U dVof OTTAWA

39003002-131210

Digitized by the Internet Archive

in 2011 with funding from

University of Toronto

http://www.archive.org/details/margueritechalisOOmazo

tf(/l

r

-h

MARGUERITE CHALIS

il LA M «. R N D E

DE CL OTILDE DE SURVILLE

Pari'.. |. ClAYE, Imprimeur, 7, rue S'-Henoit- - [876]

MARGUERITE CHALIS

i i LA LÉ0END1

/)/ < / "T//7)/ /)/: suKjjn / /

PAR A. M A/ON

i |UI i "u i in N tli i i i i>i h «m m Dl D1 i ITII i i

Siu\ ie de l'tcte Ji- tnarii villi

d*unc letti de M. 1 ugéne Villard .'une lettre *l< M

PARIS

ALPHONSE LEMERRE, EDITEUR 27 - 2 93 passage chois e ul, 27-20

M DCCC L X X 1 1 1

Y

PiBLi

.SfZ.7*

arà

MARGUERITE CHALIS

a publication des Poésies de Clotilde Ae Surville, en iHoj, souleva à la fois admiration et le doute : l'admiration pour le poëte, le doute sur sa veri- »le personnalité et sur son époque. A notre avis, le procès littéraire est depuis longtemps juge. Dès l'apparition du vo]ume édité par Charles de Vanderbourg, les lettrés recon- nurent une main plus récente et une langue mieux formée, en dépit de ses coquetteries d'antiquité, que la main et la langue d'un poète du xve siècle. Depuis Carrion-Nisas et Philippe de Ségur jusqu'à MM. Villemain et Sainte-Beuve, les critiques les plus autorisés se sont constam- ment prononcés contre l'authenticité des poésies de Clotilde, les attribuant, qui à Vanderbourg, qui au marquis de Surville, mais s'accordant tous

MARGUERITE CHALI».

a y reconnaître une inspiration et une facture modernes.

Au risque de blesser la susceptibilité patrio- tique de quelques-uns de nos concitoyens de l'Ardéche, nous devons avouer que ce jugement des critiques nous paraît parfaitement fondé. Il y a, en effet, dans les poésies publiées sous le nom de Clotilde, une netteté d'idées, une sûreté d'expressions, une maturité, une souplesse de langue, enfin un goût; une mesure et un senti- ment de l'harmonie qui n'existent pas, qui ne pouvaient pas exister chez les écrivains du xve siècle. Toute personne compétente qui, sans parti pris, voudra comparer les œuvres de cette époque avec les poésies de Clotilde, partagera notre conviction à cet égard.

Mais si le procès littéraire proprement dit est depuis longtemps jugé, et les pièces authenti- ques que nous apportons dans le débat vont don- ner au jugement rendu une éclatante confirma- tion, — le procès d'histoire littéraire est loin d'être aussi avancé. En d'autres termes, après la démonstration faite par les critiques, que les poésies de Clotilde ne sont pas du xvc siècle; après celle de M. Macé * , qu'elles ne peuvent

i. Les Poésies de Clotilde de Surville, études nouvelles, suivies de documents inédits, par M. Antonin Macé. Gre- noble, 1S70.

..lion» : I

. : |

i toujours a trov-

| lus belles de la |

Ht ouvrage «:

s de i >b!e. a mis en 1. néon

quai . dont un bref expos.

ntelligence de ce qui doit :age de que . s de Clotilde étaient lœuv.

:erbourg ou jrville.

En i ^ :. :i d'un article pu

at une lettre de ML lent du t.

nal civil de B: G la Correze,

:ement juste lors- .es au marqu

MARGUERITE CHAHS,

Surville. Ce fait est pour moi de la plus grande certitude, car il m'a été certifié par mon père qui, ayant ete le compagnon d'infortune du malheureux Surville et son ami intime, avait fini par lui arracher l'aveu qu'il était réellement l'auteur des prétendues œuvres de son aïeule... Vous pouvez compter entièrement sur l'exacti- tude de ces renseignements K »

Quand on a lu le travail de M. Macé, il est aisé de s'expliquer ce qui a pu donner lieu a cette affirmation. Il en résulte clairement, en effet, que le marquis de Surville avait plus ou moins altéré l'œuvre primitive dont il était pos- sesseur, ce qui, dans un moment de vanité, a bien pu lui faire dire qu'il était l'auteur même des poésies de Clotilde; mais cette version a contre, elle d'autres faits beaucoup mieux prou- vés, qui ne permettent pas, selon nous, de s'y arrêter longtemps.

La légende survillienne raconte que le marquis Etienne-Joseph de Surville découvrit, en 1782, les poésies de Clotilde dans de vieux papiers de famille, et qu'il les déchiffra et les transcrivit avec l'aide d'un feudiste.

Ce fait, qui a été confirmé à Vanderbourg par

1. Note insérée à la fin du Tableau historique et critique de la poésie française au xvie siècle, par Sainte-Beuve, 1845. Paris, Charpentier. v

MARGUERITE CHALIS.

le frère du marquis de Surville, est, en outre, atteste par plusieurs témoignages dont quelques- uns ont une véritable valeur.

Un compagnon d'armes du marquis, M. de Fournas, déclare avoir vu ce dernier transcrire un vieux manuscrit dont le caractère était à peine lisible.

M. Dupetit-Thouars, auteur de l'article Sur ville dans la Biographie universelle, dit avoir connu le marquis de Surville a Paris en 1790 et avoir vu, des cette époque, entre ses mains le manuscrit des poésies de Clotilde.

30 Le marquis de Brazais, qui était avec le marquis de Surville, en 1797, dans le canton de Vaud, lorsque le nom et quelques extraits en prose et en vers des œuvres de Clotilde furent pour la première fois livres a la publicité par le Journal littéraire de Lausanne que dirigeait Mme Polier, le marquis de Brazais, disons-nous, déclare que Surville lui avait communiqué tous les manuscrits de son aïeule et qu'il l'a aide dans la revision et la correction de plusieurs morceaux. La lettre du marquis de Brazais a M""' veuve de Surville, que reproduit M. Macé, n'est pas sans importance au point de vue qui nous occupe, et nous en U le passage suivant :

" J it lie, madame, avec votre

malheureux .poux et même avec son frère. Eu me communiquant tous les ouvrages de Clotilde

MARGUERITE CHALls,

de Vallon, il m'avait fait part de son plan pour Pédition; il m'avait engagé à l'aider et a corriger certains morceaux. Sans son inflexible amour pour les mots les plus vieux et les plus inintel- ligibles, je m'en serais fait un plaisir; car le génie sensible, délicat et sublime de Clotilde perd autant par la barbarie des vieux mots insi- gnifiants que Surville lui a prêtés dans son enthousiasme pour la langue romane que par une élégance trop moderne qu'il lui a quelquefois donnée 1.,. »

A ces faits recueillis par M. Mace nous pouvons joindre le suivant :

Quand le marquis de Surville quitta la Suisse pour venir en France remplir la mission poli- tique qui devait avoir pour lui un résultat si fatal, il passa à Lyon et alla, un soir, surprendre un de ses compatriotes du Vivarais, M. Cham- pahnet, oncle de M. Hippolyte Champahnet, dé- puté de l'Ardéche sous Louis-Philippe. Le mar- quis portait avec lui un vieux manuscrit des poésies de Clotilde dont il donna lecture à ses hôtes pendant les quelques jours qu'il passa à Lyon. Ce manuscrit était chargé de corrections et de ratures. M. Hippolyte Champahnet en avait copié une partie 2.

i. Macé, p. 127.

2. Ce fait nous a été raconté par M. Tailhand, député

M A R G U F. R I T K C H A L I s .

Le marquis continua sa route vers le Velay. On sait qu'il fut arrête du côté du Puy et fusillé dans cette ville le 2 octobre 1798.

La veille de sa mort, il écrivit à sa femme une longue lettre reproduite pour la première fois en entier par M. Macé et dont il suffira de rappeler le passage suivant déjà publie par Vanderbourg :

« Je ne puis te dire maintenant ou j'ai laissé quelques manuscrits de ma propre main, rela- tifs aux œuvres immortelles de Clotilde que je voulais donner au public. Ils te seront remis quelque jour par des mains amies a qui je les ai spécialement recommandes. Je te prie d'en com- muniquer quelque chose a des gens de lettres capables de les apprécier, et d'en faire après cela lusage que te dictera ta sagesse. Fai te au

moins que ces fruits de mes recherches ne soient -talement perdus pour la postérité, surtout pour l'honneur de ma famille dont mon frère l'unique et dernier - ' . »

et président de chambre à la Cour de Nimes, qui le tenait lui -même de son parent, M. Hippolyte Champanhet.

cent, dan res du

Vivarais pendant lu Révolution, raconte ainsi la mort du marqi; lie :

Arrivé sur la place d'Armes, If r, dit-il à l'offi-

ui commandait le d I inutile de

..der un prêtre fidèle , , d'ail-

M A K G U E R I I E C H A L I S .

La disparition des manuscrits originaux de Clotilde est expliquée, dans la légende survil- lienne, soit par la perte d'une malle que le mar- quis, à son départ de Suisse, aurait remise à un homme de confiance, soit par la destruction de tous les papiers de la famille de Surville, qui auraient ete livrés en 1793 au comité révolution- naire de Viviers et brûlés par ses ordres.

Environ trois ans après l'exécution du marquis de Surville, le 2 décembre 1801, Charles de Van- derbourg écrivit a sa veuve qui habitait l'ancien manoir d'Olivier de Serres, le Pradel, prés de Villeneuve-de-Berg, pour lui demander commu- nication des manuscrits de son époux et lui offrir d'en être l'éditeur1. Vanderbourg raconte dans

leurs, à de grands malheurs; veuillez donc, s'il vous plaît, rn'envoyer le curé constitutionnel.» Le pasteur arrive. «Je vous plains, monsieur, lui dit le marquis, d'avoir donné ce funeste exemple de prévarication; je sais néanmoins que, dans le cas présent je me trouve, je puis me servir de vous. Daignez m'administrer. » Le curé, fondant en larmes, remplit son pénible ministère. M. de Surville reçut ses consolations avec une piété et une douceur vraiment angé- liques.Un soldat s'avance pour lui bander les yeux. «Com- ment! dit-il, depuis mon enfance ]e sers le ciel et mon roi, et vous ne me supposez pas assez de courage pour voir venir le plomb mortel! Frappez. » Il est à l'instant obéi.

1. Pauline de Mirabel, veuve du marquis de Surville, est morte en 1843 à Villeneuve-de-Berg, elle partageait

MARGUERITE C H A L I S ,

cette lettre qu'il a, pendant les premiers mois de son émigration, en 1794, résidé a DusseldorfF, en même temps que le marquis de Surville, lequel avait dès lors donné connaissance à plusieurs personnes de quelques-unes des poésies de Clo- tilde. Vanderbourg eut même communication de l'un des volumes de ces poésies ; et, par une indis- crétion dont il s'accuse, il prit copie de trois des pièces qui s'y trouvaient : la romance a Rosa- lyre, l'heroïde a Berenger, le chant royal à Charles VIII.

Mrne de Polier et le marquis de Brazais, infor- mes de cette démarche par Vanderbourg lui- même, s'adressèrent aussitôt, dans le même but, a MBM de Surville qui, d'ailleurs, ne possédait pas encore les manuscrits et ne les reçut que quel- ques mois plus tard de la famille de Chabanolle qui le marquis avait trouve un asile dans le 00 »es papiers étaient pourparlers qui eurent heu alors entre La marquise de Surviile et les trois solliciteurs, que les divers incidents qui précédèrent la publi- ât fort 1: pour la plup notre SUJel .Les

Vandc-r M""' de Surviile (il y

1rs entre la prière, la lecture et le soula^emc pauvres, qui la regardaient comme leur t; sur Vilkneuve-de-Bcrg, par l'abbé Mollier, p. 52.)

I O M A R G u E R I r E C H A L I 8.

en a vingt et une) font le plus grand honneur a cet écrivain et montrent chez lui autant de loyauté que de délicatesse de sentiments. La reproduction intégrale de ces lettres montre aussi l'impartialité de M. Macé, car plus d'un lecteur attentif en tirera, comme nous, la conclusion que Vanderbourg lui-même n'a jamais cru d'une foi bien ferme a l'authenticité des poésies de Clotilde et qu'il avait fini par ne plus y croire du tout. Nous allons indiquer brièvement les passages a l'appui de cette opinion.

Des le lendemain du jour ou les trois volumes manuscrits du marquis de Surville lui sont par- venus (22 juillet 1802), Vanderbourg exprime franchement les doutes qu'ils lui ont inspirés. ((Je me suis déjà occupé à les parcourir, ecrit-il à la marquise, et je vous avouerai franchement que ce que j'en ai vu n'a encore servi qu'a redou- bler mes doutes. Il est bien singulier que le poème le plus considérable de.la collection soit les trois plaids d'or dans l'un des volumes, et soit devenu les cinq plaids d'or dans un autre plus récent. Comment M. de Surville n'a-t-il pas au moins conservé le manuscrit de Jeanne de Vallon, si les originaux de Clotilde même n'existoient plus? J'aurois mille autres questions à vous faire, aux- quelles peut-être vous ne seriez pas plus en état de repondre que moi, et qui toutes révoquent en doute, d'une manière presque irréfutable, l'au-

MARGUERITE CHALIS. II

thenticite des manuscrits. D'un autre côte, on ne sauroit comprendre comment au bout de trois cents ans un homme auroit pu si bien saisir et peindre les sentiments, les intérêts d; une femme, d'une mère, d'une Françoise du tems de Char- les VII ; comment il se seroit amuse a faire des rondeaux contre Alain Chartier, et a imaginer tous les personnages dont parle Clotilde. Je m'y perds, en vérité; ce ne sera qu'après une lecture complète et réfléchie que je pourrai essayer de former un jugement, qui peut-être encore se terminera par le doute K »

Dans une autre lettre, en date du 21 août 1802, après avoir dit ce qu'il pensait du roman le Chus tel d'Amour, qui « est évidemment d'une main moderne, » Vanderbourg ajoute:

" Quant au second cahier qui renferme diffe- tnorceaux que M. de Surville destin ce qu'il paroît, a faire le premier volume de scmi édition, j'avouerai franchement que je voudrois ne lavoir pas vu. Ce vola t propre qu'a

détruire toute L'illusion d( - de Clotilde,

qu'a r en doute leur authenticité. J'ai

eu l'honneur de vous parler de la confron- : que j'ai faite du conte de* Plaids d'or ce volume et dans l'ancien. Il y a quel- que chose de pif. La préface de Jeanne de Val-

1. Ifacé, p. 13}.

MARGUERITE CHAHS.

Ion n'est pas non plus la même dans les deux volumes, a l'article elle parle des ouvrages de Clotilde qu'elle veut publier. Elle en promet beaucoup plus dans le nouveau volume, et comme Jeanne de Vallon, depuis sa mort, n'a pu faire aucune découverte, une telle différence dans ce qu'on lui fait annoncer répand les doutes les plus fondés sur sa préface, sur son existence et par conséquent sur celle même de Clotilde et sur l'authenticité des manuscrits... La par- tie la plus intéressante de ce volume seroit l'histoire abrégée de la poésie francoise depuis Heloïse, si l'on pouvoit compter raisonnablement sur son authenticité ; mais cela est bien difficile. Comment croire a cette succession non inter- rompue de femmes- poètes pendant plusieurs siècles, sans qu'aucun de leurs contemporains en ait rien su? Comment croire que, tandis qu'elles cultivoient la poésie avec tant de succès et avec des progrès si marqués, tous les hommes de leur temps fussent livrés au mauvais goût et a l'ignorance, excepté quelques-uns de leurs amants? M. de Surville se réclame des mémoires de Clotilde : que sont-ils devenus? Comment n;en reste-t-il pas une seule page?... Déplus, la liste des ouvrages que contient ce même volume est très-nombreuse ; il y est question d'un poème épique tout entier, dont nous ne trouvons plus une seule ligne, et de ce roman

MARGUERITE CHAHS, 1 3

du Chàtel d'Amour que nous reconnoissons comme apocryphe. Clotilde, qu'il n'avoit annon- cée, dans son ancien manuscrit, que comme poète, se trouve élevée dans le prospectus aux qualités d'historien, de romancier, de philoso- phe : en un mot, la Clotilde de 1794 n'est plus celle de 1796; elle n'en est que l'embryon, et cependant il est impossible de croire que M. de Surville, pendant ces deux années passées hors de France, ait pu recouvrer de nouveaux manu- scrits. Je ne vous dirai pas que ces stances de Barbe-de-Verrue, qu'il donne ici comme tirées ta de Clotilde, il disoit, en 1794, les avoir prises dans les manuscrits de Saint-Ger- main-des-Pres, ni que je possède la copie d'une traduction de Sapho par Clotilde qui ne se trouve dans les manuscrits que j'ai reçus... Ce sont la des bagatelles : il faut en venir a la con-

:i. Vous l'avez déjà prévue, madame ;

jue toute personne un peu instruite qui ne connoltroit Clotilde que par ce volume, que M. de Surville voulait publier le premier de

et le

^:t sur Les pr que l'on em,

pour en démontrer L'auto

« il nom maintenant 1 volume

ou plutôt le premier, car il est le plu Si la b : 1 1 c a 1 1 ' > r 1 , L'ei

| lus modernes, et certains

i+ mar.guer.itl: chahs,

mots nouvellement inventés font soupçonner à juste titre que les poésies de Clotilde ne sont pas du régne de Charles VIII7 d'un autre côte, la vérité des sentiments, l'enthousiasme poétique pour des événements si éloignés de nous, quel- ques traits qui ne peuvent partir que du cœur d'une femme, les rondeaux contre un poète, mort il y a trois cents ans, combattent puissam- ment pour l'authenticité des pièces renfermées dans ce volume. La préface de Jeanne de Vallon y est même favorable, pourvu toutefois qu'on ne puisse la comparer a celle de la seconde édi- tion. En un mot, qui ne connoît que ce volume peut au moins douter i. »

Lettre du 7 octobre 1802, Vanderbourg écrit : « Je suis reste ferme dans mon opinion ou plutôt dans mes doutes... »

Et plus bas : « Puisque le ministre ne veut pas croire a l'authenticité des poésies de Clotilde, il est inutile de soutenir dans le public une opi- nion qui n'est pour nous-même que douteuse 2. »

Lettre du 9 juin 1803 adressée au frère du marquis de Surville : « Les poésies de Clotilde feront, au premier coup d;œil, autant d'incre- dules que d'admirateurs éclairés. »

Lettre de la même époque à Mme de Surville:

1. M.a.cè, p. 134 à 137.

2. Macé, p. 141.

MARGUERITE CHALIS. J$

« L'histoire des femmes-poètes est si romanesque qu'il auroit mieux valu n'en jamais parler *. »

Lettre d'octobre 1805 : « M. de Villeneuve m'a fait passer divers morceaux copies de sa main ou de celle de M. de Surville et attribués a Clotilde, mais je vous avoue que je les crois tous supposes. Tout me prouve qu'en cela M. de Surville ressembloit a beaucoup d'autres a qui l'appétit vient en mangeant; qu'il n'avoit réelle- ment emporté de France que tres-peu de pièces originales de Clotilde et qu'il a voulu y suppléer de son propre fonds. »

La rin de cette lettre est encore plus caracté- ristique. Vanderbourg dit qu'il ne cesse de penser à Clotilde et qu'il acheté tous les vieux poètes qu'il rencontre, mais sans en trouver un seul qu'on puisse lui comparer, soit pour les pensées, soit pour la perfection de la versification et du " Le sentiment seul, ajoute-t-il, soutient ma foi, mais en admettant que les œuvres de la muse de l'An:

Il n .:>le que de la à considi rer

.1 il n'y a pas bi m loin. En L'ouvrage de M. Macé démontre

clairement :

i p- 17*-

\6 M A K G U I. R I I IL C H A L

QueVanderbourg n'a été que l'éditeur intel- ligent et consciencieux des poésies de Clotilde, et que ces poésies provenaient trés-réellement des manuscrits du marquis de Surville ;

Que ce dernier a eu en sa possession de vieux manuscrits qu'il a plus ou moins altérés en bien ou en mal ;

Que les poésies assez médiocres dont le marquis de Surville est l'auteur avoué, non moins que ses affirmations constantes, a la veille même de sa mort, ne permettent pas de lui attribuer l'œuvre primitive sur laquelle il a travaillé.

Voici la conclusion de M. Macé:

« Il a existé, au xve siècle, dans le Vivarais, une femme-poéte d'un rare mérite, Clotilde de Vallon, épouse de Bérenger de Surville; ses vers ont été modifiés, corrigés, gâtés, embellis, au xvne siècle, par une de ses descendantes, Jeanne de Vallon, et à la fin du xviue, par le marquis de Surville aidé de Mme de Polier et du marquis de Brazais. Nous n'avons donc pas l'œuvre pri- mitive ; ce que nous en possédons est, suivant la très-heureuse et très-juste expression d'un cri- tique, un excellent tableau original retouché far des mains habiles 1. C'est la, j'en suis de plus en plus convaincu, le dernier mot de la question 2. »

i. Lava, article du Moniteur, 26 juillet 1803. 2. Macé, p. 193.

MARGUERITE CHALIS. r 7

Que les poésies de Clotilde soient un excellent tableau original retouché par des mains habiles, nous ne le contestons pas, en faisant nos réserves pour la date ; mais qu elles soient l'œuvre de la personne indiquée par la légende, voilà, croyons- nous, ce qu'on ne pourra plus dire en présence des documents que nous venons livrer a la publicité et dont nous allons d;abord raconter l'origine.

Avant nos désastres de 1870, nous avions de temps a autre, a Paris, le plaisir de nous ren- contrer avec deux de nos compatriotes et amis, M. Henri d'Audigier et M. Henri de la Garde. Le pays natal tenait naturellement une large place dans nos causeries, et c'est ainsi que d'Audigier nous lut quelques- uni fort curieuses qu'il avait découvertes dan- un vieux manuscrit, petit in-4*, provenant du châ- de Chômera:, manuscrit que lui avait . Ce pré-

cieux débris, miraculei ppé aux ruines

et demi, et que nous contem-

n 1 tait autre

quel tre de notaire [Manuale notarum)

Antoine de Brion, n ttaire a Privas,

pour l'année 1437. D'Audigier, qui avait autant

m% 1 amour des choi rineSj inrtout

\

itt MARGUERITE C H ALI S.

de celles qui se rattachent à l'histoire du Viva- rais, était parvenu, bien qu'étranger à l'étude des chartes, a déchiffrer entièrement ce véné- rable bouquin et, au moyen des indications de toutes sortes qu'il y avait recueillies, il se pro- posait de reconstituer l'ancien Privas du xve siècle, avec son état civil, son aspect féodal, ses mœurs et sa topographie.

Deux articles publiés par lui en 1869 ou 1870 dans le Constitutionnel donnent une idée de l'intérêt qu'aurait présenté ce travail, même pour des lecteurs non vivarois. Le premier racontait, d'après un acte du Manuale notarum, une action intentée par un Privadois a un autre Privadois qui l'avait traité de Bourguignon (on dirait aujourd'hui Prussien) , et le second commentait d'une manière fort judicieuse, en les comparant au temps présent, les conventions passées par un patron privadois avec son apprenti.

Les événements, puis la maladie, empêchèrent cet érudit et charmant écrivain de mener a bonne fin la tâche qu'il s;était donnée, mais les notes qu'il a laissées ne seront pas perdues, car M. Henri de la Garde a résolu de continuer cet intéressant travail, et nous savons qu'il a déjà mis la main a l'œuvre.

D'Audigier avait trouvé dans le Manuale nota- rum les trois pièces qu'on trouvera a la lin de cet opuscule, et il nous les avait lues plus d'une

MARGUERITE CHALIS. 1 9

fois en faisant observer combien elles détrui- saient radicalement la fiction poétique, attribuée par lui à Vanderbourg, mais dont l'ouvrage de M. Macé fait remonter la responsabilité au marquis de Surville. Notre dernière rencontre avec d'Audigier date de septembre 1871 ; elle eut lieu chez M. Henri de la Garde, qui, encore cloue après dix mois sur son fauteuil, des suites d'une blessure reçue a l'assaut du plateau de Cœuilly, recevait notre commune visite. Quant a d'Audigier qui avait aussi fait bravement son devoir, en qualité d'artilleur auxiliaire, il était trop visible qu'il ne survivrait pas a la terrible maladie que lui avaient value les fatigues et peut- être les privations éprouvées pendant le siège. Il avait une de ces toux caractéristiques qui ne pardonnent guère, et lui-men, jns-nous,

ne se faisait pas illusion sur ion état. Il partit peu après pour Alger en emportant ses chers manu- scrits et entre autres Le HanUdlê noturum. On sait qu'il revint, l'été suivant, mourir au Bourg- Saint-Ami

documents que nous venons livrer a la

par nous sur la copie

qu'en avait f.. : toutefois

p collationné la a le manu

toujours entre les mains de M. Henri de ! G lonl nous

re que le

20 MARGUERITE C H A L I S .

pement de celles qu'avait fait naître chez d'Audi- gier et que fera naître dans tout esprit non pré- venu la comparaison de la légende de Clotilde de Surville avec l'histoire de Marguerite Chahs, femme de Bérenger de Surville.

Dès l'apparition des Poésies de Clotilde en 1803, la notice mise par Vanderbourg en tête du volume fut sévèrement jugée. On lui repro- cha d'avoir accueilli trop facilement des fables indignes de trouver place sous la plume d'un écrivain sérieux. On a vu plus haut ce que Van- derbourg pensait lui-même des difficultés de sa tâche, et. quand on connaît sa correspondance, on est beaucoup plus disposé à le plaindre qu'a le blâmer du rôle que ses ouvertures et ses offres spontanées a Mme de Surville l'obligeaient en quelque sorte de remplir jusqu'au bout. Dans la notice, qui est le résultat de cette fausse situa- tion, Vanderbourg a tire tout le parti possible d'une cause impossible à défendre; et si son œuvre est fatalement restée un déri porté à l'his- toire et au sens commun, il était aisé d'y voir, entre les lignes, même avant la divulgation de sa correspondance, que l'écrivain protestait plus d'une fois contre la dure obligation imposée a l'éditeur et à l'ami.

MARGUERITE C H A L I 3 . 21

La notice, en effet, malgré quelques réserves prudentes, ne tend rien moins qu'a faire accep- ter comme vraie au fond, sinon dans tous les détails, cette brillante généalogie de poètes fémi- nins (dont Vanderbourg est le premier a se moquer dans ses lettres) qu'avait imaginée l'au- teur de la légende, pour expliquer le phénomène littéraire qu'aurait présenté sans cela l'existence de Clotilde au xve siècle. Cette généalogie, les noms mêmes exhalent une odeur de roman, commence a Héloïse Fulbert, l'amante d'Abai- lard, et se continue jusqu'à Clotilde en passant par Agnes de Bragelongne, Doéte de Troves, Marie de France, Sainte-des-Prez, Barbe de Ver- rue, Rose de Crequy, Flore de Rose, Rose ■ces, Amélie de Montendre, Victoire delà Tour, Hélène de Grammont, Claire de Parthe- nay, Blan l ifin Justine de

Levis, la soi-disa: Cl >t:lde.

L'histoire de cette Justine de Levis va nous donner 0 de la façon de procéder du

m. .:s de Pu; un nom i

invra >le avant 1 î ri

M11' d - LOUÏI moi-

sel français du Kh ir el

surtout raillant cavalier, puisqu'un jour. . ra quinze

quarante

M A R G U E R III". C H A L I S ,

écumeurs de mer, presque tous gigantesques, et dont la moitié tombèrent sous ses coups. Pendant une de ses pérégrinations en Italie, Louis de Puytendre s'endormit un jour dans une forêt. Justine de Lévis, une noble Italienne, se prome- nant de ce côté avec deux de ses parentes, l'aperçut. La beauté du cavalier frappa les trois jeunes amies. Justine surtout en reçut une im- pression qui ne s'effaça jamais. Elle ne put s'em- pêcher de déposer ses tablettes auprès du bel inconnu après y avoir écrit les vers suivants en guise de déclaration :

Occhi, stelle mortali, Ministri de miei mali, Se chiusi m'uccidete, Aperti, che farete ?

(Yeux, étoiles mortelles, ministres de mes maux, si, fermés, vous me blessez, ouverts, que ferez-vous ?)

Après ce beau fait, elle s'éloigna bien vite ainsi que ses compagnes. On peut juger de l'etonne- ment de Puytendre lorsqu'à son réveil il trouva les tablettes et lut ce qu'elles contenaient. Il ne s'occupa plus que de la recherche de l'inconnue, et il parcourut inutilement l'Italie entière ; enfin, au bout de dix-huit mois, étant allé a un tournoi que les Visconti donnaient a Modene, il y re- trouva Justine, fut reconnu d'elle et l'épousa.

MARGUERITE CHALIS. 23

Notons, en passant, que les vers italiens cites plus haut sont de Guarini, qui vivait au xvie siècle, et que l'aventure dont il s'agit a été racontée du poète anglais Milton.

L'histoire de Pulchérie, la mère de Clotilde, n7est guère moins romanesque que celle de son aïeule.

Pulchérie naquit a Paris « ou elle passa neuf à dix années de son enfance et de sa première jeunesse... le goût des lettres fut cultivé chez elle par le célèbre Froissard. » A dix-sept ans, elle fut conduite a la cour de Gaston Phœbus, comte de Foix. Tandis que l'histoire nous représente ce prince comme occupe de guerres continuelles, ^ende survillienne en fait une sorte de père des lettres dont la bibliothèque du palais d'Or- thez contenait ce qui n'était réuni a cou;

aucune autre bibliothèque de l'époque. On y trouvait, en outre de nombreux manu-

;i Afrique a la fureur des premj ilmans, les meilleurs

ou > l'dç'-.- itali ux de n trou-

1 Pul hé-

I 11 avait une :

i nombre de

surtout des femmes qui avaient cultivé

la langue fran oert.

Fuie,1

MARGUERITE C H A L I S,

de Froissard, son maître, et en composa une guir- lande poétique les chefs-d'œuvre des anciens se trouvaient entourés de ce qui avait paru de meilleur en France et en Italie. Agnès mourut avant que ce travail fût achevé. Pulchérie était une vaillante amazone. Le comte de Vallon rom- pit une lance avec elle et, d'après les conditions de la joute, Pulchérie, s'étant laissé vaincre, con- sentit à lui donner sa main. Après la mort d'Agnès, Pulchérie obtint la permission de quitter la cour pour suivre son époux en Vivarais, et Gas- ton lui permit d'emporter les copies qu'elle avait faites. Pulchérie avait déjà deux nls, mais ce ne fut qu'après dix ans de séjour à Vallon qu'elle donna le jour a Clotilde. .

Donc, puisque Clotilde est née en 14.05 ou 1406, Pulchérie quitta Orthez en 139$ ou 1396. Or l'histoire fait mourir Gaston Phœbus en 1391, c'est-a-dire quatre ou cinq ans avant l'époque il aurait permis à Pulchérie d'emporter les copies faites par elle a Orthez, copies qui sont si impor- tantes, dans le système de la légende, pour expliquer chez Clotilde la rare connaissance de la langue française et des auteurs anciens et con- temporains que révèlent ses poésies.

La fable survillienne atteint, dans le récit de la naissance de Clotilde , un tel degré d'invrai- semblance, que Vanderbourg n'a pas osé en faire usage, laissant ce soin à Charles Nodier et Rou-

MARGUERITE CHAHS. 25

joux, dont la publication1, vingt-quatre ans plus tard, vint jouer dans cette affaire le rôle d'enfant terrible.

Clotilde naquit dans une forêt près de Vallon. Sa mère, la belle Pulcherie de Fay-Collan, femme de Louis-Alphonse-Ferdinand de Vallon, s'etant égarée a la chasse, en accoucha non loin de la cabane d'un bûcheron, un faux bûcheron enlevé par une princesse anglaise, Alienor, la tille des Tynds, qui avait voulu s'ensevelir avec lui dans cette contrée sauvage. Alienor, devenue subite- ment jalouse de la beauté de Pulcherie, favorisa l'enlèvement de l'accouchéepar un seigneur voisin, le comte de B... Quand le bûcheron, qui était allé prévenir au château de Vallon, revint, il trouva Alienor allaitant Clotilde, ce qui peut paraître assez extraordinaire de la part d'une femme qui n'a pas de nourrisson elle-même. Cédant aux reproches de son mari, le bûcheron. Alienor alla en personne redemander Pulcherie au comte ,... On lui rendit L'accon h e, mais on la retint cil L château de B... fut alors

inr L'ordre du roi, par sept leigneurs

Clotilde comparent aux sept preux devant 'I Enfin A.

voua une proi I fille,

1. Poésies inédites de Clotilde de Survill . pveu,

éditeur, 1

2.6 MAKGU I . K I 1 1". C H k L 1 9.

et ses leçons exercèrent sur Clotilde une grande influence. Aliénor était non-seulement poète et musicienne, mais elle possédait aussi des secrets admirables de physique qui la firent passer pour sorcière. « On l'arracha des bras de son époux le bûcheron pour la traduire à Viviers devant le juge épiscopal qu'elle traita d'imbécile et de fana- tique avec tant d'énergie, de sang-froid et de dignité, qu'il n'osa prononcer la fatale sentence. Clotilde, déjà veuve et fort éloignée, fut instruite trop tard de ce danger affreux; et comme elle accourait avec le bûcheron qui fut l'en avertir, ils apprirent sa fin tragique qui n'était pourtant pas celle qu'on peut présumer. Mais je préfère m'arrêter ici sur ce point plutôt que de risquer le croquis du tableau le plus déchirant qu'offre la totalité des mémoires de Clotilde. Elle et son fils retrouvèrent un père tendre dans linconso lable mari d'Aliénor; eux seuls lui firent supporter la vie et semèrent quelques fleurs sur le reste de ses jours *, »

Tels sont les contes à dormir debout dont le marquis de Surville accompagnait a Lausanne la publication des premiers extraits de Clotilde.

Mais abordons la vie de Clotilde elle-même.

A peine âgée de onze ans, par conséquent vers 1417, Clotilde traduit en vers une ode de Pétrar-

1. Poésies inédites de Clotilde, 1827, p. 287.

MARGUERITE CHALIS. 27

que qui est aussitôt envoyée à Christine de Pisan, laquelle, ravie, se hâte de lui remettre tous ses droits au sceptre de l'Helicon. Quand on songe aux difficultés que l'époque opposait aux commu- nications de tout genre, et dans le Vivarais encore plus qu'ailleurs; quand on songe que les premiers essais de l'imprimerie datent seulement de 14.40 et que les procèdes de Gutenberg ne furent longtemps appliqués qu'a la Bible et à quelques œuvres capitales de l'antiquité, on a bien quelque droit de s'étonner de la facilite avec laquelle le manuscrit d'une petite fille de onze ans court du Vivarais a Paris et de la rapidité avec laquelle Christine, qui d'ailleurs était morte en 141s, expédia a la petite fille son brevet de reine de l'Heiicon.

Clotilde parut faire peu de cas du suffrage de Christine ; mais voici qui n'est pas moins merveilleux : « pour qu'on ne la soupçonnât plus de vouloir effacer Pétrarque, elle ne s'attacha plus qu'aux poètes de l'antiquité. » Si Pétrar- que eût encore vécu a cette époque, et s'il avait eu avec le Vivarais les relations faciles qu'avait

fine de Pisan, il aurait certainement con- sacre t a célébrer une modestie si extra- ordinaire a c

. teur de la légende a soin d'amener auprès de Clotil ie, pour expliquer La perfection d

langue, des filles charmantes, entre antres Louise

2.H MARGUERITE CHALIS

d'Effiat et Rose de Beaupuy qui, « nées dans la capitale et par conséquent habituées a parler un français plus châtie que celui du temps de Pul- chérie, instruisirent Clotilde de l'empire de l'usage sur les locutions et la mirent en état de juger sainement les écrivains de cette époque bâtarde. »

Il y avait, de plus, avec elle, Tullie de Royan et l'Italienne Rocca qui étaient « de vrais poètes », et si ces illustres inconnues n'ont « rien laissé pour leur propre compte a l'admiration delà pos- térité, c'est qu'elles sacrifièrent tout au tendre intérêt que leur inspirait Clotilde.»

« Pour qu'il ne manquât rien a cette académie naissante, Jean du Sault, savant distingué, et homme de beaucoup de goût, voulut bien en être l'Aristarque et juger les productions des jeunes amies. »

Le malheur est que Jean du Sault est tout aussi inconnu que le reste de l'entourage fan- tastique que la légende donne à Clotilde, entou- rage que l'état social du Vivarais à cette époque rend d'ailleurs, quelque passager qu'on le sup- pose, complètement invraisemblable.

« Ce fut en 1421 que Clotilde connut et aima Bérenger de Surville, alors âgé de vingt-deux ans : il était beau, bien fait, aimable ; Clotilde l'épousa la même année, malgré la perte encore récente de sa mère... A peine marié, Bérenger

MARGUERITE CHAHS. 2$

se sépara de son épouse pour aller joindre le Dauphin, depuis Charles VII, au Puy en Velay...*

C'est alors qu'elle envoie a son époux la déli- cieuse heroïde :

Clotilde au sien amy doulce mande accolade, A son espoulx, salut, respect, amour!...

La légende raconte que l'héroïde reçut un indi- gne accueil au camp même de Charles VII. «En effet, la langue de Clotilde, mèlee de beaucoup de mots latins et italiens, devait être fort obscure pour les chevaliers du Dauphin, non moins igno- rants que braves. Ce défaut ne devait pas exister pour les erudits du siècle; mais Alain Chartier, leur coryphée, se déclara contre l'héroïde et em- porta sans doute les voix des autres littérateurs.

Il paraît que Clotilde avait eu le tort de témoi- gner peu d'admiration pour les vers d'Alain Chartier. Celui-ci lui rendait la monnaie de sa pièce. Clotilde piquée dirigea plusieurs rondeaux contre Alain Chartier. L'epître a Margu

ose, indi | tant d'une

époque b: n'est pas autre i

qu'un*: ^atire contre .m.

L'union de clotilde avec Bérenger de Surville dura sept B nournt victime <i

courage et de son patriot: ^édi-

tion hasardent i il laissa un

fils unique, Jean de Suiville.

3 O MARGUERITI. CHALIS.

Clotilde forma des élevés : Sophie de Lyonne et Juliette de Vivarez, qui se retirèrent ensemble à l'abbaye de la Villedieu ; deux jeunes Écossaises, Céphise et Camille de Queensburg, Louise de Royan, Jeanne Flore, Célinde Millaflor, etc.

Les élèves de Clotilde n'étaient pas moins extraordinaires qu'elle. C'est ainsi que Sophie de Lyonne une Bourguignonne attirée en Vivarais par le désir ardent de connaître Clotilde et de profiter de ses leçons « récita Y Iliade entière après une étude de quinze ou vingt jours. »

Le bruit du talent de Clotilde serait aussi par- venu aux oreilles du duc Charles d'Orléans et de la Dauphine Marguerite d'Ecosse, qui l'enga- gèrent à venir à la cour ; mais elle repoussa cette offre.

Clotilde maria son fils unique, Jean de Sur- ville, à Héloïse de Goyon de Vergy, qui mourut à Vessaux en 1468, à l'âge de quarante-deux ans, laissant quatre garçons et trois filles. Clotilde fit une élégie sur la mort d; Héloïse.

Elle écrivit son chant royal à Charles VIII, à la nouvelle de la bataille de Fornoue en 149$.

Elle serait morte à Vessaux presque cente- naire.

La légende continue en racontant qu'au xvne siè- cle, Jeanne de Vallon , femme de Jacques de Surville, cinquième descendant de Clotilde, avait préparé une édition des œuvres du poète, mais

MARGUERITE CHAHS. 3 I

qu'elle mourut avant d'avoir achevé son entre- prise.

Enfin les éditeurs des Poésies inédites donnent l'aperçu suivant des œuvres de Clotilde :

« Le nombre des ouvrages de Clotilde dont les titres nous sont connus est plus grand qu'on ne peut l'imaginer. Ceux que M. de Surville avait destines a l'impression eussent complété huit volumes in-8° de 700 a 800 pages chacun. Indé- pendamment des poèmes, des poésies légères, des nouvelles, des drames, des contes, on y eût trouve deux plaidoyers éloquents en faveur de l'infortune Jacques Cœur, grand argentier de France, une théorie des couleurs, une histoire de l'Atlantide en douze livres, une histoire com- plète de la poésie française, des notices fort curieuses et I ; lues sur la vie et les ou-

vrages des femmes-poètes, et des mémoires du plu haut intérêt sur !■ t les

hommes célèbres de cette époque. Dan- es m - moires divisés en huit livres, cinq étaient entiers, lit que d - des deux

antres. Un ouvrage auquel Clotilde avait travaille quarante mm c uneuse

collection it un p

' des hauts faiti inné

d'Arc . On com oit fort ai de Vander*

3*

MARCUKRITE CHAL

bourg en trouvant cette enumération dans les papiers de M. de Surville et Ton comprend aussi qu'il se soit empressé de laisser de côté des données aussi douteuses et aussi compromet- tantes.

A la légende opposons les faits certains et les actes authentiques.

En premier lieu, il n'y a jamais eu en Vivarais de famille noble de Vallon. Les deux plus récents champions de Clotilde, M. Eugène Villedieu et M. Vaschalde, le reconnaissent eux-mêmes. Ce sont les barons de la Gorce et les barons d'Ap- chier qui, du xive au xvie siècle, ont possédé la seigneurie de Vallon1 le nom de Vallon-

i. Géraud de la Gorce, chevalier, seigneur de la Gorce, de Mirabel et de Grospierre, acquit la seigneurie de Val- lon par son mariage avec Mignone Vilatte, dame de Vallon, vers la fin du xiv» siècle.

Anne de la Gorce, leur fille, épousa, le 8 mai 1408, Béraud, seigneur d'Apchier (aujourd'hui Apcher, commune de Prunières, Lozère), de Ceray, de Vabre, de Vazeilles (Haute-Loire), de Chély (aujourd'hui Saint-Chély, Lo- zère), d'Arzens (aujourd'hui Arzenc, Lozère), et de Mon- taleyrac, qui testa le 20 février 1452.

Béraud d'Apchier et Anne de la Gorce eurent pour fils Claude, baron d'Apchier, seigneur de la Gorce, de Vallon,

MARGUERITE CHAL1S. 33

Chalys a toujours été, croyons-nous, inconnu avant la publication de Vanderbourg et le beau roman de M. Eugène Villard1.

Tous les noms de l'entourage de Clotilde, à part ceux de Loire et de Poitiers 2, sont entiè- rement inconnus dans le Vivarais et même aux environs.

Bérenger de Surville n'est pas un mythe, puis-

deSalavas et de Mirabel, qui testa le 12 novembre 1472.

Claude d'Apchier eut pour héritier son frère Jean d'Ap-

chier, seigneur à'Arzens, qui avait épousé Jeanne de Ven-

tadour le i«r novembre 1130, et qui testa le 8 juin 1466.

Jean d'Apchier et Anne eurent pour fils Jean, baron

d'Apchier, seigneur de la Gorce, de Vallon, de Salavas et

ibel, qui vendit en 1484, à Charles des Astards, les

seigneuries de Vallon et de Mirabel.

Il testa le 9 janvier 1523 et il laissa, de Marie de Cas- telnau de Bretenoux, son épouse, François-Martin, baron d'Apchier, seigneur de la Gorce et de Salavas, le il no- vembre 1^09 et mort en l$7$«

' moire de M. Eugène Villcdicu, lu à la •tcs de l'Ardèche. i">72.)

1. ( U Valhm-Chal ,s , roman du temps de Charles VII, par

2. La maison de Pc

:i 1239 Philippa, tille de Guillaume de pporta en dot de nombre..: Aymard de Poil comte de S

l'époque Bérengcr de Survillc se maria, le gouverneur iur la ma relait Guillaume

3 +

MARGUERITE C H A L I S ,

que son existence est démontrée par nos docu- ments ; mais il est certain, d'après le Manuale notarum:

Qu'il se maria en 1428, et non pas en 1421 ;

A Privas, et non pas à Vallon ;

A Marguerite Chalis, fille de feu messire Cha- hs, licencié es lois à Privas, et non pas a Mar- guerite-Clotilde-Éléonore de Vallon-Chalis, fille de Ferdinand de Vallon et de Pulchérie de Faï- Collan.

Marguerite est désignée dans Pacte par la qua- lification de honestci millier, ce qui ne signifie- rait pas nécessairement qu'elle eût été déjà ma- riée, si cette qualité ne ressortait pas d'un autre acte du Manuale notarum, en date du 12 no- vembre 1427, elle est nettement designée comme veuve d'un premier mari nommé Ray- mond du Bosco, de Barrés. Il est à remarquer que la terre du Bosco ou du Bois au-dessus de Chomérac était bien dans ce qu'on appelait alors le mandement de Barrés.

Une circonstance est à noter dans cet acte du 12 novembre. L'examen du texte montre qu'avant d'écrire les mots honestam mulierem Marga- ritam, le notaire a eu d'abord la pensée d'écrire nobilem, puis il a réfléchi, et après avoir écrit la première syllabe nob, il Pa biffée.

Marguerite n'était donc pas noble, mais elle était presque considérée comme noble, soit par

MARGUERITE CHALI5. 3 $

sa fortune, soit peut-être par son premier ma- riage.

C'était, dans tous les cas, une riche héritière. Quelques mois avant son mariage, sa tante, Flo- rence Chalis, l'avait instituée sa légataire princi- pale et, d'après les autres legs que contient le testament, on peut supposer que l'héritage de cette tante était considérable.

Il resuite de son contrat de mariage avec Bé- renger de Surville qu'elle avait des propriétés a Privas et a Vessaux que son futur époux s'enga- geait a venir gérer personnellement, en y éta- blissant la résidence conjugale, outre d'autres propriétés à Sceautres et Rochemaure dont elle entendait garder la disposition personnelle.

Aux termes de l'acte, qui porte la date du 4 janvier 1*28, Marguerite avait en ce moment- la plus de vingt ans et moins de vingt-cinq, ce qui correspond exactement, a la date 1405 ou 1406 indiquée par la 1 gende comme étant celle de la naissance de Clotil

En outre de précautions tres-detaillces réglant les questions d'intérêt, qui prouvent que les no- taires d'à. Lient pas moins minutieux que ceux d'aujourd'hui, il est stipule dans l'acte que îger achètera a sa future '.es bijoux pour une valeur de vingt-cinq mouton.s

dont elle disposera a son gré tant pendant sa

vie que pour a] de plus, qu'il de-

36 MARGUERITE CHALIS.

vra lui acheter des vêtements de noces en rap- port avec la condition des époux.

Nous voyons aussi figurer dans l'acte Antoine Jourdan, oncle de Berenger et prieur de Vessaux, qui, pour faciliter le mariage, donne a son neveu cent moutons d'or. La position de ce person- nage et ses rapports avec la famille Chalis, pro- priétaire a Vessaux, indiquent assez qu'il a été l'initiateur du mariage.

Le contrat est passe a Privas dans la maison même de Marguerite, et les signataires paraissent tous des gens importants. Les voici :

Noble et vénérable messire Guillaume de Rocles, bachelier dans l'un et l'autre droit ;

Nobles :

Guillaume Floccart (châtelain de Privas), Guillaume de Montgros? de Gras, Raymond Vieux,

HÉBRARD DU CHEYLARD,

Pierre de Bénéfice ;

Révérends et messires: Imbertde la Mothe, prieur d'Upie (Drôme), Eloi Charriere, curé de Privas, Guillaume de Mourier, Gonet-Allard, Antoine Vallat ;

Et enfin les deux notaires :

Louis Riffard, Antoine de Brion.

MARGUERITE CHALIS. 37

Le nom de Bérenger de Surville ligure dans un autre acte du Manuale notarum. Le 28 de ce même mois de janvier, Bérenger assistait, comme témoin, au mariage de Pierre de Brion avec Antonine Corbier, nièce de noble Ray- mond Vieux.

Tels sont les éléments nouveaux que le Ma- nuale notarum d'Antoine de Brion jette dans le débat, et qui non-seulement viennent infirmer complètement les récits du marquis de Surville sur la vie de Çlotilde, mais encore font crouler la légende tout entière et rendent désormais insoutenable l'authenticité des poésies. Il suffit, en effet, de parcourir celles-ci pbur reconnaître qu'elles sont inséparables de la légende et que la Clotilde des poésies comme celle de la notice doivent s'envoler dans la même fan

Da.\ écitS de M. de Surville, confirmés

par I '.-s. Clotilde se marie en 1421, .1

nger, qui m premier amour; elle

poui qui avec 1 la Dauphin le le

(\ Or!

le ia mal de L'ann ate que Jeanne d'Arc

anglais .1 partir.

3 8 MARGUERITE CHALI-.

Tout se tient dans ce système, qui était inatta- quable tant qu;on n'avait rien de précis et de certain à lui opposer. Mais tout tombe à la fois devant les dates et les faits que nous fournit le registre d'Antoine de Brion.

Un rapide examen des poésies va convaincre les plus incrédules.

Dans le Rondel II, en 1420, par conséquent a quatorze ou quinze ans, et sept avant son mariage, Clotilde décrit son premier rougissement d'a- mour '.

Le Rondel IV, daté de 1421, pourra paraître aussi assez extraordinaire à cet âge 2.

Le Rondel VI, de 14.21, est adressé à Louise d'Effiat « sur ce que menoit ung jeune loup mon bel amy venant la fois première. »

Le Rondel VII, de 142 r, est adressé à Mon- seigneur Aymard de Poictiers « s'enquerrant

1. Comme en l'esté se coulore la pesche

S'y fîst mon front; des lors plus de soulaz Sans cil, pour qui (serois-je emmy i'Ardesche) Que brusleroy.

(Comme en été se colore la pêche Mon front se colora; dès lors plus de plaisir Sans celui pour qui (serais-je au milieu de l'Ardèche) Je brûlerais.)

C'est la seule allusion au pays natal que contiennent les poésies de Clotilde.

2. Rondel IV à Monseigneur Jacques de Toulon « qui maintes fois nous demandoit, se gabant, qu'estoit cela : Foy de pucelle. » 1421.

MARGUERITE CHALI-. 39

de moy trop fièrement quel jeune amy luy pre- posoye (je lui préférais). »

Le Rondel VIII, de Ï4.23, est destiné à la doulce mye Rocca « m'interpellant s'avoye sou- venance du premier tintement d'amour. »

Le Rondel X, de 1+22, est encore adressé à la doulce mie Rocca « sur ce que vinct ung soir le bel amy bayzer me desrober a la fontaine. »

Le Rondel XI, de 1422, repond a monseigneur Aymard de Poictiers « feignant ne vouloir croire a l'hymen qu'en son absence avoy conclu. »

Comment concilier tout cela avec la date inflexible [que contient le registre de maître Antoine de Brion?

Que deviennent aussi devant ce témoin irré- cusable les affirmations précises jointes a divers poèmes, par exemple celles-ci ?

CHANT D'AMOUR AU PRINTEMPS.

Ung chant d'amour doibt paindre aux sens moins que parler à Came... Cettuy du printemps, fiz ung matin 8e jour de mars 1421.

et 7 des Cbâmtt (Fam<mr.

LMOOI I : l' .

Ce n'est tant l'esté qu'ay voulu paindre que Testât de

mon cœur, ce 20 juillet, vers deux heures, souSz le rocher. 1422.

Mon. CJotilde, lir. ; et 7 des C I l ur.

40 MARGUERITE C H A L I

CHANT DAMOUR EN A L T O M N E .

Lors estoyent descolourez les foillages ; donc Altomne s'enfayoit. Eslit mon cœur ce temps grisastre, le 15 no- vembre de cet an 1422.

Ment, de Clolilde, liv. S et 7 des Chants d'amour.

CHANT D AMOUR EN L HYVER.

Soit l'hyver achoison non sujet (que l'hiver soit l'occa- sion et non le sujet) de tels chants : espandez-y vostre ame engtiere... Ainsi fis-je un dernier jour de l'an 1421. Mém. de Clotilde, liv. j et 7 des Chants d'amour.

Si Ton veut supposer toutes ces dates erronées et reporter les poèmes en question à l'époque authentique du mariage de Bérenger, d'autres difficultés surgissent.

Bérenger s'étant marié en janvier 1428 et étant mort au siège d'Orléans, c'est-à-dire douze à quinze mois après, il est assez difficile de con- cevoir, dans ces conditions, la ballade qui porte l'épigraphe suivante :

Lors quand tornoit emprez un an d'absence, Miz en ses bras nostre fils enfançon.

Cet épisode ne pouvait avoir lieu, en effet,

MARGUERITE CHALIS. 4. 1

avant l'hiver de 1428-29, c'est-à-dire juste au moment ou Berenger, au lieu de revenir, devait plus que jamais être retenu par les événements a l'armée de Charles VII. Il y a plus : d'après l'heroïde A mon espoulx , Berenger n'avait quitte Clotilde qu'au printemps.

Là, me dis-je, ay receu sa dernière caresse... le y, les ung ormeil cerclé par l'aubespine Que doux printemps coronoit de fleurs, . dict adieu...

Si Berenger revient, un an après, c'est-à-dire en avril ou mai 1429, auprès de sa femme, il n'est donc pas mort au siège d'Orléans, bien que, d'après un chapitre d'js Poésies inédites, son trépas héroïque ail annoncé dans tout le

Vivare^ comme une calamité publique. »

Au reste, l'histoire se joint ici au Manuale no t arum pour convaincre la légende d'erreur. Tandis que celle-ci fait mourir Berenger de Sur- ville au liège d'Orl - chroniques du temps nous apprennent que le Languedoc, dont le Vivarais faisait partie, fut précisément un deux pro. itres aff

ne purent a secours

* ;iiteur de V Inventaire de

luire d<> \ TA . qui était

I rengerde Surville,

4.2 MARGUERITE CHALIS.

raconte ainsi l'immense émotion produite par la nouvelle du siège d'Orléans :

o Les villes, sans se faire tirer l'oreille, con- tribuent gayement gens, vivres, argent. Beau- coup de grands personnages accourent a ce siège, comme pour garder le dongeon des affaires du Roy et du royaume... »

Après avoir nommé beaucoup de seigneurs ve- nus au secours de Charles VII, l'historien ajoute: « // n'y eut personne des provinces du Dauphiné et du Languedoc, d'autant que les ducs de Bour- gongne et de Savoye dressoyent en même temps une forte armée, par Tentremyse de Louis de Chaa- lons, prince d'Orenge, pour envahir ces contrées- la, seules de la fidèle obéissance du Roy *. »

Nous avons eu la curiosité de rechercher les autres données que l'histoire nous a transmises sur la situation du Vivarais à cette époque. Voici ce que nous avons trouvé :

1418. Le Vivarais est maintenu dans le parti du Dauphin contre la reine Isabeau et le duc de Bourgogne, par les soins de Louis, seigneur de Montlaur.

1419. Le vicomte de Polignac est nommé capi- taine général pour le Dauphin, en Vivarais.

1. Inventaire de l'Histoire de France, édition de 1603, 1. 1, p. 692.

MARGUERITE CHALIS. 4}

14.20. Toute la noblesse du Vivarais est appelée par le senechal de Beaucaire contre les Bour- guignons.

1422. Rochebaron, partisan du duc de Bour- gogne, parcourt le Vivarais a la tête de huit cents hommes d'armes.

14.24. Les états du Vivarais se reunissent à Soyons avec ceux de Gevaudan et du Velay, pour aviser aux moyens de résister aux troupes du duc de Bourgogne qui s'avançaient.

1428. Le seigneur de Saint-Remèze (près de Vallon) met dans plusieurs places qui lui appar- tiennent des garnisons composées de Bourgui- gnons ou de routiers. Le ssigneur de la Roche, chambellan du roi, se rend maître de ces places.

14.30. Le Vivarais est désole tant par la guerre que les seigneurs de Saint-Remeze et de la Rô- le faisaient l'un a l'autre, que par une incur- faitC aux frontières du pays par Louis de Chalons, prince d'Orange, a la tête de douze cents Bourgnj Le prince d'Orange, qui

s'était empare du lieu de Colomb: seule-

ment perd cette place, mais il est battu complé- tai près du Khôn

1431 ignear de Saint-K pour se

défendre contre le seigneur de la RoJie qui con-

t. Histoire générale du Languedoc, par dom Vie et dom 176.

44 MARGUERITE CHAHS.

tinuait de lui faire la guerre, introduit des troupes anglaises et bourguignonnes dans ses châteaux. Le seigneur de la Roche s'empare de ces places, et, en récompense, obtient du roi une gratification de mille francs.

Les poésies de Clotilde ne contiennent pas la plus légère allusion à aucun de ces événements.

M. Eugène Villedieu, qui avait eu connais- sance par d'Audigier des actes du Manuale nota- rum, a cherché à concilier la légende et la réa- lité en admettant à la fois le mariage de Béren- ger de Surville en 1428 et sa mort au siège d'Orléans. Mais Clotilde elle-même proteste contre cette solution dans l'épître à Marguerite d'Ecosse, elle confirme nettement ses sept ans de mariage :

Moy qui, sept ans de myrthe environnée, Ceincte de lors, de roses couronnée, Vys feux d'amour, sans oncques s'attiédir, De mon hymen la tige reverdir...

Dans l'héroïde à Bérenger, le poète dit:

L'az donc veu ce daulphin ! ne s'esloingne du Rosne Qui roule encore ondes franches d'horreurs !

Combien que boutions touz au Dauphin de fiance...

Ne sçay, jusques à toy, comme adira ma lettre : Charles on dict vers Poitiers cheminant...

M à RGU E RITE CH ALI 5. 4.$

Marguerite n'ayant pu écrire à joti espoulx avant 1428, date de son mariage, on ne s'expli- querait pas, si ces vers étaient d'elle, que Charles VII y fût appelé Dauphin, alors qu'il portait le titre de roi depuis la mort de son père en 1422, et qu'on le représentât comme retire vers le Rhône ou cheminant sur Poitiers, alors qu'il poursuivait sur la Loire et la Seine sa campagne victorieuse.

Dans la ballade A mon espoulx, nous trouvons ces vers:

Aux premiers jours du printemps de mon aage,

avanoy sans craincte et sans dezir ; Rozes et lys yssoient sur mon vizage; Tous de mirer, et nul de les cueillir :

quand l'autheur de mon premier souspir Les fust livrant au plus tendre ra . Lors m'escriay, me sentant frémollir : Faut estre deulx pour avoir du playzir ; Playzir ne l'est qu'autant qu'on le part 1

Comment admettre que Marguerite, veuve d'un premier mari, ait pu, en ml au se-

cond, l'appeler V auttur de mon premier soupir ?

is un fragment'4. Clotilde confirme

pt an» de maria-.' noble et ruleureu 1 jui lui lit épouser Bé-

renfl .

1 ne tard.i 1 U suyr, re;

+ 6 MARGUERITE CHAHS,

Toy dont les tendres soings, par les nœuds les plus doulx, Me soubmirent l'amour, soubz le nom d'un espoulx. O nom cher et cruel... Soubvenance terrible! Apres tant beau soleil, fust-il nuict plus horrible? Ah! quand jeunette encore, au pied de tes autels, Hymen, receus la foy du premier des mortels, Qui m'eust dict qu'en sept ans verroye disparoistre Heur qu'à nulle icybas, si plain n'az faict cognoistre?

Or, Pierre Chalis était un homme de loi, et il était mort quand sa fille épousa Berenger. Et il n'était pas noble, comme Pindique le nob effacé du notaire de Brion. Avons-nous besoin de faire observer que le mot jeunette n'est plus guère en situation quand il s'agit d'une riancee-veuve de vingt-deux ou vingt-trois ans?

Voici qui n'est pas moins fort :

Le Rondel I, adressé au chœur des Muses, roule tout entier sur un jeu de mots : Vallon d'Amour, par allusion à Clotilde de Vallon. Que Marguerite eût pris le nom de Clotilde, pour ses productions poétiques, on peut encore l'admettre ; mais qu'elle se soit donne un nom de famille qui n'était pas le sien, et dont on ne retrouve, d'ailleurs, la trace nulle part, voila ce qui devient parfaitement incompréhensible.

Nous n'avons examiné jusqu'ici que l'édition parue en 1803 avec la notice de Vanderbourg. Nos lecteurs savent déjà qu'elle fut suivie en 1827 des Poésies inédites publiées par les soins

MARGUERITE CHALIS,

de MM. de Roujouxet Charles Nodier. Or, dans ce deuxième recueil se trouve un fragment d'un poëmei<? la Nature et de V Univers ou il est dit:

Non, je ne croiray point, orgueilleux Ptolémée, Que l'atosme fangeux, rampons eraprès toy, Soyt le centre d'ung tout, plus estrangier por moy Que por l'astre esclatant dont tu fays ton esclave. Et combien d'aultres corps, que ton système enclave, Mieulx que la terre, enfin, peuvent-ils s'arroger Droict d'en faire entour d'eux l'orbite converger? Ton vaste Jupiter et ton loingtain Saturne Dont sept globules nayns traynent le char nocturne ; Ta Venus elle-mesme, aux regards enflammez...

Voila donc Clotilde réfutant, au xve siècle, le système de Ptolémée et devançant les révélations de Copernic dont l'ouvrage parut seulement en 1543 ! Chose non moins merveilleuse, elle connaît déjà l'existence des sept satellites de Saturne découverts au xvne et au xvin'' ti<

Entin, dans ce même fragment, elle réfute et nomme le poète Lucrèce, dont le livre fut re-

en i+7j . m. liacé convient que cet argument contre

l'autf) lies de Clotilde serait irré-

futable li le fragment en question, au lieu de se trouver dans le recueil de No ROUJOUX,

OQVait dans celui de Vandcrbourg. Il nous t\et a nous, que ta fournis par

la publication de 1897 contre l'authenticité des

M A R G U E RITE C H A L I

poésies sont tout aussi valables que ceux fournis par la publication de 1803, des 4U ^ est prouvé que toutes deux émanent de la même source; et c'est ce que M. Macé s'est charge de constater lui-même, puisqu'il déclare avoir retrouve dans le Journal littéraire de Lausanne, qui recevait ses communications du marquis de Surville, presque tous les morceaux, prose et vers, qui constituent le recueil de Nodier, et notamment le fameux fragment du poëme de la Nature*.

D'ailleurs, malgré le soin qu'a pris Vander- bourg de retrancher les morceaux compromet- tants, il est aisé de trouver le lien qui unit les deux recueils et autorise à porter sur eux le même jugement.

Dans l'élégie sur la mort d'Héloïsa, qui figure dans la publication de 1803, Clotilde raconte que ses petits enfants

S'entrequierrent comment Ne serviroient clouz d'or, dont veyons mille et mille, Rien qu'à parer l'azur du firmament.

Et elle ajoute:

N'ay semblant d'escouter ; et le confesse esmeue,

Un tel propoz, en effect, me confond; Sçay trop bien que n'affiert à ma débile veue

D'aller sondant abysme si parfond : Se par toy n'ont d'esclat, œil du monde nous sommes,

1. Macé, p. 34, 6$ et 67.

MARGUERITE CHALIs. 4.9

De tant au loing lancent feulx si vermeils, Qu'à mondes, trop distants pour estre veus des hommes,

Croy, tous à part, que servent de soleils; Près d'eulx, qu'est de Phœbé l'orbite pasle et morne ?

Veulx ceste-là rouler exprès pour nous ; Encor pourquoi cettuy, dont œuvres n'ont de borne,

De la peupler ne seroit-il jaloux ? Possible qu'y reignez, masnes sacrez des justes,

En ce costé qu'à nos yeulx s'offre en plain, Tandys qu'en ses roschiers, ors glacez, ore adustes,

De reprouvez est l'opposite emplain

Maiz quoy! se peult-il donc que ce globe contemples Sans démesler mes accents douloureux!....

Comment ne pas reconnaître dans cette elegie le terme de globe revient deux fois pour de- signer la terre, et ou se révèle une si étonnante intuition de la science astronomique des si futurs, la même main qui a écrit le fragment du poème de la Nature?

On le avec la d- /idence :

l'œuvre poétique i il îde; le fond,

sinon la : iK part de la même

., et l'authenticité des deux s'évanouit en

: temps devant troij ou quatre faits pr

tnment cert - par le vieux

registre du château de Barres.

$0 MARGUERITE CHALIS,

Quelques personnes ont voulu appuyer l'exis- tence de Clotilde de Surville sur de prétendues traditions locales de Vallon. M. Macé rapporte qu'un honorable habitant de Vallon, M. Pes- chaire-Florian, décédé en 1863, à Pms de quatre- vingts ans, disait à M. Eugène Villard avoir, dans sa jeunesse, entendu une de ses vieilles tantes lui chanter des rondeaux et des ballades attribués par elle à Clotilde de Surville, et il ajoute que M. Ollier de Marichard confirme cette tradition. Certes M. Eugène Villard et M. Ollier de Marichard sont des hommes fort honorables et dont la parole ne saurait être mise en doute, mais comme elle ne fait ici que reproduire un témoignage assez vague et qui, selon nous, ne peut s'appliquer qu'à une époque postérieure soit à la publication de Vanderbourg, soit tout au moins à la découverte des manuscrits par le marquis de Surville, on nous permettra de ne pas lui attribuer la même portée que M. Mace et d'attendre des faits plus précis et moins sujets a caution

Un autre de nos compatriotes de l'Ardèche, M. Vaschalde, a recueilli et publié récemment des documents d'où il resuite qu'un Jean Chalis

MARGUERITE CHALIS. 51

existait à Vessaux en 1383, que noble Berenger de Surville a été l'héritier des Chalis de Vessaux et que Jean de Surville, fils de Berenger, possé- dait en 1469 un certain nombre de propriétés à Vessaux.

Aucun de ces faits, qui, d'ailleurs, concordent avec nos documents, ne touche a la question qui nous occupe, c'est-a-dire à la personnalité poéti- que de Clotilde. Quant à cette circonstance que, dans les propriétés de la famille de Surville a Vessaux, il se trouvait des jardins, des près, un moulin et une fontaine, d'où M. Vaschalde con- clut que ce sont la incontestablement les jardins, les bois, les près, le moulinet et la fontaine men- tionnes dans les poésies, notre confrère nous per- mettra de ne pas nous arrêter a cette supposition, qui, examinée de près, tournerait plutôt contre sa thèse, car l'absence même de toute indication plus reconnaissable ferait supposer que l'auteur des poésies écrivait ailleurs qu'en Vivarais. On a vu plus haut que la rivière d'Ardeche est le seul nom local que contiennent les poésies. Nous ajouterons que l'expression de gros canal, qui se trouve dans la même pièce, aurait rendre M. Vaschalde plus ctrconspecl dans ses inductions graphiques, car il sait aussi bien que nous qu'il n'y a pas de canal, petit ou gr< -aux,

pa3 plu-, qu'a Privas et a Vallon.

Au reste, un fragment dïpître de Clotilde

MARGUERITE CHALIS.

contient des indications topographiques bien au- trement précises et importantes, sur lesquelles nous appelons l'attention des lecteurs vivarois : Clotilde raconte qu'elle atteignit, au haut du mont, la forêt solitaire

des toits délabrés et d'antiques débriz

A l'errant voyagier n'offrent mesme d'abriz ;

Et qui, dict le renom, furent à leur naissance,

Palaiz des Romains esclatoit la puissance :

En contemple, au hazard, les restes confondus.

Là, soubz d'espaiz moncels de cresneaulx pourfendus,

S'estendent tristement colonnades superbes,

Dont les marbres rompuz, fayzant ployer les herbes

D'aultre part, eslancez, par intorses crevailles, D'amangliers en flours, inhérants aux murailles, Cent bouquets, de rubys colorent ces paroys

Dans la cour, et parmy cent portiques déserts, Des ormes non plantez s'élèvent dans les airs ; Au centre, creut jadiz ugne source pérenne, L'urne d'où jaillissoit, trytons voire et syrenne Soustinrent enlacés ; ainsy, d'humain sçavoir, Mollement respirer brunze on ne cuyda voir

Certes, les ruines ne manquent pas en Viva- rais, mais nous cherchons vainement celles qu'a voulu désigner Clotilde , dans l'hypothèse de son séjour soit à Privas, -soit à Vessaux , soit même à Vallon, la seule de ces trois localités fleurisse l'amandier, mais rien n'indique jus-

MARGUERITE CHALIS. $3

qu'ici que la femme de Bérenger de Surville ait jamais mis les pieds.

L'auteur de la légende se trahit, à notre avis, par l'excès même des précautions dont il s'est entoure pour avoir réponse prête a toutes les objections de la critique.

A quinze ou seize ans, d'après lalégende, Clotilde écrit VEpistre à sa doulce amye Rocca, qui est une sorte d'art poétique beaucoup plus étonnant pour l'époque que celui de Boileau. Deux ou trois ans plus tard, elle développe sa didactique dans le Dialogue entre Apollon et Clotilde.

M. Eugène Villedieu ne voit la rien d'extra- ordinaire. « Pour s'expliquer, dit-il, la maturité

\tire de ce morceau et de presque tous ceux qui sont contenus dans ses poésies authentiques, il faut se rappeler que Clotilde a revu plusieurs fois, jusqu'à la fin de sa vie, les pièces qui datent de sa jeunesse, ainsi qu'elle a soin de nous le dire elle-même en maint endroit de son œuvre. » . s doutons fort que cette explication paraisse

mte a ceux qui savent qu'au xve siècle la langue fran i tait loin t

1 >mbreux dialectes qui se parlaient sur le territoire de l'ancienne Gaule. Guillaume de

rs, le plus ancien poète national dont QOUfl

- les vers, a écrit en di

lard en dialecte picard et wallon, R lais en berrichon et poitevin, Montaigne en

54 MARGUERITE CHALIS,

con, Marot, Marguerite de Navarre et Amyot en françois K Après le xve siècle seulement, le fran- çais prend le pas sur les dialectes, en retenant de chacun d'eux les mots que les circonstances ou les œuvres des écrivains avaient fait entrer dans l'usage général.

Au xve siècle, la langue était si peu formée et elle était si loin de ce que nous la voyons dans les poésies de Clotilde, que le latin n'avait pas cessé d'être la langue judiciaire, celle des dépo- sitions, enquêtes, plaidoiries et actes publics. En 1490 seulement, Charles VIII osa prescrire l'em- ploi delà langue vulgaire ou langue romane2, c'est-à-dire du français, pour la rédaction des dépositions et autres actes publics.

En 1512, Louis XII alla plus loin et ordonna que les enquêtes et les informations fussent non- seulement rédigées, mais même faites en langue vulgaire.

François Ier acheva la réforme par sa célèbre

1. Froissard se moque lui-même des seigneurs anglais qui, en 1394, le prennent pour un écrivain français.

2. La langue romane était la langue des habitants appelés Romains par opposition aux barbares. Ce n'était pas la langue latine. M. Granier de Cassagnac, dans son curieux travail intitulé Histoire^ des [origines de la langue française, Didot, 1872, développe cette thèse, plus paradoxale peut- être en apparence qu'en réalité, que le roman n'était autre que le celte, la langue maternelle des Gaulois.

MARGUERII t CHALIS. 55

ordonnance de Villers-Cotterets,qui est datée de

IS39-

Or, nous le demandons, toutes ces mesures, si désirées des rois de France dont elles favori- saient le grand but politique, celui de l'unifica- tion nationale, auraient-elles été tant retardées si la langue avait eu, au commencement du xve siècle, la clarté et la précision que l'on re- marque dans les œuvres de Clotilde?

Les partisans de Clotilde ne sont pas plus em- barrasses quand l'auteur du pastiche se fait prendre en flagrant délit d'anachronisme, comme, par exemple, quand il réfute Lucrèce et profite des découvertes d'Herschell. Ils repondent que le coupable, c'est Jeanne de Vallon ou bien le marquis de Surville, mais que l'authenticité des poésies est au-dessus du débat.

Le procède est commode, mais n'est plus

admissible, depuis qu'il est avère que les trois

branches de la légende : Notice de Vanderbou- "g,

le iBoj et Poésies inédites de 1827, outre

qu'elles constituent un tout inséparable, comme

>urce

COmm L-dire d^s, cartons du marquis

de Surville, ce qui donne a la critique le droit

de prononcer sur son ensetnb la distinction que M. M ont prè-

le premier et le second reçu

$6 MARGUERITE C H A L I S.

Un fait domine donc la question, c'est que, même en admettant certaines modifications aux manuscrits primitifs, la légende est toute d'une pièce, elle sort du même cerveau : toutes les indications de la Notice, dont les champions les plus déterminés de Clotilde, sans en excepter M. Villedieu, reconnaissent le caractère roma- nesque, sont en quelque sorte signées, soit par des vers de Clotilde, soit par des extraits de ses mémoires ; elles s'accordent entre elles, sinon avec les faits connus; la fille des Tynds elle- même figure dans la dédicace d'une des poésies du recueil de Vanderbourg; enfin, nous avons montré, dans l'élégie sur la mort d'Heloïsa, la trace des mêmes préoccupations astronomiques qui, dans le second recueil, aboutissent a la dé- couverte des sept satellites de Saturne.

Si, comme nous le pensons, le marquis de Surville était incapable d'écrire les poésies de Clotilde, on peut donc conclure delaqu'il n'a pas davantage invente le reste et que son travail d'altération de l'œuvre primitive est peut-être moins considérable qu'on ne l'a dit.

Il n'est même pas certain, à nos yeux, que le marquis ait connu le véritable auteur des poésies,

MARGUERITE CHALIS. $7

et, à part les détails tenant à l'origine des ma- nuscrits, nous serions fort tenté de croire qu'il n'en savait sur ce sujet guère plus que nous.

Nous laissons à d'autres le soin de découvrir la personnalité du poète inconnu, mais deux faits essentiels nous autorisent à penser qu'il était de la famille de Surville: le premier est la possession exclusive du manuscrit par un mem- bre de cette famille ; le second est le nom même de la personne a qui le poète a voulu laisser l'honneur de son œuvre. On ne comprendrait guère, en effet, que cet auteur fût aile bénévole- ment couronner de gloire le nom d'une famille qui ne serait pas la sienne.

D'autre part, s'il est évident que le poète ne connaissait pas très-exactement la vie de la femme de Berenger de Surville, ce qui montre qu'il écrivait bien après le xv* siècle, il est clair qu'il en savait quelque chose, sinon par des papiers, tout au moins par des traditions de famille, comme le prou>

vraiment frappantes du récit légendaire avec les

nom de Margue- rite et celui de Chai mine de iger, les propr

-aux, et enfin fils, Jean

de Survi

San- te, il' a fallu a L'auteur du pastii be beau' on pourrait dire un rare

Q

MARGUERITE CHALls.

mépris des suffrages humains, pour céder ainsi a un autre la légitime gloire que lui auraient ac- quise les poésies. Cette modestie est si rare dans notre siècle de vanité, qu'elle en paraît presque inadmissible. Sans prétendre qu'elle ait jamais été bien commune, il est certain cependant qu'elle l'était moins, surtout dans les circonstances nous la supposons exercée, alors que le nom et l'honneur de la famille tenaient dans les cœurs une place que l'égoïsme individuel a aujourd'hui usurpée. Le nom de la famille était autrefois un drapeau pour lequel on mourait joyeux et in- connu, comme heureusement on meurt encore aujourd'hui pour celui de la grande famille natio- nale. C'est pourquoi nous concevons fort bien qu7à une époque notre société était moins emiettee qu'aujourd'hui, un Surville ait voulu reporter la gloire de ses œuvres poétiques a sa famille elle-même, sous le nom d'un de ses mem- bres dont il ne connaissait pas même exactement le nom et l'histoire.

Cet auteur inconnu était-il un homme ou une femme? Nous serions assez disposé a croire, contrairement à l'opinion la plus accréditée, que ce n'était pas une femme. Des qu'il est admis que l'œuvre est un pastiche, il nous semble qu'un homme seul a pu lui donner cette perfec- tion. La tendresse et l'ardeur de sentiments que respirent les poésies n'ébranlent pas sur ce point

MARGUERITE CHALIS. 59

notre manière de voir. Les femmes sentent mieux peut-être , mais les hommes peignent mieux , même les sentiments d'autrui. Qu'on suppose un observateur, double d'un poète, en- tendant une mère, à côte du berceau de son enfant, pousser les deux ou trois exclamations d'amour maternel et conjugal dans lesquelles se résument les Verselets à mon premier-né, et l'on ne trouvera plus rien d'impossible à ce qu'un homme ait écrit ces vers. Un beau poëme sup- pose autant de reflexion et de travail que d'in- spiration et de sentiment. Voilà pourquoi nous croyons apercevoir dans les poésies de Clotilde la main d'un homme plutôt que celle d'une femme. C'est une femme nous nous trom- pons — ce sont des millions de femmes qui ont éprouvé les sentiments si admirablement exprimés dans les Verselets, qui en ont dit le sens par des gestes, par des regards, par des exclamation-, par des phrases, en faisant de la poésie comme M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir, lt un homme, a la fois poète, observateur et travailleur crudit, qui a les traduire en

Nous ne savons pas si d'autres decouv' confirmeront notre double hypoîh< M sur le table auteur d naît, quel-

que difficile que cela paraisse, nous ne doutons rite D ■■ >oit un jour connue. Sans

60 MARGUERITE CHALIS.

parler des dépôts publics, les études de notaires et les autres archives privées contiennent beau- coup plus qu'on ne le croit de documents ou d'indications qui éclaireraient bien des questions d'histoire locale et d'histoire générale, s'il se trou- vait plus de personnes ayant les loisirs, la patience et l'érudition nécessaires pour les consulter. Il est évident que c'est dans l'Ardéche et le Gard, parmi les vieux papiers relatifs à la famille de Surville, qu'il y a le plus de chances de décou- vrir le fin mot de la question.

En attendant, s'il reste simplement probable que les poésies de Clotilde sont l'œuvre d'un membre de la famille de Surville, notre publica- tion aura du moins démontré avec la dernière évidence qu'elles ne peuvent pas être de la per- sonne qu'on a voulu désigner sous le nom de Clotilde de Surville et que leur date est de beau- coup postérieure au xve siècle.

«-CI

PIECES JUSTIFICATIVES

EXTRAITES DU MANUALE NOTARUM ANTHONII DE BRIONE

Notarii Priv acii,

Allant du 27 mars 14.27 au 23 mars 1428

registre de 107 feuilles appartenant à M. Henri de la Garde,

V

1 .

TESTAMES TUM FLORE N'CIE CHALISSE RelictC Poncii de Morcrio, Privacii.

In nomine Domini, amen.

Anno Incarnationis ejusdem Domini m" cccc° xia mentis septembris. 1 haliste, relicta Poncii de More- riçf Privacii quondam, tanâ mente, licei tim corpore debilis, actendens diet Domini fore l> et quoi mil tti morte certius, et volens obideo

igilur testamentum, et voluntatem} et dispositinnem,/; quitur.

In crimis facto per me Signa sancte crucis -\-

(il MARCUERILE CHALJ-,

dicendo : « In nomine Patris, etc., » animant meam et corpus meum reddo altissimo Creatori.

Deinde, dum dicta anima mea fuerit separata a dicto meo corpore, eidem corpori meo cepulturam heligo in symenterio Beati Thome Privacii in tumulo in quo mater mea et Jacobus La Balma maritus meus pre... quondam, et liberi sui et mei sunt sepulti, et volo, dicta die qud dictum corpus meum tradetur sépulture, convocari in dicta ecclesiâ Privacii triginta presbiteri, qui missas, etc., quibus et eorum cuilibet offerri volo quindecim denarios Turonenses, semel tantùm, et clericis quod est moris.

Item, volo quod, per novem dies sequentes post mortem seu sepulturam, convocentur omnes pres- biteri Privacii super mea sepulturd, cum eorum supelliciis induti, et ibidem facere unum cantare mortuorum; quibus et eorum cuilibet, videlicet illis qui intererunt, cum dictis eorum supelliciis, offerri volo, quâlibet die dictarum novem dierum, sex denarios Turonenses, semel tantum, et clericis quod est moris.

Item, volo quod, die mei triscesimi, convocentur in dicta ecclesid alios triginta presbiteros qui missas... etc., quibus provideri volo in prandio ho- norificè, et, sumpto prandio, eis et eorum cuilibet offerri volo alios quindecim denarios Turonenses, semel tantùm, et clericis quod est moris.

Item, volo dari xxi pauperibus, in pane cocto,

MARGUERITE CHAHS. 6]

decem sestaria bladi seliginis, semel tantum, et decem cartas salis, semel tantum.

Item, volo quoi oblatio mea panis, vint et lu- minis fiât in dicta ecclesid Privacii per unum annum et unam diem immédiate sequentes post mortem meam, videlicet, quâlibet die, duos dena- rios Turonenses in pane, unam pintam vini puri, et unum lumen cere, semel tantum.

Item, lego domino curato Privacii, qui nunc est, vel qui fuerit, duos solidos cum dimidio Turo- nenses, semel tantum.

Item, ejus vicario, duos solidos cum dimidio, semel tantum.

Item, lego luminaribus Béate Marie Privacii unum potum olei, semel tantum.

Item, legù hospitali Recluse et malapden'e Pri- vacii, eorum cuilibet, sex denarios Juron semel tantum.

Item, le. ls animarum Turgatorii, operis

beati Thome pauperum inducendorum, et relicte ceree firie, ac cereij Pascalis que Jiunt in

dicto loco Privacii, eorum cuilibc! larios

Turonenses, semel tantum.

Item, lego confraterie dominorum presbiterorian Privacii ultra meam ; : pitalphos

stagni quos pencs me habeo, semel tantum.

Item, lego conventui fratrum minorum nacii, pro ducentis i convenlu

celct' r i salutc, etc., videlicet v titra

6+ MARGUERITE CH AL 1 8.

ronenscs, semel tantùm, monde currentis, solven- das infra duos annos post mortem mcam.

Item, pari modo, conventui fratrum Prœdicato- rum dicti loci, pro aliis ducentis missis modo predicto celebrandis, alias v libras Turonenses, semel tantum solvendas ut suprà.

Item, lego conventui Fratrum Augustinorum Beati Michaelis de Voutà, pro aliis ducentis mis- sis modo predicto celebrandis, alias v libras Turo- nenses, semel tantum, solvendas ut suprà.

Item, lego dominis presbiteris habitantibus dic- tum locum Privacii pro centum missis celebrandis in dicta ecclesiâ Privacii pro salute, etc., videlicet duas libras Turonenses, semel tantum, solvendas infrà unum annum post mortem meam.

Item, lego malapderie Privacii, ultra per me legata, videlicet unam meam culcitram meliorem, unum pulvinar, unum linthcarium, duos bodices.

Item, lego noncupato Beylle, de prato Malhesin, aliam meam culcitram modici valoris, duos bodi- ces et duo linthearia, semel tantum.

Item, lego Poncio La Balma, filio Poneti quon- dam, quamdam vineam scitam in monte Romano, confrontatam cum itinere quo itur de Privacio ad Sanctum Projectum, et cum vinea Mondoni Gi- raudi, fabri, et cum suis aliis confrontibus, unà cum suis ingressibus.

Item, lego Caterine, uxori Stephani de Solerio, consanguinee mee germane xv solidos Turonenses,

MARGUERITE CHALI5. 6$

semel tantum, sibi solvendos infra nnum annum post mortem meam.

Item lego Johanni Pascalis, aliàs de Albenacio, mercatori, pro serviciis per ipsam ejus uxorem mi- chi Jadis, et pro his in quibus sibi teneri posscm, viielicet vineam meam scitam « a la Colieyra, » confrontatam a peie cum orto dicti Johannis, et cum terra magistri Johannis Falconis, et terra Gullielmi Ginetti , et cum vineâ Johannis de Ponte... et cum orto nobilis Helidis, relicte Pétri Fabri, et cum orto meo et cum suis aliis con- frontibus, una cum suis ingressibus.

Item, plus, lego eidem Johanni fructus pendan- tes de presenti in vineis meis, semel tantum: volo tamen quod dictus Johannes nequesui, nihil pctcrc possit a dicta hère de med inj 'raser ip ta, nec ipsa hères mca à dicto Johanne neque suis de his, in quibus ego dicto Johanni teneri posscm, seu ipse Johannes mihi teneri posset, qualitercumque, usque in diem presen:

Et quia heredii institut io caput est et fonda- mentum totius testamenti ultimi..., igitur, in lotis aliis bonis meis, mobilibus, juribus, rebut, presen- et futur ist heredem michi institua uni

t nominando,

lilectam et carissimam Margaritam,filiam

dominé Pétri Ckalissi, in legibus licenciât^ quon-

dam fratrit mei, neptem meam et suos, per quam

toM volo le gâta mca. et débita.

66 MARGUERITE CHALIS.

Exequtores hujus mei ultimi testamenti facio dominum curatum Privacii, qui nunc est, et domi- num Johannem de Coluncio, aliàs Ardonis, pres- biterum, et Beati Thome, quibus do potestatem.

Hoc est testamentum meum ultimum, et volun- tas mea ultima, dispositio..., quod et quam valere volo..., jure testamenti, jure codicillorum..., jure donationum causa mortis, et omni eo meliori modo. Et, si repperiretur me unquam fecisse aliud seu alia testamenta, codicillum, àonationem, causa mortis, et precedenter me fecisse, revoco et hoc meo ultimo testamento in suo robore perman- suro, et rogo vos, testes, et te, notarium.

Actum Privacii, in hospitio dicte Margarite, in quddam caméra, in qud egrotabat, testibus pre- sentibus...

Domino Egidio Charrerie, curato dicti loci ;

GUILLELMO DE MORERIO J JOHANNE DE MORERIO ; JOHANNE DE CORBERIIS ;

Guillelmo Charrerie, aliàs Vasulet ; Petro Alberti, aliàs Sardi ; Goneto Lamberti, et Anthonio Traversa.

MARGUERITE CHALI3. C>7

2.

PRO JOANNE PASCALIS, ALIAS DE ALBENASSIO, LEGATI EXPEDITIO.

Anno Domini mccccxxvii et die xn mensis ?io- vembris , cum dudùm honesta mulier Florent ia Chalisse, relicta Poncii de Morerio quondam Pri- vacii, suum ultimum condiderit testamcntum cum instrumente» per me subscriptum notarium in no- tam recepto, sub anno quo suprà et die undeeimd mensis septembris, in quoquidem testamento inter cetera continetur ipsam Florentiam dondsse et levasse provido viro Johanni Pascalis, aliàs de Albenassio, mercatori dicti loci Privacii, quamdam suam ipsius Florentin vineam scitam juxta muros dicti loci Privacii, loco dicto En la Colicwû, con- frontatam a pede cum orto dicti Johannis Pasca- lis, et cum terra ma^istri Johannis Faleonis, et cum terra Guillelmi (]incli, aliàs Viicbo, et cum vined nobilis Johannis de Ponte , et, ab oriente, cum orto ipsius Florentin Chalisse, et cum suis aliis confrontibus ; ultimamque heredem universalem in m testamento instituissex honestam mulierem

i. Ici se trouvait le mot nnb (nonilcm), commencé et

68 MARGUERITE CHAHS.

Margaritam Chalisse, ejus neptem, relictam nobilis Raymundi de Bosco quondam Barresii, etc., etc.

MATRIMONIUM NOBILIS BeRENGERII DE SUPERVILLA

Nemausensis diocesis ex unâ, et honeste mulieris Mar- garite, filie venerabilis viri domini Pétri Chalissi quondam Privacii, partibus ex altéra.

In nomine Domini. Amen.

Anno Domini millesimo qnadringentesimo vice- simo septimo et die quartâ mensis jannarii, etc.

Cum ad Dei laudem, tractaretur de matrimonio, per verba de futuro, inter nobilem Berengerium de Supervilld, Nemausensis diocesis, et quosdam ejus parentes, présentes nomine dicti nobilis ex und, et honestam mulierem Margaritam, filiam venera- bilis viri domini Pétri Chalissi quondam licenciati in le gibus, Privacii, partibus ex altéra.

Tandem ver o jurato futuro matrimonio predicto inier partes,... quia dotis...

Igitur personaliter constituta in presentia nos- trûm Ludovici Rijardi et Anthonii de Brione no- tariorum, dicta Margarita, sponsa futura, non errans, sed sponte, cum volunlate et consensu dictorum suorum amicorum se constitua in dotem, unà cum dicto ejus sponso futuro, videlicet ;

Omnia et singula bona sua, mobilia, immobilia, jura, res, actiones et quas habet et possidet de

MARGUERITE CHALIS. ÔÇ

presenti duntaxat, ubicumque sint, exceptis ta- men his que ipsa habet in lotis de Ruppemaurd et de Seutro, seu eorum territorio, unà cum eorum iuribus et pertinentiis, de quibus ipsa sponsa pos- sit facere ad suas voluntates, faciens et con- stituens dicta sponsa futur a dictum ejus vint* futurum in dote sua predictd verum dominum et procuratorem, ità quod, copulato dicto futuro ma- trimonio, in anthea agere possit, et deinde totum facere.

Et fuit actum, inter partes, retenlumquc per dictant sponsam futuram, quod dictus nobilis, sponsus futurus, incontinenti copulato dicto fu- tur , matrimonio y veniat super bonis et hereditate dicte sponse et ibidem, cum ipsd sponsa fu- turd et ejus familidy videlicet in presenti loco Pri- vatii, vel Vessaucii domicilium personale continue facere debeat et larem fovere, bona et heredi- tatem dicte sponse regere, gubernarc, cultivarc, benc probe, teneatur et non deteriorare , r. que bona et hereditatem r : heat cum in-

>ii confections, et cas in casu restitutionis ■-, restitu Item plus fuit actum, quod, si continr quMidocumque alterum ex ipsit futur Uconjugibus, mon ine liberis legitimis ex presenti

futuro matrimonio pfocreatis, uno vel pluribus,

im habeai et lucretur, bonis premoriCHtis, mo I tot videlicet cen-

70 MARGUERITE CHALI S.

tum scuta auri boni et fini, boneque legis et cugni domini nostri Francie régis ; quequidem centum scuta dictus premoriens modo pretacto gratis et sponte dicto superviventi eorumdem, in casu predicto adveniente, presenti matrimonio de- dit sive donavit donatione purd, que fit inter vivos et propter nupcias.

Et specialiter dicta sponsa hoc pactum fccit asserens majorent viginti annis et minorent viginti quinque, renunciando per expressum super hoc minoris etatis beneficio.

Et que centum scuta solvi debeant per heredes et successores dicti sic premorientis dicto supervi- venti vel suis in pace, per solutiones annuales decem scutorum auri, unà cum dampnis.

Item plus fuit actum, retentumque per dictum sponsum futurum, quod dicta sponsa futura re- cognoscere teneatur dicto nobili Berengiero omnia ea que ipse de suo proprio implicabit in bonis et hereditate dicte sponse future, videlicet pro evi- denti commodo et utilitate ipsorum bonorum et hereditatis, et non aliter, et ea restituere in casu restitutionis adveniente.

Item plus fuit actum, quod dictus nobilis Berengierus emere debeat dicte sponse jocalia usque ad valorem vigenti quinque mutonum auri, de quibus jocalibus ipsa Margarita, sponsa futura , facere possit ad suas omnimodas voluntates, tam in vitd quant in morte.

MARGUERITE CHALIS. 7 1

Item fuit actum, quod dictus sponsus futurus etiam emere debeat dicte ejus sponse future vestes nuptiales bonas et compétentes juxtà coniitionem personarum ipsorum futurorum conjugum.

Pretereà, personaliter constitutus, in presentid nostrûm notariorum, nobilis et religiosus vir dominus Anthonius Joriani, prior Vessaucii, avunculusque dicti sponsi, affectans ut presens ma- trimonium suum deducat ejfectum, igitur, non errans, sed sponte, favore et contemplatione hujus futuri matrimonii, dédit donatione purd, que fit inter vivos et propter nupcias, dicto no- bili Berengiero presenti, videlicet centum muto- nes auri boni et fini, cugni domini nostri Francie régis ; quos centum mutoncs auri dictus dominus prior dicto nobili Berengiero, ejus nepoti presenti, solvere promisit sub juramcnto, obligatione et renunciatione infrà scriptis. in pace, ad ejusdem nobilis Iicrengerii vcl suorum primant rcquisitio- nem, unà cum dampnis.

Et ità predicta f \ promi tentes, inde ipse

partes contrahentes, bond Jide sud et sub obli- gatinne et vppothecâ omnium bonnrum suorum ipsa

omnia tenere, et nunquam contra faccre, et

quoi non fecerunt, et juraverunt, prO quitus acteti- , dicte partes contrahente mm qucli-

'bligavcrunt, se et bon

i et Valentina illo Prmi-

u et totius altcn itatûs Valentinensiî

72 MARGUERITE CHAHS,

et Diensis citrà Rodanum et ultra, et sigillo do- mini Vivariensis episcopi et ipsorum cujuslibet

renunciantes

De quibus quelibet pars dictorum futurorum conjugum peciit , videlicet dictas sponsus fu- turus per me, Ludovicum Riffardi, et dicta sponsa per me, Anthonium de Brione, notarios publicos, instrumentum, quando possit jieri, ad consilium cujuslibet sapientis.

Actum Privacii in hospicio dicte Margarite, testibus presentibus :

Nobili et venerabile viro domino Guillelmo de RoculiSj in utroque jure bacallario ; Nobilibus :

Guillelmo Floccart,

Guillelmo de Montegrosso, aliàs de Gradu,

Raymondo Veteris,

Ebrardo de Cheylario,

Petro de Benefficio;

Religiosis viris et dominis :

Imberto Mote? priore de Upiano,

Égidio Charrerie, curato Privacii,

Guillelmo d"e Morerio,

Goncto Alardi,

Anthonio Vallati? et pluribus aliis et me Ludo- vi co Riffardi, notario, qui in premissis inter- fui cum te magistro Anthonio.

Riffardi.

MARGUERITE CHAHS,

73

TRADUCTION

TESTAMENT DE FLORENCE CHAHS

Veuve de Pons de Mourier, à Privas,

Au nom du Seigneur, amen.

L'an de l'Incarnation de Notrc-Seigneur 1427, le 11 du mois de septembre,

Je, Florence Chalis, veuve de Pons de Mourier, de Privas, jouissant de mes facultés, bien que faible de corps, sachant que les jours du Seigneur seront courts et qu'il n'y a rien de plus certain que la mort, et, par suite, ne voulant pas mourir sans tes- tament,— fais en conséquence ce testament et acte de dernières volontés et dispositions comme suit :

Et d'abord ayant fait le signe de la croix -\- di- sant : Au nom du Père, etc. Je rends mon âme et mon corps au très-haut Créateur.

. îite, lorsque mon âme aura été séparée de mon corps, je choisis pour sépulture de ce même corps, dans le cimetière de Saint-Thomas *, de Pri- vas, le tombeau dans lequel ma mère et feu Jacques

1.1 t toujours IOM le vocable Je

Thomas.

1

MARGUERITE CHALIi.

la Balme, mon premier mari, ainsi que ses enfants et les miens ont été inhumés, et je veux, au jour mondit corps sera livré à la sépulture, que l'on con- voque dans ladite église de Privas trente prêtres qui diront des messes, auxquels prêtres et à chacun desquels je veux qu'il soit offert quinze deniers tournois une fois pour toutes, et aux clercs ce qui est d'usage.

Item, je veux que, pendant les neuf jours qui suivront ma mort ou mon inhumation, on convoque tous les prêtres de Privas sur ma sépulture, pour célébrer, revêtus de leurs surplis, une absoute; auxquels prêtres, à tous et à chacun d'eux, c'est-à- dire à ceux qui auront été présents, revêtus de leurs surplis, je veux qu'il soit offert, chacun desdits neuf jours, six deniers tournois une fois pour toutes, et aux clercs ce qui est d'usage.

Item , je veux que, le trentième jour, on con- voque dans ladite église trente autres prêtres qui diront des messes, auxquels je veux qu;il soit offert un repas convenable, et, après le repas, à chacun d'eux quinze deniers tournois une fois pour toutes, et aux clercs ce qui est d'usage.

Item, je veux qu'il soit donné à vingt et un pauvres en pain cuit dix setiers de seigle, une fois pour toutes, et dix quartauts de sel, une fois pour toutes.

Item, je veux que mon offrande de pain, de vin et de luminaire soit faite dans ladite église de Pri-

MARGUERITE CHALIS. 7 $

vas pendant un an et un jour depuis mon décès, de la manière suivante, savoir : chaque jour, deux deniers tournois de pain, une pinte de vin pur et un cierge, une fois pour toutes.

Item, je lègue au curé actuel de Privas ou à son successeur deux sols et demi tournois une fois pour toutes.

Item, à son vicaire, deux sols et demi, une fois pour toutes.

Item, je lègue aux luminaires de la bienheureuse Marie de Privas un pot d'huile, une fois pour toutes.

Item, je lègue à l'hôpital de la Recluse et à la maladrerie de Privas *, six deniers tournois chacun, une fois pour toutes.

Item, je lègue aux quêtes du Purgatoire, à l'œuvre de Saint-Thomas pour habiller les pauvres, au cierge de la Sainte-Vierge et au cierge pascal, qui existent

1. Il est à présumer que le premier de ces établissements, situé au quartier de la Recluse, était l'hôpital proprement dit et que la maladrerie était exclusivement réservée aux lépreux. 11 ne reste plus trace de ces établissements détruits, avec le reste de la ville, en 1629. I de Privas,

situé dans un quartier différent, ne remonte qu'à

IV créent alors un hôpital des

1 sont ino biens

.nus des maladreries de Privas et de Tournon prés

. en suite de l'arrêt du conseil privé du 17 février ;

Il existe une copie de chacun de ces actes aux archives de

tal.

jC MARGUERITE CHAHS.

audit lieu de Privas, à chacune de ces œuvres pies, six deniers tournois, une fois pour toutes.

Item, je lègue à la confrérie des prêtres de Pri- vas, outre ma redevance, deux bichets * d'étain que j'ai chez moi, une fois pour toutes.

Item, je lègue au couvent des frères mineurs d'Aubenas, pour deux cents messes à célébrer dans le même couvent, pour le salut de mon âme, cinq livres tournois, une fois pour toutes, en monnaie courante, à payer dans le délai de deux ans après ma mort.

Item, pareillement, au couvent des frères prê- cheurs du même endroit, pour deux cents autres messes à célébrer de la manière susdite, cinq autres livres tournois, une fois pour toutes, à payer comme ci-dessus.

Item, je lègue au couvent des frères augustins de Saint-Michel de la Voulte, pour deux cents autres messes à célébrer de la manière susdite, cinq autres livres tournois une fois pour toutes, à payer comme ci-dessus 2.

i. Pitalphus, botta, vasum ad vinum continendum. Du- cange. Le mot bouto est encore employé dans l'Ardèche pour désigner des vases en bois contenant du vin. Comme il s'agit d'un vase d'étain, nous avons cru devoir traduire par bichet.

2. Les couvents des frères mineurs et des frères prêcheurs d'Aubenas et celui des frères augustins de Lavoulte n'ont cessé d'exister qu'à la fin du siècle dernier, lors de la sup-

MARGUERITE CHALIS. JJ

Item, je lègue aux prêtres habitant ledit lieu de Privas, pour cent messes à célébrer dans ladite église de Privas pour le salut de mon âme, deux livres tournois une fois pour toutes, à payer dans le délai d'un an après ma mort.

Item, je lègue à la maladrerie de Privas, outre mes autres legs, mon meilleur matelas, un oreiller, un drap de lit, deux paillasses.

Item, je lègue au nommé Beylle du pré du Mail * mon autre matelas de moindre valeur, deux pail- lasses et deux draps de lit.

Item, je lègue à Pons la Balme, fils de feu Pons, une vigne située sur le mont Romain 2, limi- trophe à la route qui va de Privas à Saint-Priest, à la vigne de Mondon Giraud, forgeron, et à d'autres voisins, le tout avec les droits de passage.

pression générale des établissements religieux. Il y a au\ archives départementales à Privas un certain nombre de documents provenant de ces couvents, notamment des copies de cartula

de M. Mamarot, archiviste du département de l'Ardéche.) i. On ap: / l'empUcCIBCnl

cupé actuellement par le Champ de Mars en face fU sernes. C'était que commençait le chemin du Jeu du Mail

: aujourd'hui le cimet.

%, Le MênttRoMâm et le quartier ou

du mont Toulon, entre la route nationale Ml nor .1 I

j\\ MARGUERITE CHALIS.

Item, je lègue à Catherine, femme d'Etienne de Soler, ma cousine germaine, quinze sous tournois, une fois pour toutes, à payer dans le délai d'un an après ma mort.

Item, je lègue à Jean Pascal, ou d'Aubenas, mar- chand, pour les services que m'a rendus sa femme, et pour les choses dont je pourrais lui être rede- vable, ma vigne située à la Colieyre 1, contigué par le bas au jardin dudit Jean, et à la terre de maître Jean Falcon, à la terre de Guillaume Ginet, à la vigne de Jean Dupont... au jardin de noble Hélide, veuve de Pierre Fabre, à mon jardin et à d'autres voisins, le tout avec les droits de passage.

Item, de plus, je lègue au même Jean les fruits actuellement pendants dans mes vignes, une fois pour toutes. Je veux cependant que ni ledit Jean ni les siens ne puissent rien demander de mon héritière ci-après, et que ladite héritière ne puisse non plus redemander audit Jean ni aux siens rien de ce que je puis devoir audit Jean, ou dont ledit Jean peut m'être redevable de quelque manière que ce soit, jusqu'au jour d'aujourd'hui.

Et comme l'institution d'un héritier est le but et la raison de tout testament suprême, en conséquence, pour tous mes autres biens, meubles, droits et actions,

i. C'est la partie du terrain en pente qui se trouve vis- à-vis la prison, entre le collège et l'abattoir, et qui descend jusqu'au ruisseau de Charalon.

MARGUERITE CHALIS. 79

présents et futurs, j'institue pour ma légataire uni- verselle, l'indiquant et la nommant de ma propre bouche, ma bien-aimée et très-chère Marguerite, fille de feu mon frère messire Pierre Chalis, licencia en droit, ma nièce et les siens, par laquelle je veux que mes legs et dettes soient acquittés et payés. '

J'institue pour mes exécuteurs testamentaires le curé actuel de Privas et messire Jean de Colunce ou Ardone, prêtre de Saint-Thomas, auxquels je donne pouvoir, etc.

Ceci est mon testament et acte de dernières vo- lontés et dispositions, lequel j'entends être valable, comme testament, codicille et donation après décès, et cela en la meilleure forme de droit.

Et s'il est établi que j'aie jamais fait précédem- ment un autre ou d'autres testaments, codicilles ou donations en vue de décès, je les révoque, voulant que ce présent testament demeure en pleine force et ir, vous requérant témoins et notaire d'en ire acte.

Fait à Privas, au domicile de laditj Marguerite, dans la chambre elle était malade, en présence des témoins ci-apr.

\kkii' m, c iré d idit lieu,

GuiLLAUM! DE MOttl :

J 1 1 ,vh 1 i.k , J 1 an di Coi ni 1 1 .

Gi m 1 1 1 .

Pu I

I'k.v. Bat.

HO MARGUERITE C H ALI S.

EXPEDITION DE LEGS POUR JEAN PASCAL

OU d'aubenas.

L'an du Seigneur 1427, le 12 du mois de no- vembre,

Honorable dame Florence Chalis ayant fait son dernier testament dans un acte reçu en note par moi notaire soussigné, dans l'année que dessus, et le 1 1 septembre, dans lequel testament il est dit entre autres choses :

Que ladite Florence Chalis donne et lègue à Jean Pascal ou d'Aubenas, marchand audit lieu de Pri- vas, une sienne vigne située près des murs dudit lieu de Privas, au lieu dit en la Colieyra, confron- tant par le bas avec le jardin dudit Jean Pascal, avec la terre de maître Jean Falcon, avec la terre de Guillaume Ginet ou Videbo, et avec la vigne de noble Jean de Pont; et, au levant, avec le jardin d'elle-même Florence Chalis et avec ses autres voi- sins;

Et qu'elle a institué, dans ce testament, pour sa dernière légataire universel1 ■•" honorable dame Mar- guerite Chalis, sa nièce, veuve de noble Raymond du Bois de Barrés, etc.

MARGUERITE CHALIS,

MARIAGE

DE NOBLE BERENGER DE SURVILLE

du diocèse de Nîmes, d'une part,

ET D'HONORABLE DAME MARGUERITE *

fille du vénérable feu messire Pierre Chalis2, d'autre part.

Au nom du Seigneur, amen.

L'an du Seigneur 1+27, le * janvier 3.

Des négociations verbales en vue d'un mariage ayant eu lieu pour la plus grande gloire de Dieu entre noble Bérenger de Surville, du diocèse de Nîmes, et plusieurs de ses parents présents au nom

1. Le mot mulier s'entendait généralement en latin, mais plus spécialement au moyen âge, de la femme mari. opposition a la jeune fille ou f-uella. Souvent aussi il voulait comme puer était pris pour fis, ainsi qu'on le voit dans l'inscription 2664 du Recueil Orclli ; mais il est certain aussi que dins le droit romain le mot millier pliquait à toutes les femn ou non. On I

iins Ulpit- I I Itères otnnes J;

quœcunque sexûs femitiini surit. 2. Il est as-.cz difficile de

( ilitii ou Chalini. \) A lit lu Chalini.

Nous avons préfér (

ttc date correspond au 4 janvier 1428. L'année com- mençait alors à Pâques, qui, en 1427, M trouvait être le

'. â]ucs de l'année

1 1

M 2 MARCUERITE C H A L I s .

dudit noble, d'une part, et honorable dame Mar- guerite, fille du vénérable feu messire Pierre Chalis, d'autre part,

Ledit futur mariage ayant, d'ailleurs, été convenu par serment entre les parties,

Pour la dot à fixer,

A personnellement comparu devant nous, Louis Riffard et Antoine de Brion, notaires, ladite Margue- rite, future épouse, dans la plénitude de sa con- science, et de son plein gré, avec la volonté et le consentement de ses amis, laquelle s'est constitué en dot, son futur époux acceptant, savoir * :

Tous et chacun de ses meubles et immeubles, droits et actions, qu'elle a et possède actuellement, qu'ils soient, excepté cependant ceux qu'elle a

suivante, donner à ses actes la date de 1427, bien qu'à par- tir du Ier janvier il fût en 1428 (nouveau style). En France, le commencement de l'année a souvent varié. Sous les rois de la première race, c'était le Ier mai, jour on passait les troupes en revue. Sous la deuxième race, ce fut le jour de Noël ou solstice d'hiver. Sous la troisième, le jour de Pâques. Un édit de Charles IX de 1564 fixa la date du Ter janvier.

1. Le régime dotal était presque uniquement en usage dans le midi de la France; c'est pour cela que le Midi est de beaucoup resté en arrière du Nord pour le développe- ment des affaires, car presque tous les immeubles, étant grevés de l'hypothèque dotale, étaient sans valeur commer- ciale, ce qui immobilisait la plus grande partie du capital du pays.

MARGUERITE CHALIS. 83

aux lieux de Rochemaure et de Sceautres, ou sur le territoire de ces deux localités, avec leurs droits et appartenances , desquels biens l'épouse veut pouvoir disposera sa volonté; ladite future épouse faisant et constituant sondit futur époux vrai maître et adminis- trateur de sa dot, en sorte que, ledit mariage étant conclu, il puisse prévoir ce qu'il y a à faire et ensuite agir en conséquence.

Et il a été stipulé et convenu entre les parties : Pour la future épouse : que ledit noble futur époux, aussitôt le mariage accompli, viendrait dans les biens et le patrimoine de ladite épouse, et là, avec sa future épouse et sa famille, c'est-à-dire au présent lieu de Privas ou à Vessaux, devrait prendre son domicile personnel et y établir ses pénates, et qu'il sera tenu de régir, gouverner, cultiver bien et honnêtement les biens et le patrimoine de ladite épou.s >rer, et qu'il devra

recevoir ces biens et ce patrimoine après inventaire, et si le cas de restitution survenait, les restiti.

Item, il a été encore stipulé que, s'il arrivait, n'importe quand, qu'un des futurs époux vînt à mourir ou décéder sans enfants légitimes issus du .ut mariage, un ou plusieurs, le survivant aurait et profiterait, sir les bien-; Ji défunt, de la manière suivante, savoir : cent écus d'or bon et fin, mon: le notre sire le roi de

nt écus ledit futur défunt d de la manière dite, gratis el gré, au survi-

MARGUERITE CHALIS.

vant, dans le cas indiqué, à titre de donation pure et comme faite entre-vifs en vue du mariage.

Et spécialement ladite épouse a fait ce pacte, affir- mant qu'elle a plus de vingt ans et moins de vingt- cinq, renonçant expressément à ce bénéfice de mi- norité1.

Et les cent écus devront être payés par les héri- tiers ou successeurs du défunt, au survivant ou aux siens, sans difficulté, par versements annuels de dix écus d'or avec les intérêts.

Item, il a été stipulé et convenu :

Pour ledit futur époux : que ladite future épouse sera tenue de reconnaître audit noble Bérenger tout ce que lui-même aura apporté de son propre avoir, dans les biens et le patrimoine de ladite future épouse, pour le profit évident et l'intérêt de ces biens, et non autrement, et qu'elle sera tenue de les restituer au cas il y aurait lieu à retour.

Item, il a été stipulé que ledit noble Bérenger devra acheter pour ladite épouse des bijoux pour une valeur de vingt-cinq moutons d'or2, desquels

i, La loi romaine, suivie dans les pays de droit écrit, distinguait deux majorités : l'une imparfaite, fixée d'abord à l'âge de puberté, puis à vingt ans ; l'autre parfaite, fixée à l'âge de vingt-cinq ans. Les contractants étaient admis à revenir sur les conventions préjudiciables qu'ils avaient faites avant ce dernier âge; voilà pourquoi Marguerite décla- rait renoncer à ce bénéfice de minorité, renonciation sans valeur légale.

2. Le mouton d'or était une monnaie de France qui por-

MARGUERITE CHAHS. 8$

bijoux ladite Marguerite, l'épouse future, pourra disposer absolument à sa guise, aussi bien pendant sa vie que pour après sa mort.

Item, il a été stipulé que ledit futur époux devra également acheter à ladite future épouse des vête- ments de noces bons et en rapport avec la condi- tion personnelle des futurs époux.

En outre, devant nous notaires a personnellement comparu noble et vénérable Antoine Jourdan, prieur de Vessaux, oncle dudit époux, lequel, à l'effet de faciliter le mariage, sciemment et spontanément, en

tait, d'un côté, l'image de saint Jean-Baptiste et, de l'autre, celle d'un agneau, avec ces mots pour légende : Ecee agnus Dei. Dans le courant du xve siècle, par conséquent à l'époque du contrat, la pièce en question valait 7 fr. 95. Cette valeur néanmoins n'est que celle du poids ; quant a la valeur relative, elle est incalculable. Du ve au xvie siècle en effet, l'or conserve une valeur spécifique excessivement élevée par suite de l'abandon presque général de l'exploi- tation, et ce ne fut qu'au xvie siècle, après la découverte de l'Amérique et quand les métaux précieux affluèrent en Europe, que cette valeur diminua. Au xvie siècle, cette dépréciation était déjà de plus du tiers, presque de la moi- tre cette dépréciation progressive de la valeur spé- cifique de l'or, il y aurait encore a tenir compte de la dépréciation survenue suite

de l'accroissement de la richesse publique, pour pouvoir faire une estimât des joyaux de Marguerite. I

tous les cas, on peut dire qu'ils ne le cédaient point, pour la valeur, aux plus rie: dei noble-

l'aujourd'l,

8 6 MARGUERITE (HALIS.

faveur et en vue de ce futur mariage, a donné, par donation pure et simple entre-vifs, audit noble Bérenger présent, à savoir, cent moutons d'or bon et fin, au coin de notre sire le roi de France, les- quels cent moutons d'or ledit prieur a promis de payer exactement audit noble Bérenger, son neveu, ici présent, en s'y engageant sous serment et en re- nonçant à toute reprise, à la première requête dudit noble Bérenger ou de ses ayants droit, le tout avec intérêt.

Promettant lesdites parties contractantes d'exécu- ter fidèlement tout ce que dessus, à l'effet de quoi ces mêmes parties contractantes, de bonne foi, y engagent tous leurs biens par hypothèque et s'obligent à tout observer, sans jamais rien faire contre ce qu'elles ont juré ; et pour tout ce que lesdites parties contractantes ne feront pas, l'ayant juré, elles obligent, toutes et chacune d'elles, elles et leurs biens, sous le sceau royal du Vivarais et du Valentinois comme aussi sous le sceau de Privas et de toute l'autre partie du territoire du comté de Valentinois et de Die en deçà et au delà du Rhône, le sceau de monseigneur l'évêque de Viviers, et celui de chacune d'elles, avec renonciation.

De tout ce que dessus, chacun desdits futurs époux a demandé qu'il fût pris acte, quand il se pourra, et à la discrétion de chacun des notaires, à savoir, ledit futur époux par moi, Louis Riffard, et

MARGUERITE CHALIS. 87

ladite future épouse par moi, Antoine de Brion, notaires publics.

Fait à Privas, au domicile de ladite Marguerite, en présence des témoins ci-apres :

Noble et vénérable messire Guillaume de Rocles, bachelier dans l'un et- l'autre droit;

Nobles : Guillaume Floccart (châtelain de Privas), Guillaume de Montgros, ou de Gras, Raymond Vieux, Hébrard du Cheylard. Pierre de Bénéfice;

Révérends et messires : Imkert de la Mothe, prieur d'Upie (Drôme), Eloi Charrière, curé de Privas, Guillaume de Mourier,

m-Allard,

imi \'allat,

Et de plusieurs autres encore, ainsi que de moi Louis Riflard, notaire, qui suis intervenu eu l'acte ci-dessus avec maître Antoine.

KlIlAKD,

NH MARCUKRI I B CHALI5,

EXTRAIT

Mon cher compatriote,

Je vous renvoie ci-joints les extraits du Manuale notarum...

Ces documents, dont l'authenticité est indéniable, sont de nature à hâter la fin du procès littéraire soulevé, au commencement de ce siècle, par la pu- blication des poésies de Clotilde. Dès leur apparition, vous le savez, les princes de la critique ne virent en elles qu'un pastiche; ils déclarèrent qu'elles étaient l'œuvre d'un faussaire, et la cause sembla jugée sans appel.

Il en a été autrement : la question, de nouveau soulevée en ces derniers temps, est aujourd'hui, plus que jamais, agitée dans notre Ardèche. Elle se pré- sente sous deux aspects, entre lesquels il existe une grande connexité, et qu'il est difficile de considérer séparément : c'est, d'une part, la personnalité poé- tique; de l'autre, la personnalité civile et familiale de Clotilde.

Ne croyez pas, mon cher compatriote, que je veuille intervenir dans le débat. J'ai publié, en 1859, un roman sur Clotilde de Surville, et j'ai perdu le

MARGUERITE CHALIS. 89

droit de faire de la critique historique à son sujet ; on pourrait me dire avec raison : « Vous avez montré une Clotilde de fantaisie ; gardez votre fic- tion, elle n'a rien à voir dans ce procès d'his- toire. » Je veux seulement constater l'état de la ques- tion? avant de vous faire connaître mon opinion sur la portée des énonciations contenues dans le Manuale notarum de mon vénérable confrère du xve siècle.

En 1863, M. le comte de Watré, représentant, par les femmes, du marquis de Surville que plu- sieurs considèrent comme l'auteur du recueil édité par Ch. Vanderbourg, eut occasion à propos de mon roman, qui l'intéressait par son titre et son sujet de soumettre à M. A. Macé, professeur d'histoire à la Faculté des lettres de Grenoble, la question des poésies publiées sous le nom de Clo- tilde de Surville. M. Macé ne croyait point alors à leur authenticité. Une étude sérieuse de la question modifia son opinion : sans méconnaître les retouches et les corrections qu'une main indiscrète avait fait subir I . il pensa qu'elles n'étaient point

m faussaire.

M. '• r point le premier venu : on ne peut

mettre en Q talent de critique et d'écrivain,

et la position qu'il occupe à la Faculté de* lettres Je Grenoble donne à s .-s jugements une incontestable autorité. Un article de lui sur les poésies de Clo- tilde parut, bientôt nu i- Journal de l'In-

ÇO MARGUERITE C H ALI S.

slruction publique, et produisit assez de sensation parmi les lettrés pour que son auteur fût prié d'en élargir le cadre et d'y faire entrer in extenso toute la correspondance de Vanderbourg et de nouveaux renseignements acquis depuis lors. M. de Watré, obéissant à un sentiment facile à comprendre, s'as- socia vivement à cette pensée. Il fut convenu entre lui et M. Macé que ce travail fournirait la matière d'un volume dont la publication ne se ferait pas longtemps attendre. Malheureusement les occupations graves et nombreuses du savant professeur retar- dèrent la composition de Fouvrage. M. de Watré m'annonçait, l'année suivante, qu'il était à peu près terminé, mais qu'il manquait encore à M. Macé des renseignements sur la famille de Surville, et me demandait si je ne pourrais pas en trouver dans les archives des notaires de Vallon. Mes recherches furent inutiles. Je dus me borner à préciser à M. de Watré les traditions locales se rapportant au sou- venir de Clotilde. Je lui affirmai qu'un vieillard oc- togénaire de Vallon, M. Peschaire-Florian, mainte- nant décédé, m'avait dit maintes fois qu'alors qu'il était tout enfant, une de ses tantes qui datait du xvme siècle lui récitait des vers attribués à une châ- telaine du nom de Clotilde de Surville. Ce témoignage oral, que M. Macé rapporte dans son ouvrage, a été confirmé par M. Jules Ollier de Marichard, notre fer- vent et laborieux archéologue vallonnais, neveu dudit M. Peschaire-Florian.

MARGUERITE CHALIS. 91

Même en tenant pour inventés à plaisir les détails biographiques consignés dans la préface du recueil de Vanderbourg, on doit conclure du fait précité qu'il a existé, longtemps avant la publication de ce recueil, une femme poëte, appelée Clotilde de Sur- ville, dont les vers étaient connus dans le Vivarais.

L'honorable M. de Watré n'a pas eu la satisfac- tion de voir publier le plaidoyer de M. Macé : l'ou- vrage n'a paru qu'après sa mort. C'est de cette pu- blication que date le bruit qui s'est fait au sujet des s de Clotilde.

(Après avoir parlé Mes récents opuscules de M. Villedieu et de M. Vaschalde, la lettre continue ainsi : )

Voilà Clotilde en face de la critique. Voyons-la maintenant par-devant notaire.

(. urne l'indique son titre, le Monnaie notarum

d'Antoine de Brioo est écrit en latin. C'était, à cette

époque, la langue des actes civils aussi bien que des

canoniques ; il avait sur l'idiome national, en

ition, l'avantage d'être une langue

les Je Me de Brion, il est

loin de re\êtir une forme cicéronienne : ce plus que du latin de notaire, mais un latin si com- plaisant qu'il se plie a tra : DOOM Je per- sonnes, même Jes noiiiK Je choses, par dei vocable* impossibles et absolument Inédits.

1 et m'émeut dans ces protocoles,

la manifestati itiment religieux dont ils

92 MARGUERITE CHAHS.

portent l'empreinte. On n'y trouve pas un seul acte important qui ne soit fait au nom du Seigneur et précédé d'une invocation à la sainte Trinité. Nos ancêtres n'avaient pas comme nous l'habitude de se passer de Dieu; ils ne craignaient pas d'affirmer leur foi. Or je remarque qu'à cette date les An- glais, devenus maîtres de nos plus belles provinces, furent chassés par une jeune fille qui disait avoir mission de Dieu. Aujourd'hui, pareillement, l'étran- ger détient et foule notre sol, mais je cherche en vain Jeanne d'Arc...

Le testament de Florence Chalis nous transporte en plein moyen âge, bien qu'à cette date le moyen âge approchât de sa fin. Il ne contient pas moins de seize legs pour des œuvres pies, faits au profit d'églises, de couvents, de chapelles, de confréries, d'hospices, de maladreries, etc., les uns en argent, monnaie de Tours, denarii Turonenses ; les autres en pain, vin, sel, huile, cire et en effets de literie.

Après une interminable kyrielle de legs particu- liers, Me de Brion formule, avec une satisfaction visible, l'institution d'héritier, faite par la testatrice au profit de sa bien -aimée et très -chère nièce, Marguerite, dilectam et carissimam nepotem Mar- garitam.

Vous remarquerez que, dans la copie de ce testa- ment, les noms des témoins sont placés par éche- lons et par rang de prééminence. Il en est de même dans la copie du contrat de mariage. De nos jours

MARGUERITE CHALI>. 0$

encore, bien que le niveau soit l'emblème du droit moderne, si vous compulsez les signatures apposées sur un acte public, vous constaterez des préséances de plume contre lesquelles il serait parfaitement inepte de réclamer, parce que, si l'égalité civile est un principe, les inégalités sociales sont un fait.

Le contrat de mariage de Marguerite est la pièce importante, décisive; elle me fait l'effet d'un obus tombant sur la préface de Vanderbourg. Chaque partie y a son notaire. Me Antoine de Brion tient pour Marguerite et Ma Louis RirTard pour Bérenger. On voit tout d'abord que, dans cette lutte à main plate, l'avantage est du côté du notaire de la future : il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'œil sur les conventions du contrat. Mais procédons par ordre.

Quelleénigme pour les commentateurs qucl'emploi du mot mulier, appliqué à la future, si le texte de

Jition de legs ne leur apprenait que Margue- rite était veuve d'un premier mari ! Bien que l'expres- sion mulier, considérée par opposition au mot vir, s'applique à toute personne du sexe féminin, il est certain qu'au : irtout on ne s'en ser-

vait que pour désigner une femme ma -euve.

On peut citer, à l'appui de cette règle, le Dfl suivant de saint Thomas d'Aquin, tiré Je soi,

(et quatre Évangiles (M., ch. u «< mulieres enim proprie cor untur. Voici

ent le traducteur de saint Thomas interprète

9+ MARGUKRI T E CHALIs.

ce passage : ((femme (millier) signifie dans son sens propre celle qui a été... » Vous devinez le mot, n'est-ce pas? tant mieux, cela me dispense de l'é- crire.

C'est donc à bon escient que Me de Brion s'est servi de l'expression honestam mulierem pour désigner Marguerite Chalis. Il ne pouvait en dire moins, mais il eût pu en dire davantage en mention- nant son état de viduité et le nom de son premier mari. Pourquoi donc ne l'a-t-il pas fait? Sans être dans le secret des inspirations de mon confrère du temps jadis, je le tiens pour un maître homme et des plus avisés. Si dans cet acte, l'individua- lité de la future se trouve suffisamment établie d'ailleurs, et il eût été heureux de pouvoir quali- fier Marguerite de virgo ou de puella, il a évité d'écrire le nom et d'évoquer le fantôme de Raymond du Bois de Barrés, c'est par un sentiment de déli- catesse qui lui fait le plus grand honneur : peut-être se rappelait-il que le philosophe Athénagore a défini le convoi : un honnête adultère.

Disons un mot de Bérenger de Surville : nous voyons qu'il appartenait au diocèse de Nîmes. Je mentionne pour mémoire qu'il existe présentement, à Nîmes, une famille de Surville, qui est une des plus notables et des plus considérées du Gard.

Examinons maintenant les clauses du contrat. Les futurs adoptent le régime dotai, cela va de soi. Seu- lement la prudente Marguerite se réserve la libre

MARGUERITE C H A L I S . 95

disposition des biens qu'elle possède dans les locali- tés de Rochemaure et de Sceautres. Il est convenu, en outre, qu'aussitôt le mariage accompli, « copu- lato matrimonio, » l'époux viendra dans les biens et le patrimoine de l'épouse, soit à Privas, soit à Ves- saux, et qu'il sera tenu d'y fixer son domicile per- sonnel et d'y entretenir son foyer, « larem fovere » ; quant aux biens dotaux et au patrimoine de ladite épouse, il sera tenu de les régir, gouverner, cultiver bien et honnêtement, « probe », et de ne pas les dé- tériorer, etc.

Peste! quel luxe de précautions, et comme toutes ces r sont obligeantes pour Bérenger de

Surville!

Suit la stipulation d'un gain de survie de cent écus d'or au profit de celui des époux qui mourra rnier, au cas il n'existerait pas d'enfants légitima (?) issus dudit maria:: propos de

cette donation, la future, qui, d'après la loi romaine, n'est majeure qu'imparfaitement, attendu qu'elle flotte entre la vingtième et la vingt-cinquième année, déclare renoncer au bénéfice de minorité.

Ah! la bonne ga ger de Surville,

M Marguerite pou. .une lés^Je

. le contrat !

Il est convenu ensuite que la future sera tenue

lui-ci aura

appo: , propre avoir dans lus biens et patri-

ladite future \ Évident et l'uti-

ÇÔ MARGUERITE CHALIS.

lité desdits biens, et pas autrement : c'est-à-dire que les dépenses d'agrément ne sont pas comprises dans cette reconnaissance et dans la restitution qui doit s'ensuivre. En outre, Bérenger s'obligea affecter vingt-cinq moutons d'or à l'achat de bijoux pour la future, desquels celle-ci disposera suivant son bon plaisir, dès à présent et à jamais; il devra lui fournir aussi des vêtements de noces bons et en rapport avec la condition personnelle des futurs époux.

Elle n'oublie rien, la jeune veuve ! Et qu'on ne dise pas qu'Antoine de Brion en a fait à sa guise ; Marguerite a bien comprendre l'économie de ces diverses dispositions; il n'était pas besoin p)ur cela qu'elle eût beaucoup d'intelligence et de culture.

Voici venir en dernier lieu un personnage qui ne fait pas grand bruit, mais qu'on peut considérer à bon droit comme l'inspirateur et le négociateur du mariage. C'est le révérend Antoine Jourdan, prieur de Vessaux, oncle du futur, auquel il fait donation entre-vifs de cent moutons d'or payables à réquisi- tion, avec intérêt.

Et maintenant, mon cher compatriote, que con- clure à l'égard de Marguerite Chalis ? Honorable dame, « honesta mulier », suivant l'expression de mon confrère, je n'y contredis point; mais pratique et réaliste à l'égal d'un homme d'affaires, je le main- tiens. Ce n'est pas elle qui, par excès de tendresse, avalera, comme fît Artémise, les cendres de son conjoint prédécédé. Il importe peu qu'elle fût posi-

MARGUERITE CHALIS. 97

tive par nature ou par tradition de famille, à l'exemple de sa tante Florence, laquelle avait en- terré deux maris et avait s'en bien trouver au point de vue des héritages. Rien, chez elle, ni les goûts, ni les sentiments, ni le caractère, n'appartient à l'épouse-mère, à la touchante et sublime trouve- resse qui a fait jaillir du fond de son cœur YHéroïde à Bérenger, les Verselets à mon premier-né. et le Chant royal à Charles VIII. Sans parler des con- tradictions biographiques, maintenant avérées, je ne puis voir dans la Marguerite Chalis du Manuale notarum, l'incarnation de notre idéale Clotilde de Surville.

N'êtes-vous pas du même sentiment? Mais qui donc alors bénéficiera de cette gloire en Je n'en sais rien. Je me borne à faire des vœux pour que ce soit une muse ardéchoise; le ciel poétique de notre cher Vivarais n'est point assez resplendissant pour qu'il puisse, sans un irrépa- rable don. :drc sa plus brillante étoile. Jus- qu'elle ne lui sera point ravie. Je ne terminerai pis cette lettre sans vous féliciter de prendre, malgré vos occupations incess une part active à l'examen d'une foule de questions qui intéressent notre province natale... Recevez, etc.

Villàrd, ancien notaire. Vallo i | ni 1873 .

98 MARGUERITE C H A L J

LETTRE

DE M. JULES BAISSAC

Sur les poésies de Clotilde de Surville.

Mon cher monsieur Mazon,

Vous m'avez exprimé le désir d'avoir mon avis sur l'âge des poésies attribuées à Clotilde de Sur- ville. Cet avis, auquel vous me faites l'honneur d;attacher quelque prix, ne sera pourtant que le mien, quelque chose, par conséquent, de tout à fait personnel et d'entièrement discutable. Je ne vous le donne, du reste, que comme tel, vous laissant, bien entendu, la liberté de le traiter comme bon vous semblera.

Je ne toucherai point, si vous le voulez bien, à la personne de Clotilde, dont je veux même pa- raître ignorer l'histoire. Ce n'est pas de l'âge de l'auteur, en effet, que vous m'avez demandé de m'occuper, mais de celui du recueil qui porte son nom. Je n'ai donc à examiner la question qu'au point de vue de la forme de la pensée, d'abord, et puis au point de vue de la langue, sous le double rapport littéraire et philologique.

Pour ne pas vous faire attendre mes conclusions,

MARGUERITE CH A LIS. 99

je vais vous dire tout de suite ce qui demeure à mes yeux très-nettement établi. Le fait que je tiens pour démontré, c'est que les poésies publiées en l'an XI par Ch. Vanderbourg sous le nom de Clotilde de Surville et celles que MM.de Roujoux et Ch. Nodier ont fait paraître sous le même nom en 1827 sont des œuvres relativement modernes, qui ne peuvent guère remonter plus haut que le dernier siècle. Fort belles incontestablement pour la plupart, quoique parfois entachées d'un peu de recherche et d'afféterie senti- mentale, ce qui semblerait bien, en effet, trahir une origine féminine, ces poésies ne sauraient, pour le tour de la pensée comme pour la langue, être raisonnablement attribuées à l'époque qu'il a plu aux éditeurs de leur assigner. Ni la pensée ni la parole n'avaient, au xve siècle, la forme que nous voyons est ce dont je vais essayer de vous convaincre. Si j'y réussis, la conséquence à tirer sera tout natu- rellement celle que je viens d'énoncer.

Avant d'arriver à l'état de précision logique elles sont parvenues depuis, les langues déformées du latin, que l'on appelle aussi néo-latines, ont toutes débuté par un autre beaucoup moins défini. Il serait même facile de démontrer que cette Indéfi- nité de la pensée est un des traits qui caractérisent, dans toutes les langues, leur période embryonnaire et aussi, quoique dans des conditions moins va- gues, les premiers degrés de leur développement; mais cela m'entraînerait fort au delà des limites de

ÎOO MARGUERITE CHALh.

notre sujet. Je me bornerai donc aux seules indica- tions que je crois nécessaires pour vous faire saisir ce que je viens d'énoncer. De ces indications doit, d'ailleurs, ressortir l'évidence de la thèse posée plus haut.

Vous vous rappelez les exercices de grammaire qu'on appelle des analyses logiques. Ces exercices, ont, comme vous le savez, pour objet de préciser l'ordre dans lequel les idées se succèdent, non point dans l'esprit du sujet, mais comme termes de la proposition et suivant la priorité abstractive des unes relativement aux autres. La proposition est prise comme quelque chose de purement extérieur, indépendamment de l'ordre de conception des idées proprjment dites, et l'on en détache les divers membres, pour les étudier d'abord séparément et puis dans les rapports ils se trouvent entre eux. Il résulte de ce double travail de décomposition par l'analyse et de recomposition une phrase dite lo- gique, où le sujet est premier, le verbe second et le complément tout à fait dernier. Or, les langues dans lesquelles la proposition suit habituellement cet ordre sont qualifiées d'analytiques. Le français actuel et la plupart des langues modernes, toutes plus ou moins transformées par un travail latent de réac- tion, sont plus ou moins aussi analytiques. Mais le latin, comme le grec, était loin d'avoir ce carac- tère. L'ordre de la proposition, dans ces dernières langues, n'est nullement un résultat de l'analyse.

MARGUERITE CHALIS. 101

ainsi que vous avez pu vous en convaincre. La réaction de la pensée est, en effet, pour très-peu dans cet ordre. Les termes ne se suivent point ici selon le système de progression dont je viens de parler et qui consiste à énoncer les idées sous forme sérielle, suivant une certaine filiation abstrac- tive. En grec, comme en latin, ce n'est point la priorité de raison d'une idée par rapport à l'autre qui détermine la place que cette idée -doit occuper dans la phrase.' Non : ici tout est plus simple.

Comme le point de vue que je développe est peut-être nouveau et que, d'ailleurs, les explications dans lesquelles je suis obligé d'entrer, quoiqu'un peu abstraites, doivent éclairer ma thèse et en faire ressortir toute la vérité, vous ne trouverez pas mau- vais que j'y insiste. Ne croyez pas que je sois hors de la question : j'y suis, au contraire, tout à fait, et même dans ce qu'elle a de plus intime. Vous vr.us en apercevrez plus loin. Continuez donc, je vous prie, à me lire, sans vous préoccuper outre mesure de ce que viennent faire, dans une étude sur les poésies dj Clotilde de SurvilL-, le grec, le latin et tout le matériel dj la linguistique.

Jis donc que, dans lei langliei classiques, la phrase n'est point le résultat ou le fruit d'un tra- vail d'analyse de la | in •. 1 1 l'ordre de la proposition ne repi oralement

a sensation elle-m Ile qu'elle

.t une image, an tableau, Un

102 MARGUERITE CHALIS.

exemple vous fera saisir cela, en vous donnant en même temps la clef de l'inversion grecque ou latine. On croit assez communément que cette inversion est tout à fait arbitraire, sans lois, sans principes. Qu'elle n'ait pas de lois précises, rigoureusement définies et d'un caractère absolu, c'est ce que je suis tout disposé à accorder ; mais elle a incontestable- ment ses principes, ainsi que va vous en convaincre l'exemple que je viens de vous promettre.

Si je vois une femme faire l'aumône à un pauvre, la première chose qui me frappe, c'est évidemment le fait de l'aumône en elle-même, qui constitue le caractère tout particulier du tableau qui a fixé mon attention. L'aumône est donc ici la première impres- sion que je reçois. Je la reproduis par conséquent la première, en la faisant suivre immédiatement du verbe ou terme de l'action, qui tire de sa généralité et complète, en la spécialisant, l'action offerte à mes sens. Puis viennent le sujet ou agent et en dernier lieu ce que nous appelons le régime indirect. J'ai de la sorte, dans cet ordre de choses, la phrase sui- vante :

Eleemosynam dat millier pauperi.

Un peintre, qui aurait à représenter le même fait sur la toile, éclairerait évidemment d'un jour tout particulier et mettrait sur le premier plan la main qui distribue l'aumône plutôt que celle qui la reçoit.

MAKGUKRJIE CHALIï. lOj

Un autre exemple, dont j'emprunte le sujet, d'ail- leurs fort connu, au vme livre de V Enéide, vers 596, complétera ma démonstration.

A la vue d'un cheval au galop, dont le sabot bruyant fait voler la poussière derrière lui, la pre- mière chose qui frappe, parce qu'elle constitue ici encore le caractère spécial du tableau, c'est le galop lui-même et la poussière qu'il soulève, puis vient le terme affirmant l'action, qui n'est qu'un complé- ment lexique, et en dernier lieu se placent ceux qui expriment le mode de cette même action et le lieu elle s'exerce, deux aspects tout à fait secondaires de l'image que j'ai sous les yeux. La reproduction de ce tableau dans l'ordre mes sens se trouvent affectés doit donner, en conséquence, la phrase sui- vante, qui est, en effet, le vers mêm. gile :

Quadrupedante putrem sonltu quatit ungula campum.

A l'origine, avant que les flexions grammati- cales fussent venues déterminer le caractère propre parties du discours et les rap- ports des mots entre eux, de manière à relier

tous les membres de la phrase dans un même ta- bleau et a présenter un ensemble qui fût un et ha - monique, la p: tait même qu'une série

d'hiéroglyphes qui reproduisaient lasens.ition décom-

! dans l'ordre rigoureux des impressions 1. Mais ici : : me démonsti

| mrrait nous reporter bien avant le déluge.

IO4. MARGUERITE CHALI\

Qu'il me suffise de vous avoir indiqué le principe, et laissez-moi continuer mon exposé.

Toutes les constructions grecques ou latines ne reproduisent pas d'une manière aussi rigoureuse l'ordre que je viens de dire; mais cela tient à ce que, devant un tableau un peu général, il est rare que la nature des impressions produites soit la même pour tous. Tel détail ou tel aspect, qui affecte l'un d'une manière, suivant le jour il est placé, la situation présente de son esprit, le degré de sa sensibilité ou la prépondérance de tels de ses sens, ne paraîtra aux yeux d'un autre qu'au second plan ou même comme accessoire.

Eh bien ! mon cher ami, l'ordre que je viens de vous indiquer ne s'est point transformé aussi brus- quement que l'on paraît le croire, en passant du la- tin classique à la basse latinité et de celle-ci aux langues déformées du latin. Non : l'état synthétique, ainsi qu'on appelle, quoique improprement, à mon avis, le système de construction phraséologique qui a précédé l'analyse, s'est perpétué longtemps, chez nous surtout, après l'extinction totale du latin comme langue parlée. Durant tout le moyen âge, la pensée est restée assez fortement agglutinée encore à la sensa- tion, dont elle ne s'est bien dégagée qu'au xvne siècle, quand la phrase, devenue périodique, n'a plus re- produit que l'ordre de filiation logique des idées. C'est un fait qui me semble incontestable : prenez les premiers poètes venus, depuis Jean de Meung

MARGULRIIt CHALIs. IO5

jusqu'à Clément Marot, et vous vous convaincrez, je ne dirai point à chaque ligne, mais du moins à chaque page, que vous avez devant vous une pensée elliptique, quelque chose d'agglutiné, comme je m'exprimais plus haut, que vous ne pouvez faire passer intégralement dans votre parole d'aujourd'hui qu'en le désagrégeant. Et à ces époques, au temps aussi, par conséquent, l'on voudrait qu'eussent été écrites les poésies de Clotilde de Surville, l'el- lipse du discours n'était pas une simple figure de rhé- torique, une recherche, une affectation préméditée de concision : c'était le tour même de la pensée. Jusqu'au xvne siècle, la pensée, en effet, est restée telle, que, pour la bien saisir dans toutes ses parties et lui faire dire dans notre langage actuel tout ce qu'elle contient, un commentaire est généralement indispensable. Cela est si vrai, que, à peu près comme pour le latin, la traduction du français ar- chaïque en français moderne donne presque toujours dix lignes de ce dernier français pour huit de l'autre. Citons un premier exemple venu, pris entre mille autres:

Amyot, dans sa traducti >n J morales

utarque sur la manière de lire les poètes, ch. i'r, a cette phrt

1 Les portes closes d'une ville ne la garderont

pas d'être prise, si elle reçoit l'ennemi par un

seule restée ouverte; ni la C mtinence des autres

sentiments ne préservera un jeune homme, si par

il se laisse aller aux plaisirs de l'ouïe,

M A lUi D I. R I I E CHALIv

ains d'autant qu'elle approche plus près du propre siège de l'entendement, qui est le cerveau : d'au- tant gaste elle plus celui qui la reçoit, si on n'en fait soigneuse garde. Pourquoi n'estant à l'avantage pas possible ni profitable, avec interdire de tout point la lecture des poètes à ceux qui sont de l'aage de ton fils Cleander et du mien Soclarus, gardons-les bien diligemment comme ceux qui ont plus grand besoin de guide en leurs lectures qu'ils n'ont pas eu en leurs alleures. »

Amyot, qui a vécu de 1513 à 1593, écrivait comme vous venez de voir, en commentant lui- même son texte, plus de cent ans après Clotilde de Surville. Dès cette époque, en pleine Renaissance, la pensée commençait à prendre une tournure plus définie, la langue une forme plus analytique. Ce français-là, qui, encore, est de la prose, c'est-à- dire une langue plus dégagée de la sensation que ne l'est la poésie, a pourtant toujours une allure un peu elliptique et exige, pour être tout à fait compris, une certaine tension, un petit effort : pour bien en suivre la lecture, il faut appuyer sur les mots, du moins dans bien des endroits.

Or, voici comment un moderne, M. Victor Bé- tolaud, a traduire, à son tour, pour être entendu du commun des lecteurs d'aujourd'hui :

« Ce ne sont pas les portes fermées qui garan- tissent une ville et l'empêchent d'être prise, s'il y en a une seule qui reçoive les ennemis. De même

MARGUERIIE CHAL1S. 107

la modération apportée aux autres plaisirs ne ga- rantit point un jeune homme, si à son insu il se laisse prendre par l'ouïe. Mais plus cette faculté touche de près dans notre être au siège de la pensée et de la raison, plus, si l;on met de la négligence, elle est funeste et corruptrice pour qui donne prise à la séduction. Ainsi donc, puisqu'il est peut-être impossible et qu'en même temps il est inutile d'in- terdire la poésie à des auditeurs de l'âge de mon Soclarus ou de votre Cléandre, redoublons de sol- licitude à leur égard. Ils ont besoin, soyons-en convaincus, de plus de surveillance dans la direction de leurs lectures qu'il n'en a fallu pour leur ap- prendre à marcher. »

Vous voyez par la langue d'Amyot que, près d'un siècle et demi après l'époque l'on fait re- monter le recueil qui porte le nom de Clotilde de Surville, la pensée était loin d'avoir encore le carac tère de précision analytique qu'on remarque dans toutes les pièces de ce recueil sans exception. Oui, mon cher ami, un siècle et demi après, cent cinquante ans bien comptés, la pensée, du moins en poésie, était toujours prise par quelque bout Ju:is l'agglutination dont je vous parlais plus haut.

Puisque c'est de poésie qu'il s'agit, c'est à la

: que je vais maintenant emprunter mes der- niers exemples, et je les pr.nJs dans deux auteurs qui écrivaient, l'un à peu préi au moment

monde et l'autre en un temps elle

I O'i M A R G U E RITE C H A L I S.

ne devait guère plus avoir de voix pour chanter ses amours.

Mon premier exemple est tiré de Froissard : ce sont les premiers vers de la Dittie de lajlourde Marguerite.

Voici ces vers :

Je ne me doi retraire de loer

La flour des fîours, prisier et honourer,

Car elle fait moult à recommender.

C'est la Consaude, ensi le voeil nommer.

Et qui li voelt son propre nom donner,

On ne li poet ne tollir ne embler,

Car en françois a à nom, c'est tout cler,

La Margherite, De qui on poet en tous temps recouvrer. Tant est plaisans et belle au regarder, Que dou véoir ne me puis soëler. Toujours vodroie avec li demorer, Pour ses vertus justement aviser. Il m'est avis qu'elle n'a point de per. A son plaisir le volt nature ouvrer.

Ces vers ont été écrits à la fin du xive siècle, peut-être même au commencement du xve, peu de temps avant la naissance de Clotilde.

Quant à l'autre exemple, je le prends dans Villon, et tout à fait au hasard, comme pour celui que j'ai tiré de Froissard. Ce sont les premiers vers de la Requête présentée par le poète à la Cour du Parle- ment.

MARGUERITE CHALI3. IO9

Tous mes cinq sens, yeulx, oreilles, et bouche,

Le nez, et vous, le sensitif aussi ;

Tous mes membres, il y a reprouche

En son endroit, ung chascun die ainsi :

Court souverain, par qui sommes icy,

Vous nous avez gardé de desconfire ;

Or la langue seule ne peut suffire,

A vous rendre suffisantes louenges.

Si parlons tous, fille au souverain sire,

Mère des bons, et seur des benoistz anges.

Cueur, fendez-vous, ou percez d'une broche,

Ht ne soyez, au moins, plus endurcy,

Qu'au désert fut la forte bise roche,

Dont le peuple des Juifs fut adoulcy ;

Fondez larmes, et venez à mercy,

Comme humble cueur qui tendrement souspire,

Louez la court, conjoincte au sainct empire,

L'heur des Françoys, le confort des étranges

Procréé la sus, au ciel empire ;

t* des bons, et seur des benoistz anges.

Comparez à cela maintenant la forme ae la pensée

dans les poésies attribuées a Clotilde de Surville. Pour cela, ouvrez k livre au premier endroit venu, comme je va. s le faire; lise/ la pLce dj \ers que t dites-moi ensuite s'il y a le moindre rapport possible a établir entre cette esthétique et celie du x. •, par exemple, l'Elégie sur

la mort d'Heloysa :

n'ez donc plus, hélas! doulce et tendre colombe, D . . | oir !

I 10 MARGUERITE C H ALI S.

Tu n'ez donc plus!... Le ciel de plorer sur ta tombe

Me réservoit le funèbre debvoir. Que reste-t-il encore à ceulx qu'ainsy deslaysses?

Que reste encore à mon filz esperdu ? De ta cendre, ô Phcenix ! n'attend que tu renaysses ;

Et, te perdant, scait trop qu'a tout perdu !

Vous connaissez trop bien le recueil de Clotilde de Surville pour ne pas convenir que, d'un bout à l'autre, dans ce recueil, tout est à l'avenant de ce que je viens de citer.

Eh bien ! je crois que ce qui doit frapper tout le monde, parce que la chose me paraît sauter aux yeux, c'est, indépendamment du fond, qu'une forme si remarquablement pleine, des contours si bien arrondis, une allure si vive, si dégagée, des mou- vements si larges ne peuvent être d'une époque tout, dans les arts, avait encore cette maigreur un peu étriquée, cette raideur d'expression et cette lé- gère atonie de regard, qui ne commencent bien à se modifier qu'en pleine Renaissance, près d'un siècle plus tard. Il y a, dans les manifestations de la vie, au moyen âge, que ce soit dans la poésie ou dans la plastique, quelque chose de beaucoup moins développé que tout ce que nous voyons ici. Si vous y avez pris garde, vous aurez remarqué que les mouvements de estte vie, au lieu de la régularité continue et si fermement assurée du style de Clo- tilde, sont généralement encore un peu désordonnés, ou contraints ou violents. La mesure, en effet, n'est

MARGUERITE CHALIS, III

pas de cette époque. Il faut descendre même jus- qu'au xvne siècle, pour trouver les premiers exem- ples de cette grave forme périodique, dont les airs solennels étaient, du reste, si bien dans le ton général de l'époque, exemples qui fourmillent dans le recueil de Vanderbourg. Abstraction faite de la langue, dont il sera question tout à l'heure et qui n'est d'aucun temps, comment voulez-vous que je reporte au xve siècle des phrases comme celle-ci, que je prends dans YHcroïde, entre cent autres de même genre :

Soubvent aussi le soir, lorsque la nuict my-sorabre

Me laisse errer au long des prez penchants, 1). telfl soirs me soubvient, OÙ, libres, grâce à l'ombre,

L'ung prez de l'autre assiz en mesmes champs, Doucement s'e->garer layssoiz mes mains folastres

Sur le contour de tes aymables traicts, Tandisque de mon sevn tes lèvres idolastres

Kn meyssonnoient les pudiques attraicts.

Il fait, à mou avis, avis que je voudrais exprimer un peu moins brutalement, si c'était pos- sible, pour oe pai Irop bleuir 11 foi de quelques naïfs compatriotes^ n'avoir aucune notion d'his- raire ou manquer en l de sens

tique, pour accepter comme Je provenance quatre fois séculaire une facture qui sent a ce pont le frais émoulu et ne date évidemment que d'hier.

ICtement, chaque époque

112 MAKCUKRITE C H A L I -

a un cachet sur lequel il est difficile de se méprendre longtemps. On peut imiter une manière de faire, mais, à moins de copier, comme on copie un ta- bleau ou une statue, on ne reproduit jamais par l'imitation le tour de la pensée. Ce tour particulier résulte, en effet, de tant de circonstances combinées ensemble, qu'on ne Ta intégralement que dans le milieu ces circonstances se trouvent réunies. Avec trente ans d'études de latin on arrivera peut- être à faire des vers aussi élégants, aussi beaux que ceux de Virgile ou d'Horace, mais on ne fera point un Horace ni un Virgile, et si purement que les Vanière, les Santeuil, les Rapins, les La Rue aient parlé la langue du siècle d'Auguste, on ne tarde pas à reconnaître, en les lisant, abstraction faite des sujets qu'ils traitent, que la forme de leur pensée n'est pas du tout de ce siècle. L'écrivain, de même que l'artiste, même dans ces imitations, quand ce ne sont pas de simples copies, sent toujours son époque, comme la caque sent toujours le hareng.

Je vous ai dit que ce qui caractérise le tour de la pensée pendant tout le moyen âge et jusque bien avant dans la Renaissance, c'est qu'elle est beau- coup plus elliptique que la nôtre, moins dégagée de la sensation, en un mot plus agglutinée. Ce n'est qu'au xvne siècle que l'impression et la pensée se désagrègent sensiblement et que la forme devient tout à fait analytique, se développe et s'ar- rondit : les aspérités du trait final s'émoussent, la

MARGUERITE CHALIS. I 1 3

pointe aiguë se contourne, le plein-cintre, permet- tez-moi cette figure, fait place à l'ogive à arrête sèche.

S'il faut vous dire toute ma pensée, les poésies de Clotilde de Surville ne remontent pas au delà du xvme siècle. Vous êtes parfaitement convaincu qu'elles ne sont ni du xve ni du xvie. Elles pourraient, à la rigueur , avoir été pastichées sous le règne de Louis XIV, quoique, à cette époque, le goût de l'archaïsme ne fût guère en honneur; mais si l'ampleur et la forme arrondie de la phrase, le tour généralement périodique et suivi de la pensée sont aussi de ce temps-là, il y a d'autres considérations qui me font pencher pour une époque moins éloignée encore.

Je vous ai dit qu'un des caractères des langues analytiques, c'était le développement de la pensée. Or, ce développement, une fois la dernière évolution effectuée, se continue par la recherche et l'affecta- tion de la nuance, c'est-à-dire par un emploi plus fréquent de l'épithète. Au xvn': siècle, le travail de l'analyse est aussi complet que possible ; au xvmr, n commence à accentuer davantage la nuance pro- prement dite. Eh bien! ce qui m'a toujours frappé dans les poésies de Clotilde, ce qui m'a même été suspect des le premier abord, c'est la fréquence des adjec' .eulemeiit de ceux que pourrait exiger

de compléter ou de préciser le sens des subst.i irtoul qui u'um d'autre

'S

I I 4 MARGUERITE CHALIS.

objet que de leur donner un ton ou plus chaud ou plus tendre. Le xvne siècle est plus avare de ces derniers, qui affluent davantage, au contraire, vers le milieu et la fin du xvine, et c'est ce qui explique pourquoi, sous Louis XIV, l'exagération, quand elle existe, affecte plus particulièrement le substantif et devient de l'enflure, tandis que, au siècle suivant, elle affecte de préférence l'adjectif et dégénère en minauderie. Or, dans les poésies de Clotilde, c'est cette dernière forme que tend à prendre quelquefois l'exagération du sentiment.

Croyez-vous qu'une richesse d'épithètes comme celle des vers suivants date de bien haut?

Quels doulx accords emplissent nos bocages? Quel feu secret de fécondes chasleurs Va pénétrant sillons, arbres, pascages, Et même, entour des tristes marécages, Quel charme espand ces vivaces couleurs!

Quant à la langue que l'inhabile quoique char- mant pasticheur fait parler à son poëte, ni gram- maire ni lexique ne sont ensemble d'aucun siècle.

Je ne relèverai que quelques faits, qui suffiront amplement, du reste, pour montrer que l'auteur du pastiche ne se doutait pas qu'il y eût une gram- maire à règles fixes la langue du xve siècle.

A cette époque, il est vrai, les formes grammati- cales s'étaient déjà singulièrement modifiées, mais l'emploi n'en était pas arbitraire, comme paraît l'a-

MARGUERITE CHALIS. 1 1 5

voir cru l' imprésario deClotilde. Ainsi, par exemple, l'article qui avait été jusque-là :

Singulier :

Li, masc. sujet; li et la, fém. sujet; Le, masc. régime: la, fém. rég.;

Pluriel :

Li, masc. sujet ; les, fém. sujet. Les, masc. rég.; les, fém. rég.

Cet article, dis-je, par suite d'une loi d'accentua- tion qui depuis longtemps déjà tendait à faire pré- valoir dans le français l'accusatif sur le nominatif, devient au xve siècle le et la au singulier et les pour les deux genres au pluriel. Or, non-seulement le pasticheur ne l'a pas su, mais, en affectant de con- server l'article des siècles précédents, il l'a employé à tort et à travers, sans tenir aucun compte de la énoncée, que, du reste, il ne connaissait évi- demment pas.

EXEMPL!

Par li Grâces qui t'ont parfaict. (Prêt.. \cj;

y tenter li charmes Par quoi Cireé dompta li cieulx ? (Id., iJ.) I eyzon ne pond li fin \c\.)

. onc ne m'ba fîory li gènes. (/</.,

Une au' die toute moderne, qui se ren-

contre a chaque pas dans le recueil, c'est l'emploi des pronoms moi, toi, lui comme sujets. Cet formel

I 1 6 M A R G U I". R. I T K CHAH v

pronominales étaient toujours, au xve siècle, des accusatifs ou régimes.

Des vers comme ceux-ci :

C'est toy qu'elle implore, Toy qu'elle implore encontre toy ! (xciij.)

ne peuvent pas être du temps que l'on dit.

Le livre de Vanderbourg abonde encore en phrases de ce genre.

Amors est-il malz? Amors est-il biens? Mais n'est-il plante qu'en guarisse ?

Le vieux français n'offre pas, je crois, d'exemple d'une interrogation par le nom et le pronom en- semble.

Je pourrais m'étendre beaucoup sur ce côté grammatical et montrer que, la plupart du temps, les formes verbales sont de pure fantaisie. Je pour- rais aussi insister sur une foule de formes lexiques et de mots qui n'ont jamais appartenu ni à la lan- gue d'oïl ni à aucun dialecte archaïque. Mais tout cela exigerait un développement trop étendu pour l'espace que vous m'avez dit vouloir destiner à cette lettre dans votre travail. Je m'arrête donc ici, sauf à reprendre plus tard, à l'occasion, cette seconde

partie de ma thèse...

J. Baissac.

FIN.

'«tft&t

NOTE

Notre travail était terminé, quand nous avons reçu communication d'une nouvelle étude sur les poésies de Clotilde, due à M. Anatole Loquin, un des quarante de l'Académie de Bordeaux, et spécia- lement consacrée à réfuter l'ouvrage de M. Macé1. If. Loquin relève comme nous les passages de la correspondance de Vanderbourg d'où il résulte que cet écrivain avait fini par ne plus croire à l'authen- ticité d.-s poésies, et fait ressortir la faiblesse des arguments par lesquels M. Macé s'est cfTorcé d'é- tablir la il. M juin soupçonne le lis de Surville d'être le véritable auteur des >t pas notre sentiment; après comme

i . I > . ]' ■' U I i xrv'ilh ri

i ferel et fils,

i8

MARGUERITE C H A LIS.

avant Pouvrage de notre confrère de Bordeaux, il nous semble que les faits connus de la vie du mar- quis, et surtout la lettre écrite par lui en prison, la veille de sa mort, lui font une physionomie très- caractérisée dans laquelle il nous est impossible de retrouver les tendances d'esprit et les allures senti- mentales de Fauteur des poésies.

•o<V>o»

[/ BIBLIÔ7HICA V Ottavitnsis S

IMPRIME PAR J. CLAYE

pour

A. IEMERRE, LIBRAIRE

A PARIS

(y9!

La Bibliothèque

Université d'Ottawa

Echéance

The Lit University o Dote <

9*J /-%w^!$£.''ïl

-flra

$

§&&i

ip

pSmf

\c

-

V

1

l^^^EÊÉi0*î*ïaJ'

àJ

C

r;%*

-

-

^%

\" - '

9

9