=. tt 20 de | ! F » _ L A M Û | i L 14 4 | 2 è à # » d PaL : é ’ pe w ( # n nr ‘ FA A ( rs ‘ff t CR PAP RUTET LUNA | DE LA SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIQUE DE SAVOIE. « « « “€ « « V4 7, BEA D à CAE) Extrait de l'Article 54 des Règlemens de la Société. « La Société remet un exemplaire de ses Mémoires imprimés à chacun de ses Membres effectifs. « Elle en remet également un exemplaire à ceux de ses Agrégés ou de ses Correspondans qui lui ont fait parvenir quelques Mémoires ou Articles conformes au but de son institution et de nature à être accueillis avec intérêt. » Extrait de l'Article 39. « La Société n'entend ni adopter, ni garantir toutes les opinions émises dans les Mémoires dont elle aura autorisé l’impression ou la lec- ture publique. » DE LA SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIQUE DE SAVOIE. CHAMBÉRT » PUTHOD, IMPRIMEUR-LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ, TABLE DES MATIÈRES. Pages. Norrce HISTORIQUE des travaux de la Société pendant les Années Académiques 1830 , 1831 et 1832; par M. RAYMOND, Secrétaire Perpétuel. . . 1 Agriculture, Economie rurale. . . . .. Ur 2 Chine. à 4 à 5 5 SP OA 4 be ÉhE réa 3 Médecine 2.7," : OR RE . 5 Sciences exactes. . . . . ip SN hoc uoee À 8 Philosophie, Morale. . ....... pe LA 9 AACQUAES 25 4 UD En 1 a à EE pe Eee | RARES RME EME. RNA As a te DURE 11 BOREARES. AN FANAO HORINSRRCANE sou As ONE à: Concours proposés par la Société. . ..... 13 MIFMOIRES D. ANDERNOS SOMETTERE OE AOTRE TD PRÉCIS de la constitution agricole de 1831, dans l'arrondissement de Chambéry ; par M. le Docteur GOUVERT. . . .. DRE CNE Re gr Mesa OR À: TABLEAU des hauteurs moyennes du baro- mètre et du thermomètre à Chambéry, pendant l'année 1831 . .. ... À . 46 TABLEAU des Maxima et des Minima des hote teurs barométriques à Chambéry, pendant l'annee ei MEN ee, Me MROPAT TABLEAU des Maxima et des Minima des hau- teurs du thermomètre (de Réaumur ), à Chambéry, pendant Pannée 18H. , . .. 48 VI TABLE Pages, MEMOIRE sur les marais en Savoie, considérés sous le rapport de l'hygiène et de l'agriculture; par M. lDocteur GopvEenr.. 22". © 70 ARTICLE PREMIER. Des marais considérés en général, et des causes qui les produisent. 52 ARTICLE IL Des émanations qui s'élèvent des marais, et des diverses opinions sur leur na- LL: TR EMEA SNA PERS AR SN ARTICLE III. De l'influence de l'air des marais sur la santé, et du caractère qu'il imprime aux fièvres qu'il produit... . .., "1 ARTICLE IV. Des moyens propres à tempérer l'influence des émanations marécageuses . … 84 ARTICLE V. Des marais considérés dans leurs rapports avec agriculture .., .,...., 97 Précis de Topographie médicale sur la vallée qui s'étend de Chambéry au Lac du Bourget, et par- ticulièrement sur la Commune de la Motte-Servo- Ésrparile même 02. SN HT CHAPITRE PREMIER. Quelques considérations générales sur la vallée comprise de Cham- béry jusqu'au Lac du Bourget. . . . .... M8 CmaPiTRE Il. Description topographique de la Commune de la Motte-Servolex . ..,.... 128 CuaPirre I. Etat sanitaire et de pauvreté d'une grande partie de la population agri- cole de la Commune de la Motte-Servolex; causes diverses qui y coopèrent; erreur de ne l’attribuer qu'à une seule; impossibilité et danger de la détruire. « L..,.,.. . 134 LETTRE de M. CaLLGUD, Pharmacien à Annecy, Agrégé à la Société Royale Académique de Sa- voie, à MM. les Membres de la Société, sur la préparation du bi-carbonate de soude et du sulfite Jesus Ce sn RAR ET: … 170 DES MATIÈRES. VIT Pages, NouvELLE DISSERTATION sur le principe d'action chez les animaux ; par M. RAYMOND , Secrétaire Perpétuel . LM. - « . RE re De 1e 177 6. 17. Du système des animaux-automates . . 118 6. 2. Du sentiment qui admet une ame d’une nature intermédiaire entre l'esprit et la ma- tière, et de l'opinion de Buffon . . . .. a Le $. 3. Quelques exemples de la conduite des CARTE EUR URLS. NuRe i, 020 NOTICE HISTORIQUE sur la vie et les travaux du P. Claude LE JAY, natif d Aise en Fauciqny ; par Me ChanomeéiCagEr AS CCE RE NT OR Erar de la suite des dons faits à lu Société . . . . 301 FIN DE LA TABLE. ERRATA. Page 9, avant - derniére ligne ; au lieu de Philosophie , lisez : Théologie. — 100, ligne 12; au lieu de /a blache et à la retirer, lisez : les blaches et à les retirer. — 149, — 2; au lieu de grabas, lisez : grabat. DOPOOPDPOODPODDDO0ODO DDC EOOPODPOPO OO DE ODOPOE PO DECO OEE NOTICE HISTORIQUE 033 SESVTAUS DE LA SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIQUE DE SAVOIE PENDANT LES ANNÉES ACADÉMIQUES 1850, 1851, 1832 ; PAR Mo Goo BATYMOND ; SECRÉTAIRE PERPÉTUEL, —— 2m (DE LESC œ—— Comme il n'est point entré dans les vues de la Société Académique de publier régulièrement chaque année un volume de Mémoires, si chaque Notice historique de ses travaux était restreinte à une seule année académique, il pourrait arriver que quelques-unes de ces Notices se trouveraient en arrière de plusieurs années. Pour prévenir cet inconvénient , on embrassera désormais, dans l'exposé placé en tête de chaque Volume de Mé- moires , les travaux de la Société compris inclu- sivement jusqu'à l'année qui aura immédiatement précédé la publication du Volume. C'est pour nous conformer à ce plan, qu'en partant de l'époque à laquelle se termine la LA 2 NOTICE Notice historique qni accompagne le V‘ Volume, nous étendons celle-ci jusqu'à la fin de l’année 1852 , en nous bornant, comme dans les Notices précédentes , à une analyse tracée avec briéveté. AGRICULTURE , ÉCONOMIE RURALE. M. le Docteur Gouvert a continué la tâche importante qu'il s’est prescrite jusqu'ici, de dé- crire la constitution agricole et médicale de cha- qne année. Il à lu successivement les trois Mé- moires relatifs aux années 1828 , 1829 et 1830, qui ont paru dans le Tome précédent , et celui qui concerne l’année 1831, inséré dans le pré- sent Volume. Outre l'intérêt naturel et l'utilité qu'offrent ces tableaux, celui de l’année 1829 renferme , comme on l'a vu, des considérations majeures sur les soins que les agriculteurs doivent apporter à la multiplication des tronpeaux , à l'entretien des prairies artificielles et à la forma- tion des engrais. Le même Membre, dans une Note sur les divers avantages de la charrue belge, a proposé d'offrir des primes d'encouragement à ceux qui en feraient usage et contribueraient à en propager l'emploi. Il a encore lu, à deux intervalles, sur la grande question du dessèchement des marais, un Mé- moire étendu , dans lequel il a envisagé ce sujet Fr e HISTORIQUE. sous toutes ses faces et proposé de le mettre au concours. La Société , vu Ja justesse et l'impor- tance des considérations développées par l’auteur, l'a invité à rédiger le Programme d'un Prix à proposer pour le meilleur Mémoire sur cette matière. Le Programme a été publié dans Île temps ; mais la Société n'ayant recu aucun Mé- moire sur ce sujet , l'a retiré du concours. Tou- tefois , le travail de M. Gouvert étant de nature à répandre des lumières sur la question dont il s'agit, la Société en a voté l'insertion dans le VI° Volume de ses Mémoires. M. Gouvert, qui porte son attention et ses vues éclairées sur toutes les parties de l’art agri- cole , a communiqué à la Société, dans deux lectures successives, des considérations détachées et d'un grand intérêt sur divers points d’agri- culture. CHIMIE, M. Calloud, d'Annecy, Pharmacien , Membre agrégé de la Société, a fait parvenir des échan- tillons de quelques produits chimiques, et no- tamment de salicine cristallisée , accompagnés d’une Note relative à ces substances. Le même Membre a fait part à la Société qu'il avait déconvert les substances qui entrent dans Ja composition de la poudre dite de Manfredi , 4 NOTICE qui n’est, selon lui, que de l'écorce du saule- osier , colorée avec la laque rouge. M. Calloud a encore transmis un Mémoire sur la préparation du bi-carbonate de soude et du sulfite de soude. Ce Mémoire , renvoyé à une Commission , a été l’objet d'un Rapport fait par M. Saluce , dans la séance du 2 mars 1832. La Commission, applaudissant au zèle, aux lumières et au talent que M. Calloud manifeste dans les travaux de son art, a fait spécialement l'éloge des procédés employés dans les préparations dont il s’agit. La Société a voté l'impression du Mé- moire , qui est inséré dans le présent Volume. M. le Général Comte de Loche a lu une Note contenant quelques observations faites sur le liseron pourpré (convolvulus purpureus) , tou- chant la manière dont la lumière du soleil inter- vient dans le phénomène de la colorisation des fleurs. M. Saluce a donné lecture d’un Mémoire con- tenant l'analyse détaillée qu'il a faite des eaux de La Boisse, près de Chambéry, analyse de laquelle il résulte qu'outre divers principes con- tenus dans ces eaux minérales , on ne peut leur contester la qualité de ferrugineuses , que l'au- teur a mise dans la plus grande évidence. Cette analyse a été insérée dans le IV* Volume. (ea HISTORIQUE. MÉDECINE, M. le Docteur Gouvert a fait un Rapport plein de sages el savantes observations sur un opuscule de M. le Docteur Dufresne , Correspondant de la Société, opuscule intitulé : Vote sur la cin- chonine considérée comme médicament , elec. Le même Membre à lu le Mémoire qui a paru dans le Volume précédent sous ce titre : Quel- ques considérations sur l'unité de la science de l'homme envisagé comme objet de l'art de guérir, dans lequel, considérant l’art médical dans toute son étendue, il expose les funestes résultats des abus qui ont fait séparer la Chirurgie de la Médecine, quant à la science proprement dite, les droits de la première à reprendre le rang honorable qui lui appartient , et les moyens de parvenir à ce bnt. M. Gouvert avait lu un premier Mémoire relatif au Cholera-Morbus , contenant un exposé des principales observations faites dans l'Inde par S M. Deville, Chirurgien du navire La Seine , et suivi des réflexions particulières de Fauteur. Plus tard (dans la séance du 5 mai 1832), il a com- muniqué à la Société l'instruction sur le traite- ment du cholera, qu'il a rédigée principalement dans l'intérêt des habitans des campagnes, et qui a été publiée pour être transmise aux Conseils 6 NOTICE de Charité et autres Administrations de bienfai- sance du Duché de Savoie, par le Conseil général de Charité. Cette instruction se recommande par la clarté et par la manière dont Fanteur à su mettre à la portée de tout le monde les meilleurs procédés euratifs que l'expérience ait fait con- naître jusqu'ici. On ne peut y lire sans un tou- chant intérêt le récit tracé par nn respectable pastenr de la Gallicie (M. Jean Morvay), des soins que son ardente charité a prodignés à ses paroissiens pendant le règne de la maladie, et au moyen desquels, sur 120 cholériques , il en a sauvé 98, les 22 autres ayant ou négligé de faire connaitre leur état, ou refusé les secours qui leur élaient offerts, ou commis de graves imprudences. M. le Docteur Dufresne, l’un des rédacteurs d'un journal spécialement consacré à la nouvelle doctrine médicale qui à recu de son inventeur , le Docteur Hahnemann, le nom d'Âomæopathie, M. Dufresne , disons - nous, ayant publié une brochure touchant cette doctrine, M. Gouvert a été chargé de faire nn Rapport à ce sujet. Il a commencé par quelques détails sur le fond de la doctrine dont il s'agit; ensuile , sur 72 corollaires dans lesquels le Docteur Hahnemann a rassemblé les bases de son système , M. le Rapporteur en a exposé onze principaux qui renferment l'essence de cette doctrine. En la combattant par les lu- mières du raisonnement, appuyé sur des prin- HISTORIQUE. 7 eipes , des vérités et des faits incontestables , il s'élève à des considérations générales d’une haute importance sur l'esprit de système et sur la fu- neste influence qu'il exerce dans les théories médicales et dans la pratique de l’art. En rendant justice aux talens de M. Dufresne , et aux succès distingués d'une pratique de 25 ans, il déplore l'entraînement avec lequel cet estimable médecin s'est laissé dominer par les apparences spécieuses d'un système qui renverse toutes les parties de la science médicale. M. Gouvert a terminé son Rapport par une conjecture qui n'est peut-être pas dépourvue de vraisemblance. Il incline à penser que l'homæopathie , par l'insignifiance des remèdes qu'elle emploie , pourrait bien n'être qu'une sorte de médecine expeclante, un système thérapeutico-hygiénique qui laisserait à la nature le soin d'agir par ses propres forces, et qui, par les doses infinitésimales de ses médicamens, aurait pour objet de calmer les imaginations , en satisfaisant à la croyance de la nécessité des or- donnances pharmaceutiques. Enfin M. Gouvert a lu un Mémoire sur la topo- graphie médicale de la Motte-Servolex, près de Chambéry, que la Société a écouté avec d’autant plus d'attention, que ce Mémoire intéresse à ja fois et au plus haut degré la santé publique, l'a- griculture et le sort des habitans de cette vaste commune. Comme, sous le rapport des marais 8 NOTICE envisagés dans leur influence sur l’agriculture et la santé publique , ce Mémoire se rattache essen- tiellemeut à celui da même auteur sur la question da dessèchement des marais en Savoie, dont nous avons parlé ci-dessus , la Société a décidé que celui dont il s'agit ici ferait aussi partie du VI* Volume de ses Mémoires: SCIENCES EXACTES: M. Raymond , Secrétaire Perpétuel, a com- muniqué à la Société un Mémoire de Géométrie analytique ayant pour titre : Quelques Notes relatives à la théorie analytique des lignes du second degré, et à celle des surfaces du premier et du second ordre. Ce Mémoire, di- visé en trois paragraphes et accompagné de plan- ches litographiées à Chambéry, par MM. Courtois et Aubert, est inséré dans le Tome V*. Le même Membre a fait un Rapport sur trois Lettres italiennes imprimées à Gênes, adressées par M. le Professeur Elice à M. Foppiani, Ar- chitecte, dont les deux premières intéressent la navigation , et la troisième est relative à un phé- nomène de physique mécanique. Le Rapporteur expose les ingénieux procédés imaginés par l'au- teur, l'un pour prévenir la rupture du cable atta- ché à l'ancre d’un vaisseau et empêcher en même temps l'ancre de labourer ; et l’autre , destiné à HISTORIQUE. 9 arrêter ou à rallentir la marche des navires en pleine mer. Le Rapporteur, sauf quelques légères observations , pense que ces procédés méritent d'être mis à l'épreuve , attendu les grands avan- tages qui résulteraient de leur succès dans la pratique. L'expérience exposée dans la 5° Lettre est analogue à des faits connus, tels que celui où une balle de pistolet traverse une porte légère et mobile sans la faire tourner, et autres phéno- mènes de ce genre. Celui dont il s’agit dans la lettre de M. Elice a été expliqué dans deux jonr- naux scientifiques, de la manière recue par les physiciens dans les cas de cette espèce. M. Elice n'admet pas cette explication , à raison du point de vue particulier sous lequel il envisage l'inertie de la matière. Comme les physiciens ne sont pas universellement d'accord sur la définition de l'i- nertie, et que, d'un autre côté, les conséquences pratiques auxquelles peuvent donner lieu les phénomènes dont il est question , sont indépen- dantes de l'explication qu'on en peut donner, le Rapporteur a cru devoir s'abstenir d'entrer dans aucune discussion à ce sujet. PHILOSOPHIE , MORALE. M. le Chanoine Dépommier, Professeur de Philosophie au Séminaire métropolitain , a lu, en trois séances , le Mémoire inséré dans le Vo- 10 NOTICE lame précédent , sous ce titre : Dissertation sur la doctrine du sens commun , considérée comme fondement de la certitude. M. Raymond a donné lecture d’un Mémoire intitulé : Nouvelle dissertation sur le principe d'action chez les animaux, qui fait partie du présent Volume. M. le Chanoine Rendu a lu un Mémoire eù il traite de l'influence des mœurs dans la société, et notamment sur les lois. ANTIQUITÉS. M. le Comte de Loche à communiqué son Mémoire inséré dans le Volume précédent sur les anciens Bains d'Aix, y comprises les nouvelles découvertes de quelques parties de ces anciens thermes ; et, pour faciliter l'intelligence des détails dans lesquels il est entré, il a mis sous les yeux des Membres , des épreuves lithographiées des dessins qui accompagnent son Mémoire , et quelques fragmens provenant des monumens dont il a donné la description. Les planches de ce Mémoire sortent, comme celles dont il est parlé plus haut, des presses lithographiques de MM. Courtois et Aubert. Le dessin en est dù à l’auteur même du Mémoire , sauf la Vue pers- pective comprise dans la seconde planche , qui a élé dessinée par M. Courtois. HISTORIQUE. LS: M. le Chanoine Vibert a donné lecture d’une partie d'un Mémoire de M. l'avocat Duplan , de Moûtiers, sur les souterrains de Mâcot décou- verts en 1828. MÉLANGES, M. le Chanoine Chuit a terminé la lecture de son Mémoire sur la vallée d’Aulps, dont il a été fait mention dans le Tome précédent. M. le Comte de Loche a lu une Notice sur une encre propre, à la fois, à écrire et à peindre au lavis. Il a été fait lecture, au nom d’un Membre non-résidant , du Mémoire sut la population du Diocèse de Maurienne , qui a été inséré dans le V® Volume. M. l'Avocat Jaquemoud a lu un Mémoire sur l'utilité que présenterait l'établissement d'une Caisse d'épargnes dans les principales villes des Etats de S. M. et particulièrement à Cham- béry. La Société, qui a entendu avec beanconp d'intérêt la lecture de ce Mémoire, n'a pu qu'ap- plaudir aux vues de l’auteur. Mais l’objet de son institution et les dispositions de ses Règlemens ne lui permettant aucune initiative auprès du Gouvernement pour proposer des projets d'éta- blissemens publics, la Société s’est bornée à émettre le vœu que le Mémoire de M. Jaque- m2 NOTICE moud fût transmis au Ministère par une voie compétente , telle que celle de la Chambre d’A- griculture et de Commerce , aux attributions de laquelle appartient le projet dont il s’agit, attendu d'ailleurs que la Chambre est en relation immé- diate et légale avec le Gouvernement et les Au- iorités publiques. | S. Exc. l'Ambassadeur de Russie près la Cour de Sardaigne avait demandé à S. Exc. le Minis- tre des Affaires étrangères divers renseignemens sur les poids et mesures usités dans les Etats de” S. M. A ce sujet, et ensuite d’une lettre de M. le Procureur du Roi, M. l'Intendant général de cette Division s'est adressé à la Société Académi- que, pour obtenir en particulier les renseigne- mens demandés sur les principaux poids et mé- sures du Duché de Savoie, comparés aux poids et mesures analogues du Piémont. M. Raymond, Rapporteur de la Commission nommée à cette fin, a fait, dans la séance du 16 juillet 1850, sur l'objet proposé, un Rapport détaillé et raisonné, que la Société a adopté dans tout son contenu. BIOGRAPHIE. M. le Chanoine Chuit a lu une Notice histo- rique sur la vie et les travaux du P. Claude Le Jay, natif d'Aïse en Faucigny, l’un des premiers compagnons de saint Ignace de Loyola. Cette HISTORIQUE. 15 Notice , qui a vivement intéressé la Société , est insérée dans le présent Volume. CONCOURS PROPOSÉS PAR LA SOCIÉTÉ. La Notice, le Procès-verbal et le Rapport qui terminent le Ve Volume des Mémoires de la Société ayant fait connaître tout ce qui a été relatif au concours proposé pour l'Eloge histo- rique du Général Comte de Boigne , ainsi que le résultat dont ce concours a été suivi, nous n’a- vons rien à ajouter ici sur cet objet. A la funeste nouvelle de la mort du Roi Char- les-Félix, la Société, qui a partagé les regrets universels causés par la perte de cet excellent Prince, si justement chéri de ses peuples, a éprouvé le désir de donner un témoignage publie de sa reconnaissance envers un Monarque qui a affermi son existence en l’honorant de ses bien. faits et de sa royale protection. Dans cette vue, elle a mis au concours, par son Programme du 5 mai 1831, un Prix de huit cents livres à dé- cerner à l’auteur du meilleur écrit qui exposera un Tableau historique et complet du règne de CHARLES-FÉLIX. A l'expiration du terme fixé, les vues de la Société n'ayant pas été remplies , elle a prolongé le concours de dix mois et en a porté le terme au 28 février 1835. M. Francois Guy, de Chambéry, Avocat au Sénat de Savoie, décédé l'année dernière, a 14 NOTICE donné une belle preuve de son patriotisme et de son amour pour les arts, en abandonnant à la Bibliothèque publique de Chambéry sa bibliothè- que et son musée, et en cédant à la Ville le capital d’une rente annuelle de quatre cents liv., pour un Prix de Poésie et un Prix de Peinture ou de Dessin , à décerner alternativement d’une année à l’autre, au jugement de la Société Aca- démique de Savoie. MM. les Nobles Syndies , par lettre du 4 août 1832 , ont invité la Société à rédiger le Programme du premier concours. Dans son assemblée du 17 du même mois, la Société a décidé que , pour 1833 , époque à laquelle il y aura deux rentes annuelles disponi- bles , il serait décerné deux Prix, l’un de Poésie et l’autre de Dessin. Le sujet du premier est l'Etablissement des Eaux thermales d'Aix-en- Savoie, envisagé dans tout son ensemble et sous ses divers rapports d'utilité, d'agrément, des dépenses et des soins qui y ont été con- sacrés pour le bien de l'humanité et pour l'avantage du pays. Le sujet du Prix de Dessin est un paysage à l'aquarelle , représentant une Vue prise dans Les environs de Chambéry; au choix des concurrens. Le Programme , arrêté dans la séance du 24 août et publié, a fixé le terme du concours au 50 juin 1833. Conformé- ment aux intentions du fondateur , les Prix ne seront adjugés qu’à des concurrens nés en Savoie. MÉMOIRES. se CONA CNET LT DOODPOLDOLOD LE DEN OEPOOODOPDODPEP OO DEC DE ODE DOC ED OO DES OUUO PRÉCIS DE LA CONSTITUTION AGRICOLE DE 1851, DANS L’ARRONDISSEMENT DE CHAMBÉRY ; è PAR Ut: LE DOCTEUR GOUVERR C'esr pour la sixième fois que je rends compte à cette Société de l'état des saisons qui compo- sent l’année et de leur influence sur le sol, des travaux qu'il réclame et des produits qu'on lui confie. J'avoue qu'un travail de ce genre, borné à recueillir les faits météorologiques que le temps peut présenter dans le cours de sa succession an- nuelle , et dont les diverses périodes se trouvent marquées par la nature même des saisons, ne présente par lui-même rien de brillant et de scientifique ; que, resserré dans les étroites limi- tes d'un froid récit, dont la monotonie et les fastidieuses répétitions ne peuvent que fatiguer l'attention; j'avoue, dis-je, qu'une tâche de cette 2 18 CONSTITUTION nature offre peu d’attrait à celui qui s’en charge, comme à ceux à qui il en adresse les résultats. Cependant , on conviendra qu'une suite de tableaux de ce genre tracés pendant un certain nombre d'années, ne serait pas tout-à-fait sans intérêt ; quand elle ne ferait que conserver le souvenir de tout ce que les quatre saisons peuvent offrir de remarquable, et que par habitude nous traversons sans attention et comme machinale- ment, elle serait encore utile. Car le temps, aussi constant dans ses créations que dans ses destruc- tions, qui alimente la vie par la mort et la mort par la vie, dont nous ne mesurons le cours et la durée que relativement aux limites de notre exis- tence et de celles de tons les êtres doués de la vie, le temps, dis-je, ainsi considéré, est un être réel dont le cours annuel, partagé en quatre sec- tions, est digne de l’histoire , tant par toute l'in- fluence qu'il exerce sur les produits de la nature, que par sa marche irrégulière et les phénomènes insolites qui la suivent et la singularisent parfois. On recueille avec soin, pour être transmis à la postérité, tous les événemens dont la politique, les gouvernemens, les révolutions , les guerres, les arts, les sciences et les hommes mêmes sont Fobjet; un voyageur, dans l'histoire de ses voya- ges, porte son attention sur tout, et retrace fidè- tement jusqu'aux plus petites circonstances de temps et de lieux. L'année n'est-elle pas une AGRICOLE. 19 surface de temps à parcourir, et n'offre -t-elle pas un véritable voyage à faire auprès de tous les êtres vivans dont la vie, du moins pour un grand nombre, est bornée à une portion de sa durée? et dans le cours de ce voyage, composé de quatre régions différentes , combien de phases, de phé- nomènes et d'objets divers vont se présenter aux regards et à l'attention du voyageur ! Chaque saison, chaque mois, chaque jour même grossi- ront ses tablettes d'importantes remarques. Si, en voyageur éclairé et profond, non content de satisfaire sa curiosité par la simple contempla- tion des phénomènes matériels qui frapperont ses sens, il porte son altention et ses vues sur leur influence salutaire ou nuisible, sur les pro- duits de la terre, sur sa santé propre et sur celle des animaux, un vaste champ s'ouvre alors à ses observations, d'autant plus fécondes en résultats, que, ratlachant les effets à leurs véritables causes , elles prennent la nature sur le fait, et deviennent une sorte d'oracle pour des temps analogues. Ces influences, signalées d'avance par des signes qui n'auront pas échappé à notre voyageur, réveille- ront en lui une sage prévoyance qui le portera à modifier sa conduite , son régime , celui de ses animaux domestiques, et son mode de culture, de manière à tout adapter à la bonne influence, et à en faire son profit, tout comme à adoucir les rigueurs de la mauvaise. 20 CONSTITUTION On dit vulgairement que les jours et les an: nées se suivent et ne se ressemblent pas : cet ‘adage n’a de la vérité que l'apparence. Si nous comparons les années dans l’ordre de leur suc- cession immédiate, elles nous offriront sans doute de notables caractères de dissemblance , par l’ins- tabilité de durée et d'intensité des propriétés ap- partenant à chacune des saisons qui les compo- sent; mais si, pendant une longue suite d'années, on se livrait à en suivre, à en observer et à en tracer scrupulensement la marche , ces tableaux comparés ensuite entreux, ne manqueraient pas d'indiquer des périodes d’un rapprochement re- marquable entre les constitutions annuelles de telle ou telle époque. Le chaud, le froid , le sec et l'humide sont les seules qualités appréciables pour nous, et par lesquelles nous désignons et spécifions le temps; leur durée , leur rapport, leur isolement et leur combinaison respective font que telle année est chaude , froide, sèche, humide ou tempérée ; et l'influence de telle ou telle de ces constilutions sur les êtres doués de la vie, tant végétaux qu'a- nimaux, sera remarquable par ses effets, soit en bien , soit en mal. Voilà ce qu'il nous est donné d'observer et d'apprécier. Mais croit-on que l'air n'agisse sur les êtres vivans que par ses qualités sensibles ? Sans doute il en est d'autres présuma- bles qui nous sont encore inconnues, et que pro: AGRICOLE. 9 bablement nous ne connaîtrons jamais : le jeu du fluide électrique et de la lumière, les émanations terrestres , l'influence respective des corps plané- taires les uns sur les autres, ete., impriment à notre atmosphère des qnalités secrètes qu'il ne nous est pas donné de calculer et de connaitre. Sydenham, ce grand observateur, après avoir fait une longue étude des constitutions médicales , n'hésila pas à reconnaitre qu'elles ne se ratta- chaient pas exclusivement aux qualités sensibles de l'air , qu'elles devaient nécessairement se lier à d’autres causes , comme à des mouvemens in- testins de la terre , à ses exhalaisons et même à l'influence des astres. l’ariæ sunt annorum constitutiones queæ neque calori,neque frigori, non sicco, humidove hortum suum habent, sed ab occultd potits et inexplicabili quädam alteratione in ipsis terræ visceribus pendent. “(Medic. sect. 1. cap. r.) Et ailleurs , en parlant de l'atmosphère : Sive inficiatur atmosphera omnis ab alteratione quam ei inducit pecu- liaris aliqua corporum cœlestium quorumlibet conjunctio , etc: (Tract. de Podagrä. ) Il est bien reconnu, par exemple , qu'une constitution froide et sèche engendre une diathèse inflammatoire, et marque de son cachet toutes les maladies développées sous son règne. Cependant, l'hiver de 1830 , remarquable par sa longue sé- cheresse et un degré de froid peu commun à ce 22 CONSTITUTION climat, n'imprima pas aux maladies le génie in- flammatoire à un si haut point que l'hiver de 1832, dont la douce température, durant tout son cours, lassimila à un printemps. Ces maladies, d'ailleurs, ont présenté dans leur développement, leur marche , leur durée , et dans l’ensemble de leurs symptômes, un caractère spécial qui en a fait une épidémie sui generis , qu'on ne saurait attribuer à l'influence des qualités sensibles ni de l'hiver ni de l'automne qui l'a précédé. La terrible maladie qui déjà nous menace de près , dont la marche gigantesque et meurtrière effraie l'imagination et étonne l'histoire , dont l'essence et la nature inconnue se rit de la science et des moyens qu'elle lui oppose, qui, depuis quinze ans, se promène tyranniquement sur la surface du monde , affrontant tous les elimats et toutes les saisons ; cette maladie , dis-je , toute nouvelle pour nous, peut-elle se rapporter aux qualités sensibles de l'atmosphère, ou à toutes au- tres causes connues? non sans doute. Cependant, le cholera-morbus existe , c'est un être malfaisant qui a nécessairement sa source , son origine et ses causes! Toutes les recherches à cet égard ont été vaines jusqu'ici, et le seront sans doute encore long-temps ; nous devons donc nous en tenir aux présomptions de Sydenham , tout hypothétiques qu'elles puissent paraître. Si maintenant nous considérons l'ordre des AGRICOLE. 23 êtres végétaux , si puissamment influencés par la marche des saisons et les qualités de l'atmosphère, peut-on exclusivement leur attribuer les nom- breuses modifications qu'ils éprouvent durant les diverses périodes de leur existence annuelle, de- puis leur germination jusqu'à la parfaite maturité de leurs produits ? Nous connaissons , par l'ob- servation , les effets salutaires ou nuisibles du chaud , du froid, du sec et de l’humide , selon leur durée , leur combinaison et leur intensité ; mais cette connaissance nous conduit-elle avec certitude à celle de la cause de toutes les mala- dies qui les affectent ? La coulure , la rouille , la pourriture , l'atrophie , l'apoplexie ou l’évanouis- sement sont-elles toujours produites par les qualités appréciables des saisons ? Comment, par exemple, pourrait-on attribuer à cette cause la mort subite qui a frappé le froment, en bien d'endroits, ces deux ou trois dernières années, an moment même d’être moissonné, par laquelle on voyait en peu de jours la paille se colorer d’un blanc grisätre -cendré , et le grain s’atrophier au point de disparaître dans sa balle? A quoi peut-on encore attribuer la maladie que j'ai désignée ail- leurs sous le nom de frisure, et qui, durant quelques années , a fait périr en grande partie nos pommes de terre ? Il est donc permis de croire qu'outre des qua- lités sensibles de l'atmosphère , il est d'autres 24 CONSTITUTION agens secrets qui influencent et modifient les acles de la vie , tant végétale qu’animale, et que, si un voile épais nous en dérobe encore la con- naissance, nous ne devons pas pour cela nous lasser d'en observer les effets, qui seuls peuvent nous laisser l'espoir de le soulever peu à peu et d'arriver jusqu'à eux. L'automne de 1830 , considéré sous le rapport de sa constitution, peut se diviser en deux parties bien distinctes : la première , sèche et chaude ; la seconde , chaude , venteuse et humide, mais froide à la fin. Aussi les vendanges et les labours qui se font durant le mois d'octobre , ont eu le temps le plus favorable. L'hiver a commencé avec sa saison ; neige, pluie , brouillards , ciel souvent nébuleux ; alter- natives fréquentes de plusieurs vents, dont le sud-est a été le dominant ; extrême inconstance dans la température , et grande mobilité dans le baromètre. La neige couvrait la terre partout dès le 20 décembre ; fondue en grande partie , elle est tombée de nouveau et en ahondance le 24. Si la terre n'eût pas été mouillée et la température douce , si la neige elle-même, tombant en gros flocons et très-épanouie, n’eût pas présenté une texture particulière qui en favorisait la fonte à mesure qu'elle tombait, le sol en eût été couvert d'une grande quantité. A cette douce et humide AGRICOLE. 25 température succédèrent brusquement buit de- grés de froid le 26 au matin, lequel se réduisit le lendemain à 5 au - dessus de 0° ( Réaumur ). Jusqu'au 5 janvier , temps doux, venteux et in- constant. Ce qui caractérise plus particulièrement notre climat, et qui sans doute est un effet de la texture montagneuse du pays, c’est la mobilité des vents qui lui sont propres, qui, changeant brusquement de direction , amènent de grandes et rapides transitions de température. Il n'est pas rare de la voir varier en un jour de 10, 12 et même 15 degrés , comme je l'ai observé pendant le rigou- reux hiver de 1830. Or, la vie ou les fonctions qui la constituent , la santé ou l’ordre et Fhar- monie de ces mêmes fonctions , ayant leur prin- cipal moteur dans l’action des élémens et des qualités sensibles de l'atmosphère au milieu de laquelle nous vivons, on comprend facilement combien ces grandes vicissitudes doivent influer sur l’une et sur l’autre. La nature se plie facilement aux changemens réguliers qu'amène la marche ordinaire des sai- sons ; elle y est conduite d’une manière lente et progressive ; et les modifications qu'en recoivent les fonctions et la santé, soit en bien, soit en mal, sont à peine sensibles ; quoique cependant elles soient toujours manifestes et tranchantes dans l'ordre et le génie des maladies propres à 26 CONSTITUTION chaque saison. Mais lorsque, pendant le cours d'une même saison , ces transitions sont fréquen- tes, brusques et extrêmes, ainsi que nous l'éprou- vons souvent, elles impriment au système des forces des oscillations et des mouvemens en sens contraires, qui leur sont relatifs ; de là ces flux et reflux du dedans au dehors , soit dans les hu- meurs , soit dans la distribution des forces et des propriétés des solides ; de là la condensation ou la raréfaction des unes, le resserrement ou Île relâchement des autres. Dans ces grands et subits mouvemens en sens opposés, les organes se trouvent dans la nécessité de lutter perpétuellement pour maintenir un juste équilibre dans le rapport, la dépendance et l'har- monie qui lient entr'elles les fonctions qui leur sont respectivement départies. S'il s’en trouve relativement de plus forts ou de plus faibles , ils deviendront activement ou passivement le centre des congestions et des fluxions, sources de la plu- part des maladies que nous observons, tant dans l'ordre des aiguës que des chroniques. Si les apo- plexies, les hydropisies diverses, les catarrhes de tout genre sont l'apanage de l’âge avancé; si les inflammations , les fluxions , les hémorragies ac- tives et les fièvres aiguës deviennent celui de l'âge de la force ; si enfin les adynamies et les nombreuses variétés de l’ataxie les compliquent si souvent, n’en cherchons pas la cause ailleurs que AGRICOLE. 27 dans ces courans rapides de concentration et d'expansion alternatives dépendantes de grandes et subites modifications que la nature de notre climat imprime à l'atmosphère. De ces importantes vérités découle un principe d'hygiène essentiel à connaître et à suivre dans ce pays, et surtout à Chambéry ; c'est celui de s'habiller en hiver de bonne heure , et de se dés- habiller très - tard en été ; de diviser à ce sujet l'année en deux parties bien inégales , dont deux Uers seront réputés hiver, et un tiers seulement considéré comme été. Il vaut beauconp mieux supporter l'inconvénient de la chaleur jusqu'à sa parfaite stabilité, que de s'exposer à ces perfides surprises qu'on n'éprouve jamais impunément. Du 6 au 10 janvier , vent nord , temps sec et froid, 4 degrés, baromètre élevé ; le 11 et le 12, dégel, légère couche de neige partout, baromètre tombé, descendu et remonté aussitôt. Du 12 au-17, froid sec, ciel enveloppé de brouillards , nord direct, baromètre élevé. Du 17 au 24, chute du baromètre , vent sud- ouest, lemps sombre et pluvieux, brouillards , neige et glace disparues de la plaine et très-re- culées en montagne. La nuit du 24 au 25, et le 25 tout le jour, neige extrêmement fine, qui n'a pu prendre pied, à cause de la grande humidité. Le 26et le 27, baromètre rapidement monté, 28 CONSTITUTION vent nord très-fort , ciel pur et serein ; 7 degrés de froid. Le 28, vent d'est, ciel couvert, neige fine tout le jour, dont la terre s’est couverte d’envi- ron 4 pouces. Cette couverture est venue à propos protéger les blés que les vents chauds et humides avaient déjà fait verdoyer, et que le vent nord très-froid du 26 et du 27 avaient déjà altérés. Dès lors jusqu'au 31, vent nord, baromètre élevé, température sèche et froide, Ainsi qu'on vient de le voir, la constitution de janvier a été d’une inconstance extrême: les vents, le thermomètre et le baromètre n'ont pas eu un seul jour de fixité ; il en a été de même de la température , de la pluie, de la neige, de la gelée et du dégel. Du 1° au 7 février, dégel , vent sud dans tou- tes les régions ; mélange de divers temps, pluie, grésilet neige , baromètre: bas ét température au dégel; fonte de la neige en’totalité dans la plaine et en partie en montagne. Du 7 au 17, changement remarquable, sud supérieurement , nord inférieurement, baromètre très-haut , ciel pur et température agréable. Du 17 au 21, autre changement : vent d'est inférieurement le matin , nord-ouest supérieure- ment; temps froid, pluvieux et nébuleux jusque dans la plaine, baromètre à hauteur moyenne. Dès lors, le nord s’est élevé, le temps est devenu AGRICOLE. 29 sec et froid jusqu’au 26, qui a donné une couche de neige sur toute la terre, laquelle a disparu promptement par l'effet de la pluie, qui est tombée sans interruption jusqu'au 1° mars. On voit que l'instabilité de la constitution de janvier s’est prolongée sur tout février. Les grandes pluies des derniers jours de février avaient enflé les torrens ; les bas-fonds inondés de toute part, la terre saturée d’eau , regorgeant partout , ne permettait pas qu'on l'approchät pour un travail quelconque. Heureusement, les trois premiers jours de mars, quoique sombres et nua- geux, dominés par le nord , commencèrent à l’es- suyer , et firent élever le baromètre. Ce temps, qui semblait disposer la terre aux premiers travaux dn printemps, déjà très-retar- dés , ne fut pas de longue durée ; car , depuis le 4 jusqu'au 18 , les jours s'écoulèrent sous de fré- quentes alternatives généralement mauvaises : ciel le plus souvent couvert, pluies fréquentes , vents divers, particulièrement la matinière (l’est) avant midi et inférieurement , nord-ouest et par- fois le sud supérieurement. Même variation dans la température, grande mobilité dans le baro- mètre , se soutenant cependant à une hauteur moyenne. L'hiver de 1831 s’est écoulé en entier sons uné constitution très-variable ; elle a été d’une ex- trême mobilité, soit dans sa température, soit dans 30 CONSTITUTION les autres conditions météorologiques. Cependant on peut avancer qu'il a élé plus humide que froid. I est tombé , en plusieurs fois, une assez grande quantité de neige; mais la constante humidité du sol , jointe à l’inconstance de la température, en déterminait promptement la fonte. Les trois derniers jours de janvier ont été les plus froids, le thermomètre est descendu un moment à 10 degrés. Sans avoir été très-froid , sans avoir tenu Jong-temps la terre couverte de neige , il a été dans tout son cours très-défavorable aux travaux en réparations agricoles , dont déjà plusieurs fois j'ai fait pressentir ailleurs toute l'influence sur les productions du sol, et particulièrement sur celles du printemps. La terre , constamment humide, la rareté des beaux jours, d’une manière assez suivie pour la disposer et permettre de la remuer pour un but quelconque , en ont été les seules causes. Malgré l'instabilité des temps durant les trois mois d'hiver, les maladies se sont bornées à celles ordinaires à la saison : elles ont été simples et peu générales : les affections de la muqueuse pulmo- naire ont été les plus fréquentes; quelques pleu- résies et quelques pneumonies se sont montrées par intervalles. Ces dernières, toujours graves de leur nature , menaçaient de près la vie , si elles n'étaient promptement réprimées par des émis- sions sanguines proportionnées à leur intensité, AGRICOLE. 3E Les fièvres intermittentes , devenues très-commu- nes depuis quelques années, ont eu de fréquentes récidives, qui, finissant toujours par les amener au type quarte , les ont prolongées la plupart jusqu'au printemps. L'hôpital militaire , dont la partie médicale m’a été confiée pendant seize ans, ma fourni la fréquente occasion d'observer la marche des fièvres intermittentes , dont les gar- nisons apportent le germe ou les dispositions de quelques provinces du Piémont où ces fièvres sont profondément endémiques. C'est en septembre , tous les deux ans ; que les Brigades changent de garnison ; celles qui nous viennent de la province de Novare , pays de rizières , remplissent l'hôpital de fièvres inter- mittentes , dès leur arrivée à Chambéry ; les re- chutes sont communes pendant l'hiver et la pre- mière parlie du printemps ; elles cessent durant l'été pour reparaître sur quelques-uns en automne, et cessent enfin entièrement pendant le cours de la seconde année de garnison. Les Brigades qui nous viennent de Turin, de Côni , de Pignerol et de Gênes , n'éprouvent rien de pareil ; mais celles qui viennent de Novare et d'Alexandrie m'ont constamment fait observer ce que je viens d'avancer. Celle de Pignerol , que nous avons en ce moment, nous arrivant de Novare , m'en a fourni une nouvelle preuve pendant la première année de sa garnison actuclle. 32 CONSTITUTION Du 18 mars au 25, le temps, dirigé par le nord et le nord-ouest , a été sec et froid jusqu'à la glace ; la végétation naissante souffrait et lan- guissait sous le froid atmosphérique et le desse- chement de la superficie du sol. La nuit du 23 au 24 et le 24 tout le jour , il tomba nne énorme quantité de neige , qui, malgré le dessèchement de la terre , par l'effet de l'époque avancée de la saison , et de la texture floconneuse et épanouie de la neige , fondait en tombant ; ce qui n'em- pécha cependant pas que vers le soir une couche de six pouces ne couvrit la terre ; laquelle couche eût été d’un pied au moins daus toutes autres cir- constances. Heureusement , le retard de la végétation pour tous les objets essentiels ne laissait rien à craindre de ce temps bien hors de saison; quelques fruits à noyau seulement eurent à en souffrir. On était loin de s'attendre à tont le bien que cette quantité de neige produisit sur la végétation. Grâces à la journée du 25 , qui s’écoula sons une douce température , la neige disparut en majeure partie, et, chose bien remarquable, plus promp- tement en montagne qu'en plaine, parce que le sud régnait supérieurement et un léger nord in- férieurement. Ainsi la terre ne reçut d'elle qu'un salutaire arrosement ; la surface desséchée en avait un si pressant besoin, quelle fut absorbée en entier ; car les ruisseaux et les torrens, dont les AGRICOLE. 39 eaux restèrent claires et limpides , diminuèrent loin d'augmenter ; aussi, on restait frappé d'é- tonnement d'avoir vu, le 23 , les prés, les trèfles et les blés arides et desséchés , et de les voir le 25, là où la neige avait disparu, présenter le tapis de la plus riante verdure. Du 26 mars au 18 avril, il n'est point tombé de pluie ; le temps a été constamment sec et d'une température variable , mais plutôt froide que chaude , et surtout vers le 15, où s’est élevé avec assez de force le vent connu ici sous le nom de bise d'avril , lequel , après quelques jours, tournant au nord-ouest , a amené une pluie fine passagère avec du grésil dans la plaine, et la neige en montagnes jusqu'à lenr base, Cette température donna de vives craintes pour la nuit du 18 au 19 ; heureusement le ciel , resté couvert, préserva de la gelée blanche. Le 19 s'écoula sous le même vent, la même température et le même ciel. Le 20 , sud supérieurement , température élevée , sous laquelle la neige nou- vellement tombée disparaît en entier; mais le baromètre , bas et peu mobile, laisse le temps incertain. En effet, le 21 et le 22, pluie sontenue la plus grande partie du jour dans la plaine , et nouvelle neige en montagnes; température froide, nord-ouest , baromètre bas. Le ciel toujours cou- vert a garanti de la gelée. Le 23, le sud a soufllé, a élevé la température, 3 54 CONSTITUTION fait disparaître la neige, et a soutenu le temps beau et chaud jusqu'au 29, qui a amené une abondante pluie tout le jour , de laquelle la terre avait un pressant besoin. Le 30 , vent sud-ouest, chaud , soufilant par violentes ondées, et régnant dans toutes les régions. La neige ne se montra plus que sur les points les plus élevés des hautes montagnes ; baromètre à hauteur moyenne. Durant les trois premiers jours de mai, temps venteux, nuageux et chaud. Le 4, le vent brusque- ment tourné au nord - ouest, donna de la pluie durant la plus grande partie du jour, avec refroi- dissement remarquable et neige au sommet des montagnes. Depuis le 5 mai jusqu'au 15, le temps s’est soutenu venteux el inconstant par de fréquentes alternatives de pluie et de beau temps. Ler4 a été remarquable par une pluie d'orage, qui a oc- cupé une grande étendue, et s’est trouvée mêlée de grêle sur plusieurs points. La commune de Saint-Baldoph, placée au penchant d'une mon- tagne déboisée, a été sillonnée par des torrens sur ses plus belles propriétés. La même consti- tution s'est soutenue jusqu'au 4 juin : le temps toujours venteux et variable , au point que deux jours ne se sont pas écoulés de suite sans pluie ; il en a été de même de la température , variant d'un jour à l’autre de plusieurs degrés , élevée par le sud, et abaissée par le nord-ouest, dont AGRICOLE. 35 les alternatives étaient subites et fréquentes. La même inconstance s’observait sur le baromètre , sans cesse agité par de courtes et fréquentes os- cillations. Le 4 et le 5, le temps s’est élevé par le nord ; température fraiche et sèche , baromètre élevé, tout annonce la fixité d’un temps favora- ble, et que réclamaient impérieusement toutes les productions de la terre en souffrance, ainsi que les travaux retardés et accumulés. Cependant le vent, tourné de nouveau au sud , ramena un temps variable , venteux , nuageux et fréquem- ment pluvieux jusqu'au 25, malgré l'élévation du baromètre. Il suit de la description du printemps, que cette saison s'est écoulée sous trois périodes bien distinctes : la première , sèche et froide ; la se- conde , froide et humide ; et la troisième , très- irrégulière , mais en général , venteuse, chaude et humide , surtout vers la fin. Du 23 juin au 7 juillet, temps constamment beau et chaud; l'après-midi du 7, ciel orageux, tonnerres , éclairs, pluie d'averses et partielle prolongée jusque dans la nuit. Du 7 au 25 juillet, temps constamment chaud, venteux, nuageux et menacant; fréquentes pluies d’averses par bour- rasques, circonscrites, tantôt sur un point, tantôt sur un autre , et toujours accompagnées de ton- nerres. Le 15 , un violent orage se forma sur la montagne de Grenier, et vint fondre sur une 36 CONSTITUTION partie des vastes Abiîmes de Myans et des Mar- ches, et fit assez de mal, surtout aux vignes. Du 25 au 51, nord , temps beau, chaud et serein ; baromètre fixe et peu élevé. Les sept premiers jours d'août ont été d'une chaleur accablante ; la fréquence des pluies d’orages, des éclairs et des tonnerres n'influait pas sensiblement sur la tem- pérature, tant l'atmosphère était chargée d’élec- tricité. Ce ne fut que par une pluie constante , durant la journée du 7, que le nord parut un moment; le baromètre s'éleva et la température s’abaissa. Du ro au 22, la constitution s’est soutenue la même : pluies fréqnentes, sud et sud-ouest, ciel nuageux, température plutôt fraîche, baromètre à hauteur moyenne, avec fréquentes oscillations. Dès lors jusq'uau 1° septembre, le temps est resté : beau, chaud et serein, sous l'influence du nord. Du 1% au 12 septembre, le temps a été cons- tamment mauvais, sombre, frais et pluvieux : vent d'est dans la région inférieure , ouest et nord -ouest au-dessus , baromètre très-bas. Du 12, qui fut le premier beau jour, jusqu'au 50, le temps s’est soutenu beau, sec et frais les premiers jours, sec et chaud jusqu’à la fin du mois; baro- mètre élevé, et franc nord continuel. Le sud s’est montré les deux derniers jours; chute rapide du baromètre; légère pluie l'après-midi du 29. 11 serait difficile d'apprécier toute l'étendue du AGRICOLE. 57 bien qu'a produit cette suite de beaux jours sur toutes les productions agricoles : le raisin, peu avancé dans sa maturité, y fit de grands et rapi- des progrès; les pommes de terre müres et arra- chées ; le maïs recueilli en partie; les premiers blés (seigle et froment hâtif) confiés à la terre, qui, déjà trop desséchée, repoussait le soc. Pour résumer en peu de mots la constitution de l'été de 183r, nous dirons que la première partie a été chaude sous le règne constant du sud ; l'atmosphère, surchargée de fluide électrique, a été le théâtre de fréquens orages, toujours ter- minés par éclairs, tonnerres et pluies d'averses; que la seconde, qui comprend l'intervalle du 10 août au 12 septembre, a été pluvieuse, fraiche et très-variable ; et que la troisième, comprise dans le reste de septembre , a été belle , riche et fé- conde en résultats avantageux. Les trois premiers jours d'octobre parurent annoncer la pluie, désirée pour continuer les semailles : baromètre bas, ciel couvert, vent sud, temps sombre et humide , tont l'indiquait , lors- que , le 4, l’ascension du baromètre , un léger nord, un ciel pur et sans nuages, ramenèrent le temps au beau, lequel, en effet, se soutint jusqu'à la nuit du 8 au 9. Ce dernier jour s'écoula en entier sous une pluie chaude et abondante, qui produisit les plus heureux effets. Les vendanges de la plupart de nos bons vignobles étant fixées 38 CONSTITUTION pour le 10, et le raisin porté à un hant degré de maturité , et desséché en partie par la tempéra- ture chaude et sèche depuis le 12 septembre, s'en est trouvé humecté, vaffraïchi et gonflé. IL n’est pas doutenx qu'il n'ait beaucoup gagné en quan- tité et en qualité, vu surtout qu'immédiatement après cette pluie, dont la terre s’est trouvée hu- mectée, même assez profondément , a succédé rapidement une température chaude et sèche par un ciel pur et serein. Ainsi les vendanges se sont faites sous les conditions les plus favorables ; la chaleur du milien du jour se trouvant à 20 degrés, le vin a été rapidement fait ; et si la quantité a été même en dessous de la médiocrité, la qualité en sera bonne. D'ailleurs, au 9 octobre , la terre était dessé- chée au point que déjà on avait suspendu les se- mailles du froment ; et à la faveur de la pluie du 9, elles furent reprises, suivies et terminées sous les conditions les plus favorables à sa prompte germination; ajoutons que les pommes de terre, les maïs , les légnmes et les blés noirs , arrivés à une hîtive et heureuse maturité, ont été re- cueillis dans le meilleur état possible : de sorte qu'à la faveur d’une si belle partie de l'automne, tous les travaux agricoles , tant en récolte qu'en semailles, ont été terminés de bonne heure et sons les conditions les plus avantageuses. Jusqu'au 3 novembre , le temps s’est soutenu AGRICOLE: 59 beau sans variations : température douce, fraiche le matin, abondante en rosée, et chaude le reste du jour ; ciel le plus souvent pur et serein ; ba- romètre haut et fixe, agité seulement par de courtes oscillations produites par la révolution diurne; sud au-dessus, et nord léger au-dessous. Les résultats d’une si belle constitution atmos- phérique ne se sont pas bornés à semer et à recueillir heureusement : l'arrière végétation, épargnée par les gelées blanches hâtives, si com- munes à cette époque de l'année , favorisée par tout ce qui pouvait l’exciter, a fourni à des pâtu- rages gras et prolongés, qui ont d'autant épargné les fourrages de l'hiver. En outre, les travaux en réparations , dont l'influence est si grande en bonne économie rurale, tels que minages, fossés, transports de terre, plantations d'arbres, etc., ont été favorisés et exécutés sous les plus heureux auspices. Enfin , au 3 novembre , la campagne était encore verte comme au milieu du printemps; les blés couvraient partout la terre ; les prés et les trèfles restaient verdoyans, les arbres conser- vaient leurs feuillages, et les animaux trouvaient encore une abondante pâture. Du 5 au 15 novembre , le temps a été cons- tamment sombre, froid et humide; la neige, pour la première fois, a blanchi le sommet des mon- tagnes ; les vents ont été l'est inférieurement, le sud-ouest supérieurement ; le baromètre , de- 40 CONSTITUTION puis long-temps très-haut, est tombé à 27 pouces. Pluie soutenue la nuit du 15 au 16, et le 16 en grande partie ; neige jusqu'à la base des monta- gues. Jusqu'au 22, même temps, même tempé- rature. Le 18, pluie froide dans la plaine, neige en montagnes, vent d'est violent le matin, sud- ouest à midi, soleil, chaleur, tonnerres et gréle mince sous forme de givre. Ce jour offrit tous les météores et un ‘mélange du temps de toutes les saisons. Dès le 23, ciel pur et serein , soleil tout le jour, température douce , léger nord au-dessous, sud au-dessus ; le temps a pris dès lors l'aspect que l’on observe fréquemment sur l'arrière au- tomne , indiquant toujours un temps fixe et beau pour l’époque de la saison, et dont voici la des- cription telle que je l'ai observée souvent : baro- mètre élevé et fixe sans oscillations bien sensi- bles, atmosphère calme et sans agitations, tem- pérature fraiche et agréable , ciel voilé par une voüte de nuages élevés , d’une forme et d'un as- pect identique sur tous ses points , et dont les bords limitent l'horizon , en tracant une ligne droite et fixe vers le centre de nos montagnes , de manière à en couvrir la moilié supérieure. Cette ligne a constamment cela de particulier , qu'elle est tracée d’une manière uniforme, limite régulièrement l'horizon et paraît comme immo- bile. AGRICOLE. A Cette voûte nuageuse ainsi disposée , dont l'épaisseur n'est pas grande et laisse la région supérieure éclairée par le plus beau soleil, n’est qu'un épais brouillard qui dure ordinairement quelques jours, et se dissipe ensuite pour laisser après lui une suite de beaux jours par lesquels se termine la belle saison. Ce temps s'établit toujours par un léger vent du nord, presque insensible , régnant seul dans l'atmosphère, peu froid et toujours sec. Il est très-favorable à la terre , qu'il dessèche insensi- blement, et aux travaux de l’arrière-saison. C’est par lui que les dernières dépouilles des arbres se sèchent et se ramassent , que les plantations d’au- tomne s'effectuent , que les fossés en tout genre se déblaient, ceux surtout qui bordent les grandes routes ; encomhrés de toutes les boues qui en découlent pendant l’année, ils fournissent un gras Jimon qui , rassemblé en petits tas sur les lieux mêmes , müri et desséché par la gelée, devient au premier printemps un des meilleurs engrais. Aussi observe-t-on que dans les com- munes qui se distinguent par une bonne culture, celte ressource , qui ne paraît rien aux yeux du cultivateur indolent , est justement appréciée. Là les chemins et les petits fossés qui les limi- tent sont nettoyés avec soin par chaque proprié- taire, sur l'étendue du chemin qui correspond à sa propriélé , se gardant bien d'anticiper sur celle 42 CONSTITUTION de son voisin ; ce mélange d’humus boueux, de terre el de croûte gazonnée , est mis en petits tas, et dès que les froids de l'hiver l’ont désséché et durci, on l'enlève en masse pour le disséminer dans le champ voisin ; pour lequel il devient un engrais d'autant plus précieux qu'il est plus du- rable. Le brouillard dont le ciel s’était voilé depuis quelques jours de la manière indiquée ci-dessus , s'est disséminé en s’approchant de la terre, et s’y est fondu sous la forme d’une légère bruine pen- dant le 26 et le 27. A cette disposition du temps a succédé un vent nord-ouest glacial et assez violent , le ciel tou- jours enveloppé de nuages , baromètre élevé et toujours montant, et le froid porté à 3 degrés jusqu’au 3 décembre. Alors, vent tourné au sud dans toutes les régions, température élevée rapi- dement à 15 degrés. Le ciel toujours ombragé de nuages poussés par le vent , baromètre à 27 pouces , pluie imminente , qui cependant n'est tombée que le 10, sous une température d'une chaleur suffoquante. Du 10 au 26, temps toujours dirigé par le vent, humide et chaud. Le 26, vent tourné au nord, température à la glace ; le froid, augmentant progressivement jus- qu'au 5 janvier 1832, s’est balancé entre 3 et 4 degrés au-dessous de zéro ; la terre s’est gelée AGRICOLE. 43 profondément ; le temps, devenn sec et poudrenx, a couvert les routes de poussière, et l'hiver s'est décidément montré à l'entrée de sa saison. Ensuite de l'exposé que je viens de faire de la constitution de chaque saison , il est facile d'en apprécier l'influence sur tous les produits agri- coles. Aussi , bornerai-je ce qu'il me reste à dire à ce sujet , à quelques considérations générales. L'hiver et le printemps , par leur constitution anomale , généralement froide , humide, nébu- leuse et neigeuse , ont été nuisibles aux céréales d'automne, à la vigne et aux fruits de toutes les espèces. La chaleur de l'arrière-printemps et de la plus grande partie de l'été, constamment pro- duite et soutenue par le vent du sud , toujours énervant et suffoquant, n'a pas été moins nuisible à la floraison et à la fructification opérées sous son règne. L’atmosphère surchargée d'électricité, engourdit les propriétés vitales des végétanx comme des animaux ; les éclairs et les tonnerres qni l’embrasent et l’agitent souvent, déterminent entre elle et la terre ces rapides courans , qui, ayant les plantes pour conducteurs , en altèrent l'organisation , en précipitent la maturité et le dessèchement , et en font avorter les produits , qui dès lors s’étiolent , s'atrophient et disparais- sent. Telle est, selon Thaër, la cause de ces évanouissemens , de ces sortes d'apoplexies qui nous enlèvent nos fromens au moment même d'être recueillis. 44 CONSTITUTION Quoi qu'il en soit de la cause , il est de fait que ces deux dernières années ce précieux grain a manqué dans toutes les localités basses, peu de temps avant la moisson. Les grandes intempéries du printemps ayant tenu le raisin en souffrance , il n’a pu résister à l'époque décisive de sa fleur ; on l'a vu couler et disparaître en grande partie, et sans le beau temps de septembre et d'octobre, non-seulement la ré- colte en eût été comme nulle, la qualité s’en fût trouvée encore bien au-dessous de la médiocre , tandis qu’on peut la ranger parmi les bonnes. Si les céréales d'automne ont généralement man- qué , et dans leur quantité et dans leur qualité , si la vigne a peu produit, il n’en est pas de même des productions du printemps : on peut avancer qu'en plus ou en moins, elles ont en général toutes réussi; la raison s’en trouve dans la nature de la constitution des deux dernières parties du printemps, de tout l’été et de la première partie de l'automne. En effet, le milieu du printemps froid et humide , la fin chaude et humide , ont été favorables au développement et à l'organisa- tion des plantes, considérées comme individus ; car rien n'est plus avantageux à la végétation herbacée que l'humidité réunie à la chaleur. L'été ayant amené l'époque de leur floraison et de leur fructification , elles se sont favorablement opérées sous l'influence de sa chaleur. Ainsi l'orge, AGRICOLE. 45 l'avoine, les pommes de terre, le maïs, les légn- mes , le chanvre et surtout le blé noir, qui n’est que ce que le fait la première partie de l'automne, ont parfaitement réussi; cette année , tous ces produits sont arrivés à une parfaite et même hâtive maturité, ce qui leur a donné des qualités supérieures à leurs qualités ordinaires. Les fourrages, soit naturels soit artificiels, ont été abondans ; les trèfles de la première année ont, contre leur habitude , tous fourni à une coupe assez abondante , vers la fin de septembre. Si je n'ai pas parlé des maladies, c'est que, malgré l'irrégularité des saisons, elles n’ont rien présenté de bien remarquable; je dirai seulement que les fièvres intermittentes sont devenues plus communes , qu'elles se sont propagées et répan- dues presque partout, même dans les lieux secs, élevés et montagneux, où elles étaient comme inconnues ; qu'elles ont partout été simples et légitimes , cédant facilement au traitement ordi- naire , mais très-faciles à revenir. 46 CONSTITUTION TABLEAU DEs hauteurs moyennes du Baromètre et du Thermomètre à Chambéry, pendant l'an- née 1831, NOMS BAROMÈTRE à o°, à midi. (rnemoirs de nReaumur, des Re MOIS. Millimètres| Pouc| Lignes | Degrés. Janvier... 734. 48 |.27 | 1. 59 lÉVrIer se. 739. 65 | 27 | 3. 88 Rec 737. 60 | 27 | 2. 98 ANT e--ce 730. 27 | 26 |11. 73 RARE 734. 69 | 27 | 1. 69 FR Us 737. 55 | 27 | 2 9 Juillet ........ 738. 07 | 27 3. 19 RON AE 735. 85 | 27 | 2. 20 Septembre... | 736. 93 | 27 | 2. 68 Octobre....... 740. 47 | 27 | 4. 25 Novembre ... | 740. 28 | 27 | 4. 16 Décembre ..….. | 737. 4o | 27 | 2. 89 Moyennes de 730. 99 27 | 2. 78 l'année. AGRICOLE. 47 TABLEAU DES maxima et des minima des hauteurs ba- rométriques à Chambéry, pendant l'année 1831. NOMS DES MOIS. Millimèt, | Pouc| Lignes. JANVIER... .... D MR 05 | ENST Minimum ..| 723. 90 | 26 | 8. 90 Févauen.…….| Msn | 208 29 | 20 ho: 8e Mans. Mae da 8 | 24 TNA QE OU ie Maximum..| 756. 81 27 | 2. 62 Minimum ...| 720. 38.| 26 | 7. 34 2. at Mabnane | 68 l'26 le June... | Matane met | 7 Mot EE a Aoû... | Mouse 28 4e | 20 1456 Seprempre.….| jour Le D ET Et Ocroms.…..| Minimum.) 248 26 | 20 | 5: 22 NOVEMBRE . À ets: un sÉ Se és M Décenas.… À Riu. | 242: 08 | 27 | 4 do 48 CONSTITUTION AGRICOLE. TABLEAU DES maxima et des minima des hauteurs du Thermomètre (de Réaurmur), à Chambéry : pendant l'année 1831. PR TE NEO NSP QE NP PV ER RTE EEE PT EEE PE PSE ENT NE ENSENS NOMS DES MOIS. | DEGRÉS. RE IE D RE + O © si O1 { Maximum... JANVIER. ...... Sea Minimum.....| — 10°. 80 ROLE OR LE Maximum. «| “+ 10°, 80 Minimum.....| — 6°. 3o MAL En: ES Maximum.....| + 15°. oo LMinimumasiaht =" " 00, "1a AVRID.o...oe.) Maximum.....| + 18°, 5o Minimum....}! :+ 3°, 30 Mar GET Maximum. SA. +1 200.1 100 To Minimum.....| + 40. oo ARR Maximum... + 220, . 5o Minimumisu.ill 1° 0 5a Juinrer.….…..| Drums SM Minimum: 2 06! 90 avr. { Mmes) 4 21. fo Minimum.....| + 8o, 3o Maximum... PEUT MEET SEPTEMBRE. .« | Minimum... + Zo° 57 OCTOBRE ..…. Maximumes...|" :+ 170, , 50 Minimurh.....| + 49 oo Maximum... 13°, oo Novewre..…….| Minimum... ré 2 6o Maximum... 139, 70 Déceuvre..…. ; Minimum... “A 50, 70 DODDP OO OO DO DE DOPDOEDOOPOO DE DOPPDP PO PODO DEEE CCE DE ECO MÉMOIRE SUR LES MARAIS EN SAVOIE, CONSIDÉRÉS SOUS LE RAPPORT DE L'HYGIÈNE ET DE L'AGRICULTURE ; PAR M, LB DOCTEUR COUVERT En “ Lés Médecins de tous les temps et de tous les lieux ont observé et signalé constamment les fanestes effets des exhalaisons marécageuses sur la santé et sur la constitution des hommes qui s'y trouvent exposés; ils ont étudié avec soin les maladies qu'elles engendrent d’une manière di- recte, et le caractère grave qu'elles impriment à celles qui se développent sous leur influence; ils ont appris à les connaître, et surtont à les com- battre par le moyen de l'écorce précieuse que nous fournit l'Amérique , et dont la découverte / 4 5o SUR LES MARAIS a plus conservé d'hommes que les guerres de tous les genres n'ont pu en détruire. Réunis aux éco- nomistes et aux agronomes , ils ont appelé et excité l'attention et la sollicitude des gouverne- mens pour rendre à l'agriculture ces immenses et stériles surfaces d’où émanent les germes qui dégradent et mutilent les générations qui les ha- bitent ou les environnent. Des milliers d'écrits et de projets ont été présentés sur l'importante question du défrichement et de l'assainissement des marais; partout on a senti l'utilité et la né- cessité de cette lonable entreprise, partout on y a applaudi; mais la divergence des intérêts, l'in- différence et les difficultés à vaincre, présentées par les dispositions des localités , ont toujours entravé et retardé l'exécution. Cependant , tout en convenant des nuisibles effets des marais sur la santé , à bien voir et à bien juger cette importante question , il semble que le jugement porté contre eux est trop géné- ral et trop absolu. Il est nombre de circonstances, ainsi que je le prouverai dans le cours de ce Mé- moire, qui, en Savoie, méritent d'établir quelque distinction entre ceux à détruire et ceux à con- server. Si j'ai osé prendre ce sujet pour payer à notre Société le tribut annuel que lui doit chacun de ses Membres, ce n’est pas que je prétende le traiter dans toute son étendue : je n'en ai ni le EN SAVOIE. br temps ni les moyens. L'exécution cependant en serait facile par la quantité décrits qui ont paru sur cette matière, en médecine, en agriculture, en physique et en chimie, et par tant d'imposan- tes autorités qui l'ont appuyée de leur suffrage : ce qui m'oblige d’avouer que je ne dirai ni n’a- vancerai rien qui n'ait été dit et avancé avant moi ; que le seul mérite de mon travail , si l’on vent bien lui en accorder un, c’est d’en faire l'ap- plication à mon pays, pour lequel seul j'écris. Ce Mémoire sera divisé en cinq articles : le 1*,des marais considérés en général, et des canses qui les produisent; le 2°, des émanations qui s’en élèvent et des diverses opinions sur leur nalure; le 5°, de leur influence sur la santé et du carac- ière qu'elles impriment aux fièvres; le 4°, des moyens propres à en tempérer l'influence ; le 5° enfin, des marais considérés dans leurs rap- ports avec l’agriculture. On concevra facilement que le nombre et la nature de ces sujets, traités dans toute leur latitude, feraient la matière d’un ouvrage volumineux, et qu’en voulant les restrein- dre sous la forme et dans le cadre d'in Mémoire, je dois nécessairement me borner à quelques gé- néralilés sur chaque article. 22 SUR LES MARAIS ARTICLE PREMIER. DES MARAIS CONSIDÉRÉS EN GÉNÉRAL, ET DES CAUSES QUI LES PRODUISENT. On appelle marais, des terrains plus ou moins étendus, spongieux, humides et le plus souvent couverts d'eau. Thaer les distingue en #narais gerts , prés marécageur ; et en marais à tourbe, marais stériles on marais à bruyères, sur les- quels il ne croît gnère que les plantes qui forment la tourbe, et qui ne sont d'aucun usage domesti- que. Cette distinction ne saurait s'appliquer à ce pays, où l’on trouve rarement la tourbe et seule- ment sur quelques points très-circonscrits. Il nous conviendrait mieux de les distinguer en marais proprement dits et en prés marécageux ; les uns et les autres se trouvent le plus souvent voisins et contigns, et furent tous à l’état marécageux, à des époques plus ou moins reculées ; mais l'é- lévation de quelques points du sol par le débor- dement des torrens, sa nature et sa profondeur, qui n'est pas partout la même , la posilion des sources qui y versent leurs eaux , les obstacles qui s'opposent à leur écoulement, feront qu'une portion de prairie sera un pur marais, tandis que l'autre ne sera que prés humides ou marécageux. Cette disposition est très-commune sur plusieurs EN SAVOIE. : 53 points de nos basses et étroites vallées , bornées où par des montagnes , ou par des masses d’eau courante, telle que celles du Rhône, de l'Isère et des torrens divérs qui s'écoulent des hauteurs. J'attache une grande importance à la distinction que je viens d'établir de toutes nos surfaces hu- mides, en marais proprement dits et en prés ma- récageux ; parce que c'est sur elle que porte par- ticulièrement ce que j'ai à dire dans ce Mémoire, relativement à la santé et à l’agriculture. Les marais proprement dits offrent de grandes et nombreuses différences, dans le fonds qui les constitue, dans la nature et la quantité d’eau qui les abreuve , et dans l'abondance et l'espèce de leur produit. Les uns reposent sur un fonds riche et profond, peu aqueux , pénétré et arrosé par des eaux vives et fécondantes, et dont les sources, placées sur leurs bords ou dans leur sein, ne ta- rissent presque jamais entièrement. Le gazon de cette espèce de marais est épais, gras et touflu, et se couvre de la plus riche végétation. D’autres consistent dans des mares ou flaques d’eau peu profonde et stagnante, du fond de laquelle s'élè- vent des mottes de terre, plus onu moins grosses et élevées , séparées les unes des autres, et que l'eau baigne de toutes parts, sauf que le sommet est le plus souvent hors de l’eau et n’en est re- couvert que lorsqu'elle est abondante. Ces mottes se couvrent de touffes épaisses de grande careiche, 54 SUR LES MARAIS qu'on nomme vulgairement carela, et qui est de tontes les plantes qui forment la blache , la meil- leure pour litière , qui fait le meilleur engrais, et sur laquelle l'animal se trouve le mieux. Ce genre de marais ne se présente généralement que dans des espaces bornés, ne recevant leurs eanx que des torrens , des ruisseaux , ou des hauteurs qui les environnent. Ces eaux ne se dissipent que par l'évaporation , vu qu’elles ne peuvent s’écou- ler par défaut de pente, et qu'elles reposent sur une couche d'argile imperméable. J'ai vu étendre ces marais par boutures, en abaissant le terrain pour que l'eau s’y dirigeât, et en y plantant des fragmens de mottes de cette careiche; j'ai vu ces jeunes mottes grossir annuellement et devenir une bonne blachère. Il est une troisième espèce de marais presque stériles, très-nuisibles à la santé et les plus diffi- ciles à assainir: on les observe dans les bas-fonds recevant les eaux de tons les points qui les envi- ronnent , et alimentés en outre par des sources profondes d’eau crue et ferrugineuse, nuisible à toute espèce de végétation. Ces marais consistent dans une croûte mixte , reposant sur une vase pro- fonde, sorte de fondrière sur laquelle on ne s’ex- pose pas toujours sans danger ; on peut en effet mettre en mouvement cette croûte, à quelques toises de distance. On ne saurait trop s'imposer de sacrifices et EN SAVOIE. 55 d'efforts pour diminuer ces foyers d'infection, soit par des fosses d'écoulement, soit par des tran- chées profondes au pied des hauteurs qui les bordent, et par tous les moyens que l’art du des- sèchement et les circonstances locales peuvent permettre. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que cette espèce de marais, par sa position et par sa nature , est Ja plus difficile à dessécher et à être portée à un degré de fécondité même médiocre. Occupant toujours des bas-fonds , réservoir naturel de toutes les eaux des lieux environnans, entretenu en outre par des sources profondes, le fond, à une grande profondeur , en est plus aqueux que solide, et par là même se trouve peu susceptible de dessèche- ment , et les travaux nécessaires pour l'opérer exigeraient des frais souvent bien au-dessus de la valeur du sol. La Savoie, par là même qu'elle n'est composée que de montagnes et de vallées, dont les monve- mens du terrain sont encore très -variés, doit offrir nécessairement , sur plusieurs points, des surfaces marécageuses ; le Rhône , qui la borne à l’ouest , coulant du nord au midi, est en partie formé des eaux qui s’écoulent de ses hautes mon- tagnes. L'Isère et l'Arc , placés au sud-est du Duché, sont entièrement formés de celles qui découlent des montagnes de la Tarentaise et de la Maurienne. Ces masses d’eau, composées de 56 SUR LES MARAIS tous nos torrens, laissent dans les vallées qu'elles parcourent , soit par leur filtration, soit par leur débordement, des plages humides et maréca- genses. Îl est cependant à observer que s'il ne s'y tronve pas des sources locales et permanentes, ces mêmes plages sont pour la plupart suscep- übles d'une riche cultnre , ainsi qu'on le voit sur Jes bords de Fisère , depuis sa sortie des monta- gnes de la Tarentaise jusqu'à son entrée dans le département à qui elle donne son nom; les dé- pôts de cette rivière sont très-productifs. Indépendamment des filtrations et des débor= demens des eaux des torrens et des rivières, les collines et les bas-fonds reçoivent des sources dont les réservoirs se trouvent dans les monta- gnes mêmes. Si, par la disposition des surfaces, ces eaux ne peuvent s'écouler, elles transforment en marais, toujours d'une riche végétation , les espaces où elles reposent, surtont si le fond du sol se compose de couches d'argile qu'elles ne peuvent pénétrer. On voit que si la Savoie ne présente pas des marais d’une vaste étendue, comme on en chserve dans un grand nombre de régions des diverses parties du globe, elle doit nécessairement, par la nature de sa forme et de sa structure, en pré- senter quantité de peu d’étendne , et dont la plupart se couvrent annuellement d'une belle et abondante végétation , et deviennent par à même EN SAVOIE. b7 plus ntiles à l’agriculture que nuisibles à la santé. En parlant des marais et de la manière dont ils se forment, je ne saurais mieux faire que de rapporter ici ce qu'en disent les savans auteurs du Dictionnaire des Sciences médicales (Tome XXX , page 518 et suiv.). Cette citation, quoique longue , s'applique si bien à notre sujet et surtout à notre pays, que je crois convenable de ne pas l'abréger , dans l'espoir que peut-être elle fera plus d'impression que ce que cette Société a déjà exposé en plusieurs endroits, en s'occupant de l'état déplorable des bois de nos montagnes. « Les eaux qui tombent sur nn terrain quel- conque se partagent constamment en trois par- ties : la première s'infiltre immédiatement dans le sol même qui la reçoit ; la seconde , soumise à l'action de l'air et du calorique, s'élève de nou- veau dans l'atmosphère à l'état de vapeurs ; la troisième enfin, obéissant anx lois de la pesan- teur , s'écoule sur la partie basse , et à mesure qu'elle chemine, elle forme des courans qni cons- ütuent les ruisseaux, les rivières , les fleuves qui vont enfin se rendre à la mer. Les manières di- verses dont se fait dans un pays cetle distribution des eaux pluviales, la facilité plus onu moins grande que ce pays présente à leur écoulement, sont les causes qui l'entretiennent dans un état de séche- resse ou d'humidité, et qui par conséquent sont les causes premières des maladies qui le ravagent. 58 SUR LES MARAIS Il est donc nécessaire que nous nous arrêtions un instant à l'examen des circonstances locales qui modifient cette distribution. « Plus la surface sera élevée et soumise à l’ac- tion des vents , plus elle sera dégarnie de plantes et dépourvue d'ombrage, plus aussi l'évaporation du liquide sera rapide et considérable. Mais lors- que la montagne qui présente ces conditions offre une pente rapide, l'avantage apparent qui résulte de leur assemblage est balancé par les plus graves inconvéniens. En effet , les eaux pluviales ne ren- contrant aucun obstacle à leur progression , se rassemblent avec une rapidité extrême et se pré- cipitent dans la plaine avec une violence qu'il est aussi difficile de prévoir , qu'il est impossible de lui opposer des limites. Les torrens, dont on ne peut déterminer d'avance le volume, sont donc formés avec d'autant plus de facilité , et sont par conséquent d'autant plus dangereux , que les montagnes sont moins couvertes de végétaux. Mais lorsque ceux-ci sont abondans, lorsque de grands arbres forment un ombrage épais , l'éva- poration , il est vrai, est moins considérable ; mais le liquide étant en contact permanent avec le même terrain, s’infiltre en plus grande propor- tion dans son intérieur, tandis que le reste ne pouvant descendre qu'avec peine , se réunit len- tement , forme des ruisseaux dont les crues sont difficiles, et qui parcourent les plaines sans dan- EN SAVOIE. 5q ger pour elles. L'eau infiltrée descend d'abord perpendiculairement à une profondeur plus on moins considérable , et se perdrait même entière- ment si elle ne rencontrait la base calcaire de la montagne, qui lui fournissant un plan solide et incliné, lui permet de glisser sur elle et la dirige vers la plaine. Elle forme des sources qui se réu- nissent aux eaux extérieures. La lenteur avec la- quelle se font ces diverses opérations, la longueur du chemin que doit parcourir le liquide , soit à la surface du sol, soit dans les terres, et les obstacles qui sur ces deux routes s’opposent à sa progression , sont des causes qui empêchent le terrain supérieur d’être jamais complètement desséché , et qui donnent anx courans un carac- tère de régularité et de permanence qui les rend très-faciles à contenir et à diriger. « Il est aisé de voir que l'état des montagnes est l'un des objets les plus importans à considérer pour celui qui veut se rendre raison de l’inonda- tion d'un pays. En effet, il est arrivé que le défri- chement des terrains élevés, et dont la surface était très-inclinée, a été la cause des plus grands ravages exercés sur la plaine par les torrens qui s'y sont dès lors précipités. On doit donc s’op- poser à la destruction des forêts qui garnissent presque toutes les hautes montagnes. Leur dé… pouillement présente une multitude d'inconvé- niens. Indépendamment de la diminution des 60 SUR LES MARAIS bois qui en résulte souvent, la contrée se trouve exposée à des vents malsains dont elles la garan- tissaient, etc. ; de plus , le sol mis à nu et cultivé est désormais soumis à l’action immédiate de l’eau, qui entraine peu à peu avec elle tout ce qu'elle peut en détacher. Bientôt elle le prive de ls terre végétale qui revêtait sa surface et qui était la source de sa fécondité. Cette cause de l’apauvris- sement continuel du terrain doit agir constam- ment tant que subsistera la culture ; elle ne doit avoir pour terme que la dénudation complète des rochers de la montagne ; ce qui prive enfin pour jamais les eultivateurs des avantages momentanés que cette culture leur avait procurés. Qu'on ne pense pas que dans les pays humides la mise à nu des hauteurs soit un des moyens de leur faire acquérir de la salubrité : ce n’est jamais le liquide retenu sur les montagnes, qui est la cause de l'état malsain d'une contrée ; c’est celui qui séjourne dans les plaines basses et privées des eourans d'air suffisans, qui est à redouter, parce qu'il s’al- tère et se charge d'une multitude d'émanations fanestes à la santé. On ne doit chercher à décou- vrir les montagnes que dans le cas où , avoisinant une campagne unie , la forêt qui la recouvre con- tribuerait à priver celle-ci de l'influence salutaire d'un vent propre à y maintenir la salubrité. Dans ce cas même, on devra chercher par des planta- tions de haies, ou d’autres travaux, à modérer le cours trop rapide des torrens. EN SAVOIE, 6r « D'un antre côté , des phénomènes géologi- ques très-remarquables sont produits par les eaux affluentes des montagnes qui dominent les plai- nes. Nous venons de voir que le liquide se charge toujours , en descendant , d'une plus ou moins grande quantité de débris terreux qu'il entraine dans son cours. Ces débris, souvent très-volumi- neux , sont successivement déposés par les cou- rans à mesure que leur rapidité se ralentit. Alors id se forme, soit dans la plaine , soit à l'embou- chure du fleuve , soit dans la mer, à une plus ou moins grande distance du rivage, des atterrisse- mens qui , élevant sans cesse le fond du canal, gênent le cours des eaux et les font se répandre en nappe dans la campagne. À mesure que cet état de choses fait des progrès, il devient plus difficile d'y remédier, et il s'établit enfin des marais étendus que les plus grands travaux par- viennent à peine à dessécher. » Ainsi les débris de nos montagnes déboisées , entrainés par les torrens dans les vallées, les élevant par leur dépôt , en rendent les surfaces inégales et forment une multitude de bas-fonds d'où l’eau ne peut se dissiper que par l'évapora- tion , et dont la vase mise à découvert et dessé- chée par les rayons du soleil , exhale des miasmes dont l'air porte au loin les fanestes impressions. Ces débris amoncelés forcent les torrens À fran- chir leurs barrières ; ils abandonnent leurs lits et G2 SUR LES MARAIS vont s’en creuser de nouveaux que les mêmes causes les forceront d'abandonner encore après un temps plus ou moins long. | D'après ce que nous venons de dire de la dis- iribution des eaux qui s'écoulent des montagnes de la Savoie, et se répandent dans ses vallées sons la forme de ruisseanx et de torrens, pour se porter de là dans le Rhône et l'Isère, on con- cevra facilement que ces vallées, sans présenter de grandes surfaces décidément marécageuses , comme on en observe de très-vastes dans plusieurs contrées de l'Europe, ainsi que dans les autres parlies du globe , doivent cependant offrir un sol généralement humide et marécageux en plusieurs endroits. C'est à cètte disposition humide que doit se rapporter la cause de notre belle et vigoureuse végétation, sur laquelle les sécheresses, même les plus longues , n'influent jamais défavorable- ment. C’est par cette même cause que les années chaudes et sèches sont toujours avantagenses à nos récoltes, tandis que les années à température contraire leur sont extrémement nuisibles. Car un sol seulement hnmide , chargé d’une riche végétation, placé d’ailleurs sous un zône tempérée, donne à l'air un degré d'humidité dont les effets sur Ja santé ne sauraient se comparer à ceux que produit une atmosphère imprégnée et saturée des émanations qui s'élèvent de ces vastes plaines fangenses et stériles sur lesquelles darde le soleil EN SAVOIE. 63 d'une brülante latitude, ainsi que je le prouverai dans les articles suivans. ARTICLE SECOND. DES ÉMANATIONS QUI S'ÉLÈVENT DES MARAIS, ET DES DIVERSES OPINIONS SUR LEUR NATURE, Il est prouvé et constaté par l'observation que le voisinage des marais influe défavorablement sur la santé, soit en l'altérant par des maladies spécifiques , soit en imprimant à la constitution des habitans qui les avoisinent un caractère et une teinte de débilité qui tranche d'une manière frappante avec la constitution mâle et vigoureuse des habitans d’un sol sec et élevé. Les anciens , comme les modernes, se sont efforcés de découvrir la cause de cette différence, dans l'espoir que , cette cause connue et déter- minée , ils pourraient trouver les moyens propres à la combattre, et en même temps arriver à la connaissance du traitement spécifiquement adapté aux maladies qu’elle produit. Mais tous ces eflorts et toutes ces recherches n'ont eu pour résultat que des systèmes fondés sur des opinions plus ou moins hypothétiques , jasqu’à l'époque où la chi- mie moderne, s’emparant de cet objet, jeta sur lui, comme sur tant d'autres branches de la phy- sique des corps, quelques étincelles de sa vive lumière. 64 SUR LES MARAIS Les prêtres de l'antique paganisme ne man- quaient pas de rapporter À la colère et à la ven- geance de leurs dieux, dont le courroux ne pou- vait s'apaser que par le nombre ét la valeur des victimes , l'origine de ces fléaux dévastateurs qui désolaient les contrées marécageuses. On en ac- cusa ensuite l'influence maligne de certaines constellations on de certains météores , dont la rencontre où l'apparition était toujours jugée d'un sinistre présage. Enfin , quelques allégories mythologiques sembleraient nous indiquer que les anciens connaissaient les effets des marais ; qu'ils ont voulu en présenter les principes sous l'emblème de quelques êtres fantastiques et mal- faisans. L'hydre de Lerne terrassée par Hercule, le serpent Python mis à mort par Apollon, pour- raient bien n'êlre que les émanations pestilen- tielles qui s'élèvent de ces vastes surfaces fan- geuses qu'on rencontre surtout dans les climats chauds où le culte de la mythologie fut honoré si long-temps , et où ces mêmes émanations pro- duisent les effets les plus terribles. Les auteurs de l’article Marais , dans le Dic- tionnaire des Sciences médicales , nous ap- prennent que Varron (De Re rustica, lib. +, cap. 12), et avec lui Columelle , Palladins et Vitruve, pensèrent que la cause des effets nuisi- bles des marais sur la santé dépendait de la pré- sence dans l'air de petits insectes imperceptübles, EN SAVOIE, 65 qui , s'élevant de la surface des lieux marécageux, pénètrent dans notre corps par les voies de la respiralion, et produisent les maladies les plus funestes. Cette opinion ; renouvelée plusieurs fois et à diverses époques, ne peut plus se sou- tenir aujourd'hui en face des découvertes de la chimie de nos jours. Les théories médicales fixèrent l’opinion de leurs partisans sur la nature et les effets des efflu- ves marécageuses. C'est ainsi que les médecins chimistes des 16° et 17° siècles, ne voyant dans la plupart des phénomènes des maladies que l'ac- tion des acides, des alkalis, dn soufre, etc., n’hé- silèrent pas à attribuer les effets des marais sur la santé aux vapeurs salines, alkalines et sulfuréuses qui s'élèvent de leur surface et se répandent dans l'atmosphère. Le traitement des maladies se plait nécessairement à l'opinion qu'on se formait sur la nature de leur cause : était-ellé présumée acide, les alkalis en devenaient le spécifique : la croyait- on alkaline, on avait recours aux acides. Les médecins humoristes et solidistes attri- buaient les maladies produites par l'air des ma- rais , à l’action combinée de l'humidité et de Ja chaleur, et chacun en expliquait les effets d'après son système. Les premiers accusaient l'atmosphère chande et humide des marais , d'agir primitive- ment sur les fluides de notre économie ; en les disposant aux nombreuses altérations dont ils sont 5 66 SUR LES MARAIS susceptibles. Les autres, au contraire, ne voyant dans les maladies que des lésions des solides et de leurs propriétés, n’en trouvaient Ja cause que dans l'action d'un air raréfié par la chaleur et sur- chargé d'eau. Malgré la différence de leur systè- me, ces médecins pouvaient cependant se trouver d'accord sur l'explication des effets produits par les émanations des marais. La raison en est que, dans les phénomènes qui caractérisent la vie, soit dans l’état de santé, soit dans l’état de maladie, et dont l'observation, l'analyse, la dépendance et les rapports constituent la science physiologique et pathologique, on ne saurait isoler l'action des solides et des fluides , et déterminer rigoureuse- ment, a priori, les lésions qui les affectent primi- tivement ou secondairement. En effet, les fluides et les solides ne peuvent ni exister ni se former les uns sans les autres. C’est à l’action réciproque des uns sur les autres que se rapportent la vie et tous les phénomènes qui la spécifient. Chacun a sa nature physique et chimique et ses propriétés propres , qui font qu'il est lui et non un autre, mais dont la présence et l’action deviennent né- cessaires à l'intégrité et à l'exercice des mouve- mens de toute l’économie. Si l’ordre et l'harmonie des fonctions dans l’état naturel sont le résultat immédiat d'un équilibre parfait et d'une juste proportion entre l'action mutuelle et réciproque des fluides sur les solides EN SAVOIE. 67 et des solides sur les fluides, pourquoi dans l’état de maladie la cause existerait-elle toujours primi- tivement et d’une manière exclusive dans les uns plutôt que dans les autres? L'humorisme et le so- lidisme exclusifs ne sont point dans la nature; et si j'avais À m'occuper de cette question, des mil- liers de faits fournis par la physiologie et la pa- thologie en donneraient la preuve. Mais laissons là tout ce qu'ont enfanté le fanatisme, l'ignorance, Ja fable et les systèmes divers sur l'objet qui nous occupe, pour porter nos recherches sur ce que des sciences plus exactes nous offrent de plus pro- bable. Les marais étant des réservoirs où naissent , croissent et périssent des myriades de végétaux et d'animaux, dont les détritus sont tenus en dis- solution par l'eau qui les arrose et les pénètre, il s'ensuit que lorsqu'une évaporation active et prolongée vient à les dessécher, il s'y développe nne fermentation putride d'autant plus forte, que la chaleur est plus intense, le dessèchement plus complet, et que les matières putrescibles s’y trou- vent en plus grande quantité. L'eau vaporisée emporte avec elle les élémens des diverses disso- lutions et analyses opérées dans ces laboratoires fangeux. L'eau elle-même s'y décompose en par- tie, et ses principes entrent pour beaucoup dans la formation des composés nouveaux , gazeux et volatiles, que la chaleur élève et répand dans F'at- 68 SUR LES MARAIS mosphère. La masse d'air qui couvre les marais ; doit donc son insalubrité à des principes corrup- teurs, fournis par la putréfaction et la décompo- sition des végétaux et des animaux qui s’y dissol- vent , et non, comme l'ont prétendu quelques auteurs, à l'humidité seule produite par l'évapo- ration de l’eau. Il existe des pays très-humides , sans être essentiellement marécageux, et dont le sol se couvre annuellement d'une riche végétation. Si ces pays se trouvent placés sous une zône tem- pérée, qui leur procure successivement des sai- sons chaudes et froides, ils ne deviendront jamais le théâtre de ces fléaux destructeurs qui désolent habituellement les régions chaudes et marécageu- ses, soumises à des alternatives régulières et an- nuelles de pluies , ou d'inondations et de sèche- resses. C'est là que règnent fréquemment la peste, la fièvre jaune et le typhus avec toutes ses nom- breuses et graves modifications ; tandis que dans les contrées seulement humides et tempérées, on n'observe que des fièvres intermittentes simples et rarement pernicicuses , à moins que quelques causes individuelles ou sporadiques n’y disposent les malades. Tel est le climat de la basse Savoie, pour lequel j'écris , et auquel s'applique tout ce que j'avance dans ce Mémoire. S'il est constant et bien pronvé que les miasmues qui s'élèvent des marais engendrent nombre de maladies et impri- ment une teinte particulière et maladive à la com- EN SAVOIE: 69 plexion de ceux qui y restent exposés; si l’ean qui les élève avec elle , en s’évaporant , se borne à leur servir de véhicule , sans participer à leurs effets , il n’est pas moins vrai de dire que, malgré les recherches et les travaux des physiciens et des chimistes, le nombre et la nature de ces miasmes sont encore peu connus. Tous trouvent dans l'air des marais de l'hydrogène, de l'acide carbonique et de l'azote; quelques-uns, du gaz ammoniacal ; d'autres , quelque chose d'huileux et de nature animale (Berthollet, Lecons de l'Ecole nor- male , Tom. v}). Alexandre Volta a fait sur le gaz des marais de nombreuses et intéressantes expé- riences et observations ( Voyez le précis de ses Lettres sur l'air inflammable des marais, dansle Tom. xi du Journal de Physique de Rosier). Ce physicien vit, près des lacs Majeur et de Côme, qu'il suffisait, pour obtenir cet air, d'agiter légèrement: le fond de l'eau, au-dessus de laquelle il se por- tait en bouillonnant, et où 1l était facile de le recueillir. La diversité des opinions sur la nature de l'air des marais tient à ce que cet air doit nécessaire- ment être très - composé et tenir en dissolution quelques portions des élémens des divers corps qui s’y décomposent. Or, l'hydrogène , le carbone, l'oxigène , le soufre , l'azote , l'ammoniac, ete., sont le terme de l'analyse des substances animales et végétales ; pourquoi tous ces principes ne s'y 70 SUR LES MARAIS rencontreraient-ils pas dans des proportions va- riées, puisque les corps propres à les fournir s'y rencontrent toujours eux-mêmes, et toujours dans des proportions différentes ? L'eau , l'air et la chaleur sont les agens dont se sert la nature pour dissoudre et réduire à leurs élémens tous les corps organisés qu'a abandonnés la vie. Pour arriver promptement à ce but, leur action doit être combinée et réunie à quelqnes circonstances favorables que présentent les marais à l’époque des grandes chaleurs. Tant que l'eau recouvre suffisamment la vase marécageuse, et que rien n’en agite le fond, elle reste soumise à une simple évaporation qui, en tempérant la chaleur de l'atmosphère, ne lui com- munique pas des qualités essentiellement nuisi- bles. Mais lorsque l’eau tonte vaporisée laisse à nu cette vase boneuse , Fair et la chaleur jointe à l'humidité y excitent une fermentation putride très-complexe, dont les produits gazeux, simples ou combinés, s'élèvent dans l'atmosphère et por- tent au loin leurs funestes impressions. Quoique la chimie laisse encore beaucoup à : désirer sur la connaissance des miasmes et des gaz qui vicient l'air des marais, la médecine clinique, pour atteindre son véritable but à ce sujet ,n'en- visage pas cette connaissance comme d'une né- cessité rigoureuse. Il lui suffit d'avoir appris, par l'observation , le mode d'influence que cet air EN SAVOIE. 71 exerce sur la santé, de connaître parfaitement l'historique de ses effets et les moyens de les combattre. Il en est de ce vice local de l’atmos- phère comme de tant d'autres vices qui peut-être Jui appartiennent encore, dont la nature et l'ori- gine restent entièrement inconnues , et dont la connaissance n’ajouterait rien à celles de leurs effets ni aux ressources que leur oppose la théra- peutique. Nous ne connaissons pas la cause ma- térielle qui engendre ces épidémies spécifiques de petite-vérole, de rongcole, de scarlatine, de coqueluche , etc. ; ignorons - nous pour cela la marche et la nature des phénomènes ainsi que de leurs anomalies, propres à chacun de ces vices? et leur traitement avec toutes ses modifications ne nous est-il pas connu ? ARTICLE TROISIÈME. DE L'INFLUENCE DE L’AIR DES MARAIS SUR LA SANTÉ, ET DU CARACTÈRE QU’IL IMPRIME AUX FIÈVRES QU'IL PRODUIT, Il n’est pas d'objet en médecine qui ait autant fixé l'attention des observateurs que les effets pra- duits par les émanations marécageuses. Depuis Hyppocrate jusqu'à nous, ce point tout à la fois de pathologie et d'hygiène publique, a été vu, médité et traité par les auteurs de tous les siècles, de l'autorité la plus imposante, et dont la con- 72 SUR LES MARAIS formité d'opinion doit rendre à tons les yenx l'objet dont il s'agit comme une vérité démon- trée et incontestable. Hs ne se sont point bornés à observer, comme le commun des hommes, que telle région, d'un sol marécageux, modifait au physique et au moral la complexion de ses habi- tans, et devenait le théâtre des endémies de na- ture plus ou moins grave, mais toujours spécifi- ques et déterminées. Ils ont encore porté leur attention sur toutes les circonstances qui peuvent les agraver ou les alléger. C’est ainsi que le pro- fesseur Alibert, dans son excellent ouvrage sur les fièvres intermittentes pernicieuses, a analysé toutes ces circonstances, et les a exposées en plusieurs. propositions, sous forme d'aphorismes. Les importantes vérités que renferment en peu de mots ces propositions, m'engagent à les rap- porter ici textuellement. « 1€ Prop. C’est un fait rigoureusement dé- montré par l'expérience et l'observation, que les exhalaisons marécageuses influent éminemment sur la naissance et le développement des fièvres pernicieuses intermiltentes. « 2€ Prop. Les observations les plus authen- tiques ont également fait voir que le temps de la nuit, la:saison de l'été et surtout celle de l'au- tomne, favorisent particulièrement l’action des va- peurs marécageuses, dans la production des fièvres pernicieuses intermittentes. EN SAVOIE. 73 « 32 Prop. Les marais situés dans les lieux élevés, exposés an nord et balayés par les vents, n'exercent qu'une influence légère sur la naissance et le développement des fièvres pernicieuses in- termiltentes. « 4° Prop. Les marais, les lacs , les étangs , etc., contribuent moins essentiellement à la pro- duction des fièvres pernicieuses intermittentes , par la quantité d'eau qui repose dans leur inté- rieur, que par le dépôt plus ou moins infect mis en contact avec l'atmosphère, après la retraite ou l'évaporation de ces mêmes eaux. « 5° Prop. L'action des vents seconde puis- samment, dans quelques circonstances, l'influence des miasmes marécageux, dans la production des fièvres intermittentes pernicieuses. « 6° Prop. Les pluies qui surviennent dans un temps très-chaud peuvent influer sur la pro- duction des fièvres intermittentes pernicieuses , en dégageant les vapeurs putrides retenues dans le sein de la terre durcie. « 7° Prop. C'est surtout dans les pays chands que les terrains marécageux deviennent nuisibles à la santé de l’homme, et sont favorables au dé- veloppement des fièvres pernicieuses intermit- tentes. » J'ajouterai, aux maladies plus graves encore, telles que la peste et la fièvre jaune , dans quel- ques - uns desquels ces horribles fléaux ont leur berceau et sont endémiques. 7 À SUR LES MARAIS -« 8° Prop. L'hobitude peut affaiblir jusqu’à un certain point l'influence des émanations maréca- geuses sur l'économie vivante, et les rendre moins efficaces pour la production des fièvres intermit- tentes pernicieuses. « 9° Prop. Les miasmes marécageux produi- sent d'autant mieux les effets qui leur sont pro- pres, que le système vivant a déjà été affaibli par des causes affaiblissantes antérieures. » Je passe sous silence la 10°, la 11° et la 12° proposilion, comme n’énoncant que des opinions encore hypothétiques par défaut de faits assez nombreux pour être, comme les autres, réduites en principes. % « 15° Prop. La présence des végétaux vivans dans les lieux infectés par l'air des marais, tem- père son influence pernicieuse et diminue son activité dans la production des fièvres intermit- tentes pernicieuses. » Toutes ces propositions ne sont que Île résultat de faits authentiques puisés dans les auteurs dont le témoignage et l'autorité commandent la plus entière confiance. Je ne m'arrêterai point à les développer : en fait de connaissances naturelles, une vérité démontrée par la constante observa- tion des faits dont elle n’est que le langage, ne peut que s’obscurcir sous le vague d’un dévelop- pement théorique. Aussi me bornerai-je dans cet article , ainsi que le prescrivent les limites d'un EN SAVOIE. 75 Mémoire, À tracer rapidement le tableau des prin- cipales impressions que produit l'air des marais sur le physique et le moral des habitans qui les fréquentent et les avoisinent , et du caractère qu'il imprime aux maladies fébriles qui règnent sous son influence. * Hyppocrate, dans son traité De aere, aquis et locis , dessine le tempérament physique et moral des habitans du Phase, peuples d'une com- plexion lymphatique , chargée d'un faux embon- point , chez qui les veines sont peu apparentes, les articulations mal dessinées, et peu propres aux exercices du corps et de l'esprit : Et corpulentia valde excedunt, neque articulus ullus, neque vena comparet , luteoqrie sunt colore, velut morbo regio detenti….. Sunt etiam ad corporis exercilationem nalura segniores. Cet observa- teur en attribue avec raison la cause à l'influence d'un sol humide et marécageux, dont l'air est habituellement chargé d’ean et de brouillards... Jam vero de his qui Phasim incolunt. Begio illa est palustris, calida et aquosa, imbribus- que copiosts et vehementibus fere semper per- funditur; hominesque in paludibus vitam de- gunt, el domos ligneas ét arundineas in aquis fabrefactas habent….. Aquas enim bibunt ca- lidas , stagnantesque sole putrefactas , et im- bribus auctas….. Aer quoque multum caligino- sus ab aquis sublatus hanc regionem occupat, 76 SUR LES MARAIS Au rapport de tous les observateurs, les habi- tans des pays marécageux portent une physiono- mie et une habitude corporelle particulières , en remarquant cependant quelques différences bien notables entre ceux d’un pays qui, quoique hu- mide et marécageux, se trouve sous une latitude froide , et dont le sol se couvre d’une riche et abondante végétation , et ceux dont la contrée, placée sous une zône brûlante , reste sujette à des alternatives de grandes pluies et de longues et intenses sècheresses, ou bien chez qni se pra- tique un mode de culture qui demande succes- sivement le besoin plus eu moins prolongé des eaux stagnantes et du dessèchement complet du fond où elles ont séjourné. Telle est la culture du riz, tel est l'emploi factice et temporaire des étangs dans la Bresse. Les prenliers , ainsi qu'on le remarque chez les habitans des plaines humides de la Hollande, placés sous l'influence d’une atmosphère humide et sur un sol abondant en fourrage et en trou- peaux, dont le lait et ses produits font partie de leur nourriture, offrent, par ce double motif, une complexion graisseuse et lymphatique , avec une prédominance remarquable des tissus et des sues blancs sur les rouges. Delà la bouffissure, la dis- position aux œdématies, un teint blane et peu coloré; delà encore l’atonie des forces musculaï- res, qui les rend incapables de résister long-temps EN SAVOIE. 77 aux travaux pénibles , aux privations et aux longues fatigues, et par l'effet de l'influence du physique sur le moral, la langueur et l’abattement des fa- cultés morales. L'histoire de la trop mémorable retraite de Moscow nous apprend que les Hol- landais qui faisaient partie de l’armée française, périrent presque tous et des premiers ( Dict. des Sciences méd.) Les maladies familières aux climats de cette nature, sont les maladies des voies urinaires, les rhumatismes, les affections scorbutiques, les en- gorgemens abdominaux, les infiltrations, les hy- dropisies ; et dans l'ordre des fièvres , les inter- miltentes simples et sous tous leurs types sont les plus communes. Les habitans des pays marécageux méridionaux et ceux qui vivent au milieu des vases annuelle- ment dessèchées ou naturellement par les cha- leurs de l'été, ou artificiellement en en détour- nant les eaux, recoivent de l'air qu'ils y respirent des impressions bien plus profondes et plus fa- nestes. La Statistique générale de la France , ouvrage précieux, et dont on regrette Ja suspen- sion , nous offre les peintures les plus vives des effets produits par les émanations des marais et des étangs desséchés. L'auteur de celle du dépar- tement de l'Ain, M. de Bossi, préfet, nous en trace le tableau suivant : « Un teint pâle et livide, « l'œil terne et abattu, les paupières engorgées; 78 SUR LES MARAIS « des rides nombreuses sillonnent la figure dans « un âge où des formes molles el arrondies de- « vraient seules s’y observer; des épaules étroités, « des poitrines resserrées , un cou allongé, une « voix grêle, une pean toujours sèche ou inondée « par des sueurs débilitantes , une démarche « lente et pénible, et tout l'appareil des souf- « frances de l'organe pulmonaire ; vieux à trente « ans, cassé ou décrépit à quarante ou à cin- « quante. Tel est l'habitant de la basse Bresse , « où du Doubs, de ce vaste marais entrecoupé « de quelques terrains vagnes et de quelques « sombres forêts. La santé est pour lui un bien « inconnu : né au milieu des causes d’insalubrité, « il en ressent de bonne heure la funeste in- « fluence. L’enjouement de l'enfance, l'hilarité « de Ja jeunesse s’y observent rarement. Un état « valétudinaire tient lieu chez lui de la santé ; « il s'endort au sein des souffrances ; son réveil « est pour la douleur. Les organes principaux « de la vie intérieure sont dans un état de fai- « blesse habituelle : de là une indifférence par- « faite pour les maux d'autrui.et pour les siens « propres. L'habitant de ces tristes contrées « semble perdre avec une sorte de stoïcisme les « êtres qui lui sont les plus chers. » « M. Foderé nous dit que le moral des habi- « tans des pays marécageux suit l'état du physis « que. Le laboureur trace péniblement et tristes « EN SAVOIE. 79 ment son sillon ; le compagnon de ses travaux l'est aussi de sa tristesse ; point de sensibilité ; on ne rit point sur le berceau de celui qui naît, on ne pleure pas sur le cercueil de celui qui meurt. » (Traité de Méd. lés. et d'Hygiène, Paris, 1831 ; T. v). « L'air que l’on respirait dans le bassin Pontin, dit M. de Prony, exerçait üne influence funeste sur la santé de ses habitans , influence qui agissait principalement sur le pauvre réduit à boire de l’eau corrompue , et ayant à peine de quoi apaiser sa faim avec de mauvais alimens. D'après des rapports qui nous ont été faits par des hommes dignes de foi, un grand nombre d'habitans du centre des marais, avant 1777, avaient les chairs sur la surface du corps telle- ment œdémateuses , et le système musculaire tellement dépourvu d'élasticité, que le doigt appuyé sur les chairs y laissait une impression qui ne s'effacait qu'après un espace de temps sensible. L'atonie générale était la suite né- cessaire d’un pareil état, et la force vitale avait si peu d'énergie, que les morts subites étaient la suite d'un travail un peu forcé, et arrivaient même sans être provoquées par des fatigues extraordinaires. On a trouvé sur les chemins et dans les champs, des paysans qui semblaient être endormis , et qui avaient cessé de vivre. L'état actuel da pays a assurément besoin de 80 SUR LES MARAIS « grandes améliorations , mais il n'est pas à « beaucoup près aussi désastreux qu'il l'était à « l'époque dont nous venons de parler. » (Rap- port sur les marais Pontins, cité dans le Dict. des Scienc. méd., au mot Marais.) Tels sont les effets des miasmes marécageunx sur le physique et le moral de l'homme qui vit habituellement sous leur influence , que les im- pressions lentes et profondes qu'en recoit sa constitution, ne lui laissent en quelque sorte que la forme abâtardie et dégénérée de son espèce , que son habitude corporelle offre tous les carac- tères d'une existence chétive et malheureuse , dont heureusement il ne pent avoir ni l'idée, ni le sentiment, n'ayant pas la conscience d'une autre manière d’être. Né et élevé sous cette in- fluence , elle le plie, le modifie et le faconne _sans qu'il s’en apercoive, et, par une sorte de compensation, le rend moins susceptible des maladies endémiques quelquefois graves et meur- trières qu'elle engendre lorsqu'elle est renforcée par quelques circonstances agravantes : QOuæ ex longo tempore consueta sunt , etsi deteriora sint , insuetis minüs molestare solent. (Hipp. aphor. Bo. sect. 2.) Les auteurs ne se sont point bornés à étudier les caractères physiques et moraux qu'imprime à la constitution de ses habitans une atmosphère marécageuse ; 1ls ont encore porté leur attention EN SAVOIE. &t sur la nature des maladies propres à ces localités, qui, depuis la fièvre intermittente la plus simple, jusqu'à la pernicieuse la plus grave , depuis le thyphus jusqu'à la fièvre jaune et la peste, peu- vent se rapporter à cette canse, laquelle produira les unes ou les autres selon l'intensité de son action , fortifiée ou affaiblie par le climat , la sai- son, la quantité ct la nature des émanations, et autres circonstances accidentelles. Tont ce que j'ai à dire à ce sujet estentièrement historique et consiste dans des faits recueillis et rapportés par les auteurs de qui je les emprunte. À l'article Marais , les auteurs du Dict. des Scienc. méd., Tom. XxXX, page 539, s'expriment ainsi : « Les maladies observées dans les contrées marécageuses peuvent être rangées sous deux divisions : les unes sont exemptes de réaction fébrile , les autres sont caractérisées par l’état de fièvre. Parmi les premières se rangent quelques diarrhées , des dyssenteries , et dans plusieurs cas le choléra-morbus. Les fièvres intermittentes et rémittentes simples, ou pernicieuses, et les fièvres dites ataxiques continues, sont les plus remarquables parmi les secondes. Presque toutes ces affections sont en quelque sorte endémiques dans les pays qui contiennent nn grand nombre de marais , et affectent annuellement une partie plus onu moins considérable des personnes qui Lbabitent ces pays. Il est une règle générale qui 6 82 SUR LES MARAIS semble présenter peu d’exceptions , si méme il en existe : c'est que plus la chaleur atmosphérique est intense , plus les maladies régnantes sont rapides dans leur marche fréquemment mortelle, et s’ac- compagnent des symplômes variés du trouble général du syslème nerveux. Ainsi | si nous exa- minons les affections endémiques dans les prin- cipales contrées marécageuses , nous verrons en Hollande des fièvres intermittentes quartes, tier- ces ou quotidiennes atteindre un grand nombre de sujets, mais présenter une marche assez lente, et laisser au médecin le temps de les combattre. En Hongrie, ces maladies sont déjà plus fré- quemment rémittentes, et la dyssenterie dite putride y affecte une plus grande quantité d'in- dividus. En Italie, les fièvres produites par le voisinage des marais Pontins, sont accompagnées d'apyrexies très-courtes , et les symptômes dits ataxiques les compliquent plus souvent. En Es- pagne , les accidens les plus graves , tels que les vomissemens des matières noires, la couleur jaune de la pean, la violence du délire , rapprochent les maladies de ces contrées de celles des côtes de l'Afrique ou de l'Amérique. » & La Sardaigne , renommée par l’insalnbrité de son territoire , et qui servait aux Romains de lieu de bannissement pour les criminels, est presque annuellement le siége d’une maladie produite par les émanations des marais qui la cou- EN SAVOIE. 83 vrent, et que les habitans appellent /ntempérie. Ses principaux symplômes sont une douleur vive à l'épigastre , des nausées , des vomissemens bi- lieux , le délire , la petitesse et l'intermittence du pouls, la prostration des forces , ete.» (L1IND; Essai sur les maladies des Européens, dans des pays chauds.) « La peste est endémiqne en Egypte , et sem: ble annuellement produite par les émanations élevées des terrains couverts du limon que la retraite des eaux du Nil a mis à découvert. Cela parait pyouvé, 1° parce que cette maladie se manifeste constamment à l'époque à laquelle ce limon commence à Ctre soumis à l’action de l'air et du calorique ; 2° parce que l'intensité de la maladie est presque tonjonrs en rapport avec l'étendue de l'inondation. Ainsi, sur les côtes, cetle affection est beauconp plns grave et plus meurtrière que dans le reste de la basse Egypte; et elle diminue d'intensité à mesure que, traver- sant celle-ci, on s'avance vers la hante Egypte, dans laquelle elle finit par s'éteindre. » (PUGNET, Mémoire sur les fièvres de mauvais caractère du Levant et des Antilles, Lyon, 1804.) Lind , dans l'ouvrage précité, nons apprend que «chez quelques malades, la fièvre était portée au plus haut degré de malignité , et ils succom- baient presque sur-le-champ , ayant le corps de couleur jaune et la peau parsemée de taches livi- 84 SUR LES MARAIS des et pourprées. » Le même auteur fait observer que cette marche rapide et foudroyante se faisait d'autant plus remarquer, que le climat était plus chaud , garni de plus de marais, et que les indi- vidus y étaient plus récemment débarqués et sous le règne même des maladies. IL faut remarquer que dans la plupart de ces climats brülans , les pluies tombent rarement , mais toujours à des époques fixes; que, par leur abondance , elles saturent le sol et remplissent les marais ; que, suivies de longues et intenses chaleurs, les sur- faces'se dessèchent et les émanations répandent dans l'atmosphère les germes des maladies endé- miques propres à ces climats. D'où il suit qu'il est moins dangereux d'y arriver dans la saison des pluies, on immédiatement après , qu’à l'épo- que du dessèchement. ARTICLE QUATRIÈME. DES MOYENS PROPRES À TEMPÈRER L’INFLUENGE DES ÉMANATIONS MARÉCAGEUSES. Ainsi que nous l'avons fait remarquer dans l'article précédent, l'influence des marais sur la santé se mesure d’après leur nature, leur éten- due, leur position basse ou élevée, sur le nombre et l'espèce des vents auxquels ils sont exposés, sur le degré de température du climat où ils se EN SAVOIE. 85 trouvent, sur le nombre et la marche des saisons qui lui sont propres, et enfin sur toutes les dis- positions locales. Plus les marais ont d'étendue, plus ils sont bourbeux et stériles, plus ils sont bas, enfoncés et exposés aux vents du sud et sud- ouest, plus le climat est chaud et soumis à des alternatives de pluies et de chaleurs longues et soutenues, plus lenr dessèchement est complet; plus alors leurs effets sont funestes et redoutables, C'est sous de semblables conditions qu’on voit se développer ces fléaux meurtriers, la peste, la fièvre jaune, le terrible typhus et les fièvres per- nicieuses sous tous leurs types et sous toutes leurs formes. Si, au contraire, le climat est froid ou tempéré; si des hivers plus ou moins rigoureux occupent régulièrement la partie de l’année qui leur est marquée ; si les pluies y sont communes au point que le dessèchement ne puisse s'opérer complè- tement; si le sol est fertile et se couvre annuel- lement d'une belle végétation; si les arbres y sont communs ,-beaux et conservent long - temps la verdure de leurs feuillages ; si les vents y sont fréquens et variés ; si enfin le pays se compose de montagnes, de collines et de vallées, l'influence des marais , dans un tel pays et sous de telles conditions, n'aura jamais pour résultat ces endé- mies ou ces épidémies dévastatrices qui s’obser- vent si fréquemment sous les conditions contrai- 86 SUR LES MAPAIS res. Ce pays, tel que je le suppose, et telle que paraît être la Savoie , à laquelle s'applique cet écrit, quel que soit le nombre de ses surfaces marécagenses, doit plutôt être envisagé, sous le rapport de sa salubrité, comme un pays humide, et non comme un pays essentiellement maréca- geux. Aussi n'y voit-on régner, dans Ja saison du dessèchement des marais, que des fièvres in- termittentes, sous tous leurs types, mais totijours simples. Les pernicienses s'y observent rarement et toujours d’une manière sporadique, car on Îles rencontre loin des marais, comme dans leur voi- sinage. Ces fièvres mêmes deviendraient peu com- munes, si, par leur condition, leur tenue et leur régime , les habitans de la campagne ne se dis- posaient à les contracter. L'observation nous montre tons les jours qne les familles aisées qui se tiennent bien sous tous les rapports, et dont le corps n’est affaibli ni par des privalions, ni par des travaux corporels épui- sans, restent à labri des fièvres, au milieu d'une pauvre population assaillie par elles. On concait, en effet, que la saison des fièvres intermittentes étant la saison des travaux pénibles de l'agricul- ture, le corps du pauvre paysan arrosé de sueurs du matin jusqu'au soir, n'usant que de nourriture grossière , peu substantielle , de laqnelle même il manque souvent: privé de vin, et n'ayant pour étancher sa soif que de l’eau, quelquefois même EN SAVOIE. 87 de mauvaise qualité , il ne peut conserver assez d'énergie vitale pour résister à l’action des mias- mes qui l’environnent au champ comme dans sa chaumière ; car là encore , le repos lui devient souvent funeste : sa cabane ouverte À tous les vents, environnée de fumier et de bourbiers, l'air, par le repos de la nuit, si favorable à la produc- tion des fièvres, vient pendant le sommeil libre- ment exercer sur lui toute sa ficheuse influence. Parmi les moyens propres à modérer les effets des émanations marécageuses, je placerai au pre- mier rang l'action des plantes et des arbres; en second lieu, le soin de tenir les marais dans un état d'humidité permanente, autant que possible, soit en s'opposant à leur écoulement, soit en y conduisant les eaux qui peuvent y être dirigées ; en troisième lieu, la précaution de ne les faucher qu'après les grandes chaleurs passées; et en qua- trième lieu enfin, de n'ÿ jamais laisser paître les animaux , surtout pendant la saison des fièvres , qui est celle de leur dessèchement. 1° Personne n'ignore aujourd'hui les salntaires effets que produit sur l'atmosphère une riche vé- gélation. En décomposant l’eau, elle s'empare de l'hydrogène et laisse dégager l'oxigène ; elle en fait autant sur l'acide carbonique; elle retient le carbone et renvoie le gaz qui le tenait à l'état d'acide. Ces eflets sont d'autant plus prononcés que la végétation elle-même est plus mâle et vi- 88 SUR LES MARAIS goureuse, et la chaleur et la lumière plns intenses. Ces vérités sont mises dans tout leur jour par les expériences des savans qui se sont occupés de ce point de physiologie végétale. Le professenr Ali- bert (Traïté des fièvres intermittentes perni- cieuses , Paris, 1809), expose ainsi sa treizième proposition : « La présence des végétaux vivans, « etc. » ( Voyez ci-devant, art. 3°, pag. 74). Le physicien Changeux (Journal de Physique de l'Abbé Rozier, Tom. 7),remarque que lopi- nion sur l'utilité des plantations d'arbres pour rétablir la salubrité de l'atmosphère, est fort an- cienne en Asie et surtout chez les Persans , qui, dans cette vue, eultivent des arbres et spéciale- ment des platanes aux environs et au milieu de leurs villes. Sous combien de rapports cette pra- tique ne nons serait-elle pas utile ! Que d'espaces perdus et dont on retirerait le double avantage de rassainir l'air et de nous fournir du bois pe nos besoins! Les peupliers de différentes espèces, les saules, les aulnes et autres bois ten- dres qui aiment un sol humide et croissent rapi- dement, disséminés sur nos marais, rempliraient parfaitement ce double but. J'observerai qu'il est ficheux qu'on ait abandonné la culture du peu- plier ordinaire , qu'on cultivait seul avant qu'on connût celui dit d’/talie. Get arbre devient gros et grand; il s'enracine aisément dans les graviers des bords de nos torrens ; il leur oppose une forte EN SAVOIE. 89 barrière. Son feuillerin s’assujettit à des conpes réglées, de trois en trois, ou de quatre en quatre ans , à la sève d'automne ; les plancons servent d'échalas et de tuteurs; les petites branches où s’attachent les feuilles, se mettent en petits fa- gots ou fascines, qu'on laisse sécher sur place, en les dressant en faisceaux; les moutons sont très- friands de la feuille; elle fait partie de leur nour- riture en beaucoup d’endroits pendant l'hiver; on leur jette ces fascines , après en avoir lâché la ligature; bientôt elles sont dépouillées complète- ment, et le bois entretient le foyer du paysan. M. Cassan, cité par le docteur Alibert (ouvrage précité) , observe que les marais sont peu perni- cieux dans les Antilles, tant qu'ils sont couverts par des bois touffus qui empêchent l'accès du soleil. Les voisins n'en éprouvent alors d’autres inconvéniens que celui qui résulte ordinairement du voisinage d’un air extrêmement humide. Mais lorsqu'on abat et qu'on met le terrain en contact immédiat avec les rayons solaires, des fièvres per- nicieuses dans lesquelles l'abondance et l'exalta- tion de la bile paraissent jouer le principal rôle, désolent alors toutes les habitations environnan- tes, et font périr le plus grand nombre des mal- heureux qui ont travaillé au défrichement. Lancisi, dans son ouvrage De noxiis paludum effluviis ; insiste sur l'utilité des plantations, comme moyen propre à rendre l'atmosphère des 90 SUR LES MARAIS marais moins pernicieuse. Mais de tous cenx qui, depuis la chimie pneumatique , se sont occupés de cette branche de la physique végétale, Séné- bier, de Genève, est sans donte celui qui a poussé le plus loin ses recherches expérimentales, comme on peut s'en convaincre par la lecture du 3° vo- lume de sa Physiologie végétale. Il a pronvé jusqu'à l'évidence que les plantes rassainissaient l'air, en incorporant à leur propre substance et à celle de leurs produits, les principes corru p- teurs de l'atmosphère, et en lui rendant, à leur place, l'oxigène, dont on connaît toute l'impor- tance sur la vie animale. Boisons done nos marais, la chose est facile: les fossés qui les environnent et les séparent des propriétés en culture , ou d'autre nature, ceux qui servent d'écoulement aux eaux qui les abreuvent, ceux qui en divisent et distinguent les propriétés individuelles, et qui tons forment des buttes, dans lesquelles le saule, la verne, le peuplier , etc., croissent avec tant de rapidité , fourniraient assez d'espace pour les plantations de ce genre; on pourrait même les disséminer sur leur surface, en choisissant les points les plus élevés , on en formant cette élévation par l'addition d'un peu de terre gazonnée, sur laquelle se ferait la plan- tation. On trouverait là les échalas de nos vignes, les perches de nos treilles, le bois de nos innom- brables clôtures qu'exige le morcellement des EN SAVOIE. 91 propriétés , et que bientôt on ne pourra plus se procurer, vu le dépouillement de nos montagnes et la destruction des forêts, soit commaanles soit particulières. Qu'on ne pense pas que cette transformation de nos marais en demi-forêts, nuisit à leurs pro- duits habituels ; ils n’en deviendraient, à mon avis, que plus abondans. Lies plantes aqualiques redoutent la chaleur et la sécheresse : l'ombre qu'elles recevraient leur conserverait l'humidité et la fraicheur; lévaporation ne serait jamais complète, et l'air, loin de se charger de dange- reuses émanations, n'en recevrait qu'un surcroît de propriétés bienfaisantes. 2° Il est reconnu que les marais n’exercent leur faneste influence sur la santé que dans les sai- sons sèches et chaudes ; lorsque l’eau qui les arrose étant plus on moins complètement évaporée, leur vase reste à nu et exposée aux rayons du soleil. La 4° proposition du professeur Alibert confirme cette vérité, qu'il appuye encore de nombre de faits, et entre autres de celui rapporté par Senac ( De nat. febri. recond., lib. 1°, cap. 7, fol. 34 et 55). Cet auteur parle d'une ville environnée d’un lac vaste et profond qui recevait, depuis 40 ans, toutes les immondices des maisons et des rues. Tant que ces matières putréfiées restèrent cachées dans le sein de l’eau, il n’en résulta aucun mal; mais lorsque, par leur accroissement et la dimi- 02 SUR LES MARAIS nution respective des eaux, elles furent en contact avec l'air, une fièvre terrible se manifesta. Ses ravages furent si grands, qu'il périt, à cette épo- que, près de deux mille personnes, tandis qu'au- paravant il n'en mourait à peu près que quatre cents par an. On diminuerait donc la quantité des émana- tions marécagenses, on adoucirait leur malignité et la rigueur de leurs effets, en employant les moyens propres à conserver l'eau à leur surface. Ces moyens restent subordonnés aux dispositions locales : les plantations dont j'ai parlé, des chaus- sées qu'on ouvrirait et fermerait à volonté, des fossés de dérivation qui y amèneraient des eaux étrangères, etc., ne seraient pas à négliger toutes les fois qu'on pourrait s’en procurer l'avantage, 5° On fauche habituellement les marais pen- dant la première quinzaine du mois d'août, époque des plus fortes chaleurs dans ce climat; et aussi- tôt, par le plus déplorable de tous les abus, les troupeaux de toutes espèces y sont conduits à la pâture. En modifiant le premier usage, et en in- terdisant totalement le second, il est certain qu'on remédierait en grande partie aux effets at- tribués aux marais, et qu'on en augmenterait con- sidérablement le produit. Qu'on se représente en effet toute l’action de la chaleur solaire , à cette époque de l'année , sur ces surfaces fangeuses entièrement dépouillées; elle y excitera rapide- EN SAVOIE. 93 ment une grande fermentation putride, dont les produits gazeux et délétères infecteront l’atmos- phère partout où ils se dissémineront: cette fer- mentation ne se bornera pas à la surface , elle s'étendra plus où moins profondément , selon l'intensité de la chaleur et le degré du dessèche- ment. Si la sécheresse est forte et prolongée, l'évaporation sera portée au point que la super- ficie se durcira et deviendra une croûte capable de modérer les émanations. Mais si, dans cet état de choses, on y abandonne des troupeaux vagabonds, cette croûte étant rompue sur tous les points, la boue pétrie et agitée par un piéti- nement continuel , laissera dégager des eflluves de miasmes, d'autant plus abondans qu'elle aura été plus foulée et plus agitée par le parcours : $£ moveantur paludosæ aquæ, gravius énficiuntur hacputredine vicina loca.(SENAC, opere et lib. cit.). Volta, cité par le docteur Alibert, dans son Traité des fièvres intermittentes pernicieuses , page 287, raconte qu'il creusait rapidement plu- sieurs trous près les uns des autres sur les marais du Lac Majeur, et qu'il en approchait une chan- delle allumée ; c'était, dit-il, un spectacle mer- veilleux de voir la flamme courir et se propager successivement de l’un à l’autre , tantôt même s'élever à la fois de chacun d’eux. Volta a donné le nom d'air inflammable natif des marais à ce gaz, dû, le plus ordinairement, à la décompo- 04 SUR LES MARAIS sition des végétaux et des animaux mélés et ma- cérés dans la vase ; lequel se distingue des autres airs inammables, naturels ou factices, par son odeur particulière , qui est facilement reconnue par les chimistes accoutumés à manipuler sur les divers gaz ; par la couleur de sa flamme, qui est d'un bel azur; enfin, par la lenteur avec laquelle cette flamme se déploie en formant des ondula- tions (Voyez le Précis des Lettres d'Alexandre Volta sur l'air inflammable des marais, dans le Tome x1° du Journal de Physique de Rozier). Il serait facile de remédier à ces deux causes agravantes de la fâcheuse influence des marais , en fixant , par un règlement de police rurale, ainsi qu'on le pratique pour les vendanges, l'épo- que de leur fauchage , au déclin des grandes cha- leurs, par exemple, vers les environs de l'équinoxe d'automne. Cette sage mesure serait autant dans l'intérêt de l’agriculture que de la santé. Les ma- rais restant couverts de leurs produits durant les grandes chaleurs de la fin de l'été, seraieut moins exposés au dessèchement et fourniraient moins d'émanations; les plantes de diverses espèces qui composent nos blaches, mürissant plus parfaite- ment, leuis graines resteraient en partie sur le sol et le rendraient plus herbeux ; on éviterait cette seconde pousse d’antomne, qui est inntile et ne laisse pas d'épuiser la plante. La blache, voupée à son parfait degré de maturité , et sé- EN SAVOIE. 99 chant, pour ainsi dire , sur plante , ne subirait pas l'énorme déchet qu'une coupe trop prématu- rée lui fait éprouver ; on pourrait la retirer peu de temps après l'avoir fauchée. Destinée d'ailleurs à servir de litière, sa dessication exige moins de précautions que les autres fourrages ; elle craint moins d'être mouillée, surtout lorsqu'elle a été coupée bien mûre. Le temps de la fin de l'été et de presque tout l'automne de 1829 ayant été peu favorable anx travaux de la campagne, les blaches restèrent à couper en beaucoup d’en- droits, ou ne le furent que très-tard ; quelques- unes même sont restées tout l'hiver sur le sol, en petits tas ; jen ai examiné qui était parfaite- ment conservée. Que, par ce même règlement, le parcours soit interdit sur les marais, au moins pendant la fin de l'été et la première partie de l'automne, où ils font éprouver toute leur influence, et on aura en grande partie remédié à leurs inconvéniens. Sans parler de la justice et du respect dû à la propriété, la santé de l'homme, celle de ses ani- maux domestiques, la fertilité des marais, récla- ment de l'autorité compétente cette interdiction, à laquelle se rattachent les motifs de nombre d’in- térêts réunis, aussi généraux que majeurs. Je crois avoir prouvé combien , dans les cir- constances supposées , de nombreux troupeaux abandonnés dans les marais, favorisent le déga- 96 SUR LES MARAIS gement des miasmes et en chargent l'atmosphère: combien encore la croûte végétale, brisée et pro- fondément enfoncée par des animaux lourds, pesans et à larges pieds, doit éprouver de perte dans le produit dont elle est susceptible. Il res- tcrait à parler de la chétive et dangereuse pâture qu'y prennent les animaux ; du mauvais air qu'ils y respirent; de leur fatigue à changer de place, marchant toujours dans des bourbiers, où ils s'en- foncent quelquefois jusqu'au ventre ; et enfin, des funestes effets que doit nécessairement pro- duire sur eux l'habitude d’un bain marécageux où plongent leurs quatre membres. Il serait difficile de réunir autour d’un animal un plus grand nom- bre de causes d'insalubrité et de nature plus grave: il suffit de les exposer, et avec un peu de réflexion, il sera facile de les apprécier et de s’en faire une juste idée. Qu'on jette les yeux sur un troupeau condamné à ne brouter que sur de pareilles sur- faces; que nous offrira-t-il? maigre et décharné, le poil sec, rude et hérissé, l'œil triste et terne, les mouvemens lents et pénibles : tont annonce chez lui la faiblesse et une habitude souflrante et valétndinaire. Le lait qu'on reçoit des vaches ainsi nourries , abondant en serum , donne peu de beurre et de fromage, et encore de bien mau- vaise qualité. EN SAVOIE. 97 ARTICLE CINQUIÈME. DES MARAIS CONSIDÉRÉS DANS LEURS RAPPORTS AVEC L'AGRICULTURE. L'agriculture est loin d'être la même dans tous les pays. Il en est dont le sol, fertile de sa na- ture , semble se suffire à lui-même pour l'entre- tien de sa fécondité : l'air qui l’environne , la lumière qui l'éclaire, la chaleur qui le pénètre, les pluies qui l'arrosent, les rosées qui l'humec- tent, paraissent être les sources où il puise les élémens de sa richesse. Ce sol heureux joint en- core aux avantages de son climat une texture et une composition qui en rend le travail facile; il ne demande, pour ainsi dire , que d'être ense- mencé, pour se couvrir d’abondantes récoltes. Il n'en est pas de même des vallées de la Savoie, où l'agriculture est à la fois pénible et coûteuse, et qui plus est, dont les fruits restent exposés à nombre de casualités dépendantes particulière- ment de la marche des saisons, dont le cours est loin d'être toujours régulier. La jachère, qui n'est que le repos par lequel la terre répare les pertes que les récoltes précédentes lui ont fait éprouverz y est inconnue et ne peut y être mise en prali- que ; l’état et l'accroissement de la population agricole , le morcellement de la propriété, ne 7 O8 SUR LES MARAIS peuvent y admettre que la petite culture, qui, de sa nature, doit tenir la terre dans un mouvement de productions annuelles, et souvent même oblige le même champ de payer double tribut dans un an. Le fond du sol est généralement gros et com- pacte, exigeant de grands travaux et beaucoup d'engrais. Le défaut de proportion entre les terres arables et les prairies ; le système des fourrages artificiels malheureusement encore trop peu ré- pandu ; les nombreux vignobles qui couvrent la base de ses basses montagnes et de ses coteaux, et qui consument annuellement une quantité im- mense d'engrais , au préjudice des champs , qui seuls doivent la leur fournir : toutes ces raisons, dont on pourrait encore grossir le nombre, lais- sent indécise pour nous la question sur l'utilité absolue du dessèchement et du défrichement des marais, et réclament à ce sujet d'importantes dis- tinctions. L'objet de cette question agitée depuis Jong-temps, semble n'avoir été envisagé que sous un seul point de vue, celui de la santé; et le juste intérêt qu'inspire un semblable motif, n'a pas manqué d'exciter les sentimens d’une haute phi- Janthrapie, qui seule a dicté d'une manière absolue et sans restriction la sentence de mort portée contre tout ce qui est marais. Et d’abord, les marais semblent être le résultat nécessaire de la forme et de la structure du globe; ils dépendent de la manière dont les eaux se dis- EN SAVOIE. 99 tribnent soit à sa surface, soit dans son intérieur. Les mers, les lacs, les fleuves, les rivières , les sources, tous ces courans , toutes ces masses d'eau, tant souterraines qu'extérieures , se ratla- chent aux marais et en revendiquent l'existence. Ils jouent un grand rôle dans l’ordre des phéno- mènes météorologiques ; si l'atmosphère y puise des principes nuisibles à la santé, elle y en puise aussi d’'essentiels au rôle qu'elle doit remplir et aux diverses fonctions qu'elle a à exercer sur la surface terrestre. Dans les saisons chaudes , l'humidité qu'elle reçoit de leur évaporation , en tempère la sécheresse et la chaleur. C’est encore là une des sources où elle puise les vapeurs dont se forment les nuages qui parcourent ses régions et versent sur la terre les rosées et les pluies dont elle a besoin. Voulüt - on les détruire tous , la chose deviendrait, je crois, impossible dans beau- coup de circonstances ; il fandrait pour cela des dispositions de localités qui ne se rencontrent pas toujours. Sans nous arrêter plus long-temps à la recher- che des causes naturelles qui se lient à l’existence des marais et au rôle qu'ils peuvent jouer dans l'ordre des phénomènes naturels, bornons - nous à les considérer sous le point de vue de leur uti- lité agricole; et au lieu de trancher la question, soit affirmativement , soit négativement , distin- guons les marais utiles à conserver, de ceux dont 100 SUR LES MARAIS le défrichement intéresse à la fois et l’agriculture et la santé. d ._ Ainsi que nous l'avons fait remarquer au com- mencement de ce Mémoire, les marais à gazons verts et épais , à fonds riche et profond, dont l’hu- midité est entretenue par des eaux vives et fécon- dantes, font partie de nos propriétés les plus précieuses et les plus recherchées , soit par la quantité, soit par la qualité de leur produit. Les blachères de ce genre rendent beaucoup et ne coûtent rien. Toute leur manutention consiste à faucher la blache et à la retirer; leur dessication exige peu de travail, surtout si on ne les coupe qu'à leur parfaite maturité ; elles ne donnent point d'inquiétude pour le temps qui leur convient, vu qu'elles peuvent long - temps supporter d'être mouillées sans de graves inconvéniens , et tou- jours être propres à l'usage auquel on les destine. Elles sont peu sensibles aux accidens divers qui altèrent ou détruisent les autres productions ru- rales : le froid, les gelées tardives, la grêle, les inondations , les pluies prolongées , les grandes sécheresses, etc., n’exercent pas sur elles la même influence que sur les autres produits; elles en de- viennent seulement plus ou moins abondantes , et ce qu'elles produisent reste toujours propre à sa destination. Les engrais provenant de la bonne blache sont infiniment supérieurs à ceux faits avec la paille; EN SAVOIE. 101 plus gras, plus onctueux, plus noirs et plus pe- sans, ils subissent une fermentation plus prompte et plus complète sous l’action des excrémens et du purin des animaux , avec lesquels ils se mé- langent et s'incorporent mieux. Ils sont plus charbonneux , et leur réduction en terreau est beaucoup plus facile que celle de la paille, qui, plus sèche, plus dure et moins poreuse, se montre plus réfractaire à une parfaite décomposition. Notre agriculture reconnaît si bien le besoin des blachères , qu'une ferme qui en manque et qui d’ailleurs est assortie en champs, vignes et prés, devient d'une exploitation ingrate et peu lucra- tive. Le nombre des objets qui demandent d’être cultivés avec engrais est si grand, qu'on ne saurait trop se procurer de ce puissant mobile de toute bonne culture; que le domaine, même possédant des blachères, est souvent dans le cas d'en man- quer. Une rotation d'assolement bien dirigée sur vingt-cinq journaux de terre arable, doit tous les ans en fumer cinq, tant pour les productions d'automne que pour celles du printemps. Ajou- tons à cette quantité d'engrais celle que consu- ment annuellement les vignes, les jardins et les chenevières, et même les prés-vergers, qui, en beaucoup d’endroits, ne reçoivent point d’arrose- ment, et qui pour cela exigeraient d'en être cou- verts pendant l'hiver, au moins tous les trois ans. Les vallées de la Savoie n’abondent pas en foin 102 SUR LES MARAIS de bonne qualité ; celui qui s'y récolte , devient un objet de commerce et se vend dans les villes, où le luxe des chevaux et des voitures s’est ré- pandu dans toutes les classes. Chambéry en con- sume beaucoup. Il suit de là que le bétail qui sert à l’agriculture , n’est alimenté que par la paille pendant nos longs hivers. L'animal ainsi nourri devient maigre et chétif; ses excrémens se ressentent de son misérable état ; ils sont en petite quantité, secs et friables ; son purin est sans sel et sans action. Si on ne se sert qne de la paille pour litière, à peine pourra-t-elle éprouver une simple macération ; elle donnera un fumier desséché , incapable de fermentation , et sans effets sur la terre où on l'enterrera. Si, au con- traire , la litière est faite avec la blache, le fumier prendra plus de corps, plus de liaison, fermen- tera plus vite el se décomposera de même. Le système de détruire tous les marais ne sau- rait s'appliquer en entier à la Savoie , sans un préjudice notable porté à l'agriculture. La chose est d’ailleurs comme impossible dans beaucoup d'endroits , et dans d’autres nécessiterait de grands frais. Tout est subordonné aux dispositions loca- les. Les marais de la Chautagne , par exemple, placés entre une montagne , le Rhône et le lac du Bourget, forment une vaste plaine, dont le dessèchement parfait est impossible; et, dans la supposition de sa possibilité, en résulterait-il un EN SAVOIE. 103 bien ? non sans doute : ce serait la ruine des bons et nombreux vignobles que possède ce can- ton. La blache est un excellent engrais pour la vigne , sans même être convertie en fumier ; il suffit de la bien mouiller en l’enterrant. Le sol des marais desséchés ne fut jamais pro- pice aux céréales, Généralement placés dans des bas-fonds , séjour ordinaire des brouillards, l'at- mosphère y restera constamment humide, les vents n'y jouent point assez, et l'air est toujours stagnant ; les récoltes de grains n’y seraient belles qu'en herbe ; les pommes de terre et le maïs pourraient y prospérer sous une année chaude et sèche, mais dans le cas contraire , ils auraient encore à souffrir. Toutes nos plaines marécageu- ses, livrées sans distinction à l'agriculture , occa- sionneraient un déplacement de population, qui ne serait pas sans inconvéniens : on verrait les habitans des montagnes et des coteaux , attirés par l'apparence de quelques avantages , sans en calculer les casualités, y venir employer leurs bras et négliger ainsi leur culture habituelle, et même y contracter des maladies d'autant plus facilement, qu'ils auraient moins l'habitude de ce séjour, bien différent de celui d’un sol secet élevé. Une remarque bien essentielle , c'est que les marais , quoique desséchés et cultivés annuelle- ment, n’en resteront pas moins des fonds bas et humides, surtout dans les saisons pluvieuses , 104 SUR LES MARAIS comme le sonl communément nos printemps. La terre remuée et cultivée alors, soumise à l'action des chaleurs de l'été, produira des éma- nations qui ne seront pas sans une fâcheuse in- fluence sur la santé de ses nouveaux colons. Si notre agriculture réclame la conservation de nos marais verts et productifs, en employant, en faveur de la santé, les moyens indiqués à l'article 4° de ce Mémoire, il n’en est pas de même d’une quantité d'autres, qui tous se trouvent dans des conditions nuisibles, sans offrir d'ailleurs des avantages bien réels en compensation. On pour- rait désigner ces sortes de marais sous le nom générique de prés marécageux. Leurs chétifs produits ne se composent que de mauvaises plan- tes , aussi impropres à la nourriture du bétail, qu'à être converties en engrais, en servant de li- tière, seul usage cependant auquel on les con- sacre. Leur stérilité dépend principalement de la nature des eaux qui les arrosent, qui, trop crues ou ferrugineuses, ne jouissent d'aucune proprié- té fertilisante. Lorsque ces fonds réunissent les conditions favorables au dessèchement , dont la première est une pente suffisante , il n’est pas douteux que leur mise en culture ne devienne un bien général, et sous le rapport de l'hygiène, et sous le rapport de l’agriculture; et cela d'autant plus que cette conversion pourra s’opérer aisé- ment et à peu de frais. Je citerai pour exemple EN SAVOIE. 105 d'un marais de ce genre la plus grande partie du marais du vier. Là on aurait tout à gagner et rien à perdre : le produit en est médiocre et de mauvaise qualité; le sol en est profond, peu va- seux, de bonne qualité, et le dessèchement facile. Il en est de même de la vaste plaine des marais de Si-Jeoire et de Chignin, qui longent la route de Chambéry à Montmélian. Je comprendrai dans cette même catégorie, et comme devant être soumis au défrichement et livrés à la culture, tous nos prés secs et tardifs, qui ne recoivent d'autre arrosement que celui de la pluie, qu'on ne fauche qu'une fois, au mois d'août, et qui pour cela sont appelés prés d'août. De ces prés, les uns ne se composent que d'une mince croûte de terre végétale gazonnée , repo- sant sur des couches d'argile pure , compacte et imperméable ; ce qui fait qu'en temps pluvienx l'eau , ne pouvant se porter profondément , s'ar- rête sur leur surface et les inonde , tandis que à en temps sec et chaud, ils se dessèchent rapide- ment et se fendent de toutes parts. Leur produit est si mesquin , que souvent il ne paye pas les frais de sa récolte. L'existence de ces mauvais prés, dont on a déjà, depuis quelques années, commencé le dé- frichement , fait encore la honte de notre agri- culture et indique ses progrès lents et tardifs. Avant de les mettre en culture , il sera bon de 106 SUR LES MARAIS sonder la profondeur de la couche d'argile qui se trouve sous la couche de terre végétale. Il arrive souvent qu'on trouve plusieurs lames argileuses séparées les unes des antres par des couches d’autres terres plus propres à la végétation. Dans cette circonstance , après avoir bien égoutté et assaini le terrain par les fossés nécessaires , un minage propre à bien mélanger ces diverses es- pèces de terres , joint à quelques engrais , assu- rera un degré de fécondité propre à dédommager des frais que nécessitera l'opération. Si, au con- traire, le banc argileux sur leqnel repose le gazon était épais et profond , le défrichement serait moins profitable ; ce ne serail qu'à force d'engrais, de travail, ou par le mélange d’autres terres , qu'on parviendrait à y porter un degré de fertilité. ll est d’autres prés d'août qui reposent sur un fond sablonneux , plus traitables que ceux dont je viens de parler, et dont la stérilité n'est due qu’au défaut d'arrosement. Ces prés, moins sté- riles que les précédens , prospèrent lorsque les années sont pluvieuses , et produisent peu dans les années contraires. La plupart des prés de la plaine du Bourget sont de ce genre ; leur mise en culture sera un bien toutes les fois qu'on ne pourra pas leur donner un arrosement favorable ; mais lorsqu'on pourra le leur procurer , elle de- viendra un mal, vu que Le produit à l'état de prés EN SAVOIE. 107 arrosés sera plus que doublé et de meilleure qua- lité. La grande consommation des fourrages de ce genre , le besoin qu'on en éprouve , le haut prix auquel ils s'élèvent, la modicité des frais que demande leur culture , leur moindre casualité, assurent à ces propriétés une rente bien plus cer- taine et plus élevée. C'est à cette vérité, à laquelle se rattache une branche importante d'utilité publique , que l’an- cienne Société, dite du Canal, dut sa création. Chargée de diriger sur les prairies du Bourget et de Bissy les élémens d’une grande fécondité, en y distribuant les eaux de l’Albane , cette Com- pagnie recut d'importantes concessions royales , tant dans l'intérêt de l’entreprise, que dans celui des entrepreneurs. Mais, comme tant d'autres, cette trop nombreuse association succomba sous les vices de son administration. Ces mêmes tra- vaux repris aujourd'hui par MM. de Montbel et Dupont, promettent les plns heureux résultats. Les eaux de l’'Albane , en traversant la ville dans nombre de canaux , s'engraissent et s’enri- chissent de tout ce qu'il y a de plus fécondant ; au lieu de se perdre et d'arriver sans utilité au lac du Bourget, elles vont répandre la vie sur d'arides graviers et des gazons desséchés. Les avantages qu'on peut retirer d’une distribution régulière et méthodique de ces eaux, sont inap- préciables , dans l'intérêt tant public que parti- 108 SUR LES MARAIS culier; et au lieu de porter plus loin les défriche- mens, on devrait les restreindre et les limiter à tous les points qui ne sont pas susceptibles de recevoir le bienfait de l’arrosement. Malgré Futilité bien majeure et bien reconnue de cette entreprise , il s'élève cependant contre elle un parti d'opposition qui l’accuse particuliè- rement de porter atteinte à la santé des habitans de cette vallée, et de les exposer aux fièvres, en répandant dans l'atmosphère les principes maré- cageux qui les développent. Ami de mon pays et de tout ce qui l'intéresse, je profite de l’occasion qui m'amène à parler de l'entreprise des MM. Dupont et de Montbel, pour faire connaître ma pensée sur cette allégation exagérée , pour ne pas dire quelque chose de pius. Un arrosement méthodique et régulier, fait en temps convenable, ne fut jamais, soit en physio- logie végétale, soit en principes d'hygiène, con- sidéré comme nuisible, surtout un arrosement par irrigation, tel que l'est celui des MM. de Mont- bel et Dupont. Les eaux dont ils disposent sont trop précieuses, et en quelque temps de l’année, surtout pendant les chaleurs, d’une quantité trop inférieure à l'étendue des surfaces à arroser, pour qu'ils ne dirigent pas leurs travaux de manière à n'en point perdre, et à ne pas les laisser stagnan- ies, autant à leur préjudice qu'à celui du sol sur lequel elles reposeraient. Le principal canal, les EN SAVOIE. 109 canaux secondaires , les raies, les ouvertures, et les rigoles d'irrigation, tous placés sur des ni- veaux bien pris et correspondans d'une manière exacte à tous les conduits d'écoulement, main- tiennent l’eau dans un mouvement continuel et lui permettent de se répandre de proche en pro-" che, jusqu’à ce que le sol et la végétation l’aient absorbée en entier. Thaër, Tom. HIf, pag. 199, s'exprime ainsi : « L'irrigation a lieu en automne, « en hiver et au printemps, pour limoner et en- graisser les terres; mais on peut aussi la con- linuer depuis que la végétation s'est mise en activité, et quoique les plantes soient grandies, aussi souvent et aussi long-temps que la tem- pérature et la nature du sol et des plantes le demandent. Queiquefois on continue l'irriga- tion la nuit même qui précède le jour où l’on doit faucher, afin de donner plus de fraicheur à l'herbe. Chaque nuit qui succède à un jour très-chaud et desséchant, on ranime l'herbe à l'aide d’un arrosement, au moyen duquel elle tire le plus grand avantage de la chaleur da jour suivant ; tandis que sur les terrains qui ne jouissent pas de cet arrosement, les plantes se fanent et se dessèchent. C'est seulement à l'aide de ce genre d’arrosement que le cultiva- teur peut se soustraire aux défaveurs de la tem- pérature et du climat ; car, par ce moyen , il remédie aux mauvais effets des nuits froides et 110 SUR LES MARAIS « des blanches gelées, ainsi qu'aux inconvéniens « de la sécheresse. Comme, par l'irrigation , l’eau est dans un mouvement continuel , cette eau À « ne peut pas y provoquer la putréfaction, ni « occasionner des miasmes , comme c’est le cas « des eaux stagnantes dans les temps chauds ». Non-seulement l’eau courante ne saurait répan- dre dans l'atmosphère des principes nuisibles à la santé, l'ean même qui croupit, pourvu qu'elle recouvre constamment sa vase, ne lui communi- que qu'un degré d'humidité proportionné à son évaporation. Ainsi que nous l'avons prouvé dans le cours de ce Mémoire, et d’après les autorités les plus respectables , c'est du fond de ces eaux croupissantes , où s'accumulent les débris des substances animales et végétales, qui, exposés à l'air et à la chaleur, par la retraite des eaux, en- trent en fermentation , que s'élèvent ces émana- tions délétères qui infectent l'atmosphère et por- tent au loin les germes des maladies les plus graves. Nous dirons plus : une eau fécondante répandue par irrigation sur une surface, par là même qu'elle y vivifie et active la végétation, loin de vicier l'air, lui communique au contraire des qualités bienfaisantes. La physiologie végétale nous apprend que les végétaux épurent l'atmos- phère des substances gazeuses contraires à l'ani- mal, et y versent abondamment celle qui jui convient , et cela d'autant mieux que leur végé- tation sera plus vigoureuse. EN SAVOIE. : À à L'agriculture , dans tous les pays , et surtout dans les pays chauds, puise dans l’art des irriga- tions une de ses plus fécondes ressources. Nombre de contrées deviendraient d’arides déserts, sans cet art utile qui y porte la vie. « A l’aide des ar- « rosemens , nous dit encore Thaër ( ouvrage « précité), nous nous rendons en quelque façon « indépendans de la température , et nous pré- « venons ses défaveurs à plus d’un égard; car, « par leur moyen, nous pouvons nous passer de « pluie pendant long-temps , comme le prouve « la fécondité des terrains arrosés sous le climat « sec de l'Italie, où quelquefois, en quatre mois, « il ne tombe pas une goutte de pluie, et sou- « vent pas même de rosée. » De tout ce que je viens d'avancer dans ce Mé- moire, je conclus, 1° Que les vallées de la basse Savoie offrent peu de marais proprement dits d’une grande sur- face et d’une parfaite stérilité ; qu'il y en a un grand nombre limités à de petites; que tous sont généralement herbeux et fertiles; que ces marais; jadis plus étendus, se retrécissent peu à peu par l'élévation du sol, et laissent , en se reculant, des prés marécageux de peu de produit, sur lesquels l'agriculture s'étend chaque jour avec succès, et doit y être encouragée. 2° Que les marais de la Savoie sont une dé- pendance nécessaire des mouvemens variés de sa 112 SUR LES MARAIS surface, dun nombre de ses montagnes et du cours des torrens , fleuves et rivières, formés par les eaux qui en découlent, et que par là même le dessèchement de tons devient aussi impossible que nuisible à l’agriculture. 3° Que les émanations qui s'élèvent des sur- faces des marais de la Savoie , trouvent dans la pature de son climat les moyens les plus propres à en tempérer l'influence sur la santé. En effet, Ja longueur des hivers, qui se prolongent souvent sur une partie des deux saisons qui les limitent, la fréquence des pluies , le nombre et la constance des vents qui y maintiennent l'air dans un mou- vement continuel, la vigueur de la végétation en tout genre, modèrent les effets de ces émanations, et ne leur laissent que le pouvoir de développer quelques fièvres intermittentes simples, dans cer- taines localités seulement, 4° Que pour atténuer encore cette influence, il faut boiser les marais, autant que possible, ne les faucher qu'après les grandes chaleurs et à leur parfaite maturité, y interdire sévèrement le parcours et la vaine pâture dans toute saison, ou tout au moins pendant l’antomne , et de plus, que la chasse n’y soit tolérée qu'après le fauchage. 5° Que le défrichement ne doit atteindre que les prés marécageux , vulgairement dits d'août , qu'on ne fauche qu'une fois vers la fin de l'été, qui produisent peu de fourrage et encore de très- EN SAVOIE. 113 médiocre qualité , qui n’est, pour ainsi dire, ni foin ni blache. D'ailleurs , la culture s’est déjà emparée de la plupart de ces surfaces stériles, et s'y étend chaque jour de plus en plus. On doit le porter encore sur ces plaines maré- cageuses qui réunissent les conditions d'un dessè- chement facile et complet, qui produisent peu, dont le fond riche et peu vaseux s’est élevé peu à peu par des dépôts d’alluvion , qui ne doit sa stérilité qu'à des eaux crues et ferrugineuses, et qui, bien égouttées et bien travaillées , promet- tent d'abondantes récoltes en tous genres. Tels sont les marais déjà signalés du Fivier et de Chignin. Ces défrichemens trouveront cepen- dant de fortes oppositions, basées principalement sur le droit de parcours qu'anéantirait la culture. 6° Enfin, ne pouvant que généraliser dans un écrit de la nature de celui-ci sur la question dont il s’agit, je pense qu'il serait utile, avant de déterminer le dessèchement d’un marais en par- ticulier , d’avoir sur ce marais un rapport très- détaillé, fait par un géomètre hydraulicien , un médecin et des agriculteurs - pratiques instruits. C'est à ces trois sciences réunies qu'il appartient de tout voir, de tout peser et de décider en ma- tières pareilles. LRO CODE OC OO 0000 0602000 0020089299299999999299999299329939 PRÉCIS DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE LA VALLÉE QUI S'ÉTEND DE CHAMBERY AU LAC DU BOURGET, ET PARTICULIÈREMENT SUR LA COMMUNE DE LA MOTTE-SERVOLEX; LU DANS LA SÉANCE Du 6 AVRIL 1832. PAR M, LE DOCTEUR GOUYERT 445900 Cüm quis ad urbem sibi ignotam pervenerit, hunc ejus situm considerare oportet, quo- modo et ad ventos et ad solis ortum jaceat. Hwr., De acre, aquis et locis. Cap. 1, pag. 3. Les bonnes topographies médicales furent dans tous les temps considérées comme des flambeaux propres à éclairer et à diriger les études médica- les dont la clinique est le terme et le complément; ou plutôt elles furent jugées devoir faire parties intégrantes et essentielles de ces mêmes études. C'est par ce genre de connaissances que le médecin doit ouvrir sa carrière dans les lieux où il se des- tine à répandre les bienfaits de son art. L’homme PRÉCIS DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 115 se modifie au physique et au moral sous l'influence de tout ce qui l'entoure; son organisation en re- çoit de si profondes empreintes, qu’elles arrivent jusqu'à ses facultés intellectuelles et morales, et marquent de leur cachet tout ce qui le constitue, sa santé, ses maladies, ses penchans, ses vertus, ses vices, etc. En ouvrant le livre de l’auteur de l'épigraphe ci-dessus , les premières lignes nous apprennent tout ce que peuvent sur la nature de l'homme, sur ses mœurs et ses affections diverses, l'air et les caux qui l’environnent , les régions qu'il habite : Quas wires ambientis aeris, aquarum , et regionum , ad naturam hominis immutandam , mores formandos & affectus concitandos habeat. Or, l'homme physiologique- ment ainsi faconné par tout ce qui l’environne, offrira nécessairement, dans l'ordre des maladies qui lui seront propres, des nuances, des caractè- res et une marche qui lieront l’état de maladie à l'état de santé, et imposeront au médecin la né- cessité de remonter aux sources premières de cet enchaînement, et d'y puiser les règles fondamen- tales de sa conduite. Mais, dira-t-on , la topographie médicale d'une simple commune rurale ne peut offrir qu'un sujet maigre et resserré comme elle. Cependant, sans parler de quelques grandes questions que je mê verrai forcé d'aborder, et dont l'intérêt ne se li- mile pas sur l'étroite surface d’une commune, il se 116 PREÉCIS présente ici un problême dont chacun demande la solution, ou la donne à sa manière, et qui ne peut se résoudre que par la recherche, le déve- loppement et l’enchainement de toutes les causes qui concourent à produire des effets et des phé- nomènes en opposition formelle; et dans ce chaos de causes et d'effets, chercher à les déméler et à les classer selon leurs degrés d'influence , sans autre intérêt de ma part que celui de la vérité et du bien public : tels sont les motifs qui m'ont déterminé et guidé dans mes recherches. Que ces mêmes motifs préoccupent à leur tour ceux qui s'intéressent au bien de lacommune de la Motte- Servolex , el qui voudront bien me lire. Le problème dont il s’agit est le suivant : La commune de la Motte-Servolex, l’une des plus vastes, des plus belles et des plus peuplées de la basse Savoie, fut toujours réputée, comme elle l’est encore aujourd'hui , une des plus riches en produits ruraux, et fixa dans tous les temps l'ambition des capitalistes et des propriétaires. Cette commune , vue aujourd'hui dans la masse de sa population agricole, est la plus pauvre, la plus chétive, la plus maladive , et par là même la plus malheureuse de toute la vallée. C’est à chercher et à reconnaitre les raisons de ce contraste frappant, que je consacre ce Mé- moire, renfermé dans quelques chapitres. Fixé à Chambéry depuis trente-quatre ans, je puis dire DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 117 que, pendant les quinze premières années de ma pralique, j'étais le seul médecin de cette com- mune. Jeune et aclif alors , il ne se passait pas de semaine que je n’y fisse quelques visites. Au mois de mars 1818, je fus attaché, comme mé- decin , au service de l’hospice créé par M. le Marquis de Costa, en faveur des malades pauvres de cette commune et de celle de St-Sulpice, et dirigé par quatre sœurs de l’ordre de St-Josephr, ‘sous obligation d’y faire, à jour et à heure fixes, au moins une visite par semaine. Je puis donc, mieux que tout autre, avoir une parfaite connais- sance de cette commune, établir des époques comparatives de son état sanitaire , et apprécier les véritables causes des changemens défavorables sous ce rapport, survenus depuis quelques années, et qui paraissent aller en croissant. 118 PRÉCIS CHAPITRE PREMIER. QUELQUES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA VALLÉE COMPRISE DE CHAMBERY JUSQU'AU LAC DU BOURGET. La vallée dont je me propose de tracer les principaux caractères, est limitée au sud-est par la ville de Chambéry, les jardins et les chenevières qui l’environnent ; au nord-ouest, par le lac du Bourget; an nord-est, par les roches de Lémenc et par le mont Nivolet, auquel ils s'adossent ; et à l'ouest , par la montagne d'Epine, depuis la route d'Aiguebellette jusqu'au Bourget. Cet espace ainsi limité présente une surface quadrilatère d'environ deux licues carrées. La disposition de tonte cette surface , ses inégalités en forme de coteaux , de collines et de plaine, nous permettent de la divi- ser en trois parties bien distinctes, une centrale et deux latérales. La première, plaine assez unifor- me, est généralement connue sous le nom géné- rique de plaine ou de prairie du Bourget. C'est au milieu d'elle que serpente l'impétueux torrent de l'Aisse, formé de trois torrens réunis, l'Aisse proprement dite, l’Albane , dont la jonction se fait à leur entrée dans la ville, et l’Hière, qui se joint à eux à un quart d'heure d'elle. Des deux parties latérales, l'une an nord est formée par le coteau de Ste - Ombre et de Voglans , l’autre à DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 119 l'ouest formée par le coteau de Chamoux, le plateau de Servolex et la colline du Trembley. Plusieurs communes se partagent la plaine et les coteaux qui la limitent. D'un côté se trouvent Bissy, St-Sulpice, la Motte-Servolex et le Bour- get ; et de l’autre , une partie de Lémenc, Ste- Ombre, Sonnaz, Voglans et une partie du Vivier. Les habitations occupent partout les collines; on ne trouve dans la plaine que le hameau de Vil- larcher, placé au centre de la vallée, et quelques hameaux occupant les parties cultivées de la plaine, soit de Bissy, soit de la Motte. Cette vallée , l’une des plus basses de la Savoie, n'est élevée au - dessus du niveau de la mer que de 125 toises (1). Si l’on se livre à quelques con- sidérations géologiques à son égard, on ne peut s'empêcher de penser que le temps en à fait la conquête par la retraite insensible des eaux, dont toul indique qu'elle fat hautement submergée, àdes époques reculées , où le Rhône et le lac du Bourget confondus arrivaient au lieu même qu'occupe la ville de Chambéry : ces indices sont quelques ves- tiges d'anciennes routes observés anx penchans des montagnes , et bien au-dessus des vallées ; les subs- tances dont se composent les coteaux et les points culminans, tels que le sable fossile, mélangé de (1) V. le Mémoire de M. Raymond, Vol. HI de la Soc. Roy. Acad. de Savoie. 120 PRÉCIS cailloux roulés, et les diverses carrières de lignite ; la retraite progressive, quoique lente, des eaux du lac du Bourget, qui, dans moins de cinquante ans, se sont reculées de quelques centaines de toises ; l'état entièrement marécageux où se trouvait cette plaine, jusqu'aux portes de la ville, dont les jar- dins et les chenevières faisaient encore partie, il y a moins de cinquante ans, et qui aujourd'hui en font l'ornement et la richesse. Cette plaine, jusqu'en 1771, époque de la for- mation de l’ancienne Société du Canal, était en- core tout entière dans un état vraiment sauvage. Des bois , des pâturages et des marais en occu- paient toute la surface. Les premiers travaux opérés sur elle furent ceux de la Compagnie, qui sentit fort bien que, pour obtenir les succès de sa vaste entreprise, elle devait commencer par un dessè- chement sans défrichement , en fournissant aux eaux de grandes voies d'écoulement; ce qu’elle obtint par les nombreux et vastes canaux dont elle sillonna cette plaine, dans la direction du midi au nord, et qui, en même temps qu'ils en égouttaient la surface , étaient encore destinés à y conduire les eaux fécondantes de l'Albane, dont les utiles dépôts devaient l'égaliser, l'élever et la couvrir de la plus riche végétation. Vingt-deux mille toises de canaux ou fossés furent pratiquées sur cette vaste plaine, tous destinés à remplir le double but que je viens de signaler. Trente ans DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 121 d'arrosement d’une eau chargée des plns riches dépôts, en élevant et nivelant la surface du sol, y constituèrent une croûte végétale aussi épaisse que féconde, laquelle a rendu si fertiles les vastes défrichemens qui s’y sont opérés dès lors et s’éten- dent encore chaque jour. Ce furent donc les premiers travaux de la So- ciété du Canal qui répandirent sur cette vallée les premiers germes de fécondité , et la tirèrent de l'état sanvage où elle se tronvait depuis la retraite des eaux qui dürent la couvrir d’abord et la sub- merger. Si une tradition valgaire pouvait servir de preuve , je rapporterais la suivante à l'appui de l'opinion que j'émets sur l’état primitif de cette vallée : l'étymologie du mot /a Motte, que porte la vaste commune de ce nom, se tirerait du point élevé en forme de butte , sur lequel se tronvent aujourd hui l'église et le presbytère. Cette éléva- tion, placée au centre de la vallée, se montra la première à la retraite des eaux et fut, dit-on, appelée la Motte. La supposition qne je viens de faire sur l’état primitif de la vallée du Bourget, m’antorise à en établir une autre sur la cause qui l’a desséchée. Le Rhône roule ses eaux non loin du lac du Bour- get, qui s'y dégorge par le canal de Savière. On -sait que, lorsque ce flenve est très-enflé , il fait refluer les eaux du lac jusque très-avant dans la 122 PRECIS prairie. Ce fait bien reconnu se montre anjour- d'hui moins souvent qu'autrefois. Quelle peut en être la cause? Je crois la trouver dans les profon- des érosions produites par les eaux du Rhône, en s’'engouffrant entre les rochers escarpés de Pierre- Chätel sur France, et de Chevru sur Savoie, où elles ont un cours rapide et impétueux. Ces deux montagnes que sépare le lit très-resserré du fleuve, sur la rive gauche duquel se trouve la belle route d'Yenne à la Balme, pratiquée dans le rec même en plusieurs endroits , semblent n’en avoir fait qu'une dans des temps reculés, comme l'indiquent leur forme , leur nature et la direction de leurs banes. L’obstacle qu'elles présentaient au cours du flenve en faisaient refluer les eaux au loin, de manière que le bassin d’Yenne, les marais de la Chautagne, le lac du Bourget et la vallée de ce nom en étaient submergés. Un savant ingénieur qui a parcouru plusieurs fois la ligne du Rhône sur ces parages, prétend que le lit primitif de ce fleuve était entre Mâchura et St-Didier, au nord de Pierre - Châtel, sur une large dépression en forme de col, que présente ce coteau ; qu'on y observe encore aujourd'hui des traces bien mar- quées de cet antique passage. Quoi qu'il en soit de cette opinion , il est certain que c'est par la trouée que se sont faite les eaux du Rhône sous Pierre - Châtel , que les vallées susnommées se sont desséchées, DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 123 Ce qui n'est pas une simple supposition sur la véritable cause du reculement progressif et bien sensible du lac du Bourget, l'élévation et l'allon- gement de la vallée qui y aboutit, ce sont les dépôts que le torrent de l’Aisse y amène chaque année, pour ne pas dire chaque jour; si l'on veut seu former une juste idée, il suffit de jeterles yeux sur l'embouchure de cet impétueux torrent dans le lac : on y observe en petit ce que l’on voit en grand à l'embouchure des grands fleuves dans les différentes mers, de véritables deltas qu'on voit s'agrandir avec le temps. Ce fait est si sensible aux yeux de tout le monde 3 qu'on peut avancer sans exagération que les eaux du lac du Bourget se sont retirées de plusieurs centaines de toises depuis cinquante ans. Il est naturel d’ailleurs que celte retraite devienne de plus en plus évidente dans un pays composé d'étroites vallées et de hautes montagnes très-rapprochées, comme celles quilimitentle bassin de Chambéry, surtout lorsque ces montagnes entièrement déboisées et privées de leur enveloppe terreuse, ne retiennent rien, n’ab- sorbent rien, et rejettent sur la plaine non-seule- ment tout ce qui tombe sur leurs flancs dénudés, mais encore les débris de leur surface rocailleuse altérée par tous les élémens réunis. Tel est enfin le sort de nos étroites vallées, de nos torrens, de nos bas-fonds, de nos lacs et de nos marais, qu'il faut qu'ils deviennent le réservoir de tout ce qui 124 PRÉCIS s'échappe de nos montagnes, même des détritus de leur squelette décharné, et que la conséquence naturelle du cours d’un état de choses pareil, est l'élévation des unes, l'encombrement, le dépla- cement et le comblement deÿ autres, de manière à faire voir, par des atterrissemens successifs, s'é- lever nos vallées, disparaître nos marais, combler nos lacs et divaguer nos torrens; le lac du Bourget disparaîtra avec le cours des siècles , et la vallée du Bourget s’étendra jusqu'aux rives de la Chau- tagne. Les deux coteaux qui limitent à l'est et à l'ouest, l'étroite vallée dont je viens de parler, attestent, comme je l'ai déjà dit, par tout ce qui les cons- titue, que les eaux les ont submergés. Le premier, adossé au mont Nivolet par les rochers de Lé- menc , s'étend sans interruption jusqu'au Vivier, et se trouve séparé de la montagne par une large et profonde intersection qui reçoit toutes les eaux qui s’en écoulent, en les dirigeant du côté d'Aix, après avoir formé les marais dé Montagny et du Vivier. | Le second n’est point continu comme le pre- mier ; il est formé par trois coteaux séparés par des espaces de grandeur différente : d'abord celui du haut Bissy, Chälot et Chamoux, qui sépare cette commune de celle de St- Sulpice et d'une partie de celle de la Motte, par de profonds ra- vins où aboutissent toutes les eaux qui s’écoulent DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 125 * de la montagne et de toutes les collines subja- centes, et dont la réunion forme le torrent appelé Nan Bruyant, qui traverse, sous le pont de la Motte, l'ancienne route de Chambéry au Bourget, et va se jeter dans l'Aisse à une petite distance de là. Depuis l'extrémité nord du haut coteau de Chamonx, qui se termine au pont de la fillette sur la route de l'Epine, jusqu'au plateau de Ser- volex, espace d'environ demi-lieue, la montagne s’unit à la plaine par une pente de demi-lieue d'’é- tendue , et toutes les eaux qui s’en échappent, se jettent dans la plaine et directement sur les ma- rais de Servolex. Le plateau de Servolex est un large mamelon, de forme arrondie, environné de toutes parts d'eau et de marais; il n’est séparé du coteau du Trembley que par une profonde échan- crure à fond marécageux, sur laquelle est le pont de la Côte - Chevrier, pour l'ancienne route du Bourget, qui, par l'effet de son changement, n’est plus qu'une route communale mal entretenue. Sous ce pont passent toutes les eaux qui s'écou- lent des collines de Barby et du Noiray, dont tout le fonds humide et marécageux repose sur un grès tendre , vulgairement nommé mollasse, et vont encore se jeter sur l'extrémité nord du marais de Servolex. Le coteau du Trembley, long d’une forte demi- 126 PRÉCIS lieue , est séparé de la montagne à laquelle il semble s’adosser, par une profonde intersection , dirigeant du sud au nord toutes les eaux vers le Bourget, pour se joindre à l’Aisse, à peu de dis- tance du lac. Des sites divers composant la partie du bassin de Chambéry depuis la ville jusqu’au lac du Bour- get, résulle un ensemble offrant l'aspect le plus pittoresque , le plus beau et le plus riche : les nombreux points de vue qu'il présente déroulent partout aux yeux du spectateur les tableaux les plus variés , où se peignent à la fois toutes les beautés et toute la fécondité de Ja nature. Là d'immenses prairies, la plupart fécondées par les eaux de l'Albane, dont les herbes touflues et éle- vées émoussent la faux deux fois l’an, et fournis- sent encore durant l'automne les plus gras pâtu- rages, dont la propriété fécondante est telle qu'en moins d'un an on voit, sous leur influence , les plus arides graviers se métamorphoser en gazons verts et touffus; ailleurs, des champs couverts de maïs , de légumes et de pommes de terre ; ici, des bordures de peupliers, de saules et de vernes; sur quelques points s’observent encore des traces de l’origine de ce bassin , par des espaces resserrés d'un sol boueux et marécageux , et non sans fé- condité dans son genre , lesquels se rétrécissent de plus en plus, et dont le temps, mieux que la main de l'homme, fera pleine justice. Telle est la “+ DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 127 | peinture de la partie essentiellement plaine de cette belle vallée. Si l'on parcourt les collines et les coteaux qui la bordent et l’embellissent , la scène change et offre aux regards nombre d'objets nouveaux et d'un intérêt non moins majeur : le noyer, le châtai- gnier et le chêne s’y élèvent avec toute la beauté de leur forme gigantesque; les champs se couvrent de toutes les céréales et de toutes les productions propres au climat ; les vignes hautes soutenues par l'érable, plantées en ligne ou en quinconce, tiercent la rente du sol qu'elles recouvrent. La qualité du vin en est médiocre, il est vrai, mais ‘il n'en trouve pas moins ses débouchés , et n’en est pas moins une grande ressource, tant pour le propriétaire que pour le fermier. Le beau lac du Bourget qui la termine au nord-ouest, ne se borne pas à l'embellir : les tables d'Aix, durant la saison des eaux, et celles de Chambéry, pendant toute l'année , se fournissent des riches pêches qui s’y font de toutes les espèces de poissons d’eau douce les plus délicates. 128 PRÉCIS CHAPITRE IL DESCRIPTION TOPOGRAPHIQUE DE LA COMMUNE DE LA MOTTE-SERVOLEX. Ainsi que je l’ai annoncé, la commune de la Motte-Servolex est seule l'objet de ce Mémoire. J'ai proposé à son sujet un problème, je vais tâcher de le résoudre. Si j'ai jeté un coup d'œil sur toute la vallée dont elle forme une grande partie, et s’il m'arrive d'en parler encore, c'est que l’une et l'autre partagent la même origine, ont subi les mêmes révolutions, restent et resteront toujours sous les mêmes influences, en bonne comme en mauvaise part. La Motte-Servolex, l’une des communes rura- les les plus vastes et les plas peuplées du Duché, s'étend du sud au nord, depuis les confins’ de celles de Bissy et de St - Sulpice, aux portes du Bourget; du levant au couchant, depuis les limi- tes de celles de Ste-Ombre et de Voglans, jus- qu'à celles de Nance, de Novalaise et de Meyricux, avec lesquelles elle partage la montagne d'Epine qui les sépare d'elle. La surface qui la compose offre un espace à peu près quadrilatéral d'environ deux lieues de diamètre, sur huit lieues de tour. La disposition et la diversité de son sol permet- tent de la diviser d'abord en deux parties ; l'une dé DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 129 Mbitée et l’autre déserte. Celle-ci, tonte mon- tagne , en forme environ la moitié. La pre- mière , couverte de nombreux villages, commence au pied même de la montagne, sur la pente de laquelle se tronvent encore quelques chaumières, La portion habitée peut se partager en deux par- ties égales , une en plaine et l'autre en colline. Cette dernière se divise verticalement en quatre sections, séparées par autant de profonds ravins nommés crases où cormbes , dans lesquels se réu- nissent toutes les eaux, pour se porter dans la plaine, et dont les flancs sont couverts d'arbres et de bois ; à ces eaux se joignent encore celles -qui s’échappent de pareils ravins qui sillonnent dans le même sens la commune de St - Sulpice. Les intervalles qui séparent ces combes sont oc- cupés par des terres arables, d'ane grande ferti- lité, et toutes garnies de treilles ou hautins en bois vif. Toutes les habitations occupant cette agréable colline , placées sur un sol sec et élevé, directement au levant, jouissent de tous les avan- tages attachés à de semblables localités : Fair, les eaux, les fruits, les légnmes, enfin toutes les pro- ductions y sont de boñne qualité , si lon en excepte le vin, dont la qualité est assez connue pour m’exempler d'en parler. La portion enr plaine est la partie de cette com- mune qui fait l'objet principal de ce Mémoire, eu égard aux graves considérations qui s'y rattachent, 9 130 PRÉCIS Elle est d'abord la plus populeuse; sauf la plaine des Champagnes, le plateau de Servolex et le co- teau du Trembley , tont le reste n'est qu'un sol bas, humide, occupé par des marais, des prés marécagenx , appelés prés d'août, parce qu'on ne les fauche qu'alors, et par un grand nombre de défrichemens de daie récente, lesquels s'étendent chaque année. La plupart des hameaux n’ont que des eaux de puits très-insalubres. C’est sur elles que se versent les eaux qu'y amènent tous les ra- vins qui sillonnent la commune de St-Sulpice et celle de la Motte, du côté du sud et du couchant. Si nous la considérons du côté du nord et du le- vant, nous la trouverons limitée par le lit de l'Aisse, torrent dont jai déjà parlé, dont je par- lerai encore souvent, et dont les fréquens débor- demens convertissent en lac tont ce qui l'entoure. Cependant, cette partie de la commune n’en est pas moins fertile, surtout dans les années chaudes el sèches. Les céréales y sont moins communes et moins profitables; mais en revanche, les pro- ductions sarelées du printemps, et particulière- ment le maïs, y prospèrent; toutes les terres sèches et arables sont couvertes de treilles ou vignes hautes, de noyers sur leurs confins et sur le bord des chemins; celles qui sont humides produisent le saule, le peuplier et la verne, ombrageant le bord des fossés, des routes et des cours d’eau qu'on y rencontre à chaque pas. La teinte de DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 13% verdure que présente encore toute cette surface, lorsque de longues et brülantes sécheresses ont tout flétri et desséché partout ailleurs , offre un tableau qui tranche d'une manière remarquable, el indique la profonde humidité du sol. La commune de la Motte-Servolex jouit de la favorable influence du levant, qu'elle reçoit d’une manière directe. Les vents qui lui sont propres, sont particulièrement le nord, le nord-ouest, le sud et le sud-est, dans la direction desquels elle est placée. La montagne d’Epine semblerait de- voir l'abriter du souflle impétueux du sud-ouest, que nous éprouvons rarement, mais toujours par . violentes ondées ; cependant lorsqu'il souffle, il s'y fait vivement sentir, en s'engouffrant entre les rochers de Couz et le passage d'Aiguebellette ; l'air en sort avec une incroyable impétuosité, et exerce de grands ravages sur les communes de Vimines, de St-Sulpice et de la Motte. Pour compléter la statistique de la commune de la Motte-Servolex, je transcris ici la note que m'a fournie son respectable Pasteur. 152 PRÉCIS (2) MARIAGES , NAISSANCES ET DÉCÈS de la paroisse de la Motte-Servolex depuis 1821 jusqu'en 1851, sur une population de 3357 pendant l’année , et de 3517 pendant les vacances. ANNÉES. ue MARIAGES, | NAISSANCES, 1821 109 57 1822 ke 122 76 1823 21 124 57 1824 28 114 59 1825 15 III 119 1826 14 150 72 1827 2 110 75 1828 26 123 110 1829 25 140 127 1850 29 110 94 1831 26 112 7b Totaux..….| 141 1515 919 LES 141710 | 131 172 OI 172 de 10 années. Les naissances surpassent les décès de 400, dont le dixième est 40. (b) L’imposition cadastrale de cette commune est de 7971 liv. 18 s. v1 d.; les revenus commu- DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 133 naux sont de 145 livres 6o cent., d’après le rôle des acensataires; il y existe encore un rôle d'octroi sur les cabaretiers , les vendeurs de liquides , comme eau-de-vie, café et bière, et banc de bou- cherie, montant à 237 liv. (d) Cette commune est le chef-lieu d’un Tri- bunal de Mandement. Elle possède, sur la côte de Chevrier et de Servolex , de riches carrières de lignite, qui servent à alimenter une fabrique de tuiles et de briques établie tont près, et nom- bre de fourneaux et de foyers à Chambéry. M. le Marquis de Costa y a ouvert, en 1818, un asile de charité, où les malades pauvres recoivent tous les secours; cet établissement, dirigé par quatre sœurs de St-Joseph, offre encore à toutes les jeunes filles une source précieuse d'instruction solide et d'utiles occupations. 154 ‘ PRÉCIS CHAPITRE I. ÉTAT SANITAIRE ET DE PAUVRETÉ D'UNE GRANDE PARTIE DE LA POPULATION AGRICOLE DE LA COMMUNE DE LA MOTTE-SERVO- LEX ; CAUSES DIVERSES QUI Y COOPÈRENT ; ERREUR DE NE L’Al- TRIBUER QU'A UNE SEULE; IMPOSSIBILITÉ, INUTILITÉ ET DAN- GER DE TENTER DE LA DÉTRUIRE, I. Tout ce que je viens de dire de la vallée depuis Chambéry au Bourget, et en particulier de la commune de la Motte-Servolex, qui en fait une grande parlie, annonce un pays riche et fé- cond, qui semblerait devoir environner ses habi- tans d'un certain degré de prospérité. Il en est cependant tout autrement; car, on peut le dire, il est peu de communes dont la population agri- cole soit, en général , si mal partagée , tant du côté de l’aisance que de la santé. C’est là tout le sujet du problême proposé au commencement de ce Mémoire et dont je cherche la solution. IL. Il est vrai que le sol de la commune de la Motte est riche et fécond en productions de tout genre , et que cette commune a toujours passé pour une des plus productives. Sur quels fonde- mens reposent donc les différences qu'elle pré- sente dans le double rapport sons lequel je l’en- visage? Quant à celui des maladies, il est palpable, ainsi que je le développerai dans peu. Il n'en est pas de même de celui de la misère; il ent à des DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE, 155 circonstances qui, pour être moins sensibles et moins apparentes, n'en sont pas moins bien réel- les et bien positives. Ce nest que par amour pour la vérité et pour l'humanité que je vais sou- lever le voile qui les enveloppe ; gnidé par un principe de justice et d'équité, sans adulation , comme sans offenses pour personne, j'arriverai à la principale source du mal, et je prouverai que cette source est aussi funeste à ceux qui l'ouvrent el l’agrandissent chaque jour, qu'aux malheureux qui sont forcés de s’y soumettre , sous peine de mourir de faim. HIT. 11 est encore vrai que l’état sanitaire d'une grande partie de cette belle commune, c'est-à-dire de toute sa partie basse, qu'environne nombre de sources d'insalubrité, contribue à la misère qu'é- prouve une grande quantité de familles pendant une partie de l'année (1). L'homme qui ne vit chaque jour que du produit du travail de ses mains , privé de cette ressource , est bientôt ré- duit à l'extrême du besoin. La maladie et la pan- vreté se renforcent mutuellement et s'agravent l'une par l'autre. Dans ce cercle de souffrances et de dénumens, le physique et le moral, faibles et sans ressort , ne laissent d'autres ressources aux malheureux que celle de la pitié qu'ils inspirent, (1) Dans la note que m'a donnée M. le Curé, il dit que le nombre des familles pauvres de sa paroisse est de 139, 156 PRÉCIS On peut dire des habitans de la partie basse de la commune de la Motte, ce que disait Hippocrate de ceux du Phase : Sunt etiam ad corporis exer- citationes nalurd segniores ,..... labores non ferentes, ac ut plurimüm pravi animi (x). « Le » moral des habitans des pays marécageux suit » l'état physique : le laboureur trace péniblement » et tristement son sillon; point de sensibilité; » on ne rit point sur le berceau de celui qui » nait, on ne pleure pas sur le cercueil de celui » qui meurt (2) »v. L'homme poursuivi par les deux plus cruels ennemis de son existence , la maladie et la mi- sère, dégradé et abruti, ne conserve plus de son être que la forme : son corps sans force se refuse au travail et au mouvement; son ame sans énergie n'a plus de projet à méditer, ni de détermination à suivre, et sa triste existence ne lui laisse plus que le sentiment de la plus grossière brutalité. IV. Si j'ai fait, en peu dé mots, la part de J'inflnence que les maladies exercent sur la mi- sère , il me reste À faire celle de cette dernière sur les maladies, particulièrement les endémiques, qui ont leur source dans la nature de l'air et les dispositions locales. (1) Hrrr., De aere, aquis et locis. (2) FODÉRE, Traité de Médecine légale et d'Hygiène , Paris, 1813, t. v. DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 137 La vie n'est qu'une lutte permanente entre les forces et les propriétés qui la constituent, et l’ac- tion des puissances extérieures qui les mettent en jeu: ou, en d'autres termes, elle n’est que le principe de réaction contre le principe d’action exercé sur elle par tout ce qui l'entoure. Ainsi que nous l'apprend Bichat (1), «Il y a abondance » de vie dans l'enfance, parce que la réaction » surpasse l'action. L’adulte voit l'équilibre s'éta- » blir entre elles, et par à même cette turges- » cence vitale disparaître. La réaction diminue » chez le vieillard, l'action des corps extérieurs » restant la même; alors la vie languit et s'avance » insensiblement vers son terme naturel, qui ar- » rive lorsqne tonte proportion cesse. » La santé n'étant elie-même que cet état heu- reux de la vie dans lequel la résistance et la puis- sance, montées à l'unisson, se balancent dans un équilibre parfait; il s'ensuit que tout ce qui tend à le rompre prépare la maladie et y dispose prochainement sous l'influence des plus légères causes développantes. Or, un corps mal nourri, affaibli par le besoin, épuisé sous le poids de pé- nibles travaux qui lui cansent des déperditions que rien ne répare que d’une manière très-incom- plète, placé d'ailleurs sur un sol bas et brumeux, dont les eaux sont pluviales et stagnantes, plongé (1) Recherches physiol. sur la vie et la mort, pag. 4e. 135 PRÉCIS dans une atmosphère le plns sonvent chargée d'humidité et d’autres principes débilitans, et dont sa chaumière ne l’abrite pas, même pendant Ja nuit; ce corps, dis-je, environné d'un pareil concours de circonstances ; toutes énervantes de leur nature, ne saurait résister long-temps à leur influence, laquelle acquiert d'autant plus d'éner- gie, que l’afaiblissement du principe de réaction est plus grand. Dans cet état de choses, tout est contre la santé, tout est pour la maladie, qui, dans le fait, frappe particulièrement la classe indigente ; la fin de l'été et l'antomne sont les saisons qui donnent le plus de malades dans la commune de la Motte, parmi lesquels ceux atteints de fièvres inlermit- tentes occupent les quatre cinquièmes, en obser- vant que , par défaut de soins à la suite de leur première cure, les récidives sont très-communes, et que, malgré cela, il en meurt peu, parce que les fièvres sont simples et dépouillées de tout ca- ractère pernicieux, comme le prouve le tableau statistique exposé ci- devant pour l'année 183r. Les malades n’ont jamais été si nombrenx, et ce- pendant on ne comple que 75 morts contre 112 naissances. De cette importante remarque on est en droit de conclure que les effluves marécageuses sont loin d’avoir la principale part dans la pro- duction des fièvres de la Motte; car le propre de ces émanations est d'imprimer aux fièvres qu'elles DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 139 engendrent , sous quelqne type qu'elles se présen- tent, un caractère nerveux el malin qui en fait toute la gravité. C'est pendant la saison sous laquelle règnent ces fièvres , que tous les propriétaires forains se rendent à la campagne; eux, comme les familles aisées qui y résident habitaellement, en sont ra- rement alteints : cependant, ils habitent les mé- mes lieux, respirent le même air; mais leur corps n'est pas énervé par toutes les canses ci - dessus mentionnées, et la force de résistance lutte avan- tageusement contre l'action des causes délétères qui les environnent. Une seconde remarqne à faire, c’est que, lors- que les personnes fortes et aisées sont prises par les fièvres du lieu, ce qni arrive parfois, la violence des accès est beaucoup plus grande; elle est toujours en raison directe des forces de la vie dont rien n’a encore affaibli l'énergie, et qui, par cela même, développent un appareil de sympté- mes qu'on n'observe pas chez le pauvre exténué de besoins et de fatigues. On observe en ontre que, chez les premiers, la guérison est plus as- surée et moins suivie de rechutes que chez les derniers. Ce que je viens de dire, tout fondé sur des faits, pronve bien évidemment que si les paysans de la commune de la Motte étaient moins malheu- reux, leur constitution deviendrait bien moins 140 | PRÉCIS maladive . et l'endémie inhérente à son sol et à tout ce qui le constitue et l’entoure, ne se chan- gerait pas , comme elle le fait parfois , en épidé- mie, qui, sans être meurtrière , ne laisse pas que d'afliger bien sensiblement cette vaste, belle et bonne commune, sous tous les autres rapports. V. Si nous recherchons les causes de la misère qui plane sur une partie de la classe des cultiva- teurs de la commune de la Motte , sans doute l'insalubrité d'une portion de sa surface se pré- sentera d'abord; mais elle est loin, nous le répé- tons, d’être seule et surtout la principale : nous devons remonter plus loin pour trouver la véri- table, à laquelle s’en associe, il est vrai, un grand nombre d’autres, secondaires et accessoires. En eflet, la position assez agréable de cette commune et la fécondité de son sol, dans tous les genres de produits, en firent dans tous les temps ambilionner la propriété par toutes les classes des propriétaires. T'rois maisons se la par- tageaient jadis en grande partie, et alors elle était bien, quoique son site et tous les accessoires fus- sent, à quelques modifications près, ce qu'ils sont aujourd’hui. De ces trois maisons, le tempsen a fait disparaître une, et a restreint les deux autres dans leurs possessions. Tous ces biens se sont di- visés à l'infini, en passant successivement dans nombre de mains; de sorte qu'aujourd'hui on compte à la Motte près de soixante propriétaires DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 1Ât Lé forains, pris dans toutes les classes de la société. Le fermage des fonds était alors proportionné à la valeur foncière et aux prix des denrées. Tout était dans un rapport parfait : le propriétaire était bien payé, et le fermier à l'abri du besoin , quoique payant le 4 et même le 5 des biens qui lui étaient affermés. La hausse toujours croissante de la va- leur foncière est venue peu à peu rompre la juste proportion établie entre elle et le prix de ferme : un domaine qui aurait été vendu, il y a quarante ans, 20,000 liv., en vaudrait aujourd'hui 30,000 et même 40,000. Alors, soit en denrées, soit en ar- gent, il était affermé de 800 à 1000 liv.; et au- jourd'hui , on exige qu'il en rende 2000 , parce qu'il en coûte ou qu'on l’évalue 40,000. Le prix des denrées sur lequel compte le fermier pour payer le propriétaire, a-t-il augmenté en propor- tion? Non, sans doute. On ne songe pas que l'élé- vation de la valeur des fonds se rattache à plusieurs circonstances étrangères à celles de leurs produits: le fonds, dans nn pays essentiellement agricole, fixera toujours les regards du capitaliste, comme lui offrant une sécurité qu'il ne peut avoir ni dans le commerce, ni dans aucune branche d'industrie, source de prospérité publique , il est vrai, mais qui, en l'état, ne saurait encore parmi nous fixer la confiance. Par l'effet de la révolution française, la Savoie se trouvant placée sous les conditions les plus 142 PRÉCIS favorables À l’éconlement de ses produits agrico- les, dont la valeur tonjonrs soutenue donna à l'agriculture une impulsion par laquelle elle s’est plus étendue que perfectionnée, on apprit par là ce que valaient les biens, et les banx se dressè- rent en conséquence, pensant faussement que cet état de choses pouvait et devait durer. La Savoie rendue à ses premiers Souverains, ainsi que le Piémont et l'Italie, l'écoulement de ses denrées se restreignit avec les limites de la France; ses routes n'offrirent plus le mouvement que leur donnaient les passages militaires et le roulage du commerce , qui s'opéraient sur son plus grand diamètre, du Pont-Beauvoisin au som- met du Mont - Cenis. Un fait que l'histoire doit conserver, © est que la plus grande partie du com- merce du Levant avec la vaste France impériaie, s’est faite, pendant plusieurs années, sur la Sa- voie, alors département du Mont-Blanc. Nous avons dit que ce pays n'était qu'un pays agricole , que ses principales ressources , consis- tant dans les produits de l'agriculture, la propriété fixait l'ambition des capitalistes, el gagnait progres. sivement en valeur. Nons ajouterons que, par l'effet de son climat, la marche très-anomale des saisons, la forme basse et resserrée de ses vallées, le déboisement de toutes les montagnes qui les limitent, les récoltes y sont peu assurées. La grêle , la gelée et les inondations n'y sont pas DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 145 rares , et surlout sur la commune de la Motte, dont il est particulièrement question ici. Ces ca- sualités donnant peu de fixité à la quantité et à la valeur de nos produits, nous exposent à deux ex- trêmes qui, sans avoir les mêmes inconvéniens, sont toujours à redouter, l'extrême misère et l’ex- trême abondance. Dans le premier cas (le plus fâcheux sans doute), le fermier non - seulement ne payera pas sa cense , mais encore il aura peine à faire subsister sa famille. Dans le cas contraire, qui n'est pas très-commun en Savoie, tout Lombe à vil prix, et le fermier qui paye sa cense en ar- gent, n'est pas sans embarras pour y satisfaire ; el après tout, il lui restera peu pour vivre. Le vin et le froment sont les deux principaux pro- duits sur lesquels compte le fermier pour payet sa cense. Comment fera-t-il , lorsque le premier sera à 24 fr. le tonneau (450 litres), et le der- nier entre 15 et 14 fr. le veissel (150 liv. poids ordinaire), ainsi que nous l'avons vu quelquefois ? Son bail à ferme faussement basé sur la valeur du sol, plus que sur celle de son produit, absorbera le tout, qui peut-être ne suffira pas pour y faire face. Nous verrons la ruine du cultivateur censier se compléter, si nous considérons combien ont ang- menté les frais de l'agriculture par la hausse du prix de tous les instrumens et objets divers qu’elle réclame, par les maladies ou la mort d’une ou de 144 PRÉCIS plusieurs pièces de son bétail, leur dépréciation , etc. : car, nous pouvons le dire, le bétail d'un fermier pauvre et malheureux ne pent être que pauvre et bien malheureux lui-même. En parlant ainsi des propriétaires, je suis loin de les accuser tous : il en est qui, guidés par la raison, la justice et l'humanité, savent apprécier avec équité toutes les charges qu'ils imposent à leurs fermiers, et ne prennent pas pour base Ja rente au cinq pour cent du capital qu'ils pour- raient retirer de la vente de leur domaine: ils se bornent au trois et exigent rarement le quatre, ou bien le louent à moitié-fruits. Les fermiers qui ont le bonheur d’appartenir à de tels maîtres, s'ils sont probes, sans vice ct laborieux, non-seulement peuvent bien vivre, mais encore se faire des éco- nomies. Arrive-t-il d’ailleurs un accident grave qui dévaste tout, tel que la grêle du 18 juillet 1824, ils trouvent en eux des soutiens et des protecteurs. Je connais des propriétaires , aisés il est vrai, qui, à la suite de ce terrible fléau, non-seulement firent quittance de tout ce que leur devaient leurs cen- siers, mais leur fournirent encore les moyens de s'alimenter et d’ensemencer , jusqu'à la récolte suivante. Je ne crains pas de le dire , le nombre de ces propriétaires est bien limité : on ne les rencontre que parmi les plus aisés et qui sont guidés encore par des principes de justice et par des sentimens DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 145 d'honneur et d'un amour-propre bien placé, par l'effet desquels ils s’identifient avec leurs fermiers, les regardent comme partie de leur famille , les encouragent au travail , excitent leur émulation par les bénéfices qu'ils y trouvent, et parviennent enfin à les maintenir dans les principes d'une saine moralité, que le besoin et la misère portent à enfreindre si souvent. Mais, depuis que, par l'effet de nombre de cir- constances que personne n'ignore , la propriété divisée à l'infini a été mise à la portée de toutes les classes et de tous les degrés de fortune, l'amour de la possession foncière est devenu un besoin qui préoccupe de loin toutes les têtes. On commence par un genre d'industrie quelconque, artisans, commercans , usuriers même, (ce n'est pas là la source la moins féconde d'un grand nombre de fortunes foncières dans la classe com- mune ) : tous ne songent qu'à posséder et finissent par y parvenir; de sorte qu'aujourd'hui il est peu de grands possesseurs, mais le nombre des petits est devenu considérable. La plupart de ces pro- priétaires , possédant pour Ja première fois , se croient plus riches qu'ils ne le sont dans le fait; les uns négligent leur industrie , pour vivre en rentiers; les autres, toujours plus ambitieux, ne songent qu'à agrandir leur fortune, en exploitant à la fois et leur nouvelle propriété et le genre d'industrie qui la leur à procurée. Les uns et les 10 146 PRÉCIS ï autres, comptant sur le revenu au cinq pour cent du capital qu'ils ont placé en biens-fonds, impo- sent à leurs censiers des conditions telles qu'ils arrivent à leur but; il suit de Ià que le pauvre fermier, malgré tous ses efforts, ne pent satisfaire à ses engagemens qu'en se dépouillant de tont ; ou , s'il se réserve de quoi subsister , son maître n'est qu'en partie satisfait, Poursuivi pour ses arré- rages, il se voit forcé de sortir de la ferme plus misérable que lorsqu'il yest entré. Alors, man- quant d'asile, de travail et de pain , il cherche, à tout prix, les moyens de vivre en travaillant; il afferme une antre métairie sous les mêmes con- ditions que la première (trop heureux encore de la trouver ) , de laquelle , au bout de l'an , il se voit forcé de sortir, toujours plans misérable. Ainsi se passe la vie de nombre de fermiers, qui, man- quant de fonds et d'avance , végètent d'année à année, en changeant chaque année de maître; et Jlorsqu'enfin ils n'en trouvent plus, les membres de la famille jeanes et forts deviennent domes- tiques , les vieux et les enfans deviennent men- dians. Cependant, je dois le dire : en accusant un grand nombre de petits propriétaires de coopérer, par leurs injustes et exhorbitantes prétentions, à la misère de leurs fermiers, je ne dissimulerai pas que sonvent on ne doit en accuser que les fer- miers eux - mêmes. La mauvaise foi, l'oisiveté ;, DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 147 l'ivrognerie et tous les désordres qui s’en suivent, sont les véritables sources de la misère d’un grand nombre, et ne sauraient leur permettre de rester long-temps sous les yeux du propriétaire, même -le plus équitable et le plus humain. Ces malheu- reux, une fois connus, ne trouvent plus à se pla- cer; forcés de quitter leur commune, ils émigrent dans une autre avec tous leurs vices, où le même sort les attend, et finissent enfin par justifier le proverbe, qu'il n'est pas de gueux sans cause. VI. La grande population de la commune de la Motte-Servolex, le très-petit nombre de paysans propriétaires, même d'une chétive chaumière, les nombreux mariages entre pauvres, leur mollesse, leur apathie et leur grossière ignorance, les atta- chant de plus en plus à leurs misérables foyers, leur Ôôtent tout courage et toute énergie; inacces- sibles aux sentimens généreux d'une louable am- bition, qui portent à profiter du bel âge pour se créer quelques ressources dans l'avenir , ils n'osent ni émigrer, ni se livrer à nn genre d'in- dustrie quelconque, comme le font avec tant de succès la plupart de nos habitans montagnards ; ils languissent et végètent dans le cercle étroit des besoins du jour, qui, quoique limités à ceux de la plus stricte nécessité, sont loin d'être toujours sa- tisfaits. C'estavec le même esprit d'aveuglementet d'imprévoyance que la plupart s'engagent témérai- rement dans le mariage, sans asile et sans autres 148 PRÉCIS moyens de subsister, que le chétif produit d’une journée de travail agricole; aussi n'existe-t-il pas de commune rurale renfermant autant de loca- taires : le coin le plus resserré, le plus obscur et le plus malsain de la plus pauvre chaumière, ne reste nulle part inhabité. Ces ménages très-nombreux dans la paroisse de la Motte, tous constitués sous l'égide de la Pro- vidence , n'ayant pour se soutenir que Île faible tribut journalier de leurs mains, qui encore leur manque souvent, acensent à des prix extraordi- naires de petits lambeaux de terrain, dont ils sou- tiennent la fécondité par de chétifs écobuages, ou par des boues et immondices recueillies dans les chemins, et transportées à leur porte dans des ré- servoirs , où elles s’incorporent et se mürissent en passant par tous les degrés possibles de fermen- tation, dont les émanations vicient et corrompent l'air. Cette cause d'insalnbrité est peut-être la plus réelle et la plus commune parmi nos campagnards, pauvres ou riches, n'importe; on voit partout et dans tous les temps des bourbiers formés par les -égoûts des écuries , dans lesquels s'entassent les famiers et autres matières putrescibles; des mares d’eau corrompue, qui se dessèchent par évapora- tion en temps chaud, et se remplissent en temps pluvieux. Si l’on pénètre dans le réduit de ces pauvres babitans, on voit que la plupart occupent le rez- DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 149 de-chaussée, auquel une terre humide sert de plancher , sur laquelle est placé leur grabas, et toujours dans le coin le plus obscur où l'air et la lumière n'ont qu'un étroit et faible accès. Là se trouvent accumulées leurs chétives provisions , bornées le plus souvent à quelques sacs de pom- mes de terre et de raves ; près de là se trouve encore une vache pour celui qui peut la nourrir, car la plupart n’en ont pas les moyens. VII. D'après ce rapide exposé des principales causes de misère que j'ai reconnues et bien ob- servées parmi un très-grand nombre de familles pauvres de la commune de la Motte, et qui attei- gnent en plus ou en moins la plus grande partie des fermiers, on jugera facilement, par le degré d'inertie et de débilité qu'elles impriment aux systèmes des forces physiques et morales, de toute leur influence dans la production des ma- ladies de différentes espèces qui aflligent chaque année cette commune et principalement la classe ouvrière et pauvre ; on comprendra sans peine que l'homme mal nourri, mal vêtu , n'ayant pour étan- cher sa soif qu’une eau insalubre, accablé du matin au soir sous le poids des plus pénibles travaux , qui lui causent d'énormes déperditions, ne saurait présenter aux causes des maladies et surtout des fièvres intermittentes , cette force de résistance que leur oppose l'homme fort et bien tenu. Aussi le voit-on succomber dès qu'elles agissent sur lui. 150 PRÉCIS En vain la médecine vient-elle à son secours: elle triomphe d’abord du mal par la vertu vivifiante de l'écorce du Pérou; mais à peine en a-t-il cessé l'usage, qu'il retombe bientôt, parce que les mé- mes conditions et les mêmes circonstances éner- vantes l’environnent. J'entends de toute part accuser les marais de toutes les fièvres qui désolent la commune de la Motte. Certes il n'appartiendrait pas à un méde- cin de s'inscrire contre une accusation aussi bien fondée ! La nature de sa condition le met à même, plus que personne, d'en apprécier toute la funeste influence qui, bien reconnue et bien attestée de- puis la plus hante antiquité , ne peut plus être mise en question. Mais iei cette question se com- plique; elle ne se renferme plus dans la considé- ration d'une surface marécagense dont les émana- tions seraient bien reconnues pour être seules la cause de l'insalubrité des lieux qui l’environnent, et dont le parfait dessèchement deviendrait le seul remède : elle s'agrandit en embrassant nom- bre d'antres considérations majeures, inhérentes à la nature du sol, surtout à la position de la val- lée et à tous les accidens irrémédiables qu'elle éprouve plusieurs fois l’année, et que, dans l'état des choses toujours croissant, elle éprouvera de plus en plus. Pour développer et faire ressortir la valeur de toutes ces considérations , il me paraît utile de DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 154 proposer la solution des deux questions suivantes, savoir : 10 Est-il possible d'obtenir le dessèchement parfait de tout le marais de la Motte - Servolex ? 29 Ce dessèchement parfait, supposé obtenu, aura-t-il pour effet certain l'extinction des endé- mies fébriles qui afligent cette commune chaque année ? ou en d'autres termes : Ces endémies ne sont-elles pas produites par d’autres causes étran- gères au marais ? Je m'arrêterai peu à la première question, vu que la solution en appartient particulièrement à un genre de connaissances qui n’est pas le mien. Je me permettrai seulement d'élever, à ce sujet, quelques doutes fondés sur les raisons suivantes. 1° Cette plaine humide et marécageuse, de quel- ques centaines de jonrnaux, placée au nord-est du plateau de Servolex, resserrée entre ce plateau et le lit du torrent de l’Aisse plus élevé qu’elle, limitée au sud-est par le Nan-Bruyant, torrent moins impétueux dont j'ai déjà parlé , terminée an nord - ouest par l'extrémité sud du coteau du Trembley, lequel se trouve séparé du plateau de Servolex par une large et profonde échancrure , au fond de laquelle roulent toutes les eaux qui s'écoulent de la colline du Noirai et de Barbi, d'un fonds reposant partout sur un grès vulgaire- ment dit mollasse, et par là même toujours humide et marécageuse, où arrivent encore une partie des 152 PRÉCIS eaux qui s'écoulent de la montagne et qu'y dirige la grande combe qui en descend entre les hameaux du Villard et de Montangé ; cette plaine, dis-je, ainsi séquestrée entre trois torrens et la pente d'une colline, offre un carré long dont les bords qui limitent les torrens, sont beaucoup plus élevés que le centre et la partie que borne la colline. Cette disposition s'augmente progressivement par les dépôts qu'y laissent les débordemens. Aussi la partie proprement marais s’éloigne-t-elle peu à peu des torrens; elle se borne à la partie cen- trale et au bord du plateau de Servolex , qui se trouve comine enfoncé, et ne se dessèche jamais complètement par défant de pente. 2° Considérée dans la nature de son fonds et de son produit, toute cette surface peut se diviser en trois parties bien différentes , sous ce double rapport : le tiers placé au sud se compose d’un fonds riche et profond, arrosé par des sources fé- condantes qui y excitent une active végétation en foin et en blache , dont la rente est au moins égale ; si elle n’est supérieure , à celle d'un ter- rain cultif de bonne qualité. Toute la partie qui longe la rive gauche de l'Aisse, et qui en fait le second tiers, peut plutôt être considérée comme prés que comme marais ; et déjà quelques portions y sont cultivées. Le troisième tiers, placé sous la pente du plateau de Servolex , est un marais de la plus méchante espèce. 11 se compose d'une DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 153 croûte mince reposant sur des fondrières d’une profondeur inappréciable. On ne saurait s’y aban- donner toujours impunément; on ébranle sa sur- face mobile à plusieurs toises autour de soi, et l'on court le risque d'y pénétrer profondément. Cette partie du marais de la Motte-Servolex est formée et entretenue par des sources locales per- manentes d'eau ferrugineuse , qui la rendent complètement stérile, et dont la profondeur est inconnue. Elle est d'ailleurs la portion du marais la plus basse ,:et conséquemment celle sur laquelle s'égouttent toutes les autres. 3° Pour obtenir le parfait dessèchement du marais en question, des fossés profonds seront pratiqués dans les directions les plus favorables à l'écoulement des eaux; mais la pente trop minime , si toutefois il en existe, ne saurait le permettre, à moins que ces vastes conduits ne soient prolongés très-loin, et de profondeur à atteindre les sources locales ; laquelle devra en- core s'augmenter à mesure qu'ils s'éloigneront d'elles, pour produire nne pente artificielle. 4° On a vu, par la description que j'ai donnée de ce marais , qu'il est longé sur son grand côté, nord et nord-ouest, par le torrent de l’Aisse, qui, dans toutes ses crues un peu considérables et assez fréquentes , s'y déverse et l’inonde ; que le torrent appelé Nan-Bruyant, qui longe son extrémité sud, a son embouchure dans l'Aisse , 124 PRÉCIS presque à angle droit, s’en trouve repoussé et souvent jeté dans la prairie. Ce dangereux conflit impose à la commune et aux propriétaires inté- ressés de grands travaux de défense, chaque an- née , et qui sont loin de résister toujours au choc des deux torrens. On a dû voir encore que son extrémité nord , aboutissant à la grande échan- crure entre le coteau du Trembley et le plateau de Servolex, reçoit toutes les eaux qui s’écoulent, soit d'une partie de la montagne , soit de la col- line de Barbi, lesquelles viennent s’y épancher et y répandre leur dépôt dans leurs grandes crues. De cette courte et exacte description, on pent conclure qu'il est impossible d'obtenir le dessè- chement parfait d’une surface ainsi placée et en- vironnée de tant de sources d'une humidité per- manente. J'appellerai encore l'attention sur la plus im- portante de ces sources , le torrent de l'Aisse ; et à ce sujet, je répéterai ici ce que j'en ai dit dans quelques observations touchant l'influence de l'état des montagnes sur les pentes ct les vallées, et particulièrement sur les dangers qui menacent la ville de Chambéry et son bassin. ( 7. le Tom. I des Mémoires de la Soc. Ri° Ac. de Savoie , page 48.) « Lorsqu'on jette un coup d'œil sur l'immense surface dont toutes les eaux se dirigent nécessai- DE TOPOCRAPHIE MÉDICALE. 155 rement sur la ville de Chambéry , on ne peut se refuser à un sentiment de crainte et d'inquiétude, que le défant de réflexion , l'ignorance, ou la froide indifférence peuvent seules repousser. Pour en donner une idée, déroulons rapidement le vaste tableau des lieux qui y déchargent leurs eaux : le bassin de La Thuile et les hautes mon- tagnes qui l’environnent ; les paroïsses de Cu- rienne, de Thoiry, de Puisgros; les énormes montagnes de Galoppaz et de Margeriaz ; tout le col du Pré et celles qui l’encaissent; le col du Désert et les montagnes qui le limitent ; St- Jean-d’'Arvey et sa montagne; Verel, St-Alban , Bassens et le mont de Nivolet. Toutes ces com- munes et leurs montagnes sont au nord et nord- est de la ville. Si nous y ajoutons celles qui bornent le bassin au sud et au sud-ouest , et qui s'étendent depuis Grenier jusqu'à St - Cassien , nous trouverons les communes montueuses d'A- premont, de St-Baldoph, du Petit -Barberaz et de Montagnole , et toute la chaîne des hautes montagnes placées à leur couchant. Ajoutons encore la remarque importante que toutes ces régions élevées se couvrent pendant l'hiver d’une énorme quantité de neige , laquelle peut se fon- dre tout-à-coup sous l'influence d'une pluie . chaude amenée par le vent du midi. Par toutes ces circonstances , qui peuvent se trouver réunies d'un moment à l'autre, peut-on sans frémir se 156 PRÉCIS représenter l'énorme masse d'eau qui sera versée sur la ville? Croit-on que le lit de l’Aisse , élevé sur plusieurs points à la hauteur de ses digues, pourra la contenir? L'expérience a déjà prouvé plusieurs fois que ce redoutable torrent savait les franchir ou les renverser. à os UE HE LEP 1 UE 207 ARR PORTE E0T 7 ETATS CENT « Si en quittant la ville nous tournons nos regards et nos réflexions sur la belle vallée de Bissy, de la Motte, de Ste-Ombre , de Voglans ét du Bourget, on ne peut que s'attrister à la vue du danger qui la menace. En effet, le torrent d'Hyère qui, à quelques pas de Chambéry, se réunit à celui de l’Aisse, en double quelquefois le volume. Or, dans la réunion des circonstances que nous venons de supposer , il doit en résulter un volume d'eau tel que toute la plaine en sera couverte : les villages de Villarché, celui du Cheminet et toutes les belles propriétés qui les entourent seront submergées chaque année , tant qu'on ne travaillera pas à restaurer les bois de nos montagnes. » En revenant à la commune de la Motte et an dessèchement de son marais, qui font l'objet principal de ce Mémoire, nous ajouterons que , non-seulement cette commune est exposée à tous les débordemens des torrens réunis dont je viens de parler , mais que de plus sa partie basse reçoit seule toutes les eaux qui tombent de la montagne DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 157 de St-Sulpice, de la Motte et de toute la surface de ces deux communes , lesquelles réunies for- ment les deux torrens du Van-Bruyant et celui qui passe sous le pont de la Côte-Chevrier et longent les deux extrémités du marais en question, qu'elles inondent chaque année plusieurs fois. VIII. De tout ce qui précède, il est permis de conclure qu'il n’est pas possible d'opérer un dessèchement durable et parfait du marais de la Motte-Servolex, et qu'en ne l'exécutant que d’une manière incomplète, l'opération n’en deviendrait que plus funeste à la santé, et porterait un no- tabie préjudice à l'agriculture , en lui ôtant une ressource qui ne sera remplacée par aucune autre. Car un marais desséché imparfaitement et exposé à des inondations annuelles , n’est plus ni marais ni terre arable. La culture des céréales y devient nulle ; séjour habituel d'humidité et de brouil- lards , on n'y récolte que de la mauvaise paille sans grains. Les pommes de terre y deviennent de mauvaise qualité et y sont exposées à la pour- riture ; le maïs seul y pourrait prospérer, si les inondations ne venaient le détruire. Le printemps est pour nous la saison la plns pluvieuse; c’est dans son cours qu'on cultive le maïs, dont la culture exige plusieurs labours. Qu'on se repré- sente tout ce qu'une terre humide , remnée plu- sieurs fois, et desséchée ensuite plus ou moins complètement , selon l'intensité des chaleurs de 158 PRÉCIS l'été, succédant aux pluies du printemps, répan- dra dans l'atmosphère de principes et de miasmes malfaisans. On travaillerait ainsi en faveur des effets qu'on se proposerait de détruire , et qu'on rendrait même plus énergiques. Pour répondre à la seconde question, je sup- poserai , pour un moment, la possibilité du des- sèchement parfait de toute la plaine en question. Croira-t-on avoir mis, par là, les habitans de la Motte à l'abri des maladies et de la misère ? Qu'on ne s’y trompe pas : on aura avec certitude agravé le mal. D'abord, cette grande surface toute défrichée ne sera propre qu'aux productions du printemps. Les nombreux travaux qu'elles exigent y fixeront le cultivateur , tant pour labourer, ensemencer, monder, butter ; etc., que pour récolter, durant toute la saison des travaux agri- coles. Nous avons déjà remarqué que cette sur- face basse, environnée d'eau de toutes parts, est toujours humide et brumeuse ; or, un séjour réitéré et prolongé dans une telle atmosphère, ne peut être qu'extrêémement nuisible. A l'état de marais , telle qu'elle a été jusqu'à ce jour, elle n'est approchée qu'une fois l'an , à l'époque du fauchage , qui se fait les premiers jours d'août; hors ce temps , personne ne la fréquente que les chasseurs et les bergers. Ajoutons encore qu'un terrain habituellement humide, comme celui-là doit l'être, maloré les moyens d’égouttement les DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 15g mieux entendus , fréquemment remué et soumis à des alternatives d'humidité et de sécheresse, charge l'atmosphère d'une masse de principes malsains, beaucoup plus grande que ne le ferait une surface marécageuse restée paisible et sans agitation. IX. C'est dans la paroisse de la Motte même que je puiserai les observations à l'appui de cette vérité : la maison dite aux Perrouses , appar- tenant à M. le comte de la Chavanne , est de- venue, depuis quelques années, le séjour habituel des fièvres intermittentes simples , lesquelles sé- vissent également sur les habitans de la colline de Barbi. Cette portion de la paroisse, loin des marais de Servolex, située au levant, sur un plan incliné, fournie en bonnes eaux, bien cultivée et bien boisée , était naguère la partie la plus saine de la paroisse. Elle avait alors d'assez grandes surfaces marécageuses et constamment humides ; la culture s’en est emparée partout ; le dessèche- ment en a été facile, par l'effet d'une pente plus que suffisante, Chaque année, au printemps, tous ces terrains conquis à la culture sont travaillés et ensemencés en maïs , légumes, pommes de terre, et même en chanvre, genre de culture qui exige de remuer la terre nombre de fois et tou- jours dans une saison généralement humide. C’est ainsi que se cultive la grande pièce placée entre la route du Bourget et les Perrouses , et qui n’é- tait, il y a peu, que prés humides et blaches, 160 . PRÉCIS ombragés sur plusieurs points de touffes de gran- des vernes. Je suis convaincu , en mon particulier , de la réalité de cette cause ; et je pourrais appuyer mon opinion sur nombre d’autres faits analogues, parmi lesquels je choisirai le suivant, qui m'est personnel : En 1822, au mois d'août , époqne d’une séche- resse remarquable , je fis creuser un puits à la porte d'une maison fermière , à la profondeur de 33 pieds ; toute la terre qu'on en sortit fut dé- posée en tas dans la cour, où elle se dessécha. En septembre suivant , la presque totalité des individus de la ferme , grands et petits, furent attaqués de fièvres intermiltentes sous divers types , et le chef de la famille en faillit périr. Chose encore remarquable, trois ouvriers macons, étrangers à la ferme , qui avaient travaillé à l’ex- traction de la terre et à la fabrication du puits, en furent exempts , parce qu'ils quittèrent l’en- droit avant le dessèchement de la terre extraite. Considérons maintenant la position de toute la partie basse de la commune de la Motte, rela- tivement à toutes les sources locales d’insalubrité qui l'entourent , abstraction faite de celle dn ma- rais dont on projette le dessèchement , lequel je suppose même rendu en entier à la culture, ou mieux encore n'avoir jamais existé, et voyons si son état sanitaire en serait meilleur, DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 161 X. La vaste commune de la Motte, placée en grande partie sous la forme d’amphithéître, au penchant et au levant de la montagne d'Epine, depuis le sommet de la montagne jusqu’au centre de la vallée, peut se diviser en deux parties bien distinctes et bien diflérentes sous le rapport sa- nitaire : une basse et l’autre élevée. La première, plus populeuse , est habitée par les deux tiers environ des habitans de la commune. Ainsi que je l'ai déjà dit , elle reçoit, dans cette situation, toutes les eaux qui s’écoulent de la montagne, et dont l’action et le temps ont creusé les vastes combes qui sillonnent la partie élevée de la com- mune. Elle est encore le point sur lequel se ver- sent toutes les eaux qui tombent de la commune et de la montagne de St-Sulpice. Aussi, dans les grandes crues, tout est inondé, même l’an- cienne route du Bourget, qui la traverse dans sa longueur. Le fougueux et impétueux torrent de l’Aisse, dont j'ai déjà signalé les funestes effets sur cette vallée, la transforme, plusieurs fois l'année, et surtout au printemps, en un véritable lac. En rentrant dans son lit, ce torrent laisse de vastes et nombreuses mares et tous les fossés remplis d'eau, qui n'a d'autre écoulement que la voie de l'évaporation, par l’action toujours lente du soleil. Ces nombreux dépôts d'eau sta- gnante et corrompue deviennent autant de four- milières d'insectes et de plantes aquatiques ; qui 11 162 PRÉCIS pourrissant dans leur fond vaseux et desséché, répandent dans l'atmosphère les plus funestes émanalions. Ajoutons encore que le large et tor- tuenx lit du torrent, soumis à des alternatives de réplétion, de vacuité et de dessèchement parfait, ne contribne pas peu à en grossir la masse. Placée à l’ouest du centre de la vallée, cette commune est exposée aux vents nord et nord-ouest, qui lui portent les émanations qui s'élèvent de toute la is du Bourget, des nombreux défrichemens qui s’y opèrent, de tous les marais qui bordent le lac et passent, chaque année, de l'inondation par la hausse des eaux, à un dessèchement complet par leur retraite, pendant les chaleurs de l'été. Si nous considérons cette même portion de la commune de la Motte du côté du sud, nous trouverons la vaste plaine de Bissy, toujours hu- mide et marécageuse , tous les délaissés des deux torrens de l'Hière et de l’Aisse, qui passent à leur tour d'un excès d’eau à une entière dessication et fournissent d’abondantes émanations dont les vents du sud et du sud-est portent l'impression sur tous les hameaux de la partie basse de la com- mune, qui, de quelque côté qu'on l’envisage, est de toute part environnée d’eau plus stagnante que courante, Le terrain en est partout humide et marécageux sur plusieurs points; elle est le séjour habituel des brouillards, des vapeurs et d'une atmosphère constamment humide. DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 165 Si nous parcourons le pourtour du plateau de Servolex, placé au milieu de la plaine et au centre de la commune , nous le trouverons par- tout formé de terrain humide et marécageux, dont une grande partie a été égonttée el mise en culture. Au midi, une pièce d'environ 80 journaux, appartenant à M. Marin ; au couchant, une pièce également d'une vaste étendue , ap- partenant à M. le comte de La Chavanne ; l’une et l'autre pièce humides et marécageuses , ont été, depuis peu d'années , desséchées et cultivées. Tout près de là se trouvent la carrière de lignite et la fabrique de briques et de tuiles. L’exploi- tation de la première expose chaque jour des tas de terre humide à l’action de l'air et du soleil. Cette terre , extraite de plusieurs galeries profondes, est apportée à l'air, chargée non-senlement de beaucoup d'humidité, mais encore d’une quantité de détritus végétaux en décomposition, dont les principes entraînés par l'évaporation ne peuvent que vicier l'atmosphère. Nous ferons remarquer , au sujet de l'exploi- tation du lignite dont il s’agit, que la carrière, placée dans un sol d’une pente extrêmement droite et rapide, se terminant au sommet par une surface plane, on s’est déterminé à ouvrir les galeries vers le milieu de la surface en pente, en les dirigeant horizontalement et à de grandes profondeurs ; d’où il suit qu'une masse énorme 164 PRÉCIS de terre pèse sur elles et doit faire craindre les éboulemens. J'aime à croire que les hommes qui dirigent cette exploitation sont assez prudens et assez instruits pour tout prévoir; mais comme des accidens de ce genre se sont présentés plus d’une fois, même sous la direction d'hommes éclairés, je pense qu'il serait du devoir d’une sage police de faire surveiller ces travaux par un ingénieur. On ne s’offensera point, j'espère , de ma réflexion, ou tout au moins on me la pardonnera en faveur du motif qui me l'a suggérée. Revenons à notre objet : je viens de dire que; depuis douze à quinze ans, de vastes défriche- mens de terrains humides et marécageux se sont opérés dans la partie basse de la commune de la Motte et sur tous ses environs, lesquels nous voyons s'étendre de toutes parts chaque année ; que là où il y a pente , les fossés d'écoulement sont mal entretenus ; que là où il n’y en a que peu ou point, on se borne à cerner la partie à défri- cher par des fossés dont on élève le bord de son côté ponr empêcher l’eau de s’y répandre. N'ayant point d'écoulement , elle s'y arrête jusqu'à ce que la chaleur en ait opéré l’évaporation et desséché le fond vaseux ; que ces terrains livrés à l’agri- culture sont particulièrement travaillés au prin- temps, saison toujours pluvieuse, et ensemencés des productions de cette saison ; que, malgré tous les travaux propres à les égoutter, leur position DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 165 basse qui y appelle les eaux de toutes parts, les maintient dans un état d'humidité permanente, Par l'effet de toutes ces circonstances, il résulte que la terre, au moment d'être travaillée , est presque toujours imprégnée d’eau en plus ou en moins, condition défavorable sous plus d'un rap- port. Elle est nuisible au produit, vu que la terre, dans cette disposition, se tasse et ne s’ameublit point; elle vicie l'atmosphère, en préparant aux chaleurs qui vont suivre de grandes surfaces à dessécher. D'ailleurs, comme déjà je l'ai fait re- marquer , le genre de productions convenable à de semblables localités réclame diverses opéra- tions agricoles successives, qui toutes consistent à remuer la terre et à renouveler ainsi les foyers d'émanations. De tout ce qni précède, je crois avoir le droit de eonclure que les fièvres inter- mittentes devenues plus communes dans la pa- roisse de la Motte, ont pour cause disposante l'affaiblissement corporel, suite d'épuisement par le travail sans réparation suffisante , et pour cause développante, l'influence d'une atmosphère bru- meuse, humide et de plus viciée par d’autres principes malfaisans, gazeux et volatils, auxquels Fhumidité sert de véhicule. XI. Depuis trente-quatre ans que, comme médecin, je visite cette belle commune, je puis réclamer l'autorité de l'observation qui me fournit des époques comparatives bien différentes sur son 166 PRÉCIS état sanitaire. Les fièvres intermittentes y ont toujours régné, en automne surtout, mais seule- ment d'une manière simplement sporadique ; tan- dis que , depuis quelques années, elles yrègnenten quelque sorte épidémiquement , pendant presque toute l’année, et surtout durant l'été et l'automne. Où chercherons-nous la raison de cette différence? Est-ce dans la présence des marais? Ceux de Ser- volex qu’on accuse seuls et dont on médite le des- sèchement, ont toujours existé. Je divai plus : ils étaient plus vastes et plus méchans; car les dé- bordemens et les inondations qu'ils éprouvent si souvent, y laissent des dépôts qui en élèvent la surface et les changent insensiblement en prés, comme il est facile de l’observer sur une grande partie de leur circonférence. Et d'ailleurs, ne doutons pas qu'avee le temps ils ne se comblent et ne disparaissent : tel est le sort des basses val- lées environnées de hautes montagnes nues, dé- boisées et si imprudemment défrichées, qu'elles doivent avec les siècles s'élever et leurs bas-fonds s’aplanir par les débris qu'elles en recoivent cha- que jour. Pour résumer en peu de lignes et par là rendre plus clair tout le contenu de ce Mémoire, relatif à la commune de la Motte-Servolex, je dirai, 1° que la disposition de la partie basse de cette com- mune, considérée dans Ja nature de son sol et sa position topographique, par laquelle elle devient DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 167 nécessairement le réservoir de toutes les eaux qui s’écoulent d’une immense surface, tant en collines qu'en hautes montagnes déboisées , en feront tou- jours une région basse, humide, brumeuse et ex- posée à de fréquentes inondations ; 2° que les nombreux défrichemens qui, depuis quelques années , ont livré et livrent encore chaque jour à la culture une grande quantité de terrains humi- des et non susceptibles d’un dessèchement parfait, sont la principale cause des fièvres intermittentes simples , devenues plus communes ; 3° que le marais de Servolex, dont on projète le dessèche- ment, ny coopère que pour une faible part et seulement comme surface humide, mais beaucoup: moins nuisible qu'une terre de même nature, im- parfaitement desséchée et fréquemment remuée: je tire la preuve de cette vérité de la nature: simple des fièvres observées dans la Motte , vu que les véritables émanations marécageuses im- priment toujours aux fièvres qu'elles produisent un caractère nerveux, un génie malin qui les spéeifie ; 4° que le dessèchement parfait de ce: marais est impossible, même avec les plus grandes. dépenses et les travaux les mieux entendus ; 5° que cette tentative aura pour résultat de tripler les émanations, en remuant plusieurs fois l'année un sol toujours humide , devenu par là même im- propre à beaucoup de produits agricoles , et qui n'est susceptible que d'un très-petit nombre, qui 1638 PRÉCIS ne restera pas même sans de fréquentes casualités chaque année, et qu'enfin la santé et l’agriculture en recevront un notable préjudice ; 6° que la mi- sère d'un grand nombre de cultivateurs dans la paroisse de la Moite vient d'abord de ce qu'il en est peu qui soient propriétaires même d’une ché- tive chaumière; que le nombre des propriétaires forains est grand et de toutes les classes; 7° que la valeur foncière n'est plus en rapport avec celle de ses produits ; 8° que les baux à ferme , basés sur la première et non sur la seconde , sont in- justes, en imposant aux fermiers des engagemens qu'ils ne sauraient remplir , et les conduisent à leur ruine; 9° que la fréquence des maladies sur des familles sans avances et devant subsister cha- que jour du travail de leurs mains , les plonge rapidement dans la misère et leur fait éprouver le poids de tous les besoins réunis ; 10° que la mauvaise foi , Foisiveté , l'ivrognerie et tous les désordres qui en sont la suite nécessaire, en dé- moralisant et dégradant tous ceux qui s'y livrent, meltent le comble à tous les maux; 11° enfin; que, par toutes ces causes réunies , une grande partie de la population de la Motte se dégrade chaque jour de plus en plus au physique comme au moral. Le corps étant épuisé par la misère et les souffrances , l'ame reste sans projet , sans action et sans énergie , le moral sans autres sentimens que celui d'une animalité languissante , qui ne DE TOPOGRAPHIE MÉDICALE. 169 porte qu'à la recherche des moyens, quels qu'ils soient, propres à soutenir l'existence. La question du défrichement des marais en Savoie, vivement agitée depuis quelque temps, est encore loin d’être résolue ; sa solution repo- sant sur de graves et nombreuses considérations et réclamant d'importantes distinctions , je ren- voie à ce sujet au Mémoire que j'ai communiqué à cette Société, l’année dernière, ayant pour titre: Mémoire sur Les marais en Savoie, considérés sous le rapport de l'hy giène et de l'agriculture, lequel semble devoir naturellement faire partie de celui-ci, et dans lequel sont indiqués les moyens propres à en modérer l'influence , ainsi que les conditions d’où se déduisent l'utilité et les incon- véniens de leur dessèchement (1). (4) Ce Mémoire est inséré dans le présent Volume : voyez ei-devant page 49. 029939909999999999999999398%D00P0000000000P00080000D0000E LETTRE DE DL CALEOUD, PHARMACIEN A ANNECY, AGRÉGÉ A LA SOCIÉTÉ ROYALE ACADÉMIQUE DE SAVOIE , A MM. LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ, SUR LA PRÉPARATION DU BI-CARBONATE DE SOUDE ET DU SULFITE DE SOUDE. LUE A LA SÉANCE DU 10 FÉVRIER 1832, Mifièus y JE réclame votre indulgence ordinaire pour le peu d'importance des travaux que j'ai l'honneur de vous présenter. J’aurais vivement désiré qu'ils pussent offrir des résultats d’un plus grand inté- rêt ; mais les hommes d’un génie élevé , versés dans ce que la science a de plus profond, peuvent seuls constater ces faits qui échappent au vul- gaire , et en tirer des conséquences propres à agrandir le domaine de la science. Mon ambition ne s'est jamais élevée jusque-là : je me contente de répéter les travaux de nos maïîtres, et de m'as- surer si rien na échappé à leur sagacité ; je LETTRE DE M. CALLOUD. 171 cherche surtout à simplifier les procédés indiqués pour obtenir les préparations chimico - pharma- ceutiques, produits du monopole des grands ate- liers , et dont le prix peu élevé auquel on les livre , engage la plupart des pharmaciens à né- gliger, en cessant de les faire eux-mêmes, l'ap- plication des principes qu'ils ont puisés dans le cours de leurs études. Les bénéfices que l’on ob- tient en employant les préparations que l'on se procure dans le commerce , sont en général bien légers, puisque le plus souvent ces substances ne sont employées que par grains, et encore ne les oblient-on, selon moi, qu'aux dépens d’un bien grand sacrifice , celui de l'instraction, qui diminue sensiblement , à mesure qu'on néglige de s’en servir. Combien je jouirais si je pouvais voir re- venir le temps où chaque pharmacien (et il n'en était pas plus pauvre) avait son petit laboratoire, faisant lui-même toutes ou presque toutes ses préparations , et prouvait ainsi à la société qu'il était à la hauteur du titre qu'il possédait ! Je viens entretenir la Société Académique de la préparation du bi- carbonate de soude et du sulfite de soude. Ces deux produits ne s’obtien- nent ordinairement que par des moyens plus ou moins compliqués : je crois être parvenu à sim- plifier suffisamment ces procédés , pour que la publication puisse en être de quelque utilité. 172 LETTRE Bi - carbonate de Soude. M. Schmit, de Philadelphie, a obtenu ce sel en faisant passer le gaz acide carbonique avec pression dans une caisse hermétiquement fermée, contenant des cristaux de sous-carbonate de soude, qui passent insensiblement à l'état de bi - carbo- nate de soude. J'ai essayé de plusieurs manières, depuis denx ans, d'obtenir ce sel; et maintenant j'ai le même résultat, à l’aide d’une fermentation lente, sans le secours de la pression. J'ai pris une bonbonne en verre, de cinquante litres environ, que j'ai remplie aux deux tiers de matières fermentiscibles, délayées dans une quan- tité d’eau, telles que cerises, mûres, fruits, miel, etc., etc., et j'y ai adapté un tube en fer-blanc, qui va plonger dans un flacon, contenant un peu d'eau , afin de laver le gaz, et un autre tube de ce flacon , qui porte le gaz dans un grand bocal en verre blanc, à deux pouces de distance du fond; j'ai ensuite rempli ce bocal de cristaux de sous- carbonate de soude, de la grosseur d’un œuf. J'ai luté les deux premières tubulures au lut gras, et le dernier bocal a été luté avec celui de farine de lin. Aussitôt que la fermentation a commencé, j'ai reconnu la transformation des cristaux à leur blancheur, et le bi-carbonate qui s’est formé au DE M. CALLOUD. 175 fur et à mesure, n'ayant pas besoin de la même quantité d’eau de cristallisation , s'en est séparé et s’est rendu au fond du vase. J'ai reconnu ap- proximativement mon opération terminée par Ja quantité d'eau déposée au fond du vase. Ce travail a duré 10 à 12 jours, et la température élait con- venable. L'appareil étant démonté, j'ai pris chaque cris- tal devenu blanc et léger, et je les ai brisés avec les doigts, pour séparer la portion du centre, qui quelquefois échappe à la combinaison, et se sé- pare intacte comme le noyau de l’'amande. De là, j'ai exprimé le bi - carbonate dans un linge blanc, pour séparer l'eau qui contenait du sous-carbonate en solution, et l’ai fait sécher. Sulfite de Soude. Plusieurs médecins m’ayant proposé de pré- parer de l’eau saturée d'acide sulfureux, pour être employée au traitement de certaines maladies de la peau, je me suis occupé d'obtenir un sulfite soluble , lequel , étant dissous dans l’eau et dé- composé par l'acide sulfurique ou acétique , pro- cure un liquide très - chargé de ce gaz acide, mélangé d’un sel neutre qui ne peut point con- trarier l’action de ce médicament. PRÉPARATION. Prenez une cornue de verre; introduisez-y une 174 LETTRE demi-livre de sciure de bois ; versez dessus une livre et demie d'acide sulfurique; adaptez de suite un tube en verre ou en plomb , qui ira plonger dans un flacon à deux tubulures, contenant trois pouces d'eau ; un autre tube en verre recourbé, pour entrer à trois pouces dun fond d’un bocal en verre blanc, au fond duquel on placera un disque en bois, percé au milieu, et soutenu à deux pouces de hauteur; un autre disque à l'embouchure, aussi percé, pour servir de couvercle. Le tube ne doit aller qu'à fleur du disque du fond. On remplit le bocal de cristaux de sous-carbonate de soude, de la grosseur d'une noisette on d’une noix : lutez au lut gras toutes les tubulures, à l'exception de celle du bocal, qui sera au lut de farine de lin. Comme l'acide carbonique a besoin d’une issue, on placera à la partie supérieure du bocal un petit tube reconrbé, qui ira plonger dans une ligne de mercure placé dans un verre. La cornue sera placée dans une petite braisière sur un trépied. On met un peu de braises de four, et on augmente très - lentement le combustible autour de la cornue. Lorsque le dégagement cesse, on délute l'appareil, et l’on jète dans un mortier de pierre tout le contenu du bocal; le liquide, saturé d'acide, achève la combinaison des cristaux qui auraient échappé à la décomposition ; après avoir pilé un instant , on étend la pâte sur une assiette , pour la faire sécher rapidement à une DE M. CALLOUD. 175 douce chaleur ; on la divise ensuite par deux onces , qu'on ferme hermétiquement dans de petits flacons. Annecy, le 2 février 1832. CALLOUD. 2999399399999999909993999999990000001 0007102006 000000000€ 08 NOUVELLE DISSERTATION SUR LE PRINCIPE D'ACTION CHEZ LES ANIMAUX; PAR Uk Gall RAYMOND ; SECRÉTAIRE PERPÉTUEL ; LUE DANS LES SÉANCES DES 7 SEPTEMBRE ET 21 DÉCEMBRE 1832. #22} DE RCE LCA ÏL existe plusieurs opinions sur la nature du principe qui fait agir les animaux; elles peuvent se ramener à quatre principales : 1° le système des Cartésiens, qui considèrent les animaux comme de pures machines, dénuées de tout principe sen- sitif et intelligent ; 2° le sentiment de ceux qui attribuent aux bêtes une ame sensitive qui n'est ni esprit ni matière, mais d'une nature intermé- diaire entre ces deux genres de substances , qui est capable de sensations, mais entièrement privée d'intelligence; 3° l'opinion de Buffon , qui admet chez les animaux un sens intérieur, un organe matériel, siége des sensations et d'où naît ce qu'on appelle l'instinct , excité et dirigé par le senti- ment du besoin ; 4° enfin , le sentiment général des hommes de tous les temps et de tous les lieux, 12 170 DU PRINCIPE D'ACTION qui attribuent aux animaux nne ame proprement dite, immatérielle, qui péril avec le corps , d'une nature inférieure à l'ame humaine, mais capable de sensations et d’une certaine mesure variable d'intelligence, appropriée à chaque espèce, sus- ceptible d'être cultivée jusqu’à un certain point, qu'elle ne saurait toutefois dépasser. $ 4er, DU SYSTÈME DES ANIMAUX-AUTOMATES. Descartes a jeté dans les Ecoles modernes de Philosophie un grand sujet de controverse, lors- que, émettant son opinion sur le principe d'action chez les animaux, il lés a considérés comme de simples automates, chez lesquels il n’y aurait autre chose qu'un mécanisme assez parfait pour leur faire exécuter tous leurs mouvemens et détermi- ner toute leur conduite d'une manière qui tende an maintien de leur vie, chaque fois que ce mé- canisme serait mis en jeu par quelque cause in- térieure ou extérieure qui intéresserait leur propre conservalion. Ce sentiment, attribué chez les anciens à Dio- gène le Cynique, avait été renouvelé au milieu du xvI° siècle par Gomez Pereira, médecin es- pagnol, dans son premier ouvrage publié en 1554 sous ce litre, tiré des noms de son père et de sa mère : Antoniana Margarita, opus Physicis, Médicis ac Fheologis non minus utile quam CHEZ LES ANIMAUX. 179 necessarium. Cet ouvrage a été réimprimé à Francfort en 1610. Il a été dit de l'opinion de Pereira qu'on ne lui fit l'honneur ni de la redou- ter, ni de la suivre , et que son auteur éprouva ce qui peut arriver de plus triste à un novateur, qu'il ne fit point de secte : ce qui n'est pas en- tièrement exact, car le sentiment de Pereira fut allaqué avec force par nn écrivain de Grenade, Michel de Pallacios, auquel Pereira répondit. Les deux écrits furent recueillis et imprimés ensemble en 1555, in-folio, à Medina-del-Campo. Pereira fut encore réfuté en 1556 par un anonyme, dans un ouvrage intitulé : Endecalogo contra Anto- niana Margarita. Descartes a été accusé de s'être approprié l’opi- nion de Pereira et d'avoir, dans ce but, fait re- chercher en Espagne , pour les supprimer, tous les exemplaires de l'Antoniana Margarita qui pouvaient y rester. Cette accusation qui a trouvé peu de partisans, a néanmoins été reproduite en 1724 par le savant bibliographe Schelhorn , de Memmingen, dans son ouvrage Amœnitates lit- terariæ , etc. Quoi qu'il en soit, Descartes est généralement regardé comme le chef de l'école qui professe l'opinion du pur mécanisme chez les animaux, et nous désignerons sous le nom de Cartésiens tous ceux qui ont partagé et ceux qui partagent encore çe sentiment, 180 DU PRINCIPE D'ACTION La discussion du principe qui fait agir les ani- maux touche aux plus hautes questions de la mé- taphysique ; elle acquiert surtout un caractère particulier de gravité, si, comme on le prétend, celte question intéresse le dogme important de Jimmortalité de l'ame humaine. Dans les plaidoyers qui ont eu lieu contre le système des animaux-automates, on rapporte les divers argumens des Cartésiens ; mais, outre qu'on a laissé quelques - uns de ces argamens sans ré- ponse, on en a omis quelques autres dont il est juste d'examiner Ja valeur. D'ailleurs, les auteurs de ces écrits, comme leurs adversaires, se sont, en général, beaucoup plus livrés à des réflexions métaphysiques, qu’à l'observation et à l'étude des faits. Ces réfutations , assez connues , n’ont pas empêché que l'opinion de Descartes n'ait trouvé de nouveaux défenseurs, et qu’elle ne soit encore admise de nos jours dans quelques écoles de phi- losophie. Ce sont ces diverses considérations qui: nous ont déterminé à traiter ce sujet, auquel s'attache naturellement un grand intérêt, et sur lequel nous aurons à présenter quelques réflexions. etquelques remarques qui paraissent avoir échappé à ceux qui nous ont précédé dans cette discussion. Commençons par exposer la doctrine carté- sienne, appuyée de toutes les observations et de tous les raisonnemens employés en sa faveur. Les Cartésiens se prévalent d'abord de l'autorité CHEZ LES ANIMAUX. 184 du grand nom de leur chef et de ceux de Maile- branche, d'Arnaud, de Fénélon, de l'abbé Du- guet, de l'abbé Joannet, etc. Passant de là aux raisonnemens, ils disent qu'on ne saurait contester à la toute-puissance de Dieu la possibilité d'avoir établi dans l'économie du corps des animaux, par le nombre, la nature, la délicatesse, la propor- tion, et l’action réciproque des ressorts et de toutes les parties dont se compose la machine animale, d'avoir, disons - nous, établi un méca- nisme susceptible de se prêter à tous les mouve- mens déterminés par ses rapports avec les objets éxtérieurs et par les diverses circonstances qui intéressent la propre conservation de l'individu , et de produire ainsi, par un jeu entièrement mécanique , toutes les actions qui tendent à ce but. Or, si le mécanisme seul, disent les Carté- siens, peut rendre raison de tous les mouvemens des animaux qui ont pour objet le maintien de leur vie, l'hypothèse qui leur attribue une ame proprement dite est fausse, par cela seul qu'elle devient superflue. Pour confirmer la possibilité d'expliquer la conduite des animaux par une organisation pure- ment matérielle, on passe en revue les divers mouvemens, les actions nombreuses que l'homme semble exécuter machinalement et sans que l'ame paraisse y prendre aucune part, tels que les actes qui sont le résultat d'une habitude contractée par 182 DU PRINCIPE D'ACTION leur fréquente réitération ; les mouvemens subits qui ont pour objet de conserver l'équilibre dans certaines situations, ceux qui sont déterminés par la vue d'un grand et prompt danger, ces exemples remarquables d'actions auxquelles tout raisonne- ment est étranger, que nous observons chez les gens distraits, chez les hommes en état d'ivresse, chez les somnambules , etc. Enfin , on indique cette influence que le mouvement du sang, le jeu des organes, l'impression faite sur les sens par les objets extérieurs, peuvent, sans le concours de la pensée, exercer sur les passions de l'homme, au point de les fortifier et même de les exciter. Pour surcroît de preuves à l'appui de la possi- bilité dont il s’agit , les Cartésiens ajoutent les merveilles que l’art humain a pu produire en fait de mécanisme , ces admirables automates sortis de la main des hommes, dont les prodiges exci- tent l'étonnement au plus haut degré, et auprès de l'intelligence et de la puissance limitées qui ont produit ces œuvres, la science infinie et le pouvoir sans bornes du Créateur de l'univers. Les animaux, dans chaque espèce, se compor- tent invariablement de la même manière, et l’on ue voit rien parmi eux de semblable à cette ex- trême diversité que montrent les hommes dans leurs vêtemens, leurs alimens, leurs habitations, leurs mœurs , etc. S'ils étaient doués de la faculté de connaître , ils devraient, comme l’homme, CHEZ LES ANIMAUX. 183 apprendre par l'usage , par l'expérience, par l'exemple de ceux qui les ont précédés, à se ga- rantir des injures de l'air et des embuches des hommes , et l’on trouverait quelque différence dans leur manière de vivre et d'agir, en les con- sidérant à des époques diverses, par exemple, à plusieurs siècles de distance. Quoique les animaux soient privés d'organes propres à articuler des sons, ils devraient du moins, comme les sourds- muets de naissance , avoir appris à manifester , par quelques signes extérieurs , leurs pensées et leurs affections. On voit faire aux animaux certaines aciions qui ne peuvent se concilier avec l'existence d’un principe intelligent : tels sont les tours que font les chiens pour se coucher sur une pierre, comme pour faire fléchir leur lit; telle est l’action du chat qui gratte le sol pour couvrir ses excrémens , et qui le fait aussi bien sur un dur pavé que sur une terre friable. Le cheval piqué par une épée , se jète sur le fer, au lieu de s'y soustraire; si le fe prend dans l'écurie, il ne sait pas en sortir, quoi- que les portes soient ouvertes, et il y périt victime de son ignorance. Le papillon va se brûler lui- même à la flamme de la chandelle. L'ame des bêtes serait supérieure à celle de l'homme, puisque les animaux savent naturelle- ment ce que nous n'apprenons qu'avec beaucoup de travaux cet d'application : supériorité souve- 194 DU PRINCIPE D'ACTION rainement injurieuse à l’homme, qui a été créé à l'image de Dieu. Ceux qui attribuent aux animaux la sensation et l'intelligence, leur refusent d'autre part la liberté et le raisonnement; et cependant, si les actions des bêtes sont le résultat d’un principe sensitif et intelligent, ces actions ne semblent-elles pas indiquer un raisonnement et une véritable liberté? Tel est le cas du chien de chasse qui, après avoir été châtié une fois pour avoir mangé la perdrix tuée par son maître, se garde bien dès lors de manger les autres, et les lui apporte fidèlement. Tel est l'exemple du chat qui, au lieu de sauter sur la souris au moment où elle sort de son trou, malgré la bonne envie qu'il a de la saisir, attend qu'elle soit assez loin de son asile pour qu'elle n'ait pas le temps d'y retourner avant d’être prise. Tel est encore le cas du chien qui, poursuivant un lièvre, arrive à l’entrée de trois chemins divers, ct, averti par son odorat que le lièvre n’a pris ni le premier, ni le second de ces chemins, s’élance avec assurance dans le troisième sans autre exa- men. Ces exemples et une foule d’antres analogues, dans l'hypothèse d'une ame chez les animaux, prouveraient qu'ils ont tout à la fois une faculté de comparer et de juger, et une liberté dans leurs choix. Dès lors il y aurait dans leurs actions une sorte de mérite ou de démérite , et les par- n CHEZ LES ANIMAUX. 135 iisans de l'ame des bêtes auraient tort de dire que le principe que, sous un Dieu juste, on ne peut être misérable sans l'avoir mérité, n'est pas fait pour être appliqué aux animaux, qu'ilna aucun rapport avec l'ame des bêtes. De ce qui précède et des souffrances qu'éprou- vent les animaux, tant de leurs infirmités propres ou des accidens qui peuvent leur arriver, que par les tonrmens cruels que les hommes leur font endurer si souvent , il s’ensuivrait que Dieu au- rait pu destiner des créatures innocentes à subir des peines de toute espèce qu'elles n'auraient nullement méritées, et à être privées, par l'a- néantissement, de toute compensation après leur mort; ce qui répugne essentiellement à l'idée que nous devons avoir des attributs de l'être souve- rainement bon et souverainement juste. Les partisans de l'ame des bêtes allèguent que les peines des animaux ne doivent point être assimilées à celles des hommes, par la raison que n'ayant point comme eux la crainte de l'avenir, leurs peines sont bornées au moment présent et ne sont point aggravées par nne réflexion ingé- nieuse à les accroître et à les exagérer. C'est gratuitement que Jl'on ôterait aux animaux, en tant que doués de sentiment et d'intelligence, toute préoccupation de l'avenir, puisqu'nn grand nombre d'exemples semblerait prouver le con- traire : comme les soins des femelles des oiseaux 186 DU PRINCIPE D'ACTION dans la préparation du nid des petits qui doivent éclore ; comme les provisions que font les abeilles pour se nourrir pendant l'hiver ; comme cette attente de plusieurs animaux qui veillent long- temps pour saisir le moment opportun où leur proie viendra se mettre à leur portée, ete. Un être spirituel et intelligent doit être doué de volonté, et par conséquent susceptible d'amour. Or, un être qui connaît et qui est capable d'a- mour , est tenu d'aimer Dieu : c’est une loi na- turelle et incontestable. Les animaux devraient donc aimer Dieu, ce que n'admettent pas néan- moins les partisans d'une ame intelligente chez les animaux. Mais n'est-il pas contraire à la sa- gesse de Dieu , qu'il ait créé un si grand nombre d'ames qui jouissent de ses bienfaits sans les reconnaître ? Admettre une ame spirituelle chez les animaux, c'est renverser le plus solide des argumens qui établissent l’immortalité de l’ame humaine , sa- voir , que cette ame ne peut périr, puisqu'elle ne saurait être détruite par la dissolution des parties , comme Île serait une substance maté- rielle. Car , si l'ame des animaux, quoique spiri- tuelle , peut être anéantie à la mort, la preuve ci-dessus perd dès lors toute sa force. On ajoute que l'ame des bêtes, en tant que spirituelle, quoique , dans ce cas, beaucoup plus noble que la matière , se trouverait néanmoins CHEZ LES ANIMAUX. 187 dans une condition pire, puisque la mort du corps pest qu'une séparation de ses parties et n'en entraine pas l’anéantissement. L'Histoire Naturelle vient à l'appui des obser- vations qui précèdent. Et d’abord, on voit des plantes qui présentent quelque chose de sembla- ble aux apparences d'intelligence que l'on remar- que dans quelques actes des animaux : tel est le phénomène si connu de la sensitive (auquel on pouvait ajouter celui que l’on observe dans les fleurs de l'ortie, de la pariétaire, de quelques espèces de chenopodium , dont les étamines , dès qu'on les touche, se relèvent, rompent leurs réservoirs et dispersent le pollen qu'elles contien- nent; celui de l'espèce d'arum appelé gobe- mouche, dont la spathe arrête et retient les mouches dans ses poils }. Le lierre et antres plan- tes grimpantes s'accrochent par leurs filets, leurs serres , leurs crampons. Les racines du chêne , au lieu de s'étendre indifféremment en tont sens, cherchent de préférence la terre qui leur convient et qui peut leur fournir les sucs nécessaires à la nourriture de l'arbre. (On pouvait encore dire, à ce sujet, que les plantes dirigent leurs rameaux et leurs fleurs du côté de la lumière , dont elles {ont besoin ). Il faudra donc attribuer une ame faux végétaux, si quelques apparences de prudence autorisent à en donner nne aux animaux. Et l’on pourra dire que l'ame des plantes sera, si l’on 168 DU PRINCIPE D'ACTION veut , d’une nature inférieure à celles des ani- maux, comme on dit que celle des animaux l’est à l'égard de celle de l'homme. On connait les étonnans phénomènes qu'ont dévoilés les découvertes et les expériences de Trembley, sur la reproduction des polypes d'eau douce, à bras en forme de cornes. Si l’on coupe un de ces polypes, par des sections transversales ou longitudinales , en un nombre quelconque de parties, chacune de ces portions entièrement dé- tachées devient peu à peu un polype parfait, qui finit par posséder tous les mêmes organes que l'animal primitif et par remplir les mêmes fonc- tions animales. Puisque ces nouveaux polypes sont de véritables animaux qui jouissent d’une exis- tence individuelle, il s’ensuivrait, dans le système qui attribue aux bêtes une ame proprement dite, que l'homme pourrait faire créer de nouvelles ames à sa volonté, ce qui répugne à la saine raison. Enfin, l'Ecriture sainte paraît avoir décidé la grande question du principe d'action chez les animaux. Dieu affirme expressément , dans plu- sieurs passages de l'Ecriture , que l'ame des bêtes consiste dans leur sang : Cave , est-il dit dans le Deuteronome , ne sanguinem comedas ; san- guis enim eorum (animalium) pro anima est; et idcirco non debes animam comedere cum carnibus (Deut. xit, 23). Dans le Lévitique on CHEZ LES ANIMAUX. 189 lit ce qui suit : Âomo quilibet de domo Israel... si comederit sanguinem , obfirmabo faciem meam contrà animam illius , et disperdam eam de populo suo, quià anima carnis in san- guine est (XVII, 10, 11). On ajoute que l'Ecriture refuse aux animaux toute connaissance propre- ment dite : Volite fieri sicut equus et mulus , quibus non est intellectus (Ps. XXX1, 9). Il résulte de ces passages qu'il n’est pas vrai que Dieu nous tromperait, comme on le prétend, s'il n’y avait dans les animaux aucun principe ca- pable de sensations et d'intelligence , puisqu'il .nous a prévenus lui-même, par les livres saints, que l’ame des animaux n'est autre chose que leur sang, et qu'ils sont dénués de toute connaissance. Voilà, dans toute son étendue, le plaidoyer en faveur du système des animaux-automates. On ne nous accusera pas de l'avoir affaibli, ni d'avoir dissimulé aucun des argumens dont il a pu être élayé. Avant de procéder à l'examen de chacun de ces argumens, nous entrerons d’abord dans quelques considérations générales. On a observé avec justesse qu’en toutes choses il faut distinguer les moyens d'avec la fin , que la matière ne peut être à elle-même sa propre fin, mais que, sous les formes infiniment variées qu'il a plu au Créateur de Ini donner, elle est partout appliquée à un but distinct d'elle-même. Aucun artiste de bon sens ne s’avisera jamais de 100 DU PRINCIPE D'ACTION construire, par exemple , une machine dont les rouages multipliés n'aient, dans leur jeu, d'autre objet que leur propre mouvement. L'action de ce mécanisme n'est qu'un moyen d'obtenir tel ou tel résultat déterminé qui en est totalement distinct. C'est ainsi que Îles roues d’un moulin, cédant an poids de l’eau qui les fait tourner , ont pour objet de moudre le blé; que le mouvement de l'horloge n’a pas pour but de faire simplement tourner quelques aiguilles , mais de marquer les heures, etc. Or, ce que la raison la plus vulgaire interdit à un artiste, Dieu l'aurait fait dans la création des animaux, si, leur refusant une ame, il ne leur avait donné une si admirable organi- sation que dans le but de conserver cette multi- tude de machines pour elles-mêmes seulement. À quoi bon dans l'univers , a-t-on dit, des ma- chines qui se conservent elles-mêmes ? Si les Cartésiens allègnent que le but de cette conser- vation est dans l'utilité que l’homme en peut re- tirer , on répond qu'il est une foule innombrable d'animaux dont l'homme ne reçoit et ne recevra jamais aucun service. Si l'on insiste en disant qu'il n'appartient pas à l'homme de connaître toutes les vues du Créateur, nous dirons que, sans pré- tendre pénétrer les secrets de la puissance divine, Ja saine raison a le droit de rejeter tout ce qui répugne à la sagesse suprême , et que l'exercice de ce droit est pour elle un devoir. En attribuant CHEZ LES ANIMAUX. 191 à l'animal un principe immatériel uni à son corps, pour en déterminer les mouvemens ensuite des impressions qu'il en recoit lui-même, nous voyons alors que les organes de l'animal ne sont point faits pour eux-mêmes, mais qu'ils sont poar lui le moyen par lequel il recoit des sensations, sa- tisfait à ses besoins, jouit de la vie et remplit sa destination. « Quoi! dit un adversaire du système carté- sien, n’ai-je pas raison de dire que l'oreille est faite pour ouir, et les yeux pour voir; que les fruits qui naissent du sein de la terre sont desti- nés à nourrir l'homme; que l'air est nécessaire à l'entretien de sa vie , puisque la circulation du sang ne se ferait point sans cela ? Nierez- vous que les différentes parties du corps animal soient faites par le Créateur pour l'usage que l'expérience indique ? Si vous le niez, vous donnez gain de cause aux athées. Je vais plus avant : les organes de nos sens, qu'un art si sage, qu'une main si industrieuse a faconnés, ont-ils d'autres fins, dans les intentions du Créateur, que les sensations mêmes qui s’exci- tent dans notre ame par leur moyen? Doutera- t-on que notre corps ne soit fait pour notre ame, pour être à son égard un principe de sensation et un instrument d'action? Et si cela est vrai des hommes, pourquoi ne le serait-il pas des animaux ? Dans la machine des ani- 192 DU PRINCIPE D ACTION « « « « LOI « « « « « « « Ja « « LOS « « « « « « « « « « maux, nous découvrons un but très-sage, trés- digne de Dieu, but vérifié par notre expérience dans des cas semblables : c’est de s'unir à un principe immatériel, et d’être pour lui source de perception et instrument d'action; voilà uné unité de but, auquel se rapporte cette combi- naison prodigieuse de ressorts qui composent le corps organisé. Otez ce but, niez ce principe. immatériel, sentant par la machine, agissant sur la machine, et tendant sans cesse par son propre intérêt à la conserver , je ne vois plus aucun but d'un si admirable ouvrage (1). » Nous emprunterons encore au même écrivain réflexion suivante : « Nous voyons les actions des bêtes , il s’agit de découvrir quelle en est la cause ; et nous sommes astreints ici à la même manière de raisonner dont les physiciens se servent dans la recherche des causes naturelles, et que les historiens emploient quand ils veu- lent s'assurer de certains événemens. Les mêmes principes qui nous conduisent à la certitude sur les questions de ce genre, doivent nous déter- miner dans celle-ci. La première règle, c'est que Dieu ne saurait nous tromper. Voici la se- conde : la liaison d'un grand nombre d’appa- rences on d'eflets réunis , avec une cause qui les explique, prouve l'existence de cette cause. (1) Excyczor., article Ame des Bétes. « « « « LOS « « « « « « « « « « « « « LC CHEZ LES ANIMAUX. 193 Si la cause supposée explique tous les phéno mènes connus, s'ils se réunissent tous à un même principe, comme autant de lignes à un centre commun; si nous ne pouvons imaginer d'autre principe qui rende raison de tous les phénomènes, que celui-là , nous devons tenir pour indubitable l'existence de ce principe. Voilà le point fixe de certitude au-delà duquel l'esprit humain ne saurait aller; car il est im- possible que notre esprit demeure en suspens, lorsqu'il y a raison suffisante d'un côté, et qu'il n'y en a point de l’autre. Si nous nous trom- pons malgré cela, c’est Dieu qui nous trompe , puisqu'il nous à faits de telle manière, et qu'il ne nous a point donné d'autre moyen de par- venir à la certitude sur de pareils sujets. Si les bêtes sont de pures machines, Dieu nous trompe : cet argument est le coup fatal à l'hy- pothèse des machines. » Sans nous arrêter , pour le moment, à cette conclusion rigoureuse qui se reproduira plus tard, passons à l'examen détaillé des argumens des Cartésiens. Et d'abord , observons que l'autorité des hom- mes plus ou moins célèbres que nous avons cités, dont les Carlésiens prétendent tirer avantage, ne fait rien au fond de la question. Au reste, on convient généralement aujourd'hui du peu de poids que l'on doit accorder , en saine philoso- 13 194 DU PRINCIPE D'ACTION phie, à l'autorité des hommes à systèmes, qui puisent les élémens de leurs opinions dans un monde chimérique, et qui, négligeant l’observa- tion des faits et les enseignemens de l'expérience, s'abandonnent à toutes les illusions séduisantes de leurimagination. C’est surtout dans une ques- tion de la nature de celle-ci , que l'autorité a peu de valeur ; et d’ailleurs , aux noms dont on veut se prévaloir, on pourrait en opposer d’autres qui peut-être les contrebalanceraient , sans parler de l'opinion générale qui a constamment régné sur ce point. j Le principal fondement , ou plutôt le seul de quelque valeur sur lequel on appuie le système des automates , est la toute-puissance de Dieu, qui, dans la savante structure du corps des ani- maux, a pu établir une telle économie , une dé- licatesse , une variété, une combinaison de res- sorts, telles que leur jeu mis en action par les causes convenables , tant intérieures qu’extérieu- res , puisse produire tous les mouvemens et tous les actes que nous voyons exécuter par les ani- maux. Or, le mécanisme seul, dit-on , rendant raison de la conduite des animaux, l'hypothèse qui leur donne une ame est fausse, par cela seul qu'elle est superflue. Ce raisonnement , que les Cartésiens regardent comme péremptoire, na précisément aucune force, puisqu'on peut le leur opposer avec bien plus de raison et de succès. CHEZ LES ANIMAUX. 195 Si, dirons-nous à notre tour, la présence d’un principe sensitif et intelligent explique sans au- cune difficulté et de la manière la plus plausible toutes les actions des brutes, surtout les traits les plus extraordinaires qu'elles nous offrent quel- quefois , la supposition bizarre et forcée qui trans- forme les animaux en simples automates , n’est pas seulement fausse comme superflue, mais comme introduisant de bien plus grandes diff- cultés que le système contraire. Que l'existence d'une ame chez les animaux explique leurs actions plus facilement que l'hypothèse d’un pur méca- nisme , certes les Cartésiens ne peuvent le con- tester ; et l’on voit bien qu'ils en conviennent, par le soin qu'ils prennent d'insister sur la toute- puissance de Dieu , pour prouver qu'à la rigueur il a pu donner à des automates une organisation assez parfaite pour rendre les animaux capables de tout ce que nous leur voyons faire. Nous sommes bien éloigné de disputer sur la toute-puissance du Créateur , et nous accordons aux Cartésiens tout ce qu'ils demandent sur ce point. Mais d’abord, la possibilité qu'ils allèguent ne prouve rien : car depuis quand serait-il per- mis de conclure de la possibilité à l'existence ? Ajoutons que, dans l’ordre des possibilités , on peut admettre tout ce qui peut se concilier avec les attributs nécessaires de l'être tout - puissant , mais que la raison nous ordonne de rejeter tout 196 DU PRINCIPE D'ACTION ce qui répugnerait évidemment à l’idée que nous avons des perfections infinies de Dieu, tout ce qui porterait atteinte à sa sagesse et à sa véracité; et il ne sera pas difficile de trouver en son lieu, dans cette considération , un trait redoutable contre l'hypothèse que nous examinons , surtout en montrant à quelle extrémité , à quelle vaine ressource le Cartésien est réduit pour tâcher d'éluder ici le coup porté à son système. Si nous saisissons à notre tour l’arme princi- pale des Cartésiens, pour la diriger contre eux- mêmes , nous frappohs leur hypothèse d’une at- teinte mortelle qu'il n’est pas en leur pouvoir de repousser. .Argumentant , à leur exemple , de la toute-puissance de Dieu, nous dirons qu'on ne saurait refuser d'admettre que Dieu ait pu, sil l'a vouln, créer une substance immatérielle, d’une nature inférieure à celle de lame humaine , ca- pable de sensations, douée d’une certaine mesure d'intelligence variée et appropriée aux diverses espèces d'animaux , selon leur destination res- peclive. Ainsi les Cartésiens ne gagnent rien à s'étayer de la toute - puissance divine, et tont le secours qu'ils ont cru y trouver leur échappe. Dès lors, entre deux ordres de choses possibles , il ne reste qu'à les juger l'un et l'autre sans au- cune prévention, pour choisir entre celui qui entraine les difficultés les plus embarrassantes, et celui qui donne l'explication la plus satisfaisante CHEZ LES ANIMAUX. 197 et la plus complète de tous les phénomènes qu'il s'agit d'expliquer. Or, nous avons lieu d'espérer que la suite de ce Mémoire ne laissera aucune incertitude à cet égard. Les Cartésiens ne sont pas plus heureux lors- qu'ils citent à l'appui de leur opinion les divers mouvemens que l’homme semble exécuter par un jeu purement machinal, tels que les actes qui sont le produit de l'habitude, les prompts mou- vemens tendans à maintenir l'équilibre, ceux que détermine la vue d’un grand péril, etc. Les actes d'habitude ont lieu très-sounvent , il est vrai, sans le concours actuel d’une volonté appliquée à chaque instant; mais la volonté a pré- sidé dans le principe aux premiers essais dont la fréquente répétition à fait naître l'habitude ; et même très-souvent encore elle accompagne l'ac- tion dans son ensemble, quoique l'ame ne se rende pas compte de chaque détail en particulier. C’est ce qui arrive dans la lecture et dans le jeu d'un instrument de musique. Une personne qui lit n’a pas en ce moment une conscience positive de cha- que lettre, mais elle a eu cette conscience en ap- prenant à lire, et maintenant elle lit parce qu'elle a appris à lire, parce qu’elle vent lire, et elle sait qu'elle lit. Un musicien n’a pas besoin de se rendre un compte précis de chaqne note qu'il exécute , mais il a fallu, pour en venir là, qu'il ait étudié ces notes, et s'il les exécute actuellement, c’est 108 DU PRINCIPE D'ACTION qu'il veut les exécuter, et il sait très-bien ce qu'il fait. Il est faux que les mouvemens subits par les- quels nous pourvoyons à notre sûreté dans certai- nes circonstances, soient réellement involontaires, Ici, comme dans les cas précédens, les Cartésiens confondent la volonté avec la réflexion. C’est en- vain qu'ils observeraient d’ailleurs que, dans ces mouvemens si prompts, nous ignorons complète- ment comment l'ame y intervient : car, dans les actes opérés par une volonté expresse et raisonnée, en savons-nous davantage sur ce point? Nous vou- lons remuer le bras , et nous le remuons ; nous voulons tourner la tête, et nous la tournons : mais connaissons-nous par quelle mystérieuse commu- nication, par quelle admirable relation notre ame transmet ses ordres et imprime le mouvement aux parties du corps qui exécutent ses volontés? Quant à ces mouvemens si vifs qui nous échap- pent à la vue d'un péril imminent et inopiné, peut-on dire que la volonté n'y ait absolument aucune part ? D'ailleurs , dans tous les cas dont nous venons de parler, l'homme a la conscience de lui-même, et les actes qu'il exécute sont dé- terminés par la vue sentie des objets extérieurs qui en sont l’occasion. Rien de semblable n'a lien chez de purs antomates: et ainsi tombent tous les raisonnemens que les Cartésiens veulent fonder sur les exemples tirés des mouvement de l'homme, CHEZ LES ANIMAUX. 199 et toutes les conséquences qu'ils prétendent en induire en faveur du système des animaux - ma- chines. Ajoutons que tous les exemples allégués sont, chez les hommes, des exceptions qui ne prouvent rien pour la conduite constante des ani- maux dans tout le cours de leur existence. Pour ce qui regarde les actions des gens dis- traits , des hommes ivres , des somnambules , il serait presque ridicule de s'arrêter à de telles par- ticularités; et il est trop évident que ces actes n'ont lieu qu'en vertu de ce qui s’est passé antérieure- ment, dans l’état naturel, chez les personnes dont il s’agit. Les Cartésiens ne donnent aucun appui à leur système par la considération des prodiges que nous présentent quelques automates fabriqués par d'habiles mécaniciens, et des merveilles bien plus grandes que peut opérer la toute - puissance di- vine, parce que Ja question ne consiste pas dans la latitude de la puissance du Créateur, que l’on ne conteste point, nous le répétons. D'ailleurs , la distance infinie qui reste entre la nature des mouvemens que peuvent exécuter les machines les plus admirables de l’art humain , et la con- duite des animaux les plus vulgaires, interdit tout rapprochement à cet égard. Tout ce que l’on peut dire sur ce point, s’il faut le répéter, ne touche en aucune manière au fond de la question, puis- qu'on admet la possibilité de tout ce qui entre 200 DU PRINCIPE D'ACTION dans le domaine du pouvoir infini de Dieu, tant que ses divins attributs n'en souffriront aucune atteinte. Il est vrai que les passions humaines peuvent recevoir une certaine influence du tempérament, de l’action intérieure de l’organisation, de l'im- pression produite sur les sens par les objets exté- rieurs. Mais une action quelconque ne peut exciter ou irriter des passions chez l’homme, que parce que l’homme est susceptible de passions ; or, peut-on concevoir des passions sans une ame sus- ceptible d'être émue? Que l'excitation des organes puisse faire naître dans l'honime une agitation irréfléchie , si l’on veut, et contribuer à donner aux passions plus d'énergie, c'est une suite natu- relle de l'union de l'ame avec le corps, c'est l'un des effets nécessaires de la subordination récipro- que de ces deux substances , destinées à réagir l'une sur l’autre tant que doit durer, dans l'état actuel de l'homme, cette correspondance mutuelle qui constitue le système de sa vie présente. Mais qui oscrait affirmer que les conséquences de l’ac- tion exercée sur les organes de l'homme seraient les mêmes, s'il était dépourvu d'une ame capable de recevoir des sensations et d’être plus ou moins agitée par les impressions qui lui sont transmises ? L'irritation des sens ne constitue pas seule les passions humaines , qui ne deviennent telles et ne sont satisfaites que par les jouissances que CHEZ LES ANIMAUX. 201 lame s’en promet, et par celles qu'elle y trouve en s’y abandonnant. On voit, nous dit-on, les animaux, dans chaque espèce, se conduire toujours d’une manière uni- forme; on ne remarque chez eux rien d’analogue à la grande variété qu'apportent les hommes dans leurs alimens , leurs vêtemens, leurs habitations. A l’aide de la faculté de connaître qu’on vent pré- ter aux animaux, ils devraient, comme l’homme, recueillir quelques avantages de l'expérience et de l'exemple de leurs devanciers. Mais on n'a ja- mais prétendu assimiler les animaux à l’homme, et les mettre exactement sur la même ligne; on prend au contraire le plus grand soin à marquer les grandes et nombreuses différences qni les dis- tinguent., Attribuer aux animaux une certaine me- sure d'intelligence , ce n’est pas supposer que cette intellisence soit chez eux au même degré que dans l’homme. La Providence, qui a fixé la destination des animaux , a limité lenrs facultés et les a dispensés des soins auxquels elle a ponrvu elle-même. Mais pour l’homme, qu'elle a voulu élever à une plus haute dignité, elle lui a laissé la tâche plus noble de satisfaire, par sa propre industrie, aux besoins de sa condition, et lui en a donné les moyens dans une intelligence plus étendue : de là le pouvoir de varier la nature et la forme de ses vêtemens , de ses habitalions, l'espèce et la qualité de ses alimens, etc., selon 202 DU PRINCIPE D ACTION ce qu'exigent les circonstances de l’âge, du sexe, des temps et des lieux. II ne peut pas y avoir de tradition chez les animaux, qui, privés du langage articulé et des moyens de fixer et de transmettre leurs impressions, leurs actes et les fruits de leur expérience, ne peuvent tirer ancune leçon de la vie de ceux qui les ont précédés. Cela ne prouve rien contre l'intelligence actuelle attribuée aux individus dans chaque espèce. Il n’est pas exact de dire que les animaux, dans chaque espèce, se comportent toujours invariable- ment de la même façon. Si l’on suit la conduite de plusieurs animaux d'une même espèce, on y re- marque de notables différences; et non-seulement on observera que deux individus se comportent rarement de la même manière dans les mêmes circonstances, mais que le même animal agit sou- vent très-différemment dans des cas semblables, On nous cite les tours du chien sur un hit de pierre, le manége inutile du chat qui gratte le pavé, le cheval qui se laisse périr dans son écurie en flammes, le papillon qui se brûle à la chan- delle. Qui est-ce qui sait, qui peut assurer que les tours du chien aient pour but de faire fléchir son lit? On peut dire , si l’on veut , que le chien et le chat agissent ici machinalement, par l'effet de l'habitude , comme l'homme le fait si fréquem- ment, quoique capable de réflexion. On voit souvent , dans des incendies, des personnes de - CHEZ LES ANIMAUX. 203 sens perdre la tête et ne savoir plus trouver la porte de leur chambre : est-il étonnant qu'un cheval , avec beaucoup moins d'intelligence , ne trouve pas celle de l'écurie? Les enfans se brûlent souvent pour vouloir toucher le feu, dont ils ne connaissent pas encore les effets. Si les animaux savent naturellement des choses qui coûtent à l'homme beaucoup de travail et d'ap- plication , bien loin que cela prouve en leur faveur une supériorité injurieuse à l'homme, cette ob- servation conduit à une conséquence directement opposée. Ce que les animaux savent sans l'avoir appris, ils le tiennent de l'intelligence suprême et de la toute-puissance de celui qui les a créés; ils l'ont recu gratuitement et n’en ont pas le mé- rile : tandis que les connaissances que l’homme se procure et les actes auxquels il parvient, en faisant lui - même un usage raisonné des nobles facultés de son entendement, attestent la haute prééminence de son ame sur celle des animaux et la distance immense qu’il y a de l’une à l’autre. Les Cartésiens prétendent qu’en attribuant aux animaux des sensations et de l'intelligence , on aurait tort de leur refuser le raisonnement et la liberté ; et l’on a vu qu'ils citent à ce sujet l'exem- ple du chien qui, châtié par son maître, cesse de manger les pièces de gibier qu'il va chercher ; celui du chien qui, à la rencontre de plusieurs chemins , s’élance sans hésiter dans celui qu'a 204 DU PRINCIPE D ACTION pris le lièvre qu'il poursuit; celui du chat qui saisit le seul instant convenable pour sauter sur la souris. Nous pourrions demander, en passant, s’il est plus facile d'expliquer comment une ma- chine inanimée et impassible se corrige par Île châtiment ; comment quelques efflnves subtils peuvent déterminer les jambes d'un automate à entrer dans un chemin de préférence à plusieurs autres; comment une pure machine sait prendre le moment précis où la distance ne permet plns à la souris de regagner son trou : nous pourrions demander, disons-nous, s'il est plus facile d'ex- pliquer ces phénomènes par un mécanisme aveu- gle, que par la présence d’un principe intelligent qui, mu par son propre intérêt, se détermine en conséquence, de la manière convenable, et saisit à point nommé l'instant et le lieu favorables à son but. Mais venons à ce dont il s’agit en ce moment. Si les animaux, continuent les Cartésiens, ont tout à la fois de l'intelligence, du raisonnement et la liberté d'agir, il y aura dans leurs actions une sorte de mérite et de démérite, et l’on ne pourra plus dire que ce principe, que, sous urz Dieu juste, on ne peut étre malheureux sans l'avoir mérité, ne regarde point les animanx et ne peut leur être appliqué. Si l'on prétend au contraire que les animaux ne peuvent mériter ni démériter, on reproduit la grande difficulté qu'un CHEZ LES ANIMAUX. 205 Dieu infiniment bon et infiniment juste ait pu destiner des créatures innoôcentes à endurer des peines de plus d'un genre qu’elles n’ont pas mé- ritées. On n'échappe point à cette difficulté en alléguant que les peines des animaux ne doivent pas être comparées à celles des hommes, comme étant bornées au moment présent, par la priva- tion où seraient les animaux du sentiment de l’a- venir, puisqu'il semblerait résulter d'un grand nombre d'exemples que si les animaux agissent par intelligence, on ne peut leur refuser toute préoccupation de l'avenir. Enfin , si les animaux sont capables de volonté et par conséquent sus- ceptibles d'amour, dès lors ils sont tenus d'aimer Dieu , et il est contraire à la sagesse de Dieu qu'un si grand nombre de ses créatures jouissent de ses bienfaits sans en éprouver de la reconnaissance. Ainsi raisonnent les Cartésiens. Observons d'abord que tous les adversaires du système des automates ne refusent pas aux animaux toute fa- culté analogue à une sorte de raisonnement et toute liberté dans leurs actions; mais les Carté- siens n'ont pas le droit de tirer de là les consé- quences que l’on vient de voir. Il n’est pas vrai, par exemple , que toute liberté d'agir suppose nécessairement le mérite et le démérite. Cette liberté , appliquée à des choses indifférentes en elles-mêmes, purement matérielles et uniquement relatives à la conservation ou au bien-être de l'in- 206 DU PRINCIPE D'ACTION dividu, cette liberté, disons-nous, peut s'exercer sans aucune intervention de l’idée du bien et du mal moral; et c'est ce qui a lieu chez les animaux, à qui Dieu a refusé cette connaissance, qu'il avait réservée à la dignité de l’homme. Quant à l'idée de l'avenir, on peut assurer que les animaux n’en ont point, comme l'homme, une prévision habituelle ; mais les exemples cités ne permettent guères de douter qu'ils n’en aient, dans certains cas particuliers , un sentiment du moins occulte , et cela toutes les fois seulement que, selon les vues de la Providence, les individus ont à pourvoir à des besoins ultérieurs qui inté= ressent la conservation de l'espèce. Dès lors on peut affirmer que les douleurs des animaux sont réellement bornées au moment pré- sent; et nous répéterons , avec tous les défenseurs de l'ame des bêtes, que les peines des animaux ne doivent en aucune manière être assimilées à celles de l'homme, puisqu'elles ne sont aggravées ni par la crainte de l'avenir, ni par les tourmens qui naissent si souvent de la réflexion. Un homme malade , lors même que la douleur Ini laisse quel- ques instans de repos, souffre de la douleur à venir qu'il prévoit. Il connaît son état, il réfléchit pé- niblement sur sa situation , sur les suites qu’elle peut avoir, sur l'interruption de ses affaires, sur les pertes qu'elle entraîne , etc. ; et son état devient bien plus accablant, lorsqu'à toutes ses CHEZ LES ANIMAUX. 207 peines viennent se joindre les terreurs de Ja mort, Rien de pareil ne se passe chez les animaux. Une bête qui est malade n’en sait rien; elle ressent la douleur du moment sans appréhension d’une dou- leur future , et, pour elle, tout se borne là. Ajou- tons que les animaux ne sont point sujets à cette multitude d'infirmités qui afiligent l'espèce hu- maine, parce que l'instinct infaillible qui les dirige , les préserve des excès et des écarts aux- quels l'homme se laisse entraîner pas ses passions et par les abus qu'il fait si souvent du noble at- tribut de sa liberté. Si l’homme fait endurer aux bêtes de cruels traitemens, la justice et la bonté de Dieu ne sont point intéressées dans ces actes désordonnés , parce que Dieu n'est pas respon- sable des caprices, de la dureté ou de la méchan- ceté de quelques individus. Si, comme on l'a vu plus d'une fois, un assassin égorge un enfant dans son berceau , accusera-t-on la justice divine des douleurs de cette innocente créature ? Un être doué de connaissance , de volonté et capable d'amour , disent les Cartésiens , est tenu d'aimer Dieu; oui, s’il a recu la faculté de s'élever jusqu’à la connaissance de la divinité; mais si Dieu a voulu réserver à l'homme seul le pouvoir d'arriver à la sublime idée d’un Créateur , auteur de tous les biens, il a pu rendre les animaux susceptibles de jouissances purement sensuelles , sans exiger d'eux aucune reconnaissance, dont il n’a pas voulu 208 DU PRINCIPE D'ACTION les rendre capables. Il n'y a de la part des animaux aucune ingralitude , puisqu'ils ignorent à qui ils doivent le bien-être de leur existence ; et nous ne voyons pas en quoi la sagesse de Dieu serait en défaut par cette détermination de sa volonté. Le motif qui a porté Descartes et ses partisans à refuser aux animaux un principe d'action étran- ger à la matière , ce motif est très- louable sans doute , et c’est à son imposant ascendant sur des philosophes chrétiens, qu'il doit le reste d'autorité qu'il conserve encore dans quelques écoles mo- dernes. Ce motif est, comme l’on sait, la crainte de compromettre le dogme de l’immortalité de l'ame humaine , en admettant qu'une substance immatérielle puisse être anéantie. Mais c’est, ce nous semble, et qu'il nous soit permis de le dire, c'est un moyen peu philosophique et, en même temps , bien peu favorable à la Religion , que d'appuyer un dogme de cette importance sur une pure hypothèse, non - seulement sujette à controverse , mais directement opposée au senti- ment universel. Et en effet, qu'on veuille bien y faire attention , si l'ame humaine ne peut être répulée immortelle qu'autant qu'on sera persuadé que les animaux sont privés de toute sensation et de toute intelligence , la croyance à l’immor- talité de l'ame humaine nous parait en grand danger. Certes , les véritables preuves de cette impor- CHEZ LES ANIMAUX. 209 tante vérité sont bien plus solides qu'une simple hypothèse exposée et développée si tard , qui n’a d'autre appui que l'autorité d'un petit nombre de défenseurs que l’on pent compter : ces preuves ne sont pas assez faibles pour nous réduire à la né- cessité d'une supposition forcée, hautement con- tredite , qui répugne à la raison , au sentiment général , et qui porte atteinte à la sagesse et à la véracité de Dieu. La première de ces preuves est Ja révélation expresse , seule suffisante pour tout homme qui croit à la révélation ; car dès lors il croit à cette vérité indépendamment de tout système philosophique sur la nature de l'ame des bêtes , qui devient pour lui une question totale- ment étrangère à l'objet de sa foi. Quant à celui qui n'admet pas la révélation , il rejettera bien d'autres vérités, el il ne sera point ramené à celle de l'immortalité de l'ame par le système cartésien. Lies autres preuves de cette immortalité , qui sont encore d'un ordre bien plus élevé que celles des Cartésiens, se tirent de la nature de l'ame humaine, de la noblesse de ses facultés, du sentiment de sa propre dignité , de l'immensité de ses désirs , que rien sur la terre ne pent satisfaire, de la bonté de Dieu, de sa providence , de sa sainteté, de sa justice , enfin de l'autorité universelle du genre humain. L'immortalité de l'ame, ainsi démontrée par les plus hautes considérations et établie sur des 14 210 DU PRINCIPE D ACTION bases inchranlables , devient dès lors une vérité hors de toute contestation et entièrement indé- pendante de tout sysième relatif à tel ou tel autre objet des controverses philosophiques : ce qui est une fois vrai ne pent cesser de l'être. De quel danger pourrait être à la croyance de cette vérité, l'opinion générale qui attribue aux animaux un principe d'action distinct de la matière ? Si Dieu a pu créer des intelligences supérieures à l'ame humaine , comment n’aurait-il pu créer des subs- tances immatérielles d’une nature inférieure? Les animaux n’ont pas la même destination que l'hom- me. Or, Dieu donne sans doute à chaque espèce d'êtres le genre d'existence et la mesure de durée qui conviennent à leur fin. Les animaux étant bornés à une vie purement sensuelle , lorsque le moment de la dissolution de leur corps est arrivé, l'ame a rempli sa destinée, et sa conservation ultérieure serait sans objet. Mais il n’en est pas de même de ame humaine, qui, créée à l’image de Dieu, doit retourner à lui comme son unique fin , et dont la véritable destinée ne commence que dès l'instant où elle se sépare de sa dépouille mortelle. Qui oserait prétendre que Dieu ne puisse anéantir une substance immatérielle , par l'effet de la même puissance en vertu de laquelle il l'a tirée du néant ? Passons maintenant à l'examen des phénomè- nes que l’on emprunte à l'Histoire Naturelle. CHEZ LES ANIMAUX. 21H Celui de la sensitive et des plantes qni présen- tent des propriétés analogues , dépouillé du pres- tige qu'y trouve l'œil du vulgaire , n'offre rien de plus remarquable que l'action de la chaleur qui grésille le papier, le parchemin , l'écorce du ce- risier, etc., lorsqu'on les approche du feu, ou que les phénomènes produits par l'action de la pile voltaïque. Oserons-nous dire qu'il y a nne sorte de puérilité à comparer de tels effets avec les mouvemens , les actions , disons mieux , avec les mœurs des animaux? Quant à la remarque touchant les racines des végétaux, il est tout simple que des racines s'arrêtent devant des obs- tacles qui s'opposent à leur extension, ou qu'elles dépérissent dans une partie du sol qui ne leur fournit aucun aliment, et qu'au contraire elles prennent de l'accroissement , qu'elles s'étendent et se développent dans une terre féconde où elles reçoivent en abondance les sucs qui leur sont appropriés. Si les plantes se tournent vers la lu- mière, ce n'est pas l'instinct du végétal qui lui fait prendre cette direction ; mais c'est l’action de la lumière qui exerce sur lui une influence nécessaire à son organisation complète , et par- ticulièrement à sa colorisation. L'étrange objection que l’on tire de la multi- plication artificielle du polype serait applicable à l'espèce humaine, dans laquelle tels individus des deux sexes , libres de se marier ou non, et 212 DU PRINCIPE D'ACTION par conséquent maîtres d’avoir des enfans ou de n'en point avoir, pourraient être considérés comme libres de déterminer à leur volonté la création de nouvelles ames. On sait avec quelle abondance Dieu a répandu partout les germes de la vie. Ne peut-on pas supposer que les diverses parties du polype contiennent des embryons d'une mullitude d'autres polypes susceptibles de se développer dans les circonstances convenables, analogues en cela aux espèces de végétaux qui se multiplient par boutures, par provins, par la plantation des germes , ou en rampant sur le sol? La plante qui nait de la pomme de terre, ce grand bienfait de la Providence, cette plante offre, sous ce rapport, dans toutes ses parties , un exemple remarquable de la plus étonnante fécondité. D'ailleurs , on ne doit pas dire que les polypes se reproduisent par la volonté de l'homme, mais selon les lois que Dieu lui-même a établies. Après tout, quand ce phénomène ne serait qu'une exception curieuse parmi les animaux connus, est-ce donc sur une exception qu'il serait permis de fonder tout un système philosophique d’une grande importance, qui n’embrasse rien moins qu'un règne tout en- tier de la nature ? Une autre objection qui paraît un peu plus grave , est celle que l’on prétend puiser dans le témoignage de l’Ecriture ; nous allons la réduire à sa juste valeur. On a vu les passages cités plus CHEZ LES ANIMAUX. 213 haut, tirés du Deuteronome et du Lévitique, qui expriment la défense faite dans l’ancienne loi de manger le sang des animaux avec leur chair; la raison de cette défense est dans ces mots : quia anima carnis in sanguine est. Observons d'a- bord que par le mot anima il ne fant pas entendre ici une ame proprement dite , dans le sens que nous donnons ordinairement à ce mot; mais il signifie seulement le principe de la vie organique : autrement , selon l'Ecriture elle - même , l'ame humaine serait aussi dans le sang de l'homme, où plutôt , l’homme n'aurait pas d'autre ame que son sang ; car l'Écriture dit expressément : anima OMNIS CARNIS in sanguine est (1). 1 était dé- fendu de consumer le sang avec la chair des ani- maux, parce que le sang, symbole de la vie, con- sidéré, s’il est permis de le dire, comme la partie la plus noble du corps de l'animal , était réservé pour être répandu sur l'autel en expiation, dans les sacrifices, et pourles aspersions. Anima carnis in sanguine est : et ego dedi illum vobis , ut super altare in eo expietis pro animabus ves- tris , ét sanguis pro anime piaculo sit (2). — Tulit itaque Moyses dimidiam partem sangui-. nis (vitulorum) , et misit in crateras : partem autem residuam fudit in altare....., Ille verè (1) Levir. xvir, 44. (2) Ibid, A, 214 DU PRINCIPE D'ACTION sumptum sanguinem respersit in populum (1). — Quem (arietem) cum immolaveris, sumes de sanguine ejus...... fundesque sanguinem super altare per circuitum..... cumque tuleris de sanguine qui est super altare , et de oleo unctionis , asperges Aaron et vestes ejus , Jfilios et vestimenta ejus (2). Des cérémonies analogues et les mêmes préceptes sont exprimés dans un grand nombre d'autres passages du Lévi- tique , du Denteronome et des Paralipomènes (3). Si la défense de manger le sang des animaux, dont la nature n'a pourtant pas changé, a cessé d'être en viguenr chez les chrétiens , c'est que l'auguste sacrifice offert dans nos temples a rem- placé les victimes de l’ancienne loi, et qu'il ne se répand plus de sang sur les autels du vrai Dieu. Pour ce qui concerne l'intelligence attribuée aux animaux, on nous oppose ce passage du Ps. 31 : Nolite fieri sicut equus et mulus , quibus non est INTELLECTUS. Mais pour connaître le sens évident de ces paroles, on n'a qu'a lire le verset précédent du même Psanme : /NTELLEC- TUM tibi dabo et instruam te IN VIA HAC, QU'A (1) Exop. xx1v, 6, 8. (@) Exop. xxIx, 20, 21. G): Lever 500. 28,43: av 0 NI 02 vin, 19,20; 1x, 18; xv1, 14, 19; xvir, 6, etc. Paralip. Exx, 16. Deuter. x11, 27, etc. CHEZ LES ANIMAUX. 214 GRADIERIS : firmabo super te oculos meos (1); d'où l’on voit qu'il s’agit ici, par le mot intellec- us , de l'intelligence des choses spirituelles, des choses morales et divines : Dieu recommande à l'homme d'éviter de ressembler aux animaux , à qui il n’a pas donné cette sorte d'intelligence, celle de La voie où l'homme doit marcher. Il n'est donc pas vrai que Dieu nous ait pré- venus par l'Ecriture que les animaux n'avaient point une ame sensitive et intelligente ; et com- ment nous aurait-il prévenus en ce sens , lui qui nous a fait ce que nous sommes, lui de qui nous tenons ce sentiment invincible qui nous porte à juger, par analogie , des animaux d’après nous- mêmes ? On voit, par les étranges méprises dans lesquelles sont tombés les Cartésiens , en cher- chant dans l'Ecriture des preuves en faveur de Jeur système , on voit, dis-je, qu'il ne leur resté rien à répondre lorsqu'on continuera de leur op- poser ce redoutable argument , que Dieu nous trompe si les animaux ne sont que des auto- mates. Tenons-nous-en , si l’on veut, à une seule considération , entre une infinité d’autres , et di- sons que si Dieu a donné , par exemple, à une machine la faculté de nous montrer des signes de douleur, pour nous exciter par la pitié à venir à son secours , il faut nécessairement convenir qué (3) Ps. xxxr, 8. 216 DU PRINCIPE D'ACTION Dieu nous trompe , puisqu'une machine ne peut souffrir. Eb ! quoi ? cet œil où se peignent tour à tour la vivacité des désirs , l'attention de la curiosité , l'abattement de la douleur, cet œil étincelant d’où jaillissent les feux de la colère ou les rayons de Ja joie , cet œil où se manifestent d'une manière si marquée nne multitude d’affections analogues à celles qu'éprouve l’homme lui-même, cet œil, disons-nous, ne serait qu'une ouverture purement passive, pratiquée dans une tête organisée , mais privée de toute sensation et detonte connaissance, une ouverture n'ayant d'autre objet que de laisser passer des rayons de Inmière destinés à ébranler quelques fibres insensibles, à faire jouer quelques ressorts inanimés !.... Nous voyons dans les ani- maux tous les signes de la douleur, dun plaisir, de l'attachement, de la reconnaissance, de la jalousie, de la fureur, de la vengeance, etc. Nous sommes inpériensement entraînés à leur attribuer ces diverses passions, dont ils nous manifestent tous les symptômes, et l’on ne saurait douter que tout Cartésien ne puisse se surprendre lui-même plus d'une fois à partager cette disposition. Si les animaux n’élaient que des machines impassibles, il nous semble que , dans ce manége simulé dont nous sommes à chaque instant les témoins, dans ces représentations burlesques données journel- lement par ces peuples d'automates , il y aurait CHEZ LES ANIMAUX. 217 un artifice et un jeu tout-à-fait indignes de la su- prème sagessse, de la majesté, et surtont de la véracité du souverain maître de l'univers. Si, dans le vrai, les animaux étaient dépourvus de sensations et d'intelligence , le sentiment in- surmontable qui nous porte à en juger autrement serait une preuve que Dieu aurait voulu dérober cette vérité à notre connaissance. Et en effet, voyez cet animal altéré ou qui éprouve la faim ; considérez ce regard avide et impatient qu'il atta- che sur la boisson ou sur la nourriture que vous lui préparez, comme pour vous presser de pour- voir à son besoin. Cet autre vient d'être blessé ; il se plaint , il pousse des cris de douleur, sans doute pour exciter notre sensibilité et réclamer notre secours, Mais quel empressement et quelle compassion ponrrions-nous avoir pour ces ma- chines, si nous étions persuadés que l'un et l’autre de ces animaux ne sont que de simples automates, qui n'éprouvent rien de pénible dans ces circons- tances ? Il est évident que ces signes extérieurs , qui auraient pour but la conservation de l'individu, manqueraient alors lenrobjet. Si done les animaux n'étaient que des machines impassibles , il fau- drait convenir qu'il aurait dû entrer dans les vnes et la volonté du Créateur, que la vérité sur ce point nous restât à jamais inconnue. Le Cartésien n'a done ancun droit seulement de soupçonner un tel ordre de choses, sans violer l'intention que 218 DU PRINCIPE D'ACTION Dieu aurait eue dans l’organisation donnée aux animaux. Le Cartésien oserait-il prétendre avoir ravi un secret de la Providence ? Appartiendrait - il à l'homme de s'élever contre un décret de la toute- puissance et de porter une main téméraire sur un voile posé par la volonté éternelle ? Proclamer le système des animaux -machines et le soutenir , éerait un acte empreint, ce nous semble, du ca- ractère d'une sorte d'impiété , puisque ce serait à la fois se prononcer contre les intentions évi- dentes du Créateur et accuser sa véracité envers nous. Si les animaux ne sont que des antomates, le Cartésien doit l'ignorer comme le reste des hommes, $ IL. DU SENTIMENT QUI ADMET UNE AME D'UNE NATURE INTERMÉ- DIAIRE ENTRE L'ESPRIT ET LA MATIÈRE , ET DE L'OPINION DE BUFFON. Il s’est introduit dans l'Ecole une opinion inter- médiaire entre celle qni n’admet dans les animaux qu'un pur mécanisme, et celle qui leur accorde des sensations et quelques facultés intellectuelles. Dans ce système, qui paraît remonter à saint Thomas d'Aquin, et que l’on appuie même de quelques passages de saint Paul, on convient d'abord que la sensation ne peut être une affec- tion de la matière ; et en effet, on peut dire de la sensation ce que l'on dit de la pensée : . CHEZ LES ANIMAUX. 219 1° qu'elle ne peut résider à la fois dans chacune des parties d’un être corporel, car la même sen- sation serait répétée simultanément et autant de fois que l'ame matérielle aurait de parties ; 2° que la sensation ne pourrait avoir lieu en partie dans chacune des portions de lame , car la sensation est une et ne peut se concevoir divisée en parties distinctes; 3° qu'il serait également absurde d’at- tribuer la sensation tonte entière à une seule des parties de l'ame, à l’exclusion des autres. D'un autre côté, si, dans ce système, on ac- corde aux animaux la faculté d'éprouver des sen- saticns , on leur refuse jusqu'au moindre degré d'intelligence. On commence par poser en prin- cipe qu'une substance spirituelle proprement dite est celle qui non-seulement n’est pas un corps, mais qui, par sa nature, est entièrement indépen- dante de la matière. Or, n’y ayant que l'intelli- gence qui, par elle-même , dans ses attributs et dans son exercice, soit absolument indépendante de tout ce qui est corporel , il faut conclure de là que spiritualité et intelligence sont une seule et même chose. Si donc l'ame des bêtes est dé- pourvue de tonte intelligence, elle ne peut être spirituelle; mais comme susceptible de sensations, elle ne peut non plus être matérielle : elle n’est donc ni un corps ni un esprit : aussi afhrme-t-on qu'elle est d'une nature moyenne entre l'esprit et la matière, 220 DU PRINCIPE D'ACTION Ce système n'est pas exempt de quelques gran- des difficultés. Observons d’abord qu'il repose sur le sens qu'on y attribue au mot intelligence, et sur la supposition que les animaux sont totale- ment privés de cette faculté : deux points qui nous paraissent sujets à discussion , et que nous aborderons plus tard. Mais raisonnons d'abord dans l'hypothèse même sur laquelle le système est fondé : il nous est fa- cile de faire voir que les anteurs de ce système n'en ont pas entrevu toute la portée. Le véritable et seul moyen de raisonner avec justesse et solidité, est de bien s'entendre sur le sens des expressions que l’on emploie, et de ne laisser aucun vague, aucune incertitude dans les principes préliminaires sur lesquels on prétend s'appuyer. Commençons done par bien établir l'idée que veulent nous donner de l'ame sensitive des animaux, les auteurs etles partisans du système que nous examinons. Il n'y a, disent-ils, que l'in- telligence qui soit spirituelle, parce que l'intelli- gence seule est par elle-même indépendante de Ja matière et ne tient à aucun organe corporel, Les opérations sensilives ne sont point spirituel- les, puisqu'elles sont tout-à- fait assujéties à la matière et au corps. L'ame des animaux n’a donc rien de spirituel ; elle est de même nature que leurs opérations , qui sont totalement absorbées par le corps. Mais enfin , celte ame est un être CHEZ LES ANIMAUX. 23% réel, une véritable substance, puisque l’on con- vient en termes exprès qu'elle est distincte du corps. Or, cette ame qui tient le milien entre l'esprit et la matière est, de l'aveu même des par- tisans du système, une substance essentiellement simple, puisque, selon leurs propres expressions, elle n'est pas étendue en longueur , largeur et profondeur (1). Nous demanderons alors si cette ame survit au corps de l'animal , ou si elle est anéantie au moment où l'animal cesse de vivre. Dans le premier cas, ce serait admettre le senti- ment de Platon , qui attribue l'immortalité aux ames des animaux comme à celles des hommes, erreur que les auteurs du système ont précisé- ment voulu éviter. Dans le second cas, il s’ensui- vrait deux conséquences remarquables : l’une que Dieu pourrait anéantir et anéantirait en effet quelques-uns des êtres qu'il a créés ; ce qui ne s’accorderait pas avec ce que l’on allègue en fa- veur de l’immortalité de l'ame humaine, que Dieu, qui aime ses ouvrages, conserve généralement À chaque chose l'être qu'il lui a une fois donné, L'autre conséquence serait que telle substance pourrait périr autrement que par la dissolution des parties ; et alors tomberait cette preuve de l'immortalité de l'ame humaine à laquelle les mé- (4) Bossuer, De la connaissance de Dieu et de soi- même , Chap. V, De la différence entre l'homme et la bête. 222 DU PRINCIPE D'ACTION taphysiciens attribuent une si grande valeur, sà- voir, que notre ame doit survivre au corps, par la raison qu'en vertu de sa simplicité, elle ne peut cesser d'être par la séparation des parties. Ainsi ce système d'une substance essentiellement sim- ple , intermédiaire entre l'esprit et la matière , imaginé pour expliquer , sans porter atteinte à l'immortalité de l’ame humaine , comment cesse d'exister le principe de sensation chez les ani- maux , ce système , disons-nous , conduit tout juste aux conséquences mêmes que leurs auteurs ont eu en vue de prévenir. Mais ce n'est pas tout. En affirmant qu'il n'y a réellement de spirituel que ce qui n’est jamais assujéti à la matière et qui en est totalement in- dépendant, on rencontre d’autres difficultés non moins sérieuses que les précédentes, et qu'il ne nous parait pas aisé de résoudre dans le système dont il s'agit. L'homme est capable tont à la fois de sensa- tions et d'intelligence ; il a la faculté de se rendre compte de ses sensations et de les comparer. Certes, ce ne sont pas les organes corporels qui, chez lui, ont la conscience des sensations et le pouvoir de les comparer. Est-ce à l'ame purement spirituelle qu'appartient cette attribution ? Dans ce cas, il ne serait pas exact de dire qu’une subs- tance n’est réellement spirituelle qu'autant qu'elle n'est dans aucune dépendance quelconque de la CHEZ LES ANIMAUX. 223 matière. Mais si le phénomène des sensations de l'homme, de la connaissance qu'il en a et de la comparaison qu'il en peut faire , ne se passe ni dans son ame spirituelle, ni dans les organes, qui ne sont que des agens intermédiaires , il faudrait donc admettre dans l’homme une troisième subs= tance analogue à cette espèce d'ame que l'on sup- pose dans les animaux, une substance moyenne entre l'esprit et la matière : les philosophes qui professent l'opinion dont il s’agit sur la nature de la substance spirituelle, inclineraient à le penser, si au fond ils ne le pensent réellement. Mais quand on leur accorderait cette substance moyen- ne, ils n’en seraient pas plus avancés; car cette ame purement sensitive étant assujétie à la ma- tière, comme celle qu'ils attribuent aux animaux, serait, d'après leur propre sentiment, dépourvue de toute intelligence, prisqu'elle ne serait pas un esprit; dès lors elle serait incapable de connaître et de comparer ses sensations, et la difficulté re- viendrait toute entière. Que si, au contraire, la connaissance et la comparaison des sensations se passaient dans cette ame moyenne , semblable à celle des animaux, celle-ci jouirait donc des mé- mes facultés, et l’on n'aurait plus aucun droit de les lui refuser. Cette doctrine des deux ames humaines , qui n'est pas nouvelle , n’a pu naître que de la mé- prise par laquelle on a personnifié des expressions 224 DU PRINCIPE D'ACTION métaphoriques , employées à désigner les deux sortes de natures opposées qui se manifestent dans l'homme dégénéré de son innocence primitive. Le langage de l'Ecriture , qui parle de eombats entre la chair et l'esprit, ne signifie autre chose que l'opposition entre les penchans désordonnés d’une nature déchue, et le sentiment du juste et du bien qui est resté au fond du cœur de l'homme, pour lui rappeler sa noble origine et le faire re- monter par ses efforts à sa glorieuse destination. L'Ecriture , en présentant sans cesse la chair en révolle contre l'esprit, ne montre que trop com- bien l'esprit est susceptible d'être attaqné par les sens, et quelle est la puissante action de ceux-ci sur la partie spirituelle de l'homme. Si donc l'ame intelligente , l'ame créée à l’image de Dieu est capable d'être entraînée par l'influence que les sens exercent sur elle, elle n'est donc point indépendante de la matière ; et comment pour- rait-elle l'être dans le système de son union avec le corps , union intime qui constitue l’unilé de Fhomme vivant sur la terre , union qui suppose une relation mutuelle et constante entre les deux substances , une action et une réaction récipro“ ques de l’une sur l’autre? Lorsque l'homme, cé- dant aux mouvemens déréglés des passions , se laisse emporter à de criminels excès, dira-t-on que son ame spirituelle est étrangère à ces éga- remens ? Dans ce cas, l’homme ne serait pas CHEZ LES ANIMAUX. 225 coupable , car une ame sensitive, mais privée d'intelligence , ne saurait pécher : il n’y a de bien et de mal moral que là où interviennent l’intel- ligence, la liberté et la volonté. C’est donc cer- tainement l'ame spirituelle et intelligente qui succombe sous l'empire qu'elle a laissé prendre aux sens sur elle-même. Si l’on objecte aux philosophes dont il s'agit certains vices , tels que l'orgueil et l'envie, qui, quoique participant des fruits de la chair, pa- raissent néanmoins n'appartenir qu'à l'esprit , la réponse qu'ils donnent se tourne entièrement contre leur doctrine. Ces sentimens déréglés ; disent-ils ; sont primitivement excités par des marques extérieures de préférence que nous con- voitons exclusivement pour nous, et tirent ainsi leur origine des objets sensibles (1). Mais si ces vices prennent , d'une part, leur naissance dans des affections sensuelles, et s’introduisent ensuite dans l'esprit avec l'être et le caractère qui leur est propre, il est donc vrai que les produits des im- pressions sensuelles peuvent arriver jusqu’à l'ame purement spirituelle, et que celle-ci n’est point indépendante de l'empire des objets sensibles. Autre difficulté non moins grave. En cherchant à établir comme une vérité fondamentale que toute substance spirituelle proprement dite est (1) Bossuer, loc, cit, 15 226 DU PRINCIPE D'ACTION dans une indépendance absolue de la matière et ne peut en aucune manière lui être assujétie, ne craint-on point de favoriser le matérialisme , en lui livrant précisément l'arme principale qu'il peut employer à sa défense? « L'ame, dit le matérialiste, éprouve à point nommé toutes les vicissitudes du corps ; l’un et l’autre sont toujours dans un état analogue : l'ame intelligente est débile dans l’en- fance , elle se développe dans la jennesse , elle acquiert de la maiurité dans l’âge viril , elle dé- cline dans la vieillesse. Une maladie passagère altère ses facultés ; l'intelligence est obscurcie , et quelquefois à demi- éteinte dans la paralysie ; elle est complètement assonpie dans la léthargie. En général , si le corps souffre , l'ame languit ; elle reprend sa vigueur dans l’état de santé. Mais, outre la puissance qu’exerce l’état des organes sur les facultés intellectuelles de chaque individu, il est un antre genre d'influence plus générale de la matière, que produisent sur des populations entières la nature du climat, l'effet combiné de la situation des lieux, de l'air atmosphérique, des boissons et des alimens, en un mot, de toutes les circonstances locales. On sait qu'en général les habitans des montagnes ont l'esprit plus délié, plus de sagacité et d'adresse que ceux des plaines. L'exemple frappant du crétinisme, dans les vallées où règne cette étrange et aflligeante dégénération de l'intelligence humaine, mérite d’être considéré. CHEZ LES ANIMAUX. 227 Ne voit-on pas, dans un même état, des contrées privilégiées où la nature se plaît à faire naître un plus grand nombre d'hommes distingués que dans quelques autres ? Tout prouve donc qne l'ame ne diffère en rien d'une substance corporelle , puis- qu'elle subit toutes les variations, toutes les mu- tations des corps avec lesquels elle se trouve en relation , et que nous la voyons partont soumise à l'empire de la matière. Vous ne pouvez, con- tinuera le matérialiste , me contester cette iden- tité de nature , s’il est vrai qu'un pur esprit ne puisse rien avoir de commun avec la matière, et qu'il soit au contraire tellement indépendant de l'action des organes corporels, qu'il ne puisse jamais leur être assujéti. » Le matérialiste aura raison dans le système des philosophes auxquels il s'adresse ; car voici la ré- ponse que toute l'école anti-matérialiste fait à son argument , et la seule en effet qu'elle puisse y opposer. Quoique l'ame et le corps de l’homme soient de nature différente , le Créateur a établi entre les deux substances une union tellement étroite et une telle correspondance mutuelle, que, selon le bon ou le mauvais état du corps, l'ame exerce ses fonctions plus librement ou avec plus de dif- ficulté. De cette intime relation il résulte néces- sairement que , suivant le degré de perfection, de vigueur, ou de faiblesse des organes corporels, 228 DU PRINCIPE D'ACTION l'esprit doit manifester ses facultés avec plus ou moins d'énergie. A quoi l’on ajoute, pour plus de clarté, cette ingénieuse comparaison que fait l’auteur de la Lettre à un Matérialiste : « As- « sujétissez le plus industrieux agent à une cer- « taine machine , en sorte qu'il ne puisse se re- « muer sans elle. Dès que la machine se détraque, « l'agent cessant de pouvoir opérer avec justesse, « ne donne plus les mêmes preuves d'industrie. « Si le jeu de la machine s'arrête, l'agent s’ar- « rêle aussi : on dirait qu'il a perdu tonte son « activité, Que l'on donne au plus excellent mu- « sicien un luth qui ne soit point d'accord , il « n'en lirera que de faux tons : vous ne saurez « ce que son talent sera devenx. De même, il « est aisé de concevoir que l'ame et le corps « étant dans une liaison qui les assujétit mutuel- « lement l’un à l'autre, ils ne peuvent agir que « de concert. » Cette réponse ne peut être à l'usage des phi- losophes qui professent la doctrine de l'indépen- dance absolue entre l'esprit et la matière : ils se sont ôté le droit de s’en prévaloir. Mais de plus, comment expliqueront-ils la réaction de l'ame sur le corps, dont nous voyons de si fréquens exem- ples? Les profondes peines morales, comme les grandes et les trop promptes joies, qui certes ont bien leur siége dans l'esprit, dans l'ame spirituelle, quels dérangemens ne leur voyons-nous pas ap- CHEZ LES ANIMAUX. 229 porter dans l’économie animale ! Or, dans le sys- tème dont il est question ; comment la substance spirituelle pourrait-elle agir sur les organes cor- porels, au point d'en suspendre ou d'en altérer complètement les fonctions ? Concluons de tout ce qui précède que l'hypo- thèse d'une indépendance totale entre la subs- tance spirituelle et la ratière , dans l’homme tel qu'il est constitué pour la vie présente, est inad- missible , et que , pour expliquer les divers phé- nomènes de la vie sensitive et intellectuelle , il n'est point nécessaire de recourir à la supposition gratuite d'une ame intermédiaire entre le corps et l'esprit. Si donc il n'y a aucune substance moyenne entre les deux natures, et que la sensation ne puisse appartenir à la matière , il faudra bien admettre que le siége de la sensation est dans la substance spirituelle proprement dite. Dès lors, accorder aux animaux des sensations, ce sera leur accorder une ame d'une nature spirituelle, et l'on n'aura plus de raison pour leur refuser une me- sure d'intelligence assortie seulement à leurs be- soins et à leur destination. Ceci nous ramène au mot intelligence , si lequel nous nous étions proposé de revenir, et dont l’acception est en effet un point capital dans la discussion qui nous occupe. Ce mot a, dans la langue française , deux sens très-différens. Selon 230 DU PRINCIPE D'ACTION l'un, intelligence signifie faculté de connaitre, de comprendre, de discerner, etc.; d'autres fois on donne ce nom aux êtres spirituels, tels que Dieu, les Anges, l'ame humaine. Les philosophes dont nous examinons l'opinion prenant d’abord ce mot dans cette dernière acception , en le fai- sant synonyme d'esprit, de substance purement spirituelle , et refusant à l'ame des animaux l'in- telligence considérée comme faculté, croient devoir lui refuser en conséquence la spiritualité proprement dite. Ce raisonnement , appuyé sur le double sens d’une même expression , manque évidemment de justesse et ne peut être concluant. Les philosophes dont nous parlons ne se rendent pas eux-mêmes un compte bien exact de leurs idées ; ils s'embarrassent dans leurs raisonnemens ; on voit qu'ils confondent par intervalles les affec- tions et les opérations, tant intellectuelles que sensitives , avec la substance même , avec l'être en qui elles se passent. Observons que , quels que soient la nature et les divers degrés de perfection qui appartiennent à des êtres auxquels on donne le nom d'intelli- gences (par pure convention ), il ne s'ensuit pas que le Créateur n'ait pu répartir entre des êtres de divers ordres, différens degrés de la capacité de connaître et de comprendre, appropriés à leur aature , à leurs besoins et à leur fin. Pourquoi les animaux n'auraient-ils pu recevoir une mesure CHEZ LES ANIMAUX. 251 d'intelligence bornée aux choses purement maté- riclles qui intéressent leur bien-être et leur con- servation ? Cette faculté limitée, circonscrite dans la sphère où ils sont retenus , ne porte nulle at- teinte à la noblesse des facultés intellectuelles de l'homme ; car on peut supposer entre l'intelli- gence départie aux animaux et celle dont l'homme est capable, une distance infiniment plus grande, si l'on veut , qu'entre celle de l'homme et celle des êtres piacés au-dessus de lui dans l'échelle des créatures capables de connaissance. Eprouver des sensations et n'être capable de rien autre, c'est être entièrement passif. Mais l'animal fait quelque chose de plus : il agit en conséquence de ces sensalions ; il tâche d'éviter la douleur qu'elles lui annoncent, ou il prend les moyens de Ja faire cesser ; il satisfait aux besoins qu'elles font naître, ou il cherche les agrémens qu'elles promettent : de tels actes sont l'effet d’une détermination: or, une détermination suppose un discernement et une volonté. Les subtilités enveloppées de nuages et les raisonnemens vagues ou diffus employés par les philosophes qui refusent d'admettre cette con- clusion, décèlent toute la difficulté qu'ils éprou- vent de se soustraire à l'évidence. Nous ne croyons point nécessaire de nous ar- rêter à l'opinion de Buffon, qui, dans la crainte, à ce qu'il paraît, de trop rapprocher les animaux de l’homme, dont il reconnaissait toute la dignité, 252 DU PRINCIPE D'ACTION accorde la sensation aux animaux, mais leur re- fuse en même temps un principe immatériel , opinion que personne n'a adoplée et qui serait une erreur capitale aux yeux même des Carté- siens; car Jamais les Cartésiens n’admettront que la sensation puisse être un attribut de la matière. Buflon prétend expliquer toutes les actions, toute la conduite des animaux par on ne sait quel sens intérieur, qu'il appelle un organe, un résultat mécanique, un sens purement matériel, qui a la faculté d'être ébranlé par les impressions ex- térieures et de conserver des impressions anté- rieures de douleur et de plaisir, qui a la conscience de son existence actuelle, mais qui n'a pas celle de son existence passée, en un mot, qui a tout, excepté la pensée et la réflexion (1). On sait que Buflon, ce grand peintre de la nature, si admi- rable dans ses tableaux , n’a aucune autorité en fait de systèmes philosophiques. « Il a eu le tort, « dit le célèbre Cuvier, de vouloir substituer à « l'instinct des animaux, une sorte de mécanisme = « plus inintelligible peut-être que celui de Des- « carles (2). » (1) Discours sur les animaux. (2) Biogr. univ., article Buffon. CHEZ LES ANIMAUX. 233 6 U, QUELQUES EXEMPLES DE LA CONDUITE DES ANIMAUX, Qu'il nous soit maintenant permis de proposer aux disciples des deux Ecoles dont nous venons de discuter les doctrines, d'expliquer, dans leur système respectif, quelques faits pris au hasard parmi une infinité d'autres. Nous n'irons pas feuilleter les volumineux recueils d'Histoire Na- turelle, ni les nombreuses relations des voyageurs, pour y puiser des exemples plus ou moins curieux, mais ignorés du vulgaire. Nous nous bornerons de préférence à des faits connus, à des exemples journaliers et communs, qui se passent sous les yeux de tout le monde , comme étant les plus propres à fournir matière à des observations va- riées que l'on peut réitérer à volonté. Nous prions nos lecteurs de se rappeler cette observation , surtout lorsqu'ils seraient tentés de nous dire que ce n'était pas la peine de citer certains actes des animaux qui ne paraissent mériter aucune atten- tion particulière. Qu'on se souvienne que notre intention n'est point d’exciter la surprise ni l'ad- miration ; mais nous choisirons souvent et à des- sein des actes très-ordinaires, comme offrant les cas les plus défavorables à l'opinion qui admet quelque intelligence chez les animaux. Nous com- mencerons par les animaux domestiques, dont on 234 DU PRINCIPE D'ACTION peut apprécier journellement la conduite; et voici d'abord quelques actions qui prouvent que l'ani- mal n'agit pas toujours dans le seul but de sa propre conservation, sans parler de quelques au- tres, parmi celles que nous exposerons ensuite. On a pu remarquer les jeux, disons même les extravagances auxquelles se livrent les jeu- nes animaux, et notamment les chiens et les petits chats , soit entre eux, soit même seuls. Si l'on dit que ces amusemens ont pour objet un exercice salutaire, nous demanderons s'il est né- cessaire qu'une machine , pour se maintenir en bon état, ait l'air de se réjouir, et qu’elle s’ébatte quelquefois jusqu’à l'apparence de la folie : il fant convenir que deux ou trois machines qui se di- verlissent ensemble, présentent un spectacle fort plaisant. On voit souvent des chiens à la fenêtre de leur maître, se plaire à considérer les monvemens qui ont lieu dans la rue, suivre des yeux les passans avec une sorte d'intérêt, et particulièrement les animaux de leur espèce. Le chien d'un décrotteur de Paris salissait les souliers et les bottes des passans , pour procurer des pratiques à son maître. Un Anglais l’acheta, le porta à Londres et le tint renfermé pendant quelques jours, ne négligeant rien pour se l'at- tacher par la nourriture et par les bons traitemens, Au bout de quinze jours, ce chien se retrouva à CT SOS TS Me CHEZ LES ANIMAUX. 235 Paris auprès de son premier maître etrecommenca son ingénieux et utile manége! Nous concevons que l’on puisse à la rigueur expliquer, par le jeu d'un pur mécanisme , certaines actions des ani- maux qui seraient le résultat de quelques mouve- mens intérieurs, ou de l'impression produite sur eux par la présence des objets extérieurs. Mais qu'un Cartésien nous dise s’il comprend sans diffi- culté comment une machine transportée à Lon- dres pent se déterminer d'elle - même à quitter cette ville, à s’'embarquer pour la France, marcher directement sur Paris et y retrouver son ancien maître. Un particulier sort de la maison ; son chien . voudrait le suivre, mais on le lui défend. Le chien reste assis , les regards tournés vers la porte, dans l'attitude du regret, et quelquefois avec un air de mutinerie, Que pouvait gagner cet animal à sorlir, si ce n’est une jouissance? Et si le maître n'était pas sorti en ce moment, le chien ne s’en serait trouvé ni mieux ni plus mal quant à ce qui intéresse sa conservation. Les animaux ont besoin de boire et de manger, et ils savent manifester ce besoin. Une machine peut avoir besoin de réparation, mais elle l’ignore et n'en cherche pas d'elle-même les moyens. Si J'animal-automate n’a pas le sentiment du besoin, d'où vient qu'à point nommé il recherche sa nour- riture et Ja sollicite même avec instance ? D'où 256 DU PRINCIPE D'ACTION vient qu'un chien favori préfère à des alimens sains, des friandises qui vont à un résultat con- traire au but de sa conservation ? Un chien abandonne sa pâtée pour se jeter sur celle du chat qui mange près de lui. Bien plus : une autre fois il refuse la nourriture qu'on lui présente, parce qu'il n’en a pas besoin ; on appelle le chat, alors il se hâte de dévorer ce qu'il a d'a- bord refusé, et fait ainsi violence à l'instinct na- turel qui le faisait répugner à des alimens con- iraires à sa santé. On a vu plus d’une fois le chien du pauvre re- fuser de rester dans une maison étrangère, où on lui prodignait une abondante nourriture, pour revenir partager avec son maître de chétifs ali- mens à peine suffisans pour le soutien de sa vie. Combien de fois n'a-t-on pas admiré avec quel courage des chiens ont défendu, au péril de leur vie, celle de leur maître attaqué par des assassins! Et qui a pu apprendre sans attendrissement Vhis- ivire de ce chien qui , blessé mortellement par les meurtriers de son maître , en combattant pour lui, traîna ses propres entrailles jusqu'à la porte de sa maîtresse, l'appela par ses gémissemens et la conduisit auprès du cadavre de son mari, où il expira lui-même? Un autre chien sait doulou- reusement le cercueil de son maître, s'arrête sur sa tombe qu'il ne veut plus quitter, refuse tous les alimens qu'on lui présente, et se laisse mourir CHEZ LES ANIMAUX: 257 de faim. Est-ce pour sa propre conservation que cet automate vient ici périr d'inanition ? Un chasseur, tombé dans un marais, s’y trou- vail enfoncé jusqu'aux aisselles et faisait de vains efforts pour se tirer de là. Son chien, témoin du danger qu'il courait, manifestait sa douleur et ses craintes par ses mouvemens et ses cris. Tout-à- coup, il part comme l'éclair, se rend au village le plus voisin, où, par ses aboiemens et ses dé- monstrations , il attire d'abord l'attention de quelques personnes. Ayant enfin réussi, par des mouvemens plus significatifs, à se faire suivre, il en témoigna sa joie et se mit à courir en avant avec la plus grande célérité, jusqu’au lien où était son maitre, qui fut délivré sain et sauf. Une chose non moins remarquable , c'est que dès lors ce chien n'a plus voulu chasser avec son maître. Consultez tons les chasseurs, et trouvez - en un seul qui puisse ne voir, dans les secours qu'il re- çoit de ses chiens, que le jeu purement mécanique de quelques ressorts inanimés, sans l'intervention d'aucune sorte d'intelligence. Un chien répond aux caresses de son maître ; il lui en fait lui-même qui vont quelquefois jus- qu'an transport , après une absence plus longue qu'à l'ordinaire, Si le maître n’eût pas caressé son chien en ce moment, que serait-il arrivé à celui-ci de fâcheux pour sa conservation ? Quel bien, dans aucun cas, des caresses peuvent-elles faire à une machine ? 238 DU PRINCIPE D'ACTION Un chien se trouve sur un parapet éloigné de la porte d'entrée de l'habitation; il voit venir de Join quelqu'un de la maison ; il manifeste son plaisir par le mouvement de sa queue et dans un regard que l’on voit s’animer par degrés ; il des- cend et va avec empressement attendre cette per- sonne à la porte. Sa joie redouble lorsqu'il entend mettre la clef dans la serrure. Comment ne pas reconnaitre ici chez cet animal une véritable jouis- sance? Si cet oiseau qui nous ravit par son chant n'éprouvait lui-même aucun plaisir, comment resterait-1il des heures entières dans la même at- titude, à varier son ramage ? On connaît les signes d'une vive salisfaction que donne l'éléphant, lors- qu'il entend jouer sur des instrumens de musique certains airs qu'il goute de préférence à d'autres. On avait arrêté un chien dans un jardin, en fermant la grille par où il voulait sortir. Il exis- tait une autre ouverture qui venait d'être prati- quée dans le parapet seulement depuis peu; le chien ne pouvait apercevoir celte ouverture du lieu où il se trouvait. Après avoir fait pendant quelques instans de vains efforts contre la grille fermée , 1l s’avisa subitement de courir à toutes jambes vers l'autre issue et arriva tout joyeux au- près des assistans, comme satisfait d'avoir déjoué leur intention de le retenir. Certes , on ne peut dire que l'aspect de l'ouverture que le chien ne voyait pas , ait fait sur ses organes et sur ses es= CHEZ LES ANIMAUX. 239 prits vitaux une impression susceptible de déter- miner le mouvement de ses jambes vers cette issue. Si l'on dit que le chien avait vu précédem- ment ce passage, ce qui est vraisemblable, il faut nécessairement admettre qu'il a agi dans cette cir- constance en vertu de quelque chose qui ressem- ble à un acte de mémoire. Un jour que l'on commencait à montrer au même chien à santer par-dessus un bâton, en lui donnant quelque friandise chaque fois qu'on était parvenu à le faire sauter, lorsqu'on eut quitté le bâton , le chien alla le chercher de lui-même, sans qu'on eût essayé de le lui apprendre et sans qu'on lui eût rien ordonné. Il vint offrir le bâton à son instituteur, en l'invitant, par son regard, à lui faire recommencer un exercice où il trouvait son profit. Nous avons été témoin de ce trait, ainsi que du précédent et de plusieurs autres parmi ceux que nous rapportons ici. Un bâton qui menace un animal peut lui causer une impression qui, dit-on, donne aux esprits vitaux une direction propre à déterminer l'animal à la fuite. Mais d'abord, pourquoi cette fuite pu- rement mécanique a-t-elle toujours lieu précisé- ment da côté opposé à l’homme qui menace? De plus, le maitre commande à son chien, sans le menacer : le chien obéit, pour n'être pas frappé dans le cas où il n'obéirait pas. Il sait donc qu'il serait frappé dans ce dernier cas ; il faut donc 240 DU PRINCIPE D ACTION qu'il se souvienne d’avoir été frappé en pareille circonstance. Un jeune chien ne fait encore nulle attention lorsqu'on sonne à la porte de la maison. Mais comme, chaque fois que l’on sonne, quelqu'un de la maison va ouvrir et qu'alors il se présente ordi- nairement à la porte quelque personne étrangère, le chien finit dès lors par crier toutes les fois qu'il entend la cloche. Si un chien veut sortir d’une chambre où se trouvent quelques personnes, il s'adresse à celles- ci et les invile par ses allées et venues , par ses mouvemens et par ses regards , à lui ouvrir la porte. S'il n'y a personne dans la chambre , et qu'il entende quelqu'un dans la pièce voisine , alors il gratte à la porte jusqu'à ce qu'on la lui ouvre. Comment se fait-il qu'un chien manque rare- ment d'aboyer contre les individus mal vêtus qui se présentent chez son maître, tandis qu'il se tait le plus souvent à l'aspect des personnes mises convenablement ? Voilà un discernement assez remarquable dans le jeu de quelques ressorts ina- nimés, mis en action par les esprits vitaux; car les esprits vitaux jouent un grand rôle dans le système des automates. Voici encore quelques-unes de leurs merveilles. Votre chien est près de vous; vous l’appelez par le nom que vous lui avez donné : il lève la tête CHEZ LES ANIMAUX. 241 ét vous regarde , comme pour connaître ce que vous voulez de lui ; une autre fois, appelé de la même manière , il se dresse contre vous ét vous fait des caresses. S'il est à quelques pas de vous, et que vous l’appeliez sur lé même ton de voix et sans aucun autre signe, ron-seulèment il tourne la tête, mais il s'approche de vous , tantôt avec lenteur, tantôt en courant. On voit par ces exem- ples , comme on peut le voir dans une infinité d'autres , qu'une même impulsion imprimée aux organes peut déterminer les esprits vitaux à pro- duire dés mouvemens totalement différéns. Et il arrive aussi, au contraire , que des causes éèxté-: rieures toutes différentes produisent sur les orga- nes et sur l'action des esprits vitaux uñe même impression , tant ces esprits sont dociles pour se prêter à tout ce que l'on veut. En effet, on donné à un animal un nom arbitraire : on aurait pu lui en donner un tout autre ; il s’accoutume à cé nom et il y répond. Il sé serait également aiccoutumé à répondre à tout autre nom quelconque : en sorté qu'un même mécanisme peut recevoir la même impulsion par des sons articulés entière- ment diflérens, quelle que puisse être la diversité infinie de ces sons. Un animal est piqué par ün insecte : ce n'est pas une sensation éprouvée sur le point où a lieu la piqûre, qui détermine le mouvement de l'animal 16 242 DU PRINCIPE D'ACTION vers ce point; mais la piqûre donne aux esprits vitaux une direction qui va faire agir précisément celle des quatre pattes qui peut atteindre à l’en- droit piqué. | Un animal a soif : ce besoin détermine dans le mécanisme le mouvement des jambes pour diriger l'animal auprès du vase où il peut se désaltérer. Le lendemain , une nouvelle soif fait prendre à cet animal la même direction sans le concours de la mémoire. Mais le vase a changé de place : alors les esprits vitaux agissent de manière à faire rôder l'animal autour de la chambre, jusqu'à ce que la rencontre du vase donne aux mâchoires et à la langue le mouvement convenable, On avait fermé une chatière avec un cercle de carton suspendu par un cordon. Nous avons vu un chien et un chat se présenter d’abord devant cette porte sans s’aviser d’écarter le léger obstacle qui s’opposait à leur passage. Le chat ayant re- marqué un jour la mobilité du carton , se mit à le pousser de côté avec la patte et passa par le trou ; ce qu'il a fait dès lors chaque fois qu'il a voulu passer. Le chien, à son tour, ayant vu Faction du chat, l'imita à sa manière , en écar- tant le cercle avec son museau; et depuis ce mo- went, il passait et repassait de même avec la plus grande facilité. S'il n’y a pas ici de l'intelligence et de la mémoire, il faut renoncer à reconnaître CHEZ LES ANIMAUX. 243 les occasions où interviennent ces deux facultés. Lorsqu'un homme monte sur un arbre pour se soustraire à la fureur d'un éléphant sauvage , si celui-ci est assez fort, il abat l'arbre; dans le cas contraire , il appelle à son aide d’autres éléphans qui accourent à sa voix, et tous ensemble arrosent le pied de l'arbre, en arrachent les racines et le renversent. Il ÿ avait, en 1829; à Bangkok , ca- pitale actuelle du royaume de Siam, deux éléphans apprivoisés, dont l'un allait souvent au Bazar pour quêler du fruit, qu'il partageait ensuite avec son conducteur. L'autre se plaçait à la porte du roi, où on lui apportait un grand vase plein de riz et une cuiller; prenant le riz avec sa trompe; il en . donnait à tous les talapoins qui passaient auprès de lui. Lorsque le cornac s'endort dans un bois, on a vu l'éléphant faire sentinelle auprès de lui et chasser les insectes qui pouvaient l'incommo- der: et si le conducteur dormait encore à l'entrée dé la nuit, l'animal le placait avec précaution sur ses défenses et l’'emportait dans sa cabane. Une attention soutenue repose essentiellement sur l’exéreice de la mémoire, car l'attention n’est autre chose que l’action de la mémoire appliquée, d'un instant à l'autre, sur un même objet; telle est encoré une suiîle d'actes qui se rapportent à une même fin. Et cependant , tout en accordant des sensations aux bêtes, des philosophes vou- 244 DU PRINCIPE D'ACTION { draient refuser la mémoire à cet animal qui, dans une longue attente, épie le moment favorable pour saisir sa proie ; à ce renard, à ce putois, qui emportent l’une après l'autre dans leur retraite, les pièces de leur butin ; à ce rat qui accrunule successivement des provisions dans son trou; à l'abeille et à la fourmi pourvoyant peu à peu aux besoins de la communauté; en un mot, à tous les animaux , dont la conduite nous montre chaque jonr une série d'actes nombreux se liant tous à .un même but, Comment, sans mémoire, un ani- mal domestique peut-il reconnaître le lendemain son maître de la veille? que disons-nons? seule- ment d'un moment à l’autre? N'y avait-il point de mémoire dans le fait de ce chien du décrotteur, qui part de Londres, sait reprendre le chemin par lequel il y est arrivé, s'embarque, prend la route de Paris et retrouve son premier maitre au milieu de cette grande ville? Si une machine, quelque parfaite qu'on veuille la supposer , ne peut rien apprendre , il en est bien de même d'un étre entièrement passif, réduit à n'avoir que des sensations; car, pour apprendre , il fant la volonté , l'attention et la mémoire. Pourrait-on dire que Dieu ait donné à tel être uniquement passif une disposition na- turelle à sauter par-dessus un bâton, à danser sur la corde, à faire l'exercice militaire, à contrefaire CHEZ LES ANIMAUX. 245 le mort, à montrer les dents, à se précipiter dans une rivière pour y chercher ce qu’on lui demande, à danser sur ses pattes de derrière, à marcher à genoux, à fermer une porte, à mettre le feu à une mêche , à rassembler des chiffres , à assortir des couleurs, à retenir et répéter des airs artificiels, comme le font le rossignol, le merle, le serin, le linot; à jouer au domino et aux cartes, à connai- tre les heures d’une horloge , etc. ; à exécuter tant d’autres tours de force, tels que ceux de l’éne sa- vant , de la chèvre acrobate , des deux Munito, bêtes célèbres qui se sont acquis une réputation européenne ; en un mot, à faire tout ce qu'il plaira à la volonté, et même à la fantaisie la plus bizarre de l'homme , de prescrire à un animal? Certes, un chien, une chèvre, un âne, un serin, laissés à eux-mêmes, ne s'aviseront Jamais tout seuls de ces choses-là. Ils les ont donc apprises lorsqu'on est venu à bout de les leur faire faire. Ce n’est pas que nous pensions que les animaux puissent apprendre à la manière de l’homme, c’est-à-dire s'élever des impressions sensibles à des idées abs- traites et générales qui leur servent d'instrumens pour poursuivre leurs recherches et les faire par- venir à des connaissances ultérieures. Mais nous entendons qu'il y a chez les animaux quelques rayons d'intelligence, quelque puissance de sou- venir, en vertu de quoi des impressions diverses 246 DU PRINCIPE D ACTION peuvent chez eux selier entre elles et les détermi- ner à des actions non-seulement indifférentes à leur bien-être, mais qui même peuvent y être momen- tanément contraires. Aussi voyons-nous que des animaux, par l'effet des soins donnés à leur édu- cation , parviennent à exécuter des choses tota- lement étrangères à leur destination , complète- ment inutiles à la conservation des espèces , et absolument incompatibles avec l'insensibilité d'une machine , comme avec la nature et l’état passif d’un être borné à la seule sensation. Les animaux ne donnent pas seulement des signes qui sembleraient annoncer chez eux l’exis- tence de certaines facullés intellectuelles , mais ils en offrent encore qui paraîtraient indiquer cette qualité, cette disposition de l'ame à laquelle on donne le nom de sensibilité : telles sont ces mar- ques touchantes d’attachement que le cheval et le chien montrent par fois envers leurs maitres (1); (1) « Y a-t-il rien de comparable, dit Buffon, à l’atta- « chement du chien pour son maître ? On en a vu mourir « sur le tombeau qui le renfermait. Mais (sans vouloir citer « les prodiges ni les héros d’aucun genre), quelle fidélité à &« accompagner, quelle constance à suivre, quelle attention &« à défendre son maître! quel empressement à rechercher « ses caresses! quelle docilité à lui obéir! quelle patience « à souffrir sa mauvaise humeur et des châtimens souvent & injustes ! quelle douceur et quelle humilité pour tâcher de « rentrer en grâce ! que de mouvemens, que d’inquiétudes, CHEZ LES ANIMAUX. 247 telle est cette amitié que se témoignent récipro- quement certains animaux, comme.les chameaux et les dromadaires, la vive affection qu'avait le lion de la ménagerie de Versailles pour le chien qui lui servait de compagnon , et dont la mort lui causa une si grande mélancolie et la perte de l'appétit. Qui ne connaît le trait de pitié de ces chevaux qui broyaient avec leurs dents la paille et l'avoine, pour les jeter ensuite devant un vieux compagnon qui ne subsistait que par lenr géné- rosité” Nous rappellerons encore à ce sujet l'acte remarquable de cet éléphant qui, ayant tné son cornac , se montra ému de compassion à la vue des deux enfans que la femme du cornac, dans son désespoir, lui jeta aux pieds, qui saisit l'ainé, le mit sur son cou , l'adopta pour son cornac et n'en voulut jamais d'autre. « que de chagrin s’il est absent ! que de joie lorsqu'il le re- « trouve! À tous ces traits peut-on méconnaitre l'amitié ? & Se marque-t-elle même parmi nous par des caractères « aussi énergiques ? » (Discours sur les animaux). Il est vrai que Buffon compare cette amitié à celle d’une femme pour son serin, d’un enfant pour son jouet, etc. : toutes deux, dit-il, ne sont qu’un sentiment aveugle, seule- ment plus naturel chez l'animal, parce qu’il est fondé sur le besoin. Outre l’étonnement que doit causer une telle com- paraison, nous désirerions encore une fois qu’on voulüt bien nous expliquer comment le sentiment du besoin peut déter- miner un animal à refuser toute nourriture et à se laisser pé- rir volontairement sur la tombe d’un homme, 248 DU PRINCIPE D'ACTION Avons - nous besoin de rappeler l’histoire du lion de Gerasimus, qui mourut de regret sur le tombeau de ce saint Abbé ; celles du lion d'Andro- cle (1), du dauphin du jeune écolier de Bayes (2), du dragon de Thoas (3) ; celle du chien de cet esclave condamné au dernier supplice, qui restant auprès du corps de son maître, li présentait à la bouche, comme pour le rappeler à la vie, les morceaux de pain qu'on Jui donnait à lui-même, qui se jeta ensuite dans le Tibre après le cadavre et le tenait soulevé au-dessus des flots, etc., etc.? Si quelques animaux paraissent susceptibles de pitié et de reconnaissance, ils sont aussi capables de vengeance et de rancune. Personne n'ignore le trait de cet éléphant que dessinait un peintre et auquel on jetait de temps en temps quelqnes alimens dans la bouche, pour le maintenir dans l'attitude convenable. Comme la séance devenait un peu longue, il fallait tromper quelquefois l'éléphant, et le valet du peintre se bornait par intervalles à faire le geste ordinaire. L'animal, indigné à la fin de cette ruse, inonda avec sa trompe le travail du dessinateur, au lieu de s’en prendre au valet, et montra, par ce discerne- (1) A. GEzr., 1.5, c. 44. () Pan. , 1.9, c. 8. (3) Pran., 1. 8, c: 17. CHEZ LES ANIMAUX. +‘. 248 ment, qu'il connaissait le véritable auteur de la supercherie, Un chien une fois frappé par des personnes étrangères oublie rarement l’offense qu'il en a recue ; et à chaque rencontre , il les poursuit avec fureur par ses cris et ses attaques. Lorsqu'on fait faire et répéter à un animal quel- ques -uns des tours qu'on lui a appris, si l’on pousse la chose trop loin , en prolongeant les ordres outre mesure, l'animal commence par té- moigner de l’impatience, bientôt il n’obéit plus qu'en murmurant , et finit quelquefois par les emportemens de la colère. Que n’aurions-nous pas à ajouter à tout ce qui précède, sur le changement que l’homme parvient à produire dans le naturel des animaux sauvages qu'il réussit à apprivoiser, et auxquels il fait exé- cuter des choses tout-à-fait opposées à leur ca- ractère primitif : sur ceux d’entre ces animaux qui, une fois apprivoisés, se rendent les complices de l'homme pour attaquer leurs semblables dans leur indépendance, les dompter et les assujétir à leur tour : sur les lonps qui se mettent en embuscade pour poursuivre un chien qu'un autre loup, par une fuite simulée, attire après lui : sur la biche qui enseigne à son jeune faon à courir pour se sauver des chiens, et qui le châtie à coups de pied quand il ne veut pas obéir : sur la vigilance et 250 DU PRINCIPE D'ACTION Factivité du chien de berger dans la garde et la conduite du troupeau qui lui est confié : sur les chamois qui, ainsi que les singes, ont une senti- nelle avancée, laquelle, à la moindre apparence de danger, pousse un cri pour avertir les autres : sur ce singe navigateur qui, grimpant sur le mât de perroquet, signalait par un cri l'apparition des bâtimens dans le lointain , ce qui lui avait valu le titre de Capitaine en second du perroquet : sur cet autre singe navigateur qui, après avoir vécu quelque temps en parfaite intelligence avec la compagne qu'on ini avait donnée, la prit peu à peu en dégoût , et finit par la précipiter mé- chamment dans la mer, ce qui excita un senti- ment d'horreur dans tout l'équipage et éteignit l'intérêt qu’on lui portait auparavant? Que ne di- rait-on pas sur les gentillesses, les espiègleries et le génie imitateur de eette espèce d'animaux : sur l'adresse de l’écureuil , qui se fait une nacelle d'é- corce d'arbre , s’'embarque et traverse l'eau , en faisant de sa queue une espèce de gouvernail : sur Fadmirable industrie des castors , qui travaillent en société et de concert pour le bien commun; qui établissent leurs chantiers et se distribuent entre eux leurs tâches diverses ; qui ont leurs in- génieurs, lenrs macons, leurs charpentiers, leurs sapeurs, leurs pionniers, etc. (1)? Que n’aurions- (1) L'exemple des castors suñit seul, entre tant d’autres, CHEZ LES ANIMAUX. 251 nous pas à dire sur les travaux de l'abeille , si justement admirés, malgré l'étrange erreur où l'illustre Buffon est tombé à ce sujet, travaux qui d’ailleurs n'étaient que bien imparfaitement connus avant les recherches et les expériences des naturalistes plus modernes , et particulière- ment de quelques savans entomologistes, au nom- bre desquels nous pouvons citer avec honneur le respectable Président de cette Société (M. le Gé- néral Comte de Loche), à qui l'histoire des abeilles doit non-seulement des faits nouveaux qui lui ap- partiennent, mais des éclaircissemens sur d’autres faits importans, dès lors mieux compris et mieux appréciés. On connaît les intéressantes observa- tions du célèbre Huber, qui a pris les abeilles sur le fait pour ce qui regarde leurs constructions, ainsi que sur un grand nombre d’autres points im- portans de leur histoire, au moyen de l'ingénieux appareil des tables vitrées de ses ruches. Ces di- verses investigations nous ont appris comment une première et seule ouvrière établit les fon- demens de l’édifice, qu’elle laisse continuer à celles qui vont lui succéder tour à tour; comment une pour faire tomber la comparaison que l’on veut établir entre un nombre d’automates d'un mécanisme semblable , faisant en conséquence tous un même ouvrage, et des animaux d'une même conformation entre eux, pour prouver que ceux-ci doivent également tous faire la même chose, 252 DU PRINCIPE D'ACTION ouvrière, plus adroite que d’autres, vient réparer les fautes échappées à celles qui l’ont devancée (1); quelle sage économie elles mettent dans l'emploi de leurs matériaux; comment elles savent se plier aux accidens qui se présentent, surmonter les ob- stacles qu'on leur oppose , éluder les difficultés imprévues (2); avec quelle prévoyance et quelle justesse elles donnent aux alvéoles des dimensions proportionnées à la ponte des œnfs d'onvrières , comme à celle des œufs de mâles ; avec quelle précision elles mesurent l'étendue de leurs ma- gasins sur la plus ou moins grande abondance des (4) Que devient ici l'explication que donne Buffon, de la construction des alvéoles, par l'exemple des pois qui, pressés dans un pot que l’on fait bouillir, doivent prendre nécessairement, par la pression, la forme d’une colonne à six pans ? (2) Les fourmis , dont la conduite n'offre peut-être pas moins d'intérêt que celle des abeilles , ont , comme celles- ci, non-seulement tout l'instinct nécessaire pour se conduire convenablement dans les circonstances ordinaires, mais encore toutes les ressources pour parer aux inconvéniens inattendus , pour s’accommoder aux accidens nouveaux qu’elles rencontrent, pour déjouer les artifices par lesquels on cherche à les surprendre dans leur travail. (Voyez les Recherches sur les fourmis indigènes, par M. P. Huber fils, ouvrage dont nous avons rendu compte dans le Haga- sin encyclopédique, de janvier 1811 , ainsi que des Vou- velles Observations sur les abeilles, de son père, dans le même Recueil, cahier de novembre 1814). CHEZ LES ANIMAUX. 255 récoltes du miel ; avec quelle habileté elles élè- vent des murs de défense, pratiquent des retran- chemens , masquent des passages , disposent des défilés dangereux, pour s'opposer à l'invasion de leurs ennemis (1). Mais terminons cette discussion, pent-être déjà trop longue ; et concluons de tout ceci que des (4) C’est au sujet de ces travaux merveilleux que, dans un mouvement naturel d’admiration , nous nous sommes écrié ailleurs : « O vous, qui avez vu bâtir les palais des « rois, ces ares, ces colonnades, ces édifices somptueux, « ces voûtes hardies et savantes qui vous étonnent; vous « qui admirez le génie de l’Architecture dans ces nobles « monumens qui embellissent nos grandes villes, dans ces « solides boulevarts qui les défendent , venez auprès de la « ruche de M. Huber! ici vous attend un spectacle qui con- « fondra vos esprits; ici vous éprouverez une admiration « d’un autre caractère et dont la source est inépuisable : « tous les prodiges des arts s’évanouiront devant le travail « d’une mouche. » Magas. Encycl. loc. cit. Sans prendre à la lettre les expressions figurées et les images animées qu'emploient souvent les admirateurs de l'industrie des animaux, nous pensons que, d’après un grand nombre des faits que nous avons indiqués, on ne peut s'empêcher de reconnaître chez les animaux des signes d’une véritable intelligence , plus ou moins étendue , sus- ceptible de plus ou moins de développement, selon les espè- ces, mais bornée et appropriée, dans chacune d'elles, à sa nature et à sa destination : et cela nous suffit pour l’objet que nous nous sommes proposé, 554 DU PRINCIPE D'ACTION systèmes spécieux, conçus dans le cabinet, se dis- sipent comme une vaine illusion , à l'aspect de la conduite et seulement de quelques actes d’un ani- mal vulgaire; et c'est ainsi que des raisonnemens philosophiques , construits avec subtilité et expo- sés avec appareil, viennent souvent échouer au- près de la nature observée avec franchise et sans préoccupation. Nous n'avons rien dit des chiens de Terre- Neuve , qui vont d'une manière si admirable au secours des noyés, ni de ceux qui, à la voix des hôtes héroïques du Grand-St-Bernard , volent à la recherche des infortunés voyageurs perdus dans les neiges, et qui semblent partager le zèle de la charité, comme ils en partagent les fatigues. Nous n'avons pas eu besoin de recourir à de telles preuves de ce qu’on peut obtenir de l'intelligence de certains animaux , et nous renvoyons ; sur ce point, à l'observation que nous avons faite au commencement de ce paragraphe, page 233. Nous ne prétendons pas que le séntiment gé- néral que nous avons défendu touchant la nature du principe qui fait agir les animaux, soit exempt de toutes difficultés : y a-t-il quelque chose, dans la nature, qui n’en présente plus où moins à l'in- telligence et à la raison de l'homme? Mais nous répétons, s’il le faut, qu'entre diverses hypothè- ses , toutes possibles , si l'on veut, mais toutes CHEZ LES ANIMAUX. 255 paraissant entraîner des difficultés , une saine phi- losophie nous prescrit d'adopter celle qui en offre le moins et qui se prête facilement à l'explication d'un plus grand nombre de phénomènes. | NT sr | CETRIUE A t GA SAN 00930009099993098930993890989030000000000000000000€ DOC CE CD NOTICE HISTORIQUE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX LL PÈRE CLAUDE LE JAY, NATIF D’AÏSE, EN FAUCIGNY ; PAR D, LE CHANOINE GHUITS LUE À LA SÉANCE DU 10 FÉvVRIER 1852, (25 CF 30 Tirër de l'oubli des noms que le temps a dé- pouillés de l'éclat dont ils brillèrent autrefois, est une dette nationale : la patrie doit un tribut de reconnaissance à des enfans qui l’honorent. Une des obligations de votre Société, Messieurs, est d'acquitter ce tribut (r). Si le souflle des siècles dissipe les cités et les empires, forcez-le du moins à respecter la mémoire des hommes chers aux amis des lettres et de la vertu. La gloire de l’homme de bien est nn héritage acquis au pays qui le vit naître : qu'il l’accepte donc avec gratitude, et le (1) RÈGLEMENS de la Soc. R. Ac, de Savoie, Art. 1, p. 1, 2. 17 258 NOTICE HISTORIQUE conserve avec orgueil. Plus que toute antre contrée de même étendue et à ressources égales, la Savoie produisit de tels hommes. Les noms de quelques- uns sont restés populaires ; ceux de quelques au- tres recoivent des classes instruites l'hommage qui leur est dû; ceux d’autres enfin, perdus dans d'énormes in-folio qu'on n'ose plus parcourir, sont autant d’astres éclipsés pour notre patrie. De ce dernier nombre est un homme qui, dans la première moitié du seizième siècle, fut admiré de l'Italie et de l'Allemagne; qui fonda ou restaura des universités célèbres; que plusieurs Princes et Prélats voulurent s'attacher ; que les Pères du Concile de Trente entendirent et consultèrent comme un oracle ; qui refusa les dignités ecclé- siastiques avec une constance que rien ne put ébranler ; un homme enfin dont la Bavière et l'Autriche pleurèrent la mort comme celle d'un père , et l'Église comme celle d'un Apôtre. Un tel homme mérite sans doute une place dans les Annales de son pays. Lui consacrer quelques li- gnes est faire tout à la fois aimer sa patrie et ché- rir la vertu. Ce modeste et généreux savant , qui travailla toute sa vie à l'instruction des hommes afin de les rendre meilleurs, est Claude Le Jay, natif de la charmante paroisse d’Aïse, en Faucigny (1). (1) August. Della CHies4 , Coron. Real. di Savoja, part. 2, SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 259 C'est une notice historique sur ce compatriote si peu connu et si digne de l'être, que je viens vous soumettre. Claude Le Jay naquit en 1500 (1). On ignore les prénoms des heureux parens qui Ini donnè- rent le jour ; mais on sait que sa famille n’était pas obscure (2). Ses premières études achevées à La Roche (3), il court les étendre et les per- fectionner à Paris. Déjà revêtu du sacerdoce et gradué en théologie, il fait connaissance du Père Favre du Grand-Bornand , qui depuis plusieurs années habitait cette capitale. Celui-ci , disciple d'Ignace de Loyola , entrevoyant dans son com- patriote de rares dispositions, l’exhorte à marcher sur ses traces. Le Jay, passionné pour l'étude et le salut des ames, trouvant dans la nouvelle con- grégation qu'Ignace se proposait d'établir, un ali- ment propre à satisfaire ses inclinations les plus chères , se laisse aisément persuader et devient septième membre de la Compagnie en 1535 (4). IL passe dans la solitude le temps nécessaire pour cap. XIV, Della Baronia di Faucigny ; édit. de 1657, p. 182. (1) Id, ibid. (2) OuLTREMAN , Tableau des personnages signalés de la Comp. de Jésus, p. 67. (3) Grizzer, Diction., tom. 1, p. 235. (4) ORLANDINI, Histor. Societ. Jesu, pars 1, lib. 1, N. 101. 260 NOTICE HISTORIQUE concentrer son génie dansle foyer dela méditation, pour laisser mürir sous un ciel sans orage les fruits de ses études, et pour se rendre capable d'influer sur le bonheur des hommes, sans exiger d'eux le prix de ses généreux travaux. Il se rend à Rome en 1557 avec ses compagnons (1), et ne laisse voir en lui jusqu'en 1540 qu'un religieux pieux et savant. Mais, à cette époque, il révèle, pour ainsi dire , son existence par des merveilles ; et sa mâle éloquence, puisée dans les livres saints, tonne et foudroie, prudente d’ailleurs comme le serpent et simple comme la colombe (2). La discorde s’est glissée parmi les habitans de Bagnarea, en Etrurie; une faction succède à une autre faction; la haine ulcère tous les cœurs; les paroles de paix et de réconciliation ou ne sont pas écoutées, ou sont un nouvel aliment de trou- ble ; chaque jour éclaire de nouveaux meurtres et provoque de nouvelles vengeances. Qui rame- nera le calme dans cette malheureuse enceinte ? C'est un homme &eul, sans forces, sans trésors, sans autre appui que sa confiance en Dieu : c'est Le Jay. Quel est cet inconnu qui vient prendre part à nos démélés, dit-on d'abord? Mais son air bon, simple, modeste, pique la curiosité; après avoir semé comme au hasard quelques paroles de (1) OULTREMAN, loc. cit, (2) MarrH., 10, 16. D er Sms sb. SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 261 paix, il entre dans une église; on l'y snit comme à un spectacle ; il demande l'agrément du pasteur pour parler à la fonle qui l’environne: on acquiesce à ses vœux. Aussitôt la raison, la foi, toutes les vertus semblent s'exprimer par sa bouche. Toutes les pensées de cet improvisateur apostolique sont autant de foudres lancés contre l'esprit de trouble et de sédition. Tout à la fois on admire son génie, son courage, son ardente charité. L’attention se fixe sur l’homme de bien; chaque jour voit ang- menter le nombre des auditeurs : sa vigoureuse éloquence et surtout l'exemple de sa vie triom- phent des plus endureis, qui lui demandent hum- blement des conseils et des règles de conduite. Dès lors les réconciliations s'entament avec éclat et se consolident au tribunal sacré de la miséri- corde ; dès lors les églises ne sont plus assez vastes pour contenir la multitude ; dès lors enfin , on voit ensemble au banquet du salut ces milliers de personnes que des haines mutuelles en éloi- gnaient depuis long - temps. Tel est le glorieux début de notre compatriote en Italie (r). Des succès si prompts et qu'on était si loin d'espérer, donnent la plus haute idée de son talent pacificateur. On se hâte d'en tirer parti. Brescia gémit sous les déchiremens d'une anarchie non moins affreuse que celle qu'il vient de dompter (1) ORLANDINI, loc. cit., lib. 2, N. 93. 262 NOTICE HISTORIQUE en Etrurie. Il recoit donc l’ordre de s’y rendre sans délai. Il y trouve et des obstacles plus nom- breux, et des travaux plus longs et plus pénibles qu'à Bagnarea ; mais enfin la victoire lui reste. Sa voix porte à l’ame un sentiment de charité si chrétienne ! La foule émerveillée eroit entendre les discours d’un ange plutôt que ceux d’un mor- tel. Les classes élevées admirent son talent et cèdent aux charmes de tant de vertus. Des larmes de repentir coulent de tous les yeux, et tont germe de trouble a disparu. La pacification de Brescia lui vaut presque une année de sueurs et de mérites (1). Il n’est pas encore délassé de ses derniers tra- vaux, et déjà l'appellent de nouveaux combats. La discorde n'exerce pas à Faenza son funeste empire, mais une hideuse corruption de mœurs dégrade cette cité de la Romagne. Que fera Le Jay pour donner une vie presque nouvelle à des cœurs plongés dans l'ivresse des sens, et glorieux de vivre esclaves des honteuses voluptés ? car, c’est lui qu'on charge d'opérer cette merveille. I arrive à Faenza en 1541. Maître habile, avant tout il sonde le terrain sur lequel il doit mar- cher. Il étudie le caractère des habitans, s’acquiert leur confiance, et n’a recours aux remèdes qu'après avoir connu la cause du mal et en avoir mesuré (1) OrLANDINI, loc. cit., lib. 2, N. 9%4. SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 263 l'étendue et la profondeur. Son grand savoir lui donne accès auprès des classes instruites ou qui se piquent de l'être : ravi de ses entretiens , on l'exhorte à parler en public; il se rend à cette invitation qu'il désire plus encore que ceux qui la lui adressent. Les grands qui lui ont fait cette demande, sont assidus à venir l'écouter. Ils sont bientôt imités par la foule , et dans peu la viile entière court à ses instructions. On est touché ; les esprits s'éclairent ; l'usage des sacremens de pénitence el d'eucharistie se rétablit ; la foi re- trouve son influence, la pudeur et la réserve tous leurs droits, et les bonnes mœurs tout leur em- pire. Pour consolider cette restauration éminem- ment sociale (qu'est - ce en effet qu'une société sans mœurs!?), il use d’un moyen qui prouverait seul quel ascendant lui donnent ses lumières, son éloquence et ses vertus. Il compose une congré- gation des hommes les plus pieux et les plus ins- truits de la ville. Toutes les œuvres qu'inspire la charité chrétienne lui sont dévolues. Elle fournit des médecins qui soignent gratuitement les ma- lades pauvres ; des avocats qui soutiennent les intérêts des personnes sans appui ; des personna- ges de haut rang qui sollicitent et recueillent l'aumône du riche, pour en faire ensuite à l'in- digence une sage et prudente distribution; des tuteurs qui gèrent le patrimoine de l'orphelin. 264 NOTICE HISTORIQUE Ainsi s’'envolent de Faenza et la mendicité, et les signes extérieurs de la misère (1). Ainsi l'exemple des classes élevées , agissant sur la multitude, opère un changement de mœurs digne des plus grands éloges. Ainsi la hontense licence du pa- ganisme fit place autrefois aux beaux jours de l'Eglise naissante. Maintenant l'édifice est construit, l'architecte peut disparaître. Aussi Le Jay reçoit du Souve- rain Pontife, Paul IT, l'ordre de partir pour Ra- tisbonne , où les amis de Luther et d’autres no- vateurs devenaient redoutables. Il quitte donc les habitans de Faenza devenus meilleurs et désolés de le perdre si vite, et se rend à Bologne. Mais sa réputation l'y a précédé , et cette ville a pris des mesures qui le foreent de lui donner quelques semaines. Le séjour qu'il y fait devient pour elle une époque de bénédictions. Partout où pénètre son zèle, comme un soleil bienfaisant, il répand la lumière, la chaleur et la vie. Enfin, les obsta- cles qu'a rencontrés Le Jay dans sa marche sont levés. Il à traversé l'Italie et franchi les murs de Fatisbonne. Ici, nouveau théâtre , nouvelles mœurs, nouvel idiome , nouveaux usages, nouveau genre de com- bat, Accueilli du premier pasteur de cette ville (4) ORLANDINE, loc. cit., lib. 3, N. 24, 25... GRILLET, loc, cit., p. 256. SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 265 comme un homme qui doit guérir des maux en grand nombre , et peut-être en écarter de plus nombreux encore , il se fait d’abord instruire du véritable état des choses. Les plaies étaient pro- fondes , il n’y avait pas de temps à perdre. Des hommes sans mission , fuyant encore le grand jour et s'enveloppant des ombres du mystère, qualifiaient d’unions légitimes un concubinage sacrilége, les incestes et les adultères spirituels, nommaient liberté évangélique le libertinage le plus éhonté , et déchargeaient le commun des fidèles de tont précepte onéreux. Artisans secrets de trouble, ils fomentaient l'intrigue, les factions, les séditions. Une morale si conforme anx pen- chans favoris du cœur , annoncée dans les ténè- bres , trouve partont des échos qui la redisent à quiconque veut l'entendre. Le Jay commence par rehausser le courage de l’'Archevêque et devient comme l'ame de son administration; il se lie en- suite avec tous les membres du Clergé les plus éclairés , les plus vertuenx et les plus influens , et leur communique son zèle, sa manière de juger les choses et son amour pour le bien. Il les voit réunis , 1] les voit séparés ; il les presse , il les exhorte tour à tour, il les détermine enfin à prendre des forces, à se renouveler dans leur sainte vocation par les exercices d’une retraite sérieuse. Les pasteurs ainsi préparés, il s'adresse aux ouailles. Avis, conseils, exhortations , tout 266 NOTICE HISTORIQUE est mis en usage. Ses discours ne sont pas moins goütés qu'en Italie ; la magistrature et les auto- rités civiles se rangent parmi ses auditeurs : tout annonce une abondante moisson pour le père de famille. Et comme alors on ne parlait que des livres saints, que les novateurs interprétaient sui- vant Jour bon plaisir , il expose publiquement l'Epître de saint Paul aux Galates dans le sens catholique, et remplit cette fonction avec une clarté si convaincante , avec une précision si lu- mineuse , avec une onclion si peu connue , que les amis et les ennemis de l’ancienne foi mettent un empressement égal à venir l'écouter. Contre l'usage, on le prie de ne pas interrompre le cours de ses instructions durant l’automne, et la foule des anditeurs reste la même. Cependant les fauteurs des nouvelles doctrines redoublent d'activité. Les succès inattendus du nouvel Apôtre les alarment et les irritent. On met sourdement en jeu contre lui tous les ressorts de la cabale; on imagine des motifs spécieux qui semblent commander son départ. Mais l'autorité se rit de ces motifs et fait la sourde oreille. Des ecclésiastiques même, ou déjà partisans des nou- veantés, ou mécontens de la conduite exemplaire qu'il exigeait d'eux , ou secrètement humiliés et jaloux des marques d'estime et des éloges qu'on lui prodigne , lui suscitent des tracasseries de toute espèce : mais le premier pasteur prend RE SE SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 267 ouvertement son parti. La calomnie cherche à le noircir de son venin; mais tous les vrais catholi- ques proclament ses vertus. Enfin , plus d'une fois , la haine prépare le poison qui doit lui donner Ja mort, et toujours la providence déjoue les pro- jets de la haine. Néanmoins, sans une heurense saillie , il périssait un jour par la main de ses ennemis : quelques-uns des plus acharnés le ren- contrent seul sur le bord du Danube : laccabler d'injures et se saisir de sa personne est l'affaire d'un instant; et tandis que, le tenant les uns par la tête, les antres par les pieds, ils se préparent par divers balancemens à le précipiter dans le fleuve : Croyez-vous, leur dit-il en riant, qu'il soit moins facile d'aller au ciel par eau que par terre ? Cette réponse d'un homme assez in- trépide pour plaisanter entre les bras de la mort, désarme ces furieux , qui lâchent leur proie (r). Ainsi s'écoulent les années 1541 et 1542. Une partie de l’année suivante sera plus orageuse en- core. Si le zèle et les travaux de cette infatigable et vigilante sentinelle enchaînent les efforts des novateurs à Ratisbonne, ils sont plus heureux en d'autres contrées de l'Allemagne. De vastes dio- cèses, des électorats entiers leur sourient et les accueillent. Tant de succès enflent leur audace, Is tirent enfin parti de la position de cette ville, (1) ORLANDINI, loc. cit., lib. 3, N. 62, 63. 268 -NOTICE HISTORIQUE qui, comme libre, n’obéit qu’à l'Emperenr. A la vérité, Charles - Quint se montre défenseur de l'arche qui chancelle, et paraît la soutenir; mais passant les bornes assignées aux puissances tem- porelles , il s'expose à la précipiter. Plus d'une fois il essaye de disposer les affaires de la religion comme celles de la politique. Presque toujours favorable aux Princes qui Ini fournissent des troupes et de l'argent, qu'ils soient amis de Lu- ther ou de tout autre chef de parti, dès qu'il est sûr qu'ils acquiescent à ses demandes intéressées, il signe aisément leurs pétitions (1). Les magistrats de Ratisbonne, connaissant le faible de l'Empereur, s'opposent mollement aux turbulentes entreprises des ennemis de l'ordre, et sont rarement d'accord avec leur Archevêque sur les moyens de les réprimer ; quelques - uns même, ouvertement dévoués à leur cause, permet- tent l'exercice des nouveaux cultes en deux en- droits de la ville. En vain le premier pasteur conjure le Monarque de révoquer ces concessions scandaleuses'; celui-ci diffère d’un mois à l'autre, et finit par ne rien entendre. Le Prélat, sans ressource auprès de l'autorité civile, n'en retrouve que dans la sagesse , le zèle et l'éloquence du père Le Jay, qui dès lors se multiplie pour ainsi (4) BerAULT - BERCASTEL , Hist. de l'Eglise, tom. 10, pag. 587. SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 269 dire, et se montre partout en face de l'ennemi. Instruire les fidèles, redoubler, s'il était possible, la vigilance et l’activité des pasteurs ; rappeler aux cénobites les devoirs que leur impose, dans ces pénibles conjonctures , la sainteté de leur vocation ; soulager dans sa douleur l'ame souf- frante de l'Archevêque, plongée dans l’amertume à la vue de tant de maux; diriger ce Prélat dans les voies d’une douceur, d'une prudence et d'une fermeté vraiment apostoliques ; user du reste de confiance et de bienveillance dont l'avaient d’a- bord honoré les magistrats, pour que ceux qui n'osent plus soutenir ouvertement la vérité, ne soient pas du moins les appuis de l'erreur ; ac- compagner toutes ses démarches d'une vie sainte, d'une patience à toute épreuve, et d’une charité que rien ne démente : telles sont les pénibles occupations du père Le Jay pendant une partie de l’année 1543. Mais ses travaux et son influence vont devenir plus considérables encore. Le bien général de l'Eglise demande que l'Archevêque de Ratisbonne quitte son troupeau pour un temps indéterminé. Qui tiendra sa houlette et défendra ses brebis menacées de toutes parts? un pauvre prêtre du pays de Savoie. Jusqu'à présent ses avis sont de- venus des bienfaits ; les fruits qu'on a retirés de son expérience déterminent le choix du Prélat, et Le Jay se voit seul chargé, dans ces orageuses 270 NOTICE HISTORIQUE circonstances , de l'administration d'un si pénible diocèse. Il commence l'exercice de sa nouvelle carrière par la publication d'un jubilé que Paul III vient d'ouvrir en faveur de tous les catholi- ques. Le pas était glissant : tous les vrais fidèles re- doutaient et désiraient cette époque. Elle pouvait amener de consolans résultats, on produire d’im- menses calamités. Le Jay ne se dissimule rien de ce qui pent avoir lieu; mais il a soin de pré- parer insensiblement les esprits à cette mesure salutaire. Il se montre dans toutes les chaires de la ville. « Son front vénérable que d’abjectes pas- sions n’ont point flétri, ses traits que le calme du cœur a presque rendus célestes, comman- dent le respect et la confiance ; il parle sans trouble, n'étant pas agité par la misérable in- quiétude de l'amour - propre. Il parle avec onc- tion , avec abondance ; la conviction et la foi dominent toute son ame. Il renverse, comme en courant , les puériles argnmentations et les spécienx sophismes que les novateurs font le plas valoir ; les préjugés se dissipent devant la lumière qu'il présente ; l'évidence et la raison l'emportent sur l'opiniâtreté des partis et des passions ; il convainc , il entraîne , il attendrit ; l'émotion visible qui lexalte , échaufle , em- brase les cœurs ; » et la publication de l’année sainte a lieu sans obstacle et presque sans SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 271 murmure. Pendant le jubilé, son zèle actif, sa prudence et sa douceur semblent avoir pris un nouvel accroissement. D'avance, il s’est rendu familier l'idiome du pays ; il en profite pour des- cendre au niveau des ames les plus simples et les plus ignorantes. Tenant la place du premier pasteur, il voit en tous ses enfans ; et, comme un saint Paul avant lui, comme un Francois de Sales après lui , il se fait tout à tous pour les gagner tous. Cette condescendance si paternelle ramène au sein de l'Eglise nn grand nombre de personnes que la séduction en avait fait sortir. Tant de fati- gues, jointes à l'oubli total de ses intérêts, forcent l'estime de ses ennemis, qui confessent en tonte occasion que sa charité triomphe de leur haine ; que sa prudence égale ses talens et sa vertu: qu'on ne peul justement lui reprocher que son attache- ment inviolable à la foi de ses pères, et son zèle intrépide à la défendre (1). Aussi, nous disent ses historiens, si Ratisbonne ne fut pas entière- ment asservie au nouvel Evangile, c'est au père Le Jay qu'elle en fut redevable (2). Cependant le célèbre Eckius vient de mourir à Ingolstadt. C'était un homme d'un mérite su- périeur , recommandable et par son zèle pour la (4) OrLaNpINtT, lib. 3, N. 25, (2) Idem, ibid., N. 21, 272 NOTICE HISTORIQUE foi, et par ses disputes avec Luther et quelques autres novateurs de son temps. Le soin de sa fortune , l'amour du repos , la crainte même du martyre ne purent ébranler sa grande ame (1). C'est un vide de cette nature que Le Jay va com- : bler. Guillaume , Duc de Bavière , vient de l’ob- tenir de saint Ignace et du Souverain Pontife. La chaire de théologie et le rectorat de l’univer- sité réclament ses lumières. Occuper ce poste et lutter sans relâche avec les réformateurs de l’époque étaient deux choses inséparables. Erudition , mémoire , facilité , pé- nétration , logique précise et vigoureuse, étaient les qualités essentielles pour atteindre au but. Guillaume, en outre, roulait dans sa tête un des- sein digne de son amour pour la foi de ses ancé- tres. Les statuts de l'université ne sont plus en harmonie avec les besoins du temps : il a conçu le projet de les y mettre, et c'est Le Jay qui doit réaliser les sages conceptions du Prince. Il est donc installé dans la chaire d'Eckius , et remplit sa place d'une manière supérieure à tout ce qu'on espérait de ses profondes connaissances et de son habileté déjà si connue (2). Mais la grande réputation et la hante estime qu'il ne tarde pas à s’acquérir dans ce nouveau (1) BERAULT-BERCASTEL, loc. cit., t. 9, p. 756. (2) ORLANDINI, ibid., N. 26. SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 273 * séjour , et beanconp de personnes arrachées à la séduction par ses discours et ses exemples ; deviennent funestes à l'univérsité, qu'on ne lui donne pas le temps de réorganiser encore. La plupart des Evêques d'Allemagne sollicitent à Rome la faveur de posséder cet homme apostoli- que, pour l’opposer aux doctrines étrangères qui pénètrent partont. Mais Othon Truchsès, Evêque d'Augsbourg et plus tard Cardinal, l'emporte sur ses collègues , ct tire d’Ingolstadt le docteur Sa- voisien , dont le départ, accompagné des plus touchans regrets , est envisagé comme une cala- mité publique (1). Ici, la reconnaissance et la générosité se livrent . d'honorables combats : la ville lui témoigne sa gratitude et sa douleur par un présent digne d'elle; mais l'humble prêtre le refuse d’une manière si décente et si noble, qu'Ingolstadt sent encore plus vivement la perte qu'elle a faite. Comme Othon se trouve à la diète de Spire an moment où Le Jay quitte sa chère université, l'Evêque d’Aichstedt le retient deux mois dans son diocèse , et son passage y est signalé par des tra- vaux et des résultats semblables à ceux que nous avons déjà tant de fois admirés. Enfin, l'instant de son départ arrive ; mais des brigands infestent les routes et font trembler les voyageurs. Le Jay (1) Id. ibid. 18 ” 274 NOTICE HISTORIQUE se voit donc forcé de faire usage de la voiture et de l’escorte que lui fournit le Prélat jusqu'à Dil- lingen (Dillingnam ). Si la modestie de l'humble prêtre souffre pendant le voyage, son cœur goûte, en arrivant dans cette ville , un bonheur rare pour lui depuis bien des années. Il se trouve au milieu d'un peuple éminemment fidèle, ennemi juré des nouvelles opinions ; au milieu d'un Clergé plein de courage , avec un Evêque digne des temps apostoliques. A peine délassé de ses fatignes , il reçoil un message de l'Archevêque de Salzbourg , frère de l'excellent duc Guillaume. Ce Prélat le conjure avec instance de venir sans retard auprès de lui. On était sur le point d'ouvrir un Concile pro- vincial dans cette ville. Les Evêques d’Aichstedt et d'Augsbourg , arrivés des premiers, se mon- traient résolus de ne rien entreprendre sans avoir consulté les lumières du père Le Jay. La diète de Spire était dissoute , et Charles-Quint avait inlimé aux membres ecclésiastiques qui l'avaient composée , l’ordre d’aviser aux moyens de réaliser une chimère , c'est-à-dire de concilier le dogme invariable du catholique et les opinions mobiles du protestant, et de lui faire part de leur travail à Worms, où bientôt devait s'ouvrir une autre diète. Tel était l'objet des conférences , ou Concile provincial de Salzbourg. Le Jay, bien résolu de ne point s'engager dans SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 275 une affaire de cette importance , allègue d’abord toutes les excuses que lui fournit sa modestie ; mais enfin , pressé par les Prélats, il déclare sans détour qu'envoyé dans le pays par le Souverain Pontife , il ne prendra nulle part aux opérations d'un Concile qu'on y célèbre , sans que le Souve- rain Pontife lui en donne l'ordre formel ; que le Saint-Siége étant juge en celte matière , tout jugement de cette nature est absolument interdit aux simples prêtres , et à lui plus qu'à tout autre. Les Evêques saisissent trop ses motifs pour le presser davantage , et se contentent de le prier de leur dire ce qu'il pense , du moins comme particulier, des objets en question. Ne pouvant leur refuser cette grâce , tout ce qui doit chaque jour être mis en discussion lui est fidèlement soumis et communiqné d'avance; et, de la sorte, sans paraître au Concile, il en est l'ame et pres- que le rédacteur (1). Cette affaire terminée, il revient à Dillingen avec le projet de cultiver les heureuses disposi- tions des habitans , et cette fois encore il ne fera que passer dans cette ville. La diète s'ouvre à Worms , et l’'Evêque d'Augsbourg, qui vient de s'y rendre , y a trouvé les affaires de l'Eglise dans un déplorable état. L'expérience , les lumières et les conseils du père Le Jay ne seront pas inutiles (1) Za., lib. 4, N. 112. 276 NOTICE HISTORIQUE aux membres catholiques de la diète, et la foule a grand besoin de ses travaux apostoliques ; il le fait donc arriver sur-le-champ et le prie d'écrire à Rome sans délai. pour que le Souverain Pon- tife, mesurant le mal dans toute son étendue, le prévienne par la convocation d’un Concile uni- versel. A peine l’ordre.est recu qu'il est exécuté: Le Jay transmet à saint Ignace un tableau fidèle du véritable état des choses , avec la prière de tout mettre sous les yeux du Pape. Il indique lui- même ce qu'il croit plus propre à suspendre le déluge de calamités près de fondre sur l'Allema- gne toute entière. Il use ensuite de l’heureux as- cendant que son mérite en tout genre lui donne sur les Evêques. Il les voit et les revoit tous à diverses reprises. Soutenir le courage de l'un, ranimer la confiance de l’autre, communiquer des lumières à celui-ci, modérer le zèle de celui-là, se rendre utile à tous , tels sont les premiers pas qu'il fait dans cette pénible et délicale conjonc- ture. Assuré des dispositions des Pasteurs, il s'a- dresse aux troupeaux. Des tatholiques chance- laient dans leur foi, d’autres se montraient prêts à tont sacrifice pour la défendre ; quelques-uns, au milieu de cette multitude d'écrits, de disputes et d'opinions , ne savaient plus que croire ni que penser. Le Jay, toujonrs certain d'avoir des au- diteurs dès qu'on sait qu'il prend la parole, préche tous les jours et ranime ainsi la foi des faibles, SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 277 consolide celle des forts et la fait voir brillante de lumière à ceux qui ne savent plus la déconvrir, Une autre plaie a fixé son attention. Comme il arrive dans les temps de troubles, les études étaient négligées et les mœurs des étudians l'é- taient davantage encore. De ces réunions turbu- lentes et corrompues qu'on nommait colléges , il ne sortait plus ni de pasteurs dignes de leur au- guste vocation , ni d'hommes propres à soutenir les intérêts du bien public dans les divers emplois de la société. Le Jay ne se donne ni repos ni trève jusqu'à ce qu'il ait déterminé les Evêques et les Magistrats à créer des colléges où l’on forme, pour toutes les places, des hommes religieux et capables, Ses projets sont goûtés, et produiront plus tard des effets qui feront bénir sa mémoire (1). Cependant Le Jay saisit d'abord qu'il en sera de la diète de Worms comme de celles de Spire, de Ratisbonne et de Nuremberg, et que la foi catholique en retirera de très-faibles avantages. Mais y voyant tout à-la-fois l'Empereur en per- sonne , son frère Ferdinand, Roi des Romains, presque Lous les Evêques et les Princes d’Alle- magne, il s'épuise en efforts pour qu'il n'en sorte du moins aucune décision non conforme aux prin- cipes de la foi catholique (2), et qu'on n'y statue (1) Onranninr, lib. 4, N. 112. 413. (2) Id., ibid., lib. 5, N. 28, 29, 30. 278 NOTICE HISTORIQUE rien non plus de contraire à cette charité divine dont elle est la base ; il répète donc en toute cir- constance que le triomphe de la religion ne consiste pas à persécuter , mais à convertir; que l'Eglise ne connaît d'autres armes qu'un zèle per- suasif, la prière , la patience et la raison. C'est en ce sens éminemment social et chré- tien qu'il prêche , en présence des membres de la diète et du Roi Ferdinand, tout le carême de 1545. Ses discours pacifiques sont accompagnés de tous les charmes d'une onction si touchante, d'une piété si vive, d'un si grand fonds de savoir, d'une telle éloquence enfin , que l'Empereur lui- même ne tarde pas à devenir son auditeur assidu et son plus zélé panégyriste ! Le Roi des Romains, par une pieuse fraude , lui soustrait une copie de ses discours, qu'il communique aux Evêques , à divers Princes, ainsi qu'à plusieurs membres de la diète, qui les font circuler ensuite dans une grande partie de l'Allemagne. A la même époque, Alexandre Farnèse , légat du Pape, frappé de la réunion de tant de qualités admirables dans le père Le Jay, en fait son homme de confiance et son ami; dans toutes les affaires importantes il a recours à ses conseils et ne s’en écarte presque jamais. Enfin , la diète de Worms touche À son terme, et le premier avantage qu'en retire l'Eglise est d'avoir empêché la convocation d'un concile na- SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 279 tional que les novateurs réclamaient à grands cris, Le second, c'est d'avoir fourni au père Le Jay une occasion favorable pour dévoiler aux Prélats Allemands une idée fort ancienne dans sa tête, et qui, plus tard, sera sanctionnée par un décret du Concile de Trente. 1] s'agit de la création de grands-séminaires pour l'éducation cléricale des jeunes-gens qni se destinent à servir l’antel : idée simple et féconde en bienfaits, et qui néanmoins, comme tant d'autres découvertes utiles , s'est dé- robée pendant plusieurs sièclesanx méditations de tous les hommes. Les Evêques réunis à Worms s'en emparent comme d'une ressource inattendue, et ceux de Salzbourg , d'Aichstedt et d'Angsbonrg forment aussitôt le projet de la réaliser le plus vite qu'il leur sera possible. Les Prélats se séparent enfin après s'être livrés à d'assez vives altercations, dont le sujet fait hon- neur à leur zèle. Tous prétendent emmener Le Jay dans leur diocèse ; tons allègnent des motifs qui doivent mériter à chacnn la préférence ; tous ont à faire la visite générale de leurs troupeaux, et tous ont besoin de l'homme apostolique. Mais l'Evêque d'Augsbourg , qui sait qne le connaitre et vouloir se l’attacher sont une seule et même chose , a déjà , sans rien dire , paré le coup; il en a fait la demande au Souverain Pontife et l’a gracieusement obtenu. Il exhibe donc la réponse du Pape , qui, sans les satisfaire , les met tous 280 NOTICE HISTORIQUE d'accord. Celui de Salzbourg néanmoins conserve encore une Jueur d'espoir : soutenu par le Duc Guillaume son frère , il s’agite en tout sens pour rendre à l’université d’Ingolstadt son excellent recteur. Le Jay, qui n'a d'autre volonté que celle de Dieu, fait part à saint Ignace des trop honora- bles prétentions dont il est l'objet , Jui manifeste son entière indifférence , et se rend à Dillingen avec l'Evêque d'Augsbourg. Pendant qu'il s'occupe en cette ville à l'ins- truction des personnes égarées , et qu'il a le bon- heur d'en ramener un grand nombre dans le sein de l'Eglise, il apprend que plusieurs Princes font des démarches à Rome pour le fixer dans leurs états (1). Mais la convocation du Concile de Tren- te, publiée le 19 mars 1544, les rend toutes inutiles. À l’époque où nous sommes arrivés , le diocèse d'Augsbourg , exposé plus que tout autre à l'in- flience des doctrines à la mode , réclame la pré- sence habituelle de son premier Pasteur. Le Car- dinal Evêque , ne pouvant aller en personne au Concile, choisit Le Jay pour l'y représenter. Ce- lui-ci, chargé de cette auguste procuration , ar- rive à Trente au commencement de décembre 1545, quelques jours avant l'ouverture du Con- cile (2). Le Cardinal Evêque de Trente , digne (1) ORLANDINI, loc. cit., lib. 5, N. 30. (2) La Bulle de convocation est du 19 mars 1544; mais SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 28t d'apprécier le mérite d’un tel homme , l'acueille avec distinction et lui déclare que le palais épis- copal sera sa demenre. Mais déjà l'humble prêtre a fait choix d’un logement plus conforme à ses goûts : c'est l'hôpital de la ville (1), Le lendemain de son arrivée , le Cardinal le présente aux Légats du Saint-Siége. C'étaient le Cardinal del Monte, qui deviendra Pape sons le nom de Jules nt; Marcel Cervin , qui sera le successeur de. ce dernier sur la chaire de saint Pierre ; enfin le célèbre Cardinal Polus ou Pool d'Angleterre. Le Jay leur exhibe ses lettres de créance et en est recu comme un apôtre , de la manière la plus honorable et la plus flatteuse. Le jour suivant , il fait une visite particulière à chaque Légat, et peut se persuader que les mar- ques d'estime dont ils l'ont comblé la veille n’é- taient pas un tribut de cérémonie et de pure formalité (2). Âu Concile, les Pères font placer Le Jay, avec droit de suffrage (3) , immédiatement après les Evêques , avant tons des Abbés et tous les géné- raux d'Ordres (4). Ils lui communiquent ensuite divers incidens en avaient reculé l'ouverture jusqu’au 13 décembre 1545, (14) ORLANDINT, ibid., N. 33. (2) Id., ibid. (3) Barrozr, lib. 2, cap. 2, p. 23, vol. 5. (4) BerauLr - BeRCASTEL, loc. cit., t. 9, p. 394. PAL- 282 NOTICE HISTORIQUE toutes les affaires importantes ; ils appellent à toutes les congrégations générales, ils l'adjoignent à la plupart des congrégations secrètes. Il reçoit en outre l'honorable et délicate mission de pré- cher le carême en présence du Concile. Il rem- plit d’ailleurs à Trente toutes les fonctions du saint ministère. Le Cardinal Evêque , émerveillé des heureux fruits de ses travaux, ne lui laisse pas un moment pour respirer (1). Il lui donne sa confiance au point de lui permettre d'approuver, pour entendre les confessions , tons les prêtres qu'il en croira dignes (2). Ce Prélat a si bien captivé Le Jay, que celui-ci n'ose on ne sait le contredire. C'est mon ami de cœur, disait le Cardinal; je suis heureux quand je penx converser familièrement avec ce savant saint homme (3). Aussi veut-il que tons ceux qui fréquentent sa maison on y exercent des emplois, le regardent et le traitent comme un autre lui-même (4). A voir tont ce qu'il fait pour le salut des ames, on le croirait totalement étranger au Conuile , et dès qu’il y paraît on ne peñt concevoir comment les matières qui sont l'objet des discussions ne LAVICINI, ist. Concil. Trid., lib. 7 , cap. 5. BARTOLI 4 ibid. | (4) OrLANDINI, lib. 6, N. 20. (2) BarroLr, vol. 5, lib. 2, cap. 2. (3, ORLANDINT, ibid. (4) BARTOLr, ibid. SUR LE P. CLAUDE LE JAY. 283 l'occupent pas tout entier. Lorsqu'il parle sur la foi , la nécessité des bonnes œuvres et la justifi- cation ; tous les Pères sont ravis de son profond savoir , de sa clarté , de sa précision , de son élo- quence (1), Il n’excite pas une admiration moins vive, lorsqu'il entre dans l’examen des différentes traditions, montrant celles qui concernent les principes des mœurs et de la foi immuables comme Dieu lui-même, et celles qui regardent les rites et la discipline, changeant avec les temps et les hommes (2). A celle époque meurt l’'Evêque de Trieste, Depuis long-temps admirateur des vertus et des talens du père Le Jay, Ferdinand , Roi des Ro- mains, le désigne pour remplir ce vide. Trieste, située aux frontières de l'Allemagne presque déjà pervertie , aura bientôt sa part des maux qui dé- solent cette portion de l'Europe, si son nouvel Evêque n’est pas une sentinelle vigilante , infa- tigable et propre à déconcerter l'ennemi. Qui mieux que Le Jay pourrait porter ce lourd far- deau ? Aussi recoit-il de Ferdinand message sur message. À tous Le Jay fait la même réponse : J'ai renoncé aux dignités ecclésiastiques ; je n’ai d’ail- leurs aucune des qualités qu'exige un tel poste. 1 s’humilie autant qu'il le peut. Et certes, chez (1) PaLLavrcINt, loc. cit., lib. 8, cap. 4. (2) BerauLT-BERCASTEL, loc. cit., vol. 9, pag. 408. 284 NOTICE HISTORIQUE lui le langage de l'humilité n'était pas une for- mule inspirée par l'amour-propre. Celui qui déja dans