuxième personne du pluriel de l'im- parfait et du conditionnel.

Comme conclusion à cette étude, il nous suffira de résumer en quelques mots les pages précédentes.

La désinence ie:{ au présent de l'indicatif, du subjonctif et à l'impératif de quelques verbes de /, dure jusque vers 1160 et se rencontre sporadiquement entre 11 60 et 1200.

Elle reparaît au milieu du xiv^ siècle, mais principalement dans les textes politiques et diplomatiques.

Dans les subjonctifs en iani et les imparfaits du subjonctif elle est étymologique, cette désinence persiste jusqu'au commen- cement du xiii^ siècle et reparaît à la fin du même siècle dans les œuvres littéraires aussi bien que dans les autres.

A l'imparfait et au conditionnel, elle persiste régulièrement.

CHAPITRE VI LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL

Comme la troisième personne du singulier, la troisième personne du pluriel, à cause de son emploi très fréquent, a subi un nombre considérable de modifications, d'importance diverse.

Comme nous l'avons fait dans les deux chapitres précédents nous distinguerons ces troisièmes personnes en masculines et en fémi- nines suivant la nature de leurs terminaisons.

A. DÉSINENCES MASCULINES.

Les désinences masculines comprennent un petit nombre de per- sonnes fortes (ont, font, estent, vont) et des personnes faibles : les futurs et les imparfaits du subjonctif accentués sur la dernière syllabe. Pour l'étude de ces différentes personnes, nous suivrons encore le plan que nous avons adopté précédemment et nous étudie- rons successivement leurs formes, puis leur extension.

Les Formes. La voyelle nasale.

La vo3'elle nasale peut se présenter sous deux sortes de graphies: l'une régulière (//, o, ou) l'autre irrègulière (e). Nous ne nous arrê- terons pas longuement sur les premières. Dans les premiers textes anglo-français la voyelle nasale est écrite par //, comme nous l'avons déjà fait observer pour la première personne du pluriel , et la désinence en -unt, non seulement durera aussi longtemps que l'anglo-français lui-même, mais restera à tout prendre la graphie la plus ordinaire.

De bonne heure cependant o fait son apparition ;le premier exemple que nous ayons relevé de cette nouvelle graphie se lit au vers 12 du Tristan de Thomas (verront').

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 231

Évidemment cette forme peut appartenir au scribe aussi bien qu'à l'auteur ; mais de toutes façons, nous avons dans les poèmes de Frère Angier des preuves nombreuses que Vo date au plus tard du commencement du xiii^ siècle. Postérieurement à cette date et jusqu'à la fin du xiv^ siècle, nous verrons un assez grand nombre d'exemples de cette forme. Mais elle ne devient jamais aussi com- mune que la précédente.

Quant à on, nous n'avons pas noté d'exemples plus anciens que ceux qu'on trouve dans Boeve de Haumtone {Ci. fount 1033, etc.) ; dans ce poème, cette graphie est des plus communes. Faut- il croire que quelques-uns des nombreux exemples que nous y trou- vons appartiennent à l'auteur ou doit-on les attribuer tous au scribe ' ? 11 est diflRcile de le décider. Toutefois, on ne saurait placer plus tard que les premières années du xiV' siècle la prévalence de cette graphie. Elle est trop souvent employée dans l'Apocalypse, Pierre de Langtoft, etc. pour qu'on puisse imaginer que toutes les formes en ouni proviennent des scribes.

Si les renseignements précédents manquent quelque peu de pré- cision, nous pouvons espérer arriver à de meilleurs résultats en étudiant les recueils non littéraires. Dans ceux-ci en effet, les trois désinences se trouvent employées concurremment, et cela dans les plus anciens textes.

«, comme dans les œuvres littéraires, reste la graphie le plus généralement employée par tous les auteurs et à toutes les périodes ; dans certains ouvrages même on trouve vingt formes en // contre une en 0 ou en ou. La graphie par 0 n'est du reste pas très com- mune ; elle est limitée certainement à quelques auteurs et peut- être à quelques périodes. Ce sont les recueils qui nous semblent les plus corrects qui l'emploient le plus fréquemment, par exemple les Statutes. Et dans ce dernier ouvrage, les 0 apparaissent du reste à peu près à toutes les époques, c'est vers la fin du xiii= siècle qu'ils sont le plus nombreux (Cf. les Statutes de l'année 1290).

La désinence en ou date du dernier quart du xiii^ siècle, mais elle est d'abord assez peu employée (cf. E. Busch, p. 25).

I. Le nis. O de Boeve de Haumtone date de la seconde moitié du xiii= siècle, et.B, cette graphie est surtout fréquente, du xiv^.

232 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Elle devient fréquente un peu plus tard que les deux premières à des dates qui varient suivant les ouvrages ; par exemple dans les Statutes elle semble être en faveur entre les dates de 1330 et 1360, sans qu'il soit possible d'affirmer qu'à tout autre moment elle n'ait pas été autant ou plus employée ; vers la lin du xiv^ siècle cette désinence est sensiblement moins commune qu'à cette date.

Dans les même conditions, nous remarquons que dans les traités de Rymer le nombre des désinences en ou augmente entre 1350 et 1375 ; elles nous ont semblé spécialement fréquentes à cette der- nière date, et quelques années plus tard, vers 1385, leur nombre décroît d'une fiiçon marquée.

Il serait peu utile de citer successivement les différents recueils de textes politiques, diplomatiques et autres, que nous avons étu- diés. Qu'il nous suffise de dire qu'il y a entre eux la plus grande variété, mais qu'on peut observer généralement les mêmes ten- dances, à quelques exceptions ou différences près : la terminaison oit se rencontre dès les dernières années du xiii^ siècle ; mais elle ne devient (quand elle le devient), la terminaison habituelle des troisièmes personnes du pluriel masculines que dans le second tiers du xiV^ siècle. Dans la plupart des recueils, on peut en outre remar- quer une diminution sensible dans le nombre de ces terminaisons pendant le quatrième quart du xiv'' siècle.

Ces trois désinences régulières en w, en 0 et en on peuvent de temps à autre subir des changements divers. Nous ne parlons pas ici de la graphie erit que nous retrouverons tout à l'heure, mais de certaines formes inconnues à la langue httéraire, comme celle qui redouble Vo,Jooni, qu'on lit dans les Literae Cantuarienses (1344, 751), ou celle qui lui ajoute un e, comme soent qui se trouve dans le premier livre des Statutes (1285, 103).

La désinence que nous appelons désinence irrégulière en eut est beaucoup plus générale que les deux dernières que nous venons de citer. D'abord elle appartient à la langue littéraire aussi bien qu'aux ouvrages politiques, diplomatiques et autres. Cependant elle est rare dans la littérature, rare surtout aux personnes fortes. Nous ne trouvons à citer pour celles-ci que le sen (= sont) du vers 842 d'Edward le Confesseur, forme qu'il faut sans doute attri- buer au scribe (ms. milieu du xiii^ siècle).

Aux personnes faibles, elle est plus commune : nous voyons

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 233

déjà dans l'Apocalypse deux futurs en interrime : asembhrent : nomerent ; dans les Contes de Nicole Bozon on trouve de même faudreni au § 120, veiidrent au § 144 (^= faudront, vendront).

Ce n'est du reste qu'une graphie comme le prouve la rime amarveil lemit : sunt, qu'on trouve dans l'Apocalypse, 7, 992. iMais cette graphie est d'autant plus extraordinaire qu'au moment elle est surtout employée pour le futur, elle est en train de dispa- raître des temps elle est étymologique, comme nous le verrons tout à l'heure.

Rare dans les œuvres Uttéraires, cette graphie est extrêmement commune dans l'anglo-français diplomatique et politique ; les troi- sièmes personnes du futur se rencontrent très fréquemment sous cette forme. Les Statutes l'emploient à partir de l'année 1278 d'une façon continue jusqu'à la fin du xiv^ siècle; continue en ce sens, qu'on en trouve des exemples d'année en année. Cette termi- naison ent ne déplace cependant pas entièrement les terminaisons que nous avons déjà vues : nous avons relevé dans les deux volumes des Statutes qui donnent les textes du xiii^ et du xiv* siècle environ vingt exemples de cette terminaison au futur : cer- tains verbes semblent spécialement aff"ectés ; le plus employé sous cette forme est le futur du verbe vouloir : voudrent se rencontre un nombre de fois assez considérable, par exemple, et c'est le premier exemple de cette terminaison en dehors de la littérature, dans le premier volume des Statutes (1278, 44) ; puis on le rencontre encore aux endroits suivants : 1326, 254; 1335,275; 1335, 281; 1346, 305 ; et dans le second volume, 1392, 83, etc. ; les verbes des quatre conjugaisons sont atteints ; on trouve, toujours dans le même recueil : portèrent (1299, I, 134) ; sentrent (1346, I, 305); escherrent (i^^j, I, 352); prendreut (1346,!, 304). Les Parlia- mentary Writs présentent le même état de choses, mais les futurs étant employés beaucoup moins fréquemment, par la nature même du texte, les exemples de cette forme sont évidemment moins communs.

Dans les Rymer's Foedera, ces cas de terminaison en cul au futur sont sensiblement moins nombreux que dans les Statutes : ils ne sont pourtant pas rares •,vondrent est encore la forme en eut la plus commune; on la trouve dans un certain nombre de cas à par- tir du commencement du \iv^' siècle : 1509, III, 152; H 32, IV,

234 l'évolution du verbe en anglo-français

536 ; 1340, V, 203. Dans les autres recueils, il en est de même: cette forme se trouve dans les Mem. Pari. 1305, § r; dans la Chronique de Londres à la date de 1305 (page 32); dans le Liber Rubeus de Scaccario (1306, 990); dans les Chroniques de Saint- Alban (1316, 166) ; dans le Liber Albus (1335, 421). On pour- rait multiplier les exemples. Cependant, même pour le verbe vou- loir, la forme plus régulière en // ou en o{u)nt est la plus fréquente ; les exemples en sont nombreux dans les Statutes, Rvmer's Foedera, et assez communs dans les autres recueils.

Les Year Books pourraient nous fournir un nombre assez consi- dérable d'exemples de cette désinence : voldrcnt se retrouve encore, par exemple dans 11 et 12 Edw. III, page 335 ;comme autre verbe on trouve assez communément serrent, comme dans 2 et 3 Edw. II, 157 (A et D), etc.

Il pourra sembler extraordinaire que cet e, ainsi que tous les autres c en anglo-français, se trouve quelquefois redoublé, comme dans certijîreefit qu'on lit dans les Rymer's Foedera (i3_|8, V, 612).

Par conséquent, toutes sortes d'ouvrages, littéraires ou autres nous donnent des exemples de cette désinence, qui est le plus employée dans les textes politiques. Elle est très rare aux formes fortes " ; on peut dire qu'elle est limitée aux formes faibles. Les premiers exemples de eut pour ont se rencontrent dans les Sta- tutes au commencement du quatrième quart du xiii^ siècle.

On en trouve jusqu'à la fin du xiv'' siècle.

B. DÉSINENCES masculines PAR DEPLACEMENT DE l'aCCENT ".

a) Voyelle nasale u.

Nous ne dirons qu'un mot sur ce point maintenant, car nous aurons à y revenir quand nous traiterons la question plus générale de la voyelle u dans les terminaisons féminines. Nous nous con- tenterons de faire remarquer que quelques cas de déplacement de l'accent sont assurés ; nous les trouvons dans l'Apocalypse :

I Évidemment dans ce cas le mot terminaison est impropre.

2. Pour le déplacement de l'accent à la troisième personne du pluriel on peut consulter le travail de Soderhjelm : Uber Accent Verschiebung in den dritten Person Pluralis im Altfranzôsischen.

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 235

sîgnefiunl y rime avec oiint (a, 75, ^ et 74 ; 995, etc.), probable- ment par analogie avec faire ; on trouve encore dans ce poème : hahilunt à la rime avec sunt ([3 et y, 961). A- l'intérieur du vers, nous rencontrons communément ^/ww^

F) Voyelle nasale a.

Certains imparfaits du subjonctif montrent à la place de la voyelle muette finale habituelle, la terminaison accentuée mit. Comme on le sait, cette désinence n'est pas particulière à l'anglo- français ; elle est au contraire plus rare en Angleterre que dans cer- tains dialectes du continent et notre étude ne saurait jeter sur ce point aucune lumière nouvelle.

Nous devrons distinguer deux sortes de terminaisons en mit, l'une accentuée, l'autre atone ; toutes deux assez rares. La pre- mière se rencontre au xii*" siècle, et, comme sur le continent, c'est l'imparfait du subjonctif seul qui est affecté par elle.

C'est ce fait et ce fait seul qui nous porte à considérer comme accentuées les terminaisons des exemples qui suivent. Les mss, du Comput la donnent assez fréquemment aux I. S. : cresis- sant, C et A, 490; soiissant : dcitssaut, A 173. (Le ms. A a été écrit vers 1160 ; le ms. C au milieu du xir siècle, d'après M. P. Me3'er, un peu plus tard, d'après Mail). Les Quatre Livres des Rois, ouvrage qui est à peu de chose près contemporain de A et de C, ont de très nombreuses terminaisons en ant ; ici encore elles sont limitées aux imparfaits du subjonctif, mais il faut remarquer que ceux de I ne se montrent jamais avec cette désinence. Dans cet ouvrage, nous avons relevé avec cette désinence sept verbes qui font ensemble un total de neuf formes. Ce sont : venissant (l, 13, II); deûssmit (I, 18, 22); laidissmitÇl, 24, 8); soussant (p. 42, note i) ; cciusissmit (I, 25, 1^); fcïssmit (II, 3, ^i); fiissmit (II, 10, 6). En dehors de la littérature, nous n'avons trouvé qu'un exemple d'imparfait du subjonctif avec la désinence mit ; il se trouve dans Rymer -.•pm-dissmit Çjicfj, II, 183).

Au XIII* siècle, nous n'avons rencontré aucun cas vraiment assuré de la terminaison accentuée mit. Nous trouvons, il est vrai, un certain nombre de désinences de cette forme, dont nous repar- lerons plus tard ; mais rien ne peut nous assurer qu'il y a eu dans les quelques exemples que nous citerons, déplacement de l'accent. Nous considérons que dans les formes qu'on trouve dans Boeve de

2^6 l'évolution du verbe en anglo-françals

Haumtonc, et qui peuvent être dues anscnhe: pussant 1668, descen- dant 3200, curant 3507,^' est simplement une graphie de la voyelle muette, graphie plus rare, mais pas plus étonnante que u, ou, i, 0 que nous verrons quand nous étudierons les désinences féminines. Il n'y a, à notre avis, qu'un seul cas dans Boeve qui puisse se ranger dans la catégorie des désinences en ant accentuées ; il se trouve à la rime ; mais quoiqu'il y ait dans Boeve vingt-trois laisses, c'est-à-dire plus de trois cents vers rimant en ant, ce cas ne se pré- sente qu'une seule fois : c'est l'imparfait du subjonctif : portassent, 1747 ; il fliut ici probablement lire portassani pour avoir une rime correcte ; malheureusement le vers est si peu régulier que la mesure ne peut rien nous apprendre :

Que dis homes a peine ne portassent .

Mais le fait que ce verbe est un imparfait du subjonctif, qu'il est dans une laisse en ant forme au moins une présomption en faveur de ant accentué.

r) Voyelle nasale e.

Nous aurons d'autant moins de peine à l'admettre que, dans un petit nombre de cas, l'accent passe sur la voyelle atone sans en changer la forme ; les exemples ne sont pas nombreux et on pour- rait alléguer que les rimes que nous allons citer ne sont rien autre chose que des rimes pour l'œil ; cela est fort possible ; nous pen- chons néanmoins vers l'explication qui admet une certaine con- fusion des sons nasaux en anglo-français.

Si nous nous rappelons aussi le grand nombre de cas qui mon- trent combien l'anglo-français a été de bonne heure hésitant sur la valeur à attribuer aux voyelles atones muettes, nous arriverons à comprendre plus facilement comment il se fait qu'il n'ait pas tou- jours fait très exactement la différence entre eut accentué et eut atone : c'est une distinction qu'une connaissance imparfiiite du français ne devait pas leur permettre de faire.

Voici les quelques exemples qui nous montrent cette confusion : dans le Psautier en rimes couées (Harléien 4070), nous trouvons multiplient à la rime avec forment au vers 37 et périssent rimant avec omnipotent au vers 544. De même dans « The Lanient of îSimon of Monfort » nous voyons jerirent rimer avec malement au vers 9.

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 237

Ces trois rimes établissent, croyons-nous, que certains écrivains anglo-français, dès le commencement du xiii^ siècle, ont confondu les deux terminaisons, atones et accentuées, en ent. S'ils l'ont tait à cette époque, que devons-nous croire du traitement de la dési- nence féminine de la troisième personne du pluriel au siècle sui- vant ? Il nous semble au moins possible qu'un certain nombre d'auteurs ont donné à cette désinence la valeur d'une syllabe accentuée, et d'autant plus aisément que les futurs prenaient sou- vent la désinence en enf, sans changer, croyons-nous, la place de l'accent.

Aucun auteur cependant ne nous donne un nombre suffisam- ment grand de cas qui puissent nous montrer un déplacement sys- tématique de l'accent. Ce phénomène en anglo-français est resté sporadique ; et on peut le plus souvent attribuer à l'ignorance des écrivains la plupart des cas que nous avons cités.

Il y a toutefois un auteur qui fait exception et qui emploie sou- vent et avec une assez grande régularité des formes qui montrent que l'accent tonique a passé sur une syllabe étymologiquement atone. Cet auteur est Frère Angier et la désinence qu'il emploie est la désinence en ont ; nous commencerons par déclarer que cette désinence de Frère Angier est unique dans la littérature anglo-française. Nous rencontrons bien, il est vrai, un grand nombre de terminaisons en ont, surtout dans les textes qui n'ap- partiennent pas à la littérature ; mais cette dernière ne nous semble montrer que très rarement un déplacement de l'accent Elle n'a donc qu'une ressemblance tout extérieure et accidentelle avec la terminaison qu'emploie Angier.

C. DÉSINENCE ACCENTUÉE ONT. '

Nous trouvons assez fréquemment en anglo-français, outre celles que nous avons vues, des troisièmes personnes du pluriel terminées pàYont; mais il nous semble que toutes les désinences en ont n'ont pas la même valeur. Certaines, et ce sont de beaucoup les plus nombreuses, n'entraînent pas, tout au moins à l'origine, un dépla- cement de l'accent. Elles affectent le plus souvent des présents de l'indicatif ou du. subjonctif, et o n'est au début qu'une graphie de la muette finale.

238 l'évolution du VKRI5H HN' ANGLO-FRANÇAIS

Nous n'avons donc pas à en parler ici, et nous les retrouverons lorsque nous traiterons des troisièmes personnes du pluriel à dési- nence féminine.

Quelques autres, au contraire, rentrent dans notre présent sujet ; elles sont, croyons-nous, accentuées au lieu d'être atones. On ne les rencontre que dans un seul écrivain. Frère Angier, et seulement dans un poème de cet auteur : Les Dialogues Grégoire le Grand.

Les formes qui, dans ce poème, présentent cette désinence, sont toutes des imparfaits du subjonctif; il y a donc une forte présomp- tion pour que ce soit, comme nous le disions, une graphie de la terminaison accentuée en ant dont nous venons de parler ; et, quoique nous n'a3'ons aucune rime pour nous l'assurer, nous pou- vons croire avec Miss Pope que l'accent a passé sur la terminaison, comme dans les terminaisons en ant. Voici, d'après les conjugaisons auxquelles ils appartiennent, les exemples qu'on en peut citer : i"= conjug. : gardesont, 45 a ; desjeunesont, 46 a; criesont, 46 b; dcmandissont, 35 b; repeirissont, 35 b. 2" conjug. : scr- vissoiit, 138 a; souffrissoni, 92 \'° a ; einpiissont, 102 b. 3^ conjug. : vousissont, 138 a; vaiisissout, 149 a ; piiessont, 106 v" a. 4^ conjug. : reudissont, 29 b; naquissont, 143 b ; fussont, 75 v b. ^ ^

Les autres cas de terminaisons en ont nous semblent entièrement différents.

Par conséquent, nous avons en anglo-français un nombre sinon considérable au moins suffisant d'imparfaits du subjonctif accentués sur la dernière syllabe. Ces formes se rencontrent pendant une cin- quantaine d'années dans cinq ou six auteurs ou scribes.

Il faut donc corriger quelque peu ce que dit à ce sujet M. Wer- ner Sôderhjelm (cf. p. xiv) et faire remonter jusqu'au milieu du xii^ siècle leur apparition en anglo-français.

Les consonnes finales.

La consonne nasale est ordinairement ;/, et il est rare de trouver /;/, la seule consonne qui puisse prendre sa place, comme dans snnt, que l'on trouve dans le psautier d'Arundel, 24, 48 ; change- ment peu remarquable et du reste isolé '.

I. Cf. Romania, I, 325, 337; Alexis, p. 102 et Koschwitz, Uberlieferung, p. 52; Sôderhjelm, p. 2.

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 239

Comme nous l'avons déjà vu à la troisième personne du singu- lier, la dentale finale disparaît quelquefois. C'est cependant un phé- nomène assez peu commun à la troisième personne du pluriel; nous n'en rencontrons d'exemple qu'au xiir' et au xiv^ siècle. Du reste, les cas de chute du t final à la troisième personne du pluriel sont si peu nombreux qu'on serait presque en droit de les rejeter tous comme des lapsus calami '. Cependant voici les quelques exemples que nous avons rencontrés ; on remarquera que ce sont surtout des formes fortes. Un n'est pas rare ; on le trouve par exemple trois fois dans Boeve (cf. vers 1847), une fois dans Otinel, au vers 62 ; et une fois dans les Rymer's Foedera (1373, VII, 13). Sun ou son se rencontre à peu près le même nombre de fois ; dans Boeve de Haumtone encore, les formes de ce genre sont plus communes que partout ailleurs; au vers 842 d'Edward le Confesseur; dans Pierre de Langtoft (I, iio, 13). Fon se lit dans les Documents Iné- dits (1396, 285). On trouve aussi un petit nombre de formes faibles, char un au vers 1662 d'Aspremont ; vonldron dans les Trai- tés de Rymer (1399, VIII, 99) et quelques autres encore. Nous avons relevé aussi un petit nombre de formes analogues dans les Year Books de la fin du xiV siècle.

Si nous ne rejetons pas ces formes comme des étourderies des scribes, nous pourrons conclure de ce qui précède que la dentale appuyée de la troisième personne du pluriel se maintient fort bien, mieux encore qu'à la troisième personne du singulier. De plus, l'absence de rimes pour les œuvres littéraires et la date très basse des exemples correspondants dans les textes diplomatiques, nous forceront à attribuer les exemples que nous avons tirés des poèmes littéraires aux scribes et à rejeter ces formes au xiv^ siècle.

EXTENSION DES FORMES FORTES

Il y a cinq verbes qui prennent régulièrement la forme forte à la troisième personne du pluriel : avoir, être, faire, aller, ester. Le der- nier de ces verbes n'est pas très usité à la troisième personne du pluriel, quoique nous ayons relevé des exemples de la torme estnnt, à la rime, jusqu'au xiii^ siècle : commt estant ( : sunt), Petite Philosophie (Romania, XV), vers 186 ; au contraire, dans l'anglo-

I. Cf. Bchrcns, Bcitràgc, Franzosische Studicn, V, p. 172.

240 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-1 RANÇAIS

français non littéraire, nous rencontrons un exemple au moins de la désinence féminine : estent se lit dans les Statutes, I, 1283, 54; quant à arestent, c'est la seule forme que nous ayons trouvée dans tous les textes, littéraires et autres.

Des autres verbes, être conserve toujours la forme régulière ; tout au moins nous n'avons jamais rencontré ce verbe avec une forme féminine à la troisième personne du pluriel. Les autres au contraire abandonnent quelquefois la forme forte, surtout le verbe aller. Nous trouvons au xiV siècle, aylleut, Pierre de Langtoft, I,

350> 19-

Avoir n'est pas plus souvent irrégulier, et les quelques formes faibles qu'on rencontre à la place de //;//, peuvent toujours être considérées comme un subjonctif irrégulier, comme ayent de Pierre de Langtoft, I, 300, 3.

Les ouvrages non littéraires, même les Year Books, sont sur ce point absolument corrects.

Comme on le voit, les variations que nous avons à noter pour les formes masculines de la troisième personne du pluriel, comme aussi les gains et les pertes qui s'y rapportent, sont en même temps peu importants et peu nombreux.

DÉSINENCES FEMININES

Pour les trois personnes du pluriel féminines, nous étudierons, comme nous l'avons fait jusqu'ici, successivement les changements qui affectent les consonnes puis la voyelle de la terminaison.

A. La CONSONNE DE LA TERMINAISON.

Nous n'avons que très peu de remarques à faire au sujet du t final des troisièmes personnes du pluriel féminines; la seule chose qui lui arrive, c'est de disparaître, et cela ne lui arrive que rare- ment.

Nous n'avons relevé aucun exemple de cette chute de la dentale finale dans les œuvres littéraires du xii* siècle^ et pendant les siècles suivants nous n'en rencontrons qu'un nombre très restreint. Nous pouvons citer voiscn à la p. 25 de Renaut de Montauban (scribe), usen qui se lit au vers 1667 de Boeve, tyndrm qui est

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 24 1

employé dans la Genèse Notre-Dame au folio 57 v°, et dans ce même poème viren au folio 73 ; ajoutons encore dans William de Waddington fiisseii au vers 6413, et seien au vers 4673 de ripomédon (A) .

Comme on le voit, aucun des exemples précédents n'est attesté par la rime, et on sera peut-être tenté de les considérer comme des erreurs matérielles des scribes, quoique de telles erreurs assez sou- vent répétées ne s'expliquent pas très facilement. Les exemples que nous trouvons dans les œuvres qui n'appartiennent pas à la littéra- ture, plus nombreux que ceux que nous venons de donner, sans être très communs, nous prouvent toutefois qu'il y a eu dans l'an- glo-français une certaine tendance, à partir de la fin du xiii'' siècle, à faire tomber ce /; cette tendance s'observe seulement chez les moins corrects des écrivains.

C'est ainsi qu'on rencontre cyen et soycn, tous les deux dans Bar- thélémy Cotton, 1294, 254; soicn dans les Rymer'sFoedera, 1294, 62'/; feiissen dans le même recueil, 1297, I^? 7^3 ; cnsiiien (1339, V, 125), voidcn dans les Literae Cantuarienses (1320, 684). On pourrait encore y ajouter quelques cas qui se trouvent dans les Year Books.

Comme le nombre de troisièmes personnes du pluriel à dési- nence féminine est considérablement plus grand que celles qui ont une terminaison masculine, la chute de la dentale finale dans les premières doit donc avoir été encore plus rare que dans les secondes. Disons qu'elle est très rare pour les unes et plus pour les autres.

Quant à la date de ce phénomène, elle est facile à déterminer; les formes non littéraires datent au plus tôt de la dernière décade du xiii*-' siècle ; celles que nous avons trouvées dans les œuvres littéraires doivent appartenir à la fin du xiii^ et au xiv^ siècle. En effet on peut sans hésiter attribuer aux scribes l'exemple que nous avons relevé dans Boeve de Haumtone et dans Renaut de Montau- ban.

B. La voyelle.

Nous recueillerons une plus riche moisson en cherchant dans les textes anglo-français les différentes formes que prend la voyelle posttonique : c'est surtout à propos de la troisième personne du

16

242 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

pluriel que nous pourrons remarquer, sans Tadmirer toutefois, la variété des formes que les désinences du verbe peuvent prendre en anglo-français. La voyelle e. est la graphie la plus ordinaire de l'atone (surtout au xii'= siècle), et elle reste la graphie prédominante à toutes les époques. Mais outre celle-là, on n'en compte pas moins de sept autres difterentes. Celle qui va nous occuper la première, c'est la graphie 11 ", et nous pouvons dire dès maintenant que cette graphie prend une triple forme : u, 0, ou (cf. Désinences masculines).

Nous avons donc ici avec les troisièmes personnes du pluriel à terminaison masculine un parallélisme qui ne laisse pas que d'être fort curieux, et qui peut-être le semblera encore plus quand nous aurons étudié la valeur de cette graphie.

I. Terminaison unf.

On la trouve, cette graphie, dès le xii^ siècle, mais assez peu commune d'abord, elle ne prend tout son développement qu'au xiii^ et au xiV" siècle. Dès le commencement, on la voit affecter également le présent et le prétérit ; notre premier exemple est un prétérit : cnnnerunt pom' ctiiiuroit dans le Psautier d'Oxford (9, 9 ;

De toutes façons, cet exemple appartient au plus tard à la seconde moitié du xii'^ siècle. Quant aux autres exemples que nous rencontrons dans les ouvrages du même siècle, nous nous trouvons dans la même difficulté, car aucun d'eux ne peut être assuré d'une façon satisfaisante, puisque, comme nous tenterons de le mon- trer plus tard, pendant un certain temps au moins, la voyelle u dans cette position n'a été rien autre qu'une graphie de l'atone ; de sorte qu'on doit hésiter à l'attribuer aux auteurs.

Il est même probable que les exemples suivants doivent être mis au compte des scribes, car ils ne se trouvent que dans certains manuscrits. Ainsi seul le ms. L de l'Estorie des Engleis ^ donne apelimt (2833), reusenint (2856), niciicnnit (5077); seul le ms. O de Horn ' nous fournit coilhiut (5163), siviiiil (1674), et seul le ms. L de J. Fantosme + a la forme arstrunt au vers 803.

1. Pour cette question, cf. Stimming, 0/). cit., p. 183, 184.

2. Ms. L de Gaimar et de Fantosme, troisième tiers du xiii^ siècle.

3. Ms. O de Horn, commencement du xive siècle.

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 243

Pour compléter la liste des exemples qui appartiennent peut-être au xii^ siècle, il nous reste à donner celui qu'on trouve dans Adgar : veunt, VR 198.

Ces désinences en // deviennent extrêmement communes au xiii^ siècle aussi bien qu'au xiv^, quoiqu'on puisse observer que c'est vers la fin du premier de ces deux siècles qu'on en rencontre le plus grand nombre. Nous n'avons évidemment pas la prétention de donner une liste complète de ces formes; l'utilité d'une telle énumération serait fort mince. Nous nous contenterons de donner quelques-uns des exemples que nous avons recueillis, certaines formes pourront sembler intéressantes. Dans cette énumération, nous serons contraints de suivre l'ordre chronologique des œuvres ; cela n'implique pas que ce doive être nécessairement l'ordre chro- nologique des exemples puisque, ici encore, nous sommes dans l'impossibilité absolue de faire le départ entre les^ auteurs et les scribes. Il est vrai que, connaissant par les exemples trouvés dans les auteurs du xii^ siècle, la date extrême après laquelle on ne peut reculer l'introduction de ces formes en anglo-français, la chronolo- gie des exemples qui suivent n'a que peu d'importance. Elle pour- rait simplement nous faire connaître à quel moment cette forme a été le plus employée.

Mais si les œuvres littéraires, de par leur mode de transmission, nous refusent des renseignements sûrs à cet égard, les textes poli- tiques et autres pourront probablement nous donner sur ce point une quasi certitude. En même temps que nous maintiendrons un certain ordre chronologique, nous classifierons nos exemples d'après les temps auxquels ils appartiennent.

Comme nous le disions tout à l'heure, // avec la valeur d'une voyelle atone (cf. cependant le § suivant, p. 244) se rencontre communément au présent de l'indicatif. Nous en trouvons quelques exemples dans les Evangiles des Dompnées, mais ces exemples ne sont pas nombreux. Dans le poème de [Boeve de Haumtone, au contraire, ces désinences se trouvent en nombre considérable : elles affectent surtout des verbes de la première conjugaison ' ; les autres conjugaisons sont représentées par un plus petit nombre d'exemples -.

1. Chargiiiil (i-yS-j), desirnud (685), douninit (2^41), junuii (500), pensunt (231 1), trovunt (354).

2. Diunt (1964), pendunt (914), veiunt (479).

244 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS .

Aucun auteur de cette époque ne nous donne un nombre de désinences en ///// approchant de celui qu'on trouve dans Boeve, et pour cette raison, nous n'hésiterions pas à rejeter sur le compte du scribe (ms. B, xiV^ siècle) le plus grand nombre des terminaisons en mit == eut qu'on lit dans ce poème, d'autant plus que le ms. D n'emploie guère cette désinence (cf. cependant pendunt, 914). Mais il n'v a que fort peu d'œuvres littéraires à n'en présenter aucune. Nous lisons par exemple au folio 71 de la Genèse Notre-Dame voliint; aiirrunt âu. vers 622 du Saint Auban, et dans la Lumière as Lais, rendiint au vers 554. Les exemples sont encore plus nombreux dans le petit poème sur l'Erection des Murailles de New Ross ' ; Dermod en a quelques-uns, en nombre propor- tionnellement moins considérable^. Ces terminaisons sont nom- breuses dans Wil. Rishanger ', de même que dans Walter de Bibblesworth •^.

L'Apocalypse nous offre un nombre assez considérable d'exemples dont nous aurons à reparler plus tard : on peut relever dans ce poème surtout des présents, et parmi ceux-ci le verbe signefier est répété plusieurs fois; signefiiint (a, 75, |i et y, 74; 995); il y a encore quelques autres, comme hahitimt (Jj et y, 96i),diunt (a, 204).

Comme une partie et peut-être la plus grande des exemples que nous avons cités précédemment peut appartenir au xiv'' siècle, nous allons arrêter ici une liste qui pourrait paraître trop longue déjà. Il nous suffira de dire que tous les auteurs du xix" siècle emploient plus ou moins fréquemment cette désinence. Nous rencontrons un nombre considérable d'exemples de cette forme dans Pierre de Langtoft, dans certains écrits de Nicole Bozon, etc.

Il n'est pas inutile de remarquer que dans les exemples précé- dents, les verbes de I ne sont pas plus nombreux que ceux des autres conjugaisons.

Après le présent de l'indicatif, le temps pour lequel nous trou- vons plus communément la terminaison mit à la troisième per- sonne du pluriel, c'est le prétérit : nous avons déjà vu que dans les auteurs du xii^ siècle chez qui on les trouve, les terminaisons

1. Entrant (168), puunt (165), vendunt (99), etc.

2. Pount (132).

3. Clietmt (304), conesunt (iS^), poeiint (^24), pount (327).

4. Dewtint (143), isoiint (147, 161), vciunt (143).

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 245

unt étaient aussi nombreuses au prétérit qu'au présent ; le Psautier d'Oxford a cuniierunt; Gaimar, rcilserunt et menenint ; Fantosme, arstrunt.

Au siècle suivant, le nombre de ces terminaisons va continuer à augmenter à ce temps au moins aussi rapidement que pour les présents.

Donnons très rapidement quelques exemples choisis au hasard dans un petit nombre d'auteurs du xiii^ et du xiv^ siècle. Robert de Gretham nous montre plus de prétérits que de présents avec cette désinence, ainsi on relève dans les Evangiles des Dompnées : eiinint (85 r°), aresiiirunt (7 v°), estnniiit (32 v°), assemblerunt : aresicntnt {^^ r°). Ils sont surtout communs dans Boeve ', et dans les mêmes conditions que celles que nous exposions tout à l'heure à propos des présents. On la rencontre encore dans la Genèse Notre-Dame - : on peut même dire que dans le Roman des Romans (ms. Royal 20 B XIV, xiv^ siècle), c'est la terminaison la plus généralement employée au prétérit \

L'Apocalypse peut nous fournir aussi quelques exemples, comme hiserunî (1342); il en est de même de Pierre de Langtoft, de Nicole Bozon Çfnermit, Contes, § 84) et de la plupart des auteurs du xiv^ siècle.

Aux autres temps, la terminaison unt est certainement beaucoup plus rare ; on la trouve quelquefois à Timparfait comme dans Der- mot and the Earl : ierunt (au vers 414), et pour le conditionnel on peut citer l'exemple de Walter de Bibblesworth : veiidreyuiit {161). Mais ces formes et quelques autres encore sont absolument isolées.

Remarquons, avant de quitter la langue littéraire, que des formes comme lunf, sewnt, deiunt que l'on lit dans certains auteurs, comme Walter de Bibblesworth (148, 162), contiennent une graphie équi- valente à celle que nous étudions; ici, comme il arrive souvent en anglo-français, zc équivaut à vu.

Cet // est certainement moins commun dans les textes qui n'ap- partiennent pas à la littérature ; on en trouve cependant un cer- tain nombre de cas qui pourront nous servir à préciser quelques dates. Dans les Statutes, on lit ojjcuduut (13 n, I, 162), et quelques

1. Oyenuit (1700), sayseruni (2582), purnuit (2244, 2682).

2. Fiirunt (45 ro), amerunt (72 vo).

3. Donei unt {4^2), cesserunt : gardeiunt : troventnt : descoiiforterunl (633 sqq.).

2^6 l'évolution du verbe en ANGLO-rRANÇAIS

autres exemples à la même époque; dans les Early Statutes of Ire- land, on trouve rcspoigiiiiiil (12S5, 62); dans Rynier, les exemples sont nombreux pendant les deux premières décades du xiV^ siècle ; surtout les Mem. Pari. 1305 nous en offrent un nombre d'exemples relativement plus considérable : veniint, priiint, appeuâuut, cnriint, suppJiunI (respectivement aux paragraphes : 42, 78, 82, 137, 275). Nous pourrions trouver d'autres exemples à citer dans Jean de Peckham pour la fin du xiii^ siècle et surtout dans le Registrum Palatinum Dunelmense, au commencement du xiv^ siècle.

Les présents du subjonctif sont assez communs, quoique beau- coup plus rares. Des formes comme pussuni. cyitiit se lisent dans les Statutes et les Rymer's Foedera.

Mais nous trouvons surtout des prétérits, par exemple, pour n'en citer que quelques-uns : vindriint, fitrnnt, employés dans le premier volume des Statutes (1335, 269, 270), dans les Parliamen- tary Writs (1297, éi), dans les Traités de Rymer (1274, II, 32; 1289, II, 448). Ici encore un recueil nous oft're un nombre d'exemples relativement beaucoup plus élevé que les autres, les Mem. Pari. 1305. Dans ce recueil, on trouve entre autres : cark- nint, gastermit, debrnsernnt, ernportcrunt, extreierunt, fiirunt (respec- tivement aux paragraphes 40, 182, 235, 275). Ce sont les seuls temps qui, dans l'anglo-français diplomatique et familier, prennent la désinence luit.

Dans les Year Books cette forme que prend la muette est très commune, au moins jusqu'au règne d'Edward II (1306); on les trouve quelquefois au présent: poiint (20 et 21 Edw. l", 171); arcstitnt (21 Edw. I", 45); c?é)wz/(dedevoir) (22 Edw.P', 599). C'est surtout le prétérit qui présente cette forme, et nous en avons relevé un nombre considérable d'exemples à ce temps dans toute la série des Year Books. Mais à partir de la seconde décade du xiv^ siècle, elle est sensiblement moins fréquente. Citons quelques exemples : dans 20 et 21 Edw. P"", on a furmit (p. 27), mitnint (p. 41), porientiil et demanderunt (p. 305); dans 21 Edw. l" ' -.porle- niiil, prUntni, fiintni ; dans 22 Edw. \" ~ : dejcndcnint, firunt, porte- runt, apparirunl, etc.

1 . Respectivement aux pages 73, 73, 17, etc.

2. 311, 325, 335, 401, etc.

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 247

Dans I et 2 Edw.II ' •.avinsenint, porteruut; enfin, pour arrivera la seconde partie du xiv^ siècle, dans 1 1 et 12 Edw. III ^ : sucrant, devicnitil; dans 13 et 14 Edw. III > : portenuit, etc.

Nous pouvons donc maintenant préciser les dates les plus impor- tantes dans l'histoire de cette terminaison.

Les premières formes ne remontent probablement pas plus tard que la seconde moitié du xii^ siècle, et doivent se placer vers 11 60, au plus tôt.

Pendant tout le xiii^ siècle nous pouvons relever des exemples de nnt = ent ; mais c'est pendant les vingt premières années du xiv^ siècle (peut-être même un peu plus tard) que cette désinence a été le plus fréquemment employée.

Valeur de u dans la terminaison unt.

Il n'est pas sans importance de tâcher de déterminer la valeur phonique de u dans les terminaisons que nous avons étudiées. Implicitement nous avons admis que cette vo^^elle n'était ni plus ni moins qu'une graphie de la muette, exactement comme nous l'avons admis lorsque, à la première personne du pluriel, nous avons rencontré des formes comme sumiis. Cependant cela n'est pas assez évident pour qu'on puisse l'admettre sans examiner les faits d'un peu plus près. A priori on se demande comment les écrivains anglo- français ont pu maintenir longtemps une difterence, si jamais il y en a eu une, entre funt et curunt ou entre estiint et arestunt.

Il nous faut donc examiner les rimes; mais celles-ci ne peuvent nous faire connaître avec quelque certitude qu'un côté de la ques- tion. Si nous trouvons une désinence régulièrement féminine, écrite par unt et rimant avec une désinence masculine, nous savons qu'il y a eu un déplacement de l'accent. Au contraire, si nous ren- controns ces désinences dont nous nous occupons maintenant à la rime avec une désinence féminine de même nature, nous sommes naturellement portés à conclure, ce qui n'est pas toujours très cer- tain, que l'une des deux formes provient du scribe et que dans ce cas la rime n'a plus de valeur. Il semble donc que nous ne puissions

1. Respectivement aux pages 6, (S9, 145.

2. 21, 41. 3.- - 81.

248 l'évolution du verbe en anglo-françats

enregistrer que les cas le déplacement de l'accent s'est produit. Mais même si nous trouvons un certain nombre de ces cas, pour- rons-nous conclure avec certitude que toutes les désinences en mit ont été accentuées ? Il faudrait pour cela, croyons-nous, que le nombre "de ces rimes soit considérable et qu'elles nous montrent dans cette position un nombre suffisant de verbes différents. Ce n'est pas le cas; nous n'avons relevé que quatre rimes notre désinence en //;// rime avec un mot en //;// accentué. La première est très ancienne relativement et remonte au commencement du XIII'' siècle. On la lit dans les Evangiles des Dompnées : coiifiindunt (:runt de rompre) au fol. 25 ; les rimes qui suivent celle-ci au point de vue chronologique lui sont postérieures de cent ans ; on les lit toutes dans l'Apocalypse : signefiunt (: ount) au vers 75 (a) ou 74 (3 et y); cette même rime est répétée au vers 995. Dans le même poème on trouve encore habitiiut (:sunt) au vers 961 (.3 et v).

Il est inutile de fliire remarquer comme ce nombre de rimes est petit, si l'on considère d'un côté le nombre de ces nouvelles formes, de l'autre le nombre des interrimes du futur et des troisièmes per- sonnes du pluriel fortes, et surtout le nombre des rimes qui accouplent cette nouvelle désinence en unt avec la terminaison fétninine régulière. Nous trouvons dans Gaimar : rcuscrunt (: erent), 7>ie)ienintÇ: cheminèrent); dans la Lumière as Lais, au vers 554: rend II ut (: apendent), etc.

Quoique l'on ne puisse guère exagérer la négligence des scribes, il semble cependant difficile d'admettre que, dans un aussi grand nombre de cas, ils aient accouplé des formes qu'ils sentaient diffé- rentes ; il est plus facile de supposer qu'il y avait pour eux identité complète entre cette terminaison mit et la terminaison régulière.

De plus le déplacement de l'accent s'iinaginerait assez mal à l'imparfait et au conditionnel.

Nous conclurons donc que 1'// de ces désinences n'a été consi- déré la plupart du temps par les auteurs et les scribes que comme une graphie de la muette. Très rarement, quoique assez tôt, il y a eu déplacement de l'accent et on peut trouver un tout petit nombre d'exemples montrant ces personnes accentuées sur la dési- nence.

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 249

2. Terminaison ont.

Rare dans l'anglo-français littéraire, cette terminaison est extrê- mement commune dans la langue non littéraire ; nous ne trouvons en effet dans les ouvrages littéraires qu'un petit nombre de tetmi- naisons en ont au présent de l'indicatif : pont dans le Saint Julien (80 r°) ; vivont dans les Heures de la Vierge (6i v°) ; et dans les Contes de Nicole Bozon : parlont 13 e) etcnpernont 88). Les prétérits sont encore moins nombreux ; on trouve prêcheront dans les Heures de la Vierge (62 v°), et ensonrderont dans Nicolas Trivet (2 r°). Nous n'avons trouvé aucune de ces formes à la rime, mais les cas de rime que nous avons déjà cités dans les terminai- sons en iint suffisent à montrer que pour ces terminaisons, comme pour les autres, il n'y a pas eu en général déplacement de l'accent. Par conséquent il ne faut pas confondre ces désinences avec celle des imparfaits du subjonctif que nous avons trouvés dans Frère Angier et auxquels ils sont postérieurs de trois quarts de siècle pro- bablement.

Ces désinences en ont qui nous occupent 'maintenant sont extrê- mement fréquentes dans la langue diplomatique et politique : il nous est impossible de songer à donner tous ces exemple de termi- naisons, leur nombre étant beaucoup trop considérable ; rien que dans les Statutes, nous en avons relevé environ trente et nous en avons omis ; leur nombre est au moins aussi grand dans les Rymer's Foedera; et les ouvrages moins étendus, comme les Parliamentary Writs, les Literae Cantuarienses, les Lettres des Documents Lié- dits, etc., en ont proportionnellement. Trois temps seulement reçoivent cette désinence dans les Statutes et ouvrages analogues (Writs et Mem. of Pari.), ce sont le présent de l'indicatif, le pré- sent du subjonctif et le prétérit. Par exemple, pour le premier de ces temps, nous trouvons dans le premier volume des Statutes arivonf, de.'irbargeoiit (1323, 192); pour le présent du subjonctif, nous avons viegnont (1335, 381 ; 13350, 317); pour le prétérit conseilleront (1321, 182). La date la plus reculée à laquelle nous trouvions des exemples de cette terminaison dans la langue pure- ment politique est 1321, et il faut remarquer que, dans les Mem. Pari. 1305, alors que les terminaisons en unt sont spécialement nombreuses, les désinences en ont sont entièrement absentes.

250 l'évolution du vkrbe en anglo-français

Les premiers exemples que nous fournissent les Ryraer's Foedera sont quelque peu plus anciens; nous relevons le premier cas dans un traité de Tannée 1297, second volume, p. 783 : le prétérit vin- drout. Ce sont du reste les mômes temps que nous rencontrons dans Rymer, auxquels il faut cependant ajouter quelques imparfaits du .subjonctif, que nous aurions peut-être classer avec la seconde espèce de désinence en ont, quoiqu'il ne soit pas très vraisemblable que ces formes présentent un déplacement de l'accent. Les présents de l'indicatif et du subjonctif, comme aussi les prétérits que nous trouvons chez Rvmer's ne diffèrent en rien de tous ceux que nous avons cités ; nous nous contenterons de donner quelques-uns des imparfaits du subjonctif, comme fnissont (1338, V, ^}'); tenissont

(1357, VI, 5).

Les autres ouvrages présentent un nombre plus ou moins consi- dérable de ces formes ; dans quelques-uns, comme le Liber Rubeus de Scaccario, elle est même plus fréquente que toute autre dési- nence. Mais aucune des formes que nous avons relevées ne diffère des types que nous avons déjà cités, et conséquemmentil est inutile d'en donner un plus grand nombre.

Dans les Year Books, 0 se rencontre déjà avec la valeur d'un c atone au commencement du xiV^^ siècle, comme dans rendant (30 Edw. l", 31); diont {ihid., 241); on trouve cette graphie aussi à l'imparfait du subjonctif ; venisont (30 Edw. P'', 501). Ce n'est guère qu'à partir du règne d'Edward II que 0 tend à déplacer com- plètement les désinences que nous venons d'étudier, au présent de l'indicatif et du subjonctif, comme dans volont (3 Edw. Il, d^) (Y), puissont {2 et 3 Edw. II, 169), (Y), etc. et au prétérit: demanderont mistront (2 et 3 Edw. II, 80), (Y), entreront (3 Edw. II, 193) (Y), etc. Désormais cette forme sera dans la langue légale des pluscommunes, plus fréquente que le simple e et que //, aussi employée que ou que nous allons voir maintenant.

3. Terminaison ount.

Nous avons déjà vu que la diphtongue o//peut prendre la place de la voyelle u ou 0 dans les désinences accentuées masculines de la première personne et la troisième personne du pluriel. Il est assez naturel par conséquent que le même fait se produise dans les ter-

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 25 I

minaisons féminines, c'est-à-dire lorsque la voyelle simple n'est elle- même que la graphie de l'atone posttonique.

On trouve ces désinences féminines en oiiiit principalement au xiv^ siècle ; nous en avons bien quelques exemples dans certains auteurs du xiii'' siècle, mais il nous semble tout au moins probable que les quelques cas que nous rencontrons à cette époque doivent être attribués aux différents scribes et ainsi rejetés au siècle suivant. (Cf. Première personne du pluriel et troisième personne du plu- riel).

Comme les désinences atones tint et ont dont elle est dérivée, elle est surtout fréquente au présent de l'indicatif et au prétérit ; comme nous avons déjà cité un assez grand nombre d'exemples de formes analogues dans les paragraphes qui précédent, nous nous bornerons ici au minimum.

Pierre de Langtoft l'emploie assez souvent au présent de l'indica- tif Çcomme giiyoïint, I, 136, 6); le roman de Foulques Fitz-Warin en offre plusieurs exemples à ces deux temps ; dans les Contes de Nicole Bozon, comme on peut le voir dans l'introduction de M. Paul Meyer, on en rencontre un nombre considérable; il en va de même des Chroniques de Nicolas Trivet, ces terminaisons sont encore plus communes. Cependant il est évident que l'emploi de cette forme dépendait en grande partie de la fantaisie des scribes, car elle est entièrement absente de certains mss. ; par exemple, nous ne l'avons pas relevée dans certains mss. des Proverbes de Bon Enseignement, ainsi dans le Bodleyyéi (cf. par exemple le fol. 182 et pûssiiii).

La diphtongue on avec valeur de voyelle muette est sensible- ment plus rare dans la langue non littéraire. On serait peut-être tenté de croire que les terminaisons muettes unt, ont, oiint sont entre elles, au point de vue du nombre, dans le même rapport que les terminaisons accentuées de la même forme ; nous ne croyons pas qu'il en soit ainsi. La terminaison ount est comme terminaison atone proportionnellement plus rare que onnt, terminaison accentuée ; cependant elle se retrouve dans la plupart des recueils, mais uni- quement à trois temps : le présent de l'indicatif et du subjonctif et le prétérit ; on la rencontre un petit nombre de fois dans les Sta- tutes, /)Ot)/m^, rt.rm'O?/;?/ (respectivement 1285, 96 et 1323, 192); de môme dans les Parliamentary Writs, et une seule fois dans les

2)2

l'Évolution du verbe en anglo-français

Mem. Pari. J^o'j, prionnl, ^ 276. Rymer en fournit quelques cas, eux aussi en petit nombre.

Somme toute, cette désinence est connue et assez peu employée. Elle se trouve au présent de l'indicatif, au présent du subjonctif et au prétérit.

Au contraire, elle est assez commune à ces mêmes temps dans les Year Books, surtout à partir de la seconde décade du xiv^ siècle ; on peut la trouver antérieurement à cette date ; par exemple dioutit, prioiiiit se lisent dans le Year Book 31 Edward I" (417 et 429) ; mais elle est surtout fréquente vers le milieu du xiv^ siècle. Dans 17 et 18 Edward III (1343 -1344), nous en trouvons un nombre considérable de cas ; elle devient plus commune que 0 et même que g, peut-être même aussi employée que //.

Dans l'ensemble de la littérature (au sens large du mot) anglo- française, on est des plus rares en dehors des temps que nous venons de citer. M. Stimming cependant croit en trouver un exemple à l'im- parfait au vers 60 r de Boeve, fuoiiut. A priori, cela peut nous sem- bler bien extraordinaire. Pour retrouver une désinence analogue dans la littérature, il faut aller jusqu'à Nicolas de Trivet qui nous donne disount au fol. 31 ; et encore ne sommes-nous pas sûrs que cette forme appartienne à l'auteur lui-même, et si elle provient du scribe, elle ne remonte pas plus haut que le xV^ siècle. Même en dehors de la littérature, les exemples sont des plus rares en dehors du présent et du prétérit, et ce n'est que dans le Law French qu'on les trouve ; cette diphtongue se trouve employée de deux façons dans les Year Books, d'abord avec la voyelle ou diphtongue accentuée régulière, comme poieount (11 et 12 Edw. III, 399); serreioimt (ibid., 363, 459), ou plus rarement sans cette diphtongue : disount (2 et 3 Edw. II, 15, 52).

Il est donc fort peu probable que l'exemple de Boeve soit un imparfait; le sens peut fort bien (mieux peut-être), s'accommoder d'un présent de l'indicatif, et cette désinence n'est pas rare à ce temps, comme nous l'avons vu '.

Par conséquent, nous pouvons conclure que la diphtongue ne se rencontre jamais en dehors des trois temps que nous avons énu-

I . Voici le passage se trouve cette forme :

Que quant il veient Boefs o le branc tbrbis, Ensement il tuount com fet li mauviz.

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 253

mérés, sauf dans certains ms. du xv^ siècle, et dans les Year Bocks qui ne sont peut-être pas plus anciens.

4. Terminaison ant.

Nous trouvons enfin dans un petit nombre d'ouvrages littéraires et de textes diplomatiques quelques terminaisons en ant qui nous semblent atones. On les rencontre surtout dans Boeve de Haum- tone, au présent de l'indicatif et au prétérit, exactement comme pour les désinences atones en //, o, ou, que nous avons déjà étudiées.

Citons dans Boeve, pussant (au vers 1668), descendant (au vers 3200), euraut (au vers 3507). Pour une raison que nous ne com- prenons pas, le savant éditeur, M. Stimming, a rétabli dans son texte pour les deux derniers seulement de ces exemples Ye étymo- logique.

Nous pensons que ces trois formes appartiennent au scribe de B, par conséquent qu'elles doivent être attribuées au xiv'' siècle. Les seuls exemples que nous trouvions de cette terminaison en ant en dehors de la littérature appartiennent à ce siècle et se trouvent dans un tout petit nombre de textes.

Il nous semble évident que, comme nous l'avons vu, la termi- naison a}it accentuée est inconnue à l'anglo-français non littéraire ; nous n'avons rencontré qu'un seul exemple (celui de Rymer, cité plus haut) de la terminaison ant à l'imparfait du subjonctif. Va des désinences en ant qu'il nous reste à citer peut donc être consi- déré comme atone. Elles sont du reste extrêmement rares; les deux exemples que nous avons relevés sont ensuant, qui est un présent de l'indicatif et se lit dans Rymer (135 1, V, 723), et l'imparfait de l'indicatif w/t'/^/;// dans les Mem. Pari. 1305 392).

Cette désinence est tout aussi rare dans les Year Books : nous avons ïtXcwé passant (50 Edw. I", 221); poiant (17 et 18 Edw. m, 85), mais ces exemples isolés et éloignés l'un de l'autre pour- raient à la rigueur passer pour des erreurs cléricales ; de toutes façons ils n'ont que peu de valeur probante.

Néanmoins nous croyons que l'anglo-français à connu et employé, assez rarement, il est vrai, une désinence atone ant et qu'elle appartient au wv" siècle.

2)4 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

5. Terminaison /;//.

La graphie //// n'a pas l'importance des désinences que nous venons d'étudier : d'abord, il ne peut y avoir aucun doute sur sa valeur, car on ne la trouve jamais rimant avec /;// accentué, h'i ici est certainement l'équivalent de IV atone.

Le premier exemple de la désinence int qu'on puisse citer se lit dans le Saint Brandan : vindrint (au vers 355); mais il est certain que la responsabilité de cette graphie doit être laissée au scribe. Le ms. de l'Arsenal (vers 303) porte vindnmt. L'on ne rencontre aucun autre exemple analogue à la troisième personne du pluriel avant le second tiers du xiii^ siècle, et nous devons dire que même plus tard cette graphie reste toujours rare et limitée à cer- tains auteurs : Boeve, chez qui on est toujours à peu près certain de rencontrer des exemples de toutes les irrégularités, a plusieurs troisièmes personnes du pluriel terminées en int : comme sigJint (1891), point (1961) (de /)0t7V) ; ce dernier exemple n'est pas très con- cluant, czr point provient tout aussi vraisemblablement de poient, par la chute de Ve muet en hiatus. Dermoten a aussi quelques exemples ; c'est même l'auteur anglo-français qui en présente le plus grand nombre ; nous lisons dans ce poènie : baillerint (619), vindrint (740), dcmorirint (803), tindrini (1339). On trouve aussi cet / dans certaines œuvres en prose : issitit, dans Wil. Rishanger (p. 330). Le xiv^ siècle a connu cette terminaison mais ne l'a pas employée souvent : pJeindri}it se trouve dans les Contes de Nicole Bozon (au § 121), apellint dans les Chroniques de Nicolas Trivet (au fol. 20 r").

Voilà à peu près tout ce que nous avons rencontré dans les textes littéraires de ce siècle : comme on le voit, c'est peu et ne saurait se comparer pour la fréquence à ce que nous avons trouvé pour les terminaisons nnt, ont et ount.

Il en va de même pour les textes non littéraires ; la désinence /;// ne se trouve que rarement et rarement dans les textes corrects, comme les Statutes, Jean de Peckham, etc. ; nous en trouvons quelques cas dans les Rymer's ¥oederâ : piisint (1275, L 885 ; 1357, VI, 48) ; un seul dans les Parliamentary Wnts:viinlrint (1301, 132) ; un autre dans les Mem. Pari. 1305 : fnrint 12) ; et un nombre un peu plus considérable dans uij mauvais texte des Historical and

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 255

Municipal Documents of Ireland (1292, p. 206 sqq): vijidriut, dis- trint, lessint, pJcyntrint. La langue légale elle-même ne nous donne que fort peu d'exemples en /;//, par exemple point (22 Edw. V\ 423) ; et une forme plus assurée : velint (2 et 3 Edw. P"", 141) (Y). Comme on le voit c'est peu, et peu concluant.

On peut cependant admettre que cette forme assez rare a été employée depuis le milieu du xii"" siècle au xiv'' siècle par un petit nombre d'auteurs ou de scribes.

6. Terminaison ie)it.

Nous avons encore à mentionner une autre terminaison, assez commune en anglo-français ; elle ne soulève pas, croyons-nous, les mêmes questions que les terminaisons précédentes: c'est la dési- nence en ient. Nous avons déjà vu que la troisième personne du singulier montre quelquefois une nouvelle désinence en ie distincte à la fois de la terminaison régulière de la première conjugaison et de celle de la seconde. Rappelons qu'on la trouve avec des verbes de II, de I et de IV.

C'est à cette désinence de la troisième personne du singulier que correspond celle dont nous avons maintenant à nous occuper. Dans les œuvres littéraires, les exemples de zVwf sont peu nombreux et peu concluants. Dans le purprenient du Psautier de Cambridge (78, 8) et le rcqiiiergient des Quatre Livres des Rois (III, 18, 24), 1'/ peut s'expliquer comme servant à exprimer la mouillure de la consonne nasale, ou comme partie de la chuintante. Cette explication pos- sible n'est pas bien satisfaisante ; surtout elle ne peut s'appliquer à des formes comme annuncient des Quatre Livres des Rois (III, 22, 13), ni à devient (=deivent) que l'on trouve très fréquemment (le premier exemple, à notre connaissance, se trouve dans le Manuel des Péchés, au vers 7909). Nous avons tout d'abord été tentés de regarder ce dernier exemple comme une faute de lecture pour dei- vent {dénient et deinent pouvant se confondre très aisément); mais le nombre de ces formes dans les œuvres littéraires nous a fait long- temps hésiter à accepter cette explication. La graphie dans certains manuscrits est absolument claire, voir par exemple devient au vers 50 de la Geste des Dames.

L'examen des autres écrits anglo-français a eu raison de nos doutes ; dans la langue politique, diplomatique, etc., cette même

256 l'évolution du verbe en anglo-prançais

forme et des plus communes et se trouve dans hi plupart des recueils, même les plus corrects .

Il est assez difhcile de croire que la même faute se soit répétée si souvent dans toutes sortes de textes. Dans la majorité des cas, il est impossible de nier que ieiit ait été écrit : l'examen de plusieurs manuscrits nous l'a prouvé ; d'un autre côté, il est aussi difficile d'admettre qa'un nombre considérable de copistes indépendants les uns des autres aient commis un nombreconsidérable de fois la même foute ; cela est spécialement difficile à admettre pour les scribes qui ont copié les Statutes, car il est visible que les différentes copies qui composent le recueil ont été faites avec le plus grand soin ; il nous reste donc à admettre qu'un grand nombre des formes devient: doivent être regardées comme ayant réellement la terminaison ienf; nous le croirons surtout des exemples que nous trouvons dans les Statutes (cf. 1285, joetpassim).

Les autres exemples de désinences en iejit ne peuvent pas nous donner autant de doutes ; nous remarquons d'abord que les Sta- tutes ne nous montrent cette désinence qu'après une lettre mouil- lée, par exemple, dans le premier volume : veignieiil (1283, 54); espn r nient {12S y, 96) ; voillient (1340, 284); dans le second volume, nous trouvons d'abord ce dernier exemple (1379, 14) ; et aussi çoiJlient (1377, 2).

Il en va à peu près de même pour Jean de Peckham qui n'em- ploie cette désinence que dans voyl lient (1284, 565). Rymer, il est vrai, nous fournit des textes l'emploi de cette terminaison est beaucoup plus étendu ; on trouve chez lui IV après toute sorte de thèmes et à toutes sortes de temps : des présents de l'indicatif, des présents du subjonctif, des imparfaits du subjonctif, comme touchient (1289, ^^^ 44^); pcniient (1297, ^I' 7^4) 5 eussient (1360, VI, 163).

Quant aux autres textes, cette terminaison, tout en étant moins fréquente, n'est pas rare .• on la trouve dans les Literae Cantua- nenses(i343, 728) ; dans le Blacke Booke of the Admiralty, dans les Royal Letters Henry IV (1339, 8), etc.

C'est donc bien, avec certaines restrictions, une nouvelle dési- nence de la troisième personne du pluriel qu'on rencontre dans toutes les catégories de textes anglo-français ; elle y date du com- mencement du xiii^ siècle et se rencontre jusqu'à la fin du xiv^ siècle ;

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 257

elle aft'ecte le présent de l'indicatif ou du subjonctif, d'abord des verbes présentant comme dernière consonne du radical une lettre mouillée, puis du verbe devoir qui nous donne un nombre considérable d'exemples, enfin de quelques autres verbes. Les autres temps sont extrêmement rares.

7. Redoublement de la voyelle atone.

On pourrait très légitimement considérer comme un cas de déplacement de l'accent après redoublement de la muette de la ter- minaison le aresteent de Saint Auban, vers 1466 (4 syllabes ?), à moins que l'on ne considère simplement cette forme comme copiée sur les formes régulières : effréent (ibid., 5) ; chéciit (ibid., Rubrique, fol. 36 r°) ; assiêent, Li Vers del Juise (ms. B, vers 120) '.

Cependant les textes politiques et diplomatiques nous offrent un certain nombre de cas la muette est écrite deux fois ; nous avons déjà eu Vocc2is\onà.QC\ttrdeschargeûnt dans le premier volume des Statutes (1323, 192); mais par cette forme la présence de Ve est justifiée par le g.

Cette explication ne saurait s'appliquera quelques autres exemples qui se lisent dans les Rymer's Foedera; citons: scieunt (= seient) qui se trouve à la date 1289 (II, 448) ; jureoiit, à la date 1349 (V, 661) et chivacheont à la date 1368 (VI, 594). Ces différentes terminaisons n'ont que peu d'importance.

Nous aurions peut-être pu créer pour la troisième personne du pluriel, comme pour la seconde, une classe de monstres. Elle aurait surtout compris ces troisièmes personnes qui montrent s Qi :(^ après le /. Ce sont tantôt des désinences masculines, comme istronts qui se lit dans Rymer (1268, I, 858) ; serroni:^ dans le même recueil (1376, VII, 706), ou des désinences féminines commeyi?/a'H/~, tou- jours dans Rymer (135 1, V, 719).

Nous n'accordons évidemment aucune valeur à ces exemples qui sont du reste extrêmement rares.

I. On peut probablement rapprocher les différentes formes que nous venons de citer de feent (faire) qu'on lit dans le Jonas. Cf. Marchot, Zeitschrift, XXII, 401.

17

258 l'évolution du verbe en anglo-français

Terminaison en c{a)ient.

Il nous reste à parler d'une autre sorte de terminaison féminine dans laquelle la voyelle atone est précédée de la diphtongue e^ûji.

1. Extension de celle terniiiiaisou.

Régulièrement, cette terminaison se rencontre aux troisièmes per- sonnes du pluriel de tous les imparfaits de l'indicatif et de tous les conditionnels, du présent de l'indicatif de certains verbc^s (comme voir), du présent du subjonctif d'avoir et d'être.

Ce sont les seuls temps qui, dans les œuvres littéraires, se ren- contrent avec cette terminaison, et ils la conservent toujours. Mais en outre cette terminaison a un emploi particulier et irrégulier dans les ouvrages qui n'appartiennent pas à la littérature. On la trouve assez fréquemment comme désinence de l'imparfait du subjonctif ; les Statutes nous en offrent quelques exemples : fiiysseint (1285, I, 103), forme qui se trouve encore dans les Parliamentary Writs (1325, 11,717, deux fois). On la rencontre aussi à d'autres temps : au prétérit, par exemple vi ud rein !, employé dans les Rymer's Foedera (1297, II, 783) ; au présent du subjonctif comme pnissoient, répété trois fois dans le Liber Albus (1314,418); même au présent de l'indi- catif dansles Statutes: flTm/mz/ (1297,1, i32).Ondoit probablement rapprocher cette dernière forme de aresteenî (cf. supra) dans laquelle l'hiatus a pu développer un /.

Cette désinence est extrêmement commune dans la langue légale et se trouve employée d'une façon irrégulière, surtout avec deux temps: l'imparfait du subjonctif et le prétérit; pour le premier de ces temps, on trouve principalement, comme dans la langue poli- tique,//yi^-dv;// (par exemple 33 et 35 Edw. I'^'', 525), pleyndreynt (id. 253), vindereynt (i et 2 Edw. II, pp. 10, 20, 23, forme attestée par les trois mss.), tiendreynl (2 et 3 Edw. II, 141, donnée par Y), etc. Il nous est impossible de savoir s'il y a eu, en même temps qu'un changement de désinence, déplacement de l'accent ; il paraît tout au moins probable que la désinence n'est pas simplement une graphie de la muette.

2. Les formes de celle lerniiuaison.

a) La voyelle posttonique.

Le phénomène le plus général que nous puissions observer à pro- pos des troisièmes personnes du pluriel terminées par voyelle ou,

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 259

plus souvent, diphtongue plus ent, consiste dans la chute de la voyelle atone finale ; c'est ce que nous avons déjà étudié à la pre- mière et à la seconde personne du singulier. Nous allons mainte- nant voir si cette chute de l'atone en hiatus s'effectue ici dans les mêmes conditions que précédemment; comme le nombre des exemples fournis par la troisième personne du pluriel est beaucoup plus considérable que ceux que nous avons rencontrés aux deux autres personnes, nos conclusions seront plus faciles à tirer et plus sûres.

Comme nous l'avons fait auparavant, nous étudierons tout d'abord ce qui se passe au xii^ siècle, puis pour les deux siècles suivants, nous examinerons successivement les désinences de l'imparfait de l'indicatit et du conditionnel, puis celles du subjonctif.

XII^ SIÈCLE

Dans tous les ouvrages composés au xii^ siècle, nous pouvons aisément relever de nombreux exemples montrant que les désinences en eient, ouent, sont régulièrement conservées sous leur forme dis- syllabique; ils sont si communs, depuis le Cumpoz jusqu'à Guis- chart de Beauliu, que nous n'en citerons aucun.

Pendant cette période les cas d'amuissement de Ve sont par con- séquent très rares et ne se produisent que pendant le dernier tiers de ce siècle. Le premier que nous ayons rencontré se lit dans les Légendes de Marie d'Adgar (1160) ; on trouve dans cet ouvrage (V R, 96) le conditionnel reqiierreint, et cette forme est assurée par la mesure du vers :

Pardun requerreint de quer parfit.

Cet exemple n'est pas des plus probants, le vers étant de toutes façons un vers faux; peut-être faut-il lire querreint.

Dans Horn,les cas d'amuissement de Ve sont un peu plus nom- breux; on trouve des imparfaits et des conditionnels de même que quelques présents du subjonctif ; citons quelques-uns de ces cas :

Présent du subjonctif (vers 465):

Dicest mester od lui ovoil quil seient servant. Imparfait de l'indicatif (vers 2690) :

2é0 L ÉVOLUTION DV VERBE EX ANGLO-I-RAKÇMS

Q.uil allaient a Senburc pur esbanciemcnt .

Conditionnel (vers 2691), (exemple douteux; faut-il lire be-ve- reint ou he-vrei-ent ?) :

Si bevereieut od lui c bon viu c pimtnt.

Mais les présents de l'indicatif dans lesquels la voyelle muette de la terminaison est en hiatus avec la voyelle du thème ne présentent jamais la synérèse; de plus, même aux temps que nous venons de citer, la forme correcte est de beaucoup la plus commune (cf. par exempleles vers 48, 176,433,877, 1370,2546,2548,2828, 3908). Il y a même dans ce poème un exemple très curieux qui montre la forme étymologique employée à côté de la forme abrégée au même temps (vers 2692) :

Ety(H'/d'/((;J«/ (2 syll.) as echcs, orreieiit (3 svU.) harpement.

Dans la Chronique de Jordan Fantosme, la proportion des formes sans c atone et des formes étymologiques est peut-être un peu plus forte que dans Horn ;rt' atone disparaît dans trois cas au présent de l'indicatif, au vers 491 :

Kar li Escot me guerreient sans nule manaie. Au vers 1 1 7 5 :

Femmes fuient al muster, chascune tud ravie. Entin au vers 1947:

Issi cumveient le rei de si qu'a Westniuster.

De l'autre côté, les formes régulières sont très nombreuses ; on en pourrait citer une trentaine (cf vers 132,431, 1495, 1496, 1844, 1940, 1945). Quoique encore assez peu communes, les formes abrégées marquent un très grand progrès, si on peut dire, sur le poème de Horn. Il en va de même aux autres temps, quoique d'une façon moins remarquable peut-être, excepté au présent du subjonctif qui semble conserver toujours très régulièrement sa voyelle atone (cf. vers 1357, 1995) ; cela peut n'être qu'une coïncidence.

LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL 26 1

A l'imparfait et au conditionnel, nous trouvons un nombre consi- dérable de cas d'amuissement de ïe: en voici quelques-uns:

Ki lur honurs teneient del rei demeine (10 syll.), 691 .

Ne saveient porter armes a lei de chevalier, 1003.

Il esteient plus de lui par miliers e par cent, 1042.

Flamenc esteient hardis et mult acuragiez, 1 2 1 5 .

Kar il saveient mult bien li reis ert mult hardi, 1658.

Les vers qui nous attestent les formes avec atone syllabique sont à peine plus nombreux (cf. 433, 643,923, 935, 1342, 1657, 1944, et quelques autres).

Nous trouvons une preuve de la diffusion des formes abrégées dans le fait qu'un écrivain aussi soigneux que Sœur Clémence de Barking ne les évite pas entièrement ; on trouve chez elle (vers 1339):

Tost mavreient les oilz fors becchie.

Mais chez elle, comme dans les plus corrects des écrivains de la fin du xii^siècle, cesformes sont rares ; quelques-uns même, comme Guillaume de Berneville, les ignorent absolument (cf. Vie de Saint Gilles, imparfait de l'indicatif, vers 69,85, 1065, 1276, 1735, 1741; présent du subjonctif, 1627, 1792 ; présent de l'indicatif, 93, 459, 715, 929, 1044, 1561, 1527). Il en est de même de Renaut de Montauban.

XIII^ ET XlV^ SIÈCLES

Au siècle suivant, il n'en va pas toutà fait de même ; nous allons voir pendant les premières années de ce siècle le nombre des formes régulières décroître d'une manière extrêmement rapide. Remarquons tout d'abord qu'il n'y a qu'un tout petit nombre d'auteurs qui pendant cette période ne connaissent que la terminaison dissyllabique. Ce sont du reste les deux auteurs dont nous avons fait remarquer la correction pour la première personne du singulier : Robert de Gre- tham, dans ses Évangiles des Dompnées (cf. 23 r°, 39 r°, 65 r", 77 v°, etc.), et Denys Pyramus (cf. vers 435, 7 syll., 41 11). Ils sont exceptionnels, et tous les autres présentent un nombre plus ou moins considérable de formes d'où ïe en hiatus a disparu.

262 l'Évolution du verbe en anglo-fkançais

A. Imparfait et conditionnel.

Les poèmes deChardri nous montrent encore ici une progression remarquable pour ces formes; dans le Josaphat, le nombre d'impar- faits et de conditionnels qui ont retenu 1'^ atone en hiatus est encore assez considérable, et nous pouvons en trouver plusieurs attestés par la mesure du vers. Les imparfaits réguliers de la première con- jugaison se rencontrent avec une terminaison dissyllabique dans deux endroits: Jeiinoenl au vers 632 ; quidoent au vers 2613 :

Les oiz lermoent plus k'asez ; E quidoent ke ildormeit !

Les imparfaits et conditionnels en dent peuvent nous donner évi- demment des exemples encore plus nombreux : les terminaisons dissyllabiques sont assurées entre autres par la mesure des vers 1647, i8or, 1962, 2387, 2646. Voici ces cinq vers :

E kil amei(e)nt de fin quoer, Lespuceles estei(e)nt ' ; Ki duneient mut grant odur ; Ki venei(e)ntvers noslre lei ; Estraqgement estei(e)nt '.

Les cas d'amuissement dans ce poème sont légèrement plus nom- breux que les formes normales: on en rencontre aux vers 313, 560, 1003,1294, 1545, 1648 (?), 1923, 1956, 1972, 1997, 2627,2635, et quelques autres encore.

Nous ne citerons qu'un petit nombre de ces vers :

Li diseint ke crestien esteit, 313 ; A tuz ki le vuleint amer, 560 ; Quant il aveint issi pleidé, 1003.

Les Set Dormans ne nous fournissent aucun exemple montrant la persistance de Ve atone aux imparfaits étymologiques de I ; les autres au contraire sont assez communs ; on en rencontre des exemples aux vers 127, 161,452, 772, 777, 859, que nous donnons dans cet ordre :

I . est monosyllabique dans Chardri.

LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL 263

Ki ne vulei(t;)nt aûrer ; Bien savei(e)nt ke ceste vie ; Quant avei(e)nt icest respit ; E vulei(e)nt en tute guise ; E ceus ki vendrei(e)nt après ; E disei(e)ntpar foie emprise.

Mais le nombre de cas de synérèse ou d'amuissement a augmenté dans de fortes proportions : ii8, 155, 160, 246, 4)9,461, 663, 672, 706, 796, 881, 936, 1139, 1553, 1763, 1811, 1825; voici quelques-uns de ces vers :

Les uns sembloent cauve suriz ; Cil ki aveint feble curage ; E quank'il poeint aramir ; Aveint a primes trespassé.

Enfin le Petit Plet ne nous donne qu'un seul cas montrant la per- sistance de Ve atone ; on le voit au vers 72 :

Mut chanteient a grant duçur.

Au contraire, les formes irrégulières sont assurées au moins dans quatre cas, aux vers 65,264, 474, 848 :

E si esteintli arbre haut ;

Mut en purreint venir granz pertes (lire purreit ?) ;

Ki me soleient fere cumpainnie ;

D'autre le freint, ci cum jeo crei.

Il y a donc dans les trois poèmes de Chardri une progression réelle, le nombre de formes sans e augmente d'un poème à l'autre constamment ; et quoique nous n'attachions qu'une importance médiocre aux proportionsnous pouvons résumer par quelqueschiffres les résultats auxquels nous sommes arrivés : pour 100 terminaisons de la troisième personne du pluriel de l'imparfait ou du condition- nel, on trouve environ 60 cas d'amuissement de Ve atone dans le Josaphat, 68 dans les Set Dormans et 75 dans le Petit Plet.

Pour ce qui est des poèmes de Frère Angier, les deux formes es rencontrent (cf. Miss M. K. Pope, p. 23); nous ne connaissons pas le rapport de ces deux formes. Dans le Saint Edmund, le nombre des formes abrégées est supérieur à celui des formes correctes et le

264 l'évolution du verre en anglo-françals

rapport entre les deux formes est sensiblement le même que dans le Petit Plet ou au moins que dans les Set Dormans. Les formes cor- rectes se trouvent aux vers 114, 15e, 810, 1398, léoy, 1914, 191 5 et quelques autres moins sûrs '.

Les formes abrégées se trouvent assurées dans un nombre à peu près double de cas ; on les rencontre aux vers suivants: 148, 244, 249, 335, 368, 431, 1032, 1093, 1133, 1154, 1381, 1457, 1759, 1913, 1921, 1998 \

11 est assez difficile de se rendre compte de ce qui se passe dans le poème de Saint Auban; la plupart des vers apparaissent des troi- sièmes personnes du plurielde l'imparfait et du conditionnel ont une mesure incertaine ou bien ces verbesy sont placés à l'hémistiche ; par conséquent les éléments douteux sont trop nombreux pour que nous puissions avoir une idée même approximative de l'état de ces termi- naisons dans le poème. Il y a malgré cela quelques exemples assez sûrs pour que nous n'ayons aucun doute sur l'existence de ces deux formes de la désinence. Les vers 1 62 {savaient), 168 (estoient), i6^j (estaient), 1738 {anierroioit^, 1740 (ociroient) nous donnent des exemples à peu près certains de terminaisons dissyllabiques ; par contre, les vers 239 {disoient), 1 3 7 1 (estaient), 1 3 80 (estaient), 1 760 (estaient) nous semblent aussi probants en faveur des terminaisons monosyllabiques. Notre impression toutefois est que les premières sont plus nombreuses.

Les mêmes doutes nous poursuivent pendant la fin du xni'' siècle et pendant le xiV^ ; il faut remarquer toutefois que les e sont écrits assez communément. Sont-ils purement graphiques ? Cela est pos- sible ; cependant quand il nous arrive de rencontrer un poème dont la versification est à peu près régulière, nous avons la preuve que Ve

1. Aveient de ces treis parties ; 1 14. Morz voleient estre a lur voil ; 156 et 810. Si feseient tute la mit ; 1 398.

Si feseient tut li baron, IS98.

Kil les vendreient assaillir ; 1607.

Kant errouent od lur navie ; IÇH-

2. Nous citerons ici quelques-uns de ces vers :

Qu'il aveient en tens grant plenté; 244.

Grant doel en aveient e grant ire ; 249.

Un rei aveient, ço fu le veir ; 431.

Kant par ci feseient lur repaire ; 1032.

Kant la niet aveient aprcstc; 1381.

LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL 265

comptait assez souvent dans la mesure du vers ; par exemple, dans le Siège de Czrhv er ok, avoient a trois syllabes au vers 56 et les exemples que nous fournit le poème sur le Prince Noir sont encore plus nombreux (cf. Miss Pope, Introduction, p. xi). On peut aussi relever quelques exemples assez douteux, pour dire le moins, de dési- nences probablement régulières, dans la Chronique de Pierre de Langtoft (cf. I, 12, 28). Remarquons encore que des quatre mss. de ce poème, trois, A, C et D, omettent le plus souvent la lettre muette, mais le quatrième et le meilleur, B, la conserve le plus souvent.

Il résulte évidemment de ce que nous venons de dire que les terminaisons abrégées doivent être extrêmement nombreuses après la seconde moitié du xiii^ siècle ; en fait, elles deviennent la règle, et nous n'observons ici une recrudescence de terminaisons étymolo- giques à aucun moment du xiV siècle, comme nous avions cru le faire pour la première personne du singulier.

Nous ne citerons que quelques exemples des formes que nous avons relevées pendant cette période et qui montrent que la termi- naison de la troisième personne du pluriel des deux temps qui nous occupent est le plus souvent monosyllabique ; nous choisirons les exemples qui nous ont semblé les plus sûrs. On lit par exemple feseint au folio 50 de la Genèse Notre-Dame ; voleintzu vers 109 de la Plainte d'Amour; aveint au vers 530 du même poème ; dans William de Waddington, ces désinences qui montrent eint avec la valeur d'un monosyllabe sont en nombre considérable ; poeint par exemple au vers 2262, esteint au vers 3781. Ces formes semblent d'ailleurs se nmltiplier dans les poèmes de la fin du xiii^ siècle ; quel- ques-uns sont douteux évidemment, et peuvent provenir des scribes du siècle suivant. Il y en a cependant beaucoup que nous n'avons aucune raison de rejeter, comme fesciiit au folio 61 des Heures de la Vierge, alcint dans l'Erection des Murs de New Ross ; ou encore quidount au vers 984 de Dermod et devant au vers 1274 du même poème, pour ne citer que quelques formes.

Le même état de choses se remarque au xiv^ siècle ; nous ne pou- vons songer à allonger notre liste d'exemples, trop longue déjà ; qu'il nous suffise de dire que les exemples douteux de tout à l'heure pourraient trouver place ici, comme représentant les habitudes des scribes de cette époque. En un mot, assurées ou non par la mesure.

266 l'évolution du verbe en anglo-français

les désinences en eint sont de beaucoup les plus communes ; on les trouve dans l'Apocalypse {diseint, a, io8) ; dans la Chronique de Pierre de Langtoft (cf. par exemple alcyut, I, 12, 28 ; et toute la laisse 1,90, 25 et pass'uii), dans Foulques Fitz Warin (devereicut, 16 ; defcndreynt, 20 et pnssini). Enfin ces désinences sont à peu près les seules qu'on rencontre dans les Contes de Nicole Bozon, dans la Chronique de Nicolas Trivet^ dans les Vies de Saints du même auteur' (Vie de Saint Richard, vers 435, 597, 755, 1676). C'est assez dire que les désinences incorrectes ont tendu à devenir la règle depuis le commencement de la moitié du xiii= siècle, et que, sauf quelques exceptions, la forme étymologique est devenue extrê- mement rare au siècle suivant.

Il nous faut cependant faire une remarque qui ne manque pas d'importance. Comme nous l'avons dit les e syllabiques ne semblent pas augmenter de nombre pendant lexiV^ siècle; mais il est évident qu'au moins certains scribes de cette époque l'écrivent plus fré- quemment qu'on ne le faisait à l'époque précédente. Cela est si vrai que nous avons trouvé des exemples cette voyelle a été écrite et elle ne compte pas dans la mesure du vers. Nous sommes alors tentés de croire qu'elle a été rétablie par les scribes, alors même que les auteurs qui étaient leurs contemporains ne donnaient pas à cet e sa valeur syllabique.

Pour donner par conséquent une conclusion complète, nous dirons quel'^ qui avait disparu de la prononciation dans les conditions que nous avons exposées s'est trouvé rétabli dans un certain nombre de cas dans l'écriture par certains auteurs ou scribes du xiv^ siècle.

B. Présent du subjonctif et de l'indicatif.

Les troisièmes personnes du pluriel du présent du subjonctif et de l'indicatif pour lesquelles ïe muet de la désinence se trouve en hiatus n'ont pas été soumises à la réduction que nous étudions au même degré que les mêmes personnes de l'imparfait et du condi- tionnel; cela est surtout vrai du présent de l'indicatif qui, comme nous le verrons, ne montre que très rarement des formes d'où Ve

I. Nous trouvons un exemple Ve en hiatus est gardé dans la Vie de Saint Richard (contre quatre au moins d'où il a disparu) au vers 704: Carnet esteient de conscience.

LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL 267

atone a disparu. Ce fait seul suffit à montrer que l'amuissement de Ve n'est pas un fait purement phonique.

Nous n'insisterons pas sur les deux auteurs, Robert de Gretham et Denys Pyramus, que nous avons jusqu'ici trouvés toujours très corrects sur ce point; ils ne présentent aucune forme abrégée au subjonctif et à l'indicatif. Dans les trois poèmes de Chardri, les formes régulières restent toujours plus communes que les formes incorrectes ; c'est ainsi qu'on trouve pour le premier de ces temps :

De ce seient trestuz tut prest; Josaphat, 558 ;

Od lu seient e jur é nut ; Josaphat, 1780 ;

U les enfans seient alez ; Set Dormans, 681 ;

Seient sumuns demain au jor ; Set Dormans, 686.

Le Petit Plet ne nous a donné aucun exemple pour ce temps.

Les vers qui montrent une désinence dissyllabique au présent de l'indicatif sont beaucoup plus nombreux et nous nous contenterons d'un petit nombre de références ; dîent comptant pour deux syl- labes se rencontre très communément, aux vers 1280, 2553, 2672 du Josaphat ; éii, etc., des Set Dormans; 830, etc., du Petit Plet; poent n'est guère moins commun (cf. v. 340, 347 des Set Dormans; 489, du Petit Plet). On trouve encore un nombre assez considé- rable d'autres verbes, veient, prient, fuient, establient (cf. Set Dormans, 445, 361, 1805).

Les cas de synérèse ou d'amuissement sont beaucoup moins communs même au subjonctif. On trouve dans le Josaphat seint au vers 1769 :

Curteises seint et enveisées.

Un autre exemple, beaucoup plus douteux, se rencontre dans les Set Dormans, au vers 1595 :

E huni seint ki par enfance,

il faut lire avec O le singulier seit^ ; comme on le voit, le nombre de formes abrégées est des plus restreints. Il est relativement encore

I. Le singulier rétablit la mesure dans le vers qui suit (1596) :

Nus volt (au lieu de : voelent) mettre en autre créance.

268 l'kvolution du verbe en anglo-français

moindre pour les troisièmes personnes du présent de l'indicatif : Josiiphat nous donne liiciit, au vers 2809 :

E dient ke l'autre li cnveit,

les Set Dormans : pocnt, csmaient, respectivement aux vers 1224,

1608 :

La u il poent aver mestrie ;

E ne s'esmaient de nule ren.

Comme on le voit, nous sommes ici fort loin des proportions que nous donnions pour cette même terminaison à l'imparfait et au conditionnel ; IV muet se maintient bien mieux au présent de l'indicatif et à celui du subjonctif qu'aux deux autres temps. Ce n'est du reste pas dans les poèmes de Chardri seulement que nous pouvons le remarquer; le Saint Edmund nous fournit un plus grand nombre d'exemples que les autres ouvrages de cette époque, et l'usage que suit l'auteur est à peu près celui que nous avons observé dans Chardri. Au subjonctif, les désinences régulières sont nom- breuses (cf. 1041, 1047, 3794), mais beaucoup plus rares que pour le présent de l'indicatif (cf. v. 205, 320, 519, 817, 1102, 1122, 1391, 1392)'.

Les formes abrégées au contraire sont assez rares ; d'après nos calculs, les présents du subjonctif réguliers sont quatre fois, les présents de l'indicatif douze fois plus nombreux que les formes irré- gulières des temps correspondants (cf. v. 47, 1060) ^

Dans le Saint Auban, nous trouvons plusieurs subjonctifs et de nombreux présents de l'indicatif qui ont une désinence dissylla-

1. Kirs'entredient vérité ; 205 Avant enveient la rascailie ; ^20 E cels deprient Deu le grant ; 519 Plurent, crient e tel doel funt ; 817 Tuz se gréent granz e petiz; 1 102 E dient tuz : Bien est a faire; 1 122 As esches gewênt e as tables ; 1 391 Dient respiz e cuntent fables; 1392 E mult seient ben ustilez ; 1041 E de la mer seient apris ; 1047 Q.uil les seient (a) forteresce. 3794

2 . De jove les oyent e de gré.

En autres deus seient lur hernevs.

La troisiÈxVie personne du pluriel 269

bique, par exemple aux vers 1026, 1363, 1716; 664, 1067, 1289, 1332, 1464, 1597.

Mais seuls les présents du subjonctif, et encore très rarement, nous montrent la chute delà voyelle muette, comme au vers 731 :

Mal aient Deu père u fust u ki de métal sunt.

Dans les autres auteurs de la fin du xiii^ siècle, nous trouvons souvent que Ve atone a persisté au moins dans la graphie ; il est le plus souvent impossible de dire s'il reste aussi dans la prononcia- tion : citons cependant comme un exemple peu douteux le eyeiit du vers 332 de la Plainte d'Amour :

Mes que il eyent bon chevaus ;

Le Siège de Carlaverok et le poème du Prince Noir ne nous offrent aucun exemple ; la forme précédente est peut-être le dernier exemple dont nous puissions être sûrs. Il est vrai que nous pouvons concevoir autant de doutes sur la plupart des formes qui se pré- sentent à nous sans leur e étymologique ; si nous nous en tenons aux graphies que nous donnent les manuscrits, ce qui semble être notre unique ressource au xiv^ siècle, nous voyons qu'à cette époque le nombre de présents de l'indicatif ou du subjonctif qui ont la forme abrégée est beaucoup plus considérable que les autres ; citons rapidement : eint au vers du Saint Nicolas; seint qu'on rencontre partout : Apocalypse, Dermod, Pierre de Langtoft; veint de voir, au vers 843 de la Satire sur le Siècle, au § 5 des Contes de Bozon; poiint ou point de pouvoir, au vers 132 de Dermod et au §119 de Bozon ; et plusieurs autres formes qu'il serait peu utile d'énumérer ici.

Par conséquent, il ressort de ce que nous venons de voir que l'amuissement de Ve de la terminaison ne s'est pas généralisé aussi vite au présent du subjonctif qu'à l'imparfait et au conditionnel ; que vers le milieu du xiii^ siècle, et peut-être plus tard, les désinences monosyllabiques pour ce temps restent exceptionnelles ; c'est le xiV^ siècle seulement qui nous montre un emploi à peu près cons- tant des terminaisons sans muette. Ceci s'applique aussi à un certain nombre de terminaisons analogues du présent de l'indicatif, avec cette restriction toutefois, que l'amuissement de la voyelle muette est plus rare encore et plus tardive qu'au présent du subjonctif.

270 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Avant de quitter les œuvres littéraires, nous pouvons ajouter une observation qui ne manque pas d'importance. Nos conclusions sur la désinence en diphtongue plus ent auraient été quelque peu diffé- rentes si, au lieu d'étudier les textes mêmes, nous n'avions observé que les habitudes des scribes. On peut remarquer en effet que la plupart des manuscrits écrits après le commencement du xiii^ siècle nous montrent un amuissement systématique de la muette avec, le plus souvent, une régularité qui est inconnue aux écrivains de la période à laquelle appartient le manuscrit. Cette contradiction ou divergence entre l'usage des scribes et celui des écrivains a certaine- ment une signification. Elle montre qu'assez longtemps avant que la terminaison diphtongue plus ent ait été généralement acceptée comme monosyllabique dans la langue littéraire, elle avait pris cette valeur dans la prononciation. Les scribes, comme il est naturel, sont donc en avance sur les auteurs, car ils expriment les habitudes actuelles du dialecte, alors que ces derniers emploient une langue littéraire, c'est-à-dire teintée d'archaïsme. Certains scribes du xiV siècle au contraire rétablissent souvent cet e.

Une conséquence assez rare de la chute de cette voyelle atone, mais qui montre bien les progrès faits par l'amuissement à ces troi- sièmes personnes du pluriel, c'est la nasalisation de la diphtongue accentuée; nous ne rencontrons d'exemple assuré de ce phénomène que dans un seul auteur qui est du reste généralement fort incor- rect : on pourrait par conséquent ne voir qu'une rime pour l'œil, dans les deux exemples suivants : esleint (: ceint), Apocalypse, (3, 52 ; disant (: ensement), ibid., ?, 252,

QjLioique isolés, ces deux exemples ont une certaine signification; ils montrent que la forme abrégée est devenue la forme normale et a réussi en certains cas à faire oublier celle-ci.

La question est beaucoup moins compliquée dans les textes non littéraires; d'abord la versification ne peut plus nous venir en aide puisque évidemment tous les textes sont en prose; mais par contre, si nous perdons un moyen de contrôle bien douteux en anglo- français, nous avons sous les yeux des textes qui datent de l'époque à laquelle ils ont été écrits; ce qui va rendre nos conclu- sions à la fois plus faciles à tirer et d'une portée plus limitée. Les formes que nous allons relever et que nous allons analyser ne nous font connaître qu'une chose : l'orthographe ; nous n'y trouvons

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 27 1

aucun renseignement sur la prononciation et ce dernier point est infiniment plus important que l'autre '.

La moindre étude des textes diplomatiques et familiers nous montre très clairement que dans l'immense majorité des cas Ve en hiatus est conservé dans l'écriture .

Nous avons relevé dans les textes les plus importants toutes les désinences en (c){a)(o)ient, et nous avons trouvé que la propor- tion en faveur des graphies étymologiques est énorme dans la majo- rité des textes. Dans les Statutes nous n'avons rencontré en tout que quatre imparfaits et trois conditionnels sans Ve étymologique ; aucun présent du subjonctif ne prend la forme abrégée ; les exemples sont les suivants : poeiiit (iijS, I, 50 et 1318, I, 177); soleint (1305, I, 144); voleifit (1360, I, 369); deverotnt (1311, I, 163); vendroint (1315, I, 175); voudreirit (1344, I, 301).

Il n'est pas exagéré de dire que les formes régulières sont environ de vingt à trente fois plus nombreuses. Il en est de même pour les Parliamentary Writs, qui ont en tout trois formes en eint, deux imparfaits et un conditionnel, tandis que les autres formes sont plus nombreuses.

Les Early Statutes of Ireland et les Acts of Parliament of Scot- land ne nous ont donné aucun cas d'irrégularité.

D'autres textes en présentent proportionnellement davantage, quoique les formes régulières l'emportent de beaucoup sur celles qui ne le sont pas.

Le Mem. Pari. 1305 a trois formes sans atone, ou très peu plus : feseint, § 153 ;esteint,^ i2j •,purraint,^^S. Rymeren a un plus grand nombre, une vingtaine au plus, croyons-nous : poaifil (12^4, II, 32; 1348, V, 613); auroint (1259, I, 675); vodreint (1330, IV, 453). Nous en trouvons aussi des exemples isolés dans les autres textes, par exemple les Lettres de Jean de Peckham elles sont, tout en res- tant toujours exceptionnelles, proportionnellement plus nombreuses que dans les Statutes ou que dans Rymer; dans le Registrum Mal- mesburiense, les Royal Letters. Nous n'en relevons aucun exemple dans les Literae Cantuarienses.

On peut encore trouver, mais seulement dans les textes les plus incorrects, et encore rarement, des formes qui ne se rencontrent pas

I. Le français moderne a bien gardé cet t- qui ne compte ni dans la prononcia- tion ni dans la versification.

2-jl L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-f RANÇAIS

dans les Statures, ce sont les présents du subjonctif abrégés : Rymer nous donne quatre ou cinq fois soint et aint (13 12, III, 366 ; 1333, IV, 564 ; 138-], VII, 433) alors que la forme étymologique est très fréquente; on trouve aussi nv// dans Barthélémy Cotton (1295, 300); scint dans les Annales de Burton (1255, 453).

Mais ces formes, même chez les auteurs incorrects, restent très rares.

Il est très difficile de dire avec précision comment la langue légale a traité ces terminaisons ; non seulement chacun des Year Books diffère de tous les autres ; non seulement, si on essaie d'établir des rapports numériques entre les deux formes, on obtient des résultats incohérents, mais les différents mss. de chaque Year Book, les diffé- rentes parties qui le composent, présentent rarement le même usage ; il y a incohérence quand on compare un recueil avec ceux qui le précèdent ou qui le suivent ; incohérence quand on collationne les mss. qui donnent le même texte, incohérence quand on met côte à côte différentes parties d'un même recueil. On ne peut don- ner, comme conclusions générales, que des affirmations élastiques et vagues qui peuvent être en désaccord avec certains faits particu- liers.

Cependant on peut, croyons-nous, avancer les propositions sui- vantes :

La terminaison régulière, et la terminaison sans e atone se trouvent toutes les deux dans tous les recueils que nous étudions.

Pour la terminaison régulière, ceci est évident : on en trouve des exemples, comme avoient (17 et 18 Edw. III, 21, etc.) jusque dans les derniers Year Books.

Pour la terminaison abrégée, il subsiste des doutes; nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que les exemples que nous relevons dans les premiers recueils ne proviennent pas du scribe et ne sont pas par conséquent postérieurs au xiv^ siècle. Toutefois les Year Books édités pour la Selden Society nous fournissent les leçons des divers mss. qui concordent souvent; surtout le ms. Y, qui date de 13 12, nous donne des exemples sûrs comme acordoint (3 Edw. II, 188), etc. Il est moralement certain qu'il faut faire remonter plus haut l'apparition de cette forme, et nous accepterions la plupart des exemples que nous donnent les premiers Year Books.

2" Les formes régulières sont les plus communes jusqu'au règne

La troisième personne du pluriel 1273

d'Edward III ; les formes abrégées à partir de ce moment deviennent plus fréquentes que les autres.

La première partie de cette conclusion n'est rien moins que sûre; les formes correctes sont certainement nombreuses, surtout dans les texte de la Selden Society : Y, en quelques pages, nous donne : disoient, eient, voleient (3 Edw. II,- 122, 188), et dans Y, il est évi- dent que ces formes correctes sont plus nombreuses que les formes abrégées, mais cela n'est pas vrai de certains autres recueils comme 33 et 35 Edw. \" par exemple, c'est le contraire qui a lieu. Mais nous sommes sûrs de la date de Y, et nous ne le sommes pas de celle des formes du second recueil que nous venons de citer.

La seconde partie de notre conclusion est discutable aussi, à un moindre degré. Dans les derniers Year Books les formes abrégées sont beaucoup plus nombreuses, et elles doivent certainement l'être ; mais pouvons-nous rapporter à la date du Year Book toutes •les formes abrégées que nous y trouvons? dans quelle mesure fau- drait-il reconnaître comme originales ces mêmes formes ?

Nous ne pouvons répondre à ces questions.

Le présent de l'indicatif de certains verbes a subi un traitement particulier; pouvoir prend à la troisièiTie personne du pluriel du présent de l'indicatif la forme poimt, qui doit provenir vraisembla- blement de la forme po-ufit; pount se trouve dans lesStatutes (1275, I, 26), dans Rymer (1297, II, 790), dans le Liber Rubeus de Scac- cario (1325, 940). Il nous semble que de la même ïaçon po-ont a donné pont, forme assez rare qu'on trouve dans les Statutes (1306 (1332?), I, 242).

Nous voici donc à même de marquer avec assez de précision les principaux points de l'évolution de l'atone posttonique en hiatus après la diphtongue ei, en tenant compte des trois personnes aux- quelles nous avons étudié ce phénomène.

1. Entre 11 10 et ri6o l'atone se conserve très régulièrement à tous les temps et à toutes les personnes elle se rencontre.

2. Les premiers cas de disparition de cette voyelle dans la pro- nonciation remontent tous (r*" personne, 2" personne du singulier; 3*= personne du pluriel) à 1160.

3. Ces cas de disparition de l'atone restent tout d'abord assez rares ; le premier poète qui nous en montre un nombre assez considérable

18

274 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-I-KANÇAIS

est Jordan Fantosme et surtout Chardri ; on observe une progres- sion remarquable entre les trois poèmes de ce dernier auteur.

4. Les formes abrégées deviennent, sauf quelques exceptions, de plus en plus communes à mesure qu'on avance dans le xiii'= siècle ; vers 1275 (William de Waddington), on peut dire que les formes régulières sont devenues extrêmement rares. Vc posttonique en hia- tus n'est plus ni prononcé ni écrit.

5. Au xiV^ siècle, nous observons dans l'usage des écrivains anglo-français une légère différence. Il semble bien que Ve ne soit pas prononcé beaucoup plus souvent que pendant la période précé- dente; mais il est certainement plus souvent écrit. Les manuscrits de cette époque et en particulier les textes qui n'appartiennent pas à la littérature nous ont offert un nombre très considérable d'exemples nous montrant que Ye étymologique a été rétabli.

Nous n'avons pas fait entrer en ligne de compte les Year Books qui sont trop incohérents.

/') La diphtongue ei {ai) à la troisième personne du pluriel '.

On trouve dans les textes politiques et diplomatiques pour la diphtongue de ces troisièmes personne en eient, des changements qui sont rares dans la langue littéraire ou qui y sont totalement incon- nus.

La diphtongue de la terminaison est réduite à e.

Ce phénomène a surtout lieu. pour les présents de l'indicatif de seoir, voir, et le présent du subjonctif d'avoir et d'être : nous lisons sci'iil (iio), v.ciit (204) dans la Vie de Saint Panuce; les Statutes, les Early Statutes of Ireland, les Parliamentar}' Writs, etc., nous fournissent un nombre assez considérable d'exemples de. ces formes, et nous allons en citer rapidement quelques-uns : eciit se lit dans les Statutes (1297, I, 124); dans les Early Statutes of Ireland (i 320, 282); dans les Parliamentary Writs (1305, I, 162); smit se trouve dans les Early Statutes of Ireland (1320, 280); dans les Parliamen- tary Writs (1301, 104), etc. De même on peut lire la forme veent dans les Parliamentary Writs(i305, § 161); etc.

Les deux premières formes que nous venons de citer se retrouvent assez fréquemment dans les autres textes, par exemple dans les Rymer's Foedera (1289, II, 448) ; dans les Royal Letters Henry III

I. Cf. Imparfait.

LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 275

(1258, 131 ; 126), 593), dans les Letters from Northern Registers (1270, 27). On trouve que cette même réduction prend place aussi, mais moins souvent, au conditionnel : vodremt, Mem;Parl. 1305 298).

Des formes analogues se rencontrent dans les Year Books : seent (:= soient) (11 et 12 Edw. III, 588).

Cette réduction à la diphtongue devant Ve muet s'est produite au commencement de la seconde moitié du xiii^ siècle pour les auteurs peu soigneux ; un demi-siècle plus tard pour les autres. Elle est assez générale en dehors de la littérature.

La diohtongue de la terminaison est réduite à /.

Cette réduction s'opère principalement à l'imparfait et au condi- tionnel, comme dans vodrienl au vers 1 1 de l'Ipomédon (A). Nous en trouvons des exemples dans la langue politique : ^cZ/Vw^ dans les Statutes (1275, I, 26); et dans les Early Statutes of Ireland (1285, 48 et 96). L'imparfait de l'indicatif /^o/^n? est beaucoup plus commun, on le rencontre par exemple fréquemment dans les Statutes (ainsi, 1322, I, 185 et 186; 1326, I, 252).

Les mêmes exemples se retrouvent dans les autres catégories de textes non littéraires; on peut encore ajouter aux casque nous avons cités des formes plus rares et qu'on ne trouve pas dans les meil- leurs textes, par exemple : estient qui se lit dans Rymer (1379, VII, 226); tOHcherient dans le même recueil (1324, IV, 90); vcuârîcnt (id., 1326, IV, 236).

Nous pouvons ajouter à ces différentes formes un exemple trouvé dans la langue littéraire : senient, Nicolas Trivet (3 r°), mais qui peut appartenir au xv^ siècle.

Les subjonctifs sont plus rares sous cette forme; le seul exemple, répété trois fois du reste, que nous en ayons est sicnt de être, dans les Early Statutes of Ireland (1285, 54, 86 et 88).

De même dans les Year Books on trouve : avient (20 et 21 Edw. P', 149); ce phénomène doit se placer à peu près à la même date que le précédent.

3" Chute de la diphtongue.

Il est fort rare que la diphtongue disparaisse entièrement, comme ' dans feseiit, qu'on lit dans les Mem. Pari. 1305 481) et dans les Historic and Municipal Documents of Ireland (13 19, 421).

Cet exemple unique ne peut être qu'un lapsus.

1~G l'évolution pu VERBE EN ANGLO-l-RANÇAIS

r) S parasite.

Les cas dV parasite, très rare à la troisième personne du pluriel, ne sont cependant pas inconnus ; on trouve par exemple fusrent dans les Documents Inédits (1346, 79), et dans quelques autres endroits du même recueil.

Le radical à la troisième personne du pluriel.

Nous n'avons noté que très peu de changements dans le radical dus à la désinence de la troisième personne du pluriel ; la plupart de ces changements ou bien ont des causes purement phoniques, et par conséquent ne nous regardent pas Çpoennt, Wil. Rishanger, 324), ils ne présentent aucun caractère de généralité.

Nous ne citerons qu'un fait qui n'est pas rare et dont nous nous servirons plus tard.

Un certain nombre de verbes dont le thème est terminé pas r redoublent la consonne finale du thème lorsque leur troisième per- sonne du pluriel prend la désinence (atone) u(o)nt. C'est ainsi que nous trouvons desirrunt au vers 585 de Boeve; aiirrunf au vers 622 du Saint Auban; ajoutons à ces deux exemples pur riint pour purent qu'on lit plusieurs fois dans Boeve (aux vers 2244^ 2682).

On remarquera que tous ces verbes qui sont des présents de l'in- dicatif ou des prétérits, reproduisent exactement la forme des tuturs.

I

LIVRE SECOND LES MODES

1

CHAPITRE PREMIER LE MODE INDICATIF

Il n'y a en anglo-français que peu de changements qui aient atteint le mode indicatif dans son ensemble ; il y a à cela une raison évidente : dans tous les changements que nous avons étu- diés jusqu'ici, ce sont les différentes personnes du mode indicatif qui occupent les places les plus importantes. De plus l'indicatif n'a pas l'unité, si on peut dire, d'un autre mode tel que l'impératif ou même le subjonctif. Ses significations et ses formes sont beaucoup plus diverses que celles des autres modes ; il embrasse des temps qui, au point de vue de la formation, sont aussi différents que possible : le présent par exemple, le futur, le prétérit (surtout les prétérits forts). Il n'y a donc pas entre les temps qui composent ce mode un peu hétéroclite la moindre unité d'origine. Il en résulte que si l'on peut relever un plus grand nombre de changements dans chacun des temps et des personnes qui le composent, ces changements n'auront pas un caractère de généralité et n'affecte- ront qu'un petit nombre de personnes ou de temps et trouvent plus naturellement leur place dans les études que nous consacrons à ces différents temps ou personnes. Ceci explique en partie au moins pourquoi nous n'avons que très peu de chose à dire sur le présent sujet.

Il est cependant évident que l'indicatif doit, plus que tout autre mode peut-être, à cause de sa complexité même et de la fréquence de son emploi, accuser certaines tendances qui se révèlent à diffé- rents degrés dans les différentes parties du verbe.

Nous en avons relevé deux, d'importance et d'extension très dit- férèntcs.

280 l.EVOLUTION DU \HRRK EN ANGLO-l-RANÇAlS

r' Nous tmiterons d'abord du moins important et nous en par- lerons aussi brièvement que possible.

C'est l'extension à des temps ou à des personnes auxquels elle est étrangère de la palatale de la première personne du singulier du présent de l'indicatif. Nous avons eu l'occasion d'en citer quelques exemples déjà {d. i"' pers. sing.), comme crc, ierc, iercs, première et deuxième personne du singulier du futur d'être; on les rencontre dans les Quatre Livres des Rois ; nous avons vu aussi un c au pré- térit tiiict dans le même ouvrage. Nous pouvons ajouter que 1er se rencontre parfois à la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif, comme dans tenc au vers 1630 du Saint Auban.

2" Le second phénomène est beaucoup plus important; on peut le définir : le passage à l'indicatif de formes propres au subjonctif. Il se présente sous une double forme : certains temps de l'indica- tif prennent soit le ge, soit la lettre mouillée appartenant, étymolo- giquement ou non, à leur subjonctif.

Tous les verbes qui prennent à différents temps de l'indicatif le suffixe ge présentent le même suffixe au présent du subjonctif, c'est-à-dire les verbes venir, tenir, mourir, quérir et prendre. La grande majorité des exemples que nous allons avoir à citer nous montrent cette terminaison affectant le présent de l'indicatif ; cepen- dant c'est bien le mode indicatif tout entier qui subit ici l'influence du subjonctif; en effet, nous relevons, assez tardivement, il est vrai, et dans des textes souvent peu sûrs, quelques exemples qui nous montrent ge au conditionnel, à l'imparfait de l'indicatif et même au prétérit. Si c'est le présent de l'indicatif, comme il est évident, qui a été le premier à adopter cette forme irrégulière, celle- ci menaçait aussi tous les autres temps.

Les exemples ne sont pas rares dans les œuvres littéraires, et nous n'en citerons qu'un petit nombre; ils sont relativement tar- difs; on les rencontre surtout dans la seconde moitié du xiii^ siècle et surtout au xiv^ siècle. Un seul cas pourrait appartenir à la seconde partie du xii'^ : c'est suviens;e qu'on lit au vers 6 de la Chro- nique de Jordan Fantosme ; mais il faut la mettre sur le compte du scribe et le rejeter au milieu du xiii'^ siècle :

Al curuncr de vostre fiz ne vus suvienge (lire : suvient) il mie. (14 syllabes).

Les autres exemples que nous avons relevés ne remontent pas plus haut ; ceux qui pourraient être les plus anciens se lisent

LE MODE INDICATIF 281

dans Boeve de Haumtone, comme niurge^ au vers 2813, querge au vers 2727. Citons encore meorgent qui se lit dans les Heures de la Vierge au folio 68 et dans les Contes de Nicole Bozon, § 140 et passim. Preiige est assez commun (cf. par exemple Wil. Rishanger, page 306) mais la forme la plus répandue est tienge (cf. les Vies de Saints de Nicole Bozon au folio 104 r°). Citons encore un verbe de l'.parouge, qui se lit dans la Chronique de Pierre de Langtoft, second appendice, II, 438, 3.

Dans les textes politiques, ces formes ne sont pas rares, on ren- contre spécialement un' autre verbe de la première conjugaison, demorer sous la forme demoerge, le plus ancien exemple que nous connaissions se trouvant dans les Literae Cantuarienses, 1329, 270. Cette forme et toutes les autres que nous avons citées se trouvent aussi dans tous les Year Books.

Les quelques verbes de I qui prennent le suffixe -ge nous semblent sensiblement plus tardifs que les autres exemples (cf. d'ailleurs ce que nous disons des subjonctifs en ge.

Les exemples qui nous montrent le suffixe à un autre temps que le présent sont beaucoup plus rares; nous n'en citerons qu'un seul cas, car les autres se trouvent dans les Year Books de la fin du xiv^ siècle et sont loin d'être sûrs ; l'exemple que nous donnons est le conditionnel enquergeroient qu'on lit dans les Statutes sous la date 1392, volume II, page 86.

Le subjonctif manifeste son influence sur le mode indicatif d'une autre manière, plus générale encore, mais qui est analogue à la première. Nous voulons parler de l'extension à l'indicatif de la mouillure qui caractérise certains subjonctifs. Ici encore, c'est le présent de l'indicatif qui est le premier à montrer des traces de cette influence, et plus tard d'autres temps comme l'imparfait et le prété- rit adoptent dans une certaine mesure la lettre mouillée. Cette extension de la lettre mouillée est non seulement plus générale, comme nous le disions tout à l'heure, mais plus ancienne que l'adoption des formes Qnge. Nous en avons au moins deux exemples au xii^ siècle : c'est le verbe manoir qui apparaît sous la forme mei- gneul au vers 983 du Roland d'Oxford, et le verbe plaindre qui se lit pleignet. au vers 2251 du même manuscrit de ce poème. Ces deux exemples nous paraissent isolés à cette époque ; il y en a davantage au siècle suivant ; citons par exemple aceigneut (asséner) au vers

282 l'évolution du verbe en anglo-français

6319 de l'Estorie des Engleis, donné par le ms. R (second quart du xm" siècle). Certains manuscrits peuvent nous donner un nombre considérable de ces formes, ce qui montre que, tout d'abord au moins, ces formes ont être particulières à certains scribes. Nous lisons par exemple dans le manuscrit O du Bestiaire (fin du xii*-' siècle), remaign, pour levers 239 ; rechaingiie (rechaner), pour le verbe 1834. Un peu plus tard, un des manuscrits qui donnent la Plainte d'Amour, Rawlinson Poetry 241, en présente aussi un grand nombre : x't7^''/w//75 au vers 260; veingnciit :i\ix vers 330 et 461 ; teingnent Si\i vers /\o6 ; preignent au vers 329. Il est probable que nous devons reculer ces exemples jusqu'au milieu du xiv^ siècle ; le ms. Harléien 273, qui donne ce même poème, contient il est vrai quelques formes avec une lettre mouillée qui lui sont communes avec Rawlinson ; mais cette concordance ne saurait rien prouver et peut n'être qu'un effet du hasard.

Il en résulte que nous devrons attribuer au xiv^ siècle tous les exemples que nous rencontrons dans les poèmes du siècle précé- dent quand ils ne seront assurés que par l'accord des mss.; or, nous n'avons relevé aucun exemple à la rime.

Au xiv^ siècle, ces verbes qui nous montrent à l'indicatif la lettre mouillée du subjonctif sont extrêmement nombreux; aucun n'a été affecté comme le verbe vouloir; sa première personne du singu- lier du présent de l'indicatif le désignait du reste pour cela, et on pourrait peut-être avec autant de vraisemblance attribuer à l'in- fluence de cette personne les formes si nombreuses avec/ mouillée, comme la troisième personne du singulier voile qu'on trouve dans l'Apocalypse (a, 208), dans Pierre de Langtoft (II, 330, 9); dans les Proverbes de Bon Enseignement de Nicole Bozon; la troisième personne du pluriel voilent, dans les Contes de Nicole Bozon (§21 et ailleurs) ; la première personne du pluriel voilions qui se trouve par exemple dans le Prince Noir (au vers 793) ' ; la deuxième per- sonne du pluriel voille^ comme dans les Contes de Nicole Bozon (au § 86, etc.). Les formes avec lettre mouillée deviennent vers la fin du xiv^ siècle plus communes que les formes régulières pour ce verbe.

A côté de vouloir, on peut placer valoir qui, moins fréquemment employé, ne saurait naturellement présenter le même nombre de

I. Miss Pope rétablit î'o/o»5.

LE MODE INDICATIF 283

formes que le premier verbe ; on trouve toutefois assez communé- ment vaille, vaillent comme dans les Contes de Nicole Bozon 95). Citons encore un autre exemple : toilleiit, que nous lisons encore dans ce même ouvrage (§43).

Parmi les verbes qui montrent à l'indicatif une n mouillée irré- gulière, on peut citer prendre, venir et tenir. Nous avons déjà vu que ces trois verbes et leurs composés apparaissent quelquefois à ce mode avec le suffixe ge ; la lettre mouillée est encore beaucoup plus fréquente, et elle devient pour ainsi dire la forme régulière. Pregn est cependant assez rare comme troisième personne du sin- gulier du présent de Tindicatif; nous trouvons cette forme dans le siège de Carlaverok au vers 26; par contre, preignons, prcigne~, preignent se rencontrent constamment dans les textes de la fin du xiv^ siècle, par exemple au vers 3501 du Prince Noir et passim. Il en va de même pour tenir et venir, Nous ne citerons pas plus d'exemples, car la confusion des lettres simples et des lettres mouillées est un trait bien connu de l'anglo-français d'une date tardive.

Quoique la tendance de l'anglo-français que nous venons de signaler soit générale et s'observe même en dehors du verbe, aucun genre de mot, croyons-nous, et aucun autre temps de l'indicatif certainement ne se montre aussi affecté que le présent. Cependant les verbes que nous avons cités ci-dessus ont quelquefois une lettre mouillée à l'imparfait. Les exemples sont assez communs dans cer- tains mss., comme ceux des Proverbes de Bon Enseignement, surtout le ms. Worcester qui donne le poème du Prince Noir et date de 1397 (Schum) (cf. vers 35 11 et passim).

Ajoutons encore un mot à propos des textes non littéraires, qui pourront préciser la date et le développement de cette tendance.

Dans le livre des Statutes, les premiers exemples datent de 1278 ; on trouve en effet sous cette date dans le premier volume, p. 48, vaillenl au présent de l'indicatif; mais à cette époque, les cas de ce genre sont encore assez rares ; ils ne deviennent vraiment com- muns que dans la seconde moitié du xiv* siècle. Dans Rymer, il en va exactement de même : on trouve un très petit nombre d'exemples isolés au commencement du xiv^ siècle, mais ce n'est que plus tard que les formes de l'indicatif avec lettre mouillée prennent une certaine régularité. Et nous pouvons faire exactement

284 l'évolution nu verbe en anglo-français

la même observation pour tous les autres recueils ; ceux qui sont antérieurs à 1350, comme les Lettres de Jean de Peckham ou les Mem. Pari. 1305, ne nous offrent qu'un nombre infime de cas.

De 1350 à 1399 les exemples deviennent très communs. Les verbes qui prennent cette lettre mouillée sont pour la plupart ceux qui ont un subjonctif en iniii, pour lequel la gutturale mouille la dernière consonne du radical. Vouloir, comme dans la langue litté- raire, est spécialement affecté ; nous trouvons voilions dans les Sta- tutes (1340, 1,290), etc.; de même dans Rymer's Foedera {d. 1359, VI, 118; 1362, VI, 377 et passiui) ; les Documents Inédits en ont un exemple à la date de 1363 (page 166). La troisième personne du pluriel se montre sous la forme voillent ou veuillent dans les Annales Londinienses (13 12, 209), dans Rymer(i373, VII, 23) et dans le second volume des Statutes (1379, 14), et en maints autres endroits.

Tenir et venir sont aussi très souvent employés avec une n mouillée, plus régulièrement même que dans la littérature, par exemple nous avons ;relevé tiegnent, viegnent, tigtient, vignent dans les Statutes (cf. 1311, I, 160; 1330, I, 264; 1340,1, 285; 1350, I, 315), de même que dans Rymer et dans la plupart des autres textes; en somme pour les trois verbes précédents la lettre mouil- lée devient assez tôt la règle, la consonne simple l'exception.

Mais ce ne sont pas seulement les verbes ayant un subjonctif en iam qui peuvent montrer une lettre mouillée, on trouve aussi des indicatifs qui correspondent à des subjonctifs en am ou même en em. Parmi les premiers, le verbe prendre est très commun, presque aussi commun que les trois verbes précédents.

On trouve ^f^/g^wm^ dans les Statutes (1328, II, 10; 1399,11, 113); dans les Rymer's Foedera on a. preignons (1380, VII, 49; 1381, VII, 340, etc.) (cf. Subj. en ani).

Les verbes qui ont un subjonctif en cm sont moins nombreux et moins souvent employés, le verbe mener n'est cependant pas rare sous la forme meignent comme dans les Statutes (13 1 1, I, 159) ; mais c'est surtout ordonner qui montre fréquemment une n mouillée ; ordeignons sç. r^nconUQ couramment dans les Statutes (1379, VII, 2j8)(cf. Subj. en eni).

Les Year Books peuvent nous fournir une véritable collection de formes analogues, et ce qui est plus remarquable, ils nous

LE MODE INDICATIt 285

montrent, comme la langue littéraire, la lettre mouillé sortant du présent, et s'insinuant à d'autres temps, tels que l'imparfait et même le prétérit.

Les exemples du présent sont trop nombreux pour que nous songions à les donner tous ; voici les principaux verbes qui montrent la lettre mouillée : vouloir ici encore est le verbe qui montre le plus souvent cette lettre, et nous rencontrons des exemples des formes nouvelles dès le commencement du xiv^ siècle (ms. Y, pas- sinî). Pour tenir et venir, les formes correctes sont à cette époque plus communes que les autres. Les autres verbes ne présentent la lettre mouillée que sporadiquement : citons parmi ceux-ci fl?«/rey^»e (par exemple 30 Edw. L', i8i),surtout /r5/)o/V«^(32 et 33 Edw. P', 119) qui deviendra encore plus commun dans les dernières années du xiv^ siècle et surtout plus tard.

Mais même les Year Books ne nous donnent guère d'exemples de ce phénomène que pour le présent de l'indicatif; on ne trouve que de rares exemples d'une lettre mouillée irrégulière aux autres temps de rindicatif, comme voiUeit qui nous semble le seul imparfait répété un certain nombre de fois (cf. par exemple dans 2 et 3 Edw. II, p. 86 ; 12 et 13 Edw. III, p. 19; 14 Edw. III, p. 45). Comme on peut le voir, la plupart de ces exemples sont d'une date assez tar- dive.

Les prétérits sont encore moins nombreux; c\\.onsvcignimes dans 2 et 3 Edw. II, p. 48 (A).

L'usage de l'anglo-français non littéraire ne diffère donc pas matériellement de celui des autres branches de l'anglo-français.

On pourra peut-être nous reprocher d'avoir traité dans les pages qui précèdent une question qui, se rapportant à la confusion des consonnes simples et des consonnes mouillées, n'est pas exactement de notre ressort; nous avons cependant cru devoir le faire ; l'addi- tion du suffixe ge n'est certainement pas une question de phoné- tique; la mouillure irrégulière de 1'/ et de Vn nous semble être un fait de même nature. De plus, même prise en soi, cette dernière question, impliquant, comme nous venons de le voir, une distinc- tion entre certains temps, ne saurait être purement phonique.

'Nous ne songeons évidemment pas à nier le foit que l'anglo- français n'a pas toujours su maintenir la distinction entre les con- sonnes simples et les consonnes mouillées ; mais il nous semble que

286 l'évolution du verbe en anglo-irançais

lii contusion a été pour le verbe plus méthodique et plus régulière, la consonne mouillée gagnant successivement et assez lentement dift'érents temps de l'indicatif.

Et il nous semble qu'ici c'est le mode subjonctif qui a été la grande cause de confusion.

Il nous reste d'ailleurs à signaler un certain nombre d'autres laits d'un caractère plus exceptionnel et d'une nature différente qui montrent encore cependant l'action du subjonctif sur l'indicatif. Un certain nombre de verbes présentent un radical différent pour cha- cun de ces modes ; il arrive que le mode indicatif adopte le radical du mode subjonctif. C'est ainsi que nous trouvons dans la littéra- ture voise pour veit ou va, par exemple dans Pierre de Langtoft (I, i8o, 22); aiiDis, pour avons (sous l'influence de aûms, eiims. cf. Subjonctifs en iavi), comme dans les Heures de la Vierge et au vers 94 du Roman des Romans. Ces formes, qui appartiennent au xiv^ siècle, sont, à tout prendre, rares dans les œuvres littéraires, et nous n'en aurions certainement pas parlé si nous n'avions relevé, en dehors de la littérature, des formes analogues qui confirment celles que nous venons de citer.

Dans cette catégorie de textes, le radical du subjonctif se ren- contre dans un assez grand nombre de cas ; on pourrait même affir- mer qu'il ne se trouve aucun verbe ayant au subjonctif un radical particulier qui ne le montre aussi au moins de temps en temps à l'indicatif. Il serait assez facile d'apporter des preuves assez nom- breuses de cette irrégularité, mais on doit malgré tout reconnaître qu'elle est restée assez exceptionnelle.

Voici donc dans leur ordre chronologique quelques-uns des exemples que nous avons rencontrés. On peut lire trosse, de trouver (cf. Subjonctifs en ce), dans l'Appendice des Parliamentary Writs sous la date de 1312(11, 45); eons, qu'on peut comparer à aiints du Roman des Romans, se trouve dans les Documents inédits (1380, 216). Enfin citons encore aillent dans le second volume des Statutes (1388, 58) : malgré leur apparence, toutes ces formes sont, sans aucun doute, des indicatifs.

Plusieurs exemples analogues se rencontrent dans la langue légale ; nous n'en citerons qu'un qui est si souvent répété dans difiérents recueils qu'il est impossible de le considérer comme une erreur cléricale ; c'est chece de cheoir. On le rencontre dans un

LE MODE INDICATIF' 287

grand nombre de Year Books comme i et 2 Edw. IT, page 82 (dans les mss. A etD; R donne cbeeiiiit^ ; 13 et 14 Edw. III, page 45 ; 14 Edw. III, page 123.

Ces quelques exemples suffisent, croyons-nous, pour montrer l'influence évidente exercée par le mode subjonctif sur le mode indicatif.

Ce dernier subit encore l'action de quelques autres temps ; mais cette action n'a pas laissé de traces aussi profondes que celles que nous venons d'exposer ; nous nous contenterons donc d'énumérer les exemples que nous avons recueillis sans y attacher une trop grande importance.

Nous signalerons tout d'abord l'influence exercée dans un petit nombre de cas par le présent de l'infinitif; c'est à ce temps qu'on doit la présence d'un d à certaines formes de l'indicatif du verbe plaindre ' ; on en trouve des exemples dans certains manuscrits de la fin du xiV siècle, entre autres le Worcester ms. du poème du Héraut Chandos. On trouve par exemple au vers 3888 de ce poème: pleindent; au vers 3595, compleinâoîent \ au vers 1306, prendoit. Plus important est le fait qu'il nous reste à signaler, l'apparition du v à certaines formes de l'indicatif du verbe pooir, v qui provient proba- blement du participe présent. L'exemple le plus ancien que nous en ayons trouvé en anglo-français se lit dans les Lettres de Jean de Peckham; sous la date de 1282 nous lisons en Q^ti poviins-, page 278. C'est la seule forme avec v que nous trouvions dans cet auteur. Une forme analogue peut se relever dans le roman de Foulques Fitz Warin : poveynt à la page 109. Enfin nous avons de cette forme un troisième exemple dans les Traités de Kymex \ povenl , VI, 277(1360). _

A notre connaissance, ces trois cas sont les seuls la forme moderne apparaisse. La langue légale ne connaît que la forme éty- mologique.

Ajoutons que nous n'avons pas de renseignement précis pour le verbe devoir.

1. Pour la question de la généralisation du dtn vieux français, on peut consulter Risop dans la Zeitschrilt fur romanische Philologie, vol. VII, page 57 sqq.

2. Voir dans Meyer-Lubke, Grammaire II, § 25 1 .

CHAPITRE II LE SUBJONCTIF

Pour nous conformer à la division traditionnelle nous allons dans les pages qui suivent parler du subjonctif.

Cependant cette étude aurait prendre place parmi celles que nous consacrons aux différents temps. Nous n'avons rien à dire du subjonctif en tant que mode, au point de vue de la forme. Tout ce qui va suivre ne se rapporte qu'à un temps, le présent, non pas au mode tout entier.

Nous nous résignons toutefois à accepter cette division, quelque illogique qu'elle soit, peut-être parce que nous n'en avons pas trouvé de meilleure.

Le subjonctif, qui a été fort emplo3'é en ancien français', est plus répandu encore en Angleterre que sur le continent. A la fin du xiii^ et au xiv= siècle, oh^ trouve fréquemment en anglo-fran- çais ce mode employé ^ns les propositions conditionnelles après si, ce qui n'a rien de choquant en soi, et même, cela est plus extraordinaire, dans les temporelles, mais plus rarement et plus tard.

Il en résulte que nous pouvons relever dans nos textes des exemples nombreux de ce mode. Ce sont les formes du présent que nous allons étudier en les divisant en trois classes, suivant la désinence du subjonctif du verbe latin d'où ils viennent : on, aiii, iam.

A. Subjonctifs en em-. I. Prcmicrc et deuxième personnes du singulier.

Etymologiquement la première et la seconde personne du singu- lier des subjonctifs de I n'ont de voyelle atone à leur désinence

1. Cf. Ritchie.

2. Cf. Gotthold Willenberg , Historiche Untcrsiichung ùber der Conjuntiv Prae- sentis der ersten schwachen Conjugation im Franzôsischen . Rom. Studieu, III, 373> 399- Cf. aussi Romania XXV, 321, 322; Meyer-Lùbkc, Grammaire II,

S 146.

LE SUBJONCTIF 28^

que dans les mêmes conditions que la première personne du sin- gulier du présent de l'indicatif de I comme il est évident. Il n'est pas moins clair que ces formes régulières, sur le continent comme en Angleterre, étaient destinées à disparaître plus ou moins rapi- dement.

C'est de Taddition de Vc atone à ces deux personnes que nous avons h parler maintenant, et on pourra se reporter à ce que nous avons dit sur un sujet analogue dans les désinences de la première personne du singulier.

Faisons observer toutefois, avant d'entrer dans le cœur du sujet, que l'anglo-français, comme l'a fort justement fait remarquer Gaston Paris (Préface de la Vie de Saint Gilles, p. xxi), a une tendance à conserver, dans certains cas, les formes archaïques. Sous cette forme cependant la pensée de Gaston Paris n'est qu'une demi- vérité ; ce qui caractérise le français d'Angleterre à ce point de vue, c'est le mélange des formes bien conservées avec d'autres beaucoup plus récentes, des désinences étymologiquement correctes, avec des désinences corrompues. 11 n'est pas rare de trouver dans le même ouvrage des formes du verbe a3'ant les âges les plus différents.

Une terminaison archaïque, vieille de plus d'un siècle, et qu'on aurait pu croire entièrement oubliée, voisine avec une autre forme qui représente le terme de l'évolution de cette terminaison, et il se peut que, à quelques pages de distance, on relève tous les intermé- diaires par lesquels elle a passé. Ceci n'est pas toujours aux scribes, comme on le dit trop facilement quelquefois : les textes politiques nous le montrent.

Pour la question actuelle, nous trouvons de nombreux exemples montrant la forme étymologique sans c coexistant avec la forme analogique jusqu'au milieu du xiv^ siècle, semble-t-il.

Au XII'' siècle, les exemples de première et de seconde personne du singulier de ces subjonctifs sont assez nombreux sous la forme étymologique, quoiqu'on ne les trouve pas dans tous les auteurs. Citons-en quelques exemples : dans le Psautier de Cambridge, nous lisons /'gp()//5 (;, 25); repos (54, 6); cslee^ (105, 5). Le seul exemple d'une première personne d'un subjonctif en ciii, dans le Tristan de Thomas est régulière et assurée par la rime, c'est ûporl (: confort) qu'on lit au vers 3019. De même dans le Lai du Chè- vrefeuille nous trouvons la rime : nuit (: dunt) au vers 3 ; il nous

19

2^0 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

semble même que dans Adgar on doive supprimer IV' analogique au moins dans un cas et lire desliirb (V R, 2^) :

Ke jco ne destiii-b(e) la matire.

On peut encore citer un cas la forme étymologique est con- servée dans les Quatre Livres des Rois : agitait (I, 23, 22); et un autre dans le Donnei, elle est assurée par la mesure du vers : chaiil (973). Les formes étymologiques existent donc bien en Angle- terre au xii*" siècle ; elles ne sont pas très nombreuses, mais elles sont absolument sûres.

Le xiii^ et le xiV siècle peuvent nous donner encore plusieurs exemples de la forme archaïque ; mais ils deviennent de plus en plus rares et on n'en rencontre pas deux dans chaque auteur.

C'est ainsi que nous trouvons dans Chardri fi (: ami), Petit Plet, 1608; les ( : après) dans la Vie de Saint Laurent au vers 202; et dans le Saint Auban trcshiihlic, vers 637, Ve a été écrit à tort probablement '.

Ke lesu treshubli(e) ki cria tut le mund.

Même l'Apocalypse en a un exemple : Irons, a, 175; et la der- nière forme qui nous soit assurée par la rime se lit dans le Siège de Carlaverok au vers 46 : ordein (: guardein).

Remarquons aussi que le ms. B de William de Waddington donne niaiigu zu vers 7552. La bonne leçon est cette fois donnée par A qui a manjuce (cf. Subjonctifs en ce). Néanmoins cet exemple d'une forme sans e à la première personne du singulier sous la plume d'un scribe au xiv^ siècle est assez significative. Elle nous montre que la forme étymologique n'a pas été oubliée.

L'anglo-français non littéraire ne nous fournit qu'un tout petit nombre de premières personnes du singulier. Si nous négligeons aile (aller), qui par la forme appartient aux subjonctifs en iani (Royal Letters Henry III, 1249,11, 59), nous ne relevons que deux exemples de cette personne, l'une qui ne présente pas Ve analo- gique, trespas, dans les Parliamentary Writs (1322, 2" Appendice,

I . LV à riicmistiche du Saint Auban tantôt compte et tantôt ne compte pas dans la mesure du vers.

LE SUBJONCTIF 29 I

202) ; l'autre qui a cet e : Use. (laisser) dans les Rymer's Foedera (1256,1, 588).

Il est difficile de tirer une conclusion de ces deux exemples isolés et contradictoires.

Nous pouvons donc nous en tenir à la conclusion à laquelle nous a conduits notre étude de cette désinence dans les textes lit- téraires, c'est-à-dire que, au xiV siècle, la forme étymologique n'était pas oubliée.

Cependant il est nécessaire que nous appelions l'attention sur un fait : Tanglo-français du xiii^ et du xiv^ siècle (cf. Désinences personnelles, i"^^ personne du singulier, p. 44 ; y personne du sin- gulier, p. 126) fait souvent disparaître de certaines désinences 1'^ final posttonique, étymologique ou non. Les derniers exemples que nous avons cités n'ont-ils pas été formés de la même façon par la chute de \c analogique? Et dans ce cas, peut-on dire que deux irrégula- rités, la seconde détruisant la première, font une forme régulière ? Il n'est pas possible de trancher la première de ces questions. Mais on devra admettre au moins que la forme étymologique se rencontre jusqu'au milieu du xiii'= siècle.

Comme on doit s'y attendre, les exceptions dans le français d'Angleterre sont très nombreuses et se produisent de bonne heure. Il n'est même pas exagéré de dire que les exceptions sont ici plus communes que les formes régulières et que la forme analogique devient assez vite la règle.

L'<? non étymologique se rencontre très fréquemment dès le com- mencement de la littérature anglo-française; on le trouve déjà dans le Psautier d'Oxford, tandis que les formes sans e sont entièrement absentes de cet ouvrage : c'est ainsi qu'on relève : cante(jo, 10); reciinte {2),}o) ; gnarde (118, 66); munte (t, 26), etc.

Dans les deux autres Psautiers les exemples ne manquent pas non plus, quoique l'on puisse citer, au moins dans le Psautier de Cam- bridge, plusieurs cas de l'usage régulier. Voici pour ces deux ouvrages les exemples à'e analogiques que l'on peut donner : Psautier de Cambridge -.porte (50, 17); abite (26, 5); recuntc (9, 14), etc.; dans le Psautier d'Arundel : recunte (25, 7); habile {26, 7); visite (26, 8). Leur nombre, surtout dans le second de ces ouvrages, est supérieur à celui des premières personnes régulières.

Les auteurs qui suivent ne nous fournissent pas le même nombre de citations, car les premières personnes du subjonctif se ren-

i^i l'évolution du \erbh ln anglo-français

contrent chez eux plus rarement. On peut toutefois citer deux ou trois exemples assez sûrs dans Adgar : triiise (XVII, 460) ' ; aïeÇKYU., 533); nous en trouvons un autre dans la Folie Tristan: doinseÇi^j)-. Les Quatre Livres des Rois ont un plus grand nombre de cas Ve se trouve : amende {}, 12, 3); aiirc (I, 15, 25); fruste (II, 22, 17); désire (III, 19, 4); etc.

Ajoutons deux exemples qui ne sont pas très assurés : aïe au vers 671 de Horn et enveie au vers 5 12 de Fantosme, et nous aurons épuisé tous les exemples de la première personne du subjonctif à forme analogique que nous avons relevés au xii* siècle. Il est clair qu'au siècle suivant nous pourrions trouver un plus grand nombre de cas de cet e analogique ; nous allons en citer les principaux, aussi rapidement que possible.

Tr lisse- se lit dans les Set Dormans de Chardri (au vers 1132); ose et uiunde tous les deux dans Boeve (respectivement aux vers 26-I et 2202); cnnte est assuré par la rime (: cunte, substantif) au vers 1058 d'Edward le Confesseur; de même que pasiiie qui rime avec aime dans le Poème Allégorique (au vers 155); lesse se lit dans les Chansons (V, 23), et ailre au vers 642 du Saint A Liban.

Ajoutons pour le siècle suivant : parle, Bozon, Vies de Saints (103 v°) ; comité (: compte). Prince Noir (96); comaiide, Manière de Langage (386) et beaucoup d'autres encore qu'il serait oiseux d'énumérer.

Pour la première personne du singulier, par conséquent les formes régulières se trouvent assez constamment pendant le xii*", le xii^' et peut-être le xiv^ siècle ; les formes analogiques remontent au plus tard à la seconde moitié du xii"" siècle et sont fort com- munes par la suite.

Pour la deuxième personne du singulier, nous n'avons que fort peu de renseignements; ceux que nous avons concordent à peu près tous pour prouver que cette seconde personne a pris très tôt Ve non étymologique.

1. Pour la forme de ce subjonctif, pour lequel il est probable que Ve muet est étymologique, on peut voir les études suivantes : Dicz, ID, 236; Frcund, Verbal Flexion, 21; Gaston Paris, dans Romania (VI), I, 623rapporte cette forme à la conjugaison inchoative ; Schulzke {e bref et 0 bref plus / accentués en normand, p . 9) à une forme hypothétique trosco.

2. Pour ces verbes, voir plus bas.

LE SUBJONCTIF 293

Nous n'avons en effet relevé que deux verbes qui ont conservé la forine ancienne : ils se lisent tous les deux dans le Psautier de Cambridge : destiimi 131, 10; et déclin^ 140, 4 côté de déclines 26, 10); on peut du reste observer que dans ces deux exemples la consonne de la terminaison est ~ au lieu de s ; ne pourrait-on pas croire qu'ici :^^=^ es}

A part ces deux exemples les deuxièmes personnes du singulier du présent du subjonctif ne se rencontrent guère qu'avec \'e analo- gique. Il est très facile de le montrer, et nous ne citerons que quelques formes comme oblies. Psautier d'Oxford (9, 35); rebutes (ibid. 43, 25); otreics (ibid. -, 3). Même le Psautier de Cambridge en a plusieurs exemples : aiircs (80, 9); visites (58, 5); meines {y., 6). Ditinscs duns les Quatre Livres des Rois (IV, 5, 22) peut s'ex- pliquer en considérant 1'^ comme une d'appui;

Robert de Gretham a cnveies (68 r°) ; les Heures de la Vierge, encerches (69 r°).

Il semble donc que la seconde personne du singulier du présent du subjonctif de I ait moins bien conservé que la première la forme étymologique.

II. Les formes régulières des troisièmes personnes des suhjonclifs en em.

La troisième personne du singulier de ces subjonctifs a gardé assez bien et assez longtemps sa forme étymologique en anglo- français. Comme pour le français du continent, cette forme s'est surtout conservée dans certains verbes qui sont d'un emploi assez fréquent à cette personne; les autres, parce qu'ils étaient d'un usage moins commun, ont moins bien résisté à la tendance générale de la langue et aux influences extérieures, entre autres, celle de la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif et celle des subjonctifs en am et en iam. Surtout un certain nombre de verbes, comme nous le verrons tout à l'heure, par suite de l'évolution phonique régulière à laquelle ils étaient soumis, en venaient à prendre à cette personne une forme trop éloignée de celle de toutes les autres personnes de leur temps et du verbe en général. Apeut, confert, chant, deliurt, enseint, gret, let sont trop différents de appeler, confermer, changer, délivrer, enseigner, grever, lever pour subsister bien longtemps. L'anglo-français qui est, en même

294 I.'h'lVOLUTION DU VRRBE EN ANGLO-FRANÇAIS

temps que conservateur, audacieux, pour dire le moins, eut assez vite fait de faire disparaître des formes d'apparence anormale et de leur substituer les formes analogiques qui étaient du reste destinées à devenir générales en français. Du reste, comme on a pu déjà s'en rendre compte et comme nous aurons l'occasion de le répéter plu- sieurs fois encore, il tendait dans un certain nombre de cas à ajouter un e muet épithétique à certaines terminaisons. Toutes ces tendances, analogie et évolution phonique, entrent en jeu dans la question actuelle.

Cependant, pendant la plus grande partie du xii'^' siècle, c'est la tendance conservatrice qui l'emporte. Pendant cette époque, de nombreux auteurs ne connaissent encore que les formes étymolo- giques et jusqu'au commencement du xiii'^ siècle on peut en trou- ver qui n'emploient jamais la voyelle irrégulière ; tels sont Philippe de Thaûn, Gaimar, Sœur Clémence de Barking, Simund de Freine même, et cela est plus étonnant, Adgar.

Cependant, déjà durant cette période, nous trouvons des exemples de la forme moderne ; elles ne sont d'abord qu'une petite minorité, mais leur nombre ne cesse de s'accroître; de sorte qu'au xiii^ et û fortiori au xiv'' siècle, aucun auteur n'emploie plus exclusivement la forme étymologique. Le mouvement s'accentue surtout vers le milieu du xiii'^ siècle. On ne trouve bientôt sous la forme normale que les subjonctifs de certains verbes qui sont d'un emploi plus géné- ral ou plus commun que les autres, comme garder ou aider. Quoique, même pour ces verbes, l'analogie ait fait assez souvent son œuvre, on rencontre le plus souvent pour eux la forme sans muette; pour en citer quelques exemples assez tardifs, nous ren- controns art dans le poème de Saint Julien au folio 66 v°; dans la Vie de Saint Edmund, au vers 24 il rime avec espirit et dans plu- sieurs autres passages du même poème, comme par exemple au vers 22. Nous trouvons cette même forme employée deux fois à la rime dans William de Waddington, aux vers 2244 et 2912 (nous aurons à revenir sur ces deux rimes). De même giiart ou guard, qui se rencontre même plus tard : dans le Saint Edmund au vers 3^80 Ve qui porte le texte imprimé est le résultat d'une erreur cléri- cale ; au vers 2547 de William de Waddington : dans le Roman des Romans au vers 549 il rime avec musart. Nous le rencon- trons encore au wV siècle, probablement au vers 85 de la Vie de

LE SUBJONCTIF 295

Sainte Marguerite : Ve y est écrit, mais sa suppression rétablit le vers; au § 53 des Contes de Nicole Bozon. Enfin à la rime avec Rocheward au vers 2332 du Prince Noir.

Il en va de même pour la troisième personne du subjonctif du verbe sauver : on rencontre saut un peu partout au xii^ siècle ; au xiii^ siècle nous en relevons encore de nombreux exemples; au vers ^3 3 de la Vie de Saint Grégoire; dans les Dialogues de Saint Grégoire au folio 98 a; à la rime avec haut au vers 1898 des Set Dormans; avec ribaud dans Boeve au vers 282; avec haut au vers 273 de Dermod.

Plus commun que rt/7, ^^T^r/ et 5-(7//^ esidoinf, une des nombreuses formes du subjonctif de donner. Nous ne citerons maintenant aucun exemple de ce subjonctif; disons simplement qu'il se rencontre très fréquemment au xiii'^ et au xW siècle (cf. Érection des Murs de New Ross, vers 208 ; folio 60 des Heures de la Vierge ; vers 7 du Saint Nicolas; Robert de Gretham, 58 v°; Vie de Sainte Margue- rite, 120; Contes de Nicole Bozon, § 47, etc.).

Les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature connaissent la forme régulière, mais d'une façon générale, elles ne l'emploient que rarement ; cette forme sans l'c analogique est surtout fréquente dans les recueils qui nous donnent des textes appartenant au dernier quart du xiii^ siècle, quoique, même à cette époque, elle ne soit plus déjà très commune. Il n'y a qu'un tout petit nombre d'auteurs, comme Jean de Peckham, à l'employer de préférence à l'autre, quoique les recueils les plus corrects ne présentent pas à cette époque une bien forte proportion en faveur des formes nouvelles ; de 1275 à 1300 il y a environ dans les Statutes 35 "/o déformes étymologiques. Des troisièmes personnes du singulier, sinon cor- rectes de tous points, du moins sans cet e analogique, se rencontrent jusqu'à la fin, ou à peu près^ du xiv^ siècle ; mais elles sont en tout petit nombre et en nombre décroissant, de sorte qu'après 1340 elles deviennent purement sporadiques.

A la fin du xiii^ siècle, ce sont les verbes à dentale qui nous offrent le plus grand nombre de cas de troisièmes personnes du singulier régulières, comme garl dans Rymer (1268, I, 868); Jean de Peckham (1280, 94); les Royal Letters, Henry III (1270, II, 234); niaiiud dans les Statutes (1285, I, 99); aiucnt, commun dans Jean de Peckham (par exemple 1283, ^123). On peut encore citer.

296 l'kvolution du verbh en anglo-français

comme relativement fréquentes, les {ormes po ri (Statu tes, 1300, I, 137); i'id dans Jean de Peckham (1281, 152).

Parmi les autres thèmes, nous trouvons assez communément hand de bailler, par exemple dans les Statutes (1278, I, 49) et dans les Early Statutes of Ireland (1285, 96); voist de aller est aussi assez employé, on le relève dans le Liber Albus (1234, iio) ; dans les Statutes (1275, I, 31, 49); dans le Liber Custumarum (1280, 281). etc., et amuissement de l'^", voit dans le Blacke Booke of the Admiralty (1291, II, 32).

Citons enfin une autre forme assez répandue dans ces textes : doinst. On la trouve par exemple dans les Lettres de Jean de Peckham (1280, 94) ; dans les Annales du Monastère de Burton (1259, 473), et passim.

Pendant le xiv^ siècle, ce sont les mêmes verbes, du moins les verbes présentant un radical analogue qui conservent le mieux la forme étymologique ; en d'autres termes, les verbes qui ont un thème à dentale se rencontrent plus fréquemment que tous les autres avec la forme sans c. On trouve en effet ayt dans Rymer (1372, VI, 709); eyt dans les Literae Cantuarienses (1327, 202), tous les deux d'aider; void, de vider, dans les Statutes (131 1, I, 162); gard dans les Mem. Pari. (1305, § 234); puis dans le Registrum Pala- tinum Dunelmense (1314, I, 386); dans les Literae Cantuarienses (13 18, 45 ; 1357, 840); dans les Letters from Northern Registers (13 14, 144). Parmi les autres thèmes à dentale, on trouve assez souvent, comme précédemment, porter et ses composés, ainsi dans les Statutes (1353, I, 338); dans Rymer (13 14, III, 470; 135 1, VII, 709). Quelques thèmes en si comme apprcst, qui se lit dans les Documents Inédits (1364, 167), se rencontrent encore, mais moins régulièrement.

Les autres exemples que nous avons relevés pendant ce siècle, en petit nombre du reste, nous montrent un verbe en ;/, un verbe en / mouillée et un verbe dont le radical est terminé par une vo)'elle; ce sont : doint, qui devient de plus en plus rare (cf. Rymer, 1309^ III, 150; Annales Londinienses, 1330, 248; Registrum Palatinum Dunelmense, 13 14, I, 386). Le verbe en / mouillée, surveiller, a l'apparence d'un verbe à thème vocalique, surveit (Pari. Writs 1326, II, 753), et enfin le verbe dont le radical est terminé par une voyelle est envoit dans Rymer (1330, IV, 450).

LE SUBJONCTIF 297

Ce sont, à très peu de choses près, tous les exemples que nous avons relevés dans les textes du xiv^ siècle ; étant donné le nombre des subjonctifs de I qu'on y rencontre, on voit que ces exemples sont en nombre infime. On pourra remarquer aussi que le plus récent de nos exemples date de 1372, que de 1340 à cette dernière date, les exemples deviennent sporadiques; enfin que dans tout l'anglo-français diplomatique et politique, ce sont toujours les mêmes verbes qui reviennent sous cette forme : aider, donner, garder, porter et quelques autres. La grande masse de la première conjugaison a échappé, vers le milieu de ce siècle, à la forme éty- mologique.

La forme étymologique est encore infiniment plus rare dans les œuvres légales. Nous ne l'avons même rencontrée que dans une seule expression, une formule dans laquelle il est difficile de recon- naître un subjonctif. C'est l'exclamation meyde~ il faut voir l'an- cienne phrase : « (Si) vna'it Deus. »

On rencontre cette expression dans 22 Edw. I", 465.

IIL Le radical des subjonctifs en em à la troisième personne du singulier (^f orme régulière).

Nous devons maintenant dire un mot du radical de la troisième personne du singulier des subjonctifs en em qui n'ont pas réguliè- rement un e d'appui à cette personne. La dentale venant s'adjoindre au thème directement et sans l'intermédiaire d'une voyelle, y cause des changements qui ne se produisent pas aux autres personnes. Quant aux modifications et variations du thème qui sont communes à toutes les personnes des subjonctifs en em, nous en parlerons plus loin. Du reste, l'étude qui va suivre, en montrant jusqu'à quel point l'addition de la dentale au thème peut avoir de l'influence sur la forme de celui-ci, nous préparera probablement aux considéra- tions que nous suggérera l'introduction de Yc analogique.

Pour plus de clarté, nous diviserons les verbes qui nous occupent en un certain nombre de classes, suivant la lettre finale de leur thème. Remarquons d'abord que les thèmes vocaliques ne nous off"rent la matière d'aucune remarque ; nous avons de nombreux exemples de subjonctifs provenant d'un verbe à thème vocalique, tous sont réguliers.

298 l'évolution du verbe en anglo-français

Les thèmes consonantiques peuvent se diviser en thèmes terminés : Par une consonne simple; Par une consonne mouillée; Par un groupe de consonnes.

A. Thèmes terminés par une consonne simple.

Lorsque le thème est terminé par une des trois consonnes ;;/, n ou r, celui-ci n'éprouve aucun changement ' du fait de l'addition de la dentale. Il en va de même pour les thèmes en s\ sauf qu'il n'est pas rare de trouver 1'^ thème exprimée par :{, comme piirchait qu'on lit au vers 2674 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clé- mence de Barking.

Les thèmes à dentale montrent la dentale du thème se con- fondant avec celle de la désinence : ait se trouve très fréquemment (voir les exemples et citations que nous avons données précédem- ment). Citons encore cuveit, dans les Quatre Livres des Rois (I, 12, 7) ; crct au vers 2537 de la Vie de Sainte Catherine; habit dans les Psautiers d'Oxford {G'è, 30) et de Cambridge (68, 28), etc.

Les seules remarques un peu intéressantes que nous trouvions à faire se rapportent aux verbes dont le thème est terminé par / ou par V. Pour les premiers, lorsque la consonne est précédée de a ou de e, nous observons au xiii^ siècle la vocalisation de 1'/. Alt de aler, par exemple, se retrouve un peu partout depuis le Cumpoz (vers 142) jusqu'à Guischart de Beauliu (165 a; 1836, 1872); aut se lit dans la Vie de Saint Grégoire, 441. La première rime que nous ayons rencontrée est beaucoup plus tardive ; on la trouve dans le Manuel des Péchés ( : vaut) au vers 1756. De même parler fait

1. Thèmes en w. Aimt, Gaimar 11 18; Adgar, XXVIII, 83 ; Aspremont 93 ; reclaiiut, Guischart de BeauHu 84 (en supprimant Ve que l'éditeur a conservé à tort dans le texte critique).

Thèmes en n. Fint, Cumpoz 2304; iiicini, Brandan 115 ; paint, Brandan 760; enlumlnt, Psautier d'Oxford, 66, i ; soiint ( : demanderunt), Robert de Gretham 58 v°.

Thèmes en r. Virt à la rime du vers 142 du Saint Brandan ; aïirt, psautier de Cambridge 65, 3 ; tirt au vers 237 du Saint Gilles.

2. Thèmes en s. Peist, Fantosme 762; Guischart de Beauliu 1265 ; à la rime Saint Julien 68 vo.

LE SUBJONCTIF 299

parolt dans les Psautiers d'Oxford et d'Arundel (i6, 5). Dans le Tristan de Thomas, cette forme rime avec Ysolt (cf. vers 1400); et ce dernier mot rime en oui. Parout se trouve du reste dans les Dialogues Grégoire (47 v°). On trouve aussi apeut (Estorie des Engleis), mais jamais à la rime. Les autres thèmes en / ne subissent aucun changement '.

Il est assez difficile de déterminer la date à laquelle la vocalisation de 17 a pris place ; il n'y a aucune raison pour que cette vocalisation au subjonctif ait précédé ou suivi les autres cas de vocalisation de cette consonne ; il est probable que cette / a subsisté dans l'écri- ture longtemps après avoir disparu de la prononciation. L'exemple de Thomas est un des plus anciens exemples de vocalisation que nous ayons ^.

Les thèmes en v, très peu nombreux, nous offrent des exemples d'un phénomène qui n'est pas sans analogie avec celui que nous venons d'exposer : le v final du thème passe à // devant la dési- nence '. On peut citer aliiiî (ad-levet) dans le Psautier d'Oxford (112, 7); cette même forme se rencontre encore dans le Psautier de Cambridge (7, 5), d'Arundel (21, 2); aiiit (ad-juvet), dans les trois mêmes Psautiers : Oxford (21, 11), Cambridge et Arundel (21,2).

Comme on le voit, ces deux exemples ne se rencontrent que dans trois ouvrages qui doivent provenir de traductions antérieures au xii^ siècle; ces formes sont par conséquent des traces de formes plus anciennes.

Plus fréquemment le v subsiste sous forme d'/, comme dans grcft de grever qu'on lit par exemple dans les Rubriques de Saint Thomas, fol. III v°, ou même disparaît complètement, comme dans gret au vers 132 d'Edward le Confesseur, ou Jet (lever) au vers 8687 de l'Ipomédon (: chet).

1. Thèmes en /. Définit, Psauiier d'Arundel, 7, 4; ceilt, Horn 829, etc.

2. M. J. Vising cite l'exemple de Gainiar, enchascout : volt, Estorie des Engleis, vers 2005, comme le plus ancien exemple de vocalisation de 17 (cf. op. cit., p. 87).

3. On connaît les autres exemples de vocalisation du v; fabrica, hurge ; tabula, taule. Cf. aussi Willenberg, Rom. Stud., III, 406 et Fôrster, Zeitschrift fur neu- fran. Sprache und Literatur, 84.

300 L EVOLUTION DU VEKBE HN ANGLO-FRANÇAIS

B, Lettres mouillées.

L'addition du /.de la désinence fait régulièrement disparaître la mouillure de Vl et de Vn ; les exemples de ce phénomène sont nom- breux. On peut citer pour 17 : nierveilt : esveilt qui se trouvent au vers 271, 272 du Cumpoz ; ou encore le verbe de II (cf. plus bas), ruiJt dans Adgar (XXX, 142). Les exemples sont plus caractéris- tiques pour les verbes ayant un thème présentant une ti mouillée; ainsi : cnscinf (: seint) au vers 324 du Saint Laurent et au vers 2738 de Horn ; dcint de deigner se trouve dans les Dialogues Saint Grégoire au fol. 40 b.

La mouillure disparaissant, 17 devant la dentale subit tous les changements auxquels 17 simple est soumise. Elle tombe et nous avons pour cette chute des exemples qui remontent très haut au xii^ siècle ; le Bestiaire nous montre la rime merveit ( : deit) au vers 2873; dans le Sermun de Guischart de Beauliu : apareilt, au vers 1301, conseilla au vers 1307, figurent à la rime dans une laisse en eit\ et dans ce même poème,, 17 disparaît de la graphie au vers 219 : cîinseit '.

Il est beaucoup plus rare pour 17 de se vocaliser; voici cependant quelques-uns des exemples de ce phénomène que nous avons rele- vés : cunseiit se lit au vers 474 des Set Dormans de Chardri ; cini- sout au vers 444 d'Edward le Confesseur (pour ou = eu, cf. Suchier, les Voyelles toniques, p. 61, § 6). La vocalisation de 17 tendrait à faire admettre la série cunseilt, cunselt, cunscut (cunsout) ; nous n'avons retrouvé aucun exemple de la forme intermédiaire.

C. Groupes de consonnes.

Lorsque le thème du verbe est terminé par un groupe de con- sonnes, on peut relever l'une des trois modifications suivantes : à) Vocalisation d'une des consonnes du groupe. h) Assimilation de la dernière consonne, f) Chute de l'une des consonnes du groupe.

I. Cette disparition de 17 a coïncider avec la vocalisation de cette même consonne dans d'autres cas ; la date donnée par M. Vising ne peut être qu'une limite inférieure qu'il faudrait probablement reculer d'une vingtaine d'années.

LE SUBJONCTIF ^Of

T'eus ces phénomènes relèvent plutôt de la phonétique ; mais en modifiant profondément la forme du subjonctif, ils préparent et expliquent l'addition de ïe analogique.

a) Focalisation d'une des consonnes du groupe. Nous ne nous arrêterons pas à ce phénomène, et nous nous contenterons de citer un autre cas de vocalisation du v : deliurt, de délivrer, qui se lit dans les Quatre Livres des Rois (I, 26, 24; IV, 18, 30) (cf. aiut et aliut cités plus haut) '.

b) Assimilation de la dernière consonne. Nous devons ici nous arrêter quelque peu sur les verbes de I dans lesquels le thème est terminé par une palatale ; cette palatale est exprimée au subjonc- tif tantôt par s, tantôt par -, enfin elle tombe quelquefois. Nous ne nous arrêterons pas aux autres cas d'assimilation.

Les formes en s pour les verbes dont nous parlons sont nom- breuses au xW siècle ; nous n'en citerons qu'un petit nombre à cette époque : cunienst qui se trouve dans le Cumpoz au vers 2303 ; adreist, qu'on trouve à la rime du vers 1303 dans le Sermun de Guischart de Beauliu ; esdrest, employé dans le Psautier d'Oxford (67, i); curnist dans le même ouvrage (2, 12); et toujours dans le même Psautier : esledest (47, 10); escerst (108, 10); esculurst (u, $1). Le Psautier de Cambridge a escerst, curust (respectivement 108, 12; 104, 38).

Les ;;; sont nombreux au commencement du siècle, au moins dans certains textes, représentant probablement l'usage de l'époque antérieure (cf. cependant purcba::^!, dans Sœur Clémence de Bar- king, supra p. 298). Citons tar:(t au vers 2^43 du Cumpoz ; et dans le Psautier de Cambridge, curust {2, 12) (et dans les Quatre Livres des Rois, III, 9, 6); souressal^t (y;, 10); et quelques autres.

On pourrait probablement considérer comme une forme spéciale celle qui combine 5 et ~ : eslee:^st dans le Psautier de Cambridge (lo^, 3); Qicunicn:{st dans les Quatre Livres des Rois (III, 9, 6). Mais déjà à cette époque la consonne finale du thème disparaît quel- quefois, comme dans eschalt qui se rencontre dans le Psautier d'Ox- ford (•/;, 10-15). Ces formes toutefois ne sont pas très communes, car les formes vraiment régulières que nous venons de citer, avec ;( ou s, n'ont pas subsisté assez longtemps en anglo-français pour

.1. Cf. Willenbcrg, Rom. Stud., III, p. 406, et Fôrster, Zeitschrift fur nculV. Sprache, 84.

302 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

évoluer d'une taçon régulière au point de vue phonique ; comme nous le dirons tout à l'heure, elles ont été remplacées par les formes analogiques avec c muet.

c) Chute de l'une des consonnes du groupe. Cette simplification, dont nous venons de citer un exemple, est celle que cause le plus souvent l'addition de la dentale flexionnelle. On en trouve des exemples dans quatre cas principaux.

1. Lorsque le thème est terminé par une consonne double ;

2. Lorsqu'il est terminé par une dentale appuyée;

3. Lorsque le dernier élément du groupe est m ou ;/ ;

. 4. Lorsque le groupe de consonnes est constitué par / et v. Nous allons examiner très rapidement chacun de ces cas .

1. Lorsque le radical du verbe est terminé par une consonne double, une de ces consonnes disparaît : citons Iruist (par exemple, au vers 2222 du Bestiaire), past (comme au vers 4126 de l'Estorie des Engleis), lest qui est extrêmement commun. Ce qui nous inté- resse ici, c'est la disparition de la seconde consonne du groupe ; nous avons déjà étudié (cf. 3'-' pers. du sing.) les désinences en st, et nous avons vu comment, après l'amuissement de 1*5 devant le t, cette désinence s'est naturellement réduite à /; ceci se produit même au subjonctif. Le seul exemple que nous en trouvions à ce temps c'est let : on trouve cette forme pour la première fois dans Boeve de Haumtone au vers 62 (ms. B, xiv= s.). Mais quoique régulière, cette forme est très rare dans les œuvres littéraires ; 1'^ est le plus souvent conservée, et ce n'est que dans les Year Books qu'elle est omise avec quelque régularité. Par conséquent, l'anglo- français a tendu à conserver au subjonctif la désinence en st ei l'a même conservée longtemps après que 1'.^ a été amuie dans les autres terminaisons en st ; et au lieu de se développer régulièrement au point de vue phonique, ce groupe, maintenu d'abord, a fait place ensuite à la désinence analogique avec e muet.

2. Si une dentale appuyée termine le thème, elle se confond avec la dentale de la terminaison. Nous pourrions répéter ici les réfé- rences que nous avons données pour gart (cf. supra, p. 29^1). Ajou- tons-y ament (: prent) dans les Dialogues Saint Grégoire (Timothy Cloran, p. 1 3, vers 8) ; ( : mesprent)deux fois au fol. 24 des Evan- giles des Dompnées ; (: jugement) au vers 1977 du Roman des Romans, etc. ; port (: mort) au vers 1889 de l'Estorie des Engleis ;

LE SUBJONCTIF 303

prest ( : est) dans Havelok au vers 150 ; dans Pierre de Langtoft (I, 90, 21). Et un nombre considérable d'autres exemples pourrait être donné, sans grande utilité.

3. Lorsque le dernier élément du groupe de consonnes est m ou ;/, cette consonne est d'abord conservée, puis disparaît (au plus tard, vers I léo).

Nous n'avons que peu d'exemples qui montrent le groupe de consonnes subsistant entièrement ; on peut citer cunfennl dans les Quatre Livres des Rois (III, 2, 4). Ceux dans lesquels la réduction a été opérée sont plus nombreux et plus probants ; confcrt se lit dans le Psautier d'Oxford (19, 4), etc.; tiiri ( : curt) dans le Tristan de Thomas au vers 1441 ; ( : surt) dans le Saint Edmund au vers 3800. La même forme se rencontre à l'intérieur du vers dans un très grand nombre de cas : au vers 1468 de la Vie de Sainte Catherine; dans Adgar (XXXII, 1 5 et passivî) ; dans les Quatre Livres des Rois (I, 5, 10); dans les Dialogues Saint Grégoire Qoiirt') (148 a); dans Horn (au vers 2967); dans la Vie de Saint Gilles (au vers 1825), etc.

4. Dans le groupe Iv, v disparaît, puis / se vocalise : sait de salver se rencontre dans le Bestiaire au vers 2296; dans la Vie de Saint Gilles au vers 1968; dans Guischart de Beaulîu au vers 1923. Mais il est probable que, malgré la graphie, 1'/ s'est vocalisée dans ces deux derniers exemples, comme il l'a été dans ait, pareil, etc. (cf. plus haut). Pour ce verbe, nous ne trouvons de rimes qu'au xiii^ siècle; elles sont par conséquent peu utiles. On trouve saut ( : haut) dans les Set Dormans au vers 1898 ; ( : ribaud) au vers 282 de Boeve de Haumtone ; ( : haut) dans Dermod, vers 273, etc. Cette forme avec cette graphie est commune dans Angier, Chardri, Robert de Gretham.

Les formes comme chant de changer (Ipomédon 8792) pour *chanzt nous semblent incorrectes; elles sont certainement rares.

Telles sont les modifications que l'addition de la dentale de la flexion cause dans le thème de différents verbes ; on voit que le plus grand nombre de ces changements n'ont rien que de très normal. Mais, et c'est la raison pour laquelle nous les avons énumérés, on peut remarquer que ces changements ont préparé indirectement l'abandon de la forme étymologique au profit de la forme analogique. En effet, certaines de ces troisièmes personnes du

j04 L^ÉVOLUTIOK Dtj VERBE EN ANGLO-FRAMçAÏS

subjonctif semblent ne pas avoir de désinence spéciale et reproduire simplement le thème du verbe, comme gct, port, prest. D'autres semblent au contraire compliquer ce thème : purcha~l, curui:^t; d'autres enfin diffèrent plus ou moins, mais quelquefois d'une façon remarquable, de toutes les autres formes de la conjugaison ; en pre- mier lieu, ces verbes qui vocalisent une consonne : aut, parout, apciit, ciiusout, aiiit, aJiut, deliurl ; ici le thème est altéré au point d'être méconnaissable ; et il en est de même des verbes qui perdent soit la mouillure, soit une consonne au subjonctif : enseint, turt, saut. Pour celles de ces formes qu'un emploi très fréquent au sub- jonctif n'a pas rendues familières, la désinence analogique s'impose.

I. S PARAGOGiaUE. .

Les troisièmes personnes du singulier régulières du présent du subjonctif, ne se montrent que rarement avec une s para- gogique ; il y a pour cela une excellente raison, c'est qu'elles deviennent relativement rares avant que la désinence st envahisse la troisième personne du singulier (cf. plus haut, p. 294).

Les exemples comme aïst qu'on lit au folio 66 du Saint Julien sont rares.

Nous devons maintenant nous arrêter quelques instants sur les formes de cette personne pour le verbe donner, car nous y trouvons ordinairement une s d'une autre nature. Nous pouvons dire que ces formes sont doubles et qu'elles remontent à deux sources diffé- rentes. La première, c'est dont ou dtint qui est le produit régulier du latin donet ; on trouve cette forme très tôt, par exemple au vers 19 14 du Bestiaire elle rime avec munt. Mais elle est assez peu employée déjà au commencement du xii^ siècle; elle est archaïque et plus tard elle devient rare. La seconde forme correspond au pré- sent de l'indicatif J///?/5 (cf. Désinences personnelles, première per- sonne du singulier) et à la première personne du suh]oncn(Çdiiinse) qui en anglo-français a toujours 1'^ (cf. plus haut). Cette seconde forme de la troisième personne du singulier est dninst ou doiust et elle est très commune non seulement au xii^ siècle ' mais aussi et

I. On en trouve des exemples dans chaque auteur : Gaimar, Estorie, vers 2655 ; dans le Tristan de Thomas, aux vers 919, 1278, 1398 etc. ; dans le Saint Gilles, 120, 1359; dans la Vie de Sainte Catherine, vers 24, etc.

LE SUBJOXCTIF 3O)

surtout aux siècles suivants '. Elle est aussi la forme la plus com- mune de ce5 troisièmes personnes du singulier du subjonctif de donner. Nous pouvons faire remarquer ici que Ys de doinst s'amuit et disparaît fréquemment. La forme qui en résulte doint est très commune, même dans les ouvrages du xii^ siècle, quoique dans aucun de ceux-ci on ne puisse l'attribuer avec quelque certitude à l'auteur -.

On rencontre aussi des formes bâtardes présentant la voyelle tonique du subjonctif étymologique et la désinence si du second subjonctif, comme doust au vers ^ 6 de la Vie de Saint Grégoire, au vers 72 du Saint Laurent, etc.

Puis, après l'amuissement de Vs, cette forme bâtarde peut repro- duire exactement le subjonctif étymologique comme le do)!t des Chansons VI, 3.

Par conséquent, sans parler des formes avect- muet (donne, duiusc), la troisième personne du singulier du présent du subjonctif de don- ner peut se présenter sous l'une des formes : dont, doinsl, doint, doint, dont.

IL Perte de la dentale sans addition d'un k muet.

Dans la langue littéraire, on ne trouve que peu d'exemples de ce phénomène, les seuls que nous ayons relevés se lisent dans le Roland d'Oxford : ainein (au vers 2760) et dans le ms. L du Gum- poz: /</r~(2443); dans les Chansons (III, 2) honiir; mais ce dernier exemple est assez douteux, car le verbe précédant un mot commen- çant par une voyelle, on pourrait suppléer un c muet.

Dans la langue diplomatique on trouve donn, Early Statutes 01 Ireland (1320, 282), et dans la langue légale deninr (11 et 12 Edw. III, 407); especefy (30 Edw. I", 75); pourchai (30 Edw. L"", 125). Mais les cinq dernières formes citées ne proviennent pas de la forme

1. On peut en voir des exemples au vers 67 de la Vie de Saint Laurent; dans la Plainte d'Amour, vers 1001 ; dans Robert de Gretham, 58 v^; dans la Vie de Sainte Marguerite, 120; dans les Contes de Nicole Bozon, ^ 347; dans Pierre de Langtoft.

2. Cf. le vers 165 a de Guischart de Beauliu ; le vers 208 de l'Érection des Murailles de New Ross ; le fol. 60 des Heures de la Vierge ; le vers 7 du Saint Nicolas, etc.

20

îo6 l'évolution nu ^■ERBE en anglo-françals

étymologique avec dentale sans voyelle ; elles proviennent de hoiiurc, doimi\ demure, especejie, purchasse, après qu'ils ont perdu leur voyelle muette.

Il est donc très rare que la dentale appuyée disparaisse à la troi- sième personne du singulier des subjonctifs en eiii ; les seuls exemples indiscutables que nous en ayons, celui de Roland et du manuscrit L du Cumpoz, sont le fait des scribes.

III. Développement d'un e atone.

Comme nous l'avons déjà dit, un certain nombre de verbes prennent au subjonctif devant la dentale de la troisième personne du singulier un e d'appui, destiné à rendre possible la prononciation de cette dentale. Cet c régulier se trouve évidemment dans les pre- miers ouvrages anglo-français, aussi bien que dans les textes posté- rieurs.

Dans un assez grand nombre de cas et très tôt dans la littérature anglo-française, on voit apparaître dans certains autres verbes un e que rien ne justifie. Il y a cependant, comme nous l'avons dit, quelques auteurs qui ne l'ont jamais. Philippe de Thaûn, Gaimar, Sœur Clémence de Barking, Adgar, Simund de Freine. Ce qui veut dire en d'autres termes que les auteurs corrects n'emploient jamais Ve analogique jusqu'à la fin du xii" siècle. Mais tous les autres auteurs, même antérieurs à ceux que nous venons de citer, montrent toujours quelques exemples de la forme irrégulière. Dans certains ouvrages, celle-ci ne se rencontre que rarement : toutefois comme on en trouve un ou plusieurs exemples assurés, nous avons la certitude que la forme analogique est à peu d'années près aussi vieille que l'anglo-français. Par exemple le poème du Voyage de Saint Brandan peut nous en donner un assez grand nombre d'exemples, et à ce propos on peut comparer ce que nous avons à dire maintenant à ce que nous avons déjà dit de ce poème au sujet de Vc analogique de la première personne du singulier.

Les exemples que nous trouvons dans Brandan et qui sont assu- rés par la rime ou par la mesure sont: lessct{}^, target^}), esiiiaie;ces exemples nous les reverrons encore à leur place, mais nous pou- vons d'ores et déjà remarquer que cet c s'attache, dans les premiers exemples que nous trouvons, aux thèmes vocaliques et aux thèmes

LE SUBJONCTIF 307

consonantiques terminés par un groupe de consonnes ou une con- sonne double.

Pour faciliter l'étude de cette question nous pourrons, en prenant comme point de départ les formes ci-dessus, classilier les irrégula- rités sous plusieurs chefs :

a) Thèmes vocaliques. b) Thèmes à dentale, c) Thèmes termi- nés par un groupe de consonnes.

Dans chacune de ces classes nous étudierons ces subjonctifs qui, prenant Ve et perdant leur dentale, ont adopté la forme moderne.

a) Thèmes vocaliques.

Les thèmes vocaliques ne se présentent que rarement sous la forme analogique au xii^ siècle, ou plutôt, car les exemples sont assez nombreux, ces formes nouvelles ne se trouvent que dans un petit nombre d'ouvrages, à savoir le Vovage de Saint Brandan et les Psautiers.

Nous avons déjà énuméré les formes irrégulières qu'on trouve dans le premier de ces ouvrages ; pour ce qui est des exemples qui proviennent des thèmes vocaliques, nous n'en trouvons qu'un assuré par la rime dans les deux manuscrits : esmaie, rimant avec manaie au vers 226 (Arsenal 171) :

Et ni ait nul qui ja s'esmaie.

On en cite parfois un autre qui nous semble plutôt un présent de l'indicatif: vers 1742 (Arsenal 1660), recrie qui rime avec mie.

Les trois Psautiers nous lournissent un nombre plus considérable de formes analogiques pour ces thèmes : loed peut se lire dans le Psautier d'Oxford, une fois ' (150, 5), et dans le Psautier de Cam- bridge (32, 19)^; vivifiet se trouve à la fois dans le dernier de ces ouvrages (32, 19) et dans le Psautier d'Arundel (40, 2) '. On relève encore dans ce dernier envoiel (19, 2)^.

Au siècle suivant, les formes analogiques pour les thèmes voca- liques deviennent évidemment de plus en plus communes et nous n'avons pas l'intention de citer toutes celles qu'on peut rencontrer;

1. Dans le même Psautier, lot, r^ 10, doux fois.

2. Dans le même Psautier, lout, r, 10 et r, 16.

3. Fm)i/, Psautier d'Oxford 32, 19.

4; Eiiveit dans les deux autres Psautiers.

>08 LKMM.UriON DU \ ERBK KN AKGLO-FRANÇAIS

nous ne donnerons que celles qui nous semblent les plus assurées et les plus significatives. Dans le Manuel des Péchés de Robert de Grctiiani, nous relevons /('j>7/;;/(W/V rimant avec vie; Joue est employé dans Edward le Confesseur au vers 869 '. Les exemples sont nom- breux dans Boeve de Haunitone et dans William de Waddington, mais ne ditîèrent pas de ceux que nous venons de citer. Les exemples abondent au xiV siècle : ottrie, qui a conservé longtemps la forme régulière, se lit dans Pierre de Langtoft, la rime (I, 322, 17) ; et dans le Poème du Prince Noir à la rime du vers 4182; de même dans ce poème avoie rime avec joie au vers 662, etc.

Citons encore siirveye de surveiller, toujours considéré comme un thème vocalique au xiv^ siècle (cf. sorveer, p. 90 du Dit de Senes- chaucie; sorvcr, passiiti). La forme du subjonctif que nous venons de citer se trouve à la p. 10 de Walter de Henley.

b) Thèmes à deiitale.

Un nombre beaucoup plus considérable encore de ces e analo- giques se rencontre avec les thèmes à dentale ; spécialement, les exemples de formes irrégulières que nous trouvons au xii^ siècle sont plus généraux, en ce qu'ils ne sont pas limités à un petit nombre d'auteurs. Mais nous devons reconnaître par contre que les exemples que nous fournissent de tels thèmes ne sont pas à beau- ctiup près aussi significatifs que ceux que nous avons déjà énumé- rés. Un grand nombre des formes qui suivent ne sont pas à pro- prement parler irrégulières et peuvent phoniquement se dépendre. h'e atone a la même raison d'être dans ces formes que dans les per- sonnes du singulier des imparfaits du subjonctif. En effet lorsque la dentale de la désinence se confond avec la dentale du thème_, la troisième personne du singulier, comme nous l'avons déjà fait remarquer, ne semble pas avoir de terminaison propre; pour la lui conserver, certains écrivains séparent ou relient les deux dentales par un c atone, et cet e d'appui, phoniquement irrégulier, se défend par des raisons morphologiques (cî. Nyrop, H, § 203, 2).

Cependant nous n'irons pas jusqu'à dire que tous les exemples que nous allons donner sont défendables. Quelques-uns le sont

I . N'est nuls ki n'eit joie e baudur

E n'en loue le Créât ur.

LE SUBJONCTIF 309

certainement ; pour les autres, pour le plus grand nombre même, Ve est purement analogique. Pour les distinguer nous dirons >que les exemples irréguliers sont ceux qui montrent la forme régulière très fréquemment et la forme avec muette très tardivement ; pour ceux-là nous avons réellement un phénomène d'analogie.

Le principe est plus facile à formuler qu'à appliquer ; nous don- nerons tout d'abord les subjonctifs dont la muette peut, croyons- nous, s'expliquer phoniquement ou morphologiquement ; ensuite ceux elle est analogique.

Le plus ancien exemple que nous a3'ons se trouve dans le Voyage de Saint Brandan au vers 902 (Arsenal 855), adeiile rime avec tourmente; cette forme nous semble provenir de adenlet par suite de la chute dentale finale, chute qui peut provenir du scribe. Le Psautier de Cambridge nous donne plusieurs exemples analogues : dehntd (34, 6); guardet (120, 8) (Psautier d'Oxford, giiarf); ajuste! (113, 32) qu'on retrouve dans les Quatre Livres des Rois (II, 16, 18) (Oxford, ajusl^. Le Psautier d'Arundel nous montre encore aguaitei (9, 8). Nous n'hésiterons pas à considérer ici Yc comme un c d'ap- pui employé pour séparer les deux dentales.

Il est assez difficile de décider si les exemples qu'il nous reste à citer doivent être rangés dans la même classe que ceux que nous venons d'énumérer ; il est probable que non, et nous pouvons con- sidérer Vc qu'ils nous montrent comme un c purement analogique, peut-être en partie aux formes quasi régulières que nous avons vues.

Fantosme nous donne ainsi gale (au vers 444) ; ciDite rime avec le substantif de même forme dans les rubriques d'Edward le Con- fesseur (XXXVI, 12); amende est assuré par la mesure du vers 926 du Manuel des Péchés; conforte rime avec la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif du même verbe au vers 2079 du Prince Noir.

Nous ne saurions toutefois avoir aucun doute pour les formes tardives et exceptionnelles comme grante, aide, garde (voir cependant l'exemple du Psautier de Cambridge), ou porte. La première de ces formes est employée dans le Saint Auban (au vers 1030) et reste assez rare par la suite. Aide devient très commun après 1250 ; cette forme est assurée par la mtsure du verbe 4993 du Manuel des Péchés; dans Pierre de Langtoft (I, 468, i)); dans le Prince Noir

310 L ÉVOLUTION DU VRUBE EN ANGLO-FRANÇAIS

(2567, 3212); elle se lit au § 3 5 des Contes de Bozon. Nous avons un nombre à peu près égal d'exemples pour garde : Ve muet est assuré dans les Heures de la Vierge (au folio 68 r°); dans Pierre de Lnngtoft très souvent (II, 46, 26; II, 230, 7 ; II, 420, 19); par la rime avec le substantif dans le Prince Noir (293, looi, 2705, 1165,

2)39)-

Par conséquent, il est évident que les verbes à dentale prennent souvent un e atone à la troisième personne du singulier. Mais pour les premiers exemples que nous relevons cet c est en partie justifié. Les formes vraiment analogiques ne remontent pas avant le milieu du XIII* siècle.

c) Thèmes terminés par un groupe de consonnes.

Dans la plupart des exemples suivants Ve semble à première vue nécessaire; on peut souvent le justifier, quoique pour chacun d'eux, nous ayons relevé des exemples de formes absolument ana- logues d'où il est absent. C'est dans cette catégorie que nous trou- vons le plus grand nombre de formes avec e plus ou moins irrégu- lier ; le Voyage de Saint Brandan en présente deux exemples qui ne sont pas très assurés : lesset (: amonestet) (au vers 225); target (au vers 135) '• Ce dernier verbe se retrouve dans le manuscrit A du Cumpoz (au vers 2443). Le Psautier d'Oxford lui-même en a quelques-uns du même genre : aprismet (ri8, 169), salved (ïj8, 73) (qui se trouve aussi dans les Quatre Livres des Rois, I, 4, 3) ; plunged (68, 19); dans le Psautier d'Arundel on trouve aussi : con- fermet (19, 4), et cunferme dans le Psautier d'Oxford (103, 17),

Il y a enfin un certain nombre de formes avec e communes aux trois Psautiers : livred qui se rencontre cinq fois dans le Psautier d'Oxford (40, 2 et passim) à côté de deliurt que nous avons déjà cité; dans le Psautier de Cambridge (32, 19); dans le Psautier d'Arundel (21, 3 ; 32, 19). Truisset est commun au Psautier

I. Cf. Willemberg, Rom. Stud. 383, Anmerk. I. Le ms. de l'Arsenal ne nous donne ni l'un ni l'autre de ces exemples ; le vers qui contient tariJ-et a disparu par accident; au lieu de lesset, ce ms. nous donne une leçon, meilleure en soi et qui fait disparaître l'irrégularité, vers 168 :

Li abes dunt les amoneste

Que Dex les gart d'avoir tempeste.

LE SUBJONCTIF 3 1 1

d'Arundel et au Psautier d'Oxford: il se trouve Psaume 20, verset 8, dans l'un et dans l'autre. On trouve aussi ciimenced dans les mss. C et L du Cumpoz (pour le vers 2303); dninset est aussi employé au vers 2938 par le scribe du Roland d'Oxford.

Pour quelques-uns des verbes précédents, nous ne pouvons pas encore dire que nous avons une véritable irrégularité.

Dans un petit nombre de cas, Ye ne répond à aucun besoin, par exemple dans lesset, truisset, dtiiiiset, ctimeuced. Ces quelques verbes sont vraiment irréguliers.

La muette, dans quelques autres verbes, a été ajoutée pour con- server ou faire reparaître le radical du verbe obscurci dans la forme régulière, par exemple dans target pour tarst, salvet pour sait, pluu- ged pour *plunzt, delivrcd pour deliurt. Toutes ces formes et quelques autres encore sont irrégulières en tant qu'elles ne pro- viennent pas directement du verbe latin, mais elles s'expliquent.

Dans deux autres cas la présence de Ve est au moins aussi justifiée que son absence, d.uis aprismet et cunfermct.

Par conséquent dans cette classe, nous trouvons quelques formes régulières, d'autres discutables, enfin plusieurs qui sont franchement irrégulières.

Nous n'jénumérerons pas les exemples qu'on trouve par la suite : blanieqnon trouve au vers 869 de Guischart de Beauliu (copiste ?), Iniisse qui se lit dans le même auteur au vers 1023, doiiisc qui est commun au xiv^ siècle, sauve qui n'est pas rare, mais qui est moins commun que sait, saut ' ; pense - ; toutes ces formes sont à différents degrés irrégulières, plus irrégulières certainement que celles que nous ont fourni les verbes à dentale

1. Cf. dans le Josaphat de Chardri, vers 2508 :

Ke il sauve l'aime de li. et au vers 2749 du même poème :

Il pria... ke...

Le sauvet a sun muriant. Et dans Boeve, les vers 79, 489, 1 5 15 ; dans les Heures de la Vierge au fol. 66 r"; dans la Chronique de Pierre de Langtoft, II, 48, 26 ; II, 342, 6 et passitii ; Foulques Fitz Warin, 30, etc.

2. Cf. Chardri, Josaphat au vers 1598 :

Deu en pense, ki ben le poet ! ■Voir aussi Prince Noir, vers 1277.

312 I. HVOI.rTION DU VERHK EN ANGI.O-FRANÇAIS

d) Lettres mon i liées.

Pour la raison même que nous venons d'exposer, les verbes dont le radical présente une lettre mouillée devaient prendre assez aisé- ment un (' atone à la troisième personne du singulier; dans la forme étymologique du subjonctif, la mouillure disparaît, et pour la con- server, un e d'appui est nécessaire. C'est de cette façon que l'anglo- français a tendu à se débarrasser d'un thème différant sensiblement du thème de toutes les autres parties du verbe. Ceci explique pour- quoi nous trouvons assez tôt des formes qui, par analogie, ont pris le radical ordinaire du verbe et en même temps Ve atone ; citons : dei^net au vers 999 de Guischart de Beauliu ; deinge au vers 343 de la Vie de Saint Grégoire ; deigne au vers 26 de la Plainte Notre- Dame ; suiiioile (: voile) au vers 92 d'Edward le Confesseur; baille rime avec faille au folio 65 du poème religieux du ms. Royal 20 B XIV.

Quoi qu'en dise M. Gabrielson, dans son Introduction au Sermun de Guischart de Beauliu, les formes étymologiques existent bien, et nous en avons cité un certain nombre précédemment ; mais elles n'ont jamais été très employées et ont vite fait place à ces formes qui conservent le radical ordinaire du verbe.

e) Consonnes simples.

Les verbes dont le thème est terminé par une consonne simple forment la classe la plus nombreuse dans la première conjugaison; cependant, pour ces verbes, le nombre de formes nouvelles n'est proportionnellement pas aussi grand que pour les autres classes. Ici nous avons réellement les formes irrégulières de la troisième per- sonne du singulier des verbes de I ; et nous pourrons remarquer que les formes analogiques sont relativement assez tardives. On en trouve, il est vrai, dans les Psautiers; mais ce sont les seuls ouvrages de cette époque qui présentent cette irrégularité pour les verbes de cette classe. Le Psautier de Cambridge a deux de ces exemples : curnnet (68, 8); aposet (119, 3); le Psautier d'Oxford a apost (9, 42). On rencontre encore dans ce dernier ouvrage deux autres formes nouvelles : embrive (0, iS) ezespeire (129, 6).

LE SUBJONCTIF 3 I 3

Nous pouvons maintenant nous arrêter un instant et récapituler les formes plus ou moins irrégulières que nous avons rencontrées au xir' siècle. Nous n'avons trouvé Ve analogique, c'est-à-dire emprunté aux subjonctifs en cm qui ont un e d'appui, ou aux sub- jonctifs en aiii. et iain, que dans un tout petit nombre de cas : d'abord pour certains verbes à thème vocalique (esinaie, Joe, vivi- fied, cnvoiet) ; dans quelques autres terminés par une consonne double ou un groupe de consonnes (Jesset, triiisset, duinset, comenced); ou par une consonne simple (curunet, aposet, embrive, espeire). Ces quelques cas, dont quelques-uns remontent aux tout premiers temps de la littérature anglo-française, sont les seuls qui montrent l'ad- dition d'un e irrégulier. Tous les autres nous montrent une irrégula- rité d'un genre absolument différent, soit disparition du thème propre à ce temps, soit mise en évidence de la dentale caduque de la dési- nence par un e d'appui.

Jusqu'ici, nous nous sommes surtout occupés des formes du xii^ siècle, tout en corroborant, au moyen d'exemples tirés des siècles suivants, les exemples que nous citions. Nous allons maintenant poursuivre très rapidement notre étude des formes analogiques dans les verbes dont le thème est terminé par une consonne simple au xiiT^ siècle et au xiv^.

Comme les quelques exemples que nous donnerons suffiront à le montrer, l'analogie fait de grands progrès à cette époque, et la forme avec muette se généralise de plus en plus.

Les thèmes sigmatiques sont nombreux sous cette forme avec atone, et nous pourrions dresser une longue liste d'exemples; nous n'en donnerons que quelques-uns, comme prise qui rime avec fran- chise dans Edward le Confesseur (au vers 55); peisc est commun, même à la rime, comme dans la Plainte d'Amour (vers 787, avec maleise), dans le Roman des Romans (vers 44, avec eyse ; cf. d'ailleurs, dans le même poème, peist, 577), dans Foulques Fitz Warin (p. 85). Ceci montre assez que cette forme est devenue sinon la forme habituelle, au moins une forme communément employée.

Les autres thèmes consonantiques ne sont pas beaucoup plus rares ; citons, parmi les thèmes en r, dure qui rime avec parjure dans les Rubriques d'Edward le Confesseur (LXI, 4) et aiire qui rime avec cure dans les Rubriques de Saint Auban (fol. 34 v°); ces exemples sont sensiblement plus tardifs.

31-1 l'évolution du verbe en anglo-français

Nous ne citerons qu'un petit nombre d'autres exemples ; d'abord une autre forme du subjonctif de donner qu'on rencontre assez communément, doi ne, comme au vers 988 du Roman des Romans

Deus nus doinc vcrai pardun,

dans les Heures de la Vierge (éi v°), et dans plusieurs autres cas.

Ces quelques exemples nous permettront de conclure que la forme moderne, c'est-à-dire irrégulière, de ces subjonctifs est d'un emploi courant au xiii'= siècle, et que leur nombre commence à deve- nir considérable après la seconde décade de ce siècle.

Enfin, et pour terminer cette rapide énumération, il y a toute une classe de subjonctifs de I qui, très naturellement, prennent tou- jours Ve ; ce sont les subjonctifs en ge et ce. Ceci n'a rien que de très naturel, car ces subjonctifs sont modelés sur les subjonctifs en ia?n, qui l'ont toujours.

Nous les étudierons plus tard.

Il est peu utile, après ce que nous venons de dire, d'insister sur les formes analogiques dans les ouvrages non littéraires^ puisque nous n'avons pour ces ouvrages aucun texte antérieur au milieu du xiii*^ siècle. Nous ferons simplement remarquer que les verbes, que nous avons eu précédemment l'occasion de signaler, sous la forme étymologique, dans la dernière partie de ce siècle, se trouvent aussi avec Ve un nombre presque égal de fois : aide, garde, porte, voise (ou aille^ sont très communs dans les Statutes, comme dans Rymer et les autres, même avant 1300; de plus, on trouve, avec e, d'autres verbes d'un emploi moins fréquent, qui n'apparaissent jamais sous la forme étymologique, comme paie, demoere, passe, etc.

Au \\\^ siècle, même les premiers verbes que nous venons de citer sont employés plus communément sous la forme moderne ; on peut dire que c'est la seule qu'on trouve dans certains recueils comme le Liber Rubeus de Scaccario ou le Registrum Malmesbu- riense.

Certaines formes, telles que saut, aut qui se rencontrent très tard dans la langue littéraire (cf. supra) sont inconnues dans les textes politiques, diplomatiques, etc. Quant adonner, il ne prend la forme féminine dans cette catégorie de textes que vers le commencement du xiv^ siècle.

LE SUBJONCTIF 3 I 5

Comme nous disions plus haut que la forme étymologique de la troisième personne du singulier des subjonctifs en eni est très rare dans les textes légaux, nous n'aurons donc pas à insister maintenant sur les formes modernes que présentent ces recueils. Elles sont nombreuses : eyde, garde, sauve sont employés constamment (cL 31 Edw. l", 345 ; 30 Edw. I", 75, etc.) ; donner fait le plus sou- vent doigne (33 et 35 Edw., I", 399; 11 et 12 Edw. III, 139); trouver se montre le plus souvent sous la forme troefse (32 et 33 Edw. P% 115); aller prend trois formes : auge (20 et 21 Edw. P'» 123), forme assez rare; ayle (21 Edvv'. I", 121); voyse (11 et 12 Edw. III, 63).

Nous pouvons maintenant résumer avec assez de précision les résultats que nous a fournis l'étude des différents textes anglo- français.

1. Les formes régulières des troisièmes personnes du singulier du présent du subjonctif en em persistent assez longtemps; elles sont très nombreuses au xii^ siècle et jusque vers 1250. Mais pendant la première moitié du xiii^ siècle, il ne se rencontre plus d'auteur qui emploie exclusivement la forme régulière. De 1250 à la fin du xiV siècle, les formes normales se rencontrent toujours, mais on peut trouver quelques ouvrages qui n'en ont aucun exemple assuré.

2. Les formes avec e atone datent de très haut dans la littérature anglo-française. Même si on admet, nous ne sommes pas éloignés de le f lire, et le manuscrit de l'Arsenal le montre assez clairement, que le Voyage de Saint Brandan a été fortement remanié par le scribe, les formes analogiques que nous trouvons dans ce poème doivent remonter au moins à 1 167, ce qui les ramène à la date des Psautiers; dans ces quatre ouvrages, on trouve, à côté déformes qui peuvent se défendre, des formes irrégulières avec les verbes dont le thème est terminé par une voyelle, un groupe de consonnes (ou une consonne double) et plus rarement par une consonne simple.

3. A la fin du xii'' siècle et spécialement au commencement du siècle suivant (^d. Guischart de Beauliu et Robert de Gretham), nous trouvons encore des exemples de ces trois sortes de thèmes employés sous la forme irrégalière; de plus les verbes dont le radi- cal est terminé par une lettre mouillée se trouvent atteints. Les Psautiers mis à part, ce n'est qu'au commencement du xiii"^ siècle

^l6 l."lh-OLUTIO\ DU VHRBE KN ANGLO-FRANÇAIS

que nous rencontrons des exemples assurés de la forme moderne aux radicaux terminés par une consonne simple.

C'est donc à la fois par une extension des lois phoniques (thèmes à groupe de consonnes et thèmes À dentale) et par analo- gie (thèmes vocaliques d'abord) que les troisièmes personnes du singulier des verbes de I se sont acheminées graduellement vers la forme moderne .

IV. Première et deuxiè.mk personnes du pluriel.

Nous n'avons que fort peu de choses à dire de ces deux per- sonnes. La première est régulièrement en u{o)ui{s^ ; les désinences qui montrent un / comme caiigiiini qu'on lit au vers 449 de Gaimar sont extrêmement rares et sont dues à l'ignorance des scribes.

Pour ce qui est de la seconde personne du pluriel, quelques-unes seulement prennent la désinence en ie^ ; c'est à cause de cela que nous en avons parlé au chapitre des Désinences personnelles.

V. Le radical des subjonctifs en efii.

Nous avons déjà dit quelques mots du radical de ces subjonctifs dans les troisièmes personnes du singulier étymologiques. Il nous reste à parler maintenant des changements plus généraux atteignant chacune des personnes de ce temps.

I. La voyelle.

Nous n'avons relevé pour la voyelle thématique qu'un tout petit nombre de changements qui ne soient pas dus à l'évolution pho- nique njrmale. Nous allons maintenant citer quelques formes qui ont une origine différente. C'est surtout pour la diphtongue ni qu'on trouve régulièrement au subjonctif d'ennuyer, trouver, donner... que les formes sont variées et parfois difficiles à expli- quer.

Nous allons tâcher de montrer que ces formes si différentes pro- viennent de deux radicaux distincts :

L'un, le radical étymologique présentant ni et ses dérivés pho- niques;

LE SUBJONCTIF 317

L'autre qui est une généralisation du radical de l'indicatif. I. Ui se rencontre constamment au xii" siècle et pendant une grande partie du xiii'^; ici comme ailleurs, la diphtongue se réduit souvent à la voyelle simple //, dès la fin du xiii'^ siècle. On trouve, par exemple, trnsse au vers 1132 des Set Dormans de Chardri, et, sous la date 1278, dans le premier volume des Statutes, à la page 49, etc. Ce premier changement de la diphtongue du thème n'a rien que de très normal.

Ue et aussi oe qui en dérive peuvent provenir phoniquement de la même diphtongue /// ; on trouve triiesse dans les Rymer's Foedera (1306, II, 1012); troesse dans les Statutes, à la page 31 du premier volume (1275). Il est possible que ces deux derniers exemples doivent se ranger parmi ceux qui montrent une extension du radi- cal de l'indicatif.

Ajoutons que pour ennuyer et donner nous relevons une autre forme de la diphtongue ni : ai. Mais ici nous n'avons proba- blement qu'une graphie, comme l'indique la rime du Drame d'Adam (vers 114), a)ioit (: déduit).

Cependant oi est la forme la plus commune que prenne l'élément vocalique du thème de donner ; elle est beaucoup plus répandue que /// par exemple. On trouve oi pendant tout le xiii'' siècle et le xiv^ (Roman des Romans, vers 988; William de Waddington, vers 936, 2228, 5282; érection des Murs de New Ross, vers 202, Sta- tutes, Rymer, passini, etc.).

Trouver ne montre jamais cette diphtongue.

2. Nous avons déjà cité (cf. supra, p. 304) plusieurs formes de donner (Bestiaire, Saint Laurent, Dialogues Grégoire), qui présentent le radical de l'indicatif; elles ne sont probablement pas des formations analogiques et proviennent de do net.

Pour trouver au contraire, nous sommes souvent en présence de véritables formes analogiques. Il est possible que les thèmes en oc et ne cités plus haut proviennent de l'indicatif, au lieu d'être le résultat de l'évolution de ui. Toujours est-il que nous relevons assez fréquemment vers la fin du xiii'^ et pendant le xiv' siècle des thèmes montrant, sans doute possible, l'influence de l'indica- tif.

On rencontre d'abord la voyelle 0, par exemple dans trofse qui se lit dans les Parliamentary Writs, sous la date de 1297 (I, 54). Cette

3i8 l'évolution du verbe en anglo-françals

forme par la suite devient très commune, même la plus commune. Elle se rencontre constamment dans les Traités de Rymer, et c'est la seule qu'emploient les Year Books. On est certainement plus rare ; on en trouve un exemple (jroiis) dans l'Apocalypse (a, 175); un autre troussent à^iws les Statutes, à la date de [299 (I, 132) ; R^'^mer et les Literae Cantuarienses en offrent aussi quelques exemples.

Telles sont les principales formes prises par l'élément vocalique dans le thème de ces verbes au subjonctif.

II. La consonne.

La consonne finale des subjonctifs en em subit un nombre assez considérable de changements ; les uns sont sporadiques et nous ne nous y arrêterons pas. Les autres ont un caractère plus marqué de généralité ; parmi ceux-ci nous en citerons un seul, l'introduc- tion d'une lettre mouillée.

Il y a dans la première conjugaison un certain nombre de verbes qui, au subjonctif, mouillent irrégulièrement la consonne finale du radical et qui prennent ainsi une forme qui les rapprochent des sub- jonctifs en iam.

Le plus important de ces verbes est évidemment le verbe aller, qui prend très fréquemment la forme moderne aille y elle se trouve pour la première fois, croyons-nous, dans le Psautier de Cambridge (31, 9); elle n'est pas très fréquente au xir' siècle. Auge et voise sont beaucoup plus communément employés (cf. supra, p. 315).

Nous la retrouvons plusieurs fois au xiii^ siècle, en particulier dans les Evangiles des Dompnées (au fol. 174 r°), dans le Saint Julien (au fol. 48 v°), au vers 530 du Roman des Romans ; aucun de ces exemples n'est du reste assuré par la rime. Ils sont plus com- muns au xiv^ siècle; une des premières rimes nous trouvions cette forme se lit dans Pierre de Langtoft (I, 478, 8). yif///^ d'ailleurs est la forme communément employée dans les ouvrages non litté- raires ; dans les Statutes, elle alterne avec voise, dans les autres recueils, elle est le plus souvent unique. Elle est tiès fréquente dans les Year Books; auge y est employé sporadiquement pendant les premières années du xiv^ siècle ; voise se trouve fréquemment même plus tard.

LE SUBJONCTIF 319

Donner dans la langue littéraire prend, à la fin du xiii^ siècle et pendant le xiv% la forme doigne, fréquente chez William de Wad- dington (cf. 986, 2228, 3282). Les auteurs du xiv^ siècle l'em- ploient presque à l'exclusion de toute autre. La langue politique ne nous a fourni aucun exemple de cette dernière forme au xiii^ siècle, alors que le xiv= l'emploie constamment ; c'est la seule forme que connaissent les Year Books.

Le verbe mener montre très tôt une « mouillée au subjonctif; la forme rneigne n'est cependant pas aussi commune que les deux autres formes que nous venons de citer ; on la trouve pour la pre- mière fois au xiii^ siècle, dans le manuscrit O de Horn, pour le vers 2075 ; puis dans le manuscrit O du Josaphat de Chardri, pour le vers 1258 (ameigmnt) ; postérieurement à cette dernière forme, les exemples restent assez rares; citons celui que nous trouvons dans le Second Appendice de Pierre de Langtoft (Nicole Bozon), II, 436, 36.

La langue politique nous a fourni des exemples intermédiaires; ineigne se lit dans les Parliamentary Writs (13 15, II, 42e); dans les Statutes (1321, I, 182; 1340, I, 298). Cette catégorie de textes p^ut donner encore un certain nombre d'autres exemples montrant d'autres verbes délayant n comme consonne finale du radical et pre- nant une n mouillée au subjonctif. Le verbe qui, avec mener, semble prendre cette forme le plus fréquemment, c'est le verbe ordonner ,; ordeignc se rencontre dans un grand nombre de cas : citons les Sta- tutes (1340, I, 270); les Rymer's Foedeia (1379, VII, 218) et passiui .

La mouillure n'a donc pas été extrêmement commune pour le subjonctif des verbes de I, elle n'a pas non plus été très rare ; elle semble avoir été limitée à certains verbes: donner, mener, ordonner.

Pour le premier, la mouillure s'expliquerait assez aisément par la forme même du subjonctif qui le rapproche évidemment de certains subjonctifs en iani : teneam, veniam. Il est fort possible que donner ait entraîné avec lui ordonner, quoique cela ne soit pas très évident, ce dernier verbe était plus commun sous la forme ordener. Quant à mener, nous ne pouvons pas avoir de doute ; il doit la forme de son subjonctif à sa ressemblance avec manoir, malgré la différence entre le sens de ces deux verbes.

L'extension de la mouillure a donc été ici un phénomène d'analo- gie, bien plus qu'un fait de phonétique.

320 I, EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-I-RANÇAIS

A. SUBJONCTIFS EN CE OU SE DE LA PREMIERE CONJUGALSON '

Les verbes de la première conjugaison qui prennent au subjonctif la désinence ou le suffixe ce sont en très petit nombre en anglo- français, et ne conservent pas très régulièrement cette forme. On n'en trouve guère que cinq, à savoir : manger et ester avec ses composés, et donner, rover, trouver. Pour le premier et le second de ces verbes le suffixe est ordinairement ce; on trouve quelquefois pour ester, toujours pour donner, rover, trouver, la graphie se.

Ma nj lice se trouve déjà dans le Bestiaire (au vers 1182) et se retrouve dans les Quatre Livres des Rois (I, i_|, 18). Les écrivains du xiii^ siècle en ont eux-mêmes plusieurs exemples ; on en voit dans les Dialogues de Grégoire leGrand(i 1 1 b); puis au vers 1903 dans les manuscrits A et B du Manuel des Péchés ; au xiv'' siècle, cette forme n'est pas rare ; citons dans l'Apocalypse les vers 99 et 84.

Remarquons à propos de cette forme que iiiangiist est assez peu commun sur le continent : Cornu n'en cite qu'un seul exemple (Recueil général desFableaux, tome I, 11/3^218; cf. Romania VII, 429, et Etienne, op, cit., p. 314). La première forme du subjonctif refaite sur le présent de l'indicatif, date, croyons-nous, du commen- cement du xiv^ siècle ; nous trouvons mangue dans l'Apocalypse (3,84). _

Le subjonctif d'ester prend au point de vue de la désinence deux formes : ce et se.

La première se rencontre surtout au xii'= siècle, et voici un certain nombre de références donnant les différentes formes en ce que nous avons relevées pour ce verbe. On trouve cette forme d'abord dans le Bestiaire (au vers 1598), dans le Psautier de Cambridge (108, 7);elle est employée au vers 952 du Tristan de Thomas, dans les Quatre Livres des Rois (I, 17, 29 et II, 2, 22). Hlle se rencontre encore au vers 3886 de Horn, dans la Vie de Sainte Catherine (vers 1203), dans les Set Dormans de Chardri (vers 1125), dans Aspremont (vers 189) et dans un nombre considérable d'autres cas.

La forme estoise est à cette époque beaucoup moins commune, quoique nous en trouvions un premier exemple dans la Chronique

I. On peut consulter sur ce point Settegust, Jules César, XXX.

LE SUBJONCTIF 321

de Jordan Fantosme : cnntrestoise (au vers 519); nous en avons relevé -encore quelques cas au xiii^ siècle, comme dans le Saint Julien elle rime avec poise (folio 68 r°) ; mais elle ne devient jamais commune dans les œuvres littéraires. Par contre, elle est presque la seule employée à toute époque dans les Statutes et est très commune dans Rymer; surtout les Year Books l'emploient fréquemment : la formule « estoise le jugement » y revient cons- tamment. Cette forme provient évidemment de estois, comme voise de vois.

A côté de ces formes régulières ou provenant de la forme éty- mologique par une évolution phonique normale, nous relevons une forme du thème, commune dans certains dialectes du Conti- nent, assez rare en anglo-trançais: eslace (cf. Psautier de Cambridge, 108, 7). Nous avons affaire ici à une forme analogique qui pro- vient de face, à cause de l'identité : fait estait : autrement dit estace estait

face fait

Ajoutons quelques mots sur les subjonctifs en se dont la forme provient du présent de l'indicatif, comme estoise dérive de estois. Les verbes donner et trouver (nous n'avons rencontré aucun exemple du subjonctif de rover), ont un subjonctif de cette nature.

Nous avons mentionné précédemment les changements qui peuvent affecter la forme de la diphtongue du thème, nous n'y reviendrons pas maintenant. Ce qui doit nous occuper à présent c'est la consonne finale du thème : nous devons voir comment se comportent les groupes ns et ss. Nous pouvons dès maintenant dire qu'ils ne subsistent pas toujours très régulièrement ; sous l'influence des autres formes du verbe et principalement des personnes faibles de l'indicatif, ces deux subjonctifs abandonnent assez communé- ment leur forme propre pour prendre la consonne {^iiii pour donner ■V ou/ pour trouver)que montre la grande majorité des formesdeces deux verbes. Nous aurions pu, semble-t-il, lorsque nous parlions de la diphtongue de ces deux subjonctifs et que nous montrions qu'ils adoptent dans certains cas la diphtongue de l'indicatif, joindre aux remarques que nous faisions alors celles qui vont suivre et énumérer ensemble tous les cas qui montrent pour les deux verbes en question le passage au subjonctif du radical ordinaire du verbe : iloii- cl irov-.

322 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-IRANÇAIS

Mais cela ne nous a pas semblé possible, car dans la plupart des exemples que nous avons relevés, c'est tantôt la voyelle, tantôt la consonne de l'indicatif qui apparaît au subjonctif, rarement les deux à la fois.

Le verbe donner ne nous arrêtera pas longtemps; nous avons déjà cité un nombre suffisant d'exemples du subjonctif de ce verbe pour que nous nous dispensions de faire une longue énumération. Qu'il nous suffise de dire que les formes qui perdent Vs du thème sont et de beaucoup les plus nombreuses. Nous trouvons le plus souvent soit ;/, soit _i'^;/, comme nous l'avons déjà montré; soit, comme nous le dirons plus tard, iig.

Les deux y se sont beaucoup mieux conservées dans le subjonctif du verbe trouver : tniisse est commun à toutes les personnes pen- dant toute la durée de la littérature anglo-française. Mais au xiV^ siècle, dans les textes diplomatiques, nous avons rencontré un nombre assez considérable de formes nous présentant f, comme troeffe- que nous lisons dans les Rymer's Foedera (1323, IV, 340). Ces formes pourront paraître n'être que des erreurs de lectures, les deux / pouvant facilement se lire au lieu d'une double s longue, et nous avons d'abord été tentés de les rejeter comme telles. Mais cette forme est trop fréquemment employée, la lecture des différents manuscrits que nous avons consultés est trop claire pour que cette explication soit admissible. De plus il existe une forme intermé- diaire qui doit avoir raison de tous les doutes. Nous avons rencontré assez souvent un subjonctif nous donnant à la fois Vf et Vs ; comme troefse, qui se lit entre autres cas dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323, 870) et dans plusieurs autres textes assez bons. Nous devons surtout citer sur ce point diriérents Year Books elle est très fréquente (cf. 32 et 33 Edward l", 115 et passim).

Les formes en/ sont donc dérivées des formes en v ; les formes en Js ne peuvent être qu'une contamination entre trosse et Irofe. Malgré tout, nous ne pouvons pas ne pas croire que l'écriture n'ait eu quelque influence dans la naissance de ces formes, et rien n'est plus facile à admettre que cette influence à une époque la langue anglo-française était beaucoup plus écrite que parlée.

IXFLUK\-CEj DES SUBJONCTIFS EN EM SUR LES AUTRES CONJUGAISONS

Les subjonctifs en em ont exercé une influence très restreinte sur les autres subjonctifs; et il est facile de comprendre qu'une

LE SUBJONCTIF

:>^y

forme destinée à disparaître et disparaissant progressivement n'ait pas eu assez de vitalité pour attirer à elle un grand nombre de verbes. On peut cependant relever quelques subjonctifs dont la troisième personne du singulier, qui devrait être terminée régulièrement par c suivi -d'une dentale caduque, laisse tomber leur e et ajoutent la dentale directement au thème. C'est ainsi que nous expliquerions esjot du Psautier d'Oxford (96, i); ûcoilt au vers 2286 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barkinget au vers 132 du morceau XXX des Légendes de Marie ; )ioisl (noceat) de Guischart de Beauliu (vers 1307); peut-être même piiist qui est assez com- mun, par exemple Drame d'Adam, 92.

B. SUBJONCTIFS EN AM.

Nous ne trouvons à foire au sujet des subjonctifs en aiii qu'un tout petit nombre d'observations, et la plupart de celles-ci sont de médiocre importance.

Nous dirons d'abord un mot de la troisième personne du singu- lier; ensuite nous parlerons de la première et de la seconde personne du pluriel, enfin du radical.

a) Troisième personne du singulier.

Un seul verbe présente à la troisième personne du singulier une forme sur laquelle nous pourrons peut-être appeler l'attention : le verbe pouvoir. Pendant tout le xiii^ siècle, la forme /)///V/, régulière en ancien français (^c(. ait et seit), est commune dans nos différents auteurs; il est à peu près inutile de citer des exemples d'une forme qu'on rencontre dans la plupart des ouvrages de cette époque (cf. le poème d'Havelok au vers léi, le Drame d'Adam au vers 92). La forme moderne fait son apparition au xiii^ siècle et puisse est com- mun dans les textes du xiv^.

Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit de la perte de la voyelle muette à cette personne.

h^ Première et seconde personnes du pluriel.

Ici encore nous n'aurons que peu de remarques à faire. La pre- mière personne du pluriel est régulièrement en unis, çt en anglo- français cette terminaison est employée aussi régulièrement que pos-

324 L HVOI.UTION DU VERÏÎE EN .WGLCI-FRAXÇAIS

sible. Les exemples sont nombreux. La seule exception que nous connaissions se lit dans le Psautier d'Oxford (0, 5), nous rencon- trons la terminaison iciii : possieiii (cf. dans ce même Psautier cxhalciciii, r,, 19). Nous ne pensons pas que cette terminaison puisse être regardée comme appartenant à l'anglo-trançais. L'/ est. toujours absent des terminaisons de la première personne du pluriel des subjonctifs en am, même pour ces verbes qui prennent indû- ment une consonne luouillée (cf. preignons dans les Rymer's Foe- dera, 1380, VII, 49; 1381, VII, 3.10; et dans les Year Books, 12 et 13 Edw. III, 289).

La deuxième personne du pluriel est à peu près aussi régulière que la première. Nous avons déjà étudié la disparition de la dési- nence en ie^ dans le cas cette désinence est étymologique ; nous n'y reviendrons pas. A part cette question, la deuxième personne du pluriel ne nous fournit la matière d'aucune obser- vation.

c) Le radical.

Le radical des subjonctifs en ani ne différant pas du radical du verbe ne saurait, lui non plus, montrer des irrégularités qui lui soient particulières.

I. La voxcllc.

La voyelle ne présente que des changements phoniques qui sont généraux et ne nous regardent pas : la réduction de la diphtongue ni, comme coud nie (Tvïsîân de Thomas, 2570); ^//;/(///f (Brandan, 637); condxe (Boeve de Haumtone, 1125 ; Pierre deLangtott. I, 128, 12). La seule remarque que nous puissions faire à propos de cette diphtongue c'est que nous n'avons jamais observé la réduction pour les verbes en slruire.

Une seule observation est vraiment de notre compétence, c'est celle qui a rapport aux différents thèmes que prend le subjonctif du verbe pouvoir (si nous considérons ce subjonctif comme un subjonctif en a}}i). Nous trouvons en anglo-français les deux formes qui se rencontrent également sur le continent' .: poisse et puisse, toutes deux fort régulières.

1. Cf. Lùcking, Mundarteii, 154 (poteam); Willenberg, Rom. Studien III, 490 (possiam); Schulzke, op. cit., 9 (poscam); G. Paris (Remania VII, 622) (pocsamj.

LE SUBJONCTIF 325

Nous trouvons des exemples de l'une et de l'autre dans notre dia- lecte ; mais la première est fort rare. Elle nous est assurée au moins une fois par la rime dans la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clé- mence de Barking : poisse rime dans ce poème avec angoisse (au vers 15 12). Les autres exemples ne sont pas aussi sûrs, citons cepen- dant pois qui se lit pour le vers 3109 dans le Roland d'Oxford ; poissiez, au vers 895 du Tristan de Thomas et poisse dans le manu- scrit L du Cumpoz pour le vers 145 1.

Tous ces exemples nous semblent bien certainement provenir du premier type que nous avons cité. Nous retrouvons encore cette diphtongue oi dans certains textes non littéraires du xiv"' siècle ; mais nous hésiterions à les faire remonter au même type; on sait, en effet, que la diphtongue ///dans certains cas à cette époque appa- raît sous la forme oi ; il nous est donc impossible de savoir d'où pro- viennent les exemples de ce siècle.

Le type qui montre la diphtongue ni est du reste beaucoup mieux représenté que le précédent. Ici ce ne sont pas les exemples qui nous manquent, la seule difficulté est de classifier d'une manière rationnelle tous les exemples de formes variées que nous rencontrons. Nous avons tout d'abord toutes les formes que peut prendre la diphtongue /</, et elles sont nombreuses : //, comme dans puce (William de Waddington, -^794) ou pusse (Rymer's Foedera, 1325, IV, 68); ue, comme dans piiesse, la forme la plus commune (Mem. Pari., i305,§ 447). Nous pouvons nous demander ensuite si les quelques formes qui suivent peuvent se rapporter au même type, ou si plutôt elles ne sont pas dues à l'influence du présent de l'indicatif.

Peuse est commun et se trouve dans les meilleurs textes du xiv" siècle (Statutes, 1313, I, 174); la diphtongue a une forme légèrement différente dans poeussc que nous trouvons dans Wil. Rishanger et dans poesse qu'on lit dans les Statutes (1340, I, 298).

Nous ne pouvons pas trancher cette question et elle est peut-être insoluble ; ce qu'il y a d'assuré, c'est que :

Les formes en oi, qui sont dialectales sur le continent, se rencontrent en anglo-français et sont assurées au xii^ siècle;

Les formes en /// sont les plus nombreuses à toutes les époques.

326 I.'hVOLUTION du VERBJi I-N ANGLO-FRANÇAIS

II. La consonne.

Il nous reste, pour en finir avec les subjonctifs en ain, à traiter un certain nombre de questions qui se rapportent à la consonne du thème ; ces questions sont au nombre de trois : Vs dans les subjonc- tifs dc-s verbes ayant leur thème terminé par une palatale (dire, conduire, détruire, lire, etc.); chute d'une consonne dans le sub- jonctif du verbe suivre; enfin les consonnes mouillées dans les sub- jonctifs en am.

I. Verbes à palatale.

Parmi ces verbes, quelques-uns ne prennent jamais au subjonctif 1'^ des personnes faibles de l'indicatif (présent et imparfait); d'autres montrent é^^alement la forme analogique et la forme éty- mologique ; enfin une troisième classe ne semble avoir que la forme avec s.

A la première classe appartiennent dire et ses composés. Nous n'avons, à aucune époque, trouvé pour ce verbe d'exemple de la forme française moderne, tandis que les cas qui nous montrent la forme étymologique sont extrêmement communs. Il semble presque inutile de donner des exemples d'une forme aussi commune que die; cependant nous allons en donner rapidement quelques-uns, uniquement parmi ceux que nous avons trouvés à la rime. Die rime avec folie au vers 359 de Jordan Fantosme; il se retrouve à la rime du vers 124 de Josaphat, au folio 170 du Saint Julien, au folio 46 de la Genèse ; dans les Rubriques d'Edward le Confes- seur, LVII, 4; au vers 3385 de William de Waddington, dans Pierre de Langtoft (I, 128, 3); au vers 3401 de Prince Noir, etc. Évidemment on pourrait trouver un plus grand nombre d'exemples, en ne prenant même, comme nous venons de le faire, que |ceux qui sont emploj^és à la rime, mais ceux que nous venons de don- ner montrent assez que la forme étymologique s'est admirablement conservée.

Et il en va de même pour les composés de dire, bénir et maudire ; on peut voir pour ces deux derniers verbes les rimes qu'on trouve au folio 46 de la Genèse, dans Pierre de Langtoft (II, 208, 17), et dans les Vies de Saints de Nicole Bozon (94 v°).

LE SUBJONCTIF 327

Nous observons la même régularité pour tous ces verbes (contre- dit', Statutes, 1363, I, 382 etc.) dans tous les textes politiques et diploni-Uiques ; les exemples sont particulièrement nombreux dans les différents YearBooks ; mais il est inutile de s'arrêter plus longue- ment sur cette question.

Diiire et ses composés, de même que les verbes en siruirc ne sont pas aussi constamment réguliers.

La forme étymologique cependant reste la plus commune et de beaucoup la plus employée. La liste des exemples pourrait être fort longue'. Au contraire celle qui nous donnerait les formes montrant s serait très courte. Ces formes cependant pour les verbes en ■ifniiir remontent au xii' siècle ou au commencement du xiii^ ; desfniisset se lit dans le Psauiier d'Arundel (ii^, 3); destruice se ren- contre au vers 444 de Jordan Fantosme. Aucune forme ne se trouve à la rime. Quant à diiire nous n'avons trouvé qu'une forme assez douteuse en s, dans un manuscrit des Proverbes de Bon Enseignement, Harléien 957, au folio 29 v°.

Plus importante est la forme du subjonctif de lire et de ses com- posés, en particulier d'élire qui est extrêmement commun dans les textes politiques.

Tous ces verbes ont toujours 1'^ : on peut en citer de nombreux exemples, comme au vers 899 de Boeve de Haumtone; au vers 74 de William de Waddington ; dans Pierre de Langtoft, IL 122, 3 et passim dans les Statutes et les Parliamentary Writs,

Enfin, pour terminer cette question, il nous reste à parler des verbes qui abandonnent leur radical propre pour celui d'une autre partie du verbe.

On peut citer tout d'abord le subjonctif de aerdre; aderigal donne régulièrement aherged qui se lit dans le Psautier de Cam- bridge (156, 6); mais c'est le seul exemple de la forme étymolo- gique. Déjà le Psautier d'Oxford a acrdc (136, 7).

I. En voici quelques-uns : Sainl Brandan, 657; Estorie des Engleis. 4846; Tristan de Thomas, 2570; Saint Gilles, 3771 ; Vie de Saint Grégoire, 2010; Boeve de Haumtone, 819, 1125; Pierre de Langtoft, 1, 128, 12; II, 74, 11.

Pour les verbes en struire : Psautier d'Oxford, 8, 3 ; Psautier d'Arundel, 8, 2; Quatre Livres des Rois, III, 8, 57 ; Adgar, XXIII, 94; J. Fantosme, 281 ; Pierre de Langtoft, I, 16, 25.

328 l'hvolutiox du vkrbk rn akglo-français

2. Chute d'une consonne.

A côté de ces quelques verbes qui prennent au subjonctif l'.s des personnes faibles du présent de l'indicatif, nous en trouvons un qui perd dans certains textes sa consonne étymologique. C'est le verbe suivre. On le trouve au subjonctif, en dehors de la littérature, sous la forme suie, et le plus ancien exemple qu'on en trouve se lit dans les Statutes sous la date de 1275 (premier volume, p. 37 et 38). Cette forme est commune surtout dans les Year Books. Du reste, ce n'est pas au subjonctif que nous devons rapporter cette chute du i', mais à l'infinitif, qui se présente sous les formes suite, suir, suer {cî. Infinitif) avec le sens du verbe anglais to sue'.

3. Lettres mouillées.

A. Perte de la mouillure étymologique.

Comme on le sait les verbes en ciiidve ont régulièrement une ;; mouillée au subjonctif présent, et cette consonne se conserve assez bien dans la plupart des textes anglo-français. On trouve par exemple ataigne (: Mortagne) au vers 36 du Siège de Carlaverok ; faigne Ç: Espavne) au vers 1638 du Prince Noir; feignent dans les Statutes (1275, I, 29), etc. ; ilestreigne (i et 2 Edw. II, 120).

Il arrive cependant que la consonne mouillée fasse place à la con- sonne simple : foyiie se lit dans la Chronique de Pierre de Langtoft (II, 202, 5), dans le corps du vers.

Pleine n'est pas rare dans les textes non littéraires; on trouve plu- sieurs exemples de cette forme dans les Statutes (cf. par exemple 1344, I, 301 ; 1363, I, 378) et surtout dans les Year Books.

Cependant, comme nous ne sommes assurés de cette forme par aucune rime, nous sommes en droit de nous demander si nous n'avons pas affaire ici à une graphie (///) insolite et irrégulière de la consonne mouillée.

B. Mouillure non étymologique.

I. n mouillée. Sous l'influence, comme il est probable, des verbes en einâre, nous voyons un certain nombre de verbes en endre

I. Pour suivre, on trouvera quelques renseignements dans : Brandt, Aqua und sequi; Frademann, Die Entwickelung von lat. qu im Franz., Kôrting, I, p. 199.

LE SUBJONCTIF 329

et en ondre prendre au subjonctit une ii mouillée à laquelle ils n'ont aucun droit.

Les deux principaux verbes soumis à cette irrégularité sont prendre et répondre.

C'est le verbe prendre qui semble atteint tout d'abord; les pre- miers exemples que nous rencontrons se lisent dans les poèmes du xii*^ siècle; aucun d'eux toutefois n'étant assuré par la rime à cette époque, il est plus probable qu'ils appartiennent aux scribes.

Le Psautier de Cambridge en a peut-être un, que nous avons eu l'occasion de citer à propos des désinences en ienl, de la troisième personne du pluriel: prenient (78, 8). Le Tristan de Thomas nous en oftVe un exemple moins douteux, quoique de date incertaine : preignent (au vers 962). Les auteurs du xiii^ siècle ont un grand nombre d'exemples de cette forme; trois au moins assurés par la rime : preigtic rime avec feigne au vers 4158 du poème d'Edward le Confesseur; avec enseigne au vers 7129 de William de Waddington, et la même rime se retrouve dans les Rubriques d'Edward le Con- fesseur (XXI, 4). D'autres cas, fort nombreux, se rencontrent dans le corps du vers : au vers 670 d'Edward le Confesseur; dans Saint Thomas (III, 128); aux vers 927, 1438 du Saint Auban. Plu- sieurs des exemples de ce siècle sont encore douteux, étant écrits par ci 71 sans g.

Au xiv^ siècle, nous pouvons citer : preygne dans Pierre de Langtoft (I, 44, 15); mespreygne (là. II, 4, 21); apregne (id., II, 164, 4), et dans le Prince Noir au vers 10 10.

Les textes littéraires par conséquent nous montrent que prendre a pris 1';/ mouillée peut-être à la fin du xii^ siècle, certainement dans la première moitié du XIII^

Les plus anciens textes non littéraires nous fournissent des exemples de preigne, ainsi les Statutes à la date de 1275 (I, 27), les Rymer's Foedera à la date de 1297 (II, 741), les Parliamentary Writs à la date de 1326 (II, 761), etc.

De plus, c'est la seule forme du subjonctif de prendre dans tous les Year Books : preiigne se trouve dans 32 et 33 Edw. P"", 33; preignoms, 12 et 13 Edw. III, 289; preigmi, 31 Edw. P"^, 425 ; 3 Edw. II, II) (Y), etc.

Nous verrons du reste tout à l'heure que, sauf dans les Year Books, prendre à une autre forme, en ge, pour son subjonctif.

^30 l'évolution du verbe en anglo-français

Nous ne nous arrêterons pas aussi longtemps sur répondre. D'abord dans la littérature, les exemples de la forme du subjonctif avec // mouillée sont très rares et très tardifs. On trouve cependant reipoific dans quelques manuscrits du xiv"^ siècle, par exemple à la page i8 du Dite de Hosebondrie de Walter de Henley et ailleurs assez fréquenmient. Cette dernière forme se rencontre encore dans les Statutes et dans les Rymer's Foedera ; elle est moins commune que respoigne qui est extrêmement fréquente dans les Year Books.

Nous verrons plus loin quelques exemples de ces formes.

2. / mouillée. Quelques verbes en Wrt' présentent assez fréquem- ment au subjonctif une / mouillée. Absoudre est même très commun sous la forme assoilk qui remonte au commencement du xiii'' siècle, puisque nous en trouvons un exemple dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 271). Du reste, dans la littérature, le subjonctifde ce verbe est assez peu employé. Au contraire, il est fort commun dans les textes politiques et diplomatiques; par exemple, on le trouve régu- lièrement employé dans la formule : « Que Dieu assoille «, formule répétée chaque fois que le nom d'un roi d'Angleterre défunt a été mentionné '.

Le verbe toldre apparaît aussi quelquefois sous cette forme ; mais son subjonctif est d'un usage restreint et les exemples sont assez rares. Citons le plus ancien que nous ayons rencontré : toilh, Dia- logues Saint Grégoire (70 b); et dans la langue politique, dans les Parliamentary Writs(i323, II, 520).

3. Graphies de la consonne mouillée. Pour les derniers verbes que nous avons cités, la graphie ne présente pas de difficulté: la mouillure est indiquée par /7/; pour la première classe, il en va tout autrement, // mouillée étant représentée de plusieurs manières. On trouve en particulier gn, ngn, ign, igni.

Par exemple on peut citer: pregne dans Rymer (1297, II, 741); respogne dzns les Statutes (1278, I, 46); prengne dans les Statutes (1275, I, 27); preigne dans les Parliamentary Writs (1326, II, 761); respoigne dans les Statutes (1275, ï. 28); preignie dans Rymer (1328, IV, 340).

Dans un certain nombre de cas la mouillure de cette consonne est à tout le moins douteuse; en particulier, lorsque le gtsi omis devant

I. Cf. le verbe anglais : to assoil.

LE SUBJONCTIF 3 3 I

\'n; si dans ce cas \'n est à la fois précédée et suivie d'un i, il nous semble qu'on peut regarder sans crainte les trois lettres itii comme une graphie qui n'est pas très rare de n mouillée : par exemple preinie. Mais lorsque la forme ne présente qu'un seul / avant ou après Vil, le doute est permis, comme pour les formes preyne dans Barthélémy Cotton (1295, 300); responie (id., 1295, 300); mais ces cas sont relativement rares.

C. SUBJONCTIFS EN lAM.

Les subjonctifs français provenant des subjonctifs latins en iani, forment la classe la plus nombreuse et la plus vivace des subjonc- tifs. Ils se distinguent de ceux qui proviennent de la désinence latine ain par une forme plus caractéristique, plus distincte de celle du présent de l'indicatif, tout en ne présentant pas des différences aussi profondes que celles qui séparent pour certains verbes de I les deux temps que nous venons de citer. D'une façon générale, ce qui caractérise les subjonctifs en iani, c'est la présence dans le thème d'un /, soit sous sa forme vocalique, diphtongant la voyelle (muire), soit sous sa forme consonantique (sache), soit sous la forme d'une mouillure (remaigne).

Par conséquent l'action de la palatale de la terminaison latine s'est surtout fait sentir sur le radicil : Ceci explique pourquoi nous n'aurons que très peu de chose à dire des désinences de ce subjonctif. Les seules personnes dont la terminaison a pu être influencée par la jod latin, sont celles qui portent l'accent sur la désinence, par conséquent la première et la seconde personne du pluriel.

L La désinence à la première et la seconde personne du pluriel.

a) Première personne du pluriel.

L'/ latin reste cette personne sous forme de / et la désinence est régulièrement ions qui, comme nous l'avons vu, peut prendre les formes eions, oions, iens.

Ces trois dernières ne se trouvent guère que dans les ouvrages qui n'appartiennent pas à la littérature (cf. supra Désinences per- sonnelles, première personne du pluriel).

332 L !• VOLUTION DU VHRUH KN ANGLO-FRANÇAIS

Cf qui doit nous occuper maintenant c'est l'extension de cette dernière forme et sa fortune en anglo-français. Nous pouvons résu- mer brièvement le traitement qu'elle a subi en disant qu'elle se ren- contre de temps en temps jusque vers it6o; qu'elle disparaît au xiii^ siècle complètement et qu'elle revient en usage vers le com- mencement du xn*^ siècle, surtout en dehors de la littérature.

Les exemples de la terminaison ions au xiii*-' siècle sont rares : nous n'avons du reste relevé qu'un nombre insignifiant de cette personne à ce temps; le dernier, croyons-nous, esi vieniinns dans les Quatre Livres des Rois (I, 19, 9).

Même au XII'-' siècle, on peut trouver des exemples tous dou- teux, nous l'avouons delà terminaison sans i, comme facum qui se lit dans les Légendes de Marie (XXIV, 48). Au siècle suivant, nous pouvons citer : criengons (subjonctif en ge) au vers 893 de la Vie de Saint Grégoire; viainuus (maindre) dans le Roman des Romans (au vers 184); seiims (de être) qui rime avec nus dans le Sermon en vers, Deu le Omnipotent (49); ainns au fol. 62 r" du Saint Julien; eiim dans les Heures de la Vierge (au fol. 65 v°); et plusieurs autres sans doute.

On trouve même plusieurs exemples de cette désinence au siècle suivant, quoiqu'il soit souvent difficile de reconnaître avec quelque certitude à quel mode une forme donnée peut appartenir. Citons toutefois seoDis dans les Parliamentarv Writs (1326, II, 755).

A cette époque cependant les formes régulières reviennent en honneur; nous avons déjà cité dans les textes politiques et diplo- matiques principalement des exemples de terminaisons iens qui remontent à 1299; elles ne sont pas très nombreuses, et nous ne les avons rencontrées, ce qui n'est peut-être qu'une coïncidence, qu'avec quatre verbes : être, pouvoir, avoir et vouloir. A la même époque, ou peut-être un peu plus tard, faire prend la désinence en eonis, et la forme faceoms est relativement comniune. Pour com- pléter ces quelques renseignements, nous devons ajouter que, d'une façon générale, ions est plus répandu que iens pendant tout le xiv'^ siècle.

Ces quelques mots suffisent à montrer comment les quatre formes ans, ions, iens, eons sont réparties. La première est spora- dique sauf au xiii^ siècle ; la seconde est assez commune au xii^ et au xiV ; les deux dernières affectent de préférence un petit nombre de verbes.

Le subjonctif 33^

b) Seconde personne du pluriel.

A la seconde personne du pluriel, 1'/ subit une évolution ana- logue; nous ne nous arrêterons pas sur ce point que nous avons traité en grande partie, lorsque nous avons étudié, dans les dési- nences personnelles, la terminaison /V~ aux différents temps. Qu'il nous suffise de dire que nous avons relevé des exemples de cette désinence régulière pour ces subjonctifs en iani jusqu'à la fin du xii'' siècle, et depuis le commencement du xlv^

Entre ces deux époques, c'est-à-dire pendant une partie du xii'^ siècle, tout le xiiiS peut-être les premières années du xiv^ et d'une façon sporadique postérieurement, on rencontre cqs terminai- sons sons la forme t'^.

L'auteur du Voyage de Saint Brandan, ou le scribe du manuscrit qui nous a conservé ce poème (1167), a déjà sache^ au vers 1048 ; Horn au vers 2754 nous donne sace^. Dans les poèmes de Chardri ces formes sont communes : faa':{ aux vers 12, 816, du Josaphat, etc.

Il en va de même pour le Saint Edmund Çd. vers 570) ; pour les poèmes de Frère Angier (cf. Vie de Saint Grégoire au vers 951); pour Boeve (cf. vers 634, 839, 1048, 1993); P^^^' ^^ Sermon en vers; Deu le Omnipotent (ee^, 1 19 d) : on en trouve des exemples dans la Plainte Notre-Dame au vers 31 ; dans Dermod au vers 645 ; dans l'Erection des Murailles de New Ross au vers 9, etc.

Comme on le voit, cette liste d'exemples nous mène jusqu'au xiv^^ siècle; et on pourrait en trouver d'autres postérieurement.

II. Le y ad i cul.

(Pour les terminaisons en />~, cf. Seconde Personne du pluriel.) Les subjonctifs français qui correspondent à un subjonctif latin en iaiu, étant, comme nous l'avons dit, très nombreux, leur radical se présente sous des formes très variées; comme ces formes dépendent en grande partie de la lettre finale du thème, il est indis- pensable de diviser ces verbes en différentes classes suivant que le thème se termine par une labiale, une dentale, une liquide ou une palatale; de plus il est commode d'étudier ensemble tous les sub- jonctifs qui se terminent en ce ou en ge. Le verbe être, à cause de

334 l'hvolutiox du verbe en anglo-français

la multiplicité de ses formes, pourra former une catégorie à part. Nous pourrons ainsi distinguer sept classes dans les subjonctifs en iam :

1 . Verbes à labiale (b et p).

2. Verbes à dentale (d et /).

3. Verbes à liquide (/ et n, ;).

4. Verbes à palatale {c, g, k). 3. Subjonctifs en ce.

6. Subjonctifs en ge.

7. Subjonctif du verbe être.

I. Verbes à labiale.

Cette classe comprend avoir, devoir, savoir et tous les verbes en cevoir. Il n'y a que fort peu de choses à dire du premier de ces verbes ; on sait que la troisième personne du singulier a perdu son e dans les temps prélittéraires, et il n'apparaît jamais en anglo- français. La diphtongue du radical est tantôt ai, tantôt ei\ quelque- fois elle se laisse influencer par la terminaison et prend des formes plus ou moins irrégulières. Elle se réduit parfois à a, devant une terminaison accentuée, comme ae^ au vers éi2 de la Folie de Tris- tan; ai'Diis, Saint Julien 62 r°; assez souvent ie dans les mêmes con- ditions : eunis au folio 65 des Heures de la Vierge; ce:{ZM vers 1658 du Saint Gilles, même devant une terminaison atone; eent se lit dans les Royal Letters Henry III (1258, p. 131); dans les Sta- tutes (1297,1, 124); dans lesParliamentary Writs (1305, I, 121). Ces derniers exemples montrent que cette réduction de la diph- tongue a déjà eu lieu dans la secoi>de moitié du xiii^ siècle.

On trouve même la diphtongue oi au vers 2577 de la Vie de Saint Grégoire oie, habeavi, rime avec o/V, nudiat. Faut-il rappro- cher cet exemple de ceux que citent M.Suchier (Voyelles toniques, p. 74, 27 e)et M. Stimming (op. cit., p. 196 et 200)?

Nous serions plutôt tentés de considérer cette forme comme un des nombreux cas le désir de rimer a fait commettre à l'auteur un barbarisme. Cela peut cependant étonner de la part de Frère Angier,

Malgré les exceptions que nous venons de citer, la graphie ei ou ai est de beaucoup la plus commune dans les œuvres littéraires.

LE SUBJOKCTir 335

Les textes non littéraires emploient de préférence, dans la plu- part des cas, comme dans les Lettres de Jean de Peckham, la forme avec la diphtongue ei; on pourrait multiplier les exemples en pre- * nant à peu près au hasard dans les Statutes, les Parliamentary Writs, Rymer. La diphtongue ai est plus rare, on la rencontre un petit nombre de fois dans les Statutes : aitÇiij^, I, 28), ^/w/ (1305, I, 144). Elle est plus commune dans les Rymer's Foedera, princi- palement après 1340; mais elle n'est jamais aussi employée que l'autre.

Devoir présente à l'origine la forme étymologique : le Cumpoz a deiet (au vers 127), le Voyage de Saint Brandan a deies (au vers 56), etc.. Ce n'est qu'un peu plus tard que nous trouvons au sub- jonctif le V de l'infinitif et des formes à terminaison accentuée; le premier exemple ' que nous ayons relevé de cette forme se trouve dans le Tristan de Thomas: deive au vers 154; rien ne nous dit qu'il ne faille pas l'attribuer au scribe, d'autant plus que la forme étymologique se rencontre dans le même poème et plus fréquem- ment que la forme analogique (cf. par exemple au vers 2962); cependant la forme moderne se rencontre très fréquemment après Thomas; les Quatre Livres-des Rois nous en donnent un exemple assuré (III, i, 27); Fantosme l'emploie au vers 137. L'on peut tirer de Chardri un grand nombre d'exemples de cette forme; rien que dans les Set Dormans nous trouvons la forme avec v aux vers 1104, 1248, 1298, etc. Saint Edmund en montre au moins un cas au vers 838; Robert de Gretham au folio 58 r°. Et il en est ainsi durant tout le xiii^ et le xiv^ siècle. La forme étymologique a donc disparu complètement.

Quant à la langue politique, diplomatique et familière, elle ne connaît que la forme avec v, que l'on trouve assez fréquemment : dans les Statutes, doive (1306, I, 248); dans le Liber Albus, deyve (1334, 420). Nous n'avons pas relevé d'exemple antérieur à 1306. Dans les Year Books, on a bien deyve {21 Edw. I", 59), (1293); mais cette forme date-t-elle bien de 1293, ou faut-il l'attribuer au scribe ? Il est certain qu'elle est très fréquente et très régulièrement employée dans ces recueils; il est à croire que si les copistes avaient eu sous les yeux des textes portant quelquefois deie, ils n'auraient

I. 11 est imtérieur d'un siècle, ou environ, à la date assignée par M. Meyer- Lùbke.

336 L^ÉVOLUTION DU VERBK EN ANGLO-FRANÇAIS

pas manqué de copier correctement au moins un certain nombre de fois; ce qui montre que la forme avec v est vraisemblable à la date que nous venons d'indiquer.

Le verbe savoir ne soulève qu'une question, c'est celle de la forme que prend la labiale du thème devant la terminaison. On a souvent répété qu'en anglo-français, savoir, sous l'influence de faire, prend au subjonctif le thème sac- ; ceci n'est vrai qu'en partie, et nous allons voir que, somme toute, le subjonctif avec la chuintante est plus employé que le subjonctif avec la sibilante '.

C'est la forme sace, il est vrai, que l'on trouve dans les premiers ouvrages anglo-français pour les trois personnes du singulier ; le Cumpoz en montre un exemple au vers 261; dans le Voyage de Saint Brandan elle rime au vers 3028 avec glace; au vers 41 19 du Sermun de Guischart de Beauliu, avec face. A l'intérieur du vers, les exemples, moins sûrs, sont beaucoup plus nombreux, comme dans l'Estorie des Engleis et la Chronique de Jordan Fantosme. Néanmoins, même à cette époque et pour ces trois personnes du singulier, les formes étymologiques ne sont pas rares. Nous devons reconnaître que nous n'en voyons jamais à la rime ; mais les Quatre Livres des Rois nous fournissent plusieurs exemples qui datent de la seconde moitié du xii" siècle; ainsi, nous y lisons : sache (I, lé, 16; I, 20, 3 ; III, 3,9); en tout une dizaine d'exemples contre deux ou trois avec la sibilante. Mais cette proportion de formes étymologiques est très rare pendant ce siècle; on trouve surtout des exemples isolés, comme dans le manuscrit B du Psau- tier d'Oxford (38, 5); ou au vers 237 du Drame d'Adam et aux vers 323 et 332 de la Vie de Sainte Catherine ou à la rime (: arache) au vers 1253 de l'Ipomédon : la forme en ce domine certainement à ces trois personnes.

Il n'en va pas de même pour les formes à terminaison accentuée, et peut-être aussi pour la troisième personne du pluriel. Il nous semble évident que pour la première et pour la seconde personne du pluriel la consonne étymologique s'est beaucoup mieux main- tenue que pour les personnes du singulier.

I. Pour le subjonctif de savoir, on pe-ut consulter Mail, Introduction du Cum- poz, p. 92; Rolfs, Rom. Forschungen, p. 219; Rôttiger, le Tristan de Thomas, p. 46 ; Settegast, Benoît de Saint-More, p. ,)•

LE SUBJONCTIF 337

Nous n'essaierons pas de citer tous les exemples que nous tour- nissent les textes de cette époque, nous ne donnerons qu'un petit nombre de formes de la seconde personne du pluriel sacbei- On la trouve au vers 1048 du Brandan ; au vers 214 de la Chronique de Jordan Fantosme ; dans Horn au vers 1739 ; trois fois au moins dans les Quatre' Livres des Rois {cï. I, 6, 9); contre une forme en c (I, 9, 6) ; au vers 1447 de la ^'ie de Sainte Catherine, au vers 7301 de l'ipomédon, etc. Comme on le voit, la plupart des auteurs ont conservé un certain nombre d'exemples de la forme correcte, et l'emploient ordinairement plus souvent que la forme analogique. Les exemples de sachent, moins nombreux, il est vrai, que les exeinples des personnes précédentes, ne sont cependant pas rares. Citons : le vers 581 de Gaimar ; et dans les Quatre Livres des Rois ÎII, 14, 25, le seul exemple de cette personne.

Quoique, aux formes accentuées sur la terminaison, rb soit com- mun, il n'est pas à dire pour cela que les tormes en r soient absentes. Saciei se ti'ouve par exemple dans le Cumpoz au vers 125, sace:^ dans Horn au vers 2754, sacu\ au vers 170 de la Vie de Sainte Catherine, et probablement ailleurs encore. Néanmoins les exemples que nous avons relevés montrent que, pour ces personnes, les formes avec chuintantes sont certainement en majorité.

Au siècle suivant, r/.n"eprend du terrain à toutes les personnes. Ce fait du reste suffit pour nous faire douter de 1 âge des exemples de rh que nous venons de citer. Aucun d'eux n'est assuré par la rime et, sauf sacheui, ne peut l'être. On pourrait donc trouver naturel d'attribuer aux scribes les exemples ci-dessus. De cette sorte il n'en resterait plus qu'un petit nombre, celui du Saint Rrandan et ceux des Quatre Livres des Rois, à appartenir au xir siècle. Evidem- ment on ne peut ici que choisir entre deux hypothèses. 11 semble toutefois malaisé d'admettre que l'exemple du Saint Brandan soit isolé et que la forme en ch ait apparu tout à coup sans qu'on puisse ratrouver les anneaux de la chaîne qui doit relier les formes du XIII'-' siècle au latin sapiain. On ne peut croire que la torme étymo- logique ait disparu entièrement pour reparaître subitement.

Il est donc vraisemblable que, même si cJ) n'a été à aucune per- sonne plus commun que r au xn^ siècle, il a exister un nombre asse;^ considérable de formes étymologiques.

C>\ du reste, se rencontre encore souvent au xiir' siècle ; sacc se

33^ l'évolution du verbe en anglo-français

trouve par exemple dans Chardri (dans les Set Dormans, vers 1396, etc.); il rime dans le Saint Laurent avec grâce (au vers 699); même sace^ se trouve encore dans le Josdphat de Chardri (vers 8x6). Il est assez commun dans le Saint Auban qui en ceci diffère des autres auteurs : dans ce poème on peut lire^^^^ aux vei'^ ^90, 610, 1304, 1520; on le rencontre encore dans Dermod au vers 2519; néan- moins le nombre de formes avec c est beaucoup moins considérable que celui des terminaisons en ch : celles-ci se lisent un peu partout et à toutes les personnes : sache se trouve dans la Vie de Saint Gré- goire au vers 1399; sachons, page 6, vers 21 des Dialogues (Timo- thyCloran), dans Chardri, Josaphat, 331, Set Dormans, 1397; sache::;^ au vers 570 du Saint Edmund; dans Boeve, 859; dans Dermod, 645 ; dans l'Erection des Murailles de Nevv' Ross, 9 ; etc. Il est dif- ficile d'établir la proportion de ces deux formes. Disons que dans les poèmes de Chardri, de même que dans le Saint Edmund, il y a environ deux fois plus de formes en ch que de formes en c. Ces chiffres ne sont que des approximations ; mais ils montrent qu'au commencement du xiii^ siècle, c est en état d'infériorité sur ch.

Enfin, comme il est naturel, la forme régulière dépossède com- plètement la forme analogique au xiv*^ siècle ; sache se trouve par- tout : dans Pierre de Langtoft (I, -jo^, 22) et passiiii ; dans les Heures de la Vierge, dans la Genèse, dans Foulques Fitz Warin, p. 83; aux vers 363. 467, 1177, 1345, 1399, 1402, 1583 de la Vie de Saint Richard.

En résumé, dans la langue littéraire, la forme avec sibilante fait son apparition dès les débuts du xiii" siècle et afiecte spécialement les formes accentuées sur le thème ; mais la forme étymologique ne disparaît jamais complètement et après un certain temps reprend peu à peu le terrain qu'elle avait perdu ; vers la fin du xii' siècle, les deux formes sont employées simultanément et à peu près avec la même fréquence, la forme régulière se trouvant principalement aux personnes accentuées sur la terminaison ; pendant tout le xiii*^ siècle, les progrès de la forme avec la chuintante continuent si bien qu'au siècle suivant celle-ci est générale, l'autre ne subsistant guère qu'à l'état d'archaïsme et de souvenir.

Nous n'avons pas relevé un seul exemple de la forme sac dans les écrits non littéraires; on trouve au contraire des centaines d'exemples de la forme avec ch. Les textes les plus anciens aussi

LH SUBJONCTIF 339

bien que ceux qui datent de la fin du xiv- siècle ont toujours sach à toutes les personnes, par exemple, le Liber Custumarum (1237, 64), Royal Letters Henri III (1261, 168; 1265, 298); les Sta- tures (1275, I, 29); Jean de Peckham (1280), et le xiv^ siècle ne connaît pas d'autre forme. Tous les Yeâr Books emploient aussi la forme avec ch, et fréquemment.

On peut toutefois observer, et nous terminerons par là, quelques changements dans la voyelle du radical ; il arrive qu'elle se pré- sente sous la forme ai : saicheà-àns les Rymer's Foedera, 1364, VI, 459; ou qu'une i parasite s'introduise entre la voyelle du thème et la chuintante: sasclje dans Jean de Peckham, 1289, 703 ; ou encore que le c soit répété devant 1'/.': sacche, Statutes, 1299, I, 132. Mais ces variations n'ont que peu d'importance ou aucune importance ; elles sont très rares et savoir conserve très régulièrement la forme correcte.

2. Verbes à dentale.

Les verbes à dentale ne nous arrêteront pas longtemps; ils sont toujours très réguliers dans la langue littéraire : nous avons déjà signalé le veit du Psautier d'Arundel (9, 31 ; 13. 3) (= z7Wm/)dans lequel la terminaison s'est allégée de Ve muet ; et dans le Psautier d'Oxford, esjol (96, i); dans ce dernier cas aussi Ve. delà désinence a disparu, mais les deux cas sont entièrement différents : le premier montre une réduction purement phonique, le second est une assi- milation aux subjonctifs en cm, comme le prouve csjocnt, du même Psautier (39, 22). Du reste cette assimilation est rare ; elle se ren- contre uniquement dans le Psautier d'Oxford et encore n'v est-elle pas constante; on lit en effet esjoied {<)•), 11); esjoicvt (24, 31). Cf. joie des Heures de la Vierge (62 r").

Une autre réduction, phonique comme la première, mais d'un genre différent se produit encore pour le verbe voir. Ce subjonctif présente sotivent dans son thème la voyelle e, au lieu de la diph- tongue, comme veeni qui se lit dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1305, 121) et dans plusieurs autres endroits.

C'est un phénomène purement phonique dont nous avons vu déjà plusieurs exemples.

^-|0 1 ï:\ O) LTION Dli VRRUE EN ANGLO-J-RANÇAIS

3. Verbes à liquide.

Lorsque le thème du verbe est terminé par une liquide, on sait que la palatale de la désinence agit de deux fliçons suivant la nature delà dernière consonne du thèiue. Si celle-ci est /ou //, la palatale la mouille; si c'est une r, un /apparaît dans le thème. Ce dernier phénomène se produit même quelquefois lorsque la dernière con- sonne du thème est ;/ ou / et il n'est pas toujours tacile, ni même possible de déterminer dans chaque cas lequel de ces deux phéno- mènes s'est produit,

A. Mouillure. Nous étudierons successivement :

Les graphies de la mouillure.

La perte de la mouillure.

Les changements subis par la vovelle ou la diphtongue du thème.

Graphies de la mouillure.

a) I mouillée. L'/ mouillée est ordinairement exprimée par //, un peu plus tard par ///. On trouve ainsi voile au vers 17 du Voyage de Saint Brandan, au vers 22 de l'Erection des Murailles de New Ross, etc.; vaille au vers 1046 de Thomas; au vers 636 du Drame d'Adam ; dans la Vie de Saint Grégoire au vers 2718, etc., etc., ou encore viiillc qu'on lit au vers 1762 du Tristan de Thomas et dans un grand nombre d'autres cas. Les autres verbes peuvent nous donner de nombreux exemples : doile et failet, tous les deux dans le Saint Brandan, respectivement aux vers 18 et 994 ; on peut citer pour plu- sieurs interrimes, pour vaille, faille et chaillc : dans Horn au vers 1796 ; dans Adgar, XXIX, 23.

Lorsque la voyelle finale disparaît, une seule / subsiste comme dans w// (3^ personne du sing.), au vers 1505 de Boeve de Haum- tone.

La mouillure de 1'/ est exprimée dans les ouvrages non litté- raires d'une manière à peu près uniforme, au moyen d'une /double précédée le plus souvent d'un / ; par exemple voilie ou vitille que Ton trouve partout : Statutes, Parliamentary Writs, Jean de Peckham, Rymer, etc. Il arrive que, pour vouloir spécialement, cet /disparaisse :venle se lit dans les Statutes (1378, II, 9) ; dans les Rymer's Foedera (1370, VI, 669); 1'/ dans ce cas est-elle encore mouillée ? Il est impossible de l'affirmer. Enfin, il n'est pas rare

LE SUBJONCTIF 341

que 17 soit répété après 1'/, comme dans voillii' dans le Blacke Booke of the Admiralty (1291,11, 28, 30, 36. 42), Historical and Municipal Documents of Ireland (13 19. 407); Documents Inédits (1382. 237).

/') /.' mouillée. Vu mouillée est ordinairement exprimée par la graphie it^n ; c'est même la seule graphie que nous ayons rencontrée au xir siècle et même au XIII^ C'est dire que les exemples sont nombreux. Citons d'abord ceux qui proviennent de remaneat : rcniaigne se lit au vers 239 du Bestiaire; au vers 4334 de l'Estorie des Engleis ; dans les Quatre Livres des Rois(I, 5, 7); au vers 2879 de Horn. Tl rime avec enseigne au vers 984 de la Vie de Saint Grégoire et se retrouve encore dans la Vie de Saint Lau- rent (vers 58) ; dans Simon de Montfort (vers 28)-

Nous citons m.iintenant tous ces exemples parce que nous ren- contrerons tout à l'heure pour ce même verbe une forme diffé- rente, très employée aussi.

Venir et tenir ne nous offrent pas d'exemples en aussi grand nombre et ils ne remontent pas aussi haut. C'est que la première forme du subjonctif de ces verbes, comme nous le verrons, pré- sente ge (cf. ci-dessous); on ne trouve la lettre mouillée qu'au xiii" siècle; et elle est écrite tout d'abord par gn, comme veigne:{ au vers 734 de Boeve de Haumtone ; à cette époque et même au siècle suivant elle est très commune. La seconde graphie de 1'/; mouillée prend la forme //^i^//. comme dans iw/i^'-^/c dans les Vies de Saints de Nicolas Bozon (94 v°). et elle se rencontre dans la plupart des auteurs du xiv^ siècle. Celle qui ne montre pas le i,^ est plus rare et on peut se demander si la mouillure subsiste dans veinient, au vers 59 de Boeve de Haumtone, venye dans Pierre de Langtoft (I, 352. 23).

Telles sont, au point de vue de la lettre mouillée, les principales graphies que nous trouvons dans la langue littéraire. Mais l'énu- mération n'est pas encore complète.

Les formes que tenir et venir prennent au subjonctif sont encore plus nombreuses dans la langue politique et diplomatique que dans la langue littéraire ; nous ne pouvons même espérer dresser ici une liste complète des graphies de Vn mouillée, mais nous croyons pouvoir en donner les principales. Il est difficile de classer toutes les formes que nous avons rencontrées ; en eflet, l'ordre

^^2 I. HVOLUTION DU VHKI51-, I.N A N(;L0-] KANÇAIS

chronoloi^iquc, qui serait Tordre logique, est impossible à déter- miner.

Nous avons d'abord, comme dans les œuvres littéraires, un nombre considérable de subjonctifs avec gn, comme veigne qui se lit dans les premiers statuts (Statutes, 1282, I. 53 et pass'mi), dans les Parlianicntary Writs (1325, II, 724), dans les Rymer's Foedera (i32(->, I\', 2 ri); ou avec iigii, vcugiic, dans les Early Statutes of Ircland (1285, 48), Il n'est pas rare de trouver o-n précédé ou suivi (même précédé et suivi) d'un / : les formes comine veignieni qui est employé dans les Statutes à différentes reprises (13 11, I, 160 ; 1330, I, 268), ou comme vieigne qu'on lit dans les Rymers Foedera (1379, VII, 226) sont moins nombreuses que les précédentes mais assez fréquentes. Elles datent du commencement du xiv^ siècle.

Une autre forme se présente communément ; mais il est probable que la mouillure ne s'y trouve plus ; c'est celle qui présente ng ' comme vengent qu'on lit dans les Statutes (1267, I. 97 ; 1286,!, 210), dans les Traités de Rymer (1268, I, 8^)8) dans les Memorand. Pari., 1305 78) ou tinge qu'on lit dans Rvmer, sous la date de 1268 (I, 248).

Ces formes, comme on le voit, sont anciennes, 1'// v est-elle tou- jours mouillée? Nous l'ignorons.

Quant aux Year Books, ils montrent pour la consonne tinale du radical toutes les graphies ci-dessus, et peut-être quelques autres encore, mais^«, ngn, ign sont parmi les plus employées.

Les formes que nous venons de citer sont, comme on le voit, assez nombreuses ; nous croyons même que les exemples qui pré- cèdent montrent toutes les façons dont il est possible de représenter Vn mouillée.

Perte de la mouillure .

En citant plusieurs des exemples précédents {voil, veulle et venge, veinienl, venye) nous nous sommes déjà demandés si la mouillure subsistait ; il est tout aussi possible qu'elle ait disparu dans ces quelques formes que dans celles que nous allons maintenant énu- inérer. Et pour être exacts, nous devons dire que nous ne sommes certains de la disparition de la mouillure pour aucune des formes qui suivent. Le plus que nous puissions affirmer c'est qu'elle n.'est

I . Ce sont plutôt des subjonctifs en gc ; cependant on ne saurait affirmer qu'il n'v a pas eu mouillure. Cela cependant semble y&\} probable.

LE SUBJONCTIF 343

.pas apparente dans la graphie. Il est probable pourtant qu'elle n'existe plus dans vidle qu'on lit au vers 2373 du Tristan de Tho- mas, ni dans vueulle qui se trouve dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1357, 521).

Pour remaindre nous avons un plus grand nombre d'exemples et heureusement deux au moins sont assurés par la rime. Et ces deux exemples assurés nous permettent d'avoir moins de doutes pour tous les autres.

Les manuscrits L et D de l'Estorie des Engleis nous donnent au vers 4333 la rime reiiieinc (^: pleine) ; et cette nième rime se retrouve dans The Song of the Barons (au vers 66). A côté de ces exemples assurés, nous en avons plusieurs douteux : inainiiiis au vers 184 du Roman des Romans ; remet ne dans le Josaphat de Chardri (au vers 1735); reniament dans les Annales du Monastère de Burton (1259, 492) et dans Barthélémi Cotton (1295, 300), etc.

L'exemple de Tristan et celui de l'Estorie des Engleis nous montrent que vouloir et remaindre ont perdu la mouillure, assez rarement, il est vrai, dès la seconde moitié du xir' siècle ; pour tenir et venir, nous n'avons pas, sauf dans ces cas qui nous montrent la terminaison ^^e, d'exemple aussi ancien ni aussi sûr, ceux que nous avons appartiennent tous aux textes politiques et diplomatiques.

Il arrive en effet dans ces ouvrages que la mouillure dispa- raisse au moins dans l'écriture : on trouve vyne dans les Literae Cantuarienses à plusieurs reprises (1326, 177; 1327, 919); twc se lit dans le même recueil (1326, 177), un petit nombre de fois dans les Rymer's Foedera et assez fréquemment dans les Year Books (cf. 20 et 21 Edw. P"", 67, etc.).

Nous avons relevé encore un certain nombre d'autres exemples qui sont, à dire le moins, assez douteux, comme le veigniit des Early Statutes of Ireland (1326, 312). Il est possible que ce dernier exemple et quelques autres qu'on trouve dans Rymer soient des erreurs des scribes; nous ne pensons pas qu'il en soit de même pour les exemples des Literae Cantuarienses.

Elément vocalique du radical.

Ce que nous- venons de dire de la mouillure de Vh est en somme

^44 I. HVOI.UTIOK DU VHRHE KX ANCiLO- 1- KAXÇAIS

général, quoique nous n'ayons trouvé, comme exemples que les formes du verbe vouloir. Dans l'étude du radical des verbes de cette catégorie, nous n'aurons à parler que de vouloir, tenir et \enir, tous les autres étant réguliers.

Le premier de ces verbes présente au subjonctif étymologiquement la diphtongue ol, qui aboutit régulièrement àuiet par conséquent à //. Cette évolution phonique est normale et par conséquent ne sau- rait nous arrêter ici ; on pourra trouver ci-dessus des exemples de ces trois former.

D autres radicaux se trouvent qui nont pas la même régularité, et ne procèdent pas du radical étymologique par un développement aussi normal. Nous devons donc nous en occuper.

La diphtongue <'M qui montre probablement l'influence du présent de l'indicatif, est très commune dans la seconde partie du xiv" siècle, nous en donnons quelques exemples plus haut. Nous devons faire observer que le dernier, tiré des Actes du Parlement d'Ecosse, présente la triphtongue iteii : vmiille (1357, 5 21). Nous avons peut-être ici un développement de la vovelle //, ou un emprunt à l'indicatif.

Une autre forme pourra sembler plus extraordinaire encore ; c'est celle qui présente la diphtongue «" ; elle est loin d'être rare et remonte à la fin du xin"-' siècle : veille se lit dans les Statutes (1273. I, 29), dans les Early Statutes of Ireland (1285, 48), etc. Hlle est surtout commune dans les Year Books. Mais l'origine de cette diphtongue ne nous semble pas faire de difficulté : on ne doit y voir qu'une graphie de ai qui s'est produite par umgekehrte Schreibung après que ei a passé à ai.

Oei est plus rare ; cette triphtongue se trouve dans les Rymer's Foedera (1330, IV, 950) et passini ; mais les exemples que nous en avons appartiennent pour la plupart à la dernière partie du xiV^ siècle.

L'élément vocalique du radical des deux verbes, tenir et venir, montre aussi des variations assez importantes, et ici encore il est délicat de faire exactement le départ entre les formes phonique- ment régulières et celles qLii ne proviennent pas par une évolution régulière des formes originales. Aussi nous nous contenterons de signaler les différentes modifications que nous avons relevées sans nous y appesantir. L'élément vocalique du radical passe de ie à ei,r

LE SUBJONCTIF 34)

et même /. Quelques-uns de ces changements sont connus clans la phonétique anglo-française (cf. Suchier, Voyelles toniques, p. 87, § 29 e ; Stimming, Boeve de Haumtone, p. 202). Seul le passage de ic à ci n'a pas été signalé ; il est évidemment postérieur au passage de la diphtongue ci à la prononciation dV ouvert et à la réduction de la diphtongue ic kc. La diphtongue ei comme graphie de l'élé- ment vocalique du subjonctif de tenir et de venir est très commune dans les textes littéraires; les scribes du xiv*^ siècle l'emploient très fréquemment, par exemple vei^nc:^ au vers 734 de Boevc de Haum tone (B) ; de même les écrivains de ce siècle (cf. les exemples de Pierre de Langioft cités plus haut). Elle n'est pas moins commune en dehors de la littérature, et on la trouve dans les premiers textes des Statutes, dans les Mem. Pari., 1305. Pour ce qui est des voyelles (' et /, nous n'avons ici que peu de remarques à foire : les radicaux de ces verbes avec e se rencontrent déjà au xiii'' siècle ; ceux avec / vers la fin du même siècle. Remarquons qu'il est très rare de trouver IV employé sans être nasalisé, tandis que 17 se ren- contre fréquemment sans ;/ : par exemple, on trouve ligne, vigiic au vers 2075 du Manuel des Péchés; au vers 1993 de Boeve (B) ; au folio 68 des Heures de la Vierge et fréquemment dans les Contes de Nicole Bozon. La ïorme tingnc, vingne est assez rare (cf. Rymer's Foedera, 1268, L 848). Rappelons les formes tyne, vvne des Literae Cantuarienses, et le fait que les Year Books ne semblent connaître que les radicaux en i.

B. L'/ passe dans le thème sans mouiller la consonne finale.

Lorsque le thème est terminé par /', la palatale n'afiecte pas cette consonne, mais passe dans le thème sous la forme d'un /.

Nous trouvons des exemples de ce phénomène dans les verbes mourir, quérir, férir. Ici encore nous pouvons observer la réduction des deux diphtongues ie et ni aux voyelles é' et // ; et cette question ne nous regarde pas. Disons seulement que le passage de ic à c dans ces thèmes peut se remarquer dans les textes du xir' siècle (cf. (jiicrcf dans le Psautier de Cambridge, 9, 34); tandis que la diph- tongue ni subsiste jusqu'au milieu du xiii*^ siècle. Ce qu'il nous appartient de signaler, c'est l'emploi de oc au lieu de la diphtongue régulière, par exemple dans inocrc qu'on lit au vers 465 du Petit Plet de Chardri, mais qui doit appartenir au scribe.

^6 l'Évolution du verbe en anglo-françals

4. Verbes à palatale.

Les verbes dont le thème est terminé par une palatale nous oftrent la matière de quelques remarques : nous trouvons que 1'; du thème à la palatale se maintient fort bien ou disparaît d'une façon normale. Nous allons citer un certain nombre d'exemples de la torme plaise, afin de rendre évident le fait, dont nous aurons besoin plus tard, que cette forme a été très employée dans la langue littéraire; on la trouve dans les trois Psautiers : Psautier d'Oxford (55, 3); de Cambridge (39, lé) ; d'Arundel (39, 16; et 18, 14 : plaissent'). Ce subjonctif apparaît une fois sous la forme plaise dans les Quatre Livres des Rois (I, 15, 22); pleise se rencontre encore dans les Dialogues Saint Grégoire (24 r°a) ; cette forme est souvent employée rimant avec eise dans les Dialogues Saint Gré- goire (3 a), dans le Petit Plet de Chardri (vers 96 et 523), dans l'Ordre de Bel Eyse (248) ; dans la Manière de Langage (388). Par conséquent cette torme est fréquemment assurée jusqu'à la fin du XIII'' siècle, et les exemples sont encore très communs dans le corps du vers, sinon à la rime, pendant tout le siècle suivant.

Le verbe taire prend la même forme : taises dans le Psautier d'Oxtord (27, 1) et de Cambridge (20, 14). Nous n'avons pas un très grand nombre d'exemples du subjonctif de ce verbe, par con- séquent les rimes ne peuvent pas être très fréquentes, nous avons relevé teyse rimant aussi avec eyse dans l'Ordre de Bel Eyse (au vers 13).

Un des verbes appartenant cette classe a un subjonctif terminé assez régulièrement par ace : faire. Nous n'avons noté aucun chan- gement dans la forme du subjonctif de ce verbe : face se rencontre invariablement dans chaque auteur. L'importance de cette forme réside surtout dans l'action qu'elle a exercée sur d'autres verbes ; faced. entraîné la formation d'un certain nombre de subjonctifs en ace. La plus constante de ces nouvelles formations est hace, sub- jonctif de haïr. On la trouve assez communément : par exemple à la rime du vers 765 de Jordan Fantosme et du vers 1420 deGuischart de Beauliu(/iîr^.- place : sace : hace') ; dans Robert de Gretham, 84 et passim. Cette même rime se trouve encore dans la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking au vers 155.

LE SUBJONCTIF ^47

Plaire a aussi subi dans une certaine mesure l'influence du sub- jonctif défaire; mais le nombre assez considérable des exemples de plaise que nous axons cités ci-dessus montre que cette influence, qui a été parfois exagérée, n'a pas été considérable. Voici une liste assez longue, et que nous avons tâché de faire aussi complète que possible des exemples de la forme place que nous avons relevés dans les textes littéraires. Nous ne prétendons pas les avoir relevés tous, mais ils suffisent pour nous montrer que le subjonctif de plaire modelé sur face n'a jamais été aussi commun que la forme régulière. Le traducteur des Quatre Livres des Rois emploie un petit nombre de fois (trois fois, croyons-nous) la forme place (cf. I, 12, 21); on la trouve encore dans la Chronique de Fantosme (au vers 1937) ; dans le poème de Horn (au vers 3032) ; et dans la Vie de Sainte Catherine (au vers 34) ; Guischart de Beauliu la fait rimer (au vers 1411) avec face. Nous relevons quelques exemples de cette forme dans les poèmes de Frère Angier, ainsi au vers 2298 de la \'ie de Saint Grégoire et au folio I27v° b des Dia- logues; on la trouve un nombre à peu près égal de fois dans Char- dri : au vers 1330 des Set Dormans et 918 du Petit Plet. Nous l'avons rencontrée deux fois dans le Saint Thomas (cf. I, 50 ; IV, 64); puis au vers 1924 de Boeve ; 13 15 du Saint Auban ; 129 1 de Dermod. Elle est extrêmement rare dans les ouvrages du xiv siècle, nous ne nous souvenons pas de l'avoir jamais rencontrée à cette époque ' .

Les subjonctifs des verbes qui ont un thème à gutturale sont très réguliers dans la langue diplomatique et politique : on trouve face partout, eiifiie, isse, gise, lise (liceat). Plaire lui-même est tou- jours très correct; dans tous les textes que nous avons lus, le sub- jonctif de ce verbe est naturellement assez commun : il revient constamment dans certaines formules et est employé en outre dans un bon nombre d'autres cas ; or, la forme place ne se rencontre

I . Dans la Vie de Saint Gilles, Gaston Paris cite deux cas de place, vers 147 dire 148) et 2287. En réalité ces deux « subjonctifs » sont deux substantifs : voici ces deux vers :

Sempres s'aiinent en la place (148).

Del cheval descent en la place (2287).

Fn réalité, il n'\- n dans le Saint Gilles aucun cas du subjonctif' de plaire.

7,^S l'Évolution du verbe en anglo-françals

jamais. Voici quelques exemples de plaise: on le trouve dans les Rymer's Foedern (1270, 1,862; 1309, III, i')0 el passiin), dans les Mem. Pari. 1305 56, etc.), fréquemment dans les Statutes (1350, I, 317; 1353,1, 330, 1362,1, 376) et dans plusieurs autres endroits. Il en va de même pour tous les autres recueils. La forme régulière se maintient, avec de rares modifications dans le radical que nous verrons plus tard, jusqu'à la fin du xiv^ siècle.

Les radicaux des verbes de cette catégorie ne montrent pas de changements qui leur soient propres ou qui proviennent de l'in- fiuence de la terminaison. Nous ne citerons que pour mémoire les différentes formes que prend la diphtongue dans le verbe plaire: ni, ei, e; nous ne trouvons que deux formes plus rares qui puissent nous arrêter un peu plus longtemps ; ce sont Jease pour face qu'on lit dans les Literae Cantuarienses (1330, 336), et please qui est répété une dizaine de fois dans le Liber Custumarum (1377, 459) et dans quelques autres recueils. Nous verrons que en est dans le verbe une modification assez rare mais qui n'est pas inconnue de la diphtongue ai '.

5. Subjonctifs en ce des verbes de III.

Nous avons déjà eu l'occasion de mentionner certains verbes de la première conjugaison : ester, manger, rover, trover, qui ont un subjonctif en se ou ce. Ce ne sont pas réellement les subjonctifs en ce, car l'.v que nous retrouvons au subjonctif de ces verbes semble faire partie, autant qu'on peut en juger, du thème de la première personne du singulier du présent de l'indicatih C'est à la troi- sième conjugaison que nous trouvons réellement des subjonctifs en ce-.

L'anglo-français ne nous montre avec ce sutrixe que trois verbes de III, mais ils se trouvent assez fréquemment employés ; ce sont les verbes choir, estovoir, seoir et ses composés.

Le premier de ces verbes, qui du reste ne nous a pas fourni un très grand nombre d'exemples pour 4e subjonctif, présente presque

1. Cf. Infinitif, notre seconde partie, chapitre M ; et comparer au verbe anglais to please.

2. Cf. Setiegast, J. César, XXX.

LE SUBjONCTll- 349

toujours le suffixe ce. Le premier exemple que nous connaissions de la forme chiece se lit dans le Psautier de Cambridge (34, 9) côté de cheent, 5, 11). Nous la retrouvons ensuite dans les Quatre Livres des Rois (II, 18, 3) ; pendant le siècle suivant, nous pouvons relever l'exemple qui apparaît dans la Plainte Notre-Dame, au vers 172 et passiiu ; et aussi dans Walter de Bibblesworth (143). Cette forme est sensiblement plus commune pendant le xiv^ siècle ; nous la lisons par exemple dans la Vie de Sainte Marguerite au vers 86, dans les Contes de Nicole Bozon aux §§ 22, 29, 67.

En dehors des textes littéraires, le subjonctif de ce verbe appa- raît sous cette forme ou une forme voisine. Checc se rencontre fré- quemment, surtout dans les Statutes ; chiese n'est pas rare, par exemple dans les Statutes (1367, I, 376) ou dans les Year Books (comme 16 Edw. III, p. 459 et pass/'m).

On trouve aussi assez communément dans les mêmes textes la forme cbicte ou rhete : la première se trouve par exemple dans les Statutes (13^0, 1,290), dans Rymer (1347, V, 546); la seconde dans les Statutes (1326, I, 253), dans Rymer (1323, III, 1023), dans les Year Books (16 Edw. III, 25, 184, leçon donnée par tous les manu- scrits). Cette forme se trouve aussi, mais plus rarement, dans les mss. des œuvres littéraires écrits au xn-^ siècle, par exemple à la page 14 du Dit de Hosebondrie de Walter de Henley.

A première vue, on est tenté de considérer cette forme comme une erreur de lecture de l'éditeur ou une faute d'écriture du scribe. Cependant cette forme se rencontre dans un trop grand nombie de mss. et dans des textes qui comme les Statutes ont eu des scribes extrêmement consciencieux et des éditeurs très soigneux, pour que cette explication soit admissible.

Le verbe estovoir, qui n'est pas très commun au subjonctif, ne se présente qu'avec la forme ce ; voici les exemples que nous avons pu relever de ce subjonctif.

On le lit dans le Bestiaire (au vers 1598); dans le Psautier de Cambridge (108, 7); au vers 952 du Tristan de Thomas ; dans les Quatre Livres des Rois (IV, i, 6 ; II, 2, 22); dans Horn au vers 3886 ; au vers 36 du Protheselaus de Hue de Rotelande ; dans la Vie de Sainte Catherine au vers 1203 ; dans Guischart de Beauliu au vers 254; dans les Set Dormans de Chardri au vers 1125.

Le verbe seoir apparaît avec ce, sec, ssc. Le Psautier d'Oxford a

5 51) 1. F.VOLUTK^K Dll \ EKBli T.N ANC.LO-IRANÇAIS

plusieurs exemples de la première terminaison : (loo, 8, et 7, 12 ; au lieu de stcil, Meister, p. 75); nsiire se lit dans les Dialogues Gré- goire (33 b) ; et dans le Josaphat de Chardri au vers 1427; messecese trouve dans Walter de Bibblesworth (143). La forme en se n'est employée que par le traducteur des Quatre Livres des Rois : uesced (III, i, 24; III, 2, 24); les deux s se rencontrent très fré- quemment dans les textes non littéraires (cf. Statutes, 1278,1. 49; Liber Custumarum, 1280, 281).

Comme on le voit, les exemples assurés par la rime sont rares ; mais comme les formes en re et sse sont disséminées depuis le com- mencement du xii^ siècle jusqu'à la fin du xiv^ siècle, il n'importe pas beaucoup de préciser les dates de ces différentes formes.

Tels sont les verbes qui dès les commencements de la littérature anglo-française ont adopté la forme du subjonctif en a-; il y a encore d'autres verbes pour lequel le ce n'est ni aussi ancien ni aussi cons- tant, par exemple acquesse (: cesse), Satire sur le Siècle (6 r°) ; cette forme, et quelques autres sont amenées par lès nécessités de la rime.

Il nous reste à dire quelques mots du radical du verbe estovoir au présent du subjonctif. Nous allons voir que ce temps se con- fond souvent avec le temps correspondant du verbe ester, dont nous avons déjà dit quelques mots ; la seule différence étant que le sub- jonctif d'estovoir ne prend jamais la diphtongue ai, qui est la forme qu'ester prend le plus communément. Mais même pour ce dernier verbe la voyelle simple 0 est loin d'être rare. Esiocc devient par conséquent la première forme commune au subjonctif de ces deux verbes.

Il est probable que c'est à cette dernière forme qu'il faut rappor- ter le subjonctif qui présente la diphtongue oe; esfoece se lit au vers 3886 de Horn et en plusieurs autres auteurs du xii^ siècle et du commencement du siècle suivant. Mais cet 0 au radical donne plus souvent et plus sûrement aussi un // comme dans estuce c{n on peut lire dans Guischart de Beauliu et dans Aspremont. Ajoutons encore une forme plus rare qui provient peut-être encore de l'a: estueched : nous ne l'avons relevée que dans les Quatre Livres des Rois (II, 2, 22).

LE SUBJONCTir 35 1

6. Subjonctifs en ge.

Les subjonctifs en ge, comme on le verra par la liste qui suit, sont assez communs en anglo-français ; aussi nous semble-t-il pré- férable de les diviser en trois classes : la première comprendra les verbes qui ont un subjonctif correspondant au latin iani ; pour ces verbes la chuintante est étymologique et provient de IV de la ter- minaison latine : ces verbes sont de beaucoup les plus nombreux. La seconde et la troisième embrasseront toutes les deux des formations analogiques correspondant respectivement aux subjonctifs en aiii et en cm.

L Ge dans les subjonctifs en iaui.

La terminaison en ge a commencé par s'attacher dans les sub- jonctifs en iani aux liquides qui ne sont pas susceptibles de se mouiller, comme r; mais aussi à certains thèmes terminés par// : mourir, quérir, maindre, tenir, venir, ont été peut-être les premiers verbes à recevoir la terminaison ge.

C'est ainsi qu'on trouve presque simultanément : viengel, dans le Cumpoz au vers 3499; venget ei veigent dans le Saint Brandan res- pectivement aux vers royé (Arsenal 1029), 1609 (Arsenal 1528) : venges dans le Bestiaire (944), etc. ; et aussi teingent dans le Brandan, 16 10 (Arsenal 1529) etc. ; nieinge de manoir au vers 119 du Saint Brandan (ms. de l'Arsenal 85).

Les thèmes en ?/, prenant o^f au subjonctif, sont, comme on le voit, assez nombreux ; parmi les thèmes en /', on trouve tout d'abord mourir, ainsi iiiiirget du Saint Brandan (vers 61), niorge au vers 1604 du Bestiaire: puis qiiergent qui se trouve dans le ms. L de l'Alexis (60 b), et dans le Psautier d'Oxford (103, 32) ; le Psautier de Cambridge, en plus des exemples précédents, a aperget (89, 17); le Tristan de Thomas nous offre encore un nouvel exemple : afierge qui rime avec quierge au vers 248.

Quelques-uns de ces exemples demandent quelques remarques : on peut observer que dans imdrged du Psautier de Cambridge (108, 16) le i de iam se trouve exprimé deux fois : une fois par 1'/ du thème et une seconde fois par la chuintante ; de même dans requier- gient, Quatre Livres des Rois (III, 18, 24), il est représenté deux fois.

?)2 1, KVoi.urioN 1)1 \ i;kbi- i:x .\N(,i.()-i kançais

Tels soin les premier^ verbes qui prennent la chuintante au pré- sent du subjonctif : ce sont uniquement des verbes avant comme consonne finale du thème une des labiales n ou / .

Nous allons par la suite retrouver les mêmes verbes auxquels viendront s'ajouter bon nombre d'autres. Nous n'avons relevé aucun nouvel exemple de thème en // ou en / au xiiT' siècle; venir, tenir et manoir d'un côté, mourir, quérir de l'autre sont les seuls employés ; ce sont, croyons-nous, les seuls verbes ayant leur thème terminé par )i ou /■ qui aient leur présent du subjonctif en 'kidi. Les nouvelles fonnations ne sont pas très nombreuses : nous pou- vons citer un verbe ayant son thème terminé par la labiale / : vouloir, qui iait dans la Vie de Saint Grégoire veilgc au vers 37 et ivilge au vers 352; et un autre verbe dont le thème se termine par une dentale: assentir, qui fait (isson^e au vers 836 de la Vie de Saint Grégoire.

Par conséquent, ces formations nouvelles sont en nombre intime et limitées à un seul auteur. De plus, comme nous l'avons vu précédemment, tenir, venir, etc., prennent fréquemment n mouil- lée pendant le xiii'^ siècle, et conséquemment le nombre de formes présentant régulièrement ^c au subjonctif présent en est diminué d'autant.

On ne trouve à prendre gc dans la langue politique et diploma- tique qu'un petit nombre de verbes ayant en latin un subjonctif en icvit; nous n'en avons relevé que cinq; moins par conséquent que pour les œuvres littéraires. Ce sont : tenir, venir, quérir, mou- rir et pareir.

Nous avons déjà eu l'occasion de citer des exemples de tous ces verbes, et nous n'y reviendrons pas, et nous nous contenterons d'ajouter quelques mots. Quergc est très commun ; on le trouve dans les Statutes à partir de 1278 (I, 44); dans le Liber Custumarum, 1280 (283); et dans Rymer très fréquemment. Les formes sans o^c sont très rares pour verbe, nous n'en avons trouvé qu'un seul cas : requière dans Rymer (1358, M, 89). Il semble que la forme en ge est la seule que connaissent les Year Books; elle est en tous cas extrê- mement fréquente dans la langue légale.

Mourir est aussi très fréquemment employé au subjonctif sous cette forme; on en trouve un exemple dans les Statutes à la date de 1275 et nous ne l'avons iamais rencontré sous une autre forme. Elle

LE SUBJONCTII" 3)3

est spécialement fréquente dans les Year Books, Appergc ou appicrge est beaucoup moins employé : on le trouve dans le Blacke Booke of the Admiraky à la date de 129 1 (II, 24): dans les Statutes (1330, I, 268), dans Rymer (1330,1V, 450), dans le Year Book 20 et 21 Edw. I" (p. 99).

Mais, à part ces cinq verbes, nous ne pouvons citer d'autre exemple de cette forme de subjonctif pour les verbes de cette catégorie.

II. Gc dans les subjonctifs en uni.

Ici encore ce sont les thèmes à labiale qui prennent le suffixe ge : et il y a relativement plus d'exemples de ce suffixe parmi les verbes à subjonctif en nm que pour les verbes pour lesquels il est étymo- logique. Cependant ces formes ne sont extrêmement nombreuses chez aucun auteur, sauf un seul. C'est un auteur du xiii^ siècle, Frère Angier ; à lui seul il fournit plus de formes en ge que tous les autres auteurs de son siècle réunis. On trouvera dans l'ouvrage de Miss Pope la liste complète des formes en gc que l'on peut rele- ver dans la Vie de Saint Grégoire et les Dialogues Saint Grégoire ; nous ne citerons de ces verbes que ceux que l'on trouve dans d'autres auteurs anglo-français.

La désinence s'ajoute principalement à quatre thèmes : /', Id,

)id, rd. Pour les trois derniers, le d n'appartient pas toujours au

thème ; mais, paragogique ou étymologique, il disparaît toujours

devant la désinence qui s'ajoute ainsi directement à la labiale. Voici

quelques exemples :

Courir, et c'est, croyons-nous, le seul verbe de cette classe, prend régulièrement la forme curge ; elle se trouve déjà dans le Cumpoz (vers 86), mais appartient peut-être au scribe ; dans le Psautier d'Oxford et dans le Psautier de Cambridge (Ç, 2) ; dans le Prothesalaùs, etc., cette forme est la seule ou à peu presque prenne le subjonctif de courir.

Il n'y a que peu de verbes en A/ à montrer au subjonctif le suf- fixe gc : c'est que, d'abord, les thèmes en Id sont peu nombreux et ensuite que nous ne trouvons que peu d'exemples du subjonctif de ces verbes ; nous ne trouvons guère à citer que : tolgel qui se trouve au vers 1758 du Brandan (ms. de l'Arsenal, toillc 1676) ;

3 5-1 i; EVOLUTION DU VKRBt HN ANGLO-IRANÇAIS

/()/ow se lit dans le Psautier d'Oxford (30, 12); au vers 2261 de la Vie de Sainte Catherine, de Sœur Clémence de Barking, dans la Passioun Nostre Seigneur (33 v"), etc. Nous avons vu précédem- ment le subjonctif d'absoudre. Les autres verbes en Id n'apparaissent pas au subjonctif.

C'est parmi les thèmes en iid que nous rencontrons le plus grand nombre de cas de chuintante : le plus employé de ces verbes est le verbe prendre qui, sauf les exceptions que nous avons déjà eu l'occasion de citer, fait presque constamment prcugc au présent du subjonctif, surtout au xir^ et xiii'' siècle. Nous ne cite- rons qu'un petit nombre d'exemples de cette forme, car il serait oiseux de multiplier les exemples d'une forme aussi commune : on trouve prenne dès le commencement de la littérature anglo-française : dms le Brandan à la rime du vers i2o(:meinge, manoir) (ms. de l'Arsenal, vers 86) ; dans le Bestiaire au vers 20 ; dans Thomas (165, r6o6); dans Chardri (Josaphat, 2750); dans Simon de Montfort (vers 39) ; dans les Contes de Bozon (86 et passivi).

Le verbe craindre se trouve aussi fréquemment au subjonctif sous cette forme : par exemple crengel du Psautier d'Oxford (85, 10): de Cambridge (85, 11) côté de rrieinel 32, 8); d'Arundel (21. 5) côté de rrieiiiet 32, 8); cr/eiigo)is. Vie de Saint Grégoire

(895)-

La lettre mouillée se rencontre au xiir siècle pour ces difterents verbes, et le nombre de formes en ge diminue.

Plain ire et répondre emploient le suffixe moins souvent ; pour le premier, nous en trouvons un exemple à la rime du vers 149 dans le Poème allégorique : plenge (: engreynge).

Pour répondre, nous avons repimge dans les trois Psautiers : dans celui d'Oxford (18, 16); dans celui de Cambridge (68, 20) (mais repuiies 26, 10) : et d'Arundel (18, 7) ; à la fin du xiir siècle et pendant tout le xiV siècle c'est 1'// mouillée qui caractérise le sub- jonctif de ce verbe.

Les thèmes en rd ne nous fournissent que perdre dont le sub- jonctif est employé sous la {orme perge par Thomas 2529 (D et S) et par Frère Angier, Vie de Saint Grégoire, au vers 895. Citons enfin une forme que nous n'avons rencontrée qu'une seule lois : c'est reniorge qui rime avec George au vers 2287 du Prince Noir.

Le nombre de subjonctifs en ani à prendre ge est, pour les œuvres

r

LE SUBJONCTU- 355

non littéraires, encore plus restreint que celui des subjonctifs en iaiii. Nous ne trouvons qu'un verbe de cette catégorie qui se pré- sente régulièrement sous cette forme : le verbe courir. Ce verbe, du reste, a toujours très régulièrement la désinence ge à ce temps; et les exemples qu'on pourrait citer sont extrêmement nombreux (Statutes 1275, I, 26 ; Rymer, passiin ; Liber Custumarum 1300, 182. Liber Albus 1365, 370, et dans lesYearBooks 20 et 2 1 Edw. P'',

M)-

Prendre fait quelquefois preiigc, forme que nous avons citée plus haut; elle est relativement rare et n'a ni la fréquence ni la régularité des formes qui présentent une n mouillée.

Il est donc évident qu'il n'y a qu'un nombre très restreint de sub- jonctifs en am à adopter dans ces textes la forme analogique en ge. Dans la littérature et en dehors de la littérature, courir seul la prend régulièrement, prendre à l'occasion . Les oeuvres littéraires montrent en outre des exemples isolés de ge au subjonctif de toldre, craindre, plaindre, répondre, perdre.

Il faut surtout remarquer que tous les exemples du suffixe o-g pour les verbes en diii se trouvent concentrés dans les 150 premières années et, pour certains d'entre eux, dans le premier siècle de la littérature anglo-française. Les lettres mouillées après cette date deviennent de plus en plus nombreuses. Ceci explique pourquoi les formes en ge sont rares aux subjonctifs en ani dans les textes poli- tiques et autres, qui ne remontent qu'au quatrième quart du xiii^ siècle, et pourquoi le suffixe trg ne se rencontre régulièrement et constamment que pour certains verbes, courir, mourir, dont la der- nière consonne du radical ne peut se mouillei'.

Subjonctifs en cm.

Pour les subjonctifs en ge provenant de la première conjugaison, nous retrouvons les trois caractéristiques que nous avons détermi- nées pour les subjonctifs en arii :

I" Ils ne sont jamais très nombreux, sauf chez un seul auteur. Frère Angier ;

2" Les verbes de I qui adoptent ce suffixe sont surtout des verbes dont le thème est terminé par une labiale (/, /'/,«, ni, n);

Leur nombre diminue considérablement pendant la seconde moitié du xni'^ et pendant le xiv*^ siècle.

^56 i/i:voLUTiON du verbe ek anglo-français

Nous allons énumérer rapidement les quelques exemples que nous avons relevés; il sera inutile d'attirer l'attention sur le fait qu'ils datent, sauf ceux que nous avons tirés des deux poèmes d'An- gier et quelques autres, du xii'' siècle.

Aller prend fréquemment le suffixe ge; la forme algc est la forme ordinaire du subjonctif de ce verbe, surtout au xii'' siècle ; aussi la trouve-t-on d'abord chez les premiers auteurs anglo-français; dans le Cumpoz (vers 3343, 3315), dans le Psautier d'Oxford et le Psautier d'Arundel (38, 18), dans Horn (3823), etc., etc. Nous avons déjà eu l'occasion de montrer que aille ou voise deviennent, à partir du xiir' siècle, la forme ordinaire.

Apc'Igent, que l'on lit dans Adgar (Prologue 34), est beaucoup plus rare; on le retrouve cependant sous la forme apeange dans les Dia- logues de Saint Grégoire (33 r^' a) ; ce verbe n'a pas tardé à prendre ou à reprendre la forme étvmologique, ou celle qui montre Yc ana- logique.

Parler est le seul verbe avec un thème en ;7que nous ayons ren- contré avec un subjonctif de ge : les exemples de pavolge ne sont pas cependant rares, plus conmiuns que ceux que nous a fournis le verbe précédent. Le Psautier d'Oxford en a deux exemples : (33/ 13 ; et Cr. ::, i) ; Horn en a aussi un exemple (au vers 722) ; et nous en relevons un autre dans les Distiques de Caton d'Evcrart de Kirkham (57 f). Au xiii*^ siècle, parle est seul employé au sub- jonctif.

Parmi les thèmes en n. donner se rencontre le plus régulièrement avec o-g : âonge ou diiiiige se lit dans presque tous les auteurs anglo- français du XII'' siècle : Psautier d'Oxford (103, 28); Horn (3634); Vie de Saint Grégoire (1847); il est inutile de citer plus d'exemples; ici encore, cette forme en ge est déplacée par une forme plus étymologique : dohie, dohist et plus tard par doigne. Pour mener, la forme en ge est plus rare encore et ne se rencontre qu'au xii'^ siècle; nous avons déjà vu ce verbe prendre parfois au subjonc- tif une n mouillée sous l'infiuence de manoir; c'est quelque chose d'analogue que nous retrouvons ici : le ms. G de Horn a iiienge:^ (au vers 2075) qui ■''S ^'^^ encore au vers 7016 de l'Ipomédon ; et les Quatre Livres des Rois mangent (III, 8, 46) ; et Miss Pope cite amenge dans les Dialogues Saint Grégoire (33 a).

Le Psautier de Gambridge nous donne encore un autre verbe avec

LE SUBJONCTIF 3 57

thème en // ou plutôt ni, tourner qui au subjonctif fait Uinigoit (68, 3) ; il est assez remarquable que Vn soit conservée ; elle dis- paraît dans loiiioc. Vie de Saint Grégoire (vers 47) et dans Rymer's Foedera([. 885), sous la date 1272. Ce sont les seuls exemples de cette forme que nous ayons relevés; le subjonctif régulier est beau- coup plus fréquent.

Comme on le voit, tous les verbes précédents, saut donner, ne prennent le suffixe ge au subjonctif qu'exceptionnellement. Il y a cependant un certain nombre de verbes de I qui se rencontrent plus fréquemment, plus régulièrement et plus longtemps avec un sub- jonctif en ge et cela pour la raison que nous avons donnée tout à l'heure. Ce sont les verbes dont le thème est terminé par r. QuelquL'S-uns de ces verbes n'apparaissent guère au subjonctif que sous cette forme : demorer par exemple se rencontre dès le xii"' siècle sous la forme dcniuerjc, Psautier de Cambridge (54, 7); âeinurge dans les Quatre Livres des Rois (II, 17, 18); il n'est rare ni au XIII'' siècle ni au xiv^ ; par exemple il rime avec escurge dans la Genèse Notre-Dame (59 r") et il se lit dans Pierre de Langtofc (II, 232, 3), dans Nicolas Trivet (63 r°, etc.) et dans un assez grand nombre d'auteurs du xiv^ siècle.

Pleurer fait quelquefois /^/ny^t; ou plorge, comme dans le Josaphat de Chardri (au vers 1385); dans le second Appendice de Pierre de Langtoft (II, 440, 17). Et cette forme du subjonctif de plorer a duré longtemps comme celle de demorer (^d. ce que nous avons dit de la 3^ personne du singulier du présent de l'indicatif de ces deux verbes).

Durer est évidemment moins employé et son subjonctif est assez peu commun; on te trouve sous la forme dorge au vers 7^1 du Drame d'Adam, dans les Set Dormans de Chardri au vers 254.

Les verbes de I prenant ge au subjonctif dans la langue diploma- tique et politique sont peu nombreux ; nous en avons rencontré trois seulement : demeurer, jurer et parler. Le premier, demeurer, fait toujours deinorge et on le rencontre sous cette forme dans tous nos textes sans exception ; le plus ancien exemple cya'on puisse citer se trouve dans les Statutes à la date de 1275; jurer est au subjonctif d'un emploi plus rare ; on en trouve quelques cas, comme par exemple y'// ro-é' dans les Annales de Burton (1258, ^55); dans les Early Statutes of Ireland (1285, ^4)' ^"fi'"' '-^•^'"''^ '"^^ ^■^^'^^^' Rubeus de Scaccario(i32 5, 958).

558 i.'hvolution du vhKm: e\ anglcvi kançais

Paro(ii\'t' Q^i nés rare; nous pouvons en citer un exemple dans les Royal Letters Henry III (1258, 131).

. Les exemples sont encore moins nombreux dans les Year Books; nous n'avons ^uère relevé que ih'iiiocri^i' qui est évidemment très comnum.'

Ici encore, l'inliuence des formes en ge des subjonctifs en iaiii d été très petite. Un seul verbe a été entièrement gagné à cette forme : demoier; on pourrait peut-être ajouter /)/o;-^y. A part ces deux verbes, nous rencontrons pour la première conjugaison pendant le xii'' siècle un certain nombre de formes en ge plus ou moins régulièrement emplovées : alge, donge ; assez communément , apelge, turge, mange (menge), dorge, jusqu'au xiii'^ siècle. Les seuls verbes qui prennent ge jusqu'à la fin du xiv^ siècle sont ceux dont le thème est terminé par / .

Avant de quitter les subjonctifs en ge, notons les difiérentes gra- phies que le radical de deux d'entre eux, mourir et demeurer, est susceptible de prendre.

La diphtongue m est très rare dans les ouvrages non littéraires, on la trouve dans demuerge Royal Letters Henry III (1258, 131) ; on sait que cette diphtongue ne se maintient pas en anglo-français. Elle est assez souvent remplacée par u, ce qui est le développement phonique de cette diphtongue en anglo-français. La voyelle 0 de son côté se rencontre au lieu de // : demorer se trouve assez fréquem- ment avec 0, tandis que mourir présente plus rarement le radical inor- au subjonctif. Ceci peut n'être que l'effet du hasard : les deux graphies avant la même valeur, mais la graphie m reste la plus, com- mune.

La diphtongue toutefois ne disparaît pas entièrement, au moins de l'écriture, 0^ est commun; citons en dehors de la littérature iiioerge dans les Statutes (1300, I, 137); dans le Liber Custumarum (1300, 125); dans Rymer (1303, II, 926), et oe se trouve ainsi jusqu'à la fin du xiv*^ siècle.

La graphie eo est aussi extrêmement commune, au moins entre 12)0 et 1350; citons dans les Statutes lueorge. denieorge (I, 1275. 30; 1278, 44; 128Y, 54, etc.).

Toutes ces graphies se rencontrent, très mélangées évidemment, dans la langue légale.

LE SUBJONXTIF 359

7. vSubjonctif du verbe être '.

monodiphtongue ci est ordinairement conservée dans les tx;uvres littéraires, sous la forme ey, entre 1250 et 1^00 ;c)/ se ren- contre, mais plus rarement, surtout après Boeve de Haumtone (cf. vers 1254-55); mais ce n'est pas dans la littérature que nous trou- vons toute la série des formes de la diphtongue du thème.

Dans la langue diplomatique, nous relevons d'abord la diphtongue ei; c'est elle qui est employée de préférence à toutes les autres dans les textes de la fin du xiii'' siècle ; nous pouvons le remarquer dans les statuts qui datent de 1275 ; la diphtongue oi s'y trouve déjà cependant et elle semble paraître de préférence à la troisième per- sonne du pluriel. Quoi qu'il en soit, ci persiste jusqu'à la fin du xiV^ siècle plus ou moins fréquemment employée.

A partir du commencement du xiV siècle, oi domine dans la plu-- part de nos textes; par exemple, dans les Mem. Pari. 1305, c'est la seule forme employée ; dans les Statutes de 1340, elle est presque unique, de même que dans les Actes du Parlement d'Ecosse. Dans Rymer les formes en ei sont plus fréquentes ; du reste, l'importance de ce point est minime, le même son étant représenté de ces deux façons.

La diphtongue passe souvent à f à la troisième personne du plu- riel, comme nous l'avons déjà vu ; et le même phénomène se pro- duit, quoique plus rarement, à la première et à la seconde personne du pluriel : sconis, sce:^ se rencontrent (cl. Parliamentary Writs 1326, 11,755).

La diphtongue ^// est relativement rare : on trouve par exemple saient dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1292, 446) ; sait dans les Rymer's Foedera (1322, IV, 24).

Nous ne donnons que pour mémoire ces divers changements qui sont plutôt du ressort de la phonétique.

Nous n'allons pas tenter de tirer de cette étude sur le subjonctit en anglo-français une conclusion générale. Les données sont trop com- plexes, les habitudes de style des écrivains trop variables pour qu'on puisse espérer arrivera des résultats d'une exactitude pour ainsi dire

1. Pour l'origine de la troisième personne du singulier du présent du subjonc- tif .<<'?7, on peut voir Cornu, Romania, VI, 248 et Grôber, Zeitschriftil. 185.

^6o l'évoiatk^x dv vekbk i-,\ a\gi.o-i KAXÇAIS

mathématique. Cependant un certain nombre d'idées peuvent res- sortir des pages précédentes; les exceptions abondent, il est vrai, mais on peut regarder comme suttîsamment vraies dans leurs lignes générales les conclusions suivantes :

L'anglo-français a donné très tôt aux subjonctifs qui étymolo- giquement prenaient une forme différente du reste de la conjugai- son, le radical et la terminaison du présent de l'indicatif.

2^' L'angio-français, surtout à partir du xiii^ siècle^ a considéré comme caractéristique du présent du subjonctif la lettre mouillée, pour les verbes dont le thème est terminé par n ou /, et le suffixe |

i^i' pour ceux dont le thème est terminé par une /', à quelque conju- gaison que ces verbes puissent appartenir. Du reste la svllabe ge peut, surtout au xW et à un moindre degré au xiir siècle, caracté- riser le subjonctif des verbes dont le thème se termine par /ou //.

L'importance du suffixe ce comme caractéristique du subjonc- tif est beaucoup moindre.

CHAPITRE m L'IMPÉRATIF

Ce mode ne comprend encore qu'un temps, et est assez peu employé; par conséquent, il n'a pas l'importance des autres modes. Bien plus nous n'aurons guère à nous occuper pour les questions qu'il soulève que d'une seule personne : la seconde du singulier. Il en résulte que nous n'aurons que fort peu de chose à dire.

Nous aurons du reste à nous passer presque entièrement du témoi- gnage pourtant si précieux des textes politiques qui ne l'emploient pour ainsi dire jamais.

Une question importante concerne les impératifs de toutes les con- jugaisons; elle se rapporte à ces impératifs qui prennent la forme du subjonctif; nous traiterons d'abord cette question générale, puis nous étudierons successivement les modifications qui atteignent les impératifs de la première conjugaison, puis celles que nous avons pu observer dans les impératifs des trois autres.

1. Impératifs a forme de subjonctif.

Il }■ a un grand nombre de verbes qui à l'impératii prennent la forme du subjonctif; pour certains d'entre eux cette forme est la seule régulière et même la seule connue : en anglo-français, comme sur le continent, ces verbes sont au nombre de quatre : avoir, être, savoir et vouloir. Nous n'avons rien trouvé de remarquable dans la forme de l'impératif de ces verbes en anglo-français. Pour avoir, les exemples, depuis le Cumpoz jusqu'au poème du Prince Noir, sont extrêmement nombreux et les seules variations que nous pourrions

7,62 I.KVOLUTION DU VEKBH KN ANGLO-FRANÇAIS

étudier sont celles qui artectent le radical, variations que nous avons eu l'occasion de signaler quand nous avons parlé du subjonctif de ce verbe; elles relèvent plutôt de la phonétique que de la morpho- logie. Il en va de même pour les trois autres; la diphtongue de I impératit du verbe être, la consonne de celui de savoir subissent les mêmes changements qu'au subjonctif; les exemples que le verbe vouloir nous fournit pour ce temps sont assez rares; nous n'en avons relevé aucun pour pouvoir.

Deux formes cependant peuvent retenir quelque peu notre atten- tion : d'abord le sace du Psautier d'Oxford (138, 22) et des Quatre Livres des Rois (III, 2, 37), et la forme voyle qui est assez com- mune; nous l'avons rencontrée pour la première fois au vers 1850 du Saint Edmund et elle devient la forme ordinaire de cet impératif auxiV^ siècle. Dans ces deux exemples 1'.? flexionnelle a disparu, soit naturellement comme pour un certain nombre de secondes per- sonnes du singulier à terminaison féminine, nous avons cité, dans notre étude des désinences personnelles, de nombreux exemples de ce phénomène, soit, ce qui nous paraît plus vraisemblable, sous l'influence des nombreux impératifs terminés par e.

La seconde classe d'impératifs à forme de subjonctif comprend seulement des secondes personnes du singulier. Elles sont terminées par es.

Nous trouvons dans cette classe des verbes de la première ainsi que des verbes de l'une des trois dernières conjugaisons. Pour la première conjugaison, nous avons relevé de nombreux exemples dans les trois Psautiers, citons-en quelques-uns : dans le Psautier d'Oxford : rebutes (43, 25); dans celui de Cambridge : argues, chasties (6, i) ; déclines (26, 10) ; deleisses (26, 11); dejeles (50, 12) ; esvuides (140, 8) ; //tvw (26, 14); recordes (78, 8); remenbres Çi^, 6) et peut-être quelques autres encore (cf. Gotthold Willenberg, Histo- rische Untersuchung ûber den Conjunctiv Praesentis der ersten schwachen Conjugation im Franzôsischen, dans les Romanische Studien III, p. 589). Dans le Psautier d'Arundel nous avons relevé : desturnes (26, 14); déclines (26, 14); livres Çij, 3); chasties (37, i); enloinnes (50, 12). Aucun autre écrivain de ce siècle et même des siècles suivants ne nous a présenté un nombre d'exemples de cette forme pour les verbes de I qui se rapproche de celui que nous trouvons dans les Psautiers et nous en donnerons tout à l'heure

l/li\lPÉRATIF 363

une raison évidente. Au vers 117 du Drame d'Adam, nous twu- xons Jeinanclcs \ dans la Vie de Saint Edmund, au vers 2921, nous avons h'i.\ses\ dans les Heures de la Vierge, nous avons relevé au tblio 69 r" remembres ; trois autres exemples se trouvent dans la Vie de Sainte Marguerite : gardes au vers 333, demonstres au vers 333, donesTmwQYs 553. Enfin, et pour en finir avec cette énumération, 0rdes se lit encore dans les Distiques de Caton de l'Anonyme du XIII' siècle au vers 253.

Si nous considérons seulement les premiers exemples de cette forme, nous comprenons aisément son origine ; tous les exemples des Psautiers se lisent dans des phrases négatives et traduisent en français le « ne » avec la deuxième personne du subjonctif du latin : Domine... ne arguas me, neque... corripias me; ne avertas faciem... ne déclines...

Et cet emploi de la forme du subjonctif a été longtemps limité aux propositions négatives ; et c'est ce que nous pouvons remarquer pour les exemples du Saint Edmund, des Heures de la Vierge, que nous avons cités. Quant à ceux que nous avons rencontrés dans les Distiques anonymes et dans la Vie de Sainte Marguerite, ils se trouvent tous les quatre dans des phrases affirmatives. Néanmoins, on voit que l'influence du tour latin a été la cause de la forme fran- çaise et elle devait être plus forte sur les traducteurs que sur les autres écrivains. C'est donc plutôt une particularité syntactique qu'un phénomène morphologique.

Pour les verbes de II, III et de IV les exemples sont beaucoup moins nombreux et moins frappants. Le premier que nous ayons rencontré se lit dans le Bestiaire au vers 961 : oies; mais cet exemple nous semble très douteux :

Maisoz tu, om de Dé, Entent auctorité E oies Escripture.

Nous croyons qu'il faut ici lire oiei ; ce mélange des personnes du singulier et du pluriel n'a rien d'extraordinaire, surtout en anglo-français (cf. Gaston Paris, Saint Alexis, p. 189, 67).

Dans les Psautiers, nous trouvons un assez grand nombre d'exemples bien assurés : dans le Psautier d'Oxford : veies 2j , 6 et

^64 l.'lkvOLrTlON DL' VEKBK liN ANGLO-hRANÇAIS

7) ; dans le Psautier de Cambridge : rcpunes (26, 10) ; déguerpisses (26, II); dans celui d'Arundel : taises (27, i) ; départes (34, 24) ; iviist rennes (37, i). Everart de Kirkham, dans ses Distiques de Caton, emploie, au vers 38 a, yt^/w que nous retrouvons encore dans le poème de Saint Julien au folio68 t\

Tous les exemples précédents se rencontrent dans des phrases négatives, excepté évidemment l'exemple douteux du Bestiaire que nous avons cite. Et ces impératifs négatifs correspondent à des sub- jonctifs avec m' dans le texte latin des Psaumes : ne sileas; ne disce- das ; ne arguas.

Les exemples que nous fournissent les trois dernières conjugai- sons, pour une raison ou pour une autre ne sont pas à beaucoup près aussi nombreux que ceux que nous ont donnés les verbes de la première conjugaison ; mais ils sont tous réguliers en tant que tous se trouvent dans des phrases négatives.

La troisième classe des impératifs qui présentent la forme d'un subjonctif comprend ces verbes qui présentent dans leur radical les phonèmes caractéristiques du second de ces modes. Nous n'en parle- rons pas ici : leur place est évidemment avec les impératifs qui adoptent un radical appartenant à un autre mode.

Nous n'avons plus qu'à dire quelques mots de certaines formes de l'impératif dans les différentes conjugaisons.

A. Première conjugaison.

Pour rimpératifde la première conjugaison, nous aurons à étu- dier trois questions : les impératifs en a; la chute de la muette à l'impératif; enhn la chute de l'atone avec addition d'une s.

I . Impératifs en a.

Le verbe aller forme la deuxième personne du singulier de son impératif régulièrement en a : cette forme se conserve longtemps sans modification : va se trouve à peu près dans chaque auteur du xii^ siècle. On trouve cependant concurremment et à la même époque une autre forme moins employée mais qui persiste à côté de l'autre : ■vai. On la rencontre pour la première fois en anglo-français dans le ms. A de l'Alexis (11 b) ; puis dans les Quatre Livres des Rois (II,

I.'iMPÉRATir ^65

2, i); on la retrouve dans la Vie de Saint Grégoire (vers 1404); dans le Saint Laurent (vers 580). Cette forme semble disparaître au commencement du xiii^ siècle ; l'exemple du Saint Laurent est le dernier que nous ayons rencontré. Avant sa disparition, il arrive que cette forme se modifie encore; la diphtongue a/ subit une réduc- tion et devient e dans ve des Dialogues Saint Grégoire (126 a). A part ces exemples, peu nombreux, mais qui nous semblent sûrs quoiqu'ils ne se trouvent jamais à la rime, c'est l'û qui est toujours régulièrement employé.

Un autre verbe présente un impératif en // : le verbe ester ; cet impératif n'est pas très fréquent, mais esta est la seule forme que nous ayons relevée. On la trouve au vers 69 des Distiques de Caton d'Elie de Winchester; dans les Quatre Livres des Rois (II, 2. i); elle rime avec saka au vers 606 du Donnei ; on la rencontre encore rimant avec ça dans la Vie de Saint Grégoire, au vers 652 et au vers 1320 de Saint Auban. Ce verbe devient de plus en plus rare aux XIII'' et xiv^ siècles, et son impératif ne se retrouve plus, à notre connaissance, en anglo-français après Frère Angier.

Le composé d'ester : arester, a un impératif de cette forme, comme dans l'exemple que nous avons cité de la Vie de Saint Gré- goire ; mais cette forme est très rare et arester comme rester suit l'exemple des autres verbes de la première conjugaison et forme son impératif en c.

Il ne faut pas ranger dans la même classe que les exemples précé- dents certains impératifs que l'on rencontre dans le Psautier de Cambridge : snfîae, 25, 2 (B -e); giiardas, 36, 37 (B -e); ae n'est ici qu'une graphie de la muette, assez rare, mais qui n'est pas inconnue {d. supra).

2. Chute de la voyelle atone.

Tous les impératifs de I, exceptéceux que nous venons de citer, ont régulièrement l' comme désinence de la seconde personne du singu- ier, provenant de la terminaison latine a. La forme étymologique st de beaucoup la plus commune en anglo-français; mais il faut (^évidemment s'attendre à rencontrer quelques irrégularités : nous en trouvons de deux sortes : la première consiste dans la chute de Ve étymologique ; la seconde dans l'addition d'une .v.

^66 i.'knoluiiox du \ krhl'. i-;n anclo-iuançais

La chutt de la von'cUc de la désinence ' se rencontre assez tôt : les Psautiers sont les preniiei's ouvrages qui la montrent; les per- sonnes sans e sont cependant, même dans ces ouvrages, une petite minorité. Quoique les proportions ne signifient généralement. pas grand'chose lorsqu'on les prend sur un nombre restreint d'exemples, nous pouvons citer celles des personnes sans e dans les Psautiers d'Oxford et de Cambridge. Dans le premier, la proportion est un peu plus forte que 1/150; dans le second elle est de 2150; sans vouloir tirer de ces chiffres des conclusions trop précises, on peut dire que le nombre des personnes irrégulières est infime; voici les quelques exemples que nous fournissent les Psautiers : celui d'Ox- ford a dun ([x, 4); essai (25, 25) ; dans celui de Cambridge, nous trouvons aûr (44, i); guard (16, 8) ; dans celui d'Arundel : resgtiard (12, 2);deliur {2j\, 3), (cf. Subjonctif en em^; apel (49, 16). Le fait que nous ne pouvons faire la part des copistes et celle des traducteurs originaux, dans ces trois ouvrages, nous empêche de nous rendre un compte exact des habitudes des scribes eux-mêmes. Il est pos- sible que s'ils n'avaient pas eu de modèle et qu'ils eussent été livrés à eux-mêmes le nombre de formes sans atone aurait été encore plus considérable.

La plupart des autres auteurs de ce même siècle nous en oftVent des exemples, ce qui nous prouve bien que la langue tendait natu- rellement à supprimer la muette et que les formes écourtées ne sont pas le résultat de l'ignorance ou de la fantaisie d'un individu. L'Es- torie des Engleis nous en donne un exemple, douteux, car il se trouve devant un mot commençant par une voyelle : rcturn (arere) au vers 4707 ; dans la Vie de Sainte Catherine, de Sœur Clémence de Barking, nous rencontrons un cas de chute de la muette assuré : guard au vers 2563 :

Guard Its, Sire, d'aversitez ;

et au vers 2083 un autre exemple, douteux celui-là, car il se trouve encore devant une voyelle : acravenL

De la même façon, nous trouvons dans les Légendes de Marie

I. Pour la chute de Ve atone, on peut voir Suchier. Zeitschrift, I, p. )69;Ueber die , p. ^4 : Zeitschrift. IT, p. 48 s.

L'iMFÉRATJr 367

d'Adgar deux cas certains de la chute de Vc atone tinal : esmai (XIII, 81); ww (XXII, 125):

Regard amunt, ne t"esmai rien : Vou dune tost a seinte Marie ;

et quatre autres douteux, parce qu'ils se trouvent aussi devant des mots commençant par des voyelles : regard (XIII, 81); apel (IX, 99) ; îiefQiVll, 481 ; XXXII, 119).

Nous avons cité ainsi même les cas douteux, parce qu'il est fort possible qu'ils appartiennent aux auteurs (cf. gard de la Vie de Sainte Catherine et du Psautier de Cambridge, apel du Psautier d'Arundel).

Dans les Quatre Livres des Rois, nous avons relevé /W (IV, 9, 26); dans la Vie de Saint Gilles nous rencontrons une rime qui nous montre d'une façon assurée cette chute de la muette : tart (: part) au vers 1 20 1 .

Il ne semble pas très facile de classifier les exemples ci-dessus ; si nous ne tenons compte que des formes qui sont sûres, nous trou- vons que des douze verbes qui perdent à l'impératif leur muette éty- mologique, trois sont des verbes à thème vocaliquc Cessai, esmai, voiî), cinq sont terminés par une dentale appuyée Çguard, 3 fois, jet, tart), quatre par une consonne simple ou double ou appuyée (aiir, diiii, apel , delinr). De cette diversité, il n'est pas aisé de con- clure quelque chose ; nous ne croyons cependant pas que dans tous ces cas la chute de la muette puisse s'expliquer de la même façon; pour les verbes à thème vocalique, nous voyons dans la chute de Vf soit un simple phénomène d'analogie (comparer aux deux premiers vei, au troisième l'impératif des nombreux verbes en oudre) ; soit le même fait qu'à la première personne de l'imparfait et du conditionnel ; mais la date de ces exemples rend douteuse la seconde explication. Pour les thèmes consonantiques, il nous semble que la chute de la voyelle muette est un phénomène purement phonique et qu'il y a eu, dans l'esprit des écrivains anglo-français, confusion entre Ve épithétique qu'ils employaient fréquemment à cette époque déjà et l'é? étymologique (voir notre seconde partie, chapitre I).

Aux siècles suivants, il est évident que ce sont surtout les thèmes à dentale qui sont les plus affectés, car ils se trouvent fréquemment sans Vc flexionnel à l'impératif. Frère Angier emploie par exemple

^68 l'hvolutkix or \ i:kbi£ i:\' angi.o-i-kançais

dans les Dialogues dcnuiiic au iolio 91 i"' a; ^arl au tolio 49 i'" b et dans un nombre considérable d'autres cas; cette même forme se lit encore dans Robert de Gretham (27 v"); à la rime avec Aedward au vers 7)éd'EdNvard le Confesseur et elle est répétée dans le même poème aux vers 754 et 799; dans Saint Auban, on la retrouve avec une nouvelle modification, <riir (vers 956) qui montre la chute delà dentale du thème.

Comme on le voit, car l'impératif de garder n'est pas extrême- ment employé, ces formes la chute de Vc est assurée sont tort nombreuses. Aucun autre verbe ne montre la même régularité dans l'irrégularité.

On relève encore d'autres thèmes à dentale; par exemple on trouve assez communément ^d dans Robert de Gretham (80 v") ; et confort dans Pierre de Langtoft (I, 138, 4): mais ces formes sont sporadiques.

Les autres thèmes se rencontrent plus rarement sans Ve étymolo- gique ; parmi les thèmes consonantiques, on peut citer : aiir que nous avons déjà rencontré au xW siècle et qui dans Saint Auban (vers 584) rime avec honur; pens dans le même poème (au vers 563); et ces exemples isolés ne sauraient être d'un grand poids.

Quant aux verbes à thème vocalique, nous n'avons relevé que peu d'exemples de la chute de la désinence. Pour l'un d'entre eux cependant cette chute semble régulière ; envoyer fitit presque tou- jours envei à la deuxième personne du singulier de l'impératif : nous avons deux exemples attestés par la mesure dans Robert de Gre- tham (23 v°, 68 r°) et cette forme se retrouve par la suite dans un nombre de fois assez considérable, par exemple dans Pierre de Lang- toft et dans Nicole 13ozon ; mais aucune des formes qu'on trouve dans ces deux auteurs ne semble assurée. On pourrait certainement rapprocher envei de la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif enveit, et attribuer la même origine à ces deux formes. Le verbe voir, s'il a, comme nous l'admettions, amené par l'action de sa troisième personne veil la forme enveit, a pu par son impératif vei occasionner envei.

3. Chute de la muette et addition d'une s.

11 était à peine utile de faire un paragraphe spécial pour ce phéno- mène qui ne nous est assuré que par un seul exemple : sacrefis qu'on

l'impératif 369

trouve rimant avec dis au vers 177 de la Vie de Saint Laurent ; nous ne voyons pas du tout l'origine d'une telle forme et nous ne pouvons y voir qu'un barbarisme qui a été causé par les nécessités de la rime .

Avant d'abandonner les impératifs des verbes de I, disons un mot de celui d'un verbe qui se trouve à cheval, sur la première et la qua- trième conjugaison : le verbe laisser. Nous remarquerons d'abord que ce verbe ne se présente jamais à ce temps, du moins à notre connaissance, avec un e rnuet : toutes les formes de son impératif sont monosyllabiques.

La forme la plus ancienne que nous lui connaissions est lai qui ne peut provenir que de l'hypothétique laire; on trouve cette forme dans le Voyage de Saint Brandan au vers 193 du manuscrit de Londres et au vers 138 du manuscrit de l'Arsenal : cette forme est donc bien établie pour les premières années de la littérature anglo- française. On la retrouve aussi dans le manuscrit A du Saint Alexis (74 c) ; au vers 284 du Saint Gilles.

Mais à cette dernière époque, cette forme a commencer à être quelque peu archaïque, car à partir de 1160 c'est la forme lais que nous rencontrons à peu près partout, comme dans les Légendes de Marie (VIII, 213); dans les Quatre Livres des Rois (I, 14, 19); au vers 339 de la Vie de Saint Gilles; au vers 641 du Donnei. Evidemment, la diphtongue ai fait place à la diphtongue ei (rare- ment) surtout à la voyelle e. Cette forme lais avec s et sans c muet ne peut provenir que du verbe laisser après la chute de la voyelle étymologique.

B. Impératif des 11% III'' et IV^ conjugaisons.

Nous avons déjà étudié un des phénomènes les plus importants que nous ayons à signaler, lorsque nous avons énuméré les formes qui nous montrent l'action du subjonctif sur la désinence de l'im- pératif, spécialement dans les phrases négatives. Cependant, il y a d'autres points que nous ne pouvons pas ne pas mentionner; les irrégularités qui se relèvent à ce temps, et particulièrement à la seconde personne du singulier sont relativement nombreuses et nous pouvons les classer sous quatre chefs :

I . La dentale ;

24

370 L EVOLUTION DU VERBE EK ANGLO-ERANÇAIS

2. Lcr;

4. LV.

I . La dentale.

(i) Consonnes paragogiques.

La dentale paragogique de l'iniinitif n'apparaît pas à l'impératif; les exemples ne sont pas extrêmement nombreux, mais on peut citer /()/ qui se lit dans le Psautier de Cambridge (38, 12, etc.); dejrcin (ibid., 37, 6); peis (ibid.,27, ^0)5 ciiustrein, /'é-p///; (dereponere), et plusieurs autres. Nous pouvons ajouter rt^/m de raembre; ces formes se conservent très exactement, autant que le petit nombre d'exemples nous permet d'en juger.

IJ) Chute de la dentale étymologique.

Les verbes dont le thème est régulièrement terminé par une den- tale perdent très souvent cette dentale à l'impératif (cf. Meyer- Lûbkc, II, 151). Il est possible que la chute de la dentale soit un phénomène analogue à ceux dont nous avons déjà parlé à propos de la troisième personne du singulier ; plus vraisemblablement, étant donné la date à laquelle nous l'observons ici, ces verbes ont subi l'influence des verbes à dentale paragogique dont nous venons de parler. Cette chute de la dentale à l'impératif peut remonter en eff"et au xii" siècle quoique les exemples que nous rencontrons à cette époque soient assez peu nombreux; dans les Psautiers' nous ne relevons que /)/'f;/ qui devient désormais la forme régulière, et qu'on retrouve partout par la suite. Auxiii^ siècle, cette irrégularité se géné- ralise quelque peu, et les exemples deviennent plus nombreux ; malheureusement pour cette chute de la dentale étymologique nous n'avons relevé qu'un tout petit nombre d'exemples employés à la rime.

Les Dialogues Grégoire le Grand cependant nous en oflrcnt deux : rcspon (: raison)au folio 38 bet dcfen (: t'en) au folio 147 v°a. Par conséquent, même si on ne tient pas grand compte des exemples isolés des Psautiers, la dentale étymologique a commencé à dispa- raître au plus tard au commencement du xiii'' siècle.

I. Oxford, 34, 2 ; Cambridge, 34, 2 ; ^4, 3.

L IMPÉRATIF 371

Par la suite nous relevons des exemples assez nombreux; mais aucun n'est à la rime, ce qui leur enlève beaucoup de leur valeur. Citons : enten au vers 650 de la Vie de Saint Grégoire, et dans Saint Auban au vers 417 ; ren dans les Dialogues au folio 147 a; pren au vers 67 du Saint Laurent, etc.

Le xiv^ siècle pourrait nous offrir encore un certain nombre d'exemples analogues, qu'il est assez peu utile de citer, d'autant plus que nous ne pouvons pas le plus souvent affirmer qu'ils appar- tiennent au xiv^ siècle.

2 . Lq c.

Pendant le xii^ siècle et le commencement du xiii^ surtout, mais aussi plus tard, il n'est pas rare de voir le 0^ ou le c qui s'ajoute comme nous l'avons vu à la première personne du singulier du pré- sent de l'indicatif, passer à la deuxième personne du singulier de l'impératif. Nous avons eu à déterminer quels sont les thèmes ver- baux qui à l'indicatif prennent cette lettre; à l'impératif comme à l'autre temps, ce sont les thèmes en n qui se rencontrent le plus souvent avec la palatale. Par exemple iienc ou tieng est commun : nous trouvons cette forme dans le Psautier d'Oxford (26, 20); plu- sieurs fois dans les Dialogues Grégoire le Grand (aux folios 100 a; 105 r°b); au vers 456 du Saint Auban. Prendre est encore plus commun sous cette forme; citons le vers 3094 de la Vie de Saint Gilles, les folios 23 r°, 89 v°, 113 v" des Evangiles des Dompnées; dans l'Apocalypse, version 3> le vers 527, etc., etc.

D'autres verbes se rencontrent, quoique moins fréquemment et moins régulièrement; nous relevons par exemple dans les Dialogues Grégoire le Grand, de telles formes ne sont pas rares, assène au folio 80 a, demanc au folio 91 a.

3. Us.

Vs n'est régulière à la deuxième personne de l'impératif que pour un certain nombre de verbes, les verbes en sco, et en particulier les inchoatifs; ce sont par conséquent les mêmes verbes qui prennent s à la première personne du singulier et si à la troisième du présent de l'indicatif. Les exemples que nous fournissent les verbes en sco ne sont pas extrêmement nombreux ; ils sont tous parfaitement réguliers.

1.

î-'' L'ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-IRANÇAIS

L'anglo-français a marqué une certaine hésitation en ce qui con- cerne les verbes dont le thème est terminé par une palatale; et nous pouvons rappeler ici ce que nous avons eu l'occasion de dire pour cette même classe de verbes à la première et à la troisième personne du singulier. Ce que nous montre l'impératif ne peut que confirmer les observations que nous avait suggérées le présent de l'indicatif.

En un mot, certains verbes à palatale prennent quelquefois s à la seconde personne du singulier; le plus grand nombre ne la prend jamais.

Nous pouvons commencer la rapide revue que nous allons faire de ces verbes par bénir qui est un peu dans une situation à part. L'^ qu'il présente souvent à l'impératif a pu sembler aux auteurs anglo- français faire partie intégrante de son thème.

Comme l'ajustement fait remarquer M. Koschwitz, les différentes formes qu'on peut relever doivent être rapportées à un double infi- nitif : benedir et benedistre. L'impératif correspondant à la seconde forme de l'infinitif est hencdi, analogue au simple di; celui de la pre- mière est beneis et est la forme la plus commune; on la trouve par exemple dans le Psautier d'Oxford (27, 12); dans le Psautier de Cambridge (64, 11).

Pour tous les autres verbes à gutturale, Vs n'est pas régulièrement employée. Il y a toutefois quelques impératifs d'où elle est rare- ment absente, par exemple celui du verbe taire; la forme te, quoique étymologique, est isolée ; nous ne l'avons trouvée qu'à la fin du xiv^ siècle, dans Nicolas Trivet (70 r") ; elle est cependant aussi correcte que /a/ de faire, di de dire, siii de suivre (Brandan, 1599; sieu, Quatre Livres des Rois, IV, 9, 8; Psautier d'Oxford, 33, i4,etc). Malheureusement, les formes que nous donne Nicolas Trivet n'ont pas grande valeur ; nous dirons même que la forme en apparence étymologique te que nous avons citée nous semble n'être qu'un suc- cédané de la forme incorrecte, mais ordinaire, tais : cette dernière se rencontre fréquemment, par exemple dans les Distiques de Caton d'Elie de Winchester (au vers 170); dans Adgar (VIII, 206); dans Saint Gilles (2775); dans les Quatre Livres des Rois (II, 13, 20); dans les Dialogues Saint Grégoire (: frais) (106 a); dans la Vie Saint Grégoire, taes (: Moyses)(22éo); tes dans Foulques Fitz Warin (31). Et la date très tardive de te ne saurait nous laisser la moindre illusion.

L IMPERATIF 373

Il en est exactement de même de gis = jace ; la forme sans s serait seule ét3^mologique et elle n'existe pas, tandis que l'on peut trouver quelques exemples de l'autre quoique assez rarement, comme dans Robert de Gretham (112 r°).

Du reste tous les autres verbes qui ont leur thème terminé par une palatale ont une certaine tendance à prendre une s à la deuxième personne du singulier de l'impératif : même dire et faire, dont on trouve tant d'exemples avec la forme asigmatique J/ et/a/', se rencontrent parfois sous la forme avec s : dis se trouve dans la Folie Tristan (297); dans les Quatre Livres des Rois (I, 20, 6) ; et peut- être ailleurs. On trouve /rt:^ dans le Drame d'Adam (au vers 311); dans Pierre de Langtoft (II, 66, 19); mais ces deux formes sont beaucoup moins communes que les formes sans s.

On trouve aussi à citer un certain nombre de verbes dont les thèmes sont terminés par une autre lettre qu'une palatale, avec un s à la deuxième personne du singulier de l'impératif.

C'est donc une irrégularité du même genre, quoique moins facile- ment explicable, que l'on trouve dans o:^. Bestiaire (935 et 960); suceurs. Psautier d'Oxford (G, 20) ; dcsfens. Vie de Sainte Margue- rite (78) ; t'j-c/7:^dans l'Apocalypse (3 et 7, 75) (on trouve aussi dans le même ouvrage escri, x, 123, escrif,^, 70).

Toutes les formes précédentes sont du reste sporadiqueset n'ont certainement pas l'importance de tais, gis, dis et fas.

4. IJe.

Un certain nombre de verbes à thème vocalique ou consonan- tique prennent à la deuxième personne du singulier de leur impé- ratif un e que rien ne justifie.

Ici encore nous pouvons rappeler les faits que nous avons signa- lés dans notre étude de la première personne du singulier. Les premiers exemples de cet e irrégulier remontent très haut, puisqu'ils se rencontrent dans le Psautier d'Arundel. On y lit en effet pour le verbe ouïr: oie (19, 10); exoic (25, 12); la forme régulière est du

I. On trouve fai, Bestiaire 2181 ; Alexis (A) 54 e; Psautiers d'Oxford 3, 6; de Cambridge 3, 7; d'Arundcl 6, 4; Adgar IX, 165 ; Quatre Livres des Rois I, 29,4; Fa, Pierre de Langtoft II, 70, 5 ; II, 138, 17; II, 202, 6. Di, Bestiaire 853 ; Psautier d'Oxford 34, 3 ; Adgar VIII, 217 ; Boevc 57.

574 L EVOLUTfOM DU VKRBR EN ANGLO-FRANÇAIS

reste employée concurremment avec celle-ci, on la trouve même plusieurs fois (i6, i). Ce même phénomène se produit dans le même ouvrage pour plusieurs verbes à dentale appuyée comme perde (27, 3) Ci rende (17, 6).

Aucun autre ouvrage ne nous donne un nombre aussi consi- dérable de formes présentant cette irrégularité. Cependant au xiv^ siècle et peut-être même au xiii% un verbe, le verbe dire, prend presque constamment un e à cette personne. Die se trouve pour la première fois dans le poème de Boeve de Haumtone (au vers 2iéi) ; si elle appartient au scribe, cette forme date du xiv^ siècle, comme celle qu'on peut relever au fol. 65 des Heures de la Vierge, dans Pierre de Langtoft (I, 242, 2), et dans un assez grand nombre d'autres passages.

II. Le radical de l'lmpératif.

Le radical de l'impératif a été soumis à un certain nombre d'in- fluences qui se sont exercées surtout à partir du commencement du XIII' siècle. Ces influences proviennent des deux modes entre lesquels l'impératif se trouve placé : l'indicatif et le subjonctif.

a) Influence de Vindicatif.

Cette influence de l'indicatif n'a pas pu être considérable, puisque la plupart des impératifs ont le même radical que le présent de l'indicatif ; elle n'a pu se produire que pour les quelques verbes, que nous avons déjà énumérées, qui empruntent leur forme au sub- jonctif.

La seule forme qui nous montre cette influence c'est l'impé- ratif save:(_, sorte d'à^aç qu'on lit au vers 252 du Josaphat de Chardri.

b) Influence du subjonctif.

Les subjonctifs en iam ont exercé une influence considérable sur l'impératif, et cette influence, sans parler de celle qui nous a donné l'impératif des cinq verbes, avoir, être, savoir, vouloir et pouvoir, s'est manifestée de deux manières : par la mouillure de la consonne du radical ; par l'addition du suffixe ge. Remar- quons que ces deux phénomènes se sont produits peut-être dans

l'impératif 375

l'ordre inverse de celui dans lequel nous les énonçons ; mais le pre- mier a été beaucoup plus important que l'autre.

Nous rencontrons cependant, dans les poèmes du xii" siècle, quelques cas de mouillure, mais ils doivent être rejetés jusqu'au xiii% comme le cniiveigik'-, employé au vers 1748 du Tristan de Thomas, et le ;v/"/v/>;/ qu'on lit au vers 309 de la \"ie de Saint Gilles. Cependant, à cause de l'importance de ce phénomène, à cause aussi des deux exemples que nous venons de citer et dont la date n'est pas assurée, nous commencerons par la mouillure irrégulière.

Cependant nous ne relevons un nombre assez considérable d'exemples, à l'exception de ceux qui précèdent, que vers la fin du xiii^ siècle au plus tôt. Car c'est à cette date que nous trouvons à citer le souvignc de William de Waddington, au vers 2727 du manuscrit A du Manuel des Péchés ; mais, même en rapportant cette dernière forme à la fin du xiir' siècle, c'est surtout au siècle suivant que les exemples d'impératifs avec une consonne mouillée deviennent communs. Nous en allons citer quelques cas, en les empruntant à trois verbes qui ne connaissent pas à cette époque d'autre torme de l'impératif. Prciguc e.«.t d'un emploi très fréquent; on le trouve par exemple dans Pierre de Langtoft (II, 70, 8); dans le Poème du Prince Xoir (auK vers loii, 3 240) et même dans les textes non littéraires, comme les Rvmer's Foedera, les Literae Can- tuarienses, et assez souvent dans les Year Books (ci. par exemple 13 et 14 Edw. III, p. 39, ms. Y et pnssiiii).

Venir et tenir ne sont pas plus rares à l'impératif sous cette forme ; citons par exemple ritc\g)h\ qui se trouve dans Pierre de Langtott (II, 138. 18 et dans plusieurs autres endroits); veig}if\, répété plusieurs fois dans le Prince Noir (comme aux vers 2162, 3626).

C'est probablement pendant le xiii'' siècle que l'adjonction du suf- fixe gi' peut se remarquer le plus souvent à l'impératif. On trouve cependant des exemples assurés de ce phénomène même au siècle précédent, comme viciig^ au vers 2864 de l'Estorie des Engleis ou SNvioige d3.ns les Légendes de Marie d'Adgar (XXVIII, 177) ; dans ces deux exemples la mesure du vers nous montre que l'impératif compte une syllabe de plus que n'en a sa forme correcte. Même il est possible qu'il y ait eu à cette époque plus de cas d'addition du

i7^ 1/ ÉVOLUTION DU VKRBR KN ANGI.O-PRANÇAIS

suffixe ^t' que nous n'en voyons, car, pour les deux personnes du pluriel, ni la rime, ni la mesure du vers ne peut nous assurer de sa présence. Nous ne pouvons pas avoir de doute pour le xiii^ siècle les formes de l'impératif en i[e appartiennent bien à cette période.

Souvenir continue à prendre cette désinence, comme au vers 611 d'Edward le Confesseur, au vers 59 du Poème allégorique ; de même tenir, comme il est naturel, ne diffère pas de venir ; on peut voir tienge~ au vers 61 du poème que nous venons de citer. Nous n'allongerons pas cette liste d'exemples. Il nous suffira de dire qu'au xiii^ siècle, ces verbes sont très fréquemment employés à l'impéra- tif avec le suffixe ge du subjonctif.

Nous pouvons ajouter encore un certain nombre d'exemples, qui cependant n'ont ni l'importance ni la généralité de ceux qui précèdent. Prendre, comme tenir et venir, nous montre assez sou- vent le suffixe, surtout au xiii' siècle ; parmi les cas de prenge que nous avons relevés, citons celui qu'on lit dans Boeve de Haumtone (au vers 3004); celui du poème d'Edward le Confesseur (au vers 610).

Nous dirons encore un mot du verbe aller. On pourra trouver extraordinaire que nous ayons attendu à être rendu aux impératifs des verbes des trois dernières conjugaisons pour mentionner les formes qui suivent. Mais aller a un subjonctif qui appartient aux subjonctifs en iain et c'est à l'influence de ce subjonctif que nous rapportons les formes de l'impératif qu'il nous reste à citer. On trouve à celui-ci le suffixe ge, surtout au pluriel, comme dans aitgei qu'on lit dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1037); il est plus rare de le trouver au singulier; citons cependant la forme assez extraordinaire vaiiges, due aussi à Frère Angier (cf. Vie de Saint Grégoire, vers 840).

De cette double influence du subjonctif sur l'impératif, nous placerions l'introduction du suffixe ge au xii^ et au xiii' siècle et celle de la consonne mouillée au siècle suivant. Les textes et les exemples que nous avons cités ne nous donnent pas entièrement raison au point de vue des dates; mais: i" le nombre de ces deux formes est bien plus considérable pour chacune d'elles aux époques respectives que nous venons de leur assigner ; les mêmes phé- nomènes se sont produits dans cet ordre à l'indicatif;

Telles sont les déviations des types normaux que nous avons

I. IMPERATIF 377

relevées à l'impératif; elles sont nombreuses, quelques-unes ont une grande importance ; aucune n'est véritablement très générale ; c'est plutôt une série de modifications affectant un verbe particulier ou un petit nombre de verbes se rattachant à un même type, que de larges changements généraux.

Cependant, ici encore, il ne nous semble pas que l'anglo-fran- çais soit allé pour ainsi dire au hasard ; les principales modifica- tions subies par le mode impératif ont entre elles un certain lien, sinon toutes, au moins quelques-unes. Nous ne reparlerons pas ici des modifications qui sont communes à toutes les parties du verbe,, comme la chute de Ve muet final, ou de la dentale. Les autres nous montrent, semble-t-il, que l'impératif a été en quelque sorte pris entre deux modes à la fois plus importants, plus employés et plus « individuels » que lui : l'indicatif et le subjonctif. L'addition d'une gutturale, c ou k ou g et peut-être l'addition de 5 à la seconde per- sonne du singulier nous montrent comment le présent de l'indicatif a agi sur lui; l'addition du suffixe ^^ au xii*- siècle, la mouillure de la consonne du radical, toutes les fois que cette mouillure a été possible, au xiv^, sont des preuves de l'influence du subjonctif. Et il nous semble absolument certain que cette dernière influence, au moins après 1200, a été de beaucoup la plus forte.

CHAPITRE IV L'INFINITIF

Aucun mode, comme on le sait, ne soulève autant de questions que l'infinitif; quoique, étymologiquement, les formes de ce mode aux quatre conjugaisons soient très distinctes et très peu variées, l'an- glo-français a apporté plus de confusion à ces formes qu'aux modes ou aux temps les plus compliqués. Certaines de ces modifications sont devenues si usuelles qu'elles ont été considérées, souvent à tort, comme les caractéristiques du dialecte lui-même. Et sur plusieurs points la lumière n'a pas encore été faite complètement.

Nous diviserons notre étude en deux parties : la première, la plus courte et la moins importante, étudiera les questions générales indé- pendantes des conjugaisons : la question de Ve final ; celle de ïs final. La seconde comprendra les études sur les quatre conjugaisons et se divisera pour chacune d'elles en deux parties : les formes et les acquisitions.

A. Remarques générales sur la terminaison des infinitifs. I. Addition ou chute d'un e atone.

I. Les infinitifs de I, de II et de III se présentent souvent en anglo-français avec leur r final suivi d'un e atone non étymologique. Les exemples sont nombreux pour les infinitifs en er ; la langue littéraire, il est vrai, ne nous offre qu'un très petit nombre d'exemples de ce phénomène et ils datent tous du xiv^ siècle ; estere qu'on lit dans la Genèse (fol. 70 r°) doit probablement être attribué au scribe,

L INFINITIF 379

comme abaund unere âu vers 5 60 des Distiques de Citon (anonyme). On trouve aussi pensere dans les Contes de Nicole Bozon (22, 4), et dans la Chronique de Nicolas Trivet : estudiere (au fol. 7 v°).

Seuls les ouvrages littéraires peuvent nous renseigner sur la nature de cet e ; malheureusement les rimes qui pourraient nous la faire connaître sont plus que rares. Nous n'en avons relevé qu'une, très tardive évidemment, comme le phénomène lui-même : aver qui rime avec prière au fol. 93 des Vies de Saints de Nicole Bozon . Quoique Ve ne soit pas écrit à cet infinitif, on peut admettre qu'il aurait l'être et qu'il n'a pas été simplement graphique dans cet exemple. Et il n'y a aucune raison pour penser qu'il en va différemment pour les autres cas que nous avons cités.

C'est dans les ouvrages non littéraires que cette addition a été faite le plus fréquemment ; les Statutes la font quelquefois à partir du 2^ quart du xiv'' siècle, par exemple dans delivere (1326, I, 254), sopere (1335, I, 279) ', appartenere (1377, II, 5), estere (1392, II, 84) ; les cas cet e est ajouté sont plus nombreux dans les Rymer's Foedera; nous n'en citerons que quelques-uns : le plus ancien se rencontre à la fin du xiii^ siècle : recuvere (recouvrer) {1268, I, 848) ; on trouve encore au commencement du xiv« siècle prière (13 18, III, J24) ; demandere {i^^i, IV, 93); et plus tard reclamere, destourbere, eidere.

Comme ce qui arrive pour les infinitifs en ier, il y a certains recueils qui semblent montrer pour cette terminaison une prédilection particulière ; ici, c'est le Registrum Palatinum Dunel- mense et surtout le Liber Albus ; dans ce dernier ouvrage, nous trouvons, à l'année 1334, carkere, descarkere, herbergere, esploitere (p. /\i8)); marchandere (^i<))\ menere, enjoiere, avère, etc. (p. 420).

Le nombre des formes analogues qu'on peut relever dans les Year Books est considérable : on en trouve dans les premiers de ces recueils comme enjettere (21 Edw. I", 193), et quelques autres : mais il nous est impossible de dater les exemples que nous y trou- vons. Qu'elles aient été communes au commencement du xiv^ siècle, nous en avons une preuve dans les exemples qui se ren- contrent dans le ms. Y de 3 Edw. II ; il donne estere (p. 72) ; ave- rere, usere ; mais l'emploi de cet e ne devient vraiment général que

I. Cet infinitif se. trouve employé après des formes régulières :a disner, manger, ne sopere.

380 l'évolution du verbe ex anglo-français

dans les Year Books d'une date plus tardive : par exemple, dans 14 Edw. III, 16 Edw. III, 17 et 18 Edw. III. Cet e se trouve surtout employé, semble-t-il, avec certains infinitifs, comme ^/t'^'/r (3 Edw. II, 130), chère {-^o Edw. I", 525).

Les verbes de II et de III qui ont conservé leur désinence régu- lière sont aussi affectés, quoique à un moindre degré ; les oeuvres littéraires elles-mêmes nous fournissent un certain nombre d'exemples, comme les Vies de Saints de Bozon nous trouvons cette rime: eiisevclire (: martyre) (105 r°), la seule que nous ayons rencontrée et que nous considérons comme très importante, et la Chronique de Nicolas Trivet qui a beisire (50 r°).

Les Statutes ont un nombre plus considérable de cas analogues : soeffrire (1340, I, 299), obeire{^ ^82, II, 26), establire (1399, II, 1 1 1) et dans les Parliamentary Writs acomplireÇi^ 14, II, 4 27). Nous ne citerons pas tous les exemples que nous fournissent les autres recueils ; ils ne sont pas très nombreux et sont très tardifs, dans les Rymer's Foedera : servire (1392, VI, 732); ils sont très communs dans le Liber Albus : lenire, rccevire, porrire, ocomplire (1334, 419 sqq.). Il en est de même pour la langue légale ; mais les infinitifs en ir y sont assez peu nombreux et par conséquent la terminaison zV^est rare.

Les dernières lignes que nous venons d'écrire sur les verbes de II s'appliquent aussi bien aux verbes de III. Cependant, il faut remarquer que ces derniers nous offrent des exemples plus anciens et peut-être plus sûrs ; dans la langue littéraire William de Wad- dington emploie souvent la forme veire (cf. par exemple 29, 2367) et ce même verbe se retrouve encore dans les auteurs pos- térieurs : Foulques Fitz Warin (pp. 28, 29) ; dans les Contes de Nicole Bozon (§§ 19, 23); et à la rime dans le Prince Noir voire (: croire) (185); les autres verbes de III se trouvent rarement ou ne se trouvent pas sous cette forme dans la langue littéraire. Il y a cependant des exceptions : le scribe qui a écrit le ms. A du Manuel des Péchés semble avoir un goût marqué pour les infinitifs de III allongés d'un e atone .

Les autres catégories de textes anglo-français, tout en présentant souvent la forme veire^ ne limitent pas à ce verbe de III l'addition d'un e muet ; nous trouvons par exemple dans les Statutes : avoire (1340, I, 295, 297), puri'oire {i}6/[, I, 347); dans les Early Sta-

l'infinitii 381

tûtes of Ireland, savoitc (1324, 304) et quelques autres; le dernier exemple que nous avons cité se rencontre encore dans Rymer (1279, II, 133), dans le Liber Albus, etc. Pour les raisons que nous signalerons plus tard, ces formes sont rares dans les Year Books ; citons seulement : f/;t7/r (33 et 35 Ed\v. L% 507).

2. Le phénomène opposé à celui que nous venons d'exposer se remarque dans les verbes de IV. Il arrive assez fréquemment aux infinitifs de cette classe de perdre Ve étymologique final. Les formes qui suivent appartiennent toujours au xiv*^ siècle; nous en trouvons quelques exemples dans les œuvres littéraires ; dans Pierre de Langtoft nous lisons par exemple fer (= taire) (I, 64, 19; I, 112, 8), forme très commune au xiv^ siècle et qu'on retrouve aux §§ 49 et 80 des Contes de Nicole Bozon; une forme équivalente, fair, avec la diphtongue, est employée par Nicolas Trivet au folio 29, et dans un petit nombre d'autres cas. Parmi les autres verbes de IV subissant la même diminution, nous pou- vons citer ijuer dans Pierre de Langtoft (I, 212, 4 ; II, 88, 20). Quoique la plupart de ces formes se rencontrent dans des ouvrages en vers, nous ne sommes jamais sûrs que Ve atone qui n'est pas écrit, ne compte pas dans la mesure du vers. Une forme analogue nous est attestée par une rime de Nicole Bozon, qui, au vers 248 de la Vie de Saint Paul l'Ermite, fait rimer dir avec ensevelir.

Les deux wevhes fair et quer se rencontrent aussi sous cette forme à plusieurs reprises dans les Statutes (1351, I, 327; 1396, II, 93; 1369, I, 391; 1377, II, 2, etc.) et très fréquemment dans Rymer (1333, IV, 564; 1324, IV, 90) et passim dans les Literae Cantua- rienses. Ajoutons maintenant quelques autres verbes moins com- muns : «///-dans les Statutes (1350, I, 318); et dans les Parlia- mentary Writs (1324, II, 696); creir dans Rymer (1297, II, 771); eslr (id., 13 17, III, 668) ; condtiir, deslruir, etc.

On pourrait peut-être ajouter ici suir qui est extrêmement com- mun aussi bien dans la langue légale que dans la langue politique, mais nous en donnerons des exemples lorsque nous parlerons des acquisitions de la seconde conjugaison. Les Year Books pourraient nous fournir plusieurs cas de cette chute de la muette : nous nous contenterons de citer : fair (2 et 3 Edw. II, 90, 93 etc.) ei fer (ibid., 104); eslyr (14 Edv. III, 55), destruir (ibid., loi) ; mais sauf /a/r, tous les exemples que nous avons sont très tardifs, et par conséquent douteux.

382 L^ÉVOLUTIOK DU VERBE EN AKGLO-FRANÇAIS

II. Addition de s.

On trouve dans la langue politique et diplomatique et plus rarement dans la langue littéraire quelques formes qui peuvent sembler curieuses^ sinon barbares ; il arrive quelquefois que cer- tains infinitifs, spécialement des infinitifs de I, sont employés avec l's du pluriel : par exemple doners, faits, graunîers dans les Sta- tutes (1399, II, 113) ; paiers dans le même recueil (1399, II iio); engendreres (id., 1397, II, 99), deux fois; levers (id., 1397, II, 109); dans les Rymer's Foedera : paiers (1354, II, 812 ; 1390, VII, 677) ; faires (1384, VII, 422) ; venirs (1388, VII, 588) ; et peut-être quelques autres cas qui ont pu nous échapper.

Ces formes sont moins barbares qu'on pourrait le supposer ; elles sont toujours jointes à un substantif pluriel par la préposition à et jouent le rôle d'un adjectif {d. le français moderne : affaires, avenirs).

Par exemple : Cent Marks a paiers (ou appaiers) au Roy.

Dans la langue littéraire, nous n'avons relevé que peu d'exemples de ce phénomène ; la Destruction de Rome nous donne : conien- cerz^y tresbucherx_(j']-^, 775).

Ces deux infinitifs seuls sont précédés de la préposition À ; on en rencontre plusieurs autres qui ne le sont pas, comme voler^, diireri,ciihri (75e, 774, 776, 777).

Il est probable que ce :^ provient du scribe anglais, habitué peut- être aux formes de la langue politique.

Quant aux ouvrages légaux, ils ne présentent aucun infinitif avec s.

B. Études particulières. Les formes.

Les infinitifs de la première conjugaison sont régulièrement ter- minés par er ; on trouve la désinence ier lorsque le thème du verbe est terminé par c, ch, j, «, /, et encore par /, d, r, s, :-, (d)r, nt, ss, sin, sn, si quand la syllabe précédente contient un / (cf. Suchier, Les voyelles toniques, 29 c, p. 84).

Ici encore, comme nous l'avons vu à la deuxième personne du pluriel, dès les premiers temps* de l'anglo-français, la diphtongue ie passe à la voyelle simple e. Pour les raisons mêmes que nous avons

l'infinitif 383

eu l'occasion d'exposer déjà, nous ne suivrons pas les détails de ce passage dans nos auteurs'.

Cette question purement phonique ne nous regarde pas, nous avons ici simplement à voir :

Jusqu'à quelle date la forme étymologique en ier a subsisté.

2" A partir de quelle date la désinence en ier, étymologique ou non, reparaît dans les textes anglo-français.

Nous répondrons brièvement à la première question : on trouve sporadiquement la forme en ier en anglo-français après 11 50. Une des dernières formes, aussi assurées qu'elles peuvent l'être, que nous rencontrions se lit au vers 21 19 de la Vie de Sainte Cathe- rine, où tencier rime avec mestier.

Évidemment, il est possible que 1'/ ait disparu du nom aussi bien que du verbe ; mais on ne voit pas pourquoi il aurait été rétabli par le scribe.

Au XIII'' siècle, il disparaît complètement.

2. Vers la Hn du xiv^ siècle nous voyons se produire le phé- nomène inverse : exactement ce qui a eu lieu pour la seconde per- sonne du pluriel en ie^, mais ici le retour à la diphtongue est plus fortement marqué.

L'/, qui avait totalement disparu des désinences ier dès le commen- cement du XII' siècle, refait son apparition à la fin du XIV^ Nous tenterons d'expliquer dans notre seconde partie comment s'est pro- duit ce phénomène. Les exemples de cette nouvelle terminaison ier ne sont pas rares dans la dernière partie du xiv-' siècle, même dans les œuvres littéraires. Nous en trouvons quelques exemples dans le Siège de Carlaverok, l'on voit (p. ^/O ju^ier rimer avec legier ; dans Foulques Fitz Warin arestier se lit à la page 99 ; le ms. B del'Ipomédon (1350) nous donne (pour le vers 373) amas- sier ; Nicolas Trivet nous en offre de son côté un nombre assez

I. Pour le passage de ie à e, on peut voir les ouvrages suivants: pour les dia- lectes du continent : Koschwitz, Rom. Studien II, p. 56 ; Pèlerinage, p. 19 ; V. Ram- beau, Die Assonanzen im Oxforder Roland, p. 147 ; Uhlemann, Grammatische Studien uber Wace, p. 43 ; Ulbrich, Zeitschrift II, p. 529 ; Volmôller, Mûnchener Brut, xxxij ; Warncke, Marie de France, xxix ; G. Paris, Romania IV, p. 122 ; Theodor Pohl, Untersuchung der Reime in Wace's « Roman de Rou et des ducs de Normandie », Romanische Forschungen II, p. 321 ; .^dolf Schmitt, Guil- laume le Clerc de Normandie insbesondere seine Magdalenen Légende, Roma- nische Studien IV, p. 495 ;H. Suchier, Zeitschrift fiir rom. Phil. I, p. 569.

384 l'évolution du VERnK EN ANGLO-1 RANÇAIS

considérable : Jotier (15 r°) ; dcmainuiier {i $ v"); csperier (18 r°) ; gardicr (^i^ y"^, etc. On pourra remarquer qu'aucune de ces ter- minaisons en ier, sauf pour jugier, n'entre dans les catégories de terminaisons en ier que nous avons énoncées d'après M . Suchier ; ce n'est donc pas un retour à l'usage ancien et correct.

Le scribe de la Destruction de Rome emploie cette désinence très souvent : on trouve contier (au vers 83) ; encUnier (au vers 84), ciesporticr (^)4) ; crollier (135), esgardier (136); gastier (142), etc.

D'une façon générale, tous les scribes de la seconde moitié du xiV siècle emploient ier plus ou moins fréquemment et plus ou moins régulièrement . Mais c'est surtout en dehors de la littérature, dans l'anglo-français politique, diplomatique, familier et légal que cette désinence devient fréquente. Dans tous les textes que nous avons étudiés, on rencontre des infinitifs avec cette terminaison, et dans certains d'entre eux leur nombre est considérable. Ils sont communs dans les Statutes, les Parliamentary Writs, les Mem. Pari, et les autres recueils de cette nature ; encore plus fréquents dans les Traités de Rymer ; extrêmement nombreux dans les Literae Cantuarienses. Nous allons donner aussi brièvement que possible quelques détails sur ces infinitifs.

On trouve avec cette désinence des verbes des quatre conjugai- sons ; les plus communs sont probablement et comme il est natu- rel les verbes de I, mais ceux de II ne leur cèdent pas de beaucoup; les verbes de III et de IV sont relativement rares.

a) VERBES DE I.

Dans les Statutes et dans les recueils semblables, les verbes qui ne font que reprendre cette terminaison, par opposition à ceux qui la prennent illégitimement, sont nombreux; on trouve en effet dans les Statutes : chacier, pronuncier (1275, I, 31 et 35); mangier (i^^o, I, 262); comencier (1340, I, 283, 280); serchier Çïd., ibid.) ; pronuncier (id., ibid.) ; enforcier (1391, I, 78), pour n'en citer que quelques-uns ; on peut encore retrouver la plu- part de ces verbes dans les autres recueils, chacier dans les Early Statutes ofireland (1285, éo); serchier, ajcrcier dans les Parliamen- tary Writs (1297, I, 393, et 1312, 2'' App., z|5) ; et on peut leur ajouter r edrcr ier (id., ibid.).

L INFINITIF 385

Mais il faut remarquer que : aucun de ces verbes ne se trouve employé d'une manière sensiblement plus fréquente que les autres ; aucun de ces verbes ne se présente exclusivement sous cette forme.

Les infinitifs de I pour lesquels cette terminaison n'est pas con- forme à l'étvmologie sont un peu plus nombreux que les autres; nous allons en donner quelques exemples en essayant surtout de donner ceux qui sont communs aux différents textes de la langue politique que nous avons mis à contribution. Arestier se trouve dans les Statutes (I, 1275, 29) ; dans les Early Statutes of Ireland (1285, 54); dans les Parliamentary Writs(i3i8, II, 172) ; gran- lier est employé dans les Statutes (1383, II, 35) ; dans les Mem. Pari. 1305 38). Nous allons, pour abréger quelque peu notre énumération, nous contenter de citer les verbes qui prennent cette désinence sans donner de référence; dans les Statutes on relève: contier, destorbîer, mostrier, ostier, occnpier, deposier, rentier ; dans les Parliamentary Writs : desportier, exaniinier, hastier, remembrier, demo- rier ; dans les Mem. Pari. 1305 : chauntier,arentier.

Les deux observations que nous avons faites à propos des verbes pour lesquels la terminaison ier était étymologique s'ap- pliquent encore ici.

Si l'on prend ensemble les deux classes des verbes de I avec cette terminaison, on trouve que les Statutes présentent plus d'une vingtaine de formes; les Parliamentar}' Writs une dizaine ; les Mem. Pari, environ la moitié moins. Au point de vue des dates, il est à peu près impossible de se rendre un compte exact de l'époque à laquelle ces terminaisons ont été le plus employées; dans les Statutes, on en trouve déjà six dans un seul texte de l'année 1275 i après cette date, nous n'en trouverons jamais un nombre aussi considérable pour une seule année, mais l'époque à laquelle nous pouvons après celle-ci relever un plus grand nombre de cas est la dernière décade du xiV' siècle.

Dans les Rymer's Foedera, le nombre de ces terminaisons est un peu plus considérable encore ; on peut aussi remarquer que le rapport entre les deux classes que nous avons distinguées plus haut (étymologiques et non étymologiques) est changé en faveur de la seconde. Comme formes qui reviennent à leur terminaison primitive, on peut citer : adoniagicr (1338, V, 54) ; pourchacier

25

3 86 l'évolution du vekbi- ex akglo-i-kançals

(1339, V, 1 1 4); prou iincier {i^j{j, V, 764) ;tnnrlier{i}^S, \\6^6); efforcicr {i})S, VI, 97);jiigier (1367, VI, 563) ; appaisicr, commen- cier, adrechicr Cl peut-être quelques autres encore.

Les exemples qui nous montrent la terminaison ier affectant des verbes de I qui n'ont pas étymologiquement cette désinence, sont très fréquents. Quelques-uns se trouvent répétés plusieurs fois, comme iiiiisirier (1294, II, 620; 1309, III. 152 ; 1330, IV, 450) ; granlier {\ 1,20, III, 809 ; 1326, IV, 205 ; 1366, VI, 540). Enumé- rons maintenant quelques-uns des autres verbes que nous avons relevés : gardier, jnrier. al ier, toitniicr, osticr, occupier, par lier, execu- tier, durier.

Dans Rymer, il n'y a que très peu d'exemples qui remontent à la fin du xiii' siècle ; la plupart de ceux que nous avons relevés se trouvent également distribués ou presque, dans le courant du xiv^ siècle, sans qu'il soit possible d'établir avec précision à quel moment ils se trouvent en plus grand nombre ; nous avons eu l'impression que c'est la quatrième décade de ce siècle (1330-40) qui nous a donné la plus riche moisson ; mais cela peut n'être qu'un hasard.

Cependant, cette impression est jusqu'à un certain point confir- mée par l'étude des textes en langue familière : les Lettres de Jean de Peckham, qui datent de la fin du xiii" et du commencement du xiv^, ne nous en offrent qu'un nombre restreint : proniincier (1281, 149) ; de même les Lettres de Rois des Documents Inédits, de la fin du xiv% n'en présentent que peu : presenticr, avansoier (Doc. inéd. 1380, 219 ; 1372, r88).

Au contraire, les Literae Cantuarienses, et spécialement celles qui portent des dates entre 1325 et 1335, nous en offrent un nombre extraordinaire; nous avons par exemple pour l'année 1332 : pari ier, iiiaimdier, gardier, ministrier, achat ier, esploitier, enforlicr, coniandier, salvier, pardonîer, pruvier. A Vannée 1333, en vingt lignes, nous trouvons : recordier, donier, saiivier,parlier, ajfermier, portier ; pen- dant ces dix ans la terminaison simple er disparait presque com- plètement. Il ne semble donc pas impossible de conclure que l'usage de la terminaison ier que l'on trouve dans tous les ouvrages non littéraires anglo-français jusqu'à la fin du xiV siècle a certainement commencé au plus tard avec le quatrième quart du xiii*^ siècle et qu'il est arrivé à son maximum entre les années 1325 et 1335.

l'infinith- 387

Nous ne pouvons évidemment pas donner de date aussi précise pour les infinitifs en ier que nous rencontrons dans les Year Books ; cependant nous n'en avons relevé aucun exemple dans les tout pre- miers recueils ; c'est dans 33 et 35 Edw. P'' (c'est-à-dire 1305-7) que nous trouvons cette forme pour la première fois : legitiiiiier (p. 577) et elle esta peu près isolée. Dans i et 2 Edv. Il, nous ■àvons accepticr (pp. 69 et 85); puis dans 2 et 3 Edw. II : oustier, bustier (pp. 51, 158) ; dans 3 Edw. II : deschar gier, ostier, qui sont assurés par Y (pp. 60, 62). On continue à en trouver dans les recueils subséquents jusqu'à 17 et 18 Edw. III ; mais ces termi- naisons sont peu nombreuses, et nous ne pouvons guère préciser avec quelque certitude l'époque à laquelle elles ont été le plus com- munément employées : nous savons seulement qu'elles ont existé au commencement du xiV-' siècle et qu'elles ont continué, plus ou moins sporadiquement, jusqu'à la fin de ce siècle; mais il est pro- bable que les scribes ont en hire disparaître un grand nombre.

L'étude de la terminaison ier dans les verbes de II, de III et de IV appartient plus naturellement aux chapitres qui vont suivre ; nous allons cependant en dire un mot maintenant, puisque, après tout, en prenant cette terminaison ces verbes se sont joints aux verbes de I; du reste, ce que nous allons dire ne pourra que confir- mer les conclusions auxquelles nous a menés l'étude précédente.

Dans quelques ouvrages du xiii^ siècle, mais fort rarement, spé- cialement pendant la seconde moitié du xiv% nous trouvons un assez grand nombre d'infinitifs de II qui sont employés avec la ter- minaison ier ; il est impossible de donner pour les exemples qui se trouvent dans les oeuvres littéraires une date, même approximative, de ce changement, car d'abord ces infinitifs sont rarement employés à la rime, et quand ils le sont, ils se trouvent le plus souvent accouplés avec la désinence en er. Pour les textes littéraires, le plus sage serait de reculer la date de ce phénomène jusqu'au milieu du xiv^ siècle. Cependant nous en trouvons un certain nombre d'exemples avant cette date, comme escharuiei à la rime du vers 2587 de Boeve (ms. B, milieu du xiV^ siècle); loiier dans Wil. Rishanger, -^t,^ ; faillie r cl servier sont tous les deux donnés par le ms. A de l'Ipomédon (vers 260, 297) et on en trouve quelques autres qui appartiennent à de mauvais textes de laiîii du xiii' siècle

388 l'évolution du vhrbe en anglo-frakçals

ou qui peuvent provenir des scribes du siècle suivant. Au connnen- cenient du xiv"-' les formes en ier pour //' restent rares; citons dans la Vie de Sainte Marguerite plcisier qui rime avec demorer au vers 71 et l'interrime mcintenier : couvenier aux vers 52-53 du Siège de Carlaverok. Ce n'est que vers 1370 que les exemples deviennent vraiment communs, par exemple dans la Chronique de Nicolas Trivet on peut lire aannplier {^2^ r°); departier (12 r°); dorniier (12 V); morier (28 V, 46 v") ; servier (50 r''); siiffrier (28 v°) ; tcnier (7 v", 1 5 r°) ; venier (15 r", 50 r°).

Ces formes ne sont pas très nombreuses dans la langue politique, mais celles que nous y trouvons peuvent nous servir pour préciser quelques dates ; et ces dates concordent exactement avec celles que nous donnent les œuvres littéraires. Dans les Statutes, on relève un petit nombre d'exemples avant la fin du wW siècle, comme rever- tier (1278, I, 48). Le plus grand nombre, et il n'est pas très consi- dérable dans ce recueil, se trouve vers le milieu du siècle suivant et plus tard; citons ohcier (1340, I, 288; 1350, I, 319); piniier (1363, I, 379). Dans la dernière partie de ce siècle, les exemples deviennent proportionnellement plus nombreux : piinicr, acoiiiplier, departier et quelques autres se rencontrent après 1375. Les Parliamentary Writs, entre 13 14 et 1322, nous donnent : ciiUier, venier, parjonriiier; les mêmes verbes et quelques nouveaux comme : reslnblier, assentier, soetfrier,se trouvent dans les Traités de Rymerà des dates variables et assez également disséminées entre le commencement et la fin du xiv^ siècle. C'est encore dans les Literae Cantuarienses que nous trouvons le plus grand nombre d'exemples toujours à la même date: sentier, seissier, soeffrier, etc. Ils sont peu communs dans les Year Books; on ne trouve guère que partier, garanlier et quelques autres.

Les verbes de III avec la désinence ier sont assez rares; pour les œuvres littéraires nous trouvons ^^îvV/- donné pour le vers 2134 du Cumpoz par le ms. S. Les Statutes et autres écrits politiques ne nous en donnent aucun exemple ; Rynier en a au moins un, répété plusieurs fois : recevier, qui se lit par exemple à l'année 1363 (vol. VI, p. 430). Les Literae Cantuarienses sont le seul ouvrage qui en présente un certain nombre de cas : 5rtr/Vr (1331, 431, 439; M33019). avier(is^o, 336; 1331, 426, 427); ces deux foi mes sont fréquentes; ajoutons: recevier, cheier.

Les verbes de la quatrième conjugaison se trouvent moins tré-

L INPIKITIF 309

quemment encore sous cette forme ; les ouvrages politiques et diplomatiques n'en offrent aucun exemple; les Literae Cantuarienses seules ont : ta! lier (1332, 39 0-

I; Modifications tic /'i.

Nousavons vu (première personne du pluriel) et nous verrons plus tard (participe passé) que \'i de la diphtongue ie passe parfois à oi. Ceci n'a lieu à l'infinitif que dans un nombre infime de cas. Nous ne trouvons à citer que a lui 11 soicr dans les Documents inédits (1372, 188).

II. Autres terminaisons.

La terminaison des infinitifs de I prend rarement une autre forme que celles que nous venons de voir. Il faut cependant signaler la ter- minaison ecr et la terminaison ar.

L'anglo-français littéraire nous donne quelques exemples de la première de ces terminaisons, par exemple dans Foulques Fitz Warin : acordeer (p. 79).

On trouve encore cette même désinence dans un Fragment d'une traduction delà Bible du milieu du xiii'^ siècle (Rom. XVI, p. 183, 559); on y lit tricloeer au vers 855 ; de même le scribe de la Des- truction de Rome nous donne: esteer (vers 68); alecr (vers 1 1 1 et 124); ceieer (vers 269). En somme ce ne sont que les auteurs d'ouvrages littéraires d'une date assez récente et spécialement les scribes de la fin du xiv= siècle (cf. Nicolas Trivet) qui l'emploient; et encore ne le font-ils que rarement. Le nombre de ces exemples est trop peu considérable pour que nous puissions nous rendre un compte exact de la valeur de cette terminaison; dans la traduction de la Bible, eer semble compter pour deux syllabes :

Quiez mei tricheer ? dist Heliseu (décasyllabe).

Mais Foulques est en prose, et les exemples de la Destruction de Rome appartiennent au scribe. Il est donc impossible de tirer une conclusion assurée du seul exemple qui nous reste.

La langue politique et diplomatique nous en montre un nombre plus considérable quoique minime encore et d'une date sensible- ment plus reculée. Par exemple les Statutes ont cssoneer à la date

390 L EVOLUTION DU VF.RKH l-N ANGLO-FRAXÇAIS

de 1278 (I, 48); cs/^rr ( 1 3 5 3 , 1 , 329 et 337); peui-êire aussi enqueei- (1350, I, 322), qui probablement est le résultat d'une métathèse (cf. Infinitifs de la quatrième conjugaison). Comme on le voit, les Statutes ne nous offrent qu'un tout petit nombre d'exemples de cette désinence.

Les autres textes ne nous ont pas donné davantage ; c'est ainsi que les Mem. Pari. 1305 ont pneer 126); proveer se trouve dans les Historic and Municipal Documents of Ireland (13 19, 453); mostreer se lit dans les Documents inédits (1310, 57). Cette dési- nence en eer est extrêmement rare dans les Year Books; nous n'en citerons aucun exemple, car tous ceux que nous avons relevés sont d'une date douteuse.

Ar^ comme désinence de l'infinitif de I, est encore plus rare ; nous en avons trouvé un exemple à la rime dans le Comput : guar- dar (: César) au vers 776, et un autre, plus douteux, dans Rymer : reparar {\^^o, V, 675).

III. Acquisiiion des infiiiiiifs en er.

La conjugaison cr est une conjugaison vivante et a toujours, spé- cialement en anglo-français, attiré les verbes de certaines autres conjugaisons; il n'y a pas de phénomène plus connu, en anglo- français, que le passage des infinitifs de III à la forme de I. Dans les premiers textes déjà, nous trouvons des exemples de ce phénomène; tous ne sont pas assurés, mais qu'ils proviennent des auteurs ou des scribes on les y rencontre toujours. On a même l'habitude de considérer cette présence à l'infinitif de terminaisons er pour eir comme un des meilleurs critériums pour reconnaître si un ouvrage a été composé par un auteur anglo-français ou écrit par un scribe d'Angleterre. Cette question est donc importante et, quoiqu'elle ait déjà retenu l'attention de nombreux savants, il sera bon que nous l'étudions d'aussi près qu'il nous sera possible'.

I . Nous ne prétendons pas citer tous les ouvrages qui s'occupent de cette ques- tion ; nous en donnerons simplement quelques-uns parmi les plus importants ; les études qui précèdent généralement les éditions des différents auteurs anglo-fran- çais traitent presque toutes, au point de vue de l'auteur, du passage de eir à er.

H. Suchier, Français et Provençal, p. 25; Voyelles toniques, p. 92,530; r. Mever, Romania, XVIII. p. 626 : Introduction des Contes deN. Bozon, Ixij;

L INFIN'ITIF 391

Comme nous l'avons déjà dit, on trouve dans tous les ouvrages anglo-français, même ceux de la première heure, des traces de ce phénomène, mais il semble que, pour la majorité de ces cas, nous devions en laisser la responsabilité aux scribes. Pour arriver à des conclusions aussi certaines que possible, nous étudierons les princi- paux textes du xii^ siècle à deux points de vue: d'abord nous tcâcherons de découvrir quelles ont été les habitudes de l'auteur lui-même ; ensuite nous déterminerons les habitudes des scribes. En reportant à leurs dates respectives ces deux séries de données, nous arriverons à nous faire une idée de ce qu'était l'usage d'une époque donnée d'abord chez les auteurs, ensuite chez les scribes. Cette comparaison nous sera des plus utiles et fournira, croyons-nous, une base excel- lente à notre travail. Nous sommes même persuadés que cette méthode seule pourra nous faire connaître non seulement la modalité du passage de la terminaison eir à cr, mais surtout les causes de ce changement.

Évidemment, pour étudier les auteurs, nous aurons à nous con- tenter de l'étude des rimes dans les ouvrages en vers; d'une façon générale, nous ne sommes pas portés à nous exagérer la solidité de conclusions portant seulement sur des rimes ; nous savons trop que la phonétique anglo-française, à certaines périodes, manquait trop de rigueur pour que les rimes puissent être des instruments de con- trôle bien sûrs ; et en second lieu, nous avons rencontré trop déformes créées uniquement pour les nécessités de la rime pour que nous accor- dions à celle-ci une très grande valeur dans tous les cas. Mais ces deux objections ne s'appliquent pas à la période qui nous occupe. Même quand le nombre de syllabes du vers présente aux auteurs anglo- français de la première moitié du xu^ siècle des difficultés qui semblent insurmontables, ils riment bien.

Pour la langue des scribes, nous aurons deux façons d'arriver à la connaître. D'abord certains ouvrages en prose que nous rappor- tons au temps ils ont été écrits, comme les Quatre Livres des Rois; ensuite dans chaque manuscrit les formes qui n'appar- tiennent évidemment pas à l'auteur.

Meycr-Lùbke, Grammaire, II, p. 158,5 1 17 ; Stiraming, Boeve de Haumtone, xxviij ; Behrens, Zur Lautlehere, p.i 38 ; Litteraturbhut, IV, 511; Ten Brink, Chau- cer, p. 70. Voir aussi Hildebrand, Liber Censualis, p. 38, § 4 ;Huber, Abhandlung ûber die Sprache des « Romans du Mont Saint-Michel », dans l'Archiv de Herrig, 1S86, p. 144.

^92 L KVOI.UTION DU VF.RBF. EN ANGLO-FRANÇAIS

Ici encore nous sommes loin d'arriver à la certitude, et dans les deux cas précédents, il est possible que nous attribuions à un scribe ce qui revient à l'auteur ou à un scribe d'une époque anté- rieure. Mais comme nous avons à étudier des formes nouvelles, le risque d'erreur est ici négligeable.

I. Les auteurs.

Dans les textes qui appartiennent aux trois premiers quarts du xii^ siècle, nous ne relevons aucune rime irrégulière. Jamais un infi- nitif de III ne rime en er. Au contraire, nous pouvons facilement trouver des rimes assez nombreuses ces infinitifs apparaissent sous leur forme régulière.

Nous ne répéterons pas ici les exemples qu'on a donnés de telles rimes pour le Bestiaire, le Cumpoz ou le Voyage de Saint Brandan. Nous prendrons toutefois quelques exemples dans les poèmes qui suivent immédiatement ceux que nous venons dénommer.

L'Estorie des Engleis de Gaimar nous montre un nombre assez considérable d'infinitifs de la troisième conjugaison à la rime et toujours ces rimes nous les montrent sous leur forme étymolo- gique. En voici quelques-unes : au vers 3693, nous voyons aveir rimant avec veir (verum), et avec eir au vers 4537; receveir rime avec hair au vers 4552. Les rimes de ce genre ne sont pas rares dans ce poème, mais il n'est pas utile d'en citer davantage. Quant aux rimes contraires, elles n'existent pas. Les interrimes, il est vrai, nous montrent souvent des infinitifs de III avec la désinence de la pre- mière conjugaison, mais ces formes proviennent des scribes.

Dans Adgar_, nous trouvons le même état de choses ; les rimes correctes sont assez communes, comme aveir (: seir), XII, 1 5 ; sàveir (: seir), XXI, 96; mais, pour une raison ou pour une autre, elles sont absolument et relativement moins nombreuses que dans l'Estorie des Engleis.

Dans le Tristan de Thomas la seule rime qu'on trouve, c'est aveir {: neir)au vers 156; dans la Folie Tristan, zwV(videre) (: veir verum) au vers 133. Ni la Chronique de Fantosme, ni le poème de Horn n'ont une seule laisse en eir; mais on peut remarquer que les deux poèmes ont chacun plusieurs centaines de vers rimant en er et qu'aucun infinitif de III ne s'est introduit dans ces laisses. De

L INFINITIF 393

même, les rimes en eir pour les infinitifs de III sont rares dans l'Ipo- médon, les rimes en ^r absentes.

Le premier ouvrage en vers, à notre connaissance, qui nous donne un exemple assuré du passage des infinitifs de III à la forme des infinitifs de I, est la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking; dans ce poème nous trouvons au vers 1321 la rime, saveirÇ: parler); par contre les rimes régulières sont assez nombreuses; par exemple poeir (: veir), 876. La date de la composition de cet ouvrage n'est pas très facile à fixer ; une étude des rimes nous a montré qu'on ne pouvait guère le faire remonter plus haut que 1 175 ; en outre il est certainement antérieur au commencement du XIII'' siècle. On doit donc considérer qu'il appartient au commence- ment du quatrième quart du xii^ siècle.

A la même époque ou à très peu de chose près, l'auteur de la Vie de Saint Gilles fait rimer maneir avec aprismer au vers 1623 saveir avec veer (vetare) au vers 3 121 ; ici encore nous pourrions citer un nombre beaucoup plus considérable de rimes régulières.

Quelques années plus tard, le Donnei des Amants nous offre encore de nouveaux exemples, plus nombreux, absolument et rela- tivement, que dans les deux ouvrages précédents. Dans ce Donnei des Amants, on trouve aver rimant trois fois avec des infinitifs de I, avec doluserau vers 143, avec aler au vers 950 ; avec parler au vers 281. Enfin Everart de Kirkham, qui peut-être n'a écrit qu'au xiii^ siècle, nous donne un assez grand nombre de ces formes dans ses Distiques : poer (: ester) (15 d) ; saver (: estriver) (40 f) ; aver (: duter) (52 f); (: duner) (55 f), nombre d'exemples considérable étant donné le peu d'étendue du poème.

Voilà donc ce que nous font connaître les écrivains en vers du xii^ siècle. Pendant les trois premiers quarts nous ne trouvons que des rimes régulières ; pendant le quatrième quart de ce même siècle, les rimes régulières continuent à dominer, mais au moins six formes en er sont dûment attestées : saver (Vie de Sainte Catherine) ; marier, saver (Vie de Saint Gilles) ; aver (Donnei des Amants, trois fois) ; peut-être 10 : poer, saver, aver (2 fois), si les Distiques d'Eve- rart de Kirkham ont été écrits au xii^ siècle.

En un mot, les formes correctes dominent pendant tout le siècle; pendant les deux ou trois dernières décades on relève un petit nombre de terminaisons irrégulières dont l'authenticité est cer- taine.

^94 '• '-EVOLUTION DU VKRRH EN ANGLO-FRANÇAIS

2. Les scribes.

Ces conclusions cependant ne nous suffisent pas, et nous devons maintenant les confronter avec celles que nous fournit l'étude des manuscrits qui datent du xii^ siècle. Il est évident que l'absence des formes nouvelles dans un manuscrit, reproduisant un ouvrage anté- rieur à la Vie de Sainte Catherine ou à celle de Saint Gilles, ne peut rien nous apprendre; la correction du texte que nous lisons peut tout aussi bien provenir de la fidélité du scribe que de ses habitudes propres ; ce sont surtout les formes irrégulières qui sont instructives.

Nous avons choisi pour faire cette étude un certain nombre de manuscrits écrits à différentes dates du xii^ siècle; les voici dans leur ordre chronologique, avec leur date approximative.

1 . Manuscrit L de l'Alexis, vers 1150.

2. Cott. du Cumpoz et du Bestiaire, vers 11 50. 3 . A de l'Alexis, un peu postérieur à 1150.

4. A du Cumpoz, 1150.

5. Psautier d'Oxford, 11 50.

6. Psautier d'Arundel, vers ii6o(?).

7. Brandan, vers 1 167.

8. Roland d'Oxford, vers 11 70.

9. Quatre Livres des Rois, 3^ quart du xii' s.

10. O du Bestiaire, versii75.

11. Egerton des Légendes de Marie, fin du xii' s.

12. Douce des vers 1268-3087 du Tristan de Thomas

dernières années du xii'^ s.

De cette façon nous avons des manuscrits qui couvrent aussi exactement que possible la seconde moitié du xii* siècle.

Nous n'allons pas, pour ces différents mss., citer un grand nombre d'exemples ; nous nous contenterons de résumer en quelques mots pour chacun d'eux l'état des terminaisons en eir.

Nous allons voir que, immédiatement après le commencement de la seconde moitié de ce siècle, les terminaisons irrégulières en er se montrent et leur nombre augmente assez lentement d'abord puis plus rapidement à mesure qu'on avance.

I. IXFIXITIF ^95

Dans les deux premiers mss. que nous avons cités, nous n'avons pas relevé un seul exemple de terminaison irrégulière. Les premiers cas de désinence en er pour les verbes de III se rencontrent dans les trois manuscrits un peu postérieurs à 1150 : le ms. A de l'Alexis en a quelques exemples (Cf. Paris, Introduction, p. 74 et strophe ro6 d) ; le ms. A du Cumpoz en contient un peu plus (par exemple aux vers 1199, 2134, 2175, etc.); le Psautier d'Oxford ne nous donne qu'un seul cas de terminaison en er pour eir : avcr(ioi, 14); dans le manuscrit qui nous a donné le Voyage de Saint Brandan, nous relevons chaer (au vers 657), mimer (muveir) (au vers 16 14) (cf Stengel, Zeitschrift fiir neufr. Sprache und Literatur, I, 46) ; ces formes sont propres à ce manuscrit; celui de l'Arsenal donne chict, mouvoir.

Par conséquent, ces six manuscrits nous montrent que, au com- mencement de la seconde moitié du xii^ siècle, quelques scribes au moins ignoraient probablement la désinence en er pour les infini- tifs de III; mais que, immédiatement après 1150^ celle-ci apparaît assez rarement d'abord sous la plume d'autres scribes.

Dans le Psautier d'Arundel, qui ne saurait être postérieur de beaucoup aux derniers manuscrits que nous venons de citer, s'il leur est postérieur, le nombre de ces formes nouvelles devient subitement beaucoup plus considérable; ainsi on lit : ivcr (15, 10); voer (26, 19); voicr (33, 12), pour ne citer qu'un seul verbe; dans le Roland d'Oxford, nous en trouvons encore un certain nombre, comme, au vers 426, saver.

En suivant toujours pas à pas l'ordre chronologique, nous voyons ces terminaisons augmenter dans une proportion considérable dans les Quatre Livres des Rois et la désinence en er s'appliquer à presque tous les infinitifs de la troisième conjugaison ; nous n'en citerons que quelques exemples, comme wér.(II, 3, 6); seer (III, i, 27); àseer (\ll, 7, 21); ta mer (l, 40, 20). Le manuscrit des Légendes de Marie, quoiqu'il respecte dans un bon nombre de cas les désinences régulières de l'auteur, peut nous fournir toute la série des formes en er, et il serait aussi inutile qu'ennuyeux de les citer toutes : citons au hasard estuver (IK, $S') ; seer (V K , 198); r7îrr (XXVIII, 118).

Nous ne pouvons que répéter à propos du manuscrit Douce du poème de Tristan ce que nous venons de dire du manuscrit des

39<> l'évolution du vkrbk en anglo-français

Légendes de Marie : les formes nouvelles y sont extrêmement nom- breuses, comme aver (1301); poer (2454); saver (1791); veer (2168); voler (2454).

Par conséquent il est déjà évident que les renseignements que nous ont fournis les manuscrits concordent parfaitement entre eux et ils sont assez nombreux pour emporter la conviction que les scribes, dès le commencement de la seconde moitié du xii* siècle, employaient la terminaison er pour les infinitifs de III, que ces formes nouvelles augmentent très rapidement et que vers le com- mencement du quatrième quart, elles sont déjà fort communes.

Si nous tentons maintenant de combiner les résultats que nous fournit l'étude des textes et celle des manuscrits, nous arrivons à cette conclusion que la substitution de cr à eir est certainement antérieure dans les seconds. La désinence en er a apparu dans la langue des auteurs à plus d'un quart de siècle plus tard que dans la langue des manuscrits. Il y a en effet un intervalle d'au moins trente ans environ entre le ms. A du Saint Alexis et la Vie de Sainte Catherine.

Cette différence met en relief la discordance évidente qui existe entre les deux classes, et cette discordance est double. D'abord nous remarquons la différence de dates que nous signalions ; ensuite une différence entre le nombre d'exemples que nous rencontrons dans chacune d'elles, à un moment donné.

En effet les exemples que nous fournissent les auteurs ne sont pas seulement sensiblement plus tardifs que ceux qui nous sont donnés par les scribes, mais ils sont constamment moins nombreux. Les rimes, qui chez eux nous assurent de l'existence de la dési- nence ener pour les infinitifs de III, sont très rares, et nous verrons tout à l'heure, en étudiant la même question au xiii^ siècle, qu'il n'y a rien dans la nature des choses pour que ce nombre ne soit infiniment plus considérable.

Les scribes sont donc doublement en avance sur les auteurs qui leur sont contemporains, pour la date et pour le nombre des exemples.

Ainsi, il semble à première vue, surtout si nous admettons qu'il y a dans l'anglo-français une certaine unité, pour chaque période, ceci ne peut guère être nié pour l'anglo-français du xii^ siècle, et cette hypothèse estla condition fondamentale de toute étudegénérale

L INFINITIF 397

sur le dialecte anglo-français, qu'il y ait une contradiction entre l'usage des auteurs et celui des scribes; il n'en est rien cependant et nous verrons dans la seconde partie de ce travail que ce sont ces divergences mêmes qui nous expliqueront le mécanisme du passage de eir à er. Pour le moment nous devons nous borner à exposer les

fiUtS.

Pour introduire un peu d'ordre et de clarté dans un sujet en soi assez confus, il sera bon de diviser les auteurs du xiii^ siècle en trois classes : ceux qui ne présentent jamais à la rime un infinitif de III et une terminaison en er ; ceux pour lesquels nous trouvons à côté des rimes régulières d'autres qui nous montrent que ces infinitifs ont aussi, à l'occasion du moins, la nouvelle forme ; enfin ceux qui par leurs rimes nous donneraient à croire qu'ils ne connaissent pas ou ne veulent plus employer la forme correcte'.

Il est évident que les renseignements qui nous sont tournis par les auteurs de la première et de la dernière classe ne nous per- mettent pas de tirer des conclusions très rigoureuses. Que les formes en eir ou celles en er soient absentes des rimes, cela peut n'être après tout que l'effet du hasard; mais ces renseignements qui, pris isolément, n'ont guère que la valeur de présomptions, prennent une tout autre importance quand ils sont groupés ; on peut à la rigueur admettre le hasard pour un auteur; il est beaucoup plus difficile de l'admettre pour deux, surtout s'ils sont chronologique- ment voisins.

I. Auteurs ne montrant pas à la rime la terminaison er, pour les verbes de III. Il n'y a que peu d'auteurs à entrer danscetpe caté- gorie : de tous les ouvrages du xiii^ siècle que nous avons lus, nous n'en trouvons que trois qui n'emploient jamais à la rime un infini- tif de III avec un mot terminé par cr; ces trois ouvrages sont le Saint Laurent, le Saint Julien, le Saint Edmund. Ils ont, au con- traire, tous les trois des rimes régulières.

Par exemple, dans le Saint Laurent, veer (lire veeir) rime avec espeir au vers 622 (cas unique). Le Saint Julien a solcir ('. espeir) 69 (cas unique) et nous trouvons les deux rimes suivantes dans le Saint Edmund : saveir (: veir) (432); aveir (: eir) (457). Donc

I. Nous ne parlons: que des poèmes d'une certaine longueur; que des poèmes qui, sous une des deux formes, ont à la rime des infinitits de III.

^9S 1. "ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-lKANÇAlS

nous trouvons pour ces trois poèmes: r' absence absolue des rimes cir : er; 2^ quatre rimes régulières. On peut encore citer, pour mémoire, des poèmes assez courts qui n'ont aucune rime en er entre un infinitif de III. Le Poème Allégorique qui a aver, saver (: veir) au vers 6i-6^, et le Roman des Romans aveir rime avec vcir au vers 574. Comme on le voit, le nombre des auteurs et des rimes qu'ils fournissent est mince, et ne saurait nous prouver grand'chose.

IL Auteurs ayant à la rime les deux terminaisons pour les infi- nitifs de III. Il n'y a qu'un nombre insignifiant d'auteurs à avoir simultanément lesdeux sortesde rimes : le seul important parmi eux, c'est Frère Angier; celui-ci mélange très librement les deux formes, ùiais non sans une certaine méthode. Comme le fait très justement remarquer Miss Pope, ce n'est que très rarement que les verbes auxiliaires de temps ou de mode : aveir, voleir, poeir (et elle aurait pu ajouter saveir') nous montre le passage de eir à er (cf. Miss Pope, op. cit., p. 62 et Timothy Cloran, p. 45). Les autres infinitifs de III, au contraire, prennent fréquemment la dési- nence des verbes de la première conjugaison. Nous allons en citer quelques exemples d'après Miss Pope. Le verbe veeir se montre sou- vent sous la forme voier qu'on trouve à la rime avec altier au vers 2353 de la Vie de saint Grégoire, avec arester et apaier dans les Dia- logues (respectivement 3 b, 13 r'' a); le verbe seeir a une forme analogue: soier, qui se rencontre au vers 1578 de la Vie de Saint Grégoire ; citons encore arder, qui rime avec conter dans les Dia- logues (21 b) et /ra'i'^r que nous trouvons à la rime avec entier dans le même poème (21 b). Mais il n'est pas douteux que Frère Angier n'emploie plus souvent les formes régulières; voir par exemple se montre sous la forme voieir, qui nous est assurée par la rime (: espeir), dans les Dialogues (90 b, 5, cité par Timothy Cloran, p. 4)); elle rime encore avec veir (dans les Dialogues, 138 b) et avec valeir (ibid., 137 b). Nous trouvons de la même façon soieir, recevoir, eschiveir. Ces différentes formes ont été citées par Miss Pope.

Il n'y a que peu de différences entre l'usage de Frère Angier et celui que suit Robert de Gretham ; dans les Évangiles desDompnées, les exemples des formes régulières sont sensiblement plus nom- breux que les autres. Nous pouvons citer parmi les premières

L INFINITIF 399

iiianair, qui rime avec seir au folio 7 r'' ; aperceveir, qui rime avec veir au folio 22 r°; aveir se montre plus d'une fois à la rime, comme (: espeir) aux folios 26 et 33 r°; citons encore recevair à la rime avec vair (verum) au folio 61 v°. De plus, et nous croyons que cette remarque a quelque importance, toutes les interrimes pré- sentent la forme régulière.

Les autres cependant ne sont pas rares, nous avons relevé les rimes suivantes: recever (: abaisser) au folio 20 r°, veer (: mester) au folio 60 v°; seer (: manger) au folio 85 r", etc. Nous ne pousse- rons pas plus loin cette énumération.

Ajoutons enfin quelques exemples que nous avons relevés dans le Sermon en vers Deu le Omnipotent ; dans ce poème, la propor- tion des formes en er et des terminaisons régulières en eir est con- sidérablement en faveur de la première ; nous n'avons qu'une seule rime pour les secondes, aver rimant avec seir (strophe 6 e), tandis que les premières apparaissent six fois : aver rime avec naufrer (5 d) ; avec penser (15 e) ; avec recorder (117 b); saver rime avec averser (50 a); valer avec sauver (118 e); poer awec régner (121 c). Dans une question comme celle-ci, des proportions basées sur la rime uniquement ne signifient pas grand'chose ; les chiff"res précé- dents cependant montrent que les formes nouvelles ne sont pas loin d'avoir dépossédé les terminaisons régulières.

III. Auteurs ne faisant rimer qu'en er les infinitifs de III. Les auteurs dont les rimes ne montrent jamais la forme étymo- logique pour les infinitifs de III forment la grande majorité des écrivains anglo-français du xiii^ siècle. Dès les premières années de ce siècle, l'un des auteurs les plus importants de cette période, Chardri, ne nous donne jamais une forme assurée en er. Au con- traire, les rimes qui accouplent un infinitif de I et un infinitif de III sont très nombreuses ; aver par exemple rime avec grever au vers 88 du Josaphat ; avec déliter (au vers 247) ; avec désirer (au vers 249) ; saver dans ce même poème rime avec espleiter (au vers 1072) et avec repruver au vers 682 du Petit Plet.

Si nous passons aux poèmes de Simund de Freine, nous pouvons faire la même remarque ; citons certaines de ces rimes, dont quelques-unes sont très riches.. Veer rime avec forveer au vers 1571 du Roman de Philosophie ; avec neer au vers 1151 du même poème et avec reneer aux vers 13 et 1643 du Saint Georges; avec preer au

400 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

vers 81 1 du même poème. Ajoutons-y aver qui rime avec graver dans le Roman de Philosophie au vers 431, et seer qui rime avec reneer au vers 435 du Saint Georges.

Les exemples se multiplient à mesure que nous avançons dans le XIII' siècle, et il serait difficile et oiseux de vouloir les citer tous. Si par exemple nous étudions les rimes de Boeve de Haumtone, nous verrons que les laisses en er sont très nombreuses, elles sont au nombre de quarante et une ', et que plusieurs de ces laisses, surtout celles qui se trouvent dans la seconde moitié du poème, sont très longues. Dans la plupart de ces laisses nous trouvons quelques infinitifs de III (cf. par exemple laisses 21, 92, 104, 115, 117, 116, 121, 127, 129, 148 et pour les noms verbaux 92, 104, 129, 148, 155).

Comme on le voit, sans être en nombre très considérable, ces laisses montrent amplement que les infinitifs de III rimaient très librement avec des mots terminés en er.

Après Boeve, nous nous trouvons embarrassés par la multitude des exemples : tous les verbes de III se trouvent avec la terminaison de l'infinitif de I dans chaque auteur.

En continuant à suivre l'ordre chronologique que nous avons suivi jusqu'ici pour cette question, voici quels sont les exemples que nous pouvons en donner. Nous ne répéterons pas tous les exemples d'aver, voler, poer; nous nous contenterons de donner une référence pour ces verbes sans préciser celui auquel nous avons affaire; nous ne donnerons les citations complètes que pour les verbes qui ne sont pas auxiliaires de mode ou de temps.

Dans le poème sur Edward le Confesseur, nous rencontrons ce passage de III à I à la rime du vers 437 etc. et chakr (: manacer) au vers 882 ; la Genèse Notre-Dame a de nombreux cas analogues : valer rime avec aler (46 v°) ; ver avec ester (50 r°) ; arder avec achever (68 r°) et on trouve encore quelques autres rimes aux folios 48 r°, 74 v", etc.

Saint Auban emploie ces infinitifs très volontiers à la rime

I. Liste donnée par Stimming, p. xlix ; dans cette liste quelques erreurs de chiffres se sont glissées; il faut lire 55 au lieu de 62, effacer 81 et ajouter 165. Nous ne comptons pas les nombreuses laisses les rime en è et en er sont mélangées, par exemple laisses 168, 175, 181, 205, etc. Nous n'avons trouvé aucun infinitif de III dans ces dernières.

L INFINITIF 401

comme purvoier à la rime du vers 1695; aparer à celle du vers 1286; recever à celle du vers 13 13 ; ver et voier respectivement aux vers 761 et 941; on peut ajouter les rimes des vers 70e, 13 13.

On peut aussi voir la rime des vers 94-95 de la Plainte Notre- Dame, les vers 97, 558 de la Plainte d'Amour, et dans ce même poème, au vers 422, la rime apparer (: parler). Veer rime avec esgar- der dans l'Érection des Murailles de New Ross (au vers 130); avec visiter et penser dans la Satire sur le Siècle (respectivement aux folios 85 et 86 v°), et au folio 83 de ce même poème, on \ohvaIer rimer avec oster, rime que l'on retrouve à peu près telle quelle dans la Lumière as Lais (au vers 503). Pierre de Peckham a aussi un verbe que l'on rencontre moins souvent sous cette forme, parce qu'il est moins usuel que ceux que nous avons vus jusqu'ici : cbaler qui rime avec manacer (au vers 882). William de Wadding- ton, qui a un nombre considérable de ces rimes, emploie aussi cet infinitif sous cette forme à la rime du vers 7714; les autres exemples qu'on trouve chez cet auteur se lisent aux vers 1245 (l'ulci-); 2757 {ver'); 3268 {ser); 1205, etc.

Pour en finir avec le xiii^ siècle, citons quelques rimes de Der- mod : vers 76, 311, 622, 941 (doler); (>/[% (estovcr); 1346 (rema- ner) ; 476 (ver).

L'on a pu voir que les exemples tirés des rimes des difiérents poèmes du xiir' siècle sont très nombreux ; ils auraient pu l'être davantage si nous avions voulu donner tous les exemples que nous avons relevés dans chaque auteur de ce siècle. Telle qu'elle est, cette liste nous paraît suffisamment longue pour notre dessein.

Des trois catégories d'auteurs que nous avons distingués au xiii" siècle, la plus importante est sans contredit la troisième. Du moins elle nous fait connaître tant par le nombre d'écrivains qu'elle contient que par le nombre d'exemples significatifs que leurs ouvrages nous présentent l'usage général du xiii^ siècle.

Les deux autres catégories qui contiennent un nombre beaucoup moins considérable d'auteurs n'ont probablement pas la même importance, surtout si on fait entrer en ligne de compte le fait que l'anglo-gallicisme de certains de ces auteurs, Frère Angier par exemple ou l'auteur du Saint Laurent, a pu être mis en doute.

Cependant, pour ce passage de eir à er nous aurons à trouver

une explication générale qui rende compte à la fois de l'usage ordi-

26

402 L EVOLUTION DU VHRI5H EX AXGLO-rRANÇAIS

naire et des exceptions à cet usage. Nous l'essaierons plus tard. Maintenant la seule conclusion qui s'impose c'est que les auteurs de la première catégorie représentent une exception et l'usage archaïque ; ceux de la deuxième un compromis entre la terminaison correcte et la forme nouvelle; l'autre classe nous montre que les rimes des infinitifs en eir avec les mots en er simple se généralise très rapidement pendant le cours du xiii^ siècle. A partir du milieu de ce siècle la terminaison en er a gagné tous les infinitifs de III; la terminaison régulière a entièrement disparu pour faire place à la terminaison analogique. Ce changement, comme nous l'avons vu, ne s'est pas effectué tout d'un coup : si nous ne tenions compte que des rimes que nous avons relevées au xiii" siècle, la terminai- son er aurait pris moins d'un demi-siècle pour se substituera la ter- minaison tir (du Saint Gilles à Chardri ou à Boeve de Haumtone); si nous faisons entrer en ligne de compte les résultats que nous fournit l'étude des manuscrits, nous voyons que, pour que ce chan- gement s'accompHt, il a fallu un temps beaucoup plus long, à peu près un siècle, ce qui est beaucoup plus vraisemblable.

Le commencement du xiv= siècle n'est évidemment pour les œuvres purement littéraires que la continuation de l'état que nous venons de préciser pour la seconde partie du xiii"^ siècle.

C'est dire que les terminaisons en cr pour les infinitifs de III sont des plus communes; et évidemment, nous ne donnerons pas ici les exemples qu'on peut rencontrer à cette époque et qui ne sont qu'une répétition de ceux que nous avons vus auparavant. Nous pouvons toutefois en donner quelques-uns que nous n'avons pas encore rencontrés et qui montreront qu'aucun verbe n'échappe au travail d'assimilation qui s'est fait pendant le dernier siècle.

C'est ainsi que nous rencontrons fort communément cheicr, quoique ce verbe ait encore plusieurs autres formes pour son infi- nitif, comme nous le verrons du reste plus tard ; la terminaison de la première conjugaison se trouve à la rime (: sauver) au vers 207 de l'Apocalypse, à la page 100 de Foulques Fitz Warin. Nous n'avons pas eu jusqu'ici de très nombreux exemples du verbe moz'er; nous en trouvons plusieurs au xiv^ siècle ; cette forme est com- mune dans Pierre de Langtoft (voir par exemple I, 124, 13 : I, 396, 16); dans la Chronique de Londres (comme à la page 55, sous la date 1326). Le verbe cstovcir est rarement employé à l'in-

L INFINITIF 403

tinitifen anglo-français; nous trouvons cet infinitif avec une termi- naison en er rimant avec corouner au vers 39 de la Lamentation sur la Mort d'Edward I". Arder est commun dans Pierre de Langtoft (I, 228, 29 ; I, 3z)é, 22); dans les Contes de Nicole Bozon 92); dans Nicolas Trivet (43 r°).

Nous arrêterons nos citations, mais uniquement parce qu'il nous semble inutile de les multiplier. Il nous reste maintenant à exposer un fait plus important, dont les œuvres littéraires peuvent nous donner une idée, mais qui ne nous apparaîtra dans toute son étendue que dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature. C'est la réapparition de la terminaison régulière à l'infinitif de la troisième conjugaison. Nous avons dit qu'au xiii'^ siècle, au moins après 1250, la désinence en eir avait entièrement disparu ; au com- mencement du siècle suivant, et surtout pendant la seconde moitié, ces terminaisons reparaissent.

Nous n'en trouvons aucun exemple à la rime, ce qui peut nous porter à croire que les exemples que nous en relevons, comme avoyr dans Pierre de Langtoft (I, 398, 18; I, 416, i ; II, 54, 4) ou dans le corps du vers 1 66 de la Bounté des Femmes, appartiennent aux scribes et par conséquent à la seconde moitié du siècle.

Cependant quelques manuscrits écrits avant 1350 nous offrent plusieurs exemples indiscutables ; ici encore nous retrouvons, quoique moins clairement marquée, la contradiction qui nous frap- pait lorsque nous classions les premiers exemples du passage des infinitifs de III à la forme de I. C'est dans les manuscrits datant de II 50 environ que nous trouvons les premiers exemples de la ter- minaison er pour les infinitifs en eir, tandis que les exemples assu- rés par la rime sont postérieurs de 25 ou 30 ans au moins; de même ces mêmes infinitifs reprennent leur désinence étymologique plusieurs années plus tôt sous la plume des scribes que sous celle des auteurs. Ici, la différence est moins frappante, et son impor- tance est beaucoup moindre. Mais elle valait la peine d'être signalée. C'est ainsi que nous trouvons dans le ms. de la Bodléienne qui nous donne les Règles de Grosseteste, Douce 98, un grand nombre de ces terminaisons en oir (cf. p. 130) ; de même le ms. de l'Univer- sité de Cambridge Ee, i, 1 (Traité de Hosebonderic de Waltcr de Henle\) donne ai'oyr {^, 6, 26), savûyrÇ/\, 6, 12, 32). Nouscitons ces mss. parce qu'ils nous donnent un ncmbie assez considérable

.(04 l'kVOLUTIOX du VKRBt: EX ANGLO-IRANÇAIS

de ces formes; mais on en pourrait trouver dans la plupart des mss. de la première moitié de ce siècle.

Ce n'est que vers la fin de ce siècle que les auteurs nous montrent de ces formes régulières des infinitifs de III employées avec une grande fréquence. Nicolas Trivet par exemple nous donne des exemples fort nombreux, comme savoir (au folio 2 et passivi), avoyr (6 et très fréquemment dans le reste de l'ouvrage); pour les autres verbes, les exemples sont beaucoup moins communs; nous avons encore trouvé asseoir (au folio 48 v°) et quelques autres.

C'est dans le poème du Prince Noir que nous pouvons rencontrer le plus grand nombre de ces formes et les exemples les plus assu- rés; ils se trouvent en effet très fréquemment à la rime; citons-en quelques-uns ici : recevoir rime avec voir (veriun) (a.\i vers 7); de même qu'avoir (au vers 112), veer (au vers 1258) et veoir (au vers 1456). On peut voir sur ce point l'introduction de l'édition de Miss M. K. Pope à la page xvi.

Nous pouvons maintenant résumer en quelques mots l'histoire des acquisitions que les infinitifs de I ont faites parmi les verbes de la troisième conjugaison :

I" Entre 11 10 et 1150 les verbes de III conservent à leur infini- tif la désinence régulière.

Entre 11 50 et 1175 environ, un assez grand nombre de dési- nences en er se trouvent employées pour ces verbes, mais unique- ment par les scribes.

Ce n'est que vers 1175 que les nouvelles formes des infinitifs de III sont attestées par la rime dans les œuvres littéraires.

4" Entre 1175 et 1200 elles restent très rares pour les auteurs eux-mêmes et deviennent assez nombreuses sous la plume des scribes.

Pendant les premières années du xiii'^ siècle, le nombre de ces formes augmente et on ne trouve qu'un nombre insignifiant d'auteurs qui ne les emploient pas.

Pendant le reste de ce siècle, les formes régulières dispa- raissent entièrement.

Au commencement et pendant la première moitié du xiV siècle, les auteurs continuent à suivre l'usage de la période pré- cédente ; mais on remarque chez les scribes qui ont écrit à cette époque un nombre assez considérable de formes étymologiques.

l'infinitif 405

Au milieu et à la tin de ce même siècle, les auteurs à leur tour reprennent les désinences régulières pour les infinitifs de la troisièine conjugaison.

On voit donc qu'il y a eu dans les changements successifs, pour ne pas dire l'évolution, que les infinitifs en eir ont subis en anglo- français une certaine régularité. On peut évidemment, et nous l'avons fait, relever un certain nombre de déviations et d'excep- tions ; cela est inévitable dans tous les dialectes, et à plus forte rai- son, nous devons nous attendre à les rencontrer dans l'anglo- français. Mais elles n'empêchent pas que le dessin général ne reste très nettement marqué.

Dans les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature, nous trouvons un état de choses qui n'est pas essentiellement différent, quoiqu'il présente un certain nombre de traits particuliers. Il nous semble préférable, même indispensable, de faire désormais une dis- tinction entre les différents verbes de III et d'étudier séparément dans une première classe les deux infinitifs d'avoir et de savoir et dans une seconde tous les autres infinitifs.

Dans les textes politiques et diplomatiques, la forme aver, saver est relativement commune entre 1285 et 1300; on la trouve répé- tée à cette date une vingtaine de fois dans les Statutespar exemple : (cf. 1275,1, 28, 33, 34 ; 1278, I, 45, trois fois; 1283, I, 53 ; 1285, I, 98; 1297, I, 123, 124). Il en est de même des Parliamentary Writs (cf. 1282, I, 12; 1290, I, 24); dans les Lettres de Jean de Peckham (1283, 405, etc.) et dans les Rymer's Foedera; et elle est relativement fréquente dans le Blacke Booke of the Admiralty (cf. 1291, II, 1 8 et /)aj5/m), dans les Annales de Burton.

Mais, même à cette époque, on peut déjà relever un nombre assez considérable de formes régulières : les infinitifs avoir et savoir existent et sont employés, quoique leur nombre soit intérieur à celui des autres formes. Les Statutes nous en fournissent plusieurs exemples, et nous allons en donner quelques-uns :

Les premiers exemples que nous ayons appartiennent aux der- nières années du xiii* siècle : (cf. 1297, I, 123, 124; 1299, I, 131, 131, 132; 1300,1, 138, et quelques autres). Comme nous le disions plus haut, pour l'ensemble de cette période, le nombre des cas réguliers reste inférieur à celui des autres, mais aussitôt que la forme apparaît dans les Statutes, elle devient immédiatement aussi com-

[Ob l/liVOLUTlOK DU VKRBE EN ANGLO-1-RANÇA.IS

mune que l'autre ou, plus précisément, si pour l'ensemble de la période 1 278-1 300, er est dans ce recueil environ trois fois plus nombreux que eir, pour les trois dernières années du xiir siècle, la première terminaison ne représente plus que 60 % environ du total. Nous pourrions probablement en dire autant des Rymer's Foedera s'il était aussi facile et aussi sûr d'établir des m,oyennes pour ce recueil ; nous nous contenterons de dire, pour rester dans la stricte exactitude, que le nombre de formes étymologiques devient assez grand dans ce recueil ù la fin du xiii^ siècle.

Pendant la même période, les Literae Cantuarienses (cf. 1299, 197), le Liber Albus (cf. 1243, m) en présentent des exemples qui ne sont pas rares. En un mot tous les ouvrages politiques et familiers que nous avons étudiés nous offrent, pour les dernières années du xni^ siècle, un état de choses semblable à celui que nous avons décrit pour les Statutes.

Pendant les quatre premières décades du xiv^ siècle (1300-1340), les formes anglo-françaises en er pour l'infinitif de ces deux verbes subsistent encore dans les Statutes et les recueils analogues ; on en trouve encore un certain nombre, et nous avons relevé dans les Statutes une quinzaine de ces formes, par exemple aver qui se trouve dans les passages suivants : 1315, I, 174, 178; 1321,!, 182, 183; 1322, I, 186; 1323, I, 191, etc.; de même, dans les Parliamentary Writs (1316, II, 3). Rymer nous en offre aussi des exemples plus nombreux (1339, V, 138 etpassiui); et cette; forme est assez commune dans les Literae Cantuarienses Çd. 1326, 171 ; 1324, 234, etc.).

Malgré tout, c'est la forme en oir qui à cette date domine nette- ment dans la plupart des recueils : il suffit pour s'en convaincre de lire les Statutes de cette époque ; le nombre de formes régulières est considérable; nous en avons relevé environ une cinquantaine et nous n'avons pas la prétention d'en avoir fait un dénombrement complet. Pour donner une idée de la proportion à cette époque des formes en er et de celles en eir, nous ne pouvons pas faire mieux que de la chercher dans un Statut qui contient de nombreux exemples de ces infinitifs; ce Statut porte la date de 1340; on trouve la forme avec voyelle simple aux pages suivantes : 285 (2 fois), 287, 291 ; celle qui montre la diphtongue se lit aux pages 283, 284, 286, 287, 290, 291, 293, 295, 297, 298 (2 fois); par

L INFINITIF 407

conséquent le rapport entre ces deux formes serait 4/1 1. Ce Statut ne diffère en rien des autres et peut être choisi comme type, et cela suffit à montrer combien la forme étymologique est répandue. Il est impossible de citer tous les exemples de formes étymologiques dans les Traités de Rymer ; ici encore nous trouvons qu'elles surpassent d'une façon considérable les formes purement anglo-françaises (on pourra en trouver de nombreux exemples dans les passages ci- après : 1302, II, 913; 1303, II, 928; 1311,111, 262; 1331,1V, 49). Et il en va de même pour les autres recueils, par exemple le Liber Rubeus de Scaccario, qui, à la date de 1323, offre de nom- breux cas de cette forme (aux pages 868, 876, 886), ou les Literae Cantuarienses ou le Liber Albus.

L'on peut à peine dire qu'on observe une différence sensible dans les vingt années qui suivent (1340- 13 60); avcr tisaver apparaissent toujours et le rapport de ces formes aux formes normales est sensi- blement le même ; mais nous observons entre ces deux dates, sur- tout dans les Statutes, un fait qui était déjà apparent quelques années auparavant ; dans ce dernier recueil en effet la plupart des terminaisons er pour la période qui nous occupe maintenant sont représentées par l'abréviation "; à tel point qu'il devient extrême- ment rare de trouver la désinence en er de ces deux infinitifs sous une forme non abrégée; et ceci introduit un nouvel élément de doute, car il est possible que les scribes aient étendu la signification de l'abréviation et ils ont pu représenter la nouvelle forme avoir par l'abréviation ancienne déjà et traditionnelle av "' . Cela explique- rait pourquoi la forme étymologique semble n'avoir pas gagné beau- coup de terrain pendant ces vingt années, quoique, à tout prendre, elle soit encore employée beaucoup plus fréquemment que la forme en er et la forme abrégée prises ensemble. Nous n'avons pu faire les mêmes observations pour tous les autres recueils car les éditeurs ont développé presque partout les abréviations paléographiques.

Depuis 1360 jusqu'à la fin du siècle, les formes en er deviennent de plus en plus rares pour tous les textes anglo-français qui n'appar- tiennent pas à la littérature; on en trouve toujours quelques-unes, surtout dans les recueils secondaires, comme les différentes Annales ou Chroniques monastiques ; dans les grands recueils la terminaison en oh est à très peu près la seule employée.

Nous n'avons pas pour les autres verbes de III des exemples aussi

.408 I.'kVOLUTIOX IJU V1:R15I- hn axc.lo-ikançais

nombreux ni des données aussi précises que pour avoir et savoir; cependant, à quelques restrictions près, nous allons voir qu'ils ont suivi une marche parallèle à celle que nous avons pu tracer dans les pages précédentes. Il faut tout d'abord remarquer que, pour ces verbes, moins employés que ceux que nous avons déjà vus, la dési- nence de la première conjugaison, qui à la fin du xiii"^ siècle est devenue la forme normale, persiste plus longtemps ; jusqu'en 1350, les formes en er sont à peu près uniques; nous avons un bon nombre d'exemples de verbes différents qui nous le montrent, et en voici quelques-uns : arder dans Rymer (1256, I, 589); estover (id., 1270, I, 262); vecr (ïd., 1289, II, 848; 1294, II, 857; 13 11, III, 369; 13 16, III, 582); cet infinitif se trouve d'ailleurs répété dans presque tous les recueils : dans les Parliamentary Writs(i297, I, 54); dans les Literae Cantuarienses (13 12, 74); dans le Liber Custumarum (13 10, 202), enfin très fréquemment dans les Statutes (1320, I, 180 ; 1323, I, 192). Il faut signaler ici une particularité de l'anglo-français politique et diplomatique, particularité qu'on peut surtout observer dans les Statutes', c'est la confusion entre ziidere et vigilare : on trouve fréquemment par exemple survcier pour sur- veiller, qui montre que les scribes considéraient ce verbe comme un composé du verbe voir ; et ce dernier est parfois écrit veier (cï. Liber Custumarum, 13 10, 202). Il y a un certain nombre de cas il est difficile de juger si l'on a affliire à un verbe de III ou réelle- ment à un infinitif de I, à voir ou à veiller. Citons maintenant rapi- dement, sans nous arrêter à donner de références, certains infinitifs qu'on peut relever dans nos textes ; les Statutes nous donnent : valer, mover , parer , escheer , seer, rementiver ; les mêmes verbes se trouvent presque tous dans Rymer, on y trouve de plus maner, recever.

Pendant cette période les formes correctes sont rares ; on trouve dans les Statutes pz/rw/rt' répété à la page 347 du premier volume (1354), et poeir (1305, I, 145), dnmr (1322, I, 189); mais ces deux derniers exemples sont des noms verbaux.

Les terminaisons en er diminuent sensiblement dans la seconde moitié du xiv"^ siècle, celles en g/V augmentent proportionnellement ; il est inutile que nous citions un plusgrand nombre d'exemples des

I . Nous avons cependant trouvé sorver (-= surveiller) dans le Traité de Senes- chaucie, p. 90,

L INFINITIF 409

premières, celles que nous avons données pour la première moitié du xiv^ siècle peuvent suffire, et il est, croyons-nous, impossible de découvrir si certains de ces verbes sont revenus à la terminaison normale plus vite que les autres ; nous trouvons cependant pendant cette période un assez grand nombre d'exemples de l'infinitif volorr (cf. Rymer, 1362, IV, 381; Actsof Parliament of Scotland, 1363, 494); il en est ainsi pour devoi?', dans les Statutes (1360, I, 368) et les Literae Cantuarienses (1395, 905). Nous n'avons relevé pour ces deux autres verbes aucun exemple de l'autre forme ; veoir de son côté devient, à partir de 1360, très commun dans les Rymer's Foedera;on le trouveaussi dans les Statutes (1396, II, 94, etc.).

Citons encore rapidement recevoir, movoir, comparoir, asseoir, escheoir qui se trouvent dans les Statutes et dans Rymer. Après 1370, les formes en cr sont fort rares.

Par conséquent, légèrement en retard sur avoir et savoir, ces infi- nitifs arrivent cependant à reprendre comme eux la forme étymolo- gique qu'ils avaient abandonnée pendant environ un siècle.

Nous ne pouvons évidemment pas être aussi précis pour les Year Books que nous avons tâché de l'être pour les Statutes par exemple ; nous nous contenterons d'attirer l'attention sur un certain nombre de faits que la lecture des Year Books rend assez évidents ; les premiers Year Books ne contiennent que des formes en er à l'infinitif des verbes de III ; nous n'avons relevé aucun exemple de forme étymologique jusqu'au Year Book i et 2 Edw, II, mais cela peut être aussi bien la faute de l'éditeur, qui ne nous donne pas les variantes, que celle des scribes. Dans les premiers textes soigneuse- ment édités, les terminaisons oir apparaissent : avoir se lit dans i et 2 Edw. II (7, 46, 25, 56); dans 3 Edw. II (aux pages 8, 53, 131, 139). Le ms. Y (1312) pourrait nous fournir un nombre très con- sidérable d'exemples de cette forme, et dans les recueils postérieurs cette forme est toujours très employée : citons-en quelques exemples : Eyre of Kent (III, 143, etc.); 12 et 13 Edw. III (15, etc.); 16 Edw. III (105).

Les exemples de formes étymologiques sont moins nombreux pour le verbe savoir; nous pouvons en citer quelques-unes, comme dans I et 2 Edw. 11(56) ; 16 Edw. III (35), etc. ; mais les Year Books du règne d'Edw. III que nous avons consultés présentent une très forte majorité de formes en er pour avoir et savoir.

jlO L HVOLUTIOM DU VI-RBE KN ANGLO-PRAXÇAIS

Quant aux autres verbes de III, ils ne semblent jamais prendre (ou reprendre) la forme correcte, même dans le ms. Y ; ils appa- raissent toujours avec la terminaison er, comme vakr, poiier, veer.

Ce passage à la première conjugaison prend, assez communément pour certains verbes, une forme assez spéciale. Pour le verbe cheeir par exemple la diphtongue passe de la terminaison dans le thème cheier, 33,35 Edw. P' (69) ; vraisemblablement cette forme provient de la forme ordinaire cheer, au moyen d'un /introduit pour empê- cher l'hiatus; de même veiere dans iG Edw. III (p. 9); savoyer qu'on lit dans 33 et 35 Edw. P' (p. 117) est une forme analogue, assez rare du reste.

Nous pouvons maintenant donner des conclusions générales sur le sort des formes en eir à l'infinitif en anglo-français. Nous ne répéterons pas les différents points que nous avons énumérés à la suite de notre étude de cette désinence dans les ouvrages littéraires. Les textes politiques, diplomatiques, familiers et, jusqu'à un certain point, légaux ne nous fournissent de renseignements nouveaux et précis que sur un point seulement (n°^ 7 et 8) ; mais sur ce point leur témoignage est de la plus grande valeur. Ce point, comme on le prévoit, c'est l'emploi de la désinence en oir pour les infinitifs de ÏII dont nous avons trouvé des exemples dans les œuvres litté- raires au commencement du xiV siècle pour les scribes, à la fin du même siècle pour les auteurs.

En dehors de la littérature, ce retour à la terminaison régulière est encore plus clairement marqué. t*our avoir et savoir elle apparaît dès les dernières années du xiii^ siècle, et elle gagne constamment du terrain sur la forme en er^ au point de devenir pour ces deux verbes la forme quasi unique à partir de 1360.

Pour les autres verbes de IIÏ, er reste fréquent jusqu'au milieu du xiV siècle, mais arrive à disparaître presque entièreiTient pendant le quatrième quart de ce même siècle. Pour ces verbes, par consé- quent, l'usage de la langue politique coïncide presque exactement avec celui de la langue littéraire.

Le retour à la forme étymologique a donc commencé par les deux verbes de III les plus employés : avoir et savoir, et ce sont les recueils non littéraires qui nous en offrent les exemples les plus reculés et les plus sûrs.

L INFINITIF 411

IV. Infinitifs de II passant à I ^ .

Les infinitifs de la seconde conjugaison tendent à prendre la ter- minaison er exactement comme les infinitifs de III; ce phénomène a pris en anglo-français une extension presque aussi considérable que celui que nous venons d'étudier; bien plus, comme nous le ver- rons, il i commencé à peu près à la même époque et a suivi une marche à peu près parallèle.

Le premier exemple que nous trouvions attesté par la rime date lui aussi de la fin du xii^ siècle ; on trouve en effet dans le Sermon de Guischart de Beauliu plaiser qui rime avec asaier et supplier au vers 639 ; mais pour procéder comme nous l'avons fait j jsqu'ici nous devons rechercher dans les différents manuscrits du xii*' siècle les infinitifs qui prennent la terminaison des infinitifs de I : ils sont certainement assez communs pour retenir l'attention. Le scribe du Voyage de Saint Brandan (i 167) remplace souvent par e Vi tonique des infinitifs de II. Voici quelques-uns des exemples que nous lui attribuons dans ce poème : repenter (120), dormer (520), murer (1046), voiner (142), tener (1530). Ces quelques exemples nous ont paru absolument isolés, même à la date du ms. de Londres ; les cas de passage de irh.er qui nous semblent chronologiquement les plus voisins de ceux que nous venons de citer se lisent dans le ms. L de la Chronique de Fantosme (commencement du xiii^ siècle): on y lit/éTtT, assaiUier, vener, lai.ier (respectivement pour les vers 662, 530, 1290, 1379). Par conséquent la rime de Guischart de Beauliu, les cinq formes du scribe du Saint Brandan et peut-êtr e quelques-uns des exemples du ms. L de Fantosme appartiennent seuls au xii^ siècle.

Ce phénomène n'est d'ailleurs ni très général ni très commun au début du xiu^ siècle ; à cette époque encore il semble spécial aux scribes, ce qui nous paraît la règle pour la plupart des changements que nous observons en anglo-français. Rappelons d'abord les exemples du ms. de Fantosme ; nous n'en citerons pas d'autres de ce genre. Les rimes restent assez rares : Robert de Gretham f;iit rimer refreider avec enbraser (folio 68 r°) ; Frère Angier emploie

I . Pour le passage de la terminaison ir à la forme cr, on peut voir Meyer- Lùbke, Grammaire II, § 117, et H. Suchier, Ueber die..., p. 48.

_|I2 L KVOLUTIOX DU VHRI5E EN ANGLO-1-RANÇAIS

dementcr pour dcmenùr (vers 312 de la Vie de Saint Grégoire). C'est le poème de Boeve de Haumtone qui nous montre le plus grand nombre d'exemples et ceux-ci sont si communs à la rime qu'il ne se peut pas qu'un certain nombre de ceux qui se trouvent dans le corps du verbe n'appartiennent à l'auteur. Voici quelques-uns de ceux que nous rencontrons à la rime : einpler, geser, vialader, morer, vener (respectivement aux vers 2364, 1681, 2783, 1828 et 2415, 2190).

Ceux qui se trouvent dans le corps du vers sont beaucoup plus nombreux : nous en citerons un petit nombre, et puisque l'auteur n'hésite pas, le cas échéant, à employer ces infinitifs à la rime, il n'y a pas beaucoup de raisons pour que nous hésitions nous- mêmes à lui en attribuer au moins quelques-uns : citons-en un cer- tain nombre parmi ceux qui se rencontrent le plus souvent : consen- ter, donner, failer, ferer, morer, oyer, sérier, soffrer, tener, vener, vester (respectivement aux vers 1830,1138, 3537, 284, 484, 2291, 2408, 1398, 1817, 2244, 493, 2774).

Nous mentionnons séparément overer (2291) qui, comme nous le dirons plus tard, est souvent confondu avec son paronyme ouvrer (operare); ajoutons à ces quelques verbes des rimes sur lesquelles nous aurons à revenir : departer et couvener (2705), server et oyer (2698, 2700) se trouvent à la rime dans une laisse en /. Nous ne ferons pas d'énumération aussi longue pour les auteurs qui viennent après Boeve de Haumtone, car de longues listes de verbes ne prouveraient pas grand'chose, et ensuite ces auteurs ont, toute proportion gardée, lin nombre d'exemples beaucoup moins considérable. Nous citerons simplement quelques-unes des rimes que nous avons relevées. Parmi les infinitifs de II rimant en er, nous trouvons parier dans la Genèse Notre-Dame (82 r^), chever dans le Roman des Romans (190), tener dans la Lament of Simon ot Montfort (26), et dans le M aiueldes Péchés de William de Wadding- ton : tener, pleiser, enorgueller (respeciivemcnt aux vers 1482, 3442, 7398) parmi beaucoup d'autres.

Nous ne citerons pas les infinitifs de II que nous avons rencon- trés avec cette terminaison dans le corps des vers : nous ne savons jamais à qui en attribuer la responsabilité, aux auteurs ou aux scribes. C'est à ces derniers que nous ferons remonter les rimes inexactes comme asailer : mentir, asailer : partir dans The Song of

LINFmiTlF 413

Dermod (respectivement aux vers 1032, 1574) qui sont pour nous très significatives.

Nous passerons sans plus nous attarder aux textes de la fin du xiii^ et du xiV^ siècle.

A cette époque, le nombre des infinitifs qui prennent ^r au lieu de ir est très grand, et ces formes sont fréquemment attestées par les rimes, le nombre de ces dernières est même beaucoup trop considé- rable pour que nous puissions songer à les donner toutes. En voici cependant quelques-unes, dans un ordre à peu près chronologique : l'Apocalypse peut nous fournir un assez grand nombre d'exeniples, comme overer, dont nous avons déjà parlé (^ et -(, 209, x, 300), ruger (3 et y, 507) rimant avec des infinitifs de I : ajoutons-y des formes assez communes à cette époque : escharmy(Ji et y, 709)' ^^ oier (y, 1411); dans Traillebaston gyser (au vers 6^) ; oier se trouve répété plusieurs fois dans le Siège de Carlaverok (cf. 4, 20). Le nombre des rimes de ce genre n'est pas très considérable dans la Chronique de Pierre de Langtoft, citons : erirycherQ., 216, 12), estabkr (I, 428, 9), oheier Ql" Appendice, II, 38e, 11). Les poèmes de la fin du siècle nous donnent plusieurs autres rimes analogues, comm^repen- Icr (: gabber) dans leDeConjuge nonduccnda(22), sustener (: mer) dans la Lamentation sur la mort d'Edward I".

Comme précédemment, nous énumérerons ici quelques rimes douteuses : on en trouve une dans le Traillebaston, soffrer : choiser (65-66), une autre dans le Siège de Carlaverok, iiieinteuier : couvenier (52) ; et dans le poème du Prince Noir, nous relevons oir (: gestier) et (: escoltir) respectivement aux vers 1820 et 1647. Nous nous ser- virons de ces rimes dans notre seconde partie.

Les exemples assurés du passage de ir à er sont donc nombreux, mais ne peuvent se comparer pour le nombre à ceux qui ne le sont pas, c'est-à-dire à ceux que nous trouvons à l'intérieur des vers et dans les œuvres en prose. Ces derniers ont leur importance et leur valeur car ils appartiennent pour la plupart au xiV siècle et la diffé- rence que nous observons encore sur ce point entre la langue des auteurs et celle des scribes a sa signification : c'est pourquoi nous espé- rons qu'on nous parJonnera si nous ajoutons encore quelques exemples de ce genre. Entre les années 1320 et 1340, la Chroniquede Londres nous montre les formes suivantes : ùsailer, asenter, coverer, establer, giser, maintenêr, oier, rejoier, seiser, ^oa^r^r (respectivement aux pages

414 I. EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

77, 57, 52, 68, 73, 49, 57, 41, 82). Le roman de Foulques Fitz Warin nous montre fotier, overer, plaiser (124, 1066, 1326). Enfin les Contes de Nicole Bozon et les Chroniques de Nicolas Trivet nous en ont fourni un nombre considérable ; voici, pour le premier de ces ouvrages, la liste que nous avons dressée, liste qui se trouve être un peu plus complète que celle que donne M. Meyer : choiser, einpler, enficbler, eninoiirer, enricber, failler, bayer, joyer, netter, oyer, overer, departer, porrer, profrer, aqeller, quiller, regeier, reviler, sailer, asailer, resailer, soffrer, meigtener, siistener, toler, tôlier, vener, pleyser (nom verbal). (Ces exemples se trouvent aux paragraphes suivants : 84, 54, 84,28, 95, 99, 131, 2, 44, 29, 106, 37,51, 42, 118, 136, né, 118, 80, 54, no, 127, 35, 2, 19, 5, 145, 118, 132, 88, 32.)

Dans la Chronique de Nicolas Trivet, nous rencontrons, entre autres exemples, recoiller, flestrer, failler, florer, oyer, asailler, sofrer, t'ow^r (respectivement aux folios 2 r°, 2 r°, 5 v°, 2 r°, 48 v°, 62 v°, 5 r°, 31 v°).

Il serait bon d'essayer de donner dès maintenant une idée d'en- semble sur le passage à la forme de I des infinitifs de II dans les ouvrages littéraires. Les premiers exemples que nous ayons relevés datent de la fin du troisième quart du xii'' siècle ; à cette époque, ils sont très rares à la rime mais assez communs chez certains scribes.

Le nombre de ces formes augmente sensiblement pendant la pre- mière moitié du xiii^ siècle, et, à partir de 1275, il devient considé- rable. On peut cependant faire deux remarques : le nombre des rimes douteuses est relativement grand; en second lieu, ce sont les ouvrages en prose qui nous semblent donner le plus fréquemment aux infinitifs de II la désinence en er.

Nous ne pouvons pas songer à énumérer tous les exemples ana- logues que nous avons relevés en dehors de la littérature ; nous nous contenterons de marquer les grandes lignes du passage de ir à er.

Dans ces textes, la fin du xiii^ siècle nous montre un petit nombre d'exemples ; un seul verbe dans les Statutes se trouve assez cons- tamment : le verbe ozV (cf. 1278, I, 44). Oyer sera désormais très commun. On le rencontrera pour ainsi dire dans chaque Statut. Et il en est de mèmepour les autres classes de textes non littéraires : les Traités, les Lettres, etc., nous en donnent un nombre indéfini d'exemples.

De sorte que, à partir de la fin du xiii^ siècle, pour cet infinitif, la

L INFINITIF 415

terminaison régulière en ir devient de plus en plus. rare dans les textes non littéraires. Nous avons remarqué que dans les Statutes la forme encr de cet infinitif est surtout commune dans une for- mule qui se trouve constamment répétée : « pour oyer et termi- ner ». (On pourra trouver cette formule aux passages suivants des Statutes: 1335, I, 272; 1336, I, 282 ; 134^, I, 301; 1350, I, 313 et 322; I, 1357,452.) Cependant oier ne se rencontre pas unique- ment dans cette formule, et par contre oir s'y trouve parfois employé.

Les autres recueils de textes politiques et diplomatiques nous donnent, outre le verbe o/Vr, un nombre considérable d'autres formes analogues. Les exemples que nous y trouvons sont surtout, comme dans le cas qui précède, des verbes qui sont appelés à n'avoir guère par la suite que la forme en er pour leur infinitif. En première ligne, nous citerons acoiiipler; cette forme se lit par exemple dans les Rymer's Foedera (1294, II, 620; 1297, II, 770) ; dans le Liber Albus, et dans un certain nombre d'autres recueils qui donnent des textes de la même époque. Estahkr n'est guère moins commun, les Rymer s Foedera nous fourniraient encore pour cet infinitif une assez longue liste d'exemples (cf. 1283, II, 239). Citons encore, sans nous y arrêter trop longtemps et en ne prenant nos citations que dans le recueil que nous citions précédemment : teiier, qui est déjà à cette époque très commun, surtout son composé niainlener (1274, II, 32); vener^ dont nous n'avons pas relevé un aussi grand nombre d'exemples (cf. 1297, II, 768); faillcr (id., ibid.); enfin eiiipler qui n'est pas rare (cf. 1297, II, 742).

Nous avons, pour ne pas allonger notre énumération, pris les exemples ci-dessus dans le même recueil, mais nous aurions aussi bien pu les emprunter au Liber Albus ou aux recueils de Lettres.

Par conséquent, en dehors de la littérature, nous voyons tout d'abord, comme acquisitions des formes en er parmi les infinitifs de II, un certain nombre de verbes qui plus ou moins régulièrement abandonnent la désinence qui leur est régulière.

Ceux-ci au siècle suivant, se retrouvent constamment et deviennent plus communs, lorsqu'ils ne l'étaient pas déjà au siècle précédent, sous cette nouvelle forme que sous la forme étymologique.

Ce ne sont du reste pas les seuls verbes qui, au xiv'' siècle, nous présentent des exemples de la même irrégularité. Ils restent tou- jours les plus employés et, si on peut dire, les plus réguliers, sous

41 6 l'j'-volution du vekbh kn anglo-i-kançais

la forme en er\ mais ils ne sont pas isolés, bien au contraire, car si on voulait donner une liste complète des infinitifs de II qui subissent ce c ban ge ment, c'est une liste de tous les verbes de cette conjugaison qu'il faudrait dresser; nous ne le tenterons pas. Il nous suffira de remarquer que dans les deux grands recueils qui ont servi de base à notre travail, les Statuteset les Rymer'sFoedera, c'est environ à la même date qu'on trouve le maximum des formes en cr, à partir du milieu et surtout pendant le troisième tiers du xiV siècle; avant 1350, on trouve encore un nombre assez consi- dérable d'infinitifs de II qui prennent la terminaison régulière ; entre 1350 et 1360 pour les Statutes, 1350 et 1370 pour les R3'mer's Foedjra, les terminaisons en ir sont relativement rares; elles le deviennent de plus en plus après ces deux dates, à tel point que même dans les Statutes, elles disparaissent presque complètement ; on ne trouve guère que des verbes qui semblent avoir presque définitivement passé à la première conjugaison, au moins pour le mode infinitif, comme oier, acoinpler et esiahler.

Parmi les verbes qui prennent le plus souvent en cr au lieu de ir pendant tout le xiV siècle, on peut citer, outre ceux que nous avons déjà vus : seiser qu'on trouve par exemple dans les Statutes (1363, I, 378) et passiiii dans les Rymer's Foedera ; coiller dans 4es Mem. Pari., 1305 481); dans les Statutes (i" vol., 1323, 193; 1340, 297; 1357, 352); dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1333, 540), dans Rymer (1330, IV, 451). On trouve encore très communément 6'»/o/Vt, comme dans les Mem. Pari., 1305 (§27) et dans le premier volume des Statutes (1330, 310 et 318); dans les Early Statutes of Ireland (1320, 284) ; dans Rymer (1348, V, 611); citons encore rapidement dans les Statutes : morer, obeier,gar- ner, isser, choiser, soffrer, giscr ; dans Kymev : foiuer, giser, obeier, assen- ter, isser, soefirer, finer, socffrer dans les Literae Cantuarienses, etc. Cette liste nous représente les verbes qu'on trouve le plus communément.

Dans les Year Books, les infinitifs en ir que nous rencontrons sous la forme de verbes de I sont fort communs, mais il nous est impossible de préciser les dates auxquelles les différentes formes apparaissent. Les Year Books du règne d'Edward P"" qui ont été publiés pourraient nous off"rir une très longue liste : oyer, tener, garanter, emplcr, arreiitcr, gisrr, fowcr, mais aucun de ces exemples

L INFINITIF 417

n'est assuré; l'on rencontre souvent dans le même recueil les formes nouvelles à côté des formes anciennes : garantir est employé par exemple dans 22 Edw. P' ; il y est plus commun que garanter, et se trouve encore dans 30 Edw, \" (p. 29) ; assenlir est donné par les ms. M, P, S^ Y, dans i et 2 Edw. II, p. 159, etc. Les e.xemples de ces deux formes employés concurremment sont extrêmement nombreux, et nous ne pouvons guère qu'en donner une idée. Que peut-on en conclure ? Il nous semble qu'on n'a à choisir que trois hypothèses vraisemblables. Ou bien les formes en //■ appar- tiennent cà la date du Year Book et celles en er proviennent des scribes qui ont recopié plus tard les notes prises par les auditeurs; ou bien à l'époque les premières notes furent prises la distinction entre ir et er s'était déjà effacée (que le changement soit phonétique ou analogique); ou bien ce sont les scribes dont nous possédons les cahiers qui avaient perdu le sens de cette distinction. Nous n'avons aucune raison intrinsèque pour ne pas admettre la pre- mière hypothèse, mais les conclusions assurées que nous tirons des textes politiques la rendent assez peu vraisemblable ; si nous admet- tons la troisième, qui nous paraît la plus naturelle, la date de la con- fusion est au moins 13 12 (date du ms. Y) : c'est un terminus ad quem. Nous devons donc admettre que pendant le commence- ment du xiV^ siècle et probablement pendant la fin du siècle précé- dent, pour des raisons que nous verrons plus tard (cf. seconde par- tie), la terminaison de l'infinitif des verbes de II, sans disparaître complètement, se confond le plus souvent dans les textes en langue légale avec celle des infinitifs de I et par la suite n'apparaît plus que rarement.

Il nous est facile maintenant de jeter un coup d'œil d'ensemble sur les faits que nous venons d'exposer. Les renseignements que nous ont fournis les différentes catégories de textes sont aussi concordants que possible, surtout si on tient compte de ce qu'il y a ordinaire- ment de flottant dans l'anglo-français. Nous résumerons en quelques paragraphes l'histoire de ces infinitifs en anglo-français.

1. La confusion entre la terminaison en ir et en er a certaine- ment commencé vers la fin du xii^ siècle.

2. Elle a été telle que ce sont surtout les scribes, tels que celui du Voyage de Saint Brandan, qui nous fournissent le plus grand nombre d'exemples à cette époque: les auteurs ne nous ont donné qu'un petit nombre de cas assurés.

4i8 l'évolution du verbe ex a\glo-i rançais

3. Le nombre des infinitifs de II qui prennent la terminaison en ej- devient considérable pendant le xiii* siècle ; à partir de 1250 le nombre des formes assurées en er est très grand.

4. Pendant tout le siècle suivant, surtout vers 1350, dans la littérature aussi bien que dans les textes familiers, politiques, diplo- matiques, légaux, les terminaisons régulières deviennent extrême- ment rares pour les infinitifs de II. Il y a, à vrai dire, quelques auteurs qui font exception, mais ils sont peu nombreux.

\'. Iiijîiiilifs de IV prenant la tcriiiinaisoii des verbes de I.

On observe pour les infinitifs de la quatrième conjugaison le même phénomène que celui que nous venons d'exposer pour la première et la seconde : la terminaison étymologique re tend à céder la place à la désinence er. Mais cette substitution, dont la nature peut différer de celle des changements analogues que nous avons étudiés dans les autres conjugaisons, se place en outre à une date beaucoup plus tardive. Elle n'appartient ni au xii^ ni au xiii" siècle. Dans certains ouvrages de ce dernier siècle, nous pouvons en rencontrer quelques exemples, mais nous n'hésiterons pas à les attribuer aux scribes du siècle suivant : le premier exemple assuré que nous ayons de ce phénomène se lit dans le Manuel des Péchés de William de Waddington. Enumérons cependant quelques-uns des exemples que nous avons rencontrés dans les œuvres littéraires antérieures à ce poème. La \'ie de Saint Edmund nous montre (au vers 3766) la forme treier, pour traire; Boeve de Haumtone évi- demment nous en donne aussi quelques exemples parmi lesquels nous citerons occier pour occire. Mais, nous le répétons, ces formes, isolées pendant les trois premiers quarts du xiii'^ siècle, doivent être laissées aux scribes de la fin du siècle et du siècle suivant.

Aucun doute n'est permis pour les formes de ce genre que nous lisons dans le Manuel des Péchés de William de Waddington et qui sont employées à la rime. Signalons d'abord un verbe de la qua- trième conjugaison pour lequel la forme de la première est devenue habituelle et peut-être unique : le verbe maudire. Nous avons peut- être affaire ici à un véritable changement de conjugaison. Pour les formes de l'infinitif, nous nous contenterons de donner rapidement quelques exemples: niaudier se trouve à la rime du vers 1848 avec amer, au vers 1882 à la rime avec doter, au vers 3577, 4490 à la rime avec custumer; cette forme est donc aussi assurée que possible.

L INFINITIF 419

Quelques autres verbes de IV se trouvent aussi à la rime dans le Manuel des Péchés plus rarement ; nous pouvons cependant citer braier (: apeser) au vers 4497. A l'intérieur du vers, surtout dans le ms. A, cette désinence est très commune, mais elle peut être attribuée aux scribes.

La Chronique de Wil. Rishanger contient un certain nombre de formes analogues comme repelkr à la page 278, et le plus extraor- dinaire de ces exemples est ester pour être à la page 331.

Le nombre des infinitifs augmente au xiv^ siècle, nous pouvons maintenant les diviser en plusieurs classes.

1. Quelques-uns de ceux qui prennent cette nouvelle forme n'ont qu'une ressemblance pour ainsi dire extérieure ou fortuite avec les verbes de I: ce sont ceux qui perdent Ve muet final de leur terminaison (cf. plus haut) ; la syllabe er qu'on leur voit n'est pas de la même nature que celle des infinitifs de la première conju- gaison puisqu'elle appartient ici au thème ; pour le verbe fer que nous avons déjà vu, la voyelle t'est l'équivalent de la diphtongues^/.

Cette remarque s'applique encore à un infinitif comme quer. Pierre de Laugtoft ou ses scribes nous offrent un assez grand nombre de formes de ce genre: d'abord les deux exemples que nous citions tout' à l'heure : fer (I, 64, 19; I, 112, 8) dont on peut rap- procher (pour montrer quelle différence il y a entre ce verbe et un infinitif de I) fair employé par Nicolas Trivet (au folio 29) ; et quer (I, 212, 4; II, 86, 26); fer se trouve aux §§ 49 et 80 des Contes de Nicole Bozon.

En se reportant aux exemples de chute de Vc muet final que nous avons déjà cités, on trouvera un assez grand nombre de verbes qui prennent ainsi accidentellement la forme des infinitifs de I.

2. Nous pouvons citer un certain nombre de cas la res- semblance n'est pas aussi purement extérieure ; elle provient, comme nous le verrons dans la seconde partie de ce travail, d'une métathèse de la voyelle muette finale.

Par conséquent, nous devons trouver d'abord dans cette classe les verbes dont le radical est terminé par une consonne suivie d'une dentale; les verbes de cette sorte se rencontrent à l'infinitif avec la désinence de la première conjugaison sous la plume de tous les écrivains de ce siècle ; par exemple nous lisons abaier, coiuhaler, aux vers 1302, 1462 de la Destruction ; ils sont spécialement nom-

po l'évolution du VEKBK HN ANGLO-lRANÇAlS

breux chez Pitrre Je Langtott ; nous pouvons relever dans ses Chroniques render (I, 48, ri), oyndcr (II, 8, 12), attender (II, 254, 1^), (Viifmider (II, 300, 21), ester (I, 172, 21), pour ne citer que les plus communs. Nicole Bozon dans ses Contes peut nous four- nir un grand nombre de cas semblables : defender 5), metterÇihid. et § 153); dans la Chronique de Londres la date de 1340, p. 76), on trouve espaunder. Pender, tounder sont employés par Nico- las Trivet (respectivement aux folios 19 et 35 et passini).

Les verbes dont le thème est terminé par une labiale se ren- contrent aussi communément au xiV^ siècle sous la forme d'infinitifs en er ; ces verbes sont du reste nombreux, surtout ceux qui se ter- minent en vre; par exemple, on trouve ^dans Pierre de Langtoft vyve7- (I, 392, 12), beyver (I, 438, 16), recayvcr (I, 446, 13). Nous pourrions encore fournir une assez longue liste formée par les infinitifs que nous montrent les Contes de Nicole Bozon, comme skuer et siiiver que nous lisons aux §§ 44 et 145, ou roiiiper employé au § 129. Et il en va exactement de même de tous les auteurs de la fin de ce siècle, entre autres de Nicolas Trivet.

Nous rencontrons une métathèse de la même nature dans plu- sieurs verbes qui ont un thème vocalique : les exemples que ceux- ci nous fournissent sont certainement moins nombreux que ceux que nous avons énumérés jusqu'ici sans pour cela être rares. Nous avons tout d'abord relevé teer pour taire qu'on trouve dans les Dis- tiques de Caton de l'Anonyme du xiv*' siècle au vers r8i et, dans le même ouvrage, créer (pour: creire) qui rime avec ottroer, au vers 113 ; dans la Chronique de Pierre de Langtoft, nous avons rencon- tré reer (rairc) (I, 148, 7); dans les œuvres en prose, nous en ren- controns encore un certain nombre, comme brayer au § 120 des Contes de Nicole Bozon ou créer dans les Chroniques de Nicolas Trivet au folio 46 v°. C'est peut-être à cette classe qu'appar- tiennent le maudier et le braier de William de Waddington.

Les infinitifs des trois catégories que nous venons d'énumérer semblent bien avoir abandonné, à ce mode au moins, leur conjugai- son, mais ici, comme dans notre première division, nous n'avons peut-être qu'une apparence. Remarquons que nous n'avons relevé qu'une seule rime (outre celles que nous donne le Manuel des Péchés, voir plus haut) qui nous montre que la condition essen- tielle de ce changement a été remplie: le déplacement de l'accent.

L INFINITIF 421

Cette rime se trouve dans la traduction des Distiques de Caton que nous citions tout à l'heure : on lit en effet, au vers 113, créer rimant avec ottroer. Quelle valeur faut-il attribuer à cette rime ? Nous ne pensons pas qu'elle suffise à prouver que dans tous les exemples que nous avons cités spécialement dans les thèmes à dentale et à labiale, l'accent a passé sur la syllabe étymologiquement muette ; nous no pouvons admettre autre chose que ce fait que la métathèse, dans quelques cas et peut-être pour un certain nombre de verbes, surtout à thème vocalique, dont le verbe croire, a été suivie d'un déplace- ment de l'accent qui a donné réellement à ces infinitifs la forme des infinitifs de I. Nous croyons que dans la majorité des cas, et tout au moins au début, les formes que nous avons citées ne sont que des graphies de la forme correcte.

3. Les cas le passage des infinitifs de IV à la forme des infi- nitifs de I est indubitable sont assez rares : nous y remarquons soit une simple addition d'une r, soit un changement radical dans la forme de l'infinitif régulier. Pour l'addition d'une r, nous pouvons citer des exemples qui ne laissent place à aucun doute sur la réalité du changement de désinence. Nous pouvons citer par exemple cou- rer, dans la Chronique de Londres, à la date de 1341 {cL p. 82); lystrer qu'on trouve dans les Contes de Nicole Bozon (au § 124). C'est un changement profond dans la forme du verbe que nous remarquons dans assoikr (formé sur le subjonctif si employé assoiUe, cf. Subjonctifs en ani) que nous lisons dans le poème de la Des- truction de Rome pour le vers 808.

Comme on le voit dans cette troisième classe, les exemples ne sont ni nombreux ni importants : ils n'ont que l'autorité d'un clerc très ignorant et celle de deux ouvrages en prose, dont les formes ont pu et être altérées par des scribes.

Nous pouvons maintenant résumer en quelques mots ce que nous venons de voir au sujet du passage des infinitifs de IV à la forme de I dans les œuvres littéraires.

1. Pour un grand nombre de verbes, la forme des infinitifs de I est purement extérieure;

2. Pour ceux qui la prennent par métathèse de la voyelle muette, il est probable que ce changement a été d'abord purement gra- phique ; nous avons cependant un exemple (peut-être plusieurs si nous rattachons à cette classe le maiidier et le hrayer de William de

|22 l.'l^.VOLUTlON DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Waddington) montrant que lamétathèsea été suivie d'un déplace- ment de l'accent.

3. Enfin, nous relevons encore un certain nombre d'exemples pour lesquels aucun doute ne saurait exister, mais ils sont rares, tardifs et sans autorité.

En dehors de la littérature, nous retrouvons les trois classes que nous venons d'étudier, et elles nous donnent de nombreux exemples.

Nous ne nous appesantirons pas sur la première classe ; et les exemples de chute de \'e final que nous avons déjà donnés suffi- ront pour montrer la forme que peuvent ainsi prendre certains verbes de IV.

Dans la seconde classe, nous trouvons tout d'abord tous ou à peu près tous les verbes dont le radical est terminé par une den- tale précédée d'une consonne, le groupe ?idre se présentant spécia- lement sous la forme nder. Parmi les plus fréquents, on peut citer defender dans les Rymer's Foedera (1308, III, 86) et dans les Lite- rae Cantuarienses (1380, 947); dans les Statutes (1390, II, 74), etc. De même, on lit prender dans lesMem. Pari. 1305 199); dans les Statutes (1376, I, 398); dans les Rymer's Foedera (1384, VII, 429). On trouve encore dans les Statutes : responder, deslreynder, tounder, vender... dans les Rymer's Foedera descender, de^peuder, somonder ; descender, despender, esteiider, vender dans les Year Books. Nous ne croyons pas qu'il y ait un seul verbe en ndr qui n'appa- raisse au moins une fois avec la métathèse de Ve muet.

Les autres verbes à dentale appuyée sont moins nombreux et moins fréquents. Citons cependant parmi les verbes dont le radical est terminé par une dentale double abûter (Rymer, 1361, VI, 321; Statutes, 1397, II, no); et encore dans Rymer wetter ainsi que ses composés remetter, promet ter, qui se trouvent très fréquem- ment aussi dans les Year Books.

Les verbes en rd sont représentés par perder qui se lit dans diffé- rents textes, en particulier les Statutes (1377, II, 2), ^aï aerder dans Rymer (1369, VI, 626); et peut-être arder (id., passini). Il nous faut encore mentionner les verbes en str qui se trouvent, rare- ment du reste, à l'infinitif sous la forme de I : encrester dans Rymer (1307, II, 1043; 1362, VI, 389) ; dans le Year Book 22 Edw. I" (321), verbe qu'on rencontre dans les Statutes sous la

l'infinitif 423

forme encrecer (1381, II, 18); ajoutons encore cognoister (dans Rymer, 1390, VII, 662).

Nous pouvons arrêter notre énumération des verbes terminés par une dentale. Le nombre des verbes avec un autre thème est relativement peu considérable ; il y a à prendre er quelques thèmes à labiale, comme viver dans les Literae Cantuarienses (1363, 909), dans les Year Books (30 Edw. P', 157, etc.); receiver Qst employé danslesStatutes(i3ii, I, 164; 1399,11, 117), dans les Literae Can- tuarienses (1329, 281). Nous avons déjà cité pour ce verbe des exemples analogues tirés des mêmes recueils à propos du passage à er des infinitifs en cir.

Rompre, qui a le thème terminé par l'explosive labiale p, prend souvent à l'infinitif la forme ramper, par exemple dans Rymer (1375, VII, 70) et les Year Books (14 Edw. III, 75).

L'on voit donc que ce sont les thèmes à dentale appuyée qui présentent le plus grand nombre de cas l'infinitif semble prendre la forme d'un infinitif de I ; pour les autres thèmes, cette forme en er, sans être extraordinaire, n'est pas aussi commune. C'est aussi ce que l'on peut dire des thèmes vocaliques; nous en trouvons quelques-uns avec la terminaison de l'infinitif de I à différentes reprises, comme enqueer dans les Statutes, ou encore le verbe trcer, qui se lit dans le même recueil (1353, I, 343) ; et dans les Parlia- mentary Writs (1324, 287); on le trouve encore assez fréquem- ment dans les Year Books, par exemple dans 20 et 2r Edw. P"" (p. 39). D'autres verbes à thème vocalique se trouvent plus rare- ment sous cette forme, par exemple faicr pour faire dans Rymer (1385, VII, 467); satisfier dans le même recueil (1380, VII, 244).

Nous ne trouvons que très peu de verbes dans la troisième catégo- rie (addition d'une r) ; on peut citer : dans les Statutes summoner pour somondre (cf. somonder, supra), 1397, II, loi ; somoner est commim dans les Year Books (cf. par exemple Edw. I", 211). On trouve encore socurer dans lès Pari. Writs (1322, IP Appendice, 202); encourer dans Rymer's Foedera (1360, VI, 260). Reqiierer se trouve dans la plupart de nos textes ; les Statutes, le Liber Custu- marum, les Literae Cantuarienses ; surtout les Year Books et les Rymer's Foedera l'emploient constamment. Remarquons, à propos de cette dernière forme, une expression qui est répétée très fré- quemment dans Rvmer : « de reqiier et faire requerer ». Il est rare

.|24 l'évolution du vlkbk hn anglo-françals

de trouver dans cette formule les deux infinitifs avec la même forme, encore plus rare de trouver l'infinitif de I en premier lieu; faut-il y voir un souci de style chez le scribe ou l'écrivain qui aurait voulu éviter d'entasser l'un sur l'autre trois infinitifs en re ? C'est possible, mais peu vraisemblable ; cependant aucune autre explication ne nous semble admissible.

Citons encore deux infinitifs que nous avons rencontrés fréquem- ment dans un grand nombre de textes : tôlier et repeUer ; le premier se lit dans les Documents Inédits (1310, 58), dans les Statutes (1322, I, 188) et communément dans les Year Books (cf. 14 Edw. III, p. 41, 105 et passiiti); «n rencontre le second dans les Sta- tutes (1321, 1, 183 ; 1362,1, 375; 1350,1, 322; 1353, I, 337).

Tous ces exemples et plusieurs autres du passage de IV à I se trouvent dans les Year Books, par exemple conystrer (22 Edw. l", 317,333, etc.); ardrer(ihid., 509, exc.y,destrehier{^^, et 35 Edw. I", 483) et beaucoup d'autres.

Faut-il considérer que, dans tous les exemples précédents des textes non littéraires, nous avons le passage réel de l'infinitif de IV à la forme de l'infinitif de I ? Nous ne le croyons pas. Il faut mettre hors de cause les infinitifs de la troisième catégorie ; ceux-là sont bien devenus des infinitifs de I. Il faut aussi leur ajouter certains autres, comme satisfier et peut-être tous les verbes à thème voca- lique qui s'écartent sensiblement de leur forme étymologique; les autres nous apparaissent comme des graphies curieuses de la forme régulière, dans lesquelles le déplacement de l'accent n'a pas eu lieu. Ce qui nous le prouve dans ces textes non littéraires, c'est le mélange des formes en er et des formes en re\ ce mélange est constant dans tous les recueils, même dans les Statutes. On peut dire que jamais on ne rencontre la forme nouvelle sans qu'on puisse trouver, à quelques lignes ou à quelques pages d'intervalle, la forme étymologique ; s'il y avait eu déplacement de l'accent, la différence entre les deux formes aurait été trop grande pour que les scribes aient pu les employer simultanément, non pas seulement une fois, ce qui serait possible à une période de transition, mais constam- ment.

Les deux formes : prender, verbe de I, et prendre, infinitif de IV, sont impossibles simultanément ; on les trouve dans le même para- graphe, dans un Traité de Rvmer (1384, VII, 429), de mêmequ'on

L INFINITIF 425

trouve à quelques lignes d' mier y aile accres ter et accrestre (id., 1362, VI, 389); resceyver se trouve dans les Statures (tome II, 1390, 74), receivre se lit à la page suivante ; de même, les formes correctes mettre, battre, eschere, aparceivre se trouvent employées côte à côte avec les formes en er. Q_uant au mélange des deux formes faire et faier il est très fréquent partout.

De plus, s'il y avait réellement changement de conjugaison, on pourrait observer un mouvement progressif et continu; cela n'a pas du tout lieu ; nous trouvons au contraire dans les grands recueils assez peu de changements à cet égird; le nombre de formes en er varie évidemment d'une année à l'autre, mais sans la moindre régu- larité, même générale ; il est évident que les scribes considéraient les deux formes connue équivalentes et employaient l'une ou l'autre selon leur fantaisie du moment.

h) INFINITIFS DE II.

Les infinitifs de la seconde conjugaison ne présentent pas un grand nombre de variations dans leurs formes : leur désinence est régu- lièrement en ir et cette terminaison n'est pas soumise à beaucoup de changements. Dans la langue littéraire, il n'y en a même aucun, si l'on en excepte le passage de ir à er que nous avons étudié dans les pages qui précèdent.

La seule question qui soulève l'étude des infinitifs de la seconde conjugaison est celle des acquisitions qu'ils ont faites.

I. Acquisitions des infinitifs en ir.

La seconde conjugaison est, après la première, celle qui attire au mode infinitif le plus grand nombre de verbes des autres conjugai- sons. Les premiers verbes qui subissent cette attraction, ou pour parler plus exactement, qui semblent la subir les premiers, ce sont les verbes de I. Ceux-ci, en effet, prennent assez fréquemment un infinitif en ir, et c'est très tôt, dans la littérature anglo-française, que nous pouvons trouver des formes attestées de ce phénomène (cf. Stengel, Zeitschrift fur neufran. Sprache und Litteratur, I, 46).

.|26 i/lvolution du verbh en anglo-i-rançais

Dans le Voyage de Saint Brandan, nous trouvons en effet un exemple de ce phénomène à la rime du vers 13 16 esperir rime avec serir '.

C'est, du reste, le seul exemple que nous en trouvions au xir' siècle; pour en rencontrer un autre aussi concluant, il faut aller jusqu'à la seconde moitié du xiii^ siècle. On relève en effet à cette époque, dans The Lament of Simon of Montfort, au vers 25, la rime denienhryr (: pyr == pire). Dans William de Waddington, nous trouvons encore une autre rime ^ : hssir (: suffrir) 5555, et dans les Distiques de Caton de l'Anonyme du xiv^ siècle on trouve encore iïattir (: blaundir), vers 322. Ce phénomène est donc assez bien attesté au moins au xiii^ siècle; il est assez peu probable que les cas précédents ne soient que de mauvaises rimes, et il est plus naturel d'admettre qu'entre 1250 et 1300 certains infinitifs de I ont commencé à prendre la désinence de ir.

Dans les exemples que nous trouvons de temps en temps à la rime dans les poèmes du xiv^ siècle, il entre un nouvel élément de doute. Les rimes que nous relevons sont presque toutes ou toutes des interrimes entre infinitifs : or, les verbes de II qui prennent à l'infinitif la terminaison de I sont beaucoup plus nombreux que ceux de I qui prennent la désinence en ir ; chaque fois que nous trou- vons, rimant ensemble, un infinitif de I et un infinitif de II, nous sommes en droit de nous demander, quelle que soit la graphie, si c'est la désinence er ou la désinence ir que nous devons leur donner à tous les deux. Puisque les infinitifs en er de la seconde conjugai- son sont d'autre part les plus communs, nous sommes le plus sou- vent en droit de croire que nous avons sous les yeux un cas du pas- sage II à I plutôt qu'un exemple du phénomène inverse. Comme

1 . Cette forme doit du reste être attribuée au scribe, et remonter seulement à 1160; le manuscrit de l'Arsenal BLF 383 donne en effet estovoir : soir (vers 1267, Zeitschrift II, 452) qui convient aussi bien pour le sens et mieux pour la mesure du vers :

Quant vient al diemance'al soir, Deci m'en vois par estovoir.

2. Pour le passage de la terminaison ier à la torme ir, on peut consulter H. Suchier, Ueber..., p. 47; et au bas de la p. 343 du deuxième volume de la Zeitschrift les quelques lignes de Kosch\^ itz ; de même la note de la page 88 au volume XXXVI de Romania, Stimming, Boeve de Haumtone, p. xxviij, etc.

l'infinitif 427

exemples, nous pouvons citer déjà ici : ensechir qui se trouve accou- plé avec foillier au vers 95 du poème l'Antecrist ; plurir qui rime avec sustenirau vers 54 de la Lamentation pour la Mort d'Edward P', escoltir avec la rime oier au vers 1647 du Prince Noir. Tener et oier, comme nous l'avons déjà vu, sont assez communs et on ne peut en dire autant de plurir et d'escoUir, au moins dans les œuvres littéraires (cf. cependant p/wr/ à la 3* personne du singulier).

Comme nous le verrons dans notre seconde partie, ce doute a beaucoup moins d'importance qu'on serait tenté de lui attribuer tout d'abord; les deux phénomènes se ramènent à un seul, ou plu- tôt, proviennent de la même cause; et comme la rime demembryr: pyr nous assure que les infinitifs de I peuvent prendre à l'occasion la terminaison ir, nous allons nous contenter de citer les exemples que nous avons pu relever au xiv^ siècle tendant à prouver que la désinence/;- se substitue parfois à la terminaison er, avec cette restric- tion que dans les cas de rimes entre infinitifs de I et infinitifs de II il nous est impossible d'affirmer avec quelque certitude auquel des deux phénomènes nous avons affaire.

L'Apocalypse a un exemple de ce passage de I à II à l'infinitif : sonir(^Z, 423); dans la Chronique de Pierre de Langtoft, nous en rencontrons plusieurs cas, mais aucun ne se trouve employé à la rime, par exemple recoi'cryr qui est assez commun (voir par exemple I, 281, i), et harlir qui est moins fréquent (II, 356, 18). Outre l'exemple que nous citions tout à l'heure, on trouve encore dans la Lamentation sur la mort d'Edw.ird I", sonir qui rime avec teisir au vers 55, et dans le Prince Noir jugir (: mentir) au vers 4201, (: départir) au vers 4232; contir (: partir) au vers 4208. La rime reneer : oscir (aux vers 75-76) de l'Antecrist est extraordinaire.

Ce sont surtout les œuvres en prose qui nous fournissent le plus grand nombre d'exemples, et il est probable qu'un certain nombre des formes qui suivent sont dues aux scribes. Nous lisons dans le Dit de Hosebonderie de Walter de Henley: averyr, gardyr,delyveryr, engressyr, haylyr (2, 12, 16, 22, etc.); dans les Contes de Nicole Bozon on trouve deniorir (§§ 3, 5, 15, 61), donir 37); pardonir 80), gardir (§135), P^^àir 82) .

Il faut remarquer que dans les œuvres en vers de Nicole Bozon que nous avons étudiées, ces terminaisons ne se rencontrent jamais à la rime. Dans les Chroniques de Nicolas Trivet enfin, on peut

428 l'évolution du vkrhe e\ anglo-français

Yn'c cnbcvei ir (au tolio 6 v°) ; guerrir pour guerreir (au folio 54 v°), debotir (au même endroit).

D'autres formes en ir proviennent indubitablement des scribes ; citons par exemple le pènsir donné pour le vers 45 du Petit Plet de Chardri par le ms. V ou la laisse d'Apremont qui donne les rimes suivantes : curùcir : ardir : enniiir : conseilUr : faillir : tencir.

Ici, nous avons probablement un phénomène spécial, assez peu comnmn en anglo-français : le passage de ie à /.

Nous allons retrouver dans la langue diplomatique et politique les mêmes verbes de I, et quelques autres encore, avec un infinitif en ir ; de plus, nous aurons ici l'avantage de pouvoir déterminer avec assez de précision quels sont les verbes qui se trouvent le plus communément sous cette forme.

Le nombre des verbes de I à prendre cette désinence est ici beau- coup plus considérable que dans les œuvres littéraires. Certains verbes se montrent avec une telle régularité qu'il est impossible de douter que l'on ait affaire à un changement de conjugaison.

Parmi les verbes fréquemment employés sous cette forme, on peut citer en première ligne le verbe recovrer qui n'apparaît guère que sous la forme recov{e)rir, par exemple dans les Statutes (cf. 1275, I, 33 ; 1278, I, 50 ; 1285, I, 54; 1317, I, 165 ; 1340, I, 287; 1379, II, 12). Les Rymer's Foedera nous donnent aussi un assez grand nombre de cas ce verbe prend la désinence des infinitifs de II (cf. par exemple 1327, IV, 245 qi passini). Nous pourrions citer encore dans certains Year Books plusieurs exemples de cette forme (comme dans 21 Edward I", 183). De même, ozmr pour ouvrer est aussi fort commun ; on le trouve dans les Parliamentary Writs (1305, I, 262) et dans un fort grand nombre d'autres textes.

Les formes recovrer, ovrer sont très rares ; nous en avons relevé un petit nombre d'exemples dans les Statutes, comme à la date 1326(1,253).

Tout aussi fréquent que le premier des verbes que nous venons de citer, tretir se rencontre dans la plupart des recueils que nous avons étudiés; nous pourrions tirer un très grand nombre d'exemples de cette forme des Rymer's Foedera : par exemple dans les passages suivants : 1295, II, 680; 1323, III, 1030 ; 1345, V, 439, 460, etc. ;dansles Literae Cantuarienses (1318, -^4) ; dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1323, 80); mais ce qui distingue ce

L INFINITll- 429

verbe de recovrir, c'est que la forme régulière est aussi fréquente que l'intinitif avec la désinence de la seconde conjugaison ; on lit treter dans les Rymer's Foedera dans un grand nombre de cas, comme dans les traités de 1295. Toniir, comme pour le verbe pré- cédent, est fréquent sans être la forme exclusivement employée ; les Statutes la connaissent et on la trouve à plusieurs reprises (cf. 1340, I, 285, 287, 289 ; 1382, 24 ; 1388, II, 56), et il en va de même dans la langue légale (21 Edward P', 279). Comme on le voit, elle se montre plus tardivement dans les Statutes que les deux verbes dont nous venons de citer des exemples ; et au commence- ment dé la première moitié du xiv^ siècle, elle est encore assez rare; elle est de plus en plus employée à partir de 1350. Le pre- mier exemple de tiiniir que nous trouvions dans Rymer est à peine plus ancien, 1330 (IV, 451), et les progrès de cette forme sont certainement moins marqués que dans les Statutes ; on en trouve des exemples en 1338, 1357, 1364 et un plus grand nombre encore en 1378. Les Literae Cantuarienses nous donnent des exemples de ce verbe sous cette forme à partir de 1326 (p. 189), et les exemples deviennent assez communs par la suite. Les trois verbes précédents sont ceux qui nous ont donné le plus grand nombre de cas du passage de ir à er, absolument en même temps que relativement aux formes régulières ; d'autres, moins employés, se trouvent cependant dans un certain nombre de recueils : performir, gardir, demorir, governir. On trouve ces quatre verbes dans les Statutes et dans Rymer ; de plus un ou plusieurs sont employés dans les Parliamentary Writs, les Mem. Pari. 1305 ; dans les Literae Cantuarienses, dans le Registrum Palatinum Dunelmense, dans le Liber Custumarum, dans le Blacke Booke ot the Admiralty.

Citons maintenant plus rapidement quelques verbes moins com- muns sous cette forme ; les exemples que nous avons relevés dans les Statutes, Rymer, les Literae Cantuarienses nous fourniront une liste à peu près complète de ces verbes dans la langue politique et familière et légale. Les Statutes nous donnent : averir, envoir, ordc- nir, repeirir, restituir, tuir ; les Rymer's Foedera : alir, donir, eute- rinir, kssir, levir, menir, pair, pensir ; les Literae Cantuarienses : deliverir, destourbir, grevir, pû'lir, passir, iisir ; dans les Year Books nous avons relcwé : pledyr, avenir, uiosfrir. Au point de vue

430 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-I'RANÇAIS

des dates, sauf tretir et recovrir, les exemples du passage des infini- tifs de I à II sont rares au commencement du xiv* siècle ; ils deviennent plus communs à partir de 1330, et vraiment fréquents dans la seconde moitié du siècle.

IL Verbes de III passant à II.

Comme li plus grande partie des infinitifs en eir prennent la ter- minaison er, il est naturel qu'il n'y en ait qu'un très petit nombre à prendre la désinence de IL Le xii'^ siècle n'a pas connu ce changement, et le xiii^ ne nous en offre pas non plus d'exemple bien assuré. Tout ce que nous trouvons à citer dans ce siècle ce sont deux exemples tirés, l'un de la Vie d'Edward le Confesseur : cheiir {âu vers 1360), exemple que l'on peut sans hésitation attribuer au scribe ; l'autre tiré de la Chronique de Wil. Rishanger : recevir la page 333). Le plus ancien des exemples du passage d'un infinitif de III à la ter- minaison ir ne remonterait donc pas plus haut que la fin du XIII* siècle. Les autres exemples de la langue littéraire que nous trouvons à citer ne se rencontrent pas avant la fin du xiv* siècle : ils se lisent tous dans le poème du Prince Noir : veir (: envaïr) (326) (: alentir) (3059).

Ce sont les seuls cas que nous ayons rencontrés dans la langue littéraire ; il est inutile de faire remarquer combien ils sont peu nombreux ; et encore pour certains d'entre eux, on peut se deman- der s'ils appartiennent bien à la catégorie des verbes qui nous occupent. Cheiir ou recevir ont fort bien pu arriver à la seconde conjugaison en passant par la première, car les infinitifs cheier et recever, comme nous l'avons vu, ne sont pas rares. S'il en était ainsi, il ne resterait des exemples que nous donnons que celui de veïr qui lui n'a pas pu passer par ver ; mais cet exemple unique ne saurait prouver grand'chose. C'est une forme empruntée au picard.

Les cas l'infinitif de III prend la forme d'un infinitif de II ne sont guère plus nombreux dans les ouvrages non littéraires ; on peut toutefois citer escheir qui se trouve fréquemment (par exemple Statutes, 1275, I, 36; Rymer, 1503, II, 924); mais faut-il lire escheïr ou escheir ? Autrement dit, y a-t-il changement de désinence ou disparition de la muette en hiatus? Rien ne peut nous le faire

L INFINITIF 431

savoir, mais il y a de grandes chances pour que ce soit plutôt le second phénomème qui se soit produit.

Nous trouvons du reste dans ces mêmes textes des exemples plus probants, quoique en petit nombre ; un seul se trouve dans les Statutes : asavir (1275, I, 27) ; on peut y ajouter les deux exemples de Rymer : appercevir (1325, IV, 180) et la nou- velle formation appertir (1324, IV, 87) pour appareir formée sur la troisième personne du singulier appert \ Les autres ouvrages ne nous fournissent que bien peu de nouvelles formes : apparir dans le Registrum Palatinum Dunelmense (1338,111, 212); et le nom verbal pouir. Documents Inédits (1357, 113). Comme on le voit, ces formes sont très peu nombreuses dans les textes politiques et diplomatiques ; elles sont encore plus rares dans la langue légale ; nous ne trouvons à citer que vaJyr, 21 Edv. \" (191) ; rescevir, 2 et 3 Edw. II (59) et passim.

III. Infinitif s de IV passant à IL

Les infînitits de IV se rencontrent très rarement avec la termi- naison ir dans la langue littéraire. On ne trouve aucun exemple de ce changement au xii^ siècle, et ceux qu'on rencontre dans les siècles suivants sont toujours peu nombreux et isolés. Pour un de ces verbes, la forme de l'infinitif de II est cependant si fréquente qu'on peut à peine la considérer comme irrégulière : on trouve en effet toJir beaucoup plus communément que toldre et tondre. On lit déjà dans Robert de Gretham : tollir (: joïr) (folio 9 r°); dans le Roman des Romans (au vers 702) : tolir (: tenir) ; ce même infinitif rime encore avec haïr au vers 2418 du Prince Noir.

Si on met ce verbe à part, les infinitifs de III avec la terminai- son //' ne se rencontrent qu'au xiv^ siècle : on pourrait presque dire qu'ils ne se lisent que dans les écrivains en prose. Le seul exemple que nous ayons relevé dans un ouvrage en vers est occyr employé par Pierre de Langtoft à l'intérieur du vers (I, 248, 21); ici encore nous n'avons pas changement de conjugaison, mais chute de la voyelle finale.

Dans certains ouvrages en prose, au contraire, ces infinitifs sont plus librement employés : dans les Contes de Nicole Bozon on

I. l";uit-il lire dppcriir qu atibeieir ?

_|32 l'kV0LUT10\ du VERBI: en ANGLO-IRANÇAIS

relève par exemple : discendir 137), suïr 44); «-hms Nicolas Trivet : venquir (68 v°).

On aurait pu citer dans ce dernier auteur un nombre assez con- sidérable de formes analogues ; mais il est fort possible que celles-ci proviennent du scribe; elles n'appartiennent donc pas au xiv-' siècle, et comme telles sortent de notre sujet.

Somme toute, les quelques exemples précédents suffisent tout juste à montrer que ce phénomène n'était pas inconnu à la langue littéraire anglo-française, mais qu'il }- est resté très rare.

Dans la langue politique et diplomatique il n'en est pas exacte- ment de même, plusieurs verbes de IV se présentent avec un infi- nitif en ir. Quelques verbes prennent cette forme en perdant sim- plement Ve final de leur désinence (cf. supra).

Le plus employé, et de beaucoup, est le verbe suivre ; il prend différentes formes : 5HzwV dans les Literae Cantuarienses (1303, 149); sciiyy dans les Statutes (1330, I, 264); surtout la forme 5m>, qui se trouve à peu près partout (cf. Statutes, 1335, I, 273 ; 1346, I, 304; 1360,1, 36e, 367. Rymer, 1300, II, 913; 1340, V, 164; 1373, VII, 23). et évidemment surtout dans les Year Booksoù elle se trouve pour ainsi dire à chaque page, quoique 5?/^r se rencontre quelquefois. D'autres verbes prennent de la même façon une forme analogue, comme dest ni ir (dans les Statutes, 1344,1, ^00); ''srbiiir (id., 1353, I, 330, 332).

D'autres viennent à II en passant probablement par I : resceivir qui se lit dans Rymer (1360, VI, 258 ; 1363, VI, 408) ; prend ir se lit dans la Lettre de Thomas de Turberville (1295, 4^); ahatir dans les Year Books, i et 2 Edw. II (35) (mais B et D abatre); 33 et 15 Edw. ^'■(155), etc.

Ici encore, nous n'avons qu'un petit nombre de cas et ces formes restent purement exceptionnelles.

C) INFINITIFS DE III.

Les infinitifs de la troisième conjugaison ne montrent, à l'excep- tion de ceux que nous avons signalés auparavant, que très peu de changements dans leur désinence; il n'y a pas à s'en étonner, puisque la littérature anglo-française reste très longtemps sans pos- séder de désinence spéciale à cette conjugaison.

LIXFIKITIF 433

Voici cependant quelques remarques que nous suggère l'étude de ces désinences. Les derniers exemples d'infinitifs réguliers que nons trouvions dans la littérature avant que la terminaison er fût devenue la seule terminaison des infinitifs de III nous montrent tous la diphtongue ci ; nous en avons donné de nombreux exemples précédemment^ qu'il nous suffise de rappeler maintenant les rimes du Saint Edmund : saveir (: veir), 432 ; avcir (: eir) 457. La seule variante qu'on puisse signaler est l'emploi de la diphtongue ai, par exemple manair dans Robert de Gretham (7 r°) ; mais la rime (: seir) montre que cette variante est purement graphique et due au scribe ' .

Oi est très rare, presque aussi rare que ai ; on ne trouve cette diphtongue que chez certains auteurs, comme Frère Angier, dont l'anglo-gallicisme est douteux, ou tout au moins mélangé. On peut lire dans cet auteur recevoir (Dialogues, 64 a).

Au contraire, lorsque, après une absence d'un siècle environ, la désinence régulière reparaît, c'est sous la forme de oi ; il suffira pour s'en convaincre de lire les exemples que nous avons déjà cités.

Il en est de même, autant que nous pouvons le voir, dans les œuvres non littéraires; dans les grands recueils, la diphtongue ei ne se rencontre que dans de rares exceptions, que nous allons signa- ler : dans les Statutes : veire (1396, II, 94) ; dans le Liber Albus : avcir (1243, 132); .dans les Literae Cantuarienses : siirscir (1338, 650); en tout, trois infinitifs.

Il est possible, il est même certain, que notre liste est incom- plète et qu'on pourrait probablement citer quelques autres exemples d'infinitifs de III en ei dans cette catégorie de textes; il n'en reste pas moins vrai que cette terminaison dans la langue politique et diplomatique, de même que dans la langue littéraire de la fin du xiv^ siècle, est très exceptionnelle. Cette considération, comme on le verra plus tard, ne manque pas d'importance-.

1. Ajoutons que cette torme se rencontre assez fréquemment dans le fragment T' du Tristan de Thomas (Cf. vers 1032, 11 10, 11 12) ; mais le scribe paraît avoir été continental.

2. Cette simple constatation suffirait à montrer que le phénomène de l'umge- kehrte Schreibung, s'il se produit quelquefois en anglo-français, ne s'est certai- nement pas produit dans le cas présent.

28

^34 L EVOLUTION DU VHKBE EN AXGLQ-I RAXÇAIS

Signalons, avant d'en finir avec la forme de la désinence des infinitifs de III, certaines autres terminaisons, toutes assez peu fréquentes. Il est assez comnuni de trouver pour le verbe avoir et même pour savoir ce qui semble une contamination des deux formes avrr et avoir : avoer, par exemple dans les Rymer's Foedera (1310, III, 221 ; 1324, IV, 30) ; un /peut même s'introduire, par exemple rtiwVr toujours dans Rymer (13 51, IV, 493 ; 1380, VII, 273) ; savoyer se lit dans les Year Books (33 et 35 Edw. \"\ 117) ; peut-être aurions-nous mentionner cette dernière forme avec les acquisitions des infinitifs en er; mais avoer nous semble distinc- tement une graphie avoir et avoicr ne peut provenir d'une autre forme que celle-là (cf. notre seconde partie, chap. m).

Les terminaisons sans / ne sont pas rares ; on trouve par exemple savor dans les chroniques du Monastère de Saint Alban (13 10, 166) ; resceivor dans Rymer (1375, VII, 76); avor. Documents Iné- dits (1382, 237). Nous aurions volontiers négligé ces quelques formes comme des erreurs cléricales si les infinitifs en or n'étaient pas connus par ailleurs en français (cf. Philipon, les Parlers du duché de Bourgogne, Romania, XLI, p. 581, §22, 3 et notre seconde partie, chap. m).

Moins commune est la diphtongue ou : savoiir (Rvmer, 1297,

11741).

I. Acquisitions des infinitifs de III.

Ces infinitifs nous fournissent encore un autre point à traiter : les acquisitions qu'ils ont faites.

Comme la désinence en eir était appelée à disparaître de la ter- minaison des infinitifs de III, il semble a priori peu vraisemblable que nous puissions trouver un grand nombre de nouveaux infini- tifs avec cette terminaison. 11 y en a cependant. Au xii^ siècle, alors que la terminaison des infinitifs de III subsistait encore, elle a exercé son attraction sur un certain nombre d'infinitifs de I ; citons d'abord espeleir qui n'est pas spécial à l'anglo-français et qu'on trouve dans Gaimar (vers 293) et dans plusieurs autres auteurs •,fableir se trouve dans les Quatre Livres des Rois (III, 9, 7) ; aler rime avec veir (verum) au vers 759 du Saint Gilles et doit être attribué au scribe.

L INFINITIF 435

Comme on le voit, la liste des acquisitions au xii« siècle est fort courte. Elle est beaucoup plus longue au siècle suivant. Mais elles proviennent toutes du même auteur : Frère Angier. Voici les exemples du passage de I à III que nous trouvons dans cet auteur. La Vie de Saint Grégoire nous donne aleir la rime du vers 2001) ; proveir (au vers 2840) ; achiveir (au vers 1940). Pour les Dialogues, voici les exemples cités par Timothy Cloran (p. 45). (cf. Miss Pope, op. cit., p. 39) «-»/('/;■(: remaneir) (107, c. 28); escbiveir {: voieir) (134, c, 9); esproveir (très commun) (: saveir) (48, a, lé; etc.); gardeir (: aveir) (78, d, 19); salveir (: valeir) (146, c, 10); froi'eir (: aveir) (72, d, 3). Il y a de plus un petit nombre de verbes de IV à prendre cette désinence ; citons sonrdeir (: ardeir) dans les Dialogues Saint Grégoire (107 b) (Miss Pope).

On pourrait considérer que les rimes que nous venons de citer ne sont pas très concluantes, puisque, comme nous l'avons vu, Frère Angier fait souvent passer à la forme en er les infinitifs de III, et il serait possible de considérer les rimes que nous avons comme des preuves, non pas de la terminaison en eir des infinitifs de I, mais comme montrant que les infinitifs de III passent à la pre- mière conjugaison. Cependant la nature des manuscrits des poèmes de Frère Angier rend une telle supposition tout à fait impro- bable.

Remarquons que dans cet auteur les infinitifs de III ont ordi- nairement la forme moderne en oir, tandis que les acquisitions de cette conjugaison que nous venons de citer nous montrent la diph- tongue ei.

Nous n'avons pas relevé postérieurement à Frère Angier d'exemple assuré d'infinitif de I prenant la terminaison des verbes de III; et il nous est presque absolument impossible d'en trouver. Rappelons en effet que lorsque nous avons étudié le passage de III à la forme de I, nous avons toujours admis qu'une rime entre deux infinitifs de ces deux conjugaisons nous montrait que l'mfinitif de la troisième prenait la forme de celui de la première, et c'est vrai- semblablement ce qui a eu lieu en réalité ; mais comme ce sont presque les seules rimes que nous trouvions, nous ne pouvons plus saisir les traces du passage, s'il existe, de I à III.

Il est assez probable que s'il a eu lieu ce n'a été que rarement.

4}(-> L ÉVOLUTION DU VeRBE EN ANGLO-IRANÇAIS

Cependant dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature, nous en avons rencontré un certain nombre, et quoique ce phéno- mène ne se soit pas produit très souvent, les exemples que ces textes nous donnent ont une grande importance parce qu'ils ne sont pas limités à une courte époque ni à une catégorie d'ouvrages. Les Statutes nous en ont fourni quelques exemples ; citons essomyr que nous lisons en 1275 (I, 37), tueir (13 n, I, 164).

Le premier de ces deux exemples se retrouve encore dans les Early Statutes of Ireland (1285, 86) qui nous donnent de plus aleir (13 10, 270). Enfin à la date de 1297, les Parliamentary Writs ont encore troveir (I, 34). Tels sont les principaux exemples qu'on ren- contre dans les textes politiques; dans Rymer, nous en avons relevé au moins trois cas : troveir (1259,!, 675); bailleir (1307, III, 19); le troisième cas est celui d'un verbe de II, mais il est probable qu'il est arrivé à cette forme en passant par la désinence er : acom- pleir (^i^S^, VII, 411). lien va de même pour veneir (Literae Can- tuarienses 1358, 843). Citons encore une forme assez curieuse, qu'on lit dans les Rymer's Foedera, et totalement différente, croyons- nous, de celles que nous avons vues jusqu'ici : siirvoir (surveiller) (1373, VII, 12). Cette forme confirme ce que nous avons déjà dit de la confusion qui s'était établie entre les deux verbes veiller et voir, si voisins déjà par le sens et par la forme.

Les exemples que nous venons de citer se trouvent donc au nombre de sept, que l'on pourrait fort bien réduire à six, acoviphir pouvant n'être qu'une erreur cléricale pour acompUer (cf. supra). On remarquera que ces six exemples se rencontrent à des dates variant entre 1259 et 1311, à une époque le retour à la forme étymologique pour les infinitifs de III avait à peine commencé ; ensuite^ la diphtongue dans ces quelques verbes, et dans accompJeir, si on veut en tenir compte, est ei, alors que dans les infinitifs qui reprennent la terminaison régulière de la troisième conjugaison, ell'e est, comme nous l'avons déjà vu, oi. Ces deux considérations suffisent pour prouver que ces infinitifs n'appartiennent qu'en apparence à la troisième conjugaison ; ici encore, la nouvelle forme n'est rien autre chose qu'une variante graphique de la forme étymo- logique et n'est pas identique à 0/.

Nous n'avons pas tenu compte dans ce qui précède des textes de langue légale ; les Year Books ne nous fournissent en eflet qu'un

L INFINITIF 437

très petit nombre d'exemples, comme departeyr (20 et 21 Edw. P"", 195). Nous n'avons pas rencontré dans les Year Books de cas auquel nous puissions assigner une date approximative, mais rien non plus qui puisse aller à l'encontre de la conclusion que nous venons de tirer.

d) Infinitifs de IV.

Les infinitifs de IV ont eu à subir plus de modifications que les infinitifs de II ou de III ; mais, comme nous le verrons plus tard, ce sont surtout des modifications phoniques qui ne sont pas spé- ciales à ce mode, ni même au verbe ; aussi passerons-nous assez rapidement sur certaines d'entre elles.

I. Redoublement de /'r de la désinence.

Certains verbes, principalement ceux dont le thème (en latin) présente une palatale, assimilent cette consonne à Vr de la dési- nence et redoublent. Vr à l'infinitif. Nous ne citerons ici qu'un assez petit nombre d'exemples, mais ceux que nous avons relevés sont tous anciens, ainsi ceux que nous fournissent les Psautiers : defirre (Oxford, 38, 15); dirre (Oxford et Cambridge, respective- ment ^ 19 et 5 20) ; fairre dans les Royal Letters Henry III (1263- 70, II, 234).

Ce redoublement de Vr se remarque surtout au futur et nous en parlerons plus longuement lorsque nous étudierons ce temps.

II. Acquisitions des infinitifs de IV.

La quatrième conjugaison n'était pas appelée à faire un grand nombre d'acquisitions dans les dialectes du continent; et en anglo- français sa fortune n'était pas destinée à être plus brillante. Nous relevons cependant dans nos différents textes, et surtout dans ceux qui appartiennent au xiv^ siècle, plusieurs infinitifs qui se rangent à la forme de l'infinitif en re. Ils ne sont pas très nombreux et peuvent le plus souvent s'expliquer par l'action des lois phoniques. Nous citerons tout d'abord et dans une classe à part le verbe conquistre qu'on trouve employé pour conquérir dans un certain nombre

13^ l'évolution UU VF.RliR FA' ANGLO-l-RAX ÇAIS

d'auteurs, par exemple dans les Chroniques de Nicolas Trivet (au folio 58 r°), et dans le poème sur le Prince Noir (au vers 684). Cet infinitif représente une véritable acquisition pour les infinitifs de IV, facile à expliquer; mais nous n'en dirons pas davantage pour le moment. Nous aurons occasion de reparler de cette forme quand nous nous occuperons du radical de l'infinitif en général.

A part ce verbe, nous rencontrons un assez grand nombre d'infi- nitifs qui prennent ou semblent prendre la forme des infinitifs de IV. S'il est suffisant pour appartenir à cette conjugaison d'être ter- miné par re, tous les exemples suivants ont passé à cette conjugai- son. Mais la présence de Ve peut n'être qu'une ressemblance exté- rieure. Nous allons diviser en deux groupes les infinitifs que nous avons recueillis, d'après le mode de leur formation ; nous sommes persuadés que les verbes du premier groupe n'ont pas changé de conjugaison, malgré leur forme.

A. Ce groupe comprend les infinitifs terminés par re par suite de l'addition d'un ^ muet à leur forme ordinaire. La ressemblance avec les infinitifs de I n'est donc, pour ainsi dire, qu'extérieure et acci- dentelle. Ce sont principalement les verbes de I qui subissent cette addition.

Les verbes de II et de III sont eux aussi affectés de la même manière, mais à un moindre degré. Nous avons traité cette question et cité des exemples au commencement de notre élude sur l'infinitif.

B. Les verbes deL ont une autre manière de prendre à l'infinitif la forme des verbes de IV : par métathèse de Vr de leur terminaison. Le premier exemple que nous en ayons relevé se trouve dans le Roman des Romans et doit être attribué probablement au scribe du ms. Royal 20 B XIV qui date de la fin du xiv^ siècle: c'est cnntre, pour conter, au vers 9 r . Dans Pierre de Langtoft nous trouvons de ce changement trois exemples souvent cités : malheureusement, de ces trois passages, deux doivent être attribués au scribe du ms. A qui est un mauvais ms. ; le premier des exemples cités est lettre (I, 46, ri); mais leetreesx. la leçon d'A seulement, alors que B, le

I. Sur ce passage des infinitifs de I à la forme de IV, on peut voir, entre autres : P. Meyer, Introduction aux Contes de Nicole Bozon, Ixiv; Meyer-Liibke, Gram- maire II, § 124 ; H. Suchier, Ueber die. . ., p. 41 ; Stimming, Boeve de Haum- tone, xxix; D. Behrens, Beitrâge zur Gescliichte der franzôsischen Sprache in England, Franzôsischen Studien V, p. 195.

L INFINITIF 439

meilleur des quatre mss., donne leter et C et D leyter; le second exemple est houstre (I, 302, 12), mais ici encore la forme nouvelle ne se trouve que dans A alors que les autres mss. ont la forme ordi- naire : B ouhter, C oster.

Le troisième exemple n'est guère meilleur, car il n'est donné que par le même ms. A, et pour cet exemple, nous n'avons pas les variantes des autres mss. : c'est geltre que nous lisons dans le premier volume (324, 9). Mais serait-il assuré par l'accord des manuscrits que son témoignage isolé n'aurait pas grande valeur. Tous les autres exemples que nous avons rencontrés sont plus ou moins douteux ; ils se rencontrent dans des ouvrages du xiV^ siècle, mais peuvent être attribués aux scribes. Aussi nous n'en cite- rons que quelques-uns ; dans le roman de Foulques Fitz-Warin, nous rencontrons encore gittre, que nous avons déjà cité à la page 22, et à la page 86, liittre. Dans les Contes de Nicole Bozon, nous en rencontrons aussi un certain nombre : ainsi letre §5 et lutlre § 21. Ce dernier exemple est particulièrement commun dans la Chro- nique de Nicolas Trivet (cf. 14 v°, 28 (deux fois), 63 r°, 69 r°). Nous n'avons jamais nous-même trouvé cette forme assurée par une rime ; mais Stengel (Description du ms. Digby 86, p. ^ r) en cite un cas : boiitre à la rime.

Tels sont les exemples que nous rencontrons dans la littérature, en les attribuant tous au xiv^ siècle, ce que l'exemple cité par Sten- gel et celui du Roman des Romans nous permettent de faire, on voit que, même à cette époque, ils ne sont pas très nombreux. Il nous faut surtout remarquer ici que tous ces verbes ont ceci de commun que leur radical est terminé par une dentale appuyée ; et ceci nous explique immédiatement le mécanisme de ce changement, il a été, avant tout, sinon uniquement, phonique, et la métathèse qu'il pré- sente est la contrepartie de celle qui a fait passer à la forme de I les infinitifs de IV dont le thème se termine par une dentale ou une labiale. Nous croirions que le changement d'accent a précédé cette métathèse, qu'on a prononcé jetter avec l'accent sur l'initiale avant de prononcer /V/^r^; ; mais ceci n'est plus de notre ressort.

Nous trouvons plus fréquemment dans l'anglo-français non littéraire des exemples montrant le passage de certains infinitifs de I àlaforme de IV. Pour la plupart ce sontdesverbes dont le thème est terminé par une dentale, quelquefois une dentale simple, le plus sou-

I |0 L EVOLUTION- DU VERBE EK ANGLO-FRANÇAIS

vent appuvée ; il est plus rare de trouver avec un infinitif en re un verbe de I dont le thème est terminé par une labiale appuvée ou une vovelle.

Les deux verbes qui se rencontrent le plus fréquemment dans les ouvrages diplomatiques ou politiques sont : gettrc dont nous avons relevé quelques exemples dans les œuvres littéraires, et achatre. Le dernier de ces deux verbes est employé dans les Statutes à partir delà date 1^35 (I, 270, 2 fois) ; après cette date, on le rencontre communément, sans que la forme étymologique disparaisse ; dans les Rvmer's Foedera, il est aussi fréquent ; le premier exemple que nous en ayons relevé date de 1337 et cette forme est librement mélangée à la terme étymologique.

Gettrc se trouve sensiblement plus tôt puisque le plus ancien exemple que nous en trouvions se rencontre dans le Registrum Malmesburiense à la date de 1300 (p. 58). Rymer en a un autre à la date de 1337 (IV, 625 ; 1375, ^T[, 23). On le trouve aussi dans les Statutes (1388, II, 57), Les autres verbes terminés par une den- tale qui prennent le plus souvent la forme des infinitifs de IV sont ceux dont le radical est terminé par 7ui, comme amcudre, qui se trouve à la fois dans les Rymer's Foedera (1323, III, loié), dans les Statutes (13 5 7, I, 352); denmndre àzws Rymer (1383, MI, 409 ; 1389, MI, 652), dans les Statutes (1387, 0, 52) ; imrchandre dans Rvmer (1394, VII, 771), dans le Year Book 22 Edw. P*^ (355) il est assez rare, dans le Year Book 16 Edw. III (23). Parmi les autres verbes terminés par une dentale, appuyée ou non, on peut citer gardn', ajoustre, pledrc, trctre, dans Rymer (1326, R^, 233); prùcedre, dans les Statutes (1376, I, 398).

Il nous reste à citer encore reimmbre dont le thème est terminé par mbr, mais la métathèse de IV a fait disparaître IV final du thème.

La forme la plus rare parmi toutes celles que nous avons rencon- trées, c'est paire pour paie r qu'on trouve deux fois dans les Rymer's Foedera (1326, IV, 231; 1358, VI, 96).

Xous n'avons pas trouvé dans les textes diplomatiques ou fami- liers de verbes d'une autre conjugaison que la première prenant à l'infinitif la désinence rc ; l'exemple prùvidre pour pour\-oir, qu'on lit dans les Statutes (1388, H, 60), est très peu concluant.

Les exemples que nous avons cités nous montrent, non seule-

L INFINITIF 441

ment quels sont les verbes qui changent ainsi de conjugaison à l'intiiiitif, mais ils nous donnent les dates extrêmes qui marquent les limites de ce phénomène. Nous n'avons relevé qu'un exemple avant 1323, ÏQ gettre du Registrum Malmesburiense qui est de 1300; cela nous permet de dire que ce n'est guère qu'au commencement du second quart du xiv^ siècle que certains verbes de I dans les ouvrages non littéraires commencent à montrer la métathèse et l'amuissement de leur c ; les cas analogues se trouvent assez sou- vent par la suite, surtout dans la seconde moitié du xiv^' siècle, mais, ils ne sont jamais très communs, saut pour certains verbes, tels que acheter et jeter.

Pour les dates et pour les formes, les témoignages des textes non littéraires concordent bien avec ceux que nous avons recueillis dans la littérature : ce sont les mêmes dates, les mêmes classes de verbes, même les mêmes verbes que nous rencontrons dans ces deux caté- gories d'ouvrages.

LE RADICAL DE l'iXFIMTIF

I. Voyelle svarabhahique.

Les cas de svarabhakti se trouvent à la première, la deuxième et la quatrième conjugaison ; ils sont spécialement communs dans les verbes de cette dernière, sans être rares dans les deux autres. Nous nous contenterons de citer maintenant un petit nombre d'exemples suffisant à nous mener aux conclusions que nous aurons à tirer; car nous aurons à revenir sur ce sujet quand nous parlerons du futur, i Comme verbe de la première conjugaison, nous pourrons citer

\ oierer, que l'on trouve dans Boeve de Haumtone (au vers 2291),

dans l'Apocalypse (,3 et 7 209), dans les Contes de Bozon 51), etc., dans les Statutes, passim, dans les Parliamentary Writs (1305, I, 162), dans Rymer (1327, V, 245), etc.

Pour la seconde conjugaison, on peut cher coverir dans la Chro- nique de Londres (1320, 52); dans Rymer (1373, VII, 23).

Ce sont surtout les verbes de IV qui se montrent sou's cette forme et nous nous trouvons en présence d'un nombre considérable d'exemples dont nous citerons seulement les principaux.

442 I.'ÉVOLUTIOM DU VHRBE KN ANGLO-FRANÇAIS

On commence à en rencontrer dès le xii^ siècle; dans bien des cas, nous les devons aux scribes; mais malgré cela, nous pouvons faire remonter assez haut la date de l'introduction de Ve. Car nous lisons, par exemple, dans le Psautier d'Arundehywd/wr^ (30, 17, 4). C'est du reste le seul cas assuré que nous ayons à cette époque.

Ceux qu'il nous reste à voir appartiennent probablement au xiii* siècle; les ouvrages du siècle qui précède nous en offrent bien quelques cas autres que celui du Psautier d'Arundel, mais il semble plus prudent de les attribuer aux scribes. Ainsi, on ne peut avoir de doute pour l'exemple de l'Estorie des Engleis : escrivere (au vers 3455), qui ne nousest donné que par R (O et L ont cscrire) et qui rime avec lire. Il en va de même pour sivere dans Adgar (V R, 108), respondere au vers 2231 de Horn, beivere dans les Homélies (loi).

Au xiv^ siècle évidemment, les mêmes exemples et d'autres ana- logues se reproduisent constamment, de sorte que les verbes de IV dont le thème est terminé par dentale -|- r, ou labiale -j- r, prennent très fréquemment entre la dentale ou la labiale du thème et la désinence un e svarabhaktique. Ajoutons encore que vers la fin du XIV* siècle, cet ^ svarabhaktique ne s'introduit pas uniquement entre deux consonnes ; il est développé même par un ;■ post-voca- lique, comme dans la forme estraiere pour estraire, Nicolas Trivet, Chroniques (28 v°).

Il nous reste maintenant à nous demander quelle a été la valeur de cet e. Evidemment, dans tous les cas il provient du scribe, nous n'avons aucune indication qui nous permette de juger de sa valeur; dans la plupart des autres cas, cet e reste purement gra- phique, c'est-à-dire qu'il ne compte pas dans la mesure du vers.

Pour un petit nombre d'exemples seulement, cet c est devenu syllabique ; nous en trouvons la preuve dans quelques poèmes du xiii'^ siècle, par exemple perdere au vers 581 de la Vie d'Edward le Confesseur :

Ore au perdere, ore au cunqucrc.

Il en est peut-être de même de ce vers de Dermod (qui se trouve au milieu d'une tirade en vers de sept syllabes) :

U ci vivere, u mûrir.

On pourrait citer aussi, quoique avec moins de certitude encore, le rcprcndere des Chansons, VI, 45.

L INFINITIF 443

Si nous admettons que Ve svarabhaktique a eu cette valeur, même assez rarement, nous pouvons encore nous demander si cette valeur a entraîné en même temps un déplacement de l'accent. Nous n'avons rencontré aucune rime qui puisse nous le prouver. Nous croyons que cette question est intimement liée à celle que nous avons étudiée précédemment. Nous voyons en effet que ce sont les mêmes verbes qui prennent cet e svarabhaktique ou qui montrent la métathèse de 1'^ atone final. Au fond, nous n'avons même ici qu'une question : entre rendere et render la différence est minime, puisque nous avons vu qu'en anglo-français, au xiv^ siècle, Vr final est souvent suivi d'un e atone épithétique. Nous avons émis des doutes sur le déplacement de l'accent pour les formes telles que render. De la solution qu'on doimera à cette première question dépendra celle qu'on doit donner ici ou vice versa. Nous pensons maintenant, comme tout à l'heure, que l'accent n'a pas passé sur la voyelle muette, ou que s'il l'a fait ce n'est que dans un nombre de cas tout à fait restreint et exceptionnellement; nous trouvons un argument dans ce fait que Ve svarabhaktique est si rarement syllabique. Du reste, nous ne pouvons pas trancher la question sur de simples présomptions et nous ne pouvons conclure ni dans un sens ni dans un autre.

Une autre question se pose, moins importante et à laquelle il est plus facile de répondre. Si les deux formes rendere et render sont dans un rapport si étroit, on peut se demander laquelle a pré- cédé l'autre ; il n'est pas plus invraisemblable que la première ait amené la seconde que de penser que la seconde est due à la pre- mière, puisque l'anglo-français supprime aussi bien qu'il ajoute un e atone après une consonne finale.

La question nous semble très claire, puisque le premier exemple d'un c svarabhaktique remonte au Psautier d'Arundel (i i6o) et que les formes en er ne datent que du xiv^ siècle. Celles-ci doivent donc provenir des premières par suite de la chute de la voyelle muette.

Si nous passons maintenant aux textes qui n'appartiennent pas à la littérature, il nous suffira d'ajouter quelques mots. Les voyelles svarabhaktiques sont loin d'être rares ; mais comme ce sont exactement les mêmes formes et les mêmes verbes que ceux que nous venons de rencontrer dans les œuvres littéraires, nous n'en

.J44 I- KVOLUTION DU VERBE EX ANGLO-FRANÇAIS

citerons aucun exemple. Cependant il y a une question cette catégorie de textes nous apporte quelques faits nouveaux : cette question c'est la nature même de cette voyelle svarabhaktique. Nous trouvons en effet un assez grand nombre d'exemples cette voyelle est / au lieu d'^.

En voici quelques-uns : dans un grand nombre de textes, même les plus corrects, nous rencontrons bevire, comme dans les Statutes, (1309, I, 155). Faut-il lire beiure} Nous ne le croyons pas, à cause du nombre assez considérable d'exemples que nous avons relevés. Citons encore du reste d'autres formes qui ne nous laissent aucun doute : respondire se lit dans différents endroits des Rymer's Foedera (cf. 1357, VI, 10) ; vivire est commun dans les Year Books (i et 2 Edw. II, 150 ; A et B donnent vyvri) ; prendire (3 Edw. III, 215). Nous pensons que ces quelques exemples doivent être rapprochés des cas nous voyons un déplacement de l'accent. Ici, il nous semble que 1'/ a une autre valeur que la voyelle muette et doit être accentué.

L'introduction d'une voyelle svarabhaktique est un des phéno- mènes les plus communs en anglo-français ; c'est surtout dans les formes du verbe (infinitif et futur) qu'on peut l'observer. Pour ce qui est du mode qui nous occupe maintenant, voici les conclusions générales auxquelles nous sommes arrivés.

Les premiers exemples de cette voyelle peuvent se trouver pendant la seconde moitié du xii* siècle, mais ils ne deviennent vraiment usuels que longtemps après, pendant le xiii^ siècle et surtout le xiv'.

Les thèmes affectés par cette voyelle sont les thèmes terminés par une dentale ou une labiale plus r ; les autres thèmes sont rares et plus tardifs, surtout les thèmes vocaliques.

II est presque certain que cette voyelle a eu dans un petit nombre de cas une valeur syllabique ; il est au moins douteux si, pour les verbes de la quatrième conjugaison, l'addition de cette voyelle a résulté d'un déplacement de l'accent.

IL Autres modifications du thème.

Il nous reste à exposer un certain nombre de changements subis par le thème. Encore une fois, nous ferons notre possible pour ne

l'infinitif 445

pas parler de ces changements qui ne sont pas particuliers au verbe et relèvent de la phonétique générale. Il n'est pas toujours facile de faire cette distinction ; car nous verrons que plusieurs des change- ments que nous avons maintenant à examiner ont une origine pho- nique, comme du reste, pensons-nous, le plus grand nombre des modifications qui ont changé si profondément la conjugaison du verbe en anglo-français.

I. Ces changements atteignent assez rarement la consonne du radical ; cependant, on trouve quelquefois soit changement dans la dernière consonne du thème, comme dans adrechier qui se lit dans les Rymers's Foedera (1385, VII, 496); soit l'addition d'une con- sonne ; pour ce dernier cas, nous pourrions citer ici les exemples de redoublement de 1';- dans les infinitifs de la quatrième conju- gaison. Nous les avons déjà vus, et ils sont réguliers au point de vue phonique.

On peut trouver des exemples d'un autre genre, spécialement la présence d'un v à l'infinitif des verbes écrire et pooir ; escrivre est assez commun ; on le trouve dans le Comput, dans le corps du vers 150, ce qui permet de l'attribuer au scribe; on le rencontre encore dans Gaimar (au vers 3455), cette fois à la rime avec lire, ce qui nous oblige encore à le mettre au compte du scribe du ms. R ; et il se rencontre encore de temps en temps dans les ouvrages littéraires, mais il n'est jamais assuré par la rime. Il est plus rare dans les recueils de textes politiques et diplomatiques ; on peut citer transescrivre dans les Statutes (1344, I, 301).

Povoir est beaucoup plus rare. Rymer nous en offre deux exemples dans le cinquième volume (1347, 591; 1348, 636). La forme étymologique est, à part ces exceptions, la seule employée.

2. Nous trouvons que la voyelle du thème peut subir à l'infinitif en anglo-français un certain nombre de modifications plus ou moins importantes et qui lui sont propres; on peut diviser celles-ci en trois catégories : assimilation, dissimilation, synérèse.

Les deux premières montrent les changements subis par le thème sous l'influence de la voyelle de la terminaison ou de la forme qu'il a lui-même à d'autres temps.

a) Les cas d'assimilation sont rares; nous ne trouvons dans les ouvrages littéraires, politiques et diplomatiques que gisir, forme assez commuiie qu'on trouve déjà dans le Tristan de Thomas (vers

44^ l'évolution du verbe en anglo-françal«;

1207); elle est surtout fréquente aux xiir^ et xiv siècles; dans la langue politique, c'est la seule forme que nous ayons relevée, comme dans les Statutes (1275, I, 26; 1353, I, 352; etc.), dans les Rymer's Foedera(i339, V, 115).

h) Les cas de dissimilation sont beaucoup plus fréquents. Ils nous montrent tous le passage à / d'une voyelle contretonique. On les trouve quelquefois dans les verbes à thèmes consonantiques, comme les composés de tenir, maintiner qui est surtout employé dans les ouvrages non littéraires. On pourrait dresser une longue liste des cas l'on rencontre cette forme et des formes analogues, citons seulement les Statutes (1344, I, 301); Rymer (1274, ^^> 32). Les Statutes nous donnent encore ranientiver dans le premier volume (1340, 283). On peut à la rigueur considérer comme un cas de dissimilation ou plutôt comme le passage à a de la muette contretonique la forme acater, achater qui est la seule forme, que la langue politique donne au thème de ce verbe, par exemple dans les Statutes (1340, I, 298) et dans Rymer (1337, IV, 757), etc.

La dissimilation atteint surtout les verbes à thème vocalique de I et de III; c'est une façon, sinon de faire disparaître l'hiatus, au moins de l'adoucir ; on la trouve à l'infinitif des verbes veeir, seeir ; la voyelle du thème se diphtongue en oi, ou, plus rarement, appa- raît sous la forme d'un a. Nous trouvons, par exemple, voieir dans les Dialogues Saint Grégoire (138 b) ; soieir dans la Vie de Saint Grégoire (1578) tx. pas si m dans les Dialogues; purvoier dans le Saint Auban (1895). Nous pourrions citer de nombreuses formes sem- blables dans Rymer et les Statutes.

Les formes qui présentent a sont beaucoup moins communes et limitées à deux verbes : nous avons par exemple saer dans William de Waddington (9-I4) ; chaeir, chaer est beaucoup moins rare; comme on sait, ce n'est pas à proprement parler une forme anglo- française et elle se trouve fréquemment dans les textes du continent. Citons cependant quelques exemples qui se lisent dans nos auteurs: on la relève au vers 578 et passiiii dans le Roland d'Oxford ; dans la Folie Tristan aux vers 825, 829 ; dans Boeve au vers iiiÇchaier) ; au vers 466 de la Vie de Saint Gilles et dans un grand nombre d'autres cas.

c) Mais la façon la plus commune en anglo-français de faire dis- paraître rhiatus est la synérèse. On la trouve à difi"érentes dates

L INFINITIF 447

pour plusieurs verbes. Le premier à la subir est le verbe veeir; on trouve cet infinitif sous une forme monosyllabique vers le milieu du xiii= siècle. Le poème de Saint Auban nous en donne un exemple assuré au vers 761 :

Pur ver le gugement au queu chiet fu mené.

Postérieurement à ce poème les exemples deviennent des plus communs, et la forme régulière devient assez rare. Citons comme exemples monosyllabiques ceux qu'on trouve aux vers 1430, 2700 de Boeve de Haumtone (assez douteux) ; dans William de Waddington au vers 2757; au vers 476 de Dermod; dans Pierre de Langtoft(I, 348,4; II, 196, 23) et plusieurs autres. En dehors de la littérature le premier exemple que nous connaissions se trouve dans les Rymer's Foedera, sous la date 1294 (II, 650); dans les Statutes nous n'en trouvons aucun cas avant 1303. Mais il est évident que Vc a pu disparaître de la prononciation longtemps avant de disparaître de l'écriture. Après cette date, la graphie ver est commune dans tous les recueils non littéraires.

Les exemples de l'infinitif seeir sous la forme monosyllabique sont beaucoup moins nombreux, et il en résulte que le premier cas de synérèse est beaucoup plus tardif pour ce verbe ; nous n'en con- naissons pas d'antérieur à ser qui se lit au vers 1245 du Manuel des Péchés de William de Waddington, ou au vers 141 de la Vie de Sainte Marguerite. Cher est inconnu à la langue littéraire et ne se ren- contre que dans les textes légaux, par exemple dans 3 1 Edw. V\

P- 475-

On peut encore trouver d'autres cas de synérèse qui ne sont pas aussi clairs que ceux que nous venons de citer; on peut par exemple considérer la forme enniiir que nous avons relevée dans Aspremont et citée plus haut comme provenant de la synérèse à'enmnier ou à la rigueur d'ennuiir; la même explication s'appli- querait aguerrir, employé au folio 54 des Chroniques de Nicolas Trivet et dans les textes non littéraires.

d) Signalons maintenant un fait absolument diff^érent et qui a une cause morphologique et non pas phonétique; ii nous mon- trera l'influence de la troisième personne du prétérit sur l'infinitif. Cette influence n'est exercée que par les prétérits en si. On sait que pour les deux premières conjugaisons, il y a une grande analo-

.J4S l'kVOLÙTION du verbe en ANGLO-i-RANÇAlS

gie entre la troisième personne du pluriel et l'infinitif présent : parlèrent, parler ; finirent, finir ; analogie qui est devenue une identité dans l'anglo-français du xiii'^ et du xiv^ siècle. Quant aux verbes de III, nous avons déjà vu leur infinitif prendre la forme des infinitifs de I, et nous verrons la troisième personne du pluriel de leur prétérit prendre la terminaison erent. Les verbes qui ont un prétérit en si et qui le gardent ont montré une tendance à donner à leur infi- nitif une forme analogue à celle delatroisièm.e personne du pluriel de ce temps. On trouve quelquefois au xiv'^ siècle des infinitifs refaits sur la troisième personne du pluriel de certains prétérits en si. Nous avons déjà eu l'occasion de citer quelques exemples de l'infi- nitif conquistre, aviquesfre. Citons encore l'infinitif inaiidistre qui se lit dans les Chroniques de Nicolas Trivet au folio 5 r°. L'origine de ces différentes formes est assez évidente.

i) Nous donnerons enfin les différentes formes que peut prendre le thème de certains verbes, en particulier faire et suivre.

Le premier de ces verbes présente le plus souvent, à partir de la seconde moitié du xiii'' siècle, tantôt la diphtongue ci, tantôt la voyelle e au lieu de la diphtongue ai, ce qui est naturel.

Mais il y a encore, surtout en dehors des oeuvres littéraires, d'autres formes qui ne s'expliquent pas aussi facilement, par exemple/*?;'^ qui n'est pas rare (cf. Rymer, 1337, IV, 805) et aussi feare moins commun, mais trop fréquent, surtout dans la langue politique et légale, pour qu'on puisse le considérer comme une erreur cléricale (cf. du reste Participe passé). On le trouve dans les Parliamentary Writs (1297, I, 393) ; surtout dans les textes légaux : ainsi dans i et 2 Edw. II (pp. 12, 20, 5(1, etc.); 13 et 14 Edw. 111(163).

Il est plus diflficile d'introduire quelque ordre dans les nom- breuses formes de suivre; deux éléments de ce thème sont sujets à changement : la diphtongue ui et la consonne v. Nous n'avons trouvé dans la langue littéraire, aussi bien que dans les textes diplo- matiques ou politiques, que de rares exemples la diphtongue irise trouve conservée sans modification en même temps que la consonne, quoiqu'il soit probable qu'il existe plus d'exemples que nous ne pensons d'une forme suivre. La diphtongue se trouve dans les formes qui ont perdu la consonne, comme s iiire, Quatre Livres des Rois (II, 2, 26), Statutes (1363, I, 379), et toutes les formes qui

LINFIXITIF 449

en sont dérivées : suir, suier, suer dont nous avons déjà, en différents endroits, cité des exemples ; siyr (30 Edw. I", 85) s'y rattache aussi. La diphtongue se présente au moins une fois sous la forme ioit, et dans l'exemple que nous avons relevé la consonne i' est conservée : siouvre se trouve dans le Tristan de Thomas au vers 26; l'élément vocalique du thème est souvent écrit eu, et les exemples que nous avons conservés de cette graphie ne montrent pas la consonne : seuyr dans les Statutes (1330, I, 264); seuer dans les Literae Cantua- rienses et les Statutes (1381, II, 21). Les formes qui montrent un // simple ne sont pas très nombreuses, citons sinvir dans les Literae Cantuarienses (1303, 149).

Mais la graphie, qui, après suire, est la plus commune et de beau- coup, est celle qui montre un / simple dans le thème ; or, tous les cas nous relevons cette forme présentent régulièrement la con- sonne V ou îv, comme shuere, forme très commune dans la langue littéraire et assez commune dans la langue légale ; siewre qui ne dif- fère guère de la forme précédente et qu'on trouve par exemple dans les Statutes, dans Pierre de Langtoft (II, 19, i^y, sievre qui lui est équivalente (cf. Pierre de Langtoft, I, 14, 17); et passiin dans Rymer.

En résumé, on trouve les sons vocaliques suivants : «/, iou, en, 11 qui ne sont pas ordinairement suivis de la consonne; le son / qui semble l'avoir toujours '.

I. Cf. P. Schulzke, Betontes ('-|-/ und ô+' der Normannischen Mundart. Brandt, Aqua uud sequi.

29

CHAPITRE V LES PARTICIPES

A. Participe présent.

Le participe présent s'est maintenu en anglo-français d'une façon remarquable ; nous ne trouverons par conséquent que peu d'observations à faire sur ce point. Nous étudierons, comme nous l'avons fait jusqu'ici, d'abord la consonne finale de la terminaison, puis la voyelle nasale.

a) Consonne Jîuak.

La consonne finale de la terminaison est régulièrement / ; lorsque cette consonne est suivie d'une s, nous devons trouver :(.

Mais deux phénomènes ont tendu à introduire dans la terminai- son du participe une confusion absolue entre les deux consonnes / et ;( ; l'un est un phénomène phonique, la disparition de l'élément dental dans 7^ ; l'autre est morphologique, la disparition de la décli- naison ; ces deux phénomènes ont eu le résultat suivant : Vs flexionnelle, sous la forme d'une s ou d'un ^, s'est ajoutée très irré- gulièrement à différents participes présents.

Nous n'avons pas à citer ici des exemples montrant la confusion des cas en anglo-français ; disons seulement qu'on trouve déjà dans les Psautiers quelques formes présentant une s (ou un ~) irrégu- lier.

II est plus rare de trouver comme groupe final du participe pré- sent les deux consonnes ^~ ; nous n'en trouvons guère d'exemples que dans le Psautier d'Arundel, comme constreinans:^ (28, 5); affliatisi (43> 9) I ^t ce n'est probablement que le résultat d'une erreur d'un scribe ignorant.

LES PARTICIPES 45 1

A la fin du xiV siècle, les œuvres littéraires nous montrent un certain nombre de terminaisons en t:{' ; par exemple dans Nicolas Trivet. Mais cette forme est relativement rare dans la langue litté- raire et ne se trouve vraiment souvent que dans les recueils poli- tiques et diplomatiques. Les Statutes nous en fournissent un assez grand nombre de cas, à une date assez reculée l'année 1275, nous lisons : ineffesaiint:((l, 26) ; les exemples deviennent plus nom- breux vers le milieu du xiv^ siècle ; nous en verrons un assez grand nombre lorsque nous aurons d'autres formes plus importantes ou plus rares à citer ; qu'il nous suffise maintenant de dire que ces formes sont fréquentes dans les Statutes et dans les recueils ana- logues et qu'il est évident qu'aucune distinction n'est faite entre cette désinence et la désinence normale. On en peut dire autant des Traités de Rymer, t:( se trouve pendant les dernières années du xiii^ siècle et devient surtout commun au XIV^ Évidemment nous ne pouvons y voir qu'une graphie, une fiçon de compliquer la forme extérieure des mots, ce que les écrivains et les scribes anglo- français semblent avoir toujours recherché.

Les autres variations qui se rapportent à la consonne finale sont beaucoup plus rares, on pourrait même les considérer comme accidentelles ; nous pouvons tout d'abord noter dans un certain nombre de cas la chute de la dentale ^ ; nous n'en avons relevé aucun exemple dans la langue littéraire, quoique rien n'empêche de supposer qu'elle ait pu se produire et se soit produite ; les textes politiques et diplomatiques au contraire nous en fournissent plu- sieurs cas : snffisaiin et demorauns dans les Parliamentary Writs (1300, I, 341); dans Rymer les exemples sont communs : tendan (1337, IV, 805); aians et entendans (1353, V, 277; 1383, VII, 418). On peut y ajouter les exemples ou une autre consonne, a- ou c est substituée à la dentale ;«/V;/.r se lit dans les Rymer's Foedcra (1348, V, 649); enjoigruwc est employé dans le même recueil (autre copie du même morceau /^) (1323, III, looi) ; de même esciisaunc dans les Letters from Northern Registers (1312, 21); ces derniers exemples sont à proprement parler des monstres.

1. Ct. Behrens, Beitràge, Franzôsischc.i Studien V, p. 193.

2. Cf. id., ibid., p. 172.

4^± L ÉVOLUTION DU VERBH EN ANGLO-IKANÇAlS

b) Foyelle nasale.

Nous aurons à distinguer ici entre les graphies sous lesquelles la nasale est susceptible de se présenter et les formes qui par l'ad- jonction de quelque lettre, représentent une nouvelle terminai- son.

I. Les graphies de la nasale.

Commençons par énoncer le fait que la graphie traditionnelle an se trouve à toutes les époques et dans tous les recueils.

La graphie que nous avons à signaler immédiatement après celle-ci, par ordre d'importance, est la forme aun ; cette forme est bien connue et a été signalée dans les premières études qu'on a faites de l'anglo-français. Il est cependant utile de s'y arrêter quelque peu et de voir l'extension réelle que cette forme a eue en anglo-français. Le premier exemple que nous puissions signaler se trouve dans les Rymer's Foedera à la date de 1268 :fcsaunt(l, 847); de même, nous en rencontrons un autre exemple dans les Sta- tutes à la date de 1275 : ineffcsaiDi:^ (I, 26) ; les exemples sont assez communs jusqu'à la lin du xiii^ siècle, surtout dans Rymer. Dans les Statutes la terminaison an reste plus fréquente ; par exemple dans le Statut de la ville de Londres, pour en citer un pris au hasard, mais qui compte un assez grand nombre de participes pré- sents, les formes en aiin restent sensiblement inférieures aux autres.

Au commencement du xiv^ siècle, la nasale se trouve plus fré- quemment représentée de cette manière, surtout dans les Traités de Rymer; dans les Statutes elle reste, sinon l'exception, au moins la plus rare des deux terminaisons ; il en est de même dans les Literae Cantuarienses et de la plupart des autres recueils. Vers 1360, on peut remarquer dans presque tous les textes,' même ceux de Rymer, une tendance assez marquée à revenir à la terminaison régulière ; citons en particulier les traités 'de 1365 et de 1380 les participe.s présents étant nombreux, cette forme est relativement rare.

La langue littéraire nous montre, croyons-nous, à peu près= le même état de choses ; cependant il nous faut avouer qu'il nous a

LES PARTICIPES 4)3

été impossible de constater que le nombre de formes en aimt décroît à la fin du xiv^ siècle.

Ce qui nous semble le premier exemple de cette forme dans la langue littéraire se trouve dans le ms. Royal 20 B XIV des Légendes de Marie : giieimentaunt (: enfant) (V R 19) (fin du xiii'^ ou com- mencement du XIV* siècle); cette graphie est très commune dans le ms. de Horn, dans Boeve de Haumtone et généralement dans tous les auteurs du xiv* siècle .

Les deux graphies mit et aunt sont trop irrégulièrement employées dans la langue légale pour que nous puissions avancer quoi que ce soit d'assuré : le rapport entre ces deux formes varie d'un manuscrit à l'autre ; il nous semble cependant que jusqu'au règne d'Edward II les graphies sans u semblent prédominer, mais cela n'a rien d'assuré.

Par conséquent, il serait dangereux de croire que, à partir d'une certaine époque, la graphie aun est devenue la terminaison régu- lière du participe présent en anglo-français. Il n'en est rien ; au a, à toutes les périodes, été d'un usage courant, ordinaire ; la graphie aun n'a été employée qu'assez tard (vers le commencement du troisième tiers du xiii'' siècle), elle n'a gagné du terrain que pro- gressivement, et elle n'en a gagné, semble-t-il, que pour le perdre, probablement au commencement du troisième tiers ou du quatrième quart du xiV' siècle.

De toutes les autres graphies de la nasale, celle qui montre, la voyelle e est la plus commune ; dans la langue littéraire toutefois, elle est extrêmement rare ; nous n'en avons relevé qu'un seul exemple, il se lit dans le poème de Horn ; et cet exemple unique n'a pas la moindre valeur. La langue diplomatique et familière en a un nombre plus considérable ; l'exemple le plus ancien se trouve dans les Literae Cantuarienses : travaillent (1335, 560). Chez Rymer, cette graphie est assez fréquente à partir de l'année 1348 : à cette date, on trouve durent^ et aienx (V, 649) ; en 1360, confient^ (VI, 211), voulhns (VI, 277); en 1364, ayens (VI, 458); et quelques autres. Les Documents Inédits ont conimendent (1360, 118, 120); conficnl- (1361, 134, 135). Remarquons que les textes les plus corrects, comme les Statutes, ou lés Lettres de Jean de Peckham, n'en contiennent aucun exemple.

Nous pouvons probablement reléguer parmi les erreurs cléri-

454 I' liVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

cales la forme du participe présent asslgnoiint qui se trouve dans les iMem. Pari. 1305, § 5 ; c'est le seul exemple d'un participe en omi que nous ayons relevé '.

2. Terminaison c{ï)aul.

Les terminaisons en cauî, ciaiU, oiant ne sont pas de simples graphies avant la valeur de ani ; la première de ces désinences se rencontre particulièrement employée avec le verbe ester ; c'est le seul verbe qui prenne cette forme dans les œuvres littéraires, par exemple dans Boeve (2844); dans Walter de Bibblesvvorth (159) ; dans Robert de Gretham (23 r°), (mais«/t/«5, 39 v°, rare du reste); dans l'Apocalypse (751); {\r\z\s estaunt, y. 16); dans les Contes de Nicole Bozon 119). Ce même verbe se présente sous la même forme dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature ; nous rencontrons un grand nombre de « esteant » dans les Statutes (1311,1, 159 ; 1335,1, 270; 1340, I, 282 ; 1362, I, 373), dans les Rymer's Foedera, dans les Documents Inédits et dans les autres recueils.

Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans la langue diploma- tique et politique, c'est l'extension que cette forme a prise. Ce n'est plus seulement ester qui se rencontre avec cette terminaison, mais un certain nombre d'autres verbes. Le premier atteint est le verbe être et cela s'explique par sa ressemblance avec ester. Esteant pour étant se trouve très communément, par exemple dans les Statutes ; on trouve des exemples de cette forme dans le premier volume des Statutes à partir de la date 1322 (p. 187), puis en 1346 (p. 304), en 1363 (p. 384), en 1382 (vol. II, p. 23), etc.; il en va de même dans les Early Statutes of Ireland ([325, 3 10). Le recueil de textes politiques qui donne le plus ancien exemple de cette forme pour le verbe être, c'est les Parliamentary Writs qui en ont un cas à Tannée 13 12 (^2" App., p. 44).

Les exemples que donne Rymer sont un peu plus anciens, le premier datant de 1306 (II, 1022); on en trouve encore en 1318 (III, 722), en 1380 (VII, 238), et quelques autres; de même dans

I. Plus exactement, c'est le seul exemple que nous connaissions directement. M. Vising, dans le Romanischen Jahresbericht (XII) signale des participes pré- sents en ont dans le Lapidaire en prose publié par Mann (R F, II, p. 367) : parlant (367), donnont (368) ; cette graphie est régulièrement employée dans cet ouvrage .

LES PARTICIPES 455

les Documents Inédits, nous relevons cette forme aux endroits sui- vants : 1365, 170; 1382, 237. Nous avons aussi rencontré un assez grand nombre d'exemples dans les Year Books (cf. 31 Edw. P'', 319; 33 et 35 Edw. III, 177, 567).

A part ester et être, il n'y a qu'un tout petit nombre de verbes qui aient un participe présent de cette forme. Nous pouvons citer occuper dans les Statutes (1399, II, 112); et dérober dans les Par- liamentary Writs (2'-' vol., Appendice, 1324, 261). Dans Rymer, toucher se rencontre de temps en temps avec cette désinence (cf. par exemple 1342, V, 352 ; 1351, V, 699) ; de même venir qui apparaît dans ce même recueil sous la forme veneaiit (13 16, III, 582). Citons encore demorerdans les Literae Cantuarienses (1324, 129) et regarder dans les Year Books (17 et 18 Edw. III, 135).

Eant est la forme sous laquelle se rencontre habituellement cette terminaison. Elle présente toutefois un certain nombre de variantes qui, du reste, restent toujours assez exceptionnelles. Quel- quefois, comme il est naturel en anglo-français, la voyelle en hia- tus prend la forme d'un /, comme occupiaut dans les Statutes au passage que nous avons déjà cité, demoriant dans les Literae Can- tuarienses (u. s.). Cette forme ne se rencontre jamais pour ester ni être; ces deux verbes montrent par contre un / qui s'introduit pour adoucir l'hiatus: covumQ esteiant dans Rymer (13 57, VI, 29); cet / parasite forme diphtongue avec Ve, et cette diphtongue ei passe quelquefois à oi, comme dans estoianl qu'on lit dans Rymer encore (1370, VI, 660) (Voir Désinences personnelles, 2"^ pers. du plu- riel en ie^^-y Infinitifs en/Vr; et notre seconde partie, chap. m).

Le radical du participe présent .

Le radical du verbe peut subir un certain nombre de modifications au participe présent ; nous allons signaler celles qui se rencontrent le plus communément ; on peut les diviser en plusieurs classes :

Réduction de l'hiatus pour les verbes à thème vocalique.

Changements dans la partie vocalique du thème.

Radical emprunté à un autre temps ou mode.

Réduction de l'hiatus.

Les verbes qui ont un thème vocalique présentent un hiatus au participe présent ; par exemple. Imant, veant oant.

4)6 I. 'ÉVOLUTION' Dr VERBF: FA' AN'CLO-IKANÇAIS

L'hiatus subsiste dans un très grand, peut-être dans le plus grand nombre de cas ; il est parfois adouci par l'introduction d'un /, par exemple : vcianl, oiant, haianl. Les exemples de ces formes sont assez nombreux, mais l'importance de ce changement est trop mince, et, d'un autre côté, l'introduction de cet / trop irrégulière pour que nous nous y arrêtions davantage.

Citons cependant deux formes la réduction de l'hiatus s'est produite d'une façon différente : la voyelle qui précède 4a termi- naison ant peut s'acheminer vers la consonne ou se consonan- tifier ; par exemple dans oiiant (2 syllabes) qu'on trouve dans Saint Auban, (S05, et zv^/// dans les Statutes, 1344, I, 300.

2" Changement de la partie vocalique du thème.

L'introduction d'un / pour adoucir l'hiatus dans les verbes à thème vocalique a pour contrepartie la suppression de cette même voyelle dans un certain nombre de verbes dont le thème se ter- mine par une diphtongue contenant la voyelle / comme second élément . Ce phénomène qui est commun dans les verbes qui suivent, se produit surtout au wv^ siècle, et n'est qu'une des formes de la tendance de l'anglo-français à réduire les diphtongues. Par exemple, le verbe avoir fait souvent au participe présent eant comme dans le Saint Edmund, il est probablement au scribe; on trouve encore cette forme dans les Statutes (1311, I, 160 et 162) et dans Rymer(i375, VII, 52 et pass'wi).

Le verbe traire nous montre aussi assez communément la même réduction ; on trouve atlreant dans les Statutes (1311,1, 168) et dans divers autres textes.

Tous les verbes en nire font, à partir du milieu du xiii'= siècle, liant au participe présent, conduant, destriiant, etc. ; mais ces formes ne peuvent guère retenir notre attention : cette réduction de ut à u est un phénomène phonique général bien connu en anglo- français.

Radical emprunté à un autre temps ou mode.

Le participe présent ne conserve pas toujours le radical qui lui est propre ; il arrive qu'on relève des formes qui présentent le radical du subjonctif, de l'indicatif, de l'infinitif ou des personnes à terminaison féminine,

LES PARTICIPES 457

Le radical du subjonctif, radical étymologique ou analogique, se rencontre très fréquemment au participe, cela est surtout vrai des verbes qui montrent, régulièrement ou non, une consonne mouillée comme consonne finale du thème ; la lettre mouillée se retrouve fréquemment au participe présent. Vouloir, par exemple, ne se montre jamais que sous la forme voillant ou les formes qui dérivent de celle-là ; on la trouve dans les premiers textes anglo- français comme dans le Psautier d'Oxford (5, 4), de Cambridge (5, 3), d'Arundel (5, 4); dans Jordan Fantosme (vers 541) et ainsi de suite jusqu'à la fin de la littérature anglo-française ; les textes politiques et diplomatiques nous en offrent aussi de nombreux exemples. Il y a malgré tout un certain nombre de variations à noter pour le radical de ce verbe ; mais nous pensons que ce ne sont que des variétés graphiques de la forme que nous avons citée ; nous allons en donner quelques-unes sans espérer être complets, et en prenant nos citations dans les textes non littéraires qui nous montrent une série plus suivie d'exemples.

On trouve d'abord ces cas qui présentent la diphtongue oi sui- vie de la lettre mouillée ; et ce sont les plus communs : voilKJ^ant se trouve un peu partout : dans les Statutes (1340, I, 290), dans Rymer (1387, VII, 563), dans les Literae Cantuarienses (1324, 128). La forme du subjonctif est ici très nette; d'autres formes semblent combiner le radical du subjonctif et celui de l'indicatif; ce sont celles qui présentent la diphtongue eu. Ces formes se divisent en deux catégories suivant que la mouillure de 1'/ est apparente ou non ; par exemple, d'un côté, on trouve veiilliant, comme dans les Statutes (1350, I, 310) ; dans les Rymer's Foedera (1361, VI, 345), pour ne citer que ces exemples; de l'autre, on a ven liant dans les Statutes (1350, I, 418) ; i'r/</^;w dans Rymer (1383, VII, 418). Il est difficile sinon impossible de savoir si la mouillure a persisté dans ces deux derniers exemples, mais il semble bien qu'elle a dis- paru. Dans les ouvrages littéraires, la plupart des exemples, sinon tous, nous montrent les deux /, et la mouillure n'est pas douteuse, comme voillant dans le Psautier de Cambridge (5, 3) ou voillant dans le Saint Auban (1132). Les formes qui ne redoublent pas 1'/ peuvent être considérées comme douteuses (cf. Psautier d'Oxford,

5, 4)-

Quelques autres verbes, comme valoir et douloir, semblent ne

se présenter au participe présent qu'avec la mouillure.

45^ l'évolution du verbi- kn anglo-françals

Aillant est beaucoup plus rare ; nous le relevons dans les Sta- tutes (1335, I, 273) : on serait tenté de considérer cet exemple unique, croyons-nous, comme un lapsus du scribe.

La question semble devoir être plus facile à traiter en ce qui concerne les verbes qui ont n dans le thème, comme prendre et répondre.

Dans la langue littéraire, les formes régulières se trouvent exclu- sivement employées pour ces deux verbes pendant tout le xii'^ et le xnr' siècle. Cependant, dans les poèmes de la dernière partie de ce siècle on trouve quelques formes avec la lettre mouillée (cf. le Manuel des Péchés de William de Waddington) ; mais elles doivent être attribuées aux scribes. Ce n'est qu'au siècle suivant qu'on en trouve en nombre tel qu'on ne peut douter qu'elles soient devenues les formes ordinaires, par exemple dans Pierre de Lang- toft et dans les Proverbes de Bon Enseignement. En dehors de la littérature, nous en rencontrons surtout dans la seconde moitié du xiv^ siècle ; cependant, on peut relever des exemples isolés long- temps avant cette époque. Le plus ancien, à notre connaissance, se lit dans les Statutes : respoignant (1285, I, 102). Dans quelques cas 1'/ subsiste^ mais le ^ disparaît : respoinant, preinant (Statutes, 1399, II, 112; Rymer's Foedera, 1366, VI, 95). Les formes véritable- ment correctes sont rares ou absentes après 1350.

Tenir et venir semblent avoir toujours été réguliers dans les textes littéraires ; nous n'avons pas relevé d'exemple montrant la lettre mouillée pour ces deux verbes, quoiqu'il puisse y en avoir. Ici encore les recueils politiques et diplomatiques nous donnent un petit nombre d'exemples qui montrent Vn mouillée à ces verbes ; cf. Literae Cantuarienses (1380, 947); les Statutes (1379, II, 13; 1397, II, 107, etc.). Le g peut encore disparaître : teinant se trouve un certain nombre de fois dans les Rvmer's Foedera (1388, VII,

585).

Il nous reste, pour épuiser ce que nous avons à dire sur ce sujet, à ajouter un mot des deux verbes pouvoir et savoir.

La forme étymologique du premier de ces verbes est poant et on la trouve fréquemment dans tous les textes littéraires et autres. La forme puissant se rencontre toutefois de bonne heure ; on peut en relever cinq exemples (contre 14 de la forme étymologique), dans le Psautier de Cambridge (131, 2); on .la trouve encore, jouant le rôle d'un participe présent, dans quelques ouvrages du xrii^

LES PARTICIPES 459

siècle comme dans les Set Dormans de Chardri (vers 687) ; mais cette forme, d'une façon générale, a été plutôt employée comme adjectif. Cette division des emplois est strictement observée dans les ouvrages non littéraires.

C'est une différentiation du même genre que nous pouvons observer pour savoir. La forme éiymo\ogic[ue savant est commune au xii^ siècle comme participe présent, elle est par exemple fré- quente dans les Psautiers ; ce n'est qu'au xiii= siècle que cette forme est spécialement affectée à la fonction de substantif. A par- tir de cette époque, la forme qui montre le radical du subjonctif devient l'unique forme du participe présent ; elle date cependant de plus haut, car nous la trouvons déjà dans le Psautier d'Arundel (35, II) (i fois contre 5 fois savant). Cette distinction est fort bien observée par la suite, quoiqu'il soit possible de relever des exceptions comme le saichant du Saint Edmund (852), qui joue le rôle d'adjectif.

C'est le radical du subjonctif avec la diphtongue, la mouillure ou la chuintante qui a pénétré le plus au participe ; les cas qui nous montrent le radical d'un autre temps, mode ou personne sont exceptionnels.

Les formes que nous avons déjà citées : veulans, apartienant , montrent probablement l'influence de l'indicatif ; celle-ci est encore plus claire dans avant qu'on lit dans le Psautier de Cambridge (37, 14) et dans les Literae Cantuarienses (1357, 837), mais ces deux exemples nous semblent tout à fait isolés en anglo-français.

En résumé, le participe présent conserve fort bien la forme de sa désinence ; les variantes les plus générales que nous avons trouvé à signaler sont purement graphiques. En ce qui concerne le radical, les formes étymologiques ne sont peut-être pas aussi bien conservées; on note ici l'influence de deux temps : celle du présent de l'indicatif, qui n'a pas été et ne pouvait pas être très forte, et celle du présent du subjonctif. Mais il faut remarquer au sujet de cette dernière que cette action ne s'est exercée que sur quelques verbes, ensuite qu'à tout prendre elle a été assez tardive.

B. Participe passé.

Peu de temps ont été aussi employés et certainement aucun n'a eu en ancien français des formes plus variées que le participe passé.

4éo l'évolution nv verbe en anglo- français

On divise en deux grandes classes les formes que ce temps peut prendre: les faibles et les fortes. Pour chacune de ces classes, nous étudierons successivement les formes qu'ont prises les participes qui y appartiennent, puis ce que nous appelons leur extension.

I. Participes passés faibles.

a) La consonne finale.

Nous avons déjà, dans le chapitre consacréà la troisième personne du singulier, étudié la chute de la dentale finale caduque ; les pages qui vont suivre sont destinées à compléter cette étude.

I. Participes en e{t).'

On peut déjà constater, dans les tout premiers textes anglo-fran- çais, que la dentale finale de ces participes ne rime jamais avec une dentale appuyée. A-t-elle encore ce son transitoire dont nous avons parlé et dont nous avons essayé de déterminer l'existence ? Cela est possible, mais difficile à montrer. En nous fondant sur les rimes des différents poèmes du commencement du xii^ siècle, nous pouvons faire les constatations suivantes. Dans le Cumpoz, les participes passés en e{i) sont le plus souvent écrits avec cette dentale (39 fois sur 44 cas); et ils riment 39 fois avec d'autres mots présentant une dentale caduque (cf. par exemple por/^/ (: citet) au vers 668; enjtin- dret (: citet) au vers 37 ; apelet (: utilitet) au vers 831, etc.); et ils riment cinq fois en e pur; on trouve en effet 4 participes passés rimant avec dé: pose (au vers 585), parle (au vers 847), ajuste (aux vers 935, 937); enfin triive rime avec l'ablatif latin tempore (au vers 751). Par la suite, nous voyons ces participes rimer librement avec les mots en e pur (qui sont peu nombreux) ; c'est ce que nous remarquons dans le Voyage de Saint Brandan par exemple.

Le Bestiaire, l'Estorie des Engleis de Gaimar, Fantosme nous montrent le même état de choses ; nous ne citerons pas les nom- breux cas ces participes riment avec des mots terminés par une dentale caduque, nous nous contenterons de donner quelques

LES PARTICIPES 4^1

exemples dans lesquels on les voit rimer en e pur. Ces rimes ne peuvent pas être très nombreuses. Citons dans le Bestiaire : dune (: Damede) (au vers 344) ; dans l'EstoriedesEngleis : lassé (\ pense^ nom verbal) (au vers 631); dans Fantosme: aimée (: luée) (au vers 448). Ces rimes n'ont rien que de naturel à cette époque; cepen- dant, il y a au xii^ siècle deux rimes qui méritent d'être relevées ; l'une se trouve dans les Légendes de Marie ; un participe passé de I rime avec un mot terminé par une dentale non caduque : aciistu- mel (: désuet) (VIII, 31); c'est le seul cas de ce genre que nous ayons relevé dans toute la littérature du xii= siècle. La conclusion que sa présence dans Adgar nous permet de tirer, en admettant évidemment que ce ne soit pas purement une rime irrégulière, ce qui est fort possible, serait que les auteurs avaient gardé le souve- nir de l'ancienne valeur de la dentale et que lorsque cela leur était utile, ils la lui rendaient pour ainsi dire temporairement.

L'autre rime a, à notre point de vue, plus d'intérêt; elle se trouve dans Gaimar; on lit en effet au vers 3351 dans l'Estorie des Engleis : Joet (: Elveret); or, au vers 3 161, ce même mot est écrit par les quatre mss. : Elvere^/j et il rime avec une autre dentale caduque (chastele^/; dans R, chasteleJ dans D, chastele/ dans L et H), et dans l'anglais du xii^ siècle ce nom se prononçait avec un th doux.

Ceci tendrait à prouver que du temps de Gaimar la dentale caduque dans les terminaisons était encore sentie et se prononçait avec une valeur se rapprochant de celle du th doux anglais. iMais ce son en français ne pouvait être qu'un son transitoire, et après Gai- mar nous ne trouvons plus de trace de la dentale pour les participes passés de I.'On les rencontre encore principalement à la rime avec des mots terminés par des dentales caduques ; mais les rimes de ces participes avec les mots en e pur ne sont pas rares.

Il est donc évident que dès le commencement du y.W siècle la dentale caduque des participes en c avait à peu près disparu; cepen- dant dans certains cas, et aussi tardivement que Gaimar, on lui voit attribuer une certaine valeur qui ne différait probablement guère du //? anglais. Si cela a lieu dans Gaimar, ce son a se rencontrer a fortiori pendant les premières années du xii= siècle (cf. Suchier, Reimpredigt, pp. xxi, xxiv).

462 l'évolution du verbe f.x anglo-français

2. Participes en /(/).

Il n'y a guère de différence au point de vue de la dentale, entre les participes en t' et les participes en /; pour ces derniers, la dentale a certainement disparu au commencement du xir siècle. Ils riment en /" pur plus souvent encore que les participes en e(d) ne riment en c pur; cela peut du reste tenir à ce fait que les mots qui se ter- minent en i pur sont plus nombreux que ceux qui ont e pur comme voyelle finale. Voici quelques-unes de ces rimes en / pur : 'dans le Cumpoz. Nous lisons : gnarni (: di) (vers 3148); dans le Bestiaire, apovri (: ami)(ioi4), etc.; dans Gaimar: choisi (: di) et plusieurs autres. Nous pourrions tirer de tous les auteurs suivants du xii'^ siècle de nombreux exemples de participes en i rimant soit avec des dentales caduques, soit des mots en i pur.

On peut toutefois relever un certain nombre d'exemples de l'usage contraire, mais ils sont rares. Voici les seuls cas nous ayons sur- pris un de ces participes à la rime avec une dentale appuyée ; dans Gaimar nous trouvons norit (: dit) (au vers 61 31); enfuit (: transit) (au vers 4162); dans le Drame d'Adam: fraït (: ait) (au vers 384); dans les Légendes de Marie: ravit Ç: délit) (VI 2, 296). Ces exemples, plus fréquents que les cas analogues que nous avons relevés pour les participes en e, n'ont pas une grande importance, surtout si l'on songe qu'ils ont pu être entraînés par l'analogie des nombreux participes forts en it la dentale est appuyée.

Comme pour les participes de I, il n'est pas douteux qu'avant de disparaître tout à fait la dentale a pris pendant un temps, dont il est difficile de préciser la durée et les dates extrêmes, un son transi- toire de dentale adoucie. La seule rime qui pourrait nous le faire supposer se trouve encore dans Gaimar : saisi (: Edelfrid), 1147.

Quoi qu'il en soit, il reste assuré que la dentale de ces participes n'a ordinairement plus sa valeur de dentale ; on trouve ces parti- cipes quelquefois à la rime avec des dentales appuyées, mais ces cas sont des exceptions entraînées probablement par les participes forts. On les rencontre encore rimant avec des mots terminés par des dentales caduques qui avaient probablement la valeur du //; ; surtout ils riment avec des mots en / pur.

Déjà dans les Psautiers, il arrive que, pour conserver la dentale, on l'appuie d'un s : blancist, Psautier d'Oxford (0, 9).

LES PARTICIPES 463

3. Participes en ii(t).

Pour ces participes, les rimes et conséquemment les renseigne- ments se trouvent en beaucoup plus petit nombre que pour les participes que nous avons déjà étudiés; certains ouvrages ne nous fournissent pas le moindre renseignement, le Cumpoz, par exemple. Les autres poèmes ne nous donnent que des indications assez con- tradictoires : par exemple dans le Voyage de Saint Brandan et le Bestiaire, les participes en // riment avec des mots qui n'ont jamais été terminés par une dentale ou qui ont une dentale caduque comme veuthes (: nues) au vers 497 du Brandan, foilliic (: laitue) au vers 1575 du Bestiaire et vencu (: vertu) au vers 2693 du même poème.

Au contraire, Gaimar qui nous montre un nombre relativement considérable de rimes en 11, en présente de toutes les sortes : un petit nombre de participes en // riment avec une dentale stable, comme dans l'exemple : eut (: murut) (vers 2228) ; plus souvent ils sont accouplés avec une dentale caduque, ou avec des mots en // pur. Ce qui arrive le plus fréquemment dans l'Estorie des Engleis, c'est que ces participes se trouvent à la rime avec un mot anglais terminé par th : avenu (: Suth) (1587); receû (: Suth) (2348); venut (: Cnuth) (4293). Il est donc bien évident, surtout si on garde en mémoire les exemples analogues que nous avons cités à propos des participes passés en e et en /, que Gaimar lui-même, sinon les écrivains contemporains, donne fréquemment à la dentale finale des participes en «(/) la valeur de //;. Nous ne retrouvons aucune rime après Gaimar qui puisse nous permettre de lui attribuer cette valeur; il semble que la dentale soit définitivement tombée.

La dentale a donc complètement disparu quelque temps avant la fin du XII' siècle.

D'après ce que nous venons de voir pour cette question, nous pouvons tirer quelques conclusions générales, qu'on pourra rappro- cher de celles auxquelles nous sommes arrivés pour les terminaisons el, al de la troisième personne du singulier.

Dès le commencement du xii* siècle, la dentale des participes passés faibles ne rime qu'avec les dentales caduques, les quelques rimes avec une dentale appuyée qu'on peut relever n'ont pas une i/rande valeur démonstrative.

464 l'évolution du vëkbe en anglo-français

Ces participes passés riment aussi très souvent dès la même époque avec des mots sans dentale.

Ces rimes avec des mots sans dentale sont plus communes pour les participes en / que pour les participes en e et plus com- munes pour les participes en e que pour les participes en u.

La dentale avait peut-être déjà pris à cette époque le son du th doux anglais.

Il est à peu près prouvé qu'elle a ce son pour les trois sortes de participes faibles dans les œuvres de Gaimar: il est donc infiniment probable qu'a fortiori elle l'a eu dans les écrivains qui l'ont précédé et elle a le conserver quelque temps.

Ce son ne se retrouve plus et la dentale ne laisse aucune trace, sauf de temps en temps dans l'écriture, à partir des œuvres de Fan- tosme, s'il est loisible de tirer une conclusion de l'absence de rime. La fin du xii^ siècle est de toute façon la limite la plus éloignée que l'on puisse assigner à l'existence, sous quelque forme que ce soit, de la dentale finale des participes passés faibles.

I. T^. Nous avons vu qu'cà la fin ou avant la fin du xii^ siècle, la dentale avait disparu de la terminaison du participe passé; nous la voyons reparaître à la fin du xiv= siècle dans la langue littéraire, et un siècle plus tôt dans les ouvrages qui n'appartiennent pas à la littérature.

Les deux premières classes de participes passés ne nous fournissent que peu d'exemples; pour les formes faibles en e et en /, nous ren- controns cette graphie dans certains manuscrits d'ouvrages du xiv^ siècle, par exemple dans le Selden supra 74 (Proverbes de Bon Enseignement) : aviset^ (19, 4),appelet:( (31, i) ; dans les Chroniques de Nicolas Trivet : apelety (46 r'').

En dehors de la langue littéraire, nous trouvons d'abord et beau- coup plus tôt des exemples dans les textes politiques, par exemple dans les Statutes : hailkti, écrit en 1278 (I, 44); (?)'/;{ (id., ibid.), etc., etc.; dans les Parliamentary Writs : ameti (1303, I, 372), etc.

Chez les auteurs littéraires, en ce qui concerne les participes pas- sés en u, la consonne double ti se rencontre dans les mêmes condi- tions que pour les participes passés en e et en /; dans les recueils non littéraires, les exemples sont sensiblement plus nombreux. Voici, par exemple, ceux que nous rencontrons dans les Statutes: veniii::^ (1278,1, 44); banuti (1326,!, 251); fww/:^ (1318, II, 172),

LES PARTICIPES 465

mieuti (1330,1,267); dans les Parliamentiiry Writs : rt/rj////-(i3 18, II, 172), coinhatouti(i-^24, II, Append., 231).

Enfin pour ces trois classes de participes passés, la consonne double se rencontre très fréquemment dans les ouvragée légaux à partir de i et 2 Edw. IL

2. Autres consonnes. Les autres consonnes sont rares ; elles ne se rencontrent pas dans les ouvrages littéraires ; on trouve dans la langue politique et diplomatique la consonne x employée en finale, comme eslenx dcins les Statutes (1351, I, 327 ; 1363, I, 379, trois fois) ; cet emploi de x est assez rare dans Rymer et peut s'expliquer dans chaque cas comme une erreur cléricale.

b) Voyelle de la leniiinaison. I . Participe passé en é.

I. /('. Nous retrouverons, au participe passé, le même phéno- mène que nous avons déjà observé à la deuxième personne du pluriel du présent de l'indicatif et à l'infinitif de certains verbes de I ; dans les mêmes conditions que pour cette personne et pour ce mode, certains verbes ont régulièrement au participe passé la terminaison ié. Nous ne voulons pas faire l'histoire complète de ces désinences, mais nous pouvons la résumer ainsi : on en trouve encore un certain nombre dans les Psautiers ; sans prétendre en donner la liste complète, nous citerons seulement les verbes com- muns aux deux Psautiers : drecie, esalciei, iriei, jngie::^, trenchie::^, et nous renverrons aux ouvrages de Meister (p. 53) et de Fichte (p. 53). Après les Psautiers, les formes en //sont de plus en plus rares dans les textes littéraires ; on n'en trouve aucune au commen- cement du xiii^ siècle. Elles reparaissent à la fin du xiv^ siècle.

Les exemples que nous fournissent les textes littéraires de cette époque ne sont pas rares, quoique ceux qui sont assurés ne soient pas très nombreux ; mais la lecture des manuscrits suffit à nous montrer que les scribes emploient très fréquemment la graphie par ie ; que ce soit étymologiquement ou non, peu nous importe à présent. Nous ne voulons constater maintenant que le simple fait que les graphies en ie pour les participes passés de I sont nombreuses au xiV siècle ; citons tout d'abord les rimes (douteuses) du Siège

16(> 1. EVOLUTION DU VKRBK HN ANGI.O-PRANÇAIS

de Caiiaverok : avisillie, engrellic, oïlaillic (au vers 2359); cbargie, dans Pierre de Langtoft (ms. B) ; dans les Proverbes de Bon Ensei- gnement (Old Royal 8 \i XVII) nous relevons encore un autre exemple plus douteux : partie. On pourrait peut-être Apmcv enlumie dans les Contes de Nicole Bo/on (au § 112), certainement _^;ri7V au vers 1008 et dcspiilie au vers 232 de la Vie de Saint Richard du même auteur.

Ces exemples sont certainement peu nombreux, mais la lecture de manuscrits anglo-français du xiv^ siècle pourrait fournir assez vite une longue liste d'exemples.

En dehors de la littérature, les formes en ie sont plus anciennes, sinon plus communes. Le premier cas que nous en rencon- trions dans cette catégorie de textes peut se lire dans les Statutes sous la date de 1297 : dciiiiiicics (\, 23). Désormais ce verbe va reparaître très fréquemment sous cette forme, de même que proniDicic et amincie. Nous ne donnerons pour ces formes qu'un petit nombre de références : on peut dire d'une façon générale que le plupart des textes, à toutes les dates, en contiennent quelques exemples (cf. Statutes: 1330,1, 268; 1344, I, 301 ; 1376,1, 397; 1399, II, 119 ; Parliamentary Writs : 1299, I, 321 ; Rymer's Foedera : 1302,11, 913, etc. ; Lettres de Jean de Peckham : 1281, 159 ; Literae Cantuarienses : 133 1, 392; Documents inédits : 1380, 217. Les Year Books en fournissent aussi de nombreux cas, citons 20 et 21 Edw. I", 339; 30 Edw. L', 499 ; 14 Edw. III, 127 et pas si ni).

Les exemples sont donc nombreux et la liste de références ci- dessus pourra en donner une idée. Du reste, si cette forme n'est pas le seul participe passé prenant la désinence en /c, elle est du moins la plus régulière de celles que nous avons rencontrées. Les autres verbes que nous allons maintenant énumérer aussi rapide- ment qu'il nous sera possible ne prennent la désinence en ie qu'à l'occasion et se trouvent aussi ou plus communément iwcc la désinence qui présente la voyelle simple. Au contraire, nous ne nous souvenons pas d'avoir rencontré dans les textes non littéraires du xiv^ siècle un seul exemple de l'un des trois participes ci-dessus sans 1'/.

Nous ferons encore une autre observation. Nous trouverons dans notre liste des participes en ie un ceitain nombre de formes

.1

LES PARTICIPES 467

régulières ; ce sont des participes qui reprennent la diphtongue à laquelle ils avaient droit, mais leur nombre est sensiblement infé- rieur à celui des participes qui nous montrent une diphtongue non étymologique.

Nous citerons tout d'abord quelques participes de la première de ces deux catégories. Nous avons rencontré assez souvent les deux participes passés traitié et touchié ; le premier se rencontre surtout dans les Rymer's Foedera (cf. 1339, V, 114 ; 1393, VI^ 426; 1390, VII, 663), mais est encore employé dans d'autres recueils, comme The Acts of Parliament of Scotland (cf. 1363, 493). Le second est aussi d'un usage assez général ; les Rymer's Foedera nous en donnent de nombreux exemples (1348, V, 63e), de même que les Acts que nous venons de mentionner (cf. 1363, 493). Citons encore les formes moins communes : chargié, acrocbié que nous lisons dans les Statutes ; eiiipeschié, jugie, obligié qui se lisent dans les Rymer's Foedera. Mais pour ces quelques verbes, ainsi que pour plusieurs autres qui se rencontrent sous cette forme, la désinence en t'est loin d'être rare.

La terminaison en a cependant été étendue à un nombre assez considérable de participes passés qui n'y avaient aucun droit. Nous pouvons citer par exemple dans les Statutes : gardié, oiistié,occupié, hastié, partie; dans les Parliamentary Writs : niflnrilié,endentié,molestié; dans Rymer : occupié, donnié, amie, sativié ; dans les Literae Cantua- rienses -.endentié; dans le Liber Custumarum et le Liber Rubeus de Scaccario, nous rencontrons encore plus d'un exemple du même genre. D'une façon générale, nous pouvons dire, pour ne pas allonger indéfiniment notre liste, que dans tous nos textes nous relevons quelques exemples soit réguliers, soit irréguliers, de cette désinence.

Nous aurions pu citer aussi dans la première de ces deux classes le nombre assez considérable de participes passés qui ont leur thème terminé par une lettre mouillée. Ces verbes prennent régulièrement un / devant la terminaison ; mais en anglo-français, on trouve assez iréquemment cet / qui n'est peut-être qu'un élément de la graphie de la consonne; il est assez difficile de dire si cette voyelle a une valeur propre ou si elle n'est destinée qu'à représenter la mouil- lure, par exemple, dans haillié (Statutes, 1335, I, 277), et dans. a ccompaignié (Ky mer, 1348, V, 6^6).

Au point de vue des dates, on peut remarquer que les exemples

468 l'évolution du vlkbe en anglo-i-rançals

que nous avons cites tout d'abord, ceux chez lesquels, comme prouuncié, Vi est étymologique, sont les premiers qui se trouvent avec la désinence ; ils se rencontrent vers la lin du xiii'^ siècle dans les textes non littéraires ; les autres cas sont un peu postérieurs ; on les lit d'abord au commencement du xiV^ siècle ; mais ils ne deviennent vraiment communs qu'un peu plus tard, c'est-à-dire vers I3-|0.

Dans les Year Books au contraire, la plupart des exemples de la terminaison que nous avons relevés sont irréguliers, c'est-à- dire proviennent de verbes qui n'ont pas étymologiquement cet / à l'infinitif et au participe passé, comme ajornié (20 et 21 Edw. I", ^'i^), exaDiinié {^^ et 35 Edw. P"", 5), terminié (ibid., 13), saulvié (2 et 3 Edw. n, 87), /)ni'/V(ibid., ioo),enportîé{ii et 12 Edw. III, 641) ; ici nous ne pouvons que très rarement arriver à fixer une date un peu précise, mais cette constatation n'ôte rien de la force des conclusions qui précèdent.

On doit faire une classe spéciale pour les participes en ' qui proviennent des verbes en /r; ils sont assez communs, et nous allons voir qu'ils correspondent exactement, comme on devait s'y attendre, aux infinitifs de II qui prennent la désinence ier.

Le plus commun de ces participes est establié, on le rencontre dans les Rymer's Foedera (cf. 1300, II, 866), dans les Statutes (1387, II, 54) ; seisié est aussi fort commun : les Statutes en parti- culier nous en off"rent plus d'un exemple (comme 131 1, I, 161).

Citons encore accoiiipUé dans Rymer (1303, II, 925 ; 1338, V, 46) ;/)//;//>' dans les Statutes (131 1, I, 164); quillié dans le même recueil (1340, I, 296); unie, ibid. (1397, II, 100); dans Rymer : Iminié, affaiblie (respectivement 1326, IV, 236 ; 1363, VI, 413). Nous n'avons relevé aucun exemple de ces verbes dans les Year Books.

2. Ei. Dans certains dialectes du continent, la diphtongue ei prend régulièrement dans certains cas la place de la voyelle e à la tonique des participes passés de I. Cette diphtongue se rencontre aussi en anglo-français, quoique assez rarement. On trouve d'abord quelques exemples de cette terminaison ci au xii*" siècle. Citons

I . Pour cette question, on peut voir Stimniing, Introduction de Boeve, p. 202 ; Suchier, Ueber die. . . ., p. 47 ; Romania XXXVI, 88, note.

LES PARTICIPES 469

aporteit dans lems. A de l'Alexis (strophe 19, premier vers), esleveis dans le Psautier d'Arundel (23, 7) ; Gaimar en a deux exemples : ntei^ (au vers 770), et /eiW~ (au vers 1383). Mais les deux exemples de Gaimar sont loin d'être assurés, car le premier rim.e avec afolez, et pour le second les mss. D et L donnent beneit, qui est plus satisfaisant pour le sens. On doit donc attribuer au scribe du ms. R ces quelques formes en ei; ceci du reste n'a pas grande importance et ne fait que rejeter à la fin du xii^ siècle la date de ces deux dernières formes ; cette terminaison ei est donc sporadique à cette époque ; de plus elle est presque inconnue au siècle sui- vant ; nous n'en trouvons d'exemples que dans les poèmes d'Angier qui nous donnem paie- ( : deiz, 191 b 7, cité par Timothy Cloran). Elle reparaît à la fin du xiv^ siècle tout en restant assez rare dans les œuvres purement littéraires ; nous ne trouvons à citer que des exemples douteux qui nous sont donnés par quelques manuscrits du xiV siècle, comme engendreie, consolideie aux vers 137-138 de la Vie de Saint Richard; geteis. Proverbes de Bon Ensei- gnement (21,4) ou emueugleis dans Nicolas Trivet (47 v°) ; cspuseie (124), meneie (709), soueie (710), etc., dans le manuscrit A de l'Ipo- médon ; estei (511), dans le Protheselaûs.

On peut donc conclure que les participes passés de I en ei ont été d'un emploi fort rare dans les œuvres littéraires '.

Cette terminaison en ei est aussi assez rare dans la langue poli- tique; nous pouvons citer dans les Mem. Pari. 1305 : paey^ 274).

Dans les textes diplomatiques, au contraire, les exemples sont très nombreux ; nous en relevons un bon nombre dans Rymer ; en voici quelques-uns par ordre chronologique : à l'année 1338, nous en trouvons deux : traiteit et acordeit ÇV , 55), qui sont répétés quelques lignes plus bas avec la diphtongue ai; en 1363, on trouve nomeiz (VI, 412) ; en 1365, aiiieis, consiitueit , redoubleis , etc.

Dans les Lettres de Jean de Peckham, il en est à peu près de même; on xqXqvq honoureie (^i2?)i, 131) et JtWé)'(? (1283, 423); dans les Documents Inédits nous trouvons oiistey (1392, 267). Le nombre de ces formes, sauf dans les Rymer's Foedera, est en somme assez restreint, surtout si l'on considère qu'ils sont répartis sur une période de plus d'un siècle.

I. Cf. Stiniming, op. cit., p. 175 ; Busch, op. cit., p. 15 et 17; Suchier . Voyelles toniques, § 17, p. 45 ; Mussafia, Zcitschrift fur ronnmische Philo- logie III, pp. 106 et 267.

470 I. EVOLUTION nu VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Les Year Books ne nous ont donné aucun participe passé de I affecté de cette terminaison.

3 . E(\ Une terminaison qui est spéciale à la fin du xiii^' siècle et au xiV"' siècle et que nous avons déjà eu l'occasion d'examiner à pro- pos de la troisième personne du singulier, de la deuxième personne du pluriel et de l'infinitif, c'est la terminaison Ve est redoublé. Ici encore ce n'est pas dans la langue littéraire que nous trouvons le plus grand nombre d'exemples. Cependant, ils ne sont pas réel- lement rares ; on en trouve déjà deux exemples dans le Sermon en vers, Deu le Omnipotent : privée (78 e), aiiiee (78 f). Au xiV' siècle les cas sont plus nombreux. Pierre de Langtoft nous donne neei (I,i8, 13) et quelques autres passim ; dans le poème de Bozon sur la Bounté des femmes nous en avons encore deux exemples : porteei (au vers éi), nee^ (au vers 62) ; Foulques Fitz-Warin en offre un très grand nombre : renversée:^ (26), acorâee:^^ (38)5 ^ntre- haisee:;^ (58) i fiinee::^ (40) et peut-être quelques autres ; on peut encore citer dans la Manière de Langage: âecouseex (384) et aJee-:{ au vers 141 9 du ms. A de l'Ipomédon. Le scribe de la Destruction de Rome emploie très fréquemment cette désinence ; nous pouvons citer estee (au vers 15), ar})iee (au vers 443), embrasée (au vers 446), coupée (au vers 447), etc.

Comme on le voit, le nombre de ces formes est assez restreint : l'anglo-français littéraire n'a pas été très favorable au redoublement de la voyelle au participe passé. Quelle valeur faut-il attribuer à cette terminaison ? Faut-il la considérer comme une simple graphie, ou faut-il attribuer une valeur syllabique d. chacun des e ? Les deux exemples que nous lisons dans le Sermon en vers et ceux que nous donne Bozon, en admettant qu'ils appartiennent à l'auteur, nous montrent que ce double e était purement graphique car ee:{ ne compte que pour une syllabe dans le vers. C'est du reste la conclu- sion à laquelle nous étions déjà arrivé dans nos études précé- dentes.

Dans les textes non littéraires, la terminaison ee est très com- mune ; mais il est toujours très difficile de savoir, étant donné une terminaison ee, si on a affaire à une nouvelle forme de la désinence ou si on ne se trouve en présence d'un féminin irrégulier, faute qui n'est certes pas rare dans les textes anglo-français. Les exemples que nous allons citer, aussi peu nombreux que possible pour ne pas

LES PARTICIPES 47 I

allonger nos listes d'exemples d'une façon démesurée, sont tous cer- tainement des participes passés masculins. On trouve d'abord très communément un participe passé fort : neet:^^, que nous, avons ren- contré déjà dans les œuvres littéraires du xiv-' siècle et qu'on peut lire dans les Statutes (1350, I, 310), dans Rymer (1313, III, 413 et passini). L'expression née et engendrée est assez commune dans les Year Books (i et 2 Edw. II, 100 ; 2 et 3 Edw. II, 54, etc.).

Parmi les formes faibles, les plus anciennes qu'on rencontre se trouvent dans les Statutes : grevée (nj^, I, 35) ; nontee:{ Çihid., p. 36) ; livereei{i2S$, I, 100) ; sauvée- (i^ocf, I, 136) ; grantee:^ (ibid.); dans les Lettres de Jean de Peckham on a sauvée:^ (1280,94) 5 ^^ même les Early Statutes of Ireland nous montrent cette terminaison à peu près à la même date: gardée (1285,50) ; les Parliamentary Writs nous donnent grantee, prisée^ (1282, I, 12) ; les Mem. Pari. (1305) : trovee::;^,agardeei,paiee:iÇ420,App. 7). Il est donc évident que ces formes existaient et étaient d'un emploi assez fréquent dès la fin du xiii" siècle dans la langue diplomatique et politique; et ces formes se poursuivent pendant tout le xiv^ siècle, sans augmenter beaucoup mais sans montrer de diminution. Tous les verbes de I semblent pouvoir prendre cette terminaison ; nous trouvons dans nos exemples à peu près tous les thèmes possibles, consonantiques ou vocaliques. Etre lui-même a souvent son participe passé sous cette forme : esfee (cf. par exemple Literae Cantuarienses, 133 1, 381 ; Rymer, 1373, VII, 5 ; 1375, VII, 75).

Par contre, aucun des nombreux verbes de II qui prennent le par- ticipe passé de I ne semble avoir pris cette désinence ; ce peut n'être qu'une coïncidence; elle est assez curieuse. Le seul verbe, à l'exception de naître et d'être, qui n'appartenant pas à I se ren- contre au participe passé avec ee, est encressee dans les Statutes (1393, II, 91), à une date très tardive, comme on le voit. Nous trouvons quelques exemples de cette forme, tous assez douteux,, dans les Year Books : aJee {2 et 3 Edw. II, 86),oblieet (11 et 12 Edw. III, 193), et quelques autres.

4. Les autres voyelles au participe passé des verbes de I sont très rares ; et pour les formes qui nous restent à citer, nous ne rencon- trons que des exemples isolés. Nous pouvons ûiire remarquer tout d'abord que, à une exception près, les textes les plus corrects, sur- tout les textes politiques des Statutes, des Parliamentary Writs,

472 L i;VOLUriON du VMRBF. KN AN(;LO-rRANÇAIS

etc., ne contiennent pas d'exemple d'une autre voyelle que e, sous l'une quelconque des formes que nous avons déjà citées. Ce n'est guère que dans les Rymer's Focdera que nous pouvons trou- ver les terminaisons qui vont suivre.

J. La terminaison qui montre un ^/ ne se rencontre que très rarement ; nous trouvons dans Rymer : tratat^ (1299, II, 63 (S) ; /;/r/.wrt/^, Statutes (134^, I, 301), et dans la littérature un exemple à la rime: obstinai (: prélat) au folio 103 a de la Petite Sumc de les Set Pèches morteus .

O. Les terminaisons en 0 sont aussi rares ; nous lisons dans Rymer : ciJos (13 18, III, 722) ; ^7/;/t)~ et donneos (1320, III, 853). Elles sont trop isolées et trop extraordinaires pour que nous en tenions grand compte. Il est très improbable qu'on doive considérer ces terminaisons comme d€s désinences anglo-françaises.

5. Chute de la voyelle. Il est assez rare que la voyelle accen- tuée tombe; pourtant on en trouve quelques exemples dans plus d'un recueil ; les Statutes nous donnent port (1390, II, 77) ; Rymer a report et demaund (1297,11, 783), ost (1299, II, 841); le Liber Custumarum : douht(i}jj, 462) ; même, dans la langue légale, on trouve est (i^ Edw, III, 19). Il faut remarquer que chacune de ces formes est terminée par une dentale et nous aurions peut-être classer ces participes parmi les acquisitions des participes en tmn,

2. Participes passés en /.

Pour ces participes, la désinence se maintient très régulièrement aussi bien dans les œuvres littéraires que dans les textes poUtiques, diplomatiques, familiers, légaux. Nous ne trouvons même à signaler aucune graphie.

La seule question que soulève l'étude de ces formes est celle de la désinence en /( v)^'.

Il semble que l'on doive au xiv^ siècle reconnaître une nouvelle classe de participes passés, les participes en ie ou plus souvent ye : ils n'ont avec les participes réguliers en ie de commun que la forme extérieure ; ils comprennent des verbes de I et de II et un très petit nombre de verbes de IV; ils ont toujours e au masculin comme au féminin, et ils riment en /. On peut les regarder comme un croise- ment entre les. participes de I et ceux de IL

LES PARTICIPES 473

Voici les exemples que nous avons relevés dans la langue litté- raire :

Verbes de I.

Au vers 24 du vers du Siège de Carlaverok, on trouve à la rime croisUlie, engreillie, entaillie ; mais rien ne peut nous faire savoir si ce ne sont pas des participes rimant en (cf. plus haut). Les exemples que nous offre la Chronique de Pierre de Langfoft sont moins douteux ; voici quelques-uns de ceux qui se trouvent à la rime : marye (1, 130, 17 ; I, 322, i) ; enbuschye (I, 200,7) 5 esparpjye (II, 280, 16) ; ohlye(\, 172,7 ; I, 320, 16 ; II, 34, 25). Ce dernier participe, qui semble avoir été plus employé sous cette forme que n'importe quel autre, se rencontre encore à la rime dans le poème du Prince Noir au vers 455 ; dans ce poème d'ailleurs les exemples de cette terminaison sont fréquents ; citons : logie (: mie) au vers 1062 ; baissie (: florie) au vers 2741 ; vecommencie (: afie) au vers 4055.

Le scribe qui a recopié le poème de la Destruction de Rome a introduit dans son texte un nombre considérable de formes ana- logues; citons-en quelques-unes : poeplie, embracie, desroiibie aux vers

493.599-

Verbes de IL

La terminaison en /()')'' semble plus naturelle et même très nor- male dans les verbes de II. Nous croyons cependant qu'il faut la distinguer de la terminaison régulière, et nous allons donner quelques exemples de participes passés qui nous semblent indubita- blement masculins, sous cette forme. Nous citerons des rimes, pour être assurés de la présence de Ye muet. C'est encore Pierre de Lang- toft qui nous fournit des exemples indiscutables ; on lit dans sa Chronique : dormye (I, 78, 14) ;o>' (I, 178, 15) ; fiiye (I, 200, 24) ; finye(\, 210, 13) ; 5a/53'^ (I, 390, 4 ;I, 434, 14); sevelyeÇL,^-^^, 10); establye (II, 34, 8).

Ce dernier exemple est très commun et se rencontre encore dans le roman de Foulques Fitz-Warin (p. 24).

Outre les verbes de I et de II que nous venons de citer, on trouve encore sous cette forme un certain nombre de participes

(74 L EVOLUTIOM DU VERBE EN ANGLO-IRANÇAIS

passés en k ou torts, par exemple : Iciiyc dans Pierre de Langtott (I, 412, 4) et nitildye,(\m, comme nous le verrons plus tard, a fréquem- ment un participe passé en /. A différentes reprises on le rencontre à la rime sous la forme que nous venons d'écrire dans Pierre de Langtoft (I, 390, 10 ; II, 386, ro). Nous ne pouvons citer aucun participe qui dans l'anglo-français diplomatique et politique se pré- sente à nous sous cette forme.

Il est. possible qu'il y en ait plusieurs parmi les nombreux exemples que nous avons cités de participes passés prenant ou repre- nant la désinence ié, mais nous n'avons aucun moyen de nous rendre compte de la valeur de la lettre finale ; si c'est un e fermé, les participes que nous avons cités appartiennent bien à la première classe, si c'est un c muet, ils auraient prendre place ici.

3. Participes passés en it.

La voyelle des participes passés en // prend, très naturellement d'ailleurs, un nombre considérable de formes. La plupart ne sont 'que des graphies de la voyelle // dont l'étude relève de la phoné- tique^ aussi nous nous contenterons de les énumérer rapidement, en en donnant quelques exemples.

Remarquons tout d'abord que la terminaison en // reste à toutes les époques de la littérature (en prenant ce mot dans son sens large) la forme la plus commune ; les ouvrages littéraires, aussi bien que les recueils de textes poUtiques, diplomatiques, familiers, légaux, nous en offrent un nombre considérable d'exemples. Les principales graphies qui dérivent de celle-là nous montrent les voyelles ou diphtongues suivantes : ui, tu, eu, icii, uc, w, 0, ou ; il serait assez difficile d'expliquer la genèse de ces différentes formes si on s'en tenait à l'étude du participe passé ; mais cette question est plus générale, et comme telle sort du dessein de cet ouvrage.

Les formes en ui de la littérature sont bien connues, la plus ancienne que nous ayons relevée se trouve dans Frère Angier et elle rime en / : genui^ (: fiz) (56 d). Cette désinence d'ailleurs n'est pas extrêmement fréquente au participe passé, même en dehors de la littérature ; les Parliamentary Writs en ont quelques cas, par exemple «/m/ (1299, 1, 320 ; 1325, II, 710). A partir de cette der- nière date cependant cette désinence devient peut-être un peu plus

LES PARTICIPES 475

commune ; dans Rymer par exemple, elle est assez fréquemment employée au xiv^ siècle (cf. 1325, IV, 137 ; 1360, VI, 162) ; mais en somme elle reste toujours assez exceptionnelle.

En, qui provient peut-être de la généralisation de eii après syné- rèse faite (voir cependant notre seconde partie), n'est pas rare dans les œuvres proprement littéraires vers 1350; nous en avons relevé un exemple dans les Contes de Bozon : iespondeu(^%<)) ; espaiidt-n(vers 162), enteudcii (vers 518), teuen (vers 493, 494, 776), veneii (ytrs 554) dans la Vie de Saint Richard ; nous ne citons évidemment pas les formes qui ont cet e étymologiquement, ou qui l'ont pris alors que la diérèse se faisait encore. Les exemples de cette forme sont plus nombreux dans les textes non littéraires, par exemple dans les Statutes : aresten (1285, I, 97)'; esten. Actes du Parlement d'Ecosse (1305, 119) ; ra/Jt'// (ibid., 1292, 446); teneii, Mem. Pari., 1305 216); perdeu, Jean de Peckham (1284, 526) ; les cas ne sont pas rares.

Tous les participes précédents se rencontrent dans les différents Year Books; ces recueils montrent très fréquemment cette désinence cil à partir des 20 et 21 Edw. l".

Les formes avec / en hiatus, iii, ieu, sont assez communes, sur- tout la seconde. On ne les trouve que pour ces verbes qui montrent, étymologiquement ou non, la diérèse à une époque antérieure.

Les œuvres littéraires de la fin du xiv^ siècle nous en offrent plu- sieurs exemples : dans les Contes de Bozon, le participe passé de pestre prend la forme pieu (aux §§ 23, 121); Nicolas Trivet nous montre devieii (2 v°) ; rescieu (ibid.) ; eslieu~ (25 r°), etc.

En dehers de la littérature, les formes en ieit sont à la fois plus anciennes et plus communes. On en trouve dans tous les recueils, par exemple r('::iriii dans les Mem. Pari., 1305 461); dans les Statutes: w/m/^ (13 30, I, 267) ; rescieu (^1^62, I, 374; 1363, 1,379) ; dieu, apercieu. Citons encore les participes que nous trouvons dans Rymer : .yacM:( (1350? V, 207); i'/gM(i343, V, 357) ; dieus (1362, VI, 348) ; rescieu, lieu, reslieu. Pour ce dernier verbe, l'exemple le plus ancien se trouve dans Thomas Walsingham à date 13 10 (p. 16).

Les Year Books ont un grand nombre d'exemples de ce genre ; mais leur date reste toujours très douteuse ; on n'en trouve pas

47^ l'Ï:VOlution du verbe en anglo-français

avant le recueil 31 EJw. P' : bien (p. 297) ; cette terminaison se rencontre dans les exemples suivants :^ï>//, que nous venons de voir (cf. aussi 33 et 35 Edw, I", 53 et passiiii^ -yesUeu et lieu qui sont très communs (33 et 35 Edw. \", 109 ; 11 et 12 Edw. P"", 21, 23, 457 ; 14 Edw. III, 209, 211, etc.); vieil (11 et 12 Edw. III, 585). Comme on le voit, tous ces verbes ont présenté à l'origine un hia- tus entre le thème et la désinence. La seule exception que nous puissions signaler, c'est issieu, qui se trouve dans 33 Edw. P""

(P- 303)-

Les formes en m sont plus difficiles à distinguer, car on ne

peut toujours savoir si l'on a affaire à un féminin irrégulier ou à

une désinence particulière ; voici cependant quelques exemples de

cette forme ; citons d'abord vendiiccs des Statutes (1380, I, 370) ; si

ce n'est pas une erreur du scribe, cette forme est très probante ;

ieniie:^, Mem, Pari., 1305 383) ; le féminin detemtees dans Rymer

(1361, VI, 323); le masculin ^w:{(id., 1373, VII, 12); encriiei dans

les Literae Cantuarienses (1380, 947) ; et un très grand nombre

d'autres.

Les terminaisons qui présentent un iv sont rares dans les œuvres littéraires ; on ne les trouve guère que dans les derniers ouvrages du xiv= siècle, de sorte qu'il est difficile de savoir si cette forme provient des scribes ou de l'auteur ; par exemple oive de Nicolas Trivet (16 r°).

En dehors de la littérature, elle est au contraire très fréquente et elle remonte fort haut. Le premier exemple que nous ayons relevé se trouve dans les Statutes sous la date 1275 : duwe (I, 28) ; ce n'est du reste pas un cas isolé ; nous en pouvons citer un autre : pur- vezve dans le même recueil (I, 53), à la date de 1283 ; le^Liber Ru- beus de Scaccario a diizue (1275, 1, 212) etî't'(><;6'^(i300, 1, 5 5) ; dans Rymer, on rencontre seiue, eiue en 1294 (II, 627); dinue se lit dans les Early Statutes of Ireland (1285, 52) ; et dans les Mem. Pari., 1305 123) ; dans ce même ouvrage, resceiu, ciu sont employés au § 5. Comme on le voit, les exemples sont nombreux, variés et d'une date assez reculée puisque certains d'entre eux datent du com- mencement du quatrième quart du xiir siècle. Au xiv^ siècle évi- demment, ils deviennent encore plus abondants ; mais il est inu- tile d'en citer davantage.

Dans les Year Books, on en trouve un certain nombre, comme

LES PARTICIPES 477

ew, vew, etc. ; même il s'en trouve Yu est employé en même temps que le lu, comme dans eiiw (3 Edw, II, 123), donné par le ms. M.

Les terminaisons avec 0 et ou sont rares ; citons les quelques exemples que nous avons trouvés: teno:;^, Documents Inédits 1397), 299); doue, Statutes (1275, 1, 28) ; ro;;//'fl'/o«/^, Parliamentary Writs (1324, 2^ App., 261); fo/o7/ dans Rymer (1397, VII, 850) ; et dans les Year Books, bâton (30 Edw. V% 107), tenons (33 et 35 Edw. I", 399). Il est difficile de croire que ces formes se rattachent aux formes étymologiques des participes passés forts en 11 de la pre- mière classe.

LES ACQUISITIONS

I. Acquisitions des participes en e.

Les participes en e ont toujours exercé une grande attraction sur les participes passés des autres conjugaisons (cf. toutefois ce que nous disons des participes en n). On trouve dès le xii^ siècle des verbes qui prennent irrégulièrement un participe enf.

Dans le Psautier d'Arundel les exemples sont déjà nombreux : move:^ de mouvoir ' (lé, 6) ; beneic:^ (27, 8) ; corrunipeesÇ^j, 5) ; dans Horn on trouve pour la première fois areste:^ (2309) ; (arestu se trouve aussi dans Horn, 4467, etc. et dans la plupart des auteurs du xii^ siècle).

Nous n'avons pas relevé au xii'^ siècle d'autres acquisitions pour les participes passés en <? ; il y a dans les exemples précédents des participes régulièrement en u, d'autres régulièrement forts. Les cas d'acquisitions augmentent considérablement au siècle suivant et nous les distinguerons désormais d'après la forme de leur participe passé étymologique.

a) Participes en / prenant la désinence e.

Ces participes sont très nombreux; voici quelques-uns des exem- ples que nous avons relevés au xiii'^ siècle ; à cause même de leur nombre nous pourrons nous contenter de citer les cas assurés, c'est-

I. Lire moues ?

478 l'évolution du verbl kn anclo-iran^çais

à-dire ceux qui se trouvent à la rime. Nous trouvons ainsi : tapc:^ (:adure)qui se lit au vers 715 du Saint Edmund(cf. aussi vers 72); on rencontre encore .sY/Vc (: engu lez) dans Boevc (2583); seise, du reste, va devenir bientôt la forme ordinaire de ce participe, excepté dans la langue légale qui oftVe le plus souvent seisi (cf. 22 Edw, 1"% 523 ; 35 et 35 Edw. I", passiiii, etc.). Citons encore : avili ei ( : privez) au vers 168 du Roman des Romans ; oye^ ( : enmoistez) qui se trouve dans l'Ordre de BelEyse (216), et dans maints autres poèmes, par exemple dans le Siège de Carlaverok, ce participe rime avec des ploie (au vers 2).

Dans Pierre de Langtoft les cas qui montrent le passage de / à é sont très communs : esîahlei (I, 412, 18 ; I, 496, 5); luerpe est donné par trois mss. A, C et D (II, 314, 14); et c'est la bonne leçon ;forbane{ (I, 224, 5), enriche- et emple se trouvent tous les deux dans les Contes de Bozon (aux §§ 98 et 130); Nicolas Trivet nous donne rave (19 r°); acomple ( : divise) se trouve au vers 576 du Prince Noir ; boille^ est employé dans les Recettes de Cui- sine (p. 51, i), maïs boyly (p. 55, 26).

La liste de ces participes passés que l'on rencontre dans les textes de la langue politique, diplomatique^ et familière pourrait être extrêmement longue; remarquons que dans cette liste, ce sont les verbes provenant d'adjectifs qui sont les plus nombreux : enpovc- re:^ se trouve très communément, par exemple dans les Statutes (1275, I, 26; 1336, I, 277); dans les Early Statutes of Ireland (1285, 48) ; dans les Literae Cantuarienses (1380, 947).

Nous pouvons citer encore etibaudei dans les Statutes (1346, I, 304), cncbicrc, id. (1363, I, 378); e)iiliir~c dans Rymer (1337, IV, 805); refresche dans les Documents Inédits (1390, 261; 1346, 81); enriche, blesmc, etc.

Un assez grand nombre de verbes qui montrent un infinitif en cr prennent aussi, comme on doit s'y attendre, un participe passé en e, par exemple estable, seise, pursiu\ ; ces trois verbes se relèvent très fréquemment sous cette forme; eslable se trouve pour la pre- mière fois dans Rymer à la date de 1330 (IV, 438) (establi se lit quelques lignes plus bas) ; seise dans les Statutes à la date de 1357 (I, 352) (5m/ reste toujours assez commun) et piirsiie:;^ se trouve dans le même recueil sous la date de 1377 (II, 3 et passini).

A part ces verbes, on en rencontre d'autres qui ne sont pas aussi

LES PARTICIPES 479

régulièrement employés sous cette forme; par exemple, dans les Statutes, esbaiei(d. 1378, II, 10) et meuniré (cf. 1380, II, 64). Nous pourrions relever dans les Rymer's Foedera un nombre d'exemples de ce genre encore plus considérable; parmi ceux qui nous paraissent les plus remarquables nous citerons giierpé qui est l'un des plus anciens que nous connaissions (cf. 1297, II5 783); un autre est assez souvent répété, c'est quille (voir par exemple 1361, VI, 312). Les autres recueils de textes non littéraires nous en offrent à proportion, comme repleivê, plus ancien encore que guerpe ; nous le trouvons dans le Liber Rubeus de Scaccario (cf. 1273, I, 213).

Des participes en //, mais en nombre relativement peu considé- rable, se rencontrent encore avec la désinence en é ; nous ne ferons pas une trop longue énumération des formes qu'on peut rencontrer et nous nous contenterons de signaler ceux qui nous semblent pré- senter de l'intérêt. Nous ne reparlerons p^Lsd'aresié; nous en avons déjà dit un mot et nous aurons à mentionner cette forme à propos des participes en u.

Nous trouvons un exemple du passage de // à é dans un poème du milieu du xii^ siècle, et à première vue cet exemple pourrait passer pour bien assuré. 11 se lit au vers 1798 de l'Estorie des Engleis et se trouve à la rime : c'est combaté à la rime avec régné. Mais ces deux vers ne sont donnés que par le ms. R (xiii^ siècle); et cette forme est sans doute une interpolation du scribe. Ce n'est guère qu'au xiv*' siècle que nous rencontrons des exemples à la fois nombreux et sûrs; nous en citerons quelques-uns des plus com- muns. Dans les Contes de Nicole Bozon, nous rencontrons mei- ^ntené 1 5); une forme analogue est assurée par une rime du poème du Prince Noir : bienveignei qui rime avec festoiez au vers 1447. Dans les Chroniques de Nicolas Trivet, nous avons rencontré veslé (ïoYio 60 r°) et la forme nssez curieuse moudre (moudre) (au folio 49 V") ; celle-ci se retrouve dans Recettes de Cuisine un cer- tain nombre de fois (cf. par exemple 6).

Du même genre que ce dernier est decousee:^^ qui se lit dans la Manière de Langage (384).

Un certain nombre de formes sont assez douteuses, en particu- lier celles qui sont terminées par -we, comme remewe qu'on lit dans la Chronique de Londres (1322, 46), ou par juwe qui se lit dans le même ouvrage (1330, 63). La rime iJjûie' (: devez) qui se trouve

480 l.'liVOLUTION DU VERfeK EN ANGLO-l-RA\ÇAlS

au vers 7722 (A) du Manuel des Péchés pourrait être considérée comme douteuse pour une autre raison; ce verbe se trouvant fré- quemment avec un participe en /ou en cil, il est possible que ce soit l'un ou l'autre, et plutôt le second, de ces derniers qui ait pro- duit la forme que nous venons de citer.

Nous ne pousserons pas plus loin cette liste d'exemples ; nous aimerions à faire remarquer toutefois que certains scribes montrent un goût tout particulier pour ces terminaisons ; ainsi le scribe de la Destruction de Rome écrit sumree (2iux vers 1489, 2491), combatee (au vers 1500). Ces formes n'ont pas grande importance, mais nous désirions montrer que l'exemple combaie du ms. de l'Estorie des Engleis n'était pas absolument isolé, à la date du ms. R.

Nous ne trouverons pas non plus un grand nombre de cas à citer en dehors des textes littéraires. Une seule forme se montre assez tré- quemment, c'est mové de mouvoir ; nous en rencontrons un grand nombre d'exemples dans les Rymer's Foedera (cf. par exemple 1354, V, 782; 1384, vil, 430; 1396, VII, 67e), et même dans les Statutes (cf. 1378, II, 9; 1388, II, 59), mais ces derniers exemples, comme on le voit, sont extrêmement tardifs.

Recevoir fait quelquefois recevc (faut-il encore lire receue? cf. Rymer's Foedera, 1340, V, 164 ; 1400, VII, 125). Plus certain est le participe dermnpé qui se trouve dans les Statutes tout à lait à la fin du xiv^ siècle (1396, II, ^4).

Telles sont les principales reformations en cque nous fournissent les textes littéraires et autres et qui proviennent des participes en «, toutes ces formes sont en somme peu nombreuses; elles sont tar- dives, et ce sont surtout les auteurs, les scribes ou les textes incor- rects qui nous en fournissent le plus grand nombre.

Pour en finir avec les acquisitions de la classe en é, nous allons mentionner maintenant quelques participes forts qui prennent cette désinence. Certains exemples remoncent jusqu'au xii^ siècle, comme le beneiei que nous lisons dans le Psautier d'Arundel (28, 8). Mais cette forme reste unique pendant à peu près un siècle. Les exemples que nous rencontrons après celui-là se lisent dans le Manuel des Péchés. Dans ce poème, nous trouvons à la rime un grand nombre d'exemples de la forme maiidié (avec aie au vers 4508, avec senez au vers 4681). Mais nous avons ici un véritable changement de conjugaison, et non un simple changement de désinence au par-

Les t>ARTictPES 481

tîcipe passé; rappelons en effet l'infinitif maudier qui, comme nous l'avons déjà montré, est très commun dans le William de Wadding- ton. C'est du reste tout ce que nous avons trouvé de sûr au xiii^ siècle.

Au siècle suivant, les exemples deviennent un peu plus com- muns; ce sont du reste pour la plupart des barbarismes qui ne prouvent guère autre chose que l'ignorance de ceux qui les ont employés, scribes ou auteurs. Citons-en quelques-uns que nous avons relevés dans les ouvrages littéraires : mette, overee (ouverte), desconfiee (desconfite) que nous lisons dans le ms. de la Destruction de Rome (vers 1096, 1378, 1489), ou jointe^ qui rime avec degrez au vers 22 de la Geste des Dames, ou attrae:;^ qui se trouve dans la Chronique de Nicolas Trivet (folio 2 r°). En dehors des textes littéraires, les exemples sont aussi très rares et parfois peu sûrs. Nous ne donnerons que peu d'exemples de ce changement de classe qui reste exceptionnel.

On pourrait peut-être considérer comme un changement de ce genre la forme que prend traire au participe passé : tree:^^, tre\ dans les Statutes (1377, II, 5 ; 1386, II, 40); la ressemblance de cette forme avec les participes en c peut n'être que fortuite. A part ces quelques cas les Statutes ne nous présentent guère que des formes douteuses comme : inquiseï (1399, II, 117), qu'on peut charitable- ment considérer comme régulières.

Il y en a davantage dans les Rymer's Foedera; soffre, qui date de 1297 (II, 783), se trouve assez fréquemment; dans les Literae Cantuarienses on lit couvertes, masc. sing. qui est douteux (1380, 947); dans le Liber Custumarum :^oi'^r^5 (1377, 469), qui l'est moins; dans les Annales Londonienses : somones (1322, p. 45) et despise (i'^26, 56), qui est douteux. Citons la forme countrefaciex^ qui se rencontre dans le Liber Custumarum (1300, 190) avec le sens de contrefait ; on trouve cette forme employée à propos de monnaies ; nous pensons qu'il faut y voir l'influence du substantif face.

On rencontre encore dans les Documents Inédits escrie^ (écrire) (1370, 198). Les Year Books présentent assez fréquemment trois formes de ce genre: somoiie (dans 30 Edw. I", p. 31 et pass'un) ; destreiiie(\h\à., 67; 31 Edw. \", 383, etc.); attrae (ibid., passim). Les autres participes passés forts qu'on peut rencontrer sous la

31

482 l'évolution du verbe en anglo-français

forme fliible en e ne se présentent pas avec la même régularité et il est presque toujours impossible de préciser leur date.

2. Acquisitions des participes passés en i.

Au XII'' siècle les acquisitions de la classe en / sont très peu nom- breuses ; nous n'en avons rencontré d'exemples que dans Gaimar et Horn ; comme ils ne se trouvent pas à la rime, on peut sans hési- tation les attribuer au xiii^ siècle, d'autant qu'à cette époque les nouvelles formes sont relativement nombreuses : un assez grand nombre de participes passent de la forme en ^ ou en « à la forme en /.

flî) Participes régulièrement en e prenant la désinence /.

Pour les verbes de I dont le participe passé prend la désinence en /, il nous faut distinguer entre les participes régulièrement en et les participes en é.

Les premiers sont assez peu nombreux, et nous n'avons pas relevé un nombre aussi considérable d'exemples pour ceux-ci que pour les autres.

Dans Boeve, ce passage de à / nous est assuré par une rime : nous lisons au vers 2309 preysi qui rime avec li, et dans le même poème, mais dans le corps du vers 2769, trenchi '. Despoili se trouve dans les deux manuscrits R et H de la Plainte d'Amour au vers 470.

Si on passe au xiv^ siècle on trouve dans Pierre de Langtoft esparny (II, 139, 9); dans les Contes de Bozon, soilli se trouve au § 17 ; assegi se lit dans Nicolas Trivet au folio 15 v°, etc. Tels sont les principaux, mais non les seuls exemples qui se ren- contrent dans la langue littéraire. Ajoutons-y quelques autres pris en dehors de la littérature: envoi'i^ qu'on lit dans les Rymer's Foe- dera (13 18, III, 724); esconiengi est commun dans les Year Books; par exemple il se lit dans 30 Edw. P% 213 et passim.

Les acquisitions des participes en / provenant des participes en e sont probablement moins nombreuses ; elles sont à un certain point

I. Cf. Stimming, p. 202.

LES PARTICIPES 483

de vue (cf. deuxième partie) plus remarquables, car ce sont de véritables acquisitions et nous en citerons proportionnellement davantage. Dans la littérature on n'en trouve qu'un petit nombre, par exemple estais de ester qui, au vers 410 du Saint Edmund, rime avec pais; dans la Plainte d'Amour, revili rime avec merci (au vers 985) ; cette dernière forme se rencontre par la suite assez communément; citons encore l'exemple qu'on en trouve dans William de Waddington au vers 9739. Afiibli:^ se trouve dans l'Apocalypse au vers 263 ; gerniy est employé à la page 14 du Traité de Hosebonderie de Walter de Henley, et enfin on relève engressi au § 118 des Contes de Bozon. La forme la plus fréquente, c'est lozvis du verbe louer ; on la trouve dans William de Waddington (dans le corps du vers 2776), dans Nicolas Trivet (au folio 46 v°) et très communément en dehors des textes littéraires, par exemple dans le Liber Custumarum (1309,

81).

Dans la langue politique et familière, les acquisitions de cette sorte sont assez nombreuses ; certains verbes de I même ne prennent jamais au participe passé d'autre terminaison que la terminaison en / : par exemple le verbe recovrer qui fait toujours recovri ; on le trouve sous cette forme dans -les Statutes (cf. 1320, I, 180 ; 1350, I, 321 ; 13 51, I, 326 ; 1362, I, 372), dans les Documents Inédits (1364, 167), dans les Year Books (30 Edw. P"", 43 ; 33 et 35 Edw. L^ 93) (cf. Infinitif).

Les autres cas qui nous montrent cette terminaison sont moins régulièrement employés ; les plus anciens se trouvent dans les Rymer's Foedera : deliverys (1274, II, 30) ; ènparolys (1279, II,

133)-

Les autres exemples que nous avons relevés se rencontrent sur- tout dans la première moitié du xiv^ siècle, comme severi^ dans les Statutes (1340, I, 284) ; cette même forme se rencontre encore dans la Chronique de Londres (p. 85) à la date de 1341 ; renoavely est employé dans les Literae Cantuarienses (133 1, 367).

On en trouve encore d'autres cas, toujours en assez grand nombre, dans la seconde moitié de ce même siècle, par exemple tivubli:^, dans les Statutes (1363, I, 385) -^averri, dans les Year Books (20 et 21 Edw. I", p. 53); enpen-i (de empirer) (dans 14 Edw. III, 77) et quelques autres dans les Year Books de cette époque à des dates très difficiles à préciser; mais ils semblent certainement devenir moins communs que dans la période précédente.

4^4 l'évolution du verbe feN ANGLO-FRANÇAIS

h) Participes en u prenant la désinence i.

Les participes en n qui abandonnent leur désinence pour la ter- minaison / sont peu nombreux ; nous en relevons deux exemples dans le ms. O de Horn, dont l'un, il est vrai, se trouve à la rime et pourrait être attribué à l'auteur : vestii (vers 4676), que l'on retrouve dans Nicolas Trivet (folio 59 r") ; l'autre se trouve dans le corps du vers : cumhaîi (4790). Le verbe vivre se rencontre très fréquemment au participe passé avec la forme en /, comme dans le Petit Plet de Chardri où, au vers 1588, il rime avec ami, et dans le Manuel des Péchés de William de Waddington il rime avec despendi (au vers 4153); nous pourrions aussi citer un nombre considérable d'exemples de cette forme employés dans le corps du vers, comme dans Saint Julien (au folio 71 v°, etc.), dans Pierre de Langtoft (I, 288, 25 ; I, 442, 21).

D'autres verbes sont d'un emploi moins constant avec cette dési- nence ; citons toutefois battre qui fiiit baty dans le Poème Allégo- rique (au vers 25); corumpi:{, que l'on trouve dans l'Apocalypse {^, 610).

Certains participes n'ont pour ainsi dire qu'une ressemblance extérieure avec les participes passés en / ; par exemple dans Uii de lire (Boeve, 3849), la diphtongue /// n'est qu'une graphie (umgekehrte Schreibung?) de u (voir plus haut, les changements subis par la voyelle u de cette terminaison).

Les participes régulièrement en // qui prennent la désinence en / sont encore plus rares dans la langue non littéraire et ne se ren- contrent guère dans les meilleurs recueils. Nous ne trouvons à citer que rendy dans le Registrum Palatinum Dunelmense (13 n, I, 4), et dans les Rymer's Foedera : purvei (13 12, III, 366), et aresii (1360, VI, 296).

Les Year Books nous présentent certainement un plus grand nombre de cas analogues à ceux que nous avons déjà cités, comme respondy qui se lit dans le Year Book 21 Edw. P' (page 239); mais la plupart des formes que nous avons relevées ne nous semblent pas appartenir à notre période.

Nous trouvons un certain nombre de participes passés que nous ne pouvons guère considérer comme irréguliers quand ils nous pré-

LES PARTICIPES 485

sentent un participe passé en i : chioir par exemple. Chat n'est pas aussi commun que les différentes formes en u que nous avons déjà citées ; mais elle n'est pas rare et se rencontre aussi communé- ment que le participe à forme forte. Nous en avons trouvé des exemples à toutes les périodes de la littérature anglo-française, depuis le Voyage de Saint Brandan, chaid rime avec hait (au vers 1023), ou TEstorie des Engleis (au vers 3313), jusqu'au Manuel des Péchés (cf. vers 1029, 1330, 6684 et passinî) et l'Apocalypse (P, 62).

Il nous reste encore à parler de quelques participes passés forts qui prennent quelquefois la forme faible en / ; le plus important est naître. Nasqui n'est pas très commun ; nous ne l'avons rencontré qu'une seule fois à la rime nasqui (: fiz) dans l'Estorie des Engleis (au vers 3596).

Nous mettrons dans la même classe le participe passé des verbes composés de vertir, les {ormes convertit, purvertit sont beaucoup plus communes que les formes fortes couver s, purvefs ; les Psautiers nous fournissent en particulier un grand nombre d'exemples des deux premières.

Les derniers exemples que nous venons de citer sont donc relati- vement ou complètement réguliers. Les autres ne le sont pas du tout; mais ils sont en somme assez peu nombreux et les formes barbares restent, en considérant l'ensemble de la littérature anglo- française, des exceptions qui ne prouvent pas grand'chose contre la masse des auteurs anglo-français.

3. Acquisitions des participes en u.

Avant de traiter la question des acquisitions pour les participes passés de ce type, il est bon que nous nous rendions compte de la régularité avec laquelle certains participes en u ont conservé leur forme étymologique. Il est vrai qu'en exposant les acquisitions que les participes passés des autres classes ont faites, nous avons vu par même la contrepartie de la question que nous nous proposons d'étudier. Il nous semble utile maintenant, au risque de quelques répétitions, de voir de quelle façon certains participes en u, tels qnarestu, ont subsisté en anglo-français.

4 86 l'évolution du verbe en anglo-français

Ce participe que nous venons de citer est un des plus impor- tants de ceux qui doivent nous occuper maintenant. Nous avons montré que le verbe arester subissait, comme il est naturel, l'influence des autres verbes de sa conjugaison et que peut-être déjà au XII'' siècle (cf. l'exemple de Horn), certainement au xiii'^ (cf. l'exemple de Chardri), il montrait la forme aresté à son participe.

Mais la forme en u reste cependant en usage, non seulement à cette époque, mais beaucoup plus tard, et à toutes les époques de la littérature anglo-française, elle reste la plus employée. Elle est à peu près la seule au xii"^ siècle et il serait facile d'en citer de nom- breux exemples ; nous n'en avons cependant, pendant tout ce siècle, relevé aucun à la rime ; nous avons été plus heureux pour le xiii^ et le XI v^ siècle.

Arestu rime avec saluau vers 2198 de Boeve, avec fu dans le Saint Edmund, avec lu au vers 3285 de William de Waddington. On le trouve encore dans Pierre de Langtoft (II, 116, 4), et dans la Chro- nique de Londres sous la date 1326 la page 52).

L'anglo-français légal l'emploie aussi fréquemment : il se trouve dans les Mem. Pari. 1305 (au § 127).

La langue légale ne connaît que la forme étymologique qui se trouve employée fréquemment.

Suivre, comme nous l'avons déjà fait observer, se rencontre le plus souvent avec un participe en / ; cependant la forme qui provient régulièrement du latin sectiins est assez souvent employée au xii^ siècle. Citons segnd dans le Saint Brandan aux vers 192, 1652 ; dans Horn au vers 4479 ; dans le Saint Gilles au vers 1836.

Pour eshi, cf. Participes forts.

Irascu se maintient aussi, il est très commun au xii^ siècle et se retrouve encore au xiii^ : irascu rime avec fu au vers 146 du Saint Edmund, avec Jesu au vers 11 15 d'Edward le Confesseur.

Si nous passons maintenant aux acquisitions des participes en 7/, nous verrons aisément qu'aucune classe de participes ne peut montrer un nombre d'acquisitions aussi considérable que celle qui a cette désinence ; non seulement en anglo-français, mais d'une façon générale dans tous les dialectes français, cette terminaison a été attribuée à beaucoup de verbes qui ne l'avaient pas régulièrement.

Pour ce qui nous concerne, nous trouvons que les participes en u gagnent à leur forme des participes passés qui sont régulièrement :

LES PARTICIPES 487

a) En e. Les acquisitions de ce genre sont assez nombreuses, la plus ancienne semble être naessiiesÇ: aperçues), dans les Dialogues Saint Grégoire (144 b), forme assez rare et qui n'a jamais été aussi commune, à beaucoup près, que la forme régulière né, ni même que nasqiii dont nous avons déjà donné quelques exemples.

Engettii, que Ton lit dans Nicolas Trivet (au folio 2 v°), est un cas d'une espèce différente : nous avons ici un véritable change- ment de conjugaison, provoqué par la forme gettre que l'infinitif prend assez communément ; nous voyons encore le participe passé gettu par exemple dans les textes légaux, comme dans le Year Book II et 12 Edw. III (p. 439), et ailleurs.

Il en va de même, ou à peu près, pour foundu, de fonder que nous rencontrons dans plusieurs endroits du Year Book 13 et 14 Edw. III (p. 163, 295, 299) et dans quelques autres Year Books ; nous avons plutôt affaire à une confusion entre deux paronymes fonder et fondre, confusion facilitée par la métathèse de l'r. Comme véritables cas d'assimilation de forme ne provenant ni d'un changement de conjugaison, ni d'une confusion entre paro- nymes, nous ne trouvons guère à citer que gastu^ employé dans les Statutes (1339, II, 109) et tournu qui se lit dans le Year Book 16 Edw. III (pp. 19 et 21). C'est à peu près tous les cas qui montrent le passage du participe passé àt e k u.

h) En i. Les verbes qui régulièrement devraient avoir leur participe passé en / passent beaucoup plus facilement dans la classe des participes en u. Les composés de vertir^ qui du reste connaissent plutôt la forme forte du participe, se trouvent assez communément avec un participe en u. Nous n'avons relevé d'exemples assurés qu'au xiii^ siècle ; ainsi on lit dans la Vie de Saint Grégoire, à la rime du vers 1878 : convertui{: vertuz); la même rime est employée par le même auteur dans les Dialogues Saint Grégoire (75 v" b). Dans le Roman des Romans, on trouve encore une rime analogue : revertue (: remue) au vers 525. Nous avons plusieurs exemples de cette forme dans les ouvrages du xiii« siècle, mais ils ne se rencontrent que dans l'intérieur du vers.

Les auteurs du xiV siècle l'emploient assez souvent. Pierre de Langtoft la montre aux rimes des vers suivants : I, 68, 17 ; II, 92, 14; Bozon, dans ses Vies de Saints, nous en donne un autre exemple assuré par la rime : converîu:{ (: nuz) (au folio 94 r°) ;

488 l'évolution du verbe en anglo-français

dans la Chronique en prose de Nicolas Trivet cette forme n'est pas rare (cf. le folio 46 r°).

Pour les autres formes de ce participe, d. Participes forts.

Sentir en anglo-français, comme dans beaucoup de dialectes fran- çais, prend assez fréquemment la forme en 11 au participe passé ; les exemples de cette forme sont communs, et on en rencontre même quelques exemples au xii'' siècle, comme sentu (: tenu) du Tristan de Thomas (vers m), et dans les Quatre Livres des Rois (I, 19, 17). Il est surtout fréquent au xiii'' siècle ; la Vie de Saint Grégoire a sentu (au vers 898) ; les Dialogues le font rimer avec vertu (40 b) ; au vers 2371 du Saint Edmund, on a assentc (lire assentiie) (: hue) ; dans le Manuel des Péchés de William de Waddington on en trouve encore un autre exemple : consentu (: vertu) (au vers 4995); il se trouve aussi à la rime dans Pierre de Langtoft (II, 358, 15) ; à la rime avec issu dans les Vies de Saints de Bozon (94 v°) ; dans les Contes du même auteur, il est employé au § 98. Nous le lisons encore dans le Poème du Prince Noir (au vers 1898); il est très commun dans la Chronique de Nicolas Trivet, on l'a par exemple au folio 46 r°, etc.

Cette forme en u est d'ailleurs la seule que nous trouvions dans les textes diplomatiques et politiques, sans distinctions de correc- tion, et les exemples que nous en avons relevés sont extrêmement nombreux. Il en est à peu près de même de la langue légale, quoi- qu'on rencontre sporadiquement dans les Year Books la forme cor- recte, par exemple dans assenti (2 et 3 Edw. II, p. 55).

Mentir, si voisin par la forme de sentir, forme aussi, quoique moins fréquemment peut-être, son participe passé en u ; on trouve mentu pour la première fois dans Horn dans le corps du vers 3045, etau folio 65 du Saint Julien rimantavec deceu ; puis dans William de Waddington au vers 10200, rimant avec entendu ; dans l'Apoca- lypse on lit mentu:^ (: Jésus) (205). Pierre de Langtoft l'emploie (II, 294, 21); on le trouve aussi dans les Contes de Bozon (au § 23) ; la forme en / est assez rare, nous ne l'avons relevée à la rime que dans le Prince Noir menti rime avec dit au vers 3813.

D'autres verbes se trouvent employés moins souvent, quelques- uns cependant ne se rencontrent au participe passé que sous la forme en u ; par exemple férir (cf. Dialogues Saint Grégoire 15 ; Saint Auban, 83, 894 ; Statutes, passim ; Rymer, passini). Nous en trouvons

LES PARTICIPES 489

encore plusieurs autres qui, au participe passé, montrent cette désinence assez communément : assaillu (: venu) est employé par Robert de Cretham au folio 43 ; dans la Chronique de Fantosme (au vers 1666); dans Horn (3122, 3260).

Certains participes passés en u sont d'un emploi plus rare : banniitx_ n'est commun que dans les textes politiques d'une date assez tardive (cf. Statutes, 1326, I, 251 ; 1396, II, 94, etc.).

Les Year Books fournissent encore quelques nouveaux exemples, comme /(9rnM;( (fournir) (16 Edw. III, 137) qui ne se trouvent que dans la langue légale.

c) Participes forts. Les partfcipes passés forts fournissent aussi leur part dans le nombre des reformations en //.

Nous avons déjà vu eslu qui est la forme la plus commune du participe passé du verbe eslire ; on peut citer en outre choir qui fait volontiers chaû, comme le montrent les exemples suivants : dans l'Estorie desEngleis de Gaimar (au vers 4037), il rime avec féru ; dans Horn (au vers 3036); au vers 214 du Saint Laurent; dans Robert de Cretham (folio 86 r°) ; il est employé deux fois à la rime dans William de Waddington (cf. vers 1664).

Craindre prend aussi parfois un participe passé analogique : cremu ; il est assez peu commun, on le trouve toutefois au vers 900 de la Vie de Saint Grégoire, et au vers 1395 du Saint Auban. Nous n'avons relevé aucun exemple de cette forme en dehors de la litté- rature.

Offendu, participe passé de offendre, est plus répandu : on le lit au vers 14 10 de Guischart de Beauliu ; au vers 605 de la Vie de Saint Grégoire ; il rime avec peu dans les Dialogues (141 b) ; on peut citer encore les Evangiles de Robert de Cretham (au folio 96 r°) et Pierre de Langtoft qui l'emploie à la rime (I, 240, 5). Dans les Statutes, Rymer et les autres textes politiques ou diploma- tiques, il se rencontre très fréquemment.

Il est beaucoup plus rare pour le verbe remaindre d'être employé au participe passé avec la terminaison u : la forme reinaQi^sii est pourtant assurée, par exemple par la rime remasu (: vencu) du folio 20 r" a des Dialogues Saint Grégoire, ou remansriis (lire refiiansus) (: venuz) dans le poème de Dermod (1150) (cf. Participes passés forts).

Soldre et tordre ont aussi un participe en u. On trouve soJu

490 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

dans les Dialogues (^6 b) ; loin est plus commun : l'auteur du Saint Brandan le fait rimer avec absolud(au vers 821) ; on le trouve aussi dans la note de la page 201 des Quatre Livres des Rois ; deux fois dans les Oeuvres de Frère Angier, dans la Vie au vers 2778, et dans les Dialogues au folio 13 b, enfin à la rime avec vestu au folio 88 de l'Evangel Translate. C'est la forme ordinaire de ce participe.

Enfin vivre fait le plus souvent vécu, comme à la rime vesgti (: vertu) du Saint Julien (78 r°).

D'autres participes passés, comme escondu, que l'on trouve dans les Contes de Bozon 121), ou conclu qui est relativement fré- quent dans l'anglo-français, pourraient à première vue sembler des acquisitions de la classe en u , mais leur ressemblance avec les participes qui nous occupent est purement fortuite.

Il nous reste encore à signaler un assez grand nombre de nou- velles formes qui sont moins des acquisitions, dans le sens nous prenons ordinairement ce mot, que de nouvelles formations. Elles se rencontrent uniquement dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature et sont évidemment calquées sur les participes latins en Utum ; voici les quelques exemples que nous avons relevés :

La forme execut devient, à partir de 1328, la seule forme du par- ticipe passé du verbe exécuter dans les ouvrages non littéraires. On la trouve constamment dans les Statutes, qui nous donnent d'ailleurs le premier exemple de cette forme que nous connaissions (1328, I, 259); on en rencontre encore des exemples en plusieurs endroits (1357, I, 349 ; 1363, I, 378, 379, 383). Cette forme n'est pas moins répandue dans Rymer (cf. 1340, V, 207 ; 1347, V, 750.) et dans d'autres recueils, comme le Liber Albus (1372, 506 ; 1398, 310, 511) ; nous l'avons encore rencontrée fré- quemment dans tous les recueils de textes légaux.

Restitut et institut ne sont pas moins communs dans ces mêmes ouvrages; les Statutes nous en donnent de nombreux exemples en 1335 (I, 277), puis en 1344, 1352, 1362, 1385, 1392, pour ne citer que quelques dates ; de même dans les Rymer's Foedera (1327, 1353, i^S^j 1362, 1377, 1384), dans les Actes du Parlement d'Ecosse, dans les Parliamentary Writs et dans les Year Books (20 et 21 Edw. I", 157, 177, 205; 22 Edw. I", 11).

D'autres formes se rencontrent, quoique moins régulièrement.

LES PARTICIPES 491

comme devolnt, dans les Statutes (1340, I, 292 ; 1351, I, 326), et dans les Rymer's Foedera (1345, V, 159, 460), distribut:;^, qui est assez rare (cf. Statutes, 1362, 1375).

Il nous semble donc absolument évident que si les acquisitions de la classe en u n'ont pas été en anglo-français tout à fait aussi consi- dérables que dans certains dialectes du continent, il serait exagéré de dire avec M. Meyer-Lïibke que le type u n'a pas eu une grande extension en Angleterre.

Le radical des participes faibles.

Nous n'avons que fort peu de choses à signaler sur ce sujet ; les formes qui, comme liveré, présentent un e svarabhaktique ne peuvent être citées que pour mémoire, cet e n'étant spécial ni au participe passé, ni même au verbe.

Il est plus important et plus à propos de signaler un certain nombre de verbes qui montrent indûment une consonne mouillée au radical. Ordonner, à partir de la seconde moitié du xiv^ siècle, ou même un peu plus tard, prend la forme ordeigné ; on trouve des exemples de cette forme dans les derniers textes de la littérature anglo-française, mais ils pourraient être attribués aux scribes. La même incertitude n'existe pas pour les nombreux exemples des Sta- tutes (par exemple 1377, II, n, et passim) ; pour ceux des Rymer's Foedera (1379, VII, 219, etc.).

Les autres verbes qui subissent cette modification sont rares ; nous avons relevé iraigiie:( de traîner dans the Blacke Booke of the Admiralty (1385, I, 453). iVucun exemple de l'introduction d'une lettre mouillée ne se rencontre dans les participes en i ou en u.

Nous n'avons du reste observé qu'un tout petit nombre de chan- gements et tous insignifiants dans les radicaux des participes en / ; nous avons déjà cité enparolys le radical des personnes fortes a passé à une forme faible.

Remarquons que l'hiatus est conservé au moyen d'une h dans obebi qui se lit dans Rymer(r392, Vil, 728).

Le radical des participes passés en u ne nous offre que quelques particularités de peu d'importance ; signalons simplement d'abord l'introduction d'une consonne parasite, dans recevii (lire recew), dans les Traités de Rymer (1297, II, 788); deiib::^ (id., 1394, VII,

492 L EVOLUTION DU VH RBE EN ANGLO-FRANÇAIS

772) ; surtout dans heit 17; du verbe latin reparaît ; cette forme est fréquente (cf. Rymer, 1337, IV, 777; et les Year Books 22 Edw, I", 371, 421 ; 31 Edw. I", 297; 33 et 35 Edw. I", 53).

La voyelle du radical est quelquefois modifiée, comme tanti de tenir, forme isolée et sans importance (Documents Inédits, 1 3 10, 34). Des modifications analogues, mais beaucoup plus importantes, peuvent se remarquer au participe passé du verbe choir.

Aucun participe ne présente, nous semble-t-il, une aussi grande variété de formes que celui-là : nous allons en citer quelques-unes sans prétendre les citer toutes.

Chaii se rencontre dès le xii^ siècle, ou au commencement du siècle suivant, car la voyelle du radical peut être attribuée au scribe : Gaimar l'emploie à la rime du vers 4037, on la trouve encore telle quelle au vers 3135 de Horn, et elle se rencontre assez communément au xiii^ siècle et même au xiV (cf. Infinitif chaeir^ chaer).

Pendant ce dernier siècle cependant les variations sont assez nombreuses : citons les formes qui présentent un double n comme chauiie, dans l'Apocalypse (a, 1029), ou mu charnu (id., ibid). Très fréquemment une voyelle de liaison peut s'introduire entre la voyelle du radical et celle de la terminaison, tantôt e comme chaeue, dans Pierre de Langtoft (II, 292, 19), plus souvent / comme chaiu au vers 91 de l'Apocalypse (a).

Avec le thème en e, nous trouvons des formes encore plus dif- férentes : cheiï^sç. lit au vers 3300 du Prince Noir; dans le Saint Edmund, on trouve au vers 45 la forme ceiie, due à l'auteur ou au scribe.

Un w peut prendre la place de la voyelle u: cewe se lit dans l'Apo- calypse (3, 785). Comme pour les thèmes en a, il est assez fréquent de voir une voyelle parasite s'introduire entre le radical et la ter- minaison, ainsi dans cheiii, Apocalypse (v, 785).

La variété des formes que peut prendre le participe passé en u de choir est donc très grande et le rapport entre certaines de ces formes, chaiu par exemple et cewe, n'est pas immédiatement appa- rent.

Les participes 493

d) Participes en // corr^pondant aux prétérits en ni.

I. Synérèse et diérèse.

Les participes qui correspondent aux trois premières classes des prétérits en ni (prétérits forts avec a, 0, e au radical) présentent à l'origine un hiatus entre la voyelle finale du radical et Vu de la ter- minaison.

Cette voyelle en ancien français s'est amuïe plus ou moins rapi- dement, pour aboutir aux formes modernes eu, dû, reçu.

En anglo-français, le même phénomène a eu lieu, et ce sont les progrès de la synérèse que nous allons étudier maintenant.

La voyelle du thème. La voyelle du thème est régulièrement 0 pour la première classe et pour la seconde, e pour la troisième.

Ces deux voyelles prennent souvent la place l'une de l'autre, 0 passant quelquefois à la troisième classe, et beaucoup plus souvent e prenant, conformément aux lois phoniques, dans la première et la seconde, la place de la voyelle étymologique.

Mais les gains de la voyelle 0 n'ont eu que peu de durée et restent en somme exceptionnels tandis que e était destiné à devenir géné- ral.

Les verbes de la troisième classe ne se trouvent dans nos premiers auteurs que très rarement terminés par ou au lieu de eu : toutefois on trouve à citer des exemples de la terminaison de ou pour tous les verbes. Dans le Voyage de Saint Brandan on a, au vers 1 178, recoiid, tandis que la forme en eu du même verbe se trouve par exemple dans le même poème au vers 103 et passim, au vers 3072 du Bestiaire ; dans le Psautier d'Oxford (50, 6). De même cunoiit se lit dans le Cumpoz (au vers 965), tandis que la forme correcte se rencontre très communément dans les Psautiers d'Oxford (9, 17), de Cambridge (31, 5); dans le Tristan de Thomas (vers 2174); dans le Drame d'Adam (84e), etc.

Voir se présente aussi avec un radical en 0 comme dans vont ( : asout) dans le Voyage de Saint Brandan au vers 371 ; mais cet exemple est isolé, ou à peu près, au moins à cette époque, alors que les exemples on trouve e sont extrêmement nombreux (cî. Bes-

494 l'évolution du verbh en anglo-français

tiaire, 194; Gaimar, 282, 1447 ; Adgar, II, no; XL, 457 etc.), car on trouve plusieurs fois dans chaque auteur des exemples de la forme régulière.

Il y a quelques verbes de cette classe qui ne se trouvent jamais avec la voyelle 0 : croire, crestre, gésir ne font jamais croiï ni joii. Comme on le voit, l'anglo-français du xii"^ siècle n'ignore pas abso- lument le groupe ou pour les verbes de la troisième classe, mais il ne l'emploie qu'assez rarement et seulement pour certains verbes.

Il n'en est pas ainsi pour la voyelle e dans les deux premières classes; on sait du reste que cette voyelle était destinée à remplacer Vo dans tous les cas 0 était étymologique ; cette substitution ne s'est accomplie que progressivement en anglo-français. Nous ne voyons pas dans nos textes le moment Ve analogique a com- mencé à s'introduire ; les premiers auteurs que nous pouvons étudier nous montrent les deux formes employées concurremment. La seule chose que nous puissions faire, c'est de suivre pour chaque verbe les progrès de Ve. Il est impossible de faire pour cette question la part du scribe et celle de l'auteur ; mais il est assez peu vraisem- blable que les scribes aient introduit Vo étymologique dans des formes qui auraient déjà pris 1'^ analogique ; et si nous pouvons admettre à la rigueur que cela se soit produit dans quelques cas, nous ne pourrons plus le croire si nous trouvons un nombre d'exemples assez considérable dans plusieurs auteurs de la même époque. Nous obtiendrons, si nous fixons la date à laquelle 0 aura cessé d'être employé au moment les exemples de cet 0 devien- dront soit rares, soit limités à un auteur, un terminus post quem suffisamment précis.

Tous les ouvrages qui ont précédé les Psautiers, et les Psautiers eux-mêmes, nous montrent fréquemment la forme ou ; on la trouve pour avoir, dans le Cumpoz (vers 3403), dans le Brandan (vers 468), dans le Psautier d'Oxford (77, 41), etc. Pou se rencontre de même dans le Brandan (au vers 95), dans les Psautiers d'Oxford et de Cambridge (36, 5); le participe de plaire est ploiï dans le Psautier d'Oxford (118, 108); tout, de taire, est employé dans les Psautiers d'Oxford et de Cambridge (respectivement 48, 10, et 48, 20); mou se lit dans le Psautier d'Oxford (14, 7) et dans celui de Cambridge

(81, 5)-

Jusqu'à cette époque, tous les auteurs que nous venons de citer

LES PARTICIPES 495

semblent employer régulièrement cette forme ; aussitôt après eux, elle devient plus rare. La forme en ou se trouve encore dans Horn qui, au vers 4001, nous donne vioïi, etc., et dans la Vie de Sainte Catherine, de Sœur Clémence de Barking (oiie au vers 479). Cepen- dant dans les différents mss. de Gaimar, de Thomas, d'Adgar, de Fantosme, cette voyelle ne se rencontre jamais ou elle est sporadique. Ainsi la forme en eu du participe de pouvoir, d'avoir, etc., se trouve seule dans Gaimar et Thomas ; pour taire, Horn lui-même emploie /m:^ (4098).

On peut donc conclure que la forme en on dans les participes des deux premières classes a été d'un usage assez général en anglo- français jusqu'aux Psautiers d'Oxford et de Cambridge ; il est même fort possible que cette forme ait été la forme prédominante pour ces verbes jusqu'à cette époque ; les textes tels que nous les avons ne le montrent pas, mais nous avons à faire la part des scribes qui ont bien souvent remplacer la forme ancienne en ou par la forme nouvelle. Après les Psautiers, il est hors de doute que la vieille forme a persisté pendant quelque temps encore; mais la forme analogique l'a sans doute remplacée assez rapidement; il est pro- bable que la diphtongue ou a été fréquente au moins jusqu'à Horn. Après celui-ci elle devient sporadique.

Remarquons que certains verbes comme savoir et boire, appar- tenant à l'une des deux premières classes, ne se montrent jamais avec 0 au participe passé.

2. Synérèse.

La voyelle qui se trouve en hiatus (que ce soit e ou 0) devant 1'// de la terminaison devait disparaître devant cette dernière. Il est important de savoir jusqu'à quelle époque elle s'est maintenue, et pour cette question nous aurons à tenir compte des xiii^ et xiV^ siècles aussi bien que du xii*" ; dans cette étude nous ne pour- rons évidemment nous servir que des ouvrages en vers, et parmi ceux-ci, il y a plusieurs poèmes qui, à cause de l'irrégularité de leur versification, ne pourront nous être d'aucun secours.

Nous allons examiner successivement les différents verbes qui composent la première classe, c'est-à-dire ceux qui ont a au radical, plus le verbe pouvoir.

49^ l'évolution du verbe en anglo-français

première classe

a) Avoir. Au xii*" et au xiii^ siècle, la diérèse est la règle ; les exemples pour ces deux siècles sont trop nombreux pour que nous tentions de les citer tous ; nous pouvons tout au moins en donner quelques-uns que nous tirerons des principaux auteurs : le Cumpoz (vers 3403, etc.), le Voyage de Saint Brandan(vers 468, etc.), l'Es- torie des Engleis (vers 633, etc.), les Légendes de Marie (VI, 2, 292, etc.), le Tristan de Thomas (vers 178, etc.), la Folie Tristan (vers 768, etc.), la Vie de Sainte Catherine (vers 479, 671, 1495), la Chronique de Fantosme (vers 1663, 204, etc.), le Saint Gilles (vers 207, etc.). Horn (vers 1 164, 3140, etc.) nous en donnent des exemples très nombreux ; les auteurs qui les suivent en ont certai- nement moins d'assurés, et nous citerons pour les principaux tous les cas de diérèse que nous avons relevés.

Dans Chardri, la forme étymologique et régulière se trouve dans Josaphat aux vers 86 et 308; dans les Set Dormans au vers 567 ; le vers 37 du Saint Laurent en contient un exemple qui n'est pas douteux. Ceux que l'on peut relever dans Robert de Gretham sont plus rares ; citons le vers suivant qu'on trouve au folio 69 :

Si grant désir pas n'out eu.

Le poème sur Saint Edmund en a davantage, comme aux vers 1558 et 1993 '■> ^^ Saint Auban en a au moins un d'assuré (au vers 866); peut-être aussi au vers 1396 que nous citons :

Ke il avant urent despit eu,

(vers de 10 syllabes sans élision de 1'^ de ke).

Nous en trouvons encore dans Sardenai (au vers 400), dans Aspremont (au vers i), dans- Sainte Madeleine (au vers 16).

A partir de cette époque, et pendant tout le xrv^ siècle, la question devient de plus en plus délicate, presque impossible à résoudre.

Dans son édition des Contes (en prose) de Bozon, M. Meyer semble admettre que la diérèse se maintient régulièrement, et il marque partout Vu d'un tréma; cela ne nous semble pas si sûr. Les seuls exemples assez bien assurés de diérèse que nous ayons relevés pour avoir dans les poèmes du xlv= siècle se trouvent aux vers 1900, 2176 du Prince Noir :

I

LES PARTICIPES 497

Que nous avons eu vertu 1900; Si bon congié eussent eu 2176 ;

dans la Chronique de Pierre de Langtoft (tous assez douteux) (cf. Il, 178, 18 ; II, 276, 12; i^^ App., II, 402, 12).

Si nous passons maintenant aux cas qui nous montrent la dispa- rition de la voyelle en hiatus, nous verrons tout d'abord que la synérèse est rare pour avoir au xii^ siècle ; on en trouve cependant quelques exemples; mais ils sont discutables : par exemple celui qu'on lit au vers 565 de Jordan Fantosme :

L'aveit eu sa guarde, mes il nel pot guarder,

pourrait facilement se corriger en : L'ot eu. Celui d'Adgar, XIII, 184:

Puis as eu doluruse entente...

est peut-être simplement un vers faux, ce qui n'aurait rien pour nous surprendre, ou pourrait se lire en supprimant le puis .

En tous cas, les forrnes analogues aux précédentes sont très rares, même entre iiéo et 1200.

Ce n'est que plus tard que, les exemples devenant plus fréquents

et moins douteux, l'on n'a aucune difficulté à admettre la synérèse:

dans le vers suivant de Chardri, il est extrêmement probable qu'elle

a eu lieu :

Dunt il out eu si grant pour . . . Josaphat, 2 1 1 3 .

(rime en ur). Pour Saint Auban aucun doute n'est plus permis :

Par qui nos deus unt eu damage e desturber. 44 Ki grant chalur ceu jure grarx sei i unt eu. 857 K'a vostre cumpainnie dunt tant ai eu désir. 1227

L'on trouve encore des cas de synérèse pour avoir dans l'Apoca- lypse et dans Pierre de Langtoft (cf. II, 27e, 5 i 2^ Appendice (Bozon), II, 426, 13). La Vie de Saint Richard de Nicole Bozon en offre aussi un exemple (3 13) :

En l'espérance k'aveint einz eu.

b) Pouvoir et pestre. Au xii^ siècle, on trouve pour ces deux verbes un assez grand nombre de cas de diérèse, comme dans le

32

49^ l'évolution du vkrbe en anglo-français

Brandan (au vers 95), dans le Bestiaire (au vers 604), dans le Tristan de Thomas (au vers 3005), dans Guischart de Beauliu (au vers 1131)'. plus tard on peut encore relever des exemples dissylla- biques dans la Vie de Saint Grégoire (aux vers 302, 1458), dans les Dialogues Saint Grégoire (au folio 141 r°), dans Robert de Gretham au folio 85 :

Ert pcùe turbe si grande .

"Dans le Saint Auban, au vers 1391, nousavonsun exemple assez douteux de diérèse.

Nous n'avons rencontré au xh" et au xiii'^ siècle aucun exemple de forme présentant la synérèse. Ce n'est qu'au xW siècle que nous en avons relevé quelques cas ; aucun ne nous a semblé très sûr.

c) Savoir. La forme dissyllabique est la seule employée au xii^ siècle et la plus commune au xii^ . Nous trouvons pour ce participe passé de nombreux exemples dont voici les principaux : Brandan, 192; Gaimar, 4626 ; Adgar, XL, 439; Thomas, 2138; Havelok, 137 ; Fantosme, 1856; Horn, 1204; Chardri, Set Dor- mans, 1817; Petite Philosophie, 29; Saint Auban, 82; Plainte d'Amour, 158 (Hai-léien); Satire sur le Siècle, 81 r", 85 ; Wil- liam de Waddington, 185 1, 2230.

Les synérèses sont beaucoup moins nombreuses ; comme nous l'avons déjà dit, on n'en trouve aucune au xii*^ siècle ; au xiii^ siècle, elles sont encore assez rares: on peut en citer un exemple dans Saint Auban, d'après M. Suchier (Ueber die..., p. 28).

Seu monosyllabique se trouve encore dans le Saint Edmund (vers 1558); dans la Genèse Notre-Dame (75 r°) ; dans William de Waddington (i 1 5 1); dans Pierre de Langtoft, nous avons rencontré deux exemples très douteux.

d) Taire. Le participe passé de taire ne se rencontre que rarement ; nous trouvons de ce participe quelques exemples dissyllabiques au xii^ siècle, comme aux vers 936 et 1006 de la Vie de Sainte Cathe- rine; au vers 4098 de Horn; dans Sardenai, 2^ addition, vers 11 ; dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 140, 12).

Nous n'avons rencontré aucun exemple de ce participe sous la forme monosyllabique.

LES PARTICIPES 499

CONCLUSION SUR LES PARTICIPES EN U DE LA PREMIERE CLASSE

La conclusion que cette étude sommaire des différents participes de cette classe nous permet de tirer, c'est que la synérèse n'est pas inconnue même au xii'' siècle, mais que ses progrès ont été très lents. Elle a atteint tout d'abord le verbe qui se trouvait par sa nature autant que par sa signification, le plus communément employé : le participe passé d'avoir.

La forme monosyllabique eu a pu être employée au xii^ siècle et l'a certainement été au XIII^ Les autres participes n'ont été gagnés par l'analogie que dans les derniers temps de la littérature anglo- française, et certains auteurs soigneux, même au xiv'' siècle, ont évité d'employer les formes à synérèse.

DEUXIÈME CLASSE

La deuxième classe comprend les verbes dont le thème est terminé par 0, ou par e, i d'après une labiale ; les participes passés de cette classe sont très peu nombreux, un seul étant employé fréquem- ment.

a) Mouvoir. Les exemples de mou dissyllabique sont très com- muns au xii^ siècle ; on trouve en effet ce participe passé au vers 191 du Saint Brandan, dans Adgar (IX, 55), dans la Vie de Sainte Catherine (au vers 1860) ; puis dans Jordan Fantosme (718) ; au vers 4001 du ms. C de Horn. Frère Angier emploie assez souvent la forme avec diérèse, par exemple au vers 317 de la Vie de Saint Grégoire, et dans les Dialogues (aux folios 13 b, 77 a, 120 V b). Il en est de même pour Chardri : meû se trouve souvent dans Josaphat (vers 532, 2079, 2088, 2650), dans les Set Dormans (vers 1466, 1508); on trouve encore ce participe dissyllabique au vers 217 du Saint Laurent, au vers 867 du Saint Auban et proba- blement au vers 73 du même poème :

De ses diz est a merveilles meûz, qui est vraisemblablement un vers de dix syllabes.

500 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

On peut encore citer un cas de participe passé sous la forme dissyllabique au vers 189 de Sardenai ; nous en avons encore un autre plus tardif, mais très sûr, dans les Vies de Saints de Bozon, au folio 104 :

Dunt les paens sunt esmeù,

et au vers 242 de la Vie de Saint Paul l'Ermite : Ke le corps ne se est meù ;

et deux autres dans le Prince Noir, aux vers 2587, 3158 :

Adonques est li host esmeùe ; Qui moult ont le coer esmoù.

Nous en avons peut-être deux cas dans Pierre de Langtoft (I, 30, 3 ; II, 276, 14).

Le nombre des synérèses est fort loin d'atteindre celui des dié- rèses ; le xii^ siècle n'en connaît aucune, sauf peut-être dans Horn ; nous avons dans ce poème un exemple fort discutable. De même au xiii^ siècle, les exemples qu'on en peut citer sont assez douteux. M. Suchier (op. cit., p. 27) en a rencontré dans le Saint Auban un exemple que nous n'avons pas retrouvé.

Dans le Petit Plet de Chardri, Koch, au vers 678, a adopté une leçon (celle du ms. L) qui introduit une synérèse ;

M'est avis, de poi estes esmeu.

Mais si nous consultons les deux autres mss., qui appartiennent à deux familles différentes, nous trouvons la leçon qui rétablit le vers tout en respectant la diérèse dans le participe passé. Les autres mss. en effet ont tous les deux un monosyllabe avant de poi ; O a Mes de poi estes enmu; V porte Mut de poi est mu. Le texte est facile à reconstituer ; c'est, soit : Mes de poi estes esmeû ; soit : Mut de poi estes esmeù.

De cette façon le vers est juste et l'on voit aisément comment les mauvaises leçons ont pu se produire. De plus la diérèse est rétablie.

Au xiv^ siècle, la synérèse doit se trouver, semble-t-il, plus sou- vent, quoique nous ne puissions citer aucun exemple très assuré.

LES PARTICIPES 50I

Nous en avons peut-être deux dans la Chronique de Pierre de Langtoft (esmu, I, 398, 19 ; I, 166, 10).

h) Boire. Le participe passé de boire se rencontre au xii^ siècle, surtout sous sa forme dissyllabique beii. C'est ainsi que l'emploient la plupart des écrivains de cette époque. Nous trouvons dans presque tous leurs ouvrages des exemples aussi assurés 'que possible de dié- rèse. Gaimar en a un cas au vers 3707, Adgar au vers IV, 9, Tho- mas au vers 2498, Jordan Fantosme au vers 2004, Guillaume de Berneville au vers 1478, Sœur Clémence de Barking au vers 1506, Guischart de Beauliu au vers 1388. Dans l'Ipomédon, nous en ren- controns un autre qui disparaît à tort dans la leçon choisie par les éditeurs ; ils impriment (vers 227) :

Ni ad gueres mange ne beu,

alors que la leçon donnée par B rétablit la forme régulière : N'out gueres...

Nous ne nous arrêterons pas à citer tous les exemples de la forme beiï que nous avons relevés et nous nous contenterons de quelques références. On la trouve dans le Saint Laurent (au vers 166), dans le Saint Auban (aux vers 89, 858), dans l'Ordre de Bel Eyse (au vers 102).

C'est le dernier exemple assuré de diérèse que nous ayons ren- contré.

Mais pour ce verbe les synérèses ne sont pas rares et elles appa- raissent assez tôt : la première que nous ayons relevée se lit dans Jordan Fantosme, au vers 1953.

Il n'ot beu ne mangié trois jorz de la semaine,

Robert de Gretham en a lui-même un autre au folio 25 ; et le Poème du Prince Noir (vers 3653) fait la synérèse dans le seul exemple qu'il nous offre :

Qui nad beu et mangez assetz.

c) Devoir. Pour ce verbe nous n'avons qu'un nombre infime d'exemples et ils paraissent tous dissyllabiques.

CONCLUSION SUR LES PARTICIPES EN U DE LA DEUXIEME CLASSE

La deuxième classe est donc à peine plus irrégulière que la

502 L HVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

première ; on rencontre quelques exemples de synérèse au xii'^ siècle, assurés pour boire, douteux pour mouvoir, mais pendant tout ce siècle et le siècle suivant, autant que nous pouvons en juger, les formes à diérèse et celles à synérèse se balancent encore ; tout au moins^ on peut affirmer qu'on trouve des exemples des deux. Les formes de mouvoir, spécialement, semblent s'être très bien conser- vées '.

TROISIÈME CLASSE

Les verbes qui composent cette classe sont beaucoup plus nom- breux et se rencontrent plus fréquemment au participe passé ; nous aurons donc à nous prononcer sur un nombre plus considérable de formes. Nous étudierons successivement les verbes en cevoir, con- naître, croître, croire, gésir et voir.

a) Verbes en cevoir. Ces verbes qui sont en si grand usage nous fournissent un très grand nombre d'exemples ; au xii^ siècle, ils ont presque tous la diérèse, et on en trouve dans tous les auteurs ou à peu près-.

Nous n'en trouvons guère moins pendant tout le cours du xiii^ siècle, aussi nous ne nous arrêterons pas sur les nombreuses formes qui pendant la première moitié de ce siècle nous montrent que la diérèse régulière subsiste'.

1. Si nous n'avions pas voulu limiter aux seuls auteurs en vers l'étude que nous faisons maintenant, nous aurions pu citer ici l'exemple du Psautier d'Arundel : cotnnme (17, 8), féminin qui montre bien que la synérèse s'est effectuée. Esinue, féminin, se trouve aussi dans les Quatre Livres des Rois (III, 17, 11). Ces exemples, de même que les formes qui nous proviennent des scribes, nous montrent que les auteurs peu soigneux faisaient disparaître l'hiatus dans ce parti- cipe passé au commencement du quatrième quart du xii^ siècle.

2. Voici quelques références, elles n'ont pas la prétention d'être complètes : Voyage de Saint Brandan, 103, 1178 ; Bestiaire, 3072 ; Estorie des Engleis, 5410; Légendes de Marie, XVII, 71 ; Tristan de Thomas, 928 ; Chronique de Fan- tosme, 1112; Vie de Saint Gilles, 1686; Horn, 1683; Sermon de Guischart de Beaiuliu, 1397, 1638.

3. Citons les références de quelques exemples que nous avons rencontrés dans les poèmes delà première moitié du xiii^ siècle : Vie de Saint Grégoire, 1765, 1949; Dialogues Saint Grégoire, 23 v" a, 144 b; Chardri, Josaphat, 220, 398, 2434, 2626 ; Set Dormans, 1160, 181 1 ; Petit Plet, 1274 ; Saint Edmund, 696 ; Saint Julien, 73 vo, 77 r" ; Sardenai, 190; Aspremont. 267.

LES PARTICIPES 5O3

Nous passerons immédiatement à la seconde moitié, car h cette époque a priori les exemples doivent être plus douteux.

Nous rencontrons dans la Vie de Saint Auban un bon nombre d'exemples qui ne peuvent nous laisser aucun doute ; aux vers 72, 92, 800, la diérèse est assurée :

Ki est en sun ostel entrez e receùz ; Trop i es enganez, trop i es deceù ; De decoler Auban receù du tirant.

D'autres le sont moins, quoiqu'il soit au moins probable que riiiatus est conservé dans les vers qui suivent (76, 879) :

De veisins u serganz ne aperceu ;

(lire ici : n'aperceû).

Li mescreant en beivent, as mains l'un receû ' .

Dans le Sermun en vers Deu le Omnipotent, nous sommes assu- rés de la présence d'aii moins un cas d'hiatus (9 d) :

Ke ne seit deceù.

Si nous poussons nos recherches dans les auteurs qui suivent Saint Auban, nous remarquerons que les cas de diérèse se trouvent assez rarement et que plusieurs semblent rien moins que sûrs. Dans le poème de Dermod par exemple (vers 1711 et 2362), nous avons diérèse ou deux vers de sept syllabes, ce qui est extrêmement possible :

E li quens ad dune receu

Einz quil erent aperceu.

Nous en dirons autant des exemples que nous donne le Manuel des Péchés (cf. vers 113 3), mais nous accepterions sans trop d'hé- sitation celui que nous trouvons au vers 14 de la Vie de Sainte Madeleine.

I . Il arrive que dans le Saint Auban la svllabe muette ne compte pas à l'hé- mistiche; cf. par exemple vers 849, 860, 871,872, 891, 892, 904, 905, 907, etc. Le contraire a lieu aussi ; on peut voir dans les deux laisses d'où les exemples pre^cédents sont tirés les vers : 848, 852, 856, 861, 863, 866, 901.

504 l'évolution du verbf. en anglo-françals

Ajoutons-y quelques exemples que nous avons relevés dans les textes du xiv^ siècle : le poème de l'Apocalypse en a au moins un exemple : aparceûi (3 et -■;, 583) ; ils sont un'peu''plus nombreux dans la Chronique de Pierre de Langtoft {c(. I, 28, 122 (C et D), I, 246, 5 ; I> 384. 15 ; I, 384. 16 ;I, 384, 21 ; I, 460, 29; II, 92, 18).

Nous n'en avons trouvé qu'un tout petit nombre de cas dans les Vies de Saints de Bozon, comme au folio 104 v°, et dans la Vie de Saint Panuce (au vers 125) :

Kaunt j'entendi k'out cuuceu.

En résumé, les formes à diérèse n'ont pas encore disparu au commencement du xiv-" siècle, mais elles sont devenues rares chez la plupart des auteurs. '

Les cas de synérèse ne sont pas rares, même au xii' siècle ; ils sont cependant moins nombreux que beaucoup d'éditions impri- mées pourraient le faire croire. Les scribes, à partir de 1275 envi- ron, se sont attachés à faire disparaître les hiatus, et quelques-uns ont même parfois pris la peine d'ajouter dans le vers une syllabe quelconque pour rétablir la mesure. C'est ainsi que le scribe du ms. A de l'Ipomédon écrit :

Si mestres l'ad bien aperceu,

leçon que les éditeurs ont eu le tort d'accepter, car la vraie leçon est donnée par B qui supprime le « bien ».

Nous passons maintenant aux cas assurés de synérèse, qui sont relativement nombreux ; le premier que nous ayons relevé se lit dans Adgar (VR, 110); et la contraction nous semble ici aussi sûre que possible :

Kar eus ne l'aveint aparcu.

Citons encore, dans le même poème (XII, 39) :

Li altre unt ci sanié receu.

Puis on en trouve un autre dans Horn (au vers 4093) (H); mais cet exemple ne nous semble pas aussi certain que les précé- dents.

En la presse de lagent quil nest apparceuz.

LES PARTICIPES 505

Et pour terminer la liste des exemples que nous trouvons à cette époque, nous en voyons encore un autre dans Sœur Clé- mence de Barking (au vers 941), qui ne fait aucune difficulté.

Désormais ces cas de synérèse vont se multiplier ; dans les Dialogues Grégoire, Miss Pope en relève quatre (20 r°a ; 85 b).

Ils sont moins nombreux dans Chardri ; il n'y en a qu'un dans le Josaphat (au vers 1124) ; mais il est bien caractérisé:

Vus en purriezestre deceu.

Le même participe se trouve avec la synérèse dans le Saint Julien (aux folios 66 et 79 r°) :

Il est trahiz, il est deceu.

Citons encore les vers 739 et 1550 de la Vie de Saint Edmund, vers qui contiennent de bons exemples de synérèse :

Aveit resceu coniossium ; E le reaime aveit receu.

La Lumière as Lais au vers 630, le Poème Allégorique au vers 148, la Plainte d'Amour (aux vers 242, 526), William de Wadding- ton'(au vers 3288), les^Heures delà Vierge(59 r°),nous en donnent encore des exemples de tous points analogues aux précédents et sur lesquels il serait oiseux d'insister.

Les exemples ne sont évidemment pas rares chez les auteurs du siècle suivant ; citons quelques références pour les cas de synérèse que nous avons trouvés dans la Chronique de Pierre de Langtoft : I, 56, 16; I, 136, Il ; I, 240, 14;!, 398,24.

Nous en avons relevé de nombreux cas dans les Vies de Saints de Nicole Bozon ; pour ne pas allonger outre mesure nos listes d'exemples, nous ne donnerons que ceux qui se lisent dans la Vie de Saint Richard (aux vers 146, 216, 1276, 1441) :

Fu née de mère e fu conceu ; Ou seinte vcillesce receue ; £ ses frères ke Turent receu ; Apres aparceu ben esteit.

Par conséquent, pour cette catégorie très importante de parti-

5o6 l'évolution du verbh en anglo-français

cipes pissés, la synérèse a commencé à se foire vers 1170; elle est devenue très commune vers 1275, et la règle au xiv^ siècle.

b) Connaître. Nous ne citerons aussi pour le participe passé du verbe connaître qu'un petit nombre des exemples que l'on trouve montrant la diérèse : la plupart de nos auteurs du xii^ siècle et du XIII'' en ont quelques-uns : par exemple Philippe de Thaun (Cumpoz, au vers 965); Thomas (au vers 2174), le Drame d'Adam (au vers 8^6), Horn (au vers 2337), Havelok (au vers 449), Saint Gilles (au vers 2663), Guischart de Beauliu (aux vers 1137, 1144, 1381), Hue de Rotelande (Ipomédon, 3174). Les exemples, tout en restant assez communs, ne sont plus aussi fré- quents au xiii= siècle ; c'est ainsi que dans Chardri nous n'en ren- controns que deux cas : le premier au vers 1026 des Set Dormans,

Ne fust degent, ne cuneù ;

l'autre dans le Petit Plet au vers 1628 :

D'un bon ami ben cuneu.

Dans Saint Auban nous lisons (vers 22) :

N'i out plus cuneûz, ne nus plus communal.

Dans Aspremont (au vers 3), dans Sainte Madeleine (au vers 15), nous retrouvons encore la forme à diérèse.

Signalons l'exemple assez peu sûr que nous trouvons dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 384, 17), et ajoutons-y encore deux exemples du xiv^ siècle, d'abord dans une rubrique d'Edward le Confesseur (XLVI, 6) :

Déguisez e descuneû,

et le vers du Siège de Carlaverok, page 54 :

Car conneiis estoit de tous.

Mais pour ce verbe encore la forme à synérèse est assez com- mune. Dès le xii^ siècle, nous en trouvons des cas assurés ; voici par exemple, le vers que nous lisons dans les Légendes de Marie, d'Adgar (XXII, 25) :

Li Engleis i furent cuneu.

LES PARTICIPES 507

Le vers suivant se trouve dans le Tristan de Thomas (vers 3018):

Que pur la sue l'ai conue.

Le Saint Gilles nous en offre aussi un exemple (vers 766) :

Kar il se crent estre conu . de même que Horn (vers 4489) (C) :

Ki des soens fud mut tost e oïd e conuz .

On trouve dans Frère Angier un grand nombre de cas de syné- rèse cités par Miss Pope ; on peut lire au vers 1724 de la Vie de Saint Grégoire, et aux folios 21 b, 114 r" a, pour les Dia- logues Grégoire, des exemples de conu dissyllabique.

Le nombre des synérèses est, chez Chardri aussi, plus grand que celui des diérèses pour le verbe qui nous occupe; on trouve ainsi, dans les Set Dormans (506, 1354) :

Car de trestuz cuneuz esteit. Est ben cuneu en la cite.

Et au vers 1454 du Petit Plet :

Ke ne fu conçue sa manere.

Nous trouvons de même dans Robert de Gretham recuneu au folio 32 ; cimii au folio 70 :

Tut n'eust il pas bien fet conu.

Citons les vers suivants du Saint Auban (874-1800) :

Ta créature est tut n'eit tei Deu rekcneu Bien unt ja recunu sa haute deïte.

La Plainte d'Amour, au vers 527, nous en donne un autre exemple :

E aucune fez mesconu .

Nous arrêterons nos citations. Après 1250,1a synérèse devient la règle : les exemples sûrs sont assez peu nombreux (^d. Wil-

3o8 l'évolution du verbe en anglo-français

liam de Waddington au vers 2230); malgré cela il est difficile de douter que les formes contractées sont devenues entre 1250 et 1400 presque les seules employées (cf. Pierre de Langtoft, I, 28, 30 ; I, 460, 28, etc.).

c) Croire el croître. Nous étudierons ensemble les deux parti- cipes creii, car ils ont eu, non seulement la même forme, mais aussi la même fortune.

Tous deux, ils sont dissyllabiques au commencement du xii^ siècle el même plus tard. Pour croire, nous trouvons la forme à diérèse dans le Bestiaire (au vers 1996) ; dans Adgar (VI, 2, 294), dans le Tristan de Thomas (au vers 2882) ; dans la Folie Tristan (au vers 759), dans Sœur Clémence de Barking (aux vers 853 et II 59), dans Jordan Fantosme (au vers 1545), dans Horn (au vers 1964) ; Chardri nous en offre un exemple au vers 1321 du Petit Plet; Robert de Gretham aux folios 58 et 63 ' ; on le trouve aussi deux fois dans Saint Edmund (aux vers 1275, 3030), et une fois dans la Genèse Notre-Dame (au folio 72 v°) ^ ; au vers 354 de Sardenai ; dans Saint Auban (au vers 862); au vers 251 du Roman des Romans et au vers 1292 du Manuel des Péchés, enfin dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 462, 18).

Croître ne présente qu'un nombre beaucoup moindre d'exemples. Le Drame d'Adam l'emploie une fois, sous la forme ^dissyllabique (cf. vers 671) ; Horn de même (au vers 1768 a); Miss Pope a rencontrer/-^// trois fois dans Frère Angier, une fois dans la Vie de Saint Grégoire (vers 1 121); deux fois dans les Dialogues (au folio 9 b) ; on le lit une fois dans les Set Dormans de Chardri (au vers 886), et dans Sardenai (au vers 377).

Les cas de synérèse pour ces deux participes sont très peu nombreux, surtout au xii^ siècle. On en trouve un pour crestre dans Havelok, mais il nous semble assez douteux :

Vit Havelock et creuet grand.

1 . Robert de Gretham :

E pur iceo k'avezcreù 58 ro

E kil de tuz fust mielz creii. 65 vo

2. Genèse Notre-Dame :

E ceo serra cunte e ceo serra creû. 72 v"

LES t>ARTÎCIPES 500

Le premier et pourrait se supprimer.

Au xiii^ siècle, on ne trouve que trois cas de créa monosyl- labique ; un pour croire : Dialogues Saint Grégoire, 119 a ; deux pour crestre : l'un dans les Évangiles de Robert de Gretham :

Li boscens issi creu esteit. 72 vo

l'autre dans le Saint Auban (288) :

Parcruz ert, trente ans out, kar tant estoit dune d'âge.

Nous trouvons encore au xiv^ siècle un petit nombre d'exemples de synérèse qui nous semblent assurés ; en particulier dans la Chronique de Pierre de Langtoft, les trois exemples que nous con- naissons de ce participe sont monosyllabiques : un pour croire (I, 240, 18) et deux pour croître (I, 240, 12; I, 462, 7).

Par conséquent, pour ces deux verbes, la forme avec diérèse semble s'être conservée plus constamment que pour connaître et que pour les verbes en cevoir . Mais ce peut n'être qu'une appa- rence, et cela provient sans doute du nombre relativement restreint des exemples que nous trouvons.

d) Gésir. Les exemples pour ce verbe sont encore moins fré- quents ; et cependant les terminaisons monosyllabiques sont plus nombreuses que celles qui présentent la diérèse. Mais il ne faut pas attacher à cette prédominance des formes contractées plus d'importance que nous n'en avons reconnu à la prédominance des formes dissyllabiques pour croire et croître .

Voici les formes à diérèse que nous avons relevées : Gaimar en a un cas au vers 2658 ; Sœur Clémence de Barking au vers 1168; le Saint Gilles au vers 1477; Robert de Gretham au folio 69 :

Sil nout à la porte geû ;

et le Saint Auban au vers 859. Ajoutons-y un exemple plus dou- teux que nous relevons dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 140, 12).

De l'autre côté, nous trouvons des formes contractées en nombre un peu plus grand. Adgar en a une (VI, 272) :

U li clers aveit jeu itant.

510 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Le Saint Gilles en a deux : un au vers io6 :

U ilout jeu un an c plus;

l'autre au vers i ii8 :

U la povre femme aveit geu.

Nous en rencontrons encore un autre dans le poème de Saint Edmund (vers 2978) :

En quele maint en aveit giu .

Comme on le voit la synérèse est très fréquemment effectuée pour ce participe passé, même au xiii^ siècle. Nous ne pouvons citer aucun cas de synérèse suffisamment sûr au siècle suivant.

e) Lire. Il est plus extraordinaire de ne rencontrer qu'un tout petit nombre d'exemples pour le participe de lire; ce qui l'explique, c'est le fait qu'au xii^ siècle le participe généralement employé est le participe fort en it, surtout pour les composés de ce verbe, forme qui se trouve encore au xiii^ siècle et au XIV^

Le participe en // de ce verbe montre le plus souvent la diérèse, comme dans la Vie de Saint Grégoire (vers 854); dans les Dia- logues (au folio 75 b) ; deux fois dans les Set Dormans de Chardri (vers 1507, 1545) ; dans Robert de Gretham (au folio 62 v°) ' ; dans le Saint Auban par deux fois (vers 83, 140); le Saint Julien nous en fournit aussi un exemple (au folio 72 v°) ^ ; et aussi la Satire sur le Siècle (84 v°) K Pierre de Langtoft en a lui-même un cas assez sûr (cf. I, 28, 15), et la Vie de Saint Paul de Nicole Bozon un antre assuré (128) :

Ke seint Pol i eut eleû.

La forme monosyllabique se trouve assez fréquemment, quoi- qu'on puisse affirmer qu'elle est moins commune que l'autre ; les mêmes auteurs qui se servent de la forme avec diérèse emploient, le cas échéant, la forme avec synérèse dès le commencement du XIII'' siècle. C'est ainsi que nous trouvons lu dans Frère Angier, Dialogues Saint-Grégoire, 139 a; dans Chardri, Set Dormans, 1532 ; citons ce dernier vers :

1. Robert de Gretham; Kar il esleù les aveit. 62 v».

2. Saint Julien : Ke deus outdelmunde esleù. 72 V.

3. Satire sur le Siècle : Al livre e leù. 84 v°.

LES PARTICIPES 5 II

Ki furent dune crestiens esluz.

On trouve cette même forme aux folios 23 et 23 des Evangiles des Dompnées et encore au vers 312 de la Vie d'Edward le Confesseur :

Eslu es d'Engleterre ret.

Nous rencontrons encore quelques exemples analogues posté- rieurement, nous ne citerons que les deux cas de synérèse que nous montrent les deux exemples de ce participe dans la Vie de Saint Richard de Nicole Bozon (aux vers 62e, 1067) :

La meillurc vie eslu aveit; Le jur ke fut après eslu.

Les deux cas que nous avons relevés dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 302, 10; I, 320, 12), quoique assez sûrs, sont moins significatifs.

On peut donc conclure que dans la grande majorité des cas le participe de lire est monosyllabique après 1250.

f) Foir. Enfin le dernier participe passé qu'il nous reste à examiner dans cette classe est celui du verbe voir : ce verbe diffère de tous ceux que nous avons étudiés jusqu'ici en ce que son prétérit n'est pas un prétérit en ni. Pour ce verbe qui est d'un emploi si commun, lasynérèse se trouve très fréquemment effectuée. Ce n'est pas à dire pour cela que les formes l'hiatus subsiste soient rares; nous en rencontrons au contraire beaucoup pendant les trois siècles de la littérature française d'Angleterre. La première forme à diérèse que nous ayons rencontrée se trouve dans le Brandan : voi'it (au vers 371) ; pendant tout le xii= siècle, elles sont fréquentes; nous pouvons donner les références suivantes : Bestiaire, 194; Gaimar, 262, etc.; Adgar, II, iro; XL, 457 etc. ; Thomas, 397 ; Folie Tristan, 692 ; Drame d'Adam, 894; Fantosme, 167, 572, 720 ; Saint Gilles, 157 ; Guischart de Beauliu, 17, 323, 75 1, 891, en tout neuf fois.

Dans les trois poèmes de Chardri, le nombre de formes dis- syllabiques est considérable : nous en avons relevé quatorze cas ' ;

I . Voici les références des cas de diérèse qu'on peut relever dans Chardri : Josaphat : 564, 758, 1271, 1309, 2070, 2092, 252, 5, 2763. Set Dormans : 124, 196, 1152, 1159, 1465. Petit Plet : 677.

512 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

il en est de même Je Robert de Gretham chez lequel nous n'avons pas pu compter avec une exactitude suffisante tous les cas de dié- rèse ' ; Saint Edmund en a une dizaine d'exemples (vers 695, loii, 1409 -). Ils sont presque aussi communs dans le poème de Saint Julien' ; la Plainte d'Amour en a un exemple seulement, au vers 158 +, et le Roman des Romans, un autre, au vers 249'. Citons encore le vers 1341 d'Edward le Confesseur^, et les quatre exemples assurés de Saint Auban <; Aspremont au vers 7, Sardenai au vers 353, en présentent chacun un exemple. Avant de sortir du XIII* siècle, citons le cas de diérèse que l'on trouve au folio 84 de la Satire sur le Siècle ^ et deux exemples assurés que l'on trouve dans William de Waddington ^ aux vers 501, 2321 ; celui qu'on lit dans Deu le Omnipotent, 36 c'°.

Les cas de diérèse que nous trouvons au xiV^ siècle ne sont que rarement indiscutables, cependant, pour voir, nous avons la chance d'en rencontrer plusieurs qui le sont. On en trouve un dans l'Apo- calypse au vers 606 de .3 et v, et peut-être au vers 71 d'à; le Siège de Carlaverok nous en fournit un autre au vers 68 ; la Bounté

1 . Robert de Gretham : Frère, fet il, as rien veû ? 27 vo

Bels frère, as rien plus veù ?

E n'out la richesce veù , 69 r"

Car si Lazare n'out ceo veû.

Mes pur ceo qu'il out ainz veû. 70 v

Al lit ke Pol aveit veû. 112 ro

2. Saint Edmund ; Segnurs, suvent avez veû. 695

Ki plus out e veù. loii

Kal tierz jor unt Frise veû. 1409

3. Saint Julien ; Tant cum Deu pur\-eû ly a. 71 ro

Kele ne pout estre veûe . 73

Mes kant il ert issi veû . 79

4. Plainte d'Amour : Ussez veû avant ceo jor. 158

5. Roman des Romans : Si avons ja asquanz veû. 249

6. Edward le Confesseur : Quand a ceo veû trestut l'ost, 1 341

7. Saint Auban : Or l'unt veû tut seint, du cors renuvelé. 984

Quant unt veû Aracle ke Dieu out regardé. 98e Ben unt paen les angles veû e eschoisi. 1069

Tele nuvele en terre ne fu une mes veû. 1 390

8. Satire sur le Siècle : De muz ai veû. 84 ro

9. William de Waddington : 501, 232.

10. Deu le Omnipotent: Fu veû de la gent. 36 c

LES PARTICIPES 513

des Femmes de Bozon, un quatrième au vers io8 ; la Vie de Saint Richard et celle de Saint Paul, du même auteur, en montrent quatre '; le Prince Noir, pour sa part, nous en montre deux aux vers 1887, 1888, et la Chronique de Pierre de Langtoft en a au moins trois (I, 23e, 6 ; I, i86, 13 ; I, 474, 11).

Comme on a pu le voir, aucun autre verbe ayant un participe passé en // ne nous offre des matériaux aussi abondants que le verbe voir ; nous avons pu citer un nombre assez considérable d'exemples, et nous ne prétendons pas avoir épuisé la liste de ceux que l'on pouvait citer.

Nous allons passer maintenant aux cas de synérèse pour ce par- ticipe, et ils pourraient paraître, si on les comparait à ceux des autres verbes, fort nombreux, mais cette impression ne subsistera pas si on garde en mémoire le nombre total des cas ce parti- cipe est employé.

On trouve la forme contracte veii, dès le commencement du xii^ siècle ; Gaimar nous en donne le premier un exemple (au vers 1447) :

Par tote Bretaigne fu veu ;

On serait d'autant plus tenté d'essayer de corriger ce vers que c'est le seul exemple de synérèse au participe passé que nous trou- vions chez Gaimar ; on pourrait peut-être ne pas compter Ve final de Bretaigne, mais il semble bien que Gaimar compte ordinaire- ment avec la plus grande régularité Ve muet final.

Du reste on trouve un autre cas de synérèse dans Thomas au vers 20 :

Li rois a veu quanque avon fait.

Les exemples précédents mettent hors de doute l'existence de la forme à synérèse au commencement de la seconde moitié du xii= siècle. Nous trouvons évidemment des exemples analogues dans les auteurs qui suivent :

I. Nous allons citer ces quatre exemples :

Despuliee e despurveûe, Saint Richard, 252 ;

Seint Pol ke tut veu aveit, Saint Paul, 71 ;

Unkes mes n'eut un tel vcù, 120 ;

Kar après kaunt il aveu, 241.

33

514 l'évolution du verbe E\' anglo-prançais

Fantosme nous montre le vers suivant la synérèse a certaine- ment lieu (618) :

Dcsque vus aie/, la cite vcu alumer ;

Il est encore probable que nous avons un exemple de synérèse dans ce vers d'Adgar (VR, 211) , qui a de toutes façons une syl- labe de trop :

Plus apert miracle ne fu veu.

Évidemment le nombre des synérèses ne peut être que plus con- sidérable au xiii^ siècle. Chardri en a quelques cas, quatre ou cinq, comparés aux quatorze cas de diérèse : ces quelques cas se trouvent dans le Josaphat (au vers 2087, et peut-être 1923), dans les Set Dormans (au vers 658), dans le Petit Plet (au vers 689). Voici ces vers :

Quant les deables aveint veu (a-vei-ent veu ? a-veint ve-u ?)

Tant pensa de ceo kil out veu.

Marfu veue lur bel juvente.

Jan'eit tant ne tant veu.

On peut citer deux exemples tirés du Saint Edmund (vers 74, 1301):

Avum bien veu que ceo est veyr.

(lire : veu que c'est...?)

En ordre dist, cum veu aveit.

Dans le même folio de Robert de Gretham, 10 v°, nous rele- vons deux exemples de cette forme monosyllabique, exemples qui ne sont pas douteux.

Le Saint Julien en est au même point, et la synérèse se fait dans les deux vers suivants, tirés respectivement des folios 75 et 76 :

Tel n'aveit il une veu avant. Car autre fez vus ay je veu.

Nous passerons plus rapidement sur les cas de synérèse que nous rencontrons par la suite. Nous en avons relevé un dans Edward le Confesseur (au vers 355); le Saint Auban nous en pré-

LES PARTICIPES 515

sente un plus grand nombre, au moins quatre Çd. les vers 323, 541, 849, 1835). Dans le Manuel des Péchés de William de Wad- dington les exemples sont encore plus communs : on en rencontre aux vers 1665, ^944j 3^97, et dans un poème aussi court que l'Ordre de Bel Eyse, on en'trouve au moins deux (vers 53 et 226). Les exemples assurés de la forme moderne ne peuvent donc pas être rares au xiV siècle; la Chronique de Pierre de Langtoft nous en montre au moins trois (cf. I, 28, 16; I, 236, 12; I, 462, 4). Nicole Bozon en a un dans ses Vies de Saints (94 v°) et pas moins de quatre dans sa Vie de Saint Richard (aux vers 215, 281, 460, 1119):

Lequel sans custume aveit veu : Kar Dieu issi purveu l'aveit ; K'enuingt, cum out purveu, serreit ; L'église de cel ke n'est pas veue.

Enfin le Poème du Prince Noir nous montre la synérèse faite aux vers 2586, 3092.

Comme on le voit, le nombre des cas de synérèse est considé- rable pendant le xiv'' siècle et, dans certains auteurs au moins, la forme moderne se rencontre plus fréquemment que la forme étymo- logique. Partout elle a gagné du terrain, inégalement mais d'une façon indéniable. Cependant il n'est pas possible de marquer avec préci- sion les gains de la forme avec synérèse, et les généralisations sont ici plus dangereuses que partout ailleurs. L'usage peut varier d'un auteur à l'autre et même d'un ouvrage à l'autre pour un même auteur. Nous en avons une preuve remarquable dans deux poèmes de Nicole Bozon : la Vie de Saint Richard nous montre un cas de diérèse et quatre cas de synérèse ; au contraire, la Vie de Saint Paul a trois cas de diérèse et pas une seule synérèse. Et cette diffé- rence se retrouve pour toutes les autres formes nous présentant la même question de l'hiatus.

Aussi, nous ne tenterons pas d'être trop précis, et nous conclu- rons simplement que les formes à synérèse sont devenues, d'une façon générale et sauf exceptions, les plus communes à partir de 1275.

Arester prend rarement la forme à diérèse : le seul cas que nous connaissions se lit dans l'Ipomédon (vers 3578) :

5i6 l'évolution du verbe en anglo-français

Suz en l'eor s'est aresteùz Sa forme ordinaire est arestu ou aresté.

conclusion sur les participes en u de la troisième classe

Si maintenant nous rapprochons tous les résultats auxquels nous sommes arrivés, dans la trop longue étude que nous avons consa- crée aux participes de la troisième classe, nous voyons que tous ont plusieurs traits communs.

1. C'est vers le temps d'Adgar que les formes à synérèse font leur apparition pour la plupart des participes de cette classe.

2. La forme à hiatus reste pendant un certain temps la forme que ces participes prennent le plus ordinairement.

3. Dans la seconde moitié du xiir siècle, vers l'époque du Saint Auban, les formes contractes deviennent à peu près aussi répan- dues que les formes à diérèse, au moins pour certains verbes.

4. Pendant le xiv^ siècle, les deux formes se retrouvent encore, mais la forme contracte est peut-être la plus commune, pour les mêmes participes.

résultats généraux

L'on a pu voir que, en anglo-français, les trois classes de parti- cipes en u n'ont pas été traitées de la même façon, c'est pour cette raison que nous nous sommes vus obligés de prendre séparément chacune des trois classes. La première remarque que l'on puisse faire, c'est que la synérèse a atteint les verbes de la troisième classe un temps notable avant ceux des autres classes.

La troisième classe montre un certain nombre de cas de synérèse dès le milieu du xii^ siècle ; la seconde classe pendant la seconde partie du même siècle (Jordan Fantosme ? certainement Horn). Tandis que la première n'est vraiment atteinte par la synérèse que pendant le xiii^ siècle, à l'exception peut-être du participe passé d'avoir.

On peut aussi remarquer que tous les verbes de la troisième classe évoluent ensemble ; c'est à peu près à la même époque qu'ils subissent la contraction ; au contraire, il y a entre les verbes des

LES PARTICIPES 517

deux autres classes des différences marquées ; autant que nous pou- vons en juger par les exemples que nous avons relevés dans la première par exemple, le participe passé d'avoir prend la forme moderne beaucoup plus tôt que les autres verbes de sa classe ; dans la seconde, au contraire, le participe passé de devoir restera dis- syllabique plus régulièrement que n'importe quel autre verbe. Cela tient surtout à la fréquence de l'emploi de chacun de ces parti- cipes. Ceux de la troisième classe se rencontrent presque aussi couramment les uns que les autres : connaître, recevoir, voir sont très usuels, et par conséquent, ne tardent pas à prendre et prennent en même temps la forme abrégée. Au contraire, les verbes des autres classes sont plus hétéroclites; quelques verbes se trouvent rarement employés au participe passé et ce sont ceux-là qui, justement, gardent leur forme étymologique le plus longtemps.

On ne s'attend peut-être pas à rencontrer des cas bien évidents de synérèse en dehors des ouvrages en vers ; et il est très certain que, en dehors de la littérature, les cas l'hiatus est évidemment conservé sont rares et difficiles à reconnaître ; cependant nous en trouvons plusieurs ils subsistent indubitablement.

Les terminaisons en ezu, qui sont, comme nous l'avons montré plus haut, relativement fréquentes, peuvent nous laisser des doutes; nous somme cependant portés à croire que piirvewe dans les Statutes (1283, 153), m'^(ibid., 1350, I, 312); /m'e dans les Parliamentar}' Writs (13 18, II, 84) nous offrent, sinon des cas de diérèse, tout au moins des exemples la voyelle du radical a subsisté ; ces formes nous semblent fort difficiles à expliquer phoniquement et comme cela n'est pas de notre ressort, nous n'en dirons pas davan- tage.

Une difficulté analogue nous attend si nous voulons nous rendre compte de la valeur de la graphie ieu ou in : faut-il considérer mieut:(, Statutes (1330, I, 267), comme un monosyllabe qui se serait prononcé comme l'adverbe ou comme un dissyllabe ? Nous n'avons aucun élément qui nous permette de former une opinion qui présente quelque certitude ; il nous semble possible que cet / puisse s'expliquer par une transformation de Ve en hiatus, phéno- mène commun en anglo-français (on trouve déjà criaiure dans le Drame d'Adam, vers 91); cet / a avoir tout d'abord une valeur syllabique ; il est probable qu'il n'a pas tardé à prendre la valeur

5i8 l'évolution du verbe en anglo-françals

d'une consonne. Mais la première condition pour que ce change- ment se soit produit est que la synérèse n'ait pas encore eu lieu avant l'apparition de 1'/ ; donc les cas de diérèse ont certainement être la règle immédiatement avant l'apparition de cette désinence et peut-être pendant les premiers temps de son emploi. Or, comme nous l'avons déjà vu, nous ne trouvons guère d'exemples de cette terminaison avant le milieu du xiv^ siècle; ces formes suffiraient donc à nous prouver que les cas de diérèse ont été communs au moins jusqu'à cette époque, à moins que, comme nous le dirons plus tard, ces participes en ien ne soient des formes d'emprunt.

Les considérations auxquelles nous venons de nous livrer appar- tiennent plus ou moins au domaine de la conjecture; nous trouvons, en dehors des œuvres littéraires, des données plus soUdes pour affirmer que l'hiatus s'est maintenu dans un certain nombre de cas jusqu'aux dernières années du xiv^ siècle.

Quelquefois nous trouvons un doublement de la voyelle du thème :vemœ dans le Liber Rubeus de Scaccario (1300, I, 55); cheeu da.ns Rymer (1328, FV, 354), peut-être duwe dans les Sta- tutes (1275, I, 28); dans les Early Statutes of Ireland (1285, 52), dans les Mem. Pari. (1305, § 125), etc., peut-être aussi parjuwes dans les Annales Londonienses (1330, 63).

Ailleurs une h est écrite entre la désinence et le thème et cette graphie est très fréquente ; par exemple receheu se lit dans Rymer (1294, 11,619); ^^^'^ (ibid., 1358, VI, 96; 1375, VII, 71), Febu est employé dans les Documents Inédits (1362, 157). Ailleurs encore c'est une autre consonne qui empêche l'hiatus : recei'ii dans Rymer (1297, II, 788).

Tous ces exemples nous montrent que jusque vers la fin du xiv^ siècle, l'hiatus subsistait dans un certain nombre de cas; dans d'autres, il était évité par d'autres moyens que par la syné- rèse : introduction d'une consonne, ou changement de la termi- naison en une consonne, ce dernier cas restant purement conjec- tural.

RÉSUMÉ

La synérèse se trouve pour la première fois pour les verbes sui- vants :

Avoir

Pouvoir

Pestre

Savoir

Taire

LES PARTICIPES

Première classe.

519

dans Adgar (11 60).

au xiv^ siècle.

au xiv^ siècle.

dans Saint Edmundet Saint Auban (?) (1230).

au xiv^ siècle.

Mouvoir

Boire

Devoir

Deuxième classe.

dans Horn (?), Saint Auban (?) (1170), dans Jordan Fantosme, Horn (1170). au xiv-" siècle.

^^erbes en cevoir Connaître Croire Croître

Gésir

Lire

Voir

Troisième classe.

dans Adgar (i 160).

dans Adgar (11 60).

dans Dialogues Saint Grégoire (12 14).

dans Havelok (?) (1150) et Robert de Gre-

tham (1230). dans Adgar (i 160). dans Dialogues Saint Grégoire (12 14). dans Gaimar (?) (11 50) et Thomas (1160).

II. Participes passés forts.

Nous distinguons les participes passés forts en deux classes : les forts en sinn, les forts en ium.

a) Participes forts en suin.

Les participes forts en siim sont restés très réguliers et se sont bien maintenus ; c'est ainsi qu'on rencontre aux xii^ et xiii^ siècles les vieilles formes encore employées pour un certain nombre de ces participes. Quelques-unes cependant deviennent rares et tendent à disparaître; nous avons vu dans les pages précédentes plusieurs par- ticipes qui perdent leur forme étymologique pour prendre la forme faible en e, en /, ou en m.

520 L F.VOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Certains participes présentent même les deux formes côte à côte, comme soldre, qui à côté de soin que nous avons vu, a donné sous dans les Dialogues Saint Grégoire (48 v" b); ce dernier du reste est très rare et nous n'en avons relevé que cet exemple. De mhvnQ reines se trouve constamment dans tous les textes du xii^ siècle, et, moins souvent^ il est vrai, au xiii% comme au vers 2800 du Dermod il rime avec detres, au vers 147 du Saint Auban, etc., à côté de remansu. Il y a aussi d'autres verbes qui tendent plutôt à disparaître qu'à adopter une forme nouvelle ; parmi ces formes qui ne se ren- contrent plus que rarement, nous pouvons citer : estors que l'on ne retrouve plus que chez Frère Angier à la rime avec misericors au vers 1036 de la Vie de Saint Grégoire. Escons est un peu plus com- mun ; on le trouve d'abord chez Angier, dans la Vie de Saint Gré- goire (au vers 1126), puis dans les Dialogues (22 b); et sous la forme escu^^ à la rime avec tuz au vers 310 de William de Wadding- ton. Aers est rare ; mais on le trouve très tard, par exemple à la page 22 du Dite de Hosebondrie de Walter de Henley.

La consonne. Sous l'influence de leur prétérit et surtout des participes forts en tnm, certains participes en suni prennent un / après l'j comme /)m/ au vers 2895 ^^ Gaimar, dans les quatre mss., arst au vers 983 de Horn, et surmist dans les Documents Inédits (1382, 230). Nous ne pouvons considérer ces formes que comme de véritables fautes d'orthographe des scribes.

Un s'est, déjà dans le Psautier d'Oxford, introduite dans repos, (repostum), par exemple repiins (68, 7) ; cependant les formes sans n y sont encore les plus nombreuses (37, 9 ; 43, 27 Cr. donne une «; 138, 4). Il en est de même dans le Psautier de Cambridge dans lequel n n'est écrite qu'une fois sur huit. Gaimar, ou le scribe, l'écrit toujours, mais fait rimer le participe avec us : respons (: sur- plus) (3238); désormais cette n se rencontrera très souvent, mais son emploi demeurera très variable; certains auteurs l'emploieront à l'occasion ; d'autres, comme le traducteur des Quatre Livres des Rois, l'ignoreront.

Ce n'est que plus tard que nous voyons une n ajoutée au parti- cipe passé de prendre, et encore cette forme reste exceptionnelle et ne se rencontre que dans certains recueils non littéraires; nous avons trouvé prins dans les Traités de Rymer aux endroits suivants : 135I5 ^} 717; 1390, VII, 689; 1394, VII, 779. Cette forme est très rare en anglo-français.

LES PARTICIPES 521

La voyelle. H y a un certain nombre de remarques à faire sur la voyelle ou la diphtongue qui précède Vs dans les participes en siim.

Remes (remansum) hésite entre la forme purement française e et la forme anglo-française / ; e est plus commun et est seul pendant un temps assez long attesté par la rime ; nous avons en effet dans Gaimar remes (: clefs) au vers 2715 ; (: nefs) au vers 501 et au vers 3424; il rime avec Deus au vers 3604. Nous en avons aussi plu- sieurs exemples dans les deux poèmes de Hue de Rotelande.

Mêm.e à la fin du xii* siècle, la forme en e est encore employée à la rime, par exemple dans Guischart de Beauliu au vers 400.

Au xiii^ siècle, dans Dermod, on trouve encore une rime ana- logue : remes (: detres). Dans une œuvre en prose, les Quatre Livres des Rois, les deux formes mes (III, 3, 17), remis (II, 14, 7) sont encore en usage.

Remis se rencontre pourtant et assez fréquemment dans certains auteurs du xii^ siècle ; mais cette forme n'est jamais attestée ; c'est toujours dans le corps du vers qu'on la trouve, comme dans l'Estorie au vers 317 (le scribe du ms. R (fin du xii^ ou commen- cement du xiii^ siècle) l'affectionne particulièrement), ou au vers 1906 de Horn (ms. O). La première rime que nous ayons trouvée se lit dans le Saint Auban au vers 147 : requis (: pris).

Si nous attribuons aux scribes les exemples que nous donnent l'Estorie des Engleis et Horn, nous voyons que nous ne pouvons pas faire remonter la forme en / plus haut que les Quatre Livres des Rois (1170) et il est possible que les auteurs n'aient adopté cette forme que quelque temps après les scribes.

Cet / de remis n'arrive donc qu'assez tard dans la littérature anglo-française ; quelque temps après que cet / déplace Ye étymolo- gique, on voit se produire le phénomène contraire dans le participe passé du verbe quérir. L'i de quis en effet y fait place à la diph- tongue ei, qui naturellement passe à la voyelle e. Dans Dermod nous trouvons en effet quels rimant (au vers 2973) avec mais, mois (imprimé moins) ; et dans Wil. Rishanger ce même participe est écrit ques (cf. p. 281). Cette dernière forme se retrouve encore dans Rymer : reques (1358, VI, 98 et passim). Ceci, dans la langue politique, se produit encore pour d'autres verbes; citons ^;c:^ pour pris dans les Early Statutes of Ireland (1285, 54); )>iel:( pour mis dans le même recueil (1320, 84).

522 l'Évolution du verbe en anglo-français

Comme pour les participes en e, il n'est pas rare de voir la voyelle du thème redoublée ou renforcée. Ceci n'arrive guère dans la langue littéraire; mais nous avons relevé plusieurs exemples de ce phénomène dans les textes politiques et familiers. Citons seulement rees (rasum), dans les Statutes (1330, I, 265), et aussi excloes, Literae Cantuarienses (1331, 381).

acquisitions

Dans les ouvrage non littéraires, la classe des participes en sum s'est augmentée de plusieurs acquisitions ou nouvelles formations, et quelques-unes de celles-ci sont fort intéressantes. Nous trouvons par exemple les formes suivantes: expresse dans les Statutes (1323, I, 191); oppresse (1346, I, 304). Dans le même recueil on trouve encore aw/îÉ'x (1328, I, 260; 1335, I, 277; 1340, I, 284), de même que dans les Parliamentar}'^ Writs(i3i4, II, 118); on trouve ce mot surtout employé comme adjectif. Les deux formes deUbers et àelivers se rencontrent aussi fréquemment dans différents recueils, par exemple dans les Rymer's Foedera (cf. 13 18, III, 724; 1346, V, 812; 1357, VI, 781), dans les Statutes (1330, I, 268), sur- tout dans les Year Books (30 Edw. I", 195 et passim ; 33 et 35 Edw. II, 54, 82). Disais est commun ; on le rencontre dans les Sta- tutes (1351, I, 288; 1389, II, 61, etc.); dans les Year Books (2 et 3 Edw. II, 44; 14 Edw. III, 23 ; 17 et 18 Edw. III, 105, 107, 235, etc.).

Nous trouvons encore dans les Statutes: ordein^ (i379j Hj 114) et dans les Documents Inédits : compuls (1380, 219).

/;) Participes forts en turu.

Avant d'étudier en détail les différentes classes de participes, nous pouvons dire quelques mots d'une question qui intéresse au moins certains d'entre eux : la réduction de l'hiatus qui existe entre la voyelle du thème et celle de la terminaison. Trois participes passés en tum présentent à l'origine un hiatus : bénir, maudire et raembre. Benedeit et maledeit ont suivi dans leur développement deux lignes parallèles, et il est intéressant de marquer les différentes étapes par ont passé ces deux participes.

LES PARTICIPES 523

La forme originale avec dentale se rencontre dans les Psautiers d'Oxford (112, 2) et de Cambridge (17, 47); elle peut provenir du traducteur lui-même des Psautiers (iiio ?).

Dans ce dernier Psautier, on voit la dentale s'adoucir et prendre sinon le son, au moins la graphie //; : benêt heit (27, 6). Il ne fau- drait pas croire qu'à cette époque on ne connaissait que la forme avec dentale ; l'autre est au contraire plus commune {beneeit dans le Psautier d'Oxford, 9, 24 ; dans le Psautier de Cambridge, 36, 22 ; dans le Psautier d'Arundel, 17, 49); même, ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que les trois Psautiers connaissent déjà la forme dans laquelle la synérèse s'est effectuée : heneit se trouve en effet dans le Psautier d'Oxford O^, 20), dans le Psautier de Cam- bridge (40, 12), dans le Psautier d'Arundel (9, 21). Voici donc trois ouvrages qui contiennent toutes les formes essentielles que ce participe devait prendre.

La forme présentant la contraction sera désormais la plus fré- quente ; on la trouve dans Gaimar à la rime du vers 1202 : hene^ elle est assurée par la mesure du vers (D, L et H donnent beneit) ; dans Adgar (XV, 2); dans les Quatre Livres des Rois (II, 2, 5); et dans plusieurs autres écrivains du xii^ siècle. Nous trouvons postérieurement à ces exemples un nombre considérable de formes contractées dans le Saint Edmund (2855), ^^^^^ la Vie de Saint Grégoire (2140), dans Saint Auban (270), dans les Heures de la Vierge (59 v), etc.

Nous ne citerons que quelques exemples pour maudire qui suit aussi exactement que possible la même voie que bénir.

On trouve la dentale et la forme trissyllabique dans les Psautiers d'Oxford et de Cambridge (36, 22); peut-être au vers 1287 du Tristan de Thomas, certainement dans le Drame d'Adam (434).

La forme contracte se trouve dans le Psautier de Cambridge (36, 22) (B); dans la Folie Tristan au vers 58 (le ms. donne malete que M. Bédier a changé en màlditè) ; dans le Drame d'Adam (aux vers 473, 737, 429). MaJdit se rencontre pour la première fois dans la Folie aux vers 585, 587.

A côté de la forme étymologique, nous trouvons donc, même au xii= siècle, des exemples peu assurés, il est vrai, de la forme analogique pour le participe passé de maudire.

Nous ne relevons malheureusement pas le même nombre

524 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

d'exemples pour le participe passé du verbe raembre ; les rensei- gnements que nous avons sont donc rares et clairsemés, aussi nous n'en dirons pas grand'chose. La diérèse a subsister pendant une bonne partie du xii'' siècle ; nous trouvons un exemple de la forme dissyllabique dans la Vie de Saint Gilles (au vers 3644), on trouve reient à la rime avec vient. Au commencement du siècle sui- vant, nous avons des exemples qui nous montrent que la synérèse s'est effectuée, d'abord dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1468) reinte rime avec seinte ; puis dans les Heures de la Vierge (au folio 62 r°) qui nous donnent la rime reint : seint.

Les formes.

Nous devons diviser ces participes en plusieurs classes, suivant la lettre qui précède les consonnes de la désinence. Ces lettres peuvent être :

1. La voyelle a-,

2. La voyelle i (J bref) ;

3. La voyelle ?/ (m bref);

4. La consonne c;

5. La consonne /;

6. La consonne p ;

7. La consonne r.

Quelques-unes de ces classes seulement nous offriront des obser- vations valant la peine d'être faites.

I. Participes passés en atum (natum).

Le seul participe fort de cette classe est natum : né. Nous ne rap- pellerons pas les formes faibles qu'il peut prendre (nasqui, naessu, cf. supra). La forme forte est de beaucoup la plus usuelle, et on en trouve des exemples dans chacun de nos auteurs ; nous ne ferons donc pas la liste des exemples que l'on peut relever. Nous remar- quons que dans la langue non littéraire 1'^ du radical est souvent redoublé ; nous l'avons déjà fait observer, dans notre étude des par- ticipes passés faibles en é.

LES t>ARTICIPES 5^5

2. Participes passés en itum.

Les participes passés de cette classe sont très peu nombreux et ils ne nous offrent que de rares exemples en anglo-français. Ils semblent avoir été sentis comme archaïques dès les premiers temps de l'anglo-français. Nous trouvons dans la Vie de Saint Grégoire de Frère Angier prientes, qui conserve Vn de l'infinitif, tandis que cette n disparaît dans repost, qui rime avec host au vers 2617 du Saint Edmund.

3. Participes passés en uttim.

Nous n'avons rien de spécial à dire sur ces participes ; les obser- vations générales que nous venons de faire pour les participes passés en itum s'appliquent également bien ici.

4. Participes passés en ctum '.

De tous les participes forts en tum, les participes passés pour les- quels cette terminaison est précédée de c sont à la fois les plus nombreux, les plus importants et les plus intéressants. Nous pou- vons remarquer avant de commencer que ces participes se sont fort bien conservés en anglo-français et que nous n'aurons à faire sur leur forme que très peu d'observations.

2i) La consonne finale. Comme toutes les autres formes du verbe terminées par une dentale, même appuyée, on les voit perdre quelquefois leur / final ; cette chute de la dentale est assurée pour la première moitié du xiii^ siècle; car nous en trouvons un exemple à la rime dans Boeve de Haumtone : dis, qui se lit au vers 84. Au siècle suivant, nous rencontrons encore d'autres exemples assurés de la même façon : maidye se trouve à la rime dans une laisse en ie dans la Chronique de Pierre de Langtoft (cf. I, 390, 10), et on voit esly rimer avec lundy au vers 2238 du Poème du Prince Noir.

Les exemples qui se trouvent dans le corps du vers sont évidem-

I. Pour les participes en é"//, on peut voir Foerster, Zeitsclirift III, p. io6;Mussa- fia, Zeitschrift III, p. 267.

5 26 l'évolution du verbe en anglo-français

ment plus nombreux, mais nous ne savons jamais à quelle date les rapporter. Aussi nous n'en citerons que quelques-uns, comme le bene qu'on lit au vers 270 de la Plainte d'Amour; le coJly qui se trouve dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 460, 23), et dans un ouvrage en prose : escondu, au § 121 des Contes de Nicole Bozon .

Nous avons même rencontré un exemple, isolé du reste, qui nous montre la dentale passant à la spirante douce : assouthe (Year Book 33 et 35 Edw. P', 105).

La chute du / final est assez rare dans les textes non littéraires, et on n'en trouve d'exemple que dans les recueils les moins cor- rects; les Statutes par exemple n'en présentent aucun cas; on trouve dans Rymer destrue{i^26, IV, 236) et treie (1340, IV, 182); nous ne pouvons pas établir la valeur de cet e final.

L'exemple du Year Book 22 Edw. I" : dedey pour dédit, p. 139, est moins douteux et se rapproche des quelques exemples que nous avons trouvés dans les œuvres littéraires, mais il est isolé.

Il nous semble qu'on peut considérer comme des cas de chute du t, les exemples qui, aux xiii^ et xiv^ siècles, présentent un simple ~ comme consonne finale ; en ce cas, la liste s'allonge sensiblement, et les Statutes même nous offrent quelques exemples : fe~ (1275, I, 26) ; constrein- (1383, II, 32); tree:;^ (i377, I, 115); sustre^ (1386, II, 40) ; on en trouve aussi dans Rymer, comme dii~ (1307,111, 13, etc.), et un certain nombre d'exemples que nous verrons tout à l'heure.

Lorsque le / post-vocalique ne tombe pas, on le trouve ordinai- rement appuyé, soit par s, comme dans dist, Boeve(3i) la rime); dans fest qui se lit à la rime du vers 197 de la Vie de Saint Osith et est, en dehors de la littérature, très commun, surtout dans les Literae Cantuarienses (cf. 1333, 524); et dans un très grand nombre d'autres recueils. C'est du reste un phénomène phonique assez général.

Plus souvent encore le t est appuyé par un r, comme dans dict, Statutes (1377, II, 2) ; faict dans Rymer (1389, VII, 634 ; 1396, VII, 689); on relève encore dans ce dernier recueil deduct (1363, VI, 447; 1390, VII, 6j6); retract (1394. VII, 772). . On lit aussi induct dans le Year Book 14 Edw. II, 220; instruct (ibid., p. 131), etc.

LES PARTICIPES 527

De plus toutes ou presque toutes les nouvelles formations montrent ce c, comme nous le verrons tout à l'heure.

Toutefois on peut dire que dans lès ouvrages non littéraires, les participes réguliers montrent le plus souvent la consonne double tX^'y nous avons déjà eu l'occasion de remarquer cette terminaison dans les participes passés en é, en / et en a ; mais c'est dans cette classe de participes qui nous occupe maintenant qu'on voit cette consonne le plus régulièrement. Les Statutes nous en fournissent une liste considérable d'exemples et nous allons en donner un tout petit nombre : atteint:;^ à la date de 1275 (I, 27); destreinti au même endroit et à la même date; feet:^, dil::^, atteint^ à l'année 1278 (I, 44) ; ^('5/n/i;;; (13 11, I, 161); destrent^, mtmt date (p. 166); /a//:^(i323, I, 191). Après cette date, les exemples continuent à se rencontrer, mais nous n'en citerons pas davantage maintenant.

Les autres recueils, s'ils ne fournissent pas un aussi grand nombre de cas que les Statutes, nous montrent cependant que cette termi- naison était au moins commune partout ; par exemple nous trou- vons dans les Munimenta Academica Oxon, destruil^ (1348^ i59)i il en est de même dans Rymer, dans le Liber Albus, dans les Lite- rae Cantuarienses; cette forme est commune dans tous ces recueils et nous en trouverons un nombre suffisant d'exemples un peu plus tard, lorsque nous énumérerons les nouveaux participes en ctum.

b) La voyelle. La voyelle accentuée subit quelques modifica- tions, dont quelques-unes sont simplement des changements phoné- tiques qui ne sont pas particuliers aux participes passés en ctum, et d'autres qui le sont. Nous ne nous arrêterons pas sur les premiers.

I. Les participes passés qui montrent la voyelle /subissent quelques changements de peu d'importance, et ces changements sont tous exceptionnels. Les formes régulières sont toujours les plus nom- breuses, comme parfit qui se rencontre régulièrement à peu près partout, jusqu'au xiv= siècle (cf. dans la Chronique de Pierre de Langtoft, I, 234, II).

On peut toutefois signaler la forme analogique parfaite qui se trouve dans les Psautiers d'Oxford (v, 4) (Cr. donne parfite).

Il est rare de trouver la diphtongue oi; c'est dans Rymer que nous trouvons la forme curieusement régulière, mais malheureu- sement isolée, doit (= dictum) (1373, VII, 23); on peut cepen-

528 l'évolution du verUe en anglo-français

dant la rapprocher de ckdcy (22 Edw. I", 519), dont elle procède phonétiquement.

2. La diphtongue ni. La diphtongue /// subit la réduction à 11, comme il est naturel ; le premier exemple assuré que nous ayons de cette réduction se trouve dans la Vie de Saint Grégoire qui nous donne la rime importante condti:^ : retenu:^ au vers 1976; les ter- minaisons en u sont nombreuses, mais les rimes rares ; citons seulement dans Pierre de Langtoft : desfrute (: lute) (I, 2, 8).

Ces formes sont très fréquentes dans les ouvrages non litté- raires; ce sont même les plus communes pour cette classe de parti- cipes.

3. La diphtongue m'. Cette diphtongue dans la langue litté- raire passe à et, e et c'est le seul changement que nous trouvions à signaler ; /<'/ est des plus communs ; cette modification, qu'on remarque aussi dans les recueils de textes politiques, etc., est pure- ment phonique.

En dehors de la littérature, nous trouvons un assez grand nombre de variations sur lesquelles il nous faut nous arrêter un peu plus.

Quelques-unes ont pour point de départ la forme quia la voyelle e: par exemple celles qui nous montrent le redoublement de cette voyelle : feet:;;^, assez fréquent dans les Statutes (1278, I, 44; 13 18, I, 177); retree^ dans le Liber Albus (1334, 420); attreet dans les Year Books, par exemple 13 et 14 Edw. III la page 295), et dans plusieurs autres cas encore. Nous rattacherons à la forme en e ou en ee celle qui nous montre la diphtongue ; celle-ci s'est pro- duite au moment cette diphtongue revenait de nouveau en honneur en anglo-français. Citons triet^ que nous lisons à la date de 1299 dans les Parliamentary Writs (I, 3 19).

La voyelle / pour le verbe faire est des plus rares, et les quelques exemples de Jit(e) que nous avons relevés, comme dans les Annales de Burton (1255, p. 455), pourraient bien n'être que des erreurs matérielles des scribes.

Nous parlerons enfin et en dernier lieu d'une forme de cette diphtongue qui est très importante et assez commune ; nous avons déjà eu l'occasion de citer des formes analogues à propos de l'infi- nitif. La diphtongue dans les participes passés qui nous occupent prend parfois la forme m. Feat, qui devait du reste passer dans l'an-

Les participes 5:29

glais sous cette forme même, se rencontre fréquemment à partir de la fin du xiii^ siècle ; on en trouve des exemples dans les œuvres littéraires^ mais les textes politiques et autres nous en ont fourni le nombre le plus considérable. Le cas le plus ancien que nous con- naissions se rencontre dans les Parliamentary Writs sous la date de 1299 (I, 393) et se trouve par la suite dans un grand nombre de textes; signalons aussi cette forme dans les différents Year Books (cf. II et 12 Edw. III, p. 415). Le verbe traire a lui aussi un par- ticipe de la même forme : treat se trouve au xiV siècle, par exemple dans le Liber Albus (1345,1, 389).

Feait, que nous avons rencontré dans les Documents Inédits, nous paraît une contamination entre la forme normale et celle que nous venons de citer. L'origine de ces formes nous semble d'ailleurs assez obscure ; elles ne sont que des modifications du participe passé étymologique ou, comme nous le suggérons, sans trop y croire, dans notre seconde partie, des formes d'emprunt, ce qui est assez peu vraisemblable.

4. Des phénomènes semblables peuvent s'observer pour les parti- cipes forts dont le thème présente la diphtongue eL Cette diph- tongue est la règle tout d'abord, et elle reste longtemps attestée par les rimes ; par exemple nous lisons dans Robert de Gretham : traeit (: esteit) au folio 68 v°; le même participe rime avec coveit au vers 539 du Roman des Romans.

Cette diphtongue est quelquefois remplacée par la diphtongue ai ; mais ce changement ne doit pas remonter plus haut que le commencement du xiii^ siècle. Ainsi la forme cheaitc, qu'on lit au vers 318 du Drame d'Adam, doit être attribuée au scribe.

Car ce n'est que dans la Vie de Saint Grégoire que nous trouvons cette diphtongue attestée pour la première fois par une rime; benaite y rime avec faite au vers 2140, et nous devons ajouter que cette forme reste toujours assez rare. La rime ne prouve du reste pas grand'chose puisqu'à cette époque les deux diphtongues s'étaient déjà confondues.

La raison de la rareté de la forme précédente doit être cherchée dans ce fait que la voyelle simple remplaça vite la diphtongue ei ; nous en trouvons un exemple dans les Légendes de Marie d'Adgar : chaet (XXVI, 32) et si, comme on doit probablement le faire, on l'attribue au scribe, cette forme date encore du milieu du xiii*^ siècle.

34

530 L EVOLUTION DU VEKBH EN ANGLO-FRANÇAIS

C'est du reste ce que nous montrent la plupart des exemples que nous relevons postérieurement, par exemple les deux formes que nous rencontrons dans Chardri et qui, ne se trouvant pas à la rime, peuvent aussi bien provenir des scribes : toutes les deux se trouvent dans les Set Dormans(aiix vers 285 et 1020); le poème de Dermod nous en offre un autre (au vers 218); la première rime que nous ayons rencontrée peut se lire dans les Heures de la Vierge cette forme rime avec beneite (folio 59 v°).

Par la suite, elle devient assez commune (voir par exemple la Chronique de Londres, 1309, à la p. 35), sans réussir à déplacer la forme ancienne. Nous pourrions en citer quelques exemples que Nicole Bozon emploie dans ses Contes 31) ou de Pierre de Langtoft dans sa Chronique. Une remarque que nous devons fliire, c'est l'emploi de la forme escheat (cf. l'anglais escheal) dans les textes légaux elle est extrêmement commune.

c) Nouvelles formations en eit. On sait que les participes qui nous occupent maintenant ont attiré à leur forme un grand nombre d'autres participes, et cette attraction n'appartient pas spécialement à l'anglo-français, au contraire. Nous devons diviser ces nouvelles formations que nous avons rencontrées dans nos textes en deux groupes. Le premier comprend des formes que nous trou- vons déjà dans les premiers ouvrages anglo-français et qui par conséquent sont d'importation continentale. Le second groupe com- prendra des reformations de dates beaucoup plus modernes et qui sont propres à notre dialecte.

Dans le premier de ces groupes, nous trouvons les quatre verbes qui, sur le continent, prennent plus ou moins régulièrement cette terminaison : choir, toldre, traire et cueillir.

Outre les terminaisons que nous lui avons vues (en ; et en n), le premier de ces verbes montre assez souvent la terminaison en eit. Nous ne ferons pas une longue énumération des exemples de chaeit que nous avons recueillis ; nous avons déjà eu à citer quelques exemples de cette forme quand nous avons analysé les change- ments que subit la voyelle du radical de ces participes. Nous nous contenterons d'ajouter maintenant un petit nombre de détails sur son emploi.

Au XII* siècle, nous avons rencontré une douzaine d'exemples de cette forme ; celle qui nous semble la plus ancienne se lit dans les

LES PARTICIPES 53 I

Quatre Livres des Rois (I, 33, 13); les autres cas qui se trouvent dans les ouvrages de cette époque ne sont pas aussi assurés, car ils ne se rencontrent que dans le corps du vers, comme celui que nous lisons dans les Légendes de Marie (XXVI, 32), ou dans le poème de Horn (au vers 343), dans le Drame d'Adam (vers 318), ou dans le Sermun de Guischart de Beauliu (vers 1577).

Pendant tout le xiii^ siècle, cette forme est commune mais ne l'est pas sensiblement plus que pendant la seconde moitié du xii% si nous rapportons à cette dernière période tous les exemples que nous venons de citer. Nous n'en donnerons que quelques exemples à cette époque. Il y en a quelques cas dans les poèmes d'Angier, dans les Dialogues (41 a) ; dans les Set Dormans de Chardri (vers 1020); escheî se lit aussi dans la Chronique de Londres (1309,

P- 35)-

On la trouve un peu moins souvent vers la fin du xiii^ siècle et le xiv^ l'ignore presque absolument.

L'on peut voir dans ce que nous avons dit des formes en i et des formes en // du participe passé de ce verbe la variété des formes qu'il peut prendre ; mais parmi ces formes, on ne rencon- trera presque jamais une forme forte dans la dernière partie du xiii^ siècle et pendant tout le XIV^

Le second verbe qui prenne la désinence eit, c'est le verbe toldre (cf. participes passés en u et participes passés forts en Ituui). Toleit se trouve déjà au xii^ siècle, il est deux fois à la rime dans les Légendes de Marie avec dreit ; au vers 4444 del'Estorie des Engleis; dans les Légendes de Marie (VIII, 132); on le trouve en maints autres endroits du même ouvrag*e, et on peut presque partout l'at- tribuer à l'auteur, la forme en eit tendant plutôt à disparaître à mesure qu'on avance dans la littérature anglo-française.

Pour les formes qui ne sont pas assurées par la rime on peut citer un grand nombre de cas. Philippe de Thaûn l'emploie dans le Bes- tiaire au vers 1641 ; on la rencontre dans le Psautier d'Arundel (9, 24); au vers 39 du Drame d'Adam; dans le Tristan de Thomas (1369); dans le Saint Gilles (vers 1206).

Cette forme devient plus rare au xiii^ siècle ; elle semble déjà un archaïsme ; certains auteurs l'emploient cependant ; ainsi dans Robert de Gretham elle rime, au folio 68 v", avec esteit ; au vers 539 du Roman des Romans, avec coveit; avec esteit au vers 3^ de Dcrmod ;

532 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-PRANÇAIS

et elle se lit dans le corps du vers 285 des Set Dormans de Chardri et du vers 218 de Dermod.

Nous en avons relevé un plus petit nombre de cas pendant le XI v^ siècle; dans la langue littéraire, on trouve tokt à la rime du vers 759 dans la Vie de Saint Richard de Nicole Bozon et dans Pierre de Langtoft (II, 180, 7), puis toleit dans les Contes de Nicole Bozon (au § 31), et c'est tout ce que nous avons ren- contré.

Comme on peut en juger d'après cet exposé, la forme en eit de ce verbe tend à disparaître entièrement. Ceci est encore plus visible pour les deux autres verbes qui n'ont .jamais été aussi souvent employés sous cette forme au participe passé : traire et cueillir. Le premier de ces deux verbes cependant se rencontre quelquefois, mais nous n'en avons pas relevé d'exemple avant le xiii'' siècle, quoiqu'il ait y en avoir. On le trouve pour la première fois dans les Dialogues Grégoire à la rime avec chaeit sous la forme traeit (au folio 41 a); Saint Edmund l'emploie encore et dans l'exemple qu'il nous offre, on peut remarquer que la synérèse entre la voyelle du thème et celle de la désinence s'est effectuée : trei:{ (au vers 2723).

Cette forme est plus commune en dehors de la littérature : nous avons eu déjà l'occasion d'en citer quelques exemples tirés des Parliamentary Writs (1299), du Liber Albus (1334, 1345), des Year Books (12 et 13 Edw. III).

Quant au participe passé de cueillir, cuiUeit, il est extrêmement rare, l'exemple que nous en trouvons dans le Psautier de Cambridge : cuilleite (34, 16) est, autant que nous pouvons en juger, un aua; dans la langue littéraire.

Il est un peu moins rare en dehors de la littérature : les Statutes nous en donnent deux exemples, deux noms verbaux, il est vrai : coiUect (1350, I, 321) et coilliet (1360, I, 370).

On voit donc que le type eit n'a pas eu dans le français d'An- gleterre beaucoup d'extension; les verbes qui avaient régulièrement cette désinence au participe passé l'ont gardée, ceux qui l'avaient prise par analogie ont été peu nombreux, ont toujours eu une ou plusieurs autres formes concurremment pour leur participe passé, et pour ces verbes, le nombre des formes en eit a décru considéra- blement pendant le xiv* siècle.

LES PARTICIPES 533

Si maintenant nous passons aux formes propres à l'anglo-fran- çais, nous ne trouvons dans les œuvres littéraires qu'une seule reformation proprement dite : compunct, qui ne se trouve employé qu'une seule fois, au vers 2226 de la Vie de Saint Grégoire.

Au contraire, dans la langue politique, diplomatique et légale, les nouvelles formations sont assez communes, on peut même dire que leur emploi est une des caractéristiques de l'anglo-français non littéraire. Les nouveaux participes passés se présentent ordinaire- ment avec les consonnes et, comme les exemples suivants le montrent.

La forme que nous trouvons le plus fréquemment est convict ; elle se rencontre dans les Statutes à partir de 1320(1, 180) et est fréquemment répétée (1346, I, 304; 1350, I, 312; 1377, II, 5); on la trouve sensiblement plus tard dans Rymer (1373, VII, 23). Elle est absente de la plupart des autres recueils, ou rare, excepté dans les Year Books .

Dans les Statutes, on trouve encore plusieurs autres formes du même genre : astrict (1386, II, 40), enfect (1388, II, 59); dans les Rymer's Foedera on 2i direct (1340, V, 209) et conjiinct (1356, V,

836).

De plus, on pourrait réellement citer ici toutes les formes assez communes en dehors de la littérature dans la deuxième moitié du xiv^ siècle, comvat fact, tract, conduct, qui sont, sinon des formes nouvelles, au moins des formes refaites.

5. Participes en ///////.

Il n'y a qu'un nombre très restreint de participes provenant du latin Ituiii et ils ne sont que très rarement employés en anglo- français. Citons, à cause des formes analogiques sous lesquelles nous avons déjà rencontré ce participe, tout, de toldre, qui se trouve au vers 768 du Petit Plet de Chardri et qui est extrêmement rare dans les écrits anglo-français, littéraires ou non.

6. Participes en piui>i.

Remarquons seulement que l'/zde Tinfinitif s'est introduite dans rons, de rompre, qui rime avec félons dans Boeve deHaumtone (cf. vers 3232) et avec sunt dans les Chansons (III, 24).

534 l'évolution du verbe en anglo-français

La langue des ouvrages non littéraires nous présente quelques nouvelles formes : adept et corrupl, dans les Statutes (respective- ment 1350, I, 318; 1388, II, 59); et dans Kymtr : redemptes, assit inpt:( (respectivement 1340, V, 208 ; 1390, VII, 677) ; dans les Year Books : internipt (i et 2 Edw. II, 175 ; 11 et 12 Edw. III, 195 et passini).

Aucune de ces nouvelles formations n'a trouvé place dans la langue littéraire.

CHAPITRE VI LES INCHOATIFS

Un certain nombre de verbes appartenant par leur infinitif à la seconde conjugaison sont inchoatifs, c'est-à-dire qu'il prennent l'infixé iss à certains temps entre le radical et la terminaison. Ces temps sont le présent et l'imparfait de l'indicatif, l'impératif, le présent du subjonctif, le participe présent. Leur futur se distingue de celui des non inchoatifs de cette même conjugaison en ce que ces verbes conservent à ce temps 1'/ de l'infinitif.

A propos des verbes inchoatifs, nous étudierons d'abord les verbes qui, hésitant entre les deux formes de la deuxième conju- gaison, ont tantôt les formes inchoatives, tantôt les non inchoatives, sans qu'on puisse considérer l'une ou l'autre comme absolument irrégulière ; ensuite nous verrons un certain nombre de verbes qui prennent indûment et exceptionnellement la forme inchoative ; enfin, nous énumérerons un certain nombre d'autres verbes qui, devant l'avoir, la perdent irrégulièrement.

I. Il y a en anglo- français un grand nombre de verbes qui hésitent entre les deux formes de la seconde conjugaison ; non seu- lement d'un auteur à l'autre, mais fréquemment dans le même auteur et dans le même ouvrage. On ne peut pas dire pour ces verbes que l'une des formes est plus régulière que l'autre. Nous allons passer rapidement en revue les plus importants d'entre eux.

Emplir est un de ces verbes ; il montre les deux formes ; mais au xii'^ siècle et même au xiii'', les formes simples sont l'exception et au contraire les formes inchoatives se rencontrent dans la plupart des auteurs ; raeinpUst se lit dans le Psautier d'Oxford (102, 5).

53^ l'évolution du verbe en anglo-français

Dans le Psautier de Cambridge, qui ne connaît du reste que celles-là, nous trouvons enipJisscl (19, 4) qui est aussi employé dans le Psautier d'Arundel (17, 6). Il est inutile de citer un plus grand nombre d'exemples de formes aussi communes à cette époque qu'elles sont régulières.

Par conséquent, pendant ces deux siècles, les formes non inchoa- tives restent l'exception : emples se trouve deux fois dans le Psau- tier d'Oxford (i4-|, 7); empk se lit dans les Quatre Livres des Rois (I, 16, i) ainsi que dans les Dialogues Saint Grégoire (63 r°) ; ei)iple:(^ se lit dans les Heures de la Vierge (63 r°). Au xiv^ siècle, les formes non inchoatives prennent une assez grande extension ; mais nous ne pouvons jamais savoir si elles appartiennent à la seconde conjugaison ou si elles proviennent du nouvel infinitif empler : on trouve ainsi emples dans les Contes de Nicole Bozon.

Il en esta peu près de même pour guarir; il suit le plus souvent la conjugaison inchoative ; nous en trouvons de fort nombreuses preuves au xii'= et au xiii^ siècle. Le Bestiaire nous donne ainsi guarit (au vers 2i92);^or//am se trouve dans les Psautiers d'Oxford et de Cambridge (68, 22 ; 70, 2 respectivement) ; les Quatre Livres des Rois ont giiarisse (II, 14, 4), qu'on lit encore au vers 1512 de Horn ; Saint Gilles a le même exemple au vers 1596, etc.

Les exemples continuent à être nombreux au xiii^ siècle, par exemple dans le Josaphat de Chardri (aux vers 765, 1320), dans le Saint Auban (au vers 953), et au siècle suivant dans les Rubriques d'Eward le Confesseur (XLII, 8). Ces quelques exemples, et ceux dont nous pourrions allonger notre liste, suffisent à mon- trer que ces formes sont communes pendant cette période.

Les formes non inchoatives qu'on rencontre sont assez rares ; c'est surtout le futur qui semble échapper à la conjugaison inchoa- tive ; il a presque toujours, et à toutes les époques, la forme sans voyelle : on le trouve sous la forme guarrai dans de Drame d'Adam (au vers 905) (assuré par la mesure du vers); et de même dans Adgar (XIII, 82); dans les Quatre Livres des Rois (I, 17, 36); dans le Saint Gilles (414). Robert de Gretham l'emploie réguliè- rement sous cette forme (par exemple au folio 97 v°); il en est de même pour le conditionnel qu'on retrouve jusqu'au xiv^ siècle, dans les Rubriques d'Edward le Confesseur (XXXIX, 6).

Les autres formes non inchoatives sont rares ; on ne les ren-

LES INCHOATIFS 537

contre qu'assez tard et dans des auteurs généralement incorrects ou pour lesquels nous n'avons pas un texte bien sûr. Boeve de Haumtone par exemple a (au vers 3224) la forme gare:( ; et à la fin du xiv^ siècle, dans les Chroniques de Nicolas Trivet, nous trou- vons le participe présent garraunt (au folio 8 r''); on pourrait citer d'autres formes de ce même auteur qui fait le plus souvent un non inchoatif de guarir.

Guerpir est lui-même presque toujours inchoatif; au xii^ siècle, on ne trouve guère que la forme avec l'infixé iss, comme dans le Cumpoz (au vers 1662), dans Thomas (1387), dans le Drame d'Adam (71), dans Guischart de Beauliu (5^0, 816). Un peu plus tard, cette forme est encore commune : Chardri l'emploie dans Josaphat (par exemple au vers 502, etc.) ; on la trouve aussi dans le Roman des Romans (vers 495); au xiV^ siècle, elle se trouve dans les Contes de Nicole Bozon m).

La forme non inchoative est plus rare ; au xii' siècle, on ne la rencontre que dans le Psautier d'Arundel : degtierpeiit {^^, 21) ; au xiii^, Chardri nous en fournit un nouvel exemple ; degnerpe\ qui se lit au vers 1346 de Josaphat; o-^^^r/?^:^ se trouve dans la Plainte Notre-Dame, dans Pierre de Langtoft (IF, 396, 26).

Haïr nous présente un état de choses exactement contraire. Pour ce verbe ce sont les formes non inchoatives qui sont, et de beau- coup, les plus communes. Nous allons donner un certain nombre d'exemples montrant les deux formes dans ce verbe.

Au présent de l'indicatif, on trouve ha^ dont nous avons déjà cité plusieurs exemples (cf. Première personne du singulier); la seule forme employée pour la troisième est het qui se rencontre dans presque chaque auteur (cf. Troisième personne du singulier) ; la première personne du pluriel est haihn, employée par Robert de Gretham ( 1 7 r°) ; la seconde, haye\, qu'on lit dans le Psautier de Cambridge (96, ro) et dans William de Waddington (3737); hémt est la troisième personne du pluriel : on la trouve dans le Don- nei (au vers 46) et elle rime avec béent dans les Dialogues Grégoire (107 b); la même forme avec un / euphonique est employée dans le Saint Edmund (au vers 365), heyent. A l'imparfait, on trouve haeie dans le Psautier d'Oxford (138, 21), et dans le Psautier de Cambridge (138, 3); on le retrouveau vers 37 deGaimar, 1899 du Saint Edmund, 2866 de William de Waddington et au folio 62 des Heures.

538 l'évolution du verbe en anglo-français

Le participe présent nous fournit aussi un grand nombre d'exemples de la forme simple : haan^ dans le Psautier de Cam- bridge (17, 41); haiani se rencontre dans le Psautier d'Arundel(i7, 43), dans le Tristan de Thomas (900), etc.

Le futur a le plus souvent la forme sans / : harat se lit dans le Bestiaire (1898), dans les Dialogues Saint Grégoire (42 a), dans William de Waddington (2607), dans l'Apocalypse (1016), dans Foulques Fitz Warin (38).

Les formes inchoatives sont très rares : on trouve, à la première personne du singulier du présent de l'indicatif : hais dans le Psautier de Cambridge (5, 5), ce qui peut être une forme inchoative ; au participe présent : baissan:;^, dans le Psautier d'Oxford (17, 44).

Ce verbe semble ne prendre que la forme simple dans les ouvrages non littéraires ; nous n'avons pas relevé de témoignage direct et absolument probant de la forme inchoative; tous les exemples que nous avons recueillis sont des futurs ou des conditionnels, et nous verrons, quand nous parlerons de ces deux temps, qu'il est impossible de faire fond sur ces temps pour la question qui nous occupe. Nous trouvons par exemple dans les Literae Cantuarienses : harreyoms, /;flrrom5 (respectivement 1333, 508 ; 1334, 550). Pour les quelques verbes précédents, la question est donc bien simple : ils adoptent, à quelques exceptions près, l'une des conjugaisons.

Plus que tout autre, le verbe joïr hésite entre les deux formes ; il est difficile de déterminer laquelle est la plus fréquemment employée. Citons d'abord les formes simples, que nous croyons plus usuelles que les autres, dans les œuvres littéraires. Au présent et à l'impar- fait de l'indicatif, nous relevons :

Esjoie^qmsQ trouve dans le Psautier d'Arundel (3^, 21; 39, 20; 46, i) et qu'on lit encore dans les Heures de la Vierge (61 r°), dans les Vies de Saints de Bozon (105 r°, etc.).

Au subjonctif, on a joie (gaudeat) qui est moins commun mais que nous avons relevé dans les Heures de la Vierge (au folio 62 r°).

Au participe présent, les exemples sont nombreux : joiati^ se trouve fréquemment dans le Psautier de Cambridge (118, 162 et passini) ; dans le Psautier d'Arundel au passage correspondant ; au vers 579 du Saint Gilles, 2452 de la Vie de Saint Grégoire, 903 de Boeve, 1195 du Saint Auban, etc.

Citons maintenant quelques formes inchoatives : esjoisseï se

LES INCHOATIFS 539

trouve dans le Psautier d'Arundel (9, 2; 31, 14), dans Robert et Gretham (78 r°, deux fois); esjoissani est employé dans le Psautier de Cambridge (9, 3), mais il y est moins fréquent que l'autre forme ; après les Psautiers, cette forme se trouve plus rarement ; elle a même disparu complètement au xiv^ siècle.

Le futur se trouve sous les deux formes dans les Psautiers ; mais la forme avec / est plus commune, tandis que dans les auteurs pos- térieurs, c'est l'autre forme sans / qui est sans aucun doute la plus usuelle.

Ce même verbe montre les deux formes dans les ouvrages de la langue politique et diplomatique ; et il nous est impossible de décou- vrirsi l'une d'elles a été plus employée que l'autre à une époque quel- conque ; les mêmes écrivains semblent les employer indifféremment ; par exemple dans le Liber Albus, à la même date 1334, on trouve rejoient (p. 420), et enjoissent (p. 427) ; dans les Statutes, on a joise (1370, II, 13 et passini) et enjoient (1350, I, 310; 1351, I, 325). S'il y a une différence entre l'emploi de ces formes, nous croyons qu'elle est en faveur de la forme non inchoative, mais il est possible que la lecture d'un plus grand nombre de textes aurait pu nous amener à professer l'opinion contraire.

Cependant c'est la forme non inchoative qui prévaut dans les Year Books ; nous n'avons relevé dans aucun volume de ce recueil d'exemple montrant l'infixé isc ou Vi au futur et au conditionnel.

Convertir et les autres composés de vertir sont rarement inchoa- tifs ; on ne trouve guère comme formes inchoatives que convertisse (: périsse) au vers looi de la Vie Saint Grégoire; revertirai dans les Dialogues (31 b).

Au contraire, les formes simples sont souvent en usage ; convertes se trouve dans les Psautiers d'Oxford (79, 4), et de Cambridge (89, 3) ; la deuxième personne du pluriel : couverte:^, se trouve dans les Heures (aux folios 62 v°, 63 v°) ; la troisième : purvertent, dans la Petite Philosophie (vers 78). A l'imparfait, nous avons convertoient dans la Vie deSaint Grégoire (2053) î à l'impératif : averte, dans les Dialogues Saint Grégoire (81 b), enfin reverte dans le Roman des Romans (69).

Regéhir présente les deux formes, et ici encore il est difficile de décider quelle a été la forme la plus employée.

Nous en avons une preuve dans les Heures de la Vierge, qui nous

540 L EVOLUTION DU VERBR EM ANGLO-FRANÇAIS

montrent un mélange assez curieux des deux formes : d'un côté, on relève regeùmis (6i r"), regeic:^ (63 v°), regeieiitÇSi v°), regeierex^ (68 r°) et de l'autre, regeït (61 r°), regehise:^ (éi r°).

La langue politique et diplomatique nous oft're encore un certain nombre d'autres verbes qui hésitent entre les formes inchoatives et les formes simples, et qui se rencontrent régulièrement sous l'une ou l'autre forme. Nous trouvons ainsi le verbe établir sous les deux formes •.estabUssous, dans les Statutes (1353, I, 333) ; dans le Liber Albus : establissoit (1334, 424), et par contre, dans les textes des Rymer's Foedera postérieurs à 1350, ce verbe se trouve toujours sans l'infixé : cslablions (1373, VII, 51 ; 1375, VII, 104, etc.).

Au xiv^ siècle, les cas 'qui montrent la perte de l'infixé inchoatif dans cette catégorie de textes deviennent assez nombreux ; le verbe saisir, tout d'abord, se rencontre toujours sous la forme simple à partir du milieu du xiv* siècle ; nous en trouvons un premier exemple très tôt dans les Statutes : seise (1275, I, 33) ; et ces formes deviennent très nombreuses au xiv^ siècle (cf. 1363, I, 378 ; 1377, II, 3) ; le Registrum Palatinum Dunelmense en présente aussi un certain nombre (cf. 1303, II, 61).

Enfin la langue légale fait un usage considérable de ce verbe, et la forme qu'on relève dans les différents Year Books est presque toujours la forme non inchoative (cf. 22 Edw. I", 425). Rappelons du reste qu'au xiv^ siècle ce verbe a un inHnitif sciser. Dans la langue littéraire, cette forme de saisir est beaucoup plus rare ; un seul auteur semble en faire un usage assez fréquent : Pierre de Langtoft (par exemple : I, 450, 28; II, 218, 14 et passiiii).

Tous les verbes sont plus ou moins réguliers sous l'une et l'autre des deux formes. Nous allons examiner maintenant de véritables irrégularités.

II. Un certain nombre de verbes perdent exceptionnellement la forme inchoative qui leur est habituelle. Ce genre d'incorrection est rare dans les ouvrages littéraires. Nous ne trouvons guère à citer que suffoent, qu'on lit au vers 3145 du Saint Edmund :

Suffoent entur la parai ;

et flestrent qui se lit dans l'Apocalypse , 7 3, 819. Nous pourrions probablement trouver quelques autres exemples du même genre,

LES INCHOATIFS 54 1

mais ils sont douteux, et ne sauraient le plus souvent prouver que l'ignorance des scribes.

Nous pouvons cependant donner un petit nombre d'exemples montrant les incorrections qu'un scribe (ou qu'un auteur anglo- français) se permettait. Blêmir fait hlemeieul dans le i^"" Appendice de Pierre de Langtoft (II, 418, 18); ensevelir fait eiisevele^ dans Nicolas Trivet (16 v") ; transgloutir donne trajisgluleiit dans le Dit de Hosebondrie de Walter de Henle}' (page 30), et dans les Contes de Nicole Bozon, transgloute (au § 54). Les exemples de ce genre ne manquent pas dans les mss. de la fin du xiv* siècle.

Citons enfin quelques verbes qui appartiennent régulièrement à la conjugaison en iss, et qui passent quelquefois dans les textes de la langue politique et diplomatique à la conjugaison simple : dans les Statutes, nous trouvons d'abord ravir : ravie (1275, I, 29); . fournir, dans un certain nombre de recueils, se comporte de la même façon, par exemple parfnrne:^ dans Rymer (1330, IV, 450) ; parfom'nent dans les Statutes (1360, I, 361).

On peut encore lire obeie dans les Parliamentary Writs (1324, II, 677 ); dans les Statutes (1389, II, 6^) ; obeianfi dans ce dernier recueil (1397, II, 98) ; mordrent de mordrir se trouve aussi dans les Statutes (1378, II, 10).

Garantir, qui est d'un emploi très fréquent dans les Year Books, se présente indifi'éremment sous les deux formes : garrante^ (20 et 21 Edw. I", 21, 201, 221) ■,garraunte(i6 Edvv. III, 493). Garauntisse (33 et 35 Edw. I", 419 ; 16 Edw. III, 491). Garrantira, 20 et 21 Edw. I", 31, 221).

La perte de l'infixé dans ces verbes est toutefois une irrégularité tout à fait exceptionnelle.

III. Nous allons voir maintenant quelques verbes qui prennent irrégulièrement et pour ainsi dire par hasard la forme inchoative ; il peut sembler assez remarquable que ce soit surtout au xii^ siècle que nous trouvions cette sorte d'irrégularité ; l'explication de ce phéno- mène n'est cependant pas difficile à trouver : ni le treizième ni le quatorzième siècle n'abondent en verbes inchoatifs.

Nous pouvons d'abord citer une forme que l'on rencontre dans Gaimar : baillisseient (au vers 2920), donnée par trois mss. et assurée par la mesure.

Vers la fin du xiii^ siiècle, nous en rencontrons un autre exemple,

542 L EVOLUTION DU VKRBE EN ANGLO-IRANÇAIS

dans William de Waddington : repentisci (au vers 4671), mais cette forme n'est d'ailleurs donnée que par un seul manuscrit : A. Au xiV^ siècle, les exemples de nouvelles acquisitions pour lesinchoatifs sont rares au milieu des licences que lesauteurs se permettent avec la conjugaison. On peut tout au plus citer : faillyst qui se trouve dans Pierre de Langtoft (II, 94, 1 8) ; assentisseit dans Nicolas Trivet (46 r°) ; les ouvrages non littéraires n'offrent pas non plus beaucoup d'exemples de cette irrégularité; citons cedissons da.ns les Rymer's Foedera (1360, VI, 244).

Nous pouvons observer un phénomène légèrement différent dans cette dernière classe d'ouvrages ; plusieurs verbes inchoatifs ou non montrent l'infixé à des temps ou des personnes qui ne l'ont jamais; ces formes se trouvent toutes à la fin du xiv= siècle ei principalement dans les Statutes, par exemple arierissé (1390, II, 76); anwrtiser (139 1, II, 80); garniser (13 n, II, 81); punissereienl (1393, II, 90); des formes analogues se rencontrent très fréquemment dans les Year Books de toutes les dates : citons-en quelques-unes : recoverissoms (recovrer) (30 Edw. I", 39); rendisseit (2 et 3 Edw. II, 15), enfin punisser (i et 2 Edw. II, 158). Cette dernière forme n'est du reste donnée que par deux mss. (A et B) ; trois autres donnent punir (M, Pet Y).

Les ouvrages littéraires ne nous offrent pas d'exemple de formes aussi barbares que les précédentes ; nous avons trouvé sous la plume de certains scribes l'infixé iss à des endroits inattendus, comme dans chastiser donné pour le vers 154 du Bestiaire par le ms. O. Mais ces formes isolées ne sauraient être que des erreurs matérielles qui ne prouvent que la négligence de ceux qui les écrivent.

Il est inutile de donner un plus grand nombre d'exemples; ceux que nous avons vus suffisent à nous instruire de la fortune que les inchoatifs et les non inchoatifs ont rencontrée en Angleterre.

Pendant le xii^ et la première partie du xiii'' siècle, la distinction entre les deux classes de la seconde conjugaison s'est en somme fort bien maintenue ; un certain nombre de verbes hésitent en anglo- français, comme sur le continent, entre les deux formes. On remarque toutefois, dès le xii* siècle, une tendance à préférer les formes plus simples. Cette tendance ne fait que s'affirmer à mesure qu'on avance : ce sont tout d'abord les verbes hésitants qui se dirigent de plus en plus vers la conjugaison sans infixe ; puis, mais

LES INCHOATIFS 543

surtoutaprès 1340, les verbes qui n'avaient jamais jusqu'alors hésité entreles Jeux formes commencent à perdre les caractéristiques de leur conjugaison. Enfin la notion même de la valeur de l'infixé disparaît : certains auteurs l'introduisent, pour des inchoatifsou desnon inchoa- tifs, à des temps sa présence constitue un véritable barbarisme. Mais malgré ces nouvelles formations, le nombre des inchoatifs diminue constamment, c'est à peine s'il en reste des traces dans certains Year Books ; ajoutons que la disparition de ce suffixe n'a pu être que hâtée, d'un côté par l'influx d'infinitifs en ir provenant d'autres conjugaisons et qui ne pouvaient guère prendre les formes inchoatives, de l'autre, et surtout, par les formes en er que prenaient les infinitifs de II.

I

LIVRE III LES TEMPS

35

CHAPITRE PREMIER LE PRÉSENT DE L'INDICATIF

j^e présent ne nous offre pas la matière d'un grand nombre de remarques : beaucoup des observations que l'on peut faire sur ce temps ont trouvé leur place dans les études que nous avons faites des désinences personnelles ; d'autres, en moins grand nombre^ ont retenu notre attention lorsque nous avons étudié le mode indi- catif.

Nous ne trouvons même pas de questions que le présent soulève en tant que temps ; il n'y a pour ainsi dire que peu de chose de commun entre les six personnes qui le composent.

Pour ce qui est de la désinence, quand on a étudié séparément les désinences des différentes personnes, comme nous l'avons fait dans notre première- partie, il ne reste absolument rien à dire.

Nous n'avons donc qu'à présenter quelques observations, de mince importance, nous en convenons, sur les modifications du radical du verbe au présent de l'indicatif.

LE RADICAL

I. Nous pouvons remarquer que les verbes devoir, suivre, pou- voir, les verbes en iiire se présentent avec ou sans la consonne des personnes fiiibles. Nous avons donné assez d'exemples de deivcnt ou devient pour n'avoir pas à y revenir; la forme sans v se retrouve jusqu'à la fin du xiv^ siècle, le dernier exemple que nous connais- sions se lisant dans les Rymer's Foedera à la date de 1375 : doient (VII, 62). Il en va à peu près de 'même pour les autres verbes';

548 l'évolution du verbe en anglo-français

nous ne donnerons ici que les derniers exemples sans la consonne que nous ayons relevés : pour destruire, dcstniicul se lit dans les Early Statures of Ireland, en 1320 (p. 282); pour pouvoir, poient est employé dans les Rymer's Foedera en 1328 (IV, 340) Quant à suivre, la forme sans v est la plus commune (Cf. les infinitifs suire, siiir, suer).

2. La forme faible de la première personne du pluriel, et la troi- sième personne du pluriel de dire soulèvent une question du même genre : c'est la présence ou l'absence d'une s entre le thème ou la désinence.

La forme sans s est la forme régulière en anglo-français ; elle se lit dans les premiers poèmes du xii'^ siècle et reste à peu près la seule forme employée dans tous les ouvrages anglo-français, littéraires et autres, par exemple, elle se trouve à la rime dans le Bestiaire (au vers 15 12), puis dans le Psautier d'Oxford (i 13, 27), dans Adgar (IV, 98), dans les Quatre Livres des Rois (II, 12, 18), etc., etc., dans Jordan Fantosme (1401), Saint Gilles (2017), etc., etc. Vs fait son apparition pour la première fois dans deux mss, du Bes- tiaire : C qui est continental et L qui est anglo-français, et date de la seconde moitié du xii^ siècle. Néanmoins la forme faible sans s demeurera la forme régulière et généralement employée en anglo- français.

3. Le présent de l'indicatif voit parfois son radical subir l'in- fluence de celui d'une autre partie du verbe ; peintuiii, qui nous est donné par le manuscrit O du Bestiaire (pour le vers 1394), a proba- blement le radical de l'infinitif ; plaesf, taest, traest que Frère Angier emploie (cf. 71 c, 31 ; 48 c, 24; 71 c, 24), peuvent, ce qui est assez douteux, nous montrer une influence du même genre \ Voillt, qui est fort commun dans les différents Year Books (cf 16 Edw, III, 259), a certainement emprunté son radical au présent du subjonctif.

4. Le radical du verbe savoir nous permet de faire quelques remarques :

Dans la langue diplomatique et politique, nous observons, à la troisième personne du singulier et du pluriel, l'introduction : de la diphtongue ie qui elle-même se réduit parfois à / ;

I. On peut leur comparer le imu'ul de la Cantilène de Sainte Eulalie.

LE PRESENT DE L INDICATIF 549

d'un c dans le radical amené par l'analogie du latin scire.

Voici quelques exemples qui nous montreront ces deux phéno- mènes : dans les Statutes on lit sciet (1275, I, 37)? scievent (1378, II, 10), puis savent (1389, II, ()G') ; nous donnons l'avant-dernier de ces exemples parce qu'il nous montre les deux faits ; il ne fau- drait pas en conclure que l'apparition de la diphtongue ic n'est pas plus ancienne ; par exemple, nous trouvons sievcnt dans Jean de Peckham (1290, 92).

Sciet est aussi commun dans les Year Books (par exemple 1 1 et 12 Edw. III, 441).

CHAPITRE II L'IMPARFAIT

A. Imparfaits de la première conjugaison.

L'on sait que les imparfaits de la première conjugaison ont aux trois personnes du singulier et à la troisième du pluriel, une forme qui leur est particulière. Progressivement, en Angleterre comme sur le continent, ces imparfaits se sont assimilés aux imparfaits des trois autres conjugaisons et ont perdu leur forme étymologique. Il est intéressant de suivre pas à pas cette marche des verbes de I vers le gros des autres imparfiùts, et d'observer comment sefliit l'unifica- tion.

I. Les formes'.

Les quatre personnes qui ont la terminaison caractéristique des imparfaits de I ne présentent pas une grande variété de formes. Elles montrent toutes la diphtongue ou ou la voyelle o. De plus, à la première et la seconde personne du singulier, 1'// peut être rem- placé par îu ou p^Tuii-; à la troisième personne du pluriel par lu seulement ; et, quand il est employé, il ne subit aucun changement à la troisième personne du singulier. Toutes ces formes se ren- contrent dans le Psautier d'Oxford ; trois seulement sur quatre (oiiue manquant) dans le Psautier de Cambridge.

Cependant ces graphies n'ont pas toutes la même extension ; et nous allons tenter de déterminer, pour chaque personne, s'il est nécessaire, la fréquence de chacune de ces formes. A la première

1. Pour ces Imparfaits, d. Lùcking, Mundarten, p. 211.

2. Un est peut-être équivalent à w.

L IMPARFAIT 5 5 I

et à hi seconde personne du singulier, qui ne nous donnent qu'un nombre très limité d'exemples, car elles ne sont employées que pendant un siècle seulement, la graphie oiie semble dominer tout d'abord.

Dans les Psautiers que nous venons de citer, c'est la forme avec lu qui est le plus souvent ernplo3'ée, et il est probable que celle-ci est un intermédiaire entre om et o. Dans le Psautier d'Arundel, nous pouvons remarquer que les graphies montrent plus de fixité, et c'est oe qui est la forme ordinaire. Il en va de même de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking ; on trouve dans ce poème deux exemples de oe : 050^(1534), amoe (2385), contre un exemple en oiie : afioue (2386). Remarquons du reste que ces deux derniers exemples riment ensemble.

Dans le Saint G'Ues au contraire, nous ne trouvons que deux terminaisons en one, aucune en oe ' : osoiie (au vers 350); lessoue (au vers 33 n).

Nous n'avons pas relevé d'exemple plus récent.

Les formes que nous venons de citer ne sont pas, au point de vue de la partie vocalique accentuée, très significatives. Aucune rime, il y en a du reste fort peu de possibles, ne vient nous faire connaître d'une façon assurée si c'est la diphtongue ou la voyelle simple que l'auteur a employée.

Il est probable que, vu le peu de durée de la forme, les conclu- sions que nous tirerons en nous fondant sur les graphies, attein- dront un degré suffisant d'exactitude. Et les graphies nous montrent qu'avant 11 60 c'est la diphtongue qu'on emploie de préférence, et après cette date c'est plutôt la voyelle, sauf excep- tions.

A la troisième personne du pluriel nous nous trouvons devant la même difficulté. Cependant les rimes possibles sont plus nom- breuses et nous en avons une dans Gaimar : parlocnt (: loent) au vers 3749 de l'Estorie des Engleis (mss. DetL). Cetterime est assez probante car louent ne se rencontre que beaucoup plus tard. Quoique les formes étymologiques à cette personne durent jusque vers 1240 au moins, nous n'avons relevé aucune rime après celle

I. Les deux exemples qui suivent ont échappé à Gaston Paris. Cf. Introduction de la Vie de Saint Gilles, p. xxxiij.

552 l'évolutiox du verbe ex anglo-fraxçais

de Gaimar. Celle-ci nous donne tout au moins une limite inférieure pour l'apparition de la voyelle. C'est la seule indication précise que nous ayons pu découvrir.

Même après Gaimar, o//<'/// est fréquent; c'est la seule terminaison qu'emploie Sœur Clémence ; d.burtoiient (2061); Umoiient {20G2). De même on retrouve cette désinence dans Robert de Gretham : gar douent (^11 T, v'');dans le Roman des Romans : a'/o//ey// (vers 176); dans Dermod -.apeloiienî (1148); quidount (984); d'autres auteurs, comme celui du Saint Edmund, emploient les deux désinences ; dans le Saint Edmund on trouve : errouent (au vers 19 14); qiiidoent (imprimé : qui deut) (au vers 2988). D'autres auteurs, mais en tout petit nombre, n'emploient que oent, comme Chardri qui nous donne lenuoent au vers 632 de Josaphat, semhloent au vers 118 des Set Dormans, mais c'est le seul, à notre connaissance, qui soit dans ce cas.

A ne considérer que les textes, on pourrait croire que c'est la forme avec ou qui est la forme ordinaire et c'est ce que nous sommes tentés de croire; mais nous devons tenir compte des scribes, et, puisque nous ne trouvons aucune rime en faveur de l'une et de l'autre désinence, il nous faut peut-être réserver notre jugement. Cependant il est assez évident que pour les scribes (et pourquoi n'en serait-il pas de même pour les auteurs ?), la forme montrant la diphtongue a été à toutes les époques plus empWée que l'autre.

La troisième personne du singulier a elle aussi une double forme: l'une qui montre la diphtongue ou, l'autre la voyelle 0 ; comme ces imparfaits, lorsqu'ils sont employés à la rime, riment presque tou- jours entre eux ou avec un prétérit en ni, comme ont, plout, lesquels ont aussi les deux formes en on et en 0, il est diflEcile de décider quelle est réellement la forme employée par chaque auteur : il faut se contenter de signaler les graphies qu'on trouve, ou fonder ses conclusions sur un petit nombre de rimes significatives.

a) Rimes significatives.

Les seules rimes un peu probantes tendent à nous montrer que nos imparfaits avaient le son on; nous trouvons ces imparfaits rimant avec des mots en oït; or, 17 venait de se vocaliser ' et la

I. Vocalisation de 17, consulter J. Vising, Étude, p. 87; Stock, Rom. Stud. III, p. 475 ; Schlosser, p. 43 ; Schumann, p. 21, 28 tlpassim.

l'imparfait 553

diphtongue n'avait pas encore pu prendre le son vocalique simple; ces rimes se rencontrent au xii"^ siècle, d'abord chez Gaimar : enchascout (: volt) (au vers 2003) ; dans la Folie, on trouve amoiit (: Ysolt) (au vers 117); dans les Homélies, maniout nmo. avec volt (au vers 112).

Au xiii^ siècle, le nombre de rimes assurées en ou est plus con- sidérable : on trouve par exemple pensout (: vont) au vers 958 du Josaphat de Chardri ; iiianiont rime avec le même mot dans Robert de Gretham (6 v°) ; plus significative encore la rime innstrout (: dout = debuit) dans le même auteur (105 v°), car dont n'a jamais passé kdot.

Dans Dermod, les troisièmes personnes régulières sont exceptionnellement nombreuses, il est difficile de dire quelle est la valeur phonique de la terminaison. On les trouve d'abord dans un grand nombre d'interrimes : (cf. vers 393, 1235, 162, 266, 402). D'autres sont indubitablement en ou, comme perpensout (: vout) (166), tuniout {: \o\t) {\o-jo) , a ffcr mont (: Gerout) (1397)- ^^ y en a d'autres enfin, et en très grand nombre, il semble que l'on ait le son 0 : ce sont les rimes un imparfait de I rime avec Dermod : on en trouve aux vers 41, 105, 134, 151, 516, 626,727, 825, 1067. Il faut peut-être, croyons-nous, voir dans la difficulté de trouver une rime à Dermod Texplication à la fois du grand nombre des formes étymologiques et de leur valeur phonique.

Les auteurs de ce siècle qui font rimer les imparfaits en ot sont très peu nombreux et ne nous offi'ent que peu d'exemples indiscu- tables : on en trouve un à la rime dans A-ngier : escusot (: dévot) dans la Vie de Saint Grégoire (vers 885) ; cet auteur n'emploie du reste que cette forme : ^on5-/o/ {12 c, ^); Jîot (14 d, 14), quidot (21 d, 12), alot (2j a, 32) (cf. Timothy Cloran, p. 41).

Ajoutons encore alot (: ot = audit) dans Sardenai (i'"'^ Add., 15), et c'est à peu près tous les exemples probants que nous avons ren- contrés .

F) Interrimes et graphies.

Si nous nous en tenons à ces rimes qui sont sûres, et aux autres exemples d'Angier qui ne le sont pas moins, nous conclurons que c'est la forme en ont qui a été le plus communément employée en anglo-français, tant que la forme étymologique des imparfaits de I a

5 54 L EVOLUTION DU VERBE KN A\GLO-FRA\ÇAIS

subsisté, mais que, à partir de 1200, la forme avec la voyelle simple n'a pas été rare. Nous arriverons aux même conclusions si nous tenons compte aussi bien de certaines œuvres en prose, et des interrimes avec les prétérits en ni, autrement dit si nous raisonnons sur les graphies.

Dans le Brandan, c'est la forme en out qui est employée : on trouve des imparfait de I à la rime avec pout de paître (vers 1565); avec o///(ii63, 77); It Psautier de Cambridge n'a que cette terminaison (cf. Fichte, p. 24), de même que Sœur Clémence de Barking.

Il en va à peu près de même au xiii^ siècle : Chardri la foit rimer avec plout dans Josaphat (vers 73), avec out au vers 1290 du même poème ; toutes les rimes que nous trouvons dans Simund de Freine (Saint Georges^, 1019), dans Robert de Gretham (6 v°, 29 v°, 195 v°, 106 r°); dans le Saint Edmund (497, 1143); dans la Genèse Notre-Dame (58 r°, 44 r°, 70 v°) ; dans le Chevalier (vers 459) montrent toujours la diphtongue.

Nous n'avons que très peu d'auteurs chez lesquels nous trouvons la terminaison ot : le Bestiaire en offre quelques exemples, mélan- gés à des terminaisons ont : par exemple : stot (: ot) (au vers 125); les troisièmes personnes du singulier des imparfaits de I sont toutes en ot dans le Psautier d'Oxford ; il faut ensuite passer à Frère Angier pour trouver cette terminaison régulièrement employée (Vie, 57, 196, 885; Dialogues, 44 v" a, 133 b) ; après le Frère Angier nous ne trouvons ot à la rime que sporadiquement jusqu'à Dermod et à Sardenai (cf. vers éo, 260).

Comme on le voit, cette seconde étude vient confirmer les con- clusions de la première. La terminaison ot n'a pas eu une fortune très brillante en anglo-français. Elle est à peine postérieure à la ter- minaison out et a existé en même temps qu'elle et à côté d'elle.

Mais certains auteurs, d'importance plus ou moins grande au point de vue anglo-français, mis à part^ elle n'a pas réussi à prendre la place de la désinence ont.

Si nous réunissons les conclusions auxquelles nous sommes arri- vés en étudiant chaque personne, nous voyons que dans leurs grandes lignes elles concordent suffisamment.

La diphtongue on a duré autant que les personnes étymologiques, et s'est sensiblement mieux maintenue à la troisième personne du singulier qu'aux autres.

L IMPARFAIT 555

La forme avec la voyelle o ne s'est pas introduite plus tard que ii5o(pourla troisième personne du pluriel), ou 1160 (pour la première, la deuxième et la troisième personne du singulier); elle n'est pas rare au xii*^ siècle.

Nous avons maintenant à signaler une variante de la forme en ot, la terminaison eut ou ut ; on peut comparer à cette terminaison le passage de 0/// (habuit) à eut, n '. Cette terminaison se trouve pour les imparfaits de I dans le ms. Royal de Gaimar ; on y trouve : hantent (: out) (2643), sojnruent (3036), soint (2730); et dans le ms. A de l'Ipomédon : reconfortnt (1695); qnidut (^^yo); de ces formes on doit, nous semble-t-il, rapprocher phinit, qu'on lit dans la Vie de Saint Grégoire (17 12, 2655) et dans les Dialogues Saint Grégoire (28 a).

r) Disparition des terminaisons en ou.

Les exemples qu'on peut trouver pour les deux premières per- sonnes du singulier sont trop peu nombreux pour qu'on puisse arri- ver à des conclusions très précises ; nous n'avons relevé aucune forme étymologique après la fin du xii^ siècle. De l'autre côté, l'un des premiers exemples d'un verbe de I prenant la forme analogique nous est donné par une première personne du singulier dans le Psautier de Cambridge : deveeie (76, 4) de deveer.

Pour la troisième personne du pluriel, la première forme irrégu- lière se trouve aussi dans le Psautier de Cambridge : deneaient (80, 14) ; nous en trouvons une seconde dans le Thomas de Tristan : cni- doient au vers 2, mais cette forme n'est pas attestée par la rime et peut ne provenir que du scribe (fragment de Cambridge, fin du xiii^ siècle). Nous nous trouvons dans la même incertitude pour qnidoient qui se trouve dans le corps du vers 189 d'Havelok - . Les deux dernières formes que nous venons de citer sont tout au plus possibles au xii^ siècle ; ce n'est qu'au xiii'-" siècle que nous avons des formes assurées ; les rimes deviennent nombreuses; citons- en quelques-unes : dans le Josaphatde Chardri, nous trouvons par

1. Pour les troisièmes personnes du singulier en ut, voir Stimming, Boevc de Haumtone, p. 189.

2. Le ms. d'Havelok, Arundel XIV, est postérieur à 1327.

556 l'évolution du verbe en anglo-français

exemple hninncint qui rime avec ardeint (au vers 2052) ; chcintcieut se trouve à la rime avec feseient, dans le Chevalier, la Dame et le Clerc ; guardeient (: quereint) dans les Heures de la Vierge (63 r°) ; hahitcient (: aveient) dans William de Waddington (1965); il faut encore remarquer que dans les interrimes, même dans les poèmes du xii^ siècle, c'est-à-dire dans les mss. écrits par des scribes du xiii^ siècle, la forme généralement employée est la forme analo- gique.

Il y a même certains auteurs qui semblent ne pas connaître la forme régulière pour la troisième personne du pluriel : Frère Angier, par exemple '.

^'oici donc, et pour résumer tout ce que nous venons de voir au sujet de cette personne, comment se sont comportées en anglo- français les personnes en 0(11^ oit. Les formes analogiques ont certai- nement fait leur apparition pendant la seconde moitié du xii*' siècle; elles sont d'abord restées en petit nombre et exceptionnelles, leur absence à la rime le prouvant. Au xiii'' siècle, elles sont devenues vite très communes; en même temps les désinences régulières ont passé à l'état sporadique : on en rencontre jusque chez Dermod, mais en petit nombre, et la majorité des auteurs ignore cette forme à cette époque.

La troisième personne du singulier est probablement la plus importante, et certainement celle qui nous fournit les renseigne- ments les plus nombreux et les plus sûrs. Il nous est donc possible de suivre aussi exactement que possible les progrès de la forme ana- logique à cette personne.

Le cas le plus ancien d'une terminaison en eit que nous ayons rencontré pour un verbe de I se lit dans un poème du commence- ment du xii^ siècle : le Voyage de Saint Brandan; on y trouve en effet Juigneit rimant avec un verbe de III au vers 456. Cependant, il nous semble probable que cette leçon doive être rejetée en faveur àt fuieit que donne un autre manuscrit (Arsenal BLF, 283) ; cette forme irrégulière doit donc provenir du scribe, ce qui la rejette à la date de 1167. A cette dernière époque, nous trouvons un exemple indiscutable d'une autre forme analogique dans les Légendes de Marie d'Adgar : alcit (: esteit) (XXXIX, 59).

T. Cf. Timothy Cloran, Miss Pope, p. 41.

I

L IMPARFAIT 557

Le poème de Havelok nous en donne aussi deux exemples, dont l'un au moins est discutable ce sont lavoit (: recevoit) (au vers 248), et esinerveilloit (: veoit) (au vers 273), tous les deux donnés par le ms. Arundel XIV.

Le ms. P, pour ces deux vers, donne des leçons qui font dispa- raître l'irrégularité; mais pour le vers 248 la leçon qu'il donne ne semble pas acceptable pour le sens. Au lieu de :

il donne

Les esquieles recevoit.

Et après manger les lavoit, Arundel XIV.

Les esquieles recevoit.

Et après manger de co serveit.

Pour l'autre exemple, la leçon de P qui donne la forme correcte semble devoir être préférée : Arundel XIV:

Ms. P

Li rois sesmerveilloit De la force ken lui veoit.

Li reis même mut sovent

Le fit luter devant sa gent ;

A grant merveille le teneit

De la force ken lui aveit (lire veeit ?).

La question, au point de vue de l'histoire des désinences analo- giques à la troisième personne du singulier des imparfaits de I, n'a pas une grande importance ; un exemple ou deux de plus ne saurait signifier grand'chose. Le point important est que ces formes datent de II 60 environ et que tout d'abord elles ont été purement excep- tionnelles. Ajoutons deux rimes que nous rencontrons dans l'Ipo- médon: la première nous donne un exemple indiscutable; elle nous montre aloeit rimant avec voleit (au vers 305); la seconde est plus douteuse; elle accouple aresteit et veit (vers 457) : faut-il lire ares- tait, présent de l'indicatif? (cf. dans le même poème les vers 4633, 8766).

Les exemples précédents ne sont du reste pas les seuls assurés : et nous avons relevé quelques autres cas de terminaison en eit. Un ouvrage en prose nous donne encore cinq exemples des nou-

558 l'évolution du verbe en anglo-françals

velles formes : dans les Quatre Livres des Rois nous lisons en effet nincudeit (\\, 3, i'), sacrcficit (l\\, 19^ 5 1), _^/m;Wt7V (III, 4, l'y), passeil (IV, 20, 9) tniveil (I, 23, 14). Les terminaisons régulières sont infi- niment plus nombreuses. Donc le nombre des formes assurées jus- qu'à la fin du xii'^ siècle est minime. Nous relevons cinq cas dans un des prosateurs, deux ou trois cas très discutables à la rime dans deux poèmes. Lorsqu'on compare ce nombre d'irrégularités au nombre de formes régulières, dont nous n'avons aucune raison de douter, on voit combien la forme étymologique l'emporte sur l'autre. Il est vrai encore que, pour quelques auteurs, nous trouvons dans le corps du vers des troisièmes personnes analogiques qui peuvent leur appartenir aussi bien qu'aux scribes, comme dans le Thomas de Tristan : cuidoit {^.m vers 5) ou mustreit, au vers 592 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence, ou cunisceit, au vers 1236 de Fantosme ; mais même ces formes de date douteuse sont relative- ment rares. Par conséquent, l'examen du corps du vers ne peut pas nous faire modifier nos conclusions; la forme analogique est connue au xii*^ siècle, mais elle est rare et reste l'exception.

Il y a du reste plusieurs auteurs qui sont absolument réguliers : l'Estorie des Engleis de Gaimar ', la Vie de Saint Gilles, le Donnei, Horn, les Homélies, le Sermun de Guischart de Beauliu ne montrent jamais d'exemple qui soit assuré de la forme nouvelle; celle-ci est même assez rare dans le corps du vers.

L'exemple que nous avons vu dans le Saint Brandan (en le lais- sant au compte du scribe), celui d'Adgar, ceux des Quatre Livres des Roisnous permettent de regarder 1160 comme la date (approxi- mative) à laquelle ces formes analogiques ont commencé à s'intro- duire.

Nous ne trouvons pas la même régularité au siècle suivant ; le xiii^ siècle est irrégulier, dans l'irrégularité même : nous donnerons donc, pour tâcher de montrer le plus exactement possible l'état des choses à cette époque, un nombre assez considérable d'exemples de formes analogiques tirés des différents auteurs que nous avons étudiés. Nous diminuerons, à mesure que nous avancerons, le nombre de ces exemples, car à partir d'une certaine date, les formes analogiques deviendront trop communes pour qu'il soit nécessaire

I. Dans Gaimar, tous les imparfaits de I sont réguliers : au vers 5, lire haeieiit ; au vers 150, lire retideit; au vers 155, nuriseit : feseit.

L IMPARFAIT 559

de les donner toutes. Dans la Vie de Saint Grégoire, espérer seul prend la forme analogique: espereit Ç: ardeit) (au vers 124); (:creit) (au vers 1863). On trouve d'ailleurs cspcrot, 196'. Les exemples dans les Dialogues sont plus nombreux et plus variés ; on trouve, entre autres : repairoit (: Benoit) (58 b) ; oroit (: eroit) (54 b) ; amoit (: eroit) (71 b) ; crioit (: fesoit) (68 b); qui- doit (: soloit) (56 a) ; justiseit (: deit) (71 b).

Dans Chardri et Robert de Gretham les formations analogiques sont sensiblement plus fréquentes que les formes régulières; dans Chardri, les premières sont à peu près deux fois plus nombreuses que les autres la rime); la proportion est approximativement la même dans Robert de Gretham.

Voici quelques exemples tirés de ces deux auteurs : pour Chardri, nous nous contenterons des exemples tirés de Josaphat ; on en trou- vera un nombre proportionnel dans les SetDormans et le Petit Plet. Nous trouvons dans les rimes du premier de ces poèmes les formes suivantes : aiiicit (: aperceit) (au vers 436) ; ameit (: esteit) (2095) ; rtAm^ (: giseit) (2505) ; truveit {;. veneit) (588); guieit Ç: esteit) (1974); l'i^f'cieit (: maneit) (2712).

Nous pourrions tirer un grand nombre d'exemples des rimes de Robert de Gretham ; nous en donnerons quelques-uns pris au hasard dans les premiers folios : nuncieit ( : esteit) (au folio 7 r°) ; (: giseit) (9 v°) ; regnelt (: esteit) (10 r°) ; mendivcit (: seeit) (26 r°), etc.

Nous retrouvons, dans le Chevalier, l'état de choses que nous avons reconnu dans Chardri et Robert de Gretham, ou plutôt, le nombre de formes nouvelles est devenu proportionnellement plus grand encore ; on trouve dans ce court poème : aJeit (: liseit) (84) ; fi^/V (: saveit) (93) ; amoit (: savoit) (loi); mangeit (: pesseit) (105). Quant à William de Waddington, les rimes en eit se trouve un verbe de I sont légion (cf. vers 952, 2427, 2262, 3033, 3372, etc.).

Ces quelques auteurs que nous venons de citer, et plusieurs autres l'auraient tait aussi bien, représentent, nous semble-t-il, la marche générale de l'unitication des imparfaits au xiir^ siècle ; mais

I. Cf. Infinitif, pour les exemples de l'infinitif t'5/w/;; nous n'avons rencontré, ni dans la Vie, ni dans Jes études de Timothy Cloran et de Miss Pope, aucun exemple de l'infinitif de ce verbe.

560 l'évolution du verbe en anglo-français

ce serait bien mal connaître l'anglo-français que de croire que l'on ne puisse pas trouver d'auteurs fliisant exception ; quelques-uns, très rares à vrai dire, n'emploient jamais à la rime la forme analogique pour les verbes de I, alors que la forme étymologique se rencontre : par exemple la Genèse Notre-Dame et le Roman des Romans. D'autres montrent un nombre plus considérable de formes en o(jty que de formes en eit : par exemple le Saint Edmund et Dermod.

On ne trouve guère que deux cas analogiques à la rime dans le premier: rr/V// (giseit) (3615); demandeit (: aveit) (1149); et deux autres dans le corps du vers : doneit (3717), resteit (2702) ; dans Dermod, les personnes régulières sont exceptionnellement com- munes : cela provient peut-être de la fréquence avec laquelle le nom propre Dermod apparaît à la rime, comme nous l'avons déjà dit ; on ne trouve que trois cas de troisième personne en eit à la rime chez cet auteur : ameit (: esteit) (5 3) ; pleideit (: esteit)(2i04) ; suiorneit (: aveit) (2697).

Ces exceptions restent des exceptions. La grande majorité des auteurs nous montre que la forme étymologique est en train de disparaître, non sans quelques à-coups et plusieurs retours.

c?) Extension irrégulière des formes en 0// au xii'' et au xiii= siècle.

Dès le xii^ siècle, la désinence en ou, qui n'appartient régulière- ment qu'à la première conjugaison, se trouve parfois dans certains verbes des autres conjugaisons : ce sont surtout, fait important à noter, des verbes de II et de IV qui prennent cette terminaison.

Le premier exemple que nous en rencontrions est de la même date que le premier cas d'un imparfait de I en eit ; on trouve en effet dans le Psautier de Cambridge un verbe de II et deux verbes de IV avec, à l'imparfait, la terminaison des imparfaits de I.

Ce sont deux premières personnes du singulier : uvroeÇ^j, 13); atendoe (37, 15), et une troisième personne du pluriel : espandoent (40, 8) ; les exemples que nous pouvons tirer des Légendes de Marie d'Adgar sont plus probants encore, car ils sont attestés par la rime : on lit en effet chez cet auteur : slreiiioùtÇ: ont) (I R, 62); tenoîit (: alout) (XXX, 109).

Ce sont les seuls exemples appartenant sans doute possible au xii^ siècle ; nous pouvons en citer plusieurs autres, mais rien ne nous permet de fiiirc retomber les responsabilités de Ces formes

l'imparfait 561

sur les auteurs plutôt que sur les scribes. Par exemple, dans le corps du vers loi de la Folie Tristan, nous trouvons encore cre- inout, qui doit probablement être attribué au scribe (deuxième nioitié du xiii^ siècle).

L'éditeur et les scribes de Gaimar semblent s'être entendus pour introduire des fautes dans un texte d'ailleurs très correct. Citons-en un seul exemple : au vers 5408, nous lisons à la rime dans le texte imprimé reveiioitf ; cette irrégularité doit être supprimée en adoptant la leçon qui est donnée par D, L et H :

Godewine, Eadmund, les fiz Harald, E les fiz Swain, Tosti, Reinald...

(Cf. The Anglo-Saxon Chronicle, pp. 1067 sqq., Simeon de Durham, II, 187.)

Nous avons donc, dans tous les poèmes du xii^ siècle, deux verbes de II, et trois verbes de IV, qui prennent à l'imparfait les formes de I.

Au xiii^ siècle, ces irrégularités ne deviennent pas beaucoup plus communes; la forme enc/a trop de vitalité pour se laisser absorber par les imparfaits en ou. Les exemples que nous en rencontrons sont tous des troisièmes personnes du singulier ou du pluriel, et comme au siècle précédent, n'appartiennent jamais àla troisième conjugaison. Dans les Dialogues Saint Grégoire, se trouve l'un de ces exemples : obeissotÇ: comandot) au folio 81 a; dans les Set Dormans de Chardri (au vers 835), nous avons cherisout Ç: amout) ; ces deux exemples pourraient être révoqués en doute, on pourrait dire que la faute provient du scribe et qu'on doit lire eit partout, les cas un imparfait de I prend la terminaison eit étant plus communs que les cas contraires.

Les deux exemples suivants n'offrent pas cette difficulté : au vers 261 de la Plainte Notre-Dame, on a. vivout (: out), et au vers 100 de Dermod on trouve ploiioiit {: out).

Nous n'avons pour la troisième personne du pluriel qu'un cas d'interrime, conséquemment un cas douteux : c'est niaiisocnt : eschivoent au vers 89 de Sardenai. Rappelons enfin maintenant les quelques exemples que nous avons cités plus haut et qu'on lit dans les poèmes du xii'^ siècle : creiiioiil de la Folie Tristan, rcvcnout de

56

562 l'évolution du verbe en anglo-françals

l'Estorie des Engleis ; on doit tous les attribuer à l'ignorance des

scribes du xiir". Néanmoins, les cas les imparfaits de I ont

donné leur forme aux verbes qui ne l'avaient pas régulièrement sont des plus rares.

t') Les imparfaits en ()// auxn'^ siècle.

Nous avons laissé de côté, pour pouvoir les étudier dans un chapitre spécial, tous les imparfaits de I qu'on rencontre au xiv^ siècle, car non seulement ils sont traités de façon différente, mais et surtout, nous n'avons pour eux que des renseignements qui manquent de précision.

L'on trouve encore à cette époque un certain nombre de formes en o(ii)Çe), o(^ii){e)s, o(//)/, o(^ii){e^}it , mais cette terminaison a cessé d'être la terminaison caractéristique des imparfaits de I ; elle s'emploie tout aussi bien pour les imparfaits des autres conjugaisons ; c'est le développement naturel de la confusion que nous avons vue s'esquisser au xiii" siècle.

La première personne est extrêmement rare ; nous n'en avons relevé qu'un exemple dans tout le cours du xiv^ siècle : plourou, 2^ Appendice de Pierre de Langtoft (II, 446. 10) '. Il en va de même pour la troisième personne du pluriel.

Les troisièmes personnes du singulier sont plus nombreuses ; nous les diviserons en deux catégories : celles provenant d'un verbe de I, celles qui ont un infinitif de II, III ou IV. Nous laisserons dans cette seconde catégorie les verbes, s'il s'en trouve, qui ont pris par analogie la terminaison cr à l'infinitif.

Voici les quelques exemples des verbes de I que nous avons pu relever ; ceux que nous rencontrons à la rime sont encore assez nombreux, et du reste cela n'importe guère. Citons dans les Vies de Saints de ^ozon \ letout {;. pout de pestre) (folio 103 v°) ; dans la Vie de Saint Richard : iiiiisiroiil (6 10), ^n'iw// (988), ^fo/Vo/// (1089), alout (iiSy^ confonuoiit {i2')8), sont assurés. Dans l'Apocalypse nous avons une rime des plus douteuses : ressemblûtit (: teignot de teindre) (Pepys, 50). L'Évangile de l'Enfance (mss. O et C) nous en donne un cas assuré : amont rime avec deux prétérits en ui, strophe 165 .

I. La Plainte Notre-Dame deBozon.

l'imparfait 563

En dehors des rimes nous trouvons à la page 1 10 de Foulques Fitz War'm : cn'eoiit ; plorôiit se lit au § 119 des Contes de Nicole Bozon -jainot au vers 86 (corps du vers) du Prince Noir; enfin Nicolas Trivet en montre lui-même quelques rares exemples, comme enveyout (au folio 2 v°).

Dans la seconde catégorie, les exemples ne sont pas non plus très nombreux ; nous pourrons faire remarquer ici encore le fait sur lequel nous avons attiré déjà l'attention aux xii" et xiir siècles, que les verbes de III ne sont pour ainsi dire pas représentés dans la langue littéraire parmi les verbes qui prennent la terminaison en ou, par analogie avec les verbes de I.

Dans les exemples que nous allons citer, les rimes sont rares, et celles qu'on rencontre sont des cas d'interrime. -

Dans l'Apocalypse, ms. Pepys, vers 50, nous trouvons tcignot de teindre qui rime avec resemblout; ici on pourrait vouloir lire tei- gneit, resembleit. A la date de 1325, dans la Chronique de Londres, p. 56, on lit pleinoîit, forme que nous avons déjà rencontrée (cf. p. 561) et que nous retrouverons encore; les Contes de Nicole Bozon en ont un nouvel exemple : entinncttout (au § 133). L'Évan- gile de l'Enfance nous donne encore un cas assuré : siioiit desuivre rime avec l'imparfait de I que nous citions tout à l'heure et les deux mêmes prétérits en ///. Quant à la Chronique de Nicolas Trivet, ces formes y sont nombreuses: perfeynol (11 y") ; plcxnout (48 r°) ; ajoutons encore un verbe de III : scout (37 v"), le seul exemple pour cette conjugaison que nous ayons relevé.

Les formes en 0 se rencontrent très rarement dans les œuvres non littéraires, et ne s'emploient pas, dans le petit nombre de cas que nous avons relevés, spécialement avec les verbes de I ; les seuls exemples corrects que nous ayons trouvés sont trois troisièmes personnes du pluriel : l'une, dclayoent, dans les Rymer's Foedera (1299, II, 842) ; l'autre^ quidoent, danslellegistrum Malmesburiense (1300, 1, 56); la dernière, estoent, dans les Mem. Pari. 1305 481). C'est fort peu et nous pouvons aussi remarquer que les recueils les plus corrects n'en donnent aucun exemple.

Nous trouvons aussi un certain nombre, très restreint, du reste, de verbes de la seconde et de la quatrième conjugaisons qui prennent cette forme ; par exemple, dans Rymer encore, nous lisons : defailol (1278, II, 108); aveiiost avec s parasite (1297, II, 790); dans les Chroniques de Londres : plcinout (1325, 56).

564 l'évolution du verbe en anglo-français

Tous les exemples de cette forme que nous rencontrons en dehors de la littérature datent donc de la fin du xiii* ou des premières années du xiv^ siècle.

La seule conclusion que ces quelques cas nous permettent de tirer est que, à la fin du xiii'' siècle, le souvenir de cette termi- naison n'était pas absolument perdu, mais qu'il était à peu près effacé et que les écrivains ne savaient plus avec quels verbes il fallait l'employer.

Dans la langue légale, cette forme est encore plus rare ; nous en avons cependant relevé quelques exemples, moins nombreux encore que dans la langue diplomatique et politique : en voici un qui a quelques" chances d'être authentique : estout (ester), 22 Edw. I", 491 (1294) (peut-être un prétérit ?)

La langue familière ne nous en a fourni aucun cas.

Faisons remarquer qu'il serait bien difficile d'établir un rapport quelconque entre ces formes irrégulières que nous venons de donner et le passage des différents infinitifs des trois dernières conjugaisons à la forme de la première. D'abord, le nombre des nouveaux imparfaits en 0 n'est pas en rapport avec celui des nouveaux infini- tifs en er ; on ne peut découvrir aucun parallélisme entre les deux phénomènes; enfin, les verbes dont nous venons de citer des imparfaits de la forme des imparfaits de I : faillir, mettre, plaindre, teindre, venir, ne sont pas ceux qui prennent le plus souvent et le plus régulièrement à l'infinitif la terminaison des verbes de L Pour terminer, nous n'avons qu'un exemple isolé d'un verbe de la troisième conjugaison avec la désinence caractéristique des impar- faits de L

Le petit nombre de formes étymologiques que nous rencontrons pour les imparfaits de I à la fin du xiii^ et au xiv^ siècle est en soi une preuve suffisante que ces verbes ont tous passé à la forme des trois autres conjugaisons et nous rencontrons dans les auteurs de cette période des rimes en très grand nombre. Nous n'allons pas les citer ici.

Nous ferons simplement remarquer qu'à cette époque la termi- naison de ces imparfaits montre la diphtongue oi (voir plus bas, page 56e) et cette substitution de oi à ci n'a pu que hâter la dispa- rition des imparfaits de I, s'il en était besoin.

l'imparfait 565

B. Imparfaits drs deuxième, troisième et quatrième

CONJUGAISONS.

Nous avons déjà étudié (désinences personnelles) l'amuissement et la disparition de Ye en hiatus à la première et à la deuxième personne du singulier et à la troisième du pluriel. Nous allons maintenant étudier la diphtongue elle-même.

La diphtongue.

La diphtongue de l'imparfait de ces trois conjugaisons a subi bien des changements ; cependant on peut dire que depuis le commen- cement du xii^ siècle jusque vers le milieu du xiv^, c'est la diph- tongue ci qui reste, quelques auteurs mis à part, la forme la plus commune. De plus, il est exact de remarquer que presque toutes les autres formes que cette diphtongue a prises se trouvent déjà plus ou moins répandues dans les ouvrages du xii^ siècle, qu'elles soient dues du reste à l'auteur ou au scribe.

Comme nous l'avons dit, la diphtongue ei reste la forme com- mune des imparfaits de II, III, IV pendant tout le xii% tout le xiii^ et une partie du xiv^ siècle. Il est inutile de citer les exemples de cette forme au xii^ siècle ; tous les auteurs l'emploient sans excep- tion, et au siècle suivant avec la voyelle / ou la voyelle y, c'est la forme qu'on rencontre presque exclusivement dans Chardri, dans le Saint Edmund, dans Robert de Gretham.

Au xiv^ siècle, elle est fréquente chez Pierre de Langtoft, dans les Vies de Saints de Bozon, rare dans le poème du Prince Noir.

La diphtongue ei est parfois, et de très bonne heure, remplacée par ai ; le premier exemple qu'on en trouve se rencontre dans le Psautier de Cambridge qui en contient plusieurs exemples ; Tun d'eux, et c'est le seul, est donné parles deux mss.: plaisait (100, 7); les autres ne se trouvent pas dans B ; ce sont les formes suivantes : disaie{iT,, 18); disaient (j'j, 19); rendaie (68, 6); siioaieÇ^j, 20); à cause de leur importance pour la conjugaison en français, ces exemples ont été cités depuis longtemps. Ils sont presque isolés au XII'' siècle ; les autres cas qu'on relève ne sont pas sûrs et on peut avec beaucoup plus de vraisemblance les attribuer aux différents scribes du xiii= siècle qu'aux auteurs du xir'. Nous trouvons au

566 l'évolution du verbe en anglo-françals

moins Jeux de ces exemples dans TEstorie des Engleis (ms. R) de Gaimiir : poai (1878); et cremaieul (3388); la Folie Tristan en offre aussi quelques-uns, par exemple devait (au vers 69).

Au siècle suivant, la diphtongue ai devient presque aussi com- mune que la terminaison ci. Tandis que quelques auteurs, comme Frère Angier", l'emploient rarement, chez certains autres, tels que les auteurs du Saint Laurent, de Boeve de Haumtone, de Dermod, c'est elle qui prédomine. Aucune différence dans les auteurs de la première moitié du xiv^ siècle : dans les Political Songs de cette époque, dans Pierre de Langtoft, dans Nicole Bozon, les deux diph- tongues sont très librement mélangées, et il serait impossible de dire avec quelque certitude laquelle est la plus employée. Dans la seconde moitié de ce siècle, elle ne disparaît évidemment pas, mais avec t'/, elle passe au second plan. Par exemple ei et ai se ren- contrent dans le Prince Noir, mais ni l'une ni l'autre n'est aussi employée que l'autre désinence que nous allons étudier mainte- nant.

La désinence en oi se rencontre dès le xii^ siècle; mais comme les imparfaits avec cette terminaison ne sont jamais à cette époque employés à la rime, il est plus vraisemblable de les attribuer au siècle suivant. On trouve avoit dans les Légendes de Marie d'Adgar (XIV, 31), et au vers 3065 du Tristan de Thomas : estoit; maisjoin d'être commune au xii^ siècle, cette diphtongue ne sera pas d'un usage fréquent même au XIII^ Il n'y a qu'un tout petit nombre d'auteurs chez lesquels nous la trouvions couramment, chez Frère Angier par exemple ; dans la Vie de Saint Grégoire et dans les Dia- logues Grégoire la terminaison oi est celle qui est le plus communé- ment employée à l'imparfiiit ; mais elle est loin d'avoir la même importance chez les autres écrivains : elle est plutôt rare chez Char- dri et Robert de Gretham, dans le Saint Laurent, le Saint Edmund. On la trouve parfois dans Boeve, le Chevalier, Dermod. Même au commencement du xiV^ siècle, elle ne se rencontre pas très sou- vent; elle est assez fréquemment employée dans le Siège de Carlaverok, dans le De Conjuge non ducenda, dans les Contes de Bozon.

Elle ne devient très fréquente qu'un peu plus tard : par exemple

I. Cf. Timothv Cloran, p. 46.

l'imparfait 567

dans le Prince Noir, dans Pierre de Langtoft, et dans Nicolas Trivet, elle est einplo3'ée presque à l'exclusion des autres.

Nous n'avons pas jusqu'ici semblé nous préoccuper des rimes et nous avons fait uniquement cas des graphies.

C'est que pour les désinences de l'imparfait les rimes ayant quelque valeur probante ne sont pas nombreuses : nous n'avons relevé à la rime que des troisièmes personnes du singulier ou du pluriel, rimant entre elles ou avec les personnes correspondantes du conditionnel. Ces interrimes ne peuvent évidemment pas nous ren- seigner beaucoup ; si celles que nous avons relevées veulent dire quelque chose, elles montrent que les trois diphtongues ei, ai, oi n'étaient que des graphies différentes d'un même son. On trouve déjà dans la Folie Tristan voleit qui rime avec droit (au vers 31); et au vers 69 du même poème, la rime esteit : devait ; il est évident que l'on pourrait remplacer dans ces deux exemples les trois diph- tongues par l'une quelconque d'entre elles ; tout au moins, nous voyons que pour le scribe les trois sons étaient équivalents (date : milieu du xiii^ siècle).

La même remarque peut être fliite pour la rime voleit : avoit aux vers 241, 242 du Chevalier dont le ms. date de la même époque.

La première rime ayant une valeur probante que nous ayons rencontrée, rime qui ne laisse pas que d'étonner quelque peu, se trouve dans le De Conjuge nonducenda (au vers 35) : aIoy{: dirroi).

Toutes rares qu'elles sont, et quoique d'apparence très peu significative, ces rimes nous donnent au moins des dates limites.

Pour le scribe de la Folie de Tristan, c'est-à-dire vers le milieu du xiii^ siècle, les trois diphtongues ei, ai et oi provenant de ei sont équivalentes ; dans le premier quart du xiv^ siècle, cette dernière diphtongue se confond avec la diphtongue of provenant de ai.

Ces trois mêmes diphtongues se trouvent aussi dans les textes anglo-français qui n'appartiennent pas à la littérature ; leur distribu- tion rappelle celle que nous venons de voir. Ei et oi sont les plus communément employées ; on les trouve dans les premiers textes politiques côte à côte; ei est sensiblement plus commun que oi dans les Statutes entre 1275 et 13 11, quoiqu'on ne puisse considérer ces dates que comme des approximations ; même il arrive que la seconde diphtongue se trouve plus employée que la première à cer- taines dates comprises entre ces limites, par exemple à l'année 1297.

568 l'évolution du verbe en anglo-français

Cependant, ces réserves faites, on peut considérer l'année 1310 comme le moment la désinence en oi l'emporte définitivement sur l'ancienne dans les Statutes.

A peu près à la même date, dans les Lettres de Jean de Peckham, on ne trouve guère que la diphtongue ancienne. Au contraire, dans les Rymer's Foedera, autant qu'on peut en juger, oi, qui est employé dès 1259, est probablement plus commun proportionnelle- ment que dans les Statutes ; et, avant 1300, elle se trouve fréquem- ment sinon presque exclusivement employée. Les renseignements que nous fournissent les Year Books sont évidemment moins précis ; cependant, d'une façon générale, ils concordent avec ceux que nous pouvons tirer des Statutes : la diphtongue ci domine sans qu'il puisse y avoir doute jusque pendant les premières années du xiv^ siècle ; vers 1305, oi semble l'emporter.

Il serait intéressant de se rendre compte de la personne qui a subi le plus et le plus tôt le changement de la diphtongue; ici, nous ne pouvons guère parler que des troisièmes personnes du singulier et du pluriel, car les deux autres personnes qui ont la diphtongue sont trop rarement employées pour qu'on puisse tirer une conclusion. On pourrait croire, à première vue, qu'il n'y a aucune raison pos- sible pour que le changement de diphtongues ne se soit pas fait simultanément à ces deux personnes ; et c'est ce que nous avons nous-même cru tout d'abord. Cependant, en confrontant les exemples que nous avons recueillis, nous n'avons pas pu ne pas remarquer une différence : dans les Statutes nous trouvons que la distribution des diphtongues n'est pas la même à la troisième personne du sin- gulier et du pluriel : g/ est plus régulièrement conservé au singulier; au pluriel nous trouvons presque toujours oi, excepté lorsque le radical contient cette même diphtongue ou 0, comme pooir. Nous nous trouvons incapable de tirer une conclusion des exemples que nous avons relevés dans Rymer's Foedera, mais les Year Books apportent un témoignage qui, quelle que soit sa valeur, vient con- firmer celui des Statutes. Nous l'avons surtout remarqué pour le Year Book 31 Edw. I" (1303).

L'année 1340, dans les Statutes, montre oi employé presque par- tout, et cet état de choses se continue jusqu'à la fin du siècle. La même remarque peut se faire pour Rymer, quoique la date à laquelle cela se produit soit quelque peu plus ancienne ; quant aux Year Books, dès 1337, les formes en «deviennent rares. -

l'imparfait - 569

La diphtongue ai est moins commune encore que la diphtongue ci ; c'est dans les Year Books et dans Rymer qu'on la trouve le plus fréquemment. Dans la première collection, elle se rencontre dans les dernières années du xiii^ siècle, et elle devient relativement fré- quente vers 1339 (cf. par exemple 12 et 13 Edw. III) elle est vraiment commune.

Dans les écrits politiques, elle ne se rencontre pas aussi souvent, et de toute façon son apparition est plus tardive ; on rencontre cette diphtongue surtout à la troisième personne du singulier, par exemple dans les Parliamentary Writs, 13 14; au pluriel, elle fait son apparition un peu plus tard, dans les Statutes, à la date de 1340 ; on pourrait peut-être relever des exemples plus anciens que ceux-là, mais il est certain qu'on ne saurait en trouver un grand nombre.

Aucune des terminaisons qu'il nous reste encore à examiner n'a l'importance des trois diphtongues que nous venons d'étudier : ce sont toutes des succédanés de la diphtongue ci ou de la diphtongue ai; aussi nous ne nous y arrêterons guère.

La diphtongue ci donne quelquefois :

/(' comme dans siisteniet du Psautier de Cambridge (93, 18) (cf. M. Suchier, Voyelles toniques, §30 b) ; ceci est très rare dans l'anglo-français littéraire. Dans la langue légale toutefois, on ren- contre cette forme un peu plus fréquemment : aviet (20 et 21 Edw. P-", 15); poiei (32 et 33 Edw. I", 63; 33 et 35 Edw. l", 239, etc.).

Il est beaucoup plus commun de rencontrer une voyelle simple à la place de la diphtongue; ei sq réduit très fréquemment à e: on en trouve des exemples dans le Voyage de Saint Brandan (ms. cire. 1167), comme braiet (au vers 912); coniplaiscc peut se lire dans le Psautier d'Oxford (34, 7); dans Adgar on trouve joiet (V R, 203). On lit eissiret dans le ms. L du Bestiaire (vers 13 32); et au vers 1005 de Guischart de Beauliu on trouve la pre- mière personne du singulier serrée. Citons encore poiei dans Wil. Rishanger (p. 277); moveret, au vers 531 de la Destruction de Rome; a ssigneret dans Rymer (1320, III, 852).

Poet est très commun dans les Year Books (cf. par exemple dans 31 Edw. I", 349 ; 32 et 33 Edw. I", 6y, 33 et 35 Edw. I", 239); de même volet (2 et 3 Edw. II, 140).

570 1, ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

De la même façon, la diphtongue ai peut passer à a comme fiiiaent dans le Psautier de Cambridge (30, 12).

Il est rare que eist réduise à /, cela n'arrive quW la troisième per- sonne du pluriel, dans solieut, Statutes (1275, I, 26) et dans les Harly Statutes of Ireland (1285, 46).

La diphtongue disparaît quelquefois, mais fort rarement, peut- être dans paient, employé dans les Statutes (1322, 1, 185 ; 1330, I, 265), et dans /)0/7 (Year Book 2 et 3 Edw. II, 26), certainement à^YïS fesent (Mem. Pari., 1305, § 481).

Nous allons donner maintenant les formes principales de l'im- parfait du verbe estre. Ce verbe, comme on le sait, a deux formes différentes à l'imparfait de l'indicatif : l'une qui vient directement de l'imparfliit latin, tandis que l'autre est une forme analogique tirée de l'infinitif estre comme perdeie est formé de perdre. On peut ajouter une troisième forme beaucoup plus rare, on ne la trouve que chez Angier, qui est une contamination des deux autres : au radical de l'imparftit du verbe latin est ajoutée la terminaison française : er -\- eie.

V forme. Cette forme est employée pour quatre des six per- sonnes de ce temps : les trois personnes du singulier et la troisième du pluriel.

La première personne, ère, ne se rencontre pas souvent ; nous l'avons relevée dans le Psautier de Cambridge (cr, i); au vers 356 de la Folie ; au vers 685 de la Vie de Sainte Catherine. Ce sont les seuls exemples que nous connaissions en anglo-français .

La seconde personne est encore plus rare ; nous n'en avons jamais vu qu'un seul exemple : ers dans Adgar (XXIII, 183); elle a perdu son e muet flexionnel.

La troisième personne du pluriel a ordinairement la forne erent ; on trouve aussi />;t;7/ dans le Saint Edmund (751) et dans Der- mod (414). Ces deux formes ont, comme le montrent les rimes (: guarderent) (Heures, 64 r°) ; (: portèrent) (Saint Edmund, 751), etc., un e fermé; on la rencontre jusqu'au quatrième quart du xiii'^ siècle.

La troisième personne du singulier est des quatre personnes celle qui est de beaucoup la plus employée; on la rencontre fréquem- ment jusqu'au xiv^ siècle dans les œuvres littéraires. Nous n'en citerons aucun exemple, puisqu'on peut en trouver dans chaque

L IMPARFAIT 571

auteur anglo-français. Les formes sous lesquelles elle apparaît sont très peu variées. Plus de neuf fois sur dix, elle présente la forme habituelle, sinon parfaitement étymologique : erl. Comme à la troi- sième personne du pluriel, il arrive que la voyelle initiale de ert se diphtongue : la forme qu'elle prend alors est le plus souvent iert : cette forme est assez répandue, beaucoup moins cependant que celle qui présente la voyelle simple : on la trouve au vers 865 de Tris- tan ; au vers 144 de la Folie Tristan, il faut probablement lire à la rime iert : enquiert.

Cette forme est fréquente chez Dermod^ par exemple au vers 4.

Il est plus rare de trouver la diphtongue ci ; nous en relevons un exemple au xiv^ siècle dans les Rubriques d'Edward le Confesseur (LA7I, 10), ou ciii rime avec apert, ce qui montre que ei n'est qu'une graphie de e.

Le / final de la troisième personne disparaît quelquefois en même temps que Ye, qui est étymologique, reparaît.

Ere, en anglo-français comme en français, est très commun : on trouve déjà cette forme dans le Saint Brandan au vers 86, et dans trois autres endroits, mais elle n'est jamais attestée par la rime ; dans Gaimar au contraire, elle rime avec amere (vers 4693) et avec frère (au vers 1756); par la suite, on la trouvera souvent à la rime : elle rime avec frère dans la Vie de Saint Grégoire (304); avec lumere dans Robert de Gretham (10 v°) ; axec manere dans le même auteur (29 v°) ; avec arere toujours dans les Evangiles des Dompnées (90 v'^) ; avec mère dans Sainte Madeleine (78); Sarde- nai (38) ; etc.

Comme pour cri, la voyelle initiale se diphtongue quelquefois et on trouve icre qui rime avec Pierre deux fois dans la Vie de Saint Grégoire (vers 1190, 2798) ; et dans Fantosme, ^rt', qu'il faut proba- blement lire iere, rime avec le même mot (au vers 204).

Il est beaucoup plus rare que Vr de cette forme soit redoublée comme dans erre, qui se trouve dans la Folie (au vers 103), et qui n'est peut-être qu'un lapsus calami (M. Bédier rétablit, au lieu de qu'erre, qui ert).

Comme on le voit, cette forme, quoique très employée, s'est fort bien conservée, et ne présente que des variations ou régulières ou sans importance.

Erl, iert, eirf, ère, iere, erre, ces six formes ne sont pas spéciales à

572 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

ranglo-français et peuvent se retrouver dans certains dialectes du continent.

Cette forme étymologique de l'imparfait de être est extrêmement rare hors des textes littéraires : on peut en citer quelques exemples, comme erent dans les Chroniques de Londres (1339, p. 73); mais elle est absolument inconnue à la plupart des recueils de textes politiques et diplomatiques.

2" forme. La forme esteie ne présente rien de particulier : au commencement, dans le Brandan, le Cumpoz et le Bestiaire, elle est aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel, sensiblement moins répandue que la forme en er. A partir des Psautiers, et dans tout le reste de la littérature anglo- française, elle prédomine à toutes les personnes ; au wx" siècle la proportion des formes analogiques aux formes étymologiques est de 96/100 (Pierre de Langtoft).

3'' forme. Le Frère Angier, dans la langue littéraire anglo-fran- çaise, est le seul qui emploie la forme mixte eroie, combinaison du thème latin er, et de la désinence française e(o)ie. Il l'emploie à toutes les personnes, sauf à la seconde du singulier, dont nous ne trouvons chez lui aucun exemple et à la seconde du pluriel '.

I. Cf. Paul Meyer, Rom. XII, p. 201.

CHAPITRE III LE PRÉTÉRIT

I. Les prétérits faibles. A. Les prétérits e;/avi'.

I . Leurs formes.

La première personne du singulier des prétérits faibles en avi est régulièrement terminée par ai; les exemples que nous en avons trouvés, sans être très nombreux, suffisent pour le montrer ; cette désinence est seule employée au xii' siècle et elle est la plus com- mune pendant la plus grande partie du xiii'^. On la trouve par exemple à la rime jusque dans Sardenai : travai (: Sardenai) au vers 3.

Vers la fin du xiii'^ siècle, la diphtongue ei remplace assez fré- quemment la diphtongue étymologique, et cette nouvelle forme devient relativement fréquente au xiv^ siècle, sans toutefois dépla- cer la terminaison ai(y). C'est, aussi exactement que possible, à cette même date que cette même diphtongue fait son apparition à la pre- mière personne du singulier de ce prétérit dans les textes non litté- raires.

Jean de Peckham par exemple a chaungey (1280, p. 128 et pas- siui), quoiqu'il emploie aussi couramment l'autre diphtongue ; Rymer nous donne acordei (1295, II, 676, etc.). Les Year Books nous fournissent un nombre considérable d'exemples montrant indifféremment l'une ou l'autre de ces diphtongues; nous en ver- rons quelques-uns plus loin ; il est d'autant plus inutile de les citer

I. Voir Meyer-Lùbke, Beitriige zur roman. Laut-uiid Formculehre II, et daus la Zeitschrift IX, p. 223.

574 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

ici que nous restons dans la plupart des cas ignorants de la date de ces prétérits.

Donnons enfin quelques formes qu'on rencontre dans les Lettres de Jean de Peckham ; elles sont isolées et peuvent n'être que des fautes d'orthographe, mais c'est justement parce que ce sont des fautes d'orthographe qu'elles présentent de l'intérêt au point de vue phonique : cclehre- (1280, 94); esciiminic:^ (1280, 149); siiffrei (1280, 99).

(Pour le passage de ai à oi et de ai à a, voir Désinences person- nelles, i'^ personne du singulier, p. 55 sqq.)

Nous n'avons que peu d'observations à faire sur la troisième per- sonne du singulier, les principales modifications qu'elle subit ne lui sont pas particulières : elle les partage avec d'autres troisièmes per- sonnes du singulier, et pour cette raison ces modifications ont été déjà étudiées aux Désinences personnelles.

(Terminaisons en 5/, cf. p. 115.)

Comme terminaison spéciale aux troisièmes personnes du singulier des prétérits en avi, nousrencontrons au xiii^ siècle les désinences en ea, par exemple palniea à la page 5 1 de Foulques Fitz Warin ; dans les Contes de Nicolas Bozon : trovea(^ ^8), pciisca (p. 159); iiiovca dans Nicolas Trivet (folio 23 v°).

Dans les Year Books cette désinence est assez commune ; elle semble toutefois assez tardive.

Cette désinence nous suggère deux remarques : d'abord Ye est purement graphique, autant que nous pouvons nous en rendre compte '. Ensuite cette désinence ne doit pas se confondre avec des formes telles que cumcnceaiÇpav exemple Psautier d'Oxford, 76, 10), cxakeat (dans le Psautier d"Arundel, G6, 10) Ve sert à adoucir la gutturale. M.iis il est très possible que les exemples irréguliers du xiv^ siècle tirent leur origine des formes régulières du xii^ siècle.

Les formes en aa sont rares, nous n'en avons relevé d'exemple que dans Nicolas Trivet, comme passaa au folio 8 ^

La première et la deuxième personne du pluriel se sont, elles

1. Cf. Stimniing, Boeve de Haumtone, p. 179, 1. 8; p. 180, L 5 sqq.

2. Le redoublement de l'a est particulier au prétérit, lorsque cette vovelle fait partie de la désinence ; nous avons déjà vu Va du radical redoublé dans aa de avoir (cf. p. 150).

LE PRETERIT 575

aussi, très bien conservées, la voyelle accentuée a ne subissant pour ainsi dire aucun changement. Citons seulement la graphie an qui apparaît à la fin du xiii'', ou plus vraisemblablement au xiV siècle.

Nous lisons par exemple dansRymer : iiiaiidaumesÇiiSi, II, 197); loaiiiiies, grcauiiies, mvoyaiimes (1297,11, 749); chargeaumes (1323, IV, 22); envciaiimes, Parliamentary Writs (I, 1300, 341). Dans la Genèse Notre-Dame, on relève portaiistes et Irovaiistcs au folio 62 v°; nous trouvons de même dans William de Waddington, au vers 3555 du Manuel des Péchés, reneiaiistcs qui rime avec une terminaison en astes. Ces formes sont probablement dues aux scribes : en tous cas ce ne sont que des graphies.

Nous avons parlé déjà (Désinences personnelles, i''' personne du pluriel, p. 171 ; 2'= personne du pluriel, p. 203) de l'introduction d'une s parasite (^mandasmes, grantasmes), et de la chute de 1'^ éty- mologique (coiiiandates, ahuruales) à ces deux personnes.

La troisième personne du pluriel prend quelquefois, comme voyelle tonique, a au lieu de e. Les seuls exemples que nous ayons se lisent dans le Poème du Prince Noir : coronarent se trouve au vers 171 1, alarefit au vers 2639 ; ou elles appartiennent à la langue diplomatique et légale, comme : renunciarent dans les Rymer's Foedera (1299, II, 841); conissarent (Year Book 13 et 14 Edw. III,

99)-

Comme on le voit cette désinence est assez rare, et les recueils

les plus corrects l'ignorent.

LE RADICAL

Vers la fin du xiii^ siècle et pendant le xiv" siècle, on trouve que la terminaison produit sur le radical des effets que l'on n'avait pas observés jusqu'alors.

Les verbes de I dont le thème est terminé par une r redoublent souvent cette r devant la voyelle a : nous trouvons en effet dans les auteurs littéraires : joitrnt de jurer dans la Chronique de Londres, p. 4, à la date de 1262, et p. 22(1290) ; cette même forme devient par la suite assez commune et elle se rencontre encore dans Nicolas Trivet au folio 23 v^' ; daiiona est aussi employé dans la même Chronique à la date de 1272, p. il, de même que dans les Mem.

576 l'évolution du verbe en anglo-français

Pari. 1305 aux §§ 117, 305 ; diirra se lit dans le même ouvrage, p. 38 (13 14); desirra dans les Contes de Nicole Bozon, § 23.

Les exemples que nous venons de donner et plusieurs autres du même genre se rencontrent en dehors de la littérature, spécialement dans les Rymer's Foedera. On peut observer une tendance géné- rale chez les verbes de I dont le thème se termine par r à redoubler cette consonne au prétérit.

Il en résulte que, comme nous le verrons encore mieux plus tard, ces verbes ont au prétérit la même forme qu'au futur, et ils y arrivent par un développement phonique assez normal plutôt que sous l'action de l'analogie.

On ne saurait nier toutefois que ce dernier temps a eu une action assez forte sur le prétérit; car il y a encore d'autres prétérits qui prennent aussi le thème du futur; ils se rencontrent dans Foulques Fitz Warin et ce sont de véritables barbarismes que l'on peut sans nul doute attribuer au scribe. Ce sont des prétérits en ai et ceux de pouvoir et de vouloir à forme de futur ; ils sont trop nombreux pour qu'on puisse les prendre, comme on serait tenté de le faire, pour des lapsus calami : on trouve vodray la p. 38); vodia (aux p. 20, 43, 51, 70) ; purrei (p. 45).

Il est fort possible que l'identité jurra, demorra, durra, desirra, etc. (futur), jurra, demorra, durra, desirra (prétérit), ait fait provenir les nouvelles formes vodra, piirra (prétérit) des formes régulières vodra, purra (futur). Néanmoins cette confusion est bien extraordinaire.

2. Les acquisitions.

En anglo-français, nous trouvons un nombre considérable de verbes de II, de III et de IV qui prennent au prétérit la forme des prétérits en avi ; toutes les conjugaisons n'ont pas été également atteintes par les formes analogiques, et dans une même conjugaison on peut observer que certaines personnes prennent plus vite et plus souvent que les autres les désinences du prétérit de I. Ce sont surtout les troisièmes personnes du pluriel du prétérit en irent qui, à toutes les époques de la littérature anglo-française, ont pris le plus commu- nément la désinence erent. Aussi nous diviserons notre étude en deux parties ; troisièmes personnes du pluriel en irenl, autres personnes.

LE PRETERIT 577

a) Troisièmes personnes du pluriel en iroit '.

Le fait de remplacer à la troisième personne du pluriel la termi- maison ireiit par erent est à peu près aussi ancien que la littérature anglo-française ; le voyage de Saint Brandan nous en fournit déjà un premier exemple : chosscreiit pour choisir (au vers 465); cet exemple pourrait être laissé au scribe (1167). Et c'est évidemment jusqu'à cette dernière date qu'il f;mt reculer la rime oiercnt : joierent que l'on trouve dans le même poème (vers 857). Le Psautier d'Arundel nous offre aussi un exemple de ce changement de désinence ; nous y lisons en effet establerent (16, 12) ; enfin le dernier exemple que nous ayons relevé au xii^ siècle se lit dans la Vie de Saint Gilles : c'est siiuierent (au vers 1669); on pourrait encore l'attribuer au scribe et le rejeter ainsi au xiii'^ siècle.

Comme on le voit, sans être nombreux (même l'exemple du Saint Gilles mis à part), les cas un prétérit en irent prend la terminaison en erent sont assez fréquents pour qu'on puisse con- clure que dans la seconde moitié du \u° siècle, les prétérits en avi attiraient déjà à leur troisième personne du pluriel les verbes de II (cf. Infinitif).

Le xiii" siècle va du reste nous fournir un nombre considérable de ces désinences en erent affectées à des verbes de IL II n'y a qu'un petit nombre de ces cas qui soient attestés par la rime : nous pou- vons citer dans la Genèse Notre-Dame : giierperent {: chantèrent) (au folio 65 v°) ; dans l'Erection des Murailles de New Ross nous avons encore asenterent (: alerent) (au vers 19), et plus tard, dans l'Apocalypse : isserent (: ressemblèrent) (92^); il est plus commun au xiii*" siècle de rencontrer des rimes comme finicrcnt (: descen- dirent) (Genèse, 48 v°), oyerent (: départirent) (dans le Saint Edmund, au vers 2665), oyerent (: tendirent) (ibid., 2709), syverent (: virent) (au vers 547 de Dermod).

Même ces rimes, comme nous le verrons dans la seconde partie de ce travail, ont leur importance.

Nous rencontrons des exemples de ^r^/z^ pour irent beaucoup plus

I. Cf. Romaiiia XXXVI, p. 88, uotc ; Zcitschrift II, p. 543 ; Suchicr, Ueber..., p. 47.

37

578 'l'évolution du verbe en anglo-français

fréquemment dans le corps des vers ; nous n'en citerons que quelques- uns, dans Timpossibilité nous sommes de décider s'ils appar- tiennent aux auteurs du xiii'- ou aux scribes du xiii'' et du xiv= siècle.

Nous en trouvons un très grand nombre dans le Saint Edmund, trop grand même pour qu'ils appartiennent tous à l'auteur ; il est donc plus sage de les attribuer au scribe, comme les rimes impar- fliites que nous venons de citer nous porteraient du reste à le faire : la date du ms. du Saint Edmund est environ la tin du xiii^ siècle.

On trouve par exemple dans ce poème : oycrcut (170, 248, 265), vesqnicroil (430, etc.). Dans Boeve, les exemples de cette attraction sont au moins aussi communs : oierent se retrouve au vers 587 ; saikrent est employé au vers 2580; sayscnmt au vers 2582 ; fmrent (de fuir) au vers 2935 ; citons encore ferercnt (ferir) (3-37)5 isserent (3536), etc. La Genèse ne manque pas non plus de formes analogues ; beaucoup d'entre elles ne font que répéter celles que nous avons déjà vues, comme oyerent qui se trouve plusieurs lois (par exemple au folio 51 r°), asailerent (-15 et passivi); on peut y ajouter une forme que nous n'avons pas encore rencontrée et qui va devenir par la suite très commune : hayerenl de haïr (au folio

44 i-°)-

Asailerent apparaît de nouveau au vers 1037 de Dermod et une nouvelle forme /â!/)^;-^?// est employée au vers 731 du même ouvrage; citons encore f aillèrent, très fréquemment employé par la suite et qui se trouve par exemple au vers 1404 de William de Waddington. Ajoutons encore une autre forn.e : escoperent, qui se lit dans le Ser- mon en vers Deu le Omnipotent (44 d).

Au xiv^ siècle, nous retrouvons les mêmes exemples que dans les auteurs du siècle précédent : issierent, empliereni aux vers 397, 420, 947 de la Destruction de Rome ; oyerent dans Foulques Fitz Warin la page 18) ; dans les Contes de Bozon (au § 85), dans Nicolas Trivet (46 v°), etc. Et encore les formes que nous avons déjà vues : asaylerent dans Foulques Fitz Warin, encore page 46 et passiin ; etfailereiil à la date de 13 14, page 38 de la Chronique de Londres.

Tous les verbes précédents prennent régulièrement erent à la troisième personne du pluriel du prétérit ; les formes en / sont rares (asaylirent à la page "68 de Foulques Fitz Warin) ou absentes. Quelques autres verbes, sans employer cette forme avec la même régularité que ceux qui précèdent, apparaissent le plus sou-

LE PRETERIT 579

vent avec la désinence des prétérits en avi à la troisième personne du pluriel ; on peut citer parmi ceux-ci joierent qu'on trouve dans l'Apocalypse (Jj, 573) ; dans Nicolas Trivet (19 r°) et ailleurs.

Citons enfin quelques-unes de ces formes qui sont extrêm ment abondantes dans Nicolas Trivet : foivciriit (5 v°) ; hcicrcnt que nous avons déjà rencontré (6 v°) ; choiscrent (14 r°); ciiscvilereiit (17 v°) ; eiiiplerent Ç62 y°) ; coil lèvent Ç^^ r°).

Ce n'est pas une exagération de dire qu'avant la fin du xiv*^ siècle^ tous les verbes de la deuxième conjugaison ont à la troisième per- sonne du pluriel de leur prétérit la terminaison erciit, la terminaison régulière a pour ainsi dire entièrement disparu.

Les formes que nous avons citées nous donnent le caractère essen- tiel du phénomène qui nous occupe, et nous arrêterons un instant cette liste d'exemples. Ce que nous venons de dire du passage à erenf de la désinence de la troisième personne du pluriel en irerit et les quelques exemples que nous avons déjà cités suffisent pour montrer clairement quelles analogies ou plutôt quelle identité il montre avec le changement qui affecte les infinitifs de la seconde conjugaison. Nous pourrions nous demander maintenant si le phéno- mène dont nous venons de parler n'est pas simplement un résultat de celui que nous étudions à l'infinitif? Cela ne nous semble pas probable. Si les troisièmes personnes du pluriel en erent pour irent étaient des formations analogiques, nous devrions observer, entre celles-ci et la modification que nous montrent les infinitifs de II, un certain intervalle de temps ; il faudrait que la terminaison en er dans ces derniers ait eu le temps de prendre une apparence régu- lière et usuelle avant de pouvoir gagner d'autres tormes. Or, c'est exactement à la même époque que nous remarquons les premiers exemples de ces deux phénomènes (ri6o), et- nous sommes parfai- tement certains que ni l'un ni l'autre de ces phénomènes ne saurait avoir une date plus reculée.

En second lieu, si c'était l'analogie qui avait produit la nouvelle forme des troisièmes personnes du prétérit, nous devrions rencontrer cette nouvelle terminaison en cr et en ercnl aux mêmes verbes dès le début. Ce n'est pas cela qui a lieu. On a d'uncàié pi ai ser, repeiiler, donner, de l'autre chossereiil, oierenl, joiereiil. Donc les deux phéno- mènes sont bien indépendants; mais, comme nous nous attacherons à le démontrer, ils proviennent de la même cause.

580 l'évolution du verbe en anglo-français

Nous avons cité ci-dessus les exemples qui nous paraissent les plus importants ; ajoutons-leur rapidement quelques verbes qui, sans appartenir à la seconde conjugaison, subissent le même changement. Et les exemples qui suivent auront l'avantage de nous montrer que le phénomène qui atteint la troisième personne du pluriel du prétérit est indépendant ^du passage à l'infinitif de ir à cr. Nous citerons ces quelques exemples sans trop nous attarder sur les dates auxquelles il faudrait les rapporter.

Quelques-uns d'entre eux se rencontrent très fréquemment ; la troisième personne du pluriel de suivre, par exemple, est le plus souvent, à partir de la seconde moitié du xiii^ siècle, en erent ; quelques textes du xii^ siècle nous montrent déjà cette forme, comme la Vie de Saint Gilles qui a (au vers 1669) skuiercnt ; au xiii^ siècle le même verbe apparaît dans la Plainte Notre-Dame (aux vers 44 et 50), sous la forme swyerent ; deux fois aussi dans Dermod l'on trouve suèrent (vers 691, 739) et une fois syverent ( : virent) (au vers 547). L'Apocalypse en a aussi plusieurs exemples : sucrent (v, 809); skvereiit (_^[, 11 64); on trouve du reste dans le même ouvrage siiuirent Qj, ii6z|); etc.

Aucun autre verbe ayant irait à la troisième personne du pluriel du prétérit ne prend Ve tonique à cette personne du pluriel aussi fréquemment que suivre ; en voici quelques-uns qui se rencontrent quelquefois : pnrvciercnt employé dans la Genèse Notre-Dame (72 r"); defenderent qui est employé deux fois dans Dermod (vers 2000 et 2360) ; cheierent (: aorerent) dans l'Apocalypse (a, 346) ; et chaierent (7, 335) dans le même poème ; la même forme se rencontre dans Nicolas Trivet (au folio 31 r°). Descenderent est aussi employé dans les Contes de Nicole Bozon au § 82 ; dans les Chro- niques de Nicolas Trivet au folio 14 et dans un grand nombre d'autres cas. Du même genre est defendere?it qu'on trouve dans Foulques Fitz Warin à la page 46.

Nous pourrions ajouter un nombre d'exemples beaucoup plus considérable ; mais nous nous contenterons d'en soumettre un de plus, discutable, il est vrai. On trouve aux §§ 81 et 84 de Bozon vierent pour virent; mais il est fort possible qu'on ait ici une graphie assez peu commune pour / : (pour ie = /, cf. Stimming, p. 187 et Suchier, Voyelles, p. 87, 29 e).

Dans cette liste, un peu longue déjà, il se trouve des verbes qui

LE PRÉTÉRIT 58 1

ne sont employés que beaucoup plus tard avec un infinitif en er, suivre par exemple, ou défendre.

Nous n'avons pas l'intention de citer tous les verbes qui, dans la langue politique, diplomatique, familière et légale, prennent la désinence crcnt au lieu de ircnt ; nous nous contenterons de signaler ceux qui sont les plus employés ou, à notre avis, les .plus remar- quables. Sofrerent se trouve partout, par exemple dans les Statu tes (1321, I, 184), dans Rymer, dans les Literae Cantuarienses etc.

Il en est de même pour enjoierent, responâerent, hatterent, assen- icrent, oierent, qui n'apparaissent plus que très rarement sous la forme étymologique; ces verbes semblent avoir passé sur ce point à la première conjugaison. Nous pouvons cependant ajouter quelques remarques à propos de la distribution des autres nouvelles formes en erent dans nos diiférents recueils, car on peut relever des variations considérables.

Les Statutes, par exemple, et tout d'abord, sont relativement très corrects à ce point de vue encore ; le nombre de prétérits en i qui prennent une troisième personne du pluriel en erent est très minime ; le premier cas que nous ayons relevé de ce passage, c'est le sofrerent que nous citions tout à l'heure, et la date à laquelle il se trouve est 1321. Les autres cas qu'on rencontre sont très clairsemés pendant la première moitié du xiv^ siècle, tandis que les troisièmes personnes du pluriel en ireut sont fréquentes.

Vers la fin de ce siècle, les personnes irrégulières deviennent un peu plus nombreuses. Ce que nous venons de dire s'applique aussi, mais dans une moindre mesure, aux Parliamentary Writs qui ne nous ont fourni qu'un nombre très restreint d'exemples; beaucoup moins bien encore aux Mem. Pari. 1305 ; dans ce dernier recueil les formes sont relativement très nombreuses.

Dans les Rymcr's Foedera, la correction laisse encore plus à désirer; les troisièmes personnes du pluriel qui prennent la dési- nence erent au lieu de irent deviennent extrêmement communes après 1295. Nous rencontrons toutes Tes formes que nous avons- citées dans les lignes qui précèdent et un assez grand nombre de nouvelles. Nous ne donnerons qu'un exemple qui est spécialement commun dans ce recueil : faillcrcnt (1297, II, 783); cette citation était du reste parfaitement inutile, nous aurions pu nous contenter de dire que la plupart de terminaisons en irciil, sinon toutes, prennent, à l'occasion ou constamment, la forme en erent.

582 l'évolution du verbe en anglo-français

Les Literae Cantuarienses, ou si l'on veut la littérature familière de cette époque, nous en donnent un grand nombre, moins consi- dérable toutefois que dans les Rymer's Foedera ; quant aux textes de langue légale, il nous suffira de dire que la terminaison en ireiil y est très rare et a presque complètement disparu.

Autres acquisitions.

Dans la section qui suit, nous étudierons : les troisièmes per- sonnes du pluriel autres que celles de la seconde conjugaison qui prennent la forme des prétérits en avi; toutes les autres per- sonnes des seconde, troisième et quatrième conjugaisons qui nous montrent cette même forme.

a) Les troisièmes personnes que nous avons à citer maintenant sont celles qui dans cette section nous donneront le plus grand nombre d'exemples. Mais nous croyons, sans en être absolument sûrs, d'abord que ces nouvelles terminaisons en ercnt sont sensible- ment plus récentes que celles que nous ont fournies les prétérits en ivi, ensuite que l'origine de ces nouvelles formations n'est pas la même que celle des formes que nous avons déjà énumérées.

Ces troisièmes personnes du pluriel proviennent d'abord des prétérits en ni, et il semble que les premiers exemples que nous en trouvions soient fort anciens. Nous en avons un en effet dans les Légendes de Marie d'Adgar : volèrent (XI, 137).

Puis la volèrent en hait pendre.

Cette forme, barbare pour le xii^ siècle, semble assurée par la mesure du vers ; mais nous ne pouvons pas nous prononcer d'une fiiçon absolument certaine, car nous n'avons pas les variantes pour ce vers. On pourrait probablement lire voleient.

Ce n'est guère que vers la fin du xiii'^ siècle que nous commen- çons à rencontrer assez communément des formes comme celle d'Adgar, et cette date correspond bien avec celle du manuscrit des Légendes de Marie. Le ms. B de Boeve de Haumtone nous donne avèrent (pour le vers 2475); la Genèse Notre-Dame nous donne aussi curèrent (au folio 73 r°), et on pourrait citer un petit nombre d'exemples analogues dans les ouvrages de la fin de ce siècle.

LE PRÉTÉRIT 583

Mais c'est surtout au xn"^^ que nous trouvons des exemples assez nombreux en même temps qu'assurés. L'Apocalypse nous a montré la première rime : aparerent qui rime avec ressemblèrent (y, 53 ; ^ 451). Cette même forme est employée dans les Contes de Nicole Bozon (au § 84), dans la Chronique de Nicolas Trivet (cf. folio éo v°) et dans quelques Year Books assez récents. Citons encore vioverent (cf. d'ailleurs niovea, cité plus bas) que nous lisons dans ce dernier ouvrage (folios 37 r°, 63 v°). Nous conclurons que ces formes sont assez peu communes et que, en dépit des apparences de l'exemple des Légendes de Marie, elles n'apparaissent pas avant la fin du xiii^ siècle.

Ce sont les mêmes conclusions auxquelles nous arriverons pour les désinences en erent provenant de prétérits en si. Le xiii*^ siècle ne nous a donné que siirderent qui se lit dans la Genèse Notre- Dame (folio 44 r°) ; le xiv^ nous en offre davantage : nous trouvons dans le ms. L de Chardri satis fièrent, pour le vers 1803 du Josaphat. Même Pierre de Langtoft dans sa Chronique n'en a qu'un nombre insignifiant de cas. Citons une forme qui se trouve dans ce poème et qui deviendra très commune dans les textes légaux delà fin du xiv'^ siècle : pkynerent. Les ouvrages en prose nous montrent certainement un nombre plus considérable de ces formes, et quelques-unes doivent dater du xv^ siècle. Outre celles que nous venons de voir, nous pouvons citer despiserent, que nous trouvons dans la Chronique de Nicolas Trivet (au folio 63 r°), asseyerouni dans le même ouvrage (au même folio) ; metterent, escriverent, enoynlerenl, toujours dans Nicolas Trivet (respectivement aux folios 28 \°, 25 v°, 43 r"). Ces quelques formes nous ont paru assez rares ; il n'en est pas de même pour ardèrent qui terminera notre liste d'exemples ; nous le trouvons en effet dans Pierre de Langtoft (I, 346, 9), dans Foulques Fitz Warin (page 29) et dans plusieurs autres auteurs.

Certaines des formes précédentes peuvent nous inspirer quelques doutes. Nous verrons plus tard que les troisièmes personnes du prétérit : surdrent, ardrent, enoyntrent, ou des formes analogues, ne sont pas rares. Les formes que nous venons de citer ne peuvent- elles pas dans certains cas provenir de ces prétérits par l'introduction d'une sorte d'c svarabhaktique ? Nous ne saurions pas alors si cet e reçoit l'accent tonique. La question est de mince importance puisque

584 l'évolutiox du verbk en anglo-frakçais

nous sommes à peu près certains que ni apparercnt ni luoverenl, etc. n'ont cette origine.

Comme on le voit, le nombre de ces nouvelles formes de la troisième personne du pluriel des prétérits en si qui prennent la désinense en crcnt est minime, et ces formes sont récentes. On ne peut donc les comparer à ces acquisitions que les prétérits en ivi et en / ont fournies à la classe des prétérits en avi pour cette per- sonne. C'est que, comme nous nous efforçons de le montrer dans notre seconde partie, ce dernier changement est d'origine pure- ment phonique, tandis que les autres nouvelles forinations sont analogiques.

Avant d'abandonner la question, nous allons montrer que nous pouvons observer le mêhie état de choses dans les textes qui n'appar- tiennent pas à la littérature. Ici encore ce sont les troisièmes per- sonnes du pluriel qui dominent; dans les Statutes même, nous en relevons un certain nombre de cas, par exemple inoverent (1327, I, 252); retrahercnt (1360, I, 269); rcceiverent (1362, I, 373); mais, comme on le voit, ces formes, qui sont les seules que nous ayons rencontrées, se trouvent à peu près isolées, et séparées les unes des autres par un intervalle de temps assez considérable.

Les Early Statutes of Ireland nous en offrent un nouveau cas : poierent (1286, 96); les Parliamentary Writs ont moverent (1325, I, 705); les Mem. Pari. 1305 ont toîkreut 127 et § 388); ardèrent (S ^S7y, devcreiit 88).

Néanmoins dans la langue politique, il est évident que les formes correctes se conservent assez bien ; les formes qui ne le sont pas se rencontrent cependant assez tôt : 1286, 1305, 1327; mais leur nombre n'augmente pas sensiblement ; de plus, on voit que les pré- térits en ni et les prétérits en si sont à peu près également atteints.

Dans Rymer les nouvelles acquisitions de la classe en avi à la troisième personne du pluriel sont plus nombreuses, et on en trouve dans ce recueil des cas assez curieux ; le plus ancien que nous puissions citer se lit en 13 10 : solerent (III, 200); pendant la seconde moitié du xiv^ siècle, les exemples augmentent d'une manière considérable, on retrouve quelques-unes des formes que nous avons déjà citées et quelques nouvelles, comme tenercnt pour tiendrent (1360, VI, 244). Les Literae Cantuarienses en offrent

LE PRÉTÉRIT 585

plusieurs, entre autres traierent (1369, 916); les Letters from Nor- thern Registers ont ^g/r«wi-^ra/^ (1347, 390), ardèrent (id.. ibid.). Surtout, comme tout à l'heure, la Chronique de Londres nous fourniraient une moisson abondante : citons parmi les formes que nous avons relevées : treyerent, morerent, ardèrent (qu'on trouve res- pectivement aux dates et aux pages suivantes : 1340, 71 ; 1324,

38; 1315. 39; 13^0,79)-

Nous n'insisterons pas sur les formes que nous rencontrons dans les Year Books ; nous en trouvons un assez fort nombre de nou- velles ; mais leurs dates sont la plupart du temps assez difficiles ou impossibles à déterminer. Cependant quelques formes sont répétées constamment, en voici les principales : morerent (13 et i-| Edw. III, 143) ; coniserent (13 et 14 Edw. III, 99, 109); pleynereui (33 et 35 Edw. ¥', 413).

Par conséquent, ce que nous trouvons en dehors des œuvres littéraires n'est pas de nature à changer les conclusions que nous exposions à la suite de notre étude des ouvrages littéraires. Ces nouvelles formes sont probablement dues à l'analogie ; elles sont relativement peu nombreuses et appartiennent à une époque assez tardive.

h) Nous commencerons par citer un verbe qui passe en entier à la classe des prétérits Quavi: ester et ses composés. La première forme assurée que nous connaissions se rencontre à la rime dans le Ser- mon envers de Guischart de Beauliu : cuntrestai (au vers 1187). Par la suite, les formes analogiques deviennent plus communes même à la rime. Néanmoins l'autre forme reste dans la plupart des auteurs la forme la plus commune, comme nous le verrons en étu- diant les prétérits en ///.

Pour les autres verbes, nous pensons que le plus grand nombre de ceux que nous rencontrons sous la forme d'un prétérit de I ne sont que des acquisitions partielles, si on peut dire, car ils ne montrent qu'une ou deux personnes, rarement plus, avec cette forme.

Les troisièmes personnes du singulier sont assez nombreuses avec la terminaison a, quoique leur nombre n'approche pas de celui de la troisième personne du pluriel. De plus nous n'en trou- vons qu'au xiV' siècle et leurs formes ne sont jamais assurées par la rime, ce qui nous permet de supposer qu'elles proviennent sou-

586 l'évolution du vhrbe en anglo-français

vent Je l'ignorance des scribes. Nous rencontrons un assez grand nombre de verbes de II sous cette forme : voma, dans rApocal3^pse (3^ 682); giieiicha, dans le Roman de Foulques Fitz Warin (p. 1 10), et dans la Chronique de Nicolas Trivet : quilla, rcpciita, asscula (respectivement aux folios 2 r°, 13 v°, 46 r°).

Aux autres conjugaisons nous trouvons un nombre relativement moindre d'exemples. Le scribe de la Vie de Saint Edmund écrit trea (pour le vers 1217). Nous attribuerions aussi au scribe les quelques formes analogiques que nous trouvons dans le corps du vers de la Genèse Notre-Dame : cundiat (de cunduire) et niaynat (respectivement aux folios 44 et 49 v°). Plus barbare encore est le prétérit vodra que nous lisons dans le roman de Foulques Fitz Warin (pp. 20, 43, 45, 51, 70) (cf. aussi vodrai).

Sourdre, que nous avons vu prendre à la troisième personne du pluriel la forme soiirdcrent, apparaît très fréquemment à la troisième personne du singulier sous la forme sourda ; on en trouve des exemples dès le commencement du xiV siècle, comme dans Pierre de Langtoft (i^"" Appendice, II, 416^ 6); Nicole Bozon n'a pas un trèsgrand nombre de ces formes nouvelles; nous n'avons trouvé que coiiihala au § 21 ; et au § 46, entenda. Elles sont plus nombreuses dans Nicolas Trivet ; citons seulement despisa (au folio 14 r°) et uiovea (au folio 23 v°) (cf. d'ailleurs despiserent et nioverent qui sont employés par le même auteur cité plus haut).

Au contraire, en dehors de la littérature, la troisième personne du singulier nous fournit un nombre de cas proportionnellement beau- coup moins considérable ; par exemple dans tous les écrits poli- tiques, la seule forme nouvelle en a que nous ayons trouvée, c'est poiat dans les Statutes (1387, II, 47) et le t final nous porte à croire que nous avons affaire ici à un imparfait de l'indicatif. Rymer a la même forme avec un s paragogique : poast (1348, V, 612); à côté de cette forme douteuse, on peut encore citer feina qu'on lit dans le même recueil sous la date de 1360, éo; et dans les Documents Inédits poiûst (1382, 326) ; ireia et rescua (1346, 80).

Dans les textes de la langue légale, les exemples sont plus com- muns; ils sont même abondants, comme oya, dtparta, valu, issa, conissa qui sont répétés en divers endroits.

Les première et seconde personnes du pluriel sont beaucoup plus rarement attirées à la forme des prétérits en avi et on ne les trouve

LE PRÉTÉRIT 587

que dans les auteurs les plus incorrects; non seulement on n'en rencontre aucun cas dans la langue politique mais les Rymer's Foedera n'en offrent qu'un exemple : sortames (1294, II, 620), que l'on pourrait fort bien cette fois considérer comme un lapsus calami ; dans les Documents Inédits, on relève vivantes (1346, 81); dans le Registrum Palatinum Dunelmense : poatties,savauics (13 11, i). Dans les œuvres littéraires, nous n'en avons relevé qu'un seul cas dans un ouvrage en prose du xiv'' siècle : c'est enclosanies, qu'on lit à la p. 21 de Foulques Fitz Warin.

Tous ces exemples ne prouvent guère qu'une chose : l'ignorance profonde du français de ceux qui, scribes ou auteurs, ont écrit ces formes ; du reste on v^oit qu'elles sont rares.

La form.e luaiidiastes qui, au vers 3554 du Manuel des Péchés, riue avec reneiaustes, est un cas sensiblement différent; William de Waddington ne connaît pas le verbe maudire, mais le verbe maudier; c'est un changement total de conjugaison.

Ces barbarismes sont plus fréquents dans les Year Books, on lit des formes comme bâtâmes (20 et 21 Edw. P', 313); eains (32 et 35 Edw. I", 467) yvcasmes (ri et 12 Edw. III, 455); poaiiies qui est très fréquent (13 et 14 Edw. III, 119). La seconde personne du pluriel se conserve mieux, ce n'est que dans les Year Books qu'on trouve des formes comme pesâtes (pestre) (33 et 35 Edw. F'', 449); ahatastes {12 et 13 Edw. III, 129).

Quant aux deux personnes que nous n'avons pas encore exami- nées, la première et la deuxième du singulier, nous ne pouvons pas arriver à des conclusions bien précises. Tout d'abord, nous n'avons relevé aucun exemple d'une acquisition des prétérits de I à la seconde personne, ni dans les textes littéraires, ni dans les autres; citons cependant a)/;///;?i/(75' du Psautier d'Arundel (143, 9), lapsus calami évident. Pour la première, il se rencontre un assez grand nombre de formes qui peuvent être des nouvelles formations ; mais pour ces personnes, un doute subsiste toujours ; il est sou- vent impossible de dire si nous avons un prétérit analogique ou un imparfait qui a perdu son e final ; des exemples de premières per- sonnes que nous allons citer, il est probable que quelques-unes, dans l'esprit de l'auteur, étaient des imparftits; mais il n'est pas moins assuré que nous devons avoir un certain nombre de prétérits. Pouvoir prend fréquemment la forme poai ; nous en avons proba-

588 l'évolution du verbe en anglo-français

blcmcnt un exemple au xiii'^ siècle au vers 6 no de William de Waddington ; dans Pierre de Langtoft (I, 34, 12); de même dans le 2" Appendice de Pierre de Langtoft (II, 440, 6).

Dans certains recueils politiques ou diplomatiques, familiers, nous trouvons encore des exemples de la même forme qui ne nous laissent aucun doute : dans les Letters from Northern Registers (1326, 334) ; dans certains passages de Rymer ; dans les Year Books elle est très commune (par exemple 13 et 14 Edw. HT, p. 119,

319)-

Pour ce même verbe, nous rencontrons d'ailleurs, comme nous l'avons vu précédemment, d'autres personnes qui ont pris le pré- térit de I, poiat par exemple et poanies, ce qui rend plus vraisem- blables les conjectures que nous sommes forcés de faire pour la pre- mière personne.

Nous trouvons- encore un certain nombre d'autres premières per- sonnes de prétérits en ai, prenant la forme des prétérits en avi ; nous avons déjà cité la forme extraordinaire qu'on rencontre dans Fouques Fitz Warin : piirra, p. 45 ; citons encore créai qu'on lit dans le Manuel des Péchés de William de Waddington et qui semble être aussi un prétérit ; et sa forme est assurée par la rime (: cuntai) (vers 5810) ; vodray dans Foulques Fitz Warin (p. 38), forme confirmée par la troisième personne vodra (20, 43, 51, 70)^ forme si fréquente dans ce roman et que nous avons eu l'occasion de citer; estay à-A.\\s Pierre de Langtoft (II, 116, 14), exemple plus douteux.

De même les formes suivantes tirées des Year Books nous pro- duisent la même impression : brayay de braire (33, 35 Edw. P"", 123), fessey (id. , 159); pesey de pestre (id., 449) et conussai qui est très fréquent et montre les formes des prétérits en avi h. toutes les personnes.

Toutes les formes qui précèdent n'offrent pas le même degré de probabilité ; il est simplement possible que chacune d'elles soit un prétérit. Remarquons toutefois que nous ne nous trouvons jamais dans l'incertitude lorsque nous lisons certains textes comme les Statures ; pour ce recueil, nous sommes parfaitement sûrs qu'aucune forme irrégulière du prétérit en ai ne s'est introduite dans la conju- gaison.

Nous sommes toutefois assurés de rester dans les limites de la cer-

LE PRÉTÉRIT 589

titude en n'admettant comme reformation à la première personne que les formes qui sont corroborées comme telles à la troisième personne du singulier et à la rigueur du pluriel. Des exemples qui précèdent, nous pourrons donc admettre comme assurés : pouvoir et vouloir.

B. Les pré 1er ils en ivi.

I . Les Formes.

Les prétérits en ivi ne présentent pas une très grande variété dans leurs formes ; les différentes personnes se sont maintenues assez régulièrement pendant les trois siècles de la littérature anglo- française ; aussi nous n'aurons qu'un tout petit nombre d'observa- tions à présenter.

La première personne est ordinairement en /, écrite 3' (cf. Ortho- graphia Gallica, H 92;T 17; C 25) pendant le xiv^ siècle. Les exemples de l'une et l'autre forme sont nombreux, mais il nous semble peu utile d'en citer.

De temps en temps, nous trouvons que cette première personne prend une s comme dans chaïs (: dis) dans Adgar (VIII, 233); ou saisis zu vers 1554 '^^ Horn ; c'est une remarque que nous avons déjà eu l'occasion de faire lorsque nous avons traité de \'s analo- gique à la première personne du singulier (cf. Désinences per- sonnelles, p. 34).

La deuxième personne du singulier est tout aussi régulière ; la seule forme qui ne le soit pas tout à foit se rencontre dans Boeve (au vers 280) : inentes, alors que la terminaison régulière se trouve à la rime pour le même verbe au vers 3584 (: mis).

11 arrive de trouver fréquemment à la troisième personne du singulier la terminaison ist ; nous avons vu que la dentale à la troisième personne des prétérits en ivi a commencé à disparaître dès le début du xu'^ siècle, comme nous le montrent les rimes de Cumpoz (irio). Elle était cependant restée dans un grand nombre de cas dans l'écriture et même dans la prononciation {d. Désinences personnelles, troisième personne du singulier, p. 113). Du jour IV dans les terminaisons régulières en ist se tutamuie, les auteurs qui maintiennent la dentale dans l'écriture même elle a disparu de la prononciation la conçoivent sous l'influence

590 L EVOLUTION DU VERBB EN ANGLO-FRANÇAIS

des prétérits en si comme appuyée d'une s. De vient le nombre . considérable de terminaisons en isl pour la troisième personne des prétérits en ivi ; nous en trouvons déjà dans le Psautier d'Arundel: eisislÇjS, 4) ; flurist (37, 10); nous avons des exemples encore plus concluants dans Gaimar ; chez cet auteur nous trouvons un certain nombre de troisièmes personnes du singulier de prétérits en ivi rimant avec des troisièmes personnes du singulier de prétérits en j>/, comme : langiiist (: mesfist) au vers 1143; marist (: assist) au vers 2010; rcspkiidist (: fist) au vers 6107 ; dans le corps du vers, nous avons un nombre beaucoup plus considérable de cas analogues.

Les exemples tirés des auteurs du siècle suivant pourraient être multipliés : qu'il nous suffise de citer un petit nombre de formes qui nous montreront avec quelle liberté et aussi quelle irrégularité les auteurs du xiii^ siècle et du xiV emploient ou rejettent cette ter- minaison. Boeve emploie à la rime avec fist, oist (vers 303), frciiiisl (vers 304), fcrist (vers 305) ; dans Sardenai on trouve rimant ensemble (au vers 178) obeïsf et preïst; le xiv^ siècle écrit aussi cette s, mais il nous a semblé que les exemples fournis par les auteurs de ce siècle sont moins nombreux. Les rimes du reste deviennent dans la plupart des œuvres en vers si irrégulières qu'elles ne sauraient prouver quoi que ce soit. (Cf. Désinences personnelles, troisième personne du singulier, p. 119.) La même raison (amuissement de l'i devant /) explique le phénomène contraire que l'on observe à la deuxième personne du pluriel ; 1'^ étymolo- gique disparaît souvent, cela a lieu même dans certains textes du xii^ siècle ; il est plus vraisemblable d'attribuer aux scribes du xiij^ siècle les formes comme sitffritcs que nous rencontrons au vers 1136 du Saint Gilles (ms. du xiii- siècle).

Au xiii*^ siècle toutefois, nous relevons des exemples très sûrs, ainsi la rime très probante du Petit Plet de Chardri : iiasqnilés (: quites) au vers 315 (cf. Désinences personnelles, deuxième personne du pluriel, p. 203).

Avant d'en finir avec l'évolution des formes des prétérits en ivi, nous avons à signaler encore une forme spéciale de la troisième per- sonne du pluriel, terminaison qui correspond exactement avec une désinence (Jt) que nous avons déjà observée dans les participes passés; cette nouvelle terminaison des prétérits est la terminaison ierent.

LE PRETERIT 59 I

Cette terminaison n'est pas rareau xiv^ siècle; malheureusement nous n'avons pas pu la rencontrer à la rime : il est à croire que dans cette terminaison is a la même valeur qu'au participe passé.

Cette terminaison se trouve avec des verbes de I ; mais ici, comme nous n'avons pas de rime, il nous est impossible de savoir si nous n'avons pas une terminaison ierent étymologique ou ana- logique. On rencontre en outre des verbes de II : snuicrcni au vers 1669 du Saint G'xWts, escharnierent z la page 63 de Foulques Fitz Warin, etc. ; même des verbes de III, comme vicreiit aux §§ 8r et 84 des Contes de Nicole Bozon ; et des verbes de IV : par exemple riercnt à la page 63 de Foulques Fitz Warin.

Néanmoins il nous est impossible de savoir si les exemples pré- cédents sont des formes nouvelles provenant des prétérits en ivi ou des acquisitions des prétérits en avi.

Un certain nombre de verbes reproduisent simplement à leur prétérit la forme du prétérit latin : transit dans l'Estorie des Engleis, gcniiit et vixit dans Nicolas Trivet (3 v°).

- 2. Les acquisitions.

Ici encore, comme nous l'avons déjà tait pour les prétérits en avi, il sera utile de distinguer deux sortes d'acquisitions : d'abord les prétérits de I qui prennent irent à la troisième personne du pluriel ; secondement tous les autres verbes et les autres personnes de I.

rt) irent pour erent.

Nous avons à examiner ici le phénomène opposé à celui qui a retenu notre attention dans les pages précédentes ; nous verrons dans notre seconde partie que ces deux phénomènes proviennent de la même cause.

Il faut cependant reconnaître que ce phénomène n'a pas la même extension que le premier, quoiqu'il remonte lui aussi très haut dans la littérature anglo-française. Au vers 1000 du Saint Brandan, nous lisons aJirent (: guarnirent) ; Birkenhoff a proposé une cor- rection : issircnt serait d'après lui la bonne leçon; et elle est confir- mée par le ms. de l'Arsenal BLF 283. Il est certain que alirent semblerait un peu tôt à la date du Brandan, et cet exemple serait isolé au commencement du \\\'' siècle, on peut même dire dans

592 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

tout le xii^ siècle. Il faut donc rejeter sur le scribe si sou- vent incorrect du Brandan la responsabilité de cette forme (1167).

Nous ne pouvons pas en faire autant pour l'exemple que nous donne le Protheselaùs de Hue de Rotelande (au vers 974 f), car il est aussi assuré que possible par la rime ; nous lisons en effet parlèrent : virent. Il faut ici admettre que le premier verbe est écrit parlirent, ou que les deux sons sont si voisins qu'ils peuvent être représentés indifféremment par l'une ou l'autre de ces graphies. C'est à cette dernière hypothèse que nous nous rangerons dans notre seconde partie.

Pendant tout le xiii^ siècle, nous rencontrons dans plusieurs poèmes des formes qui nous montrent la confusion des deux termi- naisons erent et irent. Nous ne donnerons qu'un tout petit nombre de citations. Gettirent est employé au folio 57 de la Genèse Notre-Dame; deniorirint se trouve au vers 808 du poème de Der- mod .

Au xiv^ siècle, nous retrouvons toujours cette confusion : elle se montre assez clairement dans la rime cheierent : inorirent quon lit dans l'Evangel Translaté (au folio 87 v°). On trouve encore dans la Chronique de Nicolas Trivet gnerrirent (au folio 47 v°) ; de même, naufrirent se lit dans les Mem. Pari. 1305 i SS); envoir eut est employé dans les Rymer's Foedera (135 1, V, 72e).

Ces formes nouvelles en ircrit ne sont donc pas rares sans être aussi communes que les nouvelles terminaisons en erent (provenant de irent^ ; mais nous ne pouvons pas penser que nous avons dans les deux cas les deux faces du même phénomène : la confusion des deux sons vocaliquesg et/ devant ?• (cf. seconde partie, chap. 11).

Avant d'abandonner la troisième personne du pluriel, nous avons encore à signaler, mais très rapidement, un autre groupe de nou- velles formes en irent, provenant des prétérits en si. L'origine de ces nouvelles formes est évidemment tout à fait différente : elles sont purement analogiques, qu'elles soient anglo-françaises, ou que dans notre dialecte elles ne soient que des formes d'emprunt.

Nous ne dirons qu'un mot maintenant à propos de ces troi- sièmes personnes du pluriel ; nous aurons du reste à revenir sur ce point, quand nous parlerons des prétérits en si, car il implique une question plus générale : celle de la désinence régulière de la troisième personne du pluriel du prétérit du verbe faire.

LE PRETERIT 593

Ce verbe, comme nous le montrerons, a presque toujours la désinence en irent, même dans les plus anciens textes anglo-français, comme le Cumpoz et le Bestiaire. Pour le verbe mettre, la forme mirent n'est pas rare et elle se trouve déjà dans le ms. A de la Vie de Saint Alexis (6 b) ; destniireut se rencontre dans le Voyage de Saint Brandan au vers 1841.

C'est vers la fin du xiii*" siècle et spécialement en dehors de la littérature que les troisièmes personnes du pluriel des prétérits en si se montrent avec la terminaison des prétérits en ivi : nous trou- vons à la rime prirent dans le Manuel des Péchés de William de Waddington au vers 1^44, et trois fois dans le poème du Prince Noir (vers 211, 2755, 3765).

Dans les Statutes, après 131 1, cette forme est très commune, et on peut en trouver de nombreux exemples dans les Rymer's Foedera de même que dans les Literae Cantuarienses.

Comme autres formes, nous citerons conquirent dans le Prince Noir au vers 173 (cf. Rymer's Foedera, 1294,11, 620 et passim', les Statutes, 1376, I, 397 et passim ; dans les Year Books les composés de quérir sont' communs sous cette forme); et soiirdirent dans Nicolas Trivet (folio 62 r*"). Au xiv^ siècle, surtout dans les ouvrages non littéraires, on voit cette désinence tendre à dépla- cer complètement la forme étymologique.

h) Autres reformations en ivi.

Il est probable que les pages précédentes ont épuisé ou à peu près tout l'intérêt que les acquisitions des prétérits en ivi peuvent avoir.

Pour être complets, nous avons cependant un certain nombre de points à exposer encore. Comme nous l'avons déjà fait pour les acquisitions de la classe en avi, nous procéderons de la façon sui- vante. Nous distinguerons parmi les acquisitions que nous avons encore à énumérer :

Les verbes de la première conjugaison, à l'exception de la troisième personne du pluriel.

2" Les verbes dont le prétérit est régulièrement en ///.

Les verbes qui ont régulièrement un prétérit fort en / ou en si.

38

594 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

I. Verbes de I. Pendant tout le xii'^ siècle, les acquisitions de ce genre sont absolument absentes; elles sont extrêmement rares pendant tout le siècle suivant.

Le premier exemple que nous connaissions montrera qu'il faut descendre assez avant dans ce siècle pour trouver des verbes de I dont le prétérit prend les désinences des prétérits en ivi. Cet exemple, fennist, se lit en effet dans la Genèse Notre-Dame (au folio 6) r°); de plus cet exemple n'est pas assuré et nous pouvons fort bien le faire descendre jusqu'au xiv^ siècle.

Comme c'est le seul exemple que nous trouvions dans les œuvres littéraires de ce siècle, on peut dire que, dans la littérature, ce phénomène ne date que du XIV^

Ce n'est qu'à cette époque que nous rencontrons des verbes ayant un prétérit en avi et prenant la forme qui nous occupe avec quelque fréquence : en voici un certain nombre d'exemples tirés de la langue littéraire de cette époque : une rime de l'Apocalypse nous assure la forme ; jettit y rime avec espaundit au vers 891 de Y : et dans le même ouvrage nous trouvons dans le corps du vers, enchescit (de sécher) au vers 918(3); dans Foulques Fitz Warin on en rencontre aussi quelques exemples, comme rouly (p. 47); enveilly (p. 112), etc., mais ils peuvent ne dater que du xv^ siècle. Remarquons en effet qu'il n'y en a que fort peu chez Nicole Bozon; on peut citer dans les Contes raiiipist au § 7 ; chez Nicolas Trivet, au contraire, les exemples sont beaucoup plus communs, mais pro- bablement beaucoup plus tardifs aussi : recovery de recouvrer est loin d'être rare (cf. par exemple aux folios 5 v°, 6 r°, etc.); irvili se trouve au folio 47 ; cuyvcri au folio 48 r°, etc.

Nous n'avons jamais relevé dans la langue littéraire d'autre personne que l'une des troisièmes à passer de avi à ivi. Les exemples sont un peu plus variés en dehors de la littérature, et ils remontent jusqu'au commencement du troisième tiers du xiii"^ siècle. C'est ainsi qu'on rencontre pniuiiist (= pasma) dans les Chroniques de Londres, 1262 (p. 4 et passiiii) ; passimcs dans les Royal Letters Henry III (1262, II, 219). Dans les textes légaux les exemples sont assez nombreux : un seul se présente avec quelque régularité : recoveri de recouvrer (cf. par exemple 21 Edw . \", 19 et passim : I et 2 Edw. II, 47 et passini) exactement comme nous avons mon- tré que dans la langue politique recouvrir fait au prétérit recovra ;

LE PRETERIT 595

nous avons vu la même confusion se produire à l'inrtnitif entre ces deux paronymes.

2. Verbes qui ont régiilièreiiient ini prétérit en ui. Il y a un certain nombre de verbes, qui, au lieu de leur prétérit régulier en ///, prennent la forme en /iv' ; quelques-uns d'entre eux finissent même par abandonner complètement leur forme correcte. Parmi ces derniers, il faut placer en première ligne le verbe choir; nous avons déjà eu l'occasion, à propos du participe passé, de montrer que ce verbe formait souvent ce temps au moyen de la désinence en / ; la forme en / est encore plus commune au prétérit ; nous n'avons même jamais relevé la forme correcte en ///. Toutes les formes que nous connaissons sont en z ; au xii'^ siècle, nous avons de cette forme de nombreux exemples : à la deuxième personne du singulier chaïs (: dis) dans Adgar (VIII, 233); à la troisième chaït (çf Gaimar, 2805; Boeve, 1028); ^5^/;t7, Nicolas Trivet (6 r°).

Croire se rencontre fréquemment aussi sous cette forme ; on trouve à la première personne du singulier creï (: merci) dans les Légendes de Marie d'Adgar (XXX, 203) ; et au vers 528 du Drame d'Adam ; à la deuxième personne du singulier creïs dans ce dernier poème (aux vers 423, 540). A la troisième personne du pluriel, les exemples ne sont pas rares; on trouve deux fois (aux vers 1498, 1565) la rime creircnt (: suffirent) dans la Vie de Sainte Catherine; creirent (^: venquirent) se lit dans Robert de Gretham(20 v°) ; (mais crurent (: urent) 59 v°; (: furent) éo ; (: reçurent) 61 r°.

Il en va de même pour mourir, sauf qu'on ne trouve pas de formes en î pour ce verbe avant le xiir' siècle; on en rencontre une dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 212), qI passini dans les Dialogues, mais ces formes sont emplo}-ées dans le corps du vers, ce qui, pour ces deux poèmes, importe peu. Le premier exemple assuré par la rime se rencontre dans la Satire (au folio 86 r°) : morist (: nuit), puis dans Dermod, niorit rime avec déduit (au vers 1378); nous trouvons aussi des exemples de la troisième personne du pluriel: vwrirent pai" exemple au vers 715 de la Vie de Saint Grégoire et au vers 3427 du Manuel des Péchés de William de Waddington ; mais aucun exemple ne se trouve à la rime. Mûrirent est commun dans les textes politiques et diplomatiques, conunun surtout dans les Year Books ; on trouve même, quoique

596 l'évolution du verbe en anglo-français

plus rarement, iiiorist, par exemple dans les Mem. Pari. 1305 3^0 (^f- Prétérits en ///).

D'autres prétérits de la même classe, mais en petit nombre, se trouvent encore au xiii^ siècle avec les désinences en ivi ; citons par exemple : dans les Heures de la Vierge (au folio 65 v°), la rime receiisles (: oïstes); mais ce peut n'être qu'une mauvaise rime, les deuxièmes personnes du pluriel ne prenant que fort rarement les désinences en /, et recevoir, à part ce cas, conservant toujours dans les œuvres littéraires sa forme régulière. Nous rencontrons au con- traire, en dehors de la littérature, rcccïnies dans Rymer (1299, II, 848), et rcsevit (\u\ se lit assez fréquemment dans les Year Books, par exemple dans 31 Edw. P' (311) ; il y a peut être ici un cas assez compliqué de « umgekehrte Schreibung » : reçut est souvent écrit resciit dans lequel u passe à ///, d'où reseuit, rcsevit.

Le nombre des exemples augmente vers la fin du xiv® siècle, mais il n'y a aucun nouveau verbe qui prenne exclusivement i au lieu de /// ; citons parmi les exemples que nous avons rencontrés : apparist dans Nicolas Trivet (au folio 3 r°, etc.) ; vaiUy (: mercy) au vers 2757 du Prince Noir.

En dehors des œuvres littéraires, on trouve cslireiit dans le Liber Custumarum (13 14, 194); et dans les Letters from Northern Registers, les formes barbares pc))7»/5, savymls (^l'^ii, 211). C'est dans les Year Books que nous avons pu rencontrer le plus grand nombre de formes aussi incorrectes que celles que nous venons de citer: poyins (31 Edw. L"", 451); conist (2 et 3 Edw. II, 14); conysmes (21 Edw. I", 55); currit {-^^ et 35 Edw. I", 148) et une infinité d'autres.

Remarquons que dans les textes diplomatiques et politiques pro- prement dits, de même que dans la plupart des écrits familiers, ce changement de forme est rare. Les Statutes, les Parliamentary Writs, les Memoranda Parliamenti, les Lettres de Jean de Peckham, les Literae Cantuarienses, etc. ne nous en offrent pour ainsi dire aucun cas. Ce n'est que dans les textes les plus corrompus, comme les Letters from Northern Registers, ou dans ceux qui doivent se rapporter à une date postérieure au xiv^ siècle, comme les Year Books, que ces cas se présentent avec quelque fréquence.

Verbes qui ont réguliêremenf un prétérit en si. Les prétérits en si et les prétérits en ivi ont certaines formes en, commun:

LE PRETERIT 597

leurs premières personnes du singulier, les prétérits en ivi prenant parfois une s (cf. supra), ou les prétérits en si perdant quelquefois la leur (cf. Prétérits en si); leurs troisièmes personnes du singulier, qui, pouvant avoir ou ne pas avoir st, arrivent à des désinences analogues. Cette ressemblance a pu entraîner l'assimilation de formes qui, régulièrement, étaient entièrement différentes; de résultent de nombreux échanges entre ces deux classes.

Parmi les verbes qui échangent leur prétérit régulier en si pour un prétérit en ivi, il faut citer en première ligne l'éiiir. On lit benes- qiiit au folio 14 de Robert de Gretham, et cette forme n'est pas rare postérieurement.

Le verbe toldre a fréquemment un prétérit analogique exactement comme nous l'avons vu adopter pour son participe passé la forme en /. La forme analogique du prétérit se rencontre surtout au xni'' siècle : on la trouve deux fois à la rime dans Robert de Gre- tham : tolit (: dit), et ( : petit) au folio 69 ; elle se trouve plus fréquemment dans le corps du vers dans ce même auteur et dans d'autres poèmes, par exemple au vers 2508 de la Vie de Saint Gré- goire, etc.

Les autres cas d'attraction que nous avons relevés se trouvent tous au xiv^ siècle : ardre prend la forme ardy à la page 45 de Foulques Fitz Warin, au vers 170 du Prince Noir, et dans plusieurs autres ouvrages.

Sourdre a pour prétérit siirdi fréquemment dans Nicolas Trivet (cf. par exemple 27 r°, 65 r°) et joindre hit joindi au vers 3173 du Prince Noir.

Nous n'en avons plus relevé aucun exemple dans les textes poli- tiques ou familiers antérieurs au xv*^ siècle; par contre, les ouvrages légaux nous en offrent un nombre considérable à des dates qui ne sont certainement pas postérieures à 1399. Par exemple le ms. Y (pour 2 et 3 Edw. II; 3, Edw. II) qui date, d'après Maitland, de 13 12 ou environ, donne enfreiiiit (2 et 3 Edw. II, 96); dcsircim (3 Edw. II, 74,77); tendisl (3 Edw. II, 160, etc.).

Nous pouvons encore citer les formes suivantes qui, parce qu'elles se rencontrent très fréquemment dans les manuscrits de dates très différentes, ou pour une autre raison, nous semblent avoir été d'un usage courant au plus tard durant la seconde moitié du wx" siècle : soiirdi (30 Edw; I", 107; 33 et 35 Edw. I", 197, etc.); resorgi (22

598 l'évolution du verbe en anglo-français

Edw. P', 453); enjrenites (33 et 35 Edw. l", ici); citons encore pleioiiit qui n'est pas rare dans 16 Edw. III (1342), par exemple page 83 ; plciusl ou pJc'uil se trouve du reste plus fréquemment, et même plus tard dans les autres Year Books.

C. Les prêter ils <?;; dedi '.

Les prétérits faibles en deâi sont sporadiques en anglo-français; il serait môme plus exact de dire qu'ils n'existent pas. On n'en ren- contre ni dans le Cumpoz, ni dans le Brandan, ni dans le Bes- tiaire.

Le Psautier de Cambridge n'en offre que des traces : trois cas surplus de quatre-vingts cas possibles : dcrumpîcs (jt,, 15); côté de dcruiiipis, 59, 2); espaudicrent (105, 37); tendicrent (13, 96); le Psautier d'Arundel en offre aussi quelques exemples : voidies (43, 14) ; cnteudiel (48, 12); dcperdiet (43, 3); et la proportion entre les formes actuelles en dedi et les formes qui ne le sont pas et auraient pu l'être, est sensiblement la même.

Le seul ouvrage qui nous montre un emploi à peu près constant de ce prétérit, c'est le Psautier d'Oxford qui est, comme on le sait, très continental.

Voici les cas qu'il présente :

il) Verbes qui ont toujours ie : confundies (43, 9) (2 fois) ; deruiiipies (73, 16) (6 fois); respondiet (loi, 24) (i fois).

/;) Verbes pour lesquels les formes en ie et en / alternent : atendiet (65, 18); atoidirent (118, 95); descendiet (v, 38); descen- dirent Qi, 5); entendierent (63, 10); entendis Çi'^S, 2) ; espandies (88, 4); espandit (u, 16); perdies (ji, 26); perdis Çij, 44); resplendiet (117, 25); resplendirent (76, iS);vendies (43, 14); vendit (C, 45).

D'autres verbes, comme croire, cumbattre, toldre, suivre, bénir, convertir, vestir, n'ont jamais les formes caractéristiques de dedi. Pour les verbes qui présentent ces formes, le rapport des formes en ie aux formes en /' est le suivant :

I . Pour les prétérits en (leJi, on peut consulter : d'Arbois de Jubainville, Rema- nia II, 477 ; H. Scliuchardt, Parfaits français en ie, Romania IV, 122 ; Cornu, Romania X, 216 ; Wolterstorff, Das Perfektum der schwachen Conjugation im Altfranzôsischen ; Mever-Lùbke, Grammaire II.

LE PRETERIT 599

ie, i, deuxième personne du singulier, 63/36; troisième personne du singulier, 90/36.

Il semblerait donc que ce sont les troisièmes personnes du pluriel qui ont les premières cédé à l'analogie. Nous pensons que tous ces prétérits en dedi proviennent des traducteurs mêmes des Psautiers (11 10 ?) ; elles ne sont donc pas anglo-françaises.

D. Les prétérits en m '.

Nous parlerons maintenant des prétérits en ///'; comme ils con- tiennent à la fois des prétérits forts et des prétérits faibles ils forment entre les deux grandes classes de prétérits la plus naturelle des tran- sitions.

L'on divise ordinairement les prétérits en /// en cinq classes, les trois premières comprenant les prétérits forts : T'^ classe, verbes ayant a au radical et le prétérit potiii; 2" classe, verbes à thèmes en 0 et de plus debiii et bibiii; y classe, verbes à thèmes en e; la 4^ classe comprend le seul verbe -w//// ; la 5^ comprend tous les autres prétérits faibles en ni.

Nous étudierons les terminaisons des six personnes dans ces cinq classes.

r . Première personne du singulier.

La première personne du singulier est terminée dans la première classe par la diphtongue oi , par la diphtongue ni, pour les verbes des seconde, troisième et cinquième classes ; ces deux diphtongues agissent d'abord très peu l'une sur l'autre.

La première personne de la première classe reste correctement en oi. Nous ne trouvons qu'une déviation au xii^ siècle : toui dans le Psautier d'Arundel (31, 3) et tui dans le même ouvrage (38, 3). Le passage de i à. y au xiii'= siècle (comme dans oi : soy ( : moy) dans les Chansons IV, 65-67 ; poy, Plainte Notre-Dame, 187) est tout juste une variante orthographique ; même au siècle suivant, cette forme persiste, très correcte, 0/, Sainte Marguerite (415) ; soi, 2^ Appendice de Pierre de Langtoft (II, 240, 6), Plainte Notre-Dame.

I. Cf. Suchicr, Zeitsclirift fur rom. Phil. II, p. 255 ; Id., Aucassin et Nicolctte, p. 90 ; Kôrting, I, p. 315 ; Trommlitz, Die franz. «/Perfekta ausser. poi (potui). Mevcr-Lùhkc, Grammaire, II, p. 357 sqq.

6oo l'hvolutiox du verbe en anglo-français

Nous ne trouvons à signaler qu'une seule irrégularité dans la langue littéraire, dans le petit poème de Bozon que nous venons de citer on trouve pou dans Pierre de Langtoft (II, 240, 4), ce qui peut n'être après tout qu'une erreur cléricale.

Nous n'avons relevé que peu d'exemples pour la première per- sonne des prétérits de cette classe en dehors de la littérature, mais ils sont tous corrects.

La diphtongue /// a eu à subir un peu plus de modifications, quoique celles-ci restent encore en petit nombre ; cette différence provient de ce que, phoniquement, elle était appelée à évoluer plus que oi. Pendant toute la durée de la période littéraire anglo-fran- çaise, les formes correctes restent toujours la majorité. On ne peut considérer comme une irrégularité le passage de /// à // qui est caractéristique de l'anglo-français. Nous le remarquons déjà dans certains textes du xii^ siècle ; mais on doit attribuer les exemples de cette époque aux scribes, par exemple aparceu que l'on trouve dans la Folie Tristan (au vers 801) ; et reçu qui se lit dans Guischart de Beauliu (au vers 1179); ces deux exemples, qui seraient isolés au xii^ siècle, ne le sont pas au xiii^ ; on peut donc les reporter à la date de leurs mss., c'est-à-dire à la seconde moitié du xiii^ siècle. Ils sont donc tout proches de eslu au vers 109 de la Plainte Notre- Dame et de plusieurs autres formes que nous n'avons pas à donner ici.

Les formes vraiment incorrectes sont rares, comme nous l'avons déjà dit : on peut classer parmi elles le conoi qu'on trouve au vers 3735 de Horn et qui montre l'attraction des premières personnes du singulier de la première classe ; aineui du Psautier de Cambridge (70, 15) est une autre déviation du type normal; on peut recon- naître avant la désinence Ve analogique de la troisième personne du singulier. Le geiï du Saint Auban (331) est certainement une faute d'écriture du scribe ou de lecture de l'éditeur; il faut lire/M/ ou gen, n est l'équivalent phonique de ///, et 1'^^ sert à adoucir le g, mais de toute façon on doit avoir une forme monosyllabique :

Ki au ciel vi quant jui dormant en ma maison.

Coniis, qu'on lit au vers 1999 de William de Waddington, est une forme incorrecte qu'on peut regarder comme l'un des plus anciens

LE PRÉTÉRIT éoi

exemples de la forme moderne (les mss. A et B du Manuel des Péchés ont été écrits au commencement du xiv* siècle).

Quant à la première personne de vouloir, elle appartient aux prétérits en si, elle est régulièrement vols dont on ne trouve du reste que très peu d'exemples, citons celui qui se lit dans les Dia- logues Grégoire, 31 b, etc. '.

On peut se demander si le voti qu'on trouve dans le 2^ Appen- dice de Pierre de Langtoft (II, 442, 19) est un présent ou un prété- rit ; il est probable que, en se tenant à la signification, on a un prétérit, qui a perdu son s étymologique, après vocalisation de Ve. Il serait difficile d'expliquer cette forme d'une autre manière.

En dehors de la langue littéraire, les premières personnes de cette classe sont très peu fréquentes ; la diphtongue /// ne persiste guère que dans fui, et encore ne le rencontrons-nous qu'assez rarement. En, ou, sont les plus communs ; eu est employé dans receu, par exemple dans les Lettres de Jean de Peckham (1280, 94); dans les Parliamentary Writs (1322, 264, 424, etc.). Cette forme est encore plus commune dans les Year Books (cf. par exemple 11 et 12 Edw- III, 433) ; dans les textes légaux on arrive même à employer une forme aussi barbare que veu Ç= vidi) (20 et 21 Edw. l", 219).

La désinence en u paraît moins fréquente, ce qui semble assez étonnant, puisque en anglo-français /// aboutit régulièrement à u. Nous n'en avons trouvé que très peu d'exemples à la première per- sonne du singulier des prétérits de cette classe ; citons : reçu dans Jean de Peckham (1289, 702); fu dans les Year Books (comme 11 et 12 Edw. III, 511, etc.).

La diphtongue ou se rencontre encore plus rarement : Jean de Peckham encore nous en fournit un exemple : recou (1280, 92). Les autres formes en ou que nous avons relevées sont très rares et ne nous semblent pas très sûres ; certaines d'entre elles ne sont probablement que des lapsus calami. C'est encore de cette façon que nous serions tentés d'expliquer le fue (= fui) qui se trouve dans les Year Books 11 et 12 Edw. III (p. 197), à moins que ue ne .<»oit ici une graphie de // pour ///.

I. Cf. Kôrting, I, 323.

6o2 l'évolution du verbe en anglo-français

2 . Seconde personne du singulier, première personne du pluriel, seconde personne du pluriel.

La diphtongue. La première et la seconde classe ont, à ces personnes, la diphtongue ou, ou la voyelle o en hiatus devant 1'//. Cette diphtongue ne resta pas longtemps sans subir de changement. Ou devait passer à eu et cette dernière diphtongue à la voyelle simple n. On trouve ou assez régulièrement au commencement du xii*" siècle ; nous lisons par exemple /)/om^ dans les Psautiers d'Oxford (45, 3) ; de Cambridge (43, 3); sonstes au vers 661 de la Folie ; moumes dans le Psautier de Cambridge (54, 14). Mais très tôt nous voyons la nouvelle forme s'introduire.

Avoir, en particulier, adopta vite et d'une façon très étendue la diphtongue eu ou la voyelle // ; malheureusement nous ne pouvons relever aucune rime, et nous aurons à reporter chacun des exemples aux dates des divers manuscrits. Dans le Voyage de Saint Brandan, (ms. probablement 1167), nous avons nus (2M vers 1598) qui marque peut-être l'étape entre ous et eus. On trouve encore la seconde personne du singulier eus au vers 265 de la Chronique de Fantosme; et c'est la forme généralement employée dans les mss. de l'Estorie des Engleis de Gaimar (R, commencement du xiii'= siècle), comme par exemple ^^om eusies qui se lit dans Thomas (1509) ; et dans la Folie (470).

Les formes en eu ne sont pas beaucoup plus rares non plus pour savoir, et elles semblent aussi anciennes que celles d'avoir : sens se lit dans le Psautier d'Oxford (39, 12) ; dans celui d'Arundel (39, 10) ; au vers ^44 du Drame d'Adam.

Les exemples ne sont pas aussi nombreux pour les verbes de la seconde classe; on trouve beumes au vers 2493 du Tristan de Thomas (fragment Sneyd, fin du xii'' ou commencement du xiii'^ siècle) ; beusies dans la Folie (vers 472).

La diphtongue étymologique a absolument disparu de ces per- sonnes à la fin du xii'= ou, au plus tard, au commencement du siècle suivant.

Au xiii= siècle, nous ne trouvons plus que eu : seu:^ dans le Saint Auban ; (244); eûmes axas le même poème(i273, 1522); eustes se lit dans le Saint Julien (80 v°) et dans le Saint Edmund (1256);

LE PRÉTÉRIT 603

peustes dans le Saint Auban (47); seiistes à2Lns\QS Chansons (I, 19) ; eus dans le Roman des Romans (955), etc.

La diphtongue ou se trouve fort rarement, comme on devait s'y attendre, en dehors des œuvres littéraires ; pouiiies se lit cependant deux fois au moins dans les Year Books i et 2 Edw. II (aux pages 95 et 136). C'est probablement une survivance plus ou moins raisonnée de l'ancien usage.

Les autres exemples que nous avons relevés portent eu : peuiiies dans les Rymer's Foedera (1294, II, 620 et passini) ; eûmes dans le même recueil (1306, II, 1022); ineusmes (ihid., 1297,11,777).

Ce changement de ()/< en é?// est en partie àl'influence des verbes de la troisième classe qui ont régulièrement aux personnes qui nous occupent la diphtongue eu. Aussi nous ne trouvons pour les verbes de cette classe aucune irrégularité au xii^ siècle ; un peu plus tard la voyelle simple u tend à prendre la place de la diphtongue comme cnistes qui rime avec receustes dans Robert de Gretham (49 v°) ; eslumes au § 46 des Contes de Bozon ; mais ce changement n'a pas prendre place avant le xiv^ siècle.

Nous ne citerons pas les exemples extrêmement nombreux que nous trouvons dans les Statutes, dans les Lettres de Jean de Peckham, dans les Parliamentary Writs, les Literae Cantuarienses, les Rymer's Foedera et les différents Year Books et qui nous montrent les premières personnes du pluriel des prétérits de cette classe. Qu'il nous suffise de dire qu'on trouve presque partout la graphie eu et dans le reste des cas la graphie u, dans les mêmes conditions et aux mêmes dates que pour les œuvres littéraires. Il est assez commun toutefois de rencontrer, au lieu de cette dernière v03-elle, la graphie ///, par exemple dans //o'/^iw, Literae Cantuarienses (1324, 179} et passim dans les Year Books.

3, Troisième personue du singulier et troisième personne du pluriel.

La diphtongue. Première classe. La troisième personne du singulier et celle du pluriel de la première classe ont pour son vocalique sous leur forme régulière la diphtongue ou ; et cette diphtongue dura longtemps en anglo-français ; on la rencontre dans chaque auteur duxii'' siècle, souvent à ht rime, principalement avec la troisième personne du singulier de l'imparfait des verbes de

6o4 l'évolution du verbe en anglo-français

I ; nous n'insisterons pas davantage sur des formes qui sont des plus communes. Elles se rencontrent encore au xiii^ siècle, quoiqu'elles soient un peu moins fréquentes ; nous en citerons quelques-unes, surtout parmi celles qui ne laissent pas de place au doute '. C'est ainsi que dans les Evangiles des Dompnées nous trouvons sont rimant avec vout de vouloir (76 r°) ; et pout avec tout de toldre (70 r°); c'est encore avec ce dernier verbe que ont rime au vers 163 de la Plainte Notre-Dame. Nous relevons des rimes analogues dans la ' Satire -.pont (: vout) (85 r°) et dans Dermod : ont (: volt) (319). '

Nous n'avons relevé aucune rime aussi significative au xiv^ siècle, szmî pout qui rime avec vout dans l'Evangile de l'Enfance (ms. O, 165 b). Les œuvres en vers de Nicole Bozon nous donnent cependant plusieurs rimes qui ont quelque valeur, puisqu'elles montrent que le scribe, sinon l'auteur, connaissait les formes avec diphtongue ; citons quelques-unes de ces rimes : dans les Vies de Saints, nous trouvons pont (: letout) (103 v°) ; dans la Vie de Saint Paul, sout (: enmerveillout) (221) ; dans la Vie de Saint Richard, ont (: mustrout, 610; desirout, 1089 ; alout, 1287) '■> ^out (: grevout, 988). Aucun autre auteur de ce siècle, nous devons le reconnaître, ne nous a montré un nombre d'exemples équivalent.

Dans le corps des vers ou dans les œuvres en prose, les exemples sonttrès communs, même au xiv^ siècle. C'est ainsi qu'on peut rele- ver ont qui se trouve dans la Vie de Sainte Marguerite (au vers 10) ; dans le 2^ Appendice de Pierre de Langtoft (Plainte Notre- Dame) (II, 426, 5); dans Foulques Fitz Warin (lé, 22); au § i des Contes de Bozon et pcissim ; au folio 92 de ses Vies de Saints, à la strophe 123, vers b et passUn dans l'Évangile de l'Enfance (O); en somme dans la plupart des auteurs.

On V\\. pont de pouvoir au vers 390 de Sainte Marguerite ; dans Pierre de Langtoft (I, 446, 6) ; dans les Contes de Bozon 138) ; sout dans le 2'' Appendice de Pierre de Langtoft (II, 426, 10) ; dans les Contes de Bozon (au § 119). Nous aurions pu ici mul- tiplier les exemples, et nous ne prétendons pas citer tous ceux que nous avons relevés ; nous avons voulu montrer aussi claire-

I . En d'autres termes, nous négligerons toutes les interrimes, et les rimes qui assemblent un de ces prétérits et un imparfait de I.

LE PRÉTÉRIT 60$

ment que possible que les formes en on restent employées jusqu'à la fin de la littérature anglo-française et qu'elles restent toujours très communes.

Il arriva même, ce qui est assez curieux, que, après que 17 se fut vocalisée, surtout dans le groupe oit, les écrivains anglo-français considérèrent parfois ont étymologique comme ayant lui aussi cette origine, et l'écrivirent oit, qui, du reste, se prononçait alors de la même façon que olit. C'est ainsi qu'on peut expliquer soit pour sout de savoir, forme qu'on lit dans les Légendes de Marie d'Adgar (XXXIII, 38), et au vers 2049 du Tristan de Thomas; évidem- ment ces deux formes sont dues aux scribes.

La diphtongue est très fréquente dans l'anglo-français politique, légal et famiher: dans le Liber Albus (1243, 116), les Literae Cantuarienses (1333, 524), le Liber Rubeus de Scaccario (1325, 940)^ et dans beaucoup d'autres recueils.

Les Year Books eux-mêmes nous en offrent des exemples, nom- breux et assurés; ainsi ceux que nous lisons dans le ms. Y (13 12) (cf. par exemple 3 Edw. II, 161^ 185 tx. passiiii). Comme dans les recueils postérieurs, le nombre d'exemples ne diminue pas, il faut considérer que cette diphtongue a été employée longtemps après la date de Y, autrement dit pendant toute la période qui nous occupe .

La diphtongue on se réduit parfois à la voyelle 0 {cï. Imparfaits de la première conjugaison), et cette réduction se fait dans un cer- tain nombre de cas dès le xii^ siècle.

Mais, comme nous l'avons vu pour ce dernier temps, la forme abrégée n'a pas entièrement dépossédé la terminaison avec la diphtongue, elle a été relativement peu commune, sauf quelques exceptions, et les deux formes ont existé côte à côte pendant la plus grande partie de la littérature anglo-française. C'est ce qui est arrivé au prétérit.

Le premier exemple que nous trouvions de la forme en ot se rencontre dans le Bestiaire (au vers 194); elle se retrouve dans Gaimar {sot au vers 45.7), dans le Drame d'Adam (par exemple au vers 701); ot se lit dans Thomas (au vers ion) et pot dans Fan- tosme (vers 681); mais elle est attestée par la rime pour la pre- mière fois dans la Vie de Sainte Gilles : ot (: trot) (au vers 1721). Nous ne pouvons donc pas reculer la date de cette terminaison

6o6 l'évolution du verbe en anglo-fkançals

beaucoup plus loin que l'époque fut écrit le ms. du Bestiaire, c'est-à-dire vers 1167 ; cela est exactement ce que nous avons remarqué pour les imparfaits en ot de la première conjugaison;

Les rimes en ot, si on excepte les interrimes douteuses, ne sont pas très nombreuses pendant les deux derniers siècles de l'anglo- français littéraire : on en trouve dans les Dialogues Grégoire, comme sol (: sot) (au folio 20 v°) ; dans le Josaphat de Chardri (au vers 257), ol rime avec mot; cette rime se retrouve telle quelle dans les Evangiles de Robert de Gretham (au folio 26 r°), et au vers 2236 du Saint Edmund. Robert de Gretham nous en fournit un autre exemple assuré de la voyelle : pot {: sot) (au folio 66 r°) ; nous avons déjà fait observer que cette terminaison est plus commune chez Dermod pour les imparfaits de I ; on trouve de même dans ce poème pot (: Dermod) (vers 235 e\. pass'nii) ; après Dermod, il faut aller jusqu'au Prince Noir pour retrouver une autre forme en ot attestée par la rime; ot y rime avec Talebot (au vers 138), avec mot (au vers 2489).

Nous n'avons relevé que de rares exemples de cette forme dans les ouvrages non littéraires, comme le pot qui se trouve dans un certain nombre de passages de Rymer et des Year Books.

La fortune de cette désinence n'a donc pas été très brillante pour nos prétérits, c'est exactement le sort qu'elle a eu pour les imparfaits de L

La forme en u ou eu fait aussi son apparition assez tôt ; elle ne provient pas directement, pensons-nous, des formes que nous avons étudiées jusqu'ici, 0 ouvert ne passant pas à // en anglo-trançais, mais elle est le résultat d'une assimilation avec les formes en u des deuxième, troisième et cinquième classes. Cette assimilation attei- gnit surtout trois verbes : avoir, plaire, taire ; rappelons, du reste, que nous avons relevé pour ce dernier verbe à la première per- sonne du singulier une forme ^H^ (Psautier d'Arundel, 38, 3) appa- rentée avec les premières personnes de la seconde classe.

Les rimes qui établissent l'existence de la forme en // au xii^ siècle, pour la troisième personne du singulier, ne sont pas nom- breuses, mais elles sont suffisantes. La première que nous ayons relevée se lit dans Adgar: pleut (: receut) (XXI, 15, lire plut: reçut) ; à la même époque appartient la rime /// (: murut) qui se trouve dans le Tristan de Thomas (au vers 3067), et plut (de

LE PRÉTÉRIT 607

plaire) (: crut) au vers 1376 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking. Ces trois rimes sont significatives et nous suffisent pour fixer avec quelque précision la date à laquelle la forme en // s'est introduite en anglo-français. C'est entre 11 60 et 1170 qu'elle a fait son apparition.

Dans le corps du vers de certains poèmes et dans quelques ouvrages en prose nous avons relevé des exemples qui peuvent être contemporains des trois que nous venons de citer, ou légère- ment postérieurs : par exemple, plut dans le Psautier de Cam- bridge (77, 25); et dans le corps du vers 529 de l'Estorie des Engleis, et du vers 2110 de la Vie de Saint Gilles ; eut au vers 616 de l'Estorie des Engleis. Tut et put (de pouvoir) se rencontrent tous les deux dans la Vie de Saint Gilles (respectivement aux vers 2825 et 3671); tous ces exemples remontent soit à la fin du xii% soit au commencement du xiii^ siècle.

Dans cette fin du xW^ siècle, il est probable qu'on pourrait trou- ver encore un certain nombre d'exemples de cette forme, mais ceux que nous venons de citer suffisent sans doute à montrer que cette forme en u s'est introduite vers 11 60.

Les terminaisons en u sont assez fréquentes au xiii^ siècle, et se trouvent parfois à la rime. Citons-en un certain nombre : dans Robert de Gretham, nous trouvons la rime ont (: estot d'estovoir) (29 r°) ; mais comme les verbes de II ne prennent que rarement au xiir siècle la terminaison ont, il faut probablement lire lit : estut. Dans le Saint Laurent^ nous relevons un exemple qui n'est pas douteux: /</(: reconnut) au vers 230 ; de même, dans la Plainte d'Amour (vers 854), eut {: fut) ; plus tard, les exemples analogues ne sont pas aussi rares, mais aucun d'eux ne se trouve à la rime. Pour en donner quelques cas du xiv^ siècle, en voici qui se trouvent dans le corps du vers : eut au vers 26 du Siège de Carlaverok, dans Pierre de Langtoft (I, 360, 16), ut dans les Vies de Saints de Bozon (94 v°), etc.

Plaire donne plut qui, dans les Dialogues Grégoire (16 a), rime avec aperçut ; il rime avec mut au vers 364 d'Edward le Confesseur ; on le rencontre encore, sous la forme pliist, dans les Vies de Saints de Bozon, rimant avec l'impartait du subjonctif ust (92 v°) ; dans Foulques Fitz Warin il est employé à la page 48.

Robert de Gretham nous donne pour pouvoir une rime qui

6oS l'évolution du verbe en anglo-prançais

pourra {xiraitre un peu douteuse : poiil (: dout de devoir) ; mais ici encore nous pouvons remarquer que les verbes de la seconde classe ne prennent jamais on au xiii^ siècle. D'ailleurs les exemples pour lesquels aucun doute ne saurait subsister sont communs ; citons put qui dans le même auteur rime avec conut (au tolio i 5 V''), Pierre de Langtoft l'emploie fréquemment (cf. II, 342, 4), et pour pestre put ( : aperçut) dans les Dialogues Saint Grégoire (35 r" b) et (: fut) dans les Évangiles de Robert de Gretham (38 r'^).

On trouve aussi des exemples de cette même forme pour savoir: sut (: dut) au vers 144 du Saint Laurent, etc., et pour taire : tut (: fut) dans les Dialogues Saint Grégoire (49 b) et ( : mut) au vers 1087 du Petit Plet de Chardri et au folio 66 de la Genèse; on le trouve encore assez fréquemment dans Pierre de Langtoft (par exemple I, 380, 10, etc.).

Il est assez difficile, sinon impossible, de préciser dans quel rap- port, au point de vue du nombre, se trouvent les formes en ou, en 0 -et en (^)7<. Comme nous l'avons montré les trois désinences coexistent à partir de 1160-1170, mais ce n'est que vers le milieu du xiii^ siècle que la dernière devient réellement commune.

Nous croyons même que celle-ci n'est devenue vraiment usuelle qu'au xiV^ siècle et qu'à aucun moment le nombre des cas elle se trouve n'a été sensiblement supérieur au nombre des désinences en ou. Il n'en va pas de même pour la langue politique, diplomatique et familière : les deux formes // et eu sont extrême- ment communes dans les textes non littéraires, et nous pourrions dresser une longue liste des passages l'une et l'autre se ren- contrent (cf. Statutes, 1335, 1345, 1360, etc. ; Rymer's Foedera, 1384, VII, 436; Annales Londinienses, 1291, 221 et passim dansh plupart des Year Books).

Ces trois formes que peut prendre le son vocalique à la troisième personne du singulier des verbes de la première classe sont toutes trois des formes régulières. Elles ne sont pas du reste les seules, quoiqu'elles soient de beaucoup les plus répandues ; nous avons à citer maintenant quelques autres déviations du type normal.

A la place de la voyelle u nous trouvons quelquefois la diphtongue /// ; on considère généralement que ce phénomène est exactement du même genre -que celui que nous avons signalé tout à l'heure

LE PRÉTÉRIT 609

(soit pour sont) ; en d'autres termes, on admet que c'est un autre exemple de ce qu'on appelle l'ùmgekehrte Schreibung Çc[. Stimming, p. 193). Le premier cas que nous en trouvions pour no verbes se lit dans le ms. O de Horn au vers 623 (fin du xiii^ siècle) ; au lieu de ut, on y trouve uit. Cet exemple se trouve dans le corps du vers et doit être certainement laissé au compte du scribe . On en trouve aussi un cas de la même nature dans Boeve de Haumtone : puil (au vers 1659). Dans les Year Books, cette forme est loin d'être rare ; on trouve par exemple /?//// (pestre) (12 et 13 Edw. III, 21) ; poyt du même verbe (Year Book, 30 Edward P', 511) ne nous semble qu'une variante de la forme précédente.

Oe pour on ou 0 est très rare ; on en trouve pourtant un exemple dans la Plainte Notre-Dame : poest (au vers 51) (cf. troisième personne du pluriel); eo, qu'on trouve dans les Contes de Bozon (seot, § 18), n'est probablement qu'une variante de cette forme ; on peut comparer ces formes celles que nous avons énu- mérées pour la troisième personne du singulier du présent de l'in- dicatif de pouvoir, estovoir, etc. (cf. Présent de l'indicatif, p. 154).

Ii'ii est plus commun. On en trouve déjà un exemple dans Fan- tosme au vers 1461 : sieitt de savoir; évidemment ici encore ce doit être le scribe qui est responsable de cette forme, qu'on ne rencon- trera plus avant le xiv^ siècle, comme dans 5aV///, Prince Noir (1830); tieust qui se lit au § 23 des Contes de Bozon. Cette diphtongue est très commune en dehors des œuvres littéraires.

Les mêmes variations se reproduisent pour la troisième personne du pluriel, peut-être à une date un peu plus reculée : ose trouve déjà dans le ms. A de l'Alexis : porent (32 b), et dans les Psautiers, par exemple dans celui d'Oxford : onv// (105, 2}), porent (20, 11), sorent (81, 5). Cette voyelle se retrouve dans tous les auteurs sub- séquents : Gaimar, Fantosme, Guillaume de Berneville ; les formes avec voyelle sont assez fréquentes chez certains auteurs comme Adgar et Frère Angier. Elles continuent à figurer dans tous nos textes du xiii= et du xiv^' siècle ; mais pour cette terminaison, nous ne pouvons trouver que des interrimes, ce qui nous enlève toute certitude.

Les formes en 11 sont à peine plus tardives ; les Psautiers d'Oxford et de Cambridge en contiennent plusieurs : turent, par exemple, se

>9

6lO l'évolution du verbe en ANCiLO-FRANÇAlS

trouve dans les deux ouvrages (io6, 29) ; piirciil, cureiil et surent se trouvent dans l'Estorie de Gaimar(respectivement aux vers 1224, 4843 et 4844); enfin nous trouvons notre première rime dans Adgar : itrenl (: aparceurent) (IV, 83); les rimes deviennent dès lors plus fréquentes sinon communes ; par exemple nous trouvons curent aux rimes suivantes : (: furent) Dialogues Saint Grégoire (102 b); (: crurent) dans Robert de Gretham (59 v") ; (: furent) dans le Saint Julien (GG r').

Les mêmes terminaisons irrégulières que nous avons trouvées à la troisième personne du singulier se répètent presque toutes à la troisième personne du pluriel. /// pour u se rencontre par exemple dans nircnt qui se trouve dans le ms. O de Horn (au vers 59e) ; dans piiircnt qui figure au vers 316 du Saint Edmund. Oe se trouve d:ms pocrcnt, autre exemple du Saint Edmund (au vers 300). Ajou- tons cependant une forme du pluriel qui n'a pas d'analogue au singulier; dans l'Apocalypse, on trouve eourcnt {^;, 1339) qui esta eurent ce que eurent est à urent. Dans les textes non littéraires les seules graphies qu'on rencontre sont en et // employées indifférem- ment l'une pour l'autre ; urent (Statutes, 1305,!, t,GG^; eurent (ibid., 1350, I, 316, etc.)-

Deuxième classe. Dans la première partie du xii'' siècle, alors que les troisiènl^s personnes de la première classe demeuraient stationnaires, celles de la deuxième classe montrèrent une tendance à s'en rapprocher, tendance favorisée par l'identité ous-dous, oumes-doumes ; c'est ce qui explique les quelques formes irrégulières qu'on trouve surtout au commencement de ce siècle^ dans le Saint Brandan : dont au vers 158 (ms. de l'Arsenal BLF, 283, dut, à côté àt dut 530), mot au vers 1253 (Arsenal muet P. I.) et meurent qui se trouve dans les deux Psautiers d'Oxford (108, 24) et de Cam- bridge (77, 58). Le dernier exemple que nous a}'ons trouvé de cette assimilation au xii^ siècle se lit dans le Tristan de Thomas : dourcnt (au vers 1137). Après cela, nous n'en trouvons plus d'autre, excepté deux cas très douteux : les deux rimes de Robert de Gre- tham que nous avons vues tout à l'heure : estot ( : out) (29 r°) et dont {: pout)(95 '''")5 il est préférable de considérer ces rimescomme marquant le passage de I à II plutôt que l'inverse; il y a de plus chez ce même auteur une rime montrant d'une manière indiscutable que la troisième personne du prétérit de devoir prenait quelque-

LE PRÉTÉRIT é I I

fois ('// encore à cette époque ; c'est h rime dans laquelle tloiil rime avec l'imparfait mustrout (105 v°) (cf. Imparfaits de I, troisième personne du singulier).

En dehors de la littérature, seules les formes en //, de même que celles qui en dérivent et que nous citons plus bas, sont employées. On trouve de nombreux exemples de ces formes dans les différents recueils.

Les autres désinences de cette classe provenant toutes de la forme étymologique sont peu nombreuses; on trouve évidemment ///qui n'est qu'une graphie de u comme biiit.au folio 4 r" de Nicolas Tri- vet, auquel on peut ajouter mot (:dedut, déduit) dans le Sermon en vers Deu le Omnipotent (87 a) et en dehors des textes littéraires ihixt (11 et 12 Edw. III, 395); quelquefois eu, comme beat dans Nicolas Trivet (39 v°); cette diphtongue est d'un emploi encore plus fréquent dans la langue politique, diplomatique et légale; citons par exemple jeiisl dans les Chroniques de Londres (1262, 6); estent, Year Book 31 Edw. I" (391), etc.

La troisième personne du pluriel est ordinairement terminée en urent et il est très rare que les verbes de cette classe prennent une autre désinence ; nous n'avons jamais rencontré pour ces verbes la terminaison otirent. Les seules formes qui s'écartent quelque peu du type normal sont celles qui montrent la diphtongue ui : buyrenl (Boeve, 2584, etc.), forme très fréquente dans les mss. de la fin du xiv^ siècle ; ou eu comme dans uieurent, Psautier d'Arundel (21, 7), et dans Adgar (XXXII, 89); et dans le même auteur, bernent (XXXIII, 38).

On rencontre encore, mais au xiv^ siècle seulement, la diphtongue ue, par exemple dans les Chroniques de Nicolas Trivet : huèrent (au folio 39 v°).

Les terminaisons des troisièmes personnes des verbes de la troi- sième classe sont encore, s'il est possible, plus régulières, étant donné le nombre considérable des formes employées. Le seul verbe qui montre une tendance assez constante à sortir de sa classe, c'est le verbe ester. Nous trouvons assez souvent stout ou estoiit, même au xiii"^ siècle. Le Psautier de Cambridge emploie cette forme deux fois (I, I ; 44, 9); Robert de Gretham en a aussi un exemple moins que ce ne soit un imparfait) au folio 41 r°.

On la retrouve encore au xiV siècle dans Pierre de Lano-toft :

6 12 l'évolution du verbe en anglo-français

estant (I, 444, i) . Nous pouvons cependant nous demander ici encore si cette forme n'est pas un imparfait de l'indicatif, ce qui est plus improbable au xiv^ siècle, ou si elle ne provient pas d'une con- fusion avec ce dernier temps. Ce verbe se rencontre quelquefois dans la langue politique et légale, et il ne se présente jamais que sous la forme cstiit.

Autres classes. Il n'y a qu'un petit nombre de verbes à prendre cet on de la première classe, et ils ne le font que rarement. Par exemple aparconl du vers 261 de la Folie est absolument isolé au xii^ et même au xiii^ siècle, alors que le nombre des formes régu- lières de ce verbe est extrêmement grand ; il faut arriver à la tin du xiv'' siècle pour en retrouver un autre exemple dans la langue litté- raire ; ce n'est que dans Nicolas Trivet qu'on trouve aparsout (au folio 4 r°) ; ces deux exemples ne peuvent pas être considérés comme autre chose que des preuves de l'ignorance ou de l'étour- derie des scribes. Cependant, et ceci nous semble plus remarquable, on trouve des exemples analogues, peu nombreux il est vrai, en dehors des textes littéraires : on lit par exemple dans les Historical and Municipal Documents of Ireland : jonst {i-^i^, 421); dans les Literae Cantuarienses : reconoiist(^Ji^i, 381).

Les autres formes qu'il nous reste à signaler proviennent norma- lement de la forme étymologique, aussi nous ne 'nous y arrêterons guère.

Ici encore évidemment nous retrouvons /// pour w même dans des textes du xii* siècle, ils sont dus aux scribes, comme comiit dans Adgar (XV, 10) et dans la Folie (6ro) (: estut) et la Vie de Saint Gilles (1289). Cette forme se retrouve encore au xiV siècle très fréquemment (cf. Apocalypse, 3, iiéi). On trouve encore chez les scribes ou les auteurs du xiii'^ siècle d'autres formes telles que aparceuit dans la Folie (849) qui rime avec mescunuit ; citons pour le prétérit de croire:^;'////, Dermod 3401 ; et pour celui de gésir: ju(J)t (: nuit) au vers 779 du même poème. Tous ces verbes ont l'apparence de prétérits en ivi .

Il nous reste à signaler un fait qui est probablement beaucoup plus important que tous ceux que nous avons signalés jusqu'ici pour cette troisième classe : c'est l'introduction d'un c entre le radical et la terminaison ; ce fait s'observe déjà dans les Psautiers; par exemple on trouve dans le Psautier d'Oxford : récent (3, 5), coucent(j, 15),

LE PRÉTÉRIT 613

etc.; dans le Psautier de Cambridge: ciinc/il (89, 12); dans celui d'Arundel : receut (6, 10), conneut (138, 15). Quelques auteurs du xii^ siècle nous donnent des exemples moins faciles à dater, comme coneiil dans Adgar (XVII, 608) ou l'exemple que nous avons déjà cité dans la Folie : aperceuit (au vers 849).

Pendant les deux siècles suivants et spécialement après 1250, les formes telles que celles que nous venons d'énumérer deviennent très communes; il est inutile de donner une liste des formes en eu que nous avons relevées, car quelque longue que nous la fassions, elle restera toujours incomplète. Nous dirons donc qu'on peut en relever des exemples dans chaque auteur, mais qu'ils nous ont paru spécialement nombreux dans les Vies de Saints de Bozon et dans la Chronique de Pierre de Langtoft.

Dans les Contes de ce dernier auteur, les formes en eut sont spécialement communes ; citons esteut qu'on lit au § 80, creust au § 30, et il y en a encore quelques autres. C'est probablement le verbe gésir qui nous paraît avoir pris le plus souvent cette forme ; nous avons relevé geut, dans les Légendes de Marie (XVII, 1021), mais cette forme doit plutôt être attribuée au scribe qu'à Adgar lui- même ; jeust est employé dans la Chronique de Londres (1262, page 4) ; jueut dans la Chronique de Nicolas Trivet (48 r°).

Ces formes ne sont pas rares, au contraire, dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature. Elles s'étendent donc sur presque toute la durée de la littérature anglo-française, puisque les premières formes qu'on connaisse se lisent dans des ouvrages de 11 60 et qu'on en rencontre encore à la fin du xiv^ siècle.

Il n'en va pas de même pour les terminaisons qui présentent un i en hiatus ; nous ne rencontrons des formes comme giust, dont on trouve un exemple dans les Contes de Nicole Bozon (au § 54), que dans les ouvrages du xiV ; et à l'exemple que nous venons de citer, nous pouvons en ajouter quelques-uns qui sont employés par Nicolas Trivet, comme ^('rn/(i)/,rtp6';Tm/. Ces formes se rencontrent spécialement dans les textes non littéraires, et surtout dans le Liber Rubeus de Scaccario et dans les Rymer's Foedera.

A la troisième personne du pluriel, nous rencontrons toutes les irrégularités que nous venons de signaler pour le singulier; pour ne pas allonger outre mesure Ténumération de ces formes, nous dirons que la désinence en eurent se rencontre au plus tard au commen-

6i4 l'iiVolution du vehbe i:n anglo-français

cernent du xiii"^ siècle et nous fournit un nombre assez considérable de formes ; imnit ne date que du siècle suivant et est surtout com- mun dans les textes diplomatiques et fimiliers, quoiqu'on puisse en trouver un bon nombre d'exemples dans les auteurs ou les scribes de la fin du xiv^ siècle.

Ajoutons que les terminaisons en oiircnt sont des plus rares et que nous ne voyons qu'un seul exemple, eslourent, dans le Psautier d'Oxford (2, 2) et dans celui de Cambridge (37, 11).

Nous ne rappellerons que pour mémoire esteirent (Nicolas Trivet, 49 r°) et recouustrcut (Nicolas Trivet, 46 r°) (cf. Prétérits en ivi et Prétérits en ///).

Pour la quatrième classe, nous ne trouverons qu'un petit nombre d'observations à taire. \"ouloir, à la troisième personne du singulier, appartient régulièrement aux prétérits en ///, et cette personne se présente le plus souvent sous la forme t'o//. Nous ne nous arrêterons pas à citer des références pour cette personne, dont on peut trouver des exemples dans tous les auteurs des trois siècles. Nous n'avons pas non plus à nous occuper des changements qu'elle peut subir. Leur étude est du ressort de la phonétique. Signalons seulement que la première graphie voiil que nous connaissions se trouve dans le ms. A de la Vie de Saint Alexis (19 e) et que la première rime qui nous semble probante se lit dans le Tristan de Thomas: volt (: Ysolt) au vers 275. C'est donc vers 1150 que la consonne a se vocaliser.

Du reste elle a persisté très longtemps dans l'écriture, comme on peut s'en convaincre en lisant les auteurs du xiii'' siècle (c{. Dialogues Saint Grégoire, 121 a). Il en est résulté que les scribes ont attribué la graphie par oJt à des personnes qui n'avaient jamais eu d'/.

Signalons encore une autre particularité de la graphie de cette personne : plusieurs auteurs ou scribes du xiV^ siècle combinent You avec 1'/ et écrivent voiilt. Nous avons rencontré cette façon d'écrire cette troisième personne au vers 48 du Siège de Carlaverok et dans les Vies de Saints de Nicole Bozon au folio 93 v°.

La diphtongue subit pour ce verbe les mêmes transformations que pour ceux de la première classe ; on la trouve d'abord à la rime telle quelle avec des terminaisons en ont, imparfaits delà première conjugaison, ou prétérits de la première classe, par exemple vont

LE PRÉTÉRIT 615

(: pcnsout) au vers 956 du Josnphat de Chardri ; (: sont) dans Robert de Gretham (76 r") ; (: pout) dans la Satire (85 v°).

Elle se réduit aussi à la voyelle simple 0 : vol (: dévot), rime répétée dans la Vie de Saint Grégoire aux vers 108, 825 (: pot) dans les Dialogues (21 a), etc.

Mais cette forme est relativement rare, et on peut hésiter sur la valeur à attribuer à cette graphie.

La forme en // se rencontre à la même époque, semble-t-il, mais encore plus rarement; elle est ordinairement écrite par un w, comme wlt dans Boeve (1023).

Outre ces formes régulières, on en rencontre quelques autres qui ne sont pas aussi faciles à expliquer, sauf au mo3'eu de l'analogie avec les formes des autres classes ; on lit par exemple dans la Vie de Saint Thomas (III, 16), veut qui est à vont ce que eut est à out ; on retrouve cette même forme avec une graphie à peine différente à la page 97 de Foulques Fitz Warin : velt.

La langue diplomatique connaît toutes les formes que nous venons de citer ; elle montre de plus pour la troisième personne du singu- lier une forme faible : vohtit, qui se lit dans les Rymer's Foedera (1324, IV, 90).

Les formes de la troisième personne du pluriel ne correspondent pas toujours avec celles de la troisième personne du singulier ; elles hésitent entre la forme des prétérits eu ///, celle des prétérits en si, même, comme nous l'avons vu, celle des prétérits en avi. On trouve en effet volèrent (lire voleient dans Adgar (XI, 137) (cf. Prétérits en avi); comme forme en si on peut citer voiislrent, Vie de Saint Grégoire, 1645 (cf. Prétérits en si).

Mais les formes en ni restent les plus nombreuses et se rencontrent à toutes les époques : voldreiit se lit dans le Bestiaire (au vers 2181) ; dans le Psautier de Cambridge (106, 30) ; dans l'Estorie de Gaimar (2025) ; dans le Saint Edmund (164, etc.) ; vodrent se trouve dans Adgar (XXXIX, 88), dans le Saint Gilles (au vers 46e), etc.

On peut considérer que souloira été attiré par vouloir ; les formes communes aux deux verbes sont nombreuses, et il n'y a rien déplus naturel que de voir leurs prétérits prendre des formes analogues ; celui de souloir appartient réellement en anglo-français à la quatrième classe des prétérits en ui. On trouve au xii* siècle la lormc en oit assez fréquemment (cf. par exemple dans Adgar I E!g. 19 ; dans le Tristan de Thomas, vers 2121, etc.).

6ié l'Évolution du verbe en anglo-françals

Comme pour volt, la consonne se vocalise devant le / : soiil se trouve dans Adgar (au vers 15 de V Eg.) ; aussi dans le Josaphat de Chardri(au vers 157); cette même forme est employée à la rime dans la Satire elle rime avec dout (au folio 80 v°) ; Robert deGretham s'en sert aussi (cf. au folio 44 v°).

Il y a enfin une forme assez commune dans la langue littéraire pour le prétérit de ce verbe : c'est la forme selt, sent. On la trouve pour la première fois à la rime dans le Saint Laurent au vers 291, (: veut) (cf. aussi dans le corps du vers dans Adgar (XXXIII, 38); les vers 1202 et 1564 de la Vie de Saint Grégoire et le folio 90 a des Dialogues Saint Grégoire).

Nous rencontrons aussi quelquefois, par exemple dans la Vie de Saint Grégoire, seult qui est une contamination entre seh et sent.

Ce verbe semble être tombé en désuétude au xiv^ siècle; du moins nous n'avons relevé aucun exemple de son prétérit à cette époque ; on pourrait même dire qu'il cesse d'être employé après 1250.

Toutes les troisièmes personnes de la cinquième classe montrent une régularité plus grande que celle de n'importe laquelle des autres classes. Au singulier, nous trouvons régulièrement //, et les exemples de la forme correcte, aux trois siècles de la littérature anglo-française, sont si communs qu'il est absolument inutile d'en citer.

Les quelques changements que nous venons de signaler n'ont que peu d'importance ; nous trouvons toujours /// pour // ; cette graphie se trouve dans les textes du \u^ siècle, mais o-n peut l'attribuer au siècle suivant; citons dans Thomas (vers 1285) : valiiit.

A la fin du xiv^ siècle quelques graphies vraiment irrégulières font leur apparition ; la diphtongue 0// (par attraction des formes en ou de la première classe) est employée par Nicolas Trivet dans m or oust (au foho 17 v"; au folio 7 r°) ; mais ces formes n'appar- tiennent déjà plus à la langue littéraire ; nous pouvons plus sûrement les regarder comme les fiiutes d'un scribe ignorant.

Seules les formes régulières avec u ou plus rarement m/ sont employées dans les textes non littéraires.

Les formes du pluriel sont aussi correctes ; elles sont toujours en rent, rarement en iiirent.

Nous pouvons maintenant dire un mot des formes du verbe être.

LE riŒTÉRIT 617

La première personne du singulier est en ///, quelquefois en // (comme dans Thomas au vers 1630; dans la Folie au vers 333 ; au vers 40 du Siège de Carlaverok ou dans Pierre de Langtoft, I, 188, 7).

La troisième personne du singulier est le plus souvent régulière ; elle se présente aussi sous l'une des formes suivantes -.fuit ou fuist, comme dans Nicolas Trivet (5 r°) et généralement dans le Law French (Year Books 13 et 14 Edw . III, 203, 239).

Fust, fil, feu, fent, fciist sont des formes très communes (cf. Pierre de Langtoft, II, 106, 21 ;Mem. Pari., 1305,5 § 7, 57, 98, 113, etc.). On peut dire généralement qu'elles se rencontrent dans tous les textes politiques, diplomatiques et familiers, légaux. Une forme plus rare c'est fiiht dans les Royal Letters Henry III (1265, ^j 293). Toutes les autres formes sont régulières ; faisons observer qu'au pluriel /// pour u est commun. Des formes plus rares se rencontrent à l'occasion ; ainsi fusrent avec s parasite dans Jean de Peckham(i346, 79); fuierent dans les Literae Cantuarienses (1332, 426 ; 1335, 581) ■,juerent dans le Year Book 14 Edw. 111(277).

LES RIMES

Nous terminons notre étude sur le son vocalique des cinq classes de prétérits en ni par une sorte de tableau qui donnera les diiférentes rimes que nous avons relevées entre les troisièmes per- sonnes de classes différentes. Ce sera comme un résumé de ce que nous avons dit sur les changements des sons vocaliques dans les troisièmes personnes des prétérits en ni.

Nous pourrons suivre ainsi pas à pas, non pas tous les change- ments que ces prétérits ont subis, ce qui était expressément le but des pages qui précèdent, mais le grand travail d'assimilation qui s'est effectué. D'abord, voici les classes dont les troisièmes per- sonnes riment dès l'origine :

Dans le Cumpozet le Bestiaire, III rime avec V :

aparut : curiut, Cumpoz 907 ; cuncut : nparut, Bestiaire 428.

Dans Gaimar, II rime avec V :

dut : morut, 5 142.

Par conséquent, ces trois classes, comme il est naturel, ont à la troisième personne du singulier le même son vocalique et riment

érS l'évolutiox du verbe en anglo-français

librement entre elles. Ceci est très régulier ; mais, peu après, nous allons trouver des rimes qui, étymologiquement, le sont moins.

Dans Adgar, nous assistons à la confusion des sons des diffé- rentes désinences. D'abord I rime avec III :

plol : récent, XXI, 151.

curent : reçurent, XV, 83 ; XX, 43.

ureiit : apercenrent , XMI, 85.

On trouve quelques rimes, rares du reste, dans lesquelles il entre un verbe delà première classe et un verbe de la cinquième :

ont : murnt, XXVIII, 191.

eurent : cururent, XXVI, i r.

Les rimes entre III et V sont évidemment très nombreuses :

reçut : valut, IX, 86.

conui : niurut, I, Eg. 68.

conurent cururent, VI, 2, 252.

Les prétérits de la deuxième classe riment aussi avec ceux de la cinquième :

dut : niurut, III, 13.

dut : aparut, VII, 69.

est ut : morust, I R, 46.

estut : aparut, XVII, 1057.

Je ne cite pas tous les exemples pour les deux derniers groupes de rimes (rimes entre III et V, entre II et V); si même j'en donne plus que l'occasion ne semble le comporter, c'est uniquement pour montrer d'un seul coup d'œil combien les rimes entre I etlll, et entre I et V sont rares encore chez Adgar. Nous ne voyons aucun chan- gement dans un sens ou dans l'autre dans les rimes de Thomas ; on trouve une seule rime qui accouple un prétérit de I avec un pré- térit de V: ut : murnt, 3067.

Sœur Clémence de Barking fait rimer une fois I et III : Vie de Sainte Catherine, vers 1376:

pJut : crut.

Pour en finir avec les rimes de ce siècle, dans le Saint Gilles, nous trouvons que III rime fréquemment avec II :

/'/// : crut, 689. Cf. 1289, 2765, 3371.

Nous voyons donc que depuis le commencement de la seconde moitié du xii^ siècle, toutes les classes des prétérits en ni riment entre elles; il n'y a qu'une exception : la première classe ne rime

LE PRÉTÉRIT 619

jamais avec la seconde. Faut-il admettre que ces deux classes ne pouvaient rimer ? Il semble difficile de l'admettre; il faudrait pour cela croire que la troisième et la cinquième classe avaient à la troi- sième personne du singulier deux sortes de terminaisons : l'une qui pouvait rimer avec la première classe, l'autre rimant exclusive- ment avec la seconde. Cette hypothèse n'est évidemment pas admissible ; nous avons vu toutes les désinences de chaque classe, et rien ne peut nous foire croire que la prononciation de ces ter- minaisons n'ait pas été à chaque période uniforme. Ce qui peut plus justement retenir notre attention^ c'est le très petit nombre de rimes montrant les formes analogiques dans les prétérits de la première classe ; ceci peut s'expliquer par deux considérations : d'abord l'assimilation de la première classe aux deux autres a été progressive et les formes nouvelles ont certainement existé côte à côte avec les anciennes, au lieu de les supplanter d'un jour à l'autre. Pendant longtemps les formes archaïques ont pu sembler plus régu- lières.

Ensuite le nombre des prétérits de la première classe et de la seconde est de beaucoup inférieur à celui des autres classes.

Ces deux considérations expliquent suffisamment pourquoi il se trouve qu'on ne rencontre aucune rime entre I et II, ensuite pour- quoi il est en somme rare de trouver des troisièmes personnes de î rimant avec des troisièmes personnes de III ou de V.

Il est donc légitime de conclure que les troisièmes personnes des trois classes des prétérits en /// riment depuis le milieu du xii'' siècle, plus exactement depuis iiéo.

Il ne serait donc pas très utile de poursuivre cette étude des rimes plus avant dans le siècle suivant ; cependant il est peut-être pré- férable de chercher dans les premiers écrivains du xiii'' siècle un complément d'exemples montrant sans doute possible que la con- fusion des terminaisons s'est établie.. Ces exemples se trouvent faci- lement dans Frère Angier, Robert de Gretham, et le Saint Laurent ; il ne sera pas nécessaire de descendre plus bas; nous ne citerons maintenant que les rimes qui importent, c'est-à-dire les rimes de I avec II et avec III.

Nous trouvons les exemples suivants de rimes entre I et II ; remarquons que ce sont les premiers exemples de ce geinv que nous avons rencontrés :

620 l'évolution du verbe en anglo-français

plut : comment. Psautier à rimes couées (Harléien 4070) au vers 1027 b.

iiiî : mut, Chardri, Petit Plet, 1087.

sut :dut, Saint Laurent, 144,

Aussi out : estot, Robert de Gretham, 29 r"

txpoiit : dont, Robert de Gretham, 95 v°.

Entre les verbes de I et ceux de III les rimes sont plus nom- breuses :

plut : aperçut. Dialogues Saint Grégoire, a.

put : aperçut. Dialogues Saint Grégoire, 135 b.

lit :reconut. Saint Laurent, 230.

tust:estut, Genèse, 66 v°.

urent : crurent, Robert de Gretham, 59 v°. De même :

tut : fut. Dialogues Saint Grégoire, 49 b.

put : fut, Robert de Gretham, 38 r°.

eut :fut, Plainte d'Amour, 854.

eurent .-furent, Genèse, 66 \°.

Nous ne citons que quelques-unes des rimes qu'on rencontre pendant la première moitié du xiii^ siècle et l'on peut voir comme leur nombre s'est accru : le travail d'unification a fait, immédiate- ment après 1200, les plus grands progrès. Vers le milieu de ce siècle, et probablement quelque temps auparavant, l'unification est entièrement terminée. Cependant, comme nous l'avons fait remar- quer dans les pages précédentes, les formes étymologiques subsis- teront jusqu'à la fin de la littérature anglo-française et resteront toujours celles qu'on emploie le plus régulièrement ; mais les formes analogiques se trouveront pendant plus d'un siècle et demi côte à côte avec elles. Et ceci est bien caractéristique du dialecte anglo-français .

DIÉRÈSE ET SYNÉRÈSE '

La dernière question que soulève la voyelle en hiatus des prété- rits en ui a une très grande importance : c'est celle de la synérèse qui se produit dans certaines formes et à certaines personnes : la

I. On peut consulter sur ce point, H. Suchier, Ueber die..., p. 2 ; surtout l'ar- ticle sur le Dialecte du Saint Leodegar, Zeitschrift II, p. 281, et aussi, Zeitschrift I, p. 569. Voir aussi Tohler, Versification, p. 41.

LE PRÉTÉRIT 621

deuxième personne du singulier, la première et la deuxième per- sonne du pluriel des verbes des trois premières classes.

Nous n'avons pas pu relever un nombre très considérable d'exemples ; ceux que nous avons cependant suffisent pour nous montrer que la diérèse subsiste pendant tout le xu" et pendant une grande partie du xiii^ siècle.

Pour la deuxième personne du singulier, nous trouvons un nombre assez restreint de cas de hiatus dans les différents poèmes du xii^ siècle ; chacune des trois premières classes est cependant représentée, la première par uiis que nous lisons au vers 1598 du Voyage de Saint Brandan ; eiïs au vers 955 de la Chronique de Jordan Fantosme:

Ne n'eus une en terre de rei si grand honur ;

OU encore oiis des Distiques de Caton d'Elie de Winchester :

Cum les oûs devant.

Pour la seconde classe^ nous avons relevé iiioils au vers 774 du Voyage de Saint Brandan; rcceus, de la troisième, se lit dans la Vie de Saint Grégoire, au vers 1359.

Pendant le siècle suivant, les exemples ne sont pas non plus très fréquents ; citons eiis, au vers 955 du Roman des Romans :

Tu n'en eus plus ke trente deners ;

et on pourrait peut-être en trouver quelques autres encore.

Aux autres personnes, il nous semble que les exemples de dié- rèse sont plus communs, mais nous ne voulons pas allonger outre mesure la liste de nos citations. Dans le Tristan de Thomas, nous trouvons avec l'hiatus eiuiies, heiDiies (aux vers 2428 et 2493), et il est conservé encore jusque dans le Saint Auban ; eiivies se lit au vers 1522 de ce poème :

Puis i<e les eûmes truvez e eschoisi.

A la seconde personne du pluriel, nous pouvons citer eftstes qui se lit dans un grand nombre de poèmes, comme au vers 1509 du Tristan de Thomas, 469 de la Folie, etc. ; soûsles:^\i vers 661 de ce dernier poème ;' /'c/'/j/^'j, ibid., au vers 472 ; dcceilstcs au vers 1589 de

622 l'Évolution du verbe en anglo-français

Tristan. Au siècle suivant, le nombre d'exemples est encore assez considérable ; on peut citer eiisfcs dans Robert de Gretham (80 v°), et dans les Chansons (I, 19). On en trouve même dans le Saint Auban, comme le eiisies, cité par Suchier, mais que nous n'avons pas retrouvé, et le peïistes du vers 47 :

E en quele manere peùstes vus passer?

Dans le Poème Allégorique (I, 19), nous relevons un cas assuré de diérèse dans seiistes.

Au xiv^' siècle, il est difficile de pouvoir se rendre compte du nombre de syllabes des terminaisons de ces trois personnes ; nous n'aV'Ons relevé dans les œuvres en vers aucun exemple qui puisse nous fournir une preuve assurée de diérèse au prétérit.

Par contre il arrive au xiii*-' siècle qu'on trouve des diérèses qui ne sont pas étymologiques. On en relève quelquefois à des per- sonnes où elle est régulière, mais dans des verbes elle ne l'est pas, comme feiiiiies, cité par M. Suchier, exemple du Saint Auban (vers 1450).

Les autres cas de diérèses non étymologiques se trouvent à la troisième personne du pluriel. Comme on le sait, cette terminaison est régulièrement monosyllabique en orent ou en tirent, -et le nombre de cas cette terminaison a le nombre régulier de syl- labes est considérable'. Voici cependant quelques cas l'in- fluence des personnes imparisyllabiques s'est tait sentir.

Dans les Légendes de Marie d'Adgar, les troisièmes personnes régulières sont en grand nombre, on trouve eurent (IV, 84 ; XVII, 85), seiiient (XX, 274):

Del miracle grant joie eurent, Tuit ensemble grant joie eurent, Li citedein mot ne seûrent.

Pour les verbes de la seconde classe, Adgar est encore le seul qui nous offre un exemple de diérèse irrégulière à la troisième personne du pluriel. On trouve chez lui ineiïrenf (XXll, 89) :

Meurent sei li vent trestuit.

I. Le Cunipoz, le Brandan, le Bestiaire, Fantosme, Saint Gilles, Guischart de Beauliu n'ont que des exemples réguliers.

LE PRÉTÉRIT 623

et il a encore au moins un exemple pour un verbe de la troi- sième classe, (ipcrceûreiit, IV, 83 :

Quand li moine s'aperccùrent.

Il est aussi très probable que nous en avons un autre cas dans le Tristan de Thomas au vers 203 5 :

Ne s'en aperceùrent nient.

En effet sur les huit exemples de nienl qui se retrouvent dans ce poème, il n'y en a qu'un, si l'on fait abstraction de l'exemple précédent, qui nous montre ce mot dissyllabique, et encore nous croyons que même dans ce cas nient n'est compté que pour une syllabe (vers 136) '.

Nous avons rencontré quelques exemples semblables dans les auteurs du xiii'' siècle ; citons dans les Dialogues Grégoire le Grand dirent (102 b) et aparccnroit (130 v" b). Il semble d'après les exemples précédents que ce soit le verbe apercevoir qui montre le plus souvent la diérèse irrégulière à la troisième personne du pluriel de son prétérit. Nous n'avons pas relevé d'exemple de dié- rèse bien assurée postérieurement à Frère Angier. Citons cepen- dant courent qui nous semble avoir trois syllabes (Apocalypse, 7,

Adgar, Thomas et Frère Angier sont donc à peu près les seuls auteurs qui nous présentent un certain nombre de cas de diérèses irrégulières à la troisième personne du pluriel ; ils n'en fournissent d'ailleurs aucun à la troisième personne du singulier. Cette dernière irrégularité semble spéciale à certains auteurs du xiii'' et du xiV siècle; nous n'en citerons d'ailleurs qu'un petit nombre de cas que nous choisirons parmi ceux qui nous sembleront les plus sûrs, ou les plus caractéristiques. Nous en relevons un assez douteux dans les

I . Voici ce vers :

Que petit mci aime u nient.

Il faut probablement ne pas faire l'élision de l'i* lin.d de aime (cl. Désinences personnelles, troisième personne du singulier, la dentale caduque finale, p. 8j). En admettant la diérèse dans dpercenroit et la non élision dans aime, nient serait toujours monos\'llabique, ce qui est le cas du reste dans la Folie de Tris- tan .

624 l'évolution du verbe en anglo-français

Set Donnans de Chardri, qu'on peut du reste faire disparaître assez facilement (au vers 204) :

Rcceùt bons od les mauveis.

Il faut probablement lire ici : les bons od les mauveis.

Au vers 141 de la Petite Philosophie, nous relevons une troi- sième personne du singulier avec un e irrégulier en hiatus : conceûst qui compte pour trois syllabes. Dans la Genèse Notre-Dame, nous rencontrons un exemple analogue : crd'it (au folio 73 r°). Cer- tains auteurs du xiv^ siècle semblent affectionner cette forme, par exemple Nicole Bozon ; dans ses Vies de Saints (au folio 92 v°), nous lisons comefist (trois syllabes) et dans le court poème, la Vie de Saint Paul l'Ermite, nous en avons au moins deux exemples assu- rés (aux vers 137 et 240):

Par le lou apparceùt tôt

Dount il resceût graunt counfort

Il est certain que nous pourrions dans les autres poèmes de ce même siècle rencontrer d'autres exemples analogues ; il nous a semblé toutefois qu'aucun écrivain de cette période n'en présente autant que Nicole Bozon ; en particulier nous n'en avons rencon- tré aucun d'assuré dans la Chronique de Pierre de Langtott.

En résumé les cas de diérèse sont rares et tardifs à la troisième personne du singulier : on pourrait presque les négliger. A la troi- sième personne du pluriel ils sont trop fréquents et souvent trop bien caractérisés pour être mis en doute ; mais ils ne se trouvent que dans un petit nombre d'auteurs et ne peuvent être considérés comme tout à fait caractéristiques en anglo-français.

Il est donc assez évident que, malgré une certaine tendance dans ce sens, la diérèse n'a pas réussi à s'étendre beaucoup en anglo- français ; et l'une des raisons qui expliquent son peu d'action sur les personnes qui ne présentent pas l'hiatus régulièrement, c'est qu'elle n'a pas cessé de perdre du terrain dans les personnes elle était étymologique. Dès les premiers temps de l'anglo-français, nous voyons que la synérèse s'effectue de temps en temps aux trois personnes il y avait hiatus. Au xii^ siècle, nous en relevons quelques cas qui ne sont pas douteux : le premier se trouve dans les Légendes d'Adgar : eûmes (XIX, 106) :

Par une femme eûmes cumfort.

LE PRÉTÉRIT 625

Un autre, beaucoup plus douteux, se lit dans la Folie Tristan : bu))ics au vers 47 1 :

De un hauap bûmes andui '.

Mais c'est surtout au siècle suivant que nous voyons se mani- fester le plus clairement la tendance à effectuer la synérèse ; nous n'en citerons que quelques cas. A la deuxième personne du singu- lier, nous trouvons :

Receiis au vers 1359 de la Vie de Saint Grégoire ; et un demi- siècle plus tard, peus dms le Saint Auban, exemple cité par M. Suchier, mais que nous n'avons pas retrouvé ; enfin 5d'//^ au vers 344 du même poème :

Sauf (lire : sauve) tun cors demeine cum sauver seuz autri.

Nous avons rencontré encore dans ce même poème d'autres exemples de synérèse à la première personne du pluriel ; au vers 1146, nous lisons r/'t7////('j" :

Créâmes ke de sa (lire s') emprise fust ja ben repentant. et au vers 1273, eûmes :

Nos veisins e amis e parens k'eumes cher.

Comme on le voit, les cas de synérèse ne sont pas nombreux au xii'^ siècle ni même au commencement du xiii^ C'est le poème du Saint Auban qui nous en montre le premier un nombre assez considérable.

Au xiv^' siècle, le prétérit se trouve assez rarement employé, surtout pour cette classe de prétérits, de sorte que nos exemples ne sont jamais très nombreux ; si on ajoute à cela que, pour les exemples que nous pouvons rencontrer, le nombre de syllabes est souvent impossible à déterminer à cause de l'irrégularité de la ver-

I. M. Bédier rétablit : D'un. . .beùmes. . . ; ce qui semble très justifié. Nous ne comptons pas ici le pus du Tristan de Thomas, vers 2273, donné par M. Bédier comme un prétérit, Lexique, car en réalité c'est une première personne du présent de l'indicatif:

E Dcus ! pur quel ne pus mûrir, duand perdu ai que plus désir.

40

62é l'Évolution du verbe en anglo-français

sification, on comprendra que nous sommes réduits à ne donner qu'un tout petit nombre de cas de synérèse. Cependant les textes que nous avons lus nous ont laissé au moins une impression, que nous ne pouvons pas toujours prouver très clairement : c'est que, pour la plupart des auteurs de la fin du xiii'' et du xiV siècle, la voyelle en hiatus ne doit pas compter dans la mesure du vers (cf. principalement William de Waddington, Pierre de Langtoft, etc.). Nous pouvons donner comme exemples, dans les Heures de la Vierge : receiistes (au folio 65 v°) ; dans Pierre de Lang- toft : receii- (cf. II, 208, 5). Nous ne citerons pas plus d'exemples pour le moment, ceux que nous venons d'énumérer nous per- mettent de conclure que :

■1° La diérèse a été conservée dans la grande majorité des cas pendant le xii^ et la plus grande partie du xiii^ siècle.

Elle semble avoir été commune même pendant le xiv^ siècle.

Les cas de diérèse irrégulière restent assez rares, excepté chez un petit nombre d'auteurs; cette diérèse peut affecter soit des pré- térits pour lesquels elle n'est pas étymologique, ce qui est très rare, soit des personnes qui ne devraient pas l'avoir.

C'est vers 11 60 que nous rencontrons les premiers cas de synérèse ; mais la synérèse est très rare pendant les dernières années de ce siècle, et à peine plus commune pendant la première partie du siècle suivant.

Il semble qu'elle soit devenue, sinon la règle, au moins très commune à partir de 1250 (Saint Auban) et pendant xiV^ siècle.

LA consonne de LA TERMINAISON DANS LES CINa CLASSES

Nous avons déjà étudié (cf. Désinences personnelles, troisième personne du singulier) la chute de la dentale, puis l'introduction d'une s non étymologique à la troisième personne du singulier. Nous avons maintenant à revenir sur ce dernier point, et à reprendre la même question à un autre point de vue. Nous allons voir main- tenant quelles sont les classes qui ont été le plus affectées par cette s paragogique et dans quel ordre elles ont été atteintes.

C'est dans les textes du xii*^ siècle que nous trouvons les pre- miers exemples de la terminaison st dans les prétérits en ///, et ce

LE PRÉTÉRIT 627

sont les verbes de la cinquième classe qui sont les premiers à la prendre. Mais les premiers cas que nous rencontrons, lorsqu'ils sont à la rime, montrent que ces formes riment bien avec les formes sans s ; les premiers exemples assurés que nous trouvions de la pré- sence de 1'^ datent de la seconde moitié du xii"^ siècle. En effet la première rime significative se trouve dans les Légendes de Marie d'Adgar ; on y lit iimrnist (prétérit) à la rime avec fust. Dans le corps du vers des auteurs de cette époque, les exemples sont beau- coup plus communs, mais ils peuvent pour la plupart appartenir aux scribes. Quelques-uns de cesexemples cependant doivent appar- tenir à la fin du xir' ou au commencement du xiii^ siècle ; ce sont ceux qu'on lit dans le manuscrit R de Gaimar : ///o;7/5/ (au vers 1273), panist (au vers 2252). Dans la Chronique de Jordan Fantosme, nous relevons plusieurs formes semblables; citons estciisl (au vers 13 19, peut-être un imparfait du subjonctir), //^5/, certainement un prétérit.

En un mot, la plupart des poèmes de la fin du xii"^ siècle en présentent quelques cas, qui peuvent du reste appartenir aux scribes et dater du xiii'^ siècle.

Il faut remarquer que tous ces exemples nous montrent la désinence iist des verbes de la cinquième classe. La seule exception que nous connaissions serait esteust que nous venons de citer et qui est loin d'être sûr.

Ce n'est que plus tard, vers 1250, que les verbes de la seconde et de la troisième classe suivent l'exemple de ceux de la cinquième. Les premiers exemples que nous en ayons relevés se lisent dans le poème de Boeve de Haumtone ; et évidemment ici nous devons hésiter avant d'attribuer à l'auteur les formes que nous rencontrons, comme dust qui se trouve au vers 1590. Cette même forme se trouve encore au vers 2496 de William de Waddington ; Ditist est employé au vers 75 de The Song of the Barons. Et d'une façon générale les formes analogues abondent au siècle suivant.

Quant aux prétérits de la première classe, il semble que c'est à la même époque que les formes irrégulières se rencontrent ; et ici nous devons faire ime distinction nécessaire : les terminaisons en u et en eu prennent 1'.^ en même temps que les verbes de la seconde et de la troisième classe, par exemple eitst au vers 468 de Boeve de Haumtone; iiist qu'on peut lire au folio 66 v" de la Genèse et au

628 l'évolution nu verbe en anglo-français

vers 905 1 du Manuel des Péchés, ou encore pliisl qui est employé au vers iié du Saint Auban.

Toutes ces formes sont communes au xiv'^ siècle, plus communes que les formes correspondantes sans s, surtout pour les radicaux en en comme teust, Pierre de Langtoft (I, ^§0, 10); tieust, Nicole Bozon (Contes, § 23).

Il n'en est pas de même des prétérits de cet.te classe, et ils sont nombreux, comme nous l'avons vu, qui conservent la forme éty- mologique ; les exemples que nous avons donnés suffisent à mon- trer qu'ils n'ont pas cette consonne parasite. Les exemples con- traires sont fort rares ; nous ne trouvons que oust qu'on lit au vers II de la Bounté des Femmes de Nicole Bozon. Il est probable que cet exemple n'est pas absolument isolé; mais il est certain que les formes analogues à celle-là ne sont pas nombreuses.

Nous résumerons en ces quelques mots les lignes qui précèdent :

Us parasite s'introduit probablement dans les prétérits en /// vers la fin du xii'' siècle, assurément au commencement du siècle suivant.

Ce sont les prétérits de la cinquième classe qui sont d'abord atteints et ils restent seuls sous cette forme au moins jusque vers le milieu du xiii^ siècle, peut-être plus tard.

Vers ou après 1250, nous voyons que toutes les autres classes sont atteintes à leur tour. Et nous ne découvrons qu'une seule exception : les prétérits de la première classe qui conservent la forme étymologique. Avec cette restriction, tous les auteurs du xiv^ siècle emploient aussi librement que possible les prétérits en 11 avec ou sans 5 sans raison apparente. Il en est de même pour les textes qui n'appartiennent pas à la littérature ; les formes en ust y sont extrê- mement communes.

On peut probablement considérer comme variante de la graphie st la forme qu'on rencontre dans le Chevalier, la Dame et le Clerc; on lit en effet dans ce poème coniiht (au vers 563), contht (au vers ^64),iiioriith (lire vioruht, au vers 585); de même fuht se lit dans les Royal Letters Henry III (12^5, II, 293) (cf. Prétérits en avi, Prétérits en /).

LE PRÉTÉRIT 629

ACaUISITIONS DES PRETERITS EN UI

Les prétérits en /// ne peuvent montrer que très peu de nou- velles formes; c'est à peine s'ils peuvent conserver tous les verbes qui leur appartiennent régulièrement. Nous avons vu ester et arester' ; avoir, pouvoir, vouloir, passer plus ou moins fréquemment aux prétérits en avi ; nous verrons un peu plus tard un certain nombre de troisièmes personnes du pluriel de ces prétérits prendre la forme des prétérits en si -. Cependant on relève aussi plusieurs formes qui ont été gagnées par les prétérits en /// pendant le xiii^ et le xiv^ siècle.

Nous croyons que pleurer prend souvent cette forme ; nous avons cité à propos de l'imparfait la forme ploiiroii (première per- sonne du singulier) dans le 2^ Appendice de Pierre de Langtoft (II, 446, 10); ce qui pourrait faire prendre cette forme pour un prétérit, ce sont les exemples suivants, tous antérieurs à celui que nous venons de citer.

On lit phirurcnt au vers 1548 des Set Dormans de Chardri ; ensuite on rencontre plontt plusieurs fois dans les œuvres de Frère Angier (aux vers 1712 et 2655 de la Vie de Saint Grégoire, au folio 28 a des Dialogues) ; plurust se trouve dans la Genèse (73 V"), et au siècle suivant aux folios 92 v°, 94 etc. des Vies de Saints de Bozon. On peut rapprocher sinon deplowaii, au moins de pJonit la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif pJiirt qui se rencontre très fréquemment (cf. Désinences personnelles, y personne du singulier, page 125). Pleurer semble avoir subi l'influence, sur plusieurs points de sa conjugaison, d'un verbe comme mourir.

1. Ou trouve assez fréquemment h\ forme étymologique pour le prétérit de ces verbes, même au xiiie siècle ; cf. Vie de Saint Grégoire, 2801 ; Dialogues, 96roa ; Chardri, Set Dormans, 1041 ; Robert de Gretham, 6 vo ; Saint Auban, 1062. Au xive siècle, on la rencotitre encore, Apocalypse [B, 1161 ; Contes de Bozon, § 80; Pierre de Langtoft, I, 44, i ; même les Year Books nous en donnent de nombreux exemples. Cf. i et 2 Edw. II, p. 57 ; ils ne connaissent pas la forme en az'i.

2. Fo;«//r/;/, Vie-tle Saint Grégoire, 1645 ; rcqenoistrent , ibid., z-jS-j ; cnistretit, Genèse, 70r°; snslrent. Manuel des Péchés, 9053.

630 l'évolution du verbf, hn anglo-français

Les autres cas de reformation ne se trouvent pas si souvent répétés ; ils sont au contraire tous isolés et peuvent n'être que l'expression de la fantaisie individuelle de chaque auteur ou de chaque scribe.

On relève par exemple au xiii'' siècle aferiil dans la Vie de Saint Grégoire(au vers 216), qu'on retrouve quelquefois dans les Year Books ; crciiint au folio 121 b des Dialogues et au vers 3057 d'Edward le Confesseur. Siiit de suivre se trouve dans Edward le Confesseur au vers 11 52; ce dernier exemple est du reste assez commun, nous ne voulons pas insister sur cette forme qui appartient plus à la phonétique qu'à la morphologie : siut provient en effet de siuit par la réduction à // de la pseudo-diphtongue ///.

Quoique en apparence seulement une acquisition des prétérits en ///, siut a été traité comme appartenant réellement à cette conju- gaison ; c'est ainsi qu'il prend la diphtongue on au folio 92 des Vies de Saints de Bozon. De même esclnivaU, employé par Pierre de Langtoft (II. 326, 14), n'est pas une reformation; iireut tsx. ici encore une réduction de iiircnt.

Sont de seoir qui est employé par Bozon dans ses Contes (au § 92), responnt par Nicolas Trivet (39 v°), sont au contraire de véritables acquisitions.

Les personnes autres que la troisième du singulier sont très rares : nous venons d'en citer une, eschurenl ; on peut ajouter niûiijiirent donné par le ms. A de William de'Waddington au vers 3671 (B mangèrent).

Les seules reformations que nous trouvions en dehors des textes littéraires se rencontrent dans les Year Books et elles ne nous arrêteront pas longtemps. Dans ces recueils elles sont nombreuses, et souvent absolument inattendues; pour en donner une idée, nous pouvons citer les formes suivantes : purnisl de pourrir (30 Edw. P', 169) ; seust de suivre est très commun, par exemple on le trouve dans 33 et 35 Edw. P' (185, etc.) ; toiut et ternîmes de tenir se rencontrent dans 13 et 14 Edw. III (137 et 335); âemnrrnst de demorer dans 17 et 18 Edw. III (135).

Ce ne sont à proprement parler que des barbarismes.

LE PRÉTÉRIT 63 I

II. Les prétérits forts.

A. Les prétérits en i.

Les prétérits forts en / comprennent les prétérits des verbes voir, tenir et venir. Les prétérits de ces deux derniers verbes sont ordi- nairement considérés comme des prétérits en iii\ et comme tels ils font partie de la même classe que celui de vouloir; cette division, plus correcte au point de vue étymologique, a le désavantage de grouper dans la même classe des verbes qui n'ont pas à ce temps une forme en commun ; car tenir et venir ont des formes analogues à celles des prétérits en i et vouloir appartient à la fois beaucoup aux prétérits en si et un peu aux prétérits en ///'. Il semble donc préférable d'étudier ensemble les trois verbes que nous avons cités.

Les farines. I. Première personne du singulier.

La première personne du singulier est régulièrement pour ces trois verbes : vi, lin, vin. Les deux dernières ne se rencontrent du reste jamais sous cette forme ; elles présentent toujours la guttu- rale, soit c, soit g. Pour les formes terminées par c, on peut voir les Psautiers d'Oxford et de Cambridge (68, 3), la Folie (vers 771), etc ; pour g, les premières personnes qu'on lit se trouvent dans le Poème allégorique (21), et au vers 2452 de William de Waddington, etc.

Ces deux personnes, qui, du reste, ne sont pas très fréquemment employées, sont donc toujours régulières. Vi, de son côté, ne pré- sente pas de grandes irrégularités ; on le trouve quelquefois avec une s non étymologique ; le premier exemple que nous en ayons relevé se trouve dans le SaintEdmund (au vers 1258) ; cette forme, qui n'est probablement qu'une erreur du copiste, doit être reportée au xiv^ siècle ; à cette époque du reste vis est un peu plus com- mun ; on le voit dans le 2" Appendice de Pierre de Langtoft (II, 428, 29) et dans le Prince Noir (vers 1652).

I. Cf. Romaftia X, 216 (Cornu); Zeitschrift II, 257 (Suchier).

632 L ÉVOLUTION OU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Cette forme avec s ou '{ n'est pas rare dans les textes non litté- raires ; nous la trouvons par exemple dans Rymer : vi^ (1339, VI, 119). Les autres déviations du type normal sont plus rares, et même dans les Year Books c'est la forme étymologique qui se rencontre le plus fréquemment; nous trouvons cependant à l'occasion la première personne du prétérit du verbe voir sous une apparence très irrégu- lière, comme u\e qu'on lit dans le Year Book 16 Edw. III (p. 281).

2. Deuxième personne du singulier, première et deuxième du pluriel.

Régulièrement ces trois personnes prennent les formes suivantes : ve(d)is, tenis, venis ; ve(d)imes, tenimes, venimes ; ve(d)istes, tenistes, venistes ; la consonne intervocalique se maintient dans le cas de l'w et disparaît dans voir et ses composés ; il en résulte que tenir et venir ont les trois personnes dont nous parlons extrême- ment régulières ', tandis que celles de voir subissent quelques changements.

Diérèse et synérèse au prétérit de voir.

ci) Diérèse, Au xii^ siècle, la plupart des personnes du prétérit de voir qui présentent l'hiatus sont absolument régulières ; la diérèse subsiste dans la majorité des cas et il est peu utile d'en citer lors- qu'ils concordent tous aussi bien.

Au xiii'^ siècle, il n'en va pas exactement de même"; les formes que nous relevons sont beaucoup plus mélangées et les cas de diérèse et ceux qui montrent que la synérèse s'est effectuée sont librement employés dans chaque auteur; il est donc bon que nous soyons sûrs d'un certain nombre de formes à diérèse à cette époque et nous en citerons maintenant quelques-unes.

Nous commencerons par le Saint Edmund qui nous montre quelques exemples l'hiatus est régulièrement conservé ; mais nous n'en donnerons qu'un cas ; c'est le veïmes que nous lisons au vers 1277 :

Le miracle que nus veymes.

I. On lit cependant dans Boeve devins, 1825 ; mais il vaudrait mieux lire devenis :

Ke tu devins (lire devenis) li home Boûn le fer.

LE PRÉTÉRIT 633

Il en va de même pour la Vie d'Edward le Confesseur, qui nous donne veïstes au vers 1020 :

Veïstes vus estranges puis.

Les autres contemporains pourraient nous aider à augmenter le nombre de ces citations ; mais nous passerons maintenant à la Vie de Saint Auban ; dans ce poème, les cas de diérèse, comme nous le dirons plus tard, sont moins communs que les cas de synérèse ; nous trouvons cependant au moins deux exemples pour les pre- miers : veïmes et veïstes (respectivement aux vers 1184 et 303). On pourrait probablement leur ajouter quelques cas un peu douteux, mais il est probable que la diérèse subsiste, comme au vers 306:

Le pueple ke veïstes tant cruel e felun

Il faut évidemment lire ve-isfs, ou plus exactement ne pas compter Ve muet à l'hémistiche.

Au xiv^ siècle, les exemples de diérèse sont assez rares et nous n'en avons pas relevé un pour lequel nous puissions avancer avec quelque certitude que la forme étymologique subsiste. On peut presque affirmer qu'il n'y a plus que de rares cas de diérèse au pré- térit de voir après 1300.

h) Synérèse. Ces derniers mots nous donnent déjà une idée des progrès que la synérèse a faits en anglo-français pendant le xiir' siècle. La synérèse remonte même peut-être plus haut; les pre- miers cas se rencontrent non pas au xiii'' mais au xii^ siècle, A cette époque cependant, comme nous l'avons dit plus haut, le maintien de la voyelle muette en hiatus est la règle ; mais il y a quelques exceptions. La première se lit dans le Psautier d'Arundel : vimes (47, 7), mais comme nous ne pouvons contrôler cette forme par la mesure, elle est extrêmement douteuse, car nous n'en avons aucune autre assurée et se suffisant à elle-même dans les poèmes de la fin du xii^ siècle.

Il en résulte que nous ne devons pas attacher grande importance à la forme que nous donne le Psautier d'Arundel, carellc peut n'être qu'un lapsus calami.

Au xiii" siècle, les cas de synérèse deviennent plus nombreux et

(?34 l'évolution du verbe en anglo-français

d'autant moins douteux; au commencement du siècle, nous trou- vons dans Edward le Confesseur (au vers 1025) veistes :

K Ne veistes dune? » «Ilugelin, non ».

La Genèse Notre-Dame a veyincs (au folio 5 1 r°) ; la même forme se retrouve dans la Satire (au folio 87 r°).

Enfin il n'y en a pas moins de quatre dans Saint Auban : veimes (587, 1143, 1165) '■> ^^ peut-être, quoique ce ne soit pas très pro- bable, veistes (316).

Kar li doilz serrait grantz, ne veimes une grainnur. Veimes ke par Auhan fu cist maus tant durant. Veimes après co grant gent de sei laburant. Relever le veistes envostre avisiun.

Au xiv^ siècle, comme nous l'avons dit tout à l'heure, les exemples que nous trouvons de ces trois personnes de voir semblent avoir effectué la synérèse ; par exemple dans le i'^' Appendice de Pierre de Langtoft, nous trouvons veimes (II, 418, 13).

3. Troisièine personne du singulier et troisième personne dit pluriel.

Les troisièmes personnes, singulier et pluriel, des prétérits en / sont toujours très régulières ; on ne trouve à citer que des défor- mations accidentelles ou des changements provenant de causes plus générales.

La troisième personne du singulier de voir est vit et au xiv^ siècle vyt ; celle de venir et tenir est vi{^y)nt, ti{\)nt.

Nous ne voyons à signaler à propos de ces trois formes que le phénomène très général que l'on trouve à presque toutes les troi- sièmes personnes du singulier et même ailleurs que dans les verbes. Nous voulons parler de 1'.^ qui vient appuyer le / ou le groupe nt final ; nous avons déjà signalé ce phénomène plus d'une fois, en particulier quand nous avons étudié les désinences de la troisième personne du singulier ; aussi nous ne citerons qu'un tout petit nombre d'exemples. Nous avons déjà vu l'exemple de l'Alexis dans lequel vit a pris la désinence st ; citons encore vist dans Gaimar qui ne peut être qu'une graphie provenant du scribe (au vers 656, 2148) ; William de Waddington (au vers 975) emploie la même

LE PRÉTÉRIT 635

forme. Ce n'est guère qu'au kiy*^ siècle que nous trouvons vis! rimant avec des verbes ayant régulièrement la terminaison 5/; mais toutes ces rimes ne signifient rien, puisque à cette époque Vs était certainement amuie comme nous l'avons dit plus haut. C'est ainsi qu'on trouve que vist rime avec prist dans The Lament on the Death of Edward P' (vers 37); purvii rime avec mist dans les Vies de Saints de Bozon (au folio 93 v°), etc.

Us est beaucoup plus rare et plus tardive pour les deux autres verbes; nous .n'en avons trouvé d'exemple qu'au xiv^ siècle, comme t'nist, dans The Lament on the Death of Edward P' (vers 16); avciusi dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323, 858).

A la troisième personne du pluriel, nous pouvons constater que nos prétérits conservent aussi d'une fLiçon très constante la forme régulière : virent pour voir et ti}idrenf,vindrei!l pour tenir, venir ; c'est la forme moderne qu'on trouve dans Rymer : vinrent (1360, \Y, 257); c'est du reste un exemple isolé.

LcJcnient vocaVique du radical.

La première et la troisième personne du singulier et la troisième du pluriel de ces trois verbes présentent régulièrement un / au radical. Nous allons voir que ces personnes prennent quelquefois une des diphtongues ie et ei ; nous distinguerons voir des verbes tenir et venir, car nous croyons que l'introduction de la diph- tongue n'a pas exactement la même cause pour le premier verbe que pour les deux autres.

I. Voir. Des deux diphtongues irrégulières, la diphtongue ci est la plus commune ; par exemple dans la langue littéraire on trouve vc\ à la première personne dans les Contes de Nicole Bo;^on 54) ; à la troisième personne, la diphtongue est beaucoup plus ancienne weist se trouve dans le ms. A de l'Alexis (49 d), vcil dans le Psautier d'Arundel (32, 13). Dans les textes politiques et diplomatiques, cette forme se rencontre encore; mais on peut, pour la plupart des cas que nous avons relevés, se demander, comme pour l'exemple de l'Alexis que nous venons de citer, si l'on n'a pas affaire à un subjonctif imparfait. Ce n'est guère que dans les YearBooks qu'on rencontre des exemples de la troisième personne du singulier qui ne laissent place à aucun doute (comme 30

6}6 l'évolution du verbe en anglo-françals

Edward P"", 75); cependant les formes veit au prétérit sont ren- dues beaucoup plus vraisemblables par la forme véirent qui se trouve dans le même psaume des Psautiers d'Oxford (34, 24) et d'Arundel (34,23).

La diphtongue ie est beaucoup moins commune dans les œuvres littéraires et ne se trouve qu'à la troisième personne du pluriel. (Cf. cependant vye, Year Book 16 Edw. III, 281.) Nous avons déjà cité dans les acquisitions des prétérits en avi les formes vierent qui ne leur appartiennent peut-être pas.

2. Venir, tenir. Nous pouvons enfin noter, surtout au xiv^ siècle et dans la langue légale, un changement plus général qui semble affecter toutes les personnes du prétérit détenir et de venir. C'est l'emploi dans le thème du prétérit dans la diphtongue ie.

On trouve dans Nicolas Trivet tient (37 r°, 59 et passini), vient (81 v°, etc.).

Ces formes sont plus nombreuses et remontent à une date plus reculée en dehors de la langue littéraire ; les Parliamentary Writs en ont un exemple en 1301 (p. 131) ; le Registrum Palatinum Dunelmense en montre un autre en 13 12 (p. 7), etc. Ils sont encore plus connus dans les Year Books (cf. par exemple 31 Edw. 1^,483, etc.).

La diphtongue ne se rencontre pas seulement au singulier ; nous la relevons au pluriel : tiendrent, viendrent sont employées dans les chroniques de Nicolas Trivet (au folio 67 et passini) ; de même dans la langue familière, Jean de Peckham en a un nouvel exemple à la date de 1381 (233) et les exemples ne sont rares ni dans Rymer, ni dans les différents Year Books de toutes dates.

Quelquefois, mais assez rarement, la diphtongue ei prend la place de ie ; aveinst se lit dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323, 858); teint dans le Registrum Palatinum Dunelmense (13 12, 7) et dans les Year Books (cf. 21 Edw. I", 185 ; i et 2 Edw. II, 159) ; de même on trouve au pluriel : veindrent dans le Year Book 13 et 14

Edw. m (p. 215).

Chose assez curieuse, cette diphtongue provenant de la vo)'elle i peut se réduire à la voyelle e. Les Year Books présentent aussi assez fréquemment cette dernière voyelle : tent, vent.

Citons enfin pour le pluriel un phénomène assez général en

LE PRÉTÉRIT 637

anglo-français : c'est dans les Year Books aussi qu'on trouve le plus fréquemment un e svarabhaktique pour la troisième personne du pluriel de venir et de tenir : devindermt (cf. 20 et 21 Edw. I*"', 85 ; I et 2 Edw. II, 37 ; 2 et 3 Edw. II, 112, etc.).

B. Les prétérits en si '.

Les prétérits en si forment la classe la plus nombreuse des pré- térits forts ; l'étude des différentes formes que ces prétérits ont adoptées aux six personnes en anglo-français est aussi importante qu'elle est intéressante. Aux verbes qui sont régulièrement en si, nous joindrons le prétérit du verbe faire ^ dont les formes, à l'ex- ception de celle de la troisième personne du pluriel, offrent avec celles qui appartiennent étymologiquement à cette classe la plus grande analogie.

Nous allons voir que l'anglo-français a conservé avec une régu- larité remarquable les formes étymologiques à la plupart des per- sonnes de ces parfaits.

I. Première personne du singulier.

La première personne du singulier de ces verbes est régulière- ment terminée par s. Au lieu de s on rencontre assez souvent i- Le premier exemple que nous trouvions de ce changement se ren- contre dans le Psautierde Cambridge : Ji^^iiS, 121); puis le Tristan de Thomas en a un exemple à la rime : di:{ (: fii, au vers 1965) ; mais comme fil = feci, cette interrime peut ne provenir que du scribe (Douce, xiii^ siècle). On en trouve encore quelques cas qui ont la même origine dans le même Thomas (au vers 1275) et dans le Donnei, au vers 82. La première rime probante : /;;: ( : fiz, subs.) se lit dans le Petit Plet de Chardri (au vers 1717); et cette même forme est encore employée dans le corps des vers 236 du Saint Laurent, 618 de la Lumière as Lais, 934 de Dermod. Au vers

1 . Pour les prétérits en si, on pourra consulter le travail de L. Qischke, Die Perfektbildung der starkcn Vcrba der si classe.

2. Pour^5,>;î = feci, Cf. Romaiiia V, 65 (Thomsen) ; Zeitschrilt III, 495, (Foerster).

638 l'évolution du verbe en anglo-français

28 du Siège de Carlavcrok nous retrouvons la même rime que dans le Petit Plet de Chardri.

Il fout remarquer que, quoiqu'il y ait des exemples de différents prétérits en si prenant i, la très grande majorité des exemples que nous venons de donner se rapportent principalement au prétérit de faire ; mais cela peut provenir tout simplement du fait que ce verbe se trouve employé plus fréquemment à cette personne que les autres verbes de sa classe.

Il arrive aussi, quoique plus rarement encore, que la consonne finale tombe complètement : nous en trouvons un exemple dans l'Estorie des Engleis de Gaimar : di au vers 2962, mais ce ne peut être qu'une erreur du scribe, car l'auteur emploie la forme régu- lière, nous en avons une preuve dans la rime dis (: pais), 2145 (cf. aussi asis, 670^ etc.). C'est du reste le seul exemple de cette forme que nous ayons relevé dans la langue littéraire avant le xiV siècle. A cette dernière époque, les exemples de la chute de la consonne finale ne sont pas très rares, et on les trouve même à la rime, comme di (: merci), dans le De Conjuge non ducenda (32).

2. Deuxièmes personnes du singulier et du pluriel, première personne du pluriel.

Ces trois personnes présentent un allongement syllabique, qui entraîne une dissimilation vocalique dans les verbes ayant / libre au radical ' .

D'où il résulte que nous avons quatre questions à étudier pour les trois personnes : a) l'allongement syllabique ; /') la dissimila- tion vocalique ; c) le sort de la consonne intervocalique ; d} diérèse et synérèse après la chute de cette consonne.

a) Allongement syllabique.

L'allongement syllabique se fait toujours très régulièrement aux xir et XIII'' siècles ; les formes parisyllabiques que nous rencontrons au xiv^ siècle proviennent toujours d'une synérèse dans les formes à l'origine imparisyllabiques. Par un cas assez curieux d'analogie,

I. Pour fecisti; d. Roraania XXVIII, 1 18 (Thomas) ; Zeitschrift XXIII, 533, (Baist).

LE PRÉTÉRIT 639

cet allongement semble atteindre la première personne : on trouve en effet sets = sessi dans le Psautier d'Arundel (25, 4) ; il est plus apparent que réel, car seis est probablement monosyllabique.

b) Dissimilation vocalique.

Lorsque le radical du verbe contient /, il y a ordinairement dissi- milation entre 1'/ du thème et celui de la désinence, le premier pas- sant à e. Toutefois nous ne rencontrons pas sur ce point la même régularité que dans la question précédente ; souvent IV du thème se maintient, jusqu'au jour évidemment Vs intervocalique tombe.

Les formes régulières sont évidemment très nombreuses, et il est inutile de s'y arrêter et d'en donner des exemples : elles se retrouvent jusqu'au xiv* siècle.

Mais, au lieu de la voyelle régulière e, on trouve souvent soit la diphtongue ci, soit et plus communément la voyelle z.

Il est assez rare de trouver la diphtongue ei : on en voit d'abord un exemple pour faire dans la Vie de Saint Gilles : feisistes (^au vers 3601), exemple qui provient peut-être du scribe ; puis dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 2203): reisistes de rire, et ici il importe assez peu que la diphtongue provienne du scribe, puisqu'il n'y a eu qu'un intervalle très court, s'il y en a eu un, entre la date de la composition et celle à laquelle le manuscrit a été écrit.

La langue légale peut nous fournir un autre exemple d'autant meilleur qu'il est daté. Dans les Rymer's Foedera (date 1297), nous Vivons feisîsnu's (vol. Il, p- 700). Ce sont les seuls cas de ci que nous ayons relevés.

Il est plus fréquent, comme nous le disions, de trouver la voyelle i ; le xir siècle nous montre un nombre assez considérable d'exemples dans lesquels la dissimilation vocalique ne se fiit pas. Nous allons les citer par ordre alphabétique puisque ces formes appartiennent pour la plupart à la même date.

Afflisis se rencontre dans le Psautier de Cambridge (43, 2); dcs- pisis dans le Psautier d'Arundel (26, 15); disis est employé à plu- sieurs reprises, par exemple dans le Psautier d'Oxford, il est la seule forme connue (par exemple 88, 3 et passiiii) ; descrisis se rencontre plus tard ; c'est même, au point de vue chronologique, la dernière forme de ce genre que nous ayons relevée ; il est employé

640 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

par Angier (Dialogues, 129 b). Eslisis se lit dans le Psautier d'Oxford, il est employé assez souvent, par exemple 64, 4, Mettre et ses composés font souvent misis^ employé une fois dans le Psautier d'Oxford (8, 7), dans le Psautier d'Arundcl (8, 6) et dans Guischart de Beauliu (555). Prisis ne se trouve que deux fois dans le Psautier d'Oxford (64, 4), tandis que quisis se rencontre dans les trois Psautiers d'Oxford (39, 10), de Cambridge et d'A- rundel (39, 8).

Il est à remarquer que la dissimilation vocalique, à part deux cas, ne manque de se faire que dans les Psautiers ; tous les autres auteurs de ce siècle, sauf Guischart de Beauliu et Angier, la font régulièrement ; cela tient surtout, croyons-nous, au fait que nous allons examiner tout à l'heure. La chute de la consonne intervo- calique, lorsqu'elle a été assez fréquente, a eu pour premier résultat de faire persister sous forme d'c la voyelle en hiatus et, par analo- gie, cette même voyelle séparée de 1'/ de la terminaison par Xs. En d'autres termes, prcïs, qui ne pouvait pas subsister sous la forme priis, a réagi sur presis qui existait encore et l'a empêché de devenir prisis.

Mais cette chute de 1'^ intervocalique a amené d'autres voyelles que la voyelle /, a par exemple: dans faismes, qui se lit dans les Statutes (1311, I, 157) ou praisnies qu'on trouve dans les Traités de Rymer (13 13, III, 443) ; plus rarement oi : faismes, Ky mer (13 11, III, 262). Mais ici il ne faut plus parler de dissimilation vocalique. Après la chute de l'^, e et / ont formé une sorte de diphtongue, et cette fausse diphtongue ci 3. naturellement évolué vers ai et oi.

c) Chute de Vs intervocalique.

Dans un certain nombre de verbes, l'.f se trouve entre deux voyelles, et dans cette position elle est destinée à disparaître ; ce n'est évidemment que très progressivement que cela a eu lieu. Les formes étymologiques et les formes sans s ont coexisté assez long- temps.

Il serait très facile de se rendre un compte exact de la façon dont cela s'est produit si les textes que nous possédons reflétaient exacte- ment les habitudes de l'auteur; comme il n'en est rien, dans la plupart des cas nous en sommes encore une fois réduits aux con- jectures, au moins jusqu'à un certain point.

LE PRÉTÉRIT 64 1

Car dans le cas présent, ni la rime, ni la mesure du vers ne peuvent nous servir ; les seuls ouvrages qui peuvent nous donner des renseignements de quelque valeur sont ceux pour lesquels l'in- tervalle entre l'auteur et le scribe est réduit à un minimum, par exemple les Psautiers, les Quatre Livres des Rois (et encore pour ces traductions, nous savons que les auteurs ont mis à profit des tra- ductions antérieures dont ils peuvent reproduire certaines habi- tudes de style), surtout les deux poèmes de Frère Angier, et dans un autre genre, les textes politiques.

Nous n'avons cependant aucune difficulté à reconnaître les cas dans lesquels Vs a été conservée ; car nous pouvons toujours assi- gner comme date à chaque exemple la date de la composition de l'ouvrage ; il est peu vraisemblable que les scribes aient ajouté des s, et s'ils l'ont fait, le seul résultat est que 1'^ a persisté plus long- temps encore que nous ne le disons ; en attribuant donc les s aux auteurs, nous restons souvent au-dessous de la vérité.

Les exemples qui nous montrent la persistance de cette consonne sont nombreux, non seulement au xii^ siècle, mais même pendant le xiir. Il arrive même que certains poètes de la fin du xii" siècle, comme Guillaume de Berneville, ne semblent pas en connaître d'autre. Mais, quoique, même à cette époque, une correction abso- lue soit l'exception^ tous les auteurs, au moins jusqu'en 1250, nous offrent quelques exemples de la forme avec s. Nous ne citerons pas tous les cas que nous trouvons dans Chardri, Angier, Robert de Gretham, et nous nous contenterons de donner un petit nombre de formes : ainsi, on lit reisis dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 2203) ; descrisis dans les Dialogues (129 r" b) ; et desis dans le même ouvrage (126 a) ; Robert de Gretham nous montre presis Çau folio 68 r°), et au vers 1682 du Saint Edmund on peut lire feshnes. Après cet ouvrage, les exemples sont plus rares dans les œuvres littéraires ; mais nous avons en dehors de celles-ci des preuves que Vs a été conservée fort avant dans le xiv^ siècle. Nous ne relevons aucune forme avec s dans les Statutes ; mais les Rymer's Foedera nous en donnent un nombre assez considérable d'exemples jusque dans la seconde moitié de ce siècle. Nous trou- vons en effet dans ce recueil : fesimes à la date de 1348 (V, 652) ; et promesimes au même endroit ; desimcs en 1369 (VI, 644) et quelques autres passim. Cela sutfit à montrer que l'anglo-trançais,

41

642 l'évolution du verbe en ANGLO-1-RANÇAIS

presque jusqu'à la fin de sa période littéraire, a connu et employé les formes qui montrent ïs étymologique.

L'autre côté de la question, chute de Vs, devrait nous montrer la foçon dont l'hiatus s'est produit, et les progrès qu'il a faits. Le premier verhe que nous ayons relevé sous la forme avec hiatus est le verbe seoir ; seïmes se lit dans les Psautiers d'Oxford (136, i) et purseïs dans le Psautier de Cambridge (0, 19).

Que ce soit ce verbe que nous a^'ons trouvé le premier sous cette forme dans deux textes indépendants, ce peut n'être qu'un hasard. Cependant nous ne le croyons pas. Il nous semble au moins pro- bable que ce verbe a perdu son s le premier parce que ses autres temps avaient déjà perdu auparavant eux aussi une consonne dans la même position : la dentale intervocalique.

De toutes façons, le premier exemple de cette chute de Ys date au moins de iiéo. A peu de distance de ces deux exemples, le Psau- tier d'Arundel nous en donne un autre : feïs (38, 13) ; le scribe du Voyage de Saint Brandan (1167) nous en offre bien davantage : fermes (au vers 470) ; preïstes (au vers 752); on les retrouve tous dans le ms. de l'Arsenal.

Parmi les formes que nous n'hésitons pas à attribuer aux scribes dans les ouvrages de cette époque (1150), nous trouvons celles qui se lisent dans l'Estorie des Engleis : comme feïuies (au vers 4-I i) et plusieurs autres dans le même poème.

Dans les ouvrages qui appartiennent au dernier quart du XII* siècle les exemples deviennent d'autant plus fréquents que les formes dues aux scribes du xiii'^ siècle s'ajoutent à celles qui pro- viennent des auteurs; il y a quelques exceptions, par exemple le poème sur la Vie de Saint Gilles, seules les formes avec s sont employées, mais elles sont rares. La plupart des ouvrages de la fin du XII* siècle montrent des exemples de ces deux formes.

Citons rapidement quelques exemples, quoique cela ne soit pas très nécessaire. Dans les Légendes de Marie, Adgar emploie le plus souvent les formes à hiatus : feïstes (II, 70 ; XXIII, 77), preïs, meïmes.

Le Tristan de Thomas nous fournit un nombre d'exemples relativement aussi considérable : deïsîes (au vers 1693) '■> fi"f>^^ (1888) ; feïs les (1179); preïstes (1192) ; qiieïsies (1292) ; et reïstes (1178).

LE PRÉTÉRIT 643

Nous ne pousserons pas plus loin cette liste d'exemples ; nous dirons simplement que la forme ordinaire de ces trois personnes à la fin du xii^ siècle et pendant le xni^ est celle qui présente l'hiatus.

Nous avons réservé pour la fin quelques formes des Rymer's Foedera et des Year Books qui semblent avoir conservé Vs origi- nelle et qui en réalité ont une s non étymologique. Les formes que nous citions tout l'heure sont parfaitement correctes. Il n'en est pas de même de celles qui suivent. Vs et la voyelle qui la suit ont certainement une origine tout à fait différente dans un cer- tain nombre de cas, comme feiseiiies qu'on lit dans les Rymer's Foedera (1297, I^j 749) i fesnmes du Year Book 21 Edw. P"" (p. 63); nous avons probablement des formes dérivées defeisnies par l'introduction d'une voyelle svarabhaktique après ïs parasite.

C'est, croyons-nous, à un phénomène de ce genre qu'on doit les formes suivantes : fiesiues dans Jean de Peckham (1296, 289) ; requiesmes dans Rymer (1324, lY, 90).

d) Diérèse et synérèse.

La chute de 1'^ intervocalique amène aux trois personnes elle a lieu un hiatus entre les voyelles e et / ; l'anglo-français, comme les dialectes du continent, a toujours tendu à faire disparaître les hiatus et dans le cas actuel^ comme ailleurs, la synérèse s'est faite progressivement.

Le xii^ siècle du reste la connaît à peine ; nous ne trouvons pour les prétérits en si que quelques cas isolés et souvent douteux. Le premier exemple de synérèse que nous trouvions et qui nous semble certain se rencontre dans Thomas au vers 1276 nous lisons prainisles :

Vus m'en pramistes grant honur.

Puis on lit dans Fantosme, /ivV/w (au vers 8) :

Li fcistes présenter senz fei mentie aver.

Ce sont les seuls cas de contraction assurés que nous connais- sions entre II 60 et 1200.

Même au commencement du xur' siècle, les formes à synérèse sont plus rares que les formes régulières ; ces dernières sont nom-

644 l'évolution du verbe en anglo-français

breuses; on peut s'en rendre compte en lisant la liste des exemples que nous avons énumérés précédemment, et nous n'avons donné qu'une petite partie des cas existants ; voici maintenant tous les exemples de cas de synérèse que nous avons relevés à cette époque. Remarquons d'abord que pour cette question il y a entre les diffé- rents auteurs anglo-français de cette époque un manque d'unité frappant. Certains d'entre eux ne nous ont pas donné un seul exemple de synérèse, par exemple le poème de Saint Edmund ne connaît et n'emploie que la forme régulière. Au contraire nous avons relevé un nombre relativement considérable de cas de syné- rèse dans les poèmes de Chardri. Faire apparaît trois fois sous la forme abrégée ; au vers 292 du Josaphat ; au vers 982 des Set Dor- mans et au vers J14 du Petit Plet. Voici, dans Tordre ci-dessus, ces trois vers :

Boer feistes vus ceste jurnée; Nuveles si cum feistes er ; Si feistes vus en ta juvente .

D'autres prétérits en si se montrent aussi, quoique moins fré- quemment, sous cette forme ; prciiiies se trouve au vers 4 14 du Josaphat :

Pur le cunseil ke primes er.

Meisks est employé de la même façon au vers 668 des Set Dormans :

Car vus les meistes a cheval ;

et déistes au vers 13 13 du Petit Plet : E vus déistes ca en arere.

Même la Vie de Saint Auban ne présente pas une proportion aussi forte de cas de synérèse que ces trois poèmes de Chardri ; nous n'avons relevé dans ce poème qu'un seul exemple de ce phé- nomène: feimes au vers 1546 :

E feimes enbrever a arrement nerci ;

M. Suchier (Ueber...) en cite un autre, /mto, que nous n'avons pas pu identifier.

LE PRÉTÉRIT 645

La Satire nous donne deux exemples de feistes (aux folios 86 et

87 r°); et cette même forme se retrouve au vers 37 de la Plainte

d'Amour ;

Vous feistes Deu a nous descendre.

Dans la Lumière as Lais, nous relevons tncorefistcs, au vers 80.

Comme on le voit, nous avons, dans les lignes précédentes, cité surtout des exemples qui nous sont fournis par le verbe faire, prin- cipalement parce que, ce verbe étant plus emplo3'é que tous les autres de la même classe, les cas de diérèse ou de synérèse qu'il nous présente sont beaucoup plus communs. Nous aurions pu en donner d'autres provenant des autres verbes ayant leur prétérit en si ; nous citerons remeistes, au folio 25 des Heures, deii)ies(2 syllabes) dans le Manuel des Péchés de William de Waddington. Ajoutons que dans ce-dernier ouvrage, qui compte plus de dix mille vers, nous n'avons trouvé aucun cas bien assuré de diérèse pour les prétérits en si.

Il nous est donc facile de conclure sur cette question par les remarques suivantes :

La diérèse dure au moins jusque vers le quatrième quart du xiii^ siècle ; les exemples que nous avons trouvés au siècle suivant sont peu nombreux et toujours douteux.

2" Nous trouvons nos premiers exemples de S3MTérèse très tôt ; le Tristan de Thomas nous en offre un cas assuré.

Le nombre de synérèses augmente constamment pendant la dernière partie de ce siècle et pendant tout le siècle suivant.

3. Troisième personne du singulier ; troisième personne du pluriel.

A la troisième personne du singulier, la voyelle ou la diphtongue du thème est suivie par la désinence si\ à la troisième personne du pluriel par la désinence sirenl ; ces deux désinences sont carac- téristiques des prétérits en si.

Nous n'aurons qu'un mot à dire des changements qui affectent ces deux désinences.

a) Troisième personne du singulier st.

Amuissemeut et disparition de /'s. Dans notre étude de la dési- nence st à la troisième personne du singulier, nous avons étudié la disparition de Vs dans les prétérits en si. Nous n'avons pas l'intention

6-1 6 l'évolution du verbe en anglo-français

de revenir maintenant sur cette question et nous nous bornerons à rappeler les conclusions auxquelles nous sommes alors arrivés.

Le premier exemple de la disparition de Vs date de 1167 {ciiii- duit, vers 1151, dans le ms. de Londres du Brandan).

Cette s n'a complètement disparu qu'au commencement du xiii'= siècle (rime du Saint Gilles (1469), du Josaphat de Chardri (847), du Saint Laurent (142).

Au siècle suivant, nous avons trouvé des exemples de la troi- sième personne du singulier de la plupart des prétérits en si sans Vs étymologique, et des rimes assez nombreuses nous ont montré l'iden- tité des désinences en st et en /. Malgré tout, jusqu'à la fin de la littérature anglo française, les formes étymologiques ont continué à être employées, quoique 1'^ y fût devenue purement graphique ',

L'amuissement de Vs devant le / a eu pour résultat l'allongement de la voyelle du thème, allongement qui s'exprime de différentes manières : d'abord, au lieu de la consonne étymologique, nous trouvons dans certains auteurs une /; qui sert à marquer la longueur de la voyelle. Nous lisons ainsi dans le Chevalier, la Dame et le Clerc: mihl (au vers 119); ashit, lire asiht (au vers 188); fibt (au vers 505). L'identité de s et de /; dans cette position est démontrée par la rime fihl : prist (au vers 579).

Cet allongement est encore marqué par le redoublement de la voyelle du thème; répétons ici l'exemple que nous avons déjà eu l'occasion de donner : siit de seoir, qui rime avec Christ au folio 93 des Vies de Saints de Bozon. (Cf. Désinences personnelles, 3*^ per- sonne du singulier, page 150.)

b) Troisième personne du pluriel.

La troisième personne du pluriel des prétérits en si est terminée régulièrement par strent. La seule exception, qui n'en est réelle- ment pas une, est la terminaison du prétérit de faire. Et c'est par cette personne que nous allons commencer cette étude-.

La forme ordinaire de cette personne est firent ; c'est celle que nous rencontrons le plus souvent et le plus tôt.

1. Pour//, seul descendant légitime de fecit, cf. Zeitschrift I, 107 (Stengel).

2. Pour la troisième personne du pluriel du prétérit de faire, on consultera: Mussafia, fecerunt in francese, Romania XXVII, 290.

LE PRÉTÉRIT 647

On la rencontre au vers 707 du Cumpoz et passiiii; dans le Bes- tiaire elle rime avec chaïrent (au vers 1469) ; elle est répétée un grand nombre de fois dans les Psautiers : dans celui d'Oxford (par exemple 9, 15), une dizaine de fois, aussi fréquemment dans celui de Cambridge (9, 15) et dans celui d'Arundel (9, 14, écrit firerent). Tous les autres auteurs du xii^' siècle l'emploient sinon à l'exclusion de toute autre, ce qui est le cas général^ du moins le plus souvent. On la trouve par exemple deux fois à la rime avec des prétérits en jvi dans la Vie de Sainte Catherine (vers 115 et 2412). Au xiii^ siècle les rimes qui nous assurent cette forme sont communes (cf. Genèse, 51 ; Erection, 3 9 ; William de Waddington, 3164; Pierre de Langtoft, II, 422, 32; Prince Noir, 211, 682; etc.).

La forme en istrent au contraire est très rare, et elle ne se trouve guère qu'au xii'' siècle. On ne la trouve tout d'abord que pour les composés de faire, défire, déconfire, etc., qui se rapprochent beau- coup de dire, despirre.

On trouve dcfistroit, deconfistrent dans les Psautiers, par exemple dans celui d'Oxford (9, 6); dans celui de Cambridge (37, 5) et dans celui d'Arundel ; au vers 1772 de Gaimar ; plusieurs fois dans les Quatre Livres des Rois (III, 16, 30; III, 20, 17 et 18). etc. On trouve des exemples de. ces formes jusqu'à la fin du xiv* siècle, par exemple deconfistrent qui se lit au folio 25 des Chroniques de Nicolas Trivet.

Les formes analogiques pour ces verbes sont très rares; nous n'en relevons qu'une : defiienl qui se trouve dans le Psautier d'Oxford

(77, 33)-

Pour faire lui-même, nous observons exactement Topposé. Firent

se trouve pour ainsi dire dans tous les auteurs, tandis que fistrent est extrêmement rare, et les exemples que nous avons rencontrés sont Hmités à un petit nombre d'ouvrages du xii^ siècle. Enumérons rapidement les quelques cas de fistrent que nous avons rencontrés : nous en trouvons tout d'abord un exemple dans le Psautier de Cam- bridge (C, 54), contre six cas de firent. Dans le Psautier d'Arundel, elle se trouve employée aussi une fois (9, 5); un seul ouvrage en présente plus d'un exemple, c'est le Psautier d'Oxford, et l'on sait que cette traduction n'est pas purement anglo-française. Ce Psautier emploie fistrent, six fois (cf. 9, 5 et passini). Postérieurement, fistrent disparaît complètement.

648 l'évolution du verbe en anglo-françals

Par conséquent, il est évident que cette forme a été fort peu employée par les écrivains anglo-français.

Faire n'est du reste pas le seul verbe qui ait en anglo-français une troisième personne du pluriel en ircnl. Nous avons trouvé dans nos textes tant littéraires que politiques, avant 1160 et après 1250, un grand nombre de formes en irait, au lieu de sirent, ce qui nous montre une certaine tendance, visible surtout dans les dernières années de l'anglo-français, à substituer aux terminaisons régulières de ces troisièmes personnes du pluriel la désinence des prétérits en ivi (voir ci-dessus).

Avant II 60, nous rencontrons deux cas au moins de terminaison irrégulière en irent : la première se lit dans le ms. A de l'Alexis (6, b) : c'est mirent ; la seconde se lit dans le Voyage de Saint Brandan (au vers, 1481): destriiirent. Cette dernière forme, dans ce poème, est du reste exceptionnelle (cf. destruistrent au vers 216).

Pour trouver un nouvel exemple, nous devons aller jusqu'au Manuel des Péchés de William de Waddington. Use peut toutefois qu'il y en ait quelques-uns dans la période intermédiaire qui nous aient échappé ; ils ne sont certainement pas nombreux. Dans le Manuel des Péchés, nous rencontrons une forme qui va devenir par la suite très commune : prirent. Elle est assurée par la rime dans cet ouvrage, autant du moins qu'elle peut l'être, car elle rime avec virent qui ne prend jamais, à notre connaissance, la désinence en istrcnt (au vers 1444). Nous admettrons de la même façon les rimes du poème du Prince Noir : prirent (: firent) (au vers 211) ; (: mirent) (au vers 2755); la troisième rime ne nous offre aucune difficulté, c est prirent (: départirent) au vers 3765 de ce dernier poème.

Toujours dans le Prince Noir, nous trouvons (au vers 173) con- quirent; dans la Chronique de Nicolas Trivet, nous avons sourdirent (au folio 62 r°).

En dehors de la littérature la première de ces formes est extrê- mement commune; citons dans les Rvmer's Foedera 1294, II, 620; dans les Statutes 1376, I, 397 ; nous pourrions en trouver d'autres dans les différents Year Books ; quant à la forme prirent elle est extrêmement commune et se rencontre dans la plupart des recueils après 1300.

Les quelques citations qui précèdent suffisent, croyons-nous, à montrer que l'anglo-français, surtout au xiv« siècle, tendait à se

LE PRÉTÉRIT 649

débarrasser des formes si spéciales que les prétérits en si avaient à leur troisième personne du pluriel.

Nous ne voulons pas dire pour cela qu'elles disparaissent, et les exemples qui suivent vont démontrer péremptoirement le contraire. Les troisièmes personnes qui subsistent nous montrent en effet quelques changements qu'il nous faut maintenant étudier. (Nous verrons plus tard, en étudiant le radical à ces personnes, qu'elles abandonnent encore d'une autre façon la forme étymologique.)

Les changements qu'il nous faut maintenant signaler sont d'ordre purement phonique :

1. Amuissement et disparition de IV qui appuie le t de la dési- nence.

2. Introduction entre le t et \'r d'une voyelle svarabhaktique.

I. Disparition de 1'^. Nous ne reviendrons pas sur le fait que nous avons signalé si souvent déjà, quoiqu'il ne soit pas exactement de notre ressort, de l'amuissement de Vs préconsonantique. Cet amuissement se remarque évidemment à la troisième personne du pluriel des prétérits, mais il nous semble à cette personne beaucoup plus tardif que dans les autres cas que nous avons vus jusqu'ici.

Le premier exemple que nous en ayons trouvé se lit dans Boeve de Haumtone : c'est reinitercut (au vers 2872). La disparition de Ys est en soi très vraisemblable à la date du Boeve; cependant nous pencherions à l'attribuer au scribe, car de telles formes sont très rares et par conséquent douteuses au commencement du xiii^ siècle. Celui qui se rapproche de l'exemple de Boeve se lit dans les Chansons et n'est pas non plus bien assuré : on lit (Gg. 6, 28) ccritrent qui rime avec une forme en s : enqiiistercnt.

C'est principalement au xiV siècle que nous retrouvons ces diffé- rentes formes, et elles sont fort nombreuses à cette époque : citons parmi celles que nous avons recueillies âesconfilrent, qu'on lit au folio 25 des Chroniques de Nicolas Trivet. Et cette chute de Vs se produit même quand elle se trouve entre deux consonnes. On peut citer comme exemple artrenf (ardeir) qui se trouve dans cet auteur (au folio 57 v°).

Les ouvrages non littéraires nous fournissent tous des exemples de ce même développement normal qui consiste dans l'amuissement de Vs avant le t ; dans les Hist. and Munie. Documents of Ireland,

650 l'évolution du VERIÎR EN ANGLO-l-RANÇAIS

nous trouvons ainsi picyuircnt (1252, 206) ; et cette même forme se retrouve encore dans les Pari. Writs à la date de 1280 (p. 8); dans les Mem. Pari. 1305, on trouve tretrent (au § 40) ; dans Jean de Peckham, ^«r();///t';r;7/ (1346, 80). Enfin nous pourrions tirer des différents Year Books toute une liste de troisièmes personnes du pluriel de ces prétérits en si dans lesquelles IV s'est amuie : pleinfreiit, m il trait, pritrent.

Les quelques exemples que nous avons cités nous permettent de fixer avec une certaine précision la date à laquelle ce phénomène a commencé à se produire. Les plus anciens exemples que nous four- nissent les textes politiques ou diplomatiques datent du commen- cement de la seconde moitié du xiii^ siècle ; cette date est sensible- ment plus récente (d'une quinzaine d'années environ) que la date de la composition de Boeve de Haumtone. Si nous rapportons au scribe l'exemple que nous trouvons dans ce poème et ceux des Chansons que nous avons cités, ils ne remonteront pas plus tôt que le commencement du xiv^ siècle.

2. Il nous reste encore à signaler un autre fait purement phonique qui avait déjà engagé notre attention à l'infinitif; dans le groupe str un e svarabhaktique s'introduit. Les exemples sont déjà nombreux chez Boeve, comme assistèrent (vers 3102, etc.), ou enqnisterent, Chansons (Gg. 6,29); treslerent au folio 50 v'^ de la Genèse, qui se retrouve dans Nicolas Trivet (15 r°) ; pristerent au vers 20 de l'Érec- tion des Murailles de New Ross ; c'est la forme ordinaire de ce pré- térit en dehors de la littérature. Nous en trouvons des exemples dans les Rymer's Foedera (1297, I^j l^A)'y '^'^^'^^ l^s Mem. Pari. ^05 (§§ 125, 410), et surtout dans les Year Books (cf. 13 et 14 Edw. III, 205, 371).

D'autres verbes se rencontrent; pour ne pas allonger outre mesure notre liste d'exemples, nous citerons dans les œuvres littéraires du xiv^ siècle disterent qu'on lit dans l'Apocalypse (1088); sisterent dans Pierre de Langtoft (II, 428, 9) ; et quelques autres tirés des textes n'appartenant pas à la littérature : reqnisterent dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1323, 480) (cf. aussi Jean de Peckham 1346, 80).

Les Year Books nous en donneraient un nombre considérable : assistèrent, niislerent, (/iiislerent, etc.

LE PRÉTÉRIT 6^1

Il est assez rare de voir cet e, lorsque Vs est tombée, et tous les exemples que nous en avons peuvent provenir d'erreurs cléricales : asiterent, Boeve (3102) ; cscriterein, Nicolas Trivet (65 r°).

Le thème. a) La voyelle.

Nous signalerons tout d'abord, mais sans nous y arrêter trop longuement, le changement bien connu qu'on observe pour ces deux personnes au prétérit du verbe maindre et de ses composés. La voyelle / y passe très fréquemment à e. Le participe passé du luême verbe nous a fourni des exemples du même phénomène (voir page 521)'. M. Suchier admet que ce changement est à l'influence du verbe mettre. Assez tard, la forme régulière se rencontre encore; nous avons relevé un exemple de reiiiestrcut dans la \'ie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking (au vers 1227). Malheureusement pour ces formes, nous n'avons pas trouvé à la rime des exemples aussi nombreux que pour le participe passé ; aussi nous n'insisterons pas sur ce point.

Les autres changements que nous avons à exposer sont de mince importance et ou bien ne rentrent pas exactement dans notre sujet ou manquent de généralité : ce sont soit des développements phoniques assez normaux, au moins pour l'anglo-français, ou des phénomènes d'analogie qui ne se manifestent que dans des exemples isolés. Nous parlerons d'abord de quelques changements qui atteignent la diphtongue du verbe faire; nous rencontrons quelque- fois la diphtongue ai, comme dans fuirent, que nous avons relevé dans les Annales du Monastère de Saint-Alban (1326, 277) et qui provient de l'infinitif (comparer parler, parlèrent et les formes analogiques que nous allons signaler : ardre, ar cirent ; pleindre, plein- dreniy, la diphtongue oi est plus rare et provient de l'évolution de ei ; foirent se lit dans le Psautier d'Arundel (21, 18). La diphtongue ie est fort rare, nous en |avons cependant rencontré des exemples,, surtout en dehors des œuvres littéraires : le plus ancien que nous connaissions se lit dans les Lettres de Jean de Peckham : fiet (qui pourrait être une erreur de lecture pour fisl).

I. Cf. Schlosscr, Quatre Livres des Rois, p. «S.

652 l'évolution du verbe en anglo-français

La modification la plus commune, c'est le passage de / a e \ Nous en avons trouvé un certain nombre d'exemples dans les œuvres littéraires à une date ancienne, par exemple le désirent du Psautier d'Arundel (24, 3), qui se retrouve au vers 133 de la Folie Tristan.

Au xiii^ et au \ï\^ siècle dans toutes les catégories de textes anglo-français, nous rencontrons des preuves que ce changement a été fort commun ; fc~ (troisième personne du singulier) se lit dans les Early Statutes of Ireland (1285, 46);/t'5/ dans les Rymer's Foe- dera (1298^ II, 835); prestrent dans les Royal Letters Henry III (1168, II, 320); même et surtout dans les Year Books (d. prest dans le Year Book 2 et 3 Edw. II, 12).

C'est dans cette même classe que nous rangerons le phénomène dont nous parlions tout à l'heure : le passage de remist à reiiiest ; comme les quelques exemples que nous venons de donner le montrent, le passage de / à e n'est pas limité à un seul verbe et la même explication doit suffire à tous les exemples qu'on en ren- contre. Il se peut, comme le croit M. Suchier, que mettre ait exercé sur maindre une certaine influence; mais pour ce verbe, comme pour lesautres, le changement, croyons-nous, a avant tout un carac- tère phonique surlequel nous reviendrons dans notre seconde partie.

Nous avons encore à signaler un changement auquel est soumise la voyelle /, changement qui, probablement, ne diffère que dans la forme de celui que nous venons d'exposer, i passe fréquemment à ci et on peut se demander si dans les exemples suivants ei n'est pas le plus souvent une graphie de e. Le premier exemple que nous ayons de ce phénomène semble pourtant bien ancien pour cela : il se lit dans le Psautier d'Arundel à deux reprises : feist (10, 3 ; 17,21); pour les autres notre explication est au moins vraisemblable. Nous retrouvons /m/ dans les Evangiles des Dompnées de Robert de Gretham (64 v°) et deist dans le Saint Julien (64 v°).

On peut croire aussi que cette diphtongue provient des personnes imparisyllabiques, mais les deux exemples ci-dessus nous montrent

I. Pour / employé à la place de e fermé, on peut voir dans les Franzôsische Studien (V, 147) l'opinion de Behrens : « Auch ist nicht zu ùbersehen, dass altè- res / in me. T. eiuer sehr oflfner, deni geschlossenen e so nahestenden / Laut bezeichnet hat, dass dafùr haûfig e geschrieben findet woneben dann i fur sehr geschlossenes e in me. Hss. als umgekehrte Schreibung sich erklàren liesse. »

LE PRÉTÉRIT 653

clairement que ces formes sont monosyllabiques. A la troisième personne du pluriel, les cas sont moins nombreux et plus tardifs : citons retreisterenl que nous trouvons dans la Chronique de Nicolas Trivet (15 r°).

Cette diphtongue est assez commune dans les différents recueils de textes non littéraires, comme par exemple dans les Statutes -.feit (1332, 1,185) ou i-'scrcist dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323, 858).

b) La consonne du thème.

Nous n'avons rien de particulier à dire sur la consonne du thème: la chute de Vu dans remist et prist est trop générale, en français comme en anglo-français pour que nous nous y arrêtions.

Dans repunst, Vn est tantôt présente, tantôt absente.

c) Influence de l'infinitif.

Nous trouvons encore à la troisième personne du pluriel de ces prétérits, mais uniquement à partir de laseconde moitiédu xiii^ siècle, une autre irrégularité qui aeu assez d'importance dans notre dialecte. Les troisièmes personnes du pluriel se laissent influencer par la forme de l'infinitif, et cette influence est probablement aidée, dans une certaine mesure, par l'analogie des prétérits en avi et en ivi qui, à la troisième personne du pluriel, reproduisent exactement dans la prononciation la forme de l'infinitif. Nous avons déjà signalé la ïorme fuirent qui peut avoir la même origine que celles que nous allons donner maintenant ; aucun doute toutefois ne s'attache à celles qui suivent.

Le premier exemple que nous trouvions à citer se lit dans le Saint Edmund : joindrent employé au vers 669 ; mais cette forme n'est pas attestée et comme elle nous semble un peu invraisemblable à cette date et dans ce poème, nous n'hésiterons pas à l'attribuer au scribe, ce qui en ferait une forme du xiV^ siècle. Dans la Chro- nique de Wil. Rishanger, nous trouvons la page 300) un exemple qui, lui, appartient bien à la seconde partie du xiii*^ : c'est esteindrent. Il est inutile de faire remarquer que les deux exemples précédents dérivent des infinitifs joindre et estreindre.

654 l'évolution du verbe en anglo-françaîs

Il en est de môme des nombreuses formes analogiques que nous trouvons au xiV siècle: surdrent, Pierre de Langtoft (II, 370, 5); ardrent,(\h\à., 11,418, 2).

On peut encore rapporter à l'infinitif, sous sa forme étymologique ou sous une autre forme, surderent au folio 44 delà Genèse (sur- dere) ',pleynerent au tolio 75 v" du même ouvrage (pleynere) ; dcs- trurent dans Pierre de Langtoft (II, 418, 2) (destrure); trahiermt au vers 3857 du Prince Noir (traiere).

Les exemples ne sont pas très nombreux dans la langue politique : on trouve rcindrent (de reindre ^ raembre) dans les Statutes (1322 I. 186); ardrent dans les Hist. and Munie. Doc. of Ireland, (1319, 406); on pourrait ici citer aussi /â!/r^;/f qui se lit dans la Chronique de Saint Alban (1326, 277), etc.

Les Year Books nous donnent une plus ample moisson : pleindrcnt , maindrent, joUidrent, respnndrent y sont fort communs.

Il est plus difficile d'expliquer diserent, Hist. and Munie. Doc. of Ireland (1292, 205), et feserent, Chronique de Saint Alban (1326, 227), qui semblent plutôt être des formes analogiques en avl.

ACaUISITIONS DES PRETERITS EN SI

Les nouvelles formations en si inconnues au continent sont rares dans l'anglo-français littéraire : les prétérits en si n'avaient paSj au point de vue phonique, une très grande force de résistance à leurs personnes caractéristiques; les personnes imparisyllabiques voient le plus souvent tomber IV intervocaliqueet lasynérèse se faire progressivement. Depuis l'amuissement de Vs devant le /,1a troisième personne des verbes les plus employés se contond avec celle des pré- téritsen/i'/; quanta la troisième personne du pluriel, elle tend à prendre la forme irent ou erent. Tout conspire à faire disparaître ce temps.

Nous allons maintenant étudier les quelques acquisitions qu'ils ont pu faire en anglo-français, d'abord aux personnes imparisylla- biques^ ensuite à la troisième personne du pluriel.

Comme on le voit, nous ne considérons pas comme des acquisi- tions de ces prétérits les nombreuses troisièmes personnes du singu- lier qui nous montrent la désinence en st ; celles-ci doivent leur s, même si l'analogie a eu quelque part dans le changement qu'ils ont subi, à des causes beaucoup plus générales.

1

LE PRÉTÉRIT 6\

))

A. Extension des formes imparisyllabiques^ .

Les personnes imparisyllabiques voient un certain nombre de prétérits prendre leurs formes et montrer l'allongement syllabique. Ce phénomène ne peut évidemment se produire que tant que subsiste dans les prétérits en si Ys intervocalique, ou tout au moins aussi longtemps que la diérèse se fait régulièrement.

La date même à laquelle la synérèse commence à se faire d'une manière pour ainsi dire régulière voit aussi cesser toute acquisi- tion à CQS personnes.

Voici les exemples que nous avons relevés ; on verra que nous n'en avons découvert aucun nouveau. Dans le Psautier d'Oxford, on lYouxe deguerpesis (9, 10), de^iierpisis (v, 27); dans le Psautier de Cambridge, deguerpissis QÇ, 27); degmrpisis (9,9) se trouve dans le Psautier d'Arundel (mais déguerpis dans les trois Psautiers 21, i, etc.). On a encore estahlisis dans le Psautier d'Oxford (88, -j6). Dans Gaimar on trouve (au vers 442) guarisimes qui reparaît encore (^/m/tw) jusque dans Saint Gilles (au vers ^^ç^y^ei parsuesit (suivre) au vers 5921.

Dans les ouvrages non littéraires, ce phénomène est à peu près inconnu ; nous n'en avons relevé qu'un seul exemple, irrégulier à plus d'un titre: entendesit, dans les Hist. and Municipal Doc. of Ireland (1292, 205).

B. Troisième personne du pluriel.

A part ces quelques verbes que nous venons de citer, ce sont uniquement des troisièmes personnes du pluriel qui prennent la forme des prétérits en si. Faisons remarquer dès maintenant l'écart de dates entre les exemples qui suivent et ceux qui précèdent. Les premières formes que nous avons relevées appartiennent sans aucun doute possible aux premières années du xiii^ siècle ; elles pro- viennent d'un prétérit en ///et d'un prétérit en /-z.'/. Ces deux formes se lisent dans les poèmes de Frère Angier: reqenoistrent se lit dans la

I . Pour cctie question, cf. Gaston Paris, Etude sur le rôle de l'acceni latin, p. 74, et L. Czische, Die Pertektbilduug der starken verba si klasse ini franzôsischen, Risop Studien, pp. 122-127.

656 l'évolution du verbe en anglo-français

Vie de Saint Grégoire (au vers 2787), formequi montre probablement, plutôt l'influence de son inlinitif que celle des prétérite en si. On trouves encore niarrislrent dans les dialoges (au folio 32 b). Nous avons déjà à cette époquedes représentants des deux classes de prétérits qui pourront prendre la terminaison des prétérits en si. Les prété- rits en iti seront toujours les plus nombreux ; dans la Genèse. Notre Dame (au folio 70 r"), nous trouvons crustrent de croître; au vers 9053 de William de Waddington, suslrent de savoir ; dans Nicolas Trivet, rcconustrcnt reparaît encore (au folio 47 r''), probablement tous la même influence que tout à l'heure.

Hors de la langue littéraire, deux prétérits en ivi apparaissent : reponstrent de répondre, qui se trouve dans un grand nombre de cas, surtout dans les Rymer's Foedera, et escistrent de issir, qui se lit dans les Rymer's Foedera (1256, I, 589). Les prétérits en /// sont autrement nombreux, quoique aucun ne soit aussi souvent employé que reponstrent. Le plus connu est encore conustrent qu'on trouve dans le Registrum Malmesburiense (1309, I, 58); et fré- quemment dans les Year Books, comme 32 et 33 Edw. I" (209); II et 12 Edw. III (647); on trouve encore encrustrent dans les Statutes (1327, I, 259), dont nous avons rencontré un exemple dans la Genèse Notre-Dame. Citons encore pour en finir piistrcnt de pestre (ir et 13 Edw. III, 573); resceiislrent (14 Edw. III, 285).

Comme on le voit, ces quelques troisièmes personnes du pluriel sont disséminées sur un nombre considérable d'années et elles appartiennent en majorité à des verbes ayant leur prétérit réguliè- rement en ni.

Il nous reste maintenant à citer le seul verbe qui soit réelle- ment une acquisition des prétérits en si, le verbe vouloir. Mais ses formes, sauf les quelques exceptions que nous avons données, sont si régulières (zvls, vous, volsis, volsistes, voiislrciit^ que nous n'avons pas à insister.

CHAPITRE IV

L'IMPARFAIT DU SUBJONCTIF

Nous avons déjà traité un certain nombre de questions se rap- portant aux différentes personnes de l'imparfait du subjonctif.

Première personne du singulier

Seconde personne du singulier Troisième personne du singulier

Première personne du pluriel

Seconde personne du pluriel

■q, page 227 Troisième personne du pluriel : Désinences accentuées, page 235

Chute de la syllabe se, page 5 5

Chute de sse, page 5 5

Chute de sses, page 77

Chute de s, page 118

Chute de st, page 118

^ pour st, page 119

Désinence en oins, page 177

ions, page 177

iens, page 196 Désinence en e:{, page 205

/V

A. Phénomènes généraux.

Il nous reste cependant à apporter quelques précisions sur quelques points que nous ne pouvions pas traiter dans le chapitre des Désinences personnelles, air ils sont particuliers à l'impar- fait du subjonctif. Nous voulons parler de la répartition des désinences aux personnes qui en ont plus d'une, c'est-à-dire à la pre- mière et la seconde personne du pluriel, et de la chute d'une des deux s de la désinence.

4^

6)8 l'évolution du verbe ex axglo-ikaxçais

Première personne du pluriel.

Des trois terminaisons que nous avons énumérées pour la pre- mière personne du pluriel de l'imparfait du subjonctif, la termi- naison unis est la plus commune et probablement la seule dans les ouvrages littéraires. Nous n'énumérerons pas tous les exemples que nous avons recueillis ; mais nous pouvons dire que nous en avons pour toutes les formes de l'imparfait du subjonctif et pour toutes les périodes; des formes comme ctnitissoms, priassoins, perdissiniis, feis- siiiiis, oitssuni, deussum se rencontrent dans la plupart des auteurs anglo-français.

Il est digne de remarque que les Year Books sont d'accord sur ce point avec les œuvres littéraires, et que les désinences en tims soient, nous semble-t-il, les seules qu'emploient les recueils légaux. (Cf. Maitland, Year Book Edw. II, p. liii-lxxvii.)

Les textes familiers nous offrent eux aussi un nombre asse;^ con- sidérable de ces désinences ; les Lettres de Jean de Peckham et les Literae Cantuarienses ' ne contiennent aucun exemple des deux autres terminaisons.

Celles-ci sont donc limitées strictement aux recueils de textes diplomatiques et politiques. La première, la désinence en ions est cependant assez rare : nous la trouvons sporadiquement pendant tout le xiv' siècle, surtout dans les Rymer's Foedera-, mais aussi, quoique plus rarement, dans les Statutes.

La terminaison en iens est beaucoup plus commune et elle atteint tous les imparfaits du subjonctif : subjonctifs de I : parlissiens, Rymer's Foedera (1297, ^^5 779)5 donissiens, niandissiens.lmpa.r- faits du subjonctif correspondant à un prétérit en / : venissiens, dans le même recueil (1297, II, 770) ; tenissiens; à des prétérits en si: maiidissiens (1297, ^ï' 77^) '■> cntreprissiens, feissiens.

Mais ce sont surtout ces imparfaits qui correspondent à un prétérit en /// qui montrent cette forme ; leur nombre est beau-

1. Nous en avons cependant un exemple dans le recueil de Lettres : voiisis- sions, 13 18, 46.

2. Voici les quelques exemples que nous en avons trouvés dans Rymcr : doiiis- sions, 1 300, voessiotis, 1 3 14, eussions, i 3 14, proiiiessioiis, eussions, /eussions, peussions.

l'imparfait du subjonctif 659

coup plus considérable que celui de tous les autres imparfaits du subjonctif pris tous ensemble, et les formes qu'ils fournissent se trouvent dans la plupart des recueils de textes politiques. Les plus anciens exemples se trouvent à la même date dans les Statutes et dans les Rymer's Foedera : on trouve eussicus à l'année 1297 <^^iis les Statutes(I, 124) et dans Rymcr (II, 764, 800). Les autr.es verbes, moins employés, fournissent moins d'exemples ; mais on peut citer pcHssiens, creiissiens, scussiens, fciissiens.

Il serait assez utile de résumer par quelques chiffres, tout à tait approximatifs, le rapport de ces différentes formes ons, ions, ieiis entre elles dans les différents recueils. Dans un tel compte, on peut négliger pour les Statutes les formes en io)!s : entre les deux autres désinences le rapport serait celui de i à 7, le plus faible chiffre représentant les désinences en iens. Pour Rymer les nombres seraient i à 5 et à 9, le plus petit nombre représentant les dési- nences en ions, le second les désinences en iens, le troisième les désinences en ons. Nous n'avons pas obtenu ces chiffres sur l'en- semble des textes, mais au moyen de différents traités à différentes dates du xiV^ siècle.

Nous ne tenons pas compte de la désinence icnies que nous n'avons relevée qu'une fois dans Rymer (j'uissiemes, 1,39, ^', 1 15), ni de la désinence en ems, plus commune, mais limitée à avoir et être (eusscnis se trouve dans les Actes du Parlement d'Ecosse, 1233,

I, 479 ; dans les Parliamentary Writs., 1299, I, 319 et 321 ; 1323,

II, 602; feussenis dans les Parliamentary Writs, 1300, I, 340).

Deuxième personne du pluriel.

La deuxième personne du pluriel ne nous offre que deux termi- naisons: l'une avec 1'/, l'autre sans 17.

La terminaison ordinaire est celle qui ne montre pas 1'/; il nous serait facile ici de citer plusieurs pages d'exemples, et nous nous trouvons dans l'embarras pour savoir ce que nous devons citer et ce que nous devons négliger. Pour la langue littéraire, nous pouvons borner nos exemples à l'imparfait du subjonctif de la première et de la seconde conjugaison car, quand nous parlerons de la diérèse pour les imparfaits du subjonctif des classes en /, en si et en ///, nous donnerons suffisamment d'exemples pour montrcr_^combien ces formes sont usuelles.

66o l'évolution du verbe en anglo-français

I. Terminaison en e:(^.

Donnons rapidement pour ces deux conjugaisons des exemples des trois siècles : chakngisseï se lit au vers 462 de Gaimar; aporiise:^ au vers 885 du Tristan de Thomas ; rendisc~ au vers 712 du Drame d'Adam ; qîiidcsse:^ se trouve employé très fréquemment au vers 2484 de la Vie de Saint Grégoire, au vers 14 d'Aspremont et 3254 de William de Waddington ; iiiorise:{ est employé par ce dernier auteur (au vers 10015) ; trovisseï est emplové par Pierre de Langtoft (II, 100, 4) ; chaunHsseï au § 8 des Contes de Nicole Bozon, etc.

Les exemples ne sont pas moins communs en dehors de la litté- rature : on trouve dans les Parliamentary Writs cessisse:^ (ij^S? 731) ; dans Rymer entreisset\, gardissc:( ; kvesseï dans les Lettres de Jean de Peckham (1257, 114); /'^//«ic- dans les Literae Cantua- rienses (1334, 550) ; ienasse^, dans le même recueil et dans la même lettre. Et un nombre considérable d'exemples analogues. Il en va de même des textes légaux; citons dans un seul Year Book, 13 et 14 Edw. III: alasse:^ (p. 189); clamasse^ (p. 209); mous- trase:^ (p. 317). Ceci montre suffisamment qu'à toute époque, dans toutes sortes de textes et pour toutes classes d'imparfaits du sub- jonctif, la terminaison en q est extrêmement commune.

2. Terminaison en />~.

Les terminaisons en ic:{, sans être aussi nombreuses que les dési- nences sans i, se trouvent, pour certains verbes au moins, à toutes les périodes de la littérature anglo-française. Il y a d'abord cer- taines catégories de verbes qui ne prennent jamais cette terminai- son : les imparfaits du subjonctif qui correspondent, soit à un pré- térit en avi, soit à un prétérit en ivi.

Pour les trois autres classes les désinences avec ; sont plus ou moins fréquentes: celle qui présente le plus grand nombre d'exemples c'est la classe des prétérits en /.

Veïssie:{ se trouve constamment dans la Chronique de Jordan Fantosme (cf. par exemple aux vers 876, 1204, 1285, 1763),

On retrouve plus tard la même forme dans Aspremont (au vers 117); dans la Vie de Sainte Marguerite (au vers 315); dans le Prince Noir (3383, 3926).

l'imparfait du SUBJON'CTIF 66 1

FeissJe~ est assez fréquent, par exemple il se trouve dans le Manuel des Péchés de William de Waddington (au vers 3185); au vers 540 du Prince Noir.

Dans la première classe des prétérits en ni, nous ne trouvons de désinence en ie^ que dans Fantosme : eussiez (vers 984), pens- 5/V^ (vers 1350), et dans Sœur Clémence de Barking : oussie{ (aux vers 279, 1176).

Les terminaisons en ic:( ne sont donc pas rares dans la littéra- ture ; leur nombre toutefois n'approche pas de celui des terminai- sons sans /. Il en est exactement de même pour les textes diploma- tiques et politiques. Voici dans ces textes un petit nombre d'exemples de désinences en ie^^: ontrouye feussne:( dans lesRymer's Foedera (1325, IV, 181); diissic:^ dans le même recueil (1364, VI, 439) ; les Literae Cantuarienses nous donnent vonsissie- (1327, 209); duissie^ (i333j 527) et quelques autres; mais ils sont rela- tivement rares .

Nous n'avons pas relevé de terminaisons en zV:^ dans les Year Books.

Les deux s.

Il est très fréquent de trouver en anglo-français les deux 5 qui caractérisent toutes les personnes de l'imparfait du subjonctif, sauf évidemment la troisième, réduites à une seule.

Ce phénomène se rencontre à toutes les classes sans exception et remonte assez haut. Tout d'abord, nous trouvons de nombreux exemples qui montrent que ces imparfaits appartenant à la classe enavi sont écrits avec une s simple, comme aportise:( qu'on trouve au vers 885 du Tristan de Thomas et qui peut aussi bien appartenir à l'auteur qu'au scribe; hastise^, emplo3'è au vers 806 de la Folie de Tristan, et un certain nombre d'autres exemples peuvent se retrouver par la suite. Pour les verbes de la classe en ivi, nous pouvons aussi citer un nombre assez considérable d'exemples : reïidise:^ qui se trouve au vers 712 du Drame d'Adam; niorise:^ dans le Manuel des Péchés, au vers 100 15 (A); perdise~ dans le roman de Foulques Fitz Warin (p. 58); euiendisent au foUo 34 des Vies de Saints de Bozon.

Nous en avons relevé un plus petit nombre pour les prétérits en i et en si : veiseï (au vers 2481 de Dermod) ; ienisoil dans le Saint Edmund (au vers 461). Et encore dciseni au vers 1825 du Saint

662 l'évolution du verbe en anglo-français

Auban ; feisent se rencontre assez communément : dans le Saint Auban (au vers 1745), dans le Dermod (aux vers 1363, 2108). En dehors de la littérature, les exemples ne sont pas rares, comme incisons qu'on relève dans le Year Book 13 et i^ Edw. III, 23.

Ce sont les verbes qui ont un prétérit en ni qui nous fournissent pour ce phénomène le plus grand nombre d'exemples, en même temps que les plus anciens. Les premiers cas de chute de l'une de ces deux s nous montrent que ce phénomène date au moins de 1167. On les trouve dans le Voyage de Saint Brandan : onsum, sonsnni, ponse (respectivement aux vers 764, 763, 1563) (ms. de l'Arsenal : ensson, sonson). On en trouve encore quelques autres dans les poèmes du même siècle, mais on ne saurait décider s'ils appar- tiennent aux auteurs ou aux scribes, comme seuse:{, deuse:^ (respecti- vement aux vers 257, 396) dans le Drame d'Adam.

Il est certain que leur nombre est beaucoup plus considérable au xiii^ siècle; on peut citer nse aux vers 341, 2732 du Manuel des Péchés; snse dans le Roman des Romans (au vers 437), dans Dermod (au vers 1341), dans William de Waddington (au vers 1234), etc. ; duse:;^ aux vers 50, 409 de la Plainte d'Amour.

Ces exemples, trop nombreux déjà, et nous pourrions en trouver un nombre plus considérable encore dans les textes non littéraires, montrent combien la forme avec une s simple est devenue commune; elle est presque aussi vieille que la littérature anglo-française et dure aussi longtemps qu'elle.

Ce n'est que dans les textes légaux que cette consonne est rem- placée par c; c'est une véritable faute d'orthographe qui ne tire pas à conséquence (cf. aJacct dans le Year Book 20 et 21 Edw. I",

275).

B. Les lmparfaits du subjonctif des différentes conjugaisons. I. Imparfaits dn snhjonctif correspondant h nn prétérit en avi.

Ces imparfaits du subjonctif sont extrêmement réguliers; nous n'avons de remarque à faire que sur trois points de médiocre Importance:

l'imparfait du SUBJONXTIl- 663

a) La voyelle tonique dans les terminaisons dissyllabiques dont la finale est muette.

/;) La voyelle tonique dans les terminaisons monosyllabiques, r) La voyelle protonique dans les terminaisons dissyllabiques.

a) La voyelle tonique dans les terminaisons dissyllabiques dont la syllabe finale est muette.

Cette voyelle tonique est le plus souvent a, et cette forme est la seule que connaissent les textes littéraires. En dehors de la littéra- ture, en particulier dans les œuvres légales, la diphtongue ai n'est pas rare; les Rymer's Foedera nous en montrent plus d'un exemple, comme alaissent, J^'y/wmmt';// (respectivement 1339, V, 116; 1338, V, 53); ce sont les plus anciens exemples que nous ayons ren- contrés.

Les Year Books nous en montrent plusieurs.

h) La voyelle tonique dans les terminaisons monosyllabiques.

Lorsque la terminaison est monosyllabique, il arrive que les scribes du xiv^ siècle écrivent au au lieu de a dans la syllabe accen- tuée ^ C'est ainsi que nous trouvons consilaiist au vers 956, pnaust au vers 1019 du Manuel des Péchés. Ce sont les exemples les plus anciens que nous ayons rencontrés dans la littérature, même en les attribuant au scribe; cet au du reste n'est qu'une graphie (les deux exemples que nous venons de citer riment en a pur, le premier avec grantast, le second avec junast), et c'est pour cette raison que nous n'insisterons pas davantage. Ajoutons cependant que cette graphie est relativement rare en dehors de la littérature.

Rappelons que nous avons vu quelque chose d'absolument sem- blable aux troisièmes personnes du singulier des prétérits en avi (cf. page 575).

I. On peut consulter Busch, p. 14 ; Behrens, Beitràge zur Geschichte der fran- zôsischen Sprache in England, Franzôsischen Studien, V, p. 80.

6^4 l'évolution du verbe en anglo-français

r) La vovelle protonique dans les terminaisons dissyllabiques '.

A la première et à la seconde personne du pluriel, la première svllabe de la désinence a / comme élément vocalique. Les formes en issoiis, isse:;^ se sont très bien conservées pendant les trois siècles qui nous occupent. Nous ne donnerons qu'un petit nombre d'exemples du xiV-" siècle ; ils sont extrêmement communs pour les deux autres. On lit ainsi dans Pierre de Langtoft: irovisseï (II, iio, 14); chaun- tisse:( au § 8, et pIorissex_ au § 29 des Contes de Nicole Bozon; et en dehors de la littérature : mandissons, grantissons, donissons dans les Rymer's Foedera (cf. 1300, II, 868; 1304, II, 946; 1325, IV, 81); maudissons se trouve encore dans les Parliamentary Writs (1300, I, 341), dans les Literae Cantuarienses (1329, 270), etc.

Lorsque le radical du verbe est en i, il est régulier pour les deux personnes qui nous occupent d'avoir ^ à la première syllabe de leur désinence : par exemple qiiidesse:^ est employé dans la Vie de Saint Grégoire au vers 2484.

Cette règle n'a pas toujours été observée et l'on trouve de temps en temps des formes comme quidisse- dans William de Waddington (au vers 3235). Le fait contraire se produit aussi et nous trouvons assez souvent une extension anormale de cet^; par exemple trovesse:^ est employé dans les Dialogues Grégoire (96 r" a); et dans Aspre- mont (au vers 145); inoillesse:^ dans les Contes de Nicole Bozon (au § 94) ; les œuvres non littéraires présentent un grand nombre d'exemples de cet e irrégulier : deliveressons dans les Rymer's Foedera (1279,11, 134) ; paiesst\ dans les Literae Cantuarienses (1334, 550); levesseï ôi-àns Jean de Peckham (1357, 114). On peut aussi trouver des graphies provenant soit de c soit de i surtout en dehors de la littérature ; citons par exemple entreissetz^ qui se trouve dans les Rymer's Foedera (13 n, HI, 362).

La forme moderne se rencontre quelquefois dans la langue de la littérature de la fin du xiv^ siècle, mais elle y est extrêmement rare ; nous ne trouvons à citer que osasse:^ dans Foulques Fitz Warin 104. La forme moderne avec la voyelle a se rencontre aussi dans les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature, et elle y est d'ail-

I . Pour iss à la première et à la seconde personne du pluriel de l'imparfait du subjonctif de /, cf. Zeitschrift fur romanische Philologie IX, 242 (W. Meyer).

l'imparfait du subjonctif 665

leurs assez iréquente ; nous la trouvons pour la première fois dans Rymer's en 1360 ; on lit en effet dans un traité de cette date : renoii- cassons,transportassons, ces sas sons, délai sa s son s ; quoique dans la langue légale les formes étymologiques soient nombreuses à ces deux per- sonnes, les terminaisons avec a ne sont pas rares ; par exemple, dans 22 £d\v. P'' on trouve pledasmn (p. ^ij), portasiiDi Çp. 349); dans 20 et 21 Edw. I", on a donasct (p. 199) ; aJacet (p. 275). Dans les recueils plus récents, les formes modernes deviennent de plus en plus nombreuses ; citons par exemple dansles YearBooks 13 et 14 Edw. III: priassons (p. 35); alasseÀ^ijp. i%^^\ clamasse:^ (p. ^oc)'),moustrase^, vouchassoms (p- 95), etc. Remarquons surtout que les formes en i et celles en a sont absolument mélangées dans le ms. Y (13 12).

2. Imparfaits du subjonctif des verbes en ivi.

Nous n'avons pour les imparfaits du subjonctif qui correspondent aux prétérits en ivi relevé^aucune déviation ayant un caractère relativement permanent. Nous avons trouvé à la troisième personne du pluriel quelques formes en eissent ; mais elles sont rares et ne se trouvent jamais répétées deux fois dans le même auteur ou dans le même recueil. La seule question qu'ils nous offrent à traiter est celle des acquisitions qui, en dehors de la littérature, sont assez nombreuses. Nous trouvons un verbe avec prétérit en si, qui prend presque constamment à l'imparfait du subjonctif la forme en ivi: remaindre ; rciuaignissciil se trouve par exemple dans les Parliamen- tary Writs (1318, 117); dans les Rymer's Foedera(i3i8, III, 697), etc. ; reiiianissent est commun dans les YearBooks 33, 35 Ed\v. h% 535 ; 3 Edw. II, 167 (Y), etc.

Les autres formes nouvelles ne présentent pas autant de régula- rité ; citons pour les prétérits en si, ardissons dans les Rymer's Foe- dera (13 15, III, 535); pour les prétérits en ///, reciuissent, Mem. Pari. 1305, § 5 ; cet exemple est très douteux; reciuissent peut n'être qu'une forme un peu extraordinaire des imparfaits du subjonctif en ïii, ou une erreur cléricale pour reciiissent {iii =■ //) ; ajoutons- y volassent, Rymer (1338, V, 45) ; morissent, Rymer (1364, VI, 447); et il yen a encore quelques autres. Nous n'avons relevé qu'un prétérit en avi : trespassisseiit, qui semble prendre la forme desimpar-

666 l'évolution du verbe en anglo-français

faits du subjonctif en ivi,\\ se lit dans les Rymer's Foedera(i 139, V, 1 1 5). Ce dernier exemple n'est pas à proprement parler une acquisition des imparfaits dusubjonctif des verbes ayant un prétérit tnivi ; nous devons y voir plutôt le résultat de l'influence des deux personnes ayant deux syllabes sonores à la terminaison : trespassissons, trcspas- sisse^ ont amené très naturellement trespassisscnt. Cela n'a rien de surprenant ; au contraire, nous nous étonnons de n'avoir pas relevé plus de formes analogues à cet exemple de Rymer.

3. Imparfaits du subjonctif des verbes eiidedi.

Nous avons vu combien étaient rares les prétérits en dedi ; il n'y a rien d'étonnant que les imparfaits du subjonctif qui leur corres- pondent soient aussi ou même plus rares : ce n'est que dans le Psautier d'Oxford que nous en trouvons, et il n'y en a qu'un : deperdiest (107, 23).

4. Imparfaits du subjonctif en ui.

La voyelle en hiatus. Première classe et deuxième classe.

Pour ces deux classes, la voyelle en hiatus est étymologiquement 0 , et elle est employée pendant longtemps. On la rencontre évi- demment chez les premiers auteurs anglo-français, mais même très régulièrement chez Guischart de Beauliu qui a, par exemple, poiist (aux vers 632, 639, 877, 887, etc.); dans Horn chez lequel on trouve doilst (d.u vers 3582), poiist (418), pousse (i^j 4) ; dans Robert de Gretham (aux folios 32 v°, 63 v°, 102 v°), aux folios 69 r°, 72 du Saint Julien. Cette voyelle se retrouve à la fin du xiii^ et au commencement du xiv= siècle, dans Dermod (vers 125); même dans le Siège de Carlaverok (verr 42, 62). Elle n'est pas rare dans les poèmes de la fin du xiv^ siècle, et sous la plume de certains scribes.

On trouve même quelquefois des 0 qui ne sont pas étymologiques, comme le croiisl (croire) au vers 2982 de Horn, mais cette forme est isolée.

l'imparfait du subjonxtif ééy

La forme en eu est cependant devenue la forme usuelle bien avant le xiv^ siècle ; il est impossible de préciser à quel moment cette diphtongue a fait son apparition. On la trouve dans Gaimar, dans le Drame d'Adam et dans la plupart des ouvrages du xii^ siècle, mais elle peut provenir des scribes. Nous trouvons des renseigne- ments plus assurés dans les Psautiers eu est employé. Nous pou- vons dire d'une façon générale que les 'changements dans la diph- tongue sont les mêmes et se placent aux mêmes dates pour l'impar- fait du subjonctif que pour le prétérit ; il en va de même pour la voyelle simple u qui a se montrer au xiii*^ siècle.

Nous n'insisterons donc pas davantage sur cette question.

Les textes non littéraires nous présentent constamment les trois formes ou, eu, u : mais les Statutes ne connaissent pas la première, et dans ce recueil la troisième est assez rare ; quant à la forme avec ///, elle est évidemment encore moinscommune que la forme en u dont elle dérive.

Dans les Rymer's Foedera et les YearBooks, les trois sons voca- liques se trouvent employés, eu étant ici encore la graphie la plus commune ; le ms. Y des Year Books 3 Edw. II, etc. présente un très grand nombre de formes en eu ; ui semble être fréquent à par- tir de 17 et 18 Edw. 111(1348).

Il ne faut pas confondre avec les formes précédentes le poïst qu'on trouve assez communément dans le Prince Noir aux vers 1465, 1829; ce polst est une forme continentale (wallon).

Diérèse et synérèse. Première classe.

Il semblerait que les imparfaits du subjonctif de la première classe aient effectué fort tôt, au moins dans certains cas, la synérèse, car nous trouvons déjà dans le Voyage de Saint Brandan plusieurs exemples qui semblent le montrer : ousum (au vers 764), ouse (au vers 665), sousum (au vers 763). Mais le manuscrit de l'Arsenal fait disparaître toutes ces apparences de synérèse :

Pour eussent ne fust l'abit (Arsenal : eùs(t) qui convient mieux pour le sens.) Ainz que vostre venir sousum

668 l'évolution du verbe en anglo-français

(Arsenal : Ançois que nous vous seiissons.) Volt Deus qu'a vus cunrei oussum,

(Arsenal supprime « a vus ».)

Aucun exemple de S3'nérèse ne pourrait donc subsister dans une édition qui serait basée sur les deux manuscrits; nous ne pouvons même pas être assurés que le scribe du Saint Brandan (i 167) lui- même l'ait faite ; il est probable qu'il ne se souciait pas beaucoup de la régularité des vers qu'il écrivait et que les quelques cas de synérèse apparente que nous venons de citer ne servent qu'à prouver sa négligence.

Cependant on peut admettre que les premiers cas assurés de synérèse datent du commencement de la seconde moitié du xii^ siècle. Dans l'Estorie des Engleis, nous en avons au moins un d'as- suré. Il est vrai que les formes qui présentent l'hiatus sont très nombreuses et que la plupart des cas de synérèse apparente pro- viennent de l'éditeur : en suppléant la voyelle qui manque, nous rétablissons en même temps le vers ; on peut voir par exemple eiïst (164, 2672,2925', 3614, 5959, 6178); eilsse(^c)^2^) ; seiïse (-j64^, 5941) ' ; poiist (856); seûst (4441, 2318); peiissent (2166). (Cf. vers 1608, 2925, 3180, 4442, 675.)

Dans plusieurs cas, on peut avoir quelques doutes, et il n'est pas toujours facile de décider si la synérèse a été faite ou si l'éditeur a adopté une mauvaise leçon. En voici quelques-uns; on lit au vers

2732 :

A manger eust car co requist.

C'est la leçon donnée par R et D ; L et H ont ot qui peut se justifier. Les vers 6225, 6226 ne sont pas donnés par tous les manuscrits, et chacun d'eux contient une synérèse :

Tuit H franc home qui eust mestier I eussent itel recoverer

1. Meis si Gillemar eust leisir (2925),

Lire : Gaimar eùst (D, H).

2. Pur quei ma gent asemblé eusse (3942), Lire : ensemble eûse (R.)

3. Kil ne perdisist si iol suse (594105),

Lire: perdist, seûsse (D, L, H).

l'imparfait du subjonctif 669

Ces vers ne se trouvant pas dans D, Lni H, ne sont probablement qu'une interpolation.

Il y a cependant au moins un cas la synérèse a se faire; ce casse trouve au vers 2671 :

Mes si vus me le eussez celé,

donné par tous les manuscrits.

Il y en a peut-être quelques autres, mais cela nous semble très peu probable.

Nous sommes donc loin du nombre de synérèses que nous trou- vons dans le Brandan, et cela est encore plus remarquable si on compare l'étendue des deux poèmes.

Le nombre des synérèses est déjà, pour les verbes de la première classe, beaucoup plus considérable dans le Tristan de Thomas, et nous trouvons dans ce poème un état de choses beaucoup plus avancé que dans Gaimar. Nous ne nous attarderons pas à citer tous les cas qu'on peut relever, et pour le détail nous renverrons à l'étude de M. Bédier (II, 19 sqq).

On trouve des contractions aux vers 663, 664, 1527, 1529,

1569,2417.

Car s'il n'en oust si grant désir. A sunvoleir poust asentir. S'en ju vente apris ne l'eussez. Si li reis vus eust castié. Eussez vus emvers lui amur. Si jo seuse qui i alat '.

Dans la Folie de Tristan le nombre de diérèses est assez grand; on ne relève par contre aucun exemple de synérèse. Pussent se lit au vers 109 de Haveloc et c'est le seul exemple de synérèse dans tout ce poème.

Ou garder pussent lur seignur.

Sœur Clémence de Barking fait aussi la contraction ; mais les cas la diérèse subsiste sont environ deux ou trois fois plus nombreux

I. Quelques-uns des exemples précédents sont peut-être douteux ; les vers 1527, 1529, 1569 ne sont donnés que par un manuscrit ; au vers 1569, il est possible que l'original ait porté : Eussez vus vers lui. Au vers 2417, le ms. D semble sup- primer ; : qui ilast (lire aiast?).

670 l'évolution du verhe en anglo-erançais

que ceux d'où elle a disparu. Pour ces derniers nous trouvons : eusses, vers 201, 5031 :

E si eusses en tei raisun. Eusses de nos maistres apris.

eiist : 479 (douteux), 1881 :

Asez eust une peine oùe '. Ki li oust à mangier dune.

onss'u\, 279, II 76 :

A qui vus oussiez fait honur. Que delurmort oussiez enur.

oiisseiil, 1159 (douteux) :

Car s'il n'oussent en Deu creù '.

poust (aux vers 835, 836, 1550) -:

Si huem ne fust, ne poust mûrir; E se Deux, ne poust revesquir ; Co cument poust cstre, nel vei.

pou ss uni (au vers 1578) :

Cument nus i poussum parler.

susses (au vers 272) :

Si tu te susses purpenser.

C'est donc un nombre respectable de synérèses que nous pou- vons relever dans la Vie de Sainte Catherine : il y en a au moins douze de probables, dont quatre sont peut-être discutables, huit sont aussi assurées que possible.

Au contraire, dans l'Ipomédon, les cas de diérèses sont nombreux

1. La synérèse doit s'effectuer, soit à l'imparfait du subjonctif (eust, oussent, soit au participe passé (oue, creu) ; nous croyons que c'est au premier de ces temps (cf. Participe passé, page 519).

2. L'imparfait du subjonctif est plus correct et plus naturel, mais le prétérit n'est pas impossible ; on peut donc lire ; pout.

l'imparfait du subjonctif 671

(cf. vers 158, 201, 3084, etc.) ; les éditeurs ont introduit un cas au moins de synérèse. Adonne pour le vers 157 :

Femme ke tôle tecches ust .

MM. Kôlbing et Koschwitz ajoutent une s à tele. Or nous avons vu que le scribe de A fait parfois des synérèses qui ne se trouvent pas dans son texte et essaie de rétablir le vers. Il ne fallait donc pas ajouter une j à telc, mais supprimer celle de tecches et lire :

Femme ke tele tecche eiist.

C'est à peu près la même proportion que dans Sœur Clémence ou une proportion légèrement supérieure que nous trouvons dans la Chronique de Jordan Fantosme ; les cas de diérèse sont très nombreux ; citons rapidement quelques-uns de ces cas : eiist se lit aux vers 82, 748; seilst, au vers 793 ; pleilst, 11 62; peiisi, 799 ; peiis- sie:^, 1173 ; seiissent, 1143.

Les vers qui nous montrent que la synérèse s'est effectuée à ce temps sont beaucoup moins nombreux. Nous trouvons d'abord quelques troisièmes personnes du singulier: enst (au vers 917); peust (au vers 907) ; pleiisi (au vers 1726) :

Nen eust malveis guerdon en lieu de sun luier. Ki me peust dire, ne sace raconter. (10 syllabes.) Sil vus pleust a oir bon fet de bone gent.

Pour ce dernier vers, on pourrait lire plest.

Nous avons aussi relevé quelques secondes personnes du pluriel : eussiez (au vers 984), peussie::^ (au vers 1350), et une troisième per- sonne du pluriel, eussent (au vers 1179) :

De faire ultrage dunt eussiez desturbier ; Noise peussiez oir en la cité fremie ; Tuz les essent estikez, ocis e mal bailli.

Par conséquent, les synérèses ne sont pas négligeables dans Jor- dan Fantosme, mais nous ne croyons pas que leur nombre atteigne la moitié du nombre des diérèses.

On voit que, comme nous le disions tout à l'heure, la pro- portion des synérèses, si elle est quelque peu supérieure à celle

672 l'évolution du verbe en anglo-français

qu'on trouve dans Thomas et même dans Sœur Clémence, reste encore très faible. Guillaume de Berneville et Guischart de Beau- liu montrent un recul nettement marqué sur Fantosme et Thomas; chez ces deux auteurs, on ne trouve aucun cas de synérèse bien assuré; ce qui, dans la Vie de Saint Gilles, s'en rapprocherait le plus, serait le vers 1156 dans lequel la contraction doit av'oir lieu, soit pour l'imparfait du subjonctif d'avoir, soit pour le participe passé de gésir :

K'ele eust jeu en un seul jur.

Pour Guischart de Beauliu, les diérèses sont fréquentes et les synérèses absolument absentes.

Il y a cependant au xii'^ siècle quelques auteurs qui semblent pré- férer les formes contractes ; ces auteurs, celui des Légendes de Marie et celui de Horn, écrivirent pendant la seconde moitié du xii^ siècle, à dix ans environ d'intervalle. Sur le point qui nous occupe, ces deux écrivains semblent suivre presque le même usage. Non pas' que les cas de diérèse soient devenus rares chez eux, spécialement Idans le poème de Horn. Ils connaissent et emploient l'un et l'autre a forme correcte ; mais la forme moderne est très commune, pro- bablement plus fréquente que l'autre dans Horn, et certainement la forme ordinaire dans les Légendes de Marie.

Citons rapidement les vers dans lesquels la diérèse subsiste encore dans ces deux poèmes.

Dans Horn, elle est assurée aux vers suivants : 418, 1084, 115 1, 1472, 1974, 2784 et peut-être dans un petit nombre d'autres cas. Comme on le voit, ces formes étymologiques doivent se rencon- trer encore assez fréquemment. Elles sont un peu moins communes dans les Légendes de Marie d'Adgar.

Citons quelques passages nous l'avons rencontrée : VI, 2, 263 ; XV, 18; XVIII, 51; XIX, 113. On pourrait allonger quelque peu cette liste ; mais il n'en resterait pas moins évident que ces formes sont fort disséminées dans les différents poèmes d'Adgar.

La synérèse a eu lieu très fréquemment dans ces deux auteurs ; nous penchons à croire que dans Horn elle a pris place dans un nombre de cas au moins égal à celui des formes qui restent étymo" logiques ; le mélange est certainement très curieux dans ce poème :

l'imparfait du subjonctif 673

les formes abrégées se trouvent auprès des autres, quelquefois même dans le même vers, comme au vers 966 :

Plust i\ Deu ke de niei, oust faite rapine.

Énumérons maintenant les vers les formes à synérèse sont employées : on en trouve aux vers 655, 1153, 364^, 3037, 2278 (O), 2789 (H), 4227, et dans plusieurs autres cas, quelques-uns étant assez douteux.

Dans les poèmes d'Adgar, les exemples sont encore plus nom- breux, et nous n'avons pour citer des exemples que l'embarras du choix; citons un petit nombre de vers montrant quelques imparfaits du subjonctif sous leur forme abrégée :

Kil eussent de sun serf merci ; I Eg., 46

Ke le dolent peust repairer ; I Eg., 49

Ke, si li pleust, le cunseillast ; IV, 63

Cument pust cist de coer legier ; VIII, 126

Cum dévorer le pust a tant ; IX, 62

Ne li chalut ki seust ses estres ; XXVIII, 10

D'icels a qui il eussent dit ; XXVIII, 90

Ke de ses mesfaiz eust pardon. XXVIII, 122

En outre, on peut voir des exemples de formes analogues aux passages suivants : I Eg., ^9; VII, 67 ; IX, 65 ; IX, 131 ; XV, 4; XXIX, 45, 46, 57, 58. Remarquons en outre que les cas de dié- rèse sont disséminés dans tous les morceaux, et nous ne nous rappe- lons pas en avoir trouvé deux dans la même légende ; au contraire, les autres formes se trouvent pour ainsi dire partout et sont répé- tées souvent à quelques vers d'intervalle.

On voit donc que les auteurs de ces deux ouvrages sont, mais à des degrés différents, en avance sur leurs contemporains ; chez eux le nombre des formes contractes égale ou dépasse celui des formes qui sont plus exactement étymologiques.

Ceci pourrait nous faire croire que, à partir du commencement du xiir' siècle, nous allons voir les imparfaits du subjonctif à diérèse devenir de plus en plus rares et tendre à disparaître. Il n'en est rien ; la forme contracte pendant de nombreuses années ne va mar- quer aucun progrès et l'état de choses que nous venons d'analyser va durer sans changement ou presque pendant tout le xiii' et peut-

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674 l'évolution du verbe en ANGLO-IRANÇAIS

être même pendant une partie du xiV^ siècle ; la forme moderne sera plus ou moins fréquente pendant cette période, suivant les auteurs bien plus que suivant la date de la composition ; mais elle ne déplace jamais complètement la forme présentant la diérèse. On ne peut pas tracer une courbe montrant la disparition de cette der- nière, et nous rencontrerons à toutes les époques du xiii' siècle et même pendant le siècle suivant des ouvrages aussi réguliers ou plus réguliers que les Légendes de Marie, comme le Saint Edmund (après 1225), les Evangiles des Dompnées (vers 1230), Sardenai, Aspremont, même le Siège de Carlaverok et le poème du Prince Noir.

Ceci dit, nous pouvons maintenant passer un peu dans le détail.

Diérèse et syuércse de Chardri h IViUiani de Waddington.

Pendant la première moitié du xiii^ siècle, on ne rencontre que peu d'écrivains qui ne connaissent que la forme régulière. Nous ne trouvons même que Frère Angier qui soit dans ce cas-là ; la Vie de Saint Grégoire est le dernier poème, d'une certaine longueur, en anglo-français, qui n'emploie que les formes à hiatus (cf. Miss Pope, p. 23).

Les autres montrent un mélange constant des deux formes ; cer- tains auteurs préfèrent évidemment les formes anciennes ; citons le poème d'Edward le Confesseur, le Saint Edmund, les Evangiles des Dompnées, le Saint Julien. Dans le premier de ces ouvrages, on trouve des exemples de diérèse aux vers 375, 1225, 3297 et ailleurs ; nous n'avons pu trouver qu'un tout petit nombre de synérèses :^//55^ (au vers 3813), nst (au vers 376) :

E dist : « Si ]o pusse jotr

E kil n'ust garde de Richard. »

Dans le Saint Edmund, les cas de diérèse sont des plus nombreux : ei'ist (aux vers. 378, 844, 1136); poftst {^ux vers 377, 3248); seiist (1697); eussent (1908); peiïssent (149); tandis que nous n'avons relevé qu'un tout petit nombre de synérèses : nst (aux vers 820, 2668) :

Ke n'ust tendrur e marrcnient

Ke cil ki ust le chief trové.

l'imparfait du subjon'Ctif 675

.^ Le nombre des contractions est presque insignifiant dans les Évangiles des Dompnées ; citons iist (au folio 70 v°) :

Tut n'ust il pas bien tet conu.

Nous allons insister un peu plus sur l'état de ces imparfoits du subjonctif dans les trois poèmes de Chardri ; nous avons dans cet auteur un nombre considérable d'exemples, qui peuvent iious per- mettre de nous laire une idée exacte de la façon dont l'auteur traite ces temps. Les cas de diérèse sont communs; on trouve par exemple pour avoir : ciisse, au vers 1064 des Set Dormans, et 1099 du Petit Plet ; de plus, nous avons une douzaine ou plus d'exemples de t'ïlst; pouvoir aux différentes personnes est employé sous cette forme une quinzaine de fois, savoir une dizaine, etc.

Mais de l'autre côté, les synérèses sont nombreuses, proportion- nellement beaucoup plus communes que dans les quatre poèmes que nous venons de citer; elles représentent environ les 40 °/o de l'ensemble ; ces exemples seraient donc trop nombreux pour que nous citions tous les vers ils se trouvent et nous nous conten- terons de quelques références : en trouve eust dans Josaphat (aux vers 18 12, 2768); aux vers 916 du Petit Plet; l'iisse:^ est extrême- ment commun dans ce dernier poème ; on peut le trouver aux vers 26e, 593, 594, 878, 1062; eussent se lit dans les Set Dormans (aux vers 943, 9^6, 11 64). De même pour pouvoir, peiisl se lit dans Josaphat aux vers 1787, 2739; dans les Set Dormans au vers 1244; dans le Petit Plet au vers 378 ; pusse- se rencontre souvent dans le Petit Plet (cf. vers 276, 278, 894, 1537, 16 u ; pussent au vers 2606 du Josaphat. Enfin savoir nous oftre aussi un certain nombre de cas analogues : seust (Josaphat, 819); iwwrç (Josaphat, 987, 9S9).

Voilà les cas principaux de contraction dans les trois poèmes de Chardri ; le nombre considérable, surtout étant donné la longueur modérée des trois poèmes de cet auteur, des exemples assurés de l'une et de l'autre forme nous permet de fiiire quelques remarques, qui, si elles n'ont pas une portée générale, sont au moins vraies pour Chardri. Les six personnes ne sont pas atteintes également par la synérèse, et des deux personnes le plus employées, la troisième personne du singulier est celle qui conserve le mieux la forme régulière; il y a une quarantaine de cas l'hiatus est maintenu contre une dizaine la synérèse s'est faite. La seconde personne

éyé l'évolution du verbe en anglo-français

du pluriel, qui est, avec la troisième personne du singulier, celle qu'on rencontre le plus souvent, montre un état de choses exacte- ment contraire ; nous n'avons que deux cas de diérèse contre dix- sept la synérèse s'est faite. Il est à peu près impossible d'y voir simplement l'effet du hasard et cela tendrait à nous montrer que c'est la deuxième personne du pluriel qui a le moins résisté à la tendance qui poussait les imparfaits du subjonctif à faire la contrac- tion, au moins dans Chardri.

Autant qu'on peut en juger, aux autres personnes le nombre des cas de diérèse est sensiblement égal aux cas contraires.

Nous ne nous arrêterons pas aussi longtemps sur la fin du xiir siècle, parce que les exemples que nous fournissent les diffé- rents poèmes ne sont pas assez assurés dans tous les cas pour nous permettre de tirer des conclusions bien sûres. Tout d'abord, il semble que dans les deux poèmes de Sardenai et d'Aspremont, la diérèse soit la règle et que les autres formes soient relativement assez rares ; il n'y en a aucune de bien assurée (cf. cependant, eust qui semble monosyllabique au vers 268 d'Aspremont), tandis que les formes à hiatus sont dans un certain nombre de cas indiscu- tables. On relève ei'ist au vers 267 d'Aspremont; sëiist au vers 266 de Sardenai ; peûst (aux vers 96, 186); seiist (aux vers 185, 249); eussent (aux \ ers 199, 297).

Dans le poème sur Saint Auban, les deux formes sont employées, mais celle qui conserve la voyelle muette en hiatus est quatre ou cinq fois plus employée que l'autre ; on trouve par exemple : eiisi (aux vers 347, 694, 701, 1621, 1346), eiïsseï (au vers 615), peiïst (aux vers 694, 701, 1342, 1541). Comme exemples de synérèses, on peut citer ussuin (au vers 1525), iisseiit (au vers 795), pitst (au vers 672) :

N'ussLim nul d'eus Hecchi pur un val d'or empli ; Légers, enters e sain cum ju ussent dormant ; K'aïe ne rescusse ne pust aver mcster.

On remarquera que les troisièmes personnes du singulier et les secondes du pluriel sont rares ou absentes sous cette forme sans muette, contrairement à ce que nous observions dans Chardri.

Dans le Sermon en vers Deu le Omnipotent, les cas de diérèse sont de même assez nombreux : eiisl {ij c, 79 e, 80 d); peiisl (57 d, 65 d), tandis que les exemples de contraction sont assez peu com- muns : ust (55 f); pust (67 a).

l'imparfait DU SUBJONCTIF 677

Il est par conséquent légitime de conclure que dans cette période, la synérèse n'a fait que très peu de progrès ; dans la plupart des poèmes que nous trouvons alors, la forme habituelle est celle qui présente l'hiatus ; ce n'est que dans quelques auteurs que le nombre des contractions approche de celui des diérèses.

Fin du XIII* et xiv* siècle.

La dernière période de la littérature anglo-française semble con- server assez exactement les habitudes de la période précédente ; il nous est toutefois difficile de préciser dans certains cas quelles sont celles des auteurs particuliers, l'irrégularité de la versification ne nous permettant pas toujours de reconnaître les formes de ces im- parfaits du subjonctif.

La diérèse subsiste; chez quelques auteurs, elle est la règle ; et ici encore les deux poèmes à versification régulière, le Siège de Carla- verok et le poème du Prince Noir, nous fournissent des indications précieuses. Dans ces deux ouvrages, nous trouvons une grande majorité de formes régulières. Le Siège de Carlaverok en a plusieurs, comme poiïst (aux vers 42^ 62); paissent (au vers 62), tandis qu'au- cune forme contractée n'est absolument sûre, sauf tist qu'on lit au vers 14. Dans le Prince Noir, nous lisons eûst (cf. les vers 449, 1790, 1985, 4187, 4188); pg/lf/ (1765, 1985); pl^i'st (2453).

Les formes monosyllabiques sont moins nombreuses : enst peut se lire aux vers 450, 46e, 2705; eussent au vers 2176; peitssent au vers 2042.

Les autres ouvrages de la même période nous présentent de temps en temps des cas de diérèse qui ne sont pas douteux : ei'ist au vers 3402, poiil an vers 125 de Dermod ; eiist aux vers 990, 1157, 2293, seûst au vers 988 du Manuel des Péchés ; poi'ist au vers 22 de la Vie de Sainte Madeleine ; pelisse et teiïsses aux vers 3 et 6 de la Bountédes Femmes de Nicole Bozon ; poiisl se lit deux fois dans la Vie de Saint Paul rp>niite de ce même auteur (aux vers 77 et 2.17) :

La se quisit ou poùst mcvndrc ; Dount il poûst cnscvcicr.

et seiïssent une fois dans la \\e de Saint Richard (contre cinq cas assurés de synérèse) :

Kar bcn sont se il le seùssent

678 l'évolution du verbe en anglo-français

et il en va de même pour les autres poèmes de la fin du xiii'^ et du xiv' siècle, quoique, en bien des cas, il ne soit pas possible d'affir- mer que l'on a une forme plutôt que l'autre.

Nous n'en avons cependant relevé aucun cas présentant un degré raisonnable de certitude dans la Chronique de Pierre de Langtoft.

Dans tous les poèmes que nous avons cités en dernier lieu et qui vont depuis Dermod ou le Manuel des Péchés (cire. 1260), les formes montrant que la synérèse s'est effectuée abondent. Nous n'en citerons qu'un tout petit nombre pris à peu près au hasard dans quelques-uns de ces poèmes.

Usse se trouve assez communément, comme dans le Manuel des Péchés (cf. les vers 2^75, 10119); au folio 64 des Heures de la Vierge, etc.; iist au folio 92 des Vies de Saints de Bozon ; iissuiii, ibid. (93 v°); usse~ se lit dans la Genèse Notre-Dame (au folio 57 v°) et dans William de Waddington (au vers 4651). Si nous passons au verbe pouvoir, nous trouvons piist très fréquem- ment dans le poème de Dermod (comme aux vers 69, 2734, 3037, 3316, 3318); au vers 78 de la Vie de Saint Paul l'Ermite. Pour savoir, citons snst dans le Manuel des Péchés (au vers 1202 et pnssiiii); s/issc^, au folio 59 de la Genèse Notre-Dame; et au vers 3891 de William de Waddington; sussent se trouve au vers 1341 de Dermod. Nous n'en citerons pas davantage. Les seules formes assez sûres que nous ayons dans la Chronique de Pierre de Langtoft sont des formes contractes (cf. I, 48, 25 ; II, 178, 18; II,

178,19).

On voit donc assez clairement quels ont été les progrès de la syné- rèse en anglo-français pour les imparfaits du subjonctif en /// de la première classe. Les premiers exemples remontent à ri6o, peut être plus tôt ; au commencement du xiii^ siècle, et même à la fin du siècle précédent, le nombre des formes à synérèse égale presque, dans certains auteurs, celui des formes montrant l'hiatus. Cependant, à la fin du xiv^ siècle, la proportion, dans quelques ouvrages, n'a pas changé ; elle est même parfois sensiblement en faveur des formes étymologiques. De plus, presque tous les écrivains nous offrent des exemples assurés de diérèse jusque dans les dernières années de ce siècle. La forme régulière a donc persisté d'une façon remarquable.

Ce sont les scribes qui ont supprimé le plus souvent la syllabe

l'imparfait du subjonctif 679

étymologique : pour eux. la voyelle muette semble avoir disparu, et s'ils écrivent c ou c' qui est étymologique, il n'est pas moins assuré que pour eux ce n'est qu'une graphie (exactement comme ///) du son //.

Dans les œuvres en prose de la langue diploiuatique, politique, etc., nous ne pouvons jamais savoir si la diérèse a eu lieu, mais il y a de nombreux cas de synérèse qui sont évidents, c'est lorsque l'élé- ment vocalique du radical est réduit à la voyelle // ; cela arrive assez fréquemment, par exemple dans pitst de Jean de Peckham (1280, 128) ; pluist (plaire) dans les Statutes (1369, I, 392), etc.

Deuxième et troisième classes.

Les exemples que nous fournissent les autres classes sont loin <l'être aussi nombreux et les renseignements qu'ils nous .donnent n'offrent pas le même degré de certitude que ceux de la première classe .

C'est pour cela que nous avons fait dans ce chapitre une distinc- tion entre les différentes classes, distinction qui n'avait pas d'autre raison d'être que de séparer les résultats assurés de ceux qui le sont moins ; car, il semble bien que les imparfaits du subjonctif dont nous nous occupons maintenant n'ont pas un sort différent de celui des verbes de la première classe.

Au xir' siècle, ce n'est que dans certains auteurs que la synérèse est faite; les formes avec hiatus sont celles qui dominent. On les trouve souvent dans les premiers poèmes, Cumpoz et Bestiaire ; dans Gaimar, nous relevons plusieurs formes correctes ; Adgar en a plusieurs : deilst (XVIII, 52); coneiist (XV, 17), et quelques autres. Il en est de même pour Thomas, pour Sœur Clémence de Barking qui écrit doilsses (vers 2354), deiissuDi (vers 1080), âoiissent (vers 2355); pour Fantosme qui nous donne les exemples suivants : esleiisl (aux vers 795, 1092); dei'ist (au vers 949); pour le Saint Gilles et le Sermun de Guischart de Beauliu qui ne montrent pas d'autre forme que les formes à diérèse, pour le poème de Horn, dans lequel les deux formes se rencontrent, mais les cas de dié- rèse sont toujours les plus communs (c'î. doilst, vers 3582; creiisf, 1341, 2893; coneiist, 4019, et quelques autres); nous relevons encore dans les Homélies deiist (au vers 73).

68o l'évolution du verbe en anglo-prançais

Nous n'avons certes pas épuisé la liste des cas de diérèse qui se rencontrent à cette époque ; on peut voir cependant, d'après les quelques exemples qui précèdent, qu'ils sont nombreux, que tous les ouvrages en présentent plusieurs, et que certains auteurs, même de la fin du siècle, Jordan Fantosme, Guillaume de Berneville, Guis- chart de Beauliu, ne connaissent pas d'autre forme.

Les synérèses se présentent toutefois de bonne heure, même si nous attribuons au scribe du manuscrit de Londres, comme on doit le faire, pensons-nous, le cas de synérèse qu'on trouve dans le Voyage de Saint Brandan, au vers 1702 :

Qui doust estre de nus hante,

il faut lire avec le manuscrit de l'Arsenal : Qu'estre doust.

Dans l'Estorie des Engleis, nous trouvons un assez grand nombre de cas douteux ' ; pour certains d'entre eux, la forme contracte pro- vient évidemment du scribe, comme au vers 5930, on lit :

Ke lom issi prendre le deust,

au lieu de la bonne leçon : K'om deûst. .

D'autres vers ne se prêtent pas aussi facilement à la correction ; citons par exemple levers 1855 :

Si dusse par dreit jugement, supprimer dreit ? ou le vers 5510 :

Si com un seir dust anuter,

lire : dut, prétérit.

Pour avoir des cas de synérèse dus à un auteur et qu'il n'est pas possible de révoquer en doute, il nous faut aller jusqu'à Adgar ^; dans

1. Nous n'avons pas la proportion exacte entre les formes à hiatus et les formes contractes dans l'Estorie des Engleis ; nous estimons que pour les imparfaits du subjonctif en ni, elle est approximativement égale à 8 sur i, le chiffre le plus fort représentant celui des diérèses.

2. Si nous cherchons à déterminer dans Agdar la proportion des formes à dié- rèse et des formes à svnérèse dans les Légendes de Marie, nous arrivons dans les mêmes conditions que précédemment au chiffre 6 contre 7, les synérèses étant plus nombreuses que les diérèses.

l'imparfait du subjonctif 68 1

les Légendes de Marie de cet auteur, nous relevons quelques cas assurés de synérèse, par exemple (VI, 28) :

Ne sufrir dust mal si grevos,

OU (XVII, 598) :

Li reis Nineveins mort receust.

Les cas de synérèse sont plus rares dans le Tristan de Thomas; et les imparfoits du subjonctif de II ou de III qui la présentent ne sont pas nombreux ; nous trouvons à citer le vers 2127 ' :

Cui Kaherdin dust femme amer.

Cette même forme se rencontre au vers 861 du poème d'Havelok;

Que lom le deust issi servir ;

mais cet exemple manifestement appartient au scribe qui a voulu rétablir le nombre de syllabes du vers que faussait la synérèse qu'il faisait à tort, en ajoutant /' devant hom.

Dans Horn, au contraire, les cas l'auteur lui-même a effectué la synérèse sont nombreux - ; comme diissitni, diissc::^ aux vers 2063, 2854 :

Si fust vostre pleisir, ne me dussez guerpir. Ke conoistre ne dussum pur lui honurer.

Citons encore conust qu'on trouve au vers 734 du Donnei des Amants.

Concluons donc que la synérèse existe bien au xii^ siècle, qu'elle remonte au plus tard à la seconde moitié de ce siècle, mais que, sauf quelques rares exceptions, c'est la forme à hiatus qui reste la forme usuelle.

Au xiii^ siècle, nous retrouvons pour ces imparfaits du subjonctif à peu près le même état de choses que pour ceux de la première classe. Certains auteurs semblent n'employer que les formes étymo-

1 . Le rapport des formes dissyllabiques aux formes monosyllabiques dans le Tristan de Thomas est de 35 sur 12, soit environ 3 pour i (chiffres de Rôttiger, corri-és sur le texte de M. Bédier ; il faut ajouter à la liste de Rôttiger le vers 529).

2. Dans les mêmes conditions que précédemment, le rapport de ces lormes dans le poème de Morn est environ 6 pour 7.

682 l'hvoi.ution du vf.rre en anglo-français

logiques, par exemple Frère Angier, Robert de Gretham, Denys Piramus, l'auteur du Saint Julien. Nous disons semblent, car les exemples que nous avons trouvés ne sont pas à beaucoup près aussi communs que ceux que nous pouvions citer tout à l'heure. Voici cependant quelques-uns de ces exemples qui nous permettent de supposer que ces différents auteurs ne connaissent que les formes régulières. Nous en avons un certain nombre dans la Vie de Saint Grégoire : creûssent (au vers 510) ; receûssent (au vers 2035) et deccusent (au vers 2524) ; Icilssent (au vers 2527) ; esteiist (au vers 307) ; dciissoiis (au vers 896). Ce sont tous les exemples que nous avons rencontrés dans ce poème; il y en a à peu près autant dans les Dialogues et tous sont aussi réguliers que ceux que nous venons d'énumérer. Dans Edward le Confesseur, nous rele- vons défissent (au vers 4393); ce verbe se rencontre encore aux folios 44 v°, 102 de Robert de Gretham, aux folios 68 r°, 69 r°, 74 du Saint Julien.

Ces exemples, quoiqu'on puisse peut-être les juger un peu trop rares, et Tabsence de formes contractes semblent nous donner le droit de dire que les auteurs de ces cinq poèmes ne connaissaient que la forme régulière.

Il n'en va pas exactement de même pour tous les autres écrivains du commencement du xiii^ siècle ; les synérèses sont assez fréquentes dans les autres ouvrages de cette période, et on ne trouve plus après le Saint Julien de poème dune certaine longueur employant exclusi- vement les imparfaits du subjonctif présentant l'hiatus. Les exemples qui le montrent ne sont cependant pas très rares après le Saint Julien. Le Saint Thomas a geilst (au vers 2524); The Song of the Church, dut (lire deiist^ (au vers 1264).

Dans le Saint Auban, nous ne trouvons qu'un tout petit nombre de diérèses et on peut se rappeler que pour les verbes de la pre- mière classe, le nombre d'hiatus était considérable et fortement en excès sur celui des synérèses. Citons ici geiissent (au vers 1543) :

Cum si il geùssent tuz vifs, enters, seins e gari.

Ce qui est douteux, car oii pourrait en faire un vers de douze syllabes en élidant 1'/ de si, et en faisant la synérèse.

On trouve encore deiist deux fois dans le Sermon en vers Deu le

l'imparfait du subjonctif 683

Omnipotent (14 c, 64 d), et un exemple unique, croyons-nous, dans William de Waddington (vers 4336).

On trouve encore quelques diérèses au siècle suivant, dans le Prince Noir d'abord, car il n'est pas moins régulier ici qu'avec les verbes de la première classe (cf. vers 2818, 2930), même dans d'autres ouvrages, comme dans la Vie de Sainte Marguerite : deiist (367). Nous n'en avons pas relevé une qui fût sûre dans toutes les œuvres en vers de Nicole Bozon (les synérèses y sont nom- breuses).

Ainsi les exemples assurés de diérèse deviennent de plus en plus

rares.

Nous n'aurons pas citer un grand nombre de formes contractes pour prouver qu'elles sont en majorité. D'abord chez Chardri et dans la Plainte d'Amour nous n'avons relevé pour les verbes de ces classes que des exemples de synérèse et ils sont assez nombreux: deust se trouve par exemple au vers 2772 de Josaphat, au vers 800 du Petit Plet : dusse^ est extrêmement fréquent ; dans Josaphat on trouve cette forme au moins quatre fois (au vers 1339, 2160, 2162, 2164); deux fois ou plus dans les Set Dormans (au vers 317, 695); plus de quatre fois dans le Petit Plet (aux vers 660, 695, 931, 1670) ; on la retrouve encore aux vers 50, 409 de la Plainte d'Amour. Dussent est employé au vers 674, 795 du Petit Plet et 143 de la Plainte d'Amour; recciisse au vers 386 du Petit Plet,

etc

Il y a plusieurs exemples assurés de synérèse dans le Saint Auban ; ^eussent et eslcust cités par M. Suchier ; denst (558, 1264) ; deusses (551, 962)- .

Dans le Manuel des Péchés de William de Waddington enfin elles sont très communes (cf. vers 1095, I390-

Au xiv^ siècle, tous les auteurs en offrent des exemples, même le Prince Noir qui a deiist (aux vers 2819, 2955). On en trouve encore dans Pierre de Langtoft (I, 68, 21, exemple assez sûr), et

1 . Dans Chardri, en tenant compte de toutes les classes, le rapport des formes correctes aux formes à synérèse est égal à environ 5/2 ,

2. M. Suchier cite un cas de diérèse irrégulière dans le Saint Auban : /<'«.w^, vers 962.

8^4 l'évolution du verbe en anglo-français

dans Nicole Bozon, Bounté des Femmes (vers 14), et Vies de Saints, etc. \

Comme le montrent ces quelques exemples, l'hiatus a le plus sou- vent disparu de l'imparfait du subjonctif correspondant à la seconde et à la troisième classe des prétérits en ni.

S'il existe donc une différence entre les verbes de la première classe et ceux qui appartiennent aux autres classes, ce serait que ces derniers présentent au xiii^ siècle plus de synérèses que les autres, c'est-à-dire que, une fois atteints, ils ont moins bien résisté que ceux de la première classe.

La langue légale nous donne une autre preuve, s'il en est besoin, que la forme avec synérèse était la forme ordinaire à la fin du xiii^ siècle. Nous trouvons très fréquemment la graphie /// au lieu de u ; il est évident que dans une forme comme duist le souvenir même et toute trace de l'hiatus se sont perdus.

5. Imparfaits du subjonctif correspondant aux prétérits en i.

Nous retrouvons ici quelques-unes des questions que nous avons déjà traitées à propos des prétérits de ces verbes. Ils présentent à toutes les personnes l'allongement syllabique que nous avons remarqué à trois personnes du prétérit, et le verbe voir seul nous obligera à traiter encore une fois la question de l'hiatus et de la synérèse.

a) La consonne intervocalique.

La consonne vocalique est toujours conservée dans le cas de tenir et de venir, toujours absente pour voir. Cependant ce dernier verbe dans certains exemples que nous rencontrons au commence- ment du xii® siècle nous montre à ce temps mais très rarement la dentale intervocalique, comme dans vedisse que nous lisons dans la Vie de Saint Alexis, manuscrit L (92, i).

Les deux autres verbes ne nous offrent qu'une seule irrégularité à ce point de vue: le radical du verbe montre souvent une mouil-

I. La Vie de Saint Richard nous offre un grand nombre d'exemples des syné- rèses {d. 33, 565, 1304, 1354).

Len dust penser la curteisie ; E de ceo ke dussent aprendre ; Kavant ceo ke dusse mûrir ; Sa beneicun ou tut récusent.

l'imparfait du subjonctif 685

lure irrégLilière . Nous n'en avons aucun cas bien assuré pour le xiv^ siècle dans les œuvres littéraires; mais dans les textes poli- tiques, diplomatiques, l'imparfait du subjonctif avec une » mouillée n'est pas du tout rare. Le premier cas que nous ayons relevé se trouve dans les premières années du xiv^ siècle et peut se lire dans les Parliamentary Writs : aveigHisse (1^14, I, 117). L'exemple le plus ancien des Rymer's Foedera est à peine plus récent, on le trouve en eftet à l'année 1318 (III, 697). Après cette date, les formes avec n mouillée pour venir et tenir sont assez communes, surtout dans les Year Books, qui n'en emploient guère d'autres.

^) L'hiatus.

Après la chute de la dentale intervocalique, il y a eu pour chaque personne de l'imparfait du subjonctif de voir hiatus entre le thème et la désinence. Nous allons étudier maintenant de quelle façon, et à quelle époque l'anglo-français a réduit cet hiatus.

L'hiatus a subsisté quelque temps, puis la svnérèse s'est faite et la voyelle du thème a disparu devant celle de la désinence.

La diérèse est de règle au xu^ siècle, et on la trouve conserv-ée chez tous les auteurs depuis Philippe de Thaûn jusqu'à Guischart de Beauliu. Un seul auteur montre un certain nombre de cas la synérèse s'est produite : Jordan Fantosme ; nous trouvons dans cet auteur quelques cas de diérèse, par exemple aux vers 661, 897, 922, 1047, iioo, 1212, 1813.

Mais il est hors de doute que les synèrèses sont relativement fréquentes; on en trouve au vers 1450, 876, 1204, 1290, 1763. Voici ces vers :

Mes s'il veist sud seignur a qui l'onur apent. Le jor veissiez burgeis, bien vaillant chevalier. Dune veissiez targes prendre e ces escuz buclez. Dune veissiez ces marchans e venir e aler. Dune veissiez chevaliers vistement cuntcnir.

Mais Fantosme est une exception au xii*" siècle et même chez lui on voit que la diérèse est la règle et la synérèse l'exception. C'est ce qui a encore lieu au siècle suivant ; l'hiatus subsiste le plus sou- vent : voici quelques références tirées des auteurs en vers de ce

686 l'évolution du verbe en anglo-i-kançais

siècle qui pourront donner une idée du nombre de cas la diérèse se rencontre ; nous ne répéterons pas pour ciiaque exemple la forme de voir à laquelle il correspond.

La diérèse est fréquente chez Frère Angier ; on peut en trouver des exemples dans la Vie de Saint Grégoire (aux vers 751, 2058) ; dans les Dialogues (17 a) (voïsseO; dans Robert de Gretham (au folio 61 r°) ; dans le Josaphat de Chardri (236 et passim, en tout une dizaine de fois) ; dans les Set Dormans (comme aux vers 149, 103 5, etc.) et au vers 9 14 du Petit Plet. Citons encore, à quelque distance de Chardri, le poème d'Aspremont qui nous en montre un cas au vers 117 et le Saint Auban qui en a au moins deux d'assu- rés (au vers 482, 1529).

Dans les poèmes du xiv^ siècle qui nous permettent de juger du nombre de syllabes des formes du verbe, nous rencontrons toujours des imparfaits du subjonctif nous montrant la diérèse, comme dans le Siège de Carlaverok (cf. 62) ou dans le Prince Noir (cf. 309, 590, 620, 985, 1329, 3259).

Tous ces exemples nous laissent à penser que la synérèse ne doit pas offrir des exemples bien nombreux. Nous en voyons une dans le Saint Auban, au vers 695, veisse^.

Foille veisez blanchir, le chaut tendrun usler.

Le poème de Dermod peut aussi nous en donner un autre cas:

V ccDt veisez le jor plunger

Et un autre dans le Prince Noir:

Atant veissez venir poignant :

Miss M. K. Pope substitue, sans bonne raison, à veissez, vez vous.

Quoi qu'on puisse penser des exemples que nous venons de donner, il reste assuré que les formes à diérèse pour l'imparfait du subjonctif de voir sont communes au xiii'^ et au xiv^ siècle ; que les synérèses sont relativement rares, lorsqu'elles existent.

l'imparfait du subjonctif 687

6. Imparfaits du subjonctif en si. Nous traiterons les mêmes questions que précédemment.

a) Consonne intervocalique.

Pour cette question nous ne pouvons que nous en tenir aux grapiiies, car ni la rime, ni, dans un grand nombre de cas, le nombre des syllabes ne peut nous venir en aide.

Or les graphies, pour cette question spécialement, sont extrême- ment variables : 1'^ intervocalique apparaît ou disparait sans raison apparente. Prenons tout d'abord le verbe faire ; dans certains ouvrages les formes avec s sont la règle pour ce verbe ; citons par exemple le Cumpoz, le Psautier d'Oxford, Guischart de Beauliu.

D'autres ouvrages comme le Psautier de Cambridge, le Psautier d'Arundel, les Légendes de Marie, la suppriment régulièrement ; mais dans la grande majorité des ouvrages les deux formes se trouvent employées concurremment dans des proportions infiniment variables .

Nous pouvons remarquer toutefois qu'au xiir siècle les formes avec s diminuent de plus en plus ; au commencement du siècle elles se trouvent dans un certain nombre d'auteurs ; citons par exemple dans les Dialogues Saint Grégoire: feisissent (roév° b), desconfisist (26 a); dans Robert de GrQX.\\3.m : fesi s se (84 v''), fesist'(8î r"). Après ce dernier auteur 1'^ devient très rare ; on la rencontre encore sporadiquement, même au xiv" siècle Çfcsist dans le Prince Noir, 733, 647, 1861) et jusque dans les ouvrages non littéraires de cette époque (par exemple dans Rymer faisist, 1347, V, 652 ; 1367, VI, 561) et quelques autres. Même les Year Books les plus récents emploient cette forme : fesist (12 et 13 Edw. m, 193). L'on peut dire toutefois, en ne tenant compte que des graphies, que les formes sans s sont de beaucoup les plus com- munes, depuis 1200 environ, même plus tôt, et que les autres deviennent assez rares après cette date.

Les autre.s verbes en si ne présentent pas exactement le même état de choses; on peut dire que pour eux IV persiste plus constam- ment et plus longtemps que pour faire. Pendant tout le xiir siècle.

688 l'évolution du verbe en anglo-i-rançais

remploi de \'s est la règle, tandis que son omission n'est que l'ex- ception. Le plus grand nombre des auteurs de cette période emploient presque toujours la consonne intervocalique et voici les seuls cas que nous ayons trouvés d'où Vs est absente. Dans le Bran- dan, nous avons un exemple au scribe (1167), plutôt qu'à l'auteur: c'est /)rm/ (au vers ii-^); dans l'Estorie des Engleis, nous relevons preïssent (au vers 2261), nieïst (au vers 2406); preïst (au vers 5922); deïst, entre autres, est employé par Adgar (i Eg. 118); //av.w par Thomas (au vers 2900); ;f//;mi se lit dans les Quatre Livres des Rois (II, 3, 9); queïsse au vers 2517 du Saint Gilles.

Au xiii'^ siècle évidemment, nous trouvons en nombre plus con- sidérable les formes l'hiatus apparaît. Dans Angier, on voit que r^ de dire a disparu, et elle ne reparaît plus que rarement ; par exemple, comme formes sans s, on peut citer deïst dans les Dia- logues (68 b); dans le Josaphat (949) ; dans le Petit Plet (797) 1735); dans le Saint Edmund(i9i9); dans le Saint Auban(i825), etc.

Il en est à peu près de même pour prendre. On trouve de nom- breux exemples d'imparfaits du subjonctif de ce verbe sans s dans Chardri (Josaphat, 142, 242; Petit Plet, 219); on pourrait encore en tirer du Roman des Romans, de William de Waddington, de Pierre de Langtoft. C'est aussi à partir de Chardri que mettre suit la même voie.

Mais les formes étymologiques de l'imparfait du subjonctif de ces verbes (mettre, prendre et dire) restent sensiblement plus nombreuses que les formes correspondantes de faire.

Pour les autres verbes de cette classe présentant une s intervoca- lique à l'imparfait du subjonctif, on trouve pendant tout le xiii^ siècle, et pour ainsi dire dans chaque auteur de ce siècle, des formes cette s est conservée. Cela arrive surtout évidemment dans les premières années de ce siècle, comme dans le Frère Angier, elles sont spécialement fréquentes : tramisist (Vie de Saint Grégoire, 2084 ; Dialogues, 130 a); remasist (Dialogues, 75 b) ; qiiisissent (ibid., 76 b). Nous en relevons de même de nombreux exemples dans les poèmes de cette époque ou même postérieurs. Citons ireiùst, au vers 1826 du Saint Edmund ; occesist, occisisse, dans Robert de Gretham (84 r°, 84 v°) ; disist dans le même auteur (80 v'') ; dcspeisist (ibid., 61 r'') ; prcsist

IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 689

au vers 886 du Roman des Romans, etc. Et ces formes durent jusqu'au xiv^ siècle, comme le tramesist du Prince Noir (vers 1464); mais, à cette époque, elles ne sont, comme nous le disions tout à l'heure, que des cas plus ou moins isolés qui dénotent simplement un certain goût de l'auteur ou du scribe pour les formes vieillies. Pour tous ces verbes, les deux formes se rencontrent dans la langue politique, diplomatique, familière et légale ; mais les formes sans s sont les plus communes dans les meilleurs recueils.

h) La voyelle du radical.

I. Dissimilation vocalique. Nous n'insisterons guère sur cette question et nous nous contenterons de citer quelques formes peu régulières :

La dissimilation vocalique, dans les verbes ayant i dans le thème, ne se fait pas toujours très régulièrement ; voici quelques cas on trouve la voyelle du radical irrégulièrement conservée.

Au commencement du xiii*^ siècle, les / irréguliers sont assez communs ; nous en trouvons plusieurs exemples dans Robert de Gretham, comme disist (au folio 80 des Evangiles des Dompnées et passini)y cscrisist dans les Dialogues Saint Grégoire (au folio 147 b) ; occisisse se lit encore dans les Evangiles des Dompnées (84 v°). Les trois verbes que nous venons de citer sont relativement com- muns sous cette forme ; d'autres imparfaits du subjonctif nous ont semblé plus exceptionnels, comme (transynisist et quisissent qui se trouvent tous les deux dans les poèmes de Frère Angier (respecti- vement. Vie de Saint Grégoire, vers 2084 et Dialogues, 76 b).

Au lieu de / ou de f, on a parfois ei ; c'est la forme sous laquelle apparaît le plus souvent l'imparfait du subjonctif de dcspirre : des- peisîst se trouve dans les Dialogues Saint Grégoire (82 b et 43 a) ; dans les Évangiles de Robert de Gretham (61 r°). Nous pouvons répéter ici quelques-uns des exemples que nous avons déjà donnés et qui montrent la diphtongue ei au radical., par exemple : feisissent dans les Dialogues Saint Grégoire (106 a) ; feisist dans Rymer (1367, VI, 561), et de plus /raV/j/ dans ce der- nier recueil (1324, IV, 90), etc.

Quelquefois la diphtongue ai apparaît : faisist que nous avons

44

690 l'évolution du verbe en anglo-français

dans Rymer 1348, V, 652 ; praisics, Year Books i et 2 Edw. II, 24, etc.

Ces deux diphtongues se rencontrent après la chute de Vs ; faisse se lit dans Jean de Peckham (1307, 80), dans les Literae Cantua- rienses (1359, S$4); faist dans les Parliamentary Writs (1301, I, 132), dans Rymer (1321, III, 890); dcissent dans les Year Books 20 et 21 Edw. I" (61, etc.).

Diérèse et synérèse.

Nous nous occuperons d'abord du verbe faire, pour lequel nous avons, comme nous venons de le montrer, des exemples plus anciens de la chute de \'s intervocalique et par conséquent de l'hia- tus.

Faire. Au xii^ siècle la diérèse est très régulièrement conservée : nous n'avons relevé qu'un seul cas très douteux de synérèse dans Horn (ms. H) au vers 1605 : fassent :

Kar Horn ot défendu quil ne feissent noisée.

(C et O donnent faceiit.')

Au xiii'' siècle, pour ce verbe, comme pour toutes les autres formes présentant étymologiquement un hiatus, nous trouvons un nombre assez considérable de synérèses, mais la synérèse restera l'exception. La diérèse est la règle dans Angier (128 a, 106 b), dans Chardri (Josaphat, 2442,2666, 139; Set Dormans, 389, 585; dans le Petit Plet, 301); dans Robert de Gretham (aux folios 81 r°, 84 v°); dans le Roman des Romans (vers 755); on en trouve des exemples jusque dans William de Waddington (3185).

D'un autre côté nous avons relevé dans la plupart des auteurs que nous venons de citer et à partir de Chardri un certain nombre de formes contractes. On trouve dans les différents poèmes de ce dernier des exemples qui montrent d'une façon indubitable que la synérèse s'est effectuée ; voici les vers qui montrent la réduction de l'hiatus. Au vers 723 de Josaphat :

Kel ne feist sage sanz targer.

vers faux, du reste.

IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 69!

Au vers 1758 des Set Dormans :

Cumcnt lurfeist greinnur honur.

Dans Josaphat, vers 2602 :

Ke Barachie feissent seinnur. Au vers 554 du même poème on trouve :

Kil se feissent tost aprestcr. Enfin au vers 2601, toujours dans Josaphat :

Tant feissent pur la sue amur .

Les vers 723 et 554 de Josaphat sont douteux; le premier, de toute façon, est un vers faux ; l'autre nous laisse dans le doute, car nous ne pouvons pas savoir laquelle des deux syllabes muettes ne doit pas compter, Ve en hiatus de/<;'/ ou la terminaison à l'hémis- tiche eut de ce verbe. Mais les autres vers suffisent pour montrer que Chardri fait à l'occasion la synérèse.

Saint Edmund en présente aussi un exemple au vers 1941 côté duquel on peut citer plusieurs cas de diérèse, par exemple le vers 1667) :

Ke de li .feist le neis voler.

Le même phénomène se retrouve dans Aspremont ; on trouve dans deux vers consécutifs un cas de diérèse (vers 132) et un cas de synérèse (vers 133) :

Suz ciel u'at beste plus feïst a preisier. Nen nule tere plus feist a cuveitier.

Le nombre des synérèses est encore inférieur à celui des diérèses dans Edward le Confesseur et dans le Chevalier : dans le premier de ces poèmes on trouve au moins trois fois fcïsl (vers 283, 909, 1258), contre un cas la synérèse s'est effectuée (vers

723):

Ki as Daneis en feist présent.

Saint Auban lui-même semble toujours faire la diérèse (cf. vers

692 l'évolution du verbe en anglo-français

1569, 1745). Dermod a un nombre à peu près égal des deux formes ; la diérèse subsiste, autant qu'on peut en juger, dans les vers 332, 2731, 3404 ; les vers suivants sont au contraire des cas de synèrèse (vers 306, 1363):

Si H feist honorablement. Se feisent tost aparailer.

Même au xiv^ siècle nous lisons dans Pierre de Langtoft et dans le Prince Noir des vers qui nous montrent que la diérèse subsiste encore ; on a feïsses dans Pierre de Langtoft (II, 88, i ; I, 246, 9) :

Si vus tant feïsses, grant joye en averay. Si le ray Philipe(s) i feist demoraunce .

Mais dans tous les autres, et ils sont nombreux, l'hiatus a dis- paru, semble-t-il.

Dans le Prince Noir au contraire, nous trouvons les formes à diérèse aux vers 646, 731, 1869, 3773, tandis que nous ne sommes sûrs d'aucun cas contraire.

Les quelques exemples que nous avons cités nous permettent d'arriver à une conclusion assez précise . Les auteurs anglo-français ont connu la synèrèse à l'imparfait du subjonctif de faire et ils ont employé les formes contractes, tantôt pour les besoins du vers, tantôt parce que cette forme leur semblait plus usuelle. Mais cette nouvelle forme n'a jamais réussi à déplacer complètement l'autre ; plusieurs auteurs, même à une époque tardive de la littérature anglo-française, emploient encore uniquement la forme étymolo- gique, tous la connaissent.

On peut, en négligeant l'exemple de Horn qui est isolé et pro- vient du scribe de H (fin du xiii'' siècle), considérer que la synèrèse a commencé à se faire avec Chardri (1220).

Autres verbes. Puisque, comme nous venons de le dire, Vs est conservée le plus souvent au xii^ siècle pour les autres verbes, les cas d'hiatus ne sont pas très fréquents et par conséquent la synè- rèse, s'il en existe des exemples, ne peut être que rare. De toutes les formes que nous avons rencontrées il ne s'en trouve qu'une en effet la synèrèse se soit effectuée ; elle se trouve chez Gaimar, preist au vers 5922 :

Sanz contre dit Angevins preist.

IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 693

Ces cas de synérèse sont un peu plus nombreux au commence- ment du xiii^ siècle ; nous en trouvons un dans les Dialogues Saint Grégoire : Jcisse (125 b) ; dans Chardri il y en a quelques-uns d'as- surés: meist au vers 768 de Josaphat:

U la père meist la mcstrie ;

mesdeissent dans le Petit Plet (au vers 847) :

Car s'il ne mesdeissent de tei. et probablement au vers 142 du Petit Plet:

Si jeo preisse le secle trop a fes.

Ici la synérèse peut n'être qu'apparente, le <' trop » et le « jeo » peuvent provenir du copiste. L'exemple de dcist qu'on trouve au vers 1208 du Saint Edmund est douteux aussi.

E ke ceo dei(s)t qu'ele nel salue.

Lire : E ke ceo dist qu'ele ne le salue ?

Le Saint Auban, au vers 1825, a dcise, s'est faite la sjmérèse :

Ne i deise fauseté pur tut l'or Costentin.

Lire : n'i ; quant à fauseté, il compte pour trois syllabes (cf. vers 279, 361, 562, 598, 1002).

Enfin la synérèse se fait dans les Chansons (VI, 93) et très régu- lièrement dans William de Waddington : entreiiu'isst'i {1S02), dcist (^lOi^G'), deisse:^ (3186), preisse\ (3890) et plusieurs autres encore.

Il en va exactement de même pour les différents auteurs du xiv^ siècle ; de loin en loin, nous rencontrons un cas de diérèse qui semble assez sûr, comme dans la Vie de Saint Paul de Nicole Bozon (185):

Si jeo meyscavaunt la meyn.

Mais de telles formes n'ont rien de régulier et la plupart des auteurs semblent faire toujours la synérèse.

Pour ces imparfaits du subjonctif, la synérèse a donc commencé

694 l'évolution du verbe en anglo-prançais

à sefiiire dans la seconde moitié du xii^ siècle, quoique les exemples de cette date restent assez douteux ; au commencement du xiii% leur nombre augmente et ils sont plus assurés; vers 1275 et pendant le siècle suivant, les cas d'hiatus deviennent très rares.

Extension des formes en si à Viinparfail du subjonctif.

(Cf. les ouvrages et articles cités p. 655).

Nous avons vu qu'au prétérit, tant que l'allongement syllabique s'est fait sentir, les personnes imparisyllabiques des prétérits en si ont attiré un certain nombre de prétérits et leur ont justement donné leur forme imparisyllabique. Les verbes que nous avons alors cités comme subissant cette attraction sont déguerpir, établir et guarir.

Le même phénomène se produit à l'imparfait du subjonctif mais d'une fcKon beaucoup plus étendue. En effet 1'^ qui pour le prété- rit devient relativement rare après 11 60, se maintient beaucoup ■mieux dans les imparfaits du subjonctif ; au lieu de n'appartenir qu'à trois personnes, comme au prétérit, elle se trouve aux six per- sonnes; c'est pour cette raison même d'abord que Vs a mieux résisté au temps qui nous occupe, et aussi que les acquisitions que ce temps a faites sont plus nombreuses et s'étendent sur un nombre d'années beaucoup plus considérable.

Si nous examinons isolément les acquisitions que l'imparfait du subjonctif en si a faites au xii^ siècle, acquisitions assez peu nom- breuses, nous verrons que ce sont surtout les verbes de la deuxième conjugaison inchoative qui sont atteints ; on trouve en effet pen- dant ce siècle : perisist dans les Psautiers d'Oxford et de Cambridge (3, 12); Adgar(XL, 52) ; saisis ist, Quatre Livres des Rois (IV, 8, 6); ce dernier n'est probablement qu'une erreur cléricale. Nous pouvons citer des exemples plus convaincants : giiaresist, Quatre Livres des Rois (II, 2, 22; IV, 5, 6); tapesist, Quatre Livres des Rois (I, 19, 2); sufrisist àa.ns Haveloc (105 1).

Le perdisist qu'on lit au vers 5941 de Gaimar n'est donné que par le ms. Royal, et nous avons vu (imparfaits du subjonctif en ui, première classe) qu'il valait mieux adopter la leçon donnée par D, L et H qui portent perdist .

Cette forme en isist doit donc être attribuée au scribe du ms. Royal, ce qui la remet au commencement du xiii' siècle.

IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 695

Par conséquent tous les exemples qu'on trouve au xii* siècle de l'extension des formes en si à l'imparfait du subjonctif montrent que ce sont des inchoatifs de la seconde conjugaison qui adoptent cette forme.

Il n'en est pas de même pendant les deux siècles suivants ; cepen- dant on pourra remarquer dans la liste des verbes qui suit que la plupart ont un prétérit en ivi ou en / ; nous ne trouvons (sauf l'exception que nous signalerons plus tard) aucun verbe de I, très peu de verbes ayant régulièrernent un prétérit en ui.

Les deux verbes qui montrent le plus grand nombre d'exemples de formes analogiques sont les verbes venir et tenir; on peut même dire que pendant la fin du xiii" siècle et le xiv% la forme en si est la forme régulière de l'imparfait du subjonctif de ces deux verbes.

Nous trouvons par exemple vensist dans Robert de Gretham (au folio 74 v°), au vers 1 141 de la Vie de Saint Grégoire, dans Boeve de Haumtone (au vers 942), ou encore avec e avant la désinence sisî, vencsist au § 79 des Contes de Bozon ; au folio 46 de Nicolas Trivet.

Dans l'anglo-français non littéraire, les exemples sont assez communs; citons ceux qu'on trouve dans les Statutes (1321,!, 183) et dans lesYearBooks 13 et 14 Edw. III (p. 309).

Il en va évidemment de même pour le verbe tenir, et les impar- faits du subjonctif en si pour ce verbe abondent au xiii' siècle. Tensist se rencontre dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1216), dans les Dialogues (au folio 45 a), etc. et en dehors de la litté- rature, dans les Statutes, dans Rymer, les YearBooks. Les exemples sont trop communs pour qu'il soit nécessaire que nous en donnions une liste.

Ces deux verbes sont les deux seuls verbes ayant un prétérit en i qui prennent avec une très grande régularité la forme en si à ce temps.

Les verbes qui ont un prétérit en ivi n'apparaissent que sporadi- quement sous cette forme à l'imparfait du subjonctif; certaines formes se trouvent répétées dans difi'érents auteurs, quelques-unes semblent n'avoir été employées que par un seul écrivain. Nous allons en donner rapidement la liste, et nous suivrons l'ordre chronologique ; nous retrouverons évidemment quelques-unes des formes que nous avons déjà rencontrées au siècle précédent.

696 l'évolution du verbe en anglo-français

Dans les Evangiles des Dompnées, l'imparfait du subjonctif nas- quesist qui peut se lire au folio 8 est assurée par la mesure du vers ; il en est de même de deux autres formes, dont l'une a déjà été citée : giiairsist qu'on lit au folio 18 et peresist de périr, employée au folio 73 r°.

Un autre auteur, de la fin du xiii^siècle, William de Waddington, nous offre plusieurs exemples analogues dans son Manuel des Péchés ; citons oversist d'ouvrir (au vers 5069); ojfresist (au vers 7578); siijjresist (au vers 9657). Ce dernier verbe se rencontre encore assez communément, surtout en dehors des ouvrages litté- raires, comme dans les Mem. Pari. 1305 (cf. § 5) ; dans les Histo- rié and Municipal Documents of Ireland (1292, 212) et passim. Vesquisisî ne semble pas rare ; nous l'avons rencontré dans les Distiques de Caton d'Everart de Kirkham {l'csqitisissent, 8 c), dans Wil. Rishanger (page 276), dans les Statutes k la date de 1311

a 159).

Perdre fait perdisist qui est assuré par la mesure du vers dans Pierre de Langtoft (II, 226, 8 ; II, 424, 16) ; on en trouve un autre exemple dans les Contes de Nicole Bozon 112). Ce der- nier ouvrage nous donne encore (aux § 133 et 82), enlendesist et vendesist.

Ajoutons enfin partesisi employé dans Wil. Rishanger (page 317) ; rendisist qu'on trouve dans les Mem. Pari. 1305 33).

Voilà donc les verbes que nous avons relevés : six verbes de la seconde conjugaison : guérir, partir, périr, offrir, ouvrir, souftrir ; six de la quatrième : entendre, naître, perdre, rendre, vendre, vivre.

Les prétérits en ni vont nous fournir un nombre assez considé- rable de formes de ce genre. Citons d'abord les deux acquisitions les plus importantes, les deux verbes vouloir et valoir. Inutile ici de citer des exemples ; l'imparfait du subjonctif de ces deux verbes a toujours la forme en si.

Un autre verbe ayant un prétérit en /// se trouve presque aussi communément employé sous cette forme : c'est le verbe mourir. Nous ne nous rappelons pas avoir jamais rencontré pour ce verbe un imparfiiit du subjonctif en ///, mais il a quelquefois la forme en i. (Cf. Prétérit, p. 595)-

L'imparfait du subjonctif avec s est très commun ; les premiers

IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 697

exemples remontent assez haut ; nous croyons qu'il ne s'en trouve pas avant le Chevalier, la Dame et le Clerc qui nous donne (au vers 336) morsist;on trouve par la suite niorsissent dans Wil. Rishanger (page 276) ; dans les œuvres non littéraires cette forme est très commune ; citons nwrsissmt dans les Mem. Pari. 1305

193).

Ce même verbe présente aussi souvent une forme légèrement

différente avec e, comme moresist qui se lit dans Wil. Rishanger (page 27e), et dans Pierre de Langtoft (II, 344, 16). La voyelle / remplace quelquefois la muette : morisist se trouve encore dans Wil. Rishanger (page 295) (cf. vensist, tensist ; venesist, tenesist).

Ces trois verbes sont les principaux exemples que nous avons à citer. On pourrait en trouver quelques autres, surtout dans les deux poèmes de Frère Angier qui en offre à lui seul autant que tout le reste des œuvres littéraires prises ensemble, mais aucun n'est aussi régulier que vouloir, valoir et mourir. Dans l'auteur que nous venons de nommer, on peut en outre remarquer un petit nombre de verbes de I empruntant aux verbes ayant un prétérit en si la forme de leur imparfait du subjonctif. Mais nous ne pouvons pas considérer comme anglo-françaises des formes comme /mw^jm/ (31 a) ou geilsist Cm r" b). (Pour la liste complète de ces formes dans Angier, voir Miss Pope, page 43 et Timothy Cloran, page éo). Nous ne trouvons, en dehors des œuvres de Frère Angier, qu'un seul verbe de I prenant à ce temps cette forme : c'est le verbe bail- ler, et on ne le trouve qu'en dehors de la littérature.

Voici donc tous les exemples que nous offre la littérature anglo- française, et il est facile de voir comment la forme en si a gagné à l'imparfait du subjonctif des verbes auxquels régulièrement cette forme est étrangère. Ce sont les inchoatifs qui ont été atteints les premiers. La raison de ce phénomène nous semble assez facile à déterminer; nous croyons en réalitéqu'il y en a deux. Toutd'abord, et ceci s'applique à tous les prétérits en ivi, l'amuissement de Vs du prétérit a entraîné l'identité des désinences dans les prétérits giiarit, âist. Cette identité a pu être le point de départ de la confusion entre les imparfaits du subjonctif en ivi et en si.

Mais en second lieu, et surtout, les inchoatifs ne semblent pas avoir d'imparfait du subjonctif propre ; ce temps se confond avec le présent du subjonctif : guarisse sert pour les deux temps. L'anglo-

698 l'évolution du verbe en anglo-français

français, dans les quelques cas que nous avons cités, a tenté de donner une forme propre à. ces imparfaits du subjonctif, et la res- semblance sinon l'identité de leurs prétérits avec ceux des prétérits en si a mené naturellement les auteurs à pousser encore plus loin la ressemblance et à donner la même forme aux imparfaits du subjonctif de ces deux classes de verbes.

C'est de cette façon que nous nous expliquons l'extension des formes en si aux verbes inchoatifs. De ces verbes, cette forme a facilement passé à tous les autres verbes de II, aussi bien aux non inchoatifs ordinaires, comme souffrir, qu'aux verbes tenir et venir qui ont un prétérit en /, et à mourir qui a un prétérit en ivi à côté du prétérit régulier en ui. De même entendi, nasgui, perdi, rendi, vendi, vesqiii ont amené les formes que nous citions tout à l'heure.

Tout cela a été assez lent et progressif; nous ne pouvons guère nous fier à la chronologie des exemples que nous avons relevés ; rien ne pourrait sembler plus naturel que de supposer que l'ordre dans lequel nous les trouvons est réellement l'ordre dans lequel ils ont apparu. Mais il est sûr que beaucoup d'intermédiaires et d'exemples doivent nous manquer; il est possible que rendre ou vendre, pour lesquels nous n'avons que des exemples récents, aient apparu dans des textes que nous ne possédons pas ou que nous n'avons pas consultés bien longtemps avant nasquesist pour lequel nous avons un exemple assez ancien. La seule chose qui nous semble assurée, c'est que cette extension des formes en si à l'imparfait du subjonctif a commencé avec les inchoatifs, et a gagné ensuite les autres prétérits en ivi. Ajoutons si l'on veut que, d'après nos exemples, tenir et venir prennent cette forme vers le commen- cement du XIII* siècle ; que mourir se montre avec cette désinence quelques années plus tard ; que souffrir, ouvrir, partir et vivre pen- dant le XIV* siècle, vendre, entendre et bailler à la fin de ce même siècle, se trouvent 'atteints à leur tour; mais toutes ces dates ont une valeur très médiocre.

Un assez grand nombre des verbes précédents se trouvent aussi en dehors des œuvres littéraires et nous ne reviendrons pas sur ce point. Disons simplement que les œuvres diplomatiques, politiques, familières, légales nous donnent quelques exemples que nous n'avons pas encore rencontrés. Citons d'abord bausist de bailler (cf. Futur), le seul cas vraiment anglo-français d'un verbe de I sous cette

IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 699

forme; on le trouve dans les Lettres de Jean de Peckham (1310, 36) et fréquemment dans les Year Bocks.

Les autres formes ne sont pas aussi communes : defausit dans les Rymer's Foederà (1278, II, 108); discheisisl (de choir) dans le même recueil (1278, II, 107). Surtout suisisl de suivre, suire, suer qui se rencontre dans les textes politiques, comme dans les Parlia- mentary Writs (1314, I, 136), mais surtout dans les différents Year Books il est très commun.

Ces derniers recueils nous montrent un nombre encore plus con- sidérable déformes irrégulières en si; toutes celles que nous avons eu l'occasion de citer y sont employées, et de plus on rencontre les verbes suivants : respondesil ■, cstoysit % abatisit \ recovresit \ jousit (jouir) 5, cursii S suffrisiuns '.

Enfin ajoutons, et ce n'est pas l'observation la moins importante que nous avons réservée pour la fin, que les verbes valoir et vou- loir ont dans tous les textes, légaux et autres, comme dans les œuvres littéraires, la forme des imparfaits du subjonctif correspon- dant à des prétérits en si.

Year Book 21 Edw. 1er, 223, 285 ; 50 Edw. 1er, 249.

21 Edw. 1er, 217.

_ 30 Edw. I", 187.

32 et 53 Edw. I", 21.

32 et 33 Edw. 1er, 127.

32 et 35 Edw. 1er, 303.

_ Eyre of Kent ; 6 et 7 Edw. II, 1 10.

CHAPITRE V FUTUR' ET CONDITIONNEL

Nous ne reviendrons pas sur les points que nous avons déjà exa- minés en étudiant les désinences personnelles.

Rappelons brièvement que nous avons vu au futur la première personne du singulier prendre les désinences en (ii{,y)y^i{,y),oi{y), a, e, les trois dernières très rares; les deuxièmes personnes du sin- gulier prendre quelquefois ;^ au lieu de s (d. p. 75); la troisième personne du singulier perdre la dentale (cf. p. 97) ; la troisième per- sonne du pluriel prendre les désinences unt, ont, ount, ent.

Pour le conditionnel, nous avons étudié l'amuissement de la muette finale à la première et à la deuxième personne du singulier et à la troisième du pluriel (cf. p. 258). Nous avons relevé les dif- férentes formes de la diphtongue (cf. Désinences personnelles, p. 274 ; Imparfait de II, III, IV, p. 565).

Il ne nous reste à étudier que les changements qui appartiennent spécifiquement à ces deux temps.

Comme nous allons le voir, ces deux temps ont subi en anglo- français des modifications nombreuses, et souvent assez profondes pour leur faire perdre leur forme étymologique et leur donner l'ap- parence d'autres temps du verbe.

Ces modifications diffèrent selon les conjugaisons. Nous étudie- rons successivement :

i" Futur de la première conjugaison. Futur de la deuxième conjugaison. Futur de la troisième et de la quatrième conjugaison.

Ce que nous dirons du futur s'appliquera, sauf exceptions, au conditionnel.

I. Pour le futur, on peut consulter : Brôhan, Die Futur hildung im Altfranzô- sischen ; Ancus Martius, Zur Lehre von der Verwendung des Futurs im Alt- und Neufranzôsischen ; Rônsch, Die franz. Futuralbildung, Jahrbuch VIII, 418.

FUTUR ET CONDITIONNEL 7OI

L Futur des verbes de I.

Les modifications que les futurs de In première conjugaison ont eu à subir en anglo-français sont considérables; la forme caracté- ristique de ces futurs n'a été que fort rarement respectée, et bien souvent ce n'est que le' contexte qui peut nous faire savoir à quel temps nous avons affaire.

Ces modifications sont dues, pour la plupart, à la voyelle proto- nique et à la consonne r qui termine le radical de ce temps.

I . Chute de /'e protonique.

Lorsque le radical du verbe se termine par une consonne simple, spécialement par r, une dentale ou une labiale, ou par n, même par une voyelle, Ve pfotonique disparait le plus souvent.

Les exemples sont nombreux et appartiennent à toutes les époques de la littérature anglo-française. Nous n'aurons donc pas besoin de les multiplier ; nous ne donnerons que les plus caracté- ristiques et ceux qu'on rencontre le plus fréquemment '.

R. C'est pour les verbes dont le thème est terminé par r que nous rencontrons les exemples les plus anciens en même temps que les plus assurés. C'est ainsi que la forme dcinorrai nous est assurée par la mesure du vers 863 du Voyage de Saint Brandan (Arsenal, BLF, 816):

Ne dotez rien ne demorrai

vers qui se trouve sous cette forme dans les deux manuscrits.

Cette forme, par la suite, devient la forme ordinaire du futur de ce verbe et nous pourrions trouver dans les différents auteurs des trois siècles qui nous occupent la matière d'une longue liste de cita- tions.

Dentale. Dans le même poème, nous rencontrons sans sa voyelle atone étymologique un verbe dont le radical est terminé par une dentale : resiiscitrai (au vers 1561, manque dans Arsenal, BLF); mais cet exemple est d'autant plus douteux que nous n'en trouvons

I . Pour le même phénomène en français, voyez Focrster : De Venus, la Déesse d'Amor, p. 63.

702 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

pas d'analogue dans les autres ouvrages de la même époque ; citons cependant dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1047), oslrai et aidrei dans le même poème (vers 2876) et dans Boeve de Haumtone (au vers 1980), qui nous engagent encore à attribuer au scribe du ms. de Londres l'exemple du Voyage de Saint Brandan.

Labiale. Les thèmes à labiale nous montrent au moins un verbe qui se rencontre constamment sans voyelle atone au futur : le verbe trouver. Le premier exemple date au moins de 11 67; nous lisons tnivra dans le Voyage de Saint Brandan au vers 24e; mais ici il faut rétablir Ve atone :

Dex truvera qu'a lui estuet (Arsenal BLF, 191)

et par conséquent attribuer au scribe la responsabilité de cette forme. Par la suite, truvra devient du reste extrêmement commun.

N. C'est à la même date, au plus tard, que nous devons placer la chute de Ve dans le verbe donner, qui se rencontre au futur sous la forme donrai dans le Psautier d'Oxford (31, 19), dans le Drame d'Adam (451), dans la Vie de Sainte Catherine (537) et dans la plupart des auteurs. Citons encore menrai qui est à peine moins commun que le précédent et se rencontre par exemple dans le Tris- tan de Thomas (au vers 2561).

Voyelle. Les thèmes vocaliques nous montrent le phénomène à quelques années de distance; nous avons hiimiliras dans le Psautier d'Arundel (17, 29); saliirei dans le Saint Edmund (au vers 3952). Les exemples de formes comme les précédentes ne sont jamais très communs au xii'^ siècle.

Groupe de consonnes. Il est encore plus rare de trouver que l'^; protonique disparaît quand le thème du verbe est terminé par un groupe de consonnes, et cependant nous avons pour ces verbes des exemples qui remontent fort haut dans la littérature anglo-française. Le manuscrit L de l'Alexis, pour la strophe 46, nous àonnt giiar- drat, et le Psautier d'Arundel nous montre la forme encore plus extraordinaire tremblrai (26, 2) ; mais ces deux exemples, qui ne .sont assurés que par la graphie, pourraient fort bien n'être que le résultat de la négligence des scribes. Pour le dernier exemple, la négligence semble cependant assez invraisemblable, car Ve a d'abord été écrit, puis exponctué. Ce n'est qu'au xiV siècle que les formes

FUTUR ET CONDITIONNEL 703

analogues aux précédentes deviendront assez fréquentes, comme dans Pierre de Langtoft qui écrit enportra, surtout dans le poème de l'Antecrist qui n'emploie guère que des futurs, dont quelques- uns ont une forme extraordinaire, comme nous le verrons plus tard.

Indiquons maintenant quelques-unes des conséquences qu'en- traîne la disparition de la voyelle atone.

Pour les thèmes terminés par la consonne r, cette chute de la voyelle produit la consonne double ;;■ ; nous remarquerons plus tard que l'anglo-français, à toutes les époques, a aimé cette consonne double, et il est possible que ce soit ce désir de former ce groupe qui ait provoqué la chute de l'atone. Toujours est-il que dans les verbes qui se montrent avec cette consonne double, le futur ne diffère en rien de certains prétérits de I que nous avons déjà cités. Nous allons maintenant donner quelques nouveaux exemples de ces futurs ; on pourra les rapprocher des prétérits que nous avons énumérés précé- demment (cf. p. 575).

Nous trouvons donc jurnint dans le Cumpoz (au vers m) et dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 2843) etpassim; esperrai se rencontre dans le Psautier de Cambridge (59, 6); urrai dans le Psautier d'Arundel (5, 3); pJurrunt dans la Chronique de Jordan Fantosme (au vers 362).

Enfin nous citerons encore durra, dcnwrra, aiirra, et nous en laissons de côté un nombre considérable qui appartiennent aq xii^ ou au commencement du xiii^ siècle. Tous ces futurs syncopés pourraient être aussi bien des prétérits qui redoublent leur ;'.

La double r se retrouve encore dans un autre cas d'une façon fort régulière en anglo-français. Cette chute de Ve protonique pro- duit souvent des groupes de consonnes qui se réduisent suivant les lois de la phonétique; par exemple le groupe ;/;• disparait et donne rr ; citons dorrai qui se trouve dans chaque auteur et pour lequel il serait oiseux de citer des références.

Merrai, de mener, est à peu près aussi commun; d'autres verbes se rencontrent, moins fréquemment toutefois que les deux verbes précédents, en grande partie parce qu'ils ne sont pas aussi souvent employés, comme rdurreit qu'on trouve dans le Saint Gilles (au vers 2220); tourra. Vie de Saint Grégoire (1957) de touner, etc.

Ce phénomène n'est évidemment pas rare dans les textes poli-

704 l'évolution du verbe en anglo-français

tiques, diplomatiques et légaux; nous ne voulons pas en donner une trop longue liste; il nous suffira de dire que la plupart des verbes que nous venons de citer se retrouvent au futur sous la forme que nous avons déjà donnée ; on peut même affirmer qu'il est relative- ment rare de rencontrer un futur de cette conjugaison avec l'atone protonique ; on pourrait en trouver quelques cas, spécialement dans les Statutes, comme \t pJedera (1300, I, 136) ou jurerei; mais les formes abrégées sont toujours la très grande majorité. Cette chute de Ve protonique se produit même après un groupe de consonnes, et nous relevons ici encore des exemples analogues à ceux que nous venons de citer, comme portrons dans les Statutes (1335, I, 275) ; ^flr^ron/ dans les Early Statutes ofireland (1299, 224) et dans les Rymer's Foedera (1392, VII, 232); cousailra, Registrum Palatinum Dunelmense (13 li, 2) et quelques autres semblables.

2. Chute d'une r.

La disparition de la voyelle protonique atone entraîne parfois la chute d'une r lorsque le thème du verbe est terminé par cette con- sonne ; cette forme du futur qui a en somme perdu une syllabe est très commune. Dans la langue littéraire, nous en trouvons d'abord des exemples dans le Psautier de Cambridge, ce qui montre que ce phénomène date des premiers temps de l'anglo-français : dcsculurai (138, 2}); aiïrums (ji, 11); dans le Psautier d'Arundel, espérai (17, 2);jureie(2j, 57).

Ces formes sont assez communes, même dans les premiers temps de l'anglo-français, et nous en trouvons encore davantage au xiv^ siècle, comme dans le poème de l'Antecrist.

Cette chute d'une syllabe entière est certainement moins com- mune avec les autres thèmes. Cependant nous trouvons pour les verbes à labiale des cas assurés de cette disparition d'une syllabe dès la fin du xiii^ siècle ; citons par exemple livrai\que nous lisons au vers 401 de la Chronique de Jordan Fantosme :

Jo lur livrai la veie, la gent qui nus guerreie.

I. Remarquons ici encore que la première personne du futur ne diffère pas de la première personne du prétérit et que les six personnes du conditionnel se con- fondent avec les personnes de l'impartait.

FUTUR ET CONDITIONNEL 705

et truviX qui n'est pas moins bien assuré parle vers 1128 du poème de Horn :

Ne me truvez vers vus fausse ne losengiere.

Nous pourrions trouver, même à une date plus tardive, des exemples de ce phénomène, et nous en citerons plus bas quelques-uns ; rap- pelons encore ici le poème de l'Antecrist. Les formes comme celles qui précèdent y sont spécialement nombreuses, mais la versifica- tion est si irrégulière que nous n'avons pas relevé d'exemple aussi concluant que ceux qui nous sont donnés par la Chronique de Fan- tosme ou le poème de Horn.

De toutes façons, nous voyons que les futurs qui précèdent res- semblent plus à des prétérits ou à des présents de l'indicatif qu'à de véritables futurs, au moins à certaines personnes.

Et à mesure que nous avançons dans la littérature anglo-fran- çaise, ces formes se multiplient : il devient rare qu'un futur d'un verbe de I ait l'air d'un futur. Ceci, pour le dire en passant, explique comment certains auteurs ou scribes, assez itrnorants de la lanijue qu'ils écrivaient ou copiaient, ont pu prendre pour des prétérits des futurs aussi clairs que vodrai ou vodra (cf. Prétérits en avi, p. 573).

Nous allons maintenant citer très rapidement quelques-unes des formes du xiii^ ou du xiv"-' siècle qui perdent une syllabe : eniront, dans les Dialogues de Saint Grégoire (123 r" a) et dans l'Apoca- lypse (a, 241); phireies, dans Robert de Gretham (91 v°) et dans la Genève (58 r°); mustrai se lit dans Boeve (857), dans le Manuel des Péchés de William de Waddington (9829), dans l'Apocalypse (a, 251) et dans Nicolas Trivet (2 r°). Citons encore quelques autres formes qui se trouvent presque aussi employées que les précédentes : dura, dans Boeve (434); cumparei, dans Chardri, Josaphat (133); Plainte d'Amour (987); Satire (82 r"); Antocrist (232); dcmorcit, dans Pierre de Langtoft (I, 12, 26).

Un certain nombre des exemples précédents sont assurés par la mesure du vers. Guerreier montre une simplification plus grande encore ; on trouve fréquemment i^ucrrai, comme dans Boeve, vers 1948, ou dans Pierre de Langtoft (I, 404, 23), et dans l'xAntecrist, au vers 6 ; il est du reste possible que cette forme provienne direc- tement du substantif guerre.

Dans les œuvres n'appartenant pas à la littérature, les futurs du

45

7o6 l'évolution du verbe en anglo-français

genre de ceux que nous avons énumcrés sont encore assez nom- breux, quelques-uns même extrêmement communs ; on les ren- contre spécialement à la fin du xiii^ et pendant le ww" siècle. Mostra, par exemple, se trouve partout (Rymer, 1294, ^I» 61^ et passim; Statutes, 1309, 1, 155 et pûssiin ; dans les divers Year Books, comme 20 et 21 Edw. P"', 1^7); deniora, moins employé que le précé- dent, est aussi fort commun (cf. Rymer, 1330, IV, 438; Year Books II et 12 Edw. III, 369); il en est de même pour procura (Rymer, 1297, II, 789; Statutes, 1^46, I, 30e); pour approva (Rymer et Statutes, pass'uii^ ; citons encore rapidement jura, doua, entra, délivra, porta.

Mais cette tendance à supprimer du futur la syllabe caractéristique de ce temps (ré) a été effectivement combattue par la tendance, plus lorte encore, qu'a Tanglo-français à redoubler la consonne r ; c'est cette tendance que nous allons étudier dans les pages sui- vantes.

3. Métathèse de /'r.

Lorsque le thème du verbe est terminé par une consonne suivie de r, l'anglo-français de toutes les époques effectue fréquemment la métathèse de \'r du thème ; ici encore les exemples sont extrême- ment nombreux depuis le commencement du xii'^ siècle, et nous nous contenterons de n'en donner que quelques-uns. Parmi les plus répandus, on peut citer enterrât (entrer) que nous avons relevé dans la plupart de nos auteurs, depuis le Cumpoz (au vers 2924); dans les trois Psautiers, dans Gaimar, dans Guischart de Beauliu (vers 491), dans la Vie de Saint Grégoire (vers 2668), dans le Josaphat de Chardri (vers 503), dans le Saint Thomas (IV, 68). Il en est de même pour montrer qui fait au futur niustcrrai, dans le Cumpoz (au vers 223), dans le Psautier de Cambridge (90, 16), dans Horn (vers 2735), etc.

D'autres exemples se présentent moins fréquemment, comme obumberrai au vers 2530 du Bestiaire et dans le Psautier d'Oxford (90, 4) ; eniverrai dans ce même Psautier (^, 58) ; rememberrai dans le Psautier d'Oxford (70, 8) et au vers 170 du Tristan de Thomas ; uconverrai dans le Petit Plet de Chardri (au vers 1083).

L'attraction de Yr de la terminaison rai se fait sentir plus loin que

FUTUR ET CONDITIONNEL 707

la fin du thème; nous avons des exemples cette /' attire une r du milieu du thème, comme abeverras dans le Psautier de Cam- bridge (33, 8).

C'est ce mécanisme qui explique pourquoi certains futurs de la première conjugaison, futurs très nombreux, présentent rr ; l'anglo- français du reste a souvent redoublé cette lettre, et nous avons rencontré, surtout en dehors de la littérature, un assez grand nombre de verbes qui redoublent cette consonne au futur sans l'avoir dans le thème.

Quelques-uns de ces verbes montrent au futur les deux r d'une façon presque constante : surtout le verbe aller et le verbe ester.

0.) aller. Au commencement du xii"' siècle, c'est la forme étymo- logique du futur de ce verbe qui est le plus généralement employée; dans les Psautiers, les rr sont encore rares à ce temps, le Psautier d'Oxford n'en offre aucun exemple. Quant au Psautier de Cambridge, on voit, en comparantes leçons desdeux manuscrits, qu'ils s'accordent sept fois pour donner irai, une fois seulement pour donner irrai (3, i). De même, dans le Psautier d'Arundel, la forme avec les deux r est rare. Nous pouvons remarquer le même état de choses dans Gaimar et dans Adgar, chez, lesquels la forme avec r simple est sinon unique, au moins prévalente. Mais un peu plus tard, c'est l'inverse que nous remarquons. Dans Fantosme et Guillaume de Berneville, ce sont les futurs qui redoublent 1'/- qui deviennent les plus nombreux. Combien de ces formes doit-on attribuer aux copistes ? Il est impossible de le dire. Il se peut qu'un grand nombre de ces formes irrégulières ne proviennent pas de l'auteur, car ce n'est guère qu'au xni'^ siècle que irrai devient très commun dans tous les auteurs ; ceux qui ne connaissent pas cette graphie (comme l'auteur de Saint Edmund) sont rares, tandis que certains autres, comme l'auteur du Saint Auban, l'emploient à l'exclusion de toute autre. Aussi ne citerons-nous pas d'exemples de cette forme, au xiir siècle, pas plus que ceux qu'on rencontre si fréquemment au xiV^, car pendant tout ce siècle, comme dans le précédent, c'est irrai qui est le futur régulier d'aller. La langue politique ne nous donne guère que cette graphie, irai est tout à fait exceptionnel.

b) Ester. Nous ne trouvons pas pour le verbe ester le même nombre d'exemples que pour aller, mais il se trouve que le plus

7o8 l'évolution du verbe en anglo-français

grand nombre de ces exemples a les deux r. Ainsi nous avons resterra au vers 770 du Protheselaûs de Hue de Rotelande, de même que dans les Quatre Livres des Rois (II, 9, 7); arcstenas dans le même ouvrage (I, 9, 27); eslerruut au folio 79 de la Genèse et au folio 69 des Heures, aux vers 166 et 275 de l'Antecrist ; estcrroiini au § 24 des Contes de Nicole Bozon ; dans Nicolas Trivet, passiiii ; enfin dans les ouvrages en langue légale, cette forme se rencontre très fréquemment et toujours avec la double r : ohslcrra (3 2 et 33 Edw. I", ^^ et 59); esterra (11 et 12 Edw. III, 189, 210; 13 et i4Edw. III, 159). Eslcrra se trouve aussi dans Rymer (1388, VII, 572) ; c'est le seul exemple du futur de ce verbe que nous ayons relevé dans les textes politiques et diplomatiques.

Nous n'avons relevé qu'un seul exemple de futur avec r simple (17 et 13 Edw. III, 55). Cette forme est donc accidentelle dans les Year Books.

c) Il y a encore un assez grand nombre de verbes de I autres qu'aller et ester qui prennent ces deux rr au futur ; mais aucun ne présente cette forme avec quelque régularité. Les quelques exemples que nous allons citer maintenant sont sporadiques, et pourraient être consi- dérés comme des lapsus calami ou des fautes d'orthographe des scribes. Par exemple le seignitncraf du Psautier d'Arundel (9, 30) ; le donrra des Statutes (1363, I, 249) ; le cuparlcrruni du YearBook 22 Edw. I" (605), etc.

Néanmoins, nous ne pouvons nous empêcher de faire observer que toutes les formes qui précèdent, même les formes isolées, con- courent à nous donner l'impression que l'anglo-français aimait à redoubler l'r des futurs de I, principalement, croyons-nous, avant 1250.

4. Réduction de rr à r.

Il arrive cependant que, en dépit de son goût pour rr, l'anglo- français réduise parfois la consonne double à r simple, faisant ainsi perdre à la forme son apparence de futur ; cette transformation nouvelle atteint la plupart des verbes que nous avons déjà cités, mais il est presque impossible de fixer une date pour ce phénomène; il semblerait être contemporain de celui que nous venons d'étu- dier, car il se trouve dans les mêmes auteurs; nous le croyons tou-

FUTUR ET CONDITIONNEL 7O9

cefois sensiblement postérieur. Ainsi le Bestiaire a entera (476) ; nwsterail (1133); le Psautier de Cambridge, musterai (31, 9) (forme qui se retrouve dans Guiscliart de Beauliu au vers 450); cniverai (C, 63) ; iiuislerai se lit dans le Psautier d'Arundel (10, 8); deliverat au vers 817 du Drame d'Adam cette forme est rare ; et au vers 3927 de Saint Edmund ; eiicii nierai dans les Quatre Livres des Rois (I, 10,3).

Les textes politiques et diplomatiques en présentent aussi des exemples, moins communs cependant que ceux qui montrent la double consonne, étymologique ou non, ainsi Uverount (Mem. Pari., 1305, § i), etc.

Après que les deux r ont été réduites à r simple, il peut arriver que la voyelle atone protonique tombe encore, exactement comme nousl'avonsvu plus haut. Le futur prendalors évidemment uneforme semblable à celles que nous avons signalées pour les verbes dont le thème est terminé par une consonne simple; toutes deux perdent la syllabe er caractéristique du futur. C'est ainsi qu'on peut relever de nombreux futurs comme entrai., mnstrai, livrai qui sont aussi bien pour la forme des prétérits que des futurs.

Nous voyons donc que dans la plupart des verbes del, dans ceux qui sont terminés par une consonne simple, comme dans ceux dont le thème présente une consonne suivie de r, la même simplifica- tion s'accomplit. Par des routes différentes, ils s'acheminent tous vers une forme qui a perdu l'apparence même d'un futur. Ce phé- nomène est un des plus importants que nous puissions observer dans la conjugaison anglo-française ; il a non seulement oblitéré une forme essentielle du verbe, mais il a été la source des plus grandes confusions entre les formes du verbe qui devraient être les plus différentes. Cette évolution du futur a commencé pendant les premières années de la littérature anglo-française, et, ce qui est encore plus extraordinaire, elle nous montre les formes arrivant au terme logique de leur évolution pour ainsi dire au moment même cette évolution commence.

Ici, sans aucun doute possible, nous assistons à un développement purement phonique et nous ne pouvions pas ne pas en parler, sous peine de priver notre étude de la conjugaison d'un des chapitres les plus importants qu'elle doit contenir.

7 10 l'évolution du verbe ex AMGLO-1-RANÇAIS

5 . Graphies de f atone proionique,

11 semble presque superflu de dire que, puisque l'atone proto- nique disparaît du futur des verbes de I dans un nombre considé- rable de cas, les quelques lignes que nous avons à ajouter sur les difterentes graphies qu'elle montre ne peuvent pas avoir une très grande importance.

Nous semblons admettre de prime abord que les formes que nous allons signaler pour la voyelle atone (/, o et h) ne sont en réalité que des graphies. Nous devons avouer cependant que nous n'en savons rien, et cela parce que nous n'avons aucun moyen de le savoir. Si au lieu de la voyelle e, nous ne rencontrions que /, nous n'aurions probablement pas hésité à classer les formes qui nous montrent cette voyelle comme des acquisitions des verbes de la seconde conjugaison inchoative. Et il est possible qu'il en soit ainsi, mais alors il nous est beaucoup plus difficile d'expliquer les futurs qui nous montrent o et n. Il est cependant fort vraisemblable que les raisons qui expliquent une classe de formes ne s'appliquent pas nécessairement à l'autre classe.

Quoi qu'il en soit, et sans vouloir décider la question, nous énu- mèr-erons sous ce titre les formes qui présentent une voyelle autre que e comme atone protonique.

Celle que nous rencontrons le plus fréquemment, c'est la voyelle /, et nous pouvons dater avec quelque précision le moment de son apparition dans la conjugaison anglo-française. Cette voyelle, en effet, se rencontre surtout chez les poètes du commencement du xiii^ siècle. Frère Angier en montre un assez grand nombre d'exemples, comme repeirira, qu'on lit dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 461) ; entrira se rencontre dans le même poème (vers 24:^7) et dans les Dialogues ; nous trouvons enterrira (au folio 106 a), mostriraî (au folio 51 r" i). De même, dans les Set Dormans de Chardri, nous relevons esparnireie (vers 715); dans le ms. du Lai du Cor on trouve encore n'/)tv/ra/, repeirira (aux vers 160 et 163). Au xiv^ siècle, Pierre de Langtoft écrit encore repeirira (II, 354, 13). Ces verbes ne se rencontrent pas fréquemment avec la désinence en/r à Tinfinitif. La langue diplomatique nous en offre quelques autres exemples; citons dans Rymer les formes donira, doniront (1337, IV, 760).

FUTUR ET CONDITIONNEL 7II

Les futurs qui montrent la voyelle o sont plus rares et ne se trouvent pas dans les œuvres littéraires; les exemples que nous donnent les textes politiques et autres ne sont pas très nombreux ; citons snrveiora (provenant probablement de voir, mais sous l'influence de veiller, cf. Infinitif, p. 408), se lit dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323, 860). On a encore donorons dans les Ro3'al Letters Henr}- IV (1399, 8), ce dernier montre peut-être l'attraction exercée par la voyelle du thème.

Enfin il faut, croyons-nous, considérer giistiim qui se trouve au folio 74 des Evangiles des Dompnées comme une erreur du scribe plutôt que comme une attraction dans le genre de celle que montre donorons.

Ajoutons encore ainara au vers 4 de la Vie de Sainte Marguerite ; mais la langue de ce poème est si irrégulière que nous ne pouvons guère tenir compte de cette forme;

IL Futur des verbes de IL

r . Inchoatifs.

Nous ne trouvons que peu d'observations à faire sur le futur de ces verbes ; ils le forment très régulièrement en irai, et la forme étymologique reste la forme habituelle à toutes les époques de la littérature anglo-française . Signalons cependant quelques déviations du type normal : la plus commune consiste dans Laffaiblissement de 17 protonique en e atone; quelques exemples de ces formes, qui ressemblent ainsi aux futurs de I, se trouvent déjà au xii<= siècle, comme enrichcra dans Horn (au vers 2373) donné par les trois mss. ^sdsere:^^ dans le même poème, mais donné seulement par le ms. O (au vers 4617); degiierpcrai dans Guischart de Beauliu (vers 1218), chez qui déguerpir est toujours inchoatif (cf. giierpissc:^^, 540, gtierpissent, 81 6). On trouve encore dans Edward le Confesseur transera (au vers 66^) ; on peut considérer transir comme un inchoatif, quoique nous n'ayons rencontré aucune forme qui puisse nous éclairer sur ce point. Dans The Song of Dermod and thc Earl, deux exemples de ce passage de / à t; peuvent être relevée: acoinpic- rum (au vers 144); pleverai (au vers 3411)-

712 L 1-VOLUTION DU VHRBE EN ANGLO-FRANÇAIS

La même forme eiihlancheroy se trouve au folio 67 des Heures et au vers 3 des Pronostics de la Mort, et dans ce dernier poème on lit encore (au vers 2) rcfreidcra. Les exemples que nous avons tirés des auteurs du xiV^ siècle ne sont guère plus nombreux; on a voine- réiy dans l'Apocalypse (a, 237); garauntereye et jcjwra qui se ren- contrent tous les deuxdanslesContesdeNicoleBozon (respectivement aux §§ 137 et 45); regéhir qui est le plus souvent inchoatif (cf. p. 5 3 9), fait parfois regerrai Çmiiuenœ de gésir ?) au futur, par exemple dans l'Apocalypse (^ et y 131)-

Dans les œuvres non littéraires, nous avons relevé aussi un cer- tain nombre de formes semblables ou analogues, comme parfourne- rei dans les Statutes (1335, I, 274); seiseruut se lit dans les Rymer's Foedera (1312, III, 367) et dans 20 et 21 Edw. L' (p. 331); pune- rait dans 31 Edw. I" (401). Ces mêmes verbes et quelques autres apparaissent encore sous cette forme dans un très grand nombre de textes politiques, diplomatiques ou légaux.

On peut se demander, en se rappelant ce que nous avons déjà vu lorsque nous avons étudié le présent de l'infinitif, si la présence de cet e au futur est la cause (plus exactement une des causes) ou la conséquence du passage de l'infinitif du verbe de la forme de la seconde conjugaison à celle de la première, ou si ces deux changements sont simultanés; cette question sera traitée dans notre seconde partie; mais nous pouvons remarquer dès mainte- nant :

Que le nombre des futurs est très naturellement beaucoup moindre que celui des infinitifs ; ce qui suffirait pour disposer de la théorie que le changement a son point de départ dans le futur .

Que nous sommes contraints d'attribuer ce changement des futurs, dans les œuvres littéraires, aux difierentes dates des mss. ; par conséquent notre exemple le plus ancien remonte au commen- cement du XIII* siècle au plus tard.

Que pour les infinitifs le passage de I à II remonte pour les œuvres littéraires à la fin du xii* siècle.

Par conséquent, s'il y a eu influence, elle provient des infinitifs; du reste il n'est pas utile de recourir à cette expUcation, nous le verrons plus tard ; mais nous pouvons, au moins pour l'instant,

FUTUR ET CONDITIONNEL 713

considérer les futurs que nous avons cités comme des tuturs d'inchoatifs, et non comme provenant d'infinitifs en er.

Au lieu de Yi ou de IV, on trouve quelquefois dans les Year Books ie, comme pericrcit dans le Year Book 13 et 14 (Edw. III, p. 45). Mais les différentes formes que nous avons rencontrées avec une autre voyelle que 1'/ ou que Ve nous semblent ou très douteuses ou trop récentes pour que nous puissions en tenir compte.

ACQUISITIONS

Les acquisitions sont des plus rares; citons pour mémoire les formes en / des futurs de I que nous avons déjà vues : repeirira, entrira, enterrirai, mostrirai qui se trouvent dans Frère Angier; reposirai dans le Lai du Cor; repeirira dans le Lai du Cor et Pierre de Langtoft ; doiiira dans Rymer's Foedera. A part ces quelques verbes de I et les non inchoatifs, qui, sous l'influence de l'infinitif, prennent / au futur nous ne trouvons à citer que rendirons au folio 2 de Nicolas Trivet; ahatira dans le Year Book 32 et 33 Edw. I" (p. 155). Nous négligeons plusieurs autres formes tardives des Year Books .

En somme, il n'y a eu qu'un très petit nombre de verbes à prendre la forme du futur des inchoatifs, et dans la plupart des cas nous ne savons pas si ce n'est pas accidentellement que ces futurs ressemblent à ceux qui nous occupent. Rien ne nous prouve qu'il y ait eu attraction de ceux-ci sur ceux-là.

2. Non inchoahfs.

Les futurs des verbes de II non inchoatifs sont fort corrects. Régulièrement, 1'/ de l'infinitif disparaît pour les verbes non inchoa- tifs, dont le thème se termine par une consonne qui peut se com- biner avec la terminaison du futur, comme currai (Cumpoz, 3544 Qi passiin); orrai (Bestiaire, 485) ; ^'•/rra/ (Adgar, XVII, 108 1).

Lorsque la dernière consonne du thème est » ou /, une dentale paragogique s'introduit, comme dans ciiildruus (dans le Cumpoz au vers 617; dans le Psautier d'Oxford, 128, 6), vendrai, dcfaldrai\

I. Les verbes de cette dernière catégorie peuvent prendre un e svarabhaktique entre la terminaison et la dentale. Nous en reparlerons en même temps que de IV svarabhaktique des verbes de III et de IV.

714 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Les autres verbes voient un (• de liaison s'introduire entre le thème et la désinence : coiivrerai, soiiffrerai, etc.

I. Ces derniers verbes prennent donc ainsi la forme des futurs de

I et rien ne les en distingue, aussi ils subissent quelques-unes des modifications que nous avons signalées dans les pages précédentes, et que nous allons répéter rapidement ici.

a) On pourrait croire à première vue que IV de ces futurs, ayant le plus souvent le caractère d'un e de liaison, ne saurait disparaître.

II n'en est rien : nous rencontrons un certain nombre d'exemples qui montrent la chute de cet e, exemples assez tardifs du reste et inconnus aux œuvres littéraires. Tous les cas que nous pouvons citer, comme uientrai, dans la Chronique de Londres (1340, page So), sent ro fit dans les Statutes(i346, I, 305), proviennent de thèmes à dentale appuyée.

b) Il est beaucoup plus commun de trouver des cas de métathèse de Vr, et il nous serait facile de tirer des exemples de ce phénomène de chaque auteur littéraire et de tous les textes politiques et autres. Contentons-nous de donner quelques exemples assez anciens et assez répandus ; les verbes ouvrir, couvrir, découvrir, offrir, souf- frir ' nous en offrent un nombre considérable. On lit aoverrai dans le Psautier d'Oxford (48, 4) ; dans le Psautier de Cambridge (77, 2); covc rraid ààns le Psautier d'Oxford (139;, 10); au vers 1887 de Horn, au vers 123 du Donnei, etc. ; offerrai, sofferai dans le Psautier d'Oxford (68, 14); dans Horn (4302), etc.

Ces formes ne sont pas spéciales à la littérature; les ouvrages politiques, diplomatiques et familiers pourraient nous en fournir une très longue hste.

r) Comme pour les verbes de I, il arrive très fréquemment que cette r soit réduite à la consonne simple ; ici encore nous nous contenterons de donner quelques exemples, pour ainsi dire pris au hasard, mais provenant des verbes que nous avons déjà cités : ciwerat au vers 1267 du Bestiaire; descoverou au vers 340 de Gaimar;

I. Nous ne pouvons admettre avec Gaston Paris, Alexis, page 125, que s iiffemi vient de l'infinitif suffere et non de souffrir. Il faudrait alors imaginer des infini- tifs ot'ere, covere, offere, etc., ce qui est manifestement impossible. Du reste nous n'avons jamais rencontré l'infinitif sufere.

FUTUR ET CONDITIONNEL 715

overa dans Adgar (VII, 471); sofera dans le ms. L de l'Alexis (46 e) ; offerai dans le Psautier de Cambridge (65, 13); sucera dans Adgar (VIII, 147); au vers 1 391 de la Vie de Sainte Catherine ; dans les Quatre Livres des Rois (I, 16, 6); dans Chardri (Set Dor- mans, 966), etc.

Ce dernier verbe est très communément rencontré sous cette forme en dehors de la littérature (cf. dans les Statutes, 1286, I, 211; 1346, I, 306; Rymer, 1303, II, 923; 1315, III, 524, etc.). Citons encore viuiârai dans les Statutes la date de 1286 (I, 21 i).

IL Voyelle / et autres voyelles. Sous l'influence de leur infini- tif, peut-être aussi grâce à l'attraction des futurs des inchoatifs, un certain nombre de non inchoatifs montrent au futur la voyelle /.

Parmi ceux-ci, citons d'abord repentir, qui fait repentira dans le Psautier d'Oxford (109, 5) et au vers 185 1 du Tristan de Thomas ; nous ne croyons pas avoir jamais rencontré pour ce verbe la forme étymologique. Le xn^ siècle nous oifre des formes analogues pour plusieurs autres verbes; dans les Psautiers d'Oxford et de Cam- bridge, on relève dormirai (^^, 9); mentirai (8^, 35); vestirai (131, 17); servirai (21, 33). Cette dernière forme se trouve encore au vers 49 de Fantosme; on peut citer au xii^ siècle regehirai,ciinver tirai, tous les deux dans le Psautier de Cambridge (respectivement 9, i et 67,23).

Pendant les deux siècles suivants, il n'y a que peu d'exemples de ces formes analogiques à noter ; la grande masse des non inchoatifs reste très régulière ; citons seulement partira dans l'Apo- calypse (y, 94) : sentire- dans les Lettres de Jean de Peckham (1283, 405).

En somme, les cas d'analogie ne sont pas très nombreux, et ils le sont relativement moins pendant le xiii^ et le xiv^ siècle, et nous pouvons considérer ce fait comme une autre preuve de l'action des infinitifs de I.

Pour ces verbes encore, nous avons relevé un exemple et un seul de l'emploi de la voyelle // : asseiilnre:;^ se lit dans les Statutes (1346, I, 305). Ici encore nous croyons à une erreur matérielle du scribe ; à la page suivante, dans un texte analogue, nous voyons la forme correcte assenlere:{. Toutefois, il est possible que le scribe ait considéré // comme une graphie de l'atone.

7i6 l'évolution du verbe en anglo-français

III. Futur des verbes de III et de IV.

Les formes irrégulières que nous venons de signaler à la première et à la seconde conjugaison sont loin d'être aussi nombreuses que celles qu'il nous reste à étudier pour la troisième et pour la qua- trième.

Mais pour ces deux dernières, la plupart des modifications que nous allons énumérer rapidement ne sont réellement pas spéciales au futur, ni même au verbe. Le redoublement de l'r, la simplifica- tion de yr, \'e svarabhaktique sont des phénomènes phoniques généraux en anglo-français. Nous ne devrions par conséquent pas insister sur ces différentes questions, ni nous arrêter longuement sur ces phénomènes. Mais nous croyons qu'ils ont une importance particulière pour différents temps du verbe (surtout à l'infinitif et au futur); ils ont beaucoup contribué à changer leur physionomie. A cause de cela, nous nous permettrons de nous arrêter sur ces points un peu plus longuement que nous ne l'avons fait jusqu'ici lorsque nous avons eu affaire à des phénomènes purement pho- niques.

Nous trouvons pour le futur des verbes dont l'infinitif est ter- miné par oir et re, trois sortes d'irrégularités qui proviennent toutes de la présence de l'r dans la terminaison.

Les verbes dont le radical est terminé par une dentale voient, comme on le sait, cette dentale s'assimiler à l'r, ce qui produit le groupe rv. L'anglo-français réduit quelquefois ce double r à r simple probablement sous l'influence des nombreux verbes qui n'ont qu'une r au tutur ; les cas se trouvent les formes étymologiques restent cependant les plus nombreux pendant toutes les périodes de l'anglo-français.

Les futurs avec r simple non étymologique se rencontrent dès le xii*" siècle; nous lisons en effet dans le Bestiaire (cf. vers 1357) charat; ocirai se trouve dans le Psautier de Cambridge Qç, 59) (du reste la forme correcte occirrai est employée dans le même ouvrage, 100, 5); dans le Psautier d'Arundel, on relève : vera (30, 26) et serai (de seoir) (28, 9). Ces premiers exemples nous mon- trent tout au moins que cette simplification date de la première moitié du xii*^ siècle ; les autres ouvrages nous présentent d'autres

FUTUR ET CONDITIONNEL 717

cas semblables, mais nous ne savons jamais si nous devons les attri- buer aux auteurs ou aux scribes; par exemple le crerai qui est si souvent répété dans le Drame d'Adam (vers 131, 169, 185) et dans le poème de Horn (cf. par exemple le vers 1462 du ms. H); orei dans Adgar (XL, 5); .ara (seoir) dans Horn (au vers 2675).

On pourrait relever plusieurs autres exemples de cette chute de l'r étymologique ; mais ils resteraient toujours en nombre relative- ment peu considérable au xir siècle, et nous trouverions que les cas la forme étymologique est employée pour le futur des verbes terminés par une dentale restent toujours les plus communs.

Au xiii'= et au xiv^ siècle, ce phénomène semble se produire plus rarement encore, et nous ne trouvons qu'un nombre insignifiant d'exemples dans lesquels les deux r régulières sont réduites à une seule. On trouve par exemple dans le Saint Laurent orci du verbe oïr (au vers 377); la même forme se retrouve dans Boeve de Haumtone (au vers 2232), à côté du reste de la forme régulière orrei (qui est employée au vers 434); dans le ms. y de l'Apocalypse, nous avons viront de voir (1057; i^ donne varrunt); veray est employé au vers 1286 du Prince Noir; crerey au folio 93 V des Vies de Saints de Bozon .

Il est probable qu'on pourrait allonger la liste des exemples tirés des œuvres littéraires, mais il est certain qu'on ne pourrait pas arriver à donner une très grande importance à ces exceptions, qui deviennent, semble-t-il. de moins en moins communes à mesure qu'on avance dans la littérature anglo-française.

Dans les textes politiques et diplomatiques, il en va de même, nous ne trouvons aucune régularité dans l'omission d'une des deux r étymologiques ; de sorte que chacun des cas que nous avons rele- vés peut bien passer pour une simple faute d'orthographe facile à expliquer.

Il semble donc bien que l'anglo-français, après avoir tendu pen- dant quelques années à réduire les deux ;■ à une seule, a depuis le milieu du xii^ siècle conservé avec la plus grande régularité la forme étymologique de ces futurs.

Ce qui a, croyons-nous, empêché l'extension du phénomène que nous venons d'exposer, c'est le développement et l'importance du phénomène opposé. L'anglo-français a toujours montré une ten-

yiS l'évolution du verbe en anglo-i-rançais

dance à doubler !'/• du futur, comme nous avons déjà eu l'occasion de le foire observer, et le nombre des verbes qui témoignent de cette tendance est considérable. Ce redoublement de Yr ne s'applique pas du reste à tous les verbes de III et de IV^ au xii^ siècle, tout au moins ; car à cette époque ce sont surtout, on pourrait presque dire uniquement, les verbes dont le thènie se termine par une gut- turale ou une palatale qui redoublent Vr au futur, et ils ont cette forme plus souvent que la forme étvmologique.

Dire fait presque toujours âirrni; on peut voir ce futur dans le Psautier d'Oxford (17, 5 3) ; dans Psautier de Cambridge (41, 9); dans celui d'Arundel (17, 52); très fréquemment dans le Drame d'Adam (par exemple au vers 81); au vers 1159 de Gaimar. L'un des quatre ms. de TEstorie des Engleis, le ms. R, qui date du coiumencement du xiii^ siècle, emploie presque exclusivement la forme avec rr. Dans Adgar, il y a à peu près égalité entre les nombres des deux formes, celle dont nous parlons maintenant se trouvant par exemple au morceau XVII, vers 997 et pûssini ; on la rencontre encore dans le Tristan de Thomas (au vers 1203); dans Horn (au vers 2155) ; dans les Quatre Livres des Rois (I, 9, 6) ; dans Fantosme (au vers 351); au vers 2 du Saint Gilles.

Le nombre des exemples devient de plus en plus considérable au XIII'' siècle. Citons un petit nombre de références. Les deux rr se trouvent dans la Vie de Saint Grégoire (2252, 1867, dierrei; 2455, derreï) ; dans le Josaphat de Chardri (40) ; dans Robert de Gretham (r6 r°, 38 r°) ; au vers 25 de la Plainte d'Amour et 70 du Saint Edmund ; au vers 5 de Boeve, 171 du Saint Auban, 694 de Dermod, 3551 de William de Waddington. Il serait facile de faire une liste tout aussi longue des exemples qu'on trouve dans les auteurs du siècle suivant : Apocalypse (a, 29), Pierre de Langtoft (I, 34, 11 ; II, 198, 9), Nicole Bozon (Contes, § 31), Chronique de Londres (73), De Con)uge(9, 35).

Nous ne pouvons donner ici qu'un tout petit nombre d'exemples, infime, si on le compare au nombre des cas qu'on peut relever.

Les formes de dire avec une r simple sont l'exception ; on en trouve quelques-unes dans les Psautiers d'Oxford (90, 2) ; de Cam- bridge (;, 55); d'Arundel (41, 12); dans Thomas (au vers 8r8); dans plusieurs endroits d'Adgarjdans le Saint Gilles (au vers 2183); au vers 1992 de la Vie de Saint Grégoire; rarement dans Boeve ;

FUTUR ET CONDITIONNEL 7 19

dans les Chansons (i, 115); trois fois dans Saint Auban (contre deux dirr) et quelques autres cas.

En dehors des œuvres littéraires, ce n'est que dans les Year Books, et peut-être dans Rymer que l'on trouve pour le futur et le condi- tionnel de dire la forme étymologique avec r simple, et encore cette forme reste-t-elle assez rare.

Les Statutes, Jean de Peckham, les Parliamentary Writs, etc., montrent la forme qui est le plus souvent employée dans la litté- rature.

Les autres verbes à palatale ne sont pas aussi réguliers dans leur irrégularité que dire ; leur tendance à prendre r?- au futur est mani- feste ; mais le nombre des exemples qu'ils nous présentent n'approche pas de celui que nous fournit le verbe dire.

Nous trouvons despierras dans les Psautiers d'Oxford et de Cam- bridge (50, 18) ; dans les Quatre Livres des Rois (I, 2, 30); verbe qui ne se rencontre pas très souvent au futur. Duire et ses composés donnent diiirra, par exemple dans les Quatre Livres des Rois (I, 2, 35); dans Horn (au vers 1653) ; dans Chardri(Josaphat, vers 1725); les exemples de ce verbe restent très communs. Détruire prend une forme analogue : destriiirnoit dans les Quatre Livres des Rois (I, 20, 20) ; au vers 43 de la Vie de Saint Grégoire, 1 3 12 du Saint Edmund ; il se trouve aussi dans les Statutes (i-97' !> i-3)- Lirrai se ren- contre aussi assez communément, par exemple au vers 3874 de Horn, dans les Set Dormans de Chardri au vers 1502, surtout dans les Statutes (par exemple 1285, I, 100), c'est la seule forme du futur que nous connaissions pour ce verbe. Plaire prend la même forme ; plerrai et planai se lisent dans les Quatre Livres des Rois (I, 24, 5) ; dans Horn (1892) ; au vers 2177 du Saint Gilles ; dans Boeve (au vers 199); au folio 68 des Heures; dans les iMem. Pari. 1305 148), etc.

Citons encore luire qui donne assez fréquemment Inrrai, par exemple dans l'Apocalypse (mss. et 7, au vers 1106), et laisser, ou plus exactement son infinitif hypothétique lairc qui fait très cons- tamment lerrai.

Ajoutons encore le futur du verbe faire, dont nous verrons plus loin les autres formes ; celle qui montre deux r n'est pas très commune dans la littérature ; au xW siècle, on ne la trouve guère que dans le Protheselaus de Hue de Rotelande (vtrs 3^6, etc.) elle est peut-

720 l'évolution du verbe en anglo-françals

être duc au scribe et dans le Drame d'Adam (comme aux vers 99, iS-^, 484). Évidemmentcette formeappartient spécialement au scribe. Même au xiii'' siècle, les deux r ne sont pas très communes ; cette graphie ne devient usuelle qu'à la fin de ce siècle et pendant le siècle suivant. Nous pouvons citer comme exemples de ces formes dans Robert de Gretham les futurs de faire qu'on trouve aux folios 26 r°, 63 et passim; dans les Heures de la Vierge au folio 61 r°. Le petit nombre des cas de rr dans ces ouvrages et dans les autres poèmes de la même époque nous montre qu'ils doivent provenir des scribes, plutôt que des auteurs. Dans les manuscrits écrits au xiv= siècle et surtout dans le dernier quart de ce siècle, jcrra est extrêmement commun. Un exemple typique est le ms. Worcester qui nous a conservé le poème du Prince Noir et qui date de 1397. Dans ce ms., la plupart des futurs de faire sont écrits avec deux r.

Dans les textes politiques, cette forme se remarque très fréquem- ment et dans les mêmes conditions que dans les ouvrages littéraires. C'est la forme normale du futur de ce verbe dans cette catégorie de textes ; par exemple, on la trouve constamment dans les Statutes à partir de 1300 (cf. I, 136); dans les Parliamentary Writs (1314, II, 8); dans les Traités de Rymer, dans les différents recueils de lettres et dans les Year Books. Du reste les verbes à palatale dans les ouvrages qui n'appartiennent pas à la littérature (nous n'avons jusqu'ici, sauf pour faire, cité aucun exemple tiré de ces textes), prennent aussi régulièrement que possible l'r double au futur; nous ne répéterons pas ici tous les exemples que nous avons déjà eu l'occasion de citer à propos des textes littéraires ; mentionnons seulement le tutur de lire (licere), livra, qui est très commun dans les Statutes (cf. par exemple 1286, I, 100).

Tous ces exemples sont en somme réguliers. Il n'en est pas de même de viverra qui se lit au vers 974 de Horn.

On pourrait facilement trouver dans les textes anglo-français, litté- raires ou non, un certain nombre de futurs présentant ces deux r sans justification possible ; nous ne nous arrêterons pas à énumérer des formes qui ne seraient que des fautes d'orthographe sans intérêt.

Cependant il nous reste encore à signaler une forme dans laquelle la double r ne s'explique guère, mais qui se trouve si souvent que nous sommes obligés de considérer qu'elle a été assez tôt sanctionnée par l'usage anglo-français : c'est serra du verbe être.

FUTUR ET CONDITIONNEL 72 1

Il n'est pas très facile de débrouiller les éléments de l'histoire de ce futur, scribes et auteurs ayant mélangé d'une façon inextricable les formes avec une seule r et celles qui en présentent deux. Nous ne croyons pas que serra remonte aussi haut que la première moitié du xii^ siècle, et il nous semble que les quelques formes qu'on rencontre à cette époque doivent provenir des scribes; mais nous sommes assurés qu'elle a été en usage au commencement de la seconde moitié. Le Psautier d'Arundel en montre quelques exemples (cf. 36, 36); mais les deux r au futur de ce verbe restent exceptionnelles. Elles sont plus souvent employées dans certains autres ouvrages, qui ne nous aident pas à dater les formes qu'ils nous donnent comme le fait le Psautier d'x\rundel ; ainsi le Drame d'Adam ; mais les nom- breuses graphies par rr peuvent tout aussi bien provenir du scribe que de l'auteur, plus vraisemblablement même.

Citons encore, comme nous présentant des exemples de cette forme: Gaimar, Adgar, Guillaume de Berneville; d'autres écrivains de la même époque au contraire ne nous en donnent aucun exemple ou seulement un petit nombre de cas, comme Thomas et Jordan Fantosme.

Un peu plus tardivement dans la littérature anglo-française, serra devient sinon la forme unique, ce qui est vrai pour certains auteurs, au moins la forme la plus employée. Chardri s'en sert très souvent, et l'emploie de préférence à la forme ordinaire ; le poème sur Saint Edmund, Boeve de Haumtone, Edward le Confesseur nous montrent la même habitude; l'auteur du Saint Auban, ou son scribe, écrit dix- sept fois les deux r et une seule fois l'r simple. Il en va de même au xiv^ siècle; et il nous suffira de dire que Pierre de Langtoft, Nicole Bozon, Nicolas Trivet préfèrent cette forme à toutes les autres.

Ce qu'il faut surtout remarquer, c'est que cette forme du futur est presque la seule employée en dehors de la littérature. Tous les textes que nous connaissons la montrent et les autres formes sont extrêmement rares.

Par conséquent, nous pouvons maintenant conclure que l'anglo- français a redoublé au futur l'r d'un grand nombre de verbes; pour le plus grand nombre (verbes à palatale) les deux r peuvent se jus- tifier et on ne saurait appeler irrégulières les formes comme csUrra OM ferra. Dans d'autres cas, il est plus difficile ou impossible de jus- tifier la présence de la consonne double; mais ces dernières formes

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722 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

sont assez rares et ne présentent aucune fixité; il faut faire une exception pour serra, futur de être ; il se rencontre assurément dès le commencement de la seconde moitié du xii^ siècle, devient commun au siècle suivant, et est la forme ordinaire du futur au xiV' siècle, dans les œuvres littéraires et surtout en dehors de la littérature.

E svarahhahiqiie ' .

Ce qui suit s'applique aux futurs de III et de IV, aussi à certains futurs de II {d. plus haut) ; même à certains infinitifs (cf. Mode infinitif, p. 441).

LV svarabhaktique se trouve dans les verbes dont le thème est terminé par une labiale ou une dentale appuyée, que ces consonnes soient étymologiques ou paragogiques.

Qu'il nous soit permis de remarquer avant de commencer que cette question, lorsqu'elle a été traitée, a été le plus souvent limitée aux futurs des verbes avoir et savoir; que même la présence d'un ^ à ce temps de ces deux verbes a été considérée comme un phé- nomène qui leur était propre et non comme le cas particuUer d'un phénomène beaucoup plus général. Avoir et savoir n'ont pas été traités d'une manière spéciale; la seule difiîérence qu'on puisse remarquer à leur sujet, c'est que, leur futur et leur conditionnel se rencontrant beaucoup plus fréquemment, les exemples d'd svarabhak- tique pour ces verbes sont beaucoup plus nombreux.

Cependant, comme nous avons eu l'occasion de le voir plusieurs fois, l'anglo-français montre toujours une certaine irrégularité en généralisant certaines formes ; et il se trouve que certains verbes montrent plus souvent et plus tôt Ve qui nous occupe maintenant. Nous pourrons donc, au besoin, étudier séparément les deux verbes avoir et savoir, non pas parce que nous considérerons que la pré- sence de l't' entre leur thème et leur terminaison constitue une question spéciale, mais parce qu'il nous sera alors plus facile et plus utile de diviser la question.

Nous allons nous trouver ici en présence des mêmes difficultés qui nous ont arrêtés plus d'une fois jusqu'ici, et ces difficultés sont

I. Pour cette question, on pourra voir Suchier, Ueber die..., p. 41 ; Merwart, p. II.

FUTUR ET CONDITIONNEL 723

probablement plus insurmontables ici que partout ailleurs puisque le plus grand nombre de nos exemples date du xiv^ siècle. Comment reconnaître la présence d'un c muet, lorsque la versification est aussi irrégulière que possible, lorsqu'il est parfois impossible de décider du nombre de syllabes que l'auteur a voulu donner à son vers, et surtout lorsque nous savons que les e muets étymologiques ou non recevaient, même dans les meilleurs auteurs, un traitement incertain, comptant ou ne comptant pas dans le vers sans autre raison appa- rente que la nécessité du moment?

Il semble donc a priori que nous ne puissions qu'enregistrer quel- ques graphies. Cependant nous pouvons faire quelque chose de plus utile que de signaler les habitudes orthographiques des scribes; notre but n'est pas d'étudier les formes habituelles de la langue de tel ou tel auteur et encore moins de tel ou tel scribe; nous nous proposons de déterminer l'évolution, si on peut employer ici ce terme, de l'anglo-français en général ; il importe donc assez peu de savoir si dans un poème donné les e svarabhaktiques comptent dans la mesure du vers. Nous aurons simplement à nous demander à quel moment précis cette voyelle a été introduite, de quelle façon elle s'est généralisée, à quel moment elle a été employée par la majorité des écrivains et pour quelle classe de verbes. Nous ne nous occu- perons donc que fort peu de la versification ; celle-ci pourra' peut- être, avec l'aide des manuscrits, nous aider à préciser le premier point, la date de l'introduction de la voyelle. Pour tous les textes qui seront postérieurs à cette date, la question de la valeur syllabique de la voyelle ne se présentera plus ou n'aura plus qu'une impor- tance secondaire. Il nous suffira de la trouver écrite pour qu'elle retienne notre attention, car ce fait seul montrera que pour quelqu'un, scribe ou auteur, une voyelle a semblé nécessaire ; nous ne savons jamais, à deux ou trois exceptions près, comment les auteurs de la seconde moitié du xiii^ et ceux du xiv'' siècle traitaient les voyelles muettes, et la question actuelle ne saurait nous l'apprendre.

Nous commencerons donc par l'étude des manuscrits, et nous renvoyons à la liste que nous avons donnée à propos du passage à la désinence en er des infinitifs de III. Nous n'avons dans le ms. L de l'Alexis aucun exemple d'e svarabhaktique (cf. avruin, 107 e) ; mais quelques cas se rencontrent dans un autre manuscrit de la même époque ou un peu plus tardif: le ms. C du Cumpoz et du Bestiaire.

724 L EVOLUTION DU VERBK EN ANGLO-FRANÇAIS

On y lit en effet: savereit {auyeTs 1842, Cumpoz) ; deverait (1912, ibiJ.) ; avcreient (1918, ibid.) ; le ms. A de l'Alexis nous en offre plusieurs exemples ; citons aucrad (80 e) ; et il y en a quelques autres.

Ces quelques exemples suffisent pour nous montrer que cette voyelle a fait son apparition dans la première décade de la seconde moitié du xii^ siècle, et qu'elle a tout de suite affecté plusieurs verbes : avoir, savoir, devoir. Ceux-ci ont tous une labiale comme consonne finale du thème. Nous pensons que ce n'est que par hasard que nous n'avons pas relevé dans ces manuscrits de thèmes à den- tale, et les Psautiers, qui ne peuvent pas être postérieurs de plus de dix ans aux manuscrits que nous avons cités, nous montrent un cer- tain nombre de thèmes à dentale avec cet e; citons dans le Psautier d'Oxford baterunt (97, 9); cstreindemt (^6, 12) ; solderai (36, 22); arderat dans le Psautier de Cambridge (45, 9; 49, 3 ; 78, 5). Les thèmes à labiale dans ces mêmes Psautiers nous offrent de nouveaux exemples : parsizuerai dans celui d'Oxford (17, 41) et dans celui de Cambridge (17, 38); receverai dans ce dernier (49, 9 ; 74, 2).

Nous ne multiplierons pas les exemples ; ceux que nous venons de donner montrent que des verbes à dentale ou à labiale, très variés, peuvent prendre cet e. Tous ne le prennent pas ; la proportion, approximativement, entre les formes qui l'ont et celles qui pourraient l'avoir dans le Psautier d'Oxford, est de 25 contre 75. A quoi faut-il attribuer l'absence de Ve dans les trois quarts des formes ? Peut-être à la fidélité des scribes qui reproduisent exactement leur texte trois fois sur quatre ; plus probablement au fait que Ve à l'origine n'a pas affecté immédiatement tous les verbes.

Dans les Quatre Livres des Rois, un changement se produit qui n'est pas négligeable. Ici, il est évident que la proportion des formes avec cet e n'est pas la même pour les verbes à dentale que pour les verbes à labiale. Pour les premiers, la forme sans e et régulière est de beaucoup la plus commune; nous en avons relevé 55 exemples, contre une douzaine de cas dans lesquels Ve s'est introduit. Pour les verbes à labiale au contraire, Ve est le plus souvent employé; nous n'en avons pas compté moins de quarante-deux tandis que les formes qui ne l'ont pas ne sont qu'au nombre de 15 en comptant dans ce dernier total 13 formes en aiir dans lesquelles il nous est impos- sible de savoir si Vu est voyelle ou consonne. Autant dire que la

FUTUR ET CONDITIONNEL 725

presque totalité des verbes à labiale a admis IV svarabhaktique, alors que les trois quarts des verbes à dentale y échappent.

Les Quatre Livres des Rois nous mènent presque à la fin du xii^ siècle et nous donnent les renseignements les plus précis et les plus sûrs sur les formes de ces futurs. Nous pouvons donc con- clure que Ye svarabhaktique a apparu au futur entre 1 150 et 11 60, probablement pas plus tôt ; que les premiers exemples nous montrent des thèmes à labiale et des thèmes à dentale ; il est plus probable que tous les verbes ayant l'un ou l'autre de ces thèmes n'ont pas tout d'abord été affectés. L'f svarabhaktique s'est étendu de proche en proche ; mais les thèmes à labiale ont été plus vite gagnés à la forme avec voyelle muette que les autres. A la fin du siècle, on peut dire que la graphie avec^ muet est la forme ordinaire des futurs des verbes à labiale, tandis qu'elle est encore relativement rare pour les autres verbes.

Si maintenant nous considérons la versification des poèmes écrits entre 1150 et 1200, nous trouvons un état de choses entièrement difiérent. Les auteurs n'écrivent cet e que rarement et plus rarement encore lui donnent une valeur syllabique.

C'est Adgar qui le premier nous offre quelques exemples de cet e comptant dans la mesure du vers, et les exemples que nous trouvons contiennent tous le futur du verbe avoir; (XI, 422; XVII, 407; XVII, 411).

Mult avérez malveis luier ;

De ki avérai defensiun ; (douteux).

Sulunc qu'avéra deservi.

Il y a encore dans cet auteur quelques autres cas le futur d'avoir compte pour trois syllabes , nous n'avons aucun exemple assuré du même phénomène pour d'autres verbes.

Dans Jordan Fantosme, les exemples sont fort communs, quatre ou cinq pour avoir (159, 285, 536, 1616 (?), 603); deux pour savoir (103, 179) ; un pour perdre (747).

Mar m'averunt entre encuntre li traître es chaumeis. (14 syllabes.)

E quant il li avéra rendu, e s'il bien le prend. (14 svllabes.)

Par lui ne par sa force n'averom desturbier.

Vus m'averez a Lundrcs ainz vienge quinze dis.

Ja saverad li reis Henri asez u moversei.

Mes ki bon conseil saverad, vienged avant, sil.die.

En mun vivant n'en perderai plein pié. (10 syllabes.)

726 l'évolution du verbe en anglo-françals

Nous n'en avons relevé qu'un seul cas dans Tlpomédon de Hue de Rotelande (au vers 3744) :

U la fiance i metterez.

On peut en trouver quelques-uns dans le poème de Horn ; mais tous sont assez douteux, comme le vers 4719 :

(E ?) sa mort sil purrad mult clier leurvendera

Sauf dans Jordan Fantosme, les cas qui montrent que Ye a pris la valeur d'une syllabe sont donc très rares.

Nous trouvons de même dans la Vie de Saint Gilles plusieurs exemples montrant cet c compté dans la mesure du vers ; l'un d'entre eux est le futur d'un verbe à dentale : snrdcniuî (au vers 218); les deux autres proviennent de verbes à labiale : uioverad (au vers 1829); vivertiin (au vers 3170) :

Dunt il ne surderuut ja mois. Meis li reis ne maverad mie. Pur tant cum nus deus viverum .

Lire : « comme » ?

Avoir et savoir nous offrent 'en outre quelques exemples ; pour le premier verbe Ve est compté dans trois cas sur un total de treize formes employées ; pour le second dans deux cas sur un total de cinq. Voici les cinq vers se trouvent ces exemples :

K'a curt ternie n'avéras rien . U avérez dras eestruiz. Delà pour kil averunt. Tant dunt tu me saveras gré. Demain saverum tut le veir.

Ces formes sont donc assez nombreuses ; mais elles restent une minorité, et sauf pour avoir et savoir, une petite minorité.

Par conséquent, les écrivains de la fin du xii^ siècle emploient parfois les e svarabhaktiques avec valeur syllabique, mais le plus grand nombre des e que nous rencontrons restent purement gra- phiques.

Il y a donc divergence manifeste entre l'usage des auteurs et

FUTUR ET CONDITIONNEL 727

celui des scribes qui étaient leurs contemporains. Ceci nous éclaire sur la valeur de cet e. Il n'a pas été considéré d'abord comme un e muet ordinaire, car à cette époque les e muets sont régulièrement comptés dans le vers, au moins chez la plupart des écrivains, en par- ticulier par Guillaume deBerneville. Sa valeur a été pendant le pre- mier demi-siècle de son emploi celle d'un son vocalique accessoire, non pas inutile, puisqu'on l'écrivait, mais qui se prononçait à peine et qui n'avait même pas la valeur de Ve muet habituel. N'est- pas du reste le vrai rôle des voyelles svarabhaktiques d'aider à la prononciation d'un groupe de consonnes sans allonger perceptible- mentla longueur du mot? Les auteurs qui ont compté cet e comme une syllabe ont dénaturé sa valeur et l'ont fait passer au rang d'un ^ muet ordinaire.

Il semble donc que, vers la fin du xii^ siècle, les thèmes à labiale et quelques verbes à dentale l'emploient régulièrement au futur et ce n'est que dans un petit nombre de cas que cet e perd sa valeur propre et est traité comme un <' atone.

Les choses restent en l'état pendant la première moitié du kiii* siècle; les auteurs et les scribes continuent à écrire cet g et les pre- miers ne le comptent que rarement : il reste une sorte à'e auxi- liaire, si on peut dire, différent de Ve muet ordinaire. Nous ne croyons pas par exemple que l'on puisse trouver dans les trois poèmes de Chardri un seul exemple donnant à cette voj^elle au futur la valeur syllabique ; Frère Angier au contraire emploie constamment la forme trisyllabique pour le futur du verbe avoir; et quelques autres verbes dans les poèmes de cet auteur montrent le même allon- gement syllabique, citons vantera (37 b), comme thème à den- tale et inovera (99 a) comme thème labiale.

Nous croyons remarquer une augmentation de ces e muets svlla- biques dans le second tiers du xiii^ siècle ; les formes aver- sont employées dans les Evangiles des Dompnées, mais assez peu réguliè- rement ; d'autres exemples se rencontrent dans le même poème, surtout de verbes à labiale, quoiqu'on trouve aussi respundernu! (au folio 19 r°). Nous ferons à peu près les mêmes observations sur le poème de Saint Edmund dans lequel nous lisons avcrum (au vers 1003) ', perderum (au vers 17 10), perdere:^^ (au vers 2275); devere{

I. Cornent averunt le larrun, etc.

728 l'évolution du verre en anglo-français

(au vers 1241); resayvcrunl (au vers 3925), comptant respective- ment pour trois et quatre syllabes.

Vers le milieu du xiii'^ siècle, Vc est plus souvent syllabique, autant qu'on peut en juger. Prenons par exemple le Saint Auban; Ve n'est certainement pas purement graphique dans les exemples sui- vants : siirdcra (au vers -|2S), cspaiidera (au vers 432), respiuidcrgi (au vers 529), perdcra (au vers 1576), et pour les thèmes à labiale: dcverad (^ixu. vers 182), saverra (au vers j[^2),receverai (^âu vers 1725). Pour le futur du verbe avoir, Vc qui est régulièrement écrit ne compte qu'une fois dans la mesure du vers. Cela nous a surpris ; mais il est fort possible que l'auteur ait employé la forme avec u voyelle : aura, laquelle aura été changée par le scribe en avra, puis avéra.

Après le Saint Auban, les formes avec e muet ordinaire deviennent de plus eu plus communes, et nous ne pouvons songer à citer ici toutes les formes. Il serait peu utile de pousser plus loin cette étude de Ye svarabhaktique dans les textes littéraires anglo-français; nous le trouvons presque toujours, sinon toujours, écrit dans les ouvrages du xiv^ siècle ; et il a très souvent valeur syllabique, autrement dit, il cesse le plus souvent d'être une voyelle svarabhaktique pour deve- nir une simple voyelle muette. Citons à ce propos une forme inté- ressante qui se lit dans le poème deDermod, andthe Earl, et qui peut aussi bien appartenir à l'auteur qu'au scribe: c'est dcvoroie qu'on ren- contre au vers 2433. On voit que dans cette forme l'f, originairement svarabhaktique, a été assimilé à la voyelle de la terminaison del'infi- nitif ; pour celui qui Pa écrite, cette voyelle n'est plus simplement destinée à exprimer une prononciation particulière d'un groupe de consonnes, ici vr, mais elle est considérée comme une partie inté- grante et étymologique du futur : ceci nous montre d'une façon concrète que Ye, à l'origine svarabhaktique, a perdu sa nature.

Nous trouvons une graphie analogue de Y 2.iont àzns surveioraÇào. voir, mais avec confusion avec veiller) qu'on lit dans le Liber Rubeus de Scaccario; d'autres voyelles, comme a, se rencontrent; citons savara qui se lit dans les Literae Cantuarienses, 1335, 58e.

Nous conclurons maintenant ces remarques sur la voyelle svara- bhaktique au futur et au conditionnel dans les ouvrages littéraires. La base de cette étude a été l'usagedes scribes tel que nous le montrent plusieurs manuscrits. Nous avons vu que Ye svarabhaktique a été

i

FUTUR ET CONDITIONNEL 729

employé dès le commencement de la seconde moitié du xii^ siècle, à peu près également d'abord pour les verbes dont le thème est terminé par une labiale et pour ceux qui ont une dentale. Mais Ve s'est généralisé plus rapidement pour les premiers que pour les seconds. A la fin de ce siècle, cet e, pour les verbes à labiale, est à peu près général ; nous ne savons pas exactement quand il l'a été pour l'autre classe de verbes ; mais nous pouvons reconnaître que, vers 1250 au plus tard, il est écrit partout.

Cette forme s'étant généralisée n'a jamais perdu de terrain. \'oilà les résultats que nous donne l'étude des manuscrits et pour nous ce sont les résultats les plus clairs et les plus importants.

C'est sur un autre ordre de faits que porte notre étude sur la langue des ouvrages eux-mêmes. Quand et dans quelles limites Ve svarabhaktique a-t-il cessé d'être svarabhaktique pour devenir un simplet" muet syllabique ? Les résultats que nous obtenons soi^t en partie vagues, incomplets et discutables. L'étude des auteurs pris iso- lément, dans la plupart des cas, n'aboutit le plus souvent, surtout au xiii'- siècle, qu'à des conclusions incohérentes. Cependant, de l'en- semblp^ nous pouvons dégager quelques données générales, qui sont vraies relativement.

Dès la fin du xii^ siècle, Ve a pris dans un petit nombre de cas une valeur syllabique ; ce changement provient de certains auteurs et affecte spécialement certains verbes, en première ligne avoir et savoir.

Ce qui était limité à quelques auteurs à la fin du xii'^ siècle et pendant la première moitié du siècle suivant, devient très général après 1250; en même temps tous les verbes qui étaient affectés de cet e svarabhaktique au futur et au conditionnel, voient ces temps aug- mentés d'une syllabe. En somme, on peut dire que Ve réellement svarabhaktique a disparu dans l'anglo-français du xiV^ siècle ou plus exactement a évolué vers Ve atone ordinaire.

Ve svarabhaktique est très commun en dehors de la langue litté- raire ; les exemples que nous avons relevés sont trop nombreux pour que nous puissions songer à les signaler tous; nous nous bor- nerons à faire quelques constatations générales.

Pour le verbe avoir, la forme aver- est non seulement la plus employée, mais, dans la plupart des recueils, elle est, à très peu de chose près, unique. Dans les Statutes nous avons relevé deux ou trois exemples

730 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

de livra (^comme en 1290, I, 221); un ou deux de aura (comme en 1335, I, 270); supposons qu'un certain nombre de l'une ou de l'autre de ces formes nous ait encore échappé, nous n'arriverons jamais qu'à un total insignifiant, si on le compare au nombre très considérable de formes avec e. Ce que nous disons des Statutes s'ap- plique aussi bien aux Rymer's Foedera, quoique le nombre des formes normales soit cependant sensiblement plus élevé. Les formes en aur semblent venir par paquets ; par exemple, dans le Traité qu'on trouve au sixième volume (p. 446), sous la date de 1364, on en trouve une dizaine. Atout prendre, ces formes sont rares, même dans les Rymer's; elles n'existent pas dans plusieurs autres recueils : les Parliamentary Writs', ni dans les Literae Cantuarienses. Quant aux Year Books, on trouve un peu plus de fantaisie mais la forme allongée est encore de beaucoup la plus employée.

Nous avons beaucoup moins d'exemples pour savoir, mais ceux que nous avons nous montrent un état de chose analogue : peut- être même que les formes normales sont proportionnellement moins fréquentes que les formes correspondantes d'avoir.

Pour devoir, les Statutes allongent régulièrement le radical ; cependant devr- se rencontre, mais n'est employé que d'une façon exceptionnelle ; citons pour cette dernière forme l'exemple du pre- mier volume des Statutes, p. 388 (1363) ; dans les Rymer's Foedera qui nous présentent toujours des formes plus variées et moins consistantes, devr est moins rare ; on en trouve six exemples dans le Traité de 1364 (VI, 446).

Par conséquent, le futur et le conditionnel des trois verbes précé- dents se présentent presque toujours sous la forme allongée.

Nous ne pouvons pas en dire autant de vouloir ; comme les autres verbes qui ont un thème à dentale (voir plus bas), Ve muet entre le thème et la désinence n'a pas le caractère de généralité qu'il a pour les verbes précédents ; mais les exemples de vodera sont si nombreux que nous avons cru devoir les rapprocher de ceux de avoir, savoir, devoir.

Vodra tout d'abord est assez commun, surtout dans les Statutes (cf. 1335, I, 275, 281, 2 fois ; 1340, I, 299), si commun que l'as- similation de la dentale a été possible, et vora, à partir du milieu du xiv^ siècle, a presque supplanté la forme précédente (cf. 1350,!, 310; 1353. I. 3^3; i377> II, 2).

FUTUR ET CONDITIONNEL 731

Le futur montrant Ve svarabhaktique est à peine plus employé que les deux formes précédentes prises ensemble ; on la trouve dès la fin du xiii'^ siècle (cf. Statutes, 1299, I, 131 ; dans les Par- liamentary Writs 1297, I, 393); elle est commune dans tous les recueils pendant la première moitié du siècle suivant, mais semble un peu moins employée après 1350 (voir cependant dans Rymer, 1357, IV, 758) ; elle est assez fréquente dans les Year Books (d. 20 et 21 Edw. I", p. 181 et passim).

Nous avons, pour les quatre verbes précédents, créé pour ainsi dire une classe spéciale , parce qu ils se trouvent beaucoup plus employés au futur que les autres verbes.

Nous avons cependantplusieurs exemples nous montrant IV, svara- bhaktique ou non, affectant d'autres thèmes à labiale ou à dentale. Citons rapidement x'/irra, employé dans Rymer (1359, VI, 119); estendenini dans les Statutes (1267, I, 197); rcnderoit dans les Rymer's Foedera (1337, IV, 758). Faudera est très commun, on le rencontre par exemple dans le recueil que nous venons de citer (1359, VI, 114 ti passim) ; on pourrait en énuir.érer encore beau- coup d'autres comme isteront, descendeni dans le Liber Albus (1303, 148); peytereit dans les Year Books, etc.

D'autres thèmes se trouvent atteints ; mais les formes qu'ils nous donnent sont toujours exceptionnelles et sont plus souvent des preuves de l'incapacité des scribes que des exemples de l'évolution delà langue. Citons pour en finir une de ces formes qui montrent un de ces e avec un thème vocalique : plaiera de plaire qui se ren- contre dans les Rymer's Foedera (1375, VII, 26). Cet exemple et les formes analogues qu'on trouve dans les recueils les plus incorrects suffiraient h montrer que Ve qui avait quelque raison d'être comme e svarabhaktique a entièrement perdu ce caractère, et n'est plus qu'un e muet irrégulier qui s'introduit entre le thème et la désinence au futur et au conditionnel.

Ce que nous venons de dire du futur s'applique aussi bien à d'autres temps, comme l'infinitif ou certains passés définis en nvi ; mais pour ces deux derniers temps le nombre d'exemples est trop restreint pour que nous puissions tirer des conclusions sûres. Nous croyons même que c'est au futur et au conditionnel qu'il faut chercher en partie la raison du développement de cet e qui se remarque ailleurs que dans le verbe et que ce sont aussi ces temps

732 l'évolution du verbe en anglo-français

qui nous montrent le mieux comment cette voyelle a perdu sa nature. Nulle part ailleurs en effet, on ne peut trouver une collec- tion Je formes analogues susceptibles de le prendre et assez usitées pour que l'usure des formes produise les changements de valeur que nous avons signalés. Nous n'en dirons pas davantage sur Ve svara- bhaktique; l'étude des textes non littéraires n'a pas ici grande importance et du reste elle ne peut que confirmer les conclusions auxquelles l'étude des manuscrits nous avait amenés.

Nous le répétons, cette question de Ve svarabhaktique est plus du ressort de la phonétique que de la morphologie, quoique la plu- part des auteurs qui ont traité cette question pour le futur, en par- ticulier pour celui du verbe avoir, l'aient rangé parmi les phéno- mènes qui affectent le verbe. Nous n'avons pas cru devoir la laisser de côté; c'est probablement dans le verbe qu'elle a eu toute son extension ; et son influence a été telle que c'est grâce à elle que le futur du verbe en anglo-français a pris une physionomie toute par- ticulière.

Il nous reste, maintenant que nous avons exposé rapidement les modifications générales que le verbe a subies au futur et au condi- tionnel en anglo-français, à parler de certains futurs particuliers dont les différentes formes ne sont pas expliquées par les considéra- tions précédentes : le futur du verbe être et celui du verbe faire .

a) Futur du verbe être ^ .

On trouve pour ce verbe deux sortes de futur :

Un futur qu'on peut appeler étymologique et qui remonte au latin ero, is^ it, imus, itis, unt.

Un futur analogique, formé comme les futurs des autres verbes au moyen du présent de l'infinitif et du présent de l'indicatif du verbe avoir.

Ce dernier futur est encore double pour le verbe être suivant le radical du verbe qui est employé, l'un étant le radical de l'infinitif : eslr; l'autre un radical spécial scr. Nous devons donc trouver pour ce verbe trois formes du futur. Le conditionnel, évidemment, ne connaît que les deux dernières.

I. Pour le futur du verbe être, on peut consulter Romauia VII, p. 367 (Cornu); Zeitschrift III, p. 1 5 1 (Suchier).

FUTUR ET CONDITIONNEL 733

I. Futur étymologique.

Les formes du futur étymologique sont employées plus ou moins fréquemment suivant les personnes ; nous n'avons par exemple relevé aucun exemple de la deuxième personne du pluriel, ce qui du reste ne veut pas dire que icrtes ou crtes n'ait jamais été employé en anglo-français. La première personne du pluriel est aussitrès rare; on trouve cniics au vers 1919 de Horn.

La première et la seconde personne du singulier sont les plus communes, surtout au xii^ siècle ; voici quelques exemples de la première personne : iere se trouve aux vers 5387 de l'Estorie des Engleis ; ère au vers 1466 de Thomas et au vers 812 d'Edward le Confesseur; er 2iU vers 8773 de l'Ipomédon ; nous devons citer les deux formes avec gutturales des Quatre Livres des Rois que nous avons déjà vues : ieir (II, 6, 22), crc (I, 28, 17). On trouve cette personne sous la forme iere jusque dans le ms.B du Vers del Juise (au vers 408).

Comme exemples de la seconde personne du singulier, nous trou- vons iers dans les Légendes de Marie d'Adgar (XIII, 98) ; dans les Quatre Livres des Rois (I, 10, 6 ; II, 5,2); et au vers 830 d'Edward le Confesseur.

Nous n'avons relevé aucun exemple de ces deux personnes dans les ouvrages postérieurs à Edward le Confesseur ou au Vers del Juise, et il est évident que l'emploi de ces deux formes n'a jamais été très étendu et qu'il a entièrement cessé assez tôt.

Il n'en est pas du tout de même pour les troisièmes personnes du singulier et du pluriel; (/)er/, (^i)erenl sont les seules formes employées dans le Voyage de Saint Brandan, et elles se trouvent plus ou moins fréquemment dans tous les autres auteurs du xii*^ siècle et du xiii^, mais elle perd du terrain à mesure que la forme analogique sera en gagne.

La langue politique, diplomatique, familière, légale, ne connaît pas ces formes, nous n'en avons relevé que deux exemples : ert dans le Liber Albus (1243. 118), iert dans lesRymer'sFoedera (1363, VI,

427)-

Il est cependant certain qu'elles ont été employées jusque dans lu

seconde moitié du xiv"-' siècle.

734 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

2. Futur analogique cstrai, conditionnel analogique t'i/zr/V.

La forme analogique estrai, esireie est rare en anglo-français ; on ne la trouve que dans un petit nombre d'ouvrages du xii'^ siècle. L'au- teur du Saint Brandan l'emploie assez fréquemment, par exemple aux vers 425, 588, 1759; c'estla seule qu'il connaisse pour le condition- nel (cf. vers 615, 618, 859).

On la rencontre encore une fois dans le Drame d'Adam : estrat (au vers 58), et deux fois dans Horn -.cstrc- (au vers 555), estreit (au vers 322, C et O).

Ce sont les seuls exemples que nous ayons relevés, à moins qu'on n'y joigne encore eseriDit dn Psautier d'Arundel (18, 14), contamina- tion entre esterunt et serunt ou erreur cléricale.

Cette forme du futur semble entièrement absente des textes non littéraires.

}. Forme Analogique sera ie, sereie.

Ce que nous venons de dire laisse déjà supposer ce qu'il nous reste à exposer : la forme moderne est en anglo-français de beau- coup la plus employée. On ne trouve guère qu'elle à quatre per- sonnes sur six au futur, et à toutes les personnes du conditionnel; elle se rencontre, comme forme unique ou ordinaire de ces deux temps, dans tous les auteurs anglo-français, à l'exception d'un poème du commencement du xii^ siècle : le Voyage du Saint Brandan . La seule question qui puisse retenir quelque peu notre attention, ce sont les progrès que la forme analogique serai a faits à la troisième personne du singulier et à la troisième personne du pluriel du futur.

Nous résumerons en quelques lignes les principaux points de cette question.

Au xii^ siècle, la forme sera se trouve déjà assez communément employée, à une exception près : dans le poème du Cumpoz elle se trouve à peu près aussi souvent que la forme étymologique, et dans le Bestiaire, la proportion en faveur de la forme qui nous occupe est devenue encore unpeu plusforte. Les Psautiers nous mon- trentque .vc/vr devient de plusenplusla forme ordinaire du futur du verbe être. On le trouve environ sept fois contre une fois iert ; et ce rapport se maintient à peu près le même dans le Psautier de Cam-

FUTUR ET CONDITIONNEL 735

bridge. Dans la Chronique de Fantosme, la Vie de Saint Gilles de Guillaume de Berneville, la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clé- mence de Barking, la forme moderne reste toujours plus commune que l'autre. Il nous semble peu utile de poursuivre auteur par auteur cette étude : disons que la forme étymologique subsiste toujours, mais qu'elle reste moins employée que l'autre. La propor- tion entre ces deux formes varie d'un poème à l'autre : chaque auteur suit pour l'emploi de ces deux formes sa fantaisie ou se laisse imposer l'une ou l'autre de ces formes par les nécessités de la versification. Dans Pierre de Langtoft par exemple le nombre des deux futurs du verbe être n'est pas extrêmement différent de celui que nous avons vu pour les Psautiers : nous trouvons dans la Chronique de cet auteur environ neuf 5t'ra contre un iert.

Ceci montre que les deux formes ont coexisté pendant toute la période qui nous a occupés, mais que le nombre des formes étymologiques, toujours moindre que celui de sera, a varié d'une façon très capricieuse.

On peut dire que cette dernière forme est la seule que con- naissent les textes non littéraires ; les quatre ou cinq exemples que nous avons relevés de l'autre sont négligeables. Et ceci encore nous est une nouvelle preuve que iert, au moins à la fin du xiii^ et au xiv^ siècle, n'est employé que lorsque les auteurs ont besoin pour le futur du verbe être d'une forme monosyllabique.

b) Futur et couditkmnel de faire.

Le futur et le conditionnel de faire présentent régulièrement une voyelle muette dans la syllabe initiale ; les formes enfer ne sont ni inconnues ni même rares en anglo-français. A côté de celle-ci cependant, on trouve aussi une autre forme, abrégée, de laquelle la voyelle du thème a disparu, en fr. Nous nous propo- sons d'étudier maintenant la répartition de ces deux formes aux diverses époques de la littérature anglo-française.

Nous aurons, à dire vrai, les plus grandes difficultés à arriver à des conclusions un peu précises : les mêmes que celles que nous avons déjà rencontrées à propos de Ve svarabhaktique. Car, outre l'irrégularité de la versification, sur laquelle nous ne reviendrons pas, il faut encore tenir compte de l'habitude des écrivains anglo-

736 l'évolution du verbe en anglo-français

français de compter ou de ne pas compter les c muets dans le vers. Nous aurons constamment h nous poser les questions suivantes : Fauteur n'a-t-il pas foit un vers faux ? Telle forme contracte, est- elle réellement contracte, ou bien l'auteur traite-t-il Ye atone, comme dans tant d'autres endroits, comme une syllabe qu'on pro- nonce ou qu'on ne prononce pas, à la guise de chacun ? Cependant, dire qu'une syllabe peut ne pas se compter dans un vers, n'est-ce pas dire qu'elle est réellement muette dans la prononciation ordi- naire, en d'autres termes que la forme qui- la contient est une forme contracte ? Il semble donc légitime de conclure que, dans tous les cas Yc de la syllabe initiale de faire, au futur ou au condition- nel, semblera ne pas compter dans la mesure du vers, ce futur sera un futur contracte, et que ce seront surtout les cas il semblera compter qui devront nous être suspects ; car si, pour une époque donnée, nous avons des preuves que cet e a disparu de la pronon- ciation dans la majorité des cas, nous serons en droit de consi- dérer les formes il se trouvera un c atone comme une preuve que l'auteur, pour faire son vers, a avoir recours à une forme peu usuelle et archaïque. Dans ces conditions, cette voyelle n'aura plus qu'une valeur de fantaisie ; mais il nous faudra avant tout montrer que, dans le plus grand nombre de cas, à cette époque 1'^ atone avait disparu.

Pendant la première période de l'anglo-français (jusqu'à 11 60), la forme pleine se trouve seule employée. Dans les poèmes de Philippe de Thaùn, dans le Psautier d'Oxford nous ne rencon- trons aucun exemple de la forme monosyllabique.

Nous pouvons relever deux exceptions cependant. La première, c'est l'Estorie des Engleis. Gaimar, il est vrai, emploie le plus sou- vent la forme dissyllabique et les exemples absolument sûrs sont extrêmement nombreux (Voir les vers 276, 317, 339, 421, 1229, 1886 et passim). Mais il y a quelques cas douteux ; citons comme exemple le vers 3094 (R) :

Jameis de rien ne li forf(e)runt.

Mais les trois autres manuscrits sont d'accord pour montrer qu'il flmt supprimer le // et on doit lire soit : « ne forferunt » avec D et L; ou avec H : « nel forferunt ». Tous les autres cas, et ils sont très peu nombreux, peuvent de la même façon passer pour des correc- tions du scribe du ms. R.

FUTUR ET CONDITIONNEL 737

La seconde exception paraît tout d'abord avoir plus d'impor- tance : elle est constituée par le poème du Voyage de Saint Bran- dan. L'auteur de ce poème, à en croire l'édition qu'en a donnée M. Suchier, n'emploierait jamais que la forme monosyllabique (cf. les vers 367, 426, 551, etc.) ; seuls les vers 43 et 920 pré- sentent la forme étymologique. Cette régularité dans l'emploi de la forme courte étonne tout d'abord à la date du Saint Brandan ; mais une comparaison même rapide avec le texte du manuscrit de l'Arsenal BLF 283 nous montre que ces différentes formes sont toutes dues au scribe du manuscrit de Londres. Elles doivent donc prendre place vers 11 67, ce qui nous paraît beaucoup plus vrai- semblable.

Car après 11 60, le nombre de formes courtes augmente brusque- ment ; cependant aucun auteur de cette époque ne nous montre un aussi grand nombre de cas que le manuscrit de Londres du Saint Brandan, ce qui, encore une fois, nous montre combien la langue des scribes est en avance sur celle des auteurs. Par exemple le Psautier de Cambridge nous donne fras (87, 10) et le manuscrit B du même Psautier en off"re un nouveau cas (28,8). Dans le Drame d'Adam, nous en relevons encore quelques exemples assu- rés par la mesure du vers (cf. les vers 448 et 692) alors que les formes normales sont au nombre de trente environ.

Le nombre de ces formes est donc encore assez petit.- Seul le scribe du Saint Brandan nous les montre presque exclusivement. Mais il n'est qu'une exception et nous pouvons conclure que, entre II 60 et II 70, les formes abrégées ne sont pas inconnues; elles commencent à s'introduire dans les œuvres littéraires, mais elles sont regardées le plus souvent comme des formes négligées dont tous les auteurs un peu soigneux se gardent aussi bien que pos- sible.

Cette conclusion est confirmée par l'étude du futur de faire dans les deux auteurs suivants : Adgar et Jordan Fantosme. Chez eux, les formes contractes deviennent tout à coup plus communes que les formes pleines. Nous avons établi dans plusieurs morceaux d' Adgar le rapport du nombre des formes pleines à celui des formes abrégées : nous avons trouvé un rapport À peu près cons- tant et égal tantôt à 5/7, tantôt à 13/18 ; le rapport dans Jordan Fantosme est égal à 67/100, ce qui est un peu inférieur aux

47

738 l'évolution du verbe en anglo-français

nombres que nous venons de citer pour Adgar (cf. pour Fan- tosme, formes pleines, vers 330, 336, 347, 595, 869, 1302, 1417; formes abrégées, vers 188, 348^ 808, 1453, 1454, 1489, 1576, 1817, 1912, 1939, 2019 ; douteux, vers 1222).

Il en va exactement de même pour Thomas qui emploie deux fois plus de formes contractes que de formes pleines, soit 50/100 ; ce qui est encore inférieur à Fantosme.

Par contre^ on trouve encore à peu près à la même époque, ou même plus tard, des auteurs qui, comme ceux du Saint Gilles et de Horn, préfèrent la forme étymologique. Dans Horn, les deux formes sont en nombre sensiblement égal, dans le Saint Gilles on trouve II formes pleines contre 8 formes abrégées, soit 137/100.

Nous n'avons plus après cette date cherché les proportions exactes entre les nombres de ces deux formes dans les différents auteurs. Nous avons pu, à toutes les époques, constater que chaque écrivain emploie pour ainsi dire indistinctement l'une ou l'autre de ces formes ; quelques-uns, et ils sont assez rares, comme l'au- teur du Saint Edmund, ne veulent pas employer la forme abrégée, qu'ils considèrent comme moins correcte ; d'autres, et ils sont plus nombreux, n'emploient presque pas celle-là, comme l'auteur du Saint Auban (27/100) ou celui de Dermod (29/100). Au xiv^ siècle, la même chose arrive, quoique nous ne trouvions plus d'auteur qui emploie exclusivement le futur qui conserve la voyelle thématique ; dans Pierre de Langtoft, les deux futurs sont en nombre à peu près égal ; dans Nicole Bozon, /;- semble avoir complètement chassé fer ; par contre le Prince Noir n'a aucun cas assuré de la forme abrégée ; on peut la soupçonner dans trois vers (contre vingt îois fer ').

La question est infiniment plus simple dans les textes non lit- téraires ; la forme avec e est la plus employée et la proportion dans n'importe quel recueil est grandement en sa faveur. Nous avons cependant tort de parler de la forme avec e ; il n'y en a pas qu'une, il y en a, comme nous l'avons du reste dit, deux : fera tx. ferra. La première est la plus répandue et se trouve partout ; la seconde est

I. Vers 795 : Ne le f(e)rons pas en nostre vie ; (lire nel ?)

2680: Les f(e)roient mûrir a hountage ; (fe-roint on troi-ent?) Î5s6 : Pur quoy f(e)roie je un parlement.

FUTUF HT CONDITIONNEL 739

limitée à un certain nombre de textes comme les Statutes et les Parliamentary Writs ; d'autres ne la connaissent pas.

La forme abrégée dans n'importe quel recueil est probablement moins commune encore que la seconde des deux formes ci-dessus ; pour ne prendre que le recueil le plus correct, les Statutes pré- sentent en tout 9 cas de cette forme abrégée, les futurs de ce verbe devant probablement se compter par centaines. Nous ne pensons pas que dans les Rymer's Foedera la proportion soit sen- siblement supérieure à celle que nous venons d'indiquer. Dans les Year Books, les formes sont certainement plus mélangées et il est difficile de dire quelles sont les habitudes de ceux qui les ont écrits ou copiés ; il nous semble bien cependant que la forme qui con- serve la voyelle du thème reste toujours la forme habituelle (cf. Y).

Nous devons cependant signaler une exception qui ne manque pas d'importance : le recueil des Literae Cantuarienses qui nous représente la langue familière. Dans ces Lettres, on ne saurait dou- ter que ce soit la forme abrégée qui est la forme habituelle. Et sur ce point la langue familière est plus voisine de la langue littéraire (cf. les œuvres de Nicole Bozon) que de la langue politique. On pourrait ajouter que quelques chroniques monastiques, comme les Annales des Monastères de Burton et de Saint-AIban, nous montrent aussi un très grand nombre de formes abrégées.

Voici donc les seuls points absolument certains auxquels nous conduise l'étude qui précède :

1 . Jusqu'à 1 1 60, nous ne rencontrons aucun cas assuré de la chute de la voyelle du thème dans les futurs et conditionnels de faire.

2. Les formes /r apparaissent immédiatement après cette date.

3. Elles restent d'abord exceptionnelles et sont probablement considérées par les auteurs comme des formes négligées. Les scribes cependant les emploient sans scrupules, même avant la fin du xu^ siècle.

4. Au XIII'', les deux formes sont employées concurremment ; on ne peut pas dire que l'une déplace l'autre.

5 . Il en va de même au xiv^ ; quelques auteurs cependant n'em- ploient guère que les formes abrégées (dans la littérature et dans les œuvres familières).

6. La forme abrégée est rare dans les œuvres politiques et diplo- matiques.

740 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-1-RANÇAIS

Le thème an jutur.

Les moditîcations que le thème subit au futur (sans distinction de conjugaison) sont surtout d'ordre phonique et nous n'en dirons par conséquent que quelques mots. Quelques-unes sont absolument normales en anglo-français, comme l'hésitation entre o et ti, comme dorrai, durrai, niostrerai, illustrerai, niorrai, miirrai ; la graphie montrant u est de beaucoup la plus commune après 1150.

D'autres thèmes montrent des variations analogues ; nous remarquons par exemple une hésitation entre trarrai et trerrai, entre plarrai et plerrai ; même pour ce dernier verbe, la diphtongue aie se rencontre ; plaierai se lit dans les Rymer's Foedera 1375, VII, 26.

La disparition de la nasalisation est un phénomène aussi régu- lier ; nous avons déjà eu l'occasion de citer des exemples de durrai et inerrai pour donrai, menrai ; ajoutons-y maintenant illustrerai, quoique l'infinitif lui-même et les autres différents temps nous donnent de nombreux exemples du radical miistr.

Les changements anormaux ne sont pas rares ; nous trouvons que le radical du futur a une autre forme que celui de l'infinitif, sans qu'il soit toujours possible d'en découvrir la raison. C'est ainsi que Frère Angier écrit dans la Vie de Saint Grégoire derrei (au vers 2455) et dierrei (au vers 1867) pour dirai ; Jean de Peckham emploie faroiii (1287,439) comme futur de faire. Dans d'autres cas, nous trouvons un allongement du radical, dans poora qui se trouve dans le Blacke Booke of the Admiralty (1291,30), dans seira (de seoir) dans le Registrum Malmesburiense (1275, I, 209). Plus rarement le radical s'abrège ; ainsi arai d'avoir est une forme rare en anglo-français, mais qu'on trouve dans le Vers del Juise (ms. B, vers 22 et passiiii).

Enfin il est assez commun à certaine époque de trouver au futur des verbes de III la diphtongue ei, oi de l'infinitif; la langue litté- raire semble avoir évité ces formes assez soigneusement; elles sont relativement communes en dehors de la littérature. On trouve voira dans les Literae Cantuarienses (1253,795), avoira dans les Annales Londonienses (1308, 153) ; aïoireit assez fréquemment dans les Year Books (cf. 11 et 12 Edw. III, 147). L'intérêt de

FUTUR ET CONDITIONNEL 74Ï

ces formes, c'est qu'elles n'ont été possibles que du jour l'infi- nitif étymologique en oir a définitivement déplacé l'infinitif à ter- minaison en er; il semble que ceux qui ont employé les dernières formes que nous avons citées se sont tenu le raisonnement suivant : si on doit dire avoir et non aver, veoir et non veer, de même on devra employer aval ra, veoira au lieu de avéra, veera.

SECONDE PARTIE

SECONDE PARTIE

Nous avons, dans noire première partie, tenté de suivre dans ses détails l'évolution du verbe en anglo-français ; nous nous sommes abstenu, autant que cela nous a été possible, de rechercher l'ori- gine des différentes formes que nous rencontrions, surtout lorsque cette origine pouvait être matière à discussion. Nous nous sommes borné à exposer sans vouloir expliquer.

Ce qui nous reste à faire maintenant c'est de rechercher les causes générales des phénomènes qui ont changé si profondément la conjugaison du verbe en anglo-français ; l'exposé rapide que nous avons fait des principales formes qu'il peut prendre montre que ces causes n'ont pas été extrêmement nombreuses ; les mêmes phénomènes se produisent sur différents points de la conjugaison : un e muet étymologique tombe fréquemment à la troisième per- sonne du singulier du présent de l'indicatif, à la deuxième de l'im- pératif, au futur ; un c muet parasite se montre à la première per- sonne du singulier du présent de l'indicatif, à la troisième personne du singulier du même temps, au futur. Tous ces phénomènes ont-ils la même cause ? Dans quelles conditions se sont-ils produits ou plutôt, se sont-ils produits dans les mêmes conditions pour cha- cun des cas que nous avons relevés ?

Comme on le voit, nous allons avoir à répéter daits une certaine mesure ce que nous avons dit dans notre première partie, au moins à revenir, en tâchant de les grouper et de les expliquer, sur les exemples que nous avons donnés. Nous ferons notre possible pour éviter les redites, et pour les citations nous renverrons à notre première partie.

74<5 l'évolution du verbe en anglo-français

On nous reprochera peut-être de n'avoir pas opéré ce groupe- ment déjà dans notre première partie et d'avoir suivi sans beau- coup de raison la division habituelle : désinences personnelles, modes, temps.

Mais il nous a semblé que si nous avions alors rassemblé les formes qui ont été le sujet de changements analogues, nous n'au- rions pas évité de graves défauts : d'abord, une telle étude aurait donné l'impression d'un désordre absolu ; nous aurions été en effet obligé de réunir des formes absolument hétéroclites, comme on le constatera par la suite ; ensuite toute impression d'ensemble aurait disparu, une même forme pouvant à la même époque recevoir deux ou plusieurs traitements absolument différents. Surtout, un tel ordre, plus logique que celui que nous avons adopté, n'aurait pas rendu compte de l'évolution des différentes formes ; et c'est sur- tout cela que nous avons voulu éviter.

Pour ces différentes raisons, nous avons réservé pour notre seconde partie ce traitement purement logique qui rassemble les formes provenant du jeu des mêmes causes.

Nous allons voir que ces causes peuvent se ranger en trois grandes classes : évolution phonique ; influence d'un temps sur un autre, d'un mode sur un autre ; influence exercée par d'autres dia- lectes. On considère généralement que c'est, de ces trois classes, la seconde qui a exercé l'action la plus importante : qu'un travail remarquable d'analogie s'est effectué en anglo-français. Miss M.K. Pope considère cette action de l'analogie comme caractéristique de la conjugaison anglo-française ; elle écrit dans son Introduction au Poème du Prince Noir (page xliv): « The main characteristic of the Anglo-Norman conjugation System : simplification by analogical formations. » Nous n'avons pas le dessein de nier ou de diminuer indûment l'importance et le nombre de formations analogiques ; mais nous allons tenter de montrer que les changements purement phoniques ont eu dans les modifications que le verbe a subies une part beaucoup plus considérable même que l'analogie. Il y a un grand nombre de cas il est difficile, quelquefois impossible, de décider si telle forme du verbe est due à l'analogie ou à un proces- sus phonique régulier. Notre principe, et il nous semble être la condition de toute étude scientifique, est que l'on ne doit faire intervenir l'analogie que lorsque toute autre explication est impos-

SECONDE PARTIE 747

sible ; si, pour une forme donnée, on peut montrer que l'action normale des lois phoniques a pu produire les modifications qu'on y étudie, on devra s'en tenir à cette explication. L'analogie pourra faire comprendre l'extension plus ou moins grande du phéno- mène, mais elle n'en sera pas l'origine. Il nous semble trop facile de chercher dans la conjugaison des formes analogues à celles qu'on doit expliquer et d'admettre que celles-ci proviennent de celles-là.

CHAPITRE PREMIER LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE

Il serait, croyons-nous, fort possible de faire une histoire assez complète de la phonétique anglo-française, en ne prenant ses exemples que dans la conjugaison. Ce n'est évidemment pas notre objet. On comprendra même qu'un petit nombre seulement des changements phoniques qui se manifestent dans le verbe pourra arrêter notre attention. Nous ne reviendrons pas sur les formes du verbe qui proviennent évidemment de causes générales.

Nous nous retrouvons encore ici en présence de la même difficulté que dans la première partie de notre travail.

L'étude des changements phoniques, quels qu'ils soient, que nous rencontrons dans la conjugaison est-elle de la compétence d'un ouvrage qui traite de questions de morphologie ? Nous avons à plusieurs reprises effleurer cette question et nous allons maintenant tâcher d'y donner notre réponse.

Tout d'abord, il est impossible de faire toujours une distinction absolument nette entre la phonétique et la conjugaison ; un très grand nombre de phénomènes, dont cette dernière nous offre des exemples et qu'il n'est pas possible de passer sous silence quand on fait l'histoire de la conjugaison, ont une origine purement phonique. Que dirait-on d'un traité sur le verbe anglo-français qui ne men- tionnerait même pas le passage de la terminaison de l'infinitif ier à er ou de ir à cr ? Ces deux phénomènes sont pourtant d'ordre phonique. De l'autre côté, il nous est impossible de refaire à propos du verbe toute la phonétique de l'anglo-français. Il nous faut tracer quelque part une ligne de démarcation.

Nous pouvons distinguer en trois catégories les phénomènes pho- niques que le verbe peut subir :

LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 749

Changements très généraux et auxquels le verbe est soumis, comme tous les autres mots : vocalisation de 17, passage de «/ à u, etc. ; nous nous sommes contenté de mentionner ces changements sans nous y arrêter .

Changements qui ont pour le verbe une importance qu'ils ne peuvent avoir pour les autres classes de mots : t svarabhaktique ou épenthétique, par exemple, ou passage de ie à e.

Nous ne nous sommes fait aucun scrupule de nous arrêter assez longtemps sur ces phénomènes.

Enfin, phénomènes dont le caractère phonique n'est pas aussi évident, et pour lesquels l'analogie a pu intervenir dans une certaine mesure. Dans les pages qui suivent, nous insisterons surtout sur les phénomènes de cette nature.

Nous commencerons par dire quelques mots aussi brefs que pos- sible de la première de ces catégories, puis nous passerons à la seconde et à la troisième.

PREMIÈRE CATÉGORIE A. \'0YELLES ET DIPHTONGUES.

Les données de la phonétique générale expliquent un très grand nombre de formes du verbe ; nous allons les passer très rapidement en revue.

/. h pour /, qui n'est pas rare en français au xiii" siècle, se trouve à peu près à la même époque en anglo -français; c'est à ce changement qu'il faut attribuer, parmi les formes toniques : skuierent dans le Saint Gilles, eschaniicrerit eirierent dans Foulques Fitz Warin,. viercnt dans Nicole Bozon. A l'initiale, nous avons cité dans Frère Angier dicrrei pour dirai. D'une façon générale, de telles formes sont rares en anglo-français.

E fermé. Comme le fait remarquer M. Suchier (Voyelles toniques, page 42, § 17 <i), l'anglo-français connaît ie pour t' fermé (piere, friere) ; le verbe nous donne un certain nombre d'exemples de ce phénomène, quelques-uns remontent à une date très ancienne. On trouve siet, pour set, dans le Psautier d'Oxford, dans Gaimar, dans Thomas ; on a piert (pareir) dans le Cumpoz ; clnct dans William de Waddinçton.

750 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

La graphie qui montre eo est particulière à l'anglo-français et remonte à la seconde moitié du xii^ siècle (fèorin, dans le Psautier de Cambridge); c'est surtout dans le verbe que cette graphie se montre: citons cbeot qu'on rencontre dans le Saint Brandan, scot et meot qu'on lit dans les Contes de Bozon.

A. A n'a pas subi de changements aussi radicaux et les graphies sous lesquelles il se présente dans la conjugaison du verbe, quoique assez nombreuses, ne s'écartent pas beaucoup de la fo-rme originale. En sjdlabe libre a est écrit ae dans deux exemples du Psautier de Cambridge; aa est à la fois plus commun et plus tardif: aa (=-- habet) est fréquent; et la troisième personne du singulier des pré- térits en avi présente plusieurs fois cette graphie à la fin du xiV^ siècle. Ea pour ces mêmes personnes est peut-être un peu plus ancien, on en a quelques exemples dans Foulques Fitz Warin, dans Nicole Bozon, dans Nicolas Trivet. (Voir aussi Diphtongue ai.)

Au plus tard vers le commencement du xiii^ siècle, nous rencon- trons ai pour a : vai se lit dans le ms. A de l'Alexis, ai (= habet) dans le ms. B de Horn (au vers 3848), et dans le ms. O du même poème (au vers 5066), lerrai dans Boeve, vodrai dans l'Ipomédon, donay dans Pierre de Langtoft. Mais toutes ces formes, sauf la première, nous semblent des formes analogiques dont nous repar- lerons.

Entravé, a est souvent écrit par au : les premiers exemples que nous trouvions de cette graphie se rencontrent dans Robert de Gretham : portaustes, reneiaustes. Cette diphtongue est employée pour la troisième personne du singulier des imparfaits du subjonctif de I dans William de Waddington ; pour la première personne du pluriel des prétérits en avi dans le ms. Bodley 425, dans Rymer (1282); dans les Parliamentary Writs (1300) ; pour la deuxième personne du pluriel du même temps, les exemples sont encore plus nombreux ; outre ceux que nous avons cités, on en trouve dans la Genèse, dans William de Waddington, etc. Cette graphie nous indique que a a remonté vers 0 ouvert. (Cf. a nasal.)

Tous ces changements, comme on le sait, se retrouvent également pour d'autres catégories de mots et ne sont pas spéciaux au verbe.

U. Nous ne nous arrêterons pas à discuter toutes les graphies que u a prises en anglo-français et que nous retrouvons toutes dans

LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE 75 1

le verbe. Le nombre des graphies de ce son provient de la difficulté que les Anglais avaient et ont à le prononcer. Ce sont des approxi- mations de ce son qui sont figurées de plusieurs manières différentes. Il nous semble très difficile de donner un ordre logique à toutes les formes que nous rencontrons, surtout au participe passé, et nous ferons remarquer qu'il nous est impossible d'arriver à quelque chose de satisfaisant en nous appuyant seulement sur une série de formes; il faudrait ici comparer ce qui se passe dans le verbe au traite- ment des autres mots en ii ; mais ceci est du ressort de la phoné- tique générale.

W se trouve très tôt au lieu de u : parsew se lit dans le Psautier de Cambridge ; des formes analogues se rencontrent aussi dans Nicolas Trivet; dans les Statutes (1275), ^^"s le Liber Rubeus de Scaccario (1275).

tJ/est fort commun ; Angier emploie le premier à la rime un par- ticipe terminé par cette diphtongue ; et elle est fréquente au xiv^ siècle.

En ne remonte certainement pas aussi haut, mais est aussi employé que la graphie précédente ; Bozon en a quelque cas dans ses Contes ; Jean de Peckham (1284), les Statutes (1285), les Actes du Parle- ment d'Ecosse (1262), les Mem. Pari. 1305 en, fourniraient une liste fort longue.

Nous ne trouvons ieu que plus tard: dans Bozon, Trivet, Thomas Walsingham.

Ou et 0 sont rares.

Ue est plus général en|ce sens qu'on le trouve ailleurs qu'au parti- cipe passé. Angier nous en donne quelques exemples : piiesse, puessent pour pusse, pussent ; mais nous trouvons cette diphtongue surtout au participe passé: dans les Statutes (1380), dans les Mem. Pari. ([305), dans les Rymer's Foedera (1361).

Telles sont les principales formes que peut prendre u dans le verbe anglo-français ; encore une fois, nous n'essaierons pas de démêler et d'expliquer toutes ces graphies.

Nous classerons encore dans cette première catégorie toutes les graphies ou formes que prennent les voyelles nasales dans la conju- gaison ; ces dernières ne présentent rien de bien spécial et une phoné-

752 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

tique complète de l'anglo-français, s'il en existait une, nous mon- trerait à d'autres parties du discours les changements que nous allons énumérer pour le verbe.

An. Nous avons vu que la nasale de a prend fréquemment la graphie ami entre 1268 et 1360 (cf. aussi a ci-dessus, page 750) ; la graphie en dont nous avons cité quelques exemples au participe présent est fort naturelle et se rencontre au xiV^ siècle dans un cer- tain nombre de cas en dehors de la conjugaison ; on pour an est rare.

O fermé suivi d'une nasale peut prendre un plus grand nombre de formes, dont quelques-unes ne manquent pas d'intérêt. Nous ne nous arrêterons pas aux formes un, on, oun (dernier quart du xiii^ siècle) ; omps ne se trouve à notre connaissance qu'à la première personne du pluriel (désinence masculine). Nous citerons encore quatre formes que prend cette nasale, elles ne sont pas propres au verbe. Oo se trouve fréquemment à la troisième personne du pluriel (désinence masculine) comme dans foont ; plus rarement à la pre- mière personne du pluriel (désinence masculine) ; jamais aux pre- mières personnes du pluriel à désinence féminine. Nous croyons qu'il n'y a que très peu d'exemples de cette graphie en dehors du . verbe.

Oe est assez répandu, et se trouve surtout aux premières personnes du pluriel féminines et aux troisièmes masculines ; il correspond évi- demment à oe, graphie de 0 ouvert ; soevies (Parliamentary Writs, 1315), 50^«/ (Statutes, 1285) sont des formes qui se rencontrent quelquefois, surtout en dehors des textes littéraires. Nous n'insis- terons pas davantage sur eo qui a la même origine et le même emploi.

Il est moins évident que les formes qui présentent la graphie en proviennent de la forme correcte ; on trouve sentes dans Angier, poèmes dans les Year Books, sen {= sont) dans le ms. d'Edward le Confesseur. M. Stimming ne cite qu'un seul exemple de Vo fermé nasal prenant dans une syllabe protonique la graphie en : mais nous croyons que l'anglo-français n'a pas, entre autres choses, su main- tenir la distinction entre les différentes voyelles nasales.

La place que ces quelques formes occupent dans la conjugaison du verbe est trop petite pour que nous nous arrêtions à discutei

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 753

cette question générale. Et nous conclurons que, ces dernières formes en en mises à part, si on le veut, les nasales n'offrent dans la conju- gaison rien qui les distingue des voyelles nasales qui se rencontrent dans les autres espèces de mots.

Il nous reste, toujours dans cette première catégorie de changements qui n'ont rien dans le verbe de plus remarquable qu'ailleurs, à exa- miner certaines des modifications que subissent quelques diphtongues. Ici, nous ne traiterons qu'une partie de la question, la moins impor- tante.

le. Comme on le sait, le passage de ie à ^ a été la cause de changements très profonds dans la conjugaison du verbe ; mais ie passe encore à / (cf. la liste de ces changements donnés par Stim- ming à la page 202 de Boeve de Haumtone, exemples tirés de l'Es- torie des Engleis, de Horn, des Psautiers; voir aussi Suchier, Voyelles toniques, p. 87) et ce changement nous explique les participes passés preysi, trenchi qui se trouvent à la rime dans Boeve ; despoili de la Plainte d'Amour, etc.

Le passage de ic à ei est attesté dans les premiers textes anglo- français (Stimming, ibid.) et de proviennent les premières personnes en -eiines qui montrent plus tard la diphtongue ai, puis, plus rare- ment, oi.

Ei. Les transformations de la monodiphtongue ei ont été nom- breuses et elles expliquent un grand nombre de formes du verbe; le passage de ei à i est rare en dehors de la conjugaison, on en relève cependant quelques cas : fi:;^ (vicem) dans Ipomédon, cité par Stim- ming, op. cit., p. 200.

Dans le verbe toutefois ce piiénomène est assez commun et il explique les nombreux imparfiiits et conditionnels en / que nous avons déjà cités et sur lesquels nous ne reviendrons pas. Nous ne parlons ici que pour mémoire des infinitifs en ^/r qui prennent la désinence

Le passage de cette diphtongue à ie est moins rare. Suchier en cite plusieurs exemples tirés du Psautier de Cambridge, des Quatre Livres des Rois, du Tristan de Thomas. C'est ce passage qui a donné à un petit nombre d'imparfaits les formes en ie que nous avons énu- mérées.

D'après Suchier (Voyelles toniques, p. 93), la diphtongue oi

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L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

tique complète de l'anglo-français, s'il en existait une, nous mon- trerait à d'autres parties du discours les changements que nous allons énumérer pour le verbe.

An. Nous avons vu que la nasale de a prend fréquemment la graphie aiiii entre 1268 et 1360 (cf. aussi a ci-dessus, page 750) ; la graphie 01 dont nous avons cité quelques exemples au participe présent est fort naturelle et se rencontre au xiV^ siècle dans un cer- tain nombre de cas en dehors de la conjugaison ; 011 pour an est rare.

O fermé suivi dune nasale peut prendre un plus grand nombre de formes, dont quelques-unes ne manquent pas d'intérêt. Nous ne nous arrêterons pas aux formes u)i, on, oun (dernier quart du xiii^ siècle) ; omps ne se trouve à notre connaissance qu'à la première personne du pluriel (désinence masculine). Nous citerons encore quatre formes que prend cette nasale, elles ne sont pas propres au verbe. Oo se trouve fréquemment à la troisième personne du pluriel (désinence masculine) comme dans foont ; plus rarement à la pre- mière personne du pluriel (désinence masculine) ; jamais aux pre- mières personnes du pluriel à désinence féminine. Nous croyons qu'il n'y a que très peu d'exemples de cette graphie en dehors du . verbe.

Oe est assez répandu, et se trouve surtout aux premières personnes du pluriel féminines et aux troisièmes masculines ; il correspond évi- demment à oe, graphie de 0 ouvert ; soevies (Parliamentary Writs, 13 15), soent (Statutes, 1285) sont des formes qui se rencontrent quelquefois, surtout en dehors des textes littéraires. Nous n'insis- terons pas davantage sur eo qui a la même origine et le même emploi.

Il est moins évident que les formes qui présentent la graphie en proviennent de la forme correcte; on trouve senies dans Angier, poèmes dans les Year Books, sen (= sont) dans le ms. d'Edward le Confesseur. M. Stimming ne cite qu'un seul exemple de Yo fermé nasal prenant dans une syllabe protonique la graphie en ; mais nous croyons que l'anglo-français n'a pas, entre autres choses, su main- tenir la distinction entre les différentes voyelles nasales.

La place que ces quelques formes occupent dans la conjugaison du verbe est trop petite pour que nous nous arrêtions à discutei

LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE

753

cette question générale. Et nous conclurons que, ces dernières formes en en mises à part, si on le veut, les nasales n'offrent dans la conju- gaison rien qui les distingue des voyelles nasales qui se rencontrent dans les autres espèces de mots.

Il nous reste, toujours dans cettepremière catégorie de changements qui n'ont rien dans le verbe de plus remarquable qu'ailleurs, à exa- miner certaines des modifications que subissent quelques diphtongues. Ici, nous ne traiterons qu'une partie de la question, la moins impor- tante.

le. Comme on le sait, le passage de ie à. e a été la cause de changements très profonds dans la conjugaison du verbe ; mais ie passe encore à / (cf. la liste de ces changements donnés par Stim- ming à la page 202 de Boeve de Haumtone, exemples tirés de l'Es- torie des Engleis, de Horn, des Psautiers; voiraussi Suchier, Voyelles toniques, p. 87) et ce changement nous explique les participes passés preysi, trenchi qui se trouvent à la rime dans Boeve ; despoili de la Plainte d'Amour, etc.

Le passage de ie à ci est attesté dans les premiers textes anglo- français (Stimming, ibid.) et de proviennent les premières personnes en -eiines qui montrent plus tard la diphtongue ai, puis, plus rare- ment, oi.

Ei. Les transformations de la monodiphtongue ci ont été nom- breuses et elles expliquent un grand nombre de formes du verbe; le passage de ci à / est rare en dehors de la conjugaison, on en relève cependant quelques cas : ^~ (vicem) dans Ipomédon, cité par Stim- ming, op. cit., p. 200.

Dans le verbe toutefois ce phénomène est assez commun et il explique les nombreux imparfaits et conditionnels en / que nous avons déjà cités et sur lesquels nous ne reviendrons pas. Nous ne parlons ici que pour mémoire des infinitifs en f/r qui prennent la désinence ir.

Le passage de cette diphtongue à ie est moins rare. Suchier en cite plusieurs exemples tirés du Psautier de Cambridge, des Quatre Livres des Rois, du Tristan de Thomas. C'est ce passage qui a donné à un petit nombre d'imparfaits les formes en ie que nous avons énu- mérées.

D'après Suchier (Voyelles toniques, p. 93), la diphtongue oi

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754 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-l-RANÇAlS

provenant de ei serait « sans doute une importation du continent » ; nous le croyons comme lui ; la forme en oi est restée toujours assez rare en anglo-français, et a été limitée à un petit nombre de scribes ou d'auteurs. Le scribe des Légendes de Marie l'emploie au moins une fois ; celui du Tristan au moins une fois aussi ; plusieurs exemples se rencontrent dans Chardri, Angier seul l'emploie couram- ment. Nous reparlerons donc de cette diphtongue au troisième cha- pitre de cette seconde partie.

La diphtongue ai pour ei nous a donné quelques imparfaits de l'indicatif et conditionnels en ^7/. à partir du Psautier de Cambridge et quelques cas d'infinitifs en air, manair qu'on lit dans Robert de Gretham et peut-être aussi ceux du Fragment T' du Tristan de Thomas ; rappelons encore les quelques formes de saie pour seie qu'on trouve par exemple dans les Actes du Parlement d'Ecosse.

Pour e provenant de ei, voir plus bas.

Ai. La diphtongue ai, en prenant en anglo-français tant de formes différentes, a causé des changements considérables dans le verbe; mais, comme on va le voir, tous ces changements s'expliquent assez aisément et ont un caractère de grande généralité. Le nombre des modifications qu'elle a subies s'expliquera aisément si on consi- dère que très tôt ai s'est identifié avec a, avec ei et avec e ouvert. Nous allons donc trouver, surtout dans le verbe, trois groupes de formes dérivées : le premier de ai en tant que a, le second de ai comme identique à ei: le troisième de ai équivalant à e ouvert.

La diphtongue ai passe souvent à a ; les exemples sont nombreux et on peut dans la conjugaison les distinguer en deux classes : Tune qui comprend surtout des thèmes et qui nous donne des exemples datant de la seconde moitié du xii'^ siècle : fare dans les Quatre Livres des Ko\s •,fates dans Saint Auban, sa dans l'Estorie des Engleis, trahent dans la Destruction de Rome, auiiis dans le Saint Julien, etc.

La seconde classe comprend des désinences de la première personne du singulier des prétérits en avi et du futur : cette seconde classe comprend beaucoup plus d'exemples que la première ; comme nous l'avons vu, le premier exemple se rencontre dans le Roland d'Oxford ; on en trouve par la suite un grand nombre dans Horn, Boeve, Ipo- médon. Foulques Fitz Warin et aussi en dehors de la littérature.

On peut considérer comme une graphie de Va (cf. plus haut

LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 755

iiiovca, etc., p. 574) les formes si nombreuses en ea qu'on trouve prin- cipalement pour le verbe faire et le verbe plaire : le premier exemple de fearc que nous ayons relevé se lit dans les Parliamentary Writs de 1297; phase ne se rencontre que plus tard et principalement dans les Year Books. Au participe passé, on trouve feat dans les Parliamentary Writs (1299), et partout dans les Year Books, treat dans le Liber Albus (1345). Eai, comme dans fcail (Documents Inédits), est plus rare, et aei ne se rencontre guère que dans Angier; il en va de même de ae qu'on trouve dans placsf, tracst, tacsl, tous les trois dans Angier.

Ces différents changements proviennent tous de l'évolution plus ou moins normale de la diphtongue ai et de la voyelle a. Nous passerons maintenant rapidement sur ceux qui sont communs à cette diphtongue avec (7 et e.

Ai s'assimile de très bonne heure à ci (voir plus haut), quoique certaines formes en ai à l'origine soient très peu employées avec la diphtongue ei. Les premières personnes du prétérit et du futur en ei sont relativement rares ; feintes n''est pas très commun et il en va de même pour les autres formes ; feire par exemple n'est jamais assuré, eifei (fac) n'apparaît qu'une seule fois (Saint Laurent). Néanmoins, comme ci, ai donne i (par exemple//^ dans les Annales de Burton) ou ie (comme trieti, Parliamentary Writs 1299) et plus rarement encore oi (prétérit de I dans Angier).

Le passage de ai à e est beaucoup plus fréquent ; les exemples sont très communs en dehors de la conjugaison et ce changement nous explique les (ormes fcrc, fel, vet, ve (va). C'est de cette voyelle que proviennent les graphies suivantes : ee (attreel^. Liber Albus ; fect:{, Statutes 1278); c:( (dans les premières personnes que nous avons rencontrées dans les Lettres de Jean de Peckham).

Comme on le voit, les changements sont nombreux et ils suf- fisent à eux seuls à expliquer la diversité des formes que les temps et les verbes qui ont à l'origine la diphtongue ai ont prises.

On. Nous savons que l'anglo-français qui fait passer 0 à ou pré- sente aussi de nombreux exemples du phénomène opposé. On donne quelquefois 0, comme le montrent Stimming (Boeve de Haumtone, p. 189), Suchier (Voyelles toniques, p. 58, § 20 b), Busch ( P- 24)-

756 l'évolution du verbe en anglo français

Cette transformation de la diphtongue nous explique les chan- gements qui surviennent à l'imparfait des verbes de la première conjugaison dès le commencement du xii^ siècle (Psautiers, Gaimar, ms. du Bestiaire) et pour les troisièmes personnes des prétérits en /// de la première classe. En même temps, le nombre assez restreint d'exemples que la plionétique générale nous fournit pour ce chan- gement de la diphtongue nous explique pourquoi les formes en o pour ces deux temps ont été, somme toute, assez peu communes.

Ue. La monodiphtongue m a reçu un nombre considérable de graphies, environ une dizaine, comme le montrent les exemples cités par Suchier, dans ses Voyelles toniques, page j6, § 28 c (tio, oe, 0, 0, eo, 0, u, i) et Stimming à la page 208 (cf. aussi page 207) de son édition de Boeve (jie, u, eo, e, on, eu, 0/). Toutes ces graphies se retrouvent dans le verbe et la phonétique générale anglo-française suffit pour expliquer les tormes si nombreuses et à première vue si différentes que nous avons citées pour le présent de l'indicatif des verbes pouvoir, estovoir, vouloir : ptiet, poct^ pot, peot, pont, piiit, poit, put, pet, poiet, peut. La série est absolument complète et il n'y a aucune de ces formes qui ne puisse se rapporter à l'un ou à l'autre des exemples qui sont cités dans les deux ouvrages que nous venons de mentionner.

Voilà les formes que nous rencontrons dans ce que nous appelions tout à l'heure la première catégorie. Nous avons passé très rapide- ment et cependant nous avons expliqué un nombre assez considé- rable de formes employées dans la conjugaison. Malgré nous, cette première catégorie a peut-être pris ici un développement trop grand. Nous ne le regrettons cependant pas ; les quelques pages qui pré- cèdent ont au moins servi à montrer que le développement phonique normal de l'anglo-français a été la cause d'une très grande part des changements qui ont affecté la conjugaison et l'établissement de ce fait nous compense bien de quelques longueurs et valait bien la place que nous lui avons donnée. Ensuite dans les formes que nous avons ainsi expliquées, il y en a déjà quelques-unes qu'un examen superficiel aurait pu faire considérer comme des formes analogiques {escharnicrcnt, soent, preysi,poul), etc.

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 757

SECONDE ET TROISIEME CATEGORIES

Nous avons plus haut expliqué quels phénomènes phoniques nous rangions dans deux catégories distinctes: les phénomènes phoniques dont l'importance est surtout considérable pour le verbe ; les phéno- mènes dont l'origine phonique n'est pas aussi évidente. Les diffé- rentes questions que soulève l'examen de ces deux catégories sont de la plus grande importance pour l'histoire de la conjugaison en anglo-français. L'ordre dans lequel nous les annoncions nous semble l'ordre logique, mais il nous sera plus facile de commencer par la troisième catégorie.

La question principale que nous allons par conséquent traiter tout d'abord, c'est la confusion dans certaines conditions et jusqu'à un certain point des trois sons : e, i, et ; et elle suppose plusieurs faits :

Confusion de e et de / devant r.

Confusion de e et de / dans une autre position.

Confusion de e avec et.

4'^ Confusion de / avec et.

Nous nous rendons compte que pour traiter ces quatre points, nous aurons à revenir sur des questions que nous avons déjà traitées ; mais cette distinction nous a semblé l'unique moyen de mettre en évidence quelques faits de la plus grande importance pour l'anglo- français.

Il faut aussi comprendre que quand nous parlons de confusion, nous ne voulons pas dire que les sons qui se sont confondus ont été pris d'une façon absolue et sans exception les uns pour les autres. Cela reviendrait à dire que ces trois sons se sont réduits à un seul, ce qui est fort loin de notre pensée. Ce qui, à notre avis, est arrivé, c'est que ces trois sons ont varié tellement qu'ils ont pris à Toccasion des valeurs analogues qui ont le plus souvent été tra- duites par des graphies plus ou moins exactes. Il n'y a pas eu confu- sion dans le sens l'on peut dire que la diphtongue ai s'est con- fondue avec ei\ il y a eu plutôt des points de contact entre ces diffé- rents sons et la. voyelle e fermé a été le son intermédiaire les deux autres se sont rencontrés.

7)8 l'évolution du verbe en anglo-français

A. Voyelles et diphtongues.

Confusion de e, i, ei.

I. Confusion de e et de / devant r (infinitif et troisième per- sonne du pluriel du prétérit). LV fermé long tonique passe très tôt, semble-t-il, et assez fréquemment à / devant la consonne r ; le scribe du manuscrit de Londres du Voyage de Saint Brandan (1167) nous en donne un premier exemple : esperir, pour l'infinitif et alirent pour le prétérit. Ces deux exemples semblent toutefois isolés au xii^ siècle, et ce n'est que pendant le siècle suivant que nous rencontrons des cas vraiment nombreux et assurés du passage de la désinence er à //' ; ils montrent néanmoins que vers 11 67, l'anglo- français tendait à faire remonter Vc fermé vers /, ou à faire des- cendre / vers Ve fermé. Nous avons cité pour l'infinitif les exemples nombreux que nous fournissent au siècle suivant les rimes du Roman des Romans, du Manuel des Péchés, des Distiques anonymes. A la même époque, les troisièmes personnes du prétérit de I ne sont pas rares avec la terminaison irent (voir par exemple Dermod, la Genèse, etc.). Il en va de même au siècle suivant. En dehors de la httérature, des formes analogues sont à peine moins communes, sauf pour certains verbes, ce qui nous ferait croire que c'est sur- tout l'analogie s'ajoutant à l'action phonique qui amène à cette époque les verbes de I à la forme de l'infinitif de II. Les prétérits sont peu nombreux, et croyons-nous, confinés aux textes litté- raires.

Il en est tout autrement pour le phénomène contraire; le premier exemple que nous relevions du passage de / à ^ dans le verbe se trouve encore dans le Voyage de Saint Brandan et doit être attribué au scribe ; cependant Guischart de Beauliu nous fournit pour l'in- finitif une rime qui nous permet de placer ce passage à la fin du xii^ siècle, à peu de distance par conséquent du phénomène précé- dent. Les formes correspondantes sont encore mieux assurées pour le prétérit, troisième personne du pluriel, car on en trouve des

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 759

exemples, non seulement dans Saint Brandan, mais dans le Psautier d'Arundel et dans le Saint Gilles.

Pendant tout le xni^ siècle, ces formes abondent ; les rimes que nous avons citées se rencontrent dans un très grand nombre d'au- teurs : Robert de Gretham, Boeve de Haumtone, la Genèse, le Roman des Romans, William de Waddington et beaucoup d'autres. Nous avons même vu qu'au xiV' siècle, le nombre d'infi- nitifs en ir et de prétérits en irent a diminué au point de disparaître. Et il en va de même pour les ouvrages qui n'appartiennent pas à la littérature.

Mais nous devons remarquer ici ce que nous appelions dans notre première partie les rimes douteuses et qui sont pour nous les rimes significatives. Ce sont celles qui accouplent une forme en er avec une forme en ir. Celles que nous avons tout d'abord rencon- trées chez les scribes du xni^ siècle ont pu nous sembler à première vue le résultat d'une négligence ; mais nous n'avons pas pu nous empêcher de remarquer que ces rimes se multipliaient sous la plume des scribes : on trouve finierent rimant avec dcsceiiderent dans la Genèse ; oyerent avec départirent dans le Saint Edmund ; oyereiit avec tendirent dans le même poème ; siverent avec virent dans le Dermod ; ensechir avec foillier dans l'Antecrist ; plitrir avec sitstenir dans la Lamentation ; escoltir avec oier dans le poème du Prince Noir, pour n'en citer qu'un tout petit nombre. Ce mélange des sons a lieu exactement comme si, pour ceux qui écrivaient, il n'y avait que peu ou pas de différence entre e et / devant r. Et notre opinion est qu'en réalité, la difl^érence était devenue de plus en plus petite depuis le commencement du xni^ siècle.

On connaît l'action particulière de l'r sur les voyelles françaises ; comme le dit M. Nyrop, « la consonne roulée r, qu'elle soit den- tale ou uvulaire, a une action ouvrante sur la voyelle précédente"». Dans un dialecte comme l'anglo-français, les influences conser- vatrices, au point de vue des sons, étaient réduites à un minimum, il est évident que cette action de Vr a été plus vivement sentie que dans n'importe quel autre dialecte. Il en est résulté un double phé- nomène, dont le premier nous retiendra seul ici (nous reparlerons un peu plus bas du second) : / en s'ouvrant passe à e fermé. Il est

I . Grammaire J, p. 241, 5 244.

760 l'évolution du verbe en anglo-français

possible que les formes qui présentent un i irrégulier, formes assez peu nombreuses du reste, nous montrent un phénomène de réaction, et cela expliquerait pourquoi on les rencontre surtout dans les der- nières années du xii* et au xiii^ siècle. Ceci du reste importe peu , des deux changements, le plus important est sans contredit celui qui nous montre le passage de i à e.

Cet échange de voyelles se remarque ailleurs que devant r, quoique Torigine phonique de ce changement nous semble moins évidente dans les exemples que nous allons maintenant donner. E passe encore à i dans un certain nombre de participes passés, assez peu nombreux. Nous avons cité les exemples que nous fournissent le Saint Edmund la rime), la Plainte d'Amour la rime), William de Waddington la rime). Il y en a encore quelques autres ; citons surtout remis pour reines qui nous paraît un phéno- mène phonique ; mais ils peuvent tous passer pour des phénomènes d'analogie. Il n'en va pas de même pour le phénomène opposé. Les exemples qui nous montrent le passage de / à e sont aussi nombreux que variés. Nous n'insisterons pas sur les participes en i qui ont passé dans la classe des participes en e; on pourrait soute- nir, sans trop de difficulté, que ces participes ont subi l'influence de leur infinitif ; et cela est très probable, quoique nous penchions à croire que ces formes ont une origine indépendante de celle de leur infinitif. Mais nous avons encore d'autres formes pour lesquelles nous ne concevons aucune hésitation. D'abord un certain nombre de prétérits en si, comme destrent pour disfreul, forme très fré- quente et très ancienne en anglo-français (Psautier d'Arundel, Folie Tristan, etc.); mcstrent, qui est moins commun, est tout aussi ancien, puisque cette forme se trouve dans les Quatre Livres des Rois ; prestrent se trouve encore dans les Royal Letters Henry III à la date de 1268. Nous avons cité encore /<';^ (feci), fest (fecit), prest. Le participe passé de querre subit le même changement : qnes se lit dans Wil. Rishanger, à la rime dans Dermod, dans les Traités de Rymer. Citons encore mentes pour mentis qu'on trouve dans Boeve de Haumtone. M. Suchier (Voyelles toniques, p. 42, § 17 d) veut expliquer par l'analogie mestrent pour mistrent ; il est difficile d'étendre cette explication, vraisemblable pour une forme isolée, à toute une série de formes aussi dissemblables que celles que nous avons citées. Il est plus naturel d'admettre que / n'a pas seulement

LES CHAKGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE yél

passé à '.' devant r, mais que chaque fois que cette voyelle était entravée, surtout par s, elle s'est ouverte au point de pouvoir rimer en e fermé ' .

De la même façon, nous expliquerons les formes assez nom- breuses qui nous montrent un / protonique passant à e. Les nom- breux futurs d'inchoatifs que nous rencontrons sous la forme era peuvent appartenir à cette classe, quoiqu'il nous semble possible que leur e soit un c muet. Mais nous n'avons aucun moyen de contrôler la valeur de cet e. La seule raison qui puisse nous faire considérer cet e comme un e fermé, c'est que les verbes qui le prennent le conservent très régulièrement. Si nous avions affaire à un (' muet, il est plus que probable que cet e muet recevrait le même traitement que 1'^^ muet des verbes de I et des verbes non inchoatifs. Sans aucun doute possible, nous apercevons dans les imparfaits du subjonctif des verbes de I un passage de / à ^ : tro- vesse^, nioillesse^. Il nous semble donc que ce phénomène purement phonique que nous venons d'exposer a eu une action considérable sur la conjugaison du verbe, puisqu'il a fait disparaître presque tous les infinitifs en ir, et les troisièmes personnes du pluriel régu- lièrement en irent, aussi, directement ou indirectement, presque tous les participes en / ; et qu'il a aussi changé la forme de plu- sieurs prétérits participes passés en si, et celle des imparfaits du subjonctif des verbes de L

2. Confusion de e, i avec f/ devant r. Le mécanisme du pas- sage de //' à er nous aidera à nous rendre compte du passage de er (ir) à eir et vice versa.

Nous parlerons d'abord du plus important de ces phénomènes: le passage de eir à er; on admet généralement que ce passage est surtout un phénomène d'analogie Çd'. Suchier, Voyelles toniques, p. 30, § 30 b, et P. Meyer, Introduction aux Contes de Nicole Bozon, p. Ixiij). Nous ne voulons pas dire que l'analogie n'a joué aucun rôle dans ce phénomène, le plus important peut-être et le plus caractéristique de l'anglo-français ; mais nous pensons et nous allons tâcher de montrer que ce changement a été avant tout phonique.

I. Cf. Stimming, Boeve de Haumtone, page 188, les exemples suivants sont cités : merce,. Jetés (dicitis), peyseble, artequels, reche, estref, escles, sere . On pourrait citer un nombre d'exemples beaucoup plus considérable montrant qu'en- travé, mais spécialement devant r et 5, / se ferme cl passe à e.

762 l'évolution du verbe en anglo-français

Nous avons déjà, sans nous y arrêter, donné deux raisons, à priori, qui nous semblent rendre probable la nature phonique de ce changement ; évidemment, les preuves de cette nature sont assez peu satisfaisantes et ne sauraient emporter la conviction. La pre- mière est la suivante : si le passage de eir à er était analogique, on s'attendrait h voir les formes analogiques gagner du terrain dans la conjugaison des verbes qui y sont soumis; c'est le caractère géné- ral de l'analogie, surtout en anglo-français. Or, dans le cas actuel, nous ne trouvons rien de pareil : les infinitifs de III en er datent de la seconde moitié du xii% ou, au plus tard, de la fin du même siècle ; à cette époque les imparfaits en ou étaient encore fort com- muns; or, nous ne trouvons aucun verbe de III avec un imparfait de cette forme. Même un demi-siècle plus tard, alors que la termi- naison des imparfaits de I se trouve assez fréquemment employée pour les verbes des autres conjugaisons, une seule classe ne prend jamais ou ne prend que très rarement cette forme : les imparfaits des verbes de la troisième conjugaison.

Un autre temps a une forme spéciale dans les verbes en er : le prétérit. Il se trouve encore que la plupart des verbes en anglo- français prennent plus ou moins fréquemment la forme de ces pré- térits ; les derniers à le faire et les plus rares, ce sont encore les verbes de III. L'analogie, à qiii d'ordinaire on ne fait pas facilement sa part, n'aurait donc agi que sur une seule forme du verbe.

Nous trouvons un autre argument du même genre sur lequel nous avons assez longuement insisté et qui n'avait pas échappé à M. Meyer, quoiqu'il en tire argument pour sa théorie de l'analogie. Ce fait est la différence de date entre les premières formes en er pour ces infinitifs chez les scribes et les auteurs. Les premiers emploient cette terminaison dès 11 50, les seconds vers ou après II 80. On peut, il est vrai, considérer que pour les infinitifs de III pendant un certain temps la terminaison er a été considérée comme incorrecte; mais les auteurs anglo-français, certains d'entre eux spécialement, sont-ils de tels puristes qu'ils se refusent à employer une forme assez commune. à leur époque ? Et est-ce que cette diffé- rence entre la langue des scribes et celle des auteurs pendant une trentaine d'années ne nous montre pas aussi clairement que possible que c'est justement pendant ce laps de temps que la diphtongue s'est trouvée en voie de transformation ? C'est exactement ce que

LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE 763

nous avons remarqué en étudiant le passage à er des infinitifs de IL Les scribes entendent au lieu de ir (et pourquoi pas de eir ?), le son er, avec un e très fermé (ou très ouvert), et ils écrivent ce qui leur semble exprimer le mieux le son qu'ils perçoivent : er. De leur côté, les auteurs plus instruits sentent une différence entre le nou- veau son en er et le son normal et ils ne les font pas rimer ensemble.

Mais ces raisons a priori, quelle que soit leur valeur, ne sont pas très convaincantes puisqu'on peut plaider avec elles le pour et le contre et qu'elles n'apportent que des présomptions ; mais nous avons mieux que cela pour soutenir la théorie de l'origine purement phonique du changement qui nous occupe. Le mécanisme de ce changement nous semble même très clair.

Il repose sur deux faits ou suppose deux choses :

a) Ei de la terminaison de l'infinitif c/r passe à ê ouvert au moment même

h) e, dans la terminaison er, passe lui-même, à l'occasion sinon toujours, à e ouvert, ce qui établit l'identité occasionnelle des deux terminaisons.

Nous n'admettrons pas cependant que ces deux terminaisons, surtout celle des infinitifs de I, soient toujours en e ouvert ; il y a eu certainement des flottements et des hésitations à l'infinitif entre la valeur ouverte et la valeur fermée pour ces deux voyelles, même au xiii^ siècle : la prononciation n'a pas été fixe et il n'y a rien d'extraordinaire à trouver cet infinitif, pour des verbes de l'une ou de l'autre de ces conjugaisons, rimant en e fermé; nous ne voulons pas établir la valeur absolue de la voyelle dans cette terminaison. Tout ce que nous voulons dire, c'est que, entre 1150 et la fin du xii= siècle, dans un nombre de cas assez considérable, les deux sons vocaliques ei et e fermé devant ;- se sont rencontrés dans la valeur d'un e ouvert ; ils ont par conséquent pris la même graphie et rimé. L'analogie a pu intervenir après mais n'a pas agi avant.

Il s'agit maintenant de montrer que cette explication n'est pas contredite par la phonétique anglo-française, mais au contraire est entièrement d'accord avec elle.

a) Le passage de ciàe ouvert est clairement attesté pour le com- mencement de la seconde moitié du xii'^ siècle, et même avant.

764 l'évolution du verbe en anglo-français

On en trouve des exemples pour des noms de lieu dans le Domes- day Book, comme on le voit dans Tétude qui se trouve au tome VIII delà Zeitschrift, p. 358 (ou dans Ueber das franzôsische Sprachele- ment im Liber Censualis, de Hildebrand, page 38, §4). On en trouve dans l'Estorie des Engleis, par exemple aux vers 1202, 2409, 4320; au vers 31 du Roland d'Oxford. M. Stimming en donne plusieurs exemples dans son édition de Boeve de Haumtone à la page 197; on peut voir aussi Behrens, Zur Lautlehre, page 138. Même M. Suchier l'admet, dans ses Voyelles toniques (page 91, § 30 b, et page 92, lignes 9, 21). Les cas ne sont pas extrêmement nombreux, quoiqu'il y en ait plus que M. Suchier ne le suppose, mais ils suffisent pour montrer que les infinitifs de III ne sont pas les seuls exemples de ce phénomène. Ajoutons aux exemples que nous avons donnés et à ceux qui se trouvent dans Stimming, é'tv pour eir (heredem), qu'on lit dans les Art. Guill., au volume IX de la Zeitschrift, page 83.

On pourra cependant se demander pourquoi les exemples du pas- sage de et à couvert ne sont pas malgré tout plus communs pendant la seconde moitié du xii^ siècle; nous en trouvons une raison qui nous paraît très suffisante. A cette époque, ei hésitait entre les deux valeurs e ouvert et ai ; pour une cause ou pour une autre, l'anglo- français n'a pas adopté les infinitifs en air (cette forme se trouve plus tard, mais seulement pour certains infinitifs, dans Robert de Gretham, et pour les noms verbaux tels que poair) ; et les infinitifs en oir sont de date plus récente (pour ces derniers, nous verrons plus tard qu'ils sont une importation du continent). Il a préféré pour les infinitifs de III et dans plusieurs autres cas, en nombre qui n'est pas négligeable, la valeur de e ouvert pour la diphtongue ei.

Il est donc tout au moins probable que dans la terminaison cir de l'infinitif, c'est l'évolution phonique normale qui a donné à la diphtongue ei la valeur d'un couvert ; il est absolument inutile de faire intervenir ici l'analogie.

/') Notre second point offre encore moins de difficultés. M. Suchier a constaté, dans les Voyelles toniques, que devant r l'anglo-normand hésite entre couvert et c fermé, et il cite des rimes de Fantosme qui le montrent clairement (cf. page 74, § 27 e). Ajoutons, pour la même époque, la laisse de Guischart de Beauliu qui fait rimer en ai, c'est-à-dire en e ouvert, fraire. maire, paire.

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 765

Ce n'est du reste pas le seul cas ce changement se produise, la nature de cet e fermé change de la même manière devant /(op. cit., page 45, § 17 Q.

On pourrait du reste admettre, toujours avec M. Suchier, que la terminaison er (avec e ouvert), en particulier, ajouterions-nous, lorsque cet c ouvert provient de ei, passe quelquefois à er (avec un (' fermé). (Cf. Voyelles toniques, page 35, § 1 5 c). Nous croyons au contraire que même dans les cas que M. Suchier a tirés de Modwenne (loc, laudato),- c'est \'e fermé qui a passé à Ye ouvert, et ainsi nous pourrions les ajouter ceux que nous citions au paragraphe précédent. Cette explication serait plus conforme à ce que nous connaissons de l'action de IV sur la voyelle qui la précède.

Nous irons même plus loin : dans bien des cas, même lorsque cette voyelle n'est pas soumise à l'action de l'r, elle prend une valeur ouverte. Et nous en trouvons de nombreux exemples dans la conjugaison : dès le xn^ siècle, et jusqu'à la fin du xiv"-', nous rencontrons ci écrit pour e ; or, comme nous le disions tout à l'heure, ei, à partir de 11 50, a pris, au moins de temps en temps et dans certains cas, la valeur d'un e ouvert, et nous ne pouvons guère attribuer une autre valeur à la diphtongue irrégulière que nous trouvons dans les deuxièmes personnes du pluriel, et dans les parti- cipes passés en c.

C'est de cette façon que nous nous expliquons les formes du ms. A de l'Alexis Çaporteit), du Psautier d'Arundel (esJeveis), du ms. R de l'Estorie des Engleis, et plus tard de Boeve de Haumtone (/ra~), d'Aspremont (it'/-^), des Mem. Pari. 1305 (p«^/~). Cette explication s'applique à seit pour set, si commun entre 1 1 50 et 1250. Ces formes, disséminées sur toute l'étendue de la littérature anglo- française, montrent, croyons-nous, que Ve fermé, contrairement à ce qu'on pense d'ordinaire, tendait à prendre et a pris effectivement la valeur ouverte. Il est au moins assuré qu'il l'a prise assez fréquemment, et cela nous ferait considérer qu'à l'infinitif des verbes de I nous avons des transformations analogues du son étymologique.

L'objection la plus forte qu'on pourrait formuler contre cette explication est celle qui est tirée de la phonétique anglaise {ci. ten Brink, the Language and Mètre of Chaucer, page 55); mais ten Brink admet lui-même des exceptions et cite des exemples qui

jéé l'Évolution du verbe en anglo-i-ka\çais

montrent un e ouvert du moyen anglais provenant d'un e fermé français (op. cit., page 56). De plus, de quelle valeur peut être cet argument qui compare des formes de dates aussi différentes ; nous nous occupons de la valeur d'une voyelle à la fin du xii"^ siècle ; ten Brink la prend, dans une langue différente, à la veille du xv=.

Beaucoup de changements se sont produits entre ces deux dates, et la confusion que tout le monde semble admettre entre e ouvert et e fermé a bien pu se résoudre en deux siècles d'une façon diffé- rente de celle que le commencement même de cette confusion aurait pu laisser prévoir.

Au fond, ce point n'a qu'une importance secondaire pour nous. Il nous suffit que la confusion entre le son ouvert et le son fermé de e dans la terminaison er se soit produit dans la seconde moitié du xii^ siècle ; et même cette confusion est nécessaire pour notre thèse, car seule elle explique comment, à un même moment, l'infinitif des verbes de I a pu rimer avec Ve provenant de / et avec celui qui remonte à la diphtongue ei.

Voilà donc comment nous expliquons le changement de désinence des infinitifs de III : ei passant à e ouvert, e hésitant entre e ouvert et e fermé.

Cette explication peut couvrir tous les faits que nous connaissons et que nous avons exposés dans notre première partie; elle explique encore pourquoi, au début, les rimes entre infinitifs de I et infinitifs de III sont si rares; pourquoi, même au commencement du xiii^ siècle, certains auteurs qui observaient la différence entre les deux valeurs de Vc ont pu éviter de faire rimer entre eux les infinitifs de ces deux conjugaisons ; pourquoi enfin nous ne trouvons que très tard la terminaison cr des infinitifs de III rimant avec la termi- naison er des infinitifs de IL

Ajoutons^ pour être juste, que nous pensons que l'analogie a pu hâter le changement; qu'elle a pu même intervenir, nous ne le pensons pas, pour aiguiller la diphtongue ei vers e ouvert plutôt que de le laisser évoluer avec le plus grand nombre des exemples vers ai. Mais son rôle n'a été que très secondaire et n'a eu pour résultat que d'activer la transformation phonique.

La même évolution phonique peut se remarquer dans un certain nombre d'autres formes verbales, et ici, comme l'action de l'analogie

LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 767

ne pourrait pas être invoquée, nous trouvons le meilleur des argu- ments pour le passage dans la conjugaison de la diphtongue ei à e (ouvert). Les exemples que nous en avons relevés se rencontrent presque aussi tôt que les cas qui montrent les infinitifs de III prenant la désinence des infinitifs de la première conjugaison ; on peut même les dater avec certitude de l'époque qui, comme nous le supposions tout à l'heure, a vu l'évolution de cette diphtongue. Ce sont surtout des imparfaits et des conditionnels, et nous en avons cité un certain nombre qui présentent la voyelle e au lieu de la diphtongue : le premier cas que nous connaissions se trouve dans le Voyage de Saint Brandan et doit être attribué au scribe du ms. de Londres (1167); on en rencontre aussi dans le Psautier d'Oxford et dans Adgar ; ajoutons encore seiet et seeit, imparfaits de seoir, qui présentent deux réductions de cette diphtongue et qui se lisent à deux pages d'intervalle dans les Quatre Livres des Rois (II, 18, 9 et 24). Le second de ces exemples nous montre la réduction s'opérant dans le thème du verbe ; du même genre est le troisième exemple que nous avons relevé dans les Quatre Livres des Rois : vee (= videat, II, 19, 37). Pour les désinences en ei de certains subjonctifs, nous n'avons trouvé d'exemple de ce phéno- mène que beaucoup plus tard.

Le phénomène inverse est beaucoup plus rare, et ici nous ne proposerons qu'avec beaucoup d'hésitation d'expliquer au moyen de la phonétique les infinitifs de I qui, dans les Quatre Livres des Rois {fahleir), prennent la diphtongue^/ ; il est possible toutefois que le scribe ait voulu exprimer au moyen de cette graphie le son ouvert que ea. certainement pris de temps en temps au moins devant r. Quant aux exemples que nous rencontrons dans Angier, ils nous semblent dus à une influence étrangère.

Nous éprouvons encore de plus grands doutes en ce qui con- cerne le passage de / à ei : les formes qui nous montrent cette transfor- mation ne sont pas très nombreuses, et elles appartiennent toutes aux prétérits en / et en si : les premières de ces formes remontent à la seconde moitié du xii^ siècle: veist dans le ms. A de l'Alexis et dans le Psautier d'Arundel; vetrent dans le Psautier que nous venons de nommer et dans celui d'Oxford ; pour les prétérits en si, on trouve : fcisl dans le Psautier d'Arundel et dans Robert de Gretham; ^mf dans le Saint Julien, et un peu plus tard, les formes feirent, que nous avons citées.

768 l'évolution du verbe ex ANGLO-IRANÇAIS

Nous croyons que nous avons ici une diphtongue ei dont le premier élément est fermé et qui provient directement de Vi.

Nous n'insisterons pas non plus sur 1'/ qui provient de ei ; nous n'en avons qu'un petit nombre d'exemples et tous assez tardifs ; ils datent probablement de la seconde partie du xiir siècle (Edward le Confesseur, scribe ?, Wil. Rishanger) ou du xiv^' ; il est probable que les quelques terminaisons en ir = eir ont passé au préalable par er.

Mais les formes verbales qui nous montrent le passage de e à ei et de / à cette même diphtongue sont d'une très médiocre impor- tance ; il n'en est pas de même des phénomènes que nous avons étudiés auparavant ; il y a entre eux une relation très étroite et nous pouvons maintenant les exprimer d'une façon plus générale que nous ne l'avons fait jusqu'ici.

Dans la terminaison er, e hésite entre la valeur ouverte et la valeur fermée ; en même temps, sous l'influence de l'r, 1'/ de la terminaison ir se ferme et rime avec l'une des valeurs de la termi- naison er, tandis que la diphtongue ei passe à e ouvert et rime avec l'autre valeur de la même terminaison. La distinction entre les deux valeurs de er n'a pas duré longtemps, si même elle a été clairement sentie, et les infinitifs des trois conjugaisons ont pu rimer entre eux. Remarquons seulement que les rimes qui rapprochent un verbe de II d'un verbe de III sont, comme nous le disions, extrême- ment rares et tardives. (Voir pour cela notre première partie.)

Nous avons enfin à parler des phénomènes qui, tout en alfectant d'une façon générale toute espèce de mots sans distinction, ont une importance particulière pour le verbe. Nous parlerons ici de la graphie ee qu'on trouve pour toutes sortes d'^ et des changements qui ont pour principe la voyelle muette.

Ee. Nous n'avons pas à nous occuper ici de la nature de e't-qui prend la place de e ouvert et de e fermé', mais nous pouvons admettre avec Mail et Suchier que cette double voyelle était des- tinée à représenter le son long de la voyelle simple; cette question delà

I. On peut voir sur ce point Meyer-Lùbke, Grammaire I, p. 175, § 179; Suchier, Grammaire, p. 89, S 29 f ; Ueber die..., p. 35 ; Litteraturblat III, 16 ; Zeitschrift III, p. 477; Stimming, Boeve de Haumtone, p. 175 et p. 202;Stur- zinger, Orthographia Gallica, pp. 40 sqq.; Mail, Cumpoz, pp. 68-69 ; Uhlemann, Saint Auban, p. 563.

LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 769

valeur de cet ee a cependant quelque importance au point de vue de la versification ; mais nous n'avons pas trouvé d'élément qui nous permette de soutenir, en nous servant des exemples que nous four- nit le verbe, une opinion quelle qu'elle soit. Les premiers exemples qu'on connaisse de cette double voyelle se trouvent dans une forme duverbe, danslems. C duCumpoz:iww^, aveent, et dans ces deux cas la nouvelle graphie tient la place de ie. Mais presqiie aussitôt nous trouvons des exemples elle est employée pour représenter un simple e fermé, comme dans les secondes personnes du pluriel, que nous lisons dans Chardri, dans Foulques Fitz Warin, dans la Des- truction de Rome, dans Bozon, dans Nicolas Trivet ; le futur du verbe faire nous donne le plus grand nombre d'exemples (voir du reste plus bas), et nous pouvons faire la même remarque à propos des textes qui n'appartiennent pas à la littérature ; le nombre des participes passés faibles en é qui se montrent sous cette forme est aussi très considérable, mais ils nous semblent plus tar- difs et ne remontent pas plus haut que la fin du xiii^ siècle : ils sont surtout nombreux dans le manuscrit de la Destruction de Rome. Il en va de même des infinitifs de I : ils sont peu nombreux, même en dehors de la littérature, et tardifs : les exemples que nous avons cités sont pris à Foulques Fitz Warin, à la Destruction de Rome, au fragment d'une traduction de la Bible.

Même les formes du verbe qui ont eu à l'origine la diphtongue ai ou ei se rencontrent et assez tôt avec ee\ seet de savoir est très commun à partir de Saint Auban ; on le trouve dans le Manuel des Péchés, dans la Manière de Langage, dans la Chronique de Pierre de Langtoft. Feet, plus tardif, est presque aussi employé ; leest se ren- contre dans Pierre de Langtoft ; despleet est employé par le scribe du Petit Plet (xW siècle); vecl, d'aller, par l'auteur ou le scribe d'Edward le Confesseur; feere se rencontre dans Pierre de Lang- toft et dans les Rymer's Vo^à^r-à -ygeenst, comme nous l'avons vu, se trouve dans le Saint Auban. Ces exemples sont relativement plus nombreux que ceux des autres classes, et c'est justement la fré- quence de cette graphie pour les différentes diphtongues {ie, ei, ai) se réduisant en anglo-français à une voyelle simple, qui nous semblerait le meilleur argument en faveur de la théorie qui regarde ee comme une simple graphie de n'importe quel e long, ouvert ou fermé. Cette conclusion a quelque importance pour la conjugaison :

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770 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO- FRANÇAIS

en effet, si^^, dans le cas des infinitifs et des participes passés de I, indique un e fermé long, nous pouvons croire que cette graphie a résulté d'une tendance à conserver à ces deux terminaisons leur valeur propre ; elle suppose donc par même que IV dans ces ter- minaisons a pu prendre une autre valeur.

Ue atone a été la cause d'un nombre considérable de modifications dans la conjugaison ; de toutes les causes que nous avons exposées ou que nous verrons par la suite, il n'y en a aucune qui ait eu une action plus profonde et plus étendue que celle dont nous avons à parler maintenant. Et nous croyons que les quelques faits que nous allons signaler et les réflexions que ces faits nous suggèrent expli- queront ou aideront à expliquer un certain nombre de points encore obscurs de l'anglo-français.

Nous diviserons cette étude en trois parties :

Les graphies de Ve atone.

Chute d'un e atone étymologique.

Addition d'un <:> atone.

La première partie montrera que les Anglo-Français ont vite perdu le sens de la valeur intrinsèque de 1'^ atone ; les deux autres, qu'ils avaient perdu le sens de son emploi, et qu'ils n'ont jamais bien perçu la différence entre la voyelle atone et la détente vocaliquequi se produit dans certains cas.

L Graphies de l'e atone.

Nous n'insisterons pas sur toutes les graphies que l'e atone peut prendre en anglo-français ; qu'il nous suffise de dire que toutes les voyelles et plusieurs diphtongues peuvent prendre cette valeur, au moins dans certains cas. A se trouve après la tonique devant la consonne nasale n, comme dans les exemples de troisièmes personnes du pluriel féminines que nous avons rencontrés dans Boeve; la ter- minaison muette ant est du reste très rare. Avant la tonique, on rencontrera savara dans les Literae Cantuarienses (i33))-

I est plus commun avec cette valeur et ne se rencontre pas seule- ment à la troisième personne du pluriel ; la seconde personne du pluriel nous donne plusieurs exemples (estis), sur lesquels nous aurons à revenir. A la troisième personne du pluriel, nous avons

LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VEKBE 77 1

cité : vindrint^ siglint, deniorirint, t'uidrint, issint, 'pJcindrint, distrint et quelques autres ; les exemples que 'nous trouvons montrant un / avant la tonique ne sont pas très significatifs, car ils proviennent tous de futurs qui peuvent être des acquisitions des futurs inchoa- tifs. Nous verrons plus tard, chapitre m, l'origine des formes comme esiis; pour les troisièmes personnes du pluriel, remarquons que les formes qui présentent la désinence int ont le plus souvent (comme dans les exemples ci-dessus) un / dans le thème; sept fois sur dix dans les œuvres littéraires.

La voyelle o, comme nous l'avons vu à la troisième personne du pluriel, est assez fréquente avec la valeur d'une atone (pour l'origine de cette graphie, cf. chapitre m) ; on ne la rencontre avec cette valeur après la tonique qu'à la troisième personne du pluriel; avant la tonique on en rencontre encore un exemple au futur dans snrveiora, (Liber Rubeus de Scaccario, 1323), àdiXis donorons (Royal Letters Henry rV, 1339).

[7 se rencontre aussi, et plus fréquemment que toutes les autres graphies, à la première personne du pluriel (désinence féminine) et à la troisième personne du pluriel (désinence féminine). Nous aurons du reste à reparler de l'origine de ces formes. On trouve quelques rares exemples de cette voyelle employée avec cette valeur ailleurs qu'après la tonique : gustura dans Robert de Gretham, assen- ttirei dans les Statutes ; mais dételles formes sont rares.

Les autres graphies n'ont pas la même importance; nous avons vu que ou est assez commun, mais ne se trouve que comme un succédané de //et seulement à la troisième personne du pluriel, sauf dans les deux exemples de Rymer 1349 : faissout, puissoiit. Ee se rencontre au singulier : soffrec (Statutes, 13 11) et au pluriel: ansteent (Saint Auban) ; il en va de même pour eo : faceo (Statutes, 12?>Ç), deschargeront (Si^iwiQs, 1323), jureoiit, chivacheont (Rymer). £3; comme atone est isolé : dciiiorgey{Kymev, 1300), peut-être aussi ftiysseint.

Ces graphies si variées de la voyelle atone dans des positions si différentes montrent tout d'abord que les écrivains anglo-français ne savaient certainement plus comment se prononçait l'atone, et ils lui attribuaient ditlcrentcs formes, suivant leur flintaisie. Si on réflé- chit aussi au nombre considérable de troisièmes personnes du plu- riel que nous avons citées précédemment et montrant toutes sortes

772 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

de voyelles et de diphtongues, on pourra penser, comme nous le disions tout à l'heure, que la distinction entre les sons nasaux ne s'était pas non plus trop bien conservée.

IL Chute et addition d'un e atone.

L'anglo-français nous montre à une date très reculée et jusqu'à la fin du xiv^ siècle, un double phénomène qui n'a pas peu contribué à modifier profondément la conjugaison : tantôt il fait disparaître un e atone étymologique, tantôt, il ajoute une muette parasite ; ces deux phénomènes contradictoires ne peuvent s'expliquer que comme les résultats d'une seule tendance et les effets d'une même cause.

Nous distinguerons en trois groupes les exemples dont nous avons à nous occuper maintenant : dans le premier, nous mettrons ceux qui nous montrent la chute ou l'addition d'un c atone en position finale après une consonne : dans la seconde, nous verrons la chute et l'addition d'un e atone en hiatus ; dans la troisième, la chute ou l'addition d'un e interconsonantique.

I. Premier groupe. Chute et addition d'un e atone en position finale après consonne.

Chute d'un e atone étymologique. Nous pouvons remarquer que toutes les muettes finales qui suivent une consonne peuvent disparaître en anglo-français ; c'est surtout aux troisièmes personnes du singulier du présent de l'indicatif des verbes de I que cette chute a lieu le plus souvent et le plus tôt. Les premiers exemples que nous en ayons ren- contrés datent du commencement de la seconde moitié du xii'^ siècle ; les tout premiers sont des présents de l'indicatif des verbes de I; on trouve aussi à quelques années de distance des secondes personnes du singulier de l'impératif de la même conjugaison ; mais tous ces cas proviennent également de verbes terminés par une dentale appuyée. Nous avons cité dans notre première partie un nombre trop consi- dérable d'exemples pour que nous insistions longuement sur ce point maintenant. Rappelons, pour le présent de l'indicatif, l'exemple assuré par la rime dans Gaimar : aquit ; regret dans l'Alexis ; ajust dans le Roland d'Oxford ; covoit dans le Drame d'Adam. Pour l'im-

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 773

pératif acravent, gart dans la Vie de Sainte Catherine et les exemples que nous donnent les Quatre Livres des Rois et la Vie de Saint Gilles.

Tous ces cas de chute de l'atone remontent donc très haut et nous avons vu que ceux-ci, non seulement continuent, mais ne font qu'aug- menter pendant le xni^ et le xiV^ siècle. Les subjonctifs en aiii qui ont ce même thème perdent aussi leur e posttonique plus ou moins souvent à la troisième personne du singulier.

Il en résulte que, pour ces verbes et aux temps que nous venons de nommer, la dentale appu3^ée devient finale dans un nombre d'exemples assez minime au xn^ siècle, mais très considérable par la suite.

Ce n'est que vers 1250 que les autres thèmes consonantiques semblent subir pour la première foiscette perte de la voyelle postto- nique : plnr, siispir se lisent dans la Genèse Notre-Dame; repair à^\'\?> Pierre de Langtoft ; devour dans les Contes de Nicole Bozon, et nous pouvons rapprocher de ces troisièmes personnes du singulier du présent de l'indicatif l'impératif awr qui se trouve à la rime dans le Saint Auban ; quelques infinitifs -.fer, qner (\ViQ nous avons trouvés dans quelques auteurs du xiv^ siècle, 'et particulièrement dans les textes non littéraires.

Les thèmes en // nous ont donné à peu près à la même date les exemples suivants : dun, dans William de Waddington, dans Wil, Rishanger ; soun, enclyn, sojorn dans Pierre de Langtoft, etc. ; les thèmes en s nous montrent au présent de l'indicatif oj- dans William de Waddington, V'im^éxzûî pens dans le Saint Auban. Pour ces trois classes de thèmes consonantiques, les exemples sont assez communs et remontent tous à la même date, ou à peu près. Les autres thèmes en m, J, 1 mouillée ne nous ont fourni que peu d'exemples et ces exemples sont tous plus tardifs.

Comme nous le verrons, cette chute de la voyelle étymologique dans tous les cas que nous venons de citer s'explique fort aisément par la confusion que les Anglo-Français avaient faite entre la muette finale et la détente vocalique.

Addition d'un e atone épithctique aux formes consonantiques. Un nombre tout aussi considérable de formes terminées régulièrement par une dentale appuyée prennent un e muet irrégulier. Nous pou- vons remarquer que presque tous les exemples d'c irréguliers que

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L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

de voyelles et de diphtongues, on pourra penser, comme nous le disions tout à l'heure, que la distinction entre les sons nasaux ne s'était pas non plus trop bien conservée.

II. Chute et addition d'un e olone.

L'anglo-français nous montre à une date très reculée et jusqu'à la fin du xiV^ siècle, un double phénomène qui n'a pas peu contribué à modifier profondément la conjugaison : tantôt il fait disparaître un e atone étymologique, tantôt, il ajoute une muette parasite ; ces deux phénomènes contradictoires ne peuvent s'expliquer que comme les résultats d'une seule tendance et les effets d'une même cause.

Nous distinguerons en trois groupes les exemples dont nous avons à nous occuper maintenant : dans le premier, nous mettrons ceux qui nous montrent la chute ou l'addition d'un c atone en position finale après une consonne : dans la seconde, nous verrons la chute et l'addition d'un e atone en hiatus ; dans la troisième, la chute ou l'addition d'un e interconsonantique.

I. Premier groupe. Chute et addition d'un e atone en position finale après consonne.

Chute d'un e atonie étymologique. Nous pouvons remarquer que toutes les muettes finales qui suivent une consonne peuvent disparaître en anglo-français ; c'est surtout aux troisièmes personnes du singulier du présent de l'indicatif des verbes de I que cette chute a lieu le plus souvent et le plus tôt. Les premiers exemples que nous en ayons ren- contrés datent du commencement de la seconde moitié du xii^ siècle ; les tout premiers sont des présents de l'indicatif des verbes de I; on trouve aussi à quelques années de distance des secondes personnes du singulier de l'impératif de la même conjugaison ; mais tous ces cas proviennent également de verbes terminés par une dentale appuyée. Nous avons cité dans notre première partie un nombre trop consi- dérable d'exemples pour que nous insistions longuement sur ce point maintenant. Rappelons, pour le présent de l'indicatif, l'exemple assuré par la rime dans Gaimar : aquit ; regret dans l'Alexis ; ajust dans le Roland d'Oxford; covoit dans le Drame d'Adam. Pour l'im-

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE

773

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Tpératif acraveiif, gart dans la Vie de Sainte Catherine et les exemples que nous donnent les Quatre Livres des Rois et la Vie de Saint Gilles.

Tous ces cas de chute de l'atone remontent donc très haut et nous avons vu que ceux-ci, non seulement continuent, mais ne font qu'aug- menter pendant le xni^ et le xiV' siècle. Les subjonctifs en aiii qui ont ce même thème perdent aussi leur e posttonique plus ou moins souvent à la troisième personne du singulier.

Il en résulte que, pour ces verbes et aux temps que nous venons de nommer, la dentale appu5'ée devient finale dans un nombre d'exemples assez minime au xn^ siècle, mais très considérable par la suite.

Ce n'est que vers 1250 que les autres thèmes consonantiques semblent subir pour la première foiscette perte de la voyelle postto- nique : plnr, siispir se lisent dans la Genèse Notre-Dame; repair à^ns Pierre de Langtoft ; devour dans les Contes de Nicole Bozon, et nous pouvons rapprocher de ces troisièmes personnes du singulier du présent de l'indicatif l'impératif fl«r qui se trouve à la rime dans le Saint Auban ; quelques infinitifs -.fer, qiier que nous avons trouvés dans quelques auteurs du xiV^ siècle, 'et particuhèrement dans les textes non littéraires.

Les thèmes en // nous ont donné à peu près à la même date les exemples suivants : dtin, dans William de Waddington, dans Wil. Rishanger ; soiin, enclyn, sojorn dans Pierre de Langtoft, etc. ; les thèmes en s nous montrent au présent de l'indicatif r»j- dans William de Waddington, l'impératif /)(^m^ dans le Saint Auban. Pour ces trois classes de thèmes consonantiques, les exemples sont assez communs et remontent tous à la même date, ou à peu près. Les autres thèmes en m, /, / mouillée ne nous ont fourni que peu d'exemples et ces exemples sont tous plus tardifs.

Comme nous le verrons, cette chute de la voyelle étymologique dans tous les cas que nous venons de citer s'explique fort aisément par la confusion que les Anglo-Français avaient faite entre la muette finale et la détente vocalique.

Addition d'un e atone épithétique aux formes consonantiques. Un nombre tout aussi considérable de formes terminées régulièrement par une dentale appuyée prennent un e muet irrégulier. Nous pou- vons remarquer que presque tous les exemples d\' irréguliers que

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774 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

nous avons relevés à la première personne du singulier des subjonc- tifs en eni proviennent de verbes dont le thème est terminé par une dentale : cunte., rcciiutc, guarde dans le Psautier d'Oxford ; abilc, recuntc, parle dans le Psautier de Cambridge ; ahitc, reciinte, visite à?ins le Psautier d'Arundel ; amende, giiste dans les Quatre Livres des Rois; cunle dans le Poème sur Edward le Confesseur. A la troisième per- sonne du singulier de ces subjonctifs en em, il nous est difficile d'éta- blir un ordre quelconque entre les formes qui nous présentent cet e qui n'est pas étymologique ; nous avons vu cependant que les thèmes à dentale qui présentent l'atone sont fort nombreux, mais que cet ^s'explique par le souci de distinguer la dentale du thème de celle de la désinence. Cette explication, qui nous semble correcte pour les premiers exemples que nous rencontrons, ne saurait s'appliquer à ceux que nous trouvons postérieurement à la chute delà dentale caduque: cunte dans Edward le Confesseur; amende dans WiUiam de Wad- dington: grante dans le Saint Auban; aide un peu partout; garde dans les Heures de la Vierge, Pierre deLangtoft. Et nous pourrions rappeler ici tous les exemples que nous avons relevés dans les textes non littéraires.

Ces exemples sont assez tardifs ; ceux que nous fournit la troi- sième personne du singulier du présent de l'indicatif pour ces mêmes thèmes sont à peu près de la même date, ou légèrement plus anciens. Les premières formes qui présentent à cette personne cet e irrégulier sont toutes des troisièmes personnes du singulier prove- nant de thèmes à dentale, comme par le, -x la rime dans le Roman de Philosophie ; consente à la rime dans Deu le Omnipotent ; mette, départe dans Boeve ; mainte, dans la Lumière as Lais etc. Et ces troisièmes personnes en te sont assez nombreuses au xiii^ et auxiV^ siècle.

Les autres thèmes consonantiques ne nous fournissent pas autant d'exemples et dans la plupart des cas ne nous donnent que des exemples beaucoup plus récents d'addition d'f posttonique. A la première personne du singulier des subjonctifs de I, nous ne trou- vons que ailre et désire au xii^ siècle (dans les Quatre Livres des Rois); ces mêmes thèmes en r nous donnent à la troisième per- sonne du singulier pour ce même temps espeire danslt Psautier d'Ox- ford ; le Siège de Carlaverok, pour le présent de l'indicatif, a apere à la rime. Citons enfin les infinitifs de I et de II qui prennent cette

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 775

voyelle : esfere dans la Genèse ; abaundunere dans les Distiques Ano- nymes ; penscre, estudiere, ensevelire, beisire, veire, sans mentionner les exemples en nombre considérable que nous trouvons en dehors de la littérature.

On pourrait trouver, et nous avons cité dans notre pre- mière partie, plusieurs autres sortes de thèmes consonantiques montrant la même muette irrégulière ; nous ne nous y arrêterons pas maintenant.

L'on voit donc que, dans les ouvrages littéraires comme dans les textes politiques, diplomatiques, familiers et autres anglo-français, ce sont les mêmes thèmes qui prennent un e posttonique irrégu- lier ou qui perdent Ve posttonique régulier qu'ils avaient. On peut observer en outre que pour tous les exemples que nous avons donnés de ce double phénomène, ce sont les verbes dont le thème est terminé par une dentale appuyée qui offrent les exemples les plus nombreux et les plus anciens. Viennent ensuite les thèmes en r, ou les formes terminées par r, n ou s. Ceci n'est pas le fait d'une coïncidence : les deux phénomènes proviennent d'une seule cause, les Anglo-Français ont commencé, dès la seconde moitié du xn^ siècle, à ne plus savoir distinguer Ye atone de la détente vocalique qui se fait sentir surtout pour les mots qui sont terminés par une dentale appuyée. Les écrivains anglo-français commencèrent par ajouter probablement à certaines formes un e épithétique (ardenie du Saint Brandan, ou les exemples des Psautiers), mais ils ne l'ajou- tèrent que très irrégulièrement et finirent, comme on devait s'y attendre, par le confondre avec Ve atone étymologique. C'est delà que provient en partie du moins l'irrégularité avec laquelle ces écrivains emploient ou omettent cet c normal ou non^ étymolo- gique ou épithétique.

2. Second groupe. Atone en hiatus.

Nous avons à nous occuper de la chute et de l'addition d'un e atone dues à des causes différentes de celles que nous venons d'exa- miner, et ici, il nous est impossible d'établir entre les deux phéno- mènes une relation aussi étroite que celle que nous avons cru décou- vrir précédemment.

Nous pouvons remarquer la chute d'un e atone étymologique

776 l'ûvolution du verre ek anglo-français

dans- un certain nombre de cas : Ve atone disparaît lorsqu'il est en hiatus avec la tonique en position posttonique ou protonique ; il lui arrive aussi de tomber, mais sporadiquement quand il se trouve entre deux consonnes, même à Tinitiale. Un e atone parasite peut apparaître dans les deux cas.

Hiatus. D'une façon générale, on peut dire que l'anglo-fran- çais a tendu, dès le milieu du xii'' siècle, à faire disparaître les e atones qui se trouvent en hiatus.

Ceci a lieu d'abord, quoique assez rarement et assez tard, au pré- sent de l'indicatif, à la troisième personne du singulier ou du plu- riel ; pour le singulier nous trouvons des exemples assurés dans Boeve de Haumtone Quere, mercé), à la rime dans Dermod (crï), dans Pierre de Langtoft (agrè), dans Wil. Rishanger et dans l'Apo- calypse (ov, présent du subjonctif); mais ces exemples datent tous du xiii^ ou du xiv« siècle; pour la troisième personne du pluriel, nous en avons trouvé des exemples qui remontent au moins à la seconde moitié du xii^ siècle {fuient dans Fantosme). Pour la seconde personne de l'impératif, il en va de même; nous avons dans Adgar esmai, von, et au siècle suivant, envei est fort commun (Robert de Gretham).

Mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer, c'est surtout à l'imparfait et au conditionnel que nous pouvons le mieux étudier ce phénomène dans tout le développement qu'il a pris en anglo- français, et nous nous contenterons de rapprocher les résultats que nous avons déjà obtenus et de les comparer aux autres cas qui montrent la disparition d'un e atone posttonique en hiatus: comme précédemment, il n'y a pas d'époque on ne trouve au moins quelques exemples isolés des formes étymologiques, quoiqu'elles soient devenues extrêmement rares vers le milieu du xni^ siècle. Les premiers cas d'amuissement pour l'imparfait et le conditionnel remontent à environ 11 60, mais ils restent rares jusqu'à la fin de ce siècle (première personnedu singulier : Psautier d'Arundel, Psautier d'Oxford, Fantosme ; troisième personne du pluriel : Adgar, Horn, Fantosme) ; quoique certains auteurs du xiii^ siècle ne présentent que des formes régulières, nous remarquons dès le début de ce siècle, et en particulier chez Chardri, une augmentation considérable et subite des formes raccourcies ; les présents de l'indicatif et aussi les présents du subjonctif ne montrent pas cette quasi disparition si

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 777

brusque de la voyelle atone en hiatus; cela est spécial à l'imparfait et au conditionnel. On doit noter aussi une différence dans le nombre de formes privées de la voyelle atone régulière : aucune autre terminaison que celle de l'imparfait et du conditionnel ne se débarrasse de cette voyelle aussi fréquemment.

Mais, ces deux différences mises à part, et nous ne cachons pas qu'elles nous semblent fort importantes, Ve atone posttonique a reçu dans toutes ces terminaisons un traitement analogue.

En position protonique, Ye atone a disparu d'une façon encore plus régulière, et ici nous nous trouvons en présence d'un nombre très considérable d'exemples. La synérèse de la voyelle atone peut s'observer à quatre temps : au prétérit (prétérits en ///, en /, en si\ à l'imparfait du subjonctif (imparfoits du subjonctif en ui, en /, en si), à l'infinitif de certains verbes, au participe passé (participes en H, en tum).

Il est fort difficile de donner en peu de mots une idée claire en même temps qu'exacte de la disparition de la voyelle atone proto- nique dans tous les cas que nous avons énumérés, et nous ne vou- lons pas ici entrer de nouveau dans les détails que nous avons exposés dans notre première partie. Pour dessiner la ligne générale de cette évolution, nous serons obligés de négliger très souvent des déviations particulières, et ce qui sera vrai de l'ensemble pourra se trouver erroné dans le détail.

Remarquons qu'il est probable, sinon certain, qu'on peut trou- ver dans toutes les catégories ci-dessus des formes l'hiatus est conservé jusqu'à la fin du xiv^ siècle ; mais que pour chacune d'elles la synérèse est devenue la règle entre 1250 et 1350.

Les premiers cas de synérèse se rencontrent tous, à une excep- tion près, vers iiéo; dans Adgar, pour les prétérits en /// et les participes en ii ; dans le Psautier d'Arundel pour les prétérits en / ; dans Thomas pour les prétérits en si; dans l'Estorie des Engleis pour les imparfaits du subjonctif en /// et en si; dans Jordan Fan- tosme pour les imparfaits du subjonctif en /; dans les* Psautiers pour les quelques prétérits en ////// qui présentent un hiatus.

La plupart des auteurs que nous venons de signaler ne nous pré- sentent évidemment pas d'exemple pour une catégorie seulement, de sorte que pendant la seconde moitié du xu' siècle, les cas de synérèse qui, pris isolément, peuvent paraître négligeables, se pré-

778 l'évolution du VHRliR EN ANGLO-FRANÇAIS

sentent en asse;^ grand nombre quand on les rassemble; et si nous rapprochons ces résultats que nous venons de combiner à ceux aux- quels nous sommes arrivés en étudiant l'atone posttonique en hia- tus, nous voyons que cette date de 11 60 marque le commencement de la disparition de tous les e atones en hiatus.

Ici encore, le nombre de cas de synérèse, déjà relativement con- sidérable pendant les quarante dernières années du xii'^ siècle, aug- mente, mais toujours d'une façon très irrégulière, pendant les trois premiers quarts du siècle suivant. Et s'il fliUait désigner un moment le nombre des cas de diérèse atteint son minimum, dont il ne bougera plus par la suite, nous le placerions à l'époque écrivait William de Waddington.

Une seule des catégories que nous avons mentionnées plus haut montre des exemples de la disparition de la muette à une date sin- gulièrement plus tardive : ce sont les infinitifs ver, cher, scr qui ne remontent pas plus haut que le milieu du xiii^ siècle.

Telles sont les lignes générales qu'a suivies l'évolution de Yc atone en hiatus, soit avant, soit après la tonique ; nous le répétons, nous négligeons volontairement un grand nombre de détails ; on peut se rappeler que nous nous sommes attaché à montrer dans notre pre- mière partie que les formes régulières se rencontrent dans certains cas très avant dans les textes anglo-français ; nous avons aussi essayé alors de déterminer quelles personnes présentaient les premières les formes raccourcies. Ici nous ne nous occupons que de l'ensemble qui nous montre la diminution considérable des formes normales entre 11 60 et 1250 environ.

C'est un phénomène général et, autant que cela se peut pour l'an- glo-français, régulier, qui a tendu à faire disparaître tous les e atones en hiatus.

Le phénomène contraire est beaucoup plus rare et s'explique pro- bablement beaucoup moins facilement : l'anglo-français du xiv^ siècle ajoute à l'occasion un e atone après une voyelle, surtout à l'infinitif et devant r ; c'est le phénomène que nous avons men- tionné à propos del'^svarabhaktique, quoiqu'il ne puisse pas s'expli- quer de la même façon : Nicolas Trivet a estraiere, les Rymer's Foedera /)/fl!/tT (plaire), rescriere (1357), conduere (1395). C'est pro- bablement la façon dont les Anglo-Français prononçaient Vr fran- çaise qui a provoqué cette graphie, qui reste toujours rare.

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 779

L'importance de ce phénomène ne saurait se comparer à celle de celui qui montre la chute de Ve dans les mêmes conditions.

Nous mentionnerons encore ici les nombreux cas un e final est ajouté à certaines personnes régulièrement terminées par une voyelle; mais il nous semble que toutes les formes qui suivent sont avant tout des formes analogiques. On trouve cet e final irrégulier au présent du subjonctif de certains verbes de I qui ont un thème vocalique comme, pour la première personne, aie dans Adgar ; esmaie à la troisième personne dans le Voyage de Saint Brandan ; Joed, vivi- fiet, fc'/MwV/ dans les Psautiers; à difierentes secondes personnes du singulier: creics dans Robert de Gretham, oycs dans les Heures de la Vierge. On pourrait ajouter encore ici une première personne du singulier : die (dico), dont nous avons donné de nombreux exemples.

Mais encore une fois ces quelques exemples nous paraissent être des formes analogiques, dont nous redirons quelques mots au cha- pitre suivant.

3. Troisième groupe. Atone interconsonantique.

a) Chute de l'atone en position protonique. Nous ne trou- vons pas pour la chute de Ve atone interconsonantique des exemples aussi variés et par conséquent aussi probants que pour celle de 1'^ atone en hiatus ; mais la série que nous allons citer suffira pour donner une idée fort exacte de l'étendue et de l'importance de ce phénomène. Nous en trouvons des exemples avant comme après la tonique et ce sont les e atones protoniques qui disparaissent les pre- miers. C'est surtout au futur de certains verbes de la première con- jugaison que ce phénomène se produit le plus souvent et le plus régulièrement ; le Brandan nous en fournit au moins un exemple qui doit être attribué à l'auteur (i i lo) et quelques-uns qui ne remontent qu'au scribe du manuscrit de Londres (1167). Les cas de chute de la voyelle protonique au futur sont fort communs au xn' siècle et ils proviennent de thèmes très différents : thèmes à labiale, thèmes en r, thèmes en w, même thèmes vocahques. Plus tard encore, cet e tombe et laisse subsister des groupes de consonnes, comme dans auardrai, treinblnii, menirai; mais ces exemples qui sont peu com- muns peuvent bien n'être que des lapsus des scribes, car nous n'en

780 l'évolution du vlrbe en anglo-français

avons rencontré aucun qui soit attesté par la mesure du vers. La tendance que nous avons fait remarquer et qui- consiste à ajouter dans certains groupes de consonnes une voyelle atone qui en aide la prononciation trouve ici sa contre-partie; mais cette chute de l'atone protonique est entièrement limitée à un petit nombre de formes, dont la plupart remontent au commencement du xii"^ siècle. Quant à la chute de l'atone au futur du verbe faire, elle a lieu encore vers iiéo; Adgar, Fantosme, Thomas nous en ont fourni de nom- breux cas que nous avons cités précédemment et les formes abré- gées du futur de ce verbe deviennent de plus en plus communes, jusqu'à devenir, vers le commencement du xiV' siècle, chez certains auteurs, les seules employées (sauf dans les textes non littéraires). C'est donc vers 11 60 que la chute de Ve protonique atteint un cer- tain nombre de verbes.

/») Chute de l'atone en position posttonique. C'est sensiblement plus tard que le même phénomène se produit après la tonique; les premières et les secondes personnes du pluriel féminines se rencontrent sans muette à la fin du xiii' et au commencement du xiv^siècle : dans la Destruction de Romeetdansles Contes de Nicole Bozon ; maiscen'est que dans les ouvrages non littéraires que les exemples deviennent vraiment communs; dans les Rymer's Foedera, les ^ atones sont rares pour les premières personnes féminines faibles depuis 1272; et pour toutes les secondes personnes du pluriel, les formes sans e se trouvent fréquemment. Néanmoins, on ne doit pas attacher trop d'importance à ce fait, excepté en tant qu'il montre une tendance de l'anglo-français : celle de faire disparaître les voyelles atones inter- consonantiques en quelque position qu'elles se trouvent; mais cette tendance est combattue, comme nous le disions tout à l'heure, par l'introduction des e épithétiques et, comme nous allons le voir, des e épenthétiques. De plus, il nous restera à signaler encore d'autres cas qui nous montreront l'addition d'un e atone qui ne peut s'ex- pliquer par aucune des raisons que nous avons données et que nous classerons parmi les formes analogiques.

c) Atone svarabhaktique, ou épenthétique. L'c atone que nous avons appelé svarabhaktique ne diffère pas essentiellement de 1'^' épithétique dont nous venons de donner des exemples (cf. p. 773) ; le développem.ent dans le corps d'un mot d'une voyelle épenthé-

LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE 78 1

tique est un fait commun en anglo- français et on pourra en trou- ver plusieurs exemples dans Stimming (Boeve de Haumtone^ p. 179). Mais ce phénomène a présenté à la fois une extension beaucoup plus grande et une régularité beaucoup plus remarquable dans le verbe que pour toute autre classe de mots. Deux temps étaient spécialement désignés par leur forme pour montrer cette voyelle épenthétique : le futur et le présent de l'infinitif. A l'aide de ces deux temps, nous pouvons nous faire une idée fort exacte du développement et de la valeur que Ve svarabhaktique a pris en anglo-français. Il apparaît à ces deux temps vers le milieu du XII' siècle; le Psautier d'Arundel nous en donne un exemple de date assurée pour l'infinitif, et le manuscrit A de l'Alexis ou C du Cumpoz, de même que le Psautier d'Oxford, nous en fournissent d'aussi certains pour le futur.

Tout d'abord, cet c atteint surtout les verbes à labiale et quelque temps plus tard, mais la légère différence entre les dates peut n'être qu'un hasard, les verbes à dentale appuyée. Il semble probable que les écrivains qui employèrent cet e les premiers ne lui donnèrent pas une valeur syllabique ; il fut d'abord ce que les Anglais appellent « glide », et cela explique que le premier cas que nous trou- vions d'un e épenthétique comptant pour une syllabe ne se ren- contre pas avant le xiir' siècle (Edward le Confesseur), pour l'infini- tif, un peu plus tôt probablement pour le futur (Adgar, Fantosme, Horn, Vie de Saint Gilles). Il est probable que les auteurs qui nous donnent des exemples de ces e muets avec valeur syllabique, exemples en nombre très restreint, ont l'employer beaucoup plus souvent en lui donnant une simple valeur graphique. Ce n'est guère que vers 1250 que nous trouvons ces e, surtout pour le futur, comptant régulièrement pour une syllabe.

Certains futurs semblent être spécialement affectés par cette voyelle épenthétique, celui d'avoir, principalement, et on pourrait expliquer la plus grande susceptibilité de ce verbe par l'influence de l'infinitif fli'fr.

Le phénomène de svarabhakti peut s'observer encore à d'autres temps, mais beaucoup moins régulièrement qu'au futur et qu'à l'infinitif : ce sont les temps ou les formes qui présentent soit le groupe sin soit le groupe str, par exemple feiseiiics, assistèrent. Et on peut comprendre aisément pourquoi ces formes n'ont pas plus sou-

782 l'évolution IJU VERBE EN ANGLO-FKANÇAIS

vent cet e svarabhaktique, si on admet, comme nous le montrerons plus tard, que dans ces groupes IV s'est amuie de fort bonne heure et que le groupe de consonne s'est réduit de façon à rendre inutile une voyelle épenthétique.

Disons encore un mot de la forme même de cette voyelle : nous trouvons le plus souvent c. et on peut dire que toute autre graphie est sporadique.

/ se rencontre dans une demi-douzaine d'exemples : hevire, res- poiidire, vivirc, preudirc ; a est encore plus rare : savara ; a ne se ren- contre qu'une fois ou deux : suffrisiinies.

Pendant le xiv* siècle, nous trouvons quelques exemples d't' qui peuvent être des e svarabhaktiques, employés avec des verbes à thème vocalique : estraiere (Trivet), plaier (Rymer), condiiere (Rymer) ; mais nous croyons avoir des exemples d'un phénomène légèrement différent que nous avons déjà mentionné (voir plus haut, p. 778).

Nous avons donc vu jusqu'ici la confusion que les Anglo-Fran- çais ont faite entre les e atones en position finale et des e épithé- tiques qu'ils employaient ou n'employaient pas sans raison appa- rente; les ^ épenthétiques ont la même origine que les e épithé- tiques, mais ils ont été d'un emploi beaucoup plus régulier. Ces quelques fiiits expliquent bien un grand nombre de phénomènes que nous avons observés dans la conjugaison du verbe et ils rendent compte en même temps de la physionomie même que nous pré- sentent les textes anglo-français du xiV^ siècle, les e atones abondent on ne les attend pas et sont absents des formes ils sont étymologiques.

Voilà donc aussi brièvement que possible les cas, nombreux et importants, qui doivent le changement que leur torme a subi à l'apparition ou à la chute d'un e atone; dans tous les cas que nous avons mentionnés, sauf les quelques réserves que nous avons faites, cette chute de Ve atone étymologique ou l'addition d'une voyelle atone parasite est due à des influences purement phoniques; et nous cro3^ons avoir cité la grande majorité des cas pour lesquels l'irré- gularité de la forme est due à Ve muet.

Ce que nous avons dit montre bien une chose, c'est que les écrivains anglo-français, à partir de iiéo, ont commencé à s'em- brouiller sur la place et la valeur de 1'^' atone; ils ont confondu

LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE 783

avec la muette la détente vocalique et pris dans d'autres cas une détente vocalique pour une muette; puis et toujours, semble-t-il, à la même époque, les e muets en hiatus, avant ou après la tonique, ne se sont plus fait sentir qu'irrégulièrement dans la prononciation; les atones interconsonantiques ont eu le même sort au moment même une muette épenthétique se montre dans un grand nombre de formes; et le plus grand nombre des voyelles atones, à partir de 1250, a pu s'employer ou s'omettre au gré de chacun, alors que dans d'autres cas il était entièrement inutile, le même e atone a semblé nécessaire à la prononciation. Il en est résulté la plus grande confusion, non seulement dans le verbe, mais surtout dans la pro- nonciation etpar conséquent dans la versification. Des vers français, parfaitement corrects pour des oreilles françaises, devaient paraître à un écrivain anglo-français avoir un nombre toujours changeant de syl- labes. Et ceci nous explique mieux que toute autre considération l'ir- régularité de la versification qui a certainement commencé vers la fin du xii^ siècle et qui n'a fait qu'augmenter pendant les deux siècles suivants. Cette irrégularité vient d'abord en partie de ce que les écrivains anglo-français comptaient ou ne comptaient pas les voyelles muettes à volonté; mais elle résulte surtout de ce que leur traite- ment des muettes leur a fait très tôt perdre le sens même de ce qu'est un vers français. Leur façon de prononcer le français rendait incorrects les neuf dixièmes des vers français corrects qu'il leur arrivait de lire, car tous les vers qu'ils avaient sous les yeux sem- blaient avoir un nombre de syllabes extrêmement variable, suivant le nombre dV atones qu'ils avaient et que les Anglo-Français comp- taient ou ne comptaient pas. Il en résulta qu'après un temps ils oublièrent et ne purent plus reconnaître que le principe du vers français, c'est le nombre fixe de syllabes.

Voilà les résultats que le traitement de Ve atone a eus sur la con- jugaison du verbe et, incidemment, sur la versification en anglo- français ; comme on peut en juger de ce que nous venons de dire sur ces deux points, ces résultats sont de la plus grande importance et on peut conclure que de tous les phénomènes que nous avons exposés, aucun n'a plus contribué à modifier la physionomie de l'anglo-français que le traitement que \'e atone a subi.

Les phénomènes phoniques qu'il nous reste à examiner sont loin d'avoir la même importance que ceux que nous venons de signaler,

Q

84 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

autrement dit, les consonnes n'ont pas eu sur le développement des formes du verbe la même influence que les voyelles et les diph- tongues.

Nous aurons à passer rapidement en revue les explosives dentales, les fricatives dentales, les consonnes mouillées, la vibrante r.

I. Les explosives dentales. Dentale finale caduque.

Nous avons vu que les troisièmes personnes du singulier corres- pondant à la terminaison latine at, les troisièmes personnes du singulier en a, en /, en u, les participes passés ûiibles en e, en z et en u sont terminés par une dentale caduque. De ces quatre classes, les participes faibles en / seuls se rencontrent à la, rime avec des mots terminés par une dentale appuyée, et ces rimes se ren- contrent assez avant dans le xii^ siècle, puisqu'elles se trouvent dans l'Estorie des Engleis, dans le Drame d'Adam et les Légendes de Marie. Mais à part les quelques exemples que nous relevons dans ces quatre ouvrages pour les dentales de cette classe de participes passés, toutes les formes du verbe terminées par une dentale caduque sont entièrement distinctes de celles qui montrent une dentale appuyée. Dès le début de la littérature anglo-française, on trouve que ces formes sans distinction peuvent rimer avec des mots qui ne sont pas terminés par une dentale. Mais il faut remarquer deux choses :

Les formes dans lesquelles la dentale suit immédiatement la voyelle tonique se trouvent quelquefois à la rime avec des mots qui ont être terminés par la spirante th; les participes passés (vers 1140-1 150) riment respectivement avec Elvereth, Edelfrid, Suth, Cnuth ; il n'est probablement pas trop hardi de généraliser les ren- seignements que nous donnent ces participes et de conclure que toutes les formes verbales qui sont terminées par une dentale caduque ont montré, à peu près à la même époque, la même valeur pour leur dentale finale. Après cette date (11 50), nous ne trouvons plus de rime qui nous permette de croire que cette valeur lui a été conservée.

Pour les troisièmes personnes du singulier qui correspondent à la désinence latine al, nous retrouvons, et pendant une longue

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 785

période, cette même dentale avec une autre valeur, celle de dentale de liaison. Les exemples sont nombreux pendant tout le xii= siècle et se prolongent certainement pendant le commencement du xni% peut-être jusque vers 1250.

Dentale finale appuyée.

Nous retrouvons, quoique avec une extension beaucoup moins grande, les mêmes phénomènes pour la dentale finale appuyée à la troisième personne du singulier et à la seconde personne du singu- lier de certains impératifs. Nous n'avons aucune rime qui nous per- mette d'affirmer que cette dentale a passé par l'étape spirante; nous n'avons pu relever que quelques graphies, comme rith, seeth, qui datent de la fin du xni^ ou du xiv^ siècle. Mais les chutes de cette dentale sont absolument certaines. Il est remarquable que quelques- uns de ces cas sont presque aussi anciens que ceux que nous avons signalés pour la dentale caduque : les Psautiers {pren, impératif), l'Estorie des Engleis Çsumun, présent de l'indicatif), le Roland d'Oxford {er, imparfait de l'indicatif; auiein, présent du subjonctif), le manuscrit L du Saint Alexis {di, présent de l'indicatif). Frère Angier (j-espon, defen^ impératif), nous donnent de ce phénomène un nombre assez considérable d'exemples indiscutables. Néanmoins leur nombre n'approche pas de celui des exemples que nous avons rencontrés pour la dentale caduque. Pendant les deux siècles sui- vants, nous trouvons sans leur dentale finale appuyée des troisièmes personnes du singulier de plus en plus nombreuses, et les textes non littéraires nous fournissent leur part de ces formes; elles restent malgré tout exceptionnelles.

A une date beaucoup plus tardive, nous rencontrons des troi- sièmes personnes du pluriel (masculines et féminines) qui perdent leur dentale de la même façon; les premiers exemples que nous ayons trouvés se lisent dans le poème de Boeve de Haumtone : ««, usen; mais ces formes sont très peu nombreuses dans la littérature et rares aussi dans les textes politiques et diplomatiques; leur nombre ne peut même pas se comparer à celui des troisièmes du singulier qui ont subi cette même perte. Il en va de même pour les participes forts en ctiim; Boeve et quelques autres ouvrages, littéraires ou non, nous fournissent un petit nombre d'exemples comme dis^ csly, bcne, escondu.

)0

786 l'évolution du verbe en anglo-français

Quant aux participes présents, on peut dire qu'ils conservent toujours leur dentale.

Par conséquent, la dentale finale appuyée, dans un certain nombre de cas, suit la même marche que la dentale caduque, passe peut- être à la spirante et tombe, et ces cas remontent à la seconde moi- tié du XII'' siècle; mais ils restent exceptionnels et le plus souvent, en particulier à la troisième personne du pluriel et au participe pré- sent, la dentale ne subit pas de modification.

2. Les fricatives dentales.

L's finale ne s'est pas toujours très bien conservée en anglo-fran- çais et, comme pour Ve atone, nous assistons à cause de cela à un double processus : chute de 1'^ finale, addition d'une s finale para- site.

L'j" finale disparaît assez fréquemment dans les formes masculines terminées régulièrement par une voyelle ou une consonne suivie de cette s.

Les premières personnes du singulier qui perdent cette s ne sont pas très communes et cette chute n'a lieu que fort tard dans les textes littéraires anglo-français : on ne rencontre fa, estoy, truf, doyn que dans les textes du xiv^ siècle. C'est à peu de chose près à la même date, peut-être un peu plus tôt, qu'il faut rapporter les formes de la première personne des prétérits en ^/ sans leur 5 étymologique, comme di.

Quoiqu'il y soit plus ancien, ce phénomène n'est pas beaucoup plus général pour la deuxième personne du singulier qui nous donne fai dans les Quatre Livres des Rois, va dans Boeve.

Nous ne nous attarderons pas à répéter ce que nous avons dit pré- cédemment à propos de la terminaison de la première personne du pluriel ; nous avons montré qu'elles perdaient leur s pendant le pre- mier quart du xii*^ siècle et que vers 1250 les désinences asigma- tiques parvenaient à prendre la place des désinences régulières ; Vs a ici réellement disparu d'une façon à peu près complète et dans aucun autre cas, nous ne retrouverons une régularité aussi grande .

Les secondes personnes du pluriel à terminaison masculine, cependant, nous fournissent un certain nombre de formes qui montrent que la désinence s'est réduite à e; mais nous n'avons ici

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 787

aucun moyen pour décider si c'est la terminaison avec s, ou la ter- minaison régulière en :^ ou, comme nous le pensons, la terminaison en d qui perd la consonne finale.

Pour ces terminaisons masculines, le nombre de formes sans la consonne finale est assez restreint, mais les exemples que nous en avons remontent tous assez haut. A la deuxième personne du sin- gulier, nous trouvons /'f'.''^<^ dans l'Alexis; nf/ie et die à la rime dans Boeve ; face dans Pierre de Langtoft et dans Bozon, mais quoiqu'ils remontent assez haut, ces exemples restent isolés. Il en va à peu près de même dans les premières et les secondes personnes du plu- riel féminines ; le Psautier d'Arundel nous en donne un exemple (dite^ qui se retrouve dans l'Ipomédon ; le Roland d'Oxford nous en fournit un autre (J'eshîie) ; le poème de Boeve de Haumtone, la Vie de Saint Auban en ont aussi quelques-uns; mais tous ces cas réunis ne forment pas un total bien imposant.

Par conséquent, nous surprenons une tendance en anglo-français à faire disparaître l'^ finale, soit après une voyelle ou une diphtongue, soit après un £' muet; mais cette tendance reste à l'état d'indica- tion et ne produit que. peu de résultats. Le seul cas nous puis- sions remarquer une disparition à peu près régulière de 1'^, c'est après la voyelle nasale on.

L'addition d'une s se produit dans un plus petit nombre d'exemples, mais elle semble se faire plus régulièrement, et nous ne pouvons pas ne pas croire que cette addition s'est faite, dans certains cas que nous allons citer, par le jeu naturel des lois phoniques. L'.^ s'est généra- lisée à la première personne du singulier du présent de l'indicatif et à la seconde du singulier de l'impératif aux thèmes à palatale qui ne l'ont pas ordinairement. Cette addition de 1'^- remonte au moins au commencement de la seconde moitié du xn^ siècle : dis, esli^, lis sont des premières personnes du présent de l'indicatif; ja^, dis, gis, tes des impératifs.

Au commencement du xni'' siècle, Vs est étendue pour ces deux personnes aux verbes à dentale : ris, pleins, conclus pour les pre- mières, ox, desfens pour les secondes. Nous assistons ici à un déve- loppement phonique régulier et non pas à un phénomène d'analo- gie, quoiqu'il soit évidemment possible d'expliquer par l'analogie les formes qui précèdent.

Nous trouvons un phénomène à peu près analogue à la chute

788 l'évolution du verbe en anglo-français

de Vs finale dans l'amuissement de cette consonne devant s, dans la terminaison st, phénomène qui a sa contre-partie dans l'apparition dans certains autres cas d'une s parasite. La terminaison st se ren- contre dans un certain nombre de formes dans le verbe : à la troi- sième personne du singulier du présent de l'indicatif de quelques verbes, à celle des prétérits en si, à celle de l'imparfait du subjonctif de tous les verbes ; à la deuxième personne du pluriel des prétérits ; à la troisième des prétérits en si.

Nous trouvons des preuves de l'amuissement de ïs dans toutes les formes que nous venons de donner, mais cet amuissement n'a pas partout le même caractère de généralité et ne se produit pas par- tout à la même date. C'est vers 11 50 que nous relevons des exemples assurés de l'amuissement de 1'^ au présent de l'indicatif et à la troisième personne du singulier des prétérits en si {cunmt, dans le Voyage de Saint Brandan •,cunduit, dans le même poème; desiruit, dans Gaimar; cundniî, dans Fantosme). Les exemples deviennent très communs pendant le xiii^ siècle.

Vers la fin du xii" siècle, nous trouvons des preuves que 1'^ dis- paraît aussi des secondes personnes du pluriel des prétérits, et pour ces personnes, nous n'avons pas trouvé d'exemple antérieur à la Vie de Saint Gilles : suffrites et fûtes; ces formes se retrouvent au siècle suivant, mais on peut dire que Ys se conserve au moins dans l'orthographe. Ce n'est que vers le milieu du xiii^ siècle, au plus tôt, qu'elle disparaît des troisièmes personnes du pluriel des prétérits en si, et les exemples que nous avons relevés des formes sans s pour cette personne sont très rares: remiterent dans Boeve; à la même époque, nous rencontrons ht pour lest, subjonctif de laisser. Enfin ce n'est qu'à la fin du xiii^ et même, pour certaines classes, à la fin du xiv% que les imparfaits du subjonctif se débarrassent de leur s : fit dans la Genèse, faiisil dans Dermod, oiit dans William de Wad- dington, confessât dans Nicolas Trivet.

L'amuissement de 1'^ a donc été progressif, car il semble diffi- cile d'admettre que cette consonne ait disparu simultanément de toutes les formes qui la montraient étymologiquement et cepen- dant soit restée dans l'écriture jusqu'à des dates fixes pour cha- cune de ces formes mais diff"érant suivant la classe à laquelle elles appartiennent.

Il faut reconnaître ici un exemple de ce dont nous parlions tout

LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 789

à l'heure; les lois phoniques ne s'appliquent pas de la même manière dans tous les cas; elles sont, pour ainsi dire, suspendues par la résistance de certaines formes ou pour des motifs qui, la plupart du temps, nous échappent.

Du reste, d'autres considérations nous forcent à admettre que 1'^ appu5^ant une autre consonne n'avait réellement pas disparu com- plètement; surtout ce fait que cette s s'introduit, pour des raisons purement phoniques, dans des formes qui ne la connaissaient pas à l'origine.

Tout d'abord, tous les verbes à palatale nous montrent cette i pendant le xii^ siècle et pendant une partie du siècle suivant; et nous admettons que dans laist la rime dans Tristan), faist (dans les Quatre Livres des Rois, dans le manuscrit C de Horn, dans Boeve de Haumtone et Jean de Peckham), traist (commun dans le Roland d'Oxford, l'Estorie des Engleis), liist (Chardri), dist, cnndust (tous les deux dans Boeve de Haumtone), Vs est non seulement pronon- cée, mais qu'elle est amenée par des raisons phoniques, les mêmes qui nous ont expliqué la présence de Vs finale de certaines premières personnes du singulier; elles sont dues à la présence de la palatale dans le thème et cette s, dans les deux cas, apparaît à peu près au même moment, c'est-à-dire vers le milieu du xii^ siècle.

Il en est de même pour les thèmes à dentale ; au commencement du xiii^ siècle, on trouve quelques verbes dont le thème est terminé par une dentale qui prennent à la troisième personne du singulier une s qui ne semble pas étymologique : vest (aller, dans le Saint Edmund, le ms. O de Guischart de Beauliu), exactement comme on trouve pour la première personne du singulier, à la même époque, ris. Les verbes dont le thème est terminé par une labiale nous mon- trent un peu plus tard le même phénomène : vist (Heures), scst (Boeve).

Au xiV siècle enfin, nous rencontrons quelques formations ana- logiques dont nous reparlerons plus tard. L'.v atteindra les prétérits, les premières, les secondes, les troisièmes personnes du pluriel à terminaison féminine, même des subjonctifs et des participes passés, mais dans ces formes, Vs nous semble purement graphique.

Z. Nous observons pour le ;{ une action analogue des guttu- rales et des labiales; les verbes dont le thème est terminé par une de ces consonnes prennent :{ au lieu de s à la seconde personne du

790 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

singulier. Pour les labiales, nous trouvons des exemples avant le milieu du xir siècle, comme dans Gaimar, les Psautiers, la Vie de Sainte Catherine ; pour les verbes à vélaire, les exemples sont quelque peu plus tardifs, on les rencontre dans les Psautiers : fai\ dans les Quatre Livres des Rois.

Pour ces deux catégories de verbes, le développement du :{ est sinon normal, du moins s'explique par des raisons phoniques. Dans un grand nombre de cas que nous verrons plus tard, le ^ est sim- plement graphique et s'explique par des actions analogiques,

3 . Les consonnes mouillées.

La latérale palatale disparaît souvent de la conjugaison en anglo- français, et cela n'a rien de bien étonnant, car on peut concevoir les difficultés que cette consonne a offertes ci la prononciation des Anglais. Comme en français, elle se vocalise en // devant une con- sonne : baudra (de bailler), saudra (de saillir).

Dans un nombre de cas qui a pu être considérable, elle a disparu sans laisser de trace ; mais comme les graphies de cette consonne sont extrêmement variées, nous ne pouvons pas toujours nous rendre compte de l'état exact des choses ; toutefois il est probable que cette disparition de la mouillure date de la seconde moitié du XII* siècle ou du commencement du xiii'' ; nous avons dans Tris- tan, vulle, forme dans laquelle 1'/ mouillée a presque certainement passé à / simple.

Pour la nasale palatale, nous possédons des renseignements un peu plus précis. Nous la voyons passer à la nasale simple avant le milieu du xii* siècle, puisque nous rencontrons dans l'Estorie des Engleis remeine (= remaneat) rimant avec pleine ; le siècle suivant nous fournit un nombre assez considérable d'exemples de n simple prenant la place de n mouillée. Chardri, le Roman des Romans, the Song of the Barons, nous donnent différentes personnes du subjonctif de maindre avec n simple; mais aucun autre verbe ne perd aussi tôt que celui-là son n mouillée : pour feindre et pour plaindre, nous n'avons aucun exemple assuré avant le xiv^ siècle {foyne, Pierre de Langtoft; pleine, Statutes); pour tenir et venir, des exemples analogues se rencontrent à la même époque, mais principa- lement en dehors de la littérature.

La disparition de la mouillure dans certaines formes elle est

LES CHANGEMENTS PHONIdUES DANS LE VERBE 79 1

étymologique a eu pour conséquence la création de formes analo- giques où la lettre mouillée est irrégulière; nous examinerons ces formes dans le chapitre suivant, en reconnaissant ici qu'on aurait pu y joindre les exemples que nous avons donnés pour maindre.

Nous pouvons observer dans l'anglo-français, à propos de la con- sonne r, deux tendances contradictoires, dont nous avons vu des exemples, spécialement lorsque nous avons étudié le futur. La pre- mière consiste dans le redoublement de 1'/-; la seconde dans la réduction de rr à r simple. Les cas l'r étymologiquement simple se trouve redoublée sont très variés; mais il y en a deux qui ont une généralité, même une régularité assez remarquable : le redoublement de IV dans les verbes dont le thème est terminé par une palatale ; le redoublement de l'r finale du thème.

a) Redoublement de IV dans les verbes à palatale.

A l'infinitif et au futur, un grand nombre de verbes dont le radi- cal est terminé par une palatale présentent régulièrement rr. Les exemples de ce phénomène remontent au commencement de la seconde moitié du xii^ siècle, mais à cette époque ce ne sont que certains verbes qui nous montrent la consonne double ; on trouve defirre, dirre dans les Psautiers ; dirrai est la forme la plus commune du futur de ce dernier verbe depuis les Psautiers; il en va de même probablement pour le futur de despirc qu'on rencontre avec les deux r dans les Psautiers, dans les Quatre Livres des Rois; les verbes en stniire et les composés de duire nous ont aussi fourni un assez grand nombre d'exemples. Plaire, traire, même lire semblent prendre régulièrement une forme analogue au futur ; quant à faire il ne prend guère la forme /^rm/ que dans les ouvrages qui n'appar- tiennent pas à la littérature, mais pour cette catégorie d'ouvrages, c'est la forme normale de ce temps.

b) Redoublement de 1'/' finale du thème.

Les verbes qui ont leur thème terminé par une r simple tendent à redoubler cette consonne; nous en avons cité plusieurs exemples, comme les troisièmes personnes du pluriel, dcsirruni, afirrunt et les troisièmes personnes du singulier du prétérit -.jonrra, dcinorra, durni,

792 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

desirra, mais ces derniers exemples sont beaucoup plus tardifs que ceux de notre première catégorie ; ils appartiennent peut-être à la seconde moitié du xiii% plus vraisemblablement au xiV^ siècle. On pourrait considérer qu'ils sont dus à l'analogie et ont été entraînés par les futurs les deux r sont régulières.

Chute d'une r.

Par contre, nous avons aussi remarqué, au futur des verbes qui présentent régulièrement à ce temps rr, une simplification de la consonne double, et cette simplification date des premières années de la littérature anglo-française ; elle reste très fréquemment faite pendant le xiii* et le xiv* siècle, quoique moins commune pendant cette dernière période. (Cf. les futurs desculurai, espérai, enterai, mus- terai, charai, verai, crerai, etc.)

Toutes ces formes appartiennent à la même époque et, par consé- quent, nous ne pouvons pas admettre avec Faulde (Zeitschrift, IV, 547) que la simplification de rr se produit surtout lorsque la con- sonne double se trouvait entre deux e, au moins dans les cas cette consonne est secondaire. On peut du reste voir de nombreux cas de simplification de rr dans Stimming, Boeve de Haumtone, pp. 213, 214.

Il nous est impossible de trancher, au moyen des formes du verbe seulement, la question de savoir si le redoublement de Yr et la simplification de rr en r ne sont pas le résultat de simples confu- sions. La plupart des philologues qui ont édité les textes anglo- français sont arrivés à la conclusion que l'emploi de la lettre simple ou celui de la lettre double dépendait le plus souvent de la fantaisie de l'auteur. Nous ne pouvons ici que faire remarquer la régularité avec laquelle les verbes dont e thème est terminé par une palatale, tout au moins, prennent la consonne double à l'infinitif et surtout au futur; nous admettrions volontiers que tous les autres cas de redoublement de l'r et ceux qui montrent la simplification de rr sont des exemples de la confijsion qui s'était établie en anglo-fran- çais dès commencement du xii* siècle.

Il nous reste à mentionner très brièvement quelques phénomènes d'ordre plus général que ceux que nous avons examinés jusqu'ici : le déplacement de l'accent, l'assimilation, la dissimilation, la méta- thèse, l'apocope.

LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERRE 793

I. Dèplacenieut de T accent.

Les cas assurés de déplacement de l'accent sont peu nombreux et proviennent tous de la troisième personne du pluriel : nous ne parlerons pas ici des troisièmes personnes en om/, tint, etc., pour lesquelles Vo et 1'//, etc., peuvent n'être que des graphies de la muette.

Les imparfaits du subjonctif en mit au contraire nous offrent des cas de déplacement de l'accent, ils sont du reste peu nombreux et se trouvent principalement au xii^ siècle (Cumpoz, trois exemples; Quatre Livres des Rois, neuf exemples) ; l'exemple que nous four- nit le poème de Boeve de Haumtone et celui de Rymer(i297) sont plus douteux.

Pour les terminaisons mit, au lieu de eut, nous avons quatre exemples seulement nous montrant que ces formes ont fait passer leur accent sur la syllabe étymologiquement muette : un dans les Évangiles des Dompnées, les trois autres dans l'Apocalypse ; et nous devons considérer comme exceptionnelle cette valeur attribuée à la terminaison mit, pour les troisièmes personnes du pluriel norma- lement faibles.

La nasalisation de la diphtongue ei dans les terminaisons raccourcies eint n'est pas à proprement parler un changement d'accent, quoi- qu'un élément de la syllabe atone ait passé dans la syllabe accentuée {esteint (: ceint) dans l'Apocalypse, diseint (: ensement) dans le même poème).

En dehors de la troisième personne du pluriel, nous ne trouvons que des cas extrêmement douteux de déplacement de l'accent : citons les quelques infinitifs de IV pour lesquels 1'^ svarabhaktique, comme perdere que nous avons déjà cité (Ore au perdere, ore au cunquere). Pour ces infinitifs qui prennent la forme des verbes de I, nous avons dit plus haut que nous ne croyons pas qu'il y ait eu déplacement de l'accent.

Mais nous ne pouvons pas dire la même chose pour ces infinitifs de I qui prennent la forme des infinitifs de IV : dans cmttre, leetre, houstre, gettre, Iiittre, boiitre, l'accent a passé de la désinence sur le thème; nous en verrons la raison tout à l'heure. Ce changement d'accentuation a été assez commun dans les œuvres littéraires à partir de la fin du xin' siècle et a surtout pris un développement assez considérable dans les textes politiques et diplomatiques, mais seulement ou principalement à partir de 1325 ou environ.

794 L KVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

Par conséquent, les changements dans l'accent sont sinon très importants, du moins dignes de remarque : il a été tantôt reculé sur la syllabe finale étymologiquement muette .et a ainsi transformé des désinences féminines de la troisième personne du pluriel en dési- nences masculines et des verbes de IV en infinitifs de I;ou bien, avan- çant vers le commencement du mot, il a changé en verbes de IV de nombreux infinitifs de I.

2. Assimilation et dissimulation.

Les phénomènes d'assimilation et de dissimilation ne sont pas très nombreux dans la conjugaison, et leur importance reste très secondaire.

Nous rencontrons quelques cas d'assimilation dans la voyelle du radical de certains verbes, comme gisir dont le premier exemple se trouve dans le Tristan de Thomas et qui par la suite est commun dans les ouvrages politiques et diplomatiques; la consonne finale du radical s'assimile à la consonne de la désinence dans dorrai, mer rai. C'est encore par assimilation que la voyelle / prend la place de e dans les imparfaits du subjonctif: disist, escrisist, occisisse, transmisist, cuisissent et dans les prétérits en si : afflisis, disis, descrisis, eslisis, misis, prisis, quisis. C'est parmi ces dernières formes que nous avons remarqué les premiers cas d'assimilation, ceux que nous présente l'imparfait du subjonctif étant un peu plus tardifs.

Les cas de dissimilation sont à peine plus communs et n'ont guère plus d'importance ; c'est à cette cause qu'il faut probablement attribuer certains changements dans le thème de quelques verbes, comme meintiner, ramentiver, saer, chaeir aussi bien que les phéno- mènes de dissimilation normale des prétérits et des imparfaits du subjonctif en si.

3. Mêtathèse.

La mêtathèse est, comme on le sait, fort commune en anglo- français, et il serait exagéré de dire que c'est dans la conjugaison qu'elle a la plus grande importance ; nous en trouvons des exemples dans deux cas principaux : pour le futur de certains verbes de I, à l'infinitif d'autres verbes de la même conjugaison, enfin à l'infinitif d'un plus grand nombre de verbes de IV.

Nous avons donné les exemples des futurs de I qui présentent une

LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 795

métathèse ; ces futurs, comme enterrai, reinemberrai, mosterrai, pro- viennent tous de verbes dont le radical est terminé par dentale ou labiale plus r ; c'est aussi la métathèse qui nous semble expliquer le mieux de nombreuses formes /;w:( du futur de faire (cf. p. 769) ; il en va exactement de même pour les infinitifs de I qui prennent la forme des infinitifs de IV et que nous avons cités à propos des chan- gements d'accent; comme on l'a vu le plus grand nombre de ces verbes montre un radical terminé par une dentale suivie de r ; nous n'avons trouvé ici encore que remembre qui puisse nous servir d'exemple de thème à labiale. Pour les verbes de IV, les exemples sont à peu près également répartis entre les deux classes de thèmes; on trouve dans les oeuvres littéraires abater, oynder, vyver, receyver et il en va de même dans les textes politiques, diplomatiques et autres.

Nous avons admis que pour les verbes de I qui nous présentent un exemple de métathèse, celle-ci a occasionné un changement d'accent; tandis que pour les verbes de IV pour lesquels le même phénomène s'est produit l'accent n'a pas varié. La distinction que nous faisons pourra peut-être sembler absolument arbitraire ; cepen- dant nous ne pouvons pas ne pas la faire.

Dans le premier cas il nous semble probable que Ve fermé s'était amui avant que la métathèse se soit faite, c'est même cet amuisse- ment qui à nos yeux a rendu cette métathèse possible; il en résul- terait que le changement d'accent a précédé la métathèse, tandis que dans le second cas l'infinitif de IV a pris la forme que les infinitifs de I avaient juste avant le moment la métathèse allait se faire. Ve avait le même son dans cunter et dans abater, mais ce son n'était pas celui de e fermé . Il avait évolué vers Ve muet, autant qu'un e pré- cédant ;■ peut prendre le son de e muet, c'est-à-dire un eu très fermé.

Du reste les formes en er et en re pour les infinitifs de IV sont si mélangées qu'on trouve parfois un même verbe sous les deux formes à quelques lignes d'intervalle; or il semble difficile d'admettre que le scribe ait employé simultanément des formes corome prender et prendre appartenant à des conjugaisons différentes.

4. Apocope.

L'apocope peut se remarquer dans un petit nombre de cas dans la conjugaison ;• le plus souvent nous trouvons que la dernière syl- labe atone disparaît entièrement. Cette syllabe peut être es, comme

79^ l'évolution du verbe en anglo-français

dans est, pour estes, qu'on trouve dans Boeve de Haumtone, la Genèse, et les textes légaux ; ou (s^ses, par exemple dans/// (Pierre deLangtoft; avantas (Boeve de Haumtone), osa (Boeve de Haum- tone) et dans d'autres secondes personnes du singulier de l'imparfait du subjonctif qu'on trouve dans les textes légaux.

Cette chute de la dernière syllabe s'explique dans les deux cas que nous venons de mentionner de la même manière : 1'^ final disparaît, et Ve muet ne se prononce plus; de la simplification de la forme de cette seconde personne.

Il est moins facile d'expliquer les participes passés faibles en é qui perdent leur voyelle accentuée, et cependant les exemples que nous avons relevés de ce phénomène sont trop communs pour que nous les considérions simplement comme des erreurs cléricales : il est vrai que les ouvrages littéraires ne nous en ont fourni aucun cas; mais les Statutes, comme nous lavonsdit, nous àownenx. port à la date de 1390; dans les Rymer's Foedera, nous trouvons report, demaund, est (1297, i299);les Literae Cantuariensesont^oz/^f (i 377), et les Year Books ont de leur côté un nombre assez considérable de formes; nous croyons que, dans cette apocope de la voyelle accentuée, il faut voir une conséquence du traitement de Ve muet que nous avons précédemment décrit : final aura été considéré comme un e muet et omis en conséquence.

Dans' les quelques pages qui précèdent, nous avons rapidement passé en revue les principales actions phoniques qui, à notre avis, ont exercé leur influence sur la conjugaison du verbe ; et nous croyons que le plus grand nombre des modifications que la conju- gaison a subies en anglo-français, et parmi celles-ci quelques-unes des plus importantes, se trouvent expliquées d'une manière satisfaisante par le jeu naturel des lois phoniques qui ont agi d'une fiiçon générale sur tout l'anglo-français.

Il est certain qu'on pourra considérer comme douteuses plusieurs des explications que nous avons données ci-dessus, mais nous croyons que de deux explications possibles et également vraisem- blables, l'une phonique, l'autre analogique, c'est la première qu'on devra adopter, parce qu'elle est la plus générale et que par conséquent elle a plus de chance d'être vraie.

CHAPITRE II FORMATIONS ANALOGIQUES

Ce que nous disions à la fin du chapitre précédent n'empêche pas que les formations analogiques ne soient encore en nombre consi- dérable dans la conjugaison anglo-française; et leur nombre même, en même temps que la variété des formations qui vont maintenant nous occuper, rendent très difficile la tâche de donner un exposé à la fois assez compréhensif et clair des actions multiples que nous avons à décrire.

Nous diviserons letude rapide que nous allons consacrer à l'ana- logie dans le verbe en trois parties :

1. Phénomènes généraux d'analogie.

2. Actions analogiques qui s'exercent à l'intérieur d'un même verbe.

3. Actions analogiques qu'un verbe exerce sur un autre verbe.

I. Phénomènes généraux d'analogie.

Nous rencontrons dans la conjugaison quelques phénomènes généraux d'analogie; du reste, il nous semble que l'analogie a ceci de particulier qu'elle ne s'arrête que rarement au point elle com- mence, et nous en trouverons plus d'un exemple par la suite ; mais il est assez rare qu'elle ait agi sur un très grand nombre de points, en grande partie parce que son action est progressive et qu'elle a surtout agi en anglo-français pendant le xiv= siècle; nous ne trouvons donc sur bien des points que le commencement même de son action. Ce sont surtout les textes politiques et légaux postérieurs à 1400 qui nous donnent une idée de ce qu'elle peut faire.

79^ L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

a) Changements de conjugaison.

Les changements de conjugaison sont rares ; en effet, nous ne pouvons pas appeler un changement de conjugaison l'adoption par un verbe d'une forme ou d'une désinence appartenant à une conju- gaison voisine: pour qu'il y ait changement de conjugaison, il faut que nous puissions relever un certain nombre au moins des formes qui caractérisent la nouvelle conjugaison que le verbe adopte. Il n'est pas toujours possible de se rendre compte si cette condition est remplie, car il se peut qu'un auteur pour lequel ce changement a réellement eu lieu n'emploie que des formes qui appartiennent aussi bien à la conjugaison normale qu'à l'autre, ou que les formes caractéristiques soient rares chez lui. Par conséquent cela implique un certain élément de doute et de conjecture; mais nous ne donne- rons que les résultats qui nous sembleront assurés.

Le verbe maudire passe à la première conjugaison pendant la dernière partie du xiii^ siècle ; nous en trouvons pour la première fois des exemples nombreux et bien assurés dans le Manuel des Péchés. William de Waddington emploie pour l'infinitif de ce verbe, pour la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif, pour les différentes personnes du prétérit, toutes les formes qui sont celles des verbes de I : niandier, niaudie, mandiastes, niaiidierent . Par la suite, nous ne trouvons plus que très rarement les formes étymologiques pour ce verbe. Il serait assez oiseux de prétendre trouver quel est le verbe de I qui a amené ce changement ; d'autant plus qu'il n'y en a peut-être pas eu un seul en particulier à avoir agi sur maudire. Il est fort possible que les formes que nous avons citées proviennent toutes de l'infinitif et que cet infinitif lui-même soit sorti plus ou moins normalement de l'infinitif étymologique.

Parmi les autres changements de conjugaison assurés, nous devons ranger les verbes qui hésitent entre la conjugaison inchoative et celle qui ne l'est pas. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit auparavant sur ce point ; nous ferons remarquer qu'il y a des verbes qui prennent régulièrement l'une et l'autre de ces formes, comme emplir, guarir, guerpir, haïr, etc. ; d'autres perdent dans quelques auteurs, d'abord, puis d'une façon définitive, l'infixé qui leur appartient à l'origine, comme establuvis qu'on finit par trouver constamment dans les Rymer's Foedera ; seise, très employé dans les

FORMATIONS ANALOGIQUES 799

Statutes, les Year Books etc. et plusieurs autres; d'autres enfin qui prennent l'infixé d'une façon plus ou moins constante: repentiseï dans William de Waddington ; assenlisseit dans Nicolas Trivet ; cedissons dans les Rymer's Foedera.

Tous les exemples des deux dernières classes, qui sont seuls à proprement parler des changements de conjugaison, appartiennent à la dernière partie du xiv^ siècle.

b) Extension des désinences.

L'extension des désinences nous fournit un plus grand nombre de faits d'analogie que n'importe laquelle des classes que nous avons constituées.

C'est l'analogie qui a étendu à un grand nombre de premières personnes du singulier du présent de l'indicatif Ve qu'elles n'avaient pas étymologiquement. Le demaine du Voyage de Saint Brandan, le parole du Psautier de Cambridge, le fie du Psautier d'Arundel, et d'une façon générale toutes les formes qui ne peuvent pas être expliquées par les phénomènes phoniques que nous exposions tout à l'heure, sont des phénomènes d'analogie ; il en est de même de die pour di, de vcye ; et pour la première personne du singulier du subjonctif de certains verbes de I, de aïe.

C'est de la même manière que nous expliquons un certain nombre d'jT à cette première personne du singulier, dans les verbes dont le thème n'est pas terminé par une palatale ou une dentale, comme suis des Quatre Livres des Rois, assol^ de Pierre de Langtoft, doys de Nicolas Trivet, tienks des Rymer's Foedera; nous avons vu que ces s parasites sont relativement rares.

L'addition d'une muette analogique se retrouve encore à la seconde personne du singulier, dans creies, toiles, oyes sous l'influence des verbes de I et sous celle des subjonctifs en am et en iam, de même que dans les troisièmes personnes du singulier des subjonctifs en cni dont nous n'avons pas encore parlé, comme esniaie du Brandan, loed, vivified, envoiet des Psautiers, et d'un nombre d'autres assez considérable, comme aprismet, salved, confcnne, deignet, toutes formes que nous avons mentionnées déjà et qui ne peuvent s'expliquer par les phénomènes phoniques que nous avons exposés au chapitre précédent.

8oo l'évolution du verbe en anglo-français

L'action des troisièmes personnes du singulier des verbes de II, de III ou de IV, qui n'ont pas d'e muet, explique par contre les formes irrégulières de cette même personne de certains verbes de I : envcit, ottreit, lot, blmicboit, plurt, dcmiirt. Enveit et ottreit sont dus proba- blement à veit ; lot à ot (audit) ; phirt et demnrt à un verbe comme mourir ou courir ; blanchoit à quelque forme comme veit ou deit ; le nombre de ces formations analogiques est restreint et ne saurait se comparer à celui des troisièmes personnes du singulier du présent de l'indicatif qui perdent Ve muet sans prendre la dentale.

Un nombre considérable de troisièmes personnes en st est à l'action de l'analogie : pour le présent de l'mdicatif, celles qui pro- viennent d'un thème autre que ceux que nous avons énumérés, covcwciQ espeitst dans Gaimar; veust dans les Literae Cantuarienses; vanst dans les Mem. Pari. 1305 •,empeinst dans le Tristan de Thomas; geenst dans le Saint Auban ; tnaiii^iist dans Walter de Bibblesworth ; posf (== pot) dans le manuscrit A de l'Ipomédon.

Tous les prétérits qui ont pris indûment cette désinence à la troi- sième personne du singulier sont des formations analogiques : les prétérits en ivi : cisist dans le Psautier d'Arundel; languist à la rime dans l'Estorie des Engleis; seisist à la rime dans l'Ipomédon; et un très grand nombre de formes semblables ; il en est de même pour les prétérits en /// de la cinquième classe : inorusl, qui se rencontre dans plusieurs poèmes de la fin du xii^ siècle ; parust qui n'est pas moins commun ; et plusieurs autres. L'^ se généralise de la même façon à la troisième classe : cunust dans Chardri ; conceiist dans la Genèse ; et enfin à la première et à la seconde classe : eust (Boeve de Haum- tone); /«^/(Genèse Notre-Dame, Manuel des Péchés); Jw5/ (Boeve de Haumtone) ; must (William de Waddington);o//5^ (Nicole Bozon). Les prétérits en avi nous fournissent quelques cas de formes ana- logiques en st, comme parinst, priast dans Pierre de Langtoft ; les prétérits en / prennent souvent cette désinence analogique : vist est assuré par plusieurs rimes, dans the Lamenton the Death of Edward L', dans William de Waddington, dans les Vies de Saints de Nicole Bozon ; de même teinst se lit dans the Lament on the Death of Edward L', dans les Lettres de Jean de Peckham, dans le Liber Rubeus de Scaccario.

Aux autres temps la désinence en st est fort rare : amoust, poaisi, aist, sc'isl, aïst, comme nous l'avons fait remarquer, sont des formes exceptionnelles.

lORMATlONS A\ALOGIQ.UES 8oi

Une comparaison très rapide des dates auxquelles ces différentes formes se sont introduites en anglo-français pourra nous aider à comprendre la façon dont l'analogie a agi et le mécanisme de cette action.

Ce sont les prétérits en ivi qui ont été le plus tôt atteints (vers 1 1 60) et ils le doivent aux prétérits en si, qui sont si voisins d'eux par la forme, comme dist, fist, sist ; mais il ne faut pas non plus négliger d'attribuer une certaine influence à leurs imparfaits du sub- jonctif qui ont exercer une influence au moins indirecte sur ces formes : il est probable que l'identité des désinences dist, deïst a entraîné l'identité eisit eisist. Le même raisonnement s'applique aussi au prétérit en / de voir. C'est du reste l'influence de l'imparfait du subjonctif qui explique les formes en si que prennent les prétérits en ui de la troisième et de la cinquième classe ; mais cette expli- cation ne rend pas compte du fait que les prétérits en ui de la seconde et de la première classe, de même que les prétérits en avi, ne prennent que très rarement et très tard Vs devant le t de la troisième personne du singulier.

Il nous est impossible d'en trouver une raison satisfaisante ; et nous ne pouvons ici encore que renvoyer à la règle arbitraire des grammairiens anglo-français, telle qu'elle est énoncée dans l'Ortho- graphia Gallica.

Le groupe st se rencontre aussi normalement à la seconde per- sonne du pluriel de tous les prétérits ; mais nous n'avons relevé qu'un tout petit nombre de secondes personnes prenant irréguliè- rement cette s, comme [estes qui est assez commun, comme nous l'avons montré; rien d'étonnant du reste, les secondes personnes du pluriel à désinence féminine étant très rares sans cette s.

Cette consonne a encore fait des progrès en dehors des deux personnes elle était, quelquefois au moins, étymologique : nous la rencontrons à la première personne du pluriel, assez rarement pour les personnes féminines fortes, comme fais ni es, plus commu- nément pour les premières personnes féminines faibles : la Vie de Saint Auban nous en fournit quelques cas; surtout les textes non littéraires nous donnent au xiv^' siècle des exemples de ces premières personnes avec une s appuyant 1'/// : inandasiiics, ftileiidisnics, pre- viistncs, porriesuies ; ces formes ne deviennent jamais très communes.

L'addition d'une s parasite à la troisième personne du pluriel est

51

8o2 l'évolution du verbe en anglo-français

encore plus rare : nous n'avons trouvé quefiisrent dans les Documents Inédits.

Nous hésiterions à considérer comme provenant de la même cause 1'^ qui, dans les participes passés en /, à partir de 1150, appuie le t final : nous devons y voir plutôt un désir de maintenir la consonne finale caduque qui tendait à disparaître ; mais il est possible que cette s ait la même origine que celle du prétérit en ivi ou provienne d'elle.

Les cas d'extension de désinence par analogie, propres à l'anglo- français, sont des plus rares aux autres personnes ; citons pour la première personne du pluriel les quelques désinences qui présentent irrégulièrement un i comme canghim dans l'Estorie des Engleis ; pour la seconde personne du pluriel l'extension des formes faibles à dire et à faire, ce qui, comme nous l'avons fait remarquer, n'arrive que très rarement ; enfin, à la troisième personne du pluriel, le double phénomène : passage des terminaisons masculines à la forme fémi- nine, comme estent, pour estunt, et les futurs aseinblerent , nomerent, faudrent, vendrent; et par contre le passage des désinences féminines à la forme masculine : signefinnt, hahitimt, dinnt, et celui des prété- rits à la terminaison en unt. Mais nous reviendrons sur ce dernier point au chapitre suivant.

Voilà, aussi brièvement que possible, comment l'analogie a étendu certaines désinences à des personnes qui ne les ont pas étymologi- quement; nous avons, croyons-nous, montré suffisamment que ces changements ayant l'analogie comme principe sont nombreux et importants ; mais il ne faut pas oublier que même ici l'analogie n'a eu qu'une action secondaire : elle a étendu Ve muet à la première personne du singulier et à la troisième personne du singulier; mais un nombre assez considérable de premières et de troisièmes personnes avaient auparavant pris ce même e d'une manière sinon phonique- ment régulière, au moins explicable, ce qui revient à peu près à la même chose ; il en va de même pour la généralisation de s à la pre- mière personne du singulier et de st à la troisième.

Toutes les formes nouvelles en e muet, en s, en st ne sont peut-être pas la cause des formes analogiques, mais si elles ne suf- fisent pas à expliquer leur origine, elles aident à faire comprendre l'extension qu'elles ont prises : c'est parce que l'anglo-français créait des formes nouvelles régulières qu'il a été amené à en imaginer d'autres qui ne l'étaient pas.

FORMATIONS ANALOGiaUES 803

II. Actions analogiques

aui s'exercent a l'intérieur d'un même verbe.

Nous trouverons ici les actions réciproques des différents radicaux du verbe et même celle de certaines lettres ou syllabes caractéris- tiques d'une forme sur d'autres formes.

a) Influence de l'indicatif.

L'indicatif, comme nous avons eu occasion de le faire remarquer, a eu une assez grande influence sur la conjugaison de tout le verbe, au moins dans un certain nombre de cas ; mais nous devons ici distinguer entre l'influence du radical de l'indicatif et celle de ses différents temps.

Nous retrouvons le radical de l'indicatif aux autres modes dans plusieurs cas : c'est ainsi que nous voyons dans Chardri l'impératif save:(, qui nous semble un aza^ sipr,[;.cvsv ; le subjonctif abandonne souvent sa forme propre pour celle de l'indicatif: nous avons eu l'occasion de le montrer pour les verbes donner {dont), trouver (trous), vouloir (voile).

C'est aussi à cette influence du thème de l'indicatif que nous attri- buons la forme du subjonctif ^cfî^g qui est employée dans le Tristan de Thomas, dans les Quatre Livres des Rois, dans Jordan Fantosme et qui est la seule forme que connaissent les textes non littéraires.

Il est plus difficile de préciser l'action de ce mode à l'infinitif, puisque les radicaux de ces deux modes ne diffèrent ordinairement pas; cependant certaines des formes que prend l'infinitif du verbe suivre peuvent provenir de Tun ou de l'autre des radicaux du présent de l'indicatif: d'une façon générale, on peut dire que tous les infi- nitifs de ce verbe qui présentent un // subissent l'influence de l'indi- catif, comme suire, siure, siiir, suer, suwir (du présent de l'indicatif sui, siu); ceci du reste n'est pas particulier à l'anglo-français et nous ne nous y arrêterons pas.

Au participe présent, nous remarquons les trois verbes puissant, savant, ava)il dans lesquelles le thème de l'indicatif a remplacé le thème ordinaire.

Ajoutons encore, pour en terminer avec l'influence du mode indi-

8o4 l'évolution du verbe en anglo-français

catif, des exemples de l'action que certains temps ou certaines per- sonnes ont exercée : \ec des impératifs tienc, prcnc, assène, demanc, des prétérits tinc Qiiict^, vinc, etc. (Cf. première partie, chapitre i, la Palatale) est évidemment à la première personne du singulier du présent de l'indicatif de ces mêmes verbes. L's que nous trouvons à la seconde personne du singulier de l'impératif des verbes de II, III et IV, comme c)^(du Bestiaire), suceurs Çdu Psautier d'Oxford), desfens (de la Vie de Sainte Marguerite), eseri:{ (de TApocalypse) et quelques verbes de I comme sacrefis la rime dans le Saint Laurent) nous montre l'influence évidente de la seconde personne du singu- lier du présent de l'indicatif: pour d'autres verbes de I présentant es à cette seconde personne de l'impératif, on peut hésiter entre plusieurs explications : influence du subjonctif, qui est indéniable dans un certain nombre de cas, influence de l'indicatif, addition d'une s parasite après une voyelle muette.

Nous terminerons en montrant l'influence de la troisième per- sonne du prétérit de certains verbes sur leur infinitif: nous trouvons pour les verbes qui ont un prétérit tnavi ou en ivi identité presque complète entre la troisième personne du pluriel et l'infinitif: parler, parlèrent, finir, finirent. Cela a amené, vers la fin du xiv^ siècle, pour certains verbes ayant un prétérit en si la formation d'un nouvel infinitif: niandistrent a. produit maudislrc (dans Nicolas Trivet); cunquistrent a donné cunqiiistre et cunquestre (dans le poème du Prince Noir).

b) Influence du subjonctif.

Nous ne mentionnerons encore ici que les faits qui nous semblent spéciaux à l'anglo-français ; par conséquent nous ne parlerons pas de l'impératif des verbes avoir, être, savoir, vouloir ; ni des impé- ratifs négatifs forme de subjonctif (voir le chapitre suivant).

I. Généralisation du thème du subjonctif.

Dans un très petit nombre de cas, nous rencontrons à l'indicatif le thème du subjonctif; nous avons vu les formes voise (pour veit) dans Pierre de Langtoft; aiinis dans les Heures de la Vierge ; eons dans les Documents inédits (1380); aillent dans les Statutes (1388); chece dans les Year Books; tous ces exemples sont des présents de l'indicatif qui ont pris le radical de leur subjonctif.

FORMATIONS ANALOGIQUES 805

2. Généralisation du suffixe ge ou de la lettre mouillée.

Il est possible que dans les exemples qui suivent, nous trouvions des verbes autres que ceux qui ont régulièrement soit ^c, soit une lettre mouillée leur subjonctif; mais nous les mentionnerons cependant maintenant, car le suffixe ou la lettre mouillée leur sont venus certainement, que nous en ayons des exemples ou non, par leur subjonctif.

Pendant la seconde moitié du xiii« siècle et tout le xiv% nous' trouvons un nombre assez considérable de présents de l'indicatif qui prennent le suffixe ge caractéristique de certains subjonctifs en iam : le scribe de la Chronique de Jordan Fantosme, par exemple, emploie suvienge; on trouve dans Boeve de Haumtone qiierge, miirge^; viéor^e se lit dans les Heures de la Vierge; prcnge dans Wil. Rishanger; tienge dans les Vies de Saints de Nicole Bozon ; parouge dans Pierre de Langtoft. Tous ces indicatifs se retrouvent avec une régularité plus ou moins grande dans les textes politiques, diplomatiques et familiers ; et dans cette catégorie d'ouvrages nous trouvons aussi quelques exemples qui ne se ren- contrent pas dans les œuvres littéraires, comme demorge, qui est extrêmement commun, ou le conditionnel euquergeroient , qui se trouve dans les Statutes (1392).

L'introduction du suffixe semble être plus ancienne pour l'impé- ratif; vienge se lit fréquemment dans les poèmes postérieurs à 1140, par exemple dans TEstorie des Engleis, dans les Légendes de Marie, etc. ; nous ne pouvons cependant pas préciser la date de cette forme ; elle doit appartenir, au plus tard, à la première moitié du xiii* siècle.

Souvienge se trouve aussi dans le poème sur Edward le Confes- seur, dans le Poème allégorique; prerige est employé dans Boeve, mais ne remonte pas plus haut que la fin du xiii^ siècle ; un verbe de I, toutefois, nous fournit deux exemples datant certainement du com- mencement du xiii^ siècle : aller, qui, dans les poèmes de Frère Angier, fait l'impératif augex. et vauges.

Tels sont les casprincipauxqui nous montrent le suffixe^^i' sortant du subjonctif; on peut assurément considérer que les premiers cas qui nous semblent assurés se trouvent au mode impératif et datent de la fin du xii^ siècle, peut-être du commencement du xiii^ C'est à partir de 1250 que les exemples deviennent assez communs et se ren- contrent également à l'indicatif et à l'impératif.

8oé l'évolutiox du verbe en anglo-français

Nous avons rencontré un nombre beaucoup plus considérable de tormes qui nous montrent la lettre mouillée du subjonctif se géné- ralisant à d'autres modes. VI mouillée, par laquelle nous commen- cerons, ne nous offre aucun exemple aussi ancien que ceux que nous citerons pour Vu mouillée, et le nombre de formes nouvelles que nous avons trouvé pour la première consonne reste très inférieur à celui que nous relevons pour la seconde. Les exemples d'une / mouillée irrégulière au mode indicatif ne datent que du xiV siècle : voillent se lit dans l'Apocalypse, dans les Contes de Nicole Bozon, et dans ce dernier ouvrage, on trouve aussi toille.

Des formes analogues se rencontrent un peu plus tôt en dehors des ouvrages littéraires, par exemple le vaillent qu'on trouve dans les Statutes sous la date de 1278 ; cette différence de date ne saurait avoir une grande importance, mais elle nous permet de conclure que c'est au conimencement du quatrième quart du xiii^ siècle que 1'/ mouillée du subjonctif a commencé à gagner certains temps de l'indicatif.

L'action du premier de- ces modes a été quelque peu plus ancienne au participe présent; quelques verbes, comme vouloir, ne présentent à ce temps que la lettre mouillée; vaillant se trouve déjà dans les trois Psautiers, dans la Chronique de Jordan Fantosme et par la suite dans la plupart des textes littéraires ; et il en va à peu près de même pour les autres, quoique, dans certains cas, la mouillure ne soit pas aussi évidente. Les exemples de ce temps pour les verbes valoir et douloir sont beaucoup plus rares, mais ceux que nous avons cités précédemment nous permettent de croire qu'il en était de même pour ces verbes. Ces trois verbes sont à peu près les seuls qui nous montrent une / mouillée analogique, sauf le participe présent aillant qui se rencontre dans les Statutes (r335) et qui nous montre clairement la tendance de l'anglo-français à mouiller 1'/.

Cependant, nous devons reconnaître que les renseignements que nous avons recueillis pour 17 mouillée analogique sont assez maigres; les cas qui présentent Vn mouillée irrégulière sont plus instructifs. Les premiers exemples de formes analogiques que nous rencontrions à l'indicatif remontent à la seconde moitié du xir siècle, au plus tard : le manuscrit d'Oxford du Roland nous donne meignenl et pleigncf; le manuscrit R de l'Estorie des Engleis nous fournit acei-

FORMATIONS ANALOGIQUES 807

gnent ; et la seconde moitié du xiir et tout le xiV^ siècle nous montrent constamment veignc, teigne, preigne. Les formes analogues sont proportionnellement plus communes à l'impératif; nous en avons vues dans le roman de Tristan de Thomas Çciinveigne~), dans la Vie de Saint Gilles (i-efreigiï), mais ces quelques cas ne pourraient être plus anciens que les présents de l'indicatif que nous offre le Roland d'Oxford; tout ce qu'on peut admettre sur ce point, c'est que la consonne analogique a paru à peu près en même temps dans les deux temps. Ce sont encore les mêmes verbes que précédemment qu'on rencontre encore pendant les deux siècles suivants : sou- vigne, veigne, releygne:^, preigne sont employés très souvent comme impératifs.

Aux autres modes, la consonne mouillée analogique n'est certai- nement pas aussi commune : zeignant, teignant, preignant se ren- contrent, comme on peut bien le supposer, mais ces formes ne déplacent pas les formes étymologiques. Ajoutons-y encore respoi- gnant, commun dans les textes politiques et diplomatiques, qui n'est pas rare à côté de la forme sans mouillure respo(i)nant .

Au participe passé, w mouillée est encore plus rare ; on ne la trouve même, à notre connaissance, que dans ces verbes pour lesquels Vn mouillée est analogique, même au subjonctif, comme orâeigné, traigm:(; et même ces exemples ne se rencontrent pas dans les œuvres littéraires.

La consonne analogique a le même caractère d'exception dans quelques imparfaits du subjonctif, comme remaignisscut, aveignisse dont les Parliamentary Writs et les Rymers' Foedera nous four- nissent quelques exemples au commencement du xiv^ siècle.

Les consonnes mouillées ont donc atteint par analogie un assez grand nombre de temps qui présentent régulièrement la consonne simple ; il nous semble impossible, et peut-être aussi oiseux, d'expli- quer pourquoi il se fait que ce sont surtout les verbes en n qui ont été atteints par ce changement ; il est possible que ces derniers soient ou plus nombreux, ou plus communs, ou que leur subjonctif soit plus employé; il reste indiscutable que les deux consonnes / et « mouillées se trouvent, sous l'influence du subjonctif, à l'impératif, à l'indicatif, au participe présent, au participe passé, dès le commence- ment de la seconde moitié du xir' siècle.

Le mode subjcMictif a donc exercé une action considérable sur

8o8 l'évolution du verre ex anglo-fran^als

les autres modes, en particulier sur le présent de l'indicatif, sur l'im- pératif, et aussi, quoique à un moindre degré, sur le participe pré- sent.

Cette action date du commencement du xii^ siècle, et nous pou- vons admettre qu'elle a commencé à se faire sentir sur les impératifs (impératifs en gc); on comprend facilement que, comme ce dernier mode a un sens très voisin de celui du subjonctif, il ait adopté dans un certain nombre de cas la forme même d'un mode plus employé en même temps que plus distinct que lui. Ensuite, comme dans la plupart des cas et pour la plupart des personnes les trois temps : présent de l'indicatif, impératif, présent du subjonctif, ne différaient que fort peu, le présent de l'indicatif s'est trouvé entraîné à prendre lui-même la forme qui était devenue celle des deux autres temps ; et cette action de l'impératif et du subjonctif combinés a être très forte, car les premiers exemples d'indicatifs à forme de subjonctif ne sont postérieurs que de quelques années aux impéra- tifs analogiques.

Le participe présent a suivi le présent de l'indicatif.

c) Influence de Vinfinitif.

L'infinitif n'a pas eu la même importance. Les formes analogiques qui dérivent certainement de ce mode ne sont pas très nombreuses ; dans un petit nombre de cas l'action qu'il a exercée est indéniable ; nous retrouvons la forme même de son thème dans quelques temps de l'indicatif, comme pleiiident, pleindoient, prendoit, formes dont nous aurons à reparler au chapitre suivant. C'est surtout sur les prétérits que nous pouvons voir la forme de l'infinitif exercer une action assez étendue; nous avons, dans un paragraphe précédent (cf. p. 804), montré que les prétérits en si arrivaient quelquefois à imposer la forme de leur troisième personne du pluriel à l'infinitif; et nous trouvions la cause de ce phénomène dans l'identité qui existe entre la troisième personne du pluriel du prétérit et l'infini- tif des verbes de I et de IL La même raison explique le phénomène inverse qui est beaucoup plus fréquent que celui que nous avons déjà exposé.

Au xiii^ siècle, nous trouvons déjà joyndrent (Saint Edmund), \>ms esteindrent iy^W. Rishanger), siirdrenf, ardretit (V'icrre de Lang-

FORMATIONS ANALOGIQUES 809

toft), et dans les textes politiques et diplomatiques, les formes comme ardrent, reindrent, même fuirent, ne sont pas rares. D'autres fois, ce n'est pas la forme régulière de l'infinitif, mais sa forme analogique, qui apparaît au prétérit, comme dans snrderent, pleync- rent, iraiereiit. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'influence de l'infinitif est évidente. Elle ne l'est pas moins dans un certain nombre de futurs qui adoptent le thènede l'infinitif, comme avoira , voira, faroiit ; cependant ces formes sont rares et ne se rencontrent jamais dans les œuvres littéraires.

Nous citerons encore, avant de quitter l'infinitif, quelques exemples qui peuvent nous montrer son influence quoique l'explication par l'analogie soit ici assez douteuse. Il nous semble que nous retrou- vons le thème ou une partie du thème de l'infinitif dans fcit, fcist pour fist qui peuvent provenir de la troisième personne du pluriel fcircnt (Chroniques de l'Abbaye de Saint Alban), et cette dernière forme nous paraît assez clairement analogique et due à l'infinitif. L'action de ce mode est moins évidente dans les quelques troisièmes personnes du singulier du présent de l'indicatif : saet, plaest, taest, traest qui peuvent nous reproduire la voyelle, ou une graphie de la voyelle, du thème de l'infinitif, mais cette explication nous semble très hasardée, et nous préférons considérer, comme nous l'avonsdéjà fait, ne comme une forme assez normale de la diphtongue ai.

L'influence très limitée que l'infinitif a exercée est donc très réelle et se remarque principalement pour les prétérits en ii et sur les futurs.

d) Influence du participe présent.

Le participe présent ne nous retiendra pas longtemps; c'est peut- être à lui que nous devons le v de povoir (Rymer's Foedera, 1347, 1 348), de povuns (Jean de Peckham, 1 282), d\'.';crivre (Cumpoz, Ksto- rie des Engleis), mais ces formes ne sont pas particulières à l'anglo- français.

Telles sont rapidement les actions analogiques qui se sont exercées à l'intérieur d'un même verbe; à notre avis, les plus importantes sont celles qui proviennent des subjonctits.

8 10 l'évolution du verbe en anglo-français

III. Actions analogiciues qu'un verbe exerce SUR un autre verbe.

Après ce que nous avons dit au premier chapitre, nous n'aurons aucune difficulté à reconnaître les formes analogiques qui sont dues à l'action d'une conjugaison sur l'autre; en effet, nous avons alors montré que certaines formes que l'on considère ordinairement comme analogiques avaient une origine purement phonique ; mais nous avons laissé de côté à ce moment un certain nombre de formes que le développement phonique ne pouvait expliquer, et ce sont justement ces formes qui vont nous occuper maintenant.

C'est l'analogie seule qui rend compte pour les imparfaits de la première conjugaison du passage de la forme en o{ii)e à la forme en eie; ce passage, comme nous l'avons vu, a pris place tout d'abord vers I i6o (dans le Psautier de Cambridge, les Légendes de Marie, les Quatre Livres des Rois) ; mais les formes analogiques ne deviennent communes que vers 1250, et ce sont à très peu de chose près les seules que nous trouvions en dehors de la littérature. Et cepen- dant, avant de disparaître entièrement, les imparfaits en on ont attiré à leurs formes un certain nombre d'imparfidts de verbes appartenant à la seconde, la troisième et la quatrième conjugaison ; ces formes irrégulières se rencontrent surtout pendant le xiv^ siècle (Apocalypse, Nicole Bozon, Nicolas Trivet).

Il en va de même pour certaines des acquisitions que les prétérits ont faites; toutes les formes irrégulières des prétérits en avi des cinq premières personnes sont analogiques : poai (William de Wad- dington, Pierre de Langtoft, Nicole Bozon); les secondes personnes du singulier, comme confuiidas du Psautier d'Arundel; les troisièmes personnes du singulier : vonia (Apocalypse), trea (scribe du Saint Edmund), cundiat (Genèse Notre-Dame), row/wM (Nicole Bozon) ; et enfin les quelques premières et secondes personnes du pluriel : endo- sames (dans Foulques Fitz Warin).

Nous avons dit précédemment qu'un nombre très considérable de troisièmes personnes du pluriel pouvaient et devaient s'expliquer par le développement phonique plus ou moins régulier ; et les exemples des formes en erent auxquelles nous attribuons cette ori- gine représentent presque la totalité des désinences nouvelles. Mais

FORMATIONS ANALOGIQUES 8 II

cette explication phonique ne saurait s'appliquer à toutes ces troi- sièmes personnes du pluriel en erent créées par l'anglo-français^ et nous allons citer maintenant quelques exemples qui ont certaine- ment une origine analogique. En effet, tous les prétérits qui appar- tiennent régulièrement aux classes en si et en ni ne prennent la terminaison des prétérits en avi à la troisième personne que par un véritable changement de conjugaison ; ces nouvelles formations remontent dans certains cas jusqu'à la fin du xir siècle ; dans les Légendes de Marie d'Adgar, nous avons relevé volèrent attesté par la mesure du vers ; mais cet exemple est absolument isolé à cette époque, et il est permis de le considérer comme un barbarisme qui est particulier à Adgar seulement, ou mieux encore de lire voleient. Ce n'est que vers la fin du xiir' siècle que des formes comme sur- derent (Genèse Notre-Dame, Pierre de Langtofi),/)/n'w^ra7/ (Genèse), curèrent (Genèse), avèrent (manuscrit O de Boeve) se trouvent rela- tivement souvent. Évidemment au siècle suivant des formes comme celles que nous venons de citer se rencontrent encore plus commu- nément et nous ne reproduirons pas ici la liste assez longue que nous avons donnée dans notre première partie. Mais nous pouvons dès maintenant faire remarquer deux choses : tout d'abord que les désinences nouvelles en erent d'origine phonique sont sans aucun doute plus anciennes que les désinences analogiques de la même forme ; ensuite, et par voie de conséquence, que ces formes phoni- quement régulières ont avoir une certaine action sur la formation des désinences analogiques. Et toutes les remarques qui précèdent se trouvent confirmées par les témoignages que nous fournissent les textes diplomatiques, politiques et familiers, et on pourrait même ajouter les textes légaux, quoique les renseignements qu'ils nous fournissent manquent un peu de précision.

Les mêmes remarques peuvent se faire au sujet des acquisitions des .prétérits en m; cependant quelques-unes des formations analogiques que nous avons rencontrées et citées précédemment ont un caractère de régularité que nous ne trouvons que très rarement dans les nouvelles formations en avi; par exemple les verbes choir, croire, mourir se trouvent assez fréquemment sinon constamment au prétérit sous la forme en ivi depuis la seconde moitié du xir siècle, pour les deux premiers et le commencement du xiir pour le troisième. L'action de l'analogie dans ce cas a été assez forte pcnu" taire apparaître des formes en / à chaque personne.

8i2 l'évolution du verbe en anglo-français

Pour tous les autres verbes qui nous ont donné des exemples de nouvelles formations, les cinq premières personnes ne se rencontrent que fort rarement et fort tard ; nous n'en trouvons guère avant la fin du xiii*^ siècle ou plus souvent au xiv* : germist (Heures de la Vierge), jettit (Apocalypse), rampist (Nicole Bozon), ardy (Foulques Fitz Warin), 57//v//' (Nicolas Trivet), vailly (Prince Noir) sont après tout des formes exceptionnelles.

Au contraire les troisièmes personnes du pluriel analogiques sont à la fois plus communes et plus anciennes : firent, prirent, mirent que nous avons citées et qui sont certainement le résultat d'une analogie.

L'analogie a eu, comme on peut en juger par ce que nous en avons déjà dit, une action considérable sur les prétérits en ni. Non pas que les formations analogiques aient été plus nombreuses ici que pour les autres classes de prétérits; au contraire, et nous ne trouvons à citer qu'un seul verbe qui montre assez fréquemment une forme en ni qui n'est pas étymologique : le verbe pleurer. Plo- rut, plornrent, et à l'imparfait du subjonctif plorust sont communs à partir du milieu du xiii^ siècle, et doivent être rapprochés de la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif ^///r^ dont nous avons donné quelques exemples ; mais à part ce verbe, les acquisitions des prétérits en ui sont des plus rares et sont le plus souvent assez douteuses. L'action de l'analogie se remarque surtout entre les prétérits des différentes classes, et ici, nous pouvons obser- ver toute une série d'actions et de réactions.

La première personne du singulier n'a pas varié extrêmement ; les formes en oui, ni de la première classe sont certainement dues à l'influence des personnes correspondantes de la seconde classe ; de même les formes en oi que nous avons quelquefois rencontrées à la troisième classe proviennent de la première. C'est, comme nous avons tâché de le montrer précédemment, surtout à la troisième personne du singulier et du pluriel que l'influence des diverses classes les unes sur les autres a été importante ; ainsi, ce sont les verbes de la première classe qui ont donné à ceux de la seconde, de la troisième et même de la cinquième la terminaison ont pour le singulier et 07<;w?/ pour le pluriel : dout,aparcout,7norousf,dourent, en sont des exemples. Comme nous le montrent les dates de cqs diverses formes, la première classe a commencé à agir sur les autres

FORMATIONS ANALOGIQ.UES 813

dès le xii^ siècle. Mais les formes analogiques du genre de celles que nous venons de rappeler n'ont jamais été très nombreuses en anglo-français.

Au contraire, les formes analogiques que l'influence des dernières classes a introduites dans la première sont devenues assez tôt très générales; les formes analogiques en // pour les troisièmes personnes du prétérit de cette classe sont assurées pour la date de ir6o (Légendes de Marie d'Adgar) ; nous n'avons pas à répéter ici les listes d'exemples que nous avons données dans notre première par- tie ; les rimes que nous avons citées pour la fin du xii* et pour le XIII* siècle sont, comme on peut se le rappeler, assez nombreuses, et elles ne peuvent être qu'une partie du nombre total de ces formes.

Et, comme on le sait, cette action de l'analogie devait être durable en français comme en anglo-français, et générale.

Pour les personnes imparisyllabiques, comme pour les imparlaits du subjonctif et les participes passés correspondant ces prétérits en ui, nous observons encore un changement purement analogique : c'est le passage de la voyelle en hiatus à e ; évidemment ici, nous avons une autre preuve de l'action des verbes de la troisième classe sur ceux de la première : eiis, eusse, en sont évidemment dus à receiis, receûsse, receiï. Nous pourrions citer encore d'autres points (j-cceiit, eurent, receurent) montrant une action analogue. Cela serait probablement peu utile.

Comme on le voit l'analogie a assez profondément modifié la physionomie de certains prétérits en ui ; et ce sont ceux qui appar- tiennent à la classe la moins résistante et la moins nombreuse qui ont pris la forme des autres classes ; mais rien de ce que nous venons de dire n'est particulier à l'anglo-français et par conséquent l'analo- gie que nous trouvons ici avait naturellement quelque chose de fatal puisqu'elle s'est produite dans tous les dialectes français et en anglo-français.

Il nous semble à peu près inutile de faire remarquer que les nou- velles formations en si pour le prétérit et l'imparfait du subjonctif ne peuvent être que des formations analogiques, soit pour les per- sonnes imparisyllabiques, soit, dans le cas des prétérits seulement, pour la troisième personne du pluriel.

L'/ qui s'introduit quelquefois au tutur des verbes de 11 non inchoatifs provient aussi évidemment de Xi des futurs de la classe

8 14 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

voisine, les inchoatifs; mais on peut hésiter à attribuer la même origine à 17 que nous avons trouvé à quelques futurs de I (j-epeirira, dans Angier ; reposirai, dans le Lai du Cor), ou de IV (rendirons, dans Nicolas Trivet; abatira, dans les Year Books). On serait peut- être tenté de considérer cet / comme une graphie de la muette ; mais nous verrons dans le chapitre suivant que, pour la plupart des cas Vi est employé avec valeur d'une voyelle muette, on peut expli- quer cette graphie par une influence étrangère; ici, nous ne trou- vons rien de tel, et il nous semble plus naturel de considérer que Vi, dans ce dernier cas, ne diffère en rien de celui que nous trouvons dans les verbes de II inchoatifs. La confusion qui a certainement se produire a été facilitée par le passage à la forme de I des infi- nitifs de II inchoatifs et de IV. Si un infinitif choiser fliisait au futur choisira, pourquoi un autre infinitif en cr, comme reposer ou render, ne prendrait-il pas la même voyelle à son futur ? Tout au moins nous pouvons dire que la confusion des infinitifs devait amener dans un grand nombre de cas une confusion analogue dans les futurs.

Ces formes irrégulières s'expliquent donc d'une façon qui semble toute naturelle : il peut y avoir eu en principe un changement purement phonique dans les infinitifs, mais, strictement parlant, les nouvelles formes du futur sont dues à l'analogie.

Le présent du subjonctif nous montre aussi de la même façon les différentes classes agissant les unes sur les autres, et il est ordi- nairement assez facile de reconnaître les formes qui sont dues à l'analogie.

Les subjonctifs en cm n'ont exercé qu'une influence des plus restreintes sur les autres classes de subjonctifs ; c'est cependant par l'analogie de ces subjonctifs que nous expliquons un certain nombre de troisièmes personnes du singulier qui ont perdu leur c muet étymologique, comme esjot (Psautier d'Oxford) ; acoilt (Légendes de Marie, Vie de Sainte Catherine) ; noist (Guischart de Beauliu) ; toutes ces formes, comme on le voit, se rencontrent pendant le xii^ siècle, à une époque par conséquent les formes étymolo- giques de la troisième personne du singulier des subjonctifs en cm étaient encore très nombreuses.

Les subjonctifs en iam ont agi sur les autres subjonctifs de deux façons : d'abord en leur donnant le suffixe ge, ensuite en leur four-

FORMATIONS ANALOGIQUES 815

nissant le type des subjonctifs à lettre mouillée. Nous avons insisté assez longuement sur ces deux points dans notre première partie pour que nous ne nous y arrêtions pas maintenant; nous ferons cependant observer que pour les verbes de I, les subjonctifs avec le suffixe ne se rencontrent guère que pendant le xii*" siècle, et que pour les subjonctifs en am ces formes analogues sont rares après cette même époque, excepté pour quelques verbes en /- comme courir. Les subjonctifs avec mouillure irrégulière sont par contre rares pendant le xii^ siècle, et ne se rencontrent avec quelque fré- quence que pendant la seconde moitié du xiii'' et pendant tout le xix" siècle; la mouillure devient après 1250 si commune pour certains verbes comme prendre, respondre, donner que les formes, soit étymologiques, soit en ge, deviennent extrêmement rares.

On peut encore considérer comme une influence du même genre celle qui a généralisé ci certains verbes le suffixe ce; mais cette forme du subjonctif n'a eu en anglo-français que fort peu d'im- portance.

Les différentes classes des subjonctifs en iain n'ont pas été sans agir les unes sur les autres, et nous l'avons montré précédemment, nous nous contenterons de rappeler les formes analogiques qui dérivent du subjonctif /<3^e : sace, place, tacc, hace.

Toutes les nouvelles formations de l'infinitif que nous n'avons pas encore mentionnées dans cette seconde partie sont des forma- tions analogiques ; tout d'abord un grand nombre de verbes de IV qui prennent la terminaison en er, comme treier, occier, repeller, ester, coûter, tystrer.

Nous serons moins affirmatifs en ce qui concerne les nombreux infinitifs qui prennent la terminaison des infinitifs de II; quelques- uns sont cependant analogiques, sans doute possible, comme ovcrir, recoverir pour ovrer et recovrer, sous l'influence du verbe ouvrir ; ici nous voyons l'action, non pas d'une terminaison, mais d'un verbe paronyme.

Si nous mettons ces quelques verbes à part, nous ne pouvons pas être assurés de l'action de l'analogie dans les autres exemples. Les premiers verbes à prendre irrégulièrement la terminaison ir sont des verbes de I : cj/j^hV (Voyage de Saint Brandan); Icssir (Manuel des Péchés); demenbryr (Roman des Romans), et il est possible que ces formes soient dues en grande partie à la confusion qui s'était

Sl6 l'évolution du verbe en ANGLO-IRAN cals

établie entre t fermé et / devant r, et que par conséquent ce phéno- mène soit phonique à l'origine; mais il ne faut pas se dissimuler que même s'il en est ainsi, Tanalogie a eu aussi sa part dans la for- mation de ces nouveaux infinitifs, et il en va évidemment de même pour les verbes de III ou de IV qui ont pris à l'infinitif cette terminaison : descendir, resccvir viennent à la seconde conjugaison après avoir passé par la première.

Nous ne pouvons pas observer au participe présent beaucoup de phénomènes analogiques; signalons seulement la diffusion de la désinence en eant aux verbes être, occuper, dérober, toucher, venir, demorer, regarder.

Le participe passé au contraire peut nous donner un nombre très considérable de phénomènes de ce genre, ce sont les différentes acquisitions que font les classes de participes passés. Nous avons vu que les participes passés en é attiraient à leur forme des participes passés en /, en u, et même quelques participes forts. Évidemment ici ce n'est que Tanalogie qui peut nous rendre compte de formes comme seise, aye:;^, iiovei, coiiibate, mette, attrae:{ et tant d'autres par- ticipes qui prennent irrégulièrement la forme même des participes de I. Il en va de même pour les acquisitions que font les autres classes de participes; nous voyons cependant une diff^érence. A tout prendre, les acquisitions des classes autres que la classe en é sont moins nombreuses que celles dont nous venons de dire un mot; mais, d'une façon générale, elles nous semblent plus stables; les nou- velles formes en é sont des acquisitions pro tempore le plus sou- vent; celles que font les participes en /, en //, les participes forts, ne se trouvent pas limitées à un cas ou à un seul auteur. Chaï, convertu, sentii, tolu, chaeit, toleit, traeit, cuilleit peuvent n'être pas absolument réguliers; ce ne sont pas des barbarismes comme les quelques participes en é, que nous citons quelques lignes plus haut.

Voilà, aussi brièvement que possible, quelle a été l'action de l'ana- logie sur la conjugaison en anglo-français et les différents points elle se montre; les quelques pages qui précèdent prétendent seule- ment résumer les différents changements qui se sont produits dans le verbe sous cette action; elles répètent donc, mais à un point de vue différent et en les groupant, les faits que nous avons déjà vus dans notre première partie.

FORMATIONS ANALOGIQUES 817

L'analogie a donc causé dans les verbes des changements assez nombreux et considérables : elle a eu une double tendance ; d'abord généraliser les terminaisons caractéristiques de la première conju- gaison de l'infinitif, du prétérit, du participe passé. Ici elle a été précédée et aussi aidée par le développement phonique dont nous avons parlé au chapitre précédent; ensuite elle a généralisé à un grand nombre de temps la lettre mouillée du subjonctif; et ici son action a été absolument indépendante de toute influence pho- nique.

C'est, croyons-nous, ce qui résume le plus fidèlement l'action de l'analogie dans le verbe en anglo-français.

CHAPITRE m LES INFLUENCES EXTÉRIEURES

Il nous reste encore à expliquer un nombre assez considérable des formes du verbe que nous avons énumérées dans notre pre- mière partie ; ces formes ne peuvent provenir que des dialectes français du continent ou du latin.

Jusqu'à présent, on n'a pas encore consacré d'étude d'ensemble aux influences extérieures que le dialecte anglo-français a subies. Quelques critiques ont vu, dans certains auteurs, l'influence des textes latins qu'ils traduisaient ; mais l'influence du latin ne s'est pas limitée à un nombre restreint d'écrivains ; nous allons voir que, dans le verbe seul, les formes d'un emploi à peu près géné- ral qui proviennent du latin sont relativement très nombreuses. Beaucoup plus importante a été l'action de certains dialectes du Nord et de l'Est de la France : ils ont donné à la conjugaison anglo-française, à- partir d'une certaine époque que nous tâcherons de déterminer avec la plus grande précision possible, de nombreuses formes qui étaient inconnues aux premiers textes anglo-français. Non seulement cette action des dialectes continentaux a été abso- lum.ent méconnue, mais quand un éditeur en a trouvé des traces dans quelque auteur, il en a conclu que la langue de cet auteur n'était pas de l'anglo-français. C'est ce qui est arrivé à Miss M. K. Pope lorsqu'elle a publié son excellente édition du poème du Héraut Chandos ; elle a remarqué dans ce poème un nombre assez considérable de formes qui appartiennent au dialecte wallon, et elle en a conclu que, en dépit de quelques traits indubitablement anglo-français, le poème du Prince Noir appartient à la littérature française du continent. Il n'en est rien, à moins qu'on ne consente à faire entrer dans cette littérature un assez grand nombre de poèmes anglo-français de la même époque et la plus grande partie

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 819

des textes non littéraires ; car la plupart des traits wallons que Miss M. K. Pope a trouvés dans son poème^ nous allons les retrouver dans d'autres ouvrages littéraires et autres.

Nous admettrons, si l'on veut, que dans le poème du Héraut Chandos les traits wallons sont plus nombreux que dans n'im- porte quel autre ouvrage de la même époque, quoique même cela ne nous semble pas très sûr ; mais cette concession ne pourra pas ôter au poème du Prince Noir son origine anglo-française ; on pourra tout au plus conclure que le Héraut Chandos, pour des raisons qu'il faudrait préciser, a subi comme les autres écrivains anglo-français de son temps, et -peut-être plus qu'eux, l'influence du dialecte wal- lon. C'est pour cette raison que nous avons feit entrer dans notre travail les renseignements que nous fournissait la langue de cet auteur.

Il est toujours assez délicat de prouver l'infl^uence d'un dialecte sur un autre : il ne suffit pas de trouver dans l'un et dans l'autre des formes analogues et de les rapprocher ; les comparaisons de ce genre peuvent être ingénieuses, elles emportent difficilement la conviction. Nous aurions pu dans un très grand nombre de cas faire des rapprochements qui auraient semblé curieux. Mais nous avons l'intention de nous borner à rapprocher des formes latines ou continentales les formes anglo-françaises qui ne peuvent pas s'expliquer d'une autre façon que par l'emprunt ou l'imitation. Il y aura encore dans un certain nombre de cas un élément de doute; mais de l'ensemble des cas assurés et des cas douteux, du rapprochement des certitudes et des présomptions nous pourrons concevoir une idée assez exacte de l'importance des influences extérieures sur l'anglo-français.

Nous allons étudier successivement :

L'influence du latin, et nous ajouterons un mot sur l'influence du provençal.

L'influence du français.

I. Influence du latin.

Les formes du verbe latin ont exercé, sans qu'il y ait place pour le moindre doute, à notre avis, une influence assez grande sur cer-

820 l'évolution du verbe en ANGLO-1-RANÇALS

tains points de la conjugaison. Cette influence s'est manifestée de deux façons: d'abord dans quelques graphies de l'atone posttonique qui reproduisent les terminaisons latines ; ensuite dans la création de nouvelles formes copiées, plus ou moins fidèlement, sur quelque mot latin.

Les graphies de l'atone qui proviennent du latin sont assez nombreuses ; nous avons vu, à la seconde personne du singulier du présent de l'indicatif de certains verbes de I, la terminaison ûîi', comme dunas dans le Psautier de Cambridge, et peut-être aussi dunaes (contamination entre la forme française et la forme latine). La ter- minaison is à cette même personne doit avoir une origine ana- logue : lefacis du Boeve de Haumtone reproduit, ci contre-sens du reste, \e facis latin ; et on peut rapprocher de cette {orme faylis du même poème.

Mais les exemples qui nous viennent de la seconde personne du singulier sont peu nombreux et ne se rencontrent que dans quelques auteurs. Il n'en est pas de même pour la première, la seconde et la troisième personne du pluriel. A la première per- sonne du pluriel, nous avons rencontré très fréquemment la termi- naison féminine tnus, calquée évidemment sur la terminaison latine correspondante. C'est le verbe être qui nous montre le premier cette terminaison : sunms est extrêmement commun et remonte au moins à la fin de la première moitié du xii^ siècle ; les scribes des Psautiers nous en donnent plusieurs cas. Et siimus dure jusqu'à la fin du xiv^ siècle. A peu près à la même époque, et tout au plus à quelques années d'intervalle, nous trouvons la même terminaison aux prétérits (Psautier d'Arundel, Folie Tristan, Robert de Gre- tham), et cette forme de la muette devient très commune dans le courant du siècle suivant.

Les présents de l'indicatif autres que celui du verbe être n'appa- raissent que sensiblement plus tard ; et il est possible que la ter- minaison en mus que nous leur trouvons ne provienne pas directe- ment du latin, mais qu'elle soit une forme analogique due à l'in- fluence de siiiiiiis et des prétérits.

A la seconde personne du pluriel, c'est la terminaison latine tis que nous rencontrons au lieu de la terminaison tes ; et ici encore, c'est le verbe être qui semble avoir été le premier en date : estis se lit dans la Lumière as Lais, et le même poème nous donne encore

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 82 1

le prêtent comandastis ; un peu plus tard le scribe, sinon l'auteur du Boeve de Haumtone emploie les prétérits avec la même terminai- son : tnastis, descendistis. On en rencontre encore plus d'un exemple en dehors des textes littéraires et ce qui nous porterait à croire que cette terminaison a été plus commune que le nombre d'exemples que nous avons relevés ne le montre, c'est que les textes légaux font un emploi considérable de formes analogues à celles que nous venons de citer.

Enfin, nous n'hésiterons pas à attribuer à l'influence du latin la désinence en unt des troisièmes personnes du pluriel féminines dont nous avons cité de nombreux exemples dans notre première partie. Comme nous le disions alors, cette forme de la désinence féminine de la troisième personne du pluriel se rencontre au prété- rit d'abord, et à quelques années de distance, au présent de l'indica- tif. Le Psautier d'Oxford et l'Estorie des Engleis nous donnent des formes comme ciinuerunt, reusernni, apelunt, et la plupart des ouvrages qui furent écrits pendant la seconde moitié du XII* siècle nous en montrent un nombre plus ou moins grand de cas : la Chronique de Jordan Fantosme, le poème de Horn emploient au moins de temps en temps cette désinence pour la troisième personne du pluriel.

Et il en va de même pour les ouvrages qui ont été écrits pendant les siècles suivants. En dehors de la littérature^ cette terminaison se rencontre aussi, quoique moins fréquemment. Nous ne nous dis- simulons pas que les terminaisons masculines en mit ont avoir une influence sur la formation ou plutôt sur l'extension de cette nouvelle désinence ; et cette influence de l'analogie nous explique- rait pourquoi ces troisièmes personnes du pluriel sont plus nom- breuses que celles que nous avons énumérées précédemment pour les autres personnes du pluriel ; mais il n'en reste pas moins vrai, du moins à notre avis, que c'est dans les troisièmes personnes du pluriel du latin qu'il faut chercher l'origine de ces formes.

Il semble donc que le latin ait exercé une influence sur la forme de la voyelle muette de toutes les désinences féminines en anglo- français : influence assez peu forte dans le cas de la seconde per- sonne du singulier mais assez considérable pour les trois personnes du pluriel.

Nous ne dirons qu'un mot de l'influence du latin sur la création

822 l'Évolution du verbe en anglo-français

de nouvelles formes verbales. Ce sont surtout des participes passés que nous avons classés parmi les acquisitions des participes en siim et en tum. Ces acquisitions sout peu nombreuses dans la langue lit- téraire ; nous en avons cependant rencontré une au début du XIII'' siècle dans un des poèmes de Frère Angier : compitnct. Toutes les autres appartiennent aux textes non littéraires et se rapportent à des dates beaucoup plus avancées . Les premières appartiennent à la classe des participes passés en ^ww, comme exprès (Statutes, 1323) ou annex (Parliamentary Writs, 13 14). Ces nouveaux participes ont été modelés sur des formes latines, expressiim, discussum, compul- siim ; il y a cependant quelques formes qui ne se rapportent à aucune forme latine que nous connaissions, comme aiinex (annixum probablement), delibers, ordein:;^. Ces deux derniers participés peut- être proviennent des participes en / par la chute de la dernière syl- labe.

Toutes les autres reformations en sum sont dues au latin.

Nous avons cité aussi des participes passés qui ont été copiés sur les participes latins en ntmn (restitutum, institutum, devolutum, dis- tributum); ce sont en réalité des participes faibles en latin, mais l'anglo-français les a traités comme des participes forts en ce qu'il leur a conservé la dentale finale. Les participes en ptiim et en ctum n'ont pas été moins nombreux et leur origine n'est pas moins évi- dente : compunct, conviçt, astrict, enfect, direct, conjiinct, adept, cor- rupt, redempt, assiimpt, interriipt sont évidemment pris du latin. La seule exception que nous ayons rencontrée dans ces nouvelles for- mations, c'est le participe execut qui a la même origine que delibers et oi-dein^ que nous citions plus haut.

Pour en terminer avec l'influence du latin, nous ajouterons un mot sur les changements qu'il a causés dans certains thèmes ; c'est la forme même du mot latin qui a causé l'introduction dans un grand nombre de cas de lettres parasites, comme p dans escript (scriptum), de c dans sciet, savent (fausse étymologie de scire), de c dans un grand nombre de participes passés, comme dict, dediict, retract, indiict, instritct. Tous ces exemples datent du xiv^ siècle, et particulièrement de la seconde moitié de ce siècle .

Il est à peine nécessaire de mentionner l'influence du provençal sur la conjugaison anglo-française. Nous avons trouvé, séparés par

un intervalle de plus de deux siècles, deux infinitifs en ar : guardar

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 823

qui rime avec César dans le Cumpoz ; repara r dans un traité de 1350 des Rymer's Foedera.

Ajoutons-y trois participes en al, qui sont encore plus douteux : obstinât qui rime avec prélat dans la Petite Sume ; tratat^ dans les Rymer's Foedera; (1299) inchoat:( dans les Statutes (134^). Ces cinq formes sont plus vraisemblablement dues à l'influence du latin.

II. Influence des dl\lectes français.

L'anglo-français a donc ressenti à peu près également à toutes les époques l'influence du latin, et nous en trouvons des traces dans les textes littéraires aussi bien que dans les ouvrages qui n'appar- tiennent pas à la littérature. Cependant, quoique étendue, cette influence le cède en importance à celle qui a été exercée par les dialectes français du continent.

Il n'est pas dans tous les cas facile, ni même possible, d'attribuer avec quelque certitude à un dialecte déterminé certaines formes qui se sont évidemment introduites dans l'anglo-français. Ces der- nières peuvent parfois être communes à tous les dialectes du con- tinent, et nous n'avons aucune raison d'y voir la preuve de l'in- fluence du francien plutôt que du poitevin ou du normand. Nous grouperons les formes de cette nature et nous les attribuerons, sans tenter de préciser davantage, à l'influence continentale. D'autres se laissent plus facilement localiser ; mais elles peuvent appartenir à tout un groupe de dialectes ; nous les attribuerons donc à ceux des dialectes de ce groupe qui ont laissé par ailleurs des traces indiscu- tables de leur influence sur l'anglo-français.

De cette façon, notre étude comprendra quatre parties:

a) Influence continentale.

F) Influence des dialectes du Nord et de l'Est.

c) Influence du bourguignon.

d) Influence du wallon et du picard.

a) Influence continentale.

Nous avons pu remarquer à difl^érentes reprises que l'évolution normale de l'anglo-français avait eu pour résultat de taire dispa-

824 l'évolution du verbe en anglo-français

raître un certain nombre de formes régulières de la conjugaison anglo-française, et que subitement et sans raison apparente, ces formes à une certaine époque se montraient de nouveau d'une façon à peu près générale dans la plupart des textes anglo-français. Il est digne de remarque que cette résurrection des formes étymo- logiques s'est produite à peu près à la même date dans tous les cas : nous n'hésiterons pas à attribuer à l'influence continentale ce renouveau des formes anciennes. On ne peut en effet invoquer ici le développement phonique, puisque ces formes sont Justement l'op- posé de celles que le développement phonique avait produites ; ni l'analogie, puisque, dans la plupart des cas, il n'était pas resté de formes sur lesquelles on aurait pu créer des formes analogiques ; ni enfin l'influence des textes anglo-français précédents ou un retour à l'usage ancien ; nous n'avons jamais vu de cas montrant claire- ment que la langue des premiers ouvrages anglo-français ait exercé une influence réelle sur des ouvrages postérieurs.

Du reste, les auteurs du xiv^ siècle ne pouvaient guère lire les .ouvrages du xii' que dans des manuscrits assez récents, et nous savons quelle était la correction des scribes du xiii* siècle par exemple.

Il nous reste donc à attribuer Ja réapparition des formes étymo- logiques à une influence extérieure.

Les cas qui montrent ainsi un retour à un usage plus ancien sont encore assez nombreux et nous allons les rappeler brièvement en insistant surtout sur les dates auxquelles ils se rencontrent de nou- veau pour la première fois. Dans les désinences personnelles, nous avons vu que les terminaisons masculines de la première personne du pluriel ont perdu progressivement leur 5 finale entre 11 10 et le milieu du xiii* siècle. Un très petit nombre d'auteurs, comme nous le disions, ne suivent pas pendant cette période la tendance générale, par exemple Frère Angier ; mais c'est certainement sous l'influence du continent que Frère Angier a rétabli Vs de la pre- mière personne du pluriel, car, comme l'a établi Miss M. K. Pope, l'influence du continent a été assez forte sur cet auteur. Après 1250 toutefois les s de la première personne du pluriel mas- culine deviennent non seulement nombreuses mais à peu près générales ; le Roman des Romans, l'Ordre de Bel Eyse, le Manuel des Péchés, nous en donnent un nombre considérable d'exemples

LES INFLUENCES EXTERIEURES 825

et pendant tout le siècle suivant les terminaisons asigmatiques à cette personne sont extrêmement rares.

Les mêmes remarques peuvent se fltire pour les textes qui ne rentrent pas dans la littérature ; quelques-uns, à vrai dire, montrent bien quelques formes de la première personne du pluriel purement anglo-françaises, comme les Literae Cantuarienses ; mais la masse des textes politiques et familiers a adopté la forme française de cette désinence ; et l'on pourra trouver assez remarquable que toutes les lettres du recueil Royal Letters antérieures à 1263 con- tiennent une majorité de formes sans s et que dans celles qui sont postérieures à cette date les désinences sigmatiques prédominent. Il semble donc bien établi que, entre 1250 et 1263, l'usage sur ce point en anglo-français a changé très brusquement, évidemment sous l'influence de dialectes français qui conservaient Vs dans la terminaison ons.

La première personne du pluriel nous fournit encore la matière d'une remarque, sur laquelle nous serons beaucoup moins affirma- tifs : cette remarque porte sur la terminaison ions. Cette terminai- son est relativement rare à certains temps (présent du subjonctif en iani, imparfait du subjonctif) pendant la dernière partie du xii^ siècle et les trois premiers quarts du xiii^; après 1275, au con- traire, elle devient assez commune ; mais ici on doit considérer que la désinence ions n'avait jamais complètement disparu à ces temps et qu'ensuite l'imparfait de l'indicatif et le conditionnel l'avaient conservée très régulièrement; par conséquent l'anglo-fran- çais livré à ses propres ressources aurait pu la rétablir aux temps qui nous occupent. Cela, nous devons le dire, ne nous semble pas très vraisemblable.

La deuxième personne du pluriel masculine nous fournit un des exemples les plus évidents de l'influence du français sur l'anglo- français : le rétablissement de la terminaison iV:{. Pour ne pas avoir à revenir sur le sujet de la diphtongue ie, nous joindrons ici à la deuxième personne du pluriel les infinitifs en ier, et les participes en ié.

Nous n'avons pas l'intention de répéter ici les remarques que nous avons laites ni les exemples que nous avons donnés dans notre première partie ; nous nous contenterons de rappeler cer- taines conclusions auxquelles nous sommes arrivé alors. La dési-

826 l'évolution du verbe en anglo-français

nence en ie:^ a été toujours conservée à l'imparfait de l'indicatif et au conditionnel ; pour certains imparfaits du subjonctif cette dési- nence s'est assez bien maintenue ; pour le présent de l'indicatif et le présent du subjonctif, />~ devient sporadique entre ii6oet 1200 et disparaît par la suite. Les infinitifs en icr et les participes en /Vont subi la réduction de la diphtongue dans les mêmes conditions que cette dernière classe des terminaisons en ie:;^.

Or, pour toutes les terminaisons d'où il avait disparu, 1'/ se montre de nouveau vers 1280 : dans les œuvres littéraires, on trouve un assez grand nombre de deuxièmes personnes du pluriel qu'on ne trouvait jamais auparavant avec la terminaison itx : la Chronique de Pierre de Langtoft, le Siège de Carlaverok, le Poème du Prince Noir nous en donnent des exemples assez nom- breux. Et ces mêmes ouvrages fournissent une Hste encore plus longue de participes passés en et d'infinitifs en ier. Mais les dates les plus précises nous sont encore ici fournies par les textes non httéraires ; les Statutes nous donnent de ces infinitifs quelques exemples sous la date de 1275 et les Early Statutes of Ireland à la date de 1285 ; les Lettres de Jean de Peckham en ont aussi quelques-uns en 1281 ; les Rymer's Foedera en 1294. Pour les participes en ié, nous rencontrons les premiers exemples encore dans les Lettres de Jean de Peckham et à la même date de 1281 ; dans les Statutes (1297) ; dans les Parliamentary Writs (1299) ; enfin nous avons aussi pour des dates très voisines des exemples de nouvelles formes de la seconde personne du pluriel en /V~ : en 1284 pour les Lettres de Jean de Peckham, en 1297 pour le livre des Statutes.

Il est donc évident que vers 1275 ou 1280, les formes en ie^ qui depuis plus d'un siècle avaient été limitées à un certain nombre de personnes, les terminaisons en ier et qui, pendant le même espace de temps, avaient à peu près entièrement disparu de l'anglo-français, reparaissent en même temps sur toute la ligne. Ici, nous avons d'une façon évidente imitation d'un dialecte français. Nous ne sau- rions préciser lequel ; mais nous verrons tout à l'heure que cette question même de la diphtongue ie nous fournira quelques indi- cations utiles.

Enfin, l'un des traits caractéristiques de l'anglo-français est, comme nous l'avons déjà dit plus d'une fois, et comme on l'a

LES INILUENCES EXTERIEURES 827

montré bien longtemps avant nous, le passage à la forme en er des infinitifs de la troisième conjugaison. Vers la fin du troisième quart du xiii^ siècle, la désinence en cir ne se rencontre plus dans la conjugaison. Subitement encore, quoique moins subitement que pour la diphtongue ic, nous voyons réapparaître la diphtongue oi dans la terminaison des infinitifs de III.

Certains scribes sont les premières personnes qui emploient de nouveau la désinence régulière des infinitifs de la troisième conju- gaison, par exemple le scribe du ms. Douce 98, ou du ms. Cam- bridge University Library Ee, i, i ; les auteurs semblent ne reprendre que plus tard cette forme ; nous en avons un exemple dans Chronique de Pierre de Langtoft ; un peu plus tard, dans les poèmes du Prince Noir, les Vies de Saints de Bozon, dans les Proverbes de Bon Enseignement, dans la Chronique de Nicolas Trivet, les exemples sont assez nombreux.

Les textes politiques et autres du même genre nous ont fourni plus d'exemples que les œuvres littéraires et à des dates plus anciennes; dans les Statutes, les premiers cas remontent à 1285, et il en va de même pour les recueils de langue légale qui dès le com- mencement du xiv^ siècle nous donnent un grand nombre de formes régulières.

Nous devons faire remarquer toutefois que ces terminaisons en oir sont certainement beaucoup plus communes dans les textes poli- tiques et diplomatiques que dans les œuvres littéraires ou légales. Mais, nous pouvons affirmer toutefois que dans l'ensemble des écrits anglo-français, nous retrouvons, pendant le dernier quart du xiii" siècle, ou au plus tard au commencement du siècle suivant, la même tendance générale à faire revivre les désinences régulières pour les infinitifs de III ; et cette tendance, nous ne pouvons en trouver la raison que dans l'influence exercée sur l'anglo-français par les dialectes du continent.

Signalons enfin un autre point qui ne manque pas d'importance: l'amuissement de 1'^ muet posttonique après la diphtongue ei est encore un des phénomènes les plus importants de l'histoire de l'an- glo-français principalement au xui* siècle ; et nous avons vu qu'au moment William de Waddington écrivait, l'c posttonique avait disparu à peu près absolument.

Or, au xiv"^ siècle, dans bien des cas, nous voyons revenir cet c

828 l'évolution du vekiîe en anglo-français

muet : l'Erection des Murs de New Ross, le Siège de Carlaverok, le Poème du Prince Noir nous en donnent de nombreux exemples ; un grand nombre de scribes de cette époque écrivent à peu près régulièrement cette voyelle. De même en dehors de la littérature, les formes abrégées sont des plus rares. Ve est constamment écrit. A quoi attribuerons-nous cette régularité imprévue ? A n'en pas douter, elle est due à l'imitation de la langue écrite sur le continent et nous ne pouvons pas découvrir de raison qui puisse rendre compte d'un ensemble de faits aussi précis.

Nous résumerons maintenant en quelques mots les particularités de la conjugaison que nous attribuons à l'influence du français :

1 . Rétablissement de 1'^ dans les désinences masculines de la pre- mière personne du pluriel.

2. Rétablissement de la diphtongue ie dans un grand nombre de formes du verbe.

3. Rétablissement de la désinence régulière pour les infinitifs de

m.

4. Rétablissement de Ve en hiatus après la diphtongue ei.

Ce qu'il est nécessaire de remarquer encore, c'est que ces diffé- rents phénomènes se reproduisent tous à peu près à la même date, ou plus exactement, car ces nouvelles formes ne se sont pas géné- ralisées tout d'un coup, les premiers exemples que nous rencon- trions se trouvent tous entre 1260 et le commencement du xiv^ siècle.

Nous avons trouvé cet ensemble de faits assez frappant déjà ; mais nous avons des renseignements encore plus précis qui nous permettront de localiser les formes d'emprunt que nous trouvons en anglo-français.

b) Influence des dialectes du Nord et de l'Est.

Les phénomènes que nous venons d'exposer sont relativement généraux, et il est par conséquent évident que nous ne pourrons pas en rencontrer désormais beaucoup qui présentent ce caractère ; nous trouverons plus de traces de l'influence des dialectes français sur des points de détail que sur des ensembles de formes.

Nous diviserons notre étude en deux parties.

LES INFLUENCES EXTERIEURES - 829

I. Désinences personnelles. Nous attribuerons d'abord à l'in- fluence de ce groupe de dialectes certaines désinences personnelles. La désinence féminine faible de la première personne du pluriel en ornes n'a jamais été très employée dans la littérature anglo-française ; nous en avons relevé et cité quelques rares exemples au xii'= siècle; au commencement du xiii% nous n'en trouvons d'exemples que dans les poèmes de Frère Angier. Ce n'est que vers la fin de ce siècle et pendant tout le siècle suivant que cette désinence devient assez commune dans les œuvres littéraires : Walter de Bibblesworth, Pierre de Langtoft, Nicolas Trivet nous ont fourni de nombreux exemples de cette terminaison, et il en va de même pour les Rymer's Foedera, les Historical and Municipal Documents of Ire- land, les Literae Cantuarienses.

L'on sait du reste que la Champagne, le Cambrésis, le Brabant, la Flandre, l'Artois, la Picardie emploient très fréquemment cette désinence.

Nous n'insisterons pas trop sur ce rapprochement, car puisque cette terminaison se trouve dans le Voyage de Saint Brandan, dans l'Estorie des Engleis, il pourra sembler inutile d'invoquer l'in- fluence de la Bourgogne et de la Picardie ; mais il nous semble que les exemples du Saint Brandan ou de Gaimar, très anciens et très isolés, ne peuvent guère rendre compte de la recrudescence assez soudaine de la popularité de cette désinence.

Ce qui ne peut que nous fortifier dans cette opinion, c'est que le bourguignon ou le wallon ou le picard ont certainement fourni à l'anglo-français d'autres désinences pour la première personne du pluriel : les désinences en iens et en ieines. Ces deux désinences sont inconnues à la langue littéraire, mais, comme nous l'avons fait remarquer, très employées dans les textes politiques et diploma- tiques, spécialement la première. Nous en avons rencontré des exemples dans les plus anciens textes qui n'appartiennent pas à la littérature: les Rymer's Foedera nous en donnent un très grand nombre sous la date de 1294, les Statutes sous la date de 1297, les Parliamentary Writs en 1299, etc., et ces formes se trouvent employées jusqu'en 1400 et même plus tard. Ici, nous ne pouvons pas avoir de doute sur l'origine de ces désinences; elles viennent à l'anglo-français des dialectes de l'Est et du Nord de la France ; elles se sont aussitôt acclimatées dans la langue politique et diplo-

830 l'évolution du verbk en anglo-françals

matique qui n'avait à la fin du xiii"^ siècle, ni passé, ni tradition ; quant aux écrivains purement littéraires, ils se sont soustraits à cette influence ; les formes en iciis et en ieines ont leur sembler trop différentes des désinences qu'ils avaient jusqu'alors emplo3^ées. Aussi ne les emploient-ils que très rarement. Elles se rencontrent cependant, comme dans le premier Appendice de Pierre de Langtoft. Il se peut qu'on puisse en relever d'autres exemples, mais ils ne peuvent être très nombreux. Il importe du reste fort peu ; il nous suffit qu'une branche, et une branche importante de la littérature anglo-française, comprenant des productions de genre très différents, des textes politiques et diplomatiques, des lettres familières, des documents légaux, nous présente un nombre considérable de ces désinences étrangères à l'anglo-français pour que nous en concluions que les dialectes qui lui ont fourni ces formes ont joué un rôle assez important dans le développement de l'anglo-français. Il n'est pas difficile d'admettre que sur un point la langue littéraire ait pu se soustraire plus ou moins complètement à cette influence.

Les désinences personnelles nous offrent encore au moins deux points qui montrent d'une façon fort claire l'influence de ces mêmes groupes de dialectes. On pourra dire que ce ne sont que des points de détail qui n'ont même pas la généraUté des terminaisons que nous venons d'examiner. Ce n'est même pas seulement dans une branche tout entière de la production anglo-française que se montrent ces désinences dont il nous reste à parler ; ce ne sont que des exemples isolés que nous avons relevés. Évidemment, si nous n'avions pour soutenir notre thèse que les quelques exemples qui suivent, nous ne pourrions pas arriver à des conclusions qui aient un caractère suffisant de généralité. Mais nous avons montré déjà quelques cas d'influence indiscutables ; nous en verrons encore d'autres ; dans ces conditions, même les traces d'influence de détail, si on peut dire, ont leur importance et montrent qu'elle s'est exercée irrégulièrement suivant les auteurs et qu'elle a été assez profonde pour permettre l'emploi de formes que la généralité des écrivains évitaient. C'est dans les prétérits en avi et dans les impar- faits du subjonctif qui leur correspondent que nous trouvons encore des traces de l'influence des désinences personnelles des dia- lectes du Nord et de l'Est.

Le Poème du Prince Noir nous a donné quelques prétérits en

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 83 1

avik la troisième personne du pluriel affectés de la terminaison en arent, par exemple alarent et coronarent ; les Rymer's Foedera nous ont fourni renunciarent, 1299, et les Year Books conissarent. Or, ces formes de la troisième personne du pluriel des prétérits en avi sont assez communes en picard et peut-être encore plus fréquentes en bourguignon ; on peut en trouver par exemple de nombreux cas dans les Sermons de Saint Bernard.

Le wallon les connaît aussi et elles y sont au moins aussi fré- quentes que dans le bourguignon ; on peut trouver quelques ren- seignements sur cette terminaison en wallon dans l'article de la Romania XVI, p. 121; principalement dans le travail de M. Suchier au volume II de la Zeitschrift, p. 275 ; enfin M. Wil- motte (Études de Dialectologie wallonne, Romania XVII, 50) en relève de nombreux exemples dans le dialecte de Liège.

Nous pouvons rapprocher de cette désinence des troisièmes per- sonnes du pluriel des prétérits en avi la troisième personne du plu- riel des imparfaits du subjonctif de la même classe ; c'est la termi- naison en aissent; nous devons avouer que cette terminaison est assez rare en anglo-français, puisque nous n'en avons que deux exemples qui se lisent tous les deux dans les traités de Rymer : deinoraissent qxï on trouve sous la date de 1338, et alaisseut sous la date de 1339.

Tout isolées qu'elles sont, ces deux formes doivent s'expliquer et elles ne s'expliquent que sous l'action des dialectes du Nord et de l'Est de la France cette désinence est assez 'commune.

(Pour le bourguignon, voir les Sermons de Saint Bernard ; pour le wallon, cf. Etudes de Dialectologie wallonne de M . Wilmotte, Romania XVIII, La région au sud de Liège.)

Le second point est plus important, car nous y étudierons une terminaison qui se rencontre non seulement à la troisième per- sonne du pluriel, mais aussi à la troisième personne du singulier et surtout au participe passé. Nous groupons ici, pour éviter les redites et quoique nous sortions des désinences personnelles, des formes analogues et de même origine. Nous voulons parler des terminaisons en ie rimant en / que nous avons observées dans les trois cas que nous venons d'énumérer ; nous avons vu avec cette terminaison des troisièmes personnes du singulier, des troisièmes personnes du pluriel, enfin des participes passés. Ces formes appar

832 l'évolution du verbe en anglo-français

tiennent toutes à la littérature ; nous ne pouvons pas en citer, sauf aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel, qui proviennent des textes non littéraires, car nous avons besoin de la rime pour pouvoir distinguer ces participes, quand ils proviennent d'un verbe de I, des participes en té; et quand ils proviennent d'un verbe de II, nous ne savons pas si Vc final n'est pas simplement un e parasite. Mais nous sommes assuré de l'existence de ces formes dans la littérature et nous pouvons en conclure qu'a fortiori, elles ont exister dans les textes diplomatiques et politiques.

Nous avons montré dans notre première partie que l'anglo- français a fait au xiv^ siècle un emploi assez étendu de la désinence en ie (rimant en /) pour la troisième personne du singulier, la troisième personne du pluriel, et pour certains participes passés. Nous avons cité pour la troisième personne du pluriel certains exemples qui remontent au xii^ siècle, mais qui nous ont semblé assez douteux : prenient (Psautier de Cambridge, lire prcignent ? ), reqiiiergient (Quatre Livres des Rois, graphie de gé), aiinuncient (Quatre Livres des Rois). Nous ne nous occuperons pas davantage de ces quelques formes qui sont absolument isolées au xii" siècle. La désinence en ie ne se rencontre guère qu'au xiv^ siècle. A la troisième personne du singulier nous en trouvons plusieurs exemples à la rime dans la Chronique de Pierre de Langtoft, dans les Contes de Nicole Bozon, dans la Bounté des Femmes du même auteur, sous la plume du scribe de la Destruction de Rome. Ce sont surtout des verbes de II, principalement des inchoatifs, qui prennent cette désinence. A la troisième personne du pluriel, les exemples dans la littérature remontent un peu plus haut : devient pour dcivent se rencontre dans le Manuel des Péchés; mais c'est surtout au participe passé que nous rencontrons cette désinence et que les cas sont à la fois les plus nombreux et les plus assurés. Le Siège de Carlaverok, la Chronique de Pierre de Langtoft, le poème du Prince Noir, le manuscrit de la Destruction de Rome, pour n'en citer qu'un petit nombre, nous ont fourni une longue liste de participes passés de verbes de I et de II affectés de cette terminaison ; on peut donc conclure que la désinence en ie a apparu, dans les œuvres littéraires, à peu près simultanément dans les trois cas que nous venons d'énumérer, et que la date de cette apparition est le commencement du xiV siècle. Les renseignements

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 833

que nous avons tirés des textes qui n'appartiennent pas à la litté- rature concordent aussi bien que possible avec les conclusions que nous venons de tirer ; les premiers exemples de la désinence en ie que nous ayons rencontrés, se lisent dans le Blacke Booke of the Admiralty à la date de 1291; les traités de Rymer et le livre des Statutes nous en ont donné un certain nombre de cas dans le cou- rant du xiv^ siècle.

Cette terminaison en ie, surtout pour le participe passé, se ren- contre très régulièrement dans les dialectes du Nord et de l'Est. Pour le bourguignon, on en relève des exemples dans Villehar- douin (Cf. Natalis de Wailly) ; pour le picard, nous pouvons citer les œuvres de Philippe Mouskes et d'Henri de Valenciennes ; pour le wallon, nous voyons que Wilmotte en cite des cas (Études de Dialectologie wallonne III, Romania XIX, p. 75) pour la région namuroise, aux numéros 6 et 7.

C'est à ces dialectes, ou à l'un de ces dialectes, que l'anglo- français, croyons-nous, a emprunté cette désinence qui a eu une fortune si rapide et si considérable au xiV' siècle. Nous croyons en effet impossible de faire reiponter aux exemples isolés du xii' siècle l'origine des formes du xiv^ ; seule une influence étrangère à l'an- glo-français a pu produire ces formes si nombreuses ; et nous avons ici une des meilleures preuves de cette influence, que nous cherchons à établir, non seulement sur les textes politiques et diplomatiques, mais sur les ouvrages purement littéraires.

2. Les temps. Les temps nous fourniront des remarques aussi importantes que les désinences personnelles. Nous étudierons d'abord l'imparfait de l'indicatif et le conditionnel (terminaison eie), et la diphtongue radicale (ei) de certains subjonctifs. En ce qui concerne ces formes, nous serions très tenté d'attribuer à la même influence la prédominance de la diphtongue oi dans la con- jugaison du verbe à certaines époques de l'histoire de l'anglo- français.

Nous avons déjà eu l'occasion de faire observer, car cette ques- tion se rattachait indirectement à différents points de notre sujet, que le passage de et à oi n'est pas très commun dans la phonétique anglo-française. Et les exemples de ce passage, que nous avons relevés dans le verbe au xW siècle, nous les considérerions volontiers comme provenant de l'influence du bourguignon ou du wallon. Et

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834 l'évolution du verbe en anglo-français

ce qui nous porterait encore à le croire, c'es; que nous n'observons guère ce changement que chez les auteurs ou pendant les périodes qui ont été plus particulièrement soumis aux influences du conti- nent. Ainsi Frère Angier est le seul auteur appartenant au com- mencement du xiii^ siècle qui nous montre un nombre assez consi- dérable de formes ayant la diphtongue oi, comme Miss M. K. Pope et M. Timothy Cloran le font observer.

De la même façon, si nous passons à l'époque suivante, ce n'est que vers 1300 que les imparfaits de l'indicatif, les conditionnels, le subjonctif du verbe être, prennent cette diphtongue d'une façon à peu près régulière dans les œuvres littéraires. Cette influence, si c'est à elle qu'est due «cette forme de la diphtongue, s'est exercée un peu plus tôt en dehors de la littérature : la diphtongue oi dans cette catégorie de textes est commune dès le commencement du quatrième quart du xiii" siècle et elle devient à peu près unique après 1350. Cette influence nous expliquerait assez bien un certam nombre de formes qui semblent étranges en anglo-français et même contraires à toutes les tendances de la phonétique anglo- française ; citons les premières personnes du singulier du futur en oi : oie pour aie (habeam) : foimes pour faimes ; dans ces quelques cas, la diphtongue oi provient de ai après que cette diphtongue a évolué vers ei ; mais le dernier développement de cette évolution, que rien ne fait prévoir ni ne justifie dans la phonétique anglo- française, est à l'influence des dialectes du Nord et de l'Est, qui, comme on le sait, aff^ectionnent la diphtongue oi.

C'est encore à ces mêmes dialectes qu'il faut attribuer le nombre, très restreint au xiii'' et assez considérable au xiv^ siècle, de dési- nences en eir qui aff"ectent les infinitifs de I. Le bourguignon en off"re, comme on le sait, de nombreux exemples (cf. par exemple les Sermons de Saint Bernard). Pour le wallon, M. Wilmotte nous donne quelques renseignements pour la région namuroise au volume XIX de la Romania, aux numéros et 17.

Cette influence des dialectes du Nord et de l'Est semble s'être fait sentir tout d'abord dans Frère Angier; c'est le seul auteur du xiii^ siècle qui nous présente un nombre assez grand d'infinitifs de I affectés de la terminaison eir; nous avons cité, d'après Miss M. K. Pope : aleir, achiveir, ameir, eschiveir, gardeir, proveir, salveir, , troveir.

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 835

Mais la plus grande masse des exemples se retrouve en dehors de la littérature ; la plupart des textes politiques et diplomatiques nous en ont fourni quelques exemples : dans les Statutes, nous avons vuessoneyr, tueir (1275); à la date de 1285, les Early Statutes of Ireland nous ont donné essoneyr, et alcir en 1310 ; troveir se ren- contre dans les Rymer's Foedera (1259) et dans les Parliamentary Writs (1297). Nous en avons cité encore plusieurs autres et il nous aurait été assez facile d'en trouver encore un plus grand nombre. Ce qu'il faut remarquer et ce qui montre très clairement que toutes ces terminaisons sont un emprunt et non un simple passage à la troisième conjugaison, c'est que les infinitifs de I que nous avons relevés sous cette forme présentent tous la désinence en eir et non celle en oir qui est à cette époque la terminaison ordinaire des infinitifs réguliers de la troisième conjugaison. Quelques verbes de II se rencontrent aussi avec cette terminaison, comme veneir et acompleir ; ils ont passé probablement par les formes intermédiaires : vener et acompler.

Voilà donc en quelques mots des traces en anglo-français de l'influence de certains dialectes français : le picard ou le wallon ou le bourguignon. Nous ne pouvons pas déterminer maintenant lequel de ces trois dialectes a pu prêter au nôtre les formes que nous avons énumérées, et comme nous verrons que l'anglo-français a contracté une dette envers chacun de ces trois dialectes, nous n'avons aucune raison d'attribuer les emprunts ci-dessus à l'un plutôt qu'à l'autre. Nous pouvons résumer ce que nous venons d'exposer en disant que nous avons retrouvé en anglo-français, sous l'influence des dialectes du Nord et de l'Est de la France, peut- être trois, certainement deux désinences de la première personne du pluriel : orgies ?, iens, iemes ; deux désinences de la troisième per- sonne du pluriel : la désinence en arent et celle en aissmt. La diphtongue oi du conditionnel, de l'imparfait de l'indicatif, etc., provient peut-être de la même origine ; la terminaison en ic pour la troisième personne du singulier et du pluriel et pour le participe passé, de même que la terminaison en eir pour les verbes de I, sont dues aux mêmes dialectes.

836 l'évolution du verbe en anglo-français

c) Influence du bourguignon.

Les remarques que nous venons de faire ont une importance incontestable, mais elles manquent encore un peu de précision ; il serait intéressant de déterminer exactement si les formes que nous avons énumérées et groupées appartiennent au Nord ou à l'Est de la France. A première vue, on serait tenté de les attribuer plutôt au picard ou au wallon qu'au bourguignon ; on comprend plus facilement l'influence des deux premiers de ces dialectes, tandis que la façon dont le troisième a pu agir n'est pas aussi évidente. Et nous-même, nous nous serions contenté de signaler, sans nous y arrêter davantage, les rapports entre l'anglo-français et le bourgui- gnon si nous n'avions relevé que les quelques points que l'anglo- français a en commun avec les dialectes de l'Est aussi bien que du Nord.

Mais les rapports ne s'arrêtent pas là. Nous avons aussi à signa- ler quelques formes qui ont été introduites dans l'anglo-français du xiii^ ou du xiv^ siècle et qui ne sauraient guère provenir que du bourguignon.

Remarquons tout d'abord que la terminaison de la première personne du pluriel pour l'imparfait et le conditionnel dans l'anglo- français politique et diplomatique est peut-être plus souvent iejis que ienus. Or iens est plus spécialement bourguignon, et iemes plus spécialement picard ou wallon. Il serait donc assez difficile de com- prendre pourquoi nous pouvons observer cette différence entre l'emploi des deux formes en anglo-français, si les dialectes du Nord avaient eu seuls quelque influence sur notre dialecte. Au contraire, nous comprenons très bien que, si les deux groupes ont agi sur lui, il a pu développer l'une des deux formes de préférence à l'autre.

Du reste nous avons mieux que cette présomption. Deux faits que nous avons signalés dans la conjugaison anglo-française nous semblent d'origine bourguignonne : les infinitifs en or de la troisième conjugaison, et le traitement de Vi en hiatus.

Les infinitifs en or pour eir ne sont pas très rares en anglo- français et nous les rencontrons dans un assez grand nombre de textes diff'érents. Les Traités de Rymer nous en donnent deux exemples : savour dans un traité de 1297, resceivor dans un autre qui porte la date de 1375 ; ^^^ Chroniques du Monastère de

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 837

Saint-Alban ont savor en 13 lo, les Documents Inédits nous donnent avor à la date de 1382. On pourrait vraisemblablement en relev erd'autres exemples ; surtout, on ne doit pas oublier qu'un nombre assez considérable d'infinitifs de cette espèce a pu dispa- raître, corrigés, soit par d'autres scribes, soit par les éditeurs eux- mêmes qui leur donnaient la forme plus habituelle er. Quoi qu'il en soit les quelques exemples que nous avons rencontrés et cités nous suffisent; nous ne pouvons pas les considérer comme des erreurs des scribes et ils nous montrent sans aucun doute pos- sible que le dialecte bourguignon a exercé sur l'anglo-français une influence qui a commencé au plus tard vers la fin du xiii« siècle.

On pourrait peut-être expliquer par l'influence du bourguignon le traitement dans l'anglo-français du xiii'' et du xiv^ siècle de la voyelle / en hiatus. Nous avons dit que i en hiatus passe à <? et surtout à oi dans les terminaisons en ions, ie:^, ier. La graphie e ne nous arrêtera pas ; nous pouvons en effet très bien admettre que cette graphie soit normale en anglo-français et ait pu se produire sans aucune intervention étrangère, quoique ce soit surtout l'usage contraire qui soit attesté (cf. criaiure dans le Drame d'Adam). La diphtongue oi de l'autre côté n'a pas pu provenir d'un développe ment phonique normal en anglo-français. En eff"et, non seulement l'anglo-français n'a pas montré beaucoup de goût pour cette diphtongue, mais il a toujours tendu à faire passer les diphtongues à la voyelle simple et c'est le contraire qui s'est produit ici. Or les formes que nous présentent la diphtongue sont extrêmement nom- breuses. Le premier exemple d'une première personne en ions que nous trouvions dans la littérature se lit dans la Vie de Saint Auban, mais peut ne remonter qu'au xiv* siècle ; pour la seconde personne du pluriel, la Vie d'Edward le Confesseur nous donne estoie-^ que nous attribuerions aussi au scribe et qui par conséquent ne remonterait pas plus haut que Vestoïiim de la Vie de Saint Auban.

Les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature nous four- nissent plus d'exemples et des dates plus précises; la première per- sonne du pluriel que nous ayons trouvée dans cette catégorie d'ouvrages avec cette diphtongue se lit dans les Rymer's Foedera sous la date de 1294 et à partir de 1300 les exemples se multiplient

838 l'évolution pu VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

dans la plupart des recueils ; seul, le livre des Statutes ne nous a donné une terminaison en oiuins que vers le milieu du xiv^ siècle (1344). Néanmoins, il est hors de doute que déjà au commence- ment de ce siècle les formes analogues sont des plus communes dans la plupart des recueils. Il en est de même de la deuxième personne du pluriel, la désinence en oie^ est très fréquente dans tous les recueils à partir du commencement de ce siècle. Nous n'avons pas relevé un aussi grand nombre d'infinitifs de I avec la terminaison en oier; cependant leur nombre est suffisant pour nous montrer que les formes comme avansoier (DocumQnts Inédits 1372) n'avaient rien d'exceptionnel, surtout après 1350.

Nous pourrions hésiter ici encore entre le picard et le bourgui- gnon dans la question de savoir à l'influence de quel dialecte est due l'introduction de cette forme en anglo-français, La diphtongue oi se rencontre dans l'un et dans l'autre ; mais il nous a semblé que les formes en oions, oie:(, oier étaient plus communes dans le dialecte de l'Est que dans le dialecte de l'Ouest. Et pour que ces différentes formes aient pu prendre dans l'anglo-français l'extension que nous leur avons vue, il a fallu nécessairement que le dialecte qui a servi de modèle ait pu lui même fournir un nombre assez considé- rable d'exemples. Et dans ce cas, le bourguignon répond mieux à cette condition que le picard (voir cependant Li dis dou vrai Aniel la diphtongue oi se rencontre assez fréquemment au lieu de Vi en hiatus, comme desroier au vers 258 etc.).

Si l'on n'admet pas cette influence du bourguignon sur l'anglo- français pour ce développement de 1'/ en hiatus et que l'on pense que les formes oions, oie:^, oier sont dues au picard, le seul trait qui restera comme provenant du dialecte de l'Est sera celui que montrent les quelques infinitifs en orque nous venons de rappeler. Or, même pour ces infinitifs, on peut trouver que l'action d'un dia- lecte plus voisin a pu s'exercer ; nous ne le croyons pas. Cependant nous devons mentionner le fait signalé par M. Wilmotte dans ses Études de Dialectologie wallonne (Romania XVII, 13, XVIII, II, Liège et la région au sud de Liège) que, dans le dialecte wallon, la diphtongue oi passe à 0 et que l'infinitif des verbes de la troisième conjugaison rime avec des mots tels que flor. Mais, ce qui nous fait hésiter à attribuer les formes ci-dessus au wallon c'est que nous n'avons jamais rencontré dans les textes

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 839

wallons d'infinitif de III écrit avec la terminaison or. Or, l'action de ces dialectes sur l'anglo-français a être surtout et peut-être uniquement une influence des textes écrits. La prononciation n'a pas pu avoir d'influence et ce n'est qu'en bourguignon que cette graphie, à notre connaissance, se rencontre.

Si nous nous trompons, comme c'est possible, les phénomènes que nous venons de citer sont des preuves de l'action des dialectes du Nord et Nord-Ouest, et non de l'Est.

d) Influence du picard et du wallon.

Nous arrivons enfin à l'influence la plus considérable qui se soit exercée sur l'anglo-français, influence à laquelle on doit attribuer certainement le plus grand nombre des formes que nous avons énumérées dans la section qui traite de l'influence commune des dialectes du Nord et de l'Est, et dans celle qui expose les emprunts que l'anglo-français a faits aux dialectes du continent: l'influence du wallon et du picard . Nous aurions aimé à faire une distinction aussi précise que possible entre l'action de ces deux dialectes, car ils ont chacun une physionomie propre ; mais, sans vouloir faire intervenir ici la Sprachmischung, il nous a été impossible, au moyen du verbe seul, de faire cette distinction d'une façon satisfaisante ; le plus grand nombre des formes que nous allons étudier mainte- nant appartiennent, comme on le verra, aux deux dialectes égale- ment. Nous nous sommes donc résigné à ne pas établir ici de distinction entre l'influence du wallon et celle du picard. Cepen- dant il est bon de remarquer avant de commencer que les formes caractéristiques du picard sont à peu près entièrement absentes de l'anglo-français, au moins au point de vue de la conjugaison. En particulier, ce que l'on considère très justement comme la caracté- ristique du picard, ch pour le francien c et vice versa, n'apparaît pas dans la conjugaison anglo-française; nous avons rencontré un exemple de fach (facio) (cf. Li dis dou vrai Aniel, page xxij) et quelques autres formes analogues absolument isolées. Une autre forme pourrait bien être purement picarde, c'est l'infinitif iw; mais, quoique les cas qui nous montrent cette forme soient nombreux, nous ne pouvons jamais décider d'une taçon certaine si nous avons un infinitif monosyllabique (yeeir, après synérèse) ou la forme

840 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS

picarde dissyllabique. Les autres formes que nous allons citer ne sont pas absolument spéciales au picard, quelques-unes ont venir à l'anglo-français par l'entremise de ce dialecte, mais nous ne pouvons jamais avoir quelque chose de plus sûr qu'une pré- somption.

Au contraire le wallon a donné à notre dialecte des formes qui n'appartiennent qu'à lui et son influence ne peut pas laisser de doute. Miss M. K. Pope a reconnu et montré fort clairement cette influence sur le poème du Héraut deChandos ; où, à notre avis, elle a erré, c'est en ignorant la valeur générale de cette influence et en concluant que le poème du Prince Noir n'appartient pas à la littéra- ture anglo-française. Ce que nous allons voir nous montrera que cette influence s'est exercée, très inégalement, nous le reconnais- sons, sur toutes les branches de la production anglo-française, spécialement sur les ouvrages qui n'appartiennent pas à la littéra- ture.

Nous serons encore ici, pour être aussi complet que nous le pouvons, obligé de sortir quelque peu de notre sujet et nous divi- serons notre étude en deux parties: influence de la phonétique des dialectes du Nord sur le verbe en anglo-français ; influence de la conjugaison des dialectes du Nord sur le verbe en anglo- français.

I. Influence phonique. Nous retrouvons dans la phonétique du Nord un certain nombre de traits qui nous expliquent plu- sieurs formes anglo-françaises. On sait qu'en picard aussi bien qu'en wallon e entravé passe à la diphtongue ie. M. Wilmotte, dans ses Études de Dialectologie wallonne, en cite de nombreux exemples (voir dans Romania XIX, ii), comme vieront, futur de voir, soufliert, appiert, siet (sapit); ces formes se rencontrent à Liège et sont encore plus communes dans la région namu- roise. Plus au sud encore, en Picardie, ces formes sont extrê- mement communes ; nous trouvons par exemple dans le Dis dou vrai Aniel, sans parler de l'exemple que nous donne le titre même : lierre (au vers 260), confies (au vers 329), siervis (au vers 357), Robiers (au vers 409), exemples qui nous montrent ce phénomène à la tonique et à l'initiale. Ces quelques formes prises au hasard sont des preuves de la fréquence de ce changement.

Nous en trouvons aussi de nombreux exemples dans la conju-

LES INFLUENCES EXTERIEURES 84I

gaison du verbe en anglo-français et nous nous bornerons ici à rap- peler les principaux cas que nous avons déjà exposés dans notre première partie. Nous pouvons dire d'abord d'une façon générale que tous les retours à la diphtongue ie que nous rencontrons au XIV* siècle et qu'on a surtout considérés jusqu'ici comme des cas d'umgekehrte Schreibung sont plus vraisemblablement des preuves de cette influence du picard et du wallon.

Citons en première ligne les nombreux infinitifs de I qui prennent indûment au xiv* siècle la désinence en ier ; nous ne reproduirons pas ici la liste que nous en avons faite précédem- ment, nous savons que de telles formes irrégulières sont extrê- mement nombreuses dans les ouvrages littéraires aussi bien qu'en dehors de la littérature pendant tout le xiv^ siècle. Nous ne ferons du reste aucune difficulté pour admettre que ces terminaisons irré- gulières sont en partie dues à l'analogie et à l'ignorance des scribes et des écrivains anglo-français qui ont ainsi étendu à des verbes qui n'y avaient pas droit une terminaison qui était nouvelle pour eux. Nous ne citerons dans le verbe qu'un autre cas du passage de ^ à ie, quoiqu'on puisse en trouver plusieurs autres; c'est celui que nous observons dans la terminaison /V;^ et par extension dans la termi- naison des participes passés de la première conjugaison.

Un phénomène du même genre, c'est le passage de / entravé à cette même diphtongue ; et ici encore l'influence des dialectes qui nous occupent est évidente. Les textes picards par exemple ont souvent ier au lieu de ir ; Burguy cite, dans la Chronique de Jan van Heilu, les {ormes ferier, teiiier, venier, etc. ; de la même façon, comme nous l'avons vu, l'anglo-français du xiv* siècle, littéraire ou non, nous a fourni toute une liste d'infinitifs de II affectés de cette terminaison ; le manuscrit B de Boeve de Haumtone nous donne escharnier ; la Chronique de Wil. Rishangera tefiier, la Vie de Sainte Marguerite nous donne pleisier ; le Siège de Carlaverok, venier et tenier ; la Chronique de Nicolas Trivet en a aussi des exemples très nombreux.

Il en va de même pour les œuvres non littéraires ; et les premiers exemples qu'elles nous donnent remontent au commencement du quatrième quart du xiii' siècle : ainsi revertier à la date de 1278 dans le Livre des Statutes. Nous n'allongerons pas cette liste ; et nous renverrons à ce que nous avons dit sur ce point dans notre

842 l'évolution du verbe en anglo-français

première partie. Comme conséquence et peut-être par analogie, nous trouvons aussi des participes passés de cette même conjugai- son avec la terminaison té; ces participes se trouvent dès le com- mencement du XIV* siècle et peuvent provenir, soit des participes réguliers sous l'influence des formes picardes, soit directement, ce qui nous semble plus probable, des nouveaux infinitifs en ter.

Ce passage de / à ie nous explique encore quelques formes sur lesquelles nous nous sommes déjà arrêté : le prétérit des deux verbe tenir et venir au xiv^ siècle montre souvent, toujours à la même époque, un dans le thème. Tient, vient, tiendront, viendront sont des formes communes dans Nicolas Trivet, dans les Parlia- mentary Writs (1301), dans le Registrum Palatinum Dunelmense (13 12), dans les Rymer's Foedera. L'exemple le plus ancien que nous ayons de cette forme se lit dans les Lettres de Jean de Peckham (1281). Et on sait que (cf. par exemple Wilmotte, la région de Liège, Romania XVII, 52) dans les dialectes picards et wallons, ces formes ne sont pas rares.

Voilà donc qui nous explique comment il se fait que l'anglo- français, après s'être débarrassé presque complètement de la diphtongue depuis 1200, a rej^ris, même a introduit dans des cas elle n'était pas étymologique, cette même diphtongue à partir de 1275 environ. Les formes cette diphtongue est étymo- logique ont pu être prêtées à l'anglo-français par la plupart des dia- lectes du continent ; celles la diphtongue est irrégulière ne peuvent lui venir que du picard ou du wallon.

Nous pouvons rapprocher ce que nous venons de dire d'un autre fait qui est loin d'avoir la même importance. Le wallon, comme le montre M. Wilmotte (Études de Dialectologie wallonne, Romania XVIII, 7), remplace souvent la voyelle e ouvert par ae : màemes pour même ; nous en trouvons quelques exemples en anglo-français ; dans Frère Angier, nous lisons plaést, taest, traest ; dans ces formes, la diphtongue ai étymologique a passé à e ouvert, comme nous l'avons montré. Ne pourrait-on pas comparer à cette graphie les formes qui nous semblent assez difficiles à expliquer: feare, feat, treat,pleare} Il nous paraît très probable que la graphie wallonne ae a pu devenir en anglo-français ea.

Nous allons passer plus rapidement sur les quelques faits de la

I

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 843

phonétique wallonne qui peuvent expliquer certaines formes du verbe anglo-français ; nous ne nous dissimulerons pas que dans les quelques cas suivants, nous pouvons n'avoir affaire qu'à de simples coïncidences et que le développement normal de l'anglo-français explique aussi bien sinon mieux que l'influence wallonne certaines des formes qui suivent. Mais si, comme nous ne pouvons pas en douter, il y a eu influence du wallon sur l'anglo-français sur d'autres points, l'exemple du premier n'a pu que favoriser et hâter le développement de l'anglo-français aux points ils coïncidaient. L'un des phénomènes les plus importants de la phonétique anglo- française est, comme nous l'avons fait observer, la chute de la voyelle muette posttonique ; elle a lieu dans un grand nombre de cas et dans toutes les positions ; en wallon la muette posttonique, spécialement après consonne, tombe souvent (cf. Wilmotte, La région au sud de Liège, Romania XVIII, 23); il en résulte qu'une forme feir, pour faire, est aussi bien anglo-française que wallonne. Ceci nous aidera à comprendre comment il se fait que, après 1300, c'est-à-dire au moment les imparfaits, conditionnels, etc., reprenaient souvent leur ^ muet étymologique, les infinitifs de IV perdent si souvent leur muette finale. L'anglo-français tendait à la faire disparaître et trouvait dans le wallon les formes mêmes qui se produisaient naturellement dans sa conjugaison.

Nous avons aussi remarqué, surtout quand nous nous sommes occupé du futur, que le verbe en anglo-français se trouvait soumis à deux tendances opposées : l'une qui tendait à lui faire redoubler IV, et cette tendance nous semble purement anglo-française; l'autre qui lui faisait simplifier les r doubles. Or, cette seconde tendance, qui aurait peut-être disparaître devant l'autre si l'anglo-français avait été livré à lui-même, a été certainement favorisée par une tendance analogue en wallon ; M. Wilmotte montre (Romania XVIII, 39 ^/V) que dans la région au sud de Liège, rr se réduit à r simple et que phénomène est général ; les formes du futur : deniorat, démoliront, morat,inoroit,veront,oronty sont des plus communes, et, à quelques changements près, ces formes pourraient aussi bien être des formes du verbe anglo-français. Ici encore, nous ne voulons pas établir des relations de cause à effet, le même phénomène a fort bien pu se produire dans les deux dialectes sans qu'on puisse voir dans les formes de l'un la cause des formes de l'autre ; mais nous ne pou-

$44 l'évolution du verbe en anglo-français

vons pas nous empêcher de penser que si les formes wallonnes n'ont pas produit directement les futurs anglo-français que nous avons vus et qui sont très anciens, au moins elles les ont aidés à subsister en face des terminaisons si nombreuses du futur IV simple étymologique a été redoublée.

Nous considérons aussi comme un fait du même ordre la confusion qui s'est établie dans les deux dialectes entre les deux phonèmes 5 et ;( ; cette confusion remonte fort haut en anglo-français ; on peut en voir les résultats dans les terminaisons de la seconde per- sonne du singulier et de la seconde personne du pluriel masculine. Mais cette confusion n'a pu que s'accroître sous l'influence du wallon ; nous trouvons encore dans l'étude de M. Wilmotte (La région de Liège, Romania XVII, 35) des exemples de l'emploi de :( pour s ; et dans les Sermons liégeois du xiii^ siècle une substitution assez générale de j à :( finale. C'est donc exacte- ment la même confusion qu'en anglo-français ; et nous avons vu les résultats qui en ont découlé. Du même ordre est la confusion qui s'établit dans les dialectes wallon et anglo-français entre les lettres mouillées et les lettres simples ; c'est encore dans la région namuroise que M. Wilmotte a observé ce phénomène (Romania XIX, n°' 36-37) ; / simple apparaît pour / mouillée et vice versa ; nous ne répéterons pas ici toutes les confusions qui se sont établies en anglo-français entre ces deux consonnes, mais nous noterons ici encore les grands rapports qui existent entre ces deux dialectes. Ajoutons qu'ils se rencontrent encore dans leurs nombreuses manières de noter Yn mouillée ; M. Wilmotte (u. s. n°^ 40, 41, 42) fait remarquer que la mouillure de la nasale est représentée par ni, ngn, gn(i), igni, et si l'on veut bien se reporter à ce que nous avons ditnous-mêmesurlamême question (cf. supra, page 341), on verra que l'anglo-français du xiv^ siècle emploie les mêmes gra- phies pour remouillée.

Voilà les différents points de la phonétique wallonne et picarde qui nous ont semblé avoir eu une certaine influence sur le verbe anglo-français ; nous ne pouvons pas en dire davantage sans sortir de notre sujet complètement. Ces diffiérents points n'ont pas tous la même importance. Quelques-uns, les derniers que nous avons énumérés, représentent des tendances communes aux deux dia- lectes, et le plus qu'on puisse en dire, c'est que l'exemple du wallon

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 845

sur ce point n'a pu que favoriser l'évolution naturelle de l'anglo- français. Les autres sont plus importants et représentent une véri- table influence : le passage de é à ie, de i à ie, de e z ae dans nos textes anglo-français sont évidemment dus à l'action des dialectes du Nord de la France.

2. Influence de la conjugaison picarde et wallonne. Le dialecte wallon a agi sur le verbe d'une façon plus directe encore ; nous allons prendre successivement dans les désinences personnelles, dans les modes et dans les temps les traces de cette influence.

On sait qu'en picard comme en wallon, la désinence ietms est fort commune à la première personne du pluriel de certains temps; nous pouvons renvoyer aux trois articles de M. Wilmotte dans Remania, vol. XVII, XVIII, XIX, in-fin. ; à vrai dire, cette dési- nence n'est pas très commune dans i'anglo-français littéraire, et dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature cette dési- nence présente tantôt la diphtongue ie, tantôt la diphtongue ei\ même dans les Year Books, la seconde est la plus commune, sinon la seule employée. Néanmoins, elle est d'origine continentale sous ses deux formes et ne peut provenir que des dialectes du Nord de la France. Comme nous le disions, elle a été fort employée à l'imparfait de l'indicatif, au conditionnel, à l'imparfait du subjonctif et au présent du subjonctif en iam. Les premiers exemples que nous en ayons trouvés remontent à la fin du xiii= siècle, puisque les Lettres de Jean de Peckham nous en offrent un exemple à la date de 1283, et les Traités de Rymer, plusieurs autres pour l'année 1297. Mais ce n'est guère qu'au siècle suivant que cette désinence devient très commune.

Nous avons encore à faire remarquer une diff'érence assez impor- tante entre l'usage des textes diplomatiques, familiers et légaux et ceux des ouvrages politiques. Le premier groupe connaît et emploie également aux temps que nous venons de mentionner les deux désinences en iens et en ieines ; le second groupe ne fait jamais usage de la désinence dont nous parlons maintenant. La raison de ce fait assez singulier n'est pas très apparente ; on serait tenté d'en conclure que les textes politiques ont subi plus fortement l'influence bourguignonne; mais d'abord la désinence en ictnes n'est pas incon- nue au bourguignon; ensuite ce serait, à notre connaissance, le seul fait montrant pour ces textes la prédominance de l'influence bourguignonne.

84e l'évolution du verbe ek anglo-français

Nous pouvons peut-être attribuer encore à l'influence du wallon certaines premières personnes du pluriel qui ont déjà attiré notre attention dans notre première partie. Nous avons vu dans les Traités de Rymer, sous la date de 1282 et de 1300, les deux formes poyins et reconessoyns \ dans les Mem. Pari. 1305, pussoyns\ dans les Royal Letters, sous la date de 1267 et employée deux fois, la forme enveoins. Le sens de ces cinq premières personnes nous semblait celui de l'imparfait de l'indicatif, s^lwî pussoyns qui est évidemment un subjonctif; mais il est fort possible que ce soit des prétérits, et dans ce cas, nous aurions ici des prétérits en ins qui sont caracté- ristiques du wallon. M. Wilmotte en parle et cite des exemples de cette forme au § 49 de son Etude du français de la région de Liège (Romania XVII) et Pasquet (Romania XV, p. 133) donne des détails sur cette désinence dans les Dialogues Grégoire; il cite atendins, poins, departins, disins.

Les formes anglo-françaises que nous venons de citer sont sensi- blement différentes de tous les exemples wallons que nous avons vus ; sauf une seule, poyins, elles conservent Yo qui caractérise ordi- nairement en français les premières personnes du pluriel mascu- lines. Mais la forme même de la désinence wallonne est assez extra- ordinaire pour qu'on puisse comprendre que les écrivains ou les scribes anglo-français ne l'aient pas reproduite très exactement et il est probable que les quelques formes que nous avons relevées sont une contamination entre la forme française de l'imparfait de l'in- dicatif et la désinence en ins des prétérits wallons. Quoique le nombre de ces désinences soit minime, leur existence dans trois de nos textes est une excellente preuve de l'influence que le wallon a exercée sur l'anglo-français.

Cette influence se trahit aussi dans certaines désinences de la deuxième personne du pluriel; nous avons vu que les désinences régulières en ei:^ à cette personne disparaissent entièrement avant la fin du XII' siècle et que de nouvelles formes, présentant la même désinence, se retrouvent assez subitement au XIV^ Nous avons alors admis qu'entre ces deux désinences de même forme, il n'y avait qu'un rapport accidentel de ressemblance. Ces dernières, en efi^et, ne proviennent pas du latin ^/w; elles sont assez générales et se ren- contrent aussi bien dans les œuvres littéraires que dans les textes politiques et diplomatiques. Le scribe du manuscrit O du poème

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 847

de Boeve de Haumtone écrit frets (futur de faire); celui du poème d'Aspremont a aei^^ ; dans l'Apocalypse, nous avons relevé escrifey, enfin la Chronique de Pierre de Langtoft nous a fourni encore quelques exemples. Les mêmes formes se rencontrent à la même date dans les recueils non littéraires ; en particulier, les Traités de Rymer nous ont donné des secondes personnes du pluriel en «';( en 1279 et en 1299 {sachei^, aveyt, voylleyi). On s'explique assez diffi- cilement ces formes; on peut les considérer comme une graphie inexacte et un peu plus compliquée que la graphie normale, et on ne peut pas se dissimuler que les Anglo-Français ont eu un faible pour les graphies de ce genre. Mais ces formes sont trop anciennes pour que cette explication soit entièrement satisfaisante; la compli- cation des graphies a surtout fleuri pendant la seconde moitié du xiV^ siècle. Il nous semble plus naturel et plus sûr d'admettre que l'influence wallonne, qui ne peut pas faire de doute, s'est exercée ici comme dans un grand nombre d'autres cas. Et en effet les dési- nences en ei:^ sont communes dans ce dialecte, comme on l'a mon- tré bien souvent; on peut voir ce que M. Wilmotte dit du passage de ^ à ei, mais on pourra consulter en particulier les Sermons Lié- geois du xiii^ siècle qui donnent un nombre considérable d'exemples de formes absolument analogues à celles que nous avons relevées dans nos textes.

En résumé, le wallon a donné comme désinences personnelles à l'anglo-français, à la première personne du pluriel, les désinences en iemes, cimes, probablement aussi les désinences du prétérit en ins pour cette même personne ; à la seconde personne du plu- riel, les formes en ei^ de la fin du xiii^ et du xiv= siècle en anglo- français sont dues à la même influence.

Nous n'avons que deux ou trois faits à apporter en ce qui con- cerne les modes, et ils n'ont pas une très grande importance. Nous trouvons à l'indicatif la forme de l'infinitif dans pleimiciit, pleimioicnt, preruioit; l'on sait que cette influence de l'infinitif sur le mode indi- catif est particulière à la Belgique, comme on peut le voir dans les Dialogues Grégoire, dans l'étude de Risop, Zeitschrift VII, 57-62, et dans la Grammaire de Meyer-Lùbke, II, p. 219, § 154. Les quelques exemples que nous venons de citer se trouvent tous les trois dans le poème du Prince Noir du Héraut de Chandos, et nous n'en avons pas découvert d'autre. C'est du reste un des très rares cas l'in-

848 l'évolution du verbe en anglo-français

fluence du wallon, sur le verbe au moins, ne se manifeste que dans ce poème.

A l'infinitif, nous avons encore une marque assez claire que les formes du verbe en wallon ont agi sur les formes correspondantes en anglo-français. M. Wilmotte (Romania XVII, 13) montre qu'en wallon la diphtongue oi passe quelquefois à oe, et il cite entre autres exemples : avoer, valoer, pouuoer ; cette graphie avait proba- blement sa raison d'être dans ce dialecte et indiquait une pronon- ciation particulière de la diphtongue. Que cette raison existât dans l'anglo-français du xiv^ siècle, c'est, à dire le moins, fort douteux, et cependant nous rencontrons plusieurs exemples de cette graphie, surtout dans les Traités de Rymer : avoer se lit à différentes reprises (13 10, 1324), de même qu avoier, qui doit provenir de la forme précédente (1331, 1380, Year Books) ; cette forme a même exister ou être connue, d'une façon ou d'une autre, plus tôt que le xiV siècle en anglo-français ; nous en trouvons une présomption, sinon une preuve, dans la deuxième personne du pluriel devoei qu'on lit dans les Rymer's Foedera à la date de 1297 et qui ne peut pro- venir que de l'infinitif devoer mal compris.

Telles sont les observations que nous suggère l'étude des modes. Nous aurions pu parler ici des infinitifs en ier qui nous ont occupé précédemment quand nous avons tenté de montrer l'influence que la phonétique wallonne a exercée sur le verbe anglo-français. Notre distinction pourra sembler artificielle ; nous avons simplement voulu distinguer les questions générales, comme celles du rétablis- sement de la diphtongue ie, dont on retrouve des traces ailleurs que dans le verbe, d'une question qui, comme celle des infinitifs en oer, est spéciale à la conjugaison.

Les temps vont maintenant nous fournir la matière de plusieurs remarques, dont quelques-unes, croyons-nous, ont une grande importance.

Le premier temps qui nous arrêtera est le prétérit en avi, en même temps que l'imparfait du subjonctif qui lui correspond.

On sait qu'en wallon et aussi, quoique à un moindre degré, en picard. Va devant une consonne passe à au; M. Wilmotte en a observé des traces dans le dialecte de Liège (Romania XVII, 3), et dans celui de la région au sud de Liège (Romania XVIII, 3), pendant les dernières années du xiii^ siècle. Nous retrouvons le

LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 8.|9

même phénomène en anglo-français, à peu près à la même époque. Au prétérit, au ne se rencontre que devant une consonne nasale ; à l'imparfait du subjonctif, on le trouve aussi devant s ; rappelons les exemples que nous avons cités : greaitrnes, consllaitst. Il serait aven- turé de dire qu'il y a eu ici influence ; aussi nous nous contentons de marquer le rapprochement.

Les prétérits en ///, les imparfaits du subjonctif qui leur corres- pondent, les participes en //• nous donnent des preuves certaines de l'influence du wallon et surtout du picard sur le verbe anglo- français." Nous nous sommes évidemment servi pour cette partie de notre étude de l'article admirable de M. H. Suchier sur ce point dans la Zeitschrift (II, p. 270).

Dans ce travail, l'auteur montre que pour les prétérits en ni, les désinences en m et en eu, à la troisième personne du singulier et du pluriel pour la première, la seconde et la troisième classe, sont essentiellement picardes et wallonnes. De son côté, M. Wilmotte, dans ses articles de Romania que nous avons tellement mis à con- tribution (Romania XIX, in fin.), montre que dans la région de Liège la désinence en /// est très commune pour les prétérits en ///'.

Si nous recherchons si l'anglo-français sur ce point se rapproche encore de ces deux dialectes, nous trouvons un nombre assez consi- dérable de formes qui doivent retenir notre attention. Nous avons vu que les prétérits en ui de la première classe prennent très fré- quemment a la troisième personne du singulier et à la troisième personne du pluriel, une des trois formes eu, ui, ieu. De ces trois formes, la première ne peut guère provenir des formes correspon- dantes que nous rencontrons dans les dialectes du Nord de la France; la seconde peut, au contraire, avoir cette origine, au lieu d'être, comme on le croit ordinairement, un cas de umgekehrte Sclireibung. Quant à la troisième, elle provient certainement des prétérits en ui de la première classe du picard ou du wallon. Remar- quons que les premières formes en ///, comme uit et uirent du manu- scrit O de Horn, puit du manuscrit O de Boeve de Haumtone, plurent au scribe du Saint Edmund, datent toutes de la fin du xiii^ ou du commencement du xiv^ siècle. C'est aux mêmes dates qu'il nous faut rapporter les formes en eiii qui deviennent très fré- quentes dans .l'anglo-français du xiv-' siècle ; nous croyons que la première de ces formes se trouve dans le manuscrit de la Chronique

850 l'évolution du VKRBH liN ANGLO-FRANÇAIS

de Jordan Fantosme : 5«'t7//, ce qui la mettrait au commencement du quatrième quart du xiii^ siècle ; nous en avons cité un certain nombre d'autres exemples que nous avons rencontrés dans les Contes de Nicole Bozon (jienst^, dans la Chronique de Nicolas Trivet {pieiit'), dans le Poème du Prince Noir Çscieut). Nous ne pouvons pas voir comment on pourrait expliquer ces formes sans faire intervenir les dialectes du Nord et du Nord-Ouest de la France. L'évolution phonique de l'anglo-frànçais ne pourrait rendre compte de la formation de la diphtongue eiii qui a disparu très tôt de la langue littéraire; et il est impossible d'invoquer ici l'umgekehrte Schreibung, ou les graphies qui sont si souvent des explications d'un emploi si facile.

L'anglo-français a connu aussi pour les autres classes des prétérits en ui les désinences en eu pour les deux troisièmes personnes. Dans ce cas-ci cependant, nous ne parlerons pas d'influence; en effet, nous trouvons ces désinences en eu à une date très reculée en anglo- français et à un moment toute trace d'influence continentale est entièrement absente. Les premiers cas de formes de ce genre se trouvent en eff"et dans les Psautiers ; pour la seconde et la première classe (pleut, scribe des Légendes de Marie ; geui, Chronique de Londres, 1262 ; beui, Nicolas Trivet), l'influence du wallon n'est pas plus vraisemblable, les formes en eu, communes à la troisième classe, se sont très naturellement généralisées aux autres.

On pourrait tout au plus admettre que ces formes sont devenues assez communes en anglo-français sous l'influence des dialectes picard et Vv'allon ; nous dirons la même chose des imparfaits du sub- jonctif en uisse. Il se peut que ces imparfaits du subjonctif ne soient pas proprement anglo-français et que des formes comme reciuissent, duissent, qui sont communes dans la langue du xiv*" siècle et se trouvent ainsi dans la plupart des ouvrages non littéraires, aient été modelées sur les formes correspondantes du wallon elles sont particulièrement nombreuses. Jusqu'ici, on s'est servi de l'umgekehrte Schreibung pour expliquer la formation des désinences de ce genre , et nous avouerons que cette explication commode ne nous satisfait pas entièrement. Mais pour montrer avec quelque vraisemblance que, dans le cas actuel, l'origine de la désinence est continentale, il faudrait des preuves plus fortes que celles que nous avons. En par- ticulier, il faudrait voir si dans la phonétique générale de l'anglo-

LES IKFLL'ENCES KXTÉRIELKES 8)1

français, on ne trouve pas ce passage de k à ///', cette unigekehrte Schreibung hypothétique, seulement dans les cas le wallon et le picard montrent eux-mêmes ce passage. Nous n'avons pas pu le faire et cette question ne saurait entrer dans une étude du verbe. Aussi nous considérerons simplement comme possible que les imparfaits du subjonctif en ///55^ qui se rencontrent assez communément dans la langue française d'Angleterre au xiv siècle, aient une origine picarde ou wallonne.

Ce point aurait cependant une grande importance pour notre thèse ; car les prétérits et imparfaits du subjonctif en /// ont une forme qui caractérise bien les dialectes du Nord et du Nord-Ouest de la France, comme l'a si bien montré M. Suchier dans l'article que nous avons cité et mis à contribution. Nous ne sommes assuré de l'origine continentale, pour les formes que nous avons citées jus- qu'ici, que des prétérits en ieii et nous avons quelques présomptions que les prétérits en ni et les imparfaits du subjonctif en iiissc ont la même origine. Nous pouvons aussi établir avec quelque certitude un autre point.

C'est principalement au participe passé que nous pouvons obser- ver le mieux cette influence des dialectes que nous avons men- tionnés. Et pour les participes passés en /// en picard, on pourra voir, en plus de l'article de M. Suchier dans la Zeitschritt, les obser- vations que fait sur ce sujet Tobler dans son Introduction du Dis dou vrai Aniel (pp. xxvij et xxviij). Nous trouvons dans l'anglo- français, tant littéraire que politique, deux formes de ces participes passés qui remontent sans aucun doute au picard et au wallon. La désinence en eu se rencontre dès la fin du xiii^ siècle, par exemple dans les Statutes à la date de 1285 {a restcii), ou dans les Lettres de Jean de Peckham en 1284 {perdeii), et elle est souvent employée pendant tout le siècle suivant ; dans les œuvres littéraires de ce siècle, nous en trouvons de nombreux exemples, comme rcspomicu dans les Contes de Nicole Bozon ; en dehors de la littérature on trouve dans les Actes du Parlement d'Hcosse •.atcii, /iV/Jc// ; dans les Mem. Pari. 1305 : teneii.

La désinence picarde en lu ne se rencontre pas, à notre connais- sance, au XIII'-" siècle en anglo-français, mais elle n'est pas rare pen- dant le xiV^; les Mem. Pari. 1305 ont leiciii ; elle se combine sou- vent avec la désinence précédente sous la forme icii. et des trois ter-

8)2 l'évolution du verbe en anglo-fraK^çais

minaisons, c'est cette dernière qui est hi plus employée. Les Contes de Nicole Bozon, les Chroniques de Nicolas Trivet, parmi les œuvres littéraires de cette période, nous ont fourni plusieurs parti- cipes où cette désinence se trouve, comme pieu, dccieu, rescieii et quelques autres. En dehors de la littérature, nous avons encore ren- contré cette forme dans les Statutes à partir de 1 3 30 ; dans les Rymer's Foedera elle se trouve à la même date ; enfin la forme qui, dans cette catégorie de textes, nous semble devoir être la plus ancienne, se lit dans Thomas Walsingham : eslicti qu'on trouve à la date de 1310.

Ici encore l'influence du Nord de la France ne nous semble pas du tout douteuse. Les formes en eu, à vrai dire, auraient pu se produire sans intervention étrangère, par généralisation de Ve, après synérèse faite dans des participes passés de la forme en ; mais les autres sont certainement d'importation étrangère.

Par conséquent, nous arrivons sur ce point important à quelques résultats qui nous semblent assurés. Deux terminaisons qui se trouvent dans l'anglo-français du xiv^ siècle, sont d'origine picarde ou wallonne : la terminaison en ieii des prétérits, la terminaison en iii et probablement aussi la terminaison en ieii des participes passés.

Sur les autres points, nous n'avons guère que des présomptions ; mais si nous devons choisir entre la théorie généralement exposée de l'umgekehrte Schreibung et celle de l'influence continentale, nous n'hésiterons pas à choisir la seconde.

Il nous reste encore à énumérer quelques autres points l'in- fluence du wallon et du picard peut se déceler; leur importance est minime et nous avouerons volontiers que l'on peut hésiter beau- coup à les considérer comme probants.

Le wallon et tous les dialectes du Nord de la France n'ont pas montré beaucoup de faveur aux désinences régulières de la troisième personne du pluriel des prétérits en si ; ils ont substitué aux formes en sireitl une forme analogique empruntée aux prétérits en iii : irent. L'anglo-français, pendant les deux premiers siècles de son histoire, a conservé très régulièrement les désinences caractéristiques de cette personne, et nous avons vu qu'il les étendait quelquefois, même au xiv^, aux prétérits qui ne l'ont pas régulièrement. Et cependant, à partir de la fin du xiii'^ siècle, nous rencontrons assez souvent des formes analogiques en irent, par exemple dans le

Les influences extérieures M 5 3

poème du Prince Noir et dans les textes non littéraires. Évidem- ment, l'analogie a pu exercer la même influence d'une façon abso- lument indépendante dans les dialectes du Nord et en anglo-fran çais ; il se peut aussi que ceux-là aient agi sur celui-ci.

Si après les prétérits et les imparfaits du subjonctif nous passons aux futurs et aux conditionnels, nous pourrons marquer quelques rapports qui sont assez significatifs. Nous ne pouvons pas établir sur ces points que les formes anglo-françaises sont dues aux formes correspondantes du wallon ou du picard, mais les ressemblances qui existent entre ces deux groupes de dialectes pourront soit expli- quer l'extension en anglo-français des formes analogues, soit rendre plus vraisemblable l'action générale de ceux-ci sur le premier.

Le wallon présente au futur les deux traits qui caractérisent ce temps en anglo-français. Les futurs de I s'abrègent par la perte de la syllabe muette protonique ; les futurs de III s'allongent par l'addition d'un e atone avant 1'/'. Nous nous sommes suffisamment arrêté sur ces deux points lorsque nous avons étudié ce temps pour que nous ne revenions pas là-dessus ; nous pouvons simple- ment rappeler qu'ils sont présents dès le commencement de la seconde moitié du xu'^ siècle, quoique, à cette époque, 1'^ atone épen- thétique des verbes de III ne soit que très rarement syllabique ; par conséquent, nous ne pouvons pas admettre à cette date reculée une influence wallonne et nous ne pouvons voir dans la ressemblance des futurs qu'une coïncidence. Mais ce qui nous semble plus impor- tant, c'est le fait que Ve épenthétique que nous avons étudié ne devient fréquemment syllabique en anglo-français que vers ou après 1250, c'est-à-dire au moment même sur diflerents points l'in- fluence wallonne se fait sentir d'une façon indiscutable. Nous n'in- sisterons pas sur ce rapprochement qui nous semble avoir cependant quelque signification; mais nous retiendrons le tait qu'en anglo- français, comme en wallon, le futur tendait à prendre les mêmes formes. (Cf. M. Wilmotte, Études de dialectologie wallonne, Rema- nia XVIII, n" 39/;/^ ; c'est à tort, croyons-nous, que l'auteur voit dans les formes meterat, riverai une assimilation à la première con- jugaison; c'est dans la phonétique et non dans la morphologie qu'il faut chercher l'origine de cet e épenthétique.)

Dans la revue rapide des formes qui précède, nous avons avant tout essayé d'être aussi complets que possible, et il s'ensuit peut-être

8)4 i;hvolution du verbe en anglo-iraxçais

que les quelques faits essentiels de cette étude se trouvent en quelque sorte noyés dans les détails. Nous devions cependant le faire méthodiquement et il nous reste maintenant à mettre en lumière et dans leur ordre d'importance les principaux points qui montrent les différentes influences qui se sont exercées sur l'anglo- français à partir du quatrième quart du xiii*^ siècle.

Nous suivrons maintenant l'ordre inverse de celui que nous avons adopté jusqu'ici et nous commencerons par l'influence qu'ont exercée sur l'anglo-français les dialectes du Nord et du Nord-Ouest de la France. Nous ramènerons à six les faits les plus importants qui nous montrent cette action. Nous n'essaierons pas d'établir entre ces foits un ordre chronologique. Comme nous l'avons vu et comme nous le prouvera plus clairement ce qui suit, la plupart de ces faits sont contemporains ; il n'existe tout au plus entre eux qu'un intervalle d'une décade ou deux, et nous ne pouvons jamais être assurés que Tordre dans lequel nous avons trouvé nos exemples reproduise exactement Tordre dans lequel les faits se sont produits .

Le wallon et le picard ont donné à Tanglo-français :

Les désinences en ieiiies et en iiis de la première personne du pluriel qui se rencontrent toutes les deux pour la première fois vers 1280 ;

La désinence en ei^ de la deuxième personne du pluriel qu'on trouve à la fin du xiii'^ et au xiv^ siècle ;

La désinence en eu. et en eiii des prétérits en /// ; les dési- nences en eu, iu, ieu des participes passés ; ces difl^érentes terminai- sons se rencontrent vers la fin du xni'^ ou au commencement du xiv^ siècle ;

La désinence en oer des infinitifs de la troisième conjugaison dont le premier exemple ne remonte qu'à 13 10, quoique nous ayons des raisons de croire que cette forme date de la fin du xiii'^ siècle ;

C'est sous Tinfluence de ces dialectes que la voyelle e en anglo-français passe à la diphtongue ic au xiv^ siècle ;

De plus, sous la même influence, la voyelle / prend la même forme à la fin du xiir' siècle.

Ces six points importants sufiiraieni à prouver Tinfluence des dialectes du Nord et du Nord-Ouest de la France sur le français

LES IXFLUENCKS liXTHRIPX'RF.S <> ) )

d'Angleterre. Ajoutons-v trois autres points moins importants ou plus douteux :

Le passage de la voyelle e ouvert à ac et peut-être à ea ; Le passage de a à an ;

La forme en /// des prétérits en /// de la première classe et des imparfaits du subjonctif;

et quatre autres fiiits qui peuvent n'être que des coïncidences :

La chute de la muette posttonique;

La simplification de rr en r ;

La confusion entre s et - ;

4^ La confusion des lettres mouillées.

Il faudrait ajouter à ces fiiits, si on ne croit pas à l'influence du bourguignon, les deux points que nous avons mentionnés à ce sujet :

1" Les infinitifs de III en ()/• ;

2" Le passage à la diphtongue oi de Vi en hiatus.

Ce serait encore aux mêmes dialectes qu'on devrait, dans ce même cas, attribuer les formes que nous avons attribuées à l'action commune des dialectes du Nord et de l'Est :

Les désinences en ieiis de la première personne du pluriel, désinences qui se montrent vers 1275 ;

2" Les désinences des troisièmes personnes du prétérit des verbes de la première conjugaison en arnit ;

Les imparfaits du subjonctif de cette même conjugaison en

aisse ;

4" Les désinences de la troisième personne du singulier, de la troisième personne du pluriel, du participe pas.sé en ie, au début du xiv= siècle ;

Le passage à ai de la diphtongue i'/, à la un du xin" siècle.

Les influences du Nord et du Nord-Ouest sont donc bien établies, celle de l'Est est moins sûre. Remarquons que toutes les formes qui rentrent dans une des catégories ci-dessus remontent à peu près à la même date, comprise entre 1275 et i^>io.

856 l'évolution du vhrbe en ANGLO-1-KANÇAIS

Un certain nombre d'autres formes sont aussi d'origine continen- tale, mais auraient pu provenir de n'importe quel dialecte français :

I" Rétablissement de Vs final aux premières personnes du pluriel à terminaison masculine, après 1250;

Rétablissement de la diphtongue ie dans les terminaisons elle est étymologique vers 1275 ou 1280;

Rétablissement des terminaisons en -oir pour les infinitifs de III, à la fin du xiii'^ siècle ;

Rétablissement de Ve muet étymologique posttonique après la diphtongue ci, à peu près à la même époque ;

5" Peut-être encore rétablissement des désinences en ions.

Nous n'attribuons à aucun dialecte en particulier l'action qui a conduit au rétablissement des formes ci-dessus ; mais maintenant que nous avons pu déterminer l'action si profonde qui a été exer- cée par le dialecte wallon, et puisque nous n'avons découvert aucune trace de l'influence d'un autre dialecte l'exception du bourgui- gnon), il est plus que probable que ces dernières formes, qui com- mencent à apparaître en anglo-français, vers ou après 1250, ont la même origine que celles que nous avons énumérées tout d'abord . C'est par conséquent le wallon et le picard, aidés peut-être par le bourguignon, qui ont rétabli dans le verbe, en partie du moins, un nombre considérable de formes régulières et de formes qui sont étrangères à l'anglo-français.

Il nous reste encore deux remarques assez importantes à faire : d'abord, comme on a pu le voir, les textes anglo-français qui n'ap- partiennent pas à la littérature montrent mieux que les autres l'in- fluence continentale; il n'est pas facile d'en découvrir la raison. Celle qui se présente le plus naturellement à l'esprit et qui a quelques chances d'être vrai est que les œuvres littéraires du xiv^ siècle, ayant derrière elles une tradition déjà ancienne, pou- vaient se soustraire plus aisément aux influences extérieures ; les formes qui ne s'éloignaient pas trop de celles de la langue de leurs prédécesseurs immédiats pouvaient être admises sans trop de diffi- culté : par exemple, les terminaisons en ier, les infinitifs en oir ; celles qui étaient d'une façon trop évidente des nouveautés, comme les désinences de la première personne du pluriel tn iens ou les infinitifs en or, devaient rencontrer plus de résistance. De plus, la

LES INFLUENCES EXTERIEURES 857

période littéraire s'arrête très peu de temps après que l'influence continentale a commencé à se faire sentir; si nous exceptons le poème du Prince Noir, qui montre, comme l'a démontré Miss M. K. Pope, un nombre considérable de formes wallonnes, notre dernier ouvrage littéraire dépasse à peine le commencement du second tiers du xiv^ siècle. A cette époque, on conçoit très bien que les influences dont nous avons tenté de déterminer l'action n'aient pas encore eu sur les œuvres littéraires leur plein efl"et; et l'on pourrait, pour mesurer de quelle façon les formes étrangères se sont implantées dans l'anglo-français littéraire, comparer la langue de Nicolas Trivet (1334) à celle du Héraut de Chandos (1385).

Il V a peut-être encore des raisons plus convaincantes. Il se peut, et nous le croyons, que ce soit par le canal de l'anglo-français poli- tique que l'influence wallonne s'est introduite en anglo-français; il a y avoir, à l'origine de cette influence littéraire, des faits d'ordre politique qui expliquent l'importance subite que le wallon a prise dans le développement de l'anglo-français. Cette explication rendrait compte non seulement de l'action jouée par ce dialecte, mais aussi de ses limites. Quelle qu'en soit la cause, il nous paraît évident que le wallon a d'abord et surtout agi sur la langue non littéraire, puis sur les œuvres littéraires elles-mêmes.

Remarquons aussi que ces deux catégories d'ouvrages, fort mal- heureusement, ne coïncident, au point de vue de la durée, que sur un temps relativement très court. Les premiers textes politiques et diplomatiques ne remontent qu'au commencement du dernier quart du xiir siècle; la période littéraire finit vers 1330. Si nous avions des textes politiques antérieurs à 1275, ou plutôt antérieurs au moment l'influence wallonne a commencé à se faire sentir, nous aurions la possibilité de faire des rapprochements extrêmement inté- ressants et d'étudier de plus près comment les dialectes du Nord et du Nord-Ouest de la France ont agi sur l'anglo-français ; nous pour- rions observer exactement sur quels points ils ont d'abord imposé leurs propres formes.

Évidemment, de tels regrets sont stériles. Dans un autre ouvrage, on pourra voir comment s'est formée cette branche de la production anglo-française que nous avons appelée les textes non littéraires. Pour le moment, nous ne pouvons pas en dire davantage.

CHAPITRE I\' CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Nous avons à peu près terminé cette étude du verbe en anglo- français ; dans notre première partie, nous avons tenté de tracer l'évolution des formes qu'il a prises; dans notre seconde partie, nous avons groupé suivant leur origine le plus grand nombre de ces formes et dans notre dernier chapitre spécialement nous avons, crovons-nous, montré que vers la fin du xiii^ siècle les influences continentales ont exercé une action considérable sur les formes du verbe.

Il nous reste maintenant à jeter un coup d'œil sur le champ que nous avons parcouru et à donner quelques idées générales sur notre sujet.

Deux dates marquent, dans l'évolution de l'anglo-français, des points de repère extrêmement importants et divisent ainsi l'histoire de ce dialecte en trois périodes qui sont suffisamment marquées. Cette division est évidemment plus commode que rigoureuse ; mais elle représente quelque chose de réel. La première de ces dates est 1160, comme M. Suchier l'a bien vu avant nous. Avant 1160, Tanglo-trançais ne diffère que très peu des dialectes de l'Ouest de la France ; dans bien des cas la distinction, surtout au point de vue de la conjugaison, est très délicate, quelquefois impossible. Ce sont quelques difterences phoniques et des différences de vocabulaire qui permettent de distinguer la langue des auteurs anglo-français de celle de certains auteurs continentaux. C'est la première période de l'anglo-français.

La seconde est marquée par un certain nombre de changements qui sont spéciaux à l'anglo-français : la phonétique évolue assez rapidement et les changements phoniques laissent des traces pro- fondes sur la conjugaison du verbe ; les formes analogiques se mul-

CO\CLl"SR)XS GH\HK.\I.i:s 859

tiplient; la conjugaison dans un sens se simplifie et dans l'autre se complique. 11 taut surtout remarquer dans cette période femploi simultané de formes d'âges très différents, formes archaïques, formes qui ont phoniquement évolué, formes analogiques ; er aussi l'importance de ce que nous avons appelé le coefficient personnel : deux auteurs vivant à la même époque peuvent employer deux langues profondément différentes. C'est pour cette raison que nous avons renoncé à essayer de f;iire une distinction entre l'anglo-fran- çais du Nord et celui du Sud de l'Angleterre. En théorie, cette dis- tinction ne manque pas de justesse; en pratique, pour le vtrbe tout au moins, elle est impossible à observer.

Cette période finit quelque temps après le milieu du xin' siècle. Vers ou après 1250, plus tard pour les œuvres littéraires, un nou- veau facteur entre en jeu : l'influence que nous résumerons sous le nom d'influence wallonne. Cette influence complique quelque peu l'histoire de la conjugaison. Sur certains points, le verbe continue son évolution plus ou moins régulière : le développement phonique modifie toujours la forme du verbe, l'analogie crée toujours de nou- velles formes, les auteurs et les scribes montrent un goût de plus en plus vif pour les graphies compliquées ; les grammairiens inventent des règles de fantaisie qui sont plus ou moins bien obser- vées. Mais sur d'autres points, et subitement, sous l'influence wal- lonne, Tanglo-français arrête son évolution normale, il revient à ces formes qui avaient disparu depuis un siècle ou plus déjà, ou adopte des formes qui n'avaient jamais existé auparavant en anglo- français. II 10, iiéo, 1250, voilà les dates cardinales de l'anglo- français.

C'est en effet après 1160 que nous trouvons à la première per- sonne du singulier, à la troisième personne du singulier de l'indi- catif et du subjonctif et dans quelques autres cas les premiers c ana- logiques ou épithétiques et la chute de Vc étymologique ; à la première personne du singulier les premières s irrégulières, c'est peu de temps après cette date que nous observons la contusion de l'.v finale et du ~, l'amuissement de Vs appuyée; c'est alors que !'<• post- tonique qui suit la diphtongue ei tombe; la dentale finale perd la valeur de spirante douce qu'elle avait encore vers 11 45 (Hstorie des Engleis), pour disparaître complètement ou pour ne rester que sous la forme d'une dentale de liaison ; c'est encore à cette époque que

86o l'évolution du verbe en anglo-fkançais

la deuxième personne du pluriel nous montre dans ses désinences masculines i, s ou t; c'est entre cette date et la fin du xii'^ siècle que nous relevons les premiers exemples des infinitifs de III affectés de la terminaison en cr ; que les désinences en ir de l'infinitif ou du prétérit passent à la forme en er ; que les premières synérèses s'ef- fectuent à tous les temps qui présentent l'hiatus et que les futurs des deux dernières conjugaisons nous montrent les premiers e svara- bhaktiques. Voilà en quelques mots le tableau des changements qui commencent à cette période.

Après II 60, les changements que nous venons d'énumérer conti- nuent à se produire, et ils font dans certains cas des progrès assez irréguUers, mais considérables. Pendant cette seconde période, nous voyons se montrer les caractères principaux de l'anglo-français : le passage de la diphtongue ai à ei, l'addition à'e muets irréguliers, et la chute des e muets étymologiques ; les graphies par aun, oiin des voyelles nasales a et 0; les troisièmes personnes du pluriel sans dentale ; les présents de l'indicatif et les impératifs en ^e ; les infi- nitifs en cr pour la seconde et la troisième conjugaison.

Après 1250 et jusqu'à la fin de la période Httéraire, nous aperce- vons distinctement dans la conjugaison du verbe deux mouvements très nets. Le premier montre la continuation de l'évolution qui a commencé en iiéo et s'est poursuivie pendant tout le xiii'' siècle. C'est à ce mouvement que nous devons la chute d'une syllabe muette dans les désinences féminines, la double consonne /;^ dans les dési- nences régulièrement terminées par ^ ou par t ; la généralisation des consonnes mouillées à l'indicatif, à l'impératif, au participe, pour ne citer que les faits principaux.

Le second mouvement est constitué par l'influence étrangère, particulièrement l'influence du wallon ; nous ne répéterons pas ce que nous avons dit là- dessus dans nos derniers chapitres : rappe- lons seulement la réapparition des désinences en ie, des infinitifs en oir, des muettes posttoniques après la diphtongue ei, de Vs aux premières personnes du pluriel à désinence masculine ; l'introduction des nouvelles désinences en iens, ienies, ei:(, or, arent, aisse, iii, etc.

Ce double mouvement donne sa physionomie propre à l'anglo- français du xiV' siècle et le rend fort différent de celui de la période précédente; il est vrai que dans certains auteurs cette influence n'est pas très visible, au moins n'est pas aussi marquée que chez d'autres.

CONCLUSIOXS GÉN'ÉRALES 86 I

Cependant, nous rencontrons partout un ensemble de traits qui suffisent à caractériser et à dater la langue des écrivains de cette période.

Telle a été l'évolution du verbe en anglo-français; on a pu voir que cette évolution sur bien des points a précédé celle qu'il devait subir sur le continent ; sur d'autres, les formes qu'il a prises sont bien spéciales à l'anglo-français et ont trop souvent l'apparence de véritables barbarismes.

Nous n'ajouterons plus qu'un mot. Nous n'avons ici évidemment ni à approuver ni à condamner; mais nous pouvons nous demander si l'anglo-français du xiv° siècle est bien le langage corrompu, le jargon qu'on se représente ordinairement. verbe nous fournit la meil- leure pierre de touche, et nous pouvons voir que ce qui a modifié le plus profondément la forme du verbe, ce sont les modifications phoniques, les formes analogiques, les graphies. Les premières repré- sentent l'évolution normale du verbe dans les dialectes continentaux et elles ne sont pas, toute chose considérée, plus extraordinaires en anglo-français qu'en picard par exemple ; quant aux graphies, elles contribuent beaucoup à donner à l'anglo-français de la dernière période cette apparence bizarre ou barbare qu'on lui connaît ; mais des changements sans importance pourraient taire disparaître cette apparence. Si les éditeurs voulaient adopter pour les textes anglo- français du xiV^ siècle les habitudes françaises de la même époque, ce que nous n'avons pas l'intention de recommander, l'œil ne serait pas choqué par des formes qui semblent à première vue contraires au génie même de la langue française. Remarquons d'ailleurs que les textes anglais de cette époque présentent à ce point de vue une irrégularité beaucoup plus choquante que celles des textes français.

Restent les formes analogiques ; celles-là sont très souvent abso- lument barbares, comm.e on a pu s'en convaincre déjà ; mais ces formes analogiques ne sont pas encore extrêmement nombreuses et elles ne suffisent pas à faire condamner comme « jargon » tout l'anglo-français du xiv^ siècle. Bien plus, il faut faire pour toute la littérature anglo-française la part des scribes qui ont causé infiniment plus de mal qu'on ne s'imagine; si nos meilleurs textes français nous avaient été transmis par une tradition écrite analogue à celle qui nous a donné nos textes anglo-français, la barbarie n'aurait suère été moindre.

862 L'i:v(M.urioN du vkkbi-: i;n anclo-irançais

Entîn, il nous semble difficile de traiter de jargon une langue qui a laissé des monuments comme les Statutes, qui sont fréquem- ment des chefs-d'œuvre de précision et de clarté, des lettres qui sont souvent écrites d'un style facile, agréable, enjoué, et, ajoute- rons-nous, des discussions légales, subtiles en même temps que limpides.

Une langue qui peut montrer, même à l'occasion seulement, de telles qualités, n'est pas un jargon.

TABLE DES MATIERES

Introduction- Bibliographie

PREMIÈRE PARTIE : Les Formes. LIVRE PREMIER : Désinences personnelles.

CHAPITRE I. Première personne du singulier.

LV' atone.

Première conjugaison 5

Verbes de I proparox\'tons 24

Autres conjugaisons 26

L'i finale.

S étymologique 51

5 irrégulière 54

La palatale 59

Valeur de cette consonne 4 5

Autres temps.

Diphtongue -j- e atone 41

La voyelle atone 4 1

La diphtongue 54

Chute de la dernière syllabe muette 54

Premières personnes en ai 5 5

Le radical de la première peisonne du siiii^ulic-r 64

CHAPITRE II. Deuxième personne du singulier.

La consonne de la terminaison.

5et ^ W>

Chute de la consonne de la terminaison 7(-'

La voyelle atone 77

La voyelle tonique 7^

CHAPITRE m. Troisième personne du singulier.

La dentale caduque l'^o

8^4 l'évolution bu verbe en anglo-françaIs

La dentale appuyée 105

Désinences en 5/ 108

Désinences en /;/ 121

Chute de la voyelle et maintien de la dentale 125

Chute de la voyelle et de la dentale 1 26

Addition d'un e atone 136

Désinence ie 140

Graphies de l'atone finale 143

Troisièmes personnes en « 144

Le Thème.

La consonne finale 149

Allongement de la voyelle thématique 149

Simplification de la voyelle du thème 152

Pouvoir, estovoir, vouloir 153

CHAPITRE IV. Première personne du pluriel.

Terminaisons féminines.

Leur extension 158

La consonne finale 166

La voyelle atone 167

Chute de la voyelle atone 169

S parasite 171

La voyelle accentuée 172

Terminaisons masculines.

La vovelle nasale 177

La consonne finale , 181

Ions 191

lens 195

CHAPITRE V. Deuxième personne du pluriel.

Terminaisons féminines.

Leur extension 199

La consonne finale 201

La voyelle atone 202

Le premier 5 de la désinence 203

La voyelle accentuée 204

Terminaisons masculines.

La consonne finale 205

La voyelle 212

Redoublement de la voyelle 212

La diphtongue ei 213

Synérèse 213

Terminaison ei~ 213

Terminaison ie^ 218

TABLE DES MATIÈRES 865 CHAPITRE VI. Troisième personne du pluriel. "

Désinences masculines.

La voyelle nasale ^,^

Désinences masculines par déplacement de l'accent 2^4

Désinence accentuée ont ,,„

Les consonnes finales 238

Extension des formes fortes 2îq

Désinences féminines.

La consonne de la terminaison 2JO

La voyelle 241

Terminaison en e(a)ieiii.

La voyelle posttonique 2 .y

La diphtongue 274

S parasite _ ,-5

Le radical ,_^

LIVRE II : Les modes. CHAPITRE I. Le mode indicatii

'79

CHAPITRE IL Le subjoxctik.

Subjonctifs en em.

Première et deuxième personnes du singulier 28S

Troisième personne du singulier 295

Le radical à la troisième personne du singulier 297

S paragogique 304

Perte de la dentale sans addition d'un e atone 305

Développement d'un e atone ^06

Première et deuxième personnes du pluriel 516

Le radical des subjonctifs en ou 516

Subjonctifs en ce ou se de la première conjugaison 521)

Influence des subjonctifs en em. 522

Subjonctifs en am 525

Le radical ^24

Subjonctifs en iaiii.

La désinence à la première et à la seconde personne du pluriel ; 5 1

Le radical. î 3 ',

V'erbes à labiale \\,\

Verbes à dentale . . 559

Verbes à liquide ;40

Verbes à palatale ^46

Subjonctifs en ce des verbes de III ^48

Subjonctifs en ge ; ^ 1

Subjonctif du verbe être î )<•;

866 l'i-\'olutkjn du vhkbh ek anglo-ikançals

CHAPITRE 111. i;iMI>KR,VTIF.

Impératifs à forme de subjonctif 361

Première conjugaison.

Impératifs en <; 364

Chute de la voyelle atone 365

Chute de l'atone et addition de .\ 368

Impératif des 11^, Ille, IVc conjugaisons.

La dentale 370

Ler 571

L'-J 371

L'« 375

Le radical de l'impératif.

Influence de l'indicatif 374

Influence du subjonctif 374

CHAPITRE IV. L'infinitif.

Addition ou chute d'un t' atone 57S

Addition de s . . 582

Inlinitifs de I.

Les formes 382

Acquisitions des infinitifs en ri 590

Infinitifs de II 425

Acquisitions des infinitifs en //• 425

Infinitifs de III 432

-acquisitions des infinitifs en cir 434

Infinitifs de IV 437

Acquisitions des infinitifs en ;■<; 437

Le radical de l'infinitif.

VoN^elle svarabhaktique 44 1

Autres modifications du thème 444

CHAPITRE V. Les participes.

Participe présent.

Consonne finale 450

La voyelle nasale 4)2

Le radical du participe présent 455

Participe passé.

Participes passés faibles 460

La consonne finale 4t>o

La voyelle de la terminaison 465

Les acquisitions 477

Acquisitions des participes passés en e. ..... 477

Acquisitions des participes passés en / 4^^^

Acquisitions des participes passés en » 485

Le radical des participes faibles 49 ^

Participes passés forts 5^9

TABLE DES MATIÈRES 867

En siiin _ - j g

En tUlll r -52

En atuni -■, ,

J ■*H

En itiuii. ^2 -

En ut uni _ r 2 r

En ctiun r^r

En Ituni - -. -.

) ))

CHAPITRE VI. Les inchoatifs 535

LIVRE III : Les temps.

CHAPITRE I. Présent de l'indicatif 3^y

CHAPITRE II. Imparfait de l'indicatif 550

Imparfaits de la première conjugaison c cq

Imparfaits des deuxième, troisième et quatrième conjugaisons 565

CHAPITRE III. Prétérit 37j

Les prétérits faibles.

Prétérits en avi -y.

Les acquisitions. ^-é

Prétérits en /î'/ j3q

Les acquisitions ^oi

Prétérits en ui cgg

Les acquisitions ^29

Les prétérits forts.

Prétérits en i 631

Prétérits en 5/. . . (^-^n

Le thème 651

Acquisitions des prétérits en si 6j^

CHAPITRE IV. Imparfait du subjonctif.

Phénomènes généraux 657

Imparfaits du subjonctif correspondant à un prétérit en avi 662

ivi 665

_ _ ,i,,ii 666

iii 666

/■ 684

si 687

Extension des formes en it 694

CHAPITRE V. Futur et conditionnel.

Futur des verbes de l 701

Futur des verbes de II 711

Futur des verbes de lll et de IV 716

S68 L'l^:VOLU'riON du verbe en ANCiLO-l-RANÇAlS

Futur du verbe être 732

Futur du verbe faire 735

Le thème au futur 740

SECONDE PARTIE

CHAPITRE I. Les changements phoniq.ues dans le verbe 748

Première catégorie 749

Seconde et troisième catégories 757

CHAPITRE IL Formations analogiques 797

Phénomènes généraux d'analogie 797

Actions analogiques à l'intérieur d'un même verbe 803

Actions analogiques d'un verbe sur un autre verbe 810

CHAPITRE III. Les influences extérieures 818

Influence du latin 819

Influence des dialectes français 823

Influence des dialectes du Nord et de l'Est 828

Influence du bourguignon 836

Influence du wallon et du picard 839

CHAPITRE IV. Conclusions générales 858

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IV. Richard de Normandie dans les chansons de geste. Gormond et Isembard.

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DU MOYEN AGE publiés par Mario ROQUES

A.-L. TEKRACHER Professeur à l'Université de Liverpool

ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE LINGUISTIQUE

LES

AIRES MORPHOLOGIQUES

DANS LES

PARLERS POPULAIRES

DU

NORD-OUEST DE L'ANGOUMOIS (1800- 1900)

I vol . in-8 de xiv-248 pp . et 452 pp. à! Appendices 25 fr-

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I. IBKAl RI li ANCIENNE Iv3. CHAMPION, I-:DITEU1<, 5. QUAI MALAQUAIS

COHEN. Le Parler arabe des juifs d'Alger 25 fr.

ERNOUr. Les Éléments dialectaux du vocabulaire latin 7 fr. 50

FOULET (Lucien). Le Roman de Renard, lort volume in-8 de xni-574 pages.

13 !V. GRAMMONT (Maurice). Le vers français, ses moyens d'expression, son har- monie. 2= édition refondue et augmentée. 1915, in-8 de 310 p 12 fr.

MEILLE r. Les Dialectes indo-européens .' 4 fr, 50

Mélanges linguistiques offerts à M. F. de Saussure 10 fr. 50

MEUNIER (Jean-Marie). Étude morphologique sur les pronoms personnels dans les parlers actuels du Nivernais. InH», avec une carte 15 fr.

Atlas linguistique et tableaux des pronoms personnels du Nivernais. Supplément A 1 Étude morphologique sur les pronoms personnels dans les parlers actuels du Nivernais. In-fol. de 1 5 cartes et 1 5 tableaux. 25 fr.

Monographie phonétique du parler de Chaulgnes, canton de la Charité-sur- Loire (Nièvre). Avec i carte et. 21 planches hors texte (Figures réduites de 1/8). In-8.

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Index lexiGographique de tous les mots celtiques, grecs, latins, bourgui- gnons, chaulgnards. etc., contenus dans la Monographie du parler de Chaulgnes. In-8 10 fr.

Les 4 volumes ensemble 45 fr.

T^/rrie/f^/icî-nn \ Mélanges linguistiques. I . Latin vulcraire et lancines romanes. r'aJli>[\jablun). Romani-Romania. L'Appendix Probi. Version latine de l'Heptateuque. L'altération romane du C latin. La dissimilation consonan- tique dans les langues romanes. II. Langue française : Grammaire historique de la langue française. Histoire de la langue. Phonétique : O fermé. Français R = D.

La vie des mots. Les plus anciens mots d'emprunt. Dictionnaire de la langue française. La grammaire et l'orthographe. Les parlers de France. III. Notes étymologiques : Abrier, abri. Accoutrer, fatras. Andain. Avoir son olivier courant. Bascauda. Boute en courroie. Choisel. Dehé. Dîner. Faite.

Ficatum en roman . Guet-apens. A. Fr. laïs. Navrer. Nuptias. Poulie. Trouver. Vapidus « Fade » etc.. etc.. Appendice : De l'histoire de l'orthographe française. Index des auteurs et des textes cités. Index des mots. (Ces index forment ^0 pages, ce chiffre donne un aperçu de Viniportance de Vouvrage et des matières étudiées.) 1906-1909, in-8, 800 pages 25 fr.

RAYNAUD (Gaston) et LEMAITRE (Henri). Le Roman de Renart le Contrefait- Deux volumes in-8 Jésus. T. I, xxii-571 pages, deux colonnes et une planche. T. II, ^61 pages à deux colonnes. F'nsemble 25 fr.

SAINÉAN (L.). Les sources de l'argot français. T. I. Des origines A la fin du XV llle^ siècle. T. II -.Le XIX^ siècle (iSoo-iS')0). In-8 écu (t. I, xvi-426 p. ; II, 470 p.). Les deux volumes ensemble. Prix 15 fr.

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Tanquerey, Frëd^ric Joseph L'évolution du verbe en Anglo-français

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