I U' ^ '» 1 • ^ibrarn of thc ïjtUiscum COMPARATIVE ZOOLOGY, \T IIARVUD COLIEGR, CAMBRIDGE, MASS. The gift of KtiJSu^'X'"^^^'^^"^^ No. \5'\"^^ MÉMOIRES COURONNÉS MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS PUBLIÉS PAR L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES. DES LETTRES ET DES BEAUX- AKTS DE BELGIQUE. MÉMOIRES COURONNÉS ET MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS PUBLIES PAR L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQL'E. TOME XXXVIII. 1874. BRUXELLES 7 F. IIAYEZ, IMPUliMEUU DE L'ACADEMIE ROYALE. 1874 TABLE DES MÉMOIRES CONTENUS DANS LE TOME XXXV III. MEMOIRES DES SAVANTS ETRANGERS. C'IaNftie ileN NcIpnooM Rcclicrdies sur riniirrvalion ilii cœur par le nerf jague, faites au laboratoire physiologique (l'Ulreclil ; ])ar le doeleiir J.-P. Nuel; avee I plaiicTie. MÉMOIRES COURONNES. C'IawMo clrM l.vKm*. Essîii sur i liisloirr du drtàl ciiMiiiicl d;iiis I ;nii'ifiiin' [nitici[ii)ulc de Liri;c ; pnr Edii». Poiillcl. RECHERCHES SUR L INNERVATION DU COEUR PAU LE NFJ\F VAGUE, FAITES AU LABOHATOIItE F>ll^ SIOMMJIQl'i: 1) ( TKECHT; M. LE b^ J.-P. MEL. (Luxf.iuiioi'ik;.) (Présenté à la classe iU.s sciciu-cs de l'Acailéinic k' i aoùl IST^l. Tome XXX VIII. RECHERCHES SUR riNNERVATION DU COEUR PAR LE NERF VAGUE, FAITES AU LAIÎORATOIRE PHYSIOLOGIQUE D'UTRECIIT. Le but prodiiiin que jo mVlais proposé ou conimeiH-ant los recherches snivniilcs, (Hiiil de vonlier chez la ij;roiiouillc h's fails iiiU-rcssaiils que MM. l^riihl ' cl Dondcrs - a\aioiil éludiés chez les diiïéreiits niamnulères, par une série Irès-éhMidiic d'expériences. La durée considérable des périodes cardiaques chez la grenouille légiti- mait Tespoir que Tun ou Taulre phénomène pourrait être mieux étudié ici que chez les nianunifères, où raccéléralion du rli>llnne cardiaque end^arrasse singulièrement roxpérinionlateur. Hienlot certains laits ignorés jusqu'ici atti- rèrent mon attention, et m'engagèrent à faire une étude un peu détaillée de tous les changements (pii surviennent dans les contractions du co'ur ipiand on irrite le tronc du nerf vagno, ou plutôt cette branche de ce nerf qui, chez la grenouille, se rend au cœur. ' PiiAiiL, /)(',s.s('r?(/(. UliTilil, I8G8. 2 DoNDKus, OniUTZOckiiKjni (judauii iii hel }iln/siol. hihorat. le l'Ircclil, D. Il, p. 304; et U. ni, p. I ; pp. 24G cl '■n-2. Archives néerlandam-s, l. VU, p. I ; 1872. i HKCIIKHCIIKS SUR L'INNEIU ATION DU COELK Eiiliii, (luclqiic's expériences faites sur le lapin me montrèrent que ce qui venait d'être mis au jour chez la grenouille était vrai aussi pour ce mam- mifère. Mvtlwdc d'expérimentation. — La moelle épinière de la grenouille fut |)ro\(''e, les extrémités et le sternum enlevés, et le eieur dépouillé du péri- carde. Le nerf vague fut isolé et préparé depuis le point où il sort du crâne, puis coupé aussi près que possible du point de sortie, et placé sur deux fils de platine (pn" faisaient office d'électrodes. In petit le\ier reposant sur le cceur par l'entremise d'un appendice en liége inscrivait sur le kynjograplie la marche des contiaclions cardiaques. Veut-on avoir d'un coup le tracé parallèle des deux contractions, celle du ventricule et celle de l'oreillette, il faut se servir de deux leviers pareils ', dont l'un repose sur le ventricide, l'autre sur l'oreillette. Un diapason à quinze vihialiiMis par seconde servait de chronoscope. Le moment de l'irri- tation se nianpiait sui- le papier recou\ei1 de noir de fumée, à l'aide d'une petite languette, lixée à l'interrupteur de l'apjjareil à induction de Du Bois lieymond. Le nerf vague fui tétanisé au moyen de l'appareil à induction de Du Bois lieyniond, nourri par un clément de Grove. Des tentatives réitérées, faites dans le but d'exciter le nerf à l'aide d'ime seide décharge d'induction, ne conduisirent à aucun résultat; il en fut de même pour l'ouverture et la fermeture du courant constant. En effet, pour obtenir de celte manière un effet sensible, il faut employer des courants d'une inlensi((' tellement consiih-rable, (pie d'une part l'excilabililé du nerf en souffre souvent, et (pie, d'aulre pari, les courants déri\(''s vont agii' direc- tement siu' le tionc de la grenouille. Dans l'occurrence la |)lus heureuse, rcff'et obicnii siu' la durée des périodes, |)ar exemjjle, était tellement minime, que c'était chose hasardeuse de décider si, dans un cas donné, il dépendait ' Les deux leviers (•laicnl en linleinc. (^cliii (|tii reposait sur l'oreilieUe avait lô '/; ecntiinè- trcs (le luiigiieur, et était cuiiruriné de manière que l'oreilleltc cùl il soulever 2 ilé<'igrainnies. I.e Nenlriculc nvnil a soulever •» décigrauirnes; son levier iivait 14 '/» cenlimctres de lon- gueur. PAR LE NERF VAGUE. 5 de l'irritation du nerf, ou non. Nous verrons en efl'et que ia durée des périodes est sujette à des variations considérables, en dehors de toute irritation du nerf vague. Pour résoudre certaines questions, par exemple pour déterminer la durée de la période latente, il serait bien désirable d'employer une irritation de très -courte durée. Aussi dans ces cas la tétanisation ne durait-elle que ^ô de seconde, tout au plus -5- de seconde. Quant au degré de rapprochement entre les deux spirales de l'appareil à induction, leur distance était toujours la plus grande possible, c'est-à- dire celle où le courant sullîsait encore pour produire un ellet bien mani- feste. Pour mes expériences, la distance de la spirale secondaire à la spirale primaire variait entre des limites correspondant à des intensités de iOO à 150, l'intensité donnée par le maximum du lapprocbement étant représentée par 1,000. Avec ces intensités, il n'y avait plus de courants dérivés sur le tronc de l'animal, comme je l'ai constaté à l'aide du rhéoscope physiologique (patte de grenouille avec le nerf sciali(pie). J'ai essayé également de faire les expériences sin- des cœurs encore tra- versés par le courant sanguin. Il a fallu cependant \ renoncer : les mutila- tions absolument nécessaires (mise à nu du cceur et du nerf) sont trop considérables. D'ailleiu'S, le miinc animal ne servait guère au delà d'une demi-heure. CJiaque fois (pie les contractions du cœur traN aillant ainsi à vide devenaient irrégulières, Tanimal fut rejeté. Je me servais d'exenqilaires de Hoiki lonporaria et de liaiia fscnlenfa. Les premières mériteraient à coup sûr la préférence, s'il ne s'agissait que de constater (pielle inlluence l'excitation du nerf \ague exerce sur le rhylhme cardiaque : elles sont plus irritables, et ne s'épuisent pas aussi facilement que les autres. Je me vis bientôt forcé de n'employer que des exenq)laires de Rana osculcnta, parce que chez elles seules le cnnu- est assez voliniiinoux pour qu'il admette à sa surface en même temps deux leviers, l'un sur l'oreil- lette, l'autre sur le ventricule. Or, conune nous le verrons, ceci est de toute nécessité, si nous voulons examiner quels elTets une même excitation du nerf vague produit sur l'une et l'autre partie du cœur. 6 RECHERCHES SUR L INNERVATION DU COEUR QiK'l(iuos tli'tjiils encore relntifs au rliylhnie de la contraction cardiaque. La durée de la période était en moyenne de 2 secondes chez des exem- plaires de liaiKi Ivmporaria, pendant l'hiver. Cette valeur se réduit à i,50 secondes environ, si on la |)ren(l au commenceinonl de chaque expé- rience. Je me suis convaincu à diverses reprises que le rhythmo n'est guère modifié par suile de la pré|)aration , au moins pour le commencement de chaque expérieiu-e; plus tard, la pc'iiode s'allonge de plus eu [)lus. La délermiualion exacte, faite sui" (|uatre liauae lemporariae, montra que la systole de l'oreillette précède celle du ventricide de 0,44 secondes. A en juger d'après mes tracés, il y aurait un petit repos du cœur entre les deux contractions. La durée de la systole ventriculairc était, pour ces quatre cas, de 0,52 secondes; elle est donc hien plus grande que celle de l'oreillette. Toutes ces valeurs sont un peu plus élevées pour la Rana esculrnta. De temps en temps se présentèrent des irrégularités du rhythme cardia- que, qui méritent d'être signalées : 1° Le rhythme peut être complicpié, en ce sens que régulièrement une systole plus forte est suivie de deux contractions plus faihies. Cette singula- rité d'ailleurs a été signalée ; 2° Mais ce qui sera moins bien connu , c'est que le rhythme peut être renversé. Dans ces cas, la grande diastole §uit la contraction de rorcillctle, qui, à son tour, suit immédiatement la systole ventriculairc. Dans plusieurs de ces cas, le rhythme ne changea pas dans le cours de l'expérimentation. EFFET r.ENERAL EXERCE SUR LA CONTRACTION CARDIAQUE PAR UNE IRRITATION DU NERF VAGUE. Relativement à l'allongement = f j [■= | • Il s'ensuit donc qu'après une irritation du nerf vague, ralTaiblissement des contractions auriculaires se montre beaucoup Çune seconde entière^ plus tôt (pie rallongement des périodes, et que par consckpient une systole peut être alïaiblie sans être relardée. Le dernier cas se présente toutes les fois que nrrilalion précède la systole d'un temps compris entre / (i l seconde) et /' (.! seconde). Aussi Ton réussit bient(ilà réaliser ces conditions à volonté, et alors toujours on obtient des courbes analogues à celles représentées dans les ligures )i et i. PAR LE NERF VAGUE 1.^ ToJjleou 1. Tableau II. BANA lemporarin, P / / P 1» a. 1,22 0,84 o,r,9 h 1,24 0,95 0,76 c. 1,39 0,97 0,G9 2° a 1,33 0,80 0,60 6. 1,39 0,90 0,70 5" a. I,b8 0,84 0,o3 h. 1,59 0,82 0,31 4» l,7o 1,02 0,3 0" a. 1,77 0,87 0,49 b 1,93 0,96 0,49 r. 2,03 1,40 0,49 6" 1,76 0,72 0,41 7" 1,80 1,07 0,37 8" 1,93 0,83 0,43 9" 2,30 1,35 0,60 10' 2,26 1,33 0,38 11" 2,26 I,ô7 0,61 12' 2,26 1,37 U,6! 13- MOÏE.NNK . 2,38 1,13 0,48 1,81 0,99 0,58 escnlenta. P 1 / P l'O. 1,77 1,12. 0,65 /;. 2 1,39 0,69 c. 2,30 1,53 0,67 2" 2 1,33 0,67 5° 2,17 1.42 0,63 4» 2,17 1,42 0,63 3" 2,20 1,34 0,66 6" 2,27 1,71 0,79 7" 2,30 1,57 0,65 8- 2,4-4 1,71 0,72 9" 2,46 1.38 0,65 10" 2,32 1,73 0,68 II» 2,60 1,43 0,.^o 12» MOYENNE . 3.95 1,92 0,48 2,37 1,52 0,65 Tableau III. n A N A csciilenla. P / ^ '• '. 1» «. b 2»«. b. 3» 4° o. b. 5" 6" a. b. 7» a. b. MOVEWE . 1,47 1,54 1,35 1,67 1,78 1,70 1,88 2,15 2,36 2,56 2,01 2,61 1,07 _ 0,75 0,48 0,52 0,54 0,42 0,50 0,34 0,46 1 0,31 0,34 0,30 0,22 0,23 0,23 0,18 0,78 0,47 1 .05 0,62 i 1,01 1,45 0,41 0,56 2 1,07 0,36 0,49 0,26 If) i{Fxin:iu:nES slk linnervatio di coeur l'iio question importante est celle de savoir si une systole ventriculaire, arrivant après une irritation du nerf vague, mais non retardée, si une telle systole, dis-je, ne peut pas être alTaiblie. — Dans des cas très-rares, cela parait se présenter réellement. Mais la diminution de la hauteur est tou- jours si mi.nime, que tout au plus on peut en constater Tevistence (pour une hauteur de l centimètre, elle ne dépasse pas l de millimètre), et qu'elle ne peut nullement être comparée à la modification analogue du tracé de l'oreil- lette. De plus, il m'a été impossible de la produire à volonté, comme pour l'oreillette (en irritant le nerf moins de 1 l seconde avant le commencement de la systole). Dans un cas spécial, je me suis convaincu que l'alTaiblissement en ques- tion tenait à des conditions tout à fait mécaniques. Le ventricule était sus- pendu en quel(|ue sorte aux oreillettes. Si alors les oreillettes se contractent moins lortenient, le ventricule est (Ixé moins solidement, et la colline cor- respondante i-estera au-dessous du niveau ordinaire. La preuve en a été fournie de la manière suivante : je plaçai le ventricule sur un support résis- tant, et le sommet de la colline s'éleva au niveau habituel. Ainsi donc, pour l'oreillette, les conditions dans lesquelles l'affaiblissement d'une systole non encore retardée a lieu, sont tout à fait connues, et l'affai- blissement peut aller très-loin. Pour le ventricule, au contraire, on ne l'ob- serve que très-rarement, dans des conditions inconnues, et encore ne va- l-elle jamais à un degré notable. Nous nous croyons donc suffisamment au- torise'' à ignorer conqjh'lemcnl l'alTaiblissement d'une systole ventriculaire qui n'est pas encore relardée. Il y a lieu de faire encore (pielques observations relatives aux valeurs moyennes trouvées |)lus haut pour / et /'. I" l/irrilabililc de l'appareil du nerf vague diffère beaucoup d'une gre- nouille à l'autre. Le fait que les luies étaient longtemps en captivité pendant l'hiver, et que les autres étaient fraichement prises au printemps, n'explique ces différences qu'en partie. En général, sur des exemplaires plus irritables, la dun-e de la période latente est moins courl(>. 2' l'endant la mémo e\p<''rience, la valeur de / augmente dans une mesure très-scnsiblc. On potnra s'en convaincre en jetant un coup d'œil PAR LE NERF VAGUE. 17 sur les n"^ 4 et 5 du tableau I, et le n" 1 du tableau II. Il sera certainement digne de remarque que dans ces cas le quotient p ne subit pas de varia- tions notables; il reste le même dans les trois déterminations faites sur la grenouille du n" 3, tableau I. 11 s'ensuit que la valeur moyenne obtenue pour l est plus grande que dans l'animal intact. Je ferai cependant remarquer que pour Rana temporaria, l était toujours d'une seconde enviion, et que cbez Rana esculenta, cette va- leur n'est tombée qu'une seule fois au-dessous d'une seconde(tableauIII,n<'26). La durée de l' est beaucoup plus constante que celle de / : je n'ai jamais pu constater avec certitude que la première fût augmentée chez le même animal, aussi longtemps que le rh} tlime cardiaque était intact. Dans un cas, après une expérimentation prolongée, l'oreillette se contractait finalement seule, mais régulièrement. Je réussis à } faire les déterminations suivantes : p / /' P l' P 2,S4 2,43 0,80 0,93 0,51 La valeur absolue de /' s'était donc accrue un peu, mais non pas la valeur relative; pour /, au contraire, il y avait une augmentation considérable et de la valeur absolue et de la valeur relative. 3" J'ai admis que toujours l'état d'irritation du nerf avait commencé avec la première décharge d'induction. — Cela n'est pas vrai d'une manière ab- solue : nous avons en effet vu que souvent une seule décharge d'induction ne donne aucun elïet; cela est même toujours le cas pour la distance entre les deux spirales qui était d'usage pour la tétanisation. Il en résulterait donc que les valeurs de / et de /' seraient un peu trop élevées. 4." La cause d'erreur sub S" est plus ou moins compensée par la cir- constance suivante. — Nous avons vu que le rhythme cardiacpie est, de sa nature, assujetti à des variations sensibles. En conséquence, un allonge- ment des périodes qui ne dépassait pas -~r de seconde ne fut jamais regardé comme dépendant de l'irritation du nerf. Tome XXX VIU. 3 18 RECHERCHES SLR LI>JiNER\ ATIOiN DL COEUR I}. — Energie croissante. L'idée de fénergie croissanle de Télat d'irritation du nerf vague a été déve- loppée par Donders, dans un travail publié seulement en partie. Il avait remarqué, dans ses expériences sur le lapin, (prim certain degré d'aoeroisse- ment des |)ériodes se rc'pailit toujours entre les deux premières périodes, et cela d'une manière diiïérente selon (|ue le moment d'irritation précède plus ou moins la piemière systole influencée. — La période latente est de l de seconde chez le lapin. Si l'irritation précède la première systole influencée, juste de { de seconde, la |)ériode pendant laquelle on irrite est légèrement allon- gée, et la suivante beaucouj) plus. Si l'on irrite un peu plus tôt, la première période sera allongée davantage, la seconde moins. Le moment d'irritation précède-t-il de ' -)- j'.^ de seconde la première systole, alors l'allongement de la première période est le plus grand qu'on puisse obtenii- pour une intensité donnée du courant électri(|ue, et l'on ne peut j)lus rabaisser da\antage l'allon- gement de la seconde période, en augmentant l'espace de temps entre le moment de l'irritation et la première systole influencée. Depuis le premier moment où il devient manifeste, il faut donc à l'état d'irritation du nerf vague -^.î de seconde pour atteindre son maximum de développement. En d'autres termes, la phase de l'énergie croissante dure j., de seconde '. Appli(pions d'abord ces notions de l'énergie croissante à Vd/fiu'l/lissemenf fies systoles nuricuhiires. Les cas les plus favorables pour déterminer la durée de cette énergie croissanle sont certes ceux dans lesquels l'irritation du nerf vague aiïaiblit les contractions et n'allonge pas les périodes (lig. 5). Dans quatre cas pareils, où je n'-nssis ;i irriter un nombre de fois assez considérable, la première sys- tole alTaiblie l'était toujours moins que la seconde. A partir de la seconde, les collines remontaient peu à peu à leur niveau accoutumé. Il m'a même semblé de temps en temps que la troisième systole influencée était la plus allaiblie. De là nous tirerons la conclusion que chez la grenouille l'énergie croissante ' DoNDEns, Verslay der ulyeiii. Vergad. v. Geiteesk. Te Aiiislcidimi , I I ociubcr 1871, p. I!). PAR LE NERF VAGUE. 19 l'état d'irritation du nerf vague dure une période cardiaque, et que peut-être elle la dépasse un peu. Dans deux de ces cas, il a été possible de déterminer cetle durée à l'aide de la méthode des plus petits accroissements perceptibles. Or, elle équivalait sensiblement à une période cardiaque. Nous accepterons donc définitivement cette valeur. Les choses se compliquent dans le cas où rafîaiblissement de la contrac- tion est accompagnée d'un allongement des périodes. Dans le tracé auricu- laire de la figure 4 , par exemple , la première systole qui suit le moment d'irritation n'est pas encore retardée, mais bien afl'aiblie. La seconde, réduite à un minimum, est retardée de 1 l de seconde. Si la seconde systole était arri- vée beaucoup plus tôt, elle aurait encore pu être diminuée dans la même mesure. Enfin, dans la figure 1, la première systole auriculaire influencée est aussi la plus alTaiblie. On voit immédiatement que la raison en est préci- sément dans l'allongement du repos qui la précède, allongement qui laisse à l'état d'irritation du nerf le temps d'exercer le maximum de son influence sur la j)remière systole. Les cas où l'affaiblissement de la systole est accompagné d'un allongement des périodes ne peuvent donc guère servir à préciser la durée de l'énergie croissante en question. Aussi nous tiendrons-nous à la valeur trouvée plus haut, dans les cas où l'affaiblissement des contractions a été le seul effet de l'irritation du nerf vague. Nous avons explicpié plus haut comment Donders avait déterminé la durée de l'énergie croissante ywHr l'alloiigemcnl des périodes cardiaques; il le fit en irritant le nerf vague chez les lapins, au moyen d'une seule décharge d'induction, ou bien aussi en ouvrant et en fermant le courant constant. Dans mes tracés, il s'est trouvé de temps en temps que la première sys- tole qui suit le moment d'irritation était retardée de doux ou trois vibrations du diapason, tandis (|ue la seconde l'était beaucoup plus. Mais dans tous ces cas, il y avait possibilité que la durée relativement longue de l'irritation en fût la cause. Les toutes premières décharges d'induction pouvaient |)out-ètre agir sur la systole, tandis (|iie les décharges sui\antes arrivaient trop lard. Dans ces cas, la tétanisation durait de y^ i\-l de seconde. D'après cela, nous sommes fondés à admettre que la durée de l'énergie 20 KECHERCHES SUR L'INNERVATION DL COEUR croissante pour Talloniroment dos périodes est relativement courte, et ne dépasse pas ^ de seconde. Dans riiypolhèse contraire, elle aurait dii se mani- fester dans les courbes par le fait que souvent la seconde systole influencée serait plus retardée que la première. Aussi nous devrons nous borner à lui assigner une limite supérieure, un maximum de ^ de seconde. Cela étant admis, c'est-à-dire que Pénergie croissante pour l'allongement des périodes dure tout au plus { de seconde, il devient très-probable qu'elle ne pourra pas se manifester dans le cas où l'on irrite le nerf par tétanisation. En elTet, la première décharge d'induction n'aura peut-être pas le temps de produire son maximum d'efîet sur la première systole, mais la retardera cependant un peu. La systole, ainsi retardée, pourra être influencée par la seconde décharge d'induction, ce qui donnerait à la première décharge le temps de produire tout son effet sur la première systole. Le même jeu se reproduirait pour les décharges subséquentes. La durée précise de l'énergie croissante en question ne pourrait être déter- minée qu'à l'aide de décharges d'induction uniques, ou bien en ouvrant et en fermant le courant constant. Un tracé permettra de représenter graphiquement et assez clairement tout ce que nous avons dit des énergies croissantes , et pour l'affaiblissement des contractions, et pour l'allongement des périodes cardiaques. Sur les deux lignes xy et x'y' met- tons comme abscisses les temps, de ma- nière à ce que la distance entre deux traits verticaux corresponde à une vi- ^y bration du diapason ; comme ordon- iMiiifiinii.nnmniiniiLuj' néc par Ics dcux cas, j)renons une grandeur arbitraire, qui représente le maximum de l'affaiblissement des con- . tnictions auriculaires et le maximum (rallongement des périodes pour une irritation d'une intensité donnée. Dans le cas où la période cardiaque dure trente-cinq vibrations du dia- pason (2 I secondes), si en //' nous irritons le nerf vague, la ligne Uni y t I 1 1 1 1 1 1 g. A. PAR LE NERF VAGUE. %\ représentera la marche de l'allongement des périodes, et i'I'm' représentera la marche de TafTaiblissement des contractions auriculaires; les deux effets allant jusqu'au maximum de leur énergie pour un courant électrique d'une intensité donnée, «7 et /'/' seront les deux périodes latentes (/et /'). L'affai- blissement des contractions commence plus tôt et atteint son maximum plus lard que l'allongement des périodes. C. — Eneryie décroissante. Il s'agit ici de savoir comment se comportent le rliythme cardiaque et l'énergie des systoles auriculaires, après que les deux effets de l'irritation du nerf vague ont atteint leur maximum. Tout d'abord, établissons que les deux effets de l'irritation, nnc fois arrivés à leurs maximums, ne se soutiennent pas à cette hauteur pour deux systoles ou périodes consécutives. La justesse de cet énoncé se vérifie facile- ment pour rallongement des périodes. Sous réserve de ce que nous avons dit au sujet de l'énergie croissante |)Our cet allongement, nous savons que tou- jours la première période iniluencée est beaucoup j)lus allongée que la seconde. Quant à l'affaiblissement des contrariions auriculaires, il arrive souvent que les deux premières systoles inilucncées s'élèvent à un même niveau. Cela tient à ce que l'irritation du nerf n'a pas eu le temps d'exercer le maximum de son influence sur la première systole; en effet, si Ton irrite un peu plus tôt, la première colline sera aussi la plus petite. Quand l'affaiblis- sement des systoles existe sans allongement des périodes, comme dans la figure l), la deuxième systole est la plus faible. Or, dans ces deux cas, l'énergie des contractions croit toujours à partir de celle qui est la plus affaiblie. Venons-en à Vénergie décroissante de l'allongement des périodes. Pour elle, différents cas se présentent avec des degrés différents de fréquence. Le cas représenté dans la figure i est de loin le plus fréquent. L'allongement de la première période est de beaucoup le plus considérable, celui de la seconde période est moindre, etc., jusqu'à ce que le rliylhme soit redevenu v,.2 RECHERCHES SLR L'I.N.\ERVAÏIOiS DU COEUR constant. L;i fij^uro B repiésonte la marclio que suit rallongement des périodes en diminuant. Fij; /;. Fis. C. Sur la ligne des abscisses xx\ chaque distance entre deux traits verti- caux correspond à une période cardiaque. Les ordonnées représentent les allonge- ments de chaque période, la distance entre deux des traits horizontaux correspondant à une vibration du diapason. Supposons que les systoles tombent sur les traits ver- ticaux; alors la ligne m'/i' représentera r.illoniicment de la première période, w-n- celui de la seconde, etc., et la courbe w'm- "t" ligurera la marche de l'énergie décroissante pour rallongement des périodes. Dans le cas de la ligure i re|>r(''senté par la figure li , la courbe de rt'iitTjîie décroissante tombe d'abord très- rapidement, |)uis plus lentement, et depuis la neuvième systole, le rhythme reste constant, mais il est ralenti, car les périodes restent allongées de deux \ibrations du diapason. Le rh\tlime n'est pas cependant toiijoiu's ralenti: en règle générale, il reprend son mouvement habituel toutes les fois que l'allongement de la |)remière période, c'est-à-dire l'intensité de l'allonge- ment , w dépasse pas une demi-seconde. Cette intensité devient-elle plus I»* m' Fis. ». PAR LE NERF VAGUE. 23 forte, alors le rhythme reste un peu accéléré ou ralenti, les périodes pou- vant être allongées ou raccourcies de quatre vibrations du diapason et plus. La figure C est la courbe construite d'après un cas où le rhythme redevient ce qu'il était avant l'irritation. Dans la figure 2, cas représenté par le tracé D, dès la seconde période, le rhythme est notablement accéléré. En règle générale, les courbes de l'énergie déci-oissante prennent la Corme de celle représentée en C, qui en est le lijpe le filas fréquent. L'allongemenl des périodes diminue d'abord rapidement, puis plus lentement. L'intensité et l'extension de l'allongement croissent et décroissent proportionnellement, selon l'intensité des courants employés. Cependant, si l'intensité s'élève à quelques secondes, l'extension, ou le nombre de périodes allongées, n'aug- mente pas dans la même mesure. Un cas plus l'are est représenté dans le tracé D (fig. 2) : la longueur des périodes était de quarante-deux vibra- tions. Après l'irritation du nerf vague , la première période est allongée de cinquante-neuf vibrations, la seconde est raccourcie de neuf vibrations, et à partir de la quatrième, elles restent toutes allongées de douze vibrations. L'énergie décroissunle pour l'affaiblissement des contractions auriculaires a des allures beaucoup plus régulières que celle de l'allongement des périodes. A partir de la plus faible, les systoles reprennent avec une force toujours croissante, jusqu'à ce (|u'elles aient repris leur éneririe première. Le levier qui repose sur rorcillelle décrit donc des collines de |)lus en plus élevées : il y a formation d'un escalier. La figure o en est un bon exemple. L'énergie primitive n'est revenue aux systoles que depuis la neuvième ou la dixième. Plus encore que pour l'allongement des périodes, j'ai pu vérifier que pour l'affaiblissement des contractions, l'intensité est proportionnelle à l'extension. Dans le cas de la figure li , l'intensité n'est pas la plus grande possible; les collines, en eflet, peuvent être beaucoup plus rabaissées, comme la figure i en donne un exemple. D'après tout ce que j'ai pu voir, l'aifaiblissement des contractions ne se répartit pas entre un certain nombre de systoles, mais s'étend à tiavers un espace de temps donné, qui varie avec l'intensité de l'état d'irritation du nerf vague. Dans la figure 5, par exemple, neuf systoles sont aiï'aiblies. Oi-, si en même temps il y avait eu allongement des périodes, les systoles au- 24 RECJIKUCHES SUR L'INNEHV ATIO^ DU COEUR raiont ôtô affaiblies on plus petit nombre, quoique l'affaiblissement eût duré un espace de temps plus long. Ainsi dans la figure 4-, l'affaiblissement est plus intense, et cependant le uond)re des systoles affaiblies est plus petit que dans la ligure 5. On pourrait se demander lequel des deux effets de l'irritation du nerf vague dure le plus longtemps. — La réponse à cette question est contenue en grande partie dans ce qui précède. En effet, l'affaiblissement des contrac- tions se montre plus régulièrement que l'allongement des périodes. L'allon- gement peut être peu prononcé, alors que l'affaiblissement est bien marqué: il V aura alors plus de systoles affaiblies que de périodes allongées. L'affai- blissement peut même exister sans allongement. Si les deux effets sont bien accusés en même temps, l'allongement des périodes dure plus longtemps que l'affaiblissement des contractions auriculaires. D. — Effets consécutifs de l'irritation du nerf vague. Sous cette rid)riquc, nous rangerons d'abord la fatigue, l'épuisemenl véritable de l'appareil du nerf vague; puis l'accélération et le ralentissement du rliythme qui persistent quelquefois après l'irritation du nerf vague. L'altération persistante du rbylbme cardiaque a été traitée à propos de l'énergie d('(roissante. Là, nous avons vu qu'après une iri-itation du nerf vague, le rbytbme ne reprend son mouvement babiluel que dans h; cas où l'allongement des périodes est peu intense, et qu'il reste accéléré ou ralenti quand l'allongement des périodes a été plus intense. Nous devons avouer (pie nous ignorons com|)lélement les causes pro- chaines de ce changement du ihythme. Un autre |)hénomène |)ourrait, avec |)Ius de raison, être mis sur le compte d'un véritable épuisement des fibres nilentissaiifrs du nerf vague. Voici en (pioi il consiste : Le nerf vague ayant été irrité une fois, une irritation répétée souvent n'exerce une iniluence sur les contractions cardiacpies que si un temps notable s'est écouh' depuis la |)remière iriitation. U>etle pailicula- rité est surtout prononcée pour liaiia esculeiila , où souvent elle se fait sentir PAR LE NERF VAGUE. 2S d'une manière très-désagréable pour rexpérimenlateur. Souvent le rhythine est redevenu constant après une irritation, et cependant on ne réussit à avoir un elîet qu'en laissant le nerf se reposer { jusqu'à 1 minute. Si le phénomène en question est dû réellement à l'épuisement du nerf, il constitue certes un fait surprenant. Dans le cours de ces expériences, j'eus de temps en temps l'occasion de remarquer certains faits, d'après lesquels il semblerait que dans le tronc du nerf vague il y a des fibres nerveuses dont l'irritation accélère les mouve- ments du cœur. Les idées de Budge , Srhi/f oX Moleschotl sur l'action accélératrice de l'irrilalion du nerf vague ne sont plus guère défendues aujourd'hui. Cepen- dant, dans les derniers temps, on a repris cette action accélératrice, mais sous une forme modifiée. C'est ainsi que Schmiedeberg (Sacks. Gesellsch. D. WissENScir., 1870, p. 130) croit avoir démontré qu'à côté des fibres ralentissantes, il y a dans le tronc du nerf vague de la grenouille des fibres qui accélèrent le rhythmc cardiaque. 11 faudrait songer ici à des fibres du grand sympathique qui se rendraient dans le tronc du nerf vague à la base du crâne. Les phénomènes que j'ai en vue sont les suivants : 1" Quelquefois, après une expérimentation prolongée, l'irritation du nerf vague ne ralerUil |)lus le rhyllime cardiaque, mais l'accélère; 2" Le résultat de l'irritation du nerf vague est très-variable pour ce qui regarde la phase de l'énergie décroissante pour l'allongement des périodes. Les conditions étant en apparence les mêmes, l'extension de l'allongement des périodes peut être plus ou moins grande. Puis, le rhythme peut rester accéléré ou ralenti; 3° Dans des cas rares, la première systole qui survient après le moment d'irritation, au lieu d'être reculée, est au contraire avancée. Dans cinq cas semblables, il s'est trouvé que le moment d'irritation précédait la première systole d'un temps plus court que la période latente (/) pour l'allongement des périodes. Les faits relatés sub 1 et 3 sont rares, il est vrai, et se montrent dans Tome XXXVIII 4 5>() KKCIIKKCIIES SLK L INNERVATION UL COEUR des comlilions iiicoin|)létemcnt counues. Ccpoiuianl, avec riiypollièse des lil)ri's iKcéli'iJitrices à côté des libres raleiUissantes , nous pourrions coni- preiuiie connnont l'iiiitalion du nerf vague peul produire une accélération (lu rliNlIune, au lieu d'un ralcnlissenienl. Pour cela il sullil que des deux espèces de libres Tune reste plus longtemps irritable (pie Tautre. D'un autre c()té, si les deux esp(!'ces de libres sont irritables à des degrés dilTérents, les ciïets de Tune peuvent diminuer ou même neutraliser coniplélement ceux de Tautie : de là peut-être les dilTérentes formes de l'énergie décroissante pour rallongement des périodes. Pour expli(iuer raccélération signalée sub 3, il sullit (pie pour faction accélératrice la période latente soit plus courte (jue pour le ralentissement. L'étude à bupielle nous venons de nous livrer nous a fait connaître deux pli('n(»mènes cssciifirl/cmciit d\iïCn-eii\s, (pu' sont des elTets primaires, imtné- (li((ts . de Tirritalion du nerf vague : ces pbénomènes sont rallongement des périodes el Tallaiblissement des conti'actions auriculaires. Les développements dans lescjuels nous sommes entrés ont fait voir (jue pour ce (pii regarde le moment d'apparition, la marclie, etc., de ces deux elTcls (le l'irritation du nerf vague, il y a entre eux des dilïérences radicales, à savoir : I" L'alTaiblissemenl des contractions, en tant (pi'en'et immédiat de l'irrita- tion (In nerf vague (voir plus bas), se fait sentir unicpiement dans l(;s contrac- tions auriculaires; "2° La période latente pour l'anaiblissement des systoles est ftmMcoj^; plus courte que pom- l'allongement des périodes; '.]" L'al1'aii)lissem(Mit des systoles, quoiqu'il commence pins t(»t (pie l'allon- gement des |)ériod(.'s, atteint cependant son snmmmn de développement plus lard , ce (pii revient à dire que les énergies croissantes n'ont pas la ujème durée; 4" L'alVaiblissement d(^s systol(>s se montre avec une constance plus grande que l'allongement des périodes; le premier peut être très-prononcé', alors que l'allongement des périodes est peu marqué, ou bien manque com|»létemenl. On ne saurait guère comprendre que les deux elfels de l'irritation du PAR LE NERF VAGUE. 27 nerf vague puissent dépendre de l'élat d'excitation du même élément ner- veux. La seule cliose quils aient de commun, c'est qu'ils se montrent dans le même organe, après l'irritation du même (roue nerveux. Mais pour aucune phase de leur développement, on n'observe entre eux le moindre parallé- lisme; l'un peut même être bien accusé, alors que l'autre manque complè- tement. Si l'on tient compte de toutes les circonstances énumérées , on ne saurait guère se refuser à la conclusion que nous sommes ici en présence de deux effets essentiellement différents, qui, à en juyer d'après toutes leurs allures, seront liés à la présence de deux espèces d'éléments nerveux. Nous avons vu également que Virritation du nerf vague exerce sur la systole auriculaire une autre influence que sur la contraction venlriculuire. En effet, la systole ventriculaire n'est affaiblie que dans le cas où l'allonge- ment des périodes devient notable; la systole auriculaire est affaiblie dans tous les cas, même en l'absence complète de rallongement des périodes. Pour expliquer cette dernière différence, on pourrait être tenté de sup- poser une nouvelle complication dans le mécanisme de l'innervation car- diaque. Heureusement les recherches importantes de (Ludwig) liowditch (Sachs. Gesellscii. I). WissExscn., 1871, p. 651) nous ont fourni le moyen d'expli- quer le phénomène en question à un tout autre point de vue. Bowditch détermina quel effet une irritation d'une intensité donnée exerce sur le nniscle \entriculaire de la grenouille. Le ventricule coupé à sa base se continuait avec un tid)e manoméirique; à chaque contraction il soulevait une colonne liquide dans le manomètre. La hauteur à laquelle s'élevait le liquide donnait la mesure de l'elïet produit sur le muscle par une irritation directe (décharge d'induction). De tous les résultats auxquels il est arrivé de cette manière, il y en a deux qui pour le sujet qui nous occupe sont d'une importance capitale : 1" Toutes choses étant égales, l'intensité de la contraction est indépen- dante de l'intensité de l'irritation appliquée au muscle ventriculaire : ou bien une décharge d'induction |)rovo(|ue une contraction, ou bien elle ne le peut pas. Si elle est assez forte pour provoquer une contraction, celle-ci sera 28 RECHERCHES SLR LINNERVATION DU COEUR la plus grande qirtine décharge d'induction quelconque est capable de pro- duire dans les conditions momentanées; 2" Si par intervalles égaux, on applique au ventricule des irritations de même intensité, assez fortes pour que chacune produise une contraction, celles-ci auront toutes la même intensité. Si alors on laisse passer un certain temps sans irriter, et (|u'on reprenne les irritations rhythmiques, les contrac- tions reviennent plus faibles, pour s'élever peu à peu au niveau qu'elles avaient précédenmient : il y a formation d'un escalier, qui sera d'autant plus prononcé que le repos préalable du cœur aura été plus long. Nous sommes maintenant en état de nous rendre compte des [)hénomènes observés par nous, si nous faisons l'hypothèse que l'irritabilité du muscle auriculaire est autre que celle du ventricule, c'est-à-dire si pour l'oreillette l'intensité de la contraction est une fonction de l'intensité de l'irritation appli- (|uée. Une telle hypothèse n'a rien d'invraisemblable : je rappellerai seule- ment la grande richesse du muscle auriculaire en fibres nerveuses , compa- rati\emenl au peu de libres nerveuses du muscle ventriculaire. Étant supposée cette diiïérence dans Tinilabilité, alors dans le cas d'une irritation faible du nerf vague, l'impulsion motrice alTaiblie, tout en restant la même pour les deux parties du cœur, produira une contraction plus faible dans l'oreillette, et la contraction du ventricule aura son énergie accoutumée. — Il est vrai que pour cela nous aurions besoin d'une seconde hypothèse, à savoir que dans les conditions normales, l'impulsion motrice qui atteint le ventricule dépasse l'intensité absolument nécessaire pour en provoquer une contraction. Vaffailjlissement (leftconfractions ventrirnlaires s'explique parfaitement par le numéro 2 des faits découverts par liowdilch. Nous avons plus ou moins négligé jusqu'ici ralïaiblissemenl des contractions du ventricule, que nous avons trouvé bien accentué chaque fois que l'allongement des périodes acquiert une certaine intensité. La raison en est que, avec les données que nous possé- dons actuellement, il est impossible que cet affaiblissement soit un effet direct, immédiat de l'irritation du nerf vague, au même titre que l'affaiblis- sement des contractions auriculaires. En effet, celle du ventricule ne se pro- duit pas (juand l'allongement des périodes n'atteint pas une certaine intensité. PAR LE NERF VAGLiE. 29 Chaque fois que la contraction ventriculaire est affaiblie, nous sommes dans les conditions dans lesquelles Bowdlich a observé son escalier. Cette expli- cation nous paraît d'autant plus plausible, que le degré de prolongement des périodes qui est nécessaire à l'affaiblissement des systoles ventriculaires est considérable et atteint la durée du repos que Bowditch doit laisser au ven- tricule quand il veut produire le phénomène de Vescalier. En consé- quence, chaque Ibis que dans nos expériences les systoles ventriculaires étaient affaiblies, l'excitabilité du muscle devait être diminuée par le repos préalable, provoqué par l'irritation du nerf vague. Il y aurait donc à répéter sui' le muscle auriculaire les mêmes expériences que Boivdtich a faites sur le muscle ventriculaire. Elles seraient rendues pos- sibles par les expériences de Schmiedeberg (loc. cit.) sur la muscarine. Cet alcaloïde en effet fait cesser complètement les contractions automatiques du cœur, sans anéantir l'excitabilité du muscle. — Dans le cas où l'Iiypollièse exprimée relativement à l'excitabilité du muscle auriculaire ne se confirme- rait pas, un autre fait d'une importance capitale serait mis au jour : savoir que le nerf vague agit directement sur le muscle auriculaire et en diminue l'excitabilité. CE QUE INOUS VEISOiNS D ETUDIER CHEZ LA GRENOUILLE EST VRAI AUSSI POUR LE LAPIN. Les recherches étant arrivées au point où nous en sommes, il était naturel qu'on se demandât jusquà quel point les faits établis chez la grenouille s'appliquaient aux mammifères. Les recherches de J/o/fa (loc. cit.) et de Donders (loc. cit.) ont montré suf- fisamment que l'énergie de l'impulsion imprimée au cœur par la contraction ventriculaire n'est pas affaiblie, que bien au contraire elle est souvent renfor- cée. Nous avons déjà dit que Donders expliquait le renforcement, non point par un renforcement de l'impulsion motrice, mais par le fait que pendant le repos prolongé une plus grande quantité de sang a eu le temps d'alïluer au cœur. L'auteur a été renforcé dans cette manière de voir par le fait que les 50 UECIIKHCHKS SUR L'INNERVATIOiN DU COEUR coiilrnclions secondaires d'une palle de grenonille, obtenues en mettant le nerf sciati(|ue sur le ((vur, que ces contractions secondaires, disons-nous, ne sont pas renforcées, mais restent les mêmes, ou bien sont un peu alVaiblies. Je lis lexpérience suivante : Un lapin curarisé fut tenu en vie par la respiration artificielle; le thorax en fut ouvert, et le conir dépouillé du péricarde. Un coussin à air, appliqué contre la pointe du eœur, enregistrait sur le kymographe les contractions du ventricule, tandis qu'un levier, leposant sur l'oreillette droite, en enre- gistrait également les systoles. La fii^ure G est un tracé obtenu de cette manière, qui ne manquera pas de fiapper au premier coup d'd'il. V est le tracé du ventricule, 0 celui de l'oreillette; les moments où le nerf vague fut tétanisé sont marqués par x sur la ligne J '. Pour ce (pii regarde le tracé des ventricules (V), on remarque après clia(|ue irritation un allongement des périodes, mais l'intensité des contractions reste la même. Il en est tout autrement pour le tracé de l'oreillette (0). Après chaque ii-ritation, les systoles retardées élèvent le levier moins haut qu'avant l'irrita- lidii. Après cha(pie allongement des périodes, les collines du tracé revien- nent donc avec une hauteur moindre, s'élèvent peu à peu à leur niveau précédent : elles forment un escalier. Le phénomène de l'escalier est d'une constance très-grande et n'a manqué après aucune irritation. Il est très- manilesle (piand une nouNclle irritation sui'vient avant que le rhylhme et rintensité des contractions soient redevenus normaux; même après les deux premières contractions allaiblies, sa présence ne saurait être méconnue. Nous arrivons donc à la conclusion que chez les mammifères aussi l'irri- tation (lu nerf vague exerce sur la contraction auriculaire une autre influence (jHc si(r la contraction ventriculaire : les deux systoles sont relai'dées dans la même mesure, mais celle de l'oreillette est en même temps a/fail/lic, et elle l'est seule. L'irritation du nerf vayue a donc aussi un donhlc effet sur ' NaUUTllcmctil , le li'\ icr dcv.iil èlir pins loni^ cl plus loiiiil tpif pour Ir- ^iciidiiillcs. La liiiiilciir ilfs f(illiiics nuriciilairo- plus ('•Icxoc ipic icllc i\c- (i)llim'S vciilriculaircs, l'Sl iliic a la (■ir de détails que nous avons traités au long chez la grenouille. Le petit nombre de mes expé- riences ne me permet pas d'aller plus loin. J ^ EXPLICATION DK LA PLANCHE 1. ^OT*. — Los ligures 1, i, 3, }, 5, 7 et 8 sont des tracés de la grenouille ; la figure 6 esl un tracé du la|Mii. Dans toutes, V est le tracé du ventricule, 0 celui de l'oreillctlc; I est la ligne sur laquelle sont marqués les moments de l'irritation x; enfin M est le tracé du métronuinc, du diapason à quinze vibrations par seconde. Les petits traits verticaux subdivisent la ligne en espaces correspondant ii quinze vibrations. Je ferai remarquer encore que, dans la plupart des figures, les points de dépari des tracés ne sont pas situés sur une même ligne verticale, t^ela n'est pas nécessaire pour la démonstration; il suffit de les prendre pour point de départ dés qu'il s'agit de compter des vibrations correspondant à telle ou telle partie d'un tracé. Fiu. 1. — Ti'neés venlriculaire cl auriculaire, avec une irritation du nerf vague. Huit périodes sont aiiongces, et finalement le rhythme reste raienli. Les dcu.\ premières systoles vcnliiiiilaircs retardées sont légcrcmeiil affaiblies. Six systoles auriculaires sont affaiblies (Grenouille). Fie. 2. — Un tracé ventriculaire, qui montre deux ])articulari(és : après l'irritation apparaît un escalier lrès-|)rononcé , tel qu'on ne l'observe ordinairenienl qu'après un allonge- ment beaucoup plus intense des périodes; puis , à partir de la seconde période, le rhylliiue est déjà accéléré (Grenouille). FiG. 5. — Tracés vcniricul.iirc et auiiciilaiie. .Après le moment de l'irritation, on observe un allongcincnt peu marqué des périodes. Les systoles veiilriculaires ne sont pas affaiblies, mais bien les systoles auriculaires. L'intérêt de ce tracé consiste en ce qn'iMic systole auriculaire non encore retardée est déjà affaiblie (Grenouille). Fie. 4. — Tracé auriculaire, qui montre encore plus clairement que le précédent qu'une con- traction de roreillctte, qui suit le moment de l'irrilation, peut être affaiblie sans être retardée. Fie. 3. — Tracés auriculaire cl ventriculaire. L'irritation du nerf \aguc n'altère nullement le rhythme, ne se marque en rien dans le tracé du ventricule, mais affaiblit forte- ment les contractions auriculaires (Grenouille). Fir,. (). — Tracés ventriculaire et auriculaire du lapin. Les contractions vcntriculaircs sont enregistrées an moyen d'un coussin à air, appliqué à la pointe du cœur; les con- traclions auriculaires, |)ar un levier reposant sur l'oreillette droite. Apres cliaciinc des trois irritations, |ilusicurs périodes sont allongées. La force des contractions vcntriculaircs ne paraît |>as avoir subi de changement. Les contractions auricu- laires, au conli'aii'c, sont affaiblies après clia(]nc iri'ilniion et reviennent en for- mant un esciilier. Fit;. 7. — Tracés ventriculaire et auriculaire, tels qu'on les oblicnt (juand le nerf \aguc n'esl pas iirilé. Variations consich'-rablcs (jusqu'à yr de seconde) dans la longueur de^ périodes (Grenouille). Fit;. 8. — Tracés ventriculaire et awriciilaiic. Après l'iniiation «lu iicif vague, il s'est produit un dcgri' moyen d'allongement des périodes. Les systoles vcntriculaircs retardées, non-seulement ne seuil pas affaiblies, mais même les premières sont |)lus intenses. Les deu.ii ou lroi< premières systoles auriculaires relaidées sont affaiblies, quoique à un degré peu prononce. .Ur,„ ,,,-i'- ,lr lArmlrm.r.r^,,.,- XXXTIll ^-\ 'V]\jA_,r\Arvj\j\j\jv_rv]VV\AAj^^ J C£3 :* -^ î: s ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE Edmond POULET, PltOflCSStUH A l/tNlViiaSITÉ CATUOLIi^LE DK LOUV&tri. Devise : S. Lambert! S. Lambert! {CouronnO par hi classe des IcIIres de l'Académie le 18 mai 1871.) Tt)ME XXXVIII. IJNTRODUCTION. L'église de Saint-Lambert, qui a si fatalement disparu au milieu de Tefler- vescence révolutionnaire, est le premier anneau auquel se rattachent Hiisloire sacrée et l'histoire profane de l'ancien pays de Liège. Cathédrale des succes- seurs de saint Materne et de saint Lambert, elle fut favorisée par la munifi- cence des rois Francs et par celle de leurs successeurs les rois de Germanie. Elle obtint des uns et des autres, tantôt la collation, tantôt la confirmation de domaines; et ceux-ci, arrondis grâce aux libéralités des grands alleutiers et des comtes du diocèse, formèrent le véritable noyau du territoire liégeois. Les domaines de l'Église de Liège furent longtemps placés sous le régime de XimmunlU', commun à toutes les possessions ecclésiastiques de la monar- chie franque et des royaumes qui s'en démembrèrent. Ce régime les déta- chait, à certains égards, du système général des gauen ou pagi, mais sans les soustraire entièrement à l'influence des comtes amovibles ou héréditaires de la Lotharingie \ La princi|)auté de Liège ne se forma en réalité qu'au X"^ siècle, et surtout au commencement du XI" sous l'èvèque Notger : quand les empereurs défendirent à tout comte et à tout juge, qui ne serait pas délégué par l'évéque ~, d'exercer une autorité quelconque soit sur les terres de l'Église, soit sur les territoires dans lesquels ces terres étaient enclavées "'; < Walteb, Deutsche Rechtagcschichle , zweite sehr verhesserle und vermelirle Attsgabe. Bonn , 1857; eerstc Band, §11). — Uaikeh, Discours de rentrée de 1831. p. 11, en note. 2 u Nisi oui episcopus conimiscrit. » ^ u Vol coruni territoria. » 4 INTltODLCTION. (|Ui)ii(l, outre le droit de juridiclion pleine cl entière, ils accordèrent à Tèvèque, représentant de son Église, le pouvoir comtal , et toute une série de droits régaliens lionorill(|ues et utiles \ Les évèques de Liège, devenus princes territoriaux et féodaux, restèrent vassaux du Saint-Eni|)ire. De même qu'ils n'étaient investis de leur pouvoir ecclésiasli(|ue qu'après avoir été confirmés par le pape et aj)rès avoir été saci'ès, de même ils n'entraient en possession de leurs droits séculiers qu'après avoir reçu leurs régales de l'empereur. Au Xlll'^ siècle, les éche- vins de Liège attestaient par record que leur évêque ne pouvait être inau- guré s'il n'avait déjà lui-même prêté foi et hommage à son suzerain. Au XIV" siècle, on n'allait plus si loin; mais on refusait encore à l'évèque le droit d'établir des justiciers et des juges et d'admettre au relief les vassaux de l'Église de Liège, tant qu'il n'avait pas prouvé par instrument authen- tique, devant le chapitre calhédral et l'échevinage de la Cité, l'accomplis- sement de la cérémonie de l'investiture -. Jusqu'au moment où cette pi-euve était faite, le cours ((c lu justice, suspendu à la mort du dernier titulaire du siège épiscopal , était arrêté : lex non habebut cursam. A la fin du XIII'' siècle, l'empereur Albert, de la maison d'Autriche, avait essayé, par des motifs de politique personnelle, de changer les prin- cipes constitutionnels liégeois que nous venons de rappeler. Il avait autorisé, en 1299, les maïeurs de Iluy et de Dinant à convoquer les échevins de ces villes et à les sononcer pondant la vacance du siège. Il avait l'intention d'octroyer des chartes conçues dans le même esprit aux autres bonnes villes liégeoises. Son essai n'aboutit pas ^. Les anciens principes prévalurent, et nous les retrouvons encore, clairement exprimés, dans la paix de Wihoghe de 13^8. L'article dernier de cette paix permettait aux maîtres de la cité ' PoLAiN, Ilisloirv (h; l'diuit'ii pays de Liéijv. — Uaikem , Discours ilc inilrée, (ws>iiii. — AuoLF WiioLWiLL, Diu AnjuiHjc lier lundxlandische Verfunsuiig iiii Bisllium Lutlicli. Leipzig, I8<')7, |)|). !) à IG. — Ce dernier opuscule est des plus iin|)ortanls pour l'Iiistoiiv rnisoiinéc cl syiilli('li(pie du développeuieiil des institutions liégeoises. "■' WiioLwii.i., ouv. eilé., i)p. 1 7 et suivantes. — I'oi.aim et Uaikum, Coulumeii du pays de Liège, I. I". l'utron de lu Tcniporalileil, p. 2C8. '• Wiioi.Nvn.i., ouv. cité, |). i2G, en note. — Sciioo.nbroout, Inventaire analyliiiue el clnonoio- fçique des eliarles de Saint-Lnmberl, n" 442. INTRODUCTION. S d'arrêter les malfaiteurs en temps de siège vacant, mais à charge de les remettre à l'évêque, quand il aurait reçu ses régales, ou au maïeur quand la loi aurait repris son cours ^ Mais ce n'était pas seulement à l'avénemont d'un nouvel évèque que l'accomplissement de la cérémonie de l'investiture était obligatoire; c'était encore à l'avènement d'un nouvel empereur. Il résidtait de là que la loi cessait aussi de courir à Liège entre le jour du couronnement de ce der- nier et le jour où, derechef, l'évêque de Liège avait obtenu de lui ses régales -. Dans les deux cas, du reste, la force des choses avait fait admettre très-tôt, dans la pratique, des tempéraments à la stricte rigueiu- des prin- cipes. D'une part, l'empereur, récemment couronné, accordait souvent par lettres à l'évêque régnant le \^ow\on' A\\%cr provmunm'Uement Ac ses droits, jusqu'à ce qu'il eût l'occasion de remplir les formalités voulues^. D'autre part, quand il était moralement impossible à l'évêque nouvellement élu de se rendre à la cour impériale, on ne lui demandait (|ue de faire acte de ses diti- (jences. En effet, il était admis que l'évêque ne devait pas aller trouver l'em- pereur au delà du Mein. Lorsque son suzerain était dans la haute Alle- magne, il se rendait seulement à Francfort, ou il envoyait dans cette ville un procureur su/fisanl. A Francfort, il sollicitait ses régales d'un plénipolen- tiaiie im|)érial, et, si ce plénipotentiaire ne s'y trouvait pas, il se bornait à promettre devant l'échevinage de la ville libre (pi'il serait lidêlo et obéissant au chef de l'Empire, et que, dés que celui-ci serait en deçà du Mein, il viendrait régulariser sa position. Une attestation authentique des èchevins de Francfort, constatant l'accomplissement de ces cérémonies, était alors pro- duite au chapitre de Saint-Lambert et à l'échevinage de Liège, et elle tenait lieu à l'évêque d'une investilure impériale régidiêre ■*. Il est pres(|ue inutile de lappeler que la plupart de ces antiques usages disparurent insensiblement. Le chapitre, notamment, s'appropria de degré ' Nous parlerons do coUe paix au 2'"' Hm'c. ^ Patron de la Temporaliteit, loco cilalo. ■'' SciiooNniiooDT, oiiv. rili", n"' (143 cl Glil. — Wiiolwili,, oiiv. cité, pp. 18, I!) et 15, en note. "^ W'iioi.wiLL, ouv. cite, pp. 18 cl 19, et notes très-complètes. — Patron delà Temporaliteit, loco cilato. 6 INTRODUCTION. en de^ré radministration complète de la principauté, pendant le temps de sié"e vacaiil. En 1450, il répondait encore aux éclievins : « Vous nous » aveis demandeit se le loy doit estrc overte ou se vous deveis faire loy, » attendu (pie nous estons présentement sans signeur; nous avons sur ce » querut dedans nos chartes et registres, mais riens n'en avons Iroveit, et » pourtant vous poieis savoir ce que vos en saveis et wardeis; sachiez solonc » ce si à point et si bien que ons ne vous en sache que dire et (|ue n'ayez » nul reproche, car nous ne volons avoir ne porteir nul charge. Et de ce » faisons protestation et en demandons instrument'. » Mais, durant les der- niers siècles, il rouvrit lui-même le cours de la justice à la mort de l'évèque; et, jusqu'à ce que celui-ci eût un successeur, les juges rendirent la justice au nom du chapitre, au lieu de la rendre au nom du prince -. Quant à l'in- vestiture et à l'obtention des régales, elles furent nécessaires juscpie dans les derniers tenips de l'ancien régime. Seulement les évêques les sollicitèrent communément par l'intermédiaire d'ambassadeurs. Les conséquences du lien de vassalité qui lallachait l'État liégeois au Saint-Empire varièrent avec les épotpies. Nous n'avons pas à les étudier ici en détail : nous nous contenterons d'appeler l'attention sur deux points spéciaux qui touchent à l'histoire du droit et à l'histoire des institutions. \" Dans les siècles les plus reculés, les empereurs faisaient souvent des actes particuliers de souveraineté dans le territoire liégeois. Quand ils venaient à Liège, i)ar exemple, ils faisaient rendre la justice en leur nom, ils met- taient maïeur de leur main, ils conféraient les échevinages qui par hasard étaient vacants ''. Quand, au XIII" siècle, le siège venait à vaquer, ils agissaient encore de même jusqu'au jour de l'investiture d'un nouvel évèque *. Dans les monuments des derniers siècles, il n'est plus fait aucune mention d'actes de cette nature, ni d'actes d'une nature analogue. 2" Les constitutions et les lois générales de l'Empire avaient force de loi ' Aimlerlea pour servir ri l'Iiisloire ecclésiastique de la lichjique, t. VI, p. 20; oxlrait [>. 73-74. s Jdeiii, p. lôO. — IIe.nmx, ouv. fit(', |). lôO. — Cfllc k'Ilrc -io trouve ilaus l:i iiliipart îles (■xrni|)liiir(s du l'uiviu'llmrs. INTRODUCTION 9 » appelle loy Charlemagne , et qu'il ne peut dedans la dite citeit useir » d'autre loy ne les citains par autre loy destraindre en nulz cas que par » la loy devant dite, si il n'est doneques aiiisy que ly universiteit de la dite » citeit se vueilhe de propre volunté à ce obligier et accordier. » Quant aux aisements, il intervint une sorte de transaction dont nous n'avons pas à nous occuper ici. Quant à la question de souveraineté, elle fut tran- chée au profit de l'évêque par la Pauline de 1465; et la Pauline, confirmée par les empereurs, fut, malgré des débats sans cesse renaissants , reconnue dans un record de 1659 comme une des bases de la constitution liégeoise K Mais pendant des siècles la situation spéciale des villes, favorisée par une grande concentration de puissance et par l'obtention de nombreux privilèges, eut deux conséquences importantes : d'abord, l'érection d'un siège de judi- cature des bourgeois, composé de magistrats électifs, placé à côté de la loy, le tribunal des échevins, siège de judicature de l'évêque; ensuite, le dioii pour les communautés municipales, surtout pour celle de Liège, d'intervenir à l'élaboration et à la publication des statuts même relatifs au droit pénal des- tinés à les régir -. Mais laissons les villes, et voyons ce qui résultait de la division du terri- toire en épiscopal , capitulaire et baronial. Dans les domaines de la mense épiscopale, l'évêque exerçait sans conteste les droits de seigneur territoi'ial et les droits de hauteur. Dans les terres de la noblesse, où le pouvoir local était partagé entre une foule de familles souvent en guerre ou en mésintel- ligence, et dans les terres des églises secondaires , il n'exerçait que les droits de hauteur; mais, à part (pielques restrictions introduites par les paix du XIV* et du XV" siècle, il en jouissait presque sans contradiction. Dans les nombreuses seigneuries du chapitre cathédral, au contraire, l'évêque n'eut pendant longtemps aucune espèce de juridiction. Au XI!" siècle les voués, ' Sur celle question de lii Pauline, qui inlércssc |ilus la politique que le droit, on ))eiil uliie- ment eonsulter plusieurs opuscides du XVIII"" sièele, publiés à l'occasion de la juridiction de rofiieial : la Xarralio Jlixtoricd, p. !), VAppeiidix ad Xarrationein, p. 13, la Réfutation du mani- feste des échevins , p. 5>0, etc. ^ Vendiciae libertatisjin-iiiiii cl exemplionum DD. commissarioruni inclytae civitalis Lcod. Anno M.D.C. LXVIII. Tome XXXVIII. 2 <0 INTRODl CTIOiN. qui excrçi'iient la juridiction criiiiinollo dans ces soij^neurios , demandaient spécialement à l'empereur le bunnnm '. Au XIII'' siècle, le bailli de la cathé- drale se soumettait à la même formalité, au lieu d'exercer son odice en vertu du hhtihoiin de Tévéque -. A la même époque, le chapitre contestait à révé(pie ius(|irau di'oit de punir les chevaliers, les fils et les parents des chevaliers domiciliés dans les terres de la mense capilnlaire". Au XIV*" sièele ce chapitre refusait encore à Englebert de la Marck tout droit de juridiction criminelle dans les mêmes terres ■*. C'est seulement à partir de la deuxième moitié du XIV*' siècle, et surtout des paix des XXII, que le chapitre cathédral a passé jusqu'à un certain point sous le niveau commun , cl qu'il a échangé une situation d'isolement et d'indépendance absolue, contre la position de premier cor|)S de l'Étal '•". Les considéi-alions, que nous venons d'exposer, nous amènent à dire un mot du pouvoir législatif en matière criminelle, dans l'ancien pays de Liège. Nous savons déjà ce (jni se passait dans les villes. La conmiunanté munici- pale inteivenait de droit, par rintermédiaire de ses magistrats élus, à l'élabo- ration et à la promulgation des staluls intérieurs. Dans le cours de notre travail, nous rencontrerons un nombre infini de cas d'application de la règle que nous indiquons. Nous verrons même comment, pendant plusieurs siècles, les magistrats des villes édictèrent eux-mêmes des statuts et des ordonnances pénales, sauf à obtem'r la ratification de l'évêque qui donnait à ces actes la force obligatoire. Il faut reconnaître cependant que, |)endant les trois der- niers siècles, le pouvoir souverain se mil peu à peu en possession de modi- fier les statuts nunnCipaux, sans consulter la comnnuiauté et sans l'inler- vention des représenlanis de celle-ci '\ Les seigneurs |)arliculiers, de leur côté, possédèrent pendant longtemps un pouvoir législ.iiif plus ou moins étendu dans leurs domaines. Il nous sulliia d'apporter trois ou quatre preuves à l'appui de celle assertion. En ' Wiiol.wiLi. , OMV. cilr., |). M. ■ Sciioo.vBiiooDT, om. ciié, nclc n" "i:iS de l';in 1281. ^ Iilem, acte ii° 410 de lait \'2-iii\:iiik'-;. '■^ fioi.nASTi's, Collcclii) consliliilioiiiiin iiiij)t'rialiiiiii. l'iMiicl'uil. Kil.'i. I. I'', p. i''2't. "• Idem, l. IN, p. 3or>. DANS L'AISCIENINE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 17 de vol quand l'objet volé valait plus de cinq sous '. En 1013, l'empereur Henri II commina la section du poing contre les individus qui avaient commis un homicide en rupture de paix ou en rupture de trêve, et il ordonna aux pei'sonnes, accusées d'un crime de l'espèce, de se justifier par le duel ^. En 1023, le même empereur décida que les homicides simples seraient punis par la tonsure et par la décalvation^. En 1041, Henri HI décréta que les empoisonneurs et les mxirdreurs *, c'est-à-dire les personnes (pii f/iiolibet modo furtivo aliqueni percusserint, encourraient à la fois et la |)eine de mort et celle de la confiscalion des biens ''. On peut même ranger à bon droit parmi les lois criminelles impériales de cette époque, le célèbre règlement sur les tournois, rendu par Henri l'Oiseleur, en 930, code d'honneur pour les gens qui faisaient profession des armes, et code pénal pour ceux qui man- quaient à leurs obligations ^. Quel que fût le sort de ces lois dans le pays de Liège, — qu'elles fussent appliquées de temps en temps par les tribunaux de l'époque, ce qui est pro- bable, ou qu'elles fussent souvent tenues pour non avenues, ce qui est plus probable encore par suite de l'absence d'un pouvoir central suffîsanmient fort pour les faire respecter, — leur action fut minime sur le maintien de la paix publique. Elles ap|)araissaient à une époque où le débordement des guerres privées menaçait de détruire toute espèce d'ordre légal, surtout parmi les classes militaires. Celles-ci, en général, scrupuleusement fidèles aux stipulations du contrat féodal, oubliaient presque toujours le chemin des tribunaux quand il s'agissait d'obtenir la réparation d'infractions privées. Les classes inférieures seules étaient étroitement assujetties à un pouvoir coercitif régulier ~'. Dans cet état de choses l'Église intervint par la trêve-Dieu. La trêve- Dieu, née en France au commencement du XI" siècle, vint prendre pied ' GoLDASTUs, ouv. cilé , l. m, p. 51 0. ^ Idem, idem. ' PouLLET, 1" Mémoire sur le droit pénal cité, p. 51. * Murdreurs , expression du moyen âge dont nous aurons plus loin à préciser le sens. ^ PouLLET, 1" Mémoire sur le droit pénal cité, p. 51. ^ Idem, p. 54. (Note ajoutée en 1874 : l'autlientieité de ce diplôme est très-contestable.) ' Semichon, La Trêve-Dieu. Tome XXXVIII. 3 18 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMI^EL dans le diocèse de Liège pendant le règne de Henri de Verdun. La loi de trève-Dieu de 1082, dont le texte précis ne nous a pas été conservé, mais dont les principales stipulations nous sont connues, fut comme le premier effort national pour arriver à la renaissance de Tordre légal en Lotharingie '. « Dans tout le diocèse de Liège, disait-elle d'après Gilles d'Orval, personne, » hormis les voyageurs, n'auia le droit de porter des armes depuis l'aurore 1) du vendredi jusqu'à celle du lundi de chaque semaine, ni pendant l'espace » de temps compris entre l'Avent et l'Epiphanie, la septuagèsime et l'octave » de la Pentecôte. La paix sera en outre observée lors de toutes les fêtes » propres au diocèse, et lors de toutes celles que célèbre l'Église univer- » selle, notamment le jour de la fête de Saint-Lambert, le jour de la fête » de la Dédicace, deux jours avant et doux jours après ces solennités, pour ») que ceux (jui s'y rendent et ceux qui en reviennent n'éprouvent aucun » empêchement à satisfaire leur dévotion. Il sera permis de porter des ») armes pendant les jours des quatre-temps, mais la paix devra être aussi » rigoureusement observée que dans les temps de désarmement général. Il » sera absolument défendu pendant les jours ou les temps de paix de com- » mettre des incendies, des rapines, des violences, de frapper quelqu'un » juscju'à le tuer ou jusqu'à lui briser les membres, soit avec une épée, soit » avec un bâton, soit avec toute autre ai-me; l'homme libre qui contrevien- » dra à cette défense sera privé de son fief, dépouillé de ses biens, el chassé » du diocèse; l'homme de condition servile subira l'amputation du poing -. » C'est à l'occasion de cette loi que les princes lotharingiens constituèrent le célèbre Tribunal de la Paix dont nous aurons plus d'une fois à nous occuper. A i)eine Henri de Veidun avait- il réussi à faire accepter la trhr-Dieu de Li('f/e,(\nc son métropolitain Sigewin, archevêque de Cologne , promulgua en 10H3 une loi de trêve analogue. Nous en faisons mention ici, parce que la loi dite : la Paix de Cologne, avec le juramentiim pacis Dei qui y est annexé, jettent un joui- très-vif sur la nature de la loi de trêve-Dieu de Liège elle-même ". Ces lois de paix ou de trêve-Dieu, en elVet, avaient des ' l'ipi Li.KT, 1" Mi-moirc sur le didil p('iwl cité, pj). fifi et siii\:\iilcs. - Kii.NST, ouv. cité, l. Il, |). lo8. Namèciie, Cours d'histoire nalionair, t. V, p. S7'2, etc. ' l'oii.i.ET, 1'' .Mémoire sur le droit pénal cité, pp. (J'.)-70. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 19 caractères tout particuliers. Leur autorité reposait non pas tant sur le droit des princes que sur le consentement et sur le serment de tous les hommes puissants du diocèse. Elles restreignaient , sans l'abolir, le droit de guerre privée. Elles n'étaient pas à proprement parler de véritables lois criminelles : elles ne frappaient qu'un petit nombre de faits, et les punissaient tous de la même peine, parce que tous violaient au même degré cette paix que les législateurs avaient voulu sauvegarder dans certaines limites '. Néanmoins les efforts généreux des évêques semblèrent réveiller l'Empire. Celui-ci avait conservé des traditions vivaces d'ordre et de légalité et des idées de progrès, mais il avait vu son action s'affaiblir. Il profita de Tinitia- tive prise par l'Église et il entra de nouveau en lice, en commençant par s'appuyer sur elle. Dès 1 085, l'empereur Henri IV, mediante tam clero quam populo paci con- sentientilms, promulgua la paix-Dieu de Mayence, presque calquée sur la paix de Sigewin. Celte constitution ordonnait de garder la paix des jours sacrés avec tant de rigueur que ceux mêmes qui assiégeaient un château devaient, pendant sa durée, suspendre leurs attaques. Elle confirmait le droit d'asile des églises et des cimetières, dans les limites que Charlemagnc lui avait assi- gnées. Elle plaçait les marchands, les laboineurs, les femmes et les clercs sous la sauvegarde d'une i)aix perpétuelle. Elle allait même plus loin que les fragments incomplets que nous possédons de la paix de Liège, dans les res- trictions apportées au droit de vengeance et aux guerres privées. L'empereur y déclarait, par exemple, que le foyer domestique était un lieu absolument sacré. Quiconque attaquait une maison devait subir la peine de mort; qui- conque, fuyant son ennemi, se réfugiait soit dans son enclos, soit dans l'en- clos d'autrui, était en sûreté; quiconque, enfin, avait l'audace de blesser son ennemi par-dessus une clôture^ devait encourir la section de la main -. En 1103, Hemi IV essaya derechef, à Mayence, d'édicter une nouvelle consli- tutio pacis Dei. Celle-ci confirmait encore la paix perpétuelle du foyer domes- tique : « Si vous rencontrez votre ennemi sur la voie publique, et que vous ' Poui-LET, 1" Mémoire sur le droit pénal eité, pp. G9-70. 2 Pertz, Lcgura, t. II, pp. 54 et suivantes. 2U ESSAI SLR LHISTOIRE DL DROIT CRIMINEL » ayez la puissance de lui nuire, faites-le; mais, s'il se réfugie dans la » maison ou dans l'enclos de quelqu'un, ne le touchez pas! » En même temps, elle comminait des peines contre les voleurs : la tonsure et le fouet, si le corps du délit était de minime importance ; Wweuylemenl et la section de lu muin, si le corps du délit valait plus de cinq sous '. L'activité législative et l'énergie d'action de l'Empire s'accrurent avec l'avènement de l'altière et ambitieuse maison des Holienstaufen. Tandis que les prédécesseurs des ducs de Souabe et de Franconie s'étaient toujours plus ou moins appuyés sur l'Église pour faire accepter leurs décrets, les Hohen- staufen entreprirent de réformer les mœurs germaniques par l'exercice de leur puissance propre. Frédéric I'"'' publia quatre constitutions principales qui se rapportent au droit criminel : celle de Roncaglia de il 54, celle de Bresse de 1158, celle de Ratisbonne de 1168, celle de Nuremberg de 1187. Le but qu'il voulut atteindre était radical : l'abolition des guerres pi'i\ ées. Mais lui-même , dans la dernière de ses constitutions, fut obligé de transiger avec les mci-urs et avec les habitudes des populations de l'Empire. Nous le verrons plus loin. A Roncaglia, en présence de l'évèque de Liège et du duc de Brabanl, et avec leur participation, l'empereur ordonnait que la paix publique serait respectée dans l'Empire ; que ni les villes, ni les pai'ticuliers ne se feraienll a guerre sans son ordre ; que les violateurs de la paix seraient punis de fortes peines pécuniaires, et subsidiairement d'un exil à cinquante mille pas hors de la patrie germanique -. A Bresse, l'empereur traçait im règlement d'ordre intérieur et de paix pour l'armée allemande réunie autour de lui '\ A Ratis- bonne et à Nurendjerg, enfin, il portait des décrets détaillés qui méritent de nous arrêter un instant. La constitution de Ratisbonne, dite de pace tenendu, était destinée à être envoyée à tous les archevêques, èvèques, ducs, marquis, comtes et autres vassaux du Saint-Enq)ire, pour qu'ils eussent à en faire observer la teneur. A part un ordre donné par l'empereur à tous les sujets de la Germanie, ' PtiiTz , Lc^'uiii II, |). 60. ■■f GoLUAbTus, oiiv. cité, t. III, |). 325. 5 Idem, t. I", |). 268. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 21 regia auctorUale, d'observer la paix si nécessaire et si longtemps désirée ; cette constitution était une véritable loi criminelle. En voici les dispositions principales. L'homicide d'un homme placé sous la protection de la paix, et commis hors du cas de légitime défense , était puni de mort. Les blessures entrainaient la section de la main, à moins qu'elles n'eussent été infligées en se défendant ou dans un duel judiciaire. Les coups de bâton, l'acte de tirer quelqu'un par les cheveux ou par la barbe, étaient réprimés par de fortes amendes; les coups simples, par une amende de moitié moindre. Les brigands publics et leurs complices devaient subir le dernier supplice; les voleurs devaient être pendus s'ils avaient pris un objet valant plus de cinq sous, sinon être battus de verges. En cas de flagrant délit ou de crime notoire , le juge ne pouvait admettre l'accusé à faire une preuve négative de justification, mais il devait incontinent appliquer la peine. En dehors de ces deux cas, il lui était permis de laisser les accusés se justifier par le serment, la production de conjurateurs, les ordalies ou le duel judiciaire. Un chevalier, miles, devait produire trois conjurateurs de son rang; le serf devait en pioduire sept ou se soumettre à une ordalie. Le cham|) clos n'était ouvert (|u'aux hommes capables de prouver une origine cheva- leresque et légitime. L'accusé contumax, enfin, était menacé de la confis- cation de son mobilier, et de la transmission immédiate de ses immeubles à ses héritiers '. Nous disions plus haut que le but de l'empereur avait été l'abolition com- plète des guerres privées, mais, qu'à un moment donné, il avait dû tiansiger avec les tendances invétérées et avec les ftiits existants. C'est la constitution de Nuremberg qui constate le mouvement de recul opéré par l'empereur. Cette constitution admettait le droit de guerre privée; elle en entourait l'exer- cice de certaines formalités ; elle y inqiosait des linn'tes précises ; elle cher- chait surtout à empêcher les abus qu'on en faisait. L'enq)ereur, par exemple, proscrivait l'incendiaire qui avait mis le feu à la maison d'autrui , soit pour satisfaire sa vengeance, soit pour satisfaire celle de ses parents ou amis; mais il ne déclarait pas coupable celui qui, dans une guerre ouverte et < Libri feudorum II , titre XXVII. 22 ESSAI SIR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL déclarée, brûlait le cliAtcau de son adversaire. Il reconnaissait à riioninie libre le droit de faire la guerre à son ennemi, à condition de dénoncer les boslilités au moins trois jours d'avance et de faire porter son défi par un iiénail. Il proclamait que ce liéraut était inviolable : (juiconque le maltraitait, encourait les peines de Vinfraclinn à la paix \ Ces deux constitutions, et sur- tout la première d'entre elles, celle de Ratisbonne, sont d'autant plus inté- ressantes pour nous que leur esprit pénétrait encore le droit liégeois du XIII' siècle. Nous aurons l'occasion de nous en convaincre dans les chapitres suivants. Jusqu'ici nous n'avons parlé que de monuments législatifs émanés du chef de l'empire et de la trève-Dieu de Liège, loi commune à tout le diocèse. Arrivons aux monuments primitifs du droit liégeois proprement dit. Ce furent les clercs du pays, et suitout les chapitres des églises collégiales de la ville de Liège, qui virent les premiers leurs droits et leurs privilèges spéciaux consignés dans des actes écrits -. En 1107, l'empereur Henri IV, se trouvant à Liège, se fit présenter d'antiques />mv%es écrits qui leur avaient été octroyés par ses prédécesseurs, et, de l'aveu et en présence de l'évêque Otbeit , il les confirma en les amplifiant pour l'avenir '\ La charte impériale exempte de la juridiction séculière, forensis potestas, non-seulement les membres mêmes des chapitres , mais encore leurs bénéfi- ciers, leurs clients, leurs domestiques et les officiers de leurs domaines *. Elle limite les droits de juridiction de l'échevinage de Liège dans la Sauvenièrv qui appartient à la cathédrale ; règle l'étendue de la franchise des maisons caiioiiicales; prend enfin quelques dispositions par rapport à la preuve en matière criminelle. Ces privilèges, dont l'observation était souvent difficile, donnèrent lieu à de frèipients conflits. Nous en signalerons deux qui s'élevèrent dans le cours du XlIP" siècle, et dont il reste encore aujourd'hui des traces diplomatiques. ' Lihri fiuilnrum II , lillT LUI. - Nous iiarlcrons plus loin d imo cliiiric politique de Tlicodiiin de 1070. 5 CiiAi'E*vii.i.E, t. 11. p|). L)4-5o. — PoLAiN Cl Raikem , Coiiliiiiics (ht pnya de Liège, t. I", p. ô53. * < Villicus etomncs officiales niinislri de villis cjus. > DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 23 En 124.4, le niaieur et les échevins de Liège avaient condamné un forestier de la cathédrale à Fragnée, et le chapitre cathédral, défendant ses immu- nités, les avait excommuniés de ce chef. L'évêque de Liège, Robert de Lan- gres, intervint. Le 20 mars 4244, il défendit aux échevins d'exercer leur juridiction sur les officiers et sur les fonctionnaires du chapitre, qui en étaient exempts en vertu des privilèges impériaux. Le même jour il les releva, du consentement du chapitre, de Texcommunication qu'ils avaient encourue. En revanche, dix jours après, il révoqua la sentence qu'ils avaient portée contre le forestier '. En 1252, la querelle recommença pendant le règne de Henri de Gucidre. Le valet d'un chanoine porta un coup, qu"on crut mortel, à un bourgeois, et il s'enfuit aussitôt dans le couvent des frèm mineurs. Le maieur et les éche- vins essayèrent de s'emparer du valet, en dépit des immunités ecclésiastiques, mais ils furent repoussés par les religieux. Ne pouvant ainsi s'assurer du corps du coupable, ils le forjuyèrenl de son honneur. La sentence était nulle de divers chefs, et, en particulier, parce qu'elle violait la charte de 1 107. Guil- laume, roi des Romains, intervint directement. Après une enquête régulière il annula la sentence |)ortée contre le \alel, icndit à celui-ci son hoimeur, et ordonna à réchevinage de Liège de le lui rendre également. L'èvèque, de son côté, demanda aux échevins réparation du grief (pi'ils a\aient fail à son Kglise. Dans ces circonstances, les échevins conunencèrent par refuser obéissance à l'évêque et à l'empereur. Mais, à la suite d'une grande sécession des clercs et d'un interdit de plusieurs mois, le magistral céda à l'inlei-vention du comte de Gueidre. « Les esquevins ont jureit et encore jureront que des » familles à canoines ne jugeront jamais. » Ils accordèrent aux églises une réparation pécuniaire; et les bourgeois, qui les avaient soutenus, se soumi- rent à une amende honorable -. Par un diplôme de l2o3 Henri de Gueidre confirma, à l'occasion du dernier conllil, les privilèges du chapitre supérieur et de toutes les églises secondaires de Liège, s'engageant en même tem|)s à ' ScHOONEROODT, ouv. cité, 11°' 184, 185, 186. - BoRGNET, Lij Mireur des Ifistors ou Clironique de Jean d'Outrenieuse , t. V, pp. 50:2, 507, 309. — CiiAPEAViLi.E, t. II, p|). 280, 281, Cliroiiiiiuc de llucscin. — Schoo.\biioout, ouv. cilé, actes n"» 245, 240, 247. 24 ESSAI SLR LHISÏOIIIE DU DROIT CRIMIPSEL prendre, |)oiir Fin oiiir, des mesures préventives pour que niaïeur et éclievins les respectassent '. Par un diplôme de 12oi Guillaume, roi des Romains, accorda une confirmalion analogue 2. Vers l'année 1275 il y eut une difficulté nouvelle, mais nous n'en con- naissons pas les détails. D'après la teneur d'un diplôme de 1 273, 21 octobre, on doit croire (|ue cette lois c'était révê(|ue lui-même qui contestait l'étendue des exemptions des chapitres. Cet acte constate, en effet, que le cardinal L'bert s'est rendu à Liège pour aplanir un différend élevé entre l'évèque elles chanoines des églises liégeoises, relativement aux libertés dont doivent jouir les serviteurs de ces derniers, et que l'évèque a fini par promettre, en pré- sence de plusiem-s chanoines, qu'il n'empêcherait pas le maïeur et les échevins de Liège de jurer l'observation des libertés et des privilèges accordés à ces serviteurs, et que même il leur ordonnerait de faire ce serment ^. Les églises liégeoises ne s'étaient pas bornées, en 1273, à invoquer l'inter- venlion du saint-siège. Dès le 10 septembre delà mémo aimée, elles avaient obtenu de l'empereur Rodolphe une sentence confirmativc et amplificative du diplôme de 1107 ''. Nous verrons i)lus tard comment, à la fin du XIII*' siècle, certains privi- lèges des valets des chanoines furent restreints par un concordat intervenu, d'autorité de l'évèque, entre les églises de Liège et la Cité. Pour le moment, faisons un pas en arrière, et parlons des actes écrits concernant les libertés des Liégeois de l'ordre séculier. Le premier de ces actes écrits est le privilège dit d'Albert de Cuyck, que l'opinion la plus conmume rapporte à l'année 1198, bien que certains auteurs veuillent en faire remonter l'existence jusqu'à l'année 1124, à l'èpocpie d'Adalberon''. Nous ne nous arrêterons guère à la controverse que soulève la date de ce diplôme. D'une part, il est certain que le premier privilège écrit ' Amplissima collectio, t. I", pp. 1317-1518. - Pi)i,Ai> cl Raikem, Cotilitmes du paijs de Liège , l. I", p. 353, en note. ■> SciiooMiiioDDT, ouv. cilé, ;\cli' ii" ô'il. Lolviikx ihiiis sa Disserlaliou canonique, n" .\, parle hcaticoiip lie ces privilèges des varlels des cliaiioincs. * l'oLAix et lUiKEM , Coiilitmes du paya de Liéye, l. l", p. 3u7. — Ciiapeaville, t. II , p. 304, ele. '■> Wiioi.wii.i, , ouv. eitc, p. 73, en note. — Raikesi, Dixours de I8G"2, pp. 29-34. — He.naux, ouv. cilc, p. 74 ; ro|iiiiiiHi de ce di'ruicr iuilcur esl eonibaltue avec un plein succès par M. VVIiol- DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 23 des Liégeois nous est seulement connu par la confirmation qu'en a faite l'em- pereur Philippe, le 3 juin 1208 K D'autre part, il est évident qu'avant la fin du XIP siècle la ville de Liège avait des privilèges stables et reconnus. Voici quatre preuves dont le concours est péremptoire pour justifier notre assertion : 1° Dans un diplôme de Frédéric I'"', de 1152, nous trouvons la phrase suivante : « privilégia civitatis, et claustri vestri, gloriosorum regum atque » imperatorum gratia vobis indulta 2; » 2° En 1066, l'évèque Théoduin accorda à la ville de Huy des privilèges dont le texte ne nous a pas été conservé; et comment supposer que la puis- sante ville de Liège se fût laissé devancer dans la voie de la liberté régu- lière par une localité de moindre importance ^; 3" En 1172, le comte de Looz donna à sa ville de Brusthem des droits qu'il résumait en ces termes: « La loy, droit, franchise et liberté de Liège, » ainsi que par les plus sages et i)rudents hommes de Liège, et ossy par nos » chers féaux avons apprins. » Donc les privilèges liégeois étaient déjà assez étendus pour être enviés, et assez stables pour pouvoir servir de modèles ■*; 4" Les termes dont se sert l'acte de 1208 sont décisifs. En mettant sur la même ligne les coutumes et les libertés, les franchises et les droits, cet acte se réfère évidemment à un état de chose préexistant'". Quoi qu'il en soit, le diplôme dit d'Alboit de Cuyck est de la plus haute importance au point de vue du droit criminel. Il constate que la juridiction synodale ne peut s'exercer sur les Liégeois (|ue dans certaines limites; il ren- ferme des stipulations relatives au duel judiciaire et aux ordalies; il reconnaît qu'un bourgeois de Liège ne peut pas être, contre sa volonté, atti-ait devant will. — Dans les Coutumes ihi juii/s de Liécje, t. I", p. 370, MM. Poliiin et Riiikcm élucident la quesiion de raiitlicnlkiu' de diplôme. ' Coulunifs du pays de LIi'çic, t. I", |). ."(ii. — Ce di|)lome a élé confirmé par Henri VII le 9 août l'230, par Albert d'Aulriclu- le 2 driciiiliiv t"298, parSigismond le 9 février i41b,ele. 2 WiiOLWiLL, ouv. cilé, p. 75, un note. — Le lexle du di|)l(jnie se trouve en entier à la fin de l'opuscule. ' Chapeaville, t. II, p. 3. * BiiUel!ii archéoloijique l!i''(jeois, t. VII, 3"" livraison, p. 49. " Cuututtics du pays de Liège, t. I", p. 371. — Raikem, Discours de 1862, p. 50, etc. Tome XXXVIII. 4 26 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL une plus haute juridiction que celle des échevins présidés par le niaïeur; il iléroiul la confiscation des biens; il trace (|uelques règles en matière d'arres- tation préventive, de citation, de visites domiciliaires; en un mot, il reconnaît aux bourgeois de Liège une liberté civile complète, et donne naissance au célèbre axiome de droit public de la principauté : « povre homme en sa » maison roi est ! » La charte de 1208 ne concernait à Torigine que les bourgeois cilains, c'est-à-dire les bourgeois nés dans la Cité ou franchise de Liège. Les échevins de la ville conservaient par tradition la connaissance des limites de celle-ci. Ce lut seulement en 1343, par la lettre de Saint-Jacques, dont nous parle- rons plus loin, que les droits des bourgeois citains furent conférés aux habi- tants de la banlieue '. Il est indubitable que les villes de la principauté de Liège possédaient déjà, au XIII" siècle, un ensemble de privilèges locaux analogues aux privilèges de la cité. Nous savons que, en 1066, Théoduin avait accordé une charte à la ville de IIuy.En 1231, l'empereur Henri VI renouvelait en termes généraux, non-seulement tous les droits et tous les privilèges de Liège et de Huy, mais encore ceux de Dinanl, de Saint-Trond, de Tongres, de Fosses et de iMaes- tricbt -. En 1331, Adolphe de la Marck, accordant une charte à la ville de Ciney, rap|)olait qu'un de ses prédécesseurs. Aubiers ^, avait accordé à Ciney les privilèges dont jouissaient Liège, Huy, Dinant et Tongres *. Chose étrange, cependant, depuis 1208 jusqu'au dernier quart du XIII'' siècle, nous trouvons à peine, parmi les documents liégeois, un seul diplôme qui s'occupe directement des institutions répressives séculières. Ce diplôme est une charte accordée en 1241, par Robert de Langres, au village de Revoigne; il renferme un tarif de pénalités en matière de violences contre les personnes '■'. Dans tous les autres documents de cette période, le crimina- ' Patron de la Temporal iteii , pp. 'îGG-ôKi. — Mean, Observation n° 514. — Raikem, Dis- cours de 18C2 , pp. 57, 58, 5!t, 40, elr * Jeun d'Outremeute , I. V, p. :2GI. 5 Sans doute Aliiert de (lux ck. * BoncNET, Curlulaire de Cinei/, p. .\x. •' Warnkô.mg, Deitruge ziir Geseliichte und Quellenkiiude des Lutticlier Geirohnheilsreclits, 18S4, p. 1 10. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 27 liste doit se borner à glaner une ligne, une phrase, un mot, un fait. Nous nous bornerons donc à citer ici, sauf à en faire usage dans les chapitres sui- vants : 1" La charte de Brusthem, dont nous avons déjà fait mention, qui s'occupe de la confiscation des biens, pour en interdire l'application, et de certaines preuves en matière criminelle; 2° La charte de 1212, accordée par Hugues de Pierrepont aux bourgeois de Saint-Trond, à propos delà juridiction synodale '; 3« La charte de Hasselt, de 1232, par laquelle le comte de Looz donne aux bourgeois de cette ville : « idem jus, eamdom libertatom quod et quam » habet civitas Leodiensis in omnibus et per omnia tam de jure quam de » consuetudine -; » 4° La charte de Beeringen de 1239, par la(|uclle le comte de Looz donne aux bourgeois de cette localité : « idem jus et oamdcm libertatem, quod el » quam civitas Leodiensis dinoscitur obtinerc"'; » 5" Un accord intervenu en 1259 entre le chapitre de Saint-Lambert et la communauté de la ville de Liège, à propos de Vimmunité des degrés de la grande église qui conduisaient du portail au marché^; 6° La lettre des Vénales de 1261, qui est une bonne ordonnance relative à la vente des denrées alimentaires dans la ville de Liège, contenant cer- taines stipulations pénales et consacrant des mesures curieuses en ce qui con- cerne rexéculion des [)eines ''' ; 7" La paix de Iluy de 1271, qui laisse déjà entrevoir que le chapitre cathédral deviendra le gardien de l'ordre légal du pays^'; 8° La paix de Bierset de 1236, qui consacre formellement le droit qu'a ' WaRiMvONig, Dellri'uje, clr., p. 128. 2 NVAnNKÔMG, ibiihm, p. III.— 11 iTsiillc de ces cliarles de liccringen, Hn.sselt, Brus- them, etc., que, dès le Xlll'' siècle, les villes lossaiiics suivaient le droit et les coutumes lié- geoises. ' k. WAUïEns, ouv. cité, p. lia. * Jean iVOiiIremeiise , t. V, p. 261. " Idem, ibidem, p. 293. 6 Henaux, ouv. cité, p. 98, en note. — Wholwill, ouv. cité, p. 94.. 28 ESSAI SUR LillSTOIRE DU DROIT CRIMINEL l'évèquc de faire rendre sentence par les échevins de Liège hors des limites de la franchise '; 9" Die oude caerle van Macstricht de 1283, destinée à régler les droits respectifs de Tévéque de Liège et du duc de Brabant, dans la ville, et conte- nant (|uol(|ues particularités à propos des peines en usage -; 1 0" Une convention intervenue en 1 283, entre les mêmes princes, à propos de la poursuite des malfaiteurs sur les frontières de leurs domaines, etc. ^. Si maintenant on jette un coup d'o^l d'ensemble sur les faits que nous avons rappelés, et sur les monuments législatifs dont nous avons donné une briève analyse, on se rendra facilement compte des caractères du droit cri- minel liégeois dans les trois premiers quarts du XIII« siècle. Tous ces édits impériaux et tous ces diplômes spéciaux, — àsui)poser même qu'ils eussent été acceptés par la pratique, et (]u'ils fussent restés simultanément en vigueur, — étaient loin de constituer un cor[>s de droit capable de diriger les justices séculières dans rexercice de la juridiction répressive. Ces édils généraux et ces chartes locales visaient des points particuliers. Ils édictaient quelques peines; ils pronmlguaient quelques principes isolés; ils réglaient quelques formalités de procédure; mais, placés les uns à côté des autres, et pris dans leur ensemble, ils ne formaient ni un Code pénal, ni un Code de procédure, ni un corps de doctrines oflrantaux juges les principes généraux du droit de punir. Par la foice même des choses le droit criminel liégeois des trois premiers quarts du XIII'' siècle était tiaditionnel et coutumier. Ses règles et ses pré- ceptes étaient wanics par les échevins des cours de justice territoriale, par les hunnHcs fvodaax des é\èques, mais surtout par les échevins de Liège, qui se transmettaient de généi-alion en génération le dépôt des Iradilions anli(|ucs. ' Jvun d'Oulremcuse, I. V, p. :23G. - WAlINKÔNir. , OIIV. ciic, p. \i[). ^ llouiN, llcciiril (les ('(liis lie Loiivrcx, i. l", |). 159. — Mean, Observation n° 3"j7. — Haikesi, Discours lie 1847, p. 20, etc. — Celle énuiiiénilioii n'esl pas (■oiii|)lclc. Nous l'ciHoiili'i'roiis, d:ms le cours du chapiti-c suivant, une foule d'autres docuniinls du XIII' siècle. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 29 L'écheviiiage de Liège, disait Hemricoiirt, « chest ly une des estoilles par » laqueil la dite citeit est plus enluminée et authorisée; chest ly fontaine là » chescun prent sens et régiment sans ly amenrir; chest ly candelle là » chescun prent lumier de doctrine, car par ledit chief sont doctrinées plus » de ti'ois mille cours de hauteurs, sans les cours jurées et autres basses » cours dont il n'est point de nombre K n En effet, les échevinages du plat pays, qui avaient une peine extrême à connaître les rétroacls de la jurispru- dence coutumicre, recouraient à l'envi à Pe^périence des échevins de Liège, par la pratique de la rencJuirye que nous expliquerons |)lus loin. Les règles de droit, (|ue warihiient les èche\ins de Liège, étaient forte- ment imprégnées de traditions Burhures - et surtout liipnaires. Elles se ratta- chaient aux anciens capitulaires des rois Francs, ainsi qu'aux constitutions et aux édits plus récents des empereurs de Germanie. Leur ensemble portait le nom célèbre de loi Charlemayne ^. D'où venait ce nom? L'ancienne tradition populaire, acceptée même par Bouille et par Louvrex, voulait que le grand empereur d'Occident eut donné lui-même aux bourgeois de Liège leurs lois et leurs privilèges *. Aujoui-d'luii, on n'oserait plus soutenir un aussi formidable anachronisme. Mais, comme le dit M. Raikem, le souvenir vivace de Charlemagne, ([ui habita souvent le pays de Liège, et surtout les traces nombreuses des lois fran(|U('s qu'on retrouve dans l'ancienne jurisprudence du pajs, ont pu accréditer la tradition ''. Cependant, une jurisprudence uniquement basée sur cette loi C/turlemagne tradilionncUe , était nécessairement mobile et incertaine. Les justiciers avaient parfois intérêt à nier ou à obscurcir les précédents coutumiers,, pour avoir le moyen d'agir avec plus de liberté; les échevins, eux-mêmes, ne résistaient pas toujours à la tentation de se guider d'après leurs vues personnelles plutôt que d'après les anciens usages ^. Ni les uns ni les auti-es n'étaient arrêtés ' Patron delà Tciirporaliteil , p. :2(i7. ^ Nous employons le mot Barbare dans le sens (ju'il a dans la lociilion : Lois Barbares. ^ Haikem, Disioui's de 1851, 1857, etc. * Bouille, t. l"', p. 44. — Luuvuex , Dissertations historiques. '•' Raikëm, Discours de 1857, p. 47. •' r. de Fontaines cite par M. Raikem dans son Discours de 1831, pp. 17, 18, et Coutumes du pays de Lihje, 1. 1", p. 13. 30 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL par la barrière qirôlèvc contre l'arbitraire un texte de loi formel , connu de tout le monde, et placé sous la sauvegarde de rinlérèt général et de ropiniou pul)li(|iie. On pont même dire que Fincertitude des traditions juridiques était un véritable élément de despotisme en faveur des classes dominantes. A Liège, notamment, un corps d'éclicvins inamovibles, seul gardien et seul interprèle d'une loi qui n'était écrite nulle part et qui n'était pas connue de la masse, dominait étroitement cette masse et parfois imposait son joug à Tévéque lui- même. Au temps de Henri de Gueidre, dit Jean d'Outremeuse , les gens de la commune * à Liège, même quand ils étaient ricbes et quand ils avaient des amis, osaient à peine parler aux gouvernants de la cité. « Ils eétoyent » tenus desous pies en servage des esquevins et des nobles et des clercs » - ; et si les clercs étaient indépendants, si les nobles gouvernaient, les échevins étaient seigneurs ^. Le besoin impérieux d'avoir des règles écrites de jurisprudence se faisait donc sentir à Liège, au XIII'' siècle, comme dans les autres pays lotbarin- giens, comme dans les comtés du nord de la France ^. Les classes inférieures, s'avançant de plus en plus dans la voie de la liberté, ne se pliaient plus que dillicilement à une incertitude judiciaire qui pesait sur leur vie entière. Leur puissance, surtout dans les villes , grandissait au point de devenir menaçante pour l'aristocratie. Elles se plaignaient du peu de protection que leur accor- daient les traditions de droit criminel en vigueur ^. Il importait de donner satisfaction à leurs griefs les plus saillants. On comprit qu'il était nécessaire de dresser une sorte de Code pénal régulier, qui protégeât en même temps les ricbes et les pauvres, les petits et les grands, les forts et les faibles, dans leurs relations mutuelles, et de mettre ce Code pénal à l'abri de tout arbiti'aire. Dans la ville même de Liège un élément particulier compliquait la situa- ' C'cstii-dirc les gens de classe inférieure. * Jeun d'Oiitirmeiise, I. V, ji. 278. ' Idem , iliidcm , p. 205. * Raikem, Discours de iS.'il, |)|). 17, IS, dnprès P. de Fontaines, Bcaumanoir, clc. — Voir en outre Poiii.i.i;T, l''' Mcuiuirc sur le droit pénal cité, pp. Si), 8(1 et suiv. 'i. lIocsK)! dans Ciiapeaville, passiin , et entre autres t. II, p. 281. DAINS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE 31 tion : c'était rimmunité dont jouissaient les serviteurs ou, comme on disait, la maisnie des chanoines. Les bourgeois supportaient difficilement cette immu- nité. Ils voyaient avec déplaisir une catégorie de laïques, vivant côte à côte avec eux , en rapports journaliers avec leur domesticité propre, échapper à la loi commune et à l'action répressive du magistrat local , grâce à des pri- vilèges exorbitants du droit commun de l'époque elle-même. C'est de l'en- semble de ces faits que naquirent à Liège, à la fin du XIII" siècle, les deux lois muées, quelques articles de la paix des clercs, ainsi que les premiers essais de rédaction du PuweiUiars aux articles dont nous allons parler. Après la mort de Jean d'Enghien, Jean de Flandre, fils de Gui de Dam- pierre, avait été élevé sur le trône de la principauté. « Ilh fut hardis et cora- » geux, » au dire de Jean d'Outremeuse, « et docteur en decreis et saiges )) de sens natureis et acquis, et fut béais bons et graticux '. » Jean de Flandre donna en 1288 des statuts synodaux à l'Église de Liège, modérés le i février 1291 à la demande des seigneurs et des villes -; et ce fut sous son influence que s'opéra la première réforme de la loi Churlemagnc dont nous ayons la connaissance certaine ■'. Peu de tenq)s après son avènement, un grave dissentiment éclata entre l'aristocratie liégeoise, d'une part, et le clergé uni au peuple de la ville, de l'autre. Il s'agissait d'un iin|)ôt dont le produit devait être affecté à la Fer- meté, c'est-à-dire, à l'entretien des murs, des ponts et des chaussées de la ville, impôt que les lignages nobles et dominants voulaient introduire *. L'évèque prit le pai'ti du clergé et du peuple. Il se transporta à Iluy avec le personnel des églises de Liège et avec sa cour. Enfin, vers l'année 1286, il parvint à faire conclure la i)aix. Dans les négociations qui aboutirent à rétablir l'union entre les églises et la Cité de Liège, il ne fut pas exclusivement question d'arrangements finan- ' Jeun d'Outremeuse , t. V, p. 428. - Thésaurus tiovus uuecdolorum , t. IV, p. 850. — Coutumes du pays de Liège, t. 1", pp. 417-478. ' VVarnronig, oiiv. cité, p. 53, note 20, prétend que Jean de Flandre tira la toi muée des keiires flamandes. L'assertion est un peu hardie, au moins jirise dans sa généralité. * Celle querelle avait déjà été soulevée en 1233 et en 127G : Schoonbroodt, ouv. eité, actes n" 251, 232, 254, 524, 325, 52G, 527, 528, 553, 556, 340, 541, ete. 32 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL cicrs '. Bion au contrairo : on pril, de part pt d'autre, la grave et utile résolu- tion do sVnliMidir à propos dos ancionnes (piorollos do juridiction (pii avaient troublé les règnes de Robert do Langres et de Henri de Gueidre. Le résultat de ootle entente fut , au point de vue qui nous occupe : 1" La loi muée du vendredi avant la Saint-Laurent, 9 août 1286; 2° Quelques articles de la paix des clercs de Tannée 1287. La loi muée, d'après les termes mêmes de son préambule, était Tœuvre du cleriïé, représenté par le prévôt, les archidiacres, les doyens, et tout le chapitre de la grande et des « secondaires églises de Liège », et de la Cité, parlant par Torgane des maîtres, des échevins, des jurés et de toute la com- munauté -. L'évoque n'y intervenait que pour donner « consent et octroi » aux parties contractantes, pour confirmer do son autorité souveraine les sti|)ulations qu'elles avaient rédigées, et pour donner force obligatoire à celles-ci "'. La loi muée ne concernait pas le clergé lui-même. Elle n'était ordinée que « entre les variés de nous canones résidens en nos hosteils, et de nous » borgois de Liège et de nos maisnie résidens en nos hosteils ; » elle était portée pour le terme de cinq cents ans ; mais les parties contractantes avaient reçu de l'évoque le droit d'en modifier les dis|)ositions « par amendement » totes les fois que bon leur semblerait *. » Cette charte, que nous appellerons désormais la loi muée dos chauoiues , était divisée en vingl-huit articles. Elle ne prévoyait guère que les actes de violence contre les personnes : les injures, les menaces, les coups, les bles- sures, rhomicido, le rapt, l'infraction à la trêve, et, par occasion, le faux témoignage et les délits qui s'y rattachent. Mais, en revanche, elle traçait queUpios règles fixes en matière de procédure et de droit de grâce. La paix des clercs était rédigée dans les mêmes conditions. Ses articles 10, 17, IS, 19, 20, 21, 22, 23, 28,29,30, 31, 32, 34, 39, U, 45, < Un essai d'arhiU'agc cxlioua en 1285: Schoonbuoodt, oiiv. filé, acte n° Ô7'j; voir aussi l'aite 11° ")!»; 11° .)".».). î Cimliitiips du jiuijs (Iv Liège, t. I", p. 388. I,a date donnée par Waiinko.mg, p. ;J8 des fiei- /)(i(/e,est fautive. 3 « Kt iiiieloriteil li doiiiKin-. » * A ri. 28, in fine. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 33 concernaient les institutions répressives et le droit criminel. Elle reprodui- sait ou amplifiait quelques dispositions de la loi muée des chanoines. Elle créait un tribunal mixte pour intervenir dans les procédures criminelles dirigées contre les variés des canones qui avaient délinqué contre les bour- geois ou leurs serviteurs. Elle stipulait enfin le rachat de la Sauvenière, pour la faire passer dans le ressort de Téchevinage de la Cité K La promulgation des deux chartes dont nous venons de parler avait fait faire un progrès notable aux institutions liégeoises. Cependant il y avait encore un pas à faire : c'était de fixer et de corriger au profit des bourgeois eux-mêmes, et dans leurs relations mutuelles, ce que les coutumes dites la loi Charlemayne avaient de défectueux et d'incertain. Ce pas fut fait par la seconde loi muée du jour de la Saint-Denis de 1287 (octobre), que nous appellerons, pour la distinguer de la première, la loi muée des bour- <9 f/eoîs La loi muée des bourgeois, qui a été confondue par pres(|ue tous les auteurs avec la loi muée des chanoines, était faite sans le concours des églises, qu'elle ne regardait pas. Son préand)ule nous apprend à la fois et de qui elle était émanée , et à quoi tendaient ses rédacteurs. « Johans, par le grasce de Dieu, » évesques de Liège.... nous faisons savoir à tous que nous, parce que en » nostre citeit de Liège, parmy la loy qui anschienemont y corait, laqueile » est trop débonnaire et lègière, li plussieurs forlaisaienl plus de lègière, et » plus toist, et de leurs forl'ais par ccly loy n'astoicnt mie corrigiès si avant » que la peine s'estendoit ly maistres, esqnevins, jureis, et toute la » communiteit de nosire dite citeit de Liège, parlant que ils vuelenl que » enwelement et mesurabloment li malfaiteurs de leurs forfais soient si corri- )) giès et punit que li povres puist demorcr deleis le riche, et le riche deleis )) li povTCs ^, nous ont pryet que nous l'ordenances cons appelle Loy muée. ' Nous avons iravaillé sur le Icxlc de hi Paix des riercs tel qu'il est imprime dans Jean d'Ou- tremetise, t. V, p. 447. — Pour la qucslion de la Sauvenière, voir Schoonbroodt, ouv. eité, actes n°' âl2, 318, 356, 3;i9, etc., des années 1271, l'i73, 1280, 1283, etc. s Bulklins de la Commission royale d'histoire, 2"" série, t. 11, \). 177; notice intéressante de M. Borgiict. s Ce qui confirme ce que nous disions plus liaul des désirs des classes inférieures. Tome XXXVUI. S 34 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » que faite ont entre eaux, laquelle est contenue chi desouz vuelhinies gréer » approver et faire teniro '. » La loi muée des bouryeois ne liait donc que les habitants de la Cité de Liège, pour lesquels les maîtres, échevins, jurés, et la communauté avaient pu stipuler. Elle ne concernait ni les rarlcfi des cimunes , ni même les gens du plat pays à moins qu'ils ne vinssent délinquer dans la ville. Bien plus: par un respect un peu sauvage de la liberté individuelle, ses rédacteurs prévoyaient le cas où un bourgeois ne voudiait pas se soumettie aux disposi- tions légales nouvelles. Les personnes qui veulent sortir de la loi muée, disait l'article 32, doivent quitter Liège avec leur famille dans les trois jours où la loi commencera à courir, sinon « elles sont en la ditte loy quelle que part » qu'elle voisent. » Elles doivent encore s'abstenir de rentrer dans la ville et dans la banlieue tant que la loi courra, et même un an après, sous peine: pour les hommes d'ètr(; aUeints de leur lionneur. poui- les femmes d'avoir l'oreilite colpeit. Les maîtres, jurés, échevins et la communauté, en elTet, ne s'étaient pas engagés pour le terme de cinq cents ans. Ils ne donnaient à leur charte qu'une durée de cinq ans, sauf à la renouveler en temps et lieu si cela leur paraissait utile -. La charte dont nous parlons était divisée en quarante et un articles. Son esprit était absolument le même que celui de la loi muée des chanoines. Comme cette dernière, elle ne parlait ni du vol, ni de l'incendie, mais surtout'^ des violences contre les personnes. Comme cette dernière, elle traçait des règles de procédure et proclamait des principes généraux de droit répressif, mais seulement avec plus de ilétails et en plus grand nondjre. Plus (|ue celle der- nière, enlin, elle respirait une dureté très-grande à l'égard des afforains, et un respect profond pour la liberté du domicile, pour les droits et pour les intérêts des bourgeois. ' Couliiiin:s (lu jHiij.s de Likjv , l. \", p. Ml. * Nous ne savons si la loi muée des boiirgeain a rlr i-ciiouvclrc imur un nouveau Icrnic. Le |ii'i-;iinl)iilc des sliilnts de la cité de 1328 ponrniil faire croire (|iii' non, mais la Paix d'Aiigleur puurrnil taire eroire ([ue oui. •■■ Surtoul: car la toi muée des bourgeois prévoyait un certain nombre d'infractions dont il n'élait pas (|uestion daii> la lui muée des clHiiioincs. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 3S Nous n'insistons pas sur cette analyse, car nous retrouverons plus loin, en leur lieu, chacune des dispositions des deux lois muées et de la paix des clercs. Disons seulement que, dès 4302, le magistrat de Liège comprit que les dispositions de la loi muée des bourgeois et les traditions de la loi Churle- magne, qui avaient survécu, appuyées les unes et les autres sur les articles du privilège d'Albert de Cuyck, laissaient trop de latitude aux bourgeois délinquants pour échapper à la peine qu'ils avaient méritée. Le samedi après l'octave de la Chandeleur de 1301 (v. st.), les maîtres, échevins, conseil et jurés de la Cité réunis sur Suint-Michel ' rédigèrent donc un statut nouveau. Ce statut était fait pour mieux « corrigier les vilains faits qui sont advenus » et qui advinront. » Il est surtout important en ce qui concerne l'arrestation préventive et la franchise des maisons -. Ce que nous venons de dire nous conduit naturellement à parler des pre- miers essais de rédaction du Pmceilhurs aux articles. D'une part, les trois chartes de 1287 ne concernaient que le territoire de la Cité ou franchise de Liège j d'autre part, elles ne fixaient pas toute la jurisprudence, ni en matière de droit pénal, ni en malière de procédure , ni en matière de principes géné- raux du droit de punir. Puisqu'on voulait partout sortir de l'état d'incertitude judiciaire dans lequel on se trouvait, il était aussi utile qu'avant 1287 de recueillir par éciil les traditions de la loi Charlemugne, wardées par les échevins de Liège; celles-ci, par rapport à la Cité, comblaient les lacunes des dernières lois, et par rajjport au plat pays elles réglaient encore seules la jurisprudence dans tous les territoires sur lesquels les échevins de Liège exervaienl le droit de rencharge ^. On continua donc une œuvre vraisembla- blement commencée avant la promulgation des lois muées: la rédaction d'une sorte de recueil de cas Jugés. Ce recueil était le Puweilhars aux articles *. < Saiut-Miclu'l, dit un acte du XV= siècle « où les inaistres, li-s jurés, les conseils soy sou- >i loicrUasscniblier et cstre pour les besoignes de nous et de noslre citcit. » 2 Ce slalut se trouve dans plusieurs Puweilbars manuscrits, entre autres dans le Paweil- liurs B, des Archives de l'Étal de Liège, au folio 130 ". Il n'est pas imprime dans le t I" des Coutumes du paijs île Liège. 5 Cela ressort de la l'orée même des choses. Par la rvnrimrgc, les échevins de Liège appli- quaient une loi uniforme dans tous les villages qui s'adressaient à leurs lumières. 4 Raikeji, Discours de 1851, pp. 17,20, 22. 30 ESSAI SLR J.IIISTOIRE DU DROIT CRI.MI^EL Le Paweilliars aux articles n'est pas un nionunietit législatif, c'est une œuvre toute privée. On le doit sans doute aux clercs des échevins; mais il est certain qu'un éclievin de Liège, au moins, y a mis la main '. « Nous en fûmes » en débat » dit l'article XHI des extraits du PaweiUiars édités par M. Raikcm. Néanmoins l'importance qu'on attachait à ce recueil, l'autorité qu'on lui attri- buait à Liège , étaient considérables. Le nombre des exemplaires qui en exis- taient autrefois, et surtout la mention fiéquenle qu'en font les records des échevins, à titre de source juridique, le constatent à l'évidence. Les décisions que le Pciweilhurs aux articles contenait n'avaient pas force de loi; mais elles constataient la coutume, les précédents, et par là elles servaient naturellement à diriger l'échevinage, quand celui-ci avait à prononcer, soit sous forme de record, soit sous forme de sentence , soit sous forme de remharyo , sur un point quelconque d'organisation judiciaire, de compétence, de procédure, de droit pénal (pu' y était traité. Nous disions tantôt que la rédaction du Paiceilliars avait vraisemblable- ment commencé avant la lédaclion des lois muées : elle ne continua, cepen- dant, d'une manière suivie, que dans les premières années du XIV'' siècle "-. La terrible journée de la Mal Saint-31artin, du 3 août 1312, fit en elïel sentir la nécessité absolue de la compléter. Jusqu'en 1312, les échevins de Liège inamovibles, et pris dans un cercle restreint de familles aristocratiques, s'étaient assez facilement transmis, les vieux aux jeunes, et de génération en génération, le dépôt des principales traditions antiques. Mais, après l'écrasement des lignages, Adolphe de la Marck « mist des esquevins do Liège de comun peuple, en restitution de n cheaz qui mors estoicnt à Maie de S'-Martin; si translata le grand sanc el » nation des gens des mestiers ■'. » Par là, la puissance des souvenirs coutu- miers fut très-èbranlèe. Les nouveaux échevins populaires, étrangers aux usages de la cour, durent se mettre conqilétement sous la direction des rares anciens qui avaient échappé au désastre du 3 août, et parmi lesquels on cite : Jacques de Lardier, mort ' (loiiliiuieil ilit j)uij.s tie Liêjje, t. I", pp. lo, 17. - Idem, t. l", pp. 17, 18. * I*OLAii\, Histoire de rancien pays deLiétjv, l. U, [>. 8(5, en noie. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 37 en 1311, mais déjà cclievin en 1299; Gilles le Bel, éclievin avant 1310; et l'un (les Baré, mort en 1323, mais échevin avant 1302. On recueillit les souvenirs juridiques que ces vétérans de la jurisprudence puisaient dans leur expérience personnelle et dans ce qu'ils avaient appris de leurs devantrams. On apporta à cette œuvre ini soin d'autant plus minutieux que si les anciens mouraient, avant d'avoir complètement formé leurs nouveaux collègues, la chaîne des traditions aurait été brisée '. Les principales et les plus nom- breuses dispositions du Pnweilhars aux articles appartiennent ainsi à l'époque où Lardier, le Bel et les Baré siégeaient encore à l'échevinage. Après leur mort, on ajouta encore au recueil primitif des dispositions éparses; on y inséra les paix, les statuts, au fur et à mesure (|u'ils étaient publiés; mais ces ajoutes n'étaient plus le PaweH/iars aux articles. Celui-ci , avec les statuts et les paix des âges postérieurs, constitua le Paweilhars |»roprement dit, recueil des anciennes coutumes et des anciennes lois liégeoises, dont l'autorité ne fut renversée (jue par la publication de iM. de Louvrex -. Après cet exposé rapide de l'état des sources et des monuments du droit liégeois du XIII" siècle, nous pouvons aborder l'étude de ce droit en lui- même. Nous commencerons par présenter, dans le chapitre suivant, le tableau des institutions répressives proprement dites. ' Coiiliimes (lu paij.s île Lii'(jv, t. 1", |)]). lit, '■20. '^ lUiKEM, Discours de 1851, passi'U. 58 ESSAI SUR LHISTOIUE Dl DROIT CRIMINEL CHAPITRE II. DES INSTITUTIONS RÉPRESSIVES DU PAYS DE LIEGE, JUSQu'a LA PAIX DANGLELR ET JUSQi'a LA PAIX DE FEXHE. Les institutions judiciaires qui, dans Pancien pays de Liège, participaient à l'exercice de la juridiction criminelle, étaient, comme dans tous les Etats de l'ancienne chrétienté, ecclésiasti(pies et séculières. Les unes et les autres dépendaient |)lus ou moins directement de l'évêque : mais les premières à tilre (le clief du diocèse, les autres à titre de prince territorial et féodal. Sans laisser dans notre essai une grave et inexcusable lacune, nous ne pouriions passer sous silence les institutions judiciaires ecclésiastiques. Leurs décisions obligeaient politiquement et pouvaient, dans certains cas, être exé- cutées par le bras séculier. De plus, dans le pays de Liège, quelques-unes d'entre elles avaient, en matière criminelle purement séculière, le droit de concourir à la punition des df'liiKpiants avec les tribunaux laïques. Cependant nous serons bref en ce qui les touche. Nous ne consacrerons à l'étude de leur organisation et de leur compétence qu'un seul paragraphe. Une étude a|)pro- fondic nous eulrainerait invinciblement dans le domaine immense du droit canon, et allongerait notre travail dans des proportions considérables, sans profit réel pour la science. Les inslilulions judiciaires séculières, qui i-entrent complélement dans le cadre de notre travail, se divisaient de leur côté en institutions territoriales et inslilulions féodales. Celles-ci comprenaient des éléments simples cpi'il est |)ossible d'éludier dans un même paragraphe. Celles-là comprenaient deux éléments très-distincts, (lu'il impoi-le d'examiner séparément : un jus licier, qui avait pris la place des comtes et des centeniers de l'empire Franc; des jwjes, éclu'vins, dont l'influence formail un contre-poids nécessaire aux redoutables prérogatives des justiciers. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 39 Après avoir parlé des juridictions ecclésiastiques, nous étudierons donc ce qu'étaient les justiciers territoriaux dans le pays de Liège, d'abord avant le XII^ siècle, puis ensuite pendant le Xllh siècle lui-même. Nous parlerons ensuite des éclievins et de l'organisation des échevinages. Nous exposerons en quatrième lieu l'état des institutions féodales; nous traiterons en cinquième lieu de la compétence respective et de la compétence propre des tribunaux féodaux et des tribunaux territoriaux; enfin, nous nous rendrons compte de ce qu'était le tribunal mixte, introduit par la paix des clercs, pour intervenir aux procédures criminelles dirigées, dans certains cas, contre les variés des canones. § I. — Des juridictions ecclésiastiques. Les évèques du diocèse de Tongres avaient eu jadis pour auxiliaires dans l'exercice de leurs attributions ecclésiastiques, et des attributions temporelles que leur reconnaissait le dioit public de la monarchie Fran(jue, un certain nombre d'auxiliaires : des chorévéques , un archidiacre, un arc/ii/rrétre, etc. Mais, dès l'époque de Cluuicmagne, l'inslitution des cliorévèques était devenue chancelante, et on avait par là même senti le besoin d'augmenter le nombre des archidiacres. Par bulle du pape Léon III de Pan 799, le diocèse de Tongres fut divisé en huit arcbidiaconés, (pii portèrent bientôt les noms res- pectifs de Liège, Campine, Ilesbaye, Brabaal, llainaut, Famenne, Coudroz et Ardenne \ Les archidiacres étaient en généial nonnnés par l'évèque lui-même. Cepen- dant la dignité d'archidiacre de Liège fut très-tôt réunie à celle d'abbé de la principale église ou à celle de prévôt de la cathédrale. En 12:29, les dignités d'abbé et de prévôt n'en firent plus qu'une, et le prévôt de Saint- Lambert devint le premier archidiacre né du diocèse "-. D'après les capitulaires, l'évèque et l'archidiacre, et plus tard les archi- diacres, exerçaient les uns et les autres la juridiction ecclésiastique dans le diocèse. Les capitulaires parlent de l'audience de l'archidiacre et de l'au- ' Raikem , Discours de 1852, pp. 23, 26, 27 cl notes. 2 Idem, ibidem, |). 26, en note. 40 ESSAI SLR LIllSïOliŒ DU DROIT CRIMIiNEL dience de rév("'(|iic' '. PoiHhint le moyeu âge, les évèqucs de Liège continuè- rent à juger eux-mêmes, tant en matière civile qu'en matière criminelle, un certain nombre de causes qui rcssortissaient au for ecclésiastique. Ils tenaient même à cet eiïet, tous les ans, un grand synode f/cnéral , appelé plocituni c/iristiaiiifafis auquel ils convoquaient, outre les chefs de leur clergé, tous les nobles, sinon du diocèse au moins de la principauté. Ces réunions solen- nelles a\ aient toujours lieu dans une église de Liège -. Les arcbidiacres, de leur côté, continuèrent à tenir dans chaque grande division de leurs ressorts respectifs, au moins une fois par an , et aussi dans les églises, des réunions locales appelées synodes. Ils y appelaient, outre le clergé du concile ou doyenné, quelquefois les magistrats locaux, et toujours un certain nombre de |)aroissiens notables. Ceux-ci, sous le nom de j'iiyes synodaux, siégeaient autour de l'archidiacre et l'assistaient dans l'exercice de sa juridiction synodale '\ Les magistrats, quand ils étaient aj)pelés, débat- taient avec l'archidiacre quels accusés il fallait renvoyer au for séculier et quels accusés pouvaient être jugés par le for ecclésiastique '. Au XILet au XIII'' siècle, les fonctions adjuge synodal étaient obligatoires pour les personnes auxquelles l'archidiacre les conférait. La charte dite d'Albert de Cuyck dispense par priviléye les bourgeois de Liège de les exercer contre leur gré, dans les villages où ils avaient des pi-opriétés fon- cières ^. Insensiblement les archidiacres, bien que subordonnés de l'évêque, com- mencèrent une série d'enqiiétements sur les droits de celui-ci. Ils voulurent, entre autres choses, au Xllh' siècle, absorber en quelque sorte la juridiction épiscopale, et surtout se rendre propre celle qu'ils exerçaient connue juges délégués du chef du diocèse ^. Ces pi'étenlions donnèrent lieu à deux conséquences dilTérentes : à la créa- ' Uaikk.m, Discours de 181)^, p. 2ii. - Bulletin urrliculuyif/tic liégeois, t. IX. j))). 553, 541; Dakis, Notice sur l'abbave de Ueau- regard. ^ Kaikkm, Discours de ISÔ-J, p. ^.'i. — iloinN, oiiv.cilc, l. M, |i. (<• '' llouiN , loeo cilato. 5 Article 1). " lUiKiM, Discours de ISifJ, d'après Heeswvck, 1. Il, dissertation I", n" 10. DANS L'ANCIEIVNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 41 tion de juges ecclésiastiques nouveaux ; à la conclusion de concordats entre l'évéque et ses archidiacres. Les évêques, pour soutenir la lutte entamée, choisirent des officiers spé- ciaux qui, chargés uniquement de devoirs de judicature sans être absorbés par des soins multiples, pussent être toujours sur la brèche pour la défense de leurs intérêts et de leurs droits. Ils les firent essentiellement amovibles pour les avoir sous leur dépendance. Ces officiers prirent le nom iVofficiaux. Dans une charte de 1214, les offidales Leodienses apparaissent comme juges ecclésiastiques de Févêque de Liège \ Mais, dès Tannée 123o, il n'est plus question que d'un seul ofpcial, qui prend le nom iVoffirinl de Lmjc, qui exerce son autorité dans le diocèse entier, et qui est pi-is parmi les chanoines du chapitre de Saint-Lambert -. En même temps les évêques firent en l^oO, en 128S cl en 1289, leurs premiers concordats avec les archidiacres. Ils furent contraints de permettre à ceux-ci de se porter comme juycs ordinaires en nialière ecclésiastique; mais ils réglèrent soigneusement les cas dans lesquels leur propre officiai serait seul compétent, les cas dans lesquels lui et les archidiacres auraient le droit d'agir cumulativement, les cas enfin où il y aurait lieu à prévention. On entendait par prévention le droit pour le juge premier saisi de garder la connaissance d'une affaire '\ A cette épo(|ue les placita christianitotis élaient tombés en désuélude. On ne trouve |)lus de traces de cette inslilution dans les documents du XIII'' siècle que nous avons compulsés. En revanche , l'official de l'évéque ouvrit un véritable tiibunal, dont malheureusement nous ne sommes pas à même de dessiner l'organisation avec précision. Nous savons, seulement, par les statuts synodaux de 1 288, qu'im certain nombre de procureurs et d'avocats y étaient attachés. Quant aux archidiacres, ils eurent également leur cour, dans laquelle ils • AnaU'ctes du Cercle unhvologiiiue de Mons, l. IV vi V, nnalyse d'un carlulaire de labbayt- d'Aulne, acte n" 511. 2 Idem, idem, Actes n»' 95, 310, 403. — Raike.m, Discours île 183:2, p. 48. 3 Heeswycr, Controversiue forenses, p. 135. — Le concordat de 1288 s'y trouve : il conecrne tous les ardiidiacrcs. Celui de 1230 ne concerne que rarchidiacre du ll.iinaut; celui de 1289 l'archidiacre du Brabant. Tome XXX VIII. 6 42 ESSAI SUR L HISTOIUK Dl DROIT CRIMINEL pouvaient se faire reinplacei- pai- un officiai propre ; tandis que, pour la tenue des si/uodes, ils devaient siéger eux-niènies, ou laisser siégei' le doyen du concile à Pintervention de leurs clercs forains. Il leur était même expressé- ment défendu d'avoir des officiau.i- forains ou ruraux '. A la lîn du XIII'' siècle, ToUicial de Tévèque et les archidiacres exerçaient ainsi la juridiction ecclésiasli([ue ordinaire dans le diocèse de Liéf/e. ^lais, à coté d'eux, aijjissaient, chacun dans une s|)hère restreinte, un grand nond)re de juyes ecclésiastiques d'exception. En effet, le cha|)itre de la cathédrale, les chapitres de plusieurs collégiales, les |)révôts des églises, etc., étaient tous armés de certaines attributions judiciaires. Il y eut même, à un moment donné, des inquisiteurs dans le pays de Liège. Une charte de 1238, émanée du prévôt, des archidiacres et de tout le chapitre de Liège, pendant la vacance du siège épisco|)aI, fait connaître à toutes les personnes ecclésiasti- (|ues ou non, châtelains, haillis, écoutétes, maïeurs et échevins de toutes les localités du diocèse, que le chapitre a chargé Xq's Frères prêcheurs de faire l'inquisition des hérétiques (jui pourraient exister dans le diocèse, et leur mande de donner à ces religieux l'aide et l'assistance dont ils auront besoin ^. Enfin, dès le XIII" siècle, il fut question déjuges délégués du Souverain Pontife dans le diocèse. La mission de ceux-ci pouvait ètie non-seulement de juger en dernier ressort les causes appelables portées devant les tribu- naux d'église, mais encore de punir, à l'exclusion de tous autres juges, les crimes conuuis par les exempts de la juridiction ecclésiastique ordinaire. Oesjîiges délégués devaient, confornjénienl au concile de Lyon de 1 274, être des ecclésiastiques constitués en dignité, et étaient tenus de siéger dans les villes èpiscopales ou dans d'autres localités considérables, oll'rant une réunion sullisanle de personnes \eisècs dans la science du droit. D'après les statuts synodaux de 128S, les lieux du diocèse de Liège, (|ui satisfaisaient aux con- ditions exigées par le concile, étaient : Liège, Iluy, Dinant, Xamur, Fosse, Nivelles, Louvain, Thuin, Aix-la-Chapelle, Maesti-icht, Tongres, ïirleniont •''. ' Concordai ilr 1 2SS, ;irlick' I !. — Stuliit.s .sijnodau.r de I2SS, litre XIV, n" 10. - UuHciins du lu Commission royale d'Iiistoirr , l" série, t. IX, p. W. '' Statuts synodaux, de Ii288, lilrc .NXVIII, n" !). — Raikem, Discours tic XHli-l, |)|). '■>\. 52, ••1 noU's. DAÎNS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 43 Essayons de tracer brièvement la compétence des dilîérents juges dont nous venons de constater l'existence. Sans remonter aux époques primitives, qui n'appartiennent pas à propre- ment parler à notre sujet, il importe de rappeler que l'empereur Charlemagne fit un ap|)el à la hiérarchie ecclésiastique pour travailler de concert avec elle à la moralisation et à la civilisation de ses peuples. Il favorisa la double juri- diction temporelle que possédait déjà l'Église dans toute la Gaule. D'une part, il reconnut aux évèques le droit exclusif de juger les causes criminelles des clercs, droit qu'ils avaient acquis pendant la période mérovingienne; « que » toute cause criminelle contre un clerc, » disent les capitulaires, « soit » portée au tribunal de l'évéque; que le juge qui se permettra de pour- » suivre ou de condamner un prêtre, un diacre, un clerc, un jeune servant » d'église, à l'insu et sans l'aveu de l'évèque diocésain, soit séquestré et mis ») en prison, jus(pi'à ce qu'il ait amendé et reconnu son méfait '. » Dautre part, à l'exemple de son père Pépin le Bref, il donna de sérieux ell'ets civils à l'exconmiunication ecclésiasticjue, et par là même il investit l'Église d'un pouvoir disciplinaire, d'une juridiction criminelle prescpie sans limites, sur tous les sujets de la monarchie. L'évèque diocésain eut le pouvoir de con- naître des incestes, des pariicides, des fratricides, des adultèi'es, des crimes contre les mo'urs et contre la famille, « et gcMiéralement de tous les actes con- » traires à la loi de Dieu, et (|ue les chrétiens doivent é\ iler d'après les saintes » Ecritures-. » Ses jugements, dans l'espèce, étaient reconnus par l'Etat. Pendant le moyen âge, et dès avant le XIII'" siècle, les règles de compé- tence (|ui dominai(>nt l'exercice de la juridiction ecclésiasli(pie subirent quel- ques changements. L'évèque de Liège et ses auxiliaires gardèrent, à l'exclu- sion des tribunaux séculiers, le droit de connailre des crimes commis par toutes les personnes engagées dans les liens de la cléricature; mais ils virent restreindre, dans certaines limites, leur droit de juger et de punir les laïcs, et se virent enle\er, dans quelque mesuie, le droit déjuger et de punir les exempis. ' Du Bovs, Histoire (lu tirait rrimini'l chez les peuples modernes, 1. 1", pp. 401, 402, 405. — Baluze, Cnpiliilnires, pussiin ; entre luilres deux capitulniros de SOô et de 761). - PoiLLET, I" Mémoire sur le droit [K'iial eité, [). \'j. — Raikem, Diseoui's de 183:2, p. 28. U ESSAI SUR LHISÏOIRE DU DROIT CRiMliNEL Le Pdiccil/iors aux articles reconnaissait en lernies exprès (|ue la juri- diction séculière était sans action sur les clercs. Les clercs et les personnes tie la sainte Église, dit-il, sour cuy loy et Justice n'a point de command ; et il ;ipp!i(HM' aussitôt ce principe à un cas spécial. Si un clerc, plaidant devant niaïeur et échevins les desdie, cVsl-à-dire les outrage à Taudicnce, la justice séculière ne |)eut pas le punir; sou droit se borne à lui refuser loi tant (|u'il ne s'est pas volontairement soumis à la réparation qu'uu laïc serait obligé de faire '. Les statuts synodaux, de leur côté, fulminaient rexcomnumicalion contre les laïcs (pu' appiéhendaient et qui détenaient un clerc; contre les seigneurs et les juges qui, pouvant le faire, ne délivraient pas le clerc appréhendé lorsqu'il était conduit sur leur domaine; contre les seigneurs et les juges qui citaient un clerc en justice séculière. Ils soumettaient à l'interdit ecclésias- ti(jue la seigneurie dont le sire avait opéré lui-même ou ordonné l'appré- heusion d'un clerc si, dans les trois jours, il ne mettait pas ce dernier en liberté -. Mais qu'entendail-on par clercs? C'étaient toutes les personnes qui avaient reçu les ordres sacrés, les ordres mineurs, ou même simplement la tonsure ecclésiastique. Cependant, conformément aux statuts de Jean de Flandre, les simples clercs tonsurés, qui ne portaient pas habituellement la tonsure et l'habit clérical, ainsi que les clercs biffâmes, c'est-à-dire ceux qui convo- laient en secondes noces, perdaient le primlége du for ^. Dans la Cité de Liège on alla plus loin. Le nombre des clercs sans bénéfices et sans rentes, qui la frécpientaient , et qui semblaient « dubitans de nulle » chose qui ne sont de tout nécessaires à recorder, » attira l'attention des échevins en 1 1302. Ceux-ci statuèrent que les indi\ idus de l'espèce seraient tenus de rerètir des draps rayés, et de trouver des bourgeois qui ^oulussenl bien répondre pour eux au point de vue légal; s'ils n'obéissaient pas, ils ne seraient pas protégés par la loi j)uisqu'ils n'étaient pas liés par elle. Les éche- vins avaient soin d'excepter de cette mesure de défiance les clercs qui sui- ' Coutumes ilii paijs île, Livtji' , t. I": l^i Paweilliars, arlirle !2(i. - Sltihils sijiiuduiir , litre XV!, n»' 1,-2; litre XVllI, n° 2; titre XIX, ii» '2. » Idem, litre X,ri°' C, 7, H; litre XII, u"7,. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 4S imient leurs doi/eiiK en allanl à l'église, et ceux qui fréquentaient l'école résl- demment. Seulement, si quelque bourgeois croyait avoir à redouter un de ceux-ci, il pouvait requérir le maïeur et les maîtres d'exiger de lui une déclaration d'asseyiiranche. Le clerc qui refusait de la donner tombait en « tel point » que les clercs dont il était question dans la j)remièrc partie du statut: il n'était plus protégé par la loi '. La question de savoir si les femmes veuves et à marier jouissaient d'une jnanière absolue du privilège du for ecdéskistique , et étaient assimilées aux clercs en matière criminelle , est douteuse. On peut se baser, pour soutenir l'affirmative, sur les termes de la mnlalion de la loi nouvelle de 1386, et sur les principes généraux du droit du [emps - ; mais on ne saurait mécon- naître que les lois muées mettent les femmes sur la même ligne que les hommes, et que les statuts de 1328 n'accordent sur elles au pré\ot de la cathédrale qu'une juridiction exceptionnelle en matière de laids dits •". En ce qui concerne les restrictions mises à l'exercice de la juridiction ecclésiastique sur les laïcs, les premiers actes (|ui les constatent sont la charte de 1147, donnée par Henri de Leyen à la ville de Saint-Trond ', celle d'Albert de Cuyck de 1 I \)H aux Liégeois, et celle de Hugues de Pierpont de 1212 '•", conlirmant la charte de Henri de Leyen. Les deux actes de 1147 et de 1212 assimilaient les Saintronnaires aux bourgeois de Liège « tant in » lege si/nodali ([uani ecclesiaslivo jure. » Le pri\ ilège d'Albert de Cuyck statuait que : « ly citains de Liège ne doit estre citeis ne excommungnies à » Nostre Damme auz Fonz foins (pie par sentence desenaulz, s'ils n'avient n dont (|ue li coulpe soit telle que ly senaulz n'en aient à jugier ^. » H résulte de ces textes qu'il n'y avait plus(|u'un certain nombre d'infrac- tions qui ressortissaient à la juridiction synodale. Le concordat de 1288, dont nous avons parlé plus haut, ènumère les infiactions dans les termes sui- ' Slalul de 1502, eiU- dans le iliiipitre I". - Mittutlun delà loi nouvelle, article ù\. — Kaikem , Discours de IS.j'i, pii. ï-2, 4ô. ^ Statuts de I32S, article I". Nous les reiiconirerons plus loin. * FisEN , 1. 1", p. '2'iio. '' Waiinkoxig, Bi'ilruge zitr Gesclncliti' niid (jufUi-itkiinih' , etc., p. 128. ' Article 2. 46 ESSAI SLU LlllSTOlKE DL DROIT CUIMliNEL vaiils : « Et exccssus qui rolViimtur ad synoilum sunt iisiirae, pereinptiones, >> iiicoestus in ijradu prohibilo consanguin italis vol allinitatis, clandostina » conjugia, perjuria , inconlinenciae porsoiianun religiosoriun , prolossa- » riiini, soililogiuin, diffidiuni, saci-ilcgiiim oxcoinniunicali pcr ununi annum » qui senici in anno non fonlitoiitur pioprio sacordoli et ircipiunl sacra- » nicntuni Eucliarisliae et siniiies exce.ssus » ( conuno par o\eni|)k' la for))!- calion .simple et \' ml altère) '. A cette énuniéraliou il faut nécessaii-cnieiil ajouter, d'après la ciiarte de 1 107, le crime de Niolences et de coups commis contre un chanoine -; ainsi que le crime d'homicide, au moins à un point de vue spécial, et conformément au concoidat de l^'iO : « de homicidio » concordant partes quod cognitio ejus spiritualiter et temporaliter spectat » ad episcopuni ^ » Enfin, il ne faut pas oublier que, d'après la paix des cleics . (piand un laïc conmiettait un crime dans une église, il se plaçait sous le coup dluie poursuite spéciale devant la juridiction ecclcsiasti(|ue, à raison de l'outrage fait aux immunités de l'église ^. Les juges laïcs, qui attiraient à eux la coimaissance d"un crime ressortis- sant au for ecclésiasti(pie, encouraient, d'après les statuts synodaux, une sentence d'exconununication ■'. Mais, étant données ainsi les limites approximatives de la juridiction ecclé- siastique et de la juridiction temporelle, coumient se pai-tageait Texercice de la juridiction ecclésiastique elle-même entre les dilTérents juges qui en étaient investis? D'abord, dans les anciens jilncita christianitatis , tenus par les évêques eux-mêmes, ceux-ci punissaient les nobles du diocèse, et surtout de la prin- cipauté, qui avaient commis des péchés publics, ou, eu d'autres termes, certaines infractions ressortissant au for ecelésiasfi(/ue ''. Les simples hour- ' Concordai de I28S, arliclcs !) cl 1:2. — Les Slotiils synodaux , lilic XVIll. ii' V. ont (|iicl- qucs dis|iosilioiis iiniilogiics. * Cotiliimcs du pays de Liéfji' , I. \". p. ôdo. ■" Voir ce coiicoriJ;!!. * Paix des clercs, article 20. — Soiiet, ouv. ciio. Traité prcliniiii.iiic , iili<' \', ir Ô9. ^ Slatiils synodaux . litre .WIU, il" 4. '■ Bulletin (irchéolotjiijiie livyeois, I. IX, j)|). 555. ôil : Dmiis, .Nolicf Mir liiiilwM' ilf licau- iTgard. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 47 geois et les gens de condilioii inférieure, de leur côté, ressortissaient pour les mêmes faits, d'une manière à peu près exclusive, aux st/iiO(fes locaux tenus par les archidiacres ^ Quand les plucita cimstianitatis tombèrent en désuétude, il est probable, ([uoique non certain, que les nobles restèrent justiciables de Tévèque ou de son olïicial. Conformément an concordat de 1288, le seul que nous ayons à examiner de près parce que c'est le seul qui concerne tous les archidiacres du diocèse, le partage de la juridiction s'opéi'ait comme il suit entre ces derniers et rolli- cial de révêquc. L'oiricial de 1 e\èque et rarchidiacic pouvaient tous les deux et cumula- tivement, sans que la peine prononcée par Tun exclut Tapplication d'inie peine prononcée par l'autre , poursuivre et corriger les excès d'incontinence commis « cum consanguineo vel affîni » par les hrurfincrs nonnnés par l'archidiacre -. C'était une exception formelle au principe non bis in idem. L'archidiacre avait seul la poursuite et la correction des excès d'incontinence simple, de fornication, d'adultère, perpétrés par les bénéficiers, les clercs, et les laïcs de son archidiaconé '. L'archidiacre et l'ollicial jugeaient l'un cl lautic, imû^ \);\r préiriilion . des mariages clandestins, des infractions commises aux bans matrimoniaux et aux règles ecclésiastiques concernant les liançailles '. L'archidiacre connaissait seul de tous les excès qui avaient coutume d'être rapportés au saint-synode, quand ces excès avaient fait l'objet d'une accusa- tion. Il pouvait aussi les réprimer d'ollice (eiiam si non referuntur), mais alors il n'avait plus que le droit de prévention à l'égard de l'oflîcial 'K La prévention avait lieu également entre les deux juges ecclésiastiques ordinaires, en matière de violences infligées à des clercs, quand il n'y avait ' Diilk-tiii (inliroloçn'ijiie tinjeois^ t. IX. pp. ôôô-ô'il : Daius, NoIiVc sur l'abbaye de Bcati- rc'gard. '^ Article 8. •' ArlicU'O. * Arliclc 10. '-' Arliclc l'>. 48 KSSAI SLK LUISTOIRK 1)1 DROIT CRIMINEL pas blessure (vulnus) et en matière de coups portés pai' un elerc :i un laïc '. De toutes auli-es infractions commises par un clerc non exempt et des infractions du for ecclésiastique non comprises dans le concordat, commises par un laïc, follicial de révècpie connaissait seul. Il était en outre chargé (l'a-ir, dans tous les cas, (|uand les autres juges ecclésiastiques restaient indûment dans l'inaction '-. Nous touchons ici à une question assez délicate. I/offîcial de Liège avait-il, au XIII'' siècle, cette compétence générale sur les laïcs de la principauté, (pie lui icconuaît le droit des âges suivants, même à i-aison de délits du for sécu- lier quand le plnit/nont s'athessuit à lai de préféreuee à un autre juye? En d'autres termes, Tollicial exercait-il déjà, dans toute la priiuipautè, une véri- table juridiction criminelle séculière, au nom de l'évèque, et en concurrence avec les honmies féodaux et a\ec les écbevins? Nous u'Iiésilons pas à répoudre aflirmatiN émeut sur ce point'. La seule raison de douter serait celle-ci : que le droit de roffîcial de recevoir une plainte ciiminelle, en concurrence avec les tribunaux laïcs, n'est reconnu /// tenninis cpie dans la paix de Sainl-Jacques. Mais les raisons d'affirmer sont trop pérenq)toires pour qu'on s'arrête à un silence facilement explicable d'ail- leurs. Si la juridiction séculière de l'ofhcial était née auXIV'^ou au XV'' siècle, dont ou connaît aujourd'hui eu détail tous les monuments, nous saurions dire avec précision cpiand, pourquoi, comment et de qui. Or, nous ne savons lien de son origine; donc ou doit conclure que celte origine se perd dans la nuit des tenq)s. D'aulre part, la juridiction des juges d'église, loin de voir grandir son cercle d'action, u'a cessé de le voir restreindre dans le cours des âges, surtout en présence de la puissance croissante de l'écbevinage de Liège. Donc, puisque l'ollicial de Li('ge participait à la juridiction ciiminelle séculière au XIV' cl au XV-^ siècle, a fnrilori. \ parlicipail-il au XIII''. Les termes de la paix (le rioue de 1332 conJirment au siu-plus notre conclusion : « (pw le « Arlicle 13. * Slutuls sijiiDildiix , lilif XII , 11" ô; cxcDijili ijnitu'i. ' WliOlAMM. . iiii\. ciU', |). 40. — lli;i>\vvcK, (luv. cili', '!"" |i:irlii', di>strliilii)ii V \ n" I" l'I \'i. — Umkkm, Disiotiis (le I8'i7, p. 17. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 49 » prévôt de Liège et rotficial peuvent user de leur juridiction ainsi qu'ils en » ont anciennement usé '. » Il en est de même d'un article des statuts synodaux de 1288. Cet article commine rexcomniunication contre les sei- gneurs et les juges qui font un ban : « quod extra terrani illorum nullus » laïcus débet vocari in jus corain quocunique judice ecclesiastico, vel laïcos » quoslibet querinioniam deferentur corani nobis vel noslro officiali, vel » quolibet judice ordinario vel delegato, in rébus vel personis laeserint -, Ajoutons enfin que rofflcial était déjà le bras droit et le représentant de l'évoque, pour tout ce qui concernait le maintien du droit traditionnel dans le pays, non-seulement en matière ecclésiastique, mais encore en matière séculière. Les statuts synodaux de 1288 •"' lui attribuaient lormelle- ment le droit de procéder contre les éclievins qui observaient une coutume contraire à ces mêmes statuts; et, d'autre part, quand une partie se préten- dait lésée par un jugement rendu contre la coulume du pays, c'était à l'offlcial qu'elle déférait ce jugement. L'odicial citait par trois fois les échcvins, qui l'avaient rendu, à son tribunal; et c'est seulement lorsque ces éclievins fai- saient défaut, que l'échevinage de Liège intervenait pour les mander à sa propre barre sur leur honneur *. Il est vrai que ces hautes attributions concernaient plutôt l'ordre civil que l'ordre criminel; mais elles montrent combien, dès les lenq)s les j)lus reculés, la position de l'oflicial de Liège était grande, et combien on se tromperait si l'on ne voulait voir en lui qu'un simple juge ecclésiastique. On ne doit pas se dissimuler cependant ipie déjà les seigneurs locaux cherchaient à lutter, en matière de juridiction, contre les justices ecclésiastiques. La preuve s'en trouve dans les statuts synodaux eux-mêmes ^ Nous arrivons aux juges ecclésiastiques d'exception, et avant tout à ce qui concerne les exempts. On appelait exempts, comme nous l'avons déjà fait entendre, une nom- ' IloDiN, oiiv. ciu', I. M, |). G'(-, article 5. * Slalitls syiwthiiix , litre XVII, ii° 9. 2 Idem, titre XXXIV, n" 6. * R.MKEJi, Discours de 1852, pp. SI, 52, 53, ot notes. » SlulKls si/no(laiix, litre XVIII, n° 9. Tome XXXVIII. 50 ESSAI SUR LHISTOIRE DL DROIT CRIMLNEL breuse catégorie de personnes, généralement engagées dans les liens de la cléricatnre, qui non-seulement ne ressortissaient pas à la juridiction laïque, mais qui, en outre, ne ressortissaient pas à la juridiction des archidiacres et de l'otlicial. Dans le pays de Liège, étaient exempts tous les membres et sup- pôts du chapitre de la catiiédrale, ainsi que fous les membres et suppôts dos autres églises collégiales oiicicnnes du diocèse. Leur pri\ilége, d'après Louvrex, était si vieux, qu'il avait déjà laissé des tiaces en 1:21 1 '. En matière de légères infractions, telles, par exemple, que le refus de chanter au chœur, le manque de convenance à l'église ou au réfectoire. Tin- discipline, etc., les exempts étaient soumis à la juridiction disciplinaire des abbés et du cfuipitre auquel ils appartenaient. Les abbés et les chapitres avaient hérité en cette matière des droits des anciens prévôts. Mais, quand il arri\ait aux exempts de commettre un véritable crime, ils ne |)ouvaient être punis ci'iminellcment que par un juge délégué pur le souverain pontife : « graviores canoniconnn excessus, » dit Louvrex, « non aliter puniri qneunt » quam authoritate pontilicià -. » A coté de leur droit de juridiction disciplinaire sur leurs propres mem- bres, les chapitres possédaient d'autres droits de juridiction plus étendus. Le chapitre de la cathédrale pouvait excommunier et bannir de ses domaines les malfaiteurs qui y délinquaient, et juger en appel les causes portées devant lui par les chapitres de toutes les églises conventuelles du diocèse. Ces prérogatives lui avaient été reconnues dès 1:2:29, comme ancieimes, par ré\è(|U(' Hugues de Pieipont ^. Le même chapitre était armé pai" la lettre des Vénales du pouvoir d'excommunier dans certains cas, d'au- torité de toutes les églises de Liège, le maïeur et les échevins de la Cité *. Il eut |)lus tard un ollicial propre, mais dont il n'est pas encore ipiestion au XIII" siècle. Quelques chapitres d'églises collégiales exerçaient, à l'exclusion des archi- ' LouvBEX, Dissertations cunouiques, Wiss^erlalion V, n"' 5, 1), l'ic — Soiiet, ouv. cite, li\rc 1", lilre XV, nrlicles i)3 à 57, etc. * I.OLVHEX, ouv. cilé, Disscrtiilioii X', n " 18, 21 ; Disserlalion XII, n " 45, 40, elc. •' Si iioo.NBiiooDT, ouv. cilû, II" 70. * Voir celle chnrle. DANS L'ANCIENÎSE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 51 diacres, les pouvoirs archidiaconaux dans la ville où ils étaient établis. Dès le XII" siècle, le chapitre de Saint-Servais était en possession de cette préro- gative à Maestricht : « quocienscumque statiito anni tempore, in ecclesiâ » Beati Marie que in vestro burgo sita est, synodus cdebratur, liceat vobis » parochianos vestros pro erratibus suis equitatis ratione corrigere, » et jus quibnslibet excessibus, sive sponle confessis, sive alio accusanti, » convictis, congruam penitentiam per vestros synodales intègres injun- » gère sicut apud vos antiquibus (ieri consuevit, et hucusque observatuni » esse coiïnoscitur ^ » Le prévôt de la cathédrale avait personnellement à Liège, et de temps immémorial, le droit de counaitrc de certaines querelles entre les femmes de la ville et des injures (|u elles s'étaient adressées -. Le même prévôt, ainsi que les prévôts des autres églises de Liège, avaient le pouvoir de mettre à l'amende les personnes de toute condition qui com- mettaient de légers délits ou des incongruités dans leurs ('glises ou dans les cloîtres qui les entouraient. S'il s'agissait d'une infraction grave, ils n'avaient que la faculté de faire poursuivre les délinquants, par leur sergent, devant les juges ordinaires compétents ^ Enfin, les inquisiteurs s|)éciaux de la foi n'avaient sans doute d'autres prérogatives que celles de rechercher les liérètiipies, et de connaître de leur crime au point de vue ecclésiastique. Nous n'insistons cependant pas sur ce qui les concerne, parce que nous n'avons aucun document explicite du XIII^ siècle, relatif au pays de Liège, (pii détermine leurs attributions. Faisons, en terminant ce |)aragraplie, une dei-nière remarque. Les sen- tences rendues par les juges d'église pouvaient, en règle générale, être frap- pées d'a|)pel ^ On a|)pelait des archidiacres à l'offîcial de Liège, et souvent, en passant par PoUicial du métropolitain, aiw jufj es dcléyiiés du souverain pontife qui statuaient en dernier ressort. ' Biillctinfi (h- la Commission royale d'histoire, 5°'° .série, I. IX, p. 20, nrlo de I1Ô9, tiré d'un caitiilairc de Siiint-Sorvais. - Cl- droit fut reconnu en termes ambigus \)av l'arliele ■l"des Statuts de 1528. ^ l.ouviiEX, ouv. cite, Dissertation X, n" "Iô, 24. * Raikem, Discours de t852, p. 44. — Sohet , livre 1", titre XII, article 58. 52 ESSAI SUR LUISTOIRE DU DROIT CRIMINEL § II. — Des justiciers (erritoriaux. Des Justiciers territoriaux avant le XIII' siècle. On sait que, sous le régime de l'immunité, une portion considérable de la juridiction criminelle était exercée, dans les domaines ecclésiastiques, par un pci-sonnage appelé Vavoué. Cet avoué n'était pas un ministerialis de l'abbé ou de Pévèque : c'était toujours un homme libo-, nobilis, puissant par lui-même. Il ('tait souvent choisi par le chef ccclésiasti(|ue sur les domaines duquel il devait tenir ses plaids, mais sa nomination devait être sanctionnée par le souverain,' et c'était du souverain seul qu'il recevait Icbanuum, c'est- à-dire le merum et mixtmn imperium ou jus yladii K La juridiction de l'avoué ne s'exerçait dans le principe que sur les habi- tants de la terre ecclésiastique et non sur les personnes étrangères à celte terre qui venaient y délinquer. On discute encore le point de savoir si les hommes non libres de l'église y étaient soumis comme les hommes libres. Nous inclinons à croire que les uns et les autres y ressortissaient, surtout à l'époque où le servoffe personnel commença à disparaitre. Quoi (pi'il en soit, il semble certain aujourd'hui que l'avoué n'était compétent que pour assister au duel judiciaire , et pour connaître des infractions graves : l'homicide, le vol, la rapine, les coups avec effusion de sang, le rapt, la sédition -. L'avoué était obligé d'aller tenir, dans le ressort qui lui était attribué, trois plaids tous les ans. C'étaient les plaids généraux ou placifa legidia. De plus, il devait se rendre à la réquisition du chef ecclésiastique, quand celui-ci l'appelait sur sa terie |)Our un besoin judiciaire grave et pressant. Soit dans les plaids généraux, soit dans les plaids particuliers, il siégeait ' Comme nous ne fnisoiis |iiis ici un iravail ex profi'sso sur \vi avouerics , nous prciions la liberté de renvoyer à : Walteh, ouv. cité, t. I", § HO. — De Saint-Genois, I/isloire des uvoiie- ries en lidijuiue . pp. 13, 20, 21, 2">, 48, clr. — Ducance, vciIki Hannum roijuli', etc. * Waiinkùnk;, /•V«/if/r/.sf/ie.S(a((/.s-(/;K/ /îir/i/.sf/c.sc/uV/f/e, l. ni,ii.r)!(l cl suivantes, cl les sonircs qu'il cite. — t)E Saint-Genois, ouv. cilc, pp. -21, 27, 52, 58, 63, etc. — Ducange, vcrlio .4(/ry- ciiti ecclesianim. — Amplissinm coltecliu , t. I, p. lïM, acte de 1093. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 53 toujours entouré cVIiommes ou d'échevins, et à côté du chef ecclésiastique ou d'un des olïiciers domaniaux de ce dernier dont nous parlerons tantôt '. Quand le territoire ecclésiastique était d'une étendue considérable uti seul avoué ne suffisait pas pour y distribuer la justice. Les églises avaient des sons-avoués qui, dans un ressort restreint, jouissaient des mêmes droits et avaient les mêmes devoirs que l'avoué principal. Les uns et les autres, outre certaines prestations spéciales qu'il serait trop long d'énumérer, et qui variaient selon les lieux, jouissaient généralement iVun tiers des profits émanant de la juridiction |)énale -. La juridiction des avoués était le droU public. Mais les propriétaires immunitaires, comme les autres grands propriétaires de l'époque, avaient dans leur domaine un droit de juridiction que nous appellerons domestique ou de police ^. Ils l'exerçaient par les administrateurs mêmes de leurs villas, choisis presque tous, à l'origine, parmi les gens de classe inférieure et ap- pelés yurf/ce^, prévôts, maïeurs, écoutètes. Ceux-ci pouvaient punir pour des infractions légères les hommes libres eux-mêmes qui habitaient la villa ou ses dépendances; mais, comme les avoués, ils étaient depuis une certaine époque tenus de s'entourer d'échevins ou de tenants pour exercer leurs fonc- tions de judicature *. Quand la grande propriété se transforma insensiblement en seigneurie, et la propriété immunitaire de l'Église de Liège en principauté , il n'y eut pas de brusque transformation dans l'organisation judiciaire. De simples employés domaniaux et domestiques qu'ils étaient, les prévôts, les maïeurs, les écoutètes, parfois appelés ministri, s'élevèrent peu à peu jusqu'au rang de xérkabk's justiciers locaux, armés d'une compétence infé- rieure, mais hiérarchiquement reconnus par \c droit public du temps ^. Dans ' Waiinkônig, ouv. cité, pp. 591 et siiivnnlcs. — De Saint-Génois, ouv. cité, jip. 21, 27, 32, .ï8, 63, clc. — DucANGE, ouv. cilé. — Amplissiiiia coltectia, l. 1 , p. 330, ai'tc de 1093. 2 De Saint-Genois, Ducange, Waiinkonig, piissim. ^ GuËRARD, Polyptique de l'abbé Inuinoii. * De Saint-Genois, ouv. cité, p. 21. — Ducange, verbo Villici. — Raepsaet, /l«H/)/se des droits des Belges et des Gaulois, livre Vi, chapitre I". — Wholvvill, ouv. cité, p. 50. — Poullet, t"' Mémoire sur le droit pénal cité, pp. 44, 43. !> WiioLwiLL, ouv. cité, p. 50. — 11 constate le l'ail accompli. — Raikem, Discours de 1 8S5, p. 25. 54 ESSAI SLK LIIISTOIKE DU DROIT CRIMINEL uiio charte de 4016, relative ;i l'abbaye de Saint-Laurent, le iiu'nisfer de l'ahlj('' apparaît coinnie le justicier inférieur ordinaire de celui-ci : « de om- » nibus aiiis (piae foris vel iiitiis ahbas vel niinister ejus per se corrigere » polerit '. » Dans une charte de lOOo, relative à iahhaye d'Epternach, le villicii.s et le prévôt apparaissent investis de la même qualité -. Si le titre Aejudcx disparut dans les campagnes, nous le retrouverons encore dans les villes. Enfin, ce lurent comme jadis des avoués qui exercèrent la haute juri- diction criminelle non -seulement dans les domaines ecclésiastiques eux- mêmes, mais encore dans les territoires au milieu desquels ces domaines étaient enclavés ^. Ce furent aussi de nouveaux avoues qui devim-ent les représentants de Tévéque, dans les comtés particuliers soumis à sa juiidic- tion au X" et au XI'' siècle. Les personnages cités parfois sous le nom de (tiens de Ilinj et de cuens de Thuin , comte de Iluy, comte deThuin, étaient de Aéritables voués institués par les prélats liégeois '. Une seule modilicalion impoitante s'était opérée dans Forganisation des avoueries par l'influence de la féodalité. Naguère, les avoués étaient amovi- bles, ou tout au plus ils possédaient leur dignité à titre viager. Insensible- ment, partageant la tendance de tous les dignitaires puissants de l'époque, les avoués rendirent leins pouvoirs hciréditaires. Les uns réussirent à les faire reconnaître connue constiliiani une sorte de franc-alleu de leur patiimoine, transmissihle même dans la ligne féminine; les autres les prirent en fief des supérieurs ecclésiasti(|ues poui- lesquels ils exerçaient les droits de juridiction ■'. Pas plus que leurs devanciers, les avoués anciens ou nouveaux ne pou- vaient, au XI'' et au XII'' siècle, siéger, juger, condamner, sans la partici- pation des échevins, ou d'autres juges paiis de Taccusé, ni, en général, hors de la présence du justicier inlV-rieur local. « De onmihus quae in.... ' Amplissinid collcrlii), t. I". p. ô7r-rii:Nois. oiiv. elle, pp. 114, li:i. * Wiiot.wiii., onv. cili', |i. ôO. — De S.vi.nt-Genois, onv. cité, jmsuiiii. — Hemuicoi'ht, Miroir lies niihli's (le l/rsliii. 595, acte de 1092; t. 1", p. 550, acte (1(> 1095. 5(i ESSAI SUR LIIISTOIRK DU DROIT CRIMINEL dans le Miroir des nobles de Ilemricoiirt, dans VAmplissima col/eclio, dans les (cuvres de Saint-Génois, et dans les vieilles chartes du eliapilre de Saint-Lam- bert. Ces avoueries ou voueiies étaient, outre la liaute rouerie de Lierje, distincte (dors de la vouerie militaire de Hesbaye, celles de Thuin, de Vaulx, de Zeppe- ren, de Grootloon, de Huy, de Saint-Trond, de Gest, de Manibersée, de Brus, (l'Assèche, de Bure, de Meting, de Ponl-de-Loup, de Châtelet, de Frère, de Ciney, de Tongres, d'Alken, d'Oreye, d'Oulïet, de Bornai, de Mont-Saint- André, de Landen, de Nodringes, de Hallct, de Sclessin, de Moumale, d'Amaing, de Horion, de Kemexhe, de Chaynée, de Sart, de Hervé, de Fléron, de Liers, de Crisgnée, d'Awans, de Fosse, de Couvin, etc. Elles sub- sistaient toutes au XHI'' siècle, mais un grand nombre d'entre elles avaient, à cette épotpie, perdu toute espèce d'importance au point de vue de la juri- diction criminelle. Connuent cette décadence s'était-elle opérée;* Telle est lii (|uestioii (jue nous allons tâcher de résoudre. On peut dire en toute vérité que la décadence des voueries fut, avant tout, l'reuvre de ceux-là même à qui elles appartenaient. D'après res|)ril de leur institution, \es voués judiciaires auraient dû être , dans un certain ordre d'idées, les protecteurs et les bienfaiteurs des populations ecclésiastiques justiciables de leur tribunal. En fait, ils en devinrent insensiblement les tyrans. Sous prétexte de vouerie, ils travaillaient lentement à usurper, aux dépens des églises, le domaine et la seigneurie; sous prétexte de services rendus, ils accablaient les justiciables de prestations et d'extorsions de toute nature. Appuyés d'une part sur la force matérielle qu'ils avaient (>n main, de l'autre, sur l'inamovibilité de leur dignité, ils se montraient pleins d'orgueil et de con\(titises. Aussi, dès le conmiencement du XI'' siècle, voit-on les chefs ecclésiasli(pies et les |)0|)ulations de leurs domaines travailler à réagir contre ro|)prcssion de le(U's prétendus défenseurs et protecteurs. Les voués, cherchant ù se faire des créatures, nudti|»liaient à l'envi les sous-avoueries , et chaque sous-avoué devenait immédiatement un nouveau tyran local. « Modo habentur in villis Sancti Pétri muiti advocati, » disait Folcard, abbé de Lobbes, à l'Empereur, « imo raptores: in aliquibus quinque, » in aii(piibus (piatuor, in ali(|uibus septem '. » On réclama l'intervention ' Spicilegium d'Aclicry, I. Il, p. 74". — VValteii, oiiv. ciu-, '-^ 192. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 57 du souverain pour interdire la création des sous-avoueries, ou pour faire obser\er l'interdiction déjà stipulée dans les actes de création des avoueries elles-mêmes K Chaque occasion d'intervenir aux plaids, dans les domaines ecclésiasti- ques, était pour les voués ou pour les sous-voués l'occasion d'exiger des prestations nouvelles et d'exercer des extorsions onéreuses. On travailla par- tout, soit qu'on traitât avec d'anciens voués, soit qu'on en établît de nou- veaux, soit qu'on demandât contre eux l'appui des Empereurs, à limiter strictement les cas et les circonstances dans lesquels ils pourraient entrer dans le territoire ecclésiastique. En 4 01 G, l'Empereur et l'évoque de Liège fondent le monastère de Saint- Jacques et lui donnent encore un voué. Ils stipulent que ce voué, en dehors des trois placita legaliu, ne pourra pas se rendre dans les terres du monas- tère à moins d'y avoir été expressément appelé par l'abbé ^. En 4034, l'évêque de Liège donne à la même abbaye de Saint-.Iac(iues le domaine de Gest, en établissant pour celui-ci un autre voué. Il stipule derechef que le voué ne pourra jamais se mêler de rendre la justice ou de siéger au plaid, avec ou sans l'abbé, sans que celui-ci ait réclamé son concours '". En 1037, la même communauté traite directement avec un ancien voué sans l'inter- vention de l'évêque. On convient (|ue ce voué ne tiendra, sans autorisation spéciale de l'abbé, que les trois plaids annuels K En 1095, le chapitre de Fosse limite d'une manière encore plus étroite les droits de son grand jus- ticier héréditaire. Celui-ci ne peut intervenir que si le monastère n'est pas capable de contraindre par lui-même le coupable de venir au plaid : « si » forte rebellis aliquis ab ipso ad placitum cogeretur venirc '•'. » Tous les monuments du temps sont, au surplus, d'accord pour n'attribuer au voué, à titre d'émoluments judiciaires, qu'un tiers des compositions criminelles. ' Amplissima collecUo, l. I", pp. 078 cl ;i7;j: I. IV, pp. 1171,1 \" . 1 174, actes de 1016, ^0ô'^, I 102, concei-nniU le pays de Liège. "^ Amplissiinu collertio , l. iV, pp. IIGfJ, 11(17. ^ Idem, ibidem, p. 1171, et pp. I IKi, 11 17. * Idem, ibidem. ^ Idem, t. I", p. 39C, acte nnalogue, t. 1", p. odO. Tome XXXVIll. ^ 58 ESSAI SLR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMI>iEL Oiiel(Hies-uns même ne leur accordent cette part que si leur intervention a été nécessaire pour obtenir satisfaction du coupable '. Dès le même XI'' siècle la grandeur du mal, contre lequel on luttait, donna parfois l'idée d'employer un remède plus radical que la limitation rigoureuse des droits des cunt'S : ce fut de donner la vouerie des nouveaux domaines ecclésiastiipies, qui se formaient dans le teri'itoire liégeois, au chef même de ce territoire, à l'évécpie. En lOlîi, l'abbaye de Saint-Laurent est gratifiée d'une terre dans laquelle Tévèque seul sera avour : « Ut praeter » eum nullus unquani advocatus sit, » et dans la(|uelle l'abbé lui-même devra j)ourvoir à l'exercice de la juridiction : « Omnem autem justiciam » i|)siu8 praedii... abbati -... » En 1140, l'évèque Adalbéron donne à l'ab- baye de Flùnc un domaine avec tous les droits de justice qui y sont annexés. Les habitants seront : « Liberi tam de legc synodali quam de jus- » ticià saeculari, nec archidiacono, nec decano, nec advocato alicui, nnuistro •> episcopi, nec ullo hominum omninô respondeani nisi soli abbati ipsius » loci. ») S'il se produit néanmoins en matière de faux ou de vol un fait qui dépasse la puissance de l'abbé, ou que celui-ci ne puisse punir par lui- même, l'abbé réclamera le concours de l'évèque, et celui-ci interviendra par lui-même : et non per minislrum vel suhniissam personam ~\ Dès la même époque, enfin, les fondateurs et les bienfaiteurs des églises et des abbayes commencèrent à interdire l'introduction d'une vouerie, quelle qu'elle fût, dans les domaines dont ils disposaient en leur faveur. En 1081, Henri, évéque de Liège, donne à l'abbaye de Saint-Laurent la villa de Mareis : « Ut tota Nillula, totus comitatus ■* sit omninô in disirictu abba- » lis... sit falsa mensura, et latro et lex campalis, et sitiinia et Imrma, et » coetera ad comilalum appendicia. » L'avoué généi-d de Saint-Laurent lui- même ne peut paraître à Mareis que sur l'invitation de Tévêque ''. Entre 1 197 et 1220, l'emjjereur Frédéric confirme la donation, faite par ' A(ttes concernant les avoués, pusshn. * Ainiilissimii collerlio, t. IV, ji. I 170. ^ Jdem, l. I", p. 704. * Pouvoir comlal. ' Aiiiplissima coUe.clio, I. IV, |). I I7'f. 1 173. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 59 son prédécesseur Henri VI à la cathédrale de Liège, du village de Frère : il défend formellement d'y établir un voué '. En 1293, Gérard, voué de Thuin, fait connaître que l'abbaye d'Aulne a acheté certaines terres, et qu'il n'y a aucun droit d'avouerie. En 4196, l'abbaye de Lobbes déclare qu'elle possède sans avoué les villages (ÏOffrcynies et de Thieynies, et qu'elle y exerce tous les droits de justice -. Au fur et à mesure qu'on s'approche du XHI" siècle, la décadence des voueries, au point de vue de la juridiction criminelle, s'accentue et se pré- cipite davantage. Chefs ecclésiastiques et justiciables se gardaient bien d'ap- peler l'intervention des voués, toujours plus ou moins dangereuse, en dehors des trois plaids généraux qu'ils tenaient ordinairement de plein droit ^. Mais comme, dans les conditions nouvelles où se trou\nil la société, trois plaids par an ne suHisaient guère poin- les besoins de la haute justice ci'iminelle, il fallait trouver un mojen de faii'e exercer celle-ci en dehors de l'action des voués. Parmi les anciens officiers domaniaux, devenus officiers de justice infé- rieurs, les prévôts n'avaient pas tardé à s'élever au-dessus des autres *. Ce fut, semble-t-il, à eux que les évèques de Liège confièrent tout d'abord l'exercice de leur haute justice. Dans une charte de 12o9, constatant un accord fait entre l'évèque de Liège et rarchevè(|ue de Kheinis, à propos du village du Douzi et des lieux circonvoisins, les prévôts sont désignés par l'évècpie conuiie de grands justiciers chargés de /trcndrc et de détenir les malfaiteurs ■'. H va de soi cpie les jirévots connnencèrent par n'exercer la haute justice qu'en dehors des trois plaids généraux; nous voyons, en effet, encore en 1250, le voué de Thuin ollicier en matière de vol ^. Mais les évêqucs appri- ' SCHOONIIKOODT, DUV. cilC, aCl(! Il" 51. ■2 Aniinles du cvrdc archculoyli/iie de Mous, t. IV cl V, Analyse d'un cirtiihiirt- de l'aliliavc (l'Aulne, actes n°' 5 et 123. '^ Voir sur ces phkh Amplissiinu cnllcctlo , l. I", p. 593. '' Amplissima rolleclio, t. 1", j). boO. — Dicange, vcrbo Prueposil us , dans un acte J/()«".s- tevii Murnensis. ^ HoDiN, ouv. cité, t. I", p. 155. — De Saint-Genois, ouv. cité, pp. 17-2, 171). Il ne lant i)as confondre ces prévôts avec les prévôts ecclésiastiques des chapitres. * Annules dit cercle archéologique de Mans , t. IV et V, Cartulairc cité, acte n° 140. 60 ESSAI SLR LHISTOIKE I)L DROIT CRIM1^EL rent inseiisiblemenl par expéiieiico quils navaicnt plus besoin des voués, et ils ne deniandèienl souvent pas mieux que de décharger ceux-ci de Pac- coniplisseinent de leurs devoirs de judioature. Les voués, de leur côté, se souciaient au fond moins du droit de tenir plaid que du droit de percevoir leur pari dans les émoluments judiciaires. Celte part était presque toujours la même, qu'ils eussent ou non siégé, cl personne no pensait ni à la res- treindre ni à la supprimer. Ces sentiments réciproques amenèrent peu à peu une situation nouvelle, dont quantité de monuments postérieurs à Tan 1:260 constatent l'existence. Les voueries furent robjel d'une foule de contrats; et, dans presque tous ces contrats, la question financière est signalée comme l'objet principal qu'ont en vue les parties en cause; à peine y est-il encore (piestion des devoirs de judicature des voués, et, dans tous les cas, ces devoirs de judicature sont considérés comme des charges onéreuses, et plus comme des prérogatives. Les dernières années du XII*" siècle et les premières années du Xlil'^ sont au reste l'époque où , par suite de circonstances étrangères au cadre de cet essai, la féodalité commençait à se ruiner en Lotharingie. Les grands sei- gneurs avaient d'immenses besoins d'argent. Beaucoup de roues cherchèrent alors à obtenir en une fois le capital que représentait leur dignité , et dont celle-ci leur permettait de perce\oir les intérêts annuels aléatoires. Ils cher- chèrent à vendre leurs voueries, et les églises, suivant un conseil du pape llonorius III, se hàtèient de les racheter '. En 1:232 le sire de Fonlinnes vendit à la cathédrale de Liège sa vouerie des villages de Ponl-de-Loup et de Chàlelet, sans se réserver aucun droit de judicature dans ces localités, seigneuries de la cathédrale -. En 1233, le comte de Looz enyagoa à prix d'argent à l'évéque de Liège sa vouerie de Tongres, d'Alken el d'Oreye "'. En 1242, le sire de Rochefort céda à l'évéque régnant el à ses successeurs la Nouerie d'Assèche, qu'il venait de récupérer contre la dame de Poilvache *. En 1242, le sire de ïellin, voué de liure, en 1248 Godefroi de Perwez, voué ' NValtkh, ouv. cité. ' ScHoiiMiiiooDT, oiiv. riu', ai'lo n" 89. ^ Iilciii, il)i> etiani de aliis niiiversini.... De oinnilms aniendis sive hutis (hoelen), habet « ad\ocatns tertiani parteni et non pins '. » En 1829, le voné de Meni- hersée, villaii;e on la eatliédrale nommait le maïeui- et les éelievins, déclara ((n'il n'avait droit ([n'a nne part des amendes; mais, en revanche, il leconnnl ;i\oir l'ohlii^ation de j^arder les mallaitenrs prisonniers, an\ Irais du cha- |)ilre, sauf à les remellre an maïeur local dès qu'il en serait requis -. En 1337, le comte de Looz, voué de Zepperen et de (irootloon, etc., fit con- naître que la liante et basse justice de ces villages appartenait an chapitre de Saint-Scrvais de Maestricht, et (pie si le voué y percevait nn tiers des amendes, il devait en rcN anche faire exécuter les malfaiteurs et les voleurs condanmés par la justice {\n chapitre '\ Nous pourrions encoi-e alloni^cr rénumération (|ue nous venons de faire. Mais au fond ce serait un travail inutile. Les faits que nous avons accumulés j)rouvent assez Tassertion (jiie nous avons émise plus haut, (|ue les voueries an XIII'" siècle étaient dans une com|)lètc décadence, an point de vue judiciaire, et qu'elles étaient considé- rées surtout comme des sources de revenus. dépendant, il faut se garder d'attribuer une portée trop générale aux données des pages qui précèdent. Malgré les tendances qui pri'valaienl, il ) eut beaucoup de voue.^ ou de snus-rours . fortement établis dans le ressort même de leur vouerie, qui continuèrent encore au Mil'' siècle à y exercer seuls la haute justice criminelle. Le fait se présenta surtout dans les terres des dilTérenls chapitres *. Il y eut des rours qui, sans continuer à exercer dans les temps ordinaires la juridiction ré|)ressive, conservèrent néanmoins le |)rivilt''ge de ponvoii' être seuls appelés à cxècHler les jngemenls, (piand r,d)lie du monastèi-e cr(tirait devoir avoir recours à un ('Iranger puissant. L"ai)l)e et labbaNc d'Aidne dans leur cour (rAnglicon-Spine, axaient : « li » justice en tous cans (pii poraient eschoir dedens le court, » et ils pou- ' De S.»i.\t-Gf.nois, ouv. cite, jireiivvs, p. -2'>(l î SciiooNniinonr, oiiv. cite, iiclp ii" 58:2. ■• /hillrliiis (II- Iti Coiiniiission roijalf d'hisloirc , ô'"' si'i'ic. 1. I.\. p. G"-'. * WiHii.wii.i. . im^. . -47. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 63 vaieiit faire « tel justice que hou leur semblera par clevans les murs clevans » dis de cette cour, » « seulement s'ils voulaient faire « exequution de celé » justice par dehors, ils ne puelent apelier four 3F Jean advoez u celui qui » advoez seroit adont, u leur sériant '. » Il y eut des roués qui conservèrent une sorte de droit de surveillance sur l'administration delà justice, et qui venaient semoncer les échevins quand le maïeur restait indûment en défaut de les semoncer : « et s'il avenoit ke li » maires a ceaux de Aune estoit en defaule de conjurer les eskevins, 11 » advoez u ses serians les pooit conjurer, et deveronl li eskevins jugier au » conjurement del advoez u de son seiiant -. » Il \ eut même des \oués (|ui, fa\orisés |)ar les circonstances et par une iji-ande concentration de puis- sance locale, réussirent, après de lonij;s et séculaires elïorts, à absorber la seigneurie dans la vouerie. Nous ne |)arIerons pas ici des Beitliond de Malines. Malines, bien qu'appaitenant an\ é\èques de Liège, se troinait dans le mouvement brabançon plus que dans le mou\ement liégeois. Mais nous citerons deux exemples caractéristiques pris au canu' même de la prin- cipauté. Les célèbres voués d'Awans, avant l'épocpie où ils cédèrent leuis droits à l'évèque de Liège, étaient connus partout sous le nom de seigneurs d'Awans, et ne donnaient à l'abbaye de Priini, pro|)riétaire du village, que ce qu'ils voulaient bien lui donner '. Les Warfusc'c, \ouésde Moimiale, |)()r- taient également le nom de seigneurs de Moumale, bien que celle terre appartinl à l'abbaye de Saint- Laurent; et l'abbaye, pour sauver au moins (|uelque chose de ses droits absorbés, finit par vendre aux Warfusée sa justice et sa seigneurie *. Quoi qu'il en soit, ce fui au XIII'" siècle que iU\(/)(m(ls Jasliriers spé- ciaux furent établis par les évèques pour pi-endre la place des voués, qui ne se mêlaient plus de judicature, et pour agir à côté de ceux qui avaient encore conseivé leurs antiques attributions. Les prévôts restèrent dans cer- ' Aiuatles du cercle archéoloyifjiic de Mous, ciululiiiro citi', I. V, p. 205, acte ii" 2'2'i de l'an 1288. '^ Idem, ibidem. 5 Raikem, Discours de I8G2, p. 22. ' HENiiicoi;itT, Miroir des nobles de Hesbuye, ùditioii de Salbray, p. 25. Gi KSSAl SLH L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL tains (MKJroils adiiiiniiiistrateurs et gardions des revenus de Tévêque \ Les haUlis (|iii, sons le nom de hailtis ou Av snu'-chanx, existaient depuis long- teni|)s dans les |)rin(ij)autés voisines '^, apparurent comme les principaux mandataires de 1 evèque chargés de l'exercice de la liante justice criminelle. Dans la charte de 1259, (|uc nous avons citée plus haut à propos des prc- rols, ceux-ci sont encore placés sur la même ligne que les baillis. Dans les documenis postérieurs, relatifs à la juridiction criminelle, ce n'est plus que des baillis qu'il est question. Une arrestation et une exécution irrégulières, laites en 1275 par le bailli du Condroz, donnèrent naissance à la guerre de la vache; et, pendant la même guerre, ce furent les baillis du pays de Liège qui conduisirent les populations au combat. En ellet , à leur charge de hauts justiciers, les baillis joignaient celle de chefs militaires des hommes libres non chevaliers ^. Depuis la ciéation des hai/lis liégeois, les maïeurs et les écoutètes des vil- lages, (pii, comme nous l'avons dit, étaient deveinis de véritables justiciers d'ordre inférieur, furent surtout subordonnés à ceux-ci, au lieu de l'être comme autrefois aux rouAs *. Le chapitre cathédral ne tarda pas à imiter le grand acte que venaient de faire les évèques. Dès le Xlll'^ siècle il eut aussi son hailli, chargé d'exercer la haute jus- tice criminelle dans ses seigneuries, en vertu du bannion de l'Empereur ■^ Ce bailli porta longtemps le nom de hailli de la cathédrale *'; mais insensible- ment il partagea ses prérogatives aNcc un certain nondire de justiciers dits hauts o/liricrs, {\uc le chapitre établit dans ses dilTérents villages '. Après que le chapitre, au XIV' siècle, se fut plié à la règle commune du pays, et eut ' WiioLwii.i., ()ii\. filé, |). 31. * PoL'LLiiT, I" Mémoire sur le droil |i(''ii:il ciié, p. 38. "■ \ViioL\vir.i.,oiiv. eilé, pp. 31, 34. - Chm'eavillb, I. II. p|i. 'OS. '»73, ele. — Cliroiiùities (II' Jeun d'OulremvHsc , citées. I. V, pp. 400 et siiivîiiUes.. * WiioLwii.i.. ouv. cilé, p. 31. ^ SciiooMiFiooDT , oiiv. cité, iiete n" 3.^8. >• Idem, iliidcni. — Hkmhicouiit, Miroir des nobles de //eslun/e, piissim. — Analecles pour servir ù l'histoire ecctésiusiifiiie, t. VII, 2"" livraison, p. 185. " Jean «le I''I('IimIIc. cliimoiiie . J/niil officier de Tilf; voir plus loin. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 65 abdiqué en fait ses prétentions à Tindépendance, son bailli et ses hauts officiers ne demandèrent plus le hanmnn à l'empereur. Ils furent censés le recevoir de Pévêipie lui-même, seigneur justicier dominant de tout le territoire. On aura sans doute remarqué que, jusqu'à présent, nous avons parlé sur- tout des justiciers des campagnes. Il nous reste à parler de la marche décrois- sante que subit l'influence des voués dans la plupart des villes , et surtout dans la ville de Liège. Cette face de notre sujet, moins compliquée que la _ première, doit être traitée à pari. On le saislia tout d'abord. Dans les villes, c'est-à-dire dans les endroits populeux où de nombreux hommes libres, anciens et nouveaux, vivaient côte à côte et se prêtaient mutuellement soutien et appui, il avait toujours été dillicile aux voués de dépasser les strictes limites de leurs droits. Dès l'origine, ils avaient dû se contentei- d'y exercer leurs attributions à Tépoque des iilaids (jvnémux, et dans les rares occasions où l'évêque demandait leur intervention. Mais lorsque les villes étaient devenues franches, c'est-à-dire (piand elles avaient été judiciairement et administrativemenl détachées des territoires qui les environnaient, et en même temps dotées de privilèges spéciaux, le rôle judi- ciaire des voués avait insensiblement été annulé. L'institution des plaids généraux était tombée en désuétude ', et les évoques avaient établi dans les villes franches un représentant amovible spécial, d'une condition naturelle- ment supérieure à celle des maienrs ou écoulêtes des villages. Ce représentant portail (piohpiel'ois le nom de villiciis; (pielquefois, comme à Liège, il poitait dans les temps primitifs le nom caractérisli(|ue de Judex -. Il est question du jiulex de Liège dans la Chronique de Godeschal à propos de l'époque de saint Lambert : « Amalgiso qui olim judex ejus fuerat ''; » et, ce qui est plus sur et plus inq)ortant au point de vue de l'histoire, il en est question dans une charte de 1034. : « 3Ieineris judicis cl civis Leodien- ' Wnolwii.!., oiiv. filé, p. 7. — Le Pawi'ithars ,h proims des plaids gûiicraiix, ne \nn-\e que des villes champêtres. — Covtinnes du piiys de Liège, Li Pawcilliars, décision n° 181, — A l'avenir nous eiteroiis toujours les numéros de ee Parceilliars imprimé. 2 A. Wauters, De l'origine et des premiers développements des libertés communales. Aux chartes des pages Set 10,1e mot ^lif/ex est |)riseonimc synonyme déchevin ; mais, dans la charte de la page 12 le judex est formellement distingué des scainni. 5 Chapeaville, t. II, p. 34G. Tome XXXVIII. 9 66 ESSAI SLK LHISTOIKE DU DROIT CKIMIiNEL sis '. » Ce Meinerus, d'après les ternies mêmes du diplôme, était un piopi-ié- taiie allodial et non un homme de classe inférieure; on ne peut pas non plus le confondre avec l'avoué, puisque celui-ci, Wif/gerus, est nommé à côté de Meinorm -. Bientôt, cependant, le justicier épiscopal de Liège reprit le titre de vtUicm , devenu commun à tous les justiciers municipaux : la charte de 1 107 relative aux privilèges des chanoines fait mention du cillicns de Liège ■'; des chartes de 1 167 et de 1171 du ciUicus de Saint-Trond '; une charte de 1 130 du villicus de llu) •'. Mais, quel que fût le titre qu'il portât, sa présence à Liège et sa condition sociale, qui ne permet pas de voir en lui un simple employé domanial, expliquent conmient les droits du haut voué de la cité furent très- tôt léduits à peu pi'ès au droit de percevoir certains émoluments •'. Pendant le règne de Rohert de Langres, il y eut à Liège un grand dèhat à propos des prérogatives du voué. C'était en 1241. L"évèque donna mission à Renier de Lexhy et à Guillaume de Crisgnée de rechercher quelle avait été la pratique des choses pendant le l'ègne de son prèdècesseui" Jean d'Aps. Les délégués devaient consigner le résultat de leur enquête, en présence du grand prévôt et de l'archidiacre de Saint-Lambert, des doyens de Saint-Martin, de Saint-Jean et de Saint-Paul, du chantre de la cathédrale et de l'archiprètrc de Liège, sur deux chartes. L'une de celles-ci était destinée au voué, l'autre à l'évêque. Le maïeur, les èchevins et les bourgeois de Liège furent inter- rogés à cette occasion, et leurs réponses nous sont conservées. En 12i4^ et en 12o5, Henri de Gueldre recommanda au maïeur, aux èchevins et aux bour- geois de Liège, de permettre au voué de jouir en paix des prérogatives dont il avait joui à la suite de l'enquête faite sous Robert de Langres; de lui restituer ' Ainplissitnu collectiu, t. IV, p. 1 160. * De SaiiNT-Ge>ois, ouv. cilO, p. I(>8. — L'autcMii- s'est Ironipù. 11 assigne à la cliarlc la ilalt- de inV; or, à ceUe ('i)0(]ue, il n'y avait pas devèqiic île ijéi;c du nom de Reginard , tandis ipiil y en avait un en 1034. ' Voir celte cliarte. * SciiooNDiiooDT, OUV. cilé, acte n" 10. " CiiAi'KAViLi.E, t. II, p. 7i. — Analecles du ceixk urrlit-ut()(ji(juc île JIuiis , t. V, p. I!)j, note '2. — A Thuin on disait uiujui: •" WiiOLVviLi. , ouv. cite, p. 71. DANS L'ANCIENIVË PRINCIPAUTE DE LIEGE. 67 les profits perçus par eux à son détriment; et de faire en sorte, pour l'avenir, qu'il n'ait plus à se plaindre d'empêchement mis à l'exercice de ses droits '. Les actes de 1241, de 1244 et de 1255 sont donc en rapports intimes. Ils nous apprennent quelle était la véritable position du voué de Liège au XIII« siècle. Cette position est caractérisée en ces termes par un d'entre eux : « S'est à savoir ke toutes amendes, tout meffait, toutes enfraintures, » toutes enlrepresures, tout ban, toutes diffenses, toutes commandises et » tout estatut, sont fait à Liège par le maïeur et par les eskevins, et toutes » amendes de quoi ke cbe soit, toutes escances, toutes paines, tout fourfait » et toutes droitures levées. Et briement en quanke maires et eskevins » manie justiclie et lieve, // voués i a mi tieir/t , li cveskes sen tierch , et » li maires et li eskevins leur tierch, et est // voués panhonniers purewel- » ment à tierch encontre iaus en toutes coses briement. » Il est à remar- quer, toutefois, (ju'un autre acte faisait une distinction entre le cas où l'amende était prise apirs plainte faite et- tournée en droit, et le cas où la pais estoit assise sens loij entre les parties. Dans le premier cas, le voué per- cevait le tiers de la somme payée, dans le second cas le cinquième. Jusqu'ici il n'est question que de perceptions pécuniaires. Les documents que nous avons sous les yeux reconnaissaient encore au voué un certain droit d'intervention en matière de \iolences : « et si doit li voués oster li l'orche » avec li maïeur. » Il pouvait donc prêter main-foite à la justice ordinaire, mais sans avoir comme jadis une action judiciaire principale. Enfin, d'après les mêmes textes, il avait consei'\é une prérogative au sujet du commerce des vins. « Et si tors fais eskiet des vins, li voués i a une aimme de vin. El si » li maires quiert li mauvais vin li voués i doit iestre, ou ses messaiges. » Et si viniers clost son chelicr et ne le veult ouvrir, li voués li puet brisier » ou ses messaiges sans riens fourfaire. » Le Paweilliars, rédigé, comme nous l'avons dit, à la fin du XIII'' siècle ou au commencement du \l\% reconnaissait au voué de Liège des prérogatives analogues à celles que nous venons d'indiquer : le droit de visiter avec ou ' Ces doiaimenls sonl publiés dans le BuUrtin de l'inslitut archéologique liégeois, volume de 1857, p. 05. - Us sont analysés dans l'ouvrage de Scuoo.nduoodt, actes n»^ 149, 150. 68 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CKIMLNEL sans le maïeiir, mais avec les maîtres de la cité, les celliers où Ton falsifiait les vins, d'en briser les poites et de s'en approprier les tonneaux; le droit de percevoir le tiers de toutes les amendes de sept sols en arant. Mais, de véii- lahles fonctidos judiciaires, du droit de présider et de semoncer Féclievinage, plus un mot. Le haut voué avait délinilivenient cessé d'être à Liège un grand oflicier de justice. Les voués des autres villes du pays étaient sans doute dans une position analogue au XIIL" siècle '. Cependant, comme nous n'avons aucun document précis de l'époque qui traite de leur situation, nous n'insisterons pas, et nous passerons à une étude nouvelle : celle des justiciers territoriaux du pays de Liège au XIII'' siècle. Des Justiciers territoriaux au XIII' siècle. Outre un certain nombre de voués, qui, comme nous l'avons dit, conti- nuaient encore à exercer la haute justice criminelle, et qu'on peut à ce point de vue assimiler à des seigneurs de villarje - dans une position particulière, iKnis trouvons établis dans le pays de Liège, pendant la seconde moitié du XIII'' siècle, un nombre considérable de justiciers territoriaux. C'étaient: les baillis de l'évèque et, pendant quehpies aimées au moins, les prévôts sur les marches de la France ^; le maiéchal de révècbè ipii, quoique digni- taire militaire, exerçait dans certains cas et par exception les fonctions (follicier criminel *; le bailli de la cathédrale, et bientôt les /tmits officiers des seigneuries du chapitre ■'^; les seigneurs de village *"'; les châtelains hérè- ' WllOLWILI., OIIV. cill', p. 71. ^ La lettre dis vi'iiuli's l dit : " di- (niolihct aiilcni fori'facto supradiclo liaLi-l)il uilvo- » nilits scpliniani |iart('ni,in l)aniio nlii advocaliis ail ..si vcro aihntatns ilii non riicril,(/(;»M'HM.s » illius banni. » Los voiii-s héréditaires on les seigneurs étaient ici mis sur la même ligne. '• IloDi.N, ouv. cité, t. I", p. I;)'). — Voir ce que nous avons dit plus haut. ' Li l'iiwt'illiurs , n" 2^0. — On ne lrou\c pas ([uc le sénéchal ait exercé à Liège, au moins au .Xlll' siècle, des fonctions judiciaires. '^ Voir ce que nous avons dit ])lus haut. '■ Wiioi.wiLi. , ouv. cité, p|i. (il, i'i'i. — LrusME de Ciiokieii, De advoratis feudalihus. Quaeslio 87, n" II); « jurisdietio eompctcns dominis eenselur in eorum patrimonio sicut asinus in do- > mitiio rustiei. > DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 69 flitaires du pays qui, bien que fieffés de l'évèque, pouvaient à raison des liens tout spéciaux (|ui les unissaient à celui-ci être considérés comme des officiers * ; le grand maïeur de Liège et les maïeurs ou écoutétes des villes franches-; les maïeurs ou écoutétes des différents villages, épiscopaux, capilulaires ou seigneuriaux •'. La plupart de ces officiers avaient à leurs ordres une sorte de clerc de justice et un certain nondjre de sergents, seriens, forestiers. A Liège, le srand maïeur nommait lui-même son clerc et le destituait à volonté: mais ce clerc devait néanmoins faire féauté, à la fois, au maïeur, aux échevins et au roué*. A Liège, encore, le grand maïeur nommait les douze varlets armés qui gardaient la cité, « ma} ement sains leurs espées ne doyent-illi alleir, » et les hofelhons en nombre indéfini, chargés de faire les exploits inférieurs de justice, « mains sains leur verge ils ne puelent faire nul arrest •'. » A Maes- tricht, suhant de oude cuerle de 4283, il y avait deux sergents : un du duc de Brabant, un de Tévèque. Ils avaient charge d'arrêter indistinctement tous les délinquants, sauf à les remettre, lorsque leur nationalité était constatée, au justicier de l'un des deux seigneurs. Ces sergents maestrichtois portaient anciennement le nom de tortores ''. Dans le plat pays, les sergents ou fores- tiers étaient généralement nommés par le bailli du ressort, et, dans les sei- gneuries, par le seigneur local '. lA'vêquc nommait le grand maïeur de Liège, les baillis, le maréchal, les prévôts, les maïeui's ou écoutétes des villes franches. Depuis 1234, et à la suite d'une sentence arbitrale qui mit fin à un différend soulevé entre lui et son chapitre cathèdral, ce dernier corps exerçait néanmoins un droit de con- trôle sur la nomination du grand maïeur de Liège et des maïeurs de Huy et ' WiiOLW ii.i., oii\ . ciU', p. ô I . — Bulletins de la Cumiiiissiuii mijule (/7i(.s/o//c, i'' séi-ic, i. IX, p. 40. Dans la diarlc do 1:238 , qui s'y irouM- anal} sec, ils sont cites comme officiers. *'' Les lois muées , la paix îles clercs , etc. ' Bulletins de la Commissiuii royale d'histoire, loco citato. — Rmkem, Discours de 1838. — Li Paweilhars , passim. * l'alrun de la Temiioralilê, p. "ISl. •' Patron de la Temporalité , p. 287. '' A. Wautciis, De l'origine et des dévelop. îles libertés communales, cliarlc de 1245, p. 2(53. Patron de lu Temporalité , \>. 284. 70 ESSAI SLR LUISTOJRE DU DROIT CRIMINEL vX do Diiiaiit '. A Maoslricht ot à Saint-Trond, où il y avait deux officiers, Tévèquo en iioinmail un; Taulre dépendait du duc do Brabaiil ou de i'aijbô du monastère -. Les baillis et les autres justiciers du même rang disposaient encore des iiKiiries, des ('rhi'riiuifjes ot des foresfciicft des villages où révoque avait la seigneurie immédiate '. Quant au grand maïour, il mettait de sa main le maïour et les échevins de Voltem « dedens Francliiese ^. » Les grands officiers pouvaient aussi « substituer officiers sous eux, » en les admettant au serment de féauté devant deu\ échevins au moins d'une cour de justice. Ces officiers substitués n'étaient pas de véritables lieutenants permanents. Le titulaire principal de l'office pouvait les nommer, leur lopiondre leurs pouvoirs, les leur rendre, les remplacer par d'autios, toutes les fois qu'il le voulait. A Liège, le maïour substitué s'appelait viaïeiir en féauté •'. Le bailli de la cathédrale était institué par le chapitre de Saint-Lambert. Peut-être conférait-il aussi les charges de justicier subalterne dans les vil- lages où le chapitre avait la seigneurie, mais nous n'avons aucun document (|ui nous le prouM' ^. Les seigneurs étaient justiciers héréditaires dans leurs terres. Ils exer- çaient leurs droits par eux-mêmes, dans les circonstances importantes", et pouvaient nommer dans leurs villages des écoutêtes ou des maïeurs **. Les documents du XIII'' siècle ne |)arlent pas encore expressément de la moyeime justice. Ils ne distinguent, d'une manière précise, que la justice haute et basse. Celle-ci u'aNail que des attributions civiles ". Los seigneurs ecclésiastiques ' SciinoNBHodDT, oiiv. //s- ùmu colleclio , l. I", pji- 1317, ITilH. '' SciiooNrmooDT , ouv. citt', acte n" ôo2. — Wiiolwili., ouv. cilr, p. 46. ' .SOIIET, (Ml\. lil(''. * Uaikkm . DiïCduis de 18138, p. 2(1. — Li Patceilliurs , passîin. ' IUikëm , l)i>ciiui's, /«i.ssiw. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 71 ou laïques, qui avaient la juridiction criminelle, pouvaient ordinairement connaître: de « sang et burine, de lions larrons on y prendrait, ou bataille y » faisait ' ; » « des homicides et des autres malfaiteurs -; » de « falsa men- » sura, et latro et lex campalis, » etc. ^. Les fonctions de tous les officiers criminels, qui devaient leur charge à une nomination, étaient essentiellement révocables au gré du mandant. Toutes œuvres faites par les échevins à la semonce d'un maïeur destitué par le seigneur, mais que les échevins voulaient garder contre le gré de celui- ci, étaient radicalement nulles *. Les fonctions dos officiers criminels ces- saient, en outre, de plein droit, quand celui qui les avait conférées venait à mourir. Nous avons déjà dit, dans notre introduction, que la loi ccstidit de courir à Liège en cas de siège vacant, parce que les justiciers étaient désar- més, et que les chartes impériales de 1299, qui avaient voulu changer sur ce point le droit constitutionnel du pays, n'avaient pas été acceptées par la pratique ^. Il est assez probable que les justiciers ne recevaient pas toujours au XIII'' siècle une commission ccrite. L'évéque ou le seigneur se contentait sou- vent, croyons-nous, de les présenter officiellement à Téchevinage ou à l'un des échevinages auprès duquel ils exerçaient leur charge. Un vestige des anciennes coutumes s'était conservé au XIV'^ siècle, époque où les com- missions écrites étaient devenues d'un usage général ''. L'èvè(|ue, au lieu d'octroyer des lettres patentes à son grand maïeur de Liège, pou\ait le présenter de bocke^ en personne, et nient autrement, à l'èchevinage de la cité, et le faire agréer par lui ''. ' Anulectes du cercle archéologique de Mous, t. V, p. 287, tlraiic lic liîOo. '^ Idem , t. IX, \\. i'to, iicte de Iô2!». '> AmpUssima collvctlo, t. IV, j)p. 1 174, I 173. * Li Pitweilliurs , difision n° 260. ■' SciiooNBROODT, ouv. c'itc , actc 11° Mi. — « Quodqiic vacatilp scdc Lcodicnsis ecclosiac, vil- 1' licus qui pio Icmpore fuerit, possit in loco iibi coiisliluliis fucril, scabinosloci ad profereiiduiii B judicia cl senleiitias inoncre et proferre... » '' Le Palroii de la Temporcdilé , dit : !. — IIocskm, Jean (l'Oiih-emetiae , etc., passlin. '' Li Puucillnirs , dici^idii n" 5j. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 73 de jiidicature au plat pays étaient plus onéreuses qu'honorifiques, un article du céli'bre privilège liégeois dit d'Albert de Cuyck : l'article qui déclare qu'un bourgeois de Liège ne pourra être contraint à être maïeur, fores- tier, échevin, juge synodal, dans un village où il possède des terres ^. Le cumul des charges n'était pas encore interdit à Liège, ni au XIII^ ni au XIV^ siècle. Bien que, comme nous le verrons, les offices de bailli du plat pays et ceux de maïeur de ville franche fussent essentiellement distincts, rien n'empêchait qu'ils fussent réunis sur une même tête. Jean de Halloy, l'auteur involontaire de la guerre de la vache, était à la fois maïeur de Ciney et bailli du Condroz ^. Il était même admis qu'on pouvait être à la fois justicier et échevin, ou justicier et fonctionnaire de la cour de l'évêque. Hemricourt nous parle, en effet, de Jean de Chokier, échevin de Liège et de Huy, et bailli de Thuin '-, de Jean de la Vauk, grand maïeur, échevin de Liège, et maître d'hôtel de Jean d'Arckel *; de Renard iMaxerè, de la maison de Schonvorst, maréchal de révêché sous Englebert de la Marck, et échevin de Liège ^; de Jean Roileau, échevin de Liège, et bailli de la cathédrale, etc. ''. La vénalité des offices n'était pas encore proscrite en termes exprès par le droit commun du pays. Cependant, elle était (k\jà défendue dans certaines villes. En 1233, le chapitre de la cathédrale exigea de la part de l'évêque des garanties pour la nomination des maïeurs et des échevins de Liège, de Dinanl et de Huy. De là débat et intervention du souverain pontife. Un arbitre pontifical prononça sa sentence au mois de juin 1234. : il décida que l'évêque ne pouirait pas vendre les charges de maïeur et d'échevin dans les trois villes susdites; qu'il devrait en choisir les titulaires parmi des hommes dignes et capables; que les èvêques futurs, enfin, prêteraient serment au chapitre au jour de leur inauguration, de se conformer à ces prescriptions''. ' Article 9. '^ Chroniques de Jean d'Outremeuse, t. V, pp. 402, 403, 404. ■> Hemiucouht, Miroir des nobles de Ileshaye, pp. 49 et 14t>. * Idem, p. 31. ^ Idem, p. 54. ^ Idem, p. 242. ' W'iioLwiLL, oiiv. cité, pp. 58, 59, 60. — Schoonbroodt, ouv. cité, acte n° 102. Tome XXXVIII. 10 U ESSAI SLU LHISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL Il va de soi que les justiciers prèLiicnt tous un serment de féanté à révêtjuc, au chapitre cathédral, ou aux seigneurs laïcs et ecclésiastiques desquels ils tenaient leur nomination. Les documents du XIV*' siècle nous apprennent, à propos du seiinent du grand maïeur de Liège , des particularités curieuses qui concernent évidemment le XIII*" siècle lui-même. Le grand maïeur, étant accepté et mis en frautfcit par les échevins, devait jurer : d'être doréna- vant vrai et féal à Monseigneur de Liège, aux échevins, au voué, à tous ceux « sour lesquels ilh dehverat ollichier, » aux bourgeois de Liège, et de semoncer les échevins, à la demande de tous ceux qui l'en requerront, « à son lo>al pouvoir. » Puis, a\ant d'entrer en fonctions, il était présenté au chapitre de Saint-Lambert par les échevins. « Cliers seigneurs, » disaient ceux-ci, « notre révérend père et cher sire l'évèque de Liège a commis N. à l'office » de la maïeurie. Nous l'avons bénignemeni reçu et, avant que plus en soit » fait, nous vous le présentons, pour qn"il fasse le serment usité d"ancien- » neté et que le livre de nos chartes contient '. » Nous ne connaissons pas exactement les termes du serment inscrit au livre des chartes. Ses pi-incipales clauses avaient sans doute trait à la vénalité des charges et aux privilèges des chanoines. Déjà, en vertu de la sentence arbitrale de 1234 , dont nous avons parlé, le maïeur de Liège (comme les maïeurs de Huy et de Dinant) devait jurer, en présence d'un certain nombre de chanoines, qu'il n'avait rien promis ni donné pour obtenir ses hautes fonctions -. Depuis 1253, date de la confirmalion des privilèges des clercs liégeois par Henri de Gueidre, il était tenu de promettre sous serment : que jamais il ne demanderait sentence aux échevins, par rapport à un méfait commis par les \ai'lels des chanoines; qu'il exigerait un serment analogue du maïeur en féauté (pi'il établirait ~\ Cette dernière partie du serment fut vraisemblablement modifiée ou raturée , après la conclusion de la paix des clercs. Connue nous désirons faire aussi peu que possible des conjectuies, et ne marcher ([u'appuyès sur des preuves, nous laissons de côté les foinialités ù ' l'utrun de la Tempurulilé , p. :28G. - Voir celle charte tlonl nous avons parlé plus iiaul. ' AmpUssima colleclio, t. I", pp. 1317-1318. DANS L'AISCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 75 remplir par les autres jusiicieis du pays en entrant en charge. Nous abordons donc une élude nouvelle , celle des pouvoirs qui leur appartenaient. Tous les justiciers que nous avons énuniérés avaient des pouvoirs ana- logues , quant à leur nature , mais très-différents quant à leur étendue. Quel- ques-uns d'entre eux étaient à la tête d'un vaste ressort territorial , dans les limites duquel ils connaissaient des infractions les plus graves. D'autres, et c'était le plus grand nombre, n'avaient qu'une compétence matérielle et un ressort fort restreints. La principauté de Liège était divisée en un certain nombre de bailliages, com|)renant des contrées entières, telles i)ar exemple que le Coudroz, le pa>/s de Tliuin , la Ilesbaye. Chacun de ces bailliages formait le ressort territorial d'un bailli; mais néanmoins ce bailli n'avait encore aucune action reconnue ni dans les seigneuries capilulaires, ni dans les seigneuries hautes-justicières , ni dans les villes franches qui étaient enclavées dans les limites de son ofTice. En 1347, sons Englebert de la Marck, le chapitre de la cathédrale contes- tait encore à l'évéque le droit de punir les délinquants dans les seigneuries capilulaires; à plus forte raison n'admetlail-il pas ce droit au \\\V siècle '. En 1273, l'empiétement imprudent commis par un bailli sur les préroga- tives d'un seigneur justicier allumait la guerre de la vache. Le sire de Goesnes s'était irrité « (|uand il entendit (|ue li balhieu avait son homme » calengiet de cas de crisme en lieu où il n'avait point de povoir ni li evesque » son maistre -. » Chaque ville franche, Liège, Huy, DinanI, Ciney, Fosse, Thuin, Tongres, etc., formait avec sa banlieue un ressort tout spécial, dans lequel le grand nuiïeui' ou le maïeur local exerçait seul les droits de juridic- tion ^. En Brabanl, les grands ofliciers des chefs-villes étaient, en vertu de leur qualité même, baillis du plat pays compris dans le ressort de la chef-ville *. A Liège il en était autrement. Si les baillis du plat pays n'avaient aucune autorité dans les villes, les officiers des villes n'en avaient aucune dans le plat pays. ' SciiooNBRooDT, ouv. cite, acte 11° C64. 2 Chroniques de Jeun d'Outirmeiise , t. V, pp. 402, 't03, 404, 40d. 3 WiioLwiLL, ouv. cité, p. 31. * Poi'LLET, I" Mémoire sur le droit pénal cilé, p. 1:20. 76 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Le marôclial de révêché, considéré comme justicier, n'avait pas de ressort particulier. Nous pensons qu'il officiait dans le territoire tout entier, mais seulement par exception. Le bailli de la cathédrale, tant qu'il fut le seul haut officier du chapitre, avait dans son ressort territoiial toutes les seigneuries capitulaires. Chaque seigneur agissait comme justicier dans les limites de sa seigneurie. Enfin, chaque écoutète et chaque maïeiu' du plat pays, qu'il fût nommé par l'évéque, par la cathédrale, par un seigneur laïque ou ecclésiastique, avait pour limites de sa juridiction territoriale les limites de son village ou de la seigneurie de son mandant ^ Dans les hailliages du plat pays, les maïeurs et écoutêles locaux étaient plus ou moins subordonnés au bailli de la contrée. C'était le seul vestige qui existât d'une hiérarchie entre les justiciers. Chaque bailliage formait un tout, sans ra|)porls légaux, stables, réguliers, ni avec les bailliages voisins, ni avec un justicier général de la principauté -. Sil est vrai de dire que, au point de vue du rang et au point de vue de la multiplicité des juridictions auprès desquelles il officiait, le grand maïeur de Liège était le justicier par excel- lence de l'évéque, au moins n'avait-il aucun droit d'impulsion, de surveil- lance ni de contrôle sur les autres officiers de justice liégeois ^. En ce qui concerne la compétence matérielle, il faut nécessairement dis- tinguer le grand maïeur et les officiers des villes franches , les baillis de l'évéque, le maréchal, le bailli de la cathédrale et les hauts officiers du chapitre, des maïeurs et des écoutétes des villages. Les premiers avaient seuls, en règle générale, le bannam, le jus gladii, soit comme délégués directs ou indirects de l'évéque, soit comme ayant reçu leurs pouvoirs de l'Empeieur. Les autres n'étaient guèi'c compétents que pour connaître des infractions de moindre importance. Ilàtons-nous cependant d'ajouter qu'il ne faut pas attribuer à cette règle, en ce qui concerne le Xlll" siècle, une portée ' Ce point ressort des iirincipcs fonilnnicnlnux du di'oil piiMic r('()dal. * On ne trouve .uuiiiic trace Av. rajiporls réguliers, entre oflicicrs , dans les doeiiineiit'- du temps. '• Nous ■verrons le rôle particulier du grand maïeur devanl le tiiliuiiiil île lu jiiiix et de\ant celui de VAnni'dii du jmluis. DAÎSS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE 77 trop absolue '. Les rapports de compétence matérielle des hauts et des bas officiers étaient encore plus ou moins flottants. Mais plus tard, nous verrons de fréquentes conventions arbitrales déterminer strictement ces rapports, dans le sens des principes que nous venons d'exposer ^. Nous venons de parler de V étendue des pouvoirs des justiciers; occupons- nous maintenant de leur nature. Les justiciers du pays de Liège, au XIII" siècle, étaient officiers de police judiciaire et chefs de justice : ils n'étaient pas officiers du ministère public. Ils arrêtaient les délinquants, soit seuls, soit avec l'aide de leurs sergents ou forestiers, soit avec l'aide de la contine du pays, en se conformant aux privilèges locaux et au droit commun du pays ■''. Ils recevaient, chacun dans la sphère de sa compétence, les plaintes des parties lésées, et, la plainte étant faite, traduisaient les accusés en justice c'est-à-dire allaient en aivant ^. Ils assistaient aux devoirs de preuve, faits par le plaignant et par l'accusé, et, dans les cas rares où le droit comnuni achnottait la recherche des preuves en dehors de l'action des parties , ils dirigeaient les échevins dans l'enquête à faire ^. Ils demandaient l'application de /rt;W/i , Discours de 1847, p. ôO, note "2, rap|)ellc que, d'après la somme rnrale, il fallait la plainte écrile de la jjartie, en France. ^ Patron delà Temporalilé, p. -2S[). — Loi muée des chanoinex, article 25, etc. s Nous étudierons plus tard ce droit. 78 ESSAI SLR LUISïOIRE DL DROIT CRIMINEL pour concourir à la sentence. CéUiil toujours rancien principe germanique (|ui avait survécu \ Les Itiullis de l'évêque seuls exerçaient le droit cr«>s//( et d'ohattis, reconnu par la |)ai\ de Fexlic comme appartenant à la hauteur du prince. Dans l'exer- cice de cette prérogative, les maïcurs et les écoutclcs ne leur servaient (|ue d'auxiliaires "-. En revanche, les maïenrs ou écouiêtes locaux avaient, même dans les cas où l'intervention des baillis ou d'autres hauts officiers était nécessaire, des pouvoirs spéciaux. C'était à eux seuls qu'il appartenait de convoquer et, jusqu'à un certain point, de présider les échevinages. Sans maïeur il n'y avait pas de Iriliunal : « revocavit oHicium villici, et non liahuit lex cur- » sum suuni ". » (tétait à eux qu'il appartenait de mettre en icanle de loi les raisucs faites en justice, les faits, les dires des parties, des parliers, des témoins *, c'est-à-dire d'en faire prendre officiellement acte par les échevins. C'était à eux enfin qu'il a|)parlenait de semoiicer ou de conjurer les échevins, « de scabinos praecipiendi et monendi ut iidem sua excrceant judicia ■', » c'est-à-dire de les requérir de donner un avis qui concourut à former une sentence régulière **. « Nous disons et ordenons, » disait une clnute de 1288, « ke en tous cas soit haute iuslicc u autre, ko eskevins de Fontaines en iuge- .. ront... aul conjurcmcnt le maïeur ^. » U semble que lorscju'un échevi- nage était saisi d'un procès dé|)assai»t la compétence matéiielle de son maïeur, le hailli ou luml o//lricr se bornait souvent à faire ce (pie faisait autrefois l'aNOué : assidcrc au tribunal, l'autoriser à agir par sa présence officielle. Il arriva paifois, au XIIF' siècle, (pie ccMtains justiciers voulurent essayer d'introduire une sorte de poursuite d'office. Les échevinages repoussèrent leur préleulion. Le maréchal de l'évêché, à ce que nous apprend le Paweil- hars, avait un jour traduit devant un échevinage un délin(piant contre lequel I \Viioi.\\ii.L, oiiv. lilé, |). 3-2. — Waunkomg, ouv. rili', l. III, I" livraison, p. 'M'i. ^ Clir(>iii(iiieii (h Jean d'Ouliemeiisc , t. V, pp. 34:2 el 505. ^ Vktkui Hisco, Diuriiim lemlioiise, p. 253. * Li Pau-cilli(irs , passliii , entre autres , déci.sioiis n°' 78, I o8, n" 0, lU- " Sr.iiooNRiiooDT, ouv. rite, acte n° 444. — Chronifiuea île Jean (rOuIremetisi- , t. V, paastin. 6 H.MKF.ji, Discours ilc l8o7, p. :i4, note (>. — Paliait de la Tnuporatilc, (i. l'8'.l. ' rii:irte (IWnlnc. déjà citée. DANS L'ANClEÎNîSE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 79 la victime du délit n'avait pas porté plainte. Le délinquant avait avoué son méfait devant la justice, et en conséquence le maréchal avait demandé qu'il fût déclaré atleinl, c'est-à-dire coapuble. Les échevins jugèrent, sur ren- charge des échevins de Liège, que l'aveu était nul parce qu'il n'existait pas de plainte contre le délinquant '. Nous verrons cependant plus loin, quand nous traiterons de Vaction criminelle, qu'il y avait certains cas exceptionnels dans lesquels les officiers de justice pouvaient prendre l'initiative d'une |)our- suite. Il arriva encore au XIII" siècle que les haillis de ré\èquc, s'appuyant sur l'idée du domaine èminent de celui-ci, allum dominiam, prétendirent au droit déjuger par eux-mêmes les délinquants, au lieu de les remettre à la décision des corps échevinaux. En 127o le bailli du Condroz, entre autres, pendit le voleur de la vache, dés qu'il fut en aveu, sans le traduire devant les éche- vins -. Ces prati(pies soulevèrent des réclamations fort vives : elles furent condamnées |)ar la paix de Fexhe comme heurtant les anciennes coutumes nationales "'. Vnc charte particulière de 1272 constate les anciennes cou- tumes en ces termes. Le seigneur d'un village « devant chou que eskevins » l'aient jugiet, il ne puet nulltn' prendre, ni contraindre, ni faire nul » damage *. » Nous verrons cependant plus loin, (pie, dans certaines cir- constances de stricte interpi'élation, le fjranft niaïenr de Liéfje a\ait la pré- rogative inconU'iiln', mais exoi-hilante, de mettre à mort, sans jugement et à sa bonne conscience ', les délinquants appréhendés en vertu d'un droit de quasi haute police. Ceci nous amène à parler des moNcns employés dans le pays de Liège, au XIll" siècle, pour contraindre les justiciers à remplir leur devoir, et à ne pas abuser des prérogatives considérables qui leur étaient confiées. Comme nous l'avons déjà dit, les charges de justicier étaient essentielle- ment amovibles. Il appartenait avant tout à celui qui les avait conférées, ' IJ Paiceilluirs , dùcisioii n" 23(1. "•^ Cluoniques de Jean d'Uiitiemetise , I. V, )i|). iO:>, 403, 404, etc. "' Nous le verrons plus loin. * Annales du cercle archcoloyiiiite de Mons , t. V, p. ti2l, diaite en note. ■' Patron de la TeinpuruUlé, pp. :28'J, -2'M). — Nous revienilrons sur ee point. 80 ESSAI sua LinSTOIRE DU DKOIT CRIMINEL évêqiie, chapitre, seigneur particulier, de corriger leurs titulaires, au besoin en les destituant. Mais le droit même absolu de destitution n'était pas une garantie suffisante pour les justiciables. D'une part, les justiciers étaient parfois d'accord avec leur mandant, évèque ou seigneur, quand ils faisaient quelfjue acte arbitraire; d'autre part, leur mandant ne savait pas toujours, ou ne voulait pas savoir, leur négligence, leur inaction ou leurs fautes. Dès le milieu du XIII* siècle, les monuments du droit liégeois consacrè- rent Pexislence de deux moyens légaux, d'ordre différent, destinés à con- tenir les justiciers de l'évéque, indépendamment de toute action de celui-ci, dans la sphère de leurs attributions et de leurs obligations. Ces moyens étaient : Vexcomiiuinicafion et le justicium, (|ue, dans le pays de langue tudcsque, on appelait ces van ivet. D'après la Irltre des vénales, le maïeur de Liège, qui refusait de pour- suivre les personnes contrevenant à son texte, devait être excommunié par toutes les églises de Liège. Il en était de même du maïeur et des échevins, s'ils i-efusaient d'aller contrôler le poids du pain chez les boulangers '. D'après la même lettre des vénales, lorsque le maïeur était en défaut de remplir ses devoirs, les échevins devaient prononcer le justicium. Ils ces- saient de juger à la semonce du maïeur, jusqu'à ce qu'il eût fait ce qu'il avait négligé de faire. La loi cessait ainsi d'avoir cours, et l'évéque était indirecte- ment forcé, ou bien de destituer son officier, ou bien de le contraindre à céder '-. Le juslkiiim ('tait encore consacré par la loi muée des buurf/eois. Si le maïeur, disait Tarlicle 3() de cette loi, ne \i\ pas en awant de tous foi-faits dans les trois jours de la plainte, et dans la forme qui est dite, les échevins ont pris sur leur féauté qu'ils ne répondront plus à sa semonce cl qu'ils ne siégeront plus avec lui jusqu'à ce qu'il ait redressé le griefs Mais, à r(''po(|ue où la toi muée avait été promulguée, il y avait déjà un système nouveau et plus général de garanties, qui avait été inauguré par la paix de Iluy de 1271. Cette paix avait obligé le chapitre calhédral à donner ' Voir cc'iir lettre t\{ù n'csl j)i\s divisée en articles. * Idem. 5 Article ôli. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 81 une charte : « que si Monsieur révesquc ne volait avoir le pais en droit et » par loy, le capittle doit estre deleis celuy cuy on vorait denier loy et » droit; » el les chevaliers et les bonnes villes à donner en retour au cha- pitre une autre charte, consacrant la promesse formelle de le soutenir quand il agirait selon la teneur de la paix. Ces dispositions donnaient évidemment au chapitre de la cathédrale la haute position de gardien de la loy du pays contre Tévèque lui-même, et partant elles le chargeaient de veiller à ce que les officiers de Févêque, ses aeents ordinaires, restassent dans les limiles de leurs atlriliutions et ne ser- vissent pas ses entreprises contre les usages et les libertés nationales '. En 1290, un nou\eaii conflit élevé entre Tévèque Jean de Flandre, d'tme part, et de l'autre le comle de Looz, des chevaliers, des écuyers, et les villes de Liège, de Huy, de Dinant, de Tongres, de Sainl-ïrond et de Fosses, donna lieu à une mesure transitoire toute parlicidière -. Les chevaliers et les écuyers, c'est-à-dire le pays, prétendaient que les officiers de l'évêque étaient allés contre la loi du pays, au préjudice de leurs corps et de leurs biens, et sans jugement des juges nationaux. L'évêque sou- tenait, au conti'airc, que ses adversaires avaient commencé par TolTenser, et n'avaient pas voulu lui accorder les ré|)aralions qui lui élaienl dues. Le père de l'évècpie. Gui de Dampierre, s'interposa, il obtint (pie les parties con- tendantes se soumissent à la décision d'une commission composée de dix arbiti'es, dont chacune d'elles choisirait la moitié. Tous les surséants du pays, qui se croiraient lésés, pourraient porter leur plainte devant la com- mission. S'il était établi que l'évêque, ou un de ses ofliciers, avait fait tort à quelqu'un sans jugement des tribunaux existants, l'évêque lui-même devrait réparer le ilonnnage ou forcer son officier à le ré|)arer. Si un officier cou- pable refusai! de s'exécuter, il ne trouverait de reluge dans aucune ville ni dans aucun endi-oit du i)ays; l'évêque le ferait appréhender au corps et se saisirait de ses biens jus(|u'à ce qu'il eût payé une réparation convenable '\ ' WiioLwiLL, oiiv. ciic, p. tij. — SciiooNBROODT, oiiv. cilé, aclcs 309 el ôtO. — M. Ilenaux se Iroinpe sur la date de celte paix i]iril fixe à raiinéc 1261. ^ SciiooNniiooDT, ouv. cité, acte ii" 405. ^ NViioi.wiLL, ouv. cilé, pp. 95,90, 97. Tome XXXVllI. H 82 ESSAI SUR L HISTOIRE DL DROIT CRIMINEL Cette commission arbitrale n'eut (iirune existence éphémère. Elle ressem- blait aux anciennes commissions dites de Besoelc, qu'on vit naître et disparaître au XIV'' siècle en Brabant '. Mais la position, faite au chapitre par la paix de Huy, no tarda pas à se régularise)" et à s'agrandii-. Nous le \ étions dans le livre suivant au 5*^' |)aragraphc du 2" chapitre. Ces derniers faits nous montrent combien les Liégeois tenaient à ne voir leurs justiciers agir qu'avec le concours des assesseurs que les institutions du temps leur donnaient pour brider icui- omnipotence. Étudions donc ce qu'étaient ces assesseurs, et parlons des échevinages. § IIL — Des échevinages. L'institution dos échevins , ou scabins, remonte à Charlemagne -. Il faut donc rejeter absolument la tradition, recueillie par Fisen et par Bouille, et d'après laquelle saint Hubert aurait créé l'échevinage liégeois ^. Avant la fin du VIII" et au commencement du IX'' siècle, les hommes libres, sous le nom de Rachimbourys, étaient astreints sous peine d'amende à venir aux plaids convoqués par le comte ou par le centenier. Ils y sié- geaient en nombre indéterminé. Après l'institution des échevins, les hommes libres ne perdirent pas tout d'abord le droit de venir siéger aux plaids, (piand ils le voulaient ou quand ils étaient amenés par les parties; mais ils n'eurent plus Vnblif/fitinn de s'y rendre, sauf aux trois plaids généraux de l'année, plarita leyalia '. Dès lors, les réunions des échoNins d'un pagus ou d'une centaine ne constituèrent pas dès l'oiigine des collèges fermés. Les échevins étaient juges par devoir : ils n'avaient pas le dioit exclusif d'être juges. Ils ne pouvaient pas exclure de leur délibération les anciens hommes libres qui désiraient s'y mêler. ' Poiii,i.ET, 1"' Mémoire sur le droit pcniil cilé, pj). I'i:2, l'tô. ^ S.ivir.NY, I/istoin- du droit roimiiii au inoi/vii lujc, cliiipiire IV, '^g 08, (i!), 70, t. 1", p. IftO. - R.MKKM , Discours (le I8;j7, j). ."-2. — Cuiiliimes du pays de Licye, 1. 1", pp. 2-20, 221. ■' Fisen, l. 1", p. <»7. — Bouille, t. I", p. 38. * Haikesi, Discours de t8')7, j). 52, en note; Discours de 1858, p. 14, etc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 83 L'institution des échevins pénétra, telle quelle était, des juridictions royales dans les juridictions immunitaires '. Si l'on pense, à bon droit, avec M. Rai- kem 2, que l'évèque Wakand, qui souscrivit le testament de Charlemagne, fut un des premiers à établir des échevins à Liège, on ne peut cependant pas dire qu'il créa l'échevinage liégeois. L'institution des échevins ne fut pas renversée par l'avènement de la féodalité. Justiciers ordinaires, seigneurs et voués des églises continuèrent à avoir des échevins pour assesseurs dans les cas ordinaires •'. On se rappelle que nous avons cité plus haut des chartes, relatives surtout aux voués, qui le prouvent et qui se rapportent aux années lOlo et 1095 '. Nous croyons au reste inutile d'accumuler des preuves pour établir un fait qui n'est plus con- testé par personne. Mais néanmoins, pendant les ténèbres de la première époque féodale, l'institution des échevins subit des transformations profondes. Il se forma partout dans les villes et dans les villages des collèges fermés d'èchevlns, composés d'un nombre détenniné de juges seuls aptes à juger à l'exclu- sion des simples hommes libres. C'est l'état dans lequel nous trouvons les échevinages du pays de Liège au XIII'' siècle, sans que nous puissions pré- ciser les étapes qu'ils ont suivies pour y arriver. A Liège, le corps ou collège des échevins se composait de quatorze mem- bres à l'époque de la pair des clercs ^ , et probablement de temps immémo- rial. Dans les autres franches villes et dans les villages, nous conjecturons qu'il ne se composait que de sept membres. C'était le chiffre fixé par les anciens capitulaires ^. A Maestricht et à Saint-Trond, il y avait un double banc d'échevins, comme il y avait deux justiciers : le banc de l'évèque, et le banc du duc de Brabant, ou celui de l'abbé '. ' Raikem, Discours di- I8S0, p. Ifi, pt Discours de 1857, p. 32. '■* Idem, Discours do 1857, p. ô"2. "' Pas quand il s'ni;issait de cas féodaux. * Aniplissimu colh'cliu, t. I", pp. 578 et 550. ^ Articles lli, 17, 18, 19, etc. « Bai-use, t. 1", p. 394, rapitulaire de l'an 803. ' Die oudc cacrlc van Maestricht de 1"283, acticles 3 et 8. — Règlement de Saint-Trond de 1355 dont nous parlerons plus loin. 84 ESSAI SLR LIIISTOIRE Dl DROIT CRIMI>EI> Jadis le xoiiô iiilorveiiait presque pai-tout dans rétablissement des échc- vins. Il pouvait tenir plaid de srabiiiis coiislilueiidis '. Au XIIF siècle, après la décadence judiciaire des voueries, leurs titulaires ne jouissaient plus guère de cette prérogative que là où ils étaient restes grands justiciers, ou bien dans les localités où ils avaient presque absorbé la seigneurie. Au XIII" siècle, les échevins étaient nommés par le propriétaire du droit de juridiction ou en son nom. L'évèque nommait lui-môme les échevins de Liège et des autres franches villes -, sauf le contrôle du chapitre, dont nous avons déjà parlé, en ce qui concerne la nomination des échevins de Liège, de Iliiy et de Dinant '. Les baillis nommaient en son nom les échevins des villages de la mense épiscopale K Le chapitre cathédral ou son bailli en agis- saient de même dans les seigneuries capitulaires •*. Les seigneurs justiciers, laïcs ou ecclésiasti(pies, jouissaient dans leurs domaines d"im droit analogue : (piand ils |)ouvaient constituer Pécoutète ou maieur, ils pouvaient établir les échevins ^. Lorsque le droit de juiidiction dans un village était partagé entre plusieurs seigneurs, celui d'entre ces derniers (jui en avait la plus forte part constituait seul Téchevinage local. Mais les échevins nommés étaient tenus de faire fêaulteit aux deux propriétaires indivis de la seigneurie, et de sauver à Tiui et à l'autre sa |)art des amendes à l'advenunl '. Quand le droit de juridic- tion appartenait à deux seigneurs par parts égales, les copropiiétaires devaient s'entendre pour conférer les charges échevinales de commun accord. Lors(prun siège était vacant par le décès du titulaire, les échevins survi\ants n'étaient plus tenus de faire droit avant que leur banc eût été régulièrement complété **. ' De Sai.nt-Genois, pas-sim. — Aiiij)lissiiii(t roUfcliu , I. 1", [t. 330. 5 LuDOLFF, .Xutruliu hi.storica, ]). bo. — Putroii de la Teinpuralité , pp. -27-2, '28i, iSÔ. '' Voir la charli- de I:.'Ô4 doiil nous avons parlé. * Pulron de tu Tcmpurulili', p|). '_>iS4, :28.'i. ■' SciiooNBiiooDT, ouv. citc, actc 11°' 552, 585. — Btillelins de la Commission roijulc il'his- toire, 2' sf'-rii', t. I.\' , p. 62. — VViiolwii.i., ouv. cité, p. 40. '"' Li l'uwcilliurs, passiiii, cuire autres, liéiisious n"' 152,596, 156. ' Idem, décision n° 152. " Idem . décision n" I5(J. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 85 A Saint- Tronc! , à la fin du XIII" siècle, le collège deséchevins se recrutait au moyen d'une sorte de cooptation. En 1299, les seigneurs de la ville, l'évèque de Liège et l'abbé de Saint-Trond, avaient décidé que, lorqu'un échevin viendrait à mourir, ses confrères survivants devraient pourvoir à son remplacement dans les quarante jours ; ce tei-me passé, si la cliarge n'était |)as conférée, les seigneurs de la ville avaient le droit d'en disposer de commun accord '. Ce système fut cliangè en 1314 par Adolphe de la Marck, à la suite de luttes sur lesquelles nous n'avons pas à insister. L'èchevinage fut rendu annuel. L'évèque se rései-va le droit de nommer tous les ans sept nouveaux èclievins, siu' une liste triple de candidats dressée par les maîtres et les jurés de la ville-. Le droit de cooptation fut cependant rendu aux échc- vins de Saint-Trond peu de temps a|)rès; il est mentionné comme une ancienne coutume dans le règlement de 1343 "^ Il arriva que des èclievins du plat pays prétendirent aussi au droit de se recruter eux-mêmes, en cas de décès d'un de leurs collèges. Mais les èclie- vins de Liège, consultés en lecliarge, iradmireiit pas leur prétention *. La nomination et l'institution des èclievins se faisaient vraisemblablement, comme celles des justiciers, soit par une présentation olllcielle du seigneur de la juridiction, soit par des lettres patentes. xNous savons qu'à Liège, au XI V" siècle, révè(|ue faisait recevoir l'éclievin iiouvelleinent nommé sur l'exliibition de lettres scellées de son grand scel; ou bien en lui faisant « donation persoimèc » de sa charge « en présenche de Mayeur et de dois » esquevins à moins », donation mise en ivarde de ceux-ci, et « après clie » sulfisamment recordèe à leurs esque\ ins ^. » Celte dernière forme était sans doute la plus usitée au XIII'" siècle. Nous en trouvons au reste un exemple dans le Pmveil/mrs. « Li abbeis de Saint-IIubierl donna cel esquevinaige à » ung autre home, et le présentât au mayeur et az eschevins de Saint- ' SCHOONDUOODT , ouv. cilc , actc 11" 447. - Idem, acte n" o08. ^ Maetsciiai'PV van VLAEMSCiiE BiDLiopiiiELEN : Geiviioiikii , i-rijhc.deit fil piivcleijieii iler slal Sint-Triiyen , p. 7. * Li Pcnveilliuis , dctision n" 190. ■' Patron de la T^mporalilé, p. îiOl. 86 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » Hubioi'l et les roquist qu'llz le volsisscnt réchivoir et mettre en féaiil- » toit '. » Dans la plupart des villes des anciennes principautés belges, les fonctions éclievinalos étaient (onta/es en vertu de privilèges spéciaux. Dans le pays de Liège un usage tout à fait contraire avait pi(''vaUi, et, à son tour il était réputé nririh'f/o. L'échevinat à Liège, et dans toutes les cours jugeant « aile loi » de Liège était à vie et inainoviblc, et ce, au dire de Ilenirlcoui't, de « di'oit inipé- rials"-. » Le |)rincipe de Pinamovibilitè, énoncé ainsi en termes formels par le Patron de (a Temporalité au XFV"" siècle, n'était pas nouveau. Il était déyÀ au-dessus de toute contestation au Xlll", nous n'en voulons que trois preuves : 1" Dans une charte de 1298, l'emperem* accorda à l'évèque le droit de déposer et de destituer les échevins de ses villes, mais seulement dans un cas déterminé •". 2" Dans une convention de 1299, intervenue entre les maîtres, les éche- vins et la connnunauté liégeoise, il était stipulé qu'aucun bourgeois ni aucun membre du conseil de la ville, ni aucune autre personne, ne pourraient entre- prendre échevinage de la ville contre la volonté d'un écbevin qu'on voudrai! priver de sa charge; quiconque violait ce contrat perdait à jamais, pour lui, sa faniille et ses descendants, la bourgeoisie de Liège, et devenait aiibain sans que ni loi ni franchise pussent l'aider K 3° Dans une charte imposée par Adolphe de la Marck à la ville de Fosse, en 1302, après une victoire remportée sur la conunune, nous lisons la phrase suivante : « et \oulons et nous plaits que notre très chère sire » l'évèque de Liège,... et ses successeurs qui seront pour le temps,... puis- » sent mettre d'orsenorant échevins à Fosse, d'an en an, et (pie mais nul t. échevin y soit mis à vie. » Cette charte changeait donc un point de droit public ancien. L'échevin liégeois, une fois nommé, était en (pielque sorle propriétaire I U PaueilharK , n" 196. ^ Patron de la Temporalité, p. 292. '• l.iDoi.pr, .V(/cr((/iV* hislorica, y>. fi'i, rlmrle du 5 scptemlnr en 1298. * (li'tlf cluirtc, qui >c trouve dnns un grand nombre de Paweilliiir.s innnuserits, est repro- duite dans un nrcoid de I V5((, r:ii)j)orté dans BotiGNET: Chroniques (le Jean de Stavelot, p. 259. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 87 de sa charge. Pour qu'on pût le remplacer, il devait, au préalable, reporter son office « sans distinction es mains de singnor ou de son mayeur, » avec des formalités analogues à celles qui étaient en usage en matière de transports d'héritages et de fiefs. Cependant il n'était pas permis à un échevin de renoncer à sa charge au profit d'un tiers. Il devait reporter, « nyent en » ayuwe d'aultruy, mains en ayuwe de singnor propre, et en présenchede » deux esquevins à moins qui soyent sens suspicion '. » L'inamovibilité mettait, comme de nos jours, les échevins à l'abri d'une destitution arbitraire; elle ne les protégeait plus s'ils devenaient, postérieu- rement à leur nomination, incapables ou indignes, ou s'ils mancjuaient gra- vement à leurs devoirs. La charte de Iâ98, que nous avons déjà citée, et le Patron de la TemporuUté, déterminent avec |)récision les circonstances dans lesquelles le principe de l'inamoNibililé cesse ses effets. D'après la charte de 4298, quand un échevin des villes liégeoises diffère de rendre sentence plus (|u'il n'est convenable, l'évèque, son lieutenant ou mambour, ou le maïeur local, doit le semoncer par trois (pn'nzaines successives de remplir son devoir. Les six semaines écoulées, le magistrat sonnné, qui n'a pas obtem- péré à la réquisition faite, peut être déposé et remplacé -. D'après le Patron (le la Tenijjoralilr, Téchevin en fonctions peut èli'e déposé pour cause d'in- capacité : 1" s'il devient nieseaax, lépreux, et s'il est jugé Ici; 2" s'il accepte un bénéfice de Sainte-Église, ou s'il entre en religion. Il peut être déposé comme indigne : 1 " si Ton prouve par lettres et ensuite par preuves péremp- toires, ainsi que loi enseigne, ipi'il s'est i-endu coupable de « mourdre mché » tant par homicide « come par arsin; » 2° si l'on prouve, après plainte faite par un de ses coéchevins, qu'il a trahi le secret de ses com|)a- gnons ou que, de fait avise, il a agi contrairement à son serment et à sa leauté; 3° s'il est forjugé de son hoimeur; 4" s'il a été mis publicpiement sur « l'eskielle » pour fausseté notoire; 5" s'il est inobédient à renq)lii' son office. « Soyez certain, ajoute le Patron de ta Temporalité , que ni pour » excommunication, ni pour autre excès quelconque, on ne peut ôter un ' Pdiroii (/(' /(( TeiHporuliir, p iO'2. '^ Voir celte eliarle. 88 ESSAI SUR LHlSTOiRE DU DROIT CRIMINEL » c'clicviii de son office » « sorlonc le loy de Liège imperialz se cye n'est » por les excès devant iiominéis ou poi- Tung (reaiix et à recargement n de cliief '. » Ces derniers mots prouvent que la déposition de lï'clu'vin inca|)able ou indigne se faisait, au moins dans le cas iViiinhédicnce, non par un acte de la |)uissance executive, mais par un jugement régulier ik^s pairs du coupa- ble : les éclievins de Liège, s'il s'agissait d'un de leurs collègues; les èchevins de la cour inlériein-e locale, sur rencharge des échevius de Liège, s'il s'agis- sait d'un èchevin de village. Dans le même cas, il lallail remplir toute une série de formalités analo- gues, encore une fois, à celles qui étaient en usage pour l'expropriation d'une propriété foncière -. L'èchevin qui, à la semonce du maïeur, refusait de venir siéger avec ses collègues , était sommé à (jiiaftr n'j)rises di/fcreitlcs de se rendre à son poste. S'il persévérait dans son inohédience sans faire valoir une excuse légitime, soiiyuc loyal: « de dont en avant luy porait-ons four » adjourneir i)ar lettres savelées des dois maistres esquevins, se ce sont » alcun esquevins de Liège, ou par l'adjoin- de clerc des esquevins se c'est » en franckes vilhes, ou par l'adjour de forestier se c'est en plat pays; mains » que Iv quars adjour soit fais par dois des esquevins de lieu , et aile hosteit » del iiiobédients'illi at hosteit en pays, se non en scammes des esquevins ou » al pèron se c'est en franckes vilhes »; les formalités étant accomplies, le maïeur deminaU le fouradjourné par inobédieme par (juatre quinzaines, si le cas se présentait dans une ville, par trois plaids fjriit'-raiix s'il se présen- tait dans le plat pays. Puis, le dêuiinemcnt en expropriation étant opéré, le maïeur prenait saisine de la charge « en ayouwe » de l'èvéque, ou du seigneui- particuliei- (pii avait le droit de la conférer. 11 est à remanpier cpie l'èchevin récalcitrant pouvait dans l'entre-tenips revenir à résipiscence : « Se chis inobédient venoit à satisfaction anchois la » saisinne prise et soy excusast sullisament et mettre soy volsist à raison aile » ensengnement et correccion de ses conesquevins, on ne poroit avant sour ly ' Piitron de tu Temporalité , p. "J'Jô. "■î Li l'cnreilliars y dciWioiii ii°' ISI, 18:2. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 89 » procôdeir à privacion^ » Nous verrons plus tard quelle était la juridiction qui jugeait et qui déposait, au XI V'' siècle, les échevins devenus indignes pour être allés, par exemple, contre leur féauté en commettant des concussions. Pour le moment nous allons étudier quelles étaient les qualités requises pour pouvoir as|)irer à réchevinat. Personne ne pouvait être nommé à Péchevinage de Liège s'il n'était idoine et s'il n'avait quinze ans « passcis et acomplis; » mais, encore une fois, les documents du XIII" siècle ne déterminent pas avec précision les condi- tions de celte idonéité. Il résulte cependant de l'ancien sei-ment des échevins de la cité que ceux-ci devaient, au XIII'' siècle, être francs, sans nul ser- vai/je, et enfants légitimes "-. Le privilège exclusif des membres des anciens lignages ne fut renversé qu'après la Mâl-Saint-Martin ^. Il est certain que, dans les autres franches villes de la principauté, l'cchevi- nage était aussi réservé aux membres de l'aristocratie locale, majores. Jean d'Outremeuse nous l'apprend en termes formels en ce qui concerne la ville de Huy ^. Dans les villages, les fondions d'échevins devaient, avant le XIII« siècle, être acceptées par celles des personnes adliéritées dans la localité auxquelles le seigneur les conférait. La charte dite d'Albert de Cuyck, qui permet aux bourgeois de Liège de les refuser par pririlége, nous le prouve •'. Nous pen- sons cependant que l'èchevinage avait une tendance à se maintenir entre les mains des principales familles du plat pays, et que celles-ci en considéraient déjà le titre comme un honneur et un profit, l'ne charte d'Aulne de 1288, que nous avons souvent citée, s'exprime à propos des échevins de village en ces termes : « Et doivent faire cil d'Aulne (les seigneurs) eskevins de bomies » gens, loiaux et sans souspeçon à leur escians. » Le Paweilhars refuse aux serfs de muzure le droit d'être échevins <>. Il n'était pas impossible au ' Ptilruit de la Tcmporulilr , \). 'J'Jô. 2 Idew, |). -2'.)\. '' Voir tli:i|iiti'c l"^' (le ce traMiil. 4 Chroniques de Jeun d'Outremeuse, t. V, p. o")'i. — Wholwiul, ouv. citr, p. 76. » Artifle 9. 6 Annules du Cercle arclivnlvcjiffue de Mons, t. V, p. 205, et rliartc do 1288. - Li Putceil- iiars, (.U'cision n" 70. Tome XXXVIII. 12 90 ESSAI SUR LIIISÏOIRE DU DROIT CRIMINEL X1II« siècle ni même au XIV% d'être à la fois échevin dans deux franches villes dinV'rentos. Homricourt nous parle, en elTet, de Jean le Clokier, dArnold de Warnaut, de Jean Bonvalel, êcliccins de Hmj et de Liège '. Nous avons déjà prouvé, plus haut, que les fonctions d'échevin n'étaient pas même incompatibles avec celles de justicier. Au reste, VoOliyation absolue de rési- dence ne fut imposée que beaucoup plus tard aux titulaires des charges de judicature. A Liège, à Huy, à Dinant, comme le constate la sentence arbitrale de lâSA ^, les offices d'éche\in ne pouvaient être conférés que gratuitenient. En ce qui concerne les autres offices échevinaux du pays, la vénalité n'était proscrite par aucun acte de droit public du temps. Il était de principe que tout échevin devait faire fédulleit , c'est-à-dire prêter serment de fidélité au seigneur duquel il tenait sa charge '\ D'après les documents du XIII'' siècle, réchevin de Liège, en entrant en fondions, devait jurer devant un certain nombre de chanoines de la cathédrale : 4» qu'il n'avait rien donné ni promis pour obtenir son office; 2° quil juge- i-ait d'après sa meilleure science et conscience, conformément aux anciennes coutumes du pays; 3° que, si même il était semonce par le maïeur, il ne |)io- noncerait jamais de sentence contre un varlet des chanoines ■*. Le Patron de la Temporulilé nous a conservé, à propos de la cérémonie d'inauguration des échevins de Liège, des détails minutieux qui, dans leur ensemble, se rapportent autant à l'époque dont nous nous occupons qu'à ré|)oque où il a été rédigé. Nous allons les résumer. Les échevins de Liège n'avaient pas coutume d"admotlrc en féaulleil leur nouveau collègue dans la maison de justice. Ils le conduisaient devant l'un ou l'autre autel de la calhédiale de Saint-Lambert ou de l'église de Notre- Dame « qu'on dist desous les clokes » et là recevaient son premici- ser- ment. Personne n'assistait à cette cérémonie, sinon le nouvel élu, le clerc des ' llKMiiicounr, Miroir des nolilen île llesbuije , pp.li), 8-2, 107, 142. * Voir celte seiilenec de I"2ô4 dont iiniis .ivdiis jiarlé plus Iinut. "' Raikem, Discours de 1858, p. "il. * Wiioi.wiLL, CUV. cité, p. 59. —Charte de 1254 citée. — (Miarte de 1253 citée, \y,\v liKiuclle neiiri de Gueldre confirme les privilèges des chanoines. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 91 écheviiis et ceux-ci, « et ly tinent en très-grant secreit. » C'était le plus âgé des anciens échevins qui prononçait la formule du serment et qui semon- çait le nouveau collègue de le répéter après lui. « Vous jurez sur les saints, » disait-il, qui sont ici, et sur tous ceux qui sont en paradis, et sur les )) saints sacrements qui « oncke » ont été consacrés sur cet autel : » Que vous êtes enfant légitime, engendré de loyal mariage, et frans » sains nul servage ' ; » Que pour obtenir Toffice d'échevin, vous n'avez ni donné ni promis, » ni par vous-même, ni par autrui, en secret ni ouverlement, ni avant, ni » après, à personne quelcon(|ue, f/ualre deniers ou leur valeur; » Que dorénavant vous serez vrai, loyal et féable à monsieur de Liège, » à l'avoué, aux cilains de Liège, et à tous ceux qui auront à plaider devant » vous; » Que vous icarderez les raisons de ceux qui plaident devant vous « sor- » lonc votre sens et bon advis; (jue vous direz loi, à la semonce du maïeur, » de tous cas dont vous serez sages et rechargés par vos compagnons » en » tous lyez dedens le franckiese à Liège, là vos sereis fours perilh de » vostre corp; » Que vous garderez tous nos secrets sans les révéler, et que vous nous » aiderez à garder toutes les droitures afférentes à l'office de nos éclievi- » nages ; » Qu'enfin, s'il arrive entre vous et vos collègues débat de paroles ou » plus grand mal qui ne soit |)ourtant pas cas criminel^ à cause de votre » office, vous aurez soin de l'amender ou d'en prendre amende raisonnable, » à notre ordonnance, « sans révéleir le débat ne faire plainte aultre part, » et n'en (|uireis aullre juge ; » et que jamais vous ne souiïrirez qu'on reçoive » un nouvel ècbevin, s'il ne fait un pareil serment -. » On conduisait ensuite le récipiendaire devant le chapitre de Saint-Lam- bert pour qu'il fit un second serment, d'après la teneur de la formule inscrite au livre des chartes. Nous ne connaissons pas exactement cette dernière for- ' Nous pensons que cctlc mention relative à l'oi'igine pleinement franche disparut après la Mal Satnt-Murtiii. "^ Patron delà Temporalité, p. 291. 92 ESSAI SLR LIllSTOIHE 1)L DROIT CRIMINEL mule. Nous savons seuicmont (jue, d'après la paix des clercs, tout nouvel ('■clieviii devait promettre au chapitre : d'accepter la charge de faire partie du corps de judicature spécial créé par la paix, s'il était désigné à cet eiïet par les églises de Liège; de remplir ces fonctions particulières en toute loyauté; {ïeiKjuérir et de rapporter, avec la même loyauté, des méfaits que les bour- geois et leurs maisiiies commettraient contre les varlets des chanoines '. C'est après l'accomplissement de toutes ces cérémonies que le nouNcau titulaire était admis à faire les cadeaux d'usage et à siéger en justice. Il pre- nait (lélinitivement rang à la suite de ses collègues plus âgés ^. Aucune disposition législative n'avait encore fixé le nombre d'échevins qui devaient être réunis pour avoir le droit de porter une sentence régulière en matière criminelle. A Liège, il |)arait que les échevins siégeaient ordinaire- ment à sej/l : c'est au moins ce (|u'un ailicle de hi paix des clercs, relatif à la commission mixte qu'elle instituait nous permet de supposer '\ Dans d'au- tres localités, ils rendaient justice même quand ils n'étaient qu'à trois réunis autour du maïeur. Sire Jean de Colonster, maïeui- de Iluy, se trouve avec trois échevins. « At chi nulluy qui voelle rins dire, » s'ècrie-l-il, « je suis » maire, vechi justice! » Et l'on plaide K Aucune charte n'infirmait non plus les sentences que les échevins pronon- çaient en dehors du local habituel de leurs séances. Bien au contraire : il resuite de la formule du serment, que nous avons reproduite plus haut, que les échevins de Liège pouvaient dire toi, à la semonce du maïeur, « en tous » lyez dedens le franckiese de Liège, » là où ils étaient sans péril de leur corps, il résulte de la paix de Bierset de 12o() que les Liégeois avaient diï, malgré leur répugnance, accepter conune légulière une sentence criminelle prononcée par les échevins de Liège fugitifs à Vottem, et reconnaître que l'évèque pourrait encoie leur y faire rendre sentence à la semonce de son maïeur •'. Il résulte enfin de la loi muée des bourgeois '' qu'on pouvait ' Puis (Us liens , arlirics 1 G, 17, 18, I S). ■■' Patron delà Temporalilv , p. 292. ^ Aniilcs 1!)pl 20. * Li Pdweilliars, ir 204. î* Voir cette paix. '' Arlicle 59. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 93 mettre en ivarde des échevins tous actes de procédure « en tous les lieuz délie » ville, dedens mainsons, dedens mostiers, et dehors, et ce valrat atant que » se ce astoit fait en chemien royal. » Néanmoins il n'est pas inutile de rap- peler cjue, lorsque les échevins de Liège étaient sur le point de rendre un jugement criminel en matière grave, dans un lieu où ils ne siégeaient pas habituellement, ils avaient soin d'accoustainer ce lieu en y jugeant pendant quelques jours '. Les statuts synodaux de 1288 défendaient absolument aux juges laïques de tenir leurs plaids dans les églises, sous le porche de celles-ci ou dans les cimetières ^. Plus lard, comme nous le verrons, il fut défendu à tous les échevins jugeant ollc loy de Licye, de rendre la justice en dehors du siège officiel de leur juridiction. Malgré la faculté presque indéfinie qui leur était laissée au XIII'' siècle, il parait que les échevins de Liège siégeaient connnunémenl à la chaîne de la Gererdrie '\ Conformément à un accord passé en 12o7, dit l'accord relatif aux, degrés de Saint-Lambert, ils ne pouvaient prononcer « jugement (jui » monte à honor d'home ni à mort, ni à sanc » sur les degrés de pierre qui descendaient du portail de la cathédrale vers le marché. Ces degrés étaient imines, c'est-à-dire qu'ils jouissaient de l'immunité ecclésiastique *. Ilemri- court constate que l'accord de 12o7 était encore observé au XIV" siècle. Les échevins, dit-il, ne peuvent faire œuvre de justice, ni rien mettre en ivarde dans la maison de pierre « (pie giest en bonnes délie encloiste » de Saint- » Lambert, mais bien « dans ly maison de plance, à devant sour le marchiet » giest sour le werixhas. » Cette maison de planches était devenue le siège principal de l'èchevinage ^. Avant de parler des attributions des échevins en matière criminelle, il convient de signaler encore quelques particularités propres à l'organisation des échevins de la ville de Liège. Les échevins de Liège faisaient au XIII" siècle, nous l'avons dit, partie ' Chroniques de Jeun d'Oulnmetise, t. V, p. 3-26 et suivantes; exemple. 2 Statuts synodaux, litre VIII, n" 18. 5 Poix des clercs. * Voir ect accord. ^ Patron de la Temporalité, p. 298. 9i ESSAI SLK LIlISTOIIli: DL DROIT CRIMINEL d'un roHrf/c fermé. Nul lionimo libre ou nol)le, si puissant qu'il fût, n'aurait oser soulever la prétention d'être admis à leurs délibérations ou de siéger avec eux. Néanmoins, s'il plaisait aux éclievins eux-mêmes d'avoir et de tenir en leur conseil un ou deux « saiges coustumiers soyent clers ou lays I) j)our eaulx conseilliicr, » ils le pouvaient de droit et ancien usage. Ni le maïeur ni l'avoué n'étaient admis à s'opposer à l'intervention des saiyes cous- tumiers dans la procédure, ni à ce qu'ils aient « les livresous teilles cascun » d'eaulx comme une des esquevins doit avoir '. » Les éclievins de Liège avaient perdu au milieu du XIII" siècle le pouvoir administratif. Les deux maîtres des éclievins, (|u'ils continuaient à clioisir tous les ans dans leur corps, n'étaient plus cbargés que de la gestion finan- cière de celui-ci, de l'encaissement des taxes et des profits judiciaires et du scil de tous les actes passés au nom de l'échevinage entier -. Ce dernier nom- mait à la majorité des voix ses deux rltamberlains , espèce d'huissiers dont l'oHice était |)erpéluel , et un clerc. Le clerc, dont l'ofllce remonte certainement à la fin du XIII* siècle sinon au commcncemont, existait à côté de tous les échevinages, mais nous ne connaissons la position exacte que de celui des échevins de Liège. Le clerc était le seciètaire et le notaire de ceux-ci « en tous cas tochans leur dicte » odiclic. » Il était inamov ible. Seulement il pouvait perdre sa charge dans les mêmes cas où un échevin pouvait perdre la sienne , et de plus, s'il était : « de pourveyuwe l'aulseteit repris, ou qu'il fust si négligens ou si mal fon- » deis, qu'il nelle powist aile paix et lionnoni- de ses maistres sadicte olïiche » sulïisamenl exerseir '. » Los fonctions du clerc grandii-ent en imi)ortance au fur et à mesni-e que l'écriture joua un plus grand rôle en matière criminelle. Au XIV siècle, pour le dire dès à présent, le clerc était déjà le bras droit des échevins. Mais voyons enfin quelles étaient les atliibulions précises de ces derniers en matière criminelle, et quelle était leur positiiui vis-à-vis du justicier aiupiel ils servaient d'assesseurs. Il va sans dire que nous laisserons absolu- ' Pull un (lu la Tempuialllr , \i. 'J'.tS. * Idem, |). -2'Mi. ■• Idem, |). t>'j:i. DANS L'ANCIEINNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 9S ment à Técart les attributions administratives que, çà et là, par exception , les coutumes locales leur avaient laissées. Les échevins, à la semonce du maïeur, recordaient le cas échéant, s'ils étaient « en lieu de jugement, et pour donner jugement qui soit ferme de » loy et sans appel '. » A la semonce du maïeur, ils prenaient en wanle les dires et l'accusation du plaignant, la réponse et la justilication de l'accusé "-. La preuve se faisait devant eux; et, toujours à la semonce du maïeur, ils prenaient en warde ses résultats ■'. Quand il y avait enquête de cas criminels, ils y intervenaient avec le maïeur, et faisaient avec celui-ci les visites domiciliaires ou les descentes sur les lieux '. Enfin, à la semonce du maïeur, ils prononçaient la sentence, c'est-à-dire qu'ils disaient la lui ci rapj)li(piaient au cas particulier dont il élait question. Suivant l'expression allemande d'une précision inimitable, ils étaient urtheil- finders ^. Quand mi maïeur semonçail ses échevins assesseurs pour leur demander une sentence ou une réponse légale, il interpellait par son nom et son prénom le plus âgé d'entre eux : « li tournât à N corne li plus vies qui s'est « quonseilhis aux altres... » En elTel, l'échcvin interpellé se retirait avec ses collègues et après s'être concerté avec eux il rcNcnait au siège, disant à haute voix son avis, et les interpellait indi\iduellcnient et par rang d'âge de déclarer s'ils partageaient sa manière de voir. Enfin tous ensemble ils répé- taient la sentence, résultat de leurs délibérations ". Les échevins pouvaient tenir pendant un certain laps de jours l'affaire en délibéré avant de répondre à la semonce du maïeur. C'est ce qui résulte de la paix des clercs \ Cette paix leur accordait un délai de trois semaines pour se prononcer, à compter depuis le jour ou les devoirs de preuve étaient ' Clironi(iues du Jeun irOiiIreiiieusi' , l. V, pp. ô:!!), 30; exeiiipl';. "^ Li Paweilliurs , passiin, entre autres, décisions n" 78 et l^is. ^ Idem , passim. '' Idem, entre aulres décisions n"* 1) et '208. — Paix des clercs, articles 18, II), 20. ■' Wholwili. , oiiv. cité, p. 52. — Vairon de la Temporalilé, pp. 291, 292. "' Chroniques de Jean d'OuIremeasc , I. V, pp. 329, 530; exemple. 7 Article 22. 96 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL achevés, tout en leur rccoinniaïKlanl de porter sentence le plus tôt qu'il leur serait loyalernenl possible. Les mêmes formes s'observaient pour former une sentence inlerlncutoire, déterminant le mode de preuve à fournil- par l'accusateur ou par l'accusé, et poni' former une sentence définitive emportant un acquittement ou une condanmation. Nous croyons que, à l'origine, l'unanimité des voix était requise : pleine st/ette. Cependant nous n'oserions rien afïîrmer sur ce point. Quand les sentences devaient être criées an peron, les écbevins assistaient à l'accomplissement de celte formalité ; ils assistaient aussi à l'exécution des sentences qu'ils avaient prononcées '. Au XllI" siècle les sentences n'étaient pas rédigées par écrit. Ce qui le prouve à toute évidence, c'est la précaution qu'on prenait toujours de les mettre ofliciellement et verbalement en wardedeloi-. 11 est possible cepen- dant que , dès cette époque, le clerc des écbevins tint une note sommaire de ce qu'elles contenaient. L'ensemble de ce que nous venons de dire, à propos des échevinages, montre (pièces derniers avaient déjà dans le pays de Liège, au XIII" siècle, une importance qu'ils n'avaient pas encore dans toutes les autres principautés lotbaringionnes. Dans les territoires de celle-ci, il existait un nond)re consi- dérable de cours féodales inférieures, où les vassaux des seigneurs étaient seuls juges, et pai- l'inlermédiaire desquelles les seigneuis exerçaient la haute justice criminelle". Dans le pays de Liège aucun document, que nous sachions, ne fait jilns mention (rallribulions répressives reconnues aux cours féodales subailcrnes *. Les écbe\inag('s avaient complètement absorbé leui- ancicmie compétence. Les seules juridictions féodales, qui contre-balançassent encore leur intluencc, étaient les juridictions féodales de l'évèque. Mais, en revanche, celles-ci avaient une action inunense, et elles méritent une étude des plus atten- tives. C'est à cette étude (pui nous allons nous livrer dans le paragraphe suivant. ' l'iilidii lie lu Tcmjioralili' , |i. "00. - l)ormiieiit iiisi'i'c à la ])iij;c- l'ulu Discours de 18"J7, de .M. Raikem. ' Poii.i.irr, I" .Mciiioirc sur le dinil pt'nal cité, passiin. * M. WiiDiwii 1. ii'i'ii Ciil 111)11 iilii'i aiiciiiic nu'iiiioii dans sou remarquable opuscule. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE 97 § IV. — Des juridictions féodales de l'évêque, ainsi que des origines du Tribunal de l'anneau du Palais et du Tribunal de la Paix. L'origine des tribunaux féodaux de Tévèque remonte aux origines mêmes de la féodalité liégeoise. C'était un principe général admis en Europe que le vassal devait êti-e jugé |)ar ses pairs ; et ce principe trouva bientôt son appli- cation dans les domaines de Saint-Lami)ert , depuis l'organisation des fiefs liégeois attribuée avec vraisemblance à Tévèque Nolger. Un des premiers documents écrits, dans lesquels il soit fait mention du tribunal féodal de l'évêque de Liège , est la cliartc d'inféodation du comté de Hainaut à Tliéoduin en 1071. « De pace vero Leodiensi » dit cet acte « ad » quam respondcre tencntur multi barones et homines eorum, neque comes » (Ilannoniae) neque homines sui tenentur respondere '. » « Et comme ainsi » soit, » dit la traduction de Jacques de (iuyse, « que |)lusi('urs princes el •) autres nobles, el aussi les hommes du pays de Liège doivent répondre cl » satisfaire à la justice de Liège; toutefois ledit comte de Haynaul ni les » hommes de son pays ne sont tenus en nulle manière de répondre à celte » justice -. )) On a soutenu que le texte de la charte de 1071 avait été interpolé, parce que le Trihunul de la Pai.r , dont nous parlerons bientôt, n'existait pas encore à cette date, et parce qu'il est d'ailleurs constant que les habitants du Hainaut, diocésains de l'évêipie de Liège, en étaient justi- ciables •■'. La consècpience ne nous semble pas rigoureusement tirée des pré- misses. Il est possible , en elTet, de prendre les mots de pace leodiensi, et Irès-rationnellement, dans le sens de justice de Liège, et les llennuyers pou- vaient fort bien èlre exempts de la juridiction de la justice de Liège en 107 1, et avoir été assujettis à celle du Tribunal de la Paix en 108:2 *. Or, étant donnée cette interprétation, l'explication de l'acte de 1071 est facile. Ce n'est que de la cour féodale de l'évêque qu'il peut y être question. Un comte de ' naudmuu d'Arcmcs, riironicon, édilion Leroy, p. 10. — \y.\c\\?.\^\. Spkilegitim , I. III. p. 288, texte niinloguc. ^ Raikem , Discours de 1 803, p. 1 3. ^ VViioiAvii.1, , onv. cite, pp. 55 et 56, en note. * Raikem, Inco cilato. Tome XXXVlIi. 15 98 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Hainaul, passant dans le vasselage de l'église de Liège, avait besoin d'une stipulation expresse pour s'exempter de la juridiction de son nouveau suzerain et de ses pairs. Il ne lui était pas nécessaire de stipuler (pi'il ne serait pas, ni ses barons non plus, justiciable des éclievins de Liège. Cette dernière exemption était de droit commtm féodal. Ouoi (pi'il en soit, il n'est pas nécessaire de s'appuyer sni- la cliarle de 107 1 pour pi'ouver, documenis locaux en main, l'existence d'un tribunal féodal de l'èvècpie avant le XIII'' et le XIV"" siècle. Le droit qu'avaient les khit'- ficiers des cbanoines d'être jugés exclusivement par l'èvèque, à l'interven- tion de leurs pairs, est consacré en termes formels par le diplôme de 1 107; et, parmi ces pairs, le diplôme range tant les bénéfîciors du cbapitre que les hommes tenant un bénéfice de l'èvèque ^ D'autre {)arl, la Juridiction des hommes est maintenue et non créée \mr la paix de Fexhe (131 G), réglée dans son exercice et dans sa compétence par la lettre du vingt -, réformée par la mutation de la loi nouvelle, qIc; et tous ces actes appaitiennent à une époque où la féodalité pure était déjà en décadence, et pendant latpicilc, bien loin d'être à même de doimer des déNcloppcmenls nouveaux à ses institutions, les intéressés devaient faire de vigoureux elTorls pom- les maintenir debout "'. Cependant, si la cour féodale de l'èvèque avait des oiigines antiques, sa composition avait subi certaines modifications. Son président seul était resté toujours le même : l'èvèque, siégeant conmie seigneur féodal et non comme chef ecclésiastique, ou se faisant représenter par un mainhour. L'inslilulion du lieutenant permanent des fiefs ne date que du XW" siècle *. 3Iais, tant qu'il y eut des dilTèiences très-caraclèrisées entre les vassaux de l'église de Liège, l'èvèque siégeant dans sa cour féodale eut des assesseurs dilTérenls selon la qualité des plaideurs (pii comparaissaient devant lui. Au XII'' siècle, et pendant une partie du XIII', il existait encore une ligne de dèujarcation profonde entre les diverses catégories de vassaux ou de che- ' Ailiflc r>. - Nous verrons ces arlcs dans le livre suivant. ■' Le Patron \Vii()i.\vii-r,, oiiv. ciic, p. (ii. — Kaikkji, Discom-s ili- I.S^iO, p. i'i. — Dkiacq/. , Aprrru sur 1(1 /('(jdulilé , etc. * \Viioi,« 1I.I,, ouv. cite, |). 34. — Uaikem, Discoui's de IS.")8, pp. 51 et .'i:?, et imlcs - l'atniii (le 1(1 Tciiii)ui((Ulv , pp. Ô-2-J cl suivantes. '^ Haikëm, Uiscour-. lic 18(10, p. Il; I)isc()iir5 de l8o4, pp. ")l l'I lr2. DAîSS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. iOl causes qui ne pouvaient être traitées par lui qu'à Liège. Aucun document ne distingue, de la cour féodale ordinaire, un tribunal féodal spécial qui se serait déjà appelé le Tribunal (Je l'Anneau. Nous croyons donc que, si celui-ci dut son origine première aux actes fréquents et importants de juridiction faits par révéque dans sa résidence liégeoise, il ne prit néanmoins des carac- tères propres et une compétence nettement déterminée que dans le cours du XI V" siècle K Nous ne faisons donc qu'en indiquer ici l'existence pour mé- moire, nous réservant de revenir sur ce qui le concerne dans le livre sui- vant. Il est à remarquer, au surplus, que, au \\\V siècle, quand l'évèque siégeait en justice comme gardien suprême de Tordre établi des juridictions, il n'était pas seulement entouré de vassaux de son église. L'arrêt du 30 mars J244, par lequel Robert de Langres casse un jugement |)orté par l'échevi- nage confie un foiestier de la cathédrale, est rendu, en effet, avec le con- cours de nobles, d'hommes delchicf Dieu, et des abbés de Saint-Jacques et de Saint-Paul 2. Nous avons |)arlé plus haut des assesseurs de Tévèquc dans sa cour féo- dale. Disons un mot des justiciers qui remplissaient près ce tribunal les fonctions d'oflicier criminel , et qui se chargeaient de rexécution de ses sen- tences. Loi-sque la cour féodale de l'évèque siégeait dans le jardin du Palais de JJéye, le grand maïeur seul pouvait intervenir et « ollichier des cas crimi- » naz ^ » Lorsque la cour féodale était réunie dans une autre maison et capelle, el même dans un endroit quelconque du plat pays après que le privilège des maisons et capelles fut tombé en désuétude, le rôle du grand .maïeur était rempli par les baillis locaux, ou bien par le maréchal de l'évè- ché. Le Patron de la Temporalité fait, en elTet, mention d'enquêtes faites par les « ollichiens de singnor » a\ec le concours des hommes de fief, à l'occasion de causes pendantes devant la cour féodale ou devant le Tribunal de la Paix dont nous parlerons plus loin ^ Les chroniques nous ap|)rennent ' Wiioi.wiLL, oiiv. cité., p. 57. ^ SCHOONBIIOODT, OlIV. citC , aCtC 11° ISO. ' Patron de lu Temporulili' , p. iJ73. ' Iikni), p. -iTi. 102 ESSAI SLR LHISTOIIŒ DL DROIT CRIMINEL (luc lorsqiio Eiistache le Francklionio de Hogiioul fut condainné par Adolpho de la iMarck, pour avoir dépouillé la dame de Warfusée, il fui livré au ma- réchal de révêché et décapité à la diligence de celui-ci; et que, lorsque les Waroux eurent accusé les Awans «si comme ardeurs et laurons,» le maréchal fut chargé de saisir les fiefs des accusés '. Nous ne serions pas étonné, cependant, (pie la direction même de la pro- cédure de\ ant les fcudaHiires eût ajjpartenu à un de ceux-ci , désigné alors par le nom de GanHeii de (a parole du seigneur. Le gardien de la parole avait un rôle déterminé dans la procédure réglée par les assises de Jérusalem. Il existait à Liège, dans le Tribunal de la Paix: il y officiait à côté du grand maïeur -. Rien ne prouve, mais rien irempèche de croire, qu'il existait aussi dans la juridiction féodale ordinaire du pays de Liège. Mais laissons celte juridiction féodale ordinaire, dont nous avons indiqué les caractères constilulifs, et occupons-nous enfin du célèbre Tribunal de la Paix. Le Tribunal de la Paix n'élail au fond que la cour des vassaux de Tévèque de Liège, agrandie par Tadjonclion d'assesseurs pris parmi les nobles du diocèse entier, et profondément modifiée par Padjonction d'un élément ecclé- siastique. Nous ne connaissons bien son organisation que par les documents du XIV'' siècle. Néanmoins, il n'est pas difficile, en examinant de très-près le Ptitroii de la Temporalité et la précieuse consultation de droit appelée Posilio jin) Jiisiifiratione pacis '', de déterminer avec une certaine précision ce qu'il était au XIII' siècle. Le Tribunal de la Paix était né avec la trcve-Dieude Liège, comme nous Pavons dit dans le chapitre I'' de cet essai. Son existence et ses pouvoirs avaient été confirmés à diverses reprises parles papes et par les empereurs: notannnent |)ar Adrien IV et par Frédéric I"""^ en 1 ioo *. Le siège en était ' Clironiiiiics (II! Jeun irOiitrenwusc , I. V, pp. 544-545. — Fisf.n, t. 1", p. 379. - H.viKt.M, Discours de IS(Jô, p. ôi). ^ Dans le IMS. n° 188 de la lîihliolhèquc de rUnivcrsitc de Liège, dit Codex Vuii den Bertjht. — Rmkem, Discours de I8G7, |). T\''), en note. ♦ Wiioi.wii.t. , ouv. cité, pp. 55-5C. — Ciiapewille, l. 11, pp. lOO, 101). — ItAïkCM, Discours de 1863, p. i>0. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 103 établi dans l'Eglise de Notre-Dame-aiix-Fonds « deleis la grande engliese » et nient aiiltrepart ; » et ses séances se tenaient le samedi et « nient pai- » aultre jour K » L'évèque le convoquait lui-même, quand le besoin s'en faisait sentir ou quand le désir lui en était manifesté -, Lorsqu'il avait décidé de tenir au- dience, et qu'il lui survenait un empêchement grave, il pouvait remettre cette audience à un autre samedi. 3Iais la remise devait être prononcée avec une certaine solennité, soit par lui soit par un des « prélats de la grande » engliese, » par le témoignage des hommes de fief; et être nu'se eu warde de deux échevins de Liège au moins et du grand maïeur en présence des maîtres de la cité '\ Le Tribunal de la Paix ne pouvait, en principe, être présidé que par un évêque de Liège consacré K Celui-ci y siégeait à la fois connue chef ecclésias- tique du diocèse, armé du pouvoir d'exconnnunier, et connue souverain féodal; tandis (pic c'était exclusivement en cette dernière qualité qu'il prési- dait la cour ordinaire de ses hommes. Beaucoup de gens prétendaient, au XIIL' siècle, que saint Albert de Lou- vain avait impétrè du |)aj)e Innocent III un privilège spécial. On disait (pie, en vertu de ce privilège, le simple élu de Liège aurait pu siégera la Paix, pourvu qu'il eût à ses côlés l'abbé de Lobbes, vicaire général du diocèse in pontificalihuH , ou deux archidiacres, ou deux prévôts de l'église de Li(''ge. D'après Jean d'Outremcuse, Vélii aurait du, dans ces circonstances, mettre à ses côtés la mitre et la crosse è|)iscopales , appuyées à la fenêtre « del vo- I) rier, » avoir sur le bras ou sur les èpaides l'aunuisse des chanoines de Saint-Lambert, et porter sur la tète un chaperon rouge « copeis » surmonté d'un petit chaperon de pervenche ou de lierre « qui rampe en amont les » arbres et les murs ''. » ' A.WAUTEns, De l'origine et des développements, etc., p. 7o, charte de \'2\i)-2il — Patron (/«' /'( Temporalitr , p. i27ô. ^'Positio pro jiisli/icatione. — Chroniijiies de Jeun de Shtvelot, p. 582. — Patron de la Tcinporalilé , p. 273. "> Patron de la Temporalitr, ibidem. '' A. NVautehs, loco citalo. — Clirvniqaes de Jean d'Oulremeiise , t. V, pp. 357-558. ' Chroniques de Jeand'Outreineuse , loco cilalo. 104 KSSAl SI H LHISTOIUE Dl DROIT CRIMINEL Quoi (|uil en soit, IV-vêquo, même consacré, siégeail toujours à la Paix entouré d'un immense cortéi^e de clercs. On voyait dans celui-ci rarcliidiacre (le Liéjje, les chanoines les plus anciens du chapitre calhédral, un certain nomhre d'autres prcheiidés , et même le curé de Notre-Dame-au\-Fonds '. Les assesseurs laïques de Tévêque n'étaient pas seulement les vassaux directs de son église, (|ui avaient relevé lem* fief-; c'étaient encore tous les baisons du diocèse, Brabançons, Gueldrois, Hennuyers, Namurois, etc., ainsi qu'une infinité de chevaliers^. La juridiction de la Paix s'étendait, comme nous le verrons, dans le diocèse tout entier; il était juste que des juges pris dans le diocèse tout entier pussent concourir à y prononcer des sentences. Depuis une époque qu'il est impossible de déterminer, mais qui selon toute vraisend)lanceest assez reculée, les mai/rcs de /« c//e de Liège étaient égale- ment admis à siéger aNCc les fieffés ''. Les barons et les maîtres de la cité occupaient la place d'honneur à côté de l'évèque et de son clergé, les cheva- liers se tenaieni à l'opposile ^. Deux personnages jouaient un rôle considérable dans la procédure du Tribunal de la Paix : le grand maïeur de Liège, et ce feudataire que nous avons déjà désigné sous le nom de yardien de la parole de monseigneur. Le grand maïeur de Liège, et, dans les temps antiques, \e judex ou le haut voué delà ville, faisait les fonctions d'olficier criminel. Il était là tout armé, accompagné de ses douze valets en armes, « en autorisant le liaul- » teur de singnor". » C'était à lui qu'il appartenait : de prendre et d"a|)pré- liender ceux cpril fallait appréhender, de faire « les syetes cpiand ly honnnes » sont à conseilhe: » c'est-à-dire de demander individuellement aux lieirès présents s'ils suivaient l'avis exprimé par celui d'entre eux qm" avait parlé le pi'emier; de faire jurer aux parties, qui demandaient le duel judiciaire, « leur promerain serimcnl eu hi dite Paix et jjrendre leur obligance; » de mettre le forjiigement en garde des hommes quand il était prononcé; d'exè- ' Posilio pro jiisti/iriilltiiic. * Patron ilt: la Tcmjwratiti', ]). t)74. ' Po.siliu jiiujiislifinitioiii'- - ItAii;i:>i , Discours do 1805. ■* Pull un lie la Tcnipniulilc , \). '■2~7i. •• Posilio pro jiisti/iciilioiie. " Posilio pro jiisli/icdiiiiiic. — Uaikkm, Discours de I8(j3. " Pulron lie lu 7'nii paroi ilè , p. '21'^. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 105 cuter enfin tout le surplus de la justice « afférant al champ, » c'est-à-dire au duel judiciaire '. Le gardien de la parole n'('tait pas un véritable fonctionnaire. L'évêque le choisissait parmi ceux des feudataires présents qui savaient les précédents et la procédure. Il appaitenait au gardien de « oyr et mettre en le warde des » hommes, les raisnes et resjjonses des partyes; » de formuler la plainte quand une de celles-ci se mesparoUail ; de mettre enquéreurs « de tos cas » dont alcuns sierat mis en la bonne vériteil délie Paix, » au moins depuis Tépoque ou l'enquête testimoniale devint régulièrement en usage ^; de faire les « radjours de ceauz que débités siéront, » c'est-à-dire de faire réajourner de nouveau les accusés qui avaient fait valoir une excuse légitime pour ne pas comparaître; de semoncer les hommes « quand ils revenront de con- » seilhe, » c'est-à-dire quand ils avaient fini de délibérer entre eux; enfin « de tout chu mettre en leur warde ^. » Tels étaient donc les éléments propres dont la réunion formait le Tribunal de la Paix : l'évêque, les chefs du clergé liégeois, des assesseurs en nombre indéterminé pris parmi les fie/fes du diocèse, les maîtres de la cité, le grand maïeur et le gardien de la parole. Mais il arriva un temps où les échevins de Liège vinrent eux-mêmes jouer un rôle, non pas dans le tribunal, mais à côté de lui. C'est ce rôle, généi-alement méconnu jus(pi'aujourd'liui, (jue nous allons essayer de déterminer, en faisant une rapide mais indispensable incursion dans le domaine de la procédure. Anciennement, le duel judiciaire intei'venait très-souvent comme moyen de preuve de\ant le Tribunal de la Paix. Jean de Stavelol nous apprend ([ue, pendant le règne de Henri de Verdun seul, les appels à la Paix de Liège avaient donné lieu à plus de quatre cents combats en champ clos *. Pendant longtemps, l'évêque et ses assesseurs assistèrent officiellement à ces derniers, comme ils assistaient à l'accomplissement des autres devoirs de preuve d'une nature plus pacifique. Une lettre de Rodolphe de Haisbourg, datée de la fin ' Patron de la Teiiipuralilé, p. 1273. '^ Pas encore au Xlll' siècle. • ^ Patron delà Temporalité, p. 273-274. * Chroniques de Jean de Stavelot , p. 1)82. Tome XXXVIII. 14 106 ESSAI SUR LHISÏOIRE DU DROIT CRIMINEL (lu \III<" siècle, et répondant à une question posée par l'envoyé d'un évèque de Liège, nous l'apprend. Il a été jugé au tribunal de l'empire, dit l'empe- reur, que tout prince, quelle que fût sa condilion, devant lequel les duels judiciaires, certamhm dnellorum, ont coutume de se faire, j)eut en changer le joiu', au cas où il serait empêché d'y assister, et en déterminer un autre à sa convenance '. Tant que celle intervention directe de l'évèquc et de ses assesseurs ordi- naires au jugement du duel demeura en usage, les échevins de Liège restè- rent parfaitement étrangers à la juridiction du Tribunal de la Paix. Mais il arriva un moment où la preuve testimoniale commença à repren- dre son empire; où la personne qui portait sa plainte devant le tribunal de l'église Notre-Dame dut renoncer à se faire justice à elle-même par le combat en champ clos, et fut obligée de se soumettre à la vérilé de la paix et aux résultats d'une enquête; où, enfin, l'accusé seul conserva la faculté d'en appeler à son épèe et dire : ncc peto judicium pacis, je prouverai mon innocence de mon corps cl de mes armes "-. Alors la juridiction du Tribunal de la Paix devint insensiblement une juridiction tout à fait pacilique. L'évêque, au lieu d'assister au duel et de présider au combat, intervint tou- jours pour ïempècher; et quand l'accusé, rebelle à toutes les remontrances, refusa de renoncer à la preuve par les armes, on le renvoya devant un autre tribunal: celui des échevins de Liège, présidés j)ar le grand maïeur et ayant à leurs côtés les deux maîtres de la cité ^. Les échevins ne devinrent donc pas, à propi-ement parler, juges du Tri- bunal de la l'aix. Ils furent simplement chargés, à une époque donnée, de présider à certains actes de juridiction dont l'évêque et ses assesseurs clercs et laïcs ne s'occupaient plus eux-mêmes. D'après le document dit Positio projusii/icuiione, le duel judiciaire, consècpience d'un appel fait au Tribunal de la l'aix, ne pouvait se faire (pi'avec des butons, de niiuiière (|uc les com- battants ne pussent se tuer; d'après Jean de Stavelot, ce duel se faisait. ' EiiNST, Histoire di' Limlmuig , t. Il, p. 155. - Posilio pro justificalione judieii pacis. ' Idem. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 107 comme partout ailleurs, avec des armes émoulues. Nous mentionnons les deux versions sans oser nous prononcer entre elles *. Une autre modification, subie par le Tribunal de la Paix, se lie intimement à celle dont nous venons de parler. Il est hors de doute que, pendant les pre- miers siècles de son existence, ce tribunal constitua une véritable juridiction criminelle, bien qu'il ne jugeât que de certains faits et qu'il ne prononçât que certaines peines. L'évêque, comme seigneur féodal et avec le concours de ses assesseurs laïcs, y prononçait, contre les hommes libres, la privation du fief et le forjufjemenl ou bannissement perpétuel hors du diocèse avec mise hors la loi ; contre les serfs, la section de la main. Comme chef ecclésiastique, et avec le concours de son clergé, il fulminait, en outre, contre les uns et les autres, une sentence d'excommunication. L'accusé contumace et l'accusé qui n'avait pas réussi à se justifier étaient alors mis à peu près sur la même ligne -. Au XIV*^ siècle, au contraire, l'évêque et les feudataires ne for jugeaient plus que les accusés contumaces, quelle que fût leur qualité, et c'étaient eux seuls que l'évêque et ses clercs exconnnuniaient à la lueur des cierges et au son de la cloche, en leur interdisant l'eau et le feu, in polu ciboqiie^. Les accusés qui comparaissaient, mais qui étaient déclarés coupables, n'étaient ])lus condanmés |)ar le Tribunal de la Paix qu'à la restitution envers la partie lésée, et à une amende en argent au jjrolit de l'c-vèipie *. Tous l(>s droits du sei- gneur territorial restaient saufs pour leur ap|)li(|uer, s'il le jugeait convenable, une peine crinnnelle : « criminale retinebil doniiiius terrae in cujus terrilorio » crimen commissum est ^. » 11 n'y avait plus qu'un seul cas, à cette époque, où une plainte, portée devant le Tribunal de la Paix contre un accusé présent, pouvait donner lieu à l'application d'une peine criminelle véritable : c'était le cas où l'accusé en appelait au duel. Encore, cette peine était-elle prononcée par les échevins de Liège, et non par le tribunal présidé par l'évêque. Si l'accusé, appelant du duel, succombait dans la lutte, il encourait la ' Positio projiisllfiialione. — Chroniques de Jean de Slavelol, p. 582. 2 Chapeaville, t. Il, p. 50; Gilles d'Orval, loi de trêve-Dieu de 1082. ' Positio projuslificatione. ■* Idem. » Idem. 108 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL peine capitale ; si c'était raccusateur, véritable défendeur en ce qui concer- nait le champ clos, il n'encourait que la section de la main. L'accusateur était traité plus favorablement, d'après la coutume de l'éclievinage, parce qu'il devait s»/y/r le combat, tandis que son adversaire avait pu éviter celui-ci en se soumettant à inie procédure pacifique '. La double révolution, que nous venons de signaler comme s'étant opérée dans le Tribunal de la Paix , était accomplie à la (in du XIV* siècle. Les documents nous le prouvent. Mais quand avait-elle commencé à se faire? C'est là un secret que l'histoire ne nous a pas encore révélé. Nous croyons cependant qu'elle doit avoir commencé, sinon au XIII'' siècle, au moins dans les premières années du XI V" siècle, et c'est pour cela que nous en avons parlé dans noire premier livre. Passons maintenant à une question nouvelle, et cherchons à retracer les règles générales de compétence qui dirigeaient, au XIII'' siècle, les différents tribunaux dont nous venons d'étudier l'organisation. § V. — De la compétence des juridictions séculières liégeoises et de la rencliarge. En traitant de la compétence respective des divers tribunaux , que nous avons appris à connaître, nous croyons utile de suivre un ordre inverse de celui que nous avons suivi jusqu'ici. Nous traiterons d'abord de la compé- tence du Tribunal de la Paix; en .second lieu, de la compctenct! de la cour féo- dale ordinaire de l'évècpie; et, en troisième lieu seulement, de la compétence des juridictions territoriales. Ce sera, comme on le veri-a bientôt, le moyen d'éclairer et de sinq)lifier la matière didicile (pie nous abordons. Il est bon de le lappolcr en commençant : le XIII'" siècle est encore, comme nous l'avons dit plus haut, une période d'incertitude et de luttes entre les différents pouvoirs et les dilTérenls tribunaux. Le cercle d'action de ces derniers, qui, à chaciue instant, empiètent sur le domaine les uns des ' Poxitio projustificalione. DANS L'ANCIEIVNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 109 autres, n'est pas encore déterminé avec précision. Les monuments des temps ne sont ni assez nombreux ni assez explicites pour nous donner la solution exacte de toutes les questions qu'un esprit investigateur et difficile à satis- faire peut soulever. Enfin, par là même que le ministère public n'existait pas encore, et que le droit de plainte n'appartenait guère, comme nous le dirons, ([U aux parties lésées, l'attitude que prenaient celles-ci, selon leur caprice ou selon leur intérêt, influait souvent sur l'étendue de la juridiction des tribu- naux : celui d'entre ceux-ci, auquel la partie s'adressait, travaillait en général à conserver la décision de l'airaire malgré les réclamations des corps rivaux. Nous croyons superflu de revenir ici sur ce que nous avons dit au § 1", des juridictions ecclésiastiques. Un seul fait ca[)ilal mérite d'être rappelé : c'est que les parties lésées avaient le droit, même en matière criminelle purement séculière, et entre laïcs, d'attraire les coupables devant ('officiai de Liège, aussi bien que devant une juridiction laïque. Nous abordons aussitôt l'objet propre de ce paragraphe. Le ressort du Tribunal de la Paix n'était pas boiiié par les limites de la puissance tem|)orclle de l'évêque. Il comprenait le diocèse tout entier pour lequel avait été faite la trêve-Dieu de 10K2 '. « El siq)poseit, » dit le Patron de la Teiii/ioralilé, « que cilh qui siéront trais en cause pardevant Iv demo- » rassent dcsous les princlies marchissans mains que ce fuisl en sa diocèse, » si n'en seroienl-ilb nient pour ce exens -. » Ce n'était pas sans peine (pie les évêques maintenaient, en dehors de leur princij)auté, l'exercice de la juridiction qui leur avait été conférée au XI'= siècle. Déjà, à la fin du Xli'' siècle, Albert de Cuyck avait eu à son sujet un grave conflit avec le Hrabant. En 1197, pendant (pie Ilemi le Guer- royeur était à la croisade, sa femme, Malhilde de Flandre, entreprit de sous- traire son duché à la juridiction du Tribunal île la Paix, et même, jusqu'à un certain point, à la juridiction spirituelle de l'évêque et de ses archidiacres : « Volebat enim illa perversa Jesabel onnies homines terrae suae a jure pacis » ne in Leodiensi terra responderent removere, et sacerdotes ne censuras ' ClIAPliAVILLE, I. II, |). no. "^ Patron de la Temporulilê, p. 263. no ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » episcopi vel archidiaconi proclamarenl oinniniodo prohibere. » Elle fit fermer les greniers des clercs et des chapitres destinés à recevoir le produit des dîmes, emprisonner l'intendant Çvilliais) de révëque, et sévit contre le curé de Beauvechain. Celui-ci ayant, selon la coutume, engagé au prône ceux qui étaient appelés à la Paix de Liège à y ré|)ondre, « ad pacem appellati » ut ad pacem responderent » fut attaché à la queue d'un cheval et jeté dans un cachot. Albert de Cuyck mit le Brabant en interdit. Au bout de quelque temps, Bertrand, évéque de Metz, intervint, et se porta médiateur entre l'évêque et la duchesse. Les choses lurent remises sur l'ancien pied, et le dilTérend ne se réveilla qu'au X1V« siècle '. Au Tribunal de la Paix n'avait « ly noble nient plus d'avantage que ly » petis, ne excusanche -. » Tous les habitants du diocèse, à moins de se trouver dans une des rares catégories de personnes que nous allons indiquer, pouvaient appeler et être appelés devant lui, sans distinction de qualité, de condition, de fortune. Le dernier des paysans, qui y accusait le plus puissant des seigneurs, était certain d'être écouté, et d'être traité en paifaite égalité avec son adversaire. Tout ce qu'on demandait, c'était que le plaignant vînt faire son appel par lui-même. « Nul homme seculeir, de queilconcque eage » qu'il soit, ne que malade ou alToleis qu'il soit, ne peut appelleir aullruy » aile Paix par inambor, s'ilh ne fait appeaul par ly-miesme mains » gens bénéficyez, capitle, abeies, covens, femmes et enfans déseagies, et » tous religieuz, |)uelent bien appelleir parmy on mumbor pris en la Paix » de Liège et aullrepart nient ^. » Les personnes exemples de la juridiction de la paix étaient les princes, c'est-à-dire les vassaux immédiats du Saint-Empire, les clercs, les bour- geois citai ns <\c Liège, les boui'geois de Capelle-au-Bois en Brabant, et, jus- qu'à un certain point les bourgeois de la Roche-en-Ardennes *. L'exemption des princes se conçoit d'elle-même. Un jugement rendu par un évèque de Liège contre un duc de Brabant ou contre un comte de Nanmr, bien que " Cfiapeaville. t. II, p. 190; Gilles d'Orvat. * CliioiiKjucs (le Jean de Sliivclul , (). iJ.Si. 5 Palruii de la Temporalité, p. -ÏIT^. * Idem, p. 2(iî). — Raikem. Discours de 1803. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. IH pour certains fiefs ces princes fussent vassaux de l'évêque, aurait constitué par la force des choses un acte de droit international et non un acte de droit criminel. L'exemption des clercs n'était qu'une manifestation du droit commun de l'époque. Les clercs, comme nous l'avons dit, ne ressortissaient jamais qu'à des tribunaux purement ecclésiastiques '. L'exemption des bourgeois cilains de Liège, c'est-à-dire des bourgeois nés dans l'intérieur de la franchise, avait déjà été confirmée plutôt que créée! par le privilège dit d'Albert de Cuyck -. L'exemption des bourgeois de Capolle-au-Hois ne s'explique pas jusqu'au- jourd'hui. On sait seulement (pi'ellc existait au XIII*' siècle, car, dès les pre- mières années du XIV", une foule de Brabançons se prévalaient par abus de cette bourgeoisie pour se soustraire aux appels de la paix '". L'exemption des bourgeois de la Koche-en-Ardenne, enfin, avait pour ori- gine , d'après la tradition , le refus d'un comte de la Roche de soumettre ses sujets à un tribunal qu'il avait contribué à créer. Pounpioi;^ « Qui niliil babe- bal sed de suis spoliis vi\it *. » Leur privilège, néanmoins, ne fut régulière- ment constaté qu'au XlV" siècle. Le I" juillet 1343, Adolphe de la Marck alfranchil de la juridiction de Notre-Dame-aux-Fonds tous les bourgeois de la Roche présents et à \enir, qui y auraient un domicile de six mois et un jour, mais à l'occasion seulemeni de méfaits commis après l'acquisition de leur bourgeoisie ^. Le Tribunal de (a Paix, qui avait un si vaste ressort et un nombre si considérable de justiciables, ne connaissait pas indistinctement de toutes espèces d'infractions. A l'origine il connaissait : du port des armes dans le diocèse pendant les jours de désarmement et de trêve obligatoires déterminés par la loi de trêve -Dieu; de l'incendie, de la rapine, des attaques à main armée (assultus); des coups portés avec un bâton ou avec une arme et ayant ' Raikeh, Discours de 1803, pp. 22, 25. ^ Idem, p. 27, note 1", Discours sur la liberld indiviiluclic. ^ Sentence de Iii34, dont nous parlerons plus loin, rendue |Kir le roi de France. * Posilio projiislificalioite. ^ Chroniques de Jean dcSiavelut, p. 583. M2 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMI>EL cause mort d'homme ou brisure de membre K Peu à peu, l'institution des jours de désarmement jiénéral tomba en désuétude. Hemricourt nous l'ap- prend indiriTtement. On sait, en elTet, (|u'au XI'' siècle, il était défendu de porter des armes depuis l'aurore du vendredi jusqu'à celle du lundi. Or, en 1325, les capitaines du parti des Waroux rassemblèrent leur monde en équipage de guerre le matin même du dimanche de la SuiiU-liartludemy, et leur conduite ne soideva pas la moindre objection au point de vue du droit ^. Le Trdmnal de la Paix ne connut plus alors, c'est-à-dire vraisemblable- ment depuis la fin du Xll" siècle, que de certains actes de violence de nature grave. Sa compétence est caractérisée, à peu près dans les mêmes termes, par le Palroti de la Temporalité, le document (Wi Positio pro justificatione , et la chronique de Jean de Stavelot. On pouvait appeler aux assises de Notre-Dame-aux-Fonds, d'après .lean de Stavelot : de miudre, de vol, de rapine, de violence, de robe et d'arsin '". D'après la Pusilio : « Super vi, spolio et exberedalione in toto vel in » parle... *; » mais, sous la rubrique de vi, l'auteur du document compre- nait le rapt et le viol : « 0 domine, et vos judices pacis, talis spoliavit me » omnibus bonis meis, talis rapuit et violavit filiam, sororem meam^! » D'après le Patron, enfin : « de murdre, de robe, et de dishéritanche; en » lacpieil murdre sont comprieses et enclouses arsiens fois sains werre et » sains déliancbes, biestes spctées nuturnament de fais céleis, arbes porlans » fruis stepeis ou viengnes stepies de fais céleis, et cas semblans, triwes et » (piaranlaines brisyes, et paix brisye; mais de simple Itomecide on ne pnet )> (ippelleir ". » .Nous appelons Pallontion sur ce dernier membre de phrase, ainsi que sur l'expression de cpiarantaine brisée. V homicide simple, c'était le l'ail de tuer un honnne au grand jour, dans une querelle plus ou moins publique; le ' OlIAI'K.WJM.K, l. Il , |). 38. * IlEMnicouiiT, Miroir des nobles de Heshaije, p. 349. 5 Chroniques de Jean de Stuvclol , |)|). 1)80, li8l. ♦ l'osilio pro jii.sti/iiatioiH'. ^ Idem. f' Patron de lu Temponililé , p. 272. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. H 3 murdre, le fait de donner la mort à autrui dans un lieu caché, de nuit, ou avec embûches '. Les (jiiaruntaines étaient des trêves obligatoires imposées par révoque au milieu des guerres privées; nous en parlerons plus loin en détail 2. Faisons, à propos du Tribunal de la Paix, une dernière i-emarque : lors- qu'il avait prononcé \q for jugement contre un accusé contumace, « n'at chis » forjugement point de rapeaul '^; » et passons à la Cour féodale. A la différence de la compétence territoriale du Tribunal de la Paix, celle de la Cour féodale ordinaire de Févèque avait pour bornes les limites de la puissance féodale de l'église de Liège *, el même, à la (iu du XIII" siècle, elle ne s'étendait pas sans contradiction sur les terres du chapitre cathedra!. En 1290 •', en elTel, un conilit sérieux éclata entre ce dernier et Jean d'En- ghien. Jean d'Eiighien prétendait être en possession du droit d'exercer la juridiction temporelle sur les chevaliers, leurs fils et leurs parents qui habi- taient dans les domaines du chapitre, et de les |)unir quand ils commettaient des infractions; le cluipilrc, au contraire, soutenait que lui seul avait juri- diction haute et basse sur les persomies précitées, connne sur les autres habitants de ses terres. Les deux parties, par acte de la \eille de Saint-Lau- rent 1290, se soumirent à la décision d'arbitres, nommés de conunun accord, qui devaient prononcer leur sentence avant la Toussaint. Malheureusenienl, nous ne connaissons pas le dispositif de la sentence (|ue les arbitres ont portée *^. Nous croyons cependant (pi'eile était favorable à l'évèipie : d'iuie part, en elTel, la charte de 1 107 mettait les bénéliciers des chanoines sur le même rang que les hénéficiers de l'évèque, et les rendait justiciables de ce dernier au milieu de leurs /;«/>« "; d'autre part, les documents des temps * ItAiiiDii, Discours (le ISdrî, p. 5'J. ^ /(/('((( , ])|). ô!2, ÔT), 7>>t , et notes. ^ Pulroii (le ht Tciiifioniliti-, p. ^7'). * lUiKicji , Discours de I.SÎi?, p. 7>'i. ^ SciiooMimioDT, ouv. cilé, iuic ii" 410. — Cli;\rtcs niîimiscrilcs du clia|)ilrc, copiées par M. Sclioonl>ro(jdl el coniriiuiii(|uces par lui. •■ La eliarle des arhilres ne s'csl |)liis retrouvée; elle n'existe pas dans la précieuse collection de M. Sclioonbrooilt. ' Voir celte cl);irtc. TojiE XXXVIII. la lli ESSAI SUK L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL postérieurs nous inontronl la juridiction féodale de Tévéque s'exerçant aussi bien dans les terres de la niense capitiilaire que dans eelles de la mcnse épis- copalc. A raison de la matière et de la nature des infractions, la cour féodale de Tévèque connaissait, à rcxclusion de toute autre juridiction : 1" du crime de félonies commis par un vassal de l'église de Liège '; 2" du refus de service féodal militaire, entrainant contre le coupable la |)erte du (lef "-; 3" des autres infractions de nature purement féodale : c'était le droit commun de la féodalité, la règle indiquée dans les usages des liefs, qui, dans le pays de Liège, étaient réputés lois "; 4" du crime de quarantaines et de trêves bri- sées, dont nous parlerons au chapitre suivant K La cour féodale était encore, d'après les principes stricts du droit public liégeois, la juridiction à laquelle, comme cour de liauteur de l'évèque, il appartenait de réprimer les prévarications commises par les échevins dans l'exercice de leur charge, soit en les déposant, soit en leur infligeant toute autre peine ''. La cour féodale connaissait en outre, en concurrence avec les diverses juridictions tei-ritoriales du |)ays , de toutes les infractions de cer- taine gravité dont on |)oi[ail la plainte devant elle ^. A raison de la qualité des délinquants, la cour féodale a\!iit pour justi- ciables tous les habitants de la principauté, lielTés et non fielTés, sauf les clercs ', les habitants des seigneuries de la cathédrale et les bourgeois citains de Liège. Les bourgeois citains de Liège étaient couverts contre sa juridiction par l'arlicle 7 du |)rivilége d'Albert de (^lyck, dont nous avons parlé à propos du Tribunal de la Paix : quand ils étaient cités devant ce der- ' Plus i.iid, ((iifiqiies cas de félonie ressorlissaient plus spécialement à l'/l ««eoi/ du palais. * Putinn lie 1(1 Temfmrulilô , p. IfiW. « L'évèque, n dil-il, « pcul somonre tous ses lionimcs • de l'ycf... cl escoiidicr ne \\ piiclcnt ne dovent les liveis sor leurs fyel' à i)crdre .. » ' ItMKicM, Itisccniis de IS'.d. p. l.'i. notes 3 et 4. — CiroKiKii, de Advocatiis feudorum, Quaeslio, p. 8(1. — H.mkkii, Discours de iS^iO, pp. :2'2 et :2ô, et notes. ' l'ttlnin de lit Tetupiinililé , yt. ~i'H . " Idem, |i. !27ti. « Wiioi.wiii,, ouv. cité, |)p. 05 et 54. — l-n lettre des vimit de lô-Ji fixa sa conipétcncc sur ce point. ^ Nous avons dit |>oMriies dé/oija/es, le boui-geois de Liège lésé criminel- lement par un aiïorain, pouvait porter sa plainte non-seulement selon le droit commun de\ant le juge du domicile du coupable, mais encore, par un ren- versement complet de la maxime acior sef/tu'tur forum rei, devant ses pro- pres juges naturels, les échevins de Liège \ « Se ly aiïorain tuAve ou navre le » bourgeois de desloyaux armes, ly bourgeois, s'il ly plaist, soy puet plain- » dre aile justiche de lieu là ou ly aflorains est sourseyans, et s'il ne s'en » veut là plaindre, il s'en puet plaindre au mayeur et as eschevins de Liège, » et en ont à jugier aile loy Charlemaigne, tant que de desloyaux armes "^. » Les règles que nous venons de citer donnaient déjà aux échevins de Liège une compétence toute particulière. Ils en avaient une autre (pi'ils pui- saient dans leur qualité de garants olliciels, en quelque sorte, de la valeur des monnaies que frappait un prince de Liège. Les monnayeurs de l'èvêque « in praesenlia scabinornm proniiltent quod lideliler facient monelam in » pondère, materià et forma; » les échevins de Liège étaient dès lors, et naturellement, les seuls juges du crime de fausse monnaie, n'importe par qui et dans quelle localité soumise à la hauteur de l'évèque ce crime était com- mis : « aulhores defraudationis judicio scabinorum per mutilationem pugni » et capilis puniantui' '. » D'après le Ihitrun de la Tcmporalilé , enliii, les eche\iiis de Liège war- daient « que des forches, rapines, et robes montant à 1111 deniers de forte » moimoie... qui avinent et faites sont dedans les termes et bonnes chi après » déclarées, on puet bien \ogier par devant eaulx, de quelconque terre ou ' /,(' Puwcilliars, décision ii" IS'.l. ^ /ilcm , ihidcm. ' \Vii()i.wiLi., otiv. citi'. |i. IVj. — Codvx Hiiinisdael , I. IV, p. Ô'J : • Qualilcr cpiscopus > dcl)it facerc iiKniclaïu. > DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 119 )) pays le plaindeur ou laituele soyent. Assavoir jusques aile Geere entre les » vilhes de Treit et de S'-Pierre, et de là fendant le rivière de 3Iouse et la » terre de Dolhen et de Lemborgli jusques az Gheus (la Guipe) sour le chemin » d'Ais (Aix-la-Chapelle) et en rallant parmy le terre de Lemborgh et de Fran- » chimont, jusques az pont de Eawalhe; et de là remontant parmy le terre de » han de Sprimont, et passant la rivière d'Ourlé jusques à pont de Haniort; et » puis aile riwe de Blon (ruisseau de Néblon) en ban dX'ffey; et passant tout n oultre le ban d'Ulîey, jusques à riwe à Okier, car oultre le riwe ne pu( t on » vogier; et retournant à main diestre vers Oxhen à dcseure par delà la )) vilhe, et aile Spinette deseure ïcrwangne, et puis à Kamelot et à Sirée » et à S'-Nicolas, aile Sarte, deseur Iluy; et puis en deskendant vers le Nuef- » mostier, et traversant Mouse alencontre des petits malaides par dechà Huy, » et de là montant parmi le tycr de Nyerbonne, et retournant à amont à Pont » à Wanse; et de là en parsiwant tout amont le rivière de Mehaingne jusijues » à Browes, et de Browes en tournant à Frayeneal à ïourines et puis ans » tombes à Oumale et à Hollongne souz Geerc; et passant Geere jusques à » Berioz, et retournant à Tilluit, à Molin, puis à Kokelinge-le-tièche et » deseure Pepengne, et toutte la grande canipaingne jusques as Tombes à » Brusthemme et à Iloubiertongne, et à Dyepcid)eke, et revenant à Blieze- » les-Dames (Hilsen) et de là jusques aile Geere à Treit '. » Dans ces vastes limites, les échevins de Liège pouvaient, en concurrence avec d'innombrables justices locales, recevoir les plaintes relatives à cer- taines iniraclions, sans être à proprement parler ni les juges du lieu du délit, ni les juges du domicile de raccusè. Nous disons de certaines infractions : en effet, il n'est question dans le Patron que : i° des rapines et robes, c'est- à-dire des vols montant à quatre deniers de forte monnaie; 2° des vo'.t7. * Jdcm, pp. -2'M, -2W. * Li Paweilliars, décision u° 24!). DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 123 » didiscerint ipsmn tanquam jnstam, ex warandia eorumdem, debent pro- » nunciare... quod si forte scabini de Hasselt super sentencia requisita ipsos » vel noilent, vel non sufïïcient certificare, ex tune dicti scabini de Bee- » ringen sentenciam illam a scabinis Leodiensil)us requirent persomditer , » quam ut ab illis didiscerint eorum fulti authoritate, tanquam justam » pronontiabunt '. » Au XIII'' siècle, comme la procédure écrite n'était pas encore en usage dans les consistoires de justice séculière , les échevins qui demandaient renclumje allaient eux-mêmes à Liège exposer à leur chief les faits (|ui s'étaient passés devant eux , tels qu'ils les avaient ivardés à la semonce du maïeur, et les doutes juridiques que ces faits leur avaient suggérés. « En die » meismes temps vinrent les esquevins de Iluy quiere conseil... Ly esquevins » de Mons soy vinrent une aultre fois conseilbier... Ly esquevins vinrent à » Liège pour avoir conseilhe... -. » Ils n'envoyaient leui- varlet à leur place que s'il s'agissait de demander enseignement à propos d'un principe général .sans application immédiate ^. Cette pratique coûteuse pour les justiciables ne fut modifiée que dans les siècles postérieurs. Ce fut aussi plus tard que les paix déterminèrent le délai dans le(|uel les échevins de Liège étaient tenus de se prononcer sur les questions dont ils étaient saisis comme ehiefs et par la rencharye. Après ce que nous venons de dire, nous croyons n'avoir pas à nous occuper ni de l'appel, tel qu'il était organisé dans le pays de Liège, ni du i-edressement des mauvais usages suivis par les cours basses en contradiction avec la loi du pays K L'étude de ces questions, qui intèiessent la procédure civile et non la procédure criminelle, nous entraînerait trop loin de notre sujet. Nous nous contenterons de faire à piopos de la rencharge une dernière remarque : c'est qu'elle contribuait à maintenir une certaine uniformité en matière de jurisprudence criminelle dans les différents territoires de la princi- pauté, et que, dès les temps les plus reculés, elle adoucit les maux engendrés ' A. Wautehs, De l'origine et des développements , etc., p. 145. 2 Li Paweilhars, décisions n" 11, 159, 204. 5 fdein, décision n° 237. * Raikem, Discours de 1800. 424 ESSAI SUR LHlSTOlllK DL DIIOIT CIIIMI^EL dans hi |)liiparl des principaiilés voisines, par Tignorance liahitnoile des juges de village. Ponr It'iinincr le chapitre de Torganisatioii judiciaire nous allons mainte- nant dire un mot de la commission mixte, organisée par la paix de fi clercs, ponr connaiire dans certains cas des infractions commises par les rarlrts des caiiuiiies contre les bourgeois et leurs )n(usiiii'S. § VI. — De la commission mixte créée par la paix des clercs. On se ra|)pelle que, conformément au privilège de I 107, les varlels des chanoines in convictn illorum , habitant avec eux et constituant leur muisnie, étaient exempts de la juridiction de réchevinage liégeois. Celui-ci n'avait le droit de les juger (|ue dans un seul cas : s'ils étaient marchands publics, et s'ils avaient à répondre à la justice en cette qualité. D'après la cliarle de 1 107, le varlet des chanoines, qui commellait une infraction, devait être conduit par son maitre dans le réfectoire du chapitre de Sainl-Land)erl , dont les chanoines menaient, connue on sait, la vie com- mune, et là satisfaire à la puissance séculière ou à son accusateur privé, selon la sentence de ses pairs, les autres serviteurs claustraux : « judicio » parium suorum clauslralium servienlium '. » La charte de 1275 ne lit que conlirmer l'elat de choses préexistant, en interprétant les stipulations de la charte de I 107. Les pairs d'un rarlef, qui seuls avaient le di-oit de |)ortei' une sentence contre lui, étaient « cuslodientes » chorum et capiluluni ecclesiarum et ferelrium S" F^amberti, ac thesau- » riarii, pistores, pincernae, etc. » en un mot toutes les personnes qui exer- çaient un ollice inlérieui" spécial dans les églises de Liège. Le justicier de celte cour des pairs, très-std)allerne, était le sergent du prévôt de la cathé- drale, qu'on appelait son maïeiir -. (rélail lui qui agissait, monente cl man- dante, en traduisant le (lèlin(piant devant ses juges (piaïul une plainte était ' i^oi'vncXjdiiiis ses Dixxerlalions lunoiiùjiim, s'occupe l)(;iiuoii|) de celle juridiction. - Il en est i|ticstion plusieurs fois diuis lu pui.r dvs clercs. DANS L'AÎSCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 125 faite, et en semonrunt les juges de prononcer leur sentence. Lorsque le varlet était condamné à une peine grave, on le livrait à la justice séculière pour qu'elle eût à le traiter suivant ses mérites ^ Sous l'empire de ces privilèges on appliquait donc rigoureusement la maxime : actor sequitur forum rei, en matière d'infractions commises par les varlcts, et vice versa, h?^ paix des clercs de 1287 modifia cette situation. D'une part, elle maintint comme de raison le principe en vertu duquel un varlet des chanoines lésé par un bourgeois ou un domestique de bourgeois devait se plaindre à l'échevinage ; elle stipula seulement que celui-ci appli- querait loyalement au délinquant la loi muée des clifinoini's - au lieu du droit commun. D'aulre part, sans renverser le tribunal des serviteurs claustraux, elle lui enleva une partie de sa compétence. Elle lui laissa la connaissance des infractions commises par les valets des chanoines les uns contre les autres. Mais elle lui ôta le droit de connaître des infractions comniises par les valets des chanoines contre les bourgeois et leurs maisiiirs. pour le donner à un corps de judicature spécial, conjposé de laïques liégeois ou l»ien , à l'in- tervention de ce corps, à l'échevinage de Liège lui-même. Le corps de judicature, créé par hxpaix des clercs, se composait de qua- torze personnes. La moitié de ses mend)res portait le nom i\c Jurés et était prise parmi les sinqiles bourgeois résidant en ville ; l'autre moitié était |)risc parmi les quatorze échevins de Liège en loiiclions. Tous étaient iiiauiorihles dans la charge spéciale qui leur était confiée ''. Tous étaient élus directement par les chapiti'es des églises de Li('ge ou par leurs députés; et ces derniers, avant de procéder à l'élection , (bavaient jurer d'exercer leur choix bien et loyalement et de le faire poiter sur des hommes sans suspicion et sans parti. Lorsqu'un des échevins désignés par les chapitres mourait, il fallait le rem|)Iacer par un de ses collègues. Lorsqu'un juré devenait lui-même éche- vin, poslèrieurement à son élection, il devait être renq)lacé par un autre bourgeois. Bourgeois et échevins, sur lesquels s'étaient arrêtés les suffrages ' Chapeaville, l. Il, [). 50G. 2 Paix des clercs, arliele 21. ^ Il n'L-tait pas question ii'i de rinamovibilité cchevinale : celle-ci ne dépendait pa> do In juiix des clercs, elle était de droit commun. 126 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL des églises, étaient obligés d'accepter la charge qui leur était confiée : les uns sous peine d'encourir Faniende de dix marcs liégeois; les seconds sous peine d'encourir la même amende et, en outre, Vexcommiinkalion. Les jurés prê- taient, en entrant en fonctions, à la ville et aux églises, le serment de s'ac- quitter loyalement de loUice pour lequel il avaient été choisis. Quant aux échevins, on se rapportait au serment qu'ils avaient fait au chapitre de Saint- Lambert en pienant possession de leur siège scabinal ^ Les sept jurés bouigeois et les sept échevins, désignés par les églises, ne formaient qu'un seul collège. Sa compétence ne s'étendait absoknnenl qu'aux méfaits commis par les valets des chanoines contre les bourgeois ou contre les domestiques de ceux-ci, et, dans ces limites mêmes, sa mission était de natuie dillérente selon la gravité intrinsèque de l'infraction qu'il fallait réprimer. Pour bien faire comprendre ceci, il est encoi-e une fois indispen- sable de faire une incursion dans le domaine de la pi-ocèdure. Le bourgeois, victime d'une infraction commise par un valet des cha- noines, devait toujours connnencer par porter sa plainte au maïeur de Liège ou au scryciit du prévôt de la cathédrale, et devant un nombre convenable de membres du collège mixte d'échevins et de jurés dont nous venons de parler -. Un des deux justiciers, ou tous les deux ensemble, mettaient cette plainte en warde des membres présents du collège; et ceux-ci pouvaient et devaient enquérir immédiatement du fait, c'est-à-dire, prendre connaissance des preuves que l'accusateur avait à fournir. Quand l'enquête était terminée, il fallait distinguer si l'infraction donnait lieu à l'application d'une peine corporelle, ou si elle était simplement passible d'une peine pécuniaire. Dans ce dernier cas, la procédure était sonnnaire et ne comportait pas même un jugement régulier. Le collège des li agissait seul et par lui- même. Quehpies-uns de ses membres, conduits par le grand maïeur ou par le sergent du prévôt, se rendaient sur le îverix/ias^ c'est-à-dire sur la voie publiiiue et le plus près possible du cloître où demeurait le délinquant, et le justicier, en leur présence, commandait au varlet reconnu coupable de ' Paix (les rlefcs, iirlicics IG, 17, 18, I!). * fdcm , article 20. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 127 payer Tamende comminée par la loi muée des chanoines, et dans le terme fixé par cette loi, sous peine d'être banni. Si le délinquant obéissait au com- mandement, tout était dit. S'il se montrait, au contraire, récalcitrant, le collège des li épuisait son droit en rapportant le défaut à l'échevinage de Liège. Celui-ci seul allait alors en avant de l'affaire, sans pouvoir rece- voir d'autres preuves que celles qui lui étaient fournies par le collège mixte. Lorsque l'infraction commise |)ouvait comporter l'application de la peine de mort, ou d'une mutilation, le collège des 14 ne pou\ait rien com- mander. Il avait encore le droit exclusif de recueillir les preuves fournies, qu'il s'agît de mort d'homme, de rapt, de trêve brisée, ou d'autre méfait aussi grave. Mais, après avoir porté l'enquête faite aux échevins, à la chaîne en Geherdrie, il devait se retirer. L'échevinage prononçait la sentence crimi- nelle sans avoir le droit d'exiger des preuves nouvelles, et en se conformant à l'avis de la majorité des enquéreurs, si ceux-ci étaient en désaccord sur la portée de leur enquête '. En résumé, les varlets des chanoines passaient donc sous la juridiction des juges ordinaires de la Cité comme les autres laïcs; seulement, par forme de transaction, on leur accordait une garantie spéciale : celle d'êlre dans tous les cas jugés sur des preuves recueillies par des enquêteurs tiélégués des églises elles-mêmes. Ce derniei- vestige des anciens privilèges des maisnies canonicates finit par disparaître, à une époque qu'il est impossible de préciser. On sait cepen- dant que le collège des ii n'est plus mentionné dans le terrible arrêt du 18 novembre 1407, par lequel Charles le Téméraire bouleversa tout l'ordre établi des juridictions liégeoises -. Nous sommes entré dans de longs développements à propos de l'organisa- tion judiciaire du pays de Liège au XII1"= siècle, dans le dessein de donner à notre travail une base aussi solide que possible. Nous allons, dans le cha- pitre suivant, traiter d'une matière toute nouvelle : du droit de vengeance et des guerres privées de famille. * Paix des clercs, article 20. 2 Raikem, Discours de 1847, p. 22. — Louvrex, Dissertations eanoniqties, Dissertation 10"", n» 40. 128 ESSAI SUR LIILSÏOIKE DU DROIT CRIMIîSEL CHAPITRE m. DU DROIT DE VE>GEA>CE ET DE GUERRE PRIVÉE, ET DU DROIT COMPÉTENT AUX FAMILLES LÉSÉES DOBTEMU UNE SATISFACTION. PACIFIQUE SANS PLAINTE CRIMINELLE. EN EUX- MÊMES ET DANS LEURS RAPPORTS AVEC LE DROIT DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. Dans j'ancion droit geniiaiiiqiio, les délits commis contre les personnes et contre les propriétés, par leslioinmes liiires, étaient considérés comme lésant avant tout les intérêts de la victime, mais comme lésant anssi la jiaix du peuple ou la paix du roi. Cependant, il n'apparlenait guère qu'aux parties lésées seules d'en faire punir les auteurs, ou d'exercer sur eux un droit de vengeance presque sans limites. A l'origine, le choix était absolument lilire entre la vengeance et la plainte. Il n'en lut pas longtemps ainsi. Dès l'époque mérovingienne les victimes d'une infiaction contre les propriétés furent contraintes de traduire les cou- pables devant la justice, et de les faire condamner au w/ienj/iotl et au fre- (lum. Le wlieif/lieft représentait la répaiation accoi'dée à la famille lésée : \v firdinii^ la réparalion faite à la paix publique qui avait été violée. Le premier appartenait au pliiignant ou à ses proches, le second était attribué au lise. En matière d'infractions contre les personnes, au contraire, les hommes libres conservèrent, jusqu'au règne de Charlemagne, le choix entre l(! droit d'invoquer par une plainte l'intervention de la puissance publique, et le droit de se faire justice eux-mêmes par l'exercice de la vengeance du siuifj , iillio jifoxinti '. Charlemagne ne rompit pas complètement avec les traditions germaniques. il ne substitua pas des châtiments corporels au ivhenjlicU, aux moins dans les cas ordinaires; mais il voulut que les wltergfielf satisfissent tout le monde. ' i'oULl-KT, 1" MénioiiT sur le ilroil |it'ii;il cilr. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE 129 Il obligea les oiïensës à s'en contenter, même en cas d'attentat contre les [)ersonnes. Il leur ôta Texercice de la vengeance privée, et prétendit qu'en toutes circonstances ils poursuivissent les délinquants, qui les avaient lésés, devant les juges compétents '. C'était là un progrès notable : malbeureusement il ne se consolida pas. L'individualisme germanique réagit contre lui dès le règne de Louis le Débon- naire. Insensiblement on vit renaître le droit de vengeance privée dans cer- taines limites, à la faveur de la faiblesse du pouvoir central. Bientôt ces limites s'élargirent par suite du morcellement, de l'incertitude, et de l'im- puissance des juridictions, de la barbarie de la procédure qui était en usage dans celles-ci, des mœurs essentiellement violentes de l'époque -. Enfin, quand la féodalité s'établit , le droit de vengeance devint un véritable droit de guerre. Jadis chez les Francs la vengeance n'appelait en lice que la famille naturelle; chez les hommes de la féodalité, la vengeance arma, outre la famille naturelle, la famille politique des chevaliers, leurs vassaux et jusqu'à leurs tenanciers •". La situation légale, que nous venons de caraclériscr en trop peu de mots peut-être, subsistait encore au pays de Liège au XIII'' siècle. Les délits étaient considérés comme lésant avant tout les intérêts matériels et moraux de la victime, mais aussi connue lésant la juti.r publique , dont Tévêque était le gardien. Malgré l'action du Tribunal de la Paix , malgré l'inlroduction de nombreux et terribles cbàlinienls corporels, nous trouvons encore le droit de demander la répression de la plupart des infractions entre les mains des parties lésées seules. Les rares exceptions à ce principe, que nous aurons l'occasion de signaler, ne font que confirmer le principe lui-même. En même temps nous constatons encore (pie les parties lésées ont, dans beaucoup de cas, le choix entre le droit d'intenter une action régulière en justice crimi- nelle, et celui de poursuivre par elles-mêmes, et avec l'aide de leurs parents, la réparation violente ou à l'amiable du tort qin' leur a été causé. Nous espérons prouver ce que nous venons d'avancer dans les paragraphes qui vont suivre. 1 PoiiLLET, I" Mémoire sur le dniil péiuil tiié. |i|i. Ki. 'Jl. '_"_'. 2 Idum, p. (il. 5 Idem , p. ((4. Tome XXXVIII. 17 130 ESSAI SIR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL § l". — Du droit de vengeance et de guerre privée. Que l'exercice des vengeances de famille et ritabitiide de faire des guerres privées fussent dans les mœurs liégeoises du XIll*" siècle, c'est ce dont on peut se convaincre en ouvrant les chroniques du temps. Jean d'Outre- meuse et ses émules nous montrent les Mailhars de la Sauvenière à la fois en guerre avec les Desprez, pour l'usage d'un banc dans l'église de Saint- Pholien, et, pour d'anciens différends, avec les Yerteis de l'isle et le puissant lignage de Saint-Servais; la Sauvenière devenue le champ de bataille ordi- naire des lignages de la Cité; l'évêque faisant le mandement de service mili- taire à ses fieffés, et ne pouvant parvenir à les rallier « car li linages soy » guerioient adont tous li uns à l'autre en paiis del evesque de Liège, si I) qu'ilh ne pot a\oir nulluy; » et toutes ces guerres particulières finissant par se confondre dans la querelle légendaire des Âwans et des Waroux, (jui dura plus de Irente-huit ans, et qui décima l'antique chevalerie si renommée des deux lives de la Meuse ^ ! Le piemier mouvement d'un homme puissant outragé, même par le chef de l'État, n'était pas de demander justice, mais d'en ap|)eler à son épée. Quand Henri de Gueidrc eut lâchement outragé la lille de Conon de Jupille, « cheaz Despreis li difïiarent tous par leur nom, et devinrent tous ses ane- « mis, et ne pot oncques avoir paix por amende qu'ilh posist paroIVrir "-. » Mais du fait et des tendances peut-on conclure à l'existence d'un droit coutimn'er véritable? voilà toute la (pieslion. Pour nous, nous n'hésitons pas à nous prononcer pour rallirmative. Hocsem nous apprend (pie , d'après une coiilume anliipie du territoire de l'église de Liège, les nobles avaient le droit de se faire la guerre et de tuer leurs ennemis pourvu qu'ils respectassent certaines règles. L evèque ne pouvait les prendre et les corriger que par jugement des hommes ou des échevins et pour violation de ces règles elles-mêmes; et encore fallait-il avant tout que ' (:hroiii(jiics (II' Jcuit il'Ouln'uieusc, I. V, jip. .^Vô, o4« , iidd. — Ouapkw ii.i.i;. I. il , |). 401. — IIkmiiicoubt, Miroir des nobles île lleshuije. * Cltroiti(jues de Jeun d'OiilreiDviise, t. V, p. .'icS:.'. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 131 les parties lésées eussent invoqué formellement son intervention en portant une plainte. Hocsem, en sa qualité de prêtre et de jurisconsulte romaniste distingué, blâmait la coutume, si tamen consuelmlo censeri debeat , mais il n'en méconnaissait pas Texistence légale '. Hemricourt, dans son traité des guerres d'Awans et de Waroux, en expli- quant ce qu'il entend par la loi du pays, s'exprime en ces ternies ^ : « comme )) la dite loy soit telle, que ly werre, ovierte jugiee après le premiers mors, » ly sire de pays de dont en avant n'y ait point de hauteur ni de poissanclie, » se nul ou plus moroyent délie werre » Après le promiers mors : car, du premier homicide il appartenait à la famille oiïensée de porter plainte en justice au lieu d'entrer en campagne; tandis que, si la guerre était commencée, les victimes ne pouvaient plus recourir à la voie judiciaire : le prince n'avait plus d'action. D'après Hemricourt, le droit de guerre était tellement ahsolu, que : « si » ensi astoit que ly failuele (le coupable) disist justice, par devant monsi- » gnor et ses hommes, et en présence délie partye, qu'il ne voloit nient » werrier ne mettre ses amis en dangier, anchois volait-ilh l'excès sulTisa- » ment amendier aile ensengnement de fnonsignor et de ses hommes, se ne n porail-on par loi/ roiitroindrc le /mrtije blechie qiCil s'acordast, ne sa » icerre osteir, s'ilh nelle faisoil de son (jreil ^. » Enfin, la loi muée des bourgeois, sans parler des nombreux articles où elle s'occupe de la trêve et de la paix de famille, dit à son article 26 : « si un » aiïorain qui est de mortel fait ou d'autre cas en guerre avec un bourgeois, » vient sur ce bourgeois à Liège, et H borgois, qui ses anemis sarat, U fuit I) point de grevanche, en queile manière que ce soit , ce bourgeois ne sera )> pas coupable, il ne forfait de rins que ce soit *. » L'existence d'un droit de vengeance et d'un droit de guerre, en corrélation intime avec lui, est ddiic au-dessus de toute espèce de contradiction ''. ' OiiAi'i avilm;, loi'O ciNiio. ' Ivlilidii (le Siilbriw. |). ri'j.">. 5 Patron delà Temporalilé , pp. 526, 327. * Article ii7. s Poi'i.LKT, 1''' Mémoire sur le droit pénal eil(', p. 172. — En Biiibant le ilroit de vengeance se dcsjinail plus netlcinenl, comme iliiïérciil du droit de guerre. 152 ESSAI SLR LHISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL Voyons à qui il appartenait, dans quel cas on pouvait en user, contre qui et par (|ui il s'exerçait, quelles règles légales y mettaient des bornes, comment l'autorité publique intervenait pour en amortir les conséquences, comment enfin il prenait fin. Le passage de Hocsem, que nous avons cité plus haut, établit que le droit de guerre appartenait aux nobles de la principauté, iiohililjiis terme. Pour comprendre la portée de cette dernière expression , nous devons de nouveau nous détacher des idées courantes. L'auteur, en parlant de nobles justiciables des échevinages et de nobles justiciables (riiommes de fief, nous montre qu'il ne veut pas seulement parler de fie/fés. mais aussi de (/eus iruncieu Ugiuuje, chevaliers, écuyers, ou fils et descendants de chevaliers et d'écuyers. Ceux-ci, qu'ils sortissent de la féodalité rurale ou des bourgeoi- sies des grandes villes, avaient, au XIII" siècle, une position sociale à peu près semblable '. l'ne lecture attentive des guerres d'Awans et de Waroux, ainsi que des chroniques de Jean d'Oulremeusc, confirme notre interpréta- tion. Nous vo\ons en elTel guerroyer impunément, sans que personne réclame, non-seulement les seigneurs de village et leurs vassaux, mais encore leurs nombreux parents, marchands de drap, maichands de vin, etc., qu'ils ont dans les villes. Nous voyons les Yerteis et les Desprez , bourgeois de Liège, en armes contre les Mailliars à la fin du XIII'' siècle, sans que l'évèque ni personne entame de poursuites judiciaires contre eux. La loi muée des hourf/eois, au surplus, reconnaît en termes exprès ()u"un bourgeois de Liège pou\ait être en état de guerre. Ainsi, en résun)é, nous croyons qu'au XIH"' siècle tous les hommes |)leinemenl libres et de condition supérieure avaient le choix entre le droit de j)oitei' |)lainte contre les auteurs de cer- taines infractions, et le di'oit de les châtier sans rinlervention de l'autorité publicjue; et que les paysans et les ouvriers seuls étaient toujours contraints d'en appeler, (piand ils étaient lésés par un délit, au tribunal du prince ou au liibimal de letn- seigneur -. Le droit de vengeance et de guerre ne s'exerçait pas, à ce qu'il parait, en ' \Viit>i.>\ iLi.. Diiv. cil(', \). -10'.), d iiprès llciuricourl dans son Miroir des utilités ilc llcaliaye. - Snr ces diffêiriifes de condilion, Boroet dans les Ilulletins de rAcudémie, 2'°' série, t. XX vil, |.. ;jO«. DANS LANCIEîSiNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 133 matière (rattcntats contre la propiiété. Le noble et riionime de condition inférieure, victimes dini vol ou d'un incendie allumé par la malveillance, traduisaient toujours le coupable en justice. La loi muée des bourgeois, en effet, ne parle de mesures à prendre, pour éviter les repressailles violentes, qu'en matière d'attentats contre les personnes : « de tous meffais qui aveu- » ront... là où il arat coup donné on plus grand mault... '. » Le Patron de la Temporalité , de son côté, ne fait nulle mention de quarantaines impétrées « por le dobtance de revengement qui sei'ont le comencement délie werre » à propos de vols ou d'incendies-. Plus tard enfin, la paix des XII, quand elle abolit le droit de guerre priv(''e et mit des bornes étroites au droit de vengeance, ne crut devoir s'occuper (|ue des attentats contre les personnes, et non des attentats contre les propriétés. En ce qui concerne les attentats contre les persomies, la voie aux ven- geances individuelles était ouverte quand il y avait mort d'Iiomme, rapt, viol, coup j)orté, gra\e injure de l'ail infligée, mais non quand il n'\ a\ail eu que des injures de paroles proférées, Hemricourt, dans les guerres d'Awans et de Waroux, et la loi muée des bourgeois, ne parlent de vengeance et de guerre qu'à l'occasion de promier mors ou de mortel fait : Le Patron de la Temporalité , de son coté, dit formellement: « pour manacbes, baymes, vilains |)arliers, défiances, ne » cas sendjlans, ne puel-on quarantaines impélicir, s'ilh n'ij at cap fera: » car li cojt fait le icerre et nient les paroi les •"'. » Nous avons vu , plus baut , les D(;spre/ défier Henri de Gueldre à l'occa- sion d'un viol *. Nous verrons plus tai d , longtem|)s après la paix des XII. des nobles revendiquer le droit de renfjeance contre; un ravisseur, et leur soutènement être admis en justice. Nous savons enfin que la guerre célèbre des Awans et des Waroux prit naissance à la suite d'une grave injure de ' Article '2\. — Cependant ceci ne concorde pas cxactemenl avec le texte de la loi imprimé dans les Caulunies ihi ptiijs de Lièye, t. V' . — Nous avons troim' ce passage dans plusieur-- manuscrils de la loi. * Patron de la Temporalité , p. 52(}. 5 Idem, pp. 0:20, ô27. * Cliroiiitjiies dv Jean d'Outremeiise , l. V, p. 382. i34 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL fait inflii^ôe par le scigiunir de Waroux au seigneur (rAwans, en favorisant renlèvenient et le mariage d'une serve de la glèbe appartenant à ce dernier ' ; et que le pouvoir publie réclama, non contre la guerre elle-même, mais contre certains actes abusifs qui furent commis pendant sa durée. Dans tout ce que nous venons de dire nous n'avons pas nettement dis- liuiiué le droit de vengeance, proprement dit, du droit de guerre privée. En tbéorie, il est vrai, celui-ci légitimait une série d'actes de violence réci- proques, qui s'appelaient indéliniment les uns les autres; celui-là ne légiti- mait (pi'un acte précis de violence infligé par l'offensé lui-même ou par ses procbes à l'offenseur ou aux membres de la famille de celui-ci. Mais les monuments du droit liégeois, qui nous ont été conservés, ne distinguent pas avec précision l'un de l'autre, ils ne pai'Ient guère en termes exprès que de la irerre. Bien plus, la paix des XII qui abolit, comme nous le verrons, le droit de icerre, ne lit (pie limiter le droit de \engeance. Il est donc permis de croire que, au XIII" siècle, dans la principauté de Liège, les deux droits se confondaient encore aux yeux des contemporains, dans le cbef des personnes auxquelles il appaitenait de les exercer. Quoi qu'il en soit de cette question purement tbéorique, il est certain (lu'cn matière de répression violente des infractions contre l'bonneur et contre l'intégrité d(>s personnes, exercée par les parties lésées, les lignages entiers de l'offeiiseiu' et de l'offensé étaient compris dans la querelle. Les parents de l'offensé |)Ouvaient, aussi bien (pie lui-même, tirer vengeance de l'infraction dont il avait èlé la victime; et leur vengeance pouvait tomber légilimemeiil tant sur l'offciisein' lin-même que sur ses procbes parents. Les membres d'une même famille élaieiil solidaires les uns des autres, acti- rcDieiit el p(issiir)iteiil ^ au moins jusqu'au sej)tiènie degré, pourvu que la parenté fût bien établie '-. Cette solidarité s'étendait même aux bdfard.s, bien (pie, sorloii le loi/ de Lirt/r . ils n'eussent pas de parenté en matière (le succession. Cbez les Francs il \ avait une manière légale de sortir d'une raiiiille : .se . » Ilenuicourt enfin, pariant du failuel qui veut amender son crime à l'amiable et qui ne désire pas entrer dans une guerre privée, lui met en bouche ces paroles : (pi'il « ne \oloit nient werrier ne » mettre ses amis en dangicr! * » En ce (|ui concerne la famille de l'olTensé, la vengeance du sang était moins pour elle un droit qu'un devoir. Le sire de Ilermalle, dit Henn-icourl « mandast tos ceaz de son linage, et requist leui- ayde par avoir venge- » ment, et ilh demoront tos deleis I}... •'. » Quand Thomas de Henu'icourt, le marchand de vin de Liège, tergiversa pour entrer dans la grande que- relle, on \int à lui « en ly priant qu'ilh ly vosist ses oncles aidier à vengier, » sy que chis quy de sanc et de linage en estoit tenus ! " » Chaque fois que, dans les mêmes guerres, il y avait mort d'homme, tous les parents du dernier mort croyaient de leur devoir de prendre les armes : « nequi- » dent quand un de leurs prochains cusiens estoit mors, et les quaran- ' PoLAiN, oiiv. cil('', t. Il, pp. iS el 51. — IIkmhicoiiit , Miroir des nohles de Hesbaye, passiin. ■^ Articles ir^ et. 10. ^ Nous reviendrons sur ce point plus loin. * Patron de la Temporalité , p. 3^0. IJESiuicoiiRT, Miroir des nobles de Hesbuije, p. 341. '■ Idem, p. 538. 136 ESSAI SIR LHISTOIRP: DL DROIT CRIMINKL » laines cstoicnt jctléos, par lesquels illi osloyenl lovez, illi y entroyent » (le iioveal '. » Kiifiii, si Toii veul un texte légal, la paix des Xll. ilont nous avons déjà parlé plusieurs fois, consacre encore le droit fies roKsins de la victime de se mihrchicr au failuel: donc le droit existait à fortiori au Mil' siècle ^\ Ajoutons que, à la même époque, lorsqu'une guerre privée était com- mencée entre propriétaires terriens, tous les vassaux et tous les tenanciers et varlets de ceux-ci y étaient de plein droit enveloppés. Leur persoiuialité disparaissait même jus(|u'à un certain point : ils représentaient activement et passivement leurs cliel's •". Les guerres privées commençaient parfois par une sommation de redresser le grief qui pouvait y donner lieu. Le sire d'Awans, avant de provoquer le sire de VVaroux, assendile ses ann's, leur expose le cas, et leur- montre « comment ilh avoit soudîsamment sommeit le saingnor de Waroux, et » nulle bonne responco ne Irovoil en ly *. » Quand la sonunalion restait sans suite, l'olVensé envoyait un déli solennel : « h sires d'Awans defiast le » saingnor de Waroux •'. » Quelquefois même, pendant le cours des hosti- lités, les familles ennemies se prévenaient olliciellement et avec une fran- chise chevaleresque, |)ai' l'intermédiaire de hérauts, des entreprises qu'elles allaient tenter **. dépendant l'ancien délai de trois jours, exigé par les con- stitutions iin|)ériales entre le déli et le commencement de la guerre, n'était j)lus respecté. Apiès son déli, le sire d'Awans, dès le droit lendemain, entra sur les terres de son adversaire; et si cet adversaire porta plainte, ce fut de tout autre chef ipu' de violation d'un délai légal ". Va\ elTet, le droit de guei-re [)rivée, tel (|u"il existait dans le pavs de Liège, n'était ni sans limites ni sans règles précises, et ces règles et ces limites ne pouvaient être impunément violées. ' IlicMiiiroL'iiT, Miroir ilex iiolilcx de l/csbai/c, pp. Ô5t, ôôC). ô'i'i. "' l'titriiii (le la '/'/■nipurulili', p. 7t2i). — J'aix des Xll. ' l.i Piuvrilluirs, (l('ci^i<)Il ii" 101. Poi'LLEI. I" Mriliniic -uv Ir dniil |i('a;il cili'-. * llKMiiicornT, miroir des iiidiles de I/esliai/e , p. Iï:2!t. " Idem, p. 7)2'.). — Chroiiiinies de Jeun d'Otihemeuse , t. V, p. il"). * IlEMitiiiot'iir. oiM. liit', passini , cl p. jW. ' Cliraiii'ines de .lemi d'Otitreweuse , t. V. p. îiiTt. S DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE 137 Il y avait des faits que les familles ennemies ne pouvaient pas commettre, dans le cours des hostilités, sans sortir de la légalité coutumière et sans ris- quer d'appeler sur elle une sévère répression. Il y avait des territoires où tout acte de guerre était illégal, et où offen- seurs et offensés devaient se rencontrer sans se nuire. Le souverain et certains autres pouvoirs publics avaient le droit d'imposer aux parties des suspensions d'armes obligatoires. Enfin, certaines classes de personnes, bien que possédant en principe le droit de guerre, ne pouvaient pas légitimement guerroyer les unes contre les autres. Nous expliquons les quatre principes que nous venons d'énoncer : 1" Les gens de lignage qui pouvaient, dans une guerre privée, se tuer et se massacrer impunément, n'avaient jamais le droit de piller ni de brûler les domaines de leurs adversaires, a s/joULs uhsUneant el ab if/tir '. D'après IIoc- sem , ils n'avaient pas même le droit de s'attaquer aux habitations : « dum- » modo... domos non infringant... » Celte dernière restriction n'était guère observée : on peut s'en convaincre en lisant les intéressants récits de Jacques de Hemricourt. Il semble que, par un accord tacite, les familles belligérantes renonçaient à porter plainte de ce chef; et, comme nous avons d(\jà eu l'oc- casion de le dire, sans plainte des intéressés l'évèque n'avait pas le droit d'intervenir"-. Lorsque, au contraire, les Awans brûlèrent le moulin et la brasserie du seigneur de Waioux, et waslèrciK ses altrcs biens az cham, le lésé se hâta de porter plainte contre les coupables, « si com ardeurs et » laurons '\ » Il en fut de même quand les adhérents des Awans brûlèrent le château de Slins « ilh butonl le feu, dont ilh mirent cheaz d'Awans en » gran dangier envers le saingnor;... et vint asseis tost après que ly evesque » kalengat por ce feu tos les fiez de saingnor d'Awans... ♦. » Pour éviter d'être détruits, les coupables se soumirent à une amende honorable « portant » qu'ilh avoient buté les feux en paiis de l'evesque; » mais, « la guerre ' HocsEM, dans CluipmvilU' , l. II, p. '.01. — Hkmiucoi itr . Miroir des iiobU-s de Ue.slnii/c, |). 545 : « Soy wnrdasseiit d'iirdoir ly uiig sor l'allrr. » * HocsEM, Incu cituto. * Chrumques de Jean d'Oulremeuse , l. V, p. 544. — ilKMnicouuT, ouv. cilé, p. ÔÔO. * HtsiiiicoiiiT, ouv. litc, |). 5ÔI. ÏOM£ XXXVill. *8 138 ESSAI SLR LUISTOIUE DU DROIT CRIMINEL » (lomoural entre parties » car il n'appartenait pas an chef de l'État tie lu faire cesser sans rassenliment des lignages '. 2° La guérie privée ne pouvait pas avoir pour théâtre le territoire sur lequel s'exerçait la juridiction immédiate d'une ville franche. A Liège, notam- ment, on ne tolérait pas les hostilités commises dans la franchise entre gens qui avaient cependant le droit de guerroyer les uns contre les autres. La loi muée (les bourgeois permettait au premier venu d'arrêter J'alTorain qui \enail en armes à i^iége, |)Our le remettre entre les mains de la justice jusqu'à ce que celle-ci lui eût pris son arme et lui eut infligé une amende "-. La même loi permettait au niaïeur et aux échevins de saisir l'alToiain qui, en état de guerre ouverte avec un bourgeois, venait sur celui-ci dans la franchise, et de l'appréhender même à l'intérieur des maisons bourgeoises et sans la pei- mission des habitants de ces maisons ^. De plus, quand un bourgeois de Liège avait lieu de se croire sérieusement menacé de violences, il |)ouvait se plaindre de clessèguranche *. Si le fondement de sa crainte était établi, les autorités locales intervenaient. Le maïeur avec deux éciievins, ou les maitres a\ec deux jurés, commandaient à celui qui montrait la velléité de nuire de donner assurance de non ojfendendo « à soleal hissant » à son adversaire, sous peine d'une forte amende; s'il n'obtempérait pas à ce premier comman- dement, on lui en faisait un second, un troisième, et enfin un quatrième, ce dernier sous peine d'être atteint de son honneur. L'a^surement était perpcî- tuel dans sa durée. Comme le disait Beaumanoir, « asscurement fet pes » confermée à tos jors par force de justice. » Comme le disait la loi muée des bourgeois : Quiconque « forferoit encontre cette asséguranche il sieroit » en teil point comme cil qui aroit triewes brisiet ''. » Enfin, quand des vio- lences avaient été commises hors de la franchise, la loi muée des bourgeois faisait tout j)oui' (|ue les bourgeois restés dans Liège n'en subissent pas le ' lltMiiicoiiin, ouv. cilc, j). 351. — ClnuiiK/ues ilt Jeun d'Oulremeuse , t. V, p. 347. - Article -2'j. 5 Article 26. * Article 22. ■' Beaumanoik, Coutumes du Deaui'oàis , clmpitre GO, jj I". — Raikem, Discours de 1857, |). 51, cil note. — Lui muée des bourgeois, article '2'2. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. ^59 contre-coup; et, quand des violences étaient commises dans la franchise, elle consacrait Tintervention immédiate de Fautorité publique, au moyen d'un système de trêves, que nous étudierons tantôt, pour arrêter dans leur germe les actes de vengeance '. L'examen des faits historiques confirme la théorie que nous venons d'ap- |)uyer sur des textes de loi. Les Desprez et les Yerteis avaient toujours soin d'aller vider leurs querelles avec les Mailhars, dans la Sauvenière. Pourquoi? parce que cette Sauvenière, « dont venait li mais » selon l'expression de d'Outremeuse, n'était plus, comme nous l'avons dit, dans le ressort de l'éche- vinage de Liège, avant le rachat qui en fut opéré à la fin du XIIl" siècle "-. Bien que nous ne possédions pas de documents du temps traitant de ce point de droit, il est hors de doute que les guerres privées étaient inter- dites dans la fraiicfiise des autres bonnes villes de la principauté, comme elles étaient interdites dans la franchise de Liège. Cette interdiction n'était pas le résultat d'un privilège spécial : c'était la conséquence de l'esprit qui régnait dans les communes et qui avait présidé à leur développement, et c'était une manifestation du droit communal de l'époque. 3° Les suspensions d'armes, qui étaient obligatoires pour les lignages en guerre, étaient les (iiinranlaiiies et les trè»es. Les (piarantaines étaient y>r/c>.s- par l'évèque seul. Quant au\ trêves, c'étaient les chefs de parti eux-mêmes qui en convenaient pour pouvoir librement aller chercher de la gloire à l'étranger; ou c'étaient les saiiif/nors mcnrhis.saus, c'est-à-dire les princes voisins, qui y porkac/ioicnt. quand ils avaient besoin de volontaires vaillants pour leurs armées •"'. H y avait une espèce particulière de irève, imposée dans les communes et par les magistrats communaux : nous en parlerons tantôt d'une manière spéciale. L'évèque, d'après un usage très-antique, pouvait imposer des quaran- taines, c'est-à-dire des suspensions d'armes de quarante jours, dans le dio- ' Arliclcs 2ô, 21, ôO. - Clironlqucs de Jeun d'OuIrcmeiise, t. V, p. ^(il. '' llEMiucoinc, Miroir des nobles de Hesbuye , pp. ô'ri, 043... : « llli s'iiUriwoinit tnni (ni'illi » >icroieiit l'ours de pays, |iort;mi (iirilli ne \iiloieiil nient i)or IcurweiTC rcnunchior ;illc lion- ï neur de niondt;. » 140 ESSAI SLR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMI^NEL cèse tout entier, aussi i)ioii entre les sujets des princes \oisins qu'entre ses propres sujets. Son droit, surtout en l.inl qu'il s'exerçait en dehors des limites de la puissance tenq)orelle de l'église de Liège, était considéré comme la conséquence de son droit de pi'ésidence au Tribunal de la Paix '. Les quarantaines étaient yW/mv ou pioclaniées à la requête « délie partye. » C'étaient d'Iiabitude les parents de l'auteur d'un acte de violence qui les demandaient « par le dohlance de re\engement qui seront comcncement » délie werrc -. » Mais, comme nous l'avons dit, il (allait au moins qu'il v eut eu coup porté ; il ne suHisail pas d'un échange de paroles outrageantes ■". Il arrivait parfois aux coupables de solliciter eux-mêmes une quarantaine. Ce n'était pas pour se soustraire aux conséquences de leur fait, ce qui était impossible comnn^ nous le verrons tantôt; c'était uniquement pour avoir l'occasion d'entraîner de nouveaux combattants dans leur parti : « alcone » fois ly propre faitueles inq)étraient eux-meismes les quarantaines, por les » proismes de leurs atres coystiez attrayre en leur werre *. » D'autres fois enfin, c'étaient les parents du mort ou les chefs de parti qui s'adressaient à l'évèque pour faire proclamer la suspension d'armes ■'. L'é\èque avait la faculté d'accorder quatre quarantaines successives, de loi, qui s'enchaînaient les unes aux autres ''. Il en usait chaque fois qu'il y avait eu mort d'homme dans une guerre privée : « car de chascun noveal » mors on commandait (jualre quarantaines ". » La partie qui avait obtenu les quatre quarantaines pouvait en obtenir une cinquième, et plus, à con- dition que ses adversaires ne s'y opposassent pas. Mais, en règle générale, après l'expiration des (piarantaines de loi , la guerre était jugée ouverte **. Pendant la durée de la quarantaine, le lignage du lésé ou du njort était ' Patron île In Ti-iiijtnruliliK pp. -27-2. T^-lfi, ô-27. Sciilencf ilc l')ôi, que nou'; ('ludicroiis Patron de la Temporalité , loeo cilato, et Sentence de 133^. ^ Idem , loeo citato. ' Jdem , loeo citato. U2 ESSAI SLK l/FIISTOIRE Dl DROIT CKIMINKL » fuisi plus pioismo ti plaindeur de ceslo mcisme coiste dont li dobîis soroil » coniontliict, (|u'il ne ftist à principaul fîiiluolc, illi n'aioit iiicMit (piaran- » lencs ne liiwes briosié s'ensi dont irostoit (pi'il iraNvist pour le principal » débat esteit armeis, ou servi de corp ledit l'ailucle |)rincipaul... '. » Ensuite, (Papiès le Pmveilhan aux articles : Pacte commis |)ar le \arlet (fune des parties, *•«/**• ordre de son maitre, ne rompait |)as la (piarantaine ni la Iréve ; tandis que le dommage violent causé par une des parties au varlel de son ad\ersaire la brisait. Lors(|ue le derniei' cas se présentait, le varlet n'a\ail ni le droit de portei' plainte, ni le droit de rclaissier : tout regardait son cbef, au nom duquel il a\ait soulTert"-. Mais laissons les quarantaines et les trêves, et expliquons le quatrième principe que nous mdiquions pins haut : que certaines classes de personnes ne pouvaient pas légitimement guerroyer les uns contre les autres. 4" Les boni'geois de Liège pouvaient guerroyer contre les a/forains. Nous avons vu que Tartide 20 de la loi iiiucc des hoiirtjeois le suppose ; et nous savons que les Desprez et les Yerleis condjattaient les .Mailbai's, bour- geois de la Sauvenière, et non bourgeois de la Cité, sans que personne l'éclamàt "'. Mais les bourgeois de Liège ne pouvaient pas guerroyer les uns contre les autres. Le besoin d'une paix pahliqite conq)lète s'était fait sentir beaucoup plus tôt dans les endroits popideux (pie dans le plat pays. Cela s'e\pli(pie, d'une part, par les nécessités de l'industrie et du commerce qui florissaient dans les villes; d'autre pari, par les ravages mêmes qu'auraient fait dans ces der- nières les vengeances indi\iduelles et les gueires privées, s'exerçant entre gens \ivaiit côte à cote et se \o\ant nécessairement tous les jours. Ce|)endant aucun acte ne nous prouve qu'on ait osé abolir expressément le droit de \ engeance du sang des bourgeois de Liège, en tant (pi'il de\ait s'exercer sur leuis cobouigeois. L'entreprise eût été ardue. Ce droit était ' l'iilioii lie 1(1 'l'ciiiponilHr, |>. 0^7. - Li Ptitrcilliars, décision n" 101. '' IIknaix, Notice sur la .Saiivciiirrc, diiiis le JlulU'Iiit archi'ologiquv licf/fois, t. IV, |>. lij!). — Il \ il là des fiiiu ciii'icux qui coi toIkii'cuI ce (|uo nous disons. — Uaikkm, Discoui's de I8;(!l, |). 4'i ; il iMilc la "i cl ôO. '■ lilnii , ihiili-iii. * /(/ciH, iirticlo iJI . texte iniiiuiscrit. — Slaliils de la cite , ilc I3-J8, dont nous ilmIitoii». ;irli(lfs "lô cl ;i4. * Lui iiiiirv ilvs boiirijfoix, iliidiiii. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 145 Les magistrats (lui avaienl imposé la première trè\ e pouvaient la renou- veler indéfiniment de quarantaine en quarantaine, « tant que pais sieroit de » cil forfait del que! commandeis sieroient. » L'individu infligeant un acte de violence au\ magistrats qui lui imposaient une trêve ou qui lui coiiiniuitiloieiit loi muée commettait le crime de (rêve brisée ^ L'individu, enfin, qui rom/juit à Liège une trêve cow*w/H/(rt^' quelconque, quand elle existait de plein droit ou quand elle lui était commandée, « ons » yroit sor son honeur com de triwes brisies -. » Les documents nous manquent pour déterminer avec précision quelle était la situation légale des bourgeois des autres villes franches en matière de \ en- geance et de guerres privées. Nous osons adirmei-, cependant, (pi'elle était analogue à celle des bourgeois de Liège. L'es[)ril conuuunal était partout le même, les intérêts \itau\ des communes analogues les uns aux autres. Nous croyons donc que tous, bien qu'ils eussent le droit de guerre contre leurs ennemis extérieurs, n'avaient plus mèuïc la faculté de faire impunément et légalement un acte isob' de vengeance contre un de leurs cobourgeois. Voyons maintenant à quoi aboutissait, en dernière anah se, la guerre privée telle qu'elle se faisait dans le pays de Liège. Tant que la guerre, « jugiée ovierle, » se mainlenail dans ses limites coutumières, l'cvèque n'} avait /joiul de jniissunre. Les parties lésées par les hostilités ne pouvaient pas même porter plainl(> à son Irihunal. Comme prince ou connue prélat, ré\è(pie avait la facullé d'user de son inlluence pour tacher d'amener les lignages ennemis à se réconcilier; il avait la faculté d'amoitir les elVets de la lutte par la proclamation de (iiunvnlainex: il n'avait [)as le moyen de la faire cesser. Mais il arrivait toujours un moment où les familles ennemies elles-mêmes se fatiguaient de se combattre et de s'enlre-détruire. Elles nommaient alors des arbitres pacificateurs, et concluaient entre elles un traité, comme de véritables puissances belligérantes. ' Loi muée lies hounjeois , aiticlc il. - Idem, artkk's 21, "Jô, 5(1. Tome XXXVIII. 19 146 ESSAI SLli LIIISTOIRE Dl DROIT CKIMI.NEL Sui\iiiU hi coahuiic du jxiys , les arbitres délerininaioiit soigneusement quelle amende il fallait |)a>er et quelle réparation il fallait faire, de part et d'autre, « pour la mort de chaque particulier, mal, ou dommage arrivé » entre eux en commun ou autrement '. » (7était connue si, très-assurées do leur droit légal, les familles liégeoises étaient profondément convaincues de Tinjustice morale des siolences qu'elles s'inlligeaient. Les amendes se taxaient en argent -. Les réjjarations consistaient d'ordi- naire en vojjayes , et surtout en voyage d'ouirc-mer. Ceux-ci com|)oi'taient tantôt un simple pèlerinage, tantôt une \éritable croisade ^, dont la durée était subordonnée à la volonté des chefs mêmes du lignage auquel la lépara- tion était accordée. Nous possédons un traité de paix de 1264, conclue entre les quatre meurtiiers de Godefroi et de Jakemon de Fleppe, et leur j)arenté d'une pari, et Jakemon de Clerinont, oncle maternel des \ictimes avec son lignage de l'autre. Les qualres meurtriers prennent la croix; ils s'engagent à aller en Terre Sainte, sans revenir avant que Cleiniont et Arnould de Flepfte les rappellent selon les pouvoirs qu'ils ont reçus des leins K Quand, en \±\)\), le lacliat de la Sauvenière fut opéré, les Mailhars durent également faire la paix avec leurs ennemis, parce que la guerre privée leur devenait impossible. « Et bin tempre là après, se vorent les Malhars et les » Yeiteis acordeir l'un al altre, et amendont les Malhars X voies d'oultre- » meir, por les mors (piilh avoient ochis ^. » Parfois, cependant, pour éviter de réveiller de pénibles souvenirs, les arbitres compensaient ius(|u'à un certain point les torts iécipio(|ues, et impo- saient aux deux lignages un seul acte expiatoire général, dans hnpiel chacun d'eux avait à intcjvenir dans mie |)roporlion déterminée. C'est ce que lit la fiair des XII . (pii mil lin à la plus grande et à la plus désastreuse des guerres privées du pays de Liège. « Pour pénitence de tout ce que dessus, » ' J'tiix (/es- .\ H df. lôô!), |)i'(''iiiiibule. * lilem. "' Itlrm . loco citiild, et Li Paiicilliurs , (Ircisiiiii n" 180. ■ Uullviiiis ilr la Coitiiiiissiuii roijulv (l'IiislDin' , \" série, 1. 1.\, |i. VO. ^ C.hronUiues de Jean iCOulrcmeuse, t. \, [i. ;jCI. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. Ii7 disaient les douze arbitres des Awans et des Waroux, « tontes compensa- » tiens faites entre nous dans nostre traité, nous arrestons et ordonnons que » pour rexécution des voyages et pèlerinages qu il conviendrait faire, et des » amendes et dommages qu'il faudrait payer, il sera fondé et construit une » église... qui sera consacrée à Plionneur de la Vierge et des douze apôtres... « en mémoire perpétuelle de la réparation de tous les désordres cy dessus... » pour la construction do laquelle nous ordonnons que ceux du premier parti » (Waroux) contribueront pai- forme d'amende, pour l'expiation de leurs » crimes,... la somme de trois mille cinq cents livres; et ceux du second » parti (Awans) pour une plus grosse amende des maux qu'ils ont commis, » la somme de quatre mille livres pareille monnaie... '. Chose remarquable! dans ces actes de |)aix, qui mettaient fin à dos guerres privées, l'évéquo n'intervenait pas. Tout au plus, lui et les princes voisins se portaient-ils garants de leur exécution , et ce à la demande des arbitres -. Il semble que, comme la guerre avait commencé sans qu'ils pussent l'em- pêcher, de mémo elle cessait sans qu'ils eussent aucun droit d'obtenir une salis faction spéciale, j)our la paix f)uhli(/ii(' qui a\ait été violée, même des auteurs de l'infraction qui avait donné lieu à la guerre. Ce point, du reste, demeure couvert d'un nuage que nous ne sommes pas à même de dissiper entièrement. Ce qui est certain, c'est que, une l'ois la pair conclue, sans même que ses clauses fussent déjà exéculées, (ouïe action en justice était éteinte à l'occasion des faits commis pendant les hostilil('s ■>; et (pie l'individu qui, à l'occasion des événements passés, recommençait la série des actes de vio- lence, commettait le crime de paix brisée. (>• crime , de même (|ue celui de trêve brisée, entraînait la privation ou farjugement de l'honneur. L'un (>t l'autre donnaient lieu à l'application de principes de piocédure moins favo- rables à l'accusé que ceux qui dominaient la procédure ciiminelle ordinaire de l'époque. ' Paix ilfs XH (le \">'i. 2 Idem. "^ Ll Pan-cilhars, décision ii" 7. — l'aii dis Xll : Elle ordoniR- (]iic, ■> !-imis repiirsiwir l'une » l'aiilrc (le chu no plciile Iniie ii mils scigneuiN il'hoi-- en jivaiit :i nuis jours, » l.i Puixse niainlienuc par rapport aux (■véiicmcnls passés. 148 KSSAl SLK LUISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL Nous n'espérons pas être complet par lapport aux jïucrres privées de Pan- cien |)a\s de Liège; mais, comme nous avons fait usage de tous les docu- ments de lieu et de temps, nous croyons pouvoir nous arrêter. Nous |)assons donc à Pétudc d'un cas nouveau : le cas où un indixidu, lèse par une infraction contre les personnes, en demandait réparation au coupable, mais sans recourir à la guerre, et aussi sans [nn-lcr plainlc en justice criminelle. 55 IL — De In poursuite pacifique d'une réparation, en l'absence d'une plainte criminelle. Le préseul paragraphe est loin de demander les dé\eloppements que nous avons été obligé de donner au paragraphe précédent. La situation légale, prise |)ar roiïensé dans le cas que nous \isons, ne compoitait que deux éléinenl> constitutifs: la xolonté d'obtenir une satisfaction matéiielle et surtout morale, pour l'injure qui a\ait été infligée à la \ictime par le délit connnis contre sa personne ou contre son honneur; l'absence com|)lcte de plainte criminelle. Nous allons étudier successivement ces deux éléments et en apprécier les conséquences. Lorsqu'une personne, lésée par une infiaction, ne voulait pas introduire une plainte criminelle contre son adversaire, elle pouvait, ou bien se borner à demander de lui une satisfaction persomielle, la conclusion d'un contrai de paix; ou bien, intenter cette action d'une nature spéciale qu'on ajtpelait un vaguement de forc/te. La satisfaction, accoidée par l'olTenseurà l'olTensé dans un contrat de paix, était en dernière analyse analogue à l'ancien n'/iery/ieit germanique. Elle consistait donc tantôt en une somme d'argent, cela va de soi; tantôt en un de ces voyages ou pèleiinages si usités dans les mœurs liégeoises : « s'il est » alcuns bons qui soit pris et aresteis par justiche pour quelle fait que che » soit... et ilhc avengne que ilhe fâche pais à son adverse partye... et ilhe » s'oblige de faire rogaige pour l'amende à pager... sour son lioneur ^ » ' Li Paweilliars , liôcision 11° 7-2. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. ii9 « Il ad\ iiil que uug home devoit une vo\ e à uiig autre home à S'-Josse sour » fe Mer à payer à ung certain jour pour ung discort qui estoil appaisiet » entre eaux... '. » Cette satisfaction pouvait être réglée à l'amiahlc par un arbitrage analogue à celui (pii mettait fin à une guerre privée -. Selon toutes les vraisemblances, elle ne pouvait être intentée que par la \ictime du délit elle-même, tant qu'elle \ivait, et non par ses proismes; mais elle pouvait aussi faire l'objet d'une action judiciaire spéciale : c'était l'action connue plus lard sous le nom d'action tendante à la conclusion de la paix en argent. Nous n'avons que peu de détails en ce qui la concerne, au moins à propos du Xlll*" siècle. Il imj)orle cependant de diie : qu'elle était indé|)endante de la jdainle vriminelle, l'introduction de celle-ci n'empêchant pas de la pour- suivre; enfin, qu'elle pouvait au besoin être intentée par les j)roismei< de la victime du délit, (piand celle-ci avait succombé. Nous verrons |)lus loin, an paragraphe des yWwe.s-, devant qui elle était poi-tée à Liège. Vaelion en voguement de forc/ir, au contraire, était toujours /'j:r/«.s7Vc de toute plainte criminelle '\ Le Pawellhars aux a rU'cles s oi-cu\w à deux reprises des vogueinents de forclie. Une fois pour détenniner les obligations de celui ([ui les demande*; une autre l'ois pour déclarer (pi'il n\ a pas lieu de faire roguier un homicide non tenu (piand il est forjugé de son honneur : « car » adoni sieroit-ilhe lantoisl que li mairez en sonmionroil les esquevins n atains de son honeur, se ilhe n'est tenus, sans rogter ne aultre voie de loy » acquière ?. » L'article i\ des statuts de la Cité de 1 328 s'occupe à son lour- des voguements de /'arche, comme d'ime procédure déjà usitée, cl dont elle veut simplement coiriger les abus. Les voguements ne participaient pas de la nature d'une véritable plainte criminelle. Nous avons déjà vu que les règles de compétence étaient légèremenl diflerentes pour les deux espèces d'actions *". Le texte même du Puivcil/iars * Li Patveilhars, lii'cisioii n" 186. ^ Idi'.m , ibidem. 5 Coutumes du pays de Liège, t. I", p|). "Ji, 'i-i t'I miles * Li Pau-eilkars , décision ii° 242. ^ Idem, décision n" G. '' Coutumes du paijs de Liéye, 1. 1", pp. 28, 2!). 150 ESSAI Sl'K LHISTOIKK 1)1 DKOIT CKIMINKL aux (trlirles les disliiiiriu' d'une façon expresse : « les esquevins de DynanI » n'avoycnt pooir de roi/icr de forrlic..., mais on se pue! plaindre par-devanl » les ('S(pio\ins, et (irai/siiifr. el puet-ons bien rof/ier de /uii.r... '. » Le Patron de la Temporalité mirohorc les indications du Paaeil/iar.s : « mains » c'esloil bin cas de \oijfemenl pour ledit Tossain el appeaulx dcl Paix pour » le luudteur de sini^nor (pie \\ faitules avoient violée "-. » Les éclievins de Li(Ve, enfin, proclaniaieni (>ncore eux-mêmes en MSO que \e roguemetit n'était pas un (((s criminel''. Tandis que la [)lainle criminelle tendait, connue nous le veiTons, à faire ap|)li(pier une peine au déliiupiant, le royitement ne tendait (pn'i faiie prononcer im poi/ar/o au profit du plaignant '. Tandis que la plainte criminelle doiniait lien à une procédure assez com|)liquée, le roauement se faisait sans grandes formalités. In simple serinent du deman- deur allirmant la sincérité de sa demande, servait de base à la condanma- lion. Cest seulement le règlement de lleinsberg de Il2i qui exigea Aen^ preuves. Axant la loi nouNclle de 13S5, il nVtail pas même nécessaire que le défendeur fût régulièrement cité. Le défendeur était exposé à être condamné à peu près à son insu '. La seule formalité (|ue le Paaril/iars aux articles imposât à Facteur en rof/itonent, c'était de s'obliger à payer sept sous pour le cas où son adversaire con>|)araissant ferait sa loi, c'est-à-dire, parvien- drait à se jusiilicr par son serment ou par l'emploi de conjuraleurs ". Mais avançons. Nous nous sommes place dans I'Iin pollièse de l'absence com- plète de plainte criminelle. Il s'agil maintenant de recliercber quels étaient les droits du prince vis-à-vis du délinquant (pii s'était réconcilié à l'amiable avec sa \iclime, sans avoii- été l'objet d'une plainte, on (pii avait été vofiuic ])ar elle. Il s'jigit d'examiner si le prince a\ait le droit de punir le délin- quant de la peine criminelle légale ou coulumiêre. C'est la diflicidté lu plus ' /,( l'ainilliars , (U'cisioii n" '2i7 . - l'cilraii (If lu Ti'mjMiKililr, |i. 277. '■ Itecinil tic I i'iO diiiis IIiiniN, miv. rilé , l. Il, |). Ty't. arliclcs 8 cl '.t. ♦ U.MKKM, l)i^(•oul•.■. de is;il , p. r>(;. ci noie 5-2; Discours ilc l.s;>7. pii. 48, i!t, aO. ' Loi iioiirclli- , ai'licIcS. cl Miildlinii '/c loi /loiirvllc, ailiclc 8. * Li PturcilliKys. dccision ii" i'i'2. DANS L'AiNCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 151 considérable que nous ayons à rencontrer dans ce paragraphe. D'abord, il est certain que, dans le pays de Liège, au XIII"" siècle, lorsque les familles lésées ne se plaifjnaienl pas d'une infraction contre les personnes, il n'y avait pas lieu en général d'appliquer au délinquant la peine légale ou coutu- inière. La charte de Brusthem, antérieure de plus d'un siècle à la loi muée, (|ui avait étendu à une localité lossaine les anciennes coutumes liégeoises, disait « et jasoil que ([uelqu'un s'élexerait iinp<''(ueusement contre aucun, s'il )) n'y at personne qui s'en coniplaint, il (le coupable) n'est tenu d'\ respon- » dre encore qu'il fuist accusé par le juge... '. » Jean d'Outreinense raconte, à propos de l'année 1214, une querelle survenue entre Etislache de Herstal et le chanoine Pire de Jauche. Deux bâtards des Desprez tuent le chanoine, et aucune autorité judiciaire ne s'émeut. Pourquoi? « Il n'en \il altre clioese, » car nuls ne s'en |)lain(list -. » Le même chroniqueur . Irès-.sw/r' ruiifitmier, parle d'un /hrju(/e)i}en( |)rononcé par les échevins en \^li'2. « Et chu fut » conli'e loy, » dit-il, « car li bons ne inorut mie, et si ii'cs(oi( miluy /ilaiiil » (h'I forfait que f/riiri de DinanI qui ne apartcnoit riens à lui/ •'. » La loi muée des cfinnoincs, (pii ne rendait pas la /jlainle ohlif/otoire, a soin de dire chaque l'ois (pi'elle commine luie |)eine même en matière de rapt, d'usage d'armes déloyales, de nq)lure de tièves, « se on s'en plaindist *. » La paix (les clercs, enfin, se sert de la même expression « et on se plaindist, » en comminant une peine sévère contre celui qiu' pénètre par elTraction dans une église ^. La conséquence à tirer de ces prémisses est claire et rigoureuse. Ouand la partie lésée, dans une ville, se réconciliait sans /torler ploinle. le seigneur était désarmé quant à l'application de la peine ". Comme le voyuemenl n'équi- valait pas à une plainte, peu impoi'lait que la partie lésée eût demandé ou non un vogxiemeiiL. ' Article 9. * Chroniques (If Jca/i iFOutreiueuse , I. V, |i. 10!). '" Idem , p. 00-2. * Voyez surtout les treize premiers artielcs de cette loi. ■' .'\rticle'28. ' En Flandre il en était à pen près de même. — Voir Waii.nkomc., Flaiiilrisrhe SliiaU- iiiid Reclil.sijescliiclile, t. III, p. 201. 152 i:SS\l SIR LMlSTOIRi: Dl DROIT CRIMINKL Miiis si, faute fff phdnfc. le scigiioiir no pouvait pas appliciuor la peine légale ou cotilimiièie au (l('liii(|uaiil (pii avait satisfait la partie lésée, n'avail- il pas au moins le droit (re\ii>!'r de lui une réparation en arirent, à Toccasion de la pfiix piihli'pic qui avait été violéeP ÉvidenunenI; eelle réparation ou argent était comme un \esligo do l'aneien frcdum germanique, attribué à révoque par les chartes de 981 et de 1 ()()(> '. Elle était de droit commun en Flandi-e, au \II'' et au Mil'' siècle, puisque jamais la réconciliation des familles ne pouvait se faire dans le comté , sinon sulvo Jure roiiiili.s -. Elle était également usitée au pays de Liège, comme le prouvent d'une part les récits do Jean d'Outremeuse et do Zantfliet, d'autre port les documents du XIII'' siècle relatifs à la haute avouerie de Liège. D'Outremeuse, en parlant du meurtre de Pire de .lauche, qui était losté inq)uni, parce que personne n'avait porté plainte, ajoute : « et por l'amor d'Eustance li e\es(|ue (piilfàl » les deux halars el raullre enssi avec sa halteur ''. » Il y avait donc (|uel(pu' chose (pie ré\è(jue aurait pu exiger de sa hulk-ur: puisque ce n'était pas la ])eine, ce ne pouvait être qu'une réparation pécimiairc. Los documents du Xlil'" siècle, relatifs à l'aNOuè, dislinguent le cas où la paix a été conclue entre parties mm loi/, c'est-à-dire sans intervention de justice, elle cas où la paix a été faite après plainte Idiiiiirc en ilroil. Dans les deux hxpothèses, il \ a lieu de |)ayer au seigneur une somme d'argent; mais, dans la première, TaNoué ne prélèxc sur la sonune payée qu'un cinquième; dans la seconde, il |)rélève un tiers. Zantfliet, enlin, raconte à propos du XIV'' siècle : « dum » quidam onpidaniis Iloyensis in (piadani \illa (londi'usii... occidisset,... idem » liomicida , jacld pmc cinii amiri.s occist, pi'oc»na\it se dhsolri a far/noir » /)er )ii(niibiinni)n el liilorem /xifriae *. » La paix faite avec la partie lésée ne dispensait donc pas de donner au seigneur une réparulioit. Cette réparation formait l'olijet d'un loiilnil de cuinponilion , conclu outre le cdupahle et iiin (tu l'autre grand justicier. Nous aurons encore à revenir plus tard, cl a\ec détail, sur ce qui le concerne. ' CiiAPK\vii.i.i: , t. I". |)|). 1>0!I II 'Jir.. * NVAiiNkôMd, loro ritiild. ' CliroiiKims (le Jidii (r(>iili(}nviisr , l. \'. p. lOK. * C.IIM'I VVII I I . I. II. |). 'iSI. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 1S3 En abandonnant la question que nous venons d'essayer de traiter, et qu'il nous est impossible , faute de documents contemporains , de résoudre d'une manière plus complète à propos du pays de Liège, nous croyons devoir exprimer un dernier doute. Il est possible, et même probable, que le prince eût le droit d'infliger la peine légale aux délin(|uants qui s'étaient récon- ciliés avec leurs victimes, quand l'infraction connnise présentait les carac- tères du murdre; cependant nous n'osons rien affirmer. C'est le moment d'étudier la marche d'une action criminelle régulière : nous allons consacrer à cette étude le chapitre suivant. CHAPITRE IV. DE L'A(;T10^ CKIMINELIJ; RÉr;ilLIÈKE. I)E .SA MAKCUE ET DE SON BUT. Lorsque, à raison d'une infraction, une action réiïulière était introduite en justice criminelle, cette action a\ait pour but principal de faire appli- quer une peine au (lélin(|uant. Elle ne prcjiidiciait en rien à celle que la partie lésée pouvait introduire, en matière d'infractions contre les personnes, pour obtenir réparation en arf/ent. Nous verrons, plus loin, devant qui les clauses de cette ré|)aration se débattaient sous l'empire de la loi muée. Mais toujours est-il que, soit (|ue cette dernière action eût été introduite, soit qu'elle ne l'eût pas été, quand le jugement définitif avait répondu à la plainte criminelle, toutes les parties étaient délinitivemcnt en |)ai\. C'était là le dis- positif exprès de la loi muée des hoiin/eoi.s '; c'était le dispositif de la paix des cleres - : « Quand justice est faite d'un malfaiteur, les |)arties doivent » demeurer toutes en paix, mais il faut que asseis soit fait à ledit partie n eui li me/fais sieroit fais. » • Article 58. - Arliclcs 52 ul 4'i.. Tome XXXVIII. 20 I5i KSSAI SUR L'IIISTOIHE DU DKOIT CIUMIiNEL Nous allons rocherclier, dans le présent chapitre , comment s'ouvrait Tac- lion crinnnollo au Xll^ siècle dans le pays de Liège; quelle était sa marche générale; quelles étaient les conditions dans lesquelles la plainte devait être faite; dans quels cas on pouvait arrêter préventivement les délinquants; comment on pouvait les mettre en liberté piovisoire; comment on les assi- gnait et quelles étaient les conséquences de la contumace; quel était enfin le système des preuves admis devant les tribunaux , et comment ces preuves s'échelonnaient les unes à côté des autres. Chacune de ces grandes divisions du sujet formera l'objet d'un paragraphe spécial. Nous terminerons enfin ce chapitre par quelques brièves indications sur la procédure des juges d'église. § l"^"". — De l'ouverture de l'action criminelle. Conune nous l'avons déjà dit au deuxième chapitre de cet essai, les offi- ciers de l'évèque de f^iége n'c'taient pas encore, au XIII'' siècle, investis des pouvoirs du ministère public. Ils n'avaient pas, en principe, le droit d'exercer la poursuite d'olfice '. L'action criminelle n'était, en règle générale, ouverte que par la plainte d'une personne privée. L'aveu judiciaire lui-même, fait à l'intervention d'un justicier par le cou[)al)le, ne piéjudiciait pas à celui-ci s'il n'y ovait pas de plaif/nant ; « car |)lainte covient lousjours estre faite » devant le mettre en waurde se justice le veult atteindre "-. » Le chef de l'État n'avait pas le droit de mettre un plaiynant à la place de la partie lésée qui se taisait ''. Toutes les lois du temps exigeaient en termes exprès la plainte des intéressés ^ L'évèque lui-même, en matière de crimes /lolitiques, était tenu de porter sa (pierelle devant les éclievins, sinon par lui-même, au moins par un |)rocureur ad hoc, un mamijour : le maïeur ni le bailli ne se chargeaient de le représenter. Lors du célèbre plaid de Voltem de 1256, ' llAEi'SAET, Atiulijsf (les tiloils, clc., § 90, iM|)|)oi'le l'origine de l:i pom-siiite il'oflice ;iu Xll'.siècii'. Il pciil avoir niison poiii- d'auli'cs eonirces, nuiis sa théorie iic s'apiiliiiiie cerlainc- nieiil |)as au pays de I,iége. * Li Puiri'illiars , décision n" 200. 3 Slalul (le MuPsUkla de 1580, article 2. * Voir ce (jue nous avons dit plus haut. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 155 où relu Henri de Gueldre fit forjufjcr Henri de Dinant, Radus Desprez fui constitué mambour par révê(|ue. Il demanda au maïeur de tourner en droit aux échevins s'ils pouvaient juger à Vottem; et, quand il eut obtenu une réponse favorable, il exposa la plainte de l'élu '. Le principe général, dont nous venons de prouver l'existence, comportait cependant certaines nuances, et peut-être certaines exceptions, qu'il importe d'élucider. Et d'abord, en cas d'infractions contre les personnes qui ne comportaient pas la circonstance aggravante du murdre , le droit de plainte n'appartenait qu'aux parties lésées elles-mêmes, ou à leurs proches parents et dans l'ordre de proximité. La loi muée des Ijourr/eois , en cas de Ijatture sans sang, de Imlture avec sang, de plaie ouverte, iVa/foulure, de mort d'homme, etc., attribuait le droit de porter plainte: d'abord, à la personne lésée elle-même; à son défaut, si elle était morte des suites de l'infraction, à son plus proisme; à défaut de proismes, à sa femme -. Eu cas de violences infligées à un enfant désagié, elle l'attribuait : d'abord au père de l'enfant, s'il était vivant et en état d'agir; ensuite à la mère, si le père était absent ou incapable; enfin aux proismes, si père et mère étaient absents ou incapables, ou si l'enfant lésé était orphelin; « et se on s'en plainte, » ajoutait la loi, « ons on doit allier awani (|ue » d'omme a aultre •'. » D'après le Paweilhars aux articles, la partie blessée ou ses proismes avaient seuls qualité pour renouveler la plainte, en temps et lieu utiles, (|uand elle avait été faite d'une manière irrégulière ■*. A Liège, néanmoins, la loi muée des bourgeois avait introduit une innova- tion remar(|ual)le, mais dont la portée était toute locale. Elle avait investi le maïeur et les échevins du pouvoir de pouisuivre d'office, et sans plainte de partie privée, l'auteur d'un homicide simple, mais à condition que « cil (|ue » ons avoit ochis n'avoit eus el pays proisme, ou à Liège, ni fennne. » Dans ' Chroniques ih Jeun d'Outrenieiise , l. \', pj). Ô'JS, 3'i9, 350. ^ Article ■■2». ' Article 7. ■• Li Paweilhars , décision ii° IGG. ^56 KSSAI SUR L HISTOIRE DL DROIT CRHIINEL un cas; spécial el limitativoiiionl prévu, Pautorité publique prenait ainsi la place d'une famille absente '. Il n est pas sans intérêt de rappeler ici que les femmes, victimes d'une infraction, n'étaient j)as toujoui-s considérées connne aptes à ai;ir elles-mêmes en justice. Le Pdivcilhar.s aux arlidcs disait : « Toute femme qui veut » misticr en justice est tenue de le faire par l'intermédiaire d'un mam- » hour -. » D'après les lois muées , une fenmie qui n'avait pas de mumbour /('(/al, ou dont le mari était absent, pouvait porter plainte par elle-même si elle le voulait; mais, (luand elle était mariée, et que son mari était sur les lieux, c'était à son mari seul qu'il appartenait d'agir en justice à roccasion des violences qui lui avaient été infligées '\ En matière d'infractions connnises à l'audience contre les maieur et éche- vins, par exemple d'injures proférées contre eux, la plainte des intéressés était également indispensable. Si le maïeui- et les éclievins, lésés dans leur honneur par le délit, ne s'étaient pas plaints au moment même, et s'ils n'avaient pas uns le fait en wardc de la justice, il n'y a>ait |»as lieu d'appli- (|uer une |)eine au délinquant ■*. En matière! d'infractions contre les propriétés, le droit de plainte appar- tenait encore, en première ligne, aux parties lésées; cependant il y a lieu de croire qu'il faisait l'oJjjel (Kune sorte d'action populaire, surtout (|uaiid le délin(|uant était pris en flagrant délit. « Illie advienve à Byoul que une » damme el ses mambors soy plendirent à la justiche de dois hommes qui là » astoient présens, qu'ils leur avoyeni emporteil xxv jarhes de bleis jus de » sa terre... •'. Une jour avint que Willennne d'Aspre \ienve pardevant le » mayeur et les esquevins de Liège, et dist (pie Henrar... a\oit une ponton » (pli sins asloit... (pi'ilhe ly aroil cslril cmblcis *'. » ' Ai'licle -iS. * Li l'atrfilltarH , ilécisioii n"2'<7. ^ Articles 10, 14, Loi muée des bintryeuis ; cl II, Lui mure des cliuiiuiiies. — Analogue, arlielc 12 de-; Statuts de la cite. - L'arlicle '2(5 du | 2(') de la Paix de Sainl-Jaaiues de 1487 autorisait la l'einme, dont le )>iumboitr était absent, à prendre un nianihoiir spécial « qui se » pourra plaindre pour elle de son incffait scelon la l'ournie de ces statuts. « * Li Puweilhnrs , décision n" 10. ^ Idem , décision n" \ 'M. " Idem , décision n" 78. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 157 Dans les deux exemples qui précèdent, c'est le ro/é i\m saisit liii-niènie la justice. Datïs rc\em|)le sui\ant, c'est la ceiifiiie de lieu, c'est-à-dire le con- cours des habitants attirés par la rumeur du délit. « Et sachiez s'ilhe avicnt » que une hons tiers (voleur) soit pris a centine, et la centine de lieu l'amoine » pardevant la justiche, atout le larchin sour son coul, el la centine die eiisi » à la justielie : nous vous livrons cesti '. » Le Paweil/tars parle même d'un cas où un individu e.st rapporlé parle forestier Aw lieu. Le rapport de celui-ci ne fait pas preuve, mais il équivaut à plainte, car- l'accusé est obligé (le passer à un mode de justification -. En matière de murdre, le droit de plainte ou û'ajj/jel apparlenail ccrlaiiie- ment à tous les [)arents, même les plus ('loigm-s du ninrdri , sans égard à la proximité du degré, et même probablement au premier xcnu. Falioz, « variez de linage de Waroux, » <|ui, à l'occasion de la mort d'un Mognoul, ap|)ela le bâtard Ayneclion, .s// ((iie de murdre en champ clos, n'était |)as un parent des Ilognoul, et ne faisait pas même partie des Camilles nobles du pays '. On sait, du reste, que les assises de Jénisaleni (bVlaraien! que tout individu accusé de murdre était tenu de répondre à Vapjjel de la fennue, du mari, des parents, des alliés, des parrains, des marraines, des filleides, des compatriotes, des compagnons de voyage, et même du « seiguor ou la » dame... (|ui le murtri ou la muririe ail esté an etjor '. » Aucim docinneni liégeois n'énonce express(''ment la même règle; ce|)en(lant nous a\ons tout lieu de croire (|ue, dans certaines limites, elle eiail adnn'se dans les usages nationaux. Nous avons ainsi parlé des nuances que comportait le [)rincipe eu vertu (hupiel la plainte d'une partie privée était en général nécessaire pour donner ouverture à une action crinn'nelle. Disons un mol des exceptions. Nous croyons d'abord que les voleurs d'habitude, les brigands, latrones, étaient soumis à une sorte de rhasse d'oiïicf», exercée par les justiciers du pays. ' Li Pdweilliurs , liéci^ion n" 71. - Idem , (k'cisioii 11° i44. ^ HEMiticouRT, Miroir (les nohlex de Hesbaije, p. "\-l. \x nom île rullo/ n'i'sl iin'iiir proiiiiiici'' qu'à l'oficasioii de son «liiel. * Bedgnot, Assises de Jériisiileiii , cliiipitrc Hi. 158 ESSAI SUR LHISTOIKE 1)1 DROIT CRIMIMX Un ancien cîipiliilaire de o95 semble déjà n'exiger, en ce qui les touche, qu'une simple dénonciation « hannivimus ut unusquisque judex criminosum » jatronem, ni andierit, ad casam suam ambulel et ipsnm lii^are laciat '. » En 8^1 Louis le Débonnaire, s'adressant aux comtes de l'Empire, leur dit : « Vnbis dicimus, vos(|ne connnonemus illos (pioque qui temerilate et » vidientià in lurlis et lalrociniis sive rapinis communein pacem po|)uli per- » tni'bare molinutiu', vestro studio et correctione sicul decet compcacite -. » Un capitidaire de 873 est encore plus formel : il distingue le cas où le latro appréhendé, mais non charge des produits du vol « et cum furto non com- » prehendmitur, » est aeatsé, et le cas où il n'est pas accusé. « Si aliquis » euni accusaverit... si autem mdius accusaverit. » Dans les deux hypo- thèses, il veut que le tatro se justifie dans certaines formes: uexcondicat sr » predictomodu, » pour échapper à la peine '\ Les comtes avaient donc, dans l'empire carlovingien, un véritable pouvoir coercitif, exorbitant du droit conmiun, contre les lutroncs qui se mettaient en dehors de la paix pulj/i(/uc, sans (pi'ils dussent attendre l'accusation formulée par un |)articulier. Ces latrones étaient considérés comme étant en étal de guerre ouverte avec la société, et la société les traitait moins en justiciables qu'en ennemis. Tout porte évidenunent à croire que les baillis du pays de Liège avaient, à propos de rinlérét social qui nous occupe, hérité des pouvoirs des anciens comtes. Nous verrons même plus loin que le grand maieur de Liège était armé de prérogatives exorbitaiiles, non-seulement pour réprimer les excès des bri- gands sans aveu, mais même pour cliàtier sommairement certains délin- quants, en matière grave, (pielle que fût letn- naissance. En ce qin concerne les contraventions commises en matière de poids et nu'smrs, il y avait également lieu à une espèce de poui'suite d'ollice, mais exercée de connnun accoid par le maieur et par les éche\ins. La fi-ttrc des vénales, en elïel, obligeait le maieur et les échevins de Liège de visiter les maisons des boulangers pour voir si le pain qu'ils cuisaient avait le poids légal. Ces magistrats constataient donc par eux-mêmes les contraventions; et, ' Raluze, I. 1", coloMiio 1081. iiiliclo 8. - Goi.nASTL's, oiiv. cilL-, t. Hl, |i. '2:24. '' UAi.uzt:, I. Il , colonne 2*27, article 3. DANS L'ANCIElNNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 159 par la force des choses, ils avaient alors le droit d'en poursuivre la répres- sion, sans intervention de personne '. En ce qui concerne les violences graves commises contre les clercs (occisio, miitilatio , percmsio alrox), les Statuts synodaux ordonnaient, sous peine d'excommunication, aux seigneurs du lieu du délit ou du domicile du cou- pable, de poursuivre ce dernier « infra quindecim dies postquam de delicto.... » constiterit eisdem \)er famam puOliraiii vol por (Icnuncialioncm decani vel » presbiteri loci -. » Enfin, il faut peut-rlrc faire une exception générale au principe de la nécessité d'une plainte préalable, en ce qui concerne les infractions graves commises dans le plat pays par les gens des classes inférieures. Les docu- ments qui exigent la plainte des parties, pour donner ouverture à l'action criminolle, concernent tout spécialement les villes; le Statut de Mai-stricht de 4380, qui défend au |)rince de mettre plaignant en |)lace de la partie lésée qui se tait, revendique une ancienne liberté tles bonnes villes du pays. Dans les temps du servage, les seigneurs considéraient connue un tort fait à eux- mêmes les méfaits infligés à chacun de leurs serfs, et ils les réprimaient en conséquence; ils maintenaient (rollice Tordre dans leurs domaines "'. Il est possible que, même après l'élévation insensible des classes inférieiurs, ils n'aient pas entièrement renoncé à leur pouvoir de correction. Ouant aux infractions commises dans le plat pa\s par les gens de lignage, le principe que nous avons énoncé icprenait tout son empire. Puis(|ue l'évéque n'avait pas le droit de ré[)rimer, sans plainte des intéressés, les crimes commis contre la loi du pays par l'abus de la guerre privée, il n'avait pas, à plus forte raison, le droit de punir, sans j)lainte, les nobles ailleurs de crimes ordinaires *. Nous oserions dire la même chose des gens de condition pleinement libre et sur lesquels ne pesait aucune tache de servage. Quoi qu'il en soit, nous ne donnons ces dernières considérations que sous ' Lellrc (1rs i^rindcs. '^ Slaluls si)it(Hluiix cilrs, titre 111, n' 17. 5 PouLLiiT, t" Mémoire sur le droit pénal cité. * HocsEM , dans Cliapeaville , t. Il , p. 401. IGO KSSAI SLI{ I/IIISTOIUK DU DROIT Clil.MINKL toutes ri'seives. En clVct, une {-ircoiistance décisive enipècliait, au XIII* siècle, la |K)iirsui(<' dOllire (rentrer dans les habitudes judiciaires conuiiunes du pays de Liège : c'était le rôle considéral)le que jouait encore le duel judiciaire. Quel lioinnie se fût trou\é pour accepter un ollice de justicier, si cet odice a\aitpu l'obliger à descendre en champ clos, tous les jours, et avec le pre- mier venu? La plainte était donc, en gênerai, le premier acte d'une pour- suite criminelle légulièrenient intentée : indiquons les principales règles qui la concernaient, et (|ui nous ont été conservées par les rares documents lié- geois contemporains. § II. — De la plainte. La partie lésée par une infraction ne pouvait se plaindre qu'une lois et à une seule justice : « on ne poeut l'aire d"un cas denz |)laintes '. » D'après la loi muée des bourfjeois, elle de\ait agir dans les trois jours du délit, si le délit asait eu lieu à Liège; dans les trois jours de son retour dans la Cité, si le délit aNait été conunis hors de la franchise-. D'après la loi muée des chanoines. et la paix des clercs, dans les huit jours « que li mal estait advenus ". » Les rédacteurs de la paix des clercs se réservaient, au surplus, la faculté d'allonger ou d'abréger le terme de ce deinier délai d'après les résultats de l'expérience ^ Il était loisible à l'accusateur, à Liège, de faire sa plainte « en tous lieux » dclle \ilhe, dedans maisons, dedans mostiers et dehors, et ce valrat atani » que si ce astoil fait en chemin royal ^. » Néanmoins, (piand la j)lainle était faite en tem|)s de cour close, elle ne valait rien, ou jilulot elle n'était (|ue pro- Nisoire : la justice ne pouvait « alleir avant par loy souz celle, se li plentc n'est renorelée parderanl jusliche en temps de justicke ''. » ' /,/ I'iiii-i'HIkiis . (llM-isidll M" 2()ô. - Alliclis -JS II -ii». " On M' r:i|i|iillc <|iic , d'iiprt's ces cliiirtcs , la plniiitt' n'i'hiil piis i)lilii:,il()iif. * l'iiix (les clcri-.s , ai'lic-ic 2:2. — • Loi mure des cliaiiuiiws , ai'liclc 17. ^ Loi muée des bourtjfois , arlicle lïit. '■' Li Ptnreilliins , (U'ilsioii ii" KKi. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 461 Il n'appartenait qu'au plaignant lui-même de renouveler la plainte : et « ne li puet li sirez ne li mairez renoveleir '. » Encore était-il tenu de reprendre son action dans le délai « que la loi gardait, » et qui diffé- rait selon la nature de l'infraction. En matière de grand criminel proprement dit, et touchant à honneur d'homme, le délai était de « quarante jours la » dicte loy rabbandonnée ou ouverte; » en matière d'infractions moins graves, le délai était de quatre jours "-. Le plaignant n'était pas admis à porter une accusation vague et générale. Il était tenu de circonstancier sa plainte. Ce n'était pas assez, par exemple, de se plaindre de forche, c'est-à-dire d'avoir été en butte à des violences : on devait préciser en quoi ces violences avaient consisté : « en queil liew le » forche avoil esteit faicte ^. » La loi muée des bourgeois accordait, sur ce point, une faculté singulière aux bourgeois de Liège. Ceux-ci étaient contraints de se plainrlre des infrac- tions commises contre leur personne par un de leurs cobourgeois, mais ils pouvaient passer sous silence les circonstances aggravantes qui avaient accompagné la perpétration de ces infractions, et, partant, renoncer à les faire prendre en considération par le juge. Ainsi, par exemple, le lésé avait le droit d'allîrmer simplement qu'on lui avait porté des coups ou infligé des blessures, sans ajouter que; les coups ou les blessures avaient été portés avec des armes déloyales, ou en rupture de paix et de trêve ■*. La plainte était mise en warde des juges par le justicier '^ Mais, une fois qu'elle était mise en warde, il n'était plus permis de la changer ni de l'aggra- ver. On ne pouvait pas commencer par dire : j'accuse un tel de m'avoir volé telle chose; puis, ajouter dans le cours du procès, il m'a volé avec violence. Quoi qu'on fit, les juges ne statuaient qu'à l'égard de la première version du plaignant : « ons ne puet d'ung fait dois plentez faire, ains soy covient tenir » al première plente ^. » * Li Paweilhars, dccision n" I (iC. * Paiceilhars niiinuscrit de la 15il)liotlic(juc ilc l'Univorsilc, arliclc 171. 5 Li Pawvilhurs, décision n° i'M. * .\rlic.lc :29. s Li Paweilhars, passim, cl dérision n» 230. — Raikkm, Discours de 1857, p. 55, en noie. « Exlriiils du Puiceilliurs édiles par Raikeni, n" 14. Tome XXXVIII. 21 162 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMLNEL Enfin le plaii!;nant,en introduisant son action, dcxsiH jurer qu'il ne se plain- drait que de celui qui lui avait méfait, et qu'il ne mettrait en avant nuls faux témoins '. D'après Jean d'Ontremeuse, quand les Waroux se plaignirent des Awans « si corn ardeurs et laurons » leur plainte fut écrite -. Mais c'est là évidemment un anachronisme. Le chroni(|uour a transporté au XIII"^ siècle une pratique qu'il voyait usitée de son temps, mais qui n'a été introduite qu'au XI V" siècle et par voie législative. Nous aurons l'occasion de le consta- ter dans le livre suivant. Lorsque la plainte était régulièrement introduite, l'action criminelle était commencée. Voyons, dans le paragraphe suivant, son développement et ses diverses phases. § III. — Du (h'vcloppemcnt d'un procès criminel. On sait que, dans les anciens consistoires de justice germanique, la procé- dure dVMl orale et publique. Elle avait conservé ces deux caractères pendant la |)ériode de transition comprise entre la dissolution de l'empire de Charle- magne et l'organisation définitive de la féodalilé occidentale. Une charte de 4 102, entre autres, constate que l'avoué ne peut appeler dans sa maison, à l'occasion d'une faute quelconque, le sujet d'une abbaye, ni pour lui ftiire demander grâce, ni pour le forcer à rafionem reddere de sa conduite; mais que toujours il doit agir in placilo piiblico, et même, si le justiciable est un mansionnaire , in curie adquam pertinel ^. La procédure était encore orale et publique au XII^ siècle dans le pays de Liège, Le maïeur mettait verkdement en warde des échevins les dires des par- ties et de leurs témoins : « Une jour avint que Willcnnne d'Aspre vienve par- » devant le mayeur et les esquevins...*?/ disi que Ilenrar... là tantoist vient Hen- » rar et dist... et tout che fut mis en le warde des esquevins... *. » « Il avienve ' Loi mure îles clnimiincs , arliclc '2'i-. * Clmjiiiriiics de Jeun d'Oiilremeuse , t. V, p. ;jii. ^ Amplissima eollectio, l. I", p. 595. * Li PttKeilhars, décision n° 78. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 463 » a Tienne... que Gerars soy plaincUt de Hanekin,... et Hanekin respomlist » qu'ilhe mentoit... '. » « Nisi villicus facliiin hoc ponerat verbaliter in » cuslodià scal)inorum -. » Les parties, de leur côté, pouvaient amener à l'audience, avec leurs témoins, toute l'assemblée de leurs parents et de leurs amis pour assister aux débats. Corbeau de Hognoul, plaidant au XIV^ siècle contre le seigneur de Hamal, « fist par son singulier porkache assembleir lot le linage d'Awans... » et en ont sur pluseurs des journées si grand qiiantiteit, tant pardevant » monseigneur de Liège comme par devant totte le universiteit délie cileit de » Liège allencontre de dit saingnor de Ilamal, qui par lorclie d'amis volsit » ledit monseigneur Walthiers faire forjugier... etc. '. » Ce concours d'hommes intéressés aux suites du procès pouvait avoir d'assez graves inconvénients, dans un temps de mœurs violentes, au point de vue de l'indépendance des juges. Cependant la loi nouvelle de 1355 fut la première loi qui limita dans des bornes raisonnables le droit des plaideurs, tout en constatant l'existence des coutumes anciennes et en les maintenant en partie ^. Nous ne connaissons qu'un seul document du XIII'' siècle qui défende à l'accusé d'assister à l'audition des témoins produits contre lui. C'est la loi muée des chanoines. Cette loi déclare que les devoirs de preuve doivent se faire devant la commission mixte des êclievins et des jurés, au lieu même du délit, ou « à la plus prochaine parodie de là, » et que d'autre part, « n'y doibt » estre personne départ cil sur cuy on doibt faire l'enqueste •'. » Si l'accusé se présente cl refuse d'obtempérer au commandeinent de rui/der qui lui est fait, il encourt la peine de dix marcs liégeois et, subsidiairement, un bannis- sement de dix ans hors du diocèse. Dans tous les autres cas et devant toutes les autres juridictions, si les parties n'avaient pas été présentes à la procédure, ou du moins mises dûment ' Li Paiveilhars, décisions ii" 169 cl 204. - IIocsEM, dans Chapeaville , t. II, p. 571. '> HEsinicounT, Miroir des ?iubles de flesbuije , pp. 208, 2G!). * Arlicle 25. — Raikem, Discours de 1858, pp. 33, 54, et noies. » Arlicle 20. 164 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL à même d'y comparaitre par assignation, le jugement était nul. Les Hutois se basèrent, en 1256, sur ce principe pour réclamer contre une sentence rendue par leurs échevins : « que sour eaux ne pooit faire li esquevins jugement )) s'ilh ne font III fois adjourneir les parties et les faituels à leurs enquestes, » et s'il!) font autrement illi doient les rappeler '. » Ilemricourt, de son côté, disait au XIV'' siècle, à une époque pendant laquelle on marchait déjà vers la procédure secrète : « et sacliyés (\in\ nul enqueslc ne vaut se ly partye n'y » est adjournée, et asségurée se venir y vuet, pour respondre al plainte et » mettre ses alliganclies -. » Pour le surplus, la marche générale de la procédure était fort simple. Quand l'accusé avait été légalement appréhendé, la plainte accompagnait sa production devant le juge; lorsque les circonstances ou la coutume n'avaient pas permis l'àrrestalion préventive, l'accusé était cité à comparaitre. L'accusateur et l'accusé pouvaient tous les deux se faire assister de cotiseits ou de parliers , tant devant le Tribunal de la Paix que devant les autres tri- bunaux liégeois ^ L'un el l'autre choisissaient le conseil qu'ils voulaient, mais après en avoir reçu l'octroi du maïeur : « Donneis moi conseil et parlier... » et ly maire ly ottroyat... et il pris! Robin... ^ » Nous ne croyons pas que le maïeur pût refuser d'obtempérer à la requête qui lui était faite; et cela d'autant moins que les paix liégeoises du XIV'' siècle obligeaient \a Justice à fournir un parlier à celui qui n'en avait pas -'. Le parlier de l'accusateur exposait l'accusation , requérait que l'accusé y répondit catégoriquement, et le maïeur mettait ses paroles en wanle des éche- vins. Il ne s'agissait pas d'un véritable plaidoyer. Tout était concis. « Les » paroles brièves et entendammenl dites sont miaux entendues et retenues » et recordées et jugiécs '\ » Le parlier de l'accusé répondait au nom de celui-ci avec non moins de brièveté. L'accusé ratiliait par uu oi/l les dires de ' Chrunifjues dcJvan d'Uutrcmcusf, t. V, p. ô'2ti. * Patron de la Temporalité , p. 284. 5 Li l'an-eilhars, décision n" '20'i-. — Patron de la Temporalité , pp. 279, 280 * Patron de ta Temporalité , p. *>80. ^ Raikem, Discours ilc 1858, p. 52, en note. '■' Idem, (l'iiprès Jean d'ibclin. DANS L'AISCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 16S son défenseur et le maïeur les mettait encore une fois en wanle de la justice. L'accusation et la réponse étant faites, l'accusateur demandait par son parlier de faire preuve, ou bien, selon les circonstances, c'était l'accusé qui, de même par l'organe de son parlier, demandait à i'oster du chef de la plainte, « aile enseignement des esquevins '. » Le maïeur lournait le débat en droit à ceux-ci auxquels il appartenait d'admettre ou de rejeter par un jugement interlocutoire, souvent pris en rencliarge, les modes de preuve ou les modes de justification orterts -. Le jugement interlocutoire étant rendu, on passait à son exécution, c'est-à-dire à l'accomplissement des devoirs de preuve. Tous les échevins du banc y assistaient, et non, comme plus tard, un certain nombre de commissaires pris parmi eux ■'. Enfin, les preuves étant faites, le maïeur, après en avoir mis en ivarde les données, semonçait une dernière fois le tribunal pour lui faire rendre une sentence définitive *. Dans les lignes qui précèdent nous avons brièvement retracé la marche de la procédure criminelle dans le cas où l'accusé était présent, soit qu'il fût en état d'appréhension, soit qu'il eût comparu sur citation. Sa contumace n'arrêtait pas le cours de la justice criminelle. Le tribunal, en ed'el, après avoir renouvelé au moins trois fois l'assignation ^, et après avoir dûment recueilli les preuves « et le fait bin proveit ^, » j)ouvait le condannier par défaut '. Au Tribunid de la Paix, la contumace nY-lait [)roclamée qu'après sept a|)pels successifs infructueux **. Si le crime dont il était question était punissable en principe d'une peine corporelle, on ne j)ronon(;ait cependant pas cette dernière contre un accusé contumace. On se bornait à le forjuger de son honneur. Nous verrons plus loin quelle était la nature et quelles étaient les conséquences du forjugvment. ' Li Pmrcilhcirs, dcfision ti° 204. '-^ Idem, elccijioiis ii"' 78, i()4, elc. ''• Haikcm, Discours de I8îi8, p. 55, cl noies. * Idftn, Discours de I8u7, [)|). S3, 54, .'iii, cl notes. = Voyez l'afTairc de Uuy, déjà cilce, dans les Chruniqucs de Jean d'OiiIremeuse, I. V, p. 3^6. 8 Raikem, Discours de 1837, pp. 74, 75 et 58. — A la page 74 se trouve une formule de forjugcnient. ' Idem, ibidem. * Patron de la Temporalité , p. 279. 166 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL S'il ne s'agissait que (ruiie infraclioii punissable d'une peine pécuniaire, rien n'empêchait le tribunal d'ap|)liquor celle-ci à un accusé absenl. La charte de Brusthem consacrait, au reste, un moyen matériel de forcer un délinquant de con)paraitre en justice pour répondre aux accusations qui portaient sur des infractions de minime importance. Quîind l'accusé n'obéissait pas au premier adjour, le justicier fermait sa maison « avec deux clous et une coriette à » riiuis à prochain posteau » jusqu'à ce qu'il consentit à venir devant le juge. La rupture de la coriette entraînait contre le coupable, et de plein droit, l'amende de lot) et ban, tous droits de l'accusation restant saufs pour la plainte principale K Il n'était pas permis, en principe, de se faire représenter par un mambonr ou procureur pour répondre à une action criminelle -. Cependant l'accusé qui avait une excuse légitime pouvait faire valoir celle-ci par un tiers régu- lièrement constitué, et échapper ainsi, au moins momentanément, à une con- damnation par contumace. Celait ce qu'on appelait « soy faire débitteir ^. » Le débutant devait jurer « en sains por ly (l'accusé) qu'il at si loyaul songne » qu'il n'y puetestre à ce promir desongne, se Dieux ly ayt et cliis sains et tout » ly aullres '. » Les coutumes liégeoises ne connaissaient au XIII"' siècle que trois songnes loyaux : maladies, prison, et « grandez eawes ^; » et encore, en cas de maladie, exigeaient-elles un cerlilicat du curé du domicile : « sy » doibt por la ditte maladye cstre faicle rescription la siginliance par son » curé qui ce at a cerlilier ". » On n'admettait pas même comme excuse sullisante l'état de guerre ni de desscyunuielie , « car ce n'estait mie » songne loyalle ne telle comme ly devant est divisé des trois songues » loyales ^. » ' Cliarle tic nrut^lln-m , iirticlcs 8 cl !). 2 Nous ne pensons pas, du moins, (pie l'iirliele ;')(! de hi lui nouvelle s"ii|iplii]n;'il aux nialières criminelles. 5 Patron de lu Timporalilé , p. 279. ♦ Idem, iliidem. s Li l'au-cilliars, décisions n ' 148, 119. ^ Ces phrases sont ajonlées, dans divers nianuseiils, aux deux numéros du Paweilliars que nous venons de citer. ' Li l'aiveilliars, décision n" 149, voir surtout les extraits du Paweillturs édites par Itaikeiii. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 167 Les monuments liégeois contemporains ne sont pas également explicites à propos de tous les incidents de procédure qui pouvaient se rencontrer dans les procès criminels. Nous devons donc nous borner, en ce qui concerne la plupart d'entre eux, à ce que nous venons de dire. En revanche, ces monu- ments nous fournissent des détails assez précis, relatifs à l'arreslation préven- tive. Nous allons les résumer. § IV. — De l'arrestation préventive. Le droit d'arrestation préventive appartenait aux justiciers, baillis et maïeurs des villes et du plat pays, à leurs sergents et forestiers, dans cer- taines limites aux maîtres de la Cité de Liège et des autres bonnes villes, enfin, dans quelques cas, à la « centinc du pays '. » Nous ne connaissons pas très-bien comment ce droit s'exerçait dans le plat pays au XIII* siècle. Nous savons seulement que les personnes qui assistaient à la perpétration d'un acte de violence, même légère, pouvaient incontinent en appréhender l'auteur : « s'ilhe avint que uns bons fier )> aultruy sains sanc et il soit pris à centine "-. » Nous croyons que les justiciers arrêtaient assez arbitrairement, chacun dans leur ressort, les délin(|uants en matière grave, même hors le cas de fla- grant délit, quand, au moins, ils n'étaient pas d'iuie condition sociale tout à fait supérieure. En cITet, il semble que ce soit seulement au XIV'' siècle, par l'interprétation donnée à la Paix de Fexlie, que les garanties communales, en matière d'arrestation préventive, furent étendues au commun pays ^. Grâce à la charte d'Albert de Cuyck, aux deux lois muées et à quelques documents postérieurs qui rappellent les usages antiques pour les consacrer de nouveau ou pour les modifier, nous connaissons presque toutes les règles qui dominaient la matière grave de l'arrestation |)réventive dans la Cité de Liège. Ces règles sont d'autant plus importantes à étudier que, d'après ' Loi muée des bourgeois, arliclcs '2, 20, 20. — Lui muée des chuiioines, arlide 25. — Li Paweilliars, décisions n" 0, 56, 180, elc. * Li Paiceilhars , (Iciisloii ii" 0. 5 IIaikem, Discours de 1802, p. 44, note 4. 168 ESSAI SUR L'HISTOIRE 1)1 DROIT CRIMINEL toutes les vraisemblances, elles constituaient une sorte de droit commun a|)plical)le dans toutes \cs franc/ies villes du pays; aussi allons-nous essayer de les déduire avec tout le soin possible. 1° Le droit d'usy le ecclésiuslif/uo existait dans la ville de Liège comme dans le plat pays. En 1232, quand le niaïeur et les éclievins allèrent arrêter sur Tautel des frères mineurs, le varlel des chanoines qui s'y était réfugié, les frères chassèrent la justice et la repoussèrent avec perte. Personne ne leur donna tort. Les Statuts synodaux de 1288 proclamaient en termes géné- raux Timmunité des églises et des cimetières ^ La loi muée des bourgeois , de son côté, reconnaissait que « des églises et encloistres doit ons ainsi » ovreir (|ue les csquevins de Liège warde -. » Les maisons des chanoines parlicipaient aux privilèges des cloîtres ^. Conformément aux anciens prin- cipes, l'immunilé du lieu d'asile, quel qu'il fût, couvrait tous les terrains adjacents compris dans un rayon de quarante pas à partir de son pourtour '. Il arrivait déjà que les justiciers, n'osant violer le lieu d'asile, le faisaient garder, et empêchaient de porter des vivres au délinquant (pii s'y était réfugié. Les Sliituts synodaux de 1288 défendaient cette pi'atique sous peine d'excommunication. Ils reconnaissaient cependant qu'il y avait des crimes devant lesquels la protection de l'Eglise devait cesser : « Si vero » (lul)itclur utrum fiigiens ad ecclesiam propter delictum ab eo commissum » ut ab ecclesia defendetur, scribatur olliciali noslro et quod per ollicialem )> decretum fucrit observetur ■'. » 2° Les a/forains qui venaient commettre un délit à Liège n'étaient pas protégés par les garanties conmiunales en matière d'arrestalion préventive. L'asile ecclésiasti(|ue seul leur profilait dans les mêmes linn'lcs tpi'il profitait aux bourgeois. Les bourgeois de Liège devaient, sous |)eine d'amende, arrêter et livrer à la justice l'alVorain qui entrait en armes, à Liège; et cet alfo- rain restait en état de détention, jusqu'à ce qu'il eût payé l'amende et perdu ' ChroiiùiuKn (le Jean (iOulremen>ie , t. V, p. 302. — Statuts syuoilaiix , titre XV, ii" 2. '- Arliilcs i> cl •2(i. 5 Diplôme (le 1107. * l,ov\nï.\, Dixserliiliniis taiioiuiiiiei , Dissci'Inliiin XI , yHi.'isii». * Statuts synodaux, lilrcXV, n" 2. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 169 ses armes *. Les bourgeois de Liège, et la justice, avaient le droit d'appré- hender Tafforain, venant sur le bourgeois de Liège, avant qu'il eût commis aucun acte de violence'. 11 était ordonné, sous peine d'amende, aux bourgeois de Liège et aux varlets des chanoines d'arrêter et de livrer à la justice les alTorains qui se battaient à Liège, soit entre eux, soit contre des bourgeois, soit contre la uuûsiùe des chanoines et des bourgeois. La loi muée des cha- noines se bornait à stipuler qu'on ne devait pas tenir l'afforain « se troveit est » sans culp ^. » Les bourgeois de Liège étaient même tenus, sous peine d'en- courir une amende de vingt sous, de prêter main-forte au maieur et aux maîtres quand ceux-ci appréhendaient un alïorain qui venait de commettre un menu délit *. Ils encouraient la peine de dix marcs liégeois si, voyant un alïorain commettre un liomicide ou une niul/lddoii, ils ne le saisissaient pas in ipso actif, ou ne se mettaient pas au moins à sa poursuite avec la justice qui cherchait à le prendre pendant ([u'il s'enfuyail ''. L'alïorain qui avait connnis un homicide ou une mutilation pouvait être arrêté non-seulement en flagrant délit, non-seulement quand il s'enfuyait venant de commettre le crime, mais encore s'il èlail parvenu à quitter sain et sauf la ville, dès qu'il y rentrait sans avoir satisfait à la justice et à la partie. Dans tous les cas il était traité comme s'il avait été surpris « à fresse » coulpc ". » L'alïorain, enfin, dans tous les cas, pouvait être appréhendé n'importe où il s'enfuyait, même dans les maisons et sons les maisons sauf la franchise des églises; et le bourgeois, (pii aurait \oulu défendre sa porte à la justic(î pour empêcher l'arrestation d'un aiïorain réfugié chez lui, conuncttait lui- même une infraction ^. 3" Quand un alïorain était arrêté préventivement dans une ville, au nom du seigneur, il n'était cependant pas abandonné à l'arbitraire du justicier. S'il ' Loi muée des liniirgeois , iirliclc iTj. - I(hm , arlielo ^(1. '■ Idem, arliclc i27, cl lai iiiiiéc des cluuioiiics, aiùelc 27, tcMi' iiiamisciil. ^ Loi inuêi' des bourgeois , iirticlc 20. " Idem, anick's 2 cl 20. '' Idem, article "i. 7 Idem, articles 2 cl2U. Tome XXXVlIi. 22 170 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL criait franche ville! s'il invoqiiiiit la protection de la fi-anchisc, les bourgeois de la localité avaient le droit d'intervenir en sa faveur dans certaines limites. Ils pouvaient se charger de le garder eux-mêmes ou de le faire garder par les maîtres, sauf à le produii-e dans les trois jours devant la justice, et à exiger qu'on lui fit réguli('r(>nieiit la loi du pays '. 4° Au contraire des alforains, les bourgeois des villes franches, en dehors de certains cas de flagrant délit, ne pouvaient être appréhendés sans une sen- tence des échevins. C'était le dispositif e\j)rès de la charte d'Albert de Cuyck : (I On ne peut prendre nuls cilains ne tenir sans jugement des échevins -. » Cette sentence ne constituait pas ce qu'on appela plus tard le décret d'appré- hension sur enquête, décret qui venait surprendre à liniproviste un accusé ne se doutant pas de l'existence d'une procédure contre lui ^. C'était un jugement définitif, déclarant le bourgeois coupable, et le condamnant à une peine déterminée; et alors il n'était pas question d'arrestation préventive, mais d'arrestation tendante à procurer l'exécution de la peine *. Ce pouvait être aussi, dans certains endroits, un jugement interlocutoiie rendu pendant le cours même du procès contre un accusé pi'ésent et n'ayant pas de sauf- conduit, quand les charges recueillies étaient graves et qu'il n'y avait pas moyen de prononcer immédiatement une sentence délinili\e. C'est avec ces derniers caractères que se présente, dans les rares exeniples rapportés par le Paweilhars aux articles, l'airestation préventive opérée hors du cas de flagrant délit. « Uns bons vint pardevanl eauz (les échevins de Stockem) et » cognut pardevant eauz que ilhe avoil pris et paniieit I cheval... ly maires » le mist en le warde des escpievins, et prisl... tanloisl l'omnie pour le forche ») cognut-'. » On accuse Libert Cachars devant le maïeur et les échevins de Huy. Il est présent et se défend. « Maire, » dit son parlier, « wardez bin ' l.i l'aucilhurs, ih'cisioiis ir" -Hii cl tJOO. — Record roiiicriKuil la ville df l'ossc de l^iiT, arlick' 15. — l.ii inciiic ciiosc csl encore rii|)|)eléc, coninic iiiic franchise « dcr sl.ul l.iivck en n qui maint en la mainson. » La règle que proclame cet article est, on le voit, sans restriction aucune. b) La loi muée des hourf/eois. Celle-ci se sent obligée de |)orter un texte exprès, pour permettre l'arrestation préventive d'un alïorain dans la maison des bouigeois et contre le gré de ceux-ci. Par le fait même, elle reconnaît le privilège des maisons bourgeoises dans tous les autres cas ^. ' Li Pinn'ilinirii , (li'cision n° 204. * Slaltil lie Mufslriilil ilc lôSO, ai-ticli; Itilî. ("et iii'liclf rniiiicllc ce |iriii(i|:c roininr giindra- Icinenl usité dans les villes liégeoises, el connue résiillaiU d'une ;iiieieniie liiiniliise. ^ La paix lies clercs, ai'liele 51, assimile les maisons canonieales aux maisons bourgeoises. * Raikem, Discours de l8()-2, p. .18, pense que ee privilège ne s'étcndail i)as au cas de flagrant délit. Il n'est pas d'accord cependant avec le texte des lois muées. î* Rausix, Leodium , p. 379. — Coutumes du inii/s de Liège, t. I", p. 578. •• Voir ce que nous avons dit des a/foruiiis et de la manière de les arrêter. 172 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL c) Le Statut de 1302. Ce statut déclare que désormais les bourgeois qui commettront des vilains cas, homicide, trêve brisée, maison brisée, fmitin, ou autres cas semblables, seront de leur fait même aubains, c'est-à-dire privés des privilèges de la l)omi!:eoisie et assimilés aux aiïorains; et que désormais « ne maison ne buron ' ne gardera lesdils aubains dans la fran- » chiese, mains qu'ils seront abandonnés à loiiles les jusiices du scii^neur -. » Donc, avant ce statut, maison et l/iiruii gardaient le bourgeois, même délin- quant, contre la justice, parce qu'il était couvert par leur franchise. 6° Le bourgeois de Liège pouvait être arrêté en llagranl délit s'il com- mettait une mutilation ou un homicide. C'était le dispositif des deux lois muées ^. 11 en était de même si le boui'geois commettait un crime plus grave, par exemple le ci'ime de trêve brisée; cela va de soi; tandis ([u'iui bourgeois ne |)ouvait jamais être détenu préventivement à l'occasion d'un menu délit. Mais, en matière d'homicide, une coutume toute spéciale s'était introduite, et avait réussi à se transformer en privilèi^e commun à la plu|)art des villes franches du pays. Un bourgeois qui \enail de donner à im autre un coup moilel pouvait rester debout auprès de sa victime, sans risipie d'èli'e ai'ièlé, aussi longtemps que le blessé avait vie et assez de souflle pour qu'on pût voir une plume s'aiiiler sur ses lèvres. Si Ton arrêtait le coupable et que le blessé respirât après l'appréhension, celle-ci était IVappée d'une nullité radi- cale et (l('\ait innnédiiitement être le\ée. Cette coutume, signalée dans le Statut de MaestrichI de ^380, est formellement icconnue par une sentence des échevins de Liège de ISOO. « Le (ils le Page de Limon, qui tuât un » homme à Moumale , qui delivreit fust de prison si (|ue bourgeois, |)arlant n que li homme ne fut mie trois mors "*. » Elle est déjà mentionnée dans Jean d'Outrvmeuse à |)ropos de l'année 1i2o;2. L'arrestation opérée par les écheNins à celle date était nulle, dil-il, « et chu fut conlie la loy, car li » bons ne morul mie ■'. » ' J)i(lii)iiiuiire lie /Jcsclicrcllc , liiiroii, tinisiiic. - Le Slatnl lie lô()2 fut ((iiiliriiK' Mir ce iioiiil |i;ir |ilii-.iciiis mirs du .\l\ ' sircic. ' Lui iiiiii'c (les lioinijfdis , iii'liclcs I (l -J. — /,(;/ nuire ilvs ilniiioiiics , iwliclcs !) cl 10. * Shilut lie Miieslricld île iôSO, Jii'lii'lc I". — Scnlciice de I3(i(l il.iiis le l'inreillnna B, folio 173, et (liiiis le l'iiireillnini A, folio '(•"i*" des Aeeliives de i'Élal ;i l.iége. ^ Chroniques île Jeun il'Oulrennu.se , I. \', p. ôOi. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 173 7" Enfin, d'après Hemricourt, « at li maire de Liège une prérogative et » singulier authoriloit devant touttes ly mairyes, dont je oye onckes mains » parlier; car ilh at esteit acoustumeit ancliienement (le*si lony temps qu'il » u'apert point de mémore de contraire, et pasibiement useit jusques à » pi'éscnl par les mayeurs de Liège, que tous larons, murdreurs, ardeurs » et robeurs et malfaiteurs qui sont encoulpeis de teiis ou semhians excès, » lidis maire les prent sans ensenyneinent des esquevins, soyent bor^ois » ou alTorains : et se li maistres délie citeit en sont saisis, ilh covient qu'il » ly relivrent dedens tiers jours K » Ainsi donc, le maïenr de Liège avait le droit d'arrêter préventivement, même hors le cas de flagrant délit, les larrons, niurdreurs. ardeurs et robeurs, bourgeois ou non, sans jugement préalable des échevins. Il sullisait d'une sorte de notoriété du crime -. A vrai diie, le cas qui nous occupe sortait complètement de liu-dre régulier des choses. Le grand maïeur, quand il avait [)ris ks ardeurs, robeurs, mur- dreurs , elc, pouvait les mettre « à géhenne et à mort, à sa bomie con- » sience, sorlonc ce (|u'il ly semble (pi'il l'aycnt deservit par leurs deme- » rites, sains re(|uiere de ce jugement ne parleir à nul des esquevins s'ilh » ne ly |)laist. » En pratique, n(''amnoins, il avait coutume d'appeler alors « deleis ly pour avoir plus meure conseille, et pour sa paix à wardeir, dois ou » ti'ois proidonunes (tu |)lus de ses voisins, ou d'aultres, pour \('oir s'ilhe en » fail a point ou non. » Pour n'avoir plus à i-eveuir sur cet objet, nous ferons remarquer, en terminant, (|ue le droit de juyer seul n'èlait reconmi au grand maïeur que dans cette circonstance tout excepliomielle, quand il v avait, comme nous le disions plus haut, une quasi notoriété du crime. En elTet, le justicier, d'après le texte même du Patron, était tenu detraduiie devant les échevins celui qui « melTaisoit le tieste » : 1» « Por mesparleir en justiche, » c'est-à-dire pour avoir fait un aveu régulier devant le tribunal ; 2" « Ou por loy de forche fassee, » c'est-à-dire pour n'avoir pu se justi- fier sudisamment avec laide de conjurateurs; ' PulroH de lu Temporal ih', p. 289. - C'i'sl ce qui lésullc du coiilcxlc de ia plirasc. 174 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL 3° « Ou fuist desconfis en champs, » c'est-à-dire pour avoir succombé dans un duel judiciaire. Les règles que nous venons d'exposer sont les seules qui ressortent claire- ment des documents. Comme nous ne voulons pas nous engager dans le domaine des conjectures et des analogies, qu'il est dangereux et sans grand profit d'aborder, nous passons à ce qui concerne la mise en liberté provisoire , la eilation et Vexiradition. § V. — De la mise en liber lé provisoire, de la citation et de l'extradition. Nous ne savons qu'assez peu de chose en ce qui concerne la mise en liberté provisoire sous caution. Cette pratique n'était pas bien vue par la charte d'Albert de Cuyck. Nous n'en voulons pour preuve que son article 14 : « se larchin ou proie, ou robe, ou aulcun prison est mcneis parmi le citeit » de Liège, li justice délie citeit le doit tenii' jusques à droit faisant '. » Il résulte de celte règle que l'accusé appréhendé ne pouvait pas demander de mise en liberté provisoire. La sévéïité de la loi s"expli(|ue, si l'on considère que, en pratique, il n'était guère possible d'arrêter un bourgeois de Liège déliiK|uant qu'en cas de flagrant délit. Mais, d'après d'autres documents irrécusables, un accusé pouvait parfois éviter l'incarcération préventive en donnant caution avant le jugement qui l'aurait ordonnée. Une sentence de 1280 rapportée dans le PaweiUiars aux articles et rendue sin- rencharge le prouve -. Les cautions à fournir devaient être des personnes domiciliées dans le ressort de la cour saisie de la cause : « couchant et levant en la justice »; elles s'ap|)elaient /^AvV/cv. Elles devaient |)rumetlre devant réclie\inage de représenter l'accusé à ses juges au joui- désigné par ceux-ci : « de reli\reir à » lieuwe et à ramineir à jour qui assis li fut, et par tesmoins des esquevins. » ' liuKiM, Disioius ilr I.S(r2, |). r),S,(Mi noie. * Li l'iiiifillictrii , (li'cisioii 11" ;)(i. — Hmkkm, Discours de 18G'2, p. 57, en noie. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 17S Leur promesse était mise en warde , et, si elles ne l'accomplissaient pas, elles encouraient elles-mêmes la peine que l'accusé aurait dû subir s'il était trouvé coupable \ Les documents du XIII" siècle sont également très-sobres d'indications en ce qui concerne Yajournement ou la citation en justice, nécessaire à défaut d'appréhension : 4" D'après le Puweilhors, on ne pouvait pas assigner une personne à cheval : « que raynez que on fâche tant que ilhe syet en cheval ne valent » rins; car on ne le puct de rins atendre par mal raynier, et puisque ons » nelle puet atendre ilhe ne doit aultruy atendre -. » 2" Conformément à la charte d'Albeit de Cuyck, les échevins ou le maïeur, ni leurs sergents, n'avaient la faculté d'assigner un bourgeois à comparaître en justice « |)ropter catallum seu propter aliam culpam » dans une église, dans une maison, dans une taverne ^. L'assignation devait être donnée en plein air et sur chemin royal *. 3" L'assignation se faisait de vive voi.i: par deux échevins, par le justicier, par son varlvl, mcncstriau , bolelhon, sergent ou forestier, peut-èiro même, dans certaines cas, par l'accusatcuir lui-même. Mais , (piand elle se faisait par un sergent, il fallait au préalable demander Tantorisalion du maïeur. Un record de Fosse de \ 442 parle du sergent : « (|ui n'at aultre cognoissance » forsque adjourneir les boinies gens devant la justice et icelle assem- » bleir ^. » 4" Les appels au Trihunal de, la Paix se faisaient également de vive voix, mais au son de la banc dock par un hotelhon de l'évêque et à la iioi'tc du palais : « ons fait assavoir de part Monsingnor de Liège et ses hommes de » fyef que N. est appeleit de forche, de robe et de déshiretanche, et s'ilh ' Li Puweilliurs , dccisidii n" ii(i. — Kaikem, Discours de 18G^, p. 37 en noie. ' Li Ihnceilhurs , détision n" 107. — Haikem, Discours de 1851, p. 53, noie i. — Loi nouvelle, arliile 'il'. 5 Ai-licle 11. * Loi nouvelle, ai'liclc iTt. — Uaikf.m, Discours de 1851, p. 33, note 3. s Charte d' Albert de Cuijck, iirticlc 11. — Record de Fosse, arlicle '.>, dans le Cartiiluire de Fosse, p. 9. — Paix des Ail , de 1333. — l'rivilége de Maeslricht de I4IÔ, arlicle 8. — Raike», Diseours de 18o7, p. iiS, noie 1"; Discours de 1858, ji. :21t. 176 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » est clii, se vonirno avant pour l'aire ronsongiioinciil des hommes et en » tesmonsnase des hommes monsingnor '. » En ce (|iii concerne Textradition nous avons encore moins de détails. Il pouvait y avoir exiradilion dans deux cas dilîéi'ents : lors(|n'un individu, après avoir commis une infraclion dans une seigneurie, allait se faire prendre dans une autre; lorsqu'un individu, après avoir dclinqué dans le pays de Liège, allait se réfugier sous la hauteur d'un prince voisin. Un compromis fait en 1288 entre le seigneur de Barbançon et Tabbaye d'Atdnc, nous fournil Texemple d'un Irailé d'exlradilion concernant la pre- mière lupolhèse -. « Et s'il avenoit ke aucuns... de la terre le signeur de » Rarbanchon... n d'aulrui terre melTesisl en le terre le signeur de Rarban- » clion, et il \enisl alTuyant en le court d'Anglecon-Spine, rendre le doyent » cil d'Aulne,... u leur sergant à lor pooir... au signeur de Rarbanchon u à » son sergant, totcs les fiez que teis nielfaitiers i venra u i afuira, et que il » sera requis par monsegneur de Rarbanchon u par son sergant por lui justi- » cier por le signeur de Rarbanchon en sa terre. Et si il afuiail en l'avoerie » rendre li dolent cil d'Aune et li advoez u leur sergant, au signeur de Bar- ). baiichon por justicier en se terre si com devant est dit... ■', » etc. Nous n'avons pas un véritable Iraité d'extradition de prince à prince, qui concerne le pays de Liège au XIII'" siècle, dépendant l'acte de 1:283 conclu entre l'évècpie et le duc de Rrabanl s'en ra|)proche. Si (|uel(|ue malfaiteur liégeois, dit le texte, n'osait ou ne voulait attendre droit à Li('ge par bonne vérité ou loyale enquête, et prétendait rester en lirabant : «teil home ou teils » no. solTeriemes mies dessous nos à demorer, ne ne lors serions de rins » warant contre .Mgr ne contre ses gens, en mil kas tant qu'ils seroient eski » dellc terre et eveschiet '. » Il semble résulter de ceci que les baillis de l'évèque a\ai(iil encore certaine acti(»n dans les territoires limitrophes delà principauté qui étaient du diorcM'. Quoi qu'il en soit, ces deux actes prouvent que, en règle générale, il ne ' l'atron île lu Tvinporidllv, pp. t'TS, 27'.t. * Dans le l)nillia;,'4- de rhiiiii. 5 Annules du Cercle arcliéolugiqiie de Muns, I.V, p. •20l't\ ;ictc n" 22.") du Carluluire d'Aulne. * Voir cet aclc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 177 suffisait pas qiriin délinquant passât sur le territoire d'un autre seigneur pour échapper nécessairement à toute répression. On sait cependant qu'il y avait des espèces de terres d'asile; lorsqu'un délinquant s'y réfugiait et y restait, il ne pouvait être poursuivi pour un délit commis dans un autre endroit. La Sauvenière était dans ce cas, tant qu'elle ne fut pas rachetée : « qui forfesait en la Cite, il estoit en ségureté en li Savenier '. » On se rap- pelle encore qu'un bourgeois de Liège ne pouvait être poursuivi pour infrac- tion commise, sans armes desloyales, contre un alïorain, quand il s'était réfugié dans sa franchise et qu'il y restait en paix. Nous pensons qu'un pri- vilège analogue était l'apanage de tous les bourgeois de ville franche -, d'autant plus qu'un a/forain délinquant, jusqu'à l'époque de la paix de Vottem, échappait à la c/iasse du seigneur s'il était parvenu à se réfugier dans la franchise de Liège ■'. Passons enfin au paragraphe le plus long, et le plus intéressant au point de vue juridique, de ce chapitre, au paragraphe de la Preuve. § VI. — De la Preuve. Le système des preuves, en usage dans les tribunaux liégeois, s'était tou- jours rattaché par des liens étroits aux traditions et aux textes de l'ancienne loi ripuaire. Cette loi consacrait en termes formels l'usage du combat judi- ciaire et, au contraire de la loi salique, elle accordait une faveur marquée aux preuves négatives. Elle permettait dans une foule de cas à l'accusé de se justifier par le serment, et avec l'aide de conjurateurs, de l'infraction qui lui était imputée *. Le duel judiciaire et les preuves négatives continuèrent, jusqu'à la fin du XIII"' siècle, à jouer un rôle prépondérant dans les tribunaux liégeois. Latrève-Dieu de Liège, de 1082, accordait à l'accusé noble le droit de se justifier par le serment, à l'intervention de douze conjurateurs; au serf, « IIenaux, Notice citée sur la Sauvenière, extrait des Chroniques de Liège. 2 Voir ce que nous avons dit de la compétence des échevins de Liège. ' Paix de Vottem, article G. * Ernst , Histoire du Llnibourg, t. I", p. 304. Tome XXXVIII 23 178 ESSAI SUR L HISTOIRE DL DROIT CRIMINEL à riiUervcntion de sept tonjuraleurs de son rang, et, s'il était gravement chargé, si tanien signa fmrhtl uuuiifostu, par l'ordalie. En outre, l'accusa- teur ou l'accusé pouvaient librement en appeler au combat judiciaire devant le Tribunal (le la Paix '. La charte de 1107, qui réglait les pi'iviiéges des curicts des chanoines, constatait que, dans les cas ordinaires, les accusés pouvaient se justillei-yH/r jurando; mais elle inqiosait par exception Wmlalie : « sed Dei judicio se » purget » aux indi\idus inculpés d'avoir commis des violences contre les ourlets des chanoines -. La charte de Brusthem ne parlait plus de Vordalie, mais elle admettait le mode de justification par le serment à la septième main^. La charte d'Albert de Cuyck, sans permettre de forcer un bouigeois de Liège à subir une ordalie, admettait qu'il s'obligeât de lui-même à s'y soumettre '*. Elle consacrait le mode de justification par conjurateurs , puis- qu'elle permettait au bourgeois de Liège de jurer avec V/tomme libre délie chief Dieu, (piand cet homme avait besoin de deux personnes pour parfaire sa loi^. Elle |)ermettait le duel judiciaire entre bourgeois de Liège, et se bor- nait seulement à protéger ceux-ci contre les appels au combat qui lein- seraient faits par des champions (pugil) ou par des a/forains ^. Si elle faisait allusion à la preuve testimoniale, c'était d'une façon assez détournée : «sed » si quis adversus civem aliquid dicere habeat, rcctaei justicia per villicum » et scabinos fieri débet ". » Au XIII" siècle enfin, malgré les elTorts faits par les rédacteurs delà loi muée pour faire prévaloir les preuves positives, et surtout la preuve testimo- niale, les tribunaux liégeois étaient encore contraints d'admettre et le duel judiciaire, et la justilicalioii \)ni' conjurateurs , et la cèlèbie loi iVescondit. * Gilles o'Orval , ilniis ChupeuviUf., I. Il, p. ô8. * Voir celle charte, arlidc 7, cl Riikem, Discours de 1857, j). 40, en note. ' Voir cette charte. * Article 6, fiiirc ynise; Raikem, Discours de 18.^7, p. 40, en note. * Article 1:2, il peul y avoir controverse sur le sens du passage de la charte. D'après le texte adoiilc (liins les Coulumes du pays de Liéye, c'est le bourgeois de Licge qui doit èlrc liomme del cliicff Dkii. « Article 10. ' Article iG. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAL'TE DE LIEGE. 179 Les ordalies seules étaient tombées complètement en désuétude; au moins n'en trouve-t-on plus de traces même dans le Paweilhars. Nous croyons n'avoir pas à nous occuper des orr/rt/Zes. Elles ont fait l'objet de nombreuses monographies auxquelles chacun peut recourir, et, d'ailleurs, il n'est pas possible de leur assigner des caractères spéciaux dans le pays de Liège ^ Les monuments législatifs se bornent à eu mentionner l'existence, sans donner de détails relatifs à leur forme. Mais il importe d'étudier d'abord en eux-mêmes les modes de preuve admis au XIII*' siècle devant les tribunaux liégeois; ensuite, quand nous en connaîtrons la nature propre, de rechercher quels étaient leui's i-apports réci|)ro{(ues. C'est le double travail que nous allons entreprendre. Parmi les modes de preuve dont il est question dans le Paweilhars et dans les monuments législatifs contemporains, on peut citer: l'aveu de l'accusé, la preuve testimoniale, la production devant la justice du corps du délit ou des signes qui rendaient celui-ci manifeste, le duel judiciaire, l'épreuve des conjurateuis, la célèbre loi d'escondit et les présomptions. Vaveu de l'accusé constituait une preuve péremptoire - quand il réunissait les deux conditions suivantes : 1° Qu'il fût fait en justice et dûment mis en warde après plainte faite; 2° Qu'il fût fait librement et sans ([ue l'accusé fût en état d'appréhension : « car bien sachiez que chouse que li bons conoist tant qu'il est disposlueil » de son corps , ne ly doit greveir jiar loy '. » La nécessité du concours de ces deux conditions excluait, par elle-même, l'emploi de toute torture et de tout moyen de contrainte, pour obliger un inculpé à avouer le délit qu'il aurait pu commettre. Quand Hemricourl parle du droit qu'avait le grand maïeur de Liège de mettre certains délinquants à hfjehenne ou à mort sans jugement, ce n'est pas de la torture, encore inconnue au pays de Liège, qu'il veut parler, mais bien d'une peine corporelle ^. ' PouLLiiT, I" Mémoire sur k' droil |)('miii1 cité. ■* Li Paweilhars , décisions n"' G cl 7 1 , etc. ^ Idem, décisions n" 2ô0, 71, etc. — Raikrm, Discours de 1857, p. 36. * CouluiiH's du pays de Liège, t. I", pp. 234, 235. 180 ESSAI SUll LUISTOIUE DU DROIT CKIMLNEL Les monuinonts du droit liégeois du XI1I« siècle, malgré rimportance qu'ils attaciiaioiit, à bon droit, à la preuve testimoniale, ne déterminaient pas avec précision les conditions dans lesquelles elle devait se produire pour être décisive. II faut nécessairement compléter leurs données par les ensei- gnements du droit criminel des principautés voisines. Ainsi, par exemple, bien que ni les lois uiuées, ni le PatceiUtars, ni la paix des clercs ne le disent, il est certain qu'un seul témoignage ne pouvait entraîner une condaumalion criminelle. Teslis iiims, teslis nnltii^, tel était Taxiome proclamé par le droit commun de l'occident '. En revanche, deux témoins déposant des mêmes circonstances, établissaient d'une manière irréfragable la certitude juridi(pic d'un fait 2. Il est à remarquer qu'on faisait une distinction essentielle entre le cas où les témoins dé|)Osaient d'un fait qui pouvait permettre de conclure par induction à la culpabilité de l'accusé, et le cas où ils déposaient sui- le fait constitutif du crime lui-même, et sur la part que l'accusé y avait prise. Dans la première hypothèse, la preuve testimoniale n'établissait (\u\iuc /)rèso)nj)- tion. Nous en parlerons plus tard. Dans la seconde hypothèse, si les témoins parlaient rfe visu, le concours de leurs dires constituait une preuve décisive. C'est ce que le Paweilhars exprime par ces termes : « Si la justice le voit... » « Si la justice l'a veyut ''. » Il est vrai que le témoignage d'un seul témoin séiieux sulïisail pour établir une présomption. Ce que nous venons de dire suppose au surplus (|ue les témoins étaient inrproc/iables. En elTet, s'il y avait un reproche à articuler contre eux, l'accusé ou son purlier devaient le faire valoir avant leur jiresUilion de serment *. Le Puiveilhars ne mentionne (|u'une cause légale de leproche : l'intérêt que |)0uvait avoir un témoin dans le débat : « Tesmoingnaige que nulz home face, là il puisi pierdre ou ' Beaumanoir, Cotiliiiufs (lu /?ettw i;oi"sï«,ciiapitrc XXXIX, § 5. — Warm-ônic, Fluii(liisclie,etc., ouv. cite, I. cite, p. ^Ul. - Laiulkvuren bruhançoiiitcs de 1292, ai'licle 5V, vie. * Bëaumanoiii, lucu citato. — Un capilul;iire exige le couroiirs de trois témoins en matière d'iiumii'ide ; voir Uai.uze, l. Il, p. 550. ' Li Paucilintrs , décisions n°' G et 208 et pussiiii. ♦ Raikkm, Discours de I8j8, p. ô'2, note 2. — D'après la charte, octrojéc en 1308 aux.Mali- nois par Tliil)aut de Har, le justicier ne pouvait qu'assister à la prestation de serment, cl non à la déposition des témoins. DANS LANCIENNE PRINCIPAITE DE LIEGE. 181 » waigner, ne vault se le tesmongnaige fait rins por celuy qui tesmoigne '. » Les lois muées en indiquaient indirectement, mais clairement une seconde. En cas d'attaque d'une maison, dit la loi muée des bourgeois ^, « puelent le » maisnie de la mainson , assavoir est femmes, enfans, varies, damoiselles » et tous cils qui mainront en la mainson, tesmongnaige porter del forfait. » En cas de crime commis avec violation de domicile, et dans le domicile de la victime, dit à son tour la loi muée des chanoines ^^ les maisnes de la maison peuvent témoigner, « si aultre tesmoingne n'i avoit. » Donc, dans les cas ordinaires, et s'il y avait possibilité de produire d'autres témoins de l'in- fraction, les gens, dépendant de l'accusateur et demeurant avec lui, pouvaient être légitimement reprochés. Enfin, d'après les traditions antiques du droit liégeois, scrupuleusement maintenues, un excommunié \)uh\H\wmcn[ dénoncé était incapable de porter témoignage en justice *. D'après la charte de 1308, donnée par Thibaut de Bar aux bourgeois de Malines, aucun a/forain ne pouvait témoigner contre ceux-ci, de fait arrivé à Vinlérieur de la franchise ^ C'était un principe de droit commun dans les villes du Brabant; et, bien que ni les lois muées, ni h\ paix des clercs ne le proclament, nous croyons pouvoir dire qu'il était également admis, dans certaines limites, dans les villes de la principauté de Liège. La distance légale immense que les coutumes du pays maintenaient entre le bourgeois et l'affo- rain nous y autorise. Cependant il faut, sans doute, faire une exception en ce qui concerne les hommes del chief-Dieu. Puisqu'un bourgeois de Liège pouvait leur servir de conjurateurs, ils pouvaient eux-mêmes déposer contre un bourgeois. Quoi qu'il en soit, nous n'entendons pas prétendre que l'incapacité des allorains fût ahsolue. La loi muée des hourfjeois disait en elTet : « se alfo- » rains manechoit alcuns tesmoins... ons le doit prendre et livrer à la justice ; » et se alTorain est mis avant pour tesmongnier et ce tesmongnier soit tro- ' Li Paiccilhurs, décision ri" t!)o. 2 Article 1 5. ' Article 13. * Voir ce ])oiiU <]iiand nous pn lierons des pe//ies ecclésiastiques. ■' Voir cette cliarle. 182 ESSAI sua LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » veis faiiis, le justice le doit prendie et tenir coin fiiiils tesmoins '. » iMais on peut if'iiitiiiuMncnt supposer qu'elle a en vue un crime commis en dehors (le la frdiir/u'sc de la ville, el pai- un houri^eois contre un bourgeois -. Il y a lieu de croire (|ue le témoignage des femuies n'avait pas la même valeur que celui des hommes. Les femmes, en effet, n'étaient admises que dans une mesure trcs-restreinte à servir de conjurateurs; à plus forte raison devait-on avoir de la répugnance à admettre leur déposition sur le fait même d'une infraction ^. Toute personne, sommée de venir déposer en justice, de quelque fait que ce fût, était obligée de comparaître "*. D'après la loi muée des chanoines, si elle faisait défaut à la première citation, on lui en adressait une seconde, une troisième, et enfin une quatrième. Les trois premiers défauts emportaient une amende et subsidiairement un bannissement; le quatrième un baimisse- ment temporaire « sans peine d'argent » de vingt ans à vingt lieues hors de la banlieue. D'après la loi muée des bourgeois, chaque défaut entraînait une amende de sept sous, et subsidiairement un bannissement d'un an à une lieue « en sus délie ville ^. » Le tétnoin cité échappait toutefois à la peine, s'il faisait valoir sonyne loyal. Nous avons dit plus haut (luels étaient ces soiifines. La loi protégeait les témoins contre les violences éventuelles des parties et contre les tentatives de corruption dont ils pouvaient être l'objet. Quicon(|ue menaçait une personne à l'occasion d'une déposition qu'elle aurait faite en justice, ou empêchait une personne par ses menaces de faire une déposition, ou soudoyait (]uei(prun |)our faire un faux témoignage ou pour ne pas déposer, encourait une amende de cent sous, d'apiès la loi innée des bonr- f/eois •'. D'après la loi muée des ehanoines, celui qui empêchait un témoin « sour ' Ailicli- 11). '^ De fiiil commis par un hoiirgcois foiiiiT un afforain. nous avons vu iiuc les éclicvins de l.iégc ne jugeaient pas, en général. " Cela existait en Flandre : Hai'sakt, ouv. cité, (. V, |i. lîl'i. * Loi miièi' (les chanoines , article '■20. ^ Articles 10 ctJ7. — Analogue dans les Slalats de la Cilé de I52S, article 48. '• \rliclc 10, anaJD^ue à SS des Stahils de la Cité de 13 2S. DAÎSS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 183 » cuy ou se revogeroit por tesmoignier de ces meffais » de déposer, devait être banni cinq ans du diocèse « sens rachat d'argent. » Si le coupable était Fauteur même de l'infraction dont on enquéruit, le bannissement encouru était de dix ans '. Quand un accusateur voulait faire entendre ses témoins, c'était à lui de les pr.oduire : la justice, au moins dans les cas ordinaires, restait passive. La loi muée des chanoines sup[)ose le principe, puisqu'elle oblige le plai- gnant à jurer, en faisant sa plainte, qu'il ne mettra en avant nuls faux témoins -. Le texte des Statuts de iSiS, dont nous parlerons plus loin, en confirme l'existence : il décide que le plaignant devra nommer, au moment de sa plainte, les témoins « dont il se voirai aidier, » et (|u'il ne pourra pas en produire d'autres, si ce n'est en cas de crime commis hors voies, de nuit, ou en lieu caché '". Les faux témoins, et les gens (pii avaient produit de faux témoins dans leur cause, étaient sévèrement jjunis. D'après les lois muées, ils encouraient les uns et les autres une espèce de talion : la peine qu'aurait subie l'accusé, s'il avait élé coupable *. Ils étaient « en point de celuy sour cuy ils aront » tesmongniet, s'il estoit juchens. » Les témoins étaient entendus, non par des commissaires, mais par le tri- bunal lui-même. C'était la conséquence de la publicité des débats et de l'ab- sence d'écritures. Leurs dépositions n'étaient accpiises au procès que lors- qu'elles avaient élé mises en warde ^. Il est vrai que la justice pouvait les recevoir en maisons, en moustiers, comme en chemin royal, c'est-à-dire partout où il était permis de faire plainte ^. Le maïeur de Liège payait un gros tournois à chaque échevin, « touttes fois qu'il font enquestes de cas » criminaz '. » Dans les cas ordinaires, les témoins déposaient séparément. Néanmoins, ' Arliclc 2-2. - Article 'J4. — ArgimiciUile l'arlitle "21 . — R.mkem, Discours, /)«ssi)H. 3 Article Gl de ces statuts qui se rufèreiil à un éliit de dioses |)rcc.\islaiU. *• Loi iiiuk- (/('.s liotirgeuis , article 18; Loi muce des clianoines , article -2'ïi. s Raikf.m, Discours de 1838, p. 53, note 4 et suivantes. '■ Loi muée des bourgeois, article 59. ' Patron de lu Temporalité, p. 300. 184 ESSAI SLK LIllSTOlItE DL DKOIT CIUMINKL (|ii;iii(l Mil (N'IiiKiiiiiiil ;n;iil l'té saisi en flaj^Miiiil délil elïeotir par la centitœ (In /)iii/s, par le concours des liabitanls, ceux-ci, senible-l-il, on le livrant, déposaient par Umrhc, tons ensend)le. « Et sachiez s'iilie a\ient que uns » lions Icirz soit pris à centine, et la ceiitine de lien rainoine parde\ant la » jnsticlie atout le larcliin sour son coni, et la centine die ensi à (a juslichc: n nous NOUS liMons cesli por teil (ju'il est... '. » Dans ces circonstances, la plainte et la preuve se confondaient entière- nieiil. L'existence de cet usage, (|ui, plus tard, grâce à la transformation subie par la |)rocé(lure, put |)roduire de graves abus, est encore attesté par la réforniation de Groisbeeck du XVI" siècle. Celle-ci, en elïel, Tabolit en termes exprès en décidant : (pic tous les témoins devront être ouïs séparé- ment, (piehpie iiolorii'té du fait qu'il y eût -. La production, devant la justice, du corps du délit ou des signes cpii le l'endaieiit manifesle, était tantôt faite immédiatement et par les plaignants eux-mêmes, iaiitôt à la suite d'une \isite domiciliaire ou d'une descente sur les lieux par la justice. Nous avons déjà vu que, lorscpie la centine du pays arrêtait un \oleur en llagrant délit, elle le livrait à la justice, « atout le » larchin sour son coiil ''. » C'était un vestige des anciennes coutumes germa- nicpies. En nialièic de \i()l, les accusateurs produisaient devant le juge les \êlemenlsde la \icliiiie. Ainsi firent les Desprez quand, à l'occasion de l'ou- trage fait à leur parente Herllie, ils Noultnent obtenir justice du jjape contre Henri de Gueidre, et |)orlèrent leur plainte au chapitre de Saint- Lam- bert '. La descente sur les lieux était faite par la justice entière, et non par des commissaires délégués : « l\ justice alat au lieu et Ncyl le fait "'. » Le maieur de Liège devait, en vertu de « droitures ancliiennement wardées, » un gros tournois à chaque éche\in, (juand « ilh vont veoir alcim fraitin ^'. » Lorsipi'il s'agissait de blessures, les écbevins en examinaient eux-mêmes la nature et ' Al /'««('///lars, déi-isioii 11" 71. ' Itiifiirmutiun de Groisbeeck, chapitre 14, arlicle 20. ' Li Piiweilliiirs , tli'cision n" 71. * CliruniiiufH ttc Jean d'Otilremeuae, t. V, p. "83. " Li Puwvithurs , ilccisioii n" ^08. ^ Puirun (le lu Temporalilé, \\. 500. DANS L'ANCIENNE PRINCIPALTE DE LIEGE. ^83 la gravité : « ons soy plaindoit do foii! de ciiteal et sanc y avoyent veyiit ly » maires et li esquevins '. » Nous ne savons pas si les descentes de justice étaient assujetties à des for- malités particulières. Quant aux visites domiciliaires, qui compromettaient nécessairement la liberté individuelle et la paix de la maison dont les Lié- geois étaient si jaloux, elles avaient déjà été ToLjet de stipulations dans la charte dWlhert de Cuyck. Ni le maieur, ni les éclievins ne pouvaient entrer dans une maison de la Cité ni de la banlieue, sinon de la volonté du pro[)rié- taire, pour chercher un voleur ou l'objet d'un vol, pour faire « spifinium »: pf-rf/uisido rei fnrlo nhhitnt- -. La disposition de la cjiarte est absolue. Nous avons donc lieu de croire que c'est seulement plus tard qu'on a |)n visiter les domiciles des bourgeois, contre leur gré, en vertu d'ime sentence des éclievins. Le duel judiciaire avait, pendant longtemps, absorbé presque toute la [iro- cédure criminelle quand Taccusé était un homme libre. Les consiiiutions impériales de 974, 1013, 1043, etc., ne parlent ;ruère (pje de lui à propos de l'homicide et du vol de plus de six .sous ^ Au XIII* siècle, il était encore un mode de preuve, sinon exclusif, du moins usuel devant les tribunaux liégeois. La charte de Maesiricht, de 1 283, admettait que les bourgeois de la ville pouvaient réciproquement se provoquer au combat devant les échevins; et si un bourgeois de Liège pouvait, .sans se faire grief, refuser le combat à un alTorain ou à un champion *, il n'avait pas le droit de décliner une pro- vocation au (liomp don qui lui était adress<''e par ut» de s<'s colwurgeois '. Le duel judiciaire est susceptible d'être considéré tantôt comme une preuve positi\e, tantôt comme une preuve négative. En eiïet, il pouvait être demandé tant par l'accusateur que par l'accusé. Les constilulions huporudcs, que nous avons citées plus haut, parlent du duel choisi par un accu.s<* comme mode de justification. Leur esjirit avait persisté dans la procédure du Trihunal de lu * Li Pavceilhars , dérision n* 9. ' Artirle 10. — Coutumes du pays 'le Lif-ge , t. I". p. 504. ' GOLDASTCS, ouv. cité, t. III, p|l. ôlO, T>\Z. * Cbarle d'Albert de Cuyck, art. Ioli à Liège même quen iô^d; nous le Tcrron* plus tard. Tome XXXVIII. 24 186 ESSAI SUR LIllSTOIRE DU DROIT CRIMLNEL Paix. Nous l'avons vu. Les exemples suivants nous montrent la preuve par champ clos oITorle comme pi-ouve positive par le plaignant lui-même: « Ilhe » avienve à Ticrine pardevant le mayeur et les esqueviiis que Gerars soy » phiindit de Ilanekin, et dest que Hanekin li avait le sien robeit, et dest )) cncors à dit Hanekin qu'ilhe li proveroit, et prist un wans en sa main et » se li offrit le wage '. » Quand Aynechon eut tué Hamal en rupture de trêve « en la fin Tapelat de murdre un variés de linage de Waroux » (Faloz) et ilh loyat le chan encontre li par devant monsieur de Liège -. » Dans Pun et dans Pautre cas, le tribunal devant lequel la provocation était faite avait le droit d'examiner si elle était admissible. C'était à lui seul d'accorder ou de refuser le champ clos ^. La provocation devait se faire en termes sacramentels, sous peine d'être tenue pour non avenue. Il ne suffisait pas que l'appelant jetât son gant à l'appelé : il fallait (|u il dît en même temps : « Je prouverai ce que j'avance » de mon corps et de mes armes. » « Cargiet leur fut que chu n'asloit )> pais champs ■*, partant que Gerars ne dest qu'ilhe li proveroit de son » corps et de ses armes ^. » Anciennement le duel judiciaire nécessitait la présence au plaid de l'avoué. Nous l'avons déjà dit ^. Au XIII" siècle le combat se faisait ordinairement, croyons-nous, devant l'échevinage de Liège , et non devant les échevinages subalternes. Cependant, les provocations faites dans plusieurs des villes fran- ches de la principauté se vidaient devant l'échevinage local. A Maestricht, quand un bourgeois sujet liégeois appelait au combat un bourgeois sujet i)ra- bançon, c'était à rècoutêle et aux échevins de l'évêque de tenir le champ, dcn camp houdeii; si l'appelant était un sujet brabançon et l'appelé un sujet liégeois, c'était à l'écoutête et aux échevins du duc de Brabant. Les deux bancs se réunissaient dans les deux cas pour faire justice de celui des coni- ' Li Puweil II ars , dôàslon n" IG!). * Hemiiicourt, Miroir des tiubles de //eshuijc, |). 352. s Li Paiccilhurs , dccision n° I (i'J. * Idem, ibidem. s Voir sur ce |ioiiit les roniuilc> des Chruiiiques de Jeun de Slavclol , p. Îi82; et Positiu pro justi/icatiune judicii pucis , pp. 188, 195. •■ Voir, au reste, Ainplissimu colleclio, t. I", p. 530, aete de 1095. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 187 battants qui succombait K D'autre part il y avait des seigneurs particuliers, laïcs ou ecclésiastiques, qui avaient par privilège le droit de donner ouverture à la lex campalis au milieu de leurs propres écbevins 2. Si nous voulions faire du pittoresque, nous pourrions aisément rassembler ici des détails piquants sur la tenue des champs clos. Mais, comme ceux que nous puiserions dans Vordoimance des champions ^ ne nous apprendraient rien de particulier en ce qui concerne le pays de Liège, nous nous borne- rons à rappeler encore quelques principes par rapport au mode de preuve qui nous occupe. L'appelant donnait son gage, gant ou épée, par Pintermédiaire du jus- ticier, à l'appelé, et celui-ci était contraint de l'accepter •*. Le combat n'avait jamais lieu immédiatement. Les adversaires avaient six semaines pour s'y préparer. Au jour fixé, ils entraient avec leurs pariains dans la lice, formée de cordes ou de barrières et entourée de la foule des amis, des parents et des curieux. Ils prêtaient serment avant d'agir que leur cause était juste et qu'ils n'emploieraient pour la faire triompher que des moyens légitimes. Le silence le plus profond était enjoint aux assistants, et, au com- mandement de : (dlez! faites votre devoir! les combattants s'attaquaient ''. Si l'accusateur appelant ne comparaissait pas à l'heure et au jour dits, il était déclaré accusateur calomnieux; si c'était l'accuse qui faisait défaut, il était déclaré coupable. Les échevins prononçaient la sentence. Quand Falioz crut que Aynechon ne se présenterait plus en champ clos, il « requist al » maycur qu'il awist loy et qu'il fuist torneit en droit ^. » Dans les cas ordinaires, le duel avait lieu, devant les tribunaux liégeois, à outrance et avec des armes de gucire '^. Quand il se faisait devant les éclie- ' Die oiidc cdcrU'. van Maestrichl de 1^85 ^ Voir passif» des actes concernant \cs abbayes ou les églises de Liège, dont nous avons parle plus haut dans le t!'' chapitre. 5 Codex Van dvn Uvnjlie, manuscrit n° 118 de la Bihliolhèqnc de Liège, folio t21 1. * Li Paweilliurs, décision n° 1(19, et Chroniques de Jean de Stavelot, p. 582. ■' Chron. de Jean de Slavelol , ji. 582. — Hemricourt, Miroir des nobles de J/esbatje, p. 332. '^ nEMnicouiiT, loco citato. — Poi.ain, ouv. cité, t. II, p. 38. — Poullet, 1" Mémoire sur le droit pénal cilé, |). 21 C. 7 IIemuicouhï, ouv. cité, p. 352. - Chroniques de Jean de Stavelot, p. 582. 188 KSSAI SLK l.lIiSTOlKE DU DllOlT CRIMINEL vins (le Liège, siégeant par renvoi du Tribunal de la Paix, il pouvait, comme nous l'avons dit, se taire avec des bâtons '. D'apiès le droit connnun des chainjiH clos, le vaincu encourait toujours la peine de mort -. D'après les usages du Tribunal de la Paix , au moins au XIV" siècle et à la lin tin XIII% l'appelant vaincu seul était décapité, l'appelé vaincu ne perdait (pie le jioiny droit ■'. Ajoutons en terminant (jue le duel judiciaire ne devait pas être admis par les tribunaux comme mode de preuve en toutes espèces de matières crimi- nelles. Il n'était usité que si l'accusation portait sur un crime capital : le vol, le murdre, l'Iiomicide, le rapt, l'emploi de certaines armes probibées, ou (juand l'alTaire était exceptionnellement obscure ^. Aucun monument du droit liégeois ne rappelle expressément le principe que nous venons d'énoncer. Mais nous osons atlirmor qu'il était admis dans la principauté comme dans les principautés voisines. La nature même du duel, et surtout la nature des conséquences b'gales qu'il entrainail, nous le prouvent à sulFisance de droit. •Mais arrivons aux yvrc«tY'.s néjjulices proprement dites, qu'on a|)pelle par- fois modes de justi/ication : l'épreuve des conjurateurs et la loi d'escundit. Quand un accusé était admis ou invité à passer à l'épreuve des conjurateurs, on disait qu'il faisait sa loi. En règle générale, il fallait à un accusé, pour faire sa loi, six conjurateurs. Il prêtait lui-même serment de son innocence, et les six personnes qu'il produisait avec lui alïirmaient deux à deux par serment son bonorabililé et sa crédibilité ^. A l'occasion des sept serments qu'elle conq)ortait, Tcpreuve des conjurateurs était souvent a|)|)el('e : loi di seplenne ou jusfi/icafion à la sej)tième main ^. Les conjuiateurs devaient être de la même condition que celui (|ui les [)roduisait; d'après la cliarle d'Albert de Cuyck, deux sur sej)t des conjura- ' Voir ce (|mc nous :ivoiis dil plus haiil h propos du 'friliiiiial de lu Paix. ^ Ai.KEMADE, Kaiiijiit'clil, précieuse cl savante inoiiograpliie sur le duel judiciaire, p. 290. ' Voir ce (juc nous avons dil plus haut. * Alkejude, ouv. cité, pp. 97 et 517. — IJ Ptm-eilliars , décision ii° l()9. — Hemiiicoubt, ouv. cité, p. 55:>. * « Compui'!;alores sic jureiil ipiod crediint cuiii v. 380, c'est lo bourgeois qui doit être dcl cliicf Diuii pour jurer ;nec un luunuie liiirc. ^ Li Pawetlhurs, décision n" 147. — Kaikkm, Discours de ISjI, p. 41. 5 Idem, décisions n"' 70 et :248. * Lundkvun'H , iirlicie (JG. î* Li Paiccilhars, décision n° 70. — Raikem, Discours de 18o7, pp. 57 et o8. '■' Partie non imprimée encore des Clironigues de Jean d'OiiIreineuse, p. 210, i" col. en haut. ' Article '2'i du texte imprimé dans les Cuidunies du pays de Liège, t. I"; article -2\ du texte donné par Warnkiiuig. Les mots por fume sont supprimés dans le texte des Couluiiies du puijs de Liège. 190 ESSAI SLK I.HISTOIUE DL DROIT CUIMINEL qui se retrouvent à peu près dans les statuts de 1328 '. On peut définir les pn-somplious, des laits ou des indices (|ui permettaient de conclure à la cul- pabilité d'un accusé par voie de raisonnement, mais qui n'étaljlissaienl pas directement celte culpabilité. Elles étaient établies, soit par Tinspection des lieux ou du corps du délit, soit pai" \'à jn-eavc tesfiinoniak'. A la diiïérence des autres preuves, elles ne devaient pas nécessairement être fournies par les parties. La justice s'occupait parfois d'elle-même de les rechercher, dans une sorte d'etKjuète -, et cette enquête est l'acte de procédure, connu dans le pays de Liège, qui se rapproche le plus de coies vérités dont il est si souvent question dans les Keures de la Flandre '\ Nous avons ainsi résumé ce que les documents nous apprennent à propos des conditions intrinsèques dans lesquelles se produisaient les dilTérents modes de preuves admis devant les tribunaux liégeois. Recherchons désor- mais dans quels rapports ces dilTérents modes de preuve se trouvaient vis-à- vis les uns des autres. Et d'abord, il n'était permis de condamner quelqu'un, sur un ensemble de présomplions, que si le crime avait été commis « par nuit ou en lieu soytain ») (isolé) *, » « de nuit ou fours de voie, » « ou en lieu responze ^, » c'est-à- dire, s'il i)orlait le caractère général du murdre; ou bien s'il s'agissait d'un autre ms vilain, tel que la rupture de trêve ou A'asségiiranche, la rupture de paix, le rapt de femmes, l'usage d'armes desloyales: « car deche va-t-ons... » à boinie enqueste, » sans qu'on put invoquer la lui Charlemayne ou plutôt la loi iVescoiidil ". Le Paweilluns aux articles nous a conservé un exemple extrêmement curieux de procédure sur présonq)tions , aboutissant à une condamnation. Son analyse jettera plus de lumière sur la question qui nous occupe qu'une longue dissertation. ' Loi mtice ilc.f bdiiygcois , article 1 1, ctarliclc 51 des Slatiits île la Cite de f32S. * Li l'uueilh(ii:i , (It'cisimi n" "id.S. ' Waiinkô.mg, l'iiiiitlrisclie, clc, Uiiuc cité, p. ôoi. * Loi iiiiiir (les Imunjeiiis , iirliclc 1 1 ; loi iiiiiée des cliaiioines, article 25. — Statuts de 132S, arlidc 51, analogue. " En lieu respotizc, arliclc des Statuts de la Cite de t32S. '^ Li Puweilliurs, (iécisioii 11° 7. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 191 En 1312, peu de temps avant la Mal Saint-Martin, Henri Cossen avait été trouvé mort et meurdris dans son lit. La justice reçut la plainte de ses proïsmes qui accusèrent Gérart de Tihange d'avoir commis le crime avec l'aide de quelques complices, de nuit, et avec des armes prohibées. Aussitôt, « enqueste fut faite sour ce » et le maïeur et les échevins firent une descente sur les lieux. La justice apprit, par le témoignage de la servante du mort, que Gérart avait logé dans la maison de celui-ci, avec les autres accusés, la nuit du crime, qu'il en était parti avec eux avant le jour « que ons ne .) sceut quant ne pour queil lieu. » Elle trouva qu'une fenêtre de la chambre du mort était encore ouverte. Le pontonnier (passeur d'eau) d'Ougrée leur dit : que, le samedi même où Cossen avait été tué, il avait fait passer la Meuse aux accusés, et qu'il les avait « repasseit le dimcnghe mult en hâte, devant le .) jour, et le firent releveir. » La justice se rendit encore dans la maison de Tihange et elle trouva colle-ci vide de son hôte et de ses meubles, et son valet demeurât tout coy. Enfin , on appi-it (|ue la fume coinmitne chargeait Gérart et ses compagnons. Sur rcnsemJjle de ces présomptions, ceux-ci furent tous forjugés, bien qu'ils fussent a /forains K En ce qui concerne les autres modes de preuves, nous commencerons par rappeler quel(|ues règles fondamentales qui dominent et qui éclairent toute la matière : 1° C'était au plaignant qu'incombait l'obligation de fournir les preuves directes de l'accusation qu'il avançait. Nous l'avons déjà dit à propos de la preuve testimoniale. 2° L'accusateur devait faire son choix avant de formuler sa plainte, ou tout au moins au moment où il la formulait; il ne pouvait pas recourir subsidiai- rement à un autre mode de preuve que celui dont il avait annoncé d'abord vouloir se servir -. 3° L'accusé, chargé par l'accusation assermentée d'un homme honorable, ' Li Pim-eilluirs, décision n" 208. D'accord avec la doctrine exprimée au n° 189. — Raikem, dans son Discours de 18^7, p. 58, note 2, n'a pas remarqué que, dans l'affaire de Cossen, il était aussi question il'arnies desloyules ou prohibées. 2 Raikem, Discours de 1857, p. 56, note ô. — Voir Li PaweWiars, passim, la pratique de ce principe. 192 ESSAI SLR L HISTOIRE Dl DROIT (:RIMI^EL était Iciiii, même quaiid aucune preuve n'avait été fournie contre lui, de se jusiipcr par Tune ou l'autre ;^>T«ir négative ou mode Charte de Brnslliem, article 9. 6 Li Paii^eilhars, décision n° 9. Le mot enquérir signifie ici entendre des témoins, et non faire une en(/«é40. ' Nous \ errons plus loin, iliins le •!' livre, quand les yens de lignage furent soumis en matière de preuve au droit commun. * Hocsem, dans Cliapeuville, I. 11, ji. "lO. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 193 » luy.... se ne sembloit mie chu à people lion. Et arguait que donc les puis- » sans poroient ochire les pouvres etjureir et atant sieroient quittes.... et si » un de people forfesoit de rins, ilh ne poroit avoir li loy Charlemagne '. » Or Hocseni, on ne saurait trop le dire, était un vrai jurisconsulte, et Jean d'Outremeuse connaissait parfaitement les coutumes contemporaines. Quand ils parlent de matières juiidiques et surtout quand ils sont d'accord, on doit les croire sur parole. Nous devons donc admettre l'existence de l'exorbitant privilège des nobles liégeois - ; et tout ce que nous devons faire, c'est de rechercher dans quels cas exceptionnels ce privilège leur faisait défaut, c'est-à-dire dans quels cas II était permis au tribunal de ne pas admettre le serinent d'escondit, et à l'accu- sateur d'user contre eux de la preuve testimoniale. Ces cas étaient les suivants : 1° S'il s'agissait d'une accusation d'infraction de paix, de trêve ou d'rt.sw- giiranc/ie, d'un rapt, ou de cou|)s portés avec des armes desloyales : « car » de che... vat-ons à bonne cnquestc •'. » 2" S'il s'agissait d'un murdre, ou de tout autre crime conunis de nuit et en cachette... *. 3° Si le noble avait été pris et appréhendé en flagrant délit, tenu et pris au fait ^. 4" Si l'accusé avait commencé par laisser échapper un aveu, ou s'il n'avait pas donné un démenti formel à l'accusation, ou s'il y avait fait une réponse équivoque, ou s'il avait gardé le silence quand celle-ci s'était produite''. W" Enfin, si par hasard le crime avait été commis à la vue de la justice, et que le maïeur eût i)ris la |)récaution de mettre immédiatement le fait en lourde des échevins ''. ' chroniques de Jean d'Oiilri-iiifitse, i)artic non piililicc, folio 210, colonne 1". — Extrait iniprinic dans Polain, t. H, \u 1!). - Nous osons ici, appuyé sur des textes inédits, au moins en partie, nous mettre en contra- diction avec M. Uaikem, Discours de 1857, pp. otl et 57. ' Li Pdxceillntrs, décision n" 7. * Par argument de ce (jue nous avons dit plus haut des Présomptions. * Li Paweilhurs, décision n" 0. ^ Idem, décisions ii° 6 et 70. ' Voir le texte cité de Hocsem. 190 ESSAI SLR LIIISTOIKE DU DROIT CRIMINEL Nous verrons plus tard quelles lontatives on fit en 1 3 i 5 pour abolir le i)ri- vilcge do la noblesse \ Pour le moment nous abandonnons la procédure sécu- lière, pour dire un seul mot des caractères principaux de la procédure suivie dans les cours d'église. § Vn. — De la procédure suivie dans tes cours ecclésiastiques. Les juges d'église réprimaient les infractions de for ecclésiastique, dont ils avaient connaissance, tant sur la simple confession du coupable, sponte confessis, que sm- la j)lainte d'un accusateur -. Ils avaient même le droit de poursuite d'office sur simple dénonciation; mais ils avaient cbarge expresse: « quod nullum super excessibus suis conveniant vel citari faciant, nisi prius » apud bonos et graves super delicto aliquo dilTamatum vel persona gravi » denuntiante cui merito sit credendimi. » Le dénonciateur devait être désigné dans la citation et, s'il ne prouvait pas le fait qu'il avait avancé, il encourait des dommages et intérêts ^. Il était au surplus enjoint aux doyens et aux curés de déférer tous les ans à l'oflicial, cum super hoc fuerinl rec/ui- siti , les excès qui avaient été perpétrés dans leur ressort *. Quant A la juridiction séculière qu'exerçait l'official, en concurrence avec les écbevinages, elle demandait h plainte préalable des intéressés ^. Les juges d'église suivaient non pas la procédure des tribunaux ordinaires du pays, mais la procédure réglée par le di'oit canonique. La prouve testi- momale était seule admise devant eux. Cependant, quand elle ne fournissait pas dos données sudisanlos pour établir la culpabilité de l'accusé, celui-ci pouvait faire la jxin/ation rtnionique, c'est-à-dire |)rètor serment de son innocence, et invoquer au besoin l'intervention dos conjurateurs ^ ' HorsEM, (l;ins Cliapcaville, t. Il , p. 571. — Wiiolwill, ouv. cité, p. 100. - Voir la ciiarlc (]iic nous avons ciu-e plus iiaul à propos dos pouvoirs arcliiiliaronaux du clia- pilrc (le Saint-Servais à Macstriclil. ' Sluliils fsjjuoddiix , cili's, lilrp XXVIII, n" i. * Iticm, liirc XIV, n° 20. " Nous reviendrons plus lard sur ce point. •■' Hmkem, Discours de 1847, p. 17, noie (i. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 197 La procédure ecclésiastique, enfin, était écrite : « Et omnia, » disent les statuts de 1288, « acta judicialia conscribaiitur, et originalia maneant apiid » judices, ut si dissonantia actorum fuerit, ad originale recurratur '. » Nous n'insistons pas , et nous passons à une étude nouvelle : celle des principes généraux du droit de punir, et celle du système pénal en usage. CHAPITRE V. DES PRI^CIPES GÉNÉRAUX DU DROIT DE PIMR ET DU SYSTÈME PÉMI. EN LU -MÊME ET DANS SES APPLICATIONS. ^ le.; — Des principCH (jénémux et du droit de punir. Quand l'action criminelle s'était régulièrement développée , que les devoirs de preuve avaient été faits, que le justicier ou le président des débats avait tourné (a cause en droit et avait semonce les juges de rendre une sentence, les juges devaient avant tout rechercher quelle loi ils avaient à appliquer. Comme nous l'avons dit au chapitre I" de ce livre, le droit pénal liégeois du XIII" siècle était avant tout un droit coutumier. En règle générale, les échevins et les hommes trouvaient donc la base des jugements cpfils pronon- çaient dans les traditions juridiipies et pénales qu'ils ivardaienl. Ces tradi- tions étaient nécessairement mouvantes, et prêtaient un assez large chani]) à l'arbitraire. Néanmoins elles présentaient plus d'uniformité et de stabilité dans la principauté de Liège que dans les principautés voisines, grâce à Fin- fluence régulatrice exercée sur la plupart des juridictions inférieures par l'éclievinage de Liège, au moyen de la rencharge. La loi Chariematjne, en un mol, était en vigueur dans certaines limites, dans toutes les localités qui res- sortissaient aile loi de Liège. Lorsqu'une localité avait été dotée d'une charte pénale écrite, la situation ' SlatKts synodaux , titre XXVIII , ii" 4. 198 ESSAI SIK LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL se modifiait. La justice locale appliquait cette charte écrite, do préférence ;ui\ ti;iditions couluniières, dans tous les cas que cette charte prévoyait. A Revoiiïno, par oxeniple, les échovins punissaient les actes de violence d'après la loi de 1241 ^ A Liège, les échevins réprimaient les infractions prévues par les deux lois muées d'après la teneur de celles-ci; et ils appli- quaient la (oi (les clunioiiies ou la loi des hourf/eois selon les qualités respec- tives du délinquant et de la victime -. Ils avaient le droit d'étendre les dis- positions de ces lois par analogie •*. Ils n'ordonnaient plus l'application des peines wardées par eux, comme conséquence de la loi Chailemagne , que par rap))ort aux matières absolument étrangères aux prévisions des législa- teurs de lî287 : le vol, l'incendie, le faux, la fausse monnaie, etc. '*. Nous n'insistons pas, parce que les détails dans lesquels nous entrerions feraient double emploi avec les explications que nous avons données dans le chapitre 'h^ Mais si, dans quelques localités, des textes éerils liaient le juge par rap- port aux peines applicaldes à certaines infractions déterminées, partout les traditions coutumières presque seules lui doimaient les principes généraux du droit de punir. C'est ce cpii explique comment nous savons si peu ce en quoi ces principes dilTéraient à Liège de ce qu'ils étaient dans les princi- pautés voisines. Nous allons rassembler tout ce que le Paweilhars aux arti- cles et les documents législatifs conlenq^orains nous en disent. On verra que la moisson qu'il nous a été donné de faire n'est guère fructueuse. D'abord , aucun document liégeois ne parle en termes exprès de la non- rétroactivilé des lois pénales. Il faut reconnaître cependant que les deux lois muées, dans l'ensemble de leurs dispositions , supposent l'existence de ce principe de justice éb'mentaire. En revanche, la loi muée des hou rr/eois cow- tieiil un texte (pu' permet, dans un cas déterminé, d'appliipier ses dispositions quand elle aura cessé de courir, c'est-à-dire quand le tei-me pour kupu'l elle * Voir celle cliaric. * Voir ces deux lois dans leur ciiscmltlc. 5 Lui iiiiii'e (li's cliaiioiiH'S , nrliclp l(i. Nous rclrouvcroiis plus t:ii'i! le nii'mc principe inscrit dans les SIuIuIh de la Cilr. * Li Paiieilliurs, |)assiin. DANS L'ANCIENiNE PRINCIPAL TÉ DE LIÈGE. 199 a été portée sera expiré. Si quelqu'un délinquo contre autrui après la loi muée, « aile ocquison de la loy devant dite, et proveit soit, il sierat en otel » point del meffait que si la dite loy corroit *. » La maxime non bis in idem était proclamée par le Paweilliars : « on ne » pocut faire d'ung cas deuz plaintez -. » Cependant elle n'avait pas, au XIII" siècle, la portée absolue que nous lui donnons aujourd'hui. Ainsi, par exemple, quand un crime de for séculier avait été commis dans une église, la justice séculière appliquait la peine à la poursuite de la partie lésée, puis la justice spirituelle pouvait encore condamner le délinquant à un pèlerinage, à la poursuite du prévôt de l'église ou de son sergent ^. Le cumul des peines était admis, (piand un même délinquant avait commis plusieurs infractions successives ou concurrentes; cependant ra|)plication d'une mutilation, et surtout de la peine de mort, absorbait toutes les autres peines : « quia moribus noslris poena mortis omnes alias |)oenas sive corpo- » raies sive pecuniarias absorbit. » Si une poursuite ecclésiasti(|ue avait été commencée , l'application de la peine de mort l'élciynait '. La prescription de Caction criminelle s'opérait ra|)idement. Entre gens liés par la loi muée des chanoines, l'action, en matière de violences contre les personnes , était prescrite au bout de huit jours à compter du jour de la perpétration de l'infraction : « et après on ne puet plendre ^. » Entre bour- geois de Liège, bien que d'a|)rès la loi muée des bourgeois la plainte fût obligatoire, il est probable que l'action se prescrivait au bout de trois jours. C'est dans les trois jours, en eflet, que la plainte devait ètie faite, sous peine pour le lésé négligent d'encourir lui-même un châtiment •'. Cependant les textes de la loi muée des bourgeois ne sont pas aussi explicites sur ce point que ceux de la loi muée des chanoines. Enfin, dans les cas où la plainte devait être renouvelée, le droit de la renouveler se prescrivait par le laps • Article 33. ' Li Patveilhurs , décision n" '265. 5 Paix des c/e;cs, article 50. — Louvrex, Dissertations tunoniques, Dissertation .\. — Sohet, ouv. cité, Traité préliminaire , litre IV, n° 3!*. * LouvdEX, ouv. cité, Dissertation X, n" 53 et pussïm. — Soiieï, /oco c(((((o,etc. î* Article d 7. '■ Voir ce que nous avons dit plus haut. m) ESSAI SLU LIIISÏOIIŒ I)L DROIT CRIMINEL de qualic jours, en matière de légers délits, de quarante jours, en matière de cas criminels et touchant à l'Iionneur '. Peut-être la jurisprudence se montrait-elle moins sévère à Pendroit de la prescription en matière de crimes cachés; cependant nous n'en avons pas de preuves. Les documents du \\\V siècle ne s'occupent pas de la théorie de Timpu- tahililé. Il est pruhahle, cependant, que le droit liégeois, conformément au droit naturel, exigeait une certaine volonté de mal faire, dans le chef du délinquant, pour le rendre |)unissable. Cependant nous n'oserions pas aflirmer que les juges du XIII*^ siècle distinguassent toujours avec soin la faute du (loi, et qu'ils recherchassent toujours ïexprès dessein de nuire pour appli- quer la peine à l'auteur d'un fait matériellement contraire à la loi pénale. Quoi qu'il en soit, il est certain que, d'accord avec toutes les législations germaniques, le droit liégeois se hoinait au moins à rechercher, dans le (;hef de l'agent ciiminel^ un (loi général. Il ne scrutait pas les intentions du {lélin(iuant pour savoir si celui-ci avait voulu ou avait prévu les dernières consé(|uenc('s du fait qu'il avait commis. Ce fait était puni, non d'après le dessein plus ou moins criminel qu'avait eu l'agent en le perpétrant, mais d'après les seuls résultats que ce fait avait jHoduits. Un individu qui avait évidemment voulu tuer son adversaire, mais qm' n'avait réussi qu'à le blesser, n'encourait que la peine des blessures. L'individu (jui avait infligé des blessures à autiui était puni d'après la nature de ces blessures. Un bour- geois frappe un l)onnne à la tète avec un pot d'élain; pour guérir la bles- sure le médecin doit fendre la tumeur; le blessé se plaint de plaie ouverte. Le coupable piélend n'être tenu que de rouj> féru. Les échevins de Tongres jugent sur i-enchaige : « pnistpi'ilhe covienve le bui'seal fendre (jue ons en » devoit jugier amende de playe -. » Le délincpiaut était puni comme homi- cide, si sa \ictime mourait, ou sur le coup, ou du moins dans les quarante jours, bien que la volonté de tuer ne fût pas établie dans son chef ^. Nous ne trouvons rien dans le Paweilhars aux articles, ni dans les lois muées, en ce qui concerne les causes de justification |)ropren)ent dites qui ' Li l'inreillidrs, iiKiiiiisciit ilr l,i liililiollit''(|iK' de rriiivcrsiti-, n" 171. * Li I'uucHIkiis, décision ii" KiV. ' Voir le luiif des lois muées et Li Paiveilliars , décision n° II. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 201 excluent toute espèce crimputabilité dans le chef de l'agent criminel : Tinsa- nité complète d'esprit, le cas fortuit, la force majeure, l'absence complète de discernement. La paix cl' Ang leur, la première, déclare ne lier les enfants qu'à l'âge de treize ans accomplis s'il s'agit de garçons, de douze ans accom- plis s'il s'agit de jeunes filles, à propos des prohibitions et des pénalités qu'elle édicté '. Mais, d'autre part, les documents nous fournissent quelques détails par rapport à certaines circonstances qui détruisent la criminalité même du fait matériellement contraire à la loi pénale. Nous citerons d'abord une déclaration du 9 janvier 1312, émanée des maîtres et jurés de la ville de Liège, et fondée sur une foule d'exemples tirés de l'histoire des villes de Liège , de Huy et de Tongres. Dans cette déclaration, les magistrats de Liège prétendaient que les maîtres et les jurés d'une ville ne pouvaient être attraits ni devant les échevins, ni devant d'autres juges , pour violences, effi-action de maison, froitin , commis par eux « en nom et por le besoigne de nous et tie nostre dite cileit "-. » Leur prétention était vraisemblablement exagérée, Prise dans son ensemble, elle n'allaita rien moins qu'à rendre les communes irresponsables , et à nier en pratique le haut domaine de l'évèque. Mais, entendue dans un sens restreint, elle innocentait, et à bon droit, les faits commis par les magistrats dans l'exer- cice de leur charge et en cas de nécessité publi(|ue. La paix des clercs, dans le même ordre d'idées, déclarait non criminel le fait d'elTraction d'une église commis « pour commune besongne nécessaire délie vilhe de Liège ^. » D'après la loi muée des bourgeois, les violences légères commises de père à enfant et d'enfants à parents, de frère à frère, de sire à valet, et l'ice versa, n'étaient pas punissables : la plainte qui en était faite était nulle de plein droit, « si ce n'est de plaie ouverte ou de plus grand mal *. » Bien plus, enti-e les mêmes personnes, la plainte n'était jamais obligatoire, même pour plaie ouverte ou plus grand mal : « soy puet le père del enfant, li ' Bulletin archéologique liégeois, I. I", p. 45"2, in fine de h paix. « Iiiscrcc dans différents manuscrils du Paweilhars. — Bulklin de la Commission royale d'his- toire, \" série, t. IX, p. 59. 3 Article 28. * Article 8. Tome XXXVIII. 26 202 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » enfant dcl pne et li frère de! frèi-e relaissier de plaindre, de qneilconques )) fait que ce soit tant que de! un al aultre '. » Confoi-niément aux principes ifénéraux du droit du temps, riiomicide d'un forju(j('', d'un individu déclaré ex lex, n'encourait aucune peine. En l:2o(), Radus Desprez et ses hommes ayant tué plusieurs des compai.Mions de Ilem'i de Dinant (|ui, en rupture de /hrJKf/oneiil , étaient venus à Liéiçe, furent jugés innocents par les éclievins : « ensiment fust Radus et ses hommes » quittes et en paix -. » Il en était de même des bourgeois de Liège qui tuaient un autre bourgeois devenu aubain de son fait même pour vilain cas. C'était la disposition expresse du statut de 1302 : « et bien soyentcer- » tains qui meiïeront envers les dits aulbains, ilh ne sont de riens atteints -*. » La jurisprudence justifiait le voleur qui avait délinqué dans le cas d'extrême nécessité , et dans le but de pourvoir à un besoin innnédiat. Un homme avait pénétré avec effraction dans la maison de Henri de Roloux, et y avait pris trois pains et quelques ponmies. « Pris fut et li\reis pour laron » ensi (jue loy porte. Ly esque\ins (de Roloux) ne fut mie saigez, par- » tant qu'ilhe astoil troppe chire temps, etqu'ilhe avoit chu faite pour famine, » et qu'ilhe avoit lassiet là niesmes planteit de pain Ensengniet fut que » li esquevins nelle dévoient de rins punier ne jugier K » Les actes de violence commis dans le cours d'une guerre privée, entre gens qui avaient le droit de la faire, et en tant que la guerre se maintenait dans ses limites coulumières, n'étaient pas non plus punissables. Nous l'avons vu plus haut. Il en était de même des actes de violence commis à Liège même par un bourgeois contre un alTorain, son ennemi, lorsque, en violation de la paix de la IVancliise, cet afforain était venu sur /»/dans la Cité ^'. Avant les lois muées, l'état de légitime défense ne justifiait pas l'homicide. Les échevins de Liège disaient : « puiscjuc mort y avoit (jue chis asloit attains ») de la loy; car ne listen nulle cas nulluy tueii', ne sourson coul défendant ne ' Ai'licle 8. * ('lin)>il(ii(es lie ,/ciiii irOiiIremciisi' , t. V. p. 55!). ' Voir eu Sliilut dans ilitlVriMils manuscrits du Puiceilhars. * Lt Piiireilhurs , décision n" 1 il). ' Lui iniici' (les buiwiieuis , arlirlc iO. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 203 » aultrement '. » Ils tiraient une conséquence exagérée de la loi Charlemagne qui proclamait la maxime absolue: mort pour mort, et violaient en même temps d'une manière évidente les prescriptions du droit naturel. Cependant, les lots muées ni la paix des clercs n'osèrent changer sur ce point la juris- prudence reçue. Ces chartes, en effet, admirent en termes exprès le droit de défense dans certains cas, mais aucune d'elles n'alla jusqu'à justifier l'homi- cide commis en l'exerçant. D'après la loi muée des bourgeois, et nonobstant l'interdiction de l'usage des armes prohibées, un bourgeois attaqué chez lui pouvait se défendre « de » quel armeure qu'il aurat, queil qu'il soit, sens melTaire envers justice -. » D'après la loi muée des chanoines , l'honnne qui voyait battre sa femme ou son enfant pouvait venir les défendre « mensurablemenl à celte fois sens mef- » faire ^. » D'après la paix des clercs, celui qui, pour se défendre ou pour échapper à un danger, entrait avec edraclion dans une église, ne conunettait pas de crime *. Il y a plus : les Statuts de 1528 disaient encore : « tous » ceux cui on courrat sus soy porront dc'fendre en bonne manière sans faire » plus grand mal ^. » Tous ces textes laissent évidemment en dehors des prévisions du législateur le cas de mort d'homme. Sur la question qui vient de nous occuper, le droit liégeois s'écartait com- plètement en théorie du droit consacré par les Keures brabançonnes ". Mais il importe d'ajouter que partout la jurisprudence du moyen âge était exti'ème- mentdiflîcile pour admettre, en matière d'homicide, la légitime défense. Les jus- ticiers, tout en n'appliquant pas au meurtrier qui s'était défendu la peine ordi- nairedu crime, avaient toujours soin de lui imposer une composition en argent". Un autre point sur lequel les lois liégeoises s'écartaient légèrement des Keures du Brabant, c'est qu'elles proclamaient en termes précis la culpabi- lité de ïauteur moral d'une infraction « Si li une de ches personnes, dit la ' Li Paiceilliars , tlccisioii n" 11. '^ Article 15. 5 Anicle -12, analogue à l'article 11 des Statuts de 1328; article 21 des Statuts de Maes- triclU de loSO; § 26, article 2o de la paix de Saint-Jacques. * Article 28. " Article 38, analogue dans la paix de Saint-Jacfiues, § 2(>, article 42. « PouLLET, l" Mémoire sur le droit pénal cité, p. 241 , 242. ' Idem , ibidem. 204 . ESSAI SLR LIIISTOIIIE ï)l DROIT CRIMl^EL » loi muée cks chanoines, faisoit faire à l'autre hiidiirc, quelle qu'elle soit » grande ou petite... punie doit estre tout ensi que fait Tawist solonc clie que )) li cas sieroit '. » On se l'appelle, au sui'plus,' que TindiN idu (|ui faisait faire un faux témoignage était puni comme raulenr du faux témoignage lui-même -. Il n'y a (|ue peu de disjjositions du PiuveiUian aux articles et des lois muées qui aient trait à la complicité. On sait, par le Pmveillmrs, que les complices d'un munlre encouraient la même peine que l'auteur principal du crime auquel ils avaient prêté un coiicouis concomittant ^. D'après la loi muée des bouryeois, tout bourgeois qui iiiduit ou qui confortait un alTorain, coupable d'une infraction (pielconque contre un autre bourgeois, ou venant à Liège sur le bourgeois avec qui il était en guerre et hors trêves, encourait l'amende considéraljle de dix marcs liégeois ■*. D'après la même loi, les bour- geois avaient la faculté de demander l'fv.yy^/.s/w» liors de la cité d'un alTorain dont ils croyaient avoir à se plaindre; et, dès que l'expulsion était ordonnée, le bourgeois « qui feroit à dit alTorain ayde, ou loweroit mainson, après ce que » ons s'en sieroit plains, ou (pii le hebergeroit, atlains sieroil de cent sous •'. » D'après la même loi, enfin, on considérait comme complice de l'alTorain venant en armes à Liège le bourgeois qui l'hébergeait, et on le mena^-ait de la même amende de cent sous '''. Le Statut de IÔ02 s'occupait à son tour des fauteurs des délinquants (jui avaient commis un cas vilain. Le bourgeois qui hébergeait de nuit ou de jour un bourgeois déclaré aubaiu pour homicide ou poin' cas vilain, ou (jui lui faisait aide et confort dans la franchise de Liège, était « en tel poinct (pie les » malfaiteurs. » Quanta la fennnequi faisait un acte de complicilé de l'espèce, elle encourait seulenieiit le bannissement d'an et jour; « mains, » ajoutait le Statut, « (|ue le maïeur et les uiailres de Liège puissent prendre tout ce que » la femme aura dedans la franchiese ". » ' Arli<'li' 'il . Voir In note des ('■ilitcitrs i'i la page ô'.tO du I. I" dos Coulâmes du jniys du Liège. * Loi muée des buurgeuis, article 18; lui muée des chaiiuines, article 20. ' Li Paweilliurs , décision ii" iOU. * Article 'i7. * Article 51. « Ariiclc :.>7. ' \ dii' ce Slalul. DAP^S L'ANCIENISE PRLNCIPALTÉ DE LIÈGE 205 Les fauteurs des individus forjugés étaient par leur fait même considérés comme étant hors lu loi : « Les esquevins jugont (1256) que portant » qu'ilh y oit des mors qui n'estoient mie forjugeit, et ilh avoient conforteit » et aidiet les forjugiés, (ju'iih estoient en teiie point '. » Il est à remarquer que, quand il y avait eu une rixe ou une bataille entre deux groupes de bourgeois à Liège, ceux qui y avaient pris part n'étaient pas à proprement parler complices les uns des autres. La loi muée des bour- geois disait ; « tuis cils qui là yront à la mcsiée, à main warnie d'armeure )> ou de bastons » encourront une amende spéciale de quarante sous ; c'était dire, par le fait même, que chacun d'eux restait responsable des coups ou des blessures qu'il avait infligées -. Nulle part, dans les documents du XIII*' siècle, il n'est question de la tenta- tive. Cela s'explique par l'ensemble des principes du droit germanico- liégeois qui prenait avant tout en considération les résultats des inlVaclions. La loi muée îles chanoines prévoyait deux cas de récidive spéciale. Dans le premier cas, elle punissait le délinquant récidiviste de la même peine qu'il avait déjà encourue. Il était défendu, on le sait, à l'accusé d'assister à l'enquête faile contre lui par la commission mixte, et toutes les fois que l'accusé « y venroit, ilh seroit cheus en le |)aine de X mars, ou ilh sieroit » banis X ans fours dellc dyocèse de Liège ■". » Dans le second cas, la loi doublait la peine à la seconde infraction, triplait la peine à la troisième, à la quatrième, enfin, changeait la nature même du châtiment, et, au lieu d'une amende, comniinait un bannissement sans peine d\irf/eiil. C'était en matière de relus de témoignage '. II n'est pas sans inlèrèl de signaler en passant (pie les documents liégeois du XIII'' siècle ne disent rien de la récidive en matière de vol, tandis que l'existence de cette circonstance aggravante avait une influence considérable, en Brabant cl en Flandre, sur la nature et sur le taux des peines qu'on infli- geait aux voleurs ^. * ChvQii'Kjitcs de Jean d'Oiitrcmeuse , t. V, p. ^^8. * Article 15. ^ Articles 25. * Arlick'-20. ^ PouLLET, 1" iMcinoirc sur le droit péiiul cité, p. ;2iS. 206 ESSAI SLR LIIISïOlRt: DU DROIT CRIMINEL En règle généi'ttic, les juges n'avaient pas à apprécier les circonstances (jui, acconipagnanl la pcipéti-ation d'une infraction, pouvaient aggraver ou alléniier la criininalilé de l'agent. Ils devaient porter leur attention sur le fait même de l'infraction, et, dans les endroits où il y avait une charte crimineUe, se confoimer scrupuleusement au tarif ('dicté par celle-ci. En matière de coups cl hlessures, notamment, la charte de Revoigne et les lois mures déterminaient avec précision les peines encourues selon les résultats matériels du fait perpéli'é, ou selon les instruments qui avaient servi à le commettre. A Revoigne on distinguait les coups « sans sang corant, » les coups où « illi a sanc, » les plaies, les mutilations « ki tout membre, » l'homicide '. A Liège, d'a|)rès les deux lois muées, le coup simple, le coup à sang courant, sans plaie ouverte, le coup de bâton « sans membre ne bi'isier » mais si blescheur y appiert, » le coup de bâton qui n'avait pas fait de bles- sure, le coup de bâton qui brisait un membre, l'affoulure, c'est-à-dire l'acte d'estropier quelqu'un, le coup porté avec des armes émoulues et faisant plaie ouverte, les mutilations, les coups de couteau « déplumé » et d'armes déloyales, l'homicide, la blessure, enfin, infligée à l'aide d'une arme de trait, ou arbalète qui, qiu'lle qu'elle fût, était assimilée à une rupture de trêve -. Le fait (pie la victime de l'infraction était une femme n'entrainait pas l'application d'une peine plus sévère, mais aussi la femme qui délinquait était, en général, punie comme un homme ^ Cependant, dans certains cas, une femme en rupture de ban n'encourait que la section de l'oreille, orelheà couper, tandis que l'homme était forjugc de son honneur *. Les circonstances aggravantes de lieu et de temps étaient également pré- vues par le législateur, sans èti'e abandonnées à la discrétion des tribunaux. La loi ninee des chanoines punissait d'une peine uniforme et sévère les moindres actes de violence commis dans la maison d'aufrui , contre l'hôte, sa femme ou ses maisncs. Elle assimilait le fait, quel (pi'il fût, au frailin, ' Voir (Tlli'cliiitic. "^ Loi miii'c iles cil (iiioi lies, iiriiclcs I m l."i; loi iiiiicc dcit lioiirgeois, articles I à 10, etc. ' Idi-m . iirlicics I I, 14; loi miii'r îles bourijvois , article 10. * Loi iiiucv ilrs boiir(]eols, arliclc- (i et 10. DAIVS L'ANCIENNE PRINCIPALTE DE LIEGE. 207 violation de domicile commise avec violence, qui entraînait une amende de cent sous et quelquefois la peine de col et de pmjne *. D'après la paix des clercs, les violences commises entre personnes liées |)arla loi nniée des chanoines et dans une église entrainaient, outre la peine ordinaire du délit, une peine particulière, un pèlerinage -. On sait du reste que les violences commises en état de trêve, ou contre une personne avec laquelle le délinquant était en paix et à l'occasion de différends assoupis, ou contre une personne à qui on avait donné « assegu- » ranche, » changeaient complètement de caractère : elles entrainaient toutes, (pielque minimes qu'elles fussent, une peine capitale ''. Il est vrai que, d'après la loi muée des bourgeois, le plaignant pouvait passer sous silence sans mé- faire la circonstance de trêve ou de paix brisée, et par conséquent permettre au tribunal de ne pas en tenir compte. Quant à l'Iiomicide commis de nuit , ou en cacbette, ou fours voies, il constituait un )nurdre et donnait ouverture à une |)rocédure particulière dans laquelle la position de l'accusé était moins favorable. Nous ne saurions dé- cider si la peine du miirdre était plus forte que celle de l'homicide ordinaire. Nous croyons cependant que le délinquant qui avait commis le premier de ces crimes encourait toujours le supj)licc de la mort qualifiée au lieu d'être simplement décapité ou pendu. Les qualités respectives de la victime et du d('linquant étaient enfin une circonstance dont les juges pouvaient avoir à tenir comple, au moins dans une certaine mesure. Avant la promulgation des lois muées, nolanunent, il est certain que la séparation radicale existant à Liège entre les gens du commun peuple et las yens de liynaye, influait sur la manière de l'èprimer les infractions conunises. Après les lois muées, une complète égalité devant la loi pénale fut introduite dans la Cité, entre bourgeois d'une part, entre bourgeois et varlets de chanoines de l'autre ^. Mais, dans le plat pays, tout porte à croire ' Loi muée des hourijeois , ailiclc la; lui iiiiiéc (/es ilutnuims, article 15; paix des clercs, article 31. Celle paix assimile, (iiiaiil au frailiii, les maisuiis des chanoines à celles des bour- geois. ■^ Article 50. 5 Loi muce des chanoines, article 15; loi muée des bourgeois, article 21. ^ Paix des clercs, article 21 ; loi muée des chanoines, préaiiihiile. 208 ESSAI SLR LHISTOIUE DU DROIT CRIMI^EL que liiMi 110 lui changé, el que les gens de classe inférieure furent encore plus fortciiienl châtiés quand ils délin(|uaicnt contre un noble , que les nobles quand ils délinquaient contre un paysan. Toutefois, nous n'insistons pas sur ce point, [)aice (juc, en dehors des faits généraux de riiistoirc et de ce que peut nous laisser entrevoir Tenseinhle des iiislilutions, nous ne pouvons produire aucun texte (pii soit décisif en faveur de notre opinion. Peut-être se deniandera-t-on si la qualité iVafforain dans le chef d'un délinquant était une circonstance aggravante quand sa victime était un bourgeois de ville franche? Nous répondrons adîrmativeinent, au moins en ce qui concerne la ville de Liège. En effet, le Pmveil/iars dit que « par quassure d'armez des- » loyaulz, on sorceans ne perderoit nient le poingne, ains seroit attains de son » honeur se mors n'y avoit; mais ons alTorains pris al fait le perderoit s'ilhe » cognissoit le fait, ou ilhe fuist sour li proveis; » d'autre part, la l('((i-c du commun profit, de 1318, déclare que celui qui fait laklure à un affomin amenant des denrées à Liétje, sera puni comme s'il avait fait laidure à un bourgeois à moins que la ville n'eût été forcommaiidée à cet alforain. La lettre du commun profil appliquait évidemment un |)rincipe préexistant en y faisant exception pour un cas particulier '. Nous n'entrerons donc pas plus avant dans la matière, de peur de nous engager sur le terrain des conjectures, (|ue nous sommes décidé à ne pas aborder, et nous passons à l'étude du système pénal. § 11. — Du système pénal et de la réparation à partie, conséquence d'une procédure régulière. Avant d'exposer le système pénal liégeois du XIII" siècle, il ne sera pas inutile de jeter un regard en arrière, et de rappeler brièvement les principes fondamentaux sur lesquels reposait le système pénal de l'empire carlovingien. Taiulis que les serfs encouraient pour toutes espèces d'infractions des chàtinienls variés et plus au moins arbitraires, les hommes libres de la monarchie francpie n'élaienl guère punis dans leur cor/)s qu'à l'occasion de I /,(' l'aircilhurs, drcis" il" 8; lelln- du cDiiuiiini i>rojit, du luiKli iivaiit la Penlccôlcdc 1518. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 209 crimes commis contre le Roi ou contre l'État. Ceux d'entre eux qui étaient poursuivis en justice séculière pour avoir perpétré un délit contre les per- sonnes ou contre les propriétés, étaient punis, dans la plupart des cas, par des wheryhelt minutieusement tarifés et par un fredum proportionnel, aux- quels s'ajoutait parfois la peine de l'exil '. Il est fort douteux, en effet, que la peine de mort comminée par Charlemagne contre certains homicides ait été admise par les mœurs et dans la pratique -; et si les latrones, brigands ou voleurs de profession ^, étaient punis tantôt de Wioeiujlemeiil, tantôt de la section du nez, tantôt de la pendaison, c'était parce que l'opinion commune les mettait déjà hors la toi, et refusait, à raison de leur manière de vivre, de leur reconnaître les privilèges des hommes libres *. Dans cet état de choses, on ne saurait méconnaître que les terribles péni- tences ecclésiastiques infligées par les tribunaux épiscopaux à toutes espèces de délinquants, sans acception de personnes, ne rendissent un immense service à la sécurité sociale. Ces pénitences effrayaient les hommes puissants et riches pour lesquels la crainte d'un irlimilicll et d'un fredum n"élait qu'un frein nécessairement illusoire •'. Malgré les constitutions d'Olhon et de Henri, la loi de trêve-Dieu de Liège, de i08i , reflète encore jusqu'à un certain point les anciens principes du droit carlovingien. C'est contre le serf délinquant seul qu'elle comminait la peine de la section du poimj. Elle se bornait à prononcer contre l'honnue libre la perte du fief, la privation des biens et l'expulsion du diocèse '^. En revanche, la charte de Rrusthem et la charte dite d'Albert de Cuyck admettaient l'application de peines corporelles : « De corpore ipsius débita justicia fiât, » à des bourgeois, c'est-à-dire à des gens essentiellement libres, et cela sans dis- tinguer s'il s'agissait d'un crime public ou d'une infraction d'ordre privé ^ ' Raikem, Discours de '.851, p|). -11 pl 'JS. « Beugnot, Assises de Jérusalem , 1. 1", p 154, note C. — Poullet, \" Mémoire sur le droit pénal cité, p. 19. 3 Poullet, \" Mémoire sur le droit pénal cité, pp. 19, "20. * Idem , p. 20. î> Idem, pp. 23, 24. 6 Gilles d'Orval, dans Chapeaville , t. II, p. 38. ' Charte de Bruslhem, article 5; charle d'Albert de Cuyck , article 8. Tome XXXVI H 27 210 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Ce changement radical dans le système pénal du pays devait certaine- ment son origine aux constitutions impériales du XII" siècle, et surtout à la célèbre constilulion de 1 1G8 de rempcreur Frédéric. Nous avons dit que ces constitutions faisaient loi pour le pays de Liège, et que celle de II 68, entre autres dispositions, comminait la peine de mort contre les homicides, les brigands, et même les voleurs qui avaient dérobé un objet valant |)lus de cinq sous '. Quoi qu il en soit, le droit liégeois au XHI" siècle permettait d'appliquer des châtiments corporels à toutes espèces de personnes, avant même la rédaction des lois muées. Plusieurs articles du PaiceiUturs -, la charte de Revoigne de 1251 , die oiidc caerte van Maestric/it de 4283, en font foi. Aucun de ces documents ne distingue le cas où le crime a été commis par un homme de classe supérieure, et le cas où il a été commis par un homme de classe inférieure. En fait, néanmoins, il est difficile de ne pas croire que les pouvoirs publics avant les lois muées ^ éprouvaient une grande dillîcullé à faire [)lier les hommes de H'inage sous le glaive du bourreau. C'est une anecdote rapportée par d'Ouli'emeuse qui nous suggèi'e cette réflexion. Vers Tannée 1230-1231, deux chevaliers, échevins de Liège, tuèrent un autre chevaliei-, munyon ou boucher de son état, pour l'achat d'un veau et d'un pourceau. Ils ne voulurent en faire nulle amende ni vider la cité. L'èvècpie les fit saisir et leur fit couper la tète. Aussitôt leur lignage entier courut aux armes, voulut tuer l'évèque, et celui-ci fut contraint de s'enfuir à Iluy! Ce fut grâce à l'intervention des Desprez que la paix se rétablit entre le chef de l'Etat et les parents des morts , et encore ne paraît-il pas que ces derniers eussent été punis *. Mais passons à l'examen technique du système pénal du Xllh' siècle, et voyons d'abord (piel était celui (pii était en usage dans les tribunaux sécu- liers. ' Libri /iiidorum , livre II, litre XWII. * Ciiiirtc (le Vilrival de 1:257, « bannuni sub poenn aliqiia corpurali vel pccuniariii. » — Li Pttivcilhurs , ^léci^iolls ii°' fi et tl. ' Celles-ci, eoiiiinc nous lavons dit, étalilissciU une égalité complète, par rii|)porl aux peines. * Chronûjues île Ji:un d'Oiiln'DH'use, t. V, p. 'J07. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 211 Du système pénal séculier. Les principales peines dont les chroniqueurs et les monuments législatifs fassent mention sont : les harmiscarées , la peine de mort, les mutilations, le forjiigement de l'honneur, Yarsin et Vabatlis, la confiscation des biens, la confiscation spéciale des objets qui avaient servi à commettre le délit, Yaubaineté ou la déchéance de certains droits civils, Texposition ignominieuse, la détention dans un cul de basse fosse, les amendes et le bannissement. Les harmiscarées avaient été empruntées aux anciennes coutumes des Souabes et des Francs '. Elles comportaient une sorte d'amende honorable ignominieuse, et étaient ordinairement inlligéespar l'évéque, au milieu de la cour de ses hommes , aux lignages féodaux qui avaient commis un attentat grave contre lui ou contre les institutions placées sous sa protection particu- lière. Nous connaissons deux circonstances remarquables dans le.squelles cette peine a été appliquée à des Liégeois. En 1223, le sire d'Awans et ses frères allèrent brûler la ferme de Laiitin , propriété de Thopital de Cornillon. L'évéque et la Cité de Liège, indignés, mirent le siège devant le château d'Awans pour se saisir des coupables, mais le chapitre cathédral s'interposa et fit conclure la paix à l'amiable. Il fut stipulé ([ue « ly sires d'Awans et » cent chevaliers de son linage, en lieu d'amende, alont à piet et deskaus, » délie porte sainte Warburse juxes en l'egliese de Cornelhon, releveir le » crucil'y qui avoit esteit tlependut pour ceste injure et koukiet emmy la » dite egliese juxes à tant que ly forfais sieroit aniendeis -. » En 1298, le même et belliqueux lignage d'Awans abu.'sa, comme on sait, de son droit de guerre et buta le feu au château de Slins. L'évéque \oulut de nouveau aller assiéger ses chefs dans leur château, mais le chapitre s'in- terposa une seconde fois. Les Awans demandèrent à être punis |)lut6t dans leur corps que dans leur avoir. Ils firent « une païs aile evesque, dédit ' GniMji, Deutsche Redits altertlii'ntnr, p, (iSI. — Poim.et, I" Mémoire sur le droit pénal cité , p. M. 2 IlEMnicoi'RT, Miroir des )tobles de Hesbaye , p. 270. — Foullon, t. I", p. 311. — Bouille, t. I", p. 240. 212 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » excez, par toile manière que ilh (le chef de famille) et douze chevaliers » de son lynage, Ninroient à Liège, en Tegliese de Saint-Martin en Mont, et » là se devestiroiont ilh en pin-e leurs slroittes cottes, se prondroient cascun » dVaz, en la dilte egliese, une selle de cheval sor sa tioste nuwe sains » chapiron, et les portoroient on Palais à Liège par devant Tovesqueet I) » oITeroiont on genaz por cazo d'amende; et ensy fut il fait '. » On peut assimiler aux Itarmiscan'es les amendes honorables collectives auxcpiolles se soumettaient les communes qui avaient commis un crime de rébellion contre le prince. Nous avons déjà dit un mot do Pamonde honorable faite, en 12o(), par les bourgeois de Liège à l'occasion de la grande sécession des clercs. Nous trouvons un autre exemple, de la mémo pratique, dans une charte de la même époque relative à la ville de Sainl-Trond. « Deinde cum » Domino Episcopo Leodii ad sanctum Trudonom accedore placuorit, ei » obviam extra muros villae sancti Trudonis illi troconti viri discalciali et » linoas vestes oxuti oxhibunt; similitor ad honorom suum cum trocontis viris » discalciatis ot lineis vostibusque cxutis, quandocumquo ci placuoril, una die » dominica ad processionem cleri ecclesiam ambiemur -. »> La peine do mort était simple ou qualifiée. La peine de mort simple s'exécutait i)ar les supplices de la pendaison ou de la décollation ^; la peine de mort qualifiée par ceux du feu, juger d'anhir, de la roue, rnedbmekeu , de l'eau bouillante sieden *. Nous n'avons trouvé aucune trace, au XIII'' siècle, des noyades dans la Meuse dont il est si souvent question aux époques posté- rieures, ni de V enfouissement, ni de l'écarlèlement d'un condamné vivant. Le modo de supplice capital qui devait être iniligè à un délinquant était parfois détorininè par la coutumo. Les voleurs étaient pendus •'; ceux (pii controfaisaionl un scel. cpii fabriquaient do la fausse monnaie, ipii fabriquaient de fausses lettres échovinalos, étaient brûlés vifs ". D'autres fois le mode du * HKMiiiroriiT, oiiv. fiti', p. 531. * A.Wautehs, De l'un'ginc el des développe m., etc., ])\). 2G4, 2()5 : cliartc do 1241 ou de 1246. ' Li Paweilliars , dérisions n"' 7 el 71. * Die ouile raerle vuii Maestn'chI, article 10. — (:iiioiii. — Clnoiiif/ues de Jeun d'OuIreineiise , ouv. cité, I. V, p. 338. DANS L' ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 213 supplice capital était abandonné au pouvoir discrétionnaire des juges. Les monuments législatifs, en eiïet, se bornaient à parler de la peine de mort en termes génériques : « mort pour mort , » il son/frira la mort ' ; ou bien ils la rattachaient à l'application de la loi du talion '^. Les mutilations se diversifiaient selon les nécessités de cette même loi du talion, que proclamaient les lois muées en matière de violences contre les personnes '. Elles comportaient, par conséquent, la section de Toreille, du pied, du poing, etc., suivant que le délinquant avait coupé l'oreille, le pied, le poing à sa victime * : « illie doit piedre teile membre com ilhe aroit aultruy » tollut ^. » Dans certaines hypothèses, (oui à fait étrangères au talion, les lois ou la jurisprudence liégeoises comminaient encore la section du poing ou lu sec- tion de l'oreille à titre de peine princi|)ale ^\ Dans d'autres cas, elles faisaient de la section du poing un préliminaire de l'exécution de la peine de mort. Le délinquant qui commettait le ciime de trêve ou de paix brisée était tenu à la fois de col et de poingne '. Jamais, dans le pays de Liège, les mutilations n'étaient aj)pli(piées comme peines subsidiaires aux bourgeois délinquants (|ui ne voulaient pas ou qui ne pouvaient pas payer l'amende *. Nous n'oserions pas même allirmer qu'elles fussent appliquées à ce titre à des individus, non bourgeois, saisis et punis par une justice dans le ressort de laquelle ils n'avaient pas leur rési- dence. Cela est d'autant plus remanpiable que, sur la surface de l'ancienne Belgique tout entière, on {)roclamait la maxime : qui non habet in aère luel ciim corio, sans distinguer s'il s'agissait de bourgeois ou d'étranger ^. Mais venons à une question assez délicate (|ue soulève la théorie des peines ' Li Paweilhunf , passim. — Lois muées, pnssliu. - Cintite (h' Iicvui(jne. ' Lui intih' des liourijeois , article 2; loi innée des cIkowiiivs, ;ir'lk'Ic 9. * Idem, ibidem. — Die oudc caerle van Maestrlihl, article 10. ^ Li Pcnceillutrs , ilccision ii° (i. 6 Loi muée des bourgeois, articles 10 et 5:2; loi muée des chanoines, article 14. - Li Paweithurs , décision n° 234, etc., n° 4. 7 Li Puweilliars, décision n° 7. *• Nous verrons plus loin que l'on eoniniiiic contre eux le baiini>senient. 9 Poi'LLET, 1" Mémoire sur le droit pénal cité, p. :262. 214 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL corpoi-ollos (I;uis le pays de Liège. Le Paweilliars aux articles, les deux lois muées, la charte de Rewirjne , etc, sont d'accord pour ne meuacer de la peine de mort et de la peine des mutilations que les délinquants qui étaient tenus *. Ce principe enirnînait doux conséquences directes remarquables : 1" Les tribunaux liégeois ne pouvaient pas prononcer de peines alïlictives contre un accusé fugitif ow contumace -; 2" Ils ne pouvaient pas prononcer de peines aiïlictives contre un accusé qui, comparaissant en justice, était couvert par un sauf-conduit. Dans Tuu ni dans l'autre cas l'accusé n'était tenu, c'est-à- dire sous la main de la justice. La seconde de ces conséquences, à son tour, conduisait à un résultat aussi étrange qu'exorbitant, et cependant incontes- table : il était interdit de prononcer une condamnation corporelle contre un bourgeois de Liège, ou contre un bourgeois de la plupart des villes franches de la principaut('', s'il n avait pas été pris en flagrant délit, ou du moins avant qu'il eût eu le temps de se réfugier dans un asile inviolable! Pourquoi P pai'ce (|ne, comme nous l'avons vu, ces bourgeois, en vertu de leurs privilèges coulumiers, a\ aient toujours le droit de réclamer un sauf-conduit pour assister à leur procès, quand ils avaient réussi à se soustraire à une arrestation pré- ventive (U\jà si dilllcile à exercer contre eux ~\ La peine du forjugement ou forjugement de l'honneur était en rappoi-ts intimes avec la peine de mort et avec celle des mutilations. Les monuments du XIII'" siècle qui en parlent la caractérisent indilléremmenl par les mots suivants : atteints de son honneur, on doit alleir en avant sur son honneur, ce sera sur l'honneur, forjugé , etc. Ils lurent tous proclamés, dit Jean d'Outremeuse « et |)rivcis de leurs boneurs et enssy l'orjugiès '*. » Le forjugement était comminé, à titre de peine principale, contre les délinquants non tenus qui, s'ils avaient été sous la ujain de la justice, auraient ' Li l'mn'ilhiirs, décisions n°» (> et 7. — Loi mnév des chuiiuinva , nrticli"-; ',) cl 10; hi muée (les bourgeois, articles I cl 2. — Charte de lievoigiie. * Nous lavons vu plus haut, ' Voir sur ce point, le Statut de Maeslritht de 1580, article 1 2C. •• Lettre des féiiules. — Patron de lu Temporalité, passini. — Loi muée des chanoines, art. 8, 15, 1 0 ; loi muée des liourgeois, articles 1 cl '27. — Paix des clercs, article '29. — Li Paxceilhars, décisions n"' (i , 7, etc. — Chroniques de Jean d'Outremeuse , à propos du plaid de Vottcm. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 215 encouru la peine de mort '. C'était là sa place normale dans l'échelle pénale. Il était parfois comminé, à titre de peine principale, contre un délinquant tenu ; par exemple : en cas d'affoulure sans mutilation commise dans une église; contre les ravisseurs, contre les individus qui commettaient le crime de trêve brisée ou qui frappaient avec des armes prohibées -. Il était enfin comminé contre les bannis qui étaient saisis en rupture de ban '\ Le forjiujement ou privation de l'honneur équivalait à Liège d'une façon absolue à la mise hors la loi et à la mort civile. Le forjmjé, qui reparaissait dans le diocèse ou dans la principauté, était abandonné à toutes les justices du seigneur et pouvait être livré au bourreau sans forme de procès : il était « en la chache de singnor sour sa vyc ■*. » Il pouvait être tué imi)unément par le premier venu ^. Ses biens passaient, aussitôt après sa condamnation, et de plein droit, à ses héritiers naturels : « ilh est lions sains loy, priveis » de son honeur et de tous bins, lyqueis eskient tantoist aile loy de pays » (d'après la loi du pays) s'ilhe n'en al anchois le forjugement fait testament » ou disposeit en aultre manière, par vendaige, lansaige ou aultrement ^. » Lorsque le forjmjcment était prononcé par le Tribunal de la Paix, il avait pour accompagnement obligé une sentence d'exconununication. Alors le con- damné était « quant aile spiritualiteit excommegniés, auatemaliziés, jugié » sa femme veve et ses enfans orphènes, et queil part qu'il s'en vat, de dont » en avant en le diocèse de Liège, eus y doit cesseir del offiche divine par » troix jours continuels... ^. » Le forjugement était mis en warde des hommes ou des éche\ins, cpii venaient de le prononcer, et proclamé dans tous les cas au nom de l'évèque, au perron de la ville de Liège ou de la bonne ville ou franchise dans la forme ' Lui muée des chunuines, article 10. 2 Idem, article 15. — Paix des clercs, articles 2!). 3 Loi muée des chanoines, article \8;loimuée des bourgeois, articles 5, (i. ' Patron de la Temporalité, [t. 215. « Chroniques de Jean d'Outremeuse, ouv. cité, t. V, p. 33!) ; exemple : les complices de Henri (le Dinant. 6 Patron de la Temporalité, p. 215. — Le forjugcmoiit par le Tribunal de la Paix ou par celui des échevins avaient les nièuies effets séculiers, au moins dans la principauté. 7 Patron de la Temporalité, p. 215. 2i6 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMI.NPX suivante ' : « 0ns fait assavoir de part Mons, de Liège, li majeur, les esque- » \ins (ou les hommes) que N. est forjugiet et demineit de son lioneur, par- » tant qu'il at... (mention du crime) dont plente et enquesle a esté faite, et » le fait bin proveit, et qu'il ne soit nulz ou nulles que de ceste heure en » avant li fate confort et a} de, sur y estre en tel point et les parties en » paix "-. I) Il importe de remarquer que le foijugé se trouvait dans une situation beaucoup moins favorable que le banni. Celui-ci avait toujours devant lui un certain délai pour vider les lieux, celui-là n'en avait pas. Dès ({ue sa condam- nation était proclamée au perron il était hors la loi, ex lex : « auditus tes- » tibus... sentencinliter (rei) abjudicantur et honore privantur, qui versus » Namurcum subilù pcrfiKjerunl, uno solo mpto et posito super i-olam ^. » Varsin et Vohaftis frappaient non sur la personne du délinquant lui- même, mais sur sa demeure. Ils consistaient dans Pincendie ou dans la démo- lition de celle-ci, faite d'aulorité publi(pie. Dans le pa\s de Liège, le droit d'ars/n oHYabaffis éhnl un droit de liaiifettr. Il n'appartenait qu'à l'évèque; seulement au XIII*' siècle, son exercice n'était pas encore assujetti à des l'ègles très-précises. On sait qu'il était employé à cette époque, et sur une grande échelle, en matière de crimes politiques. En i2o6, l'èvéque fit solen- nellement abattre et brûler la maison de Henri de Dinant et de tous ses com- plices (|ui avaient été forjugès '*. En I2o6 Henri de Gueldre fit forjuyer les échevins de Saint-Trond, qui avaient voulu livrer leur ville au duc de Bra- bant, et il « fist ardre tos les bois et mairiens de leur hosteis -K » Nous aurons l'occasion de revenir plus loin sur cet usage, emprunté aux anciennes tra- ditions germani(pies. La cun/tscadun des biejis était, dans un certain nombre d'endroits, la con- séquence inséparable de la peine de mort et de la peine des mutilations. A Revoigne, par exemple, l'homicide, et celui qui coupait un membre à autrui, ' Puiruii de la Tumimndilv, \). Ô'i7. ■•^ lUiktM, Discours lie I8u7. Appendice, pp. 7G, 77. 2 IIucsEH, dans Cliapeavitlv, t. 11, p. 40U. * Poi.AiN, onv. cite, t. I", jip. 3'.);2, 31)3. — Chroniques de Jean d'Oiitremetise , ouv. cilé, l. V, p. Tiô'J. * Clironi catus fuerit, de corpore ipsius débita justicia fiât, tota vero possessio ejus » et suppellex uxore et infantibus sive propinquis de jure cédai '\ » D'après la charte de Brustliem,si (pielqu'un était condamné pour une infraction, le juge pouvait le punir dans son corps de telle peine que l'infraction entraî- nait, mais la femme, les enfants ou les proisnics du condanmé gardaient tou- jours son avoir *. Les échevins de Liège, consultés en rencharge au XIII'" siècle , déclaraient même que la confiscation des biens n'existait pas en principe dans le pays de Liège; qu'un malfaiteur ne perdait ni les vêtements ni les objets qu'il portait sur lui, qu'un malfaiteur avait le droit de tester, et qu'à défaut de testament ses proches héritaient de plein droit. « Jasoiche, » ajoutaient-ils cependant, pour rester dans la stricte vérité des choses, « que en alcun lyez ly » usaigez soit contrairez ^. » Cette répulsion du système pénal liégeois pour une peine odieuse et injuste constitue, à son profit, un élément de supériorité remarquable sur le système pénal des principautés lotharingiennes '^. Quant à la confiscation spéciale des objets qui pouvaient servir à conmiettre un délit, ou des objets qui avaient déjà servi à le commettre, elle était faci- lement prononcée. On confisquait aux aflbrains les armes avec lesquelles ils ' Cluirtv de Rcvoigite. * Voir celte charte. 5 Article 8. * Article 5. ' Raikem, Discours de 1851, p. 25. — Li PatceiUiars, décision n° 95. •> PouLLET, 4"' Mémoire sur le droit pénal cité, p. 252. Tome XXXVIII. 28 218 ESSAI SLR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL venaient dans Liège, quand même ils n'avaient fait aucun mal '. On confis- quait les eiKjins de pèche prohil)cs à ceux qui en avaient fait usage, en même temps qu'on leur appli(|uail une autre peine '-. La dcvlironic de certuins droits r/'t'ils était parfois la conséquence iimné- diate du fait délictueux lui-même, parfois la conséquence de la condamnation prononcée. A Liège, par exemple, depuis le SkiliU de 1302, les bourgeois (pii conmiellaient un homicide ou un vilain cas devenaient uulxiins par le fait même, et perdaient leurs privilèges en matière d'arrestation piéven- tive '. D'un autre côté, quand un homme était à occir * le fds du prenuer lit de sa femme, il encoui-ait, outre la peine ordinaire du crime, la privation de quelques droits successoraux. Ni lui ni sa femme ne pouvaient hériter du mort. Les biens de celui-ci passaient tous, de plein droit, à ses plus proches parents paternels •'. L'exposition ignominieuse n'est mentionnée ni par \v<, lois iiiaécs, ni j)ar la paix des clercs, ni par la charte de Revoigne. Nous savons cependant, tant par les chroniquem-s que par la onde cuerte van Maeslricht, qu'elle était paifois appliquée par les juges liégeois du XIIl" siècle. La onde caerte parle du « stock daer men de quaetdoenders aen set ^. » Jean d'Outremeuse nous apprend qu'un faussaire, avant d'être brûlé vif, fut exposé à trois reprises différentes sui- VècheUe devant la maison de justice à Liège ". La peine de la détention dans nn cul de basse fosse n'est coniminèe qu'une seule fois : par la lettre des vénales. Le boulanger <|ui fabri(piait du pain d'im poids inférieur au poids légal était jeté dans la fosse dite co)n/)estti. Nous ne savons ni ce qu'était cette fosse ni cond)ien de temps le délin(|uanl y restait **. Enfin le bannissement et les amendes formaient, au XIII' siècle, la base ' Loi muée desboiirfirois, arliclc 2u. * lÀ l'idrcilharii, dvd^um n" l. ' Voir ('(' Stiiliit. * Complii'i' ili' riioiiiiiiilc. ' Li Pawfilhfirs , (li'ci^idii ii° (iC. '' Arliclf (i. ' (:iiriiiii(iins (lf.lci.tn d Onlrcmeiise, oiiv. cite, t. V. p. 5Ô8. ' Voir (l'Ile lii.irtc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 219 du système pénal liégeois en matière d'infractions trop peu graves pour entraîner l'application d'une mutilation ou de la peine de mort. Ces deux peines se trouvèrent toujours en rapports étroits; mais leurs rapports furent intervertis, à un moment donné, surtout à Liège, par la promulgation des lois muées. Nous allons nous en rendre compte. Sous l'empire des traditions de la loi Charlemagne , et d'après les textes du Paweilhurs aux articles, le Ounnissement était prononcé à titre de peine principale en matière d'infractions contre les personnes, moindres que les mutilations, et même, en matière de mutilations, contre les délinquants non tenus ^ Ce bannissement chassait le condamné four délie justiche, c'est-à- dire hors du ressort judiciaire dans lequel il avait été jugé. Il était d'un, de deux, de trois, de cinq ans -. Le délinquant (pii rompait son ban « et li » maire et li esquevins Payent veut et mis soit en warde, » encourait la pri- vation de l'honneur et était forjuyé^. Dans le système légal des temps, le bannissement , infligé à titre de peine principale, était essentiellement raclie- table. C'est ainsi ([u'il touchait alors aux amendes. Le Paarilliars aux articles dit : « hanni se ce n'est par le merchi de saingnour de lieu. » Seule- ment, comme ce rachat n'était pas encore tarifé, le seigneur pouvait imposer au délin(|uant qui demandait à être déchargé du ban, et à titre de peine subsidiaire, une amende arbitraire. L'ensemble du système en matière de bannissement, que nous venons d'indiquer, subsista très-longtenq)s dans le plat pays. Nous en trouvons encore des traces dans une keure de Diepenbeeck du XV" siècle, i-enouvelée au XVI" siècle : « Van een vuj stsiaghe gegeven , die men beluyghe kan en » die beclaeghl word nae die koren van den dorpe, een jaer van den dorpe, » ende niet weder in te komen, hie en hebbe d'partien moet ende des » heei'en *. » Cependant, dès le milieu du XIII'' siècle, ce système commença à être battu en brèche. Dans la charte de Uevoigne, il est encore question du ban- ' Li Paiveilhars , décision n" (i. 2 Idem , ibidem. , 3 Idum , iliidem. ^ Dit syn die corail van Diepenheke , etc., ordonnance manuscrite. 220 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL nissement d'un on et (riiii bannlssemenl iiulr/iiii , « bannis doit estre tant » comme le seigneur plaira » tous les deux comminés à titre de peine prin- cipule : le premier, en outre d'une amende fixe contre le délinquant qui a fait plaie ouverte, le second contre le délinquant qui a tué ou mutilé autrui et qui « ne puet estre tenu ^ » Mais déjà, dans la lettre des vénales, le ban- nissement n'est plus employé qu'à titre de |)eine subsidiaire pour le cas où certains délinquants ne payeraient pas l'amende; ainsi, par exemple, si une femme n'acquittait pas une peine pécuniaire iniligée à raison d'une violation de la k'Ilre, elle encourait un bannissement d'un an bors de la irancbise de Liège. Enfin , dans le système pénal des lois muées et de la paix des clercs, la révolution est conq)lélement accomplie. Le M'ai rôle du bannissement est désormais d'être une peine subsidiaire, un mojen de contrainte pour forcer au payement des amendes : c'est seulement dans des cas exceptionnels et j-ares qu'il est encore comminé directement par le législateui-. Comme peine subsidiaire, le baimissemcnt , à Liège et à la fin du XIII* siècle, était d'un, de deux, de trois, de cinq ans, bors de la banlieue de Liège, et à deux, à trois, à cinq lieues de sa frontière, ou bien de cinq, de dix, ou de vingt ans bors du diurèse. Le bannissement bors de la ban- lieue frappait le délinquant qui ne savait ou qui ne voulait pas payer l'amende encourue en matière d'injures, de menaces, de violences moindres que Va/fuulure -; le bannissement liors du diocèse, celui qui ne savait ou ne voulait pas payer l'amende en matière iVa/foulures , de coups portés avec ai-mes émoulues, de violation du secret des encpiètes faites par h\ commission mixte, et celui qui n'acconqilissait pas les pèlerinages comminés par la jmix des clercs ~\ Comme peine principale, le bannissement sans rachat ne pou- vait plus guère être prononcé sinon contre la personne qui refusait, après une quatrième sommation, de venir déposer en justice, contre celle qui empè- cbail un témoin de déposer, contre celle (pii conmiettait une mutilation et n'était pas apprébendée au l'ail *. ' Voir celle tliiirte. * Loi mu IV. lies ioiinjfois , articles 2, 5, 4; lui miici' des iliunuiiics. articles I, ^,3, 't. etc. * Jilciii , iirti(tlc.s .3, 4; toi iiiiice des chanoiueti , articles 4, 20, 9. — Paix des clercs, article 30. * Loi muée des cluiiioines, aiiiclcs D, 20, '2'2. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 221 Malgré le bouleversement des anciens rapports entre les peines pécuniaires et le bannissement, les conséquences de la l'upture de ban étaient restées les mêmes qu'aulrefois. Le condamné qui rompait un ban, quel qu'il fiU, était fo) jugé (le son honneur, ou mis hors la loi '. La i-upture de ban existait, (piand le condamné ne quittait pas la ville ou le ressort judiciaire au jour qui lui avait été commamié, ou quand il rentrait dans les limites dont Paccès lui avait été interdit avant l'expiration de sa peine ^. Passons désormais à Tétudc des amendes. Il résulte de ce que nous avons dit plus haut, que, dans les premières années du XIII'' siècle, les amendes étaient encore arbitraires au pays de Liège dans beaucoup d'endroits. Une des premières chartes où il soit question iVamendes tarifées est celle de Pondreloux et de Châtelel de 1219-1220'". Des peines pécuniaires, dont le taux varie de cinq à vingt sous, y sont connninées à litre de peine princi- pale, contre les auteurs d'actes de violence sur les personnes jnscpi'au coup avec effusion de sang inclusivement. La charte de Pondreloup ne s'occupe pas des moyens de contrainte à employer pour forcer les condamnés au paye- ment de l'amende. Des amendes tarifées sont encore comminées par la lettre des rénales, à titre de peine principale, à raison des contraventions touchant le régime des denrées alimentaires, et par la charte de Rcvoigne, à raison des violences légères contre les personnes. La charte de Revoigne ne parle pas de peines sub- sidiaires. La lettre des vénales, au contraire, menace ceux qui rest(!nt en défaut de payer l'amende de Vexcommunieation et dn forjuf/ement *, si ce sont des honmies; si ce sont des femmes, d'un bannissement d'un an hors de la banlieue. Quant aux lois muées, elles contieimenl l'nne et l'antre nn tarif de peines pécuniaires très-minutieux et très-étendu. Ces lois frappent d'amendes \ariées tous les actes de violence contre les personnes, moindres que les mutilations, ainsi que les injures et les menaces; et connnincnt un bannissement contre les condamnés qui ne les payent pas en temps voulu ^. ' Lui iiiiivf (les l/utiryt'ois, ;irlicU's 5 cl 0; /()(' miux i/cs ihuiwiiies, arliulf 18. '^ Loi iiiiiêe (les chanoines, article 18; loi muée des bourgeois, articles i et 3. ' A. Wauteus, ouv. cité, p. 175. * Lettre des vénules. ' AoiWMéet/esfcoiO-jfeOiS, articles 3,4, 5,14, IG; lui nuiéc des cluuioi nés, ;irlidcs 1,2,3,4,5,6,9. 222 ESSAI SLR LIIISTOUŒ DU DROIT CRIMINEL A I;i fin (lu XMI'' siècle, il parait que In moinclro amende était de sept sous, les plus élevées de dix ou de soixante marcs '. En principe général, leur produit appartenait au seigneur de la justice dans le ressort ducpiel elles étaient encourues. A Liège, néanmoins, et conformément à h paix des riens et à la loi iiiui'c des clianoines. les amendes infligées à raison de contraven- tions à ces rJmrtes se partageaient entre les églises et la ville -; et même, quand il s'agissait d'actes de violences commis dans une église de la cité, l'église seule les prélevait '. Les amendes infligées à l'occasion de contra- ventions à la loi muée des bourgeois se partageaient par tiers entre le sei- gneur, l'avoué et la ville *. Nous avons ainsi parcouru le cercle entier des pénalités dont il est for- mellement question dans les documents du pays de Liège du XIII" siècle. Ces ))énalités étaient, en général, appliquées aux délincpiants à l'occasion de la paix du seif/iieiir qu'ils avaient violée en commellant une infraction, fl s'agit maintenant, avant de |)ai"ler des peines ecclèsiasti(|ues, de montrer connneni, en cas d'action criminelle régulière, on déterminait la satisfaction à la(|uelle avaient ordinairement droit la victime même d'une infraction contre les personnes, ou ses proismes. De. 1.1 .satisl'actioii à parUc. Deux principes généraux dominaient toute la théorie de la matière nou- velle que nous abordons : 1° Quand la peine de mort ou la peine de mutilation avaient été exécu- tées contre un (lélin(pian! , ou quand celui-ci avait v[é for jnyé, conmu^ ('U\n[ non tenu, du chef d'un crime passible d'une peine allbctive corporelle, il n*\ avait pas lieu d'accorder une satisfaction spéciale à la partie lésée •'; 2" Quand une plainte criminelle avait été faite, et que le délincpianl avait ' Loi muée des chanoiiiex, arl. I , t'O ; loi muée des bourgeois, arl. '2. — Paix des eleirs,iM'l. 2 1 . - Paix des elercs , article :*l ; bn muée des chanoines, artiili; iC. ' Idem , :irlicle 50. * Loi muée des bourgeois, arlirlc 41. !* Idem, .nrliclcs "2, 57, 40; loi muée des elianoiues , ai'ticle 11). — Paix des clercs, articles 32,44. DANS L'ANCIENi>E PRINCIPAUTE DE LIEGE. 225 «îté condamné à une amende au profit du seigneur, une satisfaction person- nelle était toujours due à l'offensé ou à ses proches; mais cette satisfaction n'était plus réglée à l'amiable par le plaignant et par son adversaire. La première de ces règles n'a {)as besoin d'explications. L'exécution d'une peine corporelle, ou le prononcé d'un forjugement, étaient censés réparer à la fois la lésion faite à la jiaix du seigneur et l'outrage moral infligé par l'in- fraction à la famille offensée. Il nous suffira de rechercher à qui l'autorité publicpie attribuait le soin de déterminer le montant de la réparation due à la |)artie lésée, quand le délin- quant n'avait encouru qu'une amende pénale. On sait que les lois barbares tarifaient avant tout les wheryhelt, et (|u'elles considéraient jusqu'à un certain point le fredum comme l'accessoire de ceux-ci. Les législations du moyen âge, au contraire, portèrent avant tout leur attention sur les droits du seigneur. La charte de Brusihem déterminait encore quelle était la part du seigneur et la part du lésé dans la peine pécu- niaire connninée contre un délinquant '. La charte de Kevoigne stipulait en termes exprès, à propos du délit {h plaie ouverte^ que, outre l'amende du seigneur, le cou|)able était tenu de « l'ome faire garir délie plaie "-. » Mais les lois muées, si soigneuses à tarifer les amendes, ne décidaient plus rien ni par rapport au utode ni par rapport au taux des satisfactions (hu's aux parties lésées. Nous pensons qu'il existait une sorte d'échelle conlumière des réparations, wardées dans les traditions des échevins, et tenant compte à la fois des dommages matériels subis pai- le plaignant, et de Vo/fensr moral(> (pii lui avait été faite. A l'offense morale correspondaient ces voies ou pèlerinages, dont nous avons parlé, aux dommages matériels des prestations en argent \ Cependant, ce n'étaient pas les échevins eux-mêmes (|ui étaient chargés de fixer les conditions de la satisfaction à partie. Conformément à la loi muée des bourgeois, chaque fois qu'une infraction a\ait été commise de bourgeois à bourgeois, les maîtres de la cité étaient obligés, d'après leur serment de leauté, de constituer un tribunal arbitral conq)osé de cinq bourgeois. Ceux-ci ' Article (î. '^ Charte de Revoiytie. 5 Li Paweilhurs, décision n" 104. 224 ESSAI SLR LllISTOIRE DU DROIT CRIMINEL ne pouvaiciil rolusor la charge qiroii leur iinpo.sait : ils étaient tenus de « tailler raniende du forfait, sauf de membre tolleil et de mort d'homme '. » Les arbitres devaient tei-miner Taiïaire dans la quinzaine, sous peine d'en- courii- eux-mêmes une amende; mais ils avaient le droit de faire eiKiuète, cVsl-à-diie de s'entourer de toutes les lumières nécessaires |)Our porter une décision raisonnable. Les arbitres statuaient à la majorité des voix et leur décision était sans appel. Si une des parties ne voulait pas se soumettre à ce qu'ils a\ aient pro- noncé, le maieur de Liège intervenait au nom de Tévèque. Le maïeur com- mandait au récalcitrant, en royal chemin et à sa personne, à son hôtel, ou même par rri du perron, qu'il eût à accepter la sentence arbitrale sous peine d'être altciitl de son honneur; et si ce commandement restait infructueux, « ly maires sonsmonrait les esquevins sens délayer, et li esquevins en doit » jugier sour son lionour -. » Quant à la loi nnnr des c/ianoines , elle ne détermine pas à qui il aj)par- tenait de failler les amendes aux parties, de méfaits commis par les varlets des chanoines contre les bourgeois, et vice versa "'. Nous supposons que celte mission incombait à la connnission mixte créée par la paix des clercs. Celle-ci, en elïet, en pailant de la satisfaction à partie, s'exprime dans les termes sui\ants : « (pie asseis soit fait aile partye à cuy li meiïais serat fais, par » le dit de cheaz qui seront pris pour taiihier les amendes de ces méfiais » pour nous les dites partyes *. » En ce qui concerne les usages des autres villes franches de la principauté et du plat pays, nous ne savons rien. Sans doute que les échevins se char- geaient eux-mêmes de faire ce (|ue faisaient à Liège les ai-bitres nommés j)ar les maitres de la cité et les membres de la commission mixte. ' Haikim, Discoiii'^ de I8lil, p. ô'i, iiolc i; ce |iiinii|ic est la coiifiinialiuii de la |iiC'lllii'ri' rci;le que nous avons (■noiicce. ^ Loi muée (les h<>iii(jfi)is, arlicli" 157. ^ i;il<' adincl en icrnics cxprt-s le pi'inci|)e : « se assois n'c^t faite à l'adverse partie. • * AMi(le44. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 22o Du système pénal ecclésiastique. Sans entrer dans de minutieux détails, il importe de ne point passer sous silence le système pénal ecclésiastique qu'a|)pliquaient les juges d'église liégeois au XIII'' siècle. Comme on le verra tout d'abord, il avait une importance sociale très-grande. Les peines principales dont ce système consacrait Tusage étaient: l'excommunication, l'interdit, la pénitence publique, la suspension, la priva- lion ou destitution, l'amende, la détention, la dégradation et les pèlerinages. La peine de l'excommunication devait s'entendre de l'excommunication majeure. Quand elle avait été proclamée en nom personnel, au son de la clocbe et à la lueur des cierges, elle privait celui qui en était frappé de la commu- nion des fidèles pendant la vie et après la mort '. Elle le rendait indigne de la sépulture ecclésiasiique et indigne d'assister au service divin. Un prêtre, sachant qu'un excommunié se trouvait dans l'église au moment où il célé- brait la sainte messe , devait interrompre le sacrifice et enjoindre à l'ex- communié de vider les lieux. En cas de refus de sa |)art, le prêtre invotpiait l'appui de la justice séculière; et, si celle-ci refusait d'obtempérer à la réqui- sition (pii lui était faite, chacun de ses membres encourait l'excommuiiicalion ipso fado, sans préjudice des autres peines ecclésiastiques que lollicial pou- vait leur appliquer -. Selon le droit liégeois, un excommunié publiquement dénoncé ne pou- vait plus exercer les fonctions de juge (échevin ou justicier), d'avocat, de procureur, de notaire, ni être admis comme témoin. On avait même la faculté de récuser l'intervention d'un excommunié dans un acte judiciaire, quand il n'avait pas encore été publicpiement dénoncé, en produisant en justice copie authentique du mandement d'excommunication •"'. Si l'excommunié ne se soumettait pas, dans l'année de sa condamna- lion, à une réparation jugée convenable par le juge d'église, celui-ci avait ' A moins, bien entendu, dnvoir élti alisous. 2 Staltils synodaux , titre IV, n° 52; tilre VIII, n° 49. — Souet, ouv. cité, livre V, titre XXI, n»' 5, G, 7. ^ SoiiET, OUV. cité, loto citulo , n" 13. Tome XXXVI II. 29 226 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL le droit de procéder contre lui comme contre une personne suspecte d'hérésie. Celait dt^à le disj)0sitil" d'une constitution impériale de Frédéric II '. L'inicrdit était local au personnel. C'était une censure ecclésiastique par laquelle on interdisait à certaines personnes ou dans certains lieux Tadmi- nislration des sacrements et la célébration des divins mystères -. L'interdit local était comminé par les statuts synodaux, notamment : 1° Contre les seigneuries dont le sire, spoliateur ou incendiaire des biens d'église, ne réparait pas le dommage causé dans les quinze jours de son excomnumication solennelle ; 2" Contre les seigneuries où le sire et les juges, après avoir été excom- muniés publiquement pour n'avoir pas puni un de leurs justiciables coupable de laits analogues et dénoncé par l'autorité ecclésiastique, restaient quinze jours entiers sous le coup de celte excommunication, etc. ^. La pénitence publique solennelle n'était plus guère usitée à la fin du XIll'^ siècle que : « pro crimine et peccato vulgarissimo quod totam villam » commoveiit. » Elle était appliquée le cas échéant par l'évèque lui-même. Elle consistait dans une expulsion de l'église, entourée de formes impo- santes, faite le jour des cendres et levée au jour de Pâques. Tant que duiaient ses eiïels le pénitent ne pouvait exercer une charge militaire sécu- lière ni contracter mariage *. La suspension était une censure ecclésiastique par laquelle on interdisait à des ministres de l'église les fonctions de leur ordre ou de leur ollice en tout ou en partie "'. La (lr/)osition était une peine ecclésiastique infamante, par laquelle un clerc ('tait privé poui' toujours de ses béuélices et ollices ecclésiastiques, en retenant néanmoins les |)ri\ iléges de la cléricalure ". Dans le pays de Liège, Yamende pouvait être pi-ononcée par les juges d'église, aussi bien contre les laïcs que contre les clercs, à propos d'infrac- ' Soiiicr, oiiv. ciU', luci) lilulu , ii" 27. 2 1 tic III, lilic Wll. 3 Slatul.s nijiiixluiix , lilrc XV, w" I ; litre XVIl, n"' 1 cl 2. * Idem, litre IV, n" 50. — Sohict, oiiv. ciié, lilix- XXV, n° 15. * SoiiET, loco cilulo , lilrc X.XIll. '■' Jdem, ouv. rilé, li\rc V, lilrc XXIV, n" I. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 227 lions qui ressortissaient à leur tribunal '. Il en était de même de la déten- tion - dans la tour de l'officiul. La défjradation , dite réelle, privait un clerc de tout grade et état clérical et par conséquent du privilège du for. Elle était prononcée quand il fallait livrer au bras séculier un clerc délinquant, pour lui faire appliquer une peine alïlictive corporelle ou la peine de mort. Celles-ci, en elTet, n'étaient jamais inlligées par les juges d'église '\ Les peler inaijes , enfin, étaient coniminés à litre de peine par la paix des clercs. Celle-ci menaçait d'un pèlerinage, outre la peine ordinaire du crime à appliquer par la justice séculière, les individus qui commettaient certains actes de violence, jusqu'à plaie ouverte sans affoulure inclusivement, dans une église de Liège. Selon la gravité des circonstances, le but du pèlerinage était Saint-Jacques-en-Galicc, Kocamadour, ou Vendôme. Quel qu'il fût, il devait éirc perayé par le condamné en personne, sous peine d'encourir un bannissement subsidiaire ^ Mais laissons les peines, et voyons comment elles s'exécutaient. § III. — De l'exécution des peines et du droit de gréice. Les monuments du XIII*" siècle sont fort explicites à propos de l'exécution des peines pécuniaires ; en revanclie ils ne donnent que peu de détails en ce qui concerne l'exécution des peines corporelles. D'après la lettre des vénales, on commandait au délinquant de payer l'amende, à laquelle il avait été condamné, dans les huit jours et sous peine d'encourir le Oaiinissemeul subsidiaire oi\ le forjugonent. Ce comman- dement se faisait à sa personne et dans sa maison; ou bien, si le délinquant n'avait ni maison ni famille, il se pioclamail au perron de la Cité^. A vrai dire, il paraît que le commandement dans la maison constituait une exception « Concordat de 128S, cité, article 1". — Soiiet, ouv. cite, livre V, titre XXV, n" 1, 2, 5. 2 Idi-m. — Cela n'existait pas dans les mêmes limites dans les principautés laïques. 5 Soiiet, ouv. cité, livre V, titre XXV, /Jassi»!. — Raikem, Discours de 1857, p. l'J. * Paix des clercs, article 50. ' Lellre des véindes. 228 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL en matière d'infiaclions prévues par la lettre des vénales. Le Paweilhars aux articles, en eiïet, exige en termes généraux que le comm;uidement de payer soit fait en chemin royal *, D'après les deux lois muées, le commandement était à quinze jours. Quand le délin(|uant était un hoiu'geois ou un varlet de bourgeois^, c'était le grand maïeur de Liège lui-même qui se chargeait de le faire. Quand le délinquant était un varlet des chanoines, c'était ou bien le grand maïeur, ou le .sergent du prévôt de Saint-Land)ert, qu'on appelait son maïeur-. Si le condamné laissait expirer le délai de quinze jours sans obéir au commandement qui lui avait été fait, il encourait de plein droit le bannisse- ment subsidiaire. Le maïeur lui faisait un nouveau commandement de quitter la ville à jour fixe; et, cette fois, la désobéissance du commandé le plaçait en état de rupture de ban ■', et par conséquent sous le coup d'un forjugemcnt. Les pèlerinages comminés par la paix des clercs devaient aussi être com- mencés dans un délai déterminé : celui de Saint-Jacfjues-en-Galice, dans les six mois de la condanniation; celui de Rocamadour dans les trois mois; celui de \'en(lôme dima les (piaranle jours; et toujours, comme nous l'avons dit, sous peine pour le défaillant d'encourir un bannissement subsidiaire '. Quant aux peines corporelles, c'était tantôt aux voués, tantôt aux baillis, aux maïeurs ou écoutètes, ou au maréchal de l'évêché, qu'incombait le soin de veiller à leur exécution. Nous l'avons déjà dit •^. Nous ne savons pas si dans le pays de Liège , comme en Brabant, là plupart des seigneurs hauts justi- ciers étaient tenus de livrer aux olliciors du prince les délinquants que leurs échevins avaient condamnés à la |)eine de mort". Dans les villes il existait, presque toujours, un lieu patibulaire où se faisaient la |)hi|)art des exécutions ciimineiles. A Liège il y en avait un sur la hauteur de Sainte-\\ alburge. Cependant il arrivait aussi qu'on mit les délin- quants ù mort devant la maison drl justic/ie , ou dans un lieu public quel- ' I.i Pawi'illiars , ilvtWum ii° 14. * Loi muée des cliitiioiiics , iirlicle ^8; lui muée des boiinjeois, articles 3, 4, 5. ' Loi Ditii'e des clmnoiiies , arùdc 18. * Paix des rlercs, iirliclc 7A). * Voii' ce que nous avons dit des olliiiers erimmels. « PouLLET, 1" Mémoire sur le droit pénal cité, p. 203. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 229 conque de la Cité, ou même qu'on les pendît aux poutres de leur propre maison : « et si en prendoit tant et les pendoit parmi la Cité az posteais » de leurs maisons qu'à mervelhe '. » A Maestricht, le duc de Brabant et Tévèque de Liège avaient chacun leur lieu patibulaire pour les exécutions à mort. Ils se servaient tous les deux du rjhemeynen stoc pour les exécutions criminelles de moindre importance ^. Au XIII'' siècle on avait déjà coutume, au moins dans certains cas, de traîner sur la claie (slypen) les condamnés à mort, et de les conduire ainsi ignominieusement au lieu où ils devaient subir leur supplice '". Il semble également qu'on écartelàt quelquefois le délinquant exécuté, après sa mort, pour exposer ses membres épars, jmirV exemple, dans divers lieux publics *, Il importe de ne pas oublier que, dans le pays de Liège, l'oflicial, exerçant à la fois la juridiction ecclésiastique et la juridiction séculière de Pévèque, avait le droit de faire exécuter lui-même ses sentences, soit par ses propres sergents, soit par les maïeurs des lieux. Les autres juges d'église, et notamment les juges délégués, ne partageaient passa prérogative ^'. Mais arrivons au droit de grâce. Les lois muées et la paix des clercs proclament, en matière de grâce, deux principes fondamentaux que nous allons brièvement exposer : 1° Il n'appartenait ni à l'évèque, ni à personne, de faire grâce des peines encourues, « fours que de mort d'omme, de membre perdut, et d'honour » d'omme qui descendcroil de ces deux cas ". » Les peines pécuniaires étaient donc irrémissibles. 2° Quand une condanniation à la peine de mort ou à la peine de la muti- lation, ou quand un forjugement avaient été prononcés, sur la plainte de la partie lésée, celle-ci avait un droit acquis à ce que ces peines fussent exécu- ' Chroniques de Jean (rOtiIreiiieiise , ouv. cité, pass'un , et l. Y, p. 377. * Die onde caerte van Maeslrieht, iiriiclc 10. ^ Idem. — Cluon.iques de Jeun d'Otiln-meiise, oiiv. tilc, t. V, p. 19Ii. * Chroniquettrs liégeois, passiin. 5 SoHET,ouv.ii(i', livrcV, lilicXXV, ii'*5et 4; livre 1", litre II; liviT IV, litre II, cliap.XVlI, n°' 5, C, etc. ^ '' Loi muée des bourgeois, article 40; loi muée des clianoines, article l'J; paix des clercs, article 22. 230 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL, etc. lées '. L'évêque ne pouvait gracier le délinquant, m (jrataitemont , ni h prix d'argent^ avant que la partie lésée ou ses proismes fussent satisfaits : « se » asseis n'est fait à Tauverse partye 2. » Qr, comme personne ne pouvait encore régler iraulorité, dans ce cas, la réparation due, si les olfensés se montraient intraitables ils empêchaient toute espèce d'exercice du droit de grâce ^. Le Paweilhars nous apprend de son côté que le droit de grâce appartenait au seigneur du lieu dans lequel l'infraction était commise : « se ce n'est par » le merchi de saingnour de lieu *. » Ce seigneur ne pouvait évidemment, pas plus que l'évêque , remettre les peines corporelles sans l'aveu de la partie lésée préalablement satisfaite. Mais rien ne l'empêchait de commuer à son gré le bannissement en amende, et même de remettre l'amende à son gré, quand cette amende était prononcée à son profit exclusif. Il est vrai qu'il devait être rare de voir les seigneurs faire grâce sans argent : les profits judiciaires étaient une des branches les plus fructueuses de leurs droits seigneuriaux. Nous verrons plus tard les lois liégeoises consacrer le principe que la grâce, octroyée par l'évêque lui-même, ne prêjudicie pas aux droits du seigneur du lieu du délit; et que celui-ci a toujours le droit d'exiger du délin(|uant qui a conunis une infraction dans son ressort, une satisfaction particulière. Nous n'insistons pas sur ce point, parce qu'aucun document du XIH" siècle ne s'en occupe. Les détails que nous avons donnés dans les cinq chapitres de ce livre nous dispensent, croyons-nous, de donner ici un code pénal. Nous préférons aborder immédiatement l'histoire du droit liégeois jusqu a la paix de Saint- Jacques. ' Raikem, Discours de iSIi?, p. 59. 2 Lui muée des clniiiuiiivs , iiiliclc lit; loi muée des bourgeois, articles 2 cl M; paix des clercs, iirtidc 2'J. 3 Pur ar^iimnii de I nrliclc ."7 (!<• la lui muée des bourgeois. * Li Piiweiliiuvs, déiibioii ii° (i. LIVRE II. DU DROIT CRIMINEL LIÉGEOIS DEPUIS LA PAIX D'ANGLEUR ET LA PAIX DE FEXHE, JUSQU'A LA PAIX DE SAINT JACQUES. La période dont nous allons nous occuper dans ce livre est, au point de vue de l'histoire du droit criminel liégeois, la plus intéressante et la plus riche. Du XFII'= au XVI" siècle, les institutions répressives et le droit pénal se transforment partout dans les anciens Pays-Bas sous Pimpulsion de hesoins nouveaux, d'idées nouvelles, et d'influences |)oliti{(ues et scientifiques étran- gères. Mais tandis qu'ailleurs le mouvement qui s'opère est surtout tradi- tionnel et coutuniier, à Liège il s'appuie presque toujours sur des bases législatives. En Brahant, en Flandre, les modifications profondes subies par les insti- tutions judiciaires, par le droit et par la procédure, sont ordinairement l'œuvre insensible du temps et de la pratique. Le prince reste dans une (|uasi- inaction législative. On ne connait guère dans ces provinces, de la révolution juridique qui s'est faite, que les résidtats. On est réduit aux conjectures quand on veut préciser par quelles phases elle a passé. A Liège, au contraire, on peut suivre cetle révolution d'étape en étape, dans une série non interrompue de monuments authentiques. L'évèque, d'accord avec les États du pays, a dirigé et dominé l'initiative privée, et sur- tout il a périodiquement fixé les conquêtes de celle-ci. D'intervalle en inter- valle des rêyfements locaux, et des/;a/a!; applicables dans le pays entier, ont mis les institutions, le droit et la procédure eu rapport avec les nécessités changeantes de l'état social et avec les tendances générales de l'esprit de l'occident. 232 ESSAI SUR LHISTOIKE DU DROIT CRIMIAEL Les nioiiiinients législatifs liégeois, du XIV'' et du XV" siècle, mettent généralement fin à de virulentes querelles ou à des luttes sanglantes dont les institutions judiciaires et souvent le droit ou la procédure eux-mêmes avaient été un des objets, quelquefois même rohjet piincipal. Pour en faire riiistoire complète il faudrait à la rigueur faire l'histoire politique du pays de Liège. C'est là, cependant, une tâche que nous devons décliner, sous peine d'élargir démesurément le cadi-e d'un travail déjà fort vaste. Nous renverrons donc avec confiance aux œuvres de MiM. Polain, de Ger- lache, Namèche, Dewez et Whohhvili, pour la suite des événements; nous contentant de donner en abrégé les causes immédiates et les occasions pro- chaines qui ont amené la publication des principaux règlements et des prin- cipales/^««j? dont nous aurons à nous occuper. Nous suivrons dans ce livre un plan analogue à celui que nous avons adopté pour le livre précédent. Nous consacrerons un chapitre spécial aux monuments léyislatifs du droit liégeois, dans lequel nous chercherons à caractériser briè\ement les ten- dances générales et la portée de chacun d'entre eux, sans nous absorber dans une analyse complète et détaillée. Dans deux autres chapitres, nous grouperons toutes leurs données dans le cadre méthodique des institutions et du droit. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 233 CHAPITRE I^ DES MO^UME^TS DU DROIT LIÉGEOIS JUSQU A LA PAIX DE SAI.NT-JACQUES. § jer — Depuis Thibaut de Barjusqu''ù l'avénemeut d'Emjlebert de la Marck. A la (in du XIII" siècle la conslilutiori régulière du pays de Liège n'était pas encore faite. Les différents éléments actifs qui se coudoyaient dans la principauté se heurtaient à chaque instant les uns contre les autres. Partout il y avait lutte, et lutte à main armée. Le chapitre cathédral visait, au point de vue judiciaire et politique, à une indépendance presque complète. L'imiomhiable noblesse territoriale était pour ainsi dire en dehors des lois, grâce à son droit de guerre privée, et à son privilège en matière de loi d'escondil. Dans les villes , et surtout à Liège, une ligne de démarcation profonde séparait les (lens de lignaye des gens de la classe inférieure : les uns étaient tout, les autres n'étaient rien. Les hauteurs (altum dominium) de l'évèque, auxquelles le peuple faisait sou- vent appel contre les grands ', n'étaient pas fixées; ses droits vis-à-vis des communes étaient combattus. Les tendances monarchi(|ues du prince et les tendances républicaines des comnnnies étaient en conflit continuel. Enfin la guerre pri\ée des Avvans et ik<> Waroux était devenue une véritable guerre civile. Les villes allaient y prendre part ; et dès lors toutes les questions de prépondérance aristocratique ou démocrati(|ue locales, toutes les questions de prépondérance monarchique ou communale générales, devaient en com- pliquer la marche et en devenir l'objet principal. Tel était l'état des choses quand, en 1312, l'évèque Thibaut de Bar ' PoLAiN, ouv. cilé, I. rv, p. 357, d'après Hoc>cni, et les Chroniriues de Jean d'OiiIrcmeusc. Tome XXXVill. 50 25i ESSAI SUR LHISTOIIIE DU DROIT CRIMINEL mourut à Rome. Toutes les inimitiés et toutes les divisions locales se grou- pèrent aussitôt, à Foccasion de Félection du maiiibour chargé d'administrer le |)ays pendant la vacance du siège. Le chapitre cathédral nomma mumbour Blanckeidicini son prévôt, et le peuple de Liège le soutint. Les lignages de la ville et les nobles du pays, mécontents de Blanckenheim qui avait sévi avec une juste énergie contre les Waroux violateurs d'une quarantaine, con- férèrent de leur côté la maimhournic au comte de Looz. Après de longues et infructueuses négociations, celui-ci voulut en appeler à la force. Il essaya de surprendre Liège, mais la journée de la 3Iâl- Saint -Martin brisa ses efforts '. Vers la fin de 1312, le chapitre et le comte, effrayés l'un et l'autre des désastres qui s'étaient produits, se rapprochèrent. Ils nommèrent chacun quatre arbitres dont la communauté de Liège s'engagea à respecter les déci- sions. Ces huit personnes, après quelques pourparlers, conclurent la paix d'Atujk'ur du 14 février 1313 (n. style) -. La paix rf'J«///t'»;- considère les lignages ou ]es grands, d'une part, et le peuple ou \cs petits de l'autre, comme deux nombreuses familles qui ont en vue de mettre fin à une guerre privée. Elle proclame l'oubli du passé et la conq)ensation de toutes les violences qui ont été faites et de tous les torts qui ont été récipro(piement inlligés : « et » soit bonne paix entre les dois parties, sans jamais à plaindre li une partie » de l'aultre, des mais devant dis, en justiche nulle, et sans amende à » faire. » Une cédule annexée à la paix contient im code pénal spécial. Celui-ci commine, outre \os peines ordinaires ~\ (\cs peines su|)plèmentaires contre les membres des anciens partis qui s"inllii;eraient des violences, on qui se diraient des injures, à l'occasion des événements passés. Notons en passant (pie la j)aix d'Angleur pose la base de l'égalité poli- tique des petits et des grands à Liège, en disposant (pie nid à l'avenir ne pourra être membre du conseil de la Cité s'il ne fait partie d'un corps de métiers. Il est vrai que cette déclaration ne lit pas disparaître dèlinilivement ' Namèciie, oiiv. cilr, t. V, p. lOOG, d'iipirs Fiscn, olo. * liitllt'liii u)rl((-ol()(iifjiie /(V(/t'o/.s , I. I", |). Mi'2. 5 Coniniinci's piir les Slululs ordinaires ilc lu Cité : soul-cc les ik'ii\ luis miicvs? il est inipossibli' de le pirciscr. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 23S toute distinction : les grands et les petits ne se confondirent à Liège qu'en l'année 4384 '. La paix d'Angleur était conclue quand on apprit à Liège qu'Adolphe de la Marck venait d'être investi de l'évêché par le pape Clément V, et qu'il s'annonçait comme décidé à réduire, même par la force, les fauteurs des troubles passés "-. Aussitôt, en vue des éventualilés que les lettres du nouveau prince laissaient entrevoir, le pays entier se mit sur la défensive. La ville de Liège s'unit à la chevalerie des Awans. Les villes de Fosses et de Huy, pri- vées de quelques-unes de leurs franchises pendant les règnes précédents, s'allièrent avec Dinant, avec les Waroux et avec le comte de Looz. La guerre civile ne tarda j)as à éclater. Dans sa première période, Adolphe, réconcilié à des conditions raisonnables avec sa capitale, eut pour lui Liège et les Awans. Mais bientôt un progrès tenté par le prince souleva contre lui la majorité des classes militaires, auxquelles se joignirent pres(|ue toutes les villes. Après la paix de Ilanzinclle, qui avait susj)endu la guerre politique, les Awans et les Waroux avaient requis leur guerre |)ri\ée. Les Awans, à leur tour, avaient violé une quarantaine, et la guerre privée comme toujours avait donné lieu à une foule d'actes de brigandage. Vainement l'évèque oidon- nait-il de punir les dèlinciuaiits: les gentilslionmies coupables se disculpaient à la faveur de la loi d'escondit et échappaient à toute rè|)ression. Le peu|)le en était outré. Il alla vei's Adolphe de la Marck comme il était allé vers Henri de Gueldre ^. « Si est li peuple assembleis, et s'en allât devant » l'evesque de chu deplaindre, et li priai très humblement (|ue tons les mal- » faiteurs soient euwalen)enl corrigiés, et justement solonc son mcfoit, en » faisant enquestes sur les nobles enssi que ons faisait sor le povre peuple, » non obstante le loi charlemagne *. » « .... Car Charlemagne tist cesle loi » por bien, portant que por mors ne falsât nuls son serment, mains or li fal- » seroient y pluseurs por 1 pois.... que partant ilh (1 evèque) vosist faire • IIenaux, ouv. tilé, p. Kil. '-i Najièciie, ouv. cité, l. V, p. IQ-JO. 2 lIocsEM, dans Cliapeaville , l. Il, pp. 280, 281. * Le peuple prend dans ce discours le tout pour la partie, la lui Citurlemugne pour la loi d'escondit, qui était sa tradition la plus caractéristique. 236 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » une loy dont illi fesist useir ses esquevins, qui fust solonc Dieu , justiche » et raison '.... » Adolphe de la Marck ne demandait pas mieux que de condescendre au désir, si raisonnable et si conforme à ses intérêts monarchiques, qui lui était mani- feste. Il convoqua devant le chapitre une partie de ses chevaliers (ceux qui appartenaient sans doute à son parti) avec d'autre bonnes gens et les magis- trats de Liège; et, de commun accord avec eux, il ordonna à son lieutenant ou mambour de réprimer indilTéi-emment les délits rile probata, ex allô dominio, quels qu'en fussent les auteurs, quand ils seraient prouvés par témoins -. Un chevalier du parti des Awans fut le premier auquel la procédure nou- velle fut ap])liquée. Sa mort souleva tout son lignage. Liège, Huy et les comtes de Looz et de Chiny, par des considérations politiques, prirent fait et cause pour celui-ci. L'évéque fut contraint d'aller implorer l'appui du duc de BrahanI, pendant que ses rares partisans soutenaient la guerre civile. La lutte dura jusqu'en 1316. Le chapitre caihédral profita alors de la las- situde de deux partis pour s'interposer. Une réunion d'arbitres eut lieu à Fexhe en Hesbaye, et le résultat de ses délibérations fut la paix de Fexlie du 48 juin 1316 3. La paix de Fexhe, base de la constitution liégeoise, constitue selon son préambule même un contrat politique entre l'évéque, le prévôt, le doyen, les archidiacres et le chapitre de la cathédrale, les nobles du pays, et les villes de Liège, de Huy, de Dinant, de Saint-Trond, de Tongres, de Maestricht, de Fosses, de Couvin et de Thuin. Elle proclame le maintien des anciennes franchises et des anciennes coutumes des villes et du commun pays. Elle reconnaît à tout fj'égeois le droit d'être jugé par hommes ou par échevins. Elle limite les hauteurs judiciaires de l'évéque au droit de chasse de jirontier mors, et au droit d'arsin dans tout le pays. Elle édicté une série de mesures ' l'.lniinuitH's de Jeun il'Oalrcnicuse , non jinliliéts, (/(/ aiinuin liîlii, (olio ^l()"\ — llocsEU, dans Chapcaville , 1. II , \\. 378. * HocsKJi, luco n'tulo, |)|). 578 cl 37'.', à eoinl>incr avec Wiiolwii.i. , ouv. cilc', |). 100 cl notes. ' Coutumes du pays de Livge, t. I", ]). 483. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 237 pour contraindre les officiers dn prince à rester dans les bornes de la légalité. Elle constitue le chapitre de la cathédrale gardien suprême de celte même légalité. Elle décide, enfin, que si jamais les coutumes ou la loi du pays sont trouvées trop larges, trop roides ou trop étroites, on ne pourra les modifier que par le setts du pays. On ne se tromperait guère, pensons-nous, en voyant dans cette dernière disposition une réaction contre la manière dont Adolphe de la Marck avait modifié récemment la loi Charlemayne , au milieu d'une assemblée tronquée des représentants naturels du pays. A la paix de Fex/ie se rattachent un certain nombi-c de monuments authentiques dont il convient de faire mention ici. Ccst d'aboi'd la déclaration de la paix de Fexhe, donnée par Adolphe de la Marck, le lendemain même de la conclusion de la pai\ '. On peut la consi- dérer comme constituant Piiilerprélalion aullienlique de celle-ci, au moins en ce qui concerne les hauteurs de Tcvêque. Ce sont ensuite différents actes d'exécution de la paix de Fexhe, c'est-à- dire des mandements officiels émanés du chapitre, exerçant la charge de gar- dien suprême de la loi du |)ays qui lui avait été attribuée. Nous citerons ceux de 1324, de 1375, de 138G -. Ce sont enfin les contrats passés, à propos de Texercice des hauteurs de Tévèque sm- les domaines du cha|)in(' calliéilral, entre ce dernier et le prince. Il y eut dès 13 il des négociations de ce chef entre les chanoines et Adolphe de la Marck, et, en 1347, un contrat formel entre eux et l'évêque Englebert ■'. Après la paix de Fexhe, la principauté jouit de quelques années d'un repos bien nécessaire. Adolphe de la Marck en profila pour donner à la \ille de Liège la lettre des vénaux de 1318. Cette lettre est une bonne ordon- nance de police concernant la vente et l'achat des denrées alimentaires. Elle règle en même temps certains points relatifs au régime des tavernes, des caba- rets, des huriers, etc. Elle lie les clercs comme les laïcs, mais sans les sous- traire à la juridiction de Vofflcial. ' Coutumes du pai/s de Liéfje , l. 1", p. 'icST. * Codex I/iiuiindacl , I. IV, pp. 'i2I,4-2l>. — Henu'x, oiiv. cité, p. 21, en note. 5 Idem , t. II, p. 223. — IIocsem, dans Cliapeaville, t. II , p. 465, 238 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL A la mcnie époque, le chapitre de Sainl-Pholien de Fosses et la bour- geoisie de cette ville, qui avait eu de graves dilTérends, cherchèrent à s'entendre. Ils choisirent des chanoines de Saint-Lanihert et des échevins, desniaitres et des conseillers de Liège pour amiables composilcxirs, et se sou- mirent à la lettre del paix dressée par ceux-ci, le 7 mai 1318 K La lettre del paix va beaucoup plus loin (jue la paix des clercs et la loi muée des chanoines à Liège. Elle ne lie pas seulement la domesticité des cha- noines, mais les chanoines eux-mêmes. Elle édicté un code pénal uniforme, applicable on matière de \iolenccs commises par les bourgeois contre les chanoines, cl réciproquement; et elle décide que IViiquète des faits de l'espèce sera confiée à une commission mixte, prise moitié dans le chapitre, moitié dans le magistrat local. La lettre del paix de Fosses est encore mentionnée comme étant en vigueur dans deux chartes locales du 2:2 mai 1424 et du H décembre 1447 '-. Entre-temps les anciennes difficultés, dont nous avons eu l'occasion de dire un mot dans le premier livre, s'étaient réveillées entre l'évèque de Liège et le duc de Brabant. Le duc prétendait de nouveau soustraire ses sujets à la jiu'idiction de rollicial de Liège, de l'archidiacre liégeois du Rrabant et du Trilnutal de la Paix. Ti'ois sentences arbitrales tranchèrent le différend au prolit de l'évèque. La |)remière de 1323 émanait de l'abbé de Saint-Nicaise, de l'évèque de Thérouane et de (pielques autres personnages; la deuxième, de la même date, de comnn'ssaires désignés par le loi de France et siégeant à Cambrai; la troisième du roi de France lui-même, à Amiens, en 1334 '. La question brabançonne était encore pendante, (piand Adolphe de la Marck se vit en butte, an cœur de sa princij)auté, à des alta(|ues analogues à celles (]ui avaient précédé la conclusion de la paix de Fexlie. Peut-être même faudrait- il déjà lattacher au mouvement qui se préparait un record du G décembre 1317, sur les droits ihi haut voué de Liège. Le haut roué, en effet, allait pendant le XIV" et une partie du W'^ siècle, chercher à se con- ' BoRG.NET, (Àiiliilaiir lie Fosses, p. 21). " Idi'iti , il leur iiil \N lkhw ni, , oiiv. cilc, p. IS5, cl Apiieiulices. 2 VVuolAvii.i., oiiv. lilc, |)|). IL'I, l'JS. — Ciiiiltimcs du pai/s tic l.ii'ijv , t. I", p. 'iS8, en note. '' Codex Wuchlcndunck, fxcoinimmication de \7rl\i (ilio Nalciiliiii |j-2l). \Viioi.\vill, ou\. tilt-, pp. 128, 129. — IlocsEM, dans Cliupeavitle, t. Il, p. 37'J. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 241 pas le pouvoir de soiimetlre la comnuinauté liégeoise à d'autres lois sans son assentiment ^ La guerre commença sérieusement en 432o, et la plupart des villes du pays, ainsi que la chevalerie des Awans, prirent parti contre Adolphe. On essaya à diverses reprises de rétablir la paix, d'abord par le compromis de Wihogne (1328), ensuite par la paix de Floue (1330); mais on n'y réussit complètement que lorsque Adolphe eut acquis une prépondérance complète, avec l'appui de ses alliés étrangers. La paix de Jeneffe ou de Vottem (1330), suivie d'une ordonnance constitutionnelle relative à la ville de Liège, de 1331, ainsi que d'un certain nombre de traités isolés, fixa les bases de la pacification. Le compromis de Wihogne, (lu 11 noNembrc 1328, qui reproduisait en grande partie les stipulations dressées le 5 juin 1326 par l'abbé de Saint- Nicaise, ne concernait que la \ille de Liège -. Il réagissait contre les aspira- tions républicaines de la Cité , et mettait ses innovations à néant. L'évèque ne reconnaissait pas la légalité des statuts que les Liégeois s'étaient donnés; mais il permettait à ces derniers de faire de bons slaluls criminels, pour quinze ans, à condition que ces statuts lui fussent présentés pour être con- firmés, et qu'il put toujours les amender, si besoin étail, de son conseil et du conseil de la Cité. L'évèque se réservait encore le droit de nonnner, parmi les magistrats électifs de la commune, U's jures des vinahles (jui appiiipie- raient les statuts en concurrence avec l'èchevinage, et de lever sa part des amendes qui proviendraient de leur application. La charte mettait encore des conditions sévères à l'acquisition de la bourgeoisie foraine. Elle statuait que, à part certains cas spéciaux et à part le cas de vacance du siège , le droit d'emprisonner les déliuipiants n'appartiendrait qu'à l'évèque et à ses justices. Elle leconnaissait enfin, pour le dire en passant, la distinction des grands et des petits , et partageait entre eux l'administration de la com- mune. La paix de Flone stipulait au nom de l'évèque et de ses adhérents, d'une • Dans divers Paweilhars m&iwscr\[s. — Wiiolwili., oiiv. cité, pp. 121», 130. '^ Coutuiiif.s (lu piiijs (le Lihjv, t. I", p. 514. — Poi.ai.\, ouv.cité, l. Il, p. 121. — Wiiolwili., ouv. ('itc, p. 151. TcME XWVllI. 51 2i2 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL part, clos villes do Liôgo, de Iliiy, de Dinant, de Floue, de Saint-Trond, de Tonjïies et de Thuin , de rautrc '. Elle décidait, entre autres choses, que la garde de la Cité do Li(''go u'apparliondrait qu'au grand niaïour et à ses varlots, à Pexclusiou des varlots que la coninnuie avait établis; quo les juri- dictions de rdlicial et du prévôt de la cathédrale seraient inaintonuos dans leurs limites anciennes; que les liherlés et les privilèges des églises seraient respectés. EWc je fait une longue tirve ontro les A>vans et les Waroux, |)on- dant la durée de la Iilcin, |i|). 104-155. — IIe.\,\i:x, ouv. ciié, pp. 1 jO-lôl. — Li Paweifhars Godet, manuscrit de la Bibiiolliô(]ii(; ilc l'Univcrsilc de Liège, folio 200. — IIodin, Recueil des édils, l. I", p. 24. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 213 » fait par raulhorité, consentement et ottroienient de révérend père en Dieu, » evesque de Liège, les ordoiniances qui s'en suivent! » Cette constitution, de la plus haute importance au point de vue politique , n'est guère moins intéressante en ce qui concerne les institutions répressives et le droit criminel. Elle modifie la forme de l'élection des maîtres , des jurés et des conseillers de la ville dans un sens aristocratique. Elle détermine leurs pouvoirs. Elle réorganise les métiers. Elle décide (piand et comment doivent se faire les assemblées des métiers et de la bourgeoisie, et sur quels objets ces assemblées peuvent délibérer. Elle prohilx; les frairies Ulkites et les l'éunions illégales. Elle commine des peines sévères contre ceux qui courent à la baiulduhc , qui (îrientaux armes! sans autorisation du pou\oir conq)étent, ou qui « de fait » ou de parole » causent une sédition. Elle met des limites à la franchise de la Cité dont jouissaient les afforains dans la chasse du seigneur '. Elle commine enfin des |)eines contre plusieurs infraclions spéciales dont nous aurons l'occasion de |)arler plus tard en détail. Parmi les aulres actes, consé([uences de la victoire d'Adolphe de la 3laick, il nous suffira de citer encore la paix de Nieuweiihoven, du 20 décembre 1329. Celle-ci, relative à l'organisation de la ville de Saint-Ti'ond, conte- nait des dispositions intéressantes |)ar rapport à l'échevinage de cette \ille-. En dernière analyse, Dinanl, Fosses et Tongres furent aussi contraintes de gaidei' la paix; les hauteurs de l'évèque se fixèrent et se consolidèrent, et la participation régulière et comnume des états, c'est-à-dire du chapitre, des nobles et des villes aux grandes affaires nationales, connnença à s'oi-ga- niser ^. Il s'agit maintenant de faire un pas en arrière et de parler des Statuts de la Cité élaborés ou corrigés en exécution du conqH'omis de Wihogne. Le texte le plus ancien de ces statuts porte la date du U a\ril 1328, et se rapporte par conséquent à un temps antérieur à celui auquel la paix fut faite * Les manuscrits disent: franchises ileiaCilé; ]c neciieil desi'dils: IVancliiscs des églises; ce sont les nianuscrils qui sont évideninient dans le vrai. '^ Muctschappy der vlaemsche bibliopliilen : « Gcwountcn. vrylieden en privilegien der stad Sint-Truyen, » 2" série, n" 5, p. I. 5 Wholwn.l, oviv. cité, p. lôG. m ESSAI SI H LUISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL cntro Li('"'-e et son év<''(|iu'. .Mais comme ce texte est précétié du mandement confiiMialif et exécutoire de rcvè(|ue, nous en auiiuions qu'il a été accepté, après >ViIioii;ne, par ce dernier. « Aduif... evesque de Liège... dit le préam- » hule des statuts, partant (|ue li loie ancliiene que ons appelle le loie Charle- » magne que nostres csquevins de nostre Citeit... wardent, est si large que li » nialfaitours de nostre ditte Citeit ne ])oroient estre par le ditte loie attains ne » corrigies de leurs melTais soutlisanment... li niaisti'os, li jureis, li gover- » noui's et li univorsiteis de nostre dille Cileit pour les dis nialfaitours cxtirpeir » dechachier et punir solonc le quantileit de lours melTais, de nostre expresse » assent, otroi, volenleit et auctoriteil, ont fait certains status à duieir à » (piinze ans prochainement venans, salvée à nous nostre ditte loie, laquelle » demeure en sa fourche et en sa >ertut si avant que nostres eschevins de- I) sein- dis le -wardent et on wardeit anciennement, sens esire de riens en- » combrée par les dis status ne empeschiée, qu'elle ne soit appareilhiée à » chascon (pii la denianderat et avour le voural... ^ » Les statuts primitifs de la Cité se divisaient en soi\ante-dix-sept articles-. Ils formaient un code pénal plus complet, plus détaillé, et tant soit peu plus sévère que la loi muée, en matièie de Aiolences contre les personnes. Ils disposaient par rapport à certaines infractions dont la loi muée ne s'était pas occupée; tarifaient la réparation à partie, ce qui élait une imiovation capilale, proclamaient un grand nombre de pi-incipes généraux de droit lépressif et réglaient une foule de questions de compétence et de procédure; oi'gaiiisaient le tribunal des magistrats électifs, investi du pouvoir de lesap|)li- quer, dans certaines limites, en concurrence avec le tribunal des échevins. Leur texte n'était applicable que dans la Cité et dans la franchise de Liège; et encore, d'après leur intitulé même, statuta communia laycorum, les clei'cs n'en étaient |)as liés. On sait déjà (pie, dans la pensée prnnilixc des rédacleuis, les Statuts de /.)i(V devaient lester en vigueur penilanl (piinze ans. Dès le 10 juillet 1331, on sentit le besoin d'y faire une addition, dont les articles seraient gardés ' Coutumes ihi puijs de Lii'ijc , l. I", p. 4!)5. î Idem , p. 523. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 243 dans la Cité et franchise, de bourgeois à autre et de bourgeois à chanoines, clercs, bénéficiés, rentiers de Téglise, choraux fréquentant les cloitres, pen- dant les années qui restaient encore à courir '. Le 13 octobre l54-o, pendant le règne d'Engleberl de la Marck, les mêmes statuts furent prorogés pour un nouveau terme de quinze ans, mais avec de nombreuses variantes et un nouveau préambule -, et le samedi avant la Saint-Jacques et la Saint-Chris- tophe de Fan 4.338, pour un laps de seize années, moyennant quelques additions ^. Un document sans date intitulé : Af'.s' points des Statuts nouvelle- ment modérés complète un certain nombre de leurs articles *. Le 19 février I 41 o, leur autorité fut confirmée à perpétuité par l'empe- reur Sigisraond •''. Enfin leur texte, une dernière fois sérieusement modifié et remanié, passa dans la paix de Saint-Jae(pies , à |)ropos de la(|uclle nous aurons encore à en dire un mot plus tard. Nous ne mentionnons ici que pour mémoire l'ordonnance nouvelle des statuts faite le 13 janvier 1402, parce que celle-ci fut brisée la même année par les porhaches des maistres délie Citeit ^. Ce que nous venons de dire sudit pour faire comprendre l'importance des statuts au point de vue de l'histoire du droit criminel liégeois. Ils formèrent pendant le XIV'' et le XV'= siècle une des bases du droit pénal de la capitale de la ])rincipanté, sans toutefois anéantir immédiatement les derniers vestiges de la loi Charlenia(/ne : le plaignant a\anl conservé longlonq)s le droit de demander, ou bien l'application de celle loi wordée par les éche\ins, ou bien l'application des statuts ''. Ils finirent même par donner naissance à un gi-and nombre d'ailicles des Coutumes liégeoises postérieures **. ' Coulâmes du puijs de Liège, l. 1 "■, p. 495, vn note, <'l Ptiwcilhars iiiamiscrils. '^ Idem , |). 'i!l5. ■' Li Paueilliars Godet. — Waiinronic. , lieitrage zur Liidrlier, elc, p. 44; sculciucnt les drttcs données pnr le inanuscril et par le livre imprimé ne concurdenl pas exaelemenl. * Couliimes du jiaijs de Liège, I. I", p. 51 1. ' Waiinkômg, ouv. cité, p. 70; le texte que donne l'aulenr est, contre son liabitude, très- mauvais. ^ Cliroiii(]ues de Jean de Slavelot , p. 17. — Fisen,!. II, pp. 158, 15'J. ' Voir leur préambule : Coutumes du pays de Liège, t. I", p. 4'J(J. * Wholwill, ouv. cité, p. 129. — Warnkônig prétend que les Statuts ont été suspendus par les règlements de Jean de Bavière, etc.; c'est une erreur iiue le texte même de ces règlements condamne. 246 ESSAI SLR F.HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Mais revenons au règne d'Adolphe de la Mairk. >oiis disions plus haut (lue la pai'licipalion commune et régulière des ordres de l'étal à la marche (les affaires avait commencé à s'organiser. Les nobles, cependant, restaient encore; dans une position presque indépendante. La pai.r de Floue avait témoigné la volonté de les i-éduire au niveau conmuin, mais les circonstances n'avaient pas encore permis de transformer ce vœu en réalité. Enfin, en 4333, l'évêque et le chapitre, d'accord avec les villes, prirent une résolu- lion éneri;ique. Ils décrétèrent l'aholilion du droit de guerre privée des nobles, édicièrent un code pénal applicable aux actes de violence commis par ces derniers ', et constituèrent le 13 juillet 1334 une commission de bourgeois des j)rincipales villes, de chanoines et de l'avoué de Ilesbaye, chargée de procui-er et de régler la paix entre les lignages des A^vans et des Waroux, qui se détruisaient depuis quarante-cinq ans. L'idée de se soumettre à l'arbitrage de gens des communes souleva la réj)ulsiou des nobles. Ils ne se sentaient pas de force à résister à l'évècpie, marcliant entièrement d'accoid avec son chapitre et avec les bonnes villes. Ils cheichèrentun biais pour sauver, sinon la réalité, au moins les apparences. Les deux lignages choisirent, le 23 septembre 1334, chacun six arbitres dans leur propre sein, et leur confièrent le soin de régler les conditions de la |)aix. Le 8 mars 1333, salisCails d'arriver par ime voie même délournée au résultat qu'ils désiiaient, l'évêque, le comte de Looz et les pi'incipales villes du pays s'engagèrent à accepter la décision des arbitres. Une déclara- lion semblable fut faite par les ducs de Brabant et de Luxembourg et le comle de INamur ou en leur nom "2. Le résultat de la (h'iibéralion et du travail des douze arbilies fut la célèbre paix des A7/du 16 mai 1333 ^ La paix des XII , conune nous avons déjà eu l'occasion de le dire, com- pensait tous les torts que les deux lignages s'étaient iniligés, et soumettait ' Voir 1rs cluiitcs iclalivcs l\ \n jiuix ilfs Xll: Ciiuliiiiu's ilii jxiijs île Livi/c , t. I", p. 5:28 il ^lli^nlltc•s, CM note. ' Idem, |). "iôo. 5 VViini.wii.i., oiiv. l'ilr, pj). ir>7, 138, lô',», cl notes. — l.i- Icxlc de lii jiuix m- Iroiivc (l:u)S les CoiituiiiiS du jiKij.s de Liéyv, I. 1", p. b'2\). DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 247 les Awans et les Waroux à un acte d'expiation commun, l'érection d'une église dotée de douze chapellenies. Elle promulgaail un code pénal, évidem- ment le code pénal dressé par Tévèque, le chapitre et les villes, en matière de violences contre les personnes. Elle abolissait le droit de guerre privée dans la principauté de Liège , rompait le lien de solidarité des familles en inter- disant les actes de vengeance contre les parents des délinquants, restreignait l'exercice du droit de vengeance contre le coupable lui-même. Elle faisait des douze arbitres et de leurs successeurs un tribunal permanent chargé de juger, dans certaine mesure, les différends qui surgiraient;! Tavonir entre les li,"-nages jadis ennemis. Mais toutes ses stipulations ne regardaient exclusive- ment que les nuMubres de ces derniers : « et est nos dis et pronunciation que » de ches status et ordinanches ne soient loyés fours que les personnes des » linages, parties aidans et aherdans et confortans deseur escrips; » et les arbitres se réservaient le droit de les corriger et de les modt'rer à l'avenir '. La paix des XII liait, au reste, les membres des lignages qui habitaient hors de la juridiction tem|)orelle de l'évèque, comme les Liégeois eux-mêmes. Cependant, si un noble étranger au pa\sdélin(|iiait contre un noble liégeois, « soit dansdyocèse, soit dehors » et que le seigneur local ne lui applicpiait pas les peines statuées, le droit de guérie |)ri\ée ressuscitait au profit de l'olTensé : « les blechiéspar eaux ou par leurs proismes, se poront adrechier, » sens melfaire, de leurs mais aux coi'ps des failueles et de leurs pi-oismes, » demeurant hors du pays de Liège, n'importe où ils pourront les atteindre. On accordait aux proches des malfaiteurs un moyen aisé de se de parentilla tollere, de manière à restreindre la guerre qu'on ne pouvait pas arrêter. La charte dont nous venons de parler eut une importance durable. Le surlendemain de la paix, les arbitres donnèrent encore une déclaration par laquelle ils s'engageaient à se prêter un mutuel appui pour faire punir ceux qui l'enfreindraient. En septembre 43o4, la paix des XII fut conlirmèe par l'empereur, en 13oo par Englebert de la iMarck, en 1370 par le duc de Brabant. En 1372, les arbitres en fonctions renouvelèrent lalliance des lignages. El quand, en \iOi, la ville de Huy prétendit que la paix était ' Indice de la prélciition que les lignages inanifestiiient d'avoir iraiU; Iiors de loiile influence. nS ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL .ihrogée, les lii>iiagos réclainèrcnl, et révèque ainsi que la Cité de Liège se rai lièrent de Ictir avis '. Nous verrons, au reste, que le lril>unal organisé par elle ne disparut que dans relTondrenient général des institutions liégeoises, pendant les guerres de (Charles le Téméraire. A \a paix des XII se rattache encore un document, en connexion intime avec elle, dont nous voulons dire un mot tout de suite. C'est la moilvmlion de celle paix, datant de Tannée 1372 '-. L'évcque et les lignages du pays a\aient eu un grave dilTérend à Tocca- sion de la mort d'un noble tué par Daniel du château de Brusthem, maïeur de Montenaeken. Les nobles se l'éunirent en niasse dans les cloîtres de Saint- Denis à Liège, pour assister à une conlei-ence de pacilication entre le grand maïeur représentant de Tévèiiue, et Jacques de Ilenu'icourt, secrétaire des XII, défenseur de leurs intérêts. L'évèque demanda le nippel de ban en faveur de Daniel, que les XII avaient banni; « partant que ilh (Févêque) avouwait le fait, et le trahayt à » ly, en disant (|ue fait esloit en gardant sa justiche à Montegnies. » Les lignages prétendirent que le haii de\ait avoir son cours, parce (|ue les XII a\aient tiouvé par enquête ([ue Daniel n'avait pas agi dans l'exercice de sa chaige, et que « les ofïichiens Mgr. ne des autres saingnoi-s marchissans » n'étaient pas plus avant privilégiés ni exempts de tuer sans cause ceux qui » sont des lignages que ne sont les gens qui ne sont pas ollîchiens. » On ne parvint pas à s'entendre « sor chu orcnt consultation li des linages, et » accordont généralement qu'ilh ne soye vouloient de l'ins loyer ne asservir, ne » jà ne soi asservisseroient à ce (|uc li ollkiens po\vissent nuls de nos linages » tueir, sous l'undjre de leur oITice, sens cause raisonnable et sans desierte "\ » Mais on profita de la ciironstance j)Oui' régl(>r (piol(pu>s points de la procé- dure en usage devant le Tn'hanaldes XII, et poin- dcfciniincrle mode par lequel les gens qui se diraient des lignages devraient juslilier de leur généalogie *. ' Cuiilinncs ilii pays ilc Liège, 1. 1", |i. 530. — Chroiiii/Kcs île Jvuii de Stavelot , p. 79. * IlEMnicounT, Miroir des nobles de Heshuije, édition de Salltriiy. — Li PaxcciUiars , coté A, l'oiio l"J'i-'°, des Ai-clii\es de IKlal à Liège. ^ DidioniHiirv de rAcadéiiiie : dvsierle , mérite, siihiire. * Tous CCS faits sont relatés dans l'acte liii-niènie. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 249 Faisons de nouveau un pas en arrière, el revenons une dernière fois à ce règne d'Adolphe de la Marck, si important au point de vue des insti- tutions liégeoises. Peu de temps après la paix des XII, Tévêque s'occupa de la réformution des cours spirituelles. Il édicta à cet effet une charte du 28 septembre 1337, très-intéressante en ce qui concerne la cour de l'oITi- cial, les procureurs d'oflice, les avocats; et peu après une modération, dont les principales dispositions se retrouvent dans la paix de Tongres et dans les paix postérieures '. En 1320, il avait déjà publié un statut par rapport aux lieux où les juges délégués du souverain pontife pouvaient ouvrir leur tribunal '-. Ce n'est pas ici le lieu de nous occuper de la grande affaire du comté de Looz, qui éclata vers la même épocpic; mais, en 1342-1343, Tévèque eut avec la ville de Huy une nouvelle dillicullé à l'occasion des monnaies; et celle-ci donna lieu à des modilicalions imporlanles dans les institutions liégeoises. Les Hutois implorèrent le secours du duc de Hrabant, et Adolphe de la Marck, de son côté, senlil la nécessité impérieuse où il se lrou\ail, pour résister à ce |)uissant adversaire étranger, de s'appuyer sur le bon vouloir de la nation liégeoise entière ^. De là, la promulgation de deux chartes : la lettre de Saint- Juc. 548. — Méan, obscrvalioii 594, ri"' 20 cl IG. ^ Li l'aweilliurs Goilil. ' .}tiiclMlitipj)i/ lier vlueiiischc li'thliiifilide.n , etc., loai tilalo, p. G. * lIoDi.N, litciicil (lestklils, I, 1", |). 180. " l'ui i.i.ti , Mi'uioiif sur la Joyeuse Entrée île Braliuiit . \\\t. '.Ct cl suivantes. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 253 Le concordat fait par les villes fut confirmé le 18 novembre 13o6 par Wenceslas et par Jeanne K II est assez curieux de rappeler ici l'existence d'un diplôme de Louis de Maie, en date du 18 août i3o6, prometlant de laisser l'évèque jouir de ses anciennes droitures s'il parvenait à se rendre lui-même maitre de la couronne de Brabant "-. Mais arrivons au progrès auquel nous faisions allusion plus haut. Nous avons dit que par la paix de Fexhe le droit d'interpréter et de modérer la loi et la coutume du pays avait été attribué au sens du pays ''. Nous avons montré comment, par la suite des événements qui s'étaient déroulés pendant le règne d'Adolphe de la Marck, la participation commune et régulière des trois états à la marche du gouvernement avait commencé à se régulariser. Le moment était venu où ces grands faits allaient pioduire leurs fruits. Jusque-là, on n'avait guère pu fixer le droit et les institutions que dans des localités particulières. On n'avait pu ni changer ni améliorer dans leur ensemble les traditions ivardées par les dilVérenls échevinages : on n'avait pu que les compléter sur certains points par des dispositions législatives et par des statuts d'une portée essentiellement locale. Désormais, on voulait procéder à une réforme du droit et des institutions dans le pays tout entier ^ Ce fut une guerre cruelle (pii lut encore une l'ois, conmie presque toujours dans le pa\s de Liège, Toccasion |)rocliaine du |)r()grès. Pendant la vacance du siège, les habitants de Iluy, indignés d'un abus de pouvoir coimnis par le bailli du Condroz, étaient allés à main armée abattre son château. Les échevins de Liège, sur la |)lainte du bailli, s'étaient à leur tour permis de forjuyer dix-huit des Hutois ■'. Les villes liégeoises s'empressèrent de [)rendre fait et cause pour la ville de Huy, et conclurent entre elles une étroite alliance pour la défense de leurs droits ^. Quand Englebert fut inauguré, il considéra ralliance des villes ' En.xsT, ouv. ciU', t. II, |). \])i. 2 CelU- cliiiitc" se trouve dans divers exemplaires riiamiscrits du Patrei'lhurs. ^ Le sens du Jiinjs , c'est-à-dire l'aerord du prince et des étals. * VViiOLWiLi. , ouv. cité, [ip. loti, I(i7. s PoLAiN, ouv. eilé, t. Il, p. 102. — IIenalx, ouv. cilc, p. l 'iti. — Dewez, Histoire de tu prin- cipauté de Liéye, 1. 1", p. ii4ô. û PoLAiN et Henaux , lucis citatis. 254 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL comme atlcMitatoire à son autorité; et, quand il se mit en conliadiction, non- seulement avec les villes, mais (?ncore avec la majorité du chapitre, à propos de Pinvestiluro du comté du Looz qu'il donna à Thierry de Iloinsberg au mépris des droits de son éii;lise, la querelle prit des proportions considérables '. On ne tarda pas à courir de part et d'autre aux armes. Il l'iilhit à Engle- bert le concours d'une foule de princes étrangers pour rester maître de la situation. Vainqueur, en 1347, il dicta le 28 juillet les couditions de \i\paix de Wurouic -. La iiaix de Wannix . tout en maintenant les droits et les privilèges des boimes villes, cassait toutes leurs alliances et leur imposait de fortes amendes '". Elle consacrait la prédominance du pouvoir monarcliique, au moins momentanément, mais en même temps elle préparait les bases d'une pacilication qu'on croyait devoir être durable. Un de ses articles, en clïet, décrétait la formation d'une comnnssion chargée de remanier la loi générale du pays, et de fixer pour l'avenir les points de droit nécessaires pour éviter les anciennes querelles de juridiction K On a dit que l'évéque voulait tâcher de rendre la législation uniforme pour agrandir son pouvoir en le concentrant. C'est possible ■'. Mais c'est voir les choses par leur petit côté. Les justiciables avaient au moins autant d'intérêt (|ue l'évè(|ue lui-même à voir écrire, fixer et corriger ce droit général du pays, jusque-là abandonné presque entièrement à la mémoire des tribunaux. Ouant à l'ensemble des bonnes villes, elles n'avaient pas lieu de se plaindre, tant s'en (aut, si l'on mettait des bornes précises à l'action absorbante des échevins de Liège. Quoi qu'il en soit, les commissaires furent nonmiés, et le résultat de leurs travaux fut la mutation de la paix de Waroux ou loi nouvelle du 12 octobi'e 43oo ^. Nous citons ici le préambule de la charte, parce que il précise en peu de mots (juclle est la portée de celle-ci et conunent elle a été élaborée. I l)i;\vi;z. imv. ciU', p. "iVJ. ■■i l'di.M.N, uiiv. cité, l. Il, p. 173, d'iipiTs Jt'iiii d Oiilrcinensc. — Hf-VAUx, ouv. cité, p. 147. '■ l)i:\\ i.z, ouv. citi" , p. i:J0. * Idem , ibidem. ' He.naix, ouv. cité, p. 148. '■' lloDi.v, I. \", p. 341. Il \' a un texte de cette diarle dans lu C.liivniiiuc de Jean de Sluvelol, éditée par M. Uorgnct. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 2S5 « Englebert.... évesque de Liège, ly maistres, ly gouverneurs, jurez, con- » seaux, et toute ly universiteit délie Citeit de Liège, et des bonnes villes de » Huy, de Dinant, de Tongres, de Saintron, des Fosses, de Thuin, de » Covin.... sachent tous que comme par la vertu de la paix desrainement » faite à Waroux, entre nous evesque devant dit et nous aidans d'une parte, » et nous la Citeit de Liège et toutes les bonnes villes de sens dites et nous » aidans d'aultre parte, accordeit fuist et scéélet que par personne ydoines et » soulïisantes de par nous députez, la loy de pays fuist miese par escripf » feablement et se ils trouvaient aucuns points ou plusieurs qui requissent » (l'amendeir ou modcreir pour le commun proufllt du pays, (|ue faire n povoient.... Nous.... que apoint avons par certaines persones clercs et » lays à ce de par nous députez pour le commun proullit de pays, k\\i faire, » ordonner et accorder les statuts et ordonnanclies que cy après s'ensuyvent, » liquelz deveront durer cent ans, cy après continuellement ensuyvant et » volons et commandons si acertes que nous povons, que nos eschcvins de » Liège qui sont et qui seront dedans la Cité de Liège et en leur banlieuwe, » et de tous li/ aultres esclievins des églieses, des clievaliers , des escuyers et » des bonnes villes, qui uusdits esr/ievins de Liéye viennent prendre rltief, » lewardent, cl en usent, et lacent user et warder, et cbascun en son lieu » sains enfreindre, etc.... » Ainsi donc, à une é|)oque où, dans la plupart des autres provinces belges, on suivait encore avec une sorle d'indilTèrence Tornière traditionnelle antique, les Liégeois fixaient les points [)rinci|)au\ de leur léii;islatiun, et procédaient déjà dune main ferme à une réforme juridique et juridic- tionnelle. La loi nouvelle fut confirmée par Tèvèque en I3o6, et acceptée par les échevins de Liège le 12 décembre 1337 '. Nous n'en ferons pas ici une analyse détaillée, puisque nous rencontrerons dans les chapitres sui\ants ses dispositions les |)lus inq)ortantes. Nous nous contenterons d'iiubipier d'une manière sommaire les matières à propos des(iuelles elle stipulait, et qui intéressent l'objet du présent travail. Ces matières étaient : la résidence des ' Li PaiceiUiurs, maiiusirils. 256 ESSAI SUU L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL échevins de Liège ; le tem|)s dans le(|uel ils devaient prononcer sur les causes qui leur étaient soumises en rencharge; les frais de justice; Pattrihu- tion des amendes pénales; les formes de la |)lainte ciiminelle; les vogueuients de fofche ; le nombre des échevins qui devaient siéger pour rendre sentence; les droits de la défense; ratlrihutioii de la réparalion à partie en matière d'iioniicide; la peine de l'incendie et de certains, autres crimes graves; le nombre des personnes que les parties pouvaient amener avec elles en justice; la peine du dvilit ou de l'injure faite à un corps judiciaire p(Mulant qu'il était en séance; le régime des poids et mesures; le régime des femmes de mauvaise vie; le serment des échevins de Liège et de ceux du commun pays, etc.  la loi nouvelle se rattache la lettre aux articles du 15 novembre 1361 '. Des plaintes s'étaient élevées de nouveau contre les échevins de Liège qui ne voulaient pas se moumcttre aux prescriptions de la loi nouvelle et qui, vis-à-vis de l'évéque lui-même, soulevaient d(vs prétentions exorbitantes. Englebert de la Marck y ré|)ondit en |)ul)liaiit, à la demande des étals, l'acte lèiiislalil que nous venons d'indicpier : « pour le coniniini proullit de nos » subjecis de tout nostre pays dcsseur dit, et de ccuK cpii tieiment et » pos>èdent leurs biens et sont sourceans en lieux gisant dessous la loy et » preniloient cliief aux échevins de Liège.... » La lettre aux articles concerne donc le pa>s tout entier. Elle est portée pour durer à peipéluité -, Klle conlirnie et complète la loi nouvelle et en impose rigoureusement l'observance aux échevins de Liège. Elle règle plus minutieusement les obligations de ceux-ci en matière de reitc/iarf/e; elle leiu- défend de nouveau de s'approprier une part des amendes qu'ils prononcent; olle proclame que la juridiction de la Cité et du pays appartient à Tèvèque et non aux échevins de la (lilè, et (pie |)arlant ceux-ci doivent s'abstenir de s"inlilu!er srif/iieiirs de Lir(je. Elle leur défend d'exécuter eux-mêmes leurs jugcnienls, de s allribuer autorité sur les olliciers du pa>s, et de se |)ermettre d'ordonner ](> justicium m\ échcvinages subalteines; elle déclare que si les I Li l'ain-ilhiiis de ri'iii\cr>il('' de I.ii'i;f, i-olé //, p. 241). — Ciiape.wille cii fait incnlioii au t. 111, pi'- * Voir son l'ivambiile. DANS L'ANCFENNE PRIiNCIPALÏE DE LIEGE. 257 officiers de révèque manquenl à leurs obligations, c'est à i'évêque, puis au chapitre, confoiniément à la paix de Fcxhe, de les ramener au devoir, etc. '. La lettre aux articles fut acceptée par les échevins de Liège en juin 1362, le mardi après la Saint-Jean-Baptiste -. Elle l'ut le dernier acte législatif impor- tant du règne d'Englebert de la 3Iarck. En 1363, ce prince passa au siège archiépiscopal de Cologne et, en 1364, son successeur, Jean d'Aickel, fut inauguré '. Les premièi'es années du l'égne de Jean d'Arckel furent signalées par un événement des plus graves, relatif à Thistoire territoriale de la principauté de Liège : la réunion déliniti\e du comté de Looz, jusque-là possédé en lief, au domaine direct des évéques ^. Ce fait eut pour conséquence la fusion immédiate des États de Liège et de Looz, en un seul corps, mais non la sub- stitution du droit liégeois au droit lossain, ni le renversement des anciemies institutions judiciaires du comté. Le droit liégeois régnait depuis longtemps à l'intérieur des murs des anciennes villes lossaines •' : il ne gagna pas de ter- rain. Les anciennes coutumes ci\iles et criminelles locales continuèrent à régir le plat pays. L'échevinage de Vliermael resta le chief lie la plupart des èchevinages des villages; et ceux-ci ne furent en aucune façon astreints à prendre à TaNcnir reuc/iarf/e au\ èchcNins de Liège •'. Mais, j-ràcc à la réunion, j)lusieurs /j«/j!' émanées dans TaNcnir stipulèrent aussi bien |)our le comté de Looz que pour les anciens pays de la principauté, et plusieurs institutions judiciaires, que nous verrons nailie, leur devinrent communes. Peut-être même faul-il admettre (juc c'est seulement depuis 1366 (pic l'ollicial de Liège a pu sans em|)èchement exercer la juridiction séculière de l'évèque sur les territoires du comté ". Sans entrer dans l'histoire du ' En effet, il lii date cl<' In piiblicalion de hi leltrr uiix arliclv.s, le |ji'einiei' Tribunul des .VA'// n'cxislail plus. - Li Pcnceilhurs des Anliives de l'Élal :i Liège, eolé .(. fol. 11)5 v°. ^ Dkwez, ouv. eilé, pp. S.'iC), 257. ' Idem, idem, pp. 200, 2(1 1. ^ On n'a pour s'en convaincre qu'à rappeler: 1° les termes des chartes primitives de ces villes; elles leur donnaient idem jus, eamdvm Ulivrlulein , etc., qu'avaient les bourgeois de Liège ; "2° le lait que leurs échevins allaient généralement prendre rcneharge aux échevins de la Cité. " Raikem, Discours de I8y4, pass'im. ' Voir la controverse sur la conipélenee de V Officiai, dont nous parlerons dans notre 5"" livre. Tome XXXVIIL 33 238 ESSAI SLI{ LUISÏOIUE Dl DROIT CRnil>EI> droit criiniiu'l lossain, (jui (le\i'ait néccssairemoul laiio Tobjct (riiii long tra- vail spécial, il nous arrivera donc dans l'avenir d'on toucher l'un ou l'autre |)oint. Dès l'abord, ou reprenant l'ordre chronologique des faits, les paix qui for- ment l'intérêt capital du règne de Jean d'Arckel concernent le conilé de Looz connue l'ancien pa\s de Liège. Ce sont les quatre paix dites des XXII. VoNons ce qui a amené leur publication. La réunion du coml(' de Looz, tant désirée par les Liégeois et si longtemps dil'léi'ée par des (pierclles sans cesse renaissantes, avait donné la tranquillité à la principauté pendant quelques années, quand, en 1372, des dillicultés surgirent entre l'évèque et la ville de Thuin. La ville bannit deux échevins de l'évèque, et celui-ci envoya, pour les rétiii)lii' sur leur siège, quatre de ses odiciers {ludici). Une querelle s'engagea entre ces dei-niei-s el Jean de Ilar- l'hèes, bourgmestre. Celui-ci fut lue. C'était peut-être le cas de recourir à rintcrvention du chapitre et d'invoquer la paix de Fex/te. On n'y songea pas. Thuin se souleva et , en ([uchpies semaines, le pays entier se rangea à ses côtés '. Déjà les états avaient nommé un ^moithour el dèclaiH- la guerre à l'évèque, (juand Wenceslas de Brabant et le chapitre cathédral s'interposèrent. On mit de nouveau en avant la création d'un tribunal analogue à celui qui, en 1343, avait eu une existence si éphémère, et l'on parvint à faire agréer à l'évèque Jean d'Arckel, la 1" paix des XXII, du 2 décendjre 1373 -. La 1" paix des X XI I oliùl conclue entre l'évèque, le chapitre, les barons, les chevaliers cl les écuyers du })ays, la Cité de Liège, les villes de Huy, de Dinanl, de Tongres, de Saint-Ti'ond, de Fosses, de Thuin, de Looz, de llasselt, et toutes les autres villes et conniiun |)aNs de ré\éque de Liège, comte (le Looz '". Elle confirmait el maintenait les libertés el les franchises des bonnes villes, du connnun pays el, en particulier, de la ville de Thuin. ' Uewez, - - DrwEz, ouv. lité, pp. 26."), 2GG, 267. ' Chron. de JeuiideSluveloI, p. 177.— HoDiN.ouv.cilé, t. II, p. 1 HO. — HEKAUx,OHv.eité,p. 1S4. ^260 ESSAI SLR LHISTOIRE DL DROIT CRIMINEL » cités par le inhortenicnt des iDjurs entre nous grielTs discors et débas des- ») quelles plusieurs domniaiges astoient advenus et poorait advenir en temps )» futurs plus grans cl plus pessans; nous qui voilons porveir telenient à la » ditte paix qu'elle soit raisonnablement tenue, entendue et rewardée, sans » excéder ou aller à Pencontre, avons entre nous de commun accord sans » nulle débas l'ait et ordonneis sons la dite paix des XXII, certaines déclai- » rations en le l'orme et matn'ère que s'ensieult » A col('' de dispositions dont nous n'avons pas à nous occuper, celle paix déclarait en termes exprès que ni la personne de Tévèque, ni ses revenus, ni les clercs qui n''exerçaienl pas d'ollice pid)lic laïc, n'étaient soumis à la juri- diction des XXII ; elle annulait tout ce qui avait été fait contrairement à ces principes, et elle ajoutait une clause spéciale, en rapport avec ses déclara- lions, au serment que devraient prêter les XXII. Kniin, en I8T() ou 1377, selon ^I. llenaux le :23 juin 1376, et par con- séquent immédialemeni après la promulgation de l'acte dont nous venons de parler, Jean d'Arckel publia lin'-mème et seul une (piatrième cliarte connue sons le nom de 4' paix des XXII '. Il y conlirmait les trois paix antérieures, proclamait que le comté de Looz devait rester uni an domaine direct de l'évèque, reconnaissait (pfil n'avait pas le droit de soustraire indirectement SCS officiers à la juridiction des XXII à l'occasion de faits qu'ils avaient commis, déterminait dans quelles limites les clercs ainsi que leurs ofïiciers étaient soumis à l'action du nouveau tribunal, conlirmait h\ paix de Fexhe, proclamait, enlin, (pie la ville de Maestriclil n'était |)as liée par les cbartes dont nous venons de nous occuper. .lean crArckel mouiiil en l-'JTS. Avant d'aborder le règne de son succes- setM-, il l'anl signaler encore en passant dil iiiimr m/lemeiil de Saint-Trond, (In i"i août I 3G() -, ainsi que la lettre du coduiikii profil du 24 mars 1 370 •'. Nous nous boinerons à (h'-laclier de celle-ci inie pbrase (•aracléristi(pi(' qui peint bien ce (|ue les bourgeois de Liège pensaient d'eux -mêmes au XIV"" siècle : « nous qui summes l'ung des plus gians membres de l'éves- ' Honi.N, ouv. file, t. II, p. 157. - Mtwlsrliapp;/ (In- vlaem.sclie Itiblio/ihilcn, fasciculi- cili-, pp. 18 el suivantes. ■• Li Puueilliars , innmiscrits. — .Mkw, OI)v( rvatiori iil4, n"' 2, 4, 6, elc. DANS LANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 261 » chié de Liège, et auquelle tous les aultres du pays doibvenl prendre » exemple et pied ; » et nous passons à la mulation de lu loi nouvelle publiée pendant le règne d'Arnould de Horne. Ce n'est pas, en effet, le lieu de parler dans ce travail ni de la guerre qui éclata entre le nouveau prince et Pévêque intrus le Persan de Rochefort, ni même, sinon pour mémoire, de la renonciation faite par les nobles de la Cité, en 1384, au droit d'avoir une part spéciale dans le gouvernement de Liège '. Mais la mutution de lu loi nouvelle, qui continue la série des réformes si noblement conniiencée par Englebert de la Marck, avec l'accord des états, mérite toute notre attention. Comme nous le disions plus liant, la loi nouvelle avait été rendue obliga- toire pour le ressort de toutes les cours de justice (|ui jugeaient ullc loi/ de Liège. En fait, malheureusement, la pliq)art des villes du pays avaient négligé ou refusé de Papplicpier. A Liège, après la letlre aux articles (jui la complétait, elle avait fini par passer dans la pratique; ailleurs elle était restée à peu piès une letlre morte "-. En 1380, Tèvèque et les étals pou- vaient dire : « Si que pour le discord qui en esloit entre nous cl les aultres » bonnes villes dcseurdites, si grandes inconvéniences en avaient esté, et » montyplioient chacun jour, que se nous en cely discors awissiens avant » parsevei-eir, il nous convenisl jugeir la loy de deux manières contraires en » plusseurs lieux, jaçois que sans violations, nuilalion ni corruption, elle » doit cstre euwallement jugiée à tous ceulx et entre ceulx et leurs biens qui » de la ditte loy de Liège sont loyez et doyent user ^. » Dans ces circonstances, l'évèque, d'accord avec le chapitre, les barons et les chevaliers du pays, ainsi qu'avec la Cité et les bonnes villes de Iluy, de Dinant, de Tongres, de Maestricht, de Fosses, de Thuin, de Couvin, de Looz, de Hasselt, de Bilscn, de llerck, de Maeseyck, de Brée, de Stockem, stipulant au nom de toutes les autres franches \ illes et de tous les habitants du commun pays de Liège et de Looz ressortissant à la loi de Liège, prirent ' Dewez, oiiv. cité, (ip. 271 et 27b. - Préambule de la MnUilion. '' HoDix , oiiv. cité, 1. 1", |). 532: premier paragrnplie du préambule. 2G^2 ESSAI SLK L'HISTOIRE DL DROIT CRIMINEL une ^Maiidc irsolulioii. Dans le dessein de rendre « par tout le pays la loy » ewalie à un cliascun, » ils nommèrent une conunission ' chargée de sou- mettre la loi nouvelle, ainsi que la lellre aux articles, à une sévère révision; et de dresser une charte « à duier sans end)risier Tespace de cent ans, » abrogeant les deux précédentes, rajeunissant les dispositions de celles-ci qui répondaient encore aux besoins du temps, corrigeant les autres ou les lais- saut de côté, et en ajoutant de nou\ elles trouvées nécessaires -. Le résultat des travaux de la commission fut Pacle connu sous le nom de iiiufalion de la loi nouvelle. ap|)rou\é par Tévèque et par les états, et publié le 8 octobre 1386. La mutation de la loi nouvelle de\ait être appli(|uée tant par les échevins de Liège, que par toutes les autres cours de justice hautes et basses des pays de Liège et de Looz, « uzantes délie loy de Liège. » Elle laissait intacte le « remanant délie dite loy de Liège " » auquel ses articles ne tou- chaient pas, ainsi (jue les hauteurs de Tèvèque et de Tèglise, et les franchises et libertés des bonnes villes qui n'étaient pas contraires à ses dispositions. Son étendue était beaucoup plus considérable que celle de la loi nouvelle. Parmi les matières dont elle s'occupait, (juelques-unes étaient les mêmes que celles dont traitaient la charte de l3oo et la charte de 13()I; mais il \ en avait d'autres qui n'avaient jamais fait l'objet de dispositions écrites. Nous citons rapidement : la résidence des éche\ins, non plus seulement de Liège, mais de toutes les autres cours; l'attribution des amendes pronon- cées par eux; la plainte criminelle; les voyuements de forche ; le nombre des échevins nécessaires pour porter une sentence; le régime t\es pari iers et les Iroits de la di-feuse; la défense de conlis(|uer les objets volés; l'attribution des réparations à partie du chef d'honu'cide; la compétence des juges en malièic criminelle, à raison du territoire ; la juridiction des magistrats élec- tifs; la rlia.stie du seignem* et le droit de grâce; le régime des poids et mesures et celui des fennnes de mau\aise \ie; l'exécution des sentences des échevins de Liège et l'étendue de leur juridiction imriièdiate; la correction ' » Gens (lé|nilfz (le par nous. • * Dciixirine pi'i'iiiiilxilc de la Miitaliuii. '•" M'((/'(/à' par les l'clifvins.. DANS LAISCIENNE PRINCIPAL TE DE LIEGE. 263 (les abus qui s'étaient glissés dans la cour féodale de l'évèquej Vanneau du Palais et le Tribunal de la Paix; les droits des l)ourgeois forains, et les privilèges des bourgeois elîectifs ; l'étendue des conséquences d'une déclara- tion d'aubaineté; le rapt; les rixes dans lesquelles se commettait un homi- cide; les enquêtes criminelles; le lieu où les échevinages devaient hosporler leurs sentences; le serment des échevins de Liège, etc. La mutation de la loi nouvelle est le seul acte législatif, d'une grande portée, auquel Arnould de Horne attachât son nom. En elTet, les rtals réri- seurs des XXH. qui donnèrent pour la première fois signe de vie, semble-t-il sous son règne, ne durent pas leur institution à un acte écrit et règuliei' '. Cependant nous devons dire un mol d'un document local, qui remonte au régne dont nous venons de nous occuper, et (|im' jette un jour très-vif sur l'en- semble du droit criminel liégeois du XIV^ siècle. C'est un Statut de Maes- tricht, comprenant 132 longs articles, publié en 1380 -. Le Statut de Maestrie/it est l'œuvre, non pas des |)rinces, mais du magis- trat de la ville. Son intérêt, au point de vue de l'hisloire, consiste siu'tout en ce qu'il est le produit d'un vaste travail d'éclectisme auquel assiste encore le lecteur du XIX'' siècle. Les magistrats (pii l'ont dressé ont connuencé par peser et par examiner, ils le disent eux-mêmes « mengerlvke punckten » en vrylieidt der stadt van Luydick onde ter anderen gueder steden des » bisdoms van Luydick, des Ileilogdoms van Brabant ende des graefschap » van Loon... » Ils ont soin d'indiquer, presque chaque fois qu'ils règlent une formalité de procédure ou qu'ils émettent un principe de droit, s'ils se conforment aux coutumes usitées dans les bonnes villes liégeoises, ou s'ils s'en écartent, et pom'quoi ils prennent telle ou telle décision. On comprend que l'étude attentive de ce document fournit mille indications à la fois pré- cises et virantes, qu'on chercherait vainement ailleurs. Nous avons déjà eu l'occasion d'en faire usage plus haut; nous le retrouverons encore plus lard mainte fois sous noti-e plume. Pour le moment, nous croyons pouvoir aborder le règne de Jean de Bavière. ' Henal'x, ouv. cité, p. 172. '^ Slututen hoeli vun Maestrichl vun licl jaur t.îSO, ctf., uilgcgcveii ilooi' 11. -P. -II. Évcrsen, pp. 10 et suivantes. 'iGi KSSAI SLR LIIISÏOIKE 1)1 DHOIT CKDllNEI. § III. — Jean do liavicrc. Wa/eiirodc cl llcinsbery. Avec le rèjïiic de Jean de Bavière coimiiencent les main ais jours de la pallie liéjïcoise. Cependant, les premiers monuments législatifs (pii Tinaugu- rent ne portent encore aucune trace des dilïîcultés politiques qui allaient surnir. Ce sont la charte de Saint-Trond du 17 mai WWà ' et la charte dite le nouveau Jecl du 2i février 1394. La charte de Saint-Trond concernait exclusivement la ville de ce nom. Elle était octroyée par l'élu de comnum accord avec Tabbé Cuillaunïe d'Aer- dinghem. Elle icstituail aux bourgeois les privilèges, franchises, statuts, dont ils avaient été privés du chef de crime de fjequelsler lutrlifier mo(jhon- heid, commis par la ville contre Pabbé Zachee de Viankenhoven; elle contenait, en ce qui nous concerne, (pielques dispositions inléi-essantes tou- chant Page des échevins, la procédure inquisitoriale, les poursuites à exercer en matière de crimes politiques. Le nouvdiH jrct ne concernait que la franchise et la banlieue de Liège. C'était également une ordonnance toute locale. Elle était portée par PElu, de commun accord avec les maîtres, les jurés, et toute la communauté de la Cité, pour le terme de douze ans, dans le dessein de refréner la lureurdes meurtres, des rixes et des excès de toute nature qui désolaient Liège et ses environs. Ses rédacteurs disaient ne vouloir porter aucune atteinte ni à la loi du pays, ivurdée par les échevins et modifiée dans ])lusicurs de ses par- ties par la mutation de la loi nouvelle, ni aux hauteurs de l'èNèque, ni aux anciens Statuts de la Cité, ni aux amendes de la Cité et du voué. Le nouveau ject était simplement un code pénal détaillé et sévère, qui s'occupait du régime du port d'armes tant en ce qui concernait les bourgeois que les all'o- rains, des violences contre les persoiuies, de l'infraction à la trêve, du rapt, (lu fniitin. de la défense des propriétés contre les voleurs, des fenunes de mauvaise vie, des jeux de hasard, etc. Il introduisait néanmoins dans le sys- tème pénal liégeois un élément nouveau : le pèlerinage au profit de la Cité. ' Al' Puweilliars , manuscrit-;. — I.a cliaric ilt- Saint-Troiid rst égalonicnl inodile. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 263 Ce pèlerinage élail comminé contre certains délinquants, oalre les peines ordinaires et la réparation à partie. Tout ce (|ui le concernait était soigneuse- ment réglé '. iMais, vers Tépoque même où se publiait le nouveau ject, un diflerend s'élevait entre Jean de Bavière et les habitants de Seraing, différend qui faillit mettre le feu au pays. L'Élu - appela à Vanneau du Palais les gens de Seraing, ainsi que ceux de Saint-Trond et de Tongres avec lesquels il était également en lutte. Une émeute arrêta le cours de la procédure. .lean de Bavière se retira à Diest avec ses cours, tandis que la pkquirt des villes lié- geoises se liguaient contre lui •"'. Heureusement on parvint encore à ouvrir des conférences, et, au mois de novembre de Tannée 139o, h paix de Casier \inl momentanément rétablir le calme, sinon dans les esprits, au moins dans le monde extérieur. La paix de Casier ne doit guère nous arrêter. Elle contient tout au plus deux dispositions qui se rapportent indirectement à la matière (pii nous occupe : celle cpii confirme les franchises et les libertés des bonnes villes; celle qui charge une commission de trente-deux personnes d'exécuter la paix et d'aviser à faire disparaître les causes de troubles, sans poiter atteinte ni aux libertés du pays ni à l'autorité de l'évêciue *. Du reste, en dépit de la paix de Casier, la mésintelligence entre le parti des Ilaydroils et l'Elu s'accentua cha(pie jour (Ia\anlage. Il \inl un moment où les lia} droits chassèrent Jean de iJaNière de Liège et créèrent un mam- bour, et où Jean de Bavière crut de^oir évoquer ses cours à Iluy •'. Au moment où la guerre allait sérieusement éclater, le chapitre cathé(hal se porta médiateur. Il parvint à obtenir (pie TÉlu et la Cité de Liège se sou- missent à la décision de seize arbitres devant lesquels ils porteraient tous les débats et toutes les (lidicultés qui existaient entre eux. Des seize arbitres, quatre furent nommés par l'évèque, «piatre par le chapitre, quatre par les ' Voir ce que nous disons plus loiji de ce pèlerinage, nu paragraphe du système pénal. - Jean n'était pas sacré. 3 Dewez, uuv. cité, pp. 280, 281. * Idem, p. 281. — Henaux, ouv. cité, p. 171. — Par analyse dans BouUk , I. \", p. 440, auquel la pUipaitilcs auteurs plus modernes ren\oient. s Dewez, ouv. cité, p. 283. Tome XXXVIII. 34 26() ESSAI SLR LHISTOIUE Dl DROIT CRIMINEL nobles du pays et quatre par la Cité de Liège. Ils se réunirent à Tongres et rédigèrent la charte connue sous le nom de paix des AT/ oit de Toiiyres, du 18 août 1/^03 '. La paix des XV J limitait éti'oitement la juridiction des magistrats électifs, qui avait pris une extension préjudiciable aux droits du prince, et \i(l;tit par des règles précises le conllit qui existait entre elle et la juridiction des échevins et celle de l'ollicial de Liège. Elle déterminait les conditions dans lesquelles la Cité pourrait admettre des bourgeois forains, ainsi que le for auquel ceux-ci devaient ressortir. Elle interdisait aux villes de faire la guerre sans Passentiment desétats. Elle défendait la fianchise des clercs et le régime des bénéfices ecclésiastiques contre les entreprises du magistrat de Liège. Elle confirmait la paix de Fexhe et, avec certaines modifications, la lettre de Saint- Jacques. Elle s'occupait longuement du régime des cours ecclésiastiques, des droits et des devoirs des pi'ocureurs d'ollîce attachés à ces cours, etc. Elle finissait onlin par attribuer aux XVI la mission (fenquèrir sur les troubles passés, de manière que, sur rencpièle qu'ils fourniraient, les coupables fussent punis par l'Élu et par la Cité. La paix de Touf/ros fut scellée par l'èvèque, le chapitre, la Cité, les villes de Huy, do Dinant, de Tongres, de Saint-Trond, de Maestricht, de Fosse, de Thuin, de Couvin, de Looz, de Ilasselt, de iMaeseyck, de Bilsen, tant pour elles que pour lo commun pays de Liège et de Looz, et par le niaieur et les échevins de Liège et les seize arbitres -. A l'occasion des événements qui venaient de se dérouler, l'attention fut encore une fois portée sur la loi du pays. Le 18 octobre 1 403, rélu,le cha- pitre et la Cité promulguèrent une seconde ordom)ance, à observer par toutes les cours « uzantes délie loy de Liège, » ()Our le terme de cent ans. C'était la mode rai ion ou la mutation de la paix des AT/'*. Elle modifiait légèrement certains articles de la mutation de ta loi nouvelle, tout en don- ' Dewez., ouv. file, p. 28IÏ; puix de Tonyri-s, piTiiiulmlo; Jfistoriae Leod. conipendiiim , p. 138; Clironiques de Jeun de Stavelot , p. 19, pour le texte de In paix, ainsi que Hodin, t. II, pp. 13, 14 , 13, etc. * Texte (le la pdix des A'VI , in fine. ^ Chroiiiffiics de Jean de Slavetot , p. 53. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 267 liant une consécration itérative aux points de cette charte qu'elle ne touchait pas. Nous ne croyons pas devoir en faire une analyse détaillée, car nous tomberions dans d'inutiles redites, La même année encore, au mois d'octobre, les maîtres, les jurés, le con- seil et l'université de la Cité , promulguèrent la lettre des VIII qui concer- nait spécialement l'organisation et la procédure du tribunal des magistrats électifs. Mais cette lettre n'eut qu'une durée transitoire. Dès 1 iOo elle fut cassée '. Malgré les dispositions législatives qui venaient d"ètre promulguées, une grosse difficulté restait pendante. Comme l'avait dit Hemricourt, on avait durement abusé du Tribunal de ranneau du Palais pendant le règne d'Arnould de Ilorne et pendant les premières années du règne de Jean de Bavière -. Dès 1400, les Ilulois unis aux gens de Dinant et de Maeslricht, avaient tenté de faire abolir Vanneau, mais ils avaient rencontré, autour de l'Elu, les villes de Liège, de Tongres et de Ilasselt. Ils demandèrent alors : « (|uod illa » auctoriias determinaretur et explanaretur ut scirent evidenter ob quos » excessus ad ipsum annulnm debuissent convocari, ac de cetcro caverent » incidere talcm labyrinthum ac dominum offenderc '\ » Pour le moment il n'y eut rien de fait. Cependant TÉlu , voulant sans doute légitimer les prati- (pies auxquelles il s'était livré, pensa en 140a à faire i-econnaitre solennelle- ment l'étendue de la compétence de Vanneau. Il demanda à ses hommes de fief une sorte de record, et ce recoi'd fut la dérlaralion de Vanneau du Palais, du H janvier 1405, émanée d'une ((uarantaine de feudataires et de bourgeois de Liège K Quant à la compétence du Tribunal de la Paix , elle fut à la même époque attaquée en Brabant par Jeanne et par son neveu Antoine de Bourgogne, (.es princes essayèrent d'obtenir l'appui de l'archeNèque de Cologne contre l'Élu de Liège, mais ils ne réussirent pas et les choses res- tèrent dans le statu quo ^. ' Chroniiiuvx de Jean de Stiivelol, pp. 08 et suivantes. 5 Patron de la Temporal ité, p. 270. ^ Zantfliet, dans VAmplissima coKectio, t. V, p. 518. ♦ Li Paueilhars , niiiiuiscrit des Archives de Liège, coté A, folio 1 17. 5 Ernst, ouv. cilé, l. II, p. ISI. 268 ESSAI SLR LHISTOIKE Dl DROIT CKI.MIAEL Il osl (lilTicilc (le méconnaître que h pliiparf des charlcs, dont nous venons (le parler à propos du règne de Jean de Bavière, étaient assez sages et assez prudentes, et cependant elles ne parvinrent pas à maintenir la paix puhliipie. Entre un prince léger, passionné, pou raisonnable et hienlùl cruel, et un pays travaillé par la démagogie, tout devait cire cause de conllit. En 140G, Jean de Bavici-c fut derechef obligé de cpiitter Liège, et les étals, à l'excep- tion de Maesiriclit et de Saint-Troiul, s'entendirent pour créer un nouveau mnmbour. Fatale querelle! qui allait attirer sur la principauté la terrible maison de Bourgogne, conduire au d(»sastre d'Otbéc et à sa conséquence la sentence du 24 octobre 1/^08 '. Nous n'avons pas à étudier en détail la sentence d'Oihée, et cependant nous ne pouvons pas la passer sous silence. Elle privait les bonnes villes et le commun pays de Liège et de Looz de toutes leurs franchises et libertés, ainsi que des litres écrits qui les constataient. Elle cassait toutes les alliances que les villes avaient faites entre elles. Elle dt'cidaif que, apr('S examen des anciens privilèges, l'Élu poiuTait en rendre quelques-uns, en accorder même de nou- veaux, mais toutefois de l'avis et du consentement préalable du duc de Bourgogne, du comte de Ilainaul et de leurs successeurs. Elle abolissait toutes les magistratures électives des communes, bouleversait l'organisation des èchevinages, qu'elle rendait annuels à la nomination de l'évéque, abolissait les cor|)s de métiers et les bourgeoisies foraines, défendait toute alliance et toute conIV'dèration, sans le consentement de l'Élu, entre les bourgeois d'une ville ou entre les villes elles-mêmes, attribuait à l'Éllu le droit de choisir les chàlelains de ses places lbrl(\'^ même panni les étrangers, etc. En un mot, la sentence (rOlbèe détruisait l'Etat liégeois, organisait le pou\oir absolu au prolit du prince, maison mettant le prince lui-même sous la dure tutelle de ses alli(''s. L'anné'e 1408 marque ainsi la première solution de rontinuilè dans l'Iiis- loire (les institutions liégeoises. Ouand l'Elu voulut exécuter dans toute sa teneur la sentence d'Othéo, il rencontra cependant dans le chapitic une résistance invincible. Il linil par comprendre (pi'il avait lui-même intérêt à ' ClirDiii'/ucs (le Jean de Stavelol , p. 127, tcxlc de la scnlencc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAITE DE LIÈGE 269 essayer dobtenir de ses alliés quelques eoncessions. Il entra eu rapport avec eux, et se fit accorder les deux diplômes datés de Lille le 12 août 1409'. En ce qui nous concerne, ces deux diplômes ne contiennent qu une seule clause remarquable : celle qui permet à l'Élu de promulguer les oi-donnances nécessaires pour le gouvernement et pour Padminislration du pays sans le concours du duc de Bourgogne et du comte de Hainaut. Déjà Jean de Bavière avait établi à Liège un conseil de dix personnes, nonmiées par lui et portant le titre de conseillers suprêmes, pour remplacer les maîtres et les jurés". En 14-1 G, le 10 juillet (?), il promulgua, avec le consentement du chapitre, et en se réservant le droit de le modifier, un nou- veau règlement pour la Cité de Liège '', destiné à prévenir les excès qui s'y commettaient « por le faulte de gouvernement et bon régiment en nostre dite Citeit. » Ce règlement remplaçait le eotiseil des X |)ar un roiiseil des XIII, dont il réglait soigneusement l'organisation et les attributions de judicature : les XIII étaient nommés en partie par le prince,* en partie par les échevins et par le cliaj)itre. Il contenait un code pénal sévère, traitant de certains crimes politiques et de certains crimes d'ordre pri\é, et rajeunissant ou modifiant plusieurs dispositions du uonrean Ject de 1394. Il organisait même une sorte d'action commune du conseil ilc^ XIII et du chapitre |)our remplacer le Trihuiud des XXII , dont il n'élail plus question depuis la bataille d'Othee. Son préand)ule disait en termes exprès que le nouveau statut ne préjudiciait en rien, ni aux hauteurs du sire et du chapitre, ni aux droitures du voué, ni aux sentences du duc de Bourgogne et du comte de Hainaut, ni aux franchises de la Cité (P). Il résultait enfin de son con- texte que les anciens Statuts de la C//c demeuraient en vigueur, au moins dans les dispositions qui n'étaient pas en contiadiction avec ses propres articles. Ce règlement déplut beaucoup aux Liégeois, tant à cause de la forme des- potique dans laquelle il avait été émané (sans leur concours) qu'à cause de plusieurs de ses dispositions. Ils invoquèrent Tinlorvention de l'empereur ' Namèche, ouv. cité, t. V, p. 1 1 14. — Poi.ai.\, ouv. cité, t. Il, p. 223. * Dewez, ouv. tité, p. 306. '> Li Piiireilhurs des Areiiives de l'État à Liéi^e, coté A, folio I et li folio 180. 270 ESSAI SLR LHISÏOIRE DU DROIT CRIMINEL Sigisnioiul , et ccliii-ci leur accorda, le 19 lévrier 14-lo, un diplùnie confir- matif de la cliarto d'Albert de Cuyck et de tous les privilèges accordés aux Liégeois par les empereurs précédents '. En 1417, quand Sigisniond passa par Liège, il fut assiégé de nouvelles demandes. Le 26 mars 1417, il publia un nouveau diplôme, cassant in tenninis tout ce qui avait été fait par le duc de Bourgogne et par le comte de Hainaut, comme atten- tatoire à ses droits de suzeraineté , et rendant aux bourgeois de Liège toutes les libertés et tous les privilèges dont ils avaient joui dans les temps passés -. Mais à (pioi servaient ces diplômes, quand Sigisniond était hors d'état de leur prêter ra])pui de la force malV-rielle, et quand Jean de Bavière était résolu à en méconnaître la teneur? Rien ne changea, au moins pour le moment. Il fallut attendre que l'intérêt personnel de l'Élu le portât de lui- même à faire des concessions. Cette conjoncture se présenta. Ayant appris que son frère, le comte Guil- laume de Hollande et de Hainaut, allait mourir, Jean de Bavière crut facile de dépouiller sa nièce Jacqueline de son héritage. Mais il lui fallait de Targenl, cl Wathieu dAtliin, un des XIII de la Cité, lui persuada que les Liégeois lui en fourniraient s'il l(>ur rendait leurs libertés "\ On s'entendit en effet, et, le 30 avril 1417, l'Élu publia un nouveau règlement '. Le nouveau règlement modifiait l'organisation de la Cité dans un sens qui rappelait les anciennes institutions nationales. Il établissait trente-quatre conseillers directement élus par les chefs de famille, deux dans chaque corps de métiers, et deux miens, choisis tous les ans par les délégués du prince et du chapitre et par les électeurs désignés par les XXXIV. Il précisait les faits qui <()nsliluaient le crime de sédition, dans le sens de la lettre de Saint- Jacques. Il (lèterminail connnent les magistrats ('lectifs interviendraient aux en< disait son préambule, « soient en gi-and (piantiteit d'alcuns jouvenceaux, et alli-es si » dissolus et petitement doi)tans les justiclies, leurs juges, et les personnes » qui les ont à governeir, que par Icuis dissolutions et joneches plusieurs » grans et horribles excesses tant d'homes tuvveir et alToleir, fennnes robeir, » et demineir, cols de culeal ferir et donneir, et leurs soverains despiteir et » \ iloneir sont advenus, et de jour en jour y poraient plus grandement ave- » nir, si Diex par sa miséricorde n'y pourveoit de remède convenable, grand » dissensions et inconvenientes ponissent naistre et sortir » Le rryimenl des basions était, connue le nouveau joct de Jean de Baxière, surtout un code pénal. Il traitait principalement du régime du port d'armes, tant en ce qui concernait les bourgeois (pie les all'orains, des coups portés avec armes cachées, du régime des femmes pnbli(pies et des jeux de hasaiil, de la rupture des trêves et des cpiaranlaines, du rapt, des violences graves contre les personnes, du frailin, etc. Il n'abiogeail pas les Statuts de la Cité; en elTet, nous trouvons à un de ses articles la mention suivante : « ains » corusse sour cely ly statut delà Citeit ancbiennemenl obser\é. » Il était porté pour être en \igueur simultanément avec eux et à perpétuité : « .\insi » soit fais, » disait-il, « et tous de comnum accord por le bin de païs et » lianquillileit de le dite Citeit, francbiese et banlieue et de tous les inhabi- » tans d'ycelles, volons estre wardeis et observeis et les promettons à » vvardeir, observeir, tenir, entretenir, et accomplir à perpetiiileit, et invio- » lablemenl sans empeschement (pielconcpie - » Deux ans api-ès le réfjinient des Ooslons, un acte d'une tout autre portée fut introduit dans le droit liégeois : le célèbre régiment de llvinsbery, connu ' Li Pinreilliurs des Ai'cliivcs de l'Klat à I-ii'gc, coli- F, folio 370. * M. IIe.naux a coiilrc le régiment des liasloiis (lucliiues jjriels que nous ne pouvons non» enipèclier de U'ouver étraiiyes. Voir son ouvrage, édition eilée, p. 185. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 273 dans lo peuple sous le nom du réyuiienl par excellence, et daté du Ki juil- let 1424. Le régiment (lo Ueinsberrj , qui comprenait quarante-sept articles, lut pu- blié par Tévêque de commun accord avec le chapitre, les maîtres, les éche- vins, le conseil, les jurés, et toute la communauté de la ville de Liège. Il était Tœuvre d'une commission composée de dix délégués de l'évêque, de six du chapitre, et de seize délégués de la ville que celle-ci appelait déjà cvmmis- sarii nostri '. Comme le réfjimeut des basions, il ne concernait que la Cité, la franchise et la banlieue: Liège, disait son préambule, est une Cité de noble fondation et qui a beaucoup de franchises et de privilèges; « toutefois, par » petit ad\erlissement de tanq)s passeit a esteil et est aincor en plusseurs I) parties foruseit d'iceux et tellement que la ditte Citeit at asseis petit renom » de bonne governe, et se porveyut n'y astoit, poiroit estre plus désordinée, » et pource à contresteir, et afni que les privilèges, franchieses et liherteis » et paix faites dcseurdites ne soient point inlerpreltiez ne entendus pour » faire adrcsche aux malvais, en leurs nialisces, mains pur le oorrexion » d'yceux et la paix des bonnes gens, advons statueit et ordineit, potu* le » refouimation de régiment de la ditte Citeit, les choeses qui s'\ après scn- » sieuwent extrais la plus grande partye fours desdits privilèges et paix » faites -. » Le dessein principal de révèque, en [)ublianl le règlemenl de 14!2/i, était évidemment de changer la forme des élections magistrales dans un sens moins démocratique; de substituer à l'élection directe des maifres, rétablie par Walenrode, un système d'élections à trois degrés. Le régimeitl, dans ce but, créa les vingt-deux connnissaires de la Cité de Liège, dont nous étudie- rons l'organisation plus loin. C'était à ces connnissaires qu'il attribuait le droit d'élire, tous les ans, trente-deux électeurs, un par métier, lescpiels à leur tour pouvaient choisir les maîtres à temps à la majorité des voix. Cependant si le régiment de Iteinsberg a avant tout une importance politique, il est ' V'oir le i)eti[ volume doni nous parlerons plus tard, vindiciue liberlutis DD. coinmissario- rii))i , etc., p. 31. - CItronirjucs de Jean df Stuvelol, p. 197. — Hodin, l. II, \). 34, texte latin avec un texte français en regard. — Dewez, ouv. cité, p. 51». Tome XXXVIU. 35 274 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROJT CRIMINEL aussi d'un j^rand intérêt au point de vue des institutions répressives. A côté de leui'S fonctions politi(|ues, les commissaires de la Cité étaient armés d'attri- butions de police et même d'attributions judiciaires d'une nature très-délicate. En outre la charte confirmait do nouveau l'autorité de la paix des XVI, et de la modération des Slafuls de la cour spirituelle faite en 1337 par Adolphe de la Marck. Elle ordonnait d'allichcr au pilier de Saint-Lambert^ placé dc- ^ant la chapelle de Sainl-Matorne , toutes les paix encore en vijjueur : le régiment lui-même, Yordinanclie des c(crcs\ la loi muée , la loi nouvelle, la paix des XII, la paix des XVI, la modération de la paix des XVI, la paix de Wihofjne, h paix de Fex/ie ; et eWc comminait des peines sévères contre ceux (pii oseraient porter une main téméiairc sur ces chartes. Elle commi- nait des peines contre ceux qui commettaient des actes do violence dans les églises de Liège, ou dans, ou devant le domicile des bourgeois. Elle procla- mait le principe anticpie : Povre homme en sa maison roi est. Elle organisait des enquêtes de police, des traques contre les gens de mâle famé qui hantaient la Cité. Elle s'occupait de l'homicide, du rapt, de l'infraction à la trêve, des blessm-es infligées à l'aide d'ai-mes de trait, des vof/uements de forc/ie. Elle s'occupait des devoirs des écbevins et de l'olïicial, ainsi iijnodau.v de Jean de Flandre. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 277 geiises entre les Liégeois et les Brabançons à ce sujet; on n'osa rien conclure en l'absence du duc et, en fait, la procédure commencée s'arrêta '. Nous arrivons ainsi au règne de Louis de Bourbon. § IV. — Louh de Bourbon. Si les désastres qui frappèrent les Liégeois sous Jean de Bavière étaient déjà lamentables, ils n'étaient qu'inic faible image de ceux qui allaient fondre sur eux sous le prince nouveau que la faiblesse de Heinsberg et les intrigues de Pbilippe le Bon leur donnèrent en 145G. Tous les ordres de l'État furent froissés de la manièie dont Louis de Bourbon arrixa au trône, et Louis ne sut rien faire pour les rallier à lui. Dès les premiers mois il fut en lutte ouverte avec l'opinion publicpie. Ses exigences, ses actes arbitraires, sa conduite inconsidérée, cliangèrent en baine la méfiance qu'on nourrissait à son égard. D'autant plus bardi qu'il se sentait soutenu par la maison de Bourgogne, il ne ménagea rien. Les Liégeois, de leur côté, bientôt excités par la France, et encore en proie à l'esprit de faction , répondirent à l'arbitraire du prince par des entreprises attentatoires aux droits véritables de celui-ci, et en réalité ne laissèrent pas tous les torts de son côté. Il est inutile, pour l'intelligence du sujet que nous traitons, de pénétrer dans le détail de ces tristes querelles : elles durèrent dix ans, sans aboutir à inie lutte ouverte et à main armée; et pendant ces dix ans, iY interdit en interdit, de trêve en trêve, de négociation en négociation, elles ne don- nèrent lieu à la publication d'aucune paix ni d'aucun acte législatif impor- tant -. Parmi lescbartes de la première partie du règne de Louis de Bourbon, nous n'avons en effet à signaler (pie la confirmation des pririléf/es des clercs liégeois, octroyée par le prince en 1456, et un j)rivilé(je du 13 janvier i4o8 accorde par lui aux Lombards qui viendraient s'établir à Liège •'. Mais, à ' Dewez, ouv. cilé, p. 341. - Dewez, PoLAiN, etc., passi'm. ^ De Ram, Documents inédits, etc., p. 420; Bulletin archéologique liégeois, 1. VII, p. ;>25. ^278 ESSAI SUR LillSTOIRE DL DROIT CRIMINEL défaut (le inoiiiiincnls léi^islatil's, il n'est pas sans intônH de dire un mot des records qui appartiennent à cette période. 11 en existe quatre principaux : celui (lu |> janvier 1438, celui du 9 juin de la même année, un troisième sans date précise, mais à |)eu près contenq)orain , un ({uatrième entin du 19 février 1460. C'était pai' ces records que les bourgmestres et la Cité de Liéi^e essayèrent souvent de se défendre contre l'arbitraire de leur [jHnce. VovanI leurs lois foulées et leurs piiviléges méconnus, ils faisaient soleimellement constater l'existence des uns et des autres, par les écheritis de la Cité. Le record de janvier 1438 ' concerne la manière de proclamer les ban- nissements et l'autorité au nom de laquelle ils devaient être prononcés , les privilèges des bourgeois en matière d'arrestation préventive, le régime des usuriers, etc. Il reconnaît la force obligatoire de la paix de Fexhe, de la paix des XVI, de la paix des XXII, de la lettre de Saint-Jacques, de la modération de la paix des XVI, de la paix de WHiOf/ne, des Statuts de la Cilé, du rêfjiment de Ilei^shery , de la mutation de la loi nouvelle. Le lecord du 0 juin - |)uise à peu près dans k's mêmes monuments les règles dont il constate l'existence en ce qin' concerne l'étendue de la juridic- tion des magistiats électifs et leur participation aux enquêtes criminelles, le maintien de l'indépendance réciproque des trois juges de la Cilé; le magis- trat, récbevinage et roftîcial, les crimes de sédition et de trahison et leur répression, les frais de justice, l'interprétation de la loi et de la coutume du pa\s, les franchises de la Cité et leur portée en matière criminelle, le régime des monnaies, le for compétent pour juger les bourgeois de Liège, le régime des parliers, les devoirs de rodicial, le serment des échevins, les hauteurs de l'évêque; les droits et les devoirs des procm-eurs des couis spi- rituelles, les qualités requises dans le chef de certains olliciers du prince, etc. Le record sans date "' se rapporte à la loi C/iarleniaf/iie, au nouveau ject de Jean de Bavière, au réyinienl de Heinsbery , à la modéi-ation de la loi ' De Raji, oiiv. cili', |). \W, - lloi)i>, ouv. citt', I. Il, |). T)". dans le ^rand record de lt)ô2. "' baiis divers Puueillwni iiianusirit»; ce record i)ai'le de celui du 0 juin WoS tlcrnicrciiiriil rendu. DANS LANCIErSi^E PRINCIPAL ÏE DE LIEGE. 279 nouvelle; il s'occupe de l'infraction à la trêve ou à ïasséguranche, du rapt, de l'usage des armes déloyales, de l'incendie, des forcommandeurs de terres, des violences graves contre les personnes, de la sédition, de la tra- hison, des peines qui doivent être appliquées aux complices de certains délin- quants, etc. Le record de 1460, enfin, est rendu exclusivement à la requête des commissaires de la Cité , dont quelques bourgeois avaient voulu entraver l'action; il énumère la plupart de leurs prérogatives en matière de police et en matière judiciaire, et rappelle la protection qui est due à leur per- sonne '. Aux records de 1458 se rattache un acte d'une nature particulière, dont il convient de dire un mot en passant : c'est la lettre aux articles des com- missaires "-. Tandis que les bourgmestres et la Cité demandaient aux éche- vins la constatation officielle des principaux points de la loi et des coutumes du pays, les commissaires, de leur côté, faisaient copier, extraire et écrire les dispositions capitales des statuts, des paix, des régiments, des franchises encore en usage. Ils expliquaient le but ([u'ils se proposaient en ces termes : « Âffîn que l'on chasse parfaitement de tous ceulx qui ont et auront le gou- » vcrnement, police et le bien commun de la Cité, les défaillanls et nudveil- » lants d'accomplir à la dite Citeil et universiteit les articles ci-après écrits )) et dénommés, lesquels ils ontà juger juré et assermenté, avec plusseurs » autres, et si ce ne font conmient doivent être corriges. » Les commissaires voulaient que chacun fut traité j)ar droit et par sentence, et que tous les malfaiteurs, ipielle que fût leur condition, fussent punis suivant leurs démérites. Il est assez intéressant de rappeler que, en maint endroit de leur lettre aux articles, ils s'appuyaient sur la lettre des XX, qu'ils s'appelaient déclaration de la paix de Fexhe, et qu'ils considéraient comme loi du pays. Cependant la lutte entre Louis de Bourbon et ses sujets s'était insensible- ment envenimée. De part et d'autre on avait appelé au pape, et le pape, le ' Li Paweilhars, de rUniversilc, coté UC, folio 338. - Celte lettre, sans date connue par nous, est postérieure aux records de 1458 auxquels elle se rapporte. Elle se trouve dans dWcn Paueilliars manuscrits. -28U ESSAI SLK LHISTOIRE UL DKOIT CRIMINEL ^3 (Jt'cembro 14G5, avait prononcé la fameuse sentence dite la Punline '. Sans entier dans le détail dn dispositif de celle-ci, nous devons rappeler (juVlle reconnaissait dans le chef de révèque « veruni et plénum dominium » omnimodam jurisdictionem in spirilualibus et temporalibus, ac merum et » niixtum imperium, » dans les villes de Liéye, de Sainl-Trond, de llasselt, (le Looz, de Beeriiiiçlien, de Maeseyck, de Stookem, de Bilsen, de Brée, de Tongres, de Ilerck, et dans Tensendile du pajs de Liège et de Looz ; ainsi que le droit de nommer partout les maïeurs, les échevins et les autres ofli- ciers de juridiction temporelle -. Mais cette sentence ne termina rien. Bien plus, avant qu'elle arrivât à Liège, la guerre était déjà connnencée. Les princes de Bade avaient déjà été appelés, Tun comme futur é\èque, Fautre comme mambour; les Liégeois s'étaient alliés avec la France, et Louis de Bourbon s'était jeté dans les bras de la maison de Bourgogne. Éciasés à Montenaeken, les Liégeois furent obligés de subir le traité de Saint-Trond, dit la iiiiseruOlc et pileuse paix de Liège, du 22 décembre 14Go''. Nous prenons dans cette paix les seuls articles qui intéressent la matière dont nous nous occupons. Il y en avait un qui détachait à perpétuité du ressort des tribunaux liégeois toutes les cours de justice hautes et basses des domaines de la maison de Bourgogne, « qui par ci devant ont usé de la » loi de Liège, ou qui par aucune manière ont ressorti {kw vliief de sens, » ou autrement en la dite Cileit ou lesdites villes, » et qui les dispensait, ainsi que Icui's justiciables, de « respondrc doresnavant à l'aneal de palais » a perron de Liège. » Il y en avait un auti'e qui obligeait les Liégeois à recoimailre le duc de Bourgogne, à raison de ses titres de duc de Brabant et de Limbourg, comme gardien et avoué souverain et hérilable des églises et des cités, villes et pajs de Liège et de Looz. « Et que, » disait le traité, » au moïen d(î la ditte gardienneté etathouerie, mondit seignein- et sesdits » successeiu's auront faculté, |)ooir et authorité de faire garder et entretenir » auvdites gens d'église, auxdits de la Cité et desdites villes et pays de Liège ' l)i; (Jkhlaciii;, oiiv. cilé, p. 225, pour la dulc de la Pauliiw. '^ De Ham, I)()( iiinoidi cilès, p. ii'i-l'. 5 Gaciimiu, Ducuments incilits, t. Il, p. "28o. — 11 > a en deux liaités, mais l'un a élé cassé , ruuU'c est resté en vigueur. Vuir De Gëiilaciii;, ouv. cité, p. 232. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 281 » et de Looz leurs bons droits, franchieses, privilèges et libériez, et de » faire cesser toutes voyes de faict, et rebouter toutes commotions, port » d'armes et violences, et les adresser quant le cas le requerra ou que » requis en seront. Et pour ce faire promesteront les dits de la Cité et des » dictes villes et pays, en leur chief et aussi comme représentant membres » avecques les autres estatz, assister à mon dit seigneur et à sesdits succes- » seurs en et pour l'exercite dudit droit d'advouerie et de gardienneté, sans » faire par mondit seigneur ou sesdits successeurs, au moïen de radvouerie )) soveraine et gardienneté dont dessus est faite mencioii , préjudice aux •) advoués particuliers esdites cités et pays de Liège, et de Looz, et sauf » aussi en autres choeses, le droit, baulleur et seignourie de mondit sei- » gneur de Liège et de sesdits successeurs. » A la paix de Saint-Trond se rattaclient un certain nombre d'actes de droit public, parmi lesquels nous en citerons deux du ii2 septembre liGG: par le premier, la Cité de Liège reconnaissait, au nom de toute la princi|)auté, le duc de Bourgogne comme gardien et avoué souverain et bérèdilain> du pays ; par le second, elle dèclaiait recevoir (iui de Ilumbercourl en qualité de représentant du duc dans sa souveraine avouerie '. Mais le pays était dans l'anarcbie. Dès le 23 mars 1406, la Cité de Liège avait fait un traité d'alliance avec quelques-unes des bonnes villes , œuvre de la faclion de Raes de lleers réagissant contre rinfluence des gens sensés qui \oyaient leur salut dans la paix avec la terrible maison de Bourgogne -. Des bandes de proscrits agitèrent le plat pays et se rendirent momentanément maitresses de Saint-Trond. Dinanl, poussé par l'insidieuse politique de Louis XI , et pris d'une sorte de vertige, provoqua la |)uissancc du vieux Philippe le Bon. Dinant fut détruit; et Liège, bien que forcé à reconnaître à Olcyc les conditions de la paix précédente, ne larda |)as à se laisser de nouveau entraîner par Louis XI, cl à reprendre les armes contre Louis de Bourbon et contre Charles le Téméraire. Le sort de Liège était jeté! Après la bataille de Brustbem elle fut con- trainte de capituler et d'accepter dans sa forme et teneur, le 2G novembre ' GACiiAnn, oiiv. cite, t. II, \)\). 40(i, 41 1. ■•' l)i; Ram, Documents inédils, p. 558; Traité du 23 lUiirs I4GG. Tome XXXV III. 5G 282 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL 14G7, la sentence que, des le 18 du même mois, Charles le Téméraire avait prononcée. La sentence du 48 novembre mérite toute notre attention. Elle crée la deuxième solution de continuité dans l'histoire des institutions liégeoises, et bouleverse PÉlat tout entier, de fond en comble '. Elle abolit à perpétuité les tribunaux suivants : Tancien échevinage, la cour allodiale, le Trihunal des XII des lignages, le Tribunal des XXII , celui des maîtres de la Cité, celui des jurés des vinables, celui des gou- verneurs des métiers, celui des di\ hommes de chaque métier « qui font » exécution réelle en corps et biens; » celui des commissaires de la Cité, celui des trente-deux, celui des six de la foire, celui des quatre « de la vyolctte » qui sont lieutenants des maîtres; » celui de Vanneau du Palais et celui de la Paix de Notre-Dame; « si avant que la court de laditte paix , » disait le duc, « puet ou pouroit nous, noz pays, seignouries et subjés touchier en » aulcune manier -. » Elle confis(piait les privilèges de la Cité et les titres sur lesquels ils étaient fondés. Elle décidait que la justice serait désormais rendue à Liège par qua- torze éclu'vins annuels, nommés par Tévéque, jugeant à la semonce d'un maïeur, mais à charge d'appel devant le conseil de l'évé(jue ; cl que, dans aucun cas, cet écheviuage n'aurait juridiction sur les sujets du duc ni sur leurs terres et seigneuries mouvantes du Limbourg ou du Brabant situées dans les paroisses de Liège. Elle abolissait le titre et la charge de maître de la Cité. Elle décidait que « lesdis eschevins, à la semonce dutlil maire, sont » tenus de jugier les causes et procès qui seront devant eulx, selon droit et » raison escripte, sans avoir regard aux mahais stieles, usaiges et coustumes » selon lesquels lesdits eschevins ont aullrefois jugiet. » Elle abolissait ces s //('/es, sauf ceux que le duc et Louis de Bourbon conserveraient comme raisonnables : « et miesmemeut est et sera abolie la coustume que lesdis » de la Cité ont eu de tenir pour pri\iléges et pour slalus perpétuel ce que » loy sauve et garde et dont ne sera plus usé. » Elle contraignait le maïeur de Liège et les échevins à prêter serment au duc aussi bien qu a l'évèque. ' Gaciiaiii), oiiv. ciU", l. 11, |i. 457. * Deux arlitk's de la charle s'occiij)cnl de ee même objet. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 283 Elle défendait à réchevinage de Liège de connaître d'aucun cas commis hors de la Cité, et brisait son droit de chef-sens, non-seulement en ce qui concer- nait les pays du duc, mais même en ce qui concernait le pays de Liège. Elle transportait la qualité de c/j/e/" des justices subalternes au conseil de l'évéque pour les territoires soumis à la juridiction de celui-ci; elle changeait le siège des cours spirituelles de l'évéque en le transportant hors de la Cité. Elle abolissait les privilèges de la bourgeoisie, l'institution de toutes les bourgeoisies foraines, les trente-deux corps de métiers de Liège, les alliances de métiers faites et à faire. Elle décrétait l'enlèvement du perron. Elle abolissait « toutes cou- t> tumnes et usaiges introduis ou consentis par la paix de Fexlie et aultres » faites, et aultrement contre les liberteis et franchieses des Églieses et des » personnes ecclésiastiques , tant en la Cité que du diocèse de Liège. » Elle statuait que les individus bannis pour cas de crime des domaines de l'évéque léseraient aussi des domaines du duc, et réci|)roquemcnt. Elle établissait la confiscation des biens, non-seulement en matière de crime de lèse-majesté , soit contre le duc, soit contre l'évéque, mais encore en matière de crimes graves d'ordre privé; « non obstant certains usaiges et coustumnes et paix » faites, parcy devant au contraire, lesquelles |)aix, usaiges et coustumnes » sont et demourront abolis. » Elle ordonnait d'accepter la Pauline, de reconnaitre l'avouerie du duc, avec pouvoir pour lui de maintenir la paix , de rebouler les commotions, les violences, l'abus du port d'armes, « et d'en cognoistrc quant mestier sera » et bon luy semblera. » Elle abolissait toutes les avoiieries secondaires de la principauté. Elle attribuait aux lois de Tongres, de Ilasselt, et des autres villes, toute juridiction sur leur territoire, sauf appel ou reneharge au con- seil de l'évècpie; et composait ces lois d'échcvins annuels assermentés à révè(|ue et au duc. Elle disait que les villes devaient être pour toujours « disjoinctes et séparées les unnes des autres. » Elle stipidait formellement au profit de l'évéque le droit de « exercer la justice es dictes Cité, villes et » pays et sur les subjects d'iceux, es dis cas de ressort et de souveraineté en » especiaul en tous les cas desquelz il povoit et devoit prendre court et » cognoissance à cause de la juridiction et justice de l'aneal du palais, pour » enjoyr par toutes lesdites Cité, villes, pays, et en tel lieu d'iceulx pays 284 ESSAI SUR L'HISTOIRP: DU DROIT CRIMIiNEL » que bon loy sainblera , tioiiobslaiit tous usaiges et coustunines à ce con- » traires. » Elle obligeait les petites lois ou vierscare du plat pays à venir dorénavant à chef-sens, en appel, ou en réformation, ou autrement, devant le conseil de l'évèque. Elle défendait dans tout le pays, sauf aux officiers des princes, de porler armes invasives, etc. Nous laissons de côté les stipulations purement politiques. Ce cpie nous venons do dire de la sentence de 1407 montre assez quelle était sa portée; connnent elle détruisait tout Tordre de cboses existant, et essayait d'en reconstruire un autre dont la liberté antique était absente et dans lequel tout aboutissait au pouvoir du prince. C'était pis encore que ce qui s'était fait après Otliée. On nous pardonnera d'avoir insisté sur cette cbarte plus que sui- toutes les autres. iMais c'est que nous ne comptons guère revenir sur l'état étrange et transitoire dans lequel se trouvèrent les institutions liégeoises entre la sentence de 1 4G7 , qui détruisit les institutions ancieimes , et la /Jtiix de Saint-Jacques (le 1487, «lont nous parlerons plus loin, qui essaya de les ra|)peler à la vie. Il y aurait matière, au sujet de celte période intermé- diaire, à écrire des pages qui ne seraient pas sans intérêt local; mais nous nous en abstenons, parce que l'étude du droit criminel n'y gagnerait rien. Nous ajouterons encore ici (|ue , dès avant la destruction de Liège en 14()8, mais surtout après, la |)rincipauté de Liège passa dans le véri- table msselage de Charles le Téméraire, et que celiu-ci y participa dans une large mesure à l'exercice du droit de punir. Par charte du 28 novembre ÏHu , (lUi de llimibcrcourt fut déjà chargé, en (pialité du gouverneur de lavouerie du duc de IJoingogne ', « de garder et entretenir de par nous et » en nosire nom lesdites èglieses, Cité, villes et pays; de faire de par nous » toutes manières de sommations, re(iuestes et commandemens nécessaires » pour la garde et sûreté desdiles èglieses. Cite, \illes et |)ays, de faire » cesser et reprimer toutes voyes de fait, gueri-es d'amis, connnolions et » port d'armes, et autres noises parlicidières, de faire convenir et adjourner ' Gaciiaiu), oiiv. (•ii(', I. Il , p. 473. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 28S » par devant lui tous delinquans, malfaiteurs et les corriger si mestier est, » de apaiser et appointer Jesditcs guerres d'amis et noises particulières, soit » par voie amiable, ou par sentence définitive à cognoissance de cause, » selon qu'il y trouvera les matières disposées, de faire et administrer droit, » raison et bonne justice à tous les subjez d'icelle advouerie et gardienneté » souveraine et béritable, el autres dont requis sera, es cas et ainsi qu'il » appartiendra; de commelUre et establir, en la court de ladicte avouerie et » gardienneté et es ressorts, bartis et appartenances d'icelles , sergents et » messagiers portant nos armes, et autres officiers nécessaires tant pour » porter lettres, comme |)Our faire informations, requestes, sommations et » diiïenses de par nous, et exécuter tout ce (pie besoing sera pour le fait de » ladite gardienneté et advouerie, et généralement de faire et disposer en » toutes choses, louchans et concernant le fait desdicles advouerie et gar- » dienneté, ainsi que bon et loyal lieutenant dessus dit peult et doibt faire. » Le même diplôme accordait à Ilumbercourt le château de Monlfort pour y résider, et « y faire mettre et retraire lesdis prisonniers d'icelle advouerie » toutes les foiz que mestier sera... » Un peu plus tard, quand il s'aj^it de rebâtir Liège détruit, l'évèque Louis fut contraint, en 4 409, de transporter au duc en toute propriété Vile de la Cité avec toutes ses appartenances « en luy oITrant aussi toute telle justice, droit, » seigneurie et souveraineté temporelle (pii nous compèlc en icelle. » La concession comprenait en outre la juridiction sur deux des faubourgs, le droit de mettre des olliciers, etc.; elle ne réservait à l'évèque que la juridic- tion spirituelle dans les territoires cédés '. Comme le remarque un chroniqueur contem|)orain, et comme nous l'avons déjà fait entendre plus haut, au moyen de ces diiïérents diplômes appliqués à la dernière rigueur, c'était Charles le Téméraire lui-même qui avait en main la su|)rème puissance dans la [)rincipauté de Liège : « hoc tantum » sullicit relictum scire, dominium ejus in manibus ducis Caroli, qui usque » hodie suos in eo collocavit justiciarios "-. » Usque hodie, c'est-à-dire avant 1477. La servitude dura dix ans! Mais le ' De Ram , ouv. cilé, p. uTO. 5 Idem, p. 307. 286 ESSAI Sl'R LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL 5 janvier 1477 Charles tomba sous les piques des Suisses, et, dès le 9 mars, Marie de Rourgogne renonça, au profil de son oncle Louis de Bourbon, 1 evèque, à tous les droits qu'en vertu des derniers traités elle possédai! dans les territoires de la principauté '. Presque aussitôt eut lieu un premier essai de restauration des institutions antiques. « Igitur in mense niaii (1477) ubique locorum tcrrae Leodiensis, » constiluebantur burginiagistri sou inagistri civimn , olïicialos, clientes, » scultoti, scabini, et, more consueto, minisleria ordinabantur, peregrina » lege abolita et palria lege denuo introducta -. » Le Tribunal des XXII lui-même ne tarda j)as à renaître de ses cendres : nous trouvons une sen- tence prononcée par lui le 9 février 1482 ^. L'évéque, devenu plus sage par les effroyables malheurs qu'il avait tant contribué à attirer sur son peuple, se mit en rapports bienveillants avec lui. Il existe une supplication, en date du 15 avril 1477, des Liégeois à Louis de Bourbon, qui présente certain intérêt pour le présent travail. Nous en détachons (luelqnes données K Les Liégeois réclamaient contre les excès des procureurs des cours ecclé- siastiques. Ils demandaient que ceux-ci fussent astreints à se confoi-mer à la paix (les XVI ci aux règlements portés du temps (fAdolphe de la Marck. L'évéque leur répondait : « moudit seigneur porveira vollentier ensuyvant « les modérations et lelourmalions sour ce faites. » Les Liégeois désiraient que, d'autorité de l'évêciue et par les officiers du pays, bonne et jjrompte justice se fit siu' les grands, les moyens et les petits. L'évéque promettait de faire punir soigneusement tous les délinquants. Les Liégeois disaient : « vu la diversité des loys qui durant les guerres » ont eu course en son pays, qu'il plaist supplier mondil seignem- que dors » en avant un chascun soit trailiés et meneit par droit, par loy, par juge- » ment des esquevins ou hommes, selon que les cas requerront et que par » mondit seignem- et les Estas ordonneit sera; et meismemcnt que les oili- » ciers de mondit seigneur ne travillonl personnes induement et hors loy, et ' llooiv, DllV. cill', t. I", |l. ISO. * De H*»i, ouv. cilc, Chronique ilc Jean de Lox , p. Ti. — Dewez, ouv. cite, f. Il, p. 81. '' SciiooMinoouT, ouv. cité, aclc ii° 1079. * De 1U.M , ouv. cité, p. Hlo. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 287 » que s'ils usoient de contraire, comme sovent foiz et parcidevant est ad- » venu, qu'il y soit telement porveu que justice puist avoir son lieu à la » corrextion et pugnition de tels officiers, ainsi que mondit seigneur et mes- » dits seigneurs les Estas vieront estre le plus expédient. » L'évèque promet- tait de satisfaire à leurs désirs. Les Liégeois disaient encore : « Item, pour mieux entretenir paix entre » lesdits suppliants et autres subjects do mondit seigneur, que certain cry » et commandement soit lait de l'auctorileit de mondit seigneur et à son de » trompe à tele peine qu'il lui plaira, que nulz ne reproche ne die à l'aultre » quelqu'injure ou vilonie, tochant le parti qu'il porait avoir tenut durant » les guerres. » L'évèque accordait ce qu'ils demandaient, il promettait de défendre les faits qu'ils signalaient swr ;;eme capitule, etc Le jour même où ces supplications lui étaient présentées, Louis de Boiu-bon fit sa réconciliation avec les états, et s'engagea à n'agir désormais que de commun accord avec eux dans toutes les alïaires importantes qui concerne- raient le pays '. Il nous reste, à propos du règne de Louis de Bourbon, à parler d"un der- nier monument législatif fort peu connu, et cependant d'un intérêt capital pour l'histoire du droit criminel. C'est une ordonnance sur le fait de la jus- tice, publiée le 2 janvier 14.76 (1477, n. style) -. On sait déjà, par la sentence de 1467, que Louis de Bourbon avait établi ou devait établir près de sa personne un conseil de justice à l'instar des conseils de justice établis par les ducs de Bourgogne dans certaines de nos provinces 5. Ce conseil, des- tiné à devenir le centre et le moteur suprême de tout l'ordre judiciaire du pays de Liège, était dt^à en exercice le "20 mars 1469 '. Il se com|>osait d'un président, d'un certain nombre de conseillers, probablement yH//.sr«//- sultesymclués, et d'un juvcureur général, agent suprême et représentant du prince en matière judiciaire 'K L'ordonnance sur le fait de la justice du 2 jan- * IIenaux, oiiv. ('il(', p. 204. - Je n'iii Iioum; celle oitloiinaiite que dans le Putt?ei7Aa»-s de l'Univcrsilé de Liège, coté n" 531, au folio 216. 5 Eli Flandre, en lîralinnt, elc. * Sciioo.NBiioooT, ouv. cilé, aclc n° 1053. !* Voir le Icxie de l'ordonnance. 288 ESSAI SUR L'HISTOIRE Dl) DROIT CRIMINEL * vier était précisément destinée à régler sa compétence ainsi que les lignes générales de la procédure à laquelle il devait se conformer. lïii matière criminelle, elle attribuait au conseil juridiction exclusive dans tout le pays de Liège, sur « les cas privilégiés, connue de crime de lèze » majesté, contre Tévèque et nostredit frère et cusien (le duc Charles), force » publique, rapt de femmes, violement d'egliese, sacrilège, murdre, arsin, » infraction de pays (paix) ou de trêve , délits advenus et commis par nuyct » d'aguet appense et fait précogité, assemblées illicites, commotions de » peuple, infractions de maisons, infractions de nostre sauvegarde, rebel- » lion ou désobéissance faite à nos officiers, blessures et alToulures énormes, » débats qui adviennent entre grandes parties et aultres semblables , etc. » En matière de petits cas, elle permettait aux officiers locaux d'agir devant les justices subalternes; mais néanmoins : « nostre procureur général par pré- » vention et en défault ou négligence de nosdits aulties officiers pouria altraire, » faire prendre et en tous cas aiiiecter en grand conseil tons malfaiteurs. » Elle accordait au conseil le droit de connaître en appel des sentences cri- minelles portées par les juges suballernes. Elle généralisait enfin \ù poursuite d'office, déjà usitée dans certaines limites comme nous le verrons plus loin, au profit du procureur général et des justiciers, sur dénonciation , sans faire aucune mention de l'action criminelle intentée par la plainte des intéressés. Ordre était donné à tons les sujets du pays de quelque état ou condition (]u'ils fussent; « sy toest que ilh saront ou » cognoistront (jne aucun aient fait, commis, et perpétré ou se ingère et soit » en volunl(' de faire conunettre et per|)étrer aucun cas dingue de repreben- » sion , ou qui machine, murmure ou procure cboese qui |)uisse pri\judicier » à nostre hauteur, seigneurie ou suhjects, ils en advertisseroiit secretlement » et à touttes diligences nostre procureur général , les gens de nostre conseil, » ou aultres principaulx officiers des quartiers » du lieu du délit, sons peine d'encourir la peine (pie le délincpiant lui-même aurait méritée. Il est assez probabb; (pie la chute de Charles le Téméraire, la récon- ciliation de Louis de Bourbon avec les étals, et Fessai de restauration des institutions anlicpies, brisèrent en fait la jibipart des dispositions de cette ordonnance, surtout en ce qui concerne la conq)étence du conseil de révèque. DANS L'AiNCIENIN'E PRINCIPAUTE DE LIEGE. 289 Néanmoins nous n'osons rien aflirmer. Il est presque impossible de dire avec précision ce que furent les instituions et le droit pendant les tristes années qui suivirent, et que signalèrent la mort de Louis de Bourbon, du Sanglier des Ardcnnes, de Gui de Kannes. Quand Parbilraire, les factions et la violence régnent, Tbistoire du droit doit forcément garder le silence. Nous arrivons ainsi au règne de Jean de Horncs, le dernier de cette période. § V. — Jean de Homes. Au milieu de la tourmente qui durait encore, et pendant les premières années de Tépiscopat de Jean de Hornes, le cbapiire, les nobles, les maîtres, les jurés, le conseil et les trente-deux bons métiers de la Cité et banlieue de Liège *, tentèrent un elTort généreux pour léorganiser le pays et poiu" renouer régulièrement les traditions antiques qui s'étaient elTondrées après la sen- tence de 4 467 2, et que, sans plan, sans ensemble, on avait (^-à et là làcbé de reconstituer. Ils comprirent qu'il ne suffisait pas de proclamer simplement la force obligatoire de toutes les anciennes franchises et libertés obtenues des papes, des empereurs, des évêques, et toutes les paix ou statuts faits à différentes époques par les évêques de commun accord avec les membres du pays. Ces actes, en effet, avaient été tous mis en warde de loi, et c'était suivant leur teneur que jadis « tout le pays et ung cbascun des surséants et subjecis » devaient être régis. Mais ces actes étaient si nombreux , parfois si peu clairs, parfois même si peu d'accord les uns avec les autres, que, à leur occasion, « grandes occupations, vexations et travailles sont sovent données ausdits » juges et justices par le interprétation que font plusscurs personnes pre- » nant pour leurs parties ce qui leur est proullitable, et servant à leurs » matières, en délaissant et post posant ce que par rastrantion ou modéra- » tion leur est contraire. » ' Préamljult; de la puis de Sainl-Jucqiies. * Il n'esl pas fait nicnlioii, dans ce préambule, du besoin dans lequel on se serait trouve de faire dresser une charte pour suppléer à des chartes perdues, dont on aurait dû reconstituer le texte de mémoire. Tome XXXVIII. 37 290 ESSAI SIR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Une nécessite impérieuse voulait que, pour arriver à un résultat sérieux , on mit l'ordre dans ce chaos. Le ciiapitre, les nobles et la Cité se décidèrent sagement à faire reviser toutes ces chartes antiques. Ils instituèrent le o avril 1487 une commission de seize personnes, dans laquelle se trouvaient des chanoines de la cathé- drale, des chevaliers, des commissaires et des conseillers de la Cité, avec mission de : « veoir visenteir et examineir tous les dits privilèges, fran- » chieses, liberteis, anchiens usaiges et cousiumes, paix faites, statuts, loix, » ordoimances, modérations, mutations, additions, raslranctions, lettres, » édils, mandements et connnandemenls susdits, et pour par un beaul et » nolauble abregié extrair toute la substance principale et droit incolle » d'icelles, et lioisteir la prolixité d'escriptures en icelles contenus, non ser- » vaut au principal ne à relïect, et par hcilo ordonnance declareir, adovrir » et mettre à cleire entendement... » Les commissaires désignés acceptèrent la mission honorable qui leur était conférée; ils se retirèrent pendant quel- ques jours à ÏHhbaye de Sain (-Jacques, et n'en sortirent qu'après avoir dressé le monument connu sous le nom de la paix de Saint-Jacques de 1487 ': La charte l'ut aussitôt soumise à l'évèfpie Jean de llornes. Celui-ci, dès le 28 avril, la confirma dans sa forme et teneur «sains toutefois, » disait-il, « prejudicyr notre juridiction spirituele ne temporelle, haulteur ne seignourie » en manière aulcune... » et ordonna à tous ses officiers et sujets de s'y con- former ■-. Enfin, le !<"' mai, la chnrle fut mise en warde de loi par les éclie- vins de Liège, et Ton décida de la mettre au pilier de Saint-Lambert, ainsi que aile maison délie Cité, « alin que chascun en euyst connoissance ''. » La paix de Saint- Jacques, (jumelle eût él(' élaborée sur les anciens titres originaux ou sur des copies de ces titres, peu importe, présentait le double caractère d'une (innre de codification et d'une (euvre ih réforme. Une (vuvre de réforme : car ses rédacteuis, confornK'inent aux pouvoirs cpii leur avaient été conliés, disaient : « Cassant et mettant à néaLit à surplus tous autres ' Approbulioii de Jeun de //unies, (\u\ iicconipagne le icxlc de \apaix. - lIoDiN, oiiv. cilé, I. I", |i. r,7.", lexlc (le Wipiinilnilioii et texte de la paix. ^ UoDi.N-, ouv. lilé, 1. 1", ji. 483. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 291 » points et articles déclareis es escriptures anchiennes touchant ces dites » présentes, et desquelles Ton a par ci-devant fait mencion, sains en povoir » ne debvoir useir au préjudice de ces présentes en manière nulle, sans » malengien ^ ; » une œuvre de codification : car ses rédacteurs y avaient rassemblé indfstinctement tous les points et articles des chartes, paix, diplômes anciens, dont l'application était encore en rapport avec les besoins de la société liégeoise de la fin du XV" siècle. Nous croyons devoir ici reproduire les titres des différents paragraphes de la paix de Saint-Jacques, en indiquant au besoin à quel diplôme antique ils se rapportent; ce sera le meilleur moyen de faire connaître l'importance d'un document que nous avons déjà signalé comme étant le véritable couron- nement du moyen âge liégeois. Ces paragraphes ou chapitres portaient les titres suivants : Chapitre I*"" : Des cours spirituelles; une foule de ses dispo- sitions sont prises dans la rêformation de 1337 publiée sous Adolphe de la Marck. Chapitre U : Modération, addition et correction touchant la loi. Cha- pitre III : Avis et addition sur la modération d'Arnould d'Homes. Ces deux chapitres se rapportent à la loi nouvelle, à la lettre aux articles et à la modé- ration de la loi nouvelle de 1586. Chapitre IV : Autre avis et modération sur la paix de Tongres qu'on dit des XVI. Chapitre V : Modération prise hors des nouveaux avis pour servir et joindre avec la loi. Chapitre VI : Des fiefs. Chapitre VII : Avis touchans les alluens jugeant entre Sainte-Marie et Saint- Lambert. Chapitre VIII : Touchant les usages du charbonnage. Cha|)itre IX : Touchant la lettre de la foire du 24 mars /j-SO. Chapitre X : Modération sur les paix des XXII. Chapitre XI : Avis touchant le bien commun. Cha- pitre XII : Sur la lettre du commun profit. Chapitre XIII : Touchant le sel. Ciiapitre XIV : Touchant le vin. Chapitre XV : Des bouchers. Chapitre XVI : Nouveaux avis touchant le bien d'un chacun. Chapitr-e XVII : Des boulangers. Chapitre XVIII : Des monnaies. Chapitre XIX : Touchant les raetes et acquetes des bons métiers et la manière comment. Cliapitrc XX : Des afforuins bourgeois. Chapitre XXI : De la fermeté. Chapitre XXII : Du régiment: il s'agit dans ce chapitre du régiment de Heinsberg de 1424. Chapitre XXIII : ' IIoniN, ouv. cité, t. I", p. 483. 292 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Modération ou nouveaux avis touchant le régiment. Cliapitre XXIV : Autre avis pour le régiment. Chapitre XX\' : Avis et modération ultérieure ; ce chapitre est une réforme de l'ancien régiment des bastons , au moins en grande partie. Chapitre XXVI : Modération faite sur les Statuts de la Cité. Il s'y agit des statuts faits sous le règne d'Adolphe de la Marck, et qui depuis lors avaient été plusieurs fois légèrement remaniés. Chapitre XXVII : l'oints modérés sur la paix de Flônc. Chapitre XXVIII : sur la paix de Fexiie. De tous ces chapitres, il u'y en a qu'un à propos duquel nous croyons nécessaire de donner quelques détails. Le texte des Statuts de la Cité , dans la paix de Saint-Jacques, diffère énormément des textes du XIV*^ siècle et même de ceux du commencement du XV" siècle. Une foule d'anciens articles ne sont plus reproduits : les uns, parce qu'il est question des cas qu'ils pré- voient dans d'autres chapitres de la paix; les autres, parce que les temps sont changés '. Une foule d'articles nouveaux puisés dans les documents tels que le nouveau ject, le régiment de Bavière de i 4i6, le régiment des basions, y sont intercalés çà et là. Enfin, presque toutes les anciennes pénalités sont plus ou moins modifiées. Nous aurons au reste à revenir sur tous ces points dans les ()ages suivantes. Il n'existe pas, que nous sachions, dans aucune des autres provinces belges, un document du XV" siècle qui présente pour l'ensemble des institu- tions et du droit en vigueur un intérêt aussi grand que la paix de Saint- Jac(/ues. Malheureusement, il ne sullisait pas de faire publier celle-ci au perron, ce qui se fit le 3 juillet 1487 -, pour que les pouvoirs locaux fussent à même de la faire observei-. La guerre recommença dans le pays de Liège pour durer jusipi'à I avènement d'Erard de la Marck en loOG. (]e fut alors seulement que la paix de Saint-Jacques reçut sérieusement son exécution. Par ordonnance du 18 février loOT, le nouvel évèque la lit publier de nou- veau et la mil solennellement en vigueur, en y apportant certaines modifica- tions qui ne touchent guère au droit criminel ^. Le même acte (|ui couron- ' Arliclrs disp.-inis qui se Iroinaiciil ciuoi-c (l;iiis k- Icxte lili- par .M. Wjinikiiiiij; : 0, 10, II, 23, 24, iii), 5"J, 54, 36, 44, 46, 53, .'j4, rJ, 7(1. * Dewkz, ouv. {'av., p. 108,111 iiolc. ' Ilom.N, ouv. cité, t. 1", p. 4S4, icMc de i'ordoniuiiice d'Erard de la Marck. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 293 nait le moyen âge liégeois, sert ainsi d'introduclion à l'histoire des temps modernes dans la principauté. En signalant encore une charte transactionnelle octroyée à la ville de Tongres, le 18 mars loOâ ', par Jean de Hornes, charte de 47 articles qui se rapporte surtout aux matières répressives, nous arrivons au bout de la tâche que nous nous étions imposée au commencement de ce long chapitre. Nous allons, dans le chapitre suivant, abandonner la chronologie pour la synthèse raisonnée , et nous occuper de l'étude des institutions répressives dans le pays de Liège, du XIII<^ au XVI« siècle. CHAPITRE II. DES MODIFICATIONS SUBIES PAR LES INSTITUTIONS RÉPRESSIVES DU PAYS DE LIEGE DU XIII" AU XYI^ SIÈCLE. Les détails que nous avons donnés, dans le premier livre de cet essai, sur les institutions judiciaires répressives du pays de Liège, abrégeront singulièrement la tâche qui nous incombe ici. Appuyés sur une base assez solide nous n'aurons guère qu'à montrer les modilications subies par les tribunaux anciens, à éludier Torganisalion des tribunaux nouveaux qui ont vu le jour du XIII'' au XV^ siècle, à rappeler enfin, çà et là, les actes légis- latifs et les faits historiques qui confirment les principes dont nous avons antérieurement signalé l'existence. Nous consacrerons encore noire premier paragraphe aux institutions ecclésiastiques et à leur compétence. Dans un second paragraphe nous reviendrons sur les juridictions territoriales et sur les juridictions féodales que nous connaissons déjà. Dans un troisième et dernier paragraphe, enfin, ' Bulletin de la Société scieiilifuitie et littéraire du Limhourg, t. XI (mais encore inédit). 294 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL nous c'tudiorons roriïanisatiori et la compôleiicc du tiibiin;il des niajïistrats électifs, du Triimmd des XII , etc., de toutes ces institutions nouvelles qui |)ariici|)iiient dans une certaine mesure à l'exercice de la juridiction répres- sive, et qui sont nées dans la période dont nous nous occupons. § I"''. — Des tribunaux ecclésiastiques et de leur compétence. Il est superllu de dire que les institutions répressives ecclésiastiques res- tèrent, en [)rincipe, du XIII" au XVI" siècle, ce ([u'elles étaient avant le XIII*. Émanation de TEglise elles participaient de sa stabilité. A part les infjuisi- teurs. dont il nVst plus question, nous retrouvons dans le pays de Liège tous les tribunaux d'église, criminels et disciplinaires, dont nous avons parlé dans notre I'"' livre. Nous ne les énumérerons plus. Nous ne reviendi-ons pas non plus sur les querelles des évêques avec les ducs de Brabant , dont nous avons parlé dans le dernier chapitre. Nous rappellerons seulement derechef que la juridiction ecclésiastique fut maintenue pour le pays de Liège dans ses limites anciennes par \r paix de Flâne, par la paix de Tongres et par la Pauline ', c'est-à-dire dans toutes les grandes occasions où elle fut attacpiée; et nous nous contenterons de mettre à prolit les documents nouveaux qui s'y rapportent. Ceux-ci, mieux que les documents anciens, nous font con- naître les dilTèrents éléments dont les tribunaux qui l'exerçaient se compo- saient, et nous donnent avec précision les limites dans lesquelles s'exerçait l'action de ceux-ci. En elTet, c'est pendant le XIV'= et le XV'= siècle que l'importance du Tribunal de to[fici(dité se dessine compbUement , à la faveur de cette ten- dance générale qui [)orte toutes les institutions liégeoises à se lixer dans leur forme et dans leurs attributions. On voit se grouper autour de Vofficial de Liéfje, un scelleur, un chancelier, des sentenc/iieurs ou juges, des notaires, des procureurs, des procureurs fiscaux ou d'ollice, des clercs forains. Son ' Voir au cli.ipitic 1" do ce Irnvnil : Ê'aix (h Tinigrcx, nititlc I" ; I'Lil)li<'alii)iis relatives à la juridiction do rolTivinl; Réfutution du manifvsle des écheviiix, [ip. t20, ÔO, 51 ; .Yarralio liislo- rica, |)p. 8, 9; Appcndix , pp. D, 18, etc. DANS L'ANCIEISINE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 29d siège de judicature est celui dont dépendent étroitemenl tous les avocats du pays, qui ne tardent pas à former une sorte de corporation fermée et asser- mentée '. Autour des cours archidiaconales on voit également se presser un long cortège de procureurs et de clercs forains, qui en sont comme les prin- cipaux auxiliaires -. D'un autre côté, les qualités que devaient réunir les dignitaires et les auxi- liaires des cours d'église^ les princi|)ales obligations qui incombaient à ceux- ci, sont mises insensiblement sous l'égide des stipulations de droit public. Dès 4 337, notamment, \esSlaluts d'Adolphe de la Marck avaient défendu de promouvoir aux charges d'official, de juge, de scellcur, de notaire, de clerc forain de l'oUlcial ou des archidiacres, les gens qui vivaient publique- ment en concubinage ou qui se livraient à l'usure : aux charges de juge, de scelleur ou de clerc forain, les gens mariés ou les clercs bigames, c'est-à- dire qui avaient convolé en secondes noces. Ces prescriptions furent réitérées en 1487 dans la paix de S(uiU-J(icfjiies'\ Jadis, nous l'avons dit, il sullisait que rofticial fut |)ris parmi les chanoines de la cathédrale. La paix de Saint-Jacf/ue.s statua qu"il devrait èlre en outre de la nation du pays, apparenté dans le pays, et savoir la langue latine, la langue française et la langue flamande K La même paix voulait que le scel- leur, les sentenchieurs, les auditeurs, les procureurs fiscaux, les notaires de l'oflicialilé, fussent aussi de la nation du pays et a|)parentés en icelinj pour que, s'ils commettaient des excès dans leur oHice, on pût avoir un recours facile contre eux ^. L'ofTicial de Lii'ge, déjà reconnu comme juge ordinaire de la pr-incipauté par la paix de Tongres de H05 '^ et se titrant probablement dès cette époque de Président de la provime , n'était pas un juge purement ecclésiastique. ' Clirunifiiies de Jean de SUtveluI , p. 1 1. — Soiiet, livre 1", litre XI , etc. ^ Soiiet, idem. ^ Paix de Suiitl-Jacfjues , $ I". Nous ne citerons pus l'article des Slaluls de 1337, qui sont inédits. * Paix de Suinl-Jaequcs , *' 1", article 81. s Idem , article 82. ^ Piihlicaiions relatives à la juridiction de l'oUlcial : liéftilation du manifeste des éclteviiis, pp. ô4, ',)2. Appendix ud mirralionem , p. l'J. 296 ESSAI SUIl LIIISTOFRE DU DKOIT CRIMINEL Aussi était-il, en pratique, tenu de jurer Tobservance de toutes les paix du pays * et plusieurs d'entre celles-ci faisaient même mention expresse du serment qu'il devait prêter : la paix de Tongirs -; le réf/iment de Ileinsberg ^; la pai'jc de Saint- Jacques''. En vertu de celle dernièie charte, les scelleurs, iKitaires, procureurs et clercs forains de rollicial, devaient, comme lui-même, jurer dobserver le statut des cours spirituelles formant son premier cha- pitre ^. Sans nous arrêter aux autres dignitaires ou auxiliaires des cours d'église, il importe dédire un mot des procureurs d'office, des notaires el des parliers. Les procureurs d'oflice élaienl le bras droit de la juridiction ecclésias- ti(|ue. Armés du droit de poursuite d'olïice, dans certaines limites, ils défé- laient aux juges les délincpianls dont il fallait réprimer les excès. iMalheu- reusement leur nombre, à l'origine indéfini, leur zèle outré, qui dégénérait souvent en esprit de persécution et d'extorsion, produisirent périodiquement de graves abus. De là les mesures prises contre eux, en 1337, par la Uéfor- malion d'Adolphe de la Marck, mesures re|)roduites par la paix de Tonyres de /403. On statua que l'évèque ne pourrait avoir dans son ollicialité que (luinze procureurs, et le prévôt de la cathédrale, ainsi que les autres archi- diacres chacun un ^; que ces procureurs devraient être des personnes dis- crètes, honnêtes et feables''. Qu'aucun d'eux ne pourrait avoir sous lui de sous-procureurs ^; qu'avant d'entrer en fonctions chacun d'eux devrait jurer de faire bien et loyalement son office, et de ne jamais appeler quelqu'un en justice sans cause et sans raison ". On s'était plaint (pie certains procureurs avaient à leurs gages des gens armés, qu'ils ein|)loyaient à pressurer et à molester leurs justiciables. Les mêmes actes législatifs que nous venons de ' Réflltittioii (In )iiiiiillcslf , ciU', |). 117. ■^ Article oj. '' Arliilc 57. * Pitis (le S((iiil-J 11, m, 53, etc. — Rvfonne de 1337, pussini. ' I{.U'su:r, Aiuthjsc el oriijiiu' dvs druils des liclgcs el des Guulois, §'^ 39G et siii\:ints. — Li Puwcilliars, décisidii n" :204. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 299 commencement du XIV'' siècle, puisque c'est dans la réforme des cours spiri- tuelles d'Adolphe de la Marck qu'on trouve la première mention des obliga- tions générale des parliers. Sans entrer dans de trop longs détails, nous croyons utile de résumer ici les principaux devoirs imposés aux parliers du pays de Liège, tant par les Statuts de ^337 que par la loi nouvelle, la mutation de la loi nouvelle, la inodération de la paix des XVI et \apaix de Saint-Jacques. Les parliers étaient tenus de servir les pauvres gratuitement *. Leurs hono- raires étaient taxés par la loi, à raison de la plupart des actes de procédure auxquels ils intervenaient, sinon par le juge "-. Quand ils étaient requis par quelqu'un, dans le lieu de leur résidence, ils n'avaient pas le droit de refuser leur ministère ^. S'ils exigeaient de leur client, pour agir, une somme supé- rieure à la taxe légale, ils encouraient une suspension de six mois : « la jus- » tice ne le lassent dire aulcune parolles devant eux dedans demy an ») ensuyvant ^. » Si quelqu'un comparaissant en justice ne pouvait trouver de parlicr ou d'avocat « qui sa parole lui die,» la justice elle-même était contrainte de lui en trouver un ^, ou de charger un des échevins d'en rem- |)lir l'office ^^ ou de remettre une fois la cause pour que le justiciable put se procurer un conseil '^. Les avocats qui étaient excommuniés ne pouvaient pas exercer leur oHice tant que durait l'excommunication, etc. **. Jusqu'ici, nous nous sommes occupé des couis d'église proprement dites et des principaux auxiliaires de celles-ci. Il importe maintenant, avant de parler des principes de compétence, de jeter un coup d'œil rapide sur les synodes. L'institution des synodes périodiques, tenus par les archidiacres, ou en ' Hcfurme des Slaliils île 1337. — Modération de la paix de To)igres. — Paix de Saiiit- Jueqiu's, chapitre l''', nrliclf (1. * Mulaliun de lu loi iwuielle, at-liclcs 1 1 , 1:2, 13. — Modération de la paix de Toiujres. — Paix de Saint-Jaifiiies , chapilru 1\', arliclc IG. '' Miilation de lu loi nouvelle, ailiclos 1:2, S4. — Modération de la paix de Tonijres. — Paix de Saint- Joei/iies, chapitri' IV, arlide 17. * Modération île la paix de Tongres. ' Loi noiiville , ailicle 1 1. ^ Modération de lu puix de Tongres. — Paix de Saint-Jacques, cliapitrc IV, article 17. ' Idem , idem. s Puix de Saint-Jacqites , cliapitrc I", arliclc 21. 500 ESSAI SUR LIIISTOIKE 1)L DROIT CRIMINEL leur nom par les doyens des conciles ruraux assistés d'un clerc forain de rarchidiacre, subsistait encore à la fin du XV" siècle puisque la paix de Saint- Jacques s'en occupait '; et elle avait fait l'objet de stipulations très- précises dans la lettre du prévôt -. A Liège, le prévôt de la cathédrale, archidiacre de Liège, avait insensible- ment pris riiabitudo de nommer lui-même les juges synodaux ou seniiatilx dans les dilTèreiites paroisses. Par la lettre du prévôt il renonça à cet usage. On statua que le vestij ou curé de chaque paroisse avec les paroissiens éliraient eux-mêmes ces juges, et se borneraient à les présenter au |)révôt qui leur ferait pièter serment et les admettrait à faire féauté. La même charte obligeait le prévôt à ne plus agir en matière de juridic- tion ecclésiastique, contre les gens de la Cité, que par l'intermédiaire du Synode. Elle lui refusait le droit de presser, de destraindre, de travailler aucun bourgeois, par monition ou autrement, à l'occasion des sennaulx, sinon sur le rapport du curé et des juges synodaux de la paroisse dans laquelle le bour- geois était domicilié. Elle réprouvait la coutume en vertu de laquelle les sages-fomm<'S de Liège lapportaient directement au prévôt les noms des » créatures qu'elles seront à déliMcir, » pour appeler sur celles qui accou- chaient hors mariage les pénitences ecclésiastiques. Elle ordonnait aux sages- femmes de faiie leur rapport au curé et aux sennaulx de la paroisse où demeurait la femme délivrée à l'époque de son accouchement, sauf à ceux-ci à prendre leur recours au prévôt le cas échéant •'. La lettre entière respirait la réaciion contre les tendances de Parchidiacre de la Cité, qui, pas à pas, avait cherché à attirer à lui et à centraliser complètement l'exercice de la juridiction synodale. Au surplus, l'article 47 du chapitre f" de \w paix de Saint-Jacques est conçu dans le même esprit. Il défend implicitement à tous les archidiacres de citer ou de sonnner une personne, à loccasion d'excès d'incontinence, d'adultère, d'inccsle, de fornication, avant que celte personne ait été rap|)orlée et citée en Synode *. ' Paix de Suint-Jucf/iirs , clLipitrc I". iirliclcs 47, iS. * Voir plus liiiiil ce (|iic lions inoiis ilii ilc icUe cliiirlc l't des coaditions dans lesquelles elle avait élé iliesséo. " Voir le Icxlc de In cliorle. ♦ Nous verrons plus loin ee (|ui eoncerne l'offieial lui-niènie. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE 301 Mais arrivons aux régies de compétence. Nous avons dit, à leur endroit, dans le premier livre, que les clercs relevaient exclusivement de la juridic- tion ecclésiastique; que les archidiacres, juges d'église, ne connaissaient, en ce qui concerne les laïcs, que de certains crimes de for ecclésiastique et des crimes inixti fori; que rofïicial, bien que juge d'église, concourait avec les échevinages et les tribunaux féodaux à la répression des infractions de for séculiei" même inter merè laïcos; qu'à part certains délits de for ecclé- siastique, qui ressortissaient privativement à l'archidiacre ou à l'ofïicial, celui-ci avait un droit de prévention extrêmement étendu; que le prévôt de la calhédiale avait une juridiction tout à fait exceplionuclle sur certaines infractions de peu d'importance commises par les femmes de la Cité; qu'il existait dans la principauté des clercs qui, non-seulement ne ressortissaient pas à la juridiction séculière, en matière criminelle, mais même qui ne res- sortissaient ni à l'oflicial, ni aux archidiacres, etc. La plupart de ces règles reçoivent, dans la période qui nous occupe, et à plusieurs reprises, une consécration nouvelle, soit par des actes de droit public qui les pioclament derechef, soit par des actes solennels de juridic- tion exercés sans conteste. Nous allons le démontrer aussitôt. Et d'abord le privilège du for, appartenant aux individus engagés dans les liens de la cléricature, était en termes exprès l'econim par la Icllre des vénaux de 1518, par la mutation de la loi nouvelle de 1Ô86, par le nouveau ject de i594, par le régiment des basions, par Va paix de Saint-Jacques, etc. La lettre des vénaux ordonnait aux chapitres des collégiales et à l'oHicial de Liège, selon les circonstances, de réprimer les infractions des clercs qui méconnaîtraient ses prescriptions '. La mutation de la loi nouvelle exemptait de la juridiction du juge de leur domicile les prêtres, les clercs, les notaires, les femmes veuves et les femmes à marier. Elle disait que toutes ces catégories de personnes étaient à la cor- rection de lam ju(/e ordinaire, c'est-à-dire du juge ecclésiastique -. Le nouveau ject ordonnait de livrer à l'ollicial les chanoines, les prêtres, les clercs, les bénélicicrs, etc., n'étant pas du corps des églises de Liège, qui • Voir celle cliarle. ' Article 51. Cet article se trouve en partie dans l'article \" de la paix de Tongres. 50-2 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMIINEL étaient appréhendés pour avoir contrevenu à ses dispositions \ Lcrégimenl des basions contenait un article analoirue ^. La paix de Saint-Jacques enjoignait également de traduire devant Tofficial de Liège les clercs qui délin(|uaient en matière de port d'armes, de jeu\ de hasard, etc. Elle prenait même des mesures très-précises à propos de la con- duite à tenir par les sergents de justice quand ils appiéhendaient un d'entre eux. Lorsqu'un clerc était arrêté la nuit par les vurlels du maïeur ou des maîtres, et que sa condition était notoire, les varlels « le debveront incon- » tinent et sans délay meneir le plus corloisement qu'ils polront, et livreir » en la ihoure dudit ollicial. » Lorsqu'il y avait doute sur le point de savoir si rhomme a|)préhcndé appartenait ou non à la clergerie, les varlets pou- vaient le mener provisoirement à la ferme du maïeur ou à celle de la Cité et l'y retenir jusqu'au jour, mais sans attempter à sa personne; puis, dès que la preuve de sa cléricature était établie, « le relivreir lendemain dedens prime » au tliourier de seigneur, sans esclandre autrement l'aire •'. » A un autre endroit la même paix, |)arlant de la répression des atteintes portées à l'ensemble de ses disposilions, disait : si le coupable est un clerc, lisant de priviléfje clérical, ce clerc sera jugé et puni par son juge compétent, « tellement et sulïïsamment que l'on aurait lieu d'en estre contain suivant le » cas •*. » Cette dernière disposition nous conduit à examiner une question nouvelle. Il y avait donc des clercs qui n'avaient pas ta jouissance du privilège clérical: quels étaient ceux qui pouvaient en user? Les clercs qui étaient admis à invoquer le |)rivilége du for étaient, au XIV'' et au XV'' siècle, ouli-e les prêtres et les bénéflciers de Sainte-Eglise '•", ceux qui se Irouvaient dans les conditions déterminées par les Statuts sgno- daux de Jean do Flandre, renou\elés par Jean de Ileinsberg, ainsi que par la réforme d'Adolphe de la Marck de 1337 insérée en grande partie ' Article 7. ■* Arliclc tO. Les deux cliartcs de I39G cl de I4i0, au surplus, supposaicnl l'cxislence du privilège den cliuni)i)ies. 5 Cliii|iilre2î;, arlicles l(i, 17. * Cli:i|iilie ;28, il la suile de la paix de rexiie. * Ceux-ci clnicnt rangés à jiart puf l'arlirlc I" de la jxiixdc fdiKjres. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 303 dans la paix de Saint-Jacques. Nous renvoyons à ce que nous avons dit dans le premier livre à propos des dispositions des Statuts synodaux. Quant à la réforme de 1337 et à la paix de Saint- Jacques, celles-ci privaient des avantages du privilège de cléricature : 1° Les clercs, mariés ou non, qui exerçaient des charges ou qui se livraient à des occupations incompatibles avec leur état, c'est-à-dire ceux qui étaient baillis, échevins, juges forestiers, ou usuriers, changeurs, percepteurs de tonlieux, ménétriers, kokars, histrions, taverniers, ouvriers, etc.; 2° Les clercs simples qui portaient « longues barbes ou vestements rayés » ou parties scagolets, » ou qui ne se faisaient i)as au moins cinq fois par an raser la tonsure *. La mutation de la loi nouvelle déclarait, de son côté, refuser le privilège du for aux clercs qui ne se servaient de leur cléricature qu'à Pinsiar d'un bouclier ou d'un préservatif d'occasion : « ce n'est point notre entente, » disail-elle, « que nulz clercs soit par nous défendus, s'il n'est clerc no- toire -. » Son esprit, avec l'expression de clerc notoire, se retrouve dans l'article 4" de la paix de Tongres ^. A une époque donnée les clercs, exerçant un office public laie , furent soumis de plein droit à la juiidiction des XXII, sans exception pour Tollicial de Liège lui-même malgré la qualilc de prétie (|u*il avait ordinairement. Nous reviendrons plus loin sur ce point. Enfin, au milieu du XV'' siècle, les éche- vins de Liège allirmaient aussi avoir juridiction sur les clercs mariés qui leur avaient prêté serment à litre d'un ollice. En effet, quand, en 1 460-1401, Louis de Bourbon voulut demander une condamnation contre tous les digni- taires et les auxiliaires des cours ecclésiastiques, conq)romis dans l'affaire des procureurs fiscaux, les échevins refusèrent, mais ils dirent : « quod non per- » tineret ad eos aliqua facta clericorum judicare, nisi essent uxorati et essent » eis submissi per juramenta sua, quando levaverunt minisleria sua, quales » fuerunt lu quos condemnaverunt *. » ' Réforme de 1537. — Puix de Saint-Jacques , chapilrc I", arliilc 65. 2 Article 48. 5 Article 1". * Vêler i Busco dans VAmplissitna collectio , t. IV, pp. 1:245, 124(3. 50i ESSAI SI R LUISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Malgré rexislencc de ces règles, il y avait de fréquents ooiillils de juri- diction entre les éclievinages et les juges d'église, tant en matière civile qu'en matière criminelle, à propos du privilège du for des justiciables. Dans ces conflits, rolïicial avait l'habitude d'adresser à la justice laicpie des lettres iiiliiljitorielh'S pour lui enjoindre de surseoira la procédure commencée, ou pour lui défendre de connaitre de l'action portée devant elle. Les éclievins de Liège, de leur côté, donnaient parfois à ces lettres, pendant le cours du XV" siècle, une réponse évasive pour se dispenser d'en tenir compte. La lettre mu; articles leur enjoignit de répondre à l'oHicial, le cas échéant, « clèrement leurs intentions et Aolonlés. » La )nutaliou de la loi nourelle, conlirmée par la paix de Saint-Jacques . reproduisit cette disposition en y ajoutant les mots : « ou obéissent '. » Inutile de dire que celte su|)ériorité reconnue |)ar la paix au Tribunal de t officiai , délégué direct de l'évèque, était loin d'être acceptée toujours en fait par un corps aussi puissant que l'échevinage de la Cité. Quant aux rapjjorls mutuels de l'oflicial et des archidiacres, en ce qui concerne l'exercice de la juridiction répressive sur les clercs, ils étaient restés à peu près les mêmes qu'autrefois. L'ollîcial de Liège était encore armé d'un droit généial de pré\ention. De plus, c'était à lui seul qu'avait été dévolue la mission d'applicpier aux clercs délinquants les statuts généraux de droit ci'i- minel qui les liaient, tels, par exemple, (pie le nouveau ject, le régiment des bas tons, etc. -. Avant de parler de la juridiction des juges d'église sur les laïcs, nous croyons opportun de rassembler ici (|no!(pies indications que nous avons recueillies à j)io|)os du régime des exempts, c'est-à-dire des membres et des suppôts des anciens chapitres des collégiales liégeoises. L'incompétence d(>s archidiacres et de l'oHicial, pour connaître des infrac- tions commises |)ar les exempts, bien loin de disparaitredu XlII'au XVI'' siècle, ne lit que s'allirmer d'avantage. La lettre des vénaux de 1318, parlant du (lclin(pi;iiit clerc, disait : « s"il est clerc du collège d'aulcune églicse de Liège, ' Lellre uiix articles. — Mutation de lu loi nouvetie, nrliclc 48. — Pais de Saint-Jacques, cliaiiiliT 1! , arlicle 'J2. - Voir tes aclcs. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 50d » son doyen ou son chapitre doit avoir tele amende, et faire qu'il amende le » meiïoit ainsi comme il fuisse bourgeois. » Elle autorisait, il est vrai, l'offî- cial à agir si le doyen ou le chapitre restaient dans l'inaction; mais nous croyons fort que cette dernière disposition ne passa guère dans la pratique i. Le nouveau jecl et le régiment des basions n'armaient l'ofïicial qu'à l'égard des clercs qui n'étaient pas del greisme des églises de Liège -, Louis de Bourbon lui-même, dans la confirmation des privilèges des chanoines qu'il accorda en libO, ne se réservait le droit de les juger que dans un seul cas, le cas de crime |)olitique : « dempto et salvo quod sine causa légitima rebellis » contra nos nostramque jurisdiclionem ei domiuium ipso privilegio hujus » modi rebellione durante miniue gaudeani , nec illud eis seu cuilibet eorum » sulTragetur •'. » Sans entrer dans de trop longs détails nous rapportons ici quelques faits corroborant les données des actes de droit public dont il vient d'èlre ques- tion. En 1437, l'archidiacre de Hesbaye voulut punir deux choraux du cha- pitre de Saint-Pieri'e de Louvain, de la fralernité des églises secondaires de Liège, pour de graves excès commis |)ar eux. Il prélendit que les choraux de Saiut-Pierrc ne jouissaieut pas des pi-ivilèges de ces églises secondaires; le chapitre de Saiut-Pierre prétendit (pi"ils en jouissaient, et que, conformément à leur teneur, aucuu de ses suppôts n'était justiciable de rarcliidiacre : « Sed » dumtaxat capiluli ratione liberlatum, fraiichisiarum, privilegiorum et » excmptionum eorumdem, quas vel quae habebant et habere debebant, » ex jure praescripto secundariae ecclesiae Leodiensis '. » En 1441, le curé de Saint-Séverin à Liège, chanoiuc du chapitre de Saint- Pierre dans la Cité, fut cité devant ce chapitre sous la prévention d'avoir étranglé sa servante. Par sentence de ses pairs il fut admis à se justifier par la purgation canonique et produisit douze prêtres pour conjurateurs, sept de plus qu'il n'en fallait. L'ofiicial ne se mêla pas du procès ^. ' Voir cette lellre. 2 Voir ce que nous .ivoiis dit jjIiis li.iiit. 5 Di; Ram , Dorumeiils inédils , p. 420. * Zantfmet dans VAmplIssima colleclio, t. V, p. 442. " Cltroiiiques de Jeun de Slavclot , p. 44G. Tome XXXVIII. 39 306 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMIISEL En i 460, les exécuteurs de l'cvêque arrêtèrent à Diest un chanoine qui avait tué un de ses confrères, « extorquentes pcr lorturas certam summam » pecuniae quà redimcre se habebat captivus praetactus. » Aussi les églises secondaires de Liège cessèrent leur chant parce que révêque refusa de se rendre aux réclamations faites contre la conduite de ses exécuteurs '. Le second fait que nous venons de citer nous autorise à croire que sou- vent, quand un chanoine coninietlait un crime, on se bornait à le faire punir disciplinairemont par le chapitre auquel il appartenait sans provoquer la nomination de juges délégués du souverain pontife. Venons enfin à la juridiction des juges d'église sur les laïcs, en matière criminelle -. Sans reprendre les principes que nous avons énoncés dans notre premier livre, nous devons appeler de nouveau l'attention sur la compétence respective de l'odicial et du synode archidiaconal, sur la juridiction du prévôt de la cathédrale en matière de certains délits déterminés, sur la juridiction de rodicial considéré comme exerçant la juridiction criminelle pleine et entière de l'évèque en concurrence avec les tribunaux séculiers. La réforme de i3ù7 , confirmée par la paix de Saint-Jacques, attribuait formellement au synode archidiaconal la connaissance des excès d'inconti- nence, d'adultère, d'inceste, de fornication, etc. Néanmoins elle permettait à l'ollicial de corriger les mêmes excès quand ils étaient notoirement de son office. Si les deux juges, disait-elle, condanment un délinquant pour le même fait, le cotidamné ne doit payer qu'une amende à partager par parts égales entre Tolficial et l'archidiacre « afin que pour ung excès ne soit deux fois » corrigié. » Les mêmes actes législatifs obligeaient le clerc forain de l'archi- diacre et le doyen du concile à remettre à la fin du synode, entre les mains du clerc forain de Tollicial, le registre des excès rapportés au Saint-Synode, |)our que l'official put examinera qui la correction de ces excès appartenait ■". Ils défendaienl aux clercs forains des deux juges d'excommunier aucun accusé, à cause d'aucun excès, avant que le fait ail été ra/i/tor/é au synode ' Dk Uam, Dorumciils iin'ilils, p. 8. ^ I.cs /yfli'x .s'o(cii|i('iit sdiivcnl de cille jinidiciidii en inntic'rc civile; nous n'avons pas à en parier ici. ^ liéfurme de 1337. — Paix de Saint-Jacr/ues, thapilrc I", arlidcs 47, 43. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 307 et que raccusé fût convaincu K Ils ne parlaient pas du droit de prévention de l'offîcial vis-à-vis des archidiacres en matière de répression de toutes les infractions de for ecclésiastique ou de for mixte commises par les laïcs. Mais ce droit était resté intact; nous le retrouverons encore dans ses anciennes limites à la fin de l'ancien régime. La juridiction exceptionnelle que le prévôt de la cathédrale de Liège exer- çait dans certains cas et surcerlains laïcs avait été réservée, dans les Statuts de iù28, dans des termes assez ambigus. L'article 4"'' de ces Statuts, qui parlait de la répression des injures verbales, se terminait comme suit : « Salve le droit de prévôt de Liège (anl comme de luit dit de femme seule- » ment -. » Mais, comme nous l'avons déjà dit plus haut, le prévôt et la Cité n'élant pas d'accord sur l'étendue de celle juridiction, la lettre du prévôt avait dû intervenir, en 1369, pour terminer le différend. Conformément à la lettre du prévôt, le prévôt conserva la connaissance de toutes les batailles, rixes, querelles, lais dits, entre les femmes de la Cité et des cinq paroisses, pourvu qu'il n'y eût ni plaie occasionnée ni sang répandu. Dès qu'il y avait sang ou plaie ouverte, la justice séculière était seule compétente. Le prévôt perdit, en même temps, le droit qu'il s'était arrogé de poursuivre d'office les femmes qui commettaient des infractions ressortissant à sa juridiction exceptionnelle; maison reconnut (|ue, en cas de « plaincte faite, c'était à lui seul de taillier l'amende selon la quantité du méfait » et selon Testai de la personne |)Iain(lante, si avant qu'il serai prouvez ^. » La lettre de 1369 décida encore i\\\c si une femme de la Cité ou des. cinq paroisses diffamait d'un fait honteux une personne de bonne renonnnèe, celle-ci devrait commencer par porter la plainte aux jurés des innaves et non au prévôt. Quand alors les jurés constataient l'existence d'une véritable diffamation , ils punissaient seuls la femme coupable; quand, au contraire, ils ne constataient que l'existence d'une infraction de laid dit, ils devaient se déclarer incompétents et renvoyer l'aiTaire au prévôt *. ' licfurine de 1337. — Paix Je Suiiit-Jacque.s , thapilic I", article 50. '^ Article 1". "' Voir la lellre du prévôt. * Idem , idem. 308 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL La juridiction criminelle que l'odicial de Liège everçait dans toute la pro- vince, même inler mi-rè /aïcos et à raison des crimes de for séculier, fut reconnue à plusieurs reprises dans le cours du XV« siècle. Le régiment de Neinsherf/ , notamment, mandait à ToHicial, aussi bien qu'au maïeur et aux maiires, de faire exécuter les pénalités qu'il conuuinait cl contre toutes espèces de personnes sans distinction '. La paix de Saint-Jacques permettait aux personnes lésées par une infraction quelconque de porter à volonté leur plainte au droit, à la foi, au statut -. Le droit c'était roflicial; la loi c'était l'éclievinage; le statut c'était le coi-ps des magistrats électifs '\ Au reste, on peut rapprocher de ces deux actes législatifs la teneur d'un record de 1597 qui, en se basant sur d'antiques rétroacts, constate quel était l'état des choses de temps immémorial. « Ollicialem leodiensem, » dit ce record, « esse judicemordinariuni partihus requirentihus justiciam ministrando, sen- » tencias pronuntiendo defîniti\as et interlocutorias, lam in causis spiritua- » libus, civilihus, personalibus et realibus, et inter personas soeculares, indif- » fercnter repraesentando in materia judicaturae spirilualis, civilis, (/uani » criniinalis, |)rincipcm Leodiensem, exercendo dictum judicis ollicium per » totam dilionem et civitalem indin'erenter; quod est omnibus porquam » uotorium , et nemo ignoranliam sub(|uocumque [)raetcxtu praetondere » possit, quae judicatura et olliciun) judicis ordinarii a tanto tempore fuit » observatum, et repraesentalum ut nulla sil hominum memoria in contra- » rium etiam absque ulla contradictione *. » Au surplus, en matière criminelle séculière, l'ollicial n'avait aucun droit de |)oursuile d'ollice. Il n'était saisi que par la plainte des intéressés, s'adres- sant à lui de |)référence à tout autre juge, et plus tard par la plainte de l'un ou l'autre justicier. Nous croyons pouvoir nous borner, à propos des cours d'église du Xll^ au XVI'" siècle, aux considérations cpii jirécèdent, et aborder aussitôt notre deuxième paragraphe. ' Arliclc 17. - (;hii|iilie ^(i, ;irli: le (M. ^ l*iil)licMliiiiis sur l;i jiii-idii lion de lollici:.! : Aii/iiiidix itd inirriitiuiieiu, p. il); liéfutulian du munifcsli-, \)\}. 7M, T>\, ."Ji, Z7>, de. — IIodi.n cl Haikesi , iiusstm. * Appendix ud mirnilioiiem , p. 2-2. A DANS L'AINCIENNE PRINCIPALTE DE LIEGE. 309 § II. — Des instilutions répressives séculières. Les inslilutions répressives de Tordre séculier, dont nous avons si longue- ment parlé dans le premier livre de cet essai, conservèrent tous leurs carac- tères essentiels pendant la longue période qui sépare la puix d'Auf/lcur, la paix de Fexho et la paix de Saiiit-Jaeqnes. Mais les paix et les autres actes de droit public, publiés dans ce laps de près de deux cents ans, s'en occupè- rent si souvent qu'elles méritent encore ici une élude attentive. Tout en évitant d'inutiles ! édites, il sera in(lis|)ensable de parler de nou- veau, et séparément, des avoués, des justiciers, des échevinagcs, des cours féodales, du Tribunal de la Paix et du Tribunal de l'anneau du Palais. Nous ne pourrons laisser de côté que la juridiction mixte qui |)articipait à la répression des infractions conunises par les variés des canones, dont aucune charte nouvelle ne s'occupe, et dont nous avons d'ailleurs retracé approxi- mativement les destinées dernières. I><'S avoues. On se rappelle (pie, dès le XIII'" siècle, les anciens voués qui n'avaient pas absorbé la seigneurie dans la vouerie pouvaient être rangés dans deux grandes catégories : la catégorie de ceux (pii ne voyaient plus dans leur vouerie qu'un tilre de percejitions linancières; la catégorie de ceux (jui étaient restés les auxiliaires des justices locales, et qui avaient conservé le droit ou le devoir de s'acquitter de certaines attributions judiciaires plus ou moins importantes. Au XI V" et au XV'' siècle, il est permis de dire bien que les documents sur les voués soient assez rai'es, que la première de ces catégories ne fit que s'accroître aux dépens de la seconde, ('/était dans la nature des clioses au fur et à mesure (|ue les justiciers amovibles se consolidaient dans leur posi- tion. Cependant certains voués conservèrent la situation qu'ils avaient à la fin de la période précédente, ou, si l'on veut, restèrent astreints à accomplir leurs anciennes obligations. D'autres, surtout dans les villes, qu'ils eussent 310 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL ou non une action judiciaire, profitèrent de leur puissance propre pour modifier le caractère de leur dignité. Ils se firent accepter comme des centres de résistance légale contre l'action du prince, et comme les défen- seurs naturels des sujets contre les officiers de ce dernier. Quelques-uns de ceux-ci allèrent même, à la faveur des luttes civiles entre le pouvoir central et les pouvoirs secondaires , jusqu'à se porter comme une source subsidiaire de juridiction quand le seigneur sus])endait le cours de la loi. Cette dernière prétention de certains voués répondait notoirement à une situation quasi révolutionnaire, (|ui se produisit à diiïérentes l'eprises dans le pays de Liège. Nous n'en dirons que peu de mots. En 1320, le chapitre catliédral et les bonnes villes du pays, sous prétexte qu'Adolphe de la Marck, malgré ses promesses solennelles, ne veillait pas à la bonne administration de la justice dans la ville de Saint-Trond, prièrent Arnould, comte de Looz, d'intervenir comme voué de l'endroit. Arnould, sans hésiter, prit possession de la haute justice et seigneurie, et nomma à Saint- Trond des justiciers et des échevins. En 13âl, après que l'apaisement se fut fait, au moins momentanément, il rétablit les choses dans leur état nor- mal; il révoqua les officiers qu'il avait nommés, et invita les échevins, nouvel- lement institués par lui, à résigner leurs charges entre les mains du chapitre '. A Liège, pendant le règne de Louis de Bourbon, le cours de la loi fut plu- sieurs fois suspendu : « et revocavit officium villici et non habuit lex cursum » suum in Leodio... -... »; « adhuc lex non fiebat in Leodio quia dominus » Leodiensis sustulerat villico virgam •^... » Les bourgeois prétendirent que dans ces circonstances l'avoué de la Cité avait le pouvoir de créer des juges et de punir les crimes '; et, dans la charte d'inauguralion du mamboui' Marc de Bade, ils firent insérer la clause suivante : « (pie l'évèque n"int('r- » romprait pas le cours de la justice, et que, s'il le faisait, le voué aurait le » droit de reconstituer les tribunaux ''. ' SciiooMiiinoDT, oiiv. cilr, arlos \\" 'M, .'ilt. * Vctvri lltisco (l;iMs VAiniilissima collcclio , t. IV, p. 1255 ad aiuiiiin I4S8. ' Idem, Il /<'/», |)|) I5G>'>, \'HJG. * IIknadx , (iiiv ciU' , |i -201 . ■' Dtwtz.ouv, ciic, t. 11, j). '2'.).— lli.>ALX,oii\. (ili'. i>.'20.'.— De Geblacue, ouv. citc,p.21G. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 311 Le droit de défendre les sujets contre les officiers du prince et de former un centre de résistance lérjale, attribué à quelques voués au XIV* et au XV® siècle^ répondait, au contraire, à une situation normale quoique nou- velle à beaucoup d'égards. Nous en trouvons la preuve dans le record de 1317 ' sur les prérogatives du haut voué de la Cité, mis en rapport avec le Patron de la Tempoi-alité , et dans des records du 21 août 1442 et du 19 janvier 1444, sur les prérogatives du voué de Fosses. D'après le record de 1317 et le Patron de la Temporalité , le haut voué de Liège tenait son avouerie en franc-alleu des échevins de Liège. Il consti- tuait un lieutenant, ou bien en le pièsentant à la justice, ou bien en lui octroyant des lettres patentes, el de plus il nommait un clerc. Le lieutenant et le clerc du voué « syeront en justice deleis le mayeur et les esquevins, » et tenseront à tous acor là ly advoweit doit partir pour sa raison à war- » deir, » sans avoir la faculté d'être « deleis les esquevins, quant-illi con- » selhent, recargent, etc. -. » Le voué de Liège qui depuis longtemps n'était plus justicier, comme nous l'avons vu, avait conservé tous les droits que lui reconnaissaient les records du XIII'' siècle : celui de percevoir tantôt un tiers, tantôt un cinquième des amendes prononcées par les échevins; celui d'agir, par voies de fait, à défaut du grand maieur conire les viniers qui fabriquaient de mauvais vin; celui d'accompagner ou de remplacer le grand maïeur quand il fallait discaryier ou discombrier le warissay, etc. ^. En outre, les documents du XIV* siècle lui reconnaissaient le pouvoir de proléger et de soutenir, même par la force, les échevins de Liège si quelque homme puissant voulait les presser ou les formener; celui de protéger et de soutenir les bourgeois de Liège, en impo- sant aux échevins le jnsticium jusqu'à redressement du grief, si le maïeur voulait les mener hors loi ou leur refusait justice : « Se ons les volait four- » mineir ou défallir de justice '*. » 11 n'était pas du tout question de j)rèro- gatives de l'espèce dans les documents du XII K' siècle. ' Dans plusieurs excmplaiics inanuscrils du Puueilhars. 2 Patron de la Tvmpiiralilé, p|i. oOÔ, 30i. ' liecord de 1317 vl Patron de la Temporalité, pp. ôGô, 504. * Idem , idem, p. 306. 512 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL D'nprès le Patron de la Temporalité les seuls bourgeois qui fussent sous lii protection du voué élaieiit ceux qui étaient nés dans la franchise de Liège, c'est-à-dire les citains. Le même document prévoyait le cas où quelqu'un aurait voulu gêner le haut voué dans Texercice de ses prérogatives. Le haut voué devait, le cas échéant, commencer par requérir Févêqucou son lieutenant « adin qu'il en soit radreschié; » puis s'il n'obtenait pas réparation, il lui était loisible d'imposer la jtisticium aux éche\ins jusqu'à ce que réparation lui lût accordée ^ Le voué de Fosses, par exception au milieu des voués des villes -, avait conservé certaines attributions judiciaires. C'était le seigneur de Morialmé. D'après les records de 1442 et de 1444, tout nouveau seigneur de Morialmé devait, après avoir fait relief de sa baroiinie à la cour féodale, se présenter avec ses lettres de relief à l'échevinage de Fosses pour se faire recevoir bourgeois de l'endroit. Cette formalité étant accomplie, il prêtait aux échevins, à la semonce du niaïeur, le serinent du voué : « (juc de ce jour en avant il sera » bon et féal à nosire très-redoutable seigneur, aux mayeur et échevins, » aux maîtres et conseil, bourgeois et manants de la dite franchiese de Fosses, » et qu'il entretiendra tous les points de l'avouerie comme la cour les tient » el les garde. » Enfin il mettait : « ung lieutenant résident à Fosses, et » iceluy doibt estre eschevins '". » A Fosses les obligations du voué étaient : 1" De « warder les bonnes gens dedans franchiese conHnunement de » forche et de violence, el de les faire menner par loiz, » (|uand ini bour- geois ou manant serait arbitrairement traité par un ollicier, et demanderait en vain justice à l'évéque; 2" De conserver en bon élat de léparations dans les forlilicalions de la ville la tour île Morialmr pour (|u"elle put servir de prison, sauf à l'évéque à entretenir, à ses dépens, les prisonniers qui y seraient renfermés; 3" D'appréhender les malfaiteurs dans la franchise, si le maïciir n'était pas présent, à charge toutefois de les remettre au plus tôt entre les mains de ce maïeur; ' l'alrnii île la Ti'mjiorulitè, p. 30(i. 2 II y cil ciil pcul-t'IiT d'autres, inais^iious iii'ii avons pas di- /)/ej. rc. ^ Voir les rerurda ciU's. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 313 4° De supporter un tiers de tous les frais judiciaires à faire contre les délinquants; 5° De supporter seul les frais de l'exécution à mort des condamnés, après que ceux-ci lui seraient livrés par le maïeur, avec ces restrictions : que le sergent de la Imuleur devait faire le coup à ses dépens ; et que la maison de Salzinne, lez-Namur, dépendance de la franchise de Fosses, devait fournir le cheval « pour trayner le jugiet à mort et à la roue... » Pour prix de l'accomplissement de ces différents devoirs le voué de Fosses percevait un tiers de toutes les amendes jugées ainsi que de toutes les com- positions, « si argent ou aulcun proulïîle en y estre intervenues » avant ou après une condamnation '. En rapprochant ces données de quelques charles du KIY*" siècle dont nous avons parlé au 1"' livre, on peut conjecturer (|ue les voués du pays, armés encore d'altrihulions judiciaires, étaient à l'endroit de celles-ci dans une position analogue à celle du voué de Fosses. Des justiciers. A part un procureur génér(d, qui prit place pour disparaître bientôt dans la hiérarchie des officiers criminels liégeois - pondant le règne de Louis de Bourbon, les justiciers du XIV'' et du XV*" siècle étaient les mêmes (|ue ceux du XIII". Tous, maréchaux, baillis, prévôts, châtelains, maieurs et écou- têtes, etc. ~\ avaient conservé avec les corps échevinaux les rapports que nous avons déjà caractérisés. Ils étaient restés investis de leurs anciennes attributions auxquelles étaient venus ajouter insensiblement la faculté de poui'suivre d'olfice quelques infractions graves. En ce qui les concerne le principal elTort de l'esprit public lendit, pendant deux siècles, à mettre sous l'égide du droit public le principe de leur respon- sabilité personnelle; à organiser un système de mesures préventives et répressives qui lit de cette responsabilité une réalité; à déterminer constitu- ' Records cites. Le premier ne dit rien île la composition. 2 II revint plus tard, et inèiiîe assez tôt, dès le XVI' siècle. 5 II sont ainsi désignés dans plusieurs paix. Tome XXXVIII. 40 314 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL tiimnellemenl les conditions d'aptitude qu'ils devraient réunir pour pouvoir obtenir leurs oHices; à fixer enfin, d'une manière précise, l'étendue des attributions qui leur compétaient comme gardiens et exécuteurs des hauteurs de révoque. C'est la paix de Fcxhe , considérée jusqu'à la fin de l'ancien régime comme base de constitution liégeoise ', qui consacra pour la première fois, d'une manière solennelle, la responsabilité des oflîcicrs de l'évêque. Elle déclara qu'ils devraient mener les sujets du pays par loi et \^nr juf/pment d'Iunnmes ou d'éclievins, sauf les cas de hauteur du prince. Elle décida que s'ils abusaient de leur position pour contrevenir à ce principe, mener quelqu'un hors loi, ou lui refuser justice, lisseraient pécuniairement responsables envers le lésé du dommage qu'ils lui avaient causé, et, en outre, en cas de récidive, punis par l'évêque selon la quantité du méfait -. Pour assurer préventivement le maintien de ces dispositions, tous les justiciers, en entrant en charge, furent astreints ix jurer de mener leurs justiciables par loi et par jugement, et de se conformer à la paix de Fex/ie en ce qui la concernait •'. En outre, au furet à mesure que des paix et des ordonnances nouvelles furent publiées dans le |)ays, on les obligea (]e jurer de respecter celles-ci dans leur forme et teneur ^. C'était, à une époque où le respect du serment était vivace, engager leur conscience et leur foi reli- gieuse au strict accomplissement de leurs devoirs. Cependant cette mesure, quelle que sage qu'elle fût, n'était pas sullisaute. On comprit bientôt que le meilleur moyen d'avoir des officiers probes et dignes, qui resj)ectassent leur serment, c'était d'entourer leur nomination de certaines garanties. La leKre des vinfjt ordonna par mesure transitoire de déposer tous les offi- ciers qui avaient acquis leur charge à prix d'argent, à un titre quelconque. Elle permit pour cette fois à révè(|ue, comme rien n'avait encore été statué à cet égaid, de rendre aux démissionnes leurs avances •'. Mais elle proscrivit * Voir sur ce point tous les auteurs qui se sont occupés de lliisloire de Liège. * Paix de Fexhv. 5 !dvm. * Lettre des vingt. '■' Idem. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 315 absolument pour l'avenir, et d'une manière générale, le principe de la vénalité des charges. Tout officier qui aurait prêté de l'argent sur son office à l'évêque, et qui serait reconnu coupable du fait devant le chapitre de Saint-Lambert, serait privé de sa charge et déclaré incapable d'en obtenir une autre à l'avenir '. Tout officier qui, dans l'exercice de ses fonctions, aurait fait des avances à l'évêque, ou lui aurait fait un prêt pour la défense du pays, devrait être remboursé au plus tôt. On ne voulait donc pas même qu'un justicier put se créer, vis-à-vis du prince, un titre permanent de reconnaissance ou de faveur -. Il faut se hâter d'avouer que la pi-atique des choses ne cadra guère dans l'avenir avec la rigueur des principes que l'on venait de proclamer. Entre autres grands officiers qui avaient acheté leur charge, au XV" siècle, il suffira de citer Walhieu d'Athin qui, comme le dit Jean de Stavelot, « por une » grant somme d'oir et d'argent, empetroit del remanire et d'y estre maire » de Liège sa vie durant '. » Quoi qu'il en soit, la vénalité des charges n'était pas le seul abus pour- suivi par la lettre des viwjl. Celle-ci voulait encore que le sire mit doré- navant « proidhomes » dans ses offices, « qui soient tenans et manans » en pays, et à cuy on puist râler silh melTaisoit. » C'était exclure les étran- gers qui n'étaient pas imbus dos idées du pays et attachés à ses privi- lèges, ainsi que les gens sans fortune au soleil qui ne craindraient pas d'encourir une responsabilité pécuniaire par là même qu'ils n'avaient rien à perdre *. La disposition dont nous venons de parler fut un germe qui se développa avec le temps. La lettre de 1545, qui, pour la première fois, sous Adolphe de la Marck, organisa un Tribunal des XXII, voulut aussi que l'évêque destituât tous ses officiers en fonction, et qu'il les remplaçât par des hommes probes « qui seront proidhommes et délie extraction du pays, affin que ceulx que ' Lettre des vingt. '^ Idem. 5 Chroniques de Jean de Stavelot, p. 183. * Lettre des vingt. 316 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » le conscilhe ou officiers aroyenl exaclionnez, si puissent radreschier et » avoir assistence... '. » La 1" paix des XXII, de Tan d 373, dont l'autorité fut pour ainsi dire per- manente dans le pays de Liège, prit des dispositions analogues. Elle décida que les officiers devraient être « bonnes gens sages, nés, et bien adhérilés » dans le pays de Liège ou de Looz; et que les conseillers de Tévèque » seraient gens sages, et délie nation du pays -. » Enfin, la;;fl/> de Saint-Jacques stipula en termes précis que les baillis, les sénécbaux, les châtelains, les prévôts, les maïeurs, les conseillers, et tous autres gens portant office de Tévéque, devraient réunir les conditions d'aptitude suivantes : \° Être natifs de la nation du pays, c'est-à-dire être nés dans le pays de Liège et nés de parents liégeois; 2" Être adhèrités dans la principauté, c'est-à-dire y avoir des propriétés foncières ; 3° Y être parentés, c'est-à-dire y avoir des parents et des collatéraux; 4" Y être résidens : « affin, » ajoutait-elle, « d'estre prestes et appa- » rcillés aux affaires de mondit soigneur et desdits pays, et pour toute » autre choese nécessaire, ainsi (|u'il est de raison '\ » La même paix de Saint-Jaa/ues consacrait dans rintérêt de la moralité publique une cause toute spéciale d'indifjnifé temporaire. L'homme marié, disait-elle, « qui tient aucune femme j)ul)li(|ue avec la sienne espeuse, et » dont la choese soit vraiment cogneue et manifestée, » sera privé de tout office, et même du droit de porter témoignage, « de tant qu'il demeurrait » en son dit peschié "*. » Il est à remarquer qu'aucune disposition générale du droit public liégeois n'interdisait le cumul des offices et n'obligeait encore les justiciers à résider toujours dans leur ressoi't. Au XIV'' et au W'" siècle il était aussi permis, connue jadis, d'être à la fois justicier et échevin. NValhieu d'Athin, entre ' IIenaux, oiiv. tilt-, |). lit, cil iidtc, iliiiiii'^ les CliniiiiiiiH's iK' I.ii'gc. 2 Paix des A'.Xn , luliclo. 5 Paix dr Saiiit-Jacqucx, clmpilic VI , Jirliilc 1'.). * Paix de Suiit(-Jacfiues , cliii|)itrc XXV, article 15. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 317 autres personnages, fut à la fois grand maïeur et échevin de Liège : mine praetor simul et scabinus \ Une charte de Saint-Trond seule disait expres- sément que personne ne pouvait être à la fois échevin et écoutête dans la ville '^. Dans rintérêt de l'ordre et de la clarté nous réservons pour le paragraphe suivant l'exposé des niesures répressives prises, dès \a paix de Fexhe, pour contraindre l'évèque à maintenir ses officiers dans les strictes limites de leurs attributions. Ces mesures se rattachent à l'histoire du Tribunal des XXII. Nous les étudierons en même temps que nous étudierons l'organisation et le mode d'action de ce dernier consistoire de justice, en tant qu'il intéresse les institutions criminelles. Nous préférons passer immédialoment à l'exposé des limites mises par les paix du pays aux hauteurs de l'évèque, dont l'exercice appartenait aux justiciers de celui-ci. En déclarant que chacun devrait être désormais mené par loi et par jugement d'échevins ou d'hommes, la paix de Fexhe avait aussitôt mis un tempérament au principe qu'elle proclamait : « hors mis que les cas, » disait elle, « qui appertinent aile haulleur de nous eveske de Liège, et » à nous successeurs; » et elle avait indiqué ces cas de hauteur de la ma- nière suivante : « que de promier fait de mort d'omme nous li eveske, » devant dit, avons et arons le pooir d'ardoir, et avveckes chu li malfaiteur » demorat en la kache de nous et de nous successeurs juskes alant quilh » aurat amendeit le fait aile partie hiechie et à nous. » L'évèque avait pleinement accei)té l'interprétation qu'on donnait à son altmn dominium. Il considérait même le droit de chasse, qui lui était attribué, comme une véritable concession des étals du pays. Le texte de la i)aix et celui de la déclaration faite dès le lendemain par Adolphe de la Marck le prouvent. « Et tout en telle manier, » disait la paix, «userons nous (l'évèque) » et nous dis successeurs de ladite haulleur, el nient aullremeiit, juskes alant » que déclarcit sierat par le sens de pays se nous eveskes devantdis et » nous successeurs avons plus avant de haulleur que dit est. » — « Liqueil » pooir, » disait à son tour la dccluratioii en tei-mes encore plus explicites, « // * Hisloriae Leodiensis compendium , p. 144, ad aniiiim 1429. — IvEJiPEisEEns, De oiidc vrij- heidl viin Monlenuekvn, t. H, p. 97. Voir notre livre 1''. 2 Cliarle de 1548, article 13. 318 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » comun pays nous al octroyeit tant ke ledit inalfailcur tenir en nostre » chache.... Et porront li cuens de Loz et li comun pays devant ditawec » nostredit capitle, laditte haulteur, tant qu'à che ke li malfaiteur doit » dcmoreir en nostre chache juskes alant ke amendeit aura le fait aie partie » bleschie et à nous, reslraindre et amplier ou muer.... » Au fond , les états et révè(]ue , fatijiués de la luHe et craignant de l'éter- niser, avaient hésité à trancher, avec une précision brutale, les dilîérends qui les séparaient au point de vue de Tadministration de la justice. Mais par là même l'interprétation des clauses de la paix conclue par eux devait donner lieu à des dillicultés nouvelles. En réalité, dans la paix de Fcxhe Texception admise tendait à tuer la règle proclamée. Comme le disait déjà le perspicace Hocsem : « primi namque scribi fecerant alligati, quod (epis- » copus) per legem faciet quemlibel judicare; episcopus, e conlrà, altum » dominium in corrigendis excessibus relinebat : quae simid stare nonpos- » siinl ut patet cuilibet ex praemissis ' » Nous aurons donc à rechercher comment, à travers le cours des âges, on essaya d'a|)pliquer dans un sens qui conciliât les droits des sujets et les hauteurs du prince un texte qui s'imposait à tout le monde, et que tout le monde entendait maintenir. La question qui va nous occuper est complexe. Elle doit être envisagée successi\ement, et au point de vue du di'oil d'ardoir, et au point de vue du droit de chasse du seigneur. Commençons par parler de ce qui se rattache au droit d'ardoir. Il est certain que ce droit , considéré conmie droit de hauteur de l'évèque -, ne pouvait s'exercer qu'en cas de premier morl , c'est-à-dire contre les indivi- dus qui, en dehors d'une guerre privée •", avaient commis un homicide. Le texte de la paix de Fexhe ne prévoyait (|ue ce seul cas ; et le Patron de la TempuruUté , à son tour, disait en termes expi'cs : « mains monsingnor » n'at le feu l'ours que des homecides ■*. » ' IIocsEM , ûan^ Cliiipeavillc, l. Il, |). 38,"). 2 Nous iieiisoiis (lue, aprrs jugemciil , on pouvait user du droit d'ardoir, j)ar exemple en mnlière pidilique. '• Les guerres privées, on se le riippclle, ne furent iiilei-diics ipie deimis la pats des A//. * Paix de Feshe. — l'atnin de la Temporalité, p. "285. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 319 Les justiciers de Tévêque n'avaient donc pas la faculté de brûler d'autorité, et par mesure de haute police, les demeures des voleurs, des incendiaires, des criminels politiques, etc. Pendant les premières années du règne d'Adolphe de la Marck ils avaient pris l'habitude de brûler les maisons d'où un homicide était sorti à l'insu de l'hôte pour commettre son crime , ou dans lesquelles il s'était réfugié après avoir perpétré celui-ci. La paix des XII condamna cette manière de faire. Elle stipula que « les niai- » sons de teis ignorans et innocens ne seront plus arses por ches issues » ou rentrées, mains le maisons des faituels tant seulement ; » et que l'hôte de la maison, pour échapper à toute responsabilité, n'aurait qu'à jurer avec deux conjurateurs « qu'ilh ne savoient riens del fait '. » Il est encore certain que le droit d'ardoir s'exerça toujours, en cas d'homi- cide, sans jugement préalable des hommes ou des échevins -. En dôil il y eut contestation sur ce point entre Adolphe de la iMarck et les états, mais ceux-ci liiiirent par reconnaître formellement à l'évêque le pouvoir « ut homicidarum domos possct comburcre, irrequisito judicio praedictorum » (scabinorum aut hominum) ^. » Mais, pour empêcher les actes trop arbitraires des justiciers, on entoura insensiblemeni de formalités l'exercice de leur prérogative. C'est dans un accord |)assé entre le chapitre calhédral et l'évêque Englebert de la Miurk (pi'on trouve le germe de cette heureuse innovation-*. L'accord stipula (|ue, pour user du droit d'ardoir dans les seigneuries capitulaires, l'ollicier de l'évêque devrait agir de concert avec le bailli du chapitre, promouvoir enquête quinze jours après le fait advenu, « et porter la dite encpieste cachetée à huit personnes sages et sans sus- » picion, lesquels en l'absence des dis bailleus examineront l'enqueste, » et décideront s'il y a lieu ou non de brûler la maison de l'accusé. Rien n'indique que dans le reste du pays l'action des oflicicrs fut subor- donnée à celle d'une sorte de jury d'enquête •'. Néanmoins, partout on ' Coulumea du puijft île Licijc , t. \", p. 3I>7. — Paix des Xll. 2 \a' texlc do la paix est formel. ■^ lIocsEM, dans Cluipeaviltc , t. 11. j). 403. '' WiioLwiLL, ouv. eité, p. 1 14, en note. ^ VViioLwiLL, ouv. cité, est très-complet sur ce point, loco cilato. 320 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL exigeait des précautions minutieuses. « Et aussy, » disait le Patron de la Tcmporaliti' , « ne doit nyent estre ladite justice sy hastée que le sire et » SCS oflicliiens ne soycnt anchois de fait i)laiuement infourniez, par bonne » enqueste sour ce faite. » Aussi, quand le fait de riiomicide n'était pas notoire, TolTicior, avant de recourir à Tarsin, devait atlondre la confession du coupable ou toute autre preuve ^; seulement, selon toutes vraisem- blances, cette i)reuvc ne se faisait que devant Tollicier lui-même, ou devant des gens librement appelés par lui. Au sur|)lus le justicier était toujours responsable pécuniairement des dommages qu'il causait à un innocent : « Car » se cist encoulpeis esloil ynocens et damaige ly advenist, on ly deveroit » rendre et restoreir -. » Ces pi'incipes proclamés par la doctrine passèrent dans la paix de Saint-Jacques. « Assi, » disait celle-ci, « ne doibl la dite » justiche estre si haslié que le seigneur ou ses olliciers ne soient du fait » |)lninement infourmez par bonne enqueste ou par la cognoissance du » faituel, ou |)ar autre souffisantcs provances. » Elle ajoutait également que si le justicier agissait à la légère il agissait à ses risques et périls '\ Le droit d'arsin étant un droit de liaiiteur. les oftlciers de TéNèque ne tardèrent pas à l'exercer dans la principauté entière sans distinction entre les seigneuries particulières et le plat pays soumis directement à l'autorité du prince^. Jusqu'en 1341, ils n'en avaient pas usé sur les terres du chapitre cathédral. Mais, cette année même, les états du pays d'accord avec la majorité du dm\n\.re,pars major sed non sanior, dit Hocsem, reconnurent de nouveau à l'évèquele droit de brûler les maisons des homicides, sans jugement préa- lable, d'une manière absolue. On se prévalut dès lors de la généralité de la déclaration poui- mettre à l'avenir les terres du chapitre sur la même ligne que les autres seigneuries, et, par conséquent , |)our ne plus les considérer comme exemples de l'exercice de l'arsin. Hocsem se plaignait d'autant plus de ce qui s'était passé, que l'exemption du chapitre n'a\ait pas été expressément mise en question lors de l'assemblée ' Patron tie la Tempondilé , \>p. :2S3, 284. * Idem , p. -2S't. ^ Paix lie Sdinl-Jucfiues, rlinpilrc XXVIII. * WllOI.W ll.l., (MIV. cili', |). 117. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 321 du pays : « cum inter episcopum et capitulum de jure comburendi in villis » ipsius capituli quaestio nulla fuisset ^ » Toutefois il ne resta plus au chapitre qu'à chercher à obtenir certaines garanties; c'est ce qu'il fit dans l'accord passé entre lui et Englcbert de la Marck dont nous avons parlé. Il obtint, comme nous l'avons vu, que l'exécution serait précédée d'une enquête confiée à huit personnes sages, et, de plus, que son bailli interviendrait à l'exécution avec les officiers de l'évéque ou du moins y serait appelé -. ]| est à remarquer que dès l'origine Panin ne s'exécutait pas dans les franchises des villes. « Et ausy » dit le Patron de la Temporalilé, « ne puet » ly offichien de singnor ardre maison de borgois, sorceant en franckes » vilhes, que de ce sont prévilégies •'. Sur ce point encore la Paix de Saint- Jucquea consacra législativement la doctrine existante. Elle défendit de brûler les maisons situées dans la franchise et dans la banlieue de Liège et des autres bonnes villes « en tant que elles en sont privilégiées, » n'im- porte à qui elles appartenaient *. Quant aux limites du droit d'urdoir, en lui-même, et par rapport aux objets sur lesquels il portait, nous en parlerons au paragraphe des peines. Abordons ce qui touche le droit de chasse du seigneui-. Le droit de citasse, quel qu'il fût, ce que nous examinerons plus loin, s'exerçait aussi par les justiciers de l'évêque dans la principauté tout entière, aussi bien dans les seigneuries particulières et capitulaires que dans les villages de la mense épiscopale. Peut-être, cependant, ne s'exerça-t-il dans les villages du chapitre cathédral qu'après la décision, prise en 1341 par les états, dont nous venons de pailer. Conmie le droit d'ardoir il e\|)irait devant les franchises des bonnes villes : « Salvées en ce les franckieses del » citeit et des bonnes vilhes ^. » Le criminel qui se réfugiait dans une de celles-ci échappait à la citasse, tant qu'il ne sortait pas de la localité privilégiée. La paix de Jene/fe ou de Vottem, toutefois, avait apporté, au moins pour ' HocsEM, dans Cliapeavillc , I. II, p. 4j5. 2 Codex Hiiitiiadad, l. II, fol. 225. ' Patron de lu Temporal itc, pp. 28", 28i. * Paix de Sainl-Jucfjiies , cliapilrp XXVIII. s Patron de la Temporalité, pp. 277, 283. Tome XXXVIII. 41 322 ESSAI SUR LIIISTOIIŒ Dl DROIT CRIMLNEL un coitiiin temps, un tempérament à cette immunité des bonnes villes en ce qui concerne la Cité de Liège. Quand un alTorain, disait cette paix, se Irouvanl dans la chasse du seigneur pour vilain cas se réfugiait dans la franchise de Liège, il devait être sommé par les maîtres de la Cité, en pré- sence de la justice, de quitter la ville dans les trois jours sous peine d'être arrêté nonobstant la franchise et traité comme au cas appartiendrait. Nous n'oserions pas aflirmer que cette disposition restât en vigueur. A la (lilTércnce du droit d'ardoir le ilroil de chasse n'était pas restreint au cas de prcDiior mort, d'honu'cide '. Le texte de la paix do Foxhc ne faisait pas de distinction , mais déjà la lellre des vingt mettait en termes exprès dans la chasse du seigneur, « tous ceux qui font ou font faire par aultruy les lais fais » ou pays, si comme d'ardoir par joui- ou par nuit, faire fais fours voye, » murdre, dcïiïendre ou fourcommandeir biens à wangnier, robeir sous che- » mien, et de tous aidtres cas semblans, » sans menacer ces différents cri- minels de Wirsin -. Les principes énoncés dans la lettre des vinr/t se retrouvent dans le Patron de la Tenijjora/ité : d'apiès Ilemricourt l'évêque avait dans sa chasse, en vertu de sa hauteur, « tous ardeurs, robeurs, murdreurs et qui ravissent » femmes.... et tous larons proveis, banis fours de son pays, et albains ~\ » Ils se retrouvent encore dans la loi nouvelle de ioSS, dans la mutation de la loi nouvelle de 4386 , dans la modération de la paix de Tonr/res de i 40Ô , etc. Que les incendiaires, dit la loi nouvelle, les forcommandeurs de terres ou d'autres biens, ceux qui de jour ou de luiit font un acte dans le(|U('l il y ail forche « soient tanloist de leur fait en la cache du seigneur, » et (|ue cilz sour ciii ly fait serait fait les puisl resuir et avoir le cry de » péron (lu pays, pour eaulx détenir et livreir au seigneur ^ » La muta- lion de la loi nouvelle et la modération de la paix de Tont/res s'exprimaient à peu près dans les mêmes termes ; seulement ils ajoutaient (pie le dèlin- (pianl, sotunis à la chasse de rè\è(|ue, l'était aussi à celle du seigneur du lieu du délit, « voir si avant que sa justice s'étend ''. » ' l'dlnin (le la Teiiijuiralilé , |). tiS.". '■' LvHrc des rintjl. ^ l'utroH (/(' /(( TvmjmridiU' , p. ^85. * Arliilc l'i, U'Xie des V.Urouiiiucs ilv Jean dr Slavilol. '•' Miilutivii de la loi iiuiivcllc , arlicIcôO. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 323 La chasse du seigneur, exercée par les justiciers de l'évêque à titre de droit de hauteur, s'exerçait aussi sans l'iniervention des échevins et des hommes, c'est-à-dire sans jugement préalable. Cela ressort du texte de la paix de Fexhe : cela ressort du texte de la lettre des vingt (\n\, maintenant en faveur des surcéunts du pays le droit d'être traités par loi et par jugement, ajoutait cependant : « fourmis les lais cas dessusdis et le haulteur de seigneur de » feu et de porsute '. » Cela ressort enfin du texte des paix que nous avons citées plus haut, et qui disent que le malfaiteur est dans la chasse du seigneur « tantoist de son fait même -. » La chasse durait tant que le malfaiteur « aurat amendeit le fait aile » partie bleschiée et à nous (révéque), » c'est-à-dire tant qu"il avait satisfait à la partie lésée, ou à la famille de celle-ci, et à la paix publique défendue par le prince. Mais que comportait-elle? Quel droit, en dernière analyse, attribuait- elle aux grands justiciers de lévéque? C'est ce qu'il nous reste à élucider. A l'origine, et immédiatement après la paix de Fexhe, il semble que les justiciers épiscopaux voulussent , en vertu du droit de chasse, s'attribuer une complète liberté daction ; qu'ils prétendissent à la faculté d'appliquer des peines, au moins aux homicides, sans l'intervention des échevins ou des hommes. L'ambiguïté du texte de la paix se prêtait à leurs entreprises , et celles-ci étaient souvent, bien que condamnées par les accusés, fortement approuvées par les parties lésées et par les plaignants. « Actor, namque » dit Hocsem, « semper cum a potentiore se loesum conqueretur, puniri reum ex » alto dominio poslulabat; reus, e contra, dicebat debere per legem quem- » libet judicari ; super eadam cliarta quolibet se fuudante "•. » La lettre des vingt, réaction contre les abus qu'on reprochait aux déposi- taires de l'autorité du prince , condamna assez clairement la prétention des justiciers. Elle requit, même en matière de cas vilains dont plainte serait faile devant le sire, l'intervention des hommes de fief siégeant dans des condi- tions de grande publicité pour l'application de la peine *. Mais néanmoins ' Coutumes ilu paijs de Liège, t. I", p. 492. - Voir les difTérenls textes. 5 Hocsem, dans C/ia;)eat-i//e, t. II, p. 58o. * Lettre des vingt. 324 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL comme son texte ne reçut pas immédiatement son application, la question fut de nouveau agitée dans la réunion des états de 1341 dont nous avons déjà parlé plusieurs fois : « Nam cum inter dominum episcopum cum suo capi- » tulo, super modo puniendi malcfîcos essel altercalio, sibi neganle patria » quod ex alto dominio posset punire absque judicio scabinorum vel feoda- » lium.... '. » Celle fois il semble que les états, en même temps qu'ils reconnaissaient aux jiislicicrs de Tévéque le pouvoir d'exécuter raisin sans jugement, repoussèrent foiniellement Texlension que ces mêmes justiciers voulaient donner au droit de chasse en le portant jusqu'au droit de punir inclusive- ment. Leur volonté fmit par prévaloir. Inutile de dire que Fanlique et « sin- » guliere » pi'érogative du grand maieur de Liège resta intacte. A la fin du XIV" siècle Hemricourt disait que le seigneur avait les mal- faiteurs dans sa chasse « por les prendre et corregier sorlonc leurs démé- » rites ^. » La chasse du seigneur, rentrée dans ses limites normales, conférait dès lors aux justiciers de févcc/ue les droits suivants : 1" Le droit de rechercher, de poursuivre de retraite en retraite, de prendre, de faire immédiatement exécuter les bannis, et les gens déclarés auhaiiis pour vilains cas qui rompaient leur ban ^; 2" Le dioit de traquer les individus coupables des crimes graves que nous avons énumérés plus haut, en courant après eux à crij et huhay soit avec leurs sergents, soit avec la cenline du pays convoquée d'urgence *. Ce droit de Iraciuer s'ouvrait : a.) Soit par la plainte de la partie lésée demandant ou non le cri du perron, soit par une dénonciation ou monstrance . soit même par Va notoriété du fait ''' ; b.) Il devait s'exercer aussitôt après que le fait avait été commis, ou ' HocsEM , dans ChapvuriUc , I. II, p. 405. * {jnilumcs (lu pays de Licis ilélermiiier la nature cl la durée du flagrant délit fictif. 2 Voir ce que nous avons dit |>lus luuit. ' Paix (le F ex lie. * Miilalioii de ta loi nouvelle. * Nous traiterons cette question plus loin ex professa. 526 ESSAI SLR LUISTOIKE DU DROIT CRIMIiNEL leur traquo contic les mêmes délinquaiils, et de saisir ceux-ci même dans les seigneuries particulières ; 3° En ce que jadis les gens de condition supérieure ne pouvaient très- probablement jamais être arrêtés préventivement , sinon quand ils étaient pris in ipso actu criminis, tandis (|ue désormais on admettait la notion d'une sorte de flaymiit délit fictif qui prolongeait la durée du flof/raitt délit réel, notion qui se régularisa plus tard ^ ; 4° En ce que certainement, avant la paix de Fexlie, le droit de pour- suite sans plainte préalable des intéressés n'appartenait tout au plus aux justiciers qu'à l'égard des brigands de jjrofession, mis hors la loi com- mune -. L'organisation de la chasse du seigneur était donc en résumé un progrès réel et notable. Elle lortiliait les ressorts de l'administration de la justice criminelle, émancipait jus(|u'à un certain point l'action du prince, gardien de la |)aix publique, du concours de l'action individuelle des lésés, remédiait dans une large mesure aux inconvénients du morcellement judiciaire du terriloire, en étendant à tout le pays la sphère d'activité des justiciers du prince. Il n'est pas inulile d'ajouter ici que la paix des XI/ permit, dans cer- tains cas, au sire du pays et à ses ufjichiens , de suppléer à la négligence des justices locales et de faire ce que celles-ci auraient dû faire. Le piincipe qu'elle posa se développa avec le temps ^. Mais arrêtons-nous. Nous aurons encore l'occasion de revenir sur les principes que nous venons d'énoncer, quand nous parlerons de l'ouverture de l'action publique et de l'arrestation préventive. Pour le moment étudions ce qui concerne les échevinages. Des échevinages. Chaque fois que l'influence bourguignonne parvint à créer une solution de continuité dans le dévelo|)pement des institutions liégeoises, elle substitua, comme nous l'avons vu, le principe du retiouirllenient annuel à celui de ' Voir la Ri-formaliiui du \VI' siècle. - (li's liiiydiidu ix'i-Unvnl j:iin:iiN corisi(l('ri^s coiiimp sinxèaiils. ^ Cnutiinifs dupuijs de Lié. La déclaration de l'anneau du Palais de \ 405 prévit le cas où quelqu'un serait assez hardi |)our arrêter le cours de sa procédure ou l'exécution de ses sentences *. El si, très-probablement, après Parrêt de Charles le Téméraire de 14.67, son action répressive fut momentanément absoibée par celle du conseil de l'éNèque ^, la paix de Saint- Jacques repro- duisit encore, en ce qui la concerne, les stipulations de la modération de la paix de Tonyres et de la mutation de la loi nouvelle ^. Le Tribunal de la Paix parvint, à son tour, à surmonter jusqu'en 1467 toutes les oppositions qui s'élevèrent contre lui. Il fut défendu contre les entreprises des princes étrangers surtout par la sentence d'Amiens, de 1334, et par le concordat conclu en 13oG avec les villes brabançonnes, et, contre les entreprises des bourgeois de Liège, par une sentence d'exconnnunication d'Adolphe de la Marck de 13:24 ' ainsi que par des dispositions de la muta- tion de la loi nouvelle ^ dont nous pailerons plus loin quand nous traiterons de la compétence. Il en est même encore question dans la paix de Saint- Jacques'-^; mais, en fait, on ne trouve plus de trace de son action après le terrible désastre que Charles le Téméi-aii-e infligea au pays de Liège. • Arlidel". - Lrllre (les vinçjt. '" Voii' le ti'Xlc (le ces rlinilcs. ' Cii)(|uit'iiic poiiil (le cette dcclaralioli. s Voir (•(•Ile cliarle. •> Puis (le Suint-Juc(iiiis , clLipitre VI. ' Wiioi.wii.i. , ouv. cilé, p. I"2'J. î* AilielfS .'i.'i, .i!l et 23. ^ Paix (te Suiiit-Juc(jue.s , ihaiiilic \ I , il cli:i|iili'c III, article j. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 537 Quant au Tribunal de l'anneau du Palais, c'est seulement au XIV'^ et surtout au XV'' siècle qu'il se dessine avec des caractères nettement déter- minés; aussi s'est-on souvent demandé s'il forme en réalité un siège de judi- cature distinct de celui du Tribunal de la Paix K Nous nous sommes déjà indirectement prononcé sur ce point. Pour nous, le Tribunal de l'anneau invesli in (jenere de la mission de réprimer les actes attentatoires aux hauteurs de l'évèque, à ses droits temporels, existait en germe dès l'organisation de la féodalité liégeoise et bien avant 1082. Il n'avait pas dû attendre pour naitre que les princes lotharingiens eussent armé révoque de Liège du droit de châtier tous les habitants du diocèse qui troubleraient la paix en commettant des actes de violence graves contre les personnes ou contre les propriétés. Par la force même des choses, c'était avec l'aide de ses fcudataires que l'évèque, chef féodal, avait dû dès l'origine chercher à défendre ses prérogatives et ses hauteurs; et c'était à Liège, sa résidence habituelle, le cœur même de sa puissance, qu'il avait dû prendre insensiblement l'habitude de les convoquer pour les alïaires les plus impor- tantes. Cependant il est incontestable que la création du Tribunal de la Paix eut une immense influence sur les développements du Tribunal de tanneau. D'un côté elle agrandit, dans une notable mesure, les droits de juridiction de l'èvècpie, même au point de vue temporel, ce qui explique pourquoi le res- sort de Winneau devint le même que celui de la paix '^. D'un autre côté, surtout dans les premiers siècles, elle attira périodiquement à Liège une foule de barons et de chevaliers des plus puissants du diocèse. Ceci facilitait à l'évèque la tenue des séances féodales dans son palais de Liège : au lieu d'avoir à convoquer laborieusement ses feudalaires, il les avait sous la main, sur les lieux, il ne devait que les retenir un joui- ou deux après qu'ils avaient siégea Notre-Dunteaux-Fonts. Dès lors, comme il arrivait toujours au moyen âge, le fait répété, presque conliiui, finit par engendrer le droit: et il se lit qu'une des parties les plus importantes de la juridiction exercée par l'évèque au milieu de ses hommes fut attachée au palais de Liège. ' FiSEN , t. I", p. l;jô. — Bouille, l. I", p. 120. - Coutumes du iiaijsdc Liège, jtp. 340 cl su iv.— Raikem, Disc.de 1865, p. 2(î, nolc(;,cl;)((.ÇA-im. Tome XXXVIII. 45 338 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Quoi (|u"il en soit, il est certain que les Trilnmuux de la Paix et de Vannenu , bien quils aient une foule (rélénients communs, bien qu'ils sem- blent souvent se confondre, bien qu'ils empiètent parfois l'un sur l'autre, constituaient des sièges de judicature distincts '. Nous n'aurons guère de peine à le démontrer : 1" Hemricourt, si familier avec l'organisation des institutions liégeoises, distingue expressément parmi les droitures de l'évèque celle de la paix de Liège de celle del aiiiieal de I\dais -; 2" La mulalion de la loi nouvelle, reproduite par la paix de Sainl-Jaeques , sépare de son côti' les œuvres et jugements délie paix et foijugiés, des appels del anneal de Palais "'; 3" La sentence de 14G7 abolit spécialement cbacun des deux tribunaux*; 4° Les deux tribunaux siégeaient cbacun dans un endroit dilTérent''; 5° Tandis que tout le monde pouvait porter sa plainte au Tribunal de la Paix, l'évèque seul avait la faculté de saisir d'une cause celui de Vanneau^; 6° Les deux tribunaux avaient cbacun une compélence propre. La décla- ration de Vanneau du Palais, destinée à fixer par record solennel celle de ce siège de judicature, ne fait mention d'aucun des crimes qui, au dire des jurisconsultes contenq)orains, ressortissaient au Tribunal de la Paix ~; 7" Les cbronicpieurs du temps qui nous parlent des actes de juridiction faits par l'évèque, à Liège, au milieu de ses bonmies, savent très-bien distin- guer si les délinquants ont été itppelés à Notre-Dume-aux-Fonts ou à l'anneau du Palais. Nous citons au basard : Vers l'an 1400 les flagellants arrivent à Maestricbt, le magistrat veut les expidser, le bas peuple les soutient et bannit ses bourgmestres; l'évèque appelle les coupables à Vanneau du Palais et les frappe de peines pécu- « Cviitumes du paijs île Liège , pp. 340 et suivantes; c'est l'iivis des deux savants éditeurs, avec l('(iuel nous soumies lieuicux de nous remontrer. "^ Pull un de la Teiiipurulilé, [t.iHyJ cl passim. ' Mulalion de ta loi nouvelle , arlule [>:>. — Paix de Saint-Jacques , chapitre VI. * Articles I", 24 et 34. ' Nous le verrons tantôt. 6 Palion de la Temporalité, p. 278. — Raireu, Discours de 18G3, p. 41, note 2. ' iS'ous en parlerons tantôt. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 339 niaires K En 14-02, vingt-quatre Saintronnaires sont foijugés à Yanneaii du Palais -. En 1 422 , les gens de Dinant détruisent des titres de rente sur leur ville que plusieurs bourgeois possédaient, et ils bannissent ceux d'entre ces der- niers qui ne veulent pas livrer leurs chartes; Tévèque appelle cent quarante- deux Dinantais à Vanneau du Palais ^. En 1 4.39, on appelle à Vanneau lesTon- grois, « portant qu'illi dévoient avoir fait faire une maison sor le marchietà Ton- >) grès, làonsfaitpesseirlebleisquantonslcdoitemineirà molhin,etrepeseir » le farine; signe monsaigneur niaintenoil que che ne poiroient ilh mie faire » sans son consent, si avoient-ilh alleit contre son seignourie et liaulleur *. » La même année le damoiseau de Weseniael et son maïeur de Rummen font appeler à Vanneau les gens de Saint-Trond parce que ceux-ci avaient abattu un château sous prétexte de défendre des bourgeois arrêtés |)ar le damoiseau et son maïeur ^. En 14.43, révèque appelle à Vanneau les bourgeois de Hasselt qui avaient commis des excès contre les bourgmestres ^. En 1445, l'évèque cite devant Vanneau les gens de Dinant parce qu'ils avaient enterré un mal- faiteur en terre bénite, et parce qu'ils avaient violé la juridiction de Hierges ". En 1446, les bourgeois de Ilasselt, ayant refusé de payer leur quote-part dans une contribution votée par les états, sont cités devant Vanneau «. En 1443, au contraire, les gens de Ruremonde ayant jeté à l'eau un mes- sager de l'évèque, celui-ci tient à leur occasion une séance ad parent Leodii, à Notrc-Dame-aux-Fonls ; après (piehpics délais il forjuge avec l'aide des hommes de (ief, et analhnnalise « selon la coutume d'icelle paix » un cer- tain nombre de leurs échevins, espérant que les autres viendront à résipis- cence ^. L'ensemble de ces preuves nous semble péremptoire. Si l'on se demande maintenant comment il se fait que Vanneau du Palais ne soit ' Zantfi.iet, iliiiis VADiplissima rollerlio, l. V, p. ô'iS. 2 Clironiques (le Jean lie Stavclul , \). il. ' Idem , p. I i)ij. * Idem , p. 428. !* Idem , pp. 4ô(i, 437, 4ô9. * Velerl liusco, iliiiis VAmplissiiiia cotleclio, t. V, p. 1212. ' Chroniques de Jean de Slavelot , p. 376. 8 Idem, 577. 9 Idem , pp. 548, 54!), 445, 450. — Zantfliet, dans VAmplissima colleclio, t. V, p. 453. 3i0 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRLMIiNEL nellemont dessiné avec tous sos caractèros qu'au XIV"' et au XV" siècle, la ré|)oi]se sera encore facile. D'abord les documents du XI II" siècle, qui concernent rensemble des juridictions féodales de Tévèque, sont trop peu nombreux et trop peu explicites pour qu'on puisse sérieusement arguer de leur silence. Ensuite, c'est seulement pendant la période des paix, comme nous l'avons déjà dit, que toutes les institutions liégeoises se fixent. Enfin, c'est pendant la même péi-iode que les évêquos, voyant les écbevinages et les bourgeoisies Iravaillei- à mettre les uns leur juridiction et leur compétence, les autres leurs droits sous l'égide de déclarations de droit |)ublic, durent songer, de leur côté, à défendre [)ar des chartes analogues les tribunaux dans lesquels ils jugeaient personnellement, et parmi ces tribunaux celui dont l'action était la plus combattue, le Tnljinnd de ranneau '. Au surplus, dans ces périodes primitives, le Tribunal de la Paix avait une importance beaucoup plus grande que celui de Vanneau, surtout parce qu'il était plus souvent en exercice. Mais, à mesure (pie la juridiction des justices territoriales se consolida en matière criminelle proprement dite, et sur les gens de classe supérieure, la situation changea. Les évéques eurent rarement à réunir [es assises de ISolrc-Dume-aHX-Fonts: bien peu de Liégeois portaient leurs plaintes de\ant elles. Le Tribunal de ranneau , au contraire, fut de jour en jour plus en vue , parce que le seigneur avait plus d'occasions de combattre judiciairement contre les pouvoirs inférieurs qui avaient grandi en importance, et qui entraient facilement en lutte avec les hauteurs épis- copales. Le Tribunal de l'anneau tomba, comme nous l'avons déjà dit, dans le désastre commun des institutions liégeoises en i ft^l , et ses attributions furent formellement transportées au conseil de l'évéque. Cependant, après la mort de Charles le Téméiaire il tenta encore une fois de renaître de ses cendres. En i481, Louis de Rouibon appela desant lui « (|uosdam oppidanos Ilassi- » leuses, eoruni inobedientiam atque pctulanciam coirigere volens -. » Ce fut, crovons-nous, le dernier signe de vie qu'il donna: au moins depuis cette ' WiioLwii.i. , ouv. cilc, [). 57. * Ue Haji, Documents inédits : Chroniiiue de Jcaii de Lus , \). SO. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 341 époque, et, malgré quelques mots qui le concernent dans la paix de Saint- Jacques, n'en trouvons-nous plus de traces. Les assesseurs qui enlouraient l'évêque dans le Tribunal de l'anneau étaient les mêmes que ceux qui siégeaient avec lui au Tribunal de Notre- Dame-aux-Fonts. Nous les connaissons déjà. Les principaux d'entre eux étaient comme jadis les possesseurs des anciens pleins fiefs de l'église de Liège, qui avaient relevé leurs fiefs, et qui siégeaient seuls dans la cour féodale ordinaire '. Cependant, dans le courant du XIV« siècle, toutes les juridictions féodales avaient soulTert des mêmes abus, résultat naturel des fissures qui se produisaient dans l'antique édifice des fiefs. Le nombre des juges qui devaient siéger étant indéterminé, cliaque partie litigante s'efforçait à l'onvi d'amener au tribunal le plus grand nombre pos- sible de fieflcs, bien disposés pour elle, « pour venir à .son entente et avoir » jugement por ly soit à tort, soit à droit. » Le maïeur des fieffés, à son tour, ainsi que les maitres et les officiers de la Cité quand ils assistaient aux séances de h paix ou de Vanneau, agissaient de même. Ils convoquaient aux séances une foule de gens simples et de petit état, qui ne tenaient aucun compte de l'expérience des anciens, et qui étaient souvent assez nombreux pour survoter les cbevaliers, les écuyers et les riclies bourgeois sacbant les rétroacis, la loi et la coutume. Beaucoup de gens, en effet, commençaient à se glisser dans les rangs des fieffés, sans être réellement vassaux, ou lout au moins à la faveur de fiefs de baretlerie , « (pii sont de petit pris par eul.x » acquis pour bareller aullruy et eulx alfranckier délie correclion délie lave » justicbe. » Enfin, le maïeur des fieffés prétendait parfois au droit de faire la syette des hommes usurpant ainsi une prérogative qui, au Tribunal de la Paix et au Tribunal de l'anneau surtout, n'appartenait qu'au grand maïeur de Liège, et, à son défaut, au gardien de lu parole et au c/uanberluin de l'évêque -. La imitation de la loi nouvelle essaya de mettre un terme à ces pratiques destructives de l'essence même de la juridiction féodale. Elle défendit au ' Cdiilnmes du pays de i /<'(/(' , t. I", p. ^GG, cti note. * Patron de la Temporalité, pp. 2l){i, :2G7. — Mutation de la loi nouvelle, arlicle 71. 342 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL mtiïeur des fieffés de continuer ses entreprises et ne lui laissa que la faculté de siéi?er avec les autres fcudataires. Elle décida que personne ne serait admis à siéger dans les tribunaux féodaux s'il ne possédait un fief valant au moins un muid d'épcaulre héritahie, s'il n'avait relevé son fief, et s'il n'était au surplus « warnis en cas où il serait débattus de monstrer par ») lettres ou par nostrc pa|)ier (de l'évêquo) qu'il lient un fief convenable. » Elle imposa aux hommes (pii siégeaient en justice l'obligation de jurer soit à la requête de la paitie, soit à celle du (junlien de la parole, « qu'ilb n'atten- » dent al daim ni perde ni gagne, et que rien ne leur a été donné ni pro- » mis pour juger de dit cas, et qu'ilb n'en prendront rien ni avant ni après, » ni par eux ni par autrui *. » Quant à la paix de Saint-Jacques, qui reproduisit ces diverses disposi- tions, elle prit en outre une mesure fort sage pour annuler l'action des liommes de fief ignorants. Elle décida que tout feudataire serait tenu de déclarer pur loi le jugement qu'il rendiait, s'il en était requis; et que, s'il disait ne pas savoir le faire, son avis serait tenu pour non avenu-. Nous avons déjà dit, dans le premier livre, quels étaient les personnages qui faisaient les fonctions iVofficiers crimittels près des dilïérenls sièges féodaux. Il sullit ici de dire que le grand maieui- de Liège et le gardien de la parole avaient au Tribunal de l'anneau les mêmes attributions qu'ils avaient au Trihunal de la Paix '\ Connue autrefois les séances de ce dernier consistoire de justice ne pou- vaient avoir lieu que le samedi et dans l'église de Notre-Dame-aux-Fonts '. Celles du Tribunal de l'anneau, au contraire, devaient se tenir au jardin du palais de Liège : « nul exploit dcl appeal del anneal on ne puet faire aultre » part qu'en palais '■', » étoiles avaient lieu le dimancbe. .lean deStaxeiot rap- pelle que l'èvèque, après avoir siégé à la Pai.v , devait le dimniiclie après « seoir en justice en son palais pour oiir plaintes ou monslrances ^^ » Uomri- ' Miilalioii (le lu lui iiotivelh, arliclc 71. 'i l'dixtle Saiiil-Jarquvs, clia|)ilri' VI. 3 l'airon de la Temporalité, p. '273. * lilriii , idem. 5 Idem , \>. 280. 0 Cliiuniiiues de Jean de Stavchi , (ip. IISO, .'iSI. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 343 court, après avoir parlé des attributions du grand maïeur au Tribunal de la Paix, ajoute : « et semblanmenl doit illi offichier lendemain quant Mon- » signor sierat en justiciie en jardien de son palais '. » La cour féodale ordinaire de l'évéque resta longtemps ambulante. Le prince la réunissait à peu peu près dans celle de ses résidences qu'il trouvait à propos de cboisir -, puisque le privilège des anciennes maisons et capelles était, comme nous l'avons dit, tombé en désuétude. La lettre des vinfjt essaya la première de modifier cette situation, et de faire que les feudalaires du seigneur ne jugeassent jamais en matière grave sinon sous le contrôle de puissantes communes. Elle voulait : 1" Que dans tous les cas « monlant à Iionneur d'bommes » (ou à héri- tage perdre et gagner), dont plaid se ferait devant Févèque et ses hommes, l'évéque n'ouvrit l'enciuète ^ el ne fit Itosporter le jugement qu'après avoir ajourné les parties à (juinzaine, dans une des trois bonnes villes de Liège, de Dinant ou de Iluy à son choix, sulTisamment désignée d'avance '; 2° Que lorsqu'il s'agirait d'ouvrir et de lire l'enquête et de faire le juge- ment, en matières de l'espèce, la cour féodale siégeât dans un lieu (jénéral d'une de ces trois villes et par-devant toutes gens (pii voudraient y être"'. Il ne parait pas (pio ces sti|)ulatioMs furent mises à exécution; au moins n'en est-il plus question dans les paix subsé(pientes. Ce fut seulement la mutation de la loi nouvelle qui pi-omit de fixer le siège de la cour féodale à Liège, el qui décréta la création d'un lieutenant des fiefs permanent pour présider la cour au lieu et place de l'évéque. Elle avait soin de déclarer que ce lieutenant serait radicalement incompétent pour connaître des cas ressor- tissant au Tribunal de l'anneau et à celui de la Paix; mais elle lui permet- ' Patron de la Temporal iW-, \). 275. — Miroir des niibles de Ile.sbaije, p. ô'28. — Wuoi.will, ouv. cite, p. 58. ^ La mutation de la loi nouvelle parle encore de iiiaisniis et capelles. 5 Enqiicle écrite et faite sur les lieux. * Le texte ajoute une phrase dont le sens est didicilc à préciser aujourd hui au point de vue juridique : a l'ourniis les \illes qui ne sont dcile loy de pays de Liège, si comme Bulhon et Sain- » tron. » ^ Coutujues du pays de Liège, t. I", p. 490. 544 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL lait d'accorder dos asscyuranches , et de laisser plaider sur /j/am/e devant lui , pourvu que la plainte eût été originairement reçue par l'évêque lui- même '. Au reste , par suite de circonstances que nous ne connaissons pas, les pi'o- mcsses de la mutation ne furent réalisées qu'en 1403 par Jean de lîavière, pour être de nouveau consignées dans la paix de Saint-Jacqun de 1487 -. Il nous reste, à propos des juridictions féodales, à dire un mot des mesures prises par les paix du pays , après l'introduclion de la procédure écrite '\ Dès Toriginc de cette proc('dure le soin de l'aire l'empiéle du fuit fut confiée non au corps investi du droit de juger, tout entier, mais à un certain nombre de commissaires pris dans son sein. Ces commissaires dans les tribunaux féodaux étaient nécessairement des hommes de fiefK Ils étaient désignés par l'évèque. On sentit bientôt la nécessité d'entourer leur désigna- tion de garanties. La lettre des i'm(// stipula que, dans les cas ordinaires, les deux leudataires chargés de faire l'enquête seraient «sens suspicion » et dignes de foid •"'. » Que, lorsque l'accusé traduit devant la cour féo- dale serait un bourf/eois a/forain d'une des villes de Liège, de Huy, de Dinant, les deux feudalaires enquêteurs seraient |)ris pai-mi les vassaux qui eux-mêmes étaient bourgeois aff'ornins de la ville à laquelle ap|)artenait l'accusé; qii'enfin, si ce dernier était bourgeois citain de Huy ou de Dinant, on feiait faire l'enquête par quatre fiefles, « pris ou conseillie de celi bonne » vilhe où cil sierat demourans » dont deux seraient désignés par l'évèque, et deux par la ville elle-même ^. Ces dernières dispositions, si favorables à la bourgeoisie des grandes communes (pTelles dotaient d'un précieux privilège, ne furent pas observées". On eut même lieu de se plaindre, à la lin du XIV siècle, que l'évèque siégeant au Tribunal de la Paix , ou dans la cour ordinaire de ses hommes, ' Mitltitioii (II' In lui iioinclli', iiiliih' '■)',>. — Mixlcrnlioii de lu loi li(iii sp('iiiilc scrn I olijcl de nos éludes un peu |)lii> lniji. ♦ Voir la Sfiilriirc irAuiicns dv lôô-i. ' C.DUtumes du lun/s de Likjc , I. l'', p. 'tOO. « Idoii, p. 4'.»l ' Pas plus que les uutres disposiliuiis de l.i hUre des viiiyt. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 345 confiât le soin de faire les enquêtes à deux de ses officiers ou y deux feu- dataires de son conseil. Cette habitude était d'autant plus dangereuse que fort souveni le prince avait un intérêt propre, direct ou indirect, dans le débat, et que dès lors des enquêteurs, dépendants étroitement de lui, pou- vaient être suspectés de partialité. La mutation de la loi nouvelle s'occupa de la question. Elle décida que l'évêque ne pourrait désormais, en choisissant des enquêteurs, soit au Tribunal de la Paix soit dans une autre de ses cours, n'en désigner qu'un seul de son conseil, et qu'il serait tenu de prendre l'autre parmi les feudataires indépendants de lui , idoines et sans sus/n'cion. Elle interdit de plus à l'officier du lieu où l'excès avait été perpétré d'assister soit à l'enquéle, soit au jugement '. La même paix régla en détail les frais d'enquête, le montant du salaire des enquêteurs, l'étendue des garanties qu'il leur serait permis d'exiger des parties demandant à faire preuve, de manière à ne pas mettre les pauvres hors d'étal de demander justice -. Ses dispositions furent plus taid reproduites dans la paix de Saint-Jacques ~\ Le Patron de la Temporalité , de son côté, disait : l'évêque ni le gardieti de la |)arole ne peut « nulle enqucste ne jugement tourneir en droit, des » cas ensqueis ilh attent perte ou wangne, à nul oflichien qu'il at ne homme » qui soit de son conseilhe, ne que soit presumiueuz à nulle des partyes, » mains à aulcun proidhommo sains suspicion se ce ne piocède de consent » des parties ''. » Le feudataire auquel on tournait en droit la cause devait « promirement » dire son opinion, s'ilh en est saige et bien conseilhe, et ly aultres hommes » ensiwant''. » Il était ce que nous appelons aujourd'hui le rapporteur de l'affaire. Son influence était nalurellemenl très-grande sur ses collègues, et à bon droit on demandait de lui que son impartialité no pût être suspectée. Après ces explicalions nous pouvons aborder la dernière rubrique de ce paragraphe, et traiter de la compétence des anciens tribunaux, au point de vue des documents de la période qui s'étend du Xin*= siècle au XVI^ ' Mulation de la loi nouvelle, ariiile 73. 2 Idem, arlidc 74. ' Paix de Saitit-Juctjties , chapilvc W. * Patron de la Temporalité , p. 274. » Idem, p. 27 S. Tome XXXVIII. U 346 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL De la conipétenee. Les principes de compétence qui réglaient l'action des anciens tribunaux répressifs du pays de Liège ne subirent que peu de niodillcalions pendant la période qui nous occupe. Nous supposerons donc connus ceux que nous avons exposés dans le I" livre de cet essai; et nous n'appellerons guère l'attention que sur ceux d'entre eux qui furent changés ou qui furent com- battus. Les paix nutionulcn, en elTct, dui'ent chercher à mettre certains principes de compétence au-dessus de toute atteinte, en les plaçant sous la garantie de chartes écrites. Cet elfort fut indispensable au milieu des luttes inces- santes entre le pouvoir central et les pouvoirs secondaires. Au fur et à me- sure que les communes grandissaient en puissance, elles se serraient plus étroitement autour de leur tribunal échevinal et supportaient avec plus d'impatience l'action que les cours de feudataires exerçaient sur leurs bour- geois. L'évèque, de son côté, mesurait ses résistances à la continuité et au danger de l'attaque: il profitait de chaque circonstan(;e favorable pour faire allîrmer le droit des consistoires de justice dans lesquels il avait une action personnelle. Ces réflexions préliminaires disent assez que nous aurons surtout à nous occuper ici des diverses cours de feudataires du pays. Et d'abord il faut nous étendre assez longuement sur le Tribunal de l'anneau du Palais, (pw nous n'avons fait qu'indiquer dans notre I" livre, parce qu'au XIIl'^ siècle il était impossible de dessiner sa physionomie propre. A la dilTérence du Tribunal de In Paix, où tout homme pauvre ou riche lésé par certaines infractions pouvait porter sa plainte, le Tribunal de l'an- neau ne pouvait être saisi que par l'évèque seul : « nule personne queil- » conque ne se puet plaindre al nneul de Palais de son fait singuleir, » foins que ly evescpie ou csleu de Liège lant seulement ', » En re\anche, le ressort territorial des deux tribunaux était le même; et les nièmes personnes étaient exemptes de l'une et de l'autre juridiclion-. ' l'uhnii (le lu Tciiiporalilé , p. '278. — Raikem, Discours ilo IS(i5, p. 41. l'ii note. " Cuiilumes du iniijs du Lihje , t. 1", p. ô'iO. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 547 Tandis que le Tribunal de la Paix, à Torigine véritable siège de juridic- tion criminelle, était devenu un siège de juridiction d'une nature toute spéciale, le Tribunal de l'anneau avait toujours été et était resté un tribunal politique. Sa mission était de maintenir les droits de suzeraineté que possédait Tévèque sur les fiefs de l'église de Liège, ainsi que la juridiction qu'il exerçait dans le diocèse. En principe il ne devait connaître que des infractions qui ren- traient dans l'une des quatre catégories suivantes : 1" Lorsqu'un feudataire de l'èvèque rele\aitson tiefd'un autre seigneur, ou qu'il en détachait une partie de manière à la soustraire à la directe de son suzerain '. 2° Lorsque des juges , siégeant dans le diocèse de Liège « forjugassent » quelconques persoimes, se chu n'astoit fait par les homes monsaignor de » Liège, al paix, ou à palais de Liège, ou par les esquevins de Liège » comme chief , ou à leur rechargement. » 3" Lorsqu'on voulait porter atteinte à la juridiction de Liège, en faisant juger par d'autres juges ce qui était du ressort de cette juridiction. i" Lorsqu'on cherchait à faire l'éformer par des juges étrangers les sen- tences rendues en dernier ressort pai- des juges souverains du pays de Liège ^. Pendant les règnes d'Arnould de Ilornes et de Jean de Bavière le Tri- bunal de l'anneau était sorti insensiblement de sa sphère d'attributions. On en avait durement abusé suivant l'expression de Jacques de Hemricourt. On y avait Irécpiennnent porté des causes qui auraient dû être jugées, ou par le Tribunal de la Paix, ou |)ar les justices teriitoriales, ou par la cour féodale ordinaire '\ Parmi ces dernières nous citerons la célèbre alTaire des èchevins de Liège, accusés par Gilles de Lavoir, alTaiie qui aurait diiètro portée devant iMonsei- gneur et ses hommes puisque le Tribunal des XXII n'était pas en exer- cice ^. ' Félonie cl (lèiitiliirciiiciil de jiej. 2 CoiiUiines (lu pays de Lièije , 1. 1", p. 342. — Patron de la Temporalité , pp. 275, 276. ' Patron de la Temporalité, pp. 270, 277. * RAïKbM, Discours du 1804, p. 28. 348 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Nous avons déjà dit qu'en \ iOO los Hutois s'étaient plaints de l'incerti- tude qui planait sur la compétence réelle deVanneau; qu'ils avaient demandé A ce qu'elle fût réj^lée, mais qu'ils avaient trouvé la Cité de Liège elle-même parmi leurs adversaires. C'est que si le mal provenait certainement des ten- dances arbitraires du prince, il provenait aussi de l'esprit des assesseurs de Vanneau au XV'' siècle, et des tendances de la Cité. « Mains » disait Ilemri- court en parlant des abus dont nous nous occupons, « teis jugcmons sont » fais |)ar bayme ou par faveur, et de ceauz qui petitment soy cognissent » aile loy (Ici bostoit monsigneur, on en abuse le plus de temps seneis- » Iremenl, parlant que ly aisneis saiges cbevaliers, escuwyrs, borgois, et » coustumicrs qui en estoyent uscis sont tous formors; et s'ilb y at alcuns » (jui die aulcuii bien, ilb est teillement ravalleis de parolles, qu'il n'est » oyeu necreyu, ancbois en acquiert granl malgreis '. » La Cité, exerçant par ses maitrcs et par ses bourgeois, feudataires sérieux ou de barcUerie , toujours sur les lieux, toujours prèls à venir siéger, une inlluence alors prépondé- rante dans les assises du jardin du Palais, ne demandait pas mieux que de grandir la puissance de celles-ci. Elle y trouvait l'occasion d'alïirmer sa pré- pondérance sur les autres communes du pays. Si elle favoiisait les agrandis- sements du pouvoir de l'éNèque elle grandissait avec lui. Klle agissait avec d'autant moins d'arrière-pensée qu'aucune extension de juridiction donnée à Vanneau n'atteignait ses bourgeois. C'est dans ces conjonctures que Jean de Bavière fit rendre, en 1405, la déclaration de l'anneau du Palais. Celle-ci, bien loin de réagir contre les errements en usage, sembla prendre à ((eur de légitimer au moins une partie des récentes innovations. En elVet, après avoir rappelé les quatre catégories d'infractions dont Vanneau devait connaître, d'après le Patron de la Tem- poralité, elle en rtY,'orrf««7 une cinquième, dont il n'était nulle part question a\ant elle. « Qiiintement, » disait-elle, « (pii empesclieroil ou defenderoit ly » loi de pays avoir son couis, ou quant plainte sieroil faite parde\ant mon- » saingnorde Liège et ses bonunes (l"aulcuns crymes, forclic, violenclie, et » dont sor cbe bommes sieroient commis pour enquire le veriteil de fait ' Patron ilv tu Temjwrulitc, |i. :i77. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. U9 » selon le tenure délie paix de Fex/te, et les partyes sour ce adjourneez » ensy que loy enseigne, defenderoit sour che que cis hommes aussy commis » ne posissent segurement sains perilh faire la dite enqueste et asségureir les » partyes et les tesmoins qui sour chu advenroyent tesmoigneir, ou après la » dite enqueste faite empecheroit que jugement ne possit estre rendut, ou » que ly jugement, s'ilestoit rendut, ne possit avoir son cours, on les pol- » roit corregier par Tappeal dédit anneal de Palais K » C'était, en raison même de la généralité des termes employés, permettre à Vanneau de répri- mer tout ce qui, de près ou de loin, tendrait à empêcher le cours de la loi, à arrêter le cours de la justice, à en)pêcher Texécution des jugements, c'est- à-dire étendre proscpie indéfiniment sa compétence. Trois ans après, le Tribunal de l'anneau sombra momentanément avec toutes les anciennes institutions liégeoises. Mais, quand après la restauration entreprise par Walenrode et lleinsberg il reparut, la déclaration de I4-0o servit sans doute de base à la juridiction qu'il exerça jusque vers la fin du XV" siècle -. Au moins nous ne trouvons aucun acte nouveau qui parle de sa compétence ou de ses attributions. Passons à ce qui concerne le Tribunal de la Paix. Comme nous l'avons dit, dans le précédent chapitre, ce tribunal dut se défendre pendant le cours de la période (pii nous occupe autant contre les entreprises de la Cité de Liège que contre celle des princes étrangers. Nous croyons ne plus devoir insister ici sur la lutte (pn'l soutint contre les ducs de Brabant. Nous nous bornerons à détacher de la sentence d'Amiens, de lî^3i, ses dispositions les plus carac- téristiques. En revanche, nous chercherons avec soin à faire comprendre quel était le véritable point de litige entre les bourgeois de Liège et l'évèque siégeant aux assises de NoIre-Dame-aux-Fonls, et quelle solution lui fut donnée. La sentence d'Amiens est intéressante pour nous à un double point de vue: d'abord parce qu'elle confirme l'existence de certains principes d'organisa- tion du Tribunal de la Paix dont nous avons fait mention dans notre pre- mier livre; ensuite parce qu'elle confirme l'existence de Yexeniplion des ' Raikem, Discours de I8G3. p. Iï8. * Avec quelques interruplioiis , bien entendu. 3S0 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL bourgeois de Cupelle-au-Bois sans louteCois rexpliquer. Elle pormit à Tévéque de continuer comme jadis à faire faire par ses hommes de fief, dans toutes les parties du territoire hrahaiiçon appartenant au diocèse de Liège, les exécutions de la paix, c'est-à-dire les enquêtes *, la signification des quaran- taines, etc., « si avant et en teile manière que li hommes et jugeurs de la » ditte paix gardent et jugent, et ont gardé et jugié anchiennement. » D'autre part elle déclara que le duc et ses bonnes villes ne devraient plus permettre d'agréger au corps des bourgeois de Ca/ieUe-au-Iïois , dans Tin- lenlion de leur communiquer Texomption, les Brabançons bourgeois elTectifs d'autres connnunes, ni à plus forte raison les gens levuns et couc/ians dans la principauté de Liège elle-même. (Juant au point de litige entre Tèvèque et la Cité, à propos de la paix de Liège , il gisait dans la question de savoir à qui a|)partenait en réalité Vexemption admise, de toute antiquité, en faveur des bourgeois de Liège. Anciennement il est constant que les bourgeois citains seuls , c'est-à-dire les bourgeois nés dans les limites de la franchise, pouvaient décliner tout appel aux assises de Notre-Danie-aux-fonts -. Dans le courant du XIV"' siècle, leur privilège avait été étendu à tous les gens de métiers demeurant dans la l)anlieue, par la lettre de Saint-Jar/jnes: « cpie toutes teiles gens 1) des dittes frairies » disait cette charte, « demouranles en la ditte banlieue » soient borgeois de Liège, et aussy francs que doncq ils fussent dedans » Liège demourans '\ » La déclaration de l'anneau de 1 403 avaient en con- séquence soin de l'appeler, de son côté, que « li citains et borgois délie » banlieue de Liège, solonc la lettre de Saint-Jacques, astoient del ap|)oal » del pais de Liège et del dict unneal de Palais exems '. •> .lus(pie-là il n'y avait pas de contestation possible; mais la difliculté conmiença quand la Cité se prit à donner une extension indélinie à la collation de la bour- geoisie foraine, maigre les limites légales qui lui inq)0saieiit les diplômes du ' Au iiKiiiis iipros I5:2i , ciii' c'est iilur.^ |)oiir la [iiciiiicrc fois, dans la lettre ile.s viiiyt, qu'il est queslion d'une eii(|uclc éerilc. - H\iki:m, l)i de I.SCi*. p. 3a. •' Ailiele «. * Prcaniljule de l'acte. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 3S1 XIIÏ" siècle S et quand elle voulut assimiler en tout point les bourgeois forains à ses boui'geois effectifs. Déjà , longtemps avant la lettre de Saint- Jacques , cette prétention s'était manifestée avec éclat. A Tépoque ou Adolphe de la Marck refusa de sceller la lettre des XX, il put dire que les Liégeois « indilferenter foraneos homines » in ipsa civitate non delegentes, sive in villis ecclesiarum nostrorum Leod. » vel aliis locis quihiisdam intra nostram diocesim commorantur, in suos » concives recipiunt, quorumque crimine fuerint irretiti; et ne super delitlis » suis per Pacis nostrae judicium corrigi possint vel puniri, vel ad ipsani » Pacem appellari, quanlumcuuKpie malefactores existant prohibent et » defendanl. Propler fjaod judiciuiit pacis, quod nobiscompetcre et ad nos- » trnm dominiuni... , notori(un csl, aboient -. » Il commença par les excom- munier du chef de ces praliipies •^; i)uis, quand on parvint à conclure la paix de Wihoyne, il fit insérer dans la charte des articles qui tendaient sinon à empêcher, au moins à diminuer les abus. La paix de Wihogne décida que Tacquisilion de la bourgeoisie foraine de Liège ne couvrirait et ne garantirait personne contre les consé(|uences de méfaits commis auparavant; que tout bourgeois ayant acquis la liom-geoisie foraine devrait, pour jouir des privilèges connnunaux, luibiler Liège pen- dant six mois par an, avec sa famille, et y avoir son principal établissement; que le magistrat ferait publier au peiron , connue jadis, ceux qui demande- raient la bourgeoisie, pour qu'on put pendant (piarante jours discuter leur admission; que le même magisliat, un mois après la réception des bourgeois alTorains, devrait donner par écrit leurs noms à Tévèque *. Un peu |)lus tard la lettre du commun profit, de 1370, prit des mesures encore plus sévères. Elle voulut que dorénavant aucun étranger ne fut admis comme bourgeois, ni comme membre d'un métier, à moins d'apporter des lettres ouvertes de leur ville ou de leur pays d'origine, et d être au préa- lable criés au perron, « pour savoir leurs falmes et estats ^. » ' WllOI.\MLI,, OlIV. cill'. 2 hkm , p. I -2!». 5 Idem , itlein. * Articles 4 et ."i. ^ Voir ctt acte. 332 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Mais entre-temps, la grosse question de savoir si les bourgeois forains réiïulièrenient admis pouvaient comme les ciUu'ns et ceux de la banlieue exciper d'incom|)élence devant la paix do Liét/e, resta débattue jusqu'en 1386. La mutation (le lu loi nouvelle la trancha en ternies exprès à cette époque contre les alîorains. Elle décida que les bourgeois alTorains de Liège ressortiraient tant au Tribunal de la Paix qu'au tribunal de leur domicile (sans pouvoir deman- der leur renvoi devant les échevinages de Liège), à moins qu ils ne se trou- vassent dans les conditions suivantes : qu'ils fussent nés à Liège, ou qu'ils fussent domiciles dans la franchise ou dans la banlieue, ou que Tèvèque leur eût (/uitté l'obligation de résidence '. On pourrait croire que l'arrêt prononcé par les états du pays, d'accord avec le prince, aurait terminé le débat. Il n'en fut rien. Hemricourt, qui écri- vait à la lin du XIV" siècle et au commencement du XV-, se plaint (pie de son temps tout soit confondu « et ne sey, » dit-il, « considereir, que en nul » caz soit par le universiteit - recogneut ly franckieses descitains, fours en » meseaz ^. » Reproduisant, à trois quarts de siècle de distance, les griefs d'Adolphe de la Marck, il va jusqu'à s'écrier que les Liégeois eux-mêmes tra- vaillent indirectement à la d(!slruction du Tribunal de la Paix : « Car nous » prendons, » écrit-il, « alTorains borgois sains nombre, et les voilons alfrankier » del correxion de la ditte paix et del anneal du Palais, tellement comme » nos propres personnes, que faire ne poyons ne ne devons, car al conoistre » veriteit nuls n'en est exens s'ilh n'est borgois cilain, ch'est à entendre qn'ilh » soit neis en la ditte citeit ou frankiesc de Liège; car tous autres borgois » sont borgois acquis '. » En fait, la volonté de la Cité fut donc plus forte que la loi; c'était la conséquence naturelle de la prépondérance que la Cité exerçait par ses hommes à elle dans les Tribunaux de lu Paix et de YAnneuu. < Article 59. * Li Uiiiri'fsileit , c'est le corps de la Oité. s Coulumes ilu paijs de Liège, t. 1", p. ô07. Les mexeaz ce sont les lépreux, qui avaient droit d'être reçus à l'hôpital de Corncillion s'ils étaient tils de citains , et auirenieni nun. ♦ Coiiliniiex ilu piii/a de Liécje , t. I", [>. 266. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 353 Nous rappellerons ici pour mémoire que la paix de Saint-Jacques repro- duisit cependant les dispositions de la mutation de la loi nouvelle que nous venons de rappeler, en y mentionnant spécialement, à côté de la paix de Liège, le Tribunal de l'anneau. Elle prit aussi des mesures pour éviter les abus auxquels donnait lieu l'admission trop facile des bourgeois forains; elle obligea ceux-ci à payer une taxe fixe pour se dispenser de l'obligation de résider à Liège, obligation que Tévéque ne pouvait plus leur quitter '. Mais, comme la paix de Saint-Jacques ne parvint à ressusciter ni Vanneau ni la paix de Liège, nous n'insistons pas et nous avançons. Les bourgeois des autres villes franches du |)ays, qui n'avaient jamais chei'clié à s'appropi'icr Vexemplion des bourgeois de Liège à propos de Vanneau et de Va paix, essayèrent cependant de se soustraire, à l'exemple de leurs émules, à l'action de la cour féodale ordinaire de l'èvèque surtout en matière criminelle. Ils prétendirent, à leur tour, n'être justiciables que de leurs propres éclievins , mais ils ne trouvèrent pas d'écho. La lettre des vingt elle-même, si contraire qu'elle fût en général aux prérogatives épiscopales, condamna indirectement mais formellement leur prétention. Elle se borna à accorder aux bourgeois de Dinaut et de Iluy certaines garanties spéciales quant au choix des feudataires enquêteurs , lorsque plainte serait faite contre eux devant monseigneur et ses honunes "-. La mèmi! lettre trancha une autre question, |)lus ou moins dèballue entre la cour féodale et les échevinages, celle de savoir de quelles infractions la première pouvait connaître en concurrence avec les seconds. Elle reconnut que l'évêque entouré de ses feudataires avait juridiction en matière de laids /■«/Y.s ou vilains cas, c'est à dire d'arsin ou d'incendie commis de nuit ou de jour, de faits perpétrés fours voies, de murdre , d'empêchement mis à l'exploita- tion des terres (forcommandor biens à wigner), de vol de grand chemin, robbe, et d'autres infractions semblables, quelle que fût la qualité du délin- quant et dans tout le pays ^. Quant à l'antique immunité à laquelle préten- ' Paix (h Sainl-J arques , chapitre XX. iirliclcs i à 14, et surtout article 14. 2 Voir sur ce point la lettre des vingt. — \Viiolwii.l, ouv. cité, p. 1;22. ' Aitiile l"(le la lettre. Ses stipulations, sans être observées à la rigueur, traçaient cependant Tome XXXVIII. 45 5U ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL daient les terres du chapitre catliédral, elle s'ciïaça insensiblement vers le milieu du XIV" siècle. Nous croyons ne pas avoir à y revenir ici. Avant d'abandonner ce qui concerne les cours féodales, il nous reste une dernière remarque à faire. On se rappelle que dès le Xlll" siècle les fieffés pouvaient être traduits devant les échevinages, mais qu'ils avaient le droit absolu de décliner la juridiction de ceux-ci et de se faire renvoyer devant leurs pairs. Ce droit leur fut encore reconnu en 1386 par la mutation de la loi nouvelle. En attribuant une compétence générale au juge du domicile, sauf certaines exceptions de stricte interprétation, la mutation disait : « gar- » dant aussi en cela la francbiese dos fieiïés de Tévèque comme il sera dit » plus loin; » et, dans un autre article, elle permettait formellement aux fieffés de se faire renvoyer devant Tévèque, pour « s'oster de raisnes de » forche dont on peut venir à loy » : pourvu qu'ils possédassent un fief valant au moins un muid d'épeautre héritable, et qu'ils l'eussent dûment relevé ', Nous arrivons maintenant à ce qui regarde les échevinages. Leur compé- tence ne nous arrêtera pas longtemps. La mutation de la loi nouvelle affirmait la compétence générale et absolue du Juge du (/ow/cvY^'. Toutes personnes, iuanantes résidennnent hors de h Cilé et des franches villes, bourgeoises ou non, doivent, disait-elle, en tous cas être à loi dans le lieu où elles résident et obéir à sa justice. Elle ne faisait exception qu'en faveur des prêtres, des clercs, des filles, des veuves à marier, des fielTés de Févèque et des bourgeois alTorains de Liège, se trouvant dans une des situations spéciales que nous avons indiquées plus haut -. Ses prescriptions sur ce point furent en partie reproduites par la paix de Tongres et pai' la paix de Saint-Jacques •'. Elles concernaient les matières criminelles autant que les matières civiles. Elles condamnaient la prétention des hourgeois /br«/».s, qui soutenaient sou- vent n'être justiciables que de l'échevinage du lieu dont ils étaient bourgeois. une séparation, approximalivcmcnt admise cii fait, cntro la juridiclion ilcs cours féodales et celle des échevinages. ' Articles 51, î)5, cl même article 72. * Articles ô! et ;)7. * Paix de TuMjres , article C. — Paix de Saint-Jacques, chapitre III, article 5. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 3SS D'autre part il était admis comme jadis que, en matière purement cri- minelle, le juge du lieu du délit n'était compétent que si le délinquant avait été arrêté et détenu sur son territoire ^ Ces règles conduisaient à une conséquence singulière. En pratique, au lieu d'être avantageuses aux bourgeois des puissantes communes, lésés par des afforains, elles les mettaient dans un état d'infériorité notoire vis-à-vis de ces derniers. Que, par exemple, un alTorain tuât ou blessât dans l'intérieur d'une franchise un bourgeois et parvint à s'enfuir, l'échevinage communal n'avait pas le droit de condamner le criminel par contumace, de le corriger de son honneur. Qu'un bourgeois, au contraire, tuât un afforain dans sa propre franche ville, sa fuite ne pouvait le soustraire à une condamnation par défaut. La mutation de la loi nouvelle comprit la situation , et |)our la |)reniière fois elle y porta remède. Sans méconnaitre la compétence du juge du domicile, elle accorda aux échevinayes des franches villes une compétence spéciale pour punir, même par contumace, les alTorains qui, dans leur ressort auraient dêiinqué contre un bourgeois et n'auraient pas été arrêtés. Les franchises de la Cité et des bonnes villes, dit-elle, doivent plus profiter à leurs boiu-geois .qu'aux aubains et alTorains. En conséquence : si un afiorain délinque contre un bourgeois dans une ville, il doit, s'il est tenu, être juslicié de sa vie ou de ses membres selon la quantité du méfait'-; de plus, s'il s'échappe, et que le bourgeois surcmnl lésé porte plainte à ses propres juges, ceux-ci peuvent forjuger l'allorain de son honneur •". Il va sans dire que le bourgeois lésé pouvait renoncer à la faveur que la mutation lui faisait, et, rentrant dans le droit commun, aller porter sa plainte devant le juge du domicile de son adversaire aiïorain non détenu à Liège. La paix de Saint-Jacques reproduisit en 1487 la dernière règle que nous venons de retracer. Seulement elle sembla en restreindre l'application à la Cité de Liège. Elle parle, en elTcl, d'une plainte qui pourrait se faire devant ' A mettre m riipport avec rarliclc 17 des Statuts primilifs de. la Cité, et larticle 29 du chapitre XXIX de la paix de Saint-Jacques. - Sur ce point il n'y avait pas d'innovation. 5 Article Cl. 556 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMI>'EL le maïeur et les échevins de Liège « pour cause de la dite bourgeoisie ^ » Il avait existé un certain doute sur le point de savoir qui pouvait juger des voffuements de paix enfreinte sur les bourgeois de Liège. La loi nouvelle de ioSS , confirmée par la mutation de 1386, trancha la (IKficultc. Elle décida que les échevins de Liège seuls en jugeraient, à Pexclusion de tous autres échevins, selon la quantité du méfait , l'état des personnes et la forme des Statuts -. Enfin, la même mutation de la loi nouvelle, en consacrant do nouveau le principe que les jugements rendus par les échevins de Liège étaient sans appel « partant qu'ilz sont chiell" délie loy de pays, » réservait à févéque, comme sire souverain, le droit de coriiger les échevins de Liège eux- mêmes s'ils faisaient « excès allencontre » du serment qu'ils avaient prêté en entrant en charge •'. En terminant ici ce long paragraphe, nous croyons utile de lappeler encore une fois qu'il doit nécessairement être mis en rapport avec les don- nées de notre premier livre; et nous avertissons d'avance qu'il doit égalô- menl être complété par les explications que nous donnerons dans le para- graphe suivant. § 111. — Des corps et des tribunaux participant à l'exercice de la juridiction répressive, nés du XIII' au XV l^ siècle et de leur compétence. Nous savons par le chapitre précédent qu'un certain nombre d'institutions participant à Texercice de la juridiction répressive étaient nées ou avaient pris corps dans le pays de Liège pendant la période dont nous traitons. Les principales de ces institutions étaient : le Siège de Judicature des magistrats èletlifs, dans les villes, le Tribunal des XII des lignages, le Tribunal des XXII et le corps des commissaires de la Cité. Nous allons en étudier successive- ment les origines, les vicissitudes, l'organisation et la compétence. A l'occa- * Paix de Sainl-Jacques, fhiipilre IV, arlitlc il. ' Article 1) (le ruiic et de l'autre charte. ^ Article 45. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 357 sion du Tribunal des XXII, nous parlerons de l'action répressive exercée, avant son érection, par le chapitre cathédral sur les officiers du pays. Enfin, nous terminerons le paragraphe en donnant quelques détails, qui nous semhlent indispensables, sur les actes de juridiction criminelle faits en commun par les magistrats électifs et les échevins et sur les origines de la franchise; sur les actes de juridiction politique émanés du corps même des grandes com- munes; enfin sur le tribunal spécial constitué à Fosses par la lettre de poix de 1318. L'étude à laquelle nous allons nous livrer est à la fois aride et dif- ficile; mais elle est nécessaire pour donner la physionomie complète des institutions liégeoises de Tordre répressif pendant la période féodo-commu- nale de l'histoire du pays. Du sic({e (le judic'itiiiT des ni.t^istr.its ëlcelir». On a déjà vu que l'une des consé([uences directes de la situation spéciale des grandes communes, et de la puissance que celles-ci avaient acipiise, ce fut l'érection d'un siège spécial dejudicature des bourgeois placé à côté du siège de judicature de l'évêque, Véchcvinaye. Ce siège de judicature se com- posait de membres pris parmi le magistrat électif. Il existait au XIV« siècle, non-seulement dans la Cité de Liège, mais encore dans la plupart des bonnes villes de la principauté. La mutation de la loi nouvelle en témoigne ainsi qu'un grand nombre de chartes locales K Mais depuis (piand les mayistrals électifs participaient-ils à l'exercice du droit de juridiction, sur- tout en matière criminelle? Quels étaient spécialement ceux d'entre eux qui composaient le tribunal? Quelle était la compétence précise de celui-ci? Ce sont là autant de questions qui soulèvent aujourd'hui des difficultés presque inextricables, et qui ne |)euvent être touchées ici qu'en passant. En elTet, elles nous entraîneraient aussitôt loin du droit criminel sur le terrain de la politique, et, d'autre part, elles devraient être traitées à part par rap- port à chaque commune. Nous allons toutefois essayer de les résoudre dans leurs parties essentielles, surtout à propos de la ville de Liège. Par suite ' Mutation de lu loi nouvelle, arlicle 33. 3S8 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL même de la puissance politique de la Cité, son magistrat électif everca une plus grande iiillucMice qu'ailleurs; et du i-este, nous avons, en ce qui con- cerne ses pouvoirs do judicature, un certain nombre de monuments qui nous feraient défaut si nous voulions généraliser notre étude. On ne saurait déterminer avec précision l'époque à laquelle le magistrat électif liégeois commença à participer à l'exercice de la juridiction criminelle. Mais toujours est-il que le pi-emier acte précis, essayant de ret/ularm'i- une action répressive remise aux mains des jures de la commune, fut la paix de Wiliofjne de 1528. Celte paix était en rapports élioits, comme on se le rappelle, avec les Slululs primitifs de la Cité. Au point de ^ue qui nous occupe elle était une sorte de transaction entre les vues de l'évêque et les vues que la commune avait voulu réaliser pendant sa tentative républicaine de 1324- 1325. Pendant ces années de luttes, la commune avait élaboré des statuts de droit criminel et en avait confié l'application à ses jurés électifs, sans tenir aucun compte du droit de judicature de l'évêque ni des prérogatives de Téchevinage. La paix de Wihoijne renversa cet état de choses. Elle n'accorda pas le pouvoir judiciaire l'épressif à de vc'ritables mayistrats électifs; elle le remit à des jurés spéciaux pris dans le sein du magistrat en exercice et du magistrat sortant, et tenant leur mandat non d'une élection populaire, mais d'une nomination de l'évêque. Elle ne leur reconnut pas une juridiction exclusive dans la Cité , mais seulement le droit d'exercer une certaine juri- diction en concurrence avec le tribunal des échevins. D'après U paix de Wilwgne , en elïet, l'évêque élisait chaque année vingt-quatre jurés des vinaves, six par vinnve, parmi « les jurés et gouver- » neurs de Liège vieux et nouveaux, moitié des (jrands , moitié des /;<'///.«, » excepté les échevins de Liège '. » Pour lui permettre d'exercer cette pré- rogative en pleine connaissance de cause, la Cité lui remettait, huit jours après l'élection magistrale, la liste de tous les éligibles à la charge de juré des vinaves, et l'évêque faisait son choix dans les trois semaines sui- vantes. ' Paix de Wihogne, arlitlc 1". — Stultitsde la Cité de i32S, article 72. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 359 Les jurés des vinaves étaient nommés pour un an. Cependant, si la vacance du siège épiscopal ou toute autre cause retardait l'élection magistrale, ils restaient en fonctions jusqu'à leur remplacement. Si l'un d'entre eux mourait pendant l'année de sa gestion, le nouveau juré, nommé par l'évêque, ne faisait qu'achever le terme du défunt. En entrant en charge, les jurés prêtaient un serment professionnel, pro- missoire de fidélilé, d'impartialité et de zèle , entre les mains de l'évêque ou d'un délégué de celui-ci , et en présence des maUres de la Cité s'ils voulaient assister à la cérémonie. Ils étaient protégés dans l'exercice de leurs fonctions par la paix elle-même et par les Statuts. De fortes amendes menaçaient les gens assez audacieux pour oser se livrer envers eux à des violences, ou même pour leur adresser des injures '. En revanche, l'acceptation de la charge de jurés des vinaves était strictement obligatoire. D'après la paix de Wihofjne, tout refus était fi-appé d'une amende. D'ajjrès les Statuts de la Cité, on som- mait le bourgeois récalcitrant d'accepter « à soleal lassant, » et, s'il n'ob- tempérait pas à cette sommation , on le punissait d'un bannissement de dix ans à dix lieues de Liège -. Ces mêmes Statuts de la Cité prenaient des mesures pour empêcher la yma/Z/e de se glisser dans l'institution iles jurés, et poiw em|)êchcr ces der- niers de se livrer à des concussions. L'homme, disaient-ils, qui [)rometlait ou qui donnait de l'argent par lui ou pai- autrui pour devenir juré, devait être « osteit de son fait meismc et pri\eis de son ollice » et de tous les autres offices de la Cité [)our toujours. Le juré convaincu d'avoir fait tort à quel- qu'un dans l'exercice de sa charge , soit par lowir ^, soit par mauvais vou- loir, ou qui avait indûment exigé de l'argent d'une partie en cause, était menacé des mêmes déchéances; en outre, il était tenu de rendre ce qu'il avait injustement perçu *. Les jurés des vinaves, bien que formant un seul corps, exerçaient surtout ' Paix (le Wihogne, articles 7 et 10. — Slatuls de la Cité de I32S, article ;i4. " Paix de Wilwgne, article 5. — Statuts de la Cité de lô^S, article 73. 5 C'csl-à-dire pour de l'argent. ♦ Slattits de la Cité de 132S, articles 74, 75. — Paix de Saint-Jacques , chapitre XXVF, articles 07 et 70. 360 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL leur action dans le vinave auquel ils appartenaient : « li jureis de chascun » vinauie puelent et doicnt enquierre et jugier des melTaits qui avenront en » leurs vinaules, ou defours la Citoit à plus près de leurs vinaules '. » Ils avaient à leurs côtés un maïeur spécial par quartier, appelé le maïcur du vinave. Celui-ci, peut-être à l'origine nommé par Tévéque lui-même, fut établi depuis 1358 par la volonté et l'octroi du grand maïeur et des maîtres de la Cité en exercice -. A l'époque de Hemricourt, le grand maïeur le nom- mait seul -'. Les Stahils de i34S défendaient formellement au maïeur du vinave d'être présent quand les jurés faisaient les enquêtes ou terminaient les amendes *. Nous croyons que sa charge principale était de faire certains adjuurs ou commandements, et surtout de lever les profits des Statuts, c'est-à-dire la part des amendes statutaires afférente à la (lité ^ Dans cliacpie vinave il y avait en outre un clerc chargé du service des écritures; les Statuts de 1545 voulaient qu'il fût changé tous les ans *'. Le tribunal des jurés des vinaves portail le nom do Statut. D'après la paix de Wilmjne il devail juger à la semonce d'un délégué spi'cial que Tévêque lui adjoindrait '. Son ressort lerritorial était celui de la fianchise de Liège, et peut-être jus(|u'à un certain point celui de la banlieue. Dans ces limites il pouvait appliquer les Statuts de la Cité, quand plainte était faite devant lui de toutes espèces d'infractions : « de tous melïais desseurdis et d'autres **. » Le bourgeois de Liège, lésé par une infraction, avait le droit absolu de poursuivre le coupable, ou devant le Tribunal de la loi , les éclievins, ou devant le Statut ''. Mais, une fois la plainte faite devant un des deux sièges de judicature , il ne |)ouvait plus changer d'avis et s'adresser à lautre. Celui ' Sttttiils ilv la Cité de 1528, iirlii le "7. - Slatiils (Iv lu Cilé lie /ô.ï.S'. ^ l'alrun (le la Teiiipurulitc , |). i.S.S. * Statuts delà Cilé de 1545, ait. 77 : Voir Coutumes du pays de Liège, t. I", p. olO, cii note. » ralnm de la Temporalité, |). 288. « Statuts de lu Cité de 1545, [>. 77. — Coutumes du pay> de Liège , 1. 1", [>. liU), en note. ' Ailiilr -2. ' Statuts de la Cilé de 152S, articles 58, f>!). 'J On pouvait aussi, comme nous l'avons prouvé, cilcr (levant Yofficial de droit commun. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 361 qui méconnaissait ce principe était puni d'un bannissement de deux ans et d'une amende de quarante sous; de plus, il ne pouvait rentrer à Liège après l'expiration du ban à moins d'avoir payé l'amende et d'avoir dûment indemnisé son adversaire; enfin, la deuxième plainte faite était tenue pour non avenue '. Le Tribunal du Statut avait le même pouvoir discrétionnaire que le Tribunal de la loi. Quand on portait plainte devant lui d'un fait non prévu par les Statuts, il pouvait tailler l'amende du fait, « al plus prés qu'ilh » poront solonc le quantiteit délie méfait et des personnes -. » Le tribunal dont nous venons d'esquisser les principaux caractères ne subsista que peu d'années dans la forme précise que lui donnait la paix de Wihofjne. En réalité il ne répondait pas aux aspirations de la Cité. Ce que celle-ci voulait c'était d'avoir une judicature à elle dans la(|uolle l'influence princiére ne se fit pas sentir, et non un tribunal pbu-é à côté de celui des échevins, mais que l'évêque aurait en grande partie le droit de constituer. La Cité finit par atteindre son but. Ici les mots ne doivent pas nous tromper. Il est encore question, il est vrai, des jurés des vinaves et de leurs maïeurs dans la lettre du prévôt, dans le Statut des maîtres de la Cité de 1 403 et dans tous les textes des Statuts ^. Les deux régiments de lleinsberg s'occu- pent encore de leuis pouvoirs , constatent lein- droit d'entendre les plaintes et même de terminer les amendes, règlent les profils judiciaires qu'ils peu- vent lever et la taxe de leuis lionoraires *. La sentence de Ii(i7 abolit spé- cialement le Tribunal des jurés des vinaves •'. La paix de Saint-Jacques, enfin, reproduit avec quehpies ajoutes les dispositions prises à leur égard par les régiments de 1 424 '^; mais il est évident que ces jurés ne sont plus les délégués spéciaux de l'évêque, pris parmi les magistrats électifs. Ce sont les /«m ordinaires du magistrat, du conseil de la commune, pris longtenq)s mi-partie parmi les grands, mi-partie parmi les petits ', choisis en grande ' Statuts de la Cité de 'I32H, article IJS. — Paix de Wilmyiie , article G. ^ Statuts de la Cité de 1328, article (ii. ^ Paix de Saint-Jacques, chapitre XXVI, articles ()(), (il. * 1" réijiiueiil de Ihinsherçi , art. ô, 30, etc.; 2' règimeni , art. I(i, 17,18, 10, 20,2l,22,2'i., etc. ^ Voir cet acte. 6 Cliapitrc XXII, articles 25, 32, 33, 34, 5a, 30, 43, 60, 61. ' Ceci jusqu'en I6S4, nous l'avons dit. Tome XXXVIII. 46 362 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMIISEL parlie par les corps des métiers, au lieu d'être élus dans chaque vinave, depuis la lettre de Saint-Jacques de ^343 ', désignés souvent encore, néanmoins, sous ce titre de jtires des vinaves , parce que, quelle que fût leur origine, c'était dans le vinave de leur domicile qu'ils exerçaient la part principale de leur action. Nous nous emj)ressons de donner trois preuves pour appuyer notre manière de voir : 1° En 4349 (piand on drosse la lettre du prévôt, les tnaitres, jurés et gouverneurs , c'est-à-dire rcnsonible du conseil de la commune, prétendent que la correction de cei'taines Ijalailles de femmes leur appartient à eux et non au prévôt; et, dans le cours de la lettre, c'est du partage de la juridiction entre le prévôt et les Jurés des vinaves qu'il est seulement question. Ces jurés des vinaves et ceux du magistrat étaient donc les mêmes ^. 2° Les Statuts de la Cité, insérés dans la paix de Saint- Jacques, parlant des jurés chargés d'appliquer leurs dispositions, déclarent indignes les for- nicateurs, les adultères, les usuriers publics, etc. Et qui chargent-ils de faire déposer le juré qui, après sa nomination, se rend coupable d'usure, d'adul- tère? « les maistres et mestier dont ilh sicroit odicien ■'. » 3° Le chapitre 22 de la paix de Saint-Jacques charge spécialement de certaines enquêtes « les quatre et \es jurés là présent de tel vinable où la dite » enquête se dcbvera faire...; » et, dans l'article suivant, elle s'exprime dans ces termes : « les disjnreis des vinables deveront tenir leurs plaids, etc. *. » Ce serait entrer dans trop de détails que de rechercher avec précision la part que prenaient les tenans plaids, les quatre conseillers de la Cité, et d'au- tres fonctionnaires spéciaux, aux délibi'ralions judiciaires du magistrat électif ■'. Contentons-nous d'ajouter ici que le Tribunal des jurés ne tarda pas à voir s'établir au-dessus de lui un autre tribunal connnunal, qui devint son juge d'appel, et auquel même dans certains cas il n'eut que le droit de • Paix de Saint-Jacques, {•hapilrc XXII, arliclo ^ ; îi celle époque, il n'y avait plus ([u'uii juré, aiielenuemeiil il y en avail deux. * Voir celle lellre. 3 Chapitre XXVI, arlielc 08. ♦ Chapitre XXII , articles T)'!, 33. '' \'oir le /" ràjimeiil de /fciiinlierg et la paix de Suiitt-Jarqucs, chapitre XXII, passiin. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 563 remettre les enquêtes faites, avec son avis, mais sans sentence. Ce corps de judicature supérieur était le Tribunal des maîtres et des XXX/I électeurs des maîtres pris dans les métiers. Il en est déjà question dans le ^ régiment de Heinsberg ; il est aboli spécialement dans la Sentence de 1 467 ; il est enfin rétabli par la paix de Saint-Jacques ^ Quant au nom de Tribunal du Statut, porté d'abord par le corps orga- nisé par la paix de Wihogne, il s'appliqua depuis les transformations que nous venons d'indiquer au Tribunal des jurés, et enfin à la biérarchie des tribunaux des jurés et des XXXII -. La magistrature élective de la Cité s'était donc mise ainsi, dans le cou- rant du XIV" siècle, en possession du droit de juridiction; et, profitant de circonstances favorables, elle avait étendu sa com|)étence dans de vastes limites. Son exemple avait été imité par les corps municipaux des autres bonnes villes de la principauté. De là les dispositions précises prises en ce qui les concerne par la mutation de la loi nouvelle et par la paix de Tongres. La paix de Tongres, que nous ne menlioiinons ici que pour mémoire, enleva au tribunal des maîtres et des jurés de la ville de Liège la connais- sance des affaires réelles ^. La mutation de la loi nouvelle, disposant en tbcse générale pour la princi- pauté tout entière, déclara formellement que les mailres et les conseils des bonnes villes n'avaient ni à connaître ni à juger « de ludz cas criminalz, ni » de nulle clioese qui toucbe à la loi du pays, ni aux justices s|)iriluelles; » qu'ils devaient abandonner les matières de l'espèce aux cours et justices qu'il appartenait, « excepteis et réserveis à leurs bourgeois leurs statuts, » francbieses et liberteis d'anti(|uilé useis ^. » Nous croyons que ces injonctions furent assez bien observées, au moins ne sentit-on plus la nécessité de les reproduire dans les /^«/a; subséquentes. Depuis 1386 le pouvoir des juges statutaires se réduisit donc, en matière • 9" régiment de Heinsberg, arlirlc 25. — Paix de Sainl-Jacqucs , cliapitrc XXII, arlielc ô3. ■^ HoDiN, ouv. cilc, t. I", p. 118, 11° I. — Paix de Suint- Jacques , chapitre XXVI, article CI. — R.vikem, Discours de 18V8, p. 20, etc. ' Paix de Tongres, article 1". — Paix de Saint-Jacques, chapitre IV, article 1". ♦ Mutation de la loi nouvelle , article 33. 564 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL criminelle, à appliquer les Statuts locaux. C'est avec ces caractères qu'il en est fait mention dans la lettre des VIII de 1403, dans les deux régiments de Ileinsiiery , et dans la paix de Saint- Jacques, qui concernent spécialement la ville de Liège '. A Liège, pour tout ce qui concernait l'application des statuts, la partie lésée conserva le droit, qu'elle avait sous l'empire de la paix de Wihoyne. de porter sa plainte ou devant le Tribunal de la loi ou devant le Tribunal du Statut '. Lu paix de Saint-Jacques , en consacrant une dernière fois ce prin- cipe, ajoulait en termes exprès que le lésé pouvait aussi s'il le préférait saisir \e droit, c'est-à-dire l'official, de son action. Comme nous l'avons déjà dit, ce n'était là (pie la reconnaissance d'une règle de compétence dont l'origine se perdait dans la nuit des temps. Mais, pas plus que jadis, le lésé n'eut le droit de changer d'avis et de s'adresser à une antre juridiction une fois que sa plainte était faite devant un des trois tribunaux, et siu-lout que sa plainte était répondue. S'il méconnaissait celle règle il encourait une amende, ainsi qu'un pèlerinage à Notre-Dame de Rocamadour au profil de son adver- sire •'. Mais laissons ce qui concerne s|)écialement la ville de Liège, et, sans entrer dans des détails aussi circonstanciés, disons un mot de la juridiction des magistrats électifs de Maestriclil, dont parlent quelques-uns des docu- ments que nous avons cités au chapitre précédent. A Maestricht, les Statuts de 1380 présupposaient l'existence d'un pouvoir de judicature criminelle attribué aux bourgmestres et aux jurés de la ville. Comme les statuts liégeois ils révoquaient de sa charge, et déclaraient à jamais incapable de remplir un oflice communal, \ejii(/eur statutaire con- vaincu d'avoir prévariqué dans l'exercice de ses fondions judicaires '. Ils permettaient aux parties lésées de porter plainte, à leur choix, soit aux bourgmestres el jurés, soit aux èche\ins, mais à charge de persister dans ' I" rvijimcul ilv Heiiisherij, iwliclr 3. — Paix de. Saiiit-J(i'(iiifs. cliapiliT XXVI, arlitics (il, 7:2. — L;i leUie îles VIH vent que dans Ifs >('an(T.s du tribunal des jures, le clerc du vinuieaà a côlé de lui le Icxtc des Statuts. * /"■ réfjimeut de lleinshenj, article 5. — Statuts de la Cité de IZio, article îi", etc. '" Statuts de la Cité de I32il, article 7-J. — l'aix de Suiiit-Jaciiues , clinpilrc X.Wl, etc. ♦ Article 71. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 365 leur choix sous peine d'encourir une amende, d'être obligés d'accorder une réparation à la ville, et de voir annuler leur seconde plainte '. Ils donnaient néanmoins aux échevins, saisis par une plainte, le droit de l'envoyer la décision de la cause au magistrat électif, à moins qu'il ne fût question d'un cas de haute justice , hooge gerechte ^. Ils reconnaissaient au tribunal statutaire le même pouvoir discrétionnaire qui appartenait au Tri- bunal de la loi, celui de fixer la peine et la réparation à partie des infractions non prévues par leur texte, « nae belank des mesdaet en nae den statuten ende » nae den staet der persoon '\ » Ils admettaient même qu'un bourgeois avait, dans certains cas, la faculté de se plaindre devant le corps entier des bourgeois de la ville, mais à condition do prouver, an préalable, qu'il avait porté sa plainte devant les magistrats électifs et qu'il n*a\ait pas été écouté par eux *. Quant au privilège de i 4 lô , il défendit formellement au magistrat électif de connaître des cas de haute justice, et, pour éviter toute contestation, il spécifia avec assez de soin les infractions qui devraient nécessairement res- sortir au Tribunal de la loi. Ces infractions étaient : l'homicide, le rapt, la rupture de trêves, les mutilations, les alToulures ^, le vol, le ninrdre, la fausseté, la trahison, rincendie concurrent avec l'homicide, moort brand , le vol de grands chemins, transrnecringlie, etc. ^. C'est, croyons-nous, à la lumière de ces dernières dispositions, (|u'il faut expliquer l'article de la mutation de la loi nuucelle dont nous avons parlé et qui défend aux magisti'ats électifs de s'occuper de cas criminels. Jusqu'ici nous n'avons parlé que des institutions normales du pays de Liège. En passant à une autre rubrique, nous terminons ce qui concerne les magistrats électifs par un mot sur la juridiction du conseil des A7//qui rem- plaça momentanément les maîtres et jurés de Liège après la bataille d'Olhée. Le Règlement de 1 H6 permettait à tout habitant de la Cité et de la fran- 1 Article 57. 2 Article 57. 5 Article 62. * Article 129. !* Blessure ou coui) qui estropie. 6 Article G. 566 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMLNEL cliise, qui désirait se plaindre selon les Statuts d'une |)ersonne laïque et non exempte demeurant dans la même Cité ou franchise, de porter son action à son choix ou devant le conseil des XIII ou devant les échevins. Il réservait cependant aux échevins seuls la connaissance des cas criminels et de membre perdu , et leur attribuait en tout état de cause le droit dVaje- CM^pr les sentences des XIII , soit par bannissement, soit par em|)risonnenient, soit de toute autre manière. Il déclarait enfin que les XIII ne jugeraient jamais par arrêt, et donnait aux parties condamnées par eux le droit de rappeler aux échevins, de trop ou de trop peu d'amende ', dans les quatre jours que le co)nmaml d'exécuter la peine leur serait adressé. Du tribunal des XII des lignages. Nous avons vu que lorsque l'évèque et les bonnes villes contraignirent les Awans et les Waroux à cesser leurs guerres privées, ceux-ci confièrent à douze arbitres choisis dans les principaux lignages belliiférants le soin de rédiger un contrat de pacification qui devint la paix des XII de iôoS. Les arbitres nommés ne se bornèrent pas à s'acquitter strictement de la mission qui leur avait été doimce. Ils se constiluèrenten tribunal permanent, et réglèient d'avance de (pielle manière sei'aient remplacés ceux d'entre eux qui viendraient à mourir. Grâce à l'acceptation de \di paix de iooo |)ar l'évèque, par les villes, par les lignages, par les princes voisins, le Tribunal des XII , dit \cs XH Juf/eurs des nobles, prit aussitôt place parmi les institutions du pays de Liège. Il ne tomba définitivement que lors du grand désastre de 1407, à la suite de la sentence de Charles le Téméraire qui prononça son abolition. D'après res|)rit qui avait présidé à son érection, le Tribunal des XII devait se composer moitié de descendants du paiti des Awans, moitié de des- cendants du |)arti des Waroux, et compter toujours dans son sein un membre de chacun des six principaux lignages de chaciue l'action. Lorsqu'un de ses membies venait à mourir, les cinq survivants de son • Aniclc 10. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 367 parti avaient à le remplacer par voie de cooptation. Ils étaient tenus, endéans le mois, de choisir : « une altre personne le plus ydoine etsuffissante qu'ilh » saront sor... leur seriment, en linage del costie du mort. » Le nouvel élu prenait aussitôt la place du défunt tant comme juge que comme collateur d'un des douze autels de l'église expiatoire dont l'érection avait été décrétée ^ Ces règles, prescrites par Xapaix des XII, ne furent pas toujours stricte- ment observées en pratique. En 1382, on se plaignit que les XII ne se pres- saient guère de compléter leur collège quand un décès se produisait dans leur seinj et les jufjeur.s des nobles en fonctions ne purent que promettre de mieux faire à l'avenir -. ï)\m autre côté, on eut souvent lieu de remarquer que, dans le choix des nouveaux /«^r.s, les XII n'avaient pas assez égard aux droits du sang, aux droits de la famille dont le représentant venait de mourir. Ainsi, par exemple, en 1420, Walhieu d'Athin, qui se glissait partout où il y avait honneur et influence à acquérir, parvint par subtilité à se faire élire des XII au détriment d'autres gentilshommes qui avaient plus de droits que lui ^. Le Tribunal des j'ugenrs des nobles siégeait ordinairement à Liège. La paix de 1335 ne dit rien de ce fait, mais on en trouve la preuve dans la modération de 1382. Les juges en exercice, à cette époque, se plaigiu'rent du peu d'im|)ortance de rindemnilé qui leur était allouée; ils demandèrent à ce que celle-ci fût augmentée, et pour appuyer leur prétention ils disaient : « considérant qu'ilh y avoit pluseurs de nos qui estoyent afj'orains, qui » venoient à Liège à cause de leur office, à grans dépens, et aussy quand » nos sentenchions, que ce astoit bin raison que nos awissions nos bins rai- » sonnables ■*. » Lorsqu'un plaignant, ayant qualité, croyait utile de saisir de son action le Tribunal des XII plutôt que la justice ordinaire, il commençait par aller demonstreir son mal à celui des XII jugeurs qu'il |)rèférait ou qu'il pouvait trouver le plus commodément. Le jugeur requis était tenu de convoquer * Cuiiliimes (lu pays de Liège , t. I "■, pp. 553, 540 : Paix des XII. * Modération de la paix des XII de 1382. ' Chroniques de Jeun de Sitn-elot, p. 183. * Mudérulion de la paix des XII de 4582. 368 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRLMINEL aussitôt et do prendre avec lui autant de ses collègues qu'il pouvait rassem- bler bonnement, pour connaître du cas, faire l'enquête « parties à chu appe- « leis, » et taxer ramende '. Pour constituer leur tribunal les douze jugeurs ne devaient pas tous être réunis. Il suffisait qu'ils siégeassent à quatre, mais de ces quatre deux devaient être du camp des Awans et les deux autres du camp des Waroux -. Avant 138:2 la mauvaise habitude d'attribuer des honoraires aux douze jugeurs, qu'ils siégeassent ou non, s'était enracinée. Depuis la modération de la paix il fut décidé que ceux-là seuls percevraient des émoluments, à l'occa- sion d'une cause, qui auraient assisté à la procédure motivée par celle-ci ^ Tout jmjeiir, invité à venir siéger soit par le plaignant, soit par ses col- lègues, devait obéir à la réquisition, ou bien, en cas <)l excuse valable, se faire remplacer momentanément par un membre de son lignage « le plus » ydoine et suffisant qu'il sache sur son serment. » Si lui, ou le gentil- homn)e (|u'il avait délégué, refusaient de venir « sans loyale songne » ils étaient atteints de leur « foid et seriment biisiet *. » La compétence du Tribunal des XII était restreinte tant ratione person- nurum que ratione ntateriae. A raison de la qualité des personnes il ne pouvait connaître que de débats existants « entre les linages et parties descur dites, » c'est-à-dire entre les descendants des lignages d'Awans et de Waroux et des races qui leur étaient afTdiées *. Les membres des patriciats municipaux et de la noblesse rurale du pa} s qui se prétendaient de ces lignages devaient en fournir la preuve. Pour couper court à des abus qui sVlaient prodints dans cet ordre d'idées, la modération de 1582 décida que : « quiconcpie soy voroit prouver des lignages du |)ays » qu'ilh s'en provast pai- gens soullisans et honorables, extraits sans dobtanche » des lignages du pajs, et maiement délie costie dont proveir soy vorait, et ' Coiitumex du pm/s de Liège, l. I", p. 1)38 : Paix des A'//. '^ l'dijc des XII , arli(!)c ' Modérai iiin de la paix des XI! de I5S2. * CDUliimes du jiaijs de Liège, t. I", p. 559 : Paix des XII. ^ Idem, p. 538. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 369 » qu'ilh soy fosist cognissable telement à cely de nous qui l'ofiice porteroit » por cely linage, qu'ilh en peuwist avecques les tesmoins qui seroient pro- » duits tesmoigner toute raison K » A raison de la nature des infractions, les XII ne connaissaient à l'origine d'aucun délit considéré comme grave dans son essence. La paix de lôôS envoyait le lignager qui accusait un autre noble d'avoir conforté un homi- cide se plaindre « aile justiche de lieu où chis suspicion ou inculpeis serat » manans -. » C'était encore à Va justice qu'elle attribuait le droit de prononcer la privation de l'honneur contre le lignager défaillant de payer une amende (jui lui était imposée par les XII ^. Elle n'armait expressément les Xll que du pouvoir de réprimer les menus cas, tels que « membre brisiet sans » affolure, |)laie ouverte, balure, quassure de pied, de j)ongne, de sanc » corant, de paroles, etc., » eu inlligeant des amendes à ceux qui s'en ren- draient coupables; encore permettait-elle au lignager, victime du délit, de porter son action devant les lois locales s'il le préférait *. Mais insensiblement le Tribunal des XII se mit à prendre connaissance de causes criminelles importantes et même de Ihomicide. Nous en trouvons la preuve dans la modération de la paix des XII de 1382 dont nous a\ ons plusieurs fois fait usage. En pailant du baimissenjcnt prononcé contre Daniel du château de Hruslhem du chef d'homicide, les juyeurs en fondions aflir- maient que ce bannissement avait été prononcé par eux, et ils ajoutaient : « et nous qui par en^fueste aviens troveit.... allegiens que nostre sentenche » devoit avoir exécuution •"'. » L'évèque, de son côté, ne contestait pas le droit dont les XII avaient usé et se bornait à soutenir qu'ils en avaient fait un mauvais usage. Ne nous y tronq)ons pas, toutefois, et ne nous laissons pas égarer par les apparences. L'action que les XII avaient fini par exercer, en matière crimi- nelle proprement dite, était d'une nature spéciale. * Voir l'acte en question. - Coutumes du pays de Liège, 1. 1 ''. p. S3G, ^ 2: Paix des A7/. ^ Idem, p. 539: Paix des XII. * Idem, pp. 538, 53!». " Modération de la paix des XII de tÔSi. Tome XXXVIII. 47 370 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL D'abord, leur corps n'était jamais à même d'infliger des peines afllictives corporelles, telles que la peine de mort ou celle de la mutilation. N'ayant pas d'oflicier criminel à ses ordres, il n'était jamais dans le cas de condamner des délinquants maintenus sous la main de la justice '. D'autre part, pour faire pi'ononcer et exécuter un forjmjcment , décrété par eux, les XII invoquaient en dernière analyse l'intervonlion de la haute justice de l'évéque, c'est-à-dire du niaïeur et des échevins de Liège. Lorsque, par exemple, un lignager était devenu passible de la privation de thoniwur pour avoir refusé d'accomplir une pénalité, amende ou voyage, à lui imposée par les XII, voici comment se développait la procédure dirigée contre lui à la fin du XIV*^ siècle et au XV". Les juge ur s des XII commençaient par « déterminer et juger » souverai- nement le fait criminel, c'est-à-dire par déclarer en principe, et dans l'espèce, que le lignager était coupable et qu'il méritait d'être forjugé. Puis ils venaient rapporter leur décision à la haute justice. Celui des jugeurs qui appartenait au lignage du coupable allirmail derechef à la semonce du grand maïcur que ce dernier avait « fait melTail.... por lequel forjugé et cri se devroit faire. » Le grand maïeur demandait si/ette aux auUvs juf/enrs des XII présents, et quanti c(!ux-ci étaient d'une seule séquelle, il tournait la cause aux éc/ievins. II n'appartenait qu'à ces derniers de déclarer le coupable privé de son honneur, de faire crier et publier le forjugement avec les mêmes soleimités que s'il était l'œuvre de la loi; mais en re\ anche, ils n'avaient pas le droit de refuser leur ministère aux Xll -. On respectait, par l'ensemble de ces forma- lités, le |)rincipe antique de droit liégeois en vertu duquel lud forjugement ne pouvait être prononcé dans le diocèse, sii»on par les hommes monseigneur, par Tribunaux de la paix el de l'anneau, et par les échevins de Liège ou à leur recliarfjement. Nous croyons utile d'insérer ici, avant d'ahandoimer ce qui concerne le Tribunal des XII, la foiinulc du forjugement telle quelle était criée dans le cas qui vient de nous occuper. « On vous fait savoir de la paît de Mgi- de Liège, le maïeur, les maîtres de ' On se nippi'lle que pour i-lrc coïKliiiiiiK' à une peine alllielivc à Liège, à celle époque, il fiiiluil ôlre sous les mains de la jusliec. * J'uiceilliars Jumur, manuscrit de i'Univcisilé de Liège, p. 5J55. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 371 » Liège, que N. fils de N. est forjugié et déminé de son honneur et partant qui! » a été commandé de par les XII surnommeis si haut que sur la vertu de la » puix des XII touchant à Fiionneur, de payer une voie à Saint-Jacques en » Galisse envers X...., et de mouvoir dedens certains temps que de longtemps » est expiré, et dont il a été rebelle et défaillant, de quoi plainte a esté faite, » et lui sufiisanmient ajourné pour monstrer sa lettre si payé avait ou non; » et point n'est audit jour comparut, et n'at montré payement de dit voyage, » si que selon la teneur de la paix des XII il a forfait son honneur ainsi » que désobéissant, et qu'il ne soit nul qui de cet homme en avant ly face » confort ou aide, sur être en tel point : sy les tesmoignages des échevins » et des appaisaleurs des lignages deseur nommeis. » Le Pciweilluirs, auquel nous empruntons cette citation intéressante ajoute : « vous deveis savoir que quand le cri et forjugé se fait por cause de moitel » fait, le varlet de la justice qui ainsi a crié et pronuncié en la fin doibt » dire : et les parties en paix, comme on fait de tels cas qui sont demineis » par la justice de Liège K » Du Tribunal des XXII et de raction exercée par le chapitre catlicdral, avant l'érection de ce tribunal, sur les oITiciers du pays. La question de savoir comment il fallait mainlenii' dans le respect de la légalité les ofliciers de justice du prince, armés de pouvoirs formidables, fut toujours une des plus graves de Tancien régime. Elle avait reçu au XIII" siècle, dans le pays de Liège, plusieurs solutions dilTèrentes que nous avons indi- quées en leur lieu et sur les(|uelles nous ne reviendions plus. Elle attira derechef Tattention des coips constitués et des états pendant le cours du XIV* et du XV*^ siècle; elle donna lieu tant dans la /laix de Fexlie que dans la lettre des vingt, que dans les paix des XXII, à des mesures qu'il importe de mettre en regard les unes des autres et de conq)rendre dans une étude commune. La paix de Fcxhe, en s'occupant des mesures répressives à prendre contre ' Paweilhars Jamar, manuscrit de l'Univcrsilc de Liège, p. 253. 372 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL les officiers qui ai)usaient de leur position, ne porta aucune alteiiilc au prin- cipe dautoritc. Elle laissa à révêque le droit de punir les excès commis par ses représentants, ainsi que celui de faire réparer les griefs infligés par eux à des parliculiers; mais elle voulut que Tévéque réparât au besoin le grief à défaut de Toflicier coupable. Elle décida que le lésé devrait obtenir répara- tion dans les quinze jours de la plainte qu'il aurait adressée au prince. Elle prit, enlin, des mesures énergiques poui- empêcher celui-ci de faire de ces règles une lettre morte, et de soutenir indirectement ses délégués prévarica- teurs. A cet effet la paix de Fexhe, développant le germe contenu dans h paix de Iliiy, arma le chapitre de la cathédrale d'un pouvoir de coaction précis qui n'avait jamais été organisé. Désormais, en cas d'inaction ou de mauvais voidoir de l'évèque la personne lésée viendrait, par elle-même ou par autrui, exposer l'état des choses devant le chapitre. Celui-ci requerrait incontinent l'évèque ou sou mambour de forcer l'officier coupable à léjjarer le donnnage endéans une nouvelle quinzaine, sinon de le réparer lui-même. Si l'évèque n'obtempérait pas à cette sommation, le chapitre se rangerait du côté du pa}s, ferait cesser le cours de la loi en prononçant le jnsticium , c'est-à-dire manderait par lettres ouvertes à tous les juyeurs et éche\ ins de l'évèque de ne plus rendre sentence ou donner conseil à la semonce des officiers de ce dernier, jusqu'à ce que le grief, cause première ihxjuslicium, eût été pleine- ment redi'cssé K Un doit reconnaître que l'arme remise en 1314 entre les mains de la cathédrale ne fut pas entièrement un te/niii i)nlM'lle -. Nous pourrions citer plusieurs cas où il en fut fait usage avec une louable énergie. Nous nous bornerons à en citer un qui se rapporte à l'année i32i. Le mamboui' de l'évèque avait causé un dommage considérable « sens loy et foins délie loy » du |)a}s » à Thieri-y d'Orjo, sans vouloir accorder à celui-ci, malgré ses réclamations, aucun redressement. Thierry d'Orjo finit par s'adresser au chapitre. Le chapitre fit à son tour au mambour les réquisitions ^oulues; il ' Cuiituinvs (lu puijs (le Lu(je, l. 1", |)|). 484, 48:3: l'uix de l'vxlte. '^ WuoLwrtL, ouv. cite, p. 121. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 373 dut bientôt constater que le délai des deux quinzaines accordé par la paix de Fexhe était largement écoulé sans que le mambour se fût mis en peine de « radreschier à plain; » enfin il envoya par lettres à tous baillis, pré- vôts, maïeurs, échevins et justices de la principauté Tinjonction suivante: « Pourquoy nous vous mandons et requerrons cy acertes que nos povons et » sur le seriment que vous avez à wardier la ditte pai\, que dors en avant, » solonc la ditte paix [de Fexhe), cessiez de jugier et de donner conseillie » à toutes gens jusquesà tant que che sierat radrescliiet '. » Cependant, au moment même où Taflaire de Thierry d'Orjo se passait, les mesures décrétées |)ar la jiaix de Fexhe ne semblaient déjà plus sudisantes. Ce n'est pas qu'en principe théorique on put nier leur ellicacité; mais on sen- tait d'instinct que le chapitre cathédral ne saurait ou ne voudrait pas toujours soutenir jusqu'au bout un rôle de chef d'opposition légale contre l'évêque. Au fur et à mesure que les conununes grandissaient en puissance, une com- munauté d'intérêts politiques étroite renaissait entre l'évêque et son chapitre, communauté qui permettait dillicilement à ce dernier de prendre l'initiative d'une rupture, même momentanée, même justifiable en droit, avec son chef. Les idées nouvelles se firent jour dans la lettre des riiii/t. Cette paix attribua encore au chapitre le droit de recevoir la preuve des atteintes portées au princi|)e nouveau de la non-irna/itê des charges par un oHicier (pielconque, celui de destituer l'ollicier coupable et de le déclarer incapable de rcMnpIir une charge de judicature à l'avenir. Elle laissa au chapitre la mission de jjrononcer le justicium si l'évêque négligeait ou refusait de déposer un ofiicier oublieux de son devoir. Mais, pour le cas spécial où un ofiicier « mineit un homme hors loi, » ou lui refusait justice, elle traça une procé- dure toute nouvelle basée sur un esprit nouveau. Le particulier lésé, dit la /e//re des vingt, prenant avec lui deux bons témoins ou plus, commencera par requérir l'oflîcier coupable de lui faire loi, ou bien en s'adressant à lui-même, ou bien, en son absence, en s'adres- sant aux échevins de la localité. Si dans les six jours l'oilicier sonmié n'a ' Acle du 10 août 1024, dont nous avons indiqué plus haut la provenance. 574 ESSAI SUR L'HISTOIRE DL DROIT CRIMINEL pas cédé, le plaignant se rendra avec ses témoins dans Tune des trois bonnes villes de Liège, de Diiiant, ou de Huy , à son choix, et là il exposera sa cause devant le maieur et de\ant les maîtres de la commune. Ces trois per- sonnages seront tenus d'entendre le plaignant et ses témoins, sous serment, de bonne foi, le plus tôt possible, sans faire acception de riches ou de pau- vres. Ils pourront procéder à deux si le troisième ne peut ou ne veut se joindre à eux; mais tous prêteront, à la venir, on entrant en charge, le serment de s'acquitter consciencieusement de l'obligation nouvelle qu'on leur impose. Lorsque, |)ar l'enquête faite, le maieur et les maîtres reconnailronl que l'oflicier dont on se plaint est réellement en faute, ils manderont eux-mêmes le fait au chapitre de Saint-Lambert, par leflres ouvertes, scellées du sceau de la commune, sans frais pour le plaignant. C'est alors seulement qu'interviendra le chapitre, sur la réquisition des chefs d'une grande commune, pour inviter révê(|ue à commandei- à sou officier de faire loi endéaus les quinze jours, et de rendre au lésé ses dom- mages et intérêts. Si l'oflicier ne peut satisfaire à cette dernière obligation, il sera privé de sa charge à jamais et déclaré incapable d'en occuper une autre dans le pays; et son mandant, quel (]u'il soit, évoque ou soigneur particulier, sera tenu d'indemniser lui-même le plaignant. Quant à celui-ci, as.séguré avec ses témoins contre le soigneur et contre ses justices pendant toute la durée de la procédinc, il sera admis à jurer in (ite)ii, devant le chapitre, de l'étendue du préjudice qu'il a soulïort: « on chu poursuiwanl, ilh sierat creus à son seul » seriment » selon sa condition ot son état. Si l'évèque refuse ou néglige de forcer son officier à remplir ses obligations sur les réquisitions du cha|)ilro, celui-ci prononcera le jiistlciuin conformément à la paix de Fex/te; et il no pourra sous aucun prétexte r/iabaïuionner le cours de la loi avant que l'évèque ait codé. Enfin, si l'évèque, plutôt (|uo de céder, souflio pondant un mois entier que le cours de la loi soit suspendu, alors le fiuya entier aura eunseil comment on pourrait contraindre le sire à ce que ses justices soient ouvertes de nouveau '. ' Lettre des vingt, passiiD. — Wuolwii.l, ouv. lilc, pj). 1^3, 12G, 127. DANS L'ANCIENÎNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 375 On saisit facilement le changement radical que ces dispositions apportaient à la position du chapitre cathédral. Suivant la paix de Fexhe lui seul avait rinitiative et la responsabilité des mesures à j)rendre contre les officiers de l'évèque et contre Tévêque en personne. Il prononçait le justichim et le faisait cesser, quand et comme il le trouvait convenable. Sui\ant la lettre des vingt, il ne devait plus êlre, dans Tordre d'idées qui nous occupe, qu'un instrument passif entre les mains des grandes communes. Celles-ci décidaient quand le justirinm devait être prononcé. La lettre elle-même déclarait qu'il ne pourrait être levé qu'après a\ oir produit son elTet. Enfin , pour vaincre la résistance obstinée du chef de l'Étal, elle mettait derrière le chapitre le pays tout entier décidé à prendre des mesures d'autant plus redoutables (ju'elles étaient discrétionnaires '. La lettre des viiif/t ne reçut pas son exécution, on le sait, et, par consé- quent, les choses restèrent encore dans le statu quo. Néanmoins les ten- dances qui venaient de se manifester en 1324 ne firent que se développer dans les esprits, en attendant qu'elles trouvassent une occasion pour s'affirmer derechef avec plus de succès, La lettre de Saint-Jacques de 1ô4ô déclara déjà que, dorénavant, à la requête de deux ou de trois métiers et de leurs gouvernein-s, les deux maîtres de la Cité devraient rassembler toute la commime de Liège « se on minait )) alcune personne hors de loi -. » D'autre part, dès la même année, Adolphe de la Marck fut forcé de reconnaître l'érection d'un corps de vingt-deux juges, « pour tous les forfaicleurs, juges et officiers, corregier des exactions » et des fauls jugements qu'ilh poidroyent donner. » Les vingt-deux juges du nouveau tribunal étaient les délégués non de l'évèque, mais des trois membres des états : le chapitre de la cathédrale, la noblesse et les communes ou bonnes villes. Le chapitre et la noblesse en nommaient chacun quatre dans leur propre sein. Les quatorze autres étaient nommés par les villes dans la propoition suivante : quatre par la Cité de Liège, deux par chacune des villes de Huy, de Saint-Trond, de Tongres et de Dinant; un par chacune des villes de Fosses et de Bouillon. * W(ioL\yii,i. , idem, \^. 127. 2 Ariiclc 7. 376 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Le chanoine Ilocsom aurtiil vouin que les fondions de ces vingt-deux juges fussent amovibles. Il allégua la prudence et l'exemple des Romains. Rien n'y fit. Les influences aristocratiques remportèrent et il fut décidé que les XXII seraient nommés à vie. Il parait que, d'après le titre de leur institution qui a disparu aujour- d'hui , les XXIÏ devaient avoir juridiction non-seulement sur les olliciers de l'évèque, mais encore sur les magistrats des villes et sur les échevins. Ouant aux amendes prononcées par eux , elles étaient alïérentes au j)ropriétaire de la juridiction de la localité ou du banc auquel appartenait le fonctionnaire condamné '. Ainsi, pour la première fois, l'idée de soumettre directement les justiciers du pays à une action répressive autre que celle de leur mandant avait pris corps en 1343. Elle ne se maintint pas encore, il est vrai. Le tribunal imposé à Adolphe de la Marck disparut dès 1344 avec la charte qui avait consacré son existence. Mais désormais sa réalisation délinilive fut l'un des vœux les plus ardents du pays; et ce vœu, apiès des fortunes diverses, après de fréquents retoui's aux principes plus ou moins modifiés de la paix de Foxhe, finit par prévaloir. Traçons donc en peu de mots l'histoii-e de ces vicissiludes et de ces retours. En 1344, par la force même des choses, le chaj)itre cathédral fut remis en possession des prérogatives qu'il tenait de \n paix de Fexhe. La lettre aux articles de 1361 le constate : « Sy les oflichiens de nous l'cvesque, » dit-elle, « ou de nos subjects font choese que faire ne doient ou mènent alcunes per- » sonne fours loy, nous en devons promier eslre requis pour ce radreschier; ' » et sy nous en estons defaillans l'on en doibt avoir recours à nostre capille » solonc la tenure délie paix de Fexhe -. » - Pendant le règne de Jean d'Arckel, les paix de 1373, 1374, 1370, dont 1 nous avons montré ailleurs l'origine, rétablirent un Tribunal des A'AY/ avec ' tous les caractères que ce tribunal conserva dans l'avenir. Cependant elles j ne parvinrent pas encore à consolider son influence. La mutation de la lui ,: ' Ili)i:-KM , ilims CliaiwdvUlf , t. Il , |). iOT. — \Viioi,\\ ii.l, ouv. lili' , p. 1 4 G. — IIe.>aux, ouv. j cite , |)|). ) ô'.l, 1 W, etc. é ^ Texte iiuii iiiipriiiic. — IIenaux, ouv. cilc, p. 149. " DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 377 nouvelle préconise derechef la procédure de la paix de Fexhe pour le cas où un officier méconnaît ses devoirs \ Hemricourt ne fait aucune mention des XXII dans son Patron de la Temporalité. Peut-être, comme le dit Vil- lenfagne, le mge coutumier liégeois regardait-il leur institution comme l'ouvrage de quelques factieux qui ne demandaient qu'à entraver l'autorité du prince. A son époque, du reste, le nouveau tribunal se trouvait en face de celui de Vanneau du Palais, dont l'influence grandissait avec le gré de la Cité; et, d'autre part, en 1388 selon M. Henaux, en 1386 selon Foullon et iM. Raikem, il avait été suspendu pendant huit mois à l'occasion d'une sen- tence rendue par lui en faveur de l'abbaye du Val Saint-Land)ert contre la ville de Liège -. Après le désastre d'Olhée, non-seulement les XXII furent sans influence, mais leur institution même disparut. Les deux régiments de Bavière, de 1416 et de 1417, revinrent aux mesures de la paix de Fexhe, plus ou moins combinées avec celles que la lettre des vingt aurait voulu introduire. Quand un officier du prince, du chapitre, ou d'un bas seigneuriagc, dit le premier règlement, veut mener un bourgeois de Liège hors loi et sans juge- ment d'échevins, ou le traiter en contradiction avec les franchises et les libertés de la Cité, ce bourgeois devra s'adresser au conseil des XllI^. Les XIII requerront l'ofh'cier de cesser (ouïe \iolence et de passer aux voies de droit; et, si rollicior ne cède pas, ils s'adresseront au prince et au chapitre, et les inviteront, conformément aux franchises de la Cité ainsi qu'à la paix de Fexhe, de contraindre le coupable à rentrer dans la légalité, à antender l'infraction, et à dédommager le lésé *. S'il arrive qu'on mène un bourgeois hors loi, dit le second règlement, il faut que les deux souverains conseillers somment avant tout l'évèque et son chapitre, selon la paix de Fexhe et autres paix, de faire loi. Lorsque l'évèque et le chapitre sont de ce défail- ' Article 43. * Raikem, Discours de |ÎS(J4, p. 27. ' Idem, p. 28. — Iîouii.i.e, 1. 1", p. -429. — IIe.naux, ouv. cité, p. 172. * Conseil qui rciiipliicc l'ancien magistrat électif. ^ Article 1 1 de ce rèijlenicnt. Tome XXXVIII. 48 378 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL laiits, les souverains conseillers pourront mettre la Cifé ensemble pour « pro- » cédeir audict fait selon la tenure délie paix de Fexlie et autres ordonnances » qui faites siéront '. » Rappelée derechef à la vie par Jean de Heinsberg en 1420, l'institution des XXII disparut encore à la suite de la sentence de 4467. iMais enfin, réorganisée par la paix de Sainl-Jacqaes , elle entra définitivement en exercice lorstpie cette paix reçut son exécution, et elle devint, dans toute la force du terme, la couronne des institutions liégeoises. Étudions maintenant Torganisation, le mode d'action et la compétence du Tribunal des XXII, d'après les paix des XXII de Jean d'Arckel, de Jean de Heinsberg et de Jean de Ilornes. Le Tribunal des XX fl se composait de (piatre députés du chapiti-e catlié- dral, de quatre députés de la noblesse du pays de Liège et de Looz, et de quatorze députés des communes. Parmi ces derniers, quatre étaient nommés par la Cité de Liège, deux par chacune des villes de Huy et de Dinant, un par chacune dos villes de Tongres, de Saint-Trond, de Thuin, de Fosses et de Ilassflt '-. A la diUéiencc de ce qui avait été établi en 1343, depuis 1373 les XXII n'étaient élus que pour un an ^. Ceux d'entre eux qui étaient les députés du chapitre étaient choisis tous les ans dans une assemblée capilulaire. Ceux d'entre eux qui étaient les députés des nobles devaient être nonmiés dans une journée d'Etal , tenue innnédiatement avant ou immédiatement après la fête de Sainte-Lucie K Ceux d'entre eux qui étaient les députés des communes étaient élus dans une forme propre à chaque localité. A Liège, cette forme changea plusieurs fois. Pendant le règne de Jean d'Arckel, les XXII de la Cité furent élus par chacun des trente-deux métiers, à tour de rôle •'. Plus tard il devint d'habitude de les choisii- par sieulle ' Rcglfm.nl (le Iil7. * {"paix des XXU , article 10. — 2' puix, article I". — Paix ilc Saiiit-Jncques , elia- pilre 10, article I". ^ /" paix des XXII, article 10. — Paix de Snint-.hu(iues , chapitre 10, article 1". * Les abus existant sur ce point lurent corrigi's par la paix de Saint- Jucf/ues , clia- pitre 10, article 2'j. ^ IIenaux, ouv. cité, p. 184. — S' paix des XXII, arlicie 13. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 379 générale de la Cité, c'est-à-dire à la majorité des voix de tous les hommes de métiers réunis '. En 4 420, la cinquième paix exigea quon revint au mode d'élection primitif. «Item que les dits XXII, ceaux qui ordineit y siéront » de part nostre dilte Citeit et bonnes villes, siéront esleus ainsy et par la ') manière que ons faisait anchiennemeni à temps que la ditte paix fut pro- » mier ordinée et faite, et non par sieulte des mestiers comme ons le faisait » desrainement -. » Il va sans dire que chaque ordre et chaque commune choisissaient leurs XXII dans leur propre sein. Tous devaient être, aux termes des paix, gens « de » bon estât, de la nation du pays, saiges, raisonnalos et proidhommes ^. » Ces termes étaient vagues. Cependant en 4 403, un statut de la cité, réagis- sant contre les abus qui s'étaient produits dans la ville de Liège, se borna à peu près à les reproduire. « Ayant regard , disait ce statut, que l'olTice » délie XXII est une oiïîce qui de dioite necessiteil requiert que telles gens » y soient esleuz qui sachent la loy et Testât du pays, et par pluseurs foys » du temps passeit ont esté esleuz jocsnes gens nient expers et non sachant » la loy ne l'estatdc pays devantdit, dont plusseurs inconveniens sont advenus » et dont aussy plusieurs sont et ont estes très-grandement travailhés et » vexés à grant tort : pour ad die remédier volons et ordonnons cpie dor- » senavant par le plus grand sieulte délie Cité soient esleus (pialre souf- » fisans bourgeois saiges et discreis pour rollice délie XXII de par la ditte » citeit à |)orleir *. » La ô'" paix des XXII de j 420 fut enfin plus claire et plus explicite. Elle déclara que désormais les XXII dcM-aient être «gens sages, sachant les loix, » idoines et sulïisants, leisechables Ç?) et vivant de leurs rentes ou de leurs » loyales marchandises, par espécial telles gens que il ne conviengne mie » waigner par labure leur journée pour eaux à gouverneir •'. » La paix de Sainl-Jacques , en reproduisant les dispositions de Va paix de 1420 , décida ' S/(î'j(« Je /40,3, dans Henaux, oiiv. cité, j). 174. 2 à' ]Htix di's AMI de 1420, iirticlc 5. 5 4" paix des XXH , arlirle 10. * Henaux, oiiv. cité, p. 174. 5 5' paix des A'Xll , aiticlc 2. — Puix de Saint-Jaiques , cliaiiilic 10, article 10. 380 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL que, pour en assurer l'entière exécution, tous les XXII élus seraient admis par le chapitre de la cathédrale après avoir clé interrogés par celui-ci. Les XXII juraient à l'origine d'être « bons et lovais » à l'évéque, au chapitre, aux bannerets, aux chevaliers et gens de lignage, à la Cité, aux bonnes villes et à tous le pays, « sans porter faveur outre raison aux grands, » aux moyens et aux petits, » et de faire bien et loyalement leur office leur temps durant '. Insensiblement on les astreignit à prendre dans ce serment des engagements plus précis. Depuis 1376 ils promirent, en termes exprès , de ne pas s'attribuer juridiction, ni sur l'évéque, ni sur les revenus de celni-ci, ni sur les clercs qui ne se trouveraient pas dans une position spéciale -. Depuis 1 420 ils affirmèrent n'avoir pas obtenu leur office par des moyens entachés de vénalité^. Depuis la paix do Saint-Jarqiies, enfin, ils s'engagèrent en outre, en termes généraux, à ne pas dépasser les attributions qui leur étaient conférées par la paix des XXII, et à applicpier celles-ci « sans gloser ni adjoustier^. » Quand il était établi qu'un membre du Tribunal des XXII avait agi contrairement aux obligations (ju'il avait assumées par son serment, ce mend)re encourait, d'après la paix de Saint-Jacques, la privatiou de sa charge « et de toutes autres le terme et espauce de chinque ans et avec » che incourra en la paine de diex llorins de Rhins à ap|)liqueir la tierche » i)art à mondit seigneur, l'aultre tierche part à la fabrique de l'église de » Liège, et l'aultre tierche part à la réparation et fortiffication de la dite » Citeit. » Les mêmes peines et les mômes déchéances menaçaient celui des XXII qui, en secret ou en appert, aurait exigé des parties en cause, par lui- même ou par autrui, des épices concussionnaires ou supérieures à la taxe établie •'. ' i" paix ih'x XXII , arlicle 10. — Paix de Saùit-Jacqiiex . cIiiipiliT 10, arliilc I". - 3' paix (Ic.f XXII , arlicle I". * S' paix (les XXll , article 3. — Paix de Saint-Jacques, clia|)ilrc 10, article I". * Paix lie Suinl-Jaciiins , chapitre 10, aiticle I". '■' Idem , cliai)itre 10, articles 11 cl ^4. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 381 Les XXII étaient jusqu'à un certain point inviolables. Ils pouvaient juger nonobstant toute opposition, et étaient en tous cas (juittes et liges de ce qu'ils avaient fait '. L'évèque, tout spécialement, s'engageait à ne pas leur porter de baine à l'occasion des jugements qu'ils portaient "-. L'évèque et le pays leur promettaient, de commun accord, de les indemniser et de les défendre si par basard ils étaient molestés de quelque façon , ou s'ils étaient cités en justice séculière ou spirituelle à l'occasion de l'exercice de leur charge ^ Dès que les XXII étaient élus et assermentés devant le chapitre de Saint- Lambert, ils choisissaient un lieu certain pour tenir leurs séances. Ils s'y rassemblaient une fois par mois^ tout au moins, et en outre dans tous les cas où leur ministère était invoqué '. Les XXII n'avaient pas à leurs côtés d'oflîcier chargé de rechercher les infractions ni de leur déférer les délinquants. Ils n'étaient saisis que par la plainte des particuliers. D'après les dilTércntes paix, l'évèque et les états leur avaient donné « plein povoir et authorité, de par nous tous, de faire enqueste » à la deplainte des parties ^. Les plaignants qui s'adressaient aux XXII, de même que les accusés qu'ils faisaient citer , étaient, pondant toute la durée du |)rocés, sous la sauve- garde du prince et des états. Ils pouvaient, eux et leurs témoins « venir, » demourer, rallcr, « librement» leurs plaintes et diiïenses poursuivans '^. » Devantics XXII, connue devant lesautros tribunaux liégeois, la défense était libre. Le tribunal faisait l'enipiète à la demande des parties; mais, disait la paix, « que chaque oflicier ou jugeur, ou autre, puisse mettre en avant » ses défenses justes et raisonnables et y estre entendu en ce qu'il voudra » mettre en avant par raison ^. » ' Paix de Saiiit-J(ir(iiii's , cliaiiilrc 10, arliclc K. ^ lilein , cliiipitrc 10, ardclc 3 et /" paix des A'XII , Jirliilc 12. 5 2' paix des X.XII , iiiticlc 7. — Puis de Suiitl-Jacfiues , cliiipitrc 10, arliclc 9. * /" paix des XXII, article I". — Puix de Saiitl-Jacqiics, chapitre 10, article i". s 2' paix des XXU, article I ". — /" paix des XXII, arliclc 11. — -^' paix des XXII , arti- cle 2. — Paix de SuLiit-Jac(iiics, chapitre 10, article 7. s 2° paix des XXII , article "2. — Paix de Saint-Jacques, chapitre 10, article 7. 7 1" paix des XXII. article II. — 2' paix des XXII, article I". — Paix de Saint- Jucques, chapitre 10, articles 10, 17, cle. 382 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Les XXII prononçaient leurs sentences à la majorité dos voix des membres présents : «cela sera toujours de valeur, ce que la plus grande et la plus » saine partie d'eux décidera, en tous cas à eulx appartenant si tous ne » pouvaient être unanimes ' » La paix de Saint-Jacques ^ poui- mettre fin à certains abus qui s'étaient |)ro(Iuits, crut nécessaire de stipuler en termes formols (|ue le Tribunal des XXJI ne pourrait siéger sinon avec la présence de la plus grande et de la plus saine partie de ses trois meml/res, ou du moins de deux d'entre eux. Les députés des villes, ceux du cliapitre et ceux de la noblesse formaient cbacun un luoubro. On ne voulait plus que les délégués d'un seul ordre de lÉlat pussent faire des coups de parti à l'ombre d'un semblant de légalité. Le Tribunal des A'A7/ exerçait une juridiction extraordinaire qui, par consé(jUont, ne pouvait par être prorogée-. Sa compétence, au XV*" siècle, était déterminée avec assez de précision par les diverses paix dont nous nous sommes occu|)é. On pouvait traduire devant lui lous o/peiers ^ jugenrs, ou autres sujets de révoque, qui allaient contre la loi ou qui menaient quel- qu'un hors loi; qui prenaient loyer pour faire jugement ou pour remplir leur devoir; qui abusaient de leur pouvoir pour extorquer indûment de l'argent ou des valeurs aux justiciables; c'est-à-dire, en résumé, tous ceux qui commettaient des actes de violence dans l'exercice de leur cbarge, ou qui conuncltaient un abus de pouvoir, des concussions, un déni de justice ^ Ni l'évèque, ni ses rentes, ni les revenus de sa mense épiscopale n'étaient soumis à la juridiclion des XXII, « car le seigneur ne doibt eslrc jugié par » ses subjecis '. » En revanche, l'évèque n'avait pas la faculté d'assurer la i-es- ponsabilité des actes de ses ofilcieis, de traire à lui les excès que l'un ou l'autre d'entre eux avait commis en s'acquillanl de ses fondions. S'il pré- tendait le faire, les paix disaient en tenues formels : que les olliciers « ne » soient de rins allégiés, ne releveis; et (|ue les XXII puissent et poront et ' /"' paix des XXII , article l'a. — Paix de Suiiil-Jacqucs, clia]iilrc 10, niliclc I I. ^ Haiki.m, Discours de ISOl, |). 07. 3 /" paix (les XX n, arlities il et l'2. — 2' paix des XXII, arliili- I". — PaixdeSainl- Jacques, cliiipitic 10, arlieles t et 1 1 . * IIf.naix , (iiiv. citr, pp. I!)5, I 'i4. — Paix de Suint-Jacques, clmpitro 10, articles 4 et G. — 3' paix des XXII de /.576'. Les XXII no jugent pas non ijUimIcs (]iicslioiis de |)ropriétc l'oneièrc. DANS L'AîSCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE 583 » (lèveront tous teils ofliciers jugier el eulz corregier des cas contenus en la » ditte paix, selon le tenure délie paix des XXII K » Les clercs n'étaient pas non plus, en principe général , justiciables du tribunal dont nous parlons. Néanmoins, la 3' paix de io76 faisait déjà une réserve très-rationnelle à leur égard , en disant : « si doncques n'estoit que » aulcuns clercs visquant cléricalement ou personne de Sainte-Égliese por- » tassent office de puble laïc -; » et la 4' paix transformait celte réserve en règle précise et formelle : « Tout chanoine prêtre, reliirieux, portant office » séculier et commettant un excès ressortissant à la juridiction des XXII, >> disail-elle, « peut être traduit devant celle-ci connue un laïc, sauf en tous )) autres cas les privilèges cl franchises aussy de noslre Cileit et des bonnes » villes. » C'est en vertu de cette règle que Tollicial de Liège, représentant de Tévèque et exerçant la juridiction séculière de celui-ci dans la princi- pauté en concurrence avec les échevinages, fut toujours considéré conmie syiidicable des XXII K » La même 4' paix des XXII soumettait en outre à une action répressive les officiers des chapitres comme ceux de Tévêque. Elle déclarait que les officiers, clercs ou laïcs, établis par les abbés, doyens, archidiacres, cha- noines, bénéficiaires et clercs des pa\s de Liège el de Looz, possédant hau- teur et justice, soit dans les terres de leur patrimoine, soit dans les terres de leur bénéfice, seraient assujettis à la juiidiclion des XXII ^. Enfin la paix de Saint- Jacques, (|ui reproduisait in terminis à peu près tous les principes de compétence que nous venons d'énoncer, condamnait en outre certains abus qui tendaient à s'enraciner. Elle défendait absolument aux XXII : 1" De donner mandements ou injonctions à des justices spirituelles ou séculières, pour faire suspendre un procès formé ou pour faire cesser une procédure commencée devant elles; ' 4' paix des XXII, ariiilc 2. Il ne s'agit pas du tout ici de responsabilité niinislérieile; c'est l'absence de ce qu'on nomme en France, depuis la révolution, h garantie consliltilionnelle des fonctionnaires, garantie prétendue qui fonde le despotisme uduiinislruli/. * 3' paix des XXII, article 1". ^ 4' paix des XXII , article 2. * Voir les brocbures et les volumes i)ubliés au XVIII' siècle à propos de la juridiction deroflicial. ^ i" paix des XXII , article ô, reproduit par la 5' paix. 38i ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL 2" De réformer ou d'annuler des sentences portées par ces justices, ou de porter sentence contre ce qui avait été jugé par elles '. Le tribunal des XXII exerçait une juridiction mixle de sa nature- .11 avait avant tout pour mission de forcer les délinquants traduits devant lui, et con- vaincus par justes provanches , à réparer le donirnuye qu'ils avaient causé; mais en outre, il avait le droit de leur infliger des peines et surtout des vo>/af/es ^. Son pouvoir était jusqu'à un certain point discrétionnaire. Il comportait tou- jours la facullc d'infliger au condamné un bannissement subsidiaire, pour le cas où ce dei'nier n'accomplirait pas les obligations à lui imposées parla sentence. Il est assez diflicile de se procurer aujourd'hui d'anciennes sentences des XXII. Nous en possédons cependant une du 19 décembre 14.36. Elledéclare que le tribunal a banni, et a fait crier comme bannis des pays de Liège et de Looz au perron de la ville de Liège, à l'instance du chapitre de Saint- Lambert, le maïeur et leséchevins de Nooirbeeck, parce que ceux-ci s'étaient rendus coupables d'un déni de justice; (pi'en consécpience, ce maïeur et ces échevins sont privés de toutes les franchises et libertés du pays et de la Cité; qu'enfin, tous oflîciei'S doivent les saisir et les appréhender, pour les garder en prison, s'ils sont trouvés dans le pays autre part que dans une église ou un cimetière '. C'était à Tévêque seul de faire exécuter |)ar ses otliciers les jugements prononcés par les XXII, mais sans avoir en aucune façon le droit de lefuser son ministère. D'après les premières paix, il était tenu de faire prendre et saisir incontinent les condamnés, et de les tenir en |)rison jusqu'à ce qu'ils se fussent soumis et eussent acconqili la réparation et la peine qui leur avaient été infligées. Aucune franchise ne mettait les délincpianls condanmés par les XXII à l'abri d'une appréhension, sauf les immunités ecclésiastiques; et si poui- s'y soustraire ils quittaient le pays, ils ne pouvaient plus y rentrer avant d'avoir pleinement satisfait à la sentence portée contre eux -'. ' Paix (h Suinl-Jurqiies, chapitre 10 , arlicles \-2, 13, de. ' Raikkji, Discours (le 1804, p. 38, en noie. = I" puis (li's A'A'H , jiiticle \-2. — 2' paix desA'I/, arlidc ô. * SciioojiBRooiiT, oiiv. cite, iictc n" 10-23. » 2'])uix (les XA'tl , ailide 4. — 1" paix des XXll, article 12.— Paix de Saint-Jacques , chapitre 10, article 3. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 385 D'après les mémos paix, loisquc l'évèque et ses officiers montraient de la mauvaise volonté et de la négligence, les états du pays avaient la faculté de se substituer à eux, de prendre en main une portion du pouvoir exécutif, de faire faire l'exécution et Tappréhension en leur nom. Au reste, dès longtemps, les états avaient pris l'engagement de soutenir envers et contre tous, même contre leurs propres membres, l'action d'un tribunal qui n'était qu'une éma- nation de leur agrégation puissante '. La paix de Saint- Jacques prit, à propos de l'exécution des sentences des XXII, quelques mesures précises que nous signalons en terminant. Quand les XXII, dit-elle, auront banni quelqu'un ou l'auront condamné, ils ne pourront ni l'appréhender, ni faire saisir ses biens par manière d'exécution. Mais, aussitôt que le bannissement sera prononcé, un des membres du tril)unal se rendra au lieu du domicile du condamné, et il mandera soit au seigneur, soit à l'olTicier de faire opérer la mainmise de manière à ce que tout soit terminé dans les quinze jours. Si par hasard le seigneur local, ou l'officier, est récalcitrant, il sera lui-même ,si/ii(h'cable des XXH jusqu'à bonne et entière exécution de justice '-. Il nous reste, enfin, avant d'abandonner la présente rubrique, à dire quelques mots ra|)i(l(>s des états rériseurs des XXII. I)'a|)rês M. Hénaux, le recours aux états réviseurs des sentences prononcées par les XXII fut irrégulièrement introduit dès le règne d'Arnould dellornes, à l'époque même de la suspension du tribunal ^. D'après M. Raikem,rien n'inditpie qu'avant la paix de Saint- Jacques il y eût un recours régulier quelconque ouvert contre les décisions de ce dernier*. Quoi qu'il en soit de ces deux opinions, il est certain ([ue li\ paix de Saint-Jacques est le premier monu- ment législatif qui donne des règles fixes et précises à propos du recours aux états. La paix de Saint-Jacques admet que si une partie se sent grevée et se prétend condamnée par les XXII à tort et contre droit, loi, paix, franchises, ' 2' paix des XXJI, ai-lidc 4. — 1" paix des XXI J , article G. ^ Paix de Sainl-Jmqucs , chapitre X, article 18. 5 Henalx, ouv. cite, p. M'i. * Raikem, Discours de l8Gi, p. 30. Tome XXXVIll. -49 386 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL elle peut introduire un ap|)el de la sentence. Cet appel doit être porté devant les membres et étals de Liège et de Looz, que Tévéque, soit à la requête du demandeur, soit à la requête des XXII eux-mêmes, est tenu de convoquer. L'appel est suspensif. L'acte par lequel il est fait doit contenir les noms et les prénoms des XXII qui ont siégé dans Taffaire dont il est question; il doit être introduit dans les dix jours de la sentence. Si rappelant le retire, il encourt une amende de dix florins; s'il succombe en le poursuivant, une amende de fol appel de vingt florins. Les membres et états sont invités à juger et à terminer l'affaire dans les six semaines, à compter du jour où l'appelant a reçu des XXII copie écrite et scellée de la sentence portée contre lui; et « en cas que par lesdis membres » et estats n'en sieroit déterminé finablemenl dedans le terme susdit, les- » dits XXII ou la partie poiront delà en avant requérir et parsuyr l'exécution » en la manière deseur dite se doncques n'en astoit autrement convenable- » ment et raisonnablement ordonné par lesdits membres et estats '. » Jusque-là, par conséquent, la révision des sentences des XXII se faisait par les états eux-mêmes. Mais, insensiblement, ce furent non plus les états, mais leurs députés qui s'en chargèrent. Ces députés s'assemblaient chaque semaine pour s'occuper des affaires courantes de la principauté qui rentraient dans les attributions du corps dont ils étaient mandataires. Quand ils se mirent à siégei- comme réviseurs des jugements des XXII, ils priient le nom d'états réviseurs -. Des commissaires de la Cité de Liège. Qu'il existât à Liège, depuis une époque três-reculèe, des eommissaires des métiers investis de diverses attributions administi-atives, il est possible de l'admettre ^. Mais toujours est-il que le corps spécial , connu dans l'histoire sous le nom de corps des eommissaires de ta Cité de Liéye, ne date que du premier régiment de l'èvêque de Ilcinsberg. ' Paix de Sainl-Jacqucs , l'hapitrc X, articles 19,20. ' Raikeii , Discours de 18G4, p. 31, note 2. '" Bibliotlicquc di' l'Univt'rsilf- de Liège: llecueil concernant les a/[aires de Liège, t. IV; Recherclic.s sur l'iiislilullun du corps des inuilres cl commissaires de la noble Cité de Liège, etc., par M. Du Pehhon, l'un desdils inaitres et commissaires. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 387 Ce corps, comme nous l'avons déjà dit dans le I" chapitre de ce livre, avait été établi dans un but essentiellement politique : celui de mettre un frein aux abus qui se produisaient périodiquement dans l'élection des maitres de Liège. A cet effet, il avait substitué un système d'élection à trois degrés au vote direct de la population en usage jusqu'en 1424.. Mais, à côté du droit de choisir tous les ans les trente-deux électeurs des maîtres, les com- missaires de la Cité avaient été investis d'attributions, à la fois importantes et délicates, qui les faisaient participer à l'exercice de la juridiction répressive; et c'est à raison de ces dernières attributions que nous sommes obligé de de nous occuper d'eux dans le présent travail. Les commissaires de la Cité étaient au nombre de vingt-deux. Six d'entre eux étaient nommés par l'évèque , les seize autres par la population des différents vinaves de la Cité. Tous étaient inamovibles tant qu'ils faisaient bien. Ils ne pouvaient être privés de leur charge et remplacés de leur vivant que s'ils contrevenaient aux obligations spéciliées par le régiment, ou s'ils se montraient négligents à faire « l'exécution à eaux chargiée. » Le cas échéant c'était le membre, c'est-à-dire l'évèque ou les vinaves, « dont » ly negligens ou forfaisans sioroit, » qui leur donnait un successeur. Il en était de même quand un des commissaires en fonctions venait à mourir ^ Les documents du quinzième siècle ne nous apprennent rien de précis par rapport aux (pialilés d'idonéité que devaient réunir les commissaires. Le régiment de Ileinsberg se borne à dire que ceux-ci doivent être bourgeois citains, et que ceux d'entre eux qui sont les délégués de l'évèque ne peuvent être pris dans son conseil -. Ils ne disent rien non plus de la ma- nière dont se faisait l'élection de ceux qui étaient délégués par les vinaves. Le premier règlement qui trace, par rapport à ces deux points, des règles précises, est celui de 1603. Nous croyons pouvoir en résumer ici les données, parce que les principes qu'il énonce ne peuvent guère s'écarter de ceux qui étaient reçus antérieurement ^. ' 1" régiment du Ileinsberg, articles 20 et 34. 2 Idem, article 20. ' Du Perron, opuscule cité, p. 51. — IIodin, Hecueil des édits, t. 1", pp. 59 et suivantes. 388 ESSAI SUR LHISTOIIIE DU DROIT CRIMINEL D'après le réglemeul de 1003, les cv)itmis.sain's délégués des viiiaves devaient être : i° Adhérilés et propriétaires dans le vinave; 2° Natiounés du pays et bourgeois de Liège ; 3" Enfants légitimes et lils de parents nés, de leur côté, d'un loyal mariage ; 4" Hommes de bien, de bonne fàme et renommée et d'honnête conver- sation ; o° Catholiques romains ^ 6" Etre qualifiés, idoines, capables, c\ por/aiil clal sufjimnl pour main- tenir et exercer leur charge; 7" Savoir lire et écrire; 8° Ne pas être chargés, famés ou inculpés d'un mauvais cas, etc. Leur élection se faisait sous la pi'ésidence des commissaires, déjà en fonc- tions, dans les dilTérentcs paroisses de la Cité, sur le mandement des com- missaires et des curés, et par les bourgeois chefs de ménage à l'exclusion des étrangers et des mendiants. Tout cela ne fut changé que pai- le règlement de Maximilien de Bavière en 1G84, dont nous nous occupei'ons en temps et lieu. De tout lenq)s les charges de commissaires furent, au surplus, incom- patibles avec celles de XXII, de mailre de la Cité, de quatre ou de con- seiller adjoint aux maîtres, de six de la foire, de juré, de gouverneur des métiers , elc 2. Chaque connnissaire en entrant en charge était astreint à prêter un ser- ment professionnel, dont la formule longue et détaillée était inscrite dans les registres des échevins de Liège ^. Nous croyons inutile de repi-oduire cette formule ici , parce que nous aurons recours à ses parties essentielles (piand nous parlerons des pouvoirs des commissaires eux-mêmes *. Une ordoimance d'ordre intérieur, faite en 1428 par le corps dont nous ' Ceci fui spOeific in ternii/iis pciidiiiit la i-cvoliilioii idij^iciisc du XVI' siècle. * Du Pgiirun, opuscule cite, p. 8. — IIodi.n, ouv. cité, 1. I", p. 34. ' Ifoum, ouv. titi', I. Il, p. IS3. u° 4, d'après un record de 1073. * Jdvm, t. II, p. 185. DANS L ANCIENNE PKINCIPALTE DE LIEGE. 58i) |)arlons pour rompre avec les mauvaises liabitudes qu'il reconnaissait avoir prises, nous l'ournit de curieux détails sur la tenue de ses séances. Au quinzième siècle, celles-ci se tenaient dans une chambre de Venclouslre de Saint -Lambert. Les commissaires se réunissaient dans cette chambre le mardi et le jeudi de chaque semaine, et, en outre, chaque fois qu'ils étaient spécialement convoqués par un d'entre eux ou par leur varlet juré. Ils ouvraient la séance « anchois que l'on esprendra les candelles au conunen- » cernent de la grande messe en la grande egliese de Liège. »> Tous devaient être présents à l'ouverture, sous peine d'amende, à moins d'avoir soiifjne loyal (le maladie gisant ou de voyage pour amende. Aucun d'eux ne |)0uvait (|uitter l'assendjlèe, sous peine d'une amende égale, avant que les alTaires pendantes fussent terminées, à moins d'oblenir congé de ses collègues. Les ?>irt/7>Pîv, que les commissaires constituaient enire eux pour diriger leurs opérations, encouraient en cas de faute double amende; leur clerc et leur valet une amende moindre. Enfin, le produit de toutes ces pénalités pécu- niaires était destiné à être converti : « en dépens faits entre les commissaires » par une conq)agnie en uiig certain jour à ce de par nous ordonneit et » deputeit sans malengien '. » Mais quelles étaient les attributions des commissaires qui les mettaient en rapport avec l'administration de la justice répressive ? Cette question est difficile à résoudre d'une manière précise. Ce n'est pas tout d'appeler les commissaires Voeil du peuple et de les comparer aux censeurs de l'ancienne Rome "-. Ces expressions pou\ aient sembler frappantes de vérité et suffisam- ment caractéristiques pour les personnes qui vovaienl fonctionner les com- missaires sous leurs yeux. iMais pour nous, qui devons chercher à faire revivre laborieusement dans notre imagination d'anti(pies ressorts politiques et judiciaires qui n'ont plus laissé de traces, ces expressions ne disent rien. Nous allons donc consulter d'abord les textes du régiment de Ileiiisherg et de la paix de Saint-Jacrpies , et ensuite, en les mettant en rapport avec les documents postérieurs, tâcher de déterminer point par point quel était le vrai rôle judiciaire des commissaires de la Cité. Il va sans dire que nous ' Nous avons indiqué plus liaulla provenante de cet acte. * HoDiN , d'après Louvrcx , t. 1", p. 58. s 390 ESSAI SUR LIIISTOIIŒ DU DROIT CRIMINEL écartons tremblée tout ce qui a rapport à leur droit irélire les électeurs des maîtres, ainsi qu'à l'action de sui'\eil!ance qu'ils exerçaient sur ces derniers '. D'api-ès le /"" régimonl de Ileiitsberg et la paix de Saint-Jacques, les commissaires des vimwes pouvaient assister à l'enquête, faite par les maîtres et par les jurés de commun accord avec le maïeur et avec les échevins, contre les délinquants qui avaient commis un acte de violence avec violation de domicile dans la Cité ou dans la franchise de Liège. Ils pouvaient même faire cette enquête seuls, si les nuiilres et jurés , maïeur et échevins, ne vou- laient pas y assister; mais ils n'intervenaient en aucun cas à son liosport, c'est-à-dire à la décision que prenaient, après l'avoir examinée, la loi et le magistral électif. L'enquête en (piestion avait pour but de faire appliquer au délinquant la peine statutaire coniminée par le régiment, qu'il y eût ou non plainte de la partie lésée -. D'apiês le régiment, les mêmes conimissaires pou- vaient assister aux trois enquêtes générales annuelles que les maîtres et les jurés, de commun accord avec la loi, étaient tenus de faire contre les gens de mâle fume, fréquentant la Cité, pour les faire corriger au besoin. Ils avaient le droit de faire seuls ces enquêtes , espèces de traques de police , si la loi et le magistrat électif ne les faisaient pas en temps voulu ■*. D'après le régiment, c'était aux commissaires qu'il a|)parlenait de requérir rodlcial de Liège, les maîdes de la Cité et le grand maïeur, de faire payer toutes les amendes for faites, selon son texte, dans les huit jours, chacun dans les limites de sa compétence ^. D'apiès le 2' régiment de Heinsljerg , le grand maïeur et les maîtres de la Cité de Liège étaient obligés « sur leur feaulteit » de remettre par écrit aux commissaires de la Cité la date des amendes foifailes ainsi que celle du conmiandcment de payer et les noms des dèlincpiants : « afïîn que ons y ait » |)lus plaine cognissanche des malfaiteurs qu'ils soient cscripts en pappier » des dits commissaires •'. » ' '/"■ rrçjiiiiciil lie Heiiisbeni, iirlidf '2'i-. — Paix de Snlnl-Jacques, cliapitrc XXII, article 23. * Idem, iiiliclc 3. — /(/c//i, cliapitrc XXII, article 9. "' Idem , arliile .'). * Idem , article 55. ■' Idem , iirlicle 50. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 391 D'après la paix de Saint- Jacques , c'était aux commissaires qu'il appar- tenait, le cas échéant, de requérir la loi et le magistrat électif de hosporter au plus tôt les enquêtes auxquelles ils venaient d'assister ^ D'après la même paix, enfin, c'était à eux qu'il appartenait encore de faire « bonne et briefl' information et enquestes scelon le cas » sur tous ceux qui contrevenaient par eux-mêmes ou qui procuraient des contra\ entions à la paix de Saint- Jacques, « affîn que les coupables fussent punis de |)aine capitale » sans rémission -. » De toutes ces prérogatives la plus importante, au point de vue de la jus- lice répressive, était celle de requérir les niailres, le grand maïeur et l'oiri- cial, de faire payer les amendes fur faites selon le régiment. Elle armait les commissaires d'une sorte de pouvoir de police judiciaire, et d'un droit d'im- pulsion sur les olïiciers de justice. Mais on ne tarda pas à s'apercevoir que ce droit de requérir, dépourvu de toute sanction positive , était souvent illusoire. La charte du 10 avril li3i, émanée des trente-deux métiers de la ville de Liège, c'est-à-dire de l'universalité des habitants bourgeois de la Cité, combla la lacune signalée. Elle donna aux commissaires une commission nouvelle, générale et perpétuelle, qui les armait du moyen de rendre toujours leurs réquisitions efficaces. Cette charte, dont nous résumons ici les principales dispositions, décidait en eiïet : 1° Que si le maïeur ou les mailres, dûment requis ou semonces par les commissaires de faire payer à un délinquant une amende for faite, étaient rebelles, désobéissants ou négligents à obtempérer à celle semonce, les com- missaiies leur commanderaient aussitôt de payer eux-mêmes dans les huit jours une amende égale à celle du délin(|uant princi|)al ; 2" Que si les maîtres ou le maïeur j)ayaient celle dernière amende, ils ne seraient pas cependant dispensés de poursuivre, quand ils en seraient requis derechef, le délincpiant qu'ils avaient épargné à tort •*; 3° Que si le maïeur ou les maîtres ne payaient pas l'amende en question, ' Paix de Sainl-Jac(iues, chapitre XXII, article 47. * Paix de Saint-Jac(jiies, chapitre XXVIII, sur la Paix de Fexiie. ^ Les commissaires pouvaient réitérer ce commandement jusqu'à ce que le maïeur et les mailres v eussent ohéi. 51»^ f-SSAI SLR LUISTOIUE DU DROIT CRIMINEL et que leur (léfiuil fût dûment constaté, les commissaires |)ouiTaient inconti- nent se rendre im perron, forcer l'un ou l'autre valet de la Cité à les crier aukiius hors de la Cité, frandiiso et banlieue, jusqu'à ce qu'ils se fussent soumis; et, aussitôt après cette proclamation, faire discuter leurs biens meubles et immeubles jusqu'à concurrence de l'amende ; 4" Que si l'oflîcial, de son côté, se montrait néiïligent, les commissaires « partant qu'ille est clerc bénéficié » le dénonceraient aussitôt à révè(|ue, à son conseil et au chapitre, qui seraient tenus de faire payer à rofïîcial l'amende encourue et de le corriger selon l'excès ; 5" Que les trente-deux métiers seraient toujoiu'S prêts à être avec les commissaires, à les aider de toute manière, selon droit et raison, à leur donner conseil, confort et aide, à se réunira leur appel; 0" Que les mêmes trente-deux métiers prenaient les commissaires sous leur sauvegarde spéciale, et promettaient «teste pour teste, » tant pour eux que pour les successeurs, de les soutenii-, de les défendre, de les aider, de les dédommager, s'ils étaient molestés par n'importe qui à l'occasion de leur charge '. Depuis 1434, ou ne voit plus que les pouvoirs des commissaires de Liège fussent augmeiilés ou modifu's par des règlements ou par des actes législa- tifs nouveaux. Seulement ces pouvoirs, par la force des choses, se modilièrent insensiblement en se développant dans un certain sens. Les documents pos- térieurs, qui s'occupent de l'institution dont nous parlons, sont plutôt des records ou des déclarations qui constatent ou qui maintiennent ce qui existe sans introduire d'innovation. Nous rencontrons de ces documents au XV'' siècle, mais surtout au XVIK". Un record de 1400 nous apprend comment les commissaires agissaient « pour veiller à ce que les excédans et foi'faisans le rê(jimeii( »> fussent punis et corrigés. Quand une personne, à Liège, se trouvait « grevée, per- » dante, travaillée ou injuriée d'aucun cas ou forfait, » elle se rendait devant eux pour faire « doléance, plainte, clameur et monstrance des injures, for- » faits et donunages » qu'elles avait subis, et pour les requérir de lui faire ' Voir cet acic dont nous avons indiqué pins haut la provenance. DANS L'ANCIENINE PKINCIPALTÉ DE LIÈGE. 393 avoir, sur le fait, enquête générale selon le régiment. Les commissaires alors, avant de provoquer l'enquête, commençaient par appeler devant eux Fliomme contre lequel la plainte avait été formulée, pour l'entendre dans ses explica- tions et pour savoir s'il fallait ou non donner suite à l'alTaire. En 1460, certains bourgeois avaient soulevé des réclamations contre cette procédure préliminaire. Ils prétendaient que la plainte portée aux commis- saires équivalait à une accusation *j et que, puisqu'ils étaient dénommés d'avance, il n'était pas permis de faire contre eux nne enquête générale. Mais les éclievins dans le record repoussèrent leur manière de voir. Si elle était admise, disaient-ils, les commissaires ne pourraient plus bonnement exercer leur office, et la répression des excès serait à peu près impos- sible \ Au XVII" siècle, une conlcslation sur les exemptions et les privilèges pécuniaires auxquels prétendaient les commissaires de la Cité donna lieu à la publication d'un certain nombre de déclarations oflicielles qui jettent un jour très-vif sur la nature de leurs prérogatives. Ces déclarations, avec les pièces qui s'y rapportent, sont rassemblées dans un précieux volume inti- tulé : Vindiriae fibertatis, jurium et excmptionum DD. commissariorum inrigtae civitalis Leodiensis ^. Nous extrayons de ce volume les passages caractéristiques qui suivent : 1° « Quibus (commissariis) a centenis annis et lempore immemoriali » conqietit jus et potestas in dolicta (piae in civitate et illius dei)ondentiis » commiltantur invigilandi, in (l('lin(iuenl('s inquirendi, jura, libertates, » franchisias dictac ci\ilalis cusiodiendi, in infraclores ac regimini politico » contravenlores animadvcrtendi, illosque per poenas constilutas coer- » cendi, ; ideoque super plebeios sempcr liabili sunt et morum ac vitio- » rum inquisilores ac censorcs, vocatique fuerunt oculi civitatis.... '. » 2° « Quod iiiquestae <'t incpiisitiones quae contra cives leodienses pro- » mo\enlur et décréta capturae i-atione deliclorum ad populi magistratus ' Que uns les aniecloil. — Voir [jIus loin les p;igcs concernant la procédure. * Voir ce record dont nous avons indiqué plus liaut la provenance. ^ Imprimé en MDCLVIII. * Page ->0. Tome XXXVIII. 50 394 ESSAI SUR LHISTOIKE DU DROIT CRIMINEL » eorumquc jurisdictionem spectaiil, adeo ut, anlequam liujus inodi iiiquestae » promovere possiut, ab iisdein olïkialis in comniissarioruni civitatis Leo- » dieiisis pleno consistorio pracsentaii debeant : qui eà pollent authorilate » ac potestate ut inquaestaruni couceplus approbent et rejiciuiU, ne quid » temere aut incousulte iiat, contra DD. civium privilégia et franchisias ac » libertates, et ad dictoruni conunissaiionnn sexdecim a populo, sex vero a » principe eligantur et adsciscantur » 3" « Quod ad eosdeni coniniissarios spectet eorunique oneri incunibal advi- » gilare ne delicta et criniina inipunita nianeant, ac simul vacare et satagere » quieti publicae atque civitatis politiae et regimini, iiiquestasque et inqui- » sitiones criniinuni , delictorum atque excessuuin unde status et publica » civitatis quies turbari possel suscipere, eas promovere, illarunique iostruc- » tioni interesse, ac etiam ad id intendere ut slatuta et civitatis reginiina et » simul enitae paces rite observentur '. » Après avoir ainsi analysé les principaux documents qui s'occupent des attributions des conmiissaires, nous ci'oyons pouvoir conclure et résumer de la manièie suivante le rôle que ces fonctionnaires respectables et respectés jouaient en matière répressive : 4° Ils étaient les latmirs uffuicls de tous les bourgeois lésés par un délit, « perpétré i-igourousement pai' voie de fait, » pour les assister dans leur plainte, quand ils la trouvaient fondée, el les aider à obtenir la punition du délinquant ^. 2" Ils étaient officiers de police judiciaire dans la Cité et dans la franchise, et pouvaient eux-mêmes déférer les délits aux officiers de justice pour les faire réprimer, paiticulièrement selon le réyimeitl, quand la partie lésée n'osait pas ou ne voulait pas se plaindre ^. 3" A cet effet ils avaient le droit, le cas échéant, de requérir les officiers de justice et les tribunaux de faire enquête (jcnéndc sur le fait (|u'ils signa- laient, et Ton était obligé (roblempérer à leur réquisition. 4" Gardiens de l'ordre public, ils pou\ aient l'equérir également enquête • Page 72. ' Serment des commissaires, dans IIodim, I. II, \>. 183, article i". ' Idem, ibidem. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 395 (jénérale à propos de tous les crimes ou délits qui tendaient à troubler Tordre dans la Cité ou la franchise. 5" Gardiens des libertés, des paix, des franchises, des statuts, du régi- ment, ils assistaient aux enquêtes générales, quelles qu'elles fussent, ou du moins en prenaient connaissance avant leur liosport, non quant au fond mais quant à la forme, et pour s'assurer que la légalité avait été dûment observée. Au XVP siècle, ils reçurent toutefois le droit de voir quelques-uns d'entre eux appelés à trancher le différend, quand, au moment dliosporter une enquête générale, les échevins et les magistrats électifs étaient en désaccord. 6° Censeurs du peuple, enfin, ils veillaient sur les bonnes mœurs, et faisaient à Liège Tofiice que, dans la plupart des villes des Pays-Bas, exer- çaient des pacificateurs spéciaux, c'est-à-dire qu'ils intervenaient dans les querelles soulevées entre les bourgeois pour les apaiser ^ Mais arrêtons-nous. Ce que nous venons de dire, en passant, du rôle des commissaires de la Cité dans les enquêtes générales, quelles qu'elles fussent, nous conduit naturellement à une rubrique nouvelle. De raction «-ommune des iiiap^istrals électifs et de la lo< en matlrre répressive et (les ori^iues de la rrancliIsC' En dehors du droit de judicature spécial qui leur appartenait^ les magis- trats électifs de la plupart des Nilles liégeoises avaient ac(|uis, pendant la période qui nous occupe, le droit d'intervenir sinon à la décision, (lu moins à l'instruction de certains procès criminels ressortissant exclu- sivement au tribunal des échevins. Ce droit, dans ses origines premières, remontait au milieu du XIV'" siècle. On se rappelle que la paix de Jeneffe o\x de Vottem avait subi de vives critiques, surtout à cause du vague de ses incriminations en ce qui concerne le crime de sédition ou de murmure. Or, Adolphe de la Marck, par la lettre de Saint-Jacques de 1545 ne s'était pas borné à donner satisfaction aux Liégeois sur ce point particulier. Cédant, ' Vindiciae, passim. — Serment des commissaires, passîm. — Hodin, t. II, p. 183, etc. — Il y a notamment des pacificateurs à Maestriclit : Statut de 15S0, article 107. 396 ESSAI SLR L'HISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL en outre, aux aspirations de la Cite, il lui avait fait une concession grosse de conséquences. D'une pari, il avait (iétenniné avec précision les trois laits qui, désormais, constitueraient seuls le crime de sédition et iiiunnure : le fait de sonner la hanckloke, le fait de porter les bannières de métiers sui* la place publique ou dans les rues, le fait de crier aux armes sans l'autorisa- tion des muitres. D'autre part, il avait consenti à ce que les échevins de Liège ne fissent jamais Tenquète de ce crime qu'à l'intervention des deux maîtres et de quatorze des jurés, sept des yrands et sept des petits, ou du moins sans que ces magistrats électifs fussent dûment avertis el requis d'y assister. Cette deuxième disposition était au moins aussi importante que la première. A une époque où les difïérends entre la Cité et l'évêque étaient fréquents, les Liégeois auraient naturellemenl considéré comme dangereux pour leurs libertés et leurs franchises d'abandonner aux échevins, les hommes du prince , le soin de faire sans conliôle l'instruction des procès criminels politi(|ues ^ Le rôle que la letlre de Saint-Jacques attribuait, dans le cas (|ui nous occupe, aux maîtres et aux jurés , était en rapports intimes avec leur posi- tion même d'élus de la bourgeoisie. Ces mailres et ces jurés n'avaient pas à intervenir au jugement des procès. Ils n'étaient en aucune façon les dt'fen- seurs des bouigeois réellement coupables. Ils axaient charge, seulement, de défendre les franchises et les j)riviléges de la Cité, et d'empêcher (pi'ils ne fussent violés dans la personne des bourgeois accusés sous la pression d'une espèce de raison d'Etat. Le principe nouveau, introduit en 184^1^, était si bien en rapport avec les tendances des poi)ulali()ns et avec l'esprit libéral des institutions, qu'il se maintint à peu près sous tous les régimes qui se succédèrent dans la princi- |)auté. On le retrouve, exprimé prescpie in Icrminis, jusque dans le f' réyi- ineiit de Jean de Bavière de l'an 1416. Ce réf/imetit donne aux deux souve- rains conseillers et à leurs <|uatorze subordonnés absolument les mêmes pouvoirs (pii appartenaient, en temps normal, aux mailres et aux jurés -. On le reliouve encore dans les chartes el privilèges octroyés à la ville de ' Lettre di' Saiiit-Jai(itn'S , arliclc "i. * Arliclel". DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 397 Sainl-Troiid en 1366, en 1393 et en 1417 '; et, sans en avoir la preuve, nous oserions presque affînner qu'il avait passé insensiblement dans la pra- tique judiciaire de toutes les villes liégeoises. Mais il y a plus. L'intervention des magistrats électifs dans les actes d'instruction faits par la loi ne se restreignit pas longtemps dans les limites étroites que lui avaient assignées les chartes que nous venons de citer. Ces chartes avaient déposé dans les institutions un germe fécond qui devait se développer par la force des choses, et qui se développa en effet, dès la fin du XIV" siècle, avec l'introduction des enquè/es (jénéra/es annuelles. Dans cette Cité de Liège, qui voyait s'accroître continuellement sa popula- tion llottante, on sentit hientùl le besoin de faire tous les ans deux ou trois enquêtes f/énémles ou traques de police. Ces enquêtes étaient dirigées contre les huriers, et contre les gens de mâle fàme « qui n'ont biens, ne cens, ne rentes » et porsuivvent de jor en jor les tavernes , joueurs de faux dés, manacheurs I) dillieurs, harballeurs de gens por argent -. » Elles avaient poui' but, d'abord, de faire bien connaîlrc ceux-ci, ensuite de faire punir ceux d'entre eux qui avaient commis des infractions. Elles étaient ordonnées tant par le nouveau ject de Jean de Bavière ^, que par le Z"" réyimeut de ce prince de \lt\Ç>*, que par le rét/imenf des basions ■% que |)ar le /" réf/inieut de Heinsberg ^, que par la paix de Saint-Jaeques '. Le Statut de Maesiriclif de 1 428 en constatait également l'existence dans cette ville *. Or, par le fait même, ces enquêtes conduisaient parfois à fournir la preuve de la criminalité d'un individu (|ui, n'étant accusé par personne, n'a\ait pas été mis à même de se défendre; elles pouvaient donner lieu à des décrets d'appréhension; il était derechef indispensable qu'elles fusseni conduites ' ViigucmciU,il csl vrai, dans les iirliclcs50el ot du règlement (Icir,6(>, tuais .lairemcnt dans II' privilèfie de 1417 ot ('■galemrnl dans celui de 1393. "■' /"■ rcyimenl de Heinsberg, article 'j. 5 Pas imprimé. * AVticle C. 5 Article 9. '' Article 5. 7 Chapitre XXV, article M. * Article 3. 398 ESSAI SLR LHISTOiRE DU DROIT CRIMINEL avec une prudence intinie, de manière à ne pas mettre en péril les libertés des bourgeois. On décida donc, dès l'abord, que les échevins ne pourraient pas les faire seuls; et que, de même qu'en matière de procès criminels poli- f tiques, il devraient agir de commun accord avec les maîtres et les jurés, ou ' du moins a[)rès avoir dûment requis ceux-ci de les assister '. Ê Enlin, quand la procédure d'enquête proprement dite, dont nous étudie- * rons plus loin les caractères, s'introduisit dans les villes liégeoises; quand, au i lieu de faire seulement des (raques de police contre les (jetis de mâle fdme , I on conmiença à enquérir à propos d'un ci'ime déterminé, les magistrats élec- ] tifs intervinrent encore à ces nouvelles enquêtes générales, conmie ils interve- _ naient déjà aux traques de police. Les privilèges de Saint-Trond de 1595 et de 1 i17 , les privilèges de Maeslricht de f4/3 et de i 428, la paix de Saint-Jacques , la charte de Tongres de 1502, le constatent. La simililiide des situations leur axait octroyé des prérogatives similaires, sans que le législateur eût été obligé toujours d'intervenir -. Dans les procès criminels, poursuivis par voie d'enquête, les magistrats électifs avaient presque partout le droit d'assister et de participer à l'instruc- tion jusqu'au décret de prise de corps inclusivement. Au XV* siècle, d'après la cliarle de Tongres, les magistrats électifs, de même que les échevins pré- posés à l'enquête, avaient le droit de faire écrire les dépositions par leur clerc : « in bywczen heure beyde cleicken die de schriften daer van verwaeren » suelen ; en iegelyk tôt hehoef van synre meesteren. » D'après les cou- tumes de certaines villes, notamment d'après celles de Saint-Trond et de Maestrichl, ils avaient même la faculté d'assister à la mise à la question de l'individu appn'hendé quand celui-ci était un bourgeois''. Les considérations qui précèdent justifient manifestement l'opiin'on de ' C.liarlcs ciU'es (I;ms les notes pn'cf'dcnlcs. A Macstriclil l;i Ircniuc l'tiiit confiée i'i deux l'dio- vitis, deux jiiii's et tlciix lioiii'gcDis iiotiibles. -' l'n'vilige de 1415, articles 2G el 27 ; privitihic de I42S, article ô. — /" rèçiiment de llciiis- lifri/, .•ipti de Saint-Jacques décida : 1" Que pour hosporler les enquêtes générales, quelles qu'elles fussent, celles du régiment de Heinsberg comme les autres, la franchise et la loi ' HoDiN, 1. 1", p. 52. 400 ESSAI SIR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL devraiciil siéger et faire syctle ensemble, et prendre leurs décisions à la majo- rité des voix ; 2" Que la franchise serait composée d'un nombre de magistrats électifs, y compris les maîtres, égal au nombre des échevins siégeant dans la cause, sans fraude; 3" Que, en matière de cas criminel, il faudrait toujours que huit éche- vins et huit magistrats électifs, au moins, assistassent à ïvnqm'le f/nivralc '. Ces dispositions, qui réglementaient d'une manière fort raisonnable une matière délicate, ne furent pas aussitôt observées à la lettre. Nous verrons plus loin que , dans le milieu du XVP siècle , on fut obligé de les faire reproduire derechef dans un privilège impérial. Nous n'avons voulu dans cette rubrique que tracer la forme extérieure des enquêtes générales, et sur- tout dessiner la part sérieuse qu'y prenait la magistrature élective. Nous étudierons dans les chapitres suivants les conditions intrinsèques dans les- quelles elles se faisaient, et nous passons aussitôt à une rubrique nouvelle. Des actes de juridiction eriminene faits par l'ensemble même de la bourseolsie de la Cité. Les pages (|ui précèdent montrent sulTisamment que le pays de Liège avait une organisation judiciaire fort remarquable et fort complète. Cette organi- sation judiciaire offrait des juges pour tous les délinquants et pour tous les crimes, sans qu'on fût obligé de créer, pour répondre à certaines éventua- lités, de tribunaux extraordinaires. Néanmoins il arriva souvent, en matière polili(pi(>, (pie, à l'instar de ce qui se passait dans les républiques de l'anti- quité, la bourgeoisie entière d'une ville fut appelée à se prononcer sur le châtiment (pie devraient encourir les adhérents de l'une ou de Taulre faction. Loi's de la grande (pieiclle des lluijdroils, nolaminenl, au coinmence- meiil du XV"' siècle, ce ne furent pas les juges ordinaires de la principauté qui reçurent la charge d'instruire la cause et de punir les individus reconnus coupables d'avoir trempé dans le mou\emenl. En vertu d'un article exprès ' Cliapili'C XXII, iiiliilc 4j. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 401 de la paix de Tongres de '1 405 ses XVI rédacteurs firent eux-mêmes Tenquète contre les Huydroits, et remirent le produit de leur travail entre les mains de rÉIu. L'Elu aussitôt convoqua le peuple au palais, selon la coutume, devant lui et devant les membres des états * : « et là fut la dite enqueste » liite tout liault et publement, sans nommer les noms des tesmoins. » Après la lecture de l'enquête, les métiers, sans attendre que les maîtres recueillissent les suffrages, crièrent tumultueusement à TÉlu qu'il n'avait qu'à désigner ceux des coupables qu'il voulait avoir. Dix-huit personnes furent désignées et aussitôt bannies « tam auctoritate domini Leodiensis » quam per communem deliberationem populi.... sub ea conditione quod » una pars sine consensu allerius eosdem non possot revocare -. » Plus tard encore les trente-deux mélieis de Liège rassemblés prononcèrent une sentence de bannissement contre Walhiou d'Atliin et contre les échevins delà Cité eux-mêmes ^. Plus tard encore la tète de Walhieu d'Atliin et celles de ses complices furent mises à prix par le prince et par la Cité. En 14.39, un conspirateur, ayant été appréhendé par la justice, avait été délivré de force par le métier des febves. L'évêque derechef convoqua le peuple au palais, et, « convocalo palatio, deposuit querelam suani, » La Cité et les arbitres condamnèrent le métier coupable à payer une forte amende et, en outre, à faire reconstruire une des portes du palais épiscopal *. Les exemples que nous venons de rapporter appartiennent à un ordre de choses jusqu'à un certain point régulier. Nous iiounions en citer d"autres empruntés à des époques de révolution, et montrer comment il arriva parfois à la Cité, en lutte avec l'évêque, de proscrire par délibération générale ou même de mettre à prix la tète des partisans de ce dernier ^. Mais nous n'insis- tons pas. Nous avons seulement voulu signaler en passant des faits qui tiennent plus à l'ordre ])olilique qu'à l'ordre juridique, parce qu'ils jettent ' I Pojjulo ;ul |ialiiliuin nioïc solito convocalo de consensu civiiiin in piaescnlia domini et » omnium m('ml)r(iiiim [lali'iae. » * Awplissimu culleclio, Zantfliet, t. V, pp. ôGô, 5Gi. — Chroniques de Jean deStaidul, pp. 34, 35. ' PoLAiN , oiiv. cilé. — Chroniques de Jean de Slavelot , j). 318. * Veleri Btisco , dans VAnipiissima culleclio, I. IV, p. i-2\~. '■> Wholwu.l, ouv. riié, p. iô-2 , donne un exemple remarquable de celte pratique. Tome XXX VIII 51 402 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL un jour très-vif sur l'esprit des anciennes institutions liégeoises. Il nous reste désormyis, pour terminer ce paragraphe, à dire un mot de : La commission mi.\te née de la lettre del paix de Fosses de 1318. A la diflV'ience des institutions dont nous nous sommes occupé jusqu'à présent, la (^o)iimission mixte de Fosses nVut jamais qu'une importance toute locale. Elle ne l'ut imitée dans aucune ville, que nous sachions; et néanmoins elle mérite de nous arrêter un instant, ne fût-ce que pour avoir l'occasion de constater la largeur de vues de ceux qui coniribuèrent à son érection. Quand, en 1318, le chapitre de Saint-Pholicn et les bourgeois de Fosses songèrent à terminer les diiïérends qu'ils avaient entre eux, ils nommèrent, comme nous l'avons dit, des arbitres. Ceux-ci crurent à bon droit que c'était peu que de stipuler pour le passé. Ils s'occupèrent des moyens de maintenir dans l'avenir la bonne harmonie entre les mend)res de deux corps très-distincts, ayant des droits et des inté- rêts dillérents, et vivant nonobstant dans une même et étroite enceinte. Or, à une époque de mœurs ^ioIentes, il y avait entre ces deux corps, le chapitre et la bourgeoisie, une cause de conllits fi'é(|uents. Quand un cha- noine délinquait (contre un bourgeois, le chapitre, juge naturel du coupable, avait seul à connaître du méfait de celui-ci sans que personne eiit le droit de contrôler son action. Quand, au contraire, la victime était un chanoine et le coupable un bourgeois, la loi locale agissait seule avec une indépendance analogue. Ainsi, par la force même des choses, on était de part et d'autre porté à criticiuer la manière de procéder des juges saisis, et souvent on doutait de leur impartialité. Poiu' porter remède à cette situation, les arbitres nommés s'inspirèrent évideimnent de la /xti.v des clercs de Liège, mais ils allèrent plus loin ([u'elle. La pai.r: des clercs n'avait touché qu'aux pri\iléges anticpu'S des rarles des caiiunes; elle n'a\ait pas touché aux pri\ iléges des chanoines eux-mêmes. La k'ilre del paix, au contraire, généreusement acceptée j)ar tous les intéressés, entama légèrement les privilèges des bourgeois comme rimmunité judiciaire des chanoines. < DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 403 Suivant sa teneur, quand un bourgeois avait été maltraité ou injurié par un chanoine, c'était au chapitre de Saint-Phoiien qu'il devait, comme jadis, porter sa plainte. Quand la victime était un chanoine et que le coupable était un bourgeois, la plainte devfiit être faite devant le tribunal des échevins. Mais, dans aucun cas, ni le chapitre ni les échevins ne pouvaient plus désor- mais instruire seuls l'aiïaire. Il fallait, dans les trois jours, nommer une commission mixte composée de deux chanoines délégués par le chapitre et d\m échevin et d'un juré, non de partie, délégués par la commune. Celte commis- sion, qui présentait toutes les garanties d'impartialité, avait quinze jours pour faire l'enquête. Lorsqu'elle avait terminé son travail , et qu'elle avait acquis la preuve de Tinfraction, elle renvoyait le coupable avec les pièces du procès devant son juge naturel, le chapitre ou l'échevinage, pour l'application de la peine et la lixation de la réparation à parlie. Il était stipulé, au surplus, (pie si la connnission ou le cha|)itie refusaient de nommer des commissaires, ou si les comnn'ssaires d'un des corps refu- saient de prendre part à la procédure, les délégués de l'autre avaient le droit d'agir seuls. Ces sages mesures étaient si bien en rapport avec l'élat social et polili(|iie de la ville de Fosses, qu'elles restèrent en vigueur pendant plus de deux siècles au moins. Elles furent encore maintenues par une charte du 22 mars 14-3 4, édictée de connnun accord par le chapitre et pai- la ville; et il en est encore fait mention dans l'article GO du record de 1447 dont nous avons parlé dans le chapitre précédent '. Nous terminons ainsi le cha|)ilre consacré aux développements et aux modiiications des institutions liégeoises du XIII*^ au XVI'' siècle. Ce chapitre est assez long; cependant nous ne regrettons pas le temps ni la place que nous lui avons consacrés. Il est impossible, sans connaître le mécanisme des tribunaux, de comprendre le droit ciiminel d'une épocpie; et les détails que nous avons donnés contribueront, nous l'espérons, à éclairer les pages qui vont suivre. ' Voir pour les preuves la leltrc del paix et les chartes de 1434 et de 1447 dont nous avons indique plus haut la provenance. 404 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL CHAPITRE HI. DES MODIFICATIONS Sl'BIES PAR LE DROIT CRIMINEL DU XIII« AU XV|f SIECLE. Le droit liégeois participa nalurolleinont au mouvement général qui entrainait la doctrine et la jurisprudence de l'Europe occidentale du Xll^au XVI* siècle. Il subit, pendant cette longue période, des modifications bien plus considérables que celles dont nous avons parlé à propos des institutions du pays. Les droits des parties lésées par une infraction contre les personnes furent restreints ou transformés. La poursuite d'office fut remise peu à peu entre les mains des justiciers. L'ancienne procédure, dite «rcHAO/o/re, devint en grande partie écrite et subit des modifications profondes. A côté d'elle grandit un autre genre de procédure, inconnue au\ âges antérieurs , écrite et secrète dès ses premiers pas, qu'on appelle la procédure (l'enr/iK-te ou liu/iiisitor/ale. Le droit de détention préventive reçut , par riiitroduclion même de cette der- nière forme d'action, une extension pratique considérable. Le système des preuves admis fut ébranlé jusque dans ses bases et transformé de fond en comble. Enfin, tandis qu'au XIII'' siècle le déliiupiant après avoir satisfait au seigneur et à la partie lésée était généralement à l'abri de toute recberche ultérieure, il fut, depuis le XIV'', au moins dans la plupart des villes, astreint en outre à fournir une réparation spéciale à la commune dans laquelle il a\ait commis un crime. Profitant des bases que nous avons posées dans le premier livre de ce travail, nous croyons pouvoir renfermer dans un même cliapiire l'étude de toutes les grandes liansfornialioiis (pie nous venons (renumérer sommaire- ment. Nous y intercalerons queltpies brièves considérations sur la procédure des cours d'église, pour autant bien entendu que celte procédure fasse l'objet DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 40d de stipulations dans les paix du pays. Nous traiterons ainsi, dans une série de paragraphes qui s'appelleront et qui se compléteront les uns les autres : des droits qui conipétaient encore aux personnes lésées par une infraction, en dehors de celui de porter une plainte véritable en justice criminelle; de l'ouverture de Faction criminelle et de son but; de la transformation subie par la procédure accusatoire; des origines, des caractères et des développe- ments de la procédure d'enquête; de l'arrestatiori préventive; du système des preuves; de la procédure dans les cours d'église en tant qu'elle était réglée par les paix nationales; des principes généraux du droit de punir; du système pénal, de l'exécution des peines et du droit de grâce. § L — Des droits qui compétaient aux parties lésées par une infraction contre les personnes, en dehors de celui d'introduire une plainte criminelle. En commençant ce paragraphe on nous permettra de résumer en peu de mots les principes dont nous avons constaté l'existence au XML' siècle. Les individus lésés par une infraction contre les personnes n'étaient pas privés de la faculté d'obtenir une satisfaction s'ils ne voulaient pas porter plainte contre leur adversaire. Ils pou\ aient se borner à poursuivre paci- fiquement, à l'annable ou en justice, la conclusion d'un contrat de paix iwec le coupable '. Ils pouvaient parfois introduire contre celui-ci cette action très-sommaire et d'une nature toute spéciale (pi'on a|)pel;iit un voguement de forche. Ils j)ouvaient, au moins s'ils appartenaient aux classes supé- rieures de la société, se venger de leur ennemi, et même faire la guerre contre lui et contre son lignage, avec l'aide de leur propre parenté, pour\u (prils respectassent certaines limites ou coutumières ou statutaires. Dans tous ces cas, les droits du seigneur, du prince, étaient alors singulièrement restreints. Si le lésé faisait la guerre ou se livrait à un acte de vengeance contre le délinquant, le seigneur n'avait rien à prétendre contre ce dernier. Si le lésé traitait de la paix en argent sans porter plainte, ou s'il voguait de forche ' Ce qui cependant n'empêcliait pas une plainte criminelle. 406 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL son adversaire, le seigneur ne pouvait jamais infliger à celui-ci la peine légale, au moins dans les villes; tout au plus pouvait-il lui imposer une composition pécuniaire. Or, pendant la |)ériode qui nous occupe, le droit de guerre privée fut aboli; le droit de vengeance privée fut restreint, pour disparaître de son côté peu à peu; la procédure des voguements de forc/ie fui i-égularisée; Tatlribulion des sommes provenant d'une paix en arr/ent fut fixée; enfin, les droits du seigneur, en Pabsence d'une plainte criminelle de la partie lésée, reçurent, scndjle-l-il, une extension remai-ipiable. Examinons ces dilTérents points^ et parlons d'abord du droit de guerre privée qui nous a si longue- ment occupé au XHI'' siècle. Le droit de guérie privée fut aboli par la paix îles XII de /33-ï , qui, le premier d'entre tous les documents liégeois, le sépara nettement du droit de vengeance. Les XII proclamèrent que, désormais, tout liomicidc; et tout lionnne auteur d'im crime de mutilation seraient .seuls responsables de leur crime. Ils rom[)irent Tanticpie solidarité qui faisait peser sur un lignage entier la faute d'un de ses membres. Ils déclarèrent que « tous les fais qui » d'ors en avant avem-ont comment que chu soit ne eistre puist en pays de » l'evesqueit et dyocèse de Liège, entre les linages, parties et personnes » devant dites, soit de mort d'homme soit de membre tollut , seront » adès nouveais fais, àfait qu'ilh aveinont, quiconcpie les fâche, lesquels » ne conqmront fors que les faitueles, et toutes allres manires de » gens en demoront quiles et en paix, sans reguerroyer à nul jour » mais ^ » Les termes de la paix étaient d'une netteté et d'une précision qui ne lais- saient rien à désirer. En détachant le coupable de son lignage, elles le lais- saient seul en présence du lignage de sa victime. Il était encore possible de se porter à un acte de vengeance contre lui — nous verrons plus loin dans quelles limites — il ne pouvait plus être question de lui faire la guerre. En fait, il sullil de parcourir les chroniqueurs liégeois pour voir que dès l'année 133o ont cessé les (jraiides luttes entre les lignages du pays. ' Coutumes (lu pays ilc Linjc , I. 1", p. 554 : Paix des AU. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 407 Hemricourt lui-même constate que, de son temps, le sentiment des parentés s'est affaibli, parce que les nobles n'ont plus besoin de leurs parents dans leurs querelles K Aussi si cet auteur, dans le Patron de ta Temporalité, s'occupe encore des guerres privées, on peut affirmer qu'il fait de la théorie rétrospective sans aucune idée d'application pratique. Remarquons néan- moins en passant que, même après la paix des XII, il fut longtemps d'usage Aq jeter des quarantaines entre familles ennemies. Quand, en I4.G6, le fils du sire de Berlo frappa Raes de Lintre et le blessa au visage, « stalim » jactata est una quadraginta inter eos -. » Si la paix des XII avait ainsi définitivement mis fin aux guerres privées du XIII"^ siècle, elle n'avait pas statué à propos d'autres guerres particulières qui présentaient des caractères analogues : les guerres que les communes du pays, considérées comme persoimes morales, se permettaient de faire contre leurs ennemis personnels. Celles-ci furent condamnées pour la première fois par la mutation de la loi nouvelle de 1586. Contrairement aux stipulations de la paix de Fexhe, dit cette mutation, la ville de Liège et plusieurs autres bonnes villes ont pris l'habitude d'en- trer en campagne, de dévaster les terres et de brûler les maisons do leurs ennemis demeurant dans le diocèse ou en dehors^ ou d'appièhender ces ennemis sans invocpicr l'intervention de l'évèque. L'évèque cependant est assez fort par la grâce de Dieu et avec l'assistance du pays pour corriger tous les malfaiteurs quels qu'ils soient, et la coutumes introduite est attenta- toire à la fois à ses hauteurs et à sa juridiction, ainsi (|u'à l'ancien et loua- ble axiome national en vertu ducpiel : «celui qui forfait son corps ne peut » forfaire son avoir s'il ne s'en déshérite de son gré. » De par l'évèque et de par les états du pays, il sera donc absolument défendu aux villes de faire la guerre à leurs ennemis. Si l'un de leurs bourgeois est grevé par un homme puissant du pays ou de l'étranger, elles devront porter leur plainte à l'évèque , et celui-ci aura soin de mettre ordre au mal et de redresser le grief ^. ' Wholwill, ouv. cité, p. 141, le remarque aussi, d'après Hcuiricourt. 2 Veteri liuscu , dans VAniplissima collcctio, t. IV, p. I28G. 5 Arlicle 60. 408 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Des stipulations tiiialogues, bien que iiioius radicales, se retrouvent dans la paix de Ton(jres de 1405, dans\c privilège de Sai)tt-Trond de 1417, ainsi que dans la paix de Saint-Jacques * . Nous n'y insistons pas. Ces derniers détails tiennent plus au droit politique qu'au droit criminel; mais cependant il nous eût semblé impossible de ne pas les signaler en passant, parce qu'ils complètent ce que nous avons dit jusqu'ici des (/iienes privéeti. Nous arrivons à ce qui touche le droit de vengeance. Le droit de ven- geance proprement dit était déjà paralysé à l'intérieur des villes liégeoises au XIII'' siècle. Nous l'avons dit. AuXIV'= siècle il fut interdit , notamment à Liège, surtout entre bourgeois. Les Statuts de la Cité dès 1328 déclaraient : que de tous les méfaits qui arriveraient dans la Cité, paix existerait entièrement entre les parties et leurs « proismes^, parmi les amendes » deseur diltes, tantoist après le fait advenut. » ... « soit que les autres » amendes soient enjointes ou nient enjointes -. » En même temps qu'ils réglaient d'avance la satisfaction qu'obtiendrait en justice le lésé, ces statuts refusaient absolument à celui-ci le droit de se faire justice à lui-même. Néanmoins comme il fallait compter avec les mo'urs du temps; connue il fallait pourvoir à ce que l'impatience des \ictimes ne se fatiguât pas des retards inévitables de la justice, les statuts n'eurent garde d'abolir le système ancien des asseyuraHches et des trêves, dont nous avons parlé à propos du XIII'' siècle. Ils le maintinrent au contraire en vigueur, à peu près tel qu'il existait dans les lois muées, en modifiant légèrement les pénalités qui lui ser- vaient de sanction '\ Les Statuts ne (irent fléchir la rigueur de leurs principes que dans les rapports des bourgeois avec les alïorains. D'après leui- texte |)iimitif, le bour- geois lésé par un alTorain pouvait faire forcommander la ville à ce dernier, jusqu'à ce qu'il en eût reçu pleine satisfaction; et si TalTorain méprisait ce ce forcommanil , et venait braver sa victime jusque dans la franchise, le • Puis (le Tu)ujr('s,nn.H. — l'n'vilvycde SdiiilTmiid. — Pais de Saiiil- Jacques, c\ia\).\y,:\rl.i. * Slaliitsdi: 1.'):iii,i\vùAcb GO cl (JS. — Analogue (iaii»lay)(i/x(/e 5((i';i(-./((r(/H('.s, cliaitilrcXXVi, arliclcs 55 il G4. 5 Statuts dv I32S, artirics "^, 5'», .')5, 50. — Analogue dans K- Statut de lôôl (jui |)iTmcl de icMouvcIcr la Irùve de quarunle j()urs, aussi souvent que cela sera nécessaire, jusqu'à la pacificalioii. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 409 bourgeois « adrecheir se puet sans meffaire contre le ville ne le sain- » gnour K » Il est vrai que dans la paix de Saint- Jacques ce droit de ven- geance devint un simple droit d'appréhension, avec charge de livrer l'afforain coupable à la justice ^. Les Statuts de Maeslricht de io80 n'inlerdisaient pas en principe le droit de vengeance aussi formellement que les statuts de la Cité. Ils se bornaient à organiser un système de trêves, analogue au système existant à Liège, qui paralysait en fait l'exercice des vengeances ^. Sans tomber dans d'oiseuses redites, nous croyons utile de détacher de leur texte quelques principes explicitement énoncés par eux, faisant partie de la théorie générale de la matière, mais non rappelés dans les chartes liégeoises. Un bourgeois de Maestricht, disaient ces Statuts, ne peut être contraint d'accorder trêve à un étranger; mais quand il la donne librement, la trêve sera aussi bonne que si elle avait été donnée à un autre bourgeois ■*. Quand deux bourgeois liés par une trêve se combattent, ajoutaient-ils, l'agresseur seul sera considéré comme vredehreker; son adversaire ne sera responsable que des violences auxquelles il pourrait s'être livré : « di en sal niet meir » mesdoen dan of egheen vrede tusschen hoir en stoende nogh en were » geweest^ » Les mêmes Statuts changeaient enfin, en matière de paix et de trêve, un point de jinisprudence reçu dans les autres villes liégeoises. Ils décidaient qu'à l'avenir tout vredehreker, bourgeois de Maeslricht, serait de son fait même privé du droit de demeurer dans la franchise, et que s'il osait y pénétrer on pourrait le saisir et le faire exécuter aussitôt •*. Quant à la charte de Fosses de 1447, elle ne contenait;'! propos des trêves qu'une seule disposition. Nous la mentionnons en passant. Quand il y a querelle ou lutte entre deux bourgeois, le niaïeur et les échevins de la loca- lité peuvent venir et jeter « quarante jours de sûr estât entre les parties et ' Article 21. 2 Chapitre XXVI, article 31. ' Articles ô, 4, 5, G, 27, 53. * Article 5. ' Arlitic 6. ^ Article 3. — Dispositions analogues dans le privilège de 1428, article 7. Tome XXXVIII. 52 MO ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » tous leurs apparlenans. » Cela fait, chacun doit cesser de combattre pen- dant le temps fixé « si hault que sur la loi du pays '. » Jusqu'ici nous n'avons parlé que du droit de vengeance dans les villes. Recherchons ce qu'il était devenu dans le commun pays. La paix des XII, qui avait aboli le droit de guerre privée, n'avait fait que restreindre celui de vengeance dans des limites précises. D'une part, elle en avait interdit l'exercice en matière de violences légères; d'autre part, en matière de crimes graves, elle en avait élroitement réglé les conditions. Tout lignager, battu ou injurié par un autre, était désormais contraint de porter plainte et de se contenter de la réparation qui lui serait accordée en justice , ou de porter son mal en patience. S'il refusait d'accepter l'amende qui lui était tailhée par les Xll ou par l'échevinage, le faituel, son adver- saire, était déclaré quitte de l'amende cl du fait. S'il dédaignait de porter plainte pour « seur che luy revengier quant à point ly vinroit, » et s'il connnettait en effet contre son ennemi un acte quelconque de représailles, cet acte n'était j)as justifié : c'était un nouveau fait dont la victime, malgré sa culpabilité antérieure, pouvait porter plainte et exiger satisfaction. Quand un lignager, au contraire, avait été tué ou mutilé, la situation changeait. Les parents de la victime avaient encore le droit, comme jadis, de « soy radreschier al corps de cely faituel ; » mais ils devaient agir avant « che que jusliche en sieroit faite, » sous peine d'être traités comme cou- pables de nouveau fait. Ils devaient en outre s'abstenir soigneusement de tout acte d'hostilité contre les parents du coupable. Le meurtre d'un de ceux-ci était irrémissiblement puni d'un bannissement perpétuel hors du diocèse; et celui qui avait tué par vengeance un parent d'un meurtrier était lui-même livré à la vengeance de tous les parents de celui-ci -. Renfermé dans ces limites, le droit de vengeance, en dehors du territoire des villes franches, fut pendant fort longtem|)s revendi(|U('' par les gens de lignage connue une prérogati\e indéniable de leur caste. En 1395, à propos d'un crime de rapl, nous voyons encore des nobles réclamer la faculté de se « ladreschier » au corps du faituel. ' Article \'6. - CuuluiiHS du puijs de Liège, t. I", yp. 555, 557, etc. : Paix des AU. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. iH « Le ravissement commis contre nous, » disaient-ils, « est un cas plus » grief, ou du moins aussi grief qu'Iiomicide, et puisque nostre paix contient » que de cas d'homicide les proismes de mort soy poraient de ce faire » radreschier au failuel, ils maintenaient que de ravissement fait à force, à » cry et hahay, et à la resuite du pays, ilh pouvaient bien en reprenant » leur cousine soy radreschier au faituel K » Cet état de choses explique comment, malgré Tabolition des guerres de familles, on continua à jeter à Foccasion entre les nobles ces quarantaines dont nous avons parlé plus haut '^. Les vengeances privées , en dernière analyse, ne perdirent entièrement leur caractère de légalité qu'à l'époque où les principes de la doctrine romaine commencèrent à dominer la jurisprudence liégeoise. Nous ne |)ossé- dons plus de documents postérieurs à l'acle de 139o qui en parlent spé- cialement. Aussi, plutôt que de nous livrer à leur égard à des conjectures, nous préférons passer aux particularités qui touchent les voguemenis de forche. La loi nouvelle , la mutation de cette loi, le /"^ régiment de Heinsberg , le record de 1430, s'occupent tour à tour de ces derniers, surtout pour régler leur procédure. La loi nouvelle pourvut à ce qu'un homme ne fût plus voguié sans avoir été mis sérieusement à même de se défendre. Elle voulut que le demandeur en voguemenl, aussitôt après le premier cri et avant de procéder plus avant, fît assigner son adversaire à son dotnicile, ou du moins dans la localité du diocèse la plus proche de celui-ci où l'on put arriver avec sécurité. L'as- signation pouvait être faite verbalement par un varlet de la justice, ou par écrit, par lettres scellées de l'ollicial de Liège ou de deux maîtres de la jus- lice ^ Mais, dans l'un et dans l'autre cas, il était indispensable de fournir la preuve que « la ditte exécution aurait été faite. » Tout vaguement obtenu ' Acte de 1395 dans différenls Paweilliars manuscrits, concernant l'ajiplieation de la paix des Ail. 2 Voir plus haut ce que nous avons dit à propos de la quarantaine , jcice en 14C0, entre le Dis du sire de Berlo et Raes de Linlre. 5 C'étaient, pensons-nous, les maîtres des échevins. 412 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL sans l'accomplissenit de ces formalités devait être désormais nul et de nulle valeur. Si l'individu voguic (cité en vogucment) était hors du pays « ou désaisi » de son corps, » c'est-à-dire déjà détenu, la procédure en voguement devait être suspendue. C'était au curé du lieu qu'il appartenait de certifier l'absence du vogiiié : « et ly presire rcscripsisse sans fraude et sans malengicn '. » La mutation de la loi nouvelle reproduisit les règles que nous venons d'indiquer, dans des termes peut-être plus précis, et, en même temps, elle fit un pas de plus. Non-seulement elle ne voulut plus qu'un homme fût voguic sans avoir pu se défendre, mais encore elle lui reconnut le droit de faire opposition au voguement obtenu contre lui. «Et toutefois, » dit-elle, « quand le voguié voudra faire ucljourner celui qui l'aurat fait voguier, le » maire ne pourra le lui refuser, sans prendre ni demander quelque chose » pour cela -. » Les dernières dispositions de la mutation ne furent pas observées stricte- ment en praticpie. Le /" régiment de lleinsherg dut y revenir. Désormais, dit cette charte, quand un homme voguié de forchc ^ voudra faire assigner son adversaire pour combattre ce voguement, il pourra faire faire cette assignation en payant raisonnablement le salaire du valet de la justice, sans que ni le maïeur de Liège ni aucun aulre officier puissent Ton empêcher ni le lui défendre, ni exiger, ni recevoir quelque chose pour lui en donner la permission *. Le même régiment décida en outre qu'à Liège les voguements de forche se débattraient devant les échevins, et devant les deux maîtres de la Cité accompagnés de deux jurés s'il \onlaient intervenir et si les parties étaient des bourgeois. Il interdit la coutume en vertu de laquelle on voguait un bourgeois par un simple périment. Il Noulut que le demandeur prouvât tou- jours dûment, devant la loi et le magistrat électif, que le voguement était conlorme à la loi et à la raison, et que le défendeur eût toujours la faculté de • Article 8. ï Article 8. ' • Cui viagiuni per viiii crit injuncluin. » ♦ Aititle 10. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 413 produire, devant les mêmes juges, sa défense, ses allégations et ses remon- trances \ ATépoque du régiment, il n'était pas encore d'usage, puisque le voguement n'était pas cas criminel, d'accorder au défendeur copie de la plainte faite contre lui. A la demande de quelques gens d'église, des éclievins et de quelques bourgeois de Liège , ce point de jurisprudence fut changé par ordre de l'évéque. Les éclievins, dans leur record de Ï540, nous l'appren- nent, et disent que désormais ils donneront aux bourgeois copie des plaintes en voguement, avec quinzaine pour se conseiller, quand eux-mêmes en seront semonces selon la loi -. Il est assez curieux de signaler ce fait qu'il n'est plus question de la pro- cédure en voguement de forc/ie dans la paix de Saint-Jat-ques. Les articles de la loi nouvelle, de la mutation, du régiment de lleinsberg , n'y sont plus insérés. Quelle est la cause de ce silence? Nous n'oserions en indiquer aucune avec cerlilude. Peut-être pourrait-on dire que l'usage des voguements avait déjà disparu, et qu'en présence de la consolidation de l'action publique des officiers les parties lésées par une infraction se bornaient à poursuivre, le cas échéant, une action ordinaire pour obtenir la réparation du lort et du dommage qu'elles avaient subis. Quoi qu'il en soit, avant d'abandonner les voguements, nous voulons encoie appeler l'allention sur un article du premier texte des Statuts de la Cité qui les concerne. Il était permis, parait-il, à un individu condanmé conformément i\u\ Statuts , de faire voguier ciAiii qui l'avail poursuivi, à l'occasion même de sa plainte, en prétendant que ramende lui avait été enjointe pour fraude. Les magistrats alors faisaient venir le demandeur en voguement devant eux pour établir le fondement de cette action. Si le deman- deur parvenait à les convaincre de la justice de sa cause, on lui permettait d'aller avant. Mais s'il ne donnait pas de raison péremptoire de sa manière d'agir, on lui commandait de défaire son voguement dans la liuilaine, d'ac- corder paix à son adversaire, de rendre à celui-ci ses dommages el intérêts, et de payer une amende sous peine d'un bannissement de deux ans. ' Arlicle l\. 2 Articles 8 et î). 414 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Dans cet exemple, robteiilion d'une condamnation injuste apparaît comme un acte de violence infligé à celui qui en a été Tobjet ; et le voyuement comme une voie d'opposition indirecte contre la condamnation elle-même. Tout porte à croire, au surplus, que les Slafuts n'avaieîit ici en vue qu'une condamnation par défaut \ L'action en voguement était, comme nous l'avons vu, exclusive de toute plainte criminelle régulière. H n'en était pas de même de l'action que les parties lésées par une infraction contre les personnes, et surtout par un homicide, pouvaient intenter contre le meurtrier et contre son lignage pour obtenir paix en urgent. Comme jadis, cette seconde action pouvait être intentée sans que les lésés portassent plainte pour faire appliquer aux délin- quants la peine légale. Mais elle pouvait l'être également quand une plainte était faite 2. La loi nouvelle et la mutation de la loi nouvelle, tranchant un point douteux de l'ancienne jui'isprudence, réglèrent avec précision l'attribu- tion des sommes provenant d'une paix en argent conclue à loccasion de Voccision d'un homme marié. Elles décidèrent cpie si le moit avait des enfants, Vamende en argent leur appartiendrait dans son inlégrité, et que si le mort n'en avait pas, ramende se partagerait entre ceux de ses proismes qui avaient poursuivi l'action, et sa veuN e. Les proismes devaient en |)rélever les deux tiers ; l'autre tiers demeurait à la veuve « pour payer ses debles et » ley gouverncir. » La mutation de la loi nouvelle permit en outre aux pi-oches, ou à celui qui avait poursuivi la paix en argent en leur nom, même vis-à-vis des enfants du moit, de prélever sur la somme perçue « la somme raisonnable » des frais fais » pour l'obtenir "'. Le droit d'intenter cette action en réparation pécuniaire s'appelait jus faciendi pacem, ou jus prose(juendi vindicfam, seu faciendi pacem, seu compositionem , ou droit de l'épée *. Il ne faisait pas partie de la succession ' Article 4S. - Il cil est quc>li()ii tliiiis le I" réyiincnt de I/eiiisherg de 1/24, nrlicle 7, cl dans la paix de Sainl-.Inrquea, ;i diverses reprises. — Mea.n, ()!)serv:ilioii I l'.l, il" '1. — ■ IIf.eswyck, Cunlrovemiae fore.nsen, u" 34. "> Lui iHiiivAh' , article I!). — Miilulion de la loi nouvelle, article 25. * MtA.N et UtEbWVCK , loeis cilitlls. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 415 de la victime, en ce sens du moins que les parents mâles du mort étaient seuls habiles à le faire valoir '. Quant à l'action elle-même, elle était de nature civile -. Nous arrivons enfin au point le plus délicat de ce paragraphe : à l'in- fluence que pouvait avoir la conclusion de la paix entre le délinquant et le lésé, préalahlemeul à toute plainte criminelle, sur les droits du seigneur. Nous croyons d'abord qu'il fallait faire une distinction entre le plat pays et les villes franches. Dès le XIV" siècle, il semble que dans le plat pays la conclusion de \a paix entre parlies, bien loin de désarmer le seigneur quant à l'application de la peine légale, pût être invoquée par lui comme une preuve du fait criminel. On se rappelle que, peu de temps avant l'avène- ment d'Englebert de la Marck, le bailli du Condroz fit exécuter un Hutois, coupable d'homicide dans le plat pays, qui avait fait sa paix avec les amis et les parents de la victime, et qui avait au surplus composé en argent avec le DHunbour du pays. On réclama vivement contre cette exécution ; mais toute la discussion entre les Hutois et le bailli porta sur la validité de la composi- tion faite avec le mambour. Le récit de Zantfliet nous permet de supposer que si l'invalidité de la composition avait été réelle, l'exf-rution à moit, faite malgré la paix à partie , n'aurait pas occasionné de didicultés •"'. Dans les villes franches, les anciens principes subirent de nombreuses vicissitudes. A Liège , par exemple, les Statuts primitifs de la Cité décla- raient que h paix faite avec la jjarlie lésée, avant toute plainte, ne désar- mait pas le seigneur quant à l'application de la peine légale, en matière d'homicide, de mutilation, de viol, de fraitin, etc. "*; mais les Statuts de 1545, bien loin de reproduire cette déclaration, exigeaient, pour donner lieu à l'application de la peine, sauf en cas d'homicide, la plainte de la partie lésée ^. De plus, le Statut supplémentaire de 1331 avait déjà modifié, en ce qui concerne les homicides eux-mêmes, les dispositions des Statuts primitifs. ' Raikem, Discours de 1847, p. 28. 2 Mean, Obscrviitioii 119, partie 1", n'"î>,; Observation 529, n" 5. 5 HocsEM, dans Clmpeaville , t. II , p. 481. * Articles 8, 9 et IG. * Idem, idem. 416 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Il avait permis aux juffeurs des statuts, de déclarer aubain d'office Fauteur d'un homicide qui serait parvenu à s'eiiluir ; mais il avait admis que , si ce délinquant faisait sa paix avec les parents du mort dans les quarante jours du fait, les éclievins ne pouvaient pas lui appliquer h peiïie légale, la privation de l'honneur. Nous croyons même que, d'après son esprit, la paiv faite dans les quarante jours anéantissait les conséquences de VauOainefé prononcée '. Les Statuls (le Maesiriclil de /380 , de leur coté, domiaient comme règle que si un homicide non tenu faisait sa paix avec les parents du mort, ou s'arrangeait a\ec eux de manière qu'ils ne se plaignissent pas, le seigneur n'avait pas le droit de mettre de plaignant contre lui. Ils ajoutaient que cette règle était fondée sur une franchise de la ville de Liège et des autres bonnes villes de l'évêché -. Ils constataient donc l'état des choses à la fin du XIV« siècle. Dès 1413, toutefois, un nouveau privilège de Maestricht n'accordait plus à la paix à partie, préalable à toute plainte, la puissance d'éteindre l'action pénale au profit du seigneur qu'en matière d'infractions ne touchant pas aux Hoofje f/erechte •'. Quant au f"' rét/iment de Ileinsbery, il supposait la possibilité d'une poursuite du seigneur contre un délinquant voguié de forclie, mais sans dire formellement si cette poursuite pouvait tendre à l'application de la peine légale ou à celle d'une composition pécuniaire"*. Tout ce que nous venons de dire se rapporte presque exclusivement à la peine légale. En effet, dans les villes où les infractions donnaient lieu à l'ap- plication iVune peine statutaire au profil de la eommune , celle-ci était toujours applicable , que le lésé le voulût ou non. Nous n'insistons plus, au reste, sur ces différentes règles. Elles se lient inlimement à l'histoire de la poin-suite d'office; et, pour les bien comprendre, il faut les combiner avec ce (pie nous allons dire dans le paragraphe suivant de l'action ciiminelle. ' Voir ce Stitliit dans les Couliimcs du pai/s de Liège, t. I", p. S25. » Article t>. 5 Article 7. * Article II. DANS L'ANCIEINNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 417 § II. — De l'action criminelle , de son but, de son ouverture , et du temps dans lequel elle devait être intentée. Lorsqu'une action criminelle était intentée, elle avait comme jadis pour but principal de faire appliquer au délinquant la peine légale de Tinfraction qu'il avait commise '. Secondement, elle donnait lieu dans la plupart des villes, au XIV'' et au XV* siècle, à l'application d'une deuxième peine : la peine au profit de la commune -. Enfin, dans les villes encore, soit quand l'action était introduite selon le Statut, soit quand elle était introduite selon la loi, et en vertu des modifications apportées à la loi du pays, elle per- mettait au tribunal de prononcer, en même temps que les deux peines pré- citées , un voyage au profit de la partie lésée ^. Nous étudierons plus loin en détail ce qu'étaient cotte peine au profit de la commune et ce voyage au profit de la partie lésée. Pour le moment, nous nous bornons à énoncer le principe même de leur application, et à faire une remarque essentielle à l'endroit du voyage au profit de la commune. Si ce dernier pouvait répondre à une action criminelle régulière, il pouvait être demandé isolément, par une action spéciale et d'une nature propre. Ces considérations sommaires sur le but de l'action criminelle sufiiront à l'intelligence de ce qui va suivre; venons à ce qui concerne son ouverture. Au XIII" siècle, on se le rappelle, l'action criminelle ne s'ouvrait qu'au profit d'accusateurs privés, parfois même elle ne s'ouvrait qu'au profit des personnes directement lésées par une infraction. C'était là un principe général, ne comportant que de fort douteuses et, en tout cas, de foit rares exceptions. Au X1V« et au XV* siècle, cette situation se modifia sans être radicale- ment changée. Le système des accusations privées resta une des bases du droit criminel liégeois. La poursuite d'oflîce s'introduisit partout, il est vrai, ' La peine légale, c'est-à-dire la peine déterminée parla loi du pays. - iVous verrons plus loin, au paragraphe du syslèmc pénal, quand cette peine fut intro- duite. ' Idem en ce qui concerne le voyage. Tome XXXVIII. 53 418 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL dans le plat pays et dans les villes franches ; mais elle se consolida dilTicile- ment, et elle ne jona encore qu'un rôle tout à fait subsidiaire et accessoire. >'ous naurons guère de peine à fournir des preuves ;i Tappui des prin- cipes que nous énonçons. Il nous sullira de rappeler quelques faits qu(; nous avons déjà cités, et de parcourir ensuite rapidement le texte même des documents du XIV"= et du XV" du siècle. Et d'abord, au Tribunal de la Paix, toute riiistoire en fait foi, il n'y eut jamais d'accusateur public. Tant que ce tribunal subsista, il n'eut jamais le droit de connaître d'une infraction si le délinquant ne lui avait pas été déféré par sa victime. D'un autre côté, quand plusieurs tribunaux — l'échevinage et les cours féodales, les XII et les lois locales, le SkKut^ la loi et le droit — étaient compétents en principe pour connaître d'une même infraction, c'était à la partie lésée seule ([i\\\ apparte- nait, dans beaucoup de cas, de choisir ^on juge, en portant six plainlc de\ant l'un ou devant l'autre. Un droit absolu de poursuite dollice, remis aux mains d'un oflicicr quelconque, aurait nécessairement privé la partie lésée de ce choix, que consacrait encore en sa faveur le texte de h paix de Saint- Jacques '. L'A paix des A7/ supposait que l'action en matière d'homicide et de vio- lences était inli'oduite par une plainte; en elTet, elle imposait à l'individu, accusé de complicité d'homicide, un mode de justilication dillerent selon qu'il était accusé d'avoir conforté le délin()uanl avant ou après la plainte faite -. La loi nouvelle et la mutation de la loi nouvelle prenaient des mesures précises par rapport aux formes que devaient re\étir Ws jdnintes criminelles, sans faire aucune mention des formalités aux(iuelles seraient assujetties les actions qu'auraient pu introduire les justiciers en vertu d'une initiative propre ''. Les mêmes lois accordaient au lésé le cri du perron pour aider l'oflicier de justice, alors même que ce dernier exerçait la chasse du seigneur contre les délin(|uanls qui y étaient soumis *. La mutation condamnait certains abus * Nous îivons (lontH' |iliis liant les pri'itve/< qui établissent l'existence de ces règles. * Cottliniics (lu poijs (le Li('ijv , I. I", p. ;i36. •' Arliili' 7 (le cliMciMic lie ces chartes. * Lui iioKvcllc, ai'liclf 2-i; niulutidii de la loi iiuiivcllc, arliitle 30. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 419 que les parties ou leurs proches commettaient d'habitude dans l'extension qu'ils donnaient à leurs plaintes *. La mutation et la modération de la paix de Tongres ne permettaient d'apphqucr la peine du diklil que si la justice ou le maieur injuriés avaient immédiatement porté plainte contre le coupable -. La même mutation accordait aux juges le droit de considérer l'état des par- ties en matière de plaintes criminelles, et de ne plus supporter celles qui seraient faites contre les gens de bonne renommée, proidhommes , par «bar- » relieurs, gens de mauvais couvent, cocquineurs •^. » Elle rappelait enfin , en matière de rapt d'une impubère, que la plainte devait èlre faite par les pro- ches de celle-ci ou par son mainbour. Elle préférait en principe que ces per- sonnes se plaignissent seulement quand leur |)upille, c'est-à-dire le corps du délit, serait entre leurs mains; mais elle tolérait leur action sans cette condi- tion, pourvu qu'ils parvinssent à prouver la violence et le m et Ita/tay *. La déclaration de Vaniieau du Palais de /403 disait : « quant plainte n sieroit faite par devant Mgr. et ses hommes '*. » Si des paix générales et des documents concernant le pays entier nous passons aux statuts et aux règlements locaux, nous voyons qu'ils sont tous conçus dans le même esprit. La lettre délie paix de Fosses de 1318 ne donne ouverture à l'action pénale en matière de violences |)ar les chanoines contre les bourgeois, et cice versa, qu'au profit de la partie lésée ^'. Les Statuts de la Cité de Liège , dans tous leurs textes jusqu'à celui de la paix de Saint-Jacques inclusivement, remettent avant tout Vaction pénale aux mains des gens qui ont souffert de l'infraction, lors même qu'ils admet- tent, comme nous le verrons, une espèce de poursuite d'olUce subsidiaire. Les mêmes Statuts premient une précaution spéciale pour le cas où un clerc lésé par un bourgeois veut se |)laindre et avoir amende selon les Statuts. Ce clerc doit fournir une caution bourgeoise répondant que, si lui-même commet ' Articles CC et C9. - Article 3:2. ^ Article 57; de même en matière de dettes. La mutation s'attaquait au chantage. * Article 08. " 'j° point de cette dt'elaralion. '' Voir celle charte. 420 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL plus tard une infraction contre un bourgeois, il se soumettra de son côté à une répression statutaire '. Le régiment des basions, en coniniinant des peines contre certains actes de violence contre les personnes, a soin d'en subordonner lappiication au cas où « ly parties ou alcune d'elles soy deplaindroicnt -. » Le 1" régiment de Heinsberg , dont la disposition se trouve reproduite par la paix de Saint-Jacques, ne permet cependant d'appliquer au délin- quant, on l'absence de la plainte de la victime, que la peine statutaire seule; et, en matière de rapt, il répète les jn-incipes (|ue nous avons déjà rencon- trés dans la mutation de la loi nouvelle ^. L(t privilège de Fosses de 1447 dit en termes formels : s'il y a lutte entre bourgeois et que « alîolure ou navrure soit faite » avant la proclamation de la trêve, le sire ni l'officier n'en ont point d'amende lorsque la partie lésée ne porte pas plainte devant le maïeur et devant les échevins '. Le Statut de Maestricht de iô80 exige la plainte des parents ou amis en matière de rapt, celle de la victime elle-même en matière de viol, celle des parents ou de la partie lésée elle-même en matière dliomicide, quand le délinquant n'est pas;>m au fait, et en matière de blessures, de mutilations, de calomnie et de faux témoignage ^. Il dit même expressément : c'est une Iran- cbise publique, à la défense et au maintien de laquelle tout bourgeois doit veiller, que nul témoignage ne peut être entendu contre un bourgeois, à moinft qu'il n'y ait un plaignant; et il ne met à cette franchise que trois restrictions nettement déterminées ^. Le privilège de Maestricht de 1 428 décide que si un bourgeois est attaqué dans sa maison, ou si l'on tire sur lui, c'est à lui avant tout qu'il appar- tient d'intenter l'action pénale contre le délinquant '. ' Statuts primitifs, articles 9, Ifi, 17, iiS, Cl, 7G, 2S, 40, etc.; Statuts de /.)-*•), iliiilcm cl article lli. l)irs|)osiiions anrilngiics dans la paix de Saint-Jacques , chapitre XXNI, ailidc C'J> cl Statut de Maestricht de I3S0, article 70. * Article do. 5 Articles 3 cl 7. Paix de Saint-Jacques, chapitre XXII, articles 8 et 9. * Article 15. » Articles 7, 8, 9, 12, 20, 4G. 6 Article 90. 7 Articles 1 cl2. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 421 Enfin, pour corroborer toutes ces données, nous citerons un fait remar- quable rapporté par Jean de Stavelot. En 143o, un cbanoine de Saint-Martin à Liège fut frappé d'un coup d'épée et mourut dans les trois jours. Les cha- pitres de Saint-Jean, de Saint-Martin et de Saint-Paul, en habit de chœur et traînant la croix après eux, portèrent le cadavre devant Févèque : et cepen- dant « remanist enssi la choese, car il n'oit frère ni amis qui s'en vosist » grammant meilleir plus awant ^ » Nous croyons avoir ainsi prouvé suffisamment la première partie de notre assertion, à savoir: que la plainte d'un accusateur privé était resté de règle. Il faut maintenant signaler les traces que nous avons trouvées de l'exercice de la poursuite d'office pendant la période qui nous occupe. Et d'abord, pour ce qui conceine le plat pays, il est certain (pie l'organi- sation de la chasse du seifjncur doima aux grands officiers le droit de tra- duire en justice criminelle les délinipiants saisis dans cette (liasse, même en l'absence d'une plainte formelle de la partie lésée. Les grands officiers pou- vaient, aux termes de la paix de Fexhe et des déclarations subséquentes, détenir le délinquant appréhendé jusqu'au moment où celui-ci avait satisfait, non-seulement à la partie lésée, mais encore au seigneur. Or la satisfaction au seigneur comportait ou bien une composition pécuniaire , ou bien ra|)pli- cation de la peine légale ; et il est difficile d'admettre que le justicier fût des- titué du droit d'appli(pier cette dernière, faute de ré(|uisition de la partie lésée, s'il le jugeait o|)portun, surtout à un délincpiant pris en flagrant délit effectif ou fictif -. Il y a plus : d'après la déclaration de la paix de Fexhe l'application de la peine légale était tellenient la règle, qu'il fallait une mani- festation formelle de la volonté de la paitie lésée pour l'arrêter. La sinqile inaction de cette dernière autorisait, ou plutôt obligeait donc le justicier à poursuivre l'exécution ^. Nous osons invoquer encore, à l'appui de notre opinion, l'exemple que nous avons cité au paragraphe précédent : celui d'un bailli du Condroz qui fit trancher la tête à un homicide, non-seulement sans plainte, mais encore ' Clironiques de Jean de Slai^elot, p. 357. 2 A rapprocher de ce que nous avons dit de la chasse du seigneur. •'' Coulâmes du pays de Liège, t. I", p. 487. 422 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMHEL après poix faite avec les paieiib du inoil; enfin, les termes mêmes dont se seit Hennicourt dans le Patron de la Temporalité. Les criminels qui sont eu la chasse du seigneui', dit-il, « sont en sa chache por prendre et corregier » sorlonc leurs démérites, salvées en ce les frauckieses del Citeit et des » bonnes villics '. » Ces derniei's mots confirment ce que nous avons déjà dit à un autre endroit : que la naissance de la poursuite d'oflice dans les villes est due à des actes spéciaux. Nous allons conq)ulser ces actes, et nous verrons aussitôt qu'ils nous fournissent un certain nombre de données fort précises. D'après les Statuts primitifs de la Cité de Liège de 1328, on pouvait aller en avant d'homicide, de coup de couteau, de rupture de trêve, de frailin, de déforcenient de femme, de membre tolhit, quelque paix que fit le coupable avec la partie lésée, et que cette dernière ou sesproismes portas- sent plainte ou non. D'après les mêmes SlatHls, les auteurs des cinq pre- miers de ces crimes étaient, au surplus, déclarés anbuins tantoisl de leur fait même ^. Ce n'était pas encore, il est vrai, le grand maïeur seul qui était chargé d'aller en avant : c'était la justice entière ou le corps entier des juges statu- taires; et, d'autre part, ces juges ne pouvaient agii- qu'en cas {['inac- tion de la partie lésée. En elTet : « es cas où li dis jugeurs puelent aleir » avant sens plainte faite à eaus.... se li dis jugeurs vont avant sens » plainte faite à eaus, et li partie blecic se plainde à maïour et as esquevins » dedans XL jours, li amende délie partie blecie vat à nient tant corne à ces » Statuts •». » Ces principes ne parvim-ent pas à se maintenir. Les Statuts de ^343 , en elTet, exigèrent de nouveau une plainte de la partie lésée, on matière de membre tollut, de coup de couteau, de rupture de trêve, de fraitin, de rapt ou de viol *. Ils ne déclarèrent aubains de leur fait même que des homicides; et ce fut contre eux seuls qu'ils permirent d'intenter une action pénale en ' Cuulumi-s du juiijs tic Lit'iji;, l. I'', p. "285. ^ Articles 8, 1), I (i, 76. •"' Article 7(i. ♦ Articles U et 1 0. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 423 Tabsence de ;;/rtm;e des proismes du mort '. Quant au Statut supplémentaire de 1331 , il contenait sur le (ait de Piiomicide des dispositions spéciales. Tout homicide, disait-il, clerc ou laïc, est auljmn de son fait même; les Jiigeurs des Statuts peuvent le déclarer tel « soit plainte faite ou non; » et si le délinquant, sans faire paix à partie dans les quarante jours, se rapproche de la Cité dans un rayon de di\ lieues, la loi peut aussitôt, avec ou sans plainte, le déclarer privé de son honneur -. Le Statut de 1331 et celui de 1345 ne se contredisent pas l'un l'autre : le premier se rapporte à un délin- quant qui a réussi à se soustraire à une arrestation préventive, le second à un délinquant saisi en flap^rant délit eflVclif ou fictif. Il résulte seulement de leur combinaison que, malgré le maintien d'une sorte de poursuite d'olïïce contre les homicides, ceux-ci pouvaient encore s'y soustraire, quand ils n'étaient pas détenus, en accordant dans un certain délai satisfaction à la famille outragée. Connue nous le verrons tantôt, en citant le Statut de Maestrieht de 1380, l'ensemble de ces principes constituait le droit commun des villes de la princi|)auté. Au XV'= siècle, le réfjiment des bastons, à Liège, ordonna de punir les infractions de trêves et de f/uarantaines « soit que plainte s'en fâche ou non » sans déport ou rachat quelconque ^. » Quant aux actes suivants, le nou- veau ject, le réfjiment de Bavière de 1 417 , le régiment des Imstons, à un autre endroit que celui dont nous venons de parler, le /'' réf/iment de Heins- bery , ils entrèrent dans une voie nouvelle. Tous édiclèrenl en matière de cer- tains ci'imes graves une peine statutaire à ajouter à la peine légale ordinaire; et tous déclarèrent expressément, ou firent du moins entendre à suffisance de droit, que ceWe peine statutaire devait être applicpiée avec ou sans plainte de la partie lésée *. On peut croire que leurs rédacteurs avaient autant en vue d'assurer une répression sérieuse des infractions, en dépit de la négli- ' Arliclc 9. Il se retrouve dans tuus les textes suceessifs des Staiul:^, sauf dans le texte de la •paix de Sainl-Jucques. - Voir ce SitituI dans les Coiiliimes du p(tys île Lièije , t. I", i)|). 524, 523. ^ Article 12. * Le nouveau ject et le régiment de Bavière n'étant pas imprimés, nous n'en donnons pas rarticle. Règimenl des liuslons , articles 12, \ô;régimenl de Heinsberg, articles 3, G, 7,9. — Paix de Suinl-Jucques, cliap. XXII, article 9. 451 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL gence des accusateurs privés, que de rendre le système pénal de la ville plus sévère. D'après le régiment de Heinshery , conlirmé par la paix de Saint-Jacques, les commissaires de la Cité étaient spécialement chargés de procurer l'appli- cation de h peine statutaire si les lésés avaient peur ou étaient incapables de la poursuivre par eux-mêmes. Ils avaient à cet effet une action spéciale et pouvaient, le cas échéant, procéder même en exigeant une enquête '. Il importe ici de remarquer que les commissaires, au moins à l'origine, n'avaient aucune qualité pour provoquer Tapplication de \a peine légale ordi- naire. Le régiment de Jleinsherg conliimail à exiger, en effet, une plainte des parties lésées en matière de \iolation de domicile el même en matière de rapt -. Cependant nous osons croire que l'influence des commissaires ne lut pas étrangère, avec le temps, à la remise d'une véritable poursuite d'oflice, non obligatoire, mais facultative entre les mains du grand maicur ^ Quoi qu'il en soit, dans tout ce que nous venons de dire par rapport à la ville de Liège, nous avons eu en vue principalement les infraclions contre les personnes, commises par des bourgeois en possession de leurs |)riviléges, et commises au grand jour et en quelque sorte publiquement. Il est certain que le grand maïeur exerçait une véritable poursuite d'olTice contre les anhains qui délinquaient en ville, au moins enmalièi-e grave, llenu'icourt range |)armi ses préiogatives : « les priese et correccion de tous albains, soit par homicide » dont plainte n'at esteit faite, ou por aultres cas queilconques *; » et ici , sous la dénomination d\dhains, il faut compiendre aussi bien les bourgeois /;;vWs de leurs privilèges que les a/forains n'ayant jamais joui de ces derniers. D'autre part, le grand maïeur avait plus même qu'un droit de poursuite d'oflice contre les murdreurs, robeurs , ardeurs, puisque, comme nous l'avons déjà dit, il avait le droit exorbitant de les juger seul. Le moyen âge entier, si indulgent pour les violences ouvertes, avait une horreur profonde pour les attentats ténébreux et pour le vol et rincendie. Enfin, il va sans ' Arlirlc 3. — Paix de Saint -J iiniucs , cliapilrc XXll , articli-s '.), (i, clc. '^ Vuir ce que nous nvons dil plus liaul. '' A rii|iproclier de In paix de Suint-Jarqtica , cliap. X.NX, article C; ilmp. XXll . article 12. * Loiiltiineu du pays de Lii'(je, t. 1", p. :28'J. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 425 dire qu'en matière de délits présentant un caractère directement attentatoire à l'ordre public, tels, par exemple, que \e port iV armes prohibées, la déten- tion et l'usage de faux poids et de fausses mesures, le grand maïeur, et les maîtres de la Cité eux-mêmes, pouvaient toujours agir eu vertu de leur initia- tive privée ^ Mais laissons les règlements liégeois et parcourons ceux qui concernent la ville de Maestricht. Le Statut de Maestricht de I08O, traitant de l'homicide, déclare que le délinquant est aubain de son fait même, et que si l'on parvient à le saisir en flagrant délit ou pendant sa fuite, on pourra le justicier, que les parents du mort se plaignent ou non. Il admet, en revanche, (jue si le délincpiant par- vient à se soustraire à une arrestation et s'il fait sa paix avec les parents de sa victime, le seigneur, conformément a une franchise des villes liégeoises, ne pourra pas mettre de plaignant contre lui. En vertu du même Statut, il suffît que, en nniùève iVinfractious (/uelcoiiqucs , les lésés aient introduit une plainte contre le coupable pour que le seigneur ne puisse plus être désarmé: leur inaction, leur réconcilialion formelle ou leur désistement subséquent ne portent plus aucun pr('judice à ses droits -. Le privilège de Maestricht de 1415 requiert expressément la j)lainte des parties lésées en matière de menus délits. Mais il |)ermet à Yamman d'aller en avant devant les bourgmestres el conseil, malgré l'absence de plainte, malgré même un contrat de paix à parlie, en matière de plaies faites à coup de cou- teau ou d'armes fériées. Il lui donne le droit de poursui\re dans tous les cas quand, après avoir porté plainte, les parties lésées se désistent volontairement ou par peur. Il lui donne la faculté d'introduire lui-même, et le plus tôt possible, l'action criminelle en matière de rapt ^. Quant au privilège de Maestricht de 1428, il mentionne formellement l'existence d'un droit de poursuite d'office, au profit de Yamman ou des bourg- mestres de la ville, quand les bourgeois ne veulent ou qu'ils n'osent pas se plaindre, en cas de violences commises dans le domicile, de délits commis ' Rèxjiinent des liasloiis, arlicles I, (i, 7, 8. - Loi nuiirelti', rtrliclc 28. — Miiluliuii de lu loi nouvelle, nrticlc 37. 2 Aniclcs 2, G7, 90. 3 Articles 7, 10, 14. Tome XXXVIII. 54 426 ESSAI SUR L'HISTOIRE Dl DROIT CRDIINEL avec armes de trait, de faux téinoigiiages, etc., en un mot, en cas d'infrac- tions graves '. Ainsi donc, en résumé, au milieu du XV" siècle, la poursuite d'ofïice contre un délin(|uanl, notoirement connu comme tel, n'existait encore dans le pays de Liège que dans des limites fort étroites. Dans le plat pajs, elle n'était en quelque sorte qu'une conséquence de la chasse du seigneur, et par là elle ne s'exerçait guère qu'à l'égard des criminels soumis à celle-ci. A Liège, elle n'était véritablement consolidée qu'en matière d'homicide, quand le coupable était tenu, en matière de certaines autres iiilVactions strictement limifées, lésant la paix publique ou la propriété, et dans tous les cas pour l'application de la peine statutaire. A .Alaestricbt elle avait pris une véritable importance. Nous croyons, néanmoins, que déjà elle existait partout et de droit commun, lorsque, après avoir porté plainte, les accusateurs cherchaient à retirer ou à laisser périmer leur action. Voyons maintenant ce que devint la poursuite d'olTice, contre les délin- quants notoirement connus ou désignés comme tels, à la fin du XV" siècle. Nous veri'ons plus tard, lorsque nous parlerons de \a procédure d'enquête, quand les olliciers de justice furent admis à rechercher et à poursuivre les auteurs inconnus, ou vaguement désignés par la rumeur publique, de crimes constatés. On se rappelle que, sous Louis de Bourbon, un règlement de procédure poin- le conseil de l'évèque substitua brusquement et complètement la pour- suite d'office sur dénonciation aux accusations privées -. 11 est évident que ce règlement ne sortit pas tous ses effets; mais on ne saurait méconnaître que, par la force même des choses, il n'exerçât une grande influence sur l'avenir. Ce règlement ne parvint pas à déraciner l'antique système des accusations privées. Nous trouvons même des traces de celui-ci jus(|ue dans les der- niers temps de l'histoire de la patrie liégeoise ^; et pour ce qui concerne la fin (lu W" siècle, nous ne serions guère embarrassé de citer des textes qui établissent sa parfaite vitalité. Nous nous contentons, pour abréger, d'en ' A II ides I, -2, 8. ^ Voir ce (|iic nous vn avons dit au livre II, cliapitrc I", de ce travail. ^ Voir SoiiET, ouv. ché , pussim. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 427 emprunter un seul aux registres du grand greiïe des échevins de Liège, qui se rapporte à l'année 1495. « Comme Jean le Muyeal de Dinant soy fuist » par devant nos dcplaint de Watelet Chaboteal... de ce qui li dis nommeis... » sans cause Tavoient sus corut, quasseil et navreit, fait sang corant... de » bastons et armes esmolues ^ » En revanche, à la même époque, la poursuite d'office semble déjà admise au profit des justiciers surtout pour suppléer à la négligence des parties lésées. Sans doute, le bon sens public n'avait plus permis de priver entiè- rement les officiers du seigneur de prérogatives, utiles à la chose publique, dont ils avaient usé pendant le règne de Louis de Bourbon. Nous citerons encore à l'appui de notre manière de voir quelques exti-ails du grand greffe des échevins. « Comme plais et questions fuissent par devant la dille court entre » Wilhem... siquc mayeur à celi temps de Ilugarden..., d'une part, et Albert, » d'autre... à cause d'une plainte et calengc que le dit mayeur en nom de » Notre T. S. monseigneur de Liège avoit fait sur le dit Albert, luy impo- » sant qu'il avait fait malvais seriment... » etc. (10 novembre 1487) -. « (7 novembre 1488.) Comme llerman Tipols mayeur de la dite court de » Curange euyst fait adouvreir par devant icelle court Jean Elias faisant |)Iainte » sour lui pour cause des quassures quil, le dit Jean, avoit peipetreit en la » personne de.... ■*. » Quoi qu'il en soit, et nous osons encore le répéter en terminant, même à la fin du XV" siècle, la poursuile d'o/firr n'était encore (prune fmullecl non une oblnjulion pour les justiciers; la plainte des parties était restée la règle et, qui plus est, dans beaucouj) de circonstances, la faculté des justiciers était encore fortement contestée. Ce fut la réforme de Georges d'Autriche qui, en 1551, consacra pour la première fois cette faculté en termes généraux; ce fut la réforme de Groisbeck la première qui, comme nous le verrons, imposa aux officiers du seigneur Xabligalion de j)Oursuivre tous les auteurs de crimes publics (graves) avec ou sans plainte des parties. ' Grand gre/fu des échevins de Liéyc, registre de 1490, folio 129:2. •^ Idem , regislrc de 1487-1490, folio 80. ^ Idem , ibidem , folio 272. 428 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Après avoir ainsi iiidiquc'' (lucl ('lait lo ijiit précis de raction pénale, et à qui il a|)partenait de rinlroduire, nous devons encore reclierclier dans quel délai elle devait être intentée ou, en d'autres termes, au bout de com- bien de temps elle était prescrite. Sur ce point il existe encore quehpies données assez précises; seulement elles se rapj)orlent presque toutes à ce qui concerne les violences contre les personnes. Avant tout, il est indispensable de faire une distinction entre les plaintes introduites selon la loi du pays, et les plaintes introduites selon le Stalul dans les villes. Nous avons déjà dit dans notre premier livre que le délai accordé aux parties pour porter plainte était de quarante jours en matière de grand criminel. Ce délai n'a\ait pas varié. Le Stalul de Liêije de lôô I semble y faire allusion, lorsqu'il permet à V/iumicide non tenu de désarmer le seigneur quant à la peine légale de la privation de Tbonneur, en faisant dans les qua- rante jours la paix avec la famille de sa victime '. Il en est de même du Stalul de Maeslricht de 1580 qui veut que, en cas d'homicide dont l'auteur n'est pas connu, on fasse dans les quarante jours le cri du perron -. Enlin, le Patron de la Temporalité s'exj)rime en termes formels : « de tous cas cri- » minaz queilconques on soy doit plaindre dedens quarante jours après le » fait adveimt, en cas ou ly plus proisme (celui qui a droit de porter la » plainte) seroit en pays; et s'illi esloil absens dedens quarante jours après » sa i-evenuwe; ou s'illi estoil déseagiel et s'illi n'awisl mandjor qui sa » plainte fesist ilh soy poroit plaindre dedens le quarantene après ce qu'il » aroit le XV*-' an de son eage acomplit ^. » Quant aux plaintes introduites selon le Stalul, surtout à Liège, elles devaient être faites dans un délai inliniment i)lus court. Les Statuts de la Cité de 1328 ne reproduisaient plus le principe de la plainte obliyaluire enlve bour- geois, préconisé par la loi muée des bourgeois. Ils voulaient que la plainte fût faite dans les trois jours de la perpétration de l'infraction, « sous peine » dont en asanl de nullité de la plainte tant que à ces Statuts ^, » et sous ' N'oir plus luiiil. '^ Sluliit de Muesiriclil ilc lôSU, ;irlic-k' 52. '" l'alroii de lu 'J'eiiijwiulilc , \i.ô'27. * Ailiclc Gl, cl analogue article IG iics Statuts de 1345. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 429 la même peine, dans les trois jours du retour de la victime dans la franchise, si le délit avait été commis contre elle hors de Liège ^ Le texte des Statuts inséré dans la paix de Saint-Jacques se bornait à allonger le délai d'un seul jour, en le fixant à quatre au lieu de trois -. Quant au 3' regiuieut de Heins- bery, il ne se contentait pas d'établir un délai fatal pour Tintroduction de l'action ; il déclarait que toute plainte portée devant les jurés devait être poursuivie par les intéressés endéans l'année sous peine d'être périmée ^. A Fosses, d'après la lettre del paix de 1518, c'était également dans les trois jours que, sous peine de déchéance, la plainte devait être introduite par les bourgeois contre les chanoines, et vice versa *. A Maestricht, d'après le Statut de 1380, la plainte devait être faite dans les trois jours, sauf en cas de viol où la victime était tenue de porter son accusalion terstnnt ou mitter sonnen svheijne "", parce que tout retard faisait ici craindre une sorte de chantage. D'après le jii'iviléye de 14/Ô, toute plainte qui ne louchait pas à la haute justice pouvait être faite dans les quatre semaines de l'infraction •'. Il n'est pas sans intérêt de remarquer en passant (|ue, par la lettre du prévôt, un délai fatal de cent jours était octroyé à tous ceux qui voudraient se plaindre au prévôt de la cathédrale « de fait ou pour parole de fenie en » quels fait ou parole il h n'arat eu plaie, sanc, ne dilTamation '. » Les monuments ne disent absolument rien à propos du temps dans lequel le justicier devait intenter la |)oursuile d'oflice. C'est un argument de plus pour établir combien l'exercice de cette dernière était encore précaire. Nous croyons (pie le justicier était tenu, le cas échéant, de se conformer aux prescriptions (pii liaient dans l'espèce les parties lésées. C'est le moment de jeter un coup d'œil sur les vicissitudes subies par la procédure accusa toire dans sa marche générale et dans ses caractères I Arliclc 17. "^ Paix de Saiiii-Jdifiues, cliapilre XXVI , article 5G. 5 2' régiment de Ihinsherg , article 22. * Voir cet acte. " Articles 7 et 8. « Article 7. 7 Coulumvs du pays de Liège, t. I", p. 352. 430 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL anticjucs. Nous étudierons aussitôt après ce qui concerne la procédure iCenquéte proprement dite. § III. — De la procédure accusatoire du Xlll' an XVI' siècle. La procédure accusatoire, dans sa forme anti(pie et primitive, présentait trois caractères principaux. Elle était, comme on Ta vu dans le premier livre, orale; elle était publupie ; enfin elle comportait un véritable combat à armes égales entre deux personnes, où Faccusateur assumait, sous sa respon- sabilité, la charge de prouver la criminalité d'un adversaire formellement désigné d'avance et sachant (pi'on procédait contre lui. Or, tandis que ce der- nier caractère ■ — qui au fond dilTérenciait la procédure accusatoire de la procédure inquisitoriale plus que tous les autres — se maintenait dans son intégrité du XIII" au XV^ siècle, les deux autres avaient été sensiblement modifiés. Nous allons essayer de le démontrer dans ce paragraphe. L'accusateur, (pii intentait une action pénale contre un individu formelle- ment désigné par lui comme ayant commis une infraction, assumait seul, comme jadis, la charge de |)rouver son accusation. Il était seul responsable de son fait, et agissait sous la foi du serment. D'api-ès les Statuts de la Cité, l'accusateur était tenu avant tout de jurer sur saints : qu'il portait plainte contre une personne ayant effectivement délin(iué contre lui; qu'il ne se plaignait point par malvaiselé ou autrement; qu'il ne produirait en sa cause que de bons témoins '. Il devait aussi, dans les trois jours de l'infraction, nonnner les témoins qu'il entendait produire, et n'élart plus admis à en faire entendre de nouveaux, sauf en matière de crimes conunis la nuit, hors voies ou en lieu celé ~. S'il mettait en avant de faux témoins, il encourait, d'après les Statuts de i528, une amende double de celle dont l'accusé convaincu aurait été fi-appé; d'après les Statuts de f34S, la privation des privilèges de la bourgeoisie ou Vaubuineté '\ • Ai'liclc (i'j ilii tcxlc prirnilif, ii'prit' (l:ins Ions les textes successifs des Statuts. - Sluliils (le ir>i.'), nrliclf GO. — PuLt de Suinl-Juciiua^ , (liapilir XXVI, article Cl. ' Statuts priiititi/s de 13^6', article 40. — Statuts de lôiii, article 41. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 431 La paix de Saint-Jacques reproduit les mêmes principes, avec une res- triction. Le plaignant doit nommer ses témoins dans les quatre jours, dit-elle, mais « pour ce n'entendons point que se après la ditte plainte luy vinroient » autres tesmoins à cognissancc, que bien ne s'en puist aider; voir que sembla- » blement il les devroit aussi mettre avec la ditte plainte sans fraude ^ » Elle accordait donc une latitude plus grande à l'accusateur, mais tout en maintenant strictement le principe en vertu duquel il lui était interdit de pro- duire des témoins par surprise et sans que l'accusé eut été averti d'avance de leur production. La paix de Saini-Jacques comminait encore Yaubaineté contre l'accusateur qui mettait en avant de faux témoins, ainsi que contre ces témoins eux-mêmes; sctdoment elle avait soin d'ajouter « outre pugni- » tion que loy donne si sont tenus -. » L'ensemble des règles que nous venons de puiser dans les Slalitls de la Cilé constituait le droit commun du pays. La lettre del paix de Fosses disait : « et que aussi tout promier la dite partie bleschiée ait juré et jurerat sour » sains que elle se plaindcroil bien et loyaument et que elle ne mettera nuls » faulx tesmoins avant sur sa deplainte ''. » Le Statut de Maestricht de 1580 obligeait le plaignant à jurer que sa plainte était sincère, qu'il se plaindrait seulement de celui qu'il savait ou croyait coupable, qu'il ne mellrail eu aratit que des témoins vrais et bons. Ce Statut prononçait aussi Yaubaineté perpé- tuelle contre le bourgeois qui mettait de faux témoins en avant *. Conformé- ment à la paix des XII, quand un lignager accusait un autre d'avoir conforté un bomicide, il devait aller en justice, « et là jurerat li deplaindant promic- » rement et croit que son amiesc soit vraie, et se faire ne le veut cbis encul- » peis serat quitte de celle amiese ^. » La loi nouvelle et la mutation de la loi nouvelle supposaient si bien que c'était aux parties de produire leurs témoins, qu'elles leur permettaient d'amener ces derniers en nombre indéfini devant la justice ^\ La mutation de la loi nouvelle et le régiment de Heins- ' Paix de Saint- Jacques, chapitre XXVI, article 56. - Idem, t6(deiH, firlifle 44. ' Voir cet acte. ■' Anicles 40 et 65. ■' Coutumes du pays de Liège, 1. 1", p. 550. '■ Loi nouvelle, article 25. — Mutation delà loi nouvelle, article 32. 432 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL bcrg chargeaient cxpressémenl les proismes cl'uiic impubère, victime d'un rapt, de prouver la violence ainsi que le cry et hahay *. Nous n'insistons pas. il est clair, d'après ces textes, que lorsqu'un accu- sateur et un accusé lorniellement désigné étaient en présence, le tribunal criminel restait passif entre eux. Que dire si, dans un cas spécial, c'était un justicier qui poursuivait d'olTice un accusé dans la forme accusatoire? Évidemment ce justicier était tenu, tout comme un accusateur privé, de désigner d'avance les témoins qu'il voulait faire entendre. Mais sans doute il n'était pas tenu, comme un pai'ticulier, de prêter le serment de calumnià. Il agissait sous la foi du serment qu'il avait prêté en entrant en charge -. Quant à l'accusé, il savait parfaitement à quoi s'en tenir. Il connaissait le fait qu'on lui imputait ainsi que les moyens de preuve qu'on allait employer. On lui communiquait la plainte de l'accusateur avec ses acces- soires; et même ses droits et ses intéréis étaient mieux garantis que jadis. La loi nouvelle^ en eiïet, statuant pour le siège des échevins de Liège, et la mutation de la loi nouvelle statuant pour tous les sièges de judicature du pays, voulurent : 1° Que \es plaintes criminelles fussent rédigées y>«r écrit et communiquées en copie à l'accusé, aux frais de l'accusateur, si l'accusé le désirait; 2" Que désormais on accordât toujours à l'accusé « jour de loi pour lui » sour ce conseilher, » au lieu de l'obliger, comme on faisait parfois dans les temps pi'imitifs, de répondre immédiatement ^. Le |)rincipe en vertu duquel la plainte criminelle devait être écrite fut encore formellement énoncé dans le Stalut de Muestricht de i580 ^, et il s'imposa même à la jiuisprudence du Tribunal de la Paix. Jean de Stavelot nous apprend cpie tous les plai- gnants qui entendaient saisir cette dernière juridiction de leur action étaient tenus de commencer par faire inscrire leur plainte dans le registre du tribu- nal K * MiiUtlion (h la lui nouvillc , :irliclc (iS. * Le priviléçie de Maeslriclil tli- I i2S, arliclc I". le f.iil ciitciulro. ' Ijh nouvelle, article 7. — Mutation tle la loi iioiivvltc , ai-ticle 7. * Arliclc (iî). " Clironiqties de Jian de Slui-vlol , pp. 580, Îi8l. l DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 453 La défense de l'accusé était libre. Il pouvait comme jadis s'aider d'un parlier ^ ou se consulter avec ses amis; il put même, depuis une certaine époque, répondre par crcdit ou non crédit à l'accusation, c'est-à-dire sans avouer et sans nier formellement, en abandonnant tout le fardeau delà preuve à son adversaire; il pouvait produire des témoins à décharge, etc. -. En tout cas, sa réponse à la plainte était communiquée avant tout à l'accusateur, pour que celui-ci sût comment il devait diriger son action. Ce dernier principe avait été méconnu dans la juridiction des XII, dès le XIV" siècle. Les XH ne disaient pas toujours au plaignant « si le faituel » cognissait l'excès ou non » .... « si que sovent fois avenoit qu'illi conti- » geoienl de prouver chis (|ue li partie avait confesseil. » En 4382, lors de la réformation de la paix des XII , il fut décid('' (|u<' : « dont en avant s'ilh » avenait alcun qui ly fait noyât ou conneuwist simplement, on le diroit tout » bault al déplaindeur, aflin qu'illi ne fut nient en vain costagiez de prouver » chis qui li faituel avoit confesseit '\ » Mais arrêtons-nous. Nous croyons avoir établi à sullisance de droit la persistance du troisième cai-actère (juc nous avons assigné à la procétlure accusatoire. Cherchons maintenant à montrer comment cette dernière était devenue écrite, et comment dès lors sa publicité même avait subi de graves atteintes. La procédure écrite, usitée depuis longtemps dans les cours d'église, avait pénétré à l'exenqile de celles-ci dans les cours séculières à l'époque où la preuve testimoniale avait repris son légitime empire en matière criminelle. Quand il fallut entendre des témoins dans presque tous les procès, les corps judiciaires, surtout ceux dont le ressort était très-étendu, ne se char- gèrent plus en général eux-mêmes de cette lourde tâche. Les cours féodales notamment déléguèrent des cominissaire.s ou cnqHi'lcars |)0ur se rendre alpins près de lieu, et pour recueillir en leur nom les dé|)ositions; et comme ces dépositions tendaient à devenir, sinon l'unique, au moins le principal ' La justice, au besoin, devait même lui en fournir un : Loi nouvelle, arlitle 11. ^ Loi nouvelle, article 2a. — Mutation de la loi nouvelle, article 32. — I" régiment de Ileijisberg, article ô2. — Paix de Saint-Jacques , chapitre XXVI , articles 56, 57. 5 Voir cet acte. Tome XXXVIII. oS 434 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRLMUNEL éléinoiU (rnppréciation appelé à entraîner la conscience des juges, elles sen- tirent la nécessité de les faire écrire pour les fixer. La mémoire des enquê- teurs pouvait faillir : le témoignajïe do parchemin ne trompait pas. Dans le pays de Liège, le premier document qui constate ou qui introduit l'usage d'une enquête au seuil de tout procès crin)inel , porté devant la cour féodale de Tévèque, est la lettre des vingt de 1524 ^ ('ette lettre voulait que le sire, aussitôt après la plainte faite, nommât deux feudataires pour aller enquérir du délit sur les lieux , et que ceux-ci, après avoir recueilli par écrit les dépositions des témoins produits, rapportassent Ponquéte close et scellée au sire et à la cour -. Hemricourt, d'accord avec Jean de Stavelot, nous apprend que, au XIV* siècle, la nomination de feudataires, chargés de faire une enquête écrite et sur les lieux, était également le premier acte qui suivait la plainte devant le Tribunal de lu Paix , quand l'accusé ne demandait pas le combat et se soumettait à la vérité de la paix. « Item, » dit-il, « quant alcun sierat mis en la vcriteit del Paix, et dois » hommes sains sus|)icion y siéront commis pour enquérir la vcriteit des fais » auz frais des parlyes... et quant les enquesics siéront faites les enquereuz » devront cloir cl sayeler cascunne pour ly et raporteir les deveront en la » Paix à Liège, en mains de cely qui warderat la parolle Monsingnor ''. » Les mêmes formes sont encore rappelées, in terminis, comme d'un usage général dans la cour féodale de l'évècpie, par la Déclaration de fanneau du Palais de 1403 *. Sur ce point spécial il faut donc reconnaître, en passant, que la lettre des vingt, bien que non exécutée dans son ensemble, avait sorti tous ses elïels. Nous avons déjti dit, dans le chapitre l" de ce livre , que les paix du pays avaient pris des dispositions précises pour déterminer quels enquêteurs révèquc pouvait nonmier. Nous n'y reviendrons pas. Nous nous bornerons à ajouter (pie, d"après la mutation de In loi nouvelle , ToUîcier du lieu où ' Wiioi.wii.i, . ouv. eitr , |). I2r>. * CoiilKVH's du pays lie Liège, t. 1", p. 41)0. ' Idem , \)\i. 274, :27ij. ♦ Cinquième point de celle déclaralion. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 433 l'excès avait été perpétré ne pouvait jamais être présent ni à l'enquête ni au jugement K Tout ce que nous venons de dire se rapporte encore exclusivement aux diverses cours de feudataires du pays. Mais, des cours féodales, le principe de l'enquête écrite pénétra bientôt dans la juridiction des échevinages et dans celle des juges statutaires. Cela ressort à toute évidence de l'ensemble des dispositions des règlements locaux -. D'ailleurs Ilemricourt nous le prouve suffisamment en insistant sur la haute mission réservée au dei-c des échevins à Liège, chargé de tenir leurs écritures. « Et en verileit, » dit-il, « ilh est » bin nécessaire que li clercs des esquevins et de mayeur soyent secreis, » loyauls et féables, car tant giest plus en eaulx ly honneur et ly estas de » leurs maistres et de toutes personnes contenues en leurs papiers, qu'ilh ne » faiclie en leurs maistres mêmes, parlant que de toute (cvies laites par » devant eaulx, soit... de jugemens... de scntenches... de plaintes et d'en- » questescriminalz... ly maire et ly esquevins n'ont nient memore ne parfaite » cognissance ne sovenanche, et n'en saroyent-on pau ou nient recordier pour » l'inqiédiment qu'ilh ont de grant nombre que ons en fait parde\ant eaulx » s'ilhe ne soy raportoient à ce (jue leurs clercs en aroient mis par escript ^. » D'autre part, de même que dans les cours féodales, la nomination de com- missaires enquêteurs fut avec le temps en corrélation intime avec les enquêtes écrites dans les tribunaux statutaires et dans les échevinages. A Liège notamment, dès le XIV'' siècle, \os jurés des rinnres furent chargés spécialement de faire, dans le quartier qu'ils habitaient, l'enquête des alTaires ressortissant au Tribunal du Statut '*. Et si, dans quelques endi'oits, à ce qu'il semble, par exemple à Maestricht jusqu'en 1413 ^, les échevinages continuèrent à entendre par eux-mêmes les témoins à l'audience, et à faire écrire là leurs dépositions, ils durent cependant linir par se pliei- également ' MiiUttion de lu loi nouvelle, arliclc 73. - Voir, cntrcauires, I" réyinicnl de Heinaberij, articles jOet ."Il . — 5' réijiment de Ileuisher(j, passim. — Paix de Sainl-Jacrpiea , cliapiire XXII, article 34, etc. 5 Patron de la Temporulilé , p. 'J!)4. '' Voir oe que nous avous dit plus iiaut. — 1'" régiment de Ileinsherg , articles ôO et 51. — 2' régiment de Heinsberg, passim. — Paix de Suint- Jacques , diapitre XXII, articles 34, 55. s Privilège de Ulo, article 7. 11 y a doute cependant. 456 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL aux circonstances, et par déléguer celte mission à quelques-uns de leurs membres. Ce fait ressort à toute évidence, tant de Pélat des choses au XVh" et au XVII* siècle, que de Fintroduction du secret des dépositions dont nous parlerons tantôt. Remarquons en passant qu'à Saint-Trond Pusage d'entendre les témoins par commissaires précéda celui de faire rédiger la déposition des témoins par écrit. La charte de 1393 constate que depuis longtemps les échevins de Saint-Trond avaient coutume d'entendre les témoins, quand ils étaient réunis à deux au moins, et de rendre sentence après s'être vcrhaicment communitjué les dépositions faites (|u'ils gardaient de mémoire : elle ordonne que, dorénavant , toutes les dépositions des témoins devront être écrites. Quoi qu'il en soit, l'enquête écrite n'était pas seulement destinée à servir les intérêts de l'accusation. Pendant sa durée l'accusé pouvait, aussi bien que le plaignant, faire entendre ses témoins, s'il le jugeait utile. « Ly plaindeur, dit le Patron de la Temporalité , « deverat proveir devanli'ainement, et ly res- » pondant poral après conire-proveir '. » Si néanmoins l'accusé n'usait pas de cette faculté, il n'était pas forclos du droit de prouver son innocence. D'après la lettre des vingts notamment, il pouvait plus tard « monstreir par bons » tesmoings qu'il en est sains coulpe "'. » D'après la paix de Saint-Jacques, il pouvait toujours produire ses témoins, pourvu qu'il les nommât et qu'il ne les eût pas débattus dans ses écritures ^. Il est vrai qu'à la lin du XV"" siècle on ne se bornait plus à faire une seule cncpiête au seuil du procès; on faisait déjà une enquête directe à la requête du plaignant, et une enquête contraire à la demande de l'accusé*. Dans tous les cas, néanmoins, et à toutes les époques, les témoins produits furent entendus par les encpiêteurs, tant à chai'ge qu'à déchai-ge. Le réfjimeitt de lleinsberg et la paix de Saint-Jacques, qui iap|)ell('nt ce principe à propos de la juri- diction des juges statutaires, se rapportent évidemment au droit commun ^. * Coutumes (In jmi/f (h /'ii'ije , t. I", p. 'J74. * Idem , iliiilem , |i. 'l'.tO. ^ l'itix de S(tiiit-./ue(n% ôl. — l'air de Tonfjres, c\v. * i"rég.de Heinsberg, art.ùi. — Paix de S'-Jacque$, th. XXVI, ait. 56 et 57;cli.XXIV,arl.4. î PaixdeSuinl-J(ic(iHes, cliapilrc X, article 17; cliapitrc XXVI , articles "JG, fj7. 1^* Xoiis avons ra[)pclc dans le l" livre la disposition de la ré/ormatiun de Groislieecl; (jiii con- state ce fait. ' De Ram, Doruiiienis inédits sur les Irouldes du pai/s de Liéfje pendant le ri'gne de Louis de Bourdon, p. 4t23; réclanialion de Watliieu d'Atliin contre sa condanuiatiou. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE 441 pas de nature à détruire sa culpabilité ou la criminalité du fait qu'il avait commis , la sentence et l'exécution de celle-ci suivaient de près la preuve. Passons désormais à l'étude de la procédure d'enquête ou inquisitoriale, et consacrons-lui le paragraphe suivant. § IV. — Des origines de la procédure d'enquête, de sa marche et de ses développements dans le pays de Liéye , du XÏW au XVP siècle. Tandis que la procédure accusatoire mettait en présence un accusateur et un accusé, le premier allirmant la criminalité de son adversaire et s'enga- geant à l'établii', le second sachant la poursuite dont il élail l'objet et les moyens dont on voulait se servir contre lui, la procédure inquisUoriale ne connaissait, à proprement pailer, ni accusé, ni accusateur. Dans la procédure inquisitoriale, il y avait un crime dont on avait constaté l'existence. Il y avait de plus un juge qui, soit d'office, soit à la réquisition de la victime de l'infraction, soit sur la |)rovocalion d'un justicier, recher- chait un coupahle. Il n'y avait de véritable accusé que lorsque celte recherche avait |)roduit des résultats, lors([ue des preuves de criminalité à charge d'une personne déterminée avaient été re(-ueillies. Enfin, cetle |)ersonne même appre- nait l'existence de la procédure, dont les résultats lui portaient préjudice, seu- lement par V(>\w\\{w\\ (\\\ décret d'appréhension cpn' la frap|)ait. La procédure inquisitoriale a\ait été introduite dans le monde, en 1216, par le quatrième concile de Lalran. Jusqu'à celte époque les poursuites, même dans les cours d'église, ne s'exerçaient que par accusation. Quand une accu- sation était formée, et pas avant, le juge entendait les témoins produits par les parties. Depuis 1216 on permit aux juges d'église de commencer le procès, dès qu'un crime serait constaté, par la voie de l'enquête. Mais on voulut que, en procédant à cette enquête, ils s'abstinssent de désigner la personne de l'inculpé même quand ils la connaîtraient d'avance. C'est pour cela que l'encpiête de la procédure inquisitoriale reçut le nom lïenquéte géné- rale. Elle portait, en effet, sur le crime et indistinctement sur tous ceux qui auraient pu le commettre. Elle n'était dirigée contre personne en particulier '. ' Coutumes du pays de Liège, t. I", pp. 237, 238. Tome XXXVIII. S6 442 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Des cours d'église ce mode de poursuite nouveau pénétra plus ou moins rapidement dans les cours séculières. Il ne fut pas accepté sans peine, au for temporel, dans les pays où les traditions antiques, le duel judiciaire, les preuves négatives, le sentiment exalté de Tancienne liberté individuelle ger- manique étaient restés vivaces. A Liège, par exemple, il n'est pas encore question de la procédure inquiailoriale, ni dans les échevinages , ni dans les cours féodales, à la fin du XIII*^ siècle. Li Paweil/iars, les lois miiées^ h paix des clercs, n'en font aucune mention '. Mais, dans le cours du XIV'' siècle, la procédure inquisitoriale se consolida à Liège même en dépit de lous les obstacles, parce que, malgré les abus qu'on en a fait, elle répondait à un véritable besoin social: celui de faire réprimer les crimes graves dont on ne connaissait pas aussitôt les auteurs. Tant que la procédure par accusation avait été seule admise dans les tri- bunaux, bien des délinquants écliappaienl à toute espèce de peine. La victime de l'infraction n'osait pas toujours accuser formellement l'Iiomme qu'elle croyait coupable, parce que, si elle ne prouvait pas le fondement de son action, elle encourait une responsabilité grave. Il ne lui restait qu'une cliose à faire: dénoncer le crime au juge, lui demander \c cri du perron, et atlendre le résultat de celui-ci pour portei-, le cas ècliéant, son accusation contre la personne qui s'avouerait lauleur du fait. En eflet, le cri du perron était une proclamation faite par la justice, par laquelle on faisait connaître que tel ou tel crime avait été commis, et par laquelle on invitait le coupable à venir se dénoncer lui-même dans un délai déterminé sous peine d'être tenu pour murdreur, et de ne plus être admis à faire valoir aucune excuse s'il venait à être connu autrement. Il est question de ce cri dans la loi nouvelle de JÔSS, dans le Statut de Maestricht de I3S0, et même dans la paix de Saint-Jac- ques -. On comprend que ce cri du perron, considéré en lui-même, était une res- source assez faible. Tant qu'il ne fut pas accom|)agnê d'une recherche d'ollice, faite par la justice, les délin(|uanls (pii axaient pris leurs mesures de précau- ' Coutumes du pays de Liège, t. I", |(. ô'.'.S. - Lui nouvelle, iirtiile 'JV. — Slaliil île Maesiricht de I'jSO, article ;)'2. — Paix de Saint- Jur(pies, cliiipilrc V, arlicle "l. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 443 tion n'eurent garde d'y obéir. Les coutumes liégeoises finirent donc par per- mettre aux individus lésés par une infraction, quand ils ne connaissaient pas l'auteur de celle-ci , d'invoquer l'appui de la justice et de lui demander de faire une enquiHe générale d'après les principes inaugurés par le concile de Latran. C'est dans ces conditions que nous voyons pour la première fois un docu- ment du pays de Liège, le Statut de Maeslrkht de 1580, faire mention de la procédure mquisiloriale et en parler, non comme d'une innovation, mais comme d'une pratique déjà reçue. Le Statut a soin de rappeler qu'en vertu d'une respectable franchise publicpie du pays on ne peut entendre de témoins contre une personne déterminée, à moins (pi'il n'existe un plaif/iKint, c'est- à-dire à moins qu'il n'y ail un accusateur qui aflirme la culpabilité de cette personne. Mais il fait innnédiatemenl une exception |)()ur le cas où la victime d'une infraction ne sait pas en désigner l'auteur : « der niemaud sunder- » linghe genoemen en kunde K » Un bourgeois de Maestriclit est-il victime d'un vol, et ne connaît-il pas le voleur, il peut venir devant le juge et dire : « on m'a pris tel objet; je ne sais vraiment pas qui est le coupable (maer » ben weit niet verwaerlyk we dat lieet). » Puis, après cette allirmation, il lui est loisible de demander qu'on fasse sur le fait une enquête générale; « eine » gemeyne getuygscbap ende besuek doen hooi'cn -. » Dans ces circon- stances le lésé ne s'engage à rien. 11 dénonce un fait. Il n'accuse personne. Il n'encourt aucune responsabilité. Le privilège de Maestriclit de 1415 est conçu absoliunent dans le même esprit que le Statut de 1380. ()uand un bourgeois, dil-il, est lésé par une infraction, et qu'il ne connait pas toutes les personnes coupables, il doit com- mencer par aflirmer sous serment cette ignorance partielle. Dès lors l'enquête qu'on fera aura la même valeur contre les personnes non désignées que contre les accusés désignés dans la plainte. Ses résultats pourront faire pleine preuve contre tous. Quand un bourgeois, ajoute-t-il, est lésé par une infrac- lion commise de nuit, secrètement, traitreusement (heymelyc, met nachte ende bi ontide of verborgerlic), et qu'il ne connaît aucun des délinquants, il • Article 90. 2 Article 122. 444 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL peut afïirnier celte i^Miorniice complète sous serment, sonder arf/elist, el demander aussitôt une enf/uète (jénérule sur le fait '. La charle de Saint-Trond de 1595 est moins explicite dans Tordre d'idées qui nous occupe, mais elle semble introduire la procédiu-e inquisitoriale dans la ville. Lorsqu'un méfait est commis secrètement, dit-elle, de manière qiCon ne puisse en connaitre l'auteur sans le rechercher, cette recherche pourra se faire « om rusten wille ende alleen om te hueden der portere eere van Sen- » truden; » les écoutètes ou l'un d'eux devront seulement y appeler les deux maitres et six jurés pour entendre les témoins avec les écheviiis -. Uomme on le voit, les trois chartes n'abandonnaient pas au choix arbi- traire de la victime de l'infraction le mode de poursuite. Elles ne lui permet- taient de recourir à la voie inquisitoriale que si la voie arcusatoire lui était fermée. Elles considéraient, en un mot, la procédure d'enquête comme une ressource exceptionnelle, qu'on subissait par nécessité, mais à laquelle on ne recourait pas encore de droit commun. C'est un point important à noter. Cependant, en se plaçant non plus au point de vue des parties lésées, mais au point de vue des justiciers, on ne saurait méconnaître que, dès le XI V" siècle, ceux-ci virent grandir considérablement le cercle de leur initiative par l'introduction de la procédure inquisitoriale. Ils actpiirent facilement le droit de provoquer d'odice la recherche des auteurs inconnus de crimes constatés, alors même (|ue leur droit de poursuite cédait encore le pas aux accusations privées contre- les auteurs connus de délits contre les persoimes. La raison de ce fait se trouve aisément. Quand une partie lésée, connaissant son advei'saire, trouvait bon de ne pas le poursuivre, on conçoit jus(pi'à (m certain point que, dans les idées de l'époque, le seigneur ne se montrât pas plus exigeant qu'elle. Mais quand une personne lésée par une infiaction, dont elle ne connaissait pas l'auteur, restait dans l'inaction, on pou\ail supposer à bon droit (pie c'était par inq)uissance et non |)ar léllcxion. Quoi ([u'il en soit, plusieurs chartes du temps nous l'apprennent : (piand un ciinu! était constaté, et que la rumeur jinhlique désiijnait le coujiahle, les ' Ailiclc (;. - Cliiirlc iiK'ilitt'. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 44S JHSticiei-s du seigneur avaient le droit de promouvoir, c'est-à-dire de requérir, enquête contre Tiudividu fdmé. Le priviléye de Mueslrichl de IHô constate que la prérogalive dont nous parlons appartient depuis longtemps à Taniman : « als men van oudis gedaen heelt '. » Il concorde entièrement avec le pv- vilége de Sainl-Trond de i iil -. Les chartes concernant la Cité de Liège sont loin dï-tre aussi explicites que les documents dont nous venons de parler. Le réyimenl de Ileinsbertj, cependant, permet aux counnissaires de procéder par enqxiéle, ou autre- ment, en malière de crimes commis avec violation de domicile ■"'. Le record de 1460, donné aux commissaires, consacre le droit des personnes lésées par une infraction de demander cnf/iictc f/cnerale , à rintervenlion des com- missaires, sur le lait dont elles ont été victimes ». Ces deux actes prouvent à toute évidence que la procédure inquisitoriale était admise à Liège connue dans les villes voisines; et nous osons, sans nous croire trop hardi, allirmer que les chartes macstrichtoises de 1380 et de 1413 nous apprennent quel était le droit commim en ce qui concerne la procédure inquisiloriale au com- mencement du XV'^ siècle dans toute la princi|)auté. Jusqu'ici nous n'avons pas parlé des enquêtes géuèrcdes annuelles, pres- crites par le nouveau jecl, le réyimenl des basions, le réyimeni de lleins- benj, les privilèges de Mueslrichl, etc. ^. Ces enquêtes étaient des traques de police et non des emiuèles judiciaires ^. Ce|)endaiil elles |)ouvaienl con- duire aux mêmes résultats. Le régiment de lleinsberg permettait lormellc- ment d'appréhender les hommes « trouveit par enqueste ainsi de maele » lame... » pour être après « examineit et corrigiés sorloncque le forfait ". » Le privilège de Mueslrichl de 1 i28 disait : « ende soe wye alsoe {par » />« Cuiilumes du pays de Linjv , t. l", ]>. ^30. — Charte de 't'oiigres, article 6. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 447 que les magistrats enquêteurs faisaient part des preuves qu'ils avaient recueil- lies, quand leur besogne était terminée : « sonder dat erghent anderswair » te melden oft te openbairen '. » Enfin, que Tenquète générale se fit sur un crime et pour trouver un coupable totalement inconnu, ou qu'elle se fit contre un homme famé par la rumeur publique, il élait de principe qu'aucun inculpé ne pouvait y être dénommé : « nemine in hujusmodi generalibus » inquestis nominale. » A défaut d'observer celte dernière prescription l'en- quête était frappée de nullité ^. Sous Louis de Bourbon , une enquête ayant été dirigée directement contre un homicide, les maîtres de la Cité de Liéce la firent cesser : « quia non liccret facere inquisitionem super cive Leodiensi '\ » En revanche, les témoigna fjes recueillis dans une enquête générale régu- lière, bien qu'ils fussent reçus sans contradicteurs, élaienl définitivement acquis contre l'individu qu'ils chargeaient. Ces témoifjnar/es permettaient d'abord aux magistrats enquêteurs de dresser un décret de prise de corps, qu'ils communiquaient au justicier pour le faire exécuter ' lorsque l'homme famé par la rumeur publique n'était pas déjà sous la main de la justice. En elïet, si les privilèges de Sainf-Trond ne permettaient an justicier d'arrêter un bourgeois famé, qu'après que la fdme eut été suflisammenl établie dans une enquête générale ■', le privilège de Maestricht de Htô autorisait l'am- man à appréhender inconlinent tout individu de mâle fàme, et à provoquer l'enquête seulement après son appréhension *'. Ces mêmes lémoi(iiiages , bien (pi'ils fussent (|ualillés d'f,r/>Yy»r//V7W.s par le privilège inq)érial du :20 octobre lo8(), perniellaienl, selon la coutume liégeoise, à lA'I.gi, de procéder à la condanmation définitive du délinquant qu'ils chargeaient \ La charte de Saint-Trond de IÔ9Ô le dit formellement : « soe suelen die vorghenoemde scepenen tôt onser maenisse oft onser scou- » teten vonnisse moghen gheven nae dien dat in den selven besucke bi hen ' l'riviléyu de Suiul-Trond de 1417. - Georges d'Aulriclie : Slaltils coiisistoriuiuc dr l.'i.'il, tli;ij)ilrc XVU, article G. ■' Vcteri Bttsco, dans VAmplissiina collvclio, t. IV, p. 123:2. * Coiilttines du pays de Liège, t. I", p. 236. ^ Privilège de 1417 . » Articles 10, 2(i, 27. ^ Le privilège de IS30 constate ce fait, qu'il condamne. us ESSAF SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » ijovoïKlen sal wordon. » Le pririlefje de Mocstrkht de J4I3 s'oxpriiue d'une manière analogue : « eiule dien befaemden oordel en vonnis doen » met onsen schepenen, nae bedraegenisse der waerheidt, om onse heer- » liclieyt daer in te verwaeren als nien van oudts gedaen heeft ^ » Une dis- position analogue se retrouve dans le régiment de Ilcinsherf/ . ainsi que dans \a paix de Saiut-Jacques -. Cette dernière charte déclare que le délin- quant chargé par une enf/uète yénérale faite selon le réfjimeiil ou autre- ment sera puni « comme au cas appartiendra. » Enfin, ces mêmes témoi- ffiKiyes extmjudiriels , toujours selon la coutume liégeoise ^, autorisaient le justicier, après exécution du décret d'apjtréhettsinn , ou quand le délin- quant était autrement sous la main de la justice, à mettre ce dernier à la torture si la nature du crime le permettait, et si la preuve fournie par l'enquête n'était pas sulfisante pour provoquer une condamnation. C'était le ài^wshiï ôes privilèges de Maestricfit de i ^13 et de 1428, ainsi que celui du privilège de Saint-Trond de 1 4 17 : tous disent (|ue l'amman ou Técoutète pourra pi/nen en bemeken *. Lorsque le délinipiant (pii allait être mis à la question était un bourgeois, les délégués du magistrat électif avaient la faculté d'assister aux opérations : on devait même les inviter à y être pré- sents pour qu'ils pussent garder les privilèges de la bourgeoisie. Mais, lorsque le déliixpianl était un étranger, les magistrats électifs, bien qu'ils eussent |)ris pari à l'cncpiête générale — ■ on ne savait pas n/firiellenienf , si elle allait charger un bourgeois ou un étranger — ne pouvaient plus se mêler des actes sul)sé(pients du procès '\ Nous verrons plus loin, au chapiire des preuves, à propos de quels crimes l'usage de la torture était permis. On peut se demander ici si la torture, dont il est fait mention dans les chartes saintronnaires et maesirichtoises du conunencement du XV'" siècle, était également usitée, dès cette époque, dans la Cité de Li('ge. Il est dilll- cile d'en douter, bien que le régiment de lleinsberg , en |)ailant de ce (ju'on 1 Ailiclc -i(i. - /" ri'iiinioil lie J/i'tiisl)i'rg, iiiliclc .'i. — Ptilxdc Sdiiil-Jdrrjiii's , cliapitrc XXII, nrlicle 40. ' CoïKlnniiK'c encore sur ce |i(iiiil jiiir le /)//ri7('(/(' de l.'i.'tO. * Privilège de Saint-Trond dr lit'. — Pririlctjc de Maestriclil de litô, arlicle 11. — Privilège de l-i2S, iirliclc 5. ^ Privilège de Suinl-Trund de 1 417 . — Privilège de Maestriclit de I i^S, arlicle 3. I DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 449 pourra faire de l'individu chargé par une enquête générale , se serve du mot ambigu examineit ', et bien que la paix de Saint- Jacques ne permette que de l'appréhender, « sains autrement atteimpter à son corps -. » En efl'et, d'une part l'expression de la paix de Saint- Jacques peut recevoir une inter- prétalion très-plausible et nullement exclusive de l'usage de la question. Nous rencontrerons celte interprétation plus loin. D'autre part, les chroni- queurs liégeois nous parlent sans aucun étonnement de la torture, à propos du pays tout entier. Les chartes de la cathédrale nous apprennent que, en 4 420, on a mis à la torture à Beaufroipont Jean de Lowen, « homme de » lignage et de bin » mais étranger, à l'occasion de violences graves qu'il avait commises ^. Jean de Stavelot nous parle d'un délinquant nommé Lorent qui, pendant le règne de Jean de Heinsberg, avou:i son crime « sans dis- » trinction ; » et d'un autre, Coict, qui, un peu plus tard, « at cogneut et » gehit sens tenir ni y estre Iraveilheis ni stendus...; » il admet, dès lors, comme constant que, si la justice l'avait voulu, elle aurait pu les dislraindre, traveilher ou stendre l'un et l'autre *. Velcri Busco, de son côté, nous eniretient, à propos de l'année 1/*49, d'un délinquant qui, « captus et ad » torturam posilus, in initio tormeiitorum se ipsum accusavit ''; » à propos d'un temps un peu postérieur, d'un autre délinquant qui « illa nocte positus » ad torturam ^'; » d'un aulre encore qui « positus ad lorturam nihil dicere » volebat, sed lanista Tlicnismonic induit solulares cum sapono anie ignem » quod excedit onuiia tormcnla, et sic coiifessus est et lïiil decollalus '. » Jean de Los également nous parle d'un voleur qui, en l'an 1497, « modico » tormento lorlus, conlessus est se lalionem esse quatuordecim personna- » rum ^. » Évidemment, si la torture n'avait pas élé naturalisée dans le pays de Liège tout entier, les chroniqueurs exacts, curieux, précis, et géné- ' Arlidc 5. Ce mol, dans la langue judiciaiiu du XV siècle, a le sens dinlerrocjé el de lor- tiirè : on ne saurait décider dans lequel des deux il est employé ici. ^ Paix de Sainl-Juci/ues, chapitre XXII , article 46. ' ScHOONBiioODT, ouv. ci té , aclB n" 100). * Clironiqiies de Jean de S(avclul , pp. !2!)l, 511. " Amplissimu colleclio, t. IV, p. 1218. '' Idem, idem, p. 135i. ' Idem, idem, pp. 1564 el 1567. * De Ram, Document relatif), aux troubles, etc., p. 113. Tome XXXVIII. S7 4a0 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL ralemont très au courant des usaj^es judiciaires nationaux, auxcjuels nous empruntons ces textes, n'auraient pas inan(|ué de se récrier contre la singu- larité et la cruauté d'un mode d'enciuète que quelques justices auraient adopté, tandis que d'autres le rejetaient encore. Mais quels étaient les droits d'un individu appréhendé à la suite d'une enquête générale et chargé par elle? Sa défense était-elle libre, et pouvait- elle se pi'oduire contre les témoignages reçus dans l'enquête avant que, en conséquence de ceux-ci, on eût recours à la torture? Force nous est de dire que, pendant la fin du XV'' siècle au moins, les droits de défense de l'accusé enveloppé dans une procédure inquisitoriale étaient fortement méconnus. Sullridus Pétri nous dit : « in statutis Leodien- » sium id cautum est ne quis lesponsum impetrat, vel ad j)ui"gandum admit- » tatur, de quo per quaestiones et puhlica leslimonia constat quod reus » culpa sit ciijus arguitur '. » Nous croyons que Sulfridus Pétri aurait été assez embarrassé de donner le statut écrit qu'il invoque; mais son témoi- gnage pris dans son ensemble est irrécusable, d'abord parce que l'auteur écrit ayant sous les yeux la pratique des tribunaux , ensuite parce que son artirmation est corroborée par les données de la paix de Saint-Jacques. La paix de Saint-Jacques nous a|)prend que « veyu que les paix failles » n'en font en rins mcncion » on se demandait souvent si la partie eiiquesti'e, dans une enquête générale régulièrement hosportce , poux ait avoir ses » débats, alleganches, et contre renionstrances » ; et ses rédacteurs, pour empêcher à l'avenir iVanciens abus de se reproduire , décident : 4" Que, en vertu de l'enquête, on pourra simplement appréhender l'inculpé « sains autrement atteinipter à son corps;» en déclarant la cause de son emprisounement et le contenu de l'enquête; 2" Qu'on devra lui accorder terme d'aUégances, s'il le demande, de manière qu'il fasse ses allégances de jour à autre quand faire se pourra; 3" Que si l'inculpé est alors reconnu cou|)able, on le punira comme au cas appartiendra, mais que s'il est innocent on le relâchera sans frais -. ' Chapitre XXXVIII, page 198; cité par Dewcz. * Puis (/(■ S(u'nl-Jacfiucs , cliapitic .XXII, artiile 4G. .\ rapprocher de larliele 122 du Statiil (le Mucstriclit de lôiO. DANS L'ANCIEiNNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 431 Il résulte de l'ensemble de ces principes que les rédacteurs de la paix ne voulurent plus qu'on atlemptût an corps de la partie enquestée, qu'on la soumit à la torture, avant qu'elle eût pu faire valoir ses moyens de défense '. Néanmoins, comme nous l'avons dit, les témoignages acquis contre elle dans l'enquête générale restaient debout et continuaient à faire preuve pour le fond du procès, et pour la mise à la question, si l'inculpé ne parvenait pas à en renverser les données. C'est le privilège impérial du 30 octobre lo30 qui le constate, en condamnaht vainement un état de choses préexistant. Il nous reste, avant de parler ex professa de Yurrestution préventive, à faire encore deux remarques à propos de la procédure inquisitoriale dans le pays de Liège. 1° Cette procédure, une fois qu'elle fut consolidée, ne tarda pas à prendre de notables développements. Conune on ne pouvait arrêter sans décret ou sans jugement les surcéans du pays qu'en flagrant délit, Tusage des enquêtes générales et secrètes pouvait seul procurer la répression d'un grand nombre de crimes ^. Tandis qu'à la fin du XIV" siècle on procédait par enquête seulement quand l'introduction iWmc procédure accusatoire éia'il impossible, on en vint donc insensiblement à se servir de la voie inquisitoriale à propos de la plupart des infractions graves. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point dans le livre suivant. 2" Quand une enquête (jénérale, régulièrement faite et hosporlée, ne four- nissait pas de preuves de criminalité à charge d'une personne, mais qu'elle laissait peser sur elle des soupçons graves, les magistrats électifs, d'accord avec les échevins, avaient la faculté de la corriger exlrajudiciuirement , soit en la bannissant, soit de toute autre manière '\ ' C est l:'i le sens niiliiiTl do rnrlitlc. De son poiitexte il résulte qu'il a voulu sauvegarder la défense de l'accusé, el non condamner en iirincipc cl , n'importe après (luelle procédure, la mise à la (iiicstion de celui-ci. ^ Coiiltimes du pays de Liège, t. I", p. 258. D'après les Statuts consistoriaux de Georges d'Autriche, chapitre XIX, article 6. 5 Privilège de Saiiit-Truiid de 1-il7. — Privilégede Maeslrichldei4t5, artidle 26. — Statut de Maestricht de 1380, article 122. 452 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL § V. — De l'arreslalion préventive. Comme nous venons de le voir, le droit (Varrestalion préventive avait reçu une extension considérable par rintroduclion et par la consolidation dé h procédure inqiiisitoriale. Au XIII^ siècle, un délinquant, bourgeois d'une ville, ne pouvait guère, en pratique, être apprébendé qu^Mi jlufirant délit ^. Depuis le XIV^ siècle, dès le moment où les enquêtes générales et secrètes furent admises, tout sh/«'o«/(/« pays, même bourgeois d'une ville, cbargé par une enquête générale dûment Itosportée , put être apprébendé préventive- ment ensuite d'un décret de prise de corps, au moment où il s'y attendait le moins. Il y eut même des endroits où, par exception, on permit au justicier d'apprébender provisoirement les individus notés par une rumeur publique persistante d'avoir conunis un crime, à cbarge de promouvoir aussitôt enquête générale contre eux -. Nous n'insisterons plus sur ces arrestations opérées en vertu de décrets de prise de corps sur en([uéte. Nous en avons parlé longuement, tant au para- graphe précédent qu'au paragraphe où nous avons parlé des actes de juri- diction faits en commun par la loi et par le magistrat électif. Mais ces arres- tations relevaient d'un ordre d'idées et de principes tout spécial; et il importe de recbercber ce qu'étaient devenus, en debors des cas iïenquéte générale, les |)rincipes sur l'arrestation préventive dont nous avons constaté lexistence au XII h' siècle. Nous disions, dans notre premier livre, que le droit d'asile ecclésiastique était admis avec tous ses effets dans le pays de Liège an XIII" siècle. Au XIV'' et au XV" siècle, nous \ oyons que les Statuts de la Cité, le Statut de Muestrichl de 1580 et h paix de SaiiU-.l arques maintiennent à son égard l'état des cboses préexistant. Les Statuts de la Cité qui permettent de pour- suivre un homicide en r/iaude chasse, n'importe où il se réfugie, ajoutent aussitôt : «. sauf les franchises des églieses ^. » Le Statut de Maestricht ' Voir ce (]iii' nous iivoiis dit plus haut, cl inivilt'iic lie l'osses de 1447, »vlk\c il. ^ Privili(feih Miusiriilil île 1410, articles 10, '2(1. 3 Slattils de lu Cité, ailiclc l). — Paix de Suinl-Juctjuvs, chapitre .\.\V1, article 24. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. Aoô de ^580 reconnaît qirun délinquant qui s'est réfugié dans un lieu saint ne peut y être appréhendé; il déclare seulement que si ce délinquant quitte Tasile pour venir derechef commettre une infraction grave ou légère, « lultel » of veel, » dans la franchise, l'immunité ecclésiastique cessera de le cou- vrir '. La paix de Saint-Jacques , en ordonnant aux officiers de justice de poursuivre et de saisir les indisidus bannis sur peine capitale, en tous lieux où ils seraient renfermés, ajoute à son tour, « hormis les églieses, cymetières » et lieux saints -. » D'après une déclaration de principe, donnée en 1440 par l'évêque de Liège au magistrat de Maestricht, il n'y avait dans la principauté de Liège que trois espèces de délinquants exclus du bénéfice de l'asile; c'étaient les openbuere moerdenecrs -^ iiiurdreurs, les depo/ndalores atjroruin , c'est- à-dire les criminels qui brûlaient ou qui dévastaient les campagnes, ou qui empêchaient la culture des cham|)s, enfin les délinquants qui, ayant gagné un lieu d'asile, en sortaient pour commettre de nouveaux crimes et croyaient pouvoir s'y retirer de nouveau en sûreté. Dans chaque cas spécial, néanmoins, les magistrats séculiers étaient tenus de demander l'autorisation du chef du diocèse, ou de son délégué, pour opérer une appréhension dans un lieu saint '. Nous disions encore qu'au XIII« siècle les affomins qui venaient délin- quer dans une ville étaient traités avec une défaveur extrême. Ils pouvaient toujours être arrêtés préventivement, à l'occasion de toutes espèces (rinlVac- tions, même en dehors du cas de /hif/ranl déitl et sans (|u"il fut nécessaire de demander enseiynemenl aux echevins. La position des a/forains n'avait pas changé. Quand un a/forain entre en armes à Liège, dit le Statut de la Cité de 1528, et (|u'il refuse de déposer ses armes à l'entrée de la ville, « il doit estre » tenus ou arresteis, jusqu'à tant que asseis arat fait de X soûls de turnois » d'amende ^. » 1 Artkle 104. * Paix de Sailli- Jacques, chapitre XXII, arlicle 5. ^ Pas les simples homicides. * Slalulen Imelc van MaestrichI, uitgcgcvcn door Éversen,en note sous rarlicle 104 du Statut de I3S0. ï" Article 19. 454 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Quand un offorain, dit le Slaliil dv Macslrithl de ^580, fait du mal à un bourgoois dans la franchise, tous les bourgeois présents sont tenus de ra|)|)ré- liender pour (ju'on puisse le forcer à amender son méfait; et ceux d'entre eux qui n'accourent pas au cri depoorter! poussé par la victime, sont frappés d'une forte amende ^ Quand deux affomim , dit le même Slaliil, se battent enti-e eux à Maes- triclit, qu'ils se frappent et se blessent si peu que ce so\t,tvieveelofwie lultel des were, on doit les détenir tons les deux, jusqu'à ce qu'on sache pertinem- ment celui d'entre eux qui a tort; et l'on doit garder le coupable en prison jusqu'à ce (|u'il ait fait une réparation convenable au seigneur, à la partie, au voué, à la ville, ou qu'il ail donné caution sullisante "-. Des principes analogues se retrouvent dans le privilège de I ilô ^ D'après les privilènes de Suiiit-Truiid de 1417 . quand des alforains venaient dans la franchise pour commettre un rapt, un homicide ou d'autres violences, les bourgeois de la ville pouvaient les poursuivie dans toute l'éten- due de la principauté de Liège pour les saisir, les arrêter, les emprisonner, mais sans les tuer ou les blesser, et à charge de les remettre aussitôt à l'ofli- cier épiscopal du lieu de la capture. Ils ne devaient qu'avertir le justicier de Saint-Trond de la chasse qu'ils commençaient, pour (|ue celui-ci put les accom- pagner, mais ils ne devaient attendre ni sa permission ni son concours '. D'aj)rès les privilèges de Fosses de 1 447 , quand dos alforains s'ontrebat- taient dans la fianchise, ou que des alforains venaient dans la fianchise pour faire déplaisir à un habitant de l'endroit, les justiciers, les maîtres, les bourgeois pouvaient les appréhender préventivement, de manièie qu'on pût les coriiger selon le méfait, « en wardant et assistant le bourgeois sans » fiaude. » Si les malfaiteurs s'enfuyaient, on avait le dioit de les poursui- vre, à son de cloche, jusqu'aux limites extrêmes de la franchise ^. Le droit d'appréhender préventivement un alTorain (|ui avait délinqué ' Articles 14, 52, 53, 92. '■ Arliclc 9-2. 5 Arliclcs 15, 10. * l'riviléyc ik 1417. ' Priviléye de fusses de ti-il, article 17. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 4od dans une fiancliise, n'importe quand il revenait dans celle-ci avant d'avoir été jugé, était si absolu, que les charles relatives aux foires faisaient une exception expresse en faveur de ceux qui fréquentaient ces assemblées. La letlre de la foire de iooO , par exemple, assegurait tous les alïorains qui venaient à Liège pour la foire, pendant toute la durée de celle-ci, huit jours avant et huit jours après, sauf lesmurdreiirs, ardeurs, homicides, larrons, for jugés et aubains de leur fait même K La paix de Saint- Jacques, en termes plus explicites encore, leur promettait, sous les mêmes réserves, qu'ils ne seraient jamais appréhendés, « si ce n'est pour noveah melTais fait en la » ditle foire ^. » On doit expliquer la dureté du régime des alTorains, non pas seulement par les tendances orgueilleuses et exclusivistes qui se retrouvent au fond de l'esprit communal du moyen âge, mais encore par les principes de compé- tence en vigueur. Comme nous l'avons vu, pendant fort longtemps le juge du lieu du délit ne fut compétent pour condamner un délinquant que si celui- ci était sous la main de la justice. Les échevinages des franchises avaient donc un immense intérêt à pouvoir détenir les aflorains délincpiant dans leur ressort; car, des que ceux-ci avaient échappé, ils ne pouvaient plus même les condamner par contumace "\ Au surplus, l'alToraiii appn'hcndé dans le ressort d'une ville franche par un justicier n'était pas abandonné à l'arbitraire de celui-ci. De même (pi'au Mil" siècle, quand il invoquait l'appui de la fianchise, son appel devait être entendu. A Fosses, quand un aflorain appn'hendé par un suppôt de la justice criait franche ville! les bourgeois étaient autorisés, par le privilège de 1447 , à le délivrer, « resqueure, » sauf à le remettre incontinent entre les mains de leurs magistrats électifs. Ceux-ci pouvaient alors retenir l'alTorain pendant trois jours, en le conduisant chaque jour devant la justice; et c'était seule- ment pendant la durée du troisième jour qu'ils le livraient au maïeur, obligé de lui Caire la loi du pays *. ' Voir cette cliarte. 2 Paix de Saint-Jacques, cliapitre IX, articles 1, 8, 9. ■' A rapprocher de ce que nous avons dit plus haut de la compétence. » Privilège de Fosses de 1447, article \ 5. Cet article i 3 n'est plus maintenu dans le privilège de Fosses renouvelé par Ferdinand de Bavière en 1616. r^ 456 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL A Macslriclit, d'apiès le Sluliit de 1380, quand un alTorain appréhendé par le justicier du seigneur criait franche ville, ilèfemlez-moi! tous les bourgeois étaient lenus de répondre à son a|)p{'l. Ils le prenaient et le remet- taient entre les mains de leurs magistrats électifs; ceux-ci détenaient Taflo- rain et faisaient une enquête pour savoir ce que la partie et le seigneur avaient à réclamer contre lui; et, selon le résultat de cette enquête, ils avaient le droit absolu ou de relâcher PalToiain comme appréhendé à tort, ou de le livrer au seigneur. Ceci, ajoutait le Stiitul, est conforme aux privi- lèges de Liège et d'autres bonnes villes, car la ville de 31aestricht est à droii cl à toi comme une ville bonne et franche ; c'est pourquoi ses magistrats ont à veiller à ce qu'aucun étranger, invoquant l'appui de la franchise, ne soit, pas plus qu'un bourgeois, mené hors de droit et de loi '. Mais arrivons aux principes dominant la théorie de l'arrestation préven- tive des bourgeois et des siircéaiis du pays, délinquant dans un lieu où ils n'étaient pas considérés comme alïoiains. Nous avons dit plus haut qu'au XIII'' siècle les bourgeois des villes n'étaient soumis à l'arrestation prévenlive que lorsqu'ils avaient été pris en flagrant délit, et lorsque l'inlVaclion commise i)ar eux était grave, par exemple un homicide ou une mutilation. Le privilège des bourgeois avait été étendu à tous les surccants du pays pendant le cours du XIV" siècle grâce à l'interprétation donnée à la paix de Fexhe'. V^mlunl la période qui nous occupe on tenait pour maximes irréfraga- bles : qu'un délincpiant ne pouvait jamais être détenu préventivement à l'occa- sion d'un méfait passible d'une peine pécuniaire s'il était en état de donner caution*; qu'un délincpiant ne |)Ouvait jamais être appréhendé préventivement qu'en llagi'ant délit , à moins qu'il ne fût sous le coup d'un de ces décrets d'uppréhensiun sur enqnvle générale dont nous venons de nous occuper *. ' Ailiclc \-2-2. '^ ï\\ik[M, l)isC()iii-s (le \H('i'2. j). 4i, noie V. ■' Privili'çjc (le Mucsirirlit de 1113, article 10. — Privilège de Fosses de 1447, nrticle 1 1. * Jacques Salwechteh, Tractaet crimineel, eliapilre I". — Cet ouvrage est une traduction du Tr;iité d'André Pcriicda, (|ui, traduit ileroclicf en français par Gilles Diiilcau de DuUin, lui dédii' aux (■(•li('\ lus de Liège. » jiarce qu'il ii trouvé » dit Ikiileau « ce livre eonfornie aux bonnes « ioi-i et consiitulioiis anciennes du pays de Liège. » Voir sur ce point : NvfELS, liibliothèque rliuisic de droit criiiiiiicl , p. 9i, n" 'JOO. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 457 Cependant, dans l'intérêt de la répression, on avait donné à la notion de flagrant délit une extension assez considérable. On se rappelle que, au XIII« siècle, celui-là seul était censé appréhendé en flagrant délit qui avait été pris ail fait, in ipso actu; et qu'à Liège, notamment, le délinquant bourgeois, dès qu'il s'était réfugié dans une maison bourgeoise, était à couvert contre toute arrestation préventive. Le Statut de ^302 avait déjà modifié cet état de choses ^; et, tous les documents postérieurs, conçus dans le même esprit que lui , assimilèrent le flagrant délit fictif au flagrant délit effectif. Ils per- mirent d'appréhender le délinquant non-seulement in ipso actu, mais encore pendant qu'il fuyait incontinent après avoir délinqué. Ils permirent d'aller le saisir n'importe où il se réfugiait, sauf dans les lieux d'asile. La paix d'Angleur décide que si un homicide n'est pas pris au fait, « on » le doit resuyre partout et en tous lieux dedens le vilhe où il fuirait, et » dedans le banlieux délie Citeit de Liège » pour le prendre et le livrer à la justice ^. Les Statuts de la Cité de Liège, dans tous leurs textes successifs jusqu'à celui de la paix de Saint- Jacques inclusivement, déclarent que l'homicide, non tenu, « serat albains tantoist de son fait meismes; et puet ehascuns siure » le malfaitour de chaut fait et prendre oii qu'il fuye ou troveis soit, et » livreir à le justice le saingnour pour justice faire ^. » Le Statut de Maestricht de 1580 dispose dans le même sens et à peu près dans les mômes termes que les Statuts de la Cité de Liège K Le privilège de la môme ville de 1443 met dans la chasse du seigneur (dans les limites de la franchise) l'homicide qui n'a pas été pris au fait, et permet de l'appré- hender pendant sa fuite ''. La paix des XII enseigne que tout homicide sera banni de son fait même, « et porat cascon cel faituel détenir et aresteir sens meffaire por luy livreir » al justiche ^. » ' Nous l'avons dit à propos du XIII' siècle lui-mèrae. ^ Voir cette charte. 3 Statuts de la Cité, article 9. — Paix de Saint-Jacques , chapitre XXVI, article 24. * Articles 2 etlO. ' Articles 10 et 13, combinés. s Coutumes du pays de Liège, t. I", p. 553. Tome XXXVIII. 58 458 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMI>EL La loi nouvelle, la miilation de la loi nouvelle, la modérai iou de la paix de Toiifjres, mettent dans la chasse du seigneur du lieu du délit, aussi loin que sa justice s'étend, et dans la chasse de Tévéque, dans toute la principauté, les incendiaires, les forcomniandeurs de terre, tous ceux qui de nuit ou de jour commettent un fait dans lequel il y a forche, « robe ou archin notoire, » aussilôl de leur fait même; elles accordent à la partie lésée le cri du perron pour les suivre, les détenir et les livrer au seigneur, etc. '; elles déclarent en termes exprès que le délinquant, suivi dans cette chasse, sera traité absolu- ment comme s'il avait été pris aile fresche coulpe -. Mais qu arrivait-il si le délinquant parvenait à se soustraire à la chasse? Pouvait-il encore, comme au XV'' siècle, réclamer un sauf-conduit pour venir assister au procès qu'on faisait contre lui et fournir ses décharges? Évidemment oui, surtout dans les comnmnes, et quand l'accusé était un bour- geois. Le Slalul de Maestricht nous l'apprend : « want eine vriheyt is in der » stadt van Lujck en in andere goede steden, dal ein porter, die sigh eynre » saecken vloghtigh gieft, goet vry en vaste geleide heet in der stadt te » comen, ombesorght voer imant, die wyle en aiso lange als home daigh en » tydt is bescheyde en cont gedoen om te doen sw eren wie op home tuyghen » van doetsiagh of van wat saecken dat sy... » Il se borne à lestreindre quelque peu la portée de ce principe en ce qui concerne la ville de Maes- tricht elle même ^. D'un autre côté, le déclaration de Vanneau du Palais de HOo nous rappelle aussi que non-seulement les témoins, mais encore les plaideurs, sont asségtirés pour venir à l'enquête. Elle dispose en termes généraux et sans faire mention des bourgeoisies *. Ilemaïquons toutefois, en passant, cpie la position du bourgeois, placé sous le coup d'un décret d'appréhension rendu sur enquête, était tout à fait dilTérente de celle du bourgeois qui avait réussi à se soustraire à la chasse commencée contre lui en flagrant délit. Sa fuite ne portait aucun préjudice à l'exécution ' Loi nouvelle, article 24. — Mutation de la loi twuvelle , article 50. — Modération de la paix de Tongres. * Mutation de la loi nouvelle, article 30. '• Aiticlc l-JG. * j' point de celte déclaration. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 4S9 du décret, n'importe quand celle-ci pouvait être opérée. Le Statut de Maes- tricht permettait de déclarer aubain pour cent ans et un jour le bourgeois, chargé par une enquête générale, qu'on n'était pas parvenu à arrêter '. Dès lors, pendant ces cent ans et un jour, il était assimilé aux afïorains, et les principes que nous avons développés plus haut lui étaient applicables. Le pri- vilège de la même ville de l'année 4 428 déclarait de son côté : « ende oflf » hem ymant absenteerde die in'der inquestie befaemt als boven bevonden » woirde, die en sali niet quijt siin, mer als liij weder kompt sal hij gecorri- » geert werden, het sij dat hij hem voer die selve inquisitie, daerin of daerna » absenteerde -. » Nous disions encore dans notre premier livre qu'un bourgeois des villes, ayant porté à un autre un coup mortel, ne pouvait être appréhendé avant la mort de sa victime. Nous retrouvons encore l'expression de cette franchise exorbitante dans les privilèges de Fosses et dans ceux de Maestricht. Quand, entre bourgeois de Fosses, dit la charte de I447, il y a débat dans la franchise , et que de fait pourvu ou autrement un d'entre eux donne à l'autre un coup capable d'occasionner la mort, « les officiers de M^' ne allres » ne peuvent prendre le coupable tant que le blessé est vivant et que « on » puist percheveoir vie au corps •''. » C'est seulement a|)rês la mort de la victime que le délinquant sera dans la chasse du seigneur. Le Statut de Maestricht de 1580, de son côté, a|)rês avoir constaté que la franchise dont nous parlons est encore connnune à toutes les bonnes villes de la principauté, la modifie en ce qui concerne Maestricht. Il permet d'arrêter le bourgeois qui a donné un coup à un autre, des que le blessé reste couché à terre ou qu'on doit l'empoitei'; mais la détention jjréventive ne peut durer que quarante jours. Après l'expiration de ce terme, si le blessé est assez fort pour sortir, qu'il sorte ou qu'il ne sorte pas, on forcera le coupable à faire sa paix avec lui et à donner caution suffisante ; si le blessé est mort, le délin- quant sera toujours châtié comme meurtrier. Le privilège de 1413 dispose de la même manière *. ' Article 122. * Article 5. '"• Article 14. * Statut de 1580, article \". — Privilège du 1413, article 10. 460 ESSAI SUR LHISTOIRE DV DROIT (:RIMI>EL Nous trouvons ici un nouveau cas d'application de cette maxime de Tan- cieu droit, en vertu de laquelle le lait (finfliger des blessures, occasionnant la mort dans les quarante jours, était considéré comme un crime d'homi- cide '. Quant au droit du grand maïeur de Liège d'appréhender, sans onsei- (jnement des échevins, les ardeurs, robeurs et murdreurs, qu'ils fussent bourgeois ou non, lorsqu'il y avait une qûasi-notoriété de culpabilité, il se confondit insensiblement avec les droits que conféra au même justicier la consolidation de la procédure inquisitoriale. Nous ne croyons plus devoir y insister. Il importe, au contraire, d'appeler l'attention sur les précautions usitées en prati(|ue, lorsqu'un particulier sommait un justicier de procédei' à l'apjjré- hension d'un tiers. Le maïeur ou ses varlels commençaient toujours pai- prendre caution de ce particulier, de manière à avoir un recours sérieux contre lui si l'arrestation était jugée abusive. Tout homme, en elTet, qui prétendait avoir été appréhendé à tort, avait la faculté de porter plainte à la loi, ou au Statut , ou ailleurs; et si le juge saisi admettait le fondement de son action, il obtenait des dommages et inté- rêts. De plus, il pouvait demander au maïeur d'être indemnisé sur la caution remise entre les mains de ce dernier, pour n'avoir pas à soutenir une longue procédure -. En terminant le paragraphe consacré à l'arrestation préventive il reste une dernière question à résoudre. Nous avons vu que le délinquant poursuivi en flagrant délit pouvait èli'c arrêté n'importe où il se réfugiait, sauf dans les lieux d'asile. Il en était à fortiori de même de l'individu régulièrement décrété de prise de corps après une enquête générale. Dans l'un et dans l'autre cas, riinniunité, absolue en i)rinci[)e, des maisons appartenant à des bourgeois, à Liège, et des maisons canonicales, cessait ses elïets. Mais, tandis (pfen chaude chasse il ne fallait, au moins à ce qu'il semble, aucune formalité pour extraire un délinquant d'une maison bourgeoise, la coutume s'était insensiblement introduite de ne pas permettre à un justicier d'exécuter ' Nous avons vu dans le 1" livre que li Putveilliars l'ail également nienlion de ecUe règle. * Record de 1450, articles 3 et 4. I DANS L'ANCIENÎVE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 461 dans une de ces maisons un décret de prise de corps à moins d'être accom- pagné des maîtres portant leurs clefs magistrales, ou d'être muni lui-même de celles-ci ^ Quand cet usage des clefs magistrales s'était-il introduit? Il est impossible de répondre d'une manière précise à cette question. Les Statuts de la Cité de ^528, tout en comminant des peines contre celui qui « clorat son huis » contre le maïour et les maistres... en lour office faisant de tant comme il » apartient à ces status, » ne nous fournissent aucune solution -. La pre- mière mention authentique que nous trouvons de l'usage des clefs magis- trales, en matière d'arrestation, se trouve dans un traité de confétlération des villes liégeoises du 23 mars MGG. Nous lisons dans ce traité la phrase sui- vante : « et pour qu'il at esté pris en sa maison, ce at esté après sa cognis- » sanee, et y ont esté maistres de Liège ayans lescleiffz, et plussours jurés, » auxquelz point n'est deffendu de prendre malfaiteurs en leurs maisons, et » l'ont uzé Ligois délie faire de temps passé devant la paix de Fexhe, et » depuis tousjours quant le cas l'ont requis, car le franchise dit qu'il ne lyst » à mayeur de Liège de quérir le larron ens maisons del borgoix, mais point » nel deffent aux maistres et jurés ^. » ISans admettre comme certain tout ce que contient la phrase que nous citons, elle constate cependant (|ue l'usage des clefs )na Coutumes du pai/s de Liège, t. ]"; p. 273. * Chroniques de J ean de Stavelot , pp. 582,583. ■■ Posilio pi-ojusti/icutione, folios l'J5, 208, 209, 213. '■' Alkemade, dans rexcellent traité relatif au Kampiecht, que nous avons cité, énonce la mcnic idée d"unc manière générale. 464 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL combat un de leurs concitoyens. A Liège, par exemple, eu 1350, la popula- tion réunie in palafio décida que si un bourgeois adressait à un autre une provocation telle que le combat « daer om ontlialden ende verbonden moghle » worden, » il encourrait au profit de la Cité un ptMerinage à Pile de Cbypre. A iMaestricbt, en 1380, la bourgeoisie décréta un statut analogue : le pro- vocateur devait encourir une amende, plus un voyage à Saint-Jacques de Compostelle, plus une peine spéciale pour les paroles outrageantes qu'il avait proférées '. Ces mesures locales n'abolissaient pas le duel comme moyen de preuve. Hemricourt nous parle encore des droitures dues aux écbcvins, « touttofois » que on fait cbamp de batalbe par devant eaulx, » avant le règne d'Adolphe de la Marck; dioitures nient usées à son époque, non parce que les échevins ne pouvaient |)lus présider le chanq) clos, mais parce que le mode de les rétribuer avait été transformé -. Mais ces mesures empêchaient, par la force même des choses, beaucoup d'appels au combat de se |)roduire, et, d'autre part, elles marquaient un changement considérable dans les tendances de l'opinion publique. Dès lors les échevins, sous la pression des idées nouvelles, cessèrent peu à peu d'accorder, dans les rares circonstances où les parties demandaient encore le combat, le jugement interlocutoire qui seul, comme nous l'avons dit, don- nait ouvertuj-e à ce deiiiier ■^. Nous rappelons néanmoins en passant que, en 14:2o,Jean de Bcrnalmont appela encore Wathieu d'Athin au combat, pour une dette, et que « seur che fut ly dit champ loiet. » Mais comme Jean de Stavelot, qui nous rapporte ce fait, ne dit plus rien des suites de la provocation , il est probable que le duel n'eut pas lieu ^. Mais laissons le duel judiciaire que les mtrurs, plus (jue le législalcur, chas- sèrent ainsi peu à peu des juiidiclions criminelles, et venons aux preuves négatives. La loi di septenne ne nous arrêtera pas longtemps. Aucun docu- ' Statutenbock van Maeslrichl, note sous l'article 1)4 liii Statut de iôSO, et Statut de 15S0, nrliclc 9i. - Coutumes du paijs de Liéijc, t. 1'', pj). 500, 301. Le contexte liu Patron nous fournit la base de noire interprétation. 5 Al.KEMADE, OUV. cité. ♦ Clironi Coutumes du paijs de Liège, 1. 1", |i. 490. '•' Article 45. 470 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRDIINEL témoins « ydoinos et sans suspicion » pour la |)rcuve de l'alibi, et ses exi- gences étaient reproduites par h paix de Suint- Jacques '. Au surplus, comme nous Pavons déjà dit à propos du XIII" siècle, la déposition d'un seul témoin dijjne de foi formait toujours une présomption sérieuse. Ceci nous amène a dire un mot des présomptions et des preuves matérielles. En ce qui concerne les présomptions, les Statuts de la Cité de Liège, dans tous leurs textes successifs y compris celui de la paix de Saint-Jacques , ainsi que le Statut de Maestriclit de 1580 , reproduisaient in terminis la théorie des lois muées. Les présomptions pouvaient être admises en cas de ci'ime fait de nuit, hors voies, en lieu retiré, dont la ^érité n'apparaissait pas clairement : « van aile mesdeden die gedaen werden mit nachte, t'onlyde, » buyte weeghen en verborgentlic, van wilgen dat men die wairheyt niet » clairlyck vinden kan. » Les chartes que nous citons permettaient dans l'espèce à la justice de faire comme autrefois, d'« ailleir avant en bonne » manière et à plus près del droit et del fâme <;onimun , et le faituel corri- » gier selon le quantiteit del mefl'ait-. « Mais, par le fait même, ces chartes n'admettaient pas plus que jadis la preuve par pi-ésomplions en matière d'infractions commises avec une certaine publicité. Le Statut de Maestriclit de f380 nous apprend, à un autre article, quelles conséquences pouvaient avoir les présomptions de culpabilité résultant contre un bourgeois d'une en(juète qui n'avait pas produit une véritable |)reuve de culpabilité conlie lui. Si d'une en(|uète faite contre un bourgeois, dit-il, il résulte (pielcpies « onrcyne saken van duifden oft anders, » le magistrat élec- tif a le droit de prononcer de leur chef Vaubaineté d'an et jour contre le boui'geois chargé, et de lui ordonner de quitter la franchise avant le coucher du soleil en disant pnbli(iuenient pounjuoi; mais aussi, en vertu de celte déclaration, le seigneur ne i)eut pas faire appréhender celui qui en est l'objet avant le coucher du soleil. Le Statut ajoute : « ende is die saeke alsolligh » dat nuMi mcynt dal lie namoils soenen mach , so sal men roepen ahvant ter ' Mutuliiiii ilr ta lui iiuuvcllc , iii-ticit' (iG. — Paix de Saint-JactjiifS , iliajiiti'f IV, article i'.). ' Stalitl (le Mai'sliiclil de I3S0, avlklc 53. — Sluliils i/t lu Cité de t32S, iirliclo li\. — Paix de SaiDl-Jacfjiics , cliapiti'c XXVl, article 50. I DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 471 » tydl dat he gebetert heet : eiide dat sal men aldus hanteren nader vriheyt » der steden van Luycx ende van Hoyen ^ » . Quant aux preuves matérielles, nous avons peu de choses à en dire. Nous nous Jjornerons à signaler deux faits d'une certaine importance qui s'y rat- tachent. Lorsqu'une plainte du chef de blessures infligées était faite, le Statut de Maestricht de ^380 voulait que la victime de l'irifraction fût visitée, non-seulement par les enquêteurs, mais encore par un chirurgien , et que ceux-ci apportassent tous au tribunal, sous serment, le résultat de leur visite -. En matière de rapt, il fallait, d'après le même Statut, prouver que la fille ou la femme ravie avait crié au moment même où le ravisseur s'était emparé d'elle : « dat sij terslont en op die ure, dat sij onlschoeckt )) en genomen wart, geroepen hebbe of gecreten ^. » On craignait évidem- ment des collusions dans des alïaires aussi délicates. Il est à remarquer néanmoins qu'en cas de rapt d'une impubère, c'était le cri et Iwhay des parents plus que celui de la victime qui devait être pris en considération. Terminons, enfin, ce paragraphe en consacrant quehpios lignes à Wiveu. Les Statuts de la Cité , appliquant un principe de droit commun , mettaient l'aveu sur la même ligne que la preuve testimoniale : « par le confession de » cheli qui le arat fait ou par bons témoins *. » De |)lus, ils considéraient comme un aveu tacite, et comme faisant pleine preuve, le silence de l'accusé quand l'accusateur en appelait directement à sa loyauté sur la réalité de l'in- fraction. Lorsqu'un plaignant, disent-ils, se revoge sur le failuel^, c'est-à-dire se rapporte aux déclarations de l'accusé en ce qui concerne l'infraction dont il demande réparation, ce /«//«e/ doit répondre sous serment à la première, à la deuxième ou à la troisième citation (pii lui sera adressée; s'il ne répond ' Staltit (le Maestricht de 1380, arlicle 88. ■^ Aniclc 12. s Arliile 7. * Article 53. ' Los Staluls primitifs se servent du mot ruvoije , dont la signilicalion est claire, parce qu'il se retrouve dans l'article qui consacre l'obligation de déposer à charge des témoins qu'un bourgeois appelle en justice. Dans les Slutuls de 154S on trouve rerenge. Ce doit être un lapsus calami. Ce mot revenge donnerait à l'article entier un sens presque impossible à eora- pi'cndro. 472 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL pas, bien qu'étant dans le pays, il est afteinl del meffait , c'est-à-dire déclaré coupable, « ensi que proveis fuist souflisamnient '. » D'après la paix des XII , comme nous l'avons déjà vu, la négation for- melle d'un homicide, prouvé à suflisance de droit par la suite, changeait le caractère de l'infraction et lui imprimait la note de murdre -. Il faut reniar(pier toutefois que bientôt l'accusé fut admis à répondre par crédit à l'accusation, au moins dans les procès intentés à Vaceusatoire : et qu'alors le dernier principe, que nous venons d'énoncer, devint d'une appli- cation assez rare '\ Dans certaines localités, et peut-être dans le pays entier, on admettait comme preuve l'aveu même extrujudiciairc fait dans certaines conditions. D'après le Statut de Maesiriclu de 1580 , notamment, tout accusé qui faisait la paix à partie avec son accusateur, après plainte faite, fournissait par là même une preuve complète de sa culpabilité, « die were sculdigh des mes- » daet ghelyck of sy geproeft were. » Enfin partout, dans les procès intentés dans la forme inquisitoriale, l'aveu jouait un rôle décisif. C'était |)récisément pour l'obtenir que l'on avait recours à la torture. Il devait compléter la conviction du juge quand celle-ci n'avait pas été invinciblement entraînée pai' les résultats de Venquéte (jénérale. Nous allons essajer de caractériser en pou de mots dans quels cas la justice pouvait essayer d'arracher par la torture un aveu au détenu et quelles étaient les consé(|uences précises de cet aveu. Les documents liégeois du XV" siècle sont muets sur ces deux points ; mais nous trouvons quelques éclaircissemenls sur les usages anciens du pays de Liège, dans le traité de droit criminel d'André Perneda de 1554. Celui-ci, en elTet, fut traduit en 1555 en langue française par Gilles Boileau, de Bullion, et dédié à Messei- gneurs le maïeur etlesquatoi-ze éclie\ins de Liège, connue étant « conforme » aux bonnes lois et institutions anciennes du pays de Liège *. » ' Article 4!». ^ Coutumes du pays de Liège , I. I", pp. 535, 536. ^ Voir fc (luf nous avons . !)4, n° 9C0. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 473 Les règles principales qui dominaient l'usage de la torture dans le pays de Liège, au XV*' siècle et au commencement du XVI% étaient les sui- vantes : 1° On ne pouvait se servir de la question qu'en matière de crimes capitaux ou du moins de crimes graves K 2" On ne pouvait jamais soumettre à la torture un accusé contre lequel il n'existait pas déjà un ou des indices ou des présomptions graves de culpa- bilité, présomptions et indices étant abandonnés au pouvoir discrétionnaire des juges. Mais, d'après Perneda, on pouvait considérer comme indices graves de culpabilité la pâleur et le tremblement de l'accusé pendant son interrogatoire, la fuile qu'il avait prise au moment du délit , la déposition d'un seul témoin irréprochable qui le chargeait, etc. -. 3" La mise à la question était d'habitude ordonnée par un véritable juge- ment interlocutoire rendu par les échevins ; mais aussi elle pouvait parfois être ordonnée par le justicier seul , sauf le droit des magistrats d'assister à son exécution ^. 4" L'accusé avait le droit de se défendre contre les indices et les pré- somptions qui le chargeaient et qui pouvaient amener la torture. La paix de Saint-Jacques y avait pourvu ■*. 5" La torture devait être appliquée avec une certaine modération. Le juge qui en abusait était responsable. En revanche, il devait déjouer les pra- tiques et les sortilèges à l'aide des(iuels les patients s'elTorcaient de retenir un aveu près de leur échapper '\ 6° On ne devait, en général, interroger le patient pendant la question qu'à propos de ses propres actes. Cependant on pouvait interroger sur leurs complices, et sur tout ce qui pouvait être utile, les voleurs de grand chemin, les murdreurs , etc. ^. ' Nous employons la traduction flamande de ce traité, faite par Salwccliter. — Voir cha- pitre V. * Salweciiter, oiiv. cité, chapitres V et VI. ' Voir plus haut ce que nous avons dit de la procédure d'enquête. * Salweciiteh, ouv. cité, chapitre VII. i* Idem, chapitre VIII. ^ Idem, chapitre IX. Tome XXXVIII. 60 474 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL 7" Il n'était pas permis de réitéier la (jueslion à moins de survenance de nouveaux indices '. 8° L'aveu arraché par la question devait être pesé par le juge, pour voir s'il était véridique, s'il concordait avec les indices préexistants, si l'accusé ne l'avait pas fait par peur ou par faiblesse -. Mais nulle part il n'est dit que Vaveii arraché dans les tourments devait être réitéré en état de liberté pour faire preuve complète. Il semble que, bien qu'entaché de violence notoire, il faisait encore preuve contre le mal- heureux qui l'avait laissé échapper. En i-ésumé, s'il faut en croire Gilles Boileau , la torture s'employait encore à Liège, à l'époque qui nous occupe, avec une rigueur extrême. Nous verrons dans les chapitres suivants conmient son usage fut insensiblement mitigé et resti-eint. Pour le moment, et avant d'examiner ce qui concerne les prin- cipes généi'aux du droit de punii-, nous allons jeter un simple coup d'œil sur les principes proclamés par les paix du pays en matièi'c de procédure devant les cours ecclésiastiques. i^ VII. — De la procédure devant les cours d'église. Dans le présent paragraphe nous ne prétendons en aucune façon faire un exposé complet de la procédure usitée devant les cours d'église. Cet exposé sortirait du cadre naturel de notre travail. Nous nous bornons à détacher des Statuts (C Adolphe de la Marck de ioù7 , confirmés pai- Va paix de Ton- gres et par le chapitre l'^"' de la paix de Saint-Jacques, les règles sui vantes ^ Elles nous semblent caractéristiques : 1" Un procureur fiscal ou procureur d'office n'avait jamais le droit de citer quelqu'un en justice ecclésiastique, à |)ropos d'un excès, avant que cet excès fût enregistré dans le registre des juges. Il appartenait à l'offi- cial * seul d'apprécier la nature et la gravité du fait, et de décider s'il fallait ' Salweciiteh , oiiv. ciu'-, cliiipitrc X. * Idem, idem, fliapitrc V. ■ Li's Slaluls dWdolphe de lu Marck ivclanl pus impriiiu's, nous n'en donnons pas l'article. * Sans doute à Vurclu'diucre cgalcuieiit dans sa jirojjic tour. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 475 ou non en poursuivre la répression. En revanche , quand une poursuite était ordonnée, le procureur devait agir sans retard , à moins d'une permis- sion nouvelle de Tofficial ^ 2» Toute citation en justice ecclésiastique devait contenir la mention expresse de l'excès à l'occasion duquel elle était lancée , pour que la partie assignée pût avoir « conseil et délibération » avant de répondre, et être à même de se défendre. Les procureurs étaient pécuniairement responsables de l'observation de ce principe ^. 3" Toute personne citée à propos d'un excès quelconque pouvait toujours avoir un procureur et un avocat pour se défendre ^. 4° Les causes intentées par les procureurs d'oflîcc devaient être termi- nées le plus tôt possible. Si le procureur poursuivant ne prouvait pas « clai- » rement son intention , » il était tenu de rendre à l'assigné ses dépens *. Sans insister sur une matière qui nous entraînerait bientôt dans le domaine du droit canon, nous passons à l'examen des principes généraux du droit de punir. § YIII. — Des principes généraux du droit de punir. Dans le premier chapitre de ce livre, consacré au développement législatif du droit criminel liégeois, nous avons cherché à déterminer avec précision les territoires dans lesquels les dilïérentes chartes que nous rencontrions étaient applicables. Il ne sera pas nécessaire de nous répéter ici sur ce point. En revanche, il importe de caractériser nettement la place que les Slaluls municipaux occupaient dans les villes vis-à-vis de la loi du pays, wardée par les échevins et périodiquement modifiée tant par les régiments que par les paix nationales; et de dire un mot de la position des clercs, non liés en prin- cipe par la loi du pai/s , vis-à-vis des statuts municipaux et vis-à-vis de certains règlements d'une importance capitale. ' Paix (h Tongres, article 2-i. — Paix de Saint-Jacques , chapitre I", articles 38 et 70. '^ Paix de Tongres, article 23. — Paix de Saint-Jacques , chapitre I", article 71. ' Paix de Saint-Jiicques , chapitre l'', article BO. '' Paix de Tongres, article 2G. - Paix de Saint-Jacques , diapilTC I", article 7± 476 ESSAI SUR LHlSTOiRE DU DROIT CRI.MLNEL La proimilgalion des Slafuls municipaux n'avait ni modifié ni abrogé la la loi (lu pays. Lot et stalut restaient debout l'un à côté de l'autre. Il dépen- dait du plaignant de porter sa plainte ou selon le stalul ou selon la loi; mais, en principe général, tandis que la loi et le statut pouvaient être appli- qués par leséchevins ^, le stalut formait la base exclusive des jugements de l'ordre répressif i-endus par le magistrat électif. Les Statuts de la Cité de Liège de ^528, ainsi que le Statut supplémentaire de i53i énoncent, en termes exprès, les règles que nous venons de rappeler. « Salvée à nous noslre ditte loie, la quelle demeure en sa fourche et en sa » vertut, si avant que nostres eschevins desseurdis le wardent et ont war- » deit anciennement, sens estre de riens encombrée par les dis statuts ne » empeschiée, qu'elle ne soit appareilhiée à chascon qui la demanderat et » avoir la vourat. - » « Quiquonques plaindre se vorat... et avoir amende par ches dis status ^ » « Saulvées en toutes les choses dessusdites la loy telle comme ly esche- » vins de Liège le wardent, syque chascuns qui blechié sera soy puist » plaindre solonc la dilte loy ou solonc les status et ordonnances dessus dites » à laquelle que niieulx luy plaira. » La situation que nous venons de caractériser, en ce qui concerne la ville de Liège, était natui'ellenient à peu près la même dans les autres bonnes villes de la principauté. Elle changea, à Liège, seulement à la rédaction de la paix de Saint-Jacques. Cette charte statua, en elïet, « que de toute burine, cpiassures, el alter- » cations qui se feront de ce jour en avant sur la franchiese et banlieu de » Liège, l'on en debvera useir entièrement soit pour l'intérêt du seigneur ou » pour partie bleschiée, selon la forme des status et selon la qualité du » mcffait *. » • Les Statuts, d'après leur préambule même, avaient été promulgués parce que la loi du pays n'était pas assez sévère pour rc|)rinier les excès des malfaiteurs. Si les éclicvins n'avaient pas pu les appli(incr, le véritniilc rôle de i;:irdicns do l'ordre public eût été dévolu non aux éclic- vins, mais ;iiixjiigcs stalutaires. ■* Coutumes du pays de Liège, t. 1", p. 49"j. — Statuts de 1328, préambule. 5 Idem, Statu Is de /.3i'.Ç, article C5. ♦ hlem, p. IrHj. Statut de 1331. — Paix de Suiiil-Jac(jties, cliapilre XXIII, n" H, clpassim. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 477 Quant aux clercs, ils n'étaient i)as plus liés par les Statuts municipaux que par la loi du pays. Le Statut supplémentaire de / Jo / disait bien que ses dis- positions devaient être applicables tant aux chanoines, clercs, bénéficiers, rentiers de Sainte Eglise, choraux fréquentant les cloîtres, qu'aux bourgeois K Mais il y a lieu de croire que les clercs ne s'y soumirent pas -. Les Statuts ordinaires de la Cité, supposant, au contraire, l'immunité du clergé, ne per- mettaient à un clerc de demander amende selon leurs dispositions qu'en foui-nissant une caution bourgeoise « respondant pour luy par quen sous » temps avient tous les Status durant ilh melTaisoit à nulle borgois, qu'il » l'amenderoit aile enseignement de ches Status, et se chu ne faisoit, le bor- » gois qui por luy seroit demoreis le deveroit amendeir por ly aussy bin » comme ilh fuist principaul faitules. » Les Statuts de Macstricht de 1580 énonçaient la même règle en des termes analogues ^. Cependant, il y avait à Liège, en dehors des Statuts, un certain nombre de règlements locaux, d'une grande inqwrtance, qui étaient applicables aux clercs n'étant pas del greisme des églises de Liège comme aux laïcs. Nous citerons parmi eux le nouveau ject de Jean de Bavière, le régiment des bas- tons, etc *. C'était l'olTicial qui en appliquait, le cas échéant, les dispositions à ses justiciables. On peut même conjoclurer, d'après le texte de la paix de Saint-Jacques , que les clercs des églises de Liège furent enlin assimilés aux autres clercs en ce qui concerne, par e\em|)le, la répression du |)ort illi- cite des armes, et d'autres infractions de nature analogue^. Quoi qu'il en soit, nous croyons utile de rappeler ici un débat intéressant, au point de vue qui nous occupe, entre la Cité et les églises de la ville, en l'année 1443, à propos du régiment de Heinsberg. La Cité, s'adressant à la grande église (le chapitre de Saint-Lambert) et aux églises secondaires, leur demanda : « que voysent adouvrir se ilh volaient parelhement solonc le » régiment leurs suppoistes lassier porteir correction que les autres bourgeois ' Coutumes du pays de Liège, I. 1", p. 5-2G. — Statut de /.>.>/. ^ Voir ce que nous dirons plus bas de la querelle de 1443. ^ Statuts de la Cité, texte de 1345, article 75, et textes subséquents. —Sr(i(«/ de Maestricitt, .nrticle 70. *• Nouveau ject. — Rétjimenl des basions, article 10. s Paix de Saint-Jacques, cbapitre XXVI, articles 10, 17. 478 ESSAI SUR LHISTOIHE DU DROIT CRIMINEL » de l;i Cite, car autrement ils craignaient que les bourgeois sieroient » (Joresnavant rebelles, ce qui serait pour briser le régiment. » Les églises, après en avoir délibéré , firent la réponse suivante : « que solonc leurs » seriniens ilh ne poroient iestre submis audit régiment, veyul que ch'est » loy, mains ilz ordonneroient tollemont que leurs suppost, qui forferoient » aux bourgeois ou à altre, scroient sens nuls prolongement tellement cor- » rigiés que par raison ons en devroit estre contons, voir par droit et solonc » leurs coustummes ; requérant qu'ilh les lassent en leurs libertés et fran- » cbieses comme leurs devantrains avaient esté jusque à ors, car oncques en » paix fuites, loy ou status ne furent compris ni submis qui aient esté fais » en la Citeit. » La Cité ne se tint pas pour battue et elle revint à la charge par l'organe de ses commissaires. Si quelqu'un de vos suppôts, demandèrent derechef ceux-ci aux églises, délinque contre un bourgeois aux termes du régiment, souin-irez-vous qu'il encoure la peine comminée par le régiment et dont serait frap|)é le bourgeois délinquant contre un de vos suppôts? Les églises persistèrent dans leur refus. Elles ne voulurent pas laisser amoindrir leurs franchises antiques , « car nullement il ne soy puelent looiier au dit regi- » mont (|ue les es(juevins de Liège saulvont par loy, car loy ne les puet » aulcunement consuevir. » Elles promirent derechef de punir leurs sup|)ôts qui délinqueraienl, de manière qu'on n'eût rien à réclamer; et préten- dirent, au surplus, que depuis la publication du régiment on ne saurait pas pi-ouver qu'une seule infraction eût été commise par un de leurs suppôts. Enliii, en 1444., en désespoir de cause, et après de longs et nouveaux débals, les trente-deux métiers prirent une résolution radicale. Ils décidèrent que , puisque les églises de la ville ne voulaient pas soumettre leurs suppôts délin(juanls an régiment, on n'appliquerait |)as non plus les peines comminées par ce dernier aux bourgeois (|ui délinqueiaient contre un suppôt des églises '. Mais, sans insister davantage sur cette question spéciale de l'applicabilité de la loi, des Statuts, des régiments, poursuivons notre élude. Recherchons ' Clironiques de Jeun de Slavelol , pp. 518, 320, Îi78. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 479 ce que les documents du XIV'' et du XV'' siècle nous apprennent à propos des autres principes généraux du droit de punir : de ces principes qui devaient toujours être présents à l'intelligence des juges pour les guider dans l'application d'une loi ou d'un statut criminel quelconque. Par cela même que les documents de la période qui nous occupe sont beaucoup plus nom- breux que ceux du XIII'' siècle, ils nous fournissent aussi des indications plus précises et plus multipliées. Pris dans leur ensemble , les principes généraux du droit de punir se rat- tachaient encore, comme jadis, aux anciennes traditions germaniques war- dées comme coutumes par les échcvins; mais, d'autre part, elles conunen- çaient aussi à se rattacher aux théories du droit romain. Le droit romain , en effet, qui n'avait pas été sans avoir une certaine induence sur les magistrats rédacteurs de quelques dispositions du Paiceilliars ', devint, surtout vers le milieu du XV" siècle, une des sources juridiques usuelles du pays. Sans avoir force obligatoire, il était déjà signalé quelquefois par les échevins comme une des bases des décisions qu'ils rendaient. Dans un record du 9 jan- vier 4 45(8 nous voyons, par exemple, les échevins de Liège condamner l'institution des lombards, « qui est une chose prohibée et deffendue par » tous drois escripts -. » L'induence du droit romain était au suiplus natu- relle dans un milieu où les études avaient toujours été llctrissantes, et qui , à toutes lesépo(|ues, avait produit des JKn'mjimUtcs ou des professeurs de droit ^. Charles le Téméraire, par sa sentence de 1407, aurait voulu substituer entièrement le droit romain aux anciennes coutumes nationales : « que les » dis eschevins, à la semonce du dit maire, dit la charte, seront tenus de » jugier les causes et procès qui seront devant eulx selon droit et raison » escripte, sans avoir regard aux malvais slieles , usaif/es et coustumes » selon lesquels les dits eschevins ont aultrefois jugiet. » iMais le tei-rible vainqueur n'atteignit pas son but. Ce fut seulement en 1495 que, à la diète de Worms, le droit romain fut déclaré le droit commun de l'Empire germa- ' Coutumes du pays de Liéçie, t. I", pp. 200, iJôl. ^ Chroniques de Jeun de Stavetot , p. 4'i-3. ■' RAikE.M, Discours de 184'J, p. 25, et Discours do 186l,;jos.siHi. 480 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL nique ' : el encore, quelle que fut depuis lors son influence dans le pays de Liège , il n'abrogea jamais entièrement les anciennes coutumes dont Tusage était dûment constaté. Les échevins de Liège disaient dans un record en I QT,] : « le pays de Liège est un pays de droit écrit , où le droit civil des » Romains est inviolablement observé et usité, ne soit en cas de faits parti- » culiérs auxquels il y a coutume contraii-e et dérogation -. » Après ces considérations générales, recbei'cbons rapidement ce que les chartes du XIV'' et du XV'= siècle nous apprennent par rapport à la maxime non bis in idem, au cumul des peines, à la théorie de Timputabilitè, à la tentative, à la complicité, aux causes de justidcation et d'excuse, aux circonstances qui, accompagnant la perpétration d'une infraction, en atté- nuaient ou en aggravaient le caractère. Nous ne parlerons plus ici de la |)rescription de Vaction inibliquc , dont nous avons dit un mot à propos de l'ouverture de l'action criminelle, ni de la >io;i-reYroac//u//e des lois pénales. Cette dernière règle, sans être expressément rappelée dans aucun document du temps, ressort de la contexture même de tous ceux dont nous avons pu nous procurer le texte. Nous ne trouvons plus dans les chartes du XIV" et du XV* siècle la repro- duction de l'ancienne règle énoncée avec tant de précision par // Vaweilhars : (l'an cas on ne peut faire deux plaintes. Mais c'est évidemment cet axiome de droit commun qui a dicté la disposition des Statuts de la Cité dont nous avons déjà parlé : la disposition en vertu de laquelle un plaignant a le choix de porter son action, soit devant la loi, soit devant le statut, mais sans avoir le droit de les saisir successivement l'un el l'autre. L'ancien principe relatif au cumul des peines avait reçu , dans la période qui nous occupe, une extension nouvelle, au moins dans les villes, et surtout en matières d'infractions contre les personnes. A côté de la peine légale, pro- noncée an profit du seigneur, gardien de la paix publique, le dèlin(|uant encourait presque toujours une peine supplémentaire au profit delà commune, dont il avait violé la paix pailiculière. Connue nous le verrons plus loin, ' GACiiAnn, noctimoilx inédits, t. Il, p. 457. Charte de I4G7, article 4. * Coiiliniirs ilii jKii/x lie Liège, t. I", p. 23G. ^ l(hm , iilvm , j). 252. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 481 l'application effective de la peine de mort absorbait, au surplus, la peine au profil de la commune par la force même des choses. En ce qui concerne la théorie de l'imputabilité, nous disions plus haut que les documents du XIII*' siècle ne s'en occupaient pas. Nous osions en conclure que, très-probablement, les juges du temps ne distinguaient pas d'habitude avec soin le dol de la faute. Parmi les documents du XIV^ et du XV" siècle il y en a un certain nombre qui requièrent en termes exprès l'existence d'un véritable dol dans le chef de l'agent pour le rendre punis- sable. Peut-être ne se tromperait-on guère en voyant dans ce fait un résultat plus ou moins direct de l'influence du droit romain, considéré moins comme code de lois que comme raison écrite. D'après les Statuts de la Cité de Liège et d'après le Statut de Maestricht de iù80 , un individu qui crache sur autrui est punissable s'il a agi « avise- » ment et par corroche ^ » D'après les mêmes Statuts de Liège celui qui tire de l'arbalète et qui blesse « avisement » autrui, est aiibain, mais non celui qui blesse quelqu'un par hasard -. D'après les mêmes 5to/M As, encore, celui qui conforte un banni n'est punissable que s'il a agi « à escient ^. »> Les Statuts de Maestricht de 1580 et le privilège de 1428 punissent plus fortement les violences infligées dans le domicile de quelqu'un, lorsque le délinquant a pénétré dans le domicile avec mauvaise intention, met vorrade, met opsatte mille *. Le privilège de Maestricht de 1 428 et la paix de Saint-Jacques punissent celui qui tire sur autrui, qu'il ait ou non atteint son but, dès qu'il a agi avec dessein formel de nuire, met vorrade ende opsatte, avisement et de fait porvu ^. Ces textes épars ne sont évidemment que des cas d'application d'un axiome devenu de droit conunun. Cependant on ne doit pas se faire illusion : étant donnée l'intention mauvaise, la volonté de délinquer, le coupable était encore puni, comme jadis, moins pour ce qu'il avait voulu faire que pour ce " Slaluts lie la Cité, article 29. — Statut de Maestricht de 1580, article 40. * Article 5S. 3 Article 70. * Statut de 1380, articles 24 et 25. — Privilège de 1428, article \". î* Privilège de Maestricht de 1428, article 2. — Paix de Saint-Jacques , chapitre XXII, article 13. Tome XXXVIII. 61 ^2 ESSAI SLR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL qu'il avait réellement commis. On ne reciierciiait pas s'il avait voulu el prévu toutes les conséquences de son fait : on le punissait d'après les résultats de l'acte volontaire qu'il avait perpétré. En matière de coups et blessures, par exemple, les anciens tarifs plus ou moins modifiés étaient encore en vigueur; et comme nous l'avons montré à propos des Statuts de Maestricht , on trai- tait comme homicide , sans s'enquérir de la volonté qu'il avait eue, l'homme qui avait infligé à autrui des blessures ayant occasionné la mort dans les quarante jours ^ La persistance des tendances juridiques que nous venons de signaler ex- plique comment nous ne rencontrons pas encore dans les documents de l'époque une théorie de la tentative. Puisque le dessein de nuire était puni d'après les résultats produits par l'acte qui l'avait manifesté, comment l'au- rait-on puni si cet acte n'avait produit aucun résultat? Il est à lemarquer toutefois qu'en matière de crimes politiques, et surtout en matière de crimes conunis contre le souverain, on punissait déjà les actes d'exécution d'un dessein criminel sans qu'ils eussent complètement abouti -. Ajoutons que, dans la paix de Saint- Jacques, nous trouvons un cas d'application de la dis- tinction entre le crime accompli et le délit manqué. Celui qui tire sur quelqu'un volontairement, mais sans toucher le but, encourt un voyage, outre l'amende légale. Celui qui blesse l'homme qu'il a visé encourt le ban- nissement et l'auhaineté ^ A la théorie de l'imputahilité se rattache celle de la complicité. Les docu- ments liégeois distinguaient encore avec soin les auteurs moraux des infiac- tions, des simples complices, mais ils donnaient, en ce qui concerne ces derniers, des détails plus circonstanciés que jadis. La lettre des vingt mettait sur la même ligne, au point de vue de la peine à encourir, l'auteur moral d'une infraction, celui qui l'avait fait faire, et celui i\u'\ l'avilit perpétrée, Yauteur matériel. Elle ne faisait de dilTérence ' Nous avons ronconlré le mcinc principe dans Li Pttweilhars. - De Ram, Documents inédits, etc., p. 7"j. Jean ilc Los nous apprend qu'en 1477 on imnit (le mort quelques personnes qui « domino cpiscopo insidias tendcntcs, occullam quamdain » triiditioncin ronflare ruravcnint. » 5 Pui.r de Suint-./(ir(iues, chapitre XXII, article 13. DANS L'AÎNCIENNE PRINCIPALlTÉ DE LIÈGE. 483 entre eux qu'à propos des preuves de justification à fournir '. La paix des Xll disait du lignager convaincu d'avoir fait faire un méfait quelconque, « ils yert en teil point que le fait fait awist ^. » D'après les Slatuls de la Cité de Liège , celui qui faisait faire un méfait quelconque était puni comme l'auteur du fait lui-même, tandis que, d'après le Statut de Maestricht de ^380, celui qui avait donné de l'argent pour faire commettre un délit encourait double peine. Les deux chartes étaient d'ac- cord pour punir plus sévèrement qu'un délinquant ordinaire, et même que le mandant , l'agent qui accomplissait un mandat criminel salarié, qui délin- quait pour loivir. La première menaçait ce mandataire d'une double peine et l'obligeait à rendre au seigneur le montant du loivir qu'il avait perçu. La seconde le déclarait dans tous les cas, et quelque minime que fût l'infraction, aubain pour toujours ^. Les mêmes Statuts de Liéye et de Maestricht, ainsi que le privilège de Fosses de i4â7 et la paix de Saint- Jacques, prévoyaient un cas spécial de participation antécédente et principale à un délit. C'était le cas où un bour- geois faisait venir un afforain dans la franchise pour l'aider à faire déplaisir à un autre bourgeois, ou pour faire en sa place un acte de vengeance. Quand effectivement un délit était ensuite commis par l'airorain : et che avenrjne, ce bourgeois, d'après les Statuts de Liège et la paix de Saint-Jacques était toujours tenu de payer l'amende encourue par l'alïorain qui avait déliiupié , et en outre de payer une amende égale pour lui-même; peu importait que l'afforain eût été ou non personnellement puni ^. D'après les Statuts de Maes- tricht, ce bourgeois, et l'alïorain son instrument, encouraient l'un et l'autre une amende double de l'amende ordinaire du fait qui avait été perpétré '•. D'après les privilèges de Fosses, le bourgeois pouvait être frappé tout au moins d'un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, rachelable par dix vieux écus d'or ^. * Coutumes du pays de Liéye, t. I", p. 4iM). '^ Idem, p. 540. ' Statuts de la Cité, article 30. — Statut de Maestricht de tÔSO, article 41. * Statuts de la Cité, article 23. — Paix de Saint-Jacques , chapitre XXVI, acte 35. '' Stdiiit de Maesirirht de 15S0, article 30. '' Priviléije de Fosses de 1447. 484 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Mais venons aux actes de complicité proprement dits, aux actes de par- tipation criminelle accessoire. Ceux-ci peuvent être antécédents, conco- mitants ou subséquents à Finfraction perpétrée par le délinquant principal. Les Statuts de la Cité de Liège, le Statut de Maestricht de 1580 et la paix de Saint-Jacques, considéraient comme un acte de complicité éventuelle et antécédente le fait du bourgeois qui hébergeait un alïorain en guerre ouverte ou en état d'inimitié avec un autre bourgeois , en dépit de la défense ou du forcommand dont il avait reçu communication de la paît des magis- trats de la commune, lis punissaient cet acte, à Liège, d'un pèlerinage à Rocamadour au profit de la partie lésée et d'une amende; à Maestricht, d'un pèlerinage à Rocamadour au profit de la partie, d'un pèlerinage à Saint- Josse au pi'ofit de la ville et d'une amende pour le seigneur. Le Statut de Maestriclu avait soin d'ajouter qu'en outi-e, si un délit était elTectivement commis |)ar l'alîorain hébergé, son hôte en payerait l'amende sans préjudice à l'amende qu'en payerait le délinquant lui-même '. Le nouveau ject et le régiment des bastons considéraient à leur tour, comme complice du délit de port d'armes illicites, l'hôte d'une auberge qui, héber- geant un alïorain , ne l'inviterait pas à déposer ses armes en entrant à Liège. Ils comminaient contre cet aubergiste négligent la même peine qu'encourait l'afforain venant en armes dans la franchise -. La complicité par concours concomitant n'était l'objet de dispositions précises qu'en matière de rapt et d'homicide. La lettre des vingt, les Statuts de Maestricht de 1580 , le privilège de la même ville de l'année 1413, déclaraient que les personnes prêtant leur concours à l'auteur d'un rapt, ceux « qui sont aidans à tel fait^, » devaient être punis comme le cou- pable principal lui-même ■*. Le pi-emier régiment de lleinsberg disposait aussi dans ce sens, mais en ayant soin d'assimiler au rapt par violence le rapt par séduction d'une jeune fille impubère ^. • Slatut de Maestrictil de 1580, article 29. — 5ta. 580, 581. '• Xous avons dit plus liaul à quelle source nous avons emiiruiUé ce record. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 487 maintenant dans ses justes limites; et, longtemps après la paix des XII , les actes de vengeance commis, hors de l'étal de trêve et dans le plat pays, contre un ennemi mortel '. Les Statuts de Maestricht de 1380 reproduisaient le principe énoncé dans celte charte liégeoise du 9 janvier 1312, dont nous avons parlé à propos du XIII" siècle : le principe en vertu duquel les échevins n'avaient pas à con- naître des actes faits ou des paroles proférées par les magistrats électifs, isolément ou en commun, dans le service de la ville soit pour la défense, soit pour l'exécution de ses franchises et de ses libertés-. Les échevins de Liège, dans leur reeord de 1 ■ioO, dédarèrenl aussi awder cette charte comme fran- chise, mais avec une restriction : qu'elle fût entendue « en bonne manière et » sans fraude et malengien, et mis de côté tous mauvais usages , malice et » sinistre entendement; voir en wardant le haulteur de Mgr., les franchieses » et libertés délie égliese, et les franchieses des bons bourgeois délie Citeit et » banlieue et aussi en bien faisant : ce qui est à entendre que nulle d'icelles » franchieses ne soit servantes ni aidantes à celui ou à ceux qui, sous l'umbre » d'icelles, feroit ou feroient mal ou excès ■^. » Les Statuts de la Cité, dans tous leurs textes successifs y compris celui de la paix de Saint-Jacques, disaient : QueUpie méfait qui arrive « en por- » suyvant en bonne manièi-e et en mettant à (euvi-e les choses desseur dites » (leurs propres dispositions) che sierat le fait de signeur et délie Citeit » entièrement *. » Ils déclaraient ainsi d'avance non criminels , tous les actes commis par ordre ou pour l'exécution des lois. Le même principe est rappelé dans les prolégomènes de la modération de la paix des XII. L'évéque prétendait que son maïeur de Montenaeken ne pouvait pas être tenu d'homicide « en disant que fait estoit en gardant sa I) justice de Montignie. » Les lignages ne contestaient pas la règle; ils se bornaient à prétendre qu'elle était sans application dans l'espèce, parce que l'honiicide n'avait pas été fait en gardant la justice 'K ' Nous renvoyons îi ce que nousavonsditplus liautdu druil de vengeuncecldesguerrespfivées. -^ Article 8-i. "> Record de 1430, articles 3 cl 6. * StuUds delà Cité , article 37. — Paix de SatHt-Jaccjties , chapitre XXVI, article 71. •■' Ré formai ion de la paix des XII de lôS2. 488 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Le ni«''ni(' piiiicipc se retrouve encore dans les privilèges de Sainl-Troiid et dans ceux de Fosses, à roccasion de la chasse à donner aux étrangers venant délinquer en matière grave contre les habitants de la franchise. Ces chartes permettaient aux bourgeois eux-mêmes de suivre ces alTorains dans leui- fuite et de les appréhender pour les livrer au seigneur. Elles investis- saient dans rospèce les bourgeois d'un véritable mandat public; et elles déclaraient, on conséquence, que si un d'entre eux liiait ou blessait sans fraude un alTorain, se défendant contre une appréhension légitime, il ne serait |)as coupable et n'encourrait ni une peine ni l'obligation de faire répa- ration à partie '. Les Slaluts de (a Cité, ceux de Maestriclit et la paix de Saint-Jacques , innocentaient l'acte d'un proidhumme qui, voyant un ivinleck ou ri/juud dire ou faire laidure à une personne honnête, lui donnait une buffe et le hulait arrier -. Les mêmes chartes considéraient encore comme non punis- sables les actes de violence, moindres il est vrai que Vaff'oulure ou V/ioniicide, perpétrés par un père contre ses enfants '. D'après les Statuts de la Cité et la paix de Saint- Jacques , les violences légères infligées par un maitre à ses domestiques, « son varlet ou sa » damoiselle son pain waignant, » ne relevaient pas non plus du droit criminel. Il en était autrement des violences graves. Le maitre qui battait vilaiiiemenl un serviteur était seulement excusé, non justifié. Il encourait une amende à arbitrer par les juges statutaires ; il n'encourait la peine oïdinaire du fait que s'il ne voulait pas se soumettre à l'arbitrage en question '. Les Statuts de la Cité , le Statut de Maestriclit de i580, le régiment des bastons, le régiment de Bavière de 1416, le privilège de Maestriclit de 1413 , la paix de Saint-Jacques, etc., permettaient à chacun de reprendre, ou de faire reprendre par ses domestiques, même par la force, son bien ' l'iiriléye (le Sdiiil-Truiiii de lit'. — Privitégede Fosses de 1447, nrliclc 17. * Stdluls de la Cilè, nriicle .1(1. — Stiiliit de Maeslriclil de tôSO, article 45. — Paix de Sainl- Jurques, chiipilrc X.WI, article 41. ^ Sladds de la ^i/i', ;iriiile l'2. — Siuliit de Maestriclit, artielc 2-2. — Paix de Saint-Jacques , chapitre X.WI , article 27. * Statuts de lu Cité , article 14. — Paix de Saint-Jaci/ues , eliapilrc X.WI, article 28. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 489 au voleur qui remportait, et de chasser l'homme qu'il trouvait faisant dommage sur son bien. Ils innocentaient les injures proférées contre le délinquant et même les violences légères qui lui étaient infligées. Ils refusaient seulement au propriétaire le droit de le battre vilainement '. Nous disions naguère qu'au XIII*" siècle le meurtre d'un forjugé, d'un individu mis hors la loi n'était pas punissable. La sentence prononcée contre Wathieu d'Athin et ses complices, en 1433, nous laisse entrevoir que l'an- tique règle était demeurée en vigueur : « et qui plus est, » dit cette sentence, « qui mefferat ou mefferoient aux deseur nommeis enssi albains com dit est, » ilh ne mefferoit ne méfieront neu ne seront por che de rins atteins'-. « A l'égard des aubains ordinaires, toutefois, la règle soulTrait des tempéra- ments, lorsque la sentence même portée contre eux ne les avait pas mis hors la loi. La mutation de la loi nouvelle dit : « et en cas où un aulbain seroit » tué par ung bourgeois dedens franchiese, ou quassioz d'armes desloyalz, » qu'ils n'ayent des quassures point d'amende, et délie mort ne puist estre » le bourgeois travailliez fours que de bannissement, partant que tels » aulbains soy rabattent en le franchiese contre le cry du peron •"'. » Mais venons à ce qui concerne la légitime défense. Au XIII* siècle, comme nous l'avons dit, le droit de légitime défense n'était jamais considéré comme innocentant un homicide; et les Statuts de la Cite de 1328 eux-mêmes se bornaient à permettre à l'homme assailli de se défendre en bonne manière, sans mé faire , voulant (|ue l'agresseur seul payât l'amende *. Les documents de la (in du XIY" siècle, et surtout ceux du XV% con- statent qu'une révolution s'est accomplie sur ce point dans les théories juri- diques, vraisemblablement sous l'infiuence du droit romain. Les Statuts de Maestrieht de 1580 et \e privilège de 141Ô innocentent le bourgeois qui, attaqué dans sa maison ou sur son bien, blesse ou tue ' Statuts de la Cité, article 27. — Statut de ^facstncht de 1380, article 59. — Priviléffe de Maestriclit de 141.5, article 21. — Régiment de Bavière, article 14. — Régiment des bastons, article 7. — Paix de Saint-Jacques , chapitre XXVI, articles 56 et 57. * De Ram, Documents inédits, etc., p. 533. ' Article 61. * Statuts de la Cité, article 37. - Statut de Maestrieht de 1580, article 44. — Paix de Sainl- .facqnes, chapitre XXVI , article 42. ÏOME XXXVIII. 02 490 ESSAI SUR LIIISTOIHE DU DROIT CRIMINEL là même son n^resseur en se défendant. Le Statut de iô80 ajoute avec raison : « niar niesdeden sii iet navolgende uytter den iuivse, dat solden sy » beteren na iidialden doser statuten '. » Le nwme /irivifeye de /-f/ô justifie d'autre part le bourgeois qui lue ou qui blesse un alTorain, son ennemi, auquel la ville a été forcommandée faute de vouloir donner caution de )wn o/fen- dendo, et par lequel il est dangereusement attaqué, pourvu qu'il ait été contraint de se défendre avant d'avoir pu sans fraude demander protection au magistrat ^. Le privilège de Fosses de ^447 dit qu'un bourgeois, tuant un aiïorain en se défendant, « ne forferait pour cela ni la ville ni la franchise ■'. » Le réyiment de Heinsbery , après avoir comminé des peines sévères contre l'usage abusif des armes de trait, déclare « si aucuns dedens franchiesc et » banlieue astoit assiégé dedens maisons, il se polrat delïendre de quelcon- » ques ti-ails d'armures et d'autres bastons qu'il aura, sans encourir l'amende » desseur dite *. » Le même régiment , à un autre endroit, innocente expres- sément l'homicide fait en légitime défense : « il l'euwist sour son corps def- » fendant tueit ''. » Et cependant, malgré ces textes formels, la pratique judiciaire du pays avait maintenu debout un vestige des antiques traditions nationales. La loi et la raison avaient beau innocenter l'homme qui avait conunis un homicide en se défendant légitimement conlie une aggression violente, la coutume voulait (|ue cet homme fit toujours un pèlerinage pénal expiatoire. Dans une taxe de voyages de l'année 1595, nous trouvons en elfel la mention caracté- ristique suivante : « viagia ultramarinum Compostellanum vocantur une » ewalle du pays , ad quem condemnalur et obligatur etiam is, qui vim vi » re|)ellendo moribus nostris caedem commiltil, contra omnia jura ! " » Nous n'insistons |)as, et, avant de passera un autre ordre d'idées, nous signalons en passant une disposition curieuse du privilège accordé aux Lom- i Statut (le Maestiiclil de tôSO, article 2"j. — Privilège de 1415, article 23. '•' PriiiUkjc de l-ilî), article |;J. ^ Article 18. * Article 9, rcpcdiliiil par In paix de Saint-Jucfjiies, chapitre XXII, articles 13 cl 13. ■•' Article C. " Itulletin ui-rti(''olo'<. — Sluliit de Maestricht de 15S0, article 56. 5 Statuts de la Cite, article 1 5. — Statut de Maestricht de lôSO, articles 23 et 27. * Article 3. ^ Article i. — Paix de Saint-Jacques, chapitre XXII, ailide I". '' Paix de iSaiiil-Janiues, chapitre XXIII, article 4. 494 ESSAI SLR LHISTOIKE l)L DKOlï CRIMINEL De même qu'au Xll^ siècle, les acles de violence commis en rupture de trêve chanijeaient entièrement de caractère : ils constituaient tous le crime grave d'infraction à la trêve ou à la paix, punissable de la section du poiny, ou, depuis la paix de Suinl-Jacqucs, de la peine cajiiUde '. De plus, les Slatuls de la Cité punissaient d'une peine double le délinquant qui recommençait une querelle ou un condjat assoupis ; et d'une peine supérieure à celle des menaces réelles « à espie ou à baston, » celui qui menaçait simplement en paroles son adversaire dans les mêmes circonstances. Les Statuts de Maeslricht de 1580 disposaient d'une manière analogue -. Le législateur prenait aussi en considération, au moins dans certains cas, les qualités respectives du délinquant et de sa victime. Les Statuts de J54o. notannnent, augmentaient la peine des injures verbales, quand elles avaient été adressées par une personne « desboneiste » à un bomme ou à une femme de bonne fàme. Les Statuts modérés allaient même jusqu'à doubler cette peine et à y joindre un pèlerinage. Quant à la paix de Saint-Jacques , elle faisait , en matière d'injures, une foule de distinctions curieuses au point de vue qui nous occupe. Sans y insister, nous en signalons une. La paix plaçait à un degré intermédiaire, entre la femme bonnête et la femme désboiniête, la femme qui avait failli avant son mariage ^ D'après les Statuts de i328, les violences commises par des enfants contre leurs parents, à Liège, étaient léprimées comme les violences com- mises d'étranger à «'lianger. Mais, d'après les Statuts de 1343, elles entraî- naient une amende double K La paix de Saint -Jacques ajoutait à la peine comminée par les Statuts de 1343 : « oultre ce que S''" Eglicse et S'"' Escrij)- » turcs ordonnent •'. » A Maeslricbt, l'enfant qui commettait un acte de violence contre ses parents encourait, outre l'umoule du fait doublée, l'obligation de se rendre dans ' Sluliit tif Maesln'ilil de l.'iSO , iiilirlc "i'.). — I" Réyimeiil 5. — Slatul de Mueslricf^t de I3S0, article 37. 3 Staliilsdelu Cite de l.'i /j, .il liclc I". — Points des Slaliils iwiivellemeiil jHorft'JTS, articles I et 2. — Puix de Suiiit-Jueijues, chapitre XXVI, articles I, S, 'J. ♦ Statuts de la Cité, article 15 des dcu.\ textes de 15:28 et de I54"). î> Paix de Saiiil-Jarriiies , cliniiitre XXVI. article 27. DAINS L'ANCIEINISE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE 49o les quarante jours à Rome, pour en rapporter du pape ou du grand pénitencier des lettres d'absolution en due forme , sous peine d'être aubain. Les enfants qui injuriaient leurs parents encouraient seulement une amende double '. A Maestriclit, les infractions conmiises contre les membres du magistral de la commune étaient réprimées par une amende double de Tamende ordi- naire comminée contre le fait. En revanche, il en était de même des infrac- tions commises par ces mômes magistrats contre les particuliers. Cette dis- |)osition, bien entendu, ne se rapportait qu'aux crimes et aux délits contre les personnes -. A Liège , les Statuts de la Cité faisaient un délit à part des actes de vio- lence infligés au maïeur, aux maîtres, aux échevins, « à l'ocquison de leur >) office. » Ils le punissaient au moins d'un voyage d'outre mer et d'une forte amende. Ils punissaient les injures proférées contre les mêmes |)ersonnes d'une amende et d'un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle ''. A iMaestricht, tandis que les aiïorains délin(piant entre eux dans l'enceinte de la franchise encouraient la peine ordinaire, les aflorains qui délinquaient contre un bourgeois étaient passibles d'une amende double. Nous croyons que les Statuts de fôSO et le pririléye de 1113 énonçaient sur ce poini un principe de droit commun applicable dans toutes les bonnes villes '. D'autre part, il était également de droit commun que les violences com- mises en ville, par des bourgeois contre des afforains, étaient moins punis- sables que les méfaits perpétrés de bourgeois à bourgeois. La lettre du commun profit de 1318 se sent obligée de faire à ce principe une dérogation formelle dans un intérêt facile à comprendre. « Celui qui fait laidure, dit- » elle, à un homme alTorain qui amène aucun bien à Liège, il sera puni » selon la quantité du niellait en tele manière que si l'alTorain était borgois, » à moins que la \ille ne lui ait été forcommandée ^. » La lettre de la foire de loSO dispose d'une manière analogue à propos des mare/iands étrangers ' Slatut de MueMricht de I3S0, article '23. 2 Article 34. •^ Articles rJ5 et 34. * Statut de Maestriclit de iôSO, .irticles 34 cl 9-2. — Privilège de 1413, article 14. ^ Voir cet acte. 496 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL qui vioiulraiont à la foire de Liège. Enfin, nous trouvons encore des traces du inèrne esprit dans rarticle suivant de la paix île Sain/-Jai(jHes : « que » tous marchans... jouisseront de teles franchieses et lii)ertées, et siéront » menois par tele loy, en tous cas, les trois sepmaines (de la foire) durantes, » comme sont et siéront les concitains de Liège '. » Nous terminons cette longue étude par une dernière réflexion. Les docu- ments législatifs du XIV*^ et du XV* siècle ne font aucune distinction entre les nobles el les non-nobles du pays à propos des incriminations ou du taux des pénalités. Il est vraisemblable que, par le cours des temps et par le progrès des idées démocratiques dans les communes liégeoises, tous les anciens vestiges des privilèges de caste , qui avaient existé dans le pays en matière criminelle, avaient disparu. Cependant on peut croire que, dans le pays de Liège comme dans les principautés voisines, le mode iVexéciiter certaines peines graves dilTèrait selon la condition sociale du délinquant qui les avait encourues. Nous reviendrons sur cette idée dans le nouveau |)ara- graplie que nous allons aborder. § IX. — Du système pénal cf. des réparations tarifées. En parlant plus baut de Vaction criminelle Qi de son but, nous disions que, au XIV'" el au XV*" siècle, cette action tendait souvent à faire condamner le délinquant à trois choses dilTérentes : à la peine légale proprement dite, destinée à réparer la lésion faite à la |)ai\ publitjue dont le seigneur était le gardien ; à la peine au profil de la commune, destinée à réparer la lésion faite à la paix communale par une infraction conunise dans les limites de la francbise; au voyage, enfin, au |)rofil de la partie lésée, destiné à réparer le tort moral infligé à cette dernière par Tinfraction -. ' Paix ilr S(ii)it-.Jaci]in's , l'iiiipilre I.\, iirlicle !t. - Voir sur ce point : Slutiil de Maestriclit de 1380 , articles 2 et (Wi. — Statuts de la Cité, l>:is-.iiii, et articles fid, fi7, 71, 72. — nôijlmenl de Ituriire de I il6, nrlicle 1". — Xoiiveaii jvit de l.~>!hi, iirlicks !), Il, l'J. — /Injiiiieiil des hastoiis, arliclcs l'i. 15, 18. — Privilège de Saiiit-'J'roiid de 1117. — /" réijiiiienl de Ifeinsberg, .irticlcs 5, C, 7, 8, It. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 497 Dans le présent paragraphe nous examinerons successivement le système des peines légales proprement dites, celui des peines au profit de la commune, et celui des voyages au profit de la partie lésée. Enfin nous jelterons un coup d'œil sommaire sur les dispositions des paix du pays qui s'occupent des anciennes peines ecclésiastiques. Du système pénal proprement dit. En dehors de l'aggravation considérable qui résultail de ladjonctiou des voyages au profit de la commune à la plupart des |)eincs, le système pénal du XIV'' et du XV" siècle était à beaucoup d'égards la continuation de celui dont nous avons constaté l'existence au XIII". Si nous ne trouvons plus de (races des harmismrèes ni de la détention dans un cul de basse-fosse, les documents de la période qui nous occupe font encore mention à chaque instant : des amendes honorables, delà peine de mort, de la peine de la mutilation, du l'orjugement, de l'aubaineté, de l'arsin et de l'abattis, de la confiscation des biens au moins à proj)os de cer- taines localités, de la confiscation spéciale, de l'exposition, des amendes, du bannissement. D'autre part, cependant, les anciennes peines ne .sont pas tou- jours dans les mêmes rappoi'ts respectifs (juc jadis. Vauhainclr ou privation absolue des privilèges de la bourgeoisie, devient d'une application plus fré- (luente; elle entraîne des conséquences sinon moins graves, au moins plus précises. Le rôle des peines corporelles se modifie. Elles tendent à dispa- raître comme conséquences de l'application de la loi du talion; mais, d'un autre côté, elles restent aussi usuelles que jadis, tantôt parce qu'on a éludé certaines règles qui mettaient parfois obstacle à leur application, tantôt parce (|u'on les acomminées contre des faits qui naguère n'en étaient point passibles. La marque à l'aide du fer rouge apparaît pour la première fois dans un document législatif. La délcntion lemporaire, empi'untée au système pénal ecclésiastique, se glisse à son tour dans le système pénal séculier. Enfin les voyages au profit du seigneur, c'est-à-dire comme [)eine proprement dite, apparaissent également dans certaines chartes. Pénétrons aussitôt dans les détails qui doivent servir de preuves à ces Tome XXXVIII. 65 498 ESSAI SUR LHISTOIRE Dl DROIT CRI^IINEL considérations générales. Nous ne dirons qu'un mol dos amendes hono- rablen. Les amendes /lonorables coWecl'wes étaient appliquées comme autrefois aux communes qui avaient délinqué en corps contre le souverain, et qui voulaient se réconcilier avec lui. On se rappelle, par exemple, qu'apivs la bataille d'Othée, les Liégeois vaincus furent obligés d'aller deux à deux, en habit de suppliant et la corde au cou, à la rencontre de Jean de Bavière. On se rap- pelle encore qu'après la première expédition de Liège de li61 , trois cents Liégeois furent contraints d'aller humblement demander grâce et faire amende honorable à Louis de Bourbon et à Charles le Téméraire'. Au XIV'' et au XV" siècle, la peine de mort s'exécutait non-seulement en décapitant, en pendant, en rouant, en brûlant le condamné, comme au XIII'' siècle, mais encore en Vécartehmt ou en le noyant dans la Meuse. Les documents du temps ne font plus mention du supplice de l'eau bouillante, et ils ne font pas encore mention du supplice de l'enfouissement. Toutefois nous n'oserions pas en conclure que ceux-ci fussent étrangers à la prali(pie judiciaire du pays de Liège. Les Stalnls et les paix qui comminaienl la peine de mort ne déterminaient pas le mode d'après lequel elle devait être appliquée. Ils disposaient encore en termes généraux : « de sal die docl daer omme h den , » « ilh rechiverat » mors, » « mort i-echiverat, etc.» Les deux réyimenls de liavière de 1416 et 1 417 disaient même en termes exprès du criminel politique : il sera « à la volonté de nous le seigneur sans composition -. » La forme du supplice était déterminée discrélionnairement par les juges, ou même parfois par les justiciers auxquels les condanmés à mort étaient abandonnés. Ceux-ci se guidaient dans l'espèce d'après do vieilles traditions coutumières et, très-probablement aussi, d'après le plus au moins de crimi- nalité constatée dans le chef du délinquant. Le snp|)lice de la décollation était rései\é aux individus qui avaient com- mis un /loniicide simple; et vraisemblablement aux giands bourgeois et aux ' Dewez, oiiv. ritr, t. I", \)\). 301, 302; t. Il , p. oH l'I suivantes. - Paix I. ' Amplissitnii rollecllo, l. V, |). 534. * Ailiclc 8. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 503 que par le seul acte dont nous venons de parler. Il résulte cependant des récits des chroniqueurs qu'elle était assez usitée dans le pays de Liège. Elle y servait notamment de peine accessoire et antécédente à la peine de mort. Jean de Stavelot, pour ne citer qu'un seul exemple, nous parle d'un homme de Ruremonde for jugé au XV'' siècle au Tribunal de la Paix, appréhendé en rupture de forjugement à Liège, et «mis sur l'eskaille desor la chancel- » lerie deleis le palais de l'évèque, » avant d'être décapité '. Avant de parler des autres peines il importe de faire une réflexion géné- rale qui concerne à la fois la peine de mort et les autres peines corporelles afflictives. De même qu'au XllI" siècle, les paix, les Slalats, les rèf/lciiioits commi- naient la mort ou les mutilations seulement contre des délinquants lentis, c'est-à-dire se trouvant en état d'arrestation préventive sous la main de la justice "-. Par suite, les juges ne pouvaient jamais les prononcer contre des accusés fugitifs ou contumaces, ni même contre des accusés qui, ayant échappé à une arrestation préventive, avaient réclamé un sauf-conduil pour venir assister à leurs procès et faire leurs décharges à pied libre "-. Les principes anciens étaient ainsi restés en vigueur; mais, d'autre part, par suite même des nouvelles règles qui avaient été acceptées en matière d'ar- restation préventive; par suite de l'organisation de la chasse du seigneur; par suite de l'assimilation heureuse du /Jof/rant délit fictif, comprenant le tenq)s pendant lequel le délinquant fuyait encore, au jlayraul délit réel: par suite (le l'introduction des décrets de prise de corps rendus sur enquêtes secrètes, les conditions d'application de ces principes avaient changé du tout au tout. Au XIV" et au XV'= siècle, le délinquant, auteur d'un crime grave, qui était appréhendé dans sa fuite immédiate, ou dans l'exercice de la chasse du seigneur, était punissahie de la même peine que s'il avait été elTective- ment tenu aile frexhe coulpe. C'était le dispositif de la paix d'Anyleur, des Statuts de la Cité, des Statuts de Muestrichlde 1380, de la mutation de la ' chroniques de Jeun de Slavelul, [). o/i). - Paix d'Angleur.— Slutiits de laCité de 1328, article ^^.—Slaiul de Maestrichl de 1580, articles :2 et t4. — Paix des XI l, etc., à propos de l'Iiomicidc et liii crime de membre tulliit. "' A mcllre en rapport avec ce que nous avons dit de i'arnslation préventive. 504 KSSAI SUR LIIISTOIRK Dl DROIT CRIMI>EL lui nouvelle, de la inodentliun de lu pnij: de ToiKjres, de la jjuU de Saiiil- J((C(/iie.s, Ole. '. C'était égalenieiil le dispositif de lu paix des XII. Celle-ci haninssait à perpétuité rhoinieide, de sou [ail même, et permettait à tout le inonde de Parrèler et de le livrer à la justice pour être mis à mort. Elle bunnis- sait pour un temps, également de son fait même, le lignager auteur d'une mulilation et déclarait qu'on lui appliciuerait le kdioii s'il était appréhendé durant le terme de son bannissement -. Quoi qu'il en soit de ce changement de situation — et nous reprenons l'examen des peines — le forjiigement était encore en rapports intimes avec les peines corporelles. C'était encore le forjiif/ement , la privation de l'hon- neui', que prononçait le juge, lors(|u'un délin(|uant, ayant mérité la peiite de mort ou même parfois une mutilalion, était poursuivi sans être sous la main de la justice. La miHation de la loi nouvelle et la paix de Saint-Jaeques veulent que l'alTorain qui a navré ou lue un bourgeois dans sa franchise et qui a réussi à s'échapper, soit « forjugié el demineis de son honneur '\ » Le 2° réyiment de Heinsherf/ commine le forjugeinenl contre l'homme qui, avant touché aux chartes aflichées au pilier de Saint-Lambert « pour cancel- » leir, colpeir, raseir, talhier, brisieer, ou faire violenche, » a fait « piet » fugitif » et par conséquent ne peut être condamné à la peine de mort. Les deux réf/imenls de liavière de 1 416 et N 17 à Liège, et le pri- vilège de Saint-Trond de 1 417 déclarent également atteints de leur honneur (op de peine in attenl te syne van synre eere) les délinquants coupables d'un des trois crimes polili([ues spéciliés par la lettre de Saint -Jacques, et qui, n'ayant pas été arrêtés préventivement, ne pouvaient être l'objet d'une con- diimnation inunédiate à la peine de mort *. De plus, de même qu'au XIII'" siècle, le f'orjuyement était aussi comminé parfois contre certains délinquants à titre de peine principale et unique. La paix des XII, nolanunenl, voulait (|u'on forjugeàt comme nturdreur le I l>iu.f (l'.liKjlcur.—Slatuls (/<■ /(/ Cilrde 1328, arlicle 1580, article '2 cl 14. — Mulullon de In lui iiouvellr, articles 30 et Gl. — Modérai iuii delà paix de Toiigres. — Paix de Saiitl-Jueiiiies , chapitre IV, arlicle "27. - Cuuliniies du pays de Liège, t. I", pp. 535, 536. '' MuUitiou de la loi nouvelle , article (il. — Paix de Saiiil-./acrines, chapitre .\, article 27. » l{e(iiiitent de Ihivière , article 1". — Privilège de Saint-Trond. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 503 lignager coupable d'homicide simple, qui niait effrontément son crime; elle voulait encore qu'on forjufjeàl, qu'on déclarât atteints de leur honneur les faux témoins et ceux qui les produisaient '. Le régiment de Heinsberg , de son côté, rendait passible du forjufjemenl le délinquant qui commettait un homicide ou qui inlligeait une blessure grave dans une église de Liège. Sa déclaration était reproduite dans la paix de Saint-Jacques ^. Le forjugement , enfin, était employé à titre de peine subsidiaire dans plu- sieurs cas. Il était encouru d'ai)rès la paix de Jeneffe ou de Vottem par le délinquant qui, déclaré uubain à jamais , violait cette aubaineté en se rap- prochant de la Cité dans un rayon de quinze lieues ^ ; d'après le régiment de Ileiiisberg et le privilège de Maestricht de 1 428, par le délinquant qui, condamné à un voyage au profit de la ville à l'occasion de violences graves commises dans le domicile d'un bourgeois, rentrait dans la franchise sans avoir fait ce voyage ^ La paix des XII ordonnait même de forjuger, si la partie lésée portait plainte, tout lignager récalcitrant à accomplir une répa- l'ation taxée par le Tribunal des XII jugeurs des nobles ". La peine du forjugement ou de la privation de l'honneur avait absolument les mêmes conséquences qu'au XIII'' siècle. Elle chassait le délincpiant, en théorie du diocèse, en prali(|uc de la |)rincipaulé de Liège tout entière. L'homme qui eh était frappé pouvait être saisi, appréhendé, livré à la jus- tice, n'importe où on l'y trouvait, sauf dans un lieu d'asile ecclésiastique, et aussitôt mis à mort sur la simple constatation de son identité. Nous avons rapporté plus haut le fait de cet homme de Kurenionde (pii , forjugé au Tribunal de la paix, fut saisi en rupture de forjugrment à Liège en i44(), et bientôt décapité *'. Comme jadis, le forjugé était hors la loi, frappé d'une véritable mort civile, et privé de toute espèce de jouivSsance directe ou indi- recte de ses biens. Ceux-ci passaient à ses héritiers '^. ' Coulvmes du pays de Lii'ge , l. 1", p. 535. 2 i" ré(jimenl de Ileiiisberg, article 2. — Paix de Sainl-Jacqncs, chapitre XXII, article I". ^ Article 1 2. * '/"■ régiment de ffeinslierg, article 3. — Privilège de Maeslrivlit , article \". s Coutumes du pays de Liège, 1. 1", p. 539. •^ Chroniques de Jean de Slavelot, p. 579. ' Mutation de la loi nouvelle, par argument de l'article G7. Tome XXXVIII. 64 506 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Oiiant aux coiiS(''r|uencPS spiriliicKes du foijur/ement accompagné d'excom- muiiicalioii et prononce au Tribunal de la paix, nous croyons n'avoir plus à nous en occuper, et nous passons à ce qui concerne VaubainoU'. Vaubainelé, ou privation absolue des privilèges de la bourgeoisie, était tantôt la conséquence immédiate et de plein droit d\m fait criminel, tantôt une peine proprement dite, principale ou su])sidiairo. Comme nous Pavons déjà vu plus baut, d'après les Slaluls de la Cité de Liège et d'après le Statut de Maestricht de 1580, le bourgeois qui commettait un bomicide dans la francbise était aubain de son fait même. A Liège, sous l'empire des Statuts de 1528, mais non sous l'empire de leurs textes subséquents, étaient égale- ment aubains de leur fait même : les inl'racteurs de trêves, les bourgeois qui avaient commis le crime de frailin, etc. '. Uaubaineté, conséquence de plein droil du fait crinnnel perpèlré, avait surtout pour elTct de priver le délinquant des privilèges de la bourgeoisie en matière d'arrestation préventive. Elle le plaçait dans une condition analogue à celle des alforains, et permettait son arrestation en tous lieux, sauf dans les lieux d'asile ecclésiastique. Vaubainelé considérée comme peine était, de son côté, applicable unique- ment à des bourgeois. C'était une peine communale. A 3Iaeslricbt, elle était comminée à titre de peine principale contre les bourgeois coupables de cer- tains crimes graves : le rapt, le viol, les blessures infligées avec armes de trait; les crimes commis en exécution d'un mandat salarié; le faux témoi- gnage et la production de faux témoins; la production de fausses letties de voyage, etc. En matière de rapt et de viol, toutefois, ïaubaincté ne frap- pait que le délinquant non tenu, qui avait déjà quitté la francbise sans avoir été apprébendé : les textes des Statuts laissent entrevoir que si ce délinquant avait été saisi, il aurait encouru une peine corporelle afllictive. En matière de blessures infligées avec armes de trait, au contraire, Vaubainelé était la seule peine qu'encourût le bourgeois dans tous les cas; tandis que Va/forain, cou- pable du même crime, auiait été puni comme un bomicide s'il avait été sous la main de la justice -. A Liège, la paix de Jeneffe ou de Votteni connninail ïaubaincté perpé- ' Slaluls (le lu Cité , nrlicli-s It cl IG. — Slatiit de Mueslriclit de tôSO, article 2. 2 Slaltil de Mueslvichl de I3S0, art. 7, 8, 14, 41, 40,58, 77, clc. — Privilrgede l4/3,in-l.i. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 507 tuelle, avec défense d'approclier de la franchise ou de sa banlieue dans un rayon de quinze lieues, contre le bourgeois coupable du crime de séquestra- tion arbitraire ou de prison privée ^ Les Statuts de la Cité et la paix de Sainl-Jacqties en rendaient passible le bourgeois qui blessait avisément quelqu'un d'armes de trait dans la fran- chise ^; les Statuts de la Cité de 1ù4S et la paix de Saint-Jacques , les faux témoins et ceux qui les avaient produits ; mais tout porte à croire que les uns et les autres, surtout dans le second cas, avaienten vue le délinquant non tenu ^. Comme peine su/jsidiaire, l'aubaineté menaçait à Maesiricht et à Tongres le bourgeois qui n'accomplissait pas en temps voulu certaines pénalités et réparations auxquelles il avait été condamné, ainsi que le bourgeois fraudant l'exécution des voyages qui lui avaient été im|)osés *. A Liège, d'après les Statuts de la Cité, elle était encourue par le bourgeois banni |)our mutila- tion ou a/foulure qui i-ompait son ban. Les Statuts disent bien (jue l'infrac- leur de ban sera aubain de son fait même ; mais, comme ils exigent une preuve, et par conséquent une pi'océdurc, Wmljuineté dont ils parlent est une véritable peine ^. Venons aux conséquences de Vaubaincté comminée à titre de peine. Toute auljuineté prononcée j)ar sentence contre un bourgeois avait un elTet direct, immédiat et général : c'était d'interdire au condanmé la fré(|uonlalion de la franchise à laquelle il avait a|)partenu , et même de lui interdire le séjour de l'évéché ou du moins de la principauté de Liège. Cet effet général de l'aubaineté durait tant que le condamné n'avait pas obtenu sa grâce, ou qu'il n'avait pas acconq)li toutes et chacune des répa- rations que les coutumes et les Statuts lui imposaient au profil du seigneur, de la ville, de la partie lésée, ou même du voué ^. ' Article \± - Staliils de la Cité, article 30. — Paix de Saint-Jacques , chapitre XXII, article 15. ' Statuts de 1343, article 41. — Paix de Saint-Jacques , chapitre XXVI, article 44. * Statuts de lôSO, articles 10, ;io, Gl, CG, 1± — Cliarte de Tongres de 1502. article 8, au iiioiiis pour les amendes. 5 Article (i'J. e Statut de Maestriclit de 1380, nvlidv (iG.— Slaluls de lu Cité de /.3i.ï, article 71. Le Statut de Maestricht voulait luème que l'aubain rachetât son droit de bourgeoisie. Voir article (19. 508 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Mais Vaubaincté avait encore des eiïets ultérieurs et spéciaux, qui dépen- daient uni(|ueiiieiit de la nature même du fait à roccasioii duquel elle avait été prononcée. Il résulte notanunent, de la combinaison des articles du Statut de Macs t rida de i380 avec ceux du privilège de Ufô que le bourgeois aulmin pour rapt, viol, homicide, etc., encourait la peine de mort s'il était surpris en dépit de son mibainelé dans la franchise '. Les Slaluis de la Cité de Liège, de leur côté, déclaraient d'une façon claire et explicite que « qui- » conques serai albains, il ne porat demoreir ne reparier dedens le cvesqueit » de Liège, et se chu fait, li sires et ses justices y puelent mètre main, et » faire de luy chu qu'il y affiert solonc le (piantiteit del melTait que fait » arat -. >» Le 2' régiment de Ileinsberg obligeait les vurlela des maitres à arrêter et à mener à la Violette les aubains qu'ils rencontraient, sous peine de privation de leur oflice ^. Vauhain pris en rupture d'aubaineté encourait donc la peine précise du crime qu'il avait commis; mais comme on pouvait craindre que les justiciers n'abusassent de leur pouvoir à l'égard des aubains qu'ils avaient sous la main, les Statuts de Liège de I54S avaient pourvu à ce danger. « Mais cils, » disent-ils, « qui seront albains, qui ne le seront par mort dhomme, qui pris » seront, ly sires les tenrat à pain et à eawe jusques à tant qu"ilh arat » asseis fait à ly et aile partie blechie solonc le quantiteit del niellait; et » quant accordeit sierat aile partye, se li sires le voloit formineir plus avant que » mcIVail n'awist, ly dois maistres de Liège et UII jureis. Il des grands et » II des petits en unk vinabic deveront alleir par deleis le saingneur ou son » mayeur ou son conseille, et entre eaux accordeir délie amende le sain- » gneur '\ » A la fin du XV" siècle, la paix de Saint- Jacques proclamait à son tour une règle précise et générale à propos des eiïets de l'aubaineté. Tout bour- geois fait aubain pour cUain cas, dit-elle, ne pourra reparaître dans l'èvèché ' Slnltit de Maestrirht de 1580, arliclcs 2, 7, S, 14, etc. Pririléçje de 1 413, arliclc '25. '■^ Arliclc 71. 5 Article 2(i. Le iiiiiïciir et ses valets devaient .-iiTclcr les haiiiiis et les mener dans U prison dn sei^'tieur. * Slaluis de 1545, article 71. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 509 si ce n'est du consentement du seigneur et de la partie lésée, et encore « reserveis les cas dont on ne peut faire pardon; » s'il viole cette défense il pourra toujours être arrêté, et il subira alors la peine du crime qu'il a commis. Tout bourgeois, dit-elle à un autre endroit, qui aura été fait aubain et banni à perpétuité pour avoir rapporté de fausses lettres de voyage , encourra irrémissiblement la peine de mort s'il ose rentrer dans la ville ou dans la francbise K En résumé, il y avait entre le forjugemenl et la déclaration d'aubalneh' à titre de peine, des rapports de similitude fort étroits et des dilîérences très- radicales. L'un et l'autre comportaient un véritable hunnissomenl. L'un et l'autre atteignaient surtout les délinquants qui n'étaient pas sous la main de la justice; mais le forjugemcnt avait toujours les mêmes conséquences, tandis que celles de l'aubaineté dépendaient de la cause pour laquelle elle avait été prononcée. Le forjugé saisi en rupture de ban encourait toujours la peine de mort; Vaubain saisi en ru|)ture de ban encourait tantôt Tobligation de faire les réparations auxquelles il avait été condannié et qu'il avait négligé d'acconq)lir, tantôt, s'il avait été fait aubain pour vilain cas, la peine du fait qu'il avait commis. Le forjugemenl était prononcé indistinctement contre toutes espèces de délincjuants; Yauimineté contre les seuls bourgeois. Le for- jugé étml bors la loi; Vaubain ne l'était que si la sentence de condamnation portée contre lui le déclarait expressément "-. Le forjngé |)erdait la jouis- sance de ses biens : ses procbes ne pouvaient pas lui en faire parvenir les fruits. L'aubain, an contraire, bien qu'il ne put être conforté en ce qui con- cernait son crime, conservait, au moins par l'intermédiaire de ses procbes, la jouissance de sa fortune: il n'était pas niorf cirilcnirnl '\ Mais avançons. Nous avons parlé, au paragraphe des olliciers de justice, du cas dans lequel le seigneur pouvait user du droit iVarsin cl d'abuuis. Nous ajouterons seulement que, en 1433, les maisons de d'Athin et de ses com- « Paix de Sainl-Jucquc.'i , chapitre XXVI , articles 54 et 6C. - Voir Mutation de lu loi nouvelle , article Gl. — Sentence de }Valliieu d'Athin, rapportée plus haut. ^ Mutation de la loi nouvelle, article 67. — Voir encore Paix de Jeneffe ou de Vottem, article 12. Celui qui rompt l'aubaineté peut être forjugé. 510 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL plices furent brûlées par la Cité de Liège \ Ici, nous n'avons qu'à énoncer quclqiios règles relatives à l'étendue et aux conséquences du droit d'arsin et d'abattis considéré en lui-même. i° Quand le sire voulait user de ïai-sin ci aijullis , il commençait par saisir la maison du délinquant avec tout ce qu'elle contenait, mais les amis et les procbes du coupable pouvaient en enlever les meubles avant la saisie. 2" Si la maison en question était si cbargée de « tréfons » que le terrain sans les « contrepants , » sans les constructions, n'avait pas une valeur suf- fisante pour garantir la rente, le sire ne pouvait la brûler « qu'il ne facile » bonne la rente que ly trelTonciers aroit sour cely beritaige. >> 3° Le sire ni ses oificiers n'avaient pas la faculté de vendre la maison du délinquant, « |)Our deskargier et aultrepart emmineir; » mais les procbes du coupable avaient celle de la racbeter, en son nom . au seigneur. 4" Enfin , si la maison du délin(|uant était si proclie d'autres maisons qu'il y eût péril de communiquer fincendie en la brûlant, le sire devait commencer par la faire abattre, pour « portcir aux champs et ardre à sa » volonteit. » Ces règles importantes , que pour la première fois h paix de Saint-Jacques énonce législativement, étaient déjà en vigueur dès le XIV* siècle. Nous les retrouvons presque in terminis dans le Patron de la Temporalité -. La confiscation des biens, conséquence naturelle de la plupart des con- damnations capitales dans les principautés lotbaringiennes, n'était pas entrée dans le droit commun de la |)rincipauté de Liège même en matière de crimes |)olitiques. Dans la déclaration de la pair de Fextie, Adolpbc de la Marck a\ ail reconnu qu'il n'avait pas le pouvoir de coiilis(|uer les meu- bles ni les immeubles des délinquants dont il pouvait brûler les maisons en vertu du droit d'arsin "'. D'autre part (piand, au XV" siècle, on confisqua les biens de Wathieu d'Atbin cl de ses adhérents, les écheviiis de Liège refusèrent de prendre la responsabilité de la sentence; d'Albin réclama, alléguant qu'elle était pro- ' Cltiuiiiqiics lie Jeun de Sluvflul , p. 315. - Patron de la Temporalité , pp. 284, 285. — Paix de Suinl-Jacques, chapitre XXVIII. ' Coutumes du jxiijs de Lièye , I. l", p. 487. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. SU noncée contre loi; et il fallut un acte impérial exprès pour que cette con- fiscation sortît tous ses effets '. Dans le ressort de Sainl-Trond, toutefois, la peine de la confiscation des biens était usitée. Par \e privilège de 1 il7 , Jean de Bavière s'engageait seulement à n'exercer son droit de confiscation, sur la fortune d'un délinquant qui avait forfait corps et biens, que deduclo aère alieno, à condition que l'existence et la provenance des dettes fussent juridi- quement établies -. La peine de la confiscation spéciale était souvent coniniinée par les règle- ments du XV'' siècle, et notamment par le nouveau jecl , le régiment des bas tons , et la paix de Saint- Jacc/ues, en matière de port d'armes illicite. Le régiment des basions et la paix de Saint- Jacques posaient en principe que les armes confisquées appartiendraient au maieur ou aux maîtres et à leurs satellites qui auraient calengé le délin(|uant et Tauraient fait [)unir '. La peine de la détention temporaire était très-anciennement usitée dans le pays de Liège comme moyen de contrainte, pour obliger les alTorains qui délinquaient dans une ville à accomplir les peines pécuniaires et les répa- rations qui leur étaient imposées. La lettre du commun profit de loi 8 qui, en cas de non-payement de l'amende, commine contre les bourgeois un ban- nissement subsidiaire, commine contre les ufforains, ainsi que contre les clercs , une détention indéfinie jusqu'à ce qu'ils aient consenti à acquitter le montant de leur peine K Les Statuts de la Cité de 1328 veulent aussi que si un alTorain refuse de payer l'amende du clief d'un délit do port d'armes, il soit « lonus ou ares- » tels jusqu'à tant que asscis aral lait de X soûls de turnois d'amende ■''. » Les mêmes Statuts, (jui pei'meticnt d'arrèler préventivement l'alToiain Ncnant en ville faire « laidure à bourgeois, » déclarent que la délenlion se prolon- gera et deviendra par conséquent un moyen de répression et de contrainte, « jusqu'atant qu'il arat amendeit le melïail solonc le forme de ces status ^. » • De Ram, Documcnls inédits, cilés p. 5'J8. — IIe.naux , ouv. cité, p. l'Jl. 2 Privilège de U47. 3 Voir ces actes législatifs, passim. * Les clercs devaient, bien entendu , être incarcérés dans la prison de l'onicial. 5 Article 19. <^ Article 22. dI2 essai sur l histoire du droit criminel Le Sidint (le Macsiricht , de son côlé, permet aussi à tout le monde d'ar- rêter ralïorain délinquant contre un bourgeois : « ende denen lialden want » derre tyt dat he gebetert sal bebben na der formen deser statuten, » ainsi que les alîorains délinquant l'un contre l'autre, jusqu'à ce qu'ils aient satis- fait à la partie, au seigneur, à la ville '. Mais c'est seulement à la fin du XI V* siècle que l'on commence à comminer la peine de la détention contre les bourgeois. On s'en sert à leur égard abso- lument comme on s'en servait jadis contre les seuls aiïorains. L'emprisonne- ment ne prend pas une place régulière dans l'écbelle pénale; il reste un simple moyen de contrainte. Le nouveau jecl, les deux régiments de Bavière de 1 il6 et i 417 , le régiment des basions, menacent d'une détention de trois ou de (pialre mois au pain et à l'eau à la porte Sainte-Marguerite, ou dans une autre prison de Liège, les bourgeois qui rompent le ban encouru faute de payement de l'amende en matière de violation du régime de port d'armes ou du régime des huriers -. Chose remarquable, cette détendon ne dispense pas toujours le bourgeois qui l'a subie d'accomplir les obligations auxquelles il était tenu en vertu de la condanniation primitive. La paix de Saint-Jacques reproduit à peu près in lerminis les prescriptions du régiment des bastons. Elle déclare de plus que le bourgeois emprisonné sera entretenu aux frais de la Cité sans qu'on puisse lui l'aire passer aucune douceur, et (pie, avant de sortir de prison, il devra payer intégralement l'amende à laquelle il a été condamné ''. Il nous reste à parler des amendes et du bannissement qui étaient restés, et dans les mêmes rapports qu'au XIII'' siècle, les véritables bases du système pénal liégeois en matière de délits légers et de délits d'importance moyenne. Les amendes étaient toujours commiiiées à titre de peine principale. Elles frappaient les délinquants cou|)ables d'injures ou de violences contre les per- sonnes : avant la disparilion du talion , juscpi'à la mutilation exclusivement; ' Ailiclcs 32 cl !)'2. - Nouveau jecl, articles 1 et G. — négiment de Bavière, article G. Régiment des basions , article i(. 5 Paix lie Saint-Janiiic^i , ciiapitrc XXV, article 8. DA>S L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. SI 3 après la disparition du talion, jusqu'à l'homicide; les délinquants coupables de port d'armes illicite; les délinquants coupables de délits contre les règle- ments relatifs aux huriers; les délinquants coupables de légères escroque- ries, etc. On les retrouve dans la plupart des articles des Sfaluts de la Cité, des Sfaliils de Maesirkht de 1380, de la letlre du commun profil , de la paix de Jene/fe, du nouveau jeci , du régiment des basions, de la paix de Suint-Jacques , de la charte de Tonyres de 1o02, etc. '. Le taux des amendes différait selon les localités. A Liège, d'après les statuts primitifs, les amendes étaient de sept, de dix, de vingt, de quarante sols; de vingt livres en cas de crime de mutilation et de violences infligées au maïeur, aux maîtres, aux échevins, dans l'exercice de leur charge. La paix deJeneffe comminait dans un cas l'amende de cinq marcs. A Maestricht, les amendes étaient évaluées en vieux ou noirs tournois. A partir du com- mencement du XV'' siècle, elles furent généralement évaluées en florins. D'après le texte des Statuts inséré dans la paix de Sainl-Jacrpies, les amendes usitées à Liège étaient de dix aidans, d'un, de deux et demi, de trois, de cinq, de sept et demi, de dix florins, de vingt-cinq patars, etc. ^. Le produit des amendes pénales appartenait au seigneur de la juridic- tion dans le plat pays. Dans les villes il se partageait d'ordinaire entre la ville et le prince. A Liège le prince et la Cité en avaient chacun la moitié •', sauf naturellement le droit du votw, expressément réservé par le pr(''ambule du nouveau jeci. D'après le texte des Statuts inséré dans la paix de Saint- Jacques, la part des amendes, afféiente à la cité, devait être convertie à la « réfection des artilleries et des fortifications *. » En vertu d'une disposilion spéciale du réf/iment des basions, le tiers des amendes encourues pour con- travention à son texte appartenait au var/et qui avait calengé le délinquant ^. Les amendes étaient en i-apports étroits avec les voyages. Les juges du pays condamnaient dans certains cas les délinquants à faire un ou plusieurs ' Voir CCS aclcs législatifs, passlm. ^ Iilem, idem. ^ Slaliits de la Cité , aiiiclc 72. * Paix de Sainl-Jacrjues , cliapitre XXVI , articles I, 2.3, 4,5, etc. ^ Article I". Tome XXXVI 11. 65 514 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL voyages «u yvoWl du seigneur. S'ils tléclaraieut, dans leur seiUenee, les voyages prononcés non mc/ictables, alors le vo>age élail une peine grave; s'ils déclaraient, au contraire, les voyages prononcés raclietables, ou s'ils ne précisaient rien, le délinquant, en dernière analyse, n'était astreint qu'à payer la taxe des voyages en question, c'est-à-dire une amende plus ou moins grande. La taxe commune des voyages était ivarclée pai- les échevins comme loi du pays. A Tongres la charte de lo02 comminait à diverses reprises, outre la peine ordinaiie du crime, et en même temps qu'un voyage au profit de la ville et un autre au profit de la partie lésée, un voyage à Sainl-Jacques en Galiev ou à Vile de Chypre. Elle les déclarait l'un et l'autr-e toujouis radie- tables; le premier au prix de ^q'vio (jrypeii , le second an prix de trente-deux grypen. Nous nous occuperons plus lai-d de nou\eau des voyages considérés conune peine principale, à l'occasion de la réforuiution de Groisbeeck '. Pour le moment, en l'absence de textes très-précis du XIV'' et du XV* siècle qui les touchent, nous passons à ce qui a trait au bannissement. Le bannissement était tantôt la conséquence de la fuite que prenait un délinquant apiès avoir commis un crime grave, tantôt une véritable peine. D'après la j)aix des A7/, l'homicide non tenu était de son fait )nèmc banni et décaddè du diocèse et du pays de Liège à pei'pétuité; le uiut dateur non tenu était, de son fait même, banni et décae/tié de la même manière, mais seulement pendant vingt ans, et, s'il était convaincu après avoir nié son crimC;, pendant (piarante ans; le lignager (pii conunettail une alToulure notoire était banni, de son fait même, poiu- dix ans. Ce bannissement de plein droit avait pour conséquence de permettre l'arrestation du délinquant lorsqu'on le trouvait dans le pays, et de permettre l'application de la peine de mort à l'homicide, de la peine du talion au mutilateur, d'une peine arbi- traire à l'auteur d'une a/foulure. Il est probable, toutefois, qu'il se transfor- mait en peine proprement dite, dès que, sur la plainte de la partie lésée, on avait eu l'occasion de |)rononcer contre le coupable une condanuialion par contumace -. ' R(- formation tie G;-oi>s6eec<:, chapitre XV, article ô. — Charte de Tungres de. t')02, arlidcs IS.Ki, 17, 19,20, 50, clr. ^ Coutumes du puijs île Lièije , t. I", |i|). îiôj, 557, ;I58. DANS L'ANCIENiNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 513 Considéré comme peine, le bannissement était employé surtont comme peine subsidiaire. Nous en parlerons pkis loin. Il était aussi usité parfois comme peine pi'incipale, mais surtout contre les délinquants non tenus qui avaient commis un crime 2;rave, ou contre les individus qui avaient commis une infraction d'une nature particulière. La paix (rAngleur comminait le bannissement à perpétuité « fours de la » Citeit et francliiese » contre l'homicide non tenu '. Il résulte de la contex- ture même de la lettre des vingt que tous les auteurs de vilains cas, incen- die, viurdre, vol de grand chemin, etc., perdaient le pays à toujours, c'est- à-dire encouraient le bannissemenl perpétuel hors du pays de Liège, quand on n'était pas parvenu à les mettre sous la main de la justice -. La rupture d'un ban perpétuel, encouru pour homicide ou pour vilain cas, enirainail toujours la peine de mort. « On le doit pendre à forcpies, » dit la paix d'Angleur, en parlant de l'homicide qui reparait dans la franchise; et Jean de Stavelot, à |)ropos d'un cas particulier, énonce le principe nuMue que nous venons de poser : « (pie ledit Jacques avoit li mort desservie solonc les » frankieses del Citeit, partant qu'il estoitcrieil fours por vilains cas, et par- » tant qu'ilh s'estoit rembatlut à Liège, contre le grcit délie Citeit sous le » sous-conduit de Mgr... et on l'y coppat le chiefl'^. » En pratique, la sentence qui bannissait un (lélin(|uant non tenu, pour un crime passible de la peine de mort, dé(;larait en termes exprés que ce ban- nissement était prononcé sur peine capitale. La paix de Saint-Jacques enjoi- gnait à tous les seigneurs, ofTîciers, maïeurs, maîtres des bonnes villes, d'appréhender les bannis de l'espèce « dedens maisons, sur heritaiges ou en » quelque autre lieu où sieroit, hormis églieses, cymetiers et lieux saints, » pour en estre fait justice sans rémission ^. » D'autre part, les Statuts de la Cité de Liège comminaient le ban de cinq ans hors de la Cité, franchise et banlieue, outre une amende, contre l'indi- ' Voir son texte. 2 Coutuvtes (hi paijs de Liège, 1. 1", p. UW). ^ Chroniques de Jean de Stavelot, p. ôô4. Voir au surplus la lettre des vingt qui délciid de gracier les auteurs de certains vilains cas. * Paix de Saint-Jucqtics , cliapilrc XXII, article 3. 516 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL vitlii ([ui (lilTiuiiait iino fcninio honnête '; le Sfatut de Maesiric/it, le ban d'un an contre Thomme convaincu « dat lie op ledighe wuf leeft -; » le nuuvma jecl, le rér/iment de Bavière de /4J6 le ban de deux ans contre les joueurs de fauv dés, les Imriers, les gens vivant du commerce infâme de femmes |)ubli(]uos, etc.; le régiment des basions, le ban d'un an contre les mêmes délinquants ^. La rupture d'un ban temporaire, prononcé dans les circonstances que nous venons de déterminer, entraînait contre le délinquant tantôt un ban- nissement double en durée s'il n'était pas tenu, et s'il était tenu cet empri- sonnement au pain et à l'eau dont il a été (piestion plus haut; tantôt même une déclaration d'aubaineté, perpétuelle dans certaines communes*. Mais \enons au bannissement considéré comme peine subsidiaire. Ce ban- nissement, d'après les Statuts de la Cité de Liéije, frappait tous les délinquants passibles d'amendes en argent ou de voyages au profit de la partie lésée, qui n'accomplissaient pas leur peine. Il remplaçait encore, dans le pays de Liège, les mutilations, peines subsidiaires dont on faisait un si grand abus dans la pln|)art de nos principautés en vertu de la maxime : Qui non habet in aère, luet in eorio. Il était de deux, de quatre, de cinq et même de dix ans; chassait le délinquant de la franchise et banlieue, et même l'obligeait à ne pas approcher des limites de cette dernière dans un rayon de dix , de cinq ou de deux lieues, selon le cas ^. L'individu qui l'ompait un ban temporaire, à Liège, après l'avoir encouru comme peine subsidiaire, de\ait être déclaré anbain de son fait niéme^'. Il est à remarquer que le bannissement subsidiaire n'éteignait pas l'obligation d'accomplir les répaiations à l'occasion des((uellcs il avait été encouru. « Tuit » cil, » disent les Statuts de la Cité, « (|ui deveront amendes d'argent par le vertut ' Article 40. - Article 110. ' likjimenl de Bavière, article (i. — .Voi/ren» j''(7, iirticlc (i. — Régiment îles liuslniis, arlicle 9. * négiiiieiit (les basions, régiment de liuviirc, Xoiiveau jecl, piissiin. — SlatuI de MaestriclU de iôSO, article 110. ^ Statuls de lu Cilé, passlin. * Idem, article 09. DAISS L'ANCIENNE PRINCIPALTE DE LIEGE. 517 » de ches Slalus, et qui al ocquison de chu seront banis, ne poront rentreir » en le ditte Citeit et franchise après le temps que banis seront jusques à » tant qu'il aront asseis fait des dittes amendes ; et toute fois que paiet aront » l'argent de leurs amendes après lour banissement, poront rentreir en le » Citeit et franchise, mais que asseis soit fait aie partie blecie '. » Le bannissemenl lemporaire à titre de peine subsidiaire était encore em- ployé dans certains cas par le régiment des basions; et sa rupture entrainait alors un emprisomiement si le délin(|uant était tenu, un bannissemenl double si le délinquant était i)arvenu à s'échapper "-. A Maestricht le délinquant qui avait encouru un voyage et une amende en argent, et qui négligeait d'acconqilir l'un et de payer Taulre en temps voulu, était déclaré aubain ^. Eu réalité, le bannissemenl et l'aubaineté avaient des allinités très-étroites. Tant que durait le /yrt/«/icy(/^ le délinquant bourgeois qui eu était frappé était sinon aubain, au moins suspendu dans ses privilèges de bourgeoisie. Le délinquant bourgeois banni à ijerpétuilé était même un véritable aubain. Il n'est donc pas étonnant de voir les documents du XV" siècle employer fréquemment l'expression de banni et albain, au lieu de celle de banni ou de celle A'albain simplement. C'est ainsi, par exemple, que le rcyimenl des basions déclare banni et albain temporairement celui ()ui ne paye pas certaines amendes*; la paix de Saint-Jacques, banni cl albain à per|)étuité, sans préjudice de toute autre peine, les faux témoins, les individus qui blessent avisémenl autrui d'armes de trait dans la franchise, etc. ^. Nous n'insistons pas : nous serons encore dans le cas de parler du ban- nisscvienl, de l'aubaineté et de renqn'isonnemeni, considérés comme peines subsidiaires, sous la rubrique suivante. ' Slattils lie tu Cité, jirlicio (iO. - Arikie 7. ■' SluUd (le f-iSO, lu'ticlu l'I. * Arliclc 7. ^ l'uix de Saiiil-Jac(iues, cluipitie XXVl , iirticlc 44, et rliapitrc X.XII, nilicle 10. 518 ESSA[ SUR LIIISTOIHE Dl DROIT (:l{l>ll^KL Des iiniiics :iii priilil de la coiiiiiuilic. Le .svslèinc des peines ;iii profit de la coininuno, introduit dans les villes liéjïcoisos au XIV"' siècle, était d'une sinjplicité extrême. Il ne se coniposail (pie d'une échelle de pèlcrinafjes ou de voyages, plus ou moins lointains, applicables suivant un tarif fixe et innnuable. Le but qu'avaient eu les législateurs et les magistrats des villes en comnii- nant ces voyages, soit par voie de régiment, soit par voie de SladU, est facile à comprendre. Les uns et les autres avaient \oulu assurer par des moyens éneigicpies le maintien de la paix de la ville. Les uns et, les autres avaient voulu remédier i)ar une voie indirecte, mais sûre, à rinsufïisance notoire du svstème pénal existant en matière de délits contre les personnes, et à la facilité avec laquelle, selon lesmunnsde l'époque, les délinquants coupables de crimes non honteux ni vilains obtenaient grâce des peines corporelles. Les voyages au |)rolit de la commune étaient irrémissibles. Pei-sonne ne pouvait en faire grâce : le SlafuI de Maeslricht, à propos d'un cas particulier, s'exprime en ces termes : « Ende des weeghs in Cyper sal niemant mogicb » svn '. » Le réyimenl de IlcinsOenj, de son côté, les commine toujours en ayant soin (rajouter : « sans rémission -. » Le privilège de Maeslricht de ii15 dit également : « Ende desen vvech... en suelen wi noch onse stat » niemant (pnjtschelden, of den mesdedegen des yet te verlaten in eniger » manière '\ » Ces voi/a(/es sajoitlaienl à la peine h'gale lors(pie le (lélin(inanl n'encou- rait, au |)rolil du seigneur, qu'une peine h'gale pé'cuniaire ou une peine corporelle inférieure. Ils étaient aussi encourus par les délinipiants passibles de la peine de mort qui avaient été faits aubains ou qui axaient été bannis parce qu'ils n'étaient pas tenus ; et devaient toujours être accomplis par eux, nonobstant la paix à partie et la grâce octroyée par le seigneur, avant qu'ils pussent rentrer dans la franchise de la ville *. ' Sl(ilii( (le Mdcstriclil île l.iSO, arlicles -2 et !»• i Aiticics :.,(), 7, "J. " Al'liclis I" ri li. * Siulul (lu Marshirhl, ;irlirle> '2, 9. - Prlvilcuf de Macslrivlil de /-i/J, articles 13, 14.— DAISS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. S 19 Le privilège de Sainl-Trond de 1417 nous iipprond que riiomicide }wn tenu était frappé d'un pèlerinage à Saint-Jacques en Galice. Mais nous n'avons entre les mains de détails précis à propos des pèlerinages au profit des villes qu'en ce qui concerne Liège, 31aestricl)l et Tongres. Nous allons essayer de les résumer aussitôt; ils nous feront connaître ap|)ro\imativement l'état des choses dans les autres villes de la principauté. A Liège les pèlerinages au profit de la Cité a\aient été introduits pour la première fois dans le droit ci-iminel par la paix d'Angleur de 1512. Cette paix comminait, outre l'amende, un voyage à la larme de Vendôme en matière d'injures, à Rocamadour pour le coup simple, à Saint-Gilles en Provence pour le coup « à sang corant, » à Saiiil- Jacques en Galice poul- ies coups ayant occasionné une [)laie ouverte; à Sainl-i\icolas-de-liar \)ouv ïa/foulure. Elle lendait passible d'un pèlerinage à Vile de Cliqpre le )nulila- leur qui s'était éclia|)pé et qui, s'il avait été tenu, aurait eucoui'u la peine du talion. Mais les slipidalions de la paix d'An//leur n'avaient pas une portée générale, et par la force même des choses elles tombèrent insensiblement en désuétude. Elles ne concernaient, en elïet, cpie les membres des anciens partis, divisant la Cité à la date de sa publication, qui s'injurieraient ou qui se livreraient à des violences les uns contre les autres à l'occasion de la Màl-Saint-Martin et des faits qui avaient amené celle-ci '. En réalité les voyages au profit de la Cité ne prirent une place perma- nente dans le droit communal de la Cité de Liège que par le nouveau ject de Jean de Bavière de 1394, le régiment des basions de 1420, le r régiment de Heinsberg de 1424 et la paix de Saint-Jacques. Le nouveau jeci comminait un voi/age d'outre mer ou à Pile de Ch\|)re, outre l'amende du seigneur et de la partie lésée , contre le délin(|uant cou- pable d'homicide, de coups avec effusion de sang iiilligés à l'aide d'armes déloyales, d'infraction à la trêve, de rapt à cry et hahay ; et un voyage à Saint- Jacques en Galice contre le délincpiant coupable de mutilation, iVa/fou- lure, de fraitin, de tumulte aggressif et à main armée commis devant la Privih'ge de Saint- Trotul île 1417, h propos de l'Iiomicide. — HètjiiueiU ilc Jlfitiaberij, article G. etc. ' Voie celte charte. 320 ESSAI SIR LHISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL maison (riiii hoiirjïeois^ Le n-f/hnent (Us hnsfnns rendait !)assil)Ie d\ui voyaijc (l'onlro-mcr ou à 1'//^' (fe Chijprc le délin(|iianl (jui avait commis un rapt, et (run voyage à Saint-Jaaincs en Galice celui qui avait commis un crime de mutilation, de frailin, d'aff'uulure, etc. 2. Le i'' réyinienl de Ilcinshery, à son tour, comminait, outre les peines de la loi et du Statut, un rn/jarjc d'ontre-mer ou à 1'//^' de Chypre contre Findividu qui pénétrait de force dans la maison d'un bourgeois et cpii \ commettait des violences; un autre voyage seml)lai)le contre Findividu qui commettait un homicide dans la Cité, fran- chise ou banlieue de Liège ; un autre voyage semblable contre les auteurs d'un rapt avec séduction d'une impubère; un dernier voyage semblable, enfin, contre l'homme qui tirait aviseuwnt i\\)rès autrui en ville ou banlieue avec armes de trait '. Quant à la pai.r de Saint- Jacques, elle reproduisait les prescriptions du régiment de Heinshery avec quelques éclaircissements, sauf en ce qui con- cerne spécialement l'homicide. Nous supposons que cette omission n'était pas préméditée, car nous retrouverons plus tard encore le voyage d'outre-mer pour homicide dans les trois derniers siècles *. A Maestricht, d'a|)rès le Statut de io80, l'usage des voyages au profit de la ville était encore beaucoup plus général qu'à Liège. Ces voyages étaient encourus par la plupart des délinquants qui avaient commis une infraction contre les personnes, quelque légère que fût celle-ci. L'homme qui avait tiré un couteau ou une épée contre quelqu'un, ou qui avait poilé à autrui un coup avec un instrument (pielconque, « endeen kan men die quetsure niel gesien» était passible d'un pèlerinage, au profil de la ville, à Ardemhourg ■'. L'homme qui avait donné à autrui un soufflet, un coup de poing ou un coup de pied, ou qui avait poursuivi son adversaire une arme à la main, était passible d'un pèlei'inage à Saint-Ra)nl>((ut de iMalines ^. Celui (pii avait infligé à autrui une blessure ouverte ou une contusion ' Arliclc (i et 7. î Ailiilcs l'2 cl 15. 5 Arliilcs 5, (i, 7, y. * Cliapitir XXn , articles 0, 7, 8, tt cl 13, elc. 5 Ai'liclc-. I(i. 17. '■ Articles li), IS. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 521 visible encourait un pèlerinage à Saint -Josse- sur -mer ^ Il en était de même du bourgeois qui diffamait une femme bonnête, et de celui qui béber- geait sciemment un afforain ennemi d'un autre bourgeois -, Celui qui avait brisé un membre à autrui, ainsi que l'auteur d'un acte de violence commis dans le domicile d'un bourgeois avec préméditation, étaient frappés d'un j)élerinage à Vendôme ^. Le bourgeois en état de trêve, qui poursuivait son adversaire de paroles injurieuses ou de menaces, était tenu d'aller, à titre de réparation à la ville, visiter le sanctuaire de Notre-Dame à Roeama- dour ^. Lemutilateur, l'auteur d'une blessure « dar af dat men diewonde nielwale » gewiecken en kan » etc., étaient passible d'un voyagea Saint- Jacques en Galice ^; l'boniicide non tenu, enfin, avant qu'il put rentrer dans la fran- cbisc, même s'il avait été gracié et s'il avait fait paix à partie avec la famille de sa victime, était passible d'un |)èlerinage à Chypre et d'un second pèleri- nage à Saint-Jacfjues ^. Le priviléfje de Maeslrichl /-//J disposait d'une manière analogue (piant à l'bomicide. De plus, il comminait un roi/of/e d'oulre-mer ou à Vile de Chypre contre le ravisseur, contre l'auteur d'un acte de violence prémédité commis dans le domicile d'un bourgeois, contre l'Iiomme qui lirait sur autrui avec armes de trait, (piand ils n'étaient pas tenus et avant qu'ils pussent rentrer dans la francbise '. A Tongres, enfin, il nous suffira de dire (|ue la cbarte de 1502 comminait le voyage à Saint-Jacques ou le voyage à Vile de Chypre contre les gens qui avaient menacé autrui avec armes de trait, ou qui avaient provoqué un bourgeois à sortir de chez lui pour se battre, ou qui avaient infligé à autrui des violences dans son domicile, etc. **. Nous nous sommes appesanti sur ces détails, parce qu'ils nous fournissent ' Articlps 12, 17. * Articles 20. 29. ' Articles 11, 26. * Article 10 » Artic,les2,9, 13, 25. '' Article 2. ' Articles 1, 2, 13, 14. 8 Charte de i 502, articles 13, IG, 17, 19, 20, 50, etc. Tome XXXVIII. 66 522 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL seuls une vue complète du système i-épressif de Tépoque ; mais il est temps de re\enir sur le terrain des principes. Nous rappelons d'abord pour mémoire que certains de ces voyages au profil des villes pouvaient faire l'objet d'une aen'on spéciale^ remise, à Liège par exemple, entre les mains des connnissaires de la Cité; tandis que, en cas de procès criminel régulier, ils étaient prononcés par le juge concurremuient avec la peine légale, au moins à ce que nous croyons. Les condamnations à des voyages, à titre de réparation aux villes, n'en- trainaient pas toujours les mêmes conséquences juridiques. Dans tous les cas, le délinquant qui en avait été frappé était tenu de rapporter un certifiral authentique de présence ou de séjour, émané des autorités constituées du lieu où il avait été envoyé ^ Mais parfois il avait satisfait à ses obligations en se bornant à toucher barre à ce lieu, et à y résider le temps nécessaire pour obtenir son certificat; c'était même le cas ordinaire. Parfois, au con- traire, il était absolument obligé de faire un séjour d'un ou de deux ans dans la ville qui lui avait été assignée comme terme de son voyage. L'obligation de résidence existait en ce qui concerne des voyages d'oulre-mer. Elle était exprimée dans \c?,paix et régiments par les mots : voyage à un an ou à deux ans de stuyt. Le voyage d'outre-mer comminé par le Statut de Maestrichl en matière d'homicide était à deux ans de stuyt, « ende twee ganzen joren do » le woonen -. » Les dillerents voyages d\nitre-mer comminés par le régi- ment de Ileinsberg et par la paix de Saint-Jacques étaient de leur côté et indistinctement à un an de stuyt '\ La paix de Saint-Jacques prit la peine d'expliquer avec précision ce qu'était \estuyl : « que la résidence et sluydt de une an entier se doit entendre, » dit-elle, « que ons doit demoreir résidemment en l'ysle de Cipre, en la cité » de Nicosie, ou en autre bonne ville de la dite ysie, ou plus loingen autre » lieu, commenchant au premier jour que on prent sa résidence en bonne » ville, et linant au debout de l'an ad ce meisme jour inclus, sains retour- ' Slutiit (le MuestrirlU de tôSO, iirliclc 2. — Régiment des basions , arlidcs 12, 15. — JVouveau jecl , article 7. — /" régiment de Ileinsberg, articles 3, 7, 6, etc. •■i Articles. ' Voir les articles de ces chartes que nous avons cités. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. o23 » neir plus encha, avant son stuydt passé, et dont il deljvera rapporteir » lettres certifïicatoires à son retour, sains y comprendre le ternie du voyage » en allant ne en retournant *. » Nous disions plus haut que les voyages au profit des villes étaient en- courus sans rémission. En revanche, ils étaient, dans certaines limites, rachetahles à prix d'argent. Le délinquant qui avait obtenu la permission d'opérer ce rachat voyait l'obligation de péraycr à pied, de sa personne, un pèlerinage, se convertir dans celle de payer une simple amende irrémissible. A Saint-Trond l'homicide non tenu avait, dans certains cas, la faculté de se rédimer du voyage auquel il était tenu, en payant entre les mains des pacificateurs ou paysmeeslers de la ville une somme de vingt royaulx « à » convertir aux fortifications de la ville et non autrement -. » A Maestricht, d'après le priviléye de 1 415, les pacificateurs locaux avaient un droit analogue à celui dos pacificateurs de Saint-Trond en ce qui concerne la rédemption des voyages au profit de la ville ■'. ATongres les voijayes à la ville étaient rachetahles au même taux que les voyages au profit du seigneur, et ce de plein droit '. A Liège, le réf/iment de Heiusberr/ ne disait rien du rachat de ces voyages; mais, par contre, la paix de Saint-Jacques statuait en termes exprès que les voyages à un an de stuyt et (ïontre-nier qu'elle conuninait, étaient rache- tahles au prix de quarante florins du Rhin, « à applicpier moitié au segneur, » et l'autre moitié à la réfection , et réparation des murailles et artilleries » de la Cité ^ » Nous croyons toutefois que la faculté de rachat des voyages était toujours subordonnée à l'autorisation de certains magistrats communaux, ou bien à la teneur même de la sentence qui les prononçait. Nous trouvons, en elTet, au chapitre XIV des cousfames du pays de Liéye , un article 30 conçu en ces termes : « un surceanl du pays, condamné à pérager quelque voyage ' Paix de Saint-Jacques, chapitre XX, arlicle 10. ^ Privilège de 14'! 7. 3 Arlicle 9. * Charte de tS02, articles 15, 10, 17, 44, 30, etc. " Paix de Saiitt-Javques , chapitre XXII, articles 7 et 13, etc. 524 ESSAI SLll L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » de ses pieds est par telle sentence infâme et incapiible de porter office, » autretnent en est si le voyage est réduit en argent. » Le voyane un profil des villes devait èlre perarjê pai- le délinquant on per- sonne, ou racheté par lui, dans un lenips déterminé sous peine d'encourir un chàtimenl sévère. D'après les Slotufs de Maestrirhl, le défaut d'accomplir la réparation à la ville entrainait Vuubaineté et la privation des droits de bourgeoisie'. D'après les mêmes Statuts l'homicide non tenu, même gracié, qui revenait en ville sans apporter un certificat aulhenticpie de séjour à Pile de Chy()re, devait être mis à mort-. L& privilège de Maestricht de 1428 comminait la peine de la section de la main contre le délincpiant envoyé outre-mer, pour avoir tiré avec arme de trait contre quelqu'un , s'il revenait en ville sans avoir accompli sa peine ^. Le rc'f/imenl de /leiiisberf/ établissait comme sanction de l'accomplissement du voyage d'outre-mer qu'il comminait, tantôt le forjmjentent, lantùl la peine de mort, tantôt la section du poiny. La paix de Saint-Juc(jues reproduisait les dispositions du régiment presque in terminis "*. Avant d'abandonner cette rubrique il nous reste une dernière lemarque à faire. D'après le régiment de Ileinsberg et Xapaix de Saint- Jacc/ues, l'ho- micide et les violences graves commises dans une église de Liège, ne don- naient pas lieu à un voyage au profit de la Cité. Ils entraînaient, d'après le régiment , un voyage à Saint- Jacques en Galice; d'après la iiaix de Saint- Jac(jues un voyage d'outré-mer au profit de l'église daus lur/uelle le délit avait été perpétré'-'. Le délin(piant qui n'accomplissait pas cette réparation en temps voulu encourait un ban de cinq ans, « l'ours du pays délie evesqueit de » Liège et conteil de Loouz, » ban dont la rupture entraînait en {ft^lft l'au- baineté de cent ans et un jour; en 4i87, un ban de dix ans; en cas de deuxième rupture un ban de vingt ans, en cas de troisième rupture, un ban de cent ans sur peine capitale *'. ' Arliclis It, 10, 72. * Ariiilc a. 5 ArlicU' '_>. * /" ié(jiiiiciit de Ileinsberg, ai'1.3, G, 7,0. — Paix de Saint-Jucques, rliap.XXll, art. 7, 13, cic. ' /" rrgiinenl de Ileinsberg, art 2. — Paix de Saint-Jacques, chapitre XXII, articles 2 et 4. '' Idem , idem. DAISS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. o2d Nous aurons encore à revenir en peu de mots sur ces principes quand nous parlerons du droit de grâce. Voyons maintenant ce qui concerne le voyage au profil de la parlie lésée. Des voyages au proflt de la partie lésée. Les voyages au profit de la partie lésée, dont il est question dans la h/tre (tel paix (le Fosses, dans les Statuts de la Cité de Liéye, dans la mutation de la loi nouvelle, dans la lettre du prévôt , dans les Statuts de Maestricht de ^380, dans le régiment de llcinsberg, dans la paix de Saint-Jacques , dans la charte de Tongres de ^302, en un mot dans la plupart des monuments du droit criminel liégeois au XI V" et au XV'' siècle, avaient un tout autre caractère que les voyages au profit des villes. Bien qu'ils fussent tarifés par le législateur lui-même, et infligés avec la peine par le juge saisi d'une action criminelle régulière, ils ne constituaient pas une peine accessoire. Ils avaient uniquement pour but de procurer à la parlie lésée par une inl'iaclion contre les personnes la satisfaction (|ui, de toute antiquité, lui était due d'après les principes fondamentaux du droit germanique. Leur nom détermine avec pré- cision leur caractère : « une voie à la partie plaidante, une \oie |)our la » partie bleschiée une voie pour la partie laydie il yratà Kochemadou » pour la partie » disent les Statuts de la Cité. « De sal des parlien mit » eynen weglie betcren » disent les Statuts de Maestricht à leur tour. Au XIII* siècle, connue nous Tavons dit, la satisfaction due à la partie lésée qui avait porté une plainte criminelle était arbitrée; dans cliaque cas particulier, son taux et sa forme étaient débattus soit devant le juge, mais par une action spéciale, soit à Liège, et entre bourgeois, devant dos. arbitres spécialement nommés par le magistrat. Au XIV'' siècle, les législateurs des communes liégeoises crurent bon de modifier cet état de clioses. Ils dressè- rent des tarifs fixes de ces réparations à partie. Ils en évaluèrent le montant en voyages. Ils commirent le soin de les appliquer aux juges mêmes saisis de l'action criminelle régulière. Le but des législateurs en introduisant ces innovations est facile saisir. Les législateurs voulaient substituer une règle écrite et immuable à l'incertitude et à l'ai'bitraire des traditions coutu- 526 ESSAI SLR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL niières; simplifior au profit des parties lésées la voie à suivre pour obtenir la satisfaction cpii leur était due; peut-être même ajrjïraver les eonséquences légales des inlractions, en dressant l'échelle des rofjatjes à partie iVaytrcs des principes plus sévères que les anciens principes coutumiers uwdés par les échevins. Il était, du reste, entendu que l'action en dommages et intérêts restait, le cas échéant, spécialement ouverte au profit du lésé. Pour le fond, rien ne fut changé quant à la nature même de ces voyages. Comme jadis il appartint à la personne seule, au profit de laquelle ils avaient été prononcés, d'en exiger ou non l'accomplissement de la part du condamné. Les Statuls de la Cité disaient en termes exprès : « tuit cilh qui » Noiage devront se poront apaisier à leur partie adverse... salvées todis les » aineiuhîs en argent; » et le paix de Saiiil-Jaajues reproduisait leur texte ^ La lettre (telle paix de Fosse contenait une stipulation analogue -. (îes trois chartes énonçaient un principe de droit commun. La paix de Saint-.! arques stipulait même expressément : « qu'une proide femme de son corps, nonob- » stant qu'elle ait marit » serait désormais, « dame et poissante de ses » amendes, en cas touchant son honneur ^. » Comme jadis encore, la |)artie lésée avait la faculté de choisir une répara- tion en argent. Elle pouvait accorder au condamné le rachat du iw/aye, et percevoir le prix de ce rachat *. Le législateur se contentait de régler de temps à aulre par lui-même le taux du rachat, ou, en d'auti-es teinies, d'éva- luer en monnaie la valeur des dilïérents voyages à partie. D'après le rér/i- menl de liarière de 1416, par exemple, le voyage de Rocaiinulour était taxé à cinq livres, celui de Saint-Martin de Rome à trois livres, celui de Ven- dôme à ciiKiuanle sols, celui de Walcourt à quatorze sols, etc. ^ A l'époque de hpaix de Saint-Jacques, néanmoins, il fut statué que le délinquant aurait toujours le choix, ou de faire le voyage à pied, ou d'en payer le rachat ^. * Slaluls (le la Cilù, article 07. — Paix de Saint-Jacques, cluipitrc .WVI, arlirlf tiô. * Voii' fcl acte. ' Paix de Saint-Jacques, cliapitre XXVl, n° 1 1. * Ce principe est rappelé dans le privilège de Moestiiclit de 141.'), article i), et dans la charte de Tomjres de liiOi. 5 Article "2. '' Paix de Suint-Jac(jiic>i , chapitre XXVI, article lô. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 527 Comme jadis enfin, Vapplicalion effective de la peine de mort, et parfois celle d'une peine corporelle inférieure, ainsi que le prononcé d'un for jugement, éteignaient le droit de la partie lésée d'obtenir une satisfaction profitable. Le législateur même ne statuait rien d'avance par rapport à la satisfaction due à la famille lésée en matière d'infractions passibles de la peine de mort, telles, par exemple, que l'homicide '. Il supposait que la famille lésée par une de ces infractions avait, en portant une plainte criminelle régulière, Tintenlion d'exiger l'application effective de la peine. Il ne déterminait pas d'avance le taux de la satisfaction qui lui serait due, au cas où elle ferait la paix avec son adversaire, pour permettre au seigneur d'exercer son droit de grâce. Le taux de cette satisfaction restait, comme autrefois, à débattre libre- ment, soit à l'amiable, soit devant le juge, mais par une action spéciale -. Sans nous perdre dans de trop minutieux détails, il est indispensable de donner quelques indications sur les rapports établis par les législateurs liégeois entre les réparations à partie et les infractions. La lettre ciel paix de Fosse comminait, suivant les circonstances, et au profit des bourgeois ou des chanoines qui avaient été injuriés ou maltraités les uns par les autres, des voyages à la Icirme de Vendc'nne, à Rocamctdour, à Saint-Gilles en Provence, à Saint-Jacc/ues en Galice ^. Les Statuts de la Cité de Liêcje comminaient au profit de la partie lésée un voyage à Wcd- court, en matière d'injures adressées par une personne honnête à une per- sonne honnête '*" ; un voyage à Vendchne , en matière d'injures adressées par une personne malhonnête à une personne honnête, de coup siniple, de pour- suite à main armée •'; un voyage à Roccunadour en matière de coups de bâton occasionnant une contusion visible, en matière de |)rovocations à main armée adressées à un bourgeois dans sa maison pour le faire sortir ^\ ' Voir sur ce point les différents monumcnis que nous avons cités, et comparer le texte de l"arlicle où ils traitent de 1 lioinicide avec les autres textes. Voir surtout le I" rkjimenl deBeins- berg, articles 2 et (1. 2 Nous avons parlé plus haut spécialement de la paix en argent. 5 Voir cet acte , passini. * Article [". 5 Articles I, 7, 2;i, 2G, 32. 6 Articles 4, 8, 19, 28, 51, 32,48, etc. S28 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL i) un voyage à Sainf-Jocques en Galice, en matière de plaie ouverte à h'f/iioule, de fracture de membre, etc. '; un voyage à Sainl-Murliii de Tours en matière de coups de bâton n'ayant pas occasionné de blessure visible - ; un voyage à Saiiil-iMcolas de Bar en uintière de membre loKut, si le membre étaity^/s ^; un voyage d'outre-mer au profil des maîtres, du maieur, des écbevins, qui avaient été victimes d'un acte de violence dans l'exercice de leur charge ^. Les Statuts de io4S, aggravant le système préexistant, comminaient contre l'auteur d'un crime de mulilalioii deu\ voyages successifs au profit de la partie lésée : celui de Saint-Jacques en Galice et celui de Rocumadour ^. La mutation de la loi nouvelle rendait passible d'un voyage à lioca- madour, au profit de la |)arlie lésée, l'homme qui, comparaissant en justice à un titre quelconque, injuriait son adversaire, ses juges, \os parliers.clc. ^. Les Statuts de Macslricht de 1580 taxaient la i-éparation due à la partie lésée à un voyage à Jiocamadour, en matière de didamation d'une femme honnête, ou de coups ayant occasionné une contusion visible " ; à un voyage à Saint-Jacques en Galice, en matière de rupture de membi-e, de coups de couteau et de coups d'(>|)ée ^ ; à un voyage à Saint-Josse-sur-mer en matière de poursuite à main armée ^ ; à un voyage à Notre-Dame de Paris, en matière de coups n'ayant pas occasionné de contusions visibles ^"; à un voyage à Ardembourg, en matière d'injures graves de paroles "; à un voyage à 1'//^' de Chi/pre, en matière de violences graves infligées à un bourgeois dans son domicile ^'-. Le /"■ régiment de Jleinsberg connniiiail spécialement un voyage à Saint- * Artiilos :>, G, 8, 39, li% * Artiilc 4. 3 Article 8. * Arlicle j5. ^ Arlicle 8 des Slululs de 1345. •■• Article 52, qui se retrouve (Iniis la Paix de Tongres de 1405. 7 Arlielcs 10,12, 17, I!), 20,29. 8 Articles H, 12, 13. 9 Arliiics 15, 18. <« Article 17. 'I Arlicle 19. •* Article 25. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. o29 Jacques en Galice au profit de la personne battue sans effusion de sang dans une église de Liège *. La paix de Saini-Jacques comminait une voie d'outre-mer dans le même cas; et, pour le surplus, elle reproduisait à peu près réclielle des voyages des anciens textes des Staiuls de la Cité -. La Charte de Toagres de 1S02 comminait une voie à Sainl-Jaccpies au profit du bourgeois qu'on avait provoqué à sortir de sa maison pour se battre; un voyage à Chypre au profit de celui sur qui on avait tiré, ou qu'on avait maltraité dans son domicile après y avoir pénétré avec vio- lence , etc. •'. Le délinquant condannK' à faire un voyage au profil de la partie lésée devait, de même (|u'en ce qui concernait les voyages au profil des villes, le faire ou lo raciteter à son adversaire dans un délai détenniné. S'il péra- geail son voyage à pied, il était teim de rapporter un certificat authentique d'acconqîlissement du pèl(>rinage, analogue à celui dont nous avons parlé sous la rubrique précédente ^. Le fait de produire un faux certificat entraî- nait contre lui, sans préjudice des peines légales, la peine connnunale de la privation des privilèges de la bourgeoisie et de l'aubaineté perpétuelle ^. La paix de Saint- Jacques statuait connue il suit sur ce point : « quiconque » ap|)ortera faulses lettres de volages, et provc soit, il siéra albain et privé » de sa bourgoisie à tous jours mais ; et si de là en awant il i-entroit dedens » la dite Cité, francbise et banlieue, et pris fuist, il recbepveroit paine » caj)itale, se dont le mercby du segneur et de partie n'y survient; et se » recbeus est à mercby, debverat pour l'albensté purgier à la Cité dix florins •) de rins d'amende, et nèantmoins debveroit de novial racquérir sa bour- » geoisie se l'axoir le vouloit ''. » Enfin, le délinquant (pu' n'accomplissait pas en temps voulu le voyage au ' Article 2. ° Puix de Sninl-Jiicquvs, ilinpitrc XXII , arlirle 2, et chapitre XXVI , passim. = Arliclc>; 17, IS, 20, ÔO, de. * Sldtiils de la Cité, arlidc o!).— Siutiit de Mueslrieht de lôSO, article 77. " Slatiila de la Cité, ar(icle "j'.). — Sludil de Jlueslricltl de lôHO, articles 38, 77. — Paix de Saiul-Jnei/Kes, chnpilic X.XVI, article ul. " Ciiapitrc XXVI, article "li. Tome XXXVIII. 67 330 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL profil do la partie, encourait par le fait même la peine subsidiaire dont il aurait été frappé faute d'accomplir la peine légale de son infraction. A Liège, par exemple, il encourait ordinairement un bannissement tempo- raire j à Maestricbt, Wmbalncté '. Sans insister davantage sur ces voyages à partie, nous terminerons le présent paragi-apbe en disant quelques mots des peines ecdésiasliques. Des peines ccclésiasti(|ues. Nous avons parlé assez longuement du système i)énal ecclésiastique dans notre premier livre pour que nous n'ayons guère que quelques mots à en dire ici. Ce système pénal, en elTet, était resté par la force des choses presque semblable à lui-même. Nous nous bornerons à rappelei" ici quelques faits, appartenant au XIV"= et au W" siècle, (pii corroborent les principes que nous avons énoncés plus baut, et à signaler quelques modifications curieuses apj)ortées dans le mode de prononcer ou d'a|)|»liquer certaines peines usitées dans les cours d'église. La peine des pèlerinages était restée en vigueur dans les tribunaux ecclé- siastiques, tant lorsque ceux-ci avaient à ré[)rinier des infractions de for ecclésiaslique que lorsqu'ils avaient à réprimer des infractions du for sécu- lier -. Elle est mentionnée spécialement dans la lettre du prévôt de 1569. Le prévôt avait le droit d'intliger aux fenunes, ressortissant à son tribunal du chef de rixes et de querelles, un double voyage : un voyage au profil de la partie lésée, que nous moniionnons pour mémoire on passant, et un autre voyage semblable « en nom d'amende pour lui. » En cas d'injures par paroles, il pouvait envoyer la coui)able à Watcourf ; en cas de « main mise, » batturc sans sanc, descliirure de vestements, » il pouvait l'envoyer à Vendôme. Le voyage en nom d'amende pour le prévôt était toujours racbetable à prix d'argent dans les trente jours de son application. Si la condanmée lais- • Stattil (le Afaeslriclil (h- l.îSO, arliclcs (il, (i(!, 72. — Shiftils ilf lu Ci(r, pussim. - Nous verrons iiiruii XVT siècle celle peine avail les prélércnccs presque exclusives de Voffiridtilé. Voir Réforme de la cour de l'officiulitè de 1332, sous Érard de la Marck,donl nous parlerons plus loin. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 531 sait passer les trente jours sans Taccomplir ou sans le racheter, elle encourait une sentence d'excommunication; et si, dans les trente jours de la significa- tion de cette sentence, elle ne se soumettait pas, elle encourait un bannisse- ment prononcé par la magistrature communale. Le produit du rachat des pèlerinages en nom d'amende au prévôt appartenait pour les deux tiers à celui-ci , pour un tiers aux maîtres et aux jurés au nom de la Cité. Les maî- tres et les jurés avaient même le droit de faire contrôler le registre des recettes du prévôt de la cathédrale K Nous disions plus haut (pie la dégradation solennelle était toujours pro- noncée par le juge d'église contre le clerc qui avait mérité la peine de mort, avant de livrer celui-ci au hras séculier. Les chroniqueurs nous ont conservé la mémoire d'une foule de cas d'application de ce principe. Nous citerons deux de ces cas pris au hasard. Pendant le règne de Jean de Ileins- berg, un frèi-e mineur ayant guetté l'évéque pour le tuer avec une arme de trait^ fut prévenu , saisi , dégradé solennellement devant le chapiti-e de Saint-Landjert, livré au bras séculier et roué par les soins de celle-ci -. Pendant le règne de Louis de Bourbon, en 1477, un autre clerc, reconnu coupable de participation à un complot contre la vie du prince, fut dégradé sur un échafaud dressé devant le palais de Liège, livré au bras séculier, et exécuté devant les degi'ès de Saint-Lambert ^ En ce qui concerne les peines de V excommunication et de Y interdit , enfin, la modération des Statuts des cours ecclésiastiques d'Adolphe de la Marck (1337), dont les stipulations se retrouvent dans la paix de Saint-Jacques, avaient introduit quelques innovations qu'il importe de signaler *. Ces chartes abolissaient l'usage antique en vertu duquel tout individu frappé de Vexcommunication majeure devait être dénoncé deux ou trois fois à la messe ou aux vêpres. Elles déclaraient qu'une seule dénonciation faite à la messe serait sullisante '. ' Lettre du prévôt, passim. '^ Chroniques de Jean de St((velol , p. oOG. 5 De Ra.ii, Doc. inéd., p. 73. Voir encore Vcteri Busco, dans VAmplissima coll., t. IV, p. 1Ô03. * Nous ne eilons pas l'arliclc des Statuts d'Adolphe de Marck qui sont incdils. '■• Réforme de 4337, et paix de Saint-j'aajues, chapitre I", article 59. S32 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Les mêmes chartes inlcrdisaicnl pour raveiiir à rexéciiteur de celte dé- nonciation de la faire comme autrefois avec ap|)areil, étant revêtu des (Iraps saar.s et allant avec la croix jeter de l'eau bénite à la poi'le de rexcomniuiiié. Elles réservaient ces formalités pour le cas d"liérésie '. Les mêmes chartes déclaiaient encore que pei'sonne ne pouri-ail plus être frappé d'exconmiunication majeure du chef de pari kipaf ion avec un excom- munié, à moins d'avoir été sommé spécialement et en nom propre de s'abs- tenir de cette fréquentation'^. Les mêmes chartes, enfin, dérogeaient aux stipulations des anciens statuts synodaux , en ce qui concernait Vinferdit et la cessation du service divin à Toccasion d'injures ou de violences adressées ou infligées à des clercs et à des personnes de Sainle-Eglise. Elles voulaient qu'à l'occasion de violences, moindres que la mort et la mutilation, on ne j)rononçât plus Tinterdil ni la cessation du service divin sans exprés mandenjent de l'évéque ou de rollicial. Elles voulaient, au contraire, que l'interdit et la cessation du service divin fussent sur-le-champ prononcés dans le ressort judiciaire où un clerc avait été tué ou affolé. L'ofTicial toutefois était obligé, le cas échéant, de i-echer- cher, soit à la requête de son procureur d'oflice, soit à la requête de la partie blessée, si la justice séculière locale avait fait ou non son devoir » en prendant et arrestant ou poursuivant les malfaiteurs ou leurs biens qui » sont en leur povoir, pour l'amende de la partie bléchiée et du seigneur. » Si la justice séculière avait fait son devoir, il était autorisé à relaxer l'inter- dit sans difïicullé et sans fiais. Dans le cas contraire, il devait faire jxarder linlerdit comme jadis. .Vu surplus, les chartes avaient soin de l'aire ienKir(pier (|ue les clercs dont il était question dans ces textes étaient uniquement ceux qui étaient couverts ])ar le privilège clérical '\ Sans insister plus longuement sur celle inalièrc toute spéciale , nous abordons le dernier paragraphe de ce chapitre. ' Piiformc de 1307, cl paix de Saiiil-J(ii-(iiies , cluipitri' I", nrlii-Ic GO. - Idem , et idem, fliapilrc I", article' (jl. ■' Idem, et idem, clinpitrc I'', article (Ci. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. od3 § X. — De l'exécution des peines et de l'exercice du droit de grâce. Après les faits que nous avons signalés dans le dernier paragraphe, à propos de la peine de mort et des peines corporelles, nous n'aurons plus que peu de chose à dire de Texécution de ces peines. L'exécution était en régie générale confiée aux soins des baillis ou grands officiers épiscopaux, et, dans les seigneuries , au seigneur ou à l'ollicier du seigneur dont l'échevinage avait pu prononcer la sentence. Dans certains endroits, comme nous l'avons vu plus haut, les ayants droit des anciens voués avaient encore l'obligation de procurer la mise à mort ou la mutilation du délinquant condamné. Dans d'autres endroits, le seigneur, dont la cour avait prononcé la condamnation, devait livrer le criminel nu ou en chemise, à la limite de sa juridiction, entre les mains du grand justicier voisin '. Les exécutions capitales se faisaient avec grand appareil. Souvent le cri- minel était Irainé sin" la claie jusqu'au lieu du supplice, tractas ad pati- ha/iDit -. Dans les villes, le moment fatal était annoncé au son de la cloche communale. Les chroniqueurs, quand ils racontent une exécution capitale de l'un ou de l'autre délinquant, ont toujours soin de dire : « decollatus fuit » ad sonum campanae... pulsata campana banni..., etc. •'. » De droit commun le patient, avant d'être mené à la mort, recevait un confesseur. Cependant un passage de Jean de Stavelot nous laisse entendre que, lorsque le délin(piant s'obstinait à ne pas recoimaître son juge, il était, |)ar un singulier et terrible abus, privé des consolations spirituelles suprêmes. Jean de Stavelot, en parlant du Ruremondois forjuyé en 1440 au Tribunal de la paix et condamné à mort pour avoir été surpris à Liège en dépit du forjugemenl, s'exprime en ces termes : « et recognul tout entièrement la » paix de Liège , car aultrement n'euwist ilh nient eut confession *. » Quant au cadavre du criminel exécuté, il devenait dans toute la force du ' IJiilletins (le la Commission royale d'Iiisloire, 5" série, t. IX, [). 6'.), acte de lôoi). '-' De Ram, Documents inèdils, cilés p. 113. ^ Idem, pp. 48 et suivantes. Les autres chroniqueurs, pas-ùni. * Cliiouiques de Jean de Stavelot, p. 579. 534 ESSAI SUR LIIISTOIIŒ DL DROIT CRIMINEL terme la chose de la justice. On ne rentcrrait pas. On Ycxpomit, poui- l'exemple, soit sm* une roue, soit sur une fourche, soit en le laissant sus- pendu au yibel à la merci des corbeaux, soit en le plaçant sur les portes de la ville après l'avoir coupé en quartiers; ou bien on le brûlait solennelle- ment, ou bien encore on le précipitait dans la Meuse. Jean de Stavelol nous apprend que le cadavre du forjmjé dont nous venons de parler fut mis dans un tonneau de poix et de graisse et brûlé '. Dans un autre endroit, après avoir raconté le supplice d'un criminel politique écartelé vif au marché à Liège, il ajoute qu'on força ses complices à porter eux-mêmes les restes déchirés du cadavre à Sainte-Walburge, avant d'être décapités eux-mêmes et exposés sur la roue -. En parlant du supplice du conspirateur Lorent, il rappelle que le cadavre de celui-ci fut dépecé publi- (fuement par un boucher, et (pie ses quartiers furent traînés sur la claie jus- (pi'aux murailles, tandis que le ti'onc fut précipité dans la Meuse ^. Jean de Los nous fournit une foule d'exenqiles analogues : « Corporibus » eorum mendjratim divisis et capitibus liinc inde in lanceis super portas » crectas; » « decapitatum et in partes divisum membratim pei' diversa » loca ad sublimes stipites allligenduni curarunt; » « super rolam subli- » matus..., etc. •*. » Le bannissement perpétuel, prononcé comme peine principale contre un délin(|uant présent, était parfois exécuté avec appareil. Chapeaville nous parle des Rivageois bannis après avoir fait amende honorable, (|ui furent » per torlorem ad porlam Avrotanam deducti, stricto justitiae gladio signali, » dimissi(pie... » C'était évidemment l'accomplissement d'une cérémonie anticpie ^. iNous avons moins de détails en ce qui concerne l'exécution de l'emprison- nement. Le régime des prisons était extrêmement défeclueux. Les prisons, faites d'après les principes juridiques du temps pour garder les accusés sous ' C.liviiiii|i. i'j, "j, 1 13. ^ Chapeaville, t. III, p. Tt\(j. DArSS LANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. o3S la main de la justice, et non pour punir des condamnés, n'avaient pas encore attiré l'attention des législateurs. Lorsqu'un délinquant était condamné à une détention temporaire à titre de peine subsidiaire, dans les rares circon- stances dont nous avons parlé plus haut, il était enfermé à Liège dans une des portes de la ville, et le plus souvent dans la porte de Sainte-Marguerite '. Les délinquants ressortissant à la juridiction de rofïicial étaient détenus dans une prison spéciale dite la lour de l'offickd -. Dans la plupart des villes, il y avait une prison des bourgeois, ou ferme de la Cité , distincte de la prison commune, où les autorités communales détenaient les individus qu'elles pou- vaient capturer ^. L'exécution des amendes faisait l'objet d'un commandemenl de payer adressé à celui qui les avait encourues à la re(|uétc de la j)ai'tie blessée ou d'un officier du prince. Ce commandement était toujours fait verbalement et avec la clause que le délinquant, faute d'y obtem|)érer en temps voulu, encourrait de plein droit la peine subsidiaire du haii tenq)oraire ou de Vau- Ixiiiuié comminée par les Sfaluf.s. Lorsque l'amende avait été |)rononcée par les juges sfatuhu'res, ils se cliargaient eux-mêmes d'en connnander l'exécu- tion. Lorsqu'elle avait été prononcée par la loi, le soin d'adresser le comman- dement incombait au maïenr ou à ses sergents *. D'après les Statuts de la Cité, le commandement de payer l'amende était fait à trente jours; d'après les Statuts de Macslricht à quarante jours; d'après la paix de Saint-Jaeques à trois jours seulement ''. Le régiment des bastons, confirmé par la paix de Saint- Jacques^ intro- duisait un mode particulier d'exécution des amendes encourues pour contra- vention à son texte. Il autorisait le varlet du hiaïeur ou celui des maiires, ([ui avait calen^jé le délinquant, à lui conmiander incontinent de payer l'amende dans les trois jours, sauf à se justifier dans l'enlre-temps; et il ajou- • Voir plus haut îi propos de rcmprisonncnicnt. • Raikf.m, Discours de I8(l!2, p. ô(i, en note. •> Monumcnls du droil criminel liéçu'ois , passini. • Slaliils delaCitc, arûclc {i'5. — Si atiil de Maestrichl de /.îSO, article (iO. — Patx c'est-à-dire si elle consentait, postérieurement au crime, à épouser son ravisseur. La jurisprudence lié- geoise n'admit pas immédiatement la sévérité extrême de ce dernier principe. La niiilulion de la loi nouvelle se borna à énoncer connue règle : a) Que la loyance faite par une femme dègûgiéc serait sans valeur (quant à l'excuse du délinquant), tant que cette femme n'aurait pas quinze ans accomplis et (pi'elle ne serait pas restituée à la garde de ses proismes; b) Que la loyance faite par une femme quelconque, ravie aa-yelhahay, devrait de |)lus, pour être valable, être faite devant deux de ses parents paternels et deux de ses parents maternels, cl devant la justice du lieu où le délit avait été perpétré, ou devant monseigneur et ses hommes, ou devant le maïeur et les échevins de Liège comme cliiefs '\ Le régiment de Ileinsberg et le privilège de Maeslricitt de 1 428, statuant surtout par lapport au rapt par séduction de mineure, déclarèrent : a) Que la fennne ravie ne pourrait faire loyance avant l'âge de quinze ans accomplis; b) Que les ravisseurs qui, dans les huit jours du crime, ne l'auraient pa remise entre les mains de ses proismes, seraient punis comme robeuis et niurdreurs, et comme s'ils avaient commis un rapt à cry et hahay, nonob- stant tonte loyance faite par la victime *. Mais ces chartes n'interdisaient plus rexercice du droit de grâce; ' Cuiitumvn du pays de Lioje, t. 1", j). jjiJ. * Jdem, p. 490. 5 Idem, p. l'JO. — Miilation de la lui iioiurlle, i\rli(lc GS. * /"■ régiment de IJeiiisherg.ankk 7. — Privilège de Miiexlriilit de 1428, nrliclc 6. S DANS L'ANCIENNE PRINCIPAITÉ DE LIEGE. Ul G" La paix de Saint-Jacques déclarait que, sous aucun prétexte, le prince ne pouvait gracier les traîtres, les séditieux, les murdreurs, les incendiaires qui avaient mis le feu à une maison, les individus qui avaient commis un rapl à cry et Imluijj, c'est-à-dire avec violence, les roheuis de grand chemin, les forcommandeurs de terres à waiyner ; et que tous ces délinquants seraient punis de peine capitale sans rémission. Elle faisait une déclaration analogue en ce qui concerne les bourgeois qui mettaient la main sur le maïeur ou sur les maîtres, quand ceux-ci faisaient une visite domiciliaire chez eux dans les formes légales ^; 7° Le prince ne pouvait jamais ni arrêter, ni restreindre les effets d'une sentence portée par le Tribunal des XXII, ni rendre le pays à ceux qui s'étaient expatriés pour échapper à l'exécution de cette sentence -; 8° Conformément à un principe de droit comnuin politi(pie, rappelé tant par h paix des AV/que par la mutation de la loi nourelle et par la modération de la paix de Tonyres, la grâce octroyée par le prince à un (l('lin(|uant lais- sait encore peser sur celui-ci, dans certains cas, une obligation spéciale: celle de satisfaire au seigneur particulier dans la juridiction duquel il avait commis son crime ■'; 9" Enfin, conformément à im usage observé à Liège, et rappelé dans la charte de Tonyres de IH02, le prince avait toujours le droit de gracier un délinquant, coupable de n'importe quel crime, quand les écbevins l'avaient mis à la merci du seifjneurpiw leur sentence « dat wat gerichtelyck by den » scepcnen tôt des heoren wille gewezen wordt, in \vat sacken dat syn » mochte, sal myn genedige heere dar met synen wille moegen doen, sonder )> enicli wederseggen van iemant gelyck in synre genade stadt Ludick *. » En princij)e général , l'exercice du droit de yrâce à titre gi-atiiit était réservé au prince lui-même; mais on tolérait de la part des grands justiciers la pratique de la composition ^. La composition était un contrat intervenant ' Pdixdc Saint-Jacques , chapitre XXIll, article 10; cliapitre XXVI, article ô2. '^ /" paix des XXII, ariielc 12; paix de Saint-Jacques , chapitre X, articles 5 et 5. ^ Paix des XII. — Mutation de la loi nouvelle, article 50. * Charte de Tongres de 1302 , article 7. ^ On se rappelle l'affaire du bailli du Condroz et du mambour à l'avéncment d'Eiiglehert de la Martk. 542 ESSAI SLR LHfSTOIRE DU DROIT CRIMINEL, etc. avant ou rtpv'.« la condamnation entre le délinquant et l'un ou l'autre bailli, contrat par lequel le premier rachetait à prix d'ariient, au second, la peine corporelle ([u'il devait encourir ou qui avait déjà été prononcée contre lui. Nous n'avons aucun document précis du XIV'' ou du XV" siècle qui se rap- porte à cette coutume. Il y est fait allusion en termes ambigus seulement dans la letlrc clos vingt; mais nous savons ce que cette coutume était pendant la période qui nous occupe, grâce aux restrictions qui y ont été mises pendant les trois derniers siècles. Nous terminerons à la fois ce paragraphe et le deuxième livre par deux remarques qui ne sont pas sans importance : 1" Il semblait admis, dans les uKinirs liégeoises comme dans les mœurs des principautés voisines, qu'un délinquant mené au supplice échappait à la peine s'il rencontrait sur sa route une jeune fille qui voulut le prendre pour mari. Jean de Los , en effet , reproche à Raes de Lintre de n'a\ oir })as accordé grâce dans un cas de l'espèce : « Decollati sunt non tamen obstante » quod juvencula quaedam, saepe ante pedes Rasonis bumiliter prostrata, n unum ex iisduobus petierit sibi dari maritum, quae tamen non graciam sed » magis meruit a tyranno repulsam '. » Chapeaville, de son côté, nous raconte l'histoire d'un voleur qui, en 1532, ayant été condamné à mort, « veruni per virginem quae illum in maritum peliit , Principis (Evrard » de la 3Iarck) indulgentia redemptus -. » 2" Certains seigneurs importants exerçaient encore le droit de grâce dans leurs domaines; ainsi , pai- exemple, la cathédrale de Liège ■"'. Il est à remar- quer cependant que l'existence même de la chasse du seigneur, au profit des justiciers du prince , restreignait souvent ce droit de grâce aux crimes qui ne donnaient pas lieu à celle chasse. C'est le moment d'aborder l'étude des institutions et du droit criminel liégeois pendant les derniers siècles, et d'ouvrir le troisième li\re de celle étude. ' Ue IUm, Docuiiieiils iiiklils, cilcs, |i. icS. "^ Chapeaville, t. III, p. 518. '• ScHOONonooDT, ou\. ritr, .iclo ii" lOOl. LIVRE III. DU DROIT CRIMINEL LIEGEOIS DEPUIS LA PAIX DE SAINT-JACQUES JUSQU A LA FIN DE LANCIEN RÉGIME. Le troisième livre de cet essai, quoique important en lui-même, sera nécessairement plus court que chacun des deux autres. Au moment où s'ouvre la période historique dont il doit traiter, la grande révolution juri- dique et juridictionnelle, qui forme une des phases les plus intéressantes du passage du moyen âge à Vancien réffime, s'est en grande partie opérée. Elle a creusé son sillon assez profondément pour que tout mouvement i-étrograde , tout temps d'arrêt même, soit impossihie. L'esprit gcrmanitpie est près d'être définitivement vaincu par les tendances romanistes . l'esprit conmiunal par l'esprit de centralisation modérée * , et surtout par l'esprit d'uniforniilé juri- dique. La physionomie propre des institutions et du droit liégeois a déjà perdu une foule de ses caractères distinctifs ; sauf de remarquables et per- sistantes divergences , elle se rapproche chaque jour davantage de la physio- nomie uniforme du droit et des institutions de l'Europe occidentale pendant les trois derniers siècles. Le temps n'a plus, à l'avènement d'Erard de la Marck, (pi'à consolider et à parachever une œuvre de transformation déjà en voie de complète élaboration. Dans l'ordre des institutions, tous les tribunaux qui présentaient une couleur purement féodale, le Tribunal de la paix, le Tribunal de l'anneau, la Cour des /tommes monsaingnenr . le Tribunal des XII jugeurs des nobles ' La centralisation liégeoise de l'ancien régime est bien moindre que la centralisation moderne. 544 ESSAI SUR L'HISTOIUE Dl DROIT CRIMINEL ont disparu ;i jamais, ou tout au moins ont cessé de |)i-en(lie part à l'admi- nistration de la justice criminelle. La publication de la pab: de Sainl-J acquêt en io07, qui relie la période qui finit à la période qui s'ouvre, ne parvient ni à ressusciter les uns ni à rendre aux autres une compétence perdue. La jinidiclion des maîtres et des jurés dans les villes reste ce qu'elle était, mais pour disparaître plus tard à son toui-. Les anciens tribunaux ecclésiastiques, la hiéiarcliie des justiciers territoriaux, les échevinages qui traversent intacts riiistoire de la patrie liégeoise tout entière, ne perdent aucun des caractèi-es essentiels (|ue nous leur avons i-econnus; tout au plus sont-ils encore l'objet de quelques modifications de détail. Dans l'ordre de la procédure criminelle, la procédure accusatoire est déjà transloi-mée d'une manière radicale avant loOT. Elle est devenue écrite et en partie secrète avant l'avènement de l'ancien régime. La procédure iiiquisi- toriule , de son côté, est naturalisée dans le pays de Liège. Son rôle, à l'époque de U paix de Saint-Jacques, est déjà assez grand pour que dans un avenir peu éloigné on la voie, sans élonnement, primer la procédure accu- satoire dans toutes les matières graves. Son exercice se régularisera; la règle remplacera, dans quelques-unes de ses parties, l'arbitraire qui y régnait encore; mais elle ne prendra aucune couleur nouvelle. Dans l'ordre des piincipes généraux du droit de punir, de la preuve, du système pénal, les traditions lipuaires sont dès longtemps sapées par la base. Le droit romain en 149.') est devenu obligatoire quand il n'est pas en con- tradiction avec des coutumes légitimement établies; et, dès avant 1495, il exerce une infiuence doctrinale dont nous avons signalé l'existence. Les com- mentateurs du Digeste et du Code sont entre les mains des juges. Les preuves négatives ont perdu toute importance. La preuve testimoniale est le véritable gond sur le(|uel se meuvent les procès criminels. Les peines corporelles, dont on constate l'existence pendant les trois derniers siècles, sont déjà usitées dès le XV" et même dès le KIY*". Quand la Caroline de Cbarles-Quint domi- nera la jurisprudence criminelle liégeoise, elle ne produira donc (|ue peu d'innovations. Elle consacrera plutôt légalement un ordre de choses préexis- tant en l'ait. Ces considéiations nous dictent manifestement notre rôle. D'une part, il DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 543 nous sera permis d'indiquer seulement les faits et les principes qui, existant à l'époque de \h paix de Saint-Jacques ^ ont traversé l'ancien régime sans atteintes. D'autre part, nous ne devrons pas non plus nous appesanllr sur certaines théories juridiques communes à l'Europe tout entière des derniers siècles. 11 suffira de signaler l'existence et la portée de ces théories dans la principauté de Liège, Nous renverrons pour les détails tant aux criminalistes de l'époque qu'à des travaux auxquels l'Académie a déjà accordé Phospitalité dans ses Mémoires. Quant au plan matériel de ce troisième livre, il sera à peu près semblable à celui du premier. Dans un premier chapitre nous traiterons des monu- ments législatifs du droit liégeois; dans un second, nous présenterons un tableau raccourci des institutions criminelles liégeoises depuis la paix de Saint-Jacques jmmïîi la réunion du pays de Liège à la République française; dans un troisième, nous parlerons des actions et de la procédure criminelle; dans un quatrième, enfin, nous nous occuperons des principes généraux du droit de punir et du système pénal. CHAPITRE I". DES MOINUMEINTS LliCISLATlFS DU DKOIT Clil.MINnL LIÉGEOIS DES TKOIS DEKMERS SIÈCLES. Lorsque, dans notre livre II, nous avons traité des monuments législatifs du droit liégeois au XI V« et au W" siècle, nous avons été contraint de suivre en quelque sorte pas à pas le mouvement politique du pays de Liège. L'époque sur laquelle portaient nos investigations était une époque de luttes entre le prince d'une part, les états ou les communautés municipales de l'autre. Ces luttes portaient, à la fois, sur tous les intérêts vitaux delà société; et c'était dans la paix du pays et dans les régiments locaux, sources de l'histoire politique, que nous devions chercher les matériaux principaux de notre œuvre. Tome XXXVIII. 69 546 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMLNEL Au XV!*" siècle les choses changent de face. Le mouvement juridique se sépare du mouveinenl politique. La paix de Saint- Jacques clôture la longue série de ces paix liégeoises traitant côte à côte des institutions politiques, des institutions répressives, du droit civil, du droit communal, de Tadministra- tion, du droit criminel, de tous les intérêts, en un mot, débattus entre le pouvoir central et les pouvoirs secondaires. Les régiments ))ninicipaux, mi- partie constitutions politiques, mi-partie lois criminelles, disparaissent pour ainsi dire. Tout au plus trouvc-t-on dans les reformations communales des siècles postérieurs un petit nombre d'articles qui concernent les institutions répressives. C'est que, d'une part, celles de ces institutions qui ont survécu aux désastres de la lin du XV" siècle et à la transformation sociale du temps sont fixées dans leurs caractères généraux et sont de plus en plus à l'abri des fluctuations politiques. C'est que, d'autre part, le pouvoir central est par- venu à prendie la direction des all'aires intérieures de la principauté. Malgré des intermittences j)assagères, et en dépit de quelques insurrections formi- dables, il consolide de plus en plus sa prépondérance. Même quand il doit agir de commun accord avec les états du pays, l'impulsion lui appartient presque sans conteste. Il peut diviser son action et il la divise en elTet. Il traite désormais à part les matières qui concernent l'ordre administratif et l'ordre politique; il pourvoit, par des actes législatifs spéciaux et dont l'objet est exclusif, aux besoins qui se manifestent dans l'ordre des institutions répressives et du droit criminel. En présence de cet état de choses, nous ne sommes plus astreint à suivre je plan que les circonstances nous imposaient pour notre second livre. A l'ordre chronologique des monuments législatifs, nous substituerons un ordre logi(|ue. Dans une série de paragraphes plus ou moins longs, nous parlerons suc- cessivement : 1" Dos priviléffcs nouveaux tom-hant aux institutions et au droit criminel, accordés par les empereurs au pays de Liège, et de la Caroline; 2° Des monuments législatifs traitant des cours d'église et de leur juri- diction ; S" Des édits de réforme publiés au XVI" siècle, et complétés dans la suite DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE S47 par des actes législatifs élaborés de commun accord par le prince et par les états du pays, ainsi que de la rédaction des coutumes liégeoises; 4° Des rares ré formai ions communales qui touchent encore par certains endroits aux matières répressives; 5° Des principaux règlements concernant Tadminislration de la justice criminelle en général, ou certains points de cette administration qui méritent une attention particulière; 6° Des lois criminelles, publiées pendant les trois derniers siècles, appli- cables dans le pays tout entier et comminant des peines à propos d'un cer- tain nombre de délits; 7° Des records les plus remarquables du temps; enfin, des capitulations des princes-évcques, dans lesquelles on trouve quelques principes intéressant l'objet de ce travail, et de quelques actes concernant la punition internatio- nale des malfaiteurs. § ^^ — Des privilèges impériaux et de la Caroline. La création des cercles, Tincorporation de la principauté de Liège dans le cercle de Wcstphalie, les rapports étroits d'alliance qui se nouèrent entre Érard de la Marck et Cliarles-Quint, ravivèrent les liens antiques qui exis- taient entre Liège et le Saint-Iîmpire. D'une part, un grand nombre de diplômes et de privilèges furent accordés par les empereurs aux princes-évê- ques et à leurs sujets pendant la durée du XVI"" siècle. D'autre part, la célèbre Caroline, loi générale de l'Empire, devint obligatoire dans le pays de Liège. Parmi les privilèges impériaux dont nous venons de signaler l'existence, il en est quelques-uns qui se rattachent à l'objet du présent travail. Nous allons, avant do parler de la Caroline, les énumérer et, au besoin, les ana- lyser d'une manière sommaire. En lo09, par diplôme du 10 avril, l'empereur Maximilien I" confirma solennellement tous les droits et privilèges accordés par ses prédécesseurs aux bourgeois de Liège '. En 1518, le 24 juin , le même empereur octroya ' PoLAiM, Recueil des ordonnances de lu principauté de Liège, 2* série, t. I", p. 4. 348 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL au prince do Liège et à ses sujets deux diplômes importants : par le premier, il délondail de citer en première instance, dans (pielque cause que ce lût, les sujets du pays et de Tèglise de Liège hors de la principauté, et de les soustraire aux juridictions auxquelles ils appartenaient à raison de leur domicile; par le second, il confirmait toutes les donations, exemptions, concessions, sentences, libertés, tous les privilèges, induits, juridictions, statuts, coutumes et usages légitimement établis \ En lo21, le 27 juillet, Charles-Quint, à son tour, statua qu'à ravenir tous les sujets et habitants du pays de Liège seraient traduits devant leurs propres juges, tribunaux et justices, tant dans Tordre spirituel que dans Tordre séculier; cl, en même temps, il confirma Tèreclion du Conseil ordi- naire, décidée par les étals du pays le 11 juillet lo21 -. A ces diUèrents diplômes se rattache un mandement èpiscopal du 3 mai lo27, prescrivant leur publication dans le pays •'. Sous Charles-Quint, la sollicilude des empereurs se porta plus immédiate- ment sur les matières répressives. On peut s'en convaincre en étudiant la Bulle d'or du 20 octobre 1530, ainsi que le diplôme du 20 juillet lo4-o. La Bulle d'or prescrivait le maintien et Tobservation des piiviléges impé- riaux de 1518 et de 1521. Elle confirmait comme bonne, louable, et |)ropre à elTrayer les délinquants, l'ancienne coutume en vertu de laquelle les sen- tences rendues en matière criminelle, par les écheviiis de Liège ', étaient sans a|)pel, et ne pouvaient être frappées ni d'o|)position ni de suspension. Elle déclarait en termes exprès que la défense tïaji/jeler s'étendait aussi bien aux sentences interlocutoires et aux simples décrets de capture qu'aux sen- tences définitives. Elle conllrmail, en matière d'arrestation préventive, tous les anciens principes de liberté, pour obvier à la malice de certains seigneurs, olliciers et baillis. Elle consacrait derechef la légalité de l'arrestation pré- ventive opérée à la suite d'un décret de capture rendu sur enquête préalable; mais elle voulait que les témoignages exlrajudiciels rcc^'us dans une enquête * l'oLAiN , oii\ . lilt' , I. !"■, pp. i2() cl il. * Idem, p. 40. — IIodin, ouv. citr, t. Il, |). iô'J. * likm , p. (J8. * Ou à leur rciKliurge, p;ir hi i'oicu lics choses. DANS L'ANCIENISE PRliNCIPAUTE DE LIEGE. 549 de l'espèce, ne pussent qu'autoriser le juge à décerner un décret de capture, et non à condamner définitivement un délinquant ou à le faire mettre à la torture. Elle prétendait même abolir sur ce dernier point tous les usages et coutumes contraires; mais, comme nous l'avons déjà dit, elle n'atteignit pas son but ^. La Bulle d'or fut confirmée par l'empereur Ferdinand II le 22 août 1626, avec une clause additionnelle motivée par un abus récent qui tendait à en éluder les prescriptions : la clause que l'appel des sentences portées en matière criminelle par les échevins de Liège ne pouvait pas être reçu plus devant le conseil ordinaire de l'évoque que devant toute autre juridiction -. Le privilège du 20 juillet iSiS s'occupait du mode (Vhosporter les enquêtes générales; d'une question spéciale à propos de l'arrestation pré- ventive; du juge compétent pour connaître des infractions commises en participation par des laïcs avec des clercs. En ce qui concerne le mode iV/iosporfer les enquêtes générales, lo diplôme impérial complétait les dispositions de la paix de Saint-Jacques. Il voulait comme celle-ci (|ue les deux bourgmestres de Liège et six des jurés se réunissent coUrf/ialement avec liuit èclievins, et que tous ensemble ils pris- sent une seule décision à la majorité des voix. Mais il ajoutait que, en cas de partage égal des votes, le différend devait être tranclié en faveur de l'opi- nion trouvée la plus juste, la plus raisonnable et la plus è(piilable par ceux des commissaires de la Cité choisis par l'évèque régnant. C'était là une inno- vation. En ce qui concerne l'arrestation préventive , il prévoyait le cas de contes- tation entre l'olficier du |)rince et les bourgmestres d'une localité , à propos de la légalité d'une capture opérée : l'oflicier soutenant qu'il avait appréhendé le délinquant en état de flagrant délit et qu'il pouvait le détenir; les bourg- mestres prétendant, au contraire, que rappréhension était nulle de droit et que le délinquant devait être élargi. Il décidait que la contestation serait soumise à la justice du lieu de l'appréhension pour être vidée par elle dans les trois jours, ou à l'arbitrage du prince et des états. Dans l'entre-temps, elle ' PoLAiN, ouv. cité, t. I", p. 76. * IIoDiN , ouv. cilc, t. I", p. 337. uoO ESSAI SUR LHISTOJKE DU DROIT CRIMINEL prescrivait de détenir le prisonnier, objet du débat, dans h prison des bour- geois et non dans la prison connnune, s'il \ avait une prison des bourgeois dans la localité. En ce qui concerne la compétence du juge pour la répression des crimes commis en participation par des laïcs avec des clercs, le piivilége impérial était une véritable lui de disjonction. Il l'épi'ouvait la coutume qui s'était introduite de renvoyer, dans respècc, tous les délinquants, quelle que fût leur qualité, devant la juridiction ecclésiastique à raison de la connexilé de la cause. Il statuait que, désormais, et nonobstant la complicité, les laïcs seraient dans l'espèce renvoyés devant leur juge ordinaire et séculiei-, les clercs seuls devant les cours d'église i Sous Ferdinand II, nous rencontrons encore un diplôme impérial que nous ne pouvons passer sous silence. C'est celui du 28 novembre 15G2. Il con- firme et renouvelle, en faveur de l'église de Liège, la défense d'appeler des sentences portées par les députés réviseurs des XXI J dans les causes posses- soires et de violence -. Quant aux auti-es diplômes impériaux octroyés aux Liégeois, tant au XVl" siècle que pendant les siècles postérieurs, nous croyons pouvoir sans inconvénient les omettre ici. Ils ne toucbent pas aux matières (jui nous occu- pent. Nous nous boinerons à rap|)clei', avant de passer à un autre objet, que le 27 juillet 1721 l'empereur Cliarles VI conlirma dei-eclief les privi- lèges octroyés par ses prédécesseurs à l'église de Liège, et notannnent les diplômes de 1530 et de 1545 sur lesquels nous avons insisté plus liaut^. Venons à la Caroline. On sait que la constitution impériale appelée la Caroline, ou Nentesis Curolina, l'ut publiée en 1532 par Cliarles-Quinl, après avoir été adoptée par les états de l'Empire aux diètes d'Augsbourg et de Ralisbonne. Elle avait été portée pour remédier à l'état déplorable dans lequel se trouvait l'administration de la justice crinn'nelle en Allemagne au commencement du XVI« siècle. ' Poi.AiN, ouv. cilc, S' série, t. I", p. Iô6. - Idem, ouv. cilc, 2' série, 1. 1", p. 270. 3 HoDi.>, ouv. cité, t. 1", p. 280. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. ool La Caroline était loi générale de l'Empire; cependant elle ne dérogeait pas aux coutumes légitimement établies, et ne privait en aucune façon les princes du droit de donner à leurs territoires des lois criminelles particulières, soit spéciales, soit générales. Dans son article 1", Charles-Quint déclarait l'avoir édictée : « afin que tous et chacun de nos sujets et de l'empire fussent en » état de se conformer à l'avenir, dans la procédure criminelle, aux lois de » la justice, de l'équité , et des louables usages établis par le présent règle- » ment; ne doutant point que tous ceux qui sont commis à l'administration » de la justice ne s'y portent d'eux-mêmes, et qu'ils n'en espèrent la récom- » pense du Tout-Puissant. » Puis l'empereur ajoutait aussitôt : « nous n'en- » tendons cependant point donner par ces présentes aucune atteinte aux » droits des électeurs, princes et états, par rapport à leurs anciens usages » conformes à la justice et à l'équité. » La Caroline devint bientôt une des bases principales du droit criminel liégeois, en se combinant, bien entendu, avec les stipulations des anciennes paix nationales, et notamment de la paix de Saint- Jacques '. Elle ne fut pas l'objet d'une publication odicielle spéciale dans la principauté; peu inq)orte. L'État de Liège était dans la mouvance du Saint-Em|)iie, et, conuïie nous l'avons dit, la Caroline était déclarée loi générale de l'Empire. Les liens qui rattachaient Liège à l'Allenjagiic venaient précisément de se resserrer au moment où Charles-Quint publiait son code criminel. La Caroline était dans beaucoup de ses dispositions une loi plus doctrinale (pTimpérative; elle était en grande partie puisée dans les (luivres des commentateurs du droit romain, auxquelles les juges liégeois avaient d(''jà laborieusement recours. Elle n'avait pas de brusques révolutions à opérer. Elle régularisait , au nom d'une autorité lespectée et qui s'était entourée de lumières spéciales, une procédure déjà existante, un droit pénal déjà en usage. Elle ne pouvait donc qu'être accueillie favorablement par des juges dont elle simplifiait le rôle en tranchant d'auto- rité des controverses débattues entre les auteurs; auxquels elle laissait sou- * IIoDiN, ouv. ciic,t. I"', p. 571. — Méan, Observation fiSl, n°' t et 5. — Raikem, Discours de 1847, p. 54. — Soiiet, ouv. cilé, livre V, tilrc XXVl, iv I, et Traité préliiniiinire, t. VI, n"' 1 et 54. — Manijcslc des irhevins de 1739, pp. 75 et 74. — Réfiitutiun du manifeste, p. I::i4, in fine. 5a2 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL vent une grande latitude d'appréciation; auxquels elle n'ordonnait pas de rompre avec les coutumes nationales raisonnables et dûment existantes; auxquels, en un mot, elle apportait des lumières et n'imposait pas de chaincs. Ce n'est pas ici le lieu de faire une étude approfondie du texte de la Caro- line : il a donné naissance à lui seul à d'innombrables et volumineux com- mentaires, et nous aurons l'occasion d'y recourir nous-mèmc assez souvent dans les chapitres suivants. Mais il importe néanmoins d'en donner ici une idée générale. La Caroline constitue un code criminel de 219 articles ', qui traite avec un certain désordre, avec une prolixité parfois obscure, mais souvent avec une grande hauteur de vues, de toutes les parties de la jurisprudence crimi- nelle. Elle s'occupe des devoirs généraux des juges, de la procédure crimi- nelle, des preuves, du système pénal, des circonstances atténuantes, des circonstances aggravantes, des causes de justification; et elle se termine par un code pénal assez étendu concernant les infractions d'une certaine gravité. La Caroline consacre l'usage de la procédure écrite et secrète -, et prend même, à ce point de vue, des mesures précises par rapport aux devoirs des grefTîers. Elle admet la poursuite exercée par accusations privées ^, comme la poursm'te exercée d'oflîce, par un juge ou en son nom, mais sans faire men- tion de l'existence d'un niinislcre public quelconque. Au j)oint de vue de la pratique judiciaire liégeoise ce qu'elle contient de plus impoilant, c'est une théorie complète de la preuve, une théorie assez détaillée, (pioique vague, de l'usage de la torture, son code pénal, et la déclaration générale qui précède celui-ci relative à la manière de punir les crimes. La Caroline, dans l'ensemble de ses dispositions éparses relatives à l'aveu, à la preuve, aux indices, etc., présente aux juges un véritable résumé moitié doctrinal, moitié impératif, du système célèbre des preuves légales. Elle précise les effets de la notoriété du délit K Klle sépare nettement les ' Il rxi'ilc rirs textes où les articles sont eolt's difrércmiiienl. * Ailidcs a, 181, 18-2, 185, 184, I8j, 18ti, 187, 188, 18<.», 190, l'Jl, 11);?, 195, 197, 198, 199, 200, 201,20-2, 203. 3 A II ides S, 9,10, 11, l.'i, 17, etc. * Article 10. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 5o3 preuves directes ou préconsti tuées des indices. Les preuves directes sont celles qui donnent ipso facto au juge la certitude légale de la culpabilité de l'accusé : l'aveu de celui-ci, fait librement dans certaines conditions; la dépo- sition circonstanciée de deux témoins, irréprochables et contestes, déposant sur le fait constitutif de l'infraction et sur la part que l'accusé y avait prise. Les indices, parmi lesquels on peut ranger les présomptions, les soup- çons, etc., sont certains faits qui, judiciairement |)rouvés, permettent au juge de conclure à la culpabilité de l'accusé par voie de raisonnement et de conséquence. D'après la Nemesis, un accusé ne peut jamais être con- damné définitivement qu'en présence de preuves préconstituées : les indices, même dûment établis par la déposition de deux témoins, permettent tout au plus de mettre l'accusé à la question '. La Caroline spécifie avec soin les indices généraux sur lesquels les juges doivent porter leurs investigations à propos de toutes espèces de crimes, et les indices spéciaux l'clatifs à certains crimes déterminés : le murdre ou latrocinimn, l'iiomicide, le vol, l'infanlicidc, l'empoisonnement, le sor- tilège, etc. Elle attache à chacun d'eux une valeur dèlerniinèe. Elle en dresse une sorte de tarif. Parmi ces indices, il en est qui valent seuls et par eux-mêmes pour motiver un décret de mise à la question; il en est qui, pour produire le même eiïet, oui besoin d'être corroborés les uns par les autres. Cependant la constitution inipèiialo a soin d'avertir que son tarif d'indices n'est pas limitatif, (pi'il est seulement exemplaire, qu'il a surtout pour but de donner aux juges ignorants un fil conducteur qui puisse les guider dans la pratique -. La Caroline complète, lixe, régularise ainsi une théorie juridiipie qui existait déjà à l'état embryonnaiic dans la jurisprudence liégeoise, et dont on pourrait retrouver les origines jusqu'au milieu du XIll'" siècle. En ce qui concerne la torture , la Caroline énonce un certain nombre de règles dont nous détachons ici les principales : .. 1" Elle défend de mettre à la torture un accusé dûment convaincu par preuves suffisantes du crime qu'on lui impute, et déclare que, dans ces cir- ' Articles 22, 23, 65, 64, G5, 66, 67, 6'J. 2 Article 18. TonE XXVIII. 70 mi ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL constancos, il ne faut pas lYavcu pour permettre au juge de procéder à une condannialion définitive '; 2° Elle veut qu'une sentence ordonnant la mise à la question d'un accusé soit toujours précédée de la constatation du corps du délil -; 3" Elle veut encore qu'on ne tortin-e un accusé (|ue si des indices Icf/i- times et régulièrement établis militent conli-e lui. iMais, à la différence des ordonnances criminelles de Philippe II, elle considère comme un indice sulli- sant dans l'espèce la déposition d'un seul témoin sans reproche ^; 4° Elle permet à l'accusé de se défendre librement contre les indices dont il s'agit, avant que le juge puisse s'en servir j)0ur baser la sentence interlo- cutoire *; 5" Elle n'accorde de valeur à l'aveu de l'accusé, arraché par la question, que s'il est l'ail après sa délivrance de la (jchcnne •'•. Néaiuiioins, comme nous l'avons fait entendre plus haut, les dispositions de la Caroline relatives à la torlui-e ont besoin d'être interprétées pai- les commentateurs pour donner aux juges des principes précis. Quant au code pénal de la Caroline, il traite du blasphème, du faux serment, du sortilège, des libelles injurieux, du crime de fausse monnaie, du faux et de ses diverses manifestations, de l'usage de faux poids et de fausses mesures, du déplacement criminel de bornes, du crime contre nature, de l'inceste, du rapt, du viol, de l'adultère, de la trahison, de l'incendie, du vol de grands chemins, de la sédition, du vagabondage dangereux, des menaces, de l'empoisonnement, de l'homicide, de l'infanticide, de l'exposi- tion d'enfants, de l'avorlement, du suicide, des dillcrcnles espèces de vol, etc. Enfin, dans son article CIV, la Constitution inq)ériale énonce le principe général relatif à la manière dont les crimes doivent être punis. « Lorsque, » dit renq)ereur, « par nos lois écrites quehiu'un aura mérité la mort j)Our ' Articles -2-2, 57, 43, fil). Ce |>i'in(i|ic lut loiigl('in|)s iiu'i'oiinii iliiiis les l':ivs-I3as de la iloiiii- iiMtiuii l)oiirj;iiiyiioiiiie. « Ailielc '■20. 5 Articles 'J'2, 2.", ctr. * Artii'les 47 et suivants. !> Articles Îi8, etc. — Ailleurs on forçait le patient à répéter librcnicnl l'aveu qui lui avait été arrache. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. S5d » un délit, on prononcera la manière dont l'exécution se doit faire suivant » le louable usage des lieux, ou l'ordonnance d'un juge éclairé se réglera sur » la nature du délit et sur le scandale qu'il a causé ; mais dans les cas où nos » lois impériales n'ordonnent et ne permettent point de condamner à la mort, » et pour lesquels notre présente ordonnance ne prescrit pas non plus » aucune sorte de |)eine capitale, les lois, dans quelques-uns de ces délits, » ne permettront que des punitions corporelles, en sorte ({ue la vie soit con- » servée aux coupables. De telles punitions seront prononcées suivant l'usage » autorisé de chaque pays, ou selon la prudence des juges, de même que » dans ce qui vient d'être dit pour les jugements à mort. Ainsi, lorsque nos » lois impériales prescrivent quelques |)unilions criminelles qui, eu égard au » temps présent, ou par ra|)port au pays, ne seront |)as praticables, qui en » partie ne pourront pas être suivies à la lettre, et que de plus lesdiles lois » ne marqueront pas la forme et la mesure de chaque punition en particu- » lier, nous abandonnons la décision et le choix à l'usage ou au discernement » des juges, i\n'\, par l'amour pour la jiislice et le bien public, prononceront » les peines proportionnées à la nature du délit. On observera |)arliculiêre- » ment que les juges ne pourront condamner personne à mort ou à d'autres » peines crinunelles, dans les cas pour lescpiels notre ordonnance impériale » ne statue aucune peine capitale, infamante ou corporelle; et afin que les » juges et assesseurs, faute d'être instruits de ces lois, soient moins exposés » à contrevenir auxdites lois, et aux usages autorisés, en décernant ces » sortes de punitions, nous traiterons ci-a[)rcs de quel((ues peines criminelles, » du temps et de quelle manière elles doivent être prononcées selon les susdites » lois, conformément à l'usage et suivant la prudence '. » L'empereur se posait ainsi en successeur et en héritier des anciens empereurs romains; car les lois impériales dont il parlait n'étaient autres que les textes du droit romain "-. En terminant ce paragraphe, nous croyons utile de signaler un dernier fait. Les édits impériaux, défendant aux sujets de l'empire de s'enrôler au ' Tiiuliiciion lie la Caroline, oSerlc en 1779 au baron de Bczenval, colonel des gardes suisses, par Vogcl, grand juge, etc. * SoHET, ouv. cité, livre V, titre XXVI , n° i. 536 ESSAI SUR LHiSTOIRE DU DROIT CRIMINEL service mililaire d'uno puissiince avec huiucllc rompiro otait on jtiiorrc, étaient géiiéraioment publiés dans le pays de Liège et y recevaient force obligatoire. iNous en avons une fouie d'exemples se rapportant aux années Io48, iooO, 1562, l()o4, 1689, etc. Ces édits, bien entendu, étaient non avenus dans les cas où les princes-évêques, eu dépit de leur subordina- tion féodale, étaient les alliés de la France '. Passons aux actes législatifs qui concernent Texercice de la juridiction ecclésiastique. § II. — Des monuments législatifs concernant les cours d'église et leur juridiction. Au XIV* et au W" siècle, les paix du pays s'occupaient très-souvent des cours d'église et de leur juridiction, en même temps qu'elles s'occupaient des juridictions séculières. Depuis le XV^ siècle, les monuments liégeois qui con- cernent l'ordre ecclésiastique sont des monuments spéciaux , dans Icscpiels le souverain parle seul, plus comme évéque que comme prince. Nous avons cru utile de consacrer aux principaux d'entre eux un paragraplie parliculior quoique très-court. Sans entrer dans des détails (|ui n'apparlioni'onl pas à notre sujet, il importe au moins de faire connaître les actes législatifs les plus remarquables, sur lesciuels les cours d'église des trois derniers siècles se réglaient à Liège pour l'exercice de leur juridiction. Et d'abord, nous appelons l'altenlion sur les ordonnances de réforme portées par les princes-évèques en matière de juridiction ecclésiasti(pie. Le 18 décembre 1532 Érard de la Marck, le premier, promulgua une réforme de la cour de l'ollicial -. Le 25 février 1551 Georges d'Autriche, à son tour, fît rédiger une ordonnance nouvelle portant léformalion de la juridiction ecclésiasli(iue, approuvée le 27 février de la même année par le chapitre cathédral et le 27 juillet par le pape Jules III, et publiée le 6 février 1555. • Lislv chronologique des édits et dex ordonnances de la principauté de Liège, de liiO" à 1C84, t. I", pp. 20, 23, U, 190, l!)l ; i. Il , de 1G8V à I7!I4, p. 21, etc. 2 PoLAi.N, ouv. filé, 2'" série, t. 1", |i. 80. i DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. od7 Son principal rédacteur était Jean Huet, chanoine de la cathédrale, prévôt de Saint-Pierre, chancelier, scelleur et vicaire général de révèquc '. Le 31 mai 1 08 2, Ernest de Bavière édicta une longue ordonnance sur le même objet -; et, le 27 février 1613, Ferdinand de Bavière a|)prouva par mandement une nouvelle rédaction des Stafuts consistoriaux pour la réfor- malion de la juridiction des cours d'église ^ Ces ordonnances, auxquelles nous aurons maintes fois Foccasion de recourir dans les chapitres suivants, traitent à |)eu prés des mêmes matières, se copient souvent les unes les autres, et touchent en plusieurs endroits à Texercice de la juridiction criminelle séculière. Celles de 1551, de 1583, de 1G13, notamment, répètent les dispositions du diplôme impérial du 20 juillet 1545 relatives à la disjouclinn des procès criminels dans lesquels les laïcs avaient des clercs pour complices. Elles ordonnent de renvoyer toujours dans Tespèce des laïcs devant les juges séculiers, et les clercs seuls devant les cours d'église. D'autre part, elles caractérisent parfaitement la nature des enquêtes géné- rales criminelles usitées dans les jiu'idictions laïques : en(juètes qui portaient sur un délit déterminé, sa qualité et ses circonstances; dans lesquelles on recherchait si le délit avait été comnn's, par qui et comment, mais sans y nommer jamais la personne du (l('lin([uant soupçonné. Elles déclarent que, en conséquence de la nature même de ces enquêtes, qui portent sur le fait et non contre la personne, les juges ecclésiastiques ne pourront jamais eu arrêter le cours par des letlrea iiihihilorielles. Elles ne permettent aux juges d'église d'accorder des lettres de l'espèce que si, eu \erlu (Fune enquête générale dûment hos portée, un écheviuage voulait procéder contre un indi- vidu jouissant du privilège du for ecclésiastique. Les mêmes ordonnances nous signalent une transformation radicale des coutumes usitées en matière de déeharyes devant les juges séculiers. Au XVI" siècle, un malfaiteur, décrété de prise de corps sur enquête générale, ' PuLAiN, ouv. cité, -2' série, l. I", p. 18".». — Raikem, Discours de I8G0, p. 32, en note. — CllAPliAVlLLE, t. IH, p. 570. - Imprimé du temps. ^ Idem. SS8 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL n'était admis à faire ses décharges , à se justifier, que pcclc lif/ato et après sï'lre constitué en prison; faute de se constituer, il était jugé par contumace. Eu 1G13, lobligation de se constituer prisonnier n'existait plus dans l'espèce. Oi'dinaircment on n'exigeait du jugé appréhensible que la promesse de répondre devant quelque justice ou notaire, avec constitution de procureur spécial et prestation de caution pécuniaire *. Aux ordonnances de réforme dont nous venons de parler se rattachent un certain nombre d'ordonnances accessoires, parmi lesquelles nous nous bornerons à signaler les trois suivantes : un mandement touchant les clercs, les olficicrs et les suppôts de l'olficialité, du mois de juin 1578, dont Chapea- ville donne une analyse, el (|ui émane de Gérard de Groisbeeck "'; un mande- ment du 19 novembre 16:2:2 (|ui confirme et qui ratifie quelques points de procédure à observer devant rollicialité de Liège ■"^; un statut ou ordoiniance du -i juin 1735, publie par Georges Louis de Berghes, établissant les règles de procédure à suivre devant la même cour *. Passant à un autre ordre d'idées, nous avons à signaler un certain nombre de monuments se rapportant aux Statuts syimlaux du pays de Liège. C'est d'abord le mandement du 13 novembre 1548, émané de Georges d'Autriche, prescrivant l'observation de la réformation du clergé décrétée à Augsbourg par l'empereur Charles-Quint avec les Statuts synodaux y relatifs ^. C'est ensuite une ordonnance de Ferdinand de Bavière du 5 septembre 1(11 4, confirmant les privilèges accordés au clergé par le prince-èvè(|ue Ernest de Bavière le 13 mars 1582, les informations de l'évèque Jean de llcinsberg au sujet des abus, les Statuts synodaux d'Adolphe de la Marck du 12 décembre 1337, etc. ^. C'est enfin le mandement du 8 mai 1618, prescrivant l'observation des dé- crets du synode tenu la même année dans la cathédrale de Saint-Lambert ". ' CVlait la roiis(''(iiieiiic (l'une tlisposilion de la ri'furmatioii de Groisbeecli. Voir aussi Raikem, Discours de I8()2, p. 40. - CiiAi'EAvii.LE, t. m, [KWTy. — Conseil i)rlrf , dépêches, 1576-78, k. 28, folio 240. 3 Conseil privé, dépêches, 1018-1621, k. 2 juillet était l'œuvre de quelques membres du conseil privé de Tévêque et d'un certain nombre de députés des états du pays, revue d'abord par le prince, revue ensuite et amendée par les états, publiée et imposée enfin aux cours de justice pour « estroictemcnt garder, entretenir, » et observer comme ioy,» par le prince à la demande des mêmes états. Le célèbre jurisconsulte liégeois François d'Heure avait pris une part principale à sa rédaction '. Le 9 juillet, les bourgmestres, jurés et conseil, avec les commis et députés des trente-deux métiers de la Cité de Liège, protestèrent contre elle par- devant les écbevins, parce qu'ils la i)réteudaient contraire à leurs privilèges, IVancbises et libertés; mais il ne parait pas qu'on ait eu égard à cette pro- testation -, L'ordonnance de 1531 comprend cent dix articles répartis en un certain nombre de rubriques. Elle ne touclie guère aux institutions judiciaires. Comme celle de Corneille de Bergbes, elle s'occupe plus de l'administration de la justice civile que de l'administration de la justice criminelle. Tonlel'ois, elle contient beaucoup de dispositions qui toucbent aux intérêts de cette dernière dans les rubiiques suivantes : des ailjournemvHls et antres exploix ; comment seront fais et rapportez à jnstke; — des accessoires et responses aux tlieismes et alléyances — des interrogatoires et comment on debvera rccepvoir et examiner tesmoins — des recharges criminelz — des voyages et amendes — des maijeurs, eschevins et serjents excommnnyés — des poiz, mesures et autres cas touchant les officiers. Analysons brièvement les dispositions principales éparscs dans ces rubri- ques qui intéressent le sujet de notre travail. Aussi bien ce que nous dirons ici abrégera souvent notre tàcbe dans les cbapitrcs suivants. L'article 4 de la i-èl'orme s'occupe des commands des voyages d'oulre-mer et des autres voyages en matière criminelle à faire aux délin(iuants con- damnés à les perager ou à les payer. 11 veut en principe que le command soit l'ait à la personne; à délant de trou\er la |)ersonne, à la maison de ' Préambule de l'ordonnance. — Raikem, Discours de 18G2, p. 47; Discours de 1800, p. ôj, et notes. ■^ l'oLAi.N, sous redit, cil note. — Raikesi, Discours de 1800, p. 35. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 565 celle-ci; si le condamné n'a pas de maison^ au lion qu'il fréquentait le plus, aux deux plus proches voisins de la maison où il se tenait davantage, au lieu public, enfin, où Ton avait coutume de faire «adjour, crys et publication. » L'article 44 établit comme règle que la partie assignée sur plainte crimi- nelle aura un délai de quinze jours pour répondre à celle-ci ^ Les articles 45 et suivants s'occupent de l'audition des témoins en matière de cas criminels, plaintes, calenges, allégations et décharges. Ils statuent que dorénavant la partie obligée de faire preuve pourra remettre au juge vme formule d'interrogatoire per\inen\e, non cavilleuse ni captieuse, suivant laquelle les témoins seront interrogés. Ils recommandent aux juges de veiller à ce que cette formule ne tombe pas entre les mains de la contre- partie, pour que celle-ci n'ait pas l'occasion de préinstruire ses propres témoins. Ils veulent que le soin de faire Venqiiéte soit confié aux plna experts de lu justice. Ils déclarent que dorénavant les dépositions faites devront être rédi- gées tout au long par les clercs de justice, avec mention expresse de la cause de science du témoin^ sans pallier ni colorer les paroles de ce dernier; « et » point comme par ci-devant l'on avait accoustumé par telle forme : assavoir » accord à l'article ou accord avec le témoin précédent , » car c'est au juge et non au clerc d'apprécier la concordance des témoignages. Ils décident enfin (pie les prélocuteurs des parties seront tenus de l'cmettre aux témoins un étiquet contenant les faits et articles sur lesquels devait porter leur interro- gatoire. Les articles 52 et 53 déterminent les obligations des personnes assignées pour déposer dans une eiKpiéte générale, tant devant la justice de la Cité que devant les justices des autres bonnes ^illes ou du plat pays. Ces personnes doivent comparaître dans les trois jours de l'assignation, se représenter devant la justice, et y rester jusqu'à ce qu'elles soient interrogées ou qu'elles aient obtenu congé de se retirer. Faute de ce faire, elles encourent un ban d'un an hors du ressort judiciaire local, ban doublé en cas de rupture, et, en cas de seconde rupture, renq)lacé par une peine arbitraire. ' Il s'agit ici de la réponse avant qu'on prorcdc aux preuves. 566 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL L'article 62 traite de la rencharge. Désormais, quand les basses cours viendront en rencharge, elles se contenteront d'envoyer à Liège un seul êchevin, en général celui qui aura été présent à la torture ou à la confession de l'accusé, ou le clerc de justice. Ce mandataire ai)portera les confessions, décharges et autres actes du procès, bien clos et fermés; et on lui remettra le plus vite possible une sentence de rencharge écrite, fermée et scellée '. Les articles 65, 66, 67, 68, considérant qu'il y a eu jusque-là « doute et » difficulté sur la fresche coulpc, » introduisent pour la première fois dans le droit criminel liégeois une théorie précise et complète du flagrant délit tant réel que fictif '^. Les articles 70 et 71 traitent des enquêtes générales, en tant qu'elles sont faites i)ar loi et franchise à Liège. Ils ne reproduisent pas entièrement les dispositions du privilège impérial de 1343. Ils admettent que les bourg- mestres et jurés d'une part, et les échevins de l'autre, peuvent délibèi-erà part; et c'est seulement en- cas de partage d'opinion qu'ils ordonnent aux deux membres de se réunir colley ialement, huit d'un côté et huit de l'autre, pour statuer à la majorité des voix. Si le partage continue, le différend doit être tranché par « aucuns commissaires des plus anchiens et siiffisans à nombre » iitt'fjuale, » assumés par l'officier de l'évèque, et non par des commissaires librement choisis par celui-ci. Les articles 72 et 73 déclarent que désormais la taxe des voyagesjugéssur plaintes sera uniforme dans tout le pays « assavoir autant à lieu où l'on uze » petite monnaie comme es lieux où l'on uze de forte monnaie. » De plus, puis(|ue la criminalité augmente, la taxe des voyages est augmentée {redujjte) : celle du voyage à Suinl-J arques de Corn iMstelle à dix florins d'or, celle des autres voyages « à la montant de la voie de Saint-Jacciues. » L'article 74 s'occupe de l'introduction de l'action ciiminelle. Il prouve que, connue nous l'avons dit dans le dernier livre, la poursuite d'oflice n'était pas encore bien consolidée entre les mains des jusliciei-s en m;ilière de violences contre les peisonnes qui n'étaient pas d'une gravité exceptionnelle. ' En iOKi, on obligea les l'clicvins de Ciney à envoyer les pièces du procès à Liège, par un sergent de cour : lîoiir..M:T, Carliiliiire de C.incij, p. 159. 2 Nous reviendrons sur ce point à i'ofcasion de la reformation de Groisbeeck. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 567 En cas de mutilations de membres, d'à /foulures, d'autres grièves et énormes injures, quand ores les parties blessées ou offensées voudraient dissimuler et ne pas se plaindre, les officiers pourront faire plainte devant justice et pour- suivre les délinquants pour en faire châtiment ou obtenir l'amende selon l'exigence du cas. C'est la première fois qu'on trouve dans les documents liégeois une règle aussi générale par rapport à la poursuite d'office facul- lative. Les articles 99, 400, 101, 102 traitent des effets de l'excommunicadon par rapport aux membres du corps judiciaire. Ils répètent le principe en vertu duquel une personne pabliquement excommuniée est incapable de faire des actes valables de juridiction. Ils déclarent que si, à raison de la part qu'y a prise un juge excommunié, une sentence criminelle « soy venoit revocqucr » et casser et que ad ce moyen le delict demeurera impugny tel debvra estre » chastié arbitrairement et selon l'exigence du cas, etc. » Nous avons vu que, par un acte législatif do looG, Georges d'Autriche avait au reste pourvu aux abus qu'il était possible de commettre à l'aide de l'cxconununi- cation •. L'arlicle 103 revient derechef sur une disposition de la réforme des cours ecclésiastiques et du di[)lôme impérial de lo43, relative à h disjonc- tion des causes dans lesquelles clercs et laïcs sont intéressés : « devra, » dit-il, « dorsénavant cesser la dite matière de connexité, et ne le devra-t-on plus » practizer, ains sera ung chascuii traictié par son juge compétent, sans que, » à raison de la dite connexité, les lays puissent prétendre quelque privi- » lége ny en matière civile ni criminelle. » L'arlicle 104-, coupant court à de condanmables |)raliques, ordonne que « dorsénavant personne, sur title de la familiarité de (pielque seigneur privi- » légié, ne pouira user de tel privilège, pour soy faire retirer de son juge » competant, s'il n'est serviteur domestique de celuy seigneur ou de sa famille » illec journellement et conlinuellement habitant et demorant. » Nous n'osons pas préciser de quels seigneurs la réforme entend j)arler. Il s'agit peut-être des chanoines des anciens chapitres. Peut-être s'agit-il aussi des ' Voir ail paragraphe précédent. 568 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL seif/npiir.f c/ioratix de ces anciens chapitres, qui jouissaient du priviléiïe du for ecclésiastique. Peut-être enlin a-t-on en vue les seiji;neurs de la cour du prince qui auraient ressorti à une espèce de tiibunal paiticulier, iValcadie, dont les auteurs liégeois ne parlent pas, et qui n'aurait pas lardé à dispa- raître. L'ailicle 107, conçu dans Tesprit de maintes paix antérieures, condamne une coutume que les olïiciers de jusiice voulaient introduiie, coutume eu verlu de laquelle les magistrats auraient profité des objets volés trouvés sur le « larron ou snaphaine. » Il ordonne que les objets volés soient restitués à celui qui prouvera en être légitime propriétaire, moyennant |)ayement des dépens faits à Toccasion du vol, et pour le surplus moyennant reconnaissance au seigneur ou ollicier de ([nebiiie Iionia-te pot de rin '. L'article 109 défend de confisquer le chariot qui, |)ar cas forlnit, tombe et écrase quelqu'un. L'article 110, enlin, donne un tarif long et détaillé des frais de jusiice. Mais avançons. Quelle que fût rimporlance de la réforme de Georges d'Autriche, elle lais- sait encore bien des progrès à faire. Elle était surtout conçue sur un plan trop étroit. Gérard de Groisbeeck, doyen de l'église de Liège, inauguré comme prince -évèquc en lo()3, eut à cœur de la compléter |)ar sa célèbre ordonnance du 3 juillet 1572 mise en fiarde de loi à Liège dès le lendemain. En montant sur le trône, le nouveau prince avait pu se convaincre par son expérience persomielle et par les remontrances de « plusieurs notables » personnages, » cpie, depuis les réformations des cours et justices sécu- lières du pays, faites par ses prédécesseurs, « estoient de longue main » sourdis et de plus en plus creuz et mulli|)liez divers abus et désordres en » l'administration de justice et en la manière et stil de procéder en et par » devant icelles cours et justices "-. » ' Nous fiiisons allnsioii à la muUdion île la loi itoiivrllc, arliclo 21, ri a lu /)(iî'.r de Sahit- Jitcijites , cliapilic IV, article 18. Ces chartes autorisaient le volé à ri'clanier sou l>ien à des tiers, sans être tenu à les indemniser, pourvu qu'il prouvât le vol dont il avait été la victime, et que le lirr.s u'ci'it |)iis adicti' l'objet dans une foire ou dans un uiaiili('' public. * PoLAi.N , ouv. cité , ii' série , t. I" , à sa date ; préambule de la charte. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 569 Aussi la rédaction d'une nouvelle ordonnance de réforme fut-elle un des objets qu'il soumit aux délibérations des états du pays, dans leur journée du 10 janvier 1566. L'affaire, comme dit Bouille, fut entreprise sur-le-champ. Des députés furent aussitôt nommés d'un côté par le prince, d'un autre côté pai' les trois ordres, pour « prendre soigneusement bonne et pertinente » information desdites fautes, abuz et désordres, et recueillir tout ce que en » Dieu et en leur conscience ils trouveraient, selon le cours et disposition » du temps et des affaires présens, pour abolir lesditz abuz et désordres, et » promouvoir l'administration de bonne, égale et au possible brefve et com- » pendieuse justice, nécessaire et opportun. » Les députés choisis étaient des jurisconsultes habiles; et tout porte à croire que François d'Heure, le même qui avait pris une si grande part à la rédaction des ordonnances de 1551 , se trouvait parmi eux ^ Un projet d'ordonnance était déjà dressé au commencement de l'année 1568. Il fut communiqué aux états dans leur séance du 17 mai 1568, et derechef dans celle du 7 juin 1571 , et examiné à diverses reprises tant par eux que par le prince et par le chapitre cathédral. Enfin, en 1572, à la date que nous avons indiquée, il fut converti en statut et ordonnance, et pro- mulgué par Gérard de Groisbeeck « par l'advis, accord et consentement » des états et à « leurs très instantes requestes -. » Dans la formule de la promulgation, scellée tant par lui-même que par les délégués des trois ordres, le prince déclarait son ordonnance obligatoire pour le pays entier « nonobstant loiz, coustumes et usages y contraires, » et il ajoutait : « lesquels ne voulons et deffendons à l'advenir, en préjudice » de nos présents statuts, ordonnances et réformations, estre usées ou allé- » guées en jugement, ou aulrenient, sur les peines y contenues, et autres » à encourir par les contrevenans selon la qualité et circonstances de la con- » travention '\ » * Préambule delà charte. — Bouille, t. Il, p. 428. — Foullon, t. II, p. 276. — R.vikem, Discours de 1860, pp. 34 , 55, et notes. 2 Prkimlmle de la charte. — Chapeaville, t. III, p. 470. — Raikem, Discours de tSCO, pp. 34, 3S, et noies. 5 Voir in fine. Tome XXXVIH. 72 870 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMIAEL Commo la grande ordonnance de 1572 est le monument capital du droit liégeois [XMidant les trois derniers siècles, elle mérite une analyse détaillée et une étude assez approfondie. Elle comprend vingt-huit chapitres divisés en articles dont voici les titres : 1. Des mayeurs, esclievins, grefliers et autres ministres tant de la haute justice de Liège que d'autres justices à icelle suhalternes. 2. Des greffiers. 3. Des procureurs et avant-parliers. 4. Des sergeans, adjournements et autres leurs exploits. 5. Des œuvres de loy. 6. Des retraits. 7. Des approbations de testaments et traitez de mariage. 8. Des exceptions déclinatoires et autres accessoires à la matière prin- cipale. 9. De reconvention. 10. Stil et manière de procédure. 1 1. Des appellations interposées des justices subalternes aux échevins de Liège. 1 2. Des exécutions des sentences. 13. Des saisines et purgements d'icelles. 14. Des causes, procès et recharges criminelles, l^j. Des voyages, amendes et autres peines. 10. Des poids, mesures et autres cas concei'nant les officiers. 17. De la taxation des dépens. 18. SVnsuit la taxe des droits que les justiciers, tant capitaux que subal- ternes du pays de Liège, ensemble les officiers et ministres de justice auront à recevoir pour leur salaire à raison de Tadministration et exercice de leurs ollicos. 11). Des conseillers et de leur juridiction. 20. Dos greffiers et huissiers. 21. Des provisions à concéder par le conseil à ceux qui illec s'adresseront à cause de la transgression des privilèges impériaux. 22. Des causes d'appel cl du stil d'y procéder. I DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 571 23. Des droits que l'on payera tant aux conseillers qu'à leurs greffiers et huissiers. 24.. Des propositions d'erreur et de révision. 25. De la cour feudalle. 26. Taxes des droits, tant seigneuriaux que des cours feudalles. 27. Des XXII. 28. De la taxe des droits desdits XXII et de leur greffier ou huissier. Comme on le voit à la simple inspection, une foule de chapitres sont entièrement étrangers à la matière de notre essai. Les dispositions qui nous intéressent plus ou moins directement sont éparses dans les chapitres 1, II, III, IV, VIII, X, XII, XIV, XV, XVI, XVII, XXVII. Quant aux chapi- tres XXV et XIX, ils nous fournissent seulement l'occasion de faire deux remarques capitales. Le chapitre XXV s'occupe de l'organisation et des attri- butions de la cour féodale, l'ancienne cour des hommes monseigneur, deve- nue un consistoire de justice permanent et à siège fixe. Il établit de la façon la plus perémptoire que cette cour a\ail perdu jusqu'au dernier vestige de sa compétence criminelle '. Dans aucun de ces articles il n'est plus question de plaintes faites à l'occasion d'infractions commises, ni du droit qu'auraient eu les fieffés de se faire renvoyer devant elle en matière pénale. Le chapitre XIX, qui traite des conseillers du conseil ordinaire et de leur juridiction, reste de son côté entièrement en dehors de notre cadre. Le conseil ordinaire, en dehors de sa juridiction en matière civile, ne connaissait que des contraventions aux privilèges impériaux. Ce serait évideniment pousser les choses trop loin que de le comprendre dans la hiérarchie des tribunaux liégeois participant à l'exercice de la juridiction criminelle. Passons aussitôt à l'examen des dispositions de l'ordonnance qui se rap- portent aux institutions répressives et au droit criminel. Nous nous bornerons à indiquer celles dont nous devrons |)arlerdans les chapitres suivants. Le chapitre I*"" veut que désormais les commissions des maieurs, échevins ' Chapeaville, t. III, p. 571, rapporte qu'en 1553 le bâtard de Horion, depuis trente ans gouverneur de Bouillon, fut condamné à mort par les échevins de Liège « rerura capilaliuni » judices; » or si la cour féodale avait encore eu des attributions criminelles, le bâtard de Horion, noble et fieffé, eût cerlainement demandé son renvoi devant elle. 572 ESSAI SUR LIIISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL el greffiers soient eiirej^islrcos au rejïistre de la cour avec annotalioii de Tan et du jdur de leur réception et mention de la |)restation du sornienl '. il dé- termine les conditions iJténérales d'aptitude (|ue devront réunir à l'avenir tous les juges du pays de Liège : ces juges devront être gens de bien, de mariage légilime, sachant lire et écrire, s'ils sont recouvrables, et qualifiés selon le contenu des paix de Fex/ie et des XXll, sans ij comprendre les chanoines de kl cath('dr(de -. A l'instar des anciennes paix, il permet aux échevins de Liège de conserver les pensions dont ils jouissaient avant leur nomination de la part de princes, prélats ou seigneurs étrangers, mais avec défense d'ac- cepter des pensions de l'espèce après leur entrée en charge ^. Il renouvelle une disposition édictée sous Jean de Bavière, déclarant que le père, le fils, l'oncle et le neveu, ne pourront être à la lois échevins de Liège, et il ajoute : « el toutes dispenses qui s'obtiendront du futur au contraire seront nulles '. » Il introduit dans le droit public du pays, d'une façon générale et formelle, Yinconipafibilité entre les charges de bailli , de maïeur et d'échevin dans la même juridiction ''. 11 proclame en termes généraux et impératifs le principe de la non-vénalité des charges^'; condamne el réprouve certaines pratiques usitées chez les juges du pays et qui ressemblaient fort à des concussions ". Il consacre l'égalité devant la justice et l'indépendance du pouvoir judiciaire dans les termes suivants : « les eschevins et autres juges devront adminis- » Irer justice également aux grands, moyens et petits, sans crainte, pori, » faveur, dissimulation, ou acception de personne; en hupielle adininis- » tration de justice les aiderons et porterons envers et contre tous; et ne » sera la justice retardée par lettres missives ou autres quelconques extruor- » dinaires **. » Il inq)ose aux échevins de Liège l'obligation absolue de résidence dans la ' \rliclp I". « Ailidc 3. 5 Article b. ♦ Arliilc 10. ^ Article 7. ^ Article 9. En rapport avec un édit de 1355; voir CnAPEAVit.LE , t. 111, p. 57o. ' Articles G el 13. 8 Article '_>. DAP^S L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 575 ville '. Il règle les jours et les heures de leurs séances, ainsi que les jours et les heures des séances des échevinages ruraux. Il défend aux échevins des campagnes, quand ils administrent la justice, de tenir banquets ou beu- veries ou d'avoir vin ou cervoise à table durant Faudience, sous peine d'amende -. Pour mettre un terme à des abus qui tendaient à s'introduire et qui entra- vaient le cours régulier de la justice, il précise une fois de plus la portée réelle des principes juridiques nationaux par rapport à certains efl'ets temporels de l'excommunication. Il défend d'irriter ou de réroquer aucune sentence , décret ou autre acte judiciaire, à l'occasion de la part qu'aurait prise à son élaboration un ofli- cier ou ministre de justice excommunié, à moins que celui-ci n'ait été publi- quement dénoncé à son église paroissiale et pendant la messe, ou que du moins il n'ait été débattu et déclaré tel « devant les juges où la cause se » traileroit, iceux encore siégeant en jugement, » avec exhibition du man- dement excommunicatoire •'. Il commine, en revanche, contre le ministre de justice ou officier qui, à cause de son excommunication, aurait été cause de l'annulation d'un acte judiciaire (|uelcoiiquc en matière criminelle, l'obliga- tion de restituer les dé[)ens faits, avec dommages et intérêts à la partie lésée, la privation d'odice avec déclaration d'incapacité pom* l'avenir, ainsi qu'une peine arbitraire à modérer selon l'exigence du cas *. Il défend d'annuler ou d'irriler aucun acte judiciaire sous prétexte (pi'un juge ou ministre de justice déclaré aubain y aurait pris part ^. Il impose à tous maieurs, échevins, grefliers, huissiers, sergents et autres suppôts de la justice, le secret professionnel le plus rigoureux, sous peine de perdre leur charge et d'être déclarés iidiabiles à en occuper une autre à l'avenir. Ce secret professionnel comporte la défense de révéler les téinoi- ' Article 8. ^ Nous ne raenlionnons pas les articles relatifs au droil d'évocaliuii ; ils ne coiiccriienl pas les matières criminelles. — Articles H, 21, 22. 5 Arliclcs .ï3, 34. D'ii|)rès la rédaction de l'ordonnance, il semble que, en pratique, on avait voulu outrer l'applicalioii des principes en question. * Articles 33, 54. » Article 55. S74 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL qnanea non publiés , les sentences el décrets conçus mais non hosportés, le contenu des rapports faits sur les procès, les noms des rapporteurs, les noms de « ceu\ qui auront été consenlans et dissentans à la sentence, etc. '. » Le chapitre II s'occupe des gretïiers et de leurs obligations. Il veut que les greniers exercent personnellement leur charge, et que ceux des cours lico-eoises et des autres villes résident dans le siège de leur office 2. Il règle les détails concernant le soin matériel du greffe et la conservation des actes de procédure ^. il défend aux titulaires de livrer à leurs clercs, à moins que ceux-ci ne soient assermentés devant la cour, les secrets de la justice *. Il veut qu'en procédant aux enquêtes les greffiers, tant en matière criminelle qu'en matière civile écrivent « ce que fait pour Tune et l'autre partie et aussi avant pour » l'innocent ou deschargeant que pour l'accusant, s'enquestans soigneuse- » ment de toutes circonstances tant du crime que de l'innocence ^ » Il décide que les greffiers des échevins de Liège, des maîtres et jurés, des XXII, du conseil ordinaire, des autres cours, devront avoir l'âge de vingt-cinq ans accomplis. Cette exigence se comprend facilement en présence du rôle considérable que la procédure écrite avait donné aux fonctionnaires chargés de la rédaction et de la conservation des actes judiciaires '^. Du chapitre III, concernant les amiit-parliers et procureun, nous ne déta- chons que les articles 2, il, Vt et 25. L'article L' inq)ose aux parlien et procureurs l'obligation de servir graluiloment leurs clients lorsque le juge le leur ordonnera : règle importante et libérale dans un pays où, en matière criminelle, tout accusé avait le droit d'invoquer l'appui d'un défenseur. L'article 1 1 leur enjoint de se conduire en justice avec yradeuseté et modestie, sans commettre de protervité ou d'insolence; et il ajoute que les juges, de leur côté, se comporteront avec la gravité nécessaire à leur office sans se montrer partiaux envers l'une des parties. ' Article 50. * Article 1". ' Passim. ♦ Article 18. 5 Articles i>0, 21,cte. « Articles 22, etc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 575 L'article 24, signe du temps, croit devoir recommander en termes formels aux procureurs de venir en justice en sobriété , sous peine d'être suspendus pendant un mois. L'article 23 enfin dispose comme il suit : « il ne sera permis à personne » d'exercer en nos cités et bonnes villes office de prélocuteur ou avant-parlier, » s'il n'est âgé de vingt-cinq ans, ayant pratiqué cinq ans pour le moins es » courts et jugements séculiers, et admis par nostre haute justice ou par la » justice par-devant laquelle il exercera cest office , en passant le serment » deu et accoustumé à peine de trois florins d'or; sans pourtant empêcher les » avocats d'advocasser par-devant les dits juges, ny aussi aux parliers de » nostre haute justice de pratiquer devant toutes justices. » Le chapitre IV déclare incapables d'être sergents les individus infâmes pour avoir fait pénitence publique, ou pour avoir été déclarés criminels '. Il dicle aux sergents un serment professionnel, dont la formule comporte l'en- gagement de s'acquitter fidèlement, intégremenl et impartialement de leurs devoirs -. Il commine contre ceux d'entre eux qui, dans l'exercice de leur charge, commettraient des exactions ou des abus de pouvoir la suspension ou la destitution, suivant la qualité du méfait ■"'. Il reproduit, en matière de commands de voyages en matière criminelle, à peu |)rès les dispositions de la réforme de iSSi , en ajoutant que dans les trois jours de l'exécution du command le sergent (|ui l'a fait doit venir au greffe en faire la déclaration *. II veut que dans les villes liégeoises les sergents, pour être croyables dans leurs exploits, les fassent la rerfjo à la main ^. On se rappelle (|ue le Patron de lu Temporaiilé contenait déjà une règle analogue. Dans le chapitre VIII, le législateur prescrit de proposer les exceptions déclinatoires, dilatoires, ou autres accessoires « tendant à empescher la » cognoissance et poursuite de la matière principale » avant litiscontesta- tion. 11 veut, de plus, qu'elles soient mises par écrit pour que la cour puisse ' Article 4. 2 Article 1". ' Articles 2 et 3. * Articles I et t2. ^ Article 13. 576 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL incontinent on apprécier la relevance, les admettre ou les rejeter K II répèle encore un(! lois, tant la prati(pie contraire était vivace, qu'en matière de délits commis en participation par des laïcs avec des clercs « sera cliascun » délinquant traité et cliastié par son juge compétent, » sans égard au prin- cipe de la connexité-. Il déclare au surplus que « dorsénavant, à Teffet de » justifier inliihilion (du juge d'église au juge séculier) ne sufliront immé- » dialenient et en premier lieu les certifications des prélats ou seigneurs dont » on vient clamer privilège et familiarité, sans autres preuves ^. » Le chapitre X, qui traite du style et de la manière de procéder, est une sorte de code de procédure civile. Il règle pas à pas les étapes principales d'un procès contradictoire et d'un procès par contumace. Mais, par là même, il énonce un certain nombre de principes concernant la procédure uccusa/o/re écrite, dont nous avons parlé dans notre dernier livre, employée, au moins au XVI'' siècle, dans les procès ne tendant pas à l'application d'une peine cor- porelle. Pour ne pas tomber dans d'inutiles redites, nous nous bornerons à résumer ses dispositions principales en terminant par l'imiovatioa capitale qu'il a introduite. La lifisconteslalioii s'établit par la négation opposée par le défendeur à la demande de l'acteur, et partant, en matière criminelle, par le refus de l'ac- cusé de reconnaître les faits lui imputés par l'accusateur ■*. Le défendeur ou l'accusé jouit toujours d'un premier délai |)our répondre //«/• cm//7 ou rion- crédit '•'. Si l'accusé est contumace, l'acteur, tant en matières criminelles qu'en matières civiles, peut obtenir du juge « enseignement de procéder à Tinslruc- » tion de sa cause par production de témoins, documents ou autrement; » mais, en tout cas, le profit du défaut ne peut être accoi'dé qu'après une deuxième assignation infructueuse, et tout défaut peut se pui-ger '^. Il appartient au juge d'accorder après /itisconfestation deux délais pour prouver leur iulention ou leurs « allégances ou exceptions, » d'abord à l'ac- • Article t". s Arlicle "2. 5 Arlicle 4. ' Article i". î* Article 4. « Arlicles 7 et 8. DANS L'AISCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 577 cusateur, en second lieu à l'accusé ' ; ensuite au demandeur un nouveau lerme pour répliquer, et au défendeur ou accusé un terme semblable pour dupliquer; enfin à chacun d'eux un dernier terme pour parachever leurs preuves respectives -. Après ces différents termes, les parties sont respecti- vement forcloses de plus avant dcdidre et monstrer, à moins d'une autorisa- tion spéciale de la cour octroyée en « connaissance de cause ^'. » Il est vrai qu'elles peuvent toutes les deux, endéans un dernier délai, servir de part et à'imivQconlredits pour impugner les documents et reprocher les témoins, à moins que cela n'ait été fait dans les écritures déjà versées nu procès ■*. Nous soulignons ce dernier membre de phrase. En effet, il n'est plus question de plaidoiries orales ni en matière civile ni en matière criminelle. Accusateur et accusé, défendeur et demandeur, font échange par leurs prélocutcurs et pro- cureurs de mémoires et de pièces écrites. Chaque partie peut fournir une formule d'interrogatoire, pour faire inter- roger les témoins produits par son adveisaire, dans les trois premiers jours du terme fixé à celui-ci pour faire preuve. La cour doit commettre aux enquêtes ceux de ses membres ([ui sont (es plus experts : « demeurant néant- » moins faculté aux parties de donner adjoint à leurs dépens, non suspect, » de la mesme cour 'K Cette dernière phrase, qui ne se trouve pas dans la ré formation de hSSI , ra|)pelle encore une fois une faculté anciennement accordée aux pai'ties en cause devant le Tribunal de la Paix. L'article 49 du chapitre qui nous occupe répète in terminis la règle de la réformation de 1SS1 qui veut que les dépositions des témoins soient écrites tout au long. L'article 21 exige qu'on ajoute aux dépositions les noms des juges et des grelliers qui les ont reçues. L'article 22 veut que la déposition faite par un témoin lui soit relue, et, s'il sait écrire, signée par lui. Les articles 23 et 24 im|)osent derechef aux prélocuteurs des parties l'obligation de lemettre aux témoins une étiquette désignatoire des articles sur lesquels ils devront être examinés. < Articles 11 cl 12. 2 Articles d2et ^3. 5 Article 14. * Ailicle tO. » Articlel7. Tome XXXVIIL 73 878 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Enfin, rartidc 26 ron verso une des plus eiiiuiles ini(|uilés (|ue la procé- dure écrite avait fini insensihleniont par introduire. Nous avons vu qu'à l'épociuc de la paix de Suint-Jacquea on communiquait aux parties, et notamment aux accusés, les noms deslénioins, la désignation des faits sur lesquels il devaient être entendus, mais non le secn- i\*i leurs lémoif/iiaf/es '. La réforme de Groisbeeck, s'inspirani d"idées plus hautes et plus droites que celle des anciens praticiens, rompt en visière avec Pabus que ceux-ci avaient créé. « Les tesmoignages, » dit-elle, « en toutes causes civiles et cri- » minelles pendant encore indécises, et qui s'esmouveroiit au lulur, seront » publiez à la requeste de Tune ou Pautre partie ce demandant; voire que les » |)i()(luctions laites sur enquêtes ne seront j)ul)liées sinon imprimer après le » hosport d'icelles -. » Elle veut ainsi (|ue tout accusé sache perlinemment ce que les témoins produits ont dit à sa charge ou à sa décharge, ait copie de leur déposition, et puisse ainsi se défendre en connaissance de cause ^. Elle ne maintient le secret des enquêtes générales elles-mêmes que pour autant qu'il serve à assurer Texécution du décret de prise de corps rendu en consé- quence de leurs données; elle le supprime en tant (pi'il doive conduire à une sentence de torture ou à ime sentence définitive. Nous exprimions plus haut Topinion que les dépositions des témoins avaient probablement été tenues secrètes poui- mettre les témoins eux-mêmes à l'abri des vengeances éventuelles des parties. L'ordonnance de lo'rl pourvut au danger prévu, mais d'une toute autre façon. Elle mit dans la sauvegarde du prince tous les témoins produits en quelque cause que ce fût; celui qui les injuriait ou les maltraitait à l'occasion de leur déposition, par lui-même ou par autrui, encourait les peines de Y infraction de sauvegarde K Le chapitre XII, de l'exécution des sentences, ne contient qu'un seul article qui doive être mentionné ici. C'est l'article i). Il déclare punissable « en » rigueur de droit et de peine conforme à son mésus, » quiconque délivre ' Le nicmc système se rclidiivniL dniis l'onluiinuiice. sur Ir style de Philippe II de 1570, article 2j. . * Article 2G. ' Sic, SoiiET, oiiv. cité, livre V, titre XLIV, clmpitre \'l, ii" 90. * .\rticle -IC). ! DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 579 un prisonnier inculpé de crime, ou empêche par violence la capture d'un délinquant. En revanche, les chapitres XIV et XV concernent exclusivement le droit criminel; aussi, sommes-nous obligé de signaler toutes leurs disposi- tions. La ré format ion de Groisbeeck , la première parmi tous les documents législatifs liégeois, consacre b'fjishitivemenl dans le chef des ofTiciers Vobli- (jution générale et absolue de la poursuite d'oOlce en matière de crimes publics (c'est-à-dire de crimes yraves) , que la partie lésée se plaigne ou non. Elle déclare aux officiers du prince, aux vassaux, aux autres magistrats auxquels appartient la correction des crimes et excès, que c'est pour eux un devoir de conscience d'exercer cette poursuite « sans port , faveur, dissimu- » lation ou exception de personne '. » En ce qui concerne les gric-vcs et énormes injures, les aflbulures et même les mulilalions , elle se borne à reproduire la règle donnée par la réforma/ion de iôô^ ;e\\e permet aux offi- ciers de poursuivre les auteurs de ces infractions, même en l'absence d'une plainte des parties lésées, mais sans les y obliger "-. Eu même temps elle maintient en termes généraux le système des accusations privées : elle reconnaît aux parties offensées ou injuriées le droit de faire et de proposer leurs plaintes civiles et criminelles dans les délais fixés par le droit écrit, « sans être forcloz par laps ou presci'iption de temjjs de trois ou quarante » jours ainsi que par ci-devant a esté es plaintes tenu '\ » Elle fait même mention d'enquêtes générales promues par les parties lésées ^. Le législateur admet encore les deux formes de procédure criminelle en usage dans le pays de Liège : la voie (ïenquéte et la voie de calenge ou de plainte criminelle ; la procédure inquisitoriale et la procédure accusatoire écrite •'. Tout en permettant aux olficicrs d'intenter l'action pénale dans le délai « que les lois escriptes et paix faites pourront porter, » il leur laisse * Cliapilrc XIV, arlicle I". * Chapitre XV, arlicle 5. ' Ciiapilre XIV, arlicle 4. * Chapitre XIV, articles 7, 10. ' Chapitre XIV, articles 1, 2. a80 ESSAI SUR LIUSTOIIIE DU DROIT CRHIINEL le choix entre Venquète cl Vaccusadon, « ainsi quïls trouveront le plus » expt'dient '; » il stipule seulement (|uc personne ne pourra, par décret d'aucune cour, ùUv iyiii;^ apjiir/iPitsilj/e sur OKjiK'tc , sinon pour crime méri- « tant exil on peine corporelle -. » Lorscpie Paclion pénale est introduite par plainte criminelle, elle doit se déduire avec observation des termes ordinaires, 7»/ seront de huit jours à autres, selon les règles générales données au chapitre X analysé plus haut ^ Lorscpi'une enquête, au contraire, est promue, celle-ci doit être hosportéc dans les deux ans, à dater du jour de Yexhibitiun (des faits), « ne l'nst que » Tollicier on partie Payant piomue, pour cause légitime en eust esté empesché » en la vuydange *. » Quant aux obligations des témoins ajournés pour déposer dans une enquête générale ou dans une cause criminelle intentée par voie de calenge , le légis- lateur de loTâ répète les prescriptions de celui de lool K 11 veut de plus que, en toute matière criminelle, les témoins soient ouïs séparément « quelque » notoriété du fait qu'on puisse dire qu'il y ait *"'. » 11 impose au juge la charge de les interroger tous lYo/fice, non-seulement sur les faits pi'oduils et uns en avant par les parties, mais encore « sur la vérité du fait, et tant » sur l'innocence que sur le crime , avec les circonstances aidantes ou aggra- » vantes, dépendantes desdits inlei-rogaloires, alin de non ciiconveuir la » vérité ". » En matière iV enquêtes générales, la réformatiun constate qu'il existe dans le paNS de Liège une coulume contraire au droit écrit ainsi qu"au diplôme impérial de 1530: la coutume anciemie que « les témoignages et déposi- » tions (les témoins, reçus sur enquêtes générales crinn'nelles font autant de » foy et preuve es condamnations contre ceux qui se treu\enl par iceux » lesmoignages et dépositions chargez de crime, comme si lis témoins eussent ' ClmpilrcXIV, arliclc 1. ' Clinpiirc XIV, unifie 3. '" Cliapitrc XIV, article 6. * (:lMi|iilic MV, ai-licle 7. =* Cliapilro XIV, arlitlc î). •■' Chapitre XIV, article 20. ^ Idem. ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL o8i » été après Utisconlestaiion produits sur accusation ou inquisition spéciale. » Elle déclare que cette coutume sera « doresnavant entretenue et gardée, » mais elle ajoute aussitôt : « neantmoins, après que ceux qui seront con- » damnez appréhensibles, ou autrement incoulpez, auront recouvert copies » des articles et enquêtes des hosports d'iccUes , se devra à leur requeste » faire réexamen desdits tesmoings au contenu de telles interrogations qu'ils )) voudront exhiber, leur demeurant encore sauves toutes exceptions légi- » times '. » Par ces dernières dispositions elle introduit peut-être, elle régularise dans tout état de cause, dans la procédure inquisitoriale liégeoise, la formalité impoi'lanle du récolement. Lorsqu'une action criminelle est introduite par un officier ou par une partie lésée par voie de plainte , le défendeur est tenu de repondre à la calenxje, en présence de Taccusateur intimé à cet elTet, ?,Q\i en personne , soit }^?tv procureur constitué avec mission spéciale -. Lorsqu'un accusé est jugé appréhensihle sur euquèle , il n'est plus obligé, pour être admis à faire ses déc/iarr/cs, de se constituer a\ant tout en prison. Si, malgré l'inexécution du décret d'appréhension, ro(lici<'r ou la partie lésée veut poursuivre la cause jusqu'à sentence définitive, il doil commencer par faire assigner le décrété; et celui-ci, sans se mettre entre les mains de la justice , peut décharcjer el n'pondre pai' procureur, « |)ourveu qu'il sera » tenu de respondre à tous articles d'impositions personnellement par-devant » (juelque justice ou notaire admis et cogneu , en présence de tesmoings , » et de plus de constituer piocureur spécial acceptant charge pour renou- » vêler judiciellement la réponse de l'ajourné, et ullérieuienient poursuivre » et défendre la cause comme l'ajourné pourrait faire en |)ersonne ■\ » Il est vrai que rhomine légitimement décrété de capture, (pii entend se purger et décharger à pied libre, est en outre tenu « de prester caution » idoine de restituer à l'oflicier tous despcns de la poursuite en cas qu'il suc- » combast *. » ' Chapitre XIV, artiilc 8. * Chaiiilre XIV, arliclc 6. ' Cliai)itie XIV, arliclc 10. * Cliapilre XIV, article 12. S82 ESSAI SUR LHISTOIUE DU DROIT CRIMINEL Le législateur ajoule que c'est de la même manière (jue devront se faire les confessions et réponses sur les cas et pulAicutions d'homiciile et autres crimes '. Il admet ainsi que pour répondre à un cri du perron , invitant Pauleur d'un crime à se faii-e connailre sous peine d'être tenu pour auteur de cas vilain sans décharge possible , le délinquant ne doit pas se mettre entre les mains de la justice. Tout accusé, et en toutes causes criminelles , peut choisir tel pro- cureur, parlier, avocat, que bon lui semble pom- l'aider à se défendre. En proclamant ce principe éminenmient libéral pour l'époque, l'oidon- nance ajoute : « auxquels enjoindons de servir en observant leur ser- » ment -. » En ce qui concerne la notion légale du flagrant délit, le législateur de i o72 reproduit presque in terminis la théorie précise et claire intioduite dans le droit criminel liégeois |)ar le législateur de lool. Il déclare appréhendé en flagrant délit : 1° Celui qui est appréhendé au fait ou perpétration de son méfait et délit, ou incontinent et tôst après; 2" Celui qui est pris étant trouvé au lieu même ou tout près du lieu où il a perpétré et connnis son délit et méfait ; 3" Celui qui « fuyant incontinent du lieu auquel il a commis et perpétré » le délit, » est poursuivi par l'oflicier, » jacoit que après quelques heures » et es|)ace de temps il soit appréhendé et tenu; » 4° Celui (pie, comme atteint et coupable du délit et cas perpétré, fuyant à la voix du peuple, l'ollicier poursuit « sans l'abandoimer, se tirer airière « ou diveitir aillouis , tant (pi'il le tienne et l'ait en son pouvoir ^. » En ce qui concerne la renr/iarye, il agit encore à peu près de même. Il veut que les pièces des procès criminels, instruits par les cours subalternes , soient apportées à Liège par un seul échevin ou un seul clerc de justice ; il exige que la cour choisisse pour son mandataire celui de ses membres qui est le plus à même d'éclairer la capitale justice ; il enjoint enfin à cette der- ' Clinpilrc XIV, artidc 11. * (:ii^i|)ilrc XIV, article 13. = Chiipilrc XIV, ailiclcs 14, \li, 16, 17, 18. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 583 nière de hâter la bonne et briève expédition de la sentence de rencharge scellée et dûment dépêchée, « sans à raison du scel en augmenter les » droits '. » La ré formation de Groisljeeck déclare qu'un surcéant du pays, appré- hendé à raison d'un crime , ne pourra pas être recommandé pour un autre crime à raison duquel il n'a pas été jugé appréhensible -. Elle veut que tout condamné à mort, avant son exécution, reçoive copie authentique de sa sentence « avec spécification des titres et causes de la condamnation ^. » Elle recommande aux officiers et aux vassaux , dans le cas où le droit de composition leur est attribué , de ne pas composer par lappoi-t aux crimes dont il leur est défendu de traiter, et, par rapport aux autres crimes, de ne composer que si la partie lésée est |)réalal)l('ment satisfaite *. L'article \" du chapitre XV règle la marche de la procédure en matière d'infractions passibles d'amendes : cette piocédure comprendra un simple ajournement à jour fixe, donné à l'accusé poin* se voir condanmer à l'amende; si l'accusé fait défaut, on lui conmiandera de payer l'amende dans les trois jours, et, à l'expiration du troisième jour, l'accusé sera tenu « pour » convaincu et banni » sauf le droit de purijer à protestation ^. Les articles 2, 3 et 4 du même chapitre établissent une taxe uniforme, non-seulement pour les voyages, mais encore pour les minimes amendes dans le pays tout entier; ils permettent aux juges de décréter ces peines « ou sous » titre de voyages ou en les taxant en argent selon la (pialité du mésus; » ils reproduisent les dispositions de la réformation de ioHI en ce qui con- cerne l'augmcnlation de la taxe des voyages. L'article 6 décide (pie les individus condanmés à un voyage se verront fixer pour le faire deux termes distants l'un de l'autre de trente jours; « sauf » que pour raison légitime et avec cognoissance de cause pourra tel con- » damné avoir un troisième terme peremploire pour tout délai. » Il veut que ' Chapitre XIV, iirliclo 19. 2 CliapilrcXlV, article 21. ^ Cliai)ilrc XIV, article 22. * Chapitre XIV, article 23. ^ Chapitre XV, article 1". y8i ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL le voyage soit commandé au délinquant à peine d'encourir pour le premier défiiul double amende, et pour le second le bannissement perpétuel hors du pays de Liège; mais il a soin d'ajouter: « sans loutefois y com|)rendre » voyages d'outre-mer èsquels on serait condamné envers nous, nos Cité et » villes. » Le défaut de faire ces derniers entraînait comme jadis une peine corporelle ou la peine capitale. L'article 7 apporte un changement radical aux principes généraux du droit de punir. Il renverse l'empire absolu des anciens tarifs d'origine ger- manique et restitue au juge le droit d'apprécier le délit avec toutes ses cir- constances il la fois morales et matérielles. En adjugeant peines et amendes, dit-il, le juge doit avoir bon et soigneux regard plutôt aux circonslanros du fait et des personnes qu'à la grandeur ou à la (/ualité de la blessure. On disait communémenl à Liège, « le plus grand fait emporte le plus petit. » Cela ne doit plus être admis. Il faut toujours que Taggresseur soit plus griè- vement puni que l'aggressé, encore que î'aggressé « cxcédast la mesure de » juste et nécessaire detlense. » L'article 8, parlant de la nécessaire défense de la vie, admet la légitime défense en termes prudents qui laissent au juge la plus giande latitude d'ap- préciation. « Il en sera jugé et fait correction selon les dispositions du droit » commun, prenant regard aux circonstances et mérites du fait. » Les articles 9, dO, 11, 12, 13, li, lo, enlln, conuninent des peines contre certaines infnictions. Nous en parlerons dnns les chapitres suivants. Nous arrivons ainsi au chapitre XVI, dans lecpu^l derechef nous n'avons qu'à glaner. L'article 1'=' de ce chapitre conunine des |)eines contre ceux ([ui font usage de faux poids et de fausses mesures. Les articles 3 et 4 répètent, à propos des choses volées et des accidents de voiture amenés par cas foi- fuit, les prescriptions de la réfor)ne de IH') I . L'ai-licle 5, prévoyant un cas spécial de cas fortuit, défend aux olliciers d'exiger plus i\\\\\ postulat de Homes, quand des enfants sont trouvés « péris dans l'eau ou autrement, » sans notable coulpe des parents, ou quand il s'agit de donner licence de » lever des corps humains noyés. » Dans le cha|)itre XVII , nous trouvons une règle sévère contre les concus- sions. Tout ollicier, juge, suppôt de justice, convaincu d'avoir exigé des DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 58d droits ou épices plus considérables que ne le permet la taxe fixée par la ré formation, encourt, pour la première faute, l'obligation de restituer au quadruple; et pour la seconde faute, outre cette restitution, la privation d'oflice sans préjudice de la peine ordinaire du délit *. Dans le chapitre XXVII, enfin, qui traite des XXII, et qui laisse sub- sister l'organisation de ce tribunal telle que nous Pavons caractérisée, nous trouvons quelques articles à signaler à l'attention. L'article premier confirme et déclare inviolablemcnt obligatoires la ixiix de Fexhe, lespaix des XXII, ainsi que tous les privilèges, franchises et liber- tés des églises, des nobles, de la Cité, des villes et des états. Il enjoint aux XXII de « faire le serment ancien et accoustumé contenu es dites paix, « et de les entretenir leallement et ensuivre. » L'article 2 déclare qu'on ne peut être à la fois juge au Tn'huiud des XXII et député des états réviseurs , « comme généralement sont inconq)atibles » ofiices et tribunaux subalternes l'un à l'autre. » L'article 5 répète que les XXII ne peuvent prendre connaissance d'autres causes que celles qui leur sont expressément attribuées par les /w/j? faites. L'article G veut, en consécpicnce, que lorscpTun mandement est présenté à passer aux XXII, trois mendjres du tribunal au moins, « assavoir un de » chacun estât » l'examinent pour savoir si l'alTaire est ou non de la compé- tence du tribunal. Les autres articles concernant spécialement la procédure, nous n'en dirons rien. Nous tei-minerons l'analyse de la réformation de Groisbeeck par une dernière remarque. On se rappelle que, dans le pays de Liège, l'âge requis pour exercer les fonctions publiques était celui de la majorité ripuaiie : l'âge de quinze ans révolus. La réformation de Groisbeeck énonce à plu- sieurs reprises un principe nouveau à cet égard : elle fixe la majorité à Tàge de vingt-cin(i ans acconq)lis ; et dès lors l'âge de vingt-cinq ans a été exigé également pour l'exercice des charges judiciaires et publiques -. Arrêtons-nous ici un moment. Sans faire une étude comparative complète ' Article l'-2. 2 Cliiipitie VU, article 4; cliapitre XIII, article 13; chapitre II, article 2iî. — Raikem, Dis- cours de 18G4, \). 34, et note 2, d'après Louvrex. Tome XXXVIII. 74 586 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL de la reforma lion de Groisbeeck et des célèbres ordonnances de Philippe II de ISJO, il peut ètie utile de signaler entre elles certains rapprochements et certaines divergences. D'abord, il est incontestable que la ré formation de Groisbeecii est conçue dans des pro|)orlions plus vastes cpie les ordonnances des Pa/js-Bas espagnols ; mais, par la force même des choses, ces dernières traitent d'une manière plus détaillée les matières auxquelles elles touchent. L'ordonnance de iSlO sur le style est un véritable code de procédure, savant et métliodi(|ue, qui règle pas à pas la marche d'un procès criminel intenté dans la l'orme inquisitoriale, telle qu'elle était usitée dans les anciens États de la dominalion bourguignonne. L'ordonnance liégeoise se borne, à propos de la procédure par voie (Tenquéte^ à énoncer quelques principes généraux; elle ne s'occupe pas même de régler l'emploi de la question. Les jurisconsultes de l'ancien régime trouvaient la première trop savante et trop peu explicite'. A plus Corte raison leur critique pouvait-elle s'appliquer à la seconde. Dire que les praticiens liégeois trouvaient dans la Caroline ce qu'ils ne trouvaient pas dans Yordonnance de 157 2, ce n'est pas justifier cette dernière. En edet, dans le pays de Liège, la Caroline donnait bien une direction aux juges, mais elle ne pouvait pas être et elle n'était pas observée à la lettre, surtout en matière de procédure. En revanche, la ré formation de Groisbeeck l'einporle sur l'œuvre de Viglius et de ses émules quant aux tendances de certaines dispositions prin- cipales. Tandis que, dans le vœu de Yordonnance de IS70, la voie inquisi- toriale, la procédure extraordinaire, doit toujours être suivie en matière de (/rand criminel -, dans l'esprit de l'ordonnance liégeoise, la procédure accu- satoire, la voie ouccrie, est mise absolument sur la même ligne (pie la voie d'enquête. Tandis (pie Yordonnance de 1370 i-el'use à l'accusé un défenseur, à moins d'un dispositif exprès du juge et à moins que le procès ne soit poursuivi à l'ordinaire ^, Yordonnance de Groisbeeck proclame en termes généraux que tout délinquant pourra, en toutes matières criminelles, choisir un a\anl-parliei' ou un avocat pour l'assister dans sa défense. Tandis que ' Wv.NAMs, Cummvnlairc maiiusciit sur les urili)iuuiiicvs de IliO i du conseil de liraliant. - Ordonnance sur le slijle de 1S70 , article 5"2. '' [de m. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 587 Yordonnance de 1S70, et même Védit perpétuel de 1616 et ses interpréta- tions, refusent à raccusé copie des enquêtes faites contre lui *, Yordonnance de Groisbeeck, rompant avec une tradition invétérée, ordonne aux juges de lui accorder cette copie s'il la demande. Nous ne pousserons pas plus avant une comparaison qui pourrait nous entraîner trop loin. Il nous suHit d'avoir signalé que, dans un temps où des idées étroites dominaient la procédure criminelle européenne, le génie lié- geois avait su les corriger à certains égards et y faire passer un soulïlc rela- tivement libéral. Poursuivons désormais notre étude. La ré formation de Georges d' Autriche ne larda pas à tomber complètement dans l'oubli à la suite de la promulga- tion de la ré formation de Groisbeeck -. Celle-ci, à son tour, faillit avoir un sort analogue pendant le règne d'Ernest de Bavière. Le prince Ernest, d'abord le 26 novembre 1582 ^, une seconde fois le 25 juin 1592, fit publier une ordonnance générale de réforme intitulée : « Loix, statuts et ordonnances de Son Altesse Scr""-" et I{"'<' de Liège, sur le » règlement de la justice en son j)ays de Liège*. » Mais, à deux reprises, le sens du pays , la volonté des états, se prononça contre son œuvre, et refusa de reconnaître force de loi à celle-ci •'. Ernest, qui le 23 juillet 1G03 en avait obtenu la confirmation de l'empereur Kodolpbe ^% essaya de l'introduire au moins dans quelques endroits où il croyait avoir une influence suflisante. Le 15 août 1592, il fil notamment présenter à Ciney par son procureur général ses Statuts qui, disent les ècbevins du lieu, « auraient esté publiés » et mis en garde de loy par les sieurs ècbevins de Liège, le 26 juin dernier. » Les ècbevins de Ciney les mii'cnt en garde de loi après en avoir parcouru le texte, cl en protestant d'avance contre tout article attentatoire aux privilèges ' Ordonnance sur le .slijh' de 1570 , arliclc 2,1. * SoiiET, ouv. ciU", Traité préliminaire , litre VI, a" 37. ' rt'Uc ordoniiiiiicc est signée le 20 «oùt. * Imprimé du lomps. ^ Henaux, ouv. cité, p. 220. — Raikem, Discours de 18G0, p. 32, note 2. — Mean, Ohsorvalion 542, n" 4, 3, (i, 9; Obscrviilion 347, n" G; Observation 700. — IFodi.n, ouv. cité, t. Il , pp. 15.3, dG(i. 0 Liste citi-onoloyique des édils et ordonnances , citée, 1. 1", p. 87, en note. 588 ESSAI SUR LHISTOIIŒ DU DROIT CRIM1>'EL locaux « comme semble à voir '. » En réalité cependant ces pratiques n'abou- tiront pas. La réfonnalion du prince Ernest ne fut jamais admise par les tribunaux liégeois : si les jurisconsultes du pays y l'ont quelquefois appel, c'est simplement pour interpréler, avec leur assistance, les dispositions des lois antérieures -. La réformation de Groisheeck resta donc en vigueur. En 1711, un édit du conseil impérial siégeant à Liège ordonna spécialement, le 16 février, d'observer le style de |)rocédure qu'elle avait réglé. Elle demeura même jusqu'à la lin de l'ancien régime une des bases capitales de la législation lié- geoise; en eiïet, les monuments législatifs édictés au XVII'' et au XVIII"" siècle par le prince d'accord avec les états se bornèrent à compléter ou à modilier quelques-unes de ses dispositions. Ils n'entreprirent plus une révision com- plète des institutions ou des coutumes nationales. Parmi les monuments auxquels nous venons de l'aire allusion, il en est deux qui méiitent ici une analyse complète : ïordoimance du l" décembre il 16 (il celle du 6 novembre 1719. Par Vordonnunce du /" décembre 11 16, Josepb-Clément de Ra\ière aggrée, approuve, confirme el rend exécutoires les rea'« respectifs des trois états du pays en date des 25 et 20 juin et du 1 I juillet précédents par rap- port à la renchanje '\ Pour accélérer le coui'S de la justice et dinu'nuer les frais en malièie criminelle, les cours subalternes du pays de Liège, « tant » des bonnes villes que du plat pays, » sont autorisées désormais à juger, sans prendre i-cncharf/e aux éclie\ins de Liège, « les causes criminelles, où » raclein- n(^ concluroit (ce (pi'il devra faire clairement sans ambiguïté ni » incertitude) qu'à une amende pécuniaire non excédante la somme de cinq » llorins d'or. » Dans ce cas, toutefois, les cours subalternes ne jugeront qu'à charge d'appel aux èclie\ins de Liège « tant seulement et pas plus » outre; » otk'n yre/fiers devront servir grafis les seigneurs ou olliciei's appe- lants dans tout ce qui touche leurs allributions pendant ra|)pel. Le mandement a soin au surplus de déclarer que l'innovation introduite ne porte aucun ' iUtmiKtt, Ciirliildire de Ciiifij, {). 137. - SoiiET, oiiv. cilc, Traité préliminaire , lilrc VI, ii" r>!). 5 l'oLMN, oiiv. (ii(', 7>' siric, t. 1", ji. 'i!)ll. — IIodi.n, ouv. cilc, I. II, p. 128. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. o89 préjudice aux « privilèges, droits ou coutumes, que (]uelques villes ou ma- » gislrats du pays pourraient avoir (dans lesquelles ils devront demeurer » comme d'ancienneté) |)lus avantageuses que cette nouvelle résolulion. » Vordonnaiice du 6 novembre, émanée encore de Joseph-Clément, vint derechef approuve!- el rendre exécutoires les rccès des États en date des 22 et 23 juin et du 20 juillet précédents, touchant les abus qui s'étaient glissés dans la judicalure des XXII, Tadministration de la justice criminelle et les banqueroutes ^ Ce mandement comprend un assez grand nombre d'articles répartis en trois rubriques intilulécs : Points concernant les XXII ; points pour les causes crimineUes ; points concernant les banqueroutiers. Il a, comme nous allons le voir aussitôt, une importance capitale, et peut être considéré comme une petite ordonnance de réforme. Sans entrer dans le détail des règles de procédure, nous ne détachons des onze articles touchant le Tribunal des XXII (pie les quatre suivants. L'article l*^' veut que, désormais, les //>ï, enlin, déclare qu'on ne peut citer devant les XXII, sous prétexte de foulle, les olliciers, les seigneurs, ou leurs mandataires, exécu- tant les édits et mandements généraux publiés et mis en garde de loi par ordre du prince, en matière de police, « comme pour le j)ort d'armes » défendues, clc » ' PoLAi.N, vuv. ctl., ô' sor., t. l", p. 501). Cctt'dil fut public le 13 novembre. lidO ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Les quinze articles concernant les causes criminelles, au contraire, mérilcnt tous dV'tre .siji;n;ilés ici. Le prcMnier d'entre eux met à Fusage de la procédure iiifiuisitoriale une restriction nouvelle. Connne la rëformation de Groisheeck . il défend de pro- mouvoir enquête « sinon pour crime méritant peine corporelle ou exil ; » mais il défend de plus de promouvoir enquête sinon pour crime « commis » depuis une année (an /v/»s) à compter de la date de la perpétration du délict, » ou do la date que la perpétration aura été publiquement connue dans le lieu » du délict. » Dès que le crime est suranné, il ne laisse ouvertes au profit des parties et des officiers que « la voye d'accusation et toute autre compétente » de droit ou selon les Slatuls. » Le droit liégeois se séparait ainsi de |)lus en plus, en ce qui concerne Fempire de la procédure inquisitoriale, du droit commun des Pays-Ras. L'article 2 exige que désormais les enquêtes soient hnsportées dans l'année, à compter du jour de Fexhiijition des articles d'enquête, tandis que la réformation de h')? 2 accordait aux juges un terme de deux ans. L'article 3 déclare qu'il ne sera pas permis de faire enquête pour crime en général, « mais seulement |)our un seul et spécifique crime; » qu'avant de promouvoir enquête il devia conster du corps de délit; et que, si c'est possible, Folïicier devra désigner le jour et le lieu de la perpétration du délit et le nom de la personne offensée. Il perinel cependant de comprendre dans une même enquête les ci-imes commis « à même temps et à même occa- » sion. » L'article 4 s'occupe du flagrant délit, il veut que le flagrant délit soit réputé durer trois jours « après que le délict sera publiquement connu au » quartier; » il permet même à l'officier qui, dans les trois jours, aura commencé une poursuite, de la continuer après leur expiration tant qu'il n'aura pas abandonné « sa recherclie selon l'article 18 du chapitre XIV de » la réformalion du cardinal de Groisbeeck. » il rappelle en outre que pen- dant et nonobstant les cris du perron, les olliciers sont tenus de faire le devoir de leur charge, c'est-à-dire de chercher à appréhender le délinquant au flagrant. L'article 5, se rapportant à la chasse commencée par l'officier, veut que ce DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 591 dernier notifie un acte au greiïe, signé de sa main, menlioiinant « qu'il est » en poursuite actuelle contre tel qu'il croit faituel. » Cet acte est essentiel- lement secret; il ne préjudicie en rien à l'ouverture d'une procédure inqui- sitoriale, si l'officier juge à propos d'introduire celle-ci plus tard. L'article 6 pourvoit à ce que les justiciers poursuivent sans retard les délinquants appréhendés « soit au flagrant, soit autrement. » Il leur impose l'obligation, « à moins d'cm|)échement légitime, de produire à bref délai » leurs articles examinaloires, » c'est-à-dire la formule suivant laquelle le juge devra procéder à l'interrogatoire du prisonnier. Le délai est de qua- rante-huit heures au plus dans les villes, et de trois fois vingt-quatre heures dans le plat pays, à compter de la capture. Si l'officier le laisse passer sans excuse légitime, il encourt une amende de six florins d'or, applicable au pauvre prisonnier, et est passible de tous dommages et intérêts envers la partie. L'article 7 introduit une nouvelle forme d'appréhension. Jadis les ofliciers ne pouvaient arrêter préventivement un surséant sinon en flagrant délit, ou en exécution d'un décret de prise de corps. Désormais ils pouriont, « étant » simplement munis de déclaralion sermentelle d'une ou de deux personnes » dignes de foy par-devant eschevin, greffier ou notaire, » s'assurer provi- soirement « des gens fâmez, ou soupçonnez d'être meurtriers, voleurs de » grand chemin ou nocturnes en fait considérable, incendiaires, faux •) monnayeurs, et autres crimes aulanl ou plus énormes, comme aussi des » receleurs de vols, des acheteurs informez et tels coopérateurs en quelque » manière que ce soil. » Cette assurance toutefois, au dire même de l'édit, ne portera aucun préjudice à la réputation de la personne capturée jusqu'à autre ordonnance du juge. L'article 8 pourvoit à un abus tout spécial. Il \ a des gens qui se recon- naissent coupables du délit d'aulrui pour laisser au vrai faituel le temps et l'occasion de s'enfuir. Les déclarations de l'espèce n'empêcheront pas les officiers de continuer à poursuivre toutes personnes sur lesquelles plane- raient des soupçons légitimes; et, le cas échéant, celui qui les fera, comme celui qui induira un autre à les faire, encourront une peine extraordinaire « à l'arbitrage du juge. » 592 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL L';irtic!c 9, amoiidnnl une règle iniroduilo piir la ré formation de Grois- beirli , revient à cerlaiiis égards à la jurisprudence contemporaine de la rcformutiun dos cours eccU'-siustujues de io-it . Il \ent que désormais les individus jugés apprélicnsibles « pour occision commise avec couteau, ou » auti'es armes déloyables et défendues, entre lesquelles seront comprises » les cpées ayant le lil, pour meurtre, pour larcin considérable, ou pour » autre crime plus énorme, » ne soient plus admis à faire \curs décharges sinon pedc ligalo ou en prison. L'édit ajoute : « il leur sera néamnoins » pornns, en tel cas, de se servir d avocat et procureur, pour faire leurs » décbarges, comme ceux qui peuvent les faire à pied libre. » Pbrase carac- téristique et révélatrice : elle nous indique clairement (pie la jurisprudence liégeoise n'avait pas admis en matière de défense la déclaration générale de la ré formation de (iroisbeech ; et que, dans la principauW' comme dans les pays voisins, on refusait généralement le ministèie d'un a\ocal et d'un avant- parlier au délincpianl appréhendé. L'article 10 change encore, sur un autre point, le système de la ré forma- tion de loi 2. Lorsqu'un déliiKjuant est appréhendé à l'occasion d'un crime, il i)ourra désormais être « i-ecommandé et surchargé quant à la peine pour » un autre pour lequel il ne seroitjugé apprehensible; » et de plus il pourra « en tous cas être retenu et jugé pour crime atroce comme ceux marquez à « l'article 7. » L'article 11 défend aux juges de s'arrêter aux prétextes de nullité non spécifiés par la réformation de Groisbeeck ou « les présentes réformations » quand il constera du délit. L'article 12, par déclaration générale de principe, et nonobstant tout usage contraire, attribue aux seigneurs et aux baillis les amendes supérieures à la .sonune de trois florins de Rrabant, et, aux maïeurs, seulement les amendes inférieures à ce taux. L'article 13 veut (pie désormais, et malgré l'arlicle G du chapitre XIV de la réforme de Groisbeeck, toutes causes criminelles se traitent privilegie- ment. L'arlicle 1 4 ordonne aux officiers de faire le procès par contumace aux délinquaiils, fugitifs en pays étranger, qui ne se défendent ni par eux-mêmes DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. .N93 ni par procureur. Il veut que, le cas échéant, les sentences s'exécutent « pro- » visionnellemeni en. effigie. » L'article 15, enfin, témoigne d'un changement radical dans le système des peines subsidiaires. Quand un délinquant condamné à l'amende ne paye pas cette dernière, il est mis en prison au lieu d'èlre banni comme jadis. Mais désormais, si ce délinquant demeure plus de trois mois en prison apiès sa condamnation, « le sergent ou l'oflicier qui l'y aura fait constituer » pourra s'adresser au juge qui l'aura condamné, et le dit juge pourra con- » vertir la peine pécuniaire en peine corporelle, soit de voyage à pérager à » ses pieds, soit autrement, selon la qualilé de sa personne et du délict » commis, aiani allenlioti à lu peine drjà soufferle dans la prison. » Nous n'insisterons guère sur les articles compris dans la rubrique inti- tulée Points concernant lès banqueroutiers. De peur de nous engager dans des considéiations trop spéciales, nous nous contenterons de dire : (|u'ils déclaraient les ban(|ueroutiers voleurs et /a/vo«.s;;»/;//cs; qu'ils les rendaient passibles de la pendaison jusfpCà ce que mort s'ensitire ; qu'ils ordonnaient de les poursuivre en contumace et de les pendre en edigie; qu'ils les ren- daient inhabiles à l'aire \cm-s cléc/iarges peclc libero , etc. A Yordonnunce de i7i9 se rattachent quelques autres monuments légis- latifs , rendus également sur la demande ou en confoi-mité de recès des états, que nous allons rapidement parcourir. Le premier d'entre eux est Védil du /i viars iSÎG '. Cet édil déclare que Vassurance dont il est parlé à l'arlicle 7 de Vordonnanrc de 17 19 doit se faire pour saisie et mise en ferme ou en prison. En malièr-e de fausse mon- naie il permet d'y procéder contre un {lélin(|uanl sur la déclaration circon- stanciée d'un seul complice. Il décide que, par rapport à tous les crimes mentionnés audit article 7 la déclaration sermentelle re(|uise |)oui'ra èlrc passée à la campagne devant un échevin , grelFier, ou notaire immatriculé ; en y///c, devant un des cinq plus anciens échevins; que cette déclaration devra contenir toutes les circonstances de fait, et être signée ou marquée par celui qui la fera ainsi que par le fonctionnaire qui la recevra. Il rappelle que l'as- ' PoLAiN, ouv. cité, 5" série, t. 1", p. 580. Ccl édit csl en rapporl avec celui du I I février de la même année. Tome XXXVIII. 75 594 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL surance en question ne préjudicie en rien à la réputation de la personne. Il oblige les bourgmestres des villes à remettre les clefs magistrales aux offi- ciels qui les demandent pour procédei- à une saisie de Tespèce dans une maison, sans leur donner le droit d'exiger au préalable communication du nom du délinquant poursuivi K II recommande aux juges, aussitôt la saisie opérée, de procéder au décret de prise de corps suivant les usages anciens, ou par voie ouverte ou par enquête; et, si l'accusé est pris en flagrant délit, de passer incontinent à son interrogatoire. Il leur recommande en outre de régler avant tout comment le délinquant, objet delà saisie provisoire, devra être traité entre-temps, en prison. Il défend aux délinquants, saisis en confor- mité de Yédit de il 19, d'en appeler aux XXII sous prétexte de foule, vio- lence, ou nullité de leur capture, et rappelle que le prince et les états ont, de commun accord, enlevé aux XXII toute juridiction dans les cas de l'espèce. Il di'clare même appréhensibles et punissables, connue infracteurs des lois et perturbaleurs du repos public, tous individus qui violeraient ces dernières presci'iptions. La seconde des ordonnances qui se rattacbent à Védit de 17 19 est celle du :21 juin 1730, réimprimée et publiée de nouveau le 21 janvier 17ol "-. Elle fut provoquée par les plaintes des états sur la quanlilé de gens, décrétés de capture, qui vaguaient impunément dans le pays sans que personne son- geât à les aiTèter. L'ordonnance prescrivit aux officiers de justice de faire |)idjlier, dans le mois du jugement, les noms et les signalements de tous les individus /»yM oppréhensildes à l'occasion des crimes suivants : vol nocturne, vol de grand cbcnu'n, meuilre, incendie, blessures infligées avec des cou- teaux ou avec îles baïonnettes, ou avec d'autres imucs desloijales , et (\o tous les crimes déclarés énormes par Védit de 17 19. Elle commina, contre les officiers négligents à s'acquitter de leurs devoirs de capture, la suspension pour la première faute, la privation d'ollice pour la seconde. Elle permit au procureur général de suppléer à la négligence des officiers locaux dans l'espèce, en agissant à leuis frais. Elle accorda une prime à tous ministres ' Ceci a\iiil iJi'jà clé décidé à Liège |)ai' la reformai ion roniwuiKi Ivde l6Si. - PoLAi.\,ouv. cilé, 3' série, l. \'%i>. (18!). In édil du :.M juillet iinjiosc aux ofliciers l'obliga- lion de leiidrc coiiij)lc de l'iipplicalion de celui du iil juin. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 593 de justice, archers ou simples particuliers, qui appréhenderaient ou remet- traient aux mains de la justice les délinquants y^.^^^^ appréhensibles dont les noms auraient été publiés. Cet édit de ^736 fut expliqué par un autre du 24. octobre \ 785 , porté derechef sur le recès des États. Il ariivait que des indiv idus jugés appréhen- sibles prétendaient se prévaloii- de ce que leurs noms n'avaient pas été affi- chés et publiés. Le prince déclara que Xédit de 1736 avait été porté contre eux, et non en leur faveur; qu'ils n'avaient en conséquence pas à se préva- loir de sa non-exécution ; et il défendit derechef au Tribunal des XXII de connaître des causes d'appréhension opérée sur décret de prise de corps ou sur décret d'assurance, non comprises, du reste, dans les paix régulatrices de la juridiction des XXII '. Enfin, par ordonnance du 29 décembre 1716, Jean-Théodore de Bavière prescrivit aux officiers de justice la stricte observation de l'article 14 de Védit de 1719 pur rapport eux procès par contumace et aux exécutions en effigie àes jugés a/)préhensibles ayant quitté le pays -; et, pai' ordomiance du 12 novembre 17(53, le chapitre cathédral, scde vacante, sur la |)roposition des trois états, porta quelques modifications à ce que Védit de 17 19 et les règlements précédents avaient établi par rapport au Tribunal des XXII ■*. Les points les plus importants de ce dernier édit sont les trois suivants : ordre aux membres nouvellement nonmiés au Tribunal des AT// de produire dans les huit jours avant la Sainte-Lucie, à la secrétairerie du chapitre, l'acte de leur nomination et les pièces constatant qu'ils possèdent toutes les conditions d'âge et d'aptilude exigées : déclaration que le chapitre n'admettra à prêter entre ses mains le serment de mend)re du Tribunal des XXII aucune per- sonne qui ne soit dûment qualifiée selon les paix et mandements : décla- ration que désormais toutes les charges des XXII devront être conférées gratis et moyennant les simples droits ordinaires d'expédition des com- missions, et que les personnes qui font la nomination, aussi bien que les per- ' PoLAfN, ouv. cite, 5' série, t. II, p. 900. * IIoDiN , ouv. cité , t. II , p. 1 39. 5 Poi.AiN, ouv. cité, 3' série, t. II, p. 487. S. cet édit se rattache un mandement exécutoire du 14 août 1772. 596 ESSAI SUR LHISTOIKE I)L' DROIT CRIMINEL sonnes nommées, dcwoul s'expiirr/er sous serment par rapport à celle gratuité. Mais arrêtons-nous. Nous menlionnei'ons |)lus loin, dans un paragraphe spécial, une l'oule iroriloimances relatives à Taclniinislration de la justice cri- minelle rendues pendant les trois derniers siècles par les princes de Liège. Ces ordonnances ne portant pas le caractère de véritables lois de réforme, nous n'avons pas voulu les rattacher à la ré formation deGroisbeeck ni à Védit de il 19. 11 nous reste, avant de terminer ce paragraphe, à dire quelques mots de deux monuments iPune portée générale : le règlement du 29 sep- tembre 17-52 louchant le style et manière de procéder en matière criminelle au comté de Looz; et les coutumes liégeoises; et à parler d'un dernier projet de réforme qui surgit au XVIII" siècle. Le rèijlement de 17 o2 ', comme son intitulé l'indique, n'est pas un monument du droit liégeois. Cependant, ayant été dressé sur les recès des élais du pays de Liéfje et de Looz, il mérite de nous arrêter un instant, il nous lait connaître quelles étaient, en matière de procédure criminelle, les idées, les vues et les tendances dominant, au milieu du XVIII^ siècle, les sommités sociales de la nation liégeoise. Le règlement est divisé en neuf cha- pitres dont voici les titres : 1. De la saisie ou appréhension des criminels au flagrant. 2. De l'information à prendre et de la preuve qu'un crime est perpétré ou du corps du délit. 3. De la production de l'enquête et témoins, audition des mêmes, et du déci-et d'appréhension. 't. Des articles e\aminatoires, interrogations et examen des prisonniers et de ne leur accoider avocat et procurciu' (pie |)Our causes. o. Quand et qui peut accorder pied libre au prisonnier. G. De la preuve, récolement et confrontation des témoins avec le pri- sonnier, comme aussi de la condanmalion il'un prisonnier con\aincu. 7. De la torture. 8. De la condanmation des criminels et de l'exécution des sentences. 9. Comment on doit procéder contre les absents et fugitifs. Enfin, à la suite de ces neuf chapitres, se trou\ent quatorze formules détail- ' POLAIN, ouv. litc , 5' sciic, l. Il , |). 1\'i. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 597 Jées concernant les principaux incidents qui pouvaient se rencontrer dans un procès criminel. En se plaçant au point de vue des idées de l'époque, le règlement lossain est sans contredit un excellent code de procédure. Il est clair. Il est métho- dique. Mais si on Tétudie à un point de vue plus élevé; si Ton recherche Tesprit qui en a dicté la rédaction, on est ohligé de reconnaître qu'il ne témoigne dans le chef de ses inspirateurs d'aucune vue neuve, d'aucune ten- dcnce progressive. On est porté à croire que le prince et les états n'ont eu d'autre but en vue, quand ils l'ont puhlié, que d'obliger les tribunaux lossains à suivie à l'avenir une procédure criminelle semblable à celle que suivaient les tribunaux liégeois. La procédure écrite, la procédure inquisitorialc, telles que nous les connaissons déjà, la torture dans les limites que la jurisprudence et la Caroline lui avaient imposées, voilà les bases fondamentales du code de lTu2. Si celui-ci rompt avec les anciennes tendances liégeoises, c'est [)0ur emprunter à la jurisprudence des Pays-lias autrichiens une de ses pralicpies les plus étroites. « Les prisonniers, »> dit-il, « ne [jourront dorésnavant se » servir d'avocat et [)rocurein-, parce que l'expédition de la justice en est » souvent retardée et empêchée, laissant cependant libre aux juges supé- » rieurs de donner avocat cl procureur au |)iisonnier, lors(|u'ils le jugeront » con\enable pour des raisons relevantes. » Dans les juridictions liégeoises, au surplus, on avait déjà, avant 1719, adopté la jurisprudence des Pays-Uas à j)ropos de la défense. Nous l'avons vu plus haut. Sans insister davantage sur le règlemenl de 17 ù2, auquel nous renverrons çà et là quand nous tracerons le tableau de la procédure liégeoise à la Un de l'ancien régime, disons enfin un mol des coutumes liégeoises. Quand le caidinal de Croisbceck avait mis la main à son œuvre de réforme, il comptait bien ne pas borner celle-ci à la pronudgation de Yordoanance (le 'IS72. Il avait l'intention de faire rédiger par écrit et de faire publier en un corps de loi les anciennes coutumes du pays; mais malheureusement il échoua dans celte dernière partie de ses vastes et utiles projets, faute d'entente complète avec les trois ordres de l'Etat '. ' Biillclin de la Conimisaion roijale jxmr lu publication des anciennes lois et ordonnances de la Dchjique, t. IV, p. 500; rapport de M. Polain. 598 ESSAI SUR L'IIISÏOIHE DU DROIT CRIMINEL Erncs td'xKutriclu', dans son ordonnance de réforme de 1582, rejetée par les états, revint sur l'idée de son prédécesseur, mais sans être plus à même que lui de la réaliser '. Ferdinand de Bavière, enfin, cpii dès 1 (i 1 .') avait manifesté les mêmes inten- tions que les princes Gérard et Ernest, crut toucher au but quand, en IG20, il chargea Pierre de Méan de préparer un recueil des coutumes liégeoises. Pierre de Méan mit au service de Tœuvre qu'on attendait de lui l'expé- rience que lui avaient donnée trente-six ans de magistrature. Son travail lut soumis aux états et renvoyé par eux à des députés chargés d'en faire un examen approfondi. La révision en était achevée en 1642. Mais hélas! de nouveaux obstacles s'élevèrent, et le tra\ail du savant jurisconsulte liégeois demeura à l'élat de simple projet. 11 fut toutefois publié en 16o0 par le fils de l'auteur, l'illustre Charles de Méan, et c'est lui qui constitue le Recueil des poincis )nar(jnés pour couUunes du pays de Liège. Le recueil de Méan, bien qu'étant ainsi une œuvre toute privée, dépourvue de sanction législative, jouit cependant dans l'ancienne principauté d'une autorité fort grande. D'après Sohet, il n'avait pas force de loi écrite, mais il valait « comme coutume » |)iouvée en la plupart des points pai- recors des tribunaux supérieurs du » pays -. » Dans les seize chapitres qui le com|)osent, un seul concerne exclusive- ment la matière dont nous traitons; c'est le quatorzième, intitulé : « Des cas » criminels, peines et amendes en résultantes. » Deux autres, le troisième et le (piinzième, nous fournissent (pielqucs indications éparses. Nous n'analyse- l'ons toutefois aucun article, ni des chapitres III et XV, ni même du cha- pitre XIV. Les règles qu'ils énoncent, nous les connaissons presque toutes : les unes , pour les avoir rencontrées dans les anciennes paix ou dans les anciens réf/inienls;\Qs autres, pour les avoir vues dans les édits de réforma- tion ou dans les autres ordonnances du XVl'' siècle et du commencement du ' Hulli'tin (If ta CoiiDiiission royute pour ta pubticalion des ancie7ines lois el ordonnances (le la Uclfjiijiic I. IV, |). iïO; iM^piirl lie M. Polai?i; et Haike.m, Discours do 1840, p. 51, on iio(o; Dis- cours (le I8i-), iKtss'nn. ■■î SoiiKT, ouv. cilc, Traite jiri'limiiiuirc , lilrc VI, ii" 40. — Voir, au surplus, le rajjport de yi. Poluin, elle à hi noie pri'ccdf'utc, cl lus discours de M. Uaikeui , /jussioi. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 599 XVIK En effet, par leur nature même, les textes d'une coutume écrite étaient appelés à constater et non à édicter. Nous nous contenterons de dire en résumé que, pour ce qui touche au droit criminel, ils se rapportent aux points suivants : les droits des surcéants en matière d'arrestation préventive ; le droit d'ardoir; les rapports de la peine statutaire du voyage d'outre-mer à un an de stui/t au seigneur et à la Cité en matièi'e d'homicide ; les droits de la partie lésée par un homicide ; l« cri du perron et ses caractères; Tenseve- lissement des cadavres des personnes homicidées ; le droit de l'épée ou de paix à partie ; les peines usitées dans la loi du pays contre certaines infrac- tions, etc. Disons enfin m\ mot du projet de réforme conçu au commencement dn XVII1« siècle. Pendant le règne de Georges-Louis de Berghcs (après \ 721), et sur la demande des états, une commission formée de députés désignés par les étals et par le prince fut derechef organisée , avec mission de préparer une nouvelle et grande ordonnance de réforme. Il s'agissait de revoir et de rema- nier non-seulement la réfortnalion de Groisbeeck de i572, mais encore les Points marqués pour coutumes de Pierre de Méan, « en y ajoutant et retran- » chant, modifiant et corrigeant » suivant ce qui senihlerail le plus utile au bien public; d'en faire un travail d'ensemble, propre à recevoir la confirma- tion du |)rince et à être publié dans le pays pour y avoir force de loi posi- tive et iïédit perpétuel. La commission, dans laquelle Guillaume de Louvrex, le célèbre auteur du recueil des édits, semble avoir joué le principal i-ôle, produisit un projet d'ordonnance intitulé comme il suit : « Projet de compilation nouvelle des statuts et coutumes du pays de » Liège avec leurs modérations, aniplialions et corrections, émanées à l'or- » donnance de Son Altesse Monseigneur Georges-Louis, par la grâce de » Dieu, évèque et |)rince de Liège, duc de Bouillon, 3Iarquis de Franchi- » monl, comte de Looz , Ilorne , etc. » Ce projet fut communiqué aux trois étals, et ceux-ci s'en occupaient encore en 1746. Mais, en fin de compte, et sans qu'on sache pourquoi, il ne 600 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL reçut pas la sanction législative, et demeura dans les archives cl dans les carions des trois ordres '. Nous croyons inutile d'entrer dans les détails de l'œuvre avortée dont nous venons de parler. Elle n'exerça aucune influence sur la jurisprudence criminelle du pays; elle ne promettait guère de réformes ni de modifications importantes en ce qui concerne celle-ci; et, à tout prendre, nous avons déjà pu dire, à l'occasion du règlement (le 7755, que les états du pays ne témoignaient encore à cette époque aucune tendance progressive dans l'ordre d'idées qui nous occupe. En terminant ce long et important paragraphe nous nous bornerons à énoncer un dernier l'ail : c'est (pie depuis Georges-Louis de Herghes on ne travailla plus, dans la principauté de Liège, à une réforme générale des institutions et du droit, et que même, à la lin du XVIi^ siècle, on ne trouve à Liège aucune trace du mouvement (pii, dans d'autres pays, entraînait les gouvcrnemenls , sinon la magistrature, vers une réforme du droit criminel et vers l'abolition de la torture. § IV. — - Des reformations communales renfermant des dispositions concernanl les tnstitulions répressives. Parmi les réformations communales dont certaines dispositions concernent la matière (pii nous occupe, il laul signaler en première ligne la réformalion du 14 avril l(i03, émanée d'Eruesl de Havière, celle du lo-22 septembre 4649, émanée du prince Ferdinand, celle du 28 novembre 1684, émanée du prince .Maximilien-IIenri, et concernant toutes les trois la ville de Liège. La réformation de 1605 -, traiiant surtout des élections magistrales, fut édictée par le |)i'ince à la suite de troubles assez graves, pour remplacer le régiment de //einsbery dont le système était inq)opulaire. Nous n'y rencon- trons guère que deux articles (|ui nous intéressent, à |)arl ceux (pu' parlent des commissaires de la Cité, et dont nous avons dè'jà fait usage dans le livre ' Uutletin île la Commission royale pour tu publication tks anciennes lois et ordonnances, l. IV, ia|i|ioil cilt' (11' M. Poliiiii. — l'oLM.N.ou\. rili', 3' st'iic, l. 11, préface. * lloniM, ouv. cite, t. 1", ji. b'J. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 601 précédent. Ce sont les articles iS et 4 4. Ils touchent l'un et l'autre aux enquêtes générales faites par loi et franchise. Le règlement constate que « aucuns jurez se laissent fort facilement cor- » rompre pour décharger les liomicides et tous autres crimes qu'énormes ils » soient, » et ce par « dons, beuveries et plusieurs autres voies illicites; » et que par là ils sont cause de « la fréquence desdits homicides et autres » grans crimes crians vengeance devant Dieu, et à raison desquels notre Cité n est fort décriée par les voisins. » Pour remédier au mal il recommande aux jurés de faire désormais leur devoir bien et fcablement, sous peine d'être privés de leur olFice et pour l'avenir déclares incapables d'en obtenir un autre. Il ordonne au grand maïeur ainsi qu'au syndic ou mambour de la Cilé de prendre perlinente information des infractions de l'espèce commises par les jurés et d'en poursuivre le châtiment. Le règlement constate, d'aulie |)art, que les officiers et les parties intéres- sées se plaignent souvent de ce que les cnquéles se perdent ou deviennent surannées. Il ordonne, en conséquence, que les bourgmestres et échevins vaquent toutes les semaines un jour, le mardi, « à hosport tant des enquestes » que des décharges; » qu'ils restent réunis, à cet effet, au moins de neuf heures à midi; et qu'ils ne se séparent jamais avant d'avoir hosporté l'en- quête ou décharge qu'ils auront « prise ens mains. » Pour encourager les commissaires à accomplir avec diligence leur charge tant en ce qui concerne les enquêtes que leurs autres devoirs, il double leurs « gages. » Il veut enfin que les actes des enquêtes et décharges soient enfermés soigneusement « dans » l'armoire à trois clefs, à ce anciennement ordonné, » sans être abandonnés aux mains des grelliers et des clercs de justice '. La réformulion de 1649 -, décrétée par Ferdinand de Bavière, à la suite des luttes civiles des Chiroux et des Crignoux, est conçue dans un tout autre esprit que celle dont nous venons de dire un mot. Elle énonce, comme un fait notoire, « que la cause de tous maux et désordres ci-devant soufferts, » provient principalement de la forme d'élection magistrale et des assemblées * Ce serait nous engager tro]) loin sur le terrain de la politique que de suivre le sort de ces diverses ordonnances. On peut consulter sur ce point Louvrex dans Hodin. * HoDiN, ouv. cité, t. I", pp. 82, 83. Tome XXXVIII. 76 602 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » dos métiers, qui pour être composez de grand nombre et de diverses sortes » dVsprits sujets à des passions, ambitions et corruptions, sont aussi moins » propres à suivre uni(iucmcnt pour but de leurs résolutions le bien et repos » public '. » En conséquence elle s'attaque aux institutions démocratiques de la Cité; elle change la l'orme des élections magistrales de manière à donner au prince une influence préjjondérante en ce qui les concerne; elle modifie la composition du magistrat lui-même; enfin, elle porte le coup de mort à l'un des anciens juges onUuuires de la Cilé. C'est par ces deux derniers points qu'elle touche à la matière du présent travail. La ré l'or mat ion de 1649^ en elTet, aux trente-deux jurés des métiers, aux trente-deux proprement dits, aux deux maîtres, substitue pour le gouverne- ment intérieur de la commune un collège de deux bourgmestres et de trente jurés ou conseillers. Puis, dans son article 8 elle déclare que, « pour les cas >) d'en(|uéles contre bourgeois de noslre Cité, les bourguemaities et conseil » susdits représenteront le membre de la franchise. » D'autre part, à sou article G, elle dit: « le siège des maîtres et jurez, pour » avoir excédé les ternies de sa juridiction, et connue n'apportant que » désordre, confusion et retardement à la justice, sera aboli. » A son article 9, elle permet aux parliers du siège aboli de se faire recevoir conunec/^ rcs ser meniez devant les échevins, et elle renvoie devant ces derniers toutes les causes encore venlilaiilrs tant devant les maîtres et jurés que devant les trente deux, c'est-à-dire devant tous les degrés de h juridiction du Sfalut. A l'article 8 de la réforniatiun de 1649 se rallache un mandement du 14 novembre lOîil. Celui-ci permet aux bourgmeslies, lorsipie par des causes légitimes ils sont cm])ècbès de se trouver aux enquêtes et décharges, soit pour y entendre des témoins, soit pour les hosporter, de se faire rem- placer par deux conseillers de la Cité -. La rcformalion du 28 novembre 1684 enfin, publiée par Maximilien- Hcnri de Bavière à la suite de nouvelles guerres civiles et de nouveaux désas- tres intérieurs, établit poiu- radnnnisiralion de la Cité de Liège une forme restée stable jusqu'à la fin de l'ancien régime •'. ' Arliclc I". * Cn//»/ f/rc/T".;, M.in.lcmcnls C, folio 287, 108. ^ l'uLAiN, ouv. tiii;,5' st'iic, I. 1", p. 7. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 603 Elle abolit les derniers vestiges des institutions démocratiques de la Cité, en anéantissant l'existence politique des corps de nnétiers. Elle confie Tadmi- nistration de la Cité à deux bourgmestres et à viugt conseillers, nommés tous les ans par le prince et par les composants des seize chambres dans les- quelles tous les bourgeois sont répartis. Nous n'avons pas à insister sur les dispositions politiques et administra- tives du célèbre règlement de iMaximilien- Henri. Une seule chose nous importe : c'est d'eu détacher les dispositions relatives aux institutions répressives et au droit pénal. Ces dis|)osilions sont nombreuses. Et d'abord les articles 63 et 64-, combinés avec l'arlicle 29 , confirment l'abolilion de l'ancien siège de judicalure des maîtres et jurés, ou si l'on veut de l'ancien Tribunal du Statut. Les bourgeois de Liège, même en matièie d'infractions prévues par les anciens Statuts municipaux, ne peuvent donc plus appeler leurs adversaires ni être assignés que devant deux juges : Yéchevintif/e et la cour de l'officialifé. L'article 32 établit que la fruncliisc , appelée à vaquer avec les èchevins aux enquêtes et aux décharges , se composera des (\q\.\\ bourgmesires et de six conseillers choisis par tour parmi les vingt membres du conseil de la ville. Les articles 38 à 39 s'occupent des commissaires de la Cité. Ils abolis- sent l'ancienne forme d'élection de ces fonctionnaires, « à peine contre ceux » qui voudraient attenter à la lemellre en usance d'être alleints du crime » de sédition. » Ils réservent au prince pour l'aNcnir le droit de nommer à la w) en assurance, et les méchants par l'exemple des cbastiez retenus dans le •) devoir. » Ils abolissent le privilège des bourgeois de Liège fuilnoh (ou délinquants), en vertu duquel ceux-ci prétendaient être libres de toutes poursuites |)endant trois jours après le crime commis-. Ils règlent la manière dont on doit pro- céder à l'avenir dans la Cité en matière d'enquêtes et de décrets de prise de corps. Quand les enquêtes seront passées et instruites avec les formalités ordinaires, et qu'il faudra les /losporler, les deux bourgmestres avec six des conseillers de la ville, formant le corpn de la franchise , se réuniront à huit échevins et se rendront dans la chambre de ces derniers. L'enquête sera lue tout entière devant ce collège composé mi-partie de magistrats électifs, mi- partie d'écbevins, et l'on procédera à son fiosporl « par tous les sufl'rages. » En cas d'égalité des voix le senlimeiif le plus doux sera suivi ; mixis cepen- dant si tous les échevins sont d'une opim'on, et tous les membres de la fran- chise d'une autre , l'opinion des éche\ ins prè\ audra. Les mêmes formes s'obser- \eronten matière de décharges '\ Ils déclare (pie le grand maieur pourra agir criminellement, sans interven- tion de la franchise, devant la haute justice de la Cité, c'est-à-dire devant ' II csl juste (le ilii'r i|uc raiiciciino pniliiiue pouvait duunrr lieu à des abus. Copnulaiil la rcglf l'uoiici'c par la réfurniuliuii de ItiS-i oui ilc la |icine à se faire accepter; elle dut èlrc rap- pelée, derechef, le 5 février l(iS7. * Chose élranj;e, nous n'avons trouvé aucune trace antérieure ;i la réfonnalioii de IGS-i ellc- mènic de cet abus criant. 5 (lellc dernière règle fut prescrite de nouveau le 21 février et le 12 décembre 1G86. DANS L'ANCIENxNE PKI.NCiPALTE DE LIEGE. 60:j réchevinage, contre les bourgeois de Liège, pourvu que Paclion soit intentée par calent) c , c'est-à-dire par voie ouverte. Dans ces circonstances le décret d'appréhension ou tout autre que portera le tribunal sera exécuté sans aucun empêchement, appellation ni recours. Ils établissent même en temries géné- raux que la fratuftise n'interviendra jamais sinon dans ha enfpiéleg yénêrales et décrètes; et que, nonobstant un dfkret dédaraioire de la suffisance des décliarges , les ofllciers auront toujours le droit de poursuivre ouvertement les criminels sur d'autres circonslances et preuves venws à leur connaissance. L'article 83 enfin, pour ne pas parler des dispositions d'un intérêt exclu- sivement temporaire, défend aux bourgmestres de prendie sous leur protec- tion aucun criminel. A la réformation de i68i se rattachent un certain nombre d'actes subsé- quents, parmi lesquels nous en citerons deux. D'abord la déclaration du i 4 juin 1745, ensuite celle du 14 septembre 1778 '. La première a trait à l'élection des commissaires. Elle maintient le pri\ilége électoral des cours de tenants et de mambours. Elle permet à celles-ci de choisir leurs commissaires indistinctement soit dans leur paroisse, soit dans les paroisses contenduntes. Elle veut que les élus soient paroissiens, c'est-â-dire locataires d'une maison dans la paroisse dejiuis trois mois, ou propriétaires depuis six semaines, avant la mort du commissaire à remplacer. S'il manque de tenants ou de mambours dans une paroisse, le curé en avertira le grand prévôt pour qu'il ait incontinent à en députer. La déclaration de 1778 a trait à la franchise. On avait pris l'habitude de tirer au sort, parmi les membres du conseil de la ville, les membres de ce corps, et souvent les conseillers désignés se faisaient arbitrairement rem- placer. Le prince condamne cette coutume; il veut que le conseiller désigné par le sort siège par lui-même. La réformalion de JGHi fut la dernière grande ordonnance qui modifiât de fond en comble l'oriranisation intérieure de la ville de Liège. Elle fut suivie, peu à peu, par d'autres ordonnances concernant les diverses villes de la principauté, qui introduisirent dans ces dernières un régime analogue au ' PoLAiîï, ouv. filé, 3* série, t. II, pp. 43, 823. 606 ESSAI SLR LIllSTOIRE DU DROIT CRIMINEL régime de la capitale ^ Nous n'avons pas à nous occuper des dispositions administratives de ces dernières plus que nous ne nous sommes occupé de celles des réformes liégeoises de ^603, 1049 et 1684. Cependant leur examen nous amène à faire trois observations générales qui concernent l'histoire des institutions répressives. La première c'est que, dans ces ordonnances, il n'est plus question nulle pari d'un siège de judicature de la magistrature élective ayant encore une juridiction criminelle -. La seconde, c'est que les magistrats électifs ont cessé presque partout d'intervenir dans les enrjiiétes générales dirigées contre les bourgeois, et d'y contrôler l'action des échevins locaux. La troisième concerne la franchise et mérite quelques développements. Il y a des villes où, à l'instar de la ville de Liège, l'instiiulion de la franc/lise s'est maintenue jusque dans les derniers temps de l'ancien régime. Nous citerons i)arnii elles les villes de Tongres, de Iluy et de Hasselt ^. Le règlement de Ilasselt du :20 février 1086 ', confirmé |)ar Joseph Clément le 18 juin 1710 ■', parle de la participation des magistrats électifs aux enc/uéles générales à son ailicle 28. Il permet qu'un échevin du lieu soit admis à être bourgmestre; mais alors cet échevin, en cas de liosport d'enquêtes fait de commun accord par l'échevinage et le magistrat électif, devra voter avec ce dernier collège. Les règlements de 1725 et de 1728 ne disent plus rien de la franchise; mais ils ne l'abolissent pas non plus en termes exprès ^. L'ordonnance du mois d'octobre 1713 concernant la ville de Iluy décide, par son article 29, que les deux bourgmestres avec cinq persoinies prises tour à tour parmi les onze conseillers de la \ille fornieronl la franchise, et ' Poi.AiN, ouv. cilr, .ï' srrie, l. I" el II, ptissim : Onlomiaiircs irgLiiit roi'!»anisalioii iiilcricure des villes de Iluy, Tongres, Verviers, Diiiaril, Visé, Convia, Tliuin, Looz, ilasscll, Brée, etc. De nièiiic dans le recueil de IIodin. ^ A I/a.ssell, coiiloi'inémeiit à l'article HO i\» jjrivili'-ije île lo77, le mai^islrat avait encore une juridieliun criminelle en matière de It'gers délits; cette juridictiuii avait dis])aru au XN'Ill' siècle: PoLAiN, ouv. cité, :2» série, t. 1", p. 585. ^ JJiiniivll, à l'intérieur des murailles, suivait le droit iiégeuis. * IloDi.N, uuv. eilé, t. III, p. 4j-2. * Itlfin , idvin, p. iUa. i" Idem , idem , pp. 4u8, 4()0. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 607 que celte franchise vaquera avec les échevins aux enquêtes et décharges « sans porter faveur et dissimulation pour la fré(|uence des homicidages et » autres crimes '. « L'ordonnance du 27 septembre 1725 concernant le régime intérieur de la ville de Tongres contient un article 16 disposant comme suit : « La fran- » chise jugeante en matière d'enquéle sera composée des deux bourgue- » maîtres régents, des deux sortants d'état, et de trois conseillers de ville, » qui seront choisis par les bourgucmaîtres régens -. » A l'ordonnance de 1723, dont nous venons de parler, se rattache un règlement spécial du 9 juin 1728 concernant exclusivement la forme des enquêtes criminelles failes à Tongres ^ Nous croyons devoir, en terminant ce paragraphe, en résumer les principales dispositions : celles-ci marquent assez bien les phases génc-ralos d'un procès criminel. Les enquêtes doivent toujours être présentées par le maieur et syndic de la ville aux échevins, bourgmestres et conseil, pour êlrc admises à //reuve « en cas qu'ils reconnaissent que le cas y repris, étant bien prouvé, méritât » peine corporelle ou exil. » Quand une enquête est admise à preuve, les témoins sont entendus par un échevin et un membre de la franchise muni de la clef magistrale, et les dépositions des témoins sont écrites par le grcflier de l'échevinage. L'enquête étant /i9«n(/e, le maïeur et le syndic prennent par rajiporl à elle leurs con- clusions, et requièrent l'échevinage et la franchise de lixor jour et heure pour vaquer callefjialeinenf à son hos/iori, et prononcer soit un décret de prise de corps, soit un command à t?ois jours. Si le cas n'est pas prouvé, l'échevinage et la franchise peuvent ordonner aux ofliciers d'instruire plus amplement; et si les inculpés veulent venir à décharge, demandent récolemenl de témoins, ou sollicitent une nouvelle preuve, on doit entendre derechef les témoins devant un échevin, un membre de la franchise et le gtelïier de l'échevinage. Quand la cause sera conclue, les échevins et la franchise s'assembleront à ' HoDLN, oiiv. citi', t. m, p. 5'.)0. 2 Idem , idem , p. 3S(). 3 l'oLAiN, ouv cité, 5' série, t. Il, p. GI5, clIIouiN, ouv. cilé, t. 111, ]i. 590. 608 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMIiSEL la domaiule de la partie ou des officiers « pour faire rexamon du piocès et » dire selon leur conscience les décharges suffisantes ou insuffisantes ; » en cas de parité de voix , la « voye de douceur » prévaudia. Mais quand une personne sera saisie ensuite d'un jugement appré/iensible^ elle sera examinée par les échevins; et quand son procès sera instruit par le niaïeur et le syndic, et que la cause sera conclue, les échevins « jugeront selon leurs » lumières et privativement. » Les détails que nous avons donnés, tant dans le paragraphe présent que dans le paragraphe précédent, faciliteront beaucoup Texposé de la procédure que nous ferons dans le troisième chapitre. Ils auront encore servi à faire connaître, sur beaucoup de points spéciaux, les étapes précises suivies par le droit liégeois dans son développement. Dans le paragra|)he qui va suivre la nécessité de nous borner nous for- cera à marcher plus vite. En parlant d'actes législatifs d'une portée secon- daire, nous nous contenterons souvent d'en donner la date et d'en signaler l'objet. Nous en retrouverons, au surplus, les prescriptions dans les chapitres techniques par lesquels nous terminerons notre essai. § V. — Des principaux règlements concernant Cadminislration de la justice criminelle publiés pendant les trois derniers siècles. Pendant le cours des derniers siècles, l'administration do la justice crimi- nelle en général, et divers points spéciaux qui la concernaient, furent l'objet de nombreux règlements publiés par les princes évèques et mis en ^«n/^ r/p /o/. Ces règlements n'avaient pas d'habitude |)onr objet l'introduction de prin- cipes nouveaux de droit ni de procédure. Ils se bornaient le plus souvent à prescrire, en détail, la manière d'appliquer les principes généraux énoncés par les grands édits de réforme dont nous avons parlé. Sans avoir la préten- tion de les signaler tous ici, nous avons cru (pi'il serait utile de dire un mot des principaux d'entre eux, et par ordre de matières. Et d'abord , en ce qui concerne les devoirs des officiers criminels et la marche de la procédure, il faut signaler un règlement du 27 mai 1628, DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 609 confirmé le 28 juin suivant, et un aiiire du 22 août 1634. Ces deux actes règlent particulièrement les devoirs respectifs du grand maïeur de Liège et de ses lieutenants. Ils émanent de Ferdinand de Bavière '. Le 8 octobre 1653, Maximilien-Henri de Bavière publia un nouveau règlement, confirmé le 3 mai 1691, toucbant à des objets analogues -. Ce règlement parle des devoirs respectifs du grand maïeur de Liège et de ses lieutenants, et des devoirs des facteurs d'office qui agissent en leur nom devant les échevins. Il invite ces olïiciers à ne pas poursuivre sans plainte des intéressés en matière de délits passibles de simples amendes qui ne touchent pas directement l'intérêt public. Il s'occupe du droit de composi- tion, des frais de justice, de l'attribution et de la levée des amendes. Le 23 novembre 1686, le même prince rendit une autre ordonnance pour accélérer la marche de la justice criminelle devant récbevinoge de la Cité •'. Celle-ci prescrit entre autres choses de donner le pas aux causes criminelles sur toutes les autres. Elle veut que les échevins prennent leurs vacances de manière à rester toujours à Liège en nombre sullisant pour que le cours de la justice ne soit pas interrompu. Elle dèlcnd aux mêmes échevins, sous peine de déchéance de certains droits pécuniaires, de quitter Liège sans avoir obtenu congé régulier de leur corps *. Le 31 mars 1695, Jose|)h(;ièment de Bavière publia une instruction pour le fjrand maïeur de la Cité. On y trouve des détails extrêmement intéressants parmi lesquels nous relevons les |)oinls suivants : le grand maïeur ne peut faire enquête que pour homicide, faits atroces et faits noc- turnes, à moins d'avoir le gré du Conseil privé. Il doit avoir soin, en faisant enquête, ou en la faisant faire par les sous-maïeurs, de produire les témoins tant à décharge qu'à charge, et de veiller à ce que les facteurs d'office observent cette prescription. Quand il agit par calenye , il est invité à bien rechercher d'avance tout ce qu'on peut dire ou faire à décharge de < Liste chronologique , citée, l.V, pp. 147, 148, I(i0. 2 Idem, t. II, pp. 115, 115. ^ PoLAiN, ouv. cité , 7," série, t. I", p. 90. * Voir sur ee dernier point les ordonnances des 10 avril 1736 et 24 juin 1773 dans Polain, ouv. cite, à leur date. Tome XXXVIII. 77 610 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL raccusé, afin de ne pas charger celui-ci de frais inutiles. Les facteurs (V office dont il se servira devront être gens de bien, experts en matières criminelles, n'a)ant pas la ré|)utation de rlucaiiiers, et approuvés par le conseil privé. H devra visiter de temps en temps sa prison : voir si tous ceux qui sont commis pour les besoins tant spirituels (pie temporels des prisonniers s'accpiittent de leurs devoirs, et rendre périodiquement compte de ses visites au Conseil privé. Les sous-maïeurs qui, au criminel, n'agissent qu'au nom du grand maïeur, ne pourront plus à l'avenir être présents à l'interrogatoire des prisonniers, etc. K Le 7 janvier 1702, le même prince confirma le règlement de lGo3, dont nous avons parlé plus haut, en y ajoutant quelques dispositions nouvelles. Son ordonnance fait, entre autres choses, mention d'es/>ions, de découvreurs iVin fractions, que le prince ou son grand maïeur ont le droit et la coutume d'établir dans la Cité. Elle veut que les sous-maïeurs se servent du fadeur (l'offue, ou d'un des deux facteurs d'office établis par le grand maïeur. Elle recommande aux sous-maïeurs d'avoir de fréquents rapports avec leur chef, et à celui-ci (signe du temps) de recevoir ses subordonnés comme il con- vient à des officiers du prince -. Le S octobre 1744, Jean-Théodore de Bavière publia un règlement pro- visioimel pour V accéléra liou de la bonne administraiion de justice en matières criminelles; et, le 28 novembre suivant, une autre ordonnance concernant les devoirs des grands officiers dans les mêmes matières par rapport à leurs relations avec le Conseil |)rivé^. Le règlement du 5 octobre prescrivait à l'olficier criminel de produire au greffe k's articles examinutoires , destinés à diriger les commissaires enquê- teurs dans l'interrogatoire d'un prisonnier, dans les trois jours de la capture de celui-ci; et au greffier, de porter dans les vingt-quatre heures ces articles aux échcvins. Il voulait que les procès des prisonniers fussent instruits dans le laps de six semaines et jugés dans les six semaines de leur dépôt. S'il y avait nécessité pour une cour subalterne d'avoir un plus long délai, elle devrait *\(invM\(\a\' prorogation aux cchevins de Liège, dont l'apostille serait ' l*oi.Ai.\, oMV. ( iU', 7)' série , t. I", p. OUI. * Idem , iilcm , 1. 1", .i sa date. •> Idem, idem, l. M, |)|i '■Ht, 53. — IIodin, ouv. citi!, t. Il, p. 137. DANS L'ANCIENISE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE 61 i produite au Conseil privé. Il obligeait les officiers criminels à faire rapport au Conseil privé des devoirs auxquels ils s'étaient livrés à l'égard des crimi- nels, et décidait d'avance que les prisonniers, dont le procès ne serait pas terminé dans les trois mois, sans raison suffisante et approuvée par le Conseil, seraient à partir des trois mois entretenus à leurs frais. Il prescrivait à la Chambre des comptes de payer l'entretien des prisoimiers criminels pen- dant trois mois; et, après les trois mois , il voulait que le prisonnier fût élargi , si celui qui usait du droit de rétention à son égard, soit juge, soit officier, soit geôlier, ou autre personne, ne l'entretenait pas à suffisance de droit, etc. Le règlement du 28 novembre obligeait les officiers criminels du pays, tant du prince que des seigneurs particuliers, à entretenir avec le pouvoir cen- tral les rapports dont leur commission faisait mention. Il voidait que tous les mois, ou tous les quinze jours pour ceux de Liège et de la banlieue, ils envoyassent au Conseil piivé une notule des crimes perpétrés dans leur res- sort, avec mention de l'état où se trouvaient la procédure et les poursuites. Mais laissons les règlements concernant Tadminisliation de la justice cri- minelle en général, pour nous occuper rapidement des monuments législa- tifs qui se bornent à toucher l'un ou l'autre point spécial du mécanisme des institutions répressives ou de la procédure. Par rapport à la collation des échevinages et des mairies du plat pays épiscopal, il existe une ordonnance du 6 juin 1656, émanée de Maximilien- Henri de Bavière, et renouvelée le 26 avril 4686 '. Elle défend aux grands officiers de conférer désormais ces charges; elle ordonne au procineur gé- néral du prince de tenir la main à la défense qu'elle formule; elle interdit à tous les bancs du plat pays d'admettre comme maïeur ou comme éclievin des personnes qui ne seraient pas nuniies d'une commission régulière signée du chancelier el enregisti'ée à la Chambre des comptes. Le 22 mars 1728 Georges-Louis de Berghes, en présence de certaines résistances, fut contraint de porter de nouveau une ordonnance analogue -. A ces actes se rattache une disposition d'un édit du 14. juillet 1685, * PoLAiN, ouv. cité, 3' série, t. I", p. 57. * Liste chronologique citée, t. II, p. 132. 612 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL proscrivant aux maïeurs commissionnés par le prince de résider dans leur ressort '. P;ir rapport à la délimitation précise des pouvoirs afférents en matière criminelle aux grands olliciers d'une part, aux maïeurs locaux de Fautre, nous possédons une déclaration ou recès du prince, du d 1 lévrier 1G69, et un rè(jlemenl du 17 avril \ 727 -. Le premier de ces actes concerne le grand bailli du Condroz et le maïeur de Ciney, le second, le haut officier de Hes- baye et le maïeur de Visé. L'un et l'autre doivent être mis en rapport tant avec un article de Yédit de 17 19, dont nous avons déjà parlé, qu'avec divers records dont nous parlerons au paragraphe suivant. Nous ne mentionnons ici que pour mémoire les règlements analogues édictés le 21 janvier i697 pour le comté de Ilornes, et le 3 mai 1792 pour le bailliage de Stockem. Ils peuvent cependant être consultés avec fruit ■'. Le régime des prisons, objet de dispositions éparses dans une foule d'édits, avait de son côté attiré plusieurs fois d'une manière princi|)ale l'at- tention du législateur. Parmi les ordonnances qui le règlent, soit dans son ensend)le, soit dans ses détails, nous citerons celles du 9 janvier et du 6 juin 174.1, du 1*" octobre, du 5 octohre et du 19 décembre \lKlt. On peut encore faire mention de celle du 1 7 janvier 1 7i6 *, et même d'une ancienne défense faite le l*''^ octobre 1622 aux ofliciers de justice : défense d'enjoindre aux geôliers et concierges de prisons de meltre au pelil pain les prisonniers dont la capture est encore discutée au point de vue de la légalité ■'. Des ordonnances spéciales s'occupent de l'lio/)ital f/énn-al de Liège, espèce de dépôt de mendicité où l'on renfermait les vagabonds et les mendiants valides de la Cité, et dans lequel on les forçait à travailler. L'idée première de la création d'un établissement de l'espèce était due à Maximilien-IIeiui de Bavière. Elle avait été exprimée par lui le 20 janvier ' lloDi.N, oiiv. citi", t. Il, p. 312. - /i/cHi, idem, t. IV, |). t>8l. — Poi.Am, oiiv. cili-, 3" série,!. I", p. î)!)2. ^ Poi.AiN, ouv. cilr, û' si-ric, l. I", p. 'J.i; t. II, |). 90!). — Stockem et IIounes étaient des bail- jiiiges lossiiiiis. * PoLAi.N, ouv. cité, 3' série, t. I", pp. Tiil, 754; t. II, pp. 24, 34, i)2. — IIodi.n, ouv. cité, t. III, p. 74. ' CiJiiscil piivé, K, folio llii. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 613 1683 dans une ordonnance qui respire les sentiments les plus élevés el les vues les plus larges '. Elle ne fui mise à exécution toutefois qu'en 1727. Le magistrat de Liège d'accord avec les Chambres de la Cité, et avec l'approba- tion du prince, affecta alors à riiôpital en question « la maison, cour, jardin, » appendices et dépendances du Lazaret, » avec des revenus suffisants. Dès le 18 septembre de cette année, le Lazaret était en état de servir à sa destination nouvelle ; et, par édit de ce jour, Georges-Louis de Berghes ordonnait d'y l'enfermer certaines catégories de vagabonds el de mendianis valides 'K En ce qui concerne la matière, si importante dans l'ancien régime, du règlement des conflits, nous citerons les ordonnances ou déclaralions sui- vantes : celle du 26 mars 1715 à |)ropos des dilTèrends entre l'odicial et les écbevins de Liège''; celle du 13 octobre 1720, |)ar hupielle Joseph-Clément de Bavière se réserve, du consentement des trois états, la connaissance et la décision sans appel de toutes les dillicultés élevées par rap|)ort à des points juridictionnels ''; celle du 23 février, d'après laquelle Jean-Théodore déclare que s'il s'élève une contestation entre tribunaux, à l'occasion de lettres inbi- bitorielles, ils devront chercher à s'entendre d'abord à l'amiable, et que si l'entente ne s'établit pas ils devront se présenter au Conseil privé |)our que celui-ci décide provisioniiellemenl stir l'ancien pied ■'; celle du 21 mars de la même année, qui maintient l'oi'donnance précédente jusqu'au moment où il y aura un règlement fixe et stable ". Notons en j)assant que ce règlement ne fut jamais dressé. En ce qui concerne l'obtention des letlres de grâce et les formalités aux- quelles ces dernières étaient assujetties pour sortir tous leurs effets, nous avons les ordonnances du 17 décembre 1685, du 22 février 1764 et du 14 mars de la même année. L'ordonnance de 1685 "^ renouvelée in terminis ' PoLAiN, oiiv. cité, 5'' série, t.I"', p. \'t. ^ Idem , idem, 1. 1", p. .'iSit. — IIodin, ouv, cité, 1. 1", pp. 143, liiO, etc. ' Idem , idem , 1. 1", à sa date. * Idem , idem, t. 1", p. îiôo. ■■' Idem, idem, t. II, p. 52. — IIodin, ouv. cité, t. II, p. 85. '^ Idem, idem, t. Il, p. à sa date. — IIodin, ouv. cité, t. II, p. 87. 7 Idem, idem, t. I", p. 39. 614 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL le 8 février 1089 et le 6 mars 1689, parle de rentériiiement des lettres de grâce, de pardon, d'aholilion, de rémission, comme d'une lormaiilé dV^y/r/e» style et (ïamienne usnnce. Elle accorde au procureur général du prince un droit de poursuite dans le cas où les officiers criminels locaux ne s'acquittent pas de leurs devoirs. Elle enjoint aux justiciers du pays de Liéire et du comté de Looz de s'entre-communiquer, de temps à autre, les noms des délin- quants jugés appré/iensibles dans leur ressort, etc. Les oi'donnances de l'année 1764 ', rendues sede vacante, s'occupent principalement des formes de y entérinement des lettres en question. Les dispositions des actes que nous venons de citer doivent être mises en rapport avec l'article 23 du chapitre XIV de la réformation de Groisbeeck, et avec plusieurs articles des points marqués pour coutumes au chapitre XIV. Quant au droit de composition proprement dit, que les officiers ci'iminels eux-mêmes exerçaient dans certaines limites, on doit consulter surtout, outre la ré formation de Groisbeeck et les articles épars de divers édils, la teneur habituelle des commissions de maïeur et de haut ollicier. Nous trouvons néanmoins sur cet ohjet spécial deux mandements de l'année 1613 et un de Tan 1608. Le premier, du 27 février, défend aux olficiers de s'arroger le droit de pardonner, de composer avec les délinquanis condamnés, de leur donner des sauf-conduits; il leur enjoint, au contraire, de procéder en toute rigueiu" de justice contre eux. Le second, de la mémo date, est particulière- ment adressé au grand maïeur de Liège. Il enjoint à cet officier de prendre sa résidence dans la Cité et de procéder en toute rigueur contre les homi- cides et les autres délincpianls, sans user de rémission ou de composition envers aucun d'eux -. Le mandement de 1008, daté du 21 décembre, défend aux officiers hauts et subalternes du prince de composer à propos des amendes encourues du chef de foule ou excès commis dans les bois, avant que le dommage ait été réparé •*. En ce qui touche la juridiction militaire, l'institution de la Guémine (pii ' PuLAiN, ouv. cité, 5' série , t. II, pp. i'.)'2, 495. * Liste rliroiwlogique ciiée, t. I", p. 1 12. — Conseil privé , dépêches, ICO'J-IGlii, K. 54, loi. lO'i; IC0'.)-ICI«, K. 35, fol. 8C. ' Grand (jrcfj'e des éeltevins , C. 5248, p. 89. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 61 S prend forme à Liège dans le courant du XVII« siècle, il faut citer surtout les ordonnances suivantes : 1° Une ordonnance du 24 octobre 1601, publiée par ordre du prince Ernest de Bavière '; 2° Une ordonnance du 21 mars 1651, émanée de Maxinn'Iien-Henri de Bavière, sur les gardes bourgeoises de la ville de Liège et sur leur orga- nisation, reproduisant en grande partie celle de 1601 -; 3° Une ordonnance du 26 mai 1696, par laquelle Joseph-Clément de Bavière renouvelait l'ordonnance précédente avec quelques modifications ''; 4° Un règlement militaire pour le régiment national du prince soldé par les états, publié de commun accord par le prince et par les états leSaoùt 1715 ■*; 5" Une ordonnance du 13 juillet 1738, interprétant le règlement précé- dent à propos d'une question de compétence importante que son application avait soulevée ^. A ces divers actes se rattachent les édits qui ordonnent de faire juger certaines catégories de vagabonds par la (îunnine militaire, édits dont la série commence par celui du 29 juillet 1715, rendu par le prince en conformité d'un recès des trois états ^. Après la disparition du régiment du prince, lors de la révolution liégeoise, les trois états créèrent, par acte du 3 mars 1790, une Guémine nationale chargée de connaître de certains faits de brigandage, dont il est question derechef dans une ordonnance du 6 mai 1790 ". Les mêmes états portè- rent encore, le 23, le 30, le 31 juillet de la même année, quel(|ues règlements pour l'armée liégeoise, dans les(piels il est question du conseil de guerre; mais comme ces actes n'eurent qu'une impnrlance essentiellement transitoire, nous nous bornons à en faire mention ici pour mémoire. Il nous reste, en terminant ce paragraphe, à dire quelques mots d'une ' Incdile, mais reproduite dnns le rcsleiiiciit de Uiîil, m grande pai'lie. - IloDiN.oiiv. cité, t. III, pp. 'J.'jô, 2o'.t, :ifjO. "' likm, idem, p. 260. Celle ordoiiniince fut renouvelée le 26 octobre 1715. * Idem, pp. 2(i(i, 207. — Poi.aiin , ouv. cité, 3' série , t. 1", p. 464. s PoL.\iN,ouv. cité, ô'série, t. I", p. 713. 6 Idem, idem, t. l", p. 4C6. — Hodin, ouv. cité, t. III, pp. 147, 149. ' Jdem, idem, t. II, pp. 938, 94.5. 610 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL dernière ordonnance qui, à la fin de l'ancien régime, introduisit une amélio- ration importante dans les institutions liégeoises, et qui cependant n'eût pas raisonnablement trouvé sa place dans le paragraphe précédent : nous vou- lons parler de Tordonnance du 10 août 179;^ instituant un corps de maré- chaussée '. « Depuis longtemps, disait Hoensbroeck dans le préambule de » Pacte, il s'est agi d'établir dans notre pays un corps de maréchaussée propre » au maintien de l'ordre el de la sûreté publique, contre les vagabonds, les » gens sans nom et suspects, et contre une quantité de malfaiteurs et de » brigands, étrangers ou autres, qui peuvent s'y répandre de toutes parts. » Les circonstances acluelles nécessitant plus que jamais un pareil établisse- » ment , nous nous en sommes essentiellement occupé, et, en ayant fait » dresser un |)lan, nous avons jugé à propos de le comnmniqucr à l'assem- » blée de nos trois états (|ui, en passant une solde convenable pour ce corps, » ont, par leurs recès uniformes, en date des 23, 27 et 29 juillet dernier, » paifaitement secondé nos vues paternelles à cet égard. En conséquence, >) nous voulons et ordonnons que la levée et l'établissement d'un corps de » maréchaussée... ait immédiatement lieu. » La maréchaussée liégeoise devait se composer de deux cents cavaliei-s conmiandés par six officiers, dont le chef aurait le titre de prévôt général. Sans entrer dans des détails qui nous mènei-aient trop loin, nous détachons de Vordonnance l'article qui résume les fonctions du nouveau corps. « Les » fonctions de cette maréchaussée, disait l'article 10, ... seront de parcourir » sans cesse le pays; de se l'épandre par brigades dans nos bonnes villes, » bourgs et villages, en s'amionçant aux ollicierset bourguemailres des lieux » respectifs, el de veiller |)artout tant à la sûreté générale (|ue particulière, » en arrêtant les brigands, les vagabonds, les étrangers suspects et sans » aveu, les voleurs, les criminels décrétés de prise de corjis par nos tribu- » naux ou trouvés en flagratit délit, en prêtant main-forte aux seigneurs, ») aux officiers, aux bourguemaitres et magistrats à leur réquisition; en » transportant tels malfaiteins arrêtés dans les prisons respectives; enfin en » a|)pu\antet assistant les dits seigneurs, officiers et magistrats, dans tout ' PoLAiN, oiiv. cite, 3' série, f. Il, p. 089. DANS L'ANCIENNE PRIiNCIPAUTÉ DE LIÈGE. 617 » ce qui pourra prévenir et empêcher toutes sortes de troubles , assurer le » maintien de Tordre, du repos et de la tranquillité publics, et soutenir, » dans toutes les circonstances, les autorités légitimes, y comprise celle, » lorsqu'ils en seront requis, relative à la perception des droits, impositions » et moyens publics : le tout néanmoins, toujours selon la conslifution et » les lois du pays auxquelles^ ainsi qu'aux judicalures, ce nouveau corps » sera sujet, tant au civil qu'au criminel, les seuls cas purement militaires » exceptés, comme il est de droit et d'usage; avec l'obligation de nous faire » exactement rapport en notre Conseil privé, et, dans des cas de complica- » lion et de difficulté, de ne rien opérer sans nos ordres préalables..., etc. » A l'ordonnance du 40 août était annexé un règlement ou code militaire de douze chapitres, que nous aurons l'occasion de citer quand nous traiterons du système pénal. Nous devons dire, cependant, que tout ce qui touche à l'institution de la maréchaussée liégeoise n'eut guère le temps de sortir du domaine de la théorie pour entrer sérieusement dans le domaine de la réalité pratique avant la chute de l'antique indépendance du pays. Venons maintenant aux lois criminelles proprement dites, traitant des délits et des peines, et publiées pendant les trois derniers siècles. ,^ VL — Des lois criminelles publiées pendant les trois derniers siècles. Pendant le moyen âge et même pendant le XV« siècle, la législation cri- minelle élait avant tout locale. Dans le pays de Liège, comme ailleurs, il était pres(|ue sans exemple de voir le prince slatuer pour le pays tout entier en incriminant des faits qui, jusque-là, avaient élé considérés comme indifïé- rents, ou en aggra\ant les pénalités dt^'à comminées par rapport à l'un ou à l'autre délit. Dans l'état où se trouvait la société, en présence de l'intensité de la vie locale, de la diversité des situations, des tendances, des habitudes, des pri- vilèges, les grandes paix nationales pourvoyaient aux besoins généraux du pays. En dehors des matières dont ces paix traitaient, il n'y avait guère que des besoins locaux qui pussent se manifester tant dans l'ordre répressif que Tome XXXVIIL 78 618 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL dans Tordre politique; et à ces besoins locaux on répondait dans chaque ville, dans chaque ressoit judiciaire, par un cri du perron. C'était un cri ila jter- roa (pii apprenait aux habitants d'une localité que tel acte serait désormais punissable; c'était un cri du perron qui les avertissait que Fauteur de tel délit serait plus fortement ou autrement puni. A Liège, par exemple, on criait au perron en 1470 : « Il est défendu d'aller de jour ou de imit par la Cité » desijuysê, cief énmselet, sous peine d'encourir peine capitale; » en 1487 : « On a répandu et affiché des libelles; ceux qui les ont écrits ou qui savent » en parler sont invités à venir dans les vingt-quatre heures faire leur » déclaration à l'évêque ou aux maîtres de la Cité; après les vingt-quatre » heures on fera enquête sur le fait, et l'individu qui sera trouvé coupable » sera coi'rigé comme murdreur, etc. '. » A partir du XV!*" siècle, la situation que nous venons de caractériser en peu de mots se modifie insensiblement. L'étal social devient de jour en jour plus uniforme. Les besoins qui se font sentir sur un point du teriitoire ne tardent pas à affecter la principauté presque entière. La vie locale tend par- tout à se modeler sur un type uniforme, et pailout aussi le pouvoir du prince grandit. Dès loi's, sans que les cris du perron locaux disparaissent complète- ment en matière criminelle, ils perdent leur importance et deviennent plus rares. Le pouvoii- central pourvoit par une ordonnance générale, dite de police, à tous les besoins graves qui se font sentir dans l'ordre répressif; et c'est cette même oidonnance qui, dûment mise en (/arde de loi, est observée dans la principauté entière. On n'attend pas de nous une énumération complète de toutes les lois cri- minelles particulières publiées par les princes évéques pendant le cours des trois derniers siècles. Les objets sur lesquels elles portent sont très-variés. Elles concernent généralement l'une et l'autre des matières suivantes : le délit d'accaparement, les reconpeurs et les mosineurs ; les attroupements sédi- tieux; les querelles avec clameurs et concours de monde; les dommages causés dans les colillages , vignobles et jardins; le port illicite d'armes, les armes prohibées et les infractions commises à l'aide d'armes de l'espèce ; ' De Ram, Documenl.s, cilés, pp. 322,813, 821. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 619 les manifestations de Fesprit de parti; le maraudage; les enrôlements faits dans la principauté pour le compte des puissances étrangères ; le respect des dimanches et des fêtes; le blasphème; le régime des étrangers; le jeu; le vol de bois ; le recel , et surtout le recel des effets militaires ; les violences commises contre les officiers de justice pour leur enlever les délinquants capturés; le régime des monnaies et les infractions auxquelles il donnait occasion; les émigrations d'artisans; le vagabondage et la mendicité des gens valides; l'hérésie, etc. Ces lois criminelles, ou ordonnances de police étaient tantôt des disposi- tions législatives toutes nouvelles, motivées par un besoin social qui venait de se faire jour, tantôt la simple reproduction d'ordonnances anciennes, avec une autre date, un autre préambule et quelques additions de détail, ou môme avec un simple changement de date. On retrouve le texte des plus impor- tantes d'entre elles dans Louvrex et dans Ilodin, et leur analyse dans l'ou- vrage de Sohel. On les retrouvera toutes dans le Recueil édité par M. Polain. Sans doute on pourrait y glaner maint détail piquant sur les mœurs lié- geoises; mais nous croyons devoir nous borner en présence de l'étendue déjà si considérable de notre travail. D'ailleurs, toutes les dispositions des ordon- nances de police intéressant directement les principes généraux du droit, la procédure, le système pénal, l'ordre légal et constitutionnel, seront analy- sées dans les chapitres suivants ^ § VII. — Des records échevinaux , des capitulations des princes-évêques et des actes concernant la punition internationale des malfaiteurs. On sait d'ailleurs ce qu'étaient les records échevinaux. Nous allons rapi- dement indiquer les principaux d'entre ceux qui touchent à la matière de de notre essai, en résumant leurs dispositions les plus caractéristiques. Le premier record des échevins de Liège que nous rencontrons sur notre route est le grand record de la Cité de Liège de 1532. Il fut rendu à la * Depuis la date de la rédaction de ce Mémoire, on a achevé les deux dernières séries du Recueil des anciennes ordonnances de la Belgique; Principauté de Liège. 620 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL requôle des maîtres de la Cité, agissant au nom des trente-deux métiers, et demandant aux échevins de leur donner par écrit tout ce que ceux-ci étaient « sauvans et wardans des privilèges, franchieses, et libertés des bourgeois n de la Cité (!t banlieue d'icelle \ » On trouve insérés dans cet acte le pn'vi- Irye dit d'Albert de Cuyck, quelques anciennes déclarations échevinales dont nous avons déjà parlé dans notre travail, h paix de Foxhe avec une explica- tion tirée de la lettre des vingts la paix de Tomjres ou des XVI, le record de 1 450, un record de ISo2 (9 septembre) reproduisant in terminis un des records de 14-58 rendu sous Louis de Bourbon, etc. De plus, les échevins y signalent comme étant encore loi du pays, les paix des XXII, la lettre aux articles, la mutation de la loi nouvelle, le régiment de Heinsberg, la réforme des cours spirituelles décrétée en 1337 par Adolphe do la Marck, etc. Le record du 3 avril /676 a Irait à la rencharge -. On demandait aux échevins « s'il y avait quelques villes particulières qui, par anciens privilèges, » jugeaient par arrêt sans rencharge. » Ils répondaient : « que sommes et » nous tenons pour juges supérieurs de cestuy pays de Liège, si donc Ton ne » montre et fait apparoir de privilège ou exemption au contraire. » A ce record s'en rattache un autre du 22 mars 1711, par lequel l'échevinage de la Cité énonçait comme principe, que certains échevinages de villes closes avaient seuls le droit déjuger sans rencharge ^. Les records du 16 août 1600 et du 12 juillet 1603 se rapportent aux effets de l'adirmation d'un homme se déclarant coupable d'un crime dont on recherche l'auteur. Ils constatent qu'une déclaration de l'espèce n'empêche pas de continuer des poursuites contre les autres personnes légitimement soupçonnées d'être les véritables auteurs du crime *. Le record du 19 octobre 1601 concerne les effets du cri du perron en matière criminelle. «Quand il y a publication faite au perron, en cette Cité, » ou au lieu accoutumé, de (juelque mortel fait, si un ou i)lusieurs viennent » à confesser (répondant à ladite jjublication) d'avoir commis et perpétré ' IIODIN, OlIV. fiti' , t. H , p. 1. * lUiKKM, Discours (lu 1847, p. lîi, cii note. ^ Raikëh, idem, idem. * Idem, idem, p. 2'J. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 621 » ladite occision, telle confession importe décret de capture contre lesdis » confesseurs et ensuite de ce lesdits officiers les peuvent appréhender et » saisir au corps '. » Le record du 28 février 16-') 9 touche indirectement à notre sujet par les principes qu'il énonce sur le droit de juridiction du prince. L'évèqne seul, atteste-t-il , a les droits régcdiens dans le pays et les relève de TEmpire. De tout lemps il a exercé sa juridiction dans la Cité par sa souveraine justice composée de quatorze échevins ])erpéluels, nommés par lui sans recours ni appel. Au prince seul appartient le « droit d'espée dans sa Cité; » et pour signe de ce droit on porte Fépée tant devant lui que devant le grand maïeur se montrant avec le corps des échevins es actes publics. L'évéque et son Église ont seul « les dits régaux, comme aussi la jui-idiclion susdite au crimi- » nel ; » mais, ajoutent les échevins « n'entendons de toucher à telle juri- » diction que Tévèque et prince a exercé et exerce i)ar son off^icial, ni déro- » guer à telle juridiction compétente au S"" grand prévôt eu conformité » des sacrez canons, des anciens concordats et paix faites. » Le record en question se ra|)porte en outre à la jmix des clercs, à la paix de Fexhe, à la paix de Flâne, à la lellre du prévôt, à la lelfi-e aux articles, ù la mutation de la loi notwelle, à la Paidine, aux privilèges impériaux de 4518, 1530, -1626, etc. -. On peut y rattacher deux déclarations du 30 mars 1G80 et du 21 juin 1681, émanées du prince évêqiie Maximilien-IIenri de Bavière. La première déclare qu'au prince seul, investi des réyaux, appar- tient le droit d'épée, de saisie, de prison et le châtiment des criminels; le second, que le prince et non le cha|)ilr(' tient et relève de Sa Majesté Impé- riale la juridiction civile et criminelle; que la juridiction des seigneuries et des domaines particuliers est subordonnée à la souveraineté de l'éxèque; que le droit d'édicter et d'imprimer est des réyaux de ce dernier et n'appartient pas au chapitre ^. Le record du 10 novembre 1665 *, rendu à la requête du grand bailli ' Raikem, Discours de 1847, p. 29. ' IIoui.N, ouv. cité, t. I", p. 207. ' Liste chronologique citée, t. II, à sa date. ' HoDiN, ouv. cité, t. II, p. 316. 622 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL de Ilcshayc, concerne les droits des liauls officiers. Il reconnaît comme affé- rents à ces derniers : le droit de veiller à la conservation des régaux du prince dans leur district; celui de donner l'autorisation de visiter, de lever, d'ense- velir les corps des personnes tuées ou noyées dans leui- juridiction, ainsi que celui de visiter les poids et mesures et de faire punir ceux qui contreviennent aux règlements sur la matière, sauf toutefois le droit des villes et celui des seigneurs particuliers dans leurs seigneuries; la mission de veillera la sûreté des chemins « que voleries et larcins ne se commettent, » et à cet effet d'éta- blir sergent ou forestier des champs; la mission de « contre les contraven- » teurs aux points susdits, procéder à la correction et chastoy des crimes et » excès par enquête et calenge ou plainte criminelle ; » le droit de percevoir toutes les amendes de trois florins de Brabant et au-dessous, etc. Le record du i2 avril 1677 , rendu à la requête des commissaires ^ rap- pelle les règles en usage en matière de capture et d'examen des délinquants, ainsi que les droits des commissaires de la Cité. S'appuyant sur la /laix de Fexhe et autres paix reposant dans les archives, il dit : « nul bourgeois ou » surcéant du pays de Liège, ne peut êli-e tiré par force et à main armée de sa » maison, ni ailleurs saisi sans être jugé, convaincu ou condamné, si ce n'est » à la fraîche coulpe et en présent mésus. » S'appuyant sur le pri^ilége d'Albert deKuyck et l'article 32 de la mutation de loi nouvelle, il rappelle : « qu'un bourgeois inculpé de quelque crime que ce soit ne peut être examiné » par un autre que par nous (les échevins) comme juges ordinaires et uni- » versels de la loy au criminel; » et il ajoute (lue, le 2G novembre IG^S, il a donné à la requête du chapitre une attestation analogue. Il dit enfin : « sui- » vaut les ordonnances et serment touchant les commissaii-es, qui se retrouvent » dans nos registres, qu'iceux sont obligez de garder et faire garder le régi- » ment de feu notre évêque et prince Jean de Ileinsberg, et qu'en cas de » contravention on peut s'adresser à eux, et qu'ils doivent ouïr toutes » dcsplaintes (pie les parties voudraient faire ^ » Le 18 mars IG84 les échevins de la Uité étant consultés sur la forme dans laquelle devaient être conférés les échevinages, recordent : ' lIoDiN, ouv. ciU',l. Il, p. 182. DANS L'ANCIENNE PRINCIPALTÉ DE LIEGE. 623 !*• Que les échevinages sont toujours, en pratique, conférés par lettres munies du scel des grâces, et enregistrées ensuite avec la date de Tan, du mois, du jour de la prestation de serment du titulaire; 2° Que toutefois les seigneurs collateurs peuvent présenter de bouche à la justice une personne qualifiée suivant loi et statut : mais qu'alors la cour doit mentionner dans son registre la présentation , la quulificution et la prestation de serment, pour qu'à l'avenir il conste de la qualité publique de l'échevin présenté '. Le 10 mai 1708, les échevins rendent un record dans lequel ils attestent qu'on peut arrêter sans formalités un bourgeois poui- crime de sédition ou d'Etat devant lequel tous les privilèges s'effacent -. Le 3 mars 1764, les échevins rendent un record sur les formalités des enquêtes générales. Ils attestent « qu'un officier dans le pays de Liège, )) faisant une enquête pour un délit enquêlable, ne peut aucunement nommer » dans les articles de la dite en(|uète la personne faituele par son nom, » prénoms et qualité sans commettre une nullité de plein droit; » que le juge, commis à l'enquête, doit observer la même réserve, tout en inter- rogeant d'oflice les témoins sur les circonstances qui pourraient aggraver ou diminuer le délit; qu'un oflicier ne peut amener dans une enquête des faits enquêtables surannés sans avoir préalablement prêté serment que ces faits « ne sont venus à sa connaissance que depuis peu de temps et l'an point » révolu; » qu'enfin toute infi'aclion aux règles prèmentionnées infecterait « l'enquête et tout son ensuivi... de nullité insanable ". » Le /J juillet 177 S, les échevins de Liège rendent un nouveau record relatif à la marche générale de la procédure criminelle. Ils attestent que l'indi- vidu décrété de prise de corps, /«/Y/e appréhensible , est d'abord interrogé sur les faits dont il est inculpé; qu'on procède ensuite à la confrontation ; mais que, en pratique, « on ne fait pas recomparaitre les témoins avant de » les confronter : ... on procède sans cette formalité à la confrontation, en • Style de 1779, par unavocul, p. 183. * lIoDiN, ouv. cité, t. I", p. 7, n» 10. 5 Idem, t. I", pp. 177, 178, 179. 624 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » présence du prisonnier, en rendant au\ dits témoins lecture, par mode de » confrontation, de leurs dépositions prêtées sur enquêtes '. » A coté des records de la aouccraine justice dont nous venons de parler, il ne sera pas inutile de mentionner quelques records de cours subalternes , qu'il nous a été possible de consulter. Nous signalerons entre autres deux records de la ville de Fosses; le premier du 26 avril I5o7, qui confirme entièrement celui du 1 1 décembre 1447 relatif aux lois et franchises de la ville, dont nous avons parlé dans le livre précédent; et ceux des 26 avril et 2 août de la même année, confirmant entièrement le record de 1442 sur les droits du voué -. Nous signalerons encore deux records des échevins de Ciney. Celui de 1540 établissant (\i\d Cine} le magistrat électif n'a jamais participé aux enquêtes criminelles faites par Téchevinage. Celui du 31 septembre 1586, concernant les droits respectifs du grand bailli du Condroz et du maïeur de Ciney, et énonçant des règles analogues à celles de Vappointemeut entre ces deux ofllciers dont nous avons parlé dans un paragraphe précédent. Venons maintenant aux capitulations jurées par les pi'inces évêques lors de leur inauguration, pour autant (|u'elles touchent à l'objet de notre travail. Pendant plusieurs siècles le serment que prêtaient les princes évêques, avant de prendre en mains les rênes du gouvernement et de recevoir l'hom- mage de leurs vassaux, ne comprit (|u'im pelil nombre d'articles toujours les mêmes. Ceux de ces articles qui nous intéressent consacraient le maintien de la jiaix de Fexhe ainsi que des privilèges, des coutumes, des constitutions autorisées par l'usage; l'obligation pour le prince de ne conférer les offices qu'à des gens de bonne renonmiée, nés et nationnés dans le pays, y adhé- rités, cl toujours bons et notoires catholiques; l'obligation pour lui de choisir son ollicial et son grand vicaire dans le corps des chanoines de la calhédralc , etc. '\ Au XVIh siècle, surtout dans les dernières années, le chapitre cathcdral cherchant à grandir son inlluence dans l'État, et à partager jusqu'à un cer- • Raikf.h, Discours de 1847, p. 03, cti note. 2 BoiicNET, Carliiluire de Fosses, pp. 123, 137. 5 PoLAiN,ouv. cité, 3' si'-ric, l. I", j). xxiv do la préface. — Dewez, ouv. cite, t. Il, p. 202. DANS L'ANCIENNE PRINCIPALTÉ DE LIEGE. 62a tain point l'exercice de la souveraineté avec Fcvéque, imposa à chaque nouvel élu une capitulation. Dans ces capitulations il fit entrer un grand nombre d'objets nouveaux, à propos desquels les anciens princes n'avaient jamais dû prendre d'engagement vis-à-vis des chanoines de Saint- Lambert. Sans entrer dans de trop minutieux détails, il est intéressant de connaître les principes touchant aux institutions répressives à propos desquels les cha- noines avaient à cœur de lier d'avance le souverain que leur vole donnait au pays. Et d'abord dans la capitulation de Jean-Louis d'Elderen ^, datée du 30 décembre 1688, nous croyons devoir signaler les articles 10, 11, 14, 15, 16, 22, 27,45. L'article 10 réservait les offices de bailli, de maïeur, de justicier et les autres offices séculiers (entre autres les échevinages), aux gens prudents, bons, discrets, nés et nationnés dans le pays, y adhérités, catholiques; et obligeait les titulaires à prêter serment à l'évéque ainsi qu'au chapitre. L'article 1 1 proscrivait les survivances et ne perinetlait à l'évéque de dis- poser que des offices vacants soit par décès, soit par démission, « ne pau- » latim fiant hereditaria et excessus, si qui sint, facilius detegantur. » L'article 1 4 proscrivait la vénalité des charges connne les pratiques qui pouvaient s'en rapprocher. L'article 15 consacrait le maintien de la paix de Fexhe. L'article 16 concernait la juridiction que l'official de Liège exerçait, même en matière criminelle séculière inler mère laïcos « ab annis centum » ducentis, trecentis etamplius... continue et pacifiée. » Il obligeait l'évéque à la défendre et à la maintenir, tout en veillant à ce qu'elle ne préjudiciàt pas à la juridiction de Vofficial du chapitre. Il exigeait même que l'évéque nonnnàt des conunissaires « ad tollendas difficultates » existantes entre les deux offîciaux. L'article 22 rap|)elait que ['officiai de Liéye devait être pi'is parmi les chanoines de la cathédrale résidant à Liège. L'article 27 tendait notoirement à légitimei' une usurpation sur les ' PoLAi.N, ouv. filé, ô' série, 1. 1", p. \-2'.). Nous n'avons pas cru nécessaire de rechercher les capitulations antérieures qui ne sont pas publiées. Tome XXXVIII. 79 626 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL hauteurs du prince. Il revendiquait, au profit du chapitre, la (/uasi-po.sses- sioii (bien précaire sans doute) du droit de feu et de citasse dans les terres de celui-ci; il voulait que Tévèque ne tentât rien contre son exercice, et qu'au contraire il laissât le chapitre en user paisiblement par rinterniédiaire de son officier et bailli , même à l'égard des clercs coupables d'homicide. Dans cette dernière hypothèse, toutefois, il réservait aux juges ecclésiastiques ordinaires le droit de prononcer la sentence contre le coupable. L'article 45, enfin, obligeait l'évêque à maintenir de tout son pouvoir le droit de feu et de chasse compélant à lui et à son église, dans toute la principauté. La capitulation de Joseph-Clément de Bavière, du 25 octobre 1694 \ dans ses articles 13, 14, 18, 19, 2G, 31, 50, reproduisait toutes les règles que nous venons de résumer. En outre elle fournissait quchpies indi- cations précieuses qu'il importe de ne point passer sous silence. D"abord, en parlant du maintien de la paix de Fexhe dans son article 18, elle déclarait qu'un surcéant ne pouvait être appréhendé par un justicier qu'en flagrant délit; mais elle ajoutait aussitôt que la règle cessait rations materiae status oc publicae salut is - : alors, disait-elle, s'il y a péril en la demeure, le jus- ticier capture l'accusé, soumet ce qu'il vient de faire au Conseil privé, et celui-ci décide sur-le-champ ou le renvoi du prisonnier devant son juge compétent, ou son élargissement immédiat. Ensuite, dans son article 6, elle ra|)pelait que l'évêque n'avait pas le droit de punir les chanoines de Saint-Lambert, même en matière criminelle; niais (pie, le cas échéant, le délinquant devait être traduit « coram sanclà sede; » quam, uti ab oïdinai'ia jurisdictione exempti, salvà tamen coriectione et » punitione capilulo in canonicas hujus ecclesiae compétente juxla concor- » data et consneludinem a capitulo hactenus observatam, solum judicem >) agnoscimus. » Enfin, dans son article 7, elle permettait à l'évêque, quand il y avait péril en la demeure, de faire cependant arrêter le chanoine criminel du consen- tement exprès du chapitre et après information sonnnaire faite par ce der- ' PoLAi>-, Diiv. cite, 3' série, 1. 1"', pp. 'i\V>, li'.iG. '^ A rappro<'lR'r du ricord de I7U8 dont iiuu$ avons pui'l('' plus liaut. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 627 nier, pour le traduire prisonnier devant les juges délégués du souverain pontife. La capitulation de Georges-Louis de Berghes, du 4 décembre 1724', contenait à son tour dans ses articles 7, IS, 16, 18, 19, 24, 29, 42, toutes les dispositions des deux chartes précédentes , sauf les suivantes : celle qui a trait à la juridiction de l'oflicial -; celle qui permet à l'évêque d'appré- hender provisoirement un chanoine de Saint-Lambert délinquant. Elle rap- pelait, de plus, dans son article 13, que dans le pays de Liège tous les officiers étaient tenus de résider dans leur ressort sous peine de déchéance de leur charge encourue de plein droit; et, dans son article 20, elle invi- tait le prince à faire observer à la lettre, pour obvier à Timpunité des crimes, Vonlonnance du 11 décembre 168S relative aux lettres de grâce. La capitulation de Jean-Théodore de Bavière du 10 mars 1744, et celles des princes évéqucs d'Oultreniont , de Velbruck, de Ilocnsbroeck, de Méan, auxquelles cette dernière a servi de modèle, sont infiniment plus courtes •''. De toutes les règles que la charte du prince d'Elderen mettait sous l'égide du serment inaugural du prince, elles n'en reproduisent que quatre : celle qui concerne les qualités à réunir par les titulaires des offices séculiers; celle qui consacre le maintien de la paix de Fexhe ; celle qui concerne la juri- diction de l'oHicial de Liège cl la juridiction de l'olficial du chapitre; celle (|ui oblige l'évêque à pi'cndre son officiai et son grand vicaire parmi les chanoines de Saint-Landjcrt résidant à Liège *. Il est à remarquer encore que Jean-Théodore de Bavière ne jura l'article relatif à la juridiction de l'oflicial que sous tontes réserves; nous verrons plus loin pourquoi. Ses successeurs en jurèrent l'observation purement et simplement. Nous n'insistons |)as. Il nous suflit d'avoir montre'' ici les éléments pré- cieux pour notre sujet qu'on reti'ouve dans les capitulations des princes de Liège. Nous teiminons donc le présent chapitre en disant un mot des actes concernant la punition internationale des malfaiteurs. * PoLAiN, ouv. rite, 3'' série, 1. 1", p. 55(i. * L'évêque avait refusé de le jurer, nous verrons pourquoi. 3 PoLAiN, ouv. cité, 5' série, t. Il, pp. i, 497, 660, 893, 987. * Articles 2 et 3. 628 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Au XVI'' et au XVII'" sièclo deux traités, conclus entre les princes de Liège et les princes des Pays-Bas de la maison de Habsbourg, énoncèrent des règles sur la répression internationale des crimes graves. Ces traités sont le traité d'alliance du 17 avril-12 novembre 1518, et le concordat du 27 novembre 1615 '. L'article 4 du premier iiis(nimeul comporte, pour les parties contrac- tantes, l'engagement de s'enlr'aider réciproquement à « porveoir à la seurté » des chemins, appréhension, pugnition, et correction despillars, robeurs, » agaiteurs, destrousseurs, et aultres vuellans donner empeschement aux » marchands et bonnes gens fréquenta ns lesdils pays. » L'article 5 prévoit le cas où des gens de l'espèce, après avoir délinqué dans le pays de Liège, se réfugient dans les Pays-Bas et vice versa. Il permet à Yofpcier du lieu du délit de poursuivre, de prendre, d'appréhender ces fugitifs, même sous la juridiction étrangère, mais à charge de livrer son pri- sonnier à Yofjlcier du lieu de In capture; il oblige celui-ci à faire incontinent punir et corriger le coupable sans faveur ni délai. L'article 46 du concordat de 1615 reproduit à |)eu près in terminis les dispositions de l'article fi du traité de 1518. En l'interprélaut, Lou\jexfail une remarque d'une importance capitale : Cette convention, dit-il, « se » doit entendre, à ce qu'il semble, quand l'ollicier est tellement à la pour- » suite du criminel, qu'il ne l'a pas abandonné. Mais, si le criminel s'est » réfugié dans le pays voisin sans être poursuivi, ou si l'onicier en a aban- » donné la |)oursuite, il ne lui est plus permis de le prendre; et si le crime » est atroce, il doit s'adresser au prime (étrangei') et demander que le cri- » minel soit renvoyé à la justice du lieu où ce crime a été commis -. » Les renvois auxquels Louvrex fait allusion dans ce dernier passage n'étaient guère en usage entre les Pays-Bas et la principauté de Liège. Les Braban- çons notamment, appuyés sur un article de leur Joyeuse entrée, y répu- gnaient "'; et d'ailleurs, connue il n'existait pas de véritable traité d'extra- ' IIoDi.N, ouv. ciU-, t. l", pp. 18!) cl :.'ô3. L;i deuxième date de l'acte de liilS est eclle île l'adhésion des étals. » lIoDi.N, ouv. cité, l. I", p. 245, n-' I el ± ' .Mémoire cité sur In Joyeuse entrée, p. JOl. DANS L ANCIEINIVE PRIlNCIPALTE DE LIEGE. 629 dition, ils ne pouvaient avoir lieu que ex urbanitate , non ex necessitate '. La situation changea en ITdS, au moins en ce qui concerne le pays de Liège et de Looz d'une part, les principautés de Luxembourg, de Cliiny et de Namur, de l'autre. Le 1" septembre de cette année, Georges-Louis de Berghes publia un mandement relatif aux extradUions , mis en garde de loi le 10 du même mois, dont voici le préambule : « Comme la punition des crimes, qui est si nécessaire pour le lepos et la » tranquillité de l'État, est souvent éludée par la retraite que les malfaiteurs » trouvent dans les terres de domination étrangère où ils se réfugient, et que » nous sommes informés des dispositions dans l('S(|uelles Sa Majesté impé- » riale et catholique, comme duc de Luxembourg, comte de Chiny et de » Namur, est de donner de son côté les ordres nécessaires pour qu'à l'avenir » les officiers de notre pays de Liège et comté de Looz, et ccu\ du duché » de Luxembourg et comtés de Chiny et de Namui-, se restituent réciproipie- » ment les malfaiteurs qui se serait réfugiez d'un pays à l'autre, paiini (jue » nous donnions aussi de pareils ordres de notre côté. » Ce mandement était donc la conséquence directe de négociations diploma- tiques préexistantes, dans lesquelles le principe d'une stricte réciprocité avait été établi. Quant aux règles qu'il énonçait en matière d'extradition des mal- faiteurs réfugiés dans le pays de Liège et de Looz, elles étaient au nombre de trois : 1" Il fallait que le malfaiteur fut réclamé par un officier ou un justicier des pays de Luxendjourg, de Chiny ou de Namui-, conmie a}aut délinquè dans son ressort; 2" Il fallait que ce malfaiteur fût accusé d'être assassin, voleur, incen- diaire, brigand, ou d'être coupable d'autres semblables crimes graves et atroces ; 3" Il fallait, s'il y avait doute sur la nature de l'accusation , que les offi- ciers liégeois, requis de faire l'extradition, portassent l'affaire à la connais- sance du prince et attendissent ses ordres. ' HoDiN, ouv. cik', 1. 1", p. :245, n" 2Ô. 630 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Le niaiulcment ajoutait : « Le tout aussi longtemps que Ton en agira de » niènie au pays de Luxendjourg, de Chiny et de Naniur. » Il défendait au surplus d'extrader des sujets liégeois ou lossains réclamés comme délinquants par les otïïciers étrangers; mais il invitait les ofliciers liégeois à faire faire à ceux-ci leur procès dans le pays, et à les faire punir « selon Texigence des » crimes dont ils seront convaincus '. » Les principes que nous venons de résumer, et (pii concernaient les cri- minels proprement dits, restèrent en vigueur jusqu'à la fin de l'ancien régime. V extradition des déserteurs fut à son tour l'objet d'un grand nombre de cartels, conclus entre les princes d'une part, les rois de France, les souverains des Pays-Bas et la république des Provinces-Unies, de l'autre^. Nous nous bornons à en signaler rexistence pour ne pas allonger déme- surément notre travail; et, en finissant, nous nous permettons, dans l'ordre d'idées (jui nous occupe, d'appeler l'attention sur le dispositif étrange d'un édit du 2o septembre 1711 contre les vagabonds, renouvelé le lo décem- bre 1713. Cet édit, rendu pendant la guerre de la succession d'Espagne, concernait paiticulièrement le grand bailliage d'Entre-Sambre-et-Meuse. Il ordonnait au grand bailli de faire faire des patrouilles par les surcéants; de traquer les vagabonds et les bandits qui foulaient son ressort; et, ajoutait-il, « pourqm' » le cbàliment suive immédiatement après le crime, nous voulons et per- » mettons pour causes à ce nous mouvantes, » (|ue les délinquants appré- bendés soient conduits par les patrouilles liégeoises à la f)hts /trocliaiue place de France on de son Altesse Électorale de Bavière (en Luxembourg ou en Namui'ois), et livrés aux (jouverneurs on commandants , lesquels nous requé- rons de les faire emprisonner, juger et exécuter par la voie militaire '\ Nous sommes ainsi arrivé au terme que nous nous étions propose au seuil de ce long cliapiire. Mais, apiès les détails que nous avons donnés, il nous reste encore un travail à faire. Il nous reste à présenta un tableau plus ' IIoDiN, oiiv. cilû, t. I", p. 271. — Poi.AiN, ouv. rilc, ù' série, I. I", ;'i sa d.ile. - Voir la liste cliioiwlojjiqite ihcc, aux lumcvs 174:2, I7a7, ITj'J, I7GI, 17C5, 1706,1707, 1775, 1779, 1785, 1785, 1787, 17HS., 1791, etc. •" Poi.Ai.N, OUV. cité, 3' série, 1. 1", p. 435. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 631 technique qirhistorique des institutions, du droit et de la procédure dans le pays de Liège pendant les derniers siècles de l'ancien régime, et surtout au XVII I'' siècle. C'est à ce tableau que nous consacrerons les chapitres suivants. CHAPITRE II. DES INSTITUTIONS RÉPRESSIVES LIÉGEOISES A LA FIN DE l'aNCIE.N RÉGIME. Grâce aux développements que nous avons donnés dans les deux premiers livres, et grâce aux faits signalés dans les pages précédentes, ce chapitre pourra être relativement couit. Il comprendra deux paragraphes : le premier consacré à l'exposé des institutions judiciaires et de leur mécanisme; le second consacré à l'étude des principes de compétence '. § I"". — Des jufjes et des officiers criminels. L'exercice de la juridiction criminelle dans la principaulé de Liège, à la (in de l'ancien régime, se partageait encore entre deux grandes calégories de juges : les juges d'église et les jtigos séculiers. Parlons d'abord sommaire- ment des juges d'église. Ceux-ci étaient : le grand ^ icaire ou vicaire général de l'évêque, l'ollicial de Liège, l'ofiicial du chapitre, et les archidiacres chacun dans son archidiaconé. On peut encore citer |)armi eux le prévôt de Saint-Lambert, à titre de certaines prérogatives spéciales; les prévôts des autres églises, surtout à Liège; les chapitres des collégiales, enfin, le cas échéant, des juges délégués par le souverain pontife. Nous ne faisons men- ' Nous nous contenterons souvcut de renvoyer à Sohet, qui ;i eniploxé toutes les sources, cl dont nous nvons contrôlé les dires. Ce sera un moyen d'abréger les innombrables notes que nous devrons mettre au bas de nos pages. (J3ï> ESSAI SLR L'HISTOIRE W DROIT CRIMINEL tioii que pour inénioire des iiKpmiicKis de la foi, juges ecclésiastiques qui avaieni existé au XVI'' et au XVI^ siècle dans le pays de Liège, mais dont il n était plus question au XVII^ siècle. Leur action avait été très-combattue au XVI"^ siècle dans la Cité de Liège, où les bourgeois n'étaient justiciables par mqm-le que par loi et franchise. Du reste, leurs attributions n'étaient autres alors (pie de recliercber, de réconcilier ou de punir les hérétiques au for ecclésiastique, ou de les renvoyer convaincus et pertinaces au for sécu- lier *. Le grand vicaire était nommé par l'évèque parmi les chanoines de la cathédrale. Ses fondions expiraient à la mort de son mandant. Garde-scel ou, comme ou disait autrefois, scelleur de l'oflicial, il avait lini par acquérir un droit do judicalure spécial. Il jurait l'observation des statuts et des paix fuites. Il était réputé exécuteur perpétuel des statuts de la cour de l'oHicial, comme l'olTicial lui-même, et a\ait, à l'égal de celui-ci, surintendance sur tous les ministres de cette cour. Sans pouvoir commettre un autre vicaire général à sa place, il pouvait se faire remplacer par un lieutenant en cas d'absence. Le grand vicaire avait droit de visite; il avait pour ressort terri- torial la piincipauté tout entière; mais, comme il n'était pas juge ordinaire du pays, il devait agir sans fit/iu-e de procès quand il exerçait sa juiidiction sur les laïcs. Ses assesseurs et ses auxiliaires étaient les mémos que ceux de l'oflicial •=. Lofficicd lie Lirye. (pii portait le titre do juge ordinaire et do président de la province, avait un tribunal impoi'lant où il jugeait seul. 11 était, comme le grand vicaire, nommé par l'évèque et ad nutmn , et comme lui il était astreint à jurer l'observation des paix du pays. Il devait èlre cha- noine do la cathédrale, docteur ou licencié en dioil canon ou d'ailleurs i capable, savoir la langue latine, la langue française et la langue llamande. Il pouvait établir un lieutenant, et même commettre les causes civiles et cri- minelles à des personnes capables de les décider. On appelait des sentences de ces commissaires à rolïicial lui-mémo. Autour de ce dernier et pour laidor dans l'exercice de ses fonctions ' CiiAPEAViLLE, t. III, pp. .519, 31. s. ô^.i, etc. — SoiiKT, ouv. cilc, livre 1", titre XIII, passim. * .SoiiET, OUV. eilé, livre V, titre XXXII, u"' 5, 6; livre I", titre X. DANS L'ANCIEINiSE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 633 judiciaires, se groupaient un grand nombre de fonctionnaires : les deux avocats fiscaux, le sentencier, les audienciers, les clercs sermentés, le régis- trateur, etc. Sans entrer dans de trop longs détails, nous nous bornerons à dire un mot des avocats fiscaux : c'étaient deux laïcs; ils étaient les assesseurs perpétuels de l'olficial, avec voix consultative, mais non délibérative ; ils pouvaient parfois tenir la place do Tofficial en cas de besoin ; ils étaient tends de rendre compte de la conduite des ;j;-on2, S3, "ii, etc., et analogues dans IVdit de 1G9C. DAÎSS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 639 résumait en général les arguments produits par raccusation et par la défense et appliquait le droit au fait '. Le prévôt remplissait en outre les fonctions d'officier de police judiciaire de la juridiction militaire; c'était à sa garde qu'on remettait les délinquants justiciables de cette dernière. -. Mais venons aux ikliepinagcs , c'est-à-dire aux antiques juridictions terri- toriales, et, sans crainte d'empiéter sur le domaine du paragraphe suivant, disons avant tout qu'ils constituaient le ressort le plus important de l'admi- nistration de la justice criminelle dans le pays de Liège. Tout éclievinage comprenait, comme au XIII" siècle, deux éléments constitutifs très-distincts : un justicier et des juges. Le justicier, maïeur ou écoutête, représentait le seigneur; il convoquait le tribunal; il prononçait la formule de la semonce; sans son interxcntion le pouvoir des juges était inerte et stérile. Les juges étaient les éclio\ins; leur mission était de faire rinslruction des affaires et, au moins pour quelques-uns d'entre eux, de formuler les scïnlences à la majorité des voix. Nous aurons l'occasion de revenir encore sur ce qui concerne \es justiciers ; pour le moment nous aurons surtout en vue les échevins. Au sommet de la hiérarchie des échevinages liégeois se trouvait le Tri- hunal des échevins de la Cité. Il était connu par excellence sous le nom de Tribunal de la lui ou de souveraine justice de l'évêque; et ses membres étaient réputés comme jadis les chefs de la loi du pays et les gardiens des lois, des statuts et des coutumes. Le tribunal des échevins avait le pas et la préséance sur tous les tribunaux laïcs du pays, même sur W Conseil ordinaire. Une déclaration du [0 octobre 1099 lui avait maintenu son rang nonobstant un diplôme imj)érial que le Conseil ordinaire avait subrepticement obtenu. (^)uand il marchait en corps dans les cérémonies publiques, on portait devant lui la verge rouge, emblème de la juridiction criminelle, et \e glaive de la justice ^. Le tribnnal des échevins de Liège se composait du grand maïeur, son chef et président, comme justicier, et de quatorze échevins juges. Ceux-ci étaient ' De RobauuxdeSoumoy, p. 98. — Souet, livre I", titre Xli. * Édits sur les vaiçabonds au XVIII'' siècle. "' HoDiN, ouv. cité, I. II, cliapilre XVI, p. H7. 640 ESSAI SUR I.'HISTOIIIE DU DROIT CRIMINEL inamovibles et tenus à résidence K Ils étaient nommés et commissionnés par le prince et astreints à prêter au sein du chapitre cathedra] l'ancien serment. Ils desaient être gens de bien, capables, non artisans, de mariage légitime, nés et nalionnés du pays, ad/iérilt's , parentés dans le même pays et catholi- ques -. La qualité de gradué n'était pas expressément requise dans leur chef, mais la plupart d'entre eux la possédaient. Ceux d'entre eux qui étaient nobles de race n'avaient d'autre prérogative sur leurs collègues non nobles que le droit d'avoir préséance sur ceux-ci. Les échevins de même condition avaient rang et séance selon l'ordre de leur réception '\ Il n'était pas permis, en princi|)e, à un échevin de renoncer à son siège en laveur d'un tiers *; cependant, dans des cas extraordinaires, on faisait fléchir jusqu'à un cer- tain point la règle. On sait, par exemple, qu'en 1669 le fils du bourg- mestre Laruelle, échevin de Liège, convint, avec l'approbalion du prince, de remettre son èchevinage par survivance à Louvrex, arrière-neveu de Théodore de Fleron. Il croyait de son devoir de réparer ainsi l'assassinat de Théodore de Fleron, accusé injustement d'avoir été complice de la mort de Sébastien Laruelle •'. Quant aux règles établies par la réformalion de Groisbeeck, défendant d'admettre à la fois au siège le père, le (Ils, l'oncle et le neveu, et inlerdi- sanl aux titulaires des chai'ges échevinales de se rendre a]très leur réception pensionnaires de princes ou de seigneurs étrangers, elles étaient encore en vigueur *'. Les échevins de Liège devaient siéger à huit au moins en matière crimi- nelle. Leur tribunal rendait la justice au nom du prince évêque, et, en temps de siège vacant, au nom de l'église de Liège et du chapitre. Conformément à une anticpie coulume, il choisissait encore dans son sein deux maiires des échevins ; et c'était sous le scel de ces derniers qu'il faisait expédier les actes passés en son nom '. * .SoiiET, livre 1", litre XLIIl, ii" I et -1\). s Iihm, livre 1", tilre XXXIl, ii" ^2V; livre II, titre XXXI, n"' 27, 28, 31. 5 lilcm, li\rc 1", titre XXXIl, ii" 27. * ("cMi l'Ii' lin cDiitiiit (le survivance, défendu eu piiiuiiie par la eajiitulation. ' Kaikicm, Discours de ISiti, p. 7, d'a])rès Loyeiis. fi SoiiET, livre I", titre XXXIl , n'" 25, 28. ' /(/cm, livre I", litre XXXII, n" 30, 51 ; livre 1", titre XLIV, n° 5. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 641 Les échevinages de la plupart des villes et des villages du pays portaient le nom générique de coms basses , de basses justices ou de cours subalternes. Ce nom marquait sim|)lenient leur subordination vis-à-vis de la souveraine justice de la Cité. En elîet, parmi les cours subalternes du pays de Liège, comme parmi les écbevinages des principautés voisines, il y avait des justices hautes, moyennes et basses, suivant la nature et Fétendue de la juridic- tion qui leur compétait. II est à remarquer toutefois que la plupart des éche- vinages liégeois, même du plat pays, avaient les prérogatives de la haute justice : ils avaient juridiction ordinaire tant pour décerner les f/rands com- mands que pour connaître de toutes espèces d'actions civiles et criminelles, sauf, bien entendu, robligation d'aller en rencharge aux échevins de la Cité. Le territoire des rares échevinages de moyenne justice criminelle, était, au point de vue de la haute justice , compris dans le territoire d'un échevi- nage plus im|)orlant *. Les cours subalternes se composaient ordinairement d'un maïeur ou écou- tête justicier, et de sept échevins jujic's. Dans les \illes où la souvci-iinelé était partagée, comme à Maeslricht, le nondjre des échevins était double, et l'échevinage se partageait encore en deux bancs. En règle générale, et s'il n'y avait statut ou coutume contraire, les échevinages des cours subalternes étaient selon la loi liégeoise inamovibles comme les échevinages de la Cité -. On considérait même comme nulle la clause d'amovibilité insérée dans une commission échevinale '\ Les échevins des cours subalternes étaient nommés et commissionnés par le prince *, ou par le chancelier en son nom, dans les villes ainsi que dans les villages épiscopaux; par le chapitre catliédral, les autres chapitres et les sei- gneurs particuliers, dans leurs domaines et dans leurs villages respectifs'". Pendant les derniers siècles, les princes de Liège, suivant l'exemple des ' SoHET, livre l", liliT XLIV. — BoiiGNiiT, Cartiilaire de Cineij, Introduction. * MoDiN , ouv. cite , t. H , p. 5 1 1 , ii" 2 et 51 1 ; Notes ullèrieures. ^ SoiiET, ouv. cité, livre II , litre XXXI , n"' 9 et 1 1. * Ils pouvaient être présentés de bouche , iniiis cela se faisait rarement. » SoHET, ouv. cité, livre I", titre XLIIi,n°' 12, 15; livre II, titre XXXI, n" 1 et 2. Tome XXXVIII. 81 642 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL souverains dos Pays-Bas, donnèrent en ongagère la justice d'une foule de \illagos de leurs domaine '. Les éclievins des villes et des villages devaient réunir des conditions d'ido- néilé analogues à celles qu'on demandait aux éclievins de Liège -. Dans les villes ils étaient tenus à résidence. Leur commission devait être enregistrée au registre de la cour avec la date de leur admission et de leur serment ^ ; de plus, les commissions délivrées par le chancelier étaient astreintes à l'en- registrement à la Chambre des complet *. Les cours subalternes rendaient la justice au nom de celui qui les avait insliluées •'"'. En matière criminelle elles devaient siéger avec quatre échevins au moins ^. A côté de la souveraine justice de la Cité et des cours subalfenies , se trouvaient un certain nombre d'auxiliaires importants. Nous citerons parmi eux les greffiers . les sergents et les parliers. Les greffiers , comme nous l'avons dit, avaient un rôle d'une importance capitale eu matière criminelle, surtout en présence de la procédure écrite. Leur ollice était inamovible , et ne pouvait être conféré qu'à des hommes ayant l'âge de vingt-cinq ans accomplis ^ A Liège et dans les autres villes ils étaient tenus à résider et, du moins en principe, à exercer leur charge en personne **. A Liège, le haut gredier ou gredier en chef avait plusieurs sous- grelliers permanents, parmi lescpiels deux étaient toujours préposés aux alTaires criminelles ". Dans les autres consistoires de justice, le titulaire de la charge pouvait faire admettre un ou plusieins substituts assermentés par le tribunal , mais il restait responsable de leur gestion "^. ' Bull, urcli. li(-g., t. VII, p. I : BoIlMA^•s: la Cliniiibre des finances des princes-évèques de Liège. - SoiiET, ouv. cite, livre II, titre XXXI, n"' t>!), 30; livre I", tilrc L, n" I. '' Idem, livre I", titre XLIII, n" l-i, lu, 17, 18. '' Idem , livre I", titre XLIII, n" lô. ■' Idi'in, idem , n" u. ^ Si y le de 1779. 7 SoiiET, OUV. cité, livre I", titre LU, n"" 5,4; livre II, titre XXXI , n" il. I I ; lir/ormatioii de Groisbecck, ehapitre II , article 2:2. ■* liéfurmuUuii de Groisbeevk, chapitre II, n" I. ' Henaux, ouv. cité. '" SoiiKT, ouv. cite, livre I", litre LU , n"' 8, !). DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 643 L'oflîce de greffier était conféré par le prince, ou par le chancelier en son nom, dans la Cité, dans les villes et dans les villages épiscopaiix; par les seigneurs ecclésiastiques et laïcs dans leurs propres villages K Les sergents avaient pour mission de faire les exploits de justice, et sou- vent de rapporter les délits et excès. Ils étaient nommés par le propriétaire de la juridiction , le prince ou les seigneurs subalternes, ou par le maieur local de l'aveu des échevins. Ils étaient tous dans la sauvegarde du prince ; étaient crus sur leur serment pour ce qui regardait leur office, et même parfois quand ils déclaraient avoir été maltraités; ils étaient choisis parmi les gens de bonnes mœurs, à l'exclusion des gens condamnés pour crime ou devenus infâmes pour avoir dû faire pénilence |)ubli(pie ; ils étaient astreints à prèter,en entrant en charge, le serment prescrit par la ré formation de Groisbeeek -. Les fondions de parlier ou de prélocuteur étaient érigées en titre d'office. Elles se confondaient avec celles de procureur. Pour les exercer devant une cour de justice il fallait avoir été admis par elle. Cependant les pariiers de la souveraine justice pouvaient piaticpier de\ant toutes les cours du pays. Il en était de même, nous l'avons dit, des avocats admis au siège de ïoffu'ialilé. Les pariiers étaient tenus, comme jadis, de servir les pauvres gratis dans le lieu de leur résidence. La cour fournissait souvent d'office un d'entre eux aux parties (|ui n'en avaient pas •'. Venons enfin aux officiers criminels. Les officiers criminels qui, dans le pays de Liège, avaient au W'III" siècle le droit de poursuivre les délincpianls devant les juiidictions territoriales , étaient nond)reux. C'étaient le procuieur général de l'évêque, le grand veneur, les grands baillis, le bailli de la cathé- drale et les hauts officiers du chapitre, les seigneurs de village et leurs baillis, les maïeurs et les écoutètos des villes et dos villages. Des anciens voués il n'était |)res(|ue plus (pieslion. En Brabant, tous les officiers criminels territoriaux étaient chefs justiciers de l'un ou l'autre tribunal auquel ils étaient attachés; le procureur général du duché, premier des officiers criminels du pays, sans être chef de jus- • ' SonET, ouv. cite, livre I", litre LU, n" 2, elc. - Idem, livre 1", titre LVI, ;)ossi)«. ' Wem, livre I", litre LIV. 64i ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL tice, ne pouvait néanmoins traduire les délinquants que devant le Conseil de la province. A Liège la situation était tout autre. Les maïeurs locaux seuls étaient en rapport avec un seul tribunal, et, comme nous le verrons, leur rôle en matière criminelle était fort modeste, au moins en général. Le procureur yénérul de révéque était le premier des officiers criminels du pays quant à l'étendue du territoire dans lequel il exerçait ses fonctions. il n'était en aucune façon chef de justice. C'était \}ar-i\e\anl rofficiadlé qu'il prétait son serment en entrant en charge. C'était d'elle qu'il se reconnaissait justiciable à raison des infractions professiomielles qu'il commettrait. Son serment avait de grandes analogies avec celui des procureurs fiscaux de l'officialité; et cependant le procureur général ne dépendait pas absolument de celle-ci. Il pouvait citer les délinquants qu'il pom-suivait, non-seulement devant elle, mais encore devant la souvcrdine juslice ou devant les autres justices territoriales, et agir d'uiitorilc ilc ces dernières aussi bien que d'au- torité de Vott'mul. Il faut dire toutefois que ses rapports étaient plus fréquents avec l'official qu'avec tous les autres juges '. Le procureur général était établi par le prince de Liège pour veiller au maintien de ses droits, de sa juridiction, de ses prééminences, de son auto- rité. C'était à lui de veiller dans tout le pa/js à ce que les ordonnances fussent mises à exécution et à ce que la justice fût administrée. Cependant sa position était loin d'être comparable, au point de vue de l'administration de la justice criminelle, à celle des procureurs généraux dans les Pays-Cas. Ceux-ci, au moins à la fin du XVIII" siècle, avaient acquis un droit de pré- vention général. Le procureur général de Liège, au contraire, ne pou\ait agir en matière criminelle qu'en cas de néfjlif/ence ou de dissiniulaiiun de la part des officiers criminels ordinaires. L'action ne s'ouvrait à son profit qu'après un laps de six semaines écoulé depuis la |)eipétration de l'infiaction sans que celle-ci eût été poursuivie -. Les édits de 1085, relatif au droit de grâce et aux homicides, de 17:29 rcialif au deuil, du 10 août 17(11 relatif aux icquisilions de charrois en teinps de guerre, etc., réduisent tous les p ' Documcnls el piil)li(:i(ioiis rclalivi-s l\ l;i juridiilioii Je iDllidaliiu XVIli' >ièclc : Xarnttto liislon'rti cl SCS nppfiidiccs, |)|). 50, 67, S.'i. * Voir Statuts île Ili92 d Erncsl de Uaviùic, iliapilrc 1", arliclc -2. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE 643 pouvoirs du procureur général dans ces limites. L'édit du 5 août 1793, renouvelant les prescriptions de ceux de 1734-, 1736, 17o2 contre les vaga- bonds, dispose dans le même sens K Le grand veneur nommé par le prince, dont il est déjà question à l'époque de Gérard de Groisbecck ^, exerçait aussi sa charge dans la princi- pauté entière. Il avait pour mission exclusive de veiller au maintien et à l'observation des édils sur la chasse, en faisant comme ofiîcier criminel les poursuites convenables. Il citait les délinquants devant les échevinages locaux; il n'avait à l'égard des officiers ordinaires, hauts et Oas, que le drc/it de prévention ^. Les grands baillis ou hauts officiers étaient les véritables grands justiciers territoriaux. Il y en avait un à la tête de chacun des vingt et un bailliages qui divisaient la principauté de Liège avec ses annexes, le comté de Looz et le comté de Horncs : les bailliages d'Amercauir, d'Ans et Moulins, d'Avroi, de Bilsen, du Condroz, de Franchimont, de Ilasselt et Curangc, de Hersfal, de Hesbaye, de Horncs, de Liège et banlieue, deLooz,de Maeslricht, de Moha, de Montenaeken, de Pelt et Grevenbroeck, de Uevogne, de Ilivage, de Saint- Trond,de Sambrc-et-.Mcuse, de Stockem *. Nous n'entrerons naturellement dans aucun détail par lapport aux ofliciers lossains. Les hauts officiers liégeois d'Amercœur, de Condroz, de Hesbaye, de Moha, du Kivage, de Sambre et Meuse, portaient le titre de grand bailli. Chacun d'eux avait un lieutenant bailli. Le grand bailli de Hesbaye, outre un lieutenant, avait encore quatre substituts détachés à Waremme, à Houtain- l'Évèque, à Visé et à Alken. Les hauts officiers d'Avroi et d'Ans-à-Moidins se titraient simplement de baillis. Ils n'avaient pas de lieutenants. Celui du mar(|uisal de Franchimont s'appelait ijouvcrneur : il avait deux lieutenanls, un poin-le ban de Verviers, un pour les autres bans du marquisat. L'ollicier de Herstal s'appelait haut * SoHET, ouv. c'ilc, livre 1", litre LVIII, pas«iw. — Polain, ouv. cilé, 5' série, t. Il, p. 989 -- HoDiN, ouv. cité, t. Il, p. 455, sur le droit de chasse, etc. ^ HoDiN, ouv.eilc, t. II, p. -i"2l. 5 SoHET, ouv. cité, livre 1", titre LIX. * IIe>'Au.\, ouv. cité. Gi6 ESSAI SLIl LHISTOIIIE DU DKOIT ClilMLNEL (Irossart. Son lieutenant portait tantôt le nom de soiix-drossart^ tantôt sim- plement celui (le (Iro.smrf. Enfin les liants ofliciers de Liège et de Maestricht s'n])\H'\n\onl f/yands mrt leurs, et celui de Revoguti prévôt. A Revoirnc le lieu- tenant du |)iévôt sappelait le (/eutcnant prévôt. A .Maestricht le lieutenant du grand maïeur s'appelait lieutenant maïeur. A Liège le grand maieur avait à ses ordres plusieurs sous-maïeurs, à la tète desquels se trouvait le maïeur en fiauté ^ Les lieutenants des hauts olliciers, bien que nommés par eux, avaient rang d'oHicier du prince -. Parmi les grands baillis de la principauté, le grand maïeur de la Cité tenait le plus haut rang et avait la préséance sur ses collègues. Les charges de grand bailli étaient conférées par le prince de Liège ou en son nom et par commission écrite. Elles étaient essentiellement amovibles; elles ne jjouvaient être acquises à prix d'argent, de dons, de bienfaits ^. Leui's titulaires devaient naturellement rèunii- toutes les conditions didonéité exigées dans le chef des ollicieis du pays par les capitulatioiis des |)rinces et les anciennes paix : ils devaient donc èlre nés dans le pays, y nationnès, c'est-à-dire nés de parents liégeois eux-mêmes, avoir dans la principauté des parents et des alliés, des propriétés foncières, leur résidence, être catholi- ques et de bonnes mœurs *. De plus, la plupart des grands bailliages étaient ordinairement occupés par des membres de ïétal noble. Un rescrit impérial du 14 mai 1707 avait confirmé d'anciens usages en vertu desquels les gen- tilshonmies admis dans l'état noble liégeois prétendaient avoir tiroit exclusif aux chari.H'sde ijrrand maïeur de Lièi^e, de grands baillis de llesbave, de Looz, de llornes, de Uilsen, du Uondroz, d"Entre-Sambre-el-.Meuse, du Hi\age, de Grevenbroeck, d'Avroi et d'Amercieui-, de drossart de Herslal, etc. : « lorsque eux » ou leurs enfants s'en tiou\eraient capables. » A ravènement de Jean- Tbéodoie de Bavière, Tèlat noble présenta requête au prince pour la conser- \ alion de cet état de choses et pour demander en outre que : « attendu que * Henaux, oiiv. cilc. — Règlcniciil |)(iiir I.it'gc du 1) jiinvicr 1702. - Voir nèglciiiculs ^ll^ loflici" du grand inuïcur, passhn. — Kempeneers, De oude vrijheidt vun MoHiciiiifhcii , t. Il, |i|i. 4V et 440. ' SoiiET, livre II, litre XXXI. * Idem , idem. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 647 » les grands bailliages sont sans pension et plus onéreux que profitables, » il fût de nouveau permis à leurs titulaires de nommer les maieurs, les éche- vins et les greffiers dans leur ressort. Le prince n'accéda pas à la seconde demande; quant à la première, il répondit le 24 mars llli : « lorsqu'il vaquera quelques charges affectées à » la noblesse de ce pays, S. A. se fera un vérital}lc plaisir de les conférer » aux gentilshommes qui seront reçus audit état, de même que des charges » considérables de justice, lorsqu'ils auront l'érudition et la jurisprudence » nécessaire et suffisante pour les remplir dignement. » De plus le 40 jan- vier 174-4 intervint une déclaralion nouvelle faisant connaître rpie celle du 24 mars 1753 était de pure bien\eillance, mais ne consacrait pas au profit de l'état noble un droit absolu et exclusif '. Les grands baillis prêtaient serment de fidélité au prince et au chapitre dans le sein du Conseil prive -. Ils juraient, en outre, de mener chacun par loi et par jugement, d'entretenir les paix faites et de défendre la religion catholique; et faisaient profession de foi selon le formulaire dressé par le pape Pie IV ou selon l'abrégé de celui-ci inséré dans les statuts synodaux '\ Chacun d'eux devait se faire reconnaître et admettre par les justices de son ressort. Le 18 septembre 1777 on établit une règle uniforme pour cette reconnaissance cl celle admission. Chaque fois qu'un grand bailli ou son lieutenant recevait une coninn'ssion nouvelle, soit à l'avénemeut d'un nou- veau prince, soit autrement, il devait la produire et la faire emegislrer dans une des hautes cours de son bailliage, et prêter en même temps serment devant celle-ci. Il suffisait, quant aux autres hautes cours du ressort, d'y envoyer une copie authentique de la commission avec mention de la presta- tion du serment *. Les grands baillis étaient tenus de résider dans leur district, ou au plus près -K Ils ne pouvaient |)as accepter d'autre office que leur grand bailliage, ' Kesipeneers, ouv. cilc, t. I", p. (18. — Polain, ouv. cilé, ,")' série, t. II, pii. 5, G, 293. '■' Idem, t. II, p. 4Ô6. 5 Idem, t. I", p. C9. — Borgivet, Carlulaire de Ciney, p. SjÎ). ' PoLAiN, ouv. cilc, 3" série, t. II, p. 7'.I4. — Borcnet, Carlulaire de Ciney, p. 239. — Kem- PËNEEUs, ouv. cité, t. 1", p. 69; t. II, p. 44. •* BoKG.NET, Carlulaire de Ciney, p. 233. 6i8 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL sans Texprés assentiment du prince; et jamais ils ne pouvaient cumuler leur bailliage avec une mairie ou un échevinage quelconques '. Conformément à leurs cwnmissions , ainsi qu'à Vordonnance du 28 novembre 1744, ils étaient invités, « à peine d'y être pourvu, » à entretenir de fréquentes rela- tions avec le Conseil privé ; à envoyer à celui-ci notide des crimes perpétrés dans leur ressort, surtout s'ils méritaient peine corporelle ou e\il, et à le tenir au courant de l'état dans lequel se trouvaient les poursuites faites par eux -. A part le grand maïeur de Liège, président du banc des échevins de la baute justice de la Cité, ksfjrands baillis liégeois n'étaient pas chefs de jus- tice en «énéral •"'. Ils exerçaient leurs atti'ibutions devant toutes les cours de justice du prince, de leur ressort, présidées par les maïeurs ou écoulétes locaux. Ils pouvaient même, dans certains cas, traduire les délinquants devant la cour de l'official, comme nous le verrons dans le |)aragraplie sui- vant. Le grand n)aïeur de Liège et ses lieutenants étaient les seuls auxquels il fût défendu d'agir autre part que devant la baute justice de la Cité *. N'ayant en principe aucune autorité ni dans les villes franches, ni dans les seifjneuries hautes justicières, les grands baillis étaient cbargés de la baute police de leur bailliage; de la conservation des droits régaliens du prince et de la baute surveillance sur l'administration de la justice. Ils étaient à la fois officiers de police judiciaire et officiers du ministère public dans leur ressort. L'action publique s'intentait en leur nom contre les délinquants, tant en matière de crimes passibles de peine corporelle et d'exil que de délits passibles d'une amende pécuniaire supérieure à trois florins de Bra- banl ■'. C'était à eux (pi'il appartenait de faire visiter les cadavres des per- sonnes tuées et de donner permission de les lever ^'; de \ ciller à l'apprélien- sion des délinijuants et de donner la cbasse à ceux-ci; de faire exécuter les sentences capitales prononcées par les écbevinages; de lever les amendes * BoBGNET, Curliilaire de Ciitey, p. 235. — Soiiet. ouv. cité, li\ it 11 , lilrc XXXI, passim. * Kempeneers, ouv. cité, t. Il, |). 457. — Polain, ouv. cite, ô' sérii-, I. II , p. 35. ' SoiiET, ouv. rit(', liviT I", titre XLIII, n"' I cl 5. * Iili'ui , ouv. cité, livre- V, titre XXXVII, n" H. » Idem, livre I", litre LVIII, n"' 4, U, '.), 1 1 ; livre V, titre XX.WIII, n" 7. 6 /(/em, livre I", titre LVIII , n" 10. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 649 prononcées à leur poursuite '. Les frais de poursuite étaient à leur charge moyennant les deux tiers des amendes et des compositions qu'ils levaient -. Cependant, par une mesure extrêmement sage, les états du pays octroyaient aux officiers une indemnité de soixante florins pour l'exécution d'une sen- tence capitale, et une indemnité de trente pour celle d'une sentence de fusti- gation ; et même, depuis 1734, ils prenaient à leur charge les frais du maître dos. hautes œuvres ^. L'étendue des pouvoirs des lieutenants des haillis était déterminée par les termes mêmes de la commission qu'ils recevaient de leurs mandants ■*. II est à remarquer que les grands haillis n'exerçaient point par eux-mêmes l'action criminelle. Ils donnaient h procuration d'action et faisaient exercer celle-ci en leur nom par des procureurs ou facteurs d'office. Nous avons vu qu'à Liège les facteurs d'office du grand maïeur et de ses lieutenants étaient même, jusqu'à un certain point, des fonctionnaires. L'institution des facteurs d'office était fort ancienne dans ses origines •'; elle s'était consolidée au fur et à mesure que la procédure criminelle était devenue plus savante et avait exigé chez ceux qui la conduisaient des connaissances |)lns spéciales. Depuis l'édit de 1766, relatif à la rencharge, les procureurs d'onice dans les cours suhalternes devaient être servis gratis par ]vs (jre/fiers '"'. D'un autre côté, par l'édit du (S mai 4 724, rendu sede vacante, le chapitre cathédral défendit aux échevins d'une cour de faire devant celle-ci les fonctions de procureurs ou de facteurs '^. Aux grands haillis compétait encore, au XVIII" siècle, l'exercice des droits de feu et de chasse que les capitulations des princes évêqucs prescrivaient de maintenir. A la dirtérence des attrihutions ordinaires des grands haillis, ' SoiiET, livre I", titre LVIH, n° Il ; livre V, titre XXXVIII, 11° 7. — Kempeneeils, ouv. cilé, t. II, pp. 42, 43. 2 BoRGNET, Cartulaire de Ciiiey, p. 2ôo. 3 Shjle de 1779, p. 95, en note. — Hodin, ouv. eité, t. 111 , p. 149; édit de 1734. * Kempeneers, ouv. cité, t. II, pp. 44 et 440. " Beaumanoir en parle au XIII' siècle. <■' SouET, ouv. cilé, livre I", titre LXIV; livre V, titre XXXVIII, n" 9. Formules du Rlglemeiit lossain (le 1742 , etc. '7 Slijle de 1779, p. 187. Tome XXXVIII. 82 650 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL ces droits s'cxorraient dans le puya tout entier, c'est-à-dire même dans les seigneuries particulières à moins de piivilége conti'airc. Les villex franches en étaient comme jadis exemptes. Soliet, parlant d'après (ïhokier, Fisen et Zorn, range parmi les seigneuries privilégiées (|uel(|ues terres désignées par Adolphe de la Marck en 1326, ainsi que les terres du chapitre cathédral. Sur ce dernier point, nous nous permeltons d'ex|)rimer un doute basé sur nos explications antérieures '. D'après le même auteur, le droit d'urdoir s'exerçait encore sans formalités de justice et sans jugement, conformément aux règles que la paix de Saint- Jucqnes avait énoncées et que le texte des coutumes de Liège avait repro- duites. Nous n'y reviendrons plus -. Nous ne sommes, du reste, pas fort éloignés de croire que le droit de feu était, au XYIll*^ siècle, plus théorique (|ue prati(|ue. En elTet, malgré les capi- tulations, on ne savait plus très-exactement à l'occasion de quels crimes on pouvait l'appliquer. « On doit croire, dit Sohet, que ce n'est que dans des » laids cas, tels que l'homicide \olonlaire, le crime de lèse-majesté, de rapt, )> de brigandage, incendie scopelisme et de faux témoignage dans les causes » susdites^. » C'était, si on se rappelle nos études antérieures, une confusion complète entre l'étendue du droit de feu et celle du droit de chasse. Le droit de chasse seul portait sur les auteurs de tous les laids cas; le droit de feu, par mesure de haute police, ne s'exerçait qu'à l'égard des homicides. Quoi qu'il en soit, il est à remarquer que Sohet ne dit absolument rien du droit d'ardoir qui aurait ap|)artenu au chapitre dans ses terres en vertu d'une (juasi-j)ossession. Rien au contraire, d'accord avec Chokier, il considère le droit d'ardoir connue un droit rêyatien, contraire au droit conunun, n'ap- partenant qu'à la souveraineté du prince, et pas à des seigneurs inférieurs '. Quant au droit de chasse proprement dit, nous n'en dirons qu'un mot. Il se confondait plus ou moins, à la lin de l'ancien régime, avec le droit qu'avaient tous les ofïiciers de justice de continuer contre un délinquant la ' SoiiKT, oiiv. cilt', livre II, titre XXXII. 2 Cliiiiiilre XIV. "' SoiiET, ouv. cite, livre II. litic .XXXII, ii° .'i. ♦ /(/(■;», livre II , litre XX.XII , n" i. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 631 poursuite commencée au flagrant, même en dehors de leur ressort, à charge de remettre le délinquant capturé à rofïicier du lieu de la saisie. Peut-être néanmoins, en vertu du droit de chasse, les grands haillis gardaient-ils tou- jours le délinquant appréhendé par eux, n'importe où la capture s'était faite. Il nous reste à parler du droit de juger seul qui avait appartenu jadis au grand maïeur de Liège dans certains cas, ainsi (pie du droit d'accorder des sauf- conduits et du droit de composer qui, de tout temps, avaient compété dans certaines limites aux grands officiers. Au XVIII'' siècle, le grand maïeur de Liège était obligé de traduire devant les échevins tous les délinquants, quels qu'ils fussent, appréhendés par lui. II n'avait plus, en aucun cas, le droit de juger et de condannier « à sa con- science » ni les ardeurs, ni les robeurs, ni les autres criminels saisis dans la Cité. Il n'avait plus même, en ce qui les concernait, un droit de capture spécial K A la même époque, les hauts officiers ne pouvaient accorder aux criminels, de leur autorité privée, aucun sauf-conduit (pii les mit à même de venir faire leurs décharges à pied libre. Les sauf-conduits de l'espèce devaient être accordés par les échcvinages eux-mêmes, et par sculcnce prise en rencharge. Si les cours ne les donnaient pas, le prince seul, de son auto- rité souveraine, pouvait les octroyer par grâce ^. Enfin, les hauts ofllciers n'avaient plus non jjIus la faculté de composer avec les délincpiants, en matière d'homicide ou d'autre crime passible de peine corporelle ou d'exil, sans Vexpî-ès consentement du prince. Le cas échéant, ils étaient tenus d'exposer le fait avec toutes ses circonstances au prince en son Conseil privé, et de se conformer à la teneur des lettres patentes dressées par celui-ci. En matière de simples amendes, le droit de composi- tion était resté sauf. On recommandait toutefois au grand maïeur de Liège de ne pas en user sans l'aveu et consentement du sous-maïeur du lieu du délit ^. Mais laissons les grands baillis du prince et passons à ce qui concerne les hauts officiers dans les seigneuries particulières. ' SoiiET, ouv. cite, livre H, titre XXXII, n" 3. 2 Idem, livre II, titre XXXIII. — Bobgnet, Cartulaire deCiiieij, p. 239. 2 BoncNET, Cartulaire de Cineij, p. 235. — Kempeneers, ouv. cité, t. II, p. 434. Règlements des ûl mai IC95, 9 janvier 1702, etc. 6o2 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Le grand bailli de la cathédrale, dont il est question dans la livformation liôqeoise de /6S-i ', et les hauts officiers du chapitre de Saint-Lambert, exer- çaient leurs attributions dans les seigneuries capilulaires. Ils étaient nommes parmi les gens possédant les qualités requises dans le chef des officiers lié- geois que nous avons énumérées plus haut. Quand, par hasard, ils étaient clercs, ils étaient néanmoins sijudicables des XXII comme portant office de puble laïc -. Ils étaient dans les limites de leur ressort territorial officiers du ministèie public et officiers de police judiciaire, comme les grands baillis épiscopaux relaient dans leurs bailliages, en matière de grand criminel. Les hauts officiers des autres chapitres avaient une position analogue. Dans les seigneuries laïques hautes juslicières du pays, les seigneurs, propriétaires ou enyayisles , étaient à leur tour hauts officiers pour leurs territoires comme vassaux du prince •". Toutes les amendes encourues leur appartenaient. Us poursuivaient Créqueminent en leur propre nom les délin- quants en matière de grand criminel, et pouvaient exécuter par leurs propres subordonnés les sentences capitales prononcées par les échevins. Us se ser- vaient d'habitude, pour intenter Faction criminelle, de procureurs, ou de prélocuteurs facteurs d'office *. Les baillis nommés par les seigneurs, amovibles au gré de ceux-ci au moins en principe, étaient aux droits de leur mandant surtout en matière de grand criminel. Quand un seigneur donnait sa terre en amodiation à un bailli il restait néanmoins chargé des Irais d'exécution criminelle^. Les officiers des chapitres, les seigneurs justiciers et leurs baillis bénéfi- ciaient, comme les grands officiers du prince, des indemnités pécuniaires accordées par les états pour Vexécution des criminels ''. IS'ous arrivons ainsi aux maïeurs locaux. Les maïeurs locaux, y compris le grand maïeur de Liège, étaient tous, comme nous Tavons dit, chefs de justice et armés du pouvoir de senjonce. Us étaient en outre officiers criminels; mais ' Arlicle 4:). * Voir plus haut, ï Stijle(lc1779. * SoiiKT, livrcl", titre LX , n" 9, 8; titre LXII, n" I et 2; livre V, titre XXXVIII , n» G. " Idem, livre I", titre LXII, n° 4. 6 lloDi.N,ouv. cite, t. m, \). 141); édit de 175V. DANS L ANCIENTSE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 6o3 à raison de cette dernière qualité, ils se divisaient en deux grandes catégo- ries : les maïeurs ou écoutêtes des villes franches, les majeurs ou écoutètes des villages épiscopaux, capitulaires et seigneuriaux. Tous les maïeurs de ville franche étaient officiers criminels avec compé- tence générale et complète dans le ressort de leur franchise. Ils avaient pour mission de poursuivre et de faire traduire devant Icséchevins les délinquants passibles de peines corporelles comme les délinquants passibles de simples amendes. Leurs ressorts formaient de véritables enclaves au milieu des grands bailliages. La plu|)art des maïeurs ou écoutètes de village, au contraire, n étaient ofliciers criminels qu'en matière de délits passibles d'amendes de moins de trois florins de Brabant. Ils n'avaient pas même le droit de s'occuper des poursuites tendantes à l'application d'une peine aflliclive, à moins que le haut officier ne demandât leui- intervention à litre de simples auxiliaires '. Les maïeurs étaient nommés par le propriétaire de la juridiction, c'est-à- dire par le prince dans les villes franches et dans les villages épiscopaux, par le chapitre dans les terres capitulaires, par les seigneurs ecclésiastiques et laïcs dans leurs domaines. Ils étaient amovibles; ceux d'entre eux qui étaient nommés par le prince étaient tenus de résider dans le territoire de leur res- sort-. Conunc ils étaient ofliciers publics, ils devaient réunir les conditions d'idonéité requises par le droit public national. Ils pouvaient, surtout dans les villes et au XVIII" siècle, avoir un lieutenant ■■'. Quant aux voués, ils avaient, selon Soliet, le droit de poursuivre et de faire exécuter les criminels parmi le tiers des amendes, s'il n'y a prescrip- tion, pricilége ou couliime contraire. Mais en fait, là où ils n'avaient pas absorbé la seigneurie dans la vouerie, il n'était pour ainsi dire plus ques- tion d'eux. A tout prendre ils auraient été de hauts officiers héréditaires, mais sans avoir conservé aucun des anciens caractères qui les distinguaient*. • SoHKT; ouv. cité, livre I", litre LXIII, n" 2, 3, 4, 5,6, 7. — Kempeneers, ouv. cité, t. II, pp. 68, 104. — PoLAiN, ouv. cilé, 5" série, t. I", p. 592, etc. 2 SoHET, livre 1", litre LXIII, n"' 8, 9. — Bougnet, Carltdaire de Cincy, p. civ. — Stijle de 1779, p. 19f). 5 BoRG.NET, Cartuluire de Cine;/, p. civ. Ce point avait amené une lutte très-vive. * SouET, ouv. cité, livre I", titre LXI. 65'4 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Il est à remarquer que, dans certains cas, plusieurs des oITlciers criminels dont nous venons de parler pouvaient avoir rij^otn-eusement le droit crin- tcnter Faction criminelle à propos d'un même délit. Dans ces cas le tlruil de prévention était admis. La poursuite intentée [)ar l'un des ofiiciers prt'judi- ciait au droit de poursuite des autres, au moins en général '. En terminant ce para£:raplie, il nous sufllra de rappeler l'existence de deux ressorts importants de l'adminislration de la justice criminelle à Liège : la franchise et les commissaires de la Cité. A la fin de l'ancien régime, le rôle des commissaires avait bien diminué : ils n'étaient plus appelés au liosport des enquêtes et pour vider le partage des voix qui pouvait se produire entre la franchise et l'échevinaiïe; mais, en théorie, sinon en pratique, ils pouvaient encore s"assurer si, dans la manière de faire les enquêtes, on respectait les privilèges de la bourij:eoisie. La franchise, au contraire, était restée debout à Liège et dans quelques autres villes, et dans toute sa vigueur primitive. C'était elle seule qui faisait les encfuètes générales criminelles, et qui recevait les décharges y alTèrentes. Pour ce qui touche les détails qui la concernent, nous renvoyons à ce que nous avons dit de la réforme de Groisbeeck et de la réformation de 1684 dans le chapitre précédenl. Quant aux maîtres des hautes œuvres, comme nous n'avons rien trouvé (le paiticulier en ce qui les concerne, nous nous bornons ici à mentionner leur nom. § IL — De la compétence. Les règles de la compétence qui dominaient l'action des divers tribunaux liégeois, dont nous venons de parler, étaient assez simples. Pour les faire plus aisément saisir nous ne nous astreindrons pas à suivre l'ordre du para- graphe |)rècédent. Nous commencerons par dire un mot de la compétence spéciale du prévôt de la cathédrale, de celle des prévôts des autres églises et des chapitres des collégiales, de celle des XXII, de celle de la Guémine. ' SoiiKT, oiiv. ciié, livre V, litre XXXVIII, W IG. DANS L'ANCIENNE PRINCIPALTE DE LIEGE. 6oS La juridiction de ces juges^, en effet, quelle que fût son importance, était extraordinaire : elle s'étendait limitativemeiit à certaines personnes peu nombreuses ou à certains délits déterminés. Nous caractériserons ensuite brièvement la position des exempts, en disant un mot de la compétence des juges pontificaux délégués. Nous résumerons les attributions répressives du grand vicaire cbargé surtout du for gracieux dans le diocèse. Nous réserve- rons enfin, [)0ur terminer le paragraphe, ce qui concerne la compétence des juges ordinaires ecclésiastiques et des juges ordinaires séculiers. Le grand prévôt de la cathédrale avait conservé à Liège, au XVIII^ siècle, la juridiction spéciale qui avait fait l'objet de la lettre du prévôt de i369. 11 avait encore le droit de punir d'amende les femmes des paroisses de la Cité du chef d'injures verbales et de querelles dans lesquelles il n'y avait pas eu effusion de sang. Il ne pouvait connaître de délits, même commis par les femmes, touchant à riionneur, ou passibles de peines corporelles. Il n'avait jamais le droit de faire emprisonner un laïc '. Les prévôts des églises collégiales de la ville et même du pays jouissaient à leur tour, de temps immémorial , de la facullé de mettre à l'amende les laïques commettant des indécences dans les cloîtres, y jouant aux stonz, aux dés, ou y jetant des ordures ^. Si le délit commis dans leurs cloîtres èiail grave, ils avaient seulement le droit de faire poursuivre le coupable par leur sergent ou ollicier devant les juges ordinaires. Jamais ils ne pouvaient faire emprisonner un délinquant^. Les chapitres des églises collégiales n'avaient pas une véritable juridiction criminelle. Ils possédaient seulement un pouvoir de correction; mais ce pou- voir s'étendait, connue le constatent les capitulations des princes évêques, à leurs propres membres aussi bien qu'à leurs sujets, à moins de presci'ip- tion ou de privilège contraire K II est probable que les cbajùtres, armés autrefois de la juridiction archidiaconale dans un ressort déterminé, ne ' SoiiET, ouv. cité, livre V, titre XXV, n"' G, 7, 8; Traité préliminaire, litre IV, n»' 94, 95. 2 Idem, livre I", litre XV, n- 41 , i-2; livre V, titre XXV, n" 5; livre II, titre XX, n- 4. — LouvREx, DisscrlulioHS citées, dissortntion 10, n°'23,24. 3 SoHi-T, ouv. cité; Traité jnéliminuirv, titre iV, n" 42, 94, 95; livre V, titre XXV, n" G. * Idem, livre 1", titre XV, n" 39, 40. 6yG ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Tavaient pas perdue. Toutefois, nous ne donnons celte assertion que sous toutes n'serves. Le trihiuial des XXII ne pouvait prescrire une juridiction plus étendue que celle dont il ;ivait été investi par le prince et par les états. Ses justicia- bles étaient tous les ofliciers et dépositaires de l'autorité séculière du pays, fussent-ils clercs, et tous les Liégeois laïcs *. 11 connaissait des crimes de baraterie, de concussion, de violence doteuse; des infractions commises par les officiers, juges, notaires, greffiers, refusant d'administrer la justice ou d'exécuter les sentences prononcées; de la prévarication et de la corruption de juges -; des actes commis par les dépositaires de l'autorité publique em- pêchant le cours de la loi, ou tendant à mener un justiciable hors loi et con- Irairenient aux |)aix du pays; des exécutions faites au piéjudice d'un appel interjeté ou de lite contestée; des infractions commises |)ar les personnes tra- vaillant à détruire les lois de l'État, les paix, les privilèges, ou à confondre l'ordre des juridictions; des violences ou voies de fait et des possessions trou- blées, etc. ^. Les XXII étaient restés les gardiens de l'ordre légal du pays, les défen- seurs de la paix publique et des droits des surcéants, en tant que ceux-ci pouvaient être troublés par les entreprises arbitraires des dépositaires de l'aulorité publi(iue. Leur puissance était énorme parce qu'ils étaient, en der- nière analyse, les représentants du pays lui-même; parce que tout lésé, quoique humble qu'il fût, pouvait invoquer leur protection; parce que tout fonctionnaire, si haut que fût son rang, pouvait èlrc appelé à leur barre. Le prince, comme de raison, n'était pas soumis à leur juridiction; mais SCS ordonnances devaient être vidimévs par son chancelier. Si le prince, sous la signature de son chancelier, rendait une ordonnance contraire aux libertés du pays et aux lois portées d'accord avec lesc'/a^- dupays,\(isW\\ citaient le chancelier devant eux, par un itiandenient de foule , et forçaient ainsi le prince à retirer son ordonnance *. En effet , pas plus que dans les temps ' SoiiET, ouv. cilé, livre I", litre XLI, n°' Ô9, 41. « Jilcm, liviT V,lhi\' .XLI, n"' 17, l«, H'J, 50, 19, 23, etc. ■' lilcm, livre 1'% tilre XLI, n°' 6, 7, 8, 14. * Baiion de Gliii.aciie, ouv. filt', [). 392, en note. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 6S7 antérieurs, un prince de Liège ne pouvait tmire à lui les excès et les fautes de ses officiers ^ Les XXII ne jugeaient pas des violences commises hors du pays, ni dans des lieux où les anciennes paix n'exerçaient pas leur empire, ni des violences dont un juge ordinaire était déjà saisi. En matière criminelle ils n'avaient pas à connaître des captures opérées d'autorité d'un juge compétent, sur enquête, en flagrant délits par forme d'assurance dans les cas où cette assu- rance était admise ^. Enfin les sentences des XXII,appelables devant les États réviseurs, n'étaient pas exécutées par eux. Elles étaient exécutées par le prince de Liège et par ses officiers. Les XXII avaient tout au plus un droit de syndical contre les officiers négligents ^. Rappelons en passant que, malgré sa haute renommée et sa grande utilité politique, leur tribunal eut à lutter de nouveau, dans le courant du XVIII* siècle, contre les entreprises de l'échevinage de la Cité. Venons à ce qui concerne les juges militaires. Au XVII« siècle, les juges militaires des milices des bailliages, c'est-à-dire les chefs de ces milices, avaient, en vertu des règlements de H)52 et de i6ô7 , une compétence double et assez nettement précisée. Ils connaissaient, à Vexclusion de tous autres juges, « des mesus commis au dit lait de guerre » par les surcéants tant qu'ils étaient en armes. Ils connaissaient aussi des crimes que commettaient les habiiants du pays non enrôlés, en prêtant à l'ennemi ou aux gens de guerre pillai-ds des contrées voisines « faveur ou » support. » Ils n'avaient aucune juridiction sur les surcéants, même sous les armes, qui commettaient des infractions ordinaires, par exemple qui enfrei- gnaient les règlements relatifs a la chasse K A la même époque la Guémine liégeoise, organisée pour les gardes bour- geoises de la ville par les règlements de /(j'y/ et de 1696, avait une situa- • SoHET, ouv. cité, livre I", litre XLI, n°' 31, 57, 38. - Idem, idem, n"» 14, 15, 16,27. ' Idem , idem , n° 84 , 83. * Idem, jrfem, livre I", titre XL, n»' 4,5. — Hoom, ouv. cité, t. III, pp. 247, 248, 249, 250, etc. Tome XXXVIIL 83 658 ESSAI SI R LIHSTOIRE DU DROIT CRIMINEL lion beaucoup moindre. Elle connaissait aussi des infractions commises « es » faits de guets et des gardes, et ce qui en dépend, » c'est-à-dire des infrac- tions professionnelles commises par les bourgeois sous les armes; mais seule- ment si le cas ne méritait ni peine corporelle ni exil. Dès que l'auditeur de la Gucmine voyait par information sommaire « qu'il y avait apparence » d'excès, méritant exil ou peine corporelle, » il devait renvoyer les parties et les pièces des procès à la souveraine justice de Liège '. Il y a plus : quand un bourgeois injuriait un officier hors du temps de service, mais à l'occasion de faits qui s'étaient passés sous les armes, ce bourgeois était puni en toute rigueur par la souveraine justice, comme iiifracteur de sauvegarde, et non par la Guêmine. En revanclie, quand un officier tuait ou blessait sous les armes un soldat insubordonné, ou un rebelle, c'était devant h ffuémine qu'il était admis à faire ses décliarges -. Au XVIII'' siècle la compétence de la Guémine du régiment national était avant tout déterminée par l'article 7 du rèfjlemenl du lo août 17 lo. Cet article ne donnait juridiction à la Guémine, même à l'égard des officiers et des soldats du régiment, qu'en matière de cas purement militaires. Il décla- rait qu'en principe général, et sauf ces cas, les militaires seraient justiciables au civil et au criminel des judicatures ordinaires du pays ^. D'après Louvrex, il fallait interpréter ces règles à la lumière de l'ancienne distinction doctrinale des délits communs et des délits militaires : ceux-ci, qui blessaient plus ou moins directement la discipline et les règles du ser- vice; ceux-là, qui ne supposaient dans le chef de leur auteur la violation d'aucun des devoirs du soldat K Louvrex est un témoin irrécusable pour son époque. Mais toujours est-il que, quatre ans a|)rès sa mort, Ceoi'ges-Louis de Berghes, par ordonnance du 13 juillet 1738, interpréta autlienlicpiement l'édit de 4715 dans un sens beaucouj) plus favorable à la juridiction mili- taire "'. Un conflit s'était élevé à Liège entre le grand maïeur et la Guémine, ' lliim.N, oiiv. rilc, t. 111, p. -ll'yo, articles 33, 54, îii), 59, 57, 58, 59. * Arliilc 60 du règlcincnl de 1051 cl 57 de celui de 1G9G; arlieles 50, 51, 52 du règlement de 1051, eif. 5 PoLAiN, ouv. cité, 3° série, t. I", p. 400. * HoDiN, ouv. ciié, t. m, pp. 209, 270. s PoLAiN,ouv. elle, 5' série, t. 1", 715. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 639 à Toccasion des poursuites à faire contre un soldat qui avait commis un meurtre sur un autre soldat. L'évêque déclara que les cas survenant d'offi- cier à officier et de soldat à soldat devaient être réputés cas militaires, et, en conséquence, être déférés aux conseils de guerre «à l'exclusion de la pour- suite des officiers du pays. » Il eut soin de rappeler toutefois que les délits commis par les officiers et par les soldats contre des bourgeois ressortis- saient exclusivement aux tribunaux ordinaires sans que la justice militaire eût à en connaître; et de défendre que, en cas de meurtre commis à Liège « dans la verge du seigneur » et hors de la citadelle, les juges militaires levassent le cadavre sans avoir averti au préalable le grand maieur. Méan, de son côté, apporte une autre restriction doctrinale à la rigueur du principe énoncé par l'article 7 de Wk/it de 17 1 S. Il affirme que les juges militaires pouvaient connaître à Liège, au moins \iùr prévention , des délits communs conmiis par les soldats, quand ils étaient conunis en expédition militaire '. En résumé, la compétence de hiCnéniine liéf/eoise svir les indivi- dus attachés au régiment national avait donc fini par être à peu près la même que celle dont les ordonnances de 1570 avaient investi les juges militaires dans les Pays-Bas Autrichiens -. Mais en dehors de la juridiction qui lui compètait sur les officiers et sur les soldats nationaux, la Guémine liégeoise avait encore, au XVIIP siècle, juridiction criminelle sur certains vagabonds. En 1713, les étals s'étaient plaints de la non-exécution des édits portés contre les vagabonds, les bri- gands, les voleurs de grand chemin. Le mal, disaient-ils, provenait de trois causes : de ce que les frais de poiu'suite étaient trop lourds pour les officiers et pour les seigneurs; de ce que les procédures étaient tro|) longues; de ce que des échevins de la Cité refusaient de juger « les procès de tels vagabonds » non trouvés dans la verge du seigneur. » Ils pioposaient d'y remédier par les résolutions suivantes : « que les gens de cette espèce, non natifs de la Cité » ou banlieue, étant saisis par ordre des dits officiers ou seigneurs, devront » être conduits et consignés, de leur part, au plus prochain corps de garde » des troupes qui seront à la solde des dits étals, dont l'ofTicier de garde ' Observalion 593, n»' 7 cl 8. 2 De Robaulx de Souuoy : Études liistoriques sur les tribunaux militaires. 660 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » devra romoltro lois j^eiis au prévôt, pour leur être fait sommairement le n prod's par Gunninc militaire, letenant pai- les dits états de payer les sini- » pies frais des exécutions; laissant néanmoins aux dits seigneurs et offi- » ciers la liberté de faire faire le procès aux dits vagabonds et autres par » devant les juges ordinaires, et à leurs frais, comme du passé, s'ils le trou- » vent commis. » La |)roposition des états fut convertie en ordonnance par le prince le 29 juillet 171 o; et comme Fordonnance ne fut mise en (jarde de loi qu'au mois de septembre, ce fut à la Guémine du régiment national, organisée au mois d'août, cpio ses prescriptions se rapportèrent '. Le 42 octobre 1717, une nouvelle ordonnance enjoignit « à tous vaga- » bands, fainéants, étrangers et autres, » de quitter le pays dans les trois jours, sous peine d'être punis sommairement par la Guémine militaire. Celle- ci n'accordait plus aux officiers de justice la faculté de traduire les vaga- bonds appréhendés devant les justices locales; elle leur ordonnait, au con- traire, de les ramener « à la première garde militaire de celte ville (de Liège) » en droiture -. » Mais par là même qu'elle ne séparait pas nettement les vagabonds étrangers des regnicoles, elle donna lieu, dans l'application, à des didicultès de juridiction assez graves. Ces didicultès fuient aplanies pour la première fois, d'autorité, par l'èdit du 20 mars 1734-, publié sous Georges-Louis de Berghes, et renouvelé le 28 janvier 1757. L'édil du 20 mars, mis en r/arde de lui le 22, déclara que les vagabonds êtranyers seuls seraient justiciables du conseil de guerre ou guémine; et que les natifs ou surcéants du pays « courans ou errans d'un » endroit à l'autre comme voleurs de grand chemin et bandits, » étant sai- sis conunc vagabonds, ce qui était permis, ressort irai eut aux juges ordinaires « comme de coutume. » Il rangea dans la catégorie des vagabonds étrangers : 1" Tous ceux qui n'étaient pas nés dans la principauté ou qui n'y avaient pas ac(|uis droit de bourgeoisie ou d'incolat par une habitation fixe de cinq années; 2° Tous ceux qui, même natifs du pays de Liège et de Looz, étaient • PoLAiN, ouv. cité, 3* série, t. I", p. 466. 5 IloDi.N, ouv. elle, t. III, p. l'i?. DA?JS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 661 venus s'abattre dans une localité sans avoir des papiers réguliers, sans dépo- ser la caution pécuniaire requise par les ordonnances, et sans demander la permission du seigneur ou du magistrat de l'endroit, et qui n'y avaient pas acquis un nouveau domicile par une habitation de cinq ans '. Le 16 novembre 17/tO un nouvel édit très-détaillé, renouvelé en 1757, en 1 7G6, en 1770, s'occupa de la même matière -. Il confirma la compétence de laGimnine en ce qui concernait les vagabonds étrangers; mais, renché- rissant sur la sévérité de Tédit de 1734, il réputa vagabonds étrangers : « tous ceux qui ne sont pas natifs de ce pays, se trouvant sans emploi ou » service, ou ne faisant aucun trafic, commerce ni métier, ou n'ayant pas le » moyen de pouvoir subsister sans mendier, encore bien qu'ils auraient » demeuré dans ce pays l'espace de dix ans et plus ^. » Enfin, le 27 mars 1773, un édit, renouvelé le G décembre 1784, ampli- fia et confirma l'édit de 1740 ^. Ce|)eiidant il ne rangea plus dans la caté- gorie des vagabonds étrangers les persoimes sans moyens réguliers d'exis- tence, qui avaient acquis Icgiliincmenl le druil d'incolal, et par conséquent il les rendit justiciables des juges ordinaires et non de la Gaéniinc '■". Les juges militaires liégeois, au XVIII'' siècle, remplissaient donc une partie de la juridiction qui, dans les Pays-IJas autrichiens, appartenait nu\ grands justi- ciers prévotaux. La procédure usitée devant eux était plus sommaire que celle des juges ordinaires. Leurs sentences étaient sans appel. Venons aussitôt à ce qui concerne les exenq)ts et leurs juges. Les exempts étaient encore au XVIII" siècle les chanoines de tous les anciens chapitres de la principauté de Liège, leurs sup|)ôls, leurs bénéficiers, leurs officiers perpétuels non amovibles. Ils pouvaient, comme nous l'avons vu, être corrigés par les chapitres auxquels ils appartenaient et auxquels ils étaient attachés. Ils pouvaient, comme nous le verrons, èlre parfois cor- rigés par le grand vicaire. Mais, en matière criminelle proprement dite , ils ' PoLAiN, ouv. cilé, 5'sëi'ic, p. G71. * Idem , idem , p. 748. 5 Articles ;2 et S. * PoLAiN, ouv. cité, 5 série, t. II , à sa date. î* Articles 2 et 5. 662 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL ne ressortissaicnt à aucune juridiction permanenlc du pays, ni ccclésiaslique, ni séculière, lis ne relevaient que de juges délégués par le souverain pontife, et nommés pour chaque cause '. Le |)riviléiie des exempts avait été confirmé en iol2 par le pape Jules II, et, nonobstant les dispositions décrétées par le concile de Trente, il était demeuré en vigueur dans la principauté de Liège. Le chapitre de la cathé- drale Pavait assez à cœur pour en avoir fait fréquenniienl jurer le maintien par les princes évèques à leur avènement. Ce privilège, cependant, était exor- bitant. Louvrex, en déplorant (|ue le concile de Trente n'eût pas sorti tous ses clïets à son égard , n'hésite pas à dire : « unde saepissime contingit ut dclicta » remaneant impunita, quod non fieret si praofatum decretum (Tridcntini » Concilii) observaretur -. » En ell'el, avant que Ton eût le temps de deman- der la nomination des juges délégués, ïexempt qui avait commis un crime avait ordinairement le loisir et l'occasion de quitter le pays ^. Sans insiste)' sm- la position des ejcempls, qui est simple et facile à saisir, abordons ce qui louche aux attributions répressives du grand vicaire. Le grand vicaire exerçait , au nom de l'évêque, la correction spirituelle en matière d'excès contraires à la pureté des mœurs. Il l'exerçait tant sur les laïcs que sur les clercs, en et hors visite, mais sans formalité de justice, sur- tout sur les premiers. Tout accusé néanmoins devait être entendu par lui avant d'être corrigé. Les corrections consistaient en admonestations, suivies, en cas d'insuccès, de censures ecclésiastiques ou de pcMiitences canoniques, mais rarement en peines pécuniaires *. Le grand vicaire avait le droit de |)unir en fait de discipline les ecclésiastiques et même les e.remjits dans les cas où l'évê- que avait juridiction sur ces derniers en vertu d'inie délégation ixiiitilicale 'K En règle générale il n'y avait pas a|)pel des décrets de correction du grand ' SoiiKT, ouv. cil(-, livre V, litre XXXll, ii» 5. * LouvBEX, Dissvrlations canoniques, dissertation 12, n° 2C. — Soiiet, livre I", litre XV, n"* 43, 44,52, 5ô, 54, etc., d'nprès ("liokier, Heeswyt'lc, etc. * Voir un opiiseiilc de 1771), ini|iriin(' à Londres : Cause cclvbre contenant l'assassinat commis le 19 décembre 1771 en ta persan ne ilc mademoiselle WarrimonI dr la ville de Visé au pays de Liège. * SoiiET, ouv. eilé, livre V, titre X.XXIV, n"' 2 et l>. » Idem , livre V, litres XXXll, XXXIII, XXXIV; livre I", titre X, n" 4, 5, C, etc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 665 vicaire, à moins que celui-ci n'eût outre-passé notoirement ses droits ou qu'il n'eût pris connaissance de cas ressortissant au for contentieux ^ Le grand vicaire avait, d'un autre côté, de fréquents rapports avec les juridictions séculières jugeant en matière criminelle. C'était à lui qu'il appar- tenait de permettre au magistrat séculier de retirer d'un lieu d'asi/le les délin- quants indignes de jouir de l'immunité ecclésiastique. C'était à lui aussi qu'il appartenait d'accorder l'autorisation d'exhumer les cadavres enterrés avant la visite de la jusiice ^. Nous arrivons enfin à parler de la compétence de l'official de Liège, de l'oflîcial du chapitre et des archidiacres d'une part, et des échevinages de l'autre. Et d'abord, tandis que les archidiacres et l'ollicial du chapitre étaient des juges purement ecclésiastiques, l'official de Liège, en qualité de repré- sentant du prince, exerçait comme jadis une véritable juridiction séculière. Nous aurons donc avant tout à rechercher quelle était la juridiction (|u'exer- çaient les juges d'église, qualilute quû , à l'exclusion ou en concurrence des juges séculiers; nous préciserons ensuite, autant que possible, comment s'opérait entre les juges d'église eux-mêmes le partage de la juiidiction répres- sive; et nous laisserons pour la fin du paragraphe ce qui concerne la juri- diction des échevinages et celle de l'oIlicial considéré comme représentant du prince. La compétence des juges d'église, ou en d'autres termes l'étendue de la juridiction ecclésiastique répressive, avait une double base : elle était déter- minée tantôt par la qualité du délinquant, tantôt par la nature du crime que celui-ci avait commis. A raison de la qualité du délinquant, les juges d'église connaissaient, à l'exclusion des juges séculiers, de tous les crimes et délits commis par les personnes, jouissant du ;>>7'y/%e de cléricature, non exemptes. Ces personnes étaient, à la fin de l'ancien régime, les prêtres ne faisant partie à aucun titre des chapitres privilégiés, et les clercs engagés dans les ordres mineurs. Les simples clercs tonsurés ne jouissaient plus du privilège du for que dans une mesure très-restreinte. ' SoiiET, ouv. cité, livre V, titre XXXIII, n'"21 et 22, et titre XXXIV, n° 34. - Jdem, liv. 1", titre X, n° 5 ; liv. II, litre XXI, n" 50, etc.; titre XVI, a" 55; liv. V, lit. II, n" S9. 664 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Dès le XVI* siècle, en oITet, une réaction contiinio, favorisée par les princes-évèques, s'était produite contre leur situation exceptionnelle. En lolo, sous Érarcl de la Marck, on put constater que beaucoup de gens pre- naient la tonsure seulcnienl « ut opportuno tempore ecclesiastico fulciantur » privilégie, quamvis nec gestis, nec hahitu, ab aliis distinguantur laïcis. » Avec rasscnliment de Pévèque on décida que, lorsqu'un clerc de l'espèce commettrait un crime, les juges séculiers le puniraient sans retard, sans sonner la cloche au préalable, et qu'ils se borneraient à faire sonner la cloche deux fois après son exécution. Bientôt l'occasion se présenta d'appliquer la résolution prise. Un clerc marié blessa d'un coup de couteau un sergent de justice. Les juges séculiers le condamnèrent à la section du poing. Ils le firent exécuter et aussitôt après sonner la clocbe. Un a|)pariteur de l'ollicial accourut a\ec une IcKrc inhibitorielle , mais on lui montra la main déjà coupée du délincpiant '. En 1551, la réforme de Georges d'Aulricbe et, en 1578, Yordonnance du 24 juin de Gérard de Groisbeeck, décidèrent que les simples clercs, mariés ou non, désirant jouir du privilège clérical du for, devraient réunir les con- ditions suivantes : 1° Porter une tonsure visible, rasée au moins buit fois par an; 2° Porter continuellement l'babit clérical long, sombre et modeste de forme; 3« Ne pas porter les armes, à moins de motifs légitimes ; 4,0 jy(.j,(, cnornu'lales conimillere -. Le concile de Trente, de son côté, appliqué en toute rigueur sur ce point dans la principauté de Liège, voulait que les clercs, non revêtus des ordres sacrés, pour jouir du privilège du for possédassent un bénéfice ecclésiastique, ou bien que, portant la tonsure et l'babit cléi'ical, ils fussent attacbés au service d'une église ou suivissent les écoles avec autorisation de l'èvèque. Les clercs mariés non bir/ames^ étaient absolument dans la même position que les clercs célibataires *. • Chapeavilli;, oiiv. cikS t. III, p. 2ii4. — Chronique de Jean de Drusthem, citée, p. 59, dans le Dulletin ttrclicohxjiqiie //(■jyco/.s. 2 C11APEAVII.1.K, l. III, p. 41)5, cl reformations cildcs. 3 C'esl-à-dirc non iniiriés m secondes noces. * SouET, ouv. cilé, liv. I", lil. XXIX, n" 61, G4, 07, 69, 70, 71. - Iloms, ouv. cité, l. II, p. lOiî. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 663 Au XVII" siècle Maximilien de Bavière, d'accord au surplus avec Vordon- nance de l-'ylS de Gérard de Groisbeeck (neve se enormitatibus misceaiit), défendit expressément à l'offîcial, en 1682 et en 1683, d'accorder des lettres inhibitorielles aux clercs tonsurés mariés, jugés apprébensibles parles échevins de Liège du cbef d'bomicide ou d'autres crimes graves ^ C'était les priver du moyen de revendiquer dans l'espèce le privilège du for ecclésiastique. Depuis Maximilien de Bavière les clioses restèrent dans le statuo quo jus- qu'à la fin de l'ancien régime. Nous avons déjà cité, en effet, le dispositif de l'ordonnance sur les conflits de ITlo : « qu'en matière criminelle pour » des faits méritant peine corporelle ou exil, nous ne voulons et n'enten- )) dons pas que pour auciuies lettres inliibitoires la pi'océdure intentée, soit » devant nos dits échevins de Liège ou nos cours du pays subalternes, soit » suspendue, ne fût contre des personnes ecclésiastiques ou jouissantes notoi- » rement du privilège de recours à notre officiulité -. » Nous citerons encore l'article 1" de Yordonnance du 24 mars 17 42 publiée par Georges-Louis de Berghes : « Nous n'entendons pas de comprendre sous le nom de personnes » ecclésiastiques (ressortissant exclusivement aux juges d'église) les simples » clercs tonsurés qui ne possèdent aucun bénéfice, qui ne sont attachés à » aucune église, et ne portent pas Tliabil clérical, selon tpril est plus ample- » ment expliqué dans le concile de Trente et les statuts consistoriaux de » Georges d'Autriche ^. » Il est à remarquer que les choraux des églises collégiales de Liège, por- tant la tonsure et l'habit clérical et servant à l'église, quoique n'étant pas clercs, jouissaient aussi du priviléye clérical du for, au moins jusqu'à un certain point. Des ordonnances du o mars 1746, du lo mars 1754, du 17 août 1762, du 15 janvier 1763, se bornèrent, en général, à restreindre leur privilège en matière de police touchant le régime des arts et manufac- tures, ou à déclarer la qualité de choral incompatible avec certaines positions séculières *. * Liste chronologique citée, t. I", p. 235, etc. * PoLAiN, ouv. cité, j' série, t. l"', p. 464. ^ Idem, p. 777. Celte ordonnance fut annulée, mais à raison d'autres dispositions. * Idem, pp. 36, 47i, etc. — Souet, ouv. cité, livre I", titre XV, chapitre IX. Tome XXXVUl. 84 666 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMLNEL Les clercs, jouissant du privilège du for, pouvaient être appréhendés en flagrant délit de crime par les oflîciers séculiers, mais à charge pour ceux-ci de les remettre aussitôt entre les mains de leur juge naturel '. A raison de la nature des infractions commises les juges d'église connais- saient dans le pays de Liège, à Texclusion les juges séculiers, des crimes de for ecclésiastique , et, en concurrence avec eux, des crimes de for mixte. Ils n'avaient aucune juridiction à piopos des crimes de for séculier-. Georges- Louis de Rerghes aurait voulu faire observer, en ce qui concerne la division des infractions, les dispositions du concordat conclu en 1542 entre son prédé- cesseur et l'empereur Charles-Quint comme duc de Brabant^. Mais son ordon- nance du ai mars 1742 fut révoquée sede vacante, et l'on retomba sous l'empire d'anciennes traditions et d'anciennes coutumes *. Il est impossible de déterminer avec précision quels étaient à Liège, d'après ces coutumes, les crimes de for ecclésiastique pur. D'après le concordat de 1 04-2, les prin- cipaux d'entre eux étaient l'hérésie, au moins quant à l'existence même du crime, à l'appréciation de la doctrine ■'; le schisme sentant l'hérésie; le sor- tilège accompagné d'invocation du démon ou d'abjuiation de la foi; la forni- cation et l'impuieté simples, sans circonstances aggravantes ^; l'invasion et la rapine des biens appartenant notoirement à l'Église; les infractions com- mises par les officiers ecclésiastiques dans leurs fonctions; le commerce avec un excommunié; le mariage clandestin; le mariage contracté contrairement aux préceptes de l'Église; la simonie ' ; le sacrilège à raison du lion et de la chose et en ce qui concernait les peines canoniques, etc. *. Par la force même des choses, les coutumes de la principauté ne pouvaient guère s'écarter, en ce qui les concernait, des stipulations du concordat. ' SoiiBT, ouv. citi', livre l", litre XXIX, n"' G4, 65. 2 néfiilalioii du manifeste des échevins, pp. 123, 124. — Mean, Observation 594, n* 17. "' Orilunnancc du 2i Diitr.s 1742. * SoiiET, ouv. cité, Traité préliminaire, litre IV, n°' 30 et 81. » Idem , n"' 82, 85. « Idem , 11° 88. ' Idem , n" 8G. * Voir le concordai de 1542 (i;iiis les Placards de lirahiint , i. II, livre I", titre I", chapitre Vili; !<■ litre IX du concordat concerne la matière qui nous occupe. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 667 Quant aux infractions de for mixte, nous les connaissons mieux grâce aux monuments législatifs et aux écrits des auteurs. Elles étaient extrêmement nombreuses à Liège. Les principales d'entre elles étaient : les excès contraires à la pureté des mœurs, le concubinage, le proxénétisme, la profanation des dimanches et des fêtes, Pusure, la magie et la sorcellerie, l'hérésie, quant à l'application des peines corporelles et quant à la violation des édits publiés à son endroit par le prince; les fausses prédications, le blasphème et la profa- nation de la parole de Dieu; l'adultère, le sacrilège, l'homicide commis dans une église, etc. '. Quelques-unes de ces infractions donnaient lieu à prévention : le juge séculier ou le juge ecclésiastique qui, le premier, en avait été saisi, gardait alors seul le droit de les réprimer. D'autres donnaient lieu à une double répression, et chaque juge ap|)liquait à leur auteur une peine en rapport avec la nature de sa juridiction. Le blasphème, par exemple, donnait lieu à prévention ^. L'homicide conunis dans une église, au contraire, entraînait une double poursuite : le juge laïc en punissait l'auteur comme homicide proprement dit; le juge d'église le fra[)pait, de son côté, comme violateur de l'immunité ecclésiastique. L'action du juge ecclésiastique s'éteignait néan- moins si l'homicide était puni de mort ^. Après avoir déterminé ainsi, autant que possible, les bases de la juridic- tion répressive des juges d'église dans le pays de Li(';ge à la fin de l'ancien régime, il ne nous reste plus à faire, en ce qui la touche, que deux remar- ques générales. L'ordonnance de Georges-Louis de Berghes du 24 mars \ 74-2 avait renouvelé les injonctions de la réforme de Groisheeck, de la réforme de Georges d'Autriche, des Statuts consistoriaux de 1 353, 1 382, \ 583, etc., relatives à la connexité. Les juges d'église n'avaient donc |)as recouvré le droit d'attraire devant eux, en matière criminelle, les complices laïcs d'un clerc jouissant du privilège du for et coupable d'un crime de for séculier ^. D'autre part, les juges d'église n'avaient jamais, ni au point de vue du droit ' SoHET, ouv. cité, Traité préliminaire , litre IV, n°' 74, 80, 88. 2 Idem, livre V, titre III, n° S. ' Idem, Trailé préliminaire, titre IV, n° 59. * Article 2 du Règlement de 1743. — Souet, ouv. cité , Trailé préliminaire , litre IV, n° 89. 668 KSSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMLAEL canon, ni au point de vue des usages liégeois, le droit d'appliquer une peine corporelle afllictive, bien moins encore la peine de mort. Lorsque le délin- quant qu'ils déclaraient coupable, qu'il fut clerc privilégié ou laïc accusé d'un crime de for mixte ou de for ccclésiaslique, devait encourir un supplice de l'espèce d'après les lois ou les usages en vigueur, les juges d'église étaient tetms de le livrer au bras séculier. Si le délinquant était un clerc privilégié, ils étaient, en outre, obligés comme jadis de lui infliger au préalable une dé(j I ad a lion solen i telle . Les juges séculiers, saisis par renvoi du juge d'église dans l'espèce, devaient accepter les preuves faites devant celui-ci, et se borner à appliquer la peine '. Jusqu'ici nous avons parlé de la juridiction des juges d'église en général : essayons de préciser maintenant quelle portion en appartenait à l'ofTîcial de Liège considéré comme représentant de ïecèque, à l'oflicial du chapitre et aux archidiacres. Uo/ficial de Liège, vicaire général de l'évèque in contentiosis, exerçait la plénitude de la juridiction criminelle ecclésiastique dans tout le pays, tant sur les clercs jouissant du privilège du for et non exempts, que sur les laïcs coupables de crimes de for ecclésiastique ou de /or mixte ^. C'était à lui seul qu'il appartenait d'appliquer aux clercs les dispositions pénales des ancieimes paix qui les concernaient, et celles des règlements jjolitiques plus modernes auxquelles ils étaient tenus d'obéir ^. On ap|)elait des sentences de l'oflicial de Liège, en matière criminelle puremet)l ecclésiastique, au métropolitain et de là au souverain |)ontifoouau nonce, ou directement au souverain pontife. Celui-ci nommait alors des juges délégués sur les lieux, et parfois à |)lusieurs reprises successives pour la même cause. Ces appels n'étaient suspensifs ni en matière de correction ni en matière de sentences interlocutoires n'infligeant pas de grief irréparable '. ' SoiiKT, ouv. cité, Traite piéliiiiinaiie , litre IV, n" 78; livre V, t. XXIV, n° 5; Réfutation du manifeste des échevins , pp. 128, 429. * SoiiicT, ouv. ciié, livre I", titre XI, n° 10; livre V, titre XXXII, n° 7. * C'est pourquoi l'oiliciul jurait toutes les paix. — Souet, ouv. cité, Traité préliminaire, litre IV, n"»2ct 9. * SoiiET, ouv. elle, livre IV, titre XI , cliapitre XIV, livre V, litre XXXVI, n" 19, etc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE 669 Les archidiacres , nonobstant les décrets du concile de Trente avaient conservé à Liège, en matière répressive, les droits que leur conféraient les concordats de 1288 et de 1334, une bulle du pape Léon X de 1517, etTan- cienne coutume. Ils concouraient avec roffîcial de Tévèque, dans leurs archi- diaconés respectifs, à l'exercice de la juridiction crimijielle ecclésiastique dont nous avons déjà précisé les bases. En règle générale c'était le droit de prévention qui décidait entre eux et l'oflicial de Liège. Cependant il y avait des cas dont celui-ci connaissait seul; il y en avait d'autres qu'il était con- traint d'abandonner aux archidiacres, le tout conformément à la coutume invétérée ou au texte des monuments que nous avons cités plus haut. La juridiction répressive des archidiacres, bien que considérée comme ecclésiastique ordinaire et quasi épiscopale, était néanmoins toujours subor- donnée à celle de l'évèquc. Il y avait appel à l'ollicialilé de Liège des sen- tences prononcées par les archidiacres dans les limites de leur compétence : seulement cet appel n'avait pas d'ellèt suspensif en matière de correction et de visite '. Voffîriat du chapitre, enfin, concourait aussi avec l'olTîcialdeLiége et les archidiacres par droit de prévention en matière de juridiction criminelle purement ecclésiastique, sauf à raison de certains cas exceptés. Ses sentences étaient également ai)|)elal)les à l'olficialilé de Liège -. Le droit de prévention jouait donc un rôle immense en tant qu'il s'agis- sait de régler, par rapport à chaque cas particulier, la compétence des trois juges d'église. Les Statuts consistoriaux de 1013, qu'on observait encore au XVIII'' siècle, avaient en conséquence été obligés de pourvoir à ce qu'une même personne, à raison d'un même excès, ne fût pas citée devant trois juges difl'èrenis. Ils défendaient à tous les proctu-euis fiscaux de l'ofiicialité de Liège, de l'oflicial du chapitre, des archidiacres, de promouruir enquête à propos d'un crime ou excès, avant de s'être assurés à l'office du grand sccl qu'ils n'étaient pas prévenus. L'enregistrement de l'infraction à l'office du grand scel était au reste le premier acte de toute procédure criminelle ecclé- ' SoiiET, ouv. cite, livre V, litre XXXII, n" 8; livre I", litre XII , n" 57, 43, 44, 45, 46, 47, 49, etc. « Soiip.T, ouv. cité, livre V, titre XXXII, n° 9. — Réfutation du manifeste, p. 124. 670 ESSAI SUR L'FIISTOFRE DU DROIT CRIMINEL siaslique. Les procureurs fiscaux en prêtant leur serment professionnel juraient tous qu'ils ne citeraient personne avant cet enroiristrement, sinon pour prévenir, et qu'alors même ils pourvoiraient à l'enregistrement dans les trois jours de la citation ^ Venons enfin à la compétence des échevinages du pays et à celle de l'olTicial de Liège, prcsideiif de la province, représentant du prince, c'est-à- dire à la compétence des juges ordinaires de la principauté dans toute la force légale du terme. Les échevinages avaient la plénitude de la juridiction criminelle. Ils con- naissaient de toutes espèces d'infractions de for séculier et de for tnixle qui n'étaient pas expressément réservées par les coutumes ou par les édits à des tribunaux d'exception. Ils avaient pour justiciables tous les Liégeois nobles ou non nobles, seigneurs de village, bourgeois ou paysans, non exempts et ne jouissant pas du privilège du for ecclésiastique : les gentils- hommes ou plulôt les fieff'és du pays avaient perdu le droit de se faire ren- voyer devant une juridiction spéciale en matière criminelle "-. Les échevins de Liège n'exerçaient pas une juridiction criminelle immédiate sur le plat pays. Leur ressort ne s'étendait pas plus loin que la verge du seigneur portée par le grand maïeur qui les semonçait ^. Les offi- ciers criminels, ayant à faire réprimer une infraction justiciable des échevi- nages, devaient traduire le délinquant soit devant les échevins de la Cité, soit devant un échevinage subalterne, en tenant compte des règles suivantes : i" Tout délinquant pouvait être puni là où il était appréhendé en vertu de la maxime : uhi le invenio ibi te punio , à moins que son renvoi n'eût été demandé par l'oflicier criminel ou le juge du lieu du délit, et que le renvoi n'eût été accoi'dé. 2° Le renvoi devant le juge du lieu du délit s'accordait communément dans le pays de Liège en matière de crimes atroces. 3" C'était devant le juge du lieu du délit que se faisaient les procès par ' SoiiF.T, ouv. cilc, livre V, litre XXXIl, n"' 11, 12, clc. 2 SouET, ouv. cité, livre V, titre XXXVIl, n" I; livre I", titre LX , n" ïli, 10; titre LX.WII, n" 21. — De Malte, chapitre XV, § 12; chapitre XX, n" 4. ^ Style de 1779, \u 18. — lUfulalion du manifeste, pp. C4, Cl, C3. DANS L'ANCIENÎSE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 671 contumace contre les délinquants fugitifs ou latilants, ainsi que les exécu- tions en effigie auxquelles ils aboutissaient. 4° Le juge du domicile du délinquant, qui dans le moyen âge liégeois primait tous les autres, sauf au cas où le délinquant était appréhendé, le juge du domicile n'était plus guère appelé à connaître d'autres crimes que des crimes commis par un regnicole en pays étranger quand on pouvait ou quand on jugeait à propos de les poursuivre '. Mais si les échevins de Liège n'exerçaient pas de juridiction criminelle immédiate hors de leur ressort, ils méritaient encore comme jadis le nom de souverains juges au criminel de la principauté. Jusqu'à l'édit de 171() aucun décret de prise de corps ni aucune sentence criminelle ne pouvaient être rendus par la presque totalité des cours subalternes, jugeant à la loide Liège , sinon à leur rencharge. Depuis l'édit de d7I6, la subordination des tribunaux inférieurs resta la même que jadis en matière grave. Ils n'ob- tinrent le droit de juger sans rencharge (jue les cas où il s'agirait seulement d'une amende pécuniaire de moins de cinq florins d'or, sans fraude, et encore à charge d'appel à la souveraine justice. Ucmarquons avec Louvrex que l'édit de 1716 accordait aux cours basses une faculté, et qu'il défen- dait aux officiers de justice « d'amoindrir une amende qui, selon les édits » du prince, excéderait cinq florins d'or pour s'exempter de demander les » recharges des échevins de Liège -. » Les cours basses jouissant du privilège de juger en matière criminelle sans rencharge étaient rares; c'étaient en général des échevinages de villes closes. Il est diflicile de les indiquer toutes aujourd'hui. Nous citerons cependant les échevinages de Saint-Trond ', de Maeseyck et de Iluy *. L'échevinage de Tongres prétendait depuis longtemps à la même immunité. Vers 1727 il était en procès, sur ce point, avec l'échevinage de Liège devant le conseil privé ^. Enfin, en 1784, il intervint entre les deux liti- • SoiiET, ouv. cilc, livre V, titre XXXVII, n°' 10 à 18. 2 Points marqués pour coulumes, chapitre XIV, p. 40. — IIodin, ouv. cite, l. II, pp. 129, 130. -- SoHET, ouv. cité, livre V, titre XXXVII, n" 67; livre I", titre XLIU, n" 7, 14, 15. •^ Cette ville avait certains rapports avec les échevins d'Aix-la-Chapelle. * LuDOLFF, ad Privilégia Leodieiisia , p. 157. — Appendixad nurralionem , pp. 16,55, 54. •' Réfutation dumanifesle , p. 157. 672 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL gants un arrangement approuvé par le prince le 27 mars de la même année '. Cet arrangement stipulait que, tant en matière d'infractions passibles d'amendes que d'infractions touchant le haut criminel, on mettrait, par acte authentique, Taccusc en demeure de choisir dans les trois jours s'il voulait être jugé avec ou sans renchargc; que les sentences rendues par l'échevi- uage de Tongres sans rencharge avec le consentement formel de l'accusé, seraient définitives; mais que si l'accusé n'avait pas été consulté, les sentences rendues sans rencharge seraient appelables à l'échevinage de la Cité. Conformément aux prescriptions du législateur c'était toujours le greffîer de la cour basse qui allait à Liège porter les pièces des procès, et qui en reve- nait avec le ihkrel ou avec la sentence de rencharge -. Le décret ou la sen- tence était obligatoire pour les justices subalternes, comme jadis, dans toute sa forme et teneur. Il devait être mis aussitôt à exécution ^. En effet, les sentences interlocutoires ou définitives, rendues en matières criminelle à la rencharge des échevins de Liège, étaient restées inappelubles , comme les sentences portées par ces derniers dans les alïaires dont ils avaient connu immèdiatemenl K En terminant ce qui concerne les échevinages, rappelons encore deux faits importants: 1" Les échevins, en qualité de juges ordinaires, étaient compétents pour faire séquestrer les prodigues, les débauchés et autres gens de mauvaise vie ^. 2» Les échevins de Liège étaient parfois chargés de connaître, par man- dement évocatoire du prince, de certaines causes criminelles ressortissant à une cour subalterne, lorsque des motifs d'intérêt public rendaient l'évocation nécessaire; par exemple, lorsque les membres de la cour basse auraient pu être soupçonnés de partialité, à raison de leurs ra|)ports antérieurs avec les délinquants ". ' PoLAi.N, oiiv. filé, ô' série, t. II, p. 887. 2 Shjh- de 1779, p. 37. 3 Idem, p. 72, cl principes généraux. » SdiiiiT, ouv. cilé, livre V, litre XLIII, n° IC4, etc. 5 lilein, livre 1", litre XLIII, n»' 14, 15. 6 Voir l'opuseiile eité sur le procès contre les assassins de M"* Warrimonl, un cas d'applica- tion d'évocation. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 675 Les jurisconsultes liégeois comparaient la position de Yofftckd^ considéré comme juge séculier, à celle qu'occupaient dans les États d'Empii'e les lieu- lenants ou les conseils auliques des princes territoriaux '. Ils auraient pu la comparer aussi à celle des conseils des provinces dans les Pays-Bas autri- chiens, à raison du droit de prévention général attribué à leur procureur général dans tout leur ressort. Comme juge séculier, en elïet, représentant du prince, président de lu province, ToUicial de Liège concourait de temps immémorial avec les échevins du pays entier : 1" A la séquestration des prodigues, des débauchés, des gens de mau- vaise vie - ; 2" A la répression des crimes de for séculier commis même par des laïcs. Le droit de prévention seul décidait qui de lui ou des échevinages était com- pétent pour réprimer chaipic iniraction qui se |)erpétrait "•; et les sentences qu'il prononçait en matière criminelle, connue juge séculier, étaient absolu- ment inappelahles connue celles des échevins ''. La commission de l'odicial, dressée au nom des princes évêques, conte- nait toujours la formule sui\ante : «Committentes tibi generalem potestatem » cognoscendi de 7h//>«.scmj»(/«p cuusis criniinidibus necnou in(|uirendi, » corrigendi, puniendi crimin;i, excessus et delicla, per quoscumxiue in » civitate et diocesi nostri connnissa et connnitlenda '•'. » Mais, malgré la portée générale de ces expressions, la juridiction séculière de l'ofTicial avait incontestablement une double restriction. {" L'olïicial ne pouvait pas décréter d'appréhension sur enquête les bour- geois de la Cité, parce que ceux-ci avaient le privilège de n'être /M/jre.v appré- ' Xarralio hislorka, pp. 9, 10. - Appeiidix (iil nanalionvm, p. 47. — liéfululwii du manifeste, p. 71. '> SoHET, ouv. cité, livre V, litre XXXVII, n° 5; mais au livre 1", titre XI, n"' 1, 58, GO, il sus- pend l'expression de sou opinion, à cause du conflit qui est engagé. Nous allons, au reste, voir aussitôt les faits qui appuient la règle que nous énonçons. * Appendix ad narrationem, p. 28; Réfutation du manifeste, pp. 34, 55. — Sohet, livre V, titre XXXVI,n° 20. " Voir ces commissions, et V Appendix ad narrationem, p. 17, ainsi que la Réfutation du manifeste, p. 29. Tome XXXVTII. 85 G74 ESSAI SUR LHISTOIRE DL DROIT CRIMINEL hemibips (|ii(' pai- loi ol franchiae. Les suppôts de l'officialitc seuls renon- oaient à leur jiriviléfje lois de leur prestation de serment; 2" L'oflicial, quand il trouvait qu'un délinquant avait mérité la peine de mort ou une peine de i^fiiiy, était contraint après l'avoir déclaré coupable de le i-euNoyer au hms séculier. Au surplus, dans les matières qui nous occupent, il était toujours tenu de se conformer aux paix faites, au\ édits séculiers, aux principes ijénéraux des constitutions de TEmpire, à la Caro- line, etc., et non au droit canon '. En matière de crimes de for séculier commis par les laïcs, l'ollicial de Liège était saisi souvent, comme en matière de crimes de for ecclésiastique, par la poursuite de ses procureurs fiscaux. Cependant, pour éviter des abus, les Statuts consistoriaux de lo82 et de 1618 avaient mis une limite au droit de poursuite de ces derniers. Ils leur avaient défendu d'intenler l'action criminelle du cbef d'infractions méritant peine corporelle ou j)rise de corps sans avoir au pi-éalable la jieriiiission écrite et datée de l'ollicial ou de l'un de ses avocats fiscaux '-; Tapplicalion de celte règle empècbait souvent les procureurs d'oHice de prévenir les officiers territoriaux en matière de crimes de for séculier. Mais en revanche des officiers territoriaux eux-mêmes, les maïeurs des ^ illes, les grands baillis i\h pays, le procureur général, traduisaient frétjuemnient des délinquants devant Tofficial au lieu de les traduiic devant les échevi- nages. On a des exemples de cette pratique du \\l% du XVII' et de la première moitié du XVIIh" siècle, relatifs aux crimes suivants : le faux, la lébellion, les concussions, l'homicide, le parricide, le vol, le rapt, Tin- fraclion de sauvegarde, le port d'armes prohibées, la séquestration arbi- traire, etc., commis par les laïcs '. Rien qu'elle fût fondée sur des précédents irrécusables, (ju'clle eut été reconnue à diverses reprises par les états du pays ou par l'échevinage de la ' Appcndix ad narralionem, pp. 4, 5, 13, 23, 54. — Réfutation du manifeste, pp. 4, ;j, 128, 124. — SoiiET, ouv. cité , livre V, litre XXXV, n" 6. * SoiiET, ouv. cité, livre V, titre XXXVI, n"' I, 2; litre XXXVII, n" 3, 4. — Réfutation du iiiun i feule , p. 51. — Appendix ad narralionem , p. 24. — Statuts de 1615, eliapilrc IV, article 13; Statuts de liiS2, cliapilre XX, articles 7, 8. 5 Appendix ad narralionem, pp. 2!), ol, 09. — Rifutalion du manifeste, p. ;)4. — Adjunc- liiiii, à la réflexion, p. (jO. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 67S Cité; bien que son existence fût admise et maintenue par la plupart des anciens jurisconsultes liégeois ^; la juridiction criminelle séculière de rolTi- cial avait été fréquemment combattue dans le pays au XVI« et au XVII^ siècle. En 1592 l'état noble, entre autres, avait tenté de la faire abolir. Il avait échoué. En 1603 Féclievinage de Visé avait fait contre elle une nou- velle tentative. Le prince avait donné tort à Féchevinage "-. Insensiblement les attaques contre elle étaient devenues si fréquentes qu'elles avaient donné lieu à un article spécial dans les capitulations des princes évèques : celui par lequel le chapitre cathédral obligeait le prince à jurer de défendre « jurisdic- » tionem... quam principes episcopi Leodienses per suos ofïiciales ab annis ») centum, ducentis, trecentis et amplius continue et pacifiée exercuerunt tam » in causis prophanis, civilibus et crinnnalibus, cliam contra mère laïcos, » quam ecclesiasticis quando olïicialis erit preventus... '\ » Au commencement du XVIII'' siècle la lutte repiit avec une vigueur nou- velle, surtout en ce qui concernait les crimes de for srcaUer passibles de peines corporelles et d'exil K Elle donna lieu à une controverse passionnée entre l'official, le chapitre et ses paitisans d'une part, et les échevins de la souveraine justice de l'autre. Ceux-ci, qui semblaient être revenus, il faut le dire, à leurs tendances absorbantes du \\\'' siècle, étaient soutenus |)ar l'état noble. La lutte donna lieu en même temps à une série d'ordonnances éma- nées dae princes évèques. Sans que nous puissions entrer ici dans les détails d'un débat curieux à plus d'un titre, il importe de signaler sommairement les phases par lesquelles il a passé. Citons d'abord les pièces piincipales de la conti'overse lilléraire. Les partisans de l'oflicial attaqué dans sa position ouvrirent le feu. Le juris- consulte de Ludolff publia, en 1724, une Narration /listorii/ue sar la Juri- diction de l'official de Liège. En 1738, l'oflicial lit inq)rimer cette disserta- tion avec plusieurs appendices et un certain nombre d'annexés. En 1739, ' Voir sur ce point nos deux premiers livres; les actes et documents cités par nous; Appendix ad narrationem, pp. 25, 26, 28. — Mean, Observation 59G, n" Ifi, etc. 2 Appendix ad luirrationcm, pp. Cl, 02, C3, 64. — Réfutation du manifeste, p. 40. 3 Voir te que nous avons dit plus haut de ces capitulations. * SouET, ouv. cité , livre 1", titre II, n° 38 et CO. 676 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL les écl)C'\ins répondirent par le Manifeste des écheiiins de Liv(je. En 1740, rnffîcial Ht pîiraitrc une Réfutation du manifeste. En I74.1, les écliovins revinrent à la rescousse par la Défense du vianifeste. La même année l'dHi- eial s"empressa de faire paraître des Réflexions sur la défense du manifeste: en 1741 une Ajoute à ces réflexions; en 1744 une Lettre d'un avocat. Les échevins, pour ne pas demeurer en reste, adressèrent aux États du pays un écrit intitulé Information ultérieure. L'olïicial adressa en 1750 aux états une Contre-information. Les échevins lancèrent contre cette dernière une Réfutation, et, toujours en 1 7oO, rolllcial riposta par la Défense de la contre- information et pai' récrit intitulé Pro veritate, etc. '. Ces écrits passionnés intéressaient probablement autant les Liégeois du XVIIh" siècle que les controverses du XVII'" à propos des juges militaires avaient intéressé les classes instruites des Pays-Bas autrichiens. Aujourd'hui ils produisent un elTet étrange sur les rares lecteurs qui les exhument de la poussière des bibliothèques. Ils sont de part et d'autre plein irérucNtion. Toutes les sources connues de l'ancien droit liégeois y sont nu'ses à profit. Ils fournissent même à l'historien moderne des indications qu'il chercherait \ainement ailleurs. Mais, malgré toute cette dépense d'éloquence et de science, les modernes se mettent difllcilement au diapason des écrivains. Étrangers aux intérêts du temps, qui jouaient un grand rôle dans le débat -, ils sont en revanche mieux à même que les contemporains de juger la valeur de» argu- ments produits de part et d'autre sur la (piestion historique. Après avoir tout lu et mûrement pesé, ils doivent l'econnaitreque l'ollicial avait laison au point de vue (h's traditions, de l'histoire, des pr<'cé(lents, des retroacts. Mais devait- on maintenir, au XVIII' siècle, la juridiction séculière de rollicial parce ipi'elle avait existé autrefois? C'est là une question nouvelle sur hupu^lle les modernes sont moins à même de se prononcer. Ils ne connaissent pas d'ime façon assez approfondie les intérêts multiples d'une société aujoiud'hui dis- • Ces Idochurcs, citées par M. Raikcm, se trouvent dans la plupart des anciennes l)il>lio- tlièques du pays de IJége. - L'état noble, par exemple, avait intérêt à attirer au\ eours de ses villages une partie de la juridiclion de l'oflicial; l'ollieialilé, le prince et même la Cité avaient un intérêt pécuniaire pré- eiséraenl inverse au maintien du shtiti (/iio. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 677 parue. D'une part, le maintien du sfatu quo occasionnait de fréquents con- flits, chose toujours préjudiciable à la bonne administration de la justice. D'autre part, les frais de justice étaient moins élevés à l'ofïicialité qu'au siège scabinal ; la procédure y était plus rapide ' ; l'action de l'officialité favorisait «■'vidomment la prompte administration de la justice, en présence de la pra- tique de la rencharfje qui faisait affluer à l'échevinage toutes les affaires cri- minrlles du plal pai/s. L'ofïicial pou\ait même dans certains cas être un juge plus indépendant vis-à-vis du délinquant que les échevins des cours basses, etc. Se trou\ant en présence de ces considérations diverses, les princes évé- (jues eux-mêmes tergiversèrent. Ils ne tinrent pas une ligne de conduite uni- forme sur le fond de la controverse. Nous allons le voir en parlant rapide- ment des ordonnauces auxquelles le conflit entre l'official et les échevins donna lieu au XVIII'" siècle; et devant les hésitations des princes mêmes du pays, on comprendra que nous n'osions pas formuler un jugement absolu. Quand Georges-Louis de Berghes monta sur le trône, en 17:24, il refusa de jurer l'article de snco/)/fi(/ation dans lequel il était question de la juridic- tion de l'otricial. Dans une note remise au chapitre il lit la déclaration sui- vante assez peu claire : « OUicialem necnon suam retinebit juridictionem. » Verum ipsi non licebit instituere cognitionem causariun crinn'nalium in » (piibus agitur de causa sanguinis; lenebitur(pie ad slalula consistorialia » serenissimorum quondani Ernesti et Fei'dinandi se couformare -. » Le chapitre cathédral, de son côté, sans consentir à la radiation de l'article de la charte inaugurale, consentit à le tenir en suspens. Le premier acte que Georges-Louis faisait à l'égard de l'olficialité témoi- gnait donc de médiocres dispositions pour sa cause. Et cependant, quand en 1 736 il eut à prendre une décision formelle; quand il dut, à propos d'un cas particulier, juf/cr en quelque sorte le dillerend soulevé entre l'oflicial et les échevins de la Cité sur des mémoires fournis de part et d'autre, il pencha du côté de la vérité historique. Il fut convaincu par les documents produits par l'oflicial « pour prouver que lui et ses précédesseurs avaient été de tout ' Rèfulationdu manifesle, p. 154. 2 PoLAi.N, ouv. cité, 3' série, 1. 1", pp. 536, 557, en note. 078 ESSAI SUR L'HISTOIRE DL DROIT CRIMINEL » temps iinmémorial en droit et en possession de connaître et juger en », matière criminelle pour toute espèce de délit iiulistinctonient , cl contre » toutes sortes de |)ersonnes soit laïques ou autres. » Il déclara, en consé- quence, qu(! Tofllcial devait continuer « dans l'exercice de la dite juridiction » criminelle ainsi et de la manière que lui et ses prédécesseurs ravaicnt exer- » cée en vertu de leurs commissions et suivant l'ancien usage, paix, sla- » tuts et possession immémoriale. ' » L'ordonnance du prince était du 22 août 173G; elle lut conlirmée le i lévrier 1739 par le conseil aulique de rEnq)irc (|ue les échevins de Liège avaient saisi par une supplique -. Les deux actes dont nous venons de parler ne terminèrent pas le diflé- rend. Les adversaires de Tofficialité, et surtout Y ordre équestre auquel se joignirent quelques grands officiers de justice et les échevins de Vliermael, ne se tinrent pas pour battus. Ils représentaient la juridiction de l'oflicial connue étant sortie de ses limites anciennes et connue mettant le désordie et la conl'usion partout : arrêtant les poursuites des olliciers du prince, empê- chant les juges de s'acquitter du devoir de leurs charges, faisant naître un conllit de juridiction perpétuel et des recoiu's fréquents aux XXII "'. L'ollicial répondit à ces plaintes par une remontrance et en déliant tout le monde de montrer un seul cas où il serait sorti des habitudes de ses prédécesseurs *. Au fond, vis-à-vis du prince, ce n'était plus la question historique seule qui était posée : c'était une grave question politique. Elle intéressait, comme le disait Georges de Berghes lui-même, « celte paix et cette harmonie (pie nous » souhaitons avec tant d'ardeiu' de voir régner dans l'administration de la » justice que nos dilTéienls tril)unau\ rendent en noti'e nom '. » dette (pieslion politique de\ail èlie tranchée dans un sens ou dans l'autre. Georges de Berghes nomma, le IS janvier 1742, une commission pour la résoudre et pour faire un règlement stable et |K'rmanenl, capable de fain; « cesser tous les procès et disputes déjà émues ou qui pouri-aient s'émouxoir ' PoLAi.N, ouv. cité, 3" sérii', 1. 1", p. O'JI ; déclaration ilu 4 mars. * Idem, p. 772. — Réf'ulation du manifeste, pp. 9, 159, 141. 5 Aclo d'iiislilutioii de la commission , dont nous allons parler, daté du 18 mars 1742. — Lettre d'un uvociil, p. 22. ♦ Lettre d'un avocat , p. li. ^ Acte d'institution de la commission, cité. DANS L'ANCIENiNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 679 » au fulur, tant entre notre dit officiai et les éclievins de notre souveraine » justice que des cours et justices du comté de Looz, lequel comme une loi » inviolajjle et perpétuelle prescrive aux tribunaux et aux différentes judica- » tures, qui exercent la justice en notre nom dans notre pays de Liège et » comté de Looz, les bornes qu'ils doivent observer dans l'exercice de la I) juridiction (pii leur est commise '. » La commission fut composée de députés pris dans les divers corps de l'État à l'exclusion de l'officialité et des échevins de Liège, comme étant trop intéressés au débat. Elle reçut un programme très-net dressé par le prince lui-même, et dans lecpiel on reconnaît l'esprit polilicpie et organisateur de Georges-Louis. Ce programme invitait les commissaires à laisser de côté la question historique et à dresser un projet de règlement qui convint au pré- sent : « puisque indépendannnent de tous les arguments ou moïens avancés » de part et d'autre, et de ce (pii peut avoir été déclaré en laveur des uns ou )) des autres, noire intention est de couper le mal par le racine, en remè- » diant aux inconvf iiienls que cette confusion et contention continuelle cause » à nos sujets et à tout l'Élal, et réglant la splière et l'activité de la juridic- » tion que cliaque judicalure observera sans pouvoir s'attribuer d'autres » causes que celles qui seront déterminées par notre règlement susdit. » Le cbapitre calbédral réclama aussitôt contre la composition même de la commission dans hupielle, parait-il, ne siégeait aucun de ses membres. Il envoya une députalion solennelle au prince pour le prier de montrer un cas où l'official aurait abusé de sa juridiction antique; mais en vain-. Le 24 mars 1742 parurent deux ordonnances, l'une relative à la juridic- tion de l'official dans la principauté de Liège, l'autre relative à sa juridiction dans le comlè de Looz, qui furent mises en (jarde de loi le 3 avril suivant ^. Ces ordonnances étaient identiquement les mêmes. Elles ne disaient pas et ne pouvaient pas dire que l'official avait î«sKry>t'; mais elles lui défendaient, pour Vavenir, de juger encore en matière criminelle les laïcs, excepté les suppôts de sa cour, à raison de crimes du for séculier. Elles déterminaient ' Letlrc d'un avocat, p. 22, acte diiistitution de la commission, cité. 2 Idem, pp. D, (), 19. — Polaix, ouv. cité, 3° série, t. I'^', p. 774, en note. '" PoLAi.N, ouv. cité, 5' série, 1. 1", p. 774. G80 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMI.NEF. les calôjïories des personnes qni, ii titre (ÏBcclésiast/f/itca jnuissaul du privi- h'()e (lu for, ressortiraient à son tribunal ' ; les délits qui seraient léputés de for mixte et dont il pourrait continuer à connaitie. Elles rendaient applica- bles à son tribunal les principes, si souvent rappelés dans les ordonnances, relatifs à la non-connexlté des actions intentées contre les clercs et les laïcs ayant participé à une même infraction"-. Elles défendaient aux seigneurs, officiers, procureur-général , niaïeurs et autres officiers de justice, d'intenter désormais devant Tofficial aucune action criminelle contre des laïcs, soit par calenfje, soit par dKjut'-le, tendante à faire appliquer au délinquant une peine corporelle, l'exil, une amende, etc. Elles privaient, en un mot, l'offi- cial de ses antiques prérogati\es déjuge sénilier aj/antjuridicfion dans toute la province ; elles le réduisaient à n'être plus (|ue le premier des juges d'église du |)ays. Les ordonnances de 17i:2 soidcvèrent, comme on devait s'y attendre, une vive opposition de la part du cbapitre cathédral et de l'official, tandis qu'elles valurent au prince les félicitations et les reniercîmenis de l'ordre équestre, du tiers état et de plusieurs justices lossaines '\ Quelle que fût leur \aleui intrinsèque, leurs adversaires reproclièrent à bon droit au prince de les avoii portées iticonstitutionucllemenl *. La commission nommée ne rejjrésentail pas et ne pouvait en aucune façon représenter le sens du paijs; et la ques- tion qu'elle avait trancbée avec le prince était une véritable (luestion d'orga- nisation judiciaire. L'official refusa de se somnettre. Le prince tint bon. Il |)orta plusieurs ordonnances exécutoires de celles du 2i mars, ré\oqua son officiai et le reuiplaça par son sullraganl ordinaire, et publia diverses décla- rations dans lescjuelles il protestait ne pas entendre, par les derniers règle- ments, préjudicier aux pii\iléges impériaux ni aux lois du pays. ' .Nous avons parlé plus liant de cctle cliiiise. * Cl- principe n'avail i)as ('ti' jii-i|iK'-l,i applicable par Ttimeial . puisqu'il était à la fois juge d'église et juge exerçant une juridiilion séculièi'e. 3 Diplôme impérial du 23 janvier 17 43; il y a lieu de eroirc, en comparant eelui-ei avec la Lettre d'un «dock/, qu'il exagère ini ])eu les elioses. * Diplôme impérial, eilé. — Lettre d'iiii avueat, pp. 24 , 23. Il fallait pour changer l'ordre établi des juridictions l'accord du prince et des étais du pays. — Soiu;t, ouv. cité, livre V, titre XXXV, n°* 8, 1»; livre IV, titre X, n- I V , 13. DANS LANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 681 Le chapitre et l'olïicial se pourvurent devant la chambre impériale de WetzJaer et oi)linrent, dès le 18 juillet, un édit cassatoire de tout ce qui avait été fait. Cette fois, ce fut le tour du prince de résister. Il s'adressa à Tempereur, et, le 23 janvier 1743, il en obtint un rescrit confirmatoire du règlement en litige, sauf le procès pendant encore à Welzlaer et sauf aussi accord amiable sur les articles qui seraient démontrés contraires aux lois et aux privilèges du pays K Le 9 mars 1743 Georges-Louis se prévalut de l'acte impérial pour ordonnej- à Toflicial et aux échevins d'observer ses règle- ments "-. Dans l'entre-temps, les étals du pays s'étaient réunis et lui avaient présenté, avec leurs recès^ la remontrance que lecba|)itre cathédral avait déjà laite. Le prince leur fit une réponse longue et détaillée. Il protesta n'avoir eu aucune intention de porter atteinte aux paix et aux privilèges du pays; ne demander pas mieux que de modifier ce qui serait prouvé contraire à ceux-ci; être prêt au surplus à faire examiner à la fois ses règlements ainsi (|ue les lois et les paix nationales, de concert a\ec les états, et à modifier sur-le-chanqi ce qui serait contraire aux lois du pays ^. Les choses traînèrent en longueur jusqu'au commencement du mois de décembre 1743. (ieorges de Herghes mourut. Dès le 9 du mois le chapitre cathédral, .scdc vacante, ré\oqua les règlements du 24 mars, ordonna de remettre les choses sur le pied où elles étaient avant leur publication, et prit soin d'insérer dans la capilulalion de son nouvel élu un article sur la juii- diction de l'ollicial analogue à celui que Georges-Louis avait refusé de jurer. Jean-Théodore de Bavière, au moment de son avènement, se trouva dans une situation difiicile. Dès le 2 mars 1744, les échevins de Liège ainsi que l'état noble lui présentèrent une supplique contre la teneui' de l'aiticle de la capitulation, dont nous venons de parler. Les nobles lui rappelaient que, de concert avec les échevins, ils avaient appelé à Wetzlaer de l'édit cassatoire du 9 décembre 1743 *. Le chapitre, de son côté, insista pour le maintien ' PuLALN, ouv. cilc, ô' séric , t. I", p. 797. ' Idem , idem. * Idem, en note. * /(/cm, t. Il, pp. d,2, el notes. Tome XXXVIII. 86 682 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL (lu loniiiil.iire dressé. .loan-Tliéodore so tiiil sur hi irscrve; le 10 mars il jui'a l'arlicic, mais « suIj modilicatiouibus et correclionihus postea léijilimo » iuodo facicndis '. » Trois ans après un conflit surjîil de nouveau entre l'ollicial et les échcNins à propos d'un cas particulier de Tordre civil. Le prince le trancha par ordon- nance du 23 février 174(). Il ordonna aux parties liligantes de venir s'en- tendre à l'amiable devant le Conseil privé, faute de quoi celui-ci \iderail le dillérend « sur le pied où les choses étaient pendant le règne de Joseph- » Clément... et de Georges-Louis avant les dillicultés émues sur la tin de » son règne "-. » Cette fois, les hourgmesires et la Cité de Liège avaient pris hautement fait et cause pour TolTicial ^. Les échevins protestèrent le 18 mars 17i() contre le décret du 23 févier, mais le prince répondit à cette protestation le 21 mars en leur ordonnant de s'y conformer. « .Nous » avons entendu et entendons, disait-il, de remettre par mode de pro- » vision les juridictions respectives de notre olVicial el de nos échevins » sur le même pied qu'elles étaient au temps de Joseph -Clément el de » Georges- Louis nos prédécesseurs, avant le temps des brouilleries surve- 1) nues pendant les derniers temps de sa vie; ordonnant (|u'eii matière » de conllit de juridiction notre Conseil privé coidorme ses décisions sur le » pied susdit, le tout jusqu'à ce qu'il fût fait un règlement lixe et stable )) lequel anéantissant toutes les ([uestions qui onl donné lieu aux dilTérentes » procédures, émues dans les tlicastères de l"enq)ire, remette le calme à tou- » jours, en retranchant les abus glissés dans l'exercice des diverses jndi- » catures '. » Le lèglement fixe et .stable qu'appelait Jean-Théodore ne \it jamais le jour. L'acte du 21 mars I74G est la dernière pièce oilicielle du conllit long et passionné dont nous avons essa\(' de i-elracer les vicissitudes^. Le pro- visoire subsista jusqu'à la lin de l'ancien régime. L'ollicial contimia jusqu'au ' Poi.AiN, ouv. cilc, t. I", p. 798, et noies. î Idum, I. Il, p. o2. ' Pro libertale , p. 53. * Idem , iilem , p. 3!». •■' Au moins que nous sachions. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE 683 boni à user de ses anciennes prérogatives, toujours combattu, mais ne cédant jamais complètement le terrain K Nous terminons ici notre second cbapitre. Dans les pages suivantes, nous allons essayer de résumer, d'une manière lechnique, la marcbe des procé- dures criminelles dans le pays de Liège à la fin de l'ancien régime. CHAPnUE III. IJtS \CT10NS QUI >AISSAIENT DES I>FRACTIONS, ET DE LA PKOCÉDIRE CRIMINELLE. Les infractions dans le pa} s de Liège pouvaient donner naissance à plu- sieurs actions (pii ne prèjiidiciaient pas l'une à l'autre. Ces actions étaient une ou plusieurs (iclions pricecs, intentées par la j)artie lésée et tendantes à l'aire adjuger à celle-ci une réparation morale ou une réparation [)écuniaire; une aclion puhli(/ue intentée i)ar rollicier criminel, ou dans certains cas par la même partie lésée, et tendante à faire appliquer au délinquant la peine de rinfiaction conunise par lui. On peut y ajouter encore dans certains lieux et dans certains cas une sorte tTaction communale, tendante à faire a|>pli(pier au déliiupiaiil le voyage an profil de la Cite. Cette dernière action, en tout état de cause, se poursuivait devant loi et franchise, sans préjudice de l'action publi(pie ordinaire -. On considérait comme avlions criminelles et comme donnant lieu à une sentence inajtpelable : i" Toules les actions intentées contre les délinquants par les officiers de justice, à raison de la « vengeance publique, » quand même leur objet n'était que de faire prononcer une amende pécuniaire ^; ' SoiiET se borne à dire que ia rontroverse existe; il ne donne pas forraellement son opinion en ce qui concerne les crimes punissables de peine corporelle ou d'exil. * Points marqués pour coutumes , chapitre XIV, n°' 9, 10, 11,12. ' Ce principe était contraire à la règle admise dans les Pays-Bas autrichiens; les condamna- lions à l'amende étaient appelubles dans ces derniers. <)Si KSSAI SIK LMISTOIHi: 1)1 DROIT CKIMINKL 2" Toiilos les actions tendantes à faire prononcer coiilrc le(i('lin(ni;int nne peine coi'porelle afiliclive, par exemple une amende lionorahle pnl)li(|ue, alors même (pi'elles étaient intentées par les parties lésées '. On considérait, au contraire, comme actions civiles et, par conséquent ajipelahles , tontes les actions intentées par les /Mirties /ésées pour amende à leur prolit, dommages et intéi-èts, etc. -. Les incidents de nature civile , qui se présentaient dans le cours d'une pro- cédure criminelle, étaient tantôt considérés comme ;wcyj<(//w/.s\ tantôt comme accessoires de celle-ci. Dans le premier cas, ils tenaient Taction criminelle en échec jusqu'à ce qu'ils fussent vidés eux-mêmes par le juge civil ji(f/eaiU à charge (l'appel. Dans le second cas, ils étaient vidés par le juge criminel h\\-mèmo, JHf/eaiit par arrêt, et accessoirement ;'i la cause principale. Os incidents n'étaient préjudiciels que si de leur solution di'pendait nécessaire- ment celle de l'action criminelle •'. (les considérations générales sulliseiit pour l'entenle île (•<> (pii \a siii\ie. Nous abordons aussitôt le premier paragraphe de ce chapitre; et, pour «léhiayer le terrain, nous le consacrons à une vue sommaire sur les actions pricées et sur les droits des parties lésées par les infractions. S !•''. — Des actions privées appartenant au.r parties lésées à raison des infractions dont elles avaient été victimes. \u XVIII'^ siècle, il n'était plus question ni d'un droit de (pierre . ni d'un droit de renf/eance jirivée (|ui se seraient ouverts au j)rolit des p(>i"sonnes h'sées par une infraction. Cela \a sans dire; mais Pancien sijstènie des trêves lui-même, qui avait si longtemps subsisté dans les communes, avait Uni par londter en désuétude. Les coutumes liéf/eoises n y faisaient déjà plus allusion, à l.i diiïérence d'une foule de coutumes des Pays-Bas autrichiens. Sohet, à ' SoiiET, ouv. cité, livre V, liU-c XXXVIII, ii" 10, II. — .Mea>, Observation ôH'J, n°' H, ô; Observation 547, ii° :>3. * Mean, Observation 320, n"' 4, 5. —Sohet, li\re V, titre \.\XVIIl,n' 10, II, l:.>, \~h ete. "■ SoiiET, ouv. cité, livre V, titre XXXVIII, ii"' 18, I!», -20, ete. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 685 son tour, n'en dit pas un mot. Il se borne à parler tle la caution de non offeu- (lendo et des lettres de sauvegarde. Au XYIII*" siècle, lorsqu'un Liégeois était grandement menacé par un homme reconnu capable de réaliser ses menaces, il pouvait s'adresser à la justice. Celle-ci foi'çait alors l'auteur des menaces à donner assurance ou caution de non offendendo ; ou même, si le péi-il était imminent, elle le décré- tait de prise de corps; elle le faisait détenir en prison à ses frais, aux frais du demandeur s'il n'avait rien, aux frais du trésor si le demandeur était pauvre lui-même, jusqu'à ce qu'il eût déposé sa haine, foui-ni caution |)er- sonnelle ou réelle convenable de non offendendo , et prêté serment de ne pas exécuter ses menaces. Si l'auteur des menaces violait alors sa parole, il |)0u- vait encourir une peine corpoi-elle grave '. Le Liégeois menacé, qui n'aimait pas à invoquer l'autorité du juge, pou- xail aussi imj)élrer parfois du prince de Liège des lettres de sauvegarde. Ces lettres, d'après les coutumes de Liège, étaient (;ensèes mortifiées lorsque l'impétrant et son adversaire avaient volontairement bu , mangé et fait bonne chère ensemble'-. Les infractions perpétrées contre leur leneiu- entraî- naient ou bien une peine spécialement comminée par les ordonnances, ou bien même les peines du crime de lèse-majesté '\ Dans le pays de Liège étaient de plein droit dans la sauvegarde du prince : les officiers et les membres des cours de justice ecclésiastiques et séculiers, les avocats, les procureurs, les parties en cause, les témoins produits, les oUiciers et les sergents exécutant les ordonnances du prince et les sentences des tribunaux, etc. *. Au XYIII" siècle il n'était |)lus question non i)lus de Taclion en rogue- ment de forc/ie , qui nous a occupé dans les deux livres précédents. Toute- fois les parties lésées par une infraction contre les personnes avaient encore des droits diflerents, suivant qu'elles avaient soullért d'un homicide ou d'une injure soit verbale, soit réelle; et ces droits étaient radicalement indépen- ' SoHET, oiiv. cit., livre V, tilre Xll, n° 56, etc., d'a|irès Rausin, la Caridma , clc. * Idem, idem, livre II, litre XXXIII, n"' I, 4, 5, 13. ■■ /(/('//( , ibidem. * Réformution de Groisbeecii, chapitre XV, n°M et li; cIia|)itreX, n" 2(i, etc. C80 KSSAI SUR LUISTOIKE DU DROIT CRIMI>EL ilîints de celui d'intenter dans certains cas, dont nous parlerons plus loin, Vacff'oii j)nljh'0. — Points nwrqués pour coutumes. — Mean, Observation 3:21», n" l>. * Idem , n°ôi. i- Idem, n" 33. — De Malte, chapitre .Wll, section 1". n" 0. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 687 à l'amiable entre le délinquant et le proche du mort investi du droit de Cépée. Lorsqu'une entente à Faniiable était impossible, le vengeur du sang avait le choix, ou bien de porter son action devant le juge criminel en même temps que Faction publique dont elle constituait alors un incident accessoire; ou bien de porter son action devant le juge civil, pr/'ncijxdeiiient, et après iprunc sentence eût été rendue à propos de l'action publique '. L'action tendante à l'obtention des dommages et intérêts appartenait non aux mâles vengeurs du sang, mais aux héritiers du mort et à sa veu^e. Elle était perpétuelle et non surannable ^. Elle était, en principe général, portée devant le juge civil, quoique à la ligueur elle pût être incidentellement jugée par le juge criminel ^ En y répondant le juge n'avait pas à tenir compte du prix de la vie de Coccis, res inestimabilis *; mais il devait peser les dommages souiïerts par les héritiers du mort avec les intérêts de ceux-ci, les frais de dernière maladie, s'il y en avait, et peut-èti'e même les frais funéraires ■'. L'action en donîmages et inl(''rèts ne souHrait aucun préjudice de la mise à mort du délinquant condamné du chef (riiomicide. Celle execulion ne ré|)a- rait pas le tort matériel causé à une famille parla mort d'un de ses membres; elle pouvait, au contraire, et à bon droit, être considérée connne une répa- ration morale sullisante. "2" En matière d'injures verbales ou réelles, les parties lésées avaient, selon les circonstances, la faculté d'intenter soit îtne seule, soit trois actions différentes contre le délinquant, sans tenir compte de l'action publique : l'action qui avait pour objet Vatnende profitable: celle qui avait pour objet les dommages et intérêts; celle (pii tendait, enfin, à la palinodie oyy répara- lion d'honneur ^. L'action ayant pour objet l'amende profitable tendait à faire condamner le délinquant îi Vamende à partie (le voyage ou son rachat en argent), com- ' SoHET, ouv. cité, livre V, liliv XXXVIII, n"' 12, 15, 14, 19, 21, clc. - Jilem, idem, livre V, titre XII , ii" GÔ. 5 Jdem, idem, livre V, titre XXXVIll, n"» 15 et 14. * La vie de Voccis était en rapport avec Vumende profitable. '^ SoiiET, ouv. cité, livre V, titre XXXVIII, n" 50, 31, 52, 55, 34. •i Idem, livre V, titre XI, n»' 60, (".2, 64, d'après Mean, Observation 52!), n" 4, etc.. G88 ESSAI SUR L'HISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL iniiiée par les .statuts en vigueur contre le fait qu'il avait perpétré. Le deman- deur y allirniait ainicr niieu\ perdre la valeur de Vamendc à partie en ques- lion que de souIVrir linjure quil avait subie. Cette action ne eonipélait qu"à la personne lésée elle-inèine, et devait s'intenter dans Tannée de l'inlrat- lion K VactioH 0)1 dommayvs et intérêts n était ouverte au j)rolit de la ^ iilinie de riid'raction que si celle-ci a\ait léellenient soulïert un dommage matériel. Elle était perpétuelle, non surumuible c\ n'était pas éteinte par la rémission d'injures que la victime avait accordée au délinquant. Le juge en y répon- dant pouvait tenir compte de la valeur des médicaments que le blessé avait dû employer, de ce quil aurait pu gagner s'il n'avait |)as été hors d'état de travailler, etc. Il n'avait pas à appréciei- les dillormilés ni les cicatrices, con- sé(|uences de l'infraction. Celles-ci pouvaient ce|)endant donner lieu à une .i|)préciation plus rigoureuse des donnnages et inléréis, ou bien être prises on considéralioii pour le taux de l'amende profitable -. Vuctioii en jmlinudie ou en réparation d'honneur était perpétuelle, non surannaOle. Elle passait aux héritiers du lésé, seulement ceux-ci ne pou- \ aient plus l'intenter une seconde fois si leur auteur l'avait mise lui-même en exercice. Elle était suitout usitée en matière {Vinjures verbales graves, ou d'injures de l'ait blessant plus la considération morale que l'intégrité de la personne ph\si(|uc. Elle tendait à faire condamner le défendeur à déclarer en jiKjement, c'est-à-dire à raudience, quelquefois même en présence de témoins; « ([ail avait faussentenf dit ou fait telle chose; qu'il en demandait n pardon ; qu'il tenait le demandeur pour une personne honorable... » La teneur et la fojine de la répaialion (riionneur étaient arbitrées par le juge suivant les circonstances et suivant la condition des personnes. Lorsque les \ices ou les faits leprochés au deniaïuleur ou plaignant étaient \éritables ou susceptibles détre prou\és, il sullisail poiu' la réparation d'injure que le défendeur reconnût les avoii- lepiochés à tort et téméraiie- ' SoiiF.T, ouv. ci(('. livre V, tilif XII, n" C2. — Ré formai ion ilv Croisbeeik, cliii|)i(ro XIV, :irlirlc' 4. — Mea>, Observation 7>'2'J, n"' 4, ."i. - SoiiET, ouv. cit., Ii\tc V, litre XII. n»' i'2. Ciô. tii. — Mean, Observation 329, ii°7; Observa- tion 't7>'.), Il" '2, et(. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 689 menl. Lorsque le défendeur ou délinquant avait proféré les injures dans un pi'eniier moment d'emportement, et si d'ailleurs les injures n'étaient pas atroces, il pouvait en général échapper à la palinodie : il lui suffisait souvent, de révoquer avant litis contestation, les paroles imprudemment prononcées. Celui qui avait obtenu une condamnation en palinodie n'avait pas par là même le droit de faii'e a/ficher le jugement ni la réparation d'honneur faite en conséquence du jugement. Il lui fallait, à cette fin, obtenir une autorisa- tion spéciale du juge, et celle-ci ne s'accordait qu'à l'occasion d'injures atroces, faites en public, ou de libelles diffamatoires '. En principe, Vaction en réparation d'honneur était civile. Elle devenait criminelle quand elle avait pour objet de faire condammer le délinquant à une amende honorable, à faire en public, avec une torche à la main. Cotte amende honorable notait d'infamie, comme une pénitence publique, celui qui l'avait faite -. Sans insister davantage sur une matière capable de doimer occasion à des dissertations fort longues, nous avançons et nous pa.ssons à ce qui concerne Vadion publi(/ue ou criminelle proprement dite. Nous traitei'ons d"abord dans une série de paragraphes de la procédure criminelle des cours séculières; nous ne consacrerons de nouveau qu'un seul paragraphe, rejeté à la fin du cha|)itre, à la procédure des cours d'église. § II. — De l'ouverture de Vaction criminelle. Tandis que dans les périodes antérieures l'exercice de l'action publique, tendante à rap|)lication de la peine, appartenait surtout aux parties lésées, au XVIII" siècle il appartenait principalement aux seigneurs et aux oITiciers cri- nn'nels hauts et bas, dans les limites de leurs attributions respectives. Ces sei- gneurs et officiers, comme nous l'avons dit, étaient seuls chargés de la police judiciaire et du ministère |)ublic. Les accusations populaires et même les accusations privées étaient pour ainsi dire sorties des mœurs. Il n'y avait ' SoirET, livre V, lilre XI, n°' (io à 77), etc. * hlein, livre V, titre XI, n»= 69, 70. — Méax, Observation 529, n"' 19, 10, 13. Tome XXXVIII. 87 690 ESSAI SrR LHISTOIHK 1)1 DROIT CRIMINEL plus iïuèrc que deux cas evcepliounels dans lesquels les parties lésées par rinIr.Rtion poiusuivaient encore elles-mêmes et criminellement le ilélin(pianl en deniaiRlanl parfois Yadjonclioii de roflicier : Icîs cas (C/iomicidc et (l'iiijnrr atroce. En nialièie d'homicide, il arrivait que les proches du morl demandassenl contre le coupahie Papplication de la peine de mort, quand Toflicier criminel restait dans l'inaction ; ou hien qu'ils se chargeassent de faire poursuivre eu contumace le procès du faitucl fayitif ou lalilaitl jugé appréhensihle. En matière d'injure atroce, les parties lésées avaient la faculté de conclure à ce que le délinquant fût condamné à faire amende houorahie à pieds nus, la torche à la main , en puhlic, etc. Encore esl-il que les officiers de justice avaient seuls qualité pour rechercher les auteurs iuconiias d'un crime per- pétré dont on possédait la preuve matérielle; les parties lésées ne pouvaient agir criminellement que contre une personne déterminée . en portant contre celle-ci une accusation formelle : si elles ne connaissaient pas le déliniiuant, elles épuisaient leur dioit en demandant un cri du perron '. Cependant si la nuse en mouvement de l'action publique ne dépendait plus principalement des parties lésées, comme au moyen âge, l'altitude que celles-ci prenaient influait encore, dans certains cas, sur les droits des offi- ciers criminels. On distinguai! dans le pays de Liège, comme dans les principautés voisines, les infractions publiques et les infractions prirées intéressant plus spéciale- ment les parties (|ue la société. Les infractions |)ul)li(pies ('(aient déterminées par les édits et par les coutumes. C'étaient notamment : les crimes de lèse- majesté, de sédition, de rébellion, de faux, d'homicide, de vol, de mutila- tion de membre, ^Va/foulure : les querelles faites en public avec clameurs, sluer et bu r inné , les injures atroces, etc. Parmi les infractions privées, on rangeait, par exenq)le, les injures verbales ou légères, ainsi (pie l'infraction de (jritnd command "-. ' SonLT, livre V, lilrc XXXVIII, n°' 5 cl G ; lilre XLIV, n" 4; lilre XI, n* 30; titre XLI.n" I; tilic XII, II"' CO cl fil. — De Mai.te, chapitre XVII, section i", S !•• — Poitils marqiits pour rniiluiiics, chapitre XIV, article 10.— lièfurmalion ilc Gioisbeecli, chapitre XIV, article 10, etc. ï lilciii, livre V, lilre XXXVIII, n" I ; lilre XII, ii" -', GO; titre XI, n" 30. — Itr formation de (îroisbeeck , cliapitrc XV, article 5. — Points marques pour coutumes, eiiapitre XIV, articles 20, 23, 58, i-2 , etc. — Éilil de /ff.ï.», sur les devoirs du grand maïeiir, etc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 691 En matière d'infractions pnbliques, l'action criminelle s'ouvrait de plein droit au profit des officiers de justice, que les parties lésées se plaignissent ou non. Ces officiers étaient même obligés de l'exercer incessamment , et sur leur conscience, sous peine d'encourir un châtiment pécuniaire ou d'être privés de leur charge. En matière d'infractions privées, au contraire, les offi- ciers de justice étaient désarmés tant que les parties lésées n'avaient pas porté plainte '. Quand les officiers criminels agissaient ôi'officc, il y avait néanmoins cer- taines règles (jui s'imposaient à eux, et qui les empêchaient d'entamer des poursuites à la légère. Ainsi, par exemple, les justiciers ne pouvaient jamais procéder par enquête contre une personne déterminée, sinon |)ar per- mission du juge et après avoir établi devant ce dernier la rumeur publique chargeant l'individu qu'ils accusaient et le scandale causé par le délit. Ils devaient s'abstenir d'intenter directement, et par voie ouverte, une action criminelle contre une personne, à moins (|ue celle-ci ne leur eut été dénoncée, ou qu'elle n'eût été nommée dans nuo j>/(iinlc loi'melle de la partie lésée, etc. -. A Liège, les règlements de l'office du grand maïeur in\itaient même celui-ci à demander une peiniission du Conseil pri\é avant de saisir les échevins d'une demande en promotion d'enquête f/énérale à l'occasion d'une infraction non atroce; et à n'entamer de poursuites à raison d'infrac- tions passibles de simples amendes que s'il avail en main une preuve complète ^. Ces considérations préliminaires nous amènent à dire un mot des dénon- ciations et des plaintes adressées aux officiers criminels. Toutes dénoncia- tions ne devaient pas être admises par eux comme véridiques. Ils ne devaient, en principe général, tenir conq)le que des dénonciations émanant de pei'sonnes respectables et signées par celles-ci. En revanche, quand ils étaient saisis par une plainte régulière, les officiers étaient tenus d'agir. La plainte était censée régulière quand elle était faite au greffe, ou par éciit, affirmée avec offi-e ' SoHET, liviL" V, litre XXXVIII, n" 5; tiue XLIV,.n°' 2 et ô. — RéformuHon de Groisbeeck, iliiipilrc XIV, n"» 1 et 2. î Idem, livre V, titre XLIII, ii" 7; litre XLIV, ii- t, a, {.,7, 10, 15, etc. ^ Voir au chapitre prceédent. (m ESSAI SLK LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL tic pioduirc dos U'iiioins, ot il\tillours \riu.senil)l;(l)lo. En cas de poursuUe sur (Inioïuiulion, la rospoiisabililé do rollicior restait ontièrc : s'il succombait dans son action, il s'exposait à être condamni' [)ersonnellenienl an\ dépens, au cas du moins où il n'avait pas pris la précaution d'agir avec la permission du juge. Le dénonciateur ne pouvait être condamné aux frais et dépens (ju'en cas de dol ou d'évidente calonmie : c'était alors seulement que lolli- cier criminel était tenu de le nommer. On comprend pounpioi, dans cet état de choses, les justiciers avaient un large pouvoir d'appréciation à l'égard des dénonciations cjui leur étaient faites. En cas de poui'suitc sur plainte, au con- traire, l'oflicier de justice avait le moyen de mettre sa responsabilité tout à fait à couvert, et c'est |)ourquoi il était contraint de suivre l'impulsion donnée. Il pouvait obliger le plaignant à donner caution, à fournir lui-même les preuves promises sous peine de dommages et intérêts et, en cas de calonmie, sous peine d'amende '. Dans le pays de Liège comme dans les Pays-Bas autrichiens, pour assurer les intérêts de la répression, on faisait aj)pel aux dviioncialeurs intéressés. On promettait souvent à celui qui dénon- cerait un (lélin(pianl, cou])able de tel ou tel crime, ou bien une sonnne d'ar- gent fixe, ou bien un tiers de l'amende qu'encourrait le délinquant con- vaincu. C'était le système des édits des 10 décembre loGI, li avril loG7, U août lo78, 29 juillet lo7i, -2i novembre 1(112, 2î) juillet lOi)!, 9 juillet I()99, 14 mai 1720, 20 août 1712, 20 novembre 1732, l"- dé- cembre 1732, 11 février 1739, 1" octobre 17()l, 4 août 17o9,o avril 1773, 13 juillet 1792, relatifs aux ciimes d'hérésie, de vagabondage, de port d'armes prohibées, de recel d'objets volés, d'embauchage d'ouvriers, etc. Sohet enseignait qu'un délateur pou\ait être entendu connue témoin. Il est évident qu'il n'avait j)as en \ue les ilélateurs salariés ayant nécessaire- ment un intérêt direct au procès -. De même que dans notre état social modeine, ni les olliciei's criminels ni les parties lésées ne conservaient indéfiniment le droit de poursuivre la répression des infractions pei-pétré(>s. Leur action |)ubli(]ue s'éteignait de deux manières : par la mort du déliufj liant . sauf en matière de crimes de lèse- ' SoiiET, ()ii\. citr, liMc V, lilri.- XI.IV, II" '. , 0, 7, ^, I", clc. '■' /ilciii , loio cilald, II" 1). DANS LAISCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 693 majesté ' ; ou bien par la prescription. Cette prescription était accomplie au bout d'un an à partir du joui- de la perpétration de l'infraction, à l'égard des légers délits passibles d'amendes; à l'égard des crimes publics, elle n'était accomplie qu'au bout de trente ans, terme fixé par le droit écrit, à moins que des édits ou statuts n'eussent pour des cas spéciaux établi un terme plus long ou plus court. Nous verrons plus tard qu'il ne faut pas confondre la prescription de Vaction pnlAiiine avec la prescription du droit d'exercer celle-ci par l'oie d'enquête -. Mais comment l'action publique devait-elle être poursuivie ; quels étaient les diflérents genres de procédure usités dans le pays de Liège au XVIl^siècle? ce sont là les questions que nous allons examiner dans le paragraphe suivant. Î5 III. — Des différentes espèces de procédure criminelle usitées dans le pays de Liéye au AT///' siècle. Les praticiens des Pays-Bas autrichiens, au XVIII'' siècle, distinguaient soigneusement les procédures criminelles criminellement intentées, des pro- cédures criminelles civilisées. Les premières étaient conduites à l'extraordi- naire selon l'ancieimc expression '' : elles aboutissaient, à la suite d'une arrestation préventive opérée en flagrant délit ou en exécution d'un décret de prise de corps, à un interrogatoire l'igoureux de l'accusé suivi, le cas échéant, de la mise à la (piestion. Les procédures criminelles civilisées, au contraire, suivaient une marche analogue à celle des procès civils. On inlonhùl criminellement l'action dans les Pa>s-Bas autrichiens, quand il s'agissait de réprimer une infraction gra\e donnant lieu à rap()licalion d'une peine corporelle alllicli\c. On civilisait le procès dans deux cas : de plein droit, quand il ne pouvait être question dans la cause que de l'applica- • SoHET, oiiv. cité, livre V, tilic Vlll, n" 10.11 ny avait pas à Liésje une tlicorie nationale : titre XLIII, ii"' i>7, f>8: liln- XLV, II"' y et n. DANS l.ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 695 tons que sur un seul fait : c'est que, en matière de grand criminel, elles tendaient au même but : l'obtention d'un décret qui permit d'interroger rigou- reusement l'accusé en état de détention préventive. Quand il s'agissait de faire condamner un délinquant à une peine infé- rieure on ne procédait |)Ius à l'extraordinaire. Il n'était pas question d'un interrogatoire rigoureux de l'accusé ni d'un décret de prise de corps qui ren- dit cet interrogatoire possible. La procédure, dit Sohet, était un peu civilisée. On poursuivait l'action à peu prés comme un procès civil, et toujours par voie ouverte. L'accusé avait la faculté de répondre par procureur, et toujours et avant tout il recevait communication de la plainte criminelle iniroductive de l'action intentée contre lui K Pour les cas où un tribunal des Pa\s-Bas aulricbicns aurait discrétionnai- rement civilisé le procès, le droit liégeois avait aussi sa procédure spéciale. Quelquefois l'officier ou la partie lésée (pii intentait l'action, voyant que les indices militant contre l'accusé étaient faibles, les représentait au juge sans demander un décret de prise de corps; il concluait seulement à ce qu'on ren- dit contre l'accusé un décret d'ajour nouent aux fins de venir se jmrf/er , au besoin h pied libre, et sous le cou\ertd'un sauf-conduit -. D'autres fois, c'était le juge lui-même qui rendait d'office et malgré les réquisitions de la partie poursuivante un décret analogue, parce qu'il jugeait les indices recueillis trop faibles pour décréter l'accusé d'arrestation •">. Dans les deux cas, le décret d'ajoui-nement ou command à trente jours aux fins de se purger avait à Liège un caractère tout particulier. Il préjugeait toujours, jusqu'à un certain point, la culpabilité du décrété. Celui-ci avait à détruire par une preuve en décbarge les indices qui militaient contre lui et qui étaient, en vertu des coutumes liégeoises, acquis au procès par là même qu'ils avaient été établis dans l'information pi'éliminaire. L'action en dérharfje proprement dite, usitée à Liège dans certains cas et dont nous parlerons plus loin, se rapprochait assez, même en matière de grand criminel, de la pro- cédure sur command de se purger. ' SoiiET, ouv. cité, livre V, litre XLVI, n°' 1 et suiviirits; titre XLllI, n"" I rl'2:i. « Iikm, livre V, titre XXXVll, ii» 10; titre XLIV, n<" 1 1 et 12. ^ Nous verrons ce point plus loin. tjyO ESSAI SLK LIIISTOIHK Dl DROIT CUIMINKL C'est sur rcnsemble de ces considérations que nous dressons le plfin des paragraphes qui vont suivre. Les premiers d'entre eux concernent la procé- (hur à i exlmonli nuire ; les autres la procédure en dêcharye et sur dérret de se puryer, la procédure par contumace aboutissant à une exécution en efli- gie, la procédure par voie ouverte et civilisée, la procédure pour simples amendes. Il va sans dire que nous ne tiendrons compte que des faits géné- raux sans pénétrer dans les divergences locales. Celles-ci, au reste, étaient moins importantes et moins nombreuses dans le pays de Liège que dans les Pays-Bas autrichiens : l'action que les échevins de Liège exerçaient par la rencharge servant à unifier et à régulariser la procédure aussi bien que le droit pénal. § IV. — Des premiers devoirs à remplir par les officiers criminels avertis de la perpétration d'une infraction yrave. Quand un oflicier criminel était saisi de l'action publique à l'occasion de la perpétialion d'une infraction , soit par plainte, soit par dénonciation, soit par la rumeur publique, les devoirs auxquels il devait se livrer étaient multi- ples. Il devait peser soigneusement la nature et la gravité de Tinfraction, et, selon les circonstances, faire faire une information préliminaire, faire pro- clamer un cri du perron, tâcher de mettre le déliii(|uaMt connu ou présumé sous la main de la justice en l'appréhendant en flagiant délit '. L'information préliminaire ou sommaire a\ ail pour ol)jel de faire constater le corps du délit. Elle était indispensable en matière d'homicide, de vol, d'incendie, etc., c'est-à-dire de toutes espèces d'infractions laissant des traces extérieures. Elle donnait la certitude de commmo crimine , sans hupieile il n'existait pas d'action -. L'infoimation préliminaire se faisait à Pinstance du haut oflicier, du sei- gneur ou du bailli du lieu du délit. Cependant, en leur absence, le maïeur local avait la faculté de faire la visite et la descente sur les lieux en loin- nom. ' SoiiET, liviT V, titre XXXIX. n I. elc. ' Idem, livre V, tilic XL. ii Ul : lilrc XIV. ti' 17: litre XLIII, ii" 4 et II. DANS L AiXCIENÎVE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 697 On évitait ainsi des dépens et surtout des retards qui eussent empêché, en matière d'homicide par exemple, l'ensevelissement des cadavres '. En effet, il était expressément défendu dans le pays de Liège de porter en terre sainte le cadavre des gens décédés de mort \iolente, conmie aussi de le toucher ou de le bouger sans la permission du seigneur ou de Toflicier. Les curés ou les autres personnes qui contrevenaient à cette défense, ou qui avaient conseillé d'y contrevenir, encouraient une amende de dix florins d'or ej s'exposaient même à êlre décrétés de prise de coi'ps -. Si cependant le cadavre avait été enterré sans permission, il n'appartenait pas à la justice séculière de le faire exhumer de son autorité propre. Elle devait demander une autorisation au fjraad vicaire de l'évêque ^. A la fin de l'ancien régime, les seigneurs et ofliciers avaient le droit de demander aux parents du mort, pour frais de visite et pour permission d'enterrer le cadavre, certains émo- Itunenls dans le détail desquels il est inutile d'entrer ici *. L'oflicier désirant faire procéder à une information sommaire comparais- sait au greffe et présentait re(piête à la cour de justice. Celle-ci députait aus- sitôt, pour se lendre sur les lieux avec le requérant, deux échevins et son greflier. S'il s'agissait d'un homicide, l'oflicier commençait par faire arrêter le cadavre pai- un sergent; puis il demandait spécialement à la justice de com- mettre un chii-urgien poui- en faire l'examen en présence des magistrats instructeurs ^. Le rapport dressé par le chirurgien commis, et aflîrmé j)ar lui sous ser- ment, devait détailler les blessures trouvées sur le cadavre, déclarer approxi- mativement à l'aide de quels instruments elles avaient été infligées, et si la mort en avait été la conséquence nécessaire ou non. Il ne devait s'occuper (pie du crime et non du criminel. Quand ce rapport était fait et signé, le gref- ' Soiitr, livre V, lili-e XI, ii"^ '.yl , ;J8; livre 1 ', tilre LVlll, ii" 10. — IIuui.n, ouv. eilé, t. Il, |i. "17. '■' Idem, livre V, litre XI, ii" j1), 00, CI. '' SoHET, Truilé préliminaire, titre IV, i\" 44; livre II, titre XVI, n" 55; livre l", litre X, II" ô. ' /(lem, livre V, tilre XI, n"' 59, (iO, 61. — Slijle (te 1779, chapitre II, ii° II. — Règlement lie priH-édure pour le cumté de Louz de 17 i>2. '■• Slijle de 1779, cliapitre 11. Tome XXXVIII. 88 698 ESSAI SLK LIIISTOIKE DL DROIT CRIMINEL fier dressait procès-verbal de la visite du cadavre, et la cour douuait })eruiis- sion diMiterrcr celui-ci '. Les majïistrats instiucteurs, de leur côté, |)reiiaieiU sur les lieux mêmes du délit toutes les iul'ormatious possibles relativement au temps, à la manière, aux circonstances de sa perpétration -. Ils interrogeaient successi\e- ment, et sous la foi du serment, les honnnes, les femmes, les domestiques, les enfants même, capables de donner un renseignement quelconque, et les invitaient à signer leur réponse ''. Ils saisissaient et faisaient annoter par le greflier les aimes cl les instruments trouvés, les vêtements de la victime, les objets que le délinquant avait perdus et (pii pouvaient servir à mettre la justice sur sa trace, etc. *. Nous croyons que l'ofruier criminel, bien que présent en général à Tinlor- mation préliminaire, n'assistait pas à raïuHUondcs lénioiiis. Celle-ci, eu cITel, é(iui\alait dans ceilains cas à une cnf/Hctc. Si, par exemple, de la déposition des témoins entendus dans une inforniolion sommaire, sur le cadavre, res- sortaient des indices graves de culpabilité contre une personne déterminée, celle-ci pouvait être décrétée de prise de corps par la justice sans plus ample enquête •'. Quelles que fussent, du reste, les données fournies par l'informa- tion préliminaire, procès-verbal détaillé était dressé de celle-ci et remis au greffe à telles lins que de droit. Le cri du perron, parsa nature même, devait suivre et non précéder rinfoi- mation préliminaire dans les cas où celle-ci était nécessaire. Il était employé par Tollicier criminel tantôt d'ollice, tantôt à la requête de la partie lé^ée par rinfraclion. Le cri du perron se composait d'une série d'interrogations proclamées à son de cloclie ou de tambour dans la localité où le crime avait été pernétré, et se rappoitant à ce dernier. Il iuNilait l'auteur du crime à venir se dénoncer lui-même dans un délai déterminé, « à peine d'être réputé » le cas pour vilain, » et lui d'être piivé du droit de l'aii-e ses décbarges. ' Sti/lr (le 1779. — Soiii.T, livre V, titre XL. * iJein, livre V, litre XL, ir I. ' Idem , livre V, litre XL, n" 5; titre XI, iV '67. * Idem, livre V, titre XL , n" t ; litre XI, n" 58. '^ Idem , livi'e V, titre XLII , n" 13. Siiuf toujours In reii ihariie. DANS L ANCIENNE PRINCIPALÏE DE LIEGE. 699 Quand sa proclamation était faite, le sergent en rendait compte au grefie et en faisait dresser acte par le greffier *. A propos du cri du perron, il faut faire trois remarques essentielles : 1" Le délin(iuant, avouant sur cri du perron, était admis à faire sa con- fession « par devant quelque justice ou notaire admis, constituant procureur » spécial en acceptant la charge pour les renouveler judiciellement et ulté- » rieurenient poui'suivre. » Il ne dcAait pas se constituer prisoiniier pour faiie ses décharges; son procès rentrait donc, jusquà un certain point, dans la catégorie dos procès civilises -; 2° La publication du cri du perron n'em\wd\i\H pas les officiers criminels de rechercher eux-mêmes les délinquants, de les saisir au fJdfjrunI , ou de procéder contre eux par enquête ^ ; 3° Les déclarations de culpabilité, faites par certaines personnes qui assu- maient la responsabilité du crime, n'empêchaient jamais la |)oursuite des offi- ciers contre d'autres individus légitimement soupçonnés de culpabilité, soit comme auteurs, soit comme conq)lices *. Larreslalion préventive du délinipiant ne pouvait guère que suivre le cri du perron. Quand elle était opérée, celui-ci doNcnait, en règle générale, inutile. Mais, suivant les circonstances, elle précédait ou suivait rinlormation |)réliminaire aux fins de constatation du corps du délit. Nous allons essayer de résumer sa théorie légale. En ce qui concernait l'arrestation pi'évenlive des étrangers accusés d'avoir commis une infraction, les olficiers de justice avaient un pouvoir discrétion- naire. Aucune franchise ne limitait leur action. Les iHignljonds devaient même être toujours arrêtés à raison de leur seule qualité, tant par les officiers que par les patrouilles ou par les simples particuliers. Les patrouilles et les particuliers étaient seulement tenus de remettre leurs prisonniers aux ofii- ciers de justice •'. ' Slylede //"W, clia|)ilre l". — SoincT, livre V, titre XLI , ii" I. "^ Hé/urmatioti de Groiabeeck, chapitre XIV, articles 10 cl 11. •' Style de 'I779,c\it\\). 1", n° l-2. — Édil de 17 l9,ùUl,Mt. 4. — Sohf.t, ouv. cité, liv.V, lit. XLI. * Édil de 17 19, tilre II, article 8. — Sohet, livre V, titre XLI. ■' SoiiET, livre I", tilre XCVII, ii" :20, "21, etc. — Arguiiieiit a contrario de ce que nous disons plu-- loiii. — Edit de IS46, relatif à riiérésic. 700 ESSAI SUR LIIISTOIHE 1)1 DROIT CRIMIM-L En ce qui concernait les sunranis du pays, au oonliaiir, gcnlilslKtniuit's, l)Ouri.M'ois, paysans, les droits des officiers criminels étaient assez resireinis. En principe, un justicier ne pouvait appréhender piévenlivenient un Liégeois accusé d'un léiïcr délit, si ce Liégeois n'était suspcrl de fuite ou s"il présentait une caution convenable '. Il est vrai qu'un certain nondire d'édils avaient introduit des exceptions à la règle et avaient autorisé les officiers à capturer, en flwjrant délit, les auteurs de certaines infractions punissables de simples amendes. Nous citerons entre autres l'édil du 20 août \'\1> (|ui permettait l'arrestation préventive des gens attardés dans les cabarets; l'édit du h' octobre 1714., renouvelé à diverses reprises et jusqu'en 4 781, permet- tant celle des maraudeurs et des malveillants trouvés dans les vignobles et dans les cotillages liégeois; l'édit du 20 octobre 1687 et l'éilit du 18 jan- vier 1725, permettant celle des gens porteurs de certaines armes prohi- bées, etc. -; l'édit du i août 1785, permettant celle des personnes contre- venant aux ordonnances sur les jeux de Spa '\ Mais ces exceptions étaient d'une cuitstitKtionmditê au moins douteuse cpiand le sens da /taijs ne les avait pas introduites; aussi la dernière d'entre elles fut-elle expressiMuenl révoquée sur les réclamations du chapitre cathedra! en 1786 '*. En matière d'infractions graves, l'arrestation préventive des mrcéants était admise, comme de raison. Mais encore ne pouvait-elle s'opérer, sauf en ce qui concernait le crime de lèse-majesté ou de sédition, (|u'en flaymnt dôlil ou en conséquence d'un décret d'apprélieiisioN rendu après une pi'océ- dui-e régulière par le juge coinpéicnt •'. (le dernier principe était absolu; on en avait simplement mitigé l'application au XVIII' siècle, par les édits de 1710 et de 1720, dans l'intérêt de la sécurité sociale et de la bonne admi- nistration de la justice. On avait |)ermis, connue nous l'avons dit plus haut, aux olliciers de justice de s'assurer provisoirement des gens réputés ou soujt- (;onnés d'avoir commis certains crimes graves, hors du cas de p(i(/niiit ihlii ' SoiiET, liMc V, tiliT XIJI; tilic XXXIX, ii" 'J. ' Poi..M,\, T)' st'rii', l. I" cl II, il leurs dnlcs rcs|iccliM's. 5 Idem, t. Il, pp. 91 1, 7ô8, etc. * Idem. s Soiii:t, livre V, titre XLIl, n" 10; litre XXXIX , n° -1. — Record ri Ir de I70S. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 701 (ît sans décret, à une seule condition : c'était d'être munis au préalable d'une dénonciation ou déclaration détaillée, signée et affirmée sous serment, éma- nant d'une ou de plusieurs personnes dignes de foi et passée devant un offi- cier public. Cette nssnrance était une mitigation du principe, en ce sens qu'elle empêchait le délinquant, tout comme une véritable arrestation prêrentive , d'échapper à la répression en se cachant ou en «'expatriant. Elle n'y faisait pas exception, en ce sens qu'elle ne préjmUciait pus à la rëpulation de la personne arrêtée, qu'elle ne préjugeait pas juridiquement sa culpabilité, (|u'elle ne permettait pas de la soumettre à un interrogatoire, qu'elle devait toujours être suivie d'un décret de prise de corps régulièrement rendu poin* que le procès criminel pût commencer '. Nous verrons dans les paragraphes suivants conunent les officiers crimi- nels devaient s'y prendre pour obtenir un déci-et de prise de corps. Ici c'est l'arrestation préventive opérée en flagrant délit, et avant toute procédure cri- minelle proprement dite, (pii doit nous occuper. A Liège, \os reformations de Georges d'Aulriche et de Gérard de Groisbeock ainsi que Védit du 6 novembre 17 19, avaient créé une théorie du flagrant délit toute locale. Nous renvoyons pour les détails à ce que nous avons dit plus haut de ces trois monuments. Il suffit de rappeler ici que, conformément à hîurs dispositions, le flagrant délit était réputé durer trois joiu's à partii' du moment où l'infraclion était publiquement connue dans le (piarlier où elle avait été perpétrée. Bien plus, si l'officier avait commencé sa poursuite dans ces trois jours, il pouvait la continuer dans les mêmes conditions, par après, moyennant une simple formalité : celle de comparaître toutes les vingt- (|uatre heures au grelïe de la cour et d'y notifier par écrit signé et tenu secret, «qu'il élail à la poursuite d'tm tel à titre de faitael [n-ésumc. » L'état de flagrant délit ne cessait alors qu'à partir du jour où l'officier ne renouve- lait plus sa déclaration -. Il n'y avait, semble-t-il, qu'une seule dilTérence sensible entre les elTels ' Voir ce que nous avons dit plus haut. — Sohbt, livre V, litre XLII, n°' 1 1 el 12. '■' Slhjle lie 1779, chapitre I". 702 ESSAI SIK LlliSTOlHK Dl DKOIT CKIMINKL (lu payraut délit elTectif, et ceux du flntrjant délit ficlif. C'est que les p;irti- culiois eux-mêmes avaient le droit, en matière de certains crimes graves, d'appréhender les déliiuiuants in i/)so (utu criminis ou dans leur fuite inuné- (liatc, à ciiariic de les remettre aux mains des olïiciers de justice, tandis cpjc le /hujiviK délit lictif n'existait (pfau pi'olit de ces derniers '. En principe, les olïiciers et seigneurs ne pouvaient a|)|)réhender les délin- (piants que dans leur ressort. Cependant les grands baillis, en vertu du droit de chasse, avaient action dans la principauté presque entière, au moins en matière de vilains cas -; et tous les oflîciers, quels qu'ils fussent, ayant commencé la poursuite au flayrant dans leui' juridiction contre un délin- quant tpii fuyait, pou\ aient la continuer au dehors pourvu qu'ils ne la sus- pendissent pas. Ils devaient seulement remettre les criminels capturés hors de leur territoire à TofTicier du lieu de la saisie, sauf à essayer d'obtenir leur renvoi''. D'après Tinterprétation usuelle du concordat de Kilo entre Liège et le Brabant, la poursuite en chamlv citasse était admise récipro- (piement, sans que les olliciers des deux pays fussent obligés de s'arrête)' aux frontières *. Nous verrons plus loin (piels obstacles pouvaient s'opposer à l'exécution d'une appréhension à faire en flagrant délit ou en exécution d'un décret de prise de corps. Pour le moment nous jetons un regard en arrière et nous caractérisons le point auquel nous sommes arrivé. Si le cri de perron était répondu d'un aveu, il pouvait y avoir lieu à un procès en décharye , nous l'avons déjà dit. Si l'information préliminaire avait constaté le corps du délit et si un indi- vidu avait éle appréhendé au /laf/ranl, comme faituel présumé, le procès criminel à l'extraordinaire comn\ciu;in\. inunédiatement par Vinterroyatoire de ce dernier. Mais si, le corps du délit étant constant, pérsoimc n'avait été appréhendé au flayranl . lollicier criminel devait entamer une procédure préliminaire ' Soiir.T, livre V, titic \X\1X. n"' 3, 4. 'i. - Édils de 1612 et dr 1736. ■i Jdvin, Viwv V, litre XXXVH, n" II. 5 /(/cm, livre V, titre XXXIX; titre XXXVII, n ' Il l> 14. ♦ Idem, livre V, titre XXXVII, u° 14. DANS L ANCIENNE PRINCIPALTE DE LIEGE. 703 nouvelle. Celle-ci tendait ou bien à obtenir un décret de prise de corps contre un délinquant plus ou moins notoirement connu, mais qui avait réussi à se soustraire à une capture au flcKjrunt; ou bien à rechercher Fauteur du fait incriminé, et en même temps à obtenir contre l'individu chargé par ces recberches un décret de rupture analogue. Deux rôles s'ouvraient, en règle générale, au profit de celui qui intentait l'action publique pour suivre cette procédure préliminaire : la voie d'enei-pétré que loi-squ'ils devaient encore le rechercher. Mais, comme en théorie les enquêtes de l'espèce étaient précisément destinées à trouver l'inculpé, le nom du failuel présumé ne pouvait y être en aucune façon men- tionné. Une seule mention de ce fuitucl, faite par l'oflicier ou par le juge dans un acte quelconque de l'enquête, frappait celte dernière d'une nullité insanable *. Lors donc qu'avec permission du juge l'officier criminel faisait empiérir directement contre une peisonne (h'terminée et nommée, on sortait à vrai dire de la voie iremptéte. On entrait dans la voie des accusations criminelles, et l'on devait prendre toutes les précautions usitées dans celles-ci -'. Lorsqu'un haut ofpcier ou un seigneur haut justicier voulait promouvoir empiète r/énérale, il commençait par dresser ou par faire dresser les articles il'empiète dans un écrit signé de lui ou du facteur d'office agissant en son nom et en \erlu de sa procuration d'action. Ces articles contenaient la descriptitm ' Somn, liMC V, lilroXLlV, n°'4, (!. - Idi'iii , livre V, liti-p XLIV, 11" 10. — Hn-ord de 1764. — Slylc de 1779. ■' Idem, livre V, lilro XLIV, ii" !l. ♦ A/em, livre V, liUeXLlV, n" (i. — Hecoid de 1764. ^ Idem , liv re V, litre XLIV, ir ' 7, 8. Nous pensons que le cas se produisait peu à Liège. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 705 (lu corps (lu délit conformément aux données de rinformalion préliminaire, ainsi que toutes les circonstances de lieu, de temps, et autres relatives à la perpétration de Finfraction, venues à la connaissance de l'ofïîcier. Ils étaient rédigés sous foi-me interrogati\ e : (pii sont ceux (\m ont fait ceci ? (jui sont ceux (pii ont fait cela ? avec un préambule et une conclusion. Les articles étant donnés, le facteur d'office les exhibait au greffe de la cour compétente, celle du lieu du délit '. Il présentait re(iuête à la cour aux lins de les voir admettre comme pertinents et relevants et, en conséquence, de les vouloir « passer et enseigner selon style et sur ce sommaire ordonnance -. » La cour de justice se rassemblait alors sur la convocation de son maïeur. Elle prenait connaissance des articles (renquéte pn'sentés, et selon les circon- stances les admettait ou les rejetait souverainement. Si elle en reconnaissait la pertinence et la relevance, elle rendait aussit(Jl un décret en conséquence; et, par le même acte, elle députait deux echecitis cfwiDiisfiahTs ainsi que le greflier pour entendre les témoins (pie produirait rollicier criminel •"*. l'ne fois le principe de renquéte admis, Toflicier criminel s'empressait d'or- dinaire de demander que la cour lui permit de voir produire ses témoins, et (|u'elle fixât jour et heure pour procéder à l'audition de ceux-ci. Pour faciliter la besogne des commissaires il était tenu, eu fournissant la liste désignatoire ('ciite et signée de ses témoins, d'indiquer avec précision les articles d'enquête relativement aux(piels chacun d'eux devait être surtout interrogé *. Le style lossain de i7o2 invitait les olficiers à ne pas produire plus de six ou sept t(''moins sur un même fait. Cette disposition était sans doute récho d'un principe déjà admis dans les tribunaux liégeois ^'. Les témoins désignés étaient cit(?s à Vinslaiicc de l'ollicier, par un sergent, à jour fixe, « |)ar trois adjours sommaires et privilégiés servant d'heure en » heure, » et (l'autorité de la cour de justice elle-même. S'ils habitaient dans le ressort de la cour qui faisait l'enquête, ils étaient cités d'autorité de cette • Ordinairement. - SoiiET, livre V, titre XLIV, 11° 1 1 . — Style de 1779, p. ITi. ■' Style (le 1779, p. 23. — Sohet, ouv. cité . livre V, titre XLIV, n<" H, 77, 78. ♦ Style de 1779, p. !24. — Sohet, ouv. cité, livre V, titre XLIV, n" 13, 14, 73. ■'* SoHËT, idem, n" 14. Tome WXVIll. 89 706 ESSAI SIH LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL cour; s'ils habitaienl clans un autre ressort liégeois, ils étaieni cités d'auto- rité (lo la souveraine justice des échevins de Liège; s'ils habitaient le comté de Looz, ils étaient cités d'autorité de Toflicial de Liège et, selon le sUjle de 1779, devant ce dernier K En prenant cette dernière expression au pied de la leltr<', il faut croire que Vofpckd agissait, dans l'espèce, en vertu d'une espèce de commission rogatoire , et (pi'il transmettait ensuite à la cour saisie les dépositions qu'il avait reçues. Le jour fixé par l'enquête étant arrivé, l'ofïicier produisait les témoins cités avec la relation du sergent qui avait lait l'assignation, et demandait (pi'ils fussent entendus séparément, sous la foi du serment et sur les articles d'en- ()uéte spécifiés -. On se rappelle que toute personne assignée pour porter témoignage était obligée de comparaître sous peine d'encourir une amende, ou même , le cas échéant , d'être traitée comme principal faitnel '\ Les commissaires enquêteurs se reliraient dans une chambre spéciale ou dans un endroit retiré, où ils ne pouvaient être entendus de personne, avec leur greffier mais hais de présence de l'officier criminel. Ils faisaient intio- duire les témoins un à «n, quelque notoriété du fait que l'on pût prétendre exister. Ils leur faisaient prêter avant tout le serment de dire la « |)ure et » sincère vérité » sur tout ce (pii leur serait demandé, de ne rien celer, et de ne rien révéler de leur déposition jusqu'au liospnri de l'enquête. Parfois même, avant la prestation du serment, ils représentaient au témoin toute la gra\ité de l'acte de religion (ju'on lui faisait faire K Les commissaires examinaient cha(|ue témoin sur les articles d'empiété spécialement désignés par l'ollicier criminel, mais aussi, d'office, sur toutes les circonstances du crime, et tant à charge qu'à décharge. Ils avaient soin d'amener le témoin à faire connaître les causes de sa science et de s'assurer si le témoin parlait par ouï-dire ou de science personnelle. (> point, en présence du système des preuves légales, était d'une importance; extrême '. • Souet, ouv. cité, livre V, litre XLIV, n" 81. — Stijlede 1779, p. -2%. * Idem, idem, n° 15. ' Idem, idem, n" 16, II), etc. ♦ Idem, idem, n"' 17, 18, 83, (14, 77, 88. — Style dv 1779, pp. 26, 27. ^ SoiiET, ouv. cité, livre Y, titre XLIV, ii° 91. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 707 Le greffier tenait la plume, mais il écrivait seulement ce que lui dictaient les commissaires enquêteurs. Il annotait en tète de chaque déposition le jour, l'heure, les noms des commissaires et du greffier, témoins miriculaires de ce que chaque témoin disait. Il annotait la déposition de chaque témoin, telle qu'elle était faite, sans la changer ni la colorer, sans en retrancher les mots stupides et impropres. Il marquait même, toujours à l'invitation des commissaires, ce qu'il y avait de caractéristique dans l'attitude du déposant, sa fermeté, son hésitation, ses variations. Le hutà atteindre par les commis- saires enquêteurs était de fixer autant que possihie sur le papier une photo- graphie exacte de la manière dont une déposition était faite, aussi bien que de la déposition elle-même; ce n'était que sur des instruments écrits et muets, en effet, que les juges devaient prononcer K Lorsque l'audition d'un témoin était terminée, on lui relisait sa déposition. On lui demandait s'il n'avait rien à y ajouter et s'il y persistait. On faisait mention de l'accomplissement de cette formalité au bas du procès- verbal; enfin on invitait le déposant à mettre sa signature ou au moins sa marque au bas de ce dernier -. Si le témoin demandait une indemnité pour vacation, l'officier criminel était tenu de la lui payer '\ En résumé, on observait dans l'enquête piéliminaire toutes les formalités et précautions usitées dans les enquêtes faites pendant le procès criminel lui- même; les résultats auxquels elles conduisaient étaient, en elfel, définiti\e- ment acquis à la justice *. Il est à remarquer que, si les témoins ne parlaient pas la même langue que les conmiissaires, la cour avait soin de nonuner un ou plusieurs interprètes auxquels elle faisait prêter serment '•'. Quand l'en- quête était finie, l'officier criminel en recevait connnunication pour qu'il put faire ses réquisitions en connaissance de cause. Si l'enquête n'avait rien pro- duit contre une j)ersonne déterminée, il arrivait souvent que le ])rocès tombal ' SoiiET, ouv. cité, livre V, titre XLIV, ii»' 19, 20, 87, 88, 89, 91, etc. ■i Idem, n" 21, 90. — Sltjle de 4779, p. 51. "' Idem , n" 80. — Idem , p. 31 . ' Idem , n" 5. '■> Idem, n° 77. 708 ESSAI SLR LIIISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL jusqu'à nouvel ordre. Si, au contraire, elle fournissait des indices graves de culpabilité contre un ou plusieurs individus, l'ollicier criminel continuait sou action. Il comparaissait au grelïe, reproduisait ses articles d"en(piète, IVn- quèle elle-même, rinformalion préliminaire constatant Texistence du corps du délit; et requérait par écrit que Tindividu chargé par la procédure préli- minaire fût décn'ti' (le prise de corps ou Jtif/é appréliensible. Devant les cours de justice, aptes à juger sans renchurge, cette réquisition saisissait directement le tribunal; devant les cours subalternes ordinaires, au contraire, TofTicier devait demander spécialement que les pièces du procès fussent incontinent soumises en rencliurye à la haute et souveraine justice de Liège. La cour subalterne rendait alors un décret de portement. Son greffier expédiait sonmiairement copie de toute la procédure secrète, la collationnait avec un échevin, la fermait, la cachetait et allait la portera Liège '. Nous rappelons seulement pour mémoire (pie dans les localités où existait Tinstitu- tion de la franc/iise, la pi'océdure par enquête (jénérule se faisait toujours devant loi et franchise, et non par-devant la loi seule. Les témoins produits étaient même cnicndus devant des commissaires pris tant dans la franchise que dans réchevinage. Du moment où reiiquèle était portée en rencharge, il ne restait plus à rolïicier criminel qu'à attendre son hosport pour voir si la souveraine justice lui octroierait ou non un décret de prise de corps. Nous verrons plus loin dans quelles conditions ce décret pouvait être porté. iNous allons, dans un nouveau paragraphe, rechercher avant tout comment par la voie ouverte ou arrivait au point que nous venons d'alteindie en suivant la voie d\'n(piète (jéni raie. § VL — De la procédure préliminaire par voie ouverte ou d'accusation criminelle. La procédure préliminaire par voie ouverte tirait son nom de ce qu on \ nommait ouvertement la personne accusée, et de ce ipron agissait directement ' %/crfe 1779, pp. 31, 3-2. — Soiikt, oiiv. cite, livre V, lilrcXLlV, ii'iC, Stc. DANS L'AINCIENISE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 709 oonlre elle '. Elle était employée par les officiers criminels, en matière d'in- Iractions graves, cpiand ils connaissaient le délinquant et que la voie d'en- quête générale leur était fermée , soit à raison de la surantiation du crime, soit à raison de toute autre cause. Elle était toujours employée par hs parties lésées, quand celles-ci pouvaient et voulaient intenter elles-mêmes Faction publique, parce que c'était la seule qui s'ouvrît devant elles. Comme elle portait par sa nature même préjudice à la réputation d'une personne, elle ne pouvait être intentée qu'avec des précautions très-grandes. Les règles à observer par les officiers de justice pour ne pas intenter d'action à la légère, règles dont nous avons parlé au paragi'aphe de l'ouverture de l'action publique, la concernaient particulièrement. Le procès par voie ouverte conmiençait par le dépôt au grelïe d'un libelle d'articles d'impositions criminelles. Celui-ci devait, en matièn; de grand cri- minel, contenir la narration du crime avec toutes ses circonstances, les noms de l'accusateur et de l'accusé, la date du crime, avec recpiète au juge de visiter le cadavre ou de faire une descente sur les lieux pour s'assurer de l'existence de co)nmisso crimine, et d'accorder permission d'informer conti(» l'accusé. Si le libelle était déposé par une partie lésée, celle-ci était tenue d'affirmer sa plainte sous serment. S'il était déposé par un ollicier de jus- tice, il devait mentionner comment le fait était venu à sa connaissance"-. Nous ne reviendrons plus sur ce qui concerne l'information préliminaire aux fins de constater le corps du délit. Nous avons expliqui' comment elle se faisait, dans un paragraplie précédent, et nous ajoutons seulement (pie l'officier de justice y intervenait toujours d'ime manière piincipale. Le rôle de la partie lésée, poursuivant elle-même l'action, ne se dessinait d'une manière indépendante (pi'après que la certitude de commisso crimine fut acquise. Mais, dès que le crime était constant, et que le crime était grave, connne il s'agissait de procéder à l'extraordinaire, l'officier ou la partie poursuivante devaient cliei'cber à obtenir un décret de prise de corps contre l'accusé. ' SoHET, OLiv. cili-, livre V, litre XLIV, n° 1. 2 Idein, livre V, titre LXV, n»» i, 23. 710 ESSAI SLR LHISÏOIRE DU DROIT CRIMINEL A cette fin ils exhibaient, s'ils ne rayaient fait déjà, des urlidrs (reiuiut'li- et demandaient que ceux-ci fussent adnm '. lis n'étaient pas temm de faire citer l'accusé pour prendre connaissance de ces articles, c'est-à-dire « pour voir exhiber articles d'impositions crimi- » nelles; » mais, dans le pays de Liège, ils le faisaient souvent "-. Cette citation n'avait aucun inconvénient quand l'accusé était provisoirement sous la main de la justice par mode d'assurance. Quand l'accusé était libre, elle Tavertis- sait, au contraire, de la procédure intentée contre lui, et Tinvitail par là encore à se mettre à couvert, s'il était coupable. Quoi qu'il en soit, si les articles d'enquête étaient admis, et si l'accusé n'avait j)as été cité, tout se passait comme en matière ii'ciKjiU'Ie générale, à cette dilTérence près que peut-être la cour se montrait plus sévère et plus dif- ficile pour |)ermetti'e l'ouverture d'une procédme contre une |)ersonne déter- minée. La cour députait des commissaires enquêteurs. Les témoins étaient entendus en secret. La cause était portée en rencharge avec les réquisitions de l'officier ou avec la requête de la partie poursuivante, sans que laccusé foi-mellement désigné dans la procédure se doutât de rien ^. Si, au contraire, l'accusé avait été cité, la situation changeait. L'accusé pouvait contre-prouver. Il pouvait se défendre contre le déci-et de prise de corps demandé, comme il se serait défendu au principal dans une procédure intentée 7>«r voie ouverte à l'ordinaire *. Dans l'un et dans l'autre cas, si c'était une partie lésée qui voulait faire a[)prélieiider l'accusé, elle devait, elle ou son procureur, se constituer en prison ou du moins prester caution « pour tous dépens, donnnages et inté- » rets sui\ant la (lualité des personnes et le mérite de la cause ". » Nous étudierons plus loin comment se développait une procédure par voie ouverte intentée à Yordinaire. Pour le moment, nous n'insistons plus. En matière de grand criminel, les procès accusaloires étaient naturellement très- ' SuHET, ouv. cité, livre V, litre XLIV, n" 5. « /r/(»i, livre V, litre XLV, n" J. ^ 1(1 f m , idoii. * /(/e»i, titre XLVl. s liiew, titre XLV, n" 7 et suiviinls. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 7il rares. Il nous suffît de constater en terminant ce paragraphe que nous sommes arrivé par une autre route au point final du paragraphe précédent. Nous devons montrer maintenant comment les échevins de Liège, ou les rares cours subalternes jugeant sans rencharge, pouvaient porter le décret de prise de corps demandé , et comment ce décret s'exécutait. § VIL — Du décret de prise de corps et de son exécution. Pour (pie la souveraine justice de la cité, ou une autre cour liégeoise capable de juger en matière criminelle sans rencharge, pussent décerner un décret de prise de corps contre un surcéant, il fallait au moins le concours de deux conditions : 1" Que le crime commis fût punissable en lui-même de peine corporelle ou d'exil ; 2° Que la criminalité de la personne chargée par la procédure prélimi- naire fût constatée par des indices sérieux, par de foi'tes présomptions '. Si Tune de ces conditions venait à niantpier, les juges souverains, au lieu de décréter d'arrestation la personne chargée, dressaient contre elle, comme dans les Pajs-Bas, un décret d'ajuuritement personnel, ou plus souvent un conimand de venir se purger à trente jours sous peine d'être juf/ée appré- hensible -. Dans tous les cas, lorsque la souveraine justice n'avait dressé le décret ou command que sur rencharye, elle ne le prononçait pas elle-même. L'olïicier de la cour basse, saisie de l'alïaire, venait à Liège namplir les rencharges ; il les rapportait closes et scellées; il convoquait la cour, et celle-ci, siégeant au moins au nondjre de quatre échevins avec le greffier, hosportuit et prononçait publiquement les provisions de justice qui lui étaient dictées '\ Quand les échevins de Liège hosportaienl un décret ou command à l'occasion d'une ' SoiiET, ouv. i'ilc, livre V, litre XLIV, n" 20, 27. '- Idem, 11° 28. — Shjle de 1779. ' Idem , n° 20. — Idem, pp. 33, 34. 71ï> KSSAI SLK LHISTOIKE DL DHOIT CKIMINKL cause dont ils a\aionl connu eux-mêmes à titre de juges du lieu du délit ou (le !'a|)[)iéli('nsioii, ils devaient siéger à huit au moins '. .Nous \ errons plus loin comment se poursuis ail une |)rocédure en iwnnunid de se purger. Ici nous n'avons cju'à einisagei- les conséquences d'un ilécrel tie prise de corps. Les individus y^^c'*' apprélœnsibles étaient IVappés d'une déchéance ahsolue de tous les privilèges des surcéanis. Personne ne pou\ait les soutenir, les héherger, leur louer di!s ap|»aitemenls sciemment. Ils étaient désormais appréhensilAes sans aucune loi-malité ullérieuie, n'importe quand et conmient on parvenait à les saisir. Leurs noms et leuis signalements étaient périodi- (|uement conminniciués de tribunal à tribunal, pour que les olliciers des dilTé- rents ressorts eussent le moyen d'exécuter les provisions de justice rendues, même hors de leur ressort. Ces provisions de justice, en matière de ci'ime iilroce, devaient être publiées et allicliées un mois après leur hosporl, pour (|ue un chacun j)ùt les exécuter, à charge de remettre le décrété capturé entre les mains de l'olTicier du lieu de l'appréhension -. Cette remise était toujours indispensable, même quand la saisie a\ait été opérée par l'officier du lieu du délit agissant hors de son ressort. Seulement, à la dilTérenee d'un particulier, l'oflicier du lieu du délit avait la faculté de demander le renvoi dit |)lu> luiiit. - SoiiET, ouv.citc, livre V. tilro XI, IV, ii° 31 ; lilre XXXVH, n" 1 1, 1-2; litre XLIV, n" 3-2. ■■ /(/(')/( , idem . DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 713 un assassin. Les particuliers, dans les cas où il leur était permis de faire une arrestation, avaient droit aux mêmes récompenses que les officiers de jus- tice '. C'était là encore une fois une mesure excellente; car les officiers de justice des Pays-Bas autrichiens se montraient souvent tièdes et négligents, par crainte d'avoir à supporter, sans compensation, des frais de justice con- sidérables. Nous disions plus haut que les jugés uppréheusibles pouvaient èlre arrêtés sans formalités ultérieures, n'importe quand et comment ils étaient saisis. Cependant deux obstacles de lieu, matériels, pouvaient empêcher ou plus souvent suspendre momentanément l'exécution de la capture : le privilège des maisons bourgeoises dans la plupart des villes, et ïasile ecclésiastique. Expliquons-nous. Le privilège des maisons bourgeoises ne pouvait jamais que suspendre momentanément l'action des officiers. Quand un décrété de prise de corps s'était réfugié dans une maison bourgeoise, les officiers de police devaient, pour aller l'y saisir, être porteurs de la clef magistrale. Cette clef était à la garde des bourgmestres. Si les officiers ne l'avaient pas avec eux , ils devaient aller la demander à un bourgmestre avant d'entrer dans la maison. Toutefois ils avaient, même à Liège depuis la Ré formation de 1684, la faculté de l'exiger sans être tenus de faire connaître au magistrat électif le nom du décrété ni la cause du décret rendu contre lui. Les maisons des (lianoines étaient au surplus mises à Liège sur le même pied que les mai- sons bourgeoises. Nous n'oserions affi'rmer, texte en main, qu'un délinquant, fuyant en état de flagrant délit, put être arrêté dans les unes et dans les autres sans la clef magistrale en question -. Nous croyons cependant que oui. Les eflets de Vasile ecclésiastique différaient selon les cii'constances. Tantôt il empêchait absolument l'exécution du décret de prise de corps, tantôt il se bornait à la suspendre jusqu'à ce que l'officier de justice eût rem- pli certains devoirs spéciaux. ' Style de 1779, p. 45, d'après Védit de 1756, et un rcrès des Étals de I7C0. — Soiiet. Im-o cilato. * SoHET, ouv. ciié, livre I", litre LXVI, n" 25, 26; livre V, lilrc XLIV, n" 50. — llono, oiiv. cité, t. I", pp. 7, 8, y. — Béformalion de tGSi, article 4G. Tome XXXVIII. 90 714 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Il fallait avant tout distinguer le droit d'asile proprement dit de rcspèce d'immunité appartenant encore, à Liège, à certains anciens cloîtres ainsi quà certaines maisons claustrales, même vendues à des laïques mais dont les chapitres avaient conservé le domaine direct. Cette dernière était un vestige des anciens privilèges canoniques, qui étendaient les eiïets du droit d'asile à tout l'espace compris dans un rayon de trente à quarante pas autour des lieux saints. La violation du droit d'asile proprement dit constituait un sacri- lé(je; la violation de Vimmunité des cloîtres, pas. Quand un délinquant ou un décrété de prise de corps s'était réfugié à Liège dans un cloître ou dans une maison claustrale, lesofllciers de justice ne pouvaient aller l'y saisir qu'avec la permission du prévôt du chapitre. Seulement les Statuts synodaux de 4618 avaient enjoint aux chapitres de ne pas donner facilement asile aux criminels; et aux chanoines de ne pas recevoir chez eux des individus ju[/és apprcJiensibles, j)endant plus de trois jours, sans la permission du chapitre lui-même. Le droit d'asile proprement dit ne compétait plus à Liège, au XVIIl'" siècle, qu'aux églises, aux cimetières, aux lieux saints et religieux eux-mêmes, au |)alais du princc-évêque, au prêtre enfin qui portait publiquement le Saint Saciement à travers les rues. Ses effets étaient réglés exclusivement par les constitutions du pape Grégoire XIV, de 1591, et du pape Benoît XIII, de I72o. Celte dernière dérogeait à toutes les interprétations contraires données antérieuremont à la constitution de Grégoire XIV '. (^iOnrornièment à ces constitutions le délinquant ou accusé qui se réfugiait dans un lieu d'asile échappait à la détention jiréventive, à moins qu'il n'eut commis l'un ou l'autre crime formellement excepté; et, eùt-il con)n)is un de ces derniers crimes, il ne pouvait être enlevé du lieu d'asile sans une per- mission expresse octroyée par les supérieurs ecclésiastiques du diocèse -. Les constitutions pontificales privaient du bénéfice du droit d'asile : ceux (jui devaient être saisis du chef d'hérésie, ou pour avoir commis des actes scandaleux au mépris de la religion; ceux qui étaient accusés du crime de ' SdiiKT, oiiv. rilc, livre II, litre XX, n" 1 à 8; titre XIX, n"' 1 et 2; titre XXI, pns.ùm. ' Dans les P.iys-Uas, les elFets du ilroit d'asile avaient été insensiblement très-reslreints. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 713 lèse-majesté au premier chef; les séditieux, les faux monnayeurs, les falslfi- taleurs de lettres apostoliques; ceux qui, au nom de la justice, s'étaient introduits dans une maison pour y voler avec homicide ou mutilation de membre; les voleurs de grand chemin et les ravageurs de campagnes, de- populalores agrorum ; les ministres des monts-de-piété ou des comptoirs publics atteints de vol ou de fourberie; les homicides volontaires ^; ceux qui avaient donné ou promis un salaire pour faire assassiner quelqu'un quand leur mandat avait été exécuté ; ceux qui avaient commis un crime d'homicide ou de mutilation dans une église ou dans un cimetière ; ceux qui avaient eux-mêmes enfreint le dj-oit d'asile -. La permission d'extraire du lieu saint les criminels privés du bénéfice de ïasile ecclésiastique ne pouvait être accordée dans le pays de Liège que par le prince-évèque lui-même, par son oflîcial ou par son grand vicaire, à l'exclusion de tous autres dignitaires ecclésiastiques, même de Vordinain' du lieu, si cet ordinaire était autre que le prince-évèque. Elle se demandait généralement au grand vicaire. L'odficier poursuivant produisait au grand vicaire le décret d'appréhension dont il était muni, ou bien il lui représentait les indices qui rendaient probables la culpabilité du réfugié. Si le crime était un de ceux dont nous venons de parler, et si d'ailleurs le décret d'appréhension était en règle ou les indices produits sullisants pour motiver un décret de capture, le grand vicaire faisait transférer le réfugié dans les prisons ecclésiastiques. Il instruisait sine slrepitn une sorte de pro- cédure informatoire de l'affaire, et quand il trouvait des indices assez forts |)our motivei- une sentence de torture, il livrait le réfugié au brus séculier. Le juge laïque était toujours tenu de promettre sous caution de restituer l'accusé réfugié, si celui-ci purgeait dûment les indices militant contre lui •"., En attendant l'accomplissement de tous ces devoirs, les olliciers séculiers ne pouvaient pas pénétrer dans l'église. Ils devaient se borner à mettre des ' Nous croyons qu'il s'agit des homicides prémédilés ou avec guet-apciis. * SoHET, ouv. cité, livre II, titre XXI. — On peut considérer comme délinquanls ajaiit ciix- mcmcs violé le droit d'asile, ceux qui, après s'être réfugiés dans une église, en sorlaicjil pour aller délinquer derechef. Voir ce que nous avons dit dans les livres précédcnls. ^ LovvAEx, Dissertations canoniques , dissertation XI, n" 10. 71 G ESSAI SLR LHISTOIRE DL DROIT CRIMINEL gardos autour de celle-ci pour veiller à ce que le réfugié ne s'échappât. Ils ne pouvaient pas empêcher de lui porter des vivres, ni le saisir, en aucun cas, à moins qu'il ne se livrât lui-même. Le grand vicaire n'accordait pas la remise du réfugié au bras séculier, fpiand les indices de culpahilité militant contre lui étaient faibles, ni quand le crime lui-même n'était pas un crime considéré comme indigne de l'immu- nité ecclésiastique. Mais dans ces cas même Vasite ne procurait pas l'impunité au réfugié réellement coupable. Il n'empêchait que l'exécution du décret de prise de corps, et par conséquent le procès à rextruordimdre et la mise à la (juestion. Il laissait toujours ouvertes toutes les autres voies de procédure propres à amener une condamnation, soit devant les juges d'église, soit devant les juges séculiers selon les circonstances •. Remarquons en passant que le droit d'asile ne profitait pas aux délin- quants condamnés , menés au supplice par les suppôts de la justice au travers des églises ou des cimeliêros. Cependant, comme les chapitres de Liège préten- daient le contraire, on avait soin de ne pas entrer en conflit avec eux en évi- tant dépasser avec les criminels dans les rues qui traversaient leurs cloîtres-. Mais arrêtons-nous : nous supposons que le décret de prise de corps est exécuté. La première question à vider est désormais celle du renvoi, si le décrété a été plis dans un autre ressort que celui du lien dn délit. Nous n'y entrerons pas; et nous renverrons, en ce qui la concerne, à ce que nous a\onsdil de la compélence. Nous supposons, pour marcher plus vile et plus sûrement, que c'est l'oflicier du lieu du délit (pii a exécuté le décret prononcé par l'échevinage même auquel il est attaché. (iCt ollicier informe réchevinage de la capture qu'il a faite. L'échevinage règle incontinent le régime plus ou moins étroit auquel le prisonnier devra être soumis durant sa détention prè- \entive-'; et, aussitôt (pie possible, on commence contre le prisonnier le procès à l'extraordinaire. Nous allons retracer dans le paragraphe suivant les diverses phases de ce ' SoiiET, oiiv. riti-, livre II, tilrc XXI. — Méan, Observation 289, n° 5. — Mamgart— Loivrex, Dissertaliniin canoniquvs , de. * SoiiET, oiiv. cilc, livre II , titre XXI. - SoiiET, ouv. (•ii(Mi\r(' II, tilrc XXIX, n° 10, 13; livre V, litre XLIV, n''42. DANS LANCIENINE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 7Î7 procès. Notons ici, en terminant le présent paragraphe, qu'un individu arrêté préventivement ne pouvait être soumis en prison à un régime systématique- ment dur; que tous les prisonniers devaient être détenus séparément, sans pouvoir communiquer les uns avec les autres, surtout les hommes avec les femmes, les complices entre eux; qu'avant son interrogatoire un individu capturé so'ûau flayronf, soit en exécution d'un décret de prise de corps, ne pouvait communiquer absolument avec personne '. (< VIII. — Du procès criminel à l'extraordinaire. s Le procès ci-imincl à l' extraordinaire commençait nécessairement par l'in- lerrogatoire du prisonnier, par ce qu'on appelait son examen amiable. Cet examen devait se faire aussitôt que possible après la capture, afin de ne pas laisser au prisonnier le temps d'échafauder un système propre à dérouter le juge et à voiler la vérité -. De riiiferrn^atoirc nu cxuiuen aniialile 'S L'ANCIENISE PRINCIPAUTE DE LIEGE 721 poursuivre sa cause ^ Ce point, malgré son imporlance, reste ainsi couvert «l'un nuage. Quoi qu'il en soit , les incidents étant vidés et la demande en décharge ù pied libre étant repoussée, le deuxième acte du procès à l'exlraorfliiiaire commençait. Ce deuxième acte comprenait la preuve proprement dite; et celle-ci comportait la confrontation des témoins entendus dans la procédure préliminaire; l'audition de nouveaux témoins produits par l'oflicier criminel; l'audition des témoins à décharge que l'accusé voulait faire citer, soit pour établir son alibi, soit pour établir toute autre exception de défense. De renquètL'. A Liège, la preuve était toujours nécessaire en matière de grand criminel, même quand l'accusé avait aroHc,, que son aveu était \raisend)lable et que le corps du délit était constant -. Lors donc que W'xmiien amiable était terminé, l'oflicier criminel ou son facteur d'office comparaissait au greffe pour demander, par un expédié, ensei- (jnement de pouvoir confronter les témoins nécessaires au prisomiier; et la cour répondait à cet expédié pai- un décret de confrontation ''. On se rappelle que , d'après les mœurs liégeoises, la preu\ e faite pendant la procédure prélinn'naire « faisait foi pour la condamnation. » En consé- quence le récolement des témoins entendus pendant celte piocédure, et lein- «onfronlation avec le prisonni(>r. ne formaient en réalité qu'une seule et même formalité; en conséquence encore, si l'un des témoins entendus était mort naturellement ou civilen)ent, sa déposition ne disparaissait pas du procès : on pouvait la confronter littéralement avec l'accusé *. L'officier crinn'nel admis à confrontation dénommait aussitôt les témoins entendus dans l'enquête préliminaire; demandait que lecture de leur déposi- tion fût faite en présence du prisonnier par mode de confrontation, et faisait ' Style de 1779, pp. M, 44, 48. — Chapitre IV, m noie. - Idem, p. 60. — Soiiet, livre V, tilrc XLIV, n"' hO, 31, cli . ' SoHET, ouv. cité, livre V, tilre XLIV, n" 30. ' Slijle de 1779, p. CI, en note. Tome XXXVIII. 91 722 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL citer ceux dViUre eux qui étaient vivants à comparaître dans la prison où raccusé était détenu, au jour fixé par les commissaires de la cour. Ces commissaires étaient encore au nombre de deux; ordinairement les mêmes qui avaient assisté à la procédure préliminaire '. Le prisonnier avait la faculté de leur remettre en mains des articles de t'écolement relatifs aux points sur lesquels il désirait que les témoins s'expliquassent; ou bien, dans le cours même de la confrontation , de requérir le juge de faire aux témoins telle ou telle question"^. L'officier criminel était exclu de la confrontation, comme il était exclu de Tenquéte et de Tinterrogatoire. A peine est-il néces- saire d'ajouter que procès-verbal était tenu par le gredier de tous et de cha- cun des détails de la |)rocédure qui s'accomplissait. La confrontation commençait toujours par un acte tout s|)écial : on reli- sait au prisonnier son examen amiable antérieur, en lui demandant s'il y persistait. Puis aussitôt on introduisait un à un et séparément les témoins ^ Quand un témoin (Hait en présence du prisonnier, les commissaires instructeurs demandaient avant tout à ce dernier de formuler ses reproches, s'il en avait. « Il est juste, » disait le Style de i779, «d'obliger le prisonnier » à fournir ses reproches avant de lui donner connaissance de ce que le » témoin (qu'on lui confronte) a déposé ou pu déposer contre lui, parce que I) jus(|u'à cette lecture il est incertain de ce qu'elle contient, et par ce moyen » il se trouve forcé de fournir les reproches qu'il peut avoir, et l'avertir » (pi'il ne sera plus reçu à reprocher le témoin, après la lecture de sa dépo- » sition *. » Quelle que fût la réponse du prisonnier, elle devait être annotée perti- nemment et circonstanciée par écrit avec celle que le témoin lui-même fai- sait, le cas échéant, aux reproches formulés contre lui ^. Cette première formalité accomplie, le témoin devait prêter serment de dire la vérité en pré- sence du prisonnier. On lui relisait la déposition faite par lui dans la procé- • Style de I77!f, p. G7. * Idem, p. (io, note 45. — Soiiet, oiiv. cité, livre V, tine XLIV, ir 57. '• Idem , pp. (i:>, (Kl. ♦ Idem, p. (il, noie 'il. ' Jdem, p. (î". DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 723 dure i)réliminaire; on lui demandait s'il n'avait rien à en retrancher, i-ien à y fijouter, et s'il y persistait; si c'était bien du prisonnier présent que cette dépo- sition s'occupait. Les commissaires instructeurs poursuivaient la confron- tation en interrogeant le témoin conformément aux articles de confruntation servis par le prisonnier, ou en lui faisant les questions suggérées à celui-ci par l'inspiration du moment, par l'attitude du témoin, par la nature de la déposition de celui-ci. Le témoin était toujours tenu de répondre. « Les con- » fi-ontations, » disait le Style de 1779, « sont faites en faveur des accusés, ils » n'ont que cette occasion pour faire expliquer les témoins qui les chargent, » il faut donc que ces témoins s'expliquent; leur refus donne atteinte à leurs » dépositions et prouve qu'ils ne peuvent rendre raison de ce qu'ils ont dit » et affirmé en justice; de sorte que tous témoins qui refusent de répondre » font croire qu'ils ne sont pas en état de le faire, et que leurs dépositions •) sont contraires à la vérité ^ » La confrontation du témoin étant terminée, on en donnait lecture au témoin et au prisonnier (pi'on invitait l'un cl l'autre à signer le procès-verbal après les mots notés par le grelfier : « leur l'elu ont persisté -. » Si, bien entendu, le témoin avait ajouté ou retranché quelque chose à sa déposition primitive, il en était tenu note exacte '\ Le Style de 1779 parlait également des témoins inucls : « S'il y a des » témoins muets, c'est-à-dire des armes, bardes, linges, papiers et autres » effets servant à la conviclion , il faut que l'oflicier en fasse usage vis-à-vis » du prisoiHiier; c'est à la vue de ces pièces que le témoin et l'accusé peu- » \enl le mieux s'expliquer et tirer les indices nécessaires j)our éclaircir la » vérité *. » La confrontation de tous les témoins entendus dans renquéle préliminaire étant terminée, l'oHicier pouvait demander à parfaire sa |)reu\e et à faire entendre de nouveaux témoins. Il commençait à cette fin pai- faii-e admettre ' Slijle de 1779, p. 05, note i') ; pp. Gl et suivantes. - Idem, p. G5. ^ Idem, idem. — Sohet, ouv. cité, livre V, litre XLIV, n" afi. En pratique il n'était ecpcndant |i;is encore question de donner copie de l'enquête en ce muinent. • Style de 1779, p. (It). 7U KSSAI SLIl LHISÏOIRE DU DROIT CRIMINEL par la cour des articles probatoires; puis, ayant obtenu un décret d'admis- sion, il noiuinail les témoins qu'il désirait faire citer, en indiquant les articles sur lesquels ils devaient èlre spécialement entendus, et requérait lixation de jour et d'heure pour (|ue les commissaires instructeurs procédassent à leur audition '. .Nous n'insistons pas sur les formes extérieures de cette enquête; elle se faisait absolument de la même manière et dans les mêmes conditions que les empiètes préliminaires. De plus, les témoins qui y avaient été entendus (■'taient à leur tour confrontés avec le prisonnier, et interrogés en sa présence soit confoi-mément aux articles interrogatoires servis par lui d'avance, soit conformément au désir qu'il manifestait au moment même -. Remarquons ici en passant qu'on n'admettait pas les témoins qui se pré- sentaient volontairement. Tous devaient être cités. Les justices étaient in\itées à s'entr'aider nuiluellemenl et yrads pour contraindre leurs justiciables à aller déposer devant la cour où leur témoignage était nécessaire. L'amende encourue par les témoins cités mais récalcitrants se partageait entre l'officier du lieu du domicile de ceux-ci et l'olTicier qui avait promu Tenquêle. Au sur- plus les témoins devaient avoir d'autant moins de crainte de déposer que tous étaient, connue nous l'avons déjà dit, dans la sauvegarde du prince '. Quand l'officier avait Uni sa preuve, et (pie le prisonnier avait invoqué une exception relevante , soit pour se faire absoudre, soit pour faire adoucir la peine, il demandait à èlre admis à conti-e-preuve. Il faisait d'abord admettre son exception connne relevante par la cour, de même que l'officier axait du faire admetti-e parcelle-ci ses articles prolnitoires : puis il demandait qu'on fit citer les témoins dont il donnait la liste, et qu'on fixât jour et heure pour leur audition. Les témoins à déchai-ge étaient en principe produits aux frais du prisonnier et de sa famille; cependant, si ceux-ci étaient pauvres, on les (ilait aux frais du trésor *. Enfin, (piand tons les devoirs de preuve ("taient lenninés de part et d'autre, ' SomcT. oiiv. ciir, livre V, titre XLIV.n" 47, 7f>, 7ô; livre IV, titre \II, iv" 10", i;):i. - Idem, livre V, litre XI.IW n" j7, l'i.lx !tl, pasinii. — Slylidr 177!), j). (JG. ■• lileiii, \\\ir IV, litre Xll, n ' ^OO, '209; livre V, titre \I.IV, n"' 78, liG. * tileni, livre \', litre M.l\', n ' !)V, '.>3, iiti, et jinssiiii. DAÎVS LANCIEÎSÎSE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 725 les témoignages ('«taient puOliés à la requête de l'officier et du prisonnier, c'est-à-dire que la cour faisait délivrer copie à l'un et à l'autre des procès- Nerbaux qui en avaient été dressés. En même temps, la cour leur limitait lerme pour contredire auxdits témoignages « voire que chaque partie ne » pourra jamais obtenir que doux termes et un troisième pour grande cause » tout au plus. » C'était le dernier moment où l'officier et l'accusé pouvaient présenter leurs observations '. Jl est à remarquer que le Sfi/le de 1779 ne dit absolument rien de la preuve ù décharge, permise au prisonnier, ni de la publication des témoi- gnages. Sobet, au contraire, est très-affirmatif en ce qui les concerne. Nous croyons pouvoir suivre Sobet, parce que le Style de 1779, très-bref, n"a peut-être eu en vue que \e plerunuine fit; parce qu'au contraire les enseigne- ments de Sobet, Irès-détaillés, sont d'accord avec le droit naturel et avec les déclarations formelles des anciennes paix et de la ré formation de Groisheeck ; |)arce (pi'enfin, dans im eba|)itre autre (pie celui relatif au [tvwi'?^ à l'extraor- dinaire, le Sljile de 1779 lui-même énonce la proposition générale suivante : « rpi'un accusé au pays d(! Liège n'est jamais décbu de prou\er contre ses I) cbarges et accusations "-. » Lorsque les devoirs de preuve étaient lerminc's l'ollicier criminel (pii avait, connne nous TaNonsdil, leçii counnimication de la procédure, faisait ses réquisitions par écrit, soit par lui-même, soit par son facteur, au greffe (le la cour saisie de PalTaire. S'il considérait la preuve ac(|uise contre le pri- sonnier comme com|)lète, il requérait punition en toute rigueur de justice, à l'exemple d'autnvs, mais sans conclure à l'application d'aucune peine spéci- litpie. S'il reconnaissait lui-même (pie les |)rein('s recueillies n'étaient pas encore suffisantes, il re(|uéiait (|ue le prisonnier fût condamné à être mis à la (piestion. Dans tous les cas, lorsque la procédure avait eu lieu devant une cour sulialterne, Tolficier (l(>maiulait (jue le procès en entier fût apporté clos et cacbeté aux ('chevins de Li(''ge, aux fins d'avoir leurs rencharges. La cour ' SoHET, oiiv. cilé, livre V, litre XLIV, ii" 'ous ra|)|)ellerons seulement que les indices ou présomptions, (pielque graves (pi'ils fussent, ne sullisaienl pas seuls, en principe général, pour motiver une condamnation définitive, surtout capitale''; que certains indices permettaient seulement de prononcer un décret de prise de corps; ' Slylv lie 1779, pp. 70, 7.", 70, 71. — Soiiet, oiiv. cité, livre V, lilrc XLIV, n- j"J, 98. - Soiiet, ouv. tiié, livre V, lilre XLIV, n° :>'.); litre XLII, n" 7; à combiner avec la Caroline, ciiapilrcs LX, LXVII, LXIX, ele. ' Soiiet. ouv. cité, livre V. litre XLIV. n" lil, el Cmolinc. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 727 d'autres, considérés coninic plus forts, de prononcer une sentence de tor- ture '; que les indices devaient être éta))lis par deux témoins irréprochal)les; que la déposition d'un seul témoin ne faisait jamais qu'un indice grave -; que les juges n'étaient pas liés par les exemples donnés par la Caroline, mais qu'ils pouvaient s'inspirer de ceux-ci et créer d'autres indices par analogie de ceux qu'avait déduits le législateur"; que la preuve aux fins de motiver une condamnation définitive était seulement complète : ou bien quand, le corps du délit étant d'ailleurs constant, l'accusé avouait son crime, et que cet aveu était corroboré par des indices dûment établis; ou bien quand, le corps du délit étant également constant, la criminalité de l'accusé était établie par les dépositions de deux témoins irréprochables, contestes, déposant de science personnelle sur le fait môme de l'infraction et sur la part que l'ac- (;usé avait prise à celle-ci ■*. L'article /t9 du chapitre XIV des Points marqués pour voulûmes disait : « des méfaits qu'on fera de nuict ou hors voyes des- » quels la vérité n'apparaît clairement, on doit aller en bonne manière au » plus près des droits et de la lame commune et le malfaiteur corriger selon » la quantité du mesfait suivant la forme des statuts''. » Cette règle, sou- venir des anciens textes liégeois, n'autorisait pas le juge au XVIII'' siècle à condamnei' un délinquant à moit sur de seuls indices; mais elle lui permet- lait d'être plus facile à admelhc Texistence des indices de cidpabiiité et par- tant à aller rechercher un su|)plément de preuves, dans l'aveu de l'accusé lui- même, par la torture ". A part les y/;r«iY'.v matérielles, ipii constituaient souvent la preuve même (lu corps du délit, et qui avaient en tout état de cause conservé une influence inêhranlable, la |)reu\e testimoniale et la preuve tirée de l'aveu de l'accusé formaient ainsi les deux seuls gonds de la procédure criminelle du pays de Liège au XVIII^' siècle. L'esprit ripuaire était définitivement chassé du pré- ' SoHET, ouv. cite, livre V,tilrc XLIV, ii" 102 el 103. 2 Idem, n° 105. ■• Idem , n" G4. * Idem, n-" Ol, 5'.), '.17; livre IV, lilie XU, ii'" -JôC, 158, I3".l, 241. — Caroline, eliapilres LXIV, L.\V,LXl,LXin,clc. î" SoiiET, OUV. cilé, livre V, litre XLIV, ii" 71. '' Idem , idem , livre V, (iire XIII , n" -21 ; litre XI . n" 4ô, ele. 728 ESSAI SLK L HISTOIRE 1)L DKOIÏ CHIMINEf. toirc dos trihuiiaiix, et avec lui les tlorniei's vestiges de la loi d'escomlit. La puryalkm par le serment eile-nièine ne jouait plus qu'un rôle tout à fait accessoire. Elle n'était plus j^uère admise (pie dans les pi'Ocès en décharge. On ne permettait au\ accusés d"\ recourir (pie lors(pril s'agissait pour eux de se laver entièiement de (]uelques faibles indices de culpabilité. \j\weu devait être fait libtoment et en justice |)endant le procès. Il ne fai- sait même preuve complète que s'il était circonstancié, vraisemblable, et si sa vraisemblance et sa véracité étaient vériliées à l'inspection des autres actes de la procédure '. La preuve testimoniale, tant pour établir une preuve par indices que pour établir une preuve directe et préconstituée, devait émaner de khuoins irréprocliables. Les causes de reproche étaient dans le pays de Liège à peu près les mémos (pie dans les autres États de l'Europe occiden- tale. En ce (pii les concerne, Sohet remoie à l)a)iilioti(h>r et à la Carolinr. Nous n'y insisterons pas; nous ren\ou)ns à un mémoiie auipiel l'Académie a déjà accordé l'hospitalité de ses colonnes, et nous nous bornons à détacher de la Caroline les trois causes de reproche suivantes : la subornation; l'ini- mitié prouvée du témoin contre l'accusé; le fait ipie l'accusé ne connaissait pas du tout le témoin produit contre lui. Il est vrai que cette dernière cause de reproche disparaissait, si la |)artie poursuivante établissait clairement que le témoin inconnu était au-dessus de tout soujX'on -. Selon le S/i/le de 1779, les juifs, les hérétiques, les infidèles, n'étaient pas admissibles à porter témoi- gnage, ni en matière civile, ni en matière criminelle ". Il en était de même jus(prà un cei'tain point des gens excommuniés et pubiiipiement dénoncés *. A\ant (rabandoniicr ce (pii concerne la l/ieoric (jenéialv des preuves, nous croyons utile d'extraire des édits des trois derniers si(!cles, (pielques particu- larités qui la concernent cl qui parfois y diirogent, mais sur d(^s points tout sjiéciaux. En malièic (le maraudage, un édil du ;5 1 juilicl l.'itio considérait comme preuve de culpabililé le l'ail d'avoir cliez soi des fruits maramh's : <( le(piel so) * SoiiET, ouv. cite, livre IV, titre XII, 11° 154; livre V, titre XLIV, n"> Ii(», RIO, etc. - Idem, livre V, titre XLIV, n" 95, i»6, i)7. — Caroline, l'hiijiitres XXXI, LXXV. "• Style de 1779, p. 65. — Sohet, livre IV, litre XII , n"' -2i\), 230. * Voir ce (|uc nous ,ivons ilil plus liant. DAP^S L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 1-29 » tiendra suffisamment convaincu et adouvré par la chose ainsi trouvée » auprès de (pielqu'un, soit en son sac, soit en sa maison '. » En matière forestière, un édil du 10 mai 1747 réputait voleur et rendait appréhensihle celui qui était Irouvé coupant du bois dans le bois d'autrui, ou emportant du bois sans être muni d'une permission écrite du propriétaire '-. Un édit du 18 février 1G98, porté contre les vagabonds, rendait appré- liensibles et punissables comme voleurs sans aucune excuse, ceux d'entre eu\ qui seraient trouvés à deux, avec armes, et sans passe-poi-t régulier. Cet édil élevait ainsi une présomption juris et de jure de culpabilité, qui équivalait à une preuve complète '. Un édit du 14 mai 1726 déclarait que les individus détenteurs d'instru- ments servant à fabriquer de la fausse monnaie devaient être saisis comme en flagrant délit et comme suffisamment soupçonnés d'èlre auteuis ou com- plices du crime de faux monnayage •*. Plusieurs documents nationaux enfin, en matière d'infraclions légères, déclaraient que la déposition d"un seul témoin irréprochable fei-ait preu\e complète. C'était le cas, par exemple, de l'édit du 30 décendji-e lo7I, et des Privilèges de llasselt renou\elés au XVI" et au XVII* siècle. L'édit de 1571 \ oulait que tout surcéant de bon nom et de bonne i-enommée fut sergent pour rapporter, accuser, appréhender et livrer à la justice les vagabonds et les mendiants non autorisés; il ajoutait : « en quoi voulons que par ceux de la » dite justice, où le cas eschei'ra, il soit creu par son serment "•. » Les Privi- lèges de llasselt statuaient de même à propos des bruits et tapages nocturnes : « zal met eenen getuyge vertuyght mogen worden •'. » C'était encore le cas de l'édit du 19 mai 134G sur le délit de monopole ou d'accaparement de grains. Les particuliers «accusateurs, » disait-il, « seront crus sur leur serment •) comme les sergents se dont la personne accusante n'estait vile et tele (pie » par bon respect le juge serait esmeu non adjosleir foid à son rapport, sauf ' PoLAiN, ouv. cité, 2' série , t. I", à sa date. - Idem, ô' série, t. II, à sa date. ^ Hem, 5' série, t. I", à sa date. * Idem , idem. ■"' Idem , l' série, t. I", à sa date. » Article 80. Tome XXXVIII. 92 730 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL » et réservé az accuzez leurs exceptions et deffenses '. » Louvrex se deman- (lait avec Farinace si un statut pouvait ainsi établir (\ui(u soiil témoin ferait loi? Il répondait non en principe général, mais il ajoutait aussitôt : « nisi » id statuilur in coitis tamen causis et ex causa necessitatis vel evidentis uti- » litatis -. ») Ajoutons enfin que, d'après la jurisprudence liégeoise : « quod lege Leo- » diensi usurpalum, comparalum, atque receptum fuit, si quis capitalis reus » per duos criminis reos accusetur, qui accusationem morte insecuta confir- » maverint, accusatum etiam inconfessum eadem pœna puniri ^ » Mais revenons. Les juges souverains sont donc saisis du procès criminel un fond. Quand prononceront-ils une sentence de torture 9 De la torture. ils ne prononceront une sentence de torture qu'en présence du concours des conditions suivantes : 1" Qu'il consie clairement de l'existence du corps du délit et nalurellement de commisso crimine. 2" Que le crime commis soit punissable au moins d'une peine corporelle (supérieure à la fustigation?). 3" Qu'il y ait des indices légitimes bien prouvés ou des présomptions iirf/entes du crime conmiis par l'accusé K L'id)sence d'une de ces conditions rendait l'aveu extorqué par la torture absolument nul, el i-endait le juge qui avait ordonné la question syndicable et responsable de tous dommages et intérêts^. Les documents liégeois n'excep- tent personne de la question. Remai-quons-le en passant. Parmi les /«f//fr.v qui , dans le pays de Liège, étaient considérés comme snllisants pour moliver une sentence de mise à la question, nous citerons : ' l'oi.MN, oiiv. cilr, 'J'' si'i'ic, t. I", i'i sa dalc. - HoniN, oin. citi', t. m, p. ir>7. '• ClIAPKAVII.I.i;, I. III, p. ù'iS. * SoiiET,ouv. cité, liMi- V. liiioXI.IV. ii"' 101. 102, 103, etc. ^ Jdein, II" |()-2. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 731 la présence sur le lieu du délit d'un objet appartenant certainement à l'accusé, et qu'il avait probablement perdu au moment du crime ou en fusant; la décla- ration bien circonstanciée d'un complice condamné à mort, non suspect d'ini- mitié à l'égard de l'accusé, déclaration faite sans liésitations et sans variantes, liors des tourments, sans suggestion du juge, surtout si l'accusé était d'ail- leurs suspect ; la présence constatée de l'accusé avec des armes et des babils ensanglantés dans le lieu où a\ail été commis un liomicide, et peu de temps après que celui-ci avait été commis; le fait constant que l'accusé, fortement soupçonné de culpabilité, possédait des objets ou avait vendu des objets ap|)ar- lenant à l'occis K Tous ces indices devaient être établis par les dépositions concordantes de thmx témoins irréprochables. Quant à la déposition circon- stanciée d'un seul témoin parlant directement du fait, elle formait par elle- même un indice suflisanl "-. Lorsque, dans une cause criminelle, il se l'en- contrait plusieurs indices, insullisants cbacun isolément, les juges pouvaient examiner si leur concours n'équivalait pas à un indice légitime '\ Comme nous l'avons vu, du l'este, l'accusé avait eu le droit, a\ant que le procès fût porté à l'examen des juges, d'impugner tous et cbacun des indices qui militaient contre lui, soit pendant la confrontation des témoins et en faisant interroger ceux-ci à sa convenance, soit en faisant une preu\e à décbarge *. Les juyes souverains du pays étaient seuls compétents poiw ordonncrlà tor- ture dans le ressort de toutes les cours subalternes jugeant à leur renvliurye. Si, après examen approfondi de l'allaire, ils décidaient (pie l'accusé devait être mis à la question, ils réglaient en même temps le mode de celle-ci sui- vant l'âge et la condition du patient. Leur sentence était sans appel ' ; et bientôt le dernier acte du procès à l'extraordinaire commençait. L'otlîcier criminel de la cour basse allait dereclief nantjitir les rencliaryes à Liège; il les remettait closes et scellées à l'écbevinage; et celui-ci siégeant ' SoHET, ouv. cité, livre V, titre XLIV, n"' f»7, C'J; litre XI, n"' 63, C5; litre XIV, ;jassiw. 2 Idem, livre V, titre XLIV, n" 105. "' Idem, idem, n" 104. * Idem, idem, n" lOG. Voir, en outre, ce que nous avons dit plus haut. '■ Idem, n"* i08, 114. Voir ce que nous avons dit plus haut touchant l'appel. 752 KSSAI SLR LIUSTOIRK DU DROIT CRIMINEL avec {jiialro membres, les hosportait. L'ofllcier criminel et les juges étaient tenus (le sp conformer en tous points au décret de la cour souveraine : seu- lement ils (levaient ('-viter de mettre à la question des personnes malades ou (langei-eusement Idessées, ainsi que des femmes enceintes, aussi longtemps (|ue la maladie ou la grossesse durait. S'il y avait plusieurs complices, ils étaient invités à mettre d'abord à la question celui d'entre eux qui paraissait le plus faible \ V examen rigoureux , c'est-à-dire la mise à la question, se faisait en pri- son, à l'intervention du maître des hautes œuvres, par deux échevins com- missaires et en présence du greffier chargé de tenir procès-verbal des opéra- tions ainsi que d'un médecin ou chirurgien assermenté. Vo/ficier criminel n'y assistait pas ; son droit se bornait à remettre aux commissaires des arti- cles d'examen rigoureux suivant lesquels le patient était inlerroijé pendant la torture '-. Certaines cours basses laissaient entrer dans la chambre de toi-- lure des curieux dont la présence était inutile. Le style de 1779 s'élevait vivement contre celte pratique inconnue à l'éche\inagc de la Cité. On doit (iiiiv attention, dit-il, que l'examen rigoureux est « un interrogatoire qui, » comme les précédents, doit être secret; le prisonnier peut révéler des com- i> plices,cenx qui craignent d'être dénommés peuvent y faire trouver des » personnes alïitlées \M\xr les en avertir, et par ce moyen avoir le temps de 1) s'évader, ce (jni est non-seulement un grand abus préjudiciable au bien 1) public, mais une prévarication au serment de ces juges instructeurs ^. » Quand le joiu' cl l'henre de la mise à la torture étaient fixés, roflicier cri- minel devait y faire préparer le patient. Il faisait mettre celui-ci pendant ving- (|uatre heures vis-à-vis d'un feu, sans lui donner ni à manger ni à boire, pour l'alTaiblir physiquement et moralement '. Puis, au moment fatal, il le faisait conduire après une visite corporelle, les yeux bandés, vis-à-vis des conunissaires instructeurs, du chii'urgien el du grellier ■'. Avant d'employer * Stiflf (Ir 177!), pp. 70, 71, 7-.', 75, 74, clc. - Itleiii. pp. 7S, 71), SU. - SoiiET, ouv. citi-, livre V, lilir XLIV, n°' 1 1 l, 110. "• Iilcin, ]ip. 8(1, 87. * Idem, pp. 7.1, 77. •' l'Ii-in , iili'Oi. DANS LANCIEN^E PRINCIPAUTE DE LIEGE. 755 la conlrainle physique on employait toujours la contrainte morale. Les com- missaires lisaient le (lécret de torture tout haut et exhortaient l'accusé à avouer son crime, en lui repi-ésentant les horreurs et les dangers des tour- ments qu'on allait lui faire subir. Si l'accusé cédait, on lui faisait incontinent signer son aveu. Mais, comme celui-ci était extorqué par une menace et la crainte d'un danger immédiat, il ne faisait pas preuve. Vingt-quatre heures plus tard, on invitait l'accuse à le ratifier librement, et s'il accédait à celte demande, on lui faisait signer sa ratification '. Si l'accusé résistait aux exhor- tations du juge (qui selon le style lossain de 1732 devaient être réitérées plusieurs fois), on l'appliquait effectivement à la question "-. C'était pendant la durée des tourments que les commissaires instructeurs procédaient à linterrogaloire, on général conformément aux orlieles d'em- men rigoureux. Le grellîer n'-digeait les demandes qu'ils faisaient et notait (■'gaiement, sous leur dictée, et mot pour mot , les réponses du patient. Lors- (|ue celles-ci laissaient enti-evoir un aveu, on diminuait im |)eu les tourments, mais sans détacher l'accusé du banc de douleur '. Lorsque les réponses du patient étaient invraisemblables ou fausses, les commissaires lui en faisaient la remarque, tout eu oi-donnant de continuer les opérations *. Les commis- saires instructeurs devaient chercher à faire raconter par l'accusé toutes les circonstances du délit (ils en connaissaient les principales par la procédure préliminaire), mais en axanl soin de ne lui rien suggérer. Ils faisaient des demandes générales, d(> manière que In spéeipeation vint toujoin"S du patient. Ils ne pouvaient faire de (pieslioiis captieuses et superflues •"'. En principe, la torture durait ou bien jusqu'à ce (pie le temps fixé par le décret des jug(^s souverains fût expiré, ou bien jus(|u'à ce que l'accusé eût avoué son crime avec toutes ses circonstances. Cependant, si le médecin ou chirurgien présent déclarait le prisonnier hors d'état de soulTrir davantage, on (levait interrompre ou cesser les opérations. La cause qui avait mis fin à celles-ci devait être toujours marqu(''e dans le procès-verbal ". ' Sljjk (/(' /775, |ip. 7.J, 70. — Sour.T, ouv. cité, li\i'(' V, liiir XLIV, ii" I ! I. •■' Idem, [1. 76. — Soiiet, ouv. cité, livre V, litre XLIV, n"' 109, 110. '' Idem , p. 78. — Sohkt, ouv. citi', livre V, titre XLIV, u" 1 17. * Idem. — Idem, n" |-22. s SoHiTT, ouv. cili', livre V, titic Xl.iV, n ' t l,S. 1 1(1. 1-20. '■ Shjledv 1779, |). T'J. 7ôi ESSAI SUR LIIISTOIRE Dl DROIT CRLMINKL Ldisquc racciisé avouait dans les loiirinenls, son avou notait pas plus valable que celui qu'il aurait fait en présence de simples menaces des juges. On devait, en conséquence, commencer pai- donner au patient tous les secours et soulagements nécessaires; le laisser vingt -quatre heures tran- quille, puis, hors de la présence des instruments de tortuie, lui lire mot pour mot ce qu'il avait dit pendant les opérations et lui demander s'il y persistait. S'il ratifiait alors ses paroles, on se pri'tendait en présence d'un aveu libre- menl (Jonné ; et celui-ci, concordant avec les circonstances fournies par les autres éléments de preuve du procès, formait une preuve complète '. Si, au contraire, l'accusé léroquail ses aveux, on pouvait continuer la pro- cédure contre lui de deux manières : ou bien chercher à le faire condanmer de suite à une réitération des loui'menis, |)ar rcncharge des juges supérieurs. et même à une troisième épreuve, mais jamais plus, à njoins de survenance de nouveaux indices; ou bien, lorsque Tollicier avait des charges nouvelles, recommencer contre lui un procès supplémentaire par inteirogatoire amiable, audition et confrontation de nouveaux témoins, et nouvelle sentence de mi.se à la question -. Dans le cas où le patient avait, par un effort suprême, soutenu jusqu'au bout les tourmenis en persistant dans ses dénégations, les commissaires allaient encoie, \ingt-quatre heures après les opérations, lui faire raliliei- le procès-\erl)al de son examen rigoureux. En tout cas, il a^ ait alors /y»>'//r les indices qui avaient milité contre lui et qui avaient moti\é la sentence de mi.se à la (piestion ; seulement on lui refusait le droit de demander des dom- mages-intérêls à son accusateur : on Tobligeait, au contraire, à payer les frais de prison et souvent à donner caution de non ulciscendo '*. Il est à lemarcpier, du reste, que l'accusé qui avait soutenu la toituie jus- (pi'au bout n'était pas nécessairement aequilté : de droit commun, il échap- pait seulement à la peine ordinaire du crime. .\ous croyons qu'il en elail ilr même dans le droit liégeois *. ' Sltjlv tir 17 7!), PII. 81, 8-2,83. — SoiiEi,uin. cilc, livre V, litre XLIV, n" |-2S. ■ Idem, p. 8'k s Sltjledr 1779, p. 83. — Soiiet, ouv. rite, liv. V. lit. .\LIV. n" l-2(i; lit. \1.\, ir 45, 4(i, ele. * Poi'i.i.KT, 'i'"' Mémoire sur le droit criminel du duché de Undmnl eilé p. 500. DANS L'AiSCIENIVE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 75d Tout ce que nous venons de dire concerne la question dite préparatoire, dont ce Style de 1779 parle encore sans sourciller. Il nous reste encore à (iiie un mot de la question préalable et de la question iV inquisition. La question préaUéle n'était pas destinée à arracher à un accusé Paveu de son crime, mais à arracher à un accusé les noms de ceux qui auraient été ses complices. Il semble que, dans le pays de Liège, au XVII^ siècle, celle-ci se confondait avec la question préparatoire : au moins n'en trouvons-nous aucune théorie spéciale '. Nous ne croyons pas que les juges liégeois tortu- rassent un i\('\iin\i\imt jileinement convaincu, à seule lui de lui faire déclarer les noms de ceux qui avaient délin(pié avec lui. La question préalable avait, (In reste, disparu du prétoire des tribunaux dans les Pays-Bas autrichiens. Quant à la question dile d'inquisition, elle avait existé dans le pays de Liège comme dans les Pays-Bas. La torture (/'inquisition était celle qu'on inlligcait aux vof/alfonfls . à raison de leur seule qualité considérée comme indice véhément de criminalité, et pour s'assurer si, par hasard, ils n'avaient pas comnjis quel(|ne |)art im ciime lesté inipuni. Un édit du 4 mai Ioo4, renouvelé le 2:2 janvier l-i.'J.j, le l") avril I, ">'»('», le 28 décembre loo*), après avoir autoiis(' Ions les surcéants à ajjpréhendcr les vagabonds, à charge de les remettre entre les mains des olliciers do justice, statuait comme il suit : « Auquel )) (olïicier) mandons et connnandons par cette, en la présence de la justice » les interroger de leur conduite et conversation et sur quoi ils \ivent, et i> s'ils ne sçavent rendre response suflisante, de les mettre à torture et ques- » tion sans autre indice, dédaiant et statuant que oisiveté en ceu\ qui n"ont I) aucun revenu, ne font mèliei-, est indice sullisantà la torture et question-.» Nous ne trouvons plus de Irace de la toi-tine (rinipiisilion au XVIII*^ siècle dans le pays de Liège, ni dans les Pays-Bas autrichiens. Seulement, pour mettre un vagabond à la question préparatoire , on se contentait partout d'indices intiniment plus faibles cpie pour mettre à la quesiion un surcéant "'. Quoi qu'il en soit, les opérations de la question étaient le dernier acte du procès à rextraordinaire , nous l'avons dit. Quand elles étaient terminées, ' Slyk de 1779, pp. 78, 79. — Soiiet, ouv. cité, livre V, titre XLIV, n"' 6!), 12t. 2 PoLAiN,ouv. cité, ^2' série, t. I", p. 24î>. 5 PouLLET, S'"' Mémoire Sî(r le droit criminel dans le duché de Brabunt cite pp. 370, 571. 756 ESSAI SLK LillSTOlKK 1)L DKOIT CRIMINEL l'oflicier ciiinincl, après avoir pris connaissance de leur résultat, comparais- sait une dernière lois au grefle pour déposer ses conclusions; requérir que le prisonnier fût puni en loute rigueur île justice conlorniénient aux consti- tutions (le TEnipire, lois et usages du pays; et, si le procès avait été pour- suivi devant une cour subalterne, que les pièces de la procédure lussent portées en reuc/iarf/e à Liège. Les usages nationaux ne lui permettaient pas de conclure à l'application d'une peine spécifique '. L'accusé, de son côté, pouvait conclure, le cas échéant, contre son accusateur, demander qu'il fut fait droit sur ses moyens de défense, et, en conséquence, son absolution -. Sur ces réquisitions, la cour basse portait un dernier décret de portement. Les échevins de Liège, réunis au nombre de huit au moins, examinaient derechef le procès, mettant en présence les résullats de la question, les enquêtes et confrontations, l'information aux fins de constater le corps du délit et le système de piruves légales, et ils dressaient une sentence défini- tive ; ils ne pouvaient avoir égard à d'autres nullités de procédure que celles dont la réfoniialiou de GroisOeeck et Védil de 17 19 faisaient mention, sauf cependant dans le cas on il ne constait pas du corps du délit "'. De la .M-iiIcMcc. Les sentences étaient écrites, même (juand elles étaient prononcées |)ar les juuos, fiourerains à raison d'une cause dont ils avaient connu eux-mêmes. Quand elles étaient absoluluires , elles avaient ce caractère particulier à l'ancien régime (ju'elles n'absolvaient guère l'accusé que de l'instance. Elles ordonnaient simplement de relaxer le prisonnier faute de preuves actuelles et sullisantes; elles laissaient toujours à l'ollicier criminel la liberté de recom- mencer une |)rocétlure à raison du même fait et contre le même accusé, s'il trouvait de nouvelles charges '. ' Slijlc de 1779, p. 84. — Soiiin. (luv.iiU-, Inre V. litre .\L1V, ii" î.'l. * SoiiEi, ouv. cité, livre V, litre XI.IV, n" 13-2. Il était rare tiirim ncciisé . au iia\s de Liéje. fût dans le cas de pouvoir conclure aux lins de doiniiiaj;es et intérêts contre son accusateur. '' SoiiET, ouv. cité, livre V, titre XLIV, n'" \", ir.!l, IV". I,e corps du délit était loujonr- constant avant qur la torture eut ét(' ordoiniée. * SoHET, ouv. cité, livre V, titre .XI.IV, n" I il*. - IIoihn. mn . cité. t. I", pp. 103, lOV. DANS LANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 737 Quand elles étaient cundamnutoires , elles contenaient la mention des nom et prénoms de raccusé, du délit qu'il avait commis, « des titres et causes de » sa condamnation » et la s/mificafion du genre de su|)plice qu'il devait subir. On ne laissait plus à rollicier criminel, sur ce dernier point, un pou\oir dis- crétionnaire pendant le XVIII'" siècle '. Les sentences absolutoires pouvaient, dans certains cas, condamner aux dépens ainsi qu'aux dommages et intérêts envers l'accusé, les olliciers et les seigneurs poursuivants; mais c'était seulement quand ces derniers avaient intenté l'action (Yoffice, par voie ouverte, sans avoir des indices légitimes el sans avoir pris les précautions voulues; ou bien quand il y avait eu dol ou malice dans leur fait. On voit aussitôt que ces condilions ne se rencontraient guère dans les procès conduits à l'extraordinaire, puiscpie ceux-ci nécessi- taient une inlervenlion |)rincipale du juge, couvrant la responsabilité de l'olll- cier '-. Les scnleiices condaninatoires pouvaient, de leur coté, imposer au délin- quant, outre une peine corporelle, une amende pécuniaire, l'obligation de payer des dommages et intérêts, el, le cas échéant, l'obligation de pa\er !e> dépens de ses preuves et de ses exceptions frivoles. Ce n'était pas la cou- tume liégeoise que les délin(|uants fussent condamnés à tous les frais du procès '\ Lorsque les juges souverains avaient dressé une sentence délinitiNc sin- rencharye , il appaitenail à la cour subalterne seule, saisie du procès, de la prononcer. L'ollicier allait nanipfir les rencliarges à Li(''ge, el les faisait //av- porler par les éclievins locaux l'éimis an iiond)r(' de (piatre au moins et sié- geant dans leur ressort, au lieu ordinaire de leurs audiences ''. En pratique, le condamné n'était pas présent au prononcé de la sentence, malgré les stipulations de la reforniation de (iroisbeeck. C'était seulement après ce prononcé que le grellier se rendait en prison, et (|ue, ayant l'ail mettre le prisonnier à genoux, il lui donnait lecture, puis copie aulhen- ' SoiiET,/o(o citato, n" 1o4. — néfonniilioii de Graislirccl: , ilia|pitic XIV, :iiliilc '2:î. - Idem, n" 130.— Houin, ouv. cité, l. Il, |). '24. = Idem, n« 154, 133, 15(i, IjS; tilrc XXXVIIl. ii» I'.), clr. * Idem , ouv. cilé, livre V, t il tl- XLlV.ir* 117, 148. Tome .W.WIII. 95 7.1S l-SSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRHIINEL fif/iic (\c la sentence'. Qiinnd ces formalités élaionl accomplies, roffîcier cri- minel ordonnait de transféi-er le condamné dans une place où il pouvait voir le jour, mais où il était néamnoins gardé à vue. Les juges essayaient parfois encore (Kohlenir de lui des indications relatives aux coiiipliiTS qu'il aurait eus, en l'invitant à signer ses déclarations. Enfin, dans les trois jours, à moins d'obstacles légitimes, l'officier criminel, ou tout autre à (|ui il apparte- nait, était tenu de faire exécuter la sentence dans sa forme et teneur "-. Nous avons à peine besoin de rappeler qu'il n'y avait pas d'appel, dans le pavs de Liège, des sentences portant condamnation à une peine corporell»^ ou ca|)ilale; et (lue même les sentences portant condamnation à une amende pécuniaire, rendues par les cours subalternes, étaient appelables aux écbe- vins de Liège dans un seul cas : si l'amende était moindie de cincj florins d"or et si, en même temps, la cour basse avait jugé sans rciiihurye '\ Nous sommes ainsi arrivé au terme d'un procès ciinn'nd à l'cxtraor- (limiirc, en matière de grand criminel. Examinons lapidement comment se développait l'action quand l'individu décrété de prise de corps avait réussi à se soustraire à la capture, et que, néanmoins, il n'entendait pas se laisser condannier pai' coulumacc. >; IX. — Dr hi promhiro en (W'rhargp. Lorsqu'un jiifir (ipjirr/iciisih/c , soit par voie d'eiKiuvtc . soil par roic iKd'erte. soit en consé(|uence d'un défaut de répondre à un coiiiinund de firii/p jours, avait réussi à se soustraiir à une capture effective, l'action cri- minelle ne continuait pas toujours contre lui par coiiluinacc. Bien au con- traire, souvent il intentait lui-même uuc (u-tioii en drr/iorf/c, tantôt devant la cour basse qui avait i-endu le décret, tantôt devant la souveraine justice de la C.ilé. Celteaclion suspendait la procédure par contumace, lorsqu'elle était com- ni(Mi(('e, et dans tous les cas clic la pi-évenail. Elle était, jns(|u'à un certain ' SoiiKT, oiiv. cilt', livre V, liln- .\LIV, ii"' I 'kS, 1(15. — Slijle ilc 1779, p. 87. * Slyle (h 1779, pp. 8!), 90, 91. ^ Voir sin'L'e point ce ipic nous avons dil plus iiiiiil. DANS L'ANCIENNE PRINCIPALTE DE LIEGE. 751) point, dirigée contre l'officier criminel poursuivant. Elleavait pour objet direct de détruire les charges recueillies contre l'accusé par la procédure prcUnii- naire; charges qui, on le sait, d'après les coutumes liégeoises, étaient défini- tivement acquises au procès, à moins qu'elles ne fussent renversées plus tard. Le décrété, qui voulait intenter une action en décharge, commençait pai- faire citer l'oflicier criminel |)oursuivant au\ fins de l'obliger à produire le décret de capture, ainsi que les pièces sur lesquelles ce dernier avait été rendu : « Pour en cas de validité et subsistance en donner causes d'iimocence et de » décharge; et, en cas d'invalidité, insubsistance ou non-production, voir le » tout casser et révoquer '. » Puis, la citation faite, le décrété constituait facteui- en cause, donnait ou promettait de donner caution réelle ou suffisante, ou de faire une consigna- tion pour les frais faits et à faire; il faisait communicpier à la cour une pro- messe assermentée d'ester e)i droit, et, finalement, il demandait : copie des charges recueillies contre lui, et pied libre '-. L'officier criminel n'avait pas à repousser la requête de l'accusé ni à l'appuyer. Son rôle se bornait à se référer à justice en ce qui la concernait. De plus, si l'action en décharge était intentée devant une coui- stdialterne, celle-ci n'avait pas le droit de statuer de sa propre autorité : elle devait, de toute nécessité, demander les rencharyes de la haute justice de la Cité ". Conformément à Védit de 1719, il était défendu aux échevins de Liège d'accordei-, soit devant leur piopre siège, soit par rencharge, pied libre pour faire ses décharges, à tout individu décrété d'appiéhension à raison des crimes graves dont nous avons paiié dans le paragraphe précédent. Quand les échevins refusaient le pied libre, l'accusé n'avait d'autre choix que de se laisseï- condamner |)ar contumace, en ayant soin de se tenir hors de portée des olliciers liégeois, ou de venir se constituer piisonnier. S'il choi- ' Stijh' (le 1779, p. 41. - lili'in, [1. 41. — SoiiET, oiiv. cilé, livre V, litre XI.IV, n"' 5 cl sui\aiils. Il fst n venr.>i-i\uvr iiu'iin lU'cu'-L' pauvre pouvait promettre de se mcllre eu ferme, ou en |)riNOii. quand il éliit inca- pable de donner caution, mais eu persistant toutefois à demander pieil libre pour la |i.roté- dure. ^ Style (le 1779, p. 42. — Suhet, ou\. cité, livre V, titre XLIV, n'^ 'il, I J7, etc.; litre .\LV11, n" 8. 740 ESSAI SUK LHIST01KE DU DROIT CRIMINEL sissait cotte cloniitM'c nlternativo, le procès reprenait à rextmordinnirc . par iiiterroiraloire, coiiCronlalioii et récoleincnt, nouvelle enquête à charge et à décharge, etc.; seulement, à la dilTérence de l'accusé appréhendé contre son cf/c lihero '. Ouand les échevins de Liège, au contraire, accordaient /;w/ libre et copie (les charges à Taccusé qui intentait Faction en décharge, la procédure chan- geait radicalement de caractère. Du moment où le déchargeant avait fourni r;uilion, le grefïier lui relaxait copie de toute la procédure préliminaire sur laipielle le décret de |)rise de corps avait été rendu -. C'était à lui, désor- mais, d'entreprendre la preuve de son innocence. Il pouvait y tendre, soit en faisant examiner de nouveau les témoins entendus dans l'enquête prélimi- naire confornK'ment à des articles de réru/ement , soit en soumettant aux juges (les arlirles j/rolnihles de sa non-participation au crime, le tout connue il trouvait le mieux convenir. Le déchargeant répondait au surplus et agissait par l'organe du prociu'eur ou du facteur qu'il avait constitué en cause; mais, « porveu qu'il sera tenu » de respondre à tous articles d'inq)ositions, personnellement, par-devant )) qiiehpie justice ou notaire admis et cogneu, en présence des témoins; » el pourvu que d'avance le procureur ou facteur acceptât la charge de renouveler jiidicielh')neiil la réponse de l'accusé et de poursuivre la cause ultérieurement, (les dernières obligations, inq)osées par la réformalion de Groislieeck , exis- taient encore à la lin de l'ancien n'ginu'. Sohet nous en est témoin. En der- nièi'c analyse, le \('rilal»le procès en décliai'ge se poursuivait pour ainsi dire à l'ordinaire '\ Nous rappelons seulement pour UK-moire cpie la procédure suivie contre les iiccusés en areii sur an cri du peiron, se développait de la même manière (pif la itrorédiirc en décliarge à pied libre. ' Sti/icile 1719, p. 44. ^ Idvm , |). VV. — SoiiCT, oiiv. cilr. livi'c V, lilrr XLVll, n' '2. ^ SdiiKT, oiiv. cin', livre V, (itie XI. VII, ii" 3; lilrc XI.IV, cliapitrc III, n° 51). ~ licfonnatinii (Ir (iroislircik , cli.iiiilrc .XIV, iiiliclc 10. l)A>S L'ANCIENNE PRINCIPALTÉ DE LIÈGE. 741 Mais, à coli' de cette action en dérltarf/e la plus commune, il y en avait une autre qui avait avec elle des analogies. Nous n'en dirons qu'un mot parce (|ue son importance était très-accessoire. Lorsqu'un Liégeois était didanié publiquement à l'occasion d'un lait dont il se prétendait iimocent, ou lorsqu'il avait connaissance d'un rapport ou d'une dénonciation laite contre lui, il \)(m\a\l prévenir les accusateurs et l'olTicier criminel. Il les faisait citer devant les juges criminels compétents pourvoir déduire les preuves de son innocence et s'entendre imposer un silence per- pétuel. Cette action ressemblait beaucoup à celle qu'on appelait dans les Pays- Bas autricbiens juufje criminelle. Elle n'empécbait et n'arrêtait, en aucun cas, la procédure que croNaienl utile d'intenter l'olficier de justice ou les parties lésées; elle ne pouvait, en aucun cas, mettre obstacle à l'exécution dun décret de prise de corps '. Sans y insister, nous passons à ce (pii concerne la procédure par contu- mace, loujoiu-s en matière de grand crinniiel, et contre un juyé appréhen- sihlr . fugilifou latitant. ^ \. — De 1(1 procédure jiar contumace. Lnrsipnm jitip' apprêhensihle était fiif/itif ou latilanl , et (pie partant le décret de capture n'avait pu èlre exécute contre lui, on commençait par annoter ses biens et par les mettre sous séquestre par autorité de justice. Xj'annotation et le séquestre se taisaient au prolit des héritiers et non du fisc, |)uis(pie l;i confiscation des biens n'était pas admise dans le pays de Liège. Deux ou trois proches du décrété étaient appelés pour être présents aux opérations; et l'un d'eux pouvait même être nommé curateur, à charge (le doiHïer caution et de jurer cpi'il administrerait lidèlement et qu'il ne trans- nieltrail aucune portion des revenus au fugitif. Au besoin, on défendait par décret aux débiteurs de rien payer à ce dernier; à lui-même de vendre ses biens. On réglait en même tenq)s les ressources dont pourraient disposer sa ' SoHET, ouv. lité, livre V, titre XLVII , n°* 1 et "2. — Slijh' de 1779, p. ôlj, etc. 742 ESSAI SUR LIUSTOIRE DU DKOlï CRIMINEL fonimo et SOS cnfitiils '. D'après les couluines du pays de Looz, les olliciersel les seigneurs avnient, du lesle, un droit de préféreuce sur la loituue du déei'élé pour récupérer les frais de justice, du joiu- où le faihicl a\ait été pul)li(pieuient f('niu' ou connu dans le (piartier '-. Conloiiiiénient à Ynlil de 11 U), les odiciers criminels et les seigneurs étaieni Iciius de faire nlW'riemc puurmilc contre les décrétés fugitifs, fus- sent-ils niènie en pa\s étranger, jusqu'à condanniation délinilixe et exécu- tion en effi(jiv inclusivement. Les parties lésées avaient le droit de continuer elles-mêmes la pi-océdure <>n cas d'inaction de la partie puhlicpu' ^. L'antique prali(pie du forjiif/enient avait ainsi disparu et était tombée en désu(''lude. ISaiiiiold/ioii (U's hiens étant faite, rolliciei' criminel ou la partie poursui- vante faisaient donc citer édiclah'iiicHl le décrété à comparaître , pour voir poursui\i"e son procès, et à (leur rcjiriscs (h'/fnrufes. Chaque citation était à quinzaine. Elle contenait mention du nom du fugitif et du crime à Toccasion duquel il avait été jugé appréliensible. Elle était proclamée par un sergent, dans le lieu ordinaii-e i\oi> plaids (jénêrmu ou un jurrou, au son du tand)our, de cloche ou de trompette, puis intimée au domicile du fugitif et enlin allichée (t. ■ SidiKT, our. ciit-, liMv \\ liiir \l.\\ , u" II. 1-2; liiic XI.N 11, i\ 10; lilri' XI.V, n" li. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 745 obéissance d" être jugé appréhensible '. Dans le premier cas, si le décrété niait l'existence de la fume pnblique qui courait contre lui, ou celle des indices qui le chargeaient, c'était à la partie poursuivante qu'il appartenait d'établir le fondement de son action en prouvant la réalité des faits (ju'elle avait avancés. Cette preuve étant faite, le décrété devait faire consler de son innocence. Quelquefois il était admis à se justifier par la puryation cano- nique; d'autres fois il était astreint à fournir ime piiryution léyah', el alors à recourir à une véritable aclion en décharge. La purgation légale, en effet, consistait à prouver l'existence d'un alibi ou de toute autre preuve à décharge directe et pérenqiloire. La purgation canoni(jue ressemblait à l'ancienne «'preuve des conjurateurs. Le décrété, admis à la faire, jurait qu'il était inno- cent, et produisait aussitôt un certain nombre de garants de sa véracité. Il est à remarquer qu'un accusé, après avoir fait la purgation canonirpir. était absous et déclaré irréprochable, mais seulement jus(pi'au moment où Ton pourrait le convaincre de culpabilité par une aclion ordinaire -. Dans le second cas, il existait déjà une preuve régulièrement acquise contre le décrété, el c'était à lui, par la force même des choses, à la détruire. Loi-que le commund de se purger k peine iVèlre jugé uppréhensible avait été prononcé, l'olïicier criminel conunenvait par en lever au grelTe une copie ou expédition authentique, et par la faire intimer personnellement à l'accusé. Les trente jours élanl expirés, si l'intimé n'avait pas fait opposition ou cilé l'oflicier pour voir déclarer la nullité du command , l'olïicier comparaissait une seconde fois au grelTe. Il demandait qu'on lui adjugeai le prolll du défaut, c'est-à-dire un décret d'a[)préhension; el, si l'action était inleiUée devant une cour hussL', porlenient du piocès à Liège pour avoir les rencharges des échevins de la Cité. Nous ne reviendrons plus sur riivpothèse où le décret d'appréhension était efl'eclivement rendu contre le commandé récalci- trant. On n'a qu'à recourir, en ce qui concerne la procédure à sui\re, à ce (pie nous avons dit dans les paragraphes précédents. L'accusé qui obtempérait aa command agissait à peu près comme le ellerions aujourd'hui l'enquête directe de l'onicier, il lui était libre de coitlre-jirouver. En effet, comme le remanjue expressément le Stijte de il! 9, un accusé au pays de Liège n'était jamais seclns de prouver contre ses charges et accusations. Le cas échéant, il déduisait donc articles prohahles relatifs aux faits qu'il \oulail établir; il les exhibait an rôle; demandait à être admis à preuve, et à ce que l'officiel- jurât, de son côté, de ne pas suborner les témoins à produire, sinon à pou- \oir lui-même faire entendre ces derniers sans connnuiii(|iier leurs noms an préalable. • La procédure recommeiiçail alors el se développait, en c(> ipii concerne l'enquête contraire, absolument comme en ce qui concernait l'enquête directe. L'accusé et son accusateur combattaient à armes légales dans toute la force du terme ^ L'enquête contraire étant publiée et jointe aux actes du procès, la cour, à • Sitjle de 1779, pp. 128, 129. - Idem, p. 129. ^ Idem, pp. 129, 1 50. * Idem, p]). 130 et suivantes. 750 ESSAI SLR LIIISTOIRE DL DROIT CRIMINEL la re(|iioli' de runc ou deraiitrc dos parlios, ordonnait par décret de j/iirificr le (h'cret (l'dcld . et aux facteurs de rejoindre les pièces dans les trois jours, faute de (|iioi le plus diligent (rentre eux déposerait seul le procès complet. Chacune des parties était encore admise à produire des écrits conimunicabio tendant, soit à faire valoir ses propres preuves, soit à combattre celles de son adversaire. La cour portait ensuite les décrets de purifier fuudemeid, puis de rejoindre de tiers jours en tiers jours. Les facteurs convenaient d'un jour pour déposer les pièces, et le plus diligent intimait jour et heure fixes à son adversaire. Tous les deux ensemble ils comparaissaient à l'heure dite au greffe, demandaient respectivement droit, cl porfeuicul du procès en rencharge à la souveraine justice si la procédure avait été l'aile devant une cour basse. La cour ordoiniait h portement : et, quand les rencliaryes étaient revenues, rolli- cier les faisait liosporter et prononcer par la cour basse, après avoir fait citer l'accusé poui- ouïr droit '. Il est à remarquer que ni rollicier poursuivant, ni le défendeur sursmnt, poursuivi à l'ordinaire, n'étaient tenus de donner caution pour les dépens dti litige -. Passons maintenant à un dernier paragraphe concernant la procé- dure criminelle des cours séculières, et voyons connnent se poursuivait l'ac- tion pul)li(iue lorsqu'elle tendait à l'application d'une simple amende. ,^ XIIL — De ta procédure en )ntitière d'infractions jmnissableii • de simples amendes. La procédure sui\ie en matière d"inlraclioiis |)unissables de simples amendes dilTérait suivant que l'amende éventuellement encourue était ou non moindre de cin(| llorins de Hrabant. Lorsqu'un oflicier devait agir contre un individu, pour le faire condanmer aune nn'nime amende, il pouvait suivre ime procéchne sinq)le et sonnnaire. ' Style lie /775, pp. 133 et siiivaiiu-s. - SoiiCT.diiv. liti', livre V. litre XI.VI. ri" "i. DANS L ANCIEiMVE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 7al II faisait ajourner rindividu à jour fixe pour se voir condamner, en préci- sant dans la citation le fait à l'occasion duquel elle était lancée K Si l'ajourné comparaissait et niait l'infraction qu'on lui imputait, on pro- cédait à une enquête sommaire et immédiate; et, dès que les témoins, tant à charge qu'à décharge, étaient entendus, la cour faisait droit suivant la teneur de leurs dépositions -. Si l'ajourné ne comparaissait pas, la plupart des officiers liégeois, à la fin de l'ancien régime, avaient coutume de demander à la cour heure wardée , de lancer une seconde assignation, et, sur le (lennà ou second défaut, de demander enfin à la cour un décret ou une sentence condamnatoire conforme au premier ajournement, sous peine de bannissement"'. Lorsque la cour avait rendu le décret demandé, et que celui-ci était enre- gistré au grelïe, l'oflicier faisait citer le délincpiant condamné par wmmand (le tiers Jours , pour cpi'il eut à pa>er ramendc prononcée contre lui. Puis, les trois jours écoulés, sans que le délinquant eût payé ou formé opposition à sa condamnation, l'oflicier le faisait crier banni par un huissier de la cour *. Dès ce moment, comme dit le Style de 1779, le délinquant était « légitime- » ment convaincu exécutable tant dans sa personne que ses biens ^. » Lorsque, au contraire, un officier devait agir contre un individu pour le faire condamner à une amende supérieure à cinq florins de Brabant . la pru- dence l'engageait à suivre une procédure régulière, analogue à celle dont nous avons parlé au paragra|)he précédent *"'. Les principes généraux de l'or- ganisation judiciaire du pays, en (îffet, demandaient que la condamnation contradicloire ou par défaut de l'accusé ne fût prononcée qu'à la rencharge des juges souverains du pays". Il esta remarciuer, toutefois, qu'en matière de poursuite aux fins de condamnation à une sim|)le amende, l'officier ne demandait à être admis à pi-etive, contre un accusé comparaissant, que si ce • Slylc ik 1779, ]t.\i-2. - SoHET, ouv. citii, livre V, litre XXX, n" 15; titre XLVI , n" ',1. "' Idem, livre Y, litre XLVI, ii" lL>. —Style de 1779, pp. 142, 145. * Idem, livre V, titre XXX, n" |-2. — Idem, pp. 144, 140. •■ Page 140. '' Style de 1779, p. 14">. ' idem, pp. 14.) et suivantes. 7:j2 KSSAI sir LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL dernier iikiit le fait impiili'. Si raccusé ovumùl le l'ait, i'oflicier |)ou\ail (leniaïuler aussitôt qu'il lïil fait droit sur sa poursuite '. De iiièinc, dans le cas où l'accusé faisait défaut, il sendjie que l'ollicier eût la faculté de requérir |)ar rencharf/e de la souveraine justice renseiiinemeiit coiifessi -. 11 nous reste enfin, pour terminer ce chapitre, à jeter un coup d'ieil som- maire sur les principes généraux qui dominaient la procédure criminelle de> cours d'éiïlise au XVIII'" siècle. !^ XI\'. — De lu procédure criminelle usitée dans les cours d'ci trErnest d'Aulriche, concernant la juridiction séculière, parce que ceux-ci, comme nous l'avons vu, n'avaient jamais eu force de loi •''. {•arjui les sources jiu-idicpu's ohUyatoires . que nous \enons de citer, les phis inq)ortantes au point de vue de la procèdiu-e élaienl : la réformation de (iroisbeecl;, Védit de 17 Ht [)ublié a\ec le concours d(;s états, ainsi que les ' CcmroiiiK'iiiciil à un iliplomi; iiupi'iial tic ITi'.l, cl ii un oïlil ilii "'0 Juilli't M'.i-l, les (Thcxiiis m; |)()u\aiciil pas refiiscr cK- iiictlrc en gurde ilt; loi les manilomciils cnwncs de raiilorile légi- linu'. - Siiin;i, oiiv. litr, Trailé jirrliinliiuire, tilrc VI. ir ■ (i, IS, 1'.', '2'K •1\, '23, 31, T-,-2, 33, 3î, 'lO, 41, '_•, etc., d'iiprùs Méan , île Malu-, Loumtx, Zoiii . Cliokier, Bouille, etc. '■ Sdiir.T, iiMV. l'iii', Tniitr jirrliniiNuin' , litre VI . n"" 31, 3'2 , 33, 3'i, 37, 3!l. DAiVS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 7o7 (lilTéronls (klils, inniidemenls, déclarations qui s'y i-altachaiont. A la fin du XVIIl siècle, la ré formation de Groisbeeck était encore observée dans sa forme et teneur, sauf dans quelques points abi'ogés par coutume contraire, ou modifiés par Yvdil (h' Il td lui-même '. Au point de vue du droit pénal et des principes généraux du droit de punir, la source la plus inipoi'lante était encoi-e la CnroJinc deCliarles-Quinl, car les édils de itolict- des princes évèques étaient loin de constituer un code pénal: ils ne stipulaient que par rapport à un bien petit nombre d'infractions. La Caroline était applicable, comme au XVI^ siècle, tant aux bourgeois des villes qu'aux simples sarcéanfs, à moins que les coutiunes légitimes ou les (■dits nationaux n'y dérogeasseni spécialement -. Les juges liégeois n'avaient pas au XYIII" siècle le droit d'incriminer des actes qui avaient complètement échappé aux pré\ isions du législateur ou aux prescriptions de la coulume aniirpu'. Ils respectaient le principe énoncé par Tuldenus : niniK/iKiin /xcikic loriiin esse nisi iihi a (er/e disserté eonstitiiitur '. CependanI, connue les incriminations des édits, des raittatnes.de lu ('.(iroline, du droit romain, n'a\ aient pas, à beaucoup près, la pi'c'cision à la(|uelle \isenl les textes de nos lois criminelles modernes, les juges avaient jusqu'à un cer- lain point le dniil de les étendre \vm- analogie : le droit d"inler|)réler large- iiicnl la \olont(' é\idente du législateur pour l'appliquer aux cas particuliers (pii se piésentaieiit devant eux ''. En ce (|ui concerne le choix des pénalités à aj)pli(|U('r aux delinipiants, le pouvoir discrétionnaire des juges liégeois n'c'Iail pas moindre que celui des juges des Pays-Bas auliichiens. La force obligatoire de la Caroline, (jui prévoyait la plupart des infraclions de f/raiid criminel . u'} mettait liuère (le limites. ' SoriET, oiiv. ciU' , Tniilv j)réliiiiiiiaiie , titre VI, n" 38. Voir au siirplMS passiiii diins le tlia- pilre préfédcnt qui traite de la provi'dure. - SoHET, ouv. cite, livre V, litre XXVl, n" I. — IIqdin, ouv. eilé, 1. 1", p. 571. — .Manifeste lies liclievins, pp. 7± 73. — Réfittation du manifeste, p. 124, m fine, etc., et anjuiiiriil de leurs iiidicnlions. '' Tuldenus , code, livre I.X, titre XLVI , n° t, de Pœnis. * On se rappelle que ce pouvoir extensif était expressénicnl mentionné par les nnciens Statuts. 7d8 essai sir LIIISTOIRK 01 DROIT CRIMINKL Sohet s'itppiopriait le principo de Dainlioiuler : (pie le jui>e devait iip|)li- qiier les peines coniminées par les lois et |)ai- les coutumes. Mais il ajoutait aussitôt : (pie le jujie pouvait augineiitei- ou diniimier ces peines (piaud il \ avait une raison in-ycnlf '. La Caroline, de son coté, \oulait (jue dans tous les cas le juiie, dans le choix de la peine, eût c'gard aux circonstances du lait et à la condition des personnes "-. Elle enjoi.gnait aux juives d'appliipier les peines corporelles coniniin(!'es par le droit romain, mais elle laissait à leur a|)pr(''cialion la (pi(\stion de sa\oii' si les anciens supplices s\iccor mai 172!), l(i iiovendjre 17/(0, axcc les ordonnances réno\atrices ' Sohet, ouv. cité, livre V, lilic XX. n" -1. - In proaemium, § !). — Sohet, ouv. cité, livre V, liiic XX. ii' .">. '' Ciiapitre CIV. — Sohht, ouv. cité, livre V, litre .XXVI, ir"2. * Chapitres CXCIII, CXCIV. — .Sohet, ouv. cité, litre V, titre .XXVI. ii - ir>, l'i. ^ Cli;i|)itre CV. — Sohet, ouv. rite, li\re V. litre XX, n' 5. •' Insliltilioiis (lu droit licIf/K/iH', \i. ")ô(>. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 7o9 (le 1773 et 1784.,20 juin 1765, etc. ^ La jurisprudence liégeoise coniiaissail donc, elle aussi, la dislinction doctrinale des peines ordinaires et des peines extraordinaires : les premières comniinées spécifiquement par un texte légal ([uelconque; les autres ne dépendant que de Varbitrofje du magistrat. Seule- ment, en vertu d"un texte exprès de la Caroline, les juges liégeois, non plus (pie les juges allemands, ne pouvaient jamais de leur chef, c'est-à-dire discrétionnairement, condanmer un délinquant à une peine corporelle ou infa- mante sinon dans les cas spécifiés par le droit romain ou par les conslitu- lions de Tempire -. Le pouvoir discrétionnaire des juges avait des inconvé- nients qu'il est inutile d'énumérer, parce qu'ils frappent tout le monde. Il est à remarquer, néanmoins, (pie ces inconvénients étaient moindres à Liège (pi'ailleurs grâce à la renc/iarf/e. Celle-ci faisait, au moins, que la ré|)i'ession fût uniforme dans le pays entier. D'autre part, en présence d'un code pénal (pii n'avait plus changé depuis deux siècles el demi, la Caroline, la liberté d'allures laissée aux éclievins de Li(^ge leur permettait seule de maintenir certains rappoils enire l'élal d(!s nneurs et les peiiKîS employées. Aucun document liégeois des trois derniers siècles ne proclame en termes explicites la noii-relroaclivilé des lois pénales. Cependant nous osons dire, en présence de l'cnseinhle i.W^ principes juiidi(|ues admis dans le pays, que cette règle clail (diservée comme dans les principautés voisines. Quand des juges liégeois avaient prononcé une sentence criminelle ils ne pouvaient plus ni la changer ni la modifier : « simul , » dit le Stijle de 1719, « atquejiidex senlenciam dixil, judex esse desinit nec amplius poti^st sen- » lenciam corrigere, semel seii henè vel malè ollicio functus est ■"'. » Comme il n'y avait pas d'appel en matière criminelle quand les juges, après le prononcé de la condamnalion, ac(piéraient une certitude absolue d'avoir mal jugé, ils n'avaient d'autre ressource que de recourir au prince et d'appeler d'eux- mêmes l'intervenlioii du droit de grâce de celui-ci ^ La Caroline prévoyait ' PoLAiN, oiiv. cilc', 'i' et y^ série, à It'iii' dnte. - SoHET, oiiv. cili', livre V, dire XXVI, n" ô. Dans les Pays-Uas on discnlnit l'n iJœorie si nne jieinf urbitniire ponAail s'étendre jusqu'à la peine de mort, s Stfjlede 177!), p. ill. * Analogue, iili'iii. 760 ESSAI SLR LHISTOIRE DL DROIT CRIMINKL le cas ou un coiulamné, conduit au supplice, révoquait les aveux (|u"il a\ail faits lihicinout. Elle invitait les jujjos à consulter alors leurs supérieurs ou îles juiisconsultes pour savoir ce qu'ils devaient l'aire '. Cliapeaville cite, a propos de Tannée 1009, un cas où les éclie\ins de Liège recoururent dans Tespèce au Conseil privé -. On ne donnait pas encore au XN'IIL siècle à la maxime nun bis in idciit la portée absolue qu'elle a de nos jours. 1" Quand im individu chariré par une enquête (/éucnilc a\ait lait à Liège devant hi el /'rancltisc des (lécliurges suf- fisantes, il n'était en aucune façon à couvert contre une poursuite nouvelle, par î;o/6' ouverte, intentée par Toflicier sur d'autres « |)i"euves et circonstances » venues à sa connaissance "'. » 2" Quand un Liégeois avait connnis une infrac- tion de for mixte, lessoitissant à la fois à la juridiction séculière et à la juri- diction e(Tlèsiastique sans donnei' lieu à precenlion, il pouvait être pour- suivi deux fois à raison du même fait. Nous nous bornerons à citer sur ce point le cas d'homicide perpétré dans une église de Liège, dont nous avons déjà i)arlé dans le livre précédent '. 3" En pratique la plupart des sentences (lOsolutoires n'étaient que sus|)ensives. Elles se bornaient à renvoyer les délin(|uants (jao usqiie, avec leurs charyes, en laissant toujoui'S subsister la possibilité d'une poursuite nouvelle à raison du délit qui avait fait Tobjet de l'instance aNortée"*. 4" Lorsque, enlin, un homicide avait été commis dans la Cité et banlieue de Liège \e faituel encourait, outre la |)eine ordinaire et capi- tale, l'ancienne peine .N7»/»/^///r, extiaordinaire, du roi/oi/ed'oiitre-iner ii untni (/es/»///, rappiication de cliaipie peine donnait lieu à un procès indépendant. Le foi fuel dcNajt faire a\ant tout ses décharges de la peine statutaire de\aut loi et frunehise « et ce fait, » disaient les coutumes, « demeure néantmoins en » l;i (liasse de l'ollicier du seigneur et de la |)artie oITensèe, pour la |)eine » ordinaire. » Le procès pour la peine oiilinaire pouvait toujours être fait au faitueL an lieu de son appréhension : «et n'empesche le procès sur la peine ' C«ro/(ji<', cliiipiiro XCI. * Tome lli, piige (iG(). "" lirfoimiitioii (/(' I6SÎ, cii'lick' 'il. * Voir ce (iiic nous avons dit mi cliapili'c de l;i coiiiikUimici.'. ■' Voir ce i|iii' Jioiis vivons dil plus liant an piiragra|ilic dn procès n l\'xlnwrdiiiaive, l'ubriqiic de la Sfnli'itvc. Le inénic lait se [irodiiisait dans les I'a)s-I!as anlrieliiens. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. "(il » extraorcliiiiiiro (lu'il ne soit procédé à la peine oiJinaire de rniilhorilé du » juge ou partie ol'fenséc l'aurait fait saisir '. » En résumé on peut, senible-t-il, caractériser la portée de la maxime non bis in idem dans l'ancien régime liégeois, au moyen des deux règles sui- vantes : 1° Nul /r///(/('/ (sauf celui (pii avait commis un liomicido dans la Cité et sa Ui\n\\eue) roiKlmiiiié à raison d'une infraction à une /x'iiie, n'était traduit une seconde fois à raison de celle même infi-aclion devant le for où il avait déjà comparu ; 2" Nul failncl (pii avait obtenu sa grâce, après avoir satisfait à la partie lésée et au besoin au seigneur particulier du lieu du délit, n'élail rechercbé ni rechercbable à l'occasion de l'inlraclion converti' par la clémence du souverain. Celle dernière règle esl établie (rune façon assez précise par l'article 20 du obapilre XIV des Points man/Kés pour couiiinie.i -. La pre- mière ressort de l'esprit général qui imprègne les monuments de l'époque •'. Très-souvent un délincpiant, à l'occasion d'un seul fait matériel, eiicourail suivant les usages liégeois deux peines différentes qui ne pn'judiciaienl pas l'une à l'autre. C'était le cas du /«//»('/ qui avait fait un bomicidesoit dans une église, soit dans la Cité ou sa banlieue; c'était le cas du failucl auteur d'une agres- sion, non provoquée, avec armes, bâtons, armes déloyales ou défendues. Nous avons déjà parlé du premier. Nous nous bornerons à dire du second qu'outre une peine spéciale de pèlerinage ou de mutilation, à i-aison de l'agression même, il encourait encore la peine spéciale de la bourinne ou des blessures qu'il avait infligées ''. Il esl à remarquer, toutefois, que ra|)plicalion de la peine capitale absorbait toutes les autres peines que le délimpianl pouvait avoir méritées à l'occasion de son infraction •'. En cas d'bomicide dans une ' Poinls inurqui's piiur coutumes , clwiintrc XIV, iirliclcs 0, 7, S, 'J, 10. Il, 1^. "^ Voir encore SoiiiiT, oiiv. cilé, livre V, litre XXXI, n" 1."). 5 Voir, par exemple, les Statuts consistoriaux de 1615, cha|)itrc IV, luiidc 0; a(in qu'une personne ne soit pns traviiillce par-dcvanl plusieurs juges ecrlcsiastiqucs à raison d'un même excès, ils défendent aux procureurs fiscaux de promouvoir enquête sinon après s'être assurés à rofîiee du grand seel s'ils ne sont pas prévenus. * SoBET, ouv. cité, livre V, litre XI, n°' 2(i, 27; titre .XII, n"'-2i, 25. ^ SoHET, ouv. cilé, livre V, titre XXVI, n" IG. — Louvuex, Disavrliitioiis t(nioniqtics, dis- sertation 10, n° 53. Tome XXXVIII. Î^C 762 ESSAI SUR LIHSTOIRE DU DROIT CRIMINEL «'jîliso, elle arrêtait net la procédure commencée devant le juge ecclésiastique; en cas (riiomicide commis dans la Cité ou la franchise, elle empêchait par la force même des choses Tapplication de la coie d'ouire-mer. Mais le cumul des peines proprement dit était-il admis? Quand un délin- (|uant était condamné à raison de plusieurs infractions différentes, le juge devait-il lui appliquer toutes les peines de ces diverses infractions, ou hien la peine la plus forte absorbait-elle la peine la plus faible? C'est ce que nous n'oserions décider expressément. Nous croyons toutefois pouvoir appliquer au pays de Liège la règle énoncée par un criminaliste des Pays-Bas autri- chiens à la fin de l'ancien régime : « En général, nous tenons pour principe » que : poena major absorbet minorem. En conséquence, si quelqu'un a » commis un crime qui mérite la fustigation et un autre la hart, il ne sera » que pendu; mais si les deux crimes sont également atroces, que tous les >> deux méritent la mort, comme alors une peine ne peut absorber l'autre, » le supplice de la mort sera accompagné d'une autre souffrance telle que » les tenailles '. » Dans le pays de Liège, quand un délinquant était condamné à une amende (învers la partie |)ul)li(|ue, et à une amende ou répai-ation envers la partie lésée, et qu'il n'était pas solvable pour le tout, l'amende envers la partie publique devait être payée de préférence à l'autre. Cependant, conformément à la Caroline, la restitution de la chose volée ou de sa \aleur passait avant tout '^. Soliet, en se fondant sur un texte d'Ezéchiel et sur plusieurs textes du droit romain, déclarait (|ue les délits étaient personnels : que, en conséquence, les [ils ne devaient pas être punis pour les pères, ni les pères pour les fils '\ CependanI il \ avait des exceptions à cette règle. D'ime part, Sohet Im-même, s'inspirant du droit romain et des enseigne- ments du jurisconsulte La Hamayde, écrivait que les enfants d'un criminel convaincu du crime de lèse-majesté étaient notés (rinfamie, incapables de posséder aucune charge, incapables de succéder par testament à qui que ce ' l'oi i.Li.T, -J"" .Ui'iiwireiiur ininieu droil rrimiiicl dans le (liiclié de BiuIkiiiI cili' . j). ">7.S. - SoiiKT, (HIV. cilc, livre V, liire X.W , n° 14. — Caioline, clia|). CLVIl, clo. ^ Ouvrngi' ci^', livi'c V, lilrc l", n" 1 1 . DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 763 lïit; incapables de succéder ab intestat, même à leurs proches, étant destinés par les lois à demeurer toujours dans l'obscurité et misérables '. D'autre part, il rappelait qu'un grand nombre d'édits, concernant des matières spéciales, rendaient responsables au point de vue non-seulement des dommages et intérêts, mais encore de ï amende pénale et même de peines plus sévères, les parents et les maîtres à raison des infractions commises par leurs enfants ou par leurs domestiques -. Sur le premier point, Sohet s'abusait évidemment. Les théories barbares qu'il résumait n'avaient plus cours au XVIII* siècle dans la principauté de Liège, non plus que dans les Pays-Bas autrichiens ■'. Sur le second point, au contraire, il parlait ayant des textes précis sous les yeux, des textes fondés sur cette idée que les parents et les maîtres avaient été à même d'empêcher les délits commis par des enfants , en puis- sance paternelle, et par des valets vivant les uns et les autres avec eux. Citons en passant quelques-uns des édits auxquels Sohet fait allusion. Les édits du 3 juillet 1565 et du 12 août 1573 rendaient les parents et les maîtres rechcrchables pour l'amende encourue par leurs enfants mineurs et par leurs valets, du chef de maraudage de fruits et de donmiages causés dans les vignobles et dans les cotillages. L'article 45 des anciens privilèges de Hasselt ordonnait Aq punir les parents d'un enfant de moins de quatorze ans, encore en leur puissance, qui blasphémait ; à moins qu'ils ne prouvas- sent avoir déjà châtié et baitu leur enfant d'une façon pertinente à Toccasion de blasphèmes proférés par lui. L'édit du 4 juillet 1G89 défendait le> attroupements de femmes et déjeunes gens poui- empêcher la perception des impôts, sous peine d'encourir les peines du crime de lèse-majesté. Il ajoutait que les pères et les maris seraient punis, le cas échéant, de peines pareilles ou même plus rigoureuses. L'édit du 10 mai 1747 rendait les parents responsables des amendes encourues par leurs enfants, sous puissance paternelle, du chef de vol de bois. • Ouv. cite, livre V, titre VllI, n» 11. - Idem, livre I", titre LXXI, n"' 29 et suivants; titre XCVl. n° ii, etc. — l[oi)i\, oin. eilé, t. m, p. i5r.. '■ PouLLET. ;2'"' .Wàtioirt sur t'ancien tiroil criminel dans le ihivlté de lirahont lité, |). \'t'2. lU KSSVI SIU LIllSTOlKK DU DROIT CKIMIMX Les édils du :29 iiovciiibic I 729, du 1'^' décembre 1 732, du 3 1 janvior 1 735, du 2.-) jauviei' 173G, du 23 novembre 17G3, reudaient responsables, au point de vue pénal, des délits commis par leurs enfants ou par leurs valets, les parents et ks maîtres, en matière de cliarivaris, d'insultes |)roférées contre le bourreau, de mascarades détendues, ({"attroupements armés, d'at- Iroupenients et de bruits injurieux devant les casernes, etc. '. Les Points inarqiu's pour coutumes précisaient Fétendue de la responsabi- lité des parents au point de vue des réparations civiles dues pai- un (ils de lamiili' à Toccasion d'un délit. Cette responsabilité s'étendait «jusqu'à la tierce » parte coutumière des immeubles qui pourront compéter à reniant, comme » si le lit eût été brisé au temps du délit. » Elle n'avait pas lieu, en prin- cipe, en ce qui concernait les résultats de l'action publicpie. Elle cessait si le lils de lamille était excusable, ou si l'infraction conunise par lui avait été perp('lr<'e bors du pays "-. Ilcmanpions en passant (pi'un cdit du 23 septembre i 7 11, envoyé au bailliage d'Enlre-Sand)re-el-Meuse, rendait les communautés responsables des vols commis cliez elles par des vajj;abonds ou des voleurs de grand cbemin, (|uanil il ne s'était pas fait de per(]uisition, de saisie, ou de dénonciation des malfaiteurs "'. Lors(|ue les parents ou les maîtres avaient donné à leurs enfants ou à leurs domesli(pies mi \('iitable mandat criminel, les j)rin(ipes que nous \enons de lésumer étaient inapplicables. On rentrait alors dans la tbéorie giMicrale de !"impnlabilit('' dont nous allons parler aussitôt. De riiii|>(it,'il)ililé. Les jurisconsultes liégeois, d'accord avec le droit romain, avec la Caro- line cl a\ec le-, enseignements de la docti'ine, partaient du principe qu'en matière d"impulal)ililé il fallait tenir compte de l'intention du coupable plus ' l'oi. MN , ou\ . (.iir , -2' et ô" st'-i'ii" , à leur dale. * l'niiil.'i Hiiir/iiicx junir ruiiliniii's, clmphrc l'^ jirlii-lc ti. — IIodi.v, oiiv. cité , t. lil, p. 157. — )li AN, Obsi'i'Viilioii 45!), ii" I ci i. "' Poi. M\. (HIV. cill-, -1 vil liillc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 765 (|uc de racle malériel perpétré par lui. En conséquence, ils admettaient la distinction h'ifitinie et primordiale des délits doleux et des délits cul- peux '. L'agent d'un fait délictueux n'était considéré comme coupable de ce fait que s'il avait agi intciilionneltcnicnt, c'est-à-dire par dol, avec volonté de nuire. Il était considéré seulement comme coupable d'une faute plus ou moins grande, s'il avait commis le l'ail matériellement délictueux sans volonté de nuire, par simple négligence ou par imprudence inq)utable. Dans le premier cas, il encourait la peine ordinaire du crime ; dans le second, une peine propor- tionnée à la foute qu'il avait commise. Ainsi, par exemple, l'homme qui avait commis un incendie de |)ropos délibéré encourait la peine du feu; l'homme qui avait commis un incendie sans malice et par imprudence n'encourait qu'une amende propoilionnée à sa faute et l'obliiration de resti- tuer à la victime les donnnagcs et intérêts; l'homme qui avait commis un homicide |)ar imprudence, en se jouant, en plaisantant, n'était pas puni de la peine de mort -. Cependant le dol fjéiiéral siillisail pour rendre inie infraction commise entièrement inq)ulable. Si un individu tuait Paul, |)ar e\enq)le, ayant l'in- tention de tuer Pierre, malgré l'erreur matérielle dans laquelle il avait versé il devait être condamné comme homicide. De même, lorsque la volonté de nuire était constante, on ne recherchait pas si le délinipianl avait voulu et prévu d'avance tous les résultats de l'acte qu'il a\ ait fait. Qu'une femme exposât son enfant volontairement pour se dispenser de le nourrir, elle n'encourait (m\uw peine exemplaire : mais que Tenfant vint à mourir des suites de IVx- position, elle encourait la peine de mort. Qu'un homme infligeât à autrui et volontairement une blessure, et (pie la \ictime mourût des suites de celle-ci, surtout dans les quarante jours, cet homme encourait la peine de l'homl- ' SoMET. ouv. cité, livre V, litre 1", % 5; titre XI, ii' 5a; lilre XIX, ir I ; litre XX, ii" 4. — Caroline, eliapitres CXXXVill, CXIII, CLXXIX , etc. - SoHET, oiiv. liié, livre V, titre XIX, ii°' I, 2, o, 10, II, l'i; litre XI, n" hi; titre XV, n" 1, 2. — Caroline, chapitres CXLVI, CXX^^ — E dit de 1667, arlicles 5, 4, 14. — Houin, ouv. cité, t. III, p. 28. — Privili'ge de Hassell de /.ï77, article \li, etc. Ces privilèges, |)our exprimer rélénicnt intentionnel, se servaient souvant de l'expression nxtenllijke,mel opsatten wille, etc. — Réforniation de (iniisliceck, chapitre XVI, article final. 766 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL cide ^ Les résultais matériels de l'infraction doleuso innuitiont ainsi connue jadis sur sa répression; mais, comme nous le verrons plus loin, les anciens tarifs n'avaient pas conservé leur caractère étroitement absolu et impératif. En ce qui concerne les délils culpeu.r, l'agent criminel était toujours tenu de la faute la p/us légère au point de vue des dommages et intérêts ; an point de vue de la peine, il n'était tenu que d'une imprudence ou d'une négli- gence plus ou moins notable. Confoi'mément à la Caroline et à la réfoniia- tion (le Groisbeeek, par exemple, le charretier ignorant ou imprudent qui sans faute notable avait laissé renverser son chariot sur un passant, était passible de dommages intérêts , mais non d'une amende -. Eu conséquence des théories qui précèdent, les délits n'étaient imputables qu'à des agents intelUrjents et libres ; et l'absence d'intelligence, connue le cas fortuit et la force majeure, constituaient de véritables causes de justifi- cation. Sohet, d'accord avec la Caroline , justifiait ceux qui avaient connnis une infraction étant entièrement privés de l'usage de la raison: et, d'accord avec le droit romain, ceux qui avaient délinqué en dormant, c'est-à-dire les somnambules '. L'absence de raison pouvait résulter de la folie ou de WUic du délinquant, mais il est à remarquer que les enfants n'étaient pas, en principe, déclarés non punissables par la Caroline. Nous dirons plus loin quel- ques mots de ce qui les touche *. En ce qui concerne le cas fortuit, la Caroline ne pai-lait que de ï/iomicide. Elle justifiait l'homicide conmiis par pur hasard par un agent s'occupanl d'une chose licite, en temps et en lieu convenables; et, pour plus de clarté, elle donnait dilîérents exemples : celui du barbier rasant dans sa b()Uli(|ue, poussé par un tiers et coupant par cas fortuit la gorge à celui (pi"il rasait, etc. Quand le cas fortuit était complet, sans aucun mélange de faute imputable , l'obligation aux dommages et intérêts elle-même cessait de peser sur l'agent < SoiiET, ouv. cilé, livre V, litre XI, ii"' Un, 15; litre XU, ii"' I!', -20. — Curuliiic, cli;i|iitr.- CXLV, CXXXII , CXLVIl , CXLIX, argument de l'article I a du privilégv tiv y/(^^•.se/^ * Sohet. ouv. cité, livre V, titre XIX, n • "2, 8, 17. — Riformatioii de Giuinbeeck, ciiapiiri' XVI, articles 5, 4. — Caroline , chapitre CCXVIII. ' SoiiET, ouv. cite, livre V, titre XI , ii ôG. — Caroline, cliapilrcs CI. et CLXXIX. ♦ lileiu. idem.— Idem, chapitres CLXXIX, CI.IV. etc. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 767 matériel du fait '. La force majeure, dont nous n'avons trouvé aucune men- tion expresse, avait nécessairement les mêmes conséquences que lec«s fortuit. Jusqu'ici nous ne nous sommes occupé que des circonstances détruisant l'imputabilité de l'agent; disons un mot des circonstances qui détruisaient la criminalité intrinsèque du fait perpétré lui-même. Les principales de ces circonstances, dont nous trouvons des traces dans les monuments du droit liégeois ou dans les auteurs qui traitent de celui-ci, étaient : le cas d'extrême nécessité, l'exercice d'un droit, le consentement de la partie lésée, l'ordre de la loi ou de l'aulorité légitime, la légitime défense. Conformément à la Caroline, l'individu qui commettait un vol dans un cas iVextrènie nécessité, pour satisfaire à une faim pressante ou à un froid rigoureux, pour sauver ainsi la vie, soit à lui-même, soit à sa famille, n'était pas punissable. Il avait cependant l'obligation de restituer s'il revenait |)lus lard à une fortune meilleure -. Les eiiseigncmenls de la Caroline corroboraient ainsi ceux de Pantique Paweilhars national. Les parents (pii battaient leurs enfants , sans les estropier ni les mutiler, exerçaient encore un véritable droit. Ils n'étaient pas recbercbables en jus- lice. Ceux qui enfermaient leurs enfants chez eux, pendant un petit temps, n'étaient pas non plus censés commettre le crime de séquestration arbitraire. Mais, en cas de mutilation ou iVaffoulure, on ne tenait aucun compte des liens de parenté qui liaient le délinquant à la victime. D'autre part les parents liégeois ne pouvaient faire réellement emprisonner leurs enfants, surtout hors du pays, sans décret impélré à l'offîcialité de Liège ou au siège des cchevins, et produit au geôlier dans les trois jours de l'emprisonnement^. Le consentement de la partie lésée ne détruisait la criminalité du fait que dans certains cas. Cette circonstance était inopérante en matière d'itomicide , et de mutilations infligées à des tiers *; elle était même incapable de justifier ' SoiiET. ouv. cité, livre V, titre XI, n"' 52, 55; titre XIX, n" 10 et suivants. — Caroline, f liMpilrcs CXLVI, CL, etc. ■■î Caroline, chapitre CLXVI. — Sohet, ouv. cité, livre V, titre XIV, n° 5. "' Sohet, ouv. cité, livre V, titre XII, n" 32; livre I", titre LXXI, n" 25, 20, 27. — Privilège (le Ilussclt (le li>77, article 35. — Mandement de 1744, etc. — Paix de Suint-Jac(jues. * Pon-LET, 2""^ Mémoire sur l'ancien droit criminel dans le diiclié de Brahunt cité, p. 383. 768 ESSAI SUR LUISÏOIKK 1)1 DROIT CKIMIM-L le suicide ou les mulihilions f/yrtir-y (|iriiii lioinnio se siTiiil l;iilcs a liii-iiicnu', par exemple la cosiration K En revanclie, le coiisciilenieiit de la partie lésée était natiireliement exclusif du crime de viol, si la lemme était majeure; le conseiUeinent de la partie lésée était encore exclusif de toute criunnalilc" dans les infractions contre la propriété. Vofdif (le la loi ou dp l'auloriW' lo(/i(i>iic justiliaient dans une foule de cas les blessures infligées et même les homicides commis par les su|)pots de justice ou par les surcêanis (pii leur prêtaient main forte, ou cpii, par suite de certaines circonstances, remplissaient leurs fonctions. Ainsi, |)ar exemple, les olliciers criminels et leurs sergents a\ant Tobligation (i"appi-éliender un délin(piant, ne devaient pas se retirer devant la résistance à main armée que faisait ce dernier : ils pouvaient s'emparer de lui par violence, et alors, si leur vie était en danger mais autremcul pas, le tuer impunément -. Ainsi encore les fermiers et leurs domestiques qui, sans méchanceté, mais en appréhendant sur leurs hiens des maraudeurs, blessaient ces derniers, n'étaient pas punissables ^. Ainsi encore les sergents de justice, auxquels on voulait enlever de force un prisonnier, pouvaient blesser et tuer les assaillants s'il le fallait pour rester mailles du terrain, sans encourir aucinie espèce de lesponsabilité ni pénale ni civile "*. Ainsi encore quand des attroupements tunndlueux se formaient et mena- çaient de forcer les portes et les fenêtres de l'un ou Tautre bourgeois pai- sible, les Noisins et les siirci'aiis \enanl au secouis des gens menacés, sous le commandement des olliciers de justice, pouvaient impunément faire feu sur ces attroupements ^. Au XVIll"' siècle Sohet justiliait encore celui qui tuait un individu bamn' ' SoiiKT, ouv. cilô, livif V, lilrc XI, n"' I, ."i, 4, (l;\prcs D\Miiori)i:ii. le ilnut niiii.iiii, (l"anciciij Sliitiils iiis(''i'(''s (liiiis Miiiiigni'l, etc. * SoiiKT, ouv. titr, livre V, titre l.\, ii" f> et litre .\l, n" 48. — Caroline, cliaijiln' CL. — M.indpnicnts et éflits de IC'JI, 16911, t'j'j'». loiO, IG-28, 1717, 1739, elr. — Ilom.v, ouv. cité, t. III. ji. ir,6. 2 lliiil (lu 50 juillet IoGj; .analogues édils du 14 août i;)7.'j, du I" octobre 171 i, pour do;u- ni;igc causé dans les cotillagcs, etc. * Kdil du -H'i juillet I73fi. — Poi.aix, ouv. cité, .V série, t. Il . p. 6SI. ^ Manilcmvnt de 77.3.9. — IIodi.n, ouv. cité, t. III, p. Kiîi. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 769 sur peine eapiude et Iroiivé en rupture de Ijaii dans le pay^. Il est à reinai-- quer toutefois que Damhouder, dès le XVI'' siècle, disait qu'un tel homicide n'était « fort louable ni à priser ^» Le Liégeois, qui aurait cru de son devoir de prêter main-forte à la justice contre un proscrit, eût agi plus sûrement, croyons-nous, au point de vue du droit pénal autant qu'au point de vue de la morale, en le livrant sain et sauf à la justice -. Mais venons à la légitime défense. La cause de justification puisée dans lu légitime défense n'avait pas toujours été admise dans le droit liégeois; elle avait même eu bien de la peine à se naturaliser en matière d'homicide : nous ^a^ons vu dans les chapitres précédents. Au XVIII'' siècle la jurispru- dence liégeoise, a[)pu\ée tant sur la réfortnation de Groisheeck que sur la Caroline, l'admettait à peu près dans les mêmes limites que la jurispru- dence des principautés voisines. Nous n'oserions pas afiirmer cependant que l'antique obligation de faire ou de payer le voyage d'homicide fût tombée entièrement en désuétude. En ce qui concerne la légitime défense, la réformation de Groisheeck s'exprimait avec une réserve extrême : si Yaggressé , disait-elle, est telle- ment forcé pour la nécessaire défense de sa \ie qu'il tue l'aggresseur ou iuva- seur, « il en sera jugé et fait correction selon la disposition du droit commun )» prenant regard aux circonstances et mérites du fait''.» La Caroline, au contraire, était fort prolixe; elle entrait dans une foule de détails, de dis- tinctions et de sous-distinctions, et finissait par abandonner au juge lui-même le soin d'arbitrer si la défense était légitime ou non, et si elle était de natuie à justifier celui qui après avoir commis un homicide en revendiquait le béné- fice *. Sans entrer dans d'oiseux détails , nous nous bornerons à constater qu'il ressort, de l'ensemble des textes de la Caroline, que le législateur impérial subordonnait la légilimité de la défense à peu près aux mêmes conditions que les docteurs modernes. Il voulait nolannnenl : que l'homicide eût été ' SoHET, ouv. cité , livre V, titre XI , n" 5 1 . - Damhouder. Piactique des causes criminelles, cliapitre LXXVI. 5 Chapitre XV, article 8. ^ Ctiapitres CXXXIX, CXL, CXLI, CXLll, etc. Tome XXXVIII. i»7 770 KSSAl SLR L HISTOIRE Dl DROIT CRIMINEL coiisliliK' (Ml péril iniininont de sa vie, ou au moins, jusqu'il nn point difliciloà (h'tt'rniincr, ^A' .w/( honneur: (pic ce |)('M'il pro\int iruno airiiiossion injuste ou irratuilc, ou de la (h'I'cnse (pie riiomicide avait k'iïitinienieiil prise de ses jiarenls, de ses amis, ou nu'me d'un (étranger, injustement oppiinu's; que Pho- niioide n'eût pasexcéd(^ les limites d'uney».«f/e ^léfense , moderameii iiirulpalue tnte/ae, et qu'il n'eût pu éviter le péril qu'en tuant son advei-saire et non autrement '. C'était à celui (pii revendiquait le bénéfice de la légitime défense de prouver qu'il avait été attaqué ; c'(Hait à la partie poursuivante, au contraire, d'établir, le cas («cliéant, que l'accusé réellement attaqué avait dépassé les bornes de la modération -. Quand il n'y avait pas eu de témoins de la lutte, et (pi'un individu accusé d'bomicide prétendait avoir commis le lait en état de h'gitime défense, la Coro/ine lecommandait aux juges d(^ peser soigneusement le temps et le lieu du délit, ainsi que la vie, les iiKPurs, les tendances, h^s babiludes, de l'accusé et de sa victime ^. On ne considérait pas, en principe, comme couvert par la cause de justi- fication puisée dans la légitime di'fense, l'iiomicide commis par une personne (|ui défendait son bien. Cependant on permettait, d'une part , an propriétaire de poursuivre le volein- qui fuNait, pour lui enlever son butin, et, s'il se défen- dait à main armée, de l'abattre. On distinguait d'autre part le vol de nuit du vol de jour.On justifiait l'homicide du voletn- de nuit, parce (|u'on présumait (jue le propi-iétaire avait été mis par lui en danger de la vie. Ce propriétaire, disait-on , est toujours dans la presque impossibilité de savoir si le voleur de nuit en veut seidement à ses biens, ou, à la fois, à ses biens et à sa personne. C'est à la lumière de ces règles (pie, selon Louvrex, on devait e\pli(pier les (trdoimances permettant aux propriétaires de vignobles et de cotillages de saisir l(^s maraudeurs et les voleurs et de les tuer s'ils résistaient '. En ce qui concerne les violences moins graves que l'homicide, le droit liégeois était fort large. Il admettait assez facilement la justification fondée ' ScuiKT, oiiv. f'Wr, liMT V. liiic XI. Il " 58, j'.t. — CuroliiH', cliapili'js CXX.MX, CXL, CL, CXLII. - Ciiinliiir , clinpitiT CXI, II. ■• lilein, clK.iiilifvCXMII, CXLIV. * SoHET, oiiv. cili', livre V, liiir XI, il" 4(), 47. — Cnroliiic, cIuipiliT CL. — Hodi.n, oiiv.cité, I. 11. p. r.!).S. — .Mtiiidrwritlx il rilils ilf H!.>!t, l.ïJ.j, 1714, etc., ihins Poi.ai.n, à leur ilalc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 771 sur la nécessité de la défense. Sohel rappelail encore les anciennes règles énoncées par la jiaix de Saint- Jacques : que tout lionime uyfjressé et envahi avait le droit de résister sans s'exposer à une amende; que le père et le mari avaient le droit de défendre leur femme et leur enfant attaqués; que tout le monde pouvait intervenir en faveur du prochain injustement assailli '. L'ancien privilège de Hasselt stipulait : « que si un honnête homme se trou- » vait par hasard dans un lieu où un rihaud injuriait un autre honnête » homme ou adressait à ce dernier des paroles malsoiiiiantes, il pouvait sans » méfaire donner au rihaud trois ou quatre coups avec la main ou avec le » poing, drie off vier flakken métier vuyst ofl hond "-. » Sohet, de son côté, rappelait Tevistence d'un principe analogue '. C'était à la légitime défense que les anciens docteurs rattachaient la cause d'excuse ou de justification dont hénéficiaient le père et le mari trouvant leur femme ou leur fille en llagrant délit d'adultère, et commettant un homicide. La Caroline et Sohet, d'après elle, se hornaient à l'indiquer, mais sans déter- miner ses conditions légales d'existence *. Nous n'y insistons point, par consé- (pientjCt, apiès a\oir parlé des causes de justification, nous disons un mol des excuses. La seule excuse péremjjtoire , dont nous trouvons la trace dans les ordonnances liégeoises, est formulée par elles en faveur de certains délin- quants qui dénonçaient et livraient leurs complices. Un édit du o novendjrc 1()86, plusieurs fois renouvelé, promettait une récompense pécuniaire à celui qui, à Liège, dénoncerait un voleur et le ferait saisir, et de plus il assurait au dénonciateiu' son pardon en tant qu'il fût complice du crime et non voleui- principal •'•. Un édit du 7 mai 1778 promettait de son côté rim|)unité au complice d'im délit d'end^auchage d'ou\riers en faveur d'une puissance éliangère, qui dénoncerait les coupahles principaux et fournirait des preuves contre eux ^. ' Sohet, oiiv. cité, livre V, titre XII, n"' 8, 9, 10.— Analogue ml. ôo du l'iiii'lc(i< ilv l/dnsvlt. 2 Article 47. "' Sohet, ouv. eité, livre V, titre XIX, n" 11. * [dein, idem, livre V, titre XI, n" 49. — Caroline , eiiapitrc CL. ■' Idem, idem, livre V, titre XIV, n" 26. — Poi.m.n. ouv. cité, 5* série, t. I". |i. S,S. '■ PoLAiN,ouv. eité, ô' série, t. Il, p. 819. 772 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL Les excuses simples n'oxistaiont pas dans l'ancien droit, au moins dans louto la force du terme moderne, Nous signalerons néanmoins, parmi les circoiislances accompagnant la perpétration d'une infraction qui s'en rappro- rliaienl, \e jeune dye de» délinquants, Yivresse, et la provocation. Le jeune âge ne constituait une cause de justification que s'il se confon- dait avec la cause de justification tirée de Yabsence complète de raison . c'est-à-dire si le délintpumt enfant avait agi sans aucun discernement. Mais il avait toujours pour elïet, selon la Caroline, d'abaisser la peine si le délinquant n'avait pas quatorze ans, et si le juge n'était pas contraint de dire, en présence des circonstances de l'infraction : malitia supplel aetatem *. En pratique, il est probable que les juges liégeois suivaient encore au XVIIl" siècle les enseignements de la Caroline sur ce point, mais en les appliquant avec un large pouvoir discrétionnaire -. Sohet n'innocentait pas les infractions commises par des agents en état {[Ivresse, et surtout par des ivrognes. Mais il déclarait que ces agents ne devaient pas être punis si sévèrement que s'ils avaient délinqué en pleine lil)erté d'esprit el à jeun. Il se fondait sur les enseignements de Dambouder et de de(jliewiet, du droit romain et de ses commentateurs, et in\o(piait à son appui, un peu gratuitement, la Caroline '\ Nous n'avons lrou\é dans le pays «le Liège aucune trace d'édits, analogues à ceux des Pays-Bas autricbiens, d(rlarant foi-niellement que Yivresse n'était- pas une excuse K En pratique, rinllucncc de l'iNresse sur la culpabilité du délinquant restait ainsi une (pies- lion de fait abandonnée à Parbitrage des juges, et décidée par en\ confor- mément aux principes de la doctrine générale de l'époque ■'. Quant à l'excuse basée sur Va prorocation , la réformation de Croisbeeck l'admettait en termes exprès, n)ais sans préciser taxativement tous ses effets. Il ne faut plus, disait-elle. « (jue le plus grand faict emporte toujours le » petit, » comme « se disoil comnnmément ains que Yayyresseur %o\\ tous- ' lAiroliiii; ,h.\\>. Cl, XIV. CI,, CLXXIX. — Sohet, oiiv. cil.', liv. V. til. XI. iC nc, til. XIV, ii" 4. ^ Poi'i.i.ET, 1"" Mémoire sur t'aiirirn droit criminel dans le diirlié de linduint ciU'. p. 387. ^ SoiiKT, oiiv. ciu-, livre V, liliT XI, ii° 37. — Caroline , cliiipinT CLXXIX. * Poci.LET, •ï"'" Mémoire snr l'ancien droit criminel dans le duché de tJruliant ehé , ()|i. 587 cl 388. •' Jdcni, iliideni. DANS L ANCIENINE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 773 » jours plus grièvement puny et corrigé que Wifjfjressé, encore que l'aggressé » excédâst la mesure de juste et nécessaire deffense K » Nous parlerons plus loin des circonstances qui accompagnaient la perpé- tration de l'infraction; disons un mot de la complicité • De la complieilc'. Il est inutile de reproduire ici la théorie de la complicité établie par l'ancienne doctrine. Il suHit de consulter Sohet pour voir qu'elle était ia même dans le pays de Liège cpie dans les pays voisins. Nous nous conten- terons de relever ceux de ses points les plus saillants dont les monuments ou les auteurs liégeois s'occupaient. Conformément à la ré for million de Groisbceck, et à l'esprit des coutumes du pays, l'agent qui avait donné le mandat de commettre un crime, que ce mandat fut salarié ou non, « ipie l'exploit en fût arrivé » ou que le mandat n'eut pas été exécuté, encourait la même peine ((ue l'auteur principal et matériel du crime. Il était en l'éalité coauteur de celui-ci par participation morale '-. Quant à l'individu a\ant wf'cy;/c' le mandat salarié de commettre un crime, il encourait la peine de ce crime, encore qu'il ne l'eût pas elTecti- vement commis "'. En ce qui concerne les - prudence lii'geoise que de longues tlit-ories. Diipiès lit Caroline, riiomnie (|ui subornait autrui pour faire uujauv témoiijnaiïo ou un faux serment devait être puni comme Tauleur du faux ser- nienl ou du faux lémoiiinaii;e Im-njènie. ("était Tancien systènje de la jkù.i de Sai)il-.l(u([U('s '. D'après un édit du 22 seplendjrc 17 11 , le cabaretier (|ui loi;eait un \aga- bond chassé du pays, ou un inconnu suspect, ou qui le recevant chez lui ne le dénonçait pas à rofilcicr de police, encourait une amende de 20 florins d'or; d'après un édit du 1 (i novembre 1740, plusieurs fois renouveh' el ani|)lillé en 1770, le même cabaretier encourait une amende de I -'i llorins. Daprès un édil du 20 avril 1712, le cabaretier ou tout autre indi\idu qui recelait et cachait des armes prohil)ées, appartenant à un tiers, était punis- sable comme le porteur de ces armes. D'après un édit du 6 novembre 171*.», les complices des banqueroutiers et les personnes qui recelaient frauduleusement des elVets appartenant à la banqueroute, étaient, connue dans les Pays-Bas autrichiens, tenus de payer les dettes des banqueroutiers, et subsidiairenient punissables de la fustijiatioii, (lu bannissement et d'une peine arbitraire. D'après un édit du li mai 1721), assinniant au crime de fausse monnaie le fait de contrefaire la monnaie battue par un souverain étrauirer, ceux qui travaillaient sciemment à des instruments propres à conunettre ce fait, et ceux (pii faisaient profession de distribuer des monnaies ainsi contrefaites, encouraient conmie les délin(piants principaux la peine de mort par la corde -. D'après lui édil de 1730, se rattachant à \'rprr- hnisihlo à raison d'un crime atroce, et dont le nom avait été publié, encourait une amende de 20 llorins d"or. D'après un édit du o novend)re U)8(), auquel se rapportent, (pic rcnou- « Caroline, fliapitirs CVll. i.XVlil. — Somet, ouv. liK!', livre V, litre IV, ii" T) ; litre X.n"/». - Voir ce^ éilils (l;ms INumn. i. — Méan, Observation 081, n" I, etc. * Ouvrage cité, titre VIII, n" 4. — Poii.i.et, 2""' Mémoire stir rmicien droit criminel dans le ditiltéde Brcdiant cité, p. 139. — Privilège de Hassell, article '67,.^ Edit du 26' février /6Sô. 776 ESSAI SLR LHI8T01RE DL DROIT CRIMINEL les auleurs liégeois répondaient , conforniénient aux données des aiieieinies paix dont nous avons parlé : tous ceux qui se sont attroupés doua le dessein de commettre riiomicide doivent être punis, et doivent être punis de mort; mais si la querelle est survenue à Tiniproviste, ceux-là seuls qui ont eu les armes à la main et qui ont frappé sont punissables et doivent être condamnés, non, en vérité, à la peine de mort, mais à une peine extraordi- naire; les individus présents à la querelle, ne s'y étant mêlés que pour l'apaiser, ne sont en rien coupables. Védit de 1666, de son côté, statuait: « que tous jugés appréhensibles indilTerennnent pour bomicide arrivé entre » plusieurs personnes, et non confessé {sur cri du perron) seront obligez » tous (comme réputez par la disposition du droit bomicides) avant tout » de se constituer en prison s"ils veulent être admis à leurs décbarges. » Il mettait donc absolument sur la même ligne, (|uant aux formes de Xitction en décliarye, tous ceux qui avaient de fait participé à Pbomicide, soit comme auteurs, soil comme complices. D'après la Caroline, enfin, si dans le nombre des personnes ayant participé à une lutte suivie d'bomicide il se rencontrait un ennemi du mort, qui avait frappé de compagnie, le juge avait le droit, sur Y indice fourni par ï inimitié , de mettre cet bonune à la torture pour savoir s'il n'avait pas jjorté le coup mortel '. Avant d'abandonner entièrement ce qui concerne VimpnlahiUté, disons un seul mot de la tentative. Il n'existait pas dans Tancien droit de véritable théorie de la tentative. Elle n'aurait même |)U exister en présence des carac- tères généraux du droit romain et du droit germanicpie, souices du droit européen de lancien régime -. La Caroline se bornait à dire dans son article 178 : « celui qui aura tenté de conmiettre un crime, par (piehjucs » actions risihies, propres à parvenir à l'exécution dudit crime, (pioique » par d'autres moyens il ait été empêché de l'exécuter contre sa volonté, » une telle mauvaise volonté qui a été suivie de quelques effets, connue il ' SoiiKT, oiiv. cite, livre V, litre \l, n' ' 70, 71. — (Ioui.n , ouv. .ité, t. Ni, p. Hlit. - IIees- wvcK, Conlroversiue 7, n» 2. — Caroline, chapitres CXLVIII, XXXIV, XXV, XXVII, XXVIII. — Carpzow, 1" partie, quiicstio 25, ii" a, C, etc.— L'ktit ilu 2b juin IGtili, «laiis lIoi.i.\, oii\. rite, t. III. p. 108. * PoiLLET, 2"" Mimoire sur l'uncirii droit pétud tianx le (hicl>é de Brabaiil rilé. p. 30-2. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIEGE. 777 » vient d'être dit, doit être punie criniinelionienl, mais avec plus de rigueur » dans un cas que dans l'autre, eu égard à la situation et à la nature de » l'affaire. » C'était là un texte général bien vague qui demandait, pour être appliqué, à être soigneusement interprété par la doctrine. Pour le sur- plus, quand la t^«/o//«e voulait qu'on punit un acte de tentative, ou un acte d'exécution se rap|)ortant à une infraction déterminée, elle avait soin de le dire en termes exprès. Dans ses articles 172, 173, 11 9, par exenq)le, elle assimilait aux voleurs sacrilèges ceux qui avaient forcé une église consacrée, un tabernacle, une sacristie, /w«r cummeltrc un vol sacrilège ; elle assimilait à celui qui brisait un tronc, pour s'api)roprier les aumônes y contenues, celui qui tentait de le dépouiller par quehpie sublilité; elle déclarait arbitrairement punissable celui qui avait essayé de commeltrc un viol et (pii, parla résistance de la victime ou par l'intervention d'un secours extérieur, avait été empêché de consommer son crime. Dans le premier cas, elle incriminait expressément un acte que nous pourrions tout au plus considérer aujourd'hui comme un acte de prépa- ration ou d'exécution; dans les deux autres cas, elle disposait à Tégard d'actes de tentative pi'opremenl dits. Sohet, de son côté, disait seulement qu'on ne punissait pas en règle géné- rale le mauvais dessein, à moins qu'il n'eût eu son effet; qu'au for séculieion n'avait pas coutume de réprimer la volonté de commettre un crime , à moins (jue cette volonté ne se fût manifestée au dehors par les dernières tentatives faites pour l'exéculioii '. En présence de ces assertions assez vagues nous croyons que les juges liégeois, en ce cpii concerne la répression des actes manifestant extérieure- ment une volonté arrêtée de délinquer, allaient puiser, au moins quand la (laroline se taisait, des enseignements et une direction dans la doctrine géné- rale de l'époque. Celle-ci distinguait les crimes atroces des crimes ordinaires : en matière de ci'imes atroces, les crimes de lèse-majesté, de viol, d'assas- sinat, etc., elle voulait qu'on punit le dessein, manifesté par quelque attentat ou machination bien que non suivi d'effets, pourvu que le délincpiant fût ' Ouvrage cité , livre V, titre I", iv a; titre VI. n^^ 2 et 5 ; litre XII , n° 2r,. Tome W.WTII. î»» 778 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CIUMINEL jirrivo » à Paclc prochain ol iininédiat '. » En nialiôio cK' crimes (trdinaires, elle déclarait, presque sans liésilalion, que le dessein manilesié mais non suivi dVlïels n'élail pas |)iinissable. Il y avait controverse sur le point de savoir quelle peine devait encourir celui qui avait uianisfesté le dessein punissable de commettre un crime atroce, dessein non suivi d'elTets -. Qiiekpies anciens édits ou monuments législatifs liégeois, au surplus, pré- voyaient expressément, comme autrefois, ce que nous appelons aujourd'hui le délit )tHinqué. \\\ édit du 10 décembre KitJl rendait i)assible de la peine capitale Phomme qui avait tiré sur quelqu'un a\ec une arbalète, que la victime eut été touchée ou non ■". L'article 31 des privilèges de llasseli de loTT (oniminait le biin et la perte de la bourgeoisie contre les auteurs d'une infraclioM analogue; et, si ceux-ci blessaient la personne \iséc, il les ren- dait, en outre, passibles de la peine précise du mal qu'ils axaient causé. Nous terminerons ce paragraphe en disant quelques mots des circon- stances accon)pagnant la perpétration de l'infraction et influant sur la peine à appliquer au déliniiuant, et sur la division des infractions elles-mêmes, surtout au point de vue de la jurisprudence prati(pie. Des circonstances a;;i;ravanfes et atténuantes. Au moyen âge la loi, la coutume ou les statuts emprisonnaient, en général, la volonté des juges, et dictaient taxativement à ceux-ci la peiite précise à appliquer, à raison des résultats de l'infraction. Au XVIII'' siècle, au contraire, les juges liégeois avaient un large pouvoir discrétiomiaire pour prendre en considération toutes les circonstances propres à augmenter ou à diminuer la criminalité du dt'linquant , et pour graduer la peine en consé- (iuence. La rèforuiatiun de iiroisheevk l'avait déclaré : « en adjudication » des peities et amendes aura le juge bon et soigneux regard , et piuslosl ' l'^ii 111,1 lirrc (le ci iiiir ilc isr-iiniji'slr, on imiiissnil iiR'int' iiiicliiucfuis k' dcssfiii >iiii|ilt'niciit l'orme II iiiaiiirfslL'. - PoLi-LET, 2""- Mémoire sur raucivii droit criiiiiiivl (Unis /<■ ilmln} de lirahaitl cilt's |)|). 5'.t2 et 595. — Commcnlaire de lu Curoline, dans lédilioii de 177',>, dont non» nous servons, par V, etc., relatifs au port des armes prohibées; les édils des 12 décend)re 1 692, 29 juil- let 1694, 18 janvier 1698, avec leurs rénovations et amplialions, traitant du recel et des vols commis à Liège; ledit du 10 mai 1747, connninant des peines à propos du vol de bois; ledit du 20 juin 1763, contre les endjau- eheurs d'ouvriers, etc. •'. Quelquefois la récidi\e était considérée par le légis- lateur comme devant aggraver simplement la peine, sans en changei- la nature; quelquefois comme devant attirer sur le délinquant un chàlimenl ' Cliapilic \V, !iiMi(li' 7. La ri'funiiatio)i de Groisbieck rcviciU eiicoïc sur VuK-v ([uv la con- dition (les |)crsonrii'S doit cire prise en eonsiilération : Chapitre XV, arliile 13. H en esl ilc même d'un éilil (lu 1 1 déeembre 1092 sur le jiort des armes proliibécs, etc. ■^ Poi'i.LET, 2"" Mémoire sur l'ancien ilroi( criminel iliins le duché de liralmnl eili'. pp. ô!t4. 59a, 090, 597, ele. '' Cliapilres C.l.Xl, CLXIl. — Sohet, ouv. cité, livre V. titre XIV, n" 10 et 11. ♦ Chapitre XVI, article I"; cliai)ilre XVII, article \-2. '■• Poi.Ai.N, oiiv. cite, 5' série, à leur date, et Hodia, ouv. cité, jmsshn. 780 ESSAI SLR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMiiNEL coi'porel au liou d'une aniondc. Quelquefois encore, c'était la Iroisièmc faute (le la même espèce, commise par un même délinquant, (|ui provoquait la sévérité de la loi K Dans tous les cas, celle-ci ne tenait compte que de la récidive spéciale. En dehors de l;i récidive, la Caroline précisait plusieurs circonstances ajïsravantes, tant par rapport au crime de vol que par rapport au crime géné- rique d"liomi('ide. Elle considérait le col manifeste comme plus grave que le vol non mani- feste, c'est-à-diie comme disait Sohet : « celui où le voleur n'aura pas été sur- » pris au flagrant, et où on n'aura pas crié après lui avant (pi'il ait remis la «) cliose volée à sa destination; » le vol d'un objet valant plus de cinq ducats comme plus grave qu'un vol de minime importance; le vol avec effraction, ou a\ec escalade ou à main ai-mée, comme plus grave qu'un vol oi'dinaire. Elle déterminait approximativement quelle devait être sur la pénalité Tin- fluence des circonstances acconipagnant la perpétration du \ol. Ainsi, par e\em|)le, quand il y avait eu effraction ou escalade, ou (piand le délin- ipiant étnit armé, il no fallait pas prendre en considération la valein- du corps du délit, ni le fait que le vol avait été non manifeste: en tout état de cause, le voleur devait être puni de peine corporelle ou capitale, sui\ant « l'état des personnes et le discernement des juges. » S'il se présenlail par rapport à un vol plusieurs circonstances aggravantes (lillV'renles, c'était la plus grave d'entre elles qui devait enirainer la décision du juge. S'il n'y avait pas de circonstances aggravantes spéciales, mais que l'objet volé a\ait une assez grande valeur, le juge devait prendre particuliè- rement en considération la condition dn \ait en termes exprès, outre les circon- stances iiggra\antes(n'dinaires d'effraction on d'escalade, le tenq>soù le crime a\ait été commis, ainsi que la nature et la \alenrdes objets volés. Elle con- ' Caroline, cliiipilrc CLXMI. Le vol de iicii (l'iinporliimc réiloré trois /bis inérilc la peine di; inorl; sil ne se rcilère que deux fois, tout au plus la peine du earean et du l)annisscnient. DANS L ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 781 sacrait aussi des articles spéciaux au maraudage, au vol de fruits dans les campagnes, au vol de bois, au vol de poisson et, par rapport à ces délits, elle considérait ordinairement comme une circonstance très-aggravante le l'ait que le vol avait été commis de nuit. Les textes de la constitution impériale, au surplus, se bornaient à donner une direction aux juges répressifs, sans leur imposer taxalivement des obli- gations précises : ces juges avaient toujours à examiner de près les cir- constances particulières que présentait Vespècc dont ils avaient à juger, et surtout la condition des personnes '. En matière d'Iiomicide, la Caroline considérait comme une circonstance Irès-aggravante la préméditation plus ou moins grande qui avait précédé la perpétration du crime. Elle distinguait donc le meurtre de propos délibéré d'avance , Tancien mnrdre ou moorde du moyen âge, de V/iomicide simple , commis dans un premier mouvement de colère, ou dans une rixe, sans avoir ('■té prémédité, dootslacli : et, tandis qu'elle comminail contre celui-ci la peine de mort simple, elle comminait contre celui-là la peine de la roite -. D"uii autre colé, d'accord avec la doctrine ancienne tout entière, elle con- sidérait Von/ioisonnenient comme le plus grave de tous les liomicides pré- médités: elle \oulait, en général, que le délinquant empoisonneur fût |)uni d'une peine préliniiMaire nllliclive avant iVéXve rotié^. L'bomicide changeait encore de caractère, d'après la Caroline, suivant les qualités respectives du délinquant et de la victime. Le parricide, par exemple, ('•tait passible de la peine de moit (pialillée par la roue, précédée par une peine préliminaire alllictive; celui qui avait tué un procbe parent, un supérieur, une personne de haute distinction , etc., était passible de peines analogues *. Dans le système de la constitution impériale, ^infanticide, le fait (\e pro- ' Caroline, chapitres CLXI, CLXH, CLXIII, CLXIV, CLXV, CI.XVI. CI.XVll, CIAVIIK CLXIX, CLXX, CLXXI, CLXXII, CLXXIII, CLXXIV. — Sohet, ouv. cih;, livre V, titre XIV, ri"' G, 7,8, 1». 10, II, 12, lô, I'.. ■^ Caroline, cliapili'c CXXXVjl. '■• Idem, chapitre CXXX. Voir le Commentaire de la Caroline, que nous avons cité, sous les chapitres CXXX, CXXXVII. — Soeiet, ouv. cité, livre V, titre XI, n" lo, 23, ii. » Caroline, chapitre CXXXVII. — Soiiet, ouv. cite, livre V, litre XI, n" 7, 8. — Bouiile, ). Il, p. 284, etc. 782 ESSAI SUR LIMSTOIRE DU DROIT CRIMOEL €urer la slériUfé d'un liouimc ou d'iiiK' foiniK-, jtinsi {|uo ïuvortenitiii y\\\n foetus coiisiiltiré comme vivant (âgé de quaranto-ciiiq jours), perpétir par une femme sur elle-même, ou procuré à ime femme par un tiers, étaient assi- milés à lies homickles simples. En matière (Tavorlcment , quand le foetus n'était pas censé \ivant, les (lélin(|uants irencouraient (prime peine arbitraire. En matière (Pinfanticide, la Caroline conskK'vall comme une circonslancV propre à augmenter la sévérité de la peine le fait que les infractions de Tes- pècc se connnettaient souvent dans un ressort de justice ; elle \oulail alors qu'au lieu de noyer la femme coupable, on l'euterràl \i\e et (prou Peni- palàt '. La /('fonnolion de Groisbeeck , de son côté, en ce qui concerne les \io- lenees contre les personnes, les rixes, les batailles, considérait toujom-s, comme une circonstance aggravante de la criminalité d'un des délinquants, le fait qu'il avait été \q provocateur de la (pierelle ou Yufpjresseur. Elle atlachail à l'existence de cette circonstance ou bien une aggravation de peine, ou bien, comme nous l'avons déjà dit, ime peine spéciale, sans pn'jndice des peines ordinaires de l'infraclion perpétrée -. La refonnotion de (iroisOeecI: aggi-avait encore la peine, en matière il'enra/u'sseme/if fait par un plaideur, en justice, contre son adversaire, les parliers, les juges, quand cet enniliis- semeut a\a\l été fait à main armée, etc. '. Les Points marcjués pour coutumes rappelaient encore la presciiplion des anciens réf/iments, (pii considt'raient coumie plus graves les infractions com- mises contre une personne dans une niaison bourgeoi.se, surtout en Cité el liaulieue. et (|ui les rendaient punissables, outre la peine ordinaire du fait, d'un voyage d'outre-mer '. On se rappelle enfin que, de droit commun liégeois. l'Iiomicide commis sans lémoin, el non avoué sur cri du perron, était réputé <(is rilain ou murdre. I*our le surplus, nous n'insistons pas. Nous croyons pouvoir reiiNoNer à ce ' (:ii:i|,iirc.^ CXXXI, CX.VXIII. — ^.iiiKT, ouv. cité, li\if V, lilicM. ir- H. 10, cic. ' Cliajiitr'c XV, iiiliclcs 7, !). .\ii:ili)j;iic un cdit du "21 iiovciuhri' llij-i. 5 r.liiipitic XV, iiHiclc in. ' Points murtiiirs pour coutiiiiicx, i liupitrc XIV, urliclcs 'l'I. -20, '24, i'-j, :i(l. fie DAx\S L'ArSCIEîSi>E PRliNClPAUTÉ DE LIEGE. 785 (juc nous avons dit au deuxième livre des divers articles de la paix de Saint- Jacques concernant les circonstances des infractions. La plupai't d'entre eux cfaient encore en vigueur '. Passons à ce qui concerne la division des infrac- lions. Ue I<1 ilivisiiiii ik'8 inf riicliiins. Les infractions, dans le droit criminel liégeois du XVIII" siècle, se divi- saient de plusieurs manières et selon le point d(^ vue auquel le jurisconsulte se plaçait. • Au point de \ue de louNcrlui'c de raclioii i)ul)lique, elles se divisaient en /Il fractions piil/liqaes et infractions privées. A raison des premières, les offi- ciers criminels ax aient la faculté d'entamer des poursuites sans attendre une plainte de la partie lésée; à raison des autres, les oUicicrs criminels étaient désarmés tant (pie les oITensés ne se plaignaient pas. Cette |)remière division avait donc une importance prati(pie ; mais nous n\v insistons plus, parce que nous en avons encore dit un mot plus haut -. Au point de vue des actions auxcpiollcs elles donnaient naissance, les infractions se divisaient encore en infractions publiques, infractions privées, infractions mixtes. Les pi'cmières élaient celles (pii donnaient seulement ouverture à une action pénale, par exemple le crime de lèse-majesté. Les secondes élaient celles qui ne donnaient ouverlure qu'à une action en répa- ration au prolit de la partie lésée. Les dernières étaient celles qui donnaient naissance, à la fois, à une action pul)li(pip cl à ime action privée en répara- lion ■'. Au point de vue du droit rigoureux du juge, en lant qu'il s'agissait de déterminer la peine précise à appliquer au délinquant, on distinguait les infractions ordinaires des infractions extraordinaires : celles-ci |)uuissaljles d'une peine arbitraire, celles-là d'une peine précise fixée par un édit, par la coutume ou par le droit. Au fond, en présence de l'étendue du pouvoir dis- ' Voir SoHET, oiiv. cité , IIm'c V, titre XII , passim. » SoiiET, ouv. L-ilé, livre V, litre XX.WIll, n°^ I, 2. — liéfoniiulion de Groisbeeck, chapitre XV, ai'licle 3. — Poiiils nuiniués jwiir rouliimes, rliapilro XIV, iirlieles -2i, -20. '• Ceci élait de dioit coiniiiuii. 784 ESSAI SLli LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL crétioiiitain' (juc |!Osscilaient les juges de l'ancien régime iii (oui éUil de cause, celle division élail plus théorique que pratique '. Au point de \ue de la nature même des infractions, on distinguait les crimes de lèse-majesté divine et Inimaiue de tous les autres crimes; et, pai-ini les crimes de lèse-majesté humaine, ou faisait encore une catégorie à part des crimes de lèse-majesté au piemier chef. La répression de ces dei-niers don- nait lieu, dans le pays de Liège, à peu près aux mêmes particularités (jue dans les principautés voisines. Comme nous avons indiqué les principales de ces particularités dans le cours de notre travail, nous n'y reviendrons plus ici. Remaïquons toutefois quà Liège les crimes de lèse-majesté ressortissaieut, connue tous les autres, aux juges ordinaires du pays -. Au point de vue de la procédure à suivre, on distinguait les infractions passibles de peines corporelles ou d'exil, des infractions passibles de peines inférieuies. Les premières seules pouvaient, en règle génèi-ale, être poursui- vies à l'extraordinaire, donner ou\erture à une procédure préliminaire pai- enquête générale, motiver un décret de |)rise de corps, donner lieu à l'emploi de la torture '\ Au point de vue de la reitc/iarf/c , on distinguait les infractions passibles d'une peine infériem-e à une amende de cincj florins de Brabant, et les infrac- tions passibles d'une amende de cinq llorins ou dune peine supérieure. Les cours subalternes yvojtw»>«/ connaitre des j)remières sans avoir recours à leur ctief,c[ eonilanmer leurs auteurs de leur autoiité propre; elles devaient tou- jours, en ce (pii concerne les autres, demander sentence déliuitixe ou inlei- loculoire en rriir/iarrje aux échevins de la Cité '. Au point de v ne du droit de f/ràce, enfin, on distinguait les cas vilains, à raison des(piels la prérogative du prince pouxail dillicilemenl s'exercer, des infractions oïdinaires « aggraciables •'. » La i'ul)ri(pie que nous terminons ne renferme pas à la rigueur des uulioii> ' PoLi.i.ET, 2"" Mémoire sur rainieii ilniit iriiiiiiivl dans le duclic ilc Ihulninl citr. p. ilô. -' SoiiKT. ouv. filé, livre V, litre VIII, fiassiiii. — I'oui.lkt, "2"" Mi-moirv sur t'uiirivii droit rritninel datts le duché de Urubanl cité, \>\\. 105 et .suivantes. '' Voir les cliuiiitres précédents. ' Voir ciieore ce que nous avons dit pins haut. ■' SoiiET, ouv. cité, livre V, litre XWI , ii° 9. ' DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 785" nouvelles. Cependant nous avons cru utile de la remplir, |)arce qu'elle résume en quelques lignes une foule de notions importantes éparses dans les dilTé- rents chapitres de cet essai. Quoi qu'il en soit, nous passons au deuxième paragraphe de ce chapitre. § II. • — Da syslèiHc pénal. Après les détails que nous avons déjà donnés, la tâche qui nous reste à remplir ne sera pas fort longue. Nous n'avons que peu de chose à dire par rappoi't à la nature des répamtions afl'érentes aux parties lésées, par rapport au système pénal ecclésiastique , et par rapport aux voyages au profit des villes. Notre attention de\ra surtout se poi'ter sur le système pénal emplojé par les cours séculières. Du sjstème pénal séculier. Les principales peines, employées peiulanl les trois derniers siècles par les tribunaux liégeois, étaient la peine de mort simple s'exécutant par la pendai- son et par la décollation, et la peine de mort ([iialifiée, comportant les sup- plices de la roue, du feu, de l'écarlèlement, de la submersion, de l'enl'ouisse- ment; la peine des mutilations, qui comportait la section du poing, la section des doigts ou de l'oreille, l'aveuglement, le percement ou rai)lalion de la langue; la peine de la marque, celle du carcan, la fustigation, le bannisse- ment perpétuel ou temporaire, tous mentionnés par la Caroline; l'empri- sonnement à temps, l'amende honorable, les \oyages à pérayer h pied, et les \oyages réductibles en argent, les simples amendes, les conliscalions spéciales, enlin, dans des limites très-étroites, la confiscation des biens '. Quand un délinquant passible de la peine de mort avait fait preuve d'une perversité exceptionnelle, ou que les circonstances du crime étaient particu- lièrement atroces, on le faisait tenailler avant de le mettre à mort, on le traî- nait ignominieusement sur la claie jusqu'au lieu du supplice; et, quand sou SouKT, otiv. cilé, livre V, litres XX\i et XXVil, pussiin. Tome XXXVIII. 99 80 ESSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL /«o crimo ;iv;iil causé un grand scandale extérieur, on l'obligeait à faire avant tout, en public, une amende honorable solennelle '. La peine antique du forjmjcmenl était entièrement oubliée. C'est que le principe, en vcriu duquel les juges ne prononçaient de peines corporelles que contre des délinquants tenus, avait changé. Les juges pouvaient depuis long- temps, comme nous Tavons déjà vu, condamner les délinquants roiifuinares à des peines corporelles déterminées et les faire exécuter en c/fiffic Quant à la peine de VaiiOoineU'^eWe avait pei"du certainement toute importance de|)uis (|ue les Ijoitrf/euis étaient punis comme les autres surcéaiits. Peut-être, cei)en- dant, Fappliquait-on encore, à titre de peine accessoire ou de peine subsidiaire. Parcourons rapidement ce qui concerne les différentes peines que nous venons d'indiquer. Au XVIII*' siècle, les supplices capitaux les plus usités étaient le supplice de la har/, spécialement comminé par des ordonnances des 7 octobre 1717, 0 novembre 1719, l" mai 1726, «jusqu'à ce que mort s'ensuive; » le supplice de la dnollation -, et le supplice de la roue , accompagnés ou non de peines alllictives |n'éalabîes. Nous citons une sentence de 1779 compor- tant condanmation au supplice de la roue : « Nous les éclievins de la justice souveraine de la Cité et pays de Liège, » condamnons H. E... S... prisonnier, d'être trainé sur une claye à Visez, et » d'être tenaillé avec des pincettes ardentes, à trois différentes fois, savoir la » première, en sortant de la prison au bras di-oit et gauche, la deuxième fois, » à Vivegnis, aux épaules droite et gauche, la troisième fois, aux seins droit » et gauche au lieu du supplice; puis avoir les bras, cuisses et jambes rom- )> pues a\ec une bai-re de fer, puis son corps être exposé sur une roue, et si » un (piart d'heure après il se trouve encore en vie, d'être étranglé tant (jue )) morts"eu suixc à l'exemple d'autres-'. » La Caroline elle-même reconnnan- (lait de ne pas employer facilement le supplice de Venfouissrntcnt de peur ((ue le condanmé ne mourût dans l'état de désespoir '. Aussi croyons-nous ' SoiiET, ouv. cilé, livre V, litre XXVI, n"' lô, 1 1. — Citroliiiv, iliapilres CXCl, CXCIV, de. - Idem, idem, Vwix V, litre XXVI, n"' 8, 10. "■ Cause célèbre coiilcnanl russussinat commis, etc., déjà plusieurs fois citée, pp. 131, 132. ♦ Chapitre C,\CII. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 787 que l'enfouissement subit dans le pays de Liège le même sort (jue dans les Pays-Bas autricliiens, où il disparut pendant le règne d'Albert et d'Isabelle'. Quant aux supplices du feu, de l'écartèlement, de la submersion, ils sont encore mentionnés par Chapeaville à propos du XVI* siècle. Cet auteur rap- porte que, en 4 346, deux botresses coupables de parjure et de faux témoi- gnage en matière criminelle furent précipitées dans la Meuse, du baut du Pont des Arches , à l'instar de ce qui se passait à Rome où Ion précipitait les criminels de l'espèce du baut de la rocbe Tarpèienne; il rappelle que, pendant son règne, Érard de la Marck flammae tradidit à diverses reprises des bèrétiques pertinaces; il nous apprend enfin que plusieurs fois des conspira- teurs, coupables du crime de lèse-majesté, fui'ent distracti in quatuor ou in très partes, c'est-à-dire ecartelés -. Nous croyons que l'application de ces trois derniers supplices était devenue fort rare au XVIIP siècle. En ce qui concerne la peine des mutilations, telle que la section du poing, l'aveuglement, le percement de la langue, etc., nous osons faire une remarque analogue. Nous croyons que, sans être tombée en désuétude, elle n'était presque plus employée par les tribunaux liégeois. Les écbevins de Liège, juges souverains du pays en matière criminelle, étaient placés assez baut pour subir l'influence adoucissante des mœurs, même en matière de péna- lité, qui se produisait en Europe quand la passion politique n'était pas en jeu. Leur pouvoir discrétionnaire, comme nous l'avons dit, était considérable; le texte même de la Caroline les invitait à proportionner les peines à l'état des mœurs. Le principe du talion était dès longtemps tombé en désuétude. Les Points marqués pour coutumes disaient diyà : « qui coupe le poing à un » autre, escbet en quinze voyages de Saint-Jacques en argent envers la partie, » et en la moitié envers l'officier, et pour un œil escbet en pareille peine » que pour un bras ^. Enfin, tandis que dans les siècles antérieurs les légis- lateurs du pays avaient à maintes i-eprises commué une mutilation précise à titre de peine principale ou subsidiaire *; une seule fois un législateur lié- ' PouLLET, 2" Mimoire sur Vancim droit pémd dans le diivlic de Brubuiit nW'. * Chapeaville, t. III, pp. 350, 327, 543. 3 Points marqués pour coutumes, chapitre XIV, article 21. — Soiiet, ouv. cité, Inre V, litre XXVI, n" C ot 7. 4 Édits des 8 octobre 1554, 19 mai IliiO, 20 janvier loiO. —Privilège de llusselt de /j 77, etc. — Points marquis pour coutumes, chapitre XIV, articles 2C, 27, 28, 2!', etc. 788 ESSAI SUR LHISTOIRE DU DROIT CRIMIÎVEL jîcoisdii \^'1I^' siècle iiiiilc sur co point ses dcviinciers : c'est dniis l'édit du :20 août 1712 qui rend passible do la section du poing droit riioinine atta- (|uant autrui avec une arme déloyale, couteau à pointe, pistolet de poche, etc. et qui ordonne d'altaclier la main coupée à la potence, à Coxomple d'autres ^ Tout concourait ainsi pour écarter de la jjialique ordinaire des tribunaux liégeois des supplices barbares, qui n'avaient jamais été en grande faveur dans le pays -, cl (|iii connnonçaient à dis|)araitre dans les Pays-Bas autri- chiens. Les |)eines du rmran ou de Yexposidon nu pilori . de la mar(/ue , et de la fiislifjdiion . t'Iaient en revanche en grande faveur comme peines corpo- j-elles immédialenient inférieures à la peine de mort. Le carcan était comminé à diverses reprises par les privilèges de Hassell, par l'édit du 20 août 171:2 dont nous avons parlé plus haut , relatif au port des armes |)i(>liii)ées; pai- celui du 7 octobre 1717 renouvelé en 1719, 1724, I72(), publié contre les vagabonds; i)ai" celui du 10 mai 1747, renouvelé en 1772, 1778, 1770, relatif aux vols de bois; par celui du .') mars I 7(i3 , relatif aux altroupcmenls '. Le carcan ow pilori était la peine corporelle qui occupait le bas de Téchelle pénale. Jadis on Texécutait à Liège comme en BrabanI, au moins dans certains cas, en attachant le délinquant « par roreilbe a pilory ou à la stache *. » Le supplice de la maripie était comminé par l'article 5i des privilèges de //f/.v.sY'/^ conlie les (Iélin(piaiUs en rupture de ban, par les édits des 22 juin 1 6G0, 29 mars 1009, 12 mars 1072, 18 janvier KJOS, 7 octobre 1717, ainsi (jue pai- l'édil du 10 novembre 1740 renouvelé en 17.^)7, 17()0, 1770, 1773, 1784, lous dirigés contre les vagabonds. Il était d'un degré plus élevé sur Téchelle que le supplice du carcan: il frappait, en général, les récidivistes: presque toujours il était, aux termes mêmes des édits, joint au sn])|)lice de la fustigation ainsi cpi'à la peine du bannissement. » Fouetté, ' PoL.M.N, ouv. ciléjô' série, t. 1", îi sa d:it(". ■^ On SI- rappcllf que les iiiiailalifiiin n'avaient guère clé eniployées dans le MKncn àgc lié- geois à lilrc de peines subsidiaires. Voir contrù dans les Pays-Bas autrichiens. '■ Voir P(iiM>-, ()ii\. cilé, ô' s(''rie, I. I" et '_' , à lenr date. ^ VaUi du 1'.) mai I .Vf 0. DANS L AISCIEISNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 789 iiKiniué l'I hanni était, dans la principauté de Liège, la formule législative (iidinairc qui servait de sanclion aux ordonnances rendues contré les gens sans aveu '. La Caroline, au surplus, enjoignait déjà de bannir indistincte- ment tous les délinquants passibles d'une peine corporelle grave, inférieure à la peine de mort, de peur qu'ils ne se vengeassent de leurs accusateurs ou de leurs juges "^. La fnstif/alion était donc comminée par Ions les édits contre les vaga- bonds, dont nous venons de parler, et de plus, par Tédit du G novembre 1719, contre les com|)lices des ban(|uerouliers incapables de payer les dettes de ceux-ci ; par Tédit du 10 mai 1747 contre les voleurs de bois condamnés une troisième l'ois; par Tédit du o mars 1763, relatif aux attroupements tumultueux, contre ceux (\w contrevenaient une seconde fois à ses disposi- tions. L'édit de 1747 ajoutait à la fustigation la peine du bannissement '\ Le bannissement . appeN' ipielipiefois exil , tenait plus, au dire de Sobet, (Ml droit liégeois , de la nature de la reléf/nfion que de celle de la déporlalion *. Il était perpétuel ou temporaire. Le bannissement perpétuel était connniné notamment : par tous les ('dits relatifs au vagabondage contre les étrangers sans aveu (|ui, en dépit d'une première peine subie pour n'avoir pas obtem- péré à Tortlre de (piillci- le |)a\s, \ revenaient ■' ; par la réfornwliun de (iroisheec/c conUv \o plaideiu- (pii frappait, avec une arme, son adversaire, ses juges, les parliers, etc. ". Le bannissement temporaire était comminé par la même rêformalion contre le plaideur (jui frappait (luebpùm en justice sans armes; par l'edil du :2() juin I7()5 contre les embaucheurs d'ouvriers, etc. ". Le bannissement pouvail encore être général ou local; et, dans les deux cas, ses effets étaient restés les mêmes (|ue jadis **. ' Voir I*ui.Ai.\, ouv. cité, ô' série, l. I" cl '_', à leur date. — Hodix, ouv. cité, l. III. « Caroline, clinp. CXCVI, CXCVII, ('.XCVIIJ. — Sohf.t, oiiv. cité, liv. \, litre XXVI, ii" 17, etc. 5 PoLAiN, OUV. cité, n sn date. ' SoHET, ouv. cité, livre V, titre XXVll, n° i. '' Voir les édits que nous ;n ons cilés plus haut. '■ Chapitre XV, article 13. ' PoLAiN , ouv. cilé, à sa date. * SoHET lui-mcnic dit un mot du liaiiiiisscnicnt local, livre V, lilreXXVlI, w" 3. 790 ESSAI SUR L HISTOIRE DU DROIT CRHIINEL Au XYIII*^ si(''(lo, le bannissement leniporaire nVtait plus aussi usité, à titre lie peine subsidiaire, que pendant le moyen âge. On avait bien consei-Né la coutume de faire crier banni \q délinquaiil condamné à l'amende, qui n'obtempérait pas au eommaml de pai/er en tiers jours; mais, en vertu de ce lommamL le délinquant condamné était loujours « légitimement con- » vaincu exécutable tant dans sa personne que ses biens ' » et, conmie nous le verrons, il pouvait le cas écbéant encourir un em/n-isonnentent à titre de peine subsidiaire. D'après Soliet, s'inspirant de la réfornialidn de Groisheeck et de la paix de Sainl-Jae(/Hes, le déliiupianl « banni hors du pays pour un temps , » s'il revient avant le terme lini doit être banni i)Our deux lois autant; et » s'il eul'reinl le second bannissement ou même le premier dont la duplica- » lion aurait excédé 10 ans, il peut être banni pour 100 ans sans pouvoir » jamais retourner au pays sous peine capitale -. » En pratique, surtout en matière de bannissement perpétuel, la senlence de condanuiation précisait la peine à encourir en cas de rupture de ban •'. A la fin du XVII^ siècle, lors(iu'im banni était saisi en rupture de ban , il était aussitôt mis en prison et devenait l'objet d'une />i/om/M;r.w»/»(«/yr, aux fins de constater juridiquemont son identité. Il ne pouvait cependant cire condamné à la peine sithsidiaire, reprise dans la sentence de bannisse- ment, sans les irncharges des (kfievins de Liéye K Les voijof/es, comme nous l'avons dit, devaient tantôt Hre péragés ii pied . pai- Je condannié, tantôt ils pouvaient être raelielés en argent. Cela dépen- dait de la sentence du juge, qui dc\ail prendre en considération les circon- stances du fait et la condition des personnes. Les condanmations à un voyage rédnelihle en argent étaieht des condanmations à l'amende d'une forme parti- culière ■'. D'après Soliet, les roijaf/es (pii ancieimenienl élaienl les plus usités dans I Slijlf (le /77.9, 1). 140. * SoiiKT, ouv. cité, liM'e V, litre XWll, ii" 4. ■• Sti/U' de 1779, p. 94. * lih-iii , cliapitrf VII , pp. '.t,"i ol siiivniili's. » llé/ormuliuii ik Gruii>bvecL, ilmp XV, II, 111. Soin i, miv. .ilr, liviT V, lilir XXVII, ri" S. DAxNS L ANCIENISE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 791 le pays étaient : le voyage croutre-mer, à Nicosie ou plus loin dans File de (Ihypre, taxé à 20 florins d'or; celui à Sainl-Jacques de Conipostelle taxé à 10 florins; celui à Rocaniadour taxé à o florins; celui à Vendôme taxé à 2 '/2 florins ; celui à Walcourt taxé à 1 -'/i floi-ins ; enfin le voyage légal du pays « qui comprenait tous les autres » taxé à 39 florins d'or. Depuis la ir/orma/ion de Groisbeeck, oîi se rappelle que l'évaluation des voyages devait être la même dans la |)rincipauté tout entière, et que son taux avait été ('ilevé '. D'après la réformat/on de Groisbeeck, l'homme qui attaquait autrui avec armes encourait, à raison de l'aggression seule et sans préjudice des peines (les blessures infligées par lui, un voyage à Saint- Jacques à titre de peine. 11 en était de même de celui qui provoquait autrui à sortir d'une maison ou d'une église pour se battre ; de celui qui à main armée empêchait la liberté de passage dans les rues ; du plaideur qui eueahissait en armes son adver- saire, ses juges, les ministres de jusiice. D'après la même réformation le |»laideur (pii eiiculiissait les mêmes personnes sans armes, de même que celui ipii proférait contre (>lles des injures, encourait un voyage à Roca- madour. Enlin, celui qui « enforçait maisons séantes au plat pays » pou- vait être condamné non-seulement comme autrefois à un voyage à Saint- .lac(|ues , mais à une peine plus rigoureuse , suivant les circonstances du fait (jl des personnes -. D'après les Points nuiniaés pour coutumes, on se rappelle que le crime de mutilation était passible de 7 ' -2 voyages à Saint-Jacques, sans |)réjudice de la réparation due à la partie lésée '. Quand un délinquant était condamné à pérager son voyage à pied , il devait renq)lir les formalit<''s (pic nous avons exposées dans notre deuxième livre *. Il était toujours tenu de le faire en personne. Cependant une femme mariée, ' SoHET, ouv. cite, livre V, litre XXVII, iV !). — Hé formation de Groisbeeck, clKipitre XV, iU'licles 1,2. — Points marqués pour coutumes, ciiapitre XIV, articles "22, 57, etc. 2 Réformation de Groisbeecii, chapitre XV, articles 9, 10, II, 12, 15, 14, 13. "' Points mare ràluctiblv en arf/ciil , il (l('\ait en payer révaiuation dans un délai déterminé. Dans tous les cas, celui (pii n'accomplissail |)as sa peine en temps voulu encourait une peine subsidiaire: double peine pour le pi-cmier défaut, et ban- nissement perpétuel bors du pays pour le second dans les cas ordinaires; peine de mort, section du poitiij; , bannissement per|)éluel, etc., dès le pre- mier défaut , dans le cas où il s'agissait d"un roijaye d'oulre-mer m profit du prince ou de la ville "-. Nous ne dirons rien de \' amende honorable, qui ne présentait aucun carac- tèi-e nouveau el (|ui , devant le l'or séculier comme devant le for ecclésias- tique, était léglée dans ses détails par la sentence condamnatoire. La C«>-o/m^' énonçait encore comme un princi|)e général : que les posons étaient faites pour garder des accusés, el non pour tourmenter des délin- (|uants ■'. Opendant, la peine de Y emprisonnement avait insensiblement gagné du terrain dans la jurisprudence liégeoise pendant les trois derniers siècles. Elle nVlail encore emploNée à titre de peine principale que par un édit du 1 1 février I 730, connuinant un emprisonnement de six mois contre lesem'oleurs on end)auclieurs, el |)ar celui du il novend)re ITiO, commi- nanl un emprisonnement de six semaines au pain et à Teau contre les natio- naux (pii s'adoimaient à la mendicité illicite '. Mais, de droit connnun, elle était eniploxée à ùUr iW /iiinc .subsidiaire contre les (lélin(|uanls condanmés à une amend(; et n'accpnllant par cette dernière; ou, pour parler plus exac- tement, elle était enqiloyée connue moi/en de coaction, puisipie la détention subie ne lenait pas lieu par elle-même de payement''. Conformément à l'édit du l-J no\end)rc 17 M.), l'emprisoimemenl subsi- diaire ne durait pas plus de trois mois. « In condannié, disait ledit, |»our ' Soiiii. ouv. cili'-. tucii citulo, n" 1(1. - lilviii, i(km, II" 18. lUfonmiliuii ili; CruisbvtrL , iliii|iiUf XV, lululc Ij. l'uiitl.t iiuii- iliii-a pour coiiluines, ctiiipinx' XIV, iiilicli's C, 7, «, \7^, 'H\. -27, iS, clc... - Ctiapilrcs II cl CCXVllI. — Soin r, om\. lilr, livre II. lilir \\l\, m"- K», t.". ♦ Pol.MN, OUV. cilê, ô' série, 1 I cl II , à leur il;ilf. » SoiiiiT, ouv. cité, livre V, lilrcXXX, ii° IJi, Ui. — ImioUiic, ili.iiiilii' Cl. VII. DANS L'AISCIENNE PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE. 793 » délict el à quoique amende pécuniaire et appréhendé ou releiiu à faule » d'y fournir, s'il demeure en prison plus de trois mois après sa condamna- » tion, le seigneur, ou l'officier , qui l'y aura fait constituer, pourra s'adresser » au juge qui l'aura condamné, et \qA\{]w^c. pourra convertir la peiue pécu- » niaire en peine corporelle, soit de Voyage à pérager à ses pieds, soit » autrement, selon la qualité de sa personne et du délit commis, aiant alten- » tion à la peine déjà soufferte dans sa prison '. » En pratique la conversion de la peine pouvait être ordonnée par la cour subalterne, qui ;nait connu de la cause, sans renc/tarf/es de la souveraine justice de la (]ité -. Vempri.so)inentent considéré comme peine séculière était en règle géné- rale temporaire. Cependant, dit Soliet, le juge, cédant aux prières de l'Église, condamnait parfois un clerc dégradé et livré au bras séculier à faire pénitence dans un monastère ou dans une prison , le reste de ses jours, au lieu de l'envoyer à la mort ^. A propos de la [teine de renq)risonnement, il importe de jeter un coup d'œil sommaire sur ce que nous savons encore du régime intérieur des anciennes prisons liégeoises. Et d'abord, le droit d'avoir des prisons n'a|q)artenait qu'au |)rince de Liège et aux seigneurs justiciers ses vassaux. Les |)arliculiers, faisant prixon privée ou connnettaut le crime de sé(piesl ration arbitraire, étaient coupaljles du crime de lèse-majesté. Les villes elles-mêmes n'avaient plus la faculté d'avoir une prison ou ferme, si elles n'avaient pas de juridiction spéciale ou si elles n'avaient pas une permission du prince K Le prince de Liège avait ses prisons dans la ville de Liège et dans plu- sieurs autres villes et places du pays. ConloruK'ment à un mandement de 1688, les seigneurs du pays, investis du droit de justice , devaient avoir de leur côté des prisons ou fermes en bon état pour y rece\oir les gages saisis et, naturellement, les délinquants appréhendés justiciables de leurs échevins. Quand il n'y avait pas de prison convenable et sûre dans une juridiction ' iidit de 1711) : PoiiUs concevnunl les tutim's criiitiiicllcs^ arliclc li). * SoHET, ouv. cité, livre V, titre XXX, n' 10. * Idem, titre XXVI, n° 21. * Idem, livre II, litre XXIX, n" 1,2. — Rausin, ùj Leodio, livre 11, chapitre XXI , [>. 502. Tome XXXVIII. iOO 794 I^SSAl SUR L'HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL runile, PolTicier devait garder ses prisonniers comme il le pouvait jusqu'à ce (juo leur transfert hors de la hauteur eût été ordonné par décret du juge '. A Liège, la prison de roflicial était distincte de celle du grand maïeur. Dans la première on renfermait les accusés ressortissant aux cours d'église; dans la seconde ceux qui ressortissaient au tiibunal des éclievins. Confor- mément à Tordonnance de 1 744 , les prisonniers ressortissant aux cours subalternes ainsi que les vagabonds étrangers ressortissant à la Gunnine, traiisf(''rés à Liège, étaient répartis également entre les deux pi-isons -. Ledit du 0 janvier 1741 , statuant par rapport aux déliiupiants retenus en prison pour n'avoir pas acquitté les frais auxquels ils étaient condamnés, ordonnait à ceux qui usaient à leur égard du droit de rétention de leur fournir le pain nécessaire, s'ils ne voulaient les voir iiiimédiatement élargir \ L'édit du o octobre 1744 statuait que la Chambre des comptes payerait les dépens de tous les prisonniers criminels, condamnés aux frais ou non, à raison de 7 ^ja florins par niois, pendant trois mois à compter du jour de Temprisonnement ; et que , après les trois mois , les prisonniers tomheraienl à charge des juges, olliciers ou geôliers usant à leur égard du droit de rétention *. Conformément à Tordonnance du l*^' octobre 1744, relative aux prisons de Liège, les geôliers étaient assermentés soit à roflicial, soit aux éclievins. Ils devaient savoir lire et écrire. Sur leur registre d'écrou ils devaient mar- {|uer les noms des prisonniers, en distinguant les prisonniers civils des prisonniers criminels, avec la date de leur emprisonnement, l'inventaire de leurs elTets, et la date de Pavertissement de Tincarcération donné aux juges et à Wi vocal de la prison. Quand un prisonnier t'tait élargi, ils devaient en faire meiHion sur le uïème l'cgistre. La (Chambre des comptes ne remboursait pas à un geôlier les frais de nourriture des prisoimiers criminels, à moins (pie leur rtal ne fùl paraphé par Yarocat des jirisons. Les geôliers avaient ' Soini, Idco riiiilo, 11"" 'i, ;i, 7, 8, vl livre IV, litri' XII, ii" 83. - SoHKT, oiiv. (iu-, livre. Il, liu-o XXIX, n" 4, ">, el Onluiiiiuitre de 17 44. '• l'oi..»i.N, oiiv. riié, 5'' sôrii', l. I", p. 751. ♦ Idem, a sa dalc. — lluui.\,ouv. cilé, l. 11, p. 137. DANS L'ANCIENISE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 795 défense expresse de maltraiter les prisonniers, et ceux-ci, s'ils injuriaient ou maltraitaient leurs gardiens, pouvaient être punis par séquestration ou autrement à l'arbitrage des juges. Chaque prisonnier avait droit à une botte de paille, de vingt-cinq livres environ, par mois, et à une bonne couverture; à de l'eau claire deux fois par jour, et à trois pains de quatre livres par semaine. Ceux qui avaient de la fortune pouvaient vivre plus largement à leurs frais. Les maîtres de charité avaient la faculté de communiquer avec les prisonniers criminels, mais seulement par le guichet et en présence du geôlier ou de son substitué assermenté. Ils recevaient leurs plaintes, leur distribuaient des aumônes, et transmettaient leurs réclamations au Conseil privé '. Quant au règlement du 19 décembre 1744, il complétait les dis|)ositions du règlement pi-écédent surtout en ce qui concerne les prisonniers civils. Il fixait aussi le chauffuye amfuel les détenus avaient droit, en général, tant en houille qu'en couveiturcs 2. Il est inutile d'entrer dans plus de détails; ce que nous venons de dire montre assez que les |)risons lié- geoises étaient encore dans un état très-primitif. La seule chose digne de remarque que nous ayons à relever, en ce qui les concerne, c'est Tinterven- tioii charitable et moralisatrice des inailres de charité. Nous terminons en rappelant ((ue les prisons étaient dans la sauvegarde du prince : que le geôlier, laissant sciemment et volontairement échapper un pri- sonnier criminel, encourait la peine que celui-ci aurait dû subir; que le geôlier, laissant échapper un prisonnier par négligence, encourait une |)eine arbitraire'. Nous n'avons que peu de chose à dire en ce qui concerne les amendes. La réformution de Groisbeeck les avait rendues uniformes dans le pays tout entier : « de manière que, au lieu de l'amende île Oouriniie montante à sept » soûls, on pa>era vingt et un patars de Brabant ou la valeur; et pareillement » pour trois llorins d'amende de sang, trois llorins tels que dessus ou la valeur; » et conformément des autres voyages, amendes et peines pécuniaires K » ' IIoDiN, oLiv. cilé, l. m, p. 7o. - Idem, idvm, p. 7'J. ' SoHET, ouv. cité, livre II, titre XXIX, n"' 14,9, etc. * Chapitre XV, article 2. 79<) i:SS\l SIR l/mSTOIRE DU DROIT CRIMINEL Les innviidoK étaionl considéiros comme un fruit do la jiiridiflioii. Elles appaileiiaioiit au prince ou au seigneur immédiat du ressort dans le(|Uol elles étaient prononcées. En général, elles passaient en tout ou en partie entre les mains des olliciers de justice : les grands baillis et les baillis des seigneurs ayant celles de trois florins de Brabanl et au-dessus; les maïeurs locaux ayant les amendes moindres, à moins de convention formelle contraire. Les droits des voués élaienl, dans les endroits où il y avait encore des ayants droit des anciens voués, déterminés par les usages locaux. Les juges n'avaient plus, en aucun cas, part aux amendes (prils a|)pii(piaiont. (loiiformcment à certains édits le sergent rajj/jorlcur du dr/if , ou le pailiculier délateur, avaient une pail dans celles qu'encouraient les délinquants '. Les juges liégeois du XVIII'" siècle étaient tenus d'appliquer les amendes comminées par les stoluls , rdiis. ordonnances, mais en ayant toujours égard aux circonslances particulières de Tespèce qui se présentait devant eux -. Sobet disait qu'il \ avait une espèce de ronflsralion usitée au pays de Liège : c'était la lonnnise pour contravention en matière de cbasse, de pècbe, et dans (pu'lques antres cas déclarés par les édits •'. Les édils des 10 jan- vier looâ, 10 décembre lofil, 2i novend)ie 101:2, 23 décendirc Ki'il, 10 juin l()(S9, 20 août 1712, etc., relatifs les uns au port des aimes pro- bibées, les anlics aux (icca/joremenis on monopoles , prononçaienl tous, en elTel, la conliscalion spéciale dos objets formant le corps du délit ou a\ant servi à le commetti-e '\ Quant à la confiscation (jênérale des biens qui soiu'llait le système pénal des Pays-Bas autricbiens et qui, en fait, était sur leur territoire la consé- (|uence de toutes les condamnations capitales, elle ne pouvait pas plus (pie jadis être prononcée au pays de Liège contre les délinquants coupables de crimes ordinaires, (piebpie graves que fussent ces dei'uiors. La conliscalion générale des biens ne s'olail glissée dans la jurisprudence liégeoise qu'en ' Soiir:r. onv. riii', liMc \', liiic X.W, niMiclcs y, 6, 7, 8, Ole. ' Idem, 11° '2. ' SoHET. oiiv. ciU-, livre V, lilre XXVIII, arliele 4. * PoLAi.N, oiiv. eilé, 'i'cl ô' séries, il leur diilc. — IIodi.n, ouv. eitu. DANS L ANCIENNE PRINCIPALTE DE LIÈGE. 797 matière de m'utc de lèse-)iiojeslé. Dans ces limites, bien étroites relalivement à l'époque, elle ne s'étendait encore ni aux fidéiconmiis réels et perpétuels, ni aux fidéicommis avec défense expresse d'aliénation en dehors de la famille, ni même aux biens faisant partie d'un fid<''iconnnis simple. Le fisc, néan- moins, jouis.sait de ces derniers jnscpfà la mort du condamné en vertu de la sentence (|ni prononçait la confiscation. En |)résence de ces principes, il était tonjoms libre an failuel condannié dans la i)rincipauté de Liéjie du chef de \iol, dhomicide |>rémédité, de vol, etc., de tester de son avoir, et même de ses eflets d"liabillement. S"il ne testait pas, tout ce qu'il laissait pas.saitde plein droit à ses héritiers '. Il est à remarquer qu'au XVI" siècle les édits liégeois, et notamment celui du !) juin 1533, prononçaient la confiscation générale des biens en matière de crime d'hérésie, crime de lèse-majesté divine -. Nous ternn'nons ce (pii concerne les particularités relatives au système pénal liégeois en citant deux faits plus curieux qu'importants. In édit du :23 septembre 171 1 décidait (\uo tout cabai'ctier coupable (faNoir établi son auberge dans un lieu à l'cnart, loin des grands chemins, serait |)uni par le i>il- i,\(;i- de .son établissement, et serait chassé de celui-ci. Il faut dire <|ue, dans l'état de la société, toute auberge écartée était assez raisonnablement réputée coupe-gorge. D'ini autre côté, un ('dit du 31 j.unicr ITiT, relatil'à la |)olice du théâtre de l>i<''ge, enjoignait aux sciiliiicllcx du régiment, de faction dans la salle, d'admonester « ceux qui faisaient du brinl et du désordre et de les » faire sortir à coups de bourrades en cas (ropposilion '*. » 3Iais, après les faits que nous a\ons cit('s, il nous reste encore à résumer (pielques considérations générales concernant l'objet de ce paragraphe. L'an- cienne doctrine divisait les j/eincs en capitales , af/lictires, infamantes cl ordinaires, ces dernières connnunément appelées civiles. Elle considérait comme peines capitales non-seulement celles qui procuraient la mort natu- relle du condamné, mais encore celles qui procuraient .sa )nort civile. ' SoHET, ouv. cité, livre V, titre XXVIit. — MÈ\y , Oliscrvation 88. — StijU di- 1779, p. 90. — Raiisiii, l'oullon, Louvrex, la Ilnniayclc, etc. '^ PoLAiN, oiiv. cité, 2" série, t. I''', à sa date. "> Idem, 3^ série, l .1 cl II, à leur daie. 798 ESSAI SLR LUISTOIRE DL DROIT CRIMINEL A Liéec, outre les dilïérenls supplices par lesquels s'exécutaient la }winv de mort, il semble que le haunissement perpétuel seu\ pouvait être considère coninie pe/'iie capitale. Seul, en ciïel, il emportait une véritable mort civile du délinquant et enlevait à celui-ci la jouissance et même la propriété de ses biens. Les biens du banni passaient aussitôt à ses héritici-s, s'il n'en avait dis- posé avant sa condanniation à titre testamentaire ou à titre de donation '. Il V a doute sur la nattn-e de ïemprisonnement perpétnel. cpiand il était prononcé par les juridictions séculières '-. On considérait comme |)eines af/lietives et iiifamuitles : toutes les mutila- tions, la fustigation et la numpie, le carcan ou exposition ; le bannissement temporaire. (|uand il avait été prononcé à Toccasion d"un crime infamant, mais autrement pas; les voyages à pérager à pied et sans rachat; Y empri- sonnement temporaire, quand il était appliqué, par hasard, à raison d'mi crime infamant ^. Vamende honorable, faite sous forme de pénitence publi(pie, était une peine sinq)lcment infamante, mais la simple palinodie pas '. Enlin, les amendes, les voyages réductibles en argent, etc., étaient des peines ordinaires qui n'im|)rimaienl aucune tache spéciale et dural)le au délin(piaiit (pii les avait encourues. Les d('lin(|iiants condanmés à une peine infamante encouraient l'infamie de droit, et étaient partant incapables de remplir un oflice (|uelconque, et !nèmc de porter témoignaj;e valable en justice '". Au i-este, en droit liégeois, Vinfamic dr droit ne s'encourait pas seulement par Texécution de la peine; elle s'encourait aussi par la seule sentence de condanniation à raison de cer- tains crimes, tels que le rapt, le faux vendaige . la baïKpu'route fraudu- leuse , etc. ''. I Siiiii;t,()uv. cil/', livre V, lilic XXVII, 11" 7.— Mka>, ObseiMiliim SS. ■•' l'jir ar^iiniciil a loulrario di' Soiie;t, ouv. cité , tilro XXVI , ii" -JO. 5 SoiiET, ouv. cilc, livir V, titre XXVI, n"" 17, 18, '20; litre XXVII, i.<" :., «, etc. — Curnliiie, iliii pitre CXV. — De Guevviet. <■ SoiMT, OUV. cité, livre V, litre XII, n° 70. — Rcformiitlvii dr Croisltcerli , cli.iiiitrc IV, urticlc 'f. " Idfw, idem, livre I", litre C, passbii. — Point» iiiannii-a fiQin luiitumen, cliaiiitre XIV. urtiile 26. , * Idem, idem, livre I", litre C, n° 7. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 799 Ajoutons que très-probablement on avait eu, à Liège comme ailleurs, la coutiuiie d'infliger, le cas échéant, la fustigation sons la custode, en prison. et non en public, aux gens que Ton croyait utile à la chose publique de ne pas noter d'infamie '. En terminant ce qui concerne les peines proprement dites, nous nous bor- nons à indiquer celles que comminait le règlement du 10 août 1793 destiné à la maréchaussée liégeoise. C'étaient la peine de mort pur les armes , la prison simple, la prison au pain et à Teau, la peine de passer par les cour- roies, la privation de paie, les arrêts, et le renvoi du corps. Le règlement ordonnait à la juridiction s|)éciale, ou plutôt au conseil de guerre de la maré- chaussée, de juger conformément aux lois militaires de l'Empire et, en parti- <'idier, à la Caroline de Charles-Quinl '-. Disons maintenant un seul mot des voyages au profit de lu Cité, des roijafies un profit des parties lésées et des peines ecclésiastiques. Du voyage au profit «le la Cité. D'après les Points nian/ués j/tnir coutumes le faituel, coupable d'avoir commis ou l'ail comineltre un Iniinicide dans la Cité et sa banlieue, encourait encore, outre la réparalioii à parlie (>l la peine ordinaire, une peine statu- taire, « qui est un voyage d'outre-mer, à un an de stuijt, au seigneur et à » la Cité, sans rémission, à payer dans trente jom-s après qu'il aura fail paix » à la partie et au seigneur, \ oir le fait bien prouvé. » Ce voyage statutaire avait conservé les mêmes caractères que jadis. Il était par la force des choses inexifjible si le délinipiant était elfectivement mis à mort. Mais, si le délin(|uant était fjracié, il devait nécessairement être accompli par lui avant sa rentrée dans la Cité, franchise ou banlieue. En ell'et, le faituel condamné (|ui « rentrait ou revenait en la (]ité, franchise ou ban- » lieue susdit, sans payer la voie et rapporter la lettre... démit être justicié, » aussi bien que s'il n'eust fait paix au seigneur, ny à la partie... » Nous a\ ons déjà dit que le voyage au profit de la Cité pouvait faire l'objet ' Pon.i i,T, -2"" Mémoire ntir rniicieii droit criminel duns le duché de lirubunl cilé, p. 398. • Poi.AiN, oiiv. cilé, 3'' série, I. Il, p. 1)89, chapitre ill. 800 ESSAI SUR LIIISTOIRE DU DROIT CRIMINEL (riinc Jiclion particulière, toujours poursuivie devant toi et franchise , et entièrement indépendante de Paetion tendante à l'application de la peine ordi- naire '. Le voyaire d"outre-nier à un an de sfiiijf était encore encouru par les délinquants (|ui, étant entrés par force dans les maisons bouryeoises de la Cité, franchise et banlieue, avaient commis des actes de violence contre leur> hahilanls ; par ceux qui, potn-suivant quelcpùm, lui avaient fait \iolencc dans une maison bouriïeoise où il s'était réfugié; par ceux qui avaient tiré aux armes de Irait sur quelqu'un dans une maison bourgeoise; par ceux qui avaient commis dans la Cité, franchise ou banlieue, un rapt à cry et lialtui/, ou un rapt par séduction d'une mineure de douze ans -. Dans tous ces cas, le voyage pouvait aussi être poursuivi par action séparée. Il empêchait le délinquant de rentrer dans la Cité, franchise et banlieue, tant qu'il n'avait pas été accompli, sous peine pour lui d'encourir la section du poiny. Mais, à la différence du royaye encouru du chef d'homicide, il était essentiellement racbetable au prix de quarante florins du Rhin « à appli((uer » moitié au seigneur et l'autie moitié à la réfection et réparation des murailles » et artilleiios de la Cité ^; » et, par consétpient, il se cumulait loujoin-s avec la peine ordinaire. Nous n'insistons pas, car nous retomberions dans ce que nous avons dit au 2" livre. Nous nous bornons à rappeler que les dispositions dont nous venons de parler sont reproduites par Soliet; et nous en concluons qu'elles étaient encore jusipi'à un certain point en \igueur au XVIII'" siècle '. Que se passait-il alors à l'égard du voijaye an profit des vilh'S dans les autres villes de la principauté? Nous n'osons pas répondre à cette question faute de docu- menls. ' Poi'iils tixirijuès ptnir cDiitniiii's, cliiiiiitre .XIV. iirticlcs (i ."i lô. - Jili'in , i-l)ii|)itrL' -XiV, uilicli's '2'2 à 'A. ' Idem. * SoiifcT, ouv. cité, livre V, titre XI. ii" 2G; litre XII, ii" 1") ; titre XIII. ri" '.I: titre XXVil, n» 18. DANS L'ANCIENNE PRINCIPALTE DE LIEGE. SOI Des voyages au profit des parties lésées. Les iwjuge.s au profil des parties lésées étaient j;itlis, eoiiinie nous l'avons dit, de véi'ilables réparations à partie tarifées par les Statuts. Ils répondaient à Yaction tendant à l'obtention de l'amende profitable, et ne préjudiciaient pas à Yaction en dommages et intérêts. Nous croyons qu'ils avaient conservé les mêmes caractères pendant les trois derniers siècles de l'ancien régime. La réformation de Groisbeeck comminait un voyage à Saint-Jacques au pi'ofit de la pai'tie lésée, contre celui qui envahissait ou attaquait injustement autrui, etc. '. Les Points marqués pour coutumes rappelaient que la victime d'une mutilation avait di-oit à quinze voyages à Saint-Jacques en argent -. Sohet, enfin, au titre des Imttitures, querelles, menaces et autres injures. rappelait encore toutes les dispositions de la paix de Saint-Jacques l'ola- tives aux voyages au piofit des parties lésées •". Nous renvoyons derechef pour le détail de ce qui louche ces voyages au "2" livre; seulement nous pensons qu'au XVIII'' siècle les juges ne se croyaient plus si étroitement liés que jadis par les prescriptions du législateur; et que, de même qu'ils arbitraient les peines, ils aihitraient aussi jusqu'à un certain |)oint l'étenilue des amendes profitables. La taxe des voyages à partie serait ainsi devenue une simple taxe approximative, ou si l'on veut un minimum, aux(|uels les juges aui-aient lait des ajoutes selon les cil-constances du l'ail et la condition des personnes. Du système pénal ecclésiastique. En ce qui concerne le système pénal ecclésiastique, nous n'avons plus rien de neuf à dire. Les principales peines qu'il ailmettait étaient comme dans les temps antérieurs : l'excommunication majeure, la suspension, la déposition, la dégradation, les amendes, lamende honorable, les pèlerinages *, et l'em- ' ChapiU-e XV, article 9. - Chapitre XIV, article 2). ' Ouvrage cité, livre V, titre XII. '' La réforme des cours (règlise d'Érard delà Marck recommandait à lonicial de ne pas tou- jours condamner les délinquants à des pèlerinages. ToMi: xxxviir. ioi SO^i KSSAI SLR LHISTOIRE DU DROIT CRIMINEL prisoiuicinenl. Piis |)lus (|ue jadis il ne comprenait les cliàlinicnls corporels capables de causer une elïïision de sang. Sohet nous apprend que l'antique peine de Viitfeirh't n'était plus guère usitée de son temps. Poui- le suiplus il ressort de ses enseignements que les diverses peines, (jue nous venons dVnuniérer, avaient absolument les mêmes conséquences qu'autrefois. Ou se rappelle, du reste, que dans le cbapiire I'' (lu 3- livre nous avons eu l'occasion de nous occuper assez longuement des conséquences de la princijjale d'entre elles: Vexcummuiiicudon unijeure. Nous n'avons qu'un mot à ajouter à ce que nous avons dit. Les S/aliils (Je i-iS2 et de KHÔ enjoignaient aux juges ecclésiastiques de ne pas excommunier les délintpiants, sinon dans les causes graves. Ils leur permettaient néanmoins d'cxconmiunier les individus rebelles à justice, incor- rigibles, après deux moiiitoiies dûment signiliés, et dans les cas où Texé- cntiou réelle et personnelle ne pouvait avoir lieu '. Nous passons donc aussitôt à un dernier et court paragrapbe. i; m. — De l'exectiliott des peines et du droit de ijntce. Pour traiter mélbodiquenient ce qui nous reste à dire de Pcxéculion des peines, après les données rassemblées dans le paragrapbe précédent, nous devons parler à part des peines cor[)orelles, des amendes, des voyages et (les peines ecclésiastiques. Le droit de |)i()cMrer l'exécution des sentences corporelles on ((ij)itw((7/rt>ï/e.< nouvelles. En elTel, on pouvait à Liège décréter quehju'un de prise de corps sur Varcusation d'un condauuié à mort, accusation confirmée pas la mort même de celui-ci '. Nous avons déjà dit que dans le pays de Liège les États pi-enaient à leur charge, au XVIII'' siècle, tous les émoluments du maiire des hautes œuvres, et (pie, en outre, ils accordaient une indemnité après chaque exécution corpo- ' Style de 1779, |). !»-.>. * Style de 1779, p. 'J:2. — Soiif.t, ouv. cit.-, livre V, titre XMV, ii°- I7!t, I8t, 183.— Il est ;'i irm;iri|tier i|iic l>eiiii('()ii|) de lornies sdieiiiielles iiicnliDiinées iliiii» la (Aiiuluie n'étaient pus usitées ilaiis le jjiiys de l.ii'-ge; :iii moins n'en Irouvous-noiis nuciine nienlinn ihiiis le Style lie 1779. ■ SoiiET, oiiv. eité, livre V, titre XI.IV, n" l!)l), d'après le Siyh- hiaxalii de 17 -ii. * Style de 1779, pji. \H et !)ô. Vnii' ce que nous avons dit plus haut. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIEGE. 803 relie ou citpitale à Tofficiei' ou au seigneur qui Tavait procurée. Nous nous bornons à ra|)|)eler ici celte mesure excellente, pour mémoire ', et avant de passer à ce qui touche les voyayes. nous dirons un mot du bannissement. Lorsqu'une sentence de bannissement avait été rendue, soit par les écbe- \ins de Liège, soit par une cour basse à la rencharge de ces derniers, on commençail parla;;/-o«o»6wdans le prétoire même du tribunal. Puis rofïicier criminel, accompagné de deux échevins commissaires, se rendait au perron, ou dans les villages au lieu des })hiids (jénérmu. On sonnait la cloche ou Ion battait le tambour. Un sergent proclamait de par le prince-évéque de Liège et la cour de justice : qu'ensuite d'une sentence de telle date, un tel était banni hors de la juridiction, ainsi que hors de la (jté, pays de Liège et comté de Looz, sous peine, « tiers jours ou après, s'il s'y retrouve, d'avoir » (... la tète tranchée... ou d'être pendu...) pour l'exemple d'autres. » Enfin, si le délinquant était sous la main de la justice, un sergent lui intimait le bannissement à personne, et le conduisait à la limite du i-essort judiciaire pour le chasser eneclivemeut. Procès-Ncrbal de l'accomplissement de toutes ces lormalités était dressé par le grellier et conservf' dans les archives, pour (]u'on pût y recourir en cas, par exemple, ih; nijiliire de Imn '-. Les voi/afjcs faisaient l'objet d'un connnand ailressé au condamné en per- sonne, et nipporlé au grell'e par un sergent de justice. En principe ce com- mand fixait ait délinquant deux délais, séparés par un intervalle de trente jours, dans lesquels il devait s'acquitter. Cependant, pour des raisons légi- times, le condannié pouvait obtenir un troisième et dernier délai. S'il n'obtempérait pas au command en temps voulu, il encourait les peines subsi- diaii-es dont nous avons parlé au pai-agraphe précédent. Les lormalités étaient les mêmes en ce qui concerne les voyages au profil de la partie lésée et les \oyages ordinaires à titre de peine. Quant aux voijaçies d''outre-mer à un an de sluyl^ au profit du seigneur, de la Cité, des villes, ils devaient être accomplis ou rachetés dans les termes fixés par les Statuts ou actes législatifs qui les conuninaient, sous peine de donner ouverture aux peines corporelles subsidiaires dont nous avons fait mention. ' SoHET, ouv. cité, livre V, litre XI.IV, n" 139, et surtout le que nous avons dit diins le l" et (l.ms le II' chapitre de ee livre. ^ Slijteilc 1779, pp. ;)3, !)V, "Ki, !lli. 80(1 ESSAI SLUi LIllSTOIJii: Dl DHOJT CKIMINKL Par lappurt aux obligations des déliiiquaiils qui péiayeuieiit leurs voijai/cs à pied, ainsi que par rap[)orl an\ autres détails de la matière, nous ren- voyons à ce que nous avons dit au deuxième livre. Il est inutile dallonger notre travail par des redites '. Les amendes faisaient robjcl d'un sin)ple rommand à tiers jours, « à peine » d'être bannis. » Si le condannic ne s'acquittait pas dans le temps voulu, il pouvait, nous Pavons vu déjà, être appréhendé et mis en prison |)ar mod)- de cunlniiitle, et jusqu'à un certain point à titre de punition subsidiaire -. Nous croyons que, comme jadis, quand un délinquant a\ait encouru à la l'ois un eoyof/e au profil de la partie lésée , et une amende au prolil du sei- gneur, on ne lui adressait qu'une seule et même sommation relative aux deux prestations. Enfin, ainsi que nous l'avons déjà dit, mais comme il importe de le lappeler ici en passant, Vof/leial de Liège avait le droit de faire exécuter les peines, (pi'il avait prononcées, par les olïiciers locaux des Justices séculières s'il avait besoin de leui- intervention ■"'. Les juges apostoliques n'avaient pas la même faculté, et les juges d'églises nationaux, autres que l'ollicial, n'avaient jamais le droit de faire saisir et emprisonner les surcéanis de leur autorité propre K Passons donc à ce qui conctune le ilroit de (jràce. Le principe dominant de la matière était resté le même qu'autrefois. De même qu'à l'époque de la paix de Saint-Jacques, les trois répaiations auxquelles un délinquant pouvait être assujetti : la peine, le voyaye au profit de la Cité, la réparation due à la partie lésée . étaient indépendantes l'une de l'antre. D'après les Points marqués pour coutumes, les voyages au jjrofit de la ("-ilé étaient sans rémission'\ D'un autre côté, si les proches du mort, eu cas d'homi- cide, et la victime elle-même en matière d'autres violences contre les per- sonnes, pouvaient composer à l'amiable avec le délinquant, cette composition ' SoiiET, oiiv. cilé, livre V, lilrc- XXVll, ii'- li ;i 17. — lii^/uniie de Groisbeecii, cliapilre XV, arliclf (i, cit. — Puis de Suiiit-Jaiquen, clc. - Voir ce que nous avons dit iiu pai'Jigrjiijlie de la prmàlure aux (lus de eondainnalioii :'i ïamendf. — Soiiet, ouv. eilc, livre V, liiic X.XX, ii"" i-2, 15, etc. — Style de 1779, etc. '' Voir aux eliapilies 1 el II de ee livre. — Soiikt, ouv. cité, livre V, litre XXV, ii" ô. * SoiiET, ouv. cité, Tiuilé prèliminiiirc, titre IV, n" !(ô, 94, 'Ja. ■' Chapitre XIV, article (). DANS L AÎNCIENAE PRINCIPALTE DE LIEGE. 807 MO portail aucun préjudice à raction criiniucllc ouverte au profit du justicier '. Enfin la grâce de la peine encourue, octroyée par le prince, éteignait si peu le droit des parties lésées, qu'en principe ces dernières devaient èlre satis- faites avant (pie la grâce lut possible -. .Nous le verrons tantôt. Pendant les derniers siècles, le ilroil de faire yroce élail considéré à Liège comme un droit absolument rèonseil |)rivé, ni même auK comtes et barons du territoire soumis à la souveraineté du prince. Les seigneurs territoriaux n'avaient jamais le droit de gracier un délinquant con- damné à une peine corporelle ou à un bannissement, ils ne pouvaient faire remise que des amendes pécuniaires dont le produit leur appartenait de j)lein droit ''. En ce qui concerne les crimes de for ecclésiasti(|ue la praticpie était autre. On accordait les lettres de rémission, le cas écbéant , à l'offirialitr, mais de l'avis préalable de l'ollicial , du \icaire géni'ral de ré\è(pie, de Tavocat fiscal et du notaire du grand scel ''. Il est à remar(|uer «pie l'Evèque était en posses- sion de juger de la stih ou ohreplion des grâces impélrèes à la coin- de Rome, à raison de crimes du for ecclésiastique dont il avait informé, ou dont il avait puni les auteurs ^. Sans insister sur ce qui concerne les crimes de for ecclésiastique, voyons les restrictions auxquelles était encore soumis, pendant les derniers siècles, l'exercice du droit de grâce des |)rinces-évèques. Les princes de Liège ne pouvaient en principe, comme autrefois, (jrncier les délinquants coupables de s('dilion, de traliison, de ?«c«/7>r (c'est-à-dire d'homicide pn-medité ou avec gnet-apens), de rapt commis avec violence, ' J'oinis iii(ty(iiii'!i pour roiiliiiucs , clinijitre \1V, Miliclc K». — Soiiet, onv. cilc, li\rc V, tiln- XX.XI, n-S; lilicXl, n" 29, r>l,i-tc. * fFoniN, oiiv. cite, t. III, p. 1 Ir2 , n" 7. ^ SoiiET, onv. cité, livru V, lilrc XX.XI. n" l>, 7, Ij, il'iipii-s Cliokicr, de adrucal. fend., (luacstio 58, cic. — Points iiiai» Cependant Méaii croyait que la règle cessait si tous ceux qui étaient intéressés à la répression inipiloyable du crime consenlaienl à l'octroi de lettres de grâce -. Nous pensons que son avis faisait loi. Les pi'inces de Liège ne pouvaient ijracivr un délinquant, coupable d'un crime ordinaire, mais punissable de peine coriJOi-elle ou d'exil, sinon dan> les conditions suivantes : 4" Que les parties lésées ainsi que le seigneur ou l'ofiicier du lieu du délit fussent préalablement satisfaits ; 2" Que les droits de justice fussent payés. De plus, les lettres de grâce octroyées par eux ne sortaient elToctivemenl leurs elTels que si elles n'étaient pas sub ou ohreptkes, et si elles étaient dùmeni entérinées^. Ces diverses conditions méi'itent quelques mots d'explication. Les parties lésées, dont le délin({iianl a\aità ca|)liver le gré notanniient en Fnatière dlionn'cide, étaient : celles cpii a\ aient le droit de l'épée, et celles (|ui avaient une aetioii en doniinof/es et intérêts. La déclaration de l'occis, faite avant de mourir, (|uil pardonnait à son meurtrier, n'éteignait pas leur dioit. Mais la jurisprudence admettait que si \ei> parties lésées étaient inconnues, ou si elles se montraient déraisonnables et obstinées, le prince pouvait passer outre K Eu ce qui concerne les seigneurs et les officiers du lieu du délit on distinguait, semble-t-il, les cas où une amende leur aurait été due à raison de l'olïcnse faite à leur juridiction, et les cas où le délinquant n'avait encouru qu'une peine corporelle. Dans la première b\potlièse, ils devaient être réellement satisfaits: ils avaient (ui droit acqins par le délit; dans la seconde, ils ne |)ouN aient exiger (pie le nMnbonrsement des dépens (ails par eux, mais rien de |)lus '. Les droits de jnslirv. dont il était (|uestion, étaient les dépens du provès criminel; ils restaient toujours à la charge des délin(|uants combunués. ' .SoiiET, ouv. ritt', livre V, liUr XX.XI, n° !K - Ml iw, Ohscrvalion OSI. n" 7 cl 8. •'" Éclil lie t(i8C, sur les Icllri-s de grâce. — Sohet, ouv. cité, livre V, liUc XXX!, n" 1(1. * SoiiET, idem , liUe XXXI, n" 1 1 ; litre XII , n° 7± — Hodin, ouv. cilc, t. III , p. 1 l'J. * SoiiET, ouv. cite, livre V, titre X.XXl, n"' \'2 cl 13. — IIodi.n, ouv. cilé, t. III. pii. I ll> et HT,. — Kdil de tG8() sur le; Iriircs de gnicc. DANS L'ANCIENNE PRINCIPAUTE DE LIÈGE. 809 C'était le dispositif exprès de Tédit de I680, publié le 30 janvier 168(), renouvelé en 1689 et en 1698 '. Dans le pays de Liège on distinguait, comme dans les Pays-Bas autrichiens, les lettres de grâce, de pardon, (['abolition et de rémission. Leurs caractères propres étaient déterminés par le droit commun de Pépoque -; mais à Liège toutes, indistinctement, devaient être entérinées '\ Chacune d'elles devait contenir un récit fidèle et circonstancié du crime, dressé d'après la teneur de la requête du délinquant; et l'entérinement était précisément destiné à s'assu- rer si le récit du délinquant était véridique, et si partant la hoime foi du prince n'avait pas été surprise sub ou obrepticement. Ventérinement devait se faire tant au greffe de la haute justice, qu'au greffe de la cour subalterne du lieu du délit. Il comportait un déhat judiciaire auquel inteivenait l'officier |)oursuivant. Il devait se faire dans les six semaines de l'obtention des lettres, sous peine de nullité de ces dernières. Au XVII^ siècle, certaines cours faisant parfois des dillicullés de se prêter à Ventérinement, deux ordonnances du 22 féSrier et du 1 4 mai-s 1 764. poui'- vurent au mal *. Elles ordonnèrent aux cours de justice de procéder, dans la huitaine, à Ventérinement des lettres de grâce. (|ui leur seraient présentées, à moins déraisons plausibles à soumettre dans le même délai au prince ou à son Conseil privé. Elles permirent à l'impétrant de s'adresseï- au |)rince, « à » fin d'y être aussitôt pourvu » si les cours de justiqe se montraient récalci- trantes. Elles \ oulaient en principe que : « dès qu'il n'y avait rien à contredii-e » à la narration des faits, et qu'il conslail que les droits de justice des officiers » et de la partie offensée étaient payés, » elles fussent entérinées sans retard ni opposition quelconque, « à |)eine de désobéissance. » La première d'entre elles, enfin, se contentait d'une présentation à la cour de copie aiitlientu/He des lettres de grâce; la seconde exigeait la présentation de l'original et d'une copie authentique, cette dernière destinée à rester en dépôt au greffe. Nous n'oserions pas décider si, à la fin de l'ancien i-égime, les amendes ' Nous en avons parlé dans le chapitre 1". - PoLLLET, 2""' Mém. sur l'ancien (troit criminel dans le duclié de lirtdninl cite , pp. 400 cl siii\ . ■* Édildc 17G4. — Polain, ouv. cilc, 3'' série, t. Il, p. 'i'J'2. '* Polain, ouv. cité, 5' série, t. II , pp. 4!l;2 et 493. Tome XXXVIII. 102 810 ESSAI SIK LHISÏOIRE DU DROIT CRDIINKL. m;. encourues pour contravenlions aux Statuts inunieipaux anciens étaient encoïc irréinissihtrs. Mais un point hors tic doule, cVst (pruii prince-évèque n"a\ail jamais le droit de jïi'acier un délincpiant condamné |)ar les A.V//. m' de prendre ce dernier sous sa protection directe ou indirecte '. .Nous a\ons parlé plus haut de ce (pii concerne le droit de roniposilion jirojn-oiwnl dit. Nous n'y reviendrons plus. Pour le surplus de ce ([ui con- cerne le (hoil (le (jnicp. nous pouvons encore renvo\er au droil roiinnun de Tancien régime. En terminant ici ce long travail nous osons nous reconnnander derechef à la bienveillance de nos juges. Puissent-ils prendre en considération reten- due de la matière que nous a\ions à traiter, les dillicuités que celte matière présentait et nous tenir compte des résultats au\(piels nous espérons être arrivé. Si plus tard un autre travailleur se présente pour reprendre et rema- nier nos i-echerches, nous avons au moins la conscience que celles-ci ne lui seront pas inutiles. ' Soiii;t. duv. litt', livre l", lilrc \IA , ii"" SLI, 8(5, ô7, .3S. >'^*'«fT^3S>« TABLE DES MATIERES. liNTRODUCTIOX i LIVRE I- lii iiiuiii ciiiMiM.i. i,ii:i;eois jusqu a i,a paix i)angli;uk [-t i.v i'ux di; ii;\iii i;i CHAPITRE 1'. Dis iiKiiiiiiiifiilx dit (huit liijcicnis anliriciirs un XIV' sirclc in. CHAPITIli: II. />c.s instilulioim /(■/jccssices du pays de Liège jusqu'à lu paix d'Auglvitr el jiistiii'à lu paix de Fexhe •"^S S I""'. — Des juridittioiis ecclésiastiques T)!) iî II. — Des justiciers teri'itoriaux 52 Des justiciers territoriaux avant le Xlll' siècle il>. — — au XUI'' sièok' (>S S III. — Des cchevinagcs S2 § IV. — Des juridictions féodales de l'évèque, iiinsi que des origines du Tribunal de l'anneau du Palais, et du Tribunal de la Paix '••" S V. — De la compétence des juridictions séculières liégeoises el de la rencharge . 108 5 VI. — De la commission mixte créée par la paix des clercs I2i s 1-2 T\BLE DES MATIERES. CHAPITRE III. Du ilroil de vtugeawo cl de yncrrc privée et du droit rompétuiil iui.r fumiUex lésées d'obtenir une satisfaction paci/if/ue sans plainte criminelle , en eiix-mcines et dans leurs rapport avec le droit de lu puissance publiijue 1:28 S I". — Du droit de vengeance et de guerre privée 150 5 II. — l)i' hi poursuite pacifique d'une réparation en l'absence d'une pl.unle cri- minelle 148 CHAPITRE IV. De. l'ucItDn criiiiinelle régulière, de su marche ei de son lut I.")5 S I". — De l'ouverture de l'action criminelle lui- ij II. — De la plainte KiO S III. — Du développement d'un procès criminel 102 5 IV. — De l'arrestalion préventive 167 ij V. — De la mise en liberté |)rovisoirc, de la citation et de l'extriulilion . . . 174 S VI. — Delà preuve 177 ij Vil. — De la procédure suivie dans les cours ccelcsiasliques I!l(» CHAPITRE V. Des priiiiiprs ijénéraux du droit de punir et du si/stème pénal en lui-même i-t dans ses (ipplirutions '•'' iJ 1". — Des principes généraux du droit de punir /'». S II. - Du système pénal et de la réparation à i)artie, couséiiueuce ■''• § III. — Des corps et des tribunaux participant à lexcrcicc de la juridiction répres- sive, nés du XIV' au XVP siècle, cl de leur compétence Ô"J() Du siège de judicature des magistrats électifs "^•" Du Tribunal des XII des lignages •'*''' Du Tribunal des XXII et de l'action exercée par le cbapilre cathédral, avant l'érection de ce tribunal, sur les officiers du pays .... 371 Des commissaires de la Cité de Liège '*^'' Sli ÏABl.K DKS MATIERES. Pages. De I aclioii fointnuiic drs iiingislrnls cli'ctifs et de lu loi en matière répressive et des orijçines de la franeliise ôOli Des aetes de jiiridieiioii ei'imiiii'llc laits |)ar l'ensemliN' même de la bourgeoisie de la Citi' 400 De la commission mixte née de la lettre del paix de Fosses de lôlS . iO'^ cnAPiTiii: m. DvH modifications suhii:s j)ar h droit nniilnvl du .\ lli (tu .Wl' silcU 40'f § V'. — Des droits qui eomjiétaieiil aux partie.-, lésées par une infraetion eontre les personnes, en dehors de eelui d'introduire une plainte ciiminelle . . 40."» § II. — De raclioii criminelle, de son luit, de son ouverture, et du temps dans lequel elle devait être intentée 417 § m. — De la procédure aeeusaloire du Xlir au .\VI' siècle 4ô() § IN'. — Des origines de la |)i-oeédure d'enquête, de sa marche et de ses dévelop- pemeuts dan-^ le pays de Liège du XIII au W'I' siècle 4il § V. — De l'arrestation préventive 45^ § VI. — De la preuve 462 i) VII. — De la pi'oeédure devant les cours d'égli-e 474 jjVlII. — Des |)rincipes généra\i\ (lu ilruit de punir 47;) § IX. — Du svslèiue |iéual et de- réparations tarifées 4!tti Du svstème ])éual |)ropriMi(nt dit 497 Des peines au profil de la commune 'ils Des voyages au profit de la partie lésée li^l't Des peines ecclésiastiques S3(> § X. — De rcxéciitioii des peines et de l'exei'cice du droit de grâce '.tôTi MVUE III. m lillOir CHlMI.Xtl. I.U.Cii:01> DKCI I> \ \ l'VIX DK SMXT-JACQIES JlSyl a I.V KIN DK I.'a.XCIEX lltGlME. .>'<••> CHAPITIIK I". Dei monuments législulifs du droit criminel lit'geois des trois derniers siècles . Vil, § I". — Des privilèges impériaux et de la Ciirolinv J*' S II. — Des monunuMits législatifs ronniManl les cours d'église et leur juridiction. 550 TABLE DES 3IATIERES. Sla Pages S III- — Des édits de l'clorine du XVI' siècle, dos iicles législaùfs capitaux promul- gués par le |)vince de commun accord avec les états, et de la rédaction des coutumes liégeoises o(il § IV. — Des rérormatious comniuniilcs renfermant des dispositions concernant les instituiions répressives 000 ^ V. — Des principaux règlements coiueniant l'administration de la justice crimi- nelle jiuliliés pendant les tnii-; derniers siècles 608 § VI. — Des lois criminelles imliliées pendant les trois derniers siècles . . . . 1117 § VII. — Des records éclievinaux, des capilulalions de-; princcs-évètjues et des actes concernant la punition inteinaliouale (les malfaiteurs ****<; TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES. ▲. jibolilion (Lettre d'), 809. Voir Grâce Abus de pouvoirs des officiers. Voir Justicier). Abus judiciaires , au XVI« siècle, 501, 51)3, BG'.t. Accord louchant les grés de Saint- Lambert , 27. Accusateur doit produire lui-même les preuves, 183, 191, 430, 131.467. Accusation d'un homme honorable vaut présomp- tion de culpabilité jusqu'à justification de l'ac- cuse, 191. Voir Preuves négatives. Accusations pi-ivécs . base nécessaire de l'action publique , sauf dans des cascxceptionncls.au XIII" siècle, 1S4 et suivantes. — De même entre le XIV'^ et le XVI» siècle, 417 et suivantes. Actes d'exécution de la paix de Fexiic , 237. Action en palinodie, 688, 689. Action en dommages et inlérèls, 687, 688, 801. Action fondée sur le droit de tépée , 686, 687. Voir Paix. Action pour amende profitable, 687, 801. Action communale, 685, 799, 800. Action criuiiiielle ou publique. Son but et sa marche au XIII'' siècle, lîiô. — Ne s'ouvre alors qu'au profit des personnes privées, 154. — Excep- tions à la rcj^le, 155, 157. • — S'ouvre encore principalement, au profit des personnes privées, mais déjà souvent au profit des justiciers entre le XIV' et le XVI'' siècle, 417. — Dans quel délai elle doit être intentée, 428, 429. — A qui elle appartient pendant les derniers siècles, 'iOO, T0.ME X.WVIII. 567, 683. — Comment clic s'ouvre alors, 689; quels droits les personnes privées ont conserve à son égard, 690, 691. — Comment elle s'cleini, 692, 693. Voir Poursuite d'office et Plainte. Actions criminelles iuappelables. Quelles sont con- sidérées comme telles, 683, 684. Afforains. Leur régime est plus dur que celui des bourgeois, en matière d'arrestation préven- tive elde pénalités, 168, 169, 208, 455 et sui- vantes, 495. — Ils ne peuvent pas toujours être témoins contre un bourgeois, 181. — Compé- tence spéciale des échcvinages urbains à leur égard, 355; exercice des vengeances privées contre eux, 408, 409, 489, 490, etc. Age du coupable (Inllucnce de 1') sur la pênalilc, 201, 766,772. Alibi, 466, 467. Voir Preuves négatives et Dé- charges. Amendes. Peine. Dans les lois impériales, 21. — Dans le système liégeois du XIII' siècle, 221 et suivantes. — Comment elles s'exécutent, 227. — A partir du XIV' jusiiu'au XVI' siècle, 491 et suivantes, 512. — Leur exécution pendant la même période, 555. — Deviennent uni- formes dans tout le pays , 585, 795. — A la fin de l'ancien régime, 762, 795 et suivantes, 801. — Exécution, 800. ^HioK/fs/ionorafc/es, 242, 498,786,792, 798, SOI. Anneau du palais (Tribunal de 1'), 102. 283. — 105 818 TABLE ALPHABETIQUE Ex profcsso, 337, 358. — Distinct du Iribunol de la Paix, 33S, 55SK — Son organisation, 3i0. — Abus i|ui s"y glissent, 3il. — OITiciers qui y jouiMt un lolc, 3(2. — Compétence, 3iG, 3i7. — Sa cliule, Til'J. .-titnolation et .icrinestre. Quand se fait et au profil de ijui, 741. Appvl iH matière criminelle. Interdit au Tribunal delà Paix, 113. — Éludé dès le Xlll' siècle, 1-1. — N'existe pas dans le pays de Liège, sauf, à la fin de l'ancien régime, en matière de mi- nimes amendes, 3BG, 818,671, 683, 68i, 738. Appel en matière ecclésiastique , 51, 668. Arhitrairc (Pouvoir). Voir Discrétionnaire. Archidiacres , 39. — Empiétements, 40. — Con- cordats avec l'évèque, il. — Leur cour, 41,42. — Leur compétence, 47. — Dans la période qui s'étend du XIV'- au XV1« siècle, 301, 304. — .\ la fin de l'ancien régime, 033, 609. Voir Jaridiction ecclésiastique ordinaire. ^rrestntionprceentiee. Règles au XllI' siècle, 167. 170, et suivantes. — .\ partir du XIV' siècle, 452, 455. — Privilèges généraux des bourgeois, dans l'espèce, étendus à tous les siircéauts, 456. — Règles constatées par les privilèges impé- riaux et par les records , 549, 622. — En ma- tière de crimes politiques, 02i, 626. — Règles générales à la fin de l'ancien régime, 699, 700. Arisldcralic. Domine despotii]Ucment h Liège au XllI'' siècle, 50. — Sa prépondérance détruite, 56, 241,250, 201,270, etc. Arsin et alialis. Ce que c'est et quanil ce droit existe, 210. — Théorie générale, 519, 320. — A partir du XIV' siècle, 509, 510, 515.— Qui l'exerce, 513, 626. — A la fin de l'ancien ré- gime, 649, O.'iO. Articles exaniinaloires j 591, (ilO, 717. Articles d'enquête, 70 i. Articles d'examen rif/ouriiix , 751, 752, 755. Articles (l'inlerroijaliiire , 71 S, 749, 577. Articles d'iniposiliiinK criminelles, 707, 7i7. Articles pritlialdires, 721, 7i'.). .'Irticles de râcolemenl, 722. ^j(7e (Droit d') dans les constitutions impériales, 19.— Au XIII' siècle, 168. — Après le XIV' siè- cle, 455 et suivantes. — Pendant les derniers siècles, 715 et suivantes. — Ne procure jamais l'impunité, 716. Assuranec. Forme adoucie d'arrestation préven- tive. Quand introduite; ses caractères, 591, 595, 701, etc. Assurance , 143, 138, 685. Voir Trèce. A itbainclé. Pv'wic, ou conséquence immédiate d'une infraction commise par un bourgeois, 172, 489, 497, 506, 507. — Différence avec le forjuge- ment , 509. — A presc]ue disparu au XVIII' siè- cle, 780. Auteur moral d'une infraction. Au XIII' siècle, 203; après le XIV' siècle , 482, 485. — A la fin de l'ancien régime, 775. Jveu de l'accusé. Preuve. — Qualités requises au XIII' siècle, 179. — Comment on l'obtient, 192. — Après le XIV' siècle, 471, 472. — Fait sur cri du perron, 699. — Ses caractères légaux. 728. — Fait dans la torture, 755,754. — Dans un procès ecclésiastique, 754. — Quid, s'il est révoqué, 760. Aveuglement , 20,209. Voir mulilation. Avocats se rattachent à l'otlicialité, 298, 655. — Leur concours accordé librement à l'accusé au XIII' siècle, 161. — Quand interviennent dans les derniers siècles, 597, 720, 721. Voir l'ar- licrs et Défense. Acculés. Histoire, origine, nature de leurs droits, 52; décadence , 56, 60, 61. — Droits <|ni res- tent à quelques-uns d'entre eux, 02, 05. — Dans les villes, 65, 60, 07. — Situation au XIII' siè- cle, 08. — Abolition momentanée, 2S3. — Depuis le XIV' siècle, 309. — .\ la fin de l'an- cien régime, 053, 802. .Ii'ii«i;'if du duc de lio:irgngne a Liège, 281, 282, 284, 2S5. Arortement, 782. DES MATIERES. 819 B. Bailliages liégeuis, 75, 644. /iaillis del'èvêque, 63, 64, 68, 70, 75, 79, 315, 6 {5, 648. N'oir Justiciers (grands). Bailli de la cathédrale, 10, 64, 68, 70, 72, 76, 652. Bannissement. Peine. Au X 111= siècle, 218 cl sui- vantes. — A partir du XIV< siècle, 514, 515. — Ses rapports a\tcVJubaineté , 517. — Son exécution, 534, 80i. — A la fin de l'ancien rc- ginic, 789. — Est parfois peine capitale, 798. Voir Peines subsidiaires. Banmtin impérial. Ce que c'est et qui doit l'avoir, 10, 55, 6i. Banijiicriiiilr, 593. BeeringcH (Charte de) de 1239, 27. «iC)-S(7(Paixde), 27. Blessures, 21, 460, 461. Voir Coups, violences lé- jfèces, tarifs criminels. Botclhnns , 69. Bourgeois (Privilèges des) en matière de détention préventive, 171, 172, 458, 459, 460, 675. — En nialière d'imputabilité, 117,604.— De pé- nalité, 214. — De juridiction, 550, etc. Bourgeois citains , 26, 312. Bourgeois forains , 24, 241, 350, 351, 352, 553. Bouri/ciiisies (Actes de juridiction faits par les), 400 et suivantes. Bras séculier (Remise au), 667, 668, 674, 715, 793, etc. Brigands , 1 57, 1 58. Voir Maïeur (grand) cl pour- suite d'office. Brusthcm (Ctiarte de), 25, 27. c. Cadavres des gens décédés de mort violente, 697. Cadavres des suppliciés, 535, 804. Voir Peines corpiirelles. Cupilulations des princes- évoques, 624 et sui- vantes. Canotiicaks (Maisons), 171. Voir Maisons hour- groiscs, Caroline de Cliarles-Quint. Analyse, 551, 552. — Son importance à Liège, 552. t'as fortuit, 201, 584, 766, 486, 568. Cas vilains, 486, 492, 495, 702, 784. Causes de justification au XI11= siècle, 200,201; — à partir du XIV' siècle, 487, 488; — à la lin de l'ancien régime, 766 , 767, etc. Caution de non ojfendendo, 685. Voir Trêve, Assu- rance. Certificats de voyages, 522, 529. Chancelier doit vidimer les ordonnances, 656. Chapitre cathédral. Sa position politique, 5,6, 9, 10, 521. — Sa juridiction spéciale, 50. — ■ De- vient gardien de la loi du pays, 80, 81, 259, 571. Voir Paix do Fexiic et Capittilatioiis. Chapitres des collégiales. Leur juridiction, 60, 51, 506, 655, 655. Châtelains, 68, 69. Chasse du seigneur, 517, 321, 525, 421, 591. 626, 649, 650, 702. Voir Justiciers et Pour- suite d'office. Chefs du pays, 120, 121. Chef sens. Voir Bcncharge. Chose jugée (Maintien de la), 759. Cincy. Voir Record. Circonstances aggravantes et atténuantes , 206. 207, 491, 492, 495, 494, 584, 778 et sui- vantes. Circonstances détruisant la criminalité de l'infrac- tion ,'■201, iS7, iSS. Citation, 174,175,475,755,751. Clefs magistrales (Usage des), 171,461, 594, 604, 715. Clercs de justice, 69. Clerc des écltevins , 94. Voir Greffiers. Clercs liégeois. Premiers privilèges, 22. — Juri- diction spéciale de la paio; (/es clercs, 122. — Ne sont liés ni par loi ni par statuts, 477, 478. Cléricature (Privilège de), 45, 44, 45, 501, 302, 505 , 385 , 665 , 664 , 665. 820 TABLE ALPHABETIOLE Commissaires niquéteiirs, 544, ôlîi, 435, 435, 505, 577, «10, 70!), etc. Commissaires de la Cite. Origine, 586. — Orga- nisation, 587.— Atlributiiins, 389,390, 391, 594. — Poursuivent l'application de la peine statutaire, 42i. — Moililicalions, tJ03, 005. — A la fin de l'ancien régime, 054. Commission mixte île lu Paix des clercs, l'24, 125. Commission mixte tic la lettre del paix de Fosses, 402. Commissions des officiers, 71, 571, 572, OH, 014, 023, 047, etc. Complice (Accusation d'un) confirmée par la mort vaut preuve, 730, 804. Complicité (Théorie de la) au XIII' siècle, 204, 205; — à partir du XIV' siècle, 482, 483; — à la fin de l'ancien régime, 775 et suivantes. Ciim position (Droit de), 77, 152, 541, 585, 651. Concordats de l'évéciue avec les archidiacres. 41 ,47, 48. — .\vec les villes brabançonnes, 2!i2, 253. — Avec le duc de Brabant, Charles-Quint, 006. Concours de plaideurs , 103, 104,439, 410. Concussions, 584, 585. Confiscation des hiens n'existe pas dans le pays de Liège, sauf dans des cas exceptionnels, 210, 217, 510, 790. Confiscation spéciale el Commise, 217, 511, 790. Conjuraleurs , 21. — Au XIII' siècle, 177, 178, 188, 189; — il partir du XIV' siècle, 465 et suivantes. Voir l'iiri/alion canonique; Escondil (loi d), etc. Conflits entre le Chapitre el les échevins, 22 , 25. — Entre les juges d'église et les échevins, 304, 500. — Règlement «les conllits, 013. Confrontation. Comment se fait, 025, 72i. Counexité, 550, 551, 557, 507, 570, 007. Conseil de l'évéquc , 282, 285, 284. — Sous Louis de Hourbon , 288. Conseil des X , 209. Conseil des XI II, 209, 505, 377. Conseil ordinaire , 7, 548, 571, 039. Conseil des XXXIV, 270. Consenteiiit ul île la partie lésée , 767, 708. (^onslitutioiis impériales de Honcaglia , 20. — De llalisbi.niie, 20. — De lircsse. 20. — De Nu- remberg, 21. ^*oir Liii-i impériales. Constitution pacis dei de Mayence , 19. Ciinstjtution liégeoise. Commenl se forme, 283 et suivantes. Conlumace. N'est pas l'objet d'une condamnation à une peine afilietive, 105, 106. — Ce prin- cipe change, 592, 014. — Procédure contre les contumaces pendant les derniers siècles, 741. Corps du délit, 184,090. Coups et hlessures, 200, 491. Voir Blessures el Tarifs criminels. Cour féodale de révêque. Origine, 90, 97, 98. — Composition, 98, 99. — Combien de juges y siè- gent, 100. — Où elle tient ses séances, 100. — Qui y remplit le rôle de justicier, 101. — Son ressort territorial, H5. — De quelles infrac- tions elle connaît, 114. — Qui sont ses justi- ciables, 114, 115. — Juge en concurrence avec les échcvinages, 115. — Sa vitalité après le XIV' siècle comme cour criminelle, 555. — Abus cjui s'y glissent .541. — Sa situation du XIV' au XV« siècle, 541, 542. — Son siéi;e, 545. — La procédure écrite s'y introduit, 544. — Débats sur sa compétence, 353, 354. — .\ perdu toute juridiction criminelle dans les der- niers siècles, 570. Cours féodales subaltci-ncs n'ont pas de juridiction criminelle à Liège, 90. Cours liasses. Nom générique des échcvinages, 041. Coutumes (Points marqués pour). Leur rédaction, 597. Cri du perron, 418. — Ce que c'est, 442, 581, 582, 020, 098, 699. — 018 dans un sens spé- cial. Crimes atroces , 777. Voyci Tentative. Critnes énormes , 592 , 594. Crimes de for séenlier, de for mixte, de for ecclé- siuslique, 40 , 47, 301, 000, 007. Crimes communs et mililaires , 058 , 069. Crimes surannés, 590, 704. Crimes commis hors du pai/s , 704. Cumiildcs chari/es, 73, 318, 317, 550, 647, 648. Cumul des peines. Comment admis, 199, 480, 481, 761, 762,800. CHsfO(/c( Peines infligées sous la), 799. DES MATIERES. 821 D. Décalval ion. SxjpfWce , 17. Okharijes , SS7, 5S8 , 581 , 592 , 720 , 738 , 7-40, C99. Déchéance de droits civils, 218. Voir Àubaineté. Déchiralion de la Paix de Fexhc , 237. DccluralioH de l'anneau du Palais , 267, ô-tS. Décollation. Voyez Mort ( Peine de ). Découvreurs d'infractions , CIO. Décret de porlemenl , 708 , 756 , 745 , 750. Décret de prise de corps , U7 , 458 , 580 , 708 , 711, Ole. Voir Arreslation préventive, Enquêtes générales. Décrétés de prise de corf)s. Leurs noms |mbliés, 594, 595. Dédit à justice, 532 , 333. Défense de l'accusé, 104, 455, 450, 451, 505, 578, 582, 592. Voyez Procédure accusatoirc et Procédure iiiquisitoiiale. Dégradation, 227, 531, 801. Délais de justice, 576 , 580, 010, 7 48. Délit. Idée qu'on s'en forme au Xlll'' siéele, 128, 129. Délit manqué, 482, 778. Délit (Juge du lieu du) iiicompélcnl sauf dans des cas spéciaux au moyen âge, 117, 355. — Est compétent ordinaircmciil à la lin de l'ancien régime, 670. Dénonciations, 196, 288. — Leurs elVels, 601. (). 445 et suivantes. Enquêtes ijénérales de la procédiiip iiiqui^iloriale. Leurs caractères. 441. 548, 557, 625. — Leur utilité, 442. — Leur origine, 442, ii5. — Formes dans lesquelles elles doivent se faire, 416.447, 557. — Conduisent au décret de prise de corps, 447, 452, 557. — Les preuves y re- cueillies restent acquises au j)rocès pour la con- damnation définitive, 447, 4^8, 518, 580, 707. — Quels droits elles laissent au décrété, 4.51, 581. — Mode de les hosporter, 519, 5'.)0, — Règles ([ui les concernent, 565, 578, 5S0, 581, 590, 601, 602, 625. — Formes qu'elles revêtent à la fin de l'ancien régime, 70î, 705. Enquêtes générales par loi et franchise, 566, 601, 602, 604. Enseignement eonfvssi, 747. Entérinement des lettres de grâce, 615, 808, 809. Escondit (La loi d'). Ce que c'est, 189. — Quand elle profite aux gens de lignage et quand non, 194, 195. — Son abolition , 235, 465. 728. Etats de la principauté , 11, 245, 251. Etrangers. Quam} exclus des offices, 315, 516, 624. Evocations, 672. Examen amiable. N'oir Interrogatoire. Examen rigoureux. \'i)ir Torture. Exceptions. Quelles elles sont, 718.— Quand elle> doivent être soulevées, 575, 718. Excommunication, 80, 215, 225, 299, 306, 531. 559, 559, 567, 575, 801, 802. Excuses, 771, 772. Excuses pour ne pas comparaître en justice, 116. Exécution des peines au XIII' siècle, 227; du XIV'- au XVI" siècle, 555. — Pendant les der- niers siècles, 802 et suivantes. Exempts, i\), 50. 50i, 505, 626, 6(il. Exposition ou carcan. Peine, 218, 502. 503, 788, 798. Exlinctiun de l'action publique, 692, (>93, Extriidilion et actes (]ui s'en rapproelicnt, I7ti, 628, 629, Extraililion de déserteurs, 630. Extrême nécessité (Cas d), 202, 767. DES MATIERES. 823 P. Fadeurs d'nfficc, 600, lilO, 6il), (iKS. faux (Peine de- certains), 212. Faux témoignage, 183, 468, i6!). Feu (Droit Je). Voir Ai'sin. Feuddiaires peuvent, décliner la juridiction des échevinages, H'ô, ôîii, 55'i. — Perdent ce droit, 571. Fiscaux (Avocats). Leur surveillance sur les pro- cureurs des cours ecclésiastiques. 7î)i. Flagrant délit. Ses effets par rapport à la preuve au XIII" siècle, 195. — Donne lieu à une pro- cédure sommaire, UO. — Sa notion s'étend, i'.n, iîjH, iCO, iiOô, 'J6(), 5S2.- Théorie com- plète, 890, COI, 602, 701, 702. Force majeure, 201 , 'iHd , 767. Voii- Causes de juslijicaliun. Fnrjuijeincnt. Peine, 107, 1 13. — Ses effets, 165. 214, 2lo. — Kormules, 216, 370, 571. — A partir du XIV* siècle, 50-i, 505. — En quoi diffère du Itiinuissemml, 216. — A disparu à la fin de l'ancien régime, 786. Fourches patibulaires, 802. Forjur/é (Délinquant). Peut ctre tué impunément, 202, 215, '.8liuii de l'avlioii jiiililifjuc, 100, 199, 428, 095 et suivantes. Prcscri/itidii île Vucliaii i>(ir voie d'enquête. Voir Procédure prêHunnaiee jtur ciiijuèle , 704. Prùiim/itiuiis. lA'ur force probante, 189, 190, 191. — \ partir du .\1V>^ siècle, 470. — Cas de présomption y/iri.v de jure de culpabilité, 729. Preuves (Système général des) au Xlll' siècle, Mii, 105, 177, 191. — .\ partir du XIV' siècle, 402 cl suivantes. — Dans les derniers siècles, 7(l'i. 7(1(1, 720 et suivaiiles. l'ieures léyule.i (Syslème des), 552, 553, 720, 720. Pretiret malcriclles , ISi, 471, 725. 727. Preuves tiéyalives , 21. — Théorie au XIIP siècle, 177, 188, 492, 195. — Perdent leur prépon- dérance à partir du XIV' siècle, 464. 405. — .\bus de la réaction, 400. — Ilang ipi'elles conservent, 407. J'rcuves testimoniales au XIII' siècle, 105, 180, 181. — A partir du XIV' siècle, 459.440, 109, 470, 503, 577, 580. — A la fin de l'an- cien régime, 705, 721, 728, 798. Prceenlioii {Droit de), 47, 504, 644, 654, 639, 607, 009, 075. /Vei'd^- justiciers, 59, 65, 68. l'rcevts des églises collégiales, 51, 053, 033. Prcvùt de la cathédrale, 59, 51, 500, 507, 033, 055. Primes à justiciers, 712. Prisons , 355 ,612, 793 cl suivantes. Priviléf/e d'Albert de Cuyck, 24, 25. Privilèges des clercs liégeois, 22, 23, 24, 277. Prlviléyes des lombards, 277, 490, 491. Privilcç/cs impériaux, 347 cl suivantes. Procédure accusatoire. Caractères généraux au XIII' siècle, 102, 163. — Marche générale, 104. — Caractères qui la dilTérencient de la j)rocédure inquisitoriale. 430. — Obligalions de l'accusaleur, 451, 452. — Défense libre de l'accusé, 455. — Quand elle devient écrite, 433. — Comment elle devient en partie secrète, 437, 458 , 439. — Comment clic se développe dans les derniers siècles, 570 et suivantes. l'rucédure ecclésiastique, 190, 475, 752, 755, 751. J'nnédurc écrite. Origine, 455, 454, 153. — Intro- duit le secret, 457, 458, 459. — Dans quelles limites , 578 , etc. Procédure civilisée, 095. 098. Procédure à l'extraordinaire, 094. Procédure en décharge, 758 et suivantes. Procédure pour amendes, 585, 750. Procédure sur command de se purger, 69!>, 741. l'rocédure par conlumace, 741. Procédure par voie ouverte on de calenge, 579, 005, 009, 091. 708. 7i7, 755. Procédure préliminaire j)ar en(piéte, 703, 704. /V"iT(/i(rc (;i'/(/(S(Vonu/('. Caractères distinctifs, 441. — Quand elle nait, 4tl. — Ses développe- DES MATIEIIES. 8^29 mollis, sou ulililé, ses abus, U^À , i45, 431, lo-2. — Quand on peut y recourir, iii, 579, :iSO, yJO, G0U,()91, 703,70i,784. — Dans ks cours d'église, 753. — l'art qu'y prennent les magistrats électifs, 598. — Ne peut être employée que par les justiciers, 703. Pi-nciircars des cours d'église, 281), 200, 574, (15 i, (1(J9, (i7i, 753. Procureur ijcnéral de l'évèquc, 287, 313, 644. ProL'OcalioH, 772. Prm'nculnirj 782. l'iirgalion caiionif/uc, l'Jii . 407, 728, 743. Voyez Coiijuralfurs et Serment jitsiifiriilif. l'iirijation Icyale , 743. l'iirge crimincUe , 741. Qdfdilé des iiersoiines , 150, 201, 207, i88 , 404, 400. OiiKrriiiliiiiirs , 113. 130, l'il, i07. Qiieslinn préparatoire, préalable, in(iuisitoriale, 735. Voir Torture. Ilaitl , 10.IS4, 510. Jiécidire, 205, 779, 780. HceolemeiU , 581. Voir Cuii/'ruutalioii. Hecomiiiaiidation d'un détenu, 585, 592. Kecords échcvinuux, 275, 270, 278, 279, 010. /téfiiriiiitlidiis coinmiiiiidcs de 1003, (iOO. — De 1015, 001. — De I0,S4, 005. Héfurmc y\i; Corniille de lierglies, 052. llcfnnne d'Ernesl d'.\ulri(;lie n'a pas force de loi, 587. Hé/'(iriiic de Georges d'Autriche, 503. Ucforinc on Uéforniation de Groisbeeck, 508. liil'iiniics crimiiiidics ( Projet de) au XV lll« siècle, 500. Ucijati's iiii l'évèquc, 4, 5, 021. Hèr/lemenls de Bavière, 209,270. Jtégleinent lossiiiii de 1752, 500. licyiiiionl des liastoiis , 272. Régiments de Ileimbcrg , -m, -lia, 273. licmixsion à l'oflicialité, 807, 809. Voyez Grâce, lieiwliitri/e. Ce que c'est, 120. — Origine. 121. — Dctails,122, 123. — Son imporlanee pour luni- licaliondu droit, 123, 12i. — Kègles, 503, 500. 588. 020, 071,072, 732.784,793. Qui en est exempt, 671, 672. — Dans quels cas elle n'est pas nécessaire, 388, 671, 731, 784, 793. /{envoi, 070. /tr/iaralioii à por/ic, 222 , 225, 214, 525, 520. 527. 801. Voir Paix et Paix en urgent, voyages nu profil des parties lésées. It.-iirnvhcs, 180, 181, 722, 728. Hi'. 757. Sm/eiits , 09. 575, Ci3. Scrtiiviil jiixtiflcnlif, i05, 407. SoilUKUnbillfS , 700. Soucivainelé de l'éijlise île Liège, 5, \ , '.). StaliiU n-imbuU de la Cilé , 2i(l. 211, 212, 2i5, etc. Slahtts eoHsisturiaiix , .557. Slatuts synodaux , 51, 270, 558. Statuts municipaux. Part des coniniiines dans leur élahoration , 10. — Leur placi dans le ilroit eriiniiiel , 2i4, 175, 470. Slelliiniii/ , 505. Sureieuuees proscrites , 025. Suspeiixioit. Peine, 220. Si/iindes, .'.0, 17. 299, 500, 300, 507. Tiiluiii, 215, 500, 501, 787. Voir Mnliluliuns. Tarifs rrimiiiels, 2()(i . 215. 221, 191. — l.iiir empire diminué, 582. Témiiiyttages , 159, 440, -447. — Quand y)Ht/. 17. — De Liège, 18. I!l. 7'rée«tSyslème des), 159, 140, 141, 141,108. 409. — Peine en cas de rupture, 17, 111, 115, 147,213,217, 494, 495. Tribuniil des XII des lignages , 300 et suivantes. Trihunat de lu loi. Voir Eelteviiis de Liège , 039. Tribunal des XXII. Origiiies et vicissitudes, 571 à 377. — Organisation, 578, 579, 581 , 582. 585. — Compétence, 585. — Exécution des jugements, 584, 585. — Règles (|ni le concer- nent, 585, 588, 595. — .\ la lin