HR » (es ASIE ÿn Sie # DIAUS AIS HN ie He AH H Dh na 4 Hi HUE 1 ne fifa u 4 | ? | ; | \4 r >» | | | sx ] M # x » 3 ; à UT Y à D 4 Me ' | 1 (4 l LI , {l x ? | ns ) | \ ", SL « Pa Pr Ad FR Fi | Je RD . L 2 nu dur l f A | ré ve »'\4 CAL. n 1 L l ES. es a J pen ad + . " 7 | (N LE? r … = P ÈS ul . P. A . MEMOIRES SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE SAVOIE. >» >» > ? 2 D 8 | rh er SPACE Extrait de l'Article 54 des Réglemens de la Société. «& La Société remet un exemplaire de ses Mémoires imprimés à chacun de ses Membres effectifs. » Elle en remet également un exemplaire à ceux de ses Associés où Correspondans qui lui ont fait parvenir quelques Mémoires de nature à être accueillis avec intérêt. » Extrait de l'Article 39. & La Société n'entend ni adopter, ni garantir toutes les opinions émises dans les Mémoires dont elle aura autorisé l'impression ou la lec- ture publique. » = MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE SAVOIE. TOME PREMIER, LePhies et Qntx da S'ourt. | } CHAMBÉRY, IMPRIMERIE DE F. R. PLATTET, RUE DU SÉNAT. 2232 1825. 2 ONIOMIQONEMIONIEMNOOIENOOIICENIO ONCIIO CNICDNT LE TORBECE DES MATIÈRES. — LDC OS NOTICE PRÉLIMINAIRE sur l'établissement et les premiers travaux de la Société ; par M. G.-M. Ray- MOND , Secrétaire Perpétuel . 4. . : . . :. . . . .. Agriculture, Économie rurale , Statistique , MOPUIGLION. RENNES dre DATES SIRAUSErE LS ON. URL EE 15 are Sciences mathématiques et physiques , His- éoire Naturelle , Sciences médicales . . . . ... Sciences morales, Littérature et Beaux-Arts. Hioeraphes 12 SR amer AS ra 2 MEMOIRES CRAN SE 0 bee 5 an Ne RaPPpORT sur cing Mémorres relatifs à l’Agri- culture et à quelques mesures proposées, etc.; par MÉRCRDETAIRÉ ALL Ce PRE T2 D: SL. $ 1.7 Des circonstances topographiques et morales qui modifient les théories d'agriculture era POIE » EC EN NN Er Tele » à» 00 $ 2. Des Réglemens champètres et de leur Jormalianiiue 4 4 ae. MON es $ 5. De La conservation des bois; de leur utilité relativement aux vignobles ; du partage des CORIRUNRAUT 14e ete ee le ee ete she ete $ 4 Du défrichement des terres incli- MEL AC RéCoDna pes, MR Ne EE $ 5. Du défrichement et du desséchement a EU et RAM MENS Se 21 EC EE $6. Du parcours et la vaine pâture . . Paget. ” Es ‘j | TABLE” Pages, NOTICE sur la Chague Belge; par M. le Docteur COUVERT .. + 04 80 AR PET EUX. 98 MÉMOIRE sur causes de l'irrégularité des vents dans la partie inférieure de l’atmasphére ; PAC MEUPABRE RENDU M |. FM... tive RÉSUMÉ des observations météorologiques faites à Chambéry en 1822; par M. le Chanoine BILLIET. 128 APERÇUS GÉOLOGIQUES sur les environs de Cham- Bérr :opar lement ee ti Ces À 4 Sie CHAPiTRE [Le Du calcaire coquillier. . . . 136 $ 1.7 Nature du calcaire coquillier ee\basanide Charnbén es ME, Anton Th. 6 2. Chaînes principales . . . . .. 157 $ 5. Inclinaison des couches .-.. 158 $ 4. De la formation des monta- Parcs calcaires). 4h nd iate LOUE NES GTR 6 5. Dégradation de roches cal- LS pe ES NO PATRON AQU PTE QE $ 6. Dans quel temps s’est opérée Fexcavyation du bassin de Chambéry . . . . . . . 154 GHARMPREUES DiGres irons shoot Ve EURE 1.°" Son gissement et sa nature . . ibid, Origine du Grés du bassin de Chambéry . 6 DR CL a ste is MAS ne 65 3. ser blanc de Plein Palais cr CHAPITRE II. Des cailloux roulés . . . . . 162 Mémoire sur la nature et la signification de Texpression analytique générale = ; par M. G.-M. Raymonp, Secrétaire Perpétuel de la Société . . . . 17@ PRÉCIS HISTORIQUE de l'introduction et de la propagation de la vaccine dans le Duché de Savoie ; par M. le Docteur GOUVERT . . . . . . . 196 NOTIcE sur la recherche des monumens antiques en Savoie ; par M. le Général Gomte DE LOCHE . . 224 DES MATIÈRES: NOTICE sur la vallée d'Aoste ; par le même GÉOGRAPHIE : Montagnes et rivières . ANTIQUITÉS : Monumens romains . . JWMonurmens du moyen âge . . Histoires : Salasses, Romains . . . . Souslés Empereurs "We, Maison de Savoie . . . . ... AGIR VAL rot. 1 JUL, es . BDRUDA LION AM ET ES RARE SALE ENS HISTOIRE NATURELLE, 400 ues di 2 Les OBSERVATIONS CRITIQUES sur Le système de Baiiir touchant l'origine des Arts et des Scien- ces; par M. Rayon», Secrétaire Perpétuel . ETAT des do: nd aa lS oct E RENE FIN DE LA TABLE. HOMLDNO OMC MEDION MIO OUT NIO OCIIO ERRATA. Page oO, ligne 11 : l’Aacdémie, lisez : VAcadémie. — 55, — 18 : la Société, lisez : la société. — 151, — 2,au-dessous du tableau : +33? G— 5° 6, lisez : + 53°, 6 et — 5°, 6. Ibid. lignes suivantes : 39° 2, lisez : 39°, 2. — 355, — 5, au-dessous du tableau : bn go007®, lisez : 5m, goow®. Corrigez de même les exemples ana- logues qui suivent. IN.B. Dans quelques-unes des colennes de ces tableaux, on a omis également, par inadvertance, la virgule qui doit séparer les dixièmes de degré. — 207, — 20et21:à ces coups, lisez :à ses coups. — 215, — 16eti7:ilne faudrait.... 1.2 Vacciner que, etc. , Lisez : il faudrait... 1.° Ne vacciner que, etc, — 249, — 23 ct24:par un seul vieux taureau , quelquefois par un mulet, et rarement par deux , lisez : d'un seul vieux taureau, quelquefois d’un mulet, ct rare- meul de deux. Le NOTICE PRÉLIMINAIRE SUR L'ÉTABLISSEMENT DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE SAVOIE ; ET SUR SES TRAVAUX; Depuis son origine jusqu'en mars 1825 ; Par M" G.-M. RAYMOND, Secrétaire Perpétuel de la Société (1): D ee 4oe— Ô, a toujours désiré, et avec raison, qu'il püt s'établir à Chambéry une Société spécialement occupée de rechérches utiles au pays et de recueil- dir toutes les vues qui peuvent concourir an bien public. Des tentatives en ce genre ont été faites à diverses époques. On sait qu'il s'était formé dans (1) Membre de l’Académie Royale des sciences de Tu rin , de la Société Royale des sciences de Goëttingue, de la Société pour l'avancement des arts de Genève, de l’Académie Philharmonique de Bologne , de la Société Phi- Jotechnique de Paris , des Académies de Dijon, de Nismes, de Lyon , de Grenoble , de Soissons, d'Arras , etc. 1, 62 NOTICE cette ville, en 1772, une réunion qui recut le titre de Société Royale économique, dont les travaux devaient avoir principalement pour objet l'Agriculture, le Commerce et les Arts. Elle dut sa fondation au zèle et aux vues éclairées de S. Exc. le comte Joseph-Francois Sallier de La Tour, Commandant général du Duché; du cé- lèbre marquis de Costa, auteur de l'excellent Essai sur l'amélioration de l'Agriculture dans les pays montueux et particulièrement en Savoie; du baron de Conzié, comte des Char- mettes; du médecin Daquin, et de quelques autres personnes distinguées. Les Réglemens de cette Société, approuvés par le Roi Victor-Amé- dée IE, furent imprimés en 1774. Cette Société a cessé d'exister par l'effet de la révolution, qui en avait dispersé les membres. Il s'était formé postérieurement une autre So- ciété sous le titre de Société libre d'Agriculture de Chambéry ; mais les événemens du temps et quelques circonstances particulières en amene- rent la dissolution , au moment où elle commen- cait à s'occuper utilement des intérêts du pays. L'établissement d’une Société littéraire en Sa- voie reporte naturellement la pensée sur une louable et ancienne institution de ce genre, fondée en 1607, à Annecy, sous le nom d’Æca- démie Florimontane, par saint Francois de Sales et le célèbre président Fâvre. Cette Société, qui a PRÉLIMINAIRE. 5 précédé de vingt-sept ans la naissance de l'Aca- démie Francaise, et celle de l'Académie Royale des Sciences de Paris, de soixante ans, a été l'école où le célèbre Vaugelas a puisé ses pre- mières lecons sur la langue francaise et le germe des connaissances qu'il porta plus tard dans le sein de l'Académie fondée par le cardinal de Richelieu, où il devint l’un des premiers oracles de la langue. À ce sujet, nous ne pouvons résister au désir de reproduire ici une remarque .que nous avons eu l'occasion de faire ailleurs , c'est-à-dire, que de deux autres compatriotes recommandables , l'un Guillaume Fichet, nommé en 1467 Recteur de l'Université de Paris, est celui qui a introduit l'imprimerie dans la capitale de la France, et fut l'un des premiers qui y aient semé les principes du goût dans les lettres; et l’autre, Claude de Seyssel d'Aix, est l'un des premiers auteurs qui aient commencé à écrire en francais avec quelque pureté ; sans oublier que saint Francois de Sales a été compté parmi les meilleurs écri- vains de son temps, quoique ce genre de gloire n'ait certainement jamais été le but de ses efforts. Si l'on pouvait croire que le progrès des lu- mières et de l’industrie n’eût pas suivi en Savoie, dans une exacte proportion, l'accroissement de la population et celui des besoins publics et privés qui en est la suite, la cause principale de 4 NOTICE ce retard n'aurait pu se trouver que dans le dé- faut de moyens propres à faire connaître les res- sources que nos montagnes offrent à l'industrie agricole et manufacturière, à exciter une utile émulation , à provoquer les recherches et à accé- lérer le perfectionnement des arts. Il est hors de doute que l’un des remèdes les plus efficaces à opposer à cet état de choses se- rait l'établissement d'un centre de communica- tion, destiné , d'une part, à réunir les fruits des recherches qui seraient faites dans les diverses parties du Duché, sur les principaux objets d'uti- lité publique , et les résultats des travaux parti- culiers dans les différens genres d'industrie ; et d'un autre côté , à faire subir aux uns et aux autres un examen éclairé pour en apprécier le mérite ét l'importance. Ce serait un foyer local propre à répandre les lumières nécessaires pour imprimer au zèle et aux eflorts une utile direction, pour guider les expériences et en suggérer les applica- tions ; et de là résulteraient les moyens d'offrir des encouragemens honorables aux essais et aux entreprises qui peuvent tourner au profit de la société. Notre pays ne manque pas essentiellement des ressources qui rendent une nation active, éclairée, industrieuse et florissante : nous devons croire , pour l'honneur de notre patrie > que la nature ne l'a pas entièrement oubliée dans la distribution de PRÉLIMINAIRE. 5 ses faveurs. Nous avons pour preuve de sa justice , nous dirions presque de sa générosité , l'exemple de ce grand nombre de nos.compatriotes établis dans l'étranger , qui se sont distingués ou qui se distinguent encore , souvent avec éclat, et tou- jours avec honneur , partout où ils ont rencontré les occasions favorables an développement de leurs talens. M. Cuvier , dans l'Éloge historique de notre illustre compatriote le comte Berthollet, fait la remarque que les États du Roi de Sardai- gne ont produit un nombre d'hommes de talens qui leur ont donné un poids dans la balance de l'Europe et un rang dans la république des lettres, bien supérieurs à ce que l'on devait naturellement attendre de leur étendue et de leur population. Et lorsqu'une senle province de ces États peut citer des noms tels que ceux-ci : le cardinal de Brogny , Guillaume Fichet, Vau- gelas, S. Francois de Sales, Saint - Réal , le P: Millet de Challes, le cardinal Gerdil , le marquis de Costa, Berthollet , l'auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg, le marquis de Costa de Beau- regard , Île spirituel anteur du Foyage autour de ma chambre , MM. Bouvard, Michaud , Nicollet, Berger , etc. etc., la patrie de ces hommes ne peut être considérée comme un sol ingrat pour le génie et le talent (1). (:) Nous pouvons encore citer d’autres noms honora- 6 NOTICE Une Compagnie littéraire peutrendre de grands services dans tout pays où il est possible d’en rassembler les élémens. Elle rapproche et met en contact des hommes instruits qui gagnent à être connus ; elle leur fournit l'occasion de mani- fester des vues utiles, de s’éclairer les uns les autres ; elle affaiblit l'égoïsme qui naît de l'isole- ment; elle entretient l'esprit de société ; elle excite l'amour du travail et du succès , elle dirige les talens et les essais de la jeunesse ; elle entre- tient le goût des choses nobles et utiles ; elle bannit cette oisiveté meurtrière qui flétrit les ames et corrompt les mœurs; elle fait apprécier le vrai mérite et excite le généreux désir d'y at- teindre; elle offre un dépôt toujours ouvert aux fruits des travaux qui peuvent mériter de fixer l'attention publique; elle sert de canal de com- municalion entre les centres principaux des lu- mières et les régions privées de leur influence bles pour notre patrie, comme ceux de saint Bernard de Menthon, des papes Nicolas IL et Innocent V, de saint Pierre de Tarentaise, de Claude de Seyssel-d’Aix, du P. Le Jay, du P. Lefêvre, de Marc-Claude de Buttet, à qui la poésie française doit l'introduction des vers alexan- drins; du P. Chérubin de Maurienne, du P. Monod, de Marc-Antoine de Buttet, de Frézier, de Dulac, du gé- néral de Motz-de-l’Allée , de Crétet, de Foderé, de Pey- tavin, de Chabord . etc.; sans parler d’autres personnages que les convenances nous interdisent peut-être de nommer. PRÉLIMINAIRE. 7 immédiate : et réciproquement, elle indique les découvertes ou les vues nouvelles qui peuvent intéresser l'État ou la Société. En un mot , elle favorise tout ce qui peut contribuer À l'accrois- sement des lumières et de l'industrie, et à l'amé- loration des mœurs privées et publiques. Pénétrés de ces diverses considérations, quel- ques habitans de Chambéry, amis des arts et des sciences , et prenant un véritable intérêt an bien de leur pays, se sont communiqué mutuellement leurs vues pour réaliser une pensée qui leur était commune. L'un d'eux a rédigé un projet conte- nant l'exposé des motifs d'intérêt public qui sem- blaient réclamer l'établissement d'une Société littéraire dans la capitale du Duché, et les divers points de vue qu'il paraissait convenable d’assi- gner à ses travaux. Ils ont pris ensuite la résolu- tion effective de fonder une Société dans le sens projeté, sous le titre de Société Académique de Savoie, qui serait composée de Membres et de Correspondans nés ou domiciliés en Savoie, où immédiatement originaires du pays. Ils ont considéré que les circonstances paraissaient toutes favorables À leur projet. La Savoie , rétablie en corps de nation et recouvrant son existence po- litique, était rentrée sous le sceptre paternel de ses légitimes Souverains, qui l'ont rendue à ses antiques lois et à l'influence salutaire de l'auguste Religion de nos pères, Elle commencait à jouir 8 NOTICE. des bienfaits de cette royale protection qu'ils ont tonjours accordée à toutes les institutions utiles. Déj\ de nombreux encouragemens étaient dé- cernés à l'industrie. De sages dispositions étaient données ou préparées en faveur de l’agriculture, des arts et du commerce. De nouvelles sources étaient ouvertes à l'instruction publique. Cham- béry avait obtenu de la bienveillance du Gouver- nement de S. M., sur la proposition des Auto- rités et Administrations compétentes, l’établis- sement des nouvelles Chaires de Médecine, de Chirurgie, de Chimie pharmaceutique, de Géo- graphie spéciale, de langue italienne, et d'une École de Peinture, la Ville s'étant chargée de pourvoir aux dépenses nécessaires. Les soins qu'elle avait mis à la restauration de la Biblio- thèque publique, secondés par le zèle et l'acti- vité de son Bibliothécaire une nouvelle consistance à cet établissement, augmenté d'un Musée d'histoire naturelle et , venaient de donner d'antiquités, à l'accroissement duquel ont con- couru l'empressement et la générosité d’un grand nombre d'amateurs. Tout paraissait d'un heureux augure pour la formation d'une Société littéraire au milieu d’un tel ordre de choses. Une Société de ce genre n'étant point créée par un acte de l'Autorité, ne peut s'établir que spontanément. Dès-lors, les personnes qui en forment le premier noyau recoivent leur mission PRÉLIMINAIRE. 9 de la pensée qu'ils ont eue de fonder une insti- tution utile à leur pays, des soins qu'ils se don- nent et des démarches qu'ils font pour arriver au but. C'est ainsi, pouvons-nous observer (sans prétendre faire aucune autre comparaison que celle des faits), que l'Académie des Sciences de Paris prit naissance dans les entretiens de quel- ques hommes instruits , qui s'assemblèrent d'a- bord librement et tour à tour les uns chez les autres ; et c’est encore ainsi que s'est formée, en 1757, l'Aacdémie Royale des Sciences de Turin. Les fondateurs de la Société Académique de Savoie s'occupèrent d'un projet de Réglemens, que l’un d'eux fat chargé de rédiger, et s'adjoi- gnirent confidentiellement quelques personnes , afin de procéder avec plus de connaissance et de maturité dans l'adoption de ces Réglemens. La Société naissante tint d'abord quelques as- semblées particulières sur la fin de 1819 et au commencement de 1820. Autorisée par une let- tre aussi gracicuse que favorable , de S. Exec. le Ministre Premier Secrétaire d'État pour les affaires internes, en date du 29 avril 1820, elle se constitua définitivement, en nommant un Président, un Vice - Président, un Secrétaire- Perpétuel , et les autres Officiers établis par ses Réglemens. Elle commencait à se livrer à d'utiles travaux , lorsqu'elle se vit forcée de les interrom- pre par les malheureux événemens de 1821. ?O NOTICE. Mais bientôt le rétablissement de l'ordre et de l'autorité légitime dans les États du Roi, et lheureux avénement de CHARLES - FELIX au trône de ses illustres aïeux, firent renaître les espérances de la Société et la déterminèrent à reprendre ses réunions , pour consacrer tous ses efforts au bien public, sous le règne d'un Prince dont la sagesse et la fermeté garantissaient la stabilité des institutions, et promettaient de no- bles encouragemens à toutes les entreprises utiles au bien de ses peuples et aux intérêts de l'État. Jusques-là cette Société avait cru devoir user d'une grande réserve, en marchant d’abord len- tement , dans le silence et avec circonspection : elle ne s’est décidée à manifester son existence , que lorsqu'elle a cru pouvoir espérer que ses efforts et ses travaux ne seraient pas tout -à-fait inutiles à l'avantage du pays. C'est en partie à cette prudence, réunie au concours des circons- tances favorables indiquées plus haut, que la So- ciété doit peut-être attribuer l’heureuse exception qu'elle a éprouvée dans son établissement, celle de n'avoir pas eu à lutter contre cette foule d'obstacles et de difficultés qui contrarient d'or- dinaire toute institution nouvelle. Elle ne tarda pas à être honorablement en- couragée par une distinction, qui, en contribuant à son affermissement , devenait pour elle un puis- sant motif d'émulation. L'Académie Royale des PRÉLIMINAIRE. 17 Sciences de Turin , dans sa séance générale du 6 juillet 1823, a décerné à la Société Acadé- mique de Savoie, un Diplôme de Correspon- dante; et, par la même délibération , il a été en outre statué que la Société jouirait du double avantage de recevoir les Volumes de Mémoires et autres écrits publiés par l'Académie Royale, et de la prérogative accordée à ses Membres, d'assister en toute occasion aux séances de l'A- cadémie. Ainsi les rapports qui l’unissent dé- sormais à l’une des Sociétés savantes les plus distinguées et les plus célèbres de l'Europe, sont de nature à lui attirer cet intérêt et cette consi- dération publique qui sont à la fois l’aiguillon et la récompense du zèle. Honorée de corres- pondre avec un Corps illustre qui fait la gloire de leur commune patrie, cultivant les sciences et les arts utiles , à l'ombre des lois sages et pro- tectrices du même Souverain, la Société Acadé- mique de Savoie tâchera du moins de marcher de loin sur les traces d'une Compagnie savante à qui il appartient à si juste titre de lui montrer la route, et dont tous les Membres seront pour elle des guides et des modèles. La Société a dù voir encore un présage rassu- rant dans l'intérêt que lui ont témoigné des hom- mes de la plus haute distinction soit. par leur rang, soit par leurs lumières, qui n'ont pas dé- daigné de lui appartenir. Elle s'est félicitée, sous F2 NOTICE ce double rapport, de compter au nombre de ses Membres, un Ministre de S. M., à qui elle s’ho- nore de pouvoir donner le titre de compatriote, M. le comte Roget de Cholex, Premier Secré- taire-d'État an Bureau des affaires internes , pro- tecteur éclairé des Arts et de tout ce qui pent contribuer au bien public dans le ressort de son administration. Elle a vu sa liste honorée des noms de trois Membres qui avaient sincèrement applaudi à sa formation , et qu'elle a eu le regret de perdre trop tôt, l'illustre auteur des Consi- dérations sur la France et des Soirées de Saint-Pétersbourg, le comte Berthollet, Pair de France, l'un des premiers Chimistes de l'Eu- rope , et le marquis de Costa de Beauregard , auteur des Mémoires historiques sur la Maï- son Royale de Savoie. Le voyage de LL. MM. en Savoie, dans l'été de 1824, a fourni à la Société l'heureuse occa- sion d'offrir l'hommage de son respect et de son dévouement à un Souverain dont la royale pro- tection s'étend sur tous les élémens de la pros- “périté publique. Dans l'accueil plein de bonté qu'elle en a recu à deux reprises, elle a trouvé la récompense la plus flatteuse de son zèle et le plus noble encouragement de ses efforts. Quelques mois après, S. M., sur le rapport du Ministre des affaires internes , a daigné mettre le sceau à l'existence de la Société , en allouant PRÉLIMINAIRE. 13 une somme - annuelle pour ‘subvenir à ses dé- penses et faciliter le développement de ses tra- Vaux. Outre cette preuve de la bienveillance de notre auguste Souverain, en faveur des établissemens dirigés vers l'utilité publique, la Société a vu postérieurement jusüfier toutes les espérances qu'elle avait mises dans la royale sollicitude de S. M. pour le bien de ses peuples, par la créa- üuon des Chambres d'Agriculture et de Com- merce , établies en vertu des Lettres-Patentes du 4 janvier 1825. Si les travaux de la Chambre qui siégera dans la capitale du Duché ne peu- vent manquer de devenir un sujet d'émulation pour la Société Académique , celle-ci s’estimera heureuse si quelquefois ses recherches et ses eflorts peuvent concourir au même but. L'administration de la ville de Chambéry, dis- posée à seconder, en ce qui peut la concerner, les vues et les travaux de la Société Académique, s est empressée de lui assigner, dans l'Hôtel-de- ville, un local pour la tenue régulière de ses séances. Pour remplir l'objet de son institution, la Société Académique a principalement dirigé ses vues vers tout ce qui se rapporte à l'utilité locale et immédiate du pays, sans penser toutefois qu'elle dût négliger certains objets d'un avan- tage plus éloigné, attendu que les arts et les 14 NOTICE sciences sont enchaînés par des liens communs ; qu'ils se prêtent mutuellement des secours, qu'ils exercent entre eux une influence réciproque ; et que la lumière qui se réfléchit de l’un à l'au- tre est souvent nécessaire pour les éclairer con- venablement. Elle a aussi cru devoir comprendre dans son plan, la litiérature proprement dite, dont les charmes délassent des recherches péni- bles et tempérent la gravité des travaux sérieux. D'ailleurs, nous sommes dans un siècle où les sciences les plus abstraites ont appelé à leur se- cours la clarté d’une diction élégante et pure ; les savans ont étudié l’art de s'exprimer avec correction ; ils ont appris à dégniser les épines de la science sous les agrémens du langage. Une grande tâche se présente an zèle d’une Société qui veut s'occuper de l'avantage de notre patrie; notre posilion, nos usages, nos besoins offrent naturellement à ses pensées les objets suivans: l'Agriculture et toutes les branches de l'économie rurale ; les arts industriels et les res- sources qu'ils peuvent procurer; les diverses pro- ductions du pays dans les trois règnes, et no- tamment dans la botanique et la minéralogie; la constitution médicale de nos vallées et de nos montagnes, et les règles d'hygiène particulière qui dérivent de la nature du elimat, des alimens, des habitudes et des professions les plus nom- breuses ; les antiquités locales, l'histoire du pays, PRÉLIMINAIRE. 12 l'éducation , les études , la culture des lettres et des sciences, l'encouragement de la langue ita- lienne , etc. Ces nombreuses matières indiquent un champ vaste sans doute; mais la Société n'a pas la pré- tention d'embrasser tout-à-coup tous ces objets à la fois; elle n'entend point que ses premiers pas la conduisent d'un trait au but qu'elle a dû se proposer. Elle sait que le bien n’est que le lent ouvrage du temps. Il ne faut pas non plus que l'étendue et les difficultés des recherches et des travaux produisent le découragement : c’est parce qu'il y a beaucoup à faire, qu'il faut com- mencer une fois. Quelque peu de bien que pro- duise la Société, elle fera toujours plus que si elle n'existait pas. Ajoutons qu’elle peut recevoir des secours efficaces de la part des Associés que lui fourniront les provinces du Duché, surtout pour un grand nombre de détails relatifs aux lo- calités, et pour les divers genres de recherches qu'elle sera dans le cas de provoquer. Elle trou- vera aussi d'utiles ressources dans les Membres et Correspondans résidans à l'étranger, qui pour- ront lui procurer la connaissance des déconvertes faites ailleurs, des procédés nouveaux éprouvés dans d’autres contrées. Enfin, l'heureuse in- fluence de la Société fera naître des sujets qui viendront l’éclairer un jour et l'enrichir ainsi des fruits dont elle aura fécondé le germe. 16 NOTICE Dans l’une dés premières séances de la So- ciété, M. le chanoine Billiet lui avait commiu- niqué le plan d'un Mémoire très-étendu , dans lequel il devait embrasser et développer successi- vement chacune des branches des travaux qui lui paraissaient de nature à mériter une attention spéciale. Il s'était proposé trois objets princi- paux, savoir, les Sciences, les Arts industriels et les considérations relatives à l’ordre moral. Il a lu la première partie de ce Mémoire, dans laquelle il exposait un système raisonné d’obser- vations appliquées aux localités, sur la botanique, la zoologie, la minéralogie et la météorologie. La Société à eu à regretter que les occupations multipliées de l’auteur n'aient pu lui permettre d'achever son travail. A la suite des details dans lesquels nous venons d'entrer sur l'établissement et les vues de la So- ciété, il nous reste à donner ici une indication sommaire de ses travaux depuis son origine jus- qu'à ce jour (mars 1825 ). Nous commencerons par l'Agriculture , que la Société à mise au premier rang parmi les objets qui ont fixé son attention. PRÉLIMINAIRE. 17 Agriculture, Economie rurale, Statistique , Pôpulation. M. le général comte de Loche, M. le cheva- lier colonel de Chevillard, M: le docteur Gou- vert, Membres de la Société , et M. Marin, Cor- respondant, avaient présenté des Mémoires trai- tant respectivement de la restauration des bois ; du dessèchement des marais, du défrichement abusif opéré sur les terrains qui dominent les coteaux de vignes, sur le défrichement en général et sur les abus du parcours et de la vaine pâture. Une Commission a été chargée d'examiner ces divers Mémoires. M. l'Avocat Burdet, au nom de cette Commission, a fait un Rapport étendu et approfondi, dans lequel il a analysé avec soin les observations des auteurs, et ex- posé les points de vue sous lesquels elles pour- raient être adoptées et parfois modifiées. Il a indiqué , dans la legislation existante , les dispo- sitions relatives aux divers abus signalés, en rappelant les Edits, Ordonnances et Réglemens concernant la police rurale. La Societé , considérant l'importance des ob- jets dont il est question, a décidé qu'un extrait de ce Rapport serait inséré dans le premier cahier de ses Mémoires imprimés. M. J.-B. Francoz, ancien notaire à Arith, avait soumis à la Société le manuserit de son 2 18 NOTICE Mémoire sur le semis et la culture du frêne commun. Dans un premier Rapport fait au nom d’une Commission , par M. le Docteur Guilland, l'auteur a été invité à faire quelques nouvelles expériences sur la meilleure manière de semer la graine du frêne et à recueillir les produits de la nourriture des vaches , sait avec la feuille seule du frêne , soit avec cette feuille mélée à d’autres fourrages. Ces produits soumis à la dégustation et à l'analyse chimique, ont donné lieu à un second Rapport de la Commission , qui a reconnu que le lait fourni par les vaches auxquelles on donne des feuilles de frêne est plus abondant , mais un peu moins blanc qu'à l'ordinaire; que le beurre, plus consistant et d’un jaune plus doré , acqniert une saveur très-agréable , analo- gue au goût de noisette ; que cependant ; lorsque la nourriture avec le feuillage de frêne est exclu- sive, la saveur, en se développant davantage, tend à dégénérer en un goût de fort , qui toute- fois ne se maintient pas après la cuisson. Du reste l'expérience a confirmé un fait connu , que les produits provenans de la nourriture avec la feuille du frêne mélée à d’autres fourrages . ont d'une qualité supérieure à ceux de la nourriture avec le foin seul. Quant à l’ensemble des vues de M. Francoz, la Société, au sujet du premier Mémoire de l'Auteur et dans quelques circonstances posté- PRÉLIMINAIRE: 1 rieures, a en général applaudi à ses intentions , à ses recherches et à tout ce qui, dans ses ob- servations, peut contribuer à la multiplication des arbres utiles , au boisemernit de terrains nom- breux, ainsi qu'à l'accroissement de la masse des fourrages et des engrais et à celui du produit des laiteries. La Société, informée des avantages incontes- tables de la charrue belge sur la charrue viciense usitée dans le pays, a d’abord invité M. le Ré- dacteur du Journal de Savoie à insérér dans sa feuille un Rapport fait par l’un de ses Membres sur l'usage de la charrue belge employée avec succès dans les environs d'Aix, par quelques propriétaires actifs et intelligens , et des rensei- gnemens particuliers qu'elle s'était procurés à ce sujet. M. Chevalley aîné, Correspondant de la Société , lui à fait hommage d'un modèle en petit de cette charrue. L'un des Membres , M. le Docteur Gouvert, dans l'intention d'observer avec soin l’action de la charrue belge , a assisté à une expérience faite dans ce dessein ,; en pré- sence de quelques propriétaires et agriculteurs instruts ; et en conséquence de ses observations , il a fait à la Société un Rapport très-détaillé qui ——————_—_———_——— (1) Voyez les N.°* 5 et 6 du Journal de Savoie , IX.* Année. 20 NOTICE ne parait laisser aucun doute sur l'utilité de la char- rue dont il s’agit. Ce Rapport sera inséré dans la collection des Mémoires imprimés. La Société s’est occupée ultérieurement des moyens de faire adopter la charrue belge dans le pays et d'en propager l'usage. L'un de ses Correspondans ( M. Francois), qui l'emploie dès long - temps avec un succès complet, a fait l'offre généreuse d'instruire gratuitement les sujets qui lui seraient adressés pour se former au maniement de cette charrue. M. Saint-Martin avait appelé l'attention de la Société sur les Paragréles ; quelques Membres furent invités à se procurer des renseignemens positifs sur cet objet. MM. Saint-Martin et Raymond se sont empressés de donner connais- sance des premiers Mémoires qui ont été publiés en France et en Suisse, sur les avantages obienus par l'emploi de cet appareil en France, en Al- lemagne et en Italie. M. le Rédacteur du Journal a été invité à donner un article à ce sujet, pré- sentant le résumé des faits constatés jusqu'alors , ainsi que Ja description du Paragréle et la ma- nière de le disposer ; ce qui a été fait (1). (1) Voyez les N°5 10 et 11 du Journal de Savoie, X.° Année. Les deux articles ont été réunis en un seul , qui a été imprimé séparémeut. om PRÉLIMINAIRE. CEA M. l'Abbé Rendu a lu un Mémoire contenant quelques observations théoriques sur les causes qui concourent à la formation de la grêle , sur l'influence présumée du Paragrèle et sur la ma- nière qu'il croit la plus avantageuse de le dispo- ser, soit quant à sa construction, soit par rapport aux diverses localités. La Société a entendu avec beaucoup d'intérêt un extrait du discours préliminaire d’un Ouvrage de M. le comte De Loche , sur l’histoire et la culture de l'abeille, branche d'économie rurale que l’auteur est en état d'enrichir d'un grand nombre de faits et de considérations importantes , fruits de ses lumières et de ses longues observa- tions. Le même Membre a lu un Mémoire sur les moyens d'améliorer en quelques points la condi- tion des habitans des Alpes. M. le comte de Loche, qui a résidé à la Cité d'Aoste, en qualité de Commandant du Duché, en a rapporté une connaissance approfondie de ce pays. Il a communiqué à la Société une partie de ses observations, dans une Votice sur la Val- lée d'Aoste , où il considère tour-à-tour la situa- tion géographique de cette vallée, sa topographie, ses antiquités romaines, ses monumens du moyen âge, son histoire ancienne et moderne, son agri- culture, ses productions , sa population , et enfin 22 NOTICE son histoire naturelle. Cette Notice est insérée dans le présent volume. M. le chanoine Billiet a donné le tableau de la population du Diocèse de Chambéry au 1.7 janvier 1825 , par paroisses et par archiprètrés.. Ce tableau, dressé d’après un recensement fait par MM. les Curés et Recteurs, ensuite des or- dres de Mg." l'Archevêque , présente, pour la population totale du Diocèse , à l'époque dont il s'agit, le montant de 260,304 âmes. Arts industriels. M. le comte de Loche a exposé dans un dis- cours, un apercu de l'état actuel de l'industrie en Savoie, et de quelques améliorations relatives à cet objet. Le même Membre, dans un Mémoire sur la briqueterie des anciens, appliquée à l’art de bâtir en Savoie , en parlant des briques employées par les Romains, dans divers monumens et cons- tructions dont il reste des vestiges autour de hous, comme à Aix, à Saint-Alban, etc., con- clut de ces exemples la possibilité de confection- ner de très-bonnes briques avec les terres du pays, et exprime le vœu qu'il soit fait des recherches , des analyses et des essais convenables pour par- venir à perfectionner ce genre de matériaux si utiles dans un grand nombre de constructions. PRÉLIMINAIRE. 27 Une fabrique de savon, qui venait d’être créée à Merande, près de Chambéry , semblait pro- mettre des succès prochains et présentait tous les caractères d’un grand et utile établissement; déjà ses produits s’annoncaient de manière à inspirer une entière confiance. La Société Académique s'intéressant vivement aux progrès de l'industrie nationale , avait chargé une Commission de prendre une connaissance exacte et détaillée de tout ce qui concernait cette fabrique et de lui faire un Rapport sur le résultat de son examen. M. Saint-Martin , organe de cette Commission , a fait un Rapport divisé en trois parties. Dans la première, il se livre à quelques considérations générales d'un grand intérêt sur les ressources que la Savoie offre à l’industrie , par sa position , par ses richesses végétales et minérales, et par la grande diversité des expositions de son sol, d'où résulte une variété prodigieuse de produc- tions naturelles de tout genre, et par conséquent toutes les matières premières dont l’art peut s'em- parer pour les faconner et les approprier aux be- soins de la Société. La seconde partie du Rapport contient les détails techniques sur la fabrication du savon, sur les qualités que réunissaient les sa- vons fabriqués à Merande et qui, au jngement de la Commission , les rendaient supérieurs à quel- ques égards aux savons de Marseille et susceptir bles de soutenir avantageusement la concurrence 24 NOTICE avec tous les savons étrangers. Enfin , dans Ϋ troisième partie du Rapport, relative à la partie économique de la Savonnerie , la Commission a considéré les matières employées dans l’exploita- tion , qui sont l’eau , la soude, les substances grasses et les combustibles. Il résulte de l’ensem- ble des observations de la Commission qu'abs- traction faite de la situation personnelle du pro- priétaire fabricant, la Savonnerie de Merande réunissait tous les élémens d'une véritable pros- périté , sous les divers rapports du local, du ma- tériel de la fabrique , des substances et matières premières , des procédés de manipulation et de la qualité des produits. Peut-être est-il permis d'en espérer la conservation , qui doit être sincè- rement désirée par tout ami de notre pays. L'établissement de la Savonnerie de Merande ayant fourni à M. Saint-Martin l’occasion de faire quelques expériences sur les résultats de la carbo- nisation du bois , il a lu sur ce sujetune Notice qui fait honneur à ses connaissances chimiques et à ses vues industrielles. Le défaut d'espace ne nous permettant pas d'analyser cetintéressant Mémoire, nous en indiquerons du moins le résumé tiré du tableau par lequel l'auteur l’a terminé. Les qua- tre produits immédiats de la carbonisation du bois sont le charbon, le goudron, l'acide pyroli- gneux et le gas hydrogène. 1.° La quantité du charbon produit au moyen de l'appareil usité ; PRÉLIMINAIRE. 25 est de plus d’une moitié en sus de celui des char- bonnières ordinaires. 2.° Le goudron peut s’em- ployer en vernis pour le bois et les métaux, et probablement en mastic imperméable à l'eau; par la distillation , il peut donner de l'huile pour la lampe, un gaz combustible pour l'éclairage , et une espèce de brai sec; peut-être pourrait -il être employé avantageusement dans les tanne- ries; enfin, il peut être considéré comme com- bustible calorigène. 3.2 L'acide pyroligneux, ot vinaigre de bois, peut être employé comme anti- septique et comme couleur pour la teinture; il peut servir à fabriquer l’acétate de fer, le car- bonate de soude, l'acide acétique , avec lequel on peut faire le vinaigre, le sel de Saturne, le blanc de plomb, le verdet et tous'les acétates connus..4.° Le gaz peut s'employer comme calo- rigène et pour l'éclairage. L'auteur observe , en finissant, que l’on pourrait obtenir tous ces di- vers produits, avec assez d'économie , pour for- mer un établissement en grand, si l'on avait à portée une fabrique d'acide sulfurique, qui d’ail- leurs présenterait par elle-même d'autres avan- lages. M: Saint-Martin a communiqué , au nom de M. Bevillard , de la commune d'Aviernoz, des modèles en petit de deux machines , dont l'une change le mouvement circulaire continu des roues hydrauliques , en mouvement rectiligng 26 NOTICE alternatif, et peut s'appliquer aux scies à eau, ainsi qu'à un nouveau système de moulin à huile. L'autre machine présente un mode avantageux de faire agir les eaux courantes sur les roues hydrau- liques. Le même membre a lu à la Société un Mé- moire sur un modèle de pont en fils de fer, cons- iruit par M. Pacthod, habile mécanicien de cette ville, très-versé d’ailleurs dans les connaissances chimiques, Correspondant de la Société. Ce Mé- moire fait connaître tous les avantages de cette ingénieuse invention, qui présente une grande économie dans les matériaux , dont le transport est facile , qui dispense des frais et des embarras des échafandages, qui peut s'adapter à toute ri- vière quelconque , quelle que soit la profondeur de son lit, qui convient surtout aux rivières navi- gables, dont elle laisse le cours entièrement libre de tout obstacle , aux lieux éloignés des carrières et privés des matériaux ordinaires. Le mécanisme de ces ponts ayant été suffisamment exposé dans plusieurs écrits publiés à ce sujet, nous nous abstiendrons d'entrer dans aucun détail sur ce point: nous nous bornerons à faire observer que M. Pacthod , dans la vue de préserver les fils dont on forme les faisceaux, de la rouille qui les altére- rait promptement, a eu l'heureuse idée de rem- placer le vernis qu'on leur applique ordinaire- ment, par l'étamage, et de souder ensuite les fils PRÉLIMINAIRE. 27 pour en former les faisceaux. Afin de remédier à l’affublissement de ténacité qne la chaleur pour- rait entrainer , il a cherché les lumières néces- saires dans une série d'expériences sur des fils recuits , soudés et étamés : il est résulté de ses épreuves que le degré de chaleur nécessaire pour l'étamage ne fait rien perdre de la ténacité des fils ; que ce procédé, contribue au contraire à donner de la force aux faisceaux, et qu'il neutra- lise l'effet de la rupture accidentelle de quelques- uns des fils dont ils sont composés. Le procédé de M. Pacthod a un autre avantage particulier, en ce que les faisceaux préparés à sa manière ne se contournent point comme ceux dont les fils sont seulement assemblés au moyen d'un fil re- cuit, qui les entoure ‘en spirale , lesquels sont d'un maniement très-pénible. Le modèle cons- truit par M. Pacthod a été placé, par les soins de M. Saint-Martin , en situation dans la salle de la Bibliothèqne publique de Chambéry, où cha- cun a pu juger du mérite de sa construction et de sa solidité. Sciences Mathématiques et Physiques , His- toire Naturelle, Sciences médicales, etc. M. Raymond, Secrétaire Perpétuel, a com- muniqué un Mémoire sur l'interprétation géné- rale donnée par les Géomètres au symbole ana- 26 NOTICE Iytique 2. La Commission chargée d'examiner cette dissertation , en a voté l'insertion au nom- bre des premiers Mémoires à livrer à Fimpression : par la Société. Cette conclusion du Rapport a été adoptée. Le même Membre a lu un Mémoire sur la siluation géographico-topographique de la ville de Chambéry. Un Membre a présenté à la Société r1.° une Table des ares sémi-diurnes , depuis 0° jusqu'à 23 28' de déclinaison , calculés de 3' en 3", pour la latitude de Chambéry ; 2° une Table du lever et du coucher du Soleil, pour l'année 1 825, à la même latitude. Ces Tables déposées dans les archives de la Société, pourront fournir le moyen de faire une utile addition à l'Almanach du Duché de Savoie. M. l'Abbé rendu a lu un Mémoire sur la force et la direction des vents , et sur la eause de leur intermittence dans les conches inférieures de atmosphère. Dans la première partie de ce Mé- moire, l'auteur donne la description d'un Ané- momètre de son invention ; et dans la seconde partie, il explique d'une manière ingénieuse les intermittences que présentent les vents inférieurs, comparées à l'uniformité des courans supérieurs. Cette seconde partie du Mémoire sera comprise dans la collection imprimée. Le même Membre a lu un Mémoire où il s'at- PRÉLIMINAIRE. 29 tache à réfuter le Système universel de M. Azaïs. M. le chanoine Billiet a communiqué à la So- ciété une Notice où il avait recueilli tous les renseignemens quil avait pu se procurer sur le tremblement de terre remarquable que nous avons éprouvé le 19 février 1822. Le même Membre a lu une Notice sur l’abais- sement extraordinaire du baromètre , qui a eu lieu le 2 février 1823. Dans la séance du 18 mai 1825 , honorée de la présence de S. Exc. M. le comte Balbe , Pré- sident de l'Académie Royale des Sciences de Turin, M. le chanoine Billiet a donné lecture d'un travail très-étendu sur les observations mé- téorologiques faites par lui à Chambéry, du 1.°* novembre 1821 au 1.7 mai 1823. Ce Mémoire est divisé en 16 paragraphes et accompagné de Q tableaux. L'auteur décrit d'abord les instrumens dont il s’est servi et les moyens d'observation qu'il a em- ployés pour obtenir des résultats comparables avec ceux des observations qui se font ailleurs. Il entre ensuite dans un grand nombre de détails sur la vapeur mereurielle qu'il a observée dans la partie vide du tube du baromètre, sur les moyen- nes barométriques de Chambéry et de Paris , comparées entre elles à divers instans du jour et à différentes époques de l'année; sur l'étendue 30 NOTICE des oscillations diurnes du mercure et la compas“ raison entre celles de Paris et de Chambéry ; sur les oscillations extrêmes du mercure, du 1. novembre 182r au 1. mai 1823. L'auteur s’est encore occupé d'observations thermométriques , des vents dominans à Chambéry , de leur tem- pérature respective, des pluies survenues sous chaque vent , de la hauteur du mercure sous le règne de chacun, enfin des heures de pluie avant et après midi. L'intérêt que présentent ces divers détails a déterminé la Société à insérer dans la collection de ses Mémoires imprimés , un résumé dés ob- servations exposées dans celui-ci. Le même Membre a communiqué à la Société quelques observations tendantes à réfuter une as- sertion de M. Patrin, Membre de l’Institut Royal de France , qui, dans le Nouveau Dictionnaire d'Histoire Naturelle, à l'article Source ( édi- tion de 18053, tome 21 ), a avancé que le Glacier des Bois dans la vallée de Chamonix , au bas duquel FArveyron sort de l'Antre de glace, ne pourrait fournir la quantité d'eau qui s'échappe de cette source avec tant d'abondance, s’il n’était continuellement alimenté de la neige glacée for- mée chaque nuit à sa surface par les vapeurs de l'atmosphère. M. Billiet combat cette assertion par des considérations physico-chimiques et mé- iéorologiques, et lui oppose surtout l'observation PRÉLIMINAIRE. 31 que des corps étrangers déposés la veille , ou des empreintes faites sur la surface des glaciers, re- paraissent le lendemain dans le même état et démontrent ainsi qu'il ne s'est formé aucune couche de glace pendant la nuit. M. Saint-Martin a fait lecture d'un Mémoire où il cherche à expliquer les causes qui produi- sent l’élasticité , la ductilité et les variations de cohésion dans les corps. M. le chanoine Billiet, au nom de la Commission chargée d'examiner le Mémoire, a déclaré que , sans approuver en en- tier la théorie exposée par l’auteur, la Commis- sion avait adopté quelques-uns de ses apercus , comme nouveaux, ingénieux et pleins d'intérêt ; qu'elle avait notamment reconnu la justesse de ses objections contre l'opinion générale des Phy- siciens , que, dans les corps solides, la force at- tractive des molécules l'emporte sur la force ré- pulsive, et que , dans les corps liquides, ces deux forces sont en équilibre. La Société a voté lim pression du Mémoire de M. Saint-Martin. M. le chanoine Billiet ayant mis à profit ses promenades dans les environs de Chambéry, pour faire quelques observations géologiques sur la dis- position des rochers , sur leurs couches, sur la nature des matériaux dont notre sol se compose et sur les causes probables qui ont amené le bas- sim de Chambéry à l'état où il se trouve , M. Billiet, disons-nous, a tiré de ses observations la 32 NOTICE matière d’un Mémoire qu'il a lu à la Société ! sous le titre d' Aperçus géologiques sur les en- virons de Chambéry. L'auteur s'est proposé d'établir « Que l'état présent du bassin de Cham- » béry ne peut être. attribué exclusivement à » l'opération lente et progressive des causes or- » dinaires, et qu'il démontre au contraire l’ac- » tion violente d'une ou de plusieurs catastro- » phes de peu de durée. » Comme ce Mémoire sera imprimé dans le Re- cueil de la Société, nous n’en entreprendrons pas l'analyse , qui d’ailleurs exigerait plus d'espace que n'en peut comporter cette Notice. Le même Membre a communiqué à la Société un Mémoire sur la carrière de lignite de Sonnaz et sur le lignite de la Motte-Servolex, deux com- munes à peu près à égale distance de Chambéry. L'auteur a publié cette Notice, qui dès-lors a été insérée dans plusieurs recueils scientifiques étrangers. Le nombre et la variété des eaux minérales que possède la Savoie, sont l’une des richesses du pays et l’un des plus grands bienfaits que la nature lui ait accordés. La source des eaux ther- males de l’Echaillon , en Maurienne , mérite une part de l'intérêt que la Société Académique ne peut manquer de prendre à tout ce qui re- garde les sources salutaires répandues sur notre sol. M. Saint-Martin lui a fait part de l'analyse PRÉLIMINAIRE. 55 qu'il a faite des eaux de l'Échaillon. Ne pouvant suivre ici l’auteur dans tous les détails de son Mémoire, nous nous contenterons d'indiquer les substances que l'analyse chimique a fait recon- naître dans les eaux de l'Échaillon. Il résulte des opérations de M. Saint-Martin et de celles que M. Calloud a faites sur les eaux qui lui ont été envoyées , que la substance qui domine dans ces eaux, est le muriate de soude. Les autres sub- stances sont le sulfate de chaux et de magnésie, le carbonate de chaux , de magnésie et de fer, le muriate de chaux et de magnésie , et le soufre (1). M. le Docteur Domenget, Médecin des Pri- sons Royales de Chambéry, Correspondant de la Société , a lu un Mémoire sur un dégagement de potassium quil a obtenu au moyen d'une modification ingénieuse du procédé usité par les chimistes. La Société à vu avec beaucoup d'in- térêt l'expérience faite dans la séance, de la combustion de quelques globules de ce métal jetés dans une jatte d’eau. Un Membre, au nom de M. Calloud, Cor- respondant , a communiqué une Notice sur une argile rouge et un carbonate calcaire, découverts dans une grotte près d'Annecy. (1) Des expériences ultérieures ont paru attester la pré- sence de l’ode dans les fucus du bassin de ces eaux. 3 C4 À NOTICE Il a encore été communiqué de la part de M. Calloud .... 1.® Une analyse de la poudre dite de Laeyson, qui passe pour un remède applicable à toutes le maladies des yeux, analyse qui donne lieu d'observer que, si la poudre dont il s’agit peut produire de très-bons effets dans quelques cas particuliers , il serait dangereux de lui accorder une confiance illimitée et de l’employer sans discernement ; 2° Une Notice sur l Emetine, dont la Société a arrêté l'impression au nombre de ses Mémoires à publier. Dans la séance du 6 mars 1825, M. Calloud, qui se trouvait présent , a lu un Mémoire sur la combinaison du sucre diabétique avec le muriate de soude ; il a présenté plusieurs cristaux de !a substance qui en est le produit, et il a fait ob- server que leur noyau est nn rhomboïde un peu plus aigu que celui de la chaux carbonatée. M. le comte de Loche à-mis sous les yeux de la Société des échantillons d’un poudingne em- ployé par les Romains à la construction des monumens de la Cité d'Aoste, et il a lu une Notice sur les carrières d'où est tiré ce poudin- gue , et sur les avantages qu'il présente pour les constructions destinées à résister à l’action des élémens, et surtout à celle de l’eau. M. le docteur Gouvert à lu successivement PRÉLIMINAIRE: 85 &inq Mémoires relatifs à l'Ouvrage de Can mila, théologien et chanoine de l’église de Pa- lerme, ayant pour titre : Embryologie Sacrée , dont l’objet priäcipal est d'indiquer les précau- Uons à prendre dans l'accouchement, pour assu- rer le baptéme aux enfans. En abordant cette importante matière, l’auteur l’a envisagée dans toute son étendue. Dès - lors, abandonnant le plan défectueux de l’auteur dont il avait à s’oc- cuper, sans néanmoins le perdre de vue dans l'examen de ses principes , il a classé son sujet sous quelques divisions principales , susceptibles de l’embrasser dans tout son ensemble. En con- séquence , après quelques considérations géné- rales sur la condition de la femme enceinte , sur les devoirs et les règles de conduite que lui im- pose cet état, sur les égards et les prérogatives dont il la fait jouir anx yeux de la Sotiété et mème des lois tant civiles que religieuses , il a traité 1° de la conception, de la gestation, de l'animation et de la vie du fœtus ; 2.° de la vali- dité du baptéme administré à un enfant encore renfermé dans le sein de sa mère; 5.° des cas et des circonstances où le baptème doit être ainsi administré ; 4.° des monstres et de leur bapté- me ; 5.° de l'opération césarienne et des cas dé son application, en forme de précis historique et littéraire sur ce procédé. La Société , sans entendre rien prononcer sur 56 NOTICE. le fond des questions traitées par M. Gonvert ; s'est plu à reconnaître le haut degré d'intérêt que présente ce sujet, tant sous le rapport reli- gieux que sous celui de l'humanité, le mérite des développemens dans lesquels Fauteur est entré et le talent remarquable qu'il a déployé dans cet écrit. Elle a pensé que ce travail méri- terait d'être publié dans son entier, et qu'il ne pourrait manquer d'être accueilli de la manière la plus honorable pour l’auteur. Le même Membre, qui a contribué si puis- samment à faire connaître et à répandre dans le pays les bienfaits de la vaccination, a lu à la Société une Notice historique sur l'introduction et la propagation de la vaccine dans le Duché de Savoie. La Société Académique a jugé ce Mémoire assez important pour être inséré en entier dans sa collection imprimée, M. Revel, docteur médecin à Cluses, Cor- respondant de la Société , lui a fait parvenir un Mémoire intitulé : De La contagion du thyphus et des moyens d'en arréter le cours. M: le docteur Guilland, dans un Rapport fait au nom d’une Commission à laquelle avait été renvoyé ce Mémoire, en annonçant que la Com- mission avait adopté l'opinion de l'auteur sur le fond de la question dont il s’est occupé, a indi- qué quelques développemens que la Commission aurait désiré de trouver sur divers points, eta PRÉLIMINAIRE. 37 conclu à ce que la Société témoignât sa satisfac- tion à M. le docteur Revel , en l'invitant à rester fidèle à l'observation, seule base de la médecine, contre laquelle vient chaque jour échouer l'esprit de système, et à continuer de faire part à la So- ciété, des observations utiles qu'il serait dans le cas de recueillir. Sciences morales, Littérature et Beaux-Arts. La Société a entendu avec intérêt la lecture d'un Mémoire ayant pour titre : Quelques idées sur la Bibliographie , par M. Bise, Bibliothé- caire de la ville de Chambéry. M. Raymond , Secrétaire Perpétuel, a lu une Notice raisonnée sur les Ouvrages de feu M. le marquis de Costa de Beauregard, Membre de la Société. M. le baron L. de V. a récité une très-belle Ode élégiaque sur l’ancien Monastère de Haute- Combe et sur les tombeaux des Princes de Ja Maison de Savoie, qui existaient dans ce lieu. M. le comte de Loche a lu un Mémoire sur l'esprit des Ordres d'Architecture. M. Raymond a donné lecture de la troisième Partie d'un Ouvrage inédit dont il est l’auteur, ayant pour titre : Principes élémentaires d'Har- monie, de Contrepoint et de Composition mu- sicale. EE RON NOTICE Histoire et Antiquités. Le même Membre a lu un Mémoire critique ten- dant à réfuter le système de Jean-Sylvain Bailly, sur le berceau primitif des sciences et des arts. La Société a arrêté l'impression de ce Mémoire. M. le comte de Loche a fait lecture de deux Notices critiques , l’une sur l'origine présumée du nom latin Sapaudia, et l'autre sur l'erreur dans laquelle sont tombés, au sujet des Salasses et des Centrons, quelques - uns des écrivains qui ont traité divers points historiques relatifs à notre pays. Cette erreur 5 qui a sa source dans l'Histoire des anciens peuples de l'Europe, par le comte du Buat (12volumes, Paris, 1772), parait être résultée d’une fausse interprétation d'un passage d'Appien d'Alexandrie, dans son histoire des guerres des Romains dans l'Iyrie , interprétation qui aura fait confondre les Salassi d'Illyrie attaqués par le général romain Veterus, avec ceux des sources de la Doire dans la Vallée d'Aoste, Au sujet du nom d'/llyriens commun à des peuples très-différens , l’auteur du Mémoire observe qu'il y avait aussi des Centrons ailleurs qu'en Tarentaise, puisque Jules-César fait men- üon d'un peuple guerrier de la Belgique qui por- tait le même nom. La Société a applaudi aux remarques de l'auteur et aux éclaircissemens qui en résultent, PRÉLIMINAIRE. 39 Le même Membre a présenté un Mémoire sur la recherche des antiquités en Savoie, dans le- quel il considère tour-à-tour l'utilité attachée à la connaissance des monumens qui appartiennent à l’histoire du pays, les auteurs à consulter, les moyens de diriger les recherches, et où il indi- que, en passant, quelques restes d'antiquités qu'il a observés à Grésy-sur-Aix, à Chambéry et à la Ravoire. Ce Mémoire sera imprimé. Biographie. M. Marin, avant de livrer à l'impression sa Notice historique sur le Duc de Savoie Em- manuel-Philibert, Vavait communiquée à la Société Académique. Cette Notice a été le sujet d'un Rapport honorable fait au nom d'une Com- mission , par M, Raymond, Secrétaire Perpétuel. La Société a également recn en communica- tion, avec le plus vif intérêt, l'Éloge historique du Président Antoine Favre, par M. le Séna- teur Avet, l'un de ses Membres. M. le chanoine Billiet a lu une Notice histo- rique , composée par M. l'abbé Bonnefoi, sur Anastase Germonio , ancien Archevêque de Ta- rentaise. M. Raymond , Secrétaire Perpétuel , a lu l'É- loge historique de feu S. Exec. le comte Joseph DE MAISTRE, Membre de la Société. 40 NOTICE Le même Membre a encore donné lecture, à diverses époques , des articles biographiques sui- Vans : Notice nécrologique sur M. TôcHoN, d’An- necy , Membre de l'Académie Royale des Ins- criptions et Belles-Lettres de Paris, et de la Société Académique de Savoie ; Notice nécrologique sur le docteur CARRON ; d'Annecy , Professeur honoraire de l'Université Royale de Turin , Membre de la Société ; Notice nécrologique surle comte BERTHOLLET, Pair de France, Membre de l'Académie Royale des Sciences de Paris, et de la Société Acadé- mique de Savoie ; Enfin, une Notice biographique sur feu le marquis de CosTA de BEAUREGARD , Membre de l'Académie Royale des Sciences de Turin , et de la Société Académique de Savoie. La Société , dans sa séance du 4 avril 1825 , a adopté, pour le sujet de son sceau, le sym- bole de l'Académie Florimontane , ensuite de la proposition qui lui a été faite par le Secrétaire Perpétuel, dans les termes suivans : « MESSIEURS , » La Société Académique de Savoie, à l'instar PRÉLIMINAIRE. At de toutes les Compagnies littéraires, doit avoir un Sceau ; elle doit placer sur ses Diplomes un emblème et une devise qui, par une allégorie convenablement choisie , soient comme l’expres- sion abrégée de l'objet de ses travaux. Si les courtes réflexions que je vais avoir l'honneur de vous soumettre méritent quelque considération , la recherche ne sera pas difficile. » Vous reconnaissez , Messieurs , tout le pou- voir et toute l’heureuse influence des souvenirs glorieux. En attachant de tels souvenirs aux éta- blissemens nouveaux, on donne, pour ainsi dire, à ceux-ci des racines dans le passé , on les place ct on les affermit sur un sol consacré; on répand sur une institution naissante quelque chose de ce vénérable caractère d'ancienneté qui frappe l'imagination et commande le respect. Les sou- venirs dont je parle élèvent la pensée, enno- blissent les intentions et dirigent les vues. » Dans la Notice préliminaire qui doit précé- der le premier Recueil imprimé des Mémoires de la Société, j'ai rappelé une Institution fondée en 1607 dans notre pays, par deux hommes dont les noms vivront à perpétuité , le saint Evé- que de Genève , Francois de Sales , et le célèbre Président du Sénat de Savoie, Antoine Favre. Ces deux grands hommes avaient établi à Annecy l'Académie Florimontane , dont la renommée zu bout de deux ans seulement , se trouvait déjà 42 NOTICE répandue dans une grande partie de l'Europe (1). Cette Académie avait choisi pour symbole un (1) Voici de quelle maniere le Président Favre s’ex- primait au sujet de l'Académie Florimontane , dans sa lettre à Gaspar Schifordegherus , jurisconsulte silésien , qui avait publié en l’honneur et pour la défense de Favre, un Ouvrage en trois volumes, qu’il était venu lui offrir à Annecy : « T'acere non possum nec facere quin te mihi aliquid debere existimem , quod Academiam nos- tram Florimontanam vidisti, quæ cum aliis, pleris- que de causis digna est, quam exteri quoque suspiciant, ét venerentur , tot, tantisque omnium ætalum, et scien- iarum studiosis refertam , ipsius etiam illustrissimè Ducis Nemorosii accessione conspicuam , et Episcopi nostri quem Principem habet dignitate super illustrem , tüm ob id maximé, quod prima illa est quam ad exem- plum Italicarum ullibi gentium cis Alpes institutam , erectamque vidimus , audivimus , legimus, ut mirum sit tam cito excrescere illam potuisse in eam nominis celebritatem , ut non modd apud Gallos et viciniores populos , sed apud ipsos quoque Italos , præcipua inter cæteros omnes , quarum nomina ad nos pervencrunt ; commendatione jàäm digna esse existimetur, in quo ajjirmando essem fortasse parcior , aut modestior nist testem te haberem , qui in Academicorum nostrorum adscitus academicis nostris exercitationibus tam sœpé adfuisti, ut dubitare non possimus facturum te ali- quando ut Academiæ hujus fama, in Germaniam quoque sit pervasura , nec minorem sui admirationen apud Germanos vestros, quam apud cœæteras nationes exCtiatura. Cette lettre est datée d'Annecy , du 10 des Calendes de Mars 1609, PRÉLIMINAIRE. 43 Oranger , avec ces mots: Flores et. Fructus. Où pourrions-nous trouver, Messieurs , un em- blème plus ingénieux et une devise plus heu- reuse ? Ce symbole nous appartient par droit d'héritage , et si nous avons à craindre qu'il ne puisse pas aussi bien nous appartenir par la jus- tesse de l'application, nous le montrerons du moins comme indiquant le but de notre zèle et de nos efforts. La Société s’honorera de marcher sous la bannière des illustres fondateurs de l'Aca- démie Florimontane, et de rattacher, en quelque sorte, son existence à une aussi noble origine. En rappelant en particulier la mémoire d'Ant."$ Favre , elle s’honorera encore , d'un autre côté, en imitant ainsi à sa manière le bel exemple que vient de donner le Sénat de Savoie , sous les aus- * pices de son digne Chef ( S. Exe. M. le Comte CALVI, Premier Président du Sénat ), par l'é- rection d'un pieux Monument destiné à recueillir les cendres de l'immortel Jurisconsulte qui présida jadis ce Corps respectable de notre Magistrature, et à reproduire son image parmi nous (1). (1) Le Monument élevé par le Sénat de Savoie à la mé- moire du Président Favre est placé dans l’église métro- politaine de Chambéry (dans la seconde chapelle à droite en entrant). L’inauguration de ce Monument et le dépôt des cendres de Favre , qui y ont été transférées , ont eu lieu avec une grande solennité , le 14 avril 1825, f’oyez Le JOURNAL DE SAVOIE du 22 avril 1825. 44 NOTICE » J'ai donc l'honneur de proposer à la Société d'adopter pour son emblème, un Oranger por- tant des fleurs et des fruits, surmonté de la devise Flores et Fructus , avec une courte inscription au bas, qui indique l’origine de ce symbole. » Je me fais un devoir de vous déclarer, Mes- sieurs , que la première pensée de la proposition que j'ai l'honneur de vous faire aujourd'hui , ap- partient à notre respectable Confrère Monseig." Rey , Evêque de Pignerol. » N. B. La Société a désiré que la proposition ci-dessus fût textuellement insérée dans le pre- mier volume de ses Mémoires. C'est pour satis- faire à sa décision que nous l'avons placée à la fin de la précédente Notice. MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DEPSAV'OTE RAPPORT SUR CINQ MÉMOIRES RELATIFS A L'AGRICUL- TURE ET A QUELQUES MESURES PROPOSÉES POUR L'UTILITÉ RURALE , FAIT AU NOM D'UNE COMMISSION ; Par M. BURDET (1). eo — MESSIEURS, Cie Mémoires très-intéressans pour l'agri- culture et l'économie publique , lus dans nos réu- nions (2) , ont attiré votre attention par les vues utiles qui y sont présentées , par l'amour de la prospérité de notre pays qui anime toutes leurs (1) Avocat des pauvres pour S. M., au Sénat de Savoie , Membre résidant de la Société Académique de Savoie, Membre Correspondant de la Société Royale d'Arras, (2) Les 7 février, 7 et 21 mars 1824. 46 RAPPORT expressions , et par la manière distinguée avec la- quelle chacun de leurs auteurs a traité le sujet qu'il s'était proposé. Vous avez voulu qu'une Commission examinät ces Mémoires. J'ai jeté sur le papier quelques aperçus , avec la seule intention de motiver mon opinion indi- viduelle, dans les délibérations de la Commission. Elles les a adoptés et m'a chargé de vous les pré- senter , comme pouvant tenir lieu de Rapport. Alors j'ai profité des réflexions et des notes de mes collègues , pour rendre mon premier essai moins imparfait : il est cependant bien loin en- core d'être digne de vous. Les Mémoires dont j'ai à vous entretenir au nom de la Commission , sont : 1.0 Celui de M. Marin fils, intitulé : Du de- frichement ; 2.0 Celui de M. le docteur Gouvert, intitulé : Recherches sur Les principales causes de la détérioration des bons vignobles , et principa- lement de celui de Montmélian ; 5.° Un second Mémoire de M. Marin, ayant pour titre : Du parcours et de la vaine päture ; 4° Un Mémoire de M. le comte de Loche, intitulé : De la restauration des bois, const- dérée dans l'intérét des propriétaires ruraux ; 5.$ Un Mémoire de M. le chevalier deChe- villard , qui l’a présenté sous le titre d'Aperçus, SUR L'AGRICUPTURE. 49 faisant suite aux Mémoires de MM. Marin , Gouvertet de Loche, sur les moyens de pré- venir la disette des bois. Quoique ces écrits traitent chacun un sujet dé- terminé ; leurs auteurs ont saisi l'occasion de pré- senter, chemin faisant, des observations qui n'ont qu'un rapport indirect avec l'objet principal. Pour éviter de vous rendre compte séparément de chaque Mémoire, ce qui produirait trop de répétitions et de longueurs, je ne me con- formerai qu'à l’ordre des matières, dans l'essai que j'ai à vous soumettre. Je tächerai d'y trouver une place pour les objets même éloignés. Si quelquefois je paraîïs oublier les Mémoires dont il s’agit, pour me livrer à des considérations générales ; elles m'ont paru conduire à la solu- tion des qüestions agitées. J'ai préféré alors cette manière d'exprimer mon avis à l'inconvénient de citer trop souvent des fragmens de Mémoires indiqués par les noms de leurs auteurs. C'est malgré mes représentations , que vous m'avez appelé à faire partie de votre Commission. Les objets dont elle doit s'occuper me seraient entièrement étrangers , s'ils n'offraient des ques- tions d'agriculture légale (1); mais encore à tous CPR RE TS SR RS (1) N paraît qu’on peut dire agriculture légale, comme on dit m7édecine légale. 48 RAPPORT égards, je sens trop qu'il ne m'appartient pas même de dispenser l'éloge aux productions de mes collègues; ils sont faits pour être mes juges, et je serais trop heureux d'obtenir leur indul- gence. $. Le DES circonstances topographiques et morales qui modifient les théories d'agriculture er Savoie, et des moyens de propager les améliorations. Nous croyons devoir, avant tout, Messieurs , replacer sous vos yeux le territoire et la popu- lation auxquels nos observations se rapportent. Combien les théories générales d'agriculture n'ont-elles pas de modifications à subir dans un pays où très-souvent un diamètre d'une lieue offre dans sa circonférence toutes les expositions, toutes les natures de sol, toutes les températures, et presque toutes les espèces de plantes de di- verses latitudes, depuis celles des pays méri- dionaux, jusqu'à celles des régions voisines de la zône glaciale. : Il suit de 1à, qu'en Savoie, chaque canton s'est formé quelques méthodes particulières de culture. On ne saurait croire que les usages soient ab- solument l'effet du hasard ou du caprice. Ils peu- vent paraître inexplicables, ridiéules même, tant SUR L'AGRICULTURE. 49 qu'ils existent. Les a-t-on détruits; combien de fois encore n'arrive-t-il pas d'apercevoir aussitôt, dans leur suppression même, l'inconvénient qui les rendait sages et nécessaires. Si vous ne re- poussez , Messieurs, aucun moyen d'amélioration, vous vous gardez bien de mépriser les bienfaits du passé, Cependant l'on ne peut s'empêcher de recon- naître que des causes morales influent aussi plus où moins sur les progrès de l'agriculture. D'a- bord on remarquera que peu de peuples, autant que le Savoyard dans son pays, pratiquent par inchimation naturelle cette sagesse qui apprend à l'homme à être satisfait de son sort, et à ne pas rêver une existence plus heureuse que celle que procure un travail suffisant à des besoins limités. On peut poser ensuite, comme observation gé- nérale que, dans nos diverses contrées, la culture se perfectionne inégalement, en raison du plus ou moins d'intelligence locale. Cette intelligence s'aiguise, se développe, non-seulement par lins- truction première, mais aussi par les relations de chaque individu , par l'exercice habituel de son esprit, par les obstacles qu'il est obligé de sur- monter pour se procurer sa subsistance , ou par l'aisance dont il jouit ; car la misère étouffe le germe des facultés intellectuelles. Enfin les vues de l'homme s'étendent ou se rétrécissent surtout en raison de la sphère plus ou moins grande, plus 4 bo RAPPORT ou moins active de ses occupations et de ses in- térêts. Pour nous en convaincre, considérons tour-à- tour le grand propriétaire , l'artisan agriculteur , l'habitant des montagnes, le laboureur ordinaire, le petit fermier, le journalier , le simple pro- létaire. Cette nomenclature devient une échelle de dégénération relativement aux progrès agri- coles. Il est inutile de rappeler les services que le grand propriétaire rend à l’agriculture , lorsqu'il ést éclairé, judicieux, et qu'il ne craint pas de consacrer ses loisirs , ses capitaux et ses domaines, à donner le précepte et l'exemple. Mais en Savoie , les propriétés sont extrême- ment divisées ; par conséquent si la plupart des individus ont quelque chose, ce qui ést un grand bien pour le bonheur public et privé, il en est peu qui aient du superflu. On pardonnera donc au simple cultivateur de ne pas compromettre par des essais les espérances qu'il a fondées sur le champ qui doit le nourrir. L'artisan habitant des villes, qui loue, non loin de là, un carré de terre, sait en ürér des ré- coltés, dont la richesse proportionnelle étonne comparée au peu d'étendue du terrain.’ Cela prouve , ce me semble , qu'il s’en faut de beau- coup que la terre de nos campagnes ait déployé toute sa fécondité, et que lés soins du laboureur SUR L'AGRICULTURE. Pi æentatteint leur dernier terme. C’est que le paysan ordinaire a moins d'idées que l'artisan agriculteur, dont l'esprit ne laisse pas d’être exercé par les combinaisons de son métier, par ses affaires, et par des rapports quelconques avec des personnes d'une instruction supérieure à la sienne. L'habitant des montagnes réfléchi comme l'homme du nord, actif et énergique comme l'air qu'il respire, à la fois vigoureux et agile, semble fait pour maitriser la routine, au lieu de se laisser maîtriser par elle. Après de longs voyages, qui d’ailleurs ne sont pas sans inconvéniens, il re- vient familiarisé avec mille objets dont lexis- tence lui était inconnue. Dans la longue saison des frimats, il raconte ce qu'il a vu; il écoute le récit de ceux qui ont voyagé comme lui; et ses mains industrieuses, oocupées à divers ouvrages, lui procurent encore des ressources dans le temps de l’inaction. À peine le soleil commence à amollir les gla- ces sur les pointes escarpées, le repos devient insupportable à l'habitant des montagnes. IL s'é- tudie à arracher de leurs flancs rebelles sa nour- riture et celle de sa famille. Plus le sol lui a coûté d'efforts et de temps, plus il s’y affectionne ; il se passionne À surmonter les difficultés. On le voit, lui, sa femme et ses enfans, pliant sous gravir péniblement une pente rapide, pour aller créer un lourd fardeau de terre ou d'engrais , 52 RAPPORT < un champ sur le roc ou au milieu des cailloux: Ils relèvent la pierre en mur de soutènement, pour s'opposer aux éboulemens supérieurs. Ces murs, généralement de deux à trois pieds de hau- teur, forment, depuis la base jusqu'à la sommité de la montagne, une multitude de gradins et de pe- tits compartimens cultivés (1). Quelquefois ce sont des terrasses qui arrêtent sur le bord de l'abyme le sol qui menace de s'y précipiter. Des moissons en quelque sorte aériennes, paraissant bientôt sur la corniche des rochers, attestent à tous les re- gards la puissance du travail, de l'intelligence, de la hardiesse et de la constance de l'homme. Le paysan de la pleine campagne fournit un autre sujet d'observations. La terre plus libérale et plus facile lui laisse moins d'inquiétudes sur sa subsistance. Son esprit toujours calme n'éprouve pas ces agitations que produit la crainte toujours imminente d'un be- soin sans secours. Il ne se porte pas avec ardeur à ces efforts spontanés, extraordinaires et sou- tenus, qui, n'ayant d'abord pour objet que d'at- teindre le but, ne tardent pas à le dépasser et qui conduisent enfin à l’aisance, lorsque l'énergie est devenue une habitude qui ne repose jamais. Nos campagnes cultivables sont en général (1) Principalement en Tarentaise. SUR L'AGRICULTURE. 53 formées d’une suite de coteaux et d'ondulations qui semblent creusées par les eaux descendant des montagnes ou des hauteurs inférieures Nous avons des vallées assez ouvertes ; il en est qui renferment dans leur enceinte des plaines de quelques lieues de longueur sur environ une lieue de largeur. Mais à mesure qu'on se rap- proche des grandes Alpes, les vallées de plus en plus étroites, étendent leurs ramifications si- nueuses entre les bases des montagnes, et sont coupées par des rivières non navigables , des tor- rens ou des lacs dont elles forment le bassin. Ainsi généralement les communes, les hameaux et quelquefois encore les habitations sont séparés par des monts, des collines, des plans inclinés, des ri- vières, des ruisseaux, des torrens parfois profondé- ment encaissés ; il est impossible de parcourir un grand nombre des rayons dont on est le centre. Les chemins vicinaux, qui doivent alors être plus où moins montueux, plus ou moins fatigans, n'invitent pas aux communications fréquentes. Les habitans ne se rapprochent les uns des autres que pour adorer l’auteur de tous biens. Ils ont à faire un assez long trajet pour arriver à leur église qui est comme le point central d’une vaste étendue paroissiale. Ils y viennent et sen re- tournent par des sentiers différens, parce que leurs habitations sont éparses sur une surface considérable, Comme ils ne cheminent pas en- LA RAPPORT semble , ils ont peu de conversations, peu d'oc- casions d'échanger leurs idées contre des idées neuves. On concoit que ces hommes simples , qui passent toute leur vie dans le village qui les a vu naître, n'aient d'autres méthodes , d’autres usages que ceux transmis de père en fils. Ils doivent y tenir avec d'autant plus de force que les traditions leur sont imprimées par l'exemple et par l'éducation dont les traces sont ineffa- cables ; ils les conservent avec un soin presque religieux, parce qu'ils les ont recues de ceux qui leur apprenaiént en même temps le travail ct la vertu, et dont il leur était recommandé d'écouter avec respect les préceptes et les lecons. Sobres, patiens, durs à eux-mêmes, ils excè- dent presque les forces humaines dans certains temps de l'année ; mais ils ne sont pas très- laborieux dans les intervalles où la coutume cesse d'imposer des fatigues, dussent-elles même leur être utiles. Cependant affermis dans leurs pratiques par l'épreuve quelles ont subies chaque année, sous Ieurs yeux, par l'affection, par une longue habi- tude, par les souvenirs de l'enfance et de la jeu- nesse; sils ne se décident pas à adopter promp- tement, sur la parole d'un homme étranger à leur manière d'être, des méthodes , des outils, des travaux encore inconnus ; leur retard et leur défiance méritent tous nos égards. Il ne faudra SUR L'AGRICULTURE. 55 jamais heurter dédaigneusement les idées de ces hommes intéressans par leur candeur héréditaire. Dans leurs préventions , ils ne sont pas moins fidèles aux règles du bon sens et du raisonne- ment; puisqu'ils se décident, comme les habitans des villes, d'après les faits dont ils ont été les témoins, et d'après les notions que l'instruction première a convertis pour eux en axiomes. On réussira en parlant à leur cœur un langage affec- tueux, et en frappant leurs regards par des épreuves, par des démonstrations et surtout par des succès réitérés. Qu'ils soient fermiers, propriétaires ou jour- naliers , quelle influence encore leurs diverses conditions n’exercent-elles pas sur leur moral et sur leurs entreprises! Si les propriétés étant très- divisées, une multitude de petites fermes four- nissent le revenu alimentaire d'un grand nombre de maitres ; il en résulte que ceux-ci, obligés de ne négliger aucune parcelle des productions , étendent sur le fermier une surveillance stricte qui le réduit à un état voisin de la domesticité. Les baux résolubles par trois, six, neuf an- nées, ne laissent pas au métayer le temps de s'affectionner au sol. Il lui répugne d'y entre- prendre des ouvrages considérables , parce qu'il craint de travailler pour un successeur, ou que des améliorations n’amènent aussitôt une aug- mentation de fermage. Toutes les idées de pré- 5 CRE RAPPORT voyance et d'avenir que le fermier peut avoir ; semblent circonscrites dans la durée de son bail; aussi n'est-ce pas sur le fermier que l’on doit prin- cipalement fonder l'espoir des améliorations , mais sur le maître. Celui-ci sert d'intermédiaire entre les villes et les campagnes. Le salutaire ascen- dant qu'il exerce dans ces dernières, y produit des effets qui s'étendent de proche en proche , finissent par généraliser ce qui est utile, et le simple paysan, cultivant l'unique champ qui lui appartienne, profite enfin de ce qui se passe au- tour de lui. L'ouvrier journalier voit tout son avenir dans sa journée , il n’est qu'un instrument mécanique et nimagine rien. Encore peut - il propager la connaissance des travaux qu'on lui a fait exécuter, et répéter dans un lieu ce qu'on lui a appris dans un autre. Jadis nos vallées renfermaient chacune, en quelque sorte, une petite nation qui avait ses limites naturelles, ses souverains ou ses maîtres, sa physionomie, son caractère, ses habitudes et ses mœurs, son idiôme et son accent. Toutes les traces de cet ordre de choses n'ont pas encore disparu; mais les démarcations morales s'effacent, l'isolement des localités cesse de plus en plus, la fusion et l'homogénéité de la population s'opère à chaque instant davantage. Tels sont les effets d'une administration sage et active, qui partout SUR L'AGRICULTURE. 57 établit des routes et des ponts, sans dédaigner les communications secondaires, si nécessaires pour porter la vie, le mouvement et l’aisance dans toutes les parties du corps social. L'impulsion qu'elle donne à cet égard, depnis les cités jus- qu'au plus petit hameau, quelle qu’en soit la position, est accueillie avec empressement et reconnaissance, par un peuple , sincère appré- ciateur d'un aussi grand bienfait. En tracant cette topographie statistique du moral et des caractères, pourrais-je ne pas signa- ler tout ce qu'ont fait constamment les ministres de la Relision pour l'avancement de l'agriculture. On ne saurait oublier qu'en Savoie plusieurs . contrées ont été entièrement défrichées par de pieux cénobites. Grâces à leurs laborieux eflorts, les forêts primitives, les antiques marais qui seuls couvraient le sol de nos sauvages Thébaï- des, ont fait place à de rians vallons, à des cam- pagnes fertiles. Aujourd'hui encore, nul clergé n'est plus porté que le nôtre à répandre l'ins- truction utile dans le peuple, à détruire les erreurs , à épurer les nouveautés, à propager les bonnes méthodes , à introduire les produe- lions inconnues , à donner des conseils utiles. Arbitres des croyances, guides des opinions , ce sont les dignes pasteurs du christianisme qui ont les moyens les plus directs et les plus faciles de vaincre les préventions et les habi- 58 RAPPORT : tudes. Leur ardente charité, leur circonspection éclairée , leur ascendant si doux, si persuasif, ont toujours été employés avec sollicitude à pro- curer l'avantage de ce qui les entoure. Quant à nous, Messieurs , lorsque notre So- ciété s'occupe d’agronomie, elle doit bien rare- ment prononcer d'une manière absolue, Il y à peu d'inconvénient à émettre une opinion sur une question littéraire où purement scientifique. Mhis en agriculture | l'exactitude mathématique serait une chimère, les fausses applications sont ruinenses ; il peut se trouver des exceptions à chaque pas. Tout ce qui concerne l'agriculture , et parti- culièrement les bois, le défrichement , les marais, le parcours et la vaine pâture, a déjà été le sujet d'un grand nombre d'écrits. À l'exception de celui de M. de Costa, qui mérite d'être consi- déré comme fondamental, et de quelques autres écrits nationaux dignes d'attention, les ouvrages d'Agrologie restent assez indifférens au commun de nos cultivateurs : les livres étrangers semblent à ceux-ci n'avoir pas été faits pour eux. Cepen- dant, si après y avoir puisé un choix d'observa- liens appropriées à nos besoins et à notre situa- ton; si, après avoir accueilli avec une bienveil- lance constante les idées de nos agriculteurs ; si, après avoir soumis les unes et les autres à un examen provisoire ; nous en transmettons les ré- SUR L'AGRICULTURE. 59 sultats à nos compatriotes , dans l'espoir qu'ils leur feront subir un examen de détail sur les convenances de localité , elles pourront prendre de l'intérét à leurs yeux. Les personnes, les intentions, le désir du bien, l'avantage particulier, tout concourra à stimuler des affections diverses et à provoquer des jugemens. L'expérience, le pouvoir du temps et l'esprit naturel des habitans feront le reste. SIL. Des réglemens champétres et de leur for- matiorr. Les cinq Mémoires qui vous ont été pronc‘s sont mixtes par leur objet; ils contiennent 5 observations appartenant les unes à la policeati- rale et forestière , les autres à l'agriculture pro prement dite. Sous le premier rapport, ces Mémoires don- nent lieu d'apercevoir la nécessité de mieux faire connaître à la population de notre pays combien nos lois générales , nos réglemens et nos usages particuliers fournissent de ressources pour pro- téger, conserver et augmenter les produits de notre sol. Les constitutions royales et le réglement par- ticulier pour la Savoie , promulgué par Patentes du 15 août 1775, sont encore en vigueur pour 6o RAPPORT les objets de police forestière et rurale qui ne sont pas compris dans les Lettres-Patentes du 15 octobre 1822, sur les bois et forêts. Ces lois générales ne pouvaient entrer dans tous les détails variés qu'exigeraient les circons- tances accidentelles de chaque lieu. Si elles eussent aspiré à tout régler, on les trouverait souvent excessives, impraticables dans certains lieux et insuffisantes dans d’autres. Mais, disons - le avec reconnaissance : nous jouissons, dans les Etats de notre Roi, d'un avantage que beaucoup d’autres peuples peuvent nous envier : c'est la faculté laissée aux habitans de chaque commune, et sanctionnée par un long usage, de proposer et d'établir, sous l'approba- tion du Sénat, des réglemens champêtres con- tractuels. U ne faut pas confondre ces réglemens avec les Bans champêtres proprement dits, quoiqu'ils fus- sent publiés de la même manière, et que les bans champêtres eussent aussi pour objet soit la conservation des bois, pâturages et autres productions de la campagne , soit la meilleure manière d'en tirer le plus d'avantage possible dans l'intérêt commun , soit principalement le ® mode d'en user avec le moins possible de préju- dice pour autrui. La faculté d'établir des Bans champêtres et des dispositions de police personnelle ou urbaine ne SUR L'AGRICULTURE. Gr pouvaient avoir lieu que par une inféodation (1) en faveur des seigneurs, ou par une concession spéciale du prince en faveur des communes qui l'obtenaient (2). Ce sera préparer les conséquences de ce rap- port et le rendre utile, que d'indiquer ici le mode assez peu connu de la formation des réglemens champêtres. On fondait leur légitimité sur des usages très- anciens reconnus par les Constitutions royales (3) et par le Réglement de Savoie (4), et principale- ment sur ce qu'ils étaient considérés comme un contrat entre des propriétaires, possesseurs ou usagers. Pour former un tel contrat, il fallait préala- blement que la permission de se réunir füt ac- cordée par l'autorité compétente. Avant la révolution on convoquait au son de la cloche tous les chefs de famille dans le lieu destiné aux assemblées générales. IL fallait aussi, pour la validité de la délibération, qu'ils s'y trouvas- sent réunis au nombre de deux tiers au moins. Là, ils convenaient entr'eux des dispositions réglementaires qu'ils voulaient adopter. Un no- QG) GR. liv. VI, tit. 3 , chap. 1, (. 9, chap. 5, (. 6. (2) Rég. gén. de Pub., du 6 juin 1975, f. 4, ch. 5, tit, 5. ()liv. IE, tt. 5, ch. r, (110, (4) Liv. IE, chap. 1.4", art. 16, 62 RAPPORT. taire (1), assisté de déux témoins instrumentaires , rédigeait cette convention comme étant une sti- pulation de tous les propriétaires, une sorte d'association pour l'avantage commun. Il était bien reconnu en effet que ces com- munistes, vraiment parties contractantes, n'exer- caent point une attribution législative. Les amendes prononcées par le réglement étaient considérées comme dues à titre de clause conventionnelle pénale et de dommages -inté- rêts presque toujours applicables au profit tant du dénonciateur que de la commune, ou de ses institutions de charité, ou à des objets d'utilité particulière. Dans l'acte même de la convention réglemen- türe, les contractans nommaient deux députés et leur passaient une procuration spéciale pour toutes les diligences nécessaires afin d'obtenir l'approbation du Sénat, et pour consentir, au besoin, à toutes modifications et rectifications qui paraitraient devoir être apportées dans le projet de réglement. L'Avocat-fiscal-général vérifiait si l'assemblée générale avait été tenue régulièrement et en nombre suffisant , et si les deux députés avaient les pouvoirs nécessaires. (1) Secrétaire de la commune, PES SUR L'AGRICULTURE. 63 11 examinait surtout si ancune des dispositions proposées n'était un attentat au pouvoir souverain et législatif; si aucune n'était déjà établie dans les lois existantes, ou n'était en opposition avec ces lois. Cette recherche préalable, dans l'intérêt de là commune et de l’ordre public, pouvait attirer au projet de réglement une répulsion ou totale ou partielle. Il arrivait fréquemment que le ministere pu- blic proposait lui-même des dispositions ou uné rédaction qui lui paraissaient plus convenables que celles du projet, et qu'il requérait d'office des corrections et des amendemens. Presque tou- jours la commune se conformait à de telles ré- quisitions , sans attendre que le Sénat prononcât à cet égard. Le Sénat ordonnait la publication du projet de réglement proposé et fixait un délai pour y former opposition, par-devant l'actuaire ou le greffier qu'il commettait. A cet appel, tous les intérêts contraires ve- “aient se manifester. Les opposans étaient déter- minés par différens mobiles. Les adversaires les plus actifs du projet étaient d'abord ceux qui retiraient un profit réel des abus à supprimer et qui s'étaient insensiblement attri- bué, pour ainsi dire, l'usufruit des propriétés de la commune et des particuliers ; parce qu'é- tant voisins de ces propriétés , ils avaient, plus 64 RAPPORT que les autres habitans, la facilité d'en retirer des avantages. Par exemple , l'homme qui avait beaucoup de fermiers, beaucoup de bestiaux , et avec cela peu de boïs et pen de pâturages , s'em- pressait de combattre toute proposition tendante à restreindre l’affouage et la pâture en commu nauté. Celui au contraire qui pouvait se suffire à lui-même par ses propriétés n'apercevait pas assez les besoins qu'il ne partageait pas , et se pronon- cait contre le gaspillage , au point d'exposer le pauvre à être privé de ressources indispensables. C’est ainsi que, chez un peuple essentielle- ment bon et loyal , les passions peuvent encore se cacher sous l'aspect de l'amour du bien et sé- duire ceux même dont l'ame est habituée aux sen- timens généreux et légitimes. Cependant , au milieu de ces conflits, le pro- jet ne manquait jamais d'être sévèrement critiqué devant le Sénat. L'avocat -général donnait ensuite de nouvelles conclusions : le Sénat décidait. Quelquefois , soit en conséquence des obser- vations des opposans, de celles du ministère public et du consentement des fondés de pouvoir de la commune , soit d'office, en vertu de sa juri- diction suprême , le Sénat, en approuvant le ré- glement, y faisait telles additions, suppressions et modifications qu'il reconnaissait justes ou uti- les. Il commettait le juge et ordinairement le SUR L'AGRICULTURE, 65 châtelain du lieu pour prononcer sur les contra- ventions. La faculté de pourvoir ainsi à l’avantage com- mun nest point abolie. Elle semble même de nouveau légitimée pour toutes les communes, par l'Édit du 20 juillet 1797, qui, en abolissant divers droits féodaux dans le Piémont, a attribué aux villes et communautés la prérogative de for- mer des bans champêtres, sous l'approbation du Sénat, dans tous les territoires où cette faculté était annexée à la juridiction inféodée (1), et par le Billet royal du 18 octobre 1816 (2). Depuis la restauration , des Réglemens communaux ont en- core été proposés et approuvés; mais quelques changemens avantageux ont été introduits dans leur formation. Autrefois l'assemblée générale de tous les pay- sans d'uné commune devait être une cohue. Cette tourbe ignorante , tumultueuse , incapable de méditation, ne pouvait guère embrasser, appro- fondir toutes les combinaisons d'un projet dont elle entendait à peine la lecture, et qui le plus souvent n'était que l'ouvrage particulier du secré- (1) Peu de territoires étaient libres d’inféodation. (2) Dans ce Rescrit, occasionné par les instances de la commune de Bene, S. M. déclare que les amendes des Bans champêtres restent acquises aux communes. Il faut toujours la permission royale pour faire des Ré- glemens de police. Régl. de Savoie, liv. HA, ch. 6, . 18. 9 66 RAPPORT taire de la commune. Des rixes ont plus d'une fois troublé les délibérations des Solons villageois. Il est plus convenable, et maintenant on admet qne l'assemblée générale soit remplacée et les habitans représentés par le conseil com- müûnal , dont on augmente le nombre de mem- bres, en y appelant des plus imposés ou notables. Le consentement individuel de chaque habitant n’est pas moins censé résulter de la délibération du conseil extraordinaire , et du défaut d'opposi- tion raisonnable dans le délai fixé par le Sénat; car le droit de former opposition est conservé intact. Les archives du Sénat contiennent un grand nombre de bans et réglemens champêtres. On ne saurait croire combien de précautions attentives etmême ingénieuses ont été prises, dès les temps les plus anciens, en différens lieux de Ka Savoie , pour y établir une police rurale calquée sur leur topographie et leurs besoins. $. III. De la conservation des bois.— De leur utilité relativement aux vignobles. — Du partage des communaux. Jusqu'à ce moment , l'économie du bois s’est presque bornée, de la part des particuliers , à } û L f SUR L'AGRICULTURE. 67 l'invention ; au perfectionnement et à l'emploi des appareils calorifères propres à procurer le plus de chaleur avec le moins possible de bois. Hé- las ! on ne saurait renoncer à aucune jouissance : tel déplore la destruction des forêts, qui frémirait d'indignation et pousserait les hauts cris, si l'on remontait jusqu'à ses foyers somptueux , pour y éteindre la cause du mal. C'est donc avec raison que MM. de Loche et de Chevillard , dans leurs Mémoires , recommandent l'économie comme premier moyen conservateur, et que M. de Chevillard propose de propager chez tous les cultivateurs l'usage des fourneaux écono- miques. En effet, lorsque les cheminées se multiplie- ront dans chaque maison ; lorsqu'au four banal on verra succéder une multitude de fours parti- culiers et des boulangeries nombreuses , parce que l'habitant des campagnes commencera à dé- daigner le pain rustique ; lorsque des établisse- mens industriels, travaillant en petite exploita- tion, consumeront chacun la même quantité de bois qu'une exploitation en grand, qui fournit une plus grande quantité de produits ; il arrivera que les bois seront alors tellement recherchés , que l'élévation du prix deviendra une prime d’encou- ragement pour les déprédateurs, et qu'il sera de plus en plus difficile d'empêcher les contraven- tions. 65 RAPPORT En Savoie, l'on n'avait pas attendu le cri d’a- larme de Sully, pour s'occuper de cet important objet. Déjà, par Arrêt du 9 décembre 1559, le Sénat avait défendu de faire des essarts aux montagnes ét forêts, d'y mettre le feu, et d'y faire aucune taille ni dépopulation. Le 8 mars 1594, il défendit de faire trans- marcher le bois de haute futaie hors des États. Enfin, une suite d'Arrêts et de dispositions sou- veraines à pourvu constamment à la conservation des bois. Les diverses précautions successive- ment ordonnées ont été réunies en système ré- gulier, avec des améliorations, dans le Régle- ment particulier de la Savoie, promulgué en 1725, et dans les Constitutions de 1729 et de 1770. Mais, en aucun temps, la Savoie n'a été soumise à des mesures plus complètes et plus attentives que celles prescrites par les Patentes du 15 oc- tobre 1822 , et par plusieurs autres dispositions subséquentes réglémentaires de l'exécution de celles du 15 octobre. Si quelque localité était encore susceptible de soins plus détaillés que ceux qui ont dû être prévus par les lois générales; la voie des bans champêtres, le recours à l'autorité souveraine pour obtenir des Rescrits particuliers, peuvent pourvoir à tous les cas. De cette manière, la pré- caution indiquée par l’auteur de; l'un des Mé- moires , laquelle consisterait à établir une amende SUR L'AGRICULTURE. 69 contre tout habitant qui sostirait des bois de la commune, sans être porteur de certificats d'ori- gine, cette précaution radicale pourrait être mise à la disposition des communes qui la croiraient utile. L'auteur d'un autre Mémoire, M. Gouvert , a observé que, lorsque des coupes étaient accor- dées aux habitans d'une commune pour leur affouage , cette opération, dans laquelle le plus fort et le plus prompt étaient toujours les mieux partagés, se faisait souvent avec un désordre qui lui donnait l'air d'un pillage. Les arbres seraient abattus de manière à laisser sur racine une par- tie considérable du tronc, et sans aucune de ces attentions qui pourraient faciliter la reproduction. Là, chacun ne songeant qu à soi, il ne resterait au vieillard , au faible, à la veuve et à l'orphelin, que les plantes dédaignées. La précipitation, la confu- sion, la rivalité des travailleurs occasionneraient beaucoup d'accidens et de querelles. Les arbres qui tomberaient à l'improviste, les billots qui rou- leraient sur la pente, les blocs de pierre déta- chés par la fougue des mouvemens, l'usage im- pétueux des instrumens tranchans ne feraient que trop fréquemment des victimes. Les Patentes de 1822 portent (1) que, dans (1) Art. 54. 70 RAPPORT ces coupes, on se conformera aux coutumes légalement introduites. Or, les Réglemens con- tractuels et approuvés pouvant être considérés comme une coutume légalement introduite, 1l sera encore facile aux personnes intelligentes et bien intentionnées de chaque commune de pro- voquer un mode d'opérations juste, régulier, sans danger, adapté à l'étendue et à la configuration de leur territoire forestier, ainsi qu'au nombre et au caractère des habitans. D'ailleurs les Pa- tentes royales de 1822 prescrivent des précau- tions susceptibles d'être alors mises en usage (r). Le même observateur, M. Gouvert, attribue à la destruction des bois qui couronnaient nos vigno- bles des environs de Chambéry, la dégénération qu'il dit avoir remarquée dans leur produit. Il pense que les vignobles sont devenus plus sujets qu'autrefois à la sécheresse, aux entraine- mens du terrain, parce que les eaux et les pierres n'étant plus retenues ni divisées dans la partie supérieure du vignoble , il s’y forme facilement des ravins et des avalanches qui viennent couvrir la terre végétale d’un torrent de pierres et de gravier. | Mais les bois, en conservant les neiges au- dessus des vignobles, garantissent ceux-ci de (x) Art, 65, 64, 65. SUR L'AGRICULTURE. 7E l'action des changemens de température brusques et inégaux. La fonte insensible des neiges im- prègne doucement le sol d'humidité. Les eaux s'infiltrent lentement et profondément dans le terrain boisé; elles s'y saturent de principes fé- condans, qui découlent ensuite sur les vignes in- férieures. Autrefois, les arbres qui couronnaïent les vignes détournaient les vents, brisaient les orages, et, servant de conducteurs électriques , préservaient de la grêle. M. Gouvert désire donc avec raison qu'on laisse subsister une zone de bois au-dessus des vignobles et au bord des ravins, pour servir de digues. On ne peut qu'approuver cette conséquence s mais les moyens de la mettre en pratique exi- gent beaucoup de combinaisons. Qui devra in- demniser le propriétaire. condamné à ne point couper ses bois, afin de protéger les vignobles ‘inférieurs , divisés entre un grand nombre de personnes ? Quelle étendue, quelle importance, quelle qualité devra avoir le vignoble inférieur, pour qu'on Jui sacrifie le territoire supériéur? Toutes ces choses devront varier selon les lieux. Quoi qu'il en soit, rien n'empêche les particuliers qui seraient propriétaires tout à la fois et des vignes et des bois dominans, de profiter de l'aver- iissement qui leur est donné. Espérons que l'on trouvera quelque moyen plus: positif de réaliser les excellentes vues de 72 RAPPORT M. Gouvert, au moins pour nos vignobles les plus précieux, qui contribuent si puissamment à compléter les douceurs de la vie, que la nature dispense à l’heureux habitant de la Savoie. Et déjà il semblerait que le but proposé pourrait être atteint, du moins sous plusieurs rapports, si l'on développait, par des Réglemens commu- paux particuliers, les conséquences de l'art. 37 des Patentes de 1822. Ces Patentes contiennent un grand nombre de dispositions très-sages pour la replantation et la reproduction des bois. L'un des Mémoires com- muniqués conseillerait, dans ce même but, le partage des communaux, à la charge par chaque habitant de planter en bois la portion qui lui écherrait. La question du partage des communaux a déjà été soulevée par plusieurs écrivains. Elle est sus- ceptible de grandes controverses sous le rapport de son efficacité, et sous celui du droit de pro- priété. Aussi ne dirons-nous pas qu’elle doive être décidée par les habitans faisant des régle- mens particuliers ; car ils seraient des juges trop intéressés à se prononcer pour une opération qui dépouillerait la commune, pour leur donner ce qui ne leur appartient pas comme individus. Ce- pendant, en France, la loi du 10 juin 1795 avait accordé aux habitans des communautés la faculté de se partager leurs communaux. Peut-être cette SUR L'AGRICULTURE. 75 loi agraire fut-elle jugée utile au système alors en vigueur. Toutefois il n'a été déclaré nulle part, et la loi de 1793 n'allait pas jusqu'à supposer que le partage dût être constamment avantageux ; puisqu'elle laissait aux intéressés le soin de dé- cidér s'il devait avoir lieu. Bientôt tant de réclamations et de difficultés s'élevèrent de toutes parts, que la loi du 21 prai- rial an 4 ordonna de surseoir à toute action en partage, et que celle du 5 ventôse an 9, en main- tenant les partages entièrement contractés, ne ralifia ceux déjà exécutés, dont l'acte n'était pas encore passé, qu'à la charge de payer une rede- vance annuelle à la commune. Les biens non compris dans ces deux sortes de partages furent rendus à leur ancien état d'indivision. N'oublions pas qu'une corporation est un être moral dont les droits et les intérêts sont très- distincts de ceux des individus privés qui la com- posent. Les habitans ne sont que des usagers, et leur droit d'usage cesse à l'instant où ils de- viennent étrangers à la commune. Nous en convenons: il est certain que les coin- munaux deviendraient plus productifs étant divisés. Mais doit-on ne voir que des intérêts matériels? Le maintien du droit de propriété et la pré- voyance des besoins de l'avenir n’entrent-ils pour rien dans l’économie publique ? Tout peut se concilier, L'Autorité suprême ser 74 RAPPORT toujours, dans les cas de nécessité ou d'utilité, l'arbitre bienveillant, souverainement juste, sou- verainement éclairé, et essentiellement légitime, pour prononcer sur un partage, à titre gratuit. Il sera toujours facile à une commune de lui en soumettre la demande, dans les circonstances spéciales où elle y verra de véritables motifs, si elle peut en avoir de suffisans (1). (1) On a permis des partages à titre onéreux, c’est- à-dire , à la charge de payer à la commune le prix de chaque lot, au moyen d’une somme ou d’une redevance convenables, Alors on les a considérés comme des ventes sans enchères; et lorsque l'immeuble vaut plus de 240 1. n., c’est le Sénat qui est compétent pour dispenser des formalités , en vertu des C. R., auxquelles les Patentes du 22 juin 1781 et l’Édit du 27 septembre 1822 n’ont pas dérogé à cet égard. Circulaire du Bureau d’État, du 26 mars 1823. Au-dessous de 240 liv. n., on recourt aux Intendans. — La commune de Marlens avait résolu, le 24 septembre 1823, de partager 829 journaux de com- munaux boisés, moyennant un prix pour chaque lot, et sous des conditions propres à assurer la conservation des bois. La délibération fut publiée; il n’y eut aucune oppo- sition, L’Avocat-fiscal-général observa que, pour par- venir à un partage par vente, on s’adressait au Sénat ou au Roi , que la commune avait pris ce dernier parti; qu’en l'espèce, le prix des lots étant destiné à des réparations, il fallait s’assurer si elles seraient utiles; que l’Intendant avait déjà rendu une ordonnance pour leur vérification ; que le partage proposé nécessiterait beaucoup d’opérations locales très-détaillées et de diverse nature , et qu’il deve- nait alors opportun d’obtenir de S. M., qu'en époquant à SUR L'AGRICULTURE. 75 (api QE Du défrichement des terres inclinées , et de l'écobuage. Les résultats du défrichement des: bois sont connus ; la législation empêche les abus (1) : ce n'est pas de cet objet qu'il s'agit dans nos obser- vations. Le défrichement des terrains non boisés, mon- tagneux ou inclinés en pente plus où moins ra- pide, est celui que l’on a en vue. M. Marin distingue les pays absolument mon- tueux ,-où les vallées n'offrent que peu ou pres- que pas de terrain cultif, et les pays montueux Elle la connaissance de l’aliénation par forme de partage des communaux dont il s’agissait, Elle la commiît à l’In- tendant du Genevois, qui avait déjà procédé quant aux réparations , pour, s’il y avait lieu, approuver la déli- bération du 24 septembre et ordonner les opérations subséquentes. Ainsi, quoiqu'il soit peu dans les attributions adminis- tratives de connaître de ce qui tient à la sûreté du droit de propriété, les accessoires ont emporté le fonds dans ce cas particulier, et S. M. a accordé, le 13 avril 1824, à la commune de Marlens, des Lettres-Patentes conformes aux conclusions de l’Avocat-fiscal-général, dérogeant à cet effet à toutes dispositions contraires. (1) €. R. tit. 9, liv. 6; Patentes du 15 octobre 1822; art, 18,.19, 20 et 21. 76 RAPPORT au bas desquels sont des vallées fertiles. Il pense que dans ceux-ci les défrichemens sont un des plus grands fléaux de l’agriculture, On peut en effet remarquer cette tendance des habitans des campagnes à exploiter des terrains nouveaux; tandis que la plaine présente tant de parties négligées, et que ses productions ne sont point encore parvenues au degré d'abon- dance et de qualité qu'elles pourraient atteindre. IL observe que l’on y manque d'ouvriers. Ne se- rait-il pas préférable que les bras qu'exige le défrichement fussent tous employés au sol déjà livré à l’agriculture ? Les montagnes respectées se couvriraient de bois : au contraire, la terre ameublie par le la- bour est constamment entraînée dans les bas- fonds par son propre poids, par les pluies et par les ravins qu'elles forment. Le roc ne tarde pas à se découvrir ; nos montagnes n'offriront bientôt plus que des flancs décharnés et d’une hideuse nudité. De tels inconvéniens sont réels : cependant l'accroissement continuel de la population rend difficile d'intervertir cet ordre de choses. Com- ment transporter dans la vallée l'homme qui ha- bite les hauteurs ? Comment le rendre ouvrier journalier chez autrui, tandis qu'il est proprié- taire chez lui, et qu'en faisant sortir un champ des ronces et des broussailles qu lui appartien- SUR L'AGRICULTURE. 77 nent , il acquiert une subsistance indépendante pour lui et pour sa famille ? En Savoie, où le terrain est si inégal, il ne serait pas aisé de restreindre la culture aux plai- nes seulement, ni de déterminer par des mesures générales, à quelle hauteur, à quel degré d'incli- naison le défrichement devrait être permis ou dé- fendu. D'ailleurs, comme les terres montueuses, non cultivées, sont toujours ou des landes (1) qu'il convient de rendre productives, ou des prai- ries que l’on n’a jamais défrichées , ou des rocs que l’on défriche encore moins, ou des bois et broussailles qu'il est défendu d'essarter et de dé- fricher sans la permission de S. M. (2) ; on peut espérer que le mal commis jusqu'à ce jour, et que M. Marin déplore avec raison, va diminuer d'une manière sensible. Ce qui , selon lui, aggrave les funestes effets du défrichement , est l'abus de l'écobuage. M. Marin n'en approuve l'usage que dans les terrains humides , tenaces et argileux, dont les molécules fortement adhérentes ne peuvent être divisées et desséchées autrement. Ce moyen sé- duit; mais M. Marin assure que l’écobuage ne tarde pas à être suivi de stérilité , par aridité ou par épuisement. Vulgairement appelées teppes. Art. 20 des Patentes du 15 octobre 1822. (1) (2) 78 RAPPORT Il ne faut donc l’employer que comme remède dans certains cas, et non comme un moyen uni- versel. M. Marin s'accorde ici avec les meilleurs au- teurs. Dira-t-on que le brûlement des mauvaises plantes produit des sels fécondans ? L'odeur de corne brûlée, qui s'exhale dans cette opéra- tion, l’acrimonie de la fumée alors si cuisante pour les yeux, prouvent que les sels sont dissipés dans les airs ; tandis que si l’on eût enfoncé dans la terre par le labour, les herbes et les racines , on eût conservé au sol les sels volatilisés, et les plantes enfouies eussent agi en quelque sorte mé- caniquement et long-temps. Vantera-t-on l'avantage de l'écobuage pour diviser le terrain? Quelques tombereaux de sable pur vaudraient beaucoup mieux, lorsqu'on pour- rait se les procurer avec facilité. En général , si l'on creuse profondément dans une terre argi- leuse, on trouve des couches de sable au-dessous. L'avantage le plus incontestable de l'écobuage est la destruction des broussailles et des mauvaises plantes. IL est certain qu'il est faneste aux ter- rains maigres, secs , légers et sabloneux. Et pour offrir quelque utilité à l'amendement du sol , il doit être fait avec des soins qui sont rarement employés. Le grand art de l'écobuage consiste à enlever SUR L'AGRICULTURE. 70 la portion de terre pénétrée par les racines et à conserver aux tranches toute la terre attachée aux racines. On coupeensuite ces tranches carrément, et après les avoir laissé sécher au soleil , on les arrange en petits fourneaux. La surface garnie d'herbes est tournée vers l’intérieur de la voûte: la surface terreuse forme l'extérieur du fourneau. Il est bon de mouiller et de pétrir la terre extérieure ; il faut presque boucher la porte , ne pas laisser de courant d'air et procéder par un feu lent et étouffé, comme pour réduire la matière combustible en charbon. On doit boucher les gercures et crevasses des fourneaux, à mesure qu'elles se forment. $. V. Du défrichement et du desseéchement des marais. Deux des Mémoires communiqués ont traité du défrichement des marais d’une manière d'au- tant plus intéressante pour nous, qu'ils mani- festent à cet égard des opinions très-opposées. Les deux Mémoires s'accordent à reconnaître que les marais sont très-insalubres, et l'auteur même qui opine le plus contre leur desséche- ment, convient, dans son second Mémoire relatif au parcours, qu'ils sont nuisibles aux bestiaux, 80 RAPPORT dont ils occasionnent la dégénération et l'abâtar- dissement. Les marais sont funestes surtout à la popula- tion de leur voisinage, et cette considération seule serait déterminante ; car est-il rien de plus pré- cieux que la santé des hommes ? M. Marin répond qu'il n'existe pas en Savoie de ces marais immenses dont on fait de si tristes descriptions. Il soutient que ceux que nous possé- dons sont utiles par la quantité d'engrais qu'ils fournissent. M. de Chevillard, au contraire, se prononce pour le desséchement. Il pense que, s’il est des marais favorisés par leur sol et par leur position, qui rendent sans soins et sans frais des produits aussi considérables que les bonnes terres culti- vées, ils sont fort rares. Il croit que l'emplacement des autres marais produirait plus étant desséché que dans son état actuel. Voici les moyens de desséchement qu'il indique et les résultats qu'il y apercoit. On crenserait des canaux et des fossés, au bord desquels une grande quantité de saules et de bois taillis seraient plantés. En absorbant l'air malfai- sant, ces arbres rassainiraient l'atmosphère ; leurs feuilles , insensiblement accumulées , devien- draient un terreau fertile qui éleverait le sol; leur tonte, tous les trois ans, fournirait de la neur- riture au bétail ; leur bois remplacerait, pour les SUR L'AGRICULTURE. 8t paysans, celui qu'ils vont dérober dans les forêts domaniales, communales, ou particulières. Occupé à défricher les marais, le paysan serait moins tenté de défricher les montagnes. L’avoine, le seigle, le maïs, les pommes de terre, le faux seigle ou fenasse, et surtont le chanvre, vien- draient abondamment récompenser ses travaux. La paille, le foin, le trèfle, la feuillée, ne rempla- ceraient -ils pas avantageusement, sous tous les rapports, les fourrages marécageux ? Un autre moyen facile consiste à barrer les eaux par des digues en terre dans les marais, de telle sorte que la vase qui y entre n'en sorte plus. On forme ainsi les uns après les autres des étangs, dont le fond s'exhausse de lui-même par des dépôts et par des atterrissemens. Entre les opinions contraires ou favorables au desséchement, on ne peut se décider sans quel- ques restrictions. En général, il existe, au bas des grands vigno- bles, ou à leur proximité, des marais en quelque sorte nécessaires à leur fertilisation; et lorsqu'on voit ces terrains marécageux loués à des prix très- élevés, il faut bien en conclure qu'un tel genre de propriété est, en ce cas, réellement très-utile à l'agriculture. Mais enfin la question du desséchement est- elle décidée? Dans un royaume voisin, où se trouvent, en divers endroits, des marais de piu- 6 82 RAPPORT sieurs lieues d'étendue, il n'a pas encore été prononcé sur cette question, par une afhrmative entière, puisque la loi du 1. mai 1700 a décrété que chaque assemblée de département s’occupe- rait des moyens de dessécher les marais... dont la conservation, dans l'état actuel, ne serait pas jugée d'une utilité préférable au desséche- ment. La loi du 16 septembre 1807 se borne à énoncer, par son art. 1.®", «que la propriété des marais est soumise à des règles particulières; que le gouvernement ordonnera les desséchemens qu'il croira utiles et nécessaires; et qu'ils se- ront exécutés par l'État ou par des cessionnaires.» Les vingt-six autres articles de la loi sont consa- crés à tracer le mode d'exécution du premier. En France même, tout dépend done encore d'un examen local. Au reste on ne peut pas craindre que le terrain des marais ne soit propre qu'à des productions aquatiques. La surface presque entière des terres actuellement cultivées n'a été que boue et forêts. La plaine de Chambéry , maintenant si riante et $i fertile, n'est pas sor- tie des eaux prête à recevoir la semence au méê- me instant. Une remarque peut rassurer les ennemis des marais. C’est que ceux-ci diminuent chaque jour tout naturellement par la vaporisation et qu'ils se comblent insensiblement par leur propre végé- tation, par les feuilles mortes, par la poussière SUR L AGRICULTURE. 85 que les vents y jettent, par les matières terreu- ses que les ruisseaux y apportent. L'homme fera bien d'ajouter son travail à celui de la nature et de métamorphoser sans balancer, en champs et en prairies, tous les marais que leur valeur vé- nale ou locative ne rendra pas plus précieux pour lui qu'un terrain bien cultivé. $. VL D parcours et de la vaine pâture. - Le parcours est le droit, ordinairement mutuel, de faire passer et paitre ses bestiaux sur les fonds d'autrui. Ce n'est pas tout-à-fait la même servitude que le droit de vaine pâture (1). Le parcours tire son origine de l’enclavement des propriétés. Il a lieu de commune à com- mune, et aussi entre les habitans d'une méme commune. Le parcours est réciproque; s’il ne l'était pas, ce ne serait plus que la servitude de passage , et la pâture ne serait que le jus pecoris pascendi. IL s'établit légalement par une convention expresse, Où par un usage immémorial qui équi- vaut à une convention tacite, en devenant ce qu'on nomme coutume prescrite. La vaine pâture est le droit de faire brouter EN (1) On paruît peu s'attacher à cette distinction en Savoie. 84 RAPPORT les productions de la terre, les résidus de récol- tes qui ne sont pas profitables d'une autre ma- nière , et que l’on peut abandonner aux bestiaux, sans qu'il en résulte du préjudice pour le pro- priétaire du fonds. Tels sont les produits végé- taux des grands chemins, l'herbe des prés à la suite de la dernière dépouille, les guérets, les chaumes, les terres en friche, les bois tallis dé- fensables ; et ceux-ci sont estimés tels, après la quatrième ou la cinquième ou la dixième année depuis la dernière coupe, selon l'espèce d'ar- bres (1). Enfin est susceptible de vaine pâture tout ce qui est comestible pour les animaux, en végétaux qui ne sont pas réservés pour produire des fruits, des semences, ni pour servir à l'utilité ou à l'agrément. Cette vaine pâture, une fois qu'elle est ac- quise légitimement aux habitans d'une commune, s'exerce au moyen du parcours, bien que celui-ci paraisse devoir être quelquefois plus précieux ; puisqu'en certains cas il donne le droit de con- sommer même des choses utiles et non vaines. En police rurale, on distingue ce qui concerne la pâture sur son propre fonds et celle sur les fonds d'autrui, communs ou particuliers. Quant à la première , ce qu'on appelle par- (1) Letkres-Patentes du 15 oct. 1822, art. 26. SUR L'AGRICULTURE. 85 cours et vaine pâture , n'étant réellement qu'une servitude, on ne peut appliquer ces dénomi- nations à la faculté qu'exerce un propriétaire , lorsqu'il fait paître ses troupeaux sur son domaine. Or, telle est l'attention de nos lois à veiller sur les productions de la terre, que l'on a empêché le propriétaire lui-même d’abuser de sa chose. Ainsi, pour lui comme pour le public, les Constitutions de 1770 (1) ont défendu de faire paître aucune espèce de bétail, et spécialement des chèvres et des brebis dans les bois qui auraient été coupés, jusqu'à ce que les plantes fussent dans un état A ne pouvoir être endommagées. Il y a semblable dé- fense relativement anx terrains qu'on aurait semés ou plantés en bois. Le Réglement particulier de la Savoie, promulgné le 22 novembre 1773 > porte (2) que les propriétaires, les possesseurs de vignes et les vignerons (5) ne pourront mettre dans les vignes, en quel temps que ce soit, des chevaux , mulets, vaches, bœufs , pourceaux , brebis, moutons, ni aucun autre bétail. Les Lettres -Patentes du 15 octobre 1822 (4) renouvellent et déterminent avec plus de préci- sion encore les restrictions portées même contre a A PR NE NN Abd à 1 cn (1) Liv. 6, tit. 9, 6. 15, 16 et 17. (2N NME (eh2, art. ro. (5) Et à plus forte raison d’autres personnes. (4) Art, 25 et 26. 86 RAPPORT le propriétaire par les Constitutions de 1770, relativement aux bois. Mais combien notre législation n'a-t-elle pas dû être plus sévère relativement à la pâture dans les fonds d'autrui ! Déjà le 26 août 1559 et le 28 août 1565 , le Sénat, par deux Arrêts géné- raux , manifestait sa sollicitude à cet égard, en prononçant des amendes et des confiscations ; il permetlait même à chacun de tuer les bestiaux trouvés dans ses possessions. On voit que, depuis près de trois siècles, l'abus du parcours est condamné , proscrit en Savoie, de la manière la plus énergique. Cependant la faculté de tuer le bétail surpris en contravention, devait occasionner des désordres. Un Arrêt du 15 octobre 1578 ne l'a plus mentionnée, quoiqu'il ait renouvelé les défenses. La menace queles habitans de la campagne s'adressent quelquefois entr'eux dans leur colère de tuer les bestiaux maraudeurs, prouve que toutes les traces de l’ancien droit ne sont pas encore effacées. Les dispositions prohi- bitives du parcours et de la pâture sur les fonds d'autrui ont été continuées par les trois Réglemens particuliers de la Savoie, qui ont accompagné les Constitutions de 1723, 1729 et 1770. Le dernier Réglement défend (1) de conduire aucun bétail dans les possessions d'autrui, à peine de 10 liv. (1) Liv, IT, chap. 2, art, 15 et 14, SUR L AGRICULTURE. 87 d'amende , outre la réparation du dommage. Il statue que ceux qui trouveront, dans les forêts qu'ils possèdent ou cultivent , du bétail tant gros que menu, avant que la récolte soit entièrement faite, et pendant qu'il ÿ aura de la pâture , pour- ront y saisir le bétail et le conduire à la geole. Toutefois il y aurait eu des inconvéniens à tout abolir : il est des droits et même des abus intro- duits par la nécessité. On ne peut les détruire sans blesser des intérêts beaucoup plus précieux que l'abus n’est nuisible. Aussi le Réglement de la Savoie (1) a excepté de la prohibition du parcours , les prés et les champs où il est permis, suivant les coutumes et les réglemens particuliers, de faire paître le bétail en commun, après la récolte. Encore défend -il généralement la vaine pâture dans les prés et les prairies, depuis le 1.% avril, jusqu'après la récolte , à moins qu'il n'y ait un autre temps fixé par quelque convention, Arrèt ou Réglement (2). Le parcours et la vaine pâture sont anssi mo- dérés par divers principes des servitudes et du (1) Art. 15, ibid. (2) Art. 16, ibid. Un jurisconsulte des plus recom- mandables m’a assuré qu’un Arrêt relatif à la commune d’Albens avait décidé, peu d’années avant la révolution , que la possession immémoriale n’était pas admissible pour remplacer les Conventions, Arrêts ou Réglemens exigés par cet art. 16, ete) RAPPORT contrat de société applicables à cette jouissance réciproque. Un tel avantage étant constitué par des conventions, par l'usage et par la posses- sion, c'est là surtout que se trouvent ses règles et ses limites. Les dispositions adoptées dans le plus grand nombre de localités forment le droit commun spécial sur la matière, parce que c'est l'équité, c'est la raison qui partout les ont suggérées. De ce que les servitudes sont dues au fonds plu- tôt qu'à la personne, de ce qu'elles ont été établies pour un temps perpétuel ou indéfini, et pour des besoins ordinaires qui ont été prévus et calculés d’après l'importance des propriétés ; il résulte que l'on ne peut envoyer au parcours des bestiaux en nombre disproportionné avec l'exploitation du domaine où ils sont placés, ni ceux qui ne sont achetés que pour être revendus comme objet de spéculation industrielle et mercantile, ni le bé- tail des domaines qu'on possède hors de la com- mune qui a le droit de parcours, quoiqu'on ait des immeubles dans celle-ci (1). (1) I est même exigé en France que le maître des bes- tiaux soit membre de la commune qui jouit de la pâture, Le 1. mai 1786, le Sénat de Savoie a déclaré Catherin Lamarche et Noël Songeon , qui habitaient à Sales, n'être en droit de jouir des bois , îles , pâturages communs de la commune de Marlioz que pour raison de leurs fonds à SUR L'AGRICULTURE. 89 Ainsi, Messieurs, on ne nous avait pas de- vancés sur cet objet avant la révolution ; et, quoi- que dès-lors on se soit beaucoup occupé des avantages et des inconvéniens du parcours et de la vaine pâture, nous allons juger si nos voisins ont encore, en substance, rien adopté définitive- ment que ce qui existait déjà chez nous. Marlioz et par proportion desdits fonds avec les autres de cette commune. La règle qui exclut le bétail étranger et fixe le droit au parcours d’après la proportion des fonds avait aussi été exprimée par les conclusions de l’Avocat-fiscal-général , signées Bonjean, relativement au Réglement de Thermi- gnon , approuvé en partie par le Sénat, le 8 avril 1775, et par celles du 5 août 1825, signées Calvi, dans le procès entre les frères Folliet d’Abondance et la commune de la Chapelle, dont le Réglement, fait en 1682, exclut les bestianx non hivernés dans La commune. Le comte Negri de Montalenghe possédait deux cas- sines sur la commune de Saint-Georges. L’une des deux, la cassise neuve, fut démembrée de cette commune et réunie à la commune de Saint-Just. La cassine vieille, qui dépendait toujours de la même communauté , fut en- suite détruite par les eaux, et le comte Negri la rebâtit à Saint-Just, contiguë à la cassine neuve. Ayant transféré tout son bétail à Saint-Just, il voulut continuer à l’envoyer en parcours à Saint-Georges, où il lui restait divers immeubles. Cette commune s’y opposa, en observant que l’art, 52 de ses Bans champêtres défen- dait aux particuliers élrangers de faire paître leurs bes- tiaux dans ses communaux , et que les métayers du comte Negri demeuraient à Saint-Just, L’Ayocat- général se 90 RAPPORT La loi francaise des 28 septembre - 6 octobre 1791 (1) a réglé que le parcours continuerait provisoirement d'avoir lieu, lorsqu'il serait fondé sur un titre ou sur une possession autorisée par les lois et coutumes. A tous autres égards , elle a aboli cette servitude réciproque. Elle n'a con- servé la vaine pâture que là où ce droit existait en vertu d'un titre, d'une loi, ou d'un usage immémorial. Les articles 3, 9, 10 de cette loi, relatifs aux terres ensemencées, aux prairies, aux usages et Réglemens locaux, semblent être notre Régle- montra incliné à admettre que les droits et les avantages territoriaux devaient être considérés comme accordés, principalement au fonds, et secondairement à la per- sonne, et comme ne dépendant pas de la résidence du maître. Toutefois, il fut d’avis que la commune de Saint- Georges fût acheminée à prouver le préjudice qu’elle éprouvait de l'admission du bétail étranger; parce que le territoire de Saint-Georges appartenait en grande partie à des habitans d’autres communes. Mais le Sénat de Piémont, par Arrêt du 15 avril 1825, a déclaré permis au comte Negri de faire paître dans les communaux et en vaine pâture, sur la commune de Saint-Georges, la quantité de ceux de ses bestiaux réunis à Saint-Just que des experts arbitreraient, d'après les règles de l’agriculture, être proportionnée aux biens que le comte Negri conservait à Saint-Georges. ( Diario Forense de 1825, 2.° Sem., n.° 4.) (x) Section IV. SUR L'AGRICULTURE. 91 ment de Savoie , tant ils reposent sur les mêmes bases. Le code civil a reconnu encore l'existence du parcours et de la vaine pâture , dans les cas où ces servitudes ont été maintenues. Il dispose (r) que le propriétaire qui veut se clore, perd son droit au parcours et à la vaine päture , en pro- portion du terrain qu'il y soustrait. Ce EEE RO ER TER (1) Art. 648. On voit dans l’ancienne pratique légale , partie IT, tome 5, titre 22, des Arrêts du Sénat de Turin, décidant qu’on peut en général soustraire son lerrain à la vaine pâture réciproque ainsi qu’à l'effet des Bans champêtres, en renonçant soi-même aux avantages dont on jouit à ce litre sur les fonds d’autrui. On n’admet pas cette dissolu- tion de communion, si le bien général s’y oppose. Elle ne peut avoir lieu sans connaissance de cause ; car les Régle- mens contractuels obligent même les personnes qui étaient encore sans intérêt dans la commune , lors des publica- tions , en ce qu’ils ont été dès-lors un usage coutumier local. La demande de soustraire du terrain au parcours doit être proposée et publiée, afin d'être contredite dans la forme usitée pour les Bans et Réglemens champêtres. Nihil tam naturale quidquid dissolvi,etc., \. 55, fl. de r.J. L’Avocat- général de Piémont a dit , dans ses conclu- sions du 15 juillet 1825 , que les procès où il s'agissait de l'interprétation des Bans champêtres restaient de la con- naissance du Sénat, et que la seule application des Bans appartenait aux tribunaux; c’est pourquoi il a vu une nullité dans la sentence du tribunal de... Le tribunal de Turin vient aussi de faire cette distinction , le 12 août 1825. ( Diario Forense de 1825, n.° 8.) 92 À RAPPORT Le projet de code rural, rédigé en France par des commissions, tendait à supprimer le droit de parcours et de vaine pâture sans indemnité, lorsqu'il serait réciproque ou sans un titre , et avee indemnité , lorsqu'il y aurait titre. On l'abo- lissait même sur le bord des chemins, pour le réserver aux seuls propriétaires riverains. Le droit de vaine pâture pouvait être maintenu selon les cas, dans les landes, marais, pâtis, bruyères, jachères, terres en friche, bois de haute futaie, bois taillis défensables. Il devait être maintenu dans les prés et bois défensables appartenans à l'État, lorsqu'il était fondé sur un titre ou sur les usages locaux ; alors 1l_ aurait été rachetable. Inhibition aurait été tite d'introduire, en tout temps , dans les bois même défensables, les chèvres , les brebis et les moutons. La grande majorité des commissions du projet approuvait l'abolition du parcours et de la vaine pâture. On ne variait que sur quelques détails accessoires, tels que le délai pour l'aboliuon, les circonstances du rachat, les clôtures, les terres où le parcours pourrait être maintenu. Ainsi, en France même, on a toujours roulé dans un cercle de principes et d'idées qui exis- taient depuis long-temps dans nos lois. Doit-on désirer l'abolition de quelques Régle- mens et usages qui, en certains lieux de la Sa- SUR L'AGRICULTURE. 95 voie, maintiennent la servitude du parcours et de la vaine pâture ? Voilà pour notre pays le pro- blème réduit à ses derniers termes, et toujours il faut reconnaître qu'on ne peut le résoudre d'une manière absolue. D'un côté, l'on représentera qu'en grevant la pro- priété privée, en la rendant publique sous plusieurs rapports, on décourage le propriétaire, on nuit à ses projets de culture et d'amélioration, et par conséquent à l'agriculture. Le parcours propage les maladies. La chaleur; les transitions de la nourriture sèche dans l'écurie à la pâture verte indisposent les bestiaux. La nourriture qu'ils prennent dans l’étable est plus uniforme, plus régulière, plus féconde. Les marais, dans les- quels le parcours s'exerce principalement, sont funestes à la santé des animaux et les font dégé- nérer. D'un autre côté, l’on répondrait en faveur du parcours que l'enclavement des propriétés produit la nécessité de cet usage, comme par force ma- Jjeure. Des conventions expresses ou lacites en ont établi le droit, qui souvent s'est constitué sous des clauses et des conditions à titre oné- reux. Îl ne serait pas facile de dénouer tant de liens. D'ailleurs on n’a point à redonter en Sa- voie, comme dans quelques pays, ces innombra- bles troupeaux qui, semblables à des armées, ravagent ét détruisent tout sur leur passage. Dans 94 RAPPORT certaines communes, un petit nombre de parli- culiers possèdent la presque généralité des fonds, et la population s'y réduirait à ces particuliers riches ; elle se détruirait, si les pauvres ne pou- vaient faire subsister leur bétail sur la propriété de l'opulent. Il y aurait de la dureté à laisser perdre des plantes vaines, sans permettre à la vache qui nourrit l'indigent d’en profiter. Au milieu des raisons et des inconvéniens que nous venons d'exposer, quel système préférer? Reconnaissons qu'une bonne statistique com- munale peut seule fournir les moyens de pro- noncer, et que tout se réduit à la connaissance de faits locaux. Les craintes manifestées, relati- vement à la continuation ou à la suppression du parcours et de la vaine pâture, peuvent être fon- dées dans un lieu, et frivoles dans un autre. La question pour chaqne commune dépend aussi du dénombrement des habitans auxquels le parcours est nécessaire, et de ceux auxquels il ne l'est pas; par-là on apprécierait l'importance, les avantages et le préjudice de l'abolition. Les parties intéressées pourraient faire elles-mêmes ce dénombrement comparatif, et solliciter ensuite les mesures convenables pour le maintien, la suppression où la modification du parcours. C'est à elles à s'assurer de toutes les circonstances influentes. Avant de terminer, nous ne saurions passer SUR L'AGRICULTURE. 95 sous silence que M. le comte de Loche a prouvé combien il serait utile pour les propriétaires par- ticuliers de clore leurs bois, afin de les défendre contre les bestiaux. Il conseille un fossé de trois à quatre pieds de largeur, avec une haie vive plantée, du côté du bois, sur la terre extraite du fossé. La dépense en serait différente selon les lieux, mais souvent très-modique. La faculté de clore ses fonds est établie par le droit commun. Quelquefois on peut craindre des oppositions, s'il existe des prétentions contraires (1). (1) Le droit de vaine pâture , à l'appui duquel on n’al- léguerait aucun titre, mais seulement une possession im- imémoriale , peut-il empêcher de clore le fonds servant ? Un tel droit, lorsqu'il existe au profit des habitans d’une commune , doit-il être envisagé comme un usage local ou comme une servitude, quelle a dû être sa nature pour qu’il ait été supprimé par la loi de 1791 ? Si le propriétaire du fonds servant l’a garanti par une clôture, sous l’empire de cette loi, peut-on, depuis qu’elle est abrogée , demander la suppression de la clè- ture , en articulant des faits de possession immémoriale ? Ces trois questions ont été agitées dans la cause entre les communes de Viuz-la - Chaise et Mure, et le sieur Michel Roux. L’Avocat-fiscal-général fut d'avis, le 23 mars 1819, qu'il y avait lieu à admettre les faits. Le Sénat les rejeta, par Arrêt du 17 février 1821, en déboutant la commune de ses conclusions. Elle prétendait être en pos- session de faire paître sur le pré du sieur Roux , depuis la coupe des foins jusqu’au dernier jour d'avril. Ici le Sénat a pu encore apercevoir la question de savoir si 96 RAPPORT Nous venons, Messieurs, de présenter un si grand nombre d'observations de diverse nature, qu'il serait impossible de les résumer et de les réunir autrement que par des répétitions fasti- dieuses, ou par une sèche énumération. Nous ne pouvons exprimer que le sentiment dont nous étions animés en remplissant notre tâche. C'était Le désir de faire connaître combien nous possédons de moyens et d’élémens protec- teurs de notre prospérité agricole; heureux si nous pouvions contribuer à en faciliter l'emploi! Aucune administration générale ou communale ne voudrait couvrir les campagnes d’armées de pré- posés et d'agens salariés : aucune ne peut deviner tous les abus qui naissent et se commettent cha- que jour, ni venir au secours des personnes qui ne veulent pas lui révéler le préjudice qu'on leur a causé : aucune ne peut apercevoir non plus toutes les parties de terrain menacées d'un ébou- lement , tous les ravins qu'il faut armer de digues ou de plantations. C’est donc au propriétaire, c'est à l’homme notable à étudier le territoire qui l’environne , à servir d'indicateur, à solliciter les mesures qu'il croira nécessaires, el à faire régner un bon esprit autour de lui. Vart. 16, liv. 5, chap. 4 du Réglement de Savoie permet de suppléer par la possession à des Conventions , Arrêts ou KRéglemens, (Voir la note de la page 91.) SUR L'AGRICULTURE. 97 Mais nous inisistons à observer qu'avant toute entreprise, 1l est indispensable que celui qui l'aura concue ait bien tout vérifié, afin de ne point fatiguer, par un esprit inquiet et léger, l'homme paisible , content de son sort, et de ne pas montrer à l'Autorité d'inconséquentes préten- tions. Elle a toujours veillé sur nous avec une sol- licitude dont nous voyons sans cesse de nouvelles preuves, et avec une sagesse qui lui a acquis l'attachement , la confiance et la reconnaissance immémoriale des peuples. NOTICE SUR La Charrue Belge, par M. le Docteur GOUVERT); (Lue dans la Séance du 24 décembre 1824.) mu D COS Dia, Messieurs, la charrue belge a été le sujet de quelques-unes de vos discussions ; mais cette charrue étant peu répandue encore , et par-là même trop peu connue et trop peu appréciée, vous avez suspendu votre jugement, par une sage retenue, en attendant d’être plus éclairés sur l'innovation et la réforme du premier et du plus utile de tous les instrumens. Nous devons à MM. Francois et Chevalley, d'Aix, son intro- duction dans le pays; ils s'en servent depuis cinq ans à leur entière satisfaction. Le rapport que vous en fit M. Chevalley l'année dernière, quoi- que très-succinct, vous en disait assez pour vous en faire apercevoir les grands avantages el sont immense supériorité sur notre charrue usuelle. Mais, malgré la confiance due à une autorité aussi recommandable , votre opinion ne fut point fixée : vous attendites que le temps et de nouveaux ren- NOTICE SUR LA CHARRUE BELGE. ü9 séighémens fournis par l'expérience vous permis- sent de vous prononcer sut cet important objet; Aujourd'hui, Messieurs, je vais vous éxposer ce que j'ai vu touchant l'emploi de la nouvelle char- rue , et les réflexions qui en ont été la suite. Pénétré, comme tant d’autres, des inconvé- tiens, des grands et nombreux défauts attachés à notre charrue courante, j'ai voulu ni'assurer par moi-même des avantages et de là supériorité qu'on accordait sur elle à la charrue bélge. A cet eflet, deux fois pendant ces vacances dernières, je suis allé à Aix ; avec M: de La Noix, agronome dis- üngué, chez MM. Francois et Chevalley, pour voir travailler la nouvelle charrue. Notre examen ne s'est pas borné aux diverses parties qui la composent : notre attention s'est païtictilière- ment fixée sur la mise en pratique; car Putilité d'une machine quelconque s'apprécie moins par les pièces qui la composent, qné par la manière dont elle remplit l'objet pour lequel elle a été construite. MM. Francois et Chévalley éurent la com- Plaisance de faire labourer en notre présence. La charrue du premier, atteléé dé quatre petits bœufs , sillonna . plusieurs fois, de neuf à dix pouces de profondeur, un champ de trèfle dont le fond, principalement argileux, constitue une terre forte et compacte. Cet attelage marchait avec une aisance et une rapidité auxquelles on 100 | NOTICE ne saurait comparer la marche lente et pesante de nos attelages ordinaires. À notre seconde visite, M. Chevalley fit dé- foncer une luzernière, avec quatre vaches et un cheval. Tout le monde connaît la force néces- saire à un pareil travail , surtout dans des terres fortes ; elle est telle, qu'on est le plus souvent obligé de le faire par un minage à la bêche. Cet attelage l'exécutait librement, et la terre se trou- vait si bien tournée , que toutes les racines de cette plante pivotante, tournées vers le ciel, res- semblaient à un bois naissant dépouillé de ses feuilles. Satisfait de tout ce que nous avions vu et ob- servé, M. de La Noix pria M. Francois de lui envoyer sa charrue et son bouvier, pour en faire l'essai dans son domaine à Bissy, où il laisserait à cet effet un demi-journal de trèfle à labourer. Les pluies continuelles de l'automne ont fait différer cette partie, à la fois d'instruction et de plaisir, jusqu'au 23 novembre. MM. Francois, Chevalley, Gillet ; ancien Commissaire des guer- res, plusieurs paysans et moi, assistämes à cet intéressant essai. Le temps, beau et serein, nous permit de soumettre la charrue à divers degrés de force, en variant les attelages. C'est ainsi que quatre vaches, deux bœufs et deux vaches, deux bœufs et un cheval, et finalement deux bœufs seuls furent successivement attelés. Il suffira, pour SUR LA CHARRUE BELGE. 1OT notre expérience , de nous arrêter au dernier attelage, comme le moindre en nombre et consé- quemment le plus faible. Les deux bœufs seuls, à la vérité jeunes et forts, marchaient librement, sans qu'on les pressät trop par l'aiguillon , et sans paraître employer un degré de force qui ne leur eût pas permis de continuer long-temps. On parvint peu à peu à donner de la terre à la char- rue , au point d'obtenir un sillon d'un pied de profondeur et autant de largeur , mesure que j'ai prise plusieurs fois avec le pied même. Nous ne portämes le labour à ces excessives dimensions, que pour nous faire une juste idée de la force nécessaire pour couper, soulever et tourner en entier cette grande lame de terre avec la charrue belge, et mettre ensuite ce degré de force en parallèle avec celui nécessaire pour obtenir le même eflet avec la charrue ordinaire; or, sans exagéralion et sans prévention, on ne doit pas craindre d'avancer qu'avec un seul degré de force, la charrue belge opérera avec la même facilité que la charrue commune avec deux, et l'ouvrage en sera toujours meilleur : car ordinairement , pour défoncer, à cinq ou six pouces seulement, un champ de trèfle qui aurait servi de pâturage pendant toute une automne habituellement hu- mide, qui, foulé par un piétinement continue, aurait acquis une densité extrême , on emploie- rail six bœuf, où tout au moins quatre forts , et roæ NOTICE l'ouvrage n'aurait été ni mieux, ni plus promp- tement fait. ù Après ce court exposé de ce que l'expérience nous a montré de plus essentiel à observer dans l'usage de la charrue belge , une remarque digne de toute votre attention et faite pour piquer vive- ment votre curiosité, c’est qu'elle réunit dans sa structure et remplit dans sa mise en pratique toutes les qualités et conditions proposées , il y a Cinquante ans, par l'illustre marquis Costa, dans son Æssai sur l'amélioration de l'agricul- ture dans les pays montueux et en particulier dans la Savoie, 1774. Ce savant agronome, dont la mémoire se rattache à tant de services et à tant d'améliorations agricoles, gémissant sur les nombreuses imperfections de notre charrue, faisait des vœux pour sa perfection. « Quelque » petit que cet objet paraisse d’abord, nous dit-il > (Ouv. préc., pag. 78), ilest cependant digne des » spéculations les plus sérieuses d'un eonseil- » d'état, et on le trouvera bien grand, si l'on fait attention qu'en le perfectionnant, un » homme fait l'ouvrage de deux, en le faisant » infiniment mieux; que la moitié des bestiaux » du labourage serait changée en bestiaux de rapport; que la moitié des journées perdues » à ces mauvais labours serait employée à d'au- > tres travaux utles et exigés par la nouvelle » méthode : clore, planter, élever des arbres SUR LA CHARRUE BELGE. 105 » utiles, faire des transports de terre, des en- » grais, etc. Quel bien n'entrevoit-on pas dans » ces heureux changemens ! » Dans l'élan de son fécond et hienfaisant gé- nie, notré auteur trace (zbid, page 82 et sui- vantes) en neuf articles, les règles, et propose les conditions d'après lesquelles cet instrument doit être construit pour atteindre le but désiré. Le croiriez-vous , Messieurs? Ces règles et ces condi- tions se rencontrent fidèlement dans la charrue belge; de sorte que l'homme ou les hommes de génie qui ont présidé à sa confection , n'ont fait que réaliser littéralement ses hautes conceptions, et c'est à le prouver que je consacre encore quel- ques pages, dans lesquelles je ferai ressortir de mon mieux les avantages inappréciables offerts par la nouvelle charrue. Première condition : « Que l’homme qui conduit la charrue n’ait pas besoin &« d’aide ; qu’il conduise en même temps le soc et les « bœufs. » IL est de fait que la charrue belge peut mar- cher dans la grande majorité des terrains avee un attelage de deux bœufs ou de deux chevaux. Une fois fichée dans la terre, elle y marche sur une base plate et large formée par le soc et le sep ; une main seule peut la tenir sans effort dans sa 104 NOTICE rectitude que sa forme tend à lui conserver d’elle- mére. Pourquoi celui qui la tient ne condui- rait-il pas en même temps l’attelage, soit en bœufs, soit en chevaux, lorsque surtout l’habi- tude les y aurait dressés et élevés ? L'expérience d'ailleurs a déjà prouvé la possibilité de ce grand avantage. Le bounvier de M. Francois, d'Aix, nous a assuré, ainsi que son maître, avoir nombre de fois labouré seul des jours entiers, Seconde condition : « Une bonne charrue doit opérer un labour profond, « sans de grands efforts, » La charrue belge peut faire un labour d’au- tant plus profond qu'on peut à volonté lui don- ner de la terre, en baissant l'appui qui se trouve à l'extrémité de la perche ou aiguille, et en alongeant la chaîne de l'attelage ; les efforts pour obtenir un profond labour seront encore d'autant moins grands que, d’un côté, la charrue, par sa forme , éprouve beaucoup moins de résistance , vu qu'elle laboure en coupant la terre par tran- ches où par sections , et non par refoulement , pression ou déchirure , comme le fait la charrue ordinaire, et que, de l’autre, les dispositions de l'attelage portant directement toute la force de la puissance sur la résistance, elle ne se décom- pose point et n'éprouve aucun déchet, Le labour, L SUR LA CHARRUE BELGE. 105 par cette manœuvre, aura enfin toute la perfec- tion qu'on voudra lui donner, soit par sa pro- fondeur, soit par l'épaisseur de la lame de terre qu'on peut graduer à volonté. Troisième condition : « Une bonne charrue doit être faite de telle façon que « les animaux de l’attelage ne marchent pas sur le terrain « labouré en travaillant. » La charrne belge coupant, relevant et ren- versant parfaitement la terre du côté de l'oreille, et ne laissant aucune bavure du côté opposé, forme après elle un sillon large et propre, dans lequel la terre ne peut retomber. L'un des bœufs de l’attelage marche dans ce sillon, et l’autre sur le bord du champ non labouré; de sorte que la terre labourée est à l'abri de tout piétinement. D'ailleurs l’attelage étant peu nombreux, et la route qu'il a à suivre étant parfaitement tracée, il aura toujours une marche plus sûre et ne saurait s'en écarter, en se portant sur les côtés, comme on l'observe souvent dans nos attelages ordinaires plus compliqués. Quatrième condition : « Que votre charrue soit simple dans toutes ses parties.» « Cette qualité, dit M. le marquis Costa, est * une des premières perfections. Défiez-vous dé 106 NOTICE 5 toute addition de parties; c'est comme des > étais aux bâtimens, qui doivent être solides » sans cela. Celui-là a fait un grand pas vers la » perfection, qui a produit le même effet avec ÿ un secours de moins. » La perfection d'une machine quelconque con- siste à n'être composée que des parties essen- tiellement nécessaires au but qu'elle doit attein- dre, à ce que l’ordre et l’arrangement de ces mêmes parties soient tels que le tout qu'elles composent ne puisse supporter ni addition , ni soustraction d'aucune partie, sans que ces mo- difications ne préjudicient à sa marche et à l'en- semble des fins qu'on se propose. Toute idéale que soit cette perfection supposée , l'examen et l'analyse des pièces qui composent la charrue belge semblent nous l'y faire rencontrer. Cinquième condition : « Que votre soc soit absolument plat. » Le soc de la charrue belge est parfaitement plat et horizontal sur la plus grande partie de sa surface , à partir de la pointe ; il s’élargit en se portant en arrière, de manière que, nus en mouvement , son tranchant coupe la terre en sciant; relevé vers sa partie postérieure et in- terne , il commence la spirale que forme le ver- soir et dans laquelle s'engage la lame de terre SUR LA CHARRUE BELGE. 107 coupée par le soc en-dessous. Le coutre, qui lui est inhérent , se portant obliquement de devant en arrière, et de bas en haut, la coupe et la détache en hauteur, sous un angle incliné à l’ho- rizon , dont il serait aisé de mesurer le nombre de degrés : on concoit que, par cette disposition avantageuse , le soc, le versoir , le coutre et le sep, forment une sorte de pyramide à pointe tronquée et tranchante , dont deux bords égale- ment tranchans coupent et détachent du sol la lame de terre par deux sections, l’une par-dessous, horizontale, et l’autre par-dessus et sous un angle incliné à l'horizon. Sixième condition :! « Que l'oreille soit tournée en portion de spirale alon- « gée, de manière qu’elle reçoive la terre coupée par le « soc, et qu’en suivant sa marche , elle la range sur le « côté d’une façon solide et en la relevant. » La forme de l'oreille, ou mieux du versoir de la charrue belge, est tellement conforme à l'idée que s’en était faite notre savant agronome , qu'on. serait tenté de croire que c’est avec son livre à la main qu'elle a été exécutée; elle produit si bien les nombreux et heureux effets qu'il détaille en la proposant , qu'on ne peut s'empêcher d'admi- rer la fécondité de ce génie, qui, par sa force et ses ressources , a inventé, il y a cinquante 108 NOTICE ans, l'instrument tel que nous l’admirons au- jourd'hui. Quoique toutes les conditions pour une bonne charrue proposées par notre auteur se lient tel- lement qu'elles ne peuvent se rencontrer les unes sans les autres, celle qui concerne la forme du versoir est la plus frappante par ses nombreux résultats. Le sillon qu'elle fait, nous dit-il, est net; quand on y revient, rien n’embarrasse l'opé- ration , l'ouvrage se fait avec la plus ponctuelle exactitude; on coupe Ja lame aussi mince qu'on veut; d’ailleurs la terre du fond revient bien dessus : ainsi renouvelée, elle ne se fatigue pas, quoiqu'en produisant davantage ; celle qui a ac- quis aux intempéries et avec le fumier un degré de perfection, va se perfectionner encore en res- tant quelque temps au fond ; celle qui était au fond vient à son tour jouir des engrais et du bé- néfice des variations de l'air et des saisons ; les racines parasites que le laboureur enterre pro- fondément ne reprennent plus. De là la pureté des grains; car, n'en doutons pas, quantité de ces plantes sont bisannuelles , d'autres trisan- nuelles ; d'autres, qui semblent périr à chaque hiver, sont vivaces par leurs racines, et sans ces labours profonds, elles repoussent toujours, et le blé alors favorise leur croissance par les labours qu'on lui donne et par son ombre qui les garantit. « En cultivant ainsi, nous dit-il SUR LA CHARRUE BELGE. 09 encore, vous doublez le nombre de vos champs, non en surface, mais en les placant les uns sur les autres » : expression aussi heureuse que juste! S eptième condition : ct Que la charrue obéisse avec facilité à la volonté de « celui qui la conduit. » Une charrue, quoique bien faite et offrant -toutes les conditions nécessaires à un bon labour, ne sera cependant toujours qu'un instrument passif qui , comme une montre, ne porte point en lui le principe de son action; la force qui la meut , la résistance qu'elle doit vaincre, tout est hors d'elle. Trainée par un nombre plus ou moins grand d'animaux dont la marche n’est pas toujours régulière , cachée dans un sol qui, par sa nature et par celle des obstacles qui s’y ren- contrent , peut la faire varier à chaque instant, elle aura toujours besoin d'une main intelligente pour la gouverner; et sa perfection sous ce rap- port sçra d'autant plus grande, qu'elle sera plus facile À diriger. Or, comme nous l'avons déjà fait remarquer ; la charrue belge offre dans sa structure toutes les qualités propres à en rendre la direction libre et facile. Beaucoup plus légère que la charrue ordinaire , le laboureur la porte et la tourne sans effort; les parties par lesquelles elle se fixe dans la terre, présentant dans leur j1Q NOTICE ensemble une forme triangulaire, elle roule sut une de ses faces , tandis que les deux autres la tiennent droite et ferme entre le bord gauche de la raie, c'est-à-dire, du champ, et la lame de terre coupée qui, en se soulevant , s'engage dans la partie spirale du versoir , dans laquelle elle tourne sur son axe, pour être renversée en entier par la partie la plus postérieure de cette pièce essentielle. On conçoit facilement qu'ainsi disposée, la charrue belge marcherait en quelque sorte seule sans déviation , si elle ne rencontrait point d'obs- tacle dans la terre, et si la puissance qui la fait mouvoir agissait toujours avec le même degré de force et sur la même ligne ; aussi la main des- tinée à la diriger la maitrise et la conduit à sa vo- lonté , n'ayant à surveiller que ces circonstances accidentelles. Huitiéème condition : . « Une charrue parfaite doit labourer à la volonté de « son conducteur, à plat ou à plates bandes. » La charrue belge n’ayant qu'une oreille ou ver- soir, fixée À droite d'une manière immobile, ne peut satisfaire à cette condition, parce qu'elle ne peut aller et venir en faisant de suite des sil- lons contigus ; ce que l’agronome de la Savoie appelle /abourer à plat, ou à plates bandes : SUR LA CHARRUE BELGE. T1 avec elle, comme avec toute charrue à une oreille fixe , on ne peut labourer que par plan- ches, c’est-à-dire, que ne pouvant pas remplir en revenant, la raie faite en allant, on est obligé de commencer le labour sur deux points différens qui se trouveront à la fin de l'ouvrage séparés par un large sillon, lequel se comble ensuite par le labour suivant. Cet inconvénient nest pas si grand qu'il le paraît d’abord ; on doit le consi- dérer comme un bien dans les champs en plaine, toujours exposés aux funestes effets des eaux sta- gnantes; les deux dernières raies qui aboutissent au même sillon , laissent un fossé d'écoulement toujours utile. Dans les terrains en pente, la charrue nou- velle paraît devoir présenter quelques difficultés. L'expérience a cependant déjà prouvé à MM. Francois et Chevalley, dont les champs sont pour la plupart inclinés du plus au moins, qu'elle laboure très-bien, lorsque la pente n’est pas plus de dix à douze pouces par toise ; que, par elle, les sommités ne se dégradent point, vu qu'elle leur conserve toujours la même quantité de ter- rain. On peut facilement s’en former une juste idée : qu'on se figure un demi-journal de champ d'un carré long, du Nord au Midi, et dont la pente soit de l'Est à l'Ouest; on veut, pour la première fois, labourer ce champ avec la charrue belge ; on commencera le sillon supé- fra NOTICE rieur à l'extrémité Sud; l'oreille étant à droite, la tranche de terre sera relevée à l'Est ; on com- mencera ensuite le sillon inférieur à l'extrémité Nord, dont la tranche sera tournée dans le sens de la pente, et conséquemment à l'Ouest. Le labour fini, il restera au milieu du champ le fossé dont nous avons parlé. On véut, l’année suivante , labourer ce même champ : on commencera le premier sillon au Nord et au bord supérieur de ce fossé, et le se- cond sillon au Sud et au bord inférieur du même fossé, en tournant la terre en haut, de manière que, par ces deux premiers tours de charrue, il se trouve entièrement comblé. En continuant ainsi le labour de ces deux planches, on replace la terre telle qu'elle était avant le labour pré- cédent. IL est bon d'observer qué, pour labourer avec la charrue belge sur des plans inclinés, on doit renforcer l’attelage ; car la tranche de terre qui doit se tourner en haut et contre son propre poids, faisant éprouver plus de frottement, aug- mente d'autant la résistance. On annonce qu'à Genève , ville qu'on citera toujours pour ses lumières, son industrie et son activité dans la recherche des moyens d'amélio- ration et de perfectionnemens en tout genre, on est parvenu à rendre la charrue belge, comme la charrue courante, allant et venant par sillons ee SUR LA CHARRUE BELGE, 113 contigus ; en lui donnant un double sep garni du soc, du coutre et de l'oreille où versoir, placé au-dessus de la perche, et en rendant les cornes de la charrue mobiles; de sorte que, lors- qu'on à fait un sillon avec le sep dont l'oreille est à droite, on renverse la charrue pour faire le sillon suivant avec le sep dont l'oreille est à gauche. C'est à l'expérience à juger de l'utilité de cette addition, qui, tout ingénieuse qu'elle est, peut bien avoir ses inconvéniens, ne fussent- ils que de rendre l'instrument plus matériel, plus pesant et plus vacillant dans sa marche. Neuvième condition : & Que la charrue ne fasse que ce qui est nécessaire. » M. le marquis de Costa, en exigeant cette condition, qu'il regarde comme la plus essen- tielle des bons labours , jette les yeux sur notre charrue ordinaire ; il en analyse les parties'et en développe les défauts, qu'il fait ressortir avee raison de ce qu'elle fait beaucoup plus que ce qu est nécessaire ; laissons parler ‘cet habile agro nome : & Qu'on s'approche d’une de nos charrues en » action, ce principe à la main, quelle barbarie » on y trouvera ! On verra une énorme bavure de » terre remonter sur le terrain non encore la- > bouré; on verra deux oreilles, dont aucune partié, 8 114 | NOTICE » aucun ouvrage n'est réglé par le bon sens, opérer mal en tout; l'une est en même temps inutile et nuisible , l'autre ne fait qu'une partie de son devoir, et encore le fait mal : elle ne renverse qu'une petite partie de la terre qu'elle a à retourner, et laisse l’autre en chemin retombant dans la raie. L’au- tre oreille heurte continuellement contre les inégalités du terrain, et montant en partie dessus, balotte et fait vaciller perpétuellement toute la machine, par la résistance violente qu'elle essuie à contre sens et d’une manière inutile. Le soc, en coin rond, dont nous nous servons, est absolument réprouvé par le même principe, comme occasionnant des efforts inu- üles et ne pouvant mordre peu de terrain à la fois, ce qui force à prendre des lames trop larges, et ce qui non-seulement n'est pas né- cessaire , mais de plus est nuisible. Qu'avec cette règle, on étudie toutes les parties de l'instrument, pour supprimer tout ce qu'elle proscrit,; soit en bois, soit en fer, et pour qu'aucune n'ait plus de poids et ne présente à la terre plus de face et de frottement que ce que la nécessité de bien opérer exige absolu- ment, et avec toute la solidité convenable. » Je me bornerai à dire que la réforme voulue par notre auteur, dans le jugement qu'il porte de la charrue usuelle, se trouve entièrement dans SUR LA CHARRUE BELGE. 119 ? ]4 charrue belge, qui, conduite par une main intelligente , ne fera jamais rien de superflu. Cependant nous devons le prévoir et même le dire, la charrue belge, malgré son immense su- périorité sur la charrue ordinaire, supériorité * dont les nombreux résultats sont autant de sour- ces de prospérité pour Féconomie rurale, ne manquera par d'offrir de graves inconvéniens aux yeux des hommes esclaves d’une routine aveugle, . véritables machines ouvrières et ennemis formels dé tout perfectionnement. Les légères difficultés qu'elle présentera dans quelques circonstances de localité seulement, comme dans les fortes pentes, dans des espaces étroits et irréguliers, ou autres analogues , seront d'abord jugés comme des obstacles invincibles à son usage et à son admission. Les bornes resserrées de leurs vues et de leur capacité, plus encore l’'amour-propre et un fol entêtement, ne leur permettront pas de voir qu'avec la nouvelle charrue ils épargne- ront la moitié des animaux de trait, et pourron£ doubler le nombre de ceux d'un rapport plus direct et journalier; que l'ouvrage sera beaucoup mieux fait et en plus grande quantité ; ear on peut évaluer qu'avec une force moindre, la char- ue belge fera d'un tiers à un quart de plus par jour que ne fera la charrue ordinaire avee une DHree supérieure. La nouvelle charrue une fois admise, on pour: 116 NOTICE rait demander s'il ne serait pas possible de sup- primer l'usage des bœufs, surtout pour la culture | de la plaine. Le bien qui en résulterait est à mes yeux incalculable , et c'est par lui seul que j'en juge la possibilité. Pour nous faire une juste idée des résultats de # cette réforme , voyons ce que sont nos fermes ! ordinaires, sous le rapport des animaux qui les composent. Quatre bœufs, trois ou quatre va- ches, un ou deux élèves s’y trouvent communé- | ment. Remarquons d’abord que les bœufs, ani- maux voraces et très - dispendieux, fixent de |} préférence l'attention et les soins du métayer, et cela, en raison directe de leur valeur. Il a à | cœur de les maintenir en bon état, pour ne pas y perdre en cas de revente; en conséquence, en | été comme en hiver, tout le bon fourrage de la | ferme leur est réservé. Cette préférence est toute | au préjudice des vaches, qui, mal nourries et mal soignées, languissent, restent chétives et ne | produisent pas la moitié de ce qu'elles produi- raient si elles étaient mieux tenues. Quelle est au fond l'utilité des bœufs? 30 à 40 | jours de labours par année ; bo ou 60 de char- | rois , potr transporter la récolte et les engrais : | ils ne sont donc occupés qu'un quart de l’an- 4 née environ. Quatre bœufs mangent autant que six vaches , cela est reconnu. En supprimant | les premiers, la ferme pourra fournir à la nour- | SUR LA CHARRUE BELGE. 117 /iture de dix vaches, qui, mieux tenues et mieux mourries, pourront , à l’aide de la charrue belge, labourer aussi bien que les bœufs , et cela d'au- tant plus facilement qu'étant en nombre double et même plus, elles marcheraient alternative- ment, et supporteraient parfaitement, sans beau- coup nuire à leur produit journalier, les travaux de la ferme , même aux époques de l'année où ils sont les plus pressans et les plus nombreux. Remarquons d'ailleurs que l'agriculture étant la principale ressource du pays, le nombre des propriétaires étant considérable, et les propriétés divisées à l'infini, le système des petites fermes, sans doute le plus favorable aux intérêts du pos- sesseur et de la population, se trouve forcément établi. Le plus grand nombre des métairies ne tient que deux bœufs et deux vaches ; beaucoup méme ne peuvent alimenter que quelques vaches. Pour ensemencer et préparer leurs champs , les métayers se prêtent réciproquement leur atte- lage pour labourer alternativement un jour pour lun, un jour pour l’autre. Ceux qui n'ont que des vaches ne cultivent leur terre qu'avec des atitelages étrangers et d'une manière coûteuse. Leurs ouvrages ne se font le plus souvent que Mard , à contre temps et toujours mal; d'où il {arrive que la récolte suffit à peine pour en payer les frais. L'usage de la charrue belge, en rendant les labours moins diffciles et les exécutant mieux, 118 KOTICE peut seule prévenir ces graves inconvéniens, ou! out au moins en adoucirla rigueur, et donne enfin la faculté de modifier à l'infini la réforme pro- posée; car, avec elle, tel qui tient quatre bœufs , n'en aura besoin que de deux, en leur associant au besoin deux vaches, dont il pourra augmenter le nombre dans son écurie; tel autre qui occupe deux bœufs, les remplacera avantageusement par un plus grand nombre de vaches, où par un ou ‘deux chevaux, selon la qualité et la quantité de fourragé qu'il aura pour les nourrir, lequel peut convenir aux uns et ne pas convenir aux autres. Enfin, j'entrevois dans l'admission de la nouvelle charrue , les plus grands avantages pour notres économie rurale, par les modifications infiniess qu'elle peut permettre dans le genre et le nom- bre des animaux de trait, surtout dans la classes nombreuse des petits propriétaires. L'obstacle le plus vrai et le plus essentiel % vaincre , pour nationaliser la charrue belge , est le prix excessif auquel elle revient, si on latires de l'étranger, et qui ne saurait en per mettre l'usages qu'aux propriétaires aisés ; elle ne peut devenirs commune , tant qu ‘on ne parviendra pas à 14 fabriquer dans le PA Nous en possédons toutes, les matières premières ; nous avons nos forges , nos maïtinets et nos ateliers : pourquoi restel tributaire de l'étranger pour cet important objeth Je me bornerai , en finissant, par proposer à la, SUR LA CHARRUE BELGE. 119 Société d'ouvrir une discussion sur les moyens à prendre pour nous procurer cet avantage. J'ai les données suffisantes pour l'assurer que cette char- rue étant faite parmi nous, le prix n’en excédera pas celui de la charrue ordinaire ; on pourrait même dire qu'il deviendra de beaucoup inférieur, parce qu'étant plus solide et plus durable, à prix égal, la charrue belge deviendrait moins coûteuse. Pr OORDNOOMIMT DID ODINDIIOONIDNIT DONDIIS DNNDIONE MÉMOIRE SUR Les causes de l'irrégularité des vents dans la partie inférieure de l'atmosphère ; par M. l'abbé RENDU (1); (Lu dans la séance du 18 mai 1823.) DO La marche des nuages dans l'atmosphère indi- que la vitesse des vents qui les transporte 1. Lorsque les premiers sont à une élévation asse: considérable pour n'être génés dans leur marche par aucun des corps qui, tiennent à la surface de la terre , cette marche est régulière et la vitesse uniforme pendant tout le temps où le vent con- serve une égale intensité. Ainsi la vitesse des vents est uniforme dans toutes les couches d’air qui sont hors de l'atteinte des obstacles terrestres. Il n'en est pas ainsi des couches inférieures qui baignent la surface de la terre. Là le vent n'a pas la même vitesse æt cela se concoit : le frottement des so- lides doit produire sur les molécules aériformes (1) Professeur de Physique au Collége royal de Cham- bery. MÉMOIRE SUR LES CAUSES, ETC. 121 un retard sensible, à-peu-près semblable à celui que les bords et le fond des rivières font éprouver au courant des eaux. Ce n'est pas tout : outre ce retard que des expériences pourraient facilement constater, il y a une grande irrégularité dans la course des vents inférieurs. Dans un temps d'orage, on passe, en quelques minutes, du calme au vent, et du vent à un calme plus où moins parfait. Le vent ne marche que par bouffées, et quel- quefois avec une telle force, qu'on croirait qu'il sort d'un antre , où il aurait été comprimé pen- dant quelque temps. C’est dans les pays montueux surtout que l'on ressent le plus violemment ces secousses de l'air. Pendant ces intermittences , si l'on écoute attentivement, on entend un bruit sourd qui s'accroît par degré ; on voit , dans le lointain , la cime des arbres s’agiter, se courber vers la terre , et bientôt l'orage est là; l'onde passe et le vent redevient modéré. 1l y a dans ces ondes aériennes des particularités qu'il importe de décrire. Quelquefois l'instant de leur plus grande force est celui où l'on commence à les ressentir, et de là elles vont en décroissant. D'autres fois (et c’est le cas le plus ordinaire) , elles ont une force ascendante jusques vers un point plus où moins rapproché du milieu où se trouve le maximum de leur intensité, et de là la force est décroissante jusqu'à l’autre extrémité. ‘122 MÉMOIRE SUR LES CAUSES Toutes les ondes qui se succèdent pendant un temps donné n'ont pas la même force, ni la même étendue , quoique le vent n'ait d'ailleurs subi aucune variation. Les intermittences ne sont pas non plus égales. Enfin , si l’on divise la masse d'air transportée en plusieurs colonnes parallèles entre elles et parallèles à la ligne du mouvement , une des colonnes prise dans un point quelconque de la masse , pourra s’avancer par bouflées, tandis que les autres conserveront une marche régulière. Les diverses parties d'une masse d'air prise dans toute la hauteur de l'at- mosphère ét mise en mouvement par une cause quelconque, arrivent en même temps à une dis- tance donnée, quoiqu'avec des vitesses inégales. La vitesse supérieure est uniforme, et la vitesse inférieure tantôt moindre tantôt plus grande. Ainsi la vitesse du vent dans la partie supérieure de l'atmosphère , indiquera la moyenne des di- verses vitesses de la partie inférieure. Tous ces phénomènes ont été observés, je pense ; mais je n'ai pu en trouver une explica- tion plausible dans aucun auteur. L’'artiele ent de l'Encyclopédie est le seul qui essaie d'en in- diquer la cause. Voici ce quil en dit : « Des » exhalaisons qui s’amassent et qui fermentent » dans la moyenne région de l'air peuvent en- » core occasionner des mouvemens dans l’atmos- » phère. C'est la pensée de M. Humbert et de DE L'IRRÉGULARITÉ DES VENTS. 123 » plusieurs autres savans; et si les vents peuvent » naître de cette cause, comme il est probable, » on ne doit point être surpris qu'ils soufilent » par secousses et par bouffées, puisque les fer- » mentations auxquelles on les attribue ne peu- » vent être que des explosions subites et inter- » mittentes. » Æncycl. Tom. 17. — Vent. Il est inutile de réfuter méthodiquement une théorie aussi invraisemblable que celle qui attri- bue l'irrégularité du vent aux explosions subites produites par la fermentation des exhalaisons. Autant vaudrait dire que ces explosions sont la cause générale des vents, puisque, dans nos contrées , les vents sont toujours accompagnés de ces intermittences. I est difficile de chercher ailleurs que dans les obstacles que le vent rencontre sur la surface de la terre, la cause de toutes ces irrégularités. Dans les pays plats, sa marche est plus uniforme, sans l'être parfaitement ; et sur mer, elle l'est éncore davantage. C’est dans les pays où les obs- tacles sont les plus nombreux et les plus élevés, que les irrégularités sont plus grandes. Ces dif- férences suffiraient pour prouver que les obsta- cles sont la seule cause que l'on puisse leur assi- gner, quand même on ne comprendrait pas de quelle manière ils produisent ce phénomène. Si l’eflet que les obstacles produisent sur l'air ressemblaient à ceux qu'ils produiraient sur l’eau, 124 MÉMOIRE SUR LES CAUSES il ne devrait point y avoir d'intermittence. Un ruisseau qui coule sur un lit de sable présente une surface unie qui cède presque sans murmure à la pente qui l’entraine. Que l'on jette un rocher vers le milieu, aussitôt l'harmonie est détruite ; le canal est rétréci, le niveau de l’eau s'élève, la pression augmente, et le courant de- vient plus rapide de chaque côté de l'obstacle ; mais à moins que cet obstacle ne change de po- sition où de dimension, ou que la quantité du liquide ne change elle-même, le courant conser- vera constamment , dans ce passage , la force et la vitesse qu'il a acquises. Si l'on considère la nature des deux fluides, on sentira que l'effet ne saurait être le même. L'eau n’est pas sensiblement compressible , tan- dis que le volume de l'air pent être facilement réduit. Or c'est de la compressibilité et de lélas- tcité de l'air, que je prétends tirer l'explication de l'irrégularité de la vitesse dans la partie infé- rieure de l'atmosphère. Supposons qu'une masse d'air soit transportée d'un lieu à un autre à travers un espace égale- ment libre dans toute la longueur à parcourir ; la vitesse de l'air sera uniforme dans tous les points de la longueur, supposé que la force qui met l'air en mouvement conserve pendant toute cette longueur cette intensité primitive ; mais divisons la masse d'air en trois colonnes qui DE L'IRRÉCULARITÉ DES VENTS. 125 s’avancent de front dans l’espace; que, pendant le trajet, celle du milieu rencontre un obstacle inébranlable , tel qu'une montagne : celle-ci lui fera éprouver un choc proportionné à sa vitesse et à sa masse; mais comment et par quel point pourra-t-elle continuer sa marche, car elle ne peut rétrograder? Si elle veut s'élever, elle éprouve la pression d'une colonne d'air supérieure qui la retient. Sur les côtés, elle rencontre d'autres co- Jonnes qui sont d'une densité, d'un mouvement et d'une résistance égale à la sienne, avec les- quelles elle est par conséquent en équilibre. 11 faudra donc, pour s'échapper, qu'elle prenne une force respective supérieure, qu'elle ne pourra trouver que dans l'accroissement de son ressort; et comme le ressort augmente en raison de la compression, l'air retenu de toute part par des forces égales, se comprimera jusqu'à ce qu'il ait acquis une force de ressort assez grande pour vaincre les obstacles. A l'instant même où l'équi- libre sera rompu, la colonne s'échappera avec impétuosité et formera une bouflée. L'air s'écon- lera jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli , et alors commencera l’intermittence, qui ne tardera pas à étre suivie d’une nouvelle bouflée partant du même point que la première. Dès-lors tout devient facile à expliquer dans les différences qui les caractérisent. Si l'obstacle est plus grand, les ondes seront plus prolongées , parce qu'une 126 MÉMOIRE SÛR LES CAUSES grande masse d'air aura été comprimée et sera plus long-temps à s’écouler. Par la même raison, elles pourront n'avoir pas toutes la même durée. Si, sur la même ligne, il se rencontre plu- sieurs obstacles de différentes élévations, on sen- üra sur le même point des bouffées de différente force. Si l’on se trouve près de l'obstacle à l'instant où le vent s'échappe, on sentira que la plus grande force de l’onde est à son premier débor- dement. Mais À mesure qu'elle s'éloigne du point de départ, la plus grande force se rapproche du milieu, parce que la première couche, qui était d'abord poussée avec plus de violence , se met peu à peu en rapport de vitesse avec le reste de l'atmosphère. On voit quelquefois une onde passer à quel- que distance de soi, tandis que l'air dans lequel on se trouve n'a pas changé de mouvement ; c'est que l’on est alors en dehors de la colonne qui a rencontré l'obstacle. Si la masse d'air comprimée porte des nuages ; ces nuages se condensent, et la pluie commence à ce point. Quelquefois ces nuages, après avoir franchi l'obstacle , se précipitent le long de ses flancs ; et s'ils ne se réduisent en pluie, ils commencent à se raréfier. C'est presque toujours dans les gorges et les défilés des montagnes que commencent les ora- DE L'IRRÉGULARITÉ DES VENTS. 127 ges; c'est là en effet que l'air, obligé de se com- primer par deux obstacles , éprouve une plus grande condensation et acquiert une plus grande force de ressort. Il me paraît inutile de multiplier les applica- tions de cette théorie, mais je crois qu'elle peut servir à faire comprendre un grand nombre de phénomènes produits par le vent. HONMCIIOONCTIOONMENIOOMEMIOOMEMOONENMIACNCT0O 13 RÉSUMÉ DES Observations météorologiques faites à Chambéry en 1822; par M. le Chanoine BILLIET (à). (Extrait d’un Mémoire lu dans la séance du 18 mai 1825.) TaBLzEAU de la marche moyenne du thermométre centigrade , et des plus grandes variations qu'il ait éprouvées en vingt-quatre heures, dans tous les mois de 1822. NOMS 1 PLUS GRANDE TEMPERATURE des VARIATION MOYENNE. MOIS. EN UN JOUR. CERPIRNERNRLER TAIRAENEMEZ ENS Janvier , NE RO: our. Février , + 5, 60 19/40: Mars , + 9, 29. TER Avril , + T2 TO OS. Mai, + 17, 70. DS Où Juin , + 24, 32 eV te (1) Vicaire - général et Supérieur du Séminaire du diocèse de Chambéry. RESUMÉ DES OBSERVATIONS; ÉTC. 139 NOMS } PLUS GRANDE TEMPÉRATURE des VARIATION MOYENNE. MOIS, EN UN JOUR: QE |] Jullet , LÉ A0. LS pt M Août, + 20, 72: 19 110 Septembre,| + 18, 27. 12% 5: Octobre, + 13, 06. 0 ER 7. Novembre, | + 9, 15. 5 j' ONE À Décembre, | + o, 21. GS: Moyennes, 1204 7D: 12° 76. + N. B. Le thermomètre dont on a fait usage pour ces observations , est placé à l’une des fe- nêtres du Séminaire , à l'ombre, au N.E, 15 mètres et demi au-dessus du sol. Son tube est isolé. Cette position est peut-être un peu plus froide que la température ordinaire de la ville de Chambéry, parce qu'elle est très-exposée ait courant du Nord, et parce qu'au moment du maximum l'instrument se trouve à environ 12 mètres des rayons solaires. D'après plusieurs expériences, le mercure, dans ce thermomètre, est trop élevé de 0,4 de degré. On a corrigé cette erreur en dressant ces tableaux. 130 RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS TABLEAU des maxima et des minima moyens du thermomètre centigrade en 1822. NOMS MAXIMUM MINIMUM | DIFFÉ- DES MOIS. MOYEN. MOYEN. RENCES. PET GRETA PASSES Janvier, + 5° 0. | — o° 6. 24. 0e Février, OT me ER O: 72. Mars, TPS 6 IREM OS & :. Avril, TETE O2 A IT Nr 9° 8. Mai, ROLE HR PE Ole de MU ES NC RES Juin, 00 MO NN MO AT: | r02,0: Juillet , TD PO TT 100: 8° 7: Août , 00 18: eht10 9: ro Septembre, | 4 22° 35." l'E" rA4°3. 8° o. Octobre, HA 166: Lie rot 1 à Novembre } | .+ilra & lapr:6,5: 0923 Décembre. n'a Dour - rase AE Moyennes, | + 16° 5. | + 8° 9. | 7° 6. MÉTÉOROLOGIQUES. 151 TABLEAU des variations extrêmes du ther: momètre centigrade durant chaque mois de l'année 1822. NOMS DIFFÉ- MAXIMUM. MINIMUM. DES MOIS. RENCES. Janvier , HO Nm PS: Rp r 25 Février, AUOT MOTEUR OMR DS 75 Mars, mme PRE 6 OO Eat DE POP ÈS 0 EST Avril , A TAN VOLE RRQ IS ia 0 Mai, Ed MG.-SENLO AR ap, Juin, AUSSI UGS MO: LIL" 70. Juillet, GA NO a Lors ac 0 Août ,. ANGOLA T IG" Pr 22. Septembre; EF 29° 6. 178" 16: Fag" © 0. Octobre , ao. AB MOT Lino" ME Novembre, | + 16°. 5. | + 3° 1 FR NAME Décembre , [+ 8° 6. |— 5° 6. | 14° 2. Moyennes, |+122° 17: | 3° :95. | 18° 22. Les extrêmes des températures ont donc été, en 1822, + 33° 6 — 5° 6, d'où il résulte que le thermomètre a parcouru un intervalle de 39° 2 centigrades. 152 RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS TABLEAU de la marche moyenne du baro® mètre en 1822. <| 9 HEURES 3 HEURES MOIS. DIFFÉRENCES. du matin. du soir. Janvier, ES © EN M PE ECO 10 à 2:03. Février , 746, 03. | 744, 63. 1, 408 Mars, 745, 74. | 743, 99. | 1, 75. Avril, 757, 58. | 736, 03. 1, 398 Mai, 220% 80:/K7735, 00: ST Juin , 53095 04: } 738: 38. 1, 408 Juillet , 797, 20.) 17365708. 0, 90. Août, 758,70: |\ 737: 03. 1,:41D: Septembre} 758,051 736; 9x. TU Octobre, 290,104 1789, 04: 1,50. Novembre, | 740, 79. | 739, 69. 1,70. Décembre , | 798, 71. | 738, 19. 0102 Moyennes ,:|:759,.90..| 756, 71. |: 1, «0, MÉTÉOROLOGIQUES. 135 TABLEAU des oscillations extrêmes du baromètre. RS US Née nd Ut du ee avr re UN Jen: : | MOIS. MAXIMUM. | MINIMUM. |DIFFÉRENCES CRAN TERRE ERREURS | CAPOT IEEE | CSTB LINE EE Janvier , 2.722. 011 20e Février , DESS Dal) A0 NOR LOS ie Mars , 152100762100. T0 124: Avril, 745001. 726707 18:16. Mai, Rbiionub 726,1 aù |srDaorE Juin , g AC ANR PR ENT EST eV ee Juillet, PAU Te TOO 7e (T2 Ne. Août , mia, 010 AN S2 of 0; Éd: Septembre; 1 749,40%11727.4462 515,42: Octobre , GP ESS NAIL 2 CS A MR re GE Novembre, |*746, 7. 780, 711 16, ,a. Décembre, "747, "G: | 720, 07. | 26, 9 Moyennes , | 746, 56. | 728, œ © ni F. cr O Le baromètre dont on a fait usage pour les observations, est placé au Séminaire; sa cuvette se trouve à 5% 9goo"M au-dessus du sol du jardin. Dans les tableaux ci-joints , toutes les hauteurs sont réduites à 0° de température : elles n'ont point subi la correction relative à la capillarité. Le diamètre du tube étant d'environ 5 mm, il faut, pour opérer cette correction, ajouter à toutes les données environ 1 M" 4. En 1822, l'abaissement barométrique moyen, N354 RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS , ETC. entre o heures du matin et 5 heures du soir, 4 été à Chambéry de 1 MM 19, et à Paris seu- lement de o mm" 83. Cette différence, qui a eu lieu dans le même sens à tous les mois de l’an- née , paraît dépendre de ce que Chambéry se trouve moins éloigné de l'équateur que Paris, et à une plus grande élévation au-dessus du niveau de la mer. D'après le dernier tableau , les extrêmes du baromètre, en 1822 , ont été 722, Oo et 720, 7- La pression atmosphérique a donc varjé de 313. 2 DCI OCDE OIINID DICO CNCONO NICOIO 5 APERCUS GÉOLOGIQUES SUR Les environs de Chambéry ; par M. le Cha- noine BILLIET ; (Lus dans la séance du-18 mai 1823.) DE — OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES. Davis un siècle, les philosophes ont paru s'être concertés pour attaquer directement on indirec- tement l'histoire sainte, surtout en ce qui regarde le déluge et la création. Dans la vue de donner au monde une antiquité plus reculée, on écarte avec soin toute idée de catastrophe; on explique tous les phénomènes que présente aujourd'hui la surface du globe, par l'action lente des causes ordinaires. Buffon a ouvert cette carrière : selon lui, nos montagnes ont été formées lentement sous les eaux de l'Océan ; la mer est soumise à un mouvement régulier d'Orient en Occident, en vertu duquel elle parcourt successivement tout le globe; à mesure qu'elle s'avance, elle sabmerge les anciens continens et en laisse derrière elle de nouveaux à découvert. M. Patrin aussi prétend rendre raison de tout, « sans avoir recours, 156 APERCUS » dit-il, à ces catastrophes dont les livres sont » pleins, mais qui n’existèrent jamais que dans » les livres.» Nouv. Dict. d'Hist. natur., art. Géologie. Je n'entreprends pas ici de considérer la question dans toute son étendue : je me borne à exposer quelques observations faites dans les environs de Chambéry; elles me semblent suffire pour prouver que l'état présent de ce bassin ne peut pas être attribué exclusivement à l'opéra- tion lente et progressive des causes ordinaires , et démontrer l'action violente d’une ou de plu- sieurs catastrophes. Les pierres qui se rencontrent dans ce bassin peuvent être divisées en trois classes, calcaire coguiller, grès et cailloux roulés; je parlerai de chacune séparément, CHAPITRE PREMIER. DU CÇCALCAIRE COQUILLER, 8. LT — Nature du calcaire coquiller du bassin de Chambéry, Le calcaire du bassin de Chambéry est une chaux carbonatée compacte; sa couleur varie ; elle est ordinairement grise, quelquefois blan- châtre, jaunâtre, rougeâtre ou d’un bleu noirâtre, Les formes les plus communes de sa cristallisation sont en crêtes de coq et métastatiques; on y GÉOLOGIQUES. 137 trouve fréquemment du sulfure de fer. À Saint- Jean -d'Arvey, il alterne quelquefois avec des couches de quartz-agathe-pyromaque bleuître, de deux ou trois pouces d'épaisseur. Ce calcaire fournit, outre une excellente pierre à bâtir, plu- sieurs espèces de marbre d'une qualité commune; on l’exploite à Vimine , à Saint-Jean-de-Couz, à Saint-Cassien et à la Grotte. Ce sont pour l'or- dinaire des brêches à fragmens de différentes couleurs, toujours compactes et jamais grenns. Les coquillages qui s'y rencontrent plus com- munément sont les ammonites, les bélemnites, les oursins, les térébratules, les moules et les nautiles. $. IT. — Chaînes principales. Le bassin de Chambéry peut être regardé comme composé de deux petites vallées. L'une s'étend , du Sud au Nord, de Chambéry à Rumilly; elle est renfermée entre deux chaînes de monta- gnes qui prennent différens noms, selon les lo- calités auxquelles elles correspondent; ce sont, au Levant, le Nivolet, élevé de 1560 mètres au- dessus de l'Océan, et ensuite les montagnes de Méry, de Clarafond, de Mouxy, de Trévignin, le Montcel, etc.; et au Couchant, les montagnes de la Grotte, d'Aiguebellette, d'Épines, du Mont- du-Chat, de Bordeaux, de Grateloup, de Haute- combe, d'Ontex, etc. En delà d'Aix, cette vallée 458 APERCUS est divisée en deux par une chaîne intermédiaire ; plus basse que les deux précédentes; on y distin- gue , en allant du Sud au Nord, les montagnes de Touvières, de Corsuet, de Saint-Innocent, de Beauregard, dn Sappenay , de Cessens, etc. L'autre vallée s'étend, du N. O. au S. E., de Chambéry à Montmélian. On peut la regarder comme terminée d’un côté par les montagnes de Nivolet, de Chaffardon, de Thoiry, de Curienne et de la Thuile, et de l’autre par celles de Jacob, de Saint-Cassien , de Myans et de Granier. $. IL. — /nclinaison des couches. La chaux carbonatée de nos environs est dis- posée en couches régulières de l'épaisseur de un à six pieds. On suit quelquefois long - temps la même couche, sans que son épaisseur paraisse varier. Les couches ne présentent plus nulle part, dans ce bassin, une situation entièrement horizontale : elles sont constamment penchées à l'Est, vers la chaîne des Alpes. Cette inclinaison varie depuis 8° jusqu'à 45°. En quelques en- droits ces strata semblent disposés en forme d'éventail, en sorte que la couche inférieure serait la moins inclinée, et dans toutes les au- ‘tres cette inclinaison irait progressivement en augmentant : on fait cette remarque à la colline de Lémenc, où la couche inférieure, prise à la GÉOLOGIQUES. 130 carmière , n'est inclinée que de 9° où 10°, tandis que la dernière, observée en-delà de Merande, l'est de 35° à 38°. Le même fait se présente à la montagne de Corsuet, où la dernière couche est fortement penchée vers le village de la Biolle, et à ‘la montagne de Hautecombe, où la couche supérieure, à moitié enfoncée dans Île lac, est presque verticale. Il résulte de cette inclinaison des couches à l'Orient, que nos montagnes pré- sentent uniformément à l'Est une pente médiocre formée par la surface de la couche supérieure, déjà presque généralement recouverte par la culture, et au Couchant un escarpement presque vertical, une espèce de mur formé par la tranche des couches posées les unes sur les autres. Ce- pendant le plan de ces couches n’est pas toujours régulier ; quelquefois le banc supérieur enveloppe un peu les autres en s’abaissant des deux côtés, comme en le voit à la colline de Lémenc, vis- à-vis la Croix-Rouge ; quelquefois aussi elles sont fléchies , ondées et diversement contournées , comme on l’observe à la montagne de Clarafond et à celle de la Thuile, dessigée par M. de Saussure. L'inelinaison à l'Est est commune à toutes les couches calcaires de ce bassin; les exceptions peu nombreuses qui s'y rencontrent, paraissent dépendre d'une cause locale. Ainsi, entre le Château de la Bâtie et le village de Saint-Jeoire, 140 APERCUS il existe une colline d'une demi-lieue de lon- gueur, dont les couches sont inclinées an Sud- Ouest de 20° à 30°; mais il est aisé de voir que cette colline n'est qu'une masse isolée détachée de la montagne voisine, dans un moment où un immense courant rongeait sa base; la fente élar- gie derrière cette colline forme aujourd'hui une peüite vallée, dans laquelle on reconnaît la place que ce rocher occupait jadis. Un fragment de cette masse, séparé au moment de sa chute, s'est abaissé dans le torrent de Saint-Jean-d’Ar- vey. Le monticule sur lequel sont bâties les an- ciennes tours de Chignin, et dont les couches sont inclinées au Sud, n’est aussi qu'une portion détachée de cette montagne, probablement dans la même circonstance. Outre l'inclinaison des couches , il est un autre phénomène que l'on peut appeler les inflexions ou les ondulations des chaînes. En venant d'Aix à Chambéry, on remarque que depuis Clarafond jusqu'à Saint-Saturnin, la chaîne calcaire baisse constamment ; x Saint-Saturnin les couches s’af- faissent de part et d'autre dans le passage ; en- suite , après avoir paru un moment presqu'hori- zontale , cette chaîne prend une pente uniforme de 8° ou o?, qui se prolonge jusqu'à Chambéry, ‘et au Sud de Ja ville, elle va en remontant jusqu'à la montagne de Saint-Cassien. Si l’on observe ce fait du haut de la colline de Lémenc , on remat- GÉOLOGIQUES: 14t que plusieurs petites chaînes qui descendent du Nivolet jusqu'au fond de la vallée; entre Cham- béry et la Ravoire, et au Midi, on retrouve ces mêmes chaînes dans une direction ascendante. Ces inflexions des chaînes paraissent dépendre particulièrement de la configuration primitive du sol. $. IV. — De la formation des montagnes calcaires. Les montagnes calcaires de ce bassin sont in- ‘ contestablement de formation secondaire : les nombreux coquillages qu'elles contiennent en fournissent une preuve certaine. Il fut sans doute un temps où chacun de ces coquillages renfer- mait un animal vivant, et alors, par conséquent, ces pierres n’existaient pas. Je n'entreprends pas d'expliquer cette formation. Lorsqu'on a un peu lu ce qui a été écrit sur ce grand problème, on conclut que la solution en est réservée à un siè- cle encore plus éclairé que le nôtre. Il paraît cependant bien certain qu'on ne peut l'attribuer qu’à une cause temporaire qui n'existe plus; qu'à une révolution d’une durée limitée : les auteurs qui ont prétendu l'expliquer par l'action lente des .agens actuels, ont dit des choses tout-à-fait destituées de vraisemblance. Buflon a trouvé la matière des montagnes cal- t42 APERCUS caires dans le sédiment limoneux qui se dépôse insensiblement au fond de la mer. « On sait, » dit-il, que l’eau use peu à peu les rochers , » et que par conséquent elle en emporte de » petites parties à chaque fois que la vague se » retire après s'être brisée ; ces particules seront » nécessairement transportées par les eaux jus- » qu'à une certaine distance, où le mouvement » se trouvant ralenti, l’eau les abandonnera à » leur propre pesanteur, et alors elles se préci- » piteront en forme de sédiment; et là elles » formeront une première couche, laquelle sera » bientôt recouverte d’une autre semblable et » produite par la même cause. » Théorie de La Terre, édit. de Réné Richard - Castel, tome Î, page 52. Une seule observation suffit pour réfuter ce système. Le sédiment dont parle Buffon aurait été composé de particules fournies par toutes les montagnes primitives situées sur les bords de la mer; mais les montagnes primitives contiennent du quartz, du feldspath, du mica , de la serpen- tine ; et le calcaire compacte dont il est question ne présente qu'une pâte homogène, composée de chaux et d'acide carbonique; on ne peut donc pas y chercher les débris de roches plus anciennes. Buffon lui-même aurait sans doute renoncé à cette explication , s’il avait connu la nature de la chaux -&arbonatée comme on la connaît aujourd'hui. GÉOLOGIQUES. 14% Le Docteur Hutton attribue la formation des roches calcaires à l’action du feu : ce sentiment n'est pas plus admissible qué le précédent; car, 1.0 l’action du feu aurait calciné tous les coquil- lages et décomposé les pierres calcaires déjà for- mées, en réduisant l'acide carbonique à l'état de gaz, au lieu d'en former de nouvelles ; 2.° dans cette hypothèse, les couches seraient comme autant de laves ; mais des laves n'auraient pu former des couches ni si étendues, ni si uni- formes dans leur épaisseur ; des laves d’ailleurs se rapporteraient nécessairement à un ou à plu- sieurs cratères , et en suivant leur direction , on reconnaïtrait les points d'où elles seraient parties; l'observation ne découvre rien de semblable. Il est donc certain que ces strata ont été formés par la voie humide; mais les eaux ont pu avoir alors une chaleur plus ou moins intense. M: Patrin a dit des choses curieuses sur la formation des montagnes. Selon lui, le globe terrestre est un être vivant et organisé; les mon- tagnes primitives sont « des excroissances pro- » duites par cette étincelle de vie, qui ne s'éteint » jamais , qui est inhérente à la matière et qui la » fait tendre sans cesse à l'organisation » , ou plutôt ce sont, pour la Terre «des espèces d'or- ÿ ganes qui lui servent au même usage que les » trachées dans les animaux et les végétaux; car, > ajoute-t-il, ce serait insulter à la sagesse de la. 144 APERÇUS » nature, que de supposer que, tandis qu'elle » organise avec tant d'appareil les plus miséra- » bles insectes, elle permit que les astres eux- » mêmes ne fussent que des masses de matières » inertes et destituées d'organisation. » Il existe donc dans le globe terrestre une sorte de vie; il s'établit, dans les couches qui forment son écorce, une circulation de divers fluides ; l’eau, entraînée avec ces fluides, y a été décomposée comme elle l'est dans les trachées des plantes par la végéta- tion ; et ses élémens, combinés avec les autres fluides, ont produit; en s’assimilant aux substan- ces terreuses , d'abondantes matières calcaires qui, venant à s'échapper à travers les pores des montagnes primitives, ont formé toutes ces roches calcaires dont nous chérchons l'origine. Vour, Dict. d'hist. nat. art. Géol. C'est-à-dire, qu'il faut désormais ranger le globe terrestre ou dans le règne végétal ou dans le règne animal, point sur lequel l'auteur nous laisse indécis ; il faut le regarder, par exemple, comme un énorme tu- bercule, ou une monstrueuse baleine ; les mon- tagnes primitives sont des excroissances , ou, si vous voulez, des espèces de verrues dispersées sur l'épiderme de cet animal, sur lequel l'homme a son domicile; les matières calcaires sont comme un excès de bile dont son estomac s’est débarrassé dans un moment de malaise. Vraiment, si un moine du temps de Charlemagne avait dit des * GÉGLOGIQUES.: 145 chosés aussi savantes, son siècle aurait peut-être été appelé le siècle des lumières. Le même M. Patrin, M. de la Métherie, et plusieurs autres géolognes , ont supposé que les eaux de la mer couvraient jadis les montagnes les plus élevées ; qu'elles ont éprouvé de tout temps et qu'elles éprouvent encore aujourd'hui une diminution graduelle et insensible, et que nos montagnes secondaires ont été formées dans son sein ou sur ses bords, à mesure que sa re- traite s’opérait. Patrin , ibid; de la Métherie , Leçons de Géologie. Or, 1.° ces géologues reconnaissent donc que les eaux de la mer ont autrefois recouvert les mon- tagnes les plus élevées ; en cela ils sont d'accord avec Moïse : nons prenons acte de cét aveu ; il n’y aura plus de différent que sur la manière dont la retraite des eaux s'est opérée. Quant à la diminution insensible dont ils parlent, elle est destituée de toute preuve. « On à bien sou- » tenu, dit M. Cuvier, que la mer éprouve une » diminution générale et que l'on en a fait l'ob > servalion dans quelques lieux des bords de la » Baltique ; mais quelle que soit la cause de » cetle apparence, il est certain qu'on n'a rien » observé de semblable sur nos côtes, et qu'il » n'y a point eu d'abaissement général des eaux; » les plus anciens ports de mer ont encore leurs » quais et tous leurs ouvrages à la même hau- 19 146 APERCUS. y» teur au-dessus du niveau de la mer qu'à l’épo- » que de leur construction.» Recherch. sur Les Oss. foss. Disc. prélim. 2.0 On à fait aux partisans de ce système une petite difficulté qui ne les a pas long-temps em- barrassés. On leur a dit : Si tout le globe a été jadis sous les eanx, il fut donc un temps où il n'y avait sur la terre ni végétaux ni animaux ; comment expliquez-vous leur origine ? M. de la Métherie s’est chargé de répondre; il a traité la question avec une profondeur comparable à celle de M. Patrin. « C'est, dit-il, dans ces instans » où une partie des terrains primitifs fut décon- » verte par les eaux, que nous pouvons supposer » la formation des êtres organisés. Comment ces » végétaux et ces animaux ont-ils été produits ? » C'est, sans doute, ajoute-t-il, une des ques- » tions les plus difficiles de la physique. » Il a quelque peu raison. Des hommes d'une capacité ordinaire se seraient bonnement contentés de répondre avec le Catéchisme : Qui nous a créés et mis au monde? c'est Dieu. Mais, pour un sa- vant, ce n'est pas là une autorité à citer. L'origine du genre humain n'est pas telle que le vulgaire pense : elle a quelque chose de plus philoso- phique. 4 On sait, continue-t-il, que je regarde la » production des êtres organisés comme une vé- » ritable cristallisation. » Voilà déjà une idée. GÉOLOCGIQUES. 147 lumineuse : les végétaux , les animanx sont au- tant de cristaux. Au lieu de dire, avec les femmes et les enfans , que l’homme est le chef- d'œuvre des mains de Dieu, il faut dire quil est le chef-d'œuvre de la cristallisation. « Cette » première cristallisation, dit-il, a dû s’opérer » dans un fluide ; je suppose que, dans les pre- » miers temps , des eaux stagnaient dans des » mares ( je comprends) , et qu'elles s'y mélan- » gèrent avec différentes espèces d'air, de terres , » de substances métalliques (je comprends en- » core); des êtres organisés y furent produits...» Un moment, M. le professeur , je ne comprends plus qu'imparfaitement : je me représente en effet une mare, différentes espèces d'air, de terres , de substances métalliques , le tout mêlé ensemble ; mais de savoir comment, avec tout cela, vous avez formé un être organisé, une grenouille , par exemple, un chat , un homme, c'est le point qui m'a échappé. « Des êtres orga- nisés y furent produits , reprend-il gravement, » de la manière à peu près qu'il s'en produit » encore aujourd'hui dans des eaux de mares , » et même des eaux plus pures. » Voilà qui est clair : c'est-à-dire , que le premier homme et la . première femme ont été formés par hasard dans une mare, de la manière à peu près qu'il se … forme encore des hommes et des femmes dans les mares d'aujourd'hui, En vérité, quand on a fait 4 148 APERCUS de pareilles découvertes dans les sciences, on mérite d'obtenir une statue..... à Bicêtre. Mais au fond, il y a encore plus de perversité que de folie dans ces hommes qui ont l’affreux cou- rage de consacrer leurs talens , leurs connais- sances , leur vie entière à combiner un hideux système d'athéisme. Non - seulement on peut réfuter toutes les théories connues jusqu'ici dans lesquelles on at- tribue la formation des montagnes calcaires à l'action lente des agens actuels : on peut même défier tous les géologues futurs d'en établir sur cette base une nouvelle quelconque , qui soit sa- üsfaisante. Car 1.° de quelque manière que l’on varie les hypothèses, en dernier résultat , Fac- tion ordinaire des agens actuels ne peut pro- duire que trois effets : ronger les. montagnes primitives, en transporter les matériaux , et les entasser ensuite en différens dépôts ; mais elle ne peut pas changer la nature de ces débris ; elle ne peut pas former une couche homogène de chaux carbonatée avec des fragmens de quartz, de feldspath , de mica ou d'amphibole. En réfn- tant le système de Buflon , on a donc réfuté en masse tous ceux faits ou à faire , qui reposeraient sur le même fondement ; et par conséquent , il est totalement impossible que les causes ordinai- res , telles qu'elles existent aujourd'hui, aient produit nos roches calcaires. & On a cru long- GÉOLOGIQUES. 149 » temps, dit M. Cuvier , pouvoir expliquer par » les causes actuelles les révolutions antérieu- » res; mais malheureusement il n'en est pas » ainsi ; le fil des opérations est rompu, la » marche de la nature est changée , et aucun » des agens qu'elle emploie aujourd'hui ne lui » aurait suffi pour produire ses anciens ouvra- » ges.» Recherches sur les Oss. foss. Disc. prélim. 2.° La cause qui a formé les roches calcaires n'a pas toujours existé ; elle n'existe plus de temps immémorial. On ne peut donc lui attribuer qu'une durée temporaire. Elle n'existait pas dans le temps où furent formées les montagnes pri- mitives , ni même dans le temps où furent for- mées les roches de transition de la Tarentaise et de la Maurienne , puisqu'on ny trouve nulle part des couches de chaux carbonatée compacte , analogues à celles du bassin de Chambéry ÆElle n'existe plus aujourd'hui : les envoyés de la Géo- gnosie ont parcouru le globe en allant d'une pierre à l’autre ; ils ont tout exploré , et nulle part ils n'ont surpris la nature occupée à former une conche de calcaire compacte. Elle a donc cessé d'en former , et par conséquent on ne peut attribuer la formation de celui qui existe qu'à une révolution d’une durée limitée. 3° L'inclinaison constante des couches au le- want confirme celte assertion. En eflet, quelle 150 APERCUS est l'origine de cette inclinaison ? Sans doute elle ne dépend pas exclusivement de la configu- ration primitive du sol. Si cela était , elles se- raient plutôt inclinées au couchant , dans le même sens que le versant occidental des Alpes. Ont-elles donc recu cette situation immédiate- ment de la cause qui les a produites , ou faut-il supposer qu'elles ont été formées dans une posi- tion horizontale et inclinées ensuite ? Il existe quelques raisons pour et contre. En effet , il pa- raît, d'après les observations locales que, depuis le Pont-de-Beauvoisin jusqu'à l'Hôpital , toutes les couches sont engagées les unes sous les au- tres par leur extrémité inférieure , sur une lon- gueur d'environ quinze lieues. Pour s'en assurer complètement , il faudrait enlever partout la terre qui les recouvre , ce qui serait quelque peu mal aisé; mais, à en juger par ce qui est à découvert, cette assertion est assez probable. Or, cela supposé , si elles ont été jadis horizon- tales, on peut, par l'imagination , les remettre en place , et se faire ainsi une idée de leur an- cienne situation : mais alors toutes ces couches se trouveraient comme empilées les unes sur les autres , en sorte que la première , prise au Pont- de-Beauvoisin , formerait la base , et la dernière, prise à l'Hôpital , occuperait le sommet de cette pilé. On aurait ainsi une chaîne de montagnes en forme de mur, d'une largeur peu considérable pi 2 GÉOLOGIQUES. 151 et d’une hauteur démesurée. Le peu de vraisem- blance que présente cette bypothèse porterait à croire que les couches ont toujours été inclinées comme elles le sont aujourd'hui. D'un autre côté, la présence constante de coquillages marins , et l'absence de tout débris d'animaux terrestres dans ces roches calcaires , prouvent qu'à l'époque où elles ont été formées, ce bassin se trouvait ou depuis long-temps , on momentanément, plongé sous les eaux de la mer. L’étendue des mêmes couches, l’uniformité de leur épaisseur , leurs deux surfaces presque toujours planes et unies , portent à croire que ces couches ont dû être d'abord déposées dans une situation horizontale ; et qu'une eau peu agitée a pu seule les niveler d'une manière aussi régulière. Mais quelque sen- timent qu'on adopte sur ce point , l'inclinaison des couches calcaires , telle qu’elle existe au- jourd'hui , nous fournira toujours la preuve cer- taine d'une grande catastrophe. Préférez-vous la première opinion? on vous dira avec raison que la mer, dans son état ordinaire , ne peut former que des dépôts à couches à peu près ho- rizontales , et que des bancs d'une inclinaison aussi irrégulière , d’une inclinaison de 30° ou 40° , tels qu'on les voit à Merande , à la Biolle et à Hautecombe , ne peuvent être attribués qu'à des eaux agitées par l'effet de la plus violente ca- tastrophe. Supposez-vous que les couches ont été 152 APERCUS formées horizontalement et inclinées ensuite ; ce qui est le sentiment de M. Cuvier et de la plupart des géognostes ? Il est encore plus incon- testable alors qu'une immense révolution a pu seule produire un aussi grand renversement. Enfin , ajoutera-t-on , dans toutes les hypothèses, on est obligé d'avouer que le bassin de Cham- béry a été une fois totalement recouvert par les eaux de la mer ; que l’on explique ce phénomène au moyen où d'un grand débordement de l'Océan, ou d'un soulèvement du sol, on est toujours également forcé de recourir à une catastrophe. $. V.— Dégradations des roches calcaires. Lorsqu'en allant de Chambéry à Aïx , on exa- mine à la colline de Lémenc et à la chaîne du Nivolet , la cassure nette que présentent les cou- ches calcaires de ce côté, on ne peut s'empêcher de penser qu'elles ne se soient autrefois étendues beaucoup plus loin , et qu'une cause violente n'ait emporté ce qui y manque. Si du sommet de la colline de Saint-Louis-du-Mont , on considère avec attention les roches du Nivolet, de Chaffar- don , de la Thuile et de Granier , à la vue de ces restes empilés d'anciennes couches suspen- dues de part et d'autre à une hauteur correspon- dante , on ne doute plus qu'un immense cou- rantn ait produit autrefois 4 vallée qui les sépare. GÉOLOGIQUES. 155 Si l’on examine de même toutes les autres parties de ce bassin , on verra que partout les roches calcaires n'offrent à l'œil que des ruines et les restes d'une grande excavation ; souvent même on pourrait évaluer, pour ainsi dire , à la toise, la quantité de matière enlevée , et se représenter quel était l’état du bassin avant cette catastrophe. C'est ainsi que, lorsqu'on examine les ruines d'un vieux palais , l'imagination supplée à ce qui manque et rappelle ce qu'il a été. Ces excavations paraissent avoir été faites peu après la formation des couches calcaires, avant leur consolidation : un immense courant vint creuser de larges et profonds sillons dans cette matière encore pâteuse et mal durcie , il la dé- Jlaya , la roula dans ses flots, et alla en former de nouveaux dépôts à des distances plus ou moins considérables. Deux raisons prouvent incontesta- blement que ces excavations n’ont pas été opé- rées exclusivement par les eaux du bassin de Chambéry. 1.0 Toutes les eaux de ce bassin vont se réunir dans le lac du Bourget avant de passer dans le Rhône ; si elles avaient charrié elles- mêmes peu à peu tout ce qui manque aux cou- ches calcaires de nos environs, elles auraient rempli cent fois le bassin du lac ; il n'y a qu'un torrent d'un volume immense , d'une rapidité extrême , qui ait pu transporter tant de débris au-delà de cette cavité sans la combler. 2. Le 454 APERCUS même courant qui a produit des excavalions dans ce bassin , y a importé de dehors , comme on le dira ci-après , les matériaux du grès et tous les cailloux roulés primitifs qui Sy trouvent ; il venait donc de dehors lui-même , et il n’a pu y pénétrer qu'en franchissant ses bords. $. VI — Dans quel temps s'est opérée l'exca- vation du bassin de Chainbéry. La date de cette révolution ne peut pas être très-ancienne. En effet, 1.° on sait que l’Aisse forme un dépôt à l'entrée du lac du Bourget ; ce dépôt s’augmente chaque jour, et cependant il n'en a encore envahi qu'une partie bien peu con- sidérable ; il n’y a donc pas très-long-temps qu'il est commencé. 2.0 On rencontre dans le lignite de Sonnaz et de Servolex , des trones de bois par- faitement conservés ; l'écorce en est quelquefois très-reconnaissable , le tissu fibreux n'est point altéré ; on y trouve des élytres d'insectes coléop- tères noires ou vertes , ainsi que les feuilles d’une espèce de jonc encore bien caractérisées , et des graines , les unes petites et arrondies , les autres un peu plus grandes et applaties. Or il me sem- ble qu'on ne peut, sans choquer toutes les vrai- semblances, donner à ces divers objets une anti- quité plus grande que de quatre ou cinq mille ans ; et pourtant ils sont assurément contemporains GÉOLOGIQUES. 155 de la dernière catastrophe opérée dans ce bassin. 5.° La colline de Saint-Louis-du-Mont présente à l'Ouest , depuis la Croix-Rouge jusqu'à Saint- Saturnin , un escarpement vertical sujet à des dégradations continuelles. Ces éboulemens jour- naliers s'accumulent au pied de la montagne et y forment un plan incliné , qui s'élève peu à peu en recouvrant la base de l'escarpement. Or, si l'on considère attentivement combien ce travail est encore peu avancé , combien ce plan incliné renferme encore peu de matériaux , on en con- clura avec certitude que l'état présent de ce bas- sin n'est pas très-ancien. On peut faire la même observation à la montagne de Chafardon , ainsi qu'à l’escarpement de la chaîne du Nivolet , de- puis Saint-Saturnin jusqu'au Montcel. Il viendræ un temps où toutes les roches de ce bassin ne présenteront plus que des collines arrondies et recouvertes par la culture. 4° En faisant une excursion hors du bassin de Chambéry , on trouverait la confirmation de cette preuve dans les atterrissemens de la Mau- rienne. Cette province est fort étroite dans toute sa longueur ; la rivière d'Arc y coule entre deux versans très-inclinés; de distance en distance , ces versans ont été profondément sillonés par l'eau des torrens:; ce qui a été enlevé sur le haut des montagnes a été déposé en partie au bord de la rivière. Aussi remarque-t-on que , presque x56 APÉRCUS partout , les bourgs et villages y ont été bâtis sur ces alluvions. Les torrens qui promènent leurs lits sur la surface de ces dépôts , continuent à les augmenter en y ajoutant successivement de nouvelles couches. Or, si dans toutes ces locali- tés on examine attentivement la cause et l'effet, on demeurera convaincu que la formation de tous ces atterrissemens a commencé simultanément , et que cette époque ne peut pas être fort an- cienne. On pourrait généraliser ces observations : par- tout en effet les agens actuels travaillent à nive- ler la surface de la terre. Si le monde était aussi ancien que certains philosophes ont voulu le faire croire , et s'il n'avait jamais éprouvé de ré- volution , le nivellement serait achevé : « Non , » disait Dolomieu , cette tendance constante au » nivellement , qui à encore si peu applani , ces » agens de décomposition toujours actifs, qui > ont si peu détruit, ces eaux charriant sans » cesse, qui ont si peu porté , ne sauraient pré- » senter à ma raison l’idée d’une ancienneté in- » commensurable pour le moment où leur ac- > tion a commencé.» Journ. de Phys. tom. 42 pag. 108. « Je pense donc, avec MM. De Luc » et Dolomieu , dit aussi M. Cuvier, que, s'il » y a quelque chose de constaté en géologie, » c'est que la surface de notre globe a été vic- » time d'ung grande et subite révolution, dont GÉOLOGIQUES. 157 » la date ne peut remonter beaucoup au-delà » de cinq ou six mille ans ; que c'est depuis » cette révolution , que le petit nombre des in- » dividus épargnés par elle se sont répandns et » propagés sur les terrains nouvellement misà » sec.» Aech. sur les Oss. foss. Disc. prélim. CHAPITRE IL DU GRÈS. $. LT — Son gissement et sa nature. Le bassin de Chambéry renferme une lisière de grès assez considérable ; elle s'étend depuis Saint-Jean-de-Couz jusqu'au lac du Bourget, et forme le sol sur lequel se trouvent les communes de Saint-Jean et de Saint-Thibaut-de-Couz , de Vimines, de Saint-Sulpice , de Cognin, de Bissy, de la Motte et du Bourget. Cette lisière se pro- longe ensuite dans la Chautagne et dans la val- lée de Rumilly. Mais on n'en trouve aucune trace entre Chambéry et Montmélian, ni dans les pro- vinces de Maurienne, de Haute-Savoie et de Ta- rentaise. Ce grès est déposé par conches de un àtrois pieds d'épaisseur; elles sont horizontales ou inclinées dans le même sens que le sol sur le- quel elles reposent : elles sont cependant , en quelques endroits , dans un état de désordre to- 158 APERCUS tal; on en voit au torrent de Foresan , ‘dont là situation est presque verticale. Faut-il regarder ce grès comme un dépôt chi- mique , où comme un dépôt mécanique ? c'est-à- dire , les molécules qui le composent ont-elles été formées en place, par voie de cristallisation, ou doit-on les regarder comme des grains roulés et agglutinés par un ciment calcaire? Dans la plus grande partie des couches, ces particules sont si ténues, si peu sensibles, qu'en les exa- minant, on serait porté à adopter le premier sentiment; mais une observation plus attentive ramène au second. En effet, dans le grès le plus fin, on distingue à la loupe des grains verts, rouges ou noirs. Vers l'extrémité des couches, les grains grossissent insensiblement et finissent par être comme des noix, en sorte que l'on passe imperceptiblement du grès au poudingue. Or, dans ce poudingue , il est évident que tous les fragmens sont roulés; ce qui prouve que les particules de grès le sont aussi. On reconnait également , à l'inspection de ces fragmens, que les matériaux de notre grès et ceux du poudingue, qui n'en est qu'un accessoire, sont le quartz, le jaspe rouge, le jaspe vert, le jaspe rubané, le jaspe noir, le porphyre, le talc et la serpentine, mêlés avec quelques variétés de granit. On trouve assez souvent, dans ce grès, des glossopêtres ou dents de squalus; on en a recueilli plus de GÉOLOGIQUES. 159 soixante au torrent de Foresan , dans espace de quelques pieds ; les plus longs étaient de 15 milli- mètres. $- IL — Origine du grès du bassin de Chambéry. 1. La formation du grès dans le bassin de Chambéry est postérieure à celle du calcaire coquiller, puisqu'il lui est superposé ; il paraît cependant que ces deux phénomènes se sont suivis de près, et même que la fin de lun a coïncidé avec le commencement de l'autre; car aux Déserts, près de l’église , il y a alternance (1) de couches; à Vimines, on trouve une roche rou- geûtre, qui est à moitié grès et à moitié calcaire; ensuite le ciment calcaire, qui lie entr'eux les matériaux du grès , indique qu'au moment de la formation, les eaux tenaient encore en dissolution les restes de la substance dont sont formées les couches calcaires. 2° Le bassin de Chambéry est recouvert et comme tapissé dans toute son étendue par le calcaire coquiller; je n'ai trouvé que dans un seul endyoit, en-dessous de Saint-Baldoph , un rocher de micaschiste, qui apparaît à fleur de (1) Alternance , expression employée et consacrée par M. de Humbolt, 2160 APERÇUS terre. Il est donc évident que tous les matériaux de notre grès ont été pris en dehors de ce bassin. L’extrème ténuité du grain semble prouver que ces matériaux viennent de fort loin. 5.° L’étendue et l'épaisseur uniforme des mêmes couches, la présence, dans ces couches , de glos- sopêtres et de coquillages marins, leur alter- nance, en quelques endroits, avec la chaux car- bonatée, semblent prouver suffisamment que les matériaux du grès ont été charriés et déposés dans ce bassin par des courans d'eau de mer. 4° On distingue en Savoie des vallées trans- versales et des vallées longitudinales; les pre- mières sont perpendiculaires à la chaine des Alpes: ce sont celles de la Maurienne, de la T'arentaise et du Faucigny. Les secondes sont parallèles À cette même chaine. Or il parait incontestable que les matériaux du grès ont été importés dans ce bassin du Nord au Sud, par les vallées longi- tudinales, et non par les vallées transversales ; car, 1.° les matériaux du grès et du poudingue qui forme éomme la bordure de ses couches, ne se trouvent ni en Maurienne ni en Tarentaise ; ils sont pour la plupart étrangers aux Alpes de la Savoie ; ils nous viennent donc d’ailleurs (1) ; LR EU DOS RE En (1) Ces matériaux paraissent analogues aux cailloux roulés, dont se compose la colline de Turin, au moins dans les environs de Superga. = 2e - md GÉOÔLOGIQUES. tôt 2. toutes les vallées longitudinales d'ici à Ge- nève ont leur fond rempli de cette même espèce de grès, tandis qu'on n'en découvre aucune trace dans les vallées transversales. Il faut conclure de ces observations que le grès de no$ environs a été formé immédiatement après les roches calcaires, que cette partie de la Savoie était alors recouverte par les eaux de la mer, que les matériaux de ce grès ont été pris en dehors de ce bassin et y ont été introduits par des cou- rans dirigés du Nord au Sud ; il faut en conclure enfin que cette formation est due non aux agens actuels , mais à une cause qui n'existe plus. $. I. — Grès blanc de Plein-Palais. IL existe au village de Plein-Palais, commune des Déserts , une lisière de grès blanc qui paraît se prolonger plus au loin du côté des Beauges. 11 se trouve à environ 1200 mètres au-dessus du niveau de la mer ; il est si friable, qu'il faudrait plutôt le regarder comme un sable quartzeux , durci par la pression , que comme un véritable grès : il ne fait point effervescence avec les aci- des ; tous ses grains sont blanes , quartzeux , sans mélange de corps étrangers , et d’une ténuité si uniforme , qu'on ne peut discerner nulle part , même avec la loupe , s'ils sont roulés ou à argles vifs. Cependant , à quelque distance de là, on ex- ZE 162 APERCUS trait dans les champs un grès plus dur et moins blanc , dans lequel on trouve fréquemment des empreintes de térébratules. S'il est difficile d’ex- pliquer la formation de ce grès, il est au moins bien certain quon ne peut aucunement l’attri- buer à l'action des agens actuels. CHAPITRE III. DES CAILLOUX ROULÉS. LE bassin de Chambéry est recouvert, dans toute son étendue, d'une couche de cailloux roulés primitifs. Les chemins de traverse en sont remplis, parce qu'on les y jette des champs voi- sins ; toutes les rues de la ville en sont pavées ; ils recouvrent toute la lisière de grès. S'ils sont plus rares au sommet des collines , ils sont pro- portionnellement plus abondans dans les vallées voisines. On en trouve jusqu'au sommet de la montagne d'Epines ; ils sont même plus com- muns et plus volumineux qu'ailleurs à Saint-Jean- d'Arvey et à Thoiry. Depuis l'Eglise des Déserts jusqu'à la dent du Nivolet, ils disparaissent pres- qu'entièrement ; on n'en trouve aucun aux Abi- mes de Myans , la montagne écroulée les a re- couverts. Ces cailloux roulés sont surtout amoncelés en très-grande quantité dans le fond de la vallée, de- GÉOLOGIQUES. 165 puis Chambéry jusqu'au Bourget. Ce n'est plus ici une couche légère déposée à la surface du sol , c'est une série de collines, qui en sont presqu'exclusivement forméés. Il'en est de deux ou trois pieds de diamètre. Quartz , siénite, gra- nite, diabase ; amphibole ; telles sont les subs- tances que l’on y rencontre plus communément. En quelques endroits, ces cailloux roulés sont liés par un ciment calcaire et forment ainsi un vrai poudingue ; mais ce poudingue ne peut pas être confondu avec celui qui accompagne le grès, parce que les fragmens en sont d’une nature to- talement différente. Puisque tous les environs de Chambéry sont une région calcaire, les cailloux roulés qui s'y trouvent ont donc été pris en dehors de ce bas- sin ; puisque tous leurs angles sont abattus par le frottement , ils n’ont pu y être introduits que par les eaux; puisque la quantité en est si consi- dérable , et qu'ils sont répandus dans toute l’é- tendue du bassin , depuis le coteau de Thoiry jusqu'à la montagne d'Epines , ils y ont donc été charriés par un courant d'un volume d'eau assez grand pour remplir à la fois toute la vallée. Preuve incontestable que ce bassin a éprouvé ja- dis une violente révolution. Les cailloux roulés du bassin de Chambéry, iennent-ils des vallées voisines de la Maurienne et de la Tarentaise ? Cela n'est pas probable ; il 164 i APERCÇUS paraît que la plus grande partie au moins 6nt été transportés de plus loin. Car , dans ces deux vallées , les roches ordinaires sont le calcaire grenu , le gypse , et de nombreuses variétés de schistes ; le sol n'y est pas généralement recou- vert de cailloux roulés comme dans nos environs; on n'en trouve communément que dans les tor- rens et les rivières , et là encore ils n'ont que peu d'analogie avec ceux de ce bassin ; le quartz n'y est pas aussi abondant; le granite blanc à mica noir et la siénite, si communs par ici , ne s'y trouvent presque pas (1). Cela étant ainsi, il devient difficile de conjecturer si nos cailloux roulés ont été introduits dans le bassin de Cham- béry par les vallées longitudinales ou par les val- lées transversales. On distingue donc trois phénomènes géologi- ques principaux dans ce bassin : la formation des roches calcaires, celle du grés, qui semble l'avoir suivie immédiatement, et l'introduction des cail- Joux roulés primitifs. Les deux premiers phéno- . (1) Aux environs de Chambéry , d’après une moyenne de plusieurs observations, les cailloux roulés primitifs ont été trouvés dans les proportions suivantes : Qnantz NU ENT Ad Granite .…., .'. .MOEMOMMCOTNQT EE Siénite ou granitelle de De Saussure. ; 12 Éspèces diverses. 4h . » Le 61 so 0 100 GÉOLOGIQUES. 165 mènes paraissent avoir été opérés dans un temps où nos environs étaient un fond de mer; mais il n'en est pas ainsi du troisième : des cailloux d’un poids si énorme n'auraient pu être charriés si loin par des courans sous-marins ; et, ce qui est encore plus précis, les dépôts de lignite de Son- naz et de Servolex, toujours placés entre deux couches de cailloux roulés (1), les bois, les plantes, les graines, les restes d'insectes qui s'y trouvent , l'absence de tout coquillage marin dans ces mêmes endroits : tont cela prouve que les eaux de la mer ne recouvraient plus nos environs, lorsque cette dernière révolution s’est opérée. Au total, il nous parait complètement dé- RE (r) Le lignite de Sonnaz vient d'être remis en exploi- tation ; on a pénétré dans la couche par plusieurs galeries souterraines dont l’étendue actuelle est de quarante à cin- quante pas. Cette couche est entièrement horizontale et d'une épaisseur à peu près uniforme d’environ dix pieds. _ On ne peut encore conjecturer jusqu'où elle se prolonge sous la colline , qui présente en ce moment au - dessus d’elle une épaisseur de cinquante ou soixante pieds de terre, de sable et de cailloux roulés primitifs. Quoiqué l’on rencontre souvent dans ce lignite des troncs ou des branches d'arbres toujours situés horizontalement et très- applatis par la pression qu’ils ont éprouvée, cependant la masse principale paraît être produite par l'entassement d'une immense quantité d’une seule et même feuille. Cette feuille est ensiforme , large de six ou huit lignes et longue d’un à deux pieds, 166 APERCUS montré ; par l’ensemble des observations précé- dentés, que l'état présent du bassin de Cham- béry ne peut pas étre attribué exclusivement à l'action lente et progressive des causes or- dinaires , et qu'on ne peut absolument l’expli- quer qu'au moyen d'une ou de plusieurs catastro- phes, dont l'époque ne peut pas être très-an- ciénne. Il est vrai que des faits observés dans cette province ne démontrent directement qu'une révolution locale : je ne veux pas donner à mes preuves plus d'étendue qu'elles n’en ont en effet; je n'ai eu en vue que de vérifier, sur un point, des observations faites par les naturalistes pres- que partout où il existe des montagnes secon- daires ou des terrains de transport, et confirmer, pour le bassin de Chambéry en particulier, les conclusions géologiques que MM. Cuvier, Deluc et Dolomieu ont appliquées à toute la surface du globe , à la suite de leurs savantes études et de leurs immenses recherches. Si l'on voulait traiter la même question sous d'autres points de vue, on aurait encore ici deux grandes preuves à développer : la première con- sisterait à rassembler les traditions éparses chez tous les peuples, même chez les anciens habitans de l'Amérique, sur l’existence et l'époque d'un déluge universel; et la seconde, à montrer qu'en remontant le long des siècles, on reconnait que, chez toutes les nations de la terre, au-delà de 4 GÉOLOGIQUES. 167 où 5,000 ans d'antiquité, le flambeau de l'his- toire s'éteint complètement. Sans entrer dans de plus grands détails, je terminerai en citant à ce sujet un passage de M. Cuvier : « En exami- » » » » » » » » nant bien, dit-il, ce qui s’est passé à la surface du globe, depuis qu'elle a été mise à sec pour Ja dernière fois, l’on voit clairement que cette dernière révolution ; et par conséquent l'éta- blissement de nos sociétés actuelles ne peuvent A x . ; , ; A pas êlre treés-anciens ; cest un des résultats à la fois les mieux prouvés et les moins attendus de la saine géologie. » Recherch. sur, Les Oss. foss. Disc. prél. p. 68. «Toujours voyons- » » » » » » » » » » nous, dit-il aillenrs, que partout la nature nous üent le même langage, partout elle nous dit que l'ordre actuel des choses ne remonte pas très- haut; et, ce qui est bien remarquable, partout l'homme nous parle comme la nature, soit que nous consultions les vraies traditions des peu- ples, soit que nous examinions leur état moral et politique, et le développement intellectuel qu'ils avaient atteint au moment où commen- cent leurs monumens historiques. » En effet, la chronologie d'aucun de nos peu. ples d'Occident ne remonte, par un fil continu, à plus de 3,000 ans; aucun d'eux ne peut nous offrir avant cette époque une suite de faits liés ensemble avec quelque vraisemblance. Le nord de l'Europe n’a d'histoire que depuis sa con- 168 APERCUS » » Le version au christianisme ; l’histoire de l'Espa= gne, de la Gaule , de l'Angleterre, ne date que des conquêtes des Romains; celle de l'Italie septentrionale , avant la fondation de Rome, est aujourd'hui à peu près inconnue : les Grecs avouent ne posséder l’art d'écrire que depuis que les Phéniciens le leur ont enseigné, il y a 53 où 54 siècles. Nous n'avons de l'his- toire de l'Asie occidentale que quelques extraits contradictoires, qui ne vont , avec un peu de suite, qu'à 25 siècles. Un seul peuple nous a conservé des annales écrites en prose avant l'époque de Cyrus, c’est le peuple Juif. On ne peut aucunement douter que le Pentateu- que ne soit l'écrit le plus ancien dont notre Occident soit en possession. Or cet ouvrage, et tous ceux qui ont été faits depuis, quel- qu'étrangers que leurs auteurs fussent à Moïse et à son peuple, nous présentent les nations des bords de la Méditerranée comme nouvelles; ils nous les démontrent encore demi-sauvages quelques sièeles auparavant ; bien plus, ils nous parlent tous d'une catastrophe générale, d'une irruption des eaux qui occasionna une régéné- ration presque totale du genre humain, et ils n’en font pas remonter l'époque à un intervalle bien éloigné. » « Le Chouking est le plus ancien livre des Chinois; on assure qu'il fut rédigé par Confu- GÉOLOGIQUES. 169 cius, il ÿ a environ 2,250 ans; or ce livre, le plus authentique de la Chine, commence l'his- toire de ce pays par un Empereur nommé Yao, qu'il nous représente occupé à faire écouler les eaux, qui s'étant élevées jusqu'au ciel, baï- gnaient encore le pied des plus hautes montagnes , Couvraient les collines moins élevées et rendaient les plaines impratica- bles. Cet Yao date, selon les uns, de 4,158; selon les autres, de 5,938 ans avant le temps actuel. » « Nous ne demandons pas des dates précises aux Américains, qui n'avaient point de véri- table écriture, et dont les plus anciennes tra- ditions ne remontaient qu'a quelques siècles avant l’arrivée des Espagnols ; et cependant l'on croit encore apercevoir des traces d'un déluge dans leurs grossiers hiéroglyphes ; ils ont leur Noé ou leur Deucalion , comme les Indiens , comme les Babyloniens , comme les Grecs. Est-il possible que ce soit un simple hasard , qui donne un résultat aussi frappant, et qui fasse remonter à 4o siècles l'origine traditionnelle des monarchies assyrienne, in- dienne et chinoise? Les idées de peuples, qui ont eu si peu de rapport ensemble, dont la langue, la religion, les lois, n’ont rien de com- mun, s’accorderaient-elles sur ce point si elles n'avaient la vérité pour base? » /bid. page 104. ON DIIOOIIDOICINSONCNDONMCTIID DC D LB MÉMOIRE SUR La nature et la signification de l'expression analytique générale =; par M. G.-M. R47Y- (9) MOND, Secrétaire Perpétuel de la Société ; {Lu dans la séance du 4 juillet 1824.) ON IG O———— 14 S: lon suppose une quantité constante a divisée par une variable +, et que celle-ci soit assujétie à une diminution successive, le quo- - , « . .p" . üent représenté par - croitra indéfiniment en x proportion du décroissement du dénominateur. Si la variable x, en vertu de son décroissement progressif et par l'effet de la loi de continuité, devient moindre que toute quantité assignable, la valeur du quotient © sera supérieure à toute Æ grandeur quelconque ; si donc l'on suppose enfin æ=—=0, l'expression © représentera un quotient Oo plus grand que toute quantité possible, c'est-à- dire, un quotient infini. L'expression trigonométrique de la tangente d'un angle 1 : lang ae ee ngle a, est : tans.a— cos &, MÉMOIRE D'ANALYSE. 171 A mesure que l'angle a augmente, en le stip- posant moindre que l'angle droit, le cosinus diminue et la tangente augmente de plus en plus. Si l'angle devient droit, le cosinus s'éva- nouit, on a: cos. a—=0, d'où r sin. « tang. A — — ; Le) cette tangente est infinie. De ces exemples et d’autres cas analogues , on a cru pouvoir conclure que l'expression T était Le [s] symbole de l'infini; mais cette imterprétation, quoique la plus généralement admise, n'a pas laissé d'être quelquefois contestée. 2. On sait que l’un des caractères essentiels d'une définition rigoureusement juste est d'em- brasser la chose définie toute entière, et de pou- voir s'appliquer avec la même justesse à toutes les circonstances qui peuvent se présenter. En conséquence , si l'interprétation la plus générale donnée à l'expression © est exacte, il faut qu'elle [e] convienne à cette expression dans tous les cas où elle se présentera, c’est-à-dire, que la valeur de la quantité représentée par © puisse toujours Le] s'expliquer par l’énfini. 3. Soient deux hyperboles concentriques , dont les axes coïncident respectivement, et dans les- quelles l’origine des coordonnées soit rapportée | 172 MÉMOIRE 0 au centre commun des deux courbes. Ces deux hyperboles auront respectivement pour équations: y b b Via É Va ER. F=E = ERP (r2 Dans le cas où ces hyperboles se couperont , la combinaison de leurs équations donnera, pour les coordonnées des points communs aux deux courbes, aa V2 — L'i D'DN EE 72 a= + Fer Dee Van b3 — a2 bi Var b2 = a2 bl2 Si les deux hyperboles sont semblables, ce qui sera exprimé par celte condition : b b! ==) = 9 a «a les coordonnées des points d'intersection devien- dront : L= + OMS = ; F= TE Phase - Pr O T3 (e) Dans ce cas, les branches respectives des deux courbes seront parallèles deux à deux; en consé- quence, elles ne se rencontreront nulle part, et l'on dira que les coordonnées des points de con- cours sont infinies. Mais si nous prenons les équations de deux ellipses également concentriques et dont les axes coïncident de même, ces équations seront : ER NET b' - LH VE FEAT ES + s D ANALYSE. 173 WA L e ® D] , \ Lé . l'élimination appliquée à ces deux équations con- sidérées comme simultanées, donnera, pour les valeurs des coordonnées communes, les expres- sions suivantes : GET CLR TU AT S the Rens 3 Vaz b2 — a? b'2 Va b'2 — nt b'2 Et si l'on suppose les deux ellipses parallèles , en posant, comme précédemment : EM 2 —°,, [74 a on aura de même : aa Vh=yzi DEN es L—= + ——————— ) biere a ———————— 0 0 Or, peut-on dire, dans ce dernier cas, que les coordonnées des points de rencontre sont infi- nies? Il est évident que si l'on veut donner aux résultats analogues des deux circonstances que nous. venons de considérer, une interprétation qui convienne également à l’une et à l’autre , il faut qu'elle soit tirée de ce qu’elles ont de eom- mun , et non de ce qui ne peut appartenir qu'à l'une d'elles. Le dernier exemple que nous ve- nons de donner, où la définition générale ap- pliquée à l'expression © se trouve en défaut, Le semble prouver qu'il faut chercher à expliquer le sens de cette expression autrement que par 174 À MÉMOIRE l'infini, sauf à admettre la considération de l'in- fini, comme un cas particulier, lorsque la nature de la question le comportera. J'ai soumis cette observation à un savant ana- lyste, qui l’a communiquée à d’autres géomètres. Voici ce qu'il m'a d'abord répondu : « J'ai recu, » Monsieur, le dernier Mémoire que vons avez » eu la bonté de m'envoyer, et je l'ai lu avec » beaucoup d'attention et d'intérêt. C'est là ur » paradoxe fort singulier, qui n’a pas encore été » remarqué, que je sache. Bien que je n'adopte » pastout-à-fait vos principes sur la question qui » en est l'objet, comme tout ce qui appartient à » la métaphysique des sciences est susceptible » d'être controversé, je suis persuadé que vos » réflexions seront accueillies, même par les » géomètres qui auront sur ce sujet un avis » différent du vôtre. » En conséquence de mon observation, on a tenté de plusieurs manières de résoudre la difficulté que je viens d'exposer. 4. On a repris d’abord le cas de la division , et lon à dit que, pour expliquer la nature du quo- tient 2 on peut se représenter plusieurs per- sonnes qui passent tour-à-tour devant un vase sans y rien mettre; si l'on demande combien de per- sonnes doivent mettre zéro dans le vase pourqu'il soit rempli, on verra que, quel que soit le nombre de ces personnes, le vase ne sera jamais plein, D ANALYSE. 175 et qu'ainsi le nombre des personnes doit être plus grand qu'aucun nombre donné. À cela j'ai répondu qu'il n'était point exact de dire que, pour remplir le vase, il fallait un nombre infini de personnes, puisqu'après le pas- sage d'un nombre de personnes supérieur à toute quantité assignable , le vase n'en restait pas moins aussi complètement vide qu'anparavant. Et en effet, dans une division dont le diviseur est séro, à défaut d'un quotient qui termine l'opération sans reste, rien n'indique la nécessité d'augmenter la valeur de ce quotient, puisque, quelque grand ou quelque petit qu'il soit, on trouve toujours le même reste. J'ai dit qu'il me paraissait conve- nable de distinguer ce cas de celui où un reste dépendant d'une variable diminuerait sans cesse en raison de l'augmentation de la variable, sans pouvoir jamais s'évanouir complètement, quelque degré d’accroissement que l’on püût donner à cette variable. Dans ce dernier cas, il y a un progrès en vertu duquel, sans jamais atteindre au but, on peut néanmoins en approcher d'aussi près que Von veut, et ainsi l’on est averti que la variable doit sans cesse être augmentée. J'ajoute à cela qu'en admettant la valeur in- finie du quotient exprimé par, dans le cas de Le) la division, je pense que l'on pent encore en expliquer le sens d'une manière plus générale, 176 MÉMOIRE qui, sans exclure la considération de l'infini, peut convenir à d'autres cas auxquels cette considéra- tion ne serait pas applicable. 5. On a dit ensuite que l'expression Vo était peut-être susceptible de quatre valeurs différentes, à cause des deux signes que porte le signe radical du second degré, et de l'alternative des signes + et — dont le séro pourrait être affecté, c'est-à- dire, que l’on aurait ces quatre valeurs : + V+0, Era Vo, + Yo, ir — 0; ce qui porterait à huit le nombre des valeurs de æ et de y qui expriment les coordonnées suppo- sées communes à deux ellipses concentriques et semblables; valeurs dont quatre seraient rejetées comme infinies, et dont les quatre autres ima- ginaires résoudraient la difficulté d’une manière satisfaisante. J'ai fait plusieurs remarques sur cette explica- 1.° J'ai fait observer qu'il était douteux que Jon puisse attribuer le double signe à zéro. Soit, en effet la quantité a—b, qui peut sécrire + (a— b) ou — (b—a); or, si l'on fait, i=\bE la première forme donnera + o, et la seconde, —0; mais comme l’on a : æ(a—b)=z—(b—a), D'ANALYSE. 177 d s'ensuivrait que l'on aurait: +OZ —0, ét qu'ainsi Ÿ_—6 ne serait pas imaginaire. Peut-être ce résultat OZ —0 est-il très-juste, par la raison que le zéro, qui est intermédiaire entre l’ordre positif et l'ordre négatif, ne doit pas plus appartenir à l'an qu'à l'autre, dont il est la limite commune, et qu'ainsi il n'aurait, à proprement parler, ancun signe nécessaire. D'après les observations ci-dessus et celles qui suivent sur le même point, on a à peu près abandonné l'idée d'attribuer deux valeurs différentes à +o et — 0. Peut - on dire qu'en vertu de la loi de conti- nuité, une quantité qui s'évanouit conserve, dans son anéantissement, le signe qu'elle portait au- paravant ; et qu'alors une variable négative dé- croissante se réduira à — 0, tandis que +o serait la limite d'une variable positive décroïssante ? Cela me paraîtrait sujet à contestation; car ce qu'on peut dire d’un rapport constant entre deux variables, ne saurait peut-être s'appliquer à l'état changeant d’une seule quantité qui, à mesure qu'elle s'élève ou qu'elle s'abaisse vers zéro, mar- che vers un terme où elle dépouillera précisément et nécessairement le signe qu'elle aura porté jus- ques-là, pour en revêtir un directement contraire. 12 178 MÉMOIRE 2.° Admettons toutefois que l’on puisse donner V—o à quatre des valeurs des coordonnées con- sidérées comme communes aux deux ellipses concentriques et semblables , et que cette expres- sion Y—o puisse être considérée comme imagi- naire. Supposons alors que dans les expressions aa Vhi pi bb! Vin La Te ; Et nd te Ve à on fasse b = b', en même temps que l'on a, par hypothèse , ab' = ba’, ce qui entraîne la condi- üon a = a'. Dans ce cas, ou les valeurs de x et de y seront nulles, si l'on veut évaluer les frac- Uons par leur numérateur seulement; ou ces valeurs seront imaginaires , si l'on tient compte de l'influence du dénominateur : deux résultats également absurdes, puisque les conditions a'= a et b'=b supposent la coïncidence absolue des deux ellipses dans tous leurs points, et qu'on doit avoir, en conséquence , Miele r= + (G) » 6. Un géomètre distingué a cru pouvoir ré- (3) Dans la supposition dont il s’agit, on remarquera que les valeurs de x et de y ne peuvent recevoir la forme qu’elles doivent avoir, =, qu’autant que l’on aura oO « —o — 0; ce qui prouverait à la fois que l'expression V—o ne serait point imaginaire, et que le zéro est indiffé- rent à lout signe + ou —. D'ANALYSE. 179 soudre la difficulté dont il s'agit de la manière suivante. Les coordonnées communes aux deux ellipses étant : aa Vi —=Vr LI PTE RE ee —, 3 TT Va'rhie ab’, VD CSN D'a si l’on fait a'= a, b'= 1b, on aura: AC D Vie LE a ——, [o) k [e) Or, l'une des deux quantités x — 1 et 1 —?? étant nécessairement négative, il s'ensuit que l'une des coordonnées est imaginaire, ce qui suffit, dit-on , pour sauver l'absurdité de la ren- contre des deux ellipses à une distance infinie de leur centre commun. Sur quoi je fais les obser- vations qui suivent : 1.° Il ne faut pas toujours prononcer sur la nature d'un résultat d'après la forme qu'il a pu prendre en vertu de tel ou tel artifice particulier employé à sa transformation. On sait, par exem- Jp . Le) , ple que, pour connaître si l'expression - repré- (e] sente réellement une quantité indéterminée, il faut remonter à la fraction primitive d'où elle dérive, et dépouiller celle-ci de tout facteur commun à ses deux termes , dont l’évanouissement a pu être l'effet de la présence d'un facteur nul. Mais voici un exemple plus directément relatif à la question qui nous occupe. 180 MÉMOIRE Reprenant les expressions générales des coor- données communes à deux ellipses concentriques quelconques = ie aa’ VD: = pZ + b b' Va 2 ES rte) D ES en V'a2b2 — a? b'2 Y Varz b2 — a2 b'1 nous supposerons que les deux ellipses ne soient point semblables, et nous poserons, par exemple, a'<.a.cet 6>'b. Dans ce cas, les deux ellipses auront nécessalire- ment quatre points d'intersection. Et cependant ne RS ve À POS OT Pire les numérateurs des expressions ci-dessus sont imaginaires, en vertu des conditions mêmes qui “entraînent les intersections. Mais si l’on effectue les divisions indiquées, et que l'on change les signes haut et bas sous le signe radical , il vien- #4 dra : T—= + aa' Verres b'2.—“hz g sk v/ az a? 1 Cr 33 — a": VA] a? b'2 — a'2 b2 a? | | valeurs réelles, en vertu des conditions a' : La > : nométrique A + ft ; lorsqu il sagit d'expri- | sin. (B—x) mer le parallélisme de la droite par rapport à D'ANALYSE. 189 Vaxe des y, ou, ce qui est la même chose, l'im- possibilité de la rencontre de ces deux lignes. On a vu plus haut (3) que le parallélisme de deux hyperboles ou de deux ellipses est indiqué par des expressions analogues, puisque les coor- données des points de concours sont alors de la forme ©, ce qui signifie que les deux courbes ne (e] sauraient se rencontrer en aucun point, dans toute l'étendue que comporte leur développe- ment. Soit l'équation de l'hyperbole considérée ci- dessus (3) : b y = 22 SW E ? l'équation des asymptotes sera : F=E? x [44 La condition de la rencontre de l'asymptote et de la courbe conduit à ce résultat : a? — __— = ? x? on, ce qui revient au même, à cette valeur de l'abscisse du point de concours : L'EET OIR C'est encore ici le cas d'un parallélisme; car l'asymptotisme est la seule espèce de parallélisme +90 MÉMOIRE qui puisse S'établir entre une ligne droite et une courbe. La théorie des tangentes des courbes fournit des considérations analogues. Lorsque le coefficient différentiel d’une courbe est nul, c'est-à-dire , lorsque l'on a : : : dx £ l'expression De prend la forme ©, Ce résultat 23 0 provient ainsi du parallélisme de la tangente avec l’axe des abscisses. Si l’on avait au contraire : dx RE — 0, ag ce qui exprime le parallélisme de la tangente avec l'axe des y, c’est alors le coefficient diffé- rentiel qui prend la forme “. O Ces résultats sont visibles à la seule inspectio® des expressions J MACIGE HAT dy : dx ? qui sont les formules générales de la soutangente ét de la sounormale. Si la première est ce qu'on appelle infinie, c'est-à-dire, si elle est de la forme ?, c'est dans le cas où l'on a An. et 0, dx qu'alors la tangente est parallèle à l'axe des , 1 b' abscisses. Et si la sounormale est de la forme ?, [2] D'ANALYSE. 19 dx LD c'est À cause der, —o, condition du parallé- as lisme de la tangente avec l'axe des ordonnées. Si l'on prend le coefficient différentiel de l'hy- perbole rapportée aux asymptotes, éresl :# d x x? il devient —7, lorsque l’on fait l'abscisse nulle ; O0 ce qui signifie que la tangente, si elle pouvait avoir lieu dans ce cas, coïnciderait avec l'axe des y, puisque l'on a alors To: or, la coïnci- dence est un cas particulier du parallélisme. Il en est de même de toutes les autres courbes asymptotiques, telles que la conchoide, la cis- soide, etc., dans lesquelles la valeur du coeffi- . « , « «a ; cient différentiel prend la forme-, lorsque l’on 0 égale à zéro la valeur de Li} dy 10. En mécanique, on ne saurait faire équi- libre à deux forces égales appliquées à des points différens, dont les directions sont parallèles et qui agissent en sens contraires. C’est énoncer, ce me semble , une proposition vide de sens, que de dire que l’on produira l'équilibre en appli- quant une force nulle à une distance infinie des points d'application des forces données. Il y a tout simplement im possibilité absolue dans la 192 MÉMOIRE uestion proposée , et la forme * que prend ici q prop > TV la distance du point d'application de la résul- tante aux points d'application des deux forces parallèles et contraires, est l'expression de cette impossibilité. 11. On voit, par les divers exemples que nous venons de considérer, que, si l'interprétation de l'expression & par l'idée de l'infini peut certaine- O0 ment convenir à un grand nombre de cas, il en est d’autres où elle ne donne aucune idée nette et ne peut satisfaire l'esprit, et qu'enfin il eà est un où elle est absolument inadmissible. Il s'agit maintenant de voir si ces mêmes exemples pré- sentent quelque autre point de vue qui leur con- vienne à tous sans exception. Or, on a pu remarquer dans tous les exemples tirés de la géométrie, la circonstance commune du parallélisme , qui entraine dans tous les cas un résultat de la forme ©. D'où il paraît que cette [e) expression , nterprétée géométriquement, serait le symbole général du parallélisme, ou, ce qui est la même chose, de l'impossibilité de la rencontre de deux lignes ou de deux surfaces données. Ce même caractère d'iëmpossibilité absolue se manifeste également, dans les autres cas, par le résultat ©, que l'analvse donne pour réponse à Q — D'ANALYSE. 193 une question qui n'est pas susceptible d'une so- lution réelle, conforme à son énoncé. Je croirais donc pouvoir conclure que l'expres- sion © signifie que l'on épuiserait en vain, pour [0] la quantité cherchée, toutes les valeurs que comporte la nature de la question, c'est-à-dire, que l'on ne saurait trouver la solution de la question dans l'étendue ou les limites asst- gnées à l'inconnue par l'énoncé du problème. Cette formule n'indiquerait une quantité infinie que -dans les cas seulement où la question admet une latitude indéfinie dans la variabilité de l'in- connue, Ainsi les expressions des coordonnées des points d'intersection qui correspondent au cas du parallélisme des courbes, signifient, pour les hyperboles ou les paraboles, qu'on ne peut trouver, dans toute l'étendue du diamètre in- défini de ces courbes, aucune abscisse qui satis- fasse à la question ; et dans l’ellipse, qu'on ne peut non plus trouver , sur la longueur limitée des demi-axes , aucune abscisse qui appartienne à une intersection des deux courbes parallèles. Delà , il me paraît que, sans exclure Ja considé- ration de l'infini dans les circonstances qui peu- vent l’admettre , nous donnerions une interpré- lation qui convient sans exception à tous les cas d'impossibilité absolue. 12. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de 13 194 MÉMOIRE faire remarquer la distinction essentielle à faire entre l'impossibilité absolue, pure et simple, et cet autre genre d'impossibilité qui résulte d'une contradiction. Celle-ci disparaît dès que la con- tradiction est levée. L'analyse répond aux ques- tions de ce genre du premier degré, par un ré- sultat d'un signe contraire à celui que lui assigne l'énoncé de la question; et dans les questions du second degré, par exemple, elle y répond par des valeurs imaginaires. Or, dans ces cas-là , le résultat donné par l'analyse indique la correction à faire dans l'énoncé de la question , et le sens dans lequel la solution devient possible. C'est ainsi que, dans le cas de deux voyageurs qui vont à la suite l’un de l’autre avec des vitesses diffé- rentes, si, par erreur, l'on a assigné la plus grande vitesse à celui qui a l'avance, bien loin que le dernier puisse l’atteindre, il s'en trouvera de plus en plus éloigné. La forme négative des résultats que l'analyse donne alors pour réponse à la question, indique comment celle-ci doit être rectifiée pour obtenir une solution possible , ce qui aura lieu en donnant aux deux voyageurs une direction précisément contraire; tandis que, dans le cas que nous avons considéré ci-devant (8), il n'yaaueun point de vue sous lequel on puisse entrevoir la possibilité de la rencontre des voya- geurs. | De même, si deux ellipses qui ne sont pas | D'ANALYSE. 103 semblables sont construites respectivement sur des dimensions incompatibles avec la rencontre des deux courbes, elles seront néanmoins sus- ceptibles de se rencontrer , si l’on fait varier convenablement les dimensions de l’une ou l’au- tre , ou de toutes les deux à la fois ; mais il n'y a aucune hypothèse possible en vertu de laquelle deux ellipses concentriques et parallèles puissent jamais se rencontrer. ONCE HORIIDODITDNOTIEDID OI DIDOONNOIOIITINIOTID0O PRÉCIS HISTORIQUE DE L'introduction et de la propagation de la vaccine dans le Duché de Savoie; par M. le Docteur GOUVERT; (Lu dans la séance du 7 janvier 1821.) — De oi — Pi un bienfait signalé de la Providence, l'homme est enfin affranchi d'un funeste tribut auquel il était assujéti dès son berceau, et quil devait payer tôt ou tard, quelquefois par la perte de la vie, le plus souvent par celle de quel- ques-uns de ses sens, et le plus souvent encore par l'altération et la difformité de ses traits. La petite-vérole, que lui apportèrent les Arabes dans un siècle reculé, et que le temps avait en quel- que sorte identifiée à sa nature, au point de se voir dans la pénible nécessité d'en éprouver le cours une fois dans la vie, vient d'être. rayée du cadre de ses maux. La fin du dix-huitième siècle, remarquable sous tant de rapports, l'a été parti- culièrement par l’importante découverte de la vaccine , que vingt ans et plus d'expérience et d'observations donnent aujourd'hui comme pré- servatif assuré de cette hideuse maladie. PRÉCIS HISTORIQUE, ETC. 197 En présentant à notre Société naissante cet apercu de l’histoire de la vaccine dans le Duché de Savoie, je n'ai pas l'intention de lui offir quelques faits on quelques observations nouvelles qui lui soient relatives. Le vif intérêt qu'inspira d'abord l'importante découverte de Genner, ex- cila si promptement et si généralement le zèle de tous les amis de l'humanité, que partout soumise au creuset de l'expérience et de l’obser- vation , elle recut en peu d'années la sanction du temps, et parait aujourd'hui ne plus rien laisser à désirer sur tout ce qui la concerne. Mon dessein se borne à fixer l'époque de son introduction en Savoie, à exposer les difficultés sans nombre que les préjugés, l'ignorance , l'empire de l'habitude, et surtout la mauvaise foi lui opposèrent d'abord ; à tracer d'une manière rapide, le tableau de sa marche, de ses progrès et de quelques-unes des nombreuses épidémies varioliques , arrêtées par elle dans leur cours dévastateur ; à revendiquer en faveur des médecins et chirurgiens du Duché, la gloire de l'avoir les premiers introduite et propagée dans les États de S. M. notre Souve- rain; à exposer quelques réflexions sur le mode le plus propre à la répandre généralement, et surtout à en confier le souvenir aux premières pages de nos registres. Quoique vingt années et plus d'expérience et d'observations faites sous tous les gouvernemens 198 PRÉCIS HISTORIQUE éclairés , et consignées , soit dans des feuilles périodiques , soit dans des écrits particuliers , soit dans des comptes annuels, rendus par un grand nombre de comités de vaccine, aient tracé le cours régulier et constant de tous les symp- tômes qui la caractérisent, ainsi que ses rares anomalies, fixé la certitude de sa vertu préserva- trice , sa marche simple et innocente, quoique, dis-je, tout ce qu'on a vu, fait et dit semble ne plus rien laisser à voir, à faire ou à dire, il est bon cependant de s'occuper parfois d’une décou- verte qui intéresse de si près la vie et la santé de l'homme. L'habitude du silence sur une source de tant de biens replongerait bientôt le peuple dans une sorte d’apathie et d'indifférence à son égard, et la lui ferait regarder comme abandonnée et oubliée; il est même essentiel que , chaque année, le Gouvernement, par l'ox- gane des juntes établies par lui, manifeste tout l'intérêt que sa constante sollicitude pour le bon- heur de ses peuples, lui fait prendre à la con- servation et à la propagation de ce germe pré- cieux, et quil rappelle sans cesse sur ce point important l'atiention des Autorités tant civiles qu'ecclésiastiques, dont le concours aura toujours les plus heureux résultats. La vérité et la reconnaissance m imposent Yobligation d'avoner que c'est au voisinage de Genève que la Savoie doit l'avantage d’avoir jou . £&SUR LA VACCINE. 109 de bonne heure des bienfaits de la vaccine. Les savans Rédacteurs de la Bibliothèque Britan- nique se hâtèrent de publier les premières re- cherches de Genner, par deux extraits insérés dans le tome IX, page 258 et 367, art. Sciences et Arts, an 7. Peu après ils nous firent connaître louvrage du docteur Pearson, Recherches sur l'histoire de la petite-vérole des vaches , diri- gées dans le but de la substituer à la petite- vérole ordinaire et d'anéantir celle-ci, tom. XI, page 242, an 7; successivement les réflexions du docteur Simmons, membre dn Corps des chi- rurgiens de Londres, sur la prétendue origine de la petite-vérole des vaches, et enfin la lettre du doctenr Decarro, de Vienne , aux Rédacteurs de la Bibliothèque Britannique, insérée au même tome, page 537, dans laquelle il leur envoya un morceau de linge imprégné du virus vacein , et leur communiqua plusieurs observations d'ino- culation de la vaccine , avec une exacte descrip- tion de la maladie, la plupart faites sur ses pro- pres enfans. Ces premières annonces, faites par des autorités si respectables, fixèrent de toute part l'attention des hommes de l’art, qui partout s'empressèrent d'interroger l'expérience et de vérifier les faits avancés par les médecins anglais. Ceux du Duché de Savoie (alors département du Mont-Blanc, et partie de celui du Léman) furent des premiers 200 PRÉCIS HISTORIQUE à s'emparer de la vaccine; et déjà, en l'an 8, les docteurs Defresne, en Faucigny, Hybord, en: Tarentaise, et mois à Chambéry, la répan- dions dans nos arrondissemens respectifs. Cham- béry, chef-lieu du département , devait naturel- lement être le point des premières opérations vaccinales; les médecins et chirurgiens de cette ville devaient , en conséquence, donner l'exemple et l'impulsion à tous leurs confrères de la pro- vince. Je me rendis à Genève auprès du docteur Odier, vers la fin de l'an 8; je visitai sous ses yeux quelques vaccinés; il m'instruisit, avec une rare complaisance, de la marche de la maladie, et me donna du fil imprégné du virus vaccin en ma présence. | À mon retour, je me hâtai de l'employer sur trois enfans de M. Charles Burnier, Michel, Georges et Anne; j'eus la satisfaction de voir et de suivre la marche de la maladie , en tout con- forme à celle tracée par les auteurs. Dès-lors la nouvelle méthode devint le sujet de toutes les conversations, mais on se décidait difficilement à la recevoir. Malgré l'importance du but auquel clle devait atteindre, elle éprouva long-temps le sort des découvertes dues à l'observation, qui le plas souvent se refusent à toute démonstration et à toute théorie. Elles inspirent en effet une réserve qu'on ne saurait blâmer, qui, pour tout 2 SUR LA VACCINE. 201 esprit non prévenu et de bonne foi, se dissipe peu à peu, à la lueur du flambeau de l'expérience : mais 1l n'en est pas de même pour le commun des hommes, même pour beaucoup de ceux d'un rang élevé, qui, voulant tout soumettre au rai- sonnement, se refusent à tout ce qui se trouve hors de ses étroites limites, sans penser que ce nest que sur des faits bien vus et bien observés que s'élève l'édifice des principes et des vérités dans les sciences physiques et médicales. En effet, toute la science de la vaccine se réduit aux faits suivans : Vacciner un enfant qui na pas eu la petite-vérole, c'est lui administrer un remède simple et innocent, dont les effets sen- sibles et primitifs sont constamment les mêmes, et suivent d'une manière régulière la même mar- che : Premier fait. Après le cours des phéno- mènes vaccins, voir les enfans à l'abri de la pete - vérole, soit par l'inoculation, soit par l'influence des épidémies de ce genre : Second fait. Si la vacine garantit de la petite-vérole, cette dernière, à son tour, rend l'inoculation de la vaccine sans effet. Ces deux principes , aussi inconnus l'un que l’autre, soit dans leur nature, soil dans leur manière d'agir, ôtent à l'homme la susceptibilité d’être infecté par l'un, lorsqu'une fois il a été atteint par l'autre : Troisième fait. Ces faits, constatés par une expérience soutenue, ne deviennent - ils pas des vérités inébranlables 202 PRÉCIS HISTORIQUE que rien ne saurait altérer? Le raisonnement au-dessus duquel elles se trouvent placées, et qui, par-là même, ne saurait les atteindre, loin d'ajouter à leur force, ne peut que les affaiblir et les convertir en opinions ou en hypothèses plus ou moins probables. Cette manière de raisonner sur la vaccine , sur des faits bien établis, fut celle de tous les médecins, et en général des hommes instruits; c’est pour cela qu'en peu de temps ils apprirent tout ce qu'ils pouvaient apprendre à son sujet; quils se hâtèrent partout de la pro- clamer comme préservatif assuré de la petite- vérole, et qu'ils se servirent, pour persuader, de la force de l'exemple, en l'inoculant à leurs pro- pres: enfans. Le peuple, aveuglément soumis à l'empire de l'habitude, qui réfléchit peu , qui se traine servilement sur le chemin quil trouve frayé, sans oser en dévier; imbu d’ailleurs de l'erreur commune à la plupart des hommes de tous les rangs, savoir, que la petite-vérole était essentiellement liée à la nature humaine, que c'était par elle qu'elle s'épurait des prétendus vices et humeurs du premier âge ; qu'attachée à notre existence, nous devions nécessairement en éprouver le cours tôt ou tard ; que c'était enfin aller contre la volonté du Créateur, que de cher- cher à s’en préserver; le peuple , dis-je , repous- sait avec d'autant plus de force le bien fait qu'on lui présentait, que quelques hommes placés au- SUR LA VACCINE. 203 dessus de lui, faits pour le diriger, dignes d'ail- leurs de sa confiance , partageaient la même erreur. $ À cette objection, sans d’autres fondemens que l'ignorance la plus grossière et Fabus de quelques principes respectables , on en ajoutait d'autres tirés du sujet même. Et d'abord , la vertu préservatrice de la vaccine n'était attestée que par le témoignage des médecins étrangers , témoignage inaccessible et sans valeur aux yeux de la multitude. En accordant à la vaccine une vertu spécifique contre la petite-vérole, on crai- gnait le danger d'introduire chez l'homme une maladie prise sur un animal, qui pouvait modifier notre consütution , de manière à la disposer à d'autres maladies jusques-là inconnues, et peut- être plus graves que la petite-vérole même. Il était aisé de répondre à toutes ces objec- tions. Et en effet, il était constaté par l’expé- rience que la vaccine exempte de la petite-vérole, puisque l’'inoculation de cette dernière, et l'in- fluence des épidémies varioliques étaient sans eflet sur tons les vaccinés. On ne pouvait pas même objecter encore que cette garantie pouvait n être que passagère et momentanée, qu'après un temps plus où moins long les effets de la vaccine n'ayant plus d'action, ons devenions de nouveaux sujets à celle du virus variolique. Genner, pratiquant la médecine dans un pays où la maladie des va- 204 PRÉCIS HISTORIQUE ches, en quelque sorte endémique, se commu- niquait fréquemment et depuis des temps immé- moraux , à Ceux qui, n'ayant pas eu la petite- vérole, mettaient en contact avec les pustules vaccinales, en trayant les vaches, quelques par- ties de leurs mains seulement gercées , ou légè- rement ulcéréés ; Genner, dis-je, inocula Ja petite-vérole à plusieurs de ceux qui avaient été ainsi vaccinés , depuis 18, 20, 50 et plus d'an- nées, et toujours sans effet: d’où il a pu conclure avec raison que la vaccine garantit pour toujours de la petite-vérole. Le même observateur ne nous a pas laissé ignorer ce que le temps nous à ap- pris depuis lors, savoir, que les individus vac- cinés par le hasard, à des dates différentes, plus ou moins reculées, n'avaient offert à son examen aucun caractèresparticulier , soit dans leur tem- pérament et leur constitution , soit dans l'ordre et la nature des maladies dont ils pouvaient être atleints. L'introduction de la vaccine excita une sorte d'insurrection, et divisa l'opinion d'une manière bien inégale ; car ses partisans, peu nombreux dans le principe, eurent long-temps à lutter contre ses détracteurs. L'expérience sur laquelle ils devaient s'appuyer pour persuader, leur man- quait par défaut de pratique; cependant, à force de persévérance, de sollicitations et même de sacrifices en tout genre, ils parvinrent peu à SUR LA VACCINE. 203 peu à la faire recevoir. Les premières épidémies de petite-vérole, en épargnant partout les vac- cinés, parlèrent hautement en sa faveur, et lui gagnèrent une confiance moins limitée. Les classes les plus élevées et les plus éclai- rées de la société, se rendirent les premières à l'évidence; mais le peuple, retenu par un déplo- rable aveuglement , resta long-temps sourd à la voix de ses plus chers intérêts ; aussi fut-1il sou- vent victime de son erreur et de son indiffé- rence, en restant exposé à l'influence de la variole, qui, par les malheurs dont elle le frappait, l'obligea enfin d'adopter la nouvelle méthode. Ces premiers succès de la vaccine , ces preu- ves publiques et frappantes de son efficacité , auraient dû dessiller tous les yeux, fixer l'opi- nion, à son égard, et la faire adopter sans répli- que; mais il est des hommes dont l'esprit pré- venu se refuse à l'évidence même, et qui, soit par amour propre, soit par entélement où mau- vaise foi, mettent une fausse gloire à rester iné- branlables dans leur premier sentiment. Ces hommes ne pouvant atlaquer la vaceine dans sa vertu anti-variolique , l'accusèrent injustement de tous les maux qui aflligent l'enfance; de sorte que si un enfant, même plusieurs années après avoir été vacciné , vient à tomber malade , ils vont, avec une sorte de complaisance et de sa- 206 PRÉCIS HISTORIQUE üsfaction, en rechercher la cause dans l'influence de la vaccine , tandis qu'elle se trouve le plus souvent dans les auteurs même de l'enfant. La vaccine, je le répète, garantit de la petite-vérole, mais elle est impuissante contre la cohorte des affections héréditaires , tels que les vices scro- phuleux, dartreux, cachitiques, etc. D'ailleurs, l'observation de tous les temps a démontré que le premier âge est celui de la plus grande mortalité, que le nombre des maladies qui lui sont propres est relativement beaucoup plus grand; que la faiblesse et la mobilité du système nerveux, la délicatesse et l'imperfection des organes , la dentition surtont, sont les sour- ces des maux qui aflligent nos premières années, et semblent s'opposer à notre entrée dans le chemin de la vie. C’est alors, en eflet, que se montrent les convulsions , les diarrhées , les fluxions , les galles, les engorgemens glandu- leux ; la rougeole , la scarlatine , la coquelu- che, les dépôts, et enfin la multitude des phé- nomènes morbifiques, liés à la première den- tition. À combien de reproches ne serait donc pas exposée la vaccine , si l'on avait l'injustice de lui reprocher des maux qui ont existé avant elle, et quelle n'a pas la propriété d'empêcher? Le temps, ce juge impartial qui dévoile et met au plus grand joux les vérités comme les erreurs, a placé la viccine au rang des plus importantes SUR LA VACCINE. 207 découvertes , et l'a partout sanctionnée sous le double rapport de sa vertu et de son innocence. On trouve la preuve vivante de ses heureux ef- fets dans cette nombreuse et brillante jeunesse, dont les traits réguliers, la fraicheur et le poli de la peau, contrastent d'une manière si frap- pante avec ceux des générations qui l'ont précé- dée. C'est elle qui, en peu de temps, a cicatrisé les nomhreuses et profondes plaies faites à 1x génération actuelle de l'Europe, par les mal- heurs des temps d'où nous sortons. La beauté et l'accroissement de la population dans le Duché de Savoie, comme ailleurs, sont évidemment l'ouvrage de la vaccine. Comment pourrait-on avoir quelque donte à cet égard? Ne se rappelle-t-on plus les nom- breuses victimes que faisait annuellement la pe- Ute-vérole, et l'effroi qu'elle portait dans les familles, qui n'étaient rassurées sur la vie de leurs enfans que lorsqu'ils avaient échappé à ces coups, heureux si elle se bornait à sillonner d'une manière plus ou moins hideuse les traits de leur visage ! Un tableau qui retracerait d’une manière exacte tous les bienfaits de la vaccine depuis 20 ans, où seraient exposées en détail toutes les vaccinations faites , qui relaterait les nombreuses épidémies varioliques qu'elle a arrêtées où étouflées à leur naissance, offrirait un ouvrage aussi consolant 208 PRÉCIS HISTORIQUE pour l'humanité qu'intéressant pour l'histoire des découvertes médicales ; mais l'immense quantité de matériaux à recueillir, la difficulté, pour ne. pas dire l'impossibilité de les rassembler , ne saurait permettre une pareille entreprise. Quoi- que membre de tous les Comités de vaccine éta- blis à Chambéry par le Gouvernement précé- dent, je ne puis indiquer que d’une manière gé- nérale, les vaccinations que j'ai faites, mais Je puis et je dois annoncer avec certitude que tous mes confrères du Duché ayant adopté, dès le principe, la nouvelle méthode, ont constamment rivalisé de zèle et de désintéressement dans sa pratique. Vers la fin de Fhiver de 1799, je fus nommé par la Préfecture pour le service d'une épidémie variolique si meurtrière, dans la belle paroisse de Saint-Pierre-d'Albigny, qu'en moins de trois mois elle enleva 508 enfans sur 847 qui étaient à la contracter; déjà l'épidémie s'étendait sur la commune de Frêterive , lorsque je fus prié par M. Dubetier, Maire de cette commune, de vac- ciner deux de ses enfans. La vaccine fut belle et m'en fournit pour vacciner un grand nombre d'enfans, qui tous furent préservés du fléau, ainsi arrêté dans sa course. Au mois d'avril 1800, la commune de Saint- Paul, canton d'Yenne, vit la petite-vérole se développer sur plusieurs points ; Jy portai le SUR LA VACCINE. 209 spécifique, avec le regret de ne pouvoir le com- muniquer qu'à trois de mes neveux , qui seuls furent préservés; je trouvai plus de confiance et de docilité dans les habitans de la commune de Saint-Jean-de-Chevelu, voisine de celle de Saint- Paul, dont tous les enfans furent vaccinés en deux voyages, et ainsi mis à l'abri de la conta- gion qui les menacait. Dans l'automne de 1801, j'arrêtai le cours d'une épidémie variolique dans la commune de Méry-sur-Aix, en y portant promptement la vaccine. Le 16 du mois de mai 1806, je fus appelé au hameau du Villaret, paroisse de Saint-Alban , pour voir le fils aîné du Maréchal Brechet, at- teint de petite-vérole, dont il mourut la nuit suivante; son frère cadet l'avait aussi, mais belle et sans danger. Dans cette même maison était un nourrisson qui la gagna quelques jours après , et en guérit malgré des suites très-périlleuses. IL est bon d'observer que cette maison , placée au centre d’un grand village, était la seule infectée. Pénétré du danger que courait cette belle et po- puleuse commune, je réclamai l'appui de la confiance justement méritée dont jouissait le respectable pasteur, M. Chevallier, qui, dans cette importante circonstance, me seconda si utilement, que je ne trouvai pas le plus léger obstacle , etqu'en pe u de temps 193 enfans fu- rent vaccinés. La petite-vérole, étouffée dans som / 14 210 PRÉCIS HISTORIQUE berceau, ne sortit pas de la maison du maréchal. Au mois de juin 1807, la ville de Chambéry fut attaquée d'une petite-vérole du plus méchant caractère , qui fit quelques victimes dans le fau- bourg de Maché ; la vaccine én limita prompte- ment le cours. L'année dernière (1820), au mois de janvier, le canton de la Motte-Servolex fut menacé de la pe- tite-vérole ; une vaccination générale et très-nom- breuse, faite dans l'établissement de charité fondé par M. le marquis de Costa, l’en préserva en entier. Telles sont les principales épidémies que j'ai combattues avec tant de succès par la vaccine. Je ne parle pas des vaccinations faites sans in- terruption , depuis plus de 20 ans, soit chez les particuliers, soit chez moi, pendant le cours de la belle saison ; je passe également sous si- lence les vaccinations générales , faites de com- mune à commune , sans être réclamées par la présence de la petite - vérole, telles qne celles que j'ai pratiquées pendant l'été de 1815, durant lequel donze communes de l'arrondissement de Chambéry furent successivement , et de proche en proche, vaccinées en entier : St.-Ombre, Voglans , le Bourget , la Motte-Servolex, Saint- Sulpice, Vimines, Bissy, Cognin, Montagnole, St.-Cassien , St.-Baldoph et Entremont, où je terminai mes courses par une vaccination de 297 enfans de tout âge. SUR LA VACCINE. 214 Aujourd'hui que la vaccine est recue avec em- pressement dans les campagnes comme dans les villes, il resterait à déterminer le mode le plus propre à la généraliser uniformément , de ma- nièré que les communes les plus éloignées des chefs - lieux puissent en jouir annuellement , aussi bien que celles qui en sont les plus rap- prochées , et cela avec le moins de peine et le moins de frais possible; pour les membres des Juntes chargées par le Gouvernement de la pro- pager. C’est encore à l'expérience à dicter le règle- ment qui fixerait ce mode d'une manière avan- tageuse et aux vaccinés et aux vaccinateurs. C'est, en effet, par elle que nous savons : 1.° que la méthode de vacciner de bras à bras est la seule admissible, comme la plus prompte, la moins douloureuse et la plus sûre; 2.° que toute autre méthode ne doit être suivie que pour se procurer le virus à l'état frais, lorsqu'une fois on l’a perdu ; 3.° que, quoique la marche de la vaccine dans le développement de ses périodes soit assez constante et régulière , elle présente cependant parfois quelques anomalies, de ma- nière que le temps de la maturité de la pustule vaccinale n’est pas toujours le même. J'appelle maturité de la pustule, lé point où le virus peut être pris et communiqué avec succès ; ce moment, qu'il est important de saisir, varie du huitième an 212 PRÉCIS HISTORIQUE dixième jour de l'inoculation : le neuvième est le terme moyen que j'ai toujours adopté ; car souvent au huitième la pustule n’est pas assez développée , et généralement elle est trop avan- cée au dixième. Ces considérations rendent im- praticable l'article troisième de l'instruction pour la propagation de la vaccine, donnée à Turin le 1. janvier 1820. Cet article fixe d’une manière invariable , de huit en huit jours, les vaccinations périodiques, et suppose que la vaccine est toujours communicable le huitième jour, tandis que ne l'étant que le neuvième, la vaccine communiquée le dimanche ne sera arrivée à sa maturité que le lundi subséquent, et ainsi de suite; de sorte qu'après sept vaccinations , tous les jours de la semaine auront été successivement jours de vac- cine; 4.° que pour conserver toute l'année la vac- cine à l'état frais, c'est-à-dire, par la commu- nication de bras à bras, il faut avoir de grands établissemens ; avantage que les grandes villes peuvent seules fournir, la: population y étant assez forte et assez active pour procurer journel- lement des sujets à vacciner. D'ailleurs, en vaccinant isolément dans le pu- blie, nombre de circonstances peuvent faire per- . dre le virus; l'opération peut être sans effets, ou ne produire qu'une fausse vaccine ; l'enfant vac- ciné peut écraser ou déchirer les boutons ; les parens même peuvent ne pas permettre d'en SUR LA VACCINE. 213 prendre , dans la fausse idée que c'est nuire à l'enfant. De plus , il faut, de la part du vaccina- teur, une attention et une surveillance active pour épier le moment: il se trouve dans une sorte de captivité qui le lie au jour et à l’heure ; 5.° que les vaccinations partielles et isolées faites dans les communes occasionneront toujours aux vacci- nateurs beaucoup de peine, et n'auront jamais qu'un faible résultat ; que les communes des montagnes éloignées des chefs-lieux et d'un abord difficile, ne jouiront jamais des bienfaits de la vaccine, comme par le fait elles en ont peu joui jusqu à présent. De toutes ces considérations il suit que, pour faire participer tous les points du Duché aux avantages de lanouvelle méthode, il ne faudrait... 1.° Vacciner que pendant le cours de la belle saison, comme depuis le mois d'avril jusqu'au mois d'octobre, à moins que la petite-vérole ne vint à se développer, et, dans ce cas, on lui opposerait le spécifique dans tonpesgies saisons. 2.0 Établir, comme on l'a déjà fait dans cha- que province, une Junte de vaccine qui fût assez nombreuse, soit par elle-même, soit par ses cor- respondans, pour pouvoir vacciner, chaque année, toutes les communes composant la province, dont on ferait une exacte division , de manière qu'un nombre déterminé de communes serait confié à chaque vaccinateur. 214 PRÉCIS HISTORIQUE 3.° Au commencement du printemps, chaque vaccinateur voulant commencer ses opérations , porterait la vaccine dans une des paroisses du canton qui lui serait assignée , commencant tou- jours à l’une des extrémités , afin de ne laisser aucune lacune ; il la porterait ou dans des tubes, ou sur du verre, ou de toute autre manière , en assez grande quantité pour pouvoir la communi- quer à huit ou dix enfans, qui lui en fourniraient pour la vaccination générale de toute cette com- mune , que je suppose la commune A. Ce même jour, il fera venir quelques enfans de la com- mune voisine, que j'appelle B, à la vaccination générale de la commune A, pour y être vaccinés, et qui, neuf jours après, lui fourniront la vaccine nécessaire pour la vaccination générale de leur propre commune, c’est-à-dire , de la commune B, et ainsi de suite. Comme 1l est essentiel d’exa- miner les vaccines neuf jours après l'inoculation, afin de s'assurer du succès de l'opération, l'opé- rateur fera J'inspection de tous les enfans de la commune À , le jour qu'il ira faire la vaccination de la commune B. Ces vaccinations générales se- raient annoncées chaque année au commence- ment du printemps, par des circulaires , soit de la part de Mgr l'Archevêque à MM. les Curés, soit de la part de M. l'Intendant ou Vice-Inten- dant à tous les Syndics. L'opérateur, à son tour, préviendrait du jour et de l'heure de ses opéra- SUR LA VACCINE. 215 tons , et pricrait M. le Curé de le faire connaître à ses paroissiens, en désignant le lieu de réunion; il préviendrait en même temps le Curé ou le Syndic de la seconde commune qu'il aurait à vacciner, d'envoyer quelques enfans à la vacci- nation générale de la première commune , pour y prendre la vaccine et en fournir ensuite, neuf jours après , à la vaccination générale de leur propre commune. 4° Ces opérations devraient se faire sous l'ins- pection du Syndic ou d’un membre du Conseil. On aurait un registre sur lequel seraient annuel- lement et nominativement inscrits tous les enfans vaceinés. Le vaccinateur en prendrait, pour son compte, un relevé exact , signé par le Syndic b et qu il déposerait au secrétariat de la Junte dont il serait membre. 5.0 Messieurs les Curés et les Syndies seraient invités à surveiller le développement de la petite- vérole, dont ils donneraient de suite avis à la Junte de leur province, qui, à son tour, inviterait le vaccinateur chargé de la vaccination de la com- mune où se montrerait la petite-vérole, à y porter de suite la vaccine. En proposant ces réflexions sur la manière d'atiliser le plus avantageusement possible le vé- ritable spécifique contre la petite-vérole, je n'ai pas eu l'intention d'attaquer l'instruction donnée par la Junte supérieure de la vaccine, dans la- 216 PRÉCIS HISTORIQUE quelle on reconnaît tout le mérite de la nouvelle méthode, en manifestant le plus vif intérêt à sa propagation. Occupé de la vaccine depuis le moment de sa découverte, j'ai long-temps ré- fléchi sur les moyens propres à la généraliser au point de ne laisser aucune prise à la petite-vérole, qui, avec le temps, et après quelques généra- tions vaccinées en entier, n'aurait peut - être plus d'action sur l’homme, et alors même la vac- cine deviendrait inutile. Pendant plusieurs années on avait trop de préjugés à vaincre, trop de dif- ficultés à combattre, pour se promettre d'arriver promptement à ce but. Il fallait que le temps et l'expérience vinssent constater à tous les Ne l'efficacité du remède, par des faits et des succès multipliés. Aujourd'hui que tout est applani, que la vérité est dans tout son jour, il est de la plus haute importance de ne laisser dans Ja popula- tion aucune lacune qui puisse fournir aliment à la petite-vérole , et pour cela, il n'y a que les vaccinations générales , faites de proche en pro- che, et de commune en commune. Je les ai pra- tiquées plusieurs fois, et toujours avec succès et satisfaction. Maigré le zèle des Conservateurs de la vaccine et des Juntes établies , l'ouvrage restera toujours imparfait, si des réglemens particuliers ne tra- cent pas à chacun, et d'une manière précise, l'étendue des obligations que lui impose sa place: SUR LA VACCINE. 217 car tel est le caractère de l’homme : il fant que les limites de son devoir lui soient connues ; sa tâche ainsi tracée , il la regarde comme sa pro- priété , et alors l'honneur et un noble amour- propre excitent son zèle, et le portent à s’en ac- quitter. D'ailleurs, quoique les habitans de la cam- pagne recoivent Ja vaccine sans difficulté, ils portent à tout ce qui ne touche pas leur intérêt présent et matériel, une indifférence et une apa- thie telles qu'ils ne feront jamais la plus petite démañche ni les plus légers sacrifices pour se la procurer. Il faut nécessairement qu'ils soient pressés par le danger, et encore ne les déter- mine-t-il pas toujours à rechercher le moyen de l'éviter : il faut le leur porter et le leur présenter gratis , surlout dans les communes des monta- gnes éloignées des villes, où la pratique de la vaccine est presque inconnue , et qui servent encore de retranchement à la petite-vérole. % x DOI INIDOIEIO DID COIN MODIIDINC EE NOTE SUR L'ÉMÉTINE, Par M. CarroUD, Pharmacien, Correspon- dant de la Société; (Lue dans la séance du 4 avril 1824.) ne 0e—— Elus un petit nombre d'années, la chimie organique a entièrement changé de face; les tra- vaux de M. Chevreul sur les corps gras, de MM. Pelletier et Caventou sur le quina, etc., ont ouvert une route nouvelle qui conduit cha- que jour aux découvertes les plus importantes, et pour la chimie elle-même, et pour les sciences nombreuses qui sont plus ou moins directement dans sa dépendance. Parmi ces dernières, on peut nommer spécia- lement la Pharmacie ; c’est elle, en effet, qui a le plus profité de l'impulsion donnée à la Chi- mie. Les quinas, l'ipécacuanha, la noix vomique, Fopium, la fausse angusture, la cevadille, et une infinité d'autres substances nous ont cédé leurs principes actifs dans un état d'isolement, qui, en les délivrant des matières inertes (ou presque telles pour le plus grand nombre) , dont la na- ture les enveloppait, permet d'étudier complè- tement leur mode d'action et sur l'homme malade NOTE SUR L'ÉMÉTINE. 219 et sur l'homme en santé : ainsi quelques grains des sels de quinine ou de cinchonine (1) dans les fièvres intermittentes les plus rebelles, des atomes de morphine, de strychnine, de brucine, d'émétine , produisent des effets qui paraissent hors de toute proportion avec leurs causes. Mais ce n'est pas seulement sous le rapport de la curiosité scientifique que nous devons nous arré- ter ici. D'autres points de vue bien plus impor- tans réclament notre attention ; la diversité des espèces végétales dans chaque genre, le moment de la récolte, le plus ou moins de soin que l'on y met, faisant varier considérablement la force de la plupart des médicamens que nous livre le commerce , ceux-ci trompent trop souvent l'at- tente du médecin et l'espérance du malade. 11 devient donc évidemment du plus haut in- térêt de remplacer l'emploi, souvent incertain , de la majeure partie des végétaux doués de gran- des propriétés, par l'usage fixe et constant de leurs principes actifs. D'ailleurs, en isolant ainsi ces derniers, on peut à volonté les associer à une (1) J'ai fait insérer dans le Journal, de Savoie, en 1822, une Note concernant la cinchonine, prise à l'état de pureté et salifiée dans l'estomac. Depuis , j’ai reçu des lettres de plusieurs médecins, qui ont confirmé les ré- sultats obtenus dans le principe par MM. Caille et Carron, médecins d'Annecy. 220 NOTE foule d’excipiens qui les dirigent et les modifient suivant toutes les indications que comportent les maladies, les âges, les sexes et les tempéramens. Mon état et mes goûis m'ont imposé l'obliga- tion de süivre de mon mieux la marche de la science dans cette partie. Mes travaux n'ont pas été tout-à-fait imfructueux. Quelques-uns ont été accueillis par la Société de Pharmacie de Paris et insérés dans son Journal ; plusieurs ne sont pas achevés, et d'autres qui le sont n’ont pas encore été publiés. Je me propose d'en soumettre le résultat à la Société Académique de Savoie, en plusieurs Mémoires, si elle veut bien agréer cet hommage et le recevoir favorablement; d'ailleurs, elle n'oubliera pas que ce sont essentiellement des données pratiques, réduites iei à leur plus simple expression, et que je m'abstiens de toutes con- sidérations théoriques et hypothétiques qui don- neraient plus d'agrément à mes Mémoires, mais qui présentent trop de chances aux divagations et à l'erreur. PROCÉDÉ. Celui de MM. Pelletier et Magendie, le seul à ma connaissance qui ail été publié, et que pat suivi jusqu'à cette année, où, après diverses ten- tatives et la méditation des ouvrages des savans qui nous ont ouvert celte nouvelle carrière , J'ai. été conduit à modifier leur procédé ; celui, dis-je, SUR L'ÉMÉTINE. 221 de MM. Pelletier et Magendie, consiste à épuiser l'ipécacnanha par l'éther soumis à l'action de la chaleur , ensuite à le traiter par l'alcool fort et bouillant qui dissout le gallate d'émétine et les autres principes solubles; on distille ensnite. La matière restée dans le bain-marie, évaporée presque à siccilé, est dissoute par l'eau froide ; elle abandonne par ce moyen un peu de cire et de matière grasse; le liquide est traité par la magnésie en excès, qui décompose le gallate d'émétine, se combine avec la matière colorante; et l'on reprend l'émétine sur l'alcool rectifié. (Voyez, pour plus de détails, les écrits des an- teurs de cette préparation). Voici maintenant la modifeation que je pro- pose et que j'ai réitérée plusierirs fois avec succès. Prenez cent. vingt-cinq grammes de la partie corticale de l'ipécacuanha réduite en poudre, et la délayez dans huit cents grammes d’eau, préa- lablement aiguisée pax seize grains d'acide sui- furique : portez le mélange à l'ébullition, ek main- tenez-le un peu au-dessous de cette température pendant une demi-heure , en agitant continuel- lement avec une spatule de bois; versez ensuite le tout dans une terrine de grès qui présente le plus de surface possible. Laissez refroidir celte décoction acidulée, et ajoutez-y cent vingl-cinq grammes de chaux en poudre, on réduite en cousistance de gelée par 293 NOTE suffisante quantité d'eau; faites sécher à l'étuve ; sans que la température dépasse cinquante degrés de Réaumur. Pulvérisez la masse, qui est un composé de sulfate de chaux , de gallate de la même base, de matière grasse et colorante combinée avec l'excès de chaux, de l'émétine libre , de la fé- cule et du ligneux. En la soumettant à l’action de l'alcool (à 56 ou 38 ) houillant , il dissoudra l'émétine avec très-peu de matière étrangère; en- suite on l’obtiendra par l'évaporation de l'alcool. Pour l'isoler entièrement et la blanchir, dis- solvez - la dans de l'eau légèrement acidulée , traïtez-la par le charbon animal très-purifié ; fil- trez la dissolution, que vous concentrerez convena- blement; saturez l'acide par l'ammoniaque faible; filtrez, lavez avec un peu d’eau distillée, et laissez sécher le résidu sur le filtre, à la température ordinaire et à l'abri de la lumière : ce sera enfin l'émétine pure. Pour obtenircelle qui reste dans les eaux mères et de lavage, suivez les conseils de M. Pelletier, (Formulaire Magistral , article Émétine). Ainsi, en me résumant, le procédé que j'ai l'honneur de vous soumettre, diffère essentielle- ment de celui de MM. Pelletier et Magendie. Sous le rapport de l’économie, je supprime l’éther, dont la quantité était de huit à dix fois le poids de l'ipécacuanha : pour l'épuiser par l'alcool, il SUR L'ÉMÉTINE. 223 en fallait jusqu'à vingt fois et plus; et les mêmes traitemens que je propose avaient lieu ensuite, pour obtenir les mêmes résultats. J'espère done que la Société Académique voudra bien en pren- dre date et le consigner dans ses Mémoires. LOIDNIODNIDIO PIIINIOOIIDNOOMDNODIIOONN DOC 13 NOTICE SUR LA Recherche de monumens antiques en Savoie , par M. le Général Comte de LOCHE (1). (Lue dans la séance du 11 mars 1821.) —"$ ;:50m—— Pa restes des monumens antiques connus dans notre patrie, annoncent assez combien elle doit être riche en pareilles dépouilles. On sait d’ail- leurs que l’Allobrogie fut occupée par les Ro- mains long-temps avant la conquête des Gaules. Les mœurs et les usages des vainqueurs furent établis plus tôt en Savoie; ce qui donne aux monumens de ce dernier pays une sorte de droit d'ainesse. Il suffit d'ouvrir les Commentaires de César pour voir que les succès du conquérant n'eurent lieu qu'à la faveur de l'occupation du pays des Allobroges , dont une partie vers le Nord lui procura les moyens de résister aux Suisses. Ce | (1) Membre de l’Académie Royale des Sciences et de la Société Royale d'Agriculture de Turin, de la Société de Physique et d'Histoire Naturelle de Genève, et de la Société des Naturalistes de la même ville. NOTICE SUR LA RECHERCHE, ETC. 92h fat encore par le Nord de la Savoie, que son lieu- tenant Galba se retira du Vallais, d’où son armée avait été chassée par les habitans, et qu’elle trouva le repos et la sûreté chez les Allobroges. On pour- rait ajouter à ces faits ceux du passage d’Anni- bal, et d’autres souvenirs auxquels viendraient se rattacher les documens que fourniraient des re- cherches pour l'histoire de notre antique patrie. En consultant les ruines déjà connues , l’art de bâtir peut y trouver les sages lecons de l’expé- rience : par exemple, pour la confection des bri- ques, dont l'art est fort négligé dans nos contrées. Celles de différens volumes que l'on trouve aux an- ciens bains d'Aix, sont plus ou moins mélangées de mica, en raison de leur volume respectif. IL n'est pas jusqu à l'art de guérir, ou de soulager l'humanité souffrante, qui n'ait, dans la construc- tion des antiques bains, des exemples touchant les moyens d'exposer à la vapeur plus ou moins énergique de leur gaz, les corps des infirmes. Les documens que renferment les ouvrages de Pingon, de Guichenon et de quelques autres écri- vains , fourmillent d'erreurs à rectifier ; ceux d’Al- banis Beaumont présentent en outre des conjec- tures trop audacieusement hasardées. Pour moi, je ne connais que le seul Abauzit qui ait fourni des notions exactes dans toutes leurs parties ; mais il est à regretter qu'elles soient en trop pelit nombre. 15 226 NOTICE SUR LA RECHERCHE IL se présente souvent l’occasion de faire des découvertes qui restent perdues pour la science, parce que les objets mis au jour par l'effet de quel- ques éboulemens naturels, par les travaux des cultivaieurs et de tous ceux qui excavent le sein de la terre, sont toujours la proie d'une cupidité aveugle. Je pourrais rapporter plus d’un fait de ce genre dont j'ai été témoin. Ces motifs me conduisent à proposer à la So- ciété Académique de tenir compte des découvertes dues à quelques circonstances : ce qu'elle ne pour- rait exécuter que par le moyen de ses Correspon- dans. Il suffirait qu'ils fussent placés dans les en- droits les plus convenables, et qu'ils eussent soin de noter quelle sorte d'objets ont été trouvés, comme médailles, idoles , inscriptions , etc., et d'en donner avis à la Société. Ces seules notices seraient déjà un grand pas, puisqu'il ne s'agirait que d'apprécier la valeur de ces objets et de la consigner dans un registre particulier. Une ins- truction courte et simple suffirait pour diriger ces mêmes Correspondans. Les voies romaines qui traversent la Savoie, et surtout celle qui, de la Haute-ltalie , parcourt la Tarentaise, parvient à l'ancien Lemnicum, et de là dans les Gaules, présentent une chaîne de positions militaires sur lesquelles furent placés des tours ou des châteaux, dont les ruines recè- lent souvent des restes de monumens romains que DE MONUMENS ANTIQUES EN SAVOIE. 227 le hasard met au jour. Ceux-ci, quelquefois mu- ülés, ne portent pas ordinairement l'empreinte de la lente destruction produite par l'action de l'air, mais seulement les efforts de la hache de la barbarie. Ce fait indique déjà que l’époque de la construction de quelques -uns de ces châteaux n'est pas fort éloignée de celle où les ennemis du nom romain ont poussé leur haine jusqu'à en- sevelir ce que toute leur rage n'avait pu détruire. En tenant compte de ce que j'ai eu l'occasion d'avoir sous les yeux, plusieurs morceaux se sont présentés comme plus ou moins curieux ; j'en pré- sente dans cette Notice, qui sont encore inédits. On a découvert, l'été dernier, près des ruines du château de Grésy-sur-Aix, la partie princi- pale d'un monument, très-bien conservée, et sur laquelle on lit l'inscription suivante : TATILIVS PRISCIANVS RVFINVS MATRI PIISSIMAE-ET VNICI-EXEMPLI. La forme des lettres est d’un bon temps, c'est- à-dire, d'une époque fort rapprochée du règne d'Auguste. La hauteur des lettres est d’une once 228 NOTICE SUR LA RECHERCHE et demie (1). L'inscription est gravée’ sur une face d'un parallelépipède de roche calcaire, de la carrière qui est au Midi de la ville d'Aix, d’où ce bloc (d'environ 4o à So quintaux) a été tiré. Ce parallelépipède a deux pieds, quatre onces de hauteur (environ 3 p. 8 p. de roi), sur un pied, six onces de large (environ 2 p. 4. p. de roi), et un pied, six onces d'épaisseur. C'est-à-dire, que la dimension de la largeur est la même que celle de l'épaisseur. On voit, au milieu de chaque face supérieure et inférieure, un trou pratiqué dans le bloc, d'environ deux onces d'ouverture , destiné à recevoir une tige de fer qui lait ce bloc à d’autres pièces, de manière à indiquer qu'il a été porté sur un socle et surmonté d’un couronnement; ce qui indique un monument sépulcral destiné à étre vu isolé. On fait observer que cette inscription ne com- prend ni date, ni aucune des formules ordi- naires ; telle que Dis manibus , ou autre ex- pression tumulaire. Mais d'après la seule forme du bloc, on ne peut que présumer un monument sépulcral , puisque la piété filiale de Tatilius Priscianus Rufinus s'est plu à rendre ainsi un (1) L’once est la douzième partie du pied lipranæ, qui vaut 514 millimètres (1 pied de roi, 6 pouces, 11 lig.); l’once vaut ainsi 1 pouce, 7 lignes, DE MONUMENS ANTIQUES EN SAVOIE. 229 témoignage public à sa mère trés-pieuse, et d'un exemple unique. La réticence du nom de cette mère a d'autres exemples analogues dans le style lapidaire, dont la briéveté et l'énergie sont les premières lois. D'ailleurs le nom Pris- cianus, qui se retrouve dans un fragment d'in- scriplion, sur une pierre employée au mur de l'église voisine des ruines du château, où l'on lit: AA RISCIONT * indique ici plusieurs monumens de la même famille. Des recherches faites dans la ville de Cham- béry et ses environs ne m'ontencore fait découvrir que des débris trop mutilés pour fournir des no- tions précises. Parmi ces débris il en est un dont on peut tirer induction qu'il a existé des monu- mens remarquables sur le sol de l’ancien Lem- nicum. C'est un bloc déposé dans le jardin de la Bibliothèque publique. On y voit une sorte de table grande et fort épaisse, de roche calcaire. Sa longueur est de quatre pieds, quatre onces (en- viron 6 p. 6 p. de roi), sur deux pieds , sept on- ces (3 p. 8 p.) de hauteur. Ce carré-long, ou plutôt carré - large, parce qu'il présente une in- scription dans le sens de sa largeur, n'est pas taillé de tous les côtés. La face opposée à celle de l'inscription est restée brute et inégale, ce qui démontre que cette table a été placée contre un 230 NOTICE SUR LA RECHERCHE mur auquel elle a été liée, et que peut-être elle a fait partie d'un grand monument. Quoi qu'il en soit, on ne saurait assigner quelle est précisé- ment son épaisseur, vu l'inégalité de la face restée brute. Cette table a reçu une inscription romaine, entourée d’une moulure qui saillit sur le plan où les lettres furent gravées. Cette moulure saillante est de bon goût; elle indique un soin d'exécution que l’on ne rencontre qu'aux grands monumens. Mais l'inscription romaine a disparu; le tailleur de pierres l’a effacée, à la hâte sans doute, puisqu'il a laissé subsister ça et là quelques traces de let- tres romaines, et notamment vers l'angle supé- rieur de la droite ces lettres entières : + MEM:-ET .., qui terminaient la première ligne, ce qui sem- ble annoncer le mot memoria. D'où l'on est autorisé à conclure que l'inscription a appartenu à quelque monument de considération. On voit que cette inscription a été mutilée pour faire place à une autre plus moderne qui, quoique fort honorable pour le temps et pour les magistrats municipaux qui l'ont fait graver, et devenant même utile pour l'histoire moderne, ne saurait néanmoins excuser ceux qui ont fait mu- tüler l'ancienne inscription. On voit, à peu de distance de cette ville, les restes d'un réservoir, dont la forme et l'exécu- DE MONUMENS ANTIQUES EN SAVOIE. 23 tion paraissent annoncer un ouvrage romain. Ils gissent au pied du mamelon sur le sommet du- quel est l’église de La Ravoire, du côté du Nord-Est. Des excavations faites par le proprié- taire du sol ont mis à découvert trois enceintes quadrangulaires jointes ensemble sur la même ligne. Celle du milieu a été manifestement un réservoir : on y voit encore un canal de trois ou quatre onces de vide, très-solidement construit. Il est élevé d'environ six pieds au-dessus du fond du réservoir qu'il alimentait. On voit, à la même hauteur et à côté du canal, le seuil d’une porte qui paraît avoir été placée pour entrer dans ce réservoir , dont la voûte n'existe plus. Ces trois enceintes contiguës ont été enfouies dans un sol à pente inclinée, dans une terre cultivée , de manière que la partie la plus basse des cloisons qui forment ces enceintes , a pres- que entièrement disparu; tandis que , du côté opposé, les poussées des terres en ont enseveli une autre partie. La dégradation des murs de refend est aussi plus prononcée vers le bas de la pente. On distingue néanmoins très-bien l'é- tendue de ces trois pièces divisées par deux murs. Celle du milieu, désignée sous le nom de réser- voir, a de longueur à peu près quatorze pieds (21 p. de r.) et douze pieds (18 p.der.), de large. Les pièces latérales ne diffèrent qu'en lar- geur. Celle du côté de l'Est n’a qu'environ six 232 NOTICE SUR LA RECHERCHE pieds (9 p. de r.); mais celle du côté du Nord excède en largeur la pièce intermédiaire, ayant environ quatorze pieds (21 p. de r.), ce qui la rend carrée, ainsi que le fait voir cette figure. » - — — E D B A C À, réservoir. B, pièce latérale à l'Est. C, piece latérale au Nord. D, canal par où l’eau était introduite. E, seuil de porte. Les murs qui forment ces trois pièces sont construits par assises de deux ou trois onces seu- lement de hauteur, composées de moëllons de diverses sortes de roches et d’éclats de briques , parfaitement liés avec du mortier. Cette sorte de construction est bien connue pour être romaine. La pièce A est encore revêtue en grande partie d’un enduit de ciment composé de briques pi- lées, de chaux et d’une certaine quantité de sable ; sans qu'il y ait indice d'aucune autre substance , ainsi que l'a prouvé l'action des dissolvans aux- quels ce ciment à été soumis par M. le professeur de physique Saint-Martin , Membre résidant de la Société, qui a obtenu le résultat suivant : DE MONUMENS ANTIQUES EN SAVOIE. 233 Quatre onces de ciment ont donné : CET SMS RP... CONS 7 Eros NP ENORME SERRES CT Sable qUartrete ete ENRRP er a Rotale 4318 8 PART OU « Le ciment, dit-il, se brisait avec facilité, » et se dissolvait difficilement dans les acides, » dont l'action à la surface du ciment dégageait » beaucoup d'acide carbonique absorbé avec le » temps par la chaux, puisque le centre du mor- » ceau ne produisit que très-peu d'effervescence. & Il parait que la brique seule ne pouvail pas » contenir autant de sable siliceux ; par consé- » quent ce sable aura été mélangé à la brique » pilée. » Ce qu'on vient d'exposer sur la nature du ci- ment, et la structure des murs destinés à le rece- voir, s'annonce déjà comme un exemple des soins tout particuliers qu'employaient les Romains pour la conduite des eaux. Si l'analyse du ciment ne prouve pas l'avantage d’une grande dureté, on peut voir, par les échantillons que je place sous les yeux des Membres de la Société, qu'il a élé revêtu par la nature d'un dépôt pierreux formé par les eaux ; que cette concrétion ajoute à la solidité de l'enduit, qu'elle devient une nouvelle couche imperméable, enfin que l'art consistait à faciliter la formation de cette concrétion : ce qui 234 NOTICE SUR LA RECHERCHE est connu par l'examen qui en a déjà été fait, et par les citernes que l’on voit à Alexandrie, con- struites depuis près de deux mille ans, ainsi que par bien d’autres constructions de ce genre. Après ce qu'on vient de dire du ciment romain comme ayant revêtu la pièce intermédiaire dé- signée sous le nom de réservoir A , il me reste à faire mention des deux pièces latérales. On à vu que la structure des murs de celles-ci est la même, et qu'ils furent sans doute enduits de ci- ment; mais il a presque entièrement disparu, et l'on n'y en voit que quelque peu; ce qui paraît indiquer que l’eau qui aura été déposée dans ces pièces n'aura pas produit autant de concrétions, dont l'absence ou le peu d'épaisseur ont favorisé la chute du ciment. On peut conjecturer que l’eau n’entrait d'a- bord que dans la pièce À, où elle se dépurait en y déposant la plus grande partie de la chaux car- bonatée qui s’y concrétait en formant une croûte sur les parois de cette première pièce : qu'ainsi pu- rifiée en majeure partie, elle aurait été transportée dans les pièces latérales, où les dépôts auraient été moindres. Ici je termine toute conjecture , et en rappelant que cet assemblage de plusieurs divisions dans les anciens monumens hydrauli- ques , tels que citernes et autres, ne sont pas sans exemples. D'ailleurs les principes qui les ont dirigés se trouvent ainsi dans Vitruve au Liv. DE MONUMENS ANTIQUES EN SAVOIE. 255 VIII, ch. VII, où, lorsqu'après avoir décrit les différentes sortes de moyens de conduire l’eau, il s'exprime ainsi : & Cum venerit ad mœnia, effciatur castellum , » et castello conjunctum ad recipiendum aquam » triplex immissarium , collocenturque in Cas- » tello tres fistulæ æqualiter divisæ intra recep- » tacula conjuncta, uti cum abundaverit ab ex- » tremis in medium receptaculum redundet. Ita » in medio donentur fistulæ in omnes lacus et » salientes. » D'après ce texte, les ruines du monument hydraulique que l’on a découvert à La Ravoire , appartiendraient à un château d’eau (castellum) , et ces trois divisions seraient des réservoirs (re- ceptacula). —( Voyez Pline, iv. xx, ch. 1). Un monument de ce genre laisse désirer, entr'autres indications, que la direction du canal qui y apportait l'eau püt être bien connue, ce que d'autres circonstances peuvent suppléer , comme aussi des indices d'habitations ou d’autres édifices, dont le voisinage avait déterminé la con- struclion sur un mamelon, où il n'existe pas de fontaine , mais seulement un puits. « Les ouvrages de ce genre construits par les » Romains, ont une perfection qui devrait les 5 faire prendre pour modèles (Hillin, Diction- naire des beaux-arts, au mot Citerne). » Les ruines que l'on vient de décrire ne complètent pas les notions que l'on pourrait en tirer, puis- »36 . NOTICE SUR LA RECHERCHE , ETC. qu'il reste encore à découvrir le canal qui con* duisait l'eau, pour le suivre dans sa direction, et peut-être d'autres particularités utiles à connaître et que des circonstances peuvent mettre au jour. Il serait important de réunir des exemples ana- Jogues , afin d'en profiter, soit pour les villes, bourgs et autres habitations où l’on n'a que des eaux séléniteuses , comme sont les lieux voisins des marais, tels que le site de La Ravoire, à côté des marais de Challes; tel est Albens, où la bifurcation des routes d'Annecy et de Genève, fait maitre un village chaque jour plus considérable ; 11 fut une wi/la romaine, et l'on y voit des res- tes remarquables d'un bel aquéduc souterrain. Combien les citernes des forteresses ne rece- vraient-elles pas d'avantages, si l'on y appliquait les procédés des Romains, lorsqu'elles sont pla- cées sur des sites élevés , ordinairement privés de fontaines ! On ne saurait réunir trop de lumières pour procurer de l'eau saine et en grande quan- tité, à ceux qui peuvent être exposés à ne pou- voir en puiser que dans l'enceinte qu'ils doivent défendre. CONCLUSION. J'aitâché, dans cette Notice, de faire pressentir que l'étude de l'archéologie, considérée sous les rapports d'utilité publique , nest point une science oiseuse , et qu'elle a tons les droits d’ob- tenir une place dans les travaux de la Société, qui n'a pour objet que les avantages de la patrie. HO NIOOINOCNCONOIONONOC I NIOCICDNIOOECDHE NOTICE SUR LA VALLÉE D'AOSTE ; Par M. le Général Comte de LOCHE. (Lue dans la séance du 2 juillet 1824.) —__ 2" Ce——— Nora. On n’a point abordé dans cette Notice ce qui appartient à l’histoire militaire ni à la guerre de poste, dans une vallée que la nature a fait le plus fort boulevard du Piémont. On a passé sous silence les personnages illustres de ce pays, soit parce qu’il n'en est que parmi les ceclésiastiques, tels que saint Anselme, docteur de l'Église, un Pape et des Évêqnes, placés au nombre des saints, soit à cause de l’isolement où est cette contrée, qui s'oppose aux communications nécessaires à ceux que la nature a formés pour s’illustrer dans les lettres ou par d’autres voies. Plusieurs autres sujets ont été omis. GÉOGRAPHIE. Montagnes et rivières. Le Duché d'Aoste occupe dans le sein des Alpes une place remarquable. Il est situé dans cette partie de la grande chaîne qui, depuis la Médi- terranée, court vers le Nord et forme une sinuosité sensible pour se diriger vers le Nord-Est. Cette si- nuosité ou flexion du sommet de la chaîne est signa- lée par le pic du Mont-Blanc. Une suite d’autres 258 NOTICE pics très-élevés, enchaînés entr’eux, circonscrivent tout le territoire de ce Duché. Les plus distingnés appartiennent au Mont-Rose, au Mont-Cervin , au Grand-St.-Bernard, au Mont-Blanc, au Cra- mon, au Mont-lseran , au Nometon et au Mont- Soance. Ce dernier termine l'enceinte par des chai- nes secondaires qui se confondent avec celles du Mont-Rose, entre lesquelles là Doire s'est frayé une issue pour se joindre au Pô. Cette enceinte est fort irrégulière dans sa largeur; mais elle est bien moindre que sa longueur, qui, en ligne droite, depuis le Mont-Blanc jusqu'aux confins du ter- ritoire d'Ivrée , est de quarante-cinq milles de Piémont. Circonscrite ainsi de tous côtés par les enchainemens de ces pics, cette vallée est sépa- rue du Val-de-Sesia par le Mont-Rose, du Vallais par le Mont-Cervin , du Faucigny par le Mont- Blanc, de la Tarentaise par le Mont-Iseran , et de la province d’'Ivrée par le Mont-Soane. Au milieu de cette vaste enceinte, la Doire, qui en reçoit toutes les eaux, serpente dans toute sa longueur. Elle reçoit dans son origine toutes celles qui, du côté de l'Italie, s’écoulent du Mont- Blanc sur une étendue d'environ quinze milles, dans les vallons de l’Allée-Blanche et du Ferret. Elle s'accroît ensuite, dans son cours, par le tribut d'une multitude de torrens, dont quelques- uns ont formé des vallées secondaires dans les- quelles se voient quelques villages et hameaux. SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 239 Entre ces torrens se distingne l'impétueux Butier, qui descend du Grand-St.-Bernard. La Doire (on a dans la Savoie une rivière de ce nom}, a un nom Celte d'origine, qui signifie en général ri- vière; il est ici spécifié par l'addition de Baltée (Doria baltea), pour distinguer cette rivière de la Doria riparia, dont la source est au Mont- Genèvre. À chaque jonction de ces torrens avec la Doire , on observe des atterrissemens , ou pe- ütes plaines, dont l'étendue est en raison de l'impétuosité et du volume de ces mêmes torrens. La plus considérable de ces plaines se voit à la réunion du Butier : c’est sur celle-ci que fut construite la Cité, capitale de la province. Parmi les améliorations à désirer pour ce pays, celui de fixer le cours de la Doire dans la plaine où,gît la Cité, aurait de grands avantages : la conquête de quelques milles carrés d’un sol très- fertile, le dessèchement d'une vaste étendue de marécages et la salubrité de l'air. ANTIQUITÉS. Monumens romains. La Cité a été fondée par les Romains, sur un sol où n'était pas une prétendue capitale des Salasses, mais sur lequel Varron établit un camp de deux légions. Ce camp fixe (statarium) de- 240 NOTICE vint ensuite une ville régulière et fort embellie, sous le règne d'Auguste, dont elle porte le nom. On y voit presqu'en entier un bel arc de triom- phe, d'ordre Corinthien , dont l’entablement apparent au Dorique ; une majestueuse porte prétorienne, formée de trois arcades , dont les deux latérales servaient pour les gens à pied, et celle du milieu, plus large, donnait passage aux chars et aux voitures. [intervalle de quelques cents pas entre ces deux monumens, placés en face l'un de l'antre , maintenant occupé par le quartier de S£. Ours, était une magnifique ave- nue de la ville d'Auguste, sur la route de Rome : ces deux monumens en formaient les deux ex- trémités. Ils sont construits en poudingue d'une sorte particulière et revêtus d’un beau marbre. La Cité est enceinte de murs romains , dont on voit de beaux restes. Ils ont été construits sur la place même où avaient été les retranchemens qui enveloppaient le camp, qu'ils remplacèrent, pour former, non des fortifications avec des tours, ainsi que pour les villes de guerre du premier ordre , mais seulement pour résister à un coup de main. La ville eut ses rues tracées sur un plan régulier, à l'instar de celles du camp. La Cité formait alors le carré-long déterminé par ces murs. On doit voir les beaux restes d'aquéducs qui, comme ceux de l’ancienne Rome, nommés cloaques , circulaient sous les voies publiques, SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 241 pour la propreté et la salubrité des habitans. On y admire des restes très-précieux d'un beau cir- que ; leur conservation est due à ce qu'une partie a servi de noyan à un ancien monastère de reli- gieuses : cisconstance d'autant plus remarquable, qu'il est assez probable que sur le même sol aura coulé autrefois le sang des Chrétiens livrés aux bêtes féroces, et peut-être celui de quelques-uns des soldats de la légion Thébaine échappés au massacre qui eut lieu dans le Vallais. On peut considérer le sol actuel de la Cité comme un vrai magasin de médailles , de vases, d'inscriptions antiques (1). Une voie romaine parcourait toute la longueur de cette vallée jusqu'à la Cité, où elle se bifur- quait, d'un côté, vers les Alpes grecques (Petit- St.-Bernard), de l’autre, vers les Alpes-Pennines (Grand-St.-Bernard). Cette voie fut construite sous le règne d'Auguste; on voit encore plusieurs ponts romains qui lui ont appartenu. On admire à Donaz, l'un des bourgs de cette vallée, une coupure faite à un rocher pour cette même voie, sur laquelle est encore une colonne milliaire. Cette voie, comprise dans la table de Peutin- (1) L'auteur de ces Notices a fourni aux Mémoires de l'Académie Royale des Sciences de Turin des détails iné- dits ; accompagnés de planches et de monumens. 16 2/2 NOTICE ger, a été savamment expliquée et appliquée au sol actuel, par M. J. Darandi. (V. Piemonte Cispad. Alpi Graie e Pennine. Tur. 1804). œ Monumens du moyen âge. À la construc tiondes monumens romains a succédé celle d’une multitude d'édifices du moyen âge. Il est intéressant de visiter jusqu'aux ruines des nombreux châteaux et des tours disséminés dans la province, ainsi que la vaste étendue des souterrains de quelques-uns, et tout ce qui appar- tient au goût de ces temps. Plus qu'ailleurs on peut y étudier quelque chose des beaux siècles de la chevalerie. La Cité même témoigne , par ses ruines, la protection que les hauts personnages d'alors accordaient à leurs serfs, c’est-à-dire, à leurs protégés. La ville d’Auguste fut entièrement dépeuplée par l'effet des invasions des barbares, qui, non contens d'avoir exercé leur rage sur les monumens publics , avaient forcé les habitans à abandonner la Cité. Alors les seigneurs de ces temps se répartirent entr'eux toute l'étendue de l'enceinte ; chacun d'eux construisit un château sur une partie de cette même enceinte. La force et la capacité de ces châteaux furent proportion- nées aux vues ou aux ressources de chaque cons- tructeur, ce qui produisit les différences que l'on voit entr'eux. Ces seigneurs se chargèrent ainsi de SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 243 la défense de la ville; sous cette protection, on vint construire, sur un tas de ruines, un assem- blage d'habitations fort irrégulières. L'état actuel de cette enceinte , où les ruines romaines sont confondues avec celles des temps féodaux, est très-bien signalé, quoique par des traits abrégés, dans l'ouvrage si plein d'intérêt, intitulé : Le Lépreux de la Cité d'Aoste. HISTOIRE. Salasses, Romains. Les Salasses , sur l’origine desquels on a ré- pandu bien des fables , étaient , selon Pline et Strabon, une colonie de RE Ils ne nous sont connus que par les écrits des Romains. Leur histoire ne commence donc que dès le mo- ment où le territoire des Salasses se trouva voisin des armées de Rome. Après la conquête de la Ligurie, ils furent bientôt en guerre ouverte avec les vainqueurs , puisque, l'an de Rome 610, ou 145 ans avant l'ère vulgaire , ils furent attaqués et battus par le consul hui Claudius. Pour les contenir, on dut établir une colonie au dé- bouché de la vallée d'Aoste, c’est-à-dire, à Ivrée. Cette défaite ne produisit pas néanmoins leur soumission. Les Salasses abandonnèrent le fond de Ja vallée, et restèrent maîtres des montagnes 244 NOTICE où ils se réfugièrent. Delà , ils saisissaient Îles occasions favorables pour tomber sur les troupes romaines, jusqu'à s'emparer de la caisse de Jules- César , et à faire contribuerun corps de troupes conduit par Messala. Cette guerre, suspendue cependant par quelques trèves, ne se termina que par l'entière destruction des Salasses, qui eut lieu 143 ans après la victoire d'Appius (l'an 1.7 de notre ère). Le nombre des prisonniers vendus comme esclaves fut de 36 mille, sans y comprendre 8 à 10 mille en état de porter les armes, et qui restèrent attachés aux Romains. Des Prétoriens, au nombre de 3 mille, qui avaient reçu en partage les terres des Salasses, et des étrangers se joignirent successivement à eux. Sous les Empereurs. Avant l'invasion des Francs, des Bourguignons et des Goths, et sous le règne de Constantin, la Cité (dont le nom Augusta pretoria peut indi- quer sa suprématie) , a été probablement la mé- tropole de la province des Alpes Grecques et Pennines , c’est-à - dire , de la Tarentaise et du Vallais, et elle a eu un préfet du prétoire. Il est vrai que le nom de la métropole de cette province des Gaules disparaît dans la Notice des provinces. Cette soustraction d'une métropole ‘pour une province , d’ailleurs comprise dans la SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 245 notice, indique l'époque où les événemens poli- tiques déchiraient l'empire, dont les lambeaux ne pouvaient plus coïncider avec la division qui avait assigné la Cité, quoique au-delà des Alpes, pour chef-lieu de la province. La vallée d'Aoste, envahie par les Lombards, passa ensuite sous les rois de Bourgogne. Charlemagne la rendit à l'Italie. Dans le neuvième siècle , on la vit sou- mise à l'empereur Arnoul , dont le règne finit en 899, époque suivie de nouvelles incursions des peuples du Nord, qui n'épargnèrent pas la Cité , ainsi que le rapporte Besson. (V. Hém. pour l'hist. ecclés., 1759, pag. 267). Vers l'an 923, cette province fut de nouveau réunie au royaume de Bourgogne. Maison de Savoie. Enfin, l'an 1024, le comte de Maurienne Humbert I. était alors souverain du pays d'Aoste, ce qui est maintenant bien prouvé (V. Durandi, Loc. cit., pag. 7). Dès-lors, cette province a été une partie des Etats de la maison de Savoie, dont elle est par conséquent un des plus anciens domaines. Nos princes ont accordé à ce pays divers pri- viléges et concessions. En 1190, le comte Thomas l'affranchit de toute exaction forcée. Cette province fut érigée en duché, l'an 1258, 246 NOTICE sous Amédée IV. Le Comte Aimon lui accorda certains priviléges auxquels ses successeurs en ont ajouté d'autres. Eloignée et séparée dans les premiers temps des provinces de Maurienne et autres , la vallée d'Aoste a conservé long-temps, sous nos princes, une forme de gouvernement particulier. Elle a eu un baïlli, dont la charge rénnissait l'autorité mili- taire , civile et administrative, analogue à celle des préfets du prétoire. Ce régime, nécessité par les circonstances , s’est successivement mo- difié par l'effet de l'extension des frontières de l'Etat, et par une tendance graduelle à un régime uniforme , qui maintenant fait jouir les habitans des bienfaits d'un gouvernement tout paternel. Le siége de la monarchie étant en Italie, à laquelle, par sa position géographique , appar- Uent le duché d'Aoste, tous les intérêts de ce pays l’attachent à cette contrée. La texture des liens qui la lient au Piémont réclame tout ce qui peut compléter cette cohésion. Tel serait l'usage d'un idiome commun. Dans tous les âges, les Valdaostins ont donné constamment des marques non équivoques de fidélité envers le souverain, et celles d’un grand ztle religieux. Parmi les preuves de leur fidélité, on se borne à en exposer deux exemples. En 1554, pendant l'absence du due Philibert Em- nRecr: et tandis que ses Etats étaient envahis SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 247 par un ennemi puissant, on voit le conseil gé- néral du duché conserver cette antique fidélité à son prince. À travers les plus grands obstacles, il communique avec sa personne alors dans la Flandre. On le voit encore recevoir les avis de son lieutenant-général, le comte Mazin , et agir en conséquence, quoique l'ennemi entourât sa pro- vince. Lorsque celui-ci forme le siége d'Ivrée, le conseil présenteune force armée en attitude défen- sive , et par-là conserve intact le territoire du du- ché. Par une prudente conduite, ilen ménagea si bien les intérêts, qu'il obtint pour les habitans, après la reddition de cette place, de pouvoir cireu- lerlibrement dans l'intérieur du Piémont. (V./es Registres manuscr. du cons. gén. , an 1554, conservés dans les archives de l'Intendance d'Aoste ). L'année suivante, 1555, fournit un exemple du zèle religieux avec lequel on repoussa les tentatives de Calvin. Cet hérésiarque révolution- naire s'était introduit furtivement dans la pro- vince , et même fort près de la Cité. Selon la tactique de ses pareils, des émissaires et des bri- gands armés manœuvraient pour donner plus de force à son élrange doctrine. Alors , l'énergie des sentimens religieux fit sévir si promptement contre la personne de l’audacieux novateur, qu'il ne dut son salut qu'à la précipitation de sa fuite dans le Vallais, À travers les passages les plus 248 NOTICE périlleux. ( Voyez les mêmes Registres cités }. Divers exemples, dont plusieurs appartiennent à ces derniers temps, ont été donnés par le peuple de cette vallée, et prouvent la continuité des. sages principes transmis par ses pères. AGRICULTURE. Les glaciers, les roches nues, les forêts ct les pâturages occupent près de la moitié du territoire de la province. Si l'on y ajoute les terres arides, le cours des torrens et les escarpemens, il ne reste pour la culture que le cinquième environ de toute la superficie de cette contrée. L'indus- tie y a su conquérir quelques terres escarpées et les mettre en culture par la construction de terrasses en amphithéâtre. L'irrigation des prai- ries y est ménagée avec art ; elle a été prati- quée dès les temps anciens par les Salasses et les Romains. Elle y fut protégée, même à grands frais, par les hauts personnages des temips féodaux, ainsi que lattestent d'anciens titres et la présence de leurs utiles travaux, parmi lesquels il en est qui sont dus à des mem- bres du clergé. Les eaux qui servent à ces irrigations parals- sent devoir leur principe fertilisant à la décom- position du feld-spath et d'autres élémens des roches primitives ; réunies à la Doire, elles vont SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 249 encore hors de cette province porter la fertilité dans celle d'Ivrée , dont les canaux font la prin- cipale richesse. La vigne est cultivée avec intelligence au pied des montagnes où se trouvent de puissans abris, sur un sol rocailleux qui ne pourrait avoir d'autre destination. Elle est disposée en treilles conti- nues , à trois ou quatre pieds d’élévation. Cette culture fournit d'abondantes récoltes. Les vins sont en général de qualité médiocre ; il en est cependant de fort agréables qui ont droit de riva- liser avec ceux de l'étranger. Le muscat blanc, connu sous le nom de Chambarse , est seul un objet d'exportation. Le noyer et le châtaignier concourent à fournir quelques productions alimentaires , ainsi que la pomme-de-terre. Le maïs y parvient à une ma- turité complète. Le peu d'étendue des terres labourables livre à peine le seigle dont se nourrit la majeure partie de la population. On y cultive aussi de l'orge, mais très-peu de froment. La charrue n'est qu'une sorte d'araire attelée le plus souvent par un seul vieux taureau, quelquefois par un mulet, et très-rarement par deux : ce qui suffit pour des terres légères, formées de détritus plus où moins brisés de débris des rochers. La principale production de cette vallée est celle des troupeaux de vaches, auxquelles on prodigue les plus grands soins. On ne les perd 250 NOTICE pas de vue. Le Valdaostin vit avec elles dans une sorte d'intimité qui rend ces animaux doux et paisibles. C'est ainsi qu'on améliore toutes les races d'animaux domestiques. Le nombre des vaches est très-considérable dans la province ; il n'est pas moindre de trente mille. La seule Cité en contient près de quatre cent. La qualité des fromages livrés à l’exportation laisse fortement à désirer un choix de pratiques mieux entendues pour leur confection. Le vrai moyen de parvenir au but n’est pas d’avoir des étrangers pour opérer dans les chalets, mais bien mieux d'envoyer des personnes intelligentes et intéressées à s’instruire elles-mêmes, dans les dif- férens pays lesplus renommés pour cette fabrica- tion, afin de confectionner de préférence le fro- mage de telle ou telle sorte. La nature des pâtura- ges n'est pas la même sur toutes les montagnes. Les unes, comme celles d'Ayas, n’ont que des plantes fortement aromatiques et des pâturages secs; tandis qu'ailleurs, et même à une plus grande élévation, les pâturages sont fort humi- des. Ces différences nécessitent des modifications dans la pratique , parce que l’état de l'air a une grande action sur la nature du laitage. D'ail- leurs, la grande consommation de fromages ve- nant de l'étranger, qui a lieu en Piémont, invite ici à en préparer de tels que le Parmesan , ci autres qualités recherchées. a” Et SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 251 La nature d'un pays où les communications sont interdites dans l’intérieur, au roulage, à fait introduire beaucoup de mulets. Ces animaux que l'on recoit , dans leur bas-âge, des contrées voi- sines, élevés dans la vallée d'Aoste, et par con- séquent rompus à la fatigue , sont ensuite fort recherchés au dehors. Il serait à désirer que l’on multipliât l'âne, cette bête de somme dont la sobriété et tant de bonnes qualités sont si con- venahles pour soulager une classe nombreuse de cultivateurs forcés de transporter sur leurs dos, par des routes difficiles, les productions de leur pénible industrie, et surtout les pierres et la terre , dont le transport fait partie de leurs tra- vaux agricoles. L'abeille offre une branche très-utile d'indus- trie agricole. L’excellence du miel cueilli sur les hautes montagnes , et la grande fécondité de cet insecte, dans les expositions favorables des fonds de la vallée, fournissent des essaims forts et pré- coces. Le recensement du nombre des ruches existantes dans toute la province, au printemps de 1816, avant le jet des essaims, était de 5012. Quatre blanchisseries exploitaient le produit d'un pareil nombre de ruches étouffées l'année précé- dente. Le produit en cire a livré 310 rubs de cire, ce qui est à-peu-près une livre et trois onces pour chaque ruche. La moitié de cette cire a été, à la vérité, exportée ; mais on en a reçu 252 NOTICE de travaillée en cierges, mélangée de celle du Levant, pour une somme qui excède beaucoup celle qu'a produite l'exportation. La constitution physique de cette vallée invite à la culture de l'abeille, par la voie de la taille des ruches , et celle de leur transport sur les Alpes. Ce transport ne serait qu'un accessoire des voyages des troupeaux, que dirigeraient Îles mêmes personnes. La poix que l’on extrait de l'épicia (pénus picea}) , le fruit de J'amandier (arbre qui paraît indigène dans les environs de la Cité), et celui des noyers, sont des productions qui fournissent à quelques exportations. Les fruits à pepins, qui sont ici remarquables par leur saveur distinguée, et dont les récoltes abondantes se succèdent sans interruption, pourraient utilement augmenter les objets d'exportation. POPULATION. La population de cette province était en 1816 de 65,645 habitans ; elle a varié en plus et en moins pendant les vingt années précédentes. Le défaut de moyens de subsistances et de celui de toute industrie manufacturière qui pourrait y suppléer, déterminent les migrations pendant Ja saison morte. Dans la même année 1816, le nombre des émigrans fut de 1421, dont 1027 SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 253 cireulèrent dans l'intérieur de l'Etat, et 594 dans les pays étrangers. Les habitans des montagnes ont, en général, plus d'instruction que ceux du bas de la vallée, et sont d'ailleurs plus robustes et plus intelli- gens. On dirait volontiers qne la vallée d’Aoste est peuplée de deux races différentes d'hommes. On voit qu'il s'agit ici du crétinisme , qui se manifeste plus où moins dans certaines localités. Cette infirmité se propage par les mariages entre les goîtreux ; elle s'accroît ainsi successivement Jusqu'au point de ne donner naissance qu'à des créüns absolus, c’est-à-dire, à des êtres dont toutes les facultés se bornent à consommer les alimens qu'on leur livre. Telles sont les causes du créti- nisme déjà signalées par M. Fodéré ; elles sont étrangères à la naynre des boissons de neige fon- due et même à celle des eaux séléniteuses , dont les effets, quoique délétères, n’ont pas d'action sur cette infirmité. Les causes en étant connues , elles laissent facilement entrevoir les moyens propres à atténuer, et même à faire disparaître dans la suite un fléau si affligeant. Le peuple pasteur qui habite cette singulière vallée, ne communiquant que très-difficilement avec ses voisins, a conservé beanconp d'usages antiques, et une simplicité de mœurs sous la- quelle se dérobe souvent une certaine finesse. Avec la sobriété , il sait lutter contre la rareté 254 NOTICE des moyens de subsistances ; il conserve, avec les vertus hospitalières, le sentiment de respect pour les personnages revêtus de quelque autorité ; enfin , il est plus particulièrement , et plus que tous autres habitans des Alpes , très-attaché au sol qui l'a vu naitre. HISTOIRE NATURELLE. Cette vallée offre aux amateurs de toutes les branches d'histoire naturelle des objets curieux. Les effets des révolutions dont les Alpes signalent les accidens, sont plus fortement prononcés du côté de l'Italie , surtout au pied du Mont-Blanc, dont la pente du même côté plus brusque, se détache mieux des monts voisins. On peut y ob- server la structure de ces colosses à une grande profondeur. L'or, dont les anciens exploitaient des car- rières, ne se rencontre plus que par des indices plus ou moins prononcés sur divers points dans l'étendue de la province. La minière de-cuivre d'Ollomont , exploitée avec soin d'après les leçons des meilleurs métal- lurgistes, fournit chaque année 10 à 12 mille rubs de rosette. On trouve ailleurs des indices de ce même métal. Le fer de Cogne est le produit d'une mine exploitée à ciel ouvert, au sommet d'une mon- SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 255 tagne qu'elle couronne dans une longueur d'en- viron deux milles. Elle livre au commerce huit mille rubs de fer chaque année ; ce qui est loin de répondre aux avantages des débouchés et à l'excellence du fer de Cogne. Parmi les nombreuses productions minéralo- giques, on distingue comme plus usitées les suivantes : le manganèse , dont il existe une riche carrière dans la commune de St. Marcel. Elle fournit au loin ce minéral si utile dans les manufactures de verres, dont il facilite la fusion , et que l'on désigne en conséquence par le nom vulgaire de savon des vitriers. On trouve dans le vallon de Cogne une sorte de gypse primitif (compacte, uniforme), dont la texture se prête au travail du sculpteur, et qui, par le simple ratissage, parvient à être facilement modelé, On a construit avec cette substance des mausolées , des statues , dont on voit des restes à la Cité, et notamment le tombeau que l'on avait cru être celui du comte Thomas , conservé en entier. On en voit encore d’autres restes échap- pés à la hache révolutionnaire. Le gypse, à l'abri de l’action des injures de l'air, conserve sa blan- cheur et son poli, qui tiennent de ceux de l'ivoire. Cette substance pourrait être employée très-uti- lement en bas-reliefs et autres décorations dans l'intérieur des édifices, et fournir une branche d'industrie à des habitans de ce pays. La pierre 256 NOTICE ollaire se rencontre dans quelques vallées secon- daires, et particulièrement dans celle de Val- tournanche , où l’on en voit en rognons déta- chés. Elle est semblable à celle que De Saussure a vue dans le Vallais, et dont il fait mention dans ses Voyages dans les Alpes n° 1724. On en construit ici, comme dans le Vallais, des poêles presqu'indestructibles. Après quelques an- nées de service, cette sorte de pierre acquiert à sa surface un beau poli, et l'apparence d'un beau mar- bre noir. La pierre ollaire se nomme ici Lavet; cette dénomination signale une origine allemande, Lavetzstein, dont les Italiens ont fait Laverro. (Le langage est ici souvent mélé de mots, d'ac- centuations, et même de tours de phrases étran- gers à la langue francaise). La facilité de travailler celte substance , de la polir, et par conséquent d'obtenir des surfaces très-planes qui, par leur contact , forment des joints d’une grande préci- sion, à laquelle ajoute l’onctuosité propre à la pierre ollaire, constitue tous les avantages à donner aux poêles, et même celui de les décorer. Ils conservent la chaleur bien plus long-temps que ceux de terres vernissées ou de toute autre matière. Il est surprenant que l'on n'ait pas em- ployé des poëles de cette sorte en Piémont. Leur usage contribuerait à diminuer la consommation des combustibles, et établirait une branche d'in- dustrie dans le pays. SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 257 La vallée d'Aoste a plusieurs sources d'eaux minérales. Les plus fréquentées sont celles de Pré-St.-Didier, où se trouvent des sources d'eaux thermales. À peu de distance de Jà sont les fon- taines d'eaux froides acidulées, nommées la Saxe, la Victoire et la Marguerite, plus généralement connues sous le nom d'eaux de Cormayeur. I suffit ici de les signaler comme célèbres pour l'art de guérir. C’est aux villages de Pré-St.-Didier et de Cormayeur que vont se réunir, pendant l'été, des sociétés choisies , où , loin des afhaires et des plaisirs tumultueux , à la faveur de l'air si pur qu'on y respire, et des promenades nécessaires pour se porter aux diverses sources, elles vont jouir du calme et de la sérénité qui font le charme de la vie. C'est dans la vallée de Cormayeur qu'est le fameux labyrinthe de galeries taillées dans le roc vif, nommé le trou des Romains. Ces galeries, irrégulièrement tortueuses et inclinées, ne peu- vent être visitées en entier que dans l’espace de plusieurs jours. Elles sont revêtues d’incrustations calcaires, qui mettent des obstacles aux recher- ches de ceux qui tentent de découvrir les sources où (dit-on) les Romains trouva ent de l'or. Ce n'est pas seulement pour le géologue et le minéralo- gisle que cette contrée est intéressante : le bo- taniste y trouve les plantes les plus alpines et celles du midi de l'Europe. Allioni y a cueilli 17 258 NOTICE des espèces inédites qu'il a fait connaître. Les entomologistes, après avoir saisi les insectes des plus hautes montagnes, trouvent dans la plaine ceux qui annoncent le beau climat de l'Italie. Indépendamment des grands souvenirs que rappelle la vallée d'Aoste, on aime surtout à y jouir de toute la magnificence des paysages alpins, formés de ces colosses qui s'élèvent majestueu- sement dans l'espace. Ils se montrent en partie à nu, sous la forme de rochers, ou vêtus de superbes forêts de mélèzes et de sapins, destinés à lutter contre les efforts des orages, et à résister à la rigueur des frimats. De vastes prairies , sur lesquelles l'œil aime à se reposer, sont distribuées çà et là; les humbles végétaux qui en forment le tapis, y sont protégés par la grandeur et la force de ces géans du règne végétal; tel est l’ordre si sagement établi, qu'ils sont même alimentés par le superflu de la substance de ces géans ; subs- tance broyée par les vents, et par eux transportée sur le sol destiné à ces plantes délicates, qui ont été dérobées à l’action des frimats sous d’épaisses couches de neiges. La vue des Alpes qui élève l'ame à des idées sublimes, lui procure en même temps des jouissances délicieuses par l'effet ma- gique de tous les contrastes : tels que la chute de bruyantes cascades , au milieu du silence impo- sant de la solitude ;les formes bizarres des roches primitives , si opposées aux formes gracieuses des SUR LA VALLÉE D'AOSTE. 259 arbres qui peuplent la forêt ; l'ombrage épais de ceux-ci, qui couvre le sentier que suit le voya- geur, qui, tout-à-coup, se trouve transporté en face d’un site gracieux, où la nature moins sau- vage commence à décéler la main de l'homme. Si l'on s'éloigne des rochers soureilleux, des forêts, et qu'on se rapproche du fond d'une vallée, on découvre tout-à-coup un changement subit de décoration. On reconnaît ici la présence des moissons; là, l'espoir des vendanges prochaines, et le voyageur ne tarde pas à découvrir un ha- meau. Déjà l'astre du jour a disparu, la lumière S'aflaiblit, les froids glaciers se peignent d'une vive couleur de feu. C'est alors qu'à la fin de sa course, ce voyageur, près du terme des fatigues de sa journée , sent ranimer son courage. C'est l'heure où la famée commence à s'élever sur les toits des cabanes; c’est le moment où le son des grelots annonce le retour des troupeaux; il les voit arriver à la file; les habitans se réunissent; chacun d’eux offre à l’envi l'hospitalité au voya- geur, qui jouit du tableau délicieux du bonheur domestique attaché à l'innocence de la vie pas- torale. Tels sont les spectacles qui, sous les combi- naisons les plus variées , se présentent à chaque pas dans la grande vallée qui est l'objet de cette Notice, BONTDNIO ONIENODOMNIOONNT0O CICDID ONE ONCE OBSERVATIONS Système de BA4ILLY touchant l'origine des Sciences et des Arts ; par M. G.:-M. R4Yy- MOND, Secrétaire Perpétuel de la Société. (Lues dans la séance du 20 avril 1825.) es Le savans ne sont point d'accord sur ce qu'ils appellent le berceau des sciences et des arts. Préoccupés de systèmes divers, ou dirigés par des vues particulières, ils ont varié sur le lieu où il leur convenait de placer le foyer primitif des lumières et de l'industrie, d’où sont partis, selon eux, les rayons qui ont éclairé la terre. C'est ainsi qu'ils en font honneur tour à tour aux Égyptiens, aux Chaldéens, aux Indiens, etc. IL parait qu'on a tenu peu de compte d'une consi- dération importante à laquelle il semble néan- moins tout naturel que l'on devait avoir quelque évard. Les hommes, considérés dans une cer- taine multitude rassemblée, sont doués, du plus au moins, des mêmes facultés physiques et mo- rales. Est-il déraisonnable de penser que, placés dans des circonstances analogues, ils doivent se OBSERVATIONS, ETC. 261 comporter de la même manière, dans tous les temps et dans tous les lieux; se livrer à des tra- vaux, à des efforts, à des recherches semblables, et arriver à peu près aux mêmes résultats ? Le développement des facultés, les produits de la réflexion , les fruits de l'industrie seront sans doute plus où moins acctlérés et diversement modifiés par le concours et l'effet des besoins et des circonstances locales ; ils porteront l'em- preinte des causes qui les auront déterminés. Il est même des genres de travaux et de découver- tes qui seront propres à certaines situations parti- culières, selon la diversité des directions impri- mées à l'esprit de recherche et à l'exercice des facultés individuelles. Mais toujours est-il vrai qu'il est une certaine mesure de connaissances positives , auxquelles les hommes, en vertu de leur organisation générale et de la nature de leurs facultés communes, placés toutefois dans les cir- constances conyenables, peuvent arriver sépa- rément et indépendamment de toute communi- cation. Bailly reconnaît la vérité de ce principe pour les connaissances premières et simples qui ont pu s'offrir d’elles-mêmes, mais il ne l'admet pas pour celles qui n’ont pu naître, ditl, qu'à la fa- veur du temps nécessaire au développement de l'industrie ; comme s'il etait impossible que plu- sicurs peuples anciens aient pu jouir du temps 262 OBSERVATIONS et des moyens nécessaires pour ce développement. Mettant à part les connaissances échappées an déluge, les observations que nous venons de faire nous paraissent applicables à plusieurs des mi- grations qui, par l'éloignement et le laps de temps , avaient perdu la trace des arts et les no- tions qu'elles avaient pu emporter à l'époque de leur séparation. Est-il done indispensable de recourir , dans tous les cas, à un peuple primitif, unique et privi- légié, premier et seul dépositaire des lumières et de l'industrie, chargé par la nature d'instruire les autres nations ? Et faut-il admettre que toute connaissance trouvée quelque part exige qu'on en aille chercher la source sur un seul point favo- risé du ciel, à l'exclusion de tous les autres ? » Je ne puis croire, ditBailly, que les secrets de l'antiquité soient renfermés sous une clef, et que toutes les fables aient été jetées dans le même moule et fabriquées sur un même modèle. » Bailly diffère donc, a-t-on observé à ce sujet, de tous les auteurs de systèmes, qui rapportent tout à l'hypothèse qu'ils se sont faite, tourmentent ce qu'ils ont à expliquer et ne manquent pas de donner aux faits une interprétation et une cou- leur propres à leur faire signifier tout ce qui s'ac- corde avec leurs vues intéressées. On aurait pu ajouter que, puisque Bailly ne croyait pas que tous les mystères de l'antiquité fussent renfer- SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 263 més sous une clef, il pouvait craindre lui-même que la nouvelle clef qu'il avait à présenter ne füt peut-être pas plus heurense que les autres. Nul ne rend plus de justice que nous aux lu- mières, à l'étendue de l'érudition de Bailly, et, nous ajouterions , aux qualités distinguées de son style, si ce dernier genre de mérite n’était tout- à-fait étranger à la question. Mais serait-il le pre- mier homme qui, avec du génie, du talent et de grandes connaissances, se serait exposé à s’égarer dans le vaste champ des conjectures ? tant est puissante l'influence de l'esprit de système ! Nous placerons ici une remarque dont nous ne prétendons faire ici aucune application parti- culière; mais elle nous donnera lieu de rappeler une maxime trop oubliée dans les recherches his- toriques. Il n'est pas très-difficile de créer des hypo- thèses spécieuses, en opposition avec toutes les idées recues. Il y a eu de tout temps des hom- mes à paradoxes qui ont cherché à frapper l'at- tention par des opinions nouvelles et extraordi- naires. Il en est qui ont mis leur gloire à élever avec art l'édifice de quelque système ne ressem- blantà rien de ce qui est généralement admis. En se prononçant contre toutes les opinions consa- crées, en contredisant toutes les traditions, en contestant l'autorité des monumens les plus an- thentiques, on se donne un air de supériorité qui 264. OBSERVATIONS impose; on passe pour avoir fait des découvertes importantes , échappées jusques-là à toutes les études et à toute la pénétration de ceux qui ont auparavant parcouru la mème carrière. Il serait à désirer qu'en matière historique, les auteurs n'eussent jamais perdu de vue le grand principe qui devait les diriger dans leurs recher- ches; et ce principe est le même qui à fait faire de nos jours de si rapides progrès aux sciences naturelles. Voici comment le sage et savant Go- guet en indique à la fois l'importance, et l'usage qu'il en à fait lui-même dans son excellent ou- vrage (1): « En exposant l’origine des lois, des arts et des » sciences, et en traçant leurs premiers progrès » chez les anciens peuples, j'ai donné à la con- » jecture Le moins qu'il m'a été possible. J'ai 5 suivi, autant qu'il a dépendu de moi, l'histoire » et l’ordre des faits. C’est un principe dont, en 5 pareille matière, on ne doit jamais s écarter ; » autrement ce serait donner l'histoire de ses » propres pensées , et non pas celle des événe- » mens. Il faut, avant tout, s'assurer si le fait sur » lequel on s'appuie est bien constaté; et alors, » quelque extraordinaire qu'il puisse paraitre , on (x) De l'Origine des lois, des arts et des sciences, etc., Préface, page XXVII SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 265 doit soumettre son imagination à la réalité. Avoir prouvé qu'une chose n’est pas vraisem- blable , est-ce avoir prouvé qu'elle est fausse ? L'expérience ne nous a-t-elle pas appris que souvent le vrai n'était pas vraisemblable? Parce qu'un fait dément une hypothèse qu'il nous a plu d'embrasser , est-ce une raison satisfaisante pour le nier? Un raisonnement métaphysi- que peut-il détruire une preuve historique? L'homme n'est point condamné à la triste né- cessité de flotter perpétuellement dans l'incer- titude sur les principaux faits que l'histoire et la tradition nous ont transmis. Il ne faut pas s'imaginer qu'on ne puisse les apercevoir même dans l'antiquité la plus reculée. Tout ce qu'on en rapporte n'est point arbitraire, problémati- que et incertain. De la bonne foi, avec de la droiture dans Le cœur et dans l'esprit, suffi sent pour nous convaincre de cette précieuse vérité , si l’on prend soin surtout de faire taire cette vanité présomptueuse , ou celte préven- on intéressée, qui font souvent beaucoup plus d'illusion qu'on ne pense. » On sait que Bailly, s'écartant de toutes les opi- nions émises sur l'origine des connaissances hu- maines, avait avancé, dans son Âéstoire de l'As- tronomie , que les lumières semblaient venues du Nord, contre Le préjugé reçu, ditl, que la terre s'est éclairée comme elle s'est peuplée , 266 OBSERVATIONS du Midi au Nord. En parcourant les premières découvertes de l'Astronomie et les hautes con- naissances dans cette partie dont il croit trouver les vestiges chez quelques-unes des plus anciennes nations connues, il en attribue l'invention à un peuple primitif et unique, qui aurait précédé tous les autres. Les Chaldéens, les Sgyptiens , les Indiens, les Chinois n'auraient été que d'igno- rans héritiers de ce peuple savant, de qui ils au- raient recu des débris qu'ils étaient incapables d'apprécier. Bailly place ce peuple primitif dans cette partie de la Sibérie qui s'étend au nord du 5o.%€ degré de latitude, depuis les rives de V'Obi, jusqu'au pays des Tongouses, à l'orient de la Lena. Cette opinion, préparée avec art et étayée de diverses considérations, n’était présentée, il est vrai, que sous la forme d'une conjecture , mais qui laissait entrevoir toute la pensée de l'auteur. Elle excita les réclamations de Voltaire en faveur des Indiens, que celui-ci prenait sous sa protec- tion et qu'il voulait faire passer pour les institu- teurs du genre humain. C'est ce qui donna lieu à Bailly de développer plus amplement son sys- ième, dans ses Lettres sur l'origine des scien- ces et sur l'Atlantide de Platon. Commençons par examiner un principe qui est lune des bases fondamentales de son opinion. Bailly ne pense pas qu'une naüon puisse assez SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 267 dégénérer pour perdre ou seulement altérer ses connaissances principales ; elle ne peut passer, dit-il, de la science à l'ignorance, de la raison à la démence. Il y a deux moyens d'examiner cette assertion et de vérifier si elle a quelque fonde- ment; ces moyens sont le raisonnement et le té- moignage de lhistoire. Tout ce que nous voyons sur la terre est sujet au dépérissement; il n’est rien dans l'ordre physi- que ni dans l’ordre moral qui puisse se soustraire à une dégénéralion progressive, à un pouvoir destructeur qui pousse chaque chose vers sa fin. Nous n'avons pas besoin de confirmer cette vérité par une énumération trop facile de faits et d'ex- emples : les preuves sont sous les yeux de tout le monde. Comment les nations échapperaient- elles à cette loi universelle, les nations, qui ren- ferment dans leur sein tant de germes de corrup- Uon, qui sont exposées à subir les conséquences de tant d'événemens, et dont tant de causes ex- iérieures peuvent troubler l'existence ? Les na- tions ont une vie qui, comme celle des individus , a ses divers périodes d'enfance, de jeunesse , de maturité , de vieillesse et de décrépitude. L'analo- gie est frappante dans tous les détails. La durée naturelle de la vie humaine peut être abrégée par des causes nombreuses qui en accélèrent le terme : tels sont les travaux excessifs, les écarts fréquens, de graves imprudences , des secousses morales. 268 OBSERVATIONS Pour les peuples, ce sont les guerres, les révolu- tons politiques, de grands événemens, de gran- des fautes en législation on en politique, des acci- dens variés qui peuvent naître dans leur sein où leur venir du dehors. Nous voyons des individus encore au milieu de leur carrière, flétris par le vice et l'abus de la vie, offrir les symptômes d'une cadu- cité précoce. Ainsi voit-on des nations très-éclai- rées, mais corrompues par le luxe et la dissolution des mœurs, par un excès de civilisation, arriver à une décadence prématurée, au milieu des monu- mens du génie et de l'industrie, qui appartien- nent à un âge qu'elles n'ont pas encore dépassé. Cette vieillesse anticipée diffère essentiellement , de partet d'autre, par les mêmes traits et le même caractère , de la décrépitude naturelle qui n'est que le produit du temps. On voit les hommes suc- céder aux hommes, comme on voit des peuples nouveaux remplacer les anciens, de nouveaux empires s'élever sur les ruines de ceux qui les ont précédés. Que l’on presse la comparaison, que l'on pousse le parallèle aussi loin que l'on voudra, partout on retrouvera la même ressemblance, et l'on se convaincra de plus en plus que le cercle de la vie humaine est une image abrégée de ce qui se passe dans l'existence de cet être collectif que l'on nomme un peuple, une nation. Il n'est donc point étonnant qu'un peuple vieilli par le temps puisse arriver à un état où il SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 26g ne saura plus reconnaître lui-même l'origine de ses traditions altérées, ni la valeur des connais- sances dont il lui reste des débris qu'il ne sait plus rattacher à un même ensemble, parce qu'il en aoublié les rapports. Une nation peut done, com- me l'individu, perdre sa raison primitive : qui ne: sait pas que l'extrême vicillesse est plus stupide que l'enfance? | D'ailleurs, pour admettre qu'un peuple ne peut pas dégénérer , il faudrait donner un démenti à l'histoire tout entière, qui n’est qu'une longue démonstration de la triste vérité contraire à cette assertion. Les troubles politiques, les dévastations des conquérans, les changemens de dynasties, les croisemens de races, une foule de causes ne tendent-elles pas à changer, de sièele en siècle, la face des contrées où elles exercent leur in- fluence, à modifier de mille manières le caractère des peuples, leurs usages , leur industrie, leurs connaissances? Les révolutions politiques respec- tent-elles constamment les œuvres de la raison et du génie? Est-il donc vrai qu'on ne les ait jamais vues troubler la marche de l'esprit humain ? Ont- elles toujours conservé préciensement les fruits des découvertes ? N'ont-elles jamais mutilé ou anéanti les monumens de la science? Portons nos regards sur les régions qui ont été les plus florissantes dans antiquité : partout nous serons afiligés du triste spectacle de la dégradation partout nous trouve- 270 OBSERVATIONS rons les traces d'une antique grandeur ensevelie dans la poussière, partout nous verrons l’his- toire de la rétrogradation écrite avec des ruines. Bailly demande comment les Indiens ont mis des réveries grossières à côté de connaissances profondes, comment on peut réunir à la fois les jeux de l’âge mûr et ceux de l'enfance. Ce qui serait bien plus étonnant, ce serait un ordre de perfection absolue qu'il n’est pas donné à l'homme d'atteindre. L'homme, si sublime à la fois et si faible , mélange prodigienx de grandeur et de pe- titesse , est destiné à donner à ses œuvres l'em- preinte de sa propre nature; c'est la condition nécessaire de toutes les choses humaines, depar- ticiper du double caractère qui distingue l'homme. On à fait observer à Bailly que, quelque surpre- nant qu'il paraisse que dansla même ville on ait pu inventer la Géométrie et l'Astronomie, et croire que la Lune n'est qu'à cinquante mille lieues du Soleil , Galilée au milieu de ses juges, doit encore surprendre davantage. N'a-t-on pas vu Louis-le-Débonnaire , instruit en Astronomie, mourir de frayeur à la vue d'une éclipse ? Et, de nos jours, ne voyons-nous pas les écrits de Bailly lui-méme et ceux du célèbre auteur de la Méca- nique Céleste, en même temps que les Centuries de Nostradamus et l'Almanach de Liége? A l'aspect des restes de l'astronomie des Chi- nois, des Indiens, des Chaldéens , on croit voir. SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 29? dit Bailly, une maison de paysans bâtie de cail- loux et de fragmens de colonnes d'une belle architecture ; d’où l’on doit conclure selon lui, que ce sont là des débris d’un édifice construit par un architecte plus habile et plus ancien que les habitans de cette maison. Cette image est heureuse , elle est spécieuse même en faveur du système dont Bailly est préoccupé. Mais le mélange de l'ignoble et du grand, de la faiblesse et de la force , de l’erreur et de la vérité, est-il donc un phénomène si extraordinaire ? De ce que nous voyons de inisérables échoppes adossées contre les murs d'un palais, des étables auprès de belles ruines d’un temple , ou les haillons de la fripperie suspendus aux colonnes d'un porti- que , s’ensuit-il que ces monumens soient l'ou- vrage d’une nation étrangère? Si les hommes à venir jettent les yeux à la fois sur nos livres d'Astronomie et sur nos recueils d'horoscopes , seront-ils en droit de nous refuser la propriété des uns, pour nous honorer exclusivement de celle des autres? Celui qui affirmera que la même époque n'a pu produire des œuvres aussi dispara- tes, le fruit d'une science profonde et les rêves absurdes de la folie, celui-là dira peut-être une chose piquante pour ses contemporains, mais il n'avancera qu'un paradoxe sans fondement , ou- vertement contredit par les faits. Supposons que, par une suite de révolutions 272. OBSERVATIONS ou d’événemens quelconques dont on concoit la possibilité, l'Europe, entre autres pertes nom- breuses , vint à être privée tour à tour des savans du premier ordre qu'elle possède dans les diver- ses branches des connaissances humaines, sans que ceux-ci eussent laissé des élèves capables de suivre leurs traces et de les égaler un jour, ne voit-on pas que la culture des sciences marcherait rapidement vers son déclin, et que l'on arriverait enfin à une époque où il n'y aurait plus personne en état de comprendre et d'expliquer les grands ouvrages qui auraient pu rester ? Faudrait-il assu- rer alors que l'Europe n'aurait que des connais- sances empruntées , et que les vestiges des sciences qu'on y trouverait ne seraient que les restes de connaissances étrangères transportées autrefois parmi ses habitans ? Autre hypothèse non moins plausible : la re- naissance des Lettres en Occident est un fait accidentel qui ponvait ne pas arriver. L'ignorance et la barbarie pouvaient affermir et perpétuer leur règne sur l'Europe, par la destruction successive de tous les monumens historiques ; il pouvait se faire qu'aucune étincelle échappée de l'Orient n'eût rallumé le flambeau des sciences, que rien n'eût mis, sur la voie de retrouver l'histoire de la Grèce et de Rome. Les Arabes pouvaient rester dans la même ignorance où les avait plongés Mahomet. Les stupides Musulmans pouvaient répéter partout le fatal dilemme d'Omar et sacri- SUR LÉ SYSTÈME DE BAILLYŸ. 275 fiér au Koran tous les monumens des sciences, L'irruption des Barbares pouvait s'étendre sur l'Asie et l'Afrique, et prévenir tout retour quel- conque aux lumières. Dans cet état de choses, rien n'aurait pu révéler aux Grecs modernes les titres de gloire de leurs ancêtres; ces titres fus- sent restés ensevelis pour eux dans un complet oubli. Supposons maintenant que quelques hom- mes venus d’un autre hémisphère et n'ayant au- cune notion de l'histoire de celui-ci, eussent parcouru la Grèce et observé les ruines admira- bles de ses antiques monumens : ils auraient trouvé là une belle matière à faire la comparaison de la chaumière bâtie avec des cailloux et des troncons de colonnes. Ne trouvant parmi les ha- bitans de cette région aucune trace de leur ancien état , aucune analogie entre leur avilissement actuel et les restes magnifiques des édifices dont le génie des arts avait jadis couvert leur sol, ils auraient pu conclure avec Bailly que cette pau- vre nation grecque n'avait jamais été capable de s'élever au degré de civilisation, de connaissan- ces, de talent et de goût, indiqué par de telles ruines. Un autre argument sur lequel Bailly insiste beaucoup, est l'identité d'un certain nombre de notions communes aux divers peuples de l'Asie, lesquelles n’ont pu, selon lui, se transmettre de lun à l'autre par communication , qui n'ont pu 18 274 OBSERVATIONS uaître non plus d'elles-mêmes chez les uns et les autres séparément, comme produit naturel de la constitution humaine et des circonstances , mais qu'ils n'ont pu recevoir que d'une même source. Bailly s'attache avec beaucoup de soin à établir la répugnance des nations à adopter des systèmes et des usages étrangers. Il convient que l'homme est naturellement imitateur, mais il n’en affirme pas moins que les hommes tiennent fortement à leurs idées et sont disposés à repousser toute inno- vaüon. Il attribue surtout cette disposition aux peuples de l'Asie, qui se montrent particulière- ment ennemis de toute nouveauté étrangère. Nous conviendrons volontiers de cet éloignement de quelques peuples pour les usages des autres nations , et de tous les obstacles que l'habitude, l'amour-propre et l'ignorance peuvent opposer à certaines communications. Mais on ne peut se dissimuler, d'autre part, que ces obstacles n'ont pas été toujours ni partout les mêmes; que l'évi- dence, l'utilité, l'ascendant de la supériorité, les relations commerciales et beaucoup d'autres eau- ses n'aient souvent triomphé des difficultés dont il s’agit; et des exemples modernes très-connus nous prouvent assez tout le pouvoir de l'esprit d'imitation, même entre des nations rivales et de caractères tout opposés. Mais admettons, si l’on veut, sans restriction, celle extrême répugnänce de chacun des peuples SUR LE SYSTÈME DE BAIÏLLY. 275 de l'Asie à recevoir en communication les con- naissances et les usages d'un autre peuple cette considération se tourne toute entière contre le système de Bailly. Comment se fait-il, en effet, que ces mêmes nations aient admis sans obsta- cles les lois, la religion, les sciences, la philo- sophie du peuple instituteur qui leur a apporté fa lumière des climats septentrionanx? Pourquoi cette obstination à repousser les connaissances , les opinions et les usages qui leur seraient venus du Midi, et cette extrême docilité à les accueillir lorsqu'ils sont arrivés du Nord ? Si l'Europe, dit Bailly, venait un jour à perdre ses connaissances et qu'il n’en restât que des lam- beaux , un jurisconsulte philosophe qui viendrait, dans la suite , découvrir des lois semblables chez les Allemands, chez les Français, chez les Ita- liens, ne pourrait trouver la cause de cette uni- formité dans la nature de l'homme ; il remonterait nécessairement à un peuple antérieur qui aurait imposé à ces diverses nations le joug des mêmes lois. Or, siles débris d'une même législation lui faisaient tirer cette conséquence, à plus forte rai- son pourrait-il l'appliquer aux opinions philoso- phiques, aux vérités des sciences physiques et mathématiques. On soumet physiquement les hommes , on leur impose le frein des lois, mais les esprits gardent leur liberté. Les principes des sciences , qui supposent aussi l'unité d'invention, 276: OBSERVATIONS ne se communiquent pas sans difficultés ét né sont pas d'une adoption si facile. On peut admirer ici la puissance de l'esprit de système pour dicter les jugemens les plus étran- ges. On conçoit que la force est nécessaire pour soumettre à des lois uniformes, des peuples qui n'ont rien de commun dans leur caractère, leurs meurs, leurs usages, leurs habitudes, la nature de leur climat, leurs besoins, leur langue, etc. ; et le jurisconsulte raisonnerait avec justesse. Mais pourquoi les vérités naturelles et positives seraient- elles plus difficiles à établir? Les esprits gardent leur indépendance : cest précisément par celle raison , qu'ayant la faculté de rejeter des opinions arbitraires , ils ont celle d'adopter des vérités ex- presses, qui exercent par elles-mêmes leur em- pire. Les mœurs , les opinions , le caractère, les besoins diffèrent d'un peuple à l’autre; mais les vérités naturelles sont de tous les temps et de tous les lieux. Elles sont unes, et l'esprit est forcé de se rendre à leur évidence. Qui pourrait croire qu'une formule de Droit puisse s'établir plus aisément qu'un axiome ou un théorème de Géométrie ? On conçoit autant de systèmes de législation qu'il y a de situations sociales essen- tellement différentes ; mais il n’y a qu'une Géo- métrie et qu'une Astronomie. L'unité de légis- lation suppose unité de nation, ou une force majeure qui comprime les résistances ; tandis que SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 277 les savans de tous les pays forment une seule ré- publique qui reconnaît partout les mêmes lois. Les vues politiques se croisent, les intérêts natio- naux se heurtent, les armées ennemies se com- battent; mais les spéculations des sciences n in- terrompent pas pour antant leurs relations pacifiques, et les savans se donnent la main au travers des barrières élevées par la politique. Enfin, pour rentrer plus directement dans la question, disons qu'une loi spéciale et positive peut s'imposer ou se communiquer, mais ne se devine guères. tandis qu'une vérité géométrique peut se découvrir partout sans aucune commu- nication. Sans rien prétendre prononcer sur la supposi- tion qu'une colonie d'Égyptiens ait pu pénétrer autrefois à la Chine, il nous paraît que Bailly a réfuté peu solidement cette opinion. Selon Ini les ressemblances que l’on remarque entre ces deux peuples remontent à la fondation des deux monarchies, et la marine n'est pas aussi ancienne; d'ailleurs les Chinois auraient fermé leurs ports aux Égyptiens. Que les traits de conformité qui existent entre les Chinois et les Égyptiens datent de la fondation des deux monarchies, c'est une pure hypothèse, un fait avancé gratuitement, qui, après tout, ne prouverait rien dans la question dont il s'agit- : Comment se pourrait-il que l’on ignorût l'usage 278 OBSERVATIONS des navires, dans un temps pù l’on connaissait le mouvement du Soleil, qui, selon Bailly, suppose des siècles d'observations ; dans un temps où l’on avait déterminé les points des équinoxes et des solstices, la véritable durée de l'année de 565 jours et un quart, l’année bissextile, etc. ? Les Phéniciens étaient-ils aussi avancés , lorsque leurs bâtimens parcouraient déjà les côtes de l'Afrique et de l'Europe? « Combien de siècles, dit Bailly, » na-t-1l pas fallu donner à l'étude du Ciel, pour » soupconner seulement le mouvement du So- > leil ! Combien de siècles encore, pour détermi- » ner les quatre intervalles de sa course!» Peut- on penser que, pendant cette longue suite d'années, des hommes pressés par le besoin, exercés par l'industrie, n'aient pas songé à une foule d'autres recherches que celle de la connaissance du Ciel? Les sciences et les arts enfantés par la nécessité ont partont précédé les spéculations du loisir. Comment une multitude de circonstances jour- nalières, de désirs naturels, de besoins, le simple mouvement de la curiosité, n’auraient-ils pas porté les hommes à essayer de franchir un fleuve, un lac, un bras de mer? Qui pourrait soutenir que les premières tentatives de navigation n'ont pas précédé les grandes connaissances astronomi- ques? Les sauvages, qui ne sont pas des astro- nomes bien habiles, savent construire des canots plus ou moins ingénieux; la plupart des îles du SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 279 Grand-Océan nous offrent les preuves de migra- tions lointaines qui ont eu lieu parmi ces insu- laires. La connaissance du Ciel poussée aussi loin qu'on le suppose, a dû révéler la forme et l'éten- due de la Terre, et la Géographie a dû faire des progrès parallèles à ceux de. l’Astronomie, Dgs- lors on a dû être tenté de visiter la surface,.dut Globe terrestre. Les connaissances géographiques déterminent les voyages, où du moins en indi- quent la possibilité. S'il n'est donc point absurde de supposer que, dans les temps reculés, une colonie d'Égyptiens instruits ait pu arriver sur les côtes de la Chine, pourquoi cette colonie n’aurait-elle pas aussi bien pénétré dans le pays, qu'une colonie tartare ? Pourquoi ces Chinois, qui auraient repoussé avec tant de résistance une flotte égyptienne, ont-ils accueilli un Scythe avec une docilité telle « Que » jamais, dit Bailly, une influence plus profonde, » un empire plus durable n'ont été accordés à un homme sur l'opinion des hommes; que l’admi- » ration le suit, les hommes se rassemblent au- » tour de lui, les villes s'élèvent, un peuple » se forme , etc. » Il est aisé d'arranger des systè- mes , quand on dispose ainsi de l'esprit des peu- ples, de leur résistance ou de leur soumission. Nous avons déjà fait quelques observations sur la possibilité que certaines découvertes et certai- nes connaissances positives aient pu naitre cn 280 OBSERVATIONS divers lieux indépendamment de toute commu nication. Bailly reconnaît que les notions astro- nomiques rentrent les unes dans les autres et se supposent réciproquement. Il compare les anciens peuples à nos bergers et à nos labourenrs. Il est vrai , dit-il, que ceux-ci ont des almanachs qui, létr annoncant la marche des saisons et l'ordre de leurs travaux, les dispensent de toute obser- vation, Mais, ajoutet-il, les anciens qui, n'a- vaient aucun secours de ce genre, combien de difficultés ne dûrent-ils pas éprouver et combien de temps ne leur fallut-il pas pour arriver à des connaissances certaines ! Sur quoi nous remarque- rons d'abord que les almanachs ne sont guères, pour nos laboureurs et nos bergers, un moyen de faire des découvertes en Astronomie ; ensuite nous dirons que c'est parce que les anciens n'a- vaient point d'almanachs, qu'ils furent obligés d'observer la marche des saisons , en étudiant les mouvemens des astres, et de faire des recherches qui dûrent les conduire assez promptement à des connaissances positives. Or, les mêmes besoins dûrent produire partout les mêmes résultats. Bailly est principalement frappé de trouver chez plusieurs peuples différens l'année divisée en 12 mois, le jour en 24 heures, l'heure en 60 minutes, le cercle en 360 degrés, etc.; ce qui, selon lui, indique nécessairement une source commune. La division de l'année en 12 mois SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 281 procède de l’année lunaire composée de 12 lunai- sons, laquelle a été naturellement adoptée par tous les peuples qui ont pris le cours de la Lune pour la première mesure du temps. Quant au reste, il était tout simple que, cherchant des nombres qui pussent se prêter facilement aux usages auxquels on les destinait, on choisit de préférence ceux qui admettaient le plus de divisions et de subdivisions. Nous ne nous arréterons pas aux périodes et aux Tables astronomiques dont on a fait tant de bruit pour établir la haute antiquité des décou- vertes auxquelles on les rapporte. On sait que ces tables et ces périodes ne prouvent rien sous ce rapport, puisqu'elles ont pu être calculées en remontant, à partir des époques récentes qui correspondent à quelques-uns de leurs termes. M. de La Place à fait voir que les Tables astro- nomiques des Indiens ont, en effet, été calculées en rétrogradant , ce qui renverse d'un seul trait , comme nous l'avons dit ailleurs, toutes ces vaines conséquences que l’on voulait tirer d'observations prétendues , lesquelles ne sont que des inductions de phénomènes possibles qui auraient eu lieu aux époques où l’on recule en S'appuyant sur des faits postérieurs. Des observations astronomiques rapportées à telle ou telle latitude ne fournissent guères des conséquences mieux fondées. Puisqu'il est loin d'être démontré qu'un peuple instruit n'ait pu 2682 OBSERVATIONS dégénérer et finir par oublier les fondemens de ses connaissances , si l’on admet que les nations méri- dionales de l'Asie aient pu posséder, dans un temps reculé, la même instruction que l'on at- tribue au peuple perdu, pourquoi ces nations n'auraient-elles pas désiré d'étendre leurs con- naissances? pourquoi n'auraient-elles point tenté d'entreprises scientifiques ? N'auraient-elles pas pu avoir leurs Maupertuis, leurs Clairaut , leurs Bouguer, leurs La Condamine, leurs Chape, leurs La Pérouse ? D'où vient que toute obser- valion faite sur un point particulier du Globe, ferait nécessairement naître l'idée que c’est là seulement qu'étaient établis les Corps de Savans, les Académies et les Observatoires ? Supposons encore une fois que les sciences de l'Europe vien- nentàse perdre avec ses monumens historiques, et que la postérité parvienne à découvrir qu'un degré terrestre fut autrefois mesuré par le 6o.7* degré de latitude boréale : un Bailly à venir pourra conclure de ce fait que c'est aux Lapons que la France, l'Allemagne, l'Angleterre et l'Ita- lie ont dû les sciences dont il trouvera quelques restes défigurés chez ces différens peuples de l'Europe. En riant aujourd'hui des systèmes aux- quels les débris de notre histoire peuvent donner lieu dans les livres des érudits futurs , dans des Mémoires profonds, nous nous représenterons facilement combien riraient à leur tour nos an- SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 285 cètres, s'ils avaient connaissance des systèmes aux- quels nous conduisent quelquefois nos recherches et de tout ce que nous avons imaginé sur leur compte. Bailly observe que les Orientanx modernes disent encore que la Terre est environnée d'une haute montagne, et que l’astre de la lumière vient de derrière cette montagne pour les éclairer ; ce qui lui parait rappeler le sonvenir d’une nation qu aurait franchi des montagnes pour arriver dans une nouvelle patrie , où elle à apporté le flambeau des sciences. Nos paysans, qui voient chaque jour le Soleil se lever derrière les mon- tagnes, en disent autant que les Orientaux : il serait plaisant que quelque savant voyageur vint recueillir ce fait commé un reste précieux d'une antique tradition, et bâtit là-dessus une belle histoire sur l'origine d’un peuple instituteur qui serait venu jadis éclairer l'Europe. Bailly pose comme un fait qui lui paraît prouvé par plusieurs exemples, qu'une Astronomie per- fectionnée a présidé à la naissance de toutes les anciennes monarchies connues. Par conséquent, le peuple éclairé d'où provenaient ces hautes connaissances, comptait alors ce nombre prodi- gieux de siècles d’études et d'observations, sur la nécessité duquel Bailly insiste si fréquemment. Or, quand on considère que l'Europe sortant à peine des ténèbres de la barbarie dn moyen âge, 284 OBSERVATIONS s'élance sur toutes les mers et découvre en peu de temps les points les plus reculés de la surface du Globe, on ne revient pas de son étonnement sur la tranquille insouciance du peuple primitif, qui, ayant acquis une connaissance approfondie des rapports de la Terre avec le Ciel, est par- venu à mesurer la circonférence du Globe ter- restre, et ne soupçonne pas même l'existence des belles régions qui sont tout auprès de la sienne, ou n'éprouve pas la moindre curiosité de les visi- ter pendant la longue durée de tant de siècles. On a peine à comprendre comment quelques degrés de latitude et quelques montagnes ont pu être, pour un tel peuple, des barrières si difficiles à fran- chir; comment il ne s'est pas trouvé, dans ce long période, un seul eurieux qui ait appelé plus tôt l'attention de ses compatriotes sur des contrées où la nature avait inutilement prodigué toutes ses richesses, où, malgré le plus beau ciel et le sol le plus fertile , Ia société n’était pas née, où l’homme n'avait pas su faire encore les premiers essais de son intelligence. Cette indifférence et cette iner- üe sont d'autant plus remarquables, que ces peu- ples du Nord se sont fait connaître dans la suite sous un rapport précisément opposé, par les irrup- tions les plus fréquentes et les plus étendues. Bailly observe avec raison que l’on quitte facile- ment des climats rudes pour un ciel plus doux. » Les Suisses, dit-il, descendraient volontiers en SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 285 » Ttalie, si on les laissait faire. » Nous le croyons aussi , et c'est ce qui redouble notre surprise sur le long retard du peuple perdu à pénétrer dans les régions méridionales de l'Asie. L'hypothèse du refroidissement du Globe, dont nous parle- rons plus bas, ne peut donner lieu ici à aucune réponse : car Bailly, qui s’y arrête avec beaucoup de complaisance, déclare cependant qu'il n’y üent pas essentiellement , et que son système peut subsister sans recourir à cette supposition. « Le climat de la Tartarie, dit notre auteur, est loin de s'opposer aux observations astrono- miques. La latitude de 50 degrés est celle de Paris, de Londres , de Berlin, celle qui a fourni les plus grandes découvertes de l'Astronomie mo- derne. Le beau ciel des contrées méridionales de l'Asie, au lieu de favoriser les progrès de l’Astro- nomie , a dû leur opposer au contraire des obsta- cles. La constance du ciel a dû y entretenir la paresse et la constance des idées. Il faut un ciel mobile pour donner de l’activité aux esprits. » Lorsqu'un écrivain de mérite, dont les talens égalent les connaissances, a avancé quelque sys- ième contraire à toutes les idées généralement admises , quelque paradoxe remarquable par sa singularité, le lecteur impartial trouve un sujet curieux d'observations dans les moyens qu'emploie l'auteur pour appuyer son opinion, dans les para- doxes accessoires auxquels il est obligé d'avoir 286 OBSERVATIONS recours. Il y trouve encore un intérêt d'un ordre plus élevé, lorsqu'il envisage ces efforts dans leurs rapports avec l'esprit de système et avec l'histoire des erreurs de l'esprit humain. Aurait-on pu se douter qu'un climat incertain et souvent rigou- reux , où l’homme est exposé à plus de besoins, füt néanmoins le plus propre à seconder les re- cherches et les travaux scientifiques qui exigent le plus de loisir et d'indépendance ? Bailly nous avait dit lui-même : « Je ne me sens pas la force » de méditer quand je suis pressé par la faim , » quand il fant songer à me vêtir pour me dé- » fendre du froid, ou quand la pluie m'inonde en » attendant que ma maison soit bâtie. » Se se- rait-on avisé de croire qu'une atmosphère nébu- leuse, dérobant fréquemment les astres aux yeux de l'observateur, dût être favorable à leur étude, et qu'un ciel toujours pur pouvait être un obsta- ele aux progrès d’une science qui repose toute entière sur l'observation des phénomènes célestes? La latitude de 50 degrés est celle qui a fourni les plus grands résultats astronomiques parmi les modernes. Oui, mais il faut distinguer, dans une science , les découvertes faites immédiatement par l'observation , d'avec celles qui sont le pro- duit du génie méditant sur des faits connus. Les fruits d'une savante et profonde théorie peuvent naître sous toutes les latitudes , en l'absence des objets dont elle s'occupe. Les premières règles SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 287 de la philosophie et de la critique nous appren- nent aussi que, pour apprécier une découverte , il faut comparer l'inventeur à son siècle, exami- ner les ressources dont il a été privé, ce qu'il a fait par ses propres forces , ou les secours que lui avaient préparés ses devanciers, la masse des faits recueillis où non avant lui, en un mot, toutes les circonstances au milieu desquelles il s’est trouvé. « Sans doute , dit encore Bailly, il » a bien fallu que les découvertes de Newton » fussent préparées; on ne construit pas un vaste » édifice sans matériaux amassés. » Pour étayer son opinion touchant la latitude où il place le berceau des sciences, Bailly parle de vestiges d’un ancien peuple civilisé, que l'on trouve dans ces régions , tels que des ruines de villes, des manuscrits en papier de soie, des ca- ractères tracés avec l'encre de Chine , de l'or et de l'argent, des tombeaux, des inscriptions, ete. Mais si la révolution qui a fait disparaître le peu- ple primitif est, selon l’auteur même , du nombre de celles qui détruisent tout, comment ces ruines peuvent-elles appartenir à un peuple anéanti par une semblable révolution ? Et ces ruines ne sont- elles pas beaucoup trop modernes , pour dater d'une époque antérieure de plusieurs sièeles à celle de trois mille ans avant notre ère, temps où l’Astronomie n'était, dit Bailly, qu'un emprunt fait à des siècles bien plus anciens? D'ailleurs , 288 OÉSERVATIONS dans combien d’autres lieux ne trouve-t-on pas des ruines , des monumens et des traces d'une ancienne civilisation ? Bailly dit que si l'on pouvait placer l'origine des sciences au Pôle même , ce serait peut-être le moyen de donner une explication naturelle de plusieurs fables , telle que celle de Proserpine, qui passant tour à tour six mois sur la terre et six mois dans les enfers, serait l'emblème des jours et des nuits de six mois qui se succèdent alter- nativement au Pôle. Ce serait aussi là l’origine des années de six mois que l'on retrouve encore au Kamitschatka. Mais malgré ces vraisemblances, Bailly renonce à une telle supposition et déclare que ce n'est là, en effet, qu'une simple hypo- thèse , une pure fiction. A convient ainsi, et nous pouvons prendre acte de cet aveu, qu'une certaine correspondance spécieuse entre les tra- ditions et des circonstances locales de climat, est une faible preuve en faveur des inductions qu'on en voudrait tirer. Mais alors, pourquoi trouverait- il plus de vraisemblance à rapporter l'origine de la fable du phénix à des nations habitant les contrées qui voient disparaître le Soleil plusieurs jours de suite ? Les vestiges des plantes de l'Inde que l'on trouve en Europe, les empreintes découvertes à une grande profondeur, semblent attester, aux yeux de Bailly, que les climats où on les ren- SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 28 contre fürent jadis la patrie de ces plantes, où régnait une chaleur nécessaire à leur existencé et dont la privation postérieure à détruit ces espèces, qui changent de climat en suivant la . témpérature à laquelle elles sont attachées. IL en est de même des grands animaux des pays chauds, dont on a trouvé des dépouilles dans la Sibérie et autres régions éloignées de leur patrie actuelle. « On na point dit, observe Bailly à ce sujet, > que la cause de ces faits était une altération » de la température du Globe. Cette explica- » ton est trop simple pour avoir été saisie » d'abord ; elle n'est que le fait méme...... » L'esprit humain n'arrive aux idées vraies, et » surtout aux idées simples, que par une marche » tortueuse, par des circuits. » Parlant ensuite de l'hypothèse du changement de position de l'axe terrestre, « Si ce changement , dit-il, est Ÿ arrivé graduellement ; il à fallu plusieurs mil- » liers de siècles; et c’est une supposition bien » forcée d'établir que les formes de la matière, » que ces dépouilles d'un animal mort aient pu ÿ se conserver sans altération , et soient encore » reconnaissables après ces milliers de siècles. » En rejetant avec Bailly la supposition du dé- placement graduel de l'axe terrestre, nous lui demanderons combien il a fallu de siècles depnis l'époque où la température de la Zône torride 19 490 © OBSERVATIONS régnait par les 70 degrés de latitude, où les bords de la Mer Glaciale étaient la patrie naturelle de l'éléphant et du rhinocéros, jusqu'* celle où, par l'effet progressif du refroidissement insensible du Globe, l’abaissement de la température devait amener dans ces lieux la congélation du mercure. Nous lui demanderons comment , pendant ces milliers de siècles, la chair des animaux a pu se conserver jusqu'à nos Jours, avec sa peau et ses poils , et dans un ‘tel état de fraîcheur, que des chiens, comme l’on sait, en ont mangé. N'’est-il pas de la dernière évidence que cette chair, à l'instant de la mort des animaux, a dû être saisie par un froid assez prompt pour la geler tout-à- coup et la maintenir dès-lors constamment dans cet état? Et un tel phénomène, pour échapper à toute supposition forcée , peut-il s'expliquer autrement que par une grande et subite catas- trophe, qui a transporté ces animaux dans les diverses régions où l’on trouve aujourd'hui leurs dépouilles, et Les a déposés sur un sol étonné dé les recévoir? Ne se moquerait-on pas de nous, si nous di- sions sérieusement que la chair des animaux qui meurent actuellemént dans certaines parties dé l'Asie et de l'Afrique, se conservé dès ce moment et se conservera jusqu'à l'époque future où le refroidissement du climat viendra la mettre pour toujours à l'abri de la putréfaction, pour la mon- SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 29 trer intacte aux observateurs à venir? C'est pour- tant précisément ainsi que l’on raisonne , lors- qu'on explique par le refroidissement du Globe, la conservation des restes d'animaux trouvés dans la Sibérie. Si les lumières, marchant avec la température qui leur convient, sont venues du Nord à me- sure que les climats se sont refroidis , il régnait donc chez le peuple primitif, dans les temps où il cultivait les sciences avec tant de succès, une température beaucoup plus élevée que celle que l'on éprouve aujourd'hui dans ces régions. Mais, dans ce cas, nous avons deux remarques à faire sur ce point. Il est donc faux que le climat actuel de Paris, de Londres et de Berlin soit le plus favorable aux progrès des sciences ; et les grandes découvertes dont on fait honneur à ce climat , s'élèvent contre le système même à l'appui du- quel on les cite. D'un autre côté, comment les sciences ont-elles si fort dégénéré en approchant des contrées méridionales, à mesure qu'elles sont venues y recouvrer la température qui leur était la plus convenable et à la faveur de laquelle elles avaient fait leurs premiers et leurs si hauts pro- grès ? Si la Terre s’est refroidie, c’est par des degrés inappréciables, par une progression si lente, que nous n’en trouvons aucune indication dans l'his- 292 | OBSERVATIONS toire positive des siècles connus (1). La nature vivante, circonscrite d'abord dans les régions po- laires, n’a pu s’avancer vers l'Equateur que par une marche insensible. Comment expliquer alors l'origine attribuée À toutes les anciennes nations de l'Asie et de l'Afrique, que l’on nous présente comme des colonies soudaines et à peu près si- multanées d'un peuple septentrional ? Comment expliquer le fait sur lequel on s'appuie, que le berceau de toutes les anciennes monarchies date d'une époque fixe, à pen près la même pour toutes ? Bailly admet le Déluge , mais on dirait qu'il n'y croit que parce qu'il en trouve des indices dans les vagnes traditions des peuples les moins connus. Quand on abandonne volontairement la (1) I résulte des recherches de M. Fourier, Membre de l’Institut Royal de France, sur le refroidissement sé- culaire du globe terrestre , et d’un Mémoire de Pillustre auteur de la Mécanique Céleste , sur la diminution de la durée du jour par le refroidissement de la Terre ,. que ce refroidissement du Globe et la diminution de son volume qui en serait la suite, entraînant une accélération dans sa rotation diurne , n’aurait pas ‘raccourci d’un trois cent quatre-vingtième de seconde centésimale , la durée du jour sydéral, dans un intervalle de deux mille ans. ( Voy.la Connaissance des Temps pour 1823 page 248). SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 293 lumière des monumens historiques , il n’est pas étonnant que l’on tombe dans un abime de difi- cultés et de contradictions , au fond duquel on se débat, à la lueur incertaine et trompeuse des conjectures et des hypothèses les plus gratuites et les plus étranges. Nous avons, dans les Livres Saints, une his- toire authentique du Déluge et de la dispersion des peuples, qui résout toutes les difficultés et donne une explication satisfaisante de tous les faits. Pourquoi laisser le flambeau de l'histoire.et s'enfoncer de préférence dans les nuages des conjectures et des systèmes? Pourquoi s'écarter d'un fleuve dont le cours est non-interrompu et dont on a la source sous les yeux, pour aller chercher au loin quelques branches égarées, qui, par leur changement de pente et de direction, peuvent tromper sur leur véritable origine ? N'est-ce pas violer toutes les règles d’une saine critique, que d'accorder plus de confiance à des traditions éparses , invuhérenves et dépourvues de tout caractère d'authenticité, qu'à des écrits po- sitifs, dont les auteurs sont connus et sur les- quels se réunissent au plus haut degré toutes les preuves qui constituent la certitude historique ? Si l’on se croit fondé à rejeter le témoignage exprès d'une histoire consacrée par l'opinion universelle , quels puissans argumens pourra-t- en alléguer en faveur de quelques traditions obs- 294 OBSERVATIONS cures , ignorées , enveloppées de nuagés, sans autorité quelconque et ne se rattachant à aucun fil historique? Est-ce par le Déluge qu'a péri le peuple pri- mitif d’où sont sortis les législateurs et les insti- tuteurs de toutes les nations postérieures? Bailly ne s'explique pas nettement là-dessus. Les lu- miéres quil attribue à ce peuple sont les con- naissances présumées anté-diluviennes dont il a essayé de tracer l’histoire. Mais comment conci- lier cette opinion avec les assertions suivantes , qui sont les conséquences expresses de ses deux premières Lettres : « Que les Perses furent une 5 colonie instruite autant étrangère à la Perse, $ que Fohi à la Chine; que les Chaldéens furent » un Collége étranger de prêtres instruits, qui » apportèrent les lumières d'un autre climat ; » que les Brames ne sont point originaires de » l'Inde, et qu'ils y ont apporté une langue et. 5 des connaissances étrangères ? » Bailly adopte la date du Déluge fixée par la chronologie sacrée, en choisissant toutefois la limite la plus reculée assignée à ce grand événement. Mais qu'est-ce donc à dire? Les Perses, les Chaldéens et les | Brames sont-ils des hommes anté-diluviens ou non? Nous n'avons pas oui dire que Noé eût : embarqué dans l'Arche des Colléges de prêtres # chargés de transmettre sur la terre renouvelée , les connaissances dont ils auraient été déposi-{ SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 205 taires. Si ces colonies savantes sont postérieures au Déluge, il n'est plus possible de comprendre le système de Bailly, et tout ce qu'il dit des connaissances antérieures est alors en pure perte, Le peuple primitif lui-même a-tl survécu au Dé- luge? Non sans doute, puisque, suivant Bailly, le souvenir en était déjà perdu plus de trois mille ans avant notre ère. Mais alors d’où venaient donc ces colonies qui ont instruit les Egyptiens, les Chal- déens , les Perses, les Indiens et les Chinois ? Au commencement du troisième Livre de son Histoire de l’Astronomie, Bailly semble convenir, d'une manière assez expresse , que ce défant de liaison observé dans les connaissances des anciens peuples, ce mélange hétérogène de notions po- sitives, d'erreurs et de fables, qu'il s'étonne si fort de trouver chez les Indiens, les Chinois, les Chaldéens, ete. , auraient pris leur source dans les suites inévitables de la dispersion des peuples parus d'un centre commun, lesquels conservant quelques restes des traditions échappées an Dé- luge, en oublièrent les théories et les explications, et ne purent ainsi les transmettre aux générations suivantes. Mais cela ne prouverait rien touchant la latitude du peuple anté-diluvien, dont le Dé- luge a dû effacer toutes les traces; et la question des colonies de ce peuple reste avec toutes ses difficultés. Si le peuple primitif n’est, après tout, que le 206 , OBSERVATIONS genre humain considéré dans l’état où il était avant le Déluge universel, ce n'était pas la peine de faire tant d'efforts pour découvrir sur quel point de la Terre il avait plus particulièrement donné l'essor à son intelligence et à son industrie, pour prouver qu'il devait yavoir plus de connaissances au moment du Déluge, qu'il n'en dut rester après {a destruction des hommes, et pour établir qu'une partie des connaissances humaines peut remonter à une source primitive, ce que personne ne songe à contester. Combien de discussions étrangères se trouvent liées ici à un sujet si simple? Que font à cette matière la question si une nation peut dégénérer , celle du refroidissement du Globe, et une foule de détails qui semblent n'avoir d'au- tre but que de jeter le doute et l'incertitude sur toutes les traditions historiques , et de donner à penser qu'il faudrait refaire toute l'histoire an- cienne , en rejetant tous les matériaux réputés authentiques jusqu'ici ? Les Lettres de Bailly sont écrites dans un style très-agréable et ornées de belles connaissances : il est fâcheux que l'auteur n'ait pas fait de tant de richesses un usage plus raisonnable et surtout plus utile. Nous l'avons souvent eité contre lui- même : c'est le sort inévitable de tout écrivain qui soutient une cause faible, de s’exposer à être battu par ses propres armes. Les incohérences et les contradictions sont la pierre de touche de 4 î SUR LE SYSTÈME DE BAILLY. 297 tout écrit où l'on poursuit un autre objet que la vérité, car la vérité ne peut se démentir elle- même. L'édifice le plus beau et le mieux décoré : ne peut se soutenir, s'il porte sur une fausse base, Mais il n'importe pas moins, en pareil cas, de prémunir les jeunes gens et les lecteurs su- perficiels contre la séduction que peuvent exercer sur eux les grâces du style et l'appareil des con: naissances, BO0E0OONCDIO IDC ONIIO DIINITONMENOONIEDNIO | AA CN à DES Dons faits à la SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE SAVOIE , jusqu'en août 1825. Manver du Bon Fermier; par M. Gayme ainé, de Chambéry; 1 vol. in-8.° Donné par l'auteur. SAGG10 di Orittografia Piemontese ; par M. FAbbé Borson, Membre de l'Académie Royale des Sciences de Turin, etc.; in-4.° Donné par l'auteur. MÉMOIRE sur la libration de la Lune , avee FADDITION à ce Mémoire, insérée dans la Con- naissance des Temps pour 1822; par M. Ni- collet, Astronome-adjoint au Bureau des Longi- tudes de France. Donné par l’auteur. ÉLEMENS de Géographie moderne, à l'usage des Colléges et Écoles des États de S. M. où l'enseignement 5e pratique en langue francaise ; 2 vol. in-12.; par M. G.-M. Raymond. Donnés par l’auteur. ÉLOGE historique de S. Exec. M. le Comie Joseph de Maistre, etc.; in-4.° Par le même. Norice sur le lignite de Sonnaz; par M. le Chänoine Billiet. Donnée par l'auteur. ÉTAT DES DONS , etc. 299 RELATION militaire des principaux monve- _mens et combats de l’armée Austro-Sarde, dans la campagne de 1815 , ete; par M. le Comte Théophile de Villette-Chivron , Lieutenant-Co- lonel dans l'État-Major de S. M. le Roi de Sar- daigne , etc. (aujourd'hui Colonel Adjudant gé- néral, Chef d'État-Major en Savoie) ; 1 vol. in-8.” avec une carte. Tome XXVII des Mémoires de l'Académie Royale des Sciences de Turin ; un vol. in-4.° Envoyé par l'Académie. Dessin lithographié de l'Arc de Campanus, d'Aix-en-Savoie , publié par M. le Chevalier de Gimbernat , Conseiller de Légation de S. M. le Roi de Bavière. Donné par M. le Docteur Despine , Correspondant de la Société. DESSIN au lavis d'une partie du même Arc, par M. le Général Comte de Loche. Donné par l'auteur. ORAISON FUNÈBRE de S. M. VICToR-EMMA- NUEL, Roi de Sardaigue, prononcée le 19 février 1824, par M. le Chevalier et Chanoine Rey, Archidiacre de la Métropole de Chambéry, etc. (aujourd'hui Évêque de Pignerol) ; un vol. in-4.° TABLEAUX offrant les résultats de la culture d'un grand nombre de pommes de terre; par M. le Chevalier Colonel de Martinel. Envoyés par l'auteur. PorrTrart lithographié de feu le Comte Ber- Boo ÉTAT DES DONS thollet, Pair de France, Membre de la Société. Offert par M. le Chevalier Président Falquet, Avocat-fiscal-général près le Sénat de Savoie. Norice historique sur le duc de Savoie Em- manuel-Philibert; par M. Marin ; in-8.° Donnée par l'auteur. TRAITÉ de la culture de la vigne dans le Can- ton de Vaud; par M. Brun-Chappuis, de Vevey. Donné par M. Chevalley aîné. MÉDAILLE en argent, frappée à l'occasion de la pose, par S. M. le Roi CHARLES -FÉLIX, de la première pierre pour le diguement de l'Isère. Donnée par S. Exec. M. le Comte d’Andezeno, Gouverneur général de la Division de Savoie. PIECE de vers intitulée : À S. M. le Roi CHARLES -FÉLIX; par M. Aimé Burdet, d'An- necy, Correspondant. Donnée par l’auteur. DEL METRO SESSAGESIMALE , antica mi- sura egizia rinnovata in Piemonte; Leziont accademiche del Conte Prospero Balbo ; in-4..° Donné par l'anteur_ MÉMOIRE sur une éducation de vers-à-soie (en 1822); par M. Mathieu Bonafous, Direc- teur du Jardin expérimental de la Société Royale d'Agriculture de Turin, Membre de plusieurs Sociétés d'Agriculture ; in-8.° Donné par l'auteur. DE L'ÉDUCATION des vers-à-soie , d'après la méthode du Comte Dandolo ; in-8.° Par le même: DE LA CULTURE du Mürier; in-8.° Par le même. FAITS À LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE. 301 RELATION du voyage de LL. MM. en Savoie, en 1824; broch. in-8.° Donnée par MM. les Syndies de la ville de Chambéry. DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE , en 39 vo- lumes in-4.° brochés. Donné par M. ke Comte de Loche. ANNALES D'ITALIE, de Muratori; 12 vol. in-4.° Données par le même. ŒuvRESs d'Abauzit; 5 vol. in-8.° Données par le même. ENCYCLOPÉDIE par ordre de matières ; 149 volumes , in-4.° Donnée par M. l'Abbé Rendu. Jusre-Lipse ; 5 volumes in-4.° Donné par M. le Chanoine Billiet. Six Pièces de musique religieuse de la com- position de M. G.-M. Raymond, Secrétaire Per- pétuel, gravées à Lyon. Données par l'auteur. DESSIN colorié et encadré, du local de la car- rière de Lignite de Sonnaz. Donné par M. le Comte de Loche. MODÈLE en petit de la Charrue Belge; donné par M. Chevalley aîné , Correspondant. OSSERVAZIONI ed esperiense agrarie ; pat M. Mathieu Bonafous. Données par l'auteur. Tome XXVIIT des Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de Turin; in-4.° Envoyé par l’Académie. Hisroïre de Nice, depuis sa fondation jusqu'à l'année 1792, etc. Par M. Durante, Capitaine 302 ÉTAT DES DONS dans les armées de S. M. le Roi de Sardaigne ; etc.; 5 vol. in-8.° reliés. Donnée par l’auteur. ÉLOGE historique du Président Antoine Favre; par M. le Sénateur Avet; in-4.° Donné par l’au- teur, avec nn portrait lithographié du Président Favre. CARMINA ex antiquis lapidibus, ete.; de Bonada; 2 vol. in-4.° Donné par M. Bise, Biblio- thécaire de la ville de Chambéry. PALINGENÉSIE philosophique de Charles Bon- net; 2 vol. in-8.° Donnée par M. le Comte de Loche. OBSERVATIONS sur la onde et la vaccine; par M. le Docteur Dufresne, Membre de la Fa- culté de Genève. Données par l’auteur. DES PRINCIPAUX SYSTÈMES de Notation mu- sicale usités ou proposés chez divers peuples tant anciens que modernes , ou examen de cette ques- tion : L'écriture musicale généralement usitée en Europe est-elle vicieuse au point qu'une réforme complète soit devenue indispensable? Par M. G.-M. Raymond; un vol. in-4.° Donné par l'au- teur. Norice historique sur les inondations de l'an- née 1824 ; par M. le docteur Fodéré, Professeur de Médecine légale à Strasbourg, Correspondant; in-8.° Donnée par l’auteur. PORTRAIT lithographié d'Amédée VITE, premier Duc de Savoie. Donné par M. Burdet ainé. FAITS A LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE. 30% , PorrrAiT lithographié de fen M. Tôchon d'Annecy, Membre de l'nstitut de France et de la Société Académique de Savoie. Donné par Île même. Collection complète du Journal de Savoie, depuis son origine jusqu'en 1824 inclusivement, comprenant neuf années consécutives sans inter- ruption ; o vol. in-8.° cartonnés. Donnée par M, G.-M.Raymond, Secrétaire Perpétuel de la Société. NoricE sur le zodiaque de Denderah , ete.; par M. J. Saint-Martin, Membre de l'Institut de France ; in-8.° Donnée par le même. Deux exemplaires de divers Mémoires sur la culture de l'abeille; in-8.° ; par M. le Comte de Loche. Donnés par l’anteur. MÉYAPHYSIQUE des Études , ou Recherches sur l’état actuel des Méthodes dans la culture des lettres et des sciences, etc.; un vol in-8. ; par M. G.-M. Raymond. Donnée par l'auteur. NOTICE sur les Charmettes et sur les environs de Chambéry; in-8.0 5.me Édition. Donnée par le même. DE LA MUSIQUE dans les Églises, considérée dans ses rapports avec l'objet des cérémonies re- ligieuses ; suivi de deux Lettres sur le même sujet; par M. G.-M. Raymond. Donné par l'auteur. EssaAr sur la détermination des bases physico- mathématiques de l'Art musical ; par le même ; in-8.° Donné par l’auteur. 304 ÉTAT DES DONS, eéc. PLAN d'un Cours de Logique, etc.; par le même ; in-8.° Donné par l’auteur. ÉLOGE de Blaise Pascal, suivi de Notes histo+ riques et critiques ; Discours qui a remporté le Prix double d’éloquence à l’Académie des Jeux Floraux ; 2.m€ Édition in-8. ; par le même. Donné par l'auteur. CODICES manuscripti Bibliothecæ Regit Taurinensis Athenœi, ete. Un gros vol. in-fol. Donné par M. Burdet aîné. A Fa SURAL