Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/manueldagricultu00lasa M A. N° U Æ L D'AGRICULTURE. oc le point Le Chance € N MANUEL D’AGRICULTURE POUR LE LABOUREUR, POUR LE PROPRIÉTAIRE, ET POUR LE GOUVERNEMENT: . CONTENANT Les vrais &feuls moyens de faire profpérer l'Agriculture ,tanten France que dans tous les autres Etats où l’on cultive ; APUE,)C La Réfutation de la Nouvelle Méthode de M. Thull, Par M. DE LA SALLE DE L'ÉTANG, Seigneur de Muyr, Tinqueux, &c. ancien Député de la Ville de Kheïms à Paris. AT P'A RES, Lotrin l’Aîné, Libraire & Imprimeur, Chez 9 rue S:. Jacques , au Coq. DESSAIN Junior , Libraire , Quai des Auguftins , à la Bonne-Foi. AREA IP ELEC PRES TIR EX PRRRIPTE VUE CS ; MD'C\C.L XI. Y. Avec Approbation, & Privilegs du Roi. à Ne. FAT Ne Di 1 * ft op ein! 2 ipre 20 LEA ; ) Anne à où A, ANUICIE 1 ru ALTO La or n EC snmEnetons, de ‘shr At, rs un" us doll so het avr vu! 2e 4 1 :9 “- CRETE AT | FRE à CU , SSI 2 À #: usé ist eut 1100 Hd Vars au Va 13 A 2) Me oc 2. Th PA@GUBNTI: ST AITAL 21 dd ; À EST EUX UStitie 0% *, SUSME L TUE) # ou 146 Y sisi fu gb sh RÈ : Ne La as a RAT L'AUR : . | : & wi. L] : ' re ; #1 Se di nn. rs CELÀ D. …_ 205 ” }, 5: ui : Lo ñ ‘4 7 » m\ \ NE : #7 ; Le "rt e RE patrons ! PIARR > 0 ;, NT Ve 2: # à RAR GES .Ww + DALAOS 0 0 Q e VV. % SR OH AMOR RACE A AO KE 3 CHR PT Ut 4ù #8 XLR À 4 + 3 EORAAEEFERÉESESENAES EEE 2 Le ns NS NE NEA; EN Se NA NN IDÉE SOMMAIRE :. DECE MANUEL D'AGRICULTURE: C N fe:propofe dans cet Ou- vrage de faire connoitre les vrais moyens, 8: même les feuls qu'on puifle mettré en œuvre “pour parvenir a. rendre, dans toute l’éténdue de notre Royau- me , l'Agriculture floriffante. Il ne dépendra que de notre Gouvernement de les faire-réuf- fr, fans mème qu'il lui en coure ifiens bon 5 : ol re Après y avoir donc fait ob- a . iÿÿ IDÉE SOMMAIRE ferver que toute notre Agricul- ture eft entre les mains des gens de la Campagne; qu'ils compo- fent feuls en France le corps des Agriculteurs ; que ce n’eft qu'eux qu'il convient d'inftruire : & apres avoir détaillé routes les différentes façons dont ils tien- nent nos terres pour apprendre comment l'Agriculture s’y exer- ce, on préfente le tableau du dé- librement de nos Campagnes. On y voit d’une façon bien évidente que toutes nos terres en général, c’eft-à-dire tous nos corps de Ferme, ne rapportent ni la moitié, ni letiers , ni me- me le quart de ce qu'on devroit en tirer ; on y découvre que DE CE MANUEL ii tout ce défaftre provient des routines de nos Laboureurs, du défaut de prairies & de be- ftiaux , & qu'il eft encore occa- fionné par les charges & jim- pôts auxquels fe trouvent obli- gés nos gens de Campagne. Ce tableau eft tellement dans le vrai, que, n'étant pas pofble de le critiquer, il apprend com- ment on doit sy prendre pour bien faire l’eftimation de nos terres, & pour parvenir à en faire un cadaftre qui foic jufte & exact. Pour remédier à ces trois cau- fes du délâbrement de notre Agriculture , on propofe deux moyens bien fimples, qui auront a i iv IDÉE SOMMAIRE certainement tout l’effet qu'on peut s’en promettre, quoiqu’au- cun de tous ceux qui, jufqu’à pré- fent ont écrit ou donné des Mé- moires pour la rétablir, n’en ait feulement pas fait la moindre mention. Démoñtrant dans le cinquié- me Article des Préliminarres, que la véritable Méthode de l'Agriculture eft contenue dans les Pratiques locales de chaque Canton, de chaque Terroir, &c. on s’en fert comme du premier moyen, le feul qu’on puilfle pro- pofer pour retirer nos Labou- reurs de leurs routines , & pour leur apprendre à bien cultiver ; elle remplit la première partie de DE CE MANUEL. v cet Ouvrage, intitulée : Manuel d'A griculiure pour le Laboureur : on y expofe fes principes , fes opérations, comment cette Mé- thode apprend les différentes fa- çons de les exécuter relativement à toutes les fortes de qualités de terreins qui {e rencontrent, & comment on doit s'y prendre pour les bien connoître, à Pefe de parvenir à leur donner à cha- cune les cultures qui peuvent leur convenir, en fe fervant de l'expérience dont cette même Méthode indique fi bien lufage & les eflets. On ne peut pas douter que cette Méthode qui eft ainfi tirée de toutes les Pratiques locales, a L1] vj IDÉE SOMMAIRE ne foit la feule dont on puifle fe fervir dans tous les pays du monde oùon cultive, puifqu'en employant autant d'opérations, il ne fe peut qu’elle ne s’accom- mode bien à tout terrein, de quelque qualité qu'il foit, & puifque les principes de l'Agri- culture ne peuvent qu'y être les mêmes. On ne peut pas douter en- core que cette admirable Mé- thode ne contrienne , fuivant l'ex- preffion d'Olivier de Serre » l'Antique facon de manier la ter- re, qui a tant de majeflé , & qu’elle ne foit la même qui a fi bien fervi à nos premiers Culri- vateurs, laquelle eft fi refpecta- DE CE MANUEL. vi ble que toute autre Méthode doit être rejettée; ce qui eft dé- veloppé de façon à faire reve- nir ceux quis’en fontécartés en donnant dans les rouveaux fyftè- mes d'Agriculture. Comme il ne fuñit pas de re- tirer nos Laboureurs de leurs routines pour donner une plei- ne profpérité a l'Agriculture, & comme il sagit encore qu'ils foient mis en état de bien exé- cuter, dans cette ancienne Mé- thode lopération de lengrais qu’il eft queftion de toujours re- nouveller & entretenir fur la cotalité de leurs corps de Ferme fi confidérables qu'ils puiflent ètre, pour les maintenir en par- a iv vi ÎDÉE SOMMAIRE faite valeur, ne pouvant y par- venir que par les prairies & les beftiaux, on fait voir que dans tous les Pays & Cantons où la Nature n’a point établi de prai- ries, ou n'en a pas établi aflez, n peut y fuppléer par des éta- bliffemens de prairies artificiel- les, dont on n'a pas manqué de fixer raifonnablement la quan- tité, pour ne pas faire tort aux jachères & à la pature des bêtes blanches. Voilà donc le fecond moyen qu'il faut employer. Or, tous nos Laboureurs n’é- tant que Fermiers & Locataires, & ces établiflemens de prairies artificielles ne pouvant concer- DE CE MANUEL. 1x ner que les Propriétaires, atten- du qu'il eft généralement de principe , que tout ce qui peut contribuer à l'amélioration d’un fond n'eft qu'à leur charge ; on établit dans la feconde Par- tie de cet Ouvrage, qu'ils ne peu- vent refufer leur concours avec leurs Fermiers pour faire ces for- res d'établiffemens, & que ce concours, qui eft de néceffité abfolue, établit une vérité qui confifte ex ce qu'on ne parvien= dra jamais en France, ni ailleurs, a rétablir parfaitement l'Agricul- ture que par les Propriétaires. ÀAïinf dans cette feconde Par- tie intitulée : Manuel d'Agricul- ture pour le Propriétaire, on x IDÉE SOMMAIRE apprend à celui-ci tout ce qu’il convient qu'il fafle pour bien s'acquitter de ces fortes d’établif- femens; commentil doit s’y pren- dre avec fon Fermier ; & on lui démontre que, fans fe donner la peine de faire valoir par lui- même, ne s’agiflant que de quel- ques déduétions dont iltiendroit compte à fon Fermier dans un premier bail feulement, il peut parvenir à doubler & mème tri- pler le revenu de fon corps de Ferme , fuivant le plus ou le moins de befoin qu’il aura d’è- tre réparé; ce qui eft mis dans tout fon jour dans le troifiéme Article des Préliminaires. Ces deux moyens bien exé- DE CE MANUEL. x; cuüités , ne pouvant manquer d'augmenter aufli confidérable- ment le revenu de nos terres, il s’enfuivra néceflairement que non-feulement les gens de la Campagne feront mis bien au- deffus de toutes leurs charges & impOts; mais encore que tous es Propriétaires s’acquitteront avec bien plus de facilité de ceux dont ils font aufli chargés de leur côté. Mais, comme ces deux moyens ne peuvent bien s'effectuer dans toute l’étendue du Royaume, qu'autant que le Gouvernement voudra bien y concourir, on expofe, dans la troifiéme Partie intitulée : Manuel d'Aoriculture xij IDÉE SOMMAIRE pour le Gouvernement, ce qu'it convient qu’il fafle. On verra que cela: fe réduit : 1°. À faire diftribuer & ré- pandre dans toutes les Campa- gnes la Mérhode dont on a ainfi fait la découverte dans les Pra- tiques locales, pour inftruire tous nos Laboureurs. Le Gou- vernement doit d'autant plus s’y déterminer, que cette Merhode contient la véritable explica- tion de leurs Pratiques locales, dont ils ont toujours fait un fi mauvais ufage , faute d’inftru- “ions. 2°. À donner un Arrêt qui au- torife les établiflemens de prai- ries artificielles, & qui ordonne DE CÉ MANUEL. xiij même de les faire, pour les rai- {ons qui font détaillées dans ce même Manuel. Au moyen de ces deux expé- diens, l'Agriculture fe réparera infailliblement dans le Royau- me , &c il en réfultera'que, quand Pexportation fe trouvera établie fur des terres qui rapporteroient au double & au triple de ce qu’on en tiroit, lesrichefles nous vien- droient de toutes parts, & il n'y auroit même jamais à crain- dre aucune difette. Dans cet Ouvrage on réfute, a l'exception de celui des Prar- ries artificielles ,tous les Auteurs & Ecrivains Modernes fur l'A- griculture , parcequ'ils ont mé- xiv IDÉE SOMMAIRE connu nos Pratiques locales & la Méthode qui y eft contenue, parcequ’ils ont ignoré cette vé- rité qu'on vient de citer, concer- nant les Propriétaires , & parce. qu'ils n’ont pas réfléchi à l’uti- lité , l'avantage & même la né- ceflité des Jacheres | plufeurs d'eux n'ayant pas même enten- du cette inatière. On les réfute avec d'autant plus de raifon qu'ils font caufe que le Gouvernement, malgré toutes fes bonnes intentions, n’a pu rien faire encore pour le rétabliffement de l'Agriculture. On s'eft attaché plus particu- lièrement à réfuter la Merhode de M. Thull, parcequ'elle ren- DE CE MANUEL xv verfe plus direétement nos Pra- tiques locales. On peut dire que, dans ce Manuel d'Agriculture tant pour le Laboureur, que pour le Pro- priétatre & le Gouvernement , il y a trois chofes à obferver , qui font très-intéreffantes. 1°. La découverte de la véri- table Méthode de l'Agriculture, dans chacune de nos Pratiques locales, de laquelle il réfultera que déformais on ne s’avifera plus d'en propofer d’autres, ni d'annoncer, dans notre façon de cultiver, l'ufage d’un femoir qui n’eft réellement qu'une frivo- lité, & qu’on fçaura à quoi sen tenir. xvj IDÉE SOMMAIRE 2°. La découverte de cetté vérité , qui concerne tous les Propriétaires de corps de Fer- me, & qui leur apprend qu'ils ne peuvent fe difpenfer de faire exécuter tout ce qui a rapport aux améliorations de leurs ter- res. ; 3°. La feule façon dontil faut sy prendre pour bien connoître toutes les fortes de terreins, à l'effet de les cultiver comme il convient: Quoique tout ce qu'on a dit à ce fujet ne foit, pour ainh.dire, que l’'Alphabet de PAgricul- ture, cela n'empêche pas cepen- dant que: tous nos Auteurs & Ecrivains Modernes n’y aient pleinement ps CE MANUEL xvi pleinement échoué, lorfqw'ils en ont traité. Tant il eft vrai que, pour bien parler de l'Agricul- ture, il faut néceflairementavoir pratiqué pendant plufieurs an- nées. Enfin la nécefité , tant du concours du Propriétaire que de celui du Gouvernement, étant fi bien prouvé & démon- tré néceflaire pour parvenir au rétabliflement de notre Agri- culture, & leur étant parconfé- quent indifpenfable d’en avoir une idée jufte, & de s’en in- ftruire, on verra encore dans ce Manuel qu'il fembleroit à pro- pos de faire entrer dans l’édu- cation de la jeunefle , & même b xviij ÎIDÉE SOMMAIRE, &c. d'un Prince, ?Aporiculture qui apprend a cultiver la terre, puif- qu'on n'héfite pas d'y compren- dre la Géomëétrie qui n'apprend qua la mefurer. Tout ce qui eft contenu dans ces trois Manuels d'Agriculture, ne provient que des réflexions qu'une expérience de trente an- nées à fait faire à l'Auteur. LAS se SRE UT EXPLICATION DE L'ESTAMPE. L'Esrampe qui eft à la tête de ‘cet Ouvrage, repréfente la Nouvelle Méthode d'Agriculeure fous la figure d'une femme faifant voir à un La- boureur qui féme fuivant l'ancienne Méthode , un femoir à charrue , pour lui faire entendre qu'il s'en tronve- roit beaucoup mieux s'il en faifoit ufage ; mais Triptoième qu'on ap- perçoit derrière lui, & qui eft re- préfenté comme le Génie de l’Agri- culture, l'en détourne, en lui difant : Ne.changes point de foc ; c'eft-à-dire ; Nete laifles pas féduire par les inven- tions nouvelles de cette femme. Triptolème , qui étoit fils de Cé- léus , Roi d'Éleufe & de Méhaline , avoit appris de Cérès l'Art de Culti- ver la Terre. Fe FAUTES Aifées à corriger à la plume: pase 7 L Igre 19 , par l’Agriculteur Z 2: nr P: lifez par l'Agriculture. 69 Ligne 13, opérations quoiqu'elle, lifez opérations. Quoiqu'elle. 103 Ligne 14, de tel Canton que la terre, &c. lifez de tel Canton de la terre. 141 Ligne 19 , pourroit, &c. lifez pouvoit. 142 Ligne 3, ne pouvant être les mé- mes , &c.lfez ne pouvant être que les mêmes. . 240 Ligne 3 , fpâtures grafles , Afez graffes pâtures. 324 Ligne 8, on, lifez ou. 356 Ligne 13 & 14, conferver , &e: - diféz concerner. 368 Ligne 7, efpécés , /ifez efpacés. 398 Ligre 12, quinetravaillent , Lez qu'on ne travaille. s25 Ligne2, occupé, liféz coupé. MANUEL CAE LAN Ù ET D'AGRICULTURE, POUR LE LABOUREUR, POUR EE PROPRIÉTAIRE, EE : POUR LE GOUVERNEMENT, deep ho ofesrote jee Geohs ef eds proper tue oo fs fe fe dote fes 2 ans RE TIC BE S PRÉLIMINAIRE S3 Servant d'Introduéion. SIRET PA RS OR sm ARTICLE PREMIER. De la pofition de notre Agriculture À Oures les térres tant en France qu'ailleurs appartiennent au Clergé, à la Noblefle & aux Habitans des Villes, | A 2 ANR DALLCIINE Quoique ces trois Ordres en foient totalement propriétaires, cependant’ elles fe trouvent entièrement entre les mains des gens de la Campagne, kur étant cédées par des Baux de fix ou neufans , pour les cultiver & en payer la Location. ä Aujourd'hui, en vertu d'un Arrêt du Confeil du 8 Avril 1762, on a droit de les prolonger jufqu'à vingt- fept ans; par la fuite il fera queftion de cet Arrèt, & des grands avantages qu'il peut procurer. | Au moyen de ces Baux, il eft fi peu en ufage de faire valoir par foi- mème, fur-tout en France , qu'il n'y a prefque point de Propriétaires qui fe trouvent dans ce cas. Comment le Clergé pourroit-il s'en charger , puifque cette occu- pation n’eft nullement compatible avec fon état ? La Nobleffe eft toute PRÉLIMINAIRES, 3 dévouée au parti des Armes ; &; parmi les Habitans des Villes, quit oferoit s’expofer aux impoftions de Tailles, de Corvées , de Milices, &c ? Cependant , pour l'avantage de l'Agriculture, ne pourroit-on pas en exempter ceux qui prendroient le parti de fe retirer à la Campagne, pour faire valoir par eux - mêmes leurs propres Domaines? IL s'agiroit d'une taxe d'Office pour toute impoftion qui feroit proportionnée à la valeur de ce qu'ils feroient valoir ; étant jufte & na- turel que des Propriétaires jouiffent de quelques priviléges ; ce qui ne feroit aucun tort au Gouvernement; les gens de la campagne ne s’en plaindroient même pas, un Proprié- taire méritant d’être diftingué d'un Fermier , d’un Locataire. Ai 4 ARTICLES On doit donc regarder aëêtuelle- ment en France les gens de la Cam- pagne , comme compofant feuls le corps des Agriculteurs ; & ce corps des Agriculteurs n'eft donc compofé que de Fermiers & de Locataires. Qui croiroit que c’eft ce qui a attaché aufli injuftement l'idée de mépris & même d'ignominie àl’Agri- culture, & que c’eft ce qui eft caufe qu'on la regarde comme un art im- parfait, qui auroit befoin d’être ré- formé par de nouvelles méthodes ? Ce qui fait bien voir , qu'en général on ne juge des profeflions , & même d'un art fi noble qu'il puiffe être par lui-même, que par les qualités des perfonnes qui les exercent & qui les pratiquent. Pourquoi à la Chine , l’Agricul- ture eft-elle fi honorée & fi ref- peétée? C'eft que l'Empereur ne PRÉLIMINAIRES. ÿ dédaïgne pas de tenir lui-même la queue de la charue. Étant d'une fi grande importance d’obferver la pofition de notre Agri- culture, on n'a pas héfité d’en faire un Article particulier. Si l'Apologifte de M. Thull, y avoit fait attention , il ne fe feroit aflurement point donné la peine de publier & d'annoncer fa nouvelle méthode, qui ne peut plaire qu’à quelques Amateurs de l'Agriculture fans expérience. L'Eflai de M. Patullo fur l’amé- lioration des terres , qu’on peut en- core regarder comme une nouvelle méthode , fera-t-1l jamais la moindre impreflion fur le corps de nos Agri- culteurs ? Il faut donc favoir pour qui on doit écrire ; & ,fi on veut rétablir notre Agriculture , 1 faut n’avoir en A ii 6 ARTICLES vue que les gens de la Campagne, ne s’agiflant pas de ces amateurs qui n'y font pour rien , & qui donneront toujours dans les nouvelles métho- des & dans les nouveaux fyftèmes. AREPCEE"TE Des differentes façons dont nos terres font cenues par les Gens de la Campagite. À Oures nos terres labourables font généralement tenues en détail, ou en corps de Ferme. Elles font louées en détail , quand elles font louées par Piéce, par Ar- pent, ou par demi-Arpent. Il y a dans le Royaume quelques bons cantons qui font loués de cette façon , quoiqu'il s'y trouve des Pro. priétaires qui , ayant des Domaines confidérables , pourroient donner à corps de Ferme. PRÉLIMINAIRES. 7 Les Baux de ces fortes de laca- tions qui font ordinairement de cinq à fix ans, plus ou moins, fuppofent des terres de la meilleure qualité. Dans les cantons où cet ufage eft établi, les terres ne fe cultivant qu'a la bêche & non à la charue , un père de famille n’en prend qu’autant qu'il peut en cultiver ; fuivant le nombre de fes enfans capables de travailler. On peut dire que les terres qui {ont ainfi louées , font mieux culti- vées que celles qui le font à la cha- rue, parce qu'à la bêche elles font plus facilement fouillées , renou- vellées & retournées. Auf rendent-elles toutes fortes de produétions , comme froment & tout autre grain employé par l'Agrs- culteur, même juiqu’à des légumes de toute efpéce ; en un mot , avec un peu d'engrais bien exaétement A 1v 8 ARTIÉLES renouvellés, on les met en état de rapporter tout ce qui peut faire le plus de produit, On conçoit qu'en ne faifant valoir a la bêèche qu'environ deux à trois arpens au plus, il n’eft pas ordinai- rement queftion de jachères, yayant bien plus de facilité à exécuter, foit le renouvellement de l'engrais, foit le renouvellement de terrein. C'eft dans cette forte de culture qu'on peut mieux faire ufage des engrais de toute efpéce, comme des cendres, des boues, de la fuye, &c, parce qu'il en faut peu; & fi, avec ce fecours, on a une vache ou deux, on fe trouve en état de faire tous les ans, les amandemens convena- bles & nécefiures ; ce n'eft même que dans cette forte de culture à Îa bêche, qu'il convient de faire ufage des engrais aruficiels, PRÉLIMINAIRES. 9 En affermant ainf les terres par piéce, ou par arpent , la location en eft bien plus avantageufe pour les Propriétaires ; puifque cette forte de culture fe rapporte aflez à celle des Jardins, Ce feroit vraiment le moyen de mieux faire valoir toutes nos terres, fi on pouvoit ne les cultiver qu'a la bèche ; mais cette façon de culture, exigeant trop de bras, elles refte- roient incultes prefque toutes. C'eft pourquoi l’'ufage le plus gé- néral eft de les louer pour être cul- tivées à la charue ; pour lors elles forment le grand objet de l’Agricul- ture ; à la différence des autres qui n'étant cultivées qu’à la bêche , tom- bent plutôt dans la partie de l’Apri- culture qui concerne les jardins. Les terres qui font cultivées à la charue , font au-contraire tenues en 10 ARITEGLES corps de Ferme , qui ont plus ou moins de contenance. Il y en a de trois à quatre-cents arpens ; il y en a même qui en con- tiennent davantage , & 1l s’en trouve qui n'en ont qu'une vingtaine au plus; en un mot, toutes les terres qui fe cultivent à la charue, font cenfées être tenues en corps de Ferme. Leur contenance eft généralement diftinguée par charues. En fuppofant que les terres d’un corps de Ferme foient partagées & divifées par tiers, c’eft-à-dire , par les trois foles des bleds , des mars, & des jachères, la contenance d'une charue eft ordinairement d'environ foixante & quinze à cent arpens au total. Elle eft de 7$ au plus dans les pays & cantons où les terres font fortes & pefantes, & de 100 PRÉLIMINAIRES. ri ou environ dans ceux où les terres font légères : ainfi, quand les corps de Ferme font de la contenance du double ou du triple d’arpens qu’on vient d’énoncer, ils font reputés être de deux ou trois charues. Lorfque les terres n’ont pas la contenance néceflaire pour former une charue , elles font louées à des Fermiers qui n’en ont pas fufifim- ment pour s'occuper. Les corps de Ferme de deux , de trois & même d’une feule charue , ne font point fans être accompagnés d'une maifon pour l’établiffement d’un Fermier. Ces maïfons doivent contenir tout ce qui eft néceflaire pour l’ex- ploitation de la Ferme, comme Cour, Grange, Ecuries , Etables, Bergeries , &c. avec un Corps de logis pour l'habitation du Fermier; 12 ART TION LES lequel doit encore contenir toutes les commodités qui lui font nécef- faires pour pouvoir bien faire va- loir. Les terres qui n’ont pas une con- tenance fufifante pour compofer une charue , peuvent être fans mai- fon , parceque l'entretien diminue- roit beaucoup le produit de la Fer- me. Les corps de Ferme qui n’ont point de jachères , exigent environ la même contenance pour compo- fer une charue. Li Les charues font chacune géné. ralement de deux ou troischevaux, felon que les terres font plus ou moins fortes; & quand elles le font davantage , elles font chacune de quatre ou fix chevaux : pour lors on employe plus volontiers les bœufs dont l'attelage eft de quatre ou de fix. PRÉLIMINAIRES. 12 Il faut fçavoir que dans les corps de Ferme de 4à $o0 arpens , & mê- me plus, qui ne fe trouvent ordinai- rement avec des contenances auff confidérables que dans des pays de terres légères, comme en Champa- gne , & même ailleurs ; on admet dans une même Ferme deux fortes de cultures, qui font la grande & la petite ; quelquefois celle-ci a plus de contenance que l’autre. Ces deux cultures peuvent avoir lieu dans un même corps de Ferme, pour mieux parvenir à en tirer parti. Les terres qui font à la grande culture , font celles qui font enfe- mencées en grains d'Hyver & en grains de Mars; au lieu que pour celles qui font à la petite culture , il n’eft quéftion , tous les ans , que de grains de Mars, & que de les enfe- mencer au Printems. IHM BARTÉICÉES Cette diftribution ne peut-être qu'avantageufe dans un corps de Ferme qui feroit trop confidérable ; puifque, par fon moyen, on peut ref- treindre la grande culture pour la mieux cultiver, & pour pouvoir mieux exécuter les renouvellemens d'engrais & de terrein, dont on par- lera dans la fuite. Cette diftribution peut d'autant mieux fe faire qu'avant qu'il foit quéflion de la grande culture qui ne commence qu'au printems, on eft en état pendant l'hyver (quand il ne géle point) de faire les labours pour les Mars. Les pluies même ne leur font point contraires dans les terres feches & légères, parce qu'el- les ne font pas fujettes à fe gazon- ner. D'ailleurs les femences de grains de Mars fe fuccédent les unes aux PRÉLIMINAIRES. 1$ autres ; d’abord les Avoines, depuis Février jufqu’a la moitié du mois d'Avril ; enfuite les Orges , jufques dans tout le courant de Mai ; après les Sarrafins , depuis la S. Jean juf- qu'a la fin de Juillet. Ainfi un Laboureur entendu, qui a beaucoup de terres à faire va- loir dans fon corps de Ferme , indé- pendamment de ce qu'il jugera pou- voir ètre en grande culture , peut très-bien s'arranger pour avoir en- gore une petite culture qui ne l’oc- cuperoi que pendant l'hyver , & qui lui rapporteroit tousles ans beau- coup de grains de Mars, indépen- damment de ceux qu'il tireroit de fa grande culture. N2 2 t6 ARMTÉCLES AR Tel EC RUE. IE Du Délabrement de l'Agriculture cr Frances À L'EXCEÉPTION des environs de Paris, & de quelquespays & cantons où la Nature a établi des Prairies, pour nourrir des Beftiaux, toutes nos terres en général , priles enfem- ble l'une dans l’autre , ne produifent pas annuellement , n1 la moitié, ni le tiers, ni le quart de ce qu'on pour- roit en tirer; 1l y en a même qui ne rapportent plus rien, quoique la- bourées & cultivées tousles ans Quoique cela paroifle exagéré, quoique cela n'ait pas encore été avancé; cependant il eft facile de le faire concevoir , & même de le dé- montrer, Au PRÉLIMINAIRES. 17 Au moyen de quelques obferva- tions on y parviendra. I°. L’eftimation générale du pro- duit auel de nos Terres dans l'in- térieur du Royaume ne va tout au plus , année commune , qu'à cinq pour un. Un arpent qui aura été enfemen- cé avec un feptier de froment ou de fégle, n’en rapporte que cinq; on fuppofe que celui de froment eft du poids de 160 livres. Aïnfi, dans un corps de ferme de 300 arpens, qui fera partagé dans'les trois foles ordinaires, celle des bleds de 100 arpens, par an , qui aura été énfémencée avéc 100 feptiers, n’en rapporte qu'environ $O0. “Il en eft de même à proportion de 14 Contenance de tous les autres Corps de fermé qui né rapportent qu'à raifon de cinq pour un. B 18 A ETICLES Bien-loin que cette eftimation gé- nérale puifle être conteftée , nos Laboureurs la trouveront même trop forte ; en tout cas, elle n’en fervira que mieux à faire voir qu'on n'a point exagéré le mauvais état de nos Terres. I°. Dans ces cinq pour un, qui font tout leur produit annuel , il faut néceflairement en prélever quatre pour l'acquit des frais de geftion , charges & impôts, & 1l n'en peut refter que le cinquiéme de produit net , pour payer le Propriétaire ; & voici comment. | Dans ce corps de Ferme de 300ar- pens, dont la fole des bleds, montant tous les ans à 100 arpens, ne rappor- te, année commune, que $O0 fep- tiers , à raifon de $ pour 1:1l s'agit 1°. de 100 feptiers pour la femence ; 2°. de 109 feptiers pour les frais de PRÉLIMINAIRES. 19 fciage , de battage , dé fauchäge ; de noutriture de Moiflonneurs , & de payémens de geris de journée; 3°. de 100 autres feptiers ; pour la tubüftance du ménage, pour lé payé- ment des gages dé Domeftiques, du Berger & du Paftré, pour payet le molage du grain qu'on mangé ; & l'achat du fei qui fait uñe forte dépenfe ; 4% indépendariment du déchet qui furvient toujours au bled. depuis qu'il eft forti de la grangè, qui eft même aflez confidérable , quoi- quonny fafle pas attention, il faut encore 100 ieptiers pour päyer le Gharron , le Maréchal ; le Bourre lier , & pour acquitter les impôts de Tailles, Cäpitation, Uftenifiles, Cot- vées, &c: Soit qu'il foit queftion de récoltes de froment ou de fégle ; c'eft tou- jours la même dépenfe à proportion. Bi} 20 GR TT CÉLTES En joignant à tous ces articles le dépériflement des Chevaux & de tout ce qui fert à l'exploitation de la Ferme , en y joignant encore les frais de Communautés , comme de Milice , de réparation de Presbytère, de Nef, de droits Seigneuriaux, qui font quelquefois afez confidérables, &c. on voit que ces 400 feptiers font fi bien employés, qu'il ne peut refter de ce corps de Ferme, qu’en- viron 100 feptiers de produit net ; & c'’eft encore beaucoup. Il convient d'ajouter que la fole des Mars ne doit point être comptée dans ce qui fait le revenu d’un corps de Ferme. Comme elle eft toujours deftinée pour la nourrirure des Beftiaux & des Chevaux qui fervent à l’exploita- tion, on ne peut y rien prendre, n'y ayant que la fole des bleds qui puifle PRÉLIMINAIRES. 21 fervir à payer le Propriétaire ; en- core faut-il que le Fermier facrifie ce que peut Îüi rapporter fa petite bafle-cour. Ce détail doit frapper le Gou ver- nement , & mérite {a plus grande attention , découvrant auf poñti- -vement la misère des Campagnes -de tout le Royaume. Ï doit faire le même effet fur tous les Propriétaires , & leur ouvrir les yeux fur la fituation de leur corps de Ferme ; il doit même leur ap- -prendre à les-iouer à un prix plus sodéré que: celui qu'ils: exigent. On verra tout cela dans le Manuel qui eft pour eux, & qui compofe la feconde Partie de cet Ouvrage ; mais il faut faire attention qu'il n'eft queftion dans cet Article , que des Terres qui font fans Prairies , ou qui n'en ont pas aflez , & qui ne rap- Bu 22 ARTICLES portemt que cinq pour un, & même au-deflous. Quoique nos Terres foient géné- xalement bonnes en France , encore -peut-on dire au’il y en a beaucoup moins de celles-ci, que d’autres. Si on veut donc parvenir à faire un cadaftre général de toutes nos Terres labourables , bonnes , médio- cres & mauvaifes, dans toute l’éten- due du Royaume , il ne fera réputé juite & exaét qu’autant qu'on aura fait attention au détail qu'on vient de donner, qui apprend ce qu'il con- vient de prélever ; avant que de fixer leur véritable eftimation, an- née commune. UT°, En fuppofant que nos Terres rendiffent au-delà de cinq pour un, & même moins , quand les 100 ar- pens du corps de Ferme qu'on vient de citer , rendroient jufqu’à 800 fep- PEÉLIM ÉNAIRES. 273 tiers, ou n'en rendroient feulément | que 300, ce font toujours a peu près les mèmes frais & les mêmes charges & impôts qu'on vient de dé- tailler. V°. Enfin (pour quatriéme & dernière Oblervation ) pour peu qu'on ait d'expérience dans l'Agri- culture, on conviendra qu'un arpent qui ne rapporte que: cinq pour un ; dans fon produit ordinaire , peuf rendre , année commune , x, fept & même huit pour un, en lui donnant la culture qui lui convient ; & que 100 arpens, qui font mis en pleine valeur, peuvent rapporter , au lieu de 500 feptiers, jufqu'a fix, fept & même huit cents, Au moyen de ces quatre Ghfer- vations incontéftables , on doit voir préfentement que le délabrement de nos Terres eft tellement dans le B iv 4 ÉR EI CLES vrai, que le revenu, c'eft-à-dire le produit net peut en ètre doublé , tri- plé , quadruplé & pouflé même au- delà, puifque 100 arpens , qui ne rapportent que 500 feptiers, à rai- fon de cinq pour un, & dont il ne refte , tous frais faits, que 100 fep- tiers, Étant mis dans le cas de ap- porter annuellement jufqu'à a fx, fept & huits cents ,. peuvent donner de refte deux cents, trois cents & même quatre cents feptiers. DS Il eft donc bien démontré qu'un corps de Ferme peut rapporter le double , le triple ,le quadruple , « ; ÊcC de ce qu'ilrapportoit ordinairement , dans le tempsqu'ii ne produfoit qu'a raifon de cinq pour un; puifqu'il fuffit qu'il rende le double, le triple, le quadruple de ce qu'il en reftoit pour lors , tous: frais faits, tant de geftion que d'impôts , n'étant pas PRÉLIMINAIRES. 25 queftion qu'il rende au double & au triple de ce qu'il produifoit au total. li eft donc encore bien démontré qu’on peut parvenir à faire monter un corps de Ferme , qui n'étoit loué que 1000 liv. jufqu'à 2000 liv. 3000 liv. &.même 4000 iiv. | Des avantages auf confidérables, qui ne font pas imaginaires , qu'on peut fe procurer, & qui ne deman- dent pour commencer à en jouir qu'environ une dixaine d'années & même moins , fuivant le plus ou le moins du befoin des terreins ‘qu'il s'agit de rétablir, comme on le fera voir ci-après, ne méritent-ils pas qu'on.y fafle la plus grande atten- tion, puifqu'en s'appliquant à mettre nos Terres en pleine valeur, il y auroit fant à gagner ? C'eff ce qu'a éprouvé l’Auteur des Prairies, Artificielles ; qui eft parvenu 26 À RCTCL'ES à plus que quintupler le produit rret de fon corps de Ferme, qui ne rap- portoit rien , c'eft-à-dire , qui ne rapportoit au plus que trois à quatre pour un. On peut dire , que de toutes les expériences qui ont été faites juf- qu'à préfent dans l'Agriculture, pour apprendre comment 1l faut s'y pren- dre pour parvenir à augmenter le produit de nos Terres, il n’y en a point qui foit aufli frappante & qui puifle s’exécuter aufhi généralement & avec aufh peu de frais, comme on le verra ci-après. Il vaut donc mieux commencer par rétablir ce qui eft en culture, & s'y appliquer férieufement , que de s'adonner à des défrichemens qui ne peuvent bien s'exécuter dans le Royaume , que quand la population des Campagnes y fera augmentée; PRÉLIMINAIRES. 217 ce qui ne manquera pas d'arriver au fur & à mefure qu'on réparera nos Terres, & qu’on les mettra dans la valeur qu’elles peuvent avoir. On n'y fera pas plutôt parvenu , que les défrichemens deviendront né- ceflaires, & que les gens de la Cam- pagne s’y porteront d'eux-mêmes. Voilà quelle doit être la marche des défrichemens qui ne peuvent jamais fe faire , n1 réuflir autrement. AGRETTELGOSE I Ve Des véritables caufes du délabrement de P Agriculture. Tant démontré que, générale- .ment parlant, nos Terres, tant en France qu'ailleurs, ne rendent que la moitié , que le tiers & même que le quart de ce qu'on pourroit en ti- 28 ART PCILES rer , il eft donc bien intéreflant de découvrir ce qui occañonne un fi grand délabrement. . Onne peut l’attribuer , fans crain- dre d’être contredit, qu’à trois cau- fes 1°. aux routines des Labou- reurs ; 2°. au défaut de Prairies ; 3°. aux impofitions & charges dont nos Laboureurs font tenus aujour- d'hui ; c'eft ce qui fe vérifierd de plus en plus dans ce Manuel. 1°. Les routines des Laboureurs confiftant à toujours opérer de mè- me, fans diftinétion de terrein, il fera prouvé dans l'Article fuivant , que cette conduite eft tellement oppo- fée aux principes que leur apprend la méthode qu eft contenne dans chacune de leurs pratiques locales qu'elle ne peut que jetter & répan- dre le plus grand défordre dans l’A- griculture, PRÉLIMINAIRES. 29 En attendant, voici un exemple qui commencera à le faire conce- voir. Suppofé que , dans une pratique locale , il foit queftion parmi fes ufages de labourer à raïfon de quatre à cinq pouces , par rapport à la qua- lité du terrein dominant du terroir fur lequel elle eft établie, quine permet pas de foncer plus avant; fi le terrein qu'on a à cultiver eft difiérent , & s'il fe trouve avoir jufqu’à dix à douze pouces de bonne terre bien fuivie & bien foutenue , quel tort un La- boureur ne fe fait-il pas, en ne les cultivant qu’à raifon de quatre à cinq pouces? puifqu'en le fouillant plus profondément avec fa charrue, pour faire remonter la terre de deflous & pour la fubftituer à celle de defus ; il s'en procure une nouvelle qui pro- duira beaucoup plus que l’ancienne. 40 1 AR ACTES Cette anciénne terre , qui a tou: jours produit & travaillé , & qui par- conféquent ne peut-être qu'épuifée ; eft bien dans le cas de ne rapporter qu'à raifon de cinq pour un, tout au plus ; au lieu que la nouvelle terre, ne pouvant manquer de rendre juf- qu'à fix, fept & mème huit pourun, par Arpent , doublera , triplera & quadruplera fon produit ordinaire ; ce qu'il eft aife de concevoir, en fe rappellant ce qui a été dit dans l'Article précédent. Il en eft de même des autres opérations de l’engrais & de la fe- mence , que le Laboureur n’exécute pas mieux , en les faifant toujours de même, fans diftinétion de terrein ; ce qui occafionne encore un aufli grand défordre. Ce qui fe pañle fur ce terrein par- ticulier qu'on vient de donner pour PRÉLIMINAIRES. 3t exemple , fe pañle fur toutes nos terres, dans tous nos corps de Fer- me qui, étant généralement très-mal labourés, très-mal amandés , & très- malfemés,ne rapportent pas moitié, ni même le quart de ce qu'on pour- roit en tirer. On ne difcoenvient point qu'il n'y ait quelques bons Laboureurs qui fe fervent mieux de leur prati- que locale , mais le nombre en eft fi peu confidérable, qu’il ne fçauroit en impofer , à moins qu'on ne ré- pande dans les Campagnes des in- ftru@ions qui apprennent à tous les autres comment 1l faut s’en fervir; c'eft ce qu'on n’a pas encore fait, & voilà pourquoi le mal fubfifte tou- : jours, II°. La feconde caufe du déla- brement de notre Agriculture , qui confifte dans le défaut de Prairies, 32 MRTICÉES occafionne encore bien du dépé- riflement dans nos Campagnes. Si on faifoit ufage, comme on le peut , des plantes de Sainfoin , de Luzerne , de Trefle, &c. que l’An- teur de la Nature nous a données pour fuppléer aux Prairies , la Fran- ce, en peu d'années, fe verroit dans toute fon étendue également fertile & peuplée. Pour s'en convaincre , il ne s’agit que de comparer les cantons où la Nature a étäblr des Prairies , avec ceux qui en font privés, & qui con- tiennent infiniment plus d’étendue. Pour s’en convaincre encore , 1l ne s'agit que de faire attention que, fans les Prairies , foit naturelles, foit artificielles, & fans les Beftiaux , ïl n'eftpas poflible d’effeuer , comme on le doit, l'opération de l’engrais, qui eff fi néceffaire , & quiaugmente auffi PRÉLIMINAIRES. 33 aufli prodigieufement en tout genre les produ&tions de nos Terres, lorf- qu'elle eft bien réglée , jufqu’à en doubler, tripler & même quadrupler le revenu; c'eft ce qu'on dévelop- pera davantage dans la fuite. Ces deux vices étant aufli évi- demment les vraies & principales fources du dépériflement de notre Agriculture , il eft certain que, tant qu'on ne commencera point par tra- vailler à les tarir , tout ce qu'on pourra faire d’ailleurs pour la réta- blir & la relever fera inutile. IH°. Il y a une troifiéme caufe qui contribue encore au dérange- ment de notre Avcriculture , qu'on ne doit point déseuifer, & à laquelle Al faut aufli remédier , puifqu’on peut dire que le bonheur & la ri- chefle de l'État en dépendent. Elle confifte dans les impoñitions (® 34 HRTICLES & charges de nos Laboureurs, com: me Tailles , Capitation , Corvées, &c. qui ont été détaillées ci-deflus. Elles font fi confidérables qu'ils peuvent à peine acquitter leurs re- devances envers les Propriétaires, & que ceux-ci de leur côté font très-embarraflés de payer les impôts dont ils font auf chargés. Ne conviendra-t'on pas ( Et cela peut-il être contefté ? ) qu’en met- tant nos Terres en état d'être dou- blées & triplées ; c’eft-à-dire de rapporter en produit net deux à trois fois plus qu'on n’en retire au- jourd’hui , comme on vient de le faire comprendre ci-deflus, ce fera le vrai moyen de mettre les Pro- priétaires & les Laboureurs, bien au- deflus des impôts & charges qu'on les oblige d'acquitter. Pour y parvenir, dl ne s'agit que PRÉLIMINAIRES. 3$ de retirer nos Laboureurs de leur routines, & de travailler à remédier au défaut de Prairies dans tous les endroits qui en manquent, ou qui n'en ont pas aflez. L’Article fuivant commencera par apprendre ce quil faut faire pour retirer infailliblement tous nos La- boureurs de leurs routines. À'RUE, LOGE E NY Dés pratiques locales, 6 comme leur établiffement renferme & contient la Jeule & véritable méthode de l'Agri= culture. À Moins qu’on ne donne aux gens de la Campagne l'explication de leur Livre d'Agriculture, qui confifte & quine confitera jamais que dans leurs pratiques locales, & à moins qu'on ne leur faffe connoître la de- Ci 36 À RATE C LES -ftination des ufages qu'elles con- tiennent , chacune fur leurs opéra- tions, ils refteront toujours dans leurs -routines, c'eft-à-dire qu'ils cultive- ront toujours mal Quoique ce foit abfolument Îa première chofe , par laquelle il faut commencer pour rétablir notre Agri- culture & pour mettre nos Labou- reurs bien au-deflus de toutes leurs impofitions & charges; néanmoins , dans tout ce qu'on débite & écrit aujourd'hui fur ce qui la concerne, 1l n’en eft feulement pas faitla moin- dre mention. | Au contraire, toutes les nouvel- les méthodes ne travaillent qu’à dé- crier & détruire nos pratiques lo- cales. : Parceque nos Laboureurs culti- vent mal,& parcequ'ils ne fe condui- fent que par leurs routines, on en a PRÉLIMINAIRES. 3% conclu qu'ellesétoient défetueufes, & qu'il falloit les réformer. Parceque des Horlogers feront mal des Montres & des Pendules, : s'enfuit-il qu'il faille fupprimer le r° Art, & leur en donner un autre ? - Il ne faut pas s'étonner que les: Auteurs de ces nouvelles méthodes : fe foient écarés jufqu'a ce point ;: puifque, pour bien connoitre les pra- tiques locales , il faut avoir prati- qué long-tems. - Cependant: on a tellement ap-: plaudi à toutes ces nouvelles Mé-) thodes, qu'elles ont trouvé quan-» tité de Partifans. Le Traité des Prairies artificielles , avoit annoncé fur les engrais une! maxime qui ne peut que réfulter de chaque pratique locale bien en- tendue , laquelle fait même le prin-: cipe de la méthode qui en réfulte, | C ü 38 ARTICLES. & qui contribueroit tant à rétablir nos Campagnes, en y répandant l’a- bondance : cependant ce Traité n’a pas été, à beaucoup près, auffi bien reçu que ces nouvelles méthodes qui ne peuvent réellement fervir qu'a embrouiller de plus en plus no- tre Agriculture , & qu'à la faire en- fin méconnoitre. Il s’agit donc d'apprendre ce que c’eft que ces pratiques locales, qui fortent comme autant de branches de la pratique générale de l’Agricul- ture. Aufhi cette pratique générale eft univerfellement divifée & parta- gée en autant de pratiques locales qu'il y a de Pays, de Cantons, &c. Il n’y a mème point de terroir qui nait chacun fa pratique locale, quoi qu'elle puifle {e trouver la même fur plufieurs. Qu'on les parcoure , tant qu'on WPRÉLIMINAIRES. 39 voudra , & qu'on les examine bien, on verra qu'elles commencent par apprendre , tant en général que fépa- rément , que l'Agriculture conffte généralement dans les opérations du labour, des engrais, des femen- ces, & que, pour les mieux faire réuf- fr, on a recours aux jachères qui donnent aux terres le repos dont elles peuvent avoir befoin. On verra qu'elles apprennent en- core, tant en général qu’en païti- culier, les différentes façons de les exécuter, avec quelle méthode , & fur quels principes. On verra enfin que tout cela fe découvre par l’établiflement des dif- férences d’ufages qui fe trouvent généralement entre elles, & par l’établifflement des ufages qui fe trouvent dans chacune. Pour développer ce que perfonne C iv 40 7 ARTICLES 6 n'a encore entrepris, il convient de commencer par dire ce qu'on en- tend par Pratiques locales, en ajou- tant à la définition qu'on va en donner , quelques éclairciflemens néceflaires qu'on ne pourra con- tefter. 1° On entend par Pratiques locales ; une forte de culture confiftant en certains ufages fixes & déterminés , qui font établis de tems immémo- rial dans un Canton, un Pays, un Terroir; tant fur le labour, les fe- mences, les engrais, que fur les jachères & fur les inftrumens donton doit fe fervir pour travailler la terre. 1°. Ces ufages fixes & détermi- nés, n'ont pu être établis que fur les fortes de qualités générales & com- munes qui fe trouvent fur le terrein dominant d'un Canton, d'un Ter, roir; & ils n’ont pu l'être , comme PRÉLIMINAIRES. 4T ils le font , qu'en employant l'exa- men de ces fortes de qualités , & qu'en employant l'expérience. On n'y feroit jamais parvenu , fi on avoit tenté de ne les établir que fur les diverfités & fur les nuances qui fe trouvent toujours dans cha- cune de ces fortes de qualités géne- rales & communes ; parceque le plus ou le moins de ces nuances ne pouvant fe définir, & parceque, n’é- tant pas poflible de découvrir juf- qu'à quel dégré l’un ou l’autre peut aller & s'étendre , quand même on s'obftineroit à vouloir le pénétrer & le creufer par l’examen le plus férieux , ce n’eft point par ce moyen qu'on peut parvenir à connoitre les cultures qui conviennent à ces for- tes de qualités générales & conm- munes : on doit concevoir que ce n'eft que par l'expérience , qui ft “= ARTICLES un moyen bien plus court, bien plus für , & même le feul dont on doive fe fervir. Il convient donc de fçavoir faire, fur un terrein, la diftin@tion des fortes de qualités générales & com- munes qu'il peut avoir, d'avec les nuances & diverfités qui fe trouvent dans chacune. Tout cela séclaircira encore quand on traitera de l'examen des terreins & de l'expérience , en don- nant le détail de ces fortes de qua- lités. IIT°. On ne difconviendra point qu'indépendamment du terrein domi- nant qui fe trouve fur un Terroir, fur un Canton, il n'y ait encore d’autres terreins particuliers d'une moindre étendue, qui ont chacun auffñ leur forte de qualités géné- rales & communes, mais différen- PRÉLIMINAIRES. 43 tes de celles du terrein dominant, & qui leur font même oppoiées ; en voici un exemple. Les fortes de qualités générales & communes du terrein dominant d'un Terroir, feront, 1°. d’être aifé à labourer; parceque les terres y font féches & légères, 2°. d’être d'une qualité médiocre, 3°. de n’a- voir que peu de fond de terre, & que ce qu'ilen faut pour faire réuf- fir les grains & femences qu'on y employe, 4°. de ne point retenir les eaux de pluie, $°. de n'être point fujet à pouffer des herbes. Quoique ces fortes de qualités ÿ dominent, & quoi qu’elles ayent donné lieu à la Pratique locale qui s'y trouve établie , cela n'empêche pas qu'il ne puifle fe rencontrer, dans fon étendue, d’autres terreins particuliers , dont les fozres de qua- 44 ARTICLES lités générales & communes , feront; 1°. ou d’être difiiciles à labourer, parceque les terres y font pefantes ; humides, glaifeufes, compañtes , &c. 2°. ou d'être d'une bonne qua- lité, 3°. ou d'avoir beaucoup de fonds de terre , 4°. ou d’être fujets à retenir les eaux, 5°. ou d’être très- fujets a poufler des herbes. Aunfi ileft clar que, lorfqu'on a établi les Pratiques locales fur cha- que Terroir, fur chaque Canton, n'ayant pas été poffible d'éntrer en mèême-tems dans le détail des fortes de qualités générales & communes des terreins particuliers qui fe trou- voient dans leur étendue , ni en- core moins de leur faire à chacun une pratique particulière ; on a en- tendu qu'au lieu de leur appliquer la Pratique locale, qui ne leur con- vient nullement, ce feroit au Cul: PRÉLIMINAIRES. 45 #ivateur, pour les bien cultiver , à 4e faire une pratique particulière fur les mêmes principes dont fe font fervis ceux qui ont établi les Prati- ques locales. IV°. Un Terroir eft une étendue de terrein plus ou moins confidéra- ble, ordinairement d’une lieue ou de deux , qui dépend d'une Com- munauté , comme d’une Ville , d’un Bourg , d'un Village , d'un Hameau, & qui eft cultivé par ceux qui l’ha- bitent. sp V°. Le terrein dominant d'un Terroir, eft celui dont les fortes de qualités générales & communes font plus remarquables & plus dominan- tes que celles qu'on peut encore y trouver fur des terreins particu= liers ; elles font ainf: appellées gé- pérales 8 communes, parceque les unes ou les autres fe rencontrent fur fout terrein, 46. : AR TAGLES VI. Enfin on ne conteftera point que ce ne font que les fortes de qualités des terreins dominants des Terroirs, qui ont occafionné tou- tes les difiérences d'ufages qui fe trouvent entre toutes les Pratiques locales. Tout cela pofé, & tous ces éclair- ciflemens donnés, il ne fera pas dif. ficile de faire voir que toutes les Pratiques locales, tant en général que féparément , en quelque pays, & chez quelque Nation que ce foit où on cultive , apprennent les vrais principes de l'Agriculture ; qu’on ne peut les bien connoître que par el- les; & que dans l'établiflement de fa Pratique locale, tout Laboureur peut trouver la véritable méthode qu'il doit fuivre pour bien cuitiver le terrein qu'il a à faire valoir ,quel- ques fortes de qualités qu'il puifle PRÉLIMINAIRES. 47 avoir , & fi oppofées qu’elles puif- fent être aux fortes de qualités du terrein dominant de fon Terroir. PREMIÈREMENT, elles lesap- prennent par les différences d’ufa- ges qui fe trouvent généralement entr'elles. Qu'un Laboureur ; ou un Pro-= priétaire qui fait valoir par lui-mé- me, dont l'intention feroit de vou- loir s’inftruire par l'examen de plu- fieurs pratiques locales, ait la cu- riofité de parcourir les Terroirs cir- convoifins, & même d’aller plus loin; plus il s’éloignera, plus 1l s’'apper- cevra des différences d’ufages qui {e trouvent entr'elles. Il apprendra qu’on laboure , non- feulement 4 plat, qui eft la façon la plus ordinaire ; mais encore par bandes & par planches ; que le labour _{ fait plus ou moins profondé- 8. “ABRITII :G'LE'S ment; qu'on en donne plus où moins; qu'il fe fair avec des chevaux ou avec des bœufs, en fe fervant de charrues à oreille ou à verfoir, & de charrues à roulettes ou fans roulet- tes; que fur la quantité de femen- ce employée par arpent, il y a des différences qui vont jufqu'au tiers , ou à la moitié; qu'il en eft de m&ê- me fur la quantité des engrais, & qu'on en fait de toute forte; il verra, qu'oncommence plus tôt ou plustard les femences : enfin 1l remarquera que les jachères font généralement obfervées ,avec cette différence , ce- pendant, qu'il y a quelques cantons & contrées où elles ne le font pas. Voilà donc les différentes façons d'exécuter les opérations de l’Agri- culture , & les différences d'ufages qui fubfftent. Si enfuite il réfléchit fix toutes ces PRÉLIMINAIRES. 49 ces différences d’ufages qui fe trou- vent entre les Pratiques locales , n'enconclura-t-1l pas, ( fuppofé qu'il ait pratiqué, & qu'il ait acquis une certaine expérience, ) que, n'étant toutes occafonnées fur les Cantons & Terroiws qu'il aura parcourus , que par les différences qui fe trou- vent entre les fortes de qualités gé- nérales de leurs terreins dominans, elles apprennent ce grand principe : Qu'il faut ajufler & proportionner les opérations de l'Agriculture à toutes les differences de terreins qui fe rencontrent ; & que ce principe, depuis que l’A- griculture fubfifte, eft généralement reçu , adopté & reconnu dans tou- tes les Pratiques locales du monde entier ? Ne conclura-t:1l pas de l’établife- ment de ce principe, 1°. Qu'il faut examiner les fortes de qualités gé- D so ARTLCLES nérales & communes des terreins ; qui commencent par indiquer les cultures qui leur conviennent ? 2°. Que comme , pour s'en aflurer , il n'eft pas pofñble d'approfondir & de creufer toutes les diverfités & nuances qu'elles peuvent avoir cha- cune , on ne peut fe difpenfer d’a- voir recours à l'expérience, pour ap- prendre à les fixer & à les détermi- ner. 3°. Qu'on ne peut fe difpenfer de fçavoir & de connoitre les diffé- rentes façons d'exécuter les opéra- tions de l'Agriculture , relativement aux fortes de qualités de terreins qui peuvent fe rencontrer. SECONDEMENT, toutes les Pratiques locales, confidérées fépa- rement , apprennent encore ces mê- mes principes par l’établiffement & la deftination des ufages qui font contenus dans chacune. PRÉLIMINAIRES, ji On a déja dit que tous les ufa- ges qui fe trouvent dans chaque Pratique locale , ne peuvent avoir été établis que fur les fortes de qua- lités générales des terreins dominans des Terroirs, & non fur les qualités des terreins particuliers qui s’y ren- contrent. Or, ces ufages n'ayant pas été re- olés & ajuftés comme ils le font fans employer l'examen de ces qualités générales, fans le fecours de l'expé- rience , & fans la connoifflance des différentes façons d'exécuter les opé- rations de l'Agriculture, &c. 1l eft évident que l’établiflement des ufa- ges de chaque Pratique locale, ap- prend encore à tout Laboureur, en particulier , les vrais principes de l'Agriculture , & la véritable métho- de qu'il doit fuivre pour bien cul- tiver, Di; TE ARTICQUES Il eft donc bien démontré que Îe Laboureur ne doit pas appliquer, auf indiftin@tement qu'il le fait, {a Pratique locale fur tout rerrein. Il faut au contraire , (conformé- ment à l'intention des premiers Cultivateurs qui ont établi les Pra- tiques locales ) qu'il ne la regar- de que comme une méthode qui lu apprend qu'on ne peut fe dif- penfer d'employer l'examen & l’ex- périence fur les qualités de ter- reins qu'il a à cultiver, quand elles font différentes de celles du terrein dominant de fon Terroir. Ainf, pour agir plus fürement dans tout ce qu'il a à cultiver, 1l doit, à l'exemple de ce qu'on a fait pour établir fa Pratique locale, fe com- porter de même , pour fe faire une Pratique particulière fur tous les ter- reins particuliers qu'il peut rencon- PRÉLIMINAIRES. 53 trer , en fe réglant toujours fur le principe de fa Pratique locale , qui eft , qu'il faut ajufter & propor- tionner les opérations de l’Agricul- ture à toutes les fortes de qualités de terreins qu'il a à cultiver. Pour ne laifler rien à défirer fur l'exécution de cette méthode , nous ajouterons que les Pratiques locales donnent encore les infirumens les plus propres & les plus convenables pour bien travailler la terre. Les charrues étant toutes à ver- foir ou à oreille ,1l n’y a point de terrein labourable, fi dificile qu'il puifle être, qui, par le moyen de l’une ou de l'autre , ne puifle être bien ameubli , bien retourné, bien fouillé , & même renouvellé, lorfque le fond le permet. Ne pouvant être exige rien de plus D i s4 ARTICLES de l’ufage d’une charrue, à quoi donc peuvent fervir toutes les inventions nouvelles en ce genre, propofées par M. Thull & par d’autres ? Nos Laboureurs, nos Gens de Campagne , qui tiennent toute no- tre Agriculture, & qui font fi fort attachés à leurs habitudes, pourront- ils jamais fe déterminer à s’en fer- vir, quand ils verront qu'elles ne leur procureront, ni plus d’avanta- ges , ni plus d’utilités que les inftru- mens dont ils fe fervent. Il y a encore l'invention du Se- moir, fur lequel quantité d’Ama- teurs de l'Agriculture travaillent tous les jours pour parvenir à le perfectionner & à le rendre moins couteux. Quoique cette invention foit l'ef- fet d'une grande imagination, & quon mette tout en œuvre pour PRÉLIMINAIRES. $ÿ$ J'introduire , cela nempèche pas qu'elle ne {oit très-inutile dans notre façon de cultiver, n'étant néceffaire que dans la pratique de la nouvelle méthode. C'eft ce que l’on verra dans la réfutation qu'on fe propole de faire ci-après de la nouvelle méthode de M. Thuil. En attendant, écoutons ce que dit Olivier de Serre, de toutes les nouvelles inventions, dans fon Téea- tre d'Agriculture, chap. 2, pag. 81, 82, dédié au Roi Henri IV, €& im- primé en 1600. Ayant fait valoir par lui-même , fa Terre de Pradel, pen- dant foixante ans , on peutle citer. Après un grand détail, fur toutes les différentes Pratiques locales qui {ont obfervées dans les Provinces du Royaume, & dans tous les diffé: rens Cantons qui s'y trouvent , il D iv s6 ARTICLES commence par dire : Qu'il faut bier Je donner de garde d'y toucher, ni d'y rien changer. I n’en dit pas davantage , parce- que , pour lors, on ne foupçonnoit nullement qu'on s’aviferoit jamais de les vouloir réformer , n1 encore moins de leur fubftituer de nouvel- les méthodes. I ne parle donc que des nouvel- les inventions , au fujet des inftru- mens dont on fe fert dans toutes les Pratiques locales pour travailler la terre. Apparemment que de fon tems il y avoit déja quelques Agriculteurs de Cabinet, qui en vouloient don- ner de leur invention ; aufñi, après avoir rapporté cet Oracle de Caton: Ne change point de Soc, ayant pour fufpeéte toure zowvelleté , ilajoûte : » Et de fait, ceux fe font faits PRÉLIMINAIRES. ç7 » pltôt admirer qu'imiter , qui ont »# inventé de nouveaux Socs, rant a » de mageflé l'antique façon de manier » La terre , de laquelle l’on ne fe doit » départir que le moins que l’on peut » & avec grande confidération. Il eft » vrai que les efprits des hommes » S'afniffent tous les jours, & que, # pour le préfent ,nous pouvons fça- -» voir ce que nos Peres ont {çu le #tems pañlé. Avec jugement pou- » VOns-Nous y ajouter de nos inven- » tions expérimentales, pour fervir » d'adrefle à la conduite de nos af- » faires , ce qu'on ne doit opiniâtre- » ment rejetter; mais c'eff zontefois » avec un Jufqu’oi ÿ POUr ne pas s'a- » bandonner à toutes fortes de nou- » velles inventions, de peur que, » par mauvafe rencontre , oz ne chée » e7 Hoquerie , étant toujours le guer- » don d'une trop grande curiofité, » 53 ARTICLES Quoi qu'Olivier de Serre dife que les efprits des hommes s’affinif- Jant tous les jours , on peut trou- ver des inventions expérimentées ; cependant il fait aflez entendre com- bien il faut s’en défier, puifqu'il dé- clare que ce n'eff qu'avec un Jufqu’où qu'on peut les adopter. En tout cas, fera-ce un Amateur d'Agriculture , qui n’a jamais expé- rimenté , ou que très-peu, qui fera capable de les trouver? tandis que de tous ceux qui, jufqu'a préfent» ont véritablement connu l’Agricul- ture, & qui l'ont pratiquée toute leur vie avec les inftrumens ordi- naires , 1] n'y en a pas un feul qui ait propofé , fur les charrues & fur la façon de femer, aucune nou- veauté, parcequ'ils en ont toujours conçu l'inutilité. Voilà pourquoi Olivier de “Serre PRÉLIMINAIRES. $9 décide fi nettement que ceux qui s’a- vifent de les propofer & de les adop- ter, s’expofent à chéeren moquerie. On peut donc établir que toutes les Pratiques locales , qui contien- nent chacune tout ce qui peut bien apprendre l'Art de l'Agriculture , & qui contiennent encore tout ce qui peut être ufité , tant pour bien tra- vailler la terre, que pour la bien fe- mer , nous ont confervé l'antique fa- con de manier la terre qui a tant de ma” jefté : & que n'y ayant, par confé- quent, que la méthode qui réfulte de leurs établifemens, qu'on puiffe pratiquer , c'eft fe tromper foi-mê- me , & tromper les autres , que d'en propofer aucune autre qui s’en écarte. Combien fe feroit récrié Olivier de Serre, fi de fon tems il avoit paru ine nouvelle méthode femblable à 60 MRTICLES celle de M. Thull, qui non con- tente de détruire les Socs ordinaires & la façon de femer , fe feroit avifé d'attribuer à l'Agriculture d'autres principes & d’autres ufages que ceux qui ont toujours été reconnus par toutes nos Pratiques locales ? Sans-doute qu'en parlant aufli for- tement contre les nouveaux Socs qu'on pourroit propofer , 1l faifoit attention à la pofition de notre Agri- culture qui fe trouve entièrement entre les mains des gens de la Cam- pagne ; c'eft à quoi il paroit que n'ont pas penfé feulement tous ceux qui propofent des nouveautés. Dans les premiers fiécles du mon- de , c'étoient les Propriétaires qui fafoient valoir par eux-mêmes leur propres Domaines ; il n'étoit pas queftion de les louer , ni de les affer- mer , tous les gens de la Campagne n'étoient que leurs feris. PRÉLIMINAIRES Gp Pour lors l’Art de l’Agricuiture, dont les premiers hommes faifcient tant de cas, parcequ'ils fentoient mieux que nous le befoin qu'on en a, étoit poufié à fon plus haut dégré de perfeétion. Ils avoient tout inventé ; & dans leurs inventions de charrues & au- tres inftrumens qu'ils nous ont laif- {és , il n'y a point de doute, qu'ils ne nous ayent donné tout ce qu'il falloit pour bien remuer la terre , pour la renouveller & pour en tirer tout le parti qu'il étoit poffible de fouhaiter. Toutes les Pratiques locales qu'ils avoient formées & établies , ne fer- voient que de méthodes pour ap- prendre à tout Cultivateur ce qui devoit le régler dans la culture de fon terrein; on ne les appliquoit pas fur toutes les fortes qui fe rencon- Ga CARE I CLEPS troient aufñ indiftinétement qu'on le fait aujourd’hui , & on les entendoit comme elles devoient l'être. Mais, depuis que notre Agriculture fe trouve entre les mains des gens de la Campagne , qu'ils en font devenus les Fermiers & les Locataires, ceux- ci n'ayant pas compris, faute d'in- ftruétions, l'ufage qu'il falloit faire de leurs Pratiques locales , & ne fe con- duifant , par conféquent , que par routines , nos terres font tombées dans le plus grand délabrement , comme on l’a fait voir ci-deflus ; & 1l s’en faut bien qu'elles foient au- jourd’hui de la même valeur qu’el- les étoient dans ces premiers fiécles. \ 4) 2 N a 4 PRÉLIMINAIRES. 63 PLAN DE CE MANUEL, Dans lequel on propofe les vrais € feuls moyens de rétablir l'Agriculture. Pu ISQU'IL s'agit de donner à nos Laboureurs, pour leur ufage & pour les retirer de leurs routines, la métho- de qui fe trouve dans chacune de leurs Pratiques locales, après avoir dit ce que c’eft que l'Art de l’Agri- culture , quelles font fes opérations, & quel eft généralement fon grand principe de fécondité , conformé- ment à ce que nous en apprennent ces mêmes Pratiques locales , on traitera dans ce Manuel qu’on don- ne 1C1 pour eux: 1°. De l'examen des terreins & des fortes de qualités générales & communes qu ils contiennent. II. De l'expérience ; comment 64 ARTICLES on lacquiert , & quels font fes effets. IIN°. Des différentes façons d’exé: cuter les opérations de l’Agricultu: re , relativement aux fortes de qua- lités générales & communes des ter: reins. En prenant ainfi nos Laboureurs par leurs Pratiques locales, qu'ils regardent comme leur Livre d'A: griculture , 1l y a lieu de s’aflurer qu'ils recevront avec empreflement la méthode qui en proviendra, & qu'elle leur ouvrira les yeux fur les défauts de leurs routines, Ce fera une nouveauté qui exci- tera d’autast plusleur curiofité,qu’on ne s'eft pas encore donné la peine de les inftruire aufli direétement. Croiroit-on que le Traité des Prar. ries artificielles a été copié en entier par l'un d'eux, parcequ'il a fenti qu'il PRÉLIMINAIRES. 65 qu'il ne s’écartoit point des princi- pes de fa Pratique locale. Qu'on juge après cela de l'effet qu'auroit ce aruel dans toutes les Campagnes, fi on l'y répandoit. Voilà donc le premier moyen de réparer notre Agriculture. indépendamment des routines de nos Laboureurs, qui forment la pre- æmière caufe de fon délabrement , le défaut de Prairies & de Beftiaux l'occañonnant encore , & ne pou- vant être réparé fans le concours des Propriétaires avec leurs Fermiers, on fera voir qu'ils ne peuvent le re- fufer , & que ce concours contient l’autre moyen de la réparer complet- tement. Il découvrira une vérité qu'il eft étonnant qu'on nait pas encore ap- pérçue jufqu’a préfent, qui eft qu'on ne parviendra jamais à faire profpérer E 66 ARTICLES l'Agriculture en France que par les Pro: priétaires. Ces deux moyens font les feuls qu'on puifle employer pour y par- venir efficacement, tant en France que dans tous les autres Etats où l'on cultive : il n’y en a réellement point d’autres ; quoiqu'aucun de ceux qui ont écrit jufqu'a préfent fur cette matière , n’en ayent feu- lement pas fait la moindre men- tion. Quand on a expérimenté l’Agri- culture pendant frente années, on a afléz d'expérience pour aflurer qu'on ne réuflira point autrement. Or; eomme ces deux moyens ne peuvent bien s'effetuer danstoute Tétendué du Royaume, qu'autant que le Gouvernement les protégera ‘& les encouragera ; ce Manuel à À- “griculture {era divifé en trois Parties, PRÉLIMINAIRES 67 La première, concernera le La- boureur. La feconde , le Propriétaire. La troifiéme , le Gouvernement, En donnant ainfi a nos Laboureurs la vfaie méthode quifoit capable de les retirer de leurs routines, & de leur apprendre à bien cuïtiver, en donnant encore le feul moyen de parvenir à remédier au défaut de prairies qui ne peut s'éffeûuer que par le concours des Propriétaires avec leurs Fermiers,toutesnos terres alors prenant le train de rapporter au double & au triple , il s'enfuivra néceffairement , qu'on remédiera à ce quioccafonne encorëlatroifiéme caufe du délabrement de notre Agri- culture, puifque tous les Laboureurs & Propriétaires feront mis bien au- deflus de toutes lescharges & impof- tions dont ils font tenus aujourd’hui, E 68 ARTICLES, &c. Enfin on terminera ce Manue! par la réfutation de la nouvelle Mé- thode de M. Thull, pour faire voir que nos gens de la Campagne ne s’en ferviront jamais, & qu'elle fera toujours propofée inutilement en France & ailleurs, ainfi que fon fe- moir , pour le rétabliflement de l’A- griculture , quand même il ne feroit queftion que d'en faire ufage feule- ment dans la façon ordinaire de cul- tiver. & "Hi to TE re re M A. NU Æ EL D'AGRICULTURE: BONE LE LADBOUREUS: Définition de l'Agriculture Quelles font fes Opérations ? Quel eff fon vrai Principe ? En quor confifle la Méthode qui en réfulte ? L'AGRICULTURE eft l’Art de cultiver la terre. Étant une fcien- ce- pratique , elle a néceffairement fes opérations quoiqu’elle ait plu- fieurs parties; fçavoir , les Terres la- E iij 70 MANUEL D'AGRICULTURE bourables , les Prairies, les Bois’, la Vigne, le Jardin;'il ne fera ici queftion que des Terres laboura- bles, qui en forment teliement la partie effentielle & principale, que, communément dans fa fignification on nentend que cet obiet. Il s'agit donc, en ne confidérant l'A- griculture que du côté des Terres labourables , d'en donner une idée quite & exacte, On ne peut mieux la concevoir qu'en la regardant comme un Aït qui eft généralement compofé du labour, des engrais , des jachères & de la femence. Cette idée paroit d'autant plus jufte, que ce {ont tou- tes les Pratiques locales elles-mêmes qui nous apprenent qu'on ne doit pas la concevoir autrement. C'eft ce qu'on a vu par l'explica- tion qu'on en a donnée cr-deflus POUR LE LABOUREUR. 71 dans le cinquiéme Article des préli- minaires. AR Cependant il y a quelques Can- tons dont les terres, par leur heu- reufe poñition, n’ont befoin que d'ê-, tre labouürées & femées, fans qu'il: foit queftion d'y employer les en- grais & les jachères ; 1l y a même, quelquesPratiques locales entières, où, par le moyen des engrais ; Où péut fe pafler des: jachères ;-on en, parlera plus amplement. quand -on traitera des engrais & des jachères,, Sections H°-& ILE , dullis Chapitre. «Ces mêmes Pratiques, quappren- nent quelles font généralement les opérations de l'Agriculture , nous apprennent encore que- fon. pria- cipe général de fécondité eft de Les ajujler & de les proportionner & toutes les fortes de qualités qui [e rencontrent fur tout terreur, Eiv 72 MANUEL D'AGRICULTURE Ce principe ne pouvant être cons tefté, il en réfulte néceflairement que fa méthode doit confifter : 1°. Dans l'examen des fortes de qualités qui peuvent fe rencontrer fur le terrein qu'on a à cultiver. - 2°. Dans l'expérience du Labou- reur. 3°. Dans la connoiffance des dif- férentes façons d'exécuter les opéra: tions qu'on vient de détailler, rela- tivement aux fortes de qualités des terreins. Ces trois Objets formeront au- tant de Chapitres dont le troifième contiendra quatre Se@ions fur le labour , les engrais, les jachères & les femences. Puifque cette méthode & fon prin: cipe font ainfi appuyés par toutes les Pratiques locales dû monde en- tier où l'on cultive, & qu'ils y font POUR LE LABOUREUR. 73 généralement reconnus , il faut re- jetter toutes les nouvelles métho- des, qui non-feulement admettroient d’autres principes , mais qui fuppri- meroient quelques-unes des opéra- tions détaillées ci-deflus , ou fe- roient des changemens dans la façon de les exécuter: Tant l'antique façon de manier la terre a de majefle ; & doit, fuivant Olivier de Serre , ez impofer{ 74 MANUEL D'AGRICULTURE STE ER -CHAPITRE PREMIER. DE L'EXAMEN DES TERREINS. à Comment on. doit examiner les T'erreins. Qi ne peut nier que rien ne foit fi diverfiñié que la terre, & que ces variétés, dans les fortes de qualités générales & communes qu'on y ap- perçoit d'abord, ne s'étendent, pour ainfñ dire , jufqu'aà l'infini. Cela eft fi vrai que deux piéces de terre qui feront, royées l’une de l'autre , ne fe reflemblent pas abfo- lument, quoique paroiffant de même qualité ; mais avec le tems on y dé- couvre des différences & des nuan- ces ; on les trouvera encore dans deux portions de terre , même les plus petites: ainfi ne pourroit-on pas POUR LE LABOUREUR. 75 dire qu'il en eft de la diverfité des terreins comme des vifages dont au- cun ne fe reffemble ? Cela étant , ce n'eft point cette diverfité qu'il faut examiner & ap- profondir pour connoitre les fortes de cultures qu'il convient de don- ner. Il y a un chemin bien plus court à fuivre, qu'on trouve & qu'on ap- prend dans la méthode qui réfulte de toutes les Pratiques locales , qui eft de n’examiner que les fortes de qualités générales & communes qui fe trouvent fur tout terrein; parce- que , commençant par indiquer , chacune , les fortes de-culture qui peuvent leur convenir ,; au moyen de l’Expérience qu'on appelle à fon fecours, on parvient à les décider & a les déterminer avec certitude. / Ilfaut n'avoir pas la moindre tein- ture de la pratique de l'Agriculture , 76 MANUEL D'AGRICULTURE 1l faut même ignorer jufqu’à fes pre- miers principes , pour ne pas {çavoir que c’eft principalement l’Expérience qui apprend à bien ajufter & propor- tionner les opérations de l’Agricul- ture à toutes les fortes de qualités de terreins qui {e rencontrent. Où enfe- roït-on fi, pour y parvenir , il falloit creufer toutes leurs nuances ? Quelle idée peut-on donc avoir de tous ceux qui fe mêlent aujourd'hui d'écrire fur l'Agriculture ? puifqu'il n'y en a aucun qui n'ait cherché à donner les plus grands détails fur tou- tes les fortes de diverfités qui peu- vent fe rencontrer, s’imaginant que fans cela il n’eft pas poffible de bien apprendre à donner une bonne cul- ture ; que penfera-t-on encore de ceux qui ont écrit dans les Provin- ces pour s'informer de toutes les ef péces particulières de terreins qui POUR LE LABOUREUR. 77 pouvoient fe trouver fur chaque Canton , fur chaque Terroir ? tan- dis qu'il n’eft queftion que de con- noître leurs fortes de qualités géné- rales & communes , en employant en même tems l'expérience. IL. Des fortes de qualités générales & com- munes qui fe trouvent fur tout Terrein. Rien n’eft fi aifé que de trouver Les fortes de qualités générales & communes qui font fur tout terrein; mais cette découverte échappera toujours à ceux qui ne fçavent que la théorie de l'Agriculture. Il faut connoitre les Pratiques lo- cales, & fçavoir encore par foi-mê- me quels font les ufages de la Cam- pagne, pour dénommer toutes les fortes de qualités de terreins qui s'y xençontrent, 78 MANUEL D'AGRICULTURE Quand on parle d’un corps de ‘Ferme, d’un Domaine, d'un Ter- rein, on dit de l’un où de l’autre ;, pour le défigner. » Il eft facile à labourer, parce- » que les terres y font féches & » légères. » [left difficile à labourer , par- » ceque les terres y font pefantes, » humides, &c. » Les terres y font. bonnes, ou » médiocres, ou mauvaifes. » Elles ont du fond, ou elles n’en » ont pas, c'eft-a-dire, qu'elles n'en » ont que pour faire venir les pro- » duétions de Agriculture. » Les terres y font fpongieufes, » dit-on encore , quand elles retien- » nent les eaux ; ou elles ne le font » pas, quand elles ne les retiennent # pas. » Enfin elles font plus où moins » fujettes à pouffer des herbes, POUR LE LABOUREUR. #79 Voilà à quoi fe réduifent toures les fortes de qualités générales & communes qui peuvent fe rencon- trer fur tout terrein qu'on veut cul- tiver, & pour cette ration elles font ainfi dénommées. En les obfervant, on ne difcon- viendra pas qu'elles ne commencent par indiquer chacune la forte de cul- ture qui peut leur convenic , & qu’in- dépendamment de cet examen, 1l faut encore l'expérience du Labou- reur pour aider à le décider. Un terrein, qui paroit bon, com- mence par indiquer qu'il lui faut moins d'engrais & moins de femen- ces qu'à un autre qui fera médiocre ; cependant, cela ne fufñt pas pour bien inftruire le Laboureur , il faut qu'il ait recours a-fon expérience pour mieux s'aflurer des quantités qu'il convient d'employer. 8o MANUEL D'AGRICULTURE Un terrein qui a du fond & qui paroit en avoir dix à douze pouces, commence par indiquer qu'on peut le foncer pour le renouveller ; ce- pendant il n'y a encore que l'expé- rience qui apprendra s'il convient de le faire. Ces deux exemples fufifent pour faire voir que c’eft principalement V'Experience qui apprend comment on doit cultiver tout terrein ; & que, pour y parvenir, il n'eft queftion que de connoiître les fortes de qua- lités générales & communes qui peu- vent s’y rencontrer, & non leurs di- verftés, c’eft-à-dire, toutesles nuan- ces qui peuvent fe trouver dans cha- cune. Il faut donc fçavoir en faire la diftinion, comme on l'a déja dit ; c'eft , pour ainfi dire, l’Alphabet de l'Agriculture ; cependant cette leçonne laïflera pas que de furpren- dre e POUR LE LABOUREUR. $r dre un peu nos Agriculteurs &: nos Ecrivains modernes. | 1 9 a Ce qui occafionne les qualités des bons, des médiocres & des mauvais terreins , & de la difference des [els & des Jucs qu'on y trouve. P OuR le bien & l’avantage de l’A- griculture , 1l n’eft pas néceffaire de fonder les caufes de toutes les fortes de qualités générales & commu- nes qu'on vient de détailler : nos Fermiers n’ont pas befoin d’une pa- reille diflertation ; 11 fuffit qu'ils fça- chent ce qui occafionne les qualités des bons, des médiocres & des mau- vais terreins. Il eft certain qu'ils ne font tels qu'à raifon du plus ou du moins de fels & de fucs qui y font contenus, qu'on doit regarder comme fafant | F 82 MANUEL D'AGRICULTURE la pâturede routes les Plantes que la terre peut contenir & recevoir. Ne pourroit-on pas dire qu'il en eft de cette pâture, qui eft dans l’inté- rieur de la terre pour les plantes, comme de celle qui eft fur fa fuper- ficie, & qui fert à la nourriture des beftiaux ? On y diftingne la pâture des prés, qui eft pour le gros bétail, d’avec la pature des champs, qui eft plus con- venable aux bêtes blanches. Dans ces fortes de pâtures, on voit de très - grandes différences, tant du côté de leur qualité , que du côté de leur quantité : on apperçoit les mêmes différences dans tous les fels & les fucs de la terre. Quoiqu'on puifle dire qu'ils peu- vent convenir à toutes les fortes de plantes , & qu'elles peuvent s'en nourrir, cependant l'Expérience ap- 7 2 POUR LE LABOUREUR. 83 prend qu'il y en a qui conviennent mieux, OU qui conviennent moins à certaines plantes; Voila pourquoi, par exemple , le Lin , le Chanvre, le Colza, &c. réuf- fiflent mieux dans certains terreins que dans d’autres qui paroïffent avoir la même fertilité. Le Froment réuf fira mieux dans un terrein qui fera un peu gazonneux, que dans uñ ter- rein leger & fec; & dans ce terrein fec & leger, le Seigle réuflira mieux que dans celui qui convient au Fro- ment. Ce qui prouve encore que les fels & les fucs ne font pas tous de la même qualité, que la terre en contient qui font de différentes fortes, c’eft ce qui arrive à l'occa- fion de l'alternative des femences & des plantes. Après un Froment , une Lentille, F i 84 MANUEL D'AGRICULTURE qui eft auffli un grain d'hyver, reuf- fira beaucoup nueux qu'un Froment qu'on remettroit encore; après un pommier, un poirier, un pêcher, ou tout autre arbre, fi on en plante un qui foit d'une efpéce différente , il eft certain qu’il réufhira beaucoup mieux que celui qu'on remettroit, qui feroit de la même efpéce de ce- lui qui y étoit auparavant, qui ne pourroit bien réufhr que dans le cas qu’on renouvelleroit , & qu'on chan- geroit le terrein. Indépendamment des différences qui fe trouvent dans les qualités des fels & des fucs de la terre, ilyena encore une très-grande dans leur quantité. C’eft principalement cette diffé- rence qui fait les bons , les médiocres &z les mauvais terreins , comme c'’eft ordinawement le plus ou Ie moins POUR LE LABOUREUR. 85 d'herbes qui fait les bons , les médio- cres & les mauvais prés. Les Laboureurs ne peuvent en- core tre trop attentifs à toutes ces différences de qualités & de quanti- tés qui fe trouvent dans les fels & les fucs de la terre; non-feulement pour mieux diriger & ajuiter leurs opéra- tions, mais pour le choix des grains & femences qui peuvent le mieux convenir à leurs terreins. Il n’eft pas douteux qu’un bon ter- reinne contienne plus de fels & plus de fucs qu'un médiocre : mais ne pourroit-il pas arriver que des ter- reins ne feroient médiocres & mé- me mauvais , que parcequ'ayant un fond qu'on auroit pu fouiller & re- tourner, à l’effet de le mélanger avec le deflus qui eft épuifé pour avoir toujours produit, on auroit négligé de le faire , en fe contentant de les Fu; 86 MANUEL D'AGRICULTURE labourer à la façon ordinaire , quine confifte qu'à les travailler, à raifon de quatre à cinq pouces , tel fond qu'ils puifient avoir ; c’eft ce dont on traitera dans la fuite. POUR LE LABOUREUR. 87 GHRAIP'ETRE IE DE LIE'X P EF RIREIN CE. Comment on l’acquiert ; & quels font fs aus Pu ISQUE le Laboureur parvient, principalement par fon expérience , à bien ajufter & proportionner les opérations de l'Agriculture fur tout terrein, en n’emploÿyant fimplement que l'examen des fortes de qualités générales & communes qui peuvent s’y trouver, il s’agit de lui apprendre a s'en fervir. Dans l'Agriculture , on entend par Expérience, les connoïffances que l'on acquiert en obfervant bien exactement les effets qui réfultent des épreuves qu'on a faites fur un terrein, Fiv 88 MANUEL D'AGRICULTURE Ainfi le Laboureur qui a befoin d'expérience, & quine peut être bien conduit que par elle , ne doit regar- der que comme des épreuves toutes les opérations qu'il fait fur fon ter- rein, pour bien examiner, chaque année , les effets qui en réfultent. Or, pour bien examiner ces effets, & acquérir par leur moyen les con- noïffances qui forment l'expérien- ce , 1l doit remonter à la caufe des effets de fes opérations ; parceque , s'ils font défe&tueux, la caufe en étant connue, le reméde fera bien- tÔt trouvé. C'eft ainfi que le Laboureur éten- dra fes connoiflances & qu'il appren- dra avec le tems a bien cultiver. Au moyen de l'expérience , on eft difpenfé , comme l'on voit, de fonder toutes les nuanceg, qui fe trouvent dans un terrein ; &ilne s'a- POUR LE L'ABOUREUR. 89 git que de commencer par examiner quelles font les fortes de qualités gé- nérales & communes qu'on y ap- perçoit d’abord. Par l'Expérience on apprend donc le fecret de l'Agriculture, puifque par elle on parvient à cultiver un terrein auffi bien, & même plus fure- ment, que fi on s'étoit appliqué à connoiître toutes fes nuances parti- culières. Ce n'eft qu'au bout d'un an qu'on voit, dans l'Agriculture, les effets des épreuves que l’on fait, & même au bout de trois ans qu'on peut faire les comparaifons & les confronta- tions d’une récolte avec une autre qui proviendra du même champ; ce qui arrive, lorfque tout un corps de Ferme fe trouve partagé dansles trois foles ordinaires de grains d’hy- ver , de grains de mars & des jachè- . 90 MANUEL D'AGRICULTURE res; mais, comme ces comparaifons doivent être répétées plus d’une fois avant de pouvoir bien s'inftruire , on doit concevoir qu'il faut bien du tems & bien des années pour for- mer un bon Laboureur , un bon"Cul- tivateur; & que la fcience de la Pra- tique de lAgricuiture n’eft pas auff aifée que bien des gens fe l'imagi- nent. Pour donc bien ajufter & pro- portionner les opérations de l’A- griculture à toutes les fortes de qua- lités générales & communes qui peu- vent fe rencontrer fur un terrein, il faut encore fçavoir les différentes façons de les exécuter qui leur font relatives : on en va traiter dans le Chapitre fuivant. + POUR LE LABOUREUR. 91 GYÉANESTETER UE CELE Des différentes facons d'exécuter les opé- rations de Agriculture, relativement a routes les fortes de qualités de ter- reins. PREMIÈRE SECTION. De l'Opération du Labour. ŸE Laboureur devant varier fon labour fuivant les différentes quali- tés des terreins, 1l faut lui faire con- noiître les différentes façons de l’e- xécuter : 1°. On le fait à plat, par Bandes & par Planches. 2°. On ne peut trop le répéter. 3°. On doit foncer le labour, felon que le terrein a plus ou moins de fond. 4°. On apprendra en quel tems 912 MANUEL D'AGRICULTURE il convient de commencer les la- bours. 5°. On ajoutera certaines maxi- mes générales qui ne tendent qu'à les perfectionner. 6°. On parlera des charrues qui font ufitées dans toutes les pratiques locales. 7°. On fera voir qu’un Laboureur doit être bien monté. I Du labour & plat, par bandes & par planches. ON laboure 4 plar tous les terreins fecs & lègers, parce qu'ils reçoivent l'eau, & qu'ils ne la retiennent pas; cela veut dire qu'on continue de les labourer fans aucune interru- ption, jufqu’à ce qu'ils foient finis. Quand les terreins au contraire {ont humides & parconféquent fujets POUR LE LABOUREUR. 93 à retenir les eaux de pluie ou d’inon- dation , après avoir été labourés à plat , on fait fur ces terreins , a la diftance de fix à fept toifes, plus ou moins de profonds fillons que l’on fonce davantage du côté de la pente pour donner plus de facilité à l'é- coulement des eaux; c’eft ce qu'on appelle Zabourer en bandes. Si ces précautions ne fuffent pas, on forme des planches, de trois à qua- tre pieds feulement de largeur , bor- dées de deux fillons, dont le milieu fera en dos d’äne , ce que le Labou- reur exécutera en donnant de l'élé- vation au milieu de la planche. Pour former ces planches , on commence par faire dans le milieu un fillon qu'on remplit par un la- bour fait à droit & à gauche; on continue de même dans toute l'é- tendue de la piéce de terre, jufqw’à 94 MANUEL D'AGRICULTURE ce qu'elle foit finie : les petites émi- nences , qui en réfultent dans le milieu de chacune des planches, s'appellent Billons. C'eft ainfi qu’on partage en pe- tites planches tout un terrein , pour lui retirer plus facilement les eaux dont l'abondance & le trop long féjour ne pourroient que nuire aux grains qu'on y femeroit. Ainfñ, quand dans un terrein, les eaux ne s'irhbibent pas facilement, on doit le labourer par planches & par bandes | nonobftant que l'ufage de la pratique locale foit de labourer 4 plat , parceque la qualité générale du terroir fur lequel elle eft établie, eft de ne point retenir les eaux. de POUR LE LABOUREUR. 95 IL On ne peut trop répéter le Labour, Ce ST une maxime généralement reçue & reconnue dans toutes les Pratiques locales , qu'il faut bien adoucir un terrein, & qu'il faut, pour ainf dire, le pulvérifer. | On peut dire que cette maxime dérive du principe général de l’Agri- culture , parceque non-feulementil faut ajuiter toutes fes opérations aux différentes qualités des terreins , mais 1! faut encore les ajufter & pro- portionner relativement aux plantes qu'elle emploie. Qu'un terrein foit gazonneux ou léger, qu'il foit difficile ou aifé à la- bourer , il faut le réduire & l’adou- cir, c'elt-a-dire , qu'il faut en déta- cher tous les petits grains de terre qui le compofent. 96 MANUEL D'AGRICULTURE Les grands Phyficiens , qui trai- tent de l'Agriculture , fe fervent du terme de Molécules pour exprimer cespetits grains de terre : mais, cor1- me ce Manuel n'eft que pour les gens de la Campagne, parce qu'ils com- pofent feuls, en France, tout le corps des Agriculteurs, on croit devoir préférer une expreflion qui ef plus à leur portée ; ils n’entendroient pas l’autre qui ne convient qu'aux Amateurs de l'Agriculture, & qu'a quelques Propriétaires qui font va- loir par eux-mêmes. Ainfi ce terme de Molécule ne pouvant être employé , quoiqu'aflu- rement beaucoup meilleur, fi un ter- rein eft extrêmement gazonneux , s'il eft pefant , humide, compaéte, glaifeux , &c. 1l n’y a point à héfiter de répéter les labours , & de les ré- péter jufqu'à ce que les petits grains de POUR LE LABOUREUR. 97 de terre qui les compofent, foient dé: tachés & féparés les uns des autres. En voici la raïfon : Les racines des grains, & de tou- tes les plantes, que l'Agriculture em- ploie , font mifes bien plus en état de pénétrer, de s’infinuer, & par con- féquent de mieux fuccer les nourri- tures qui leur conviennent, Un terrein bien labouré , bien ameubli, ne fe reflent-il pas mieux des influences de l'air , du foleil à Les pluies ne le pénétrent-elles pas davantage ? Quoique les terreins légers, & même les plus légers n'exigent pas tant de labours pour les réduire, en- core ne peut-on moins faire que de leur en donner trois. Quand ils font pris en tems con- venable , ainfi qu’on le verra ci- G 93 MANUEL D'AGRICULTURE après , ils n'en font que plus humi: des, étant fouvent labourés. ” Et même, pour qu’un labour foit bien fait, il faut qu'un terrein foit retourné , à l'effet de mieux mêlan- ger la terre qu'un bon Laboureur cherche toujours à ramener; ce qui ne peut s'exécuter, fi le travail de la charrue n'’eft répété trois fois. On doit comprendre qu'il n’eft ici queftion que des labours qu'on don- ne au froment & au feigle , qui font des grains d'hyver , & qu'il ne s’agit point de ceux qu'on donne aux grains de Mars qu'on ne fait que deux fois ; l'un avant l'hyver, l'autre au printems, ou plutôt qu'on ne fait qu'une fois au printems, fuivant un mauvais ufage qu'on tâchera , ci- après , de détruire. On pourroit donner la raifon poux POUR LE LABOUREUR. 09 jaquelle ces fortes de grains n'ont befoin que de deux labours, c’eft que , fuccédant ordinairement au froment & au fegle ; ils font femés dans des terreins qui ont été extrês mement travaillés, & qui ne peu- vent que s’en refientir: H conviert d'obferver, que né pouvant parvenir à bien retourner un terrein qu'au troifiéme labour ce n'eft que quand il fera fait qu'il s'agira de le croifer, fi la fituation du terrein le permet, parcequ'en fais fant plutôt le croifement, c’eft-à- dire après le premier ou le fecond labour , il empècheroit que le terrein ne fût retourné comme il doit l'être ; au lieu que n'étant fait que comme on le propofe, après le troifiéme labour, il aura tout le bon effet qu’on peut s’en promettre. Ce n'eft pas entendre le travail du Gi » 100 MANUEL D'AGRICULTURE labour , que de propofer autrement ce croifement. ILE On doit foncer le Labour félon que le terreën a plus ou rnoins de fond. D E toutes les opérations de l’A- griculture il n’y en a point de plus intéreflante,qui demande autant d’at- tention, & qui foit plus capable d’a- méliorer un terrein , que celle du labour, principalement dans ceux qui ont encore un fond de terre au- deflous de celui qu’exigent fes pro- du&tions , à la différence des autres terreins , quin'ont que ce qu'il leur faut pour les faire venir , dans lef- quels l’opération de l'engrais eft celle qui a le plus d'effet. Comme les produétions de l’A- griculture ne font que des plantes POUR LE LABOUREUR. 1o1 annuelles & des plantes fibreufes, qui ne cherchent qu’à s'étendre , il ne faut dans tout terrein labourable qu'environ quatre pouces de fond de terre pour les faire venir ; le fro- ment , dont les racines pivottent & s'étendent plus que celles de toutes les autres, n’en exige pas davan- tage. L’Auteur de la Nature l'a ainfi réglé, afin que l’homme , en tel en- droit de la Terre qu'il habite, puifle trouver à fe procurer plus facile- ment fes befoins les plus néceffaires. Les produétions de l'Agriculture n'exigeant pas plus de fond , c’eft ce qui a occafionné, dans toutes les Pra- tiques locales , l’introduétion de l’u- fage de ne faire les labours qu’à rai- fon de quatre à cinq pouces ou environ. I ne faut cependant pas s'y mé- G il xo2 MANUEL D'AGRICULTURE prendre; trous nos Laboureurs, en fe conformant à cet ufage , donnent dans une rottine qui porte à l’A- griculture le plus grand préjudice. _ Le principai objet de l'opération du labour , lorfque le fond le per- met , étant de renouveller un ter- rein , c'eft donc plutôt le fond qu'il peur avoir qu'il faut confulter, que celui que ces produétions peu vent occuper. | Mais, y ayant une aufli grande va: “ation dans le plus où le moins de fond de tous les différens terreins, & même d’un terrein qui paroïît d’u- ne mème qualité, il n’a pas été pof- fble à aucune Pratique locale de ftatuer autrement fur le fond du labour, On a déja vû que, pour le bien régler , on en a renvoyé la déci- fion à l'examen & à l'expérience POUR LE LABOUREUR. 103 de chaque Laboureur en particu- her. Au furplus le principe , qui ré- fuite de l'établifiement de toutes les Pratiques locales étant qu’Z/ faut ajufler & proportionner les ope- rations de l'Agriculture a toutes des différences de terreins qui peuvent fe rencontrer ; & Ce principe étant aufli généralement reçu & recon- nu dans toutes les Pratiques lo- cales, il eft évident que tout Las boureur en particulier, de tel Pays, de tel Canton que ia Terre quil puifle être , ne doit régler fon labour que fur le plus ou le moins de fond que peut avoir le terrein qu'il a à cultiver. N'y ayant, en conféquence de ce principe général , comme on l'a fait voir ci-deflus , que l'examen du terrein & l'expérience qui doivent G iv 104 MANUEL D'AGRICULTURE guider le Laboureur dans toutes fes opérations ,1l ne doit fe confier aux ufages de fon terroir que relative- ment à ce principe. Ainfi la grande fcience du Labou- reur,eft de connoitre fon terrein, ce qu'il peut avoir de fond, & com- ment il doit s'y prendre pour s’en aflurer. Pour mieux l'inftruire fur tout cela, 1l s'agit de quelques obferva- tions. Le terrein qu'il cultive, fait par- tie du premier lit de la terre. On fçait que la terre eft parta- gée & divifée en plufñeurs cou- ches, c'eft-à-dire en pluñeurs lits. Le premier lit, qui compofe fa fuper- ficie, eft ce qu'on appelle Terrern; ileft plus amolh, plus attendri que tous les autres qui font deflous, parcequ'il eft plus à portée d'être continuel- POUR LE LABOUREUR. 105 lement pénétré par les pluies, les influences de l'air , du foleil, & par les gélées, les dégels, les brouil- lards, &c. Dans ce premier liton trouve une grande diverfité de fond. Il y a des terreins qui n'ont que cinq à fix pouces; 1l y en a quin'en ont que trois à quatre , & qui n'ont que ce qu'il faut pour faire venir les produétions annuelles de l’Agricul- ture ; 1l s'en trouve même qui n’en ont pas affez ; ce qui occafionne des terreins incultes & abandonnés. Cependant on peut y trouver plus de fond, comme de dix à douze , ou de douze à quinze pouces; on en trouve mème qui ont jufqu’à deux & trois pieds, quoique de même qualité. Cette variation fur le plus ou le moins , eft telle qu’elle peut fe ren- 106 MANUEL D'AGRICULTURE contrer dans ce qui compofe un ar- pent, & dans moins d'étendue encore. De façon que quand on trouve un certain fond , 1l faut fçavoir s'il fe fuit & s’il fe foutient. Il n'y a que ce premier lit que la charrue puiffe travailler, & qui peut fervir à l'Agriculture ; le lit qui eft deflous, qu'on appelle Tuf, ne peut que lui être nuifible , n'étant ordinai- rement qu'un terrein graveleux, ou crayonneux , qui commence à fe former en pierre, & qui, pour cette raifon, ne pourroit qu'altérer & def- fécher le lit de deflus, fi la char- rue les mêlangeoit, On entend même par le terme de Tuf, une terre dont la couleur eft différente de celle du premier lit: ainf lorfque la charrue la rencontrera, 1l faut s’en défier, toute aifée qu'elle paroifle à labourer, n'étant , fuivant FOUR LE LABOUREUR. 107 les apparences , pénétrée d'aucune des influences qu'on vient de détail- ler, & qui font fi néceflaires pour faciliter la végétation. Si on veut s’en fervir, 1l faut com- mencer par en faire l'épreuve en petit. De façon qu'afin de ne point fe tromper dans l’idée qu'on doit fe former d'unterrein, 1l faut que toute la terre qui le compofe , pour pou- voir être réputée de même qualité, foit de la même couleur. On doit concevoir que tous les autres lits qui font après le tuf, font généralement -encore bien moins propres à l'Agriculture. Il faut faire attention que dans l’é- paifleur de ce premier lit, c’eft-à- dire que dans les terreins qui ont au- delà de ce que les produétions annuel- les de l'Agriculture peuvent oçccu- 108 MANUEL D'AGRICULTURE per, il convient d’y diftinguer la par- tie de deflus qu’elles occupent , qui ne peut être que d'environ quatre pouces , & d’y diftinguer encore la partie de deflous, qui contient une nouvelle terre de même qualité & de même couleur que celle de def- fus , que la charrue peut fouiller, rechercher & amener pour le réta- bliflement , l'amélioration & le re- nouvellement de la partie de deflus. Pour entendre comment cette partie de deflous peut renouveller la partie de deflus par le travail da la charrue , il faut fçavoir que fon {oc , enlevant la terre de deflous, à chaque labour qu’elle fait, elle la renverfe en même-temsau moyen de fon oreille ou de fon verfoir, pour la mélanger avec celle de deflus ; de forte quil ne fe peut qu'au moyen de fon oreille, ou de fon POUR LE LABOUREUR. 109 verfoir , elle ne renverfe la terre de deflous pour la mélanger avec celle de deflus. Il faut encore faire attention que, pour bien renouveller un terrein , il ne faut pas moins trouver qu’en- viron quatre pouces de terre dans la partie de deflous, c’eft-a-dire qu'il en faut trouver autant qu’en occupent & qu’en exigent les plan- tes de l'Agriculture. S'il s'en trouve davantage , c’eft- à-dire trois à quatre pouces de plus, le renouvellement s’en fera encore mieux, aura plus d'effets & fera plus durable. En fin il faut fçavoir que tel fond de bonne terre que puifle avoir un terrein, il ne s’agit que d’en enlever, avec la charrue , environ dix à douze pouces, & même en deux fois, par rapport aux trop grandes 410 MANUEL D'AGRICULTURE difficultés de tirage qui pourroient en réfulter, fur tout dans des ter- reins forts & pefants, comme ceux qu, pour un labour feulement de quatre à cinq pouces ou environ, exigent quatre ou fix chevaux, ou autant de bœufs. Dans les terres légères, où on pourroit en enlever facilement da- vantage , cela ne ferviroit de rien, parceque , dans un fond de dix à douze pouces de terre , on trouve fufifamment de quoi exécuter le re- nouvellement dont eft queftion. Puifqu'il ne s'agit pas d'enlever plus de fond de terre , le Laboureut n’a donc befoin que de fa charrue & de fa pioche pour täter & fon- der fon terrein, pour fçavoir ce qu'il peut avoir de fond, & s'il eft fuf- ceptible de pouvoir être renouvellé. Une fonde ne le ferviroit pas auf POUR LE LABOUREUR. rre# bien, puifque , quand même elle lui découvriroit , en quelques endroits de fon terrein, le fond qu'il pourroit fouhaiter , 1l ne feroit pas auf afluré qu'avec fa charrue , fice fond fe fui- vroit & fe foutiendroit également, ce qu'il eft eflentiel de fçavoir , y ayant bien des terreins qui, avec l'apparence de beaucoup de fond, ne fe trouvent avoir, quand on les fonde avec la charrue, que cinq à fix pouces qui fe fuivent, à raïifon. des inégalités qui s’y rencontrent. On peut donc dire que l'invention de la fonde n’eft pas fi merveilleufe ni fi utile à l'Agriculture qu’on fe left imaginé : dans un bon terrein qui a du fond, on trouvera des fe- cours & meilleurs & plus furs que tout ce qu'on pourroit tirer des en- trailles de la terre. Pour un terrein qui na même 112 MANUEL D'AGRICULTURE que le fond qu'il lui faut, l’engrais ordinaire des beftiaux, bien exate- ment renouvellé, lui conviendra toujours mieux que tout ce qu'on pourroit découvrir avec la fonde ; il convient mieux de s’en tenir aux reflources qui {font plus aifées, moins difpendieufes & qui font d’un profit plus afluré & même beaucoup plus confidérable. Un Propriétaire qui commence à faire valoir, peut cependant s’en amufer: on n'entend point en inter- dire l’ufage , quoique tous les bons Laboureurs , & ceux qui fçavent ce que c’eft qu'Agriculture , ne s’avife- ront point d'y avoir recours ; ils la regardent même comme une frivo- lité. D E toutes les obfervations pré: cédentes, ilréfulteque, fi dans unter. rein ;, POUR LE LABOUREUR. 114 fein il ne fe trouve qu'environ le fond de terre qu'il faut aux plantes de l'Agriculture pour les faire venir comme quatre à cinq pouces ou cinq à fix environ, le Laboureur s’en tien- dra à la façon de iabourer de fa Prati- que locale ; parceque pour lors, ne lui étant pas poñfible de foncer da- vantagé pour le rétablir & le renou- veller , il ne lui reftera d'autre parti à prendre que de recourir à l'en- grais, & d'en faire ufage ; c'eft ce que l'on traitera dans la feconde Se&ion de ce troifiéme Chapitre; Cependant ;, comme les plantes de l'Agriculture n'occupent qu'environ quatre pouces, le Laboureur dans tous les labours qu'il fera, s'il veut s'en bien acquitter , ne fera pas dif- penfé d'examiner, de tâter & de fon- der avec fa Tharrue , Ce que fon ter- rein peut avoir de fond au-dejà de H 114 MANUEL D'AGRICULTURE ce que cesplantes exigent, pour, fans rencontrer le Tuf , faire enforte d’a- mener toute la nouvelle terre qu'il pourra trouver, à l'effet de contri- buer encore a l'amélioration de fon terrein , fans que cela le difpenfe d'avoir recours à l’engrais. Quand même , avec fa charrue ; il n'ameneroit qu'un pouce, deux pouces de nouvelle terre , cela fe- roit encore d'autant mieux qu'il lui faudroit moins d'engrais. Un Laboureur, qui entend bien à manier fa charrue , ne s’embarrafle pas même des inégalités de fond qu’elle peut rencontrer; il trouve encore le moyen de fe procurer une nouvelle terre. Auflitôt qu'il apperçoit que celle qu'elle amene, eft tant {oit peu dif- férente en çouleur défcelle de fon terrein, il ne manque pas de la rele- POUR LE LABOUREUR. 11 ver en continuant fon labour, & en tâtant toujours fon terrein, pour recommencer à le foncer dès qu'il s'apperçoit qu'il a plus de fond. Dans le tems que l’Auteur des Prairies artificielles faioit valoir par lui-nième, {a grande attention étoit quef es Laboureursentendiffent ainfi à manier leurs charrues, & 1l étoit exa@ a les fuivre de près dans tous leurs labours ; parceque rien n'’eft plus avantageux , que de chercher toujours à amener la nouvelle ter- re, nonobftant les difficultés qu'on peut rencontrer. Si, au contraire , on eft aflez heu- reux pour faire valoir un domaine, un corps de Ferme, qui, dans fa contenance , ait tout le fond qu'on puule défirer pour renouveller la partie de deflus, en lui fubftituant une nouvelle terre, par les labours Hi 116 MANUEL D'AGRICULTURE que l'on fera ; on peut regarder ce fond de terrein comme une Mine très-riche , en état de donner les plus belles & les plusabondantes ré- coltes , par l'opération feule du la- bour. On doit concevoir ce que c’eft qu'une nouvelle terre, qui a toute fa force, qui n’a point travaillé, & qui doit contenir d'autant plus de fels & de fucs, qu'elle eft dans le cas de recevoir ceux de la terre de la partie de deflus, lorfque les pluies, les détrampant trop, les en détache, I n'y auroit point d'exagération en difant qu'une pareille terre , qui provient de la partie du deflous d'un terrein qu'on laboure, doit avoir plus d'efficacité que le meil- leur engrais tel qu'il foit, qu'on em- ployeroit ; puifque, n'ayant d'autre effet, comme on le dira @-après , POUR LE LABOUREUR. 117 que de nourrir, de fortifier & de rétablir les fels & les fucs de la par- tie du terrein de deflus, c’eft-à-dire, de la partie qu'occupent les plantes, ils ne doivent pas être mis en com- paraïfon avec une nouvelle terre qui a toutes les qualités qu'on vient de détailler , & qui procure de nou- veaux fels & de nouveaux fucs en grande abondance. En fubftituant une nouvelle terre à celle qui a travaillé, c’eft un nou- veau terrein qu'on donne aux plan- tes : peut-on rien de plus avanta- geux , & qui puifle procurer autant d'effets ? En tout cas, fi cette nouvelle terre exigeoit quelques engrais, ïl en faudroit bien peu; car on peut dire généralement , que quand un renouvellement de rerrein aura été bien fait & bien travaillé, c’eft-à- | H 118 MANUEL D'AGRICULTURE direque quand le deflus & le def- fous auront été bien fouillés, bien recherchés & bien retournés par l'o- pération & par le travaitde la char- rue, on pourra fe pañler d'engrais. Toutes les épreuves que l'on en fera , ne pourront que le confirmer ; à moins qu'un terrein, par fui-mè- me, quoiqu'ayant beaucoup de fond, ne {oit extrêmement léger & cen:- dreux , ou ne foit tfop froid. Cependant un grand avantage ; qu'on trouvera toujours, en faifant ainf le renouveliement d'unterrein, & qui confirme qu'il ne fera pas be- foin de recourir à l’engrais, ou du moins qu'il n'en faudra que très-peu, c'eft que dans les terres léoères , la partie de deffous ayant toujours plus d'humidité & plus de confiftance que Ja partie de deffus ; & dans les ter- res bumides & pefantes, la partie de POUR LE LABOUREUR. r19 deffous ayant plus de féchereffe & plus de lésèreté que la partie de def- fus, comme on l’expliauera ci-après, cela fait réciproquement un con- trafte fi heureux , qu'on ne peut rien exécuter de plus avantageux: pour l'Agriculture, ni rien qui puifie mieux procurer le rétabliflement & Famélioration d'un terrein par le mêlange qui fe fait nécefairement de toutes ces qualités oppofées. Que ne propofe-t-on cette façon de mêlanger le terrein, plutôt que. celle qui ne fe fait qu'en allant cher- cher des terres au loin, & qu'on ap- pelle Engrais artificiels. Cette autre façon a cependant été annoncée comme une découverte merveil- leufe ; on en parlera plus particuhè: sement dans la Section fuivante. Dans un terrein qui a du fond; on trouvera toujours fous fes pieds j H 1v 120 MANUEL D'AGRICULTURE avec la charrue, cet engrais arti- ficiel , c’eft à-dire , une terre au moins aufh convenable & aufli ana- logue que celle qu'on ne pourrait aller chercher qu'avec beaucoup de dépenfes & un tems confidérable. C'eft dans ces fortes de terreins qu'on peut dire véritablement que le reméde eft toujours à côté du mal. L'Engrais artificiel , qui fe fait donc en allant chercher des terres au loin , d'une qualité oppofée à celles avec lefquelles il s’agit de les mêlanger , quoique trèsbon , ne doit fe pratiquer que dans des ter- reins qui n’ont pas aflez de fond pour les plantes annuelles de l’Agri- culture. Encore dans les terreins, qui n’ont que ce qu'il faut pour les faire venir, l'engrais ordinaire , c’eft-à-dire , POUR LE LABOUREUR. 121 celui des beftiaux conviendra-t-il mieux : c’eft ce que l'on expliquera plus au long dans la Seétion fuivante. Les effets merveilleux & furpre- nants, quine peuvent que réfulter du renouvellement de terrein, au moyen de la feule opération du la- bour, font fi fenfibles que quoiqu'on püt fe difpenfer de les juftifier par des expériences ; on va cependant rapporter celles qui ont été faites par l’Auteur des Prairies artificielles dans le tems qu'il faifoit valoir fa Terre par lui-même. Quoique fituée en Champagne où il y a bien peu de fond de terre, & à peine ce qu'il en faut pour les pro- duétions de l'Agriculture , il a trouvé dans fon corps de Ferme quelques piéces de terre, qui au lieu de qua- tre à cinq pouces de fond, en avoient jufqu'a neuf à dix, bien fuivis & bien foutenus. 122 MANUEL D'AGRICULTURE Ayant profité de ce fond pour y eflayer le renouvellement de terrein par l'opération du Labour, & pour y femer du froment , quoiqu'aupara- vant on n'y eût femé que du feigle » il eft arrivé que, fans avoir employé le moindre amandement , il a re- cueilli par arpent environ huit fep- tiers de froment, du poids de cent quarante livres chacun, tandis qu'au- paravant 1l n'y recucilloit qu'envi- ron cinq feptiers de feigle à la mê- me mefure. Il eft bon de faire fentir tout l'a- vantage de ce changement. Si on fe fouvient de ce qui a été dit dans l’Article II des Préliminai- res, à l’occafion du produit de nos terres , on verra que dans le tems que ces piéces de terres , labourées fnivant la routine ordinaire, ne rap- portoient qu'environ çinq feptiers POUR LE LABOUREUR. 123 en feigle, cela ne faifoit qu'un fep- tier de refte , tous frais faits. Or, au lieu d'un feptier de feigle de refte, s'agiflant de trois feptiers de froment, & le froment valant or- dinairement le double du feigle on doit concevoir l'augmentation con- fidérable qui réfulte de ce renouvel- lement. Aïnfi on voit par cette expérien- ce, comment ( en quelque pays & canton de la Terre que foit fitué un corps de Ferme ) on peut par- ‘venir à en doubler , tripler le re- venu & même au-delà, fans qu’on puifle, & fans mème qu'il foit per- mis d'en douter. Cette expérience fert encore à rendre bien fenfble le tort prodi- gieux que font à notre Agriculture Les routines de nos Laboureurs, en ue profitant pas d'un terrein qui a 124 MANUEL D'AGRICULTURE un fond fufffant ; & on voit com- bien il eft important de travailler à les en retirer. Si une pareille expérience a réufl en Champagne dans quelques ter- reins qui avoient du fond ; quels effets merveilleux ne doit-on pas en attendre dans les Pays & Cantons où il fe trouve de bonnes terres ? Cependant , comme les terres y font généralement très-légères , ce n’eft que dans celles qui ont quel- que confiftance , que le renouvelle- ment de terrein peut ainfi réuflir fans engrais; autrement , comme on la déjà obfervé , il convient d'y avoir recours ; mais il n'en faudra que moitié de ce qu'on en emploie ordinairement , & ce fera toujours beaucoup gagner. ._ Ce n’eft que faute de bien foncer le labour dans les terreins qui ont POUR LE LABOUREUR. 115 du fond, qu'ils font ordinairement réputés médiocres & mauvais. On doit d'autant mieux le conce- voir que, auand , fuivant la routine ordinaire , un terrein eft toujours la- bouré dans le même fond de qua- tre à cinq pouces, & quand il n’eft foulagé que par les jachères, & n'eft foutenu que par quelques légers en- grais qui ne font pas renouvellés à propos, tout cela ne peut fufire pour le bien entretenir ; il ne peut même que fuccomber en peu d’an- nées, fur tout fi l’on fait attention à la quantité de fels & de fucs qu'il doit fournir à chaque récolte qu'il donne, quand même elle ne feroit que médiocre. Car rien n’épuife tant un terrein que les produ&tions de l'Agriculture, parcequ'elles ne peuvent occuper qu'environ quatre pouces de la fu- 426 MANUEL D'AGRICULTURE perficie , en s'étendant horifontale- ment de tous les côtés, à la diffé- rence des plantes vivaces , dont les racines, prenant beaucoup plus de fond , ne fatiguent pas’, à beaucoup près , autant la fuperficie de la terre. FN ESTE à faire voir comment un Labouréur pourra s'y prendre pour exécuter ce renouvellement fur fon corps de Ferme , en lui fuppoñfant un fond de terrein fuffifant. Dans les labours qu'il a à faire, au lieu de n’enlever avec fa charrue, comme 1l le fait ordinairement , qu'environ cinq pouces de terre, qu'il tente , au premier qu'il donne- ra, d'en enlever feulement un pou- ce ou deux de plus? Si cetté première tentative lu réuflit fans rencontrer le Tuf, ou POUR LE LABOUREUR. 127 une terre de couleur différente de celle de fon terrein , 1l rentrera dans le même fillon quil vient de faire pour tâcher d'en enlever encore qua- tre à cinq pouces. Après avoir ainfi enlevé un pied de bonne terre , il en reftera la, & continuera fon labour de même juf- qu'à ce que fon champ foit fini. Il eft vrai que cette façon de la- bourer donne beaucoup plus de pe: nes; mais on eft bien récompenfe. Il continueroit donc la même opé- ration de labour dans tout ce qui fe trouveroit dépendre de fon corps de Ferme, ou du moins dans tout ce qui s'en trouveroit fufceptible. Après avoir ainfi fait fon premier labour, 11 ne feroit queftion dans tous les autres qu'il donneroit jufqu'au tems de la femence , que de les faire 128 MANUEL D'AGRICULTURE a l'ordinaire, c'eft-à-dire, d'environ cinq pouces; parcequ'au moyen du premier double labour , tout le ter- rein fe trouve renverfé. Cependant, pour rendre moins pé: nible cette opération, & pour qu'elle prenne moins de tems , on pourroit la partager en trois, en fix, ou neuf ans, c'eft-à-dire que , tous les ans , on laboureroit , comme on vient de le dire , la troifiéme , la fixiéme, ou la neuviéme partie de fon corps de Ferme ; &, s’il étoit partagé dans trois foles ordinaires , cela revien. droit tous les ans au tiers , à la moi- tié , ou au total de ce qui fe trouve- roit en jachères. Ainfi en trois, en fix ou neuf ans, _on peut entièrement revouveller tout le terrein d’un corps de Fer- me, & le mettre par conféquent en état de rapporter au double , ou at POUR LE LABOUREUR. 129 au triple de ce qu'il rapportoit ci- devant, L'exécution de l'opération de ce renouvellement pourroit encore fe faire autremént, Au lieu de le faire en deux fois, en revenant dans le mème fillon, pour achever d'enlever quelques pouces de bonne terre, on pourroit enlever le tout à la fois, en doublant les forces de tirage. Le Laboureur prendra le parti qui lui femblera le plus convenable. Cette opération {e trouvant exé- cutée en trois, en fix ou en neuf ans, comme le renouvellement de terrein , qu'elle procure, eft autre- ment durable que lengrais , on pour- roit ne le recommencer que tous les neuf ou douze ans, pendant lequel intervalle on ne feroit le labour qu'à lordinaire. 130 MANUEL D'AGRICULTURE Le terrein fe reffentiroit fuffifam- ment de la nouvelle terre qu’on li auroit procurée ; & , pendant cesneuf ou douze ans, la partie de deffous, qui fe repoferoit , reprendroit toute la qualité d’une bonne terre nou- elle ; de façon que, par cette alter- native , on feroit toujours en état de bien entretenir le renouvellement. Enfin, pour réuflir dans l'exécution de ce renouvellement, & pour lui donner un fuccès afluré, il ne faut -pas manquer d'en faire le premier labour avant’ l'hyver , c'eft-à-dire vers le tems de la Saint Martin. On doit en fentir la néceffité , -puifque , s'agiffant d'amener , par le moyen de la charrue , une nouvelle terre qui ne s’eft pas fi bien reflentie des influences de l'air , du foleil, des pluies & de tous les effets de l'Ath- mofphère , que celle de la fuperfcie, POUR LE LABOUREUR. 134 les fels & les fucs qui y font conte- nus ont befoin d'être expofésd'abord à la faifon de l'hyverpour être rani- més & fortifiés, cette faifon fe trou- vantla plus propre & la plus favora- ble pour faire fondre tout le terrein par ie moyen des dégels, des neiges, des brouillards, &c. Au lieu œue , fi on ne commen- çoit ce renouvellement qu'au prin- tems, on courroit grand rifque de ‘’en pas tirer tout le fuccès qu'on en efpéreroit ; il pourroit même arri- ver qu'on verroit manquer fon opé- ration , parcequ'il s’agit de bien dé- gager des fels qui fe trouveroient comme inanimés, Dans l'Article fuivant, on vaien- core voir combien font avantageux tous es labours qu'on fait avant Fhyver. 1j. 132 MANUEL D'AGRICULTURE I V: En quel tems il convient de commencer les Labours. NN Os Laboureurs, nos Fermiers font dans l’ufage de ne commencer leur labour qu'au printems , tant pour les bleds que pour les Mars. On ne fçait fur quoi peut être fon- dé ce mauvais ufage qui ne peut faire que beaucoup de tort à l’Agri- culture ; l'Expérience ayant toujours fait voir que, quand on les anthy- verne , c'eft-à-dire que quand on commence à leur donner le premier labour vers la Saint Martin, ils ont bien plusde fuccès. Cependant aucune occupation pour lors ne les en empêche, puifque tous les travaux de la campagne font finis. Une feule façon avant l'hyver POUR LE LABOUREUR. 133 pulverifera plus la terre que deux qui feroient données au printems ;, enforte que , pour lors, le tirage de la charrue fe trouveroit bien moins pémible. Cette façond’anthyverner , ajou- te un labour de plus , tant aux bleds qu'aux Mars, & on peut dire que ce labour fera toujours le meilleur de tous ceux qu'on pourra leur donner. Il eft d'abord conftant qu'il réufñt mieux pour lors, que dans toute autre faifon , à détruire & à faire mourir toutes les racines des herbes, en les mettant à découvert avant les gêlées, (ce qu'il eft bien important de fçavoir & d'exécuter dans tous les pays & cantons qui font plus fujets à pouffer beaucoup d'herbes ). Mais , indépendamment de cet effet, c'eft que la terre, qui eft ainf re- tournée avant l'hyver , fe refait & Ji 134 MANUEL D'AGRICULTURE fe rétablit beaucoup mieux que f eile n'étoit pas labourée, les pluyes, les neiges, les gèlées, les brouillards la pénétrant beaucoup plus facile ment. ; On fçait que l'hyver eft le temps que Îa nature prend tous les ans pour fe renouveller, & pour fe re- mettre du travail qu'elle a eu pen- dant les deux fañfons du printems & de l'été : 1l s'agit de reprendre Phuñidité qui lui eit fi néceffaire pour rétablir fes fels & fes fucs, & pour qu'ils puiflent recommencer à agir. , Cette humidité étant le principe effentiel de la végétation , le La- boureur doit être attentif à faifir le temps le plus capable de la lui ren- dre , & 1l doit encore avoir l’atten- tion de la lui conferver dans tous les labours qu’il a à donner pendant les POUR LE LABOUREUR. 135 deux fañons du printemps & de l'été, ce à quoi 1l ne réufhra qu'en obfervant toujours de ne les faire. que dans les temps convenabies , ainfi qu'il fera dit ci-après : il doit furtout avoir cette double attention pour les terres légères , dont le defféchement ordinaire eft l'unique caufe de leur ftérilité. Ainfi le labour, qu'on leur don- nera avant l'hyver ; leur fera d’au- tant plus favorable , que c'eft prin- cipalement par cette opération , qu'elles contraftent davantage l’hu- midité dont elles ont tant de be- foin. À légard des-terres fortes, pe-. fantes , humides, le labour avant lhyver ne pouvant fervir qu'à les rendre beaucoup plus faciles à être labourées au printemps, & qu'à les rendre beaucoup plus meubles, on Jiv 136 MANUEL D'AGRICULTURE - peut dire qu'il contribuera à les deffécher davantage & à ne leur laïfler que l’humidité qu'il leur faut. En prénant la précaution de ne les labourer dans la fuite que dans les temps qui peuvent leur conve- nir, on ne fera point furpris de voir deux effets différens provenir d'une même caufe. Tout ce qu’on vient de dire con- cerne les terres qui doivent être énfemencées en grains d'hyver. Pour les mêmes raïfons , furtout pour faire un labour ‘plus aïfé & plus ameubli au printemps , il con- vient de ne pas manquer d'anthy- verner encore les terres qui doivent être enfemencées en Mars, & de leur donner deux labours aulieu d'un. L'opération d’anthyverner les ter- res à Mars , fe fait aufh-tôt la re- POUR LE LABOWREUR. 137 colte des fromens & des fegles , d’au- tant plus avantageufement , qu’elle retourne & enclos les chaumes qui pour lors peuvent fervir d'amande- mens ; cependant il eft encore inté- reflant de ménager la pâture des Bètes blanches & d'y avoir atten- tion. V. Maximes générales fur les Labours. TS DE quelque façon que s'exécu- tent les labours , qu'on les fonce autant que le terrein peut le per- mettre , qu'on les fafle exaëétement avant l’hyver, en un mot , que le Laboureur fe retourne tant qu'il voudra pour tâcher de parvenir de fon mieux à les ajufter & propor- tionner à toutes les différences de terreins qui {e rencontrent, en faifant bien ufage de fon expérience, en- 138 MANUEL D'AGRICULTURE core n'aura-t-1l pas un plein fuccès, fi, en faifant fes labours, il n'a pas l'attention de les faire en tems con- venable , & s’il n'a pas encore celle de ne les recommencer que quand la terre aura repris la liafon qu'elle avoit avant d'être labourée. Quoique ces deux maximes foient généralement reçues & reconnues dans toutes les Pratiques locales ; quoique leur exécution foit d'une aufñ grande conféquence, cela n’em- pèche pas que la plüpart de nos La- boureurs , emportés par leurs rou- tines, ne penient pas feulement à obferver la première , qui mérite le plus d'attention; ils vont prefque toujours fuivant le tems,& le pré- nent comme 1l vient; cependant cette première maxime eft d'autant plus importante , que , dans tous les labours que l’on fait, fi variés qu'ils POUR LE LABOUREUR. 9 uifent être , il s’agit de conferver fon terrein aMnnidité que le repos de l'hyver lui a rendue, &.qu'il sa- gitencore de ne lui en laifler que ce qu'il en faut, fuppofé qu'il fe trouve qu'elle y domine trop. On ne contéftera point que l’hu- midité ne foit le principe eflentiel de la végétation; ce n’eft que par elle que les fels & les fucs de la terre font mis en état d'agir: s'il n’y en a pas aflez, ils ne font que languir, & sil y en a trop, ils font comme éteints, fans force & fans vigueur. Il ef donc de la plus grande con- féquence pour le Laboureur, de la ménager & de la régler , fuivant que fon terrein eft plus ou moins fec, plus ou moins humide. Cela ne pouvant s'exécuter que par les labours , il s'enfuit qu'il ne convient de labourer ies terres fé- 140 MANUEL D’AGRICULTURE ches & légères que dans les tems un peu humides, comme après une pe- tite pluie, & qu'il ne convient de labourer les terres humides, fortes & pefantes que dans un tems un peu fec: Quand un Fermier, dans fon corps de Ferme , a plufieurs piéces de terre de différentes qualités, il peut plus facilement s'arranger , fuivant le tems ou il fe trouve. Ces deux fortes de terres féches ou humides, quoiqu'auffi oppoiées, ne doivent point encore être travail- lées dans des tems trop pluvieux ou trop fecs. Quand un terrein fec ou humide eft labouré dans un tems où il eft trop imbibé & comme en mortier, la moindre fécherefle qui furvien- dra , le durcira de façon que quand même 1} y auroit encore des labours POUR LE LABOUREUR. 141 à faire, ils ne pourroient que s’en reflentir ; ce feroit une récolte man- quée. Si,au contraire,cesdeuxterreins, quoiqu'oppoiés, font travaillés dans un tems fi fec que la terre forme des fentes , indépendamment deslabours fuivans , il y refteroit toujours des parties qui ne pourroient s’ameu- blir , fur tout dans celui qui feroit humide & pefant, ce qui retireroit tellement à l’un & à l'autre l’humi- dité qui leur eft néceffaire , que ce . feroit encore une récolte manquée. C'eft un proverbe dans les Cam- pagnes, que /e labour , fait à propos, vaut un amandement. Quand l'Auteur des Prairies artificiel. Les pourroit parvenir à ne faire labou- rer fes terres les plus féches, les plus légères, même les plus mauvailes, qu'après une peute pluie, & que dans 14 MANUEL D'AGRICULTURE un temis un peu humide ,il en réful- toit toujours de merveilleux effets. Ces effets ne pouvant être les mê- mes par-tout où il eft queition d’A- griculture, on doit par conféquent s'attendre à de pareils fuccès danses terreins humides & pefans, quandies labours n'y feront donnés que com- me on vient de le dire. Tout cela fait voir que le labour, quand il eft bien conduit, eft un grand principe de fertilité dans les terres mêmes les plus féches & les plus légères, & prouve combien fon opération mérite d'attention. Quoique le Laboureur ne foit pas le maitre des faifons , & qu'il ne puifle pas deviner les tems , il peut cependant un peu compter fur une variation qui leur eft aflez ordinaire. Ainfi, pour qu'il fe mette en état de pouvoir parvenir à ne travailler POUR LE LABOUREUR. 143 Ja terre que dans un tems conve- nable , autant que cela peut dépen- dre de lui , il doit extrêmement dili- genter les premiers labours du prin- tems ; c’eft-a-dire ceux que l’on fait pour les Mars, quoiqu'il doive auffi avoir l’attention de ne les faire qu'à propos; & il convient de les finir le plutôt qu'il pourra, en les commençant dès que la faifonle per- mettra. Les Mars achevés de bonne heure pourront lui donner lieu de com- mencer plutôt les labours des terres à bleds ; & , au moyen de l'avance qu'il fe fera procurée , il pourra fe mettre en état de choifir les tems les plus convenables pour les labours fuivans, foit en les reculant, foit en les avançant , fans que cela empé- che d'exécuter tous ceux qu'il con- viendra de faire, t44 MANUEL D'AGRICULTURE Au lieu que s’il eft en retard dans fes Mars, faute d’avoir bien pris fon tems, tous les labours fuivans ne pourront que s'en reflentir, & il Jui arrivera ce qui arrive à la plüpart des Laboureurs qui, fe trouvant en retard pour cependant ne point perdre une fafon dans laquelle ils font dans l'u- fage de donner ou de continuer leurs labours , font déterminés par leurs routines à prendre le tems comme il ef. Pour les raïfons qu'on vient de détailler , il conviendroit bien mieux d'omettre un labour, que de le faire dans un tems qui ne feroit pas con- venable. C'’eft pourquoi l’a@ivité, la dili- gence font des qualités néceflaires & indifpenfables dansun Laboureur : on ne peut trop les lui recomman- der. LA FOUR LE LABOUREUR, 145 La SECONDE maxime confifte à ne recommencer les labours que quand les terres ont repris la liaifon qu’elles avoient avant d'être labou- rées, & de laifler un intervalle fuf- fifant qui puifle opérer cet effet. Cette attention eft fi néceflaire, que , fi on agifloit autrement, on les deffécheroit & on en évaporeroit les fels & les fucs ; puifque ce n’eft que par la liaïfon que reprennent les terres, après être nouvellement la- bourées en tems convenables, qu’el- les font maintenues dans la propor- tion d'humidité dont elles ont be- foin pour mieux effectuer la végé- tation des plantes & des femences qu'on leur deftine. Cet intervalle qu'il faut met- tre entre les labours, demande plus ou moins de tems, fuivant les K 146 MANÛÜEL D'AGRICULTURE terres ; ce qui roule fur envi- ton trois à quatre femaines , & même quelquefois plus, en obfervant que cette reprife de liaifon fe fait mieux & plutôt, quand il furvient une pluie. On peut dire que nos Laboureurs font bien dans le cas d'obferver cet intervalle par rapport à la multipli- cité d'ouvrages dont ils font acca- blés, & qui fe fuccédent les uns. aux autres. Ils n’ont pas plutôt achevé leurs Mars, que, fans retard & fans inter- ruption, fi le tems eft convenable ; ils ne doivent point différer de com- mencer les terres à bleds. Dans un corps de Ferme compoié de deux ou trois charrues, quand même 1l n'y en auroit qu'une, il ne faut pas moins qu'environ trois fe- naines ou un mois poux finir les la- ® POUR LE LABOUREUR, 147. bours de la fole des bleds, & pour les recommencer. Voila donc déja un intervalle fuf. fifant pour la reprife de la liaifon des terres, puifqu'il a été entièrement occupé & employé à travailler cette fole. Mais elle n’eft pas plutôt finie, qu'avant de recommencer le labour, il eft queftion de charier les fumiers d'hyver, qui ne Font pu être plutôt, tant à caufe de la difficulté des char- rois , que par rapport à la néceflité de ne point retarder les Mars & les labours fuivans. Après le fecond labour de la fole des bleds, il s’agit pour lors de la moiflon des foins, & de conduire encore des fumiers. Tout cela n'eft pas plutôt fait, qu'indépendamment du troifiéme la- bour , les moiflons de toute efpéce K ij 148 MANUEL D'AGRICULTURE furviennent , comme de lentilles, de fegle , de froment, d'orge , d’avoi- ne , de pois, de farrafins , &c. qu'on ne peut renfermer fans employer bien du tems. . Jufqu’à celui de la femence , il y a encore des engrais à conduire. Si, pendant tous ces ouvrages pé- nibles, le Laboureur n’a pas Fatten- tion de réferver une charrue, foit pour ne point difcontinuer fes la- bours , foit pour les faire & les re- prendre à propos, 1l ne pourra que tomber dans l’écueil dont on a parlé ci-deflus, qui lui cauferoit un très- grand préjudice. Quand même un Laboureur n’au- roit pas d'engrais à voiturer, ou qu'il n’en auroit que très-peu, par le défaut de prairies, n’a-t-1l pas fes labours à reprendre ‘auflitôt que le tems eft favorable ? 11 faut qu'il le POUR LE LABOUREUR. 149 guette & le fafñfle fitôt qu'il fe préfente. On doit donc fentir combien le tems du Laboureur eft précieux. Après tout ce détail , qu'on ne peut contefter, pourra-t-on difcon venir que, quand on détourne le Laboureur de fes ouvrages, fur-tout de fes labours, ce ne foit faire le plus grand tort à l'Agriculture & par conféquent à l'Etat ? Le travail du Laboureur eft un travail fi continuel, qu’il a befoin de tout fon tems, & qu'ilne peut être interrompu qu'il ne s’enfuive fa perte & la ruine de toute fa famille. C’eft aflurément bien méconnoitre l'Agriculture , que de fe perfuader qu'on peur prendre le tems du La- boureur , & qu’on peut en difpofer. Si on agifloit avec une Com- munauté d'Ouvriers quelle qu’elle K ü] \ 150 MANUEL D’AGRICULTURE puifle être, comme on agit avec le corps des Agriculteurs , on ver- roit qu’elle diminueroit tous les ans & qu'infenfiblement elle viendroit à rien. VI Des charrues € autres infirumens ufites dans toutes les Pratiques locales. Gx peut dire que dans toutes les Pratiques locales on ne fe fert que de deux fortes de charrues pour réduire la terre, pour l'ameublir & pour la mettre en état de faire fru- lifier les femences qu'on y jette; du moins ce font celles qui font le plus généralement ufitées. Ces deux fortes de charrues font à oreille ou à verfoir. Celle qui eft le plus en ufage ,eft la charrue à oreille, qui doit être plus POUR LE LABOUREUR. 15i ou moins forte , fuivant la qualité du terrein. Elle eft ainfi appellée , parceque du côté du foc il y a une planche contournée de façon qu’elle ren- verfe toujours la terre du côté qu'elle eft placée ; &, comme on peut placer cette planche du côté que lon veut, le Laboureur eft le mai- tre de renverfer la terre , foit à droit, foit à gauche. Ainfi lorfqu’il commence à labou- rer une piéce de terre, ayant d’a- bord mis l'oreille de fa charrue du côté de fa main droite pour faire le premier fillon, 1l renverfe la terre du côté droit ; &, quand il eft queftion de faire le fecond fillon, il attache l'oreille du côté de fa main gauche. De cette façon ilrenverfe la terre dans le fillon qu'il vient de former, toujours changeant de droit & de : K 1v 152 MANUEL D'AGRICULTURE gauche l’oreille de fa charrue, à cha- que nouveau fillon qu'il fait , pour continuer de renverfer la terre du même côté, jufqu'a ce que fa piéce de terre foit entièrement labourée. Avec cette forte de charrue à oreille, on eft en état de labourer tout terrein. La charrue à verfoir, au lieu d’o- reille , a une piéce de bois forte- ment attachée au côté droit de la charrue , & qui ne varie point; c’eft cette piéce de bois qu’on appelle V'erfoir. Comme elle renverfe la terre tou- jours du même côté, pour labourer entièrement une piéce de terre, il faut la tourner jufqu’à ce qu’elle foit finie. À cette différence près, les ufages de ces deux fortes de charrues font les mêmes, & on s'en fert indifié- POUR LE LABOUREUR. 153 remment dans les terres fortes on lécères; cependant celle qui eft à oreille, eft plus ordinairement pré- férée quand on fe fert de chevaux, ence qu’à chaque fillon qu’elle fait, comme on eft obligé de s'arrêter pour changer le côté de l'oreille , cela leur donne un petit repos. Leur ufage confifte à piquer con- venablement le terrein qu’on tra- vaille , à quoi on parvient en avan- çant ou reculant l’age de la fellette ; 1l confifte encore à renverfer & à retourner un terrein pour mélanger la terre de deflous avec celle de deflus , en faifant defcendre celle-ci. Ces deux fortes de charrues font compofées de deux petites roues, qu'on appelle Roulettes, & d'un eflieu fur lequel eft dreflé la fellette à laquelle eft attaché le timon, le foc, l’oreille ou le verfoir , & le 154 MANUEL D'AGRICULTURE coûtre , qui fert à faciliter le ti- rage. Il y a cependant encore une troi- fiéme forte de charrue qui n’a point de Roulettes , dont on ne fe fert que dans les Provinces Méridionales. On peut en ajouter une quatrié- me, qui eft à deux oreilles, qu’on n'employe que dans les terres gazon- neufes ou trop humides, pour les mieux dégazonner , en les ouvrant davantage , ou pour leur donner le moyen de fe mieux deflécher ; dans les labours qu'on anthiverne , on les emploie très utilement. La herfe eft un inftrument defti- né à brifer & à unir les terres ; elle eft de bois, garnie de longues dents, foit de bois ou de fer, & elle eft de forme quarrée ou triangulaire. Son principal ufage eft de la faire pañfer fur un terrein chaque fois qu'il POUR LE LABOUREUR. 155 vient d'être labouré , pour achever de brifer, de cafler & de fondre les mottes ou gazons, que le labour au- roit échappé, ou qu'il n’auroit fait que commencer. On s’en fert encore pour bien ap- planir un terrein avant de le femer, a l'effet de répandre plus également la femence qui, faute de cette pré- caution, tomberoïit prefque entière- ment dans les fillons , & pour cou- vrir toutes les femences qu'on em- ploye en Mars ; à la différence des grains d’hyver, quine fe couvrent ordinairement qu'avec Îa charrue. Il convient d’obferver qu'il faut plus d'un tour de herfe pour bien couvrir la femence , devant être abfolument de deux tours , lorf- qu'on ne fe fert que d’une herfe, à moins qu'il n’y en ait deux qui fe fuivent. 156 MANUEL D'AGRICULTURE Quand une herfe n'enfonce pas fufifamment pour bien couvrir la femence, on l'appefantit en mettant de groffes pierres deflus. Il ne faut point oublier la Rouleau qui eft affez en ufage dans toutes nos Pratiques locales. C’eft une groffe piéce de bois, longue , ronde & très-pefante , qu’un cheval tire au moyen de deux cor- dages qui , étant attachés aux extrê- mités de la Rouleau, fe réuniflent à une traverfe de bois. Son principal ufage confifte à douçoyer & à applanir le terrein des avoines pour en rendre le fau- chage plus facile. On s'en fert aufli pour rouler les fromens dans les terres légères, à l'effet de les affermir , & d'empêcher les häles du printems d’en déchauffer les racines. POUR LE LABOUREUR. 1:57 La rouleau fert encore à cafler & à fondre les mottes de terre. 1l faut obferver qu'il n’en faut faire ufage que dans un tems fec. Au moyen de ces fortes de char- rues, de herfe & de la rouleau, il n’y a point de terrein labourable, quel qu'il foit, qu'on ne puifile réduire , ameublir & bien fouiller. Voilà donc pourquoi 1l faut laïffer à nos Laboureurs leur foc, comme l’établit , d’après Caton , Olivier de Serre dont on a parlé ci-deffus. Qu'importe comme foit le couteau ; (dit encore Liébaut dans fa Maifon Ruflique, pag. $10 , livre $ , ) pourvu qu’il coupe le pain; ne traitant de læ charrue, que pour dire qu'il faut la laïffer telle qu’elle eft , fans même entrer dans aucun détail fur fa con- ftruction ; parcequ'il eft clair que tous les changemens qu'on pourra propo- 158 MANUEL D'AGRICULTURE fer, feront toujours au moins inu- tiles. Tous ceux qui connoïffent l’Agrt- culture, & qui la pratiquent, penfe- ront toujours comme ces deux grands Auteurs ; & il feroit d'autant plus difficile de faire changer aux gens de la Campagne leurs inftrumens, qu'ils ne verroient point qu'avec ceux qu'on pourroit leur propofer , ils duflent faire mieux qu'avec leurs focs. Tout ce qu'il y a à leur recom- mander, fur-tout pour les terreins forts & difficiles à brifer, c’eft de fe munir d’un fer à charrue bien fo- lide , plus pointu & moins large par le haut qu'il ne l’eft ordinairement , avec encore la précaution d'en chan- ger plus fouvent , ou plutôt de le faire rebattre , lorfqu’il en fera be- foin. POUR LE LABOUREUR. 159 : A l'égard du tirage de la charrue, on fe fert de chevaux ou de Bœufs, fuivant l’ufage des lieux. Dans les premiers fiécles du mon- de., les labours ne fe faifoient qu’a- vec des bœufs, on n’y employoit point les chevaux. Le bœuf convient mieux dans les terreins difficiles, & dans les terreins inégaux , ayant beaucoup plus de force que le cheval, qui s'y fatigue- roit trop ; & on peut dire que le bœuf a fur le cheval quelqu’avantage. Un bœuf coute moins à nourrir qu'un cheval , puifqu'on ne lui donne point de grain, mais du foin & de la paille. Il eft moins fujet aux maladies ; &, quandil a bien tra- vaillé, s'il fe trouve hors d'état de continuer , on l’engraifle pour le vendre beaucoup plus qu'il n’a coûté. Le cheval exige plus de dépenfe & 160 MANUEL D'AGRICULTURE d'entretien, & lorfqu’après avoir bien travaillé il fe trouve hors de fervice, il ne peut rapporter à fon maitre au- cun intérêt, parcequ'il ne peut être vendu comme le bœuf, cependant, il eft beaucoup plus eftimé & beau= coup plus en ufage , parcequ'il fe manie mieux à la charrue, qu'il fait beaucoup plus d'ouvrage , & qu'il eft bien plus propre à tous les cha- TOIS. Il y a encore une raïfon qui le rend préférable au Bœuf, c’eft que pour une charrue , ilne faut qu'un attelage de chevaux, au lieu qu'il en faut denx de bœufs,dont l’un foit pour le travail de la matinée, & l’autre pour celui de l’après-midi, toujours ainfi alternativement, afin que l’un des deux fe repofe; autrement le même attelage de bœufs, qui ne dif- continugroit pas fon travail , 1iroit extrèmement POUR LE LABOUREUR: r6i extrèmement lentement ; ce quiobli- ge d'en avoir deux pour bien fairé aller une charrue: Or, en ce eas, une charrue dé bœufs coûte plus qu'une charrue de chevaux, parcequ'indépendamment de l'inconvénient de fe manier bien moins que les chevaux , les bœufs exigent deux conducteurs à la char: tue: VIÏ Le Laboureur doit être bien rtorité, Si 6n fait attention à tout le dé: tail qu'on vient de donner fur les labours ; foit pour les varier fuivant les différentes qualités générales & communes des terreins, foit pour les foncer ; felon qu'ils ont plus où moins de fond , foit encore pour né les faire que dans des tems conve: L 161 MANUEL D'AGRICULTURE nables, &c. on doit fentir qu'il faut quun Laboureur foit bien monté pour fe trouver en état d'exécuter, comme 1l convient, toutes les char- rues qu'il peut avoir à faire valoir dans fon corps de Ferme. En fuppofant qu'il ne feroit com- polé que de deux charrues, y auroit- il de l'inconvénient , que le Labou- reur foit monté comme s'il en avoit environ trois ? Ses terres, qui ne pourroient qu’en être mieux tenues, ne le dédomma- geroient-elles pas bien amplement de cetté petite augmentation ? Mais il s’en faut bien que tous nos Fermiers & Laboureurs ayent feulement autant de charrues qu'ils devroient en avoir. Pour peu qu'on veuille jetter un coup d'œil fur nos Campagnes, on n'en verra qu'un très-petit nombre POUR LE LABOUREUR. 163 dans le cas d’être montés comme il convient de l'être. Tandis qu'une charrue ne devroit être que d'environ vingt-cinqarpens au plus par foie, on lui en fait com- prendre jufqu'à trente - cinq à qua- rante; c'eft-à-dire que, fiun corps de Ferme eft detrois cens arpens,onne le fera valoir que comme n'ayant que trois charrues, tandis qu'il de- vroit en comprendre quatre & mêè- me cinq, fi le terrein eft difficile. Aufñ en réfulte-t-1l que généra- Jement toutes nos terrés font très- -mal labourées. Quoique le défaut d’être bien monté ne puifle que caufer un très- grand préjudice au Fermier; quoiqu'il le fente ,il n’y remédie cependant pas, foit qu'il ne fe trouve pas en étar de pouvoir le faire, foit poux d’autres raïfons, &c. . Li 164 MANUEL D'ÂGRICULTURE Mais, comme ce défaut caufe en- core plus de préjudice au Proprié- taire , parcequ'il intérefle fon fond qui ne peut donner de bonnes ré- coltes, & qui ne peut être reloué avantageufement , qu'autant qu'il eft bien tenu, bien labouré, bien fouillé , &c. 11 fuit que c’eft à lui à avoir l'attention que fon Fermier foit en état de bien cultiver fes ter- res; & que, s'il ne le peut, il doit, ou le changer , ou lui faire des avan- ces qui le mettent en état de fe monter comme il le faut, & il doit le foutenir , puifqu'il en feroit mieux payé. C’eft ce que l’on verra plus am- plement dans le Manuel d'Agriculture pour le Propriétaire ; cette obligation étant du nombre de celles qui fe trouvent à fa charge, POUR LE LABOUREUR. 16$ SECONDE SECTION. . De l'opération de l’'Engrais. C N peut dire que l'opération de l'Engrais eft la plus importante qu’on puifle admettre pour tous les Ter- reins, Pays & Cantons, où if ne fe trouve pas aflez de fond pour pouvoir être renouvellés par une nouvelle terre , & qu’elle eft le plus grand principe de fertilité dont on puifle faire ufage : on va le con- cevoir. Lorfqu'un terrein eft toujours la- bouré dans un mème fond , de qua- tre à cinq pouces, fans pouvoir être renouvelié , 1l arrive infailliblement qu'il s'épuife par les récoltes conti- nuelles qu'on entire, quand même on y obferveroit les jachères, c'eft- ä-dire qu'on le laieroit repofer al- ternativement tous lestrois ans, con- Lu 166 MANUEL D'AGRICULTURE formément à la diftribution générale des terres en trois foles. On en a l'expérience dans tous les pays du monde où l’on cultive ; il faut donc recourir à l’engrais qui feul peut le foutenir, le rétablir & l'améliorer. Au lieu que sil s'y trouvoit un fond fuffifant pour pouvoir être re- nouvellé par le travail du labour , pour lors l’engrais n'eft plus fi inté- reflant ; c’eft le labour qui devient {on plus grand principe de fertilité. Le labour & l'engrais font donc les deux plus grandes reflources dont on puifle fe fervir par-tout où Ton cultive;, pour réparer lesterres, pour les bonifier & les mettre en pleine valeur; avec cette différence cependant , que le befoin de l’en- grais eft beaucoup plus général que çelui du renouvellement de terrein: Comme 1l s'agit d'ajufter & de POUR LE LABOUREUR. 167 proportionner l'engrais à toutes les qualités êes terreins que le Labou- reur ne peut que rencontrer dans ce qu'il a à faire valoir, conformément au principe général que lui ap- prend fa Pratique locale ; & s’agif- fant encore de l’entretenir & de le renouveller, pour qu'il ait toujours également fon effet , nous alfons trai- ter en neuf Articles de tout ce qui a rapport à cet objet. | 1°. Nous parlerons des différentes façons de varier & de diverffier l'en. gras. 2°. De la nécefité de l’entretenir & de le renouveller. 3°. Comment on doit exécuter ce renouvellement, 4°. Comment on peut parvenir à amander, tous les ans, la fixiéme ou la neuviéme partie de fon corps de Ferme , de quelque contenance qu'il Liv 168 MANUEL D'AGRICULTURE puifle être, & même la quatriéme partie , en le fuppofant fans jachè- res. s°. Nous détaillerons les grands avantages de ce renouvellement. 6°. Nous ferons connoiïtre une autre pratique de renouvellement d'engrais , dans le cas qu'un corps de Ferme ne feroit ni divifé, ni dif- erfé, 7°. Nous démontrerons que de tous les engrais qu'on peut em- ployer, ceux de beftiaux font pré- férables. | 8°, Nous lui apprendrons ce qu’il faut pratiquer pour les faire confom- mer en très-peu de tems. 9°. Nous finirons par répondre à guelques objections qui ont été fai- tes cantre les établiflemens de Prai- vies artificielles. POUR LE LABOUREUR. 169 L Des, différentes façons d’exécuter les opérations de l’Engrais. ÎLES différentes façons de varier & de diverfifier l’engrais, ne peu- vent concerner que fa qualité & fa quantité. Parmi les engrais de Beftiaux , il ÿ en a qui conviennent mieux à cer- tains terreins. Les crottins de pi- geons, de brebis & de moutons font plus analogues aux terreins froids & humides ,que ne peuvent l'être ceux de vaches , de bœufs, de chevalou de l’un ou de l’autre mêlés enfemble qui font employés plus fruétueufe- ment fur des terreins fecs & arides. Comme il n’y a que le Laboureur, qui puifle bien connoitre fon ter- rein, & {çavoir, par fon expérience, la qualité d'engrais qui lui convient , 170 MANUEL D'AGRICULTURE on ne peut la lui indiquer ; il fufit de lui dire qu'il faut qu'il donne a fon terrein la forte d'engrais qui lui convient. Entre ceux dont 1l peut faire ufa- ge, & qui font à fa portée , il n’y a que lui qui doit décider & choifir. Il en eft de même de la quantité d'engrais qu'il convient d’employer par arpent, c'eft encore à lui à la fixer & à connoitre le befoin de fon terrein. Il doit fçavoir que le plus ou le moins ne pourroit que lui être pré- qudiciable. ART Il n'y a donc point fur tout cela d'avis particuliers à donner au La- boureur. POUR LE LABOUREUR. 171 IL. De l'entretien & du renouvellement de l'Engrais. ÂL ne fuffit pas de fçavoir bien ré< gler la qualité & la quantité de l'en- grais , 1l faut encore que le Labou- reur l’entretienne & le renouvelle lorfqu'il commence à finir & quil eft au terme de fa durée, pour qu'il ait toujours fon effet ; bien plus 1 faut qu'il lébtebente & le renou- velle fur la totalité de ce qu'il fait valoir , & fur toutes les terres de fon corps de Ferme, fi confidérable qu'il _puifle être, du moins il faut qu'il l'entretienne fur celles qui n’ont pas aflez de fond pour pouvoir être re- nouvellées par le travail de la char- que. Avec une pareille pratique , bien foutenue & bien fuivie , il fera aflu- 172 MANUEL D’AGRICULTURE ré , tel Pays, telle Province, tel Royaume qu'il puifle habiter, de toujours maintenir fes terres en plei- ne & parfaite valeur. Quand , fans embrafler la totalité d'un corps de Ferme , on ne fait des engrais tantôt que fur une partie, tantôt fur une autre , fans les entre- tenir n1 renouveller , comme c’eft l'ordinaire parmi les Laboureurs qui n'ont point de prairies, ou qui n’en ont pas aflez, un corps de Ferme refte toujours comme 1l eft ; loin de devenir meilleur, on peut dire qu'il languit toujours. NZ Ce) Æ POUR LE LABOUREUR. 153 II L Comment exécuter le renouvellement de l'Engrais [ur la totalité d’un corps de Ferme de trois cens arpens. T> #Z ANS tout ce qu'on cultive à la charrue , & non à la bèche, l’ufa- ge eft que les engrais de beftiaux, quand on obferve les jachères, fe font pour trois, pour fix , pour neuf, & même pour douze ans, fuivant la qualité des terreins. Les engrais pour trois, ou pour fix ans , fe pratiquent ordinaire- ment fur les meilleures terres; & les engrais pour neuf ou pour douze ans , n'ont lieu que fur les terres médiocres & mauvaifes. On doit concevoir que fur ces dernières 1l y faut trois ou quatre fois plus d'engrais que fur les autres. Aufh {e maintiennent-ils tous de 174 MANUEL D'AGRICULTURE façon que ce n'eft qu'à l'expiration de leurs différents termes, que les terres ne s'en refientent plus. Si donc on veut parvenir à aman- der la totalité d'un corps de Ferme, d'un Domaine qu'on fuppofe être de trois cens arpens, & toujours y entretenir & renouveller les en- gras ; tout le {ecret confifte à le partager en autant de parts & por- tions que la durée des engrais qu'on y employe, a d'années, pour en amander une , tous les ans fans dif- continuation. En fuppofant que l’engrais qu'ori y fait fera pour neuf ans , la neuvié- me partie confiftant en trente-trois arpens environ, ce {era donc cette quantité qu'il s'agira d’amander tous les ans; & , comme fur ce corps de Ferme il y eft queftion de jachères, ces trente-trois arpens en feront POUR LE LABOUREUR. 1#$ exattement le tiers; puifque les ja- chères dont on traitera dans la Se- étion fuivante, compofent ordinaire- ment la troifiéme partie ou environ de ce que l’on fait valoir. On fe régleroit ainfi fur tout corps, de Ferme à jachères , à raïfon de fa contenance & à raf{ôn de la durée des amandemens qu’on y feroit. L'ufage , dans les Campagnes, étant, pour bien amander un arpent de médiocres ou de mauvaïfes ter- res, d'y employer depuis quinze juf- qu'a vingt voitures de fumiers de beftiaux ; tandis que pour les bon- nes , il n’en eft queftion que depuis fix jufqu'a dix , il s'enfuivroit que our les trente-trois arpens ou en- viron, qu'il s’agit d’amander tous les ans dans ce corps de Ferme de trois cens arpens où les amandemens sy font pour neuf ans , parceque les ter 176 MANUEL D'AGRICULTURE res y font fuppofées généralement médiocres, il n’y faudroit pas moins qu'environ cinq cens voitures. Il s'enfuivroit encore que l’Au- teur des Prairies artificielles, qui a fi bien fçu exécuter fur le corps de Ferme de fa Terre fituée en Cham- pagne lés renouvellemens d'engrais, & qui, pour y parvenir, avoit à met- tre tous les ans en valeur environ 25 arpens qui en faifoient la neu- viéme partie , parceque les engrais s’y faifoient auf pour neuf ans , au- roit donc dû employer tous les ans environ trois cens cinquante voitu- tures de fumiers. Celaparoitroit comme impofüble, fur-tout dans les pays où il n'y a mi prairiès ni beftiaux , fi on ne fçavoit qu'on peut en établir, & fi on ne fçavoit qu'il y a des déduétions à faire , qui facilitent extrêmement l'opération POUR LE LABOUREUR. 177 l'opération de ce renouvellement ; auf méritent-elles qu'on y fafle at- tention. 1°. Dans une aufli grande quan- ité d’arpens , comme trente-trois ou vingt-cinq, qu'il conviendroit d’a- mander tous les ans, il ne fe peut qu'il ne s'y rencontre des terres qui foient meilleures les unes que les au- tres , & qui par conféquent , au lieu de quinze voiturés par arpent, n'en exigeroient que huit, dix ou douze tout au plus; puifqu'il ne faut pas oublier qu'il eft de principe de pro- portionner toujours la quantité de l'engrais à la qualité du terrein. 2°. Ce qui eft le plus à obferver ; & ce qui peut occafionner la plus grande diminution des engrais, c’eft que fi on y trouve des terres qui ayent du fond , & qui foient fufcep- tibles d’être renouvellées par le tra: M 178 MANUEL D'AGRICULTURE vail de la charrue, ou il n'y faudra pas de fumier, ou il n’en faudra que très-peu. Ces déduétions ne pouvant man- quer de fe rencontrer , la quantité prodigieufe de fumiers, annoncée ci- defius, ne pourra jamais être *auffi confidérable , & peut fe réduire aux deux tiers, à la moitié & mème moins, fuivant la qualité des terres & fuivant le fond qu’on peut y trouver. Ce n'eft que par le moyen de ces déduétions que l’Auteur des Prairies artificielles a faites dans fa Terre, quoique fituée en Champagne, où à peine il y a le fond néceflaire pour faire venir les produétions qu’on y féme , a trouvé le fecret, après avoir fait fon établiffement de prairies, de n'emploÿer tout au plus, par an, qu'environ deux cens voitures de fu- miers, au lieu de trois cens cin- POUR LE LABOUREUR. 179 quante que fembloient exiger les vingt-cinq arpens qu'il étoit obligé de mettre en valeur tous iles ans ; c’eft donc prefque environ moitié de fumiers de diminution ? Si, dansun pays, comme la Cham- pagne , cet Auteur a ainfi {çu trou- ver les moyens de diminuer la oran- de quantité d'engrais au’il lui au- roit fallu employer tous les ans; à plus forte raïfon les trouvera-t-on dans d’autres pays plus favorables & plus heureux , où les terres font meilleures & où elles ont un fond plus que fufifant. Après l'exemple de cet Auteur, il n’y a donc point à s'effrayer ni à fe rebuter, quand on propofe d’amander tous les ans une aufli grande quan- tité d'arpens, pour parvenir à en- tretenir toujours & exécuter les re- nouvellemens d'engrais; ptuifque, Mi 180 MANUEL D'AGRICULTURE quand mème il n’y auroit ni prairies ni beftiaux, on peut en établir: c’eft ce qui va faire le fujet de l'Article fuivant. EWV: Comment fe procurer tous les ans la grande quantité d'engrais néceffaire pour exécuter leur renouvellement fur un corps de Ferme de trois cens ar- pens, quoique la Nature n’y ait point établi de prairies, CN doit concevoir qu'on ne peut parvenir à fe procurer tous les ans la quantité d'engrais néceflaire à l'exécution du renouvellement , que par le moyen des engrais de beftiaux. Il faut beaucoup de beftiaux , & par conféquent beaucoup de prai- ries, ou plutôt il faut une certaine quantité de beftiaux proportionnée POUR LE LABOUREUR. 181 aux engrais dont on a befoin ; & il faut une certaine quantité de prai- ries artificielles , proportionnée à la quantité de beftiaux qu'il s'agit de nourrir. Ce n’eft pas tout ; il faut encore une quantité de pailles de froment ou de fegle, d'orge & d'avoine propor- tionnée à la quantité de beftiaux qu'il s’agit d’avoir; parceque les fu- miers ne peuvent fe bien faire fans elles pour la néceflité de leur liai- fon, & parceque les pailles, fur-tout de froment ou de fegle, font la prin- cipale nourriture des beftiaux ; c’eit, pour ainfi dire , leur pain. Indépendamment de l'angmenta- tion qu'elles donnent à la quantité des-fumiers , elles font encore né- ceffaires & indifpenfables aux bef- tiaux pour leur litière qu'il faut faire. tous les jours; autrement ils feroient - Mi 182 MANUEL D'AGRICULTURE dans une malpropreté , qui ne pour- ‘roit que leur être très-nuifible. C'eft très mal l'entendre , que de fe contenter, pour leur litière, de ce qui refte de leurs rations d’herba- ges ; foit en verd, foit en fec. Quoique les pailles foient d’une auf grande néceflité, & qu’on ne puifle pas augmenter les beftiaux fans travailler en même-tems à faire l'augmentation des paiiles; eepen- dant dans tous les Ecrits & Mémoires qu'on donne préfentement fur ŸA- griculture , ikfemble que les prairies -& les beftiaux peuvent s'établir fans leur ufage, puiiqu'il n'en eft fait au- cune mention. 3 Pour peu qu'onait d'expérience , on n'oublie pas unéehofe aufli eflen- ‘tielle, & on n'ignore: pas:tous les avantages que-leur abondance pro- cure dans les Campagnes! =: : POUR LE LABOUREUR. 183 Sans les pailles on ne peut faire aucun bon nourri en fec; mais il faut établir une alternative avec ce qu'on peut donner d'ailleurs & la bien régler. M. Patullo qui, dans fon Effai fur Zamélioration des terres , propofe de mettre en herbages la moitié & même les deuxtiers d'un corps de Ferme de trois cens.arpens pour nourrir une quantité prodigieufe de beftiaux qui doit monter jufqu’à fix cens vaches ou bœufs; puifque , fuivant lui, un arpent de fain-foin ou de Luzerne peut en nourrir trois , a-t-1l prevu qu'il ne pouvoit réfulter de ce qu'il laifle en culture une aflez grande quantité de pailles pour feulement faire leur litière ? En réfulteroit-1l même affez de grains pour nourrir & entretenir le ménage ? On peut dire que M. Patullo à M iv 184 MANUEL D'AGRICULTURE mal fupputé , ou plutôt qu'il ne s'en eft pas donné fa peine. On feroit curieux de fçavoir en quel Canton , en quel Pays, en quel Royaume un pareil plan de culture a pu s'établir & s'exécuter; ou du moins il auroit fallu le rendre plus vraifemblable , en fuppofant un Do- maine bien moins confidérable. (a) (a) On convient qu'un Propriétaire ou Fer- mier, dont le principal objet feroit de nour- rir des befljaux ou des chevaux, parcequ'il ÿ trouveroit plus fon profit qu'a vendre du grain, pourroit ainfi mettre les deux tiers de ce qu'il feroit valoir en herbages ; en ce cas, réfulte- roit-il quon en pourroit faire un plan géné- ral de culture > Puifque ce ne ferait plus Le grain qui en feroir le principal objer. Il ne faut donc pas que M. Patullo propofe ce plan comme clui qui eft le plus faivi en Angleterre. Quoiqu'on s'exphque ainfi, on n'en a pas moins d'eftime pour cet Auteur, puifqu'en le propofant, fon intention n’a pu qu'être bonne ; fon plan inftruira du moins ceux Qui, par rapport à leur fituation , ou pour d'ay- POUR LE LABOUREUR. 185$ Pour avoir donc une certaine quantité de beftiaux, capable de met- tre en état d'exécuter le renouvel- lement d'engrais dont il eft ici que- ftion, deux chofes font néceffaires & indifpenfables , fçavoir des prairies & des pailles. Il eft bien plus aifé de fe procu- rer des prairies; on les fait quand on veut, & dans la quantité qu'on juge néceflaire ; encore faut-il les partager fuivant leur durée, & ne les femer que d'années en années. Il n’en eft pas de mème des pail- les ; l'augmentation ne peut s'en faire qu'au fur & à mefure que les tres raifons de convenance, trouveroient plus de profit à vendre des beftiaux &; des che vaux qu'ils n'en pourroient avoir en vendant du grain, Quand il s’agit du bien public, un bon Citoyen ne défaprouve point qu’on trouve à le critiquer. 156 MANUEL D'AGRICULTURE terres deviennent meilleures parles amandemens. Il faut donc n'établir les prairies & les beftiaux qu’à raifon de cette augmentation, pour n'être pas dans le cas d'acheter des pailles. Ce feroit une dépenfe confidéra- ble , que cet achat, pendant plu- fieurs années ; ce feroit même une dépenfe qui ne pourroit générale- ment que rebuter & décourager. Cependant il pourroit fe trouver quelques riches Propriétaires qui, faifant valoir par eux-mêmes , n’hé- fiteroient pas de la faire pour jouir plutôt , en fafant encore l’établife- ment de prairies, en bien moins de tems qu'on le dira ci-après. S'ils s’y déterminoient , il en réful- teroit cet inconvénient , que , quand on feroit dans le cas d'en retourner la moitié pour l’établir @lleurs, fup- POUR LE LABOUREUR. 167 pofé qu'il eût été fait en deux ans, on feroit tout d’un coup privé de la moitié de fa prairie , au lieu qu'en ne la faifant que comme on va le dire , on ne s’appercevroit prefque pas de la privation de la partie qu'on feroit obligé de retourner. Mais ce n’eft point à des Proprié- taires qu'on parle , il ne s’agit ici que des Fermiers qui compofent feuls en France le corps des Agriculteurs. Quand même on leur feroit des baux de vinget-fept ans, encore en trouveroit-on très-pen qui'feroient difpofés à faire la dépenfe de lachapt des pailles pour aller plus vite, ils préfèreroient toujours de n’agir que fuivant leur augmentation; certai- nement ils s’en trouveroient mieux. On a affez d'expérience pour éta- ‘blir que dans un corps de Ferme de ‘la contéhance de trois cens arpens, 188 MANUEL D'AGRICULTURE une trentaine de gros bétail, comme vaches oubœufs, avec environ trois a quatre cens bêtes blanches, au moyen des déduétions dont on a parlé ci-deflus, peuvent générale- ment fuffire pour s'y procurer toute la quantité d'engrais néceflaire , par- ce qu'en outre de ces beftiaux, on a les chevaux d'exploitation ou les bètes de tirage qui donneront beau- coup de fumiers , indépendamment des pigeons, cochons, poules, &c. qui en procureront encore. Si lafituation d'un corps de Fer- me n'étoit pas avantageufe pour les bêtes blanches, nonobftant la prati- que des jachères ; ce qui fe trouve- roit dans le cas qu'ilfüt fitué en lieu marécageux : comme cela occa- fionneroit fréquemment leur pourri- ture, on augmenteroit le troupeau du gros bétal à proportion de ce POUR LE LABOUREUR. 18g quon diminneroit des bêtes blan- ches. On en compte ordinairement cinq à fix pour une vache ou pour un bœuf. Suppofé même qu'une aufli gran- de quantité de bêtes blanches excé- dât ce que le terroir pourroit nour- rir pour la part que celui à qui elles appartiendroient , auroit fur ledit terroir , chaque habitant ayant éga- lement droit fur les jachères ou päà- tures de fon Terroir , à raifon de la quantité de terres qu'il peut y faire valoir, en réduifant cette quantité au prorata du droit d’un chacun, on augmenteroit , à raïfon de la diminu- fion qu’on en feroit , le troupeau du gros bétail. Ce qui pourroit d'autant mieux fe faire , qu'il n’en eft pas du gros bé- tal comme des bêtes blanches, 190 MANUEL D'AGRICULTURE qu'on eft obligé de faire fortir & de faire pâturer tous les jours. Âu lieu que ; quand le nombre du gros bétail excéde le droit qu'on peut avoir aux pâtures communes , on n'en fait fortir que la moitié ou le quart alternativement , pour ne, pas préjudicier au droit des autres habitans. Comme 1l convient de n'établir ce nombre de gros bétail, qu’on vient de déterminer, qu'au fur & à mefufe de l'augmentation des pail- les, le peu qu'on trouveroit, où qu’on établiroit d’abord en vaches, auroit le tems de s'établir d'elles mêmes,tous les ans , pourvu qu'on élevat & gar- dât tout ce qui en proviendroit. Il en feroit de même des bêtes blanches, ou brebis, qui donnent tous les ans des agneaux. On a encore aflez d'expérience POUR LE LABOUREUR. 1917 pour établir qu'en prenant dans ce corps de Ferme de troiscens arpens , environ un huitiéme ou un demi quart de ce qui le compofe , c’eft- à-dire trente-cinq à quarante ar- pens, pour les mettre en prairies artificielles, cela feroit généralement fufñfant , au moyen de ces dédu- étions dont on a parlé ci-deflus , pour nourrir toute cette quantité de beftiaux , en fuppofant qu'on fût parvenu à avoir & à recueillir la quantité de païlles néceflaire. Ainfi, lorfqu'il s’agiroit de com: mencer ces deux établiflemens de Prairies & de beftiaux, on ne les feroit qu’à raïifon du produit en pail- les que ce corps de Ferme donne- roit pour lors ,à l’effet de ne les aug- menter par la fuite tous les ans , qu’à raifon de l'augmentation des pailles , & jufqu'à ce qu’enfin elle devint fuf- 192 MANUEL D'AGRICULTURE fifante avec la prairie pour avoir toute cette quantité de beftiaux qu'on vient de défigner. Comme on ne peut commencer à avoir fur le corps de Ferme de trois cens arpens, qu'on propole , le produit en pailles qu'on peut en attendre, que quand il aura été au moins une fois amandé entièrement en neuf ans, il faut ne faire fa prairie qu’en neuf ans, & partager lestrente- cinqä quarante arpens qu'on propofe d'y employer, en neuf portions à peu-près égales pour les femer tous les ans chacune, foit en fain-foin , foit en luzerne , tréfle , &c. qu'on renou= vellera exattement fuivant le tem, de leur durée, pour toujours entre- tenir la même quantité de prairies. On ne doit aufli former le nom- bre de beftiaux néceflaires qu'en neuf ans ; encore faut-il bien prendre garde POUR LE LABOUREUR. 193 garde s'il ne convient pas d'ÿ imet- tre plus de tems,; de même qu'a la praine ; pour attendre le produit complet dés pailles qu'on peut avoir, année commune: Ce n'eft donc point ën trois & quatre années ; comme l'ont avancé quelques Auteurs ; qu'on peut s'enri- chir dans l'Agriculture: Suivant l’expoié qu'on vient dé faire , qui ne peut pas être conteité par les bons Cultivateurs ; on voit qu'ilne faut pas moins de 10 a 12 ans pour commencer à mettre un corps de Fermé en pleiné valeur ; pour peu quil foit confidérable. Cependant on n'auroit pas plutôt mis en train ce qu'il faut faire pour parvenir à l'exécution du renouvei- lement de l’engrais, que nos terres deviendrotent par dégré meilleures, & qu'on s'appercevroit d’un heureux N 194 MANUEL D'AGRICULTURE changement qui ne feroit qu’aug- menter tous les ans. Il ny a donc point à dire que cette pratique eft trop lente ; & ceux qui parleroient ainfi, fe- roient voir qu'ils n'ont nulle expé- rience. | Il en eft des progrès qui fe font dans l'Agriculture comme de ceux qui fe font dans le commerce , qui exigent de la part d’un Commerçant, bien du tems, bien des peines, & une bonne conduite : ce n’eft géné- ralement qu'au bout de vingt ans qu'il voit la folidité des gains & pro- fits qu'il a retirés de fes entreprifes. Il eft vrai que s'il ne s’agifloit que d'exécuter fur un corps de Ferme le renouvellement de terrein par le tra- vail de la charrue , en lui fuppoñfant un fond de terre fufäfant, cela iroit beaucoup plus vite. POUR LE LABOUREUR. 195 Mais où trouver dans des terres à jachères des corps de Ferme, qui n’ayent befoin que de ce fecours à en ce casil ne faudroit que moitié du tems qu'on propofe & peut être moins , comme on l’a déja fait enten- dre ci-déflus dans a premiere Se&tion de ce Manuel. On conçoit que, fiun corps de Fer- me n’eft que de cent cinquante arpens au total , 1! n’y faudra que la moitié de prairies & de beftiaux propofés ci-deflus, toujours à raifon des pail- les qu'il pourra produire. Ainfi des autres corps de Ferme qui auroient plus ou moins de conte- nance, fur lefquels cette exécution fe fera également à proportion. On a pris pour exemple un corps de Ferme de trois cents arpens, fur lequel les engrais fe font pour neuf ans ; parceque d'une exécution en Ni 196 MANUEL D'AGRICULTURE grand , qu'on demontre poflble & qu'on a effayé foi-même, 1l s'enfuit néceflairement toute exécution en petit. Au lieu que de l'exécution en pe- tit, il ne s'enfuit pas toujours l’exé- cution en grand. On en a un exemple dans la nou- velle Méthode de M. Thull, par le- quel on voit que , nonobftant toutes les expériences qu'on rapporte , il ne s'enfuit pas bien évidemment que de l'exécution en petit, qu’on ne ceffe de recommander, on puiffe al- ler à l'exécution en grand. V. Des grands avantages de la Pratique du Renouvellement d'engrais. dé Fa U1sSQU'IL convient d'atten- dre les pailles & de ne faire l’aug- mentation du gros & menu bétail POUR LE LABOUREUR. 197 qu'à raïon de l'augmentation des pailles , il s'enfuit qu'ayant tout le tems de le laifler augmenter par lui- même , jufqu'a ce qu'on foit parve- nu à en avoir le nombre qu'on a jugé néceffaire, iln'y a aucun achat a faire. Ainfi , lorfqu'il s'agira de faire cette augmentation dans un corps de Ferme de trois cents arpens, ou de telle autre contenance, on pourra fe contenter de le prendre en l’état où il eft , par rapport au nombre de beftiaux qui s’y trouvera. Généralement un Fermier n'en- treprend point de faire valoir un corps de ferme , quel qu'il foit, qu'il n'y mette le nombre de beftiaux né- ceffaire pour la confommation des pailles qu'il peut prodiure ; c'eit l'u- fage de la Campagne. . On diroit d’un Feriuier qui en agi- N 1 198 MANUEL D'AGRICULTURE roit autrement qu'il s'y prend mal & qu'il ne réufhira point ; ce qu'on dit encore de ceux qui vendent leurs pailles, au lieu d’avoir des beftiaux qui pourroient les confommer. Si avec cet ufage , qui eft bon, on y introduifoit celui de l’établiffe- ment des prairies , lorfqu'il y en manque , ou qu'il n'y en a pas aflez, il ne refteroit à défirer, pour le bien & la profpérité des Campagnes, que de détruire les routines qui ne s'y font que trop établies. 2°. Il n'y aura point encore de dépenfe à faire dans ce corps de Ferme pour les femences de l’éta- bliffement de prairies , quoiqu'on propofe d'y employer trente-cinq à quarante arpens. Ayant déja fait voir qu'on ne doit faire cet établiffement qu'en neuf années, ne peut-on pas, dès la pre- POUR LE LABOUREUR. 199 mière où il ne s'agira que de femer quatre ou cinq arpens, recueillir aflez de femences pour fe difpenfer d’en acheter l’année fuivante? A plus forte raifon par la fuite pour le con- tinuer , le completter & le renouvel- ler autant de fois qu'il en fera né- ceflaire ? Ne peut-on pas encore en vendre pendant quelques années , jufqu'à ce qu'on foit parvenu à retirer les frais des premières femences qu'on aura été obligé d'acheter , & pour en faire même fon profit ? 3°. Ces 3$ à 40 arpens, qu'on prendroit dans ce corps de Ferme de trois cens arpens, bien loin d'y por- ter préjudice , & d'en diminuer le revenu , ferviroient au contraire à le doubler, le tripler , & même aug- menter ay-dela. Idée que n’ont pas nos gens de Campagne, faute de Niv 2:00 MANUEL D'AGRICULTURE fe donner la peine de calculer, ou plutôt parceque leurs baux font trop courts pour pouvoir profiter du grand bénéfice qui en réfulteroit. _ Préfentement qu’on peut les faire jufqu'a dix-huit & vingt-fept ans, ils entendront plus facilement raiï- fon. N’étant ici queftion que des terres à jachères , qui font fans prairies, ÿ! faut fe fouvenir qu’on a démontré dans le troifñiéme articlendes Préli- minaires de ce Manuel , que, ces for- tes de terres ne rapportant généra- lement , tout au plus , que cinq pour un , ou plutôt ne rendant , tous frais faits, par arpent qu'un feptier, & même rien, leur produit pourroit être facilement doublé, triplé , qua- druplé, &c. Il ÿ a cependant cette différence à obferver qu'il y aura toujours POUR LE LABOBREUR. 2017 beaucoup plus à gagner dans les terres médiocres & mauvaifes que dans les bonnes, puifque les pre- mières , ne rapportant pas feulement cinq pour un, avant que de les bien faire valoir , feront mifes après au niveau des meilleures. - Quoiqu'il en foit , 1l n'y a donc point à douter que, quand le corps de Ferme dont il eft queftion , fera mis en état de pouvoir exécuter fur fa totalité, ou fur tout ce qui en aura befoin , l'entretien & le renou- vellement de l’engrais, par des éta- blffemens de prairies & de beftiaux fufñfants , quelque qualité de terrein qu'il puifle avoir, à moins qu'il ne foit purement fabloneux, il ne s’y fafñle lheureufe révolution d’aug- mentation qu'on vient d'annoncer nonobitant la difiraétion de trente- cinq à quarante arpens qu'on y au- 2:02 MANUEL D'AGRICULTURE roit faite pour l’établifflement de prai- ries. Il n’y a point de bon Cultivateur, pour peu qu'il ait d'expérience, qui n'en convienne , fans même qu'on donne pour preuve ce qui eft arrivé à l’Auteur des Prairies artificielles , qui a eflayé lui-même cette prati- que pendant trente années avec tant de fuccès. On peut dire qu'il eft le premier dans toute l'Agriculture , qui en ait donné l'exemple , & un exemple qui doit d'autant plus frapper, que, fi on l'imitoit dans tout ce qui fe trou- ve fans prairies, la France devien- droit le plus riche Royaume de l'U- nivers. 4°. Ces trente-cinq à quarante arpens occafionneront encore fur les beftiaux d'augmentation un pro- fit qui dédommagera bien au-delà POUR LE LABOUREUR. 203 de la diftraétion qu’on en aura faite. De huit à dix vaches qui pou- voient fe trouver dans ce corps de Ferme , lorfqu’on a commencé à le mettre en état de pouvoir y exécu- ter le renouvellement dont ileft que- ftion , le nombre s'en étant aug- menté jufqu'à trente, en mettant feulement le produit des vingt de furplus , à raifon de 15 livres par année l’une dans l’autre , cela fait déja 300 livres au moins d'augmen- tation de revenu. Les bêtes blanches fe trouvant augmentées jufqu’à quatre cents, au lieu de cent qui pouvoient s’y trou- ver, en mettant le produit de leurs toifons à raïon de 2 livres 10 fols chacune par an, l'une dans l’autre , & la livre à raifon de vingt fols ; en ne faifant attention qu’au produit de l'augmentation des trois cents, voilà 204 MANUEL D'AGRICULTURE encore fept à huit cents livres qu’on peut avoir tous les ans de furplus. On ne fait pas mention du profit qu’on peut trouver fur la vente & revente , & fur le commerce de tous ces beftiaux, parcequ'il doit fe com- penfer avec les pertes & mbitahtés qui peuvent arriver. Pour cette raifon encore , afin de n'être pas accufé d’exagérer , on ne fixera , année commune, tout le produit de leur augmentation, qu’à la fomme de 800 livres; quoiqu'en détail 11 puifle ( comme on vient de le faire voir monter jufqu'à environ 1200 livres. Qu'on compare préfentement ce produit fixe de 800 livres, qu'on ré- duira même à 600 livres fi l’on veut, avec celui qu'on auroit en ne fai- fant point cette augmentation de prairies & de beftiaux, on verra bien de la différence. POUR LE LABOUREUR. 205$ I! convient de la rendre fenfible pour qu'on y fafle plus d'attention. En ne faifant point de prairies ni d'augmentation de beftiaux ,-& en laiflant dans le corps de Ferme qu’on donne pout exemple, les trente-fix à quarante arpens pour porter tou- jours du grain, à quoi pourra mon- ter leur produit tous les ans ? tout au plus à la fomme de 200 livres ; il eft aifé de le faire concevoir & mêé- me de le démontrer. Dans ces trente-cinq à quarante arpens , étant queftion de jachères, il nepeut y avoir tous les ans qu'en- viron vingt-cinq à vingt-fix arpens “en:rappoôrt, fçavoir moitié froment, -& moitié Mars. Ce rapport ne pouvant être tout au plus , comme on l’a déja dit, qu'à raïifon de cinq pour un , & dans ces “éing pourun, n'y en ayant qu'un de 206 MANUEL D'AGRICULTURE refte du produit net , tous frais faits; peut-il jamais excéder ce à quoi on vient de le faire monter , y compris même les Mars? Il n’y va pas même à beaucoup près ; &, en le facrifiant, ne s'en trouvera-t-on pas bien dé- dommagé ? puifque du côté feule- ment des beftiaux, ces trente -fix à quarante arpens qui mettent en état de pouvoir les nourrir, rappor- teront au moins trois fois autant, indépendamment de l'augmentation prodigieufe qu'ils procureront fur ce corps de Ferme , en donnant lieu d'exercer le renouvellement de l’en- grais fur fa totalité. n'y a donc point à héfiter de pren- dre fur ce corps de Ferme , c’eft-a- dire fur les trois foles qui le com- pofent , ainfi que fur tout autre à pro- portion de fa contenance , la quan- tité de terres qu'il faudra pour un POUR LE L'ABOUREUR. 207 établifiement de prairies, d'autant plus que toutes les terres, qui y paf- feront, n'en feront que beaucoup meilleures , ayant , fur tout le fain- foin, l'effet de lesbien nettoyer de toutes les mauvaifes herbes & raci- nes qu'elles peuvent avoir. On repliquera fans doute que ; puifqu'il y a tant de profits à augmen- ter les beftiaux , 1l n'y a donc pas a héfiter de préférer de mettre en- tièrement en prairies les jachères qui en procureroient davantage , en augmentant à proportion les be- faux. Sans entrer encore dans l'examen de la fupprefion des jachères, pour les mettre en prairies , qu’on referve pour la Seétion fuivante , on fe con- tentera préfentement d'établir qu'un arpent de terre en pleine valeur, y compris les pailles qu'il donnera; 108 MANUEL D'AGRICULTURE qui fervent à nourrit les beftiaux , rapportera toujours beaucoup plus qu'un arpent de prairies, Qu'on en fafle le calcul, fa dé: monftration fera bien évidente , en ÿY comprenant fur-tout l'augmenta- tion confidérable , que le fond en acquerra ; ce qui eft le plus à confi- dérer. Ilne faut donc pas donnef dans l'excès de praïries ; ce feroit une au= tre forte d’Agromanie. À l'égard de l'augmentation dut gros & ment: bétail ; telle qu'on la propofeicifur ce corps de Ferme de trois cents arpens ; comme elle eft affez confidérable , 1! y auroit feule- ment quelques dépenfes à faire pour aggrandir les bergeries & étables, s'ils n'étoient pas affez ip r + ri contenir. EU Mais pébt-ôn' faire attention à cette POUR LE LABOUREUR, 209 cette dépenfe én la mettant eri com- paraifon avec les produits réels qu'on vient de démontrer, & qui font auffi confidérables ? On peut voir, dans le Traité des Prairies artificielles , le détail qu'on y fait pour parvenir à faire au meil- leur compte cette forte de dépenfe. Quant à l'augmentation de la grange, on s’en difpenfera, fi l’on veut, en mettant en meule ce qui ne pourroit pas y être renfermé. _ On fçait dans les Campagnes ; comment il faut s’y prendre pour faire ces fortes de meules; quand el: les font bien faites , le grain & les pailles s'y confervent au moins auffi bien que dans les granges, puifque l'air y pénétre mieux de tous les côtés. | MAT Hp s°. Pour ne rien oublier de tout .ce qui peut réfulter d'avantageux de MONET 0 210 MANUEL D'AGRICULTURE l'exécution du renouvellement de l'engrais, c'eft que pour engraifler quelques vaches, quelques bœufs, ou quelques autres animaux de la baffe cour, à l'effet de les vendre plus favorablement , on pourra, tous les ans ; feulement dans la fole des Mars , femer quelques arpens de gros navets , de panais, de patates, &c. fans craindre que ce que l’on en prendra, puiffe faire le moindre tort à ce que cette fole doit fournir pour la nourriture des bêtes de tirage, comme chevaux ou bœufs qui doi- vent fervir à l'exploitation. On dit Jeulement dans la fole des Mars , parcequ'on penfe qu'il ne con- vient pas que , dans la fole des ja- chères , rien n’y dérange n1 ne gêne les labours & engrais qu'il faut y bien faire pour pouvoir mieux pré- parer & cultiver les terres qui font POUR LE LABOUREUR. 2711 deftinées à être enfemencées en fro- ment ou en fegle. Pour bien engraifler des vaches & des bœufs , chaque pays a fa façon; il femble que la meilleure eft de leur donner du grain, comme orge ou avoine , mais fur-tout de l'orge, ce qui leur donne beaucoup plus de goût qu'en les engraiflant fimple- ment avec de l'herbe & des racines: en faifant venir de l’orge ou de l’a- voine au lieu de ces racines, il pa- roit qu'il n'en coûteroit pas davan- tage. On ne parle que d’un Fermier , d'un Laboureur, qui ne peut en- graifler fes beftiaux qu’au moyen du produit de fon corps de Ferme. On ne peut mieux finir cet Arti- cle qu’en difant que dans le renou- vellement de l’engrais , ainfi que dans celui du renouvellement de 0 ïi 212 MANUEL D'AGRICULFURE terreins , réunis ou féparés, fe trou- ve le vrai moyen de rétablir l'Agri- culture, & de la faire profpérer gé- néralement. Y.L s#utre pratique de renouvellement d'Engrais. dk OUT ce qu'on vient de dire juf- -qu'à préfent dans les Articles précé- dens fur le renouvellement de l’en- grais, ne concerne que les corps de Ferme dont le Domaine eft divifé & difperfé fur tout un Terroir, & fur les trois foles qui le partagent ordi- nairement. Dans ces fortes de Domaines, qui fuivent le mème partage que celui des Terroirs fur, lefquels ils font fitués , il n’eft pas poflible de déranger leurs foles ; il faut les Jaïfler telles qu’elles. font : on en POUR LE LABOUREUR. 213 verra les raïfons dans la Seétion fui vante , qui traitera des jachères. Cependant, quoique prefque tous les domaines & corps de Ferme fe trouvent ainfi difperfés fur tout un Terroir, & fur les trois foles qui le partagent , il s’en trouve qui font réunis, & dont les piéces de terres qui le compôfent ne font point di- fperfées, quoiqu'ellesfoient cultivées avec les trois foles ordinaires. On eft donc le maître, dans ces fortes de Domaines ou corps de Fer- me de faire telle divifion qu'on ;u- gera la plus convenable ; on peut y augmenter les foles ; & , en confer- vant lesjachères, on peut y en éta- blir quatre dans lefquelles, indé- pendamment des produétions ordi- naires, dont on ne peut fe pañler , on pourra faire venir encore plus fa- cilement d’autres produ@ions qui O ii 214 MANUEL D’AGRICULTURE pourroient occafionner plus de pro- fits: voici comme on s’y prendroit. En ne faifant point dans un corps de Ferme de trois centsarpens, qu'on fuppoferoit n'être pas difperfé , une diftraétion plus confidérable que dans le précédent Plan de culture, pour y former l'établiffement de prai- ries , on compoferoit lés quatre {o- les à raifon de foixante-cinq arpens ou environ chacune: I! y en auroitune pourlesjachères, une autre pour le froment ou pour le fegle, une autre feroit en avoine ou orge pour la nourriture des bèr tes de tirage qui fervent à l’exploi- tation , & 1] y en auroit encore une qui feroit foit en lin, chanvre, paftel, garence, foi en gros navets, &c. Il eft vrai que dans cette divifion en quatre foles, il fe trouveroit moins de froment que dans la pré- POUR LE LABOUREUR. 215$ cédente pratique ; mais on pourroit en être bien dédommagé par les plantes qu'on fe procureroit au moyen de l’établiflement de la qua- triéme fole. | Comme on auroit ; dans cette pra- tique , la même quantité de prairies & de beftiaux que dans la précé- dente , on feroit en état d'y exécu- ter également le renouvellement de l’engrais, tant fur la fole des ja- chères, que fur la quatriéme fole qui contiendroit les plantes qu’on vient de détailler. Ce neferoit donc que dans les Do- maines ou corps de Ferme qui fe- roient réunis , & dont les piéces de terres qui les compofentne font point difperfées , qu’on pourroit prendre celle des deux pratiques qui feroit jugée la plus convenable & la plus avantageufe , quoique toutes les O iv 216 MANUEL D'AGRICULTURE deux ne peuvent que tendre égale- ment à augmenter prodigieufement leur revenu, VII Des Engrais de Befliaux. On ne fait ici mention que des engrais qui proviennent des be- faux, parceque ce n’eft que d’eux qu'on peut tirer toute la quantité né- ceflaire pour amandet, tous les ans, la troifiéme , la fixiéme ou la neu- viéme partie d'un corps de Ferme où il feroit queftion des jachères. Ce qui les rend encore préféra- bles à toutes les autres fortes d’en- grais, c'eft que dans les beftiaux on trouve un double avantage, non- feulement celui de l'engrais qui eft le plus confidérable & qui enrichit le plus, ne/tendant pas moins qu'à augmenter prodigieufement & le POUR LE LABOUREUR. 217 fond & le revenu d’un Domaine; mais encore celui de leurs laines, de leurs peaux & de leurs produétions , comme géniffes, agneaux,laitage,&cc, dont on fait aufli de grands profits. En faifant de plus attention au commerce que l’on en fait , on con- viendra que c'eft avec raïfon que Jon a toujours dit que‘ce n'étoit que par les beftiaux, qu'on pouvoit procurer & établir l'aifance & l’a- bondance dans les Campagnes. n'y a point de fortes de terreins labourables & en état de porter du grain, auquel leur engrais ne con- vienne, | Y en a-t-il un meilleur que celui de moutons ou de brebis , pour les terres humides, froides & pefantes, qui foit plus propre pour les réchauf- fer , les ranimer , & même pour les rendre plus meubles & les bien di- 218 MANUEL D'AGRICULTURE vifer ; fans cependant qu'on puifle dire qu'ilsne conviennent point à d’autres terres, qui feroient même d'une qualité contraire ? On n’en peut pas dire autant de la marne , quoique ce foit un engrais très-eftimé , lequel ne convient nul- lement dans un terrein fec & chaud, puifqu'elle. le brüleroit infaillible- ment, & le rendroit ftérile pour bien des années, fi on l'y employoit 1n- confidérément. À ces mêmes terres humides & froides, les crottins de pigeons (2) (a) Le pigeon eft fi utile , qu'il convient de le faire connoître une bonne fois, pour qu’on ne foit pas tenté de le détruire mal à propos: Indépendamment qu’il eft d'une très-grande réflource dans les Campagnes, il n’eft pas auf deftruéteur & aufli nuifible que bien des gens fe le font imaginé. Quand un Laboureur a l'attention de bien couvrir fes feimences , com- me il doit le fçavoir , il n’y a rien à craindre de fes pattes qui ne grattent jamais. Si avant POUR LE LABOUREUR. 219 conviennent aufli beaucoup ; ils ont même tant de force & de chaleur la moiffon il fait tort à quelque froment , il le répare bien par l'excellent engrais qu'il pro- cure, qui en fait venir beaucoup plus qu'il n'en peut manger. Il ne faut pas avoir un Co- lombier bien confidérable , pour être en état d’amander tous les ans deux à trois arpens. Auflitôt que la moiflon eft ouverte , ce n'eft plus au froment qu'il en veut, nià l'avoine, ni aux lentilles, &c. c'eft principalement aux petites graines qui fe détachent des mauvai- fes herbes qui ont müries avec la moiflon, & qui font fciées & fauchées en même tems ; cela eft fi vrai qu'on n’en voit que très-rare- ment fur les gerbes de froment, ou fur les cochets d'avoine, de lentilles , &c. En man- geant & en détruifant toutes ces petites grai- nes , les terres produifent beaucoup moins de mauvaifes herbes l’année fuivante , ce qui fait que les grains qu'on y enfemence , pro- fpérent beaucoup mieux. Le véritable tems où le pigeon fait plus de dégât au froment, c'eft un peu avant la moiflon, quand il commence à mürir, pour lors il en abbat les tiges avec fes ailes pour fe jeter fur leurs épis, auffitôt qu'ils font couchés. Avant la moiflon , il fait en- 220 MANUEL D'AGRICULTURE que , pour les répandre très-claire- ment , on eft obligé de les femer à la main comme le bled. core du tort aux lentilles, parcequ'elles font ordinairement couchées , verfant au moindre orage qu'elles effuyent ; comme on en féme peu, ce préjudice n'eft pas une raifon fufi- fante pour demander la deftruétion du Pi- gcon , n'y ayant que le froment qui puifle J'autorifer. Ne mangeant point de fegle il eft bien moins nuifible dans les pays, & les Cantons où cette forte de bled fait le prin- cipal objet de la récolte. Il ne faut donc pas écouter fi légèrement les plaintes des Labou- reurs qui ne les font le plus fouvent que par- ceque n'ayant point de colombiers, foit pour n'avoir pas aflez de terres , foit pour d’autres raifons , ils font extrêmement jaloux con- tre ceux qui font fondés à jouir de ce droit. Que ne fait-on plutôt des Ordonnances , comme dans le Brandebourg, & même ail- leurs, contre lés moineaux qui font bien plus de dégâts fur les fromens , & dont on ne tire aucune utilité. Par ces Ordonnances , les gens de la Campagne font tenus de repréfenter tous les ans une certaine quantité de têtes de moi- nçaux. POUR LE LABOUREUR. 221 Les engrais de vaches, de bœufs & de chevaux, même mêlés enfem- ble ,font plus analogues aux terreins chauds & fecs ; ce quin’empèche pas qu'ils ne puiflent être aufli employés avec fuccès fur tout terrein, quand même on y mêleroit encore ceux de cochons, de poules & de toutes les autres efpéces d'animaux qui peu- vent fe trouver dans une bafle-cour. Quoique l'engrais de beftiaux puifle être employé aufli utilement fur tout terrein , & fans en craindre aucun inconvément ,1ly a cependant le pur fable, fur lequel ‘ne prendra point , & fur lequel il fera toujours mis en pure perte; parceque chaque grain de fable n'eft qu'une petite pierre bien formée dont il ne peur fortir aucun fel ni aucun fuc qui {oit propre à la végétation. C'eft pourquoi, fi le fumier, qu’on 222 MANUEL D'AGRICULTURE ÿ auroit mis, ne réuflit que par place, comme 1l arrive aflez ordi- nairement , Ce ne fera que parce- qu'il s’y fera trouvé quelques vei- nes de terres mélangées avec le fable. Le fentiment de ceux qui préten- dent que l’engrais en général , à l’ex- ception de celui de terre, ne donne ni fels ni fucs, & qu'il n’a d'autre effet que de nourrir, ranimer, fortifier & réparer ceux qu'il trouve , ne feroit donc pas fans fondement. Toute la reflource de ces terreins de pur fable, ne conffteroit par- conféquent qu’à les ouvrir & qu'à les éventrer, fuivant l’expreffion de l'Auteur des Prairies artificielles | pour en tirer la terre de deflous, à l’ef- fet de la mettre deflus, pourvû qu’elle ne fe trouvât pas trop enfoncée , c’eft-à-dire au-delà de deux à trois pieds de profondeur. POUR LE LABOUREUR. 223 Ce pur fable étant comme un cri- ble à travers duquel l’eau des pluies pañle toujours pour s'imbiber def- fous , il y a lieu de croire qu'on y trouveroit une nouvelle terre con- venable , laquelle , étant mife deflus en fuffifante quantité , le mettroit en état de pouvoir être cultivé pour y faire venir du grain. Un autre moyen encore, feroit d'y voiturer de la bonne terre & de la mettre à environ un demi-pied d’épaifleur. Mais, comme ces dépenfes feroient fort couteufes & pourroient même excéder de beaucoup le produit qu'on en retireroit , la terre en gé- néral ayant plufeurs deftinations pour mieux fournir à tous nos be- foins , ces fortes de terreins de pur fable feront employés beaucoup plus utilement eu y plantant du bois 114 MANUEL D'AGRICULTURE ou de la vigne, parceque leurs raci- nes; qui font fortes & profondes; font en état de pouvoir atteindre la bonne terre de deflous dont on vient de parler, - Dans le cas qu’au lieu d'une terre convenable , il ne fe trouvât deflous le fable que des pierres & des blo- cailles, comme cela arrive aflez fou- vent, la terre étant encore deftinée à les produire pour nous mettre en état de faire des logemens folides, on n'en exigeroit rien de plus, puif- que fa deftination feroit remplie. Ce qui détermine encore à ne point entrer dans le détail des autres fortes d'engrais qu'on pourroit aufli employer très-utilement, comme les cendres, les boues, les décombres, la marne , &c, c’eft qu'étant queftion d'amander,tousles ans, dansun corps de Ferme une partie auf confidé- rable POUR LE LABOUREUR. 2:34 table que l’eft la fitiéme ou la neu- viéme ; pour pouvoir tOuJOurs y en- tretenir & renouvelier l’engrais, ils ne pourroient y contribuer qu’en bien peu de chofe , n’étañt pas pof- fible d'en ramañler une aflæ grande quantité. Quand cela feroit ; combien de tems n’employeroit-on pas pour al- ler les chercher ? au lieu qu'on peut avoir chez foi & dans fa Rañle-cour tous les engrais de beftiaux dont on a befoin. Il eneft de même des engrais artifi- ciels, quoiqu'aufli très-bons ; qui, pour la même raïfon, ne font point intéreflants dans des amandemens auiñ coniidérables que ceux dont eft queftion ; 1ls y feroient fi peu qu'à peine les remarqueroit-on. D'ailleurs, pour les faire, cela prend bien du tems, & ils occupent IL 2126 MANUEL D'AGRICULTURE extrèmement , dans le courant d’une année, & des domeftiques & des chevaux, qui ont bien des occupa- tions à remplir, s’agiflant de mêlan- ger avec de la terre la quantité de fumiers qu'on peut avoir, on qu'on veut employer ; ce quife fait dans une foffe faite exprès,par des couches alternatives de l'un & de l’autre d’en- viron un bon demi-pied d’épaiffeur. Quoique cette pratique foit mer- veilleufe , & quoique l’ufage desfor- tes d'engrais qu'on vient de détail- ler, autres que ceux de beftiaux, foit aufli très-bon ; cependant on peut dire qu'ils feront mieux employés aux petites cultures dont on a parlé dans l’Introdu@tion de ce Manuel, c’eft-à-dire dans les terres qu’on ne laboure qu’à la béche, attendu que l'entretien & le renouvellement de l'engrais , qui peut s’y pratiquer , ne POUR LE LABOUREUR. 227 doit faire qu'untrès-petir objet; ceux qui cultivent ainfi à la bêche n’en pouvant prendre ou louer que deux à trois arpens au plus, pour les faire bien valoir. C’eft encoré dans la culture des jardins que les engrais artificiels corn viendroient admirablement. Quel changement heureux ne feroient-ils pas fur les légumes, fur les fruits & même fur les fleurs ? On ne peut pro- pofer rien qui puifle y faire autant d'effets. | Enfin n'étant pas douteux que l’en- tretien & le renouvellement d’en- grais ordinaires, bien exécuté fur la totalité d’un corps de Ferme, n’aitle même effet, avec le tems, que celui de l’engrais artificiel : 11 femble que ce feroit fe donner inutilement bien de la peine que de s’entèter à | VOu- loir les y employer. Pi 228 MANUEL D'AGRICULTURE VIIL Comment s'y prendre pour faire confom- mer les engrais de befliaux en peu de tems. es E n’eft pas afez de s'être mis en état d’amander tous les ans la neu- viéme partie d'un corps de Ferme de trois cents arpens pour entrete- nir continuellement fur fa totalité le renouvellement de l’engrais ; 1l faut encore que tout le fumier de be- ftiaux , qu'on y employera, foit bien confomme. Une voiture de bon fumier a plus d'effets que deux & même trois qui feroient chauffourés. Le bon fumier doit fe faire avec promptitude, pour que le Labou- reur puufle le charier fouvent, & puifle le charier dans les intervalles POUR LE LABOUREUR. 229 qu'il eft obligé de donner à fes la- bours, comme on l’a dit ci-deflus, pour leur donner le tems de fe re- prendre. En le conduifant fouvent , non- feulement il aura plus de chaleur, mais il s’en trouvera beaucoup plus que fi on ne le charrioit que rarement ; puifqu'en le laiffant trop long-tems dans fa foffe , il ne fe peut qu'il ne fe pourrifle , & qu'il ne s’en perde beaucoup; ce feroit mème une perte affez confidérable, Il n’en eft pas de l’engrais de beftiaux comme des autres fortes dont on vient de parler, n’y ayant rien à faire à ceux-ci avant de les employer ; au lieu qu'à l'égard de ceux de beftiaux, on ne le doit qu'après avoir travaillé à les rendre bons. | Qui conduiroit les fumiers fur les P 230 MANUEL D'AGRICULTURE terres en fortant des écuries, ne fe- toit qu'une très-petite befogne. Pour parvenir donc à les rendre bons, c’eft-à-dire bien confommés, voici ce quife pratique par les Labou- reurs aétifs & vigilans , qui fe réglent fuivant la conformation de leur baffe- cour. Quand elle eft étroite , longue ou quarrée , environnée de bâtimens, la foffe à fumier fe trouvant dans le milieu, 1ls ont l'attention, dans les tems de chaleur & de fécherefle, de faire jetter deflus une quantité convenable de feaux d’eau qu'on tire du puits ; ce qu’on répéte deux à trois fois la femaine , fuivant le befoin. Uls ne manquent pas enfuite de faire pañler deflus tous les jours leurs beftiaux , lorfqu'ils rentrent ou qu'ils {ortent; ce qui donne lieu, par leur POUR LE LABOUREUR. 231 poids & leur pefanteur , de faire re- monter l’eau fur la fuperficie du fu- mier; & on conçoit qu'étant par.ce moyen toujours imbibé , il doit être bientôt fait & confommé : il ne faut pour cela qu'environ trois femaines ou un mois au plus, fi chaud & fifec que le tems puifle être. Une autre façon, qui n’a pas moins d'effets dans une pareille baffe-cour, & qui n’exige pas plus de tems, c’eft pour les tems de pluies, de ménager l'écoulement des goutières, pour tomber direétement dans la foffe à fumier , avec cependant la précau- tion de leur faire une fortie, dans le cas d’une trop grande abondance. Cette fortie pourroit fe prati- quer au moyen d'un conduit de pierre ou de bois, qui dégage- roit ledteaux au dehors, & pour qu'il ne reftât , dans la foffe que la quan: P iv 231 MANUEL D'AGRICULTURE tité d’eau qui lui conviendroit ; ce conduit feroit pofé dans une ouver- ture qui auroit été exactement prife dans le nülieu de la profonieur de la foie. Les beftiaux paflant & repañlant continuellement defius, quand ils for- tiroient & rentreroient, ne manque- roient pas de faire remonter l’eau qui fe trouveroit au fond. De telle façon que l’eau foit pro- curée au fumier , il faut toujours faire enforte qu'il n’y en refte point au fond de la fofle , & qu’elle re- monte fur la fuperficie du fumier. Lorfque la phue fera trop long- teims fans venir, on aura recours au ‘premier moyen. Si au contraire la bafle-cour eft grande & fpacieufe, & fi la fofle à fumier fe trouve dans un coimà côté des écuries ou dans le milieu, il ef POUR LE LABOUREUR, 233 important que cette fofle foit exatte- ment faite en cul de lampe & de fa- çon qu’elle y retienne & conferve l'eau. En cet état , toutes les fois qu'on y déchargera les fumiers qui feront tirés des écuries & des étables, on ne manquera pas de les étendre & de les répandre le long des bords, & on aura fur-tout attention de laifer voir le fond ou le creux de cette fofle. Quand elle commencera à s'em- plir, en évitant toujours de laifler tomber le fumier au fond , on jettera pendant quelques jours plufeurs feaux d’eau fur les bords, & quand ils feront achevés d'être bien cou- verts de fumiers , autant qu'ils en pourront contenir , & toujours en y jettant quelques feaux d’eau juf- qu'a ce que le creux ou le fond de 234 MANUEL D'AGRICULTURE la foffe s’en trouve rempli , il ne s’a- gira plus pour lors, que de l’y puifer avec un poëlon pour en arrofer les bords; ce qui étant fouvent répété, on verra que le fumier fera bientôt fait & confommé : tout cela ne de- mandera pas plus de trois femaines. Au moyen de cette opération, il ne fera pas néceflaire de faire paf- fer les beftiaux fur cette fofle , pui- qu'au moyen de fon creux qui doit toujours fe trouver bien dégagé de fumier , on eft en état d’y puifer l’eau qui en eft fortie pour la jetrer fur les bords, quand on le jugera nécef- faire ; ce qui auroit le même efket que celui de la faire remonter par la pefanteur des beftiaux. Bien plus , fi la conformation de la baffe-cour ne permettoit pas qu'on y pratiquât une foffe , on laïfleroit le fumier en tas dans un coin , & on POUR LE LABOUREUR. 235$ le feroit confommer en auffi peu de tems, à mefure qu'il fe formera & s'amafñlera en y jettant exaëtement de l’eau. Rien ne doit moins coûter que ces attentions , étant fi différent d’ern- ployer de bons ou de mauvais fu- miers. Quand une récolte manque, ou n'a pas bien réufli, nonobftant que le champ ait été amandé avec toute la quantité de fumiers qu'il pou- voit exiger , c'eft fouvent parce- qu'elle n'étoit pas bien confommée, ou parcequ'elle n’a pas été répandue n'y enclofe à propos. C’eft pourquoi il convient d’ajoü- ter qu'il faut encore avoir l’atten- tion de faire répandre le fumier auf- fitôt qu'il eft conduit & charié à fa deftination , & même au fur & à me- fure qu'on le décharge. 236 MANUEL D'AGRICULTURE On le répand plus facilement ; il s'étend mieux, & on y gagne beau- coup plus que fi on différoit ; il a même plus d'effets en le répandant auflitôt ; puifqu’en le laïffant deflé- cher à l'air, il perd beaucoup de fa bonne qualité, On ne peut donc trop-tôt fe pref- fer de le retourner & de l’enclore avec la charrue , dès qu'il fera ré- pandu : une pluie qui furviendroit pour lors lu feroit bien favorable ; ce qui peut engager de l'attendre , fi on prévoit qu'elle ne differera pas, Il ne faut pas oublier de dire en- core que parmi les bons Laboureurs, on ne répute bons fumiers que ceux qui font faits avec des pailles de froment, ou de fegle, d'orge & d'avoine , & qu'ils ne font aucun cas de ceux qui ne font faits qu'a- POUR LE LABOUREUR. 23 vec ce qui refte des rations d’herba- ges, foit en verd, foit en fec , qu'on donne aux beftiaux ; il s'en faut bien que ceux-ci ayent là même force , la même chaleur & les me- mes qualités des autres, & qu'ils durent aufli long-tems. IX. Réponfe a un certain Auteur au fujet des établiffernens de Prairies. ra KZ UOIQUE tous les avantages qu'on peut tirer des établifemens de prairies artificielles foient fi clairs & fi évidents, fur-tout quand ils font bien réglés, croiroit-on qu'ils ne font pas du goût d’un certain Au- teur ? Ne pouvant , fuivant lui, y faire paturer les beftiaux , parce que ce feroit une pâture dangereufe , il en 238 MANUEL D'AGRICULTURE conclud qu'il vaut mieux s’en pañler, & chercher d’autres moyens de fe procurer les engrais néceflaires , pour les fuppléer au défaut de prai- ries naturelles & de patures com- munes. On convient que les établifle- mens de prairies artificielles ne font pas faits pour fervir de pâturages au gros bétail, non plus que les prairies naturelles, où i1ne peut aller qu'après qu'elles font entièrement fauchées. Mais ils peuvent fervir à le bien nourrir pendanttoute l’année , quand même il ne fortiroit point; ou que très-peu. $ Il y a bien des Cantons & bien des Terroirs en France fur lefquels il n’y a ni prairies naturelles, ni pâtures communes ; cela n'empêche pas qu'il ne s’y trouve quelques beftiaux comme vaches ou bœufs, POUR LE LABOUREUR. 239 Or , l'ufage dans ces fortes de Cantons eft de les nourrir dans leurs étables avec l'herbe des champs, que les fervantes vont y chercher pendant les trois faifons du printems, de l'été & de l’automne , & encore avec quelques bottes de ces mêmes herbes qu’elles ont fait fécher, & qu’elles refervent pour leur tenir lieu de foin, dont elles font même une provifon pour l’hyver. Enajoutant alternativementaà cette forte de nourriture quelques bottes de pailles qui fervent auf pour leur litière , cela fait que ce gros bétail fe trouve bien nourri: mais on doit concevoir qu'on ne peut en avoir que très-peu. Cependant, quoique fur ces Ter- roirs ou Cantons , il n'y ait ni prai- ries naturelles, ni pâtures communes, on ne laifle pas de le faire fortir de :40 MANUEL D'ÂAGRICULTURE tems en tems , fur-tout aufli-tôf les moiflons pour le conduire dans les pâtures grafles, c’eft-a-dire dans les chaumes de froment ou de fe- gle, où il fe trouve pour lors ordinai- rement beaucoup d'herbes dont ce gros bétail eft très-friand. Depuis la moiflon jufqu'au prin- tems, on le conduit ainfi de tems en tems fur les terres qui ont été moiflonnées , dans lefquelles 1l peut trouver à pâturer ; mais, ce tems pañté , on ne le fait fortir que pour le mener boire ; il refte ordinai- rement à l’érable jufqu'au teins de la moiflon , & on ne le conduit point dansiles térres qui font en jachères, parcequ'elles font fpécialement ré- fervées pour les bêtes blanches , qui, à la différence du gros bétail, doivent fortir tous les jours. Suivant le détail de ces ufages, qui « POUR LE L'ABOUREUR. 241 qui ont, ainñ lieu fur les Terrowsoï 11 n'y a ni pâtures communes ni prais tics naturelles, on peut avoir du gros bétail, en le nourriffant com- me.on vient.de le dire: Am ; aù moyen des établifflemens de Prai- ries artificielles, on aura bien plus de faciité, à nourrir le gros béta, foit en verd, foit en feé ; pen- dant toute l'année ; & l’on parvien- dra à s'en procurer ie nombre nécef- faire pour fe mettre en état d'exécu- er tous les engrais dont on peat avoir befoin , fans qu'ii foit queftion que ces fortes d’établiflemens lui fer- vent de pâturages. | Cela ne conviendroit même pas, fur-tout , s'ils ne confftoient qu'en luzerne ; parceque cette plante, quand elle n'eft pas donnée avec économie , peut être dangereufe, cuoique très-bonne en elle-mème:; Q 242 MANUEL D'AGRICULTURE on s’en eft expliqué fufifamment dans le Traité des Prairies artificiel- Les. Quoiqu'il n’y ait pas le même danger pour les établiflemens de fain-foin, de tréfle , &c. encore vaut- il mieux ne faire pâturer le gros be- tail que quand toutes les coupes & fauchaifons en auront été faites , c’eft-à-dire , vers le tems de laS. Re- mi ou de la S. Martin, pour fe nour- rir de ce qu'il peut y refter en verd : il n'y auroit pour lors aucun danger de le conduire dans une luzerne. Ce n'’eft donc que , faute de con- noitre tous les ufages de la Campa- gne , fi cet Auteur s’eit ainfi déclaré contre les établiflemens de prairies artificielles ; il ne connoiït apparem- ment que ceux qui ont lieu fur les Cantons ou Terroirs où il fe trouve des pâtures communes , & des prai- ries naturelles. POUR LE LABOUREUR. 143 Il n’y a cependant que Les prairies artificielles qui puiflent fuppléer à leur défaut , puifqu'on peut dire que ce n’eft que dans cette vue que l’Au- teur de la Nature nous en a gratifié; autrement à quoi pourroit nous fer- vir un don aufli précieux? La plus grande partie de nos terres refte- roient toujours dans une ftérilité dont on ne pourroit les retirer ? On ne conçoit pas comment un pareil préjugé a pu prendre fur un Auteur qui paroît d'ailleurs fi éclairé, TROISIEME SECTION. Des Jachères, CDN à déja établi que l'Agricnl- ture étoit généralement compofée des opérations du labour, desfemen. ces & des engrais ; & que, pour les faire mieux réuflir, on ajoutoit les Q5ÿ 244 MANUEL D'AGRICULTURE jachères pour donner du repos aux terres ? Ce repos méritant la plus grande attention, il s'agit de fçavoir quand il convient d'employer ou de fup- primer les jachères: on peut dire qu’en cela confifte la grande fcience de l'Agriculture. On fera voir que leur fuppreffion ne doit être regardée dans toute l’A- griculture , que comme un cas par- ticulier; & qu'iln’en eft, de cette fuppreflion, vis-à-vis de leur ufage que comme d’une exception à l’é- gard d'une régle générale. On fera donc bien étonné d’ap- prendre que c’eft renverfer tous les principes de l’Agriculture ; que de propofer de rendre générale la fup- preflion des Jacheres. En attendant on commencera par dire que, faute de bien connoitre ce POUR LE LABOUREUR. 245 que c’eft que Jachères, foit pour les obferver, foit pour les fupprimer, on ignore pleinement l'Agriculture, & qu’on ne peut que s'égarer. La preuve n’en eft que trop évi- dente dans les Écrits de nos Au- teurs modernes, & dans ceux mème qui ont eu la plus grande réputation, puifqu'ils n’ont fait que bésayer fur cette importante matière ; c’eft du moins le jugement qu'en ont porté les Cultivateuts qui ont le plus d’ex- périence, & qui peuvent feuls déci- der. Ils ont mème inféré de la gran- de réputation que ces Anten uis fe font ainñ faite qu’on eft encore bien ignorant en France fur l'Agriculture; tandis que fur toute autre matiere on eft fi éclairé. SNA RS SL Qu 246 MANUEL D'AGRICULTURE Fe Ce qu'on entend par Jachères. <2 N entend par Jachères, des ter- res qui, après avoir été moiflonnées, reftent dans le repos, non-feule- ment pendant l'automne & pendant l'hyver ; mais encore dans les deux faifons du printems & de l'été de l'année fuivante ; de façon qu'elles font , une année entière & même plus, fans être enfemencées ; tout ce tems n'étant employé qu'à les la- bourer , les cultiver & les préparer, pour recevoir les femences qu'on leur deftine. Quoiqu'on pue dire que cette idée des Jachères foit exaëte ; cepen- dant , pour lui donner plus de préci- fion , on ajoutera qu’elle ne doit ab- folument tomber que fur le repos que les terres ont pendant les deux POUR LE LABOUREUR. 247 faifons du printems & de l'été, & non fur celui qu'elles ont déja eu précédemment pendant l'automne & pendant l’hyver; puifqu’on ne peut appeller serres a Jachères , celles qui, après s'être repofées pendant l’hy- ver ,font enfemencées au mois de Mars; c’eft-à-dire dans la faifon du printems. Voilà donc la vraie définition des Jachères , a laquelle on ne peut trop faire attention. Les terres auxquelles on laifle ce fecond repos , font appellées Jachè- res , parceque , quoiqu’elles foient labourées dans les deux faifons du printems & de l'été, cela n'empêche pas qu’elles ne puiflent fervir de pâture aux bêtes blanches, le terme de Jachères, fignifiant, férvant de pa- rie. Cette pature des champs, com- me on l’expliquera ci-après, eft la Q iv »48 MANUEL D'AGRICULTURE meilleure , & même ia feule quon pue leur procurer. Il eft vrai que les terres qui fe re- pofent dabord dans les deux fañons de l'automne & de jhyver, quon peut encore labourer quand le tems le permet, fervent auihi de patures aux bêtes blanches, & que pour ette raïfon, elles pourroïent être ‘galement appellées Jachères ; mais ufage, qu fixe la véritable fignifi- tion des termes, n’a attaché celut- ci, dans toutes les Campagnes, qu'aux terres dont le repos eft con- tinué pendant les deux faifons du printems & de l'été, _ fin'yaque ceux qui ne connoïffent SE (e) l'Agriculture qu'en fpéculation , qui confondent ces deux repos, & qui sy méprennent + Vo RE M “mm dt nt" ) L L | $ L 4 | POUR LE LABOUREUR. 249 IL. Ce qui occafionne & néceffite les Jachères.- © UoiïqQuE dans l'Agriculture , on fafle ufage de beaucoup d’efpé- ces de femences, & de bien des for- tes de grains; cependant , en ne les confidérant que par rapport aux deux différens tems de les femer, on n'y en reconnoit que deux for- tes, qui font les grains de Mars & les grains d'hyver. Par grains d’hyver, on entend eflen- tiellement le froment & le fegle, qui font les deux grands objets & les plus précieux de l'Agriculture. Les grains de Maïs, comme orge, avoine , &c. font enfemencés au printems dans des terres qui fe font repoiées pendant l'hyver ; n'étant que quatre, cinq à fix mois enterre, ilspe uvent donner leur récolte aflez 250 MANUEL D'AGRICULTURE à tems, en plein été, pour pouvoir bien mürir. I n’en eft pas ainfi des grains d'hy- ver ,comme froment, fegle , &c. qui devant être neuf à dix mois enter- re, exigent qu'on les féme dans la faifon de l'automne avant l’hyver, pour que leur récolte puifle aufii tomber en plein été dans les mois de Juillet ou d'Août, qui eft Le tems le plus propre à leur maturité. Ils peuvent être ainfi femés , fans crainte qu'un hyver, fi rigoureux qu'il puifle être , leur nuife ; pourvu que la terre foit féche, & que les fortes gelées ne furviennent point immédiatement après d'abondantes pluies. Au contraire les fortes & lon- gues gelées leur font avantageu- fes en rendant leurs récoltes plus grainées , ce que n'opèrent pas les longues pluies d’'hyver qui leur font POUR LE L'ABOUREUR. 251 très - prépudiciables ; c’eft ce qu'on apprend par l'expérience. Si on femoit les grainsd'hyver au mois de Mars, il eft bien eertain qu’il n’en réfulteroit que des récol- tes tardives, qui à peine payeroient le Laboureur de fes femences. Ne pouvant donc être enfemen- cées qu’en automne & non au prin- tems, 1l s'enfuit que les terres, dans lefquelles ils font employés , doi- vent fe repofer dans les deux faifons du printems & de l’été, indépenda- ment du repos qu'elles ont déja eu pendant l’hyver, & qu’elles foient, une année entière & mème plus, fans rien porter ; parcequ'il paroît qu'il feroit contre l’ordre de la Na- ture , que des terres, qui ont tra- vaillé pendant les deux faïfons du printems & de l'été , fuflent encore dans le même cas pendant les deux :52 MANUEL D'AGRICULTURE faïfons fuivantes de l'automne & de Fhyver. Au printems, tout renait, tout reverdit, tout fleurit ; la terre re- prend fon travail; elle employe, elle épuife même tous fes fels & tous {es fucs pendant les trois faifons confé- cutives du printems, de l'été & de Fautomne , pour nourrir toutes les femences qu'on lui a confiées. Mais, pendant l’hyver, elle eft, pour ainfi dire, dans le repos, & c'eft ce repos qui lui eft fi nécefaire pour la rétablir & pour lui rendre toute fa vigueur. Enun mot, c’eft l’hyver quiremet la terre en état, chaque année , au printems , de vivifier toutes les plan- tes, tant annuelles que‘vivaces. Il femble contre l’ordre de la Na- ture de fupprimer les Jachères ; on peut même dire que leur fupprefhion POUR LE LABOUREUR. 253 auroit bien des inconvéniens , & qu'il ne feroit pas aufl facile de l’exé. cuter qu'on fe l’imagine. Dans le cas que des terres, après avoir été enfemencées & moifflon- nées pendant les deux faifons du printems & de l'été, fuflent encore enfemencées dans la fafon de l’au- tomne fuivant, c'eft-a-dire vers le mois d'Oftobre; comme le tems de leurs moifions qu'on vient de faire, tombe en Juillet & même en Août, il n'y auroit tout au plus qu’en- viron deux mois d'intervalle juf qu'à ce qu'on les enfemençât de nouveau. Dans un fi court efpace peut- on donner au froment tons les labours qui lui conviennent , n’y ayant point de grain qui exige au- tant de peine , & qui demande à être aufh bien cultivé, :$4 MANUEL D'AGRICULTURE On ne pourroit tout au plus que lui donner deux labours, tandis qu’il lui en faut davantage, foit pour bien ameublir la terre, foit pour dé- truire les herbes. Il s’agit de bien dégazonner une terre qui vient d’être moiflonnée, & qui, parconféquent fe trouve pleine de racines ; autrement, com- ment celles du froment, qui font fi tendres & fi menues, pourroient-el- les pénétrer ? D'ailleurs, fi le terrein qu’on cul- tiveroit dans un fi court efpace , eft fujet à donner beaucoup d'herbes, ce ne fera pas dans la faifon de l’été & de l'automne qu’on parviendra à les détruire ,n’y ayant que celle du printems ou plutôt celle de l'hyver qui puifle avoir plus efficacement cet effet par des labours après Ia faint Martin. POUR LE LABOUREUR. 255 A l'égard des engrais qu'il con- vient de donner à une terre qu'on feroit ainfi travailler fans la laïfler re- pofer, & qui parconfequent doivent être beaucoup plus confidérables dans le cas qu'elle n’auroit pas aflez de fond pour pouvoir être renou- vellée par le travail de la charrue, comment pourroit-on les faire ? Quel embarras pour les conduire & les répandre , dans le même tems qu'on ne peut fe difpenfer de don- ner au moins deux Labours ? On s’en expliquera plus au-long ci-après. Tout ne fe fafant qu'a la hâte, & un terrein ne pouvant recevoir en fi peu de tems qu'une culture for- cée, peut-il jamais rendre autant que quand on le laiffe en Jachères, nonobftant qu'il paroïfle qu’on ga- gne beaucoup en ne les obfervant pas ? 256 MANUEL D'AGRICULTURE Il faut un peu d'expérience pour fentir la vérité de ce détail qu'on ne peut contredire; voilà pourquoi ceux qui n'en ont point, nannoncent & ne propofent que fupprefion des Ja- chères. Un autre motifencore, pour ob ferver les Jachères , qui eft très-inté- reflant, c'eft qu'il n’y a- générale. ment que ces fortes de terres qui donnent au bétail blanc, depuus le commencement de Mars jufqu'a la moiflon, la pâture qui leur con- vient. Sans les jachères , c’eft-à-dire fans le repos des terres pendant les deux faifons du printems & de l'été, Les bêtes blanches ne pourroient aller paturer dans les champs, que depuis la moiflon jufqu’au printems ; pour lors, pendant près de fix mois, on ne pourroit les conduire que fur les chemins EM # POUR LE LABOUREUR. 257 chemins ou fur les bordures de quel-. ques fofés. On fe donne bien de garde de les mettre dans les prés, cette pâture leur étant très-pernicieule, par rap- port à la pourriture qu'elle ne man- queroit pas de leur, donner ; c’eft. une maladie qu’elles prennent faci- lement ; c’eft pourquoi il ne leur faut que l'herbe des champs, fur- tout les racines qu’elles fçavent fi bien trouver dans le labouré des. Jachères, On ne peut donc faire trop d’at- tention au peu de tems que laifle la fuppreflion des jachères, pour bien cultiver le froment. Voilà pourquoi dans les Pays & Cantons où la fuppreffion des jachè- res a lieu ; ce n'eft pas tant le frc= ment qui en fait le principal objet, , que d'autres grains d’'hyver, comme R 258 MANUEL D’'AGRICULTURE le colza, la lentille, &c. qui ne demande pas autant de culture. III. De la divifion & du partage des terres a Jachères. LES grains d'hyver, & les grains de Mars fe fément en deux différens tems, les uns au printems , les au- tres en automne , avant l'hyver, & rempliffent chacun deux parties de terre bien réellement diftinguées l'une de l’autre ; d’ailleurs les grains d'hyver exigent qu’on laifle dans le repos les terres qu'on leur deftine, depuis le tems qu’elles ont été moif- fonnées, jufqu’à celui qu’on doit les enfemencer , pour être feulement Jabourées & cultivées; ce qui fait ai moins une année entière, & par- conféquent une autre partie de terre POUR LE LABOUREUR. 259 féparée des deux autres, De tout cela 1l fuit que , fur tous les Terroirs & corps de Fermes , où les jachères font obfervées, les terres , qui for- ment leur contenance , {ont toutes partagées & divifées en trois can- tons ou foles, qu’on appelle Jachè- res, Grains d'hyver & Grains de Mars, Cette divifon améne néceffaire- ment quatre conféquences. 1°. Sur le Canton des jachères d'un Terroir , n'y ayant aucun grain de Mars , ni aucun grain d'hyver , & ne devant point y en avoir , les bêtes blanches peuvent les parcourir pendant toute l’année, fans que rien les arrête ; & le Ber- ger qui les conduit ne feroit nul- lement refponfable du tort qu’elles pourroient faire à un grain de Mars ou à ua grain d'hyver qui s’y ren- contreroit ; parceque la pâture des R ij 260 MANUEL D'AGRICULTURE jachères leur étant deftinée depuis que l'Agriculture fubfifte , c’eft un droit immémorial & un avantage public, auquel aucun particulier ne peut déroger. 2°. Comme les trois foles, de tous les terroirs à jachères, ne peuvent être compofées chacune , que des pofleffions de différens Propriétai- res, qu'on appelle Domaines ou Corps de Ferme ,| ils ont tous néceflaire- ment la même divifñion & le même partage que celui de leur terroir, & c’eft d'où provient la diftribu- tion des piéces de terre qui les compofent , ne s’y en trouvant point dont le Domaine foit réuni, à moins qu'ils ne faffent terrein abfolument à part. Cette conformité de divifion ne peut donc fe déranger ; car, fuppo- fant que , dans les cantons des grains de Mars, on laiflàt quelques piéces POUR LE LABOUREUR. 261 de terre en jachères , comment pourroit-on aller les labourer & cul- tiver dans le tems que tout ce qui les environneroit feroit en verdure, & a la veille d'être moiffonné ? Comment, dans tout ce tems, pou- voir traverier , avec une charrue & des bêtes de tirage, ces grains de Mars, fans occafionner des préjudi- ces confidérables à ceux auxquels ils appartiennent ? Lesmêmes incon- véniens fe rencontreroient pareïlle- ment dans le canton des grains d’hy- ver, fi on vouloit femer au printems quelques grains de Mars. 3°. Ces trois foles roulant, pour. ainfñ dire , fur elles - mêmes, el- les font chacune fucceffivement en jachères, en grains d’hyver & en grains de Mars, fans qu'aucune d’elles fe rencontre , parceque toutes les trois , chaque année, font cultivées Ru :62 MANUEL D'AGRICULTURE en différens tems, de façon que quand l'une eft en jachères, l’autre eft en grains d'hyver , & la troi- fiéme fe trouve néceffairement en grains de Mars. Chaque fole rou- lant ainfi fur elle-même , on con- çoit qu'il n'eft pas néceflaire qu'el- les ayent chacune la même conte- nance. 4°. Tous lesans, ces trois foles fe trouvant alternativement en ja- chères, en grains d’hyver &en grains de Mars, il n’y en a que deux qui produifent & qui donnent des récol- tes tous lesans, & il y en a tou- jours une troifiéme fur un terroir, fur un corps de Ferme, qui cha- que année, ne rapporte rien. Quoique, par la première de ces quatre conféquences, on ait décidé que rien ne devoit arrêter , dans les jachères, la pâture des bêtes blan- POUR LE LABOUREUR. 263 ches ; cependant elle ne doit point empêcher un établifflement de prai- ries artificielles, qui feroit réparti fur les trois foles d’un Terroir , ainfi que fur celles d'un corps de Ferme qui y feroit fitué , dans le cas qu'il ne s'y trouveroit pas de prairies na- turelles , ou qu'il ne s'y entrouveroit pas aflez; puifque leur établiffement eft une amélioration dont dépend abfolument le rétabliflement de l’A- griculture dans tout le Royaume , & par-tout où on cultive : leur établif. fement contribueroit même encore à mieux nourrir les bêtes blanches lorf- qu'elles reviennent à la maïfon. N'y ayant point de loi générale , point de droit public fans exception, celle dont il eft queftion, ne doit faire aucune difficulté , quand elle fait encore davantage le bien public. On a fixé généralement cet éta- R iv 264 MANUEL D'AGRICULTURE bliflement, fur tout corps de Ferme, à environ un huitiéme de fa conte- nance , & on a fait voir quiln'en falloit pas davantage pour le bien renouveller d'’amandement, foit tous les fix ans , foit tous les neuf ans, en fuppofant qu'on feroit parvenu à ti- rer de chaque corps de Ferme, tous les ans , la quantité de pailles qu'il pourroit produire, puifqu'elle fait la plus folide nourriture des beftiaux , & qu'elle doit y entrer au moins pour un tiers, lorfqu'on les nourrit en fec. Bien plus , on a fait voir que cet établiflement de prairies n'iroit pas même à un huitiéme , & qu'il pour- roif diminuer de beaucoup , fi on fe {ervoit du travail de la charrue dans les terres où il fe trouveroit un fond faffifant pour pouvoir les renouvel- ler au befoin, en ajoutant que ce sh ue bahintie "2 #2, pm pd nr Sn > | | POUR LE LABOUREUR. 216$ renouvellement de terrein étoit plus intérefflant que celui de l'engrais. Ne s’asiffant donc que d'environ un huitiéme au plus, à prendre fur la totalité de tout corps de Ferme ou de tout Domaine, quelque foit fa contenance , pour faire un éta- bliffement de prairies fuffant, & ne s'agiflant que du tiers d'un huitiéme fur chacune des trois foles qui les compofent , fuppofant un corps de Ferme de trois cens arpens, cela ne fait fur {a totalité, qu'environ trente- fept à trente-huit, & fur chaque fole , qu'environ douze à treize ar- pens , & ainfi de tous les corps de Ferme ou Domaine, à proportion de leufr contenance. Ne s’agiflant de même que d’un huitiéme fur tout un Terroir, & que du tiers d'un huitiéme fur chacune des trois foles qui le compofent , 266 MANUEL D'AGRICULTURE en le fuppofant de quinze cents ar- pens , cela ne fait fur fa totalité qu'environ cent foixante arpens, & fur chaque fole qu'environ cinquante a foixante arpens ; 1l ne s'en trou- veroit donc pas davantage tous les ans dans la fole des jachères dudit Terroir de quinze cents arpens ? Or , chaque fole d’un Terroir de quinze cents arpens , étant d'envi- ron cinq cents, celle des jachères ayant par conféquent la même con- tenance , quel tort , quel préjudice pourroient faire à cette pâture des bêtes blanches, environ cinquante à foixante arpens de prairie ? Encore faut-il, pour y employer cette quantité, que , fur ce Terroir, tous ceux qui y auroient des poffef- fions & des corps de Ferme ,y ayent chacun établi une prairie dans cette éxatte proportion qu'on vient de POUR LE LABOUREUR. 2167 fixer, qui doit fufñre, & qu'on ne pourroit excéder. Encore faut-il que, fur ce Ter- roir , il n'y ait point de renouvelle- ment de terrein à faire , puifque cela diminueroit de beaucoup, com- me on l’a dit, les .établiflemens de prairies. Ces établiflemens pouvant fe ré- duire fur bien des Terroirs à plus de la moitié, 1l eft, fans difficulté, qu’ils ne peuvent faire aucun tort à la pâture des bêtes blanches. Ainfi ce feroit un bien & un avan- tage de la plus grande importance , pour tout le Royaume, file Con- feil accordoit un Arrêt qui défen- dit, fous des peines convenables, à tout Berger, de conduire des bêtes blanches dans les établifflemens de prairies qui fe rencontreroient dans les jachères, 268 MANUEL D'AGRICULTURE Il n'y a point de beftiaux qui leur foient auff nuifibles , parceque la dent du mouton attaque toujours “de façon à faire crever les raci- nes de toutes les plantes, à la dif- férence du gros bétail, qui n’en cherche que le verd & les feuilles. Cet Arrêt feroit d'autant plus né- ceffaire que prefque tous ceux qui ont commencé des établiflemens de prairies pour Île rétabliflement de leurs terres, n'ont pu les continuer , parceque les Bergers ne s’emba- rafloient point de leurs défenfes, étant fouvent éxcités par quelques particuliers, & même par une Com- munauté, à ne point refpeéter ces fortes d'établifflemens. Il y a eu plufieurs procès intentés a ce fujet , qui ont été différemment décidés, fuivant que les Juges étoient plus ou moins inftruits fur l’Agricul- ture. { POUR LE LABOUREUR. 269 Mais , cet Arrêt, qui fimroit tou- tes les difficultés, n’autoriferoit dans tout le Royaume ces fortes d’établif- femens de prairies qu'à condition qu’ils n’excéderoient point le huitié- me des terres à jachères qu’on feroit valoir. Un pareil Arrèt contribueroit en bien peu de tems au rétabliffement de l'Agriculture ; il ranimeroit le zèle des Cultivateurs qui ne peuvent ètre que découragés , en voyant périr leurs établiflemens de prairies, par la malice des Bergers, fans pou- voir trop s'y oppofer. Il eft fi indifpenfable d’accorder cet Arrêt , que l’Auteur des prairies artificielles s'étant donné bien des mouvemens pour établir dans Îa Champagne les prairies arrificielles, ayant même fat quelques voyages dans les terres les plus confidérables 270 MANUEL D'AGRICULTURE qui y font fituées pour qu’elles don- naffent des exemples qui pufent en impofer davantage , il eft arrivé que , nonobftant qu'il publiât qu'il n'y avoit que ce moyen dans toute la Province pour y rétablir l’Agri- culture , & la faire fleurir dans tou. tes fes vaftes plaines, on lui a répon- du par-tout où 1l s’étoit tranfporté , qu'on convenoit que le moyen qu'il propofoit étoit infaillible & aifé à pratiquer ; mais que les Fermiers ne vouloient n1 accepter les baux de vingt-fept ans, qu'on eft aujourd’hui autorifé à faire , ni confentir à fe charger des établiflemens de prai- ries , qu'auparavant on ne füt bien & duement autorifé à empècher les Bergers de conduire leurs troupeaux dans ces prairies artificielles. Etant donc certain que ces prai- riesartificielles forment danstous les POUR LE ÉABOUREUR. 271 Pays à jachères où il ne fe trouve point de prairies naturelles, une amé- lioration dont dépend le rétabliffe- ment des corps de Ferme qui y font fitués , ne peut-on pas dire que cet Arrèt viendroit à l'appui de celui qui a été rendu au Confeil le 8 Avril 1762 , ou du moins à l'appui de l'exécution de ce qui y eft con- tenu de plus intéreffant ? Par cet Arrèt il eft ordonné que les baux à ferme des biens-fonds, feront à l'avenir pañés pour un ter- me au-deflus de neuf ans jufqu'à vingt-fept, au moyen defquels les Fermiers feront chargés de défricher, marner , planter , ou autrement ame- liorer, en tout ou en partie, les ter- res comprifes dans lefdits baux, fe- ront exempts des droits d'infinua- tion, centiéme ou demi-centiéme denier , & des droits de francs- 272 MANUEL D'AGRICULTURE fiefs , fa Majefté dérogeant, &c. Ne pouvant être contefté que les établiffemens de prairies ne faflent la plus folide amélioration qu'on puifle employer , & qufts ne foient compris dans cet Arrèt, que devien- droient-ils, & à quoi ferviroit cet Ar- rêt , sil n’en furvenoit un fecond en interprétation, pour défendre à tous les Bergers d'y occafionner le moindre préjudice? Au moyen de ce fecond Arrêt, qui feroit accordé, les Fermiersn’hé- fiteroient plus d'accepter les baux de vingt-fept ans qu'on leur propo- feroit , ni de fe charger de ces éta- bliflemens ; autrement lé premier refteroit fans effet, & n’auroit point d'exécution, où du moinsil n'en au- roit que très-peu ; & il n’en réfulte- roit aucunement le bien qu'on en attend. La POUR LE LABOUREUR. 253 La divifion & le partage des ter- res à jachères, confftant donc à établir fur tous les Terroirs & corps de Ferme où elles font obfervées, trois foles qui y forment trois Can tons bien féparés les uns des autres, & dont l'un, tous les ans , alter- nativement , ne rapporte rien, 1l faut convenir qu'il en coûte beau- coup pour les pratiquer. Ce n’eft pas encore tout. On ne peut bien cultiver, com- me on l’a dit, les terres à Jachères, qui font fans prairies ,qu'onne pren- ne fur leur totalité, environ un hui- hiéme de ce qui les compofe , pour en faire un étabiifiement. Or, ce huitiéme ne rapportant encore aucun grain , il s'enfuit qu'il s’agit tous les ans d’une diminution aflez confidérable fur ces fortes de * terres, pour les bien faire valoir. S 274 MANUEL D’AGRICULTURE Voilà ce qui révolte nos Ama- teurs d'Agriculture , & ce qu'ils ne peuvent concevoir, parcequ'ils font fans expérience. Voilà encore pourquoi ils ne font aucun cas du plan de culture de l’'Auteur des Prairies artificielles , qui ne traite que du renouvellement de l’engrais , & nullement de la fup- preflion des jachères. . PV. De l'obfervation générale des Jachères. A : &2 UOIQU'IL faille tant facrifier pour l’obfervation des jachères, & pour bien cultiver les terres qui y font aflujetties ; quoique depuis que l'Agriculture fubfifte , on ait tou- jours fenti le déchet confidérable qu'elles occafonnent , encore font- elles généralement obfervées par- VOTE ML POUR LE LABOUREUR. 175 tout où il s'agit de grains d’hyver, & principalement de la culture du :. froment. C’eft ce que nous apprennent tou- tes les Pratiques locales. Qu'on lesparcoure dans ce Royau. me, dans toutes nos Provinces & dans d’autres Pays & Etats où il eft aufh queftion de grains d'hyver , qu’on les examine bien , on verra qu'il y en a très-peu où les jachères fe trouvent fupprimées, & on verra que leur fupprefion ne fert que comme d'une exception à une foi générale. La raifon en eft bien fimple; c’eft que deux arpens bien cultivés valent toujours beaucoup mieux que qua- tre, fix & même plus, qui ne le font que médiocrement. On fe trompe donc bien lourde- ment, quand on s'attache tant à S if 276 MANUEL D'AGRICULTURE la quantité des terres , n’y ayant rien de fi précieux que leur bonne qua- lité. | Il eft vrai que , dans l'obfervation des jachères, la quantité en fouffre, mais on y trouve une culture aifée; les labours fe font dans les tems con- venables ; les amandemens & leur re- nouvellement s’exécutent bien, & on eft bien plus que dédommagé par le produit confidérable qu’elles procurent. Ainfi , en réfléchiffant fur la diffé- rence des grains de Mars d'avec les grains d'hyver, qui occafionnent les jachères par rapport aux deux diffé- rens tems de les femer, en réfléchif- fant qu'elles procurent aux bêtes blanches une pâture qui leur eft fi néceflaire , ne peut-on pas penfer que l’Auteur de la Nature n’a ainfi établi ces deux différens tems de fe- PCUR LE LABOUREUR. 277 mer, que pour favorifer davantage la propagation & la multiplication de ce menu bétail. Après ie vivre, on ne pent difcon- venir que rien nintérefle tant les hommes que leur vêtement qui, dans notre climat, ne leur provient principalement que des laines des bêtes blanches. Dira-t-on encore après cela qu'il faudroit une loi en France , qui obli- geät tous les Propriétaires de cha- que Terroir de s'arranger entr'eux, pour pouvoir réumr toutes les pié- ces de terre de leurs corps de Ferme, qui font difperfés fur les trois foles d'un Terroir, à l'effet de pouvoir fupprimer les jachères? Dira-t-on encore, qu'on ne peut rien faire de bien dans l'Agriculture, n1 la réta- blir , qu’on n'ait obtenu une pareille loi qui ne tendroit qu'a détruire S ii 278 MANUEL D'AGRICULTURE celle que la Nature a fi fagement établie à On convient que, dans un pays, où Canton, dans lequel il fe trou- ve quelques montagnes ou beau- coup de terres incultes, elles favori- fent encore la propagation & ia mul- tiplication de ce menu bétail , indé- pendamment des jachères; & que, quand il ne s'y en trouveroitpoint , cela ne lui feroit aucun tort : mais y a-t-il par-tout des montagnes & des terres incultes ? Ve » De la fuppreflion des Jachères par Le renouvellement de Terrein. LES Pratiques locales, en nous apprenant ce qui a déterminé géné- ralement les jachères, nous.appren- nent encore ce qui a donné lieu de POUR LE LABOUREUR. 279 les fupprimer dans quelques Pays & Cantons. On peut bien s’en rapporter à ce qu’elles nous enfeignent là-deflus , puifque c’eft le meiileur livre d’A- griculture qu'on puifle confuiter. Il n’y a que ce livre dans tous les pays du monde où on cultive , pour bien apprendre àgouvernerlesterres. En le confultant donc fur ce qui a pu déterminer la fupprefñon des jachères dans quelques Cantons , nonobftant l’ufage des grains d’hy- ver, qui ne fe fément qu'en automne, on voit que c’eft parceque les ter- res y font de la meilleure qualité, qu'elles font aifées à labourer & à ameublir ; & qu’elles ont un fond fufifant pour pouvoir être rénouvel- lées au befoin par le travail de la charrue. On y voit même que , faute de S 1v 28e MANUEL D'AGRICULTURE trouver dans un terrein ces trois qua: lités, & fur-tout un fond fufifant, il n'y a aucune Pratique locale ou il {oit queftion de les{fupprimer , quand même on pourroit s'y procurer faci- lement tous les engrais néceflaires, par le moyen de la grande quantité de beftiaux & de prairies qui sy trouvent naturellement. Il neft pas difhcile d'en conce- voir la principale raifon. Quand on eft en érat de renouvel. ler un bon terrein, par le travail de la charrue, ce n’eft plus pour lors la même terre qu'on fait porter , mais une nouvelle qu'on lui fuppiée , qui s'eft repofée depuis long-tems, & qui parcanfequent ne dérange paint l'ordre de la Nature qui ne veut point qu'une terre qui a déja travaillé , porte encore, fans avoir eu auparavant le repos de l'hyver POUR LE LABOUREUR. 28# qui lui eft fi néceffaire pour la réta- blir. On peut donc conclure que , fui- vant le Livre des Pratiques locales, l'engrais ni fon renouvellement fi fréquent & fi rédoublé qu'il puiffe l’'é- tre, ne fufffent pas, pour donnerun fuccès bien afuré à la fuppreffion des jachères, & que c’eft principalement au renouvellement de terrein qu'il faut l’attribuer. Ainfi , il s’agit de le bien exécu- ter pour gagner le bénéfice de cette fupprefion qui ne va pas moins qu'à mettre tousles ans enproduit & en rapport, tout ce qu'on fait valoir. Examinons préfentement les diffé- rentes façons dont on peut fe fer- vir pour bien exécuter le renouvel- lement de terrein. Dans le Chapitre ds Labours ; au fujet des terres à jachères , qui 283 MANUEL D'AGRICULTURE font le principal objet de ce Ma- nuel, ainfi que de toute l'Agricul- ture , parcequ'elles font générale- mens en ufage, ayant été prouvé que le plus grand moyen de rétablir celles où il fe trouvoit un fond fuff- fant étoit d'en renouveller le terrein, par le travail de la charrue ; comme la façon de l’exécuter pourroit don- ner également un grand fuccès à la fupprefion des jachères dans les ter- reins qui lui feroient propres , on n'héfite pas de la répéter, quand ce ne feroit que pour pouvoir en mieux faire la comparaïfon avec d’autres façons de renouvellement, qui font encore ufitées , dont on va donner aufi le détail ; on fera même plus en état de juger de celle qui fera la meilleure & la plus conve- nâble à fon terrein. Cette façon de renouvellement POUR LE LABOUREUR. 283 confifte , en fe fervant d’une char- rue à oreille, à faire le premier fil- lon d'environ quatre à cinq pouces de fond, & d’en enlever la terre qui fe renverfe , pour commencer à faire une élévation, qu’on appelle Roye. Quand le premier fillon eft ackhe- vé, on y rentre, en changeant de côté , avec la main, l'oreille de la charrue , pour enlever & renverfer encore autant de terre que la pre- mière fois, c'eft-à-dire quatre à cinq pouces qu’on renverfe au moyen de l'oreille , pour élever au double la premiere Roye; ce qui ne man- que pas de doubler auflile creux du premier fillon. Ce premier filon ainfi fait, on pale au fecond qu'on fair en deux fois comme ci-deffus. A la première les quatré à cinq pouces de terre de la fuperñcie , 284 MANUEL D’AGRICULTURE qu'onenleve , tombent dans le creux du premier filon , c’eft-a-dire au fond. À la feconde, les quatre à cinq pouces de terre, qu'on enleve, en- core, font jettés fur ce qui a été ren- verié d’abord. De ce fecond fillon, on pañfe au troifiéme, toujours avec le même tra- vail de la charrüe en deux fois ; à moins qu'on ne veuille, pour avoir plutôttait, employer deux charrues , qui fe fuivent dans le mème fillon , dont la feconde enleveroit au-def- fous de ce que la première enléve. On pañferoit ainf à tous les autres fillons qui font à faire dans la piéce de terre qu’on a entreprife, jufqu'à ce qu'elle foit achevée d’être labou- rée. On doit concevoir qu'au moyen de ce travail , un terrein eft bien POUR LE LABOUREUR. 285$ renouvellé, & qu'il eft abfolument retourné. Ce terrein fera d'autant mieux renonvellé, qu'il ne faut qu'environ quatre pouces de fond de terre pour faire venir , comme on l’a déja dit, les produétions de l'Agriculture, & que ce ne fera plus la même terre qui portera ; mais une autre nou- velle qui aura tout le fond nécef- faire. Cependant pour donner plus d’eff- cacité à ce renouvellement, ce n’eft point aufhtôt que le grain de Mars aura été moiflonné, qu'il s’agit de l'exécuter ; 1l convient de s’y pren- dre de bien plus loin ; c’eft avant lhyver qui doit précéder le prin- tems où 1l fera enfemencé, qu’il eft a propos de commencer , c’eft- dire vers la faint-Martin: on en a détaillé les raifons dans le Chapitre des Labours, è* 286 MANUEL D'AGRICULTURE Qu'on n’appréhende pas que le grain de Mars, qu'on aura femé au printems fur la nouvelle terre, l’em- pêche d’être une feconde fois enfe- mencée avec fuccès, l'automne fui- vant ; elle réuflira bien mieux que l'ancienne qui portoit toujours. On doit fentir ce que c’eft qu’une nouvelle terre qui peut-être n’a ja- mais porté , ou qui n'a porté de long- tems, & qu'en l'occupant ainfi da- bord par un grain leger, comme ce- lui d’un grain de Mars, qui ne tra- vaille pas la terre autant qu'un grain d'hyver , il ne peut nuire à un fro- ment & encore moins à un autre grain d'hyver, fur-tout , fi avant de l'enfemencer en automne, on a la précaution d’en labourer le terrein un peu plus avant qu'il ne l'aura été lorfqu'on l’a enfemencé en Mars. Un grain de Mars, anfi employé, 4 Le à ne POUR LE LABOUREUR. 283 d’abord dans une nouvelle terre, ne ferviroit même qu'à la mieux pré- parer à recevoir un froment , en lui donnant un peu d'engrais, fi on le juge néceflaire. Il eft vrai que, dans cette façon de renouvellement, il s’agit d’un labour fait en deux fois , ou fait avec deux charrues qui fe fuivent , fi on en a la commodité ou le pouvoir. Mais ce n’eft que dans une faifon, où on n’a pas autre chofe à faire, qu'on doit l’entreprendre pour le bien exécuter. Ce double labour , qui ne doit fe faire que vers la faint-Martin avant lhyver , peut faire durer pendant plufeurs années le renouvellement de terrein qu'il procure , n'étant queftion après cela , que de faire le labour à l'ordinaire, c’eft-à-dire à ralon de quatre à cinq pouces, & 288 MANUEL D'AGRICULTURE n’y ayant que l'expérience du La- boureur, qui puifle lui apprendre quand il faudra en répéter le renou- veliement. Ce double labour, qui donne une terre entièrement nouvelle,a encore l'avantage d'exiger peu d'engrais, & de ne l’exiger que dans le cas qu'elle feroit jugée trop légère & trop fé- che. Enfin, fi ce double labour fe trou- ve bien fait, dans un bon terrein , il ne fera pas néceffaire d'en rien facri- fier pour le mettre en prairies artifi- cielles ; on auroit en piein rapport fon Domaine entier. L'autre façon de renouveller un terrein , demande à la vérité moins de tems, mais donne plus de pei- nes , ne rend qu'une terre mêlée d'ancienne & de nouvelle, & peut exiger beaucoup d'engrais, Elle POUR LE LABOUREUR. 189 « Elle confifte à faire un labour plus profond qu’à l'ordinaire, c’eft- ä-dire d’environ fept à huit pouces, & même plus, fi on le peut, par con- féquent de trois à quatre pouces plus qu’on ne le fait communément ; cette pratique, devant fe répéter à chaque labour, exige que les for- ces de tirage foient augmentées au double. Les productions de l’'A- griculture n'occupant qu'environ trois à quatre pouces de la fuper- ficie de la terre , & ne pénétrant généralement pas plus avant , à moins que ce ne foit dans des ter- reins de la meilleure qualité , on conçoit que dès que les trois à qua- tre pouces de plus , que la charrue raméne , fe mêlangent avec la terre qui vient de porter ; cela lui rend de nouveaux fels & de nouveaux fucs qui peuvent la mettre en état T 290 MANUEL D'AGRICULTURE de fupporter la fuppreffion des ja» chères. | Il y a des Laboureurs qui ne fon- çant leur charrue qu'à l'ordinaire, foit qu'ils manquent de force de ti- rage, foit quils en jugent inutile l'augmentation , labourent par plan- ches d'environ une toife & demie de largeur , en fe contentant de faire dans les entre-deux , un petit fofé d'environ un pied & demi de lar- geur & de profondeur , pour en jet- ter la terre fur les planches, qu'ils répandent enfuite, à l'effet d'en re- nouveller le terrein ; ce qui pourroit même s'exécuter encore avec fuccès fur des terres qui n’auroient qu'un fond ordinaire , pour tenter d'y fup- primer les jachères , avec l’attention de ne pas faire les foffés plus avant que ce fond, en leur donnant un peu plus de largeur. «| POUR LE LABOUREUR. 208 Quoique ce renouvellement , de quelque façon qu'on y parvienne,foit le plus grand moyen dont on puiffe faire ufage pour parvenir à foutenir. toujours fur un terrein qui a du, fond ; la fuppreffion des jachères ; encore faut-il qu'il foit aifé & facile à travailler, fuivant ce que nous ap- prennent encore nos Pratiques loca. les , parcequ'autrement il ne fe- roit pas. poffble. de .le faire valoir comme il convient en fi peu de, tems, c'eft-à-dire dans l’efpace d’en- viron deux mois, depuis qu'il au- roit été moiflonné , jufqu'à ce qu'il feroit queftion de l’enfemencer : en. ce cas il feroit beaucoup plus pro- fitable de le laiffer en jachères, non- obftant fon fond fufffant , & qu’il eût même beaucoup de qualité. . Refte à fçavoir-fi, fur un terrein, qu: auroit du fond > & quiferoit d'une Ti 292 MANUEL D'AGRICULTURE qualité médiocre , quoique très-aifé à labourer & à ameublir, on pour- roit fupprimer les jachères avec fuccès, en fe fervant tous les ans de beaucoup d'engrais ; c’eft ce qu'on va examiner dans l'Article fuivant. VI. De la fuppreffion des Jachères par Le renouvellement de l'Engrais. P'AROISSANT bien décidé par toutes les Pratiques locales , que la fuppref- fion des jachères ne doit avoir lieu que dans les meilleurs terreins qui fe labourent aifément , & qui ont principalement un fond fufñfant pour pouvoir être renouvellé par le tra- vail de la charrue , ne peut-on pas én conclure que cette fuppreflion, fur dés terreins médiocres , quoi- qu'ayant un fond fufifant, ne peut réuflir par la feule opération de l’en- POUR LE LABOUREUR. 29; grais & de fon renouvellement, fi ré- pété qu'il puiffe l'être ? C'eft cependant ce que nos Au- teurs modernes & nos grands Ama- teurs de l'Agriculture auront de [a peine à entendre. Ils prétendent que la fuppreffion des jachères, fur tout terrein , foit qu'il y ait du fond, foit qu'iln’y en ait pas ; foit qu'il foit d’une bonne ou médiocre qüalité , aifé ou difficile à ameublir, eft le meilleur plan de culture qu'on puifle généralement propofer pour le rétabliffemenr de l'Agriculture, pourvu qu’on fe mette en état d'employer l’engrais & fon renouvellement , autant de fois qu'il fera néceffaire. IL s’agit de fçavoir fi cette préten- tion peut s'exécuter aufli générale- ment qu'ils le prétendent. Il n’y a pourtant pas d'apparence T üj 294 MANUEL D'AGRICULTURE que, depuis qu'on cultive , on ait jamais tenté un pareil fyftème , quoi- qu'on fefoit toujours apperçu, com- me aujourd’hui, du déchet confidé- table qu'occafñonne l’obfervation des jachères. : Comment l'auroit-on ofé ? puif- "que la néceffité de ne femer les grains d'hyver qu'en automne, & non au printems , entraine généralement leur obfervation, vu fur-tout le peu de tems que donneroit leur fup- preffion pour bien cultiver avant de femer , fi non dans le cas qu'un ter- rein auroit toutes les qualités défi- gnées ci-deflus. D'ailleurs l'effet de l'engrais ,com- me on va le faire voir , ne peut al- ler jufqu'à fuppléer au dérangement de l’orire de la Nature , comme pourroit le faire le renouvellement de terrein. POUR LE L'ABOUREUR. 29; Cependant M. Patullo , fans s’ap- percevoir qu'il alloit contre les pre- miers principes de l'Agriculture, n'a pas héfité de propofer fon grand fyftème d’herbages & de beftiaux, pour parvenir à établir générale- ment fur toutes fortes de terreins , indéfiniment, la fupprefion des ja- chères par le feul moyen des en- grais, comme sil nétoit queftion que d'employer leur abondance , & leur renouvellement pour en tirer, fans les laifler repofer , autant de ré- coltes qu’on le voudroit. Il faut fçavoir que les engrais de beftiaux , & même que toute autre éfpéce en général ; à l'exception des amandemens de terre, ne fervent qu'à nourrir les fels & les fucs de la terre, qu'à les fortifier, les rétablir, & leur donner plus de chaleur & plus d’aétivité ; ils les multiplient mê- T'iv 296 MANUEL D'AGRICÜLTURE me en en reflufcitant une grande quantité qui, fans leur ufage, refte- roit dans l'ination. Mais on ne peut pas dire que l’en- grais ait l'effet de créer des fels & des fucs; 1l n'ya que la terre qui le puifle. Ce qui le prouve, c’eft qu’il n’a- git que plus où moins, felon qu'il entrouve plus où moins ; & que dans un mauvais terrein , comme le pur fable, où il ne fe trouve ni fels ni fucs , il ne peut rien opérer , quel- que quantité qu'on y employe, & quelque renouvellement qu’onpuifle en faite. Cela étant , toute cette prodr gieufe quantité d'engrais peut-elle effeuer ce que nous promet M. Pa- tullo , puifqu'elle n’agit même bien, qu'autant qu'elle eft proportionnée aux {els qu'elle trouve ? Elle ne peut POUR LE LABOUREUR. 297 donc fervir qu'à épuifer un terrein qu'on fait trop porter, & qui, à force d'être encore travaillé par trop de nourriture & trop d’aétivité, fe trou- ve, avec le tems, réduit à ne pou. voir plus poufler que des herbes, au lieu de continuer à faire fruéti- fier les femences qu’on lui donne. On à beau dire que l'alternative de prairies & de culture , qu’on pro- pofe de donner aux terres dans le tems qu'on les amanderoit aufli for- tement , leur donneroit un repos qui les remettroit. Quand on l’ac- corderoit , quoiqu'on püt le con- tefter , s’enfuivroit-il que, pendant l'alternative en culture , toutes les fortes de terreins indéfiniment qui s'y trouveroient, feroient en état de porter plufeurs années de fui- te , & qu'on feroit en état, n'y ayant point de jachères, de don- 298 MANUEL D'AGRICULTURE ner tous les ans les labours conve- nables? Il y aura toujours fur cela des in- convémiens qui , indépendamment de ceux de la trop grande abon- dance de l’engrais, arrêteront en- core le fuccès de la fuppreflion des jachères fur des terreins qui n’au- roient pas toutes les qualités dont il eft queftion. Mais, dira-t-on, il n'y a point de fuppreflion de jachères , fans que la terre ne fe repofe tous les deux ans pendant l'hyver , après avoir donné deux recoltes de fuite en grains de Mars & en grains d'hyver, c’eft l’or- dinaire de ces fortes de terre ; & cela ne pouvant mème être autre- ment, comme on le verra ci-après, y auroit-1l un fi grand inconvénient d'établir généralement la fupreflion des jachères fur toute forte de POUR LE LABOUREUR. 299 terreins indéfiniment, en employant les engrais de beftiaux d'une facon plus convenable & plus proportion nées Cela feroit beaucoup plus raïfon- nable : mais, quoiqu’on convienne qu'une terre fans jachères doit né- ceffairement fe repofer tousles deux ans pendant l'hyver, céla n'empêche pas que deux récoltes de fuite ne la travaillent extrêmement , & que ce double travail, qui eft contre l’ordre de la Nature, ne tende à l’é- puifer entièrement , nonobftant les engrais proportionnés qu’on pour- roit lui donner, s’il n’a pas de fond fufifamment ,& s’il n’a pas les autres qualités qu'exigent nos Pratiques locales. On le concevra facilement , fi on veut faire attention, combien il faut qu'un terrein fournifle de fels & de 300 MANUEL D’AGRICULTURE fucs , pour pouvoir ainfi , deux fois de fuite , donner des récoltes fans fe repofer. Quand même la grande abondan- ce d'engrais , que propofe M. Pa- tullo pourroit faire réuflir, fur toute forte de terrein, la fuppreffion des jachères ; encore fon fyftême d’her- bages & de Beftiaux ne pourroit-il s'exécuter. C'eft une maxime , dans l’Asricud- ture , qui ne fera démentie par au- cun Cultivateur, qu'on ne doit fixer la quantité de beftiaux dans un corps de Ferme , que fur la quantité de pailles qu'il peut rendre, & non fur la quantité de prairies qu’on peut avoir, Ou quon peut fe procurer; parceque la paille eft la première nourriture des beftiaux, & qu’elle rend faines & falutaires toutes les autres qu'on peut leur donner, POUR LE LABOUREUR. 307 C'eft-à-dire qu'on ne peut aug- menter les prairies & les beftiaux qu'au fur & à mefure que les pail- les augmentent dans un corps de Ferme, quand on entreprend de le mieux faire valoir par les engrais. Lorfque les beftiaux font nourris au fec, ce qui dure pendant cinq à fix mois, qui ne leur donneroit que des bottes de fain-foin , de trefle, de luzerne , &c. qui les échauffe- roient extrèmement , les expoferoit a des maladies; on en a l'expérience; toutes ces fortes de nourriture ne leur étant bonnes & profitables qu'autant qu'on les entremêle de pailles. La quantité de beftiaux ne pou- vant donc fe régler que fur la quantité de pailles qu'on peut avoir , année commune , comment M. Patullo a- t-1l pu propofer de prendre dans un corps de Ferme de trois cents ar- 302 MANUEL D’AGRICULTURE pens, les deux tiers de fa conte- nance pour les mettre entièrement en prairies , en n'en laiffant qu'un tiers pour la culture ? Suivant lui , comme on l'a déja dit, un bon arpent de fain-foin, & de luzerne , &c. pouvant nourrir trois vaches ou trois bœufs , & ré- fultant de là que les deux tiers de ce corps de Ferme, mis en herba- ges, pourroient fournir aflez de pä- turages , foit en verd , foit en fec, pour en nourrir environ fix cents , #eroit-1l poflible que le troifiéme tiers , qui fe trouveroit en grains de Mars & en grains d'hyver , donnût aflez de pailles & aflez de fourages pour toute cette prodigieufe quan- tité de beftiaux ? Sans faire le calcul de ce que pourroit produire en pailles ce troi- fiéme tiers, en le fuppofant dans la POUR LE LABOUREUR. 303 plus grande valeur, on doit fentir qu'il n’en fourniroit jamais aflez, pas même le quart ni le demi-quart de ce qu'il en faudroit. Quand on fe contenteroit de met- tre {eulement en herbages, dans ce corps de ferme de trois cens arpens, la partie des jachères, on n’auroit pas même, à beaucoup près ; encore aflez de pailies pour tous les: be- fiaux que cette partie pourroit nourrir , puifque cela iroit à envi, ron trois cents ; 1l faudroit donc les réduire au prorata de ce qu'on auroit de pailles ? La partie des jachères devant par conféquent fe réduire aufh de mé- me, ne s’enfuit-il pas qu’on ne peut encore propofer de mettre, feule- ment toutes les jachères en prairies artificielles ? Lairuon Voilà pourquoi M. Patullo n'an- 304 MANUEL D'AGRICULTURE nonce pas, qu'il ait pratiqué lui- même le fyftème qu'il propofe: on n’en eft pas étonné. 11 dit feulement, pour Pappuyer ; qu'il ne propofe que ce qu'il a vû pratiquer en Angleterre , & que fon fyftème y eft regardé comme le meilleur qu’on puifle fuivre : c’eft- à cette occafion quil dit n'avoir point entendu parler de celui de M, Thull, quoiqu'il foit fi connu en France ; là deflus on peut l’en croire. On ne nie cependant point , com- me on l'a déja fait entendre dans une note ci-deflus , quil n'ait pu voir en Angleterre quelques Proprié- taires, ou Fermiers , mettre en her- bages jufqu'aux deux tiers de leurs terres, n’en laiflant en culture que le troifiéme tiers , pour feulement nourrir leur ménage ; c'étoit tout ce qu’on en pouvoit tirer, Mais POUR LE LABOUREUR. 30$ Mais 51] eût fait plus d'attention à cette façon de cultiver ,ilauroit jugé que ce qui en faifoit Le principal ob- jet,étoit le commerce desbeftiaux ou des chevaux, & non celui de grains, & il n'en auroit pas conclu que cette façon de cultiver étoit un plan qu'on pouvoit généralement pro- pofer pour améliorer & rétablir en France l'Agriculture. S'il avoit encore examiné de plus près ce fyftème d’herbages, il au- roit vü, que la grande quantité de beftiaux , que ces fortes de Cuitiva- teurs avoient ,ne reftoient chez eux, que dans le tems que duroit le verd , pour les vendre enfuite , & en ra- cheter d’autres au printems. En ce cas, le tiers de leursterres qu'ils avoient tousles ans en culture, pouvoit fournir aflez de pailles, avec ce quils pouvoient ramañler ou V 306 MANUEL D'AGRICULTURE acheter d'ailleurs , pour feulement faire la litière à tous leurs beftiaux, putfqu'il n’étoit pas queftion de les nourrir en fec. | En Angleterre , le commerce des beftiaux s'y fait plus qu'ailleurs, il y eft fort lucratif, par rapport à la Marine qui et toujours fi confi- dérable , & qui exige des provifions immenfes de falaifons. Cependant la nouveauté de ce grand fyftème d'herbages, qui en rempliroit les deux tiers de toutes les terres de la France , qui inonde- roit toutes nos Campagnes de va- ches , de bœufs , de cochons, &c. & dont même il réfulteroit fi peu de grains, quil n'y en refteroit feule- ment pas pour l’approvifionnement de nos villes, a été ‘fort goûtée de nos Amateurs ce l'Agriculture. C'eft un hazard quils ne s'y POUR LE LABOUREUR. 367 foient pas livrés en plein, & qu'ils n'ayent pas donné dans cet excès comme dans un autre qui 4 été fi bien relevé par un ceïtain Auteur Ce). Heureufement ils fe font bornés à en conclure la fuppreflion des ja- chères fur toute forte de terrein in: définiment , en les mettarit enz tièrement en prairies, croyant par- là beaucoup gagner; & ils ont re: gardé cette fupprefion générale de U) jachères , qui réfultoit du fyfième de M. Patullo , comme une imven- tion admirable de fa part, ainfi qué ces enclos garnis de haies & de plants d'arbres, qui ont cependant revolté tous les bons Cultivateurs. C’eft pourquoi ce plan de fuppref- fion des jachères , en les mettant en prairies, eft venu à la mode, & il (a) L’Auteur du Préfervatif contre l’Agro= e1ANtEs Vi 308 MANUEL D'AGRICULTURE paroït qu'on n'entend pas aujour- d’hui pratiquer autrement l’Agricul- ture ; ce qui fait bien voir encore qu'on eft en France bien éloigné de la connoitre à fonds. Mais une mode n’a qu'un tems, & 1l en fera aflurément de même de celle-ci, n'étant pas pofible, com- me on vient de le faire voir, de met- tre feulement en prairies toute la partie des jachères d'un corps de Ferme , qui ne donneroit jamais aflez de pailles pour les beftiaux qu'elle pourroit procurer. En ce cas, tireroit-on aflez d'en- grais de la partie de terrein qu'on ne pourroit que mettre en prairies pour foutenir la fuppreflion des ja- chères dans un terrein qui auroit à la vérité un fond fuffifant pour pou- voir être renouvellé parle travail de la charrue, qui feroit encore aifé à # POUR LE LABOUREUR. 309 abourer & à ameublir, mais qui ne feroit pas de la meilleure qualité, & qui ne feroit au contraire que mé- diocre & légère? Il faut donc revenir à l'obferva- tion des jachères , & la regarder comme le feul plan de culture, qu'on puifle généralement propo- fer ; puifque leur fuppreflion exige abfolument dans un terrein les trois qualités qu’on vient de détailler, & qu'il eft fi rare de rencontrer. Il y vient plus de froment & plus de bled fur les terres à jachères, que fur celles qui n'en ont point ; c’eft un proverbe qui eft généralement reçu dans toutes les Campagnes , parcequ'ils y viennent plus facile- ment , & qu'ils y réufflent mieux. Il ne faut pas oublier de dire que dans toutes les terres qui ne portent naturellement que des fegles, com- V üj 310 MANUFL D'AGRICULTURE me dans la Champagne, ou dans quelques Cantons des autres Pro- vinces, qu'on voudra mettre en fro= ment, en y employant exaétement le renouvellement de l’engrais , foit tous les fix ans, foit tous les neuf ans, on n'y parviendra que par l'ob- fervation des jachères & jamais au- trement: VII, De la Divijion & du partage des verres qui font fans Jachères, FR À OUTES les terres fans jachères n’ont que deux foles , c’eft-à dire deux divifions qui fe trouvent tous les ans en plein rapport ; quoiqu’on y employe, comme dans les terres à jachères, les grains d'hyver &les grains de Mars. Voici comme leur culture fe pra: tique, | POUR LE LABOUREUR. 311 Après que les grains de Mars ont été enfemencés au printems dans lu- ne des deux foles qui font , chacune, environ la moitié de ce qu'on fait valoir , & après que la moiïñlon en a -été faite dans la faifon de l'été , on feme , l'automne fuivant , les grains dhyver dans cette même moitié, après l'avoir préparée par les la- bours & les amandemens pendant environ l’efpace de deux mois. Ces grains d'hyver ne fe récol- tant que l’année fuivante en plein été , &, pour cette raifon, la fole dans laquelle ils font, fe trouvant occupée au printems, c’eft dans l’autre fole qui s'eft repofée pendant l'hyver qu'on feme les grains de Mars, après la récolte defquels on feme , conmi- me on l'a dit ci-deflus, les grains d’hy- ver l'automne fuivant. ” C’eft pourquoi Îles terres , fans V iv 312 MANUEL D’AGRICULTURE jachères ne peuvent avoir que deux foles, à la différence des terres où elles font obfervées, qui en ont trois, dont l'une fe repofe tous les ans alternativement , & qui forment chacune environ le tiers de ce qu'on fait valoir. Ces deux foles, qui n’ont lieu que dans les terres fans jachères, après avoir donné chacune tous les ans alternativement deux récoltes de fuite en grains de Mars & en grains d'hyver, fe repofent de même auf alternativement , chacune, l'hyver fuivant pour reprendre leur force & pour fe rétablir , à la différence des terres où elles font obfervées, qui à chaque récolte qu'elles donnent, foit en grains de Mars, foit en grains d'hyver, fe repofent pendant lhy- ver. Ne pouvant donc fe trouver que POUR LE LABOUREUR. 313 deux foles dans tous les Pays & Cantons , fur tous les Terroirs & corps de Ferme où il n’eft pas que- ftion de jachères , ils’enfuit que les bêtes blanches ne peuvent y pâ- turer que depuis la moiïflon juf- qu'au printems , & que pour lors tout pâturage des champs leur eft interdit. Auffi toutes ces fortes de terres ne favorifent-elles pas à beaucoup près autant la multiplication des bè- tes blanches , que celles où elles font obfervées , qui leur donnent une fole entière pour leur pâturage pendant toute l'année. Les bêtes blanches pouvant du moins aller pâturer depuis la moif- fon jufqu'au printems dans les ter- res fans jachères, un Fermier, un Propriétaire même, ne doit donc pas interrompre ce pâturage par un 314 MANUEL D’AGRICULTURE grain d’hyver, qu'il lui prendroit fan- taifie de femer dans ce quieft re- fervé pour n'être enfemencé qu’en Mars. | Ce pâturage étant abfolument ur droit public comme celui qui réfulte de l’obfervation des jachères, & qui eft même encore plus précieux, puif- qu'il eft bien moins confidérable que Fautre , il s'enfuit aufh qu'un Ber- ger ne feroit point répréhenfble, fi fes bêtes blanches faifoient du tort à ce grain d'hyver, qui dérangeroit Fordre du terroir. Ce ne feroit donc que dans le cas d'une prairie artificielle , dont on auroit befoin pour mieux foutenir la fuppreflion des jachères dans quel- ques piéces de terre qu'on pourroit interrompre ce pâturage , laquelle , fe prenant fur les deux foles, ne pourroit pas, comme dans les terres POUR LE LABOUREUR. 315$ a jachères , excéder le huitiéme des terres qu'on feroit valoir , puifque la fappreflion des jachères doit s’éta- blir plutôt par le renouvellement de terrein que par celui de l’engräis. Les terroirs fans jachères , ou plutôt les deux foles qui les divifent, ne peuvent donc porter trois an- nées de fuite , & il faut qu'après deux récoltes fuivies elles fe repofent chacune, alternativement, pendant l'hyver , pour recommencer enfuite a porter & à être enfemencées en grains de Mars. _ I doit en être ainfi des Domai- nes & corps de Ferme qui font {ur ces fortes de terroir , qui ne peu- vent de même porter troisannées de fuite ; puifque , compofant leur con- tenance , ils ne peuvent avoir d’au- tres divifions que celle de leur ter- Foir, 316 MANUEL D’AGRICULTURE Quand mème un corps de Ferme feroit réuni , quand tout ce qui le compofe ne feroit point difperfé , & quand il feroit un terrein féparé de ‘fon terroir , n’y étant pas queftion d'obfervation de jachères , on ne pourroit aufi faire porter trois fois de fuite l'une des deux foles, qui en feroit la diviñon & le partage ; parceque , devant être alternative- ment en grains de Mars & en grains d'yver, cela ne fe rencontreroit plus. Il réfulteroit delà que dans la mème année on auroit deux récol- tes de grains d’hyver. Il eft vrai qu'une récolte de grains de Mars ne vaut pas une récolte de grains d'hyver; mais par la fuite on s'y trouveroit bien trompé; puifque forçant ainfi un terrein par trois récoltes de fuite, fans lui donner le epos de l’hyver; ce feroit l'épui- fer abfolument. POUR LE LABOUREUR. 317 C'eft déja un aflez grand effort que de le faire porter deux fois de fuite , encore ne peut-on y parve= nir qu'en le renouvellant par le tra- vail de la charrue: mais ce renou- vellement ne peut avoir lieu qu'une fois ; puiique pour lopérer ; s’agif- {ant de trouver une nouvelleterre, 1! n’eft pas poffible d’en trouver en- core une autre pour le recommen- cer ? Quand on la trouveroit , ce qui ne pourroit arriver qu'en faifant re- venir, par ie travail de la charrue, celle qui portoit l’année précédente, qui auroit toujours travaillé aupara- vant, & qui pourroit abfolument fouffrir une troifiéme récolte, par- cequ'elle s’eft repofée affez long- tems, encore ne feroit-il pas à pro- pos de s’en fervir. Un Laboureur , un Cultivateur ne 318 MANUEL D'AGRICULTURE peut fe pañler tous les ans de re- cueillir des grains de Mars pour la nourriture & l'entretien de fon mé- nage ; 1l femble que cela ne coute rien quand on recueille , & cela fait toujours plus de plaïfr que de l’a- cheter. D'ailleurs, 1l en coute du teéms & bien de la peine pour renouveller un terrein : on a dû le fentir, quand on a détaillé ce qu'il falloit faire pour y parvenir , & c’eft une chofe qui ne peut bien s’exécuter, qu'en s'Y prenant de loin , comme on l’a déja dit, c'eft-à-dire qu'en s’y prenant vers la faint-Martin, avant lhy+ ver: Or cela ne fe pourroit au fecond renouvellement , puifque , vers la faint-Martin, le grain d’hyver, après lequel on voudroit en faire venir un autre, occuperoit déja pour lors le POUR LE LABOUREUR. 31% - terrein qu’on voudroit faire porter trois fois ; ilne pourroit donc fe faire qu'auffitôt qu'il auroit été moiflonné. Il eft bien difficile de faire porter avec fuccès trois fois de fuite la mê- me terre qu'on ne feroit point re- pofer pendant un hyver , fans la dé- grader & l’épuifer ; la reflource de l'engrais ne feroit que très-foible par les raifons qu'on en a déja données, & 1l ne pourroit qu’en réfulter tou- jours bien des inconvéniens. VIIL Comment un Laboureur doit fe conduire en tout pays , par rapport aux Jachères. ÎuEs jachères fervant à donner plus de fuccès aux femences de grains d'hyver, fur-tout à celles du froment ,1l s’agit de la part de tout 320 MANUEL D'AGRICULTURE Cultivateur , de fçavoir quand il convient de les obferver ou de les fupprimer. Cependant , quand le Domaire ou le corps de Ferme, qu'il fait valoir , fat partie du Terroir fur lequel il eft fitué , & quand les piéces de terre , qui le compofent, font répandues fur les foles qui forment fa contenance, foit qu'on y obferve les jachères, foit qu'on ne les y obferve pas, il ne peut faire autrement que de fe con- former à la diviñion de fon Terroir. On en a dit les raifons, & on a fait voir les inconvéniens qui en réfulte- roient, s'il en agifloit autrement. On lui a encore fait voir que dans le casque fon corps de Ferme feroit réuni, & feroit terrein à part, iln’a point d’autres principes à fuivre que ceux qu'on vient de lui donner, foit pour y obferver, foit pour y fupprimer POUR LE LABOUREUR. 321 fipprimer les jachères , en faifant attention que , quand il s’agit de les fupprimer , il ne le peut qu’aux con- ditions qu’on a prefcrites. Il eff fi néceflaire de s’y confor- mer que, quand dans un corps de Ferme qui fait terrein à part, con- tre l’ufage qui y eft établi d’y ob- ferver les jachères, un Fermier avide , qui n'a pas. envie de recom. mencer fon bail, parcequ'il a en vue une autre Ferme qui lui feroit plus convenable, s'avife cependant de les fupprimer , en faifant porter fes terres plufñeurs années de fuite , ou du moins une bonne partie; il en arrive que le Fermier qui lui fuccé- de , ne peut réuffir, attendu qu'il les trouve épuifées. Quelquefois même ce défordre n'arrive que les dernières années x. 322 MANUEL D'AGRICULTUrE d’un bail ; mais la Ferme n'en eff pas moins ruinée. Ces fortes de défordres qui n’ar- rivent que trop fouvent , font telle- ment à craindre, que dans tous les baux & même les plus anciens, 1l eft toujours d'ufage d'y inférer [a claufe de ne point defloiler les ter- res,&c. Tantil eff vrai que la fuppref- fon des jachères n'a jamais fait dans l'Agriculture qu'un cas particulier ! Mais cetre claufe n'arrête aucu- nement les Fermiers mal intention- nés, voyant que leurs Propriétaires font fi peu inftruits de l'Agriculture, & que même ils croiroient déroger , s'ils fe rabbaifloient jufqu’à porter une autre attention {ur leurs Fermes, que celle d’en tirer le revenu. _ On fe flatte cependant que le Manuel qu'ils trouveront ici pour POUR LE LABOUREUR. 323 eux, qui fera la feconde partie de cet Ouvrage, leur ouvrira enfin les yeux. | | IX: C onclufion, Avant donc fait vir jufqu’où peuvent s'étendre les divifions qui doivent fe pratiquer , tant dans les terres à Jachéres, que dans celles qui nen ont point, par rapport aux grains d’hyver & aux grains de Mars, qui généralement font d'ufage par- tout où on cultive , & quelles font les. différentes cultures qui s’enfui- vent: ce Manuel! qui eft fait pour nos Laboureurs de France a l'effet de les retirer de leurs routinés, ne peut- il pas fervir également dans tous les Etats des Souverains de l'Europe ; puifque par-tout l'Aori uliure ne peut avoir que les es princi- Xi 324 MANUEL D'AGRICULTURE pes , qui ne peuvent réfulter que de toutes les Pratiques locales du mon- de entier. Si dans toutes les terres de leur dépendance, fi à chaque Domaine & à chaque corps de Ferme qui s'y trouve , où la Nature n’a pas donné de prairies on n’en a pas donné aflez, on y en établifloit d’ar- tificielles , proportionnément à la quantité de terres dont ils feroient gompofés , & comme il a été réglé ci deflus ; fi on fçavoit manier par le travail de la charrue, un bon ter- rein qui a du fond, & fi on fçavoit encore bien régler le renouvelle- ment de l’engrais; les femences dont on vatraiter ci-après ne pourroient. qu'avoir par-tout un plein fuccès ; & tous les Souverains tireroient de l'Agriculture des richefles qui leur feroient beäucoup plus profitables POUR LE LABOUREUR. 315 que celles qui leur viennent du Pé- rou & de tout le ecommerce des Indes. QUATRIÈME SECTION. De l'opération des Semences. 0 E n’eft pas aflez à un Laboureur de bien travaiiler fes terres, de ies bien fouiller, de les bien aman- der, &c. Il doit encore , conformé- ment à ce que fui apprend fa Prati- que locale , donner toute fon atten- tion à fes femences, s’il veut avoir de bonnes récoltes. Quoique l'Agriculture en fafle ufage de beaucoup , on ne s’éten- dra que fur celle du froment, qui fait fon principal objet. Les femences qu’elle employe, font appellées grains d'hyver & grains de Mars ; on en a déja parlé X 14 3126 MANUEL D'AGRICULTURE dans la Seétion des jachères, & elles y font détaillées, _ On met encore au nombre des femences de l'Agriculture , le fain- foin , la luzerne , le tréfle , &c. pour faire des prairies artificielles, & qui exiftant plufieurs années, font ap- pellées plantes vivaces, à la diffé- rence des grains de Mars & des grains d'hyver, qui ne font que des plantes annuelles. Pour faire réuffir la-femence du froment,, il y a bien des précautions a prendre : il s’agit, 1°. De s’en procurer la meilleure qualité, 2°, De la préferver de la bruine, 3°. De la fortifier par des lotions ou leffives pour la garantir des in- fetes, pour en dilater tous les ger- mes , & pour la faire mieux taler &e multiplier, POUR LE LABOUREUR. 327 4°. De bien proportionner fa quantité à la qualité du terrein fur lequel on la féme ; de la jetter & répandre également ; de la bien couvrir pour la garantir encore des oifeaux ; enfin, de ne pas manquer de la femer en tems convenable, LE L Corment fe procurer la merlleure qualité de Froment. “A Laboureur obfervera de met- tre de côté tous les ans dans fa gran- ge, les meilleures serbes de fa récol- te; c'eft-a-dire celles qui provien- nent du Canton de fa Ferme, qui Jui a paru le meilleur & le plus mür: on le bat légèrement , en ne lui don- nant que deux à trois coups de fléau, pour n'en tirer que le grain le plus mûr, qui eft toujours celui qui fe X 1v 3:18 MANUEL D'AGRICULTURE détache le plus facilement de lépi. Il obfervera encore de changer de femence tous les deux ou trois ans. Si dans l’étendue de fon corps de Ferme , il fe trouve des cantons d’u- ne qualité de terre oppofée , 1l en changeraréciproquement les femen- ces; ce qui ne laïfle pas que de réuf- fir ; mais la meilleure façon d'en changer , c’eft de fe fervir d’un fro- ment qui provienne de quelques . Cantons éloignés. En général, toutes les femences aiment à changer d’air & de terrein; parceque la diverfité leur plait , aufll en réfuite-t-il de très-grands avantages. L'Auteur des Prairies artificielles qui, dans le tems qu'il faifoit valoir fa terre, ne regardoit tous les ans toutes fes opérations que comme des épreuves , ayant pendant quelques POUR LE LABOUREUR. 329 années femé le froment qui prove- noit de fa terre dans la moitié d'une même piéce de terre, tandis que l'autre moitié étoit femée avec un autre froment qu'il tiroit de dix à douze lieues, il avoit la fatisfa@ion de voir une différence de récolte qui le furprenoit. Tant il eft vrai que le changement de femence , loin d'être à négliger , eft d’une extrême importance ! Il n’y a point de Laboureur qui ne puifle l’exécuter, fans même qu'il lui en coûte rien; parcequ'en ven- dant celui qu'il a recueilli, ilachéte au même prix un froment d’un Can- ton éloigné : en tout cas il ne pour- roit être que bien dédommagé du furplus qu'il pourroit ajoûter. at. IN 330 MANUEL D’AGRICULTURE IL. De la Bruine & de fa veritable canfe, LE quelque bonne qualité que paroiïfle un froment , il faut tra- vailler à le préferver d'une maladie qu'on appelle Bruine, à laquelle 1l eft très-fujet , & qui lui fait un tort très-confidérable. Cette maladie eft la pefte des fromens; elle en diminue beaucoup le-prix & encore la quantité , juf- qu'à la réduire quelquefois à la moi- tié ; elle ne donne toujours qu'une paille noire , qui désoûte les che- vaux & les beftiaux. Les épis de froment, qui enfont infeétes , font remplis d’une pouffère noire très-puante , au lieu de con- tenir une farine blanche. Quand on bat à la grange des POUR LE LABOUREUR. 331 gerbes remplies de ces mauvais épis, la pouffière qui s'en exhale, s’atrache aux poils qui fe trouvent à l’extre- mité de tous les autres grains qui font fains, de façon que tout le bled, qui eft battu, s’en trouve attaqué, & que le pain qui en provient eft tou- jours noir, Si on veut corriger ce défaut on lave le bled avant de Le faire moudre; mais la farine n'en eft plus ni fi bonne n1 fi ferme , & ne renfle plus auf bien qu’elle auroit pu le faire auparavant. Comme ce lavage occafionie un certain déchet, ily en a qui préfè- rent de laifler le grain tel qu'il eft; parceque le noir qu'il a contraëté , n'en change point le goût, quoique la couleur du pan foit défagréable à la vue. On connoit ces épis bruinés avant 332 MANUEL D'AGRICULTURE la moiflon , à leur couleur verte, brune & un peu blanchätre , c’eft auffitôt que la fleur eft pañlée qu’on les apperçoit. Il y a encore une autre maladie qui arrive moins fouvent aux fro- mens, & qui caufe encore bien du dégât ; on l'appelle Miele. C'eft une efpéce de rouille qui s'attache à leurs tiges, lorfqu'ils font prèts à mürir, & qui a l’effet d’em- pècher de groflir les grains qui font contenus dans l’épi, de façon qu'ils s'y defféchent, & qu'y reftant très- menus, ils ne contiennent prefque point de farine. Cet accident provient de la trop grande ardeur des rayons du foleil, quand ils furviennent trop fubite- ment après un brouillard, une ro- fée & mème une pluie, avant que la tige ait eu le tems de fécher : on POUR LE LABOUREUR. 333 ne peut y remédier , quoiqu'on en connoiïfle la caufe. Il n’en eft pas de même de la brui- ne dont on peut garantir le fro- ment. Il s’agit de voir quelle en eft la caufe, & ce qu’on peut faire pour s'en préferver. L'opération eft fimple ; elle ne confifte qu’à tremper le froment dans une eau tiéde , en le remuant forte- ment plufieurs fois en tous fens avec un bâton, & écumant chaque fois avec un écumoir, tous les grains qui furnagent ; on répéte cette opé- ration juiqu'a ce qu'il n'en furnage plus. Or, tousles grains qui furnagent; ne peuvent être que de faux grains qui, n'ayant pas la plénitude & la pefanteur des grains qui font murs & fains , doivent naturellement re- venir au-deflus de l’eau. 334 MANUEL D'AGRICULTURE Ce qui prouve que c'eft le meil- leur expédient qu'on puuiffe em- ployer, c’eft qu’on a l'expérience que, quand on ne féme qu'un grain bien mûr & bien net, qui ne pro- Yient que des meilleures gerbes, fur lefquelles on n’a donné que quelques coups de fleau, on eft exempt de la bruine. | I! paroït donc que cette maladie ne provient que de la foiblefle & de l’imperfettion de Ia femence, c’eft-a-dire de fon défaut de matu- rité , ou de quelque altération. Cependant om obferve que cette caufe de la bruine agit plus ou moins, füivant qu'il furvient plus ou moins de brouillards ou de fraîcheurs , lorf- que le froment eft en fleur ; parce que quand le rems eft pour lors favo- rable , ilarrive qu'une partie de ces grains foibles & imparfaits réufif fent quelquefois. POUR LE LABOUREUR. 33$ Mais il paroït qu'on ne doit pas abfolument attribuer la caufe de la bruine , ni à ces browillards, n1 à ces fraicheurs , parcequ'on a l’expé- rience que, nonobftant ces contre- tems , le froment réuflit toujours, lorfqu'on a pris les précautions qu’on vient de détailler. Comme il peut fe glifler de faux grains, lorfqu'on fe contente de faire battre légèrement des gerbes choiïfies , on fera mieux d’ajouter Vopération de l'eau tiéde , parce- qu'on fera bien afluré qu'il n’y en reftera point. Auflitôt que le fromert eft retiré de cette eau, on a l'attention, pour le faire fécher , de jetter deflus une quantité raifonnable de chaux vive, bien fondue, & bien réduite en pouf. fière, qui fert à le fortifier & à le faire germer plus vite. 336MANUEL D'AGRICULTURE Pour bien faire cette opération de l’eau tiéde, il faut que ce foit en petite quantité, chaque fois d’envi- ron un boiffeau, ou deux tout au plus, nonobftant la quantité de froment qu'on auroit à femer; l'opération en fera plus exacte. L'Auteur des Prairies artificielles qui a fait valoir fa terre pendant trente ans n'a été exemt de la bruine que quandila été inftruit de ce qu’on vient de détailler ; cependant il avoit employé auparavant toutes les lotions qui pañloient pour ètre les meilleures , comme celles qui fe font avec le falpêtre , avec le verd-de-eris, avec l'eau de fumier compofée , & mème avec l'urine des beftiaux & les meilleures cen- dres de bois de chêne, en obfer- vant très-fcrupuleufement de ne point fe fervir de çelles qui prove- noient POUR LE LABOUREUR. 337 noient de bois flotté: cette derniere expérience , quil avoit faite avec plus de confiance que les autres, ne lui a pas mieux réuff. Il avoit encore lù tout ce aw’on a écrit pour parvenir à connoitre la caufe de cette maladie & pour en découvrir le reméde fpécifique. Mais, n'ayant rien trouvé qui l'ait pu fatisfaire, & fes récoltes conti- nuant toujours à en être infectées , il s’eft enfin déterminé à confulter lesgens du métier, c’eft-à-dire quel- ques anciens Laboureurs. I! a été furpris bien agréablement d'en trouver un qui lui dit bien afir- mativement qu'il n’avoit jamais eu de bruine , & qu'il étoit afluré de n’en jamais avoir , fans même chan- ger de femences ; parceque l’expé- rience lui en avoit fait connoître & Ja canfe & le reméde, * 338 MANUEL D’AGRICULTURE Cet habile Laboureur ayant fait part de ce qui eft rapporté ci-deflus avec un bon fens admirable , on va donner le détail des expériences qui en ont été faites pour s’aflurer davantage de cette pratique. La première année que ledit Au- teur a fait ufage du froment qui pro- venoit de l'opération de l’eau tiéde, il a femé en même-tems pareille quantité de froment , préparé feule- ment avec une lotion ordinaire. Il a eu la fatisfaétion de voir qu'il n’y avoit de la bruine que dans la feconde partie, & que dans l’au- tre il n’y en avoit point. Non content de cette première expérience , afin de s’aflurer davan- tage que la caufe de la bruine ne provenoit que de faux grains , & de grains viciés & altérés ; & pour s’af- furer encore que le plus sûr moyen POUR LE L'ABOUREUR. 339 d'y remédier, confiftoit à les retirer & à n’en point femer , il fit l'année fuivante une autre expérience , qui a été de femer dans une même piéce de terre, en pareille quantité, trois parties de froment. Sçavoir , une partie bien exaéte- ment pañlée par l'opération de l’eau tiéde. Une autre qui ne l’étoit pas, & qui ne provenoit que de gerbes choifies, légèrement battues. Et une troifiéme partie qui n’étoit compofée que de froment, ni choifi, ni pañlé par l’eau tiéde ; mais feule- ment préparé avec une lotion ordi- naire. A la récolte , il n’a apperçu de la Pruine que dans la troifiéme partie, & n’en a jamais trouvé dans les deux autres,quoiqu'ilaitrépété cette même expérience pendant plufieurs années. | V1} _ 340 MANUEL D’AGRICULTURE Si cet Auteur n’avoit pas été char- gé des affaires de la ville de Reims ,à Paris, en qualité de Député , dans le tems que l’Académie de Bourdeaux a propolé un prix fur la caufe de la bruine & fur ce qui pouvoit yremé- dier ,1ln’auroit pas manqué de fe met- tre du nombre des concurrens; ilen avoit même écrit, avant d'être char- gé de cette députation , au Secré- taire de cette Académie , qui a bien voulu lhonorer de fa réponfe. Mais , pendant tout ce tems, 1la été occupé à folliciter l'exécution des projets , ‘qu'il avoit feul imaginés & dreflés, pour obtenir en faveur de fa patrie , qui eft la Ville du Sa- cre de nos Rois, l'honneur d'y éri- ger le monument de Sa Majefté.(4) (a) C'eft à fa follicitation , foutenue de la protection de M. le Marquis de Puizieux , Mi- niftre & Secrétaire d'Etat, pour lors, des affai- POUR LE LABOUREUR. 341 Il faut convenir qu'il a été bien malheureux jufqu'a préfent pour l'Agriculture , que , parmi nos La- res étrangères , & de l'avis favorable de M. de Saint-Conteft de la Chataigneraye, Intendant de fa Généralité de Champagne, qu'il a été ac- cordé pour le commencement de cette exécution la fomme de fix cents mille livres, à prendre en plufieurs années fur la partie des Oftrois de la- dite Ville, qui appartient au Roi. Avec les mêmes protections , il a encore obtenu dansle même tems fur La même partie des O&rois , la fomme de cent quatre-vingt mille livres, pour conti- nuer le bel établiffement des Fontaines qu’a- voit commencé le célébre Abbé Godinot, Cha- noine de ladite Ville. IL a fini heureufement fa Députation par le Traité qu'il a dreffé & conclu pour ce monument, avec le fameux Sculpteur (M. Pigall) fi connu par le chef- d'œuvre du maufolée du Maréchal de Saxe , & par d’autres ouvrages qui, comme le: dit M. de Voltaire, auroient été mis au nombre des plus beaux & des plus rares morceaux de l'Antiquité fi on les avoit trouvés fous quel- ques ruines anciennes. Le Confeil Municipal de la Ville de Reims avoit pour lors: un digne Chef & un grand Citoyen, en la perfonne de Y üi 342 MANUEL D'AGRICULTURE boureurs intelligens , qui ont toute lexpérience pofble , il ne s’en foit pas encore trouvé qui ayent pu met- tre fur le papier les réfléxions inté- M. Rogier , Confeiller en la Cour des Mon- noyes , qui, ayant fenti combien tous ces pro- jets illuftreroient fa Patrie, les a adoptés, & a employé tont fon zèle pour les faire agréer des Magiftrats qui compoloient ce Confeil. 11 a fait de grandes libéralités à fa Patrie; l’a- mour qu'il avoit pour les ralens & les beaux Arts, l’a encore dérerminé à perpétuer , par une fondation de prix confidérables, les écoles de Mathématiques & de Deffeins, qu’avoit établies M. de Pouilly , fon Prédéceffeur , avec qui il étoit d'autant plus lié, qu'il trouvoit , dans ce grand homme , le même goût & le même amour pour faire germer les talens de fes Con- citoyens , & pour enrichir fa Patrie de Monu- mens utiles. Ce M. de Pouilly , de l’Académie des Infcriptions , avoit quitté, au regret des Sçavants, la ville de Paris, où il avoit beau- coup d'amis & de réputation : 1l s'eft enfin diftingué par l'excellent ouvrage de la Théorie des Sentimens agréables , que la République des Lettres a fi bien reçue. POUR LE LABOUREUR. 343 reflantes que la Pratique leur avoit fait faire; c'eft ce qui a donné tout l'avantage apparent à ceux qui ont ofé écrire fur cet Art, mais d’après de fimples fpéculations. ITI. Lotion \ ou Leffive éprouvée , pour fortifier le froment, &c. UN Laboureur ne doit pas fe con- tenter que fon froment foit exemt de la bruine , il doit fonger encore à fortifier fa femence , par de bon- nes lotions ou leffives pour la mieux faire taller & multiplier, puifqu’elle contient une fi grande quantité de germes , & fur-tout pour la garan- tir des infeétes qui, la rongeant plus ou moins, en font manquer beau- coup , ou en altèrent une partie, de façon qu'ils peuvent bien auffi oc- cafionner Ja bruine. | Y iv 344 MANUEL D'AGRICULTURE On peut dire que toutes les lo- tons font bonnes, quoiqu'il y en ait de meilleures les unes que les au- tres, mais , quelque bonnes qu’elles puiflent être, il ne faut pas croire qu'en garantiflant le froment de ces infeétes., elles foient fuffifantes pour Ôter toute caufe de bruines ; fur quoi on ne peut compter qu'aupa- ravant , comme on l’a démontré ci- deflus , on n’ait retiré de la femence qu'on veut employer , tous les faux grains qui peuvent s'y trouver , par le moyen de l'opération de l'eau tiéde , dont on vient de parler. Tout ce qu'on peut donc con- clure de lufage de ces lotions, à l'égard de la bruine , c'eft qu'on ne peut mieux faire que de les ajoû- ter à cette opération, pour être plus. afluré d'en être exempt à caufe des infectes. POUR LE LABOUREUR, 345 I! eft bon de dire encore que fans la précaution de cette opération, 1l ne faut pas croire qu'aucune lotion ou leflive , quelque bonne qu’elle puifle ètre foit généralement fuf- fante parcequ'elle aura réufli fur quelques terreins. 11 y a bien des attentions à appor- ter fur leurs diverfités qui convien- nent plus où moins aux froments, ou qui leur font plus où moins pro- pres. Il ÿ en a encore beaucoup à faire fur les qualités des femences, qui peuvent plus ou moins contenir de ces faux grains , & qui peuvent même n’en point contenir. Dans la Picardie , par exemple ; qui eft un bon pays à froment, où il fe plait, & où on ne féme des fégles que pour avoir des liens, il eft certain que la bruine n’y a pas 346 MANUEL D'AGRICULTURE lieu auf fréquemment que dans d’autres Provinces ou Cantons où, les terres étant féches & légères , l’on ne fait venir du froment , au lieu de fégle , qu'à force d’engrais. Dans ces fortes de terreins qui conviennent plutôt aux fégles, les fromens n’y viennent pas auffi bien à leur perfeétion qu’en Picardie ; il sy trouve plus d’altération & plus de faux grains ; ils y font plus fujets à la bruine. Ainfi lorfqu'on employe en Pi- cardie , ou dans d’autres bons pays à froment, ces lotions ou leflives, fans avoir fait auparavant l'opéra- tion dont il s’agit, 1l ne fera pas étonnant qu'on ne voye point de bruine dans ce qu'on aura femé ; parceque dans ces fortes de bons pays ; les récoltes s’y trouvant géné- ralement d'une bonne qualité, 1l n’y POUR LE L'ABOUREUR. 347 a point ordinairement de faux grains dans les femences qui en provien- nent comme dans celles qui vien- nent des terres féches & légères, qui ne font pas fi propres au froment, & où ces fortes de lotions, fi aflu- rées qu'on le dife , ne fuflifent pas pour les exempter de la bruine , fi- non dans quelques années favora- bles , ainfi qu'on l’a déja dit. Après cela pourra-t-on regarder comme fi merveilleufe cette lotion particulière , qu'on a annoncée avec tant d’emphafe , fans cependant dé- terminer la caufe de la bruine ; & pourra-t-on encore ÿ avoir une auff grande confiance ? Quand on veut rendre générales des expériences qu'on a faites, & prétendre qu'elles réufhront par- tout , 1l faut les avoir pratiquées fur toutes fortes de terreins , même les 348 MANUEL D'AGRICULTURE plus fecs & les plus légèrs, comme les crayonneux , fur lefquels, en Champagne , on ne réuflit à faire venir des froments , qu'avec de fre- quens & de forts amandemens ; au- trement ce n'eft pas connoitre l’A- griculture , c'eft-à-dire , les diffé- rens effets de la diverfité des ter- reins. Cependant , quand il s’agit d’une matière auffi importante, on doit toujours beaucoup d’éloges au tra- vail de ceux qui ont eu de bonnes intentions. Voici quelle eft la lotion que l'Auteur des Prairies artificielles ajoû- toit à l'opération de l’eau tiéde , pour fortifier fa femence de froment, pour la garantir des infeétes , & pour la faire mieux taller & multiplier. Commeilen afaitufage pendant plus de vingt ans,avec des effets toujours POUR LE LABOUREUR. 349 furprenans : on la propofe avec con- fiance. Il s’agit d’avoir un tonneau de la contenance d'environ trente à qua- rante feaux, qu'on remplit à moitié de crotte de pigeons, de crotte de poulles, de crottin de brebis ou de moutons, de tout cela par tiers ; on l'emplit enfuite d’eau de fumier à cinq à fix pouces près du bord, par- ceque ce mêlange doit renfler. On laifle tremper le tout pen- dant environ trois femaines ou un mois ; pendant lequel tems on ne manquera pas de remuer fouvent. Enfuite on tire cette infufion au clair en la répandant dans un au- tre tonneau au moyen d’une claie qu'on met fur l’ouverture ; on verra que ce tonneau ne fe trouvera qu'à moitié environ ; c’eft pourquoi , fi l'on veut un tonneau complet ; on 350 MANUEL D'AGRICULTURE aura deux tonneaux pour l’infufon, & à proportion de la quantité de froment qu'on aura à femer. Dans ce tonneau , ainfi tiré au clair, enle fuppofant environ plein, on jettera une vingtaine d'écuellées de cendres, de tel bois que l’on vou- dra , pourvu qu’il n'ait pas été flotté ; celles de chène doivent être préfé- rées ; on y jettera environ autant d’écuellées de chaux vive, c'eft-à- dire qui ne vient que d'être fon- due ,& l’on y ajoutera en même tems deux boifleaux au moins de fon de froment ou de fégle , pour épaiflir & rendre glutineufe ladite infufion ; on remuera bien exaétement le tout, deux à trois fois par jour, jufqu’à ce qu'on en fafle ufage, & fur-tout dans le moment qu'on voudra s’en fervir. Ce tonneau, qu’on a propofé de la contenance d'une quarantaine de POUR LE LABOUREUR. 351 feaux, pourra fufire pour une quin- zaine de feptiers de froment , me- fure de Paris, à raifon d’un feau & demi par feptier ; il convient de le jetter en différentes fois, en re- muant bien le froment : & pour le fécher plus vite, on jettera fur cha- que feptier , environ trois écuellées de chaux vive. On proportionnera ce tonneau à la quantité de froment qu’on aura a femer; & , fi on ne peut en avoir que de la contenance d’une vingtai- ne de feaux ou environ, on en aura plufieurs pour fuffire à ce qu’on aura à femer. | Cette infufion glutineufe s'attache tellement à chaque grain, que, quand ils font fecs, on les voit exa@tement enveloppés de feuilles de fon , qui font elles-mêmes imbibées de cette matière ; & elles font fi 352 MANUEL D'AGRICULTURE parfaitement collées , que nile mou- vement de mettre le grain dans le fac, ni celui de le femer, ne font pas capables de les en détacher ; de façon que chaque grain conferve toute la force qu'on lui donne, en quoi confifte l'excellence de cette infufon au-deflus de toutes les au- tres qu'on peut annoncer, qui n'é- tant pas aufli glutineufes , fe diffi- pent prefque entièrement lorfqu'on féme, & n'ont que peu d'effets fur le grain. Au moyen de l’ufage de cette in- fufion , l'Auteur des Prairies artificiel- les a toujours eu de belles & d’abon- dantes récoltes; les épis en étoient remarquables , en ce qu'ils étoient plus forts & mieux garnis que ceux des récoltes des Laboureurs de fon Canton. Auff, a la grange , fon bled sendoit-1l plus que celui des autres. L'avantage POUR LE LABOUREUR. 353 L'avantage encore de cette infu- fion, c’eft qu'elle ne coute que la peine de la faire , le prix de la chaux étant de fi peu de conféquence que le Laboureur n'y fait pas attention. Soit qu'il foit queftion de cette infufñon , foit qu'il s’agifle de faire la première opération qui empèche la bruine , elles font l’une & l’au- tre fi importantes que le Fermier ne doit pas s’en rapporter à des do- meftiques ; 1l ne doit jamais man- quer de les faire foi-mèême , ou de les faire faire en fa préfence. L’Auteur des Prairies artificielles portoit fur cela les plus grandes at- tentions. Il ne faut pas oublier de faire con- noître le profit réel & a@uel, qui réfulte de ces deux opérations, & qui ne laiffe pas que d'être confidé- rable, | Z. 354 MANUEL D'AGRICULTURE Comme elles font extrêmement renfler le grain, fur-tout à caufe de la grande chaleur que l'infufion lui donne , on peut compter que ce pro- fit ne fera pas moins que du quart en fus, parceque ce n'eft qu'après qu'il eft préparé, qu'il faut mefurer la quantité qu'on veut femer. Quand une femence eft. ainf préparée , tous les faux grains qui n’auroient pas levés, ou qui n’au- roient que mal tournés en font re« tirés; &, puifqu'on ne feme qu’un grain bien pur & bien net, l'on peut croire qu'on en feme davantage. Il eft cependant vrai que le fro- ment , ainfi renflé, contient moins de grains dans la poignée du La- boureur qui le feme ; mais on ne peut difconvenir qu’il ne foit mieux difpofé, pour lors, à fe dilatter & à s'ouvrir, & que parconféquent 1l ne convienne de le femer plus clair, POUR LE LABOUREUR. 356$ Ainf, en fuppofant qu'avant de le préparer , on ait mefuré quatre {ep tiers, comme on en trouver ati moins cinq après , on fera bien dé- dommagé à tous égards des peines qu'on aura prifes, vü fur-tout les merveilleux effets qui en réfulteronts On a oublié d’obferver qu'avant de faire ces deux lotions , il ne fal- loit pas manquer de cribler Îe fro: nent pour retirer toutes les petites graines de mauvailes herbes qui pourroient s’y trouvers À l'égard des autres grains qui font encore employés par l’Agricul teur, dontona ci-deflus fait le détail, qui font ou grains d'hyver, ou grains de Mars , il n'y a pas d'autre atten- tion à avoir avant de les femer, qué de les bien cribler , & d'en choifir la femence la plus mûre & la plus nette, [AT 356 MANUEL D'AGRICULTURE IVe Ce qui doit régler par arpent la quantitë de froment qu'il convient de femer. Nos Laboureurs en général don- nent dans une routine qui leur fait un tort confidérable , en s’aflujet- tiflant aufli fervilement qu'ils le font aux ufages de leurs Pratiques locales , pour régler leur façon de femer. On a déja dit , & on ne peut trop le répéter , que les ufages de cha- que Pratique locale n'étant que gé- néraux , c'eft-a-dire ne pouvant con- ferver que les fortes de qualités du terrein dominant de leur terroir, & non les fortes de qualités des diffé- rens terreins particuliers qui peu- vent s’y rencontrer, elle ne doit leur fervix que de méthode , pour leur POUR LE LABOUREUR. 357 apprendre à chacun en particulier, comment ils doivent fe conduire dans toutes leurs opérations à caufe de la diverfité de terreins qu'ils ne peuvent que trouver dans ce qu'ils ont à faire valoir. Ainfi, quand il s’agit de femer, ce ne font que les fortes de qualités du terrein qu'ils ont à cuitiver, qu'ils doivent confulter ; & ils doivent commencer par bien examiner, pour juger de la quantité de femence qw'il convient de lui donner. Voilà la première régle que don- ne la méthode qui réfulte de leurs Pratiques locales, dont ils ne difcon- viendront point , puifqu'ils ne peu- vent s'empêcher de voir qu'on n'a pa déterminer la quantité de fe- mence qu’elle prefcrit, qu'aupara- vant on ait bien examiné les fortes de qualités dont fe trouve compofé Züj 558 MANUEL D'AGRICULTURE le terrein dominant du terroir fus lequel elle eft établie. Ils conviendront encore qu elle donne une autre régle, qui eft plus décifive , qui confifte dans une ex- périence de plufieurs années ; puif- que fur un fimple examen deterrein, il n’eft pas poffible de bien détermi- ner la quantité de femence qui peut convenir, I n'y a donc que ces deux régles qui doivent guider tout Laboureur en particulier, pour bien fixer & déterminer fa quantité de femence fur fonterrein, dans quelque Canton de la terre qu'il puifle habiter. Sa Pratique n'ayant été faite & établie que pour les lui apprendre, tout l’ufage qu'il doit en faire , con- fifte à la bien méditer. Le terrein qu'un Laboureur a à femer eft bon, médiocre ou mau- vais, POUR LE LABOUREUR. 349 Suppofé qu'il foit bon , & qu'en cette qualité il tienne de la qualité du terrein dominant de fon Terroir, fur lequel fa Pratique locale eft éta- blie, le Laboureur en ce cas peut fe conformer à ce qu'elle prefcrit fur la ._ quantité de froment qu'il convient de femer. Cependant , comme 1l fe trouve ordinairement quelques nuances & quelques différences dans les parties de terreins qui paroiflent être de même qualité , il aura toujours re- cours à fon expérience qui feule peut lui apprendre avec le tems , à quelle quantité il pourra véritable- ment s'en tenir. Si fon terrein au contraire eft mé- diocre , & même mauvais, tandis que la qualité de fon Terroir eft ré- putée bonne , il fe feroit un très- grand tort de conformer fa quantité Ziv 360 MANUEL D'AGRICOLTURE de femence à celle que décide fa Pratique locale ; puifque, dans toute l'Agriculture, c'eft une maxime aflez générale , qu'un terrein médiocre & mauvais, doit être femé plus fort que celui qui eft d’une bonne qua- lité. Ce qui appuye cette maxime , c'eft que dans toutes les Pratiques locales , par rapport aux différens ufages qui y font établis, 1l eft re- connu & arrèté qu'il convient d’a- jufter & de proportionner les opé- rations de l'Agriculture à toutes les fortes de terreins qui fe rencon- trent. Ainfi, fuppofé encore que le ter- rein d'un Laboureur fe rencontre bon, tandis que la qualité de fon Terroir fera d’être médiocre ou mauvaife , 11 doit femer moins fort que ne le prefcrit fa Pratique locale, POUR LE LABOUREUR. 36r & iln’y a que fon expérience qui puiffe le bien guider fur cela. Ce n'eft pas tout ; le Laboureur , en prenant bien l’efprit de fa Prati- que locale, verra que l'examen & l'expérience qu'elle lui donne pour principe , lui apprennent encore qu'indépendamment de la qualité du terrein, on doit examiner la varia- tion des années , qui influe fi fort fur le plus ou le moins de récoltes , & même fur la qualité du grain, en n'oubliant pas les accidens qui peu- vent arriver à la femence , avant que de fortir de la terre. Il n’eft pas douteux que, quand on a établi les Pratiques locales, on n'ait pris toutes ces chofes en con- fidération pour mieux régler & fixer la quantité de femence qu’elles pre- fcrivent par arpent. La variation des années eft telle 361 MANUEL D'AGRICULTURE que , quoiqu'elles fe fuivent , on voit ordinairement tous les ans une grande différence dans les récoltes, dont le plus ou le moins ne dépend pas feulement de la qualité bonne ou mauvaife du terrein ; mais en- core de la faifon du printems , qui, étant plus ou moins favorable , don- ne lieu au froment de taller & mul- tiplier plus ou moins. Ceux qui ont établi les Pratiques locales , ayant certainement prévû toutes ces variations & tous ces ac- cidens, & ayant réglé en confé- quence la quantité de femence ; tous nos Laboureurs , en particuiïer , après avoir réglé par leur examen, & par leur expérience ce que peut exiger la qualité de leur terrein, doivent, a leur exemple, ajouter plus ou moins de femence , felon qu'ils le jugeront convenable pour préve- POUR LE LABOUREUR. 363 nir de même ces variations, Çes ac= cidens , &c. I ne faut donc pas s'étonner fi nos Pratiques locales paroiflent em- ployer tant de femences, | On ne peut obvier à toutes ces variations & à tous ces accidens qui füurviennent ordinairement , qu’en femant un peu plus fort que ne l'exige le qualité duterrein; maisquandonne proportionne fa quantité de femence qu'a cette qualité, on court rifque d'en être fouvent la dupe , parcequ'il n'y aplus moyen d'y remédier quand le mal eff arrivé. Il vaut mieux, dit- on dans les Campagnes , courir le rifque d’avoir femé un peu plus fort que de n'avoir rien, Il y a encore une chofe qui con- cerne l'attention du Laboureur , qui eft auffi une fuite de la méthode qui rélulte de fa Pratique locale ; c’eft 364 MANUEL D'AGRICULTURE que, fi le terrein qu'il a à femer eff extrêmement humide , & par confé- quent fujet à poufler beaucoup d'herbes, il doit le femer plus fort, quoique reconnu d’une bonne qua- lité | pour occuper davantage fon terrein , & pour leur donner moins de prife , & même plus fort que dans un terrein médiocre ; qui ne donneroit point d'herbes. Voilà pourquoi Olivier de Serre prétend quil n'eft pas abfolument décidé qu'il faille toujours femer moins fort dans les bons & les meil- leurs terreins. Le plus ou le moins d'herbes qui peuvent poufler eft beaucoup à confidérer , de même que l'in- convénient , lorfqu'ils font femés trop clair, de ne rendre que des pailles , dont les tiges font fi groffes & fi dures, que les bêtes de tirage , POUR LE LABOUREUR. 365 & les beftiaux néceflaires pour bien faire valoir un corps de Ferme , ne peuvent s’en accommoder. Quand un froment au contraire eft femé plus dru , deux épis, qu'on moiflonne , au lieu d'un, dans la quantité de la récolte, ne valent-ils pas bien un gros épi qui ne rendra pas plus de grains & qui en rendra même moins? Il en réfulte encore une paille qui eft beaucoup plus fine & plus friande pour les beftiaux. Il faut faire attention que l’objet de l’Agriculture n’eft pas feulement de nourrir les hommes , & de leur procurer leurs befoins ; mais encore de nourrir les beftiaux dont on ne peut fe pañer. Il réfulte donc que cette propor- tion de femer , qu'exigent les diffé- rens terreins qu'un Laboureur a à cultiver , demande toute fon atten- 366 MANUEL D'AGRICULTURE tion & fon expérience, & qu'il lui faut bien des années pour commencer à voir à quoi 1l peut s'en tenir: on peut même dire que c’eft l’opéra- tion la plus difficile & la plus emba< raflante de l'Agriculture. Cependant, dans la nouvelle Mé- thode de M. Thuill, rien n’eft fi aifé ni fi facile que cette proportion 3 puifque , felon lui, ilne s’agit que de réduire à moitié , au tiers , & même au quart , la quantité de femence qu'on employe dans nos Pratiques locales , pour être afluré ; par Île moyen de fon femoir ; d’avoir tous les ans d'excellentes récoltes: il fem- bleroit donc, à l'entendre , que ce ne feroit ni l'examen du terrein, nt l'expérience , ni même toutes les variations & lesaccidens qu'on vient de détailler, qui doivent régler la quantité de femençces par arpent ; POUR LE LABOUREUR. 367 & que l’ufage de fon femoir auroit feul cette vertu, parcequ'ila l'effet d'efpacer chaque grain qu'il ré- pand , à la diftance de cinq à fix pouces plus ou moins. On convient que dans certaines années favorables, une petite quan- tité de femences peut beaucoup mieux réuffir qu'une plus grande, quoique réglée par l'expérience qu'on peut s'être faite; en voici un exemple qui fera cependant voir que ce feroit une grande imprudence de réduire toujours ainfi fa femence, fur-tout fi l'on faifoit ufage du fe< moir avec une pareille réduétion dans la façon ordinaire de cultiver. Ileft arrivé à l’Auteur des Prairies artificielles | en allant vifiter fes fro= mens dans la faifon du printems, d'en trouver un arpent qui, ayant été {e- mé plus tard que les autres, fe trou- 368 MANUEL D'AGRICULTURE voit fi éclairci par la rigueur de l'hy- ver, & par d'autres accidens qu'il avoit efluyés, quil n'y reftoit pas la fixiéme partie de la femence qu'on y avoit jettée ; on n'y voyoit que des brins de froment extrème- ment efpécès les uns des autres. Sans un ancien Laboureur, qui pour lors l'accompagnoit , 1l étoit déterminé à faire retourner ce fro= ment pour y mettre de l'orge; mais 1l lui donna avis de n’en rien faire : # Parceque , lui difoit-il , fi la fin » d'Avril & le commencement de » Mai fe trouvent favorables ; cet ar- » pent, qui paroit fi défefpéré, fera » peut-être le plus beau de tous vos » fromens. « Ainfi le terrein lui paroïflant extrèé- mement bon, parcequ'il avoit été amande plufieurs fois ,il l'engagea à faire cette épreuve pour lui faire connoitre POUR LE LABOUREUR. 369 connoitre ce quil en eft du talle- ment du froment dans un bon ter- rein, & jufqu'où il peut s'étendre ;, quand les années font favorables. L'avis ayant été fuivi, & la fin d'Avril & le commencement de Mai ayant Correfpondu à ce qu'avoit prédit cetancien Laboureur, la moif- fon de cet arpentrapporta beaucoup plus , à proportion que tous les au- tres froments qu'avoit encore l’Au- teur des Prairies artificielles. Ce Laboureur , profitant de cet événement,ne manqua pas d'ajoûter que , quoiqu'il eût été témoin d’un tallement fi prodigieux & fi extra- ordinaire , 1l ne s’enfuivoit pas qu'il dût changer fa façon de femer , en réduifant fa quantité de femence à un cinquiéme ou à un fixiéme, com- me luiparoïfloit être réduite celle qui étoit reftée dans fa piéce de terre; À a 370 MANUEL D'AGRICULFTURE attendu que ( par rapport à bien des accidens qui n'arrivent que trop or- dinairement au froment , & qu'un Laboureur doit toujours prévoir , qui font même tels que fouvent les trois quarts, ni même la moitié de ce qu'on a femé ne réuflit pas)ilne falloit point difcontinuer de régler fa quantité de femence fur l'expé- rience qu'il s'étoit faite ; &, pour lui prouver que le confeil qu'il lui donnoit n'étoit fondé que fur l’ex- périence , il lui dit d'éprouver l'an- née fuivante de ne femer fur une petite partie de terrein, que le quart de ce qu'on employoit de froment ordinairement. Ce qui ayant été exactement exécuté, il eft arrivé que la récolte en a été totalement manquée. La leçon de ce bon Payfan ne vaut-elle pas bien celle de M. Thuil? POUR LE LABOUREUR. 371 C'eft ce qu'on aura encore lieu de faire remarquer dans la Réfutation de fa Nouvelle Methode. V. Ce qui eff ufité dans toutes Les Pratiques locales ,| peur jetter & répandre également la femence, L'usa GE du Laboureur , pour femer, eft de prendre toujours à plei- ne poignée , dans fon femoir qu’il porte devant lui, fa femence de fro- ment, en marchant d'un pas égal, avec mefure, &enjettant fa poignée avec un mouvement toujours auff égal. S'il veut femer plus fort, il va plus lentement, & c’eft de fa mar- che qu'il régle le plus ou le moins de femence qu'il veut employer; par ce moyen, il en ef fi afluré, que, fi HS avoir femé un feptier de fro= À a 1j 572 MANUEL D'AGRICULTURE ment dans un arpent , il n'en veut femer que la moitié dans un autre, il ne s'y trompe pas feulement d'une demie écuellée. Il parvient encore à [a répandre également , fi, avant de femer , ila l'attention de faire fi bien herfer fon champ ;, quil devienne parfaite- ment uni. Sur ces deux chofes il n'y a certai- nement point à reprendre le Labou- reur ; & on peut même dire que, dans toutes fes opérations , c’eft ce qu'il exécute le mieux. Qu'a donc de plus la précifion du femoir de M. Thull, au-deflus de celle du Laboureur ; & ce Plus, quand même on le fuppoferoit , mé- titeroit-t-1l qu'on le jugeât nécef- faire au point d’en faire dépendre le rétabliffement de l'Agriculture ? Mérite:t-1l feulement qu'on y fafle la moindre attention ? POUR LE LABOUREUR. 373 VI. Le Laboureur ne doit faire fes fermences que dans un tems convenable, UN tems favorable fait encore beaucoup , pour faire profpérer les femences. Le froment veut être femé dans un tems pluvieux ; un tems trop {ec lui feroit nuifible ; le fégle exige au contraire un tems fec ; l’avoine, l'orge , les lentilles, les pois, &c. veulent un beau tems; mais toutes ces femences exigent qu'on ne les faffe point dans le tems qu'il y régne des vents violens, puifqu'elles ne pourroient être répandues égale- ment. A l'égard de la faifon propre à faire toutes ces femences , le Laboureur peut s'en rapporter à ce que lui Aa 474 MANUEL D'AGRICULTUREÉ apprend fa Pratique locale , fans ce- pendant que cela l'empêche de con- fulter quelquefois fon expérience. I ne doit pas manquer de bien faire couvrir fon froment, en mème- tems qu'il fe féme , pour le garan- tir des Pigeons & autres oifeaux ; ce que le Laboureur peut faire en fe fervant d'une charrue qui le re- tourne avec la terre , pour lenter- rer à environ deux pouces plus où moins , futvant ka qualité du ter- rein. S'il eft fec on F'enterre un peu plus; ce qu'il peut faire encore avec la herfe , en lui faifant faire deux tours, & avec la précaution de l’ap- pefantir, comme on l’a déja dit , au moyen d'une grofle pierre qu’il met- troit deflus, fuppofé qu'il jugeât que {a herfe n'enfonce pas autant qu'il eft néceflaire. Comme il dépend du Laboureur POUR LE LABOUREUR. 375 de bien couvrir fon froment & toutes les autres femences qu'il peut em. ployer, c’eft à tort que, dans le tems des femences, ils’en prendroit aux pigeons qui ne grattent jamais, com= me nous l’avons prouvé. GO:NICL'USI ON De cette première Partie. ; E CROIS qu'il ne me refte plus rien à prefcrire à tout Laboureur jaloux du progrès de l’Art de l’A- griculture. Après avoir donné la définition de cette grande Science , montré fes opérations , difcuté fon vrai princi- pe & la méthode qui en réfulte , je fuis entré dans tous les détails nécef- faires , & les feuls néceffaires. Ainfi le Laboureur eft à portée aujour: Aa iv 376 ManNuEL, &c. d'hui, ou de reétifier fes pratiques ; ou d'apprendre les vrais principes qui réfident dans fa Pratique locale, J'ai dit tout ce que l’on pouvoit dire: 1°. De l'examen des terreins; 2°. De l'Expérience , de la façon de l’acquérir & de fes effets.; 3°. Enfin des différentes façons d'exécuter les opérations de l’Agri- culture , relativement à toutes les {ortes de qualités de terreins. Heureux fi les leçons que j'ai tras cées ici , après avoir été utiles à moïi- même , le peuvent-être à tous les La- boureurs! Servir la Patrie eft l’am- bition d’une belle ame. Fin de la première Parties SECONDE PARTIE. MANUEL D'AGRICULTURE, POUR LE PROPRIÉTAIRE. LT ét hi ns à es Ve. Re à se NA: F7 Kb F7 "e NN L$ FA hf D De VS rs & x x de FY y E À y À ÿ x y Fi RES EE LS «d PS Ed LE Le SECONDE PARTIE MANUEL D'AGRICULTURE, P.O' U-K LE PROPRIÉTAIRE. INTRODUCTION. Les Laboureurs & les Fermiers, quoique tenants toutes nos terres, ne font pas les feuls qui en occañon- nent le déläbrement par leurs routi- nes. Les Propriétaires leur portent encore un préjudice au moins auf confidérable par leur négligence. Ayant été établi que la feconde caule du déläbrement des terrespro- _3$0 MANGEL D'AGRICULTURE venoit du défaut de prairies:on va prouver que leurs établiflemens ne peuvent concerner que les Proprié- taires , & nullement les Fermiers. Ainfi il s'agit de faire voir : 1°. Que le défaut de prairies ne peut être réparé que par les Propriétaires. 2°. Comment ils doivent s'y pren- dre pour y parvenir, fans avoir la peine de faire valoir par eux mêmes. 3°. Ce qu'ils doivent faire encore après l’établiffement de Prairies. 4°. Comment ils doivent eftimer leurs terres , pour les louer d'une façon équitable. 5°. Ce qu'il leur en coûteroit pour faire faire une prairie. 6°. Quelles font les attentions qu'ils doivent encore avoir fur leur corps de Ferme. 7°. Ce qu'ils doivent fçavoir de l'Agriculture, POUR LE PROPRIÉTAIRE. 381 CHAPITRE PREMIER. Le défaut de Prairies ne peut êre réparé que par Les Propriétaires. € UoïQu'onN puifle facilement fuppléer au défaut de prairies, en faifant ufage des plantes de fain- foin , de luzerne, de treffle , &c. que l'Auteur de la Nature ne nous a données que dans cette vue , & pour rendre la terre également fer- tile par-tout, cependant on n’y penfe pas, & on n'y penfera même jamais, tant qu'il ne fera pas décidé à qui il appartient d’en faire l’établiflement. Comme toutes les terres font louées & affermées par les Proprié- taires aux gens de la Campagne; & comme , par le moyen des baux qui leur en font faits , toute notre Agri- culture fe trouve entre leurs mains, 382 MANUEL D'AGRICULTUrRE on n’héfite point de mettre fur leur compte ce défaut de prairies, & de les accufer d'être encore les Au- teurs du déläbrement qu'il occa- fionne. Voilà l’idée qu'on a contre eux ; on l’a depuis que les baux fubfiftent, & on l'aura toujours, tant que l’on ne fera point évidemment voir qu'elle eft mal & injuftement fon- dée ; on ne ceflera même de dire que , puifque toutes les terres & les corps de Ferme leur font abandon- nés pour en faire leur profit, c’eft à eux à mettre en œuvre tous les moyens qui peuvent contribuer à les augmenter; enfin on eft généraA lement dans la perfuafion que, quand un corps de Ferme eft loué, & quand le bail en eft pañé, il n’eft plus queftion de s'en occuper. I faut qu'on fafle bien peu de cas POUR LE PROPRIÉTAIRE. 383 de l'Agriculture , pour que, depuis que les baux fubfiftent, on n'ait pas encore fait attention quil doit en être de ces baux, comme de ceux qui font faits pour louer des maifons ou autres héritages. Quoique les avantages qui réful- tent des augmentations qu'on peut faire dans ceux-ci, foient bien moins confidérables que ceux qui peuvent provenir de celles qu’on aura faites dans un corps de Ferme ; quoique les dépenfes excédent de beaucoup celles qu'on peut y faire, & quoi- qu’on foit même obligé quelquefois de les répéter, cela n'empêche pas qu'on ait toujours été beaucoup plus attentif & beaucoup plus inftruit pour les baux des maifons. On ne manque pas d'y diftinguer ce qui eft à la charge du Locataire, d'avec ce qui eft à la charge du 384 MANUEL D'AGRICULTURE Propriétaire ; &, fans même que cela foit exprimé , on fçait que c’eft à ce- lui-ci de faire dans la maifon, qu'il donne à bail, les améliorations & augmentations néceflaires pour par- venir à la louer davantage , & mème pour l’entrenir dans fa location or- dinaire , & que c’eft à lui de la ré- parer quand elle en a befoin. On fçait qu'il doit avoir l’atten- tion de voir ou de s'informer fi fa maïfon eft fuffifamment garnie de meubles pour la füreté de fes loyers. On fçait encore que le Locataire feft tenu de fon côté que de la maintenir , l’entretenir & la ren- dre, à la fin de fon bail, comme il l’a reçue. Pourquoi ne pas reconnoitre & admettre la mème diftinétion dans les baux qui font faits pour louer les corps de Ferme, comme dans ceux qui POUR LE PROPRIÉTAIRE. 38$ qui font faits pour louer les mai- fons ? Pourquoi n'avoir pas les mêmes attentions pour fçavoir fi un corps de Ferme eft monté comme il doit être ,; non-feulement pour la fü- reté du prix du bail , mais pour l'exécution de ce qu'il convient de faire, à l'effet de le bien faire valoir à Tout cela eft cependant fi clair & fi évident, qu'il n’eft pas poffible de n’en pas convenir. Bien plus , comment les éta- bliffemens de prairies pourroient- ils être à la charge du Fermier? Puifque , s’il fe déterminoit à les faire , 1l n’en jouiroit pas, ou plu- tôt il ne pourroit commencer à en jouir que lorfqu'il fe verroit à la veille de voir expirer fon bail, s'il n'étoit que de fix à neufans, com- me on les a toujours faits jufqu'à Bb 336 MANUEL D'AGRICULTURE préfent ; & puifque , ne pouvant les faire qu'au fur & à mefure de l’aug- mentation des paiiles, cela demande plufieurs années, ainfi qu'on l’a fait voir ; d’ailleurs, feroit-ilafluré qu'on lui continueroit & qu'on lui renou- velleroit fon bail, quand fa prairie feroit faite? Quand même auellement on le lui prolongeroit juiqu'à vingt-fept ans, fuivant la nouvelle Déclaration du Roi, cela ne déchargeroit pas le Propriétaire de fes obligations; puif- que , fuppofant qu'il n’y feroit pas fait mention d'établiffemens de prai- ries, le Fermier ne feroit pas plus obligé d'en faire. Mais, dira-t-on, pour qu'un Pro- priétaire entreprenne ces fortes d'é- tablifiemens ; pour qu'ils foient bien faits, il faut qu'il prenne le parti de £ure valoir par lui-même fon corps POUR LE PROPRIÉTAIRE. 387 dé Ferme ; autrement , comment le pourroit-1l ? Quand une maifon eft louée, ce- lui qui en eft le Propriétaire, penfe- t-il qu'il ne peut la réparer, la réta- blir , y faire des améliorations & augmentations , qu'il ne la reprenne & qu'i ne l'occupe Ne peut-il pas les faire faire par un Entrepreneur ? &, quand un corps de Ferme eft loué, le Propriétaire ne peut-il pas en agir de même, en fe fervant de fon Fermier ? Toutes les réparations & amélio- rations qu'on peut faire dans les corps de Ferme ne pouvant done que regarder les Propriétaires, 1l eft évident que ce ne fera que par eux qu'on parviendra à bien rétablir l'A- griculture , foit en France, foit ail- leurs, & que leurconcours,avec leurs Fermiers, eft abfolument néceflaire, Bb ji 388 MANUEL D'AGRICULTURE Qui que ce foit, jufqu’à préfent, n'ayant parlé de ce concours , puis- qu'aucun Auteur qui ait traité de l'Agriculture , n’en a jamais fait la moindre mention , à l'exception de celui des Prairies artificielles, qui a commencé à en donner la pre- mière idée , iln’eft pas encore moins évident que ce concours ne foit une découverte de la plus grande im- portance pour le rétabliffement de l'Agriculture , & qu’elle ne mérite autant d'attention que celle qu’on vient de faire de la méthode qui ré- fulte de toutes les Pratiques locales. Au moyen de l'explication qu'on en donne pour retirer nos Labou- reurs de leurs routines, au moyen encore de obligation dans laquelle on fait voir que font tous les Pro- priétaires de remédier au défaut des prairies, rien ne fera fi aifé aétuel- POUR LE PROPRIÉTAIRE. 389 lement, que de retirer notre Agri- culture du pitoyable état dans le- quel elle ef. On peut bien dire que ces deux moyens font uniques pour y parve- nir; quil n'y en a pas d'autres quoi- qu'on ne les ait pas encore annon- cés ; & que, tant qu'on ne les em- ployera pas, notre Aoriculture re- ftera toujours comme elle ef. Ainfi, après avoir inftruit nos La- boureurs & Fermiers, 1l s’agit pré- fentement d'apprendre à tous lesPro- priétaires ce qu'ils doivent faire pour augmenter confidérablement le re- venu de leurs corps de Ferme, juf- qu’à le doubler & le tripler,en quel- que Pays & Canton qu'ils puiflent être fitués , fans fe donner la peine de les faire valoir par eux-mêmes, & en ne dépenfant prefque rien. Bb üj 390 MANUEL B'AGRICULTURE CHEL APS RENTE Comment les Propriétaires doivent s’y prendre pour faire faire des établif- femens de Prairies. @ N ne peut mieux faire que de propofer aux Propriétaires de corps de Ferme, de fe modéler fur ce que font les Propriétaires de Maifons. Quand il s’agit de faire à celles-ci des améliorations , des augmenta- tions & de grofles réparations, foit pour en entretenir la location , foit pour l’augmenter, le Propriétaire fait un marché avec un Entrepreneur. Dans ce marché , 1l eft ftipulé tout ce qu'il faut faire, fans pou- voir l'excéder ; on y convient du tems qu'on mettra à l'exécution , ainfi que des termes pour le paye ment de la fomme fur laquelle on eft POUR LE PROPRIÉTAIRE. 391 d'accord; &, pour la folidité de l’en- treprife , on convient des matériaux qui feront employés. Un Propriétaire, pour n'être pas la dupe de ces fortes de marchés , ne manque pas ordinairement de {e met- tre au fait fur bien des chofes qui y ont rapport, & de s'informer prin- cipalement du prix & de la qualité des différens matériaux qu'on doit employer. Sans être Archite@te , voilà en gé- néral , de la part d'un Propriétaire, les précautions qu’on eft en ufage de prendre, quand il eft queftion de réparer une maïfon qui eft déli- brée , & qui menace ruine , ou quand il eft queftion d'en maintenir les loyers. De même, pour faire dans un corps de Ferme des établiffémens de prairies qui doivent être regardées B b iv 392 MANUEL D’AGRICULTURE comme des améliorations & répara- tions qui intéreffent le fond des ter- res qui peuvent le compofer, le Pro- priétaire, fans être Agriculteur, en fe mettant feulement au fait de tont ce quipeut concerner l'exécution de ces fortes d’établiflemens, fe fer- vira de fon Fermier comme d’un En- trepreneur , en faifant avec jui un bail qui doit être regardé comme une autre forte de marché. Dans ce bail, aprèsles conditions ordinaires , 1l feroit fipulé, au fujet de l'établiflement de prairies : par exemple : Qu'il ne confiftera exaétement que dans un huitième des terres qui compofent le corps de Ferme dont 1l eft queftion; qu'il ne l'excé- dera pas, pour les raïfons qu'on en a données ci-deflus, & que cet établif- fement fera également fait fur les trois foles qui le partagent. POUR LE PROPRIÉTAIRE. 393 Qu'il ne fera exécuté, ainfi que l'augmentation des beftiaux , qu’au fur & à mefure que les pailles aug- menteront. Que, pour cet établiffement, on employera les plantes dont on fera convenu , & qui feront les plus pro- pres aux terreins du corps de Ferme. Sur ces Articles, ainfi qu’au fu- jet de la façon de renouveller & d'entretenir toujours l'établiflement de prairies, le Propriétaire , pour s’en bien inftruire , aura recours à ce quien a été dit ci-deflus dans le Cha- pitre des Engrais, Articles III & 1F. Il lira auffi la feconde Partie du Traité des Prairies artificielles , pour fe bien mettre au fait de la culture qu'il convient de faire donner à ces plantes. Il fera encore ftipulé dans ce bail que le terrein fur lequel fe fera 394 MANUEL D'AGRICULTURE l'établiflement de la prairie, fera foncé, autant qu’il fera poffble, pour le mieux faire réuflir, & pour le faire durer plus long-tems. Il faut fçavoir à ce fujet ( & il eft effentiel qu'un Propriétaire y fafle attention, & qu'il la fafle faire à fon Fermier, ) que les terres qu'on veut mettre en prairies artificielles, doi- vent être foncées bien autrement que celles où l’'ôn feme les bleds & les grains qui font employés dans l’A- griculture. Ces grains & ces bléds n'étant que des Plantes annuelles , c’eft-a-dire , qui ne durent qu'environ neuf à dix mois , & même que quatre à cinq ; leursracinesne pivottant tout au plus qu’à raifon de trois à quatre pouces, & s'étendant plutôt horizontalement le long de la fuperficie de la terre, ils exigent qu'environ quatre à cinq POUR LE PROPRIÉTAIRE. 395$ pouces de labour pour bien produire. Il n’en eft pas ainfi des plantes dont onfe fert pour faire des prairies, qu'on appelle Plantes vivaces, parce- qu'elles durent plufieurs années. Quand on les employe , il faut né- ceflairement foncer le rerrein au- tant qu'il peut le permettre, fans cependant le déterriorer ; ce qui ar- riveroit fi, en le labourant trop avant, c'eft-à-dire au-delà de fon premier lit qui compofe la fuperf- cie, & qui a plus ou moins d’'épaifleur , on ramenoit de fon fecond lit du tuf, qui eft ou crayon, cu gravier, ou fable , &c. ce à quoi il faut bien prendre garde ; & c’eft pour l'évi- ter que , dansle Chapitre des Labours, on a parlé des différens lits que la terre peut avoir, C'eft pourquoi, pour ces fortes de plantes, le Propriétaire aura l’at« 396 MANUEL D'AGRICULTURE tention de ftipuler expreflément dans fon bail, que le Fermier pren- dra par préférence les terres qui auront le plus de fond; quand mê- me elles feroient les meilleures de la Ferme, on s'en trouveroit bien dédommagé dans la fuite ; leurs racines étant fortes & profondes, elles ne peuvent profiter qu'autant qu'elles trouvent à pivotter, tandis que celles des bleds aiment plutôt a s'étendre horizontalement. Pour donc bien foncer un terrein qu'on veut mettre en prairies, Juf- qu'à même un pied de profondeur, fi cela fe peut, puifque cela vau- droit encore mieux , on exécutera les façons de Labours dont il faut fe fervir, quand on veut renouveller un terrein par le travail de la char- rue : elles font détaillées ci-defius dans le Manuel du Laboureur, Cha- POUR LE PROPRIÉTAIRE. 397 pitre des Labours, Art. III ; on choi- fira celle qu'on jugera la plus con- venable à fon terrein. C’eft ainfñ que le Propriétaire re- commandera à fon Fermier d’en agir à l'égard de la Luzerne & du Trefle, qui veulent des terreins qui ayent du fond , & qui foient encore de la meilleure qualité. Il n’en eft pas abfolument de mêé- me à l'égard du fain-foin ; il exige auffi à la vérité beaucoup de fond de terre ; mais la qualité lui importe f. peu quil réuffit fur tout terrein, foit qu'il foit graveleux , crayon- neux, foit quil foit fablonneux, en le fuppofant cependant un peu mêlangé de terre. Choififfant donc dans un corps de Ferme un terrein crayonneux qui s'y rencontrera, & dont la fu- perficie n’a prefque point de terre, 398 MANUEL D'AGRICULTURE voici comment il convient qu'un Fermier s’y prenne pour le labourer juiqu'à huit à neuf pouces de fond, fi cela fe peut , fans s’embarafler fi on ne raméne que du crayon & des pier- res de cette efpéce. Vers la Saint Martin , où tous les ouvrages de la Campagne font gé- néralement finis, tems ordinaiment pluvieux & parconféquent très-com- mode pour labourer ces fortes de mauvais terreins , qui ne travaillent jamais fi facilement que quand ils font bien imbibés , on commencera par donner un labour de trois à qua- tre pouces & même plus avant, fi cela fe peut, bien entendu qu’on dou- blera les forces du tirage ordinaire, &c qu’au lieu de deux à trois chevaux ou bœufs, on en employera jufqu'à fix ; on aura encore l'attention de fe munir d'une bonne & forte charrue, FOUR LE PROPRIÉTAIRE. 399 Quand le premier fillon fera fait on y rentrera en changeant l'oreille de la charrue de droit à gauche, & on enlevera encore tout ce qu'on pourra pour tacher de foncer da- vantage. On en agira de même à chaque filon, jufqu'à ce que la piéce de terre foit entierement finie, fans s'embarafler fi on ne raméne que des pierres de craye. On la laiffera ainfi pendant tout lhyver, pour que les pluyes , les brouillards , les neiges, les gelées, les dégels la pénétrent bien; il en réfultera qu'une bonne partie de ce qu'on aura retourné fondra & s’a- meublira, fi on a l'attention, à cha- que dégel qui arrivera , de herfer plufieurs fois cette piéce de terre. Il convient cependant d'obierver que, fi la première année qu'on fe- 400 MANUEL D'AGRICULTURE roit ce travail, on ne pouvoit pas foncer davantage , lorfqu'on ren- treroit dans le même fillon qu’on au- roit déja fait, on fe contenteroit du premier labour qu’on auroit donné , pour remettre le fecond à l’année fuivante ; parceque , pour lors, les pluyes ayant pu pénétrer davantage ce mauvais terrein , 1l feroit beau- coup plus fufceptible de recevoir ce fecond labour qui pourroit le fon- cer autant qu'on le defireroit. En ce cas, jufqu'à ce qu’on y fé- me du fain-foin , & en attendant l’année fuivante, on fe contenteroit d'y mettre un farrazin qui ne pour- roit manquer de réuflir , après l’a- voir bien labouré & retourné deux à trois fois au printeins avant que de l’'enfemencer. ù Suppofant donc que ce terrein crayonneux auroit pü être bien dif- pofé POUR LE PROPRIÉTAIRE. 401 poié en un hyver, & qu'il auroit encore été bien labouré deux à trois fois au printems fuivant , il feroit enfemencé en fain-foin vers la fin d'Avril. On peut compter qu'ayant ainfi reçu un bon labour de huit à neuf pouces, le fain-foin ne manqueroit pas d'y réuflir, & aufli-bien que dans les meilleures terres ; parceque fa racine, qui ne cherche qu’à pivoter le pouvant pour lors, y trouveroit toujours aflez d'humidité à mefure qu'elle perceroit & pénétreroit, ce qui lui fufhiroit pour exciter & en- tretenir fa végétation, fi peu de terre qu'elle rencontreroit au milieu des petites pierres de craye qui y fe- roient encore. . L'expérience en a été faite dans la Champagne avec les plus heu- reux fuccès par M. Petit, Officier du | Ce 492 MANUEL D'AGRICULTURE Roi , qui demeure à Bignicour , & qui y fait valoir par lui-même fon propre Domaine; elle l’a encore été également, par le fieur Guillaume , Laboureur-Fermier , demeurant à Pomacie; cesteux villages font fitués au mieu des plaines les plus féches & les plus ftériies de cette Province. L'exemple de ces deux hommes, quiontentreprisune chofe à laquelle perfonne n'avoit jamais penfé avant eux, & qui les rend par conféquent fi précieux à l'Etat, fufhroit pour rendre la Champagne également fertiie & peuplée par-tout , fi les éta- bliffemens de prairies, qu'on entre- prendroit d'y faire , étoient appuyés d'une Ordonnance du Roi, qui dé- fendt à tout Berger d'y laifler en- trer , en touttems, leur bétail blanc: on en a déja parlé ci-deflus dans la Secuon des Engrais , pour faire voir POUR LE PROPRIÉTAÏRE. 404 la néceffité indifpenfable de cette fage Ordonnance. On doit concevoir que ce doublé labour , dont on vient de parler pour les terreins crayonneux , fe fes toit avec bien plus de facilité dans ceux qu font graveleux , tufiers, ou fablonneux ; en fuppofant dans ceux-ci un peu de mêlange de terre pour la réufite du fain-foin , pui qu'autrement 1l feroit inutile de l'y tenter pour les rafons qu'on a déja données de leur ftérilité. Après que le fain-foin auroit réuffi & fait fon tems dans ces fortes de mau- vais terreins , qui font plus fouvent incultes qu'autrement , on les deffa- varderoit,pour commencer à y mettre un orge, OU une avoine , ou un farra- zin, enfuite on pourroit les mettre en froment , pourvû qu'on ne manquât pas de les amander convenablement. | Gci] 404 MANUEL D’AGRICULTURE Quand ce ne feroit qu'en fégle, on y gagneroit encore beaucoup. Qu'on réfléchie fur cette façon de tirer partie d'un terrein crayon- neux , & desautres fortes de mauvais terreins, on concevra qu'on peut par-tout, en fe fervant de la plante de fain-foin, faire des établiflemens de prairies , & qu'on peut, par-tout, au moyen de cette plante, parvenir à bonifier les plus mauvaifes terres. Ainfi, fi, dans la Ferme qu'il eft queftion de donner à bail pour y faire faire un établiffement de prai- ries,1ls'y trouve quelques-uns de ces mauvais terreins , 1l y feroit énoncé qu'ils feroient employés en fain-foins, en leur donnant la cul- ture qu’on vient de détailler. On ne fçauroit trop faire l'éloge de cette plante qui, quoiqu'elle ne four- nifle pas autant que la luzerne , lui POUR LE PROPRIÉTAIRE. 405 eft cependant préférable à tous égards , parcequ'elle peut réufür dans toutes fortes de terreins, & parceque , foit en foin, foit en verd, elle n'incommode point les beftiaux & les chevaux de travail. Mais il faut la femer très-drû , pour que fes tiges ne viennent point trop grofles n1 trop dures, & pour que fes feuilles foient plus fines & plus tendres ; autrement les beftiaux ne s'en foucieroient pas, lorfqu’elle feroit en foin : il faut en ufer de même, pour la même raïfon, à l’é- gard de toutes les autres plantes dont on fe fert pour faire des prairies. Qu'on faffe attention que ce qui rend le foin des prés naturels, pré- férable à toute autre forte de foin, c'eft que l'herbe des prés eft tou- jours extrêmement fine & tendre. Îl vaut donc mieux imiter la Na- Ecu 406 MANUEL D'AGRICULTURE ture que de fe rendre auüx infinua- tions de ces nouveaux Auteurs qui veulent qu'on féme le fain-foin par rangées & par efpaces; ce qui ne peut qu'en faire venir les tiges ex- trèmement grofles & dures. C'eft pourquoi, danse baïl dontil eft queftion , il y feroit expreflement marqué que dans ces mauvais terreins ii fera au moins employé pararpent juiqu'à dix-huit hoïfleaux de femen- ce de fain-foins , mefure de Paris, tandis que dans les terreins ordinai- res & même les meilleurs , il n'y feroit queftion que de feize, Il y feroit encore dit, qu’à l’égard de la luzerne & du treffle, qu'on ne hazarderoit point dans ces mauvais terreins , on en fémeroit par arpent vingt à vingt-cinq livres pefant dans les bons, & dans ce qui feroit jugé pouvoir leur être propre, POUR LE PROPRIÉTAIRE.407 Ilconvient beaucoup mieux afluré- ment que toutes ces graines ne foient point femées fuivant la Méthode de M. Thull, mais fuivant l’ufage ordi- naire de la Campagne, c’eft-a-dire, à la poignée , parceque certe Me- thode n'efl réellement bonne ( com- me l’a déja dit l’Auteur des Prairies artificielles | ) que pour contenter la curiofité de ceux qui veulent voir juf- qu'ou peut s'étendre € groffir une plan- ze , quand elle ef? efpacée. On fe récrie fi fortcontre les pailles qui proviennent des froments femés fuivant cette Méthode , parcequ'el- les font fi grofles & fi dures que les chevaux ne s’en foucient pas, qu'il eft étonnant qu'on s'entête encore de vouloir la foutenir. En continuant de donner des in- ftruétions aux Propriétaires fur tout Cciv 408 MANUEL D'AGRICULTURE ce qui peut les mettre en état de réuflir dans leurs établiflemens de prairies , il convient d'ajouter qu'il ne faut pas qu'ils s'imaginent que leurs Fermiers y contribueront en rien ; quand même ils y trouve- roient quelques profits , ils ne fe prêteront à les faire , & à les bien exécuter qu'autant que les Pro- priétaires feront toutes les avances néceflaires, & qu'ils les dédomma- geront des terres qui y feront em- ployées & fur tout ce qui pourroit leur porter préjudice d’ailleurs. Ainfi il fera encore énoncé dans ce bail, que le Propriétaire livrera a fon Fermier la quantité de femen- ces, dont il aura befoin, pour enfe- mencer la première portion qu'il s'agira de mettre en prairie, fauf à y inférer qu'elle lui fera rendue dans le courant dudit bail; parce- POUR LE PROPRIÉTAIRE. 409 que,comme cette prairie ne fe fera qu'en plufieurs années par égales portions , la première ayant donné aflez de femences pour femer la fe- conde , & celle-ci, pouvant en don- ner plus qu'il n’en faut avec la pré- cédente, pour continuer, ainfi des autres, on fe trouvera en état en trois ou quatre ans, de reprendre les premières femences que le Pro- priétaire aura livrées. Quant aux terres qu'il faudra em- ployer a l'établiffement des prairies, quine pourra excéder le huitiéme de ce quipeut encompofer la Ferme, le Propriétaire en tiendra compte à fon Fermier au fur & à mefure qu’on en prendra, à raïfon d’un feptier de fro- ment du poids de cent foixante li- vres par arpent , fi la Ferme ne pro- duit que du froment , & d’un feptier de fégle à la même mefure , auf par 410 MANUEL D'AGRICULTURE arpent, f. la Ferme ne produit que du fégle , n'étant ici queition que des terres fans prairies, qui, tous frais faits, & toutes charges & im-: pôts acquittés, ne peuvent rappor- ter , année commune, qu'un feptier par an, quoiqu’elles produifent tous les ans environ cinq pour un, con- formément à l’eftimation générale qui en a été faite ci-deflus dans les Articles préliminaires, qu'on ne peut contefter. I! eft vrai que cette dépenfe oc- cafionnera une déduétion affez con- fidérable fur le prix du bail ; mais, étant faite, 1l ne fera plus queftion d'y revenir, ayant l'attention d’en- tretenir toujours & de renouveller la prairie , quand il en fera befoin , a la différence des réparations de maifons qu'il faut fouvent répéter , & avec beaucoup plus de dépenfes POUR LE PROPRIÉTAIRE. 411 qu'il n’en eft queftion ici, avec cette grande différence encore, qu'on re- tirera bien au-delà de cent pour cent de la dépenfe qu’on aura faite pour un bon établifiement de prai- ries, comme on le verra ci-après. Le Propriétaire tiendra encore compte à fon Fermier des veaux & agneaux qu'il l'obligera de garder, pour l'augmentation des beftiaux, a raifon de la prairie , & à raïfon des pailles ; il lui en tiendra compte fi- vant l’eftimation dont il fera con- venu dans le bail ; bien entendu que , fi le Fermier quitte après l’ex- piration de fon bail, il ne pourra emmener les beftiaux que fon Pro- priétaire lui aura ainf payés , & qui hu appartiendront. Enfin , le Propriétaire tiendra compte à fon Fermier des labours extraordinaires qu'il faudra donner 412 MANUEL D'AGRICULTURE aux terres qu'on mettra en prairies, puifqu'il eft indifpenfable de les foncer autrement que celles qu'on met en bleds, & 1l lui en tiendra compte à raïon du prix du lieu par arpent ; bien entendu encore que, dans l’eftimation dont on convien- droit , le Fermier déduira les labours qu'il auroit été obligé de donner, s'il avoit été queftion de les mettre en bleds. Ainfi, pour réfumer en peu de mots les claufes & conditions qu'on inferera dans un bail de neuf ans, qu'il eft plus à propos de préférer à un bail de fix ans quand il s’agit de faire faire un établiflement de prai- ries, 1l y fera ftipulé : 1°. Qu'il ne s'agira que de pren- dre un huitiéme des terres qui com- pofent la Ferme , & que ce huitié- me fera également pris fur les trois foles qui la divifent ; POUR LE PROPRIÉTAIRE. 413 2°. Qu'il ne fera exécuté qu’en fix ou fept années, par égale por- tion , parcequ'il faut attendre les pailles par rapport aux beftiaux ; 3°. Qu'on n’y employera que les plantes qui feront les plus conve- nables aux terreins qu'on prendra ; 4°. Que les terreins feront foncés autant qu'il fera pofhble de le faire ; 5°. Que toutes ces plantes feront femées plutôt drû qu'autrement , & qu'on employera par arpent les quantités de femences qu'on vient de déterminer pour chaque efpéce ; 6°. Que le Fermier fera dédom- magé dans tout le courant de fon bail des rerres qu'on employera à l'établiffement de prairies, à raifon d'un feptier par arpent, chaque an- née ; 7°. Qu'on lui payera les veaux & agneaux que le bétail qu'il aura em- 414 MANUEL D'AGRICULTURE mené dans la Ferme produira, à rai- fon de ce qu'ils vaudront dans le lieu & dans le Canton; 8°. Qu'on lui tiendra compte des labours extraordinaires qu'il don- nera pour la réuflite de la prairie ; 9°. Que, faute de l'exécution de toutes les conventions qui concer- nent le Fermier , le Propriétaire de fon côté ayant tenu exa@tement les fiennes , 1 feroit tenu à la fin du bail envers fon Propriétaire de cer- tains dommages & intérêts dont on feroit convenu dans le bail. Voilà donc ce qui peut concerner le premier bai où il feroit que- ftion de l’établiflement d’une prairie. 2 Ce) POUR LE PROPRIÉTAIRE. 415$ CG H:A:PUE TE RE: LIE Ce que le Propriétaire doit encore faire après l'établiffement de la Prairie. A KZ UAND le premier bail de neuf ans fera expiré, pour lors la prairie fe trouvera établie ; les amande- mens auront été beaucoup plus forts que dans tous les baux précédens; les terres auront rendu beaucoup plus de païlles, ainfi que beaucoup plus de grains, & les beftiaux sÿ trouveront en plus grande quantité. Cependant ni les beftiaux ni les pail- les ne feront pas encore au point d'augmentation qu'il leur faut pour fe trouver en état de pouvoir aman- der tous les ans la fixiéme ou da neuviéme partie des terres qui com- pofent le corps de Ferme, n'y ayant 416 MANUEL D'AGRICULTURE que cela , comme on la fi bien éta- bli ci-deflus, qui puifle réellement effeduer le renouvellement de l’en- grais fur fa totalité, & par confé- quent le doublement & le triple- ment de fon revenu & de fa loca- tion , qui font tout l’objet de l’éta- bliflement de la prairie. C’eft pourquoi , dans le bail fui- vant, qui fera encore de neuf ans, en laiflant au Fermier les trois ou quatre premières années pour ache- ver l'augmentation néceflaire des beftiaux & des pailles, ilne feroit queftion après que du doublement de la location de la Ferme pour le continuer jufqu'à ce que ce fecond bail foit expiré, en ajoutant à ce doublement de location , le loyer de tout ce qui fe trouveroit en prai- rie , à raifon d’un feptier de froment par arpent , fi la Ferme produit du froment FOUR LE PROPRIÉTAIRE. 41% froment , & d'un feptier de fégle, fi elle ne produit que du fégle ; par. cequil convient qu'un Propriétaire tire parti de tout ce qui compofe fa Ferme ; & même dans les trois pre- mières années de ce bail, il y feroit déja queftion du loyer de la prairie à raion de cette eftimation. Il eft bien certain que, auand on eft parvenu à pouvoir amender , tous les ans fans difcontinuation , la fixié- me ou la neuviéme partie des ter- res qui compofent un corps de Fer- me , elles ne peuvent que doubler & tripler tous les ans en revenu: on l'a fi bien fait comprendre dans les Articles Préliminaires, qu'il n'y « point de Fermier qui Ôsàt en dif- convenir. Dans ce fecond bail , il y fera ex- prefiément énoncé que le Fermier entretiendra la prairie , ce qu'il exé- | Dd 418 MANUEL D'AGRICULTURE cuteroit en retournant une por= tion qui commenceroit à finir , pour en établir ailleursune pareille , dans Ja même efpéce de plante qu'il au- roit détruite : ce qu'ilne manque- roit pas de faire, tous es ans , c’eft- a-dire quand il en feroit néceflaire pour entretenir toujours la même quantité de prairies. Si, pour ce fecond bail, il s’agit d'un nouveau Fermier , le Proprié- taire lui remettra les beftiaux qu'il aura achetés à fon Prédécefleur, au moyen du payement qu'il lui a fait des veaux & agneaux que pro- duifoit le bétail à lui appartenant, & il aura foin que , fon nouveau Fer- mier ait aflez de beftiaux pour com- pletter, avec ce qu'il y trouvera à lui appartenant, le même nombre qui fe trouvoit ci-devant. Les beftiaux, qui fe trouveroient POUR LE PROPRIÉTAIRE. 419 ainfi appartenir au Propriétaire, {e- roient à celui-ci d'une grande utilité nonfeulément pour trouver des Fer: miers {uffamment montés , mais pour aider à compietter le nombré de beftiaux néceffaire ; il n'en exi: geroit même ; pour toute obligation de la part du Fermier , que de retrou- ver famême quantité à la fin du bail, Le fecond bail expiré , il n’y aura point à héfiter de tripler la location du baïl fuivant, parceque les reñou: vellemens d'engrais commençant à s'exécuter fur la totalité de la Fer me ; les terres qui ne rapportoierit que cinq pour un, avant l’établiffez ment dé la prairie , rapporterornit pour lors, au moins fept pour ur; ce qui fuñit pour être en état de de< mander trois cinquiémes en fus du produit total de la Ferme, Dds 4:0 MANUEL D'AGRICULTURE En fe rappellant ce qui a été fi bien détaillé à ce fujet dans les #r- ticles Préliminaires |, on comprendra parfaitement , que deux cinquiémes en fus au pardeflus de tous les frais, impôts, &c. font un doublement de revenu , & que trois cinquiémes en fus font un triplement. C’eft tout ce qu'on peut exiger d'un bon arpent deterre , que de rap- porter, année commune, environfept pour un (le feptiêr à raïfon du poids de cent foixante livres ) & fur-tout de tout un corps de Ferme , quine peut que comprendre bien des iné- galités dans les qualités de terrein qu'il peut avoir. Ainfi, dans tous les baux fuivans, il ne feroit plus que- {tion d'aucune augmentation, quoi- que cela paroïfle beaucoup plus avantageux au Fermier qu’au Pro- priétaire. POUR LE PROPRIÉTAIRE. 421 La bonne façon de louer, c'eft de donner à gagner à un Fermier, pour en être bien payé. Dans ces trois baux de neuf ans chacun , un Propriétaire auroit la fatisfation de voir par lui-même les effets furprenans , qui réfulteroient de fon établiffement de prairies; puifqu’au fecond bail fa Ferme com- menceroit à rapporter une fois plus, & que dès le commencement du bail fuivant , le revenu en feroit triplé. Mais comme tout cela exige quel- ques détails & quelques attentions qui pourroient n'être pas du goût de bien des Propriétaires, ils pour- ront , s'ils veulent, ou plutôt sis le peuvent, profiter de la Déclara- tion du Roi, qui autorife de prolon- ger les baux de corps de Ferme juf- Dd 1} 422 MANUEL D'AGRICULTURE qu'à vingt-fept ans, à condition d’a- méliorations, &c, En ce cas, en donnant fa Fer« me à un prix raifonnable , il ne s’a- gira , les douze premières années de ce bail, que de charger le Fermier de l'établiflement de la prairie , de l'augmentation des beftiaux, & de mettre le tout en état de parve- nir à en amender tous les ans la fixié- me ou la neuvième partie, fans qu'il oit queflion d'aucune augmentation pendant tout ce tems, & 1l ne s’agi- voit d'en doubler & tripler la loca- tion que conformément aux tems qu'on a obfervés dans les baux de neuf ans, Cela feroit plus commode pour un Propriétaire , de donner ainfi à long bail fa Ferme : mais s'il ne trouvoit pas de Fermier, ou plutôt POUR LE PROPRIÉTAIRE. 423: s'il n'en trouvoit que de très-difi- cultueux , 1l n'héfiteroit pas de s'en tenir à ne faire que des baux de neuf ans pour faire faire par lui-même fon établiflement de prairie qui lui coûteroit fi peu. D d iv 424 MANUEL D'AGRICULTURE CH AP DE RE ASIN. Ce qu'un Proprietaire doit [çavoir pour donner une jufle eflimation a la location de fa Ferme. e, Uoreu’ox puifle ainf doubler & tripler la location d'un corps de Ferme , qui aura été rétabli & remis en bonne valeur , cela doit néceflai- rement fuppofer qu'auparavant il étoit loué raifonnablement , puif- qu'autrement , on tomberoit dans un prix qui excéderoit toujours ce- lui de la Ferme; c’eft ce qu'il faut éviter, pour trouver facilement de bons Fermiers. Il faut donc qu'un Propriétaire fe mette au fait de la jufte évaluation qu'il convient de donner à fon corps de Ferme , en quelque fituation qu'il prufle être ; UR LE PROPRIÉTAIRE. 425$ c’eft-à-dire, foit qu'il fe trouve en bonne valeur , foit qu'il n'y foit point , pour pouvoir en tirer une location qu’on foit en état de lui payer. On peut dire qu'aujourd'hui les Propriétaires louent leurs Fermes fans en connoitre la valeur, & fans fçavoir quels en font les frais, les charges & les impôts, avant de pou- voir en tirer un produit net; tout ce qui les guide, font d’anciens baux qui ne fervent au contraire qu'à les tromper, puifque les impôts & char- ges d'Etat , dont font a@uellement chargés leurs corps de Ferme, font bien différens de ce qu'ils étoient anciennement. Quand on diroit qu'ils font doublés, triplés, & même plus, on ne diroit rien de trop. | Faute d'y faire attention , on veut louer le même prix ; on veut même 4:26 MANUEL D'AGRICULTURE augmenter, & cependant on trouve des Fermiers, parcequ'ils n’y font pas aufü plus d'attention , ne cher- chant, en louant ou en relouant, qu'à vivre , à occuper une fa- mille & a s'occuper eux-mêmes , fans s’'embarrafler de ce qu'il en ar- rivera. | C’eft ce qui occafionne la grande mifère du Royaume , dont on fe plaint préfentement avec raïfon, les Fermiers, ne pouvant que s’ac- quitter des impôts dont leurs Fer- mes font chargées , ne payent point leurs Propriétaires ; & ceux-ci n'é- tant point payés, ou ne l'étant que très-mal, font fort embarraflés de leur côté d’acquitter les impôts dont ils font chargés. Il eft bien certain que c’eft la mê- me terre qui doit payer les impôts . du Fermier comme ceux du Pro- prictaire. POUR LE PROPRIÉTAIRE. 427 C’eft pourquoi , avant de fçavoir ce qu'il peut refter au Fermier, il faut néceffairement commencer par prélever non-feulement les frais de geftion , mais encore les impôts dont il eft chargé, comme Taille, Capitation, frais de Milice, en n'ou- bliant pas d'y comprendre ceux de Corvées. On a démontré dans l’Arsicle TITI des Préliminaires de ce Manuel, par un détail qu'on ne peut contefter , que fur toutes les terres du Royau- me, qui font cultivées & qu'on fait valoir , foit qu’elles foient bonnes, foit qu'elles foient médiocres, il faut néceflairement y prélever quatre feptiers de bieds par arpent, pour acquitter tous les frais & impôts dont les Fermiers font chargés, avant qu'il foit queftion de penfer à payer le Propriétaire. 418 MANUEL D'AGRICULTURE On a établi dans ce même A#rri- cle, que généralement toures les ter- res du Royaume , qui font fans praï ries , ne rapportent tout au plus que cinq pour un. Il n’eft pas moins vrai que la plus forte évaluation qu’on puiffe don- ner aux meilleures terres du Royau- me , qui font en fi petite quantité en comparaïon des autres, c’eft de rap- porter, (tous les frais & impôts ci- deflus acquittés) trois feptiers par arpent , c'et-à-dire de produire à raïfon de fept pour un. On fçait bien qu'un bon arpent de terre peut rapporter plus de fept pour un; il peut même aller jufqu'à dix ; mais ce ne fera pas tous les ans, parceque , quoique les années fe fuivent , elles ne fe reflemblent pas toujours ; d'ailleurs dans un corps de Ferine qui en contient une POUR LE PROPRIÉTAIRE. 429 certaine quantité, il ne faut pas croire qu'ils rapportent tous égaie- ment : ainfi, en mettant les meilleu- res terres les unes dans les autres, année commune, à raifon de fept pour un par arpent , c’eft la plus jufte valeur qu’on puifle leur don- ner à toutes en général. Un fait qui eft encore très-vrai, & qu'on ne peut aufhi contefter, c’eft qu'il y a bien des terres dans le Royaume, indépendamment de cel- les qui ne rapportent que cinq pour un, qui , quoique cultivées & affer- mées , ne rapportent rien aujour- d’hui ; c’eft-à-dire qu’elles ne rappor- tent tout au plus que trois à qua- tre pour un, à caufe des fufdits frais, impôts & corvées; aufli font-elles prefque abandonnées; cependantles Propriétaires ne font pas moins te- nus d'en acquitter les vingtiémes & 430 MANUEL D'AGRICULTURE autres charges , comme entretien, réparations , &cs Les Propriétaires ne pouvant donc tabler que fur ces différentes efti- mations, & que fe régler en confé- quence, pour bien déterminer la jufte valeur qu'ils doivent donner aux locations de leur corps de Fer- me , après s'être bien informés de la qualité des terres qui peuvent les compofer, fi elles ne rapportent qu’à raifon de cinq pour un , parcequ’el- les font fans prairies , 1ls n'héfiteront pas de ne les louer qu’à ratfon d'un feptier l’arpent, attendu qu'il en faut néceffairement prélever quatre pour acquitter tous les frais & im- pôts dont elles font chargées. Ce fera pour eux la meilleure façon d'en agir avec leurs Fermiers, puifqu'au lieu de n’en avoir rien, ils tireront du moins quelque chofe. POUR LE PROPRIÉTAIRE. 431 Si au contraire leurs corps de Fer- me font fitués dans les meilleurs Cantons, foit parceque la Nature y a établi des prairies & des beftiaux en fuffifante quantité, foit par rap- port à leur heureufe poftion, ils pourront les louer à raifon de trois feptiers l’arpent, parcequ’elles rap- porteront fept pour un ; &, dans le cas que , fuivant l’eftimation qu’ils en feroient faire , & dont ils feroient aflurés , elles ne rapportaffent que fix pour un, ils ne loueroient qu'à raifon de deux feptiers l’arpent. Mais fi leurs terres fe trouvoient dans ces malheureux Pays & Can- tons qui font fans prairies & qui ne rapportent qu'a peine de quoi payer & acquitter les frais, charges &c impôts auxquels ils font afflujet- tis, fans pouvoir en rien tirer pour eux, & fans être payés des loca- 432 MANUEL D'AGRICULTURE tions qu'ils en ont faites , ils cefle- ront d'en rien exiger, & ils lesregar- deront comme des maïfons détrui- tes & fondues , dont on ne peut tirer aucuns loyers, à moins qu'elles ne foient reconftruites. Ainfi ils n'héfiteroient pas d'y faire établir des prairies & des be- ftiaux , dans l’exaéte proportion qu'on a donnée ci-deflus, en fe fer- vant de leur Fermier ; ils atten- droient , pour commencer à les louer qu’ellesrapportaflent cinq pour un ; ce ne feroit donc qu'un feptier par arpent qu'ils en exigeroient d’abord ; enfuite quand les engrais deviendroient afiez forts pour pou- voir en amender tous les ans la fixié- me ou la neuvième partie , pour lors ils pourroient en doubler la lo- cation à raïfon de fix pour un, & à la fin ils parviendroient, comme on l'a POUR LE PROPRIÉTAIRE. 43 3 Va fait voir ci-deflus, à pouvoir là tripler , en mettant l’arpent à fept pour un ; ils pourroient compter qu'ils feroient dédommagés au cen- tuple, & bien au-delà de la dépenfè qu'ils auroient pu faire: Tous les Propriétaires prenant ainfi lé parti de louer auf raifonna- blemént à caule de tous les impôts, chargès & corvées dont on vient de parler , tout fe rétabliroit dans le Royaume ; les Fermiers fe voyant en état de payer toutes leurs redevan- ces & toutes leurs charges, s'acquit- teroient d'autant plus volontiers des établiffemens de prairies qu'on leur feroit faire , qu'ils verroient leurs profits augmeriter de jour en jour par les augmentations d'engrais dont ils profiteroient ; & les Propriétaires fe verroient bien plus en état d’ac- quitter les impôts & charges aux- Ee 434 MANUEL D'AGRICULTURE quels ils font eux-mêmes aflujettis , puifqu'ils feroient plus exaétement payés de leurs Fermiers. Il réfulteroit même de cette juite évaluation de toutes les terres que les Fermiers n'héfiteroient pas de doubler & de tripler leur location , lorfqu'ils verroient que les renou- vellemens d'engrais pourroient exa- étement fe faire fur toute la conte- nance de leur corps de Ferme, & ils n'héfiteroient plus, foit qu'il fût queftion de baux de neuf ans, foit qu'il fût queftion de les prolonger jufqu’à vingt-fept ans. Cependant on ne prétend pas dé- ranger tant les baux qui fubfiftent , que les faufles eftimations qui ont pu ètre faites. En laïffant le tout fur le même pied , & attendant qu’on ait à renou- eller le bail, on ne reloueroit pour POUR LE PROPRIÉTAIRE. 43 $ lors qu'à raifon de cinq pour un, Enfuite , quand on verroit que les terres commenceroient à rapporter le double, c’eft-a-dire , qu'au lieu de cinq pour un, elles commence- roient à rapporter fix pour un, & quand on vérroit qu'elles rapporte roient fept pour un, c'eft-a-dire le triple, on ne doubleroit & ne tri- pleroit les nouveaux baux que l'on feroit qu'à raifon de la jufte éva- luation qu'on leur auroit donnéé d’abord ; enforte que tout revien- droit à fa juite vaieur, & qu'il ne feroit plus queftion de misère dans les Campagnes. On ne manquera pas d’objeéter que dans cette eftimation , qu'on fait des terres, toute juite & toute équi- table qu’elle paroifle, on n'y déter- mine rien pour le profit du Fermier qui doit être payé de fes peines. ; Ecij 436 MANUEL D'AGRICULTURE Onrépond que quand une efti- mation eft auf jufte & auffi raifon- nable , on met un Fermier bien à fon aife , & que, pour peu qu'il foit entendu , il trouvera toujours à fe tirer d'affaire : d’ailleurs ne lui refte- t-il pas fa bafle-cour, fur laquelle on ne prend rien, & qui peut lui valoir beaucoup? En un mot l’efti- mation qu’on vient de donner ef fi raïlonnable qu'on peut être afluré qu'aucun Fermier ne s'en plaindras Az. N° PURE POUR LE PROPRIÉTAIRE. 437 CPE AP PT RE: V. Ce qu’il en coûteroit au Propriétaire pour faire faire une prairie dans le courant d'un bail de neuf ans. t> N a beau vanter à un Proprié- taire tous les avantages qu'il retire- roit d'un établiflement de prairies, qu'il feroit faire par fon Fermier, & on a beau lui dire qu'il ne lui en coûteroit prefque rien, qu'il n’au- roit mème aucune avance à faire, puifque toute la dépenfe, qu'il y mettroit, ne confifteroit que dans des déduétions & diminutions qu'il feroit à fon Fermier fur la location de fon bail, tout cela ne feroit pas capable de le déterminer fi on ne lui faifoit voir bien clairement & bien nettement article par article, Ee u] 438 MANUEL D'AGRICULTURE en quoi pourroit confifter cette dé- penfe, & à quoi elle pourroit mon- ter. On eft encore aujourd'huu fi peu au fait de ce qui concerne l’Agri- culture, fur-tout depuis qu’on eft inondé de quantité de Méthodes, qui ne fervent au contraire qu’à l’em- brouiller , qu'il n'eft pas étonnant qu'on ne {çache quel parti prendre, & qu’on ne foit pas plus inftruit. Il faut efpérer que ce Manuel ou- vrira enfin les yeux, puifqu'il n'y a point d’autre chemin à fuivre que celui qu'il indique, S'agiffant donc abfolument de faire voir , & même de démontrer le peu qu'il en coûteroit pour cette dépenfe qi eft fi néceflaire , on s'y prendra’ de façon qu'on n'aura rien à répliquer , quoiqu'on en ait déja parlé à la fin du Chapire IT de çe POUR LE PROPRIÉTAIRE. 439 Manuel | & qu’on n'ait pas manqué d'y bien faire fentir fa modicité ; cependant on n'héfite pas de la re- tracgr ici, pour la mettre dans une plus grande évidence. On à établi que, pour faire faire une prairie par un Fermier, il fal- loit: 1°. Une certaine quantité de femence que le Propriétaire devoit avancer & payer. 2°. Qu'il falloit une augmentation de beftiaux , que le Propriétaire devoit faire à fes dépens. 3°. Qu'il falloit retirer (4) (a) Quand on dit qu'il faut retirer un hui- tiéme des terres qu’en fair valoir, pour le met- tre en prairies, on parle généralement, pou- vant artiver que celles qui compofent la con- tenance d’un corps de Ferme foient prefque toutes de bonne nature & de bonne qualité, & qu'il s'y trouve un bon fond qu'on pourroit renouveller par le travail de la charrue ; en ce cas , quoique la Nature n'y ait pas établi de prairies, il ne s’agit pas d'y prendre un huitié- me pour le mettre en prairies, puifauc les re- Eeiv 440 MANUEL L'AGRICULTURE de la Ferme qui eft louée un hui- tiéme des terres qui forment {a cons tenance , dont le Propriétaire ne pouvpit fe difpenfer de tenir compte à fon Fermier dans tout le cou- rant du bail. 4°. Qu'il devoit encore tenir compte à fon Fermier des la- bours extraordinaires, qu'il donne: roit pour mieux faire réuñlir la praï: rie, | | nouvellemens de terreins qu'on y feroit pour- roient fuppléer aux renouveilemens d'engrais; ainfi il ne feroic queftion que d'y faire une prairie à proportion des amandemens qu'on y jugeroic néceflaires & indifpenfables , qu'on ne manqueroit pas de renouvelier toujours & d'en- tretenir. On s'elt déja expliqué ainfi(dans le Chapitre des Engrais, Article LIT. En un mot, quand on dir qu'il faut prendre un huitiéme pour un établiffement de prairie, c'eft qu'il y a plus d_ terres qui font dans ce cas qu'au- tement; ce qui n'empêche pas qu'on ne puifle en prendre moins , fuivanr les qualités que peut avoir le terre qu'on fait valoir. POUR LE PROPRIÉTAIRE. 44F Voilà donc en quoi peuvent con- fifter tous les articles de dépenfe. Le premier ne coûtera rien au Propriétaire ; parce que , comme on l'a déja dit, il pourra fe faire rendre, dans le courant du bal, toutes les femences qu'il auroit avancées ; il n'y a point de conteitation à faire fur cet article , & on ne peut en douter. La dépenfe du fecond eft bien peu de chofe, on ne fçait même à quoi l'apprétier , puifqu'il ne s’agit que d'acheter les veaux & agneaux qui proviendroient des beftiaux que le Fermier auroit mis dans la Ferme en y entrant, & puifqu'ils appar, tiendroient aux Propriétaires pour y refter & pour aider par la fuite à -monter fes Fermiers , quand il en changeroit , 1l n’auroit aucune avan- çe à faire , le montant de ces veaux 442 MANUEL D'AGRICULTURE & agneaux pouvant fe déduire fur la redevance du Fermier. D'ailleurs les veaux & agneaux, que les Propriétaires retiendroient , fe multiplieroient par la fuite , de fa- çon qu'ils fe trouveroient bien dé- dommagés de l'achat qu'ils en au- roient fait , par la vente qu’ils pour: roient faire du furplus qui en pro- viendroit, quand ce ne feroit que pour retirer l'argent qu'ils y auroient mis. Le troifiéme article eft plus fé- tieux , puifqu'il s’agit de tenir compte au Fermier des terres qu'on em- ployeroit à la prairie , au fur & à mefure qu'on en prendroit. Quoiqu'on ne pourroit pasexcéder le huitiéme de la contenance d’un corps de Ferme , comme on ne peut: moins faire , que de prifer l’arpent à rafon d'un feptier par an en fro- POUR LE PROPRIÉTAIRE. 443 ment, fi la Ferme rapporte du fro- ment , & en fégle fi elle ne ,rap- porte que du fégle; il y auroit au- tant de feptiers à déduire tous les ans fur la redevance du Fermer, qu'il y auroit d’arpens en prairies. Dans une Ferme , par exemple, qui feroit de trois cents arpens, le huitiéme en faifant environ trente- fix à quarante, ce feroit autant de {eptiers dont il faudroit tenir compte à un Fermier dans le courant de fon bail. .. Mais cela ne monteroit à cette quantité , que quand la prairie {e- roit faite; puifque ne pouvant l'être qu'en fix ou fept années, comme on l'a déja dit, on ne compteroit les feptiers qui viendroient en dédu- tion du bail, qu’au fur & à mefure qu'on formeroit la prairie, & qu'on prendroit d’arpens de terre pour l’é- teblir, 444 MANUEL D’AGRICULTURE Sur un corps de Ferme qui ne feroit que de cent cinquante arpens, il ne s’agiroit que de moitie de dé- duétion , ainfi des autres, à raifon de leur contenance. Cela ne laifferoit pas que de diminuer la redevance de ce pre- mier bail de neuf ans, qu'on de- ftineroit à l’établiffement de la prai- rie ; mais il en feroit de cette di- minution comme de celle qu'on eft obligé de faire à un Locataire de maïifon , quand il furvient quel- ques grofles réparations qui l'obli- gent de fe retirer à l'écart, & de n'en occuper qu'une partie, pour laifler aux Ouvriers la liberté de travailler ; avec cependant cette dif- férence que, quand la Ferme feroit réparée par un bon établiflement de prairie, on en tireroit le doubie & le triple de ce qu'elle étoit louée ; POUR LE PROPRIÉTAIRE. 44 au lieu qu'ilne feroit queftion, pour la maïfon , que d'en continuer le loyer au même prix , quoiqu'il y ait été fait beaucoup plus de dé- penfe qu’à la prairie. Avec encore cette différence que, quand la prairie eft faite, il n'eft plus queftion d'y revenir, puifqu'il ne s’agit que de l'entretenir, com- me on l’a déja dit, fans qu'il en coûte rien de plus; on n’en peut pas dire autant d’une réparation qu'on a faite à une maifon. On ne peut doncdifconvenir que, quoique la dépenfe , dont on tien- droit compte à un Fermier dans le courant de fon bail des terres qu’on prendroit pour l’établiffement d'une prairie , paroïfle plus férienfe que les autres dont ileft queftion, elle ne foit très modique par elle-mê- me , en comparaïfon des grands 446 MANCEL D'AGRICULTURE avantages qui en réfulteroient, & qui ont été fi bien démontrés, Il ne feroit queftion de cette dé- penfe, que dans le premier bail; puifque dans tous les autres qui fui- vroient , ne s'agiflant que d’entre- tenir la prairie, on ne feroit plus obligé à aucune déduétion envers le Fermier, On laiïfle à tous les Propriétaires qui fe dérermineront à faire faire des prairies, à en calculer la dépenfe à raifon d’un feptier l’arpent, puif- que le plus ou le moins dépend de la contenance , que les corps de Fer- me peuvent avoir. À l'égard du quatriéme & dernier Article , qui confifte à tenir compte encore au Fermier des labours ex- traordinaires , qu'il feroit tenu de donner aux terres qu'on mettroit en prairies, par les raïfons qu'on a POUR LE PROPRIÉTAIRE. 447 données ci-deflus ; cette dépenfe , qui feroit encore bien peu de chofe, n'auroit lieu que dans le courant du premier bail; puifque dans les fui- vants , on pourroit la mettre fur le compte du Fermier, attendu qu'il feroit tenu d’entrenir toujours la prairie. Si un Propriétaire prenoit Le parti de faire valoir par lui-même, enne faifant fa prairie, & l’augmentation des beftiaux qu’au fur & à mefure de l'augmentation des pailles, & en ne s'écartant point de cette régle ,ilne dépenferoit pas plus à bien monter fa Ferme , qu'un Fermier qui y en- treroit ; c'eft un fait qu'on ne peut encore contefter. Tout ce dérail n'eft donné que dans le cas qu'un Propriétaire ne fe foucieroit pas de profiter de la Déclaration du Roi, qui autorife 448 MANUEL D'AGRICULTURE de prolonger les baux des terres la: bourables jufqu'a vingt-fept ans; & même dans le cas où 1l ne trouve- _roit pas de Fermiers qui vouluffent s'engager pour un auffhi long-tems ; car, quoique cette Déclaration foit fi avantageufe , tant pour les Pro- priétaires que pour les Fermiets , en- core peut-il s’en trouver de part ou d'autre , qui aimeront autant, &e peut-être mieux s’en tenir aux baux de neuf ans. L'Auteur des Prairies artificielles l'a expérimenté, puifqu'ayant pro- pofé un bail de vingt-fept ans à un Fermier à raifon d'un établiffement de prairie avec tous les avantages qu'il pouvoit fouhaiter ; celui-ci a répondu qu'il ne vouloit point en- gager ni fa femme ni fes enfaris dans le cas où il ne furvivroit pas à ce long ball, Tout POUR LE PROPRIÉTAIRE. 449 . Tout ce détail n’eft encore donné que pour infiruire les Propriétaires, puifqu'ils feront beaucoup plus en état de voir lequel des deux partis leur conviendra le mieux, ou de ne louer que par des baux de neuf ans , ou de louer pour plus longues années: y a même apparence que les baux de neuf ans feront plutôt du. goût d'un Fermier que les baux de vingt-fept ; puifque , comme ül y feroit queftion dune augmentation aufli confidérable que celle qui eft ici propolée , quand même dans ce bail de vingt-fept années, on lui ac- corderoit les douze premières à rai- fon de l’eftimation la plus raifonna- ble, & quand elle feroit telle qu'on l'a fixée ci-deflus, encore pourra-til penfer que, s'il s’y déterminoit , il auroit fujet de s'inquiéter. | F£ 450 MANUEL D'AGRICULTURE Ainfi, fiun Propriétaire veut pren- dre férieufement le parti de réparer fa Ferme par un bon établiflement de prairies , il ne doit point héfiter de: commencer par s'en charger : après quoi , quand le Fermier ver- roit par lur même tout ce qu'ilen- réfulteroit , il ne balanceroïit plus d'acquiefcer au doublement &'mê- me au triplement de fa location. POUR LE PROPRIÉTAIRE. 451 CHA TRE SVI De certaines attentions que le Proprié= zaire doit avoir fur fon Corps de Ferme. ÂL ne fuffit pas de faire faire, par fon Fermier, un établiflement de prairies , qui puifle nourrir afiez de beftiaux pour pouvoir, tous les ans, amender fans difcontinuation la fixié- ne ou la neuviéme partie de fon Corps de Ferme , à l'effet d'y entretenir toujours le renouvellement de l’en- grais , 1l faut encore que le Proprié- taire ait l'attention que fon Fermier foit bien monté , c’eft-à-dire qu'il ait aflez de chevaux ou de bœufs pour pouvoir bien labourer & cul- tiver fa Ferme. On a établi dans le Manuel pour le Ffi 452 MANUEL D'AGRICULTURE Laboureur , que la perfettion du La- bour confiftoit à renouveller un terrein par le travail de la charrue , quand il s'y trouvoit aflez de fond pour pouvoir l'exécuter ; & on a établi , pour cette raïfon , qu'une charrue ne devoit comprendre , tout au plus,que vingt à vingt-cinq ar- pens de terre par fole , d'autant plus encore qu'il ne falloit faire les la- bours qu'à propos & en des tems convenables. Ainfi , fi un corps de Ferme eft compofé de trois cents arpens de terre , il faut qu'il foit monté com- me ayant quatre ou cinq charrues fuivant que les terres {ont plus ou moins fortes, ainfi d'un autre à pro- portion. On objeétera , fans doute, que dans la fituation où font aétuelle- ment nos Campagnes, il eft bien dif- POUR LE PROPRIÉTAIRE. 453 ficile de trouver des Fermiers qui foient bien montés ; & que, fi on y infiftoit abfolument , on courroit grand rifque de ne point louer fa Ferme. En ce cas, plutôt que de flufer des terres incuites , il faut prendre un Fermier tel qu'on le trouve, en s’attachant feulement à ce qu'il foit laborieux , intelligent & d'une bon- ne conduite. Cependant il feroit de Favantage du Propriétaire de lui avancer ce quil faudroit pour achever de fe bien monter; puifqu'autrement, ne pouvant que mal labourer fes ter- res, elles ne rapporteroient pas à beaucoup près autant que fi elles étoient bien cultivées. Ce que le Fermier acheteroit au moyen de l'avance qui lui auroit Ffij 454 MANUEL D’A GRICULTURE été faite , ne fufiroit-1l pas pour en répondre avec toutes les autres fü- retés qu'un Propriétaire pourroit prendre ? & pourroit-il courir aucun rifque ? Mais les Propriétaires n'enten- dent pas encore cela; il faut efpé- rer qu'ils l'entendront quand ils fe- sont mieux inftruits fur l’Agricultu- re ; cependant on n'héfite pas de prèter à des perfonnes qui doivent nous intérefler beaucoup moins qu'un Fermier, & qui n'ont pas mê- me autant de füretés à donner. Une autre attention qu'un Pro- priétaire doit encore avoir, c'eft que dans le tems que fon Fermier travaille à faire fa prairie, il pour- roit s'y tranfporter pour voir com- ment il s’en acquitte ; cela en vau- droit bien la peine, puifqu'il ne s'a- POUR LE PROPRIÉTAIRE. 455$ git pas moins que de parvenir cer- tainement, comme on l'a démontré, à doubler & à tripler le revenu de {a Ferme, 8 même le fond , étant toujours eftimé à raifon de ce qu'il peut rapporter. Pour des objets bien moins intéreflants, on n'héfite pas de faire des voyages éloignés. Partout ce qui a été dit dans ce Manuel pour le Propriétaire, on doit voir qu'il n'y eft pas queftion de l’en- gager à faire valoir par lui-même ; parceque, dès qu'il s'acquitteroit, en cette qualité. , de fes obligations envers fon corps de Ferme, il tire- roit autant de profit, que s'il fe don- noit cette peine. Si dans fon corps de Ferme il fe trouvoit quelques défrichemens à faire; comme cela ne peut que le regarder , & nullement fon Fermier, Ffiv 456 MANUEL D'AGCRICULTURE il feroit beaucoup mieux d’aiten- dre , pour s'en occuper & ies fai- re faire, qu'il eût remis en bonne valeur les terres qui font en cul: fure. POUR LE PROPRIÉTAIRE. 457 CH A PÉDRRE VIL , os , . , Ce qu'un Propriétaire doit fcavoir de l'Agriculture, Quoi QU'IL paroifie qu'un Pro- priétaire qui ne fait point valoir par lui-même, pourroit fe contenter de fe mettre au fait de la jufte va- leur de fes terres & de tout ce qui peut concerner un bon établiffe- ment de prairies, 1l feroit cepen- dant encore bien de fe donner une idée jufte de l’Agriculture. Etant le plus beau de tous les Arts, le plus noble & le plus interreffant, elle mérite bien qu'il en fafle fon amufement. S'il jettoit feulement un coup d'œil fur Z Manuel pour le Laboureur, il verroit en quoi confifte la vraie 458 MANUEL D'AGRICULTURE méthode qu'on doit fuivre & pro- pofer pour bien cultiver ; il verroit encore qu'il ne peut y en avoir d’au- tre , même dans tous les pays du monde où on cultive ; puifque , dans ce même Manuel, il eft démontré fi clairement qu'elle fe trouve dans l'explication des établiflemens de toutes les Pratiques locales, tant en général que féparément. Il ne pourroit s'empêcher d’admi- rer une découverte aufli précieufe , qu'il ne manqueroit pas de regarder comme un préfervanif merveilleux contre toutes les nouvelles & faufles méthodes qu’on s’aviferoit de débi- ter encore. Il ne feroit pas moins furpris de voir dans fon Manuel, une autre dé- couverte qui n'eft pas moins intéref- fante , & qui confifte ez ce qu’il n'ap- partient qu'aux Propriétaires de remédier POUR LE PROPRIÉTAIRE. 459 au défaut de prairies, & que , ne l'ayant pas fait jufqu’à préfent , 1ls ont occa- fionné, ainf que nos Laboureurs par leurs routines, le malheur de notre Agriculture. Une fimple leûure le mettroit encore en état de bien veiller fur la conduite de fon Fermier & de voir s'il s'y prend bien pour exécuter les établiffemens de prairies qu'il lui fait faire ,& pour mettre fon corps de Ferme en pleine valeur. Etant donc aufhi intéreflant que tout Propriétaire s'intruife ainfi, 1l fembleroit néceffaire que dans l’édu- cation de la jeunefle on fit entrer cet art fublime qui apprend à cuiti- ver la terre. On y comprend quelquefois la Géométrie , qui apprend l’art de la mefurer ; le premier ne feroit-il pas au moins aufh utile que l’autre ? Cela 460 MANUEL D'AGRICULTURE tourmeroit même à l'avantage des Bureaux d'Agriculture ; puifque , par la fuite , on pourroit n’y admet- tre que des fujets qui, après avoir été inftruits dans leur jeuneñe , auroient encore pratiqué & fait valoir par eux-mêmes, pendant plu- fieurs années , leurs propres Do- maines. Les premières idées qu'on don- neroit ainfi à la jeunefle , lui infpi- reroient pour l'Agriculture un goût qui ne s'effaceroit jamais ; & qui, fe perfeétionnant dans la fuite par la pratique , feroit éclairé autrement que celui qu'on a généralement au- jourd’hui pour tout ce qui concer- ne cet art. Quels effets merveilleux n’auroit pas cette éducation dans laquelle on feroit ainfi entrer l'art de l'Agricul- ture ? puifque les Propriétaires ne POUR LE PROPRIÉTAIRE. 46 4 peuvent fe difpenfer, comme on l’a démontré, de concoutir avec leurs Fermiers , à tout ce qui regarde ‘ les réparations , améliorations & en- tretien de leurs terres. On pourroit regarder comme un Rudiment d'Agriculture le Manuel pour le Laboureur , qu'on donne 1c1 : en amufant la jeuneffe , il auroit cer- tainement l'effet d'exciter fa curio- fité. Ÿ DATE (er LU & Un AS + 462 MANUEL, &rc. CONCLUSION De cette feconde Partie. EN réfumant tout ce que J'ai écrit en cette feconde Partie pour le Pro- priétaire, 1l fera facile de remarquer que , fi je lui ai tracé des devoirs, je lui ai, avec la mème vérité, décou- vert des avantages réels. L'on verra encore que je ne me fuis pas con- tenté de lui démontrer fes obliga- tions ; mais que je lui ai de plus ex- pofé les régles qu'il doit fuivre; régies que j'ofe donner pour vraies, puifque je les ai expérimentées moi- même pendant trente années. De la pratique de ces principes ; il refultera néceffairement que les richeffes de l'Etat augmenteront con- fidérablement ; le Fermier fera plus heureux, & le Propriétaire plus équi- table & beaucoup plus riche. Fin de la feconde Partie, TROISIÈME PARTIE. ME AN U EL D'AGRICULTURE, POUR LE GOUVERNEMENT, MANUEL ME A N° UE JT D'AGRICULTURE, POUR LE GOUVERNEMENT. INTRODUCTION. Avant fait voir auf évidem4 ment dans les deux Manuels précé- dens , que les vraies caufes du dé- librement de notre Agriculture confiftoient dans les routines de nos Laboureurs, dans le défaut de prai- ties, par rapport à l'exécution de | Ge 466 MANUEL D'AGRICULTURE l'engrais , quieftfi importante; qu’el- les confiftoient encore dansles im- - pôts & charges de la Campagne; & que, pour mettre les Laboureurs &les Propriétaires bien au-deflus de ces charges & impôts , 1l fuffifoit de retirer les premiers de leurs routines, & de déterminer les feconds à con- courir avec leurs Fermiers pour faire des établiflemens de prairies artificielles : comme ces deux moyens ne tendent pas moins qu'a doubler & tripler le revenu de nos terres, le Gouvernement ne doit point hé- fiter de concourir de fon côté à les faire réuffir. Ainfi il s'agit de lui propofer: 1°. De concourir à retirer nos La: boureurs de leurs routines; 2°. De concourir à remédier au défaut de prairies ; POUR LE GOUVERNEMENT. 46 3°. De connoitre la jufte valeur de nos terres, pour fçavoir à quoi fe réduit aujourd'hui le produit net qu'on peut én retirer ; 4°. De s'infiruire de lAgricul- ture, CEA Ggi 468 MANUEL D'AGRICULTURE mm mm ue | CHAPITRE PREMIER. Comment le Gouvernement peut concoue . . / . rir a retirer nos Laboureurs de leurs TOuULINES. KZ UAND on a donné l'explication des Pratiques locales dans le cinquié- me Article des Préliminaires , on ne l'a fait que parceque nos Laboureurs les entendent mal, & qu'ils ne s’ap- perçoivent pas qu'il réfulte nécef- fairement de leurs établiffemens & des ufages qui leur font propres, une admirable Méthode , la feule capable de les retirer de leurs routi- nes qui font un tort fi confidérable dans l'Agriculture ; c’eft ce qu'on a fait concevoir dans ce cinquiéme Article des Préliminaires. Car à quoi fe réduit généralement POUR LE GOUVERNEMENT. 469 ce qu'ils apprennent préfentement de leurs Pratiques locales? A fça- voir feulement qu’elles contiennent certaines opérations qui ont cha- cune leurs ufages fixes & déter- minés , auxquels ils s’aflujettiffent fervilement fur tout terrein, & à apprendre quels font les inftrumens dont ils doivent fe fervir pour bien travailler la terre. Malheureufement pour l'avantage de l'Agriculture , ils ne vont pas plus loin, faute d'inftructions, Or , comme le Manuel pour le Laboureur n'eft donné que pour ex- pliquer les Pratiques locales, & faire voir qu'il en réfulte évidemment une méthode qu'il eft fi intéreffant de faire connoiïtre à tous les Labou- reurs , le Gouvernement ne peut fe difpenfer de le répandre & de le Ggiül 470 MANUEL D'AGRICULTURE diftribuer dans toutes les Campa- gnes, : On peut dire que ce feroit le plus grand fervice qu'il rendroit à l'Etat, puifque le Gouvernement doit mê- me concevoir par tout ce qui a été dit de cette Methode dans le Aa- auel pour le Laboureur , qu'il ne fe- soit pas poffbie de parvenir fans elle à rétablir l'Agriculture. Cette diftribution pourroit ne lui sien couter, n1 mème aux gens de la Campagne ; il feroit facile d'en don- ner l’expédient, On dira , fans doute , que les gens de la Campagne ne lient pas. L Suppofé qu'on parle ainfñ, on ne feroit pas attention qu'on ne man- que jamais de lire tout ce qui eft utile à nos intérèts , & qu’on s’en fait un plaifir, de quelque état & condi- tion qu'on pue être, POUR LE GOUVERNEMENT, 471 Les gens de la Campagne étant auf attachés qu'ils le font à leurs Pratiques locales , qui peut douter qu'ils ne reçoivent avec avidité l'explication qu’on leur en don- nera ? lis feroient même flattés de voir qu’on regarde chacune de leurs Pra- tiques locales, comme contenant le feul Livre d'Agriculture qu’on puifle propoler & fuivre; cela leur donne- roit une curiofité qui ne pourroit qu'avoir les plus merveilleux effets. Qu'on fe fouvienne de ce qu’on a dit ci-deflus au fujet de la patience qu'a eu un Laboureur de copier en entier le Traité des Prairies artif- cielles ? On n'en citera pas autant des Nouvelles Méthodes, parcequ'elles renverfent & détruifent les Pratiques locales. Gg av 472 MANUEL D'AGRICULTURE CH ACP TT REPRATE Comment le Gouvernement peut concou: rir a remédier au défaut de. Prairies. LE Gouvernement, pour concou: rir à remédier au défaut de Prairies, rendroit un Arrêt qui, en déclarant (comme il a été dit ci-deflus dans la troifiéme Sedion des Jachères Arti- cle IT) que, pour faire une prairie on n’excéderoit pas le huitiéme des terres qu'on cultiveroit, feroit dé- fenfe à tout Berger, ainfi qu'à tout autre , d'y introduire fes bêtes blan- ches, en quelque tems & en quelque faifon que ce füt, fous dés peines convenables , comme amende, pri- fon, &c. En conféquence, tous les Proprié- taires n'héfiteroient plus de faire POUR LE GOUVERNEMENT. 473 faire par leurs Fermiers des érabliffe- mens de prairies, Il y auroit mème des Habitans des Villes ,qui prendroient le parti de fe retirer à la Campagne pour faire valoir par eux-mêmes leurs propres Domaines & corps de Ferme, On a déja parlé dans le premier Article des Préliminaires ,| des égards & at- tentions qu’ils mériteroient de la part du Gouvernement. Ce feroit faire un grand bien à l'Agriculture que d’eñgager ainf les Propriétaires à faire valoir par eux- mêmes ; puifque , devant s'intérefler bien autrement que des Fermiers à mettre leur corps de Ferme en bon- ne valeur , leur exemple & leur fuc- cès en impoferoient bien davantage dans les Campagnes. Ceux qui fe diftingueroient le 474 MANUEL D'AGRICULTURE plus , foit en faifant valoir par eux- mêmes, foit en fe fervant de leurs Fermiers pour faire des établiffemens de prairies, ne mériteroient-ils pas des honneurs, des récompenies, des diftin@ions, fuivant leur état & con- dition , comme on en accorde à ces habiles Artiftes qui excellent dans la Peinture , la Sculpture , l’Archi- tecture , la Chirurgie , la Muf- que , &c. Pourquoi n’agiroit-on pas de mê- me envers quelques Propriétaires qui auroient excellé dans l’Agricul- ture? puifqu’on ne peut lui refufer le premier rang parmi les Arts. Pour peu qu’on réfléchiffe fur cet Art fublime de l'Agriculture , qui eft l'unique fource de toutes nos richef- fes réelles, on ne peut qu'être ex- trêmement furpris de voir quon POUR LE GOUVERNEMENT. 475 l'ait ainfi négligé jufqu'à préfent ; il femble mème qu'on n’ait cherché qu'à l’aviir. Quand mème cet Arrêt donne- roit da liberté de faire des établif- femens de prairies dans tous les corps de Ferme où il n'y en auroit pas ou pas aflez, encore fe trouve- roit-il des Propriétaires qui ne fe foucieroient pas d'y concourir ; tels que les Bénéficiers , parmi le Clergé , qui ne font qu'Ufufrui- fiers. En cette qualité , attendu la petite dépenfe inévitable dans laquelle les jetteroit, vis-a-vis de leurs Fermiers, un établiffement de prairies, quel- ques-uns s’en exempteroient peut- être, parcequ'ils pourroient penfer qu'ils ne jouiroient pas des grands avantages qui en réfulteroient, & qu'ils ne travailleroient que pour leurs Succefleurs, 476 MANUEL D'AGRICULTURE Pour lesengager & mème les obli- ger à fe foumettre , comme tout Pro- priétaire , aux établiflemens de prai- ties, dans le cas qu'il en manqueroit, ou quiln'y en auroit pas fufifam- ment dans quelques unes des Fer- mes de leurs dépendances , il n'y auroit pas à héfiter de la part du Gouvernement d'inférer dans ce mê- me Arrêt, que, faute par eux de s’en acquitter , & de les faire faire par leurs Fermiers, le revenu des corps de Ferme quine feroient pas mis enprai- ries, feroit faifi au profit de l’'Econo- mat, jufqu'à ce qu'ils y euffent fatisfait ou commencé à le faire, lis mérite- roient d'autant plus de n'être point ménagés, qu'ils refuferoient alors de concourir au rétabliflement gé- néral de l'Agriculture. Comme il y a aufli bien des Pro- priétaires qui , fans ten au Clergé, POUR LE GOUVERNEMENT. 477 ne font qu'Ufufruitiers , fçavoir ceux qui font dans le célibat, & ceux qui, étant mariés, n'ont point d'en- fans , on n’oublieroit pas d’énoncer dans cet Arrêt, que, faute par eux de faire faire des établifiemens de prairies dans les corps de Ferme de leurs dépendances qui en aurotent befoin , les revenus en feroient faifis au profit du Domaine. "Au moyen de ces précautions qui font fi néceflaires; la France, en peu d'années c’eft-a-dire en dix ou douze ans au plus, commenceroit à devenir également fertile & peuplée par-tout ; & fe trouveroit enfin en- tièrement femblable à tous ces bons Pays & Cantons où la Na- ture a fait des établiflemens de prai- ries, Les peres de famille étant naturel- lement portés d'eux-mêmes à faire 478 MANUEL D'AGRICULTURE tout ce qui convient pour rendre leurs fucceffions plus confidérables, fur-tout quand il y a peu à dépen- fer, ne fe trouveroient pas léfés de fe voir aflujettis aux établifle- mens de prairies dans les-cas fuppo- fés ci-deflus. Cet Arrêt qui auroit le merveil- leux effet de doubler & de tripler les richeffes de l'Etat, & qu'on feroit obferver avec la plus grande exaéti- tude , feroit enregiftré dans toutes les Cours & Jurifdiétions , pour que perfonne ne püt l'ignorer. 72 > C7) < N ) 4 POUR LE GOUVERNEMENT. : 439 NL A PA RCE III. De quel avantage il feroit que le Gou- vernement connût la jufte valeur de nos Terres. LE Gouvernement fera bien plus emprefié de fe fervir des deux moyens quon vient de lui propo- fer pour concourir au rétablifle- ment de lAgriculture , quand ïül {çaura à quoi fe réduit préfentement leftimation qu'on peut donner aux terres qu'on fait valoir , & comment elle doit fe faire. Rien ne l'inftruira mieux, fur un objet aufñi important, que le troifié- me Article des Préliminaires ; on y voit tout ce qu'il fant néceflaire- ment prélever {ur un arpent pour en connoitre le produit net. On y apprend que fur fa plus “ 480 MANUEL D'AGRICULTURE grande partie des terres du Royau- me, ce produit net, qui ne peut être deftiné que pour payer le Proprié-= taire , ne pouvant aller aujourd’hui qu'à un feptier au plus par arpent; ( en fuppofant le feptier à raifon du poids de cent foixante livres ; ) eft à peine fufhfant pour payer les impôts dont 1l eft chargé de fon côté, y compris les frais d'entretien & de féparation, n'y ayant point de corps de Ferme fi peu confidérable qu'il foit, qui n’aitune maïfon & quelques dépendances. | Ainf il ne refte prefque rien au jourd'hui aux Propriétaires ; 1l y en a mème qui ne retirent pas de quoi payer les impofitions. Cela a été prouvé dans le Mas nuel du Propriétaire, Article IV; y ayant bien des terres dans le Royau- me , fur lefquelles, quoique labou« rées Four LE GOUVERNEMENT, 48 à rées & cultivées, ce produit nef d’un feptier par arpent, ne fe trouve plus. Cependant toutes ces terres quoique médiocres, pourroient rap- porter ; tout prélevé, jufqu'à trois feptiers pararpent, comme les meil= leures terres du Royaume: L’Auteur des Prairies artificielles ÿ qui a fait valoir pendant trente ans, l’a démontré de façon à n’en pouvoir douter , s'étant fervi du moyen des renouvellemens d'engrais bien exé- cutés {ur tout un corps de Ferme, La vraie fituation de notre Agri- culture eft tellement repréfentéé dans ces deux Articles (tant du côté des Fermiers que du côté des Pro: priétaires ) que , perfonne ne poui- vant en contefter la vérité, il y a d'autant plus à s’empreffer de la part du Gouvernement ; de mettre en exécution ce qu'on luipropofe, que, Hh 482 MANUEL D'AGRICÜLTURE s'il ne fe décidoit pas pour s’en ac= quitter, toutes nos Campagnes cons tinueroient à fe dépeupler, & de- viendroient à rien. Ainfi, de tous les projets qu’on peut préfenter au Gouvernement pour rétablir l'Etat, & pour l’enri- chir, il n’y a que celui de concourir de fa part à retirer nos Laboureurs de leurs routines, & à remédier au défaut de prairies , en ordonnant les établiffemens dont il eft queftion, qui puifle réellement avoir tout l'effet qu'on peut défrer, parceque les Fermiers , comme les Propriétaires, feroient bientôt mis en état de pou: voir s'acquitter des impôts dont ils font chargés. LUZ C9 ak $OUR LE GOUVERNEMENT. 484 D 8 9 6 TOME CH A PA TRES IV: Combien il feroit avantageux au Gouver: nement de s'infrutre de l’Agriculiure. ré E Gouvernement ne pouvant fe difpenfer de concourir ainfi au réta- ‘bliflement de nos terres, & ce réta: ‘bliffement ne pouvant s’exécuter fañs fon concours, l'Agriculture doit faire ‘Ta première & principale attention, Quel eft l'Art , comme celui de TAgriculture » qui mérite autant qu'on s'y applique ? puifqu'en prati- quant ce qu'on propofe dans cet Ouvrage , on y découvré en mème tems le véritable fecret de doublés & de tripler les richefles de l'Etat, comme celui de doubler & de triplex celles des fujets, | Hh ji 484 MANUEL D'AGRICULTURE Y a-t-il rien, dans le Miniftère, qui puifle autant l’intérefler ? I n’y auroit donc point à héfiter de comprendre cet Art fublime dans l'éducation d’un Prince pour lui en infpirer des idées juftes, & pour lui en apprendre les véritables prin- cipes. Cet exemple feul fu“iroit pour s’en faire un devoir dans toutes les familles; & il n’y auroit ni Collége, ni Univerfité qui osàt fe difpenfer de l'enfeigner à toute la jeuneffe , en fe fervant du Manuel d'Agriculture qu'on donne ici, comme du feul Rudiment dont on puifle faire ufage. Qu'on juge de l'heureux change- ment qui en réfulteroit en faveur de l’Apriculture & en faveur de l'Etat ? Qu'on juge encore de celui qui POUR LE GOUVERNEMENT. 48 ÿ arriveroit dans tous ces Bureaux d’A- griculture, qu’on a commencé à éta- blir dans quelques Provinces ? Quel emprefflement n'y verroit-on pas, pour connoitre la véritable Méthode de l’Agriculture , & les feuls moyens qu'elle apprend pour la rétablir gé- néralement ? Quoique leurs établiffemens faf- fent tant d'honneur au Gouverne- ment préfent ; cependant , faute de ce qu'on n’y a pas encore pris une idée jufte de l'Agriculture , & pour s'être trop livré à ces nouvel- les Méthodes dont on a parlé , qu’en eft -1l réfulté pour fon rétablifle- ment ? Il a été décidé dans lun que, pour y parvenir , le meilleur parti qu’on pouvoit prendre , étoit de fuppri- mer les jachères pour les mettre en- fièrement en prairies, & qu'il fem- Hhü} 486 MANUEL D'AGRICULTURE bloit qu’on en étoit déja convenu aflez généralement. Dans unautre , qu’on n’y parviens droit jamais , qu'auparavant il n’y eût une Loi en France , qui obligeât tous les Propriétaires à échanger ré- ciproquement fur les Terroirs toutes les piéces de terres de leur corps ‘de Ferme qui y font ordinairement difperfées, & par conféquent fé- parées les unes des autres, pour les réunir en une feule & même piéce. “Enfin un Bureau d'Agriculture dont on devoit attendre une déci- fion plus réfléchie, n’a fait autre chofe que d'annoncer la nouvelle in- vention d'unfemoir plus pe rfeétion- né & moins coûteux que tous ceux qu'on avoit propofé auparavant, fans faire feulement attention que, toute noire Agriculture ne fe trouvant POUR LE GOUVERNEMENT. 457 qu'entre les mains des gens de la Campagne , il ne feroit pas bien aifé de l'y introduire, & que même on n'y parviendroit jamais. Tous ces écarts ont été fi bien re- levés , tant dans le Manuel pour le Laboureur | que dans le Manuel pour le Propriétaire, qu'il n’eft pas pofñble de les juftifier. Si, par amour pour le bien pu- blic & pour celui de l'Etar, la générofité de ceux qui compofent ces Bureaux , les engage à propo- fer des Prix pour infpirer pius d'é- mulation entre les Laboureurs & les Fermiers, qu'ils lifent attentivement, avant que de fe déterminer, la Wé- thode qu'on donne ici, c’eft-à-dire tout le Manuel pour le Laboureur ; ils fçauront bien mieux à quoi s’en te- nir fur les queftions intérefflantes Hh iv ° Li 488 MANUEL D'AGRICULTURE qu'il conviendroit de donner à dé« cider. Ils verroient que prefque toutes celles qu'on peut faire fur les diffé rentes façons d'exécuter les opéra- tions de l'Agriculture, relativement à toutes les fortes de qualités de ter: sein, ont été bien expérimentées & qu'elles font décidées. Par exemple, à l’occafion du Prix qui eft annoncé dans la Gazette de France du 11 Février 1764, au fu: set de l'opération de l'engrais, n’a t-on pas entièrement éclairci dans la Seion qui la concerne , tout ce qui peut l'intérefler pour s'en bien ac- quitter , fur-tout en grand, c’eft-à- dire fur la totalité d'un corps de Fer- me, fi confidérahle qu'il puiffe être ? L'on ayouera que cela eft bien autrement intéreflant que de n'ap: POUR LE GOUVERNEMENT. 489 prendre à la bien faire que fur quel- quesarpens, comme on l’a déja établi dans la Section des Engrais, Art. IE, pag. 172; ce feroit même fe trom- per, de penfer qu’en ne s'intéref- fant que pour de pareils petits ob- jets , on parviendra au rétablifle- ment général de nos terres. Ainfi les Bureaux d'Agriculture ne deviendront véritablement utiles & avantageux dans les Provinces, qu'autant qu'on y travaillera bien férieufement à opérer le grand Œu- vre , qui fait tout l’objet de cet Ouvrage. J'avois intention de faire entrer dans ce Manuel pour le Gouvernement , un Article concernant la liberté de lexportation des bleds ; mais , toute réflexion faite , la matière m'a paru d'une telle importance , fur- tout eu égard à l'état aétuel de no- 490 ManurL, &cc. tre Agriculture , que j'ai penfé que cette liberté ne devoit nine pouvoit être bien examinée , quant à fon utilité & à fes inconvéniens, que par le Gouvernement même ; & J'ai encore penfé que , fi on fe détermi- noit dès-à-préfent pour cette liberté d'exportation , foit limitée , foit 1ll:- mitée , j'aurois toujours eu raifon de dire , dans l’dée fommaire de cet Ou- vrage, que, quand nos terres, par les moyens infaillibles qu'on pro- pofe , feront parvenues à rapporter au double & au triple de ce qu'el- les rendent aujourd'hui , les richef- fes nous viendroient de toute part, c'eft-à-dire , que le Royaume de France deviendroit le plus floriffant Empire de l'Univers. Fin de la troifieme & dernière Partis, RÉFUTATION DE LA NOUVELLE METHODE D'ERMIPEUU LL tte en nn, pp QU CNE NP EN RENE NN RENE PEN EN ERES RÉ ELLE D EE EE PCR * se CLEVEVEUVEVEUVEV EURE: HR PA GR HR HP HE HR HE HR AÙ # À] AT un LE NL | PNA PA EE AEET RÉFUTATICON DE LA NOUVELLE METHODE D'ENOME EEP UTILE; LINCTUR O"D'U;: CTOUN. . ARMI1les Amateurs de l’Agricul- ture , il s’en trouve un fi grand nom- bre , tellement prévenus en faveur de la Nouvelle Méthode de M. Thull , qu'on a penfé qu'on ne pouvoit fe difpenfer d'en donner la Réfutation pour mieux parvenir à défendre nos Pratiques locales , qu'on a eu en vue de renverfer , en la publiant. Ayant cependant fufifamment fait voir combien elles font refpecta- bles, & qu'on trouve en elles la vraie 494 RÉFUTATION méthode de l'Agriculture, & la feule qu'on puufle annoncer, il y a lieu de croire que l’Apologifte de M: Thull ne s'eit pas donné la peine de les examiner à fonds. Ce font ces Pratiques locales ; c’eft-a-dire cette Méthode précieufe qu’elles contiennent, qu'on appel- lera ici, l’Ancienne Méthode pour l'op: pofer à la Nouvelle de M. Thull. Cette Ancienne Méthode eft toute différente des routines de nos La- boureurs; on l’a fufffamment fait voir ; il ne faut donc pas s’y tromper. La Réfutation qu'on fe propofe de faire , eft divifée en deux Parties Dans la première on donne le Précis de cette nouvelle Méthode. Dans la feconde , qui eft divifée en plufieurs Chapitres, on y fait voir qu’elle n’eft pas propofable à tous égards. DE M TauLirz 949$ PR PREMIERE PARTIE. Ike BR CUS DE LA NOUVELLE MÉTHODE DE M: TE U LE, a > ANS l’ancienne Méthode of ne s'eft avifé de labourer les terres à froment qu'avant de femer ; mais, dans la nouvelle, on les cultive avant & après, & on les laboure dans tout le tems de fa végétation & de fon accroïfflement , jufqu'à ce qu'il foit en maturité ; c’eft-a-dire que , quoique le froment ne foit qu'une plante annuelle, on hu ap- plique cependant la même culture qu'on donne aux plantes vivaces, “telles que la vigne, #96 RÉFUTÂTION Examigons ce que M. Thull prôi pofe pour parvenir à exécuter ce fiftème fur un grand terrein ou fus un corps de Ferme. Quoique cela foit contenu dans cinq à fix volumes, & qu'ici cela fe trouve réduit en Articles qui ne con- tiennent que quelques pages, on croit en dire aflez pour faire com- prendre ce qu'il faut {çavoir de ce nouveau fiftème. 1°. J1 faut commencer par labour rer tout un corps de Ferme en ban- des de fix pieds de largeur chacune. 2°. En les diftinguant chacune par un fillon, ou plutôt par une raie, (a) 1l faut les labourer en Billon & (a) On appelle S;//on une ligne de labour dort la terre n’eft renverfée que d’un côté, à la différence de la Raïe où elle left des deux côtés. On a expliqué dans le Manuel du Laboureur la différence des labours à Plar & des labours en Billon. noñ Late - DE MS TÉRUÉE! 409 fon a Plar, parcequ'il plait à M; Thuil d'attribuer à cette façon de £ultufe plus de fuccès qu’à l’autre. 3°. Après que toutes les bandes auront été [abourées trois à quätré fois, & qu'elles auront été bien ameubliés, bien retournées & bien foncées, autant que le terreiñ peut le permettre , on Îlés partagera ; äu tems de la femence, en planches & en plattes bandes. 4°. Les planches feront prifes dans le milieu des bändes ; ellés en comprendront environ le tiers; 1l faut qu'elles foient chacune d'un pied heuf pouces de largeur ; les plattes bañdes qui fe trouveront for- mées de ce qui reftera des bandes daris l’entre-deux dés planches, au- font quatre pieds trois ponces dé largeur , ni plus, ni moins. 5°. Les planches contiendront les Ii 498 RÉFUTATION rangées de froment, qui fe réduiront le plus ordinairement au nombre de trois ; elles feront diftantes de fept pouces l’une de l’autre, & dans ces trois rangées, le froment fera répan- du grain à grain à la même diftance de fept pouces; on le couvrira, auf tôt qu'il fera femé , en renverfant les élévations des rangées. 6°. N'étant pas pofble de femer à la main ces trois rangées dans un grand terrein , on fe fervira d’un fe- moir qu'on dit être de l'invention de M. Thull, & qu'il appelle Dr; auff eft-1l fi prefte dans fes opéra- tions, qu'en faifant les rangées , il y répand en même tems le froment , & le couvre. 7°. Comme les trois rangées, que le femoir fera, ne peuvent contenir que l’efpace de quatorze pouces, on laïfera, après fon opération , à droit be M THuLL 495 & à gauche des rangées, deuix peti- tes bandes de trois pouces & demi chacune; ce qui achevera de donner aux planches la largeur défignée ci: deflus ; on ne touchetfa point à ces petites bandes , lorfqu’on prendra la largeur des plattes bandes, & qu'on les labourera. | 8°. Ces petites bandes n'étänt donc plus labourées après que les planches feront faites, elles font de- {tinées pour occuper le tallement du froment ; pour faciliter Les labours ; pour défigner & fixer où ils doi- Vent commencer, & pour empêcher qu'on n’approche de trop près les rangées ; car, quoique les labours ; fuivant M. Thull, comme on le verra ci-après ; puifle couper les extrèmi- tés des racines ; & les déplacer ; il he faut pas cependant qu'ils les cou- pent fi près des rangées. Le soso RÉFUTATION 9°. Le femoir ne donnera pas plus de fept pouces de diftance aux trois rangées , afin que les racines qui en fortiront, puiffent plutôt atteindre le labouré des plattes bandes, & il n’en donnera pas moins aux grains de froment qu'il répandra dans les rangées pour empècher les racines de trop s'embarafler & de fe nuire les unes les autres. 10°. Dans les meilleurs terreins ; qui ne feront point fujets à pouffer des herbes ,; on pourra faire des planches à quatre rangées, auxquel- les on ne donnera que fix pouces de largeur ; mais on y éloignerales grains de froment à neuf à dix pouces, & même jufqu'à un pied, pour préve- nir encore l'embaras des racines. 11°. Dans les terreins humides, qui pouffent beaucoup d'herbes, on ne fera que des planches à deux ran- nee. ns - DE (MS NULL. As ON gées pour avoir la facilité de Îles arracher avec la main, c'eft.à-dire de les farcler. M. Thull (2) n'infifte pas fur les planches à cinq & à fix rangées , dans la crainte que les racines de Îa ran- gée du milieu ne puiflent atteindre afez tôt le labouré des plattes ban- des, & ne puiffent en profiter. 12°. Les plattes bandes qui ré- fulteront de l'opération du femoir, auront nécefairement la largeur de quatre pieds trois pouces défignés (a) M. Thull, ou plurôt fon Apologilte , fur des remontrances bien fondées , qui lui ont été faites , a bien voulu accorder qu'on ne mit les grains de froment dans les rangées qu’à trois & quatre pouces de diftance, & même moins, au licu de fept, pour remplacer ceux que les accidens qui arrivent affez ordinaire. ment tous les ans , pouvoient faire manquer, & ne pas faire lever; mais il n’a pas cru de- voir prendre fur lui de fe relâcher fur La di- ftance des rangées. li ii $o2 RÉFUTATION ci-deflus; & n’en auront pas moins; puifqu'il faut les labourer avec des bêtes de tirage comme chevaux on bœufs. | 13°. Les plattes bandes devant être labourées à deux fins, fçavoir pour donner plus de fuccès au fro- ment, qui eft femé dans les plan- ches, & fur-tout pour en bien dif- pofer le terrein, qui doit être enfe- mencé , l’année fuivante , il faudra les bien ameublir, les bien retour- ner & les bien fouiller, antant que le terrein le permettra. | % 14°. Jufqu'àa ce que les planches foient moiflonnées, on donnera qua- tre à cinq labours aux plattes ban- des, le premier avant l'hyver , pour détruire les herbes & pour en difpo- fer le terrein à être plus facilement jabouré au printems. Le deuxiéme aufitôt que les gelées feront pañlées2 DE M FU LAL:) (co pour augmenter le tallement du fro- ment, le troifiéme en Mai, & le quatriéme vers la fant-Jean, pour faciliter de plus en plus fa végétation & fon accroifie ment, 15°. Tous les labours des plattes bandes feront faits à Plar, à la diffé- rence de ceux des grandes bandes, qui doivent être faits en Billon, & cela parceque dans les plattes ban- des, 1l s’agit de renverfer toujours la terre du côté des rangées, ce qui s’exécutera en partageant les plat- tes bandes en deux parties qui ne commenceront l’une & l’autre à être labourées que dans le milieu de la platte bande, afin de finir précifé- ment le labour à l'endroit où les petites bandes des planches fe ter- minent, Il y a d'autant plus de néceffité à partager anfi les labours des plat- Ï 1 iv go4 RÉFUTATION tes bandes, qu’autrement, fi, aprèsies avoir commencées du côte d'une rans gée , on continuoit jufqu'à l'autre planche fans s'arrêter dans le milieu de la platte bande , on mettroit [a première rangée de cette planche en danger d’être à découvert , & de {e trouver dénuée de la terre dont elle auroit befoin pour le progrès ces racines qui en fortiroient. 16°, Pour facihiter les labaurs de ces plattes bandes , au lieu de faire tirer de front les bètes de tirage, en pourra les mettre l'une devant l'autre, en leur donnant un condu- éteur, indépendamment de celui qui doit tenir la queue de la charrue ; cette précaution, quoique couteu- fe, étant nécefflaire pour empêcher le trépignement des chevaux ou des hœufs {ur les rangées de froment. 47°. Pour faciliter encore les la- DE M. THULL 550$ bouts & pour que le terrein des plat- tes bandes foit mieux brifé , retour- né & fouillé, qu'il ne pourroit l'être en fe fervant des charrues ordinai- res, dont il paroït que M. Thull ne fait pas grand ças, parcequ'il n'en connoït pas l'ufage, il en propofe de fon invention, qui font à deux roues, à une roue , fans roues, & qui ont plufieurs coûtres; il en don- ne la defcristion dans fa Nouvelle Méthod: , ainfi que de fon femoir. 18°, Aufhtôt que toutes les plan- ches feront moiflonnées, on réta- blira les grandes bandes de fix pieds de largeur dans tout le corps de Fer- me, & on les labourera en Billon, pour enfuite avec le femoir , au tems des femences , être encore partagées en planches & en plattes bandes, ce qu'on continuera tous les ans alternativement , pour tou- ÿ06 RÉFUTATION jours entretenir la même culture. 19°. Enfin tout fe réduit à faire & pratiquer des grandes bandes, des planches, des petites bandes, des plattes bandes avec la plus exacte précifion, & à fe fervir d'un femoir pour fe mettre enétat de cultiver en grand, & de labourer encore plu- fieurs fois le froment , après qu'il eft femé. C’eff dans cette forte de culture & dans cette répétition des labours, que M. Thull, fait confifter le grand principe de fécondité de fa nou- velle Méthode. Au moyen, dit-il, de cette répéti- tion des labours fur les racines du froment , indépendamment de ceux qui ont été faits avant de le femer , la terre fe reffentant encore bien mieux des influences de l'air, du foleil, des pluyes, acquiert une fi DE M} MaUurLz $67 grande quantité de fels & de fucs nourriciers , que, devenant même inépuifables , n'eft queftion que de mettre les racines à portée de pou- voir en profûter pour fe procurer les plus belles & les plus riches dé- pouilles. C'eit pourquoi il prétend que fa nouvelle Méthode n'a befoin que des deux opérations du labour & de la femence ; déclarant qu'il fup- prime les jachères, ainfi que les en- grais, à la différence de l’ancienne qui croit au contraire ne pouvoir pas s’en pañler, & qui a fur-tout une grande confiance dans les engrais , principalement dans ceux qui pro- viennent de beftiaux. Il attribue même tant de force & de fi merveilleux effets au prin- cipe de fécondité de fa nouvelle Méthode, qu'il va jufqu'a établir , 6oS RÉFUTATION qu'il ne faut, pour enfemencer Îles terres awelle cultive , que le tiers, que le quart, & même que le cin- quiéme de ce que nos Laboureurs employent ordinairement. Pour appuyer ce fingulier fyftème quirenverfe totalement nos pratiques locales, on rapporte dans cinq à fix volumes une grande quantité d'ex- périences qui , dans le fonds, ne prouvent rien, ainf qu'on va le dé- montrer dans la feconde Partie. 1 .. U : REFUTATION DE LA NOUVELLE MÉTHODE DE: Mon EU ie, INTRODUCTION. ÂL n'étoit pas difficile d'imaginer de faire au froment l'application de la culture qu'on donne aux plantes vivaces ; la difficulté n'étoit pas d'exécuter à la main cette applica- tion fur un petit terrein, comme fur un quarré de jardin; on pouvoit l'avoir penfé & même éprouvé avant M. Thuil. Mais il s’agifloit d'exécuter cette $ro RÉFUTATION application en grand, c’eft-à-dire fus un corps de Ferme de telle étendne qu'il pourroit être ; & cette exécu- tion ne pouvant fe faire à la main pour ce qui concerne l'opération de femer , 1l falloit inventer un femoir qui, aprèsles bandes faites dans tout un corps de Ferme, püt y drefler des planches exaétement prifes dans le milieu, en les femant en même tems, & qui, en faifant ces planches, laiffât des plattes bandes, c'eft-à- dire des intervalles aflez larges entre les planches pour pouvoir Être la- bourées en tout tems par des bètes de tirage ; comme chevaux où bœufs , après que les planches fe- roient femées. Ce femoir fait donc la piéce im- portante de cette nouvelle Métho- de, puifque ; pour pouvoir exécuter en grand, elle en fait néceflarement DEN FULL, ie tout le jeu. Auf les Sectateurs de M. Thull la regardent-ils comme le chef d'œuvre de l'invention humai- ne, pour l'avantage de l'Agriculture, Quoique M. Thull s’attribue cette invention, cependant , à en juger par ce que fon Apologifte raconte d’un femoir dont on failoit ufage en Efpagne , il y a environ cent ans, & dont il convient qu’il n’eft plus queftion aujourd’hui , il fembleroit que M. Thull n'en auroit pas l’hon- neur , & que même fon femoir n’auroit pas un meilleur fuccès en France, n'étant que le renouvelle- ment d'une chofe qui auroit déja échoué. Comment ce mauvais pronoftic na-t-il pas commencé à ouvrir les yeux de l’Apologifte fur le fort de cette nouvelle Méthode qui ne peut s'exécuter fans femoir ? #12 RÉFUTATION Il s’agit donc de faire voir que la nouvelle Méthode de M. Thuil n’eft pas propofable en tout point, de quelque côté qu'on la confidére. 1°. Par rapport à la pofition de notre Agriculture , & à la fituation de nos terres, 2°. Parceque la répétition des la- bours fur les racines du froment ,; ne peut lui être auffi avantageufe qu'on le prétend. 3°. Par rapport à la fupprefon des engrais. 4°. On fera voir qu’on ne com- prend point dans cette nouvelle Méthode, la fuppreflion des lue res & elle annonce. 5”: On prouvera que toutes les expériences qu'on rapporte dans cinq à fix volumes , ne décident rien en faveur de la nouvelle Méthode. 6°. Pour réfuter encore un nou veau DE M PHGLE Gui veau Traité que l’Apologifte de M. Thull a donné fous le Titre d’EZmens d'Agriculture; on fera voir l'inutilité de l'ufage du femoir dans la Prati- que ordinaire de cultiver, Kk $t4 RÉFUTATION Le CHAPITRE PREMIER. La Methode de M. Thull ne convient point a la pofition de notre Agricul- ture & a la fituation de nos terres. CO N peut commencer par prédire, avec confiance , que cette nouvelle Méthode ne s’établira jamais en France, l'Agriculture n'y étant gé- néralement exercée que par les gens de la Campagne , qui doivent être confidérés comme compofant feuls tout le corps des Agriculteurs. S’agiffant d'inftruire des gens qui font fi attachés à leurs Pratiques locales, comment a-t-on ofé la pu- blier ? On fçait que les gens de la Cam- pagne tiennent toutes les terres du Royaume , par des baux de fix ou DE NE THULE Vas heuf ans, & qu'il n'eft point dans le gott de la Nation, que les Proprié- taes faflent valoir par eux-mêmes; s'il s'en trouve quelques-uns, c’eft une fi petite exception, qu'elle ne mérite pas qu'on y fafle attention. On ne devoit donc pas fe flatter d'introduire une nouvelle Méthode qu'on vient de faire voir être fi rem- plie de gènes & de difficultés, qui exige tant de précifion ,; & dont on peut dire que l'exécution , en grand, n'eft pas pratiquable; car, pour pouvoir labourer & former les ban- des qu’elle établit, & qu’on doit par- tager en planches & en plattes ban- des, quand on diroit qu’il faut con- tinuellement avoir à la main, ou le pied , ou la toife, & même le com- pas, on ne diroit rien de trop, par- cequ'il faut que les bandes n’ayent exaétement que fix pieds de largeur, Kky sté RÉFUTATION que les planches n’ayent qu'un pied neuf pouces, y compris les petites bandes, qui doivent les accompa- gner à droit & à gauche des rangées, & qui doivent exaétement n'avoir chacune que trois pouces & demi, & parcequ'il faut que les plattes bandes ayent abfolument quatre pieds trois pouces en largeur , ni plus ni moins. Si les bandes avoient plus de fix pieds, quand il n'y auroit que quelques pouces d’excédent , cela feroit fur le total d'un corps de Fer- me un déchet & une perte de ter- rein aflez confidérable ; &, fi elles avoient moins de fix pieds, il en réfulteroit qu'on ne pourroit don- ner aux planches & aux plattes ban- des leur largeur convenable & nécef- faire. 1l faut encore la mème attention DEOMEMPRULE & la même précifion pour la con- ftruétion des planches & des plattes bandes qui font tirées de ces bandes dont tout le terrein eft deftiné à les former.esonoq; LS CeSÈS :'Srles planches avoient pluis d'un pied neufpouces de largeur , y com- prisles petites bandes ci-deflus, qu'il: faut former, le froment de la:ran- gée du mihèu; feroit en danger de ne pouvoir arriver aflez tôt pour étendre fes racines jufqu’au labouré des plattes bandes ; &; files plattes bändes avoiènt-moins: de: quatre pieds trois pouces de largeur, ne s'y trouveroit-il pas encore bien plus de gène & de difficulté pour labou- rer avec les bètes de tirage ; au lieu que , fi elles avoient trop de largeur, il s'en enfuivroit encore une perte de terrein confidérable. … Ce qu’on vient de dire concerne KkK 1 518 RÉFUTATION les planches à trois rangées, qui {ont les plus ordinaires. Dans le cas qu'il feroit queftion de faire des planches à quatre ran- gees, a raïfon de fix pouces feule- ment de diftance entr'elles ; comme elles exigeroient pour leur largeur deux pieds un pouce , à caufe que les rangées en prendroient dix-huit, & que les petites bandes qui doi- vent les accompagner à droit & à gauche prendroient fept pouces, 1l s'enfuivroit qu'il faudroit donner aux grandes bandes la largeur de fix pieds quatre pouces, chacune ; puifqu'il faut toujours donner aux plattes bandes la largeur de quatre pieds trois pouces pour la facilité des labours, à caufe des bêtes de tira- ge : & fi on ne faifoit que des planches à deux rangées d’un pied de diftance entr'elles , il ne s’agiroit donc que BEM HULL Vi de donner aux grandes bandes cinq pieds trois pouces. Il faut, comme l’on voit, bien de l'attention , pour proportionner la conftruétion des grandes bandes aux différentes planches qu'il eft queftion de faire, puifqu'autrement on per- droit fur le total d’un corps de Fer- me beaucoup de terrein , ou l’on s'y trouveroit fort embarañé. Voilà aflurément une plaifante façon de culture à propofer aux gens de la Campagne ; puifque, pour bien exécuter les grandes bandes , les planches, les petites bandes & les plattes bandes, que la nouvelle Méthode exige, il faut toujours cal- culer , toujours fupputer , toujours mefurer. Quand ils en feroient capables, comment pourroient-ils encore exé- cuter cette nouvelle Méthode fur Kkiv $20 RÉFUTATION la totalité de leur corps de Ferme? On fçait qu'ils font prefque tou- jours compofés d'une infinité de piéces de terre, qui font féparées les unes des autres ; & même, pour l'ordinaire , elles font toutes fituées & répandues fur les trois foles d'un terroir qui généralement eft parta- gé en Jjachères , en bleds & en Mars. Or, tous les corps de Ferme Ctant cenfés , ou plutôt devant fuivre, comme on l’a établi, le même par- tage que celui de leur terroir ,il ne fe peut que toutes les piéces qui les compofent n’ayent chacune leurs royés, leurs tenans & leurs aboutif- fans. Encet état, comme, dans la nou- velle Méthode, il faut toujours cul- tiver le froment après qu'il eft femé, tant dans la faifon de l'été, que dans DE:M THULE $2r celle du printems; il n’eft pas poffi- ble de le faire , puifque, pour y aller, 1l faudroit traverfer avec tout l'attirail du labourage quantité de piéces de terres, dont les bleds & les Mars feroient déja fort avancés & en train d'atteindre leur maturité, En fuppofant même que le Do- maine d'un corps de Ferme feroit réuni, & ne feroit qu’une feule piéce de terre ; en ce cas, ne pouvant or- dinairement ainfi exifter fans avoir quelques royés, 1l feroit encore difñ- cile d'aller cultiver le froment quand il feroit femé, du moins on nele pour- roit, de même que dans les piéces de terres qui font répandues fur les trois foles d’un terroir, fans perdre beaucoup de terrein ; 1l eft aifé de le faire concevoir. Dans un terrein deftiné à être cultivé fivant la nouvelle Métho- 522 RÉFUTATION de, quel qu’il foit , divifé ou non di- vifé , pour labourer les plattes ban- des d'un bout à l’autre , avec des bè- tes de tirage, il faut en fortir , 1l faut y rentrer, ce qui ne fe peut fans faire un tournant qui exige au moins une largeur d'environ dix- huit à vingt pieds; on doit le con- cevoir en faifant attention à la di- menfion que doivent occuper une charrue & des bêtes de tirage , qu'il faut faire avancer jufqu’au bout , & enfuite tourner , fur-tout fi on les met l’une devant l’autre , comme le recommande M. Thull pour la plus grande facilité & commodité du la- bourage, dans un efpace auf étroit, auf referré ,que l’eft celuides plat- tes bandes. Cela feroit donc trente-fix à qua- rante pieds de terrein en largeur, autant dise deux verges, qu’il faut DiE, MY Æ'HU LL. x néceffairement perdre, fçavoir une verge d'un côté & une verge de l’au- tre, dans toute l'étendue que peut avoir en largeur le terrein qu'on cultive en planches & en plattes bandes. On doit fentir que cela doit faire un déchet confidérable. On ne peut aflurément le faire fupporter aux royés , fur-tout dans untems où leurs bleds ou leurs Mars prennent leur accroiffement,&c avan- cent en maturité ; 1l s’en enfuivroit tous les ans des dommages & inté- rêts très-confidérables ; il faut donc faire tomber ce déchet fur foi-mé- me, c'eft-ä-dire fur fon propre ter- rein. D'ailleurs n’y ayant prefque point de fituation de corps de Ferme réu- ni, qui feroit 1folé , à l'écart , & fans avoir des royés des tenans & des aboutiflans , 1l s'enfuit que de quel- $24 RÉFUTATION que côté qu'on fe retourne , il n’y a que des difficultés, des inconvé- miens , & mème de l’impoñhbilité dans l'exécution de la nouvelle Mé- thode pour pouvoir la travailler en grand. Dans l’ancienne Méthode , comme on ne laboure un terrein à froment, qu'avant que de le femer , & com- me tous les royés en font de même, on doit concevoir qu'on y va quand on veut, fans faire tort à qui que ce foit , & qu'on à toute la facilité pot- fible de cultiver fon terrein fans en rien perdre. La nouvelle Méthode n'’eft donc bonne , tout au plus que pour un: terroir idéal, appartenant tout au mème maitre , & où l’on diftribue les terres comme les planches d’un jardin. Ce fyftème part de trop loin pour arriver juiqu'à nous; & dans DE :M:FHULL 2s l'état où font les chofes aujourd’hui, un terroir eft occupé de mille pe- tites piéces. L'origine n’en pouvant provenir que de la divifion générale des ter- roirs entroisfoles, & que du par- tage des fucceflions, le projet de leur réunion pour l'avantage préten- du de l’Agriculture en faveur de ce nouveau fyftême , ne feroit donc qu'une idée chimérique. Enfin peut-on concevoir qu'on parviendra à faire labourer nos Fer- miers & nos Laboureurs dans des plattes bandes , qui laiflent fi peu de terrein. Le travail des labours devient pour lors exceflif, & demande des attentions , dont ne font pas capa- bles des gens de la Campagne, qui gateront les rayons de froment en labourant les entre-deux, 526 RÉFUTATION Auffi jufqu’à préfent, quoiqu'il y ait bien des années que cette nou- velle Méthode foit annoncée , n’a- t-on pas encore vû un feul de tout le corps des Agriculteurs, qui ait été feulement tenté de l’effayer , ni en grand, ni même en petit, malgré les exemples qu'on s'eft efforcé de leur en donner. Ce ne fera point avec une nou- velle Méthode, quelle qu’elle puiffe être , qui renverferoit leurs Pratiques locales, qu'on rétablira en France l'Agriculture. A l'égard du femoir dont l’ufage eft indifpenfable pour exécuter en grand la nouvelle Methode de M. Thull, comment fe flatter de pou- voir l'introduire dans la façon ordi- naire de cultiver ? Le méchanfme en eft fi compofé, qu'il ne peut qu'il ne fe dérange Des NB HUE "627 quelquefois dans fon opération; en ce cas, à qui pouvoir recourir dans les Campagnes pour le rétablir & le remettre en étar. Ce femoir ne laiffant pas que de couter , & pouvant exiger de l’entre- tien, les gens de la Campagne fe dé- termineront-ils à en faire la dépenfe ? Si le tems eft pluvieux, & fi les terres font tant foit peu molles ou fraiches , ce femoir ne peut-il pas s'engorger & laifler fans femences la moitié du fillon ? Qui peut répon- dre que cette machine jettera tou- jours exaétement fon grain de fe- mence fi le terrein eft inégal ; au lieu que la main du Laboureur , qui féme , ne peut fe tromper en rien; elle eft, comme on l'adeja dit, d’une exécution plus fûre. L'opération de femer eft afluré- ment trop importante pour s’en rap- 528 RÉFUTATION porter à une machine, quelque in- génieufe qu’elle puifie ètre. Ainfi on aura beau leur dire qu’au moyen de l’ufage du femoir , ils ga- gneront beaucoup fur leurs femen- ces jufqu'à la moitié , les deux tiers, les trois quarts & mème plus, ils penferont toujours que cette rédu- étion ne s'accommodera point avec leur expérience , & ils auront rafon. CHAPITRE DE THULL 56 G PRE AE ES CAE AUPOTÉPSRTE, EE Les fréquens Labours fur Les racines du froment , ne peuvent lui étre auffLavan- tageux que le prétend M, Thull. ra: , 1] D KŸ UOIQU'IL n'y ait encore aü- cun de ceux qui compofent en Fran- ce le corps des Agticulteurs, qui ait exécuté cette nouvelle Méthode, & quoiqu'il n’y en aura jamais ; cependant quelques Amateurs & quelques Propriétaires qui font va- loir par eux-mêmes, en ont fait des expériences en petit, c'eft-à-diré fur trois à quatre arpens ou environ, en fe fervant du femoir. Il eft vrai que M. Lallin de Cha- teau-Vièux , Syndic de la Ville de Genève, l’a exécuté en grand, par- cequ'il s’eft trouvé avoir un terrein faitexprès, & parcequ'il a eu plus de LI 339 RÉFUTATION conftance que les autres; mais, fi or lexcepte,onn’en voit point qui(après leurs épreuves & leurs expériences en petit, nonobftant les petits fuc- cès qu'elles ont pu avoir vis-à-vis les routines de quelques Fermiers voifins ) ait été tenté d'aller plus loin , & d'adopter la nouvelle Mé- thode pour s’en fervir à faire valoir tout leur corps de Ferme, ou tout leur Domaine ; ils en ont fenti les difficultés, la gène , les inconvéniens & mème l'impoffbilité. Que penfer de l’Apologife lu- mème qui ne s'eft pas comporté autrement dans une de fes terres, & qui n’a point fuivi l'exemple de M. de Chateau-Vieux ? On y voit feulement le Canton que fon Fer- mier travaille fuivant la nouvelle Méthode ; encore n'exécute-t-1l que très-mal & avec répugnance. DE No T'EUvANR QT Voilà donc pourquoi toutes les expériences, qui font rapportées dans cette nouvelle Méthode , ne fignifient rien. Elles font même d'aus tant plus contre M. Thull, que , ne la propofant que pour être fubfti- tuée à l’ancienne ; c'étoit des corps de Ferme entiers , qu'il falloit don- ner pour expériences , & des corps de Ferme fitués {ur toutes fortes de terreins bons; médiocres ; mauvais, reconnus & annoncés comme tels ; c'étoit le vrai moyen de la faire triompher ; au lieu que , ne rappor- tant que des expériences én petit ; qui n'ont été exécutées que fur les meilleurs terreins, 1l donne lieu d'en conclure, avec raïfon , que fa nouvelle méthode ne peut s'exécu- ter qu'en petit, & qu'elle ne peut téuflir fur les terreins médiocres. Il ny a point de doute que ce Lli 532 RÉFUTATION qui a excité la curiofité de ces Pro- priétaires à faire quelques expérien- ces, ce ne foit la nouveauté de cette feconde culture fur les racines du froment, dont il n’eft pas queftion dans l’ancienne Méthode. Qu'on confulte fur cette feconde culture les vrais Cultivateurs, ils di- ront unanimement , & foutiendront que Île froment , n'étant qu'une plante annuelle, n’eft pas fait pour être cul- tivé à la façon des plantes vivaces ; que cette culture ne lui eft pas auf avantageufe qu’on peut le penfer ; & qu'il fuffit de bien s'acquitter des labours, avant de femer le froment pour en difpofer fuflifamment le terrein, parceque n'étant que neuf à dix mois en terre, il n'y a pas aflez de tems pour qu'elle puifle s’affaifler .& durcir de façon à em- pêcher fes racines de pénétrer; de DE M THULL 533 s'infinuer & de chercher leur nour- riture. Si, avant de le femer, la terrea été bien ameublie , bien fouillée & bien retournée plufieurs fois, il eft fans dificulté que, dans les pre- miers mois de cette bonne culture, la racine du froment a aflez de tems pour fe fortifier & pour fe mettre fufifamment en état de pouvoir tou- jours pérétrer, quand même la terre viendroit à s'affaifler. C'eft dans le commencement qu'un froment eft femé, qu'il fufit que la terre ait été bien remuée plufeurs fois. Les Cultivateurs, qui ont bien pratiqué , diront encore que , bien loin que cette feconde culture {oit auf merveilleufe que le prétend M. Thull, rien ne doit faire plus de tort à la racine du froment, que de LI 1} 454 RÉEUVTRA TION la couper, de la retournerl& de la déplacer tant de fois , & de l'expofer À la féchereffe dans le tems qu'il eft en végétation & qu'il prend fon ac- croiflement. | S'il ne lui arrivoit qu'une fois d’ê- fre anfi travaillée , fa racine pour- roit avoir le tems de fe reprendre ; mais il s'en faut bien qu'elle le puif- fe, puifque le terrein de la platte- bande dans laquelle on imagine qu'elle peut s'étendre, doit être labouré trois à quatre fois depuis le printems jufqu'en Juillet, parcequ'il faut ençore le difpoier à ètre enfe- mencé. Autant dire que tons les mois il faut labourer & travailler la racine du froment quoique fi tendre, fi déhi- çate , & fi fuperfcielle , tandis que Ja vigne, qui éft uné plante vivace, & qui a des racines dures, fortes px M THULL 535$ & profondes, ne reçoit tous les ans qu'un labour au printems , n'étant queftion après cela, jufqu'à la ma- turité du raifin, que de deux à trois farclages pour arrêter le progrès des herbes, tandis encore que les ar- bres qu'on cultive, ne reçoivent de même qu'un fabour au printems, & n’en reçoivent pas davantage , dans la crainte de détruire l'humidité dont leurs racines ont befoin. Il eft certain que , lorfqu'il s’a- git de cultiver des plantes vivaces, après qu'elles font femées ou plan- tées, le labour du printems eft ce- lui qui leur eft le plus favorable, parceque , dans cette faïfon , la terre & les plantes peuvent profiter beau- coup mieux des influences de l'air, du foleil & des pluyes,'& parceque, pour lors, elles font moins en dan- ger d'en efluyer de l'inconvénient, LI iv 9 536 RÉFUTATION fe refentant encore des grandes frai- cheurs qu’elles ont reçues pendant l'hyver ; aulieu que , fi dans le cou- rant de l'été on ouvre encore laterre plufieurs fois, comme le recomman- de expreflément M. Thull, on a à craindre un defléchement fur les racines , à caufe du grand air & des chaleurs. Si cependant, pour quelques plan- tes vivaces, on fe détermine à don- ner des labours pendant l'été , pour aider & faciliter leur végétation, aufi-bien que leur accroifiement, on ne doit les donner qu'avec pré- caution & attention, & que relative- ment au tems & à la qualité du ter- rein ; autrement ils ne peuvent que leur être plus préjudiciahles q'utiles. On peut donc facilement conce- voir que la répétition des labours , que M. Thull propofe de donner au DE M ADHULL. 27 froment fur fes racines pendant la faifon de l'été, ne peut générale- ment que lui être nuifble. À l'égard du labour du printems, qui feul pourroit lui convenir, nos Laboureurs font cependant quelque- fois dans un ufage bien contraire, puifqu'il leur arrive pour lors de rouler avec fuccès leur froment , pour affaifler la terre , à l'effet de lui conferver l'humidité dont fa ra- cine a befoin plus que celle de tou- tes les autres plantes annuelles. Îinfi la Méthode de M. Thull ne peut être que bien hazardée fur ce labour du printems , & ne peut être que très-mufble fur tous les autres. Mais nonobftant tout ce qu’on vient de dire, 1 ne peut faire antre- ment , pour foutenir fa Méthode, que d'inffter fur tous les labours dans la faifon de l'été, puifque le 538 RÉFUTATION terrein des plattes bandes eft encore deftiné à être enfemencé pour être moiflonné l’année fuivante, & que pour cette raïfon , on ne peut fe difpenfer de faire la répétition des labours. Voilà comme on fe trouve mal engagé fans s’en appercevoir , lorf- qu'on donne pour principe de fé- condité, un paradoxe, dont on ne voit pas toutes les conféquences. Quand on diroit que ce paradoxe eft généralement un faux principe, on n’avanceroit rien de trop, Car, pour peu qu'on ait de prati- que dans l'Agriculture, on convien- dra que toutes les expériences qui font rapportées dans la Méthode de M. Thull, n'ont pu favorifer ce paradoxe, qu'autant que le terrein y étoit difpoié , & que les faifons du printems & de l'été ne fe font point DE M THULIL 39 trouvées trop féches, & qu'elles s'y {ont heureufement prètées. Ainf, toutes celles qu'on pourra encore tenter, ne pourront qu'être hazardées, même fur les meilleurs terreins. A l'égard de ceux qui font médio- cres & mauvais, comment cette fe- conde culture fur les racines du fro- ment pourroit-elle avoir feulement le moindre effet ? fuppofant même , ce qui n'eft pas , qu'elles puiflent s'étendre jufques dans le labouré des piattes bandes , pricipalement les racines qui fortent du milieu des planches : carelles auroient au moins une efpace de dix à onze pouces à parcourir & à traverfer pour pouvoir y arriver, Il n’eft pas concevable qu'étant tant de fois coupées , retournées & déplacées , elles foient en état de $40 RÉFUTATION s'y reprendre aflez vite comme dans un bon terrein, & d'y multiplier les fuçoirs , comme le prétend M. Thull. Cette feconde culture fe rédui- fant à ne pouvoir réuflir que quel- quefois & dans certaines années, {ur de bons terreins l’Apolosïte de M. Thull a eu grand foin de ne faire mention que des expériences qui y ont été faites avec quelque fuccès apparent , & quinepeuvent, comme lon voit, en impofer qu’à ceux qui ne fçavent ce que c’eit qu'Agricul- ture. Voudroit-il encore après cela pré- tendre que la répétition des la- bours, fur les racines du froment , a tant d'effets & produit une fi prodi- gieufe quantité de fels & de fucs, qu'elle peut agir également & fans aucune diftinétion fur toutes fortes DE M: TuuULiL $4r de terreins, bons, médiocres ou mauvais ? Qu'on en fafle l'expérience, & qu'on les mette en planches & en plattes bandes en pareille quantité, en fuppofant qu'ils ayent été égale- ment plufieurs fois labourés dans tout le tems de la végétation & de l’accroiflement du froment jufqu'aw tems de fa maturité, en fuppofant même encore que toutes les racines quifortiront des planches faites dans ces trois différens terreins, ayent pu atteindre également aflez:tôt le labouré des plattes bandes, en réful- tera-t-1l trois récoltes pareillement abondantes ? Elles fuivrontaflurément la nature de leurs terreins ; & feront voir, à n’en pouvoir douter, que la terre indiftin@tement , nonobftant la répé- tition des labours , n’acquiert pas la 542 RÉFUTATION grande quantité de fels & de fucs inépuifables, qu'on veut lui fuppofer;, quoique les racines ayent été miles à portée d'en profiter par Les labours réitérés dans les plattes bandes. Qu'on prenne dans les plaines de Champagne ( où cependant on fait venir un bon froment avec un en- grais fufffant ) un quarré de terrein pour le cultiver fuivant la nouvelle Méthode de M. Thull, quelle pitoya- ble récolte n'en réfultera-t-1il pas, nonobftant les labours réitérés dans les plattes bandes? Ces labours y procureront-ils des fels & des fucs inepuifables ? En général, la répétition des la- bours ne peut avoir d'autre effet que de mettre plus ou moins un ter- rein, fuivant fa portée, en état de profiter des influences de l'air, du foleil & des pluyes ; mais elle n’en: # DE M THuULL 43 thangera jamais n1 la nature, ni ia qualité. Une pareille prétention ne peut donc fervir qu'à achever de décrier la nouvelle Méthode , qui femble ne point reconnoitre la diverfité des terreins , paroïflant infinuer que fon principe de fécondité eft fi fupé- rieur, qu'en sy conformant & en l'exécutant, on peut fe mettre au- deffus de cette diverfté. Cette diverfité fait cependant né- ceffairement la bafe fondamentale de tout ce qu'on peut établir pour bien diriger les opérations de l'A- griculture : qui penfe autrement re Ja connoit pas. E CIN $44 RÉFUTATION CH PA TR EH De la Juppreffion des Engrais. ÂL n'eft pas étonnant que , dans cette nouvelle Méthode , on ait été jufqu'à fupprimer entièrement les engrais , qui font cependant fiimpor- tans dans l'Agriculture , puifqu'on a attribué au principe de fécondité de la nouvelle Méthode l'effet de pro- duire fur tout terre, de quelque nature qu'il puiffe être, foit bon, foit Médiocre où mauvais, une fi prodi- gieufe quantité de fels & de fucs, qu'ils deviennent même irépuifables. Mais, comme on a fait voir ci- deflus , d’une façon à ne pouvoir y répliquer , qu'un pareil principe n'é- toit qu'un paradoxe infoutenable , il en eft de même de toutes les con- féquences DIE MER LL. : 4} Téquences qu'il a plu à M. Thull d'en tirer. Cette prétention de pouvoir ainfi fe pafler d'engrais, n’eft-elle pas fin- gulière à Cependant fon Apologifte , fans faire , apparemment , attention qu'il devoit autrement refpeéter ce prin- cipe, & ne lui donner aucune at- teinte, a eu la complaifance d’ac- corder de petits engrais, comme les cendres, les fuyes de cheminées , les boues, les cendres de chaux, &c. à l'exception néanmoins de ceux de beftiaux, parcequ'étant compo fés de pailles, ils ne pourroient que déranger l'ufage du femoir qui ne veut qu'un terrem aifé , & que rien ne puiffe arrêter. Véritablement , quand une terre eft amandée avec des fumiers de befliaux, cela ne peut que la rendre M ma 546 RÉFUTATION très-inégale , d'autant plus que les pailles, dont ils font entremêlés, ne fe trouvent pas toujours bien pourris au tems de la femence. Comment peut-on tant vanter une machine qui ne s’accommode point avec les fumiers de Beftiaux ? nent a E CD PTT RE IV. Onneconçoitpoint comment on entend; / dans la nouvelle Methode, la fuppref- fion des Jachères qu’elle annonce. F. E Qu'il y a de plus furprenant dans cette nouvelle Méthode, c’eft la fuppreffion des jachères que M. Thull annonce , comme pour fe don- ner un air d'avantage fur l’ancienne Méthode, tandis qu'il ne peut dif- convenir lui-même , que l’établifle- ment des plattes bandes n’emporte plus de la moitié du terrein, fans rien rapporter ; les tiges de froment ne pañlant point au-dela des planches. On a toujours entendu par Ja- chères, la partie des terres qui fe re-, pofe alternativement tous les ans, dans un çorps de Ferme, c’eft-à-dire | Mnij 53 RÉFUTATION qui ne porte point , & qui ne pro-= duitrien pendant une année entière, fervant en mème tems de pâturage aux befhiaux ; c'eft cette grande uti- té qui en réfulte pendant un fi long- tems, qui lui a même fait donner ie nom de Jachères. _ Comment donc M. Thull l'entend t-1? Le voici. C’eft que, quoique les terreins des plattes bandes ne por- tent point & ne produifent rien, n'étant deftinés qu'a être labourés, ils n’en font pas moins en travail, fuivant lui , parce qu'ils ne ceflent de fournir des fels & des fucs nour- riciers aux racines qui fortent des planches pour s'y étendre : il fuppofe donc qu’elles s'ÿ rendent toutes; ce qu'on ne croit point pouvoir ar- river dans des terreins médiocres & fnauvais. C'eit donc en conféquence de ce pe M THuLL 549 travail fuppofé, qu'il fe croit auto- rifé de prétendre que fa nouvelle Méthode eft exempte de jachères. M. Thull entend encore, qu'iln'y a point de jachères dans fa nouvelle Méthode , parceque tout ce qui eft cultivé, par elle , porte tous les ans. Par exemple, une piéce de terre qui fera tous les ans cultivée fuivant fa nouvelle Méthode , fera cenfée » felon lui, toujours porter, parceque tous les ans elle fe trouvera en fro- ment. Mais il faut faire attention que dans cette piéce , il ny a que ce qui fe trouve en planches qui porte & qui produit, & que les plattes ban- des ne fervant qu'a être labourées ,il y a néceflairement dans cette piéce plus de moitié de fon terrein qui ne porte point & qui ne produit rien. $59o RÉFUTATION Ainfi quand M. Thull dit qu'il n'y a point de Jachères dans fa nouvelle Méthode , parceque les terres, y étant en travail, ne fe repofent point, ou parceque tous les ans une même piéce de terre eft cultivée pour continuer à toujours donner du froment ; on appelle cela abufer des termes , pour en faire accroire à ceux qui ne fçavent ce que c’eft que Jachères. Cela a mème fi bien pris parmi fes Seétateurs , qu'ils foutiennent tous, que dans fa nouvelle Métho- de , rien ne s'y repofe , & que tout y porte tous les ans; ajoutant que c’eft en cela que confifte fa grande prérogative fur l’ancienne Méthode. Pourroit-on dire qu'ainfi que fes Settateurs, M. Thull n’a pas en- tendu ce que c’eft que Jachères ? : DE NT HULL S4r 11 ne les a voulu entendre , du moins , que dans le fens qu’elles fi- gnifient Päturages, puifquil con- vient que le terrein des plattes ban- des de fa nouvelle Méthode ne peut fervir de pâtures aux beftiaux , par- cequ'elles fe trouvent fi étroitement placées entre deux bleds , qu'il n'eft pas poffble de les y conduire. Ce n’eft pas là affurément le bel endroit de fa nouvelle méthode. Prévoyant bien les objeétions qu'on lui feroit à l’occafion de la fuppreflion des jachères en tant qu'elles ne fignifient que Pâärurages ; il n'a pas manqué de les prévenir , en difant que , comme fa nouvelle Méthode donnoit le moyen de faire rapporter un arpent de prai- ries artificielles, plus que plufieurs ne le pourroient dans les jachères , & mème dans les prairies ordinai- Mm iv 552 RÉFUTATION., res , il étoit facile de fe dédomma- ger. Mais il ne s’agit pas ici feulement du gros bétail, comme vaches où bœufs ; on fçait qu'en faifant ufage des prairies artificielles , on peut aufli-bien , & même encore mieux les nourrir , & les engraiïfler en les gardant dans leurs écuries, qu'en les conduifant dans les jachères, où le plus ordinairement 1l n'y a que peu pour eux à paturer. C'eft des bêtes blanches qu'il eft principalement queftion , & qu'on ne peut garder dans leurs bergeries. Les jachères ne font, pour ainf dire , établies que pour elles, comme on l'a fait comprendre dans le Ma- nuel pour le Laboureur ; parcequ'elles s'y nourriflent beaucoup mieux que tous les autres beftiaux, n’aimant que l'herbe des champs , & nulle- DE:4M: HURE MES ment celles des rrairies qui les pour- rit, fe nourriflant fur-tout des raci- nes qu’elles içavent fi adroite- ment trouver dans le labouré des Jachères. I! eft d'autant plus intéreflant de ne pas ceffer de les y condure, que la finefñe & la bonté de leurs laines en dépendent, n'y ayant que le grand air qui puile les bonifier ; au lieu qu'en les gardant dans leurs berge- ries, pour ne les conduire que quel- ques"fois päturer le long des che- mins ou fur quelques montagnes, lorfqu'il s'y en trouve, leurs laines s'y échaufflent, sy pourniflent, & ne peuvent qu'en devenir très-mau- vaifes. Il eft fi vrai quil n’y a que le grand air qu bonifie leurs laines , qu'on a l'expérience qu’elles réuf- &flent beaucoup mieux dans les Can- 554 RÉFUTATION tons où on peut établir des parcs Ainfi une Méthode qui fupprime aufli complettement des paturages qui font fi néceflaires aux bêtes blan- ches, doit être rejettée. L'intérêt public exige même qu’on en défen- de l’ufage , les laines faifant dans no- tre Royaume, & par-tout ailleurs, une branche de commerce auñf in- téreffante. Que répondra à cela M. Thull ? S'en tirera-t-1l , comme 1l s’en eft tiré à l'égard du gros bétail à? ® La différence qu'il y a donc entre l'ancienne Méthode & la nouvelle, c'eft , que dans celle-ci, plus de la moitié des terres y refte en pure perte, fans qu’elles puifflent fervir de pâture aux bêtes blanches, ce qui mérite une grande attention; au heu que, dans l’ancienne Méthode , ce qui reite tous les ans fans rien DE M. THULL ss porter,& qui ne confifte que dans le tiers des terres qu'on laboure , leur eft extrèmement profitable. Quand l’ancienne Méthode n’au- roit que cette prérogative qui eft fi précieufe à l'Agriculture & au com- merce , elle feroit bien fufifante pour lui donner gain de caufe fur la nouvelle , & pour faire voir que celle-ci n’eft pas propofable. ÿ56 RÉFUTATION : CH A PAIE RER: Des expériences rapportées en faveur de la nouvelle Méthode. D E tout ce qu’on a dit ci-deflus il s'enfuit bien clairement , que tou- tes les expériences en petit, qui font rapportées fans nombre en faveur de la nouvelle Méthode, tombent d’el- les-mèmes , parcequ'on ne peut en conclure qu'on puifle l'exécuter en grand ; cela vient d'être prouvé & démontré de façon à ne point fouf- frir de réplique. Il s'y en trouve à la vérité quel- ques-unes en grand, comme celle qui a été faite par M. Lallin de Chateau- vieux , Syndic de la Ville de Gené- ve; mails on ne peut encore en rien conclure , parcequ'on a bien fait DE, M. .THULE 557 voir que , pour pouvoir exécuter en grand la nouvelle Méthode, il fal- loit pofléder un terrein fait exprès, c'eft-à-dire qui foit iolé de tous les côtés & qui n’ait niroyés, ni te- nans, ni aboutiffans , ce qu'il eft ex- trêmement rare de trouver; d’ail- leurs on ne doit pas s'étonner des petits fuccès apparens qu'ont pu avoir toutes ces expériences, n'ayant été faites que vis-à-vis les routines de nos Laboureurs. Ainf, de queique côté qu’on les confidère , elles ne fignifient & ne décident rien en faveur de la nou- velle Methode. Ofera-t-on , après cela, la mettre en comparaïifon, vis-ä-vis l’ancienne, bien entendue , & telle qu’on l’a donnée & expliquée dans le Manuel pour le Laboureur, puifqu’elle s’exé- cute aufl facilement, tant en grand # 558 RÉFUTATION qu'en petit, fur tout terrein bon , mé- diocre, mauvais, avec les plus heu- reux fuccès, jufqu'à les faire rappor- tertrois à quatre fois plus. & les faire tous monter à la plus haute valeur qu'on puifle leur donner à chacun. Onenaune preuve bien complette dans l'expérience , qu'en a faite l’Au. teur des Prairies artificielles , fur une terre qu'il pofléde. Elle feule en dit plus que toutes ces expériences en petit, quoique fans nombre ; car n'apprend - elle pas tout ce qu'on peut défirer de fçavoir pour bien faire valoir un corps de Ferme , quelque confidé- rable qu'il puiffe être, & en quelque Pays & Canton quil puifle être fitué 2 | at C9 “aie DE M THULL 59 ee nee ce canne ce ee | CHAPITRELME De l'inurilire de l'ufage du Semoir dans la façon ordinaire de cultiver. L'AroLoO GISTE de M. Thull a encore donné un nouveau Traité fousle Titre d’Elémens d'Agriculture. C’eft un abregé de la nouvelle Méthode , dont il vante toujours le merveilleux principe de fécon- dité pour engager de plus en plus à la pratiquer, au moins en petit, dans l’efpérance qu'a la fin on par- viendroit plus facilement à pou- voir l’exécuter en grand. Mais cependant comme il s’eft ap- perçu que , malgré toutes fes exhor- tations , qui contiennent cinq à fix volumes , on continuoit de ne l’exé- cuter qu'en petit ; & qu'après les ex- 560 RÉFUTATION périences, qu’on en avoit même fais tes avec quelques fuccès apparens, onn'étoit pas plustenté de l’exécuter en grand, 1l s'eft déterminé de pro- pofer dans ce nouvel Ouvrage qu'il regarde comme un Rudiment d'A- griculrure , de réduire toure la nou- velle culture à l’ufage feul du fe- moir ; parceque, par fon moyen, on ne pouvoit que beaucoup gagner fur les femences, ne s'agifant pas moins , felon lui & tous fes par- tifans, que de la moitié , des deux tiers & mème des trois quarts fur ce qu'on en employe ordinaire- ment , ajoutant même qu'on gagne- roit encore beaucoup fur les ré- coltes. Enfin il va jufqu'a propofer l’ufa- ge de fon femoir dans la façon ordi- naire de cultiver , nonobitant les routines dont elle eft accompagnée, bien DE M. THULL és bien perfuadé que cela lui procu- rera un très-grand avantage. Voilà donc où il borne préfente-: ment tout ce qu'on peut faire poux rétablir notre Agriculture. Il eft inconcevable qu'il continue d'infifter toujours à attribuer à l’u- fage du femoir de pouvoir ainfi ré- duire la femence , fans expliquer la caufe d’un effet aufh merveilleux. Dans la pratique de la nouvelle Méthode, il y a du moins une caufe apparente dans fon prétendu princi- pe de fécondité; mais le propofer encore dans une autre Méthode qui a des principes différens, avec les mêmes avantages , fans en expliquer la caufe, c’eft ce qu’on ne conçoit point. Quoi qu'il en foit, comme il eft de principe , dans toutes les Prati- ques locales du monde entier , qu'il Nn 56 RÉFUTATION n'y a que l'expérience du Labou- reur, qui puiffle bien déterminer & régler fa quantité de femence ; & ce principe étant fi vrai, que l’Apolo- gifte lui-même ne peut que le re- connoitre , on ne peut donc bien fe- mer qu’en fe conformant à ce prin- cipe, qui a été établi ci-deflus dans la quatrième Seûtion, Article IV du troifiéme Chapitre du Manuel pour le Laboureur ; on ÿ rapporte une ex- périence qui eft fans replique. Cela étant, quand la quantité de femences a été ainfi réglée par le Laboureur , qu'il fe ferve du femoir, ou qu'il fe ferve de fa poignée pour la répandre; y a-t-il quelque chofe pour lors à gagner pour lui ? Et y aura-t-il plus d'avantage d’un côté que de l’autre ? Or, comme on a encore fait voir que le Laboureur avêc fa poignée, DE M THULL 563 la diffribuoit avec tant de précifion, que , dans la quantité d’un feptier qu'il étoit déterminé de donner à un arpént il ne s’y trompoit pas feu- lément d’une écuellée : à quoi bon un femoir qui eft dé- 1 tant vahter montré être anfli inutile , & qui ne peut gagner que dans le cas qu'on en feroit ufage vis-à-vis un Labou- reur qui ne femeroit que par rou- tine ? u lieu donc de s’amufer à ces in- ventions qui ne feront jamais venir un grain de plus vis-à-vis une bonne Agriculture ; que ne. soccupe-t-on plutôt des vrais moyens de la réta- blir ? Ne pouvant être contefté, comme on l’a fi bien démontré, que fon dérangement ne provient que des _routines de nos Laboureurs , & que du défaut du concours des Proprié- N n i 564 RÉFUTATION taires avec leurs Fermiers, pour des établiflemens de prairies, ce ne fera aflurement point dans l’ufage du femoir qu'on les trouvera. Les bons Cultivateurs, c’eft-à- dire ceux qui fçavent ce que c’eft qu'Agriculture , & qui en ont toute l'expérience , ne peuvent que fouf- frir de voir que depuis fi longtems on ne donne ainfi que dans la frivo- lité & dans l'illufion. DE M. Thurze 6 CO N°C' LU SI ON: @, UE conclure de tout ce qu’on vient de dire de cette nouvelle Mé- thode ? Ce qu’en ont penfé les bons Cultivateurs , c’eft-à-dire ceux qui fçavent ce que c’eft que l’Agricul- ture & qui l'ont pratiquée. Qu'elle n'eff qu'une idée de cabinet & rien plus, qui ne peut s'exécuter que [ur les meilleurs terreins | & qui ne peut s’y exécuter qu'en petit & que très-difficile- ment en grand ; encore faut-il que le terrein foit ifolé de toute part. En Peur, fi on a la précaution de choifir un bon terrein, & même le meilleur qu'on puifle connoitre , elle amufera beaucoup ceux qui vou- dront voir jufqu'où peut s'étendre le talement du froment , qui fait un Nnu s66 RÉFUTATION des plus beaux objets d’admiration qu'il y ait dans la Nature. L'exécution en eft. facile fur un quarré qu'on prendroit dans un Jar- din ou ailleurs, en dreffant & en la- bourant à la bèche où à la charrue les grandes bandes , & en fe fervant du femoir pour former les planches, les petites bandes & les plattes ban- des. » Cependant, dxa-t-on, M. Lal- sin de Chateauvieux exécute ez » grand, depuis plufeurs années, » cette nouvelle Méthode avec la » plus exaéte précifion, fans man- » quer à rien de tout ce qu'elle pre- » fcrit; 1l en eft même fi content qu'il » a beaucoup travaillé à perfeétion- » ner le femoir de M. Thuill. » Ce qu'on peut répondre, fans même qu'il y ait à repliquer, c’eft que M. de Chateauviçux pofléde un. Do- DE M THULL 567 maine fait exprès pour l’exécurion de cette nouvelle Méthode, & qu'il ne connoit l’ancienne que par les routines de nos Laboureurs, qui vé- ritablement ne font pas foutenables, Mais sil la connoifioit telle qu'elle fe trouve & qu’elle fe déve- lopne dans toutes les Pratiques loca- les ainfi que dans celle du Canton où font fituées toutes les terres qu'il fait valoir par lui-même, ce qu'il dé- couvrira mueux que tout autre, quand il voudra y réfléchir, il n'y a point de doute qu'il ne revint bien vite de fon illufion ; il feroit même furpris, qu’on ait ofé fubfti- tuer à l’ancienne Méthode la nou- velle de M. Thull , qui lui paroîtroit pour lors f. peu raifonnée. Le retour de M, de Chateauvieux à la véritable Aoriculture , feroit | pour celle-ciuneavantageufe acquifi- Nniv 568 RÉFUTATION tion, ayant fi bien fait voir qu'il en étoit zélé Amateur & Cultivateur , par la conftance & le courage fans exemple , qu'il lui a fallu avois pour furmonter toutes les difficultés qu'il n’a pu que rencontrer dans l'exécu- tion de la Méthode de M. Thull. Malgré tout ce qu'on vient d'en dire, on ne peut que donner les plus grands éloges au célébre Acadé- micien qui a bien voulu en être l’'Apologifte ; puifque l'Agriculture lui a des obligations réelles. Avant lui on n'ofoit, pour ainfi- dire, en écrire, ni en traiter; on auroit même cru s’avilir. Ayant donc franchi le pas, il eft parvenu à fi bien faire fentir de quelle importance il étoit de s’appli- quer à l’Agriculture & de la con- noître, qu'aujourd'hui il n'y a qu que ce foir qui ne fe fafle un plaifir DE M THuLrz $69 de s’en occuper, & qui ne convien- ne qu'elle eft réellement le feul & unique fondement de toutes nos richefes folides. En un mot c’eft lui qui a ranimé en France le goût de l'Agriculture , qui y étoit comme perdu. EUTAN. 570 SUPPLÉMENT. + ! ÉPÉLEPLITS SUPPLÉMENT. OBSERVATION Sur l'Article IV de la Section des Engrais, page 194. Hans le tems que l’Auteur des Prairies artificielles n’étoit encore que novice dans la pratique de l’Agri- culture, il avoit commencé par faire une très-grande quantité de prairies & par acheter beaucoup de beftiaux, voulant fe preffer de jouir & de mettre fon corps de Ferme en plei- ne valeur : mais, ayant reffenti auffi- tôt le défaut de pailles, & s'étant laflé d'y fuppléer en en achetant les premières années, il a été enfin SUPPLÉMENT. $71 obligé de réformer fes prairies & fes beftiaux pour enfuite ne les augmenter qu'au fur & à mefure que le produit des pailles augmenteroit dans fon corps de Ferme. On a donc raïfon de dire que ceux qui trouvent trop lente la Méthode qu'il propofe pour parvenir à bien exécuter le renouvellement de len- grais fur la totalité d’un corps de Ferme , quelque confdérable qu'il puüfle être, font fans expérience, ou du moins qu'ils n'ont pas encore pratiqué aflez long-tems pour bien fçavoir ce qu'il en eft de l’Art de l'Agriculture fur toutes fes opéra- tions, $72 SUPPLÉMENT. DIR'SER V'AITAONN Sur le Chapitre IV dx Manuel d’Agri- culture pour le Gouvernement , page 489. N E feroit-il pas plus avantageux pour le rétabliflement général de Agriculture en France , de propo- fer dès-a-préfent des prix ou des ré- compenfes confidérables en faveur des premiers Propriétaires qui, par eux - mêmes ou par leurs Fer. miers, parviendroient à doubler & a tripler le revenu de leurs corps de Ferme de la contenance de trois cents arpens, ou au moins de deux cents, foit par le renouvellement de terrein, enemployantle travail de la charrue , foit par le renouvellement & l'entretien de l’engrais , foit enfin par l’un & par l’autre exécutés en même tems ? eh be eee ee mers este age eee apoofe uuge date age she onto D EE NES LH Cd 608 POS DES MATIÈRES. MANUEL D’AGRICULTURE. ÂDrE Sommaire de l’'Ouvrage , Page V Explication de l'Eftampe, XIX T2 PE TER QE SEPT ET PACE OC PAT MENT EEE, ARTICLES PRELIMINAIRES. ART. I. De la pofition de notre Agri- culture , page I ART. IL Des différentes façons dont nos terres font tenues par les Gens de la Campagne, ART. II. Du déläbrement de lAgri- culture en France, 16 ART. IV Des véritables caufes du dé- lâbrement de Agriculture, 27 ART. V. Des Pratiqueslocales,& comme Jeur établiffement renferme & con- tient la feule & véritable Méthode de l'Agriculture, 3$ PLAN, de ce Manuel dans lequel on propofe les vrais & feuls moyens de rétablir l'Agriculture, 6; $74 TABLE PREMIÈRE PARTIE. Manuel d'Agriculture pour le Laboureur. DEFINITION de l'Agriculture: Quelles font fes opérations ? Quel eft ion vrai Principe ? En «quoi confifte la Méthode qui en réfuite ? page 69 Cap. Il. De l'examen des Ter- Jeins, Secrion I. Comment on doit exami- ner les terreins, 74 SEcTioN Il. Les fortes de qualités gé- nérales & communes qui fe trouvent fur tout térrein, ; 7 SEcTION III. Ce qui occafonfe les qualités des bons , des médiocres & des inaüväaïis terreins , & de la diffé- rence des féls & des fuücs qu'on y trouve , I Cap. li. De l'expérience, com- ment on l'acquiert ; & quels font fes effets , 87 CHap. II. Des différentes façons d'exécuter les opérations de l’A- gricuiture relativement à toutes les fortes de qualités de ter- reins. DES MATIÈRES. $7s SecTION I. De l'opération du la- bour , page 91 $ I. Du labour à plat , par bandes & par plan- ches, 92 $ II. On ne peut trop répéter le labour, 95 $ III. On doit foncer le labour, f{clon que le terrein a plus ou moins de fond, 100 6 IV. En quel tems il convient de commen- cer les labours, 232 $ V. Maximes générales fur les labours, 137 $ VI. Des charrues & autres inftrumens ufités dans toutes les Pratiques locales, 159 & VII Le Laboureur doit être bien monté, 161 SecrTion IL De l'opération de l'En- grais , 16$ $ 1. ies différentes façons d’exécuter les opé- rations de l’Engrais, 169 $ II De l'entretien & du renouvellement de l'Engrais, 171 $ III. Comment exécuter le renouvellement de l’Engrais fur la totalité d'un corps de Ferme de trois cents arpens:, 173 $ IV. Comment fe procurer tous les ans la grande quaniité d'Engrais nécetfaire pour exécurer leur renouvellement fur un corps de Ferme de trois cents arpens , quoique la Nature n'y ait point établi de prai- ries , 180 $ V.. Des grands avantages de la pratique du renouvellement d’Engrais, i 196 $ VI. Autre pratique du renouvéilement d’En- grais , 212 $ VIT. Des Engrais de beftiaux ; 216 $ VIII Commeut s’y prendre pour faire con fommer les Engrais de beftiaux en- peu de téms , 22 $ IX. Réponfe à un certain Auteur au- fujec des établiffemens de Prairies , 137 Supplément à l'Article des Engrais. 579 576 TA-B LE SecTioN III. Des Jachères , page 243 6 $ I. Ce qu’on entend par Jachères, 24 $ II. Ce qui occañonne & néceflice les Jachè- res 249 $ It. De la divifion & du partage des terres à Jachères, 258 $ IV. De l’obfervation générale des Jachères, 174 *$ V. De la fuppreilion des Jachères par le re nouvellemegt de terrein, 278 $ VI. De la fuppreflion des Jachères par le renouvellement de l’Engrais, 292 $ VII. De la divifion & du partage des terres qui font fans Jachères, 319 $ VIII. Comment un Laboureur doit fe con- duite en tout paÿs, par rapport aux Ja- chères » 319 $ IX. Conclufion, 323 Section IV. De l'opération des Se- mences , 2$ $ 1. Comment fe procurer la meilleure qua lite de froment, 327 $ II. De la bruine & de fa véritable caufe, - 339 $ III. Lotion, ou leflive éprouvée pour forti- fier le froment, &c. 343 .$ IV. Ce qui doit régler , par arpent , la quan- tité de froment qu'il convient de femer , , LA u 7 $ V. Ce qui eft ufité dans toutes les Pratiques locales pour jeter & répandre également la femence , 572 $ VI. Le Laboureur ne doit faire fes femences que dans un tems convenable, 373 CONCLUSION de cette première Partie, 375 SECONDE DES MATIÈRES. s77 SECONDE PARTIE. Mn d'Agriculture pour le Propriétarre. INTRODUCTION ;, page 379 CHap. I. Le défaut de prairies ne peut être réparé que par les Propriétaires, 381 CHap. IL Comment les Proprié- taires doivent s'y prendre pour faire faire des établiffemens de Prairies , 390 CHapr. III. Ce que le Propriétaire doit encore faire après l’établif- fement de la prairie, 41$ Cxar. IV. Ce qu'un Propriétaire doit fçavoir pour donner une jufte eftimation à la location de fa Ferme, 424 Cuap. V. Ce qu'il en coûteroit au Propriétaire pour faire faire une prairie dans le courant d’un bail de neuf ans, 437 CHap. VI. De certaines attentions que le PRÉPARER doit avoir fur fon corps de Ferme, 451 Oo 78 DES MATIERES. Car. VIL Ce qu'un Propriétaire doit fçavoir de l'Agriculture, PIE 457 CONCLUSION de cette feconde Partie. 462 TROISIÉME PARTIE. Manuel d'Aporiculture pour le Gouvernement. INTRODUCTION , 465 CHapr. I. Comment le Gouverne- ment peut concourir à retirer nos Laboureurs de leurs rou- tines , 468 CHar. Il. Comment le Gouver- nement peut concourir à remé- dier au défaut de prairies, 472 Cap. II. De quel avantage 1l fe- roit que le Gouvernement con- nût la jufte valeur de nos ter- res, 479 CHap. IV. Combien il feroit avan- tageux au Gouvernement de s'in- fruire de l'Agriculture, 483 OBSERVATION , 572 DES MATIÈRES. 579 Réfanion à de la Nouvelle Méthode de M. Thull. INTRODUCTION ; page 493 PREMIÉRE PARTIE. Précis de la Nouvelle Méthode de M. Thull. 495$ SECONDE PARTIE: Réfuration de la Nouvelle Mé- thode de M. Thull. INTRODUCTION , 509 CHap. I. La Méthode de M. Thall ne convient point à la pofition de notre Agriculture & à la fitua- tion de nos terres, 514 CHap. IT. Les fréquens labours fur les racines du froment , ne peu- vent lui être aufli avantageux que le prétend M.Thuil, $29 CHap. ll. De la fuppreffion des Engrais , 544 Oo i Bo TABLE, &c: CHaAP. IV. On ne conçoit pas com ment on entend, dans la nou- velle Méthode, la fupprefñion: des jachères qu’elle annonce , | . Page SAT. CHAP. V. Des expériences rap- portées en faveur de la Nouvelle Méthode , 536 CHapr. VI De l'inutilité de l'ufa- ge du femoir dans la façon or- dinaire de cultiver, 559 CONCLUSION , 565 EIRE OMC AP SE ET PCA] SUPPLÉMENT OBSERVATION fur l'Article IV de la Seétion des Engrais, 570 OBSERVATION fur le Chapitre IV du Manuel d'Agriculture pour le Gouvernement, s72 Fin de la Table des Matières. NZ Ca)? = APR OBAT TON: j A1 LU, par ordre de Monfeioneur le Vice-Chancelier, un Marnufcrit qui a pour Titre : Manuel d'Agricul- ture pour le Laboureur, le Propriétaire & le Gouvernement | & je penfe que cet Ouvrage eft très-digne de l’im- prefion. À Paris ce 10 Décembre 1763. Signe MACQU ART, Cen- feur Royal. PRIPLLEGE »r DU (ROL EL OUIS , par la grace de Dieu , Roi de France & de Navarre , à nos amés & féaux Confeillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Maïtres des Re- quêtes ordinaires de notre Hôtel , Grand- Confeil , Prevôt de Paris , Baillifs , Sé- néchaux , leurs Lieutenans Civils & au- tres nos Jufticiers qu'il appartiendra , SALUT. Notre amé le fieur de /a Salle de l'Etarg , Nous 2 fait expofer qu'il défireroit faire imprimer & don- ner au Public un Ouvrage de fa compofi- tion qui a pour titre: Manuel d'Agriculture 532 pour le Laboureur, pour le Propriétaire & pour le Gouvernement : S'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Privilége pour ce néceflaires; À ces caufes , voulant fa- vorablement traiter l’Expofant , Nous lui avons permis & permettons par ces Pré- fentes, de faire imprimer fondit Ouvrage autant de fois que bon lui femblera , & de le faire vendre & débiter par tout notre Royaume pendant le temps de &x années confécutives , à compter du Jour de la date des Préfentes ; faifons défen- fes à tous Imprimeurs , Libraires & au- tres perfonnes , de quelques qualité & con- dition qu’elles foient , d’en introduire d’im- refion étrangère dans aucun lieu de Nos obéiflance ; comme aufli d'impri- mer ou faire imprimer, vendre, faire vendre , débiter ni contrefaire ledit Ou- vrage , ni d’en faire aucun extrait, fous quelque prétexte que ce puifle être, fans la permiffion exprefle & par écrit dudit Expofant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confifcation des exem- plaires contrefaits , de trois mille livres d'amende contre chacun des contreve- nans , dont un tiers à Nous, un tiers à J'Hôtel-Dieu de Paris, & l’autre tiers au- dit Expofant , ou à celui qui aura droit de lui, & de tous dépens , dommages & intérêts ; à la charge que ces Préfentes feront enregiftrées tout au long fur le Regiftre de la Communauté des Impri- meurs & Libraires de Paris , dans trois 553 mois de la datte d’icelles ; que l'impref fion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en bon papier & beaux caractères conformément à la feuille imprimée , attachée pour modéle fous le contre-fcel des préfentes ; que lim- pétrant fe conformera en tout aux Régle- mens de la Librairie, & notamment à ce- lui du 10 Avril 1725; qu'avant de l’ex- pofer en vente, le Manufcrit qui aura fervi de copie à l’imprefion dudit Ouvra- ge , fera remis dans le même état où l'Ap- probation y aura été donnée ès mains de notre très-cher & féal Chevalier Chance- lier de France , le Sieur DE LAMOIGNON ; & qu'il en fera enfuite remis deux exem- plaires dans notre Bibliothéque publique, un dans celle de notre Château du Lou- vre , un dans celle dudit Sieur DE L A- MOIGNON, & un dans celle de notre très -cher & féal Chevalier Garde des Sceaux & Vice-Chancelier de France, le Sieur DE MAUPEOU: le tout à peine de nullité des Préfentes : Du con- tenu defquelles vous mandons & enjoi- gnons de faire jouir ledit Expofant & fes ayans caufes , pleinement & paifiblement , fans fouffrir qu'il leur foit fait aucun trou- ble ou empêchement : Voulons que la co- pie des Préfentes , qui fera imprimée tout au long , au commencement ou à la fin dudit Ouvrage , foit tenue pour duement fignifiée, & qu'aux copies collationnées pat l’un de nos amés & féaux Confeillers 554 7 Sécretaires , foi foit ajoutée comme à l'O- riginal. Commandons au premier notre Hüïflier ou Sergent fur ce requis , de faire , pour l'exécution d'icelles , tous actes requis & néceffaires, fans demander autre permiflion & nonobitant clameur de Haro , Charte Normande & Lettres à ce contraires : CAR tel eft notre plaifir: Don- né à l’aris , Le guirziéme jour du mois de Fé- vrier l'an de grace mil fept-cent foixante- quatre, & de notre Régne le quarante- neuviéme. Par le Roi en fon Confeil , Signé, LE BÉGUE. Regifiré fur le Regiftre XVT de la Cham= bre Royale & Syndicale des Libraires & Im primeurs de Paris, N° 86, fol. 76, con= formément au Réglement de 1723 , qui fair défenfes , Art. XLI. , à toutes perfonnes de quelques qualité & condition qu'elles foient , au= res que les Libraires & Imprimeurs de vendre, débiter, faire afficher aucuns Livres pour les vendre en leurs noms, foit qu ils s’en difent Les Auteurs | ou autrement , & à la charge de four- nir à La fufdite Chambre néuf exemplaires prefcrits par l'Art. 108 du même Réglement : Æ Paris , ce 23 Février 1764, Signé, LE BRETON, Syndic. | De l’Imprimerie de LOT TIN l’Aîné, Libraire & Imprimeur de Monfeigneur le Duc de BERRY. l A cu " en 7 j