(a POS SES fac RARES VENU MU | LR ) - di V RE “ua hr % as NY. L [l PA » j NE : = PDG PRA j SEA PVR F ADS 3 \ LAN SANTO 4 S y PRE MUŸ 1 NUIT P\.) TV. Ç v TP rer Ce Œ €èxe CIGC RCA CCg r CuECE À ; 8 QI 8 APIBRRS EI TON TARN: ER JE ER CE _— : es EH CLS L Le . 1 . 43 h A L É : «CE 6 D La des Sneseseneoeresesesecesecee20e0202020252080208n2022272080252620800080806020252120276080R02525 0600808026 81002202 52805 6 ; pe E Ë : L DS sœu OIRES NOBS » ELLES-LETTRES | DE CAEN. IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES | ARTS ET B MEN L'ACADÉMI e ê É ©. n ni $ © ë >| è H Hi Fi è % $ ê > ô| A || 6 Î ) à: 116 AI È” o è + À ne om APS SE A 2 I < URSS) L % US ro At AU MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DE CAEN. Es B$ MÉMOIRES DE L’'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES 9 ARTS ET BELLES-LETTRES DE CAEN. CAEN, CHEZ A. HARDEL , SUCCESS. DE T. CHALOPIN IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES, , 19936. CR ENTRE RAROHO d LSRGhTAR ALL ER ANUS PNSNRPTT COLE 2 7 ANRT: on 5° ue” LE ñ te i ne à 7: Te : das à a le AUS !2Y: l'A EnneE at ‘ : d t 4 À #“ L , “ J PLUS A dd ae RÉGLEMENT # DE L’ACADÉMIE ROYALE des Griences, Arts et Belles-Lettres DE LA VILLE DE CAEN, Art. Ecr. L'’aAcADÈMIE des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, se compose de membres honoraires, de membres titulaires, et d’associés-correspon. dans. Art. IL Le nombre des membres honoraires n’est pas limité. Ils ont rang immédiatement après le bureau et jouissent des mêmes droits que les membres titulaires, II RÉGLEFMENT. Art. IIL. Le nombre des membres titulaires est de trente-six. ART. IV. Celui des associés-correspondans est illimité. Ils prennent place parmi les membres titulaires dans les séances publiques et particulières, mais sans avoir voix délibérative. ART. V. Toute nomination pour les titres d’hono- rare, de titulaire ou d’associé-correspondant est précédée d’une présentation, sauf le cas où un membre titulaire demandera à devenir ho- noraire. Toute présentation est faite par écrit, signée par un membre honoraire ou titulaire , et re- mise cachétée au président ou au secrétaire , avec un ouvrage imprimé ou manuscrit, COm- posé et adressé à l’Académie par le candidat. Cette proposition et les pièces à l'appui sont renvoyées sous le même cachet à l'examen de la commission d'impression. Le jour où le rapport doit avoir lieu est annoncé dans les lettres de convocation. RÉGLEMENT. TTL La commission , lorsqu'elle le juge conve- able, est dispensée de son rapport , sans être obligée de faire connaître les motifs de son silence ;’mais elle doit avertir et entendre le membre qui a proposé le candidat, l'Académie se réservant le droit de prononcer sur les ré- clamations. ART. VI. L'Académie, après avoir entendu le rapport de la commission , décide s’il y a lieu à procé- der à l'élection. Dans le cas de l’affirmative, elle peut y procéder sur-le-champ ou la ren- voyer à la séance suivante pour tout délai. ART. VIL. Pour être nommé, au premier tour de scrutin, membre de l’Académie, il faut avoir réuni la moitié des voix des membres ayant droit de voter. Lorsquele nombre de suffrages n’est pas obtenu , il sera, dans la séance suivante, pro- cédé à un nouveau tour de scrutin, dans lequel il faudra, pour être élu, obtenir les deux tiers des voix des membres présens. Si plusieurs membres sont en concurrence , IV RÉGLEMENT. et si l'élection n’est pas faite par ce scrutin, il sera procédé immédiatement au ballotage entre les deux candidats qui auront eu le plus grand nombre de voix, et celui qui obtiendra la majorité relative sera proclamé membre de l'Académie; en cas de partage égal de voix, le plus àgé est élu. ART. VII. Les officiers de l’Académie sont: un prési- dent, un vice-président, un secrétaire, un vice- secrétaire et un trésorier. sf Ces dignitaires sont indéfiniment rééligibles, à l'exception du président, qui ne peut être réélu qu'après un an d'intervalle ; il devient de droit vice-président. ART. IX. Il sera créé une commission d'impression, composée de cinq membres. Elle choisira dans son sein un président et un secrétaire , et elle se réunira sur la convocation de son président. Elle fera connaître par des rapports ou par des lectures les manuscrits que renferment les archives ; elle présentera à l'approbation de l'Académie les mémoires qui pourront être lus en séance publique ou imprimés; d'accord avec RÉGLEMENT. v l’auteur , elle fera les changemens qu’elle jugera convenables. L'Académie se réserve le droit de prononcer _sur les difficultés qui pourraient s'élever. ART. X. De nouveaux membres pourront être tem- porairement adjoints à la commission d’impres- sion, et des commissions spéciales être créées toutes les fois que l’Académie le jugera con- venable. \ Arr. XI. Les membres du bureau, ainsi queles mem- bres de la commission d'impression et de pré- sentation, sont nommés chaque année dans la séance de novembre, à la majorité des suffrages des membres présens. Pour les membres du bureau, sila majorité n’est pas acquise aux deux premiers tours de srutin, ilest procédé à un scrutin de ballotage, entre les deux membres qui ont obtenu le plus de voix au second tour. Pour les membres de sa commission, si la majorité n'est pas acquise au premier tour de scrutin, la pluralité décidera au second. VI RÉGLEMENT. ART. XII. Toutes les nominations se font au‘scrutin, les autres délibérations se prennent par la même voie, à moins que le président ne propose d'y procéder à haute voix sans qu’il y ait réclama- tion, AnT. XIII. L'Académie tient ses séances le quatrième Vendredi de chaque mois, à sept heures pré- cises du soir; le jour et l'heure des séances peu- vent être changées. Elle prend vacance pendant les mois d'août, de septembre et d'octobre. ART. XIV. L'Académie tient en outre des séances publi- ques. Le jour, l'heure, le lieu et l’objet de ces séances sont fixés par une délibération. ART. XV. . . 1] Tous les membres titulaires sont tenus d’as- . . « . , ? L4 sister AU MOINS à CInq séances dans l’année. RÉGLEFMENT. VII Il sera distribué, pour droit de présence, des jetons dont l’Académie déterminera , par un arrêté particulier, la forme et la valeur. A l'ouverture de la séance, le président si- gnera le registre pour clore la liste des membres présens. ART. XVI. Les membres titulaires qui auraient laissé passer une année sans paraitre à aucune séance, ou deux années sans présenter aucun travail , et ceux qui auraient cessé de résider à Caen, deviennent de droit associés-correspondans. Il sera pourvu sans retard à leur remplacement. ART. XVII. La liste des membres honoraires, titulaires et associés-correspondans. sera imprimée cha- que année et remise à chaque membre. RAA NA VA AA A URL LAB LTS, MULALA AAA AV AA LU VW VAL AAA VE AU LISTE Des Membres honoraires, titulaires et associés- correspondans de l’Académie. 1836. BUREAU. MM. . ROGER , président. HÉRAULT , vice-pr Éidents HÉBERT , secrétaire. EDOM , wice-secrétaire, LE GRIPS , trésorier, HONORAIRES, MM. LE BOUCHER , médecin et membre honoraire de la société de 2] LANGE, médecin et membre honoraire de la société de médecine, VI LISTE VAULTIER , doyen de la faculté des lettres de Caen. SPENCER-SMITH, membre de la société royale et de la société des antiquaires de Londres. Ù THOMINE-DÉSMAZURES , ancien président du tribunal civil et ancien doyen de la faculté de droit. MARC , recteur de académie. MEMBRES TITULAIRES. MM. TARGET , préfet du département du Calvados. LE GRIPS , conseiller de préfecture. DESLOGES , directeur de l’assuranee mutuelle contre lin- cendie , pour les départemens du Calvados , de l'Orne et de la Manche. LAIR (P. A.), conseiller de préfecture , secrétaire de la société d'agriculture et de commerce de Caen. | DE MAGNEVILLE , membre de la société d'agriculture de Caen. GODEFROY , docteur en médecine. PRUDHOMME , ancien professeur de navigation. HÉBERT , conservateur de la bibliothèque de la ville. THIERRY , doyen de la faculté des sciences. TROUVÉ, professeur à l’école de médecine, médecin en chef des hospices civil et mihtaire. PATTU , ingénieur en chef des ponts et chaussées du dé- partement du Calvados. | LE SAUVAGE, professeur à l’école de médecine , chirur- gien en chef des hospices civil et militaire. JAMET (l'abbé), ancien recteur de l'académie , directeur de la maison du Bon-Sauveur de Caen. DE MM. LES MEMBRES. VI DAN DE LA VAUTERIE , membre de la société de mé- decine. HÉRAULT , ingénieur en chef des mines. RAISIN , directeur de l’école de médecine. DE LA FOYE, professeur de physique à la faculté des sciences. EUDES-DESLONGCHAMEPS ; professeur d'histoire natu- relle à la faculté des sciences. ROGER , professeur d'histoire à la faculté des lettres. DANIEL (l'abbé), proviseur du collége royal de Caen. MAILLET-LA-COSTE , professeur de littérature latine à la faculté des lettres. DE CAUMONT, correspondant de l'institut , secrétaire de la société des antiquaires de Normandie. EDOM , inspecteur de l’académie. LÉCHAUDÉ D’ANISY , membre de Ja société des anti- quaires de Normandie. BERTRAND, professeur de littérature grecque à la faculté des lettres. BUNEL ( HwrozyTe), officier de marine en retraite. LE FLAGUAIÏS ( Azpnonse ), homme de lettres. MEMBRES ASSOCIÉS-CORRESPONDANS, RÉSIDANS A CAEN. MM. CHANTEPIE , ancien inspecteur de l'académie. THOMINE fils, ancien professeur à la ficuhé de droit. ASSELIN , docteur en médecine. ; BOISARD , conseiller de préfecteure. DESHAYES , peintre et membre de la société des anti- quaires. VHT LISTE SIMON , ingénieur , directeur du cadastre. PREL , ancien vérificateur des domaines. ROBERGE , membre de la société linnéenne. CASSIN , censeur du coilége royal de Can. SAINT-GERMAIN , directeur du conservatoire de musique de Caen. DE LA TROUETTE , professeur suppléant de litiérature française à la faculté des lettres. DE GOURNAY , avocat , suppléant de littérature latine à la faculté des leitres. SUEUR-MERLIN , ancien membre de la commission cen- trale de géographie et de la société académique des sclences de Paris. MARTIN , professeur au collége royal de Caen. ASSOCIÉS-CORRESPONDANS. MM. SURIRAY, médecin, à Paris. SIMON , ancien bâtonnier des avocats , à Grainville ; près Caen. ASSELIN , directeur de l'académie de Cherbourg. DE TILLY ( Anavror ), député, à Villy, près Villers- Bocage. GOULLET DE RUGGY , ancien colonel d'artillerie , à Metz. TAILLEFER , inspecteur de l'académie , à Paris. BRONGNIART ( Azexannre), membre de l'institut , aca- démie des sciences , à Paris. BOUILLON LA GRANGE, professeur de chimie, à Paris. DAVID , ancien consul à Smyrne, à Falaise. DE MM. LES MEMBRES. IX LE GAIGNEUR , homme de lettres , à Saint-Aubin-d'Ar- quenay. CHANVALLON , hommes de lettres, à Carentan. DE FRANCE , naturaliste, à Paris. DUBOIS , sous-préfet , à Vitré. GIRARD , ingénieur en chef des ponts et chaussées , membre de l'institut , académie des sciences , à Paris. MOLLEVAUT , homme de lettres, à Paris. LESCAILLE,, ingénieur en retraite, à Saint-Germain-en- Laye. DE LA PBOUISSE ( Avcusre }, homme de lettres , à Paris. Me. DE LA BOUISSE (Eréoyore) , à Paris. DESETABLES , fabricant de papier , à Vire. LANON DE LA RENAUDIÈRE , membre de la commis- sion centrale de la société de géographie , à Paris. TOUSTAIN DE RICHEBOURG , à Saint-Martin-du- Manoir , près Monuvilliers. VIGNÉ , docteur en médecine , à Rouen. DESGENETTES , professeur à l’école de médecine, membre de l'institut, académie des sciences ; à Paris. BINET , dessinateur au ministère de la marine, à Paris. FAYOLLE , homme de lettres ; à Paris. REGNAULT DE BAUCARRON , à Nogent-sur-Seine. JACQUELIN-DUBUISSON , à Paris. COSTAZ l’ainé, ancien préfet de la Manche , à Paris. D'ARCET , membre de l'institut , académie des sciences , a Paris. THIÉBAUT DE BERNEAUD , naturaliste . à Paris. LE PÈRE , ancien inspecteur des ponts et chaussées, à Gisors. TURPIN , membre de l'institut , académie des stiences , à Paris. X LISTE DE THÉIS , homme de lettres , à Laon. DE MAIMIEUX , homme de lettres, à Paris. GUITTARD , docteur en médecine, à Brrdeaux. MOISSON (l'abbé) , à Chicheboville. PRÉVOST D'IRAY (le comte}, à Paris. : DE LA RUE, secrétaire de la société d'agriculture , à Evreux. CAILLY , officier supérieur d'artillerie , à Metz. MARIE-DUMESNIL , homme de lettres, à Paris. MÉCHIN , préfet du département du Nord , à Lille. PELLETIER , ancien pharmacien , à Paris. SÉGUIER (le marquis), membre libre de l'institut , à Paris. | DE BAZOCHE, naturaliste, à Falaise. LE HÉRICIER DE GER VILLE , homme de lettres , à Valognes. DAWSON-TURNER , naturaliste, à Yarmouth. DUMONT-DUR VILLE , capitaine de vaisseau, à Toulon. PRUDHOMME DU HANT-COURS , à l’île de France. a MAGENDIE , membre de l'institut , académie des sciences, à Paris. JAUFFRET , conservateur de la bibliothèque , à Marseille. VIEILLARD , sous-bibliothécaire de l'arsenal , à Paris. LE MERCIER , membre de l'institut , académie française, à Paris. BÉTOURNÉ , ingénieur des ponts et chaussces., à Angers, LE TERTRE , conservateur de la bibliothèque , à Cou- lances. SIDNEY-SMITH , amiral de la marine Britannique, à Paris. DRIEU , chef d’escadron an 5°. régiment d'artillerie , à Schelestadt. DE MM, LES MEMBRES, XI DE SUR VILLE , ingénieur des ponts et chaussées. THURET , homme de lettres, à Rouen. DE HAMMER-PURGSTAN (Jos. ), le baron , associé- étranger de l’iustitut, orientaliste | à Vienne (Autriche). AGAARD , naturaliste, Lunden ( Suède ). BOUCHARLAT , homme de lettres, à Paris. BOURDON (Isinors) , docteur en médecine , à Paris. LONDE , docteur en médecine , à Paris. GAILLON , recevéur des douanes , à Boulogne-sur-Mer. DELISE , naturaliste , à Vire. DUBOURG-D'ISIGNY, ancien président du tribunal civil, à Vire. BOYELDIEU , avocat , à Paris. POLINIÈRE ; médecin des hospices , à Lyon. DE CHAMISO ( Apazmerr ), naturaliste , à Berlin. àRTHUR , professeur de mathématiques, à Dijon. DE BEAUREPAIRE (le comte}, ancien ministre plénipo- tentiaire, à Louvagny. BRARD , ingénieur des mines, à Tarascon. DE JOLIMONT , peintre , à Dijon. DE VAUBLANC ( le comte), ancien ministre, à Paris. JULLIEN , homme de lettres , à Paris. BIGOT DE MOROGUES , correspondant de l'institut, à Orléans, DIEN, graveur à Paris. JOURDAN, docteur en médecine , à Paris. SERRURIER , docteur en médecine, à Paris. DE VENDEUVRE (le comte }, ancien préfet, à Vendeuvre. ÉLIE DE BEAUMONT, ingénieur en chef des mines, pro- fesseur d'histoire naturelle au collége de France, à Paris. GIBBON , maitre de conférence à l’école normale, à Paris. DUPLESSIS , recteur de l'académie , à Douai. XII i LISTE LAMBERT , conservateur de la bibliothèque , à Bayeux. DUPIN ( Cu. ) membre de l'institut , académie des sciences, à Paris. DE MONTLIVAULT ( Cæarxes) , ancxn capitaine de la marine royale, à Blois. DESNOYERS ( suzes ) , bibliothécaire du muséum d'his- toire naturelle ( au jardin du roi), à Paris. LA BOUDERIE ( l'abbé } , à Paris. COUEFFIN , ancien ingénieur géographe, à Paris. ODOLANT-DESNOS , à Paris. AUDOUIN , professeur au muséum d'histoire naturelle, à Paris. PETITOT , statuaire , à Paris. CHESNON , principal du collége , à Bayeux. MARCEL J. J., orientaliste , à Paris. GREY-JACKSON , ancien consul Britannique à Maroc , à S'.-Servan. MAILLARD DE CHAMBURES , à Dion. DE MONTLIVAULT ( Casoum 4, le Ce. ancien préfet du Calvados , à Creully. La Princesse Constance DE SALM , à Paris. HERBERT-SMITH ( Erouarp), membre de l’université de Cambridge , en Angleterre. PESCHE ( jeune ) , homme de lettres , au Mans, . DE LA FONTENELLE DE VAUDORÉ , conseiller à la Cour royale , à Poitiers. MANGON DE LA LANDE, directeur des domaines , à Poitiers. TRAVERS , principal du collége , à Falaise. LA DOUCETTE !{ le baron }, secrétaire de la société philo- technique, à Paris. GALERON , procureur du roi et membre de la société des antiquaires de Normandie , à Falaise. DE MM. LES MEMBRES, xHE ESCHER , sous-intendant militaire , à Rochefort. Me. LUCIE COUEFFIN , à Bayeux. GIRARDIN , professeur de chimie , à Roueu. DE LA MARE( l'abbé), grand-vicaire , à Coutances. TOLELEMER , principal du collége , à Valognes. Le Ce. D'OSSEVILLE ( Louis ), au Fresne-Camilly. REY , de la société des antiquaires de France , à Paris. Le Ce. LENOBLE , à Navarreins. COUPPEY , secrétaire de la société académique de Cher- bourg. RAPPORT SUR LDS TBAYAUX DE L'AGADÉMEE, Par M. HÉBERT, SecréraIRs. — SÉANCE PUBLIQUE DU 17 AVRIL 1835. ( Présidence de M. P.-A. LAIR. }) Messieurs , Avant d'entrer dans les détails du compte que j'ai à vous rendre des travaux de l’aca- démie, je ne puis me dispenser de vous signaler la direction actuelle des études vers la connaissance de nos poésies nationales du moyen âge. Cette route , parcourue par des membres de notre compagnie , est de nouveau explorée avec une ardeur qui 2 RAPPORT fait espérer d’heureuses découvertes ; déjà nos chroniques et nos anciennes poésies avaient fourni à des littérateurs érudits dn dernier siècle, l’histoire de quelques usages singuliers et ces fabliaux que de faibles imi- tateurs rendirent ridicules par un langage inusité dans tous les temps. Ces publications n’eurent donc qu'un succès d’estimé passagère et furent bientôt négligées, la littérature perfectionnée du siècle de Louis XIV et Louis XV se perpétua sans peine, mais sans produire aucun chef-d'œnvre; la révolution vint frapper les restés de cette littérature, qui disparut dans le bouleverse- ment de la société. Depuis quelques temps nos productions du moyen âge reparaissent et jouissent d’une si grande faveur dans les arts et dans le monde littéraire, non seulement en France, mais encore dans les contrées voisines, qu'il est curieux de rechercher pourquoi des pro- ductions long-temps négligées , sont vantées maintenant avec enthousiasme ; nous croyons qu'il est utile de ne pas laisser passer ina- perçus les premiers momens d’un changement aussi inattendu , et de s'enquérir pourquoi on recherche la trace des monumens anciens SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 3 dans tout ce qui peut rappeler leur existence et qu'on veut ressusciter jusqu’au langage de cette époque de féodalité signalée de nos Jours à la haine publique. C’est, je pense, parce que toute crainte du passé est évanouie, et que cette même féodalité qui constitue un état remarquable depuis le 10° siècle jusqu'au 15° ne nous apparait plus que comme ces ruines gigantesques, qui, vues de loin , effrayent ou élèvent l’imagina- tion, et vues de près, ne nous font plus éprouver que le sentiment pénible de l’anéan- tissement des choses humaines. En étuaiant les monumens de toute espèce, élevés dansle moyen âge,on retrouvel’histoire de ce temps, de ses mœurs, de ses croyances et les premières formes d’un langage qui, resté im- parfait, n’eût pu satisfaire à nos connaissances, à nos besoins actuels, mais qui suffisait alors à ceux d’une société dont on cherche l’enfance, et c'est cette existence primitive , c’est ce monde nouveau pour la plupart de nos cou- temporains qui présente assez de charme et d'intérêt pour offrir aux laborieuses investiga- tions de nos savans, un ample dédommagement de leurs peines. C'est lorsque l'ambition des princes carlo- À RAPPORT vingiens brisa l'unité où semblait tendre la France devenue le centre des vastes états de Charlemagne , qu’on aperçoit les premiers linéamens de la langue romaine, et c’est sous les derniers princes de cette race que pa- raissent ces hommes du nord , qui bientôt après sous leurs ducs , au temps des premiers rois de la dynastie capétienne, produisirent les Trouvères normands dont les compositions sont aujourd’hui si recherchées. Il nous appartient donc, Messieurs, de fixer la date de ce mouvement littéraire , nous qui lisons parmi les fondateurs de cette açadémie le nom du savant Bochart qui rechercha et les traces de la dispersion du genre humain et les rudimens de son langage, nous qui comptons aujourd’hui parmi nous, l'abbé ce La Rue: ce savant , par une circonstance heureuse, se trouve l'historien d’une littérature nouvelle, alors qu'il ne travaillait que pour faire connaître les droits que les hommes de lettres , nés dans sa patrie et dans le moyen âge, avaient aux hommages de la postérité. --- M. Vaultier a communiqué à l'académie une suite de mémoires sur les caractères de de la poésie lyrique et sur les formes diverses que ce genre de composition a prises chez les - SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 5 peuples anciens, modernes, et même chez les nations barbares, selon la diversité de leurs institutions, de leurs croyances et de leurs mœurs. L'auteur a détaché de ce travail im- portant, rempli d'idées müres et fruit de recherches profondes , quelques parties qui seron, .mprimées, dans le recueil des mé- moires de l’académie , aussi bien qu'une dis- sertation particulière sur les poésies d'Olivier Basselin, Ce dernier mémoire dont vous allez entendre la lecture a surtout pour objet de redresser quelques préventions locales que M. Vaultier, juge trop favorables au vieux chansonnier normand. --- Vous vous rappelez, sans doute, Messieurs, qu'à une époque antérieure M. Vaultier avait communiqué un mémoire sur les origines et la filiation des langues grecque,latine et française, avec un appendice dans lequel il traitait plus particulièrement la question de l’affinité des langues grecque et latine avec la langue slave; et que ces travaux avaient été désignés pour être publies parmi nos mémoires. L'auteur à manifesté depuis le désir qu'ils ne fussent pas imprimés, Il a pensé que la publication qui est intervenue du grand ouvrage de M. Balbi sur ces mêmes matières ayant épuisé 6 RAPPORT le sujet, son mémoire semblerait aujourd’hui dépourvu du caractère de nouveauté et d’in- térêt qu'il avait alors. — Les avantages de l’heureuse imitation en littérature et les inconvéniens d’une imitation servile ont été signalés par M. Bertrand dans un mémoire dont vous entendrez aujourd’hui la lecture et qui sera ensuite livré à lim- pression. Notre collègue nous a, fait entendre encore plusieurs pièces de poésies de sa com- position, une épüre à son ami — la convales- cenre — et une traduction en vers de plusieurs mélodies de Thomas Moore. — C’estdans les communications verbales de M. Maillet-la-Coste que nous avons pu prendre une idée de la Méthode de ce brillant profes- seur; il a récité le discours d’ouverture de son cours de littérature latine, un fragment d’un autre discours sur la traduction «et son éloge de Rollin accompagnée d’une analyse de ses ouvrages. — M. Prel a voué tous les instans de sa vie à la recherche des apologues qui sont le type des inimitables fables de La Fontaine , il a consigné ses laborieuses investigations dans un recueil qui aurait fourni 4 volumes s’il avait été imprimé ; nous avons entendu la SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE 7 lecture du préambule de ce recueil d’apologues, la fable des deux pigeons &e La Fontaine et le type, d’où cet auteur avait pu l’extraire: il nous a démontré la. supériorité de ce fabuliste sur ses devanciers et sur les originaux qui lu; avaient servi de modèles. Plusieurs séances ont été consacrées à entendre M: Prel et nous regrettons que le public ne puisse jouir du travail de ce laborieux compilateur. — L'origine du conte en vers a été aussi le sujet d’un travail de M. De Baudre, mais nous n'avons pu juger du mérite de l'ouvrage que par la première partie qui nous a été com- muniquée. — Plusieurs denos collègues ont occupé nos séances par la lecture de leurs pièces de poésies : c'est avec le plus vif plaisir que nous avons entendu les poésies de M" Coueffin quiont été choisies pour orner nos recueils. M. Alphonse Le Flaguais les enrichira de quelques-unes de ses productions , ilnous a lu : le Temple aban- donné — les Ages — mon Erreur — Malfilâtre mourant —Appui et consolationet les Neustri- ennes. M. le Tertre nous a envoyé des stances sur le courage civil — une Épitre à un ami bienfaisant , et les deux premiers chants d’un poème intitulé : les quatre Ages. ) RAPPORT === Nôûs avons reçu de M. Chanva!lon deux pièces de vers, l’Hypocrite endurci, conte, et lExpédition d’Afrique, de M. Thuret, un extrait de ses études poétiques. M. Mangon de la Lande , après avoir entretenu verbale- nent l'académie de ses recherches archéolo- giques , a lu un conte en vers, le paysan d’Analolie. M. l'abbé Rousseau a donné la traduction en vers d’une élégie de Properce, ayant pour titre : Cornelie à son mari Paulus. -- L'orthographe au nom du poète Malherbe a été l’objet des recherches de M. Léchaudé , qui à reconnu que ce poëte écrivait son nom, sans y admettre la lettre H , qui depuis un siècle ést l'orthographe adoptée ; au reste cette recherché intéresse davantage la famille à la- quelle cet homme célébre appartenait, que le monde littéraire où il occupe une si éminente place. ---Des recherches étymologiques sur le mot choléra, ont occupé M. Herbert Smith; tan- dis que ce fléau , sorti de l'Asie, ravageait l'Europe , résistait aux efforts des gouverne- mens pour léloigner, et à la science de la médecine pour ie combattre, notre jeune et savant collègue à eu la curiosité de rechercher dans les racines d’une langue asiatique lori- SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 9 ine du mot qui désignait à son berceau cette terrible maladie : l’auteur a trouvé cette racine dans la bible et composée de deux mots dérivés de deux racines qui expriment l'idée du mal dans sa généralité. Il a remarqué que ce mot est souvent pris au figuré dans les livres saints , pour désigner toutes sortes d'infortunes. M. labhé Daniel, dans un rap- port sur les recherches étymologiques du mot choléra, reconnait qu’en raison de la proximité du pays et des relations comimer- ciales , la Grèce à dû recevoir et a reçu effec- tivement beaucoup de connaissances dés peu- ples de la Phénicie, et ceux-ci étant en relation habituelle avec les Hébreux , il n’est pas étonnant que plusieurs mots de la langue dé ces peuples aient passé dans la langue grecque, et que leur signification plus étendue primi- tivement ait été altérée et rendue spéciale dans la langue qui les avait reçus ; c'est ce qui est arrivé au mot choléra que M. Daniel retrouve dans plusieurs passages des livres saints tels qu’ils ont été présentés par l’auteur du mémoire. --- Nous avons entendu, Messieurs, la lecture d’un abrégé d'histoire universelle par M. Daniel ; pour produire un ouvrage vraiment 10 RAPPORT élémentaire autrement que par le titre, il faut, comme M. le Proviseur du collége ro de Caen, réunir à un grand zèle pour remplir de si pénibles fonctions, des connaissances peu communes ; M. Daniel a fait imprimer une 1%, partie d’un tableau chronologique des principaux événemens de l’histoire an- cienne depuis Adam jusqu'à la bataille d’Actium. 1! nous a été offert deux mémoires d’un haut intérêt pour notre province, le 1°. par M. Escher, associé, capitaine au corps royal de l'état-major de France : il raconte les événemens historiques des guerres de religion en Normardie au 16° siècle. Ces temps trop fertiles en malheurs virent éclore et se pro- longer une guerre civile alimentée par l’am- bition des chefs , et soutenue avec opiniâtreté par l’exaltation religieuse des deux partis. Ce mémoire si instructif sera imprimé, et je ne puis rhe permettre d'en donner une analyse qui en atténuerait le mérite. — Ilen sera de même, pour une biographie de Samuel Bochart, une simple notice n'aurait pas suffi pour faire connaître tout le savoir de ce docte personnage , reconnu par toute l'Europe pour un des plus prodigieux érudits SUR LFS TRAVAUX LE L'ACADÉMIE. 11 du 17° siècle. Ses ouvrages ,réimprimés plu- sieurs fois, sont écrits en latin et hérissés de citations entlangue hébraïque et arabe, mais par cette raison et par:la nature même de ces travaux, ils ne sont accessibles qu’à peu de personnes. M. Herbert Smith a voulu donner en français ses recherches sur les écrits de ‘cet illustre savant dont il fait res- sortir Ja science profonde , et sur une vie entièrement consacrée à l'étude, et qui a laissé un nom qui ne peut pas mourir dans la ville de Caen. — M. de Baudre a continué ses recherches biographiques et littéraires sur Guy Lefévre de la Boderie et les autres membres de cette famille. Dans ce fragment d’un ouvrage plus étendu, Guy Lefèvre est considéré sous le rapport de ses ouvrages poétiques qui l'ont fait conraître dans la républiqne des lettres sous le nom du poète de la Boderie. — Deux discours de M. Daniel ont été écoutés avec intérêt : ila considéré dans le premier la philosophie comme objet d'étude , et dans le second , descendant des généralités de cette science à la plus belle des applications, il a retracé l’origine de l'écriture, et diteomment l'homme a pu parvenir à exprimer ses pensées 12 , RAPPORT les plus abstraites à laide de signes de con- véntion. = M. Guy Jackson noûs a adressé des obser- vations eéthnographiques sur lempire de Maroc, et les langues parlées par les peuples qui habitent ce royaume ; l'arabe pur est parlé parmi les peuplades qui habitent sous les tentes, cette même langue mélangée des langues des autres pays est le dialecte des habitans des villes et des côtes de la mer: les Shelluk ou Berbères qui habitent les montagnes ont un langage inconnu appelé Amarzigt et qui appartient peut-être à l’ancien punique où à la langue des plus anciens peuples du pays. — M. de Hammer , associé , a fait hommage à l'académie d’un ouvrage de sa composition qui mérite une mention particulière : ce sont les pensées de Marc-Aurèle, qu’il a traduites du grec en persan et fait imprimer sous ses yeux à Vienne en Autriche. --- M. Spencer Smith, en présentant à l'aca- démie l'ouvrage de son ami, l’'accompagna d’un discours d’où j'extrais quelques pas- sages. « Depuis les temps des Haroun-Al-Raschid « et de Mamoun on n’a rien vu de semblable, SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. , 19 si on excepte les versions orientales de nos livres sacrés. Quand on réfléchit sur les dif- ficultés littéraires d’une pareille tâche, et qu'on pense que M. Hammer à dû créer dans un atélier de Vienne les caracteres persans nécessaires à cette version de Marc- Auréle, et qu’ensuite il avait à surveiller des ouvriers qui ignoraient probablement jus- qu'à l'alphabet des deux langues qu'ils imprimaient à la fois, on comprendra les embarras extraordinaires que notre sayant collègue eut à surmonter. Il paraît que les trois langues dominantes de. lorient ne possèdent entre elles que deux ouvrages européens qu'on puisse rapporter à, la philosophie. C'est en arabe une traduction du tableau de la vie humaine par Cebes, et en turc limitation de Jésus - Christ d'Akempis » C’est donc une idée fout heureuse de notre collègue, de remplir une lacune, en dotant d'un chef-d'œuvre de notre littérature ancienne, ceile des trois langues orientales, qui est à la fois la plus littéraire et là plus répandue. L’académie , a dit M. Bertrand chargé d’un rapport sur cet ouvrage, ne saurait trop exprimer son estime pour ce savant philan- 14 RAPPORT trope, qui, sans se laisser rebuter par des difficultés de’ toute nature*, poursuit le noble dessin d’unir lorient à l'occident. Si une traduction persane faite et publiée par un européen , à l’usage des peuples de lorient, donne une haute idée de la science de M. de Hammer , le choix qu'il a fait de Marc-Aurèle ne dénote pas moins un jugement exquis : il a senti qu’un livre chrétien aurait pu sou- lever dès l’abord parmi les musulmans des préventions funestes au succès de son enire- prise ; alors quelle production humaine pou- vait mieux faire respecter la sagesse de l’occi- dent, que la pensée de ce philosophe revêtu de la pourpre impériale ? “ Les sciences naturelles ont fourni à quel- ques-uns de nos collègues matière à d'impor- tantes observations. --M.Héraulta suivi les opérations du sondage du puits artésien foré sans succès au château du Londel, près Caen; le sondage a été porté jusqu'à 299 pieds, c'est à 5o pieds qu'on a rencontré la nappe d’eau qui alimente le puits du Londel. Son niveau n'a pas varié ; il eût été à désirer que le sondage eût été continué pour obtenir la solution d'une question qui n’est pas encore résolue , et on doit regretter SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 15 que cêt essai n’ait pas été fait dans la partie inférieure de la ville de Caen ; on aurait com- mencé le sondage 1o0 pieds plus bas et évité de traverser des couches bien connues ou il ne se rencontre pas de sources jaillissantes. -- Vous entendrez dans cette séance une noti- ce intéressante de M. Hérault sur le puits creusé à Caen dans le moulin à huile de M. Tillard. Cette notice trouvera sa place dans les mé- moires de l'académie. Notre collègue nous encore lu un mémoire qui se rattache à la géologie du Calvados, il traite des granites de Vire, comme produits par soulèvement. -- M. De La Foye a traduit de l’allemand une lettre de M. Agassiz sur les poissons fossiles du lias; d’après cette méthode on peut classer rigoureusement le beau poisson fossile trouvé aux environs de Caen et donné au cabinet d'histoire naturelle de cette ville par M. de Magneville. — M. Le Sauvage nous a donné la seconde partie de son mémoire sur les monstruosités, dites par énclusion, et sur quelques autres espèces qui sont produites dans des conditions semblables. Dans-la 1e. partie de cet ouvrage M. Le 16 RAPPORT Sauvage avait démontré toute l'insuffisance de la théorie récemment donnée par le docteur Olivier, pour expliquer le mécanisme de la formation des monstruosités par inclusions , et qui, de l’aveu même de l'auteur, n'était applicable qu’à une des deux espèces qu'il avait établies. La théorie de M. Le Sauvage est entièrement déduite de l'anatomie et surtout de l'embryo- génie et est appticable à toutes les espèces; elle repose principalement sur cette disposition bien établie par notre collègue, que dans tous les cas de monstruosités par inclusion, les deux embryons ayant chacun leur mem- brane amnios distincte sont enfermés dans un chorion unique, et les recherches l'ont conduit à établir que beaucoup d’autres monstruosités par duplicité étaient produites dans des cas semblables. Dans la seconde partie, M. Le Sauvage à analysé les idées émises par le docteur Serres, sur le mode de développement des hétéra- delphes , ou de cette monstruosité qui consiste dans la jonction d’une portion plus où moins étendue d’un individu à la région épigas- trique d’un autre individu qui lui est toujours supérieur en développement. SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 17 Notre collègue a cru pouvoir combattre le principe général émis par M. de Serres, dans son mémoire à l'institut , et d’après lequel les supergénésies seraient le” résultat d’une sur- composition du système artériel d’un sujet dont la production anormale serait la consé- quence immédiate. M. Le Sauvage s’est sur- tout attaché à démontrer, par les faits, que l'application de ce principe, pour expliquer la formation des hétéradelphes , était tout-à- fait inadmissible, et les exemples qu’il rapporte de ces monstruosités , dans lesquelles les deux sortes étaient indépendantes , suffiraient à elles seules pour renverser la théorie du docteur Serres, qui d'autre part ne peut se sou- tenir devant celle que notre collègue lui a substituée. Enfin M. Le Sauvage a démontré, par l’a- nalyse d’un grand nombre d'observations, que plusieurs autres genres de monstruosité ne pourraient se développer que dans les con- ditions qu’il a indiquées, c’est-à-dire, quand deux embryons provenans d’un œuf unique, étaient enfermés dans un seul chorion; ses recherches multipliées Pont conduit à émettre le corollaire suivant : ‘ C'est dans les seuls cas où deux embryons 2 18 RAPPORT se sont développés dans un même ovule et conséquemment ont été enfermés dans un cho- rion unique que l’on a rencontré, avec les condi- tions indiquées pour chaque espèce , 1° F'anastomose des vaisseaux ombilicaux capable de produire une hémorragie mor- telle pour le fœtus resté dans l'utérus, lors- que, dans un accouchement composé, on n'a point fait la ligature de la portion placentaire ducordon après l'expulsion du premier enfant ; 2° Les monstruosités par accollement simple avec fusion ou pénétration plus ou moins pro- fonde de quelques-uns des organes des deux fœtus, réunis par les parties antérieures ou latérales, lorsque la jonction est limitée à l’'ombilic et qu’il y a réunion des deux cor- dons ; 3, Les diverses espèces de monstruosités par inclusion complete, ou Îles énédelphes, comme il a proposé de les appeler ; 4o L'hétéradelphie ou la semi-inclusion à l'épigastre par la suite de l’altération de quel- ques-unes des parties supérieures d'un des conjoints avec égalité dans l'évolution des parties doublées, espèce que l’on doit rencon- trer très-raremeñit , sil est bien constant qu'elle ait été observée ; SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE. 19 5o Les monstres par duplicité sur-épigas- trique, dans lesquels les deux troncs réguliers et isolés supérieurement sont réunis vers la région ombilicale sur une partie infé- rieure unique. . Le mémoire est terminé par ces considé- rations : nt 19 Que Jexemple de double inclusion rap- porté par M. Ollivier, et celui du chien à trois croupes par Millot, indiquent que dans quelques circonstances trois germes peuvent être réunis dans un même ovule, et que, contre le sentiment de Haller et de Meckel, on peut rencontrer des monstres formés d’une réunion de trois individus ; 20 Que dans tous les cas où deux embryons sont contenus dans un œuf unique, il y a toujours identité de sexe. M. Le Sauvage donne lecture de recherches physiologiques sur l'organisation,le développe- ment et les fonctions de la membrane caduque. Notre colléene a démontré toute l'instffisañce de Ja t je la plus récemment admise, sur les rapports que l'œuf doit établir avec cette membrane au moment de son arrivée dans l'utérus ; il prouve la supériorité de la théorie qu'avaient admise les professeurs Chaussier, 20 RAPPORT Meckel et autres, mais les modifications que lui a fait subir cette théorie, toutes fondées sur l'observation et sur les lois de l’organi- sation, confirment cette mêmethéorie en même temps qu’elle se trouve établie sur de nou- velles bases. — M. Raisin lit une note sur les fièvres inter- mittentes et les érésypèles observées dans la maison de Beaulieu, en 1829. La maison de Beaulieu, située à une demi- lieue ouest de la ville de Caen, dans une plaine accessible à tous les vents, semble devoir être, par cette position, exempte des maladies épidémiques ; cependant elle fut en proie pendant l’espace de 5 ans à deux épi- démies de typhus avant les changemens qui ont eu lieu dans l’organisation des maisons de détention, et celle-ci est remarquable par sa bonne administration. Les maladies aiguës sont peu graves dans cette maison et la mortalité tombe plus par- ticulièrement sur les affections chroniques. Les fièvres intermittentes, qui sont le sujet de ce mémoire, se manifestèrent dans les mois de mars et d'avril elles cessèrent” pendant les mois de mai et moitié de juin ; elles revinrent à cette époque et disparurent entièrement à SUR DES TRAVAUX DE- L'ACADÉMIE. 21 fa fin de juillet. Les symptômes et la marche de la maladie ne furent pas exactement les mêmes aux deux époques, et le traitement dut varier, La diète, les délayans, le sulfate de quinine lurent employés. dans la. première période ; dans la seconde M. Raisin employa avec le plus grand succès les purgatifs et assura la convalescence des malades par l’usage d’une infusion. amère de petite centaurée ou de camomille romaine ; il eut: encore quelquefois recours à l’ipécacuanha, et toutes les fièvres cedèrent sans le secours du quinquina. Il en tire la conséquence qu’on se hâte trop quel- quefois d’administrer cette substance. Les érésypèles de la face-ou fièvres érésy- pélateuses se sont manifestées dans les mois d'octobre , novembre et décembre. M. Raisin a remarqué que chez presque tous les malades le gonflement de la face était énorme. Chez quelques-uns l’éruption s’est répandue jusque sur la poitrine. Le traitement a consisté dans une diète sévère, les boissons adoucissantes et acidulées: avec l’oximel simple, les lavemens émolliens et l'application des sangsues , selon l'intensité de la céphalalgie ;- des lotions et l’ouverture des abcès ont encoreété employées: un seul malade sur 180 succomba. 22 RAPPORT En terminant ces observations M. Raisin fait remarquer une particularité dont il ne peut se rendre compte. La maladie a commencé dans le quartier des hommes et y a duré deux mois ; pendant ce temps les femmes en étaient exemptes : lorsqu'elle s’est manifestée dans leur quartier, celui des hommes n’a plus fourni un seul malade, Cette maladie ayant attaqué indistinc- tement les personnes des deux sexes , de divers tempéramens, de l’âge de 15 ans jusqu’à 60, on pourrait la regarder , en quelque sorte, comme épidémique. —Dans une de nos séances, M. de LaVauterie à fait un rapport sur un ouvrage du docteur Valentin , intitulé Mémoire et Observations concernant les bons effets du cautère actuel, etc. Dans ce rapport fort étendu, après avoir offert des considérations préliminaires et historiques sur l'emploi du feu en médecine, notre col- lègue présente une analyse très-développée de l'ouvrage ; il en fait ressort:r le mérite et l’im- portance, en citant un grand nombre de faits bien constatés, etiltermineen faisantremarquer que c’est surtout dans l'application du feu au traitement de plusieurs maladies aiguës des plus graves qu'il offre le plus de choses SUR LES TRAVAUX DE L'AC{DÉMIE. 29 vraiment neuves et du plus grand intéréi, tant pour l'honneur de la médecine que pour le bien de l'humanité, L'auteur du rapport a recueilli depuis et fait connaître beaucoup de nouveaux faits tendant à prouver de plus en plus la prééminence de la cautérisation actuelle, pour la guérison des maladies les plus rebelles ou le plus souvent funestes , sur l'usage des moyens ordinaires de la théra- peutique. —M. Grey-Jackson nousa adressé des obser- vations éthnographiques sur leslangues parlées dans l'empire de Maroc, où il a demeuré pendant quelques années en qualité de consul de S. M. B. La langue en usage dans tous les pays qui composent cet empire ( excepté dans les montagnes ), est l'arabe, qui est plus + pur parmi les peuples vivant sous les tentes que parmi les habitans des villes et des côtes de la mer. où il est altéré par le mélange de l'espagnol et des langues des autres pays. Les Shelluks , peuples qui habitent le grand atlas et les autres branches de cette chaine de montagnes , parlent une langue inconnue appelée Æmarzirgt ; on peut croire qu'elle appartient où à l’ancien punique ou au mé- lange des langues des peuples qui se fixèrent dans ces contrées. 24 RAPPORT — M. Léchaudé d’Anisy a donné la descrip- tions de cinq parhélies ascendans et parallèles qu'il a observés à l'œil nu, sur la route de la mer à Anisy , le 1° octobre 1830. Cetteintéressante observation astronomique, qui aété imprimée depuis cette époque dans la Revue Normande, ne peut être bien com- prise sans les figures que l’auteur y a jointes; l'analyse la ferait connaître imparfaitement ; en l'abrégeant je craindrais de ne pas la rendre intclligible. — Messieurs, si dans le compte que je suis chargéde vous rendre destravaux del’académie, j'avais appelé votre attention sur un perfec- tionnement dans l'instruction des sourds-muets de la maison du Bon-Sauveur de Caen, vous m'auriez écouté avec tout l'intérêt qu'inspire ce belétablissement. Ce n’est pas une méthode perfectionnée dont je vais vous entretenir , c'est la perfection même de la méthode offerte à l'académie , qui terminera ce rapport. M. Janet at présenté à la compagnie un jeune sourd-muet qui se distingue des autres élèves par la faculté qu'il a acquise de répondre à haute voix aux questions qui lui sont trans- mises, soit par écrit, soit par son instituteur ; il ht également d’une manière intelligible ° | SUR LES TRAVAUX DE L' ACADÉMIE. 2) Be phénomene d’instructionetdetravail qu'offre ce jeune homme estle fruit de six mois de soins de la part de son habile instituteur. M. Jamet a bien voulu nous faire connaître son nouveau genre d'enseignement. C’est en étu- diant de quelle manière la langue seule mo- difie les sons, par les diverses positions de cet organe dans la bouche, qu'il est parvenu à convertir les sons inarticulés du sourd-muet en un langage semblable à celui des autres hommes , à l'insu de l’infortuné qui peut seulement lire sur la figure de ses auditeurs l'étonnement et l'admiration qu’'inspirent lé. nonciation à haute voix des idées qu’il com- prend, qu’il fait connaitre par la pronon- ciation, mais qu'il n'entend pas. Il'est difficile de décrire une séance aussi intéressante; l'a- cadémie toute entière a voté des remercimens à M. Jamet ; et pour donner à l’intéressant jeure homme un témoignage de sa satisfaction, elle a décidé sur la proposition de M. Lair, son président , que le jeune sourd-muet, qui a excité l'admiration de la compagnie, rece- vrait un jeton de présence et serait invité à inscrire son nom sur les registres de l’aca- démie avec sa qualité d'élève de M. l'abbé Jamet. Den Eng any nie AMOR ob vomir edf “ue ac ve orient | bel 46 sb -sv0RD Silmpuse ses! sel ai LA jte dés Fañdière Du anse A MÉMOIRE SUR LES VAUX-DE-VIRE D'OLIVIER BASSELIN ET DE JEAN LE HOUX, PAR M. VAULTIER, Professeur à la Faculté des fettres DE L' ACADÉMIE ROYALE DE CAEN. Fa is si L f F : ‘ ! À x LS ù Û \ "re \& 'A (ha È = ————— —…—…—…—…——…——— MÉMOIRE SUR LES VAUK-D5-VIRE D'OLIVIER BASSELIN er pe Jean LE HOUX. Il a été publié assez récemment une petite édition, impatiemment attendue , des chansons bachiques , autrement dites V’aux-de-Vire, des poètes normands Olivier Basselinet Jean Le Houx ; c’est pour nous une occasion toute na- turelle de présenter ici quelques observations sur ces auteurs et sur leurs æuvres; nous la saisissons d'autant plus volontiers, que c’est un sujet où il nous semble qu'il ne manque pas d'erreurs à relever. Olivier Basselin fleurit à Vire au temps des invasions anglaises, amenées par la funeste démence de Charles VI; il y exerça la pro- fession de foulon , et avait son établissement dans le lieu appelé Z’aux-de-Vire, dont le 30-87 MÉMOIRE nom a Passé dès lors à ses compositions. 1l paraît que Basselin avait fait quelques études, et il y a des raisons de croire qu'il avait d’a- bord été marin ; les traditions courantes, et quelques vers de chansons du temps, disent qu'il fut tué par les Anglais. On suppose que ce dût être au siège de Vire, commencé en 1417, ou du moins peu de temps” après la prise de la ville :il avait chansonné l'approche de cet événement, et on ne trouve rien de lui qui paraisse appartenir à une époque posié- rieure. Dans un autre Vau-de-Vire, proba- blement de cette mème époque, il s'était qua- lifié vieillard gris, et vieux bon homme, c’est- à-dire sans doute ; atteignant sa soixantaine, ce qui placerait sa naissance vers, l'an 1358. Cette chronologie n’est pas tellement sûre , que l’auteur de son article, dans la Biographie universelle, n’ait cru devoir adopter un tout autre système ; il fait naître Basselin près d’un siècle plus tard , et environ trente ans après événement auquel l'opinion commune rat- tache ce que l’on affirme des circonstances de sa mort. Il serait difficile de comprendre sur quelles bases il prétend appuyer ce sin- gulier calcul. Le caractère de Basselin est bien clairement SUR LES VAUX=DE=VIRE. 31 établi; ce ne fut ni un langoureux Trouvère du moyen âge , ni un alligneur de V bus à la façon dé Froissard son contemporain , ni un rimatlleur barbouillé d'imitation clas- sique et ilalienne, comme devait bientôt les produire le siècle de la renaissance; il marcha seul, et eut son’ allure toute à part ; ce fut tout simplement un franc buveur, doué du talent du chant, que la seule vue d’un bou- chon avait le don de mettre.en verve, et dont l'enthousiasme ne pouvait prendre sa source qu’au fond d’un broc bien rempli. Basselin passe pour avoir introduit parmi nous ce qu'il nous a plu denommer chansons bachiques ; et tout porte à croire qu’en effet ce genre y avait été inconnu jusqu’à lui. Bien que l’usage de chanter à table fût commun en France, et à peu près universel, surtout en Normandie, il paraît que les chansons galantes avaient été jusqu'alors seules en possession de figurer dans ces réunions joyeuses, et que personne n'avait encore songé à y substituer l'éloge du vin , traité comine oljet de pas- sion. L'invention mérite-t-elle l'importance qu’on a prétendu y mettre ? Nous sommes peu dis- posés à le penser; ce qu’on appelle enthou- P 3% MÉMOIRE siasme bachiqueest bien quelque chose d’aussi vif, d'aussi animé, d’ aussi susceptible de cha- leur et de mouvement , que toute autre sôrte d'enthousiasme ; mais cette disposition, qui n’est pas celle de tout le monde, et dont l’ex- pression , toute individuelle , exciteen général peu de sympathie, semble nePouvoir atteindre à des effets un peu remarquables , qu'autant que le poète prend soin d’yassocier quelqu’autre sentiment propre à la relever, en prétant à son objet matériel l'intérêt ou la noblesse qui Jui manque véritablement ; c’est à quoi Bas- selin n’a songé en aucune façon. Anacréon avant lui, chez les Grecs, s'était imaginé aussi de chanter le vin ; mais était-ce de même pour nous dire Ze plaisir qu’il avait à l'avaler? Bien loin de là,on ne trouverait pas dans ses chansons un seul vers qui exprime cette idée; {nacréon boit surtout pour passer joyeusement le temps avec ses amis; il boit pour trouver , dans les illusions d’une légère ivresse, l'oubli des soucis de la vie réelle ; le vin, pourlui, esthmoins un breuvage savou- reux ,qu'un doux assaisonnement de la vo- lupté , un heureux philtre d’insouciance , qui lui fait dédaigner la puissance, la renommée , la richesse , etc.; le goût qu'il lui inspire ne le SUR LES VAUX-DE-VIRE. 33 préoccupe pas tellement , qu'il ne célèbre plus fréquemment encore les objets gracieux de la nature, et ceux de quelques autres affections propres: le printemps , les amours, sa mai- tresse, la rose, la cigale, etc., etc. L'oiseau de Vénus dort sur sa lyre ; il boit avec lui le vin de sa coupe: sa coupe, ai-je dit? IL semble que, suivant l'idée d’un peintre ingé- nieux ( Sicardi ), l'Amour seul doive la lui présenter pleine, et qu’il ne l’accepterait pas d’une autre main. | Chez les Latins, /lorace pareillement a pris l'éloge du vin pour sujet de quelques odes, et pareïllement, de son côté, il a senti qu'il fallait relever son sujet par l'association de quelque. sentiment sympathique. Moins voluptueux, moins insouciant qu’Ænracréon , il a eu recours à un idéal d’une toute autre sorte, mais dont l'effet au reste n’est ni moins heureux, ni moins puissant. Rarement il se présente occupé de l’idée de vin , et disposé à vider la vieille amphore de Cécube ou de Fa: lerne, s'il n’y est déterminé par une circons- tance intéressante et honorable : l'arrivée d'un ami , la joie d'un événement glorieux , le retour d’une fête solennelle, etc. C’est Plotius Numida revenant du fond de l’Æespérié , ou 5 34 MÉMOIRE Pompeius Grosphus, proscrit des guerres civiles, inopinément amnistié, dont il faut fêter l’arrivée; c'est Virgile ou Corvinus auxquels il faut offrir un festin modeste ; c'est Mécène qu'il faut distraire un moment de ses travaux politiques; c’est une fête de Neptune, ou l'anniversaire de la naissance du ministre, son protecteur et son ami ; c'est l'heureuse victoire d’Actium, et la mort de Cléopâtre, ou bien encore le retour d’Auguste, après l'expédition d’Æspagne , qu'il s’agit de célébrer le cyathe à la main, etc., etc. Basselin ne nous offre absolument rien d’analogue ou d’équivalent ; il habite un pays pittoresque , entrecoupé de côteaux boisés, de rochers agrestes et de prés verts, où coule une rivière aux eaux limpides ; il ne lui vient pas un moment en pensée de fixer son attention sur un seul de ces objets ; l'oiseau du bocage, le papillon de la prairie, Za demoiselle ( Libel- lule ), aux ailes d’azur, qui se balance sur les roseaux de la vallée, n’obtiendront de lui ni un trait de description, ni un mot d’apos- trophe; s’il vous parlait du pommier en fleurs, sous lequel il lui arrive parfois de dresser sa table , ce ne serait pas pour vous peindre le mélange de blanc pur et de tendre incarnat SUR LES VAUX-DE-VIRE. 35 qui se fondent ensemble sur ses gracieux et innombrables boutons, mais pour vous an- noncer que, l’année prochaine, les bons com- pagnons auront le plaisir de s’énivrer de cidre à bon marché; et les bons compagnons , ils ne sonttels, pour lui, que parce qu'ils viennent à la même taverne, s'asseoir à ses côtés, et au même écot. | Telle est, en effet, la manière de Basselin ; on peut dire de Jui qu'en général il ne boit que pour boire, qu'il n’a su parler du vin qu'en ivrogne , et que dans l'estime qu'il accorde à ce breuvage, tout se rapporte uni- quement à a douce sensation de chaleur physique q\'il lui sait gré de communiquer à son estomac. On conçoit qu'en prenant les chosesde cette façon , Basselin ait du rencontrer souvent des idées et des images d’une nature assez ignoble. €e sont bien les Vraies couleurs du sujet , réduit à son état purement matériel ; telles il devait les donner, telles aussi Basselin les a franchement acceptées, sans en rejeter même les nuances les plus basses. « 27 craint de « mourir de la pépie ; son gosier est de chair « salée ; il va se rincer la gorge, ou se laver « les tripes; le bon vin lui réchauffe le ventre, 36 4 MÉMOIRE « iira se coucher quand il sera ivre, il veut « boire jusqu'a se rendre la face cramoisie « et le nez plus rouge qu'une guigne. » Ges locutions , et bien d’autres semblables, abon- dent dans les chansons de Basselin ; c'est de la vérité sans doute, mais de la vérité de bas alor, fort différente assurément de celle que recherchèrent Anacréon et Horace, et qu’on appelait autrefois nature choisie; nous laissons à nos lecteurs à juger laquelle est de meilleur goût. Ce qui nous choque dans la manière de Basselin, nenous rendra d’ailleurs point injustes à son égard, et ne nous fera point méconnaitre ce qu'il y a de réellement louable dans ses compositions. Basselin a de la verve, du mou- vement et de la facilité ; il ne manque pas du degré d'énergie et de chaleur que comporte la matière; chacune de ses chansons forme un petit tableau , bien distinct et bien tracé’, sans divagation, sans pièces de rapport ou d'emprunt, et sans disparate, comme sans effort et sans artifice. Sa composition la plus remarquable est sans contredit celle qui a pour sujet /e siège de Vire par les Anglais; c’est la seule du recueil authentique de ses œuvres, qui se rapporte SUR LES VATX-DE-VIRE. 4h bien positivement à un événement d'intérêt public. Les ennemis sont maîtres du pays; ils vont assiéger la ville ; grande alarme pour tout le monde! mais quel est, dans cet état de choses, le danger qui frappe le plus Basselin, et que voit-il à faire pour prévenir le mal ? c’est ce qu'il faut lui laisser dire à lui-même. Voici son texte : Tout à l’entour de nos remparts Les ennemis sont en furie ; Sauvez nos tonneaux , je vous prie! Prenez plustôt de nous, souldars , Tout ce dont vous aurez envie : Sauvez nos tonneaux, je vous prie ! Nous pourrons après, en beuvant, Cbasser nostre mérencolie : Sauvez nos tonneaux, je vous prie! L'ennemi , qui est cy-devant, Ne nous veult faire courtoizie : Vuidons nos tonneaux , je vous prie ! Au moins s’il prend nostre cité, Qu'il n’y treuve plus que la lie : Vuidons nos tonneaux, je vous prie! Deussions®nous marcher de costé, Ce bon sildre n’espaignons mie: Vuidons nos tonneaux, je vous prie ! 38 MÉMOIRE L'idée de cette petite pièce est, comme on voit, des plus originales, et quand on réfléchit sur la nature réelle des circonstances, on. s'é- tonne d'y trouver l'expression d’un courage remarquable, cachée sous les apparences d’une boutade de cabaret ; il n’y à absolument que des éloges à donner à l'invention ; on a pu s’apercevoir que l'exécution n'est pas tout-à- fait aussi satisfaisante ; Le passages de idée de sauver les tonneaux à celle de les vider, n’est pas exprimé d’une manière assez nette; il y aurait eu à cet égard quelque chose à changer au deuxième el. au reste les détails n’offrent rien que de très-assorti à l'ensemble; le commencement du couplet final est surtout d’uu naturel parfait. Après cette chanson, lune de celles qui nous agréeraient le plus, serait peut-être la suivante, sur la mort d'un avare : Qui est cestuy qui est gysant Soubs ceste froide sépulture ? — Un riche avare, qui, vivant, Ne beuvait que l’eau toute pure. Quelle mort l’a fait trépassér 5 — Ilest mort d’une soif eruêlle : Pour n'avoir voulu reschauffer D'ung verre de vin sa foureelle. SUR LES. VAUX-DE-VIRE. Pourquoy ne croist sur son tombeau Que du chardon qui l’environne ? — Ung corps, qui n’a beu que de l’eau, ” Ne produit herbe qui soit bonne. Pourquoy est-ce ung pater noster Que pas ung ores ne lui donne ? — Pour ce qu'ayant vin en chantier , Il n’en faizait boire à personne. Est-il mort sans estre-ploré ? — Quel dueil voulez-vous qu’on en face ? Qui comme luy meurt altéré Il faict grande honte à sa race. Vrayement tu es bien où tu es : Tes héritiers, comme je pense, De ton bon vin faizans gros nez , Laveront byen leur conscience. Entre les plus exclusivement bachiques , nous choisirions, si l’on veut , encore cette ? 2 autre, qui , au fait, s'occupe déjà un peu moins de sensation que de souvenirs et d’idées : "Que Noé fust ung patriarche digne ! Car ce fust luy qui nous planta la vigne, Et beut premier le jus de son raiziu. O le bon vin ko Quant aux passages détachés, nous croyons pouvoir nous borner aux six morceaux de citation ci-après ; le lecteur y trouvera mélés des traits d'exemple de ce que l’auteur sait faire de plus remarquable en bien comme en mal MÉMOIRE Mais tu estoy, Licurgue, mal habile, Qui ne voulus qu’on beust vin en ta ville. Les buveurs d’eau ne font point bonne fin. O le bon vin! - Qui boit bon vin il faist byen sa besogne ; On veoïit souvent vieillir ung bon yvrongne, Et morir jeune ung scavant médecin ; O lé bon vin! Le vin n’est point de ces mauvais breuvaiges, Qui, beus par trop, font faillir le couraiges; J'ai, quant j'en boy, le eouraige hereulin. O le bon vin ! Puisque Noë , ung si sainct personnaige, De boire byen nous a apprins l’uzaige , Je boiray tout ; fay comme moi , voyzin. O le bon vin! . ° 4. Faulte d'humeur nos choux sont morts En nos jardins par secheresse : Faulte d'abreuver bien mon corps, Se j'alloy morir , que serait-ce SUR LES VAUX-DE-VIRE. 4x 2. Ayant le doz au feu et le ventre à la table, Estant parmi les pots, pleins de vin déleetable, Ainsi comme un poulet, Je ne me laisseray morir de la pépie, Quand en debvroye avoir la face cramoisie , Et le nez violet. 3. Ne laissons point seichier Le passaige des vivres : Mais que nous soyons yvres, Nous nous irons couchier. 4. Je vouldroy, beuvant maulvais vin, Me veoir la gorge tout soudain Byen courte devenue ; Mais, quand le bon vin je boiroys, Que le cou j’eusse encore trois fois Aussy long qu’une grue. 5. Au beuveur d’eau qui crieroit » Le Roi boit ! Serait ung roy de grenouilles. Festin qu’on destrempe d’eau N'est point beau ; Fault de vin que tu le mouilles. 6, Hélas ! que faist ung povre yvrongne Ï se couche et noccit personne, Ou bien il dict propos joyeulx : Ïl ne songe point en uzure , Et ne faict à personne injure. Beuveur d’eau peut-il faire mieulx ? CA /2 MÉMOIRE Les chansons de Basselin n'ont subsisté long-temps que par tradition orale ; un de ses compatriotes , Jean Le Houx, imagina le premier de les publier, et en donna une ou plusieurs éditions , vers la fin du +65. siècle, c’est-à-dire environ 200 ans après l’époque où fleurit leur auteur ; il les prit dans l'état ou elles se trouvaient alofs, et s’attacha peut- être même à dessein à eu rajeunir le style, de sorte que, dans la forme où nous les con- naissons, elles ne peuvent être admises comme monumens plausibles de la langue au temps où elles furent faites ; c'est bien pour elles encore un mérite important de moins. Cette publication causa alors quelque ru- meur d'opinion religieuse ; les gens graves et le clergé la considérèrent assez généralement comme une prédication d’ivrognerie et de crapule ; Youvrage fut peu à peu retiré de la circulation, et l’on en rencontre à peine actuel- lement quelques exemplaires d’une derniere réimpression, exécutée, à ce qu'il parait, vers 1664 ou 1670 ? . Les chants joyeux de Basselin étaient tom- bés dans un oubli presque total, lorsqu'en 1811, M. Asselin, sous-préfet de Vire, associé à cet effet, avec quelques autres amis des SUR LES VAUX-DE-VIRE. 43 lettres et du pays, les j& revivre, cemme on Va bien dit avant nous, mais pour un cercle trop bôrné, dans l'édition qu’ilen donna à cette époque, et qui, faite pour l'association seule- ment,ne fut tirée qu’à 148 exemplaires,qu’an ne trouve point dans le commerce : précieux-pour sa rareté, ce livre l’est aussi pour le fonds des choses; on y remarque particulièrement un dis- cours préliminaire du plus haut intérêt ; Fou- vrage existe sous deux formats, in-8° et in-4o. Dix ans plus tard ( 1821 ), M. Zouis Dubois, savant et zélé antiquaire, maintenant sous- préfet de Vitré, acheva l’œuvre de la publi- cation effective des poésies de Basselin, quil livra de cette fois, à tout le monde, en un bon volume tiré à 5oo exemplaires in-8°. On observe que l’ordre des matières y est bien différent de celui que M. A4sselin avait adopté, ou emprunté apparemment de Le Æoux ; lau- teur l’a du reste enrichi de son côté. d’acces- soires curieux, et surtout de notesintéressantes et fort bien faites ; cette derniére édition a eu un succès mérité , et est épuisée depuis long- temps. M. Travers se présente fort à propos pour y suppléer. Ici nous en aurions fini avec Basselin , si 44 MÉMOIRE nous n'avions à nous occuper un peu de quelques opinions qui se rattachent à l'histoire et à l'appréciation de ses œuvres ; et qui iennent de trop bonne source, pour qu'on puisse, sans inconvénient , laisser passer ce qu'elles pourraient contenir d’un peu hasardé; c'est, ce nous semble, le savant et modeste M. Asselin, qui le premier les a accréditées ; c'est M. 4sselin, lui-même, que nous voulons prendre pour juge du petit débat dans lequel nous croyons devoir nous engager avec lui à ce sujet. Nous rappelons d’abord ce que nous venons de dire de la précieuse édition de Basselin , donnée par M. Æsselin en 1811, et de lim- portant discours préliminaire dont il l'a enri- chie. Dans ce même discours, M. Æsselin, un peu préoccupé , selon nous, du mérite de son auteur, nous le présente d’abord comme le père du vaudeville ; attendu que ce mot n est autre que celui de Vau-de- Wire , quelque peu altéré seulement ; dans sa prononciation et son orthographe ; et il ajoute, par manière de développement : Que les Vaux-de-V'ire de Basselin fournissent le premier exemple de couplets , semés de traits de gaité el de SUR LES VAUX-DE-VIRF. 45 finesse, qu'avant lui on ne connaissait que des chansons de deux espèces: sottes chansons et serventois, les premières purement satyri- ques, les secondes d'amour et de dévotion, ( dont il distingue pourtant {es cantiques ), celles-là toutes en rhapsodies , d'injures sros- sières et lascives, celles-ci en forme de jeux- partis ( débats dialogués ), sans couleurs poé- tiques , et sans images, encombrés de redites fastidieuses, etc.; que Basselin a luissé bien loin en arrière de lui toute cette ancienne routine , et qu'à lui commence un genre qui a été Genstamment connu depuis, et dont on peut le regarder comme créateur. Il y aurait dans cette suite d’assertions de critique un bon nombre de points à discuter. Nous laissons d’abord de côté la question d’étymologie, qui nous semble de peu de conséquence ; que le mot Yaudeville soit, ou ne soit pas, dérivé de celui de Y’au-de-Vire, qu'importe au fond des choses ? Le vrai 7 aude- ville, c'est-à-dire la Chanson piquante et sa- tyrique, sous quelque nom qu'elle füt connue, existait évidemment avant Basselin : ce que M. Asselin nous dit lui-même des sottes chan- sons, sufhrait pour en fournir la preuve; il en existe des monumens dans les collections 46 . MÉMOIRE manuscrites de nos grandes bibliothèques ; il y enavait contre les rois, les princes, les ecclé- siastiques , etc. Leur origine remontait à une antiquité reculée ; le chevalier Zuc de la Barre en avait composé une, en 1124, contre le roi d'Angleterre, Henri I®.3;au temps de la pre- mière guerre sainte (1099), les soldats Nor- mands croisés avaient chansonné à Jérusalent, le clerc Zrnould Mal-couronne , aumônier de leur Duc, Robert-Courte-Heuse { frère de ce même Henri ); et bien avant cela, les savants auteurs de l’histoire littéraire croient trouver que, dès le 9°. siècle, des compositions de ce genre avaient déjà cours parmi nos ayeux. Que vers l’époque de Basselin, un peu plutôt ou un peu plustard , la chanson satyrique ait pris, ou recu, le nom de ’audeville, emprunté de ses chants,ou peut-êtreaussi des mots voix-de-ville, comme d’autres avaient pensé , c’estchose for- tuite sans doute, etentout cas, assezindifférente; le fait estque Basselin n'en a point composé , et que ses J’aux-de-Vire ne contiennent aucun trait quise rapporte proprement à ce genre ; tout ce qu’on prétendrait y trouver de tel, se borne en effet à quelques traits d’épigramme rapide que de loin en loin, et toujours en sa qualité de buveur, il lance , en passant, contre /es SUR LES VAUX-DE-VIRE. 47 femmes chagrines , qui troublent leurs maris au cabaret ; contre les avares, qui ne veulent pas boire, où donner à boire ; contre les usuriers qui tiennent le cidre à trop haut prix; et surtout contre les taverniers infidèles, qui se permettent de falsifier le vin. 1 déclare de lui-même , qu'à table avec ses amis , il ne faut parler que de boire, et loue particulière- ment le pauvre ivrogne, de ne faire à personne injure... — Ge ne sont là ni des germes ni des maximes de vaudeville, et au fonds, ne sent- on pas que les choses répugnent- entre elles , que la malice sournoise des vaudevillistes , et l'enthousiasme inoffensif des buveurs , sont des dispositions toutes diverses , et qui natu- rellement doivent plutôt s'exclure que se pro- duire l’une l’autre ? Nous pensons, sans rejeter absolument l’idée de la confusion possible des termes, que le rapport de filiation, qu’on a prétendu en inférer , pour ce qui tient à l’es- sence äes genres, est de pure imagination. Quant à ce qu'on ajoute, et des sujets aux- quels la chanson aurait été restreinte à cette époque, et de l'irfériorité où elle était restée comparativement à ce que vint y substituer Bosselin, ce sont deux points auxquels il nous est impossible d'accorder aucune sorte d'as- sentiment. | 48 MÉMOIRE D'abord en ce qui regarde les espèces de chansons alors connues, sans prétendre chicaner sur les définitions ou les caracteres , nous croyons savoir : que dès les premiers temps de notre langue et de notre littérature, c’est- à-dire plus de 300 ans avant Basselin, notré poésie, outre les sottes chansons et les servan? tois , avait déjà essayé de produire la chan- son militaires( dite de geste ), — La chanson badine ou boufonne, — La complainte ( appe- lée alors Lay, — La Rotruenge ( qui pouvait ètre une Ronde ), — La Pastourelle ( que définit assez son titre }, — Et d’autres encore peut-être; — À quoi le 14°.sièclevenait d'ajouter, etle Chant royal, et la Ballade, et le Firelar, et le Rondel (à grand refrain }), et le gentil Triolet lui-même, qui, tous aussi, doivent bien étre comptés pour des chansons. — Un Essai tout spécial de M. Roguefort sur la poésie des 12°. et 13°. siècles, établira les trois quarts de ces faits; on trouvera la preuve des autres dans un petit choix de poésies de Froissart, recueilli dans les chroniques de M. Buchon, tome X°. — Il est juste d'ajouter que ces deux ouvrages ont été publiés à une époque pos- térieure, de plusieurs années, à celle où M. Asselin a composé son excellent discours. SUR LES VAUX-DE-VIRE. … 4 Pour ce qui est de la supériorité relative des Chansons de Basselin et deses devanciers, on sent que c'est là une question de goût, qu'aucune autorité ne saurait résoudre, et qui ne pourrait être éclaircie que par l'examen comparé d’un grand nombre de pièces; nous ne pouvons nous engager ici dans ce détail, mais il nous sera facile de fournir à nos lec- teurs le moyen d’y suppléer par eux-mêmes ; pour cela, nous ne les renverrons point aux volumineux manuscrits de la bibliotheque royale , qui ne sont ni accessibles, ni déchif- frables pour tout le monde ; nous leur dirons sèulement : Lisez, du dernier quart du 12°. siècle, (avant 1191 }), les Chansons du Châtelain de Coucy, surtout la 22°. en expression de regrets, à son départ pour la Croisade, ( Delaborde , Essaisur la musique, etc. T.II, p.392, etc.): Ahi! Amors, com’ dure départie, etc. " Lisez, d’une époque moins certaine, mais évidemment peu éloignée de celle-là, une Chanson de l’Æ/oueitte, tirée du roman du Paradis d'amours ; ( Roquefort , Poésie française aux 12€. et 13e. siècles ,; page 29H *etC:?) : 4 bo MÉMOIRE He ! Aloette Joliette ! Petit t’est de mes maux! etc. Et cette autre Chanson badine ) anony me; (ibid. pag. 367, etc. ): Par le temps bel Du mois nouvel, L'autre jor chevauchoye, etc. Etencore cette Paszourelle, anonyme aussi, (ibid ,p. 389, etc. ): Quant je voi la flor nouvele , etc. Lisez, du temps de la première jeunesse de St.-Louis (1230 etc.? ), les Chansons d’a- mour du roi de Navarre: art, Amors me fait comencier Une chanson nouvelle , etc. 4 3e. Pour conforter ma pénance , Fais un son, etc. © 42e, De ma dame souvenir Fait Amors lie mon coraige , etc. 34°. Qui plus aime, plus endure ; Plus a besoin de confort , etc. | (Sa SUR IES VAUX-DE-VIRE. 43e. L'autre nuit en mon dormant, Fui en grand dotance , etc. Et sa Chanson d’adieux à l'amour, comptée pour 60°. du recueil : Tant ai Amors servie longuement , Que désormais ne m’en doit nuls reprendre , ete. Et aussi sa Pastourelle , trop grivoise , mais si naive, portant le n°. 41: En mai la rousée Que nest en la flor , etc. Lisez, de son émule et contemporain, Gace Brulé, la Chanson galante, ( coll. d’Auguis, t. II, p. 39 ): A l’entrant du doux termine Du mois nouvel, etc. Lisez de Jean Errars, un peu après eux, la Pastourelle si gace...( ibid. ibid. p. 32, etc. ): . Dehors lonc pré el bosquel Erroie avant hier , etc. Lisez, de la fin du 14°. siècle, tous les V'irelais , tous les Rondels de Froissart, épars dans ses compositions allégoriques , etc. , ba MÉMOIRE comme les donne le tome 10°. des Chroniques nationales de M. Buchon. Lisez jusqu’à cette Chanson populaire ; re- cueillie dans les histoires de ce même Froissart, au sujet de la guerre de 2retagne, sous Char- des V, en 1375( Chronique. Id. F. 6, p: 280 ) : Gardez-vous du nouviau fort, Vous qui allez ces allues , etc. Prenez d’autre part, les Vaux-de-Vire de Basselin, un à un, et tâchez d’en découvrir, je ne dis pas beaucoup, mais trois ou quatre, qui surpassent, ou Seulement évalent, sous quelque rapport que ce soit, le mérite de ces compositions si dédaignées ; comparez alors et jugez; à nos adversaires tout l'avantage, si cette épreuve le leur donne, et qu’ils croient pouvoir eux-mêmes s’en approprier le résultat! En faveur des personnes qui n'auraient pas le loisir de faire cette vérification , et aussi pour ne pas nous borner à cette sèche série d'indications sans couleur , citons au moins quelques-unes des productions, sur l'examen desquelles ne pourrait l’étab lir. Soit ce J’irelai de Froissart ; l'auteur y ex- prime les regrets d’une femme, qui sereprochie SUR LES VAUX-DE-VIRF. 53 d’avoir éconduit par la réserve affectée de son langage, un ainant dont, au fond du cœur, elle était disposée à agréer les vœux : Par un tout seul escondire (4) , De bouche, non de cueur fait, Ai-je mon amiretrait (2) De moi ! dont je morrai d'ire ! Hélas, que ma bouche a fait ? Ne comment ose-élie dire Tout le contraire du fait De ce que mon cueur désire ! Las ! je ploure et je soupire, Et si, n’ai-je rien fourfait (3), Fors que de ma bouche ai trait Le glaive, pour moi occire ! Par un tout seul, etc. Et si jamais se retrait (4) Vers moi, Diex me puisse nuire , Se briefment ne me remet Au point où Amors me tire! (1) Refus décourageant, (2) Eloigne. (5) Manqué en rien. (4) S’il se rapproche. 54 MÉMOIRE J'en veuil mon cueur assouffire , Maugré que ma bouche en ait ; Ne jà, poureri, ne pour brait (5), Ne s’en laira desconfire (6). Par un tout seul, etc. Soit cet autre, où il peint le petit orgueil d’une jeune fille, toute contente de sa gentil- lesse , et aussi des petites rigueurs qu'elle se vante de faire endurer à son doux ami: On dit que jai bien manière (7) D'être orguillousette ; Bien affert à être fière (8), Jone pucelette. Huï matin me levai (9), Droit à l’ajournée {10), En un jardinet entrai, Dessus la rousée; Je cuidai être première (11) Au clos sur l’herbette ; Mais mou doux ami y ère (12), (5) Quelque bruit qu’on en fasse. (6) Combattre dans sa résolution. (7) Bonne façon. (8) Il sied bien. (9) Aujourd’hui au matin. (10) Dès le point du jour. (11) Je pensai. (12) Y était. SUR LES VAUX-DE-VIRE. 55 Cueillant la florette. On dit que, etc. Un chapelet li donnai (13), Fait de la vesprée (14) ; lle prit, bon gré l'en sai ; Puis m’a appelée : Veueillez oïîr ma proyere, Très-belle et doucette ; Un petit plus que n'affière Vous m’êtes durette. On dit que, etc. Soit encore le ARondel suivant, en plaintes d'absence, à un ami depuis trop long-temps attendu : Reviens, ami, trop longue est ta demeure , Elle me fait avoir peine et doulour ; Mon esperit te demande à toute heure, Reviens, ami, trop longue est La demeure. Car il n’est nul , fors toi , qui me sequeure, Ne secourra, jusques à ton retour ; Reviens, ami, trop longue est ta demeure ; Elle me fait avoir peine et doulour. (13) Une guirlande de fleurs, (14) De la soirée, 56 MÉMOIRE Eustache Deschamps, poète de la même époque , et dont on vient d'imprimer pour la première fois les œuvres, nous offrirait au besoin, sa bonne part d’exemples analogues. On remarquera particulièrement le joli Virelay ( p. 86, etc. ): . Suis-je , suis-je , suis-je belle , etc. - Et ce coupletd’une Ballade sur le mariage, ( page 100): # J'ai demouré entre les Sarrasins , Esclave ésté en pays de Surie ; J'ai en vaisseaux, en galées, en lins (15), Este sur mer , et en nave périe , Par le tourment cuidant perdre la vie ; J'ai combattu en guerre , et pour le gage, Et ès déserts , à un lion sauvage, Et de tout ce me suis bien échappé, Et d’autres maux , fors que demariage : Or gart ehaseun qu'il n’y soit attrappé ! (16). (15) Navires de différentes sortes. (16) Un’point à observer ici en passant, c’est que dans cette publication nouvelle, Eustache Deschamps nous fournit, sous le titre de Rondeau de table, une espèce de chanson bachique, qui pourrait bien être antérieure aux Vauæ-de-Pire de Basselin, de 2 sorte qu’il ne serait plus vrai que celui-ci eût été, comme on le croit, le premier inventeur du genre. Voici le Rondeau ( page 157 ): Jamais à table na serray, SUR LES VAUX-DE- VIRE. 57 Il nous semble que tout cela a bien autant de /inesse, et d’ailleurs bien plus de gräce et d’intérét, que les chansons à se laver les tripes de notre cher compatriote Basselin. Il y a quelque chose de plus Laut, de plus grave, deplus na lin , dans la Chanson popu- laire, déja mentionnée ci-dessus, au sujet de la guerre de Bretagne, qu'il faut bien se décider à copier aussi, sauf à rectifier et in- terpréter un texte incorrect et un peu obscur. — L'auteur anonyme met son chant dans la bouche des enfants et des jeunes filles de la province , irrités de voir leur pays dévasté par les auxiliaires que l’Anglais a fournis à leur duc contre le roi.L’historien prétend que cette chan- sun eut l’heureux effet de déterminer enfin l'élite de la noblesse bretonne à se réunir pour Si je ne vois le vin tout prest, Pour boire et verser sans arrest, Au premier morcel tel soif ai, Que mort suis , se boire n’y est ; Jamais à table, etc. Comment il m'en va, bien le sai, Rolant en mourut ; si me plest Boire tost puisque vin me pest. Jamais à table , etc. 58 MÉMOIRE chasser le chef anglais, Jean d’'Evreux, du fort où il s'était établi près de Quimperlé. Voici les couplets : Gardez-vous du nouviau fort, Vous qui allez ces allues (17), Car laïens prend son déport (18), Messire Jehan Devrües. ' Il a gens trop bien d'accord , Car bon leur est vies et nues (19) ; N’épargnent faibie ne fort ; Tantôt aront plein leurs crues (20), De la Motte, Marciot (24), D'autre avoir que de vies ües (22), Et puis men’ront à bon port Leur pillage et leur conqües (23). Gardez-vous, etc. Clichon, Rohem , Rochefort , Biaumanoir , Laval , entrues (24) (17) Qui parcourez ces routes? ou ces domaines! (28) Là se tient et s'amuse. (19) Vieux et neuf. (20) Peut-être creux , dans le sens de nid ou repaire; les glos- saires ne donnent que le diminutif'cruet. (21) Gens de la Matte , et de la Marche, au vocatif? — Ou bien peut-être noms propres d’agents subalternes du chef étranger, nominatifs du verbe aront ? (22) D’autres effets que d'œufs gâtés, (23) Leur butio. (24) Tandis que. SUR LES VAUX-DE-VIRE. 59 Qu’ li dus à S4.-Brieux dort, Chevauches les frans allues (25); Fleur de Bretagne , outre bort Estre renommée sues (26), Et maintenant oute mort (27), Dont c’est pitiés et grands dues (28). Gardez-vous , ete. Remonstre là ton effort, Se conquerre tu le pues (29), Tu renderas maint succort (30) À nos mères , se Lu vues (34); En ce pays ont a tort Pris moutons et erasse bues (32); Leur escot payeront-ils or, À ce cop se tu t’esmües. Gardez-vous, etc. C’est bien là un chant de satyre nationale : un V'audeville tout réel; bien concu et bien (25) Chevauchez sur les grands chemins ? ou peut-être sur les terres libres ? © (26) Apparemment + Connue an loin par ta renommée ? (27) Ce mot oute fait difficulté dans le vers. — Les glossaires traduiraient réputée ou tenue pour , ( audita, vel habita)? sens douteux, qui pourtant ne doit pas être éloigné du véritable ; ih se peut que le passage soit altéré, (28) Pitié et grand deuil, (29) Si tu peux le battre, (30) Service ou appui. (31) Situ veux, (32) Vaches grasses, 6o MÉMOIRE tourné , un /’audeville fait avant Basselin , ou du moins lorsque Basselin ne pouvait avoir, au plus, que de 15 à 18 ans (?); un ’audeville, tel que Basselin n’a pas eu l’idée d’esquisser un trait de lespèce de ceux qui le composent dans tout son entier ! Et Basselin serait le père du Vaudeville ! c'est un titre auquel nous ne pouvons lui reconnaître aucun droit. On a pu observer que toutes ces pièces, prises d’une époque qui touche immédiatement à celle de Basselin, sont cependant d’un langage plus éloigné des caractères du français actuel ; c'est un indice de plus en faveur de l’opinion que nous avons énoncée ailleurs, sur les alté- rations que les poésies de Basselin ont pu su- bir au temps de leur transmission purement orale, et même encore sous la plume de leur premier éditeur, Le Houx ; celui-ci avertit de la manière la plus claire, qu’il les donne cor- rigées et écrites suivant le langage de son temps. Ce n’est guère que de ce même Le Houx qu'il nous reste à parler, et ce que nous avons à en dire ne nous arrêtera que quelques instants de plus. Jean Le Houx fut bourgeois de Vire, où il naquit vers ie milieu du 16°. siecle, et mou- rut en 1616. SUR LES VAUX-DE-VIRE, Gi Il fut avocat et peintre; et de plus poète et buveur , comme Basselin , qu’il semble avoir voulu faire revivre en sa personne , après un intervalle de 2 siècles ; son principal titre à la renommée, est de s'être fait l'éditeur des œuvres de ce dernier. Le Houx a composé lui-même force7" aux- de-Vire, qu’il s’est attaché à calquer exacte- ment sur le modele de ceux de son maître, si ce n'est peut-être qu'il y a introduit un peu plus d'allusions historiques ou mythologiques, de sorte qu'avec le même fonds d'idées, et le même caractère de style, ils offrent une légère nuance de prétention de plus, et de naïveté de moins. Jusqu'ici on n’avait publié qu’une douzaine de J’aux-de-Vire de Le Houx ; voici mainte- nant qu'on y en ajoute une quarantaine d'autres; le plus intéressant de tous, bien que l’un des plus anciennement connus, est le suivant, où l’auteur, par une exception rare dans le genre, arrive à méler à ses idées ba- chiques, l'expression d’un sentiment touchant, le regret que lui cause la destruction des mou- lins de ce beau vallon poétique , consacré par tant de souvenirs, que déjà le temps menace d'effacer : G2 MÉMOIRE Voyant en ces vallons Virois , Des moulins fouleurs la ruine , Où nos chants prirent origine, Regrettant leur temps, je disois : « Où sont ces moulins, Ô vallons, « Source de nos chants biberons ? » Le trafñicq de nos pères vieux Estait jadis en draperie : Le bon Basselin, lors en vie, Se réjouissait avec eux. Où sont ces moulins , 6 vallons, Source de nos chants biberons ? Aux moulins qui foulaient leurs draps Sur cette rivière jolie, Beuvaient d’autant, par drolerie , Sidre qui valait hypocras ; Où sont ces moulins, Ô vallons Source de nos chants biberons ? Basselin faisait les chansons Qui delà sont dits Waux-de-Wire, Et leur apprenait à les dire En mille gentilles facons: Où sont ces moulins , 6 vallons, Source de nos chants biberons ? Or bien le bon temps est passé. De toutes choses une pause ! Va dans mon corps, et t'y repose. SUR LES VAUX-DE-VIRE. 63 Benoist soit-il qui t'a versé ! Bon vin , si nous ne t’avalions, Se perdroient nos chants biberons. On pourait y joindre son V’au-de-Vie, 13°. ( des nouveaux }, où il a introduit, assez heureusement aussi, un petit élan de joie, sur le retour de la paix, et le départ des Espagnols, fauteurs de la ligue, et le 15°. en actions de grâce à Dieu, auteur de tous biens, et le 25e. où il s’agit de triompher de la soif, en la façon solennelle d’un triomphe romain; et même encore le 10°. adressé au rossignolet musicien, avec lequel l’auteur se met en parai- lèle ; ce sont autant de petites tentatives d’ex- cursion , faites avec assez de succès, dans la voie des associations d'idées, dont l’école ba- chique de Vire a trop habituellement négligé le secours. Nous avons dit ailleurs quel effet d'opinion avait produit à Vire la publication des chants bachiques de Basselin, effectuée par Le Houx; celle de ses J’aux-de- Vire propres ne pouvait qu'augmenter encore ces rumeurs ; c’est sur lui que dut tomber l'orage , et il paraît que véritablement on lui suscita quelques embarras facheux; Le Houx essaya d’abord des apologies [674 MÉMOIRE pour le genre et pour lui même ; iloffit en- suite réparalion ; et fit un pélerinage à Rome en expiation de sa faute; dans le dernier de ses J’aux-de-V'ire il rétracte positivement celles de ses chansons qui feraient scandale aux scrupuleux, et déclare en avoir honte et repentir. N La nouvelle edition des 7’aux-de-Vire , de petit format in-18 , était devenue, comme on l’a vu, un besoin du temps ; l'éditeur, M. Julien Travers , Va senti, et y a heureusement satisfait ; son petit volume, fort bien exécuté, contient beaucoup de choses, qu'aucun autre ne présente réunies ; il l’a enrichi de l’intéres- sant discours de M. Asselin, d’un choix fort bien fait de notes succinctes et judicieuses , extraites surtout de celles de M. Louis Dubois, et d’un petit bout de Glossaire très court, mais suffisant à l'explication du texte ; 41 Vaux: de-V'ire inédits de LeHoux s’y produisent pour la première fois , etc., etc. Nous ne voyons guère à y reprendre que le tort très-léger, d’avoir interverti. l’ordre chronologique des matières, en présentant les ’aux-de-Vire (inédits )de Le Houx, avant ceux de Basselir, son devancier et son modele; on sent du reste que cela ne s'est fait qué pour ne pas les SUR LES VAUX -DE-VIRE. Gi séparer de ceux des publications antérieures, qu'il avait fallu citer d’aborden notes et preu- ves, etc., à la suite du discours de M. Æ4sselin. Aux J’aux-de-Vire de Basselin se trouvent annexées, comme appendice , à la fin du vo- lume, trois pièces plus politiques que bachiques, en cela même assez étrangères au cercle des idées habituelles du 7’au-de-V'ire, et sur les- quelles il nous semble utile d'arrèter encore un moment notre examen. La seconde ( par laquelle nous croyons de- voir commencer ), a pour objet de déplorer les désastres de la Normandie, pillée par la soldatesque anglaise , et d'exprimer le vœu qu'incessamment Dieu veuille mettre enfin un terme à tant de maux. Cette chanson est bien tournée ; elle peutet doit être de Basselin , et serait encore une de ses meilleures à notre gré. Il n’y a aucun moyen de lui attribuer la premiere, attendu qu'elle lui est adressée à lui- même , par apostrophe formelle, et que l’évé- nement de sa mort est précisément ce qui en fournit le sujet. C’est là que se trouvent les trois fameux vers : Hélas, Olivier Basselin , N'orrpns-nous plus de vos nouvelles ? Vous ont les Anglais mis à fin, etc. 66 MÉMOIRE La 3. est des plus remarquables à plusieurs égards ; c'est une sorte de petite ébauche toute lyrique , dans laquelle l’auteur célèbre l’expul- sion des Anglais, apparemment après la ba- taille de Formigny (1450). Le mouvement en est vif, naturel-et rapide, beaucoup plus qu'on n’est accoutumé à le trouver dans les produc- tions de ce siècle ; ce mérite même de la com- position nous rend son authenticité fort sus- pecte; nous croyons d'autre part y reconnaitre une affectation d’archaisme ( vieux langage }, poussée au-delà de la vérité; en tout cas , elle ne peut guère être de Basselin , qui apparem- ment n'a pas dû vivre jusqu'à cette époque; M. Travers, qui la présente comme inédite , ne nous explique ni où on l'a découverte, ni comment elle est tombée entre ses mains. Tout considéré, c’est encore un dernier morceau à citer ici: il est dommage qu'on n'ait pas cru pouvoir nous le donner com- plet : Cuydoyent toujours vuider nos tonnes (33), Mettre en chartre nos compaignons /3/4), (33) Ils s’imaginaient toujours vider nos tonnes. — Pour ce dernier mot on a mal à propos imprimé verres qui ne fournit pas de rime. (34) En prison. SUR LES VAUX-DE-VIRE. 67 Tendre sur nos huys (35) des sidones (36), Et contaminer ces vallons (35). Cuydoyent toujours dessus nos terres S’esbattre en joie et grand soulas (38); Pour rescoufort embler nos verres (39), Et se gaudir de nos repas (40). Cuydoyent toujours... (41) 0.0... Ne beuvant qu'eau, tous nos couraiges Estoyent la vigne sans raizin ; Rougissoyent encor nos visaiges ; Ainçois, de sildre ne de vin (42). .: (35) Sur nos portes. (6) Proprement suaires on linceuils ( du grec sindôn j, à prendre ici pour éentures funèbres : mot bien douteux dans ce sens . malgré les peines que M. Travers se donne pour en justifier l'emploi. (37) Souiller. (38) Plaisirs. (59) Enlever. (40) Se divertir. (41) Geci fait lacune fâcheuse ; l’éditeur avertit que « la naïve « grossièreté des expressions lui a fait supprimer cette stance » : il est clair que ce sont les attaques insolentes portées à la pudeur des femmes ;, qui en fournissent le sujet. (42) Mais non de cidre, ni de vin, pensée d’une beauté et d’une vigueur remarquables. Peut-être faudrait-il lire : « Ainçois , non de sildre ou de vin, » 68 MÉMOIRE SUR LES VAUX-DE-VIRE. S'embesoignant de nos futailles (43), Dieu a féru ces enraigiés (44), Et la dernière des batailles Par leurs trépas nous a vengiés. Beuvons tous: des jours de destresse Jetons le record dans ce vin (45); Ores ne me chault que lyesse (46); Beuvons tous, du vespre au matin (47). (43) Prenant soin. (44) Frappé. (45) Souvenir. (46) Maintenant la joie seule m'occupe. (47) Da soir au matin. DE LA POÉSIE LYRIQUE EN FRANCE. PAR M. VAULTIER, PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES. DE L'ACADÉMIE ROYALE DE CAEN. ORIGINE ET 1°. DÉVELOPPEMENT, JUSQU'A LA FIN DU 13°. SIÈCLE. Que fait le laboureur couduisant ses troupeaux ? Que fait le vigneron sur ses brûlants coteaux ? Le mineur enfoncé sous ses voûtes profondes, Le berger dans les champs, le nocher sur les ondes, Le forgeron domptant les métaux enflammés ? Ils chantent ; l'heure vole, et leurs maux sont charmés, ( DELILLE, IssA@1:NATION. ) ES PE CA Gieuer sk: sd € NS ele un ester A Ge * s 28 cle mp : a dre dope vasphes, À cbr et pete 4 a veedts +18 dub vi LL 77, at hits à noi te pote ONE LS ENT l ' dé à Cognac tan d +, x Fa i : UD | + j = i viol wd AP ; LAND n° à LTTA l x é : US 4 \ L ru è ' 0 « { EAU 4 . } > x Ü OA * VA PA DE LA POËSIE LYRIQUE EN FRANCE. Origine et premiers essais. Toute littérature commence par la poésie, et toute poésie primitive se produit d’abord sous la forme de chant populaire. L'impression de l'âme fournit le fonds; la modulation du langage y ajoute la forme. C’est la marche nécessaire de l'esprit hu- main. Les sociétés, comme les individus, commen- cent par une espèce d’enfance. Les peuples ont des fantaisies d'émotion à exprimer , long-temps avant que leur intelli- gence ait du s'exercer sur un sujet de médi- tation quelconque, avant mème qu’elle se soit élevée à l'expression des sentimens réfléchis de l'admiration et de la reconnaissance. 72 POÉSIE LYRIQUE Une seule et grande exception a pu avoir lieu sur ce point , à l’origine du monde, et dans un état sarnaturel de toutes choses; on ne conçoit pas d'autre circonstance où elle ait dù se renouveller. La poésie populaire d’un peuple naît avec ce peuple, ou, ce qui est la même chose, avec sa langue. 1l est impossible de remonter nulle part aux premières origines des chants populaires , et d'en nommer , comme on dit, l’ërventeur , parce que ce n’est nulle part une énvention individuelle, que partout les monumens de la composition précèdent l'époque de la eivi- lisation et des souvenirs historiques ; parce que , d'ailleurs, Part n’a pu partir que d’un point obscur et barbare, et que d'ébauches en ébauches,si celles: ci eussent pu être conservées, toute recherche sur sa naissance et et ses pro- grès remonterait nécessairement, et en dernière analyse, à quelque trait rapide de modulation décousue, échappée à l'émotion d’un chasseur ou d'un pâtre, peut-être plus souvent encore à la rêverie d’une jeune fille, à la tendresse d’une jeune mère, ou à la joie folàtre de quelque enfant. Ainsi commence partout le lyrique popu- EN FRANCE. 73 laire , tel qu'il a existé chez tous les peuples de l'antiquité, classique ou barbare, tel qu'il existe encore chez les peu ples les plus sauvages de toutes ces contrées du monde connu. A côté de cette poésie populaire et primi- tive, les progrès de la civilisation ( dès que civilisation il ya), ne tardent guère en général à en faire naître une autre , plus haute, plus grave, plus étudiée, et qui ne manque pas. surtout de s’'annoncer avec plus de préten- lions: ‘tr Celle-ci commence d'ordinaire par s’attacher,, d’une manière plus ou moins décidée, aux institutions du pays, dont elle ne manque pas de prendre les caractères dominants, religieuse, guerrière , ‘fanatique de gloire ou d’indépen- dance , etc., selon le génie des nations qui la produisent. Le plus souvent une corporation sacerdotale ou politique s'en saisit , la cultive , la perfectioun&, s’en fait un moyen puissant d'influence et de gouvernement , et en tire de grands et utiles effets. Plus tard , l’imitation en transporte les pro- cédés à des sujets moins importans, d’un in- térêt plus restreint, sans autre objet d'utilité, que l’amusement du poète et celui de ses lec- teurs. Ceci constitue proprement le lyrique litté- LA 7% POÉSIE LYRIQUE raire, le seul à peu près que nous connaissions, dans le système poétique de nos sociétés mo- dernes, vain simulacre de cequ’eût pu y être le vrai lyrique d’institulion, si on eùt jugé à propos de l'y admettre, et de l’approprier à nos besoins. Il y a eu en France des chants en langue Celtique, au temps de l'indépendance Gauloise; il ne s’en est rien conservé; nous savons en gros qu'ils étaient spécialement consacrés à célébrer la mémoire des braves qui trouvaient la mort dans les combats, en défendant leur pays; peut-être pourrait-on s’en faire une idée, sur quelques fragments conservés sous les noms des Bardes Cambriens, Taliessin , Aneurin, etc. — Ils sont censés être du 6°. siècle de notre ere chrétienne, et se rapportent ( s’il faut y croire }, au temps &ù la Grande Bretagne, délivrée de l'occupation romaine , essayait sous des chefs nationaux, Ærthus, Urien , etc., de soutenir son indépendance contre les envahisseurs de race Germanique, Saxons, Angles, etc. On cite de Z'aliessin le morceau suivant d’un chant de victoire sur une défaite des Angles vers la source de la Clyde, en 547 ? « L'homme de feu est venu contre EN FRANCE. 72 « nous (1). — Il nous a demandé d’une voix « forte; voulez-vous me livrer des ôtages ? ètes- « vous prêts? Owen lui a répondu en agitant « sa lance : non, nous te livrerons point d’ôta- « ges; non, nous ne somires pas prêts! — « Urien , le chef du pays, s’est alors écrié : En- « fants d’une même race , unis pour la même « cause, levons notre étendart sur les monta- « gnes, — précipitons-nous sur l’aomme de « feu, et unissons dans le même carnage, lui, « son armée, et ses auxiliaires (2). » Dans une autre pièce d’Aneurin, sur le com- bat funeste où succomba la belle cause de l’in- dépendance Britantique , on remarque ce pas- sage , d’une énergie si profonde , dans la sim- plicité de sa forme : « ……. Peu de chefs en revinrent ; à leur « retour , ils contérent à leurs femmes un « récit de paix : mais les femmes sentirent sur « leurs habits l'odeur du sang. » Au temps de l'administration Romaine , et ensuite sous les premiers Mérovingiens , la Gaule eut des Chansons latines, vu que le (2) Ida , chef des Angles, que les Cambrisns avaïent sur- nommé #lammddyn. (2) Les Gaëls d'Écosse , qui s'étaient déclarés en faveur des Angles, contre les autres Bretons. 76 POÉSIE LYRIQUE latin, comme chacun sait, était devenu alors la langue dominante du pays; — on nous a conservé, comme échantillon, deux couplets d’une chanson de cette espèce , composés à ce qu'il paraît, à l’occasion d’une victoire de Clotaire Il, sur les Saxons, en 622. On remar- que qu'ils sont: en vers rimés : De Clotario est canere, rege Francorum, Qui ivit pugnare cum gente Saxonum; Quäm graviter provenisset missis Saxonum, Si non fuisset inclytus Faro de gente Burgundionum! Quando veniunt in terram Francorum , # Faro ubi crat princeps, missi Sazonum , Instinctu Dei transeunt per urbem Meldorum , Ne interficiantur à rege Francorum. Dés les premiers temps des invasions bar- bares des 5°.et 6°. siècles,etc., les chefs de nation Gothique où Tudesque qui vinrent s'établir parmi nous , y avaient amené avec eux, et gardèrent l’usage d'y entretenir à leur cour, des chanteurs d'office , attachés à leur service, et spécialement chargés de célébrer leurs ex- ploits, et d'animer la valeur de leurs soldats en temps de guerre, et de les amuser de récits historiques, merveilleux ou touchans , dans les courts intervalles de leurs combats. EN FRANCE. SA) Charlemagne avait fait faire, par son secré- taire ÆEginhard, un recueil de ces derniers chants en langue Germanique , et on ajoute qu'il prenait beaucoup de plaisir à les chanter; ce précieux recueil a été perdu ; il ne nous est resté des chants Franco-Tudesques de cette époque, qu'une chanson guerrière du roi - Louis II, à l’occasion d’une victoire remportée sur les bandes Normandes en 881 : « Le roi prit son bouclier et sa lance, et chevaucha avec vitesse ; il voulait vraiment se venger de ses ennemis. « Sa course durait depuis long-temps, lors- qu’il rencontra les ommes du Nord ; Dieu soit loué, dit-il, je vois enfin ceux que je demande ! « Le roi chevauchant avec vitesse , com- mença aussitôt un cantique pieux ; et tous ses chevaliers se mirent à chanter ensemble: Seigneur, ayez pitié de nous! « Le chant venait de finir, etla bataille com- mença ; le sang -coulait le long des joues des Francs qui combattaient ; mais , fort comme un glaive, nul ne combattait plus vaillam- ment que Louis... etc. » Les chants en langue Française, ou plutôt en langue dite Romaine (ou Romane) rustique, 78 POÉSIE LYRIQUE qui en a été la première ébauche , ont du commencer en France dès les premiers temps où l’altération du Latin, par le mélange du Cel- tique et du Tudesque, ÿ donna naissance à ce nouvel idiôme de fusion. Les premiers monuments bien connus de la langue Romane ne remontent pas au-delà de l'an 842, époque des fameux serments de Strasbourg: Y'usage de cette même langue dans la prédication et l'instruction ecclésiastiques, avait dû commencer environ trente ans plutôt, en vertu d'actes formels et bien motivés à cet effet. Celui des chansons et cantiques en Roman vulgaire y remontait plus haut, ainsi que le prouve bien clairement un acte du concile d'Auxerre, qui en défend usage dans les églises, à la date de l'an 598. Nous n'avons rien qui se rapporte à des temps aussi reculés. En 1066, à la fameuse bataille d’ÆZastings, Guillzume, duc de Normandie, qui, avec une riche couronne , y acquit aussi la gloire et le surnom de Conquérant , avait auprès de lui son 7nénestrel Taillefer , qui y chanta la chanson de Roland. Taillefer , qui moult bien cantoit , EN FRANCE, 79 Sur un ceval qui tost alloit , Devant ax s’en alloit cautant De Carlemaine et de Rolant , Et d'Olivier et de Vassaux , Qui morurent à Rainchevuux. Cette chanson a été fort célèbre en France, et y était encore bien connue du temps du roi Jean , en 1356 ;elle s’y est perdue depuis, et en dépit de tout ce qu’on à fait pour en retrouver des vestiges, il n’a été possible d’en rien recouvrer. A vingt-cinq ans de la conquéte, au temps de la première croisade, sous Robert Courte- heuse, fils et successeur de ce même Guil- laume (1099), 6n nous cite une chanson saty- rique, composée à Jérusalem, par ses soldats Normands croisés, contre A{rnould-Malcou- ronne , Son aumônier , à qui la voix publique imputait de ne pas avoir les mœurs de son état. Nous le répétons, rien ne s’est conservé ni de ces pièces, ni d'aucune autre de cette épo- que; mais la donnée de leur existence n’en est pas moins certaine, et il reste bien établi que dès cé temps, c’est-à-dire à la fin du rr°. siècle, il y avait en France, ou si l’on veut, 80 POÉSIE LYRIQUE au moins en Vormandie, des chants publics et nationaux de deux sortes , les uns composés sur des sujets héroïques, par des ménestrels ou /ongleurs d'office, à la cour des princes, les autres courant dans le peuple ou dans la soldatesque, qui les faisait elle-même pour son amusement. Un peu plus tard , d’autres documents non moins certains nous font connaître les sub- divisions nombreuses qui s'étaient établies dans ces deux branches du /yrique vulgaire , et dont l’usage se maintint long-temps après. On remarquera que, s’il était possible de recevoir le morceau comme authentique , nos chroniques Normandes nous fourniraient le plusancien monument connu de cette poésie nationale , antérieur même à la bataille d’Has tings, dans ce couplet de bravade qu’elles nous donnent, comme ayant été chanté par les soldats Normands, de Guillaume, aux Français battus par eux à ÆMortemer, en 1054 : Réveillez-vous et vous levez , François, qui trop dormi avez ; Allez bien tosti voir vos amis, Que les Normands ont à mort mis, EN FRANCE. OI Entre Escouys et Mortemer ; Là vous convient les inhumer. Mais, outre que ce n'est pas là le langage de l’époque, il est par trop visible aussi que cette prétendue chanson a été fabriquée après coup ; sur un passage de récit du roman de Rcu, dont elle reproduit toute la substance, en modernisant seulement quelques détails de l'expression : Là où li rei fu hébergiez, Ki en son liet ert ja cochiez , Fist un home tost enveier (le Duc ); Ne sai varlet u escuier ; En un arbre le fist monter, E tote nuit en haut crier : « Franceis, Franceis , levez , levez’, « Tenez vos veies ; trop dormez ; « Allez vos amis enterrer, « Ki sont occis à Mortemer. » ( Rom. de Rou, t. IL. p.79, — composé en 1160 ). Les premieres années du 12°. siècle avaient produit des chansons badines , connues pour ètre de deux personnages qui plus tard par- 82 ‘POÉSIE LYRIQUE vinrent à uue grande célébrité par d’autres voies : Abailard , le dialecticien sans égal, et le grand ét pieux orateur des croisades, S. Ber- nard, abbé de Clairvaux ; mais de fait de l’ancienne existence de ces pièces est ie seul qui soit bien établi ; on a contesté qu’elles fussent en langue vulgaire, et jusqu'ici ce point de difficulté n’a pas été résolu. ” Quelque temps après, et en approchant de la fin de ce méme r2°. siècle , l’état des choses se présente tout-à-coup sous un tout autre aspect. Alors il parait que l'institution des rnénes- trels d'office s'était éteinte, ou du moins était tombée dans le discrédit et la nullité; mais d’un autre côté, le goût de la poésie s'était introduit dans les classes élevées de la na- tion ; la chevalerie naissante, surtout, s'en était emparée d'une manière spéciale, et il n’y a pas jusqu'aux princes souverains, qui ne prétendissent s’honorer des titres de Trou- badours et de Trouvères ( c'est-à-dire irven- teurs ), appliqués, selon la différence des deux grands dialectes, à quiconque parvenait à se distinguer dans ce nouvel art. Nous avons, de cette époque , une grande quantitéde chansons parfaitementauthentiques, EN FRANCE. 83 Let conservées en original dans nos grands dépôts publics. Presque toutes se renferment exclusivement dans les sujets de gulanterie mêlés d'idées de guerre et de dévotion ; c’étaient celles de nos jeunes preux, qui ne versifiaient que par passe- temps, et naturellement ne chantaient que ce qui occupait habituellement leurs esprits, Il a bien pu y avoir, dans le même temps, d'autres chansons, sur d’autres sujets , et composées aussi par d’autres 7rouvères, plus ou moins étrangers à la chevalerie; mais celles- à seules avaient la vogue, et ce sont les seules aussi qu'on ait pris la peine de recueillir et de conserver. On les appelait communément royales, soit pour marquer leur excellence, en les distin- guant des chansons populaires, où de quel- ques autres que ce puisse être, soit pour dire que des rois en avaient bien composé eux- mêmes, et qu'elles étaient destinées à l’amu- sement des cours. Il y en avait de trois formes principales , savoir : 1°. La chanson galante , en expression dé- licate et langoureuse d'amour, de dévoue- ment, et de respect, du Chevalier pour sa Darne ; 8/ POÉSIE LYRIQUE 2°. La pastourelle , en récit ou tableau grivois , de la rencontre d’un chevalier avec une bergère ou autre villageoise; 3°. Le Jeu parti, en discussion dialoguée entre deux personnages , sur un point de galanterie controversé. Les plus belles chansons galantes ancien- nement connues, sont celles du Chételain, Raoul ou Renaudde Coucr. Ce personnage est célèbre par la tradition de ses amours romanesques avec la dame du Fayel, dont le fonds a fourni, dansnos temps modernes, l'horrible sujet de la tragédie de Gabrielle de Veroy; — Il fut tué au siège de Saint-Jean-d’Acre en Palestine, en l’an 1191. Vingt-trois chansons du Chäteluin de Coucy nous ont été conservées ; elles sont toutes pleines de grâce et de naturel, toutes sur- tout exemptes de toute trace d'affectation , de recherche et de mauvais goût; les trois dernières ont pour objet l'expression des re- grets du châtelain au moment de son départ pour la croisade ; ce sont les plus: jolies : nous citerons la 22e. que nous tàcherons aussi d’éclaircir au moyen d’un essai de tra- duction : fTR « « « « « « EN FRANCE. 85 Ahi, Amors! com’ dure départie Me convendra fère de la meillor Qui onques fut amée ne servie ! Dex me ramaint à li par sa doucor, Si voirement com’ j’en part à doulor ! Dex! qu’ai-je dit ? jà ne m’en part-je mie; Ains va mes cors servir nostre seignor, Mes cueurs remaint du tout en sa baillie. « Oh! amour ! quelle dure séparation il me faudra souffrir, en m’éloignant de la meil- leure amie, qui fut jamais aimée ni servie! Dieu veuille , dans sa bonté, me ramener vers elle, aussi heureusement que je m'en sépare avec douleur ! Dieu! qu’ai-je dit ? il n’est pas vrai que je m'en sépare, mais mon corps va servir notre seigneur, et mon cœur reste ici près d'elle, et tout en sa puissance! » Pour li m’en vois souspirant en Surie ; Car nus ne doit faillir son criator ; Qui lui faudra à cest besoin d’aïe, Sachiez de voir qu’il faudra à graignor ; Et sachiez bien, li grand et li menor, Que là doit-on faire chevalerie ; C'on y conquiert paradis et honor , Et pris , et los , et l’amor de s'amie. 86 POÉSIE LYRIQUE ° « Pour elle je m'en vais, soupirant, en Sy- « rie; car nul ne doit manquer à son créateur; ET . . 1% « « qui l'abandonnerait en ce besoin d'assistance, « tenez pour assuré que lui-même aussi, il « labandonnera dans un autre besoin plus « pressant; — Etsachez bien, grands et petits, « que c’est là qu’il importe de signaler sa va- « leur ! là qu’on obtient à la fois, paradis et « honneur, gloire et renom, et l'amour de « son amie | » Qui ci ne veut, avoir vie honteunse, S’aille morir pour Dieu liez et joyeux ; Car ceste mort est bonne et glorieuse ; Qu'on y conquiert le regne glorieux ; Ne jà de mors n’en y morra un seus, Aios nestront tuit en la vie glorieuse ; Je n’y sais plus , qui ne fust amoureux , Trop fust la voie et bone et délitcuse. « Celui qui ne veut pas mourir dans la « honte , qu'il s’en aille avec joie et empres- « sement mourir pour son Dieu ! C’est là une « mort profitable et glorieuse ; puisque la « gloire céleste en est le prix; aucun aussi n'y « mourra de mort réelle ; mais tous y naitront « à une vie glorieuse ; et pour qui ne serait pas « retenu par l'amour , le voyage n'aurait que « trop d'avantages et de charmes! » « « « EN FRANCE. 87 Dex est assis en son saint héritage ; Or y parra com’ cille secorront Que il geta de la prison hombrage, Quand il fust mis en la croix que Turc ont ;. Bien sont honi tuit cil qui remanront, Se nes retient pourretez ou malage sk Et cil qui riche , et sain , et fort seront, N'y puent pas demorer sans hontage. « Dieu est assiégé en son saint héritage : il faudra voir comment le secourront ceux qu'il retira de la prison ténébreuse, quand il fut mis en la croix. que possédent main- tenant les Turcs; à bon. droit seront honnis, tous ceux qui resteront, s’ils.ne sont retenus : par pauvreté ou maladie h . quiconque est riche, et sain , et fort, ne pourrait demeurer sans se couvrir de as, » Tuit li clergie et li home d’aage, Qui en aumône et en bienfait menront, Partiront:tuit-à cest pélerinage , Et les dames qui chastée tendront , Se loyauté font à ceux qui y vont; Et s’eles font par mal conseil folage , À lasches gens, mauvaises , le feront, Car tuit li bou s'en vont en cest- voyage. « Tout le clergé et les hommes d'âge, qui s’y associeront par leurs aumônes et leurs e3 POÉSIE LYRIQUE « bienfaits , participeront au mérite de ce « pélerinage; les dames aussi, pourvu que « gardant leur chasteté, elles demeurent fidèles « à ceux qui s’en vont; s'il en est qui folle- « ment trahissent ce devoir, perfides , elles ne « pourront l'être que pour des lâches; car « tous les bons seront de ce voyage. » Cette pièce est, de toutes, celle qui se rat- tache le plus formellement aux événemens de l’époque, et on nous croira sans doute aisément, si nous ajoutons que c'est aussi la plus intéressante et la plus belle ; nous insis- terons peu pour en relever les agrémens ; on n’auya pas manqué de remarquer le joli mouvement de correction du premier cou- plet : Dex ! qu’ai-je dit ? jà ne m'en part-je mie , etc. Et l’énergique beauté de ce passage du deuxième : Qui Ini faudra à cest besoin d’aïe , etc. Et le tour ingénieux et délicat de la plaisan - terie qui terminele cinquième : Et s’eles fout par mal conseil folage , ete. Tout cela se sent d’abord, et sans avoir besoin d’être aucunement analysé. EN ERANCE. 89 Une observation que nous devons placer ici en passant, relativement au trait presque sublime du second couplet, c'est que le sens en a été barbarement défiguré dans une tra- duction connue, qui à dit, apparemment sans chercher à s'entendre : « Qui manquerait à le secourir dans ce be- « soin, ui manquerait sans doute dans un « besoin plus pressant. » La construction des deux vers du texte est inverse, et il est visible que le pronom 17 de la phrase principale, ne peut se rapporter qu au substantif criator. La plus belle pensée de la pièce périssait dans ce contre-sens. Dans le nombre des autres chansons du Châtelain ; nous distinguuns encore par- riculièrement la 6°. et la 12°., toutes deux naives et gracieuses , et d’un effet d'ensemble parfaitement heureux et vrai. Comme traits de détails, nous indiquerions surtout : Un passage du couplet de début de la 3°. où l’auteur , retombé dans les pièges de l’a- mour, s'en plaint, et dit de lui-même : Empris ai graignour folie , Que li fous enfis qui crie, 90 POESIE LYRIQUE Pour la:belle estoile avoir Qu'il voit haut el ciel séoir. « J'ai conçu folie plus grande, que le fol « enfant qui crie, pour avoir la belle etoile- « qu'il voit là haut briller aux cieux. » Et plus loin, dans le 4. couplet de cette même pièce, ces quatre vers où il caractérise la violence de la passion qui le domine, en la cemparant à celle du vent, qui pousse une faible barque sur lécueil où elle va se briser : ‘#4 Mais d’esforcier fais folie, Si com’ fait nès que venz guie, Qui va là où il l’empaint, Si que toute esmie et fraint. « Mais je me livre à des efforts insensés, ‘« comme la nef que le vent emporte, et qui x (EC 2e pr « va, là où il la pousse, de sorte qu'il l’écrase « et la brise entièrement. » Et finalement encore ce début charmant de 1 dé A S'onques nus homs pour dure départie Ot cueur dolent , je l'aurai par réson ; EN FR ANCE. 91 Jnques turtre qui pert son compaignon, Ne remest jor de moi plus esbahie ; Chascun pleure sa terre et son pays, Quant il se part de ses coriax amis ; Mais nul partir, sachiez , queque nus die, N'est doloreux , que d'ami et d’amie. « Si jamais homme , réduit à une séparation cruelle, en eut le cœur déchiré, c’est bien ce que doit éprouver aujourd’hui le mien ; jamais tourterelle qui perd son compagnon, ne resta plus désolée que moi; chacun re- grette sa terre et son pays, quand il lui faut quitter des amis chers à son cœur ; mais sachez , qüoi que l'on en dise, qu'il n'est séparation douloureuse que d'ami et d’amie. » Tout cela parait avoir été composé dans l'intervalle de deux ou trois années , et en majeure partie au moment du départ pour l'expédition d'Outre-Mer , dans. laquelle le Châtelain mourut l’année suivante ; on croit qu'il n'avait pas alors au-delà de 30 ans; il a été souvent confondu avec deux autres personnages de son nom et de sa famille, Raoul 1%, et Raoul IT, Séres de Coucy ,en Vermanduis ( Picardie ), dont le dernier , fils ”) 92 POÉSIE LYRIQUE de son oncle paternel, fut tué à la bataille de la Massoure en Egypte, au temps de saint Louis, en 1/49 ? Où trouvera ses chansons recueillies dans V'Essai sur la musique, etc., de M. de la Borde, T. IT, page 260, etc. Peu après l’aimable Coucy, se présente le célebre Thibaut. Thibaut, quatrième du nom, naquit en 1201. Il fut d'abord comte de Champagne, et devint ensuite roi de Navarre, par héritage de son oncle maternel , Sanche-le-Fort. Son caractère fut ardent et mobile , et sa vie assez aventureuse. Deux choses surtout paraissent avoir.exercé sur son esprit une influence toute puissante, savoir : d’une part l'ambition de figurer comme chef dans les intrigues féodales de l’époque, et de l’autre, la prétention romanesque de se présenter partout comme le chevalier de la reine Blanche de Castille, de laquelle il pas- sait pour être en effet fort épris. - Sa conduite fut pleine de contradictions qui s'expliquent assez naturellement par lac- tion contraire de ces deux impulsions oppo- sées; on croit communément que la pieuse EN FRANCE. 03 reine, qui apparemment s'amusait de la pa ssion chévaleresque de son présomptueux vassal , comme d’une folie sans conséquence, ne lais- sait pas d'en profiter pour le bien de l'etat, et savait s’en servir à propos, pour le faire ren- trer dans les limites de l’obéissance,chaque fois qu'elle le voyait en mesure de porter à la royauté quelque coup par trop décisif. Vers l'an 1238, Thibaut, de compagnie avec les ducs de Bourgogne et de Bretagne, et quelques autres puissans seigneurs du temps, effectua une croisade, qui n’eut aucun résultat remarquable ; il en revint au bout d’un an ou deux , épuisé de fatigues et de maladies, passa le reste de sa vie au sein de ses états, uniquement occupé du bonheur de son peu- ple, et mourut en 1253, âgé par conséquent de 52 ans. Thibaut eut un goût décidé pour. la poésie, et composa beaucoup de chansons, qui eurent de son temps une grande vogue; c’est peut- être du titre de sa dignité que le genre qu'il cultiva a pris le nom de chanson royale; plu- sieurs manuscrits des ses chansons nous ont été conservés ; quelques-unes nous sont par- venues avec les notes des airs qu'il y avait laits: il en a été donné une édition de soi- O4 POÉSIE LYRIQUE xante-six pièces, par lÆ uéque de lu Raval.- lière , avec dissertations , notes , glossaire, etc.’ 2 vol. in-12, 17/42. Dans le nombre des chansons imprimées de Thibaut ; une quarantaine appartiennent, plus ou moins exclusivement , à l’espèce dite chanson gailante 3; 6, ou 8 roulent sur des sujets de dévoiion et: de satyre morale ; une seule se rapporte au genre Léroique, et a pour objet. d'exciter les seigneurs francais à une croisade projelée ; il y en trois dans les for- mes et le ton de ja pastourelle ; il y en a une douzaine dans le caractère du jeu parti: 1e titre de, Zay. à la Sainte Vierge se trouve appliqué. à l’une de celles dont la dévotion fournit le fonds. On a cru long-temps sans nulle difficulté que les chansons galantes de Thibaut avaient été composées pour la reine Blanche ; quel- ques écrivains modernes ont trouvé que cela ne devait pas être, et se sont donné beaucoup de peine pour d'établir; en quoi on peut dire qu'ils se sont tourmentés d’un soin pour le moins très-inutile; ils ont eru qu'il y allait de l'honneur de la reine Zlanche , et c’est en quoi ils se sont étrangement trompés. Un che- valier choisissait sa Dame à sa fantaisie , et EN FRANCE. 99 sans que par ce choix celle-ci se trouvât en- gagée a rien envers lui ; il y ena eu plusieurs qui ont servi la leur sans jamais oser s’en faire connaître ; et il paraît que, du sein de la gloire céleste , la Sainte Vierge elle-nême n’a pas laissé d’être quelquefois ainsi choisie par qui l’a voulu. On à cité dans plusieurs recueils le couplet suivant , qu'on y donnait sous le nom de Thibaut : Las ! si j’avois pouvoir d’oublier Sa beanté, son bien dire, Et son tant doux , tant doux regarder , Finiroit mon martyre! Mais las, mon cœur je n’en puis oster, Et grand afloiage M'est d'espérer ; Mais tel servage Doane courage À tout endurer ; Et puis comment, comment oublier Sa beauté , son bien dire, Et son tant doux, tant doux regarder! Mieux aime mon martyre. La Harpe, qui en fait l'observation , ajoute fort judicieusement que ce n’est pas le lan- gage du siècle de saint Louis ; on croit avoir 96 POÉSIE LYRIQUE découvert depuis ; que ce petit morceau de remaniement est louvrage du président Hé- naut; le fait est que si on le veut tel que l'avait composé d'abord le roi de Navarre, il faut le rétablir dans la forme suivante, comme on le reconnait clairement au 2°. cou- plet de sa 20€. chanson : Se je péusse oublier Sa biauté et ses bons dits, Et son très doux esgarder, Bien péusse être garis : Mais n'en puis mon cueur oster , r! , : l Tant y pens’ de haut coraige ! Espoir si fait grand folage ; Mais moi convient cndurer. La différence est notable, et pour autre chose encore que ce qui tient au matériel de l'expression. PR Le fonds des chansons galantes de Thibaut est commun , et se renferme dans un cercle d'idées assez uniformes : L'auteur vante les perfectionside sa Dame; il exprime le respect qu’elle lui inspire, et la crainte qu'il aurait de l’offenser en lui faisant connaître ses sentimens ; il ne lui de- mande que de permettre qu'il soit. sen ; il EN FRANCE. 97 aimerait. mieux mourir que de sortir de la prison où l'amour le retient ; quelquefois il espère qu'elle accueillera son hommage, qu’elle se fera un scrupule de le laisser mourir... ; — puis il se lamente , en abjurant'toute espérance...., etc. | En général, le ton est simple, naturel et naïf ; il y a de la délicatesse dans les senti- mens, de la décence dans la pensée et le lan- gage; mais d'ailleurs peu de variété , peu d'art, peu d'énergie, de finesse ou d'intérêt. Nous avons loué le Châtelain de Coucy, de ne nous offrir , dans ce genre, aucun trait sensible d'affectation , de recherche ou de mauvais goût ; peut-être ne, s’en füt-il pas absolument garanti dans une suite de compo- sitions plus nombreuses ; le fait est que nous ne pouvons reconnaitre à Thibaut le même mérite en ce point : ses chansons 6°. et 31°. en fourniraient au besoin des preuves trop irrécusables. Dans celle-là, à la suite d’un début en gali- mathias mystique sur l'4mour,, la Grâce et la Beauté, dont il fait conime une sorte de Zri- nité indivisible,, le poète se représente lui. même comme un Chemin ferré , usé parles courriers de cette triple puissance, qui :ne cessent de le parcourir, etc. 7 98 POÉSIE LYRIQUE L'autre nous le peint pris par un doux _regard , et languissant dans une douce prison, dont les piliérs sont de talent ( inclination ), l’huis de &el-voir, et la chaîne de bel-espoir, sous la garde dé Biau semblant, Biauté, et Dangier , des mains desquels il ne pourra être délivré que par Merci de sa Dume. On sent combien tout cela est froid et ab- surde ; de bonnë et franche barbarie vaudrait bien mieux que dé pareïlles finesses : on re- marquera que lusage en a été fort commun dans toute la poésié du moyen àge, et on voit dé ce moment même, qu’il s’y était déjà intro- duit dans dés temps qu'on ne soupçonnerait guère d’avoir pu étre éhtachés d'un pareil défaut. Th baut à traité la Pastourelle avec beau- coup d'agrément et de gaité, mais aussi d’uné manière uh pet trop grivoise ; c’est le carac: tère de cette sorte de composition. Ses Jeux partis, fort loués par son éditeur, né sont, à notre jugément, que de froids dialogues en vers, sur des questions de galan- tee, le plus souüveut un peu crue ; ils n’ont pour nôus aucune espèce d'intérêt ni d'agré- meñt: Là Chanson dévoté non plus , n’est pas la EN FRANCE. 99 sorte de composition dans laquelle le talent de Th:baut s’est montré avec le plus d'avantage; sa dévotion est mesquine et vulgaire, sans noblesse et sans enthousiasme ; ses idées sur le Paradis ne s'élèvent pas au-dessus du type grossier d’une cour du moyen âge , tenue par un ot débonnaire, et une Royne douce et accorte, au corps droit et gent, dont la biauté éclaire le monde.…., êtc. Dans cet ordre de sujets aussi, Thibaut nous offre deux inventions assez bisarres. C'est d’abord cette alléscorie de la Péche infernale, formant le 4°. couplet de la chan- son 61°: le Diable noûs amorce de quatre hamecons , enveloppés de tourment : Con- voitise les lance ; Orgueil remplit le filet ; Luxure traine le bateau ; et Félonie gouverne le tout. C’est ensuite, dans la 62€., une paraphrase des cinq lettres du nom latin de la vierge bienheureuse, HA4RTA, dans lesquelles l’auteur trouve : 1. Mère et mie ; 2. Principe et salut; 3. Rot et corps divin ; 4. El/gance de taille; Bb. Exclamation de plainte et de désir. — Cha- que lettre fournit son couplet, et toutes en- semble reparaissent réuniés dans un Ænvor qui termine la composition. L 100 POÉSIE LYRIQUE Cela peut aller de pair avec la Prison d'a- mours.et le Chemin ferré. Le soi-disant Lay à la sainte Vierge , chan- son 64e., dont le fonds semble pris du psaume De profundis , ete., montre dans toute sa fai- blesse, l'esprit d’un gentil Trouvère aux prises avec une grande idée. L'auteur annonce d'abord le dessein de chanter la meilleure, et paraît abjurer d’autres affections ; ce sont quatre vers de début, après lesquels il poursuit : Virge mère savorée , Se vos faites demorée De proyer le haut Seignour , Bien doi avoir grand pavour Dou Deauble, dou félon , Qui en sa noire prison Nos volt mener, Dont nus ne puet eschaper ; Et j'ai forfait, douce Dame, À perdre le corps et l'âme, Se ne m’aidiez..….. Là dessus, il demande pardon à Dieu , et l’engage à détendre sa corde pour lui faire miséricorde ; puis il termine en revenant à la sainte Vierge, sans le secours de laquelle : Jamais ne serons rescous. 4 EN FRANCE. 1of H y a quelque chose de mieux. dans la chanson 6û€., dernière de lPespèce, et aussi de tout le recueil; l’auteur y célèbre le. fruit de l'amour divin, par opposition à.cet autre fruit acerbe, qui trompa d’une manière si funeste la curiosité de nos premiers parens ; il avoue que ses vergers sont pleins de ce dernier fruit, qu'il regrette de n'avoir pu goäter, tout en priant Dieu de lui inspirer le goût du premier; l’allégorie, qui n’a.pas toujours le degré de jus- tesse et de clarté désirable, est d’ailleurs traitée avec assez d'agrément ; on remarquera la com- paraison suivante : Bien eui qu' dou ffuit ne gousterai Que koilli ai ; ainçois m’avient Si com’ à l’enfant , bien le sai, Qui à la brance se sousuent,. Et entour l'arbre va et vient À Ne jà amont ne montera ; Ensi mes cuers folement va, Tant parest:grand mes désiriers , Que j'en tiegne mes grand maux chiers ; Si suis afiné com’ li ors Vers li qui est tous mes trésors. Entre les chansons dévotes de Thibaut, deux sont d'intérêt public, et se rapportent 102 POÉSIE LYRIQUE à destévénemens contemporains : deux Croi- sades, l’une d'Outre-Mer, Vautre contre les Albigeois de Toulouse, en fournissent le sujets, Thibaut excite à lune, et déplore les scandales de l’autre; c’est l’objet respectif de ses chansons n°$, 54 et 65. — La première mérite quelque attention ; rien n'est plus propre peut-être à compléter l’idée que nous avons à nous faire de ce Zyriçue de la chevalerie; rien ne fera mieux sentir surtout, combien , avec quel- ques moyens de succès assez heureux, dans un ordre de compositions simples et familières, l’art peut rester inférieur à lui-même , lors- qu'il s’agit de franchir ces limites, et de s'élever à des sujets d’un caractère moins restreint et moins commun. Il faut d’abord citer la pièce. L'auteur s’adresse aux Seigneurs de France, ses amis et ses pairs, etc : Signor , sachiez , qui offne s’en ira En cele terre où Diex fu mors et vis, Et ki la croix d'Outre-Mer ne prendra , À peine mais ira en paradis ; Qui a en soi pitié et remembrance Au haut Seignor, doit querre sa vengeance , Et délivrer sa terte et son pays. EN, FRANCE. 103 « Sachez, Seigneurs, que quiconque n'ira pas en cette contrée où Dieu mourut et vécut , et ne prendra pas la eroix d’Outre- Mer , difficilement un jour ira en. paradis; celui qui a en soi compassion et souvenir du Seigneur, doit poursuivre sa vengeance , et délivrer sa terre et son pays. ». Tout li mauvais demorront par deça, Qui n'aiment Dieu , bien, ne bonor; ne prix; Et chaseun dit : « ma femme que fera ? , « Je ne lairoie à nul füer mes amis. Cil sont assis en trop folle attendance, K'il n’est amis fors que eil sans dotance Qui fu por nos én la vraie croix mis. « Tous les mauvais demeureront ici, n’ai- mant Dieu , ni justice, ni honneur, ni re- nommée ; disant chacun : que deviendrait ma femme ? Je ne puis, en aucun cas, aban- donner mes amis; ceux-là sont assis en trop folle compaguie ; car sans doute il n’est pas d'ami comparable à celui qui pour nous fut mis en la croix. » Or s’en iront cil vaillant bacheler, Ki aiment Dieu et l’onour de cest mont, Ki sagement voelent à Dieu aller, Æt li morveux, licendreux demorront ; 104 POÉSIE LYRIQUE Avugle sont , de cé ne doubt-je mie, Ki un secours ne font Dieu’en sa vie, Et por si pot pertila gloire dél mont, « Tous s'en iront, ces jeunes;guerriers qui « aiment Dieu et l'honneur du monde ; qui « sagement. veulent aller à Dieu ; et les 207- « veua les cendreux demeureront; gens aveu- « gles! je n’en fais nul doute ; qui une fois en « leur vie; n’ont pas voulu secourir le Sei- gneur , et pour si peu de chose, ont perdu la gloire de ce monde. » A Diex se laissa por nos en eroix pener, Et nous dira au jour où tuit venront : a Vos qui ma croix m’aidates à porter, « Vos en irez là où li angèle sont ; « Là me verrez , et ma mère Marie ; « Et vos, par qui je n'oi onques aïe, « Descendez tuit eninfer le parfond. » « Dieu se laissa livrer pour nous au supplice « et à la mort; et nous dira au jour où tous paraitront devant lui: vous qui m’aidâtes à « porter ma croix, vous.irez là où résident « les anges; là vous me verrez, moi, et ma « mère, Marie; et vous de qui je n’eus Jamais « aucune assistance, descendez tous au fond À « de l'enfer, » EN FRANCE. 10 Chascun cuide demourer tot hétiez , Et que jamais ne doive: mal avoir ; Ainsi les tient enemis et péchiez , Que ils n’ont sens, hardement , ne pooir ; Biau sire Diex, ostez nos tel pensée, Et nos mettez en la vostre: contrée à Si saintement. que vos puisse véoir. « Chacun s’imagine rester tranquille , et « qu'aucun. mal ne doive lui arriver ; retenus. « par l'ennemi et le péché , ils n’ont conservé, « Di raison 4 ni courage; ni puissance ;: Peut « Sire Dieu, ôtez-nous de telles pensées, et « placez-nous dans votre demeure, si sainte- « ment que nous puissions vous y voir ! » Douce Dame , Roïne couronnée, Proyez pour nous, Virge bien éurée , Et puis après ne nos puit meschéoir. « Douce Dame, Reine couronnée,priez pour « nous, Vierge bienheureuse ; après cela il « n’est plus pour nous de malheur à re- « douter. » Voilà, ce nous semble, qui est bien enten- du ; allocution aux personnes que l'auteur voudrait associer à son entreprise ; motifs qui 106 POÉSIE LYRIQUE leur en font un devoir ; futilité des prétextes qu'on allègue pour s’en défendre ; prière à Dieu, de qui viennent les bons desseins ; le plan , comme on voit, est naturel et fort rai- sonnable ; miaïs de quelle façon $e trouve-t- il rempli ? Observons, pour ne rien exagérer, que, bien que le sujet appartienne, comme nous l'avons dit, de sa nature, au genre héroique, la forme du cadre dans lequel on a prétendu je traiter, en a dû pourtant rabaisser le ton, de manière qu’il ne serait pas raisonnable d'y chercher toutes les qualités avec lesquelles il eût dû se produire, si on eüt prétendu nous le donner décidément pour un chant guer- rier. Cependant dans ce cadre même , tout res- treint, de l'allocution, que d’idées, que d'i- mages, que de mouvemens venaient encore s'offrir comme d'eux-mêmes, et. auxquels l’auteur sewble n’avoir seulement pas songé ! l'oppression des fidèles dans la. Palestine , l'esclavage de la montagne sainte, la profa- nation du tombeau sacré, le triomphe d'une race. impie , la honte qui doit en rejaillir sur le nom Chrétien , le mérite, la gloire, et la confiance dans le succès d’une entreprise ; EN FRANCE. 107 que Dieu, lui-même, commande... ;etc., etc. C'est avec ces ressorts que dans les deux siècles précédens , l’hermite: l’ierre d’abord, et, en- suite le grand saint Bernard, avaient trouvé le secret de remuer l’Europe entière; Thibait semble n’avoir entrevu que le: 2e. et le 5°, et il,s’en:.est tenu: à les indiquer ; l'alternative ; mollement exprimée, de l’Anfer parfondet du Paradis où. li Angèle sont, est à peu près tout ce qu'il a tenté de développer dans son sujet. L'éditeur des poésies de Thibaut à cru re- connaitre dans:ce chant, quelque chose de vif et de pathétique ; c'est lui prêter des. qua- lités que certainement il n’a pas ; 7ibaut a eu du zèle ; sa conduite en fournit la preuve; le zèle et l'enthousiasme ne sont guère qu’une seule et même chose ; la ‘vérité est pourtant qu'il n'y a amcune apparence d'enthousiasme dans sa chanson ; un agrément de borhomie naive, qui se dévoue sans se faire valoir, tel est au fait le caractère qui la distingue : il n'y a pas moyen d’y en trouver un plus excellent. Les finales des trois premiers couplets , celle du second surtout , sont les traits de pensée les plus remarquables de la pièce ; 108 POÉSIE LYRIQUE ce ne sont pourtant encore que des in entions de mouvement à peine ébauché. Les menus détails de l’élocution matérielle sont loin de couvrir laridité de ce fonds ; on a dû remarquer avec quelle molle négligence l'auteur les a tous traités ; nous rappelerons au besoin la forme plus que familière du début : Signor', sachiez , etc.; Eabsence d’images dans les expressions : s’en ira en cele terre, pren- dra la croix d'Outre-Mer, ira en paradis, aemorront par deca, voelent à Dieu aller, déscendez en infer, ete; la trivialité des ter- mes A20rveux et cendreux appliqués aux ré- calcitrans, présumés poltrons; le renversement du rapport naturel des idées, dans les pas- sages : Diex-fu mors et vis, et qui ne s'en ira et ne prendra la croix ; et tout ce qui manque; soit de noblesse dans la: prosopopée du juge- ment divin, soit de précision dans la partie de prière finale; etc., etc... Le fait est qu’en tout point et à tous égards , dans ce beau sujet de la Croisade, traité par choix et pour lui-même, Thibaut est resté fort au-dessous de ce qu’en a fait le Chätelain de Coucy , qui ne l’a touché que comme par ren- contre, et dans le cadre modeste d'un chant d'adieu à Vamie dont il va s'éloigner. EN FRANCE. 109 Dans la chanson de croisade, albigeoise , ( 65e. du recueil ), on remarquera des traits curieux de satyre morale et religieuse., sur les désordres du temps, notamment un passage où le poëte reproche aux clercs d’avoir laissé les sermons, pour batailler et tuer des gens paisibles… Ailleurs aussi, dans une composition ana- logue de caractère, mais plus vigue dans son objet ( n°. 55 \, on aime à rencontrer ces vers , Si fort au-dessus de la raison de leur siècle : Li royaumes de Surie Nous dit et crie à haut ton, Se nos ne nos amendon Por Deu que n'y alons mie ; N'y ferion se mal non ; Dex aim’ fin cuer droiturier ; De tel gent se veut aidier ; Cil essauceront son nom, Et couquerront sa maison. En ce qui est des chansons galantes , on observera que nous n’en avons Jusqu'ici fait connaître qu'un seul couplet de Thibaut; c'est qu'au fait, dans le nombre total de ses com- positions complètes en ce genre, nous n’en à 110 POËSIE LYRIQUE voyons guère qui pussent figurer avec quel- que avantage auprés de ce que nous avons emprunté , ou seulement indiqué de son de- vancier Coucy. On nomme entre les meilleures : La 1°. en éloge de sa Dame : Amors me fait comencier Une chanson nouvelle, ete, La 9°. en éloge, mêlé de plaintes : Pour conforter ma pénance , Fais un son , etc, La 12°. sur ce texte : il faut tout souffrir pour l'amour : De ma Dame souvenir Fait Amors lie mon coraige, etc. Li La 34°. en doléances galantes et volup- tueuses : Qui plus aime, plus endure, Plus.a besoin de confort BRENT Et la 42€. en dialogue et débat avec l’A- mour : EN FRANCE. TI1 L'autre nuit en mon dormant, Fui en grand dotance , etc. Nous préférons , comme plus originale, et hors de ce cercle des idées rebattues de fadeurs romanesques, la 60€, où l’auteur se présente comme abjurant enfin la longue erreur de ses amours : Tant ai Amors servie longuement , Que désormais ne m’en doit nus reprendre Se je m’en part ; or à Dieu le comant ; L’on ne doit pas tosjors folie emprendre , Et cil est fols qui ne s’en sait défendre, Ne n’y connaît son mal ne son torment; L'on me tendrait désormais por enfant, Car chascun temps doit sa saison attendre. « J'ai si long-temps.servi l'Amour, que dé- « sormais nul ne doit me blâmer si je le « quitte; maintenant je lui fais mes adieux ; « toute folie doit avoir son terme ; et celui-là « est bien fou, qui se livre à tel esclavage, « sans connaître les maux auxquels il se dé- « voue; on me tiendrait désormais pour in- « sensé, Car chaque saison doit venir en sor, « temps.» 112 POÉSIE LYRIQUE Je ne suis pas si com” cele autre gent Qui ont amé, puis si vuelent contendre, Et dient mal par vilain mautalent ; Onnedoit pas seigneur service vendre, Ne vers Amors médire me méprendre; Mais qui s’en part, parte s’en bonnement; En droit de moi, veuil-je que tot amant Aïent grand bien, quand je rien n'y puis prendre. « Je ne suis pas comme tant d’autres, qui ont aimé et veulent s’en défendre, et main- tenantoutragentlàchement ce qu'ilsaimerent; on ne doit pas vendre ses, services à son maître, ni médire de l'Amour et le mépriser; mais. si on sen sépare, qu'on s’en sépare bonnement ; en ce qui me regarde, je son- haite que tous amans y trouvent grand bien, quand je n’y ai plus de part. » Amors m’a fait grand bien en jusqu'ici ; Elle m'a fait amer sans vilenie La plus très belle et la meillor aussi Qui onques fut , mien entient , coisie ; Amors le vuet, et ma Dame m’en prie, Que je m’en part, et je moult l’en merci; Quand par le gré ma Dame m’en chasti, Meillor raison n’en ai de ma partie. « Amour m'a bien traité jusqu'ici, lorsqu'il « « A EN FRANCE. 113 m'a fait aimer, sans honte et sans reproche, la plus belle et la meilleure aussi, qui, à mon gré ,ait pu jamais être choisie ; main- tenant il le veut, et ma dame elle-même me prie de m'en désister ; je l’en remercie fort; quand elle me le conseille avec grâce et pour mon intérêt, je ne puis mieux faire que de lui obéir. » Autre chose ne m'a Amors méri D'itant com’ J'ai été en sa baillie ; Mais bien m’a Dex par sa pitié gari, Quant délivré m’a de sa seignorie , Et qu’escapé li suis sans perdre vie; Ains de mes yeux si boine heure me vis, Si cui-je encore faire maint jeu parti, Et maint sonet et mainte renverdie. « Autre chose Amour ne m’a accordé, tant que j'ai été en sa puissance; mais Dieu m'a bien secouru à mon besoin, lorsqu'il m'a soustrait à son empire, et que je lui suis échappé sans perdre la vie; jamais jusqu’à ce moment je ne vis jour aussi heureux ; ainsi puis-je encore faire Jeux partis, Sonnets et chansons de Renverdie. » Au comencier se doit on bien garder D'entreprendre chose démesurée ; 8 114 POÉSIE LYRIQUE | Mais bon Amors ne laisse homs penser , Ne bien choisir où mette sa pensée ; Plustot aime ou en estrange contrée , Où l’on ne puet ne veuir ne ailer , Qu'’en ne fait ce qu'on peut tosjors trover ; Illuec est bien la folie esprovée. « Au début il faut se bien garder de former « une entreprise hasardeuse ; mais Amour vrai « ne laisse pas,à l’hoinme la liberté de son « choix ni de sa pensée ; on aime plutôt en « pays lointain et inaccessible, que là où il « serait toujours facile d'atteindre ; c'est bien « en quoi il y à folie reconnue. » Or me gard” Dex ét d'Amour et d'amer, Fors de cele que l’en doit aorer , Où l’on ne puet faillir à grand soudée. « Dieu me garde donc et d’Amour et d’ai- « mer ! si ce n’est celle à qui tout doit hom- « mage, et dont on ne peut manquer d'obtenir « magnifique récompense! » Entre les Pastourelles de Thibaut, on dis- tinguera celle qui compte pour re. de ses chansons : En mai la rousee Que nest en la flor, etc. EN FRANCE. 11 h C'est bien une des petitescompositions les plus libres du genre, mais au reste, du tour le plus piquant et le plus gracieux qu’on puisse imaginer. A cette époque du 13°. siècle, avant, avec, ou après Thibaut, fleurirent aussi, comme nous l'avons dit , une foule d’autres Chevaliers Trouvères , mêlée de quelques C£ercs, etaussi, à ce qu'ilparaît , de Ménestrels de goûtou de profession, qui cultivèrent le même genre de poésie, et dont les compositions galantes nous ont été de même conservées ,en manuscrits actuellement subsistans et réunis dans nos grands dépôts publics ; on nous en donne des listes de près de 150 noms, ayant fait au-delà de 1200 chansons bien connues; dans lenombre durent briller surtout Gautier de Coincy , Chrétien de Troyes , Auboin de Sézanne , Gace Brulé, etc., etc. On cite de Gace Brulé la jolie chanson d’amours ci-après : A l’entrant du doux termine Du mois nouvel, Que la flor nest en l’épine , Et qu'il oisel Chantent parmi la gaudine , 116 POÉSIE LYRIQEE Seri et bel, Lors me rassaut Amors fine D'un très doux mal, Que je ne pense al Fors là où mes cuers s’acline. « Au commencement de cette douce saison « du mois nouveau, que la fleur naît sur « l’épine, et que les oiseaux chantent sous la « feuillée, gais et joyeux , Amour alors m'at- ? 4 . « taque d’un très-doux mal, tel que ne puis « penser à rien, si ce n’est à l’objet à qui s'est « donné mon cœur. » Onques d’autrui noi envie, Ne jamais n’aurai ; Et si mes cuers s’y afhe, ; De dueil morrai ; Car trop mai” gréveuse vie Des max que j'ai; Hélas ! elle ne sait mie, > Ne je ne sai, Se je jamais li dirai : « Belle, ne m’ociez mie. » « Jamais je n’eus le désir d’une autre, ja- « mais je ne l’aurai; et si mon cœur y persé- « vère , il me faudra en mourir; car les maux « « « « « LCS « « « EN FRANCE. 117 que jesens rendent ma vie trop douloureuse; hélas, elle ne sait pas, et je ne le sais pas moi-même , si jamais je lui dirai: Belle, ne me faites pas mourir. » A tous les jors de ma vie La servira, Et serai en sa baillie Tant com’ vivrai ; Ne jà de sa seignorie Ne partirai ; Et se briement ne m’aïe, Trop grand mal trai ; Mès guéri sui se j’en ai Un biau semblant en ma vie, « Tous les jours de ma vie, je veux la ser- vir; Je resterai en sa puissance autant de temps que je vivrai; Jamais on ne me verra lui dérober mon hommage; et si bientôt elle ne me secourt, je succombe à trop de maux ; mais Je suis guéri si, une fois en ma vie , jen reçois seulement un doux semblant. » Un anonyme, auteur du roman du Paradis d'amours , nous fournit la suivante : Hé Aloëte, 118 POÉSIE LYRIQUE Joliette, Petit t'est de mes maux! S’Amors venist à plaisir, Que me vousissent saisir De la blondette , Saverousette , J'en féusse plus baux ! Hé Aloëte , etc. « Petite alouette! gentil oiseau, tu ne te « soucies guère de mes maux ! « Si l'Amour venait à mon désir, et qu'il « voulut livrer à mes vœux la jeune blonde si « mignone, et si douce , combien je serais « joyeux ! « Petite alouette, etc. » Amors tant com’ li plaira , Ces maux souffrir me laira ; Jà par destrèce, Qu’en moi n’a cesse Ne serai plus li faus ! Hé Aloëte, etc. « Amour, tant qu'il lui plaira, me laissera « souffrir ce tourment ; de quelque douleur « qu'il m'accable , je ne le trahirai point É EN FRANCE. 119. « Petite alouette, etc. » Ne veuille amours endurer Ces maux longuement durer, Que la doucette Que tant convette, Ne sent de ses assaus ! Hé Aloëte , etc. « Veuille Amour ne pas permettre que ma « peine se prolonge, et que celle pour qui « je soupire reste à l'abri de ses atteintes! « Petite alouette, etc... ». Nous indiquerions au besoin, comme pou- vant se produire encore à côté de ces pièces cho’sies : Une Pastourelle anonyme ( et sans date ): Quand je voi la flor nouvelle » etc. Une autre de Jean Errars{vers.1280 ? ): Dehors lonc pré el bosquel, etc. Et puis encore une chanson badine (ano- nyme et de date incertaine : ) 120 POÉSIE LYRIQUE Par le temps bel Du mois nouvel , L'autre jor chevauchoie, etc. (Voyez Delaborde, Essai, etc., t: IE, p. 188; et Roquefort, de l'Etat de la Poésie, etc., p. 367 et 389, etc.) Le caractère de ces trois petites pièces est beaucoup trop libre, mais c’est à peu près leur unique défaut; il y a des lacunes fâcheuses dans le texte de la dernière, donné par Roque- fort, qui d’ailleurs, en essayant de l’éclaircir par un commentaire, y est tombé dans un énorme contre-sens sur le 4e. couplet (r). Tel a été le /yrique de notre galante et dévote (x) Il s’agit d’une danse de Villageois, à laquelle est venu se mêler un Chevalier. Le texte dit : ,4 Si vilanel, « Si chaitivel, « N'y ot qui ne donnoie ; a Gelosiax en estoie , etc. Ce qui signifie , sans nulle difficulté : a Si grossier, si chétif qu’il fut, il n’y en eut aucun, (des villa- « geois), quine fit un présent (à sa danseuse); j’en étais jaloux...» Au lieu de cela, M. de Roquefort fait dire à son Chevalier : « Que par vilenie et avarice ,| personne ne fit le plus léger pré- « sent , et que lui, Chevalier , en était honteux. . ..» 1 est difficile de se fourvoyer plus complètement. EN FRANCE. EX chevalerie , le lyrique du XIIL. siècle, dans celle de ses bia qui a eu la plus grande vogue, et subsiste encore dans des monumens authentiques et bien connus. Peu de personnes ont essayé de s’en faire une idée exacte. Nous croyons avoir fourni , dans ce qui pré- cède, des moyens suffisans de l’apprécier à sa vraie valeur. On a pu remarquer et dans quel cercle étroit d'idées et de sentimens il s'était restreint , et ce quine manquait pas de lui arriver, si parfois il lui prenait une velléité d’en sortir. L'amour forme comme le fonds le plus spé- cial de ses productions ; mais l'amour , entendu à la façon du temps et de l’association , c’est- à-dire d’une manière convenue , et quelque peu /üctice , dans sé$ deux caractères extrêmes et opposés, de culte respectueux et délicat pour les hautes et grandes James, et de facons plus que Zbres avec les Pastores éBles Tousettes surprises par hasard dans les champs ou au coin des bois. De cette autre espèce d'amour que nous connaissons, celui que la nature à fait, pour servir d'acheminement presque in- dispensable à l'union indissoluble des desti- nées, aucune trace ne se rencontre dans ces 122 POÉSIE LYRIQUE chansons ; on n’y trouve de mème rien qui se rapporte à la peinture dés autres sentimens naturels du cœur humain, affections de famille ou de société, tendresse maternelle, fraternelle ou conjugale, amitié inutuelle, etc. , etc; cela était apparemment trop commun pour occuper celui de nos preux. Nous avons vu ce qu'ils ont fait de la dévo- tion ; indépendamment des formestriviales sous lesquelles la leur se produit le plus commu- nément , rien n'est plus singulier surtout , que la manière dont elle se combine presque habi- tuellement , dans toutes leurs compositions, avec la galanterie; un chevalier amoureux ( et notez qu'ils le sont tous), trouve tout simple de prier Dieu de l'aider dans le succès de ses amours , comme dans celui de ses armes ; légi- times ou non, nul ne pañait soupçonner que cela puisse y faire quelque différence; Coucy va, en ce point , jusqu’à lui demander formel- lement ne de tenir zuette, entre ses bras, une fois, avant son départ pour la croisade , sa Dame, mariée, comme on le sait, à un autre seigneur, aussi croisé. L’exécution , comme on l’aura observé, est, en général, gracieuse et facile; mais aussi, faible, molle, négligée, sans force, sans noblesse et L ï EN FRANCE. 129 sans grandeur ; il y a presque partout disette de pensées et d'images; abus d'idées courantes et de formules explétives, défaut d'entente des procédés du style, etc., etc. Il est d'usage de dire que l'état de la langue ne comportait pas un travail moins imparfait ; nous sommes tres-persuadés du contraire ; là où il y a absence de couléurs ou d'effets, nous pensons que c'est que l’auteur n’a pas su y en mettre ou en produire ; que la langue , toute pauvre qu'on se plait à nous la représenter, ne refusait en réalité ni l'image ou la pensée qui manquent , ni le mouvement ou la fi- gure de style, gradation, suspension ou co7- traste , etc., etc., que demandait le sujet, et que fournissait quelg:æfois naturellement la situation ; en ce point la différence du talent est presque tout; il y en a eu entre les Trou- séres ; le plus ancien de ceux dont nous avons étudié les productions, est celui qui nous a paru le plus réellement avaucé dans son art. Nous avons relevé dans Thibaut des person- nifications d’allégorie fort étranges ; c’est la trace de mauvais goût la plus choquante de notre ancienne poésie, où cet abus de l'esprit a été long-temps en faveur. On ea rap- porte communément l'origine à un fameux es 4 LA 124 POËSIE LYRIQUE roman , dit dela Rose, dont une fiction de ce genre fournit la donnée principale; Thibaut et l’auteur de ce roman, sont tous deuxde la même époque ; l'invention peut être de l'un comme de l’auire ; il serait bien possible aussi qu’elle remontàät encore à quelque type antérieur. On a souvent représenté nos vieux chanson- niers, comme gens sans étude, et étrangers à toute notion des classiques et de l'histoire an- cienne; c’est une idée fort inexacte de tout point ; nous n’irons point, comme l'éditeur de Thibaut, jusqu’à inférer de la ressemblance for- tuite d’une de ses chansons (43°.)avec une ode d’Anacréon, qu'apparemment la pièce du poète grec avait servi de modèle au chant de notre Trouvère français ; mais lorsque ce même T'hi- baut nous parle de Thisbé, de Narcisse, des Syrènes , de Jason et de la guerre de 7roye, et lorsqu'il fait allusion aux démêlés de César et de Pompée , il nous est impossible de ne pas en conclure que, soit par lui-même, soit par des conversations avec des Clercs, ou bien même par la lecture de quelques traductions déjà subsistantes , il avait au moins certaine connaissance des ouvrages d’Ovide et de V'ir- gile, et de quelques historiens latins. Il'est à ‘observer toutefois, que, soit chez EN FRANCE. 12) lui, soit chez tout ce que nous connaissons des chansonniers de son temps, les personnages fabuleux ne figurent jamais que par mode d'allusion présumée historique , sans supposer aucune des données de croyances payennes , et sans qu'aucunedivinité de l'Olympe intervienne ou dans l'action ou dans le langage ; l’'4mour seul sy présente bien , et très-fréquemment aussi, personnifié et agissant, comme dans la mythologie grecque, mais d’après d’autres idées, sous d’autres formes, et habituellement surtout avec Le sexe féminin. Les chansons de notre chevalerie , dans ces étroites limites d'idées et de sentimens où elles se renferment, offrent naturellement peu de variété ; ce défaut est sensible surtout dans les chansons d'amour; beaucoup de celles-ci sont comme jetées dans le même moule, etsemblent ne faire que se répéter en termes différens; on yremarque;'surtout en ce genre, une formule de début assez gracieuse , mais beaucoup trop prodiguée , en annonce de retour des fleurs et de la belle saison ; c'était déjà un lieu commun usé du temps de Thibaut, qui s’en est ingé- nieusement moqué. La forme aussi est à peu près constamment la même, de quatre à six couplets, mais presque 126 POÉSIE LYRIQUE toujours de cinq, —ordinairement avec un en- voi de trois vers, quelquefois redoublé ou pro- longé; —quelques-unes sont à re/rains, et déja entre celles-ci on en remarque à refrains de mots insignifians. Les Trouvères faisaient eux-mêmes la mu- sique de leurs chansons : il s’en est conservé quelques airs, qui ne manquent pas d'agrément. Dans le travail dela composition poétique, ils se faisaient aider par des secrétaires , qui peuvent y avoir mis un peu du leur. Les chansons de nos vieux, Trouvères sont en vers de diverses mesures, employées seules à seules, ou diversement combinées , de trois (ou deux), jusques à dix syllabes inclusivement. On y remarque que déjà tous les procédés essentiels de notre versification étaient connus et établis , hors seulement les points ci-après : 10. Que l’hiatus n'était point évité; 2°. Qu'on ne s'astreignait point à élider le muet en terminaison, précédé d’une autre voyelle ; 30, Que lés finales féminines en général, souvent susceptibles de syxcope, et déjà ne comptant point ex rime , pouvaient cependant sans difficulté se placer à lAémistiche, et en supporter le repos. | EN LlRANCE. 127 L’artifice de quelques heureux rejets n’a été inconnu ni de Thibaut , ni même du Chäte- lain de Coucr. Il existait une distinction bien établie entre les rimes ene zuet et celles en syllabes pleines; les poètes chansonniers les combinaient en rythmes très-variés et très-réguliers, bien que sur des principes différens de ceux du mélange et des croiseinens alternatifs, qui ont prévalu plus tard. La rime changeait communément trois fois dans chaque chanson; de deux en deux divi- sions , l'envoi comptant pour la sixième , et prenant les rimes du 5°. couplet. L’étendue des couplets variait communément de six à quatorze vers ;les combinaisons domi- nantes sont celles de 7, 8 et 9. Le nombre de celles qui dépassent dix vers est très-borné. La combinaison la plus curieuse qui se fasse distinguer dans tout cela, est celle de onze vers, de la chanson 1"°. de Thibaut , analogue d'effet à notre grand dixain lyrique , dont elle ne differe essentiellement , sauf disposition in- verse des rimes, que par linsertion d’un vers surabondant pour le rythme , formant qua- train à masculine triplée , à la la place du pre- muer tercet. 128 POËSIE LYRIQUE Voici le couplet de début : Amors me fait commencier Une chanson nouvelle ; Elle me veut enseignier A amer la plus belle Qui soit el mon vivant ; C’est la belle au cors gent , C’est cele dont je chant ; Diex m’en doint tel nouvele , Qui soit à mon talent, Que menu et souvent Mes cuers por li sautele. On cite de Gace Brulé, (d’autres ont dit de ce même 7'hibaut) , un autre couplet des plus remarquables aussi, dans la combinaison ingé- uieuse duquel on croit reconnaître le type pri- mitif de ce qu'on appelle POctave Jtalienne : Au rinouviau de la doulçour d’esté , Que resclaireit h dois à la fontaine, Et que sont vert, bois, et vergier , etpré , Et li rosiers en mai florit et graine ; Lors chanterai , que trop m’ara grevé Ire et esmay, qui m’est au cuer prochaine, Et fins amis à tort accoisonnez , Et moult sôuvent de léger effréez. EN FRANCE. 129 Une opinion très-répandue , mais qui reste peut-être encore susceptible d'examen, attribue l'invention de ces formes dans notre poésie aux Troubadours Provençaux , qui, dit-on, les avaient reçues des Poètes Arabes d'Espagne ; c’est une question dont nous n’avons pas à nous occuper ici. À considérer ces compositions comme mo- numens de la langue, on reconnaitra que, comme nous l'avons déjà avancé, l’idiôme de ce siècle n’était pas aussi grossier qu'on a bien voulu le dire jusqu’à nos jours. Le matériel du vocabulaire est simple et natu- rel , formé de mots assez régulièrement dérivés du latin, qui ne manquent ni de force expres- sive, ni d'harmonie. réelle, et pour lesquels notre dédain ne s'explique guère , que par un amour fort mal entendu du bel usage, et une prévention assez injuste contre les termes et les locutions que, souvent par pur caprice, il a laissé en-dehors de son choix ; la rudesse, si reprochée au langage de ce temps, se réduit uniquement , selon nous, au concours désa- gréable de voyelles entassées dans certains mots, où elles se heurtentde maniere à présenter l’effet d'un véritable Aiatus ; c'est ce qu’on peut re- 9 139 POÉSIE LYRIQUE marquer dans les mots : péusse , féusse, aorer, raënçon , pooir, véoir, séoir, aage , elc., etc. En ce qui tient au système grammatical, quoi qu'on en ait voulu dire, la langue était par- venue à un état de régularité vraiment très-sa- tisfaisant. On n’aura pas manqué de s’apercevoir d’a- bord, qu’elle avait conservé du latin, une der- nière trace de déclinaison, dans la règle qu'elle s'était faite, de caractériser par une s finale les noms masculins employés au nominatif ; l'équivalent de cet usage lui manquait pour les féminins ; mais nous-mêmes actuellement, nous ne l'avons ni pour les uns ni pour les autres ; c'est donc de notre côté qu’est l’infé- rlorité en ce point. D'autre part, et comme par compensation, la langue ancienne ne distinguait bien claire- ment l’accident de pluralité que dans le verbe; notre méthode à cet égard est beaucoup plus sûre; il ne parait cependant pas que celle de nos aïeux donnât jamais lieu à aucun em- barras de sens, tel qu'il ne püt être aisément évité. i Le double rapport des verbes avec leur no- minatif et leur régime, semble susceptible d’une difficulté plus réelle. EN FRANCE. 131 La langue ayant gardé du latin ces deux usages, 1°. de supprimer à volonté le pronom personnel subjectif devant le verbe, et 2°. d'y placer le substantif en fonction de régime di- rect, sans que, d'autre part, la personne de ce même verbe soit déterminée par une forme de flexion bien caractéristique, il en résulte que souvent il peut y avoir quelqu’embarras sur les fonctions de certains substantifs pla- cés devant le verbe, et qui, employés au fait comme régimes, s'y présentent tout d’a- bord avec une fausse apparence de nominatifs ; c'est ce qu’on remarquera , entre mille autres exemples, dans ce passage de Thibaut , chan- son 9°, couplet 2e. Quant prison Tieng , où ne vaut raëncon. C'est-à-dire : « Quand j’occupe une prison, « d’où l’on ne peut se racheter. » L'équivoque était rarement réelle pour des gens plus accoutumés que nous à ce mode de construction. Il y a imperfection plus vraie , peut-être, 132 POÉSIE LYRIQUE dans l'usage vicieux, ou au moins un'peu em- brouillé, de quelques conjonctions ou mots con- jonctifs , employés les uns pour les autres , ou dans des sens plus ou moins différens de leur acception babituelle:que, pour qui; qui, pour à qui; que, pour puisque, de sorte que, car, eic.; Car pour c'est pourquoi où donc, etc., etc. Tout bien considéré, nous ne voyons rien de pius grave à reprocher à l’idième; nous le croyons souple, gracieux et naif; nous ne pensons pas qu'il se fût refusé au besoin , à l'expression de pensées et de sentimens plus élevés et plus énergiques ; surtout nous reje- tons très-décidément pour lui la qualification de barbare, que lui ont trop légèrement appli- quée de beaux Se neo , qui ne le com- prenaient pas. Que si maintenant , dans cette poésie de la Caste polie et galante du bon vieux temps , nous cherchons, comme on dit, l'expression de la société qui l'avait produite, nous arri- verons à trouver : Qu’aucune impression d'intérêt public ou d'affection politique ou nationale ne semble y avoir préoccupé vivement les esprits. Que celle du sentiment religieux , seule do- minante, y était vague et molle, et rétrécie EN FRANCE. 133 par des idées mesquines, sur tout ce qui tient à son objet. Qu'’entre les affections privées, l'amour seul, et l’amour conçu d’une manière très-bornée , assez froide, et toute convenue, était comme la grande et la plus importante affaire de nos chevaliers. Que la délicatesse langoureuse avec laquelle ils affectaient de le traiter avec leurs Dames, couvrait souvent des liaisons très-suspectes , et n'excluait pas d’ailleurs une grande liberté de manières avec les personnes de condition in- férieure. Qu'on se croisait sans renoncer à une liaison coupable, et sans s’amender dans les autres détails de sa conduite. Que la vie des clercs était peu exemplaire, et notoirement connue, ou /enue, pour telle. Qu'ils avaient notamment donné, dans la Croisade 4/brpgeoise, de grands scandales de cruauté , dont on ne faisait pas difficulté de re- porter hautement le blâme sur le pape Inno- cent III. Ftcsetc.. Ces notions déduites de l'étude des monu- mens, auraient naturellement plus d’étendue et d'exactitude , si aux données prises dè la chan- 134 POÉSIR LYRIQUE son chevaleresque,nous pouvions joindre celles que la chanson populaire du temps eùt pu nous fournir aussi de son côté. Nous.avons dit queles pièces de ce dernier genre n’ont pointété recueillies , et que rien ne nous en est parvenu ; seulement dans quelques-unes des chansons royales de nos grandes collections, on remar- que que le chansonnier a introduit un ou plu- sieurs personnages de condition inférieure , chantant un refrain qui, par sa nature et les con- venances dela situation, se présenteévidemiment comme un morceau d'emprunt fait aux chants vulgaires les mieux connus. Les passages sont ordinairement de deux ou trois vers; il s’en trouve de quatre et cinq; nous en avons recueilli près d’une vingtaine, entre lesquels nous distin- guons les suivans : 1. Li penser trop mi guerroye, De vous , doux ami. 2, Bergeronnette, Faites votre ami de moi. 3. Nuls ne doit au bois aler Saus sa compaguonnette. 4. He , Marionctte , Tant aimée Lai ! [e:) [Sa EN FRANCE, J 5, J'ai ,j'ai, Amorettes au cuer ; Qui me tiennent gai. 6. A la plus savoureusette Du mont ai mon cuer donné, 7. Tuitle cuer me rit de joie, Quant je la voi. 8. Dex ! je suis jonette Et sadetfe ; Et j'aim'tez Qui jones est , Et sades et sages assez. 9: Très-douce Damoiselle, Vous m'ocirez , Se vos voulez. 10. Dansez, belle Marion, Je n’aime rien se vos non. Ce sont , à notre sens, comme autant de menus débris de ces compositions, dont il ne nous est resté d’ailleurs aucun type; échan- tillons, bien insuffisans sans doute, de leur ca- ractère et de leurs formes, mais précieux en- 136 POÉSIE LYRIQUE core , dans le dénuement absolu où nous som- mes, de toute autre sorte de documens sur cet objet; l'opinion qu'ils nous donnent de cette espèce de productions, est en elle-même assez favorable ; il ne paraît pas que le langage et la forme en fussent inférieurs à ceux des chan- sons royales, eton conçoit, comme chose plau- sible , qu’elles aient pu souvent les égaler pour le mérite du fonds. 1 Quelques passages de Thibaut nous 2ppren- nent qu'il existait, de son temps, des chansons de divers caractères, qu'il appelle Sos, Sonnets et Renverdies ; ce sont encore antant de choses que nous ne connaissons guère que de nom ; Son parait avoir été un pur synonyme de Chan- son ; Sonnuet indique une forme diminutive, appliquée peut être à un cbjet identique pour le fonds ;la Renverdie devait être une chanson de renouvellement de saison, analogue à ce ‘qu'on appela plus tard un Chant de mai; il y a probablement de tout cela, et dans le recueil de Thibaut, et dans nos autres collectiéns. On nous demandera-peut-être ici d'expliquer comment il se fait que, par une sorte de déro- gation à ia loi commune et à la marche natu- relle des choses, notre poésie nationale, au mo- ment même de sa naissance, n’ait pas su, comme EN FRANCE. 137 celle de tous les peuples de l'antiquité , obtenir d’être associée aux grands intérêts de la reli- gion et de l’état ; et qu’exclue ainsi de toute déstiration grande et sublime, elle soit restée réduite, Comme elle l’a été en effet, au rôle secondaire et si inférieur, d’interprète simple et naïf des affections privées et des intérêts in- dividuels ? Pour ce qui est de l'emploi religieux, la raison du fait nous semble se présenter d’elle- même dans l'observation ci-après : Qu'à la différence de tout ce qui a pu se passer ailleurs et dans d’autres temps, à l'épo- que où la langue française commença d’abord à sortir du chaos des collisions. qui l'ont pro- duite , Féglise chréticine , déjà solidement éta- b'ie dans les Gaules, et depuis long-temps en possession de sa liturgie latine , empruntée et traduite des ehantssublimes des Hébreux, n'eut rien d’analogue à demander à la poésie vul- gaire qui, voyant la place prise, et surtout si bien occupée , ne s'éleva pas même à la pensée que d'aussi hautes inspirations pussent être de son ressort ; le même phénomène se présente répété de la même manière ,et conrme résultat des mêmes causes , chez les autres nations mo- dernes de notre Occident, déinembrées, eomme 138 POÉSIE LYRIQUE nous; de l’ancien Monde Romain. Au lieu du grand et magnifique Æymne religieux , nous n'eümes, tous, que la Chanson vulgaire de ilé- soluion commune. Dans les données de nos idées et de nos habitudes, il est clair que nous ne dümes naturellement arriver à rien de mieux en ce point. En ce qui est des intérêts politiques , nous observerons d’abord qu'il serait fort inexact de dire que notre vieille poésien’y ait pas été réelle- ment associée de très-bonne heure; le contraire est suffisamment prouvé, et par la mention fré- quente que noustrouvons partout, des anciennes Chansons de Gestes du temps{de rebus gestis), et par ce que nous savons en particulier de celle de Roland à Hustings , et par le fait même de de l'existence de Ménestrels d'office , visible- ment et notoirement chargés, comme par état, de l'exploitation spéciale de ce fonds. — Ce qu'il y aurait à éclaircir au sujet de ceux-ci, c’est la question de savoir comment cette branche de la poésie nationale périt si prématurément entre leurs mains ; — par leur incapacité personnelle peut-être, qui apparemment laissa prendre sur eux l'avantage dutalent et de la renommée aux Trouvères , Chansonniers d'amours , etc. ? — Ou bien encore , et plus vraisemblablement , EN FRANCE. 139 par des causes inhérentes à un changement sur- venu dans le fonds des choses , comme le se- rait, par exemple, l’affaiblissement des idées de Monarchie pure , sur les débris desquelles la chevalerie était parvenue à élever son édifice rival de la Féodalite. En-dehors de cette institution , perdue de bonne heure, des Ménestrels de cour, on con- çoit que ni la Chanson populaire ,ni même celle de la Chevalerie, n’ont pas dû manquer de toucher aussi , à l’occasion , quelques sujets relatifs aux événemens publics de l’époque; la seconde l’a fait ; nous en avons l'exemple dans les chansons de Thibaut sur les deux Croi- sades ; — mais était-ce matière appropriée aux moyens de l’un ou l'autre de ces deux modes ? Nous ne le pensons pas ; à l’un, pour y réussir, il manquait le ressort , à l'autre probablement un degré de liberté suffisant ; —\a Féodalité du moyen âge n'avait pas l'habitude de s’adres- ser aux affections des masses : ce n’est guére par l'enthousiasme qu’elle aurait pu prétendre les associer à ses intérêts; il ne paraît pas qu’elle l'ait essayé; — les masses, de leur côté, devaient trouver peu de chose à louer dans ce système d'organisation ; et d'autre part, de le blämer tout haut , c’est ce dont sans doute on ne leur 140 POÉSIE LYRIQUE aurait pas laissé prendre la licence ; il était plus sûr de chanter le printemps, le rossignol et les amours ; on croit qu’il y eut à cet égard un peu plus de hardiesse et de liberté dans les compo- sitions dela langue d'Oc, dela France Méri- dionale , surtout durant les guerres civiles de l'Aquitaine, sous Henri II (roi d'Angleterre), et ses fils (1174, etc:). — Peut-être faudrait-il dire seulement que les monumens de ce genre s’y sont un peu moins mal conservés; — chez nous aussi, et même en Angleterre, où la cour et la noblesse parlaient notre Français-]f'allon, il y eut, quelques années plus tard, une multi- tude de chansons de Croisade françaises, d’un grand et puissant effet; il ne nous en est resté aucuns fragmens ; mais il ne serait peut-êire pas impossible d’en pressentir jusqu’à certain point la substance et la forme, en les jugeant sur ce qui se faisait alors en latin sur ce même sujet. Le chroniqueur Roger de Hoveden nous fournit, à cet égard, deux morceaux de document fort curieux, dans le chant du Clerc Bertère d'Orléans, en exhortation à l’entre- prise, en +188, — et ensuite, dans le Plunc- tus anonyme, sur le départ des rois croisés (PA- lippe- Auguste et Richard-Cæur-ue-Lion), et de leur armée, en 1190, — recueillis dans ses EN FRANCE, 141 annales (ap. Rer. Anglic. Scriptores, etc., in= fol. -- Francof. 1601). — On pourra les y con- sulter au besoin (r) Dans tout cela, l’art nous semble avoir été tout ce qu'il dut être, et c’est aussi en ce qu'il (1) La première de ces pièces est citée comme ayant enflammé beaucoup de courases ; elle est en forme de Sequence rimée, de onze divisions de six vers assortis, GLS de deux en deux, par le refrain intercalaire : Lignum crucis, Signum ducis, “Sequitur exercitus ; Quod non cessit, Sed processit | Ja vi sancti Spiritûs. On y remarque les strophes ci-après : Juxtà threnos Jeremiæ, Verè Sion lugent viæ, Quod solemni non sit die Qui sepulchrum visitet, Velcasum resuscitet Hujus prophetiæ. Contrà quod propheta scribit, Quod de Sion lex exibit, Numquid ibi lex peribit, Nec habebit vindicem, Ubi Christus calicem Passionis bibit ? 142 POÉSIE LYRIQUE ne fit, ni ne put seulement tenter de faire, qu'il a vraiment et fidélement exprimé l'état de la société qui le produisit: Novi rursüm Philistæi, Captäà crnce ; crucis rei, Receperunt arcam Dei, Arcam novi fœderis , Ren figuræ veteris , Post figuram rei. Crucis spretor crucem premit, Ex quo fides pressa gemit ; In vindictam quis non fremit ? Quanti fidem æstimat , Tanti crucem redimat, Si quem crux redemit. Christus tradens se tortori, Mutuavit peccatori ; Si peccator, non vis mori Propter pro te mortuum, Malè sulvis mutuum Tuo creatori. Le Planctus , en vers syliabiques rimés, de même espèce ; mais d’un autre caractère , se compose de huit quatNins, égaux et uniformes, entre lesquels nous distinguons les suivans : EN FRANCE. 143 De ces temps même , et de ceux qui les sui- virent le plus immédiatement , on ne laisse pas de trouver de curieuses mentions de chants pu- blics, populaires ou autres, sur quelques sujets d'intérêt grave et plus où moins général, fai- ” Quis enim non doleat tot sanctorum cædes ? Tot sacras Domino profanatas ædes, Captivatus principes , et subversas sedes , Devolutos nobiles ad servorum pedes ? Sed hæc non effugient oculos videntis ; Videns vidit Domious nostræ mala gentis ; Et audivit gemitum plebis innocentis ; Et caput conterere descendit serpentis. Suscitavit igitur Deus Hebræorum Christianos principes , et robur eorum , Vindicare scilicet sanguinem sanctorum, Subvenire filiis mortificatorum. Tendunt , cruce prævià, versüs Orientem, Atque secum contrahunt totum Occidentem ; Lingu, ritu , moribus , cultu differentem Producunt exercitum , sed fide ferventem. Ut victores redeant , implorewus Deum, Ut tollant de medio terræ Cananæum , Togressi Jerusalem peilant Jebusæum, Christianæ gloriæ portantes trophæum. 14/1 POÉSIE LYRIQUE sant excéption brillante , dans le tableau des evénemens vulgaires de l’époque. 1] y en eut notamment : Sur la captivité du roi d'Angleterre, Ri- chard-Cæur-de-Lion, dans les états d'Autriche, à son retour de la Palestine , 1193. Sur plusieurs circonstances de la lutte na- tionale entre les Ænglais et les Français, avant la réunion de la Normandie, sous Philippe- Auguste, 1202. Sur la rentrée de ce même roi, Philippe -Au- guste, à Paris, après la victoire de Bovines, 1274. Sur la mort de saint Louis, durant son ex- pédition en Afrique, 1250. Malheureusement il ne s’est conservé de tout cela, que des tres, auxquels ne se rattache aucun autre souvenir. IN. B. Il existe de Marie de France, au 15°. siècle, 14 pièces de récit, qualifiées Lays, to- talement différentes, pour le fonds comme pour la forme, de ce que Zibaut nous a déjà fourni sous la même dénomination. Les Lays de Murie sont de caractère pure- ment zarratif, sans expression directe de sen- timent, en vers de huit syllabes , à rimes plates, EN FRANCE. 145 non assorties, et én texte de discours continu, n’offrantaucuneapparence extérieure de coupes en phrases de chant. Nous ne croyons pas avoir à nous en occuper ici; on ne pourrait les rapporter au genre ly- rique, qu'autant qu'on y ferait rentrer égale- ment les légendes, contes, fabliaux, et romans en vers de cette époque, qui ne laissaient pas de se chanter aussi, comme ces lays. Ce n’est pas ainsi que nous avons conçu notre sujet ; nous essayerons plus tard d'établir entre les genres la ligne précisede démarcation qui nous semble devoir les séparer. Ce qui regarde la personne de Marie est fort peu connu; le fait le plus clair, est qu’elle doit avoir fleuri à la cour d’{ngleterre , probable- ment après 1216, sous le roi Æenri III, auquel ses ouvrages paraissent avoir été dédiés. Marie donne ses lays pour des traductions de la langue Bretonne-Armoricaine ; un sujet (le lay des Deux Amans , 6. du recueil im- primé), est de tradition Normande ; Vétendue est de 242 vers; il y en a de plus courts; il y en a de beaucoup plus longs ; les nombres ex- trèmes sont 118 et 1178. Marie, dite de France, chez les Anglais, dut être d'origine française ; et apparemment 10 146 POÉSIE LYRIQUE EN FRANCE. defamille Normande, transplantée au temps de Philippe-Auguste; le dialecte de ses poésies parait purement Normand. ” Marie traduitle Bas-breton,fait de fréquentes allusions à des expressions anglaises, et parle du latin, comme d’une langue qu’elle sait , et dont elle eüt pu faire aussi des traductions, si ce n'eut pas déjà été alors un travail devenu trop commun. FRAGMENS D'ÉTUDES LES POÈTES FRANÇAIS DU SEIZIÈME SIÈCLE, PAR M. VAULTIER, Professeur à La Faculté des Lettres DE L'ACADÉMIE ROYALE DE CAEN. NA : { 1 RYMAL 02 PA LT D «NMAS AA -ATATON AMG JAMES pneu BAUN HIS RE %) de 54 * pu x À LR 4 j 4 2 ha 1 ! 4 tr 4 s ei Mn: , gx LA Pa” ONE L'ÉT ae tbe (4 \ ’ ï ) Ar ; "1h LT Dar LU , " b A : { F - “ FRAGMENS D'ÉTUDES SUR LES POÈTES FRANÇAIS DU SEIZIÈME SIÈCLE, RONSARD.-— SONNETS ET MADRIGAUX. Pierre de Ronsard, ou comme d’autres l'ont écrit, Roussard, naquit au château de Za Poës- sonnière, en V’endômois , au mois de sep- tembre de l’an 1524. Sa famille était noble et originaire de la Hongrie ou dela Bulgarie, d'où un de ses an- cêtres était venu, dit-on, à la tête d’une com: pagnie de jeunes gentilshommes , se mettre au service du roi Philippe-de-V'alois , alors en guerre avec l'Ængleterre. :50 7 FRAGMENS D'ÉTUDES Louis de Ronsard , père de notre poëte , était chevalier de l'ordre dé SaëitMichel, et maître d’hôtel du roi Francois IS, Le jeune Ronsard manqua ses premières études et les intérrompit biéntôt pour s’atta- cher en qualité de page au duc d'Orléans , Charles , fils de Francois 1. , puis au roi d'Ecosse, Jacques V, etc: A l'âge de seize ans ayant eu: occasion d’ac- compagner Lazare de Baif, envoyé du roi à la diète. de Sptre, il puisa dans l'entretien de ce savant, un goût qu'il ne s'était pas senti Jus- que là pour les lettres ; il reprit alors ses études, qu’il suivit sans distraction durant cinq ans, sous la direction de Jean d’Aurat , Adrien Turnèbe , etc, et devint un fort habile Hel- léniste. | . Ronsard débuta dans la poésie française par une traduction du Plutus d’Aristophane, qu’il fit jouer au collége. Il se distingua ensuite aux Jeux Floraux de Toulouse , où ses compositions excitèrent un tel enthousiasme , que les magistrats, juges du concours, au lieu du prix ordinaire de l'Eglan- tine , lui décernérent une Minerve d'argent massif, et le déclarèrent par décret, le Poète français par excellence. SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 1ôt Saréputation , balancée un moment à la cour par Mellin de Saint-Gelais, finitoar y obtenir un triomphe complet ; les rois Æenri 11, Fran- çois II, Charles IX et Henri III, en firent grand cas ; — Charles IX, surtout, lui montra une affection toute particulière; il ne voyageait point sans Ronsard; il lui écrivait d’une ma- niére intime , et lui a même adressé quelques épitres en vers qui ne sont pas sans. agrément ; l'infortunée Marie-Stuart aussi goütait fort ses poésies, et lui accorda de précieux témoignages d’une haute admiration. Le talent de Ronsard! était loin de mériter autant d'estime ; celle qu'il obtint alors fut l'effet d’une double illusion. Copiste maladroit des Classiques et des Italiens , il passa , faute d’autre terme de comparaison , pour l’heu- reux imitateur des uns et des autres ; les plus érudits du temps y furent les premiers et les mieux trompés; tout le zouveau Parnasse latin s’épuisa pour lui en éloges, dans lesquels on ne manquait pas de le placer à côté de Pin- dare et d’ Homère ; Le Tasse se déclara formel- lement l'admirateur de son génie, et l'historien de 7'hou lui-même, si sage sur tout autre point, s’égara sur celui-ci jusqu’à faire cette étrange remarque : que le Ciel avait fait naître Ronsard 152 FRAGMENS D'ÉTUDES dans l’année où se livra la bataille de Pavie , « comme pour dédommager la France du mal- « heur de ce déplorable événement. » Une petite faction d’esprits moins cultivés, et par cela même plus à l’abri de la séduction, osa seule réciamer contre un système poétique qui leur paraissait calculé sur des conventions toutes factices , et auquel , pour leur compte, ils se plaignaient de ne rien comprendre; on répondit à ces opposans que leurs plaintes n'étaient qu'un aveu de leur ignorance ; on leur dit des injures, et on leur fit des commen- taires, après quoi leur voix demeura étouffée dans le fracas des applaudissemens. Ronsard a possédé des bénéfices ecclésias- tiques, et on le trouve qualifié conseiller et aumônier ordinaire du roi, et de madame du- chesse de Savoie ; il ne paraît cependant pas qu'ilait été prêtre. Quelques-uns de ses ou- vrages offrent un indice de mœurs assez libres; ‘les amours qu'il y chante semblent d’ailleurs n'avoir été que d'invention : c'était alors une mode imitée de Pétrarque et de quelques autres poètes Italiens du temps. Ronsard mourut à son prieuré de Saënt- Cosme , près de Tours, au mois de décembre 1585. Ses moines l’y inhumerent sans pompe ; SUR LES POÈTES FRANCAIS. 153 mais deux mois après, un service solennel fut célébré pour lui à Paris, dans la chapelle d’un des colléges de l'Université ; le roi Henri IIIY envoya sa musique ; la cour et le parlement y assisterent ; l'évêque d'Evreux, Duperron, de- puis cardinal, y prononça loraison funébre ; la foule fut telle qu'un cardinal et plusieurs princes ne purent fendre la presse , et durent s'en retourner sans s’y étre fait jour. On remarque dans les œuvres de Æonsard des compositions lyriques de beaucoup de sortes ; nous ne voulons nous occuper ici que de ce qu’il a donné sous les titres de Sonnets et de Madrigaux. ‘ ! Sonnets. — On appelle ainsi une sorte de petite pièce lyrique , composée de quatorze vers ; dont les huit premiers, sur deux rimes, se distribuent en double Quatrain, que doivent suivre deux Tercets , le tout séparé par trois pauses de sens ; cette espèce de composition doit être d’origine Sicilienne. Ses formes, qui . ont varié dans le principe, paraissent n’avoir été fixées en Ztalie que dans le courant du XIHE°. siècle : Pétrarque, un peu après , l'y mit fort à la mode, et c’est de là que nous en avons pris le type. Sxént-Gelais passe pour avoir intro- duit cette forme de composition dans la poésie 154 :FRAGMENS D'ÉTUDES: française ; Marot,ensuite, s’y était exercé seule- ment commepar essai ; Ronsard et ses contem- porains la prodiguérent de la manière la plus étrange. — Nous avions eu plus anciennement une autre espèce de Sonnets de formes plus libres , dont l’usage-nous était venu , à ce qu’il paraît,des 7roubadours Provencaux;—Le nom de Sonnet vient de Son,comme celuideChanson vient de Chant, etc.— Chanson lui-même n'est peut être qu’un composé de Chant et de Son. Ronsard à fait au - delà de 55o Sonnets , distribués en plusieurs livres , etc. — La plu- part roulent sur des sujets: érotiques , et sont visiblement imités de Pétrarque et de quelques autres poètes Jtaliens ; ce sont en général des plaintes d'amours et des éloges de maîtresses , probablement imaginaires, parodiées sur le beau modele de la Laure du poète Florentin. Tout cela, presque sans exception, est du ton le plus faux , du goût le plus détestable, de l'effet le plus ridicule , qui se puissent ima- giner ; pas untrait de sentiment vrai; rien de naïf ou de senti; fatras à peu près continuél d'hyperboles extravagantes , de parades em- phatiques, d’allusions puériles ou pédantes- ques , etc. : voilà les Amours tels que Ronsard les a conçus. SUR LES POËBTES. FRANÇAIS. 155 La première maitresse qu'il a plu à Ronsard de se donner , s'appelle Cassandre ; ce nom n’est pas choisi sans intention : il fournit à l’au- teur l’occasion de se jeter perpétuellement dans les fables de la guerre de Troye. Sa Cassandre, dans tout le livre, est 4 sœur de Pris, la petite fille de Laomédon, la prophétesse Troyenne , celle-là même dont pollon, Ajax et Chorèbe fürent si épris; les traits sous lesquels il peint cette beauté toujours intraitable , sont dignes en tout de cette première invention; c’est tour- à-tour une Fère sauvage qu'il poursuit , une Pandore que les dieux ont comblée de toutes leurs perfections, une Circé qui l’'emprisonne dans ses fers, une Méduse qui le transforme én rocher, une Æntéléchie qui lui donne la vie et le mouvement , une Guerrière qui l’a percé: de ses traits,une Æarpre qui dévore son cœur. — C'est un Soleil, une Déesse, une Syrène , une T'halie, une Charite, une Naiade; etc., etc: Son corps est le logis äes gräces ; la moindre de ses beautés mérite un siège d’/lion ; toutes les couleurs d’/ris embellissent son visage ; les flèches de l'Amour son encloses au Jardin de son sein ; le ciel a moins d’éclairs que $és yeux ; c'est de leurs rayons qu’Ærmour forge ses traits ; l'éclat de sa chevelure efface les rayons de 156: FRAGMENS D'ÉTUDES Faurore ; c’esi le rets d’or où l'Amour prend les cœurs ; ilen fait la ficelle de son arc ; elle l’a regardé et il est mort';un coup-d’œil a em- porté la clef de ses pensers ; la foudre qui l’a frappé, euit sa vie en un feu qui le gèle; l'amour fait de lui un Prométhée, un Exion, un Sisyphe,un J'antale ; attaché sur le rocher des rigueurs d'une inhumaine , il ne peut en étre délivré que par l’Æercule de sa grâce ; il faut qu’il meure pour tuer toutes les morts qu'il endure , etc., etc. — Toutes ces belles choses et autres semblables, éparses ou rassemblées , forment la substance de plus de 200 Sonnets sur le même sujet. À Cassandre succèdeut Marie, Astrée , Hé- lène , et quelques beautés. inconnues ; chacune d'elles est censée avoir son caractère propre; mais l’auteur n’y met guère de différence que par l’âge et la condition qu'il leur attribue, et surtout par les allusions qu’il tire de leurs noms. Marie est une jeune plébéienne Ængevine, dont le grand mérite est d’avoir quinze ans et d’être fraîche comme la rose ; les abeïlles vien- nent piller les fleurs de son teint pour en faire leur miel ; A/ars et la Mer lui ont douné son nom , et apparemment aussi ses inclinations 1 SUR LES POËTES FRANÇAIS, 199 cruelles’; ce nom cependant la convie à aimer, attendu que le mot ainer est formé justement des mêmes lettres , ete. — A4strée est son astre, un astre saint, un astre fatal, un astre divin, et toujours et partout wr astre , descendu des cieux en terre pour le bonheur ou le malheur de sa vie, etc. — Hélène est une Vénus Sain- tongeoïse , pour laquelle il revient à toutes les folles inventions des Sonnets sur Cassandre : c'est la fille du beau Cygne, la beauté fatale aux Troyens , l'objet des chants d'Homere , la sœur des divins Jumeaux , etc. C’est son Hé- lène et son haleine; son nom ne vient pas d’eleos, pitié, mais d’elein , faire périr , etc. — Un trait de perfection supposé propre à cette dernière , est d’avoir été profondément initiée dans les secrets du ?’latonisme ; Ron- sard l'en loue beaucoup; il va jusqu’à dire que son zntellect nous fait foi du ciel ; queson chef est un petit univers, un logis de science, où Pallas pourrait reprendre une seconde nais- sance ; qu’en formant son esprit , Dieu se pillu lui-même , etc. De ces quatre maîtresses, célébrées avec tant d’exagération, trois sont censées avoir été quit- tées par Ronsard, de guerre lasse; Marie seule est supposée avoir échappé à cette 158 FRAGMENS L'ÉTUDES disgrâce , attendu qu'elle est morte avant que ses rigueurs. eussent réussi À éconduire son poète: treize sonnets ont pour objet de dé- plorer ce triste événement. Quelquesautres beautés, introduites Sa ee verse, paraissent avoir reçu de Ronsard des hommages moins suivis; on distingue dans le nombre une Marguerite,dont il ne manque pas de faire une Perle; et une Françoise , qu'il appelle sa Framboise, etc. — Les autres ne sont reconnaissables à aucune désignation. Toutes ces amours paraissent avoir occupé long-temps et très-sérieusement Ronsard; il chantait Cassandre dans l'avril de son âge; ses adieux à Hélène sont de l’an 1574 : il avait alors cinquante ans. Quelques-uns de ses derniers travaux en ce genre, se rapportent au temps des troubles déplorables des règnes de Fran- çois I .et Charles IX, et y font positivement allusion. Tout cela est, comme nous l'avons dit, en grande partie, d'imitation italienne ; il serait curieux de rechercher quelle part on peut at- tribueraux modèles dans les défauts du copiste; cetexamen nous conduirait peut-être à rabattre quelque chose de la haute estime que nous sommes disposés (sur parole), à accorder à SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 159 Pétrarque ; V'afféterie et Vemphase sont des vices dont il paraît difficile de ne pas le sup- posér entaché , quand on voit ce que devien- nent en français des compositions dont il a fourni touté la substance. La différence ne peut guère être que dans la forme ,-et ce n’est pas seulement par la forme que Ronsard mous semble habituellement extravagant. Avant Ronsard, Marot déjà avait aussi ha- sardé quelques traductions de Pétrarque, et y avait de même assez mal réussi ; Harot donc a connu et imité les 1taliens, et nous ne dou- tons guére que ce ne soit à leur exemple que l'on doive attribuer certains traits de recherche burlesque qui déparent surtout étrangement ses compositions d'intention so/ennelle ; Ron- sard, plus aventureux par caractère, en se jetant dans la même voie , a dû s’y égarer d’une maniere bien plus décidée : c’est ce qui n’a pas manqué de lui arriver. Si ces observations ont quelque exactitude, il s’ensuit évidemment : que l'aberration de notre poésie au X VI. siècle, fut en grande partie un effet de l'énitation italienne, et qu’elle avait commencé avant Ronsard. Toutefois , en ce qui regarde parti- culièrement Pétrarque , nous devons ajouter q ue les critiques versés dans la littérature ita- 160 FRAGMENS, D'ÉTUDES liénne reconnaissent tous que le sentiment qu'il a! peint dans ses sonnets était réel, et que par- tout il ly a exprimé, sinon avec mesure, au moins d’une manière vraie et profonde; per- sonne ne s’avisera de dire que l'amant de Cas- sandre lui ressemble en quoi que ce soit à cet égard. : Le néologisme de Ronsard est passé en pro- verbe ; la plupart de ceux qui citent cet auteur, semblent n'avoir pas d'autre reproche à lui faire ; ce défaut, très-réel chez lui, n'y est cepen- dant pas poussé aussi loin qu’on parait le croire communément ; en ce qui est des productions qui nous occupent , on a souvent relevé le mot Æntéléchie, appliqué à Cassandre; c'est moins un not de fabrique qu'une allusion d’un pédantisme absurde ; on parle beaucoup aussi des épithètes composées à la grecque : chasse-nue, ébranle-rocher, etc. La vérité est que dans près de 500 Sonnets d’amours, on n'en trouverait peut-être pas au-delà d’une demi - douzaine ; quelques verbes de forme étrange, comme : dénerve et déveine, —endore, emperle et enfrange; —empterre, enroche,en- Joue ,eneaue et englace,etc.—fournissent une espèce de barbarismes plus décidés , mais de même encore en petit nombre; le mal réel est SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 161 dans l'emploi d’une foule d’adjectifs d'énitation latine! ou d'invention propre, comme on les re- marquedans ceslocutions: kerbeuse rive, hyver froidureux , chaos ocieux, herbes rousoyantes, plages blondoyanties, bandeau sommeillard , âme songearde, tresses orines ; doigts rosins, mains ivoirines, front astré , regard médusin ; cœur aimantin, chef crespelu , menton fos- selu, ete.—2Ilestdans l'abus des diminutifs ver- delet, nouvelet, rondelet, etc. ; il est dans celui des épihètes insignifiantes ou triviales : lèvre ju- melle , âme goulue, tertres bossus ; il est dans des alliances de mots telles que f£ère humble, humble-fière maitresse; dans les méronymies d’abstraction : le doux du miel , l'incertain du sable , le parfait des vertus ; dans les antono- mases burlesques : le Duc Grec, pour Achille; l'Ecumière fille, pour Fénus; les Charites d'Homère , pour Homère lui-même, etc., etc. Tout cela réuni compose une langue dont personne apparemment n’imaginera de justi- fier l'usage ; mais il faut convenir toutefois que ce n’est pas constamment celle de Ronsard ; il y a dans ses amours un bon nombre de Son- nets qui n'offrent que peu ou point de traces de ce jargon barbare, et qui, s’il faut le dire ,ne nous en paraissen d'ailleurs guère moins mau- 11 162 FRAGMENS D'ÉTUDES vais; la pureté du langage est un point im- portant:sans doute, uais {a raison et le bon sens ; selon nous, sont des points plus impor- tans encore , et c'est surtout ce qui manque à toutes ces productions. C’est, généralement par- lant, un tissu d'inventions et de pensées si burlesquementextravagantes , que les vices de la forme nous sembleraient presque exéusables en comparaison de ceux du fonds; nous devons nous borner à quelques exemples : voici quatre sonnets pris du livre de Cassandre : 4. Je parangonne au soleil que j'adore L'autre soleil. Cestuy-là de ses yeux " Enlustre , enflamme , enlumine les cieux, Et cestuy-cy nostre France décore. Tous les présens du coffre de Pandore, Les élémens , les astres et les Dieux, Ettout cela que nature a de mieux Ont embelli le sujet que j'honore. Ha ! trop heureux si le cruel Destin N’eust emmure d’un rempart aimantin Si chaste cœur dessous si belle face : Et si mon cœur , de mon sein arraché, Ne nv’eust trahi, pour se voir attaché De clous de feu sur le froid de sa glace. SUR LFS POÈTES FRANÇAIS. 163 O doux parler dont les mots doucereux Sont engravez au fond de ma mémoire ! O front, d'Amour le trafic et la gloire, O doux souris, à baisers savoureux ! O cheveux d’or, à coutaux plantureux , De lis, d’œillets, de porfyre et d'ivoire ! O feux jumeaux d’où le Ciel me fit boire À si longs traits le venin amoureux ! O dents, plustost blanches perles encloses, Lèvies , rubis, entre-rangez de roses , O voix qui peux adoueir un lion, Dont le doux chant l'oreille me vient poindre ! O corps parfait, de tes beautés la moindre Mérite seule un siége d’Ilion. Franc de Raison, eselave de Fureur, Je vais chassant une Fère sauvage , Or sur un mont , or le long d’un rivage, Or dans le bois de Jeunesse et d'Erreur. J'ai pour ma lesse un long trait de Malheur ; J'ai pour limier un violent Courage ; J'ai pour mes chiens, l’Ardeur et le Jeune âge, Et pour piqueurs l'Espoir et la Douleur. Mais eux voyans que plus elle est chassée , Plus elle fuit d’une course eslancée , Quittent leur proye et retournent vers moy, 164 FRAGMENS D ÉTUDES De ma chair propre osant bien leur repaistre. … C’est grand pitié (à mou dam je le voy), Quand les valets commandent à leur maître. 4. Mon fol Penser, pour s’envoler plus haut , Après le bien que hautain je désire , S’est emplumé d’ailes jointes de cire , Propres à fondre aux rais du premier chaud. Luy fait oiseau, dispost, de saut en saut, Poursuit en vain l’objet de son martyre , Et toi qui peux et luy dois contredire , Tu le vois bien , Raison, et ne t’en chaut. Sous la clarté d’une estoile si belle Cesse , Penser , de hasarder ton aile , Qu'on ne te voie en bruslant desplumer : Pour amortir une ardeur si cuisante , L'eau de mes yeux ne serait suffisante , Ny l’eau du ciel , ny les flots de la mer. On yeut se faire une idée du livre sur ces échantillons ; quelques contemporains le ju- gèrent trop pompeux et quelque peu obs- eur. Ronsard, tout en se plaignant de ce Ju- gement, annonça le dessein d’être plus simple et SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 165 plus clair dans ses Sonnets à Marie ; il y fut peut-être en effet un peu moins habituellement tendu , sans y devenir d'ailleurs beaucoup plus vrai; les deux Sonnets. ci-après pourront en fournir la preuve : 41, 2% Beauté, dontla douceur pourrait vainereles rois, Renvoyez moy mon cœur qui languit en servage ; Ou sile mien vous plaist, baillez le vostre en gage : Sans le vostre ou le mien, vivre je ne pourrais. Quand mort en vous servant sans mon cœur jé, serais, Ce me serait honneur, à vous serait dommage , Dommage en me perdant; à moy trop d'avantage , J'en jure par vos yeux, quand pour vous je mourrais, Pourveu que montrespas vous plaise en quelque chose, Il me plaist de mourir , mon trespas poursuyvant , Sans plus r’avoir le mien , dont le vostre dispose : Et veux que sur ma lame Amour aille escrivant : « Celuy quigist ici sans cœur était vivant ; « Et trespassa sans cœur , et sans cœur il repose, » Amour voyant du Ciel un pescheur sur la mer, Calla son aile bas sur Le bord du navire: Puis il dit au pescheur : « Je te pri” que jetire «+ Tonrets qu'au fond de l’eau le plomb fait abysmer. » 166 FRAGMENS D'ÉTUDIS Un Dauphin, qui sçavait Le feu qui vient d'aimer , Voyaut Amour sur l'eau ; à Tétbys le va dire : a Téthys , si quelque soin vous tient de vostre empire ; « Secourez-le , ou bien tost il s'en va consumer. » Téthys laissa de peur sa caverne profonde , Haussa le chef sur l’eau, et vit Amour sur l'onde; Puis elle s’écria : « Mon mignon, mon nepveu, « Fuyez, et ne bruslez mes ondes , je vous prie. « — Ma tante, dit Amour, n’ayez peur de mon feu , à Je le perdis hier dans les yeux de Marie. Voilà la simplicité de Ronsard ; les amours subséquentes ne lui ont inspiré rien de plus raisonnable ; on en jugera au besoin par ce dernier exemple, pris des Sonnets pour é- lène ; il s'adresse à un #2oucheron : Cousin , monstre à double aile, au mufle éléphantin , Canal à tirer sang , qui voletant en presse Sifles d’un son aigu , ne picque ma Mairesse , Et la laisse dormir du soir jusqu'au matin. Si ton corps d'un atôme, el Lon nez de mastin Cherche tant à picquer la peau d'une Déesse, En lieu d'elle, Cousin , la mienne je te laisse; Que mon sang et ma peau te soyent comme un butin. SUR LES POËTES FRANÇAIS. 167 Cousin, je n’en desdy. Hume moi de 1la belle Le sang, et m'en apporte une goutte nouvelle, Pour gouster quel il est. Ha que le sort fatal Ne permet à mon corps de prendre ton essence ! Repicquant ses beaux yeux , elle aurait cognoissance Qu'Amour qu’on ne voit point, fait souvent un gr aud mal. Les livres d'amours composent au-delà de 6500 vers ! Dans cet immense fatras de fadaises absurdes, cinq où six compositions au plus pourraient être classées à part, comme plus ou moins exemptes des défauts qui déparent toutes les autres : une seule nous semble mériter d'être citée avec un éloge-plus spécial ; c'est uu autre S5nnet à /Zé/ère, et ilfest à noter que l'invention de celui-ci appartient à T'héocrite: Ronsard, au moins a eu le mérite de ne pas le dépouiller de son heureux caractère; voici ce morceau de pure exception : Je plante en ta faveur cet arbre de Cybelle, Ce Pin , où tes honneurs se liront tous les jours : J'ai grave sur le tronc nos noms et nos amours ; Qui eroistront à l’envi de l’escorce nouvelle. 168 FRAGMENS D'ÉTUDES Faunes , qui habitez ma terre paternelle, Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours; Favorisez la plante , et lui donnez secours ; Que l'Esté ne la brusle et l’Hiver ne la gelle. Pasteur , qui conduiras en ce lieu ton troupeau ; Flageolant une Eclogueen ton tuyau d’aveine, Attache tous les ans à cest arbre un tabieau Qui témoigne aux passans mes amours et ma peine ; Puis l’arrosant de laict et du sang d'un agneau, Dy : « Ce Pin est sacré , c’est la plante d'Hélène. » On reconnaît là le ton d’une autre école; il y a loin du Pin au Cousin, et des idées de Théocrite à celles de Ronsard. Après cette pièce, et bien au-dessous d'elle à tous égards, on pourra pourtant remarquer encore ies Sonnets : 3. Je voudroy bien richement jaunissant , En pluie d’or goute à goute descendre Dans le giron de ma belle Cassandre , Lorsqu’en ses yeux le somme va glissant. Puis je voudroy en toreau blanchissant Me transformer , pour sur mon dos la prendre, SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 169 Quand en Avril , par l'herbe la plus tendre, Elle va, fleur, mille fleurs ravissant. Je voudroy bien, pour alléger ma peine, Estre un Narcisse, et elle une fontaine, Pour m'y plonger une nuict à séjour : - Et si voudroy que cette nuict encore Fust éternelle , et que jamais l Aurore Pour m'éveiller ne rallumât le jour. 2. Comme un Chevreuil, quand le printemps détruit Du froid byver la poignante gelée , Pour mieux brouter la feuille emmiélce , Hors de son bois, avec l’Aube s’enfuit : Et seul , et seur, loin de chiens et de bruit , Or, sur un mont , or dans/une valée , Or, près d’une onde, à l'éeart recclée , Libre , folastre où son pié le conduit : De rets ne d’are sa liberté n’a crainte, Sinon alors que sa vie est alteinte D'un trait meurtrier , cmpourpré de son sang. Ainsi j’alloy, sans espoir de dommage , Le jour qu'un œil sur l’Avril de mon âge Tira d’un coup mille traits en mon flanc. 170 3. Â. : FRAGMENS D'ÉTUDES Preu ceste rose aimable comme Loy, Qui sers de rose aux roses les plus belles, Qui sers de fleurs aux fleurs les plus nouvelles , Dont la senteur me ravist tout de moy. Preu ceste rose , et ensemble recoy Dedans ton sein mon cœur qui n’a point d'ailes ; Il est constant , et eent playes cruelles N’ont empesché qu'il ne gardast sa foy. La rose et moi differons d’une chose ; Un Soleil voit naistre et mourir la rose , Mille Soleils ont veu naistre m’amour Dont l'action jamais ne se repose, Que pleust à Dieu que telle amour enclose Comme une fleur, ne m’eust duré qu'un jour ! Comme on voit, sur sa branche, au mois de Maylarose, En sa belle jeunesse, en sa première fleur , Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur , Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l'arrose. La Grâce dans sa feuille, et l'Amour se repose, Embasmant les jardins et les arbres d’odeur. Mais battue ou de pluye, ou d’excessive ardeur , Langui.saute elle meurt, feuille à feuille deselose. Ainsi en ta première el jeune nouveauté , Quand la terre et le ciel honoraient ta beaute, La Parque l'a tuce, et cendre tu reposes. SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 171 Pour obsèques reéoy mes larmes et mes pleurs, Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs , Afin que vifet mort ton corps ne soit que roses. 5. Genèvres hérissez , et vous, houx espineux , L'un hoste des déserts , et l’autre d'un bocage : Lierre , le tapis d'un bel antre sauvage, Sources qui bouillonuez d’un surgeou sablonneux ; Pigcons , qui vous baisez d’un baiser savoureux , Tourtres, qui lamentez d’un éternel vefvage, Rossignols ramagers , qui d'un plaisant langage Nuict et Jour rechantez vos versets amoureux ; PRE recente Vous à la gorge rouge estrangere Arondelle , Si vous voyez aller ma Nymphe en ce printemps Pour cueillir des bouquets par ceste herbe nouvelle, Dictes-lui, pour néant que sa grâce j'attens ; Et que pour ne souffrir le mal que j’ay pour elle , FR. .. . , . . « J'ai mieux aimé mourir que languir si longtemps. Dans ces exemples, comme dans la plupart des précédens , le bon et le mauvais sont plus Où moins proprement d'invention {ralienne. Le Sonnet du Chevreuil est presque littérale- 172 FRAGMENS D'ÉTUDES ment traduit de Bembo ; — Le sujet du Fo/ penser est emprunté de l’Arioste ; Pétrarque est partout, ou par lui-même, ou par ceux qui se sont modelés sur lui. — Ronsard, dans ses Amours , n’est si bien qu’un Pétrarquiste fran- çais, que pour ridiculiser sa manière , ses ad- versaires n'ont eu qu'à traduire les satyres Ita- liennes composées d’abord contre les Pétrar- quistes Taliens. (Voyez Saint-Gelais, Elégie à une mal contente, etc. , que quelques-uns di- sent de Harot. ) Indépendamment des Sonnets d’amours , Ronsard en a composé une soixantaine d’au- tres sur des sujets d’espèce diverse ; quelques- uns ne sont que des complimens ou allocutions à des personnages puissans de l’époque, à des amis particuliers de l’auteur , aux Muses, à son livre, etc. — D’autres se rapportent à des évé- nemens plus ou moins remarquables du temps, naissances, mariages, morts, etc. — Presque tous offrent les caractères de recherche et d’em- phase hyperbolique que nous avons relevés dans les amours. Un Sonnet servant d’épitaphe pour le cœur de Henri IT, roule sur cette pensée : « qu'il « ne faut pas s'étonner de voir renfermé en si « peu de place un cœur qui conquit tant de « « = # SUR LES POÈTES FRANCAIS. 173 cités ; la raison en est, que la terre n’en à reçu que l'ombre; la reine a fourniau cœur de son époux un monument plus digne de sa grandeur, en le recueillant dans sa poi- trine, où elle le garde près du sien. » Un autre , en l'honneur d’Æenri 111, se com- pose de cette annonce : « Que comme le monde, « « « « « « tel qu'il est, ne suffirait pas à son sceptre , c'est pour cela que le Ciel vient de faire sortir des mers le nouveau continent Américain, Afin que ce grand tout soit l'empire Gallique, — Jupiter ayant résolu de lui abandonner la terre, en se bornant lui-méme à l’em- pire des Cieux. » La mort du sieur de WMaugiron lui fournit cette autre invention : « que l'Amour, jaloux « « « « « « « de la beauté de ce jeune seigneur , né comme lui de J’énus, n’ayant pu réussir, en lui cre- vant un œil, qu'à le rendre encore plus agréable aux belles, avait fini par le recom- mander à la Parque, qui l'ayant vu, s’en était aussi éprise , et l'avait fait mourir, afin de le posséder aux enfers. » Tout cela est bien imaginé ! sur l'avant-der- nière de ces pièces , on remarque qu'un Sonnet d’AÆnnibal Caro en a fourni le modèle , et con- 194 FRAGMÉNS D'ÉTUDES tient une hyperbole toute analogue ; ily a cette petite différence , qu'Ænnibal Caro s'a- dressait au monarque alors sans égal en Europe, — celui sur les terres duquel le soleil ne se couchait pas , — l'Empereur Charles-Quint. Dans le nombre assez borné des pièces mieux ou moins mal conçues en ce genre , on,remar- quera, si l’on veut, le sonnet sur la mort de Charles IX (1574). — Ronsard, comme nous l'avons dit, avait jouide toute la faveur de ce prince ; sa perte dut être pour lui un sujet d’at- fliction réelle; voici les vers que ce sentiment lui a inspirés : Comme une belle fleur qui commençait à naistre, Que l'orage yenteux a fait tomber à bas, Ainsi tu es tombe sous le cruel trespas , O malice des Cieux ! quand tv commençais d’estre. De souspirs et de pleurs il convient me repaistre, Te voyant au cercueil , hélas ! trois fois hélas ! Hélas ! qui promettais qu’un jour par tes combats ; Ton'empire serait de tout le monde maistre. L'Honneur et la Vertu , la Justice et la Foy , Et la Religion sont mortes avecq' toy ; La France t'a pleuré , les Muses et les Armes, Adieu , Charles , adieu, du Ciel Astre nouveau : Tandis que je t'apprête un plus riche tombeau, Pren de ton serviteur ces soupirs et ces larmes, SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 175 Une prière à /’énus en faveur de l'ile de Chypre assiégée par les Turcs (1570), uous paraît éloignée du ton convenable à un sujet de cette espèce; elle ne manque d’ailleurs pas du'genre d'agrément que Pauteur a prétendu lui donner. Ronsard n'a employé dans ses Sonnets que deux espèces de vers différentes; le vers de 10 syllabes et l'alexandrin, toujours séparément; il paraît avoir préféré le vers de dix syllabes dans les sujets qu'il voulait traiter de la ma- niére la plus emphatique, et l'alexandrin dans les plus sémples ; il a pris soin de nous ap- prendre formellement ailleurs qu’il s’était fait, sur les propriétés relatives de ces deux sortes de vers, des idées absolument opposées à celles qui se sont établies depuis à cet égard. Les Sonnets de Ronsard offrent peu d’in- fractions au principe du mélange régulier des rimes ; il y en a cependant quelques-uns où les féminines surabondent: Ronsard parait les avoir faits à dessein, et par imitation de la pratique italienne du croisement des vers # ptani. Madrigaux.—%es Madrigaux de Ronsard, au nombre de seize en tout, sont dispersés 170 FRAGMENS D'ÉTUDES parmi ses Sonnets, dont ils ne different que par la forme ; « Ronsard ; dit un commentateur, « appelle Madrigals , les Sonnets qui ont plus « de 14 lignes. » La plupart sont en fadeurs d'anours ; quel- ques-uns en éloges de personnages illustres, etc. Le suivant peut être remarqué pour son ex- travagance : Maistresse, de mon cœur vous emportez la clef , La clef de mes pensers, et la clef de ma vie : Et toutes fois , hélas ! je ne leur porte envie , Pourveu que vous ayez pitié de leur meschef. Vous me laissez tout seul en un torment si gref, Que je mourrai de deuil , d’ire et de jalousie : Tout seul , je le voudroy ; mais une compagnie Vous me donnez , de Pleurs qui coulent de mon chef. Que maudit soit le jour que la flèche cruelle M’engrava dans le cœur vostre face si belle , Vos cheveux, vostre front, vos yeux et vostre port, à Qui servent à ma vie et de Fare et d'Estoille ! Te devoy mourir lors , sans plus craindre la mort ; Le dépit m'eust servy pour me conduire au port, Mes pleurs servy de fleuve, et mes soupirs de voile, SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 177 Les autres, moins bizarres, n’y gagnent guère que d'être plus platement insignifians. L’élocution, dans ces compositions, ne donne lieu à aucune observation nouvelle. La versification y est, comme dans les Son- nets, généralement régulière, sauf assortiment vicieux de rimes dans quelques-uns. Un madrigal d’amours offre la comparaison suivante, sur un sourire accompagné de larmes : Ainsi voit-on, d’une face diverse, Rire et pleurer, touten un même temps, Douteusement , le soleil du printemps, Quand une nue à demi le traverse. La pensée est de l’Arioste, et Ronsard n'est pas le seul de nos poëtes qni l'ait jugée bonne à emprunter. On connait ce passage de notre excellent Malfillastre : Elle sourit , et pourtant elle pleure ; Le ciel présente un contraste pareil , Lorsque dans l’air on voit , à la même heure, Tomber la pluie et briller le soleil. (Poème de Narcisse,ch. II,vers 1 1 1, etc." / 12 170 FRAGMENS D ÉTUDES 2. RONSARD. -- ODES D'INTERÊT PUBLIC. Odes. — Le mot Ode est grec , et signifie chant; nos anciennes chansons étaient donc des odes dans la signification rigoureuse du terme; il y a cette différence entre nos vieilles chansons et les odes grecques, que les Grecs chantaient de préférence des sujets solennels et d’un intérêt public, tandis que nos chan- sonniers du moyen âge sont rarement sortis du cercle de leurs affections privées, et n'ont d’ailleurs montré de talent que dans lexpres- sion des sentimens qui y sont relatifs. Lorsque le grand mouvement de la renaissance des lettres eut fait connaître à nos aieux ce que le temps a épargné des chefs-d’œuvre lyriques des littératures classiques, ils ne manquerent pas d'être frappés de cette différence ; com- prirent-ils bien toute la puissance des causes qui ont dû la produire ? Il semble permis d’en douter ; le fait est qu'epris des formes , abs- traction faite de toute considération sur leur convenance avec l'emploi du fonds , sans trop SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 179 se demander peut-être ce que seraient des odes à la grecque , dans un système d'organisation sociale différent à peu près en tout de celui des Grecs, les’ poëtes du temps en vinrent bientôt à considérer ce genre de composition comme un type supérieur de chant idéal, qui pouvait être cultivé pour lui-même, et indé- pendamment de tout rapport de destination. L'innovation fut progressive; on commença par des imitations en langue latine et grecque ; le célèbre Jean d’Aurat se distingua surtout dans ces premiers essais : d’Aurat fut le maître de Aonsard ; Ronsard fit des Odes françaises ; il se vante positivement d'avoir inventé la chose et le mot. Les Odes de Ronsard sont en tout au nombre de 156, distribuées en cinq livres. L'auteur a eu la prétention d’y traiter toute sorte de sujets, et d’y prendre successivement tous les tons. Le plus grand nombre sont d’affections per- sonnelles , et se rapportent plus ou moins pro- prement aux genres badin, moral et philoso- phique, etc.; quelques autres sont d'intérêt public , et ont pour objet de célébrer des évé- nemens remarquables ou des personnages il- lustres du temps. 180 FRAGMENS D ÉTUDES Il est difficile de donner ; en peu de mots, une idée générale des odes de Rcnsar 1, parce que l’auteur , comme on le voit , en a fait une quanti:é considérable, et que d'ailleurs ses ma- nières diffèrent souvent beaucoup de l’une à l’autre. Nous n’entendons fixer ici notre attentions, que sur celles que semble devoir recommander surtout la nature de leur sujet. Les Odes d'intérêt public , en commémora- tion d'événemens remarquables , sont compa- rativement en petit nombre dans le recueil de celles de Ronsard; onze en tout, sur neuf su- jets différens, savoir : 1. Sur la naissance du duc de Bretagne, fils aîné du roi /Zenri II (1543), ode 12€. du liv. III. 2. Sur la victoire du comte d’Enghien , à Cérisoles (1544), 6®.,liv.I. 3. Consolation à la reine de Navarre, sur la mort de Charles, duc d'Orléans , son neveu, (1545) 53 à liv. >. 4. Sur la victoire de Guy Chabot, seigneur de Jarnac ; duel de Jarnac et de la Chätai- gneraie (1547), 9°., liv. I. 5. Epithalame d’ntoine de Bourbon et de la princesse Jeanne de Navarre (1548), 2°., lv. IV. SUR LES POËTES FRANÇAIS. 187 6. Apothéose de Marguerite de Valois, reine de Navarre (1549), 4°., liv. V. 7. Hymne triomphal, même sujet, 5°. id. 8. Ode pastorale, même-sujet, 6e. id. 9. Ode au roi ZZenri IT, sur la paix conclue avec l'Angleterre (1550), 1°°., liv. L 10. Prophétie du Dieu de la Charente , sur la prochaine défuite des Caluinistes révoltés (1568), 6e, liv: EE. 11. À Apollon, pour la maladie du roi Charles EX, (1599),9%., iv. V. L'auteur atraité ces compositions d’une fa- çon assez diverse , et en général plus mal en- core qu'on ne pourrait l'imaginer; plusieurs ne sont que de longs tissus de divagations et d’extravagances , exprimées dans un style bur- lesque, où se confondent les extrêmes de l’em- phatique et du trivial; tel est particulièrement l’aymue triomphal de la reine de Navarre ; on en jugera par l'exposé ci-après : ‘ Le début est pris de l'importance da sujet : le poète commence par s’exciter lui-même à élever la voix plus haut que de coutume, air de voler jusqu'au ciel sur l'aile de sa parole. « Assez, dit-il, Pirdare a chanté la gloire et « les travaux d’ercüle; pour lui à son tour, «il va célébrer la guerriere ‘qui , at heu des 182 FRAGMENS D ÉTUDES « lauriers périssables de Pise, s’est couronnée « elle-même de sa dépouille domptée. » — Il invite en conséquence sa muse, son cher souci, à le seconder dans le récit du combat qui lui valut cette victoire, et il en commence aussitôt la description : Ce fut d'abord la Chair qui , se révoltant contre l'Esprit, son maître , mit aux champs une troupe de combattans redoutables , à la tête desquels elle osa le défier : Là fut le monde emplume De grand’s crêtes ondoyantes ; Là fut l'Orgueil enflammé D’éclairs d'armes flambeyantes ; Là l’escadron des Plaisirs , Là les bandes des Désirs, Là les bourreaux de la vie, La convoitise et l'Envie $ M alebouche et le Rancæur , Et la Gloire somptueuse , Et l’Ire présomptueuse Qui ne peut brider son cœur. Par-dessus tous ses soldats , on voyait s’éle- ver sa lance flamboyante, qu'elle avait ferrée d'impatience, et aiguisée sur la pierre de co- lère ; et elle portait en guise de casque une vanité surmontée du timbre de péché. SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 183 Ainsi l’herrible guerrière Pressait ses bandes derrière, Et les poussait en avant, Ondoyans de rangs comme ondes, Ou comme les forêts blondes Des épis soufflés du vent. ÿ Alors dans le délire de sa confiance, elle apostrophe ses mains, à qui elle promet la victoire , et harangue ses troupes , qu’elle exhorte à bien remplir leur devoir. Cependant, d’un autre côté, l'Æsprit faisait bonne contenance, et s’avançait bravement à la rencontre de l'ennemi; accoutré de Raison, il avait à ses côtés l’Amnour divin, revétu du harnois de Résistance , etc... Auprès d’eux se pressaient Ja Charité , la 'érité, la Prudhom- mie, la Crainte d’'Infamie , VEspérance , la Foi, la Pitié , V' Amitié , les Contemplations et les Passions (souffrances), etc... L'Esprit, à son tour , harangue .cette sin- gulière armée , et aussitôt engageant le com- bat, du premier coup de lance, il abat le Monde mort ; bientôt il renverse de même et l'Orgxeul, et les Délices , et les ’oluptés , et les l’ices. 194 FRAGMENS D'ÉTUDES Tant de neige ne chet pas , Quand l'air l’éparpille à bas Pour enfariner la plaine, Comme la terre était pleine De soldats menu-greslés, Renversés sous tel orage , Par un étrange meslage L'un sur l’autre amoncelés. Ses gens aussi font tous des merveilles à son exemple ; l'Aumilité tue fa Gloire mondaine ; la Repentance met en fuite le Péché, qui va tomber plus loin sous la /ance de la Gräce; la Foi, la Loi, la Justice se signalent de même contre d’autres adversaires... Cependant, ces avantages ne laissent pas d’être vivement disputés ; partout où la Chair se montre, elle produit de son côté d’étranges ravages ; mais l'Esprit parvient à la joindre ; il lui reproche sa révolte, et l'attaque corps à corps ; en vain elle veut prendre la fuite ; l'Æs- prit la poursuit, et l'atteint d’un coup mortel. « Alors , l'Esprit glorieux De l’heur de son entreprise , À d'un bras victorieux La serve dépouille prise ; En c SUR LES POËIES FRANÇAIS. 185 Puis Marguerite en orna , Et de laurier entourna Tont le beau rond de sa tête ; Lui consacrant la conquête De la Chair ; car sa vertu Seule en moyenna la gloire ; Et la fameuse victoire Que l'Esprit en avait eu. e moment,le Sauveur ( que Ronsard a la témérité de faire intervenir dans son étrange fiction), du milieu de la nue, d’où il observait le combat , témoin de ce qui se passe, et voulant accomplir une ancienne promesse : appelle ( Que l’ame au ciel monterait Par une nouvelle porte , Dont la main, saintement forte , Sa chair propre dompterait , ) un Ange , ministre de ses volontés : Poste , dit-il, marche , fuis, Hache les vents, et les suis ; Laisse ramer tes aisselles, Et glisse dessus tes ailes , Tant que bas tu te sois veu, Dedans les champs qu’environne 186 FRAGMENS D ÉTUDES « La Tortueuse couronne « Des monts surnommés du Feu. « Là, de ta parole endors « Cette guerrière , et le voile « De son victorieux corps « Transforme au ciel en étoile ; « En après , laisse rouler « Son idole parmi l'air , « Afin qu’en terre elle tombe , « Et, dédaignante la tgmbe , « Vole en France , sans repos , « Par La bouche de maint homme , « Sans aue jamais l’an consomme « Son voler vague et dispos. » . Il a dit, et aussitôt l’Ange attache ses talon- nicres, couvre sa perruque d'une capeline, arme sa main de sa verge redoutable , et s'é- lance à tire d’aile à travers les airs : Ainsi le prompt messager Volant d’une aile subite, Glissa bassement léger , Jusqu’au corps de Marguerite ; D'’elle les yeux il a clos, Puis la chargeant sur le dos , Comme fut l’Athenienne Sur l’échine Thracienne , Haut dans l'air se suspendit , SUR LES POÈTES FRANÇAIS, Loin, loin de la terre basse , Et d’un long chemin repasse Par où même il descendit. Lors attacha dans les cieux De ce corps la masse entière; Ï lui agrandit les yeux De rondeur et de lumière ; Ses cheveux furent changés En nouveaux rais allongés , Ses deux bras et ses deux jambes En quatre jumelles flambes ; Bref, ce fut un astre ardent, Lequel , de là haut encores , De son aspect bénin ores , La France va regardant, . . cs - - e. e e ®. L'Ange après dans l'univers Chassa son errante idole , Pour voler dessus mes vers, De l'un jusqu’à l’autre pôle ; Il fut après curieux D’emporter son âme aux cieux , Toute pure et toute nette, Mieux luisant que sa planète , Jusques en ce même lieu Où les ans fermes demeurent , Entre eçux qui plus ne meurent, Encorporés avec Dieu. 197 188 FRAGMENS D'ÉTUDES Ici l’auteur finit son récit , et s'adressant à la princesse, il la félicite d’habiter un séjour où l’on sait tous les secrets de l’astronomie, que nous ignorons ici-bas, etc. Il s'excuse ensuite d’avoir tardé jusqu’à ce moment à célébrer sa mémoire; il n’a difléré que pour mieux faire, et en effet, « quel mo- « nument plus magnifique eüt-il pu lui con- « sacrer ?.... » Il termine enfin en lui adressant un salut, et en la priant de le préserver de tout malheur, de toute honte, et plus particulièrement de l'atteinte des langues ennemies , et du caquet des envieux. Et voilà ce que Ronsard appelle l'hyrane triomphal de Marguerite: un combat entre des fantômes d’abstraction ridicule, finissant par l’apothéose d’une femme qui n'y est pour rien, et à qui toutefois on entend en faire re- venir le résultat, c’est bien là tout le fonds ; on a vu comme les détails y sont assortis ; offrir l'analyse d’une pareille composition; c'est dire assez ce qu’elle vaut; nous ne nous en eccuperons pas davantage. Un parodiste, qui se proposerait de faire sentr jusqu'où peut aller l'abus du werveilleux d’allégorie, pour- rait être fort embarrassé de le pousser plus loin, SUR LES POÈTES FRANCAIS. 189 Il existe de Marguerite , un discours del'Es- prit et de la Chair ; l'idée d’une allusion à cette pièce est probablement celle qui a fourni à Ronsard le germe de son étrange fiction; l'étendue de l'Ode est de 4o str. de chacune 12 vers. Ce sujet de la mort de la Reine de Navarre, si étrangement défiguré dans le prétendu hymne triomphal , a fourni à l'auteur une composition beaucoup plus raisonnable, dans l’Ode pastorale, où il l’a reproduit sous d’autres couleurs. Voici l’esquisse du tableau : Le Poëte s'adresse d’abord à la princesse, objet de ses regrets : « Comme les herbes et les « ruisseaux sont l'honneur de nos prairies , …. « ainsi elle fut elle-même celui des princesses « de son âge ; il est inutile de lui élever un « monument magnifique : L’airain , le marbre et le cuîvre Font tant seulement revivre Ceux qui meurent sans renom , Et desquels la sépulture Presse sous même clôture Le corps , la vie et le nom ; 190 FRAGMENS D'ÉTUDES Mais toi , dont la renommée Porte d’une aile animée Par le monde tes valeurs, Mieux que ces pointes superbes, Te plaisent les douces herbes , Les fontaines et les fleurs. Il apostrophe ensuite les Pasteurs de la Ga- ronne : «Faites , dit-il , sa tombe au milieu de «_ vos päturages , et gravez-y ces vers : 8 Ici la Royne sommeille , « Des Roynes la non-pareille, « Qui si doucement chanta ; « C’est la Royne Marguerite, « La plus belle fieur d'élite « Qu'onque l’Aurore enfanta. Il continue, en leur recommandant de se ras- sembler habituellement autour de ce tombeau, pour y former des danses et des concerts rus- tiques en son honneur..-Illeur prescrit ce qu'ils doivent faire et dire dans cette circonstance , et diversifie ainsi avec assez d'art la peinture des sentimens à l’expression desquels il les as- socie..… Il termine par une invocation à Marguerite, qu'il prie de favoriser ses chants. SUR LES POÈTES FRANCAIS. TOI Ce; plan est simple et bien conçu ; et il ne laisse pas d’y avoir aussi dans l'exécution plus de raison et de convenance que l’on ne serait tenté d'en soupçonner à Ronsard; — Yapos- trophe aux bergers a surtout du naturel et une sorte d'agrément ; on en jugera par ces strophes : Tous les ans soit recouverte De gazons sa tombe verte, Et qu’un ruisseau murmurant , Neuf fois recourbant ses ondes, De neuf torses vagabondes Aülle sa tombe emmurant. Dites à vos brebiettes : « Fuyez vous-en , camusettes ; s Gagnez l'ombre de ee bois ; « Ne broutez en cette prée ; a Toute l'herbe en est sacrée a À la nymphe de Valois. » Dites : « Qu’à jamais tombe « La manne dessus sa tombe! » Dites aux filles du Ciel : « Venez , mouches ménagères, « Pliez vos ailes légères ; « Faites ici votre miel. » 192 FRAGMENS D'ÉTUDES Dites-leur : « Troupes mignonnes, a Que vos liqueurs seraient bonnes, « Si leur douceur égalait a La doucenr de sa parole, « Lorsque sa voix douce et molle « Plus douce que miel coulait ! » Dites que les mains avares N’ont pillé des lieux barbares Telle Harguerite encor ; Qui fut par son excellence L'Orient de notre France , Ses Indes , et son trésor. Apres cette pièce , on pourra remarquer en- core, avec quelque intérêt, la 5e. de notre liste, Epithalame d'Antoine de Bourbon et de*la princesse de Navarre, (fille de Warguerite ; ) le mariage que l’auteur y célèbre est celui d’où sortit notre excellent Æenri IF. L’Ode composée de treize strophes , de cha- cune huit vers, suivis du refrain commun: O hymen ! hyménée , est imitée de Théocrite quant au fonds , et de Catulle pour ce qui regarde les formes; on ne peut dire que l’ex- presssion y ait la grace ou la vigueur qui y se- raient indispensables ; son mérite ( si mérite il v a }, consisteen ce qu’elle est franchement faible SUR LES POÈTES FRANCAIS. 193 etcommnne , sans mélange du galimathias sys- tématique si abondamment prôdigué ailleurs Aux odes en commémoration d'événemens nationaux , ete., se rattachent celles d'éloge héroïque, qui ne s’en distinguent pas toujours sensiblement; les cinq livres de Ronsard en contiennent un peu moins d'une vingtaine , en l'honneur du Roi Henri 11, de la Reine Cathe- rine de Médicis, des Princes leurs fils, de Mesdames leurs filles, du Chancelier de l'Hos- pital, etc. . L'auteur a été, dans cette branche de sujets publics, ce qu’on l’a vu dans la précédente; son ode au Chancelier de l’Æospital, 10°. du livre I , mérite une des premieres places entre celles où il s’est montré le plus extravagant ; la pièce est de 816 vers: une digression ab- surde sur /a naissance des Muses , leur voyage au palais de l Océan, etc., en occupe au-delà des trois quarts, et ne se lie an sujet que par cette idée : que c’est l’'Æuspital qui ,du ciel, où elles s'étaient réfugiées, les’a ramenées sur la terre avec lui. Le reste s’évapore en divaga- tions, dans lesquelles l'éloge réel du person- nage fournit environ 24 vers. — Ajoutons gue le style est pire encore que l'invention ; les locutions basses , étranges ou barbares, y sont plus abondantes peut-être que dans toute autre 13 194 FRAGMENS D'ÉTUDES pièce ; on y remarque entre autres : la charrette vagabonde d'un Dieu; des. boucles pleines d'une douce arabe moisson ;le Délien , le Cro- nien, le Tu-géant; les plis d'un hymne, le caquet du populaire ; des.champs herbeux, des mystères orgieux, un front renfrogné de grosses prunelles ; la chienne Envie, les sept langues de la lpre , etc.— Ge fut une des com- positions les plus, admirées du temps ; et ré- cemment encore, un. des coryphées de notre nouvelle critique n’en a parlé qu'avec une sorte de respect. 1 SUR LES POÈTES FRANÇAIS. . 195 RONSARD. — APPRÉCIATION SOMMAIRE DE SON TALENT LYRIQUE. Des critiques ont dit, et quelques personnes s'amusent encore à répéter, que Æonsard, trop vanté de son temps,avaitété aussi beaucoup trop déprécié depuis, et qu'on ne peut,sans injustice, Jui refuser, sinon du génie , au moins une sorte d’élévation et de fécondité poétiques, donton ne fait pas assez de cas. Appliquée au genre lyrique , cette observa- tion est vraie, si l'on juge Xonsard relative- ment , c'est à-dire en le comparant avec ses contemporaius et ses devanciers; mais quand on vient à examiner les choses absolument et en elles-mêmes , on se trouve bientôt réduit à en prendre une autre idée. On reconnait alors que la prétendue fécon- dité alléguée par ses apologistes, ne consiste guère que dans la facilité malheureuse de trouver abondamment de quoi dire sur tout , sans imaginer rien de naturel, en tirant d’un immense répertoire de réminiscences étran- ” 196 FRAGMENS D'ÉTUDES geres , des matériaux d'imitation où de pur emprunt, qu'il ne sait d’ailleurs que prendre et assortir à l’aventure, sans paraître s'occuper ‘le moins du monde de la convenance de leur rapport entr'eux, ou eu égard au besoin de son sujet. Ronsard est sur ce point dans le cas de ces mauvais peintres, qui ne savent composer un tableau d'histoire, que de cal- ques de personnages mal adroïtement em- pruntés des chefs. d'œuvre de l'art. En ce qui regarde l’élévation , il faut sans doute lui tenir compte d’avoir senti que notre poésie en avait été jusqu'alors beaucoup trop dépourvue ; mais quant aux efforts qu’il a faits pour lui en donner davantage, il est difficile de se résoudre à y louer autre chose que l'in- tention. Soit qu’il ne se füt fait que de fausses no- tions du grand et du beau; ou qu'il eût mal compris l'exemple des anciens, qu'il préten- dait imiter, soit qu'il füt resté étranger à toute réflexion sur le caractère et les ressources re- latives de sa langue et de celle de ses modèles, le fait est, que faute de faire entre les idées et les mots un choix, qu’apparemment il jugea inutile ou impossible, il n'a su marquer sa prétendue élévation , que par des bonds conti- SUR LES POÈŸSES FRANÇAIS. 197 nuels du trivial à Vemphatique , sans pouvoir même atteindre , nous ne disons plus au grand ou au noble, mais seulement à un outré quei- que peu soutenu. . Une connaissance plus étendue que réfléchie des grands modèles , nne disposition toute par- ticulière à s'emparer bien ou mal à propos de leurs inventions, une pratique assez aisée, mais aussi très-vicieuse, de tout le technique de l’élocutiän , voilà les seuls avantages qu’on puisse en conscience accorder à Ronsard, au moins dans le genre de composition qui nous occupe; pour ce qui est du goër et de la rne- sure, il n’en a pas la moindre idée: dénué de toute inspiration réelle, imitant toujours, même ce qu'il n’'approuve pas, il n’a traité la poésie que comme un métier de convention toute factice, et n’a jamais rencontré le naturel et le vrai que par hasard. Nous avons donné assez d’exrmples; on a pu remarquer que le défaut de convenance y va presque partout jusqu'aux zon-sens les plus absurdes, soit dans l'invention , soit dans le plan, soit dans les déta:ls du style; ce ne sont pas là de ces taches légères, près desquelles on puisse trouver autre chose qui les rachète, Avant Ronsard, avant l'introduction forcée 108 FRAGMENS D'ÉTUDES des formes et des idées d'emprunt classique dans la poésie française, nos chansons natio- nales pouvaient être faibles et pauvres ; mais il est rare qu’elles n’eussent de la naïveté et de. la grâce, et qu’elles n’exprimassent heureu- sement, et quelquefois d’une manière assez piquante, les sentimens simples et vrais qui en fournissaient habituellement le sujet ; les chants de Ronsard sont tout-à-fait étrangers à ce mérite,et qu'ont-ils à nous offririêh échange? Rien, que l'apparence pédantesque d’une res- semblance imagiraire avec des chefs-d’œuvre copiés , calqués , dépécés et rajustés le plus souvent à contre-sens. | Nous avons remarqué relativement aux odes de Ronsard, qu'il n'y avait traité qu’un petit nombre de sujets d’ézzérét public ; on a d'au- tant plus lieu de s'en étonner , qu’indépendam- ment de toute autre raison, il semble que ce soit ceux que sa prétention au grand et son goût pour l’emphase auraient dù lui faire aifectionner de préférence; il s’est plaint de ne trouver rien à dire de neuf après les anciens; c'est dans le cercle des événemens publics qu'il Jui eût été facile d'éviter leur concurrence: les sujets ne lui auraient pas manqué; le monde retentissait encore de la chute de l'empire Grec, SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 199 fa renaissance des lettres en Occident, et la dé- couverte des Zndes et de l'Amérique étaient des faits tout récens ; dans le cours de quatre règnes si rapides des derniers F’alois, Ronsard avait vu tant d'alliances et de morts célebres, le tournoi funeste de Æenri 11, les troubles et les erimes du règne de Charles IX, l'avénement du duc d’Anjou au trône de Pologne, la créa- tion de l’ordre du Saint-Esprit, la captivité de Marie Stuart, etc., etc. Il y avait là de quoi chauter ou déplorer! Rons:rd ne s’en est pas aperçu ; quelques-uns de ces sujets se sont pré- sentés sous sæ plume ; à peine a-t-il essayé de les effleurer. Qu'importe la beauté des sujets à celui qui ne trouve pas en lui-même le don de se pénétrer de leurs impressions? La plainte de Ronsard sur les anciens , bien entendue , se réduit à dire qu’il ne se sentait capable de rien. inventer que d’après eux (1). {:) C'est le cas de rappeler ici les vers de ce bon Andrisuæ, tout récemment ravi à l’estime et à la reconnaissance pu- bliques : De nos jours même on est encor frappé De cette époque en miracles féconde , Qui fit conaaître rt qui changea le monde, Lorsque Diaz, pilote audacieux, Sous l’équateur osant pousser ses voiles , 200 FRAGMENS D ÉTUDES Limitation , qui exige partout un tact dé- licat, offre surtout dans le genre lyrique, des difficultés d’une nature toute spéciale. Ron- sard paraît ne les avoir pas soupconnées; tou- jours empruntant, toujours rajustant, sans tenir aucun compte de la différence des situations et des rapports, il dénature tout ce qu'il #nite, moins encore par le style dans lequel il tra- vestit ses modèles, que par les effets forcés auxquels il veut les plier. Deux exemples suffiront : 1. On a pu remarquer l’ode 22°. du livre I. I s'agissait de s’y féliciter de ses succès: la pre- Puis le franchir , aperçut d’autres cieux , Et vit briller de nouvelles étoiles ; Mille récits à la fois parvenus , Vrais , fabuleux , annonçaient à la terre, Qui s'enrichit d’un nouvel hémisphère, Des biens , des maux, jusqu'alors inconnue. Tout le monde sait ce que Le Cumoens a fait de ce grand sujet de la découverte des Indes ; -- et quel morceau celle de l’Amé ique a fonrnï à Le Brun , dans son ode des Conquêtes de l’homme sur Ja Nature ,; (où il l’a mal adroitement jeté, au lieu de le traiter a part ): Jadis un vulgaire erédule Rêva les colonnes d’Hercule , etc. Et Ronsard n’a pas senti que jamais l’antiquité n'eut 4 s’exercer sur un pareil fonds !.., SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 201 mière idée de Zonsard a été de s'adresser à sa lyre ; là-dessus le début de la 1"°. Pythique Chrysea lhormigx, etc., lui est venu en pensée , et aussitôt, sans s'embarrasser de la différence essentielle des objets, voilà Pindare: mis à contribution pour nous dire de la lyre de Ronsard : « Qu'elle éteint le trait flamboyant « de Jupiter dans la nue, et endort son aigle « sur la foudre. » C’est en substance ce au'’il avait dit de celle d'Æpollor. 2. Tout le monde connaît l’ode d’Horace : Ve sit aneillæ, ete., 4°. du livre IL. — Xanthias, épris d’une jeune esclave ; éprouve quelque honte de s’avouer un tel attachement ; Æorace essaye de dissiper le trouble de son âme, en écartant l'idée que cette inclination puisse l'avilir; Ronsard s’est emparé du fonds de cette: ode ; mais qu’en a-t-il fait? En prenant tout à la fois pour lui-même le double rôle de Xan- thias et d’'Horace, il se représente amoureux d’une belle chamberière , affirme qu’on ne doit pas l’en blämer (ode 23e. du livre IT), et trans- porte ainsi à l'apologie éhontée d’un ridicule tout personuel, les raisons que, dans son in- dulgence délicate , Horace trouvait pour ex- cuser la faiblesse d’un ami. Ronsard s'est quelquefois mis en tête de 202 FRAGMENS D'ÉTUDES refaire ce que d’autres poètes français avaient fait avant lui ; il a en général fort mal réussi dans cette lutte: on en trouvera au besoin la preuve dans le rapprochement des odes sur la maladie de sa maïtresse , et pour la guérison du roi Charles IX (20°. duliv.I, et 7°. du liv. V), avec les jolies compositions analogues de Warot et de Murguerite de Valois. Ses inventions propres offrent en général encore moins de sens et de goût que ses imi- tations ; on a vu les grands exemples; — Nous indiquerons particulièrement parmi les petits, l'ode a la Fièvre (27°. du liv. V). L'auteur est malade, etdésirerait fort être guéri ; ilreprésente à la Fièvre, qu’elle doit se trouver mal héber- gée dans son pauvre corps, déjà réduit en cendre par l'amour , et où elle court risque de se consumer elle-même... I la renvoie en con- séquence à celui de s'amie, en qui seule elle pourrait le blesser ! Voilà un trait earactéris- tique ; l'aptitude de Ronsard au genre lyrique pourrait, ce nous semble, étre jugée sur ce seul échantilion. On a eu fréquemment otcasion de remar- quer dans les compositions lyriques de Ron- sari un abus de la mythologie antique, qui y . . . . 2 » : , s. va souvent jusqu'au ridicule ou à l'absurde ; SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 203 cé défaut ne nous parait nulle part plus cho- quant que dans les deux exemples ci-après : 1. Ode à Phæbus (7°. du liv. V).-- Charles 1X est tombé malade; l’auteur appelle Phæbus pour le guérir ; si le Dieu exauce sa demande, il l'en récompensera en éloges poétiques ; s’il la rejette , ils’en vengera par des diffamations; et de peur qu'il n’en doute, il lui dit d'avance ce qu'il se propose de divulguer, le cas échéant. 2. Prophétie du Dieu de la Charente (ode 6e du livre IT). — Ronsard veut prophétiser la prochaine défaite des Cadvinistes révoltés; c’est dans la bouche d’un Dieu fleuve qu'il place sa prophétie, et c’est sous les auspices de #ars et du Destin qu'il fait marcher les héros Ca- tholiques , par qui le parti déit être abattu. La divagation et l'abus des digressions hors de toute raison et de toute mesure, sont eu général les deux grands moyens d'invention de Ronsard dans ses sujets solennels ; il a cru par là imiter la manière de Pindare, dont il a blämé ailleurs l'obscurité fäcleuse; on pourra remarquer surtout, sous ce double rapport, les odes: 1"°. du livre, au roi Æenri 11, sur la paix conclue avec l{ngleterre 37°. idem, au seigneur de Carnavalet ; 10°. idem, au Chan- ceher de l’'Hosp'tal; 21°. , livre HI, -snr l’aven- ture de Léa , etc. 20/ FRAGMENS D'ÉTUDFS Ces défauts, comme presque tous ceux de Ronsard dans le genre , tiennent à la fausse idée qu’il s’est faite du bnt et des moyens de son art ; onsard , ïl faut le redire encore, n’a cherché le rarurel en rien dans la poésie: il n'en a apparemment senti ni la présence dans ses modèles, ni l'absence dans ses propres compositions. Il semble surtout avoir pensé que ce qui est beaw ou ingénieux quelque part , doit être tenu pour tel partout, indé- pendamment de tout rapport d'emploi, d’assor- timent et d’à-propos ; de là la bizarrerie et l’in- cohérence des plans , les disparates et le défaut de proportion des parties , l'effet faux de tant de détails, etc., etc. Que tout cela ait été admiré dans le temps sur la foi de quelques éradits qui, dépourvus de goût personnel , et dupes d’une apparence trompeuse , crurent y reconnaitre limitation fidèle des anciens, c’est une erreur qui a dû disparaître avec l'illusion qui l'avait produite ; les anciens ont peint la nature , ils ont exprimé des sentimens réels, et l'ont fait avec vérité et convenance: c’est en cela surtout qu’il fallait les imiter. Ne copier que des formes, et les copier comme l’a fait Ron+ard, ce n'est que parodier et travestir ; loin d'y avoir aucun SUR LES POËTFS FRANÇAIS. 205 mérite à cela, on ne peut y trouver, au con- traire, que barbarie et ridicule; rien n’est beau que le vrai: les chants d’un pâtre sauvage, inspiré par un sentiment réel, valent mille fois mieux que ces pastiches d’érudition classique où l'on cherche en vain quelque chose qui ressemble à une impression ; c'est là, c'est tou- jours là ce qui manque à Ronsard; Marie Stuart , qui l'appelait F/pollon de la source des Muses, ne se doutait pas que dans ses mon- tagnes d'£cosse, le dernier de ses Bardes , peut-être , lui était de beaucoup supérieur en ce point. À Il reste à dire qu'après tout, tant de produc- tions de formes si diverses, sur tant de sujets . -différens, ne laissent pas de prouver dans Ronsard une abondance d'idées propres ou acquises, et une entente générale du technique de la poésie , assez peu commune jusqu'alors , et qu'au milieu de ce fatras d’imitations, dans lesquelles son goût a dû s’égarer, on ne peut juger sûrement de ce qu'il'eüt pu faire, s’il n’eût consulté que ses inspirations personnelles ; l'apologie, réduite à ces termes , n'a plus rien qui nous paraisse valoir la peine d’être con- testé. Ce qu'on a vu de l'élocution de Aonsard 206 FRAGMENS D'ÉTUDES dans un grand nombre d'articles de détails nous laisse peu de chose à dire sur ce sujet. Forcée dans toutes les nuances, c’est dans le ton solennel que sa diction prend surtout le caractère le plus étrange ; l’inconvenance des images , des figures et du ton y est perpétuelle, et suffirait, à défaut de toute autre preuve, pour accuser en lui ce dont il est bien atteint et convaincu d'avance, le manque de goût le plus absolu. Le reproche si répété de néologisme rentre dans cet article, où il n’est toujours à nos yeux que d'une importance secondaire. Ronsard n'est ni le premier ni le dernier de nos écrivains, qui ait employé ce moyen d'er- richir notre langue; et en cela il n’a fait qu’imi- ter un exemple donné par les coryphées de la littérature italienne ; le mal est moins dans la chose, ou même dans l'abus fréquent, que dans l’usage maladroit qu'il en a fait. Si Æon- sard se fût attaché à donner à ses #20ts de fa- brique un caractère plus noble et des formes plus gracieuses , il n’est pas douteux qu'ils ne se fussent naturalisés, au moins en grand nombre ; mais comment imaginer qu'il eût su créer des mots avecintelligence, lui qui, dans les termes reçus de la langue , n'a jamais songé à faire aucune distinction entre ceux qui sont SUR LES POÈTES FRANÇAIS. 207 nobles et ceux qui ne le sont pas ? Ici, comme ailleurs encore, c’est le bon sens et le bon goût qui lui ont manqué. Quant à la chose , considérée absolument , nous répéterons encore qu'elle ne nous semble pas mériter tout le bruit qu'on en fait; la manie de créer des mots sans nécessité, dans une Jangue a peu près faite, est un travers tres-choquant en soi; mais de tous, les défauts de Ronsard, c'est, après tout, celui pour lequel nous inclinerions le plus volontiers à l’indul- gence; le langage n’est qu'une forme ; celui de Ronsard nous fût-il plus étranger encore, qu'importe, s'ilnefallaitquetraduireses œuvres, pour y trouver de la beauté où seulement de la raison ? Tout jugement sur Ronsard, considéré comme lyrique, nous semble devoir se résu- mer dans ces conclusions : Qu'il n'a compris ni l’objet ni les moyens de son art ; "Que de toutes les dispositions que suppose du à pratique du genre, il n’a véritablement pos- 4 sédé que de l'abondance , de la faconde , un riche fonds d'idées d'emprunt, et beaucoup de grosse industrie de métier , — manquant d'ailleurs essentiellement et absolument de 208 FRAGMENS D'ÉTUDES verve propre, d'élévation, de naturel , de ju- gement et de goût; :. Qu'il n’a conçu la poésie que comme un art de pure convention, et ne l'a traitée aussi que d'une manière toute factice, sans paraître se douter qu’elle n'existe, et ne se fait sentir et reconnaître , que là où elle se manifeste comme effet spontané et irréfléchi de l'inspiration. De toutes ses productions d'intention lr- rique , outre l'Ode Pastorale , et les trois ou quatre sonnets choisis, nous ne verrions guère à citer, comme atteignant à peu près leur objet, Qu'une dure invective , dite Prière à Dieu, contre les Calvinistes révoltés (1560) : Donne, Seigneur, que nostre ennemi vienne Mesurer, mort, les rives de la Wienne Et que sanglant, de mille coups percé , Dessus la poudre il tombe renVETEE ;, Auprès des siens, au milieu de la guerre , Et de ses dents mordillonne la terre !.…. Etc... Puis la touchante Ælégie , sur la destruc- tion d'une forêt : Quiconque aura premier sa main embesoignée À te couper, forêt, d’une dure coignée , Qu'il puisse s’enferrer de son propre bâton , Et sente en l’estomach la faim d’Erisichton !.….. SUR LES POËÊTES FRANÇAIS. 209 Puis l'ode mélancolique sur le choix de son tombeau (qu'il appelle Election de son sé. pulchre) : Anitres , et vous , Fontaines De ces roches hautaines Qui tombez contre-bas , D'un glissant pas, Etc... : Puis enfin, peut-être encore , mais tout au plus, quatre ou cinq petites pièces badines, entre lesquelles — d’abord lOdelette (trop louée ), à sa maitresse : Mignonne , allons voir si la rose; Etcrses — Ensuite, le salut aux Hirondelles , etc. : Dieu vous gard’, messagers fidèles Du printemps ,..…. Etc... — Et encore, l'Amour à l’école (imitée de Bion): La belle Vénus un jour M'amena son fils, l'Amour... Etc... 14 410 FRAGMENS D'ÉTUDFS. Ce sont dix à douze morceaux à remarquer dans la foule; nous ne pouvons qu'y ren- voyer nos lecteurs. Au reste, une chose que nous ne concevons pas, c’est que, telque s’est fait Ronsard, notre Nouvelle Ecole poétique ; telle aussi qu’elle est, et que nous la connaissons , se soit avisée de le prendre pour un des objets de son culte. — Le fait est que, s’il existe un trait de caractère qui distingue surtout cet écrivain , c'est de ne se produire que comme copiste perpétuel des anciens; c’est d'avoir poussé au dernier terme de l'abus , l’unitation de leurs productions, à peine essayée avant lui ; c'est d’être vraiment et incontestablement, sous ce rapport , le prin- cipal coryphée, nous dirions presque le pre- mier père, de ce qu'on a depuis quelque temps appelé le classicisme. Est-ce donc que ceux qui le présentent à nos hommages ne s’en seraient pas aperçus ? DE L'IMITATION EN LITTÉRATURES. PAR M.BERTRAND, Professeur à La faculté des Lettres DE L'ACADÉMIE ROYALE DE CAEN, DE LIMITATION EN LITTÉRATURE. Lorsque la littérature d’unipeuple a excité par ses chefs-d’œuvre l’admiration d’un autre peuple , l'imagination, frappée de ces beautés jusqu'alors. inconnues , s'en empare avec en- thousiasme ; elle se plait à reproduire ce qui l’a charmée , et les succès qui couronnent les pro- ductions des imitateurs , aiguillonnent encore l'instinct qui pousse à des imitations nouvelles. Si le peuple qui reçoit ainsi des créations exo- tiques, est privé lui-même de productions indi- gènes , assez importantes pour imprimer un caractère national à sa littérature, il s’atttache à ces types étrangers; il s’habitue à les regarder comme des types. inaltérables de beauté; et ceux qui, parmi ses écrivains, s'occupent les premiers de théorie, secondent par l'autorité des préceptes le mouvement qui entraine les 214 DE L'IMITATION esprits dans les routes frayées. Le poète aura- t-il à chanter les triomphes, ou les malheurs, ou les grands hommes de sa patrie ? C’est par des pensées, des sentiméns, des formes de lan- gage empruntées à d’autres temps et à d’autres mœurs, qu'il croira donner de la dignité aux objets de ses chants : les idées modernes lui sembleraient trop vulgaires. Voudra-t-il expri- mer ces affections particulières, individuelles, qui peuvent trouver de la sympathie chez les autres hommes? Les modeles qu’il a choisis lui fourniront encore les pensées et les images qui lui semblent devoir être à jamais insépa- rables dela vraie poésie. En un mot, l'imagina- tion n'aura plus guère à signaler sa puissance que par des combinaisons nouvelles de maté- riaux déjà tant de fois misen œuvre. Et, plus il y aura de beautés frappantes, in- contestables pour tous les hommes d’un juge- ment sain et d’une âme sensible, dans cette littérature en possession de l'empire, moins il yaura de chances qu’on cesse de la révérer comme modèle. Même lorsque le peuple imita- teur aurait enfin dans son sein tous les éléments de richesse pour une littérature nationale, les génies qu'il voit naître suivent la carrière qui s’est offerte à eux d’abord, ou sans songer à EN LITTÉRATURE. 215 s'ouvrir d’autres voies, ou sans oser se confier à leurs propres aîles ; ou bien encore; si quel- qu'un se hasarde à prendre son essor, les chütes qui suivent assez ordinairement les pre- miers essais, soit parce qu’ils ont contre eux les préjugés reçus, soit parce qu’ils sont tentés par des esprits plus aventureux que sages, rendent plus timides dans leurs tentatives d'innovation ceux qui, tout en admirant les chefs-d’œuvre d’une nation qui n’est plus, votlraient néanmoins de l'originalité dans la littérature d’un pays et d’un siècle qui ne res- semblent à aucun siècle ni à aucun pays. C’est ainsi que parfois l’affluence de trésors. étrangers a fait négliger les ressources d’un sol fertile, ou que des emprunts trop facilement ouverts ruinent la maison où ils ont fait briller quelque temps le luxe de l’opulence. Tel à été le destin de la plupart des littéra- tures de l'Europe. Il n’y en a guère chez les- quelles limitation de productions antérieures n'ait altéré le caractère national, avant même, pour ainsi dire, qu'il eût pris une physiono- mie décidée; tellement que ce mot si souvent répété dans notre siècle comme un axiôme général , que la littérature est l'expression de la société, est quelque chose de bien contes- 216 DE L'IMITATION table, si l'on en fait l'application à nos litté- ratures occidentales , y compris même celle des Romains. On sait que les Romains, pour lesquels la languegrecque était la langue classique, comme l'est maintenant pour nous la leur, et qui n’a- vaient pas encore de littérature quand ils com- mencèrent à connaître les chefs-d'œuvre épi- ques, lyriques et dramatiques des Grecs, s’en- gagèrent dès l’abord dans cette voie d'imitation, et qu'ils n’ont pas cessé de tenir les yeux fixés sur leurs modèles. S'il est vrai que Virgile nedut pas tout son génie à Homère, il nel’est pas moins que son poème épique rappelle à tout moment les épopées du poète grec. Les événemens chantés dans l'Enéide se lient tout aussi natu- rellement, parfois même bien plus naturelle- ment, à l’histoire de la Grèce qu’à celle de l'Italie : les personnages n’y sont guère moins grecs qu'Achille et le roi d'Ithaque : ce qu'il y avait de vraiment national pour les Romains n’y apparaît que par instans, et forme si peu l’es- sence de la composition, qu’on pourrait le plus souvent le faire disparaître, sans altérer l'or- donnance générale : et quand nous avons lu le poème latin, ce sont les anciens héros de la Grèce, bien plus que les vieux guerriers du EN LITTÉRATURE. 217 Latium dont l’image est restée empreinte dans notre pensée. Ce que nous connaissons du théâtre de Rome nous présente une telle imita- tion de celui d'Athènes, que l’on pourrait sou- tenir avec raison que les Latins n'avaient point eux-mêmes de théâtre : et quant au genre Iyri- que, dont la nature est de nous offrir l’expres- sion la plus vive et la plus fidèle des affections actuelles de l'âme, nous trouvons dans les poésies d’Horace, à côté de quelques odes vé- ritables qui pouvaient se chanter dans les solen- nités publiques et au milieu des festins, un grand nombre de pièces qui, ainsi que la plu- part des compositions décorées chez nous du même nom, n'ont rien de lyrique, sinon la symétrie du rhythme, caractère matériel de ce genre de poésie, mais aussi le plus frappant comme le plus facilement imitable, pour celui qui ne voit plus que des monuments écrits dans. les odes d’Alcée et de Sappho. Et nous, peuples modernes, dont la langue et la littérature se sont formées sous la double influence des Grecs et des Romains, pouvons- nous nous flatter que nos monuments littéraires portent une expression assez pure de tout mélañge étranger, pour offrir une image fidèle de notre société et de nos mœurs? Ne voit-on 218 DE L'IMITATION pas au conträire dans presque tous nos écrits,si l’on excepte la littérature contemporaine , le réflet des monuments de la Grèce et de Rome ? De l'introduction des:idées et des images an- tiques, lorsqu'il s'agissait pour nos poètes de traiter des sujets modernes, et, lorsqu'il s'exer- çaient sur des matières prises dans l'antiquité, de l'influence nécessaire des idées et des mœurs au milieu desquelles se passait leur vie réelle, n'est-il pas résulté le plus souventun ensemble incertain, indécis, qui n’est la peinture ni des tempsanciens,nidestemps modernes,nid’aucun temps, ni d’aueun peuple ? De là, n’a-t-on pas vu des Achilles et des Césars façonnés d’après les opinions et les sentimens reçus parmi nous, et, par un assez juste retour, nos rois et nos guer- riers métamorphosésen Césars et en Achilles ? En un mot, avons-nous un ensemble de litté- rature où nos descendans puissent nous recon- naiître un jour ? où nous puissions nous recon- naître nous-mêmes ? Et cette disette de quelque chose qui soit véritablement nous et à nous, où faut-il en chercher la cause sinon dans l’ad- miration excitée par les productions antiques, à une époque où la France, par exemple, n'a- vait rien encore qui püt rivaliser avec elles, et à cette imitation, bientôt systématique, des EN LITTÉRATURE. 219 formes de toute nature qui rappelaient sans cesse et Rome et la Grèce ? Le X Vire. siècle, qui, de tous ceux de notre histoire, vit le mouvement le plus grand et le plus rapide imprimé à notre littérature, et que l’on regarde généralement comme le plus digne de la reconnaissance des lettres françaises, le XVI®e, siècle est pourtant celui qui, en faisant jouir nos pères de nouvelles richesses , a Le plus contribué à déshériter leurs enfans d’une litté- rature où ils retrouvassent la patrie. Nos poètes, frappés du contraste, trop au désavantage de leurs contemporains, sousle rapport poétique, qu'offraient les idées , les croyances religieuses, les mœurs, en un mot, tout ce qui les entou- rait, avec l’antiquité si élégante, si noble, si belle, dédaignèrent bientôt un champ qui leur semblait trop aride, pour s’élancer dans des régions où l'imagination trouvait à peu de frais d’inépuisables ressources. Mais dès lors fut interrompue la marche, bien lente à la vérité, mais enfin naturelle, de la littérature française. Ce fut pour la poésie une littérature nouvelle qui prit sa place, littérature de convention, qui n'avait plus sa source dans le besoin d’ex- primer des sentimens vrais, capables d’exciter la sympathie des autres hommes, et qui, pui- 220 DE LIMITATION sant'ses inspirations dans le cabinet, au milieu des chefs-d’œuvre antiques, ne s’adressait plus qu’auxlettrés, dont les habitudes d’idéess’étaient formées au milieu des mêmes chefs-d'œuvre. Et depuis cette époque jusqu’à ces derniers temps, n'est-ce pas ainsi qu'ont procédé pres- que tous nos poètes ? Est-il donc étonnant que l'expression de la vie nationale soit si peu sen- sible dans leurs ouvrages, et que, pour les com- prendre, l’histoire et la mythologie grecque soient bien plus indispensables que les croyan- ces de nos pères et notre propre histoire ? Mais, si tels sont les tristes effets qu'a pro- duits limitation des grands poètes del’antiquité, faudrait-il en conclure que mieux eût valu pour nous les avoir toujours ignorés , et que le pre- mier soin de ceux qui voudraient ramener à la vérité notre littérature, devrait être d’éteindre, autant qu'il esten eux;,ces lumières dangereuses, qui ne semblent briller d’un si vif éclat que pour mieux égarer leurs admirateurs ? Mais, d’un autre côté, comment concevoir que la vue de la beauté dûüt rendre eelui qui la contemple plus impuissant à la produire? Comment ne pas admettre au contraire, en y réfléchissant, aussi bien qu’en jugeant par ins- tinct, que le génie doit s’allumer plus vif et PT 27e. EN LITTÉRATURE. 291 plus pur'au feu du génie ? Si les chefs-d'œuvre de la statuaire et de la peinture ont souvent ins- piré les poètes; si, plus souvent encore;la lecture des poètes a conduit avec tant de bonheur la main des peintres et des statuaires; et si, dans le même art, les David se forment dans l'étude des Raphaël ; par quelle fatalité malheu- reuseles chants des Homère et des Pindare faus- seraient-ils la voix des poëtes ? Avant de pros- crire les chefs-d’œuvredes anciens de toute na- tion moderne qui voudrait avoir une littérature nationale, ne conviendrait-il pas d’exami- ner d'abord si les inconvéniens que nous avons signalés ne tiennent pas à des causes qui se cachent sous le terme général d’imi- tation; s’il n’y aurait pas une imitation d’un autre genre que celle qui porte avec elle le faux ou la stérilité? Car pourrait-on aupas ravant se résoudre au sacrifice de tant de richesses,dont l’absence nous condamnerait à la privation de jouissances délicieuses et sans cesse renaissantes , en même temps qu'elle laisserait un vide immense daus la littérature ? Lorsqu'un jeune homme, qui avait senti battre son cœur d'artiste dans l'atelier d’un maitre de l’art, a suivi long-temps dans ses opé- rations le pinceau créateur, et qu'il veut mériter 292 DE L'IMITATION à son tour l'admiration des hommes, le voit-on, sans cesse préoccupé de réminiscences, sans cesse reportant ses yeux sur les travaux du mai- tre, s'attacher à ne reproduire que des traits, des nuances, des attitudes qui rappellent tout-à-la- foisle ton, la manière et les sujets des modèles ? ‘Et si le maître n’a traité que des sujets Grecs ou Romains, par exemple, n’aura-t-il que des casques, des boucliers, des javelots et des lances pour armer les soldats de Marengo ? Pour expri- mer le Christ mourant, sera-ce Socrate buvant la ciguë ou Caton se dérobant à l'esclavage ? N’aura-t-il vu chez l’homme de génie que l’art de fondre des couleurs ou de rendre des formes ? Imitateur-copiste, en vain il aurait long-temps pâli sur la toile : on pourrait vanter sa fidélité scrupuleuse et son coloris; mais il devrait re- noncer à ses rêves flatteurs d’immortalité. Il aurait le sort du grand nombre de nos poètes, dontle nom ne s’entendra plus, quand ceux dont ils croyaient imiter les beautés vivront encore dans les siècles futurs. Mais non : le digne élève des Raphaël verra autre chose que des formes dans ce qui frappe ses regards.Ce qui n’est qu’ombres et couleurs pour le vulgaire, ne sera pour lui que l’expres- sion des qualités et des affections de l'âme; et EN LITTÉRAYURE, a23 ces qualités et ces affections subissant des mo- difications infinies, selon les caractères qu'il voudra faire vivre sur la toile; et ces caractères eux-mêmes devenant individuels et soumis à toutes les influences qui agissent sur l’homme moral et l’homme physique, ce n’est plus le seul travail de la main et des yeux que l'élève de génie saura saisir dans son maître : ce sont les opérations de sa pensée; ce sont les élans de son âme; c’est cette puissance intérieure qui dirige et ses yeux etsa main : en un mot, il n’imitera pas les productions, les œuvres mêmes de Raphaël, si sublimes qu'on les suppose ; il res- terait perdu dans la sphère de son maître ; mais eserainitié à ses procédés, à ses moyens uni- produire la beauté sous quelque ju'elle doive apparaître; et, dans son PAU il pourra créer à son tour le oi à donnera naïssance à des litté- ratures semblables à celle des Romains, à la nû L à bien d’autres littératures. Et si l’on tions qui ne remueront jamais fortement les âmes , des ouvrages capables d’exciter l’admira- tion des contemporains et de passer avec hon- 224 DE L'IMITATION neur à la postérité , c'est qu'il y aura un Racine, doué à une assez haut point des qualités qui constituent levrai poëte,pour enfanter labeauté, malgré le vice de sa méthode, malgré les beaux esprits de son siècle, auxquels il devra peut: être demander grâce pour ses chefs-d'œuvre. Cependant , quel que soit son génie, ce Racine ne pourra vaincre entièrement tous les inconvé- niens attachés à son système de composition : il honorera sa patrie, mais il ne sera pas le poète de sa patrie. Si donc le poète veut se former à école des grands poètes d’autres siècles et d’autres con A trées, de manière à produire à son tour les mêmes effets dans un siècle différent, au milieu # pays, qu'il imite comme l’artiste de génie veut égaler son maitre; qu’il dédaigne la « e des formes; qu'il les regarde comme.des mon: naies de convention, sans valeur intri qui, pour être utiles à celui qui N. doivent être reconnues, et qui n ‘empécherai pas l'étranger d'éprouver toutes les privations de l’indigence, s'il ne trouvait çà et là des courtiers et des changeurs ; qu’il n'oublie { EN LITTÉRATURE. 22 pas que ses concitoyens ne sont pas tous cour- tiersetchangeurs;etque le vrai poètenes’adresse pas seulement à quelques hommes qui connais- sent les valeurs étrangères, maisqu'il parle à l’i- magination et à la sensibilité de tous,etqu'il doit être compris de tous pour exciter dans leurs âmes ces émotions que sait y faire naître le vrai poète. Encore une fois, qu’il dédaigne la copie des fornies ;;qui changent avec les temps et les lieux; qu'il s'attache plutôt à reconnaître quels sont les génies qui ont su produire les plus puissants effets, et quels ont été les procédés suivis par eux pour émouvoir, pour exalter les hommes, procédés qui, étant fondés sur lor- ganisation générale et constante de l’âme hu- maine , resteront applicables, malgré les diffé- . rences de mœurs, de religion, de patrie, par- tout où le poète retrouvera des hommes doués d'imagination et de sensibilité. . Ainsi, ce n’est pas toute espèce d'imitation que nous proscrivons de la littérature; ce n’est que cette imitation qui détruit dans l’auteur le caractère original, et qui ne donne au pays qu'une littérature factice, richesse d'emprunt souvent plus près de la pauvreté que la médio- crité elle-même. Nous disons : voyez quels ont été les plus 15 À 1 ël 226 DE LIMITATION grands poètes connus des hommes, et cherchez la raison de leur supériorité parmi les poëtes, et si vous trouvez encore en eux, au plus haut point, avec une supériorité incontestable, le caractère d'originalité et de nationalité, imitez- les dans les procédés qui les ont rendus à la fois et les plus originaux, etles plus nationaux, et les plus grands des poètes. Ces heureux génies que le sentiment de tous les siècles civilisés a placés aux premiers rangs, pouravoir offert dans leurs compositions tous les genres de beauté, ce sont les Grecs; les Grecs, que les uns invoquent comme leurs patrons, tandis que rien ne condamne plus que l’exem- ple des Grecs leur système d'imitation servile ; les Grecs, que les autres accusent comme les causes premières du défaut de couleur locale dans toutes nos littératures, tandis qu’en sui- vant les mêmes procédés que les Grecs, les mo- dernes eussent fait de la nationalité le caractère le plus saillant de leurs littératures. Chose eton- nante que les Grecs puissent être également opposés à leurs amis età leurs adversaires : aux premiers, parce que, s'ils les ont imités, ce n’est pas dans ce qu'ils avaient pour eux de plus imitable ; aux autres, parce que la raison pour laquelle ils voudraient qu'on les en déli- EN LITTÉRATURE. 227 vrât, est précisément celle qui leur ferait trou- ver dans les Grecs, pour’ leurs théories, les plus puissans auxiliaires | Or, comment procédaient les Grecs lorsqu'ils se sont élevés à cette perfection que nous admi- rons dans leurs chefs-d'œuvre? Certes, s'ils sont parvenus à ce degré d’excellence, ce n’est pas en enchainant leur génie; ce n’est pas en copiant servilement la littérature d’autres peuples ; ce n’est pas en choisissant de préfé- rence pour objet de leurs compositions , des personnages, des idées, des sentimens qui n'avaient rien de commun avec eux-mêmes, ni en s’assujettissant à telle ou telle combinaison invariable pour la disposition des parties et tout ce qui tient à Ja forme de l'expression. Homère adorait, comme la foule qui lécoutait avec avidité , les dieux qu'il invoque et qu'il fait agir dans ses poèmes : ses héros étaient les héros de la Grèce : ils excitaient l'enthousiasme de la Grèce: les chants où ils étaient eélébrés étaient l’histoire la plus intéressante de la Grèce. Lorsque Tyrtée appelle les citoyens aux combats, lorsque Alcée exhale sa haine pour la tyrannie et qu’il parle de patrie et de liberté, ce sont les fiers républicains de la Grèce péné- trés des sentimens qu'ils expriment, et s’adres- sant à un peuple idolätre du sol sacré de la CM 228 DE L'IMITATION patrie, avide de gloire et bravant le trépas avec transport pour conserver sa liberté. Sappho ne se proposait pas dans ses vers limitation de quelque poète qui eut vécu deux ou trois mille ans avant elle, quand la passion s'exprime par sa bouche avec une si brülante énergie. Si Pindare nous offre dans ses chants lyriques des strophes qui se succèdent avec symétrie, il cherchait autre chose que cette symétrie elle- même ; la musique et la danse étaient là pour prèter au poète leurs secours et le dédommager au centuple de la contrainte à laquelle il voulait bien se soumettre pour elles. Dansles composi- tions d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, les Grecs retrouvaient encore leurs héros et leurs dieux; c’étaient les drames les plus fa- meux de leur propre histoire : c’étaient ces mêmes événemens qui formaient leurs tradi- tions les plus pathétiques, et qui, à l'intérêt qu'inspirent chez tous les peuples les grandes infortunes, réunissaient encore pour eux les intérêts puissans de religion et de patrie. Vous donc ‘qui voulez, non pas seulement amuser les esprits par des fictions ingénieuses, mais ébranler tour-à-tour toutes les cordes de l’âme, faites ce qu'ont fait les Grecs. S'il s’agit pour vous de parler comme interprète de tout un peuple et de produire les plus sublimes EN LITTÉRATURE. 229 effets de la poésie, n'allez pas seulement cher- cher vos inspirations dans des veilles labo- rieuses, parmi les images des peuples qui ne sont que poussière : c'est au milieu de la foule qui vit et sepassionneautour de vous, que doit s’enflammer votre verve. C’est sur la place pu- blique , lorsque tous les cœurs palpitent aux . cris de liberté, qu'il faut apprendre à chanter, comme Alcée, l'amour de la liberté et la haine des tyrans. C’est sur le champ de bataille, dans tout l’enivrement de la victoire, comme Es- chyle à Salamine et à Marathon; ou, si vous n'avez pas l'honneur de braver la mort pour la patrie, c’est à l'aspect de la pompe triomphale qui accueille ses vengeurs, que vous trouverez des accens pour chanter la victoire. C’est quand la nation en deuil pleure sur ses braves qui ne sont plus, c’est quand les populations , après de longs jours de gloire, frémissent de courroux à la vue de l'étranger, qu'il faut vous inspirer, comune les poëtes de la Messénie, poux des chants de douleur et de vengeance. Faut-il, dans l’Epopée, faire naître l’admi- ration par le récit des hauts faits, où bien, sur la scène tragique, exciter la terreur et la pitié par la réprésentation des grandes infortunes ? Que l’on y retrouve aussi comme dans Homeïe et dans Sophocle, des actions et des malheurs 230 DE L'IMITATION qui rappellent la patrie; que les âmes s’exaltent aux nobles souvenirs des aieux; que le patrio- tisme et, pour ainsi dire, un intérêt de famille se joignent aux interêts communs d'humanité, pour rendre les scènes pathétiques plus tou- chantes encore. Et, lorsque dépouillant le caractère de poëte public, vous voudrez éveiller la sympathie des autres hommes par l'expression de vos senti- mens individuels, que les objets de vos chants, que les diverses situations de votre âme soient propres en effet à parler à l'imagination et à la sensibilité. Qu'il n’y ait pas seulement de la vérité dans vos peintures , que la nature phy- sique et la nature morale nous soient toujours offertes par vous sous leurs rapports vraiment intéressans, en vertu d'associations d'idées qui naissent chez tous sans effort : que rien d’indiffé- rent, surtout que rien de contraire aux effets dé- sirés ne vienne jamais troubler Pharmonie et altérer le caractère. Encore une fois, faites ce qu'ont fait les Grecs , telle est limitation féconde qui vous conduira dans la route du vrai beau; c’est ainsi que dans vos compo- sitions vous resterez vous-même contempo- rain de votre siècle , citoyen de votre pays, et que vous attacherez votre nom au monument de la littérature nationale, MILITAIRES es DE LA GUBRRE DB BELIGION EN NORMANDIE. Par A, Escher, CAPITAINE AU CORPS ROYAL D'ÉTAT MAJOR » etc. ; ROUE HET (} EN À ï » \ DEEE), ÿ MD de lo Put 4 41 er a dE * } : DEA 4 ni | 4 At) ANA 7 1 1 hi soyers le sep: PAU gi im: ER rot | LME: NT a. mn 4 de pipe me ais rasé x, de des af. vi one PER REP à ox4y broumat d ke PRCTITE Nr (AE . je Pnémen den A F AL f'en ca #4 ; 4 d Sa Le à % FENETRE 84 CR va patio nb ét JF Su d'u fats NERE ser à Ph Du false br, Hisnénaspe cest let, dits, hs Loc LE ; is bag il ent MERE ns IE CT D Ro4 L Abe sd ARRET TION PR STE yat lsrt ist éurée: LL CE rai he tres nétcle 4 ei to yen qd vite, L ah f IE cbr DB AT nt" vai te Le ni mA “bein rte ‘4 ”\ 10 RELATION HISTORIQUE LES ÉVÉNEMENS MILITAIRES DONT LA PROVINCE DE NORMANDIE A ÉTÉ LE THÉATRE, PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE DE RELIGION ( 1562 et 1563 ),PRÉCÉDÉE D'UN PRÉCIS DE L'ÉTABLIS- SEMENT DU CALVINISME EN FRANCE. * Souvenezevous, Sire ,que c'est une enclume qui a déjà usé bien des marteaux, (Paroles de Théodore de Béze à Antoine de Bourbon, Roï.de Navarre). a a — L'objet essentiel de ce mémoire, originaire- ment écrit pour le dépôt de la guerre, est de présenter un tableau complet et fidèle des opérations militaires dont la province de Nor- mandie, fut le théâtre durant la première guerre de religion { 1562 et 1563 ). Ce sujet est tout spécial et renfermé, com- me on le voit, dans des limites précises de temps et de lieu. Nous pourrions en conséquence l’aborder sans aucune préparation , et sans le rattacher 23/4 ÉVÉNEMENS MILITAIRES à aucune autre sorte d'événemens placés en- dehors de son cadre. ‘Cependant , comme les faits dont il se compose se rapportent eux-mêmes à des cau- ses d'intérêts. moraux, qui les ont amenés et n'ont cessé d'exercer sur leurs détails une influence marquée et prédominante,nous avons cru devoir remonter jusqu’à ces. mêmes cau- ses ;. et commencer par un exposé sommaire des. mouvemens des esprits, et des essais de révolution religieuse, qui se manifestèrent à cette époque ,.et finirent par se résoudre en guerre civile: Il nous semble que cette espèce d’introduc- tion jettera sur les détails du sujet une clarté d'ensemble, qu'il n’aurait peut-être pas aussi dd complètement sans cela. De cette façon , le recit des faits particuliers se trouvera comme expliqué d'avance , par le à n°2 EOTISS. rapport naturel qui les lie aux causes qui les produisirent ou les amenèrent. En cela nous pensons ne faire autre chose que nous conformer aux convenances les plus naturelles du sujet et des vues dans les- quelles nous avons dùü le concevoir et le traiter. EN NORMANDIE. 233 Les guerres sanglantes, les révolutions et les massacres dont l’établissement de la religion réformée a été le motif et plus souvent le prétexte, ont fait du seizième siècle une des périodes les plus remarquables de l’histoire de l'Europe. Les premières prédications de Luther avaient à peine provoqué les censures de Rome , que toutes les nations, suivant leur dif- férent génie, le caractère personnel et les passions de leurs chefs , ressentirent l'influence des nouvelles doctrines. Plusieurs membres du corps Germanique, regardant la réfor- ‘mation comme un frein capable d'arrêter les projets ambitieux de Charles Quint, qui ve- nait de réunir sur sa tête les couronnes d’Es- pagne et d'Allemagne, se déclarèrent en sa faveur, et des populations entières l’embras- sérent avec toute l’ardeur du fanatisme. Gus- tave Wasa en Suède, et Frédéric 1‘. en Dane- marc, profitant habilement de la disposition des peuples , protégèrent la nouvelle religion , pour augmenter les partisans de leur pouvoir encore récent et contesté par les évêques. En Prusse, le luthéranisme offrit à l'ambition du Grand-maitre de l’ordre Teutonique un moyen de secouer le joug de ses vœux et de rendre la couronne ducale héréditaire dans sa famille, La cupidité de Henri VII, excitée par les ri- chesses de l’église , non moins que son amour pour Anne de Boulen , détachérent l'Angleterre de l'église romaine. Les Pays-Bas, aigris par les hauteurs des ministres de Charles-Quint et de Philippe IL, révoltés par la crainte de l'inquisition et les sanglantes exécutions du duc d'Albe, embrassèrent les nouvelles croyances avec un empressement égal à la haine qu'ils portaient à leurs anciens oppresseurs. L’attrait de la nouveauté , de tous temps si puissant en France, la vivacité des esprits, leur penchant pour la satyre, auquel des abus véritables et le relâchement de la discipline du clergé ne fournissaient que trop d’alimens, y firent accueillir avec faveur les prédications L 236. ÉVENEMENS MILITAIRES de Luther. Sa doctrine compta dès les premiers temps un grand nombre de partisans dans le royaume. En vain les censures de la Sorbonne condamnèrent-elles les propositions du réfor- mateur, en vain le parlement par ses arrêts seconda-t-il le zèle des docteurs : Luther et ses adhérens défendirent leurs opinions dans de nouveaux écrits qui,par leur langage véhément et passionné , par leur forme satyrique et mor- dante, séduisirent beaucoup d’esprits et exal- térent les imaginations ; peut-être même est-il LA LIRE } de TVA de EN NORMANDIE. 237 exact de dire que l'éclat deces censures et de ces arrêts fut plus nuisible qu'utile à l'église catholique, en fixant l’attention du public sur des opinions qu'il aurait oubliées. Quoi qu'il en soit, le nombre des réformés augmenta progressivement en France parmi la noblesse, le clergé, etmême parmi le peuple. Une des conquêtes les plus importantes des novateurs, fut Marguerite d'Orléans, reine de Navarre et sœur de François If". « C'était, dit Brantôme, « une personne de très-grand esprit, tant de « son naturel que de son acquisitit. » Bien qu'elle n'ait jamais renoncé ouvertement à la foi catholique, elle employa constamment l'influence que lui donnaient à la cour et ses qualités personnelles et l'affection du Roi son frère, à protéger ceux qui avaient adopté les nouvelles croyances, soit qu’elle les parta- geàt réellement, soit qu'elle voulût par là se venger du Pape, qui avait privé de sa cou- ronne le père de son mari. En 1536, un nouveau réformateur, fran- çais de naissance, vint achever et consolider l’œuvre de Luther. Calvin publia à cette épo- que son /nstitution chrétienne. En simplifiant encore les dogmes, en dégageant la pratique de la nouvelle religion , de plusieurs rites 238 ÉVÉNEMENS MILITAIRES qu'il présenta comme inutiles et génans, il fixa toutes les incertitudes, et réunit tous les esprits autour de ce corps de doctrine; dés lors la réformation fit des progrès rapides dans tout le royaume. François I*", outré de l’audace des Sectaires, dont les écrits et les placards, répandus avec profusion, etaient pleins de blasphèmes con- tre les dogmes les plus chers aux catholiques, voyant croître et déborder, de tous côtés, le torrent qui menacait d’engloutir l'antique reli- gion et l’état lui-même, signala sa colère par les châtimens les plus sévères, mais ces rigueurs ne purent arrêter la séduction. Les novateurs, en continuant à/se multiplier jus- que sous le glaive des bourreaux , prouvérent que les persécutions sont impuissantes contre les révolutions morales, et leur fanatisme sem bla s’enflammer au feu même des büchers dres- sés pour les consumer. Ce fut à la sollicitation du président d'Oppède, homnie violent et san- guinaire, que François Ie", autorisa , en 1545, l'emploi des armes contre les Calvinistes. Alors eut lieu le massacre des Vaudois, en Provence, dont l'historien de Thou nous a transmis l'effroyable tableau. Vingt-deux villages furent brûlés et saccagés, et leurs habitans impitoya- ÆN NORMANDIE. 239 blement massacrés, sans distinction de sexe ni d'âge. Ces violences qui ternissent la gloire du monarque qui les permit,et vouent à l’exécra- tion le nom du magistrat qui y présida, loin d’affaiblir la nouvelle religion, lui donnèrent au contraire plus d’ardeur. Les sentimens des victimes s’insinuérent dans les cœurs, avec la compassion et l'admiration qu’excitait leur cou- rage. Aussi, dès l’année du massacre des Vau- dois, les Calvinistes qui, jusqu'alors, n’a- vaient osé s’assembler que pendant la nuit et dans des lieux écartés, commencérent à bra- ver publiquement la rigueur des lois et les recherches des magistrats. Une église réfor- mée s'établit dans la capitale ,et bientôt cet exemple fut suivi dans les principales villes du Royaume. Henri IT, aussi inexorable que son pére, continua le système de persécution de Fran- çois 1°"; les büchers se rallumerent avec plus de fureur à Paris, à Lyon, à Angers, à Bor- deaux , mais sans pouvoir empêcher les assem- blées Calvinistes. Sous prétexte de prendre l'air le soir, dans les beaux jours de l'été, ils se réunissaient en grandi ombre dans la prome- nade la plus fréquentée de la capitales, et y chantaient les psaumes de Marot. Le peuple 240 ÉVÉNEMENS MILITAIRES et la jeunesse de la cour, attirés par la nou- veauté de ce spectacle, et peut-être par la li- cence qui accompagne ordinairement les réu- nions nocturnes , vinrent en foule se mêler à leurs chants. On y vit Antoine de Bourbon, Roi de Navarre, et son épouse Jeanne d'Albert, héritière des opinions de Marguerite, sa mère. Les Catholiques avaient cependant toujours pour eux l'avantage du nombre et de la force matérielle. « Maïs celui des lettres, dit Le La- boureur, « était. du côté des religionnaires qui, « par cette raison, et par celle de la vie libertine « de plusieurs, et même des principaux du cler- « gé, firent glisser le poison de leur doctrine, « sous prétexte de réformation. » Dans les écrits que chaque jour voyait éclore, les nou- velles opinions paraissaient ornées de toutes les grâces du style, et égayées par des raïlleries délicates, des allusions malignes et des anec- dotes plaisantes ,qui noyaient dans le ridicule les apologies de leurs adversaires, dont le ton sérieux , au lieu de persuader, ne produisait que le dégoût et l'ennui. Peu à peu, le mal gagna tous les états: la cour, l’armée, les villes, les campagnes et même lés tribunaux se rem- plissaïent de partisans e la réformation. Mal- gré sa sévérité , Henri II se vit comme investi EN NORMANDIE. 241 de Calrinistes (1), convaincu désormais qu'ilne parviendrait à les exterminer dans ses états qu’en employant toutes .ses forces, il se hâta de signer avec l'Espagne, une paix désavan- tageuse, afin d’écraser de tout le poids de:sa puissance uresecte qui lui était odieuse. L’ar- restation d'Anne du Bourg et de quatre autres conseillers, qui eut lieu au sein même du Par- lement, fut le signal de ce redoublement de rigueur, Bientôt-les prisons se remplirent de réformés, la terreur:s’empara des: plus auda- cieux, tout céda devant la volonté du monar- que irrité, et la ruine de la nouvelle religion parut inévitable. Maître absolu dans son royau- me, en paix avec ses Voisins, ayant sur pied des forces nombreuses , Henri II aurait sans (1) Le Laboureur rapporte un fait qui prouve jusqu’à quel point les Calvinistes poussaient l’andace et la confiance en eux-mêmes. François d’Andelot, frère de l’Amiral de Coligny , et colonel de l’Infanterie Française , avait été signalé au roi comme partisan "de la religion de Calvin ; appelé en présence du monarque , et sommé d'exposer ses sentimens, « Sire » dit-il, quoiqu’averti de mesurer ses termes , « en matière de religion, je ne puis « user de déguisement ni tromper Dieu : disposez à votre gré de « ma vie, de mes biens et de mes charges; mais mon ame, « indépendante de tout autre souverain ; n’est soumise qu’au « Créateur de qui je l’ai reçue, et à qni seul je crois devoir obéir « dans les circonstances présentes, comme au maitre le plus puis- + sant ; en un mot, Sire, j'aime mieux mourir que d’aller à [a 16 « messe. » 2/2 ÉVEÈNEMENS MILITAIRES doute accompli son projet si la mort ne füt venue le surprendre. Le 25 juin 1559, Henri I, té F-128.4 un tournoi contre le Comte de Montgomisery;, capitaine de la garde Écossaise, fut blessé d’un coup de lance qui lui entra dans l'œil droit; il mourut le 10 Juillet suivant, laissant qua- tre fils en bas âge, une veuve avide de pou- voir, et une cour pleine de factions jalouses, toujours prêtes à en venir aux mains , au risque de bouleverser le royaume. Ce furent les intérêts rivaux de ces factions trop souvent mis aux prises, sous deux mino- rités tumulteuses qui, plus que le fanatisme religieux, enfantèrent par la suite tous les troubles. Quelle que füt Panimosité qui divisait les Catholiques et les Calvinistes, jamais leurs querelles n’eussent eu d'aussi déplorables ré- sultats, si les partis qui se disputaient le pou- voir, mal comprimés par la volitique artifi-, çieuse, mais sans énergie, de Catherine de Mé- dicis , ne. les eussent enrôkés sous leurs dra- peaux. Henri II n’avait pasencore rendu le dernier soupir , que déjà le Connétable Anne de Mont- morency, son favori et son ministre, prenait les mesures les plus actives pour conserver EN NORMANDIE. 243 sous le nouveau rèzne l'influence qu'il avait exercée sous l’ancien. Il écrivit aux princes du sang de venir à la cour: ses instances s’adres- saient principalement à Antoine de Bourbon, Roi de Navarre, le plus proche héritier du trône après les frères du Roï. De leur côté , les princes Lorrains , connus sous le nom de Gui- ses, ne négligèrent rien pour s'emparer de l'esprit du jeune et faible François If. Ce prince à peine âgé de seize ans , lorsqu'il succéda à son père, était marié à Marie Stuart, Reine d’Ecosse. Oncles de la jeune reine qui, par ses grâces touchantes,exerçcait un souverain empire sur lesprit de son époux, ils parvinrent aisé- ment à lui représenter le Connétable comme un vieillard dur et impérieux, et les princes du sang , surtout les Bourbons, comme des esprits remuans, auxquels il était dangereux de confier les rênes de l'état. Catherine de Médicis pouvait encore balancer leur crédit et traverser leurs desseins , mais ils surent la mettre dans leurs intérêts,en ménageant adroitement ses passions. Des mesures si bien concertées devaient réussir, êt François s’abandonna à leur direction. Les princes Lorrains , malgré de grands défauts, possédaient l’un et l'autre des qualités qui justi- fiaient en quelque sorte la confiance du mo- 2/4 ÉVÉNEMENS MILITAIRES narque. Charles, Cardinal de Lorraine, était naturellement haut et impérieux. « En sa pros- « périté , dit Brantôme , il était fort insolent et « aveuglé, ne regardant guère les personnes, et « n'en faisait cas. » Savant , éloquent, il aimait les lettres et ceux qui les cultivaient. Zélé pour l'honneur de l'église , il savait cacher sous un maintien grave et imposant ce qui manquait de régularité à ses mœurs. Il était homme d'état, fia politique et habile négociateur. François de Lorraine, Duc de Guise, avait montré dès son enfance un caractère inquiet, ambitieux et tur- bulent , ce qui fit dire un jour à Marguerite de Valois, encore enfant, qui s'en plaignait à Henri IT, son père : « Il ne peut durer en pa- « tience, qu'il ne fasse toujours du mal à quel- « qu'un... Il veut toujours être le maître. » Doué d'avantages corporels peu communs, il plaisait généralement par ses manières franches et loyales. La belle défense de Metz , assiégé par Charles-Quint en personne, à la tête de toute son armée , la prise de Thionville et de Calais lui avait acquis de bonne heure une haute renommée militaire, et les Français le regardaient comme un guerrier accompli. Fier sans dédain , populaire sans bassesse, sa bonne mine et son adresse le distinguaient entre tous , EN NORMANDIE. 245 Jes courtisans. À ces qualités brillantes il joi- gnait les vertus d’un honnête homme: l’affabi- lité, la franchise, la générosité et un attache - ment sincère à ses amis. Mais aussi malheur à quiconque se déclarait son ennemi: il le pour- suivait sans relâche. Différent néanmoins, en cela , du Cardinal, sonfrère, qui: portait la ven- geance jusqu'aux dernières extrémités, il ne pa- raissait ambitionner la victoire que pour ie plaisir de pardonner. Tous deux n'épargnèrent ui peines ni profusions pour se procurer des partisans. Disposant à leur gré de toutes les fa- veurs de la couronne , ils dépouillèrent plu- sieurs des hommes les plus considérables du royaume, des grandes charges dont ils étaient investis , Soit pour les retenir pour eux-mêmes, soit pour en gratifier leurs créatures. Ces injus- tices et quelques actes de hauteur et de dureté du Cardinalaigrirentles esprits. Gondéet La Roche- sur-Yon, princes du sang , furent envoyés en Espagne avec des missions honorables, mais qui n'étaient en réalité que des prétextes pour les éloigner de la cour.Le Connétable de Montmo- rency et le Roi de Navarre après plusieurs ten- tatives infructueuses, pour remplacer les Guises dans la confiance du Roi, s'étaient retirés blessés et mécontens. Ceux ci,débarrassés de ces rivaux 246 ÉVÉNEMENS MILITAIRES incommodes, s’occupérent de consolider leur puissance. Les persécutions contre les Calvi- nistes , ralenties un moment , recommencerent avec une nouvelle rigueur. Le procès intenté aux cinq conseillers arrêtés par ordre du feu Roi, fut repris avecactivité, et se termina parle supplice d'Anne Dubourg. Mais déjà la terreur qu'avaient inspirée les dernières mesures de Henri IT, s'était affaiblie, et le parti des réfor- més , fortifié de toutes les animosités soulevées contre les Guises , avait repris son audace. L’attentat commis à cette époque sur ia per- sonne du président Mignard en fournit la preuve: Ce magistrat qui s'était obstiné à siéger parmi les juges de Dubourg, bien que celui-ci l’eüt sommé à plusieurs reprises de se récuser, fut assassiné en pleine rue, en revenant du pa- lais. Depuis ce moment, l'opinion publique s’accoutuma à mêler la religion aux affaires po- litiques. Les mécontens, dans leurs écrits, mirent au nombre de leurs griefs lintolérance du gouvernement contre les Calvinistes. Les apologistes des Guises vantaient , au contraire, leur zèle contre la nouvelle religion,pour mieux enflammer celui desCatholiques en leur faveur. Ces derniers voyant les Guises attaqués, crurent qu'ils ne l’étaient qu’en haine de la religion , EN NORMANDIE. +47 tandis que les Calvinistes ne virent dansles mé- contens que des homimes qui sé dévouaient pour les sauver de la persécution. Parmi les ennemis les plus irréconciliables des Guises , étaient les Châtillons. I’ainé, plus connu sous le nom de l’Amiral de Coligny, était un de ces hommes fortement trempés qui, dans les troubles civils, ne peuvent manquer d'ac- quérir une grande influence : esprit raide ; in- flexible , que les difficultés animaient au lieu de l’abattre. Ses frèrès ,d’Andelot et le Cardinal de Châtillon ;évêquede Beauvais ; étaient l’un et l’autre bien capables de le seconder, le pre- mier par ses talens militaires et sa rare intré- pidité, et le second par les ressources de son esprit fin et délié , ses maniéres insinuantes et son habilité dans les négociations politiques. Toustrois avaient adopté les nouvelles opinions religieuses , et leurs capacités ; leur bonne in- telligence, leurs alliances , leurs charges et l'étendue de leurs correspondances rendirent bientôt formidable le parti qu'ils formérent dans l'état. S'étant identifiés avec les Calvi- nistes , dont ils se déclarèrent les protecteurs, ils surent gagner à leur cause le. prinee de Condé, frère du Roi de Navarre, qui suppor- taitimpatiemment lés hauteurs insultantes des 248 ÉVÉNEMENS MILITAIRES princes Lorrains, et l'espèce de disgrâcequi pe- sait sur sa famille depuis la révolte du fameux Connétable de Bourbon. L’amiral lui fit voir, sur des informations sûres , qu'il y avait en France plus de deux millions de réformés prêts à prendre les armes , et ce fut sur cette con- naissance que, dans diverses réunions secrètes, les conjurés arrêtèrent le plan de l'entreprise connue dans l’histoire sous le nom de 7'umulte d'Amboise. L'objet de cette entreprise était de profiter du séjour que le Roi devait faire au printemps, à Blois, pour l'enlever au milieu de ses Mi- nistres ; d'arrêter ceux-ci , et de leur faire leur procès. En conséquence , des mesures furent prises pour lever des troupes dans les provinces, leur donner des capitaines, et les mener en secret au lieu de l’exécution. Pour ne point éveiller de soupçons , il fut convenu qu'on donnerait à cette conjuration, pour chef apparent, un gentilhomme nommél a Renaudie, homme de talent et de résolution , le Prince de Condé se réservant de se mettre à sa tête aussi- tôt qu’elle aurait éclaté. Le rendez-vous général fut fixé au 15 mars. Tout semblait promettre aux conjurés la réussite de leurs projets. Les levées s’exécu- EN NORMANDIE. 249 taient : déjà celles des provinces les plus éloi- gnées étaient en marche , et avançaient par troupes, qui se grossissaient à mesure qu’elles approchaient du centre du royaume. Les Mi- nistres long-temps plongés dans ure sécurité profonde, avaient conduit le Roi à Blois. Ce- pendant ils furent avertis vaguement qu'il se tramait un complot contre eux , et, par pré- caution , ils transférèrent la cour à Amboise, petite ville plus aisée à défendre contre un coup de main et munie d’un château fort. Mais comme ils ignoraient le plan de leurs ennemis, cette mesure aurait été insuffisante pour les sauver , si un avocat de Paris, nommé Avenelles, auquel La Renaudie avait confié son secret , n’eût dé- couvert aux Guises le précipice ouvert sous leurs pas. Dès ce moment les oncles du Roi appliquèrent toutes les ressources de leur es- prit fertile en expédiens, et toute l’activité dont ils étaient doués, à faire avorter les desseins de leurs ennemis. Ils mandèrent à la cour les Châtillon et le Prince de Condé, afin de mieux surveiller leurs démarches et de rendre leur coopération impossible. Ils écartaient en même tempstous ceux qui leur étaient suspects, ne leur confiant des missions honorables au loin. Des forces furent rassemblées en hâte au 250 ÉVÉNEMENS MILITAIRES tour du Roï, pendant que les gouverneurs des provinces recevaient l’ordre d’arrêter,dans leur marche, celles de leursennemis qui sedirigeaient sur Amboise. Pour priver la conjuration de l'appui des Calvinistes, on rendit le 12 mars un édit qui suspendait les poursuites dont ils étaient l’objet, mais cetté dernière mesure, pour avoir été prise trop tard, ne put avoir l'effet que les Ministres s'en promettaient, La translation de la cour , de Blois à Am- boïse , avait fait remettre au 16 mars l’exécu- tion fixée au 15. Lorsque les gens de la Re- naudie parurent, ils trouvèrent tout disposé pour les recevoir. Les portes désignées pour l'attaque étaient murées, de fortes patrouilles sorties d'Amboise dans toutes les directions, attaquaient et taillaient en pièces leurs détache- mens , à mesure qu'ils arrivaient , et avant qu'ils pussent se réunir. Le Prince de Condé et les Châtillon avaient été placés dans les postes les plus exposés, et entourés de surveillans. Les conjurés qui s'étaient flatté de surprendre leurs ennemis, furent eux-mêmes attaqués à l’impro- viste et défaits sur tous les points. La Renaudie et beaucoup de leurs officiers furent tués dans ces engagemens partiels. Tous ceux qui ne pé- rirent pas dans la premiere chaleur de l'action , EN SORMANDIE. 251 furent its prisonniers , et péndus tous bottés et éperonnés aux créneaux du château, ou pré- cipités, pieds et mains liés, dans la Loire, qui fut, pendant plusieurs jours, couverte de ça- davres ; quelques-uns furent exécutés après un jugement sommaire (1). Le duc de Guise profita de ce succès pour se faire nommer Lieutenant-2énéral du royaume; il ne manquait à son triomphe que la ruine du Roi de Navarre et du Prince de Condé. Ce der- nier, violemment soupçonné d’être le chef de la révolte, sut , pour un moment, imposer si- lence à ses accusateurs , par son audace et sa fermeté, dans une audience publique qu'il de-- manda pour se justifier. Cette conspiration , quoiqu'étouffée dans le sang , allarmait encore la cour. Le Chancelier de l'Hôpital proposa de convoquer les princi- (1) De ce nombre fut Castelnau, gentilhomme distingué par sa probité et ses services, qui s'était livré au Duc de Némours À condition d’avoir la vie sauve, etqui expira sur l’échafaud , mal- gré les démarches du Duc, lequel lui avait engagé sa foi par écrit, « ce qui causa » ditle Maréchal de Vieilleville daus ses memoires, « un grand crève-cœur et mécontentement au Duc de Némours, « qui ne se tourmentait que pour sa signature ; car, pour sa « parole, il eût toujours donné un démenti à qui le lui eût *_voulu reprocher, sans nul excepter, tant il était vaillant prince « et généreux.» Singulier point d'honneur aus celui qui craint moine la faute que la preuve ! 25a ÉVÉNEMENS MILITAIRES paux seigneurs du royaume , afin de prendre des mesures pour prévenir les guerres civiles. L’amiralde Coligny vint se jeter aux genoux du roi et lui présenter, les larmes aux yeux , une requête des Calvinistes de Normandie qui de- mandaient la liberté de conscienceet l'expulsion des Guises, assurant qu’il y avait en France deux cents mille réformés prêts à signer cette requête. Cette démarche fit impression on cén- vint que la peine de mort ne serait désormais prononcée que contre les Protestans convaincus de violence et de sédition. Il fut aussi décidé que les États-généraux seraient convoqués à Orléans. La faction des Guises sachant que ces assem- blées tendent toujours à restreindre le pouvoir du gouvernement , chercha à éloigner la con- vocation et renouvela, dans l'intervalle , l’an- cienne accusation contre le Prince de Con- dé , à l’occasion du ‘Fumulte d’Amboise. Le Roi et la Reine lui écrivirent de se rendre aux États d'Orléans ; il obéit, mais à peine eut -il salué le Roï , qu'il fut arrété et mis entre les mains d’une commission noin- mée pour instruire son procès. Malgré sa pro- testation et sa demande d’être jugé dans la Chambre des Pairs, il fut condamné à avoir la FN NORMANDIE. 253 tête tranchée. Déjà les Guises triomphaient de voir cette grande victime prète à être immolée, quand François II mourut presque subitement. Cette mort survenue dans un moment où s’agi- taient de si grands intérêts , n’a pas été sans quelques soupçons de poison , mais ils nont jamais été éclaircis.Quoi qu’il en soit, le Prince de Condé fut mis en liberté et renvoyé absous. Charles IX, à peine âgé de dix ans ,succéda à son frère. La régence fut déférée à Catherine de Médicis, malgré les prétentions du Roi de Navarre,qui se contenta du titre de Lieutenant- général du royaume. La ciôture des États-gé- néraux se fit sans autre incident remarquable, le3r janvier , après que le Chancelier leur eut annoncé qu'ils étaient ajournés à Pontoise pour le mois d'août suivant. Les premiers jours du nouveau règne furent marqués par d’importans changemens à la cour. . Les disgràciés revinrent , et avec eux le Conné- table Anne de Montmorency. Les Guises ne pouvant plus se flatter de conserver le pouvoir sans partage, attaqués à la fois par un grand nombre d'ennemis, ne se maintinrent à la cour qu'en se mettant sous la protection de Cathe- rine, mais cet appui leur manqua souvent. Dans les circonstances difficiles où l’état se trouvait placé , la Régente , au lieu de s'attacher au 254 ÉVÉNEMENS MILITAIRES parti qui devait apporter Le plus de forces au trône ; n'imaginait que d’étroites combinai- | sons, de mesquines intrigues et de petites tra- hisons. Ne sachant point apprécier les hommes qui l’entouraient , elle pensait pouvoir les con- tenir les uns par les autres. Cette politique astu- cieuse , mais faible et irrésolue, contribua au- tant que les fureurs des factions à attirer sur la monarchieles maux qui devaient bientôt fondre sur elle. Les Guises étaient trop convaincus du danger qu’il y aurait pour eux à ne compter que sur l’appui de Catherine, pour ne pas cher- cher à s'en assurer de plus solides. Philippe I, Roi d'Espagne, mal à propos réclamé par la Reine-mère à l’époque de la mort de Henri IT, avait eu l'audace de s’ériger en protecteur du royaume, et se croyait depuis ce temps en droit de se mêler des affaires de la France : il entre- tenait à la cour un ambassadeur qui y jouait le rôle de ministre-d’état, donnait des avis, louait, improuvait, corrigeait les projets , et blämait hautement tout ce qui n’était pas conforme à ses vues. Les Guises s’unirent étroitement à lui , et ils s’aidaient réciproquement de leurs partisans et de leurs lumières. La Régente s’al- larma de cette liaison , et chercha à en neutra- liser les effets, en se rapprochant desCalvinistes, EN NORMANDIE. 2% dans l'espoir de les trouver disposés à la secon- der en cas de besoin. Le Connétable de Mont- morency (1), qui était fort attaché à la religion (1} Ce seigneur a traversé quatre règnes, tour à tour comblé des plus hautes faveurs, et l’objet de la disgrâce de ses maîtres qu'il servit toujours avec une rare probité, et un attachement invio- lable. Supérieur,par la fermeté de son ame, à toutes les vicissitudes de la fortune, il jouissait du pouvoir sans en être ébloui,et Le quit- tait sans découragement ni ressentiment. Egalement indifférent sur le sort des armes, dont il eut souvent a se plaindre , il ne se laissait pas plus abattre par une défaite, qu’il ne s'énorgueiilissait d’une victoire. 11 était vaillant et intré- pide, mais plus soldat que Général. 11 entendait les finances, avait un bon jugement , une excellente mémoire et une singu- lière aptitude pour le travail. On ne lui reproche qu’un peu trop d’avidité pour acquérir les richesses. Brantôme donne sur son caractère et ses habitudes , des détails pleins d'intérêt et d'originalité : voicice qu’il dit de sa fidélité à observer ses pratiques religieuses. » Le Conaëétable ne manquait jamais à seg « dévotions et à ses prières, cartousles matins il ne faillait de « dire et entretenir ses patenôtres par les champs, aux armées, « parmi lesquelles on disait qu’il fallait se garder des patenôtres de M. le Connétable; car en les lisant , et en marmottant, lors- que les occasrons se présentaient, comme force déhardemens et désordres y arrivent maintenant, il disait: allez. moi prendre « untel , attachez celui-la à un arbre; faites passer celui-ci par « les piques ou les arquebuses, tout devant moi; taillez-moi en pièces tous ces marauds qui ont voulu tenir ce clocher contre le Roi; brûtez-moi ce village, bouttez-moi le feu partout à un quart de lieue à la ronde, et ainsi tels et semblables « propos de justice ou police de guerre, proférait-il sans se « débancher nullement de ses paters, jusqu’à ce qu'il les eût « parachevés, pensant faire une grande erreur s’il eût remis à les « dire à une autre heure, tant y était consciencicux, » Et plus loin: « Quand il voyait faire des fautes, ou qu’on bronchait 256 ÉVÉNEMENS MILITAIRES catholique , improuvait vivement l'espèce de préférence dont la nouvelle religion était l'objet. A ce premier sujet de mécontement, il s’en Joi- gnithbientôt unautre,qui changea son système et le réunit aux Guises. Plusieurs assemblées pro- vinciales, entr'autres celle de Paris ,javaiént pro- posé de faire rendre compte des gratifications excessives accordées par les derniers Rois aux Guises,à la Duchesse deValentinois,au Maréchal deSaint-André et à toutes les sangsues de la cour. Doublement inquiet de la demande des députés des provinces, et parce qu’il avait beaucoup recu lui-même, et parce qu’un de ses fils avait épousé une des filles de la Duchesse, le Conné- table se laissa aisément persuader par celle-ci qu'on en voulait à la religion catholique autant qu’à ses biens , malgré les instances de son fils, « devant lui, il le savait bien relever. Ah! comment il repassait « les capitaines, quand ils faillaient à leurs charges, et qu’ils « voulaient faire les suffisans , et qu'ils voulaient encore « répondre; et Messieurs les Conseillers , et présidens et gens « de justice , quand ils avaient fait quelques pas de clerc, la « moindre qualité qu’il leur donnait, c’est qu’il les appelait ânes , « veauxet suts. » Aussi élait-il craint comme un homme sans égards et sans ménagemens , « étant le seigneur du monde qui . était un grand rabroueur. » Cependant , malgré sa dureté : « Le bonhomme n’était pas ennemi de la beauté ni de l’a- « mour, et disait le mot pour rire au souper de la Reine , avec « elle, lorsqu'il l'allait voir, » EN NORMANDIE. 45; le Maréchal de Montmorency, et des Châtillon, ses neveux , il se déclara ouvertement pour les Guises. Cette réunion , à laquelle se Joignit le Maréchal de Saint-André (4), fut appelée Le Triumvirat. C'est à cette époque quon fit courir pour la première fois le plan général d’une Ligue ca- tholique. Philippe II en était déclaré le chef, et devait, au besoin » envoyer des troupes au secours des Catholiques, tandis quel'Empereur d'Allemagne, le Pape , et les Princes d'Italie s'engageraient à em pêcher lesProtestans d’Alle- magne et de Suisse de venir au secours de ceux de France, qui devaient tons être passés au fil de l'épée. Que ce plan ait été conçu réellement, Ou qu'il ait été supposé afin de rendre odieux (4) Jacques d’Albon, Maréchal de St. André, était issu d’une illustre famille du Lyonnais. Il ne Manquait pas de talens comme Général, mais il dut principalement sa fortune à l'amitié de Henri Il, avec lequel il avait été nourri. Il avait la taille te, et beaucoup Homme de plaisir avant tout, il avait Pourtant du goût pour les affaires. Abandonné aux jouis- sances de la table belle, Pair ouvert, une Conversalion engagean d'adresse pour Parvenir à ses fins, et aimant à l'excès le laxe et les superfluités de toute espèce, les richesses fondaient entre ses mains; et tous les moyens lui étaient bons Pour fournir à ses Prodigalités, On l'accusait de pillage, de concussious, et même d’escroqüerie. Les Calvinistes le haïssaient surtout, parce que, sous Henri IT, il s’était montré , avec la Duchesse de Valentinois » le plus âpre à demander la confiscation de leurs biens. « 17 238 ÉVÉNEMENS MILITAIRES ceux auxquels en Pattribuait, c'est ce qui est encore douteux, maisil n’en demeure pas moins constant que le Triumvwirat fut, dans Pétat, une puissance illégitime. Il y eut alors deux partis bien distincts, et publics, celui des Trium virs avec les Catho- liques , et celui des Mécontens avec les Réfor- més ; la Régente cherchait à les réunir à soi ou à les dominer en les balançant l’un par l’autre. Jl y eut à cet effet beaucoup de négociations et de conférences qui aboutirent à l'édit de juillet, espèce d’amnistie générale pour le passé , mais qui maintenait les mesuresdont se plaignaient les Calviaistes. La peine de mort ne pouvait plus être prononcée contre ceux qui étaient con- vaincus du crime d'hérésie, quand les Évêques qui devaient en connaitre les livraient au bras séculier (5). Cette juridiction attribuée aux Évéques fut combattue par plusieurs, mais le Chancelier de l'Hôpital insista sur ce point, dans la crainte qu'on v’instituât un autre tribu- pal ecclésiastique , ce qui pouvait condüire à l'Inquisition. (5)Get edit était loin d’améliorerla condition des Religionnaires : le Duc de Guise en fut si satisfait qu'il dit tout haut , en sortant du Pariement: » Pour soutenir cet arrêt, mon épée ne tiendra « jamais au fourreau. » EN NORMANDIE. 259 Deux assemblées qui se tenaient alors dans le royaume, excitaient à un haut degré l'attente des partis , les États-généraux et le Colloque de Poissy. Dans la premiere, les plaintes les plus véhémentes éclatèrent contre l'ignorance et les mauvaises mœurs du clergé. Il s'éleva un cri général contre les richesses de l'Église, qui ne put étre appaisé que par l'offre que firent les prélats d’une somme payable en dix ans. Ce fut le premier Don gratuit. Le Colloque de Poissy était une conférence publique sur les points contestés entre les deux religions qui divisaient la France. Les Catholiques et les Pro- testans le demandaient avec uné égale ardeur, le regardant comme un remède infaillible à tous leurs maux. Cette assemblée fut résolue malgré les représentations du Saint-Siège, qui craignait de compromettre l’Église dans une discussion publique avec des adversaires redou- tables. L'un des principaux promoteurs du Colloque fut le Cardinal de Lorraine, nor qu'il comptât sur son éloquence pour convertir les ministres Calvinistes , mais dans l’espoir secret de les mettre aux prises avec les Protestans d’Allemagnesur la différence dn dogme et du rite.C’est pour cette raison qu'il mit tant d’im- portance à faire venir des ministres luthériens 260 ÉVÉNEMENS MILITAIRES au Colloque. Ces conférences, dans lesquelles on n’apporta de part et d'autre que des opi- nions exclusives, et le désir de surprendre plutôt que de convaincre, n’eurent d'autre ré- sultat que d’aigrir davantage les esprits. On se sépara plus convaincu que jamais de lim- possibilité d’un rapprochement, et chacun des deux côtés s’attribua la victoire. A cette époque, le Roi de Navarre accéda au Triumvirat, séduit par la promesse que lui fit Philippe IT, du royaume de Sardaigne , en échange de la portion de la Navarre que rete- nait l'Espagne. Cette défection 2llarma Cathe- rine qui, dès lors, s’attacha plus étroitement au Prince de Condé et aux Châtillon. Ceux-ci ob- tinrent l’édit de janvier 1562, beaucoup plus favorable aux Calvinistes que celui de juillet. Le dépit morne et sombre avec lequel cet édit fut accueilli des Catholiques, ne laissa plus au- cun doute sur l’opposition que son exécution éprouverait de leur part. Cependantles Princes Lorrains avaient quitté la cour; le Roi de Navarre, occupé de ses plai- sirs, ne suivait les affaires qu'avec nonchalance. Le Counétable et le Maréchal de Saint-André, unis au légat du pape et à l'ambassadeur d’Es- pagne, cherchaient à défendre le terrain ; mais EN NORMANDIE. 261 ils se trouvérent bientôt trop faibles pour tenir tête à l’Amiral de Coligny et à d’Andelot, aux- quels la Régente accordait sa protection et sa confiance. Les Catholiques, menacés de voir tomber la personne et le nom du Roi dans le parti opposé, écrivirent au Due de Guise de venir à leur secours. Celui - ci partit de Joinvilleavec une suite nombreuse qui se gros- sit encore pendant la route. À Vassy, pétite ville sur la frontière de la Champagne ; ses va- lets ayant troublé les Protestansdans un prêche, se prirent de querelleaveceux. Le Duc accourut pour calmer le déserdre , et dans la mêlée , il fut blessé à la joue d’un coup de pierre. Fa- rieux de voir couler son sang, ses gens se pré- cipitérent avec une nouvelle rage sur les Calvi- nistes, et massacrérent tout ce qui se pre- senta (6). La nouvelle de ce carnage excita un cri d'horreur et d’indignation par toute la France. Les Protestans s’en plaignirent à fa Ré - (6) Selon d’Aubigné, le nombre de Galvinistes qui périrent à Vassy , n’était pas moindre de 3ov; s’il faut en eroire cet auteur, le Cardinal de Lorraine , les prêtres , et même les dames qui l’'accompagnaient, excitèrent les soldats à cet acte de barbarie, et s’en réjonirent comme d’un spectacle divertissant Quant au Duc de Guise, il paraît qu'il chercha inutilement à s’y opposer, et que même au lit de mort , il s’en déf:ndit toujours. ( Voyez sur ce point de Thou et Castelnau }, 262 ÉVÉNEMENS MILITAIRES gente par la bouche du Prince de Condé et de leurs ministres. Le Roi de Navarre fut le seul qui ne voulut point prèter l'oreille à leurs justes doléances , et les traita d'hérétiques et de factieux. Théodore de Bèze lui fit cette fière réponse : « Je parle pour une religion qui sait « mieux supporter les injures que les repous- « ser ; mais souvenez-vous, Sire , que c’est une « enclume qui a déjà usé bien des marteaux.» De leur côté , les Catholiques ne restaient point oisifs à Paris , où le nom des Princes Lorrains n'avait pas cessé d’être populaire ; ils ranimèrent le zele de leurs partisans, et lorsque le Duc de Guise entra dans la capitale, il fut reçu avec des harangues , des acclamations d'enthousiasme , et toute la pompe réservée d'ordinaire à la majesté royale. Catherine , en apprenant cette entrée triomphante , désespéra du succès de ses efforts pour maintenir la paix. Prévoyant la chûte totale de sa puissance , elle écrivit au prince de Condé de sauver la rnère et l'enfant. Celui-ci rassembla des troupes à la hâte, mais il fut prévenu par les Triumvirs, qui accoururent à Melun, s'emparerent du Roi et de la Régente, et les conduisirent à Paris. Condé était en marche vers Fontainebleau lors- qu'il apprit cette nouvelle. « C’en est fait», EN NORMANDIE. 263 sécria-t-il en soupirant , apres avoir conféré quelquesinstans avec l’amiralde Coligny, «nous « sommes plongés si ayant qu'il faut boire ou « se noyer,» et sur-le-champ, ilvole avec ses troupes vers Orléans. Tel fut le commencement de la première. guerre civile. Condé considérait Orléans comme une place d'armes capable de lui servir de re-. traite et d'appui. 1! y réunit les principaux chefs de son parti. Les Châtillon, Antoine de Croï Prince Porcien, La Rochefoucault, Rohan, Genlis, et nombre d’autres Seigneurs y ame- nerent des, troupes de toutes les provinces: Les. ministres Calvinistes y envoyèrent, de leur côté, des. armes , des munitions et de Pargent. Pour donner plus d'unité à leur entreprise, les chefs signéreut wn traité d'association dans lequel , apres avoir déclaré que, forcés de prendre les armes par la malice de certains esprits brouil- lons et turbulens, ils étaient résolus à ne les déposer qu'à la majorité du Roi, à employer leurs vies et leurs biens pour le tirer de la cap- tivité, rétablir son autorité et celle de la Reine, et mettre en vigueur les lois fondamentales du royaume , ils reconnurent le Prince de Condé pour le vengeur etle défenseur de l'état, lui jurerent obéissance en mettant à sa disposition 264 ÉVÉNEMENS MILITAIRES armes, chevaux, munitions, leurs biens, leurs corps et leurs personnes. Cette association n’é- tant, disaient les confédérés , qu'une juste re présaille de la Ligue signée par les Triumvirs qui avaient mis le roi d'Espagne à leur tête, ils ne se firent point scrupule de négocier avec l'Angleterre ,| alors gouvernée par la Reine Elisabeth , pour en obtenir des secours. Le fruit de ces mesures fut un soulèvement presque général dans le royaume. La Norman- die étant la province la plus voisine du foyer où s’embraïaient les cerveaux fanatiques, fut une des premières où les divisions religieuses étendirent leurs ravages. Dès l’année 1535, les Protestans y avaient des ministres, entre autresle fameux Morlerat , qui préchaient publiquement leurdoctrineà Rouen. Déjà le parlement avait sévi dans plusieurs ac- easions.; des exécutions avaient eu lieu en 1555 et 1559; mais loin d’intimider les Religion- naires , elles n'avaient fait qu'enflammer davan- tage leur fanatisme. Le Maréchal de la Vieu- ville,envoyé par le Roi pour calmer lestroubles, et le Duc de Bouiilon qui était alors gouverneur de la province , firent de vains efforts pour ra- mener la paix. Le 16 avril 1562, sur le minuit, cinq cents Calvinistes bien armés s'emparerent FN NORMANDIE. 265 au même moment de tous les postes importans de la ville et bloquérent le château, dont le gouverneur Villebon fut obligé de se rendre. Ils prirent aussi le Vieux-Palais et le fort Sainte- Catherine. Cette insurrection, quine rencontra presque point de résistance, fut accompagnée de quelques désordres , et du pillage des cou- _vens et de plusieurs églises catholiques. Les Protestans s'emparèrent aussi de deux galères bien armées, récemment revenues d'Ecosse , et ayant fait la revue de leurs troupes, ils se trouvèrent quatre cents hommes sous les armes. Le Parlement, effrayé de ce qu’il voyait, quitta la ville le 14 mai et se rendit à Louviers. Peu de temps après, Villebon , le baronde Cléres , d'Ozebost et d’Aligre , lieutenans du Due de Bouillon , s’emparèrent du Pont-de-l'Arche , au-dessus de Rouen. Pour empêcher que leur ville ne se trouvât bloquée au-dessous, comme elle l'était déjà au-dessus , les bourgeois occu- perent Caudebec ; mais ils eurent limpré- voyance d’en laisser subsister les fortifications, ce dont ils ne tardérent pas à se repentir, car le baron de Cleres ayant bientôt après repris sur eux celte place importante, la ville‘de Rouen setrouvatres-resserrée et dans l’impossibilité de rien recevoir par la Seine. 366: ÉVÉNEMENS MILITAIRES Dans le mème temps,le Duc d’Aumale fut en- voyé en Normandie pour commander dans la province et réduire les rebelles , qui , de leur côté , se renforcèrent de deux cents hommes que leur amena Blondel. Dans les derniers jours de mai , Villebon et le Duc d’Aumale se pré- sentérent devant Rouen ; le premier vint cam- per proche le fort Sainte-Catherine avec 300 hommes de cavalerie et 1,500 d'infanterie, et le second occupa Franqueville et Mesnil-Ei- nard, après avoir détourné le cours de la rivière de Robec, pour rendre les moulins de la ville inutiles. Le Prince de Condé , informé de ces préparatifs , et apprébendant quelque trahison de la part du conseil auquel les Calvinistes avaient confié l'autorité de la ville, y envoya Lanoy de Morvilliers, gouverneur de Boulogne, avec 300 chevaux. Cet habile capitaine trouva le Duc d’Aumale sur son passage , mais ik sut Jui donner le change en feignant de marcher sur le Hâvre, et parvint ainsi à entrer dans Rouen avecses troupes.Son premier Soin , après son arrivée, fut de réprimer la licence du soldat et de rétablir la discipline; il s’occupa ensuite d’améliorér les fortifications du fort Sainte- Catherine, dont il prit personnellement le com- mandement, laissant le soin de la ville à Lan- EN NORMANDIE. 267 guelot. Aussi humain qu’il était habile et vail- lant , il sut résister aux exigences des Protes- tans, qui voulaient chasser les Catholiques de la ville , etse contenta d’obliger ces derniers , par serment , à vivre en paix et en bonne in- telligence avec leurs concitoyens de la nouvelle religion. Les Rouennais ne furent pas les seuls qui, en Normandie , se soulevèrent à la nouvelle du massacre de Vassy. À Dieppe, les Protestans se rendirent maîtres de la ville sans résistance et sans effusion de sang, mais non sans quelques. désordres dans les églises catholiques. Le Hâvre ouvrit ses portes à Jean de Ferrières, Vidame de Chartres , et à Jean Lafin de Beauvais, en- voyés par le prince de Condé pour lever .des. troupes et de l'argent. Le premier partit peu apres pour l'Angleterre, pour presser le secours. que les confédérés en attendaient. Dausla Basse-Normandie , où Goyon, Comte de Matignon commandait en l'absence du Duc de Bouillon, les places de Granville et de Cher- bourg furent de bonne heure occupées par les Catholiques; mais, dans toutes les autres villes, les Protestans s’emparèrent de l'autorité. Les 8 et g mai, ceux de Caen se soulevérent, abo- lirent le culte catholique et enleverent, après 263 ÉVÉNEMENS MILITAIRES en avoir dr'ssé un inventaire, tous les vases et objets précieux qui servaient dans les églises, pour les employer aux frais de la guerre ; cet exemple fut imité par les Protestans de Bayeux, de Falaise, de Vire , de Carentan , de Saint-Lo et de Coutances, sous l’influerce et le comman- demernt de François de Bricqueville, de Colom- bières et de Sainte Marie-aux-Agneaux , que le prince de Condé avait envoyés d'Orléans à cet effet. Il est indispensable , pour l'intelligence des événemens dont la Normandie a été le théâtre à cette époque , de remarquer que la noblesse y était divisée ea trois factions bien distinctes ; ceux que les opinions faisaient pencher en fa- veur des Protestans , mais qui ne voulaient pas se soustraire à l’obéissance due aux ordres du Roi, se rangèrent sous les enseignes du Duc de Bouillon ; ce Seigneur , soit qu'il partageàt secrèlement les idées des Protestans, soit qu'il ne consultât que linimitié personnelle qu'il nourrissait centre les Montmorency ,ne servait .qu'à regret et avec tiédeur les intérêts duTrium- virat, et cherchait à faire prévaloir son autorité, en restant neutre entre les deux partis. Lun se composait de Protestans révoltés et l'autre de Catholiques zélés et de créatures dévouées EN NORMANDIE. 269 de la cour , à la tête desquels étaient Matignou, le baron de la Haye-du-Puy, Grimoville, sieur de Larchant , le chevalier de Lorraine, frère du duc de Guise , et autres. Des dissentions sé- rieuses éclatérent plus d’une fois entre ces der- niers et le duc de Bouillon , qui voyait avec chagrin son autorité déchue par la prise de Pontorson , d'Alençon, de Séez, d’Argentan, de Domfront , d’Avranches , de Granville et de Cherbourg, dont Matignon s'était successive- mentemparé. Ce qui arriva à Valognes en four- nit la preuve. Le château était commandé par Cartot, ennemi des Protestans, choisi à cet effet par Matignon. Le 11 juin, à l’occasion d’une dispute, qu’on eut soin de faire naïtre exprès, les Protestans furent attaqués dans l’église de Saint-Etienne d'Esnay, où ils s’assemblaient, et deux gentilshommes des environs, ainsi que plusieurs bourgeois de la ville, y trouvèrent la mort. Après cette expédition, une grande partie de la noblesse voisine , qui haïssait les Protes- tans, y accourut dans l’espérance de piller. Le Duc de Bouillon qui se trouvait alors à Caen , envoya La Coste, prévôt d'armée, pour punir les séditieux et délivrer un ministre que les Catholiques tenaient prisonnier, mais La Coste fut lui-même maltraité et jeté en prison, 270 ÉVÉNIMENS MILITAIRES Le Duc irrité de cet attentat , accourut à Valo- gnes ,accompagné de Sainte-Marie et de Du- mont avec 700 hommes de pied. Francois Le- clerc les suivit de près conduisant 1,500 autres hommes de pied et deux couleuvrines. Mati- gnon , de son côté, avec Villarmois, s’empara d'une partie de la ville et attaqua les troupes de Sainte-Marie, mais sans succès. L'avantage demeura au duc de Bouillon; on lui remit le château et les séditieux. Apres avoir donné le commandement à Moussy , le Duc rendit aux Protestans la liberté de s’assembler , dont ils jouirent jusqu'au mois de septembre suivant. Comme les villes de Bayeux , de Falaise, de Saint-Lo, parurent des places trop faibles pour soutenir un siège, le Duc de Bouillon en fiten- lever la grosse artillerie pour la transporter au château de Caen. Il fit aussi l'inventaire de l’ar- genterie et des meubles précieux des églises, et les emporta avec lui. Le Duc d’Aumale n'ayant pu empêcher Mor- villiers de pénétrer dans Rouen, ravagea les campagnes environnantes en envoyant des partis à Harfleur , à Montiviliers, à Lillebonne et sous les murs du Hâvre. Morvilliers, de son côté, par le moyen des galères, tirait des vivres de tous les villages voisins au-dessus et au- EN NORMANDIE. 271 dessous de Rouen. Pour retarder les mouvemens de l'ennemi , il s'empara de tous les bateaux qui étaient depuis le port Saint-Ouen jusqu’à la ville; il les convertit en palissades pour en garnir le fort Sainte-Catherine. Informé que huit pièces de batterie et un convoi d'armes et de munitions expédiés de Paris aux Catho- liques, était arrivé au Pont-de-l'Arche , il y marcha le 15 juin avec 1,600 hommes, dont 4oo cavaliers, et s’en empara. Le Duc d’Aumale voyant que l'activité de Morvilliers faisait échouer toutes ses entreprises, quitta Dieppe, dont il se disposait à faire le siége, et Sainte- Marie profita de son départ pour faire entrer 200 cavaliers dans cette place. Le2qjuin, le Duc d'Aumale, ayant concentré toutes ses troupes , vint mettre le siège devant le fort de Sainte-Catherine. Une batterie de 15 bouches à feu inquiéta beaucoup les habi- tans. Dans cette attaque, qui dura 6 heures, et n'amena aucun résultat décisif, les Catho- liques perdirent beaucoup de monde ; les Rouennais ne furent pas moins maltraités. Plu- sieurs de leurs meilleurs officiers furent blessés et tués ; parmi ces derniers se trouva Langue- lot, dont la mort fut une grande perte pour son parti. 272 ÉVENEMENS MILITAIRES Trois jours après, on recommença à canon- ner la ville. Cette fois l'attaque eut lieu du côté de la route de Paris. Comme cette route est très-encaissée, les arquebusiers du Duc d’Au- male purent s’y dérober au feu des galères qui tiraient de dessus la rivière. Il y eut les jours suivans plusieurs sorties et quelques engage- mens insignifians. Enfin, le 1 r juillet, les assié- geans donnèrent un assaut général au fort , ils parvinrent même à escalader la muraille, sur laquelle ils arborèrent trois drapeaux; mais une vigoureuse sortie des assiégés leur fit perdre cet avantage.La nuit suivante, le Duc leva le siége, non sans beaucoup de confusion et de désor- dre, ce qui fut cause que quantité de provi- sions et un grand nombre de blessés tombèrent entre les mains des Rouennais. Morvilliers prit soin d'adoucir la triste condition des prison- niers , en les traitant avec humanité. Délivrés de ce danger , les habitans ne son- gerent plus qu'à mettre tout en bon ordre dans la ville ; ils firent fondre les cloches pour en faire des canons, rétablirent les canaux et les aquéducs,que le Dnic d’Aumale avait fait conper, relevérent les remparts, réparèrent les chemins et refirent leur approvisionnement en vivres et munitions. EN NORMANDIE. 273 La retraite du Duc d’Aumale,bien que rendue nécessaire par la courageuse défense des Rouen- nais, avait cependant un autre but. Il se flattait qu’en rendant la sécurité à la ville assiégée, il endorinirait la vigilance de Morvilliers , et que mettant à profit l’apathie qui succède ordinai- rement à une grande agitation , il obtiendrait par la ruse et la trahison ce qu'il n’avait pu con- quérir par les armes. Il avait réussi à se mé- nager quelques intelligences dans la ville, à la faveur desquelles des soldats cachés près des murs devaient les escalader pendant la nuit, et lui ouvrir les portes. Ce projet fut découvert à temps , et Morvilliers se contenta, pour toute vengeance, de donner une pièce d’or au jeune page qui servait de messager au Duc, et de le renvoyer à son maître, en avertissant celui-ci de choisir une autre fois des commissionnaires plus sages et plus prudens. Cette modération déplut aux Protestans. Ils blämèrent le Gouver- neur de n'avoir pas fait périr les bourgeois qui avaient conspiré la ruine de la ville ; il leur de- vintsuspect , et ils l’'accusèrent dès lors de vou- loir faire sa paix avec la Reine et le Triumvirat. Tout espoir de se rendre maître de Rouen étant perdu pour le Duc d’Aumale, il se rabattit sur la petite ville de Brionne, florissante par 18 274 ÉVENEMENS MILITAIRES ses manufactures de draps et de toile. Après l'avoir pillée, il alla camper devant Pont-Aude- mer. Les Rouennais y envoyèrent du secours , mais il arriva trop tard; les troupes du Duc ‘y entrèrent par surprise et y mirent tout au pillage. Le ministre, qui était au lit malade, fut tué après qu'on lui eut arraché les yeux et coupé les oreilles; etson cadavre, trainé par les rues, fut attaché au gibet. On prit aussi Honfleur, maisses habitans, prévenus de l’ap- proche de l'ennemi , avaient eu le temps de se retirer au Havre. Ces ravages, et les actes de barbarie dont ils étaient accompagnés, n’élaient pas propres à disposer les habitans de Rouen à la soumis- sion. Ce qui acheva de les exaspérer, fut la sévérité intempestive du Parlement de Nor- mandie qui avait été transféré à Louviers. Par un arrêt du 26 août, il les déclara, eux et leurs fauteurs, rebelles et criminels de lèze- majesté; et comme tels, privés de leurs biens, de leurs dignités, et méme de tous les droits et privilèges de la noblesse, étendant à leurs enfans et à leur postérité la note d’infamie qu'ils avaient encourue. Il ne leur était accordé que vingt-un jours pour se reconnaître, apres lequel temps, il était ordonné à tous les fidèles sujets de leur courir sus, de les poursuivre, EN NORMANDIE. 275 d’attenter à leurs personnes, etc., etc. Le Par- lement chassa en même temps de Louviers, tout ce qui était suspect en matière de religion ; et par représailles, les Augustins et tous les autres ordres de religieux mendians furent ex- pulsés de Rouen. Comme on dépensait dans cette ville, pour nourrir les pauvres et payerles troupes, plus de 15,000 écus d'or par mois, l’argenterie des églises fut convertie en mon- naie. Les soupçons et l'irritation augmentant de jour en jour, tous ceux qui n'étaient pas attachés à la doctrine des Protestans, furent contraints à sortir de la ville, et la plupart furent dépouillés par la garnison et les pay- sans. On travailla alors à forüfier la ville; on éleva, entre la Seine et [a muraille qui était vis- à-vis le pont, une large et haute plate-forme, d’où l'artillerie pouvait battre le bord opposé de la rivière et les approches du château; en même temps on abattit les maisonsetles arbres qui masquaient le cours du fleuve. Un retran- chement fut élevé pour protéger le château, et un autre vers la porte Martainville, en arrière de laquelle on creusa un fossé très-profond avec un parapet. On terrassa les murailles des vieux palais et l’église des Dominicains. Le 276 ÉVÉNEMENS MILITAIRES faubourg Cauchoise fut rasé et la porte murée. Les portes de Saint-Hilaire, de Bouvreuil et toutes celles qui donnent sur la rivière, furent également murées, à l'exception de deux qu’on eut soin de munir d’un rempart de terre. Soit dérision, soit nécessité, on employa dans ces constructions les pierres tirées des autels et les statues des églises, Le Duc d’Aumale, de son côté, fortifia le port Saint-Ouen, Clère et Ozebost, pour empécher les courses de la garnison de Rouen, qui ne laissa pas, malgré ces précautions, de prendre le 20 août, près de l'Epervier, tous les bagages et un grand nombre de chevaux apppartenant au Duc. Trois jours après, le faubourg Saint- Sever fut pillé et tous les bestiaux emmenés ; en même temps, cinquante cavaliers de la gar- nison qui étaient allés en partie dans le pays de Caux, furent rejetés dans la ville avec perte. Cependant, Jean de Ferriéres, Vidame de Chartres ,\était sur le point de conclure avec l'Angleterre un traité qui devait assurer aux Protestans les secours de cette puissance. Quel- ques hommes chez lesquels les dissentions civiles n'avaient pas encore étouffé le sentiment du devoir et de l'honneur, blämèrent cette démarche. Ils pensaient que cette guerre en- EN NORMANDIE. 277 treprise pour la défense de leur liberté, était juste et légitime, mais qu’elle devenait odieuse et criminelle du moment où elle attirait l’étran- ger surle sol de la patrie. Tels furent Morvilliers et Nicolas Ruhaut, seigneur de Gamache, issus l’un et l’autre de deux illustres maisons de Pi- cardie. Morvilliers préférant abandonner un parti auquel il s'était attaché par conviction et qu’il servait avec une haute distinction, plutôt que de combattre à côté des Anglais, se retira dans son château de Folleville près Amiens, et ne prit plus depuis aucune part à la guerre. Il est consolant d’avoir à citer de semblables actes de vertu et de patriotisme, en écrivant histoire d’une époque où le fanatisme aveugle, Fambi- tion et la vengeance semblaient avoir envahi toutes les âmes. Sur ces entrefaites, Gabriel, comte de Mont- gommery (7) était parti d'Orléans avec la perinission du Prince de Condé pour se rendre à son château de Ducey près Avranches. En butte à la haine de la Régente depuis le malheu - (;) Voici le portrait que Brantôme fait de ce Capitaine » 1] » était le plas nonchälant en sa charge, et aussi peu soucieux » qu’il était possible, car il aimait fort ses aises et Le jeu ; mais » quand il avait une fois le cul sur la selle, e’était le plus vaillant « et le plus soigneux capitaine qu’on eût sceu voir, » 4 278 ÉVÉNEMENS MILITAIRES reux tournoi dans lequel il avait été l’auteur involontaire de la mort de Henri IE, il avait embrassé avec ardeur la cause des Calvinistes. auxquels son habileté et sa valeur rendirent souvent de précieux services. Des lettres du Duc de Bouillon, qu'il intercepta, lui ayant fait craindre que ce Seigneur ne machinàt quel- qu’entreprise contre les Protestans , il réunit ses partisans et se mit en campagne.à leur tête, ravageant et pillant le pays. Il faillit même s'emparer par surprise du château de Caen, la seule place importante dont le Duc de Bouillon fût resté maître; mais celui-ci accourut avec toutes ses troupes et le força à se retirer. Matignon, trop faible pour réduire les Pro- testans, auxquels la neutralité qu’affectait le Duc de Bouillon, donnait le temps de se for- üfier, appela à son secours de Brosses, Duc d'Etampes, Gouverneur de Bretagne. De son côté, Montgommery, retiré à Saint-Lo avec sa femme qui était enceinte, et ses enfans, attira à lui Tibergeau , qui avait été obligé d’aban- donner la ville du Mans; Davaines et Des- champs, deux gentilshommes Manceaux, se: joignirent à eux; ce qui lui donna un renfort: de 150 chevaux. La Colombière, Romereau, La Poupelière, Bressey, Jecoville, La Forest: EN NORMANDIE. 279 etplusieurs autres. gentilshommes prirent le wême parti. Hermesis, voulant se réunir à eux, fut surpris en chemin par Villarmois qui lui fit impitoyablement couper les bras et les jambes. La, Colombière alla occuper Coutances avec 200 chevaux, tandis que Deschamps et Da- vaines s’acheminèrent vers les.ponts du Coues- non et de la Celune, pour les détruire etempé- cher les Bretons d'entrer en Normandie. Mont- gommery lui-même se rendit à Avranches, mais. déjà le Duc d’'Etampes s'était emparé de la ville. Menacé ainsi de toutes parts par des forces supérieures et ne pouvant compter sur l'assistance du Duc de Bouillon qu'il avait griè- vement offensé, Montgommery ne négligea rien pour grossir et fortifier son parti. Comme sa petite armée ne pouvait subsister qu'aux dépens des habitans et au moyen de grosses sommes, qu'il tirait des ecclésiastiques, la Nor- mandie éprouva de la-part de ses. agens tous les tristes effets de la licence et de la rapacité. Ce général se rendit à Vire et s’empara de vive force du couvent des Cordeliers et de la grande église fortifiée par les soldats Catholi- ques, qui s’y défendaient contre les Protestans rassemblés dans la ville. On n'y respecta ni les images ni les autels; et l’argenterie fut fondue 280 ÉVÉNEMENS MILITAIRES pour subvenir aux frais de la guerre. Cette conduite irrita au plus haut degré les Catho- liques du pays, et lorsque Montgommery fut retiré, ils attaquèrent les Protestans qui reve- naient du prêche, le 31 juillet, et en tuèrent quelques-uns; les autres s'enfermèrent à leur tour dans le couvent des Cordeliers, d’où ils sortirent quelques jours après, à condition d’avoir la vie sauve. Le Duc de Bouillon, fidèle aux sentimens d'équité et de justice qui lui étaient naturels, malgré l’injure qu’il avait reçue de Montgommery, envoya aussitôt de Caen à Vire des officiers pour faire le procès aux séditieux et les punir selon la rigueur des lois. Jamais on ne viten si peu de temps, tant de ressentimens,de vengeances et d’actionsterri- bles de la part des uns et des autres. Les bour- geois des deux partis passèrent tout le mois d'août sous les armes, dans l’appréhension mutuelle des réprésailles. Montgommery qui avait désigné Vire comme lieu de rassemble- ment, d'où il devait se porter à Rouen, avec toutes ses troupes, y envoya Tibergeau et Davaines avec 7 compagnies de cavalerie, en leur ordonnant d'y rester jusqu’à son arrivée. Les troupes du Maine, accoutumées à la licence: et au pillage, ravagèrent tous les villages cir- EN NORMANDIE. 28t convoisins, sans épargner même les habitans qui restaient paisibles dans leurs maisons. Les Protestans eux-mêmes furent si indignés des brigandages des Manceaux, qu’ils implorèrent contre eux le secours du Due d’Etampes. Enfin La Poupelière obtint par ses instances un ré- element de discipline qui arrêta les désordres et pourvut en quelque sorte à l'avenir, mais qui ne répara pas le mal passé. Le châtiment ne se fit pas attendre : le Duc d'Etampes accourut le 4 septembre avec onze compagnies de cavalerie. La Poupelière,instruit à l'avance de ce mouvement, avait inutilement conseillé la retraite. Montgommery ne pouvait se persuader que l’ennemi voulüt rien entreprendre de sérieux, dans un moment où lui-même menaçait d'un siège le château de Torigny , appartenant à Matignon , et à la veille de l’arrivée des troupes auxiliaires d'Angleterre. Lorsque les Bretons se présentérent, la garnison de Vire commença par fermer les portes et fit quelque résistance ; les chefs qui savaient que toute l’armée du Duc d'Etampes approchait, prirent les mesures de défense que les circonstances exigeaient. La Forest et Romereau furent chargés de la défense du château; La Poupelière, Tibergeau, Da- 28 2 ÉVÉNEMEXS MILITAIRES vaines et Saint-Denis, s’engagerent à faire tous leurs efforts pour empêcher l'ennemi de péné- trer dans la ville avant la nuit, après quoi ils devaient se retirer au château,où l’on attendrait le secours de Montgommery. Ce plan fut décon- certé par la promptitude avec laquelle les Bretons entrèrent dans la ville, qui fut emportée dès la première attaque ; pendant que la gar- nison se précipite vers le château,dont on n'avait ouvert que le guichet , et que les hommes et les chevaux encombrent le-pont, Davaines est tué, et les autres n’entrent qu'avec beaucoup de peine. Personne alors ne songe plus à se dé- fendre, on ne veut plus que sauver sa vie en gagnant le donjon. Cependant Saint-Denis, jeune homme très-brave qui avait tenu ferme, eria qu'on pouvait reprendre la porte que Vennemi n’occupait que faiblement. Une par- tie de la garnison retourna donc au combat; mais au moment où cet effort allait être cou- ronné du succès, Tibergeau ayant entendu un Catholique appeler par son nom en lui pro- meitant la vie sauve s'il se rendait, répondit qu’il acceptait et ouvrit la porte : aussitôt, les soldats des deux partis se précipitent pêle-mêle dans l’intérieur du fort. La Poupelière et Des- champs,renonçant à s'enfermer dans le donjon, EN NORMANDIE, 283 aimèrent mieux risquer leur vie en combattant glorieusement; ils furent pris lun et l'autre, ainsi que Romereau. Le premier dut son salut à la générosité du Duc d'Etampes, et aux sol- licitations de sa femme, qui était venue par hasard à Vire la veille de cette expédition. Dans cette occasion, Sébastien de Luxem-. bourg, seigneur de Martigues, neveu et lieu- tenant du Duc d’Etampes, commit et toléra: des cruautés: indignes. du nom illustre quil: portait (8). La fureur du soldat assouvie, il fallut éprouver la rage des habitans,qui se ven- gérent inhumainement des maux qu’ils avaient soufferts, non seulement sur les soldats qui tombèrent entre leurs mains, mais encore sur: tous les Protestans de la ville. Les femmes: mêmes exercèrent des cruautés inouies sur ces: malheureux, qui étaient nus et sans armes. Ceux qui s'étaient réfugiés dans le donjon, pressés par la faim, se rendirent à condition. d'avoir la vie sauve, mais on en tua la plus grande partie. Le pillage dura pendant quatre jours : plus:de 200 bourgeois ou soldats Pro- (8) Quelques auteurs pensent que ce Seigneur a voulu, dans cette occasion , punir les Manceaux de l'attentat, qu’ils avaient commis peu. de temps auparavant , en violant le tombeau , et enlevant le cercueil du Cardinal de Luxembourg, ancien Evêque du Mans , à la famille duquel il appartenait. 284 ÉVÉNEMENS MILITAIRES testans furent tués et 25 faits prisonniers. Le 8 septembre, le duc d'Etampes décampa avec sa petite armée chargée de butin , et Martigues laissa cent Bretons pour tenir garnison dans le château. Montgommery, instruit du désastre de Vire, se rendit à Bayeux, où il rassembla ce qu’il y avait de protestans sous les armes. De là, il alla camper à Ouistreham, à l'embouchure de l'Orne et non loin de Caen, pour y attendre les vaisseaux qui devaient les transporter au Hâvre. Le Duc de Bouillon appréhendant une nouvelle entreprise de sa part sur le château, sortit de Caen et vint camper de l’autre côté de la rivière; mais Montgommery lui ayant pro- mis de ne rien entreprendre contre lui , il s’en retourna sans autre démonstration hostile. Jean de Mouy de la Mailleraye, à la tête des garnisons de Lisieux, de Touques et de Hon- fleur , attaqua plusieurs fois le Comte de Mont- gommery dans cette position, mais sans pou- voir l’entamer. Enfin celui-ci s'embarqua et passa au Hâvre, d’où il se rendit à Rouen, le 17 septembre, avec 300 chevaux. De Vire, le Duc d’Etampes s'était rendu à Saint-Lo, dont la garnison refusa de lui ouvr ir Jes portes; dépendante après cinq jours de siège, pendant lesquels une batterie de six ca- EN NORMANDIE. 295 nons avait fait brèche à la muraille, désespé- rant d’être secourue, elle demanda à capituler. Matignon, qui s'était réuni au Duc devant cette place, s'opposa à ce qu'on stipulât aucune condition. Alors, la garnison profitant d’une nuit obscure, sortit de la ville par la porte qui donne sur la rivière. La ville fut prise sans effusion de sang ; mais le soldat abandonné à la licence et à la cupidité,la pilla complètement. Les échecs éprouvés consécutivement à Vire et à Saint-Lo, suivis du départ de Montgom- mery, ayant laissé les Protestans de la Basse- Normandie affaiblis et sans chef, Matignon parvint aisément à les comprimer. De cruelles réactions eurent lieu à Valognes et à Bayeux. Rien n’est comparable aux brigandages et aux exactions de Giulio Raviglio Rosso qui résidait dans cette dernière ville. Il était chargé de lever les impôts de Caen, de Bayeux et de Falaise, pour le compte d’Alphonse, Duc de Ferrare, auquel ils avaient été cédés par la France, en payement de dettes qu'elle avait contractées envers le Duc son père, lors de la malheureuse expédition faite en Italie, six ans auparavant. Raviglio, pour fournir aux excessives dépenses de sa table, à son jeu et à ses infämes débau- ches, avait obtenu, à la recommandation du 256 ÉVEÉNEMENS MILITAIRES Duc de Guise, des lettres patentes du roi; en vertu de ces lettres, il faisait tous les jours de nouveaux procès aux Protestans et les condam- nait comme auteurs de séditions et coupables d’avoir profané et pillé les églises. Thomas Noël était le principal ministre de ces odieuses vexations, dont les Protestans ne pouvaient se rédimer qu’à force d'argent. Dans la Haute-Normandie l’état des affaires était à peu près le même qu'au moment du dé- part de Morvilliers. La garnison de Rouen,que le Duc d'Aumale avait cessé d’inquiéter , s’était emparée du château de Villers, bâti sur un monticule escarpé de tous côtés, à 3 lieues de la ville. Une suspension d'armes de 15 jours conclue avec le Duc,lui permit de se renforcer de 120 hommes venus de Dieppe, et de 12 pièces de canon. Briquenault qui y comman- dait, partit pour l’Angleterre quand Montgom- mery arriva. Ce capitaine signala son arrivée par diverses mesures, que lui suggérèrent son expérience de la guerre et l'activité de son génie. Il ajouta de nouvelles fortifications à celles qui existaient déjà au fort Sainte-Cathe- rine, et construisit un autre fort au-dessous à la chapelle Saint-Michel, auquel il donna son nom. Ses troupes, dans de fréquentes sorties, EN NORMANDIE, 487 énlevèrent des villages circonvoisins et tranpor- tèrent dans la ville tout ce qui pouvait être utile à l'entretien et à la subsistance d’une armée, détruisirent lés moulins de Darnetal, et brülèrent et pillèrent Blainville, Mesnil- Liourd , Clère et le Moutier de Limezay. Cependant, les négociations entamées avec Elisabeth d'Angleterre par le Vidame de Char- tres, muni des pleins pouvoirs du Prince de Condé, du Duc de Rohanet de l’Amiral de Coli- gny,se terminèrent par la convention d'Hamp- toncourt. Par ce traité, il fut statué que la Reine ferait transporter en France 6,000 hom- nes, dont 3,000 occuperaient le Hävre au nom du Roi, pour en faire un asile où les Français persécutés pour cause de religion,pourraient se retirer. Que les autres 3,000 seraient employés pour la garde et la défense de Rouen et de Dieppe, sous les ordres des Gouverneurs, Ma- gistrats et autres Ministres du Roi. Quela Reine d'Angleterre prêterait au Prince de Condé 140 mille écus d’or pour les frais de la guerre, et que le Prince de son côté concéderait à la Reine le Hâvre, afin queses troupes pussent librement y débarquer et s'y retirer. On ajouta à ces sti- puiations la clause ordinaire : « Sans que le « présent traité puisse porter préjudice aux « droits de la Reine d'Angleterre sur Calais. » 263 ÉVÉNEMENS MILITAIRES Immédiatement après la signature du traité, Elisabeth fit partir de Portsmouth une partie des troupes auxiliaires sous le commandement de Poining. Un autre détachement sous les ordres de Dormesay , débarqua à Dieppe, après avoir été long-temps retenu par les vents contraires au port de la Rye. Enfin le Cointe deWarwick amena le reste quelque temps après. Pendant que ces choses se passaient en Nor- mandie, presque toutes les autres provinces du royaume éprouvaient, à un plus haut degré encore, les déplorables effets de la guerre civile. Ta Brie, la Bourgogne, la Champagne furent le théâtre de luttes sanglantes et opiniâtres; mais ce fut surtout dans le midi de la France que les troupes des deux partis montrèrent jusqu'où peut aller la férocité humaine , quand elle est enflammée par le fanatisme. A la tête des Protestans, le baron des Adrets (9), rava- (9) Sa réputation fut rapide, parcequ’il fut aussi furieux que vaillant, » plus eruel que les autres, et le plus redoutable, » (Le Laboureur ). « Je le vis fort vieux à Grénoble, dans un voyage ; mais d’une « vieillessé encore forte et vigoureuse, d’un regard farouche , le « nez aquilin, le visage maigre et décharné, et marqué de taches « de sang noir , tel que l’on nous peint Sylla ; du reste, ilavait « l'air d’un véritable bomme de guerre.» (de Thou ). Le passage suivant de d’Aubigné contient des renseignement; sur le caractère du Baron des Adrets, qui mériterait uue place , EN NORMANDIE. 289 … gea le Dauphiné, Avignon, la Provence, le Vivarais, le Forez et l'Auvergne; Rome même trembla qu’il n’y portät des armes presque distinguée parmi les grands hommes de guerre que la France a produits , si des actes de férocité sans exemple ne déshonoraient pas ses talens et sa haute valeur: « Nous étions, dit cet auteur, a à Lyon, au retour du Roi de Pologne ; je vis qu’un huissier qui « refusait, la porte au vieux Comte de Bennes et an Baron « des Adrets , m’en présentait l’entrée. J’eus honte que mes « capriolles et affecteries de cour , me fissent entrer sans barbe, « où ces vieillards estaient refusés. Le Baron s’estant retiré sur « un banc de la salle, me tenant debout, je l’accoste avec beau- « coup de révérence. Lui, ayant reconnu ce que j'avais faiet , « me donna privauté de lui demander trois choses : pourquoi il a avait usé de cruautés mal convenablesà sa grande valeur? Pour- « quoi il avait quitté un parti auquel il estait tant créancé ? Et « puis pourquoi rien ne lui avait succédé (réussi ) depuis le « parti quitté, quoiqu'il se fust employé contre? Il me répondit « au premier point, que nul ne faict de cruauté en la rendant ; Ge que les premières s'appellent cruautés , les secondes justices. «Là dessus, m’ayant faict un discours horrible de plus de 4,000 « meurtres Ge sang froid, et d’inventious de supplices, que je « n’arais jamais oni, et surtout des Sauteries de Mâcon , oùle « Gouverneur despendait en festins,pour donner des esbattemens « au fruict ,pour apprendre jusque aux enfans et aux filles à voir « mourirles huguenots sans pitié,il me dit qu’il leur avaitrendu a quelque pareille en beaucoupmoindre quantité,ayant esgard au « passé et à l’advenir;au passé,ne pouvant endurer,sans une grande « poltronnerie,le déchirement de ses fidèles compagnons ; mais « pour l’advenir , il y a deux raisons que nul capitaine ne peut « refuser,l’une,que le seul moyen de faire cesser les barbaries des « ennemis, est de leur rendre les revanches, sur quoi il me « conta de 500 cavaliers,;renvoyés il y a quelque temps,en l’armée «+ des ennemis,sur des chariots,ayant chacun un pied et un poing a coupés, pour faire , comme cela fit, changer une guerre 19 290 ÉVÉNEMENS MIL ITAIRES toujours victorieuses. Emule de ses cruautés, Blaise de Montluc fut le fléau des Calvinistes dans la Guienne et les provinces voisines; par- a sans merci, en courtoisie. L'autre raison pour l’advenir estait a qu’iln’ya rien si dangereux de montrer à ses partisans imparité s_ de droitset de personnes, pour ce que, quand ils font la guerre a avec respect, ils portent le front et le cœur bas, surtout « quand les ennemis se vantent du nom du Roi: en un mot, « qu’on ne peut apprendre au soldat, à mettreensemble la main a à l’épéeetau chapeau. De plus,ayantau cœur des résolutions « hautaines et dures, il ne voulait point voir ses troupes, « filer du derrière en uae bonne occasion , mais en leur ostant « l’espoir de tout pardon, il fallait qu'ils ne vissent abri que l’ombre « des drapeaux, ni vie qu’en la victoire. Quant aux raisons pour « lesquelles il quitta le parti, elles furent que M. l’A- a miral avait disposé de la guerre par dés maximes ministrales, a et voulait donner les diseurs pour juges aux faiseurs; que M: « de Soubiseétaitbon, vaillaut , sage, et meilleur Capitaine que a lui, mais que pour rompre la vieille police du Royanme, il ne a fallait autre police.sque les militaires, que la modestie n’est a pasbonoe pour abattre luorgueil des ennemis, qui n’en ont a pas, qu'il est mal de combattre des Lions avec des Moutons, « cela s’appelant enrager avec raison.Il avait envoyéua Censeur, « où il fallait un Dictateur,et nn Fabius au lieu d’un Marcelle. a Voyant son sang et ses peines subjectes à: tels supplante- a ments, il n'avait peu despouiller euvers son supérieur le cou- « rage qu'il avait vestu contre les ennemis, Qu’à la vérité, il a avait traité avec le duc de Némours, non par avarice ou « crainte; mais par vengeance , et après l’ingratitude a redoublée. Quand je le pressai sur la troisième demande, il « la fit courte avec un soupir. Mon enfant, dit-il, rien n’est trop « chaud pour un capitaine, qui n’a pas plus d'intérêt à la vic- « toire que son soldat ; avec les buguenots, j'avais des soldats ; « depuis je n’ai plus eu que des marchands, qui ne pensent qu’à « EN NORMANDIE. 201 tout enfin les Catholiques et les Protestans se faisaient une guerre d’extermination. Le Prince de Condé et l’Amiral de Coligny renfermés dans Orléans, en sortirent à la ren- contre des troupes royales. Plusieurs fois les deux armées se trouvérent en présence et prêtes à en venir aux mains : des négociations et des conférences eurent lieu pour parvenir à un accommodement, mais sans amener aucun résultat. Pendant ce temps, les villes de Beau- gency, de Blois, de Tours furent prises et re- prises par les troupes des deux partis, et aban- données chaque fois au pillage et à cette licence du soldat qui accompagne toujours les guerres civiles. L'armée royale , commandée par le Roi de Navarre, Lieutenant-général du royaume , se partagea en plusieurs corps. On en donna un au Duc de Némours pour le conduire en Berri; et un autre au Maréchal de Saint-André pour aller en Poitou. De son côté,le Prince de Condé envoya à Lyon Jean de Parthenay, de Soubise. La Rochéfoucault alla à Angoulême, son pays, Î « l'argent. Les autres estaient serrez de crainte sans peur , sou- « doyés de vengeance, de passion et d'honneur: je ne pouvais « fournir de rênes pour les premiers; ces derniers ont usé mes « esperons, » 202 ÉVÉNEMENS MILITATRES et fut chargé du gouvernement de la Saintonge et du Poitou. Yvon de Genlis partit pour se rendre à Bourges dont les Protestans s’étaient rendus maitres peu de mois auparavant, sous le commandement de Montgommery ; enfin, le Prince de Condé envoya d’Andelot en Alle- magne, et Briquemault en Angleterre, pour hâter auprès des souverains de ces deux pays le départ des troupes auxiliaires qu’il en atten- dait. Le Maréchal de Saint-André, après s'être rendu maïtre de Poitiers, en partit le 13 août, pour aller faire le sièce de Bourges. L'armée royale commandée par le Duc de Guise, y était arrivée deux jours auparavant. Réunis, ces deux corps présentaient une farce de 15000 hommes de pied et 3,000 cavaliers, qui s’accrut encore quelques jours après par un renfort de nouvelles troupes et de ro canons. Après 15 jours d'efforts infructueux, les négociations firent ce que les armes n'avaient pu faire, et la ville de Bourges fut remise aux troupes royales le 1°. septembre. Pendantice siège, l’Amiral de Coligny informé qu’un convoi d’ar- tillerie avec une grande quantité de munitions de guerre, destiné aux assiégeans , était arrivé à Châäteaudun, sortit d'Orléans avec un déta- EN NORMANDIE. 203 chement,. surprit le convoi et détrisit les canons.et les munitions, après avoir taillé en pièces 4oo hommes de cavalerie:et 800 d’infan- terie qui lui servaient d’escorte. Aprés la prise de Bourges, on délibéra dans l'armée royale de quel. côté on conduirait les vainqueurs, Plusieurs étaient d'avis d’aller assiéger Orléans, principal boulevard des Cal- vinistes, où le Prince de Condé et l’Amiral de Coligny faisaient leur séjour habituel. D’autres conseillaient de reprendre Rouen avant tout, dans la crainte que les Anglais qui pouvaient débarquer en Normandie au premier jour, ne parvinssent à se rendre maîtres de cette province qu’ils avaient occupée si long - temps : cet avis l’emporta. L'armée du Roi, après avoir détaché le Maréchal de Saint-André pour s'opposer au passage de d'Andelot, qui venait avec les troupes auxiliaires d’Alle- magne, marcha le 15 septembre à grandes journées vers la Normandie. Villebon assié- geait alors Tanearville, mais le renfort que cette place reçut du Hävre et de Rouen, l’obli- gea à renoncer à cette entreprise. Une galère qui portait à Rouen des secours, fut attaquée à Caudebec où elle fit beaucoup de mal et en souffrit aussi. À son retour, elle attaqua Quille- bœuf, y fit un grand carnage, et enleva 45 2094 ÉVENEMENS MILITAIRES canons de toute espèce, la plupart en fonte, et deux bâtimens armés. . L’armée royale , en arrivant sous les murs de ‘ Rouen, dansles derniers jours de septembre, était forte de 22,000 hommes de pied et 6,000 chevaux, y compris les Allemands et les Suisses. Montgommery avait pour défendre la ville 800 vieux soldats, les habitans armés et quelques Anglais. Un héraut d'armes vint, le 28 septem- bre , le sommer de se rendre au nom du Roi, qui était dans le camp avec la Reine sa mére et une grande partie de la cour; mais les habitans déclarèrent qu’ils étaient résolus à se défendre. La ville de Rouen occupe, sur la rive droite de la Seine, un parallélogramme irrégulier pro- tégé au Sud par le cours du fleuve, dont la lar- geur moyenne est d'environ 350 mètres, mais dominé de fort près dans toute sa partie sep- tentrionale par plusieurs collines assez élevées. A V'Est, la vallée de la Seine, et à l'Ouest celle de Saint-Hilaire, dans laquelle se réunissent les ruisseaux de Robec et de l’Aubette, présentent un terrain moins défavorable à la défense. Les forts Sainte-Catherine et Montgommery cons- truits sur une hauteur escarpée, qui sépare la vallée de la Seine de celle Sainte-Hilaire, et dont il ne subsiste plus aujourd’hui que des ruines, EN NORMANDIE, 299 * garantissaient la ville au Sud-Est. L’enceinte formée par une forte muraille, soutenue sur beaucoup de points par des remparts, était flanquée de tours de distance en distance, et protégée par des fossés. Des cinq portes qui auvraient sur la campagne, les assiégés n’en avaient laissé subsister que deux, celle de Beauvoisine au Nord et celle de Martainville à PEst. Ce fut contre la portion de l'enceinte qui s'étend depuis cette dernière jusqu’à celle de Saint-Hilaire, que l’armée royale dirigea principalement ses attaques, mais comme le feu des forts Sainte-Catherine et Montgommery enfilait ses tranchées et incommodait les tra- vailleurs, les assiégeans tentèrent d’abord de s’en rendre maîtres. Une attaque qu'ils firent à cet effet le 29 septembre, fut repoussée avec perte. Celle que tentèrent le lendemain les Allemands du Rheingraf contre le faubourg Saint-Hilaire, eut un semblable résultat après un combat meurtrier : le 1°, octobre, la gar- nison du fort Sainte-Catherine fit une sortie vigoureuse qui coûta beaucoup de monde aux assiégeans, et dans l'attaque le Colonel général de l'infanterie royale fut tué. Le même jour un renfort de 5o cavaliers venant de Dieppe scus la conduite de Réné de Provannes et de Val- 296 ÉVÉNEMENS MILITAIRES fenières, pénétra dans la ville. Les habitans,. prévoyant qu'ils allaient avoir à soutenir un siège long et opiniâtre, prirent alors le parti de renvoyer de la ville tous les infirmes et ceux qui n'avaient pas de quoi se nourrir, mais ils gardèrent tous les autres, même les suspects pour les employer aux travaux. Pendant les trois jours qui suivirent, on ne cessa de canonner vivement le fort de Montgom- mery qui établissait la communication entre celui de Sainte-Catherine et la ville, mais sans résultat notable. Lesassiégeans, pour empêcher quedes vivres etdes munitions n’arrivassent par eau du Hävre à Rouen, avaient établi sur la rivière, vis-à-vis Caudebec une estacade, au moyen de grands bateaux chargés de sable et de pierres, et amar- rés les uns aux autres par des câbles et des chaines. Cependant, une galère qui portait la femme et les enfans de Montgommery, douze gros canons, des munitions et des armes, par- vint à surmonter cet obstacle, et arriva heu- reusement à Rouen, après avoir soutenu un combat à la Bouille. Des messagers envoyés par le Prince de Condé pour annoncer aux Rouennais qu’il allait voler à leur secours, avec les troupes auxiliaires que EN NORMANDIE. 297 d’Andelotamenait d'Allemagne,tombèrent entre: les mains de l’armée assiégeante. Un Gentil- homme gascon qui était du nombre, eut la tête tranchée. À la même époque, 80 Anglais et Ecossais venaut du Hävre, pénétrèrent dans la villeet y apportèreut la nouvelle du débarque- ment d’un secours considérable venu d’Angle- terre. Convaincu dès lors du danger qu'il y aurait pour eux à laisser le siège trainer en longueur,les Généraux de l'armée royale redou- blèrent d'activité et de vigueur. Le Connétable et le Duc de Guise résolurent de donner,le6octe- bre, un assaut général aux forts, dont l'occupa- tion leur paraissait indispensable pour la réus- site des autres opérations de siège.Ils choisirent, pour exécuter leur dessein, le moment où la plus grande partie de la garnison, fatiguée par les sorties qu'elle faisait presque sans disconti- nuer, s'était retirée dans la ville pour prenüre quelque repos. Un nommé Louis, Capitaine employé avec sa compagnie à la défense du fort, qui avait été gagné par les assiégeans , donna le signal de l'attaque (*). L'armée royale se pré- cipita sur les retranchemens. Quoique surpris, les assiégés opposèrent une vive résistance et (*) La trahison de cet officier ayant été soupçonnée , il fut tué presqu’au méme instant par un de ses soldats, 298 ÉVÉNEMENS MILITAIRES firent acheter chèrement la victoire; enfin, accablés par le nombre, ils furent contraints de céder , et les deux forts tombèrent au pou- voir des troupes du Roi (ro). Cette journée fut fatale aux assiégés qui perdirent d’excellens officiers, entre autres Confolans, La Bouverie et Revelles. Trois cents habitans qui étaient sortis de la ville pour secourir la garnison du fort, furent coupés et tués, à l'exception d’un petit nombre;,qui parvint à rentrer dans Rouen. Quelques soldats de l’armée royale, emportés par l’ardeur du combat, pénétrèrent avec eux dans la ville, croyant pouvoir s’en emparer , et y périrent misérablement. Cesdeux fortsétant pris,on fit des dispositions pour battre le corps de la place. Une batterie fut élevée au-dessous, sur la croupe de la mon- tagne, et une autre sur une colline au pied (10) Le Duc de Guise , allant d’un de ses forts à l’autre pour les visiter, rencontra un Gentilhomme Angevin, qui depuis loug-temps médilait d’attenter àses jours.Connaissant ses desseins secrets , il le fit approcher, lui reprocha sa trame odieuse , ét lui demanda quel motif avait pu lui inspirer une résolution aussi criminelle. Le Gentilhomme avoua tout,et implora la miséricorde du Duc, en lui disant qu’on lui avait persuadé qu’en le tuant, il délivrerait la religion de son plus puissant ennemi. Le Prince lui dit alors ces belles paroles : « Voyez combien ina religion est # plus douce : lavostre vous a conseillé de me tuer sans m'ouir « la mienne me commande de vous pardonner, » EN NORMANDIE. 299 des hauteurs que forment les Fourches de Bi- horel. Elles eurent bientôt endommagé par leur feu la porte Martainville et la tour du Colom- bier, mais les assiégés profitèrent de la nuit suivante pour les réparer. Le à octobre, un détachement de oo An- glais, commandés par le Capitaine Gray, par- vint à forcer de nouveau l’estacade de Caude- bec, et entra dans Rouen. Mais un bâtiment chargé de vivres, également destiné aux assié- gés, fut coulé à fond, et deux autres bateaux furent obligés de descendre la Seine, sans avoir pu accomplir leur dessein. Le 13, le feu des assiégeans ayant de nou- veau renversé une partie de la tour du Colom- bier ; ils essayèrent de s’en emparer. L'attaque renouvelée plusieurs fois depuis dix heures du matin jusqu’à 7 heures du soir, fut repous- sée chaque fois avec une admirable bravoure par les Anglais et les Ecossais, qui étaient dans la place. Des couleuvrines qui ricochaient la muraille, tuèrent ce jour-là plus de 400 habi- tans. On vit des femmes se méler aux combat- tans, les animer par leurs discours, et leur apporter au milieu du fer et du feu tous les secours dont ils avaient besoin. Le lendemain, 14 , un parlementaire de l’ar- 300 ÉVÉNEMENS MILITAIRES mée royale se présénta aux portes de la ville, pour la sommer de se rendre. On l’admit eton remit au soir de le renvoyer avec la réponse. Pendant ce: temps, quoique la brèche ne fût pas encore praticable, on donna un assaut plus furieux encore que la veille, et qui dura six heures. Déjà la muraille était escaladée,. et les assiégeans avaient réussi à arborer trois ensei- gnes sur les créneaux, quandils furent repous- sés:ils parvinrent néanmoins dans cetteattaque, à se loger et à se maintenir sur la porte Saint- Hilaire,du haut de laquelle ils découvraient les rues qui y aboutissaient. Plus de Goo hommes de l'armée royale furent tués ow blessés dans cette journée, et la ville ne perdit pas moins de monde. On remarqua que du côté des habi- tans, il avait péri plus de femmes que d’hom- mes (11). (11) Tous les historiens qui ont parlé de ce siège de Rouen , rapportent un événement qui doit trouver place ici à cause de sa singularité. Francois Civile, Gentiliomme Normand, et Ca- pitaine d'infanterie, combattait, le 14 octobre, parmiles assiégés, entre les Fourches de Bihorel et la porte St.-Hilaire; un coup d’arquebuse qu’il reçut dans la tête,le renversa sans connaissance sur le rempart de St.-Hilaire. Des travailleurs le dépouillèrent et leaterrèrent avee les morts; maïs ils jetèrent peu de terre sur son corps. Sur le soir, son domestique ayant appris de Montgommerÿ lui-même qu’il était mort , voulut enleverle corps et le porter à sa famille, Uu officier l’accompagna dans cette recherche, par [l EN NORMANDIF. 304 Le lendemain, le Roi de Navarre qui, pen- dant toute la durée du siège,avait déployé beau- coup de valeur et d'activité, fut blessé d’un ordre du Gouverneur Jus ils ne trouvèrent en remuant la terre, que des cadavres défigurés et difformes, qu’ils ne purent recon- naître, quoique, pour les mienx voir, ils les'eussent étendus sur un pré. Après les avoir replacés dans le fossé, et rejetté la terre par dessus, ils allaient s’éloigner, quand l’un d’eux, regardant deniète lui, vit que la main de l’un des cadavres restait décou- verte. Un sentiment d'humanité les fit revenir sur leurs pas pour enterrer celte main , afin que les chiens , en la voyant , ne dévorassent pas le cadavre. Au moment où ils allaient accom- plir leur pieuse intention , un petit diamant triangulaire , fixé à l'an des doigts qui sortait de terre,brilla aux rayons de la lune,et le fidèle, serviteur sachant qu’il appartenait à son maître, reconnut, à ce signe, celui qu’il n'avait pu reconnaître à son,visage. 11 lui parut que le corps conservait un rette de chaleur, il le plaça aussitôt sur son cheval, et le porta à l'hôpital des blessés ; mais les chirurgiens ne voulurent lui donner aucuns soins, le regardant comme mort. Alors le valet le transporta chez M. de Coquerau- mont où il logeait, où Civile languit encore quatre jours sans preudre aucune nourriture , et saus presque donver signe de vie. Enfin deux médecins lui desserrèrent lés dents,et lui firent avaler un peu de bouillon, après quoi ils pansèrent sa blessure , et lui donnèrent tous les soins que son état réclamait. Ses forces revin- rent peu à peu; mais aû moment où il revenait si miraculeuse- ment à la vie , la ville fut prise, et des soldats furieux se pré- cipitèrent dans sa chambre , l’arrachèrent de son lit, et le jetè- rent par une fenêtre dans la cour. Un tas de fumier sur lequel il tomba, amortit heureusement la ch ûte: il y resta encore trois jours sans boire et sans manger, jusqu'à ce que du Croiset, sen parent,le fit enlever la nuit, et transporter secrètement dans une maison de campagne , où il fut soigné à loisir. Il recouvra après tant d’espèces de morts, une santé parfaite, et parvint à un âge très-avancé,D'Aubigné qui siégea avec lui aux as- 302 ÉVÉNEMENS MILITAIRES coup d’arquebuse à l'épaule gauche, pendant qu'il faisait tirer de l’eau d’une tranchée (12). On l’emporta sur une échelle dans la maison du Rheingraf, et de là à son logis à Darnetal. Le Duc de Guise, la Reine mère, le Connétable et le Prince de la Roche-sur-Yon se rendirent aussitôt auprès de lui. Cependant, une autre sommation fut faite aux assiégés; le conseil de la ville envoya deux ‘ semblées nationales, où il fut député de la province de Norman- die, quarante deux ans après cet événement, rapporte qu’il sigoait aux procès-verbaux de délibérations : « François Civile, a trois fois mort , trois fois enterré, et trois fois par la grâce de « Dieu ressuscité.» Il mourut âgé de 80 ans par suite, dit-on , d’un chagrin d’a- mour ; on lui a fait l’épitaphe suivante: Gi git qui deux fois dut périr, Et deux fois revint à la vie, Et que d’amoureuse folie Dans sa vieillesse on vit mourir. \ 7 (12) On asuiviicila version de De Thou;mais d’autres historiens contemporains et non moins dignes de foi, rapportent le fait diFféremment;voici ce que dit d’Aubigné:« Le jour avant la prise, a le Roi deNararre pissant aux tranchées,recçut une harquebusade « dans l'épaule gauche.» Tout ie monde connaît d’ailleurs l’épi- taphe satyrique dans laquelle on a fait allusion à cette circons- tance de la blessure d'Antoine de Bourbon. Le passage cité con- tient à la vérité une erreur de date, mais elle paraît tenir À la manière rapide et sommaire dont l’auteur a rapporté le siège de Rouen, EN NORMANDIE. 303 députés au Roi pour lui rendre hommage,et faire à S. M. une protestation sincère de la fidélité des Rouennais. Ils offrirent la reddition de la ville, à condition que l’armée s’en éloignerait à 3 lieues. Le Roi recut les députés avec bonté, mais il exigea, par l'organe de la Reine mere, une soumission absolue et sans condition, pro- mettant toutefois de laisser aux Calvinistes la faculté de se livrer dans leurs maisons aux exercices de leur religion. Le conseil de la ville, auquel on appela les gens de guerre, ne voulut point capituler sur de pareilles bases, et Les négociations furent rompues. Le lendemain, l’armée du Roi tenta un nouvel assaut , qui fut repoussé avec perte comme les précédens. Les assiégés, ayant appris que 400 arquebusiers venant de Dieppe avaient été surpris et défaits dansles bois de Pavilly par le Duc de Danville, renouèrent encore les conférences, par l’inter- médiaire de Jean Dubosc, de Montreville, et de Michel de Bauquemare. La Reine les renvoya avec les conditions précédemment offertes mises par écrit, à la réserve de l’article cor- cernant la religion. Cette négociation fut de nouveau interrompue. Il y eut un combat de\ deux heures, qu’une grosse pluie qui survint empêcha de se prolonger. Les assiégeans ayant 364 ÉVÉNEMENS MILITAIRES détourné les eaux du Robec, qui faisaient mou- voir les moulins de la ville, les habitans, dont la position devenait plus critique de jour en jour, envoyérent encore une fois des députés an camp, mais ils furent repoussés durement par le Connétable de Montmorency. Convaincus désormais qu'il pe leur restait d'autre voie de salut que leur désespoir et leur courage, les Rouennais combattirent encore quatre jours avec beaucoup d’ardeur et d'a- charnement. Ils comblérent un fossé que l’ar- mée royale avait creusé, pour détourner les eaux du vivier Martainville, et réparèrent la brèche que plus de 2,000 coups de canons avaient faite à la tour du Colombier. Le 25 octobre, le combat fut plus vif que jamais à la porte Saint-Hilaire, contre laquelle on fit jouer 3 mines, qui ne réussirent cependant que par- tiellement; enfin le 26, toutes les dispositions étant faites, l’armée royale s’avança pour un assaut général. Les assiégés accablés de tra- vaux et de fatigues, affaiblis par les pertes qu'ils avaient essuyées pendant le siège, se défendirent cette fois avec moins de vigueur. Après un long combat, vers l'heure de midi, Sainte-Colombe, gentilhomme Béarnais, plein de valeur, entra le premier dans la ville par la EN NORMANDIE, 30h brèche de la porte Sainte-Hilaire. Gaspard de la Châtre de Naucé le suivit de près, et les troupes ne trouvant plus d’obstacle capable de les arré- ter, se précipitèrent en foule dans la ville et coururent au pillage: « Pour juger, dit De Thou, de la triste situa- tion où se trouvait alors la ville de Rouen, il faut s’imaginer que le spectacle le plus cruel et le plus horrible est celui d’une ville prise d'assaut et abandonnée à l’inhumanité et à l'avarice du soldat, qui cherche à assouvir ses passions. Plus la ville est riche et peuplée, plus elle irrite sa cupidité et ie porte à s’enri- chir du butin. Telle fut la destinée de la ville de Rouen, plus malheureuse dans cetteconjonc- ture qu'elle n'avait été heureuse dans sa plus grande prospérité. Elle avait prévu ce malheur etelle avait voulu s’y exposer;les plus fächeuses extrémités et la mort même lui parurent préfé- rables à un esclavage indigne qu’elle ne croyait pas pouvoir supporter. » | Monigommery que poursuivait la haine de la Reine mère depuis la mort tragique de Henri Il, sachant qu’il n'aurait rien à espérer de la générosité du vainqueur, avait tout disposé pour la fuite. Une galère conduite par des forçats axquels il promit la liberté, le 20 306 ÉVÉNEMENS MILITAIRES reçut avec sa maison et ce qui restait d’Anglais et d'Ecossais. Le navire, par une manœuvre adroite, franchit l’estacade de Caudeébec, et entra au Hâvre sans accident. Plus de 4,000 hommes, an rapport de La Noue, périrent de part et d'autre au siège de Rouen. Plusieurs des principaux habitans furent arrêtés et jetés dans une étroite prison, et quelques-uns périrent sur l'échafaud, entre autres Montrevillé et le ministre Morlerat, aux- quels le Connétable reprocha d'avoir voulu mettre le Prince de Condé sur le trône, faire Coligny Duc de Normandie ,et d’Andelot Duc de Bretagne. On permit aux soldats de piller pendant 24 heures; mais quel que füt le soin des chefs pour faire cesser le désordre après le temps marqué, ils ne purent empêcher qu'il durât plusieurs jours : les habitans s'accordent à louer l’humanité'et la générosité que montra le Duc de Guise dans cette circonstance. Le Roi de Navarre, dont la blessure ne parut pas d’abord mortelle, quoique les chirurgiens n’eussent pu réussir à en extraire la balle, vou- lut entrer dans la ville par la breche; il fit abattre la muraille de la chambre où il cou- chait; les Suisses, précédés d’une musique guer- rière, le portèrent avec son lit qu'il ne pouvait EN NORMANDIE. 307 pas quitter sans danger : il en sortit comme il y était entré,passant de nouveau sur la brèche pour regagner son logis. Comme on ne cher- chait qu'à lui épargner les alarmes inséparables de son état, les dames de la cour, dont les charmes ne lui avaient jamais été indifférens , s’asssemblaient autour de lui pour le désen- nuyer; mais, soit infraction au régime, soit indiscrétion de plaisirs dans un état aussi cri- tique, sa blessure empira de jour en jour. Jus- qu’au moment oùil ne put plus douter de sa fin prochaine, il ne cessa de s’entretenir des flatteuses espérances que le Roi d'Espagne lui avait données de posséder la Sardaigne. La vie délicieuse qu'il comptait mener dans cette île, à l'ombre des grenadiers, des jasmins et des orangers , faisait dans sa maladie le sujet ordi- naire de ses conversations, au point de fati- guer ceux qui le visitaient. Les médecins ont ordinairement auprès des Princes malades ou mourans trop de crédit et de pouvoir; des deux qui soignaient le Roi de Navarre, l’un était Catholique et l’autre Protestant. Après avoir écouté le premier, il se confessa, et reçut le viatique à la façon de ses ancêtres : quand le second, après lui avoir lu le livre de Job, lui eut rappelé les maximes de sa religion, ildéclara 308 ÉVENFMENS MILITAIRES que s'il recouvrait la santé, il embrasserait publiquement la confession d’Augsbourg, et qu'il vivrait et mourrait dans cette croyance. Lorsqu'il eut fait son testament, il voulut, mal- gré l'avis des médecins,changer de demeure et se faire transporter à Saint-Maur-des-Fossés , près Paris. Mais à peine l’eut-on placé dans un bateau, que les symptômes les plus alarmans se manifes- térent.Hl fallut s'arrêter aux Andelys,où il expira avant d'avoir pu être débarqué. Ses dernieres paroles-furent adressées à un valet de chambre Halien qu'il avait près de lui. 1 l’exhorta’à bien servir son fils auquel il fit dired’ètre toujours fidèle au roi (13). Le retour du Parlenient qui eut lieu trois (13) On a cru devoir rapporter tous les détails des derniers moments du père d'Henri lV , parceque seuls ils suffisent pour faire conaaître le caractère de ce prince, assemblage bizarre dex qualités les plus opposées, Doué d’une âme noble, généreuse et jibérale,il devintnéanmoin: le persécuteurle plas acharné de ceux qu’il avail protégés d’abord.Habile et vaillant capitaine, il n’occupa cependant jamais qu’un rang seccndaire dans l’estime de l’armée qu'ilconmandait. Il entendait les affaires, et fut toujours la dupe des intrigues les plus gressières, et le jouet des”événemens qu'il aurait pu dominer. La légèreté de son esprit , la puérile frivolité de ses goûts, le rendirent,en politique comme en religion,un ami incertain et un ennemi peu redoutable, D’Aubigné la dépeint en peu de mots avec une grande justice : » C'était, dit-il, un priuce « d’une agréable rencontre, qui s'était ployé à tous changemens, « plus par faiblesse de cervelle que de cœur. » EN NORMANDIE, 309 jours après la prise de Rouen, fut signalé par de sanglantes exécutions. Jalouse d’exercer un pouvoir long-temps méconnu, et excitée par les chefs de l’armée royale, cette compagnie déploya une sévérité excessive contre les vain- cus. Des conseillers de ville, des ministres et plusieurs habitans notables furent condamnés à mort. Ces rigueurs s’étendirent même aux troupes : plusieurs Capitaines renommés par leur valeur furent également condamnés et exécutés; les ordres exprès de la Reine mère suffirent à peine pour meitre un terme à ces cruautés qui provoquérent de la part des Pro- testaus d'Orléans de tristes représailles: La chüûte de Rouen entraïna la soumission des Protestans de Dieppe et de Caen, qui s’esti- méerent heureux de recevoir garnison de Far- mée royale, et de conserver la liberté de suivre en paix, dans l’intérieur de leurs maisons, les pratiques de leur religion. Les Anglais qui ôc- upaient Dieppe, se retirérent au Häâvre, et le Duc de Montmorency, fils du Connétable, occupa la ville et le châtean le à décembre Le commandement de la ville fut donné à Martel de Bacqueville avec 1600 hommes, et celui-du château à Ricarville avec 300 hommes d'infan- terie. On retira du pays de Caux les troupes 310 ÉVÉNEMENS MILITAIRES allemandes qui y avaient causé de grands dé- sordres, et toute cette contrée rentra sous l’o- béissance du roi.Le Duc de Bouillon, toujours en garde contre les empiétemens de Matignon, fit entrer dans le château de Caen deux ensei- gnes de Picards et en donna le commandement à Bailleuil de Renouard. Le Prince de Condé reçut à Orléans, pres- qu’en même temps la nouvelle de la prise de Rouen et celle de la défaite de l’armée du Comte de Duras à la bataille de Ver en Guienne. Ce double échec ébranla un instant son cou- rage; mais l’arrivée des troupes auxiliaires que d’Andelot était enfin parvenu à amener d’Alle- magne à travers mille difficultés, lui ren- dit toute son énergie. Ces troupes présentaient une force de 3,000 cavaliers et de 4,000 hom- mes de pied. Les débris de la défaite de Ver, composés de 300 chevaux et de 1,500 hommes d'infanterie sous la conduite de La Rochefou- cault et de Duras, les avaient précédés depuis quelques jours. Réunisssant ses forces à celles qu’il avait dans Orléans, Condé résolut de marcher sur Paris où la cour était retournée. Lorsqu'il fut parvenu dans les environs de la capitale, et n'étant séparé de l’armée royale que par la Seine, il y eüt entre lui et la Reine plu- EN NORMANDIE. 317 sieurs tentatives de négociations qui demeure- rent sans résultat. Enfin son armée forte d’en- viron 8,000 hommes de pied et 5,000 chevaux, avec deux gros canons, une couleuvrine et 4 pièces de campagne , s'établit à Montrouge, Vaugirard , Arcueil et Cachan. L'armée du Prince de Condé resta dix jours devant Paris, pendant lesquels il ne se passa aucun événement militaire important. Diverses conférences eurent lieu entre les chefs des deux partis, et toujours sans succès. Condé convaincu des difficultés insurmontables de soh entreprise, averti par la défection d'Yvoy de Genlis, du danger auquel il s'exposait en prolongeant son séjour dans le voisinage sé- ducteur de la capitale, et éprouvant d’ailleurs de grandes difficultés pour faire subsister son armée, décampa le 10 décembre, et prit la route de Normandie dans l’intention de se joindre aux Anglais qni étaient au Hävre, et de toucher le subside promis par Elisabeth. Ces fonds lui étaient d'autant plus nécessaires, que les Allemands qu’il avait à sa solde mena- çaient déjà de se mutiner-pour être payés. Le Prince de Condé marchait à grandes journées. L'armée royale le suivait avec une égale vigilance. Elle l’atteignit, et le força de 312 ÉVÉNEMENS MILITAIRES combattre le 59 décembre, auprès de Dreux, d’où cette bataille a pris son nom. Les événe- mens de cette journée en font une des plus ex- traordinaires dont l'histoire puisse faire men- tion. La Noue 7emarque pour première singu- larité, « qu’encore que les armées fussent « plus de deux grosses heures à une canon- « nade l’une de l’autre, il ne s’attaqua aucune « escarmouche ; chacun alors se tenait ferme, « représentant en soi-même que les hommes « qu'il voyait venir vers soi n'étaient Espa- « gnols, Anglais ni Italiens, ains Français, « voire de plus braves, entre lesquels il y en « avait qui étaient ses proches, compagnons, « parens et amis, et que dans une heure il « faudrait se tuer les uns les autres, ce qui « donnait quelque horreur du fait, sans néan- « moins diminuer du courage. » En effet, on se battit pendant cinq heures avec un égal acharnement de part et d'autre, les deux partis étant alternativement vainqueurs et vaincus. Le champ de bataille resta à l'armée royale, mais elle perdit deux de ses -chefs les plus im- portans, le Connétable et le Maréchal de Saint- André. Le premier fut fait prisonnier et le second tué. Du côté des Réformés, il périt moins d'officiers de marque que du côté des EN NORMANDIE. 312 Catholiques, mais le Prince de Condé, légère- ment blessé à la main et combattant au premier rang, fut fait prisonnier. Le Duc de Guise, bien que v’ayant aucun commandement dans l'ar- wée, décida néanmoins le gain de la bataille, en chargeant à propos à la tête d’une réserve de cavalerie, dans un moment où les Protestans qui se croyaient sûrs de la victoire, s’'abandon- naient avec trop de confiance à la poursuite de leurs ennewis. Le Duc de Guise, délivré par la mort du Roi de Navarre et du Maréchal de Saint-André , et par la captivité du Connétable, des rivaux avec lesquels il avait jusqu'alors partagé le pou- voir, fut nommé Lieutenant-cénéral-du-royau- me. Il se décida à aller assiéger Orléans, con- vaincu qu'en se rendant maître de cette place, il porterait un coup mortel aux Calvinistes déjà abattus par la défaite qu'ils venaient d'essuyer et la perte de leur principal chef (**). Il arriva le 6 février 1563 avec son armée sous les murs de cette ville, dans laquelle d'Andelot s'était retiré avez la plus grande partie des troupes (**) 1 disait, que le terrier étant pris où Les Renards se reti- aient, on les courrait à force par toute la France, (Lanoue.) \ 314 ÉVÉNEMENS MILITAIRES échappées à la bataille de Dreux. Magré la valeur de d’Andelot et de Pas de Feuquières, le siège fut poussé avec activité. Maitre du fau- bourg du Portereau, du pont et des tourelles foudroyées par son artillerie, le Duc de Guise se disposait à attaquer les Iles, lorsqu'il fut tué par Jean Poltrot en revenant d’une recon- naissance. L’Amiral de Coligny, après avoir combattu à Dreux avec une admirable valeur, avait opéré sa retraite dans le plus grand ordre; il voulut même recommencer le combat le lendemain, mais les Reitres s’y refusèrent, pré- textant que leurs chevaux étaient hors d'état de suffire aux fatigues d’une seconde journée. Le mécontentement de ces troupes,dont les recla- mations devenaient plus vives de jour en jour, le déterminèrent à continuer avec elles sa route vers la Normandie, où il devait trouver l'argent nécessaire au paiement de leur solde. 1l espérait d’ailleurs attirer sur ses traces une partie de l’armée royale et affaiblir d'autant les forces qui menaçaient Orléans. Le Duc de Guise détacha en effet le Duc de Brissac, le Maréchal de la Vieilleville et le Rheingraf, La troupe de Coligny,composée de 4,000 cavaliers bien équipés auxquels il avait fait laisser leurs EN NORMANDIE. 315 bagages à Orléans, quitta les bords de la Loire le 1<7. février, traversa la Beauce et entra en Normavdie par Evreux. De là il se rendit par Bernay à Saint-Pierre-sur-Dives, petite ville de la Basse-Normandie, voisine des bords de la mer, entre l'embouchure de l'Orne et celle de la Seine, d’où il pouvait également se porter sur le Hâvre et sur Caen. Les villes de Honfleur et de Pont-l'Evêque, qu'il fit occuper par des détachemens, lui fournirent des vivres pour son armée. Cependant les Protestans de Caen qui for- maient la majorité de la population, ne se bor- naient pas à user de la permission qu'ils avaient obtenue de suivre individuellement et dans leurs maisonsles pratiques de leur religion. 1ls avaient des réunions nombreuses qui causaient des inquiétudes aux Catholiques, ce qui fut cause que le Marquis d'Elbœuf, frère du Duc de Guise, fut envoyé dans cette ville pour con- tenir le peuple par la crainte, conjointement avec Renouard qui commandait au château. La proximité de l’armée de Coligny ayant ren- du les Protestans plus hardis et plus entrepre- pans, il y eüt entre eux et la garnison plusieurs rixes et des actes d’hostilité, et une sortie des Picards de Renouard avait été repoussée. Ils 7 , 316 ÉVÉNEMENS MILITAIRES envoyèrent une députation à l’Amiral pour le prier de venir à leur secours. Coligny qui n'at- tendait que l’arrivée des troupes et de largent d'Angleterre, refusa d’abord , alléguant que le château de Caen était une place trop forte pour pouvoir être emportée sans un siége régulier, et que les démonstrations qu’il ferait en faveur des Protestans les exposeraient après son départ un redoublement de mauvais traitemens de la part de leurs ennemis. Cependant, vaincu par les instances des députés, il envoya à Caen de Vaudray de Mouy avec sa cornette et quel- ques arquebusiers à cheval, lui-même s’y rendit peu de jours après. Pendant ce temps, la flotte anglaise, long-temps retenue par les vents con- traires, débarqua au Hâvre, cinq enseignes de troupes anglaises , huit canons de gros calibre, avec tout l'attirail nécessaire et la somme d’ar- gent stipulée par le traité de Hamptoncourt. Aussitôt Briquemault et Trockmorton, vinrent à Caen avec deux enseignes et de l'artillerie. Ce renfort ayant mis Coligny en état de tenter une attaque sérieuse, contre le château , il réso- lut d'en faire le siège. Le château de Caen est situé au nord de la ville, au bord d’un plateau de médiocre éléva- tion qui domine la vallée dé POrne ; les formes EN NORMANDIE, D 7 du terrain terminées au couchant et vers le midi par un escarpement à pic, de huit à dix mètres de hauteur , le défendent naturellement de ce côté, le long duquel s'étendent une partie de la cé et le faubourg Saint-Julien. Son enceinte consiste en une forte muraille crenelée, flan- quée de tours , les unes carrées , les autres rondes. Elle est comprise en partie dans l'an- cienne enceinte de la ville, dont il ne subsiste plus aujourd’hui que quelques vestiges. Un fossé large et profond , creusé dans le roc, le protège du côté de la campagne. La porte d’en- trée située au sud , vis-à-vis le portail de l'église Saint-Pierre, communique avec la ville au moyen d’un pont-levis; au nord-est, une autre porte, munie également d’un pont-levis, s'ouvre sur les faubourgs du Vaugueux et deSaint-Gilles, situés sur le même plateau et à peu près sur le même plan que le château. T’une et l’autre de ces portes sont défendues par des masses de maconnerie de forme carrée , flanquées de tourelles aux angles , et entourées de fossés sur tous les points. Compris autrefois dans l'enceinte de la ville, le chàäteau est enveloppé de fort près par des maisons dont quelques-unes paraissent d’une cons- truction antérieure à l’époque dont il s’agit ici, mais du côté de la campagne, le 313 ÉVÉNEMENS MILITAIRES terrain est découvert et s’abaisse en glacis, pour se relever plus loin et former plusieurs collines qui le commandent à bonne portée de canon. Dans la partie de l’intérieur qui avoisine la campagne, s'élevait le donjon (14) destiné à servir de réduit à la garnison. C’était un édifice quadrangulaire d’une construction très-solide, flanqué de tours, entouré d’un mur ayant lui- même une tourelle à chaque angle, et muni d’un fossé et d’une contre-garde avec laquelle il communiquait par un pont. Le 1e. mars, l’Amiral fit dresser une batte- rie de six pièces de canons vis-à-vis l’escarpe- mentau pied duquelest situéle faubourg Saint- Julien. On fit une brèche à la muraille, mais elle était si petite et si élevée, que la garnison aurait repoussé sans peine l'assaut dont elle était menacée pour le lendemain, si le Marquis d'Elbœuf, malade d’une fièvre quarte, et le’ commandant Renouard eussent voulu latten- dre. Soit qu'ils fussent étonnés d’un siège au- quel ils n'étaient pas préparés, soit que la nou- (14) Ilaété démoli pendant la révolution; privé de ce réduit, le château de Caen , est à peine aujourd’hui à l'abri d’un coup de main,car son fossé et ses murs qui forment son unique défense, n’ont qu’un flanquement très-imparfait,et peuvent être escaladés facilement. EN NORMANDIF. 319 velle de la mort du Duc de Guise, qui commen- çait à se répandre, eut abattu leur courage, ils se retirèrent dans le donjon et demandèrent à capituler. On s’est étonné que l’Amiral n’eüt pas, dans cette circonstance, tiré un plus grand parti d'un succès dù à la faible résistance des assié- gés, en se rendant maître de la personne du Duc d’Elbœuf, afin de l’échauger contre le Prince de Condé, prisonnier de l'armée royale; mais on peut croire que,prévoyant que la mort du Duc de Guise dont il avait été informé allait changer la position de son parti et nécessiter de nonvelles combinaisons, soit pour la paix, soit pour la guerre, Coligny voulait hâter son retour vers Orléans. Il accorda au Marquis d'El- bœuf des conditions honorables , et le renvoya en liberté ainsi que Renouard. Une somme considérable d'argent, et les objets précieux appartenant aux églises,que le Duc de Bouillon avait précédemment fait enlever et déposer au donjon;lui furent remis. Pinsieurs habitans qui avaient donné lieu à des meurtres et à des sédi- tions, furent livrés aux Protestans pour en faire Justice. La prise du château de Caen-par les Protes- tans fut suivie de celle de la plupart des autres 320 ÉVÉNEMENS MILITAIRES villes de la Basse-Normandie. Bayeux assiéoé par Colombière et Pierrepont, depuis le 14 février, fut pris le 4 mars , la garnison se joignit aux vainqueurs pour piller la ville,et commettre beaucoup de désordres; plusieurs habitans farent tués et des ecclésiastiques cruellement maltraités. Raviglio Rosso, dont les débauches et les exactions n'avaient pas cessé d’irriter le pays, voyant que la ville allait être prise, s'é- tait caché dans une retraite pratiquée dans Pé- paisseur d’un mur, avec une jeune fille qu'il avait récemment enlevée de force à sa famille; mais il fut trahi par ses domestiques, et livré aux Protestans qui le pendirent le lendemain de leur entrée à Bayeux. A la même époque, Saint-Lo où Matignon avait mis garnison, fut abandonné à Montgemmery que l’Amiral avait fait venir de Dieppe (15). Avranches reçut également les troupes des Protestans. Elles trouvèrent plus de résistance à Vire où La Neu- ville commandait pour Matignon; le comman- (15)Montgommery s’élait de nouveau emparé de celte ville Le 20 décembre,par stratagème. Des soldats déguisés s'étaient introduits quelque tewps auparavant dans la ville et dans le château, dont ils avaient gagné lesgaruisons. Ricarville avait l'habitude de sortir tou, les jours du furt pouraller voir ses chevaux. Ils le surprirent un matin pendant une de ses courses,et lui coupèrent la tête;aussitôt les troupesse soulevèrent et se déclarèrent pourles Protestans. EN NORMANDIE. Jat dant des Anglais fut tué pendant le siège, mais le soir du même jour,la ville fut emporiée d’as- saut. Le pillage, les cruautés et les infamies de toute espèce ne furent point épargnés à cette malheureuse population. Montegommery par- vint néanmoins à mettre fin aux excès des sol- dais et retourna à Caer,après avoir tenté inuti- lement de s'emparer de Pontorson et du Mont- Saint-Michel. Cependant la mort du Duc de Guise (16), en privant l'armée Catholique du seul chef capable de la commander, fit sentir plus forte- ment à Catherine le besoin de la paix dont elle (16) L'attentat de Poltrot,soit qu’on le considère commele résul- tat d’une lâche trahison, soit qéfilaitété inspiré par lefanatisme, fraya le chemin à la paix ; mais loin d’éteindre les factions, il jeta dans le cœur des enfans du Duc de Guise, les semences des baines implacables qui se sont développées depuis,et ont produit les guerres civiles dont la France a été agitée. Héritiers de la valeur de leur père et de l'affection qu’on avait pourlui, appuyés du prétexte de la religion , et soutenus par le peuple, ne trou- vant dans les Princes et les grands que paresse et lâcheté, dans ceux qui étaient à la tête des affaires que perversité, ct dans ie siècle où ils vivaient que vices et corruptions, ils p‘ofitèrent d'uneoccasion si favorable poux faire éclater leur courage et pour susciter de nouveaux troubles. Ils firent de leurs euremis parti- culiers les ennemis de l'état ; ils prirent les armes contre éux sous les auspices des Rois, enfin ils se tournèrent contre la patrie et même contre les Rois,el enveloppèrent dans une ruine commune et le pays et leurs amis eux-mêmes, 21 322 ÉVÉNEMENS MILITAIRES n'avait d’ailleurs jamais été éloignée. Le Duc de Wurtemberg, auquel elle avait fait offrir le commandement de l'armée royale l'ayantrefusé, elle mit tout en œuvre pour parvenir à un promptaccommodement. Pour rendre les négo- ciations plus faciles, le Prince de Condé et le Connétable furent réciproquement échangés. Ce dernier, dans les conférences qui eurent lieu, ne cessa point de se montrer opposé à l'exécution de l'édit de janvier sur laquelle, de leur côté, les Ministres Calvinistes insistaient avec opiniâtreté; mais le Prince de Condé au- quel la Reine avait laissé entrevoir la perspec- tive de succéder à son frère dans la charge de Lieutenant-général du Royaume , apporta des dispositions plus conciliantes. Ne pouvant vaincre les exigences des M nistres de sa reli- gion, il prit le parti de ne plus les consulter sur le traité qu'il était résolu à souscrire, afin de tout terminer avant l’arrivée de l’Amiral de Coligny, qu’il savait opposé à toute concession. Les bases dela pacification furent arrêtées entre la Reine et lui dans une entrevue qui eut lieu le 12 mars, etle 19 du même mois parut un édit du Roi signé et scellé à Amboise. Par cet acte, S.M. permettait aux Seigneurs, hauts justiciers, l'exercice libre et public de leur religion dans EN NORMANDIE. 323 étendue de leur seigneurie, accordait à tous les nobles la même liberté pour leur maison seulement, pourvu qu'ils ne demeurassent pas dans les villes ou bourgs sujets à de hautes jus- tices excepté celle du Roi; ordonnait que dans tous les bailliages ressortissant immédiatement des cours de Parlement, on assigneraitaux Pro- testans une ville pour y faire l’exercice pnblic de leur religion (r7); enfin confirmaitaux Pro- testans la liberté de tenir leurs assemblées ou prêches dans tous les lieux dont ils étaient mai. tres au 7 mars. L'édit proclamait en outre le pardon et l'oubli de tout le passé, décharpgeait le Prince de Condé de rendre compte des de- niers du Roiemployés pourles fraisde la guerre, et reconnaissait que lui et tous ceux qui avaient suivi son parti, n'avaient rien fait, soit par rapport à la guerre, soit par rapport à l’admi- nistration de la justice, qu'avec de bonnes in- tentions etpour le service deS. M. Ainsi se termina la première de ces luttes sanglantes qui ont ravagé la France pendant plus de 30 ans au nom de la religion. L'histoire de ces temps désastreux offre un vaste champ (17) Get article était une restriction à l’édit de janvier quileur permettait de s’assembler dans les faubourgs de chaque 7ille ou bourg. 32 4 ÉVÉSEMENS MiLITAIRIS aux méditations de l’homme d’état, du philo- sophe et du moraliste, maïs elle n'est pas éga- lement profitable sous le rapport de l’art mili- taire;lesguerres civiles du moins dans les temps modernes , n'admettent pas, comme celles de peuple à peuple, les plans généraux , les com- binaisons savantes et l'unité d'exécution qu', depuis Pétablissement des armées nationales et permanentes, ont fait de la ‘hécrie de la guerret une science spéciale. Ici les dispositions des provinces , le nom et le caractère personnel des chets, linfluence et le patronage qu'ils exer- caient sur les populations, les avantages que présentaient certaines localités pour l'entretien, la subsistance et la sûreté des troupes, réglaient presqu'uniquement les opérations militaires. Le commandement,au lieu d’être assujetti à une direction unique, était partagé en provinces comme le territoire , et chaque gouverneur, indépendant de ses voisins, faisait la guerre pour son compte, à peu près sans ordres supérieurs, sans contrôle et sans responsabi- lité. Si cette époque n’a vu éclore aucune de ces grandes innovations, si elle n’a été signalée par aucun de ces immenses progrès que l'art de la guerre doit au génie supérieur des Gustave EN NORMANDIE. 32 Adolphe, des Vauban et de Frédéric LE, elle offre cependant plusieurs perfectionnemens de détails qui méritent une place dans histoire de l'organisation de nos armées. Telle est la créa- tion des sept nouvelles légions d'infanterie, de 6,000 hommes chacune,ordonnée par Henri IE, en 1557. Ces corps avaient à peu près la même organisation que ceux de même dénomination institués par François Ex, en 1534, qui furent supprimés quelque temps après. Ils prirent le nom des provinces de Normandie,de Bretagne, de Picardie, de Bourgogne, de Champagne, de Dauphiné, de Languedoc et de Guienne, dans lesqueiles ils se recrutèrent (18). Chaque légion se composait de 15 enseignes de 4oa hommes chacune. Elle était commandée par un colonel qui avait sous ses ordres un sergent- major; les enseignes,commandées par des capi- taines , avaient leur lieutenant, leur enseigne, leurs sergens, leurs caporaux, leur anspeçades, des piquiers etdes arquebusiers. Quelques-unes de ces légions ne furent point organisées immé- diatement, d'autres furent dispersées après la paix de 1563, mais on les rétablissait chaque (18) Les compagnies étaient levées par les capitaines dans les cautons qui leur étaient assignés; les officiers et subalternes devaient appartewir à la province qui fournissait la légion. 326 ÉVÉNEMENS MILITAIRES fois que les circonstances l'exigeaient, On croit généralement qu’elles échangèrent,peu detemps aprés leur création, leur nom de légion en celui de régiment,emprunté aux troupes étran- gères et qui s’est conservé depuis lors.Uneautre institution importante de cette,époque, € celle du régiment des Gardes Françaises, créé après le. siège du Hâvre dont il sera bientôt question. Il se composait originairement de 10 compagnies et ne présentait qu'un effectif de 5oo hommes; mais son organisatioh éprouva par la suite un grand nombre de changemens. Mais le fait le plus important sous le rap- port de l’histoire des troupes Françaises, est l'organisation régulière donnée sous le règne de Henri IL à la cavalerie légère. Louis XIT, pendant la campagne d'Italie, avait le premier senti l'utilité de cette arme. Témoin des services que la république de Venise retirait des Estra- diotes ou Albanais , il en avait pris à sasolde, et c'est de ce type grossier qu'il parait être parti (***), pour former un corps de chevaux légers. La France eut donc dès cette époque quelques compagnies de cavalerie légère (****). (***) Brantôme. (****) Mont-luc,. dans ses commentaires , dit en parlant de Fontrailles , qu’il était général] de 1200 chevaux légers. EN NORMANDIE. 327 François [er. augmenta le nombre de ces trou- pes, mais ce ne fut que sous Henri IT, que cette cavalerie commença à être assez nombreuse pour prendre rang parmi les corps de l’armée. Ce Prince, en 1552, avait 3,000 chevaux légers dont toutes les compagnies étaient comman- dées par les plus grands seigneurs. Ses ordon- nances de 1549et 1553, sont les premieres qui : fassentmention de cette arme ; elles distinguent les vieilles et les nouvelles compagnies, règlent leur solde, et fixent le nombre de soldats dont chacune doit être composée. Ce fut aussi sous le règne de Henri II que la cavalerie Française emprunta des Espagnols et des Allemands, l'usage de charger par escadron de trois et un plus grand nombre de rangs de profondeur. Elle ne combattait auparavant que par rangs échelonnés à 4o pas de distance l’un de l'autre (*****). Le relâchement total des liens de la discipline, est le caractère constant des guerres de reli- gion, et l’une des plus grandes calamités qui les accompagnent. Cependant plusieurs historiens vantent la belle discipline qui régnait au com- mencement de cette guerre, surtout dans l’ar- ( Her) V. La Noue dise. XV. 325 ÉVÉNEMENS MILITAIRES mée Calviniste; on n'y voyait ni jeux de hasard, ni femmes de mauvaise vie, ai maraudeurs ; au lieu dechansons obscènes, les soldatschantaient : les psaumes: la prière se faisait matin et soir à des heures marquées ; et pendant le cours de la journée, les ministres répandus dans les com- pagnies, les entretenaient de discours pieux et d’exhortations. Mais en écartant ainsi tous les amusemens et en ne souffrant que des conver- _Sations sérieuses, on inspirait aux troupes un zèle sombre et farouche, et on faisait de chaque soldat un enthousiaste disposé à toutes les’ cruautés pour le soutien de sa religion: L’Ami- ral de Coligny avait prévu les funestes effets de cette exaltation. « C'est vraiment une. belle « chose, disaitsil, que cette discipline, moÿen- nant qu’elle dure, mais je crains que ces gens- LS ci ne jettent toute leur bonté à la fois: Fai « coinmandé l'infanterie et je la connais; elle « accomplit souvent le proverbesqui. dit : de « jeunehermite vieux diable. » Enseffet, cette austéfité de mœurs fit bientôt place à tous les excès d’une licence long-temps retenue. Le pillage de Beaugency (19) fut le premier pas (19) Les soldats se comportèrent dans cette occasion, « comtne « s'il y eût eu, dit La Noue,un prix proposé à qui pis ferait; ainsi « perdit notre infanterie son puacclage , et de cette conjonction aillégitime,s’ensuivi la procréation de mademuiselle la Picorée.» ŒN NORMANDIF, 329 que firent les Calvinistes dans cette carrière de meurtres et de brigandages. Les Royatistes ne furent pas en reste, et vengèrent cet excès par * de cruelles représailles. Catholiques ou Calvi- nistes , 1l est difficile de décider lesqnels com- mirent les barbaries les plus atroces. L'histoire a conservé les noms de quelques hommes de sang dont les traces étaient marquées par le carnage, qui convertissaient leurs châteaux en prisons, et leurs soldats et leurs valets en bour- reaux; qui, enfin, non contens de se faire un jeu.de la vie des hommes, ajoutaientaux-sup- plices les tourmens,et aux tourmens lamertu: ue de la raillerie. n’y avait nul asile, nuile sù- reté contre la violence : la foi des tirés: la sainteté des sermens furent dans cette guerre . également foulées aux pieds. On vit des garni- sons entières qui s'étaient rendues sous la sauve- garde d’une capitulation honorable, passées au fil de l'épée, et leur capitaine expirer sur la roue. Les annales des villes, les fastes des fa- milles ont transmis jusqu’à nous des exemples d'inhumanité dont la variété sürprend autant que leur cruauté inspire d'horreur. Des. tortu- res adroïitement ménagées pour suspendre Ja mort et la rendre olus douloureuse; des pères, des maris poignardés dans les bras de leurs 330 ÉVÉNEMENS MILITAIRES filles et de leurs épouses outragées sous leurs yeux; des femmes, des enfans victimes de bru- talités inconnues chez les peuples les plus bar- bares ; enfin des provinces entières dévas- tées (20); le meurtre comblé par l'incendie , : des magistrats vénérables, victimes de la fureur d’une populace effrénée qui, poussant la rage au-delà de leur mort, traînait dans les rues leurs entrailles encore palpitantes et se repais sait de leur chair. Il serait néanmoins aussi contraire à la vé- rité, qu'injurieux pour la nation Française, de voir dans ces énormes excès l’anéantissement total de ce caractère de noblesseet de générosité qui fut de tous temps son glorieux apanage. Dans plus d’une occasion au contraire, ces vertus chevaleresques ont brillé de tout leur (20) Un problème d’économie politique assez difficile à résou- dre , serait d’expliquer comment, maluré les troubles continuels qui ont agité le règne de Charles IX , il n’y a point eu à cette époque de disette en France. On a peine à se persuader que dans un temps où les campagnes ravagécs par la gnerre restaient sans culture ; parce que les habitans s’étaient réfugiés dans les villes, les vivres n’aient pas eu la cherté qu’ils ont acquise depuis dans des temps plus tranquilles. Le plus gros chapon coûtait en Normandie sept sols, la meilleure poule vingt deniers, le pigeon douze deniers, la perdrix cinq sols et le canard sauvage quatre sols ; malgré l’avidité des traitans Italiens , le peuple vivait dans une sorte d’aisance,et la subsistanceétait facile. EN NORMANDIE. 351 lustre au milieu du débordement universel des passions les plus haineuses. 11 serait facile de citer une foule d'exemples d'humanité et de modération à l'honneur des deux partis; mais ce qui prouve surtout, que, même au plus fort des discordes civiles, le dégoût et l'horreur de cette guerre impie étaient au fond de tous les cœurs , C'est que chaque fois que les hostilités étaient suspendues par-des négociations, les officiers de l’une et de l’autre armée, oubliant leurs ressentimens, profitérent de ces trèves pour échanger entre eux les plus touchantes démonstrations de fraternité et d'affec- tion (21). Aussi le rétablissement de la paix fut-il regardé comme un bienfait par les Ca- tholiques comme par les Protestans. Rien ne (21) C’est ce qui arriva notamment pendant la marche du Prince de Condé sur Paris, lors des conférences qui eurent lieu entre lui et le Gonnétable. «On eût vu,ditLa Noue,dans la campa- « gne entre les corps de garde, sept ou huitcents gentilshommes « de côté et d’autre, deviser ensemble, aucuns s’entre saluer, « autres s’entr’embrasser de cette facon que lesreitres du Princé « de Condé quiignoraient nos coutumes, entraient en soupçon « d’être trompés et trahis par ceux qui s’entrefaisaient tant de « belles démonitrations,et s’en plaigunirent aux supérieurs. Depuis « ayant vu, les trêves rompues, que ceux mêmes qui plus s’en- « tre-caressaïent,étaient les plus âpres à s’entre donner des coups « de lance et pistolets, ils s’assurèrent un peu, et disaient entre « eux: quels fols sont ceux.ci qui s’embrassent aujourd’hui et « s’entretuent demain » 332 ÉVÉNÈMENS MILITAIRES fait mieux voir combien les uns et les autres aäSpiraient alors à une réconciliation sincere et durable que ce qui se passa au siège du Hâvre- deGrâce: A peine le Roreut:il nBnifentéls inten Rs de reprendre cette ville sur les ee qui ‘continuaient à l'occuper comme place de sûreté, et gage de l'emprunt contracté par le … Pribre de Condé envers Elisabeth, que la plu- part des chefs Caivinistes accoururent pour par- tager les dangers et la gloire de cette entreprise. Il ny eut que l’Amiral de Coligny et son frère d’Andelot qui ne s'y trouvèrent pas, croyant leur honneur compromis s'ils s’y présentaient, attendu. que c'eût été de leur part un trait d’in- à gratitude envers une Princesse qui avait si gé- -néreusement épousé leurs intérêts. Le Hävre-de-Grâce est situé à l'embouchure de la Seine sur une plage unie et sablonneuse qui s'étend le long de la rive droite du fleuve et que dominent à l'opposé ies coteaux d'Ingou- ville, de Graville et de Saint-Adresse. Son en- ceinte, qui a été depuis considérablement élar- gie et convertie en un système régulier de forti- fications , consistait, en 103, en une muraille flanquée du côté de terre de trois bastions, et se terminant par une grosse tour à l’entrée du EN NORMANDIE. 333 port (22). Les portes étaient au nombre de trois, au Sud-Ouest, celle du Perrey, peu éloi- guée de la tour, ouvrait sur la jetée, celle d'Ingouville au Nord, et celle de l'Heure à l'Est. Cette dernière trait son nom d’un ancien fort situé sur la plage à une demi-lieue de la ville, que les Anglais avaient relevé à l'approche du siège. Le comte de Warwick occupait la place avec environ 7,000 Anglais où Ecossais; il se hâta de faire sortir de la ville tous les habitans, s'empara des vivres qui s'y trouvaient, et fit capturer et conduire dans le port tous les na- vires Français qu'il put atteindre , de crainte que les assiégeans ne s’en servissent pour inter- cepter ou retarder les secours qu'il attendait par mer. En même temps, il fit couvrir la grosse iour et la porte du Perrey par un retranchement palissadé qui s’étendait de la ville à la mer. Le Roi qui était au château de Guillon, avec sa cour,envoya sommer les Anglais de se rendre, mais le comte de Warwick lui répondit qu'il ne pouvait traiter de la reddition du Hàvre avant qu'on eüt rendu Calais à sa souveraine. (22) « Franciscus rex#oppidum quadrangulum condidit ,et in « uno quoque angulo longum latumque propugnaculum estraxit, « aisi ad ports ioitium; ubi angulom facit firma turris , instar a adamantinæ cuspidis acuminata.» (Belc. lib. 30.) 334 ÉVÉNEMENS MILITAIRES Informé de cette réponse, le roi fit déclarer la guerre par un Héraut le 6 juillet, et ordonna au Maréchal de Brissac d'investir la place. L’ar- mée Française qui était déjà réunie arriva bien- tôt devant le Hävre , où Le Rheingraf l'avait précédée avec ses Allemands, et occupa es communes de Sanvic, d’Ingourville et de Grà- ville, au Nord de la ville. Le premier soin du Maréchal, en arrivant sous les murs du Hâvre, fut d'établir une batterie sur les hauteurs voisines de la mer, _pourinterdire aux vaisseaux Anglais l'entrée du port, et de détourner le ruisseau de Vitenval. Cette dernière mesure fut surtout funeste aux assiégés, en les privant d’eau potable, car le petit nombre de citernes que renfermait la ville fut bientôt épuisé , et les puits qu'ils creusèrent dans le sable d’alluvion qui forme le sol, ne donnaient qne de l’eau salée.La chaleur brülante de la saison et les travaux du siège ne tardèrent pas à rendre cette privation insupportable. Bientôt une maladie contagieuse,causée par le défaut de propreté et la mauvaise nourriture, se déclara, et la garnison en proie à ce double fléau , se trouva réduite de moitié dans l'espace de quinze jours. LeMaréchal deBrissac,jugeant avec raison,que EN NORMANDIE. 335 s'il parvenait à s'emparer de la grosse tour qui commande l'entrée du port, les assiégés privés, non seulement de tout espoir de secours, mais encore de tout moyen de retraite, s'empresse- raient de prévenir leur ruine totale et inévita- ble par une capitulation, dirigea ses principaux efforts sur ce point, en même temps qu’il fit ouvrir la tranchée du côté opposé dans la plaine de l’Heure. Après une vigoureuse résistance, Richelieu à la tête de son régiment, emporta le retranchement palissadé, et s’y logea malgré le feu meurtrier des assiégés,qui avaient établi de l'artillerie sur la plate-forme de la tour (23). Maitre de la jetée, le Maréchal y fit aussitôt élever une batterie de quatre canons de fonte de gros calibre qui battirent si vivement la tour pendant cinq heures, que, malgré son épais- seur, elle fut renversée en grande partie. La vigueur de ces attaques, l'ardeur irrrésis- tible des assaillans, et la détresse toujours crois- sante des assiégés, firent dès lors sentir à War- wick l’inutilité et le danger d’une plus longue résistance. Il demanda en conséquence à entrer en pourparler avec le Maréchal de Brissac; (25) Richelieu reçut dans cette attaque un coup d’arquebuse dont il mourut peu de jours après. Le fameux Gardinal étai son noveu. \ 336 + ÉVÉNEMENS MILITAIRES mais l’arrivée au camp du Connétable de Mont- morency, qui eut lieu le 21 juillet ; suspendit ces négociations. Jaloux des succès du Maréchal qu'il haïssait, quoique son parent, le vieillard vain et opiniätre ne voulut rien sanctionner de ce qui avait été fait pendant son absence; allé- guant les privilèges de sa charge, et prétendant que lui seul dans l’armée pouvait conclure une capitulation. Comme pour constater la nullité de toutes les opérations qui avaient précédée son arrivée, il envoya un trompette à Warwick pour le sommer de rendre la place. Ce dernier, soit qu’il eût reçu la nouvelle du renfort consi- dérable que l’Amiral Clington devait lui amener d'Angleterre, soit qu’il eùt conçu l'espoir que la mésintelligence qui venait d’éclater entre les chefs assiégeans, ralentirait leurs attaques, ré- pondit qu'il n'avait d'autre mission que celle de garder la ville et de la défendre, et qu’il était prêt, lui et tous ses officiers, à tous les sacri- fices plutôt que de manquer à leur Souveraine. Du res'e, les officiers Anglais, chargés de por- ter cette réponse, échangèrent des paroles courtoises avéc ceux. qui les reçurent au bord de la tranchée. Alors le Gonnétable fit porter la tranchée que le Maréchal de Brissac avait fait ouvrir daus la EN NORMANDIE. 337 plaine de l'Heure , jusqu’au-dessous du bastion de Saint.Adresseet près de la porte du Perrey. Pendant ce travail qui dura quatre jours, les soldats qui creusaient dans un terrain pierreux, se couvrirent avec des sacs deläine, de terre et de sable. Le prince de Condé étant arrivé sur ces entrefaites, avec le Duc de Montpensier, se chargea de la garde de la tranchée, et ne voulut avoir d'autre logement pendant toute la durée du siège. Une sortie vigoureuse que firent les Anglais par la porte de l’'Heure pour détruire ces travaux , fut repoussée ; et Jean d'Estrée, Grand-Maïître de Partillerie et Pro- testant , fit élever une batterie vis-à-vis la porte du Perrey. Bientôt il y eut plusieurs bre- ches praticables ; eties assiégeans se disposaient à un assaut général, quand Warwick demanda de nouveau à capituler (24). (24) Les auteurs du temps s’accordent à représenter ce siège comme très-mémorable , mais ils varient singulièrement dans les relations qu’ils en donnent: suivant Gastelnau , témoin oculaire , il n’aurait duré que huit jours , et aurait été conduit en entier par le Gonnétable. Le P. Daniel a suivi exactement le récit de Castelnau ; et de Thou , qui a écrit d’après les auteurs contemporains, et sur les actes publics , ne diffère pas à cet égard des deux autres. Mais des autorités non moins respectables établissent que le siège a duré beaucoup plus longtemps : Guil- laume de Masseille ; procureur du roi au Hävre, présent au siège , affirme que les opérations devant cette place ont employé 22 ")# 338 ÉVÉNEMENS, MILITAIRES La capitulation fut signée, le:28 juillet: les Anglais s’obligerent :à évacuer Ha place dans l'espace de,six jours, à rendre aux Français l'ar- tillerie, les munitions et les navires qui leur appartenaient. La grosse tour et le fort de l'Heure furent: remis au Connétable le jour même:de la signature des articles ; mais les An- glais gardèrent les portes: de: la: ville jusqu'à l'entière exécution de la capitulation. La reddition du Hävre fut suivie d’une trève entre les deux royaumes ; et la paix définitive ment conclue le 15 avril de l'arinée suivante. Les Anglais perdirent à ce siège plus de 3,000 hommes de leurs meilleures troupes et une vingtained’officiers de distinction.L'histoire doit faire mention de fhumanitéet du généreux dé- vouement d'un colonel :e cette nation: ;; Sir Edouard Randolphe,qui ne voulutquitterla ville quele dernier, et après avoir vu embarquer tous ses soldats malatles de la peste. Au risque d’être lui même victime de Ja contagion , il porta sur plus de quinze jours. Beaucaire , évêque de Metz, fait honneur au maiéchal de Brissac, des premières et des plus essentiulles: et d’Aubigné dit que le Gonnétable ne vint au camp que dans l'intention de chagriner les Maréchaux de France. Îlest d'autant plus probable que beaucoup de choses avaient déjà été faites par le Maréchal de Brissae , lorsque le Connétable arriva au camp, que celui des auteurs dont le témoignage semble établir le contraire, Castelnau, n’y est venu lui-même qu’avee ce dernier, EN NORMANDIE. 339 ses épaules ceux qui étaient hors d'état de mar- cher. On sait que ce fut le reste infortuné de la garnison du Hävre qui porta à Londres le germe de cette maladie qui fit périr plus de 20,000 de ses habitans. La Francetémoigna autant de joie de la prise de cette ville qu’elle en avait montré à celle de Calais, 5 ans auparavant. Le Hävre n’était cependant à cette époque qu’une place très- médiocre, mais sa situation et son port offraient des ressources qui se sont réalisées depuis. D'ailleurs l'expulsion des Anglais du royaume dissipait des craintes trop justifiées par les évé- nemens des siècles précédens. f j » C4 Li ’ f ; ! ; +! 4 FD ï { ' ” * ñ { “4 ’ 3 ’. «1 ‘ Te 4 t ' ‘ x on r dus Ps L ar cie # het NME 4 nf Fe TA 2 à d 74 MR a ne dent Loutaier ee FN ap em bat abrsherat 4 ose di 28 Pre TO Es %iA foi 4t$ LT 16 PERS slt +, ANR TON A A D LEUR M D RS LEA LA sa À Ex au rt io Mt Me À Ê v NON Mad PAT DES ALAITLE s ide Fu ua bpnfie: 4h ANR A à n Meg « j k L : TA 7 L = san Te DE sr + Bénbnss “HE HAS so ef ue M: ep , Pa R = NE A = : ñ è ‘ il 24 Î A . Pr “a RECHERCHES SUR LA VIE ET LES PRINCIPAUX OUVRAGES DE SAMUEL BOCHART , Par Épouarp-Herserr SMITH, BACHELIER-ÈS-ARTS DE L'UNIVERSITÉ DE CAMBRIDGE ; MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES , ARTS ET BELLES-LETTRES DE CAEN , DES SOCIÉTÉS LINNÉENNE ET DES ANTIQUAIRES DE LA NORMANDIE , ET DE LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE DE FALAISE. ( Mémoire lu à l’Académie des Sciences , etc., de Caen, le 28 juin 1833.) | A LEO # ral at RON ar Aédare ESS L | He LEA Fa DIN ITE Th Di HUE " ) ht aa era af man at Le BEA ER ad savon ni cg us AREPE, Tip eau, AO AG eRTER #1} cat Ééparmee te 1e nt ÿ HAT de *ÿ Us u L' f : VA h PCR 0 \ A2 : # ‘qu ACHAT | rRARATNE ÉS h a PA " ED Al ” LT EE AN HÉACDAUR, l'A NEA Hi. 08 fi l DNS Fe . FETE wi, EL] ose ñ , # 27 GR Bal ns LAN à AE f 0 Lo ES FN M ape À DE À Le 7 Vu 1 AT ï h, | VAN . . ’ | \ + Manu Ion #1 en rcuasperna su an À Ne AAA RAA AR AVR AR AR AA LR LR LAN ER ARR LR AAA AA LATE VAR TT LAN UAR LAS SAMUEL BOCHART. Il existe, sur la vie de Samuel Bochart , une courte notice en latin par Etienne Morin, et divers articles plus ou moins étendus dans les dictionnaires historiques. Mais ce savant conserve en Europe, et spécialement en An- gleterre , une telle célébrité ; Fautorité dont il jouit, sous le rapport de la philologie et de la critique sacrée, est si imposante, que nous avons cru pouvoir ajouter quelques dé- tails biographiques et littéraires à ceux dont il a déjà été Pobjet : persuadé que le nom de ce grand homme les fera accueillir avec in- térèt. Samuel Bochart naquit à Rouen, en 1599, de René Bochart, ministre protestant dans cette ville; il descendait des Bochart de Cham- pigny, famille noble, originaire de Bourgogne, qui, depuis plusieurs générations, avait oc- cupé des charges importantes dans la magis- irature et produit beaucoup d'hommes d'un 344 SAMUEL POCHART. grand mérite (1). Sa mère , d’une ancienne maison également honorable, et femme douée de qualités élevées, était sœur du célèbre pré- dicateur protestant, Pierre Du Moulin. Bochart fut envoyé très-jeune à Paris , où il suivit les lecons latines et grepqnss de Tho- (1} Généalogie de Samuel Bochart, tirée principalement d'un manuscrit en parchemin, de son écriture, qui se trouve à la bibliothèque de Caen. Guillaume Bochart, écuyer, natif de Vézclay-en-Bourgegne, seigneur de Noroy , gentilhomme servant du roi Charles VII, Van 1447 et auparavant. Ne Jean Bochart, écuyer ( fils aîné du précédent), seigneur de Nôroy , conseiller au parlement de Paris en 1490, fut le premier des trois que cette compagnie présenta au roi, le 24 juillet 1497, pour remplir l'office de premier président. Jcan Bochart, écuyer, 2°. du nont (fils aîné du précédent), seigneur de Champigny, de Noroy, et autres terres jusqu'au nombre de vingt, avocat au parlement , renommé pour son éloquence , avocat de l’empereur Charles V pour ses terres en France , avocat ordinaire du clergé de France et de l'Université de Paris, plaida avec force et hardiesse pour la pragmatique sanctivn, contre le concordat, en présence de François 1%. , qui le fit mettre en prison pour deux ans. Etienne Bochart, écuyer (4°. fils du précédent), seigneur du Ménillet, avocat-général de la cour des comptes, et depuis conseiller au parlement de Paris. René Bochart (5°. fils du précédent), ministre du saint Évangile à Rouen, épousa Esther Du Moulin. Samuel Bochart (fils unique du précédent), ministre du saint Évangile à Caen, épousa Susanne de Boutesluys. Esther Bochart (enfant unique du précédent), mariée à Pierre Le Sueur, seigneur de Colleville, conseiller au parlement de Rouen. SAMUEL BOCHART. 345 mas Dempster; il alla faire ensuite sa philo- sophie à Sedan, et y soutint, en 1615 ; des thèses publiques qui lui firent beaucoup d'honneur. Trois ans plus tard , il se rendit à Saumur ‘pour étudier la théologie sous Ca- méron ; et ce fut là qu'il s’attacha fortement à la littérature hébraïque , avec laquelle. on l'avait familiarisé depuis son enfance, mais qu’alors il approfondit sous Louis Cappel. La guerre civile étant venue , en 1621, in- terrompre les exercices de ‘cette: institution académique ; Bochart accompagna Caméron en Angleterre, et passa quelques mois dans ce pays, principalement à Oxford, qu'il vi- sita pour en examiner les richesses littéraires ; puis nous le trouvons à Leyde , où , dans l'espace de deux années, 1l apprit l'arabe , le chaldéen et le syriaque sous Erpenius. A diverses époques de sa vie, il s’occupa de l’éthiopien ou abyssinien, du copte, du persan, du celtique, de l'anglais, de l’italien et autres idiômes. Les rares dispositions du jeune Samuel furent promptement développées par ces maitres, les plus habiles de l’Europe. On peut juger de sa précoce aptitude pour les langues, par 44 vers grecs qu’il composa avant l’âge de 346 SAMUEL BOCHART. 14 ans, à Ja louange de son :profésseur Dempster ; et que ce savant Ecossais trouva dignes d’être ‘placés en ‘tête de ses antiquités romaines. Son goût le porta d’abord à: cul- tiver Ja poésie , qu'il: écrivait en latin et en grec avec élégance et une extrême faci- lité , talent qu'il a conservé toute sà:vie (x). Mais bientôt la solidité de son esprit lui ayant fait adopter de préférence. des études ‘plus sérieuses, spécialement celle des langues orien- tales, comme servant à l'intelligence du sens littéral des textes sacrés il y mit toute lé- nergie de soname:et il fit des progrès telle- ment rapides, qu'avant l’âge de 20 ans,.il était profondément versé dansl’hébreu poétique des prophètes, qui est le plus difficile, et lisait les commentaires écrits dans le dialecte rab- binique; et qu'à 25 ans,il était regardé comme un philologue des plus accomplis, quoiqu'il n'eut encore rien donné au public. De retour én France, les réformés de Caen, sur le bruit de sa réputation naissante, se hätèrent de l’appeler, par leurs suffrages u na- (t) « Ad carmina natus videbatur, et sæpè accidit ut, dûm « simul iter faceremus, solutà oratione eum alloquerer , ipse « werd mihi tersis versibus constanter responderet. » (Morin.) SAMUEL BOCHART. 347 nimes; à remplacer un de leurs pasteurs qué la ‘mort venait d'enlever. Bochart ayant ac- cepté, se consacra au ministère évangélique et vint se fixer parmi eux. Ainsi commenca dérbonne heure son union avec la capitale de la Basse-Normandie , union intime qui s'est perpétuée pendant 43 ans, jusquà la fin de ses jours. C’est dans cette ville qu'il a com- posé ses immortels ouvrages ; aussi, quoique né à Rouen , est-il toujours inscrit au nombre des hommes illustres de Caen (1). Honoré généralement par ses concitoyens adoptifs, il fut vivement chéri de son troupeau, qui adinirait en lui un caractère à la fois aimable et grave, une bienfaisance à laquelle sa for- tuné indépendante lui permettait de sé livrer, un zèle infatigable à remplir ses devoirs de pasteur, enfin de grands talens et une vaste étendue de connaissances. L'an 1628 , Bochart se trouva dans une position difficile ; et qui même n'était pas pour lui sans quelque danger. Le père Véron, fameux controvérsiste jésuite, muni de pa- (1) Le père Martin, gardien des Cordeliers de Caen, dit (dans son Athenae Normannorum) que la patrie adoptive de Bochart ne se croit nullement tenue de rendre sa gloire aux lieux qu'il abandonna dès son enfance. 548 SAMUEL BOCHART. tentes du roi pour disputer avec les docteurs protestans par tout le royaume, étant venu à Caen, lui proposa d'entrer. en lice : le défi fut accepté. Cette célébre conférence se tint au château , en présence du commandant , de plusieurs commissaires nommés récipro- quement, et d’un grand nombre de personnes de l’une et de l’autre croyance , parmi les- quelles le duc de Longueville, gouverneur de la province. D’après les conventions, il. y avait un secrétaire de chaque communion pour recueillir la substance de ee qui serait. dit, et les an- tagonistes devaient signer sur-le-champ, ce qu'on aurait écrit. La discussion! dura depuis le 22 septembre jusqu'au 3 octobre, et elle roula sur la plupart des points débattus entre les deux églises que les champions représen- taient (x). Les actes de la conférence, signés par les disputans , les modérateurs et les secrétaires , furent publiés littéralement par Bochart, en 1630, avec une préface historique et des dissertations théologiques : ce recueil, devenu très-rare , se trouve dans la bibliothèque de (1) Bochart fit porter au chätcau de Caen uné portion de sa bibliothèque, afin de pouvoir produire les passages dans les livres mêmes, si ses citations étaient contestées. SAMUFEL BOCHART. 349 Caen. Véron fit de même; et, en outre, il répandit dans la ville une série de brochures dans lesquelles il continuait la polémique. Les personnalités, qui caractérisaient la plu- part des discussions d'alors , défigurent mal- heureusement ces livres. Bochart, dans sa pré- face des actes, se permet de vouer au plus grand ridicule l’ignorance de son adversaire, et (parce que celui-ci préchait dans les rues et les marchés) de le dépeindre comme un charlatan detcarrefour. Véron , de'son côté, donne à Bochart, dans les débats mêmes et bien plus encore dans ses brochures, Îles épithètes les plus avilissantes, s’écrie que les doctrines avancées par lui sont des cas pré- vôtables ; et menace, plus d’une fois, de les dénoncer à Monseigneur le Chancelier pour faire punir celui qui les soutenait. Or, cette menace n'était pas chose indifférente au 17°. siècle, surtout au moment où les troupes du roi assiégeaient les protestans dans La Ro- chelle. Il faut convenir que, dans la discus- sion, le ton calme de Bochart contraste avan- tageusement avec la fougue du jésuite. Chaque parti réclama une pleine victoire; mais, en parcourant les pièces du procès, on ne peut méconnaître que Véron, quant à l’érudition 350 SAMUEL BOCHART. ecclésiastique et à la connaissance des textes originaux de l'écriture, n’était nullement de force à lutter contre l’orientaliste normand. Cette conférence eut beaucoup de-retentisse- ment; et le savoir que Bochart y déploya à l’âge de 29 ans, posa dès-lors les fonde- mens de cette renommée, qui ne cessa de s’accroitre tant, qu'il vécut. Nous allons maintenant aborder, selon leur ordre chronologique, l'examen de quelques au- tres de ses ouvrages, qui ont un rapportplus direct avec la littérature. En 1630 , il avait déja composé un‘dic- tionnaire de la langue arabe, contenant l’ex- plication de plus de trente mille mots : travail immense, qui atteste avec quelle patience il creusait profondément les matières qu'il étu- diait. Je n’ai pu trouver aucun indice de l'existence actuelle de ce dictionnaire, dont Bochart parle dans ses œuvres (r), mais qu'il ne fit pas imprimer. Il-est probable qu'il l'aura supprimé lui-même lorsque Golius , en 1653 ; eut publié le sien, qui laissait peu de choses à désirer. Dans son exemplaire (1) « Jai fait en cette langue (l'arabe) un dictionnaire de plus de trente mille mots. » (S. Bochart, Actes de la Conf., p. 144.) SAMUEL BOCHART. 351 de Golius (conservé à la bibliothèque de Caen), Bochart écrivit quelques notes mar- ginales, indiquant des chañgemens et des äd- ditions, qu'il est bon de signaler aux éditeurs futurs de lexiques arabes. En 1637, il fit un examen critique de l’Ais- toire dis anciens Gaulo's par Antoine Gos- selin, professeur d’éloquence à. Caen, et se montra fort instruit dans les antiquités gau- loises et celtiques, branche d'érudition alors toute nouvelle. Par ménagement pour Gos- selin, dont il avait relevé les nombreuses er- reurs, Bochart ne laissa voir qu'à quelques amis la réfutation qu'il avait faite de ce livre ; elle ne fut publiée qu'en 1692, lung-temps après la mort de l’un et de l’autre auteur. Ce fut.en 1646 que parut, imprimé à Caen, l’un, des principaux ouvrages de Bochart, la Geographia Sacra, qui devint aussitôt un objet d'admiration européenne. Ce corps de recherches. historiques et géographiques sur les premiers âges du monde est composé de deux parties distinctes : l’une portant le titre de J'haleg, autre celui de Canaan. Dans le Phaleg, l'auteur traite de l’origine des peuples, et cherche à établir leur descendance de ces familles primitives qui, d’après la Genèse 352 SAMUEL BOCHART, (ch. X), peuplèrent notre globe. Dans le Ca- naan ; il traite spécialement des colonies et du langage des Phénicens, et rapporte en détail les preuves des nombreux établissemens que ces premiers navigateurs fonderent dans les îles et sur les côtes de l'Europe, de l'Afrique et de l’Asie. L’antique ethnographie du monde , comme elle est indiquée par le Pentateuque, est tracée dans la Géographie Sacrée avec un savoir si merveilleux , que les temps les plus reculés et les plus obscurs y apparaissent à moitié dé- voilés à nos regards. Ce livre est un monument d’une érudition tellement vaste, qu'elle semble au - dessus des forces d’un seul homme: et, ce qui est également admirable , cette éru- dition , empruntée à 13 ou 14 langues, ne s’entasse pas lourde et informe , comme en tant d’autres volumineux ouvrages; mais se déroule nette et lucide, servant de fil pour nous guider dans le labyrinthe des siècles qui ont précédé les époques historiques. On la tronve accompagnée d’une critique judicieuse qui examine les autorités; d’une sagacité qui souvent déméle ce qu'il y a de plus em- brouillé dans le témoignage des anciens ; et quelquefois aussi d’une gaieté d'esprit qui SAMUEL BOCHART. 353 diminue l'ennui des détails. C'est à ce don de pénétration ; non moins qu'à son immense savoir, que Bochart doit la haute place qu'il s’est acquise dans la littérature. Ses idées, ül est vrai, ont fréquemment besoin d’être mo- difiées, eu égard aux connaissances plus ré- centes qui ont été puisées dans des sources qu’il ignorait nécessairement ; mais on s’est convaincu que son opinion est rarement à dédaigner partout où les matériaux ne lui ont pas manqué pour asseoir un jugement exact. Le Phaleg et le Canaan sont des mines fé- condes, que, depuis près de deux siècles, les géographes , les historiens, les philologues et les antiquaires ne cessent d'exploiter sans pouvoir les épuiser. On y trouve les germes, les conceptions premières de quantité d’ou- vrages, qui depuis ont fait du bruit dans le monde. Il est difficile d’en ouvrir une page sans rencontrer quelque point intéressant qui fournirait matière à faire un volume, l’auteur s'étant laissé aller à beaucoup de digressions curieuses. Outre les développemens des deux sujets principaux (l’origine des nations et les colonies phéniciennes), Bochart répand avec abondance des clartés sur d'innombrables points secondaires, qu'avant lui peu d'auteurs 23 354 SAMUÉL BOCHART. avaient essayé d’éclaircir, tels que migrations, colonies, traditions, géographie, commerce, dialectes, fables , mœurs, culte, arts, et autres particularités touchant les peuples primitifs. Comme échantillon de son habileté dans les langues de la souche sémétique, je rappel- lerai qu'il parvint à expliquer intelligiblement une scène de Plaute ( Pœnulus, acte v ), où le carthaginois Hannon s'exprime dans le lan- gage de son pays, que le poëte romain a écrit en caractères latins. Cette scene était restée, avant lui, une énigme pour tous les traduc- teurs et commentateurs, bien que l’on pensàt que les Carthaginois, descendus des colons phéniciens, devaient avoir parlé un dialecte voisin de l’hébreu. Bochart changea en certi- tude cette conjecture, fondée sur la tradition. Nonobstant les corruptions de texte, qui, pen- dant les dix-sept siècles qui se sont écoulés entre Plaute et la découverte de l'imprimerie, ont dû s’'accumuler dans un morceau que les différens copistes prenaient pour un galimatias inintelligible , il donna une analyse convain- çante et l'intelligence précise de ce fragment punique , presque le seul reste de l’idiôme d’Annibal. Cette dissertation remarquable mé- rite bien l'attention de quiconque sait un peu ep SAMUEL BOCHART. 355 l'hébreu, et veut apprécier le triomphe du génie sur les plus grands obstacles (Voyez Canaon, librsas jtc62): Il se montre, pour le moins, aussi profond dans les lettres de l'Occident que dans celles de l'Orient; car les recherches qu'il lui fallut entreprendre pour mettre au jour ses savantes productions , l’obligèrent de fouiller dans la presque totalité des ouvrages grecs et romains. Parmi les écrivains qui ont eu recours à la lit- térature de la Grèce et de Rome pour l’éclair- cissement de nos livres sacrés, on a jugé que les deux qui l'ont fait avec le plus de succès ont été Grotius et Bochart. Les éloges que j'ai donnés jusqu'ici à la Géographie Sacrée, ne sont que l'écho du sentiment de presque tous les savans (r). S'il fallait maintenant faire la part de la cri- tique, je n'oserais me flatter de savoir frapper juste; aussi ne me permettrai-je que peu d’ob- servations en ce genre. Trop préoccupé de la langue qui faisait l’objet favori de ses études, Bochart paraît avoir fourni occasion à cette (1) « Il n'y a qu’à voir seulement la Géographie Sacrée « de Samuel Bochart, pour prendre une haute idée de l'immen- « sité de l’érudition que peut fournir la connaissance des « langues orientales » (Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, etc. Neufchâtel, 1765; article Langues), 356 SAMUEL LOOHART. malicieuse remarque : « Qu'il ne voyait que du phénicien partout. » On ne peut nier que beaucoup de ses élymologies, nées de cette préoccupation, ne soient problématiques; on ne peut disconvenir non plus que quelques-unes de ses origines de peuples! ne srient erronées. Mais est-il surprenant de rencontrer bien des choses hasardées dans les invéstigations de ceux qui, les premiers, ont voulu explorer le champ sans bornes des antiquités et de là linguistique ? Leurs méprises ont droit à beaucoup d’indul- gence, et leurs succès méritent des applau- dissemens unanimes. On à reproché à Bochart, avec quelque raison, d’avoir été trop systé- malique : cé jugement doit cependant être modifié par la considération que c’est proba- blement l'attrait de ces systèmes qui lui à donné le courage de passer les plus belles années de sa vie dans des lectures rébutantes. D'ailleurs, jorsqu’un système n'est ni légèrement imaginé, ni exclusif, ôn aurait tort de le dédaigner : il met souvent dans un grand jour une face de la vérité; et l'éclectisme, qui vient après, en fait son profit. La Géographie Sacrée donna naissance à des rapports intimes entre Bochart et le cé- lébre Huet, depuis évêque d’Avranches. Ce SAMUEL BOCHART. 337 dernier raconte que la lecture dé cet ouvrage (qu'il nomme inevhaustam sacræ et profanæ eruditionis congeriem) lui fit tant d’impres- sion dans sa jeunesse , qu'il abandonna de suite l'étude du droit pour commencer avec ardeur celle du grec et de l’hébreu, et qu'il cunçut le projet de se lier avec l’auteur de ce livre, espérant trouver en lui un guide sûr pour parvenir aux plus hautes connaissances. Dans la crainte que ses parens ne lui suppo- sassent un penchant au protestantisme et ne missent des entraves à l’exécution de son pro- jet, il alla de nuit visiter son savant concitoyen. I! en fut accueilli avec bonté; et, malgré leur dissentiment sur des sujets majeurs , ét: une différence d'âge de 30 années, il furent bientôt unis d’une étroite amitié. Pendant très-long- temps Huet continua de rechercher passionné- ment la société et les conseils de Bochart, à qui certainement il a dû son goût prononcé pour les langues et pour lérudition , ainsi qu’une notable partie du savoir par lequel il s'est plus tard illustré. Il est fâcheux qu’à la fin une dispute, moitié littéraire, moitié théolo- gique, soit venue refroidir cette vive amitié. La reine Christine , qui attirait en Suède les littérateurs les plus marquans de l'Europe, 3538 SAMUEL LOCHART. ayant écrit de sa main à Bochart, en 1650, pour l’engagèr à venir à sa cour, il s’y refusa d'abord ; mais une seconde lettre plus pres- sante , le besoin de distractions après des études aussi opiniâtres , la curiosité de con- templer la nature dans les régions glacées du Nord , le désir de connaître une princesse savante qui était occupée à policer ses états semi-barbares , et surtout l'envie de consulter les nombreux manuscrits anciens qu'elle pos- sédait, le déterminèrent enfin à se rendre à cette flatteuse invitation. Il partit donc en 1652 , accompagné de Huet, âgé seulement de 22 ans. En traversant la Hollande, l’Allemagne septentrionale et le Danemark , il examina tout ce qui s’offrait de remarquable sur sa route; et jouit, en pas- sant , de la société de Heinsius, Saumaise , Vossius, et plusieurs autres célèbres savans. Arrivé à Stockholm, et recevant de Christine un accueil distingué , il résolut d’y rester une année entière , et fut logé dans le palais même. On raconte un trait qui révèle la complaisance et la simplicité du voyageur : la reine ayant eu un jour le caprice de le faire jouer au volant avecelle , il se laissa persuader , ôta son man- teau, et se mit à Jouer. SAMUEL BOCHART. 359 Cette année, passée hors de sa patrie, fut loin d’être perdue pour les lettres : il Pemploya à fouiller dans la bibliothèque royale, riche collection de livres rares que Christine avait fait recueillir avec soin dans.tous les pays. Les lectures assidues et choisies qu’il put faire, principalement de treize manuscrits arabes, lui furent très-utiles pour son Æiéro-zoicon , ouvrage auquell travaillait depuis long-temps. I aurait voulu pouvoir emporter tous ces manuscrits en. France ;et, s’il en eût fait la de- mande , ilen aurait certainement obtenu plu- sieurs, d’après la haute faveur dont il jouissait auprès de la reine. Mais sa modestie l'ayant empêché d’exprimer ce désir, il fallut se con- tenter d’un seul (Azxazvint, sur les merveilles de la nature animale) que cette princesse lui donna de son propre mouvement, De retour à Caen pour reprendre les fonc- tions de son ministère, notre savant trouva que, durant son absence , une académie de belles-lettres venait d’être formée dans cette ville, et que son nom avait été inscrit sur la première liste des membres. Il s’associa donc avec eux aussitôt , et ce fut Loujours avec zèle et constance qu’il concourut à leurs travaux. Cette compagnie (qui s'était maintenue jusqu’à 360 SAMUEL BOCHART. nos jours) renfermait un nombre si considé- rable de sujets éminens , et sa fondation avait eu lieu dans une période où Caen était si fertile en littérateurs remarquables, que peut - être pulle autre cité du royaume, excepté Paris, n'en a jamais possédé autant à la fois dans son sein. Bayle dit, dans ses nouvelles de la république des lettres (juillet 1684), « qu'il « n’y a point d'académie dans le reste de « l'Europe, qui soit composée de plus habiles « gens que celle de Caen; » et il répète (nov. 1685) que « Caen est une des plus illustres « villes de France à cause de son élite de « beaux esprits. » Dès que cette académie se forma , elle attira les regards de la France et de l'étranger par l'éclat de son aurore : mais il faut convenir que, lorsque les Bochart, les Gilles-André de La Roque, les Le Paulmier de Grentemesnil, les Moysant de Brieux, les Segrais, les Huet, les Tanneguy Lefèvre, les Morin, ces génies supérieurs , eurent disparu, elle ne conserva plus aux yeux de l’Europe un rang aussi élevé. Les dix années suivantes de la vie de Bochart ne fournissent rien de notable, si ce n’est qu’il était plus que jamais entouré de la considéra- tion générale; qu'il fut choisi, en 1659, par SAMUEL BOCHART. 361 les protestans de sa province pour les repré- senter au synode national de Loudun (le der- nier qui eut lieu en France), mission où il montra beaucoup de prudence et d’habileté ; et qu'en 1661 il publia une lettre au père de La Barre, jésuite, et en 1662 une bro- chure intitulée De conciliandis in religionis negotio Protestantibus, toutes deux dans le but de rapprocher les luthériens et les calvi- nistes. Trois autres pasteurs partageaient avec lui le ministère de l’église réformée de Caen , qui était fort nombreuse ; mais, entre 1661 et 1664, l’absence ou la mort lui ayant enlevé coup sur coup ses trois collègues, il se trouva seul pendant quelque temps pour soutenir tout le fardeau. Dans cette conjoncture, Étienne Morin, son ami, savant orientaliste, déjà pas- teur d’une église dans la campagne. voisine , vint s'associer à lui; néanmoins le surcroit d'occupations pastorales absorba l'attention de Bochart ,;au point qu'il abandonna momenta- nément tous ses travaux littéraires, excepté la correction des épreuves de son Hiero-zoicon , qui parut à Londres en 1663, à vol. in-fol. Cette histoire des animaux dont il est parlé dans l'Écriture Sainte, est, sous tous 36a SAMUEL BOCHART. les rapports , un ouvrage d’une haute valeur. Le terrain , presque neuf, présentait un ex- trème embarras; car si, comme le dit Cuvier, lon réussit mal à reconnaitre avec précision quels sont les objets d’histoire naturelle dont parlent les auteurs grecs et romains, combien ectteétude ne doit-elle pas être plus difficiledans hébreu, la plus ancienre peut-être de toutes les langues, et qui ne-nous est parvenue que dans un seul livre , la Big! Les traductions de Fancien testament, faites dans l'antiquité en plusieurs idiômes par les Juifs et les premiers “chrétiens , varient tellement dans la manière de rendre beaucoup de noms hébreux d’ani- maux (surtout ceux des insectes), que les tra- ducteurs modernes, embarrassés par le désac- cord de ces guides, transformaient souvent l’hippopotame en éléphant, le crocodile en baleine, la bécasse en perdrix, la chouette en moineau, le lézard en araignée, le bouc en satyre , le palmier en phénix, et ainsi de suite. L'obscurité qui en résultait dans le sens d’une infinité de versets, et quelquefois de chapitres entiers , faisait vivement désirer que quelqu'un vint mettre la vérité à la place de ces erreurs. Bochart entreprit la tâche; et, quoiqu'il ait véeu long - temps avant que des naturalistes SAMUEL BOCHART. 363 fussent allés dans l'Orient pour en examiner les productions, et qu’il demeurät loin des musées et bibliothèques de la capitale , guidé seulement par son étonnante connaissance des langues aneiennes, qui lui permettait de trou- ver dans l’une ce qu'il ne rencontrait pas dans l'autre , il est presque toujours parvenu à des résultats reconnus aujourd’hui comme vrais ou vraisemblables. Malgré tant de voyages exécutés depuis dans la Palestine et les pays environnans, et les rapides progrès que n'ont cessé de faire les sciences naturelles, Pouvrage de Bochart reste toujours la base des études sur la zoologie hébraïque. Pour identifier les noms, dans l'Écriture , avec les êtres qu’ils désignaient , il trouva de précieux secours dans la riche littérature arabe, #6tamment dans le traité de Drmirr, sur le règne animal, compilation tirée de vingt autres écrivains de cette nation. Mais le cadre de l’Hiéro-zoïicon comprend, outre l'identification des animaux , une description étendue de leurs qualités et habitudes caractérisques; le détail des usages auxquels ils étaient anciennement appliqués dans les arts, les manufactures et les rites sacrés; l'interprétation des passages bibliques où ils sont nommés; les choses vraies 364 SAMUEL BOCITART. ou fausses que l'antiquité croyait à leur égard; les rôles qu’on leur prétait dans lhistoire et dans la mythologie, etc., etc. : ce qui a pré- senté une ample carrière pour l'explication d'innombrables endroits dans les classiques profanes aussi bien que dans la Bible. Bochart distribue les animaux en séries, comme quadrupèdes, oiseaux, reptiles, in- sectes , poissons , enfin comme fabuleux et douteux. En sus de ses. propres opinions, il rapporte celles des interprètes, des critiques et des naturalistes de tous les siècles : d’ou résulte, sur cette branche de science, une véritable collection encyclopédique ; et l’on est instruit par une judicieuse érudition, lors même que l’on n’est pas encore convaincu. L’Hiéro-z0icon (comme la Géographie Sacrée) embrasse une foule de sujets accessoires , fruits d’une if# mense lecture : environ mille auteurs y sont cités ; ce qui peut fournir la mesure des con- naissances variées dont ses pages ont été ren- dues dépositaires. Toutefois, Bochart a grand soin d’épancher les richesses de sa mémoire de manière à ne pas nuire à l'unité de son plan; il sème , par exemple , à pleines mains, des aperçus philologiques suggérés par les matières qu'il examine, et poursuit souvent la synonymie SAMUEL PBOCHART. 365 d’un nom d'animal à travers le chaldéen, le syriaque, le samaritain , arabe , l'éthiopien , le copte, le persan, le grec et le latin. Que l’on réfléchisse au peu de relations qui existaient alors entre l'Occident et l'Orient, et à l’état si incomplet de la zoologie avant que les Swammerdam, les Linnée, les Fabricius, les Buffon eussent agrandi la sphère de cette science: et l’on ne pourra s'empêcher d'admirer comme un prodige ce traité de zoologie sacrée, qui n’a pu être encore remplacé par aucun autre. Cuvier en parlait avec une haute ad- miration , et le signalait comme présentant un tableau parfait de l’état des connaissances na- turelles chez les nations de l'antiquité. A cet éclatant témoignage, j'ose ajouter que ce livré est, selon moi, la plus belle production de Bochart. TH est vrai qu'il y travailla plus de trente ans, et avec une application si continue que, comme il le dit lui-même, il y avait peu d'ouvrages , publiés de son temps, qui eussent coûté autant de peines. Le Geographia Sacra et \'Hiéro-zoicon sont écrits en latin : c'était la coutume de l’époque, les écrivains voulant étre lus par les savans de toute l'Europe, au lieu de se restreindre à ceux de leur nation. Bien que cette langue ne nous 366 SAMUEL POCHART. soit plus aussi généralement familière qu'à nos ancêtres , le style de Bochart, par sa précision et sa parfaite clarté, sera trouvé des plus faciles et des plus agréables. Outre ces traités complets, il donna de nom- breuses dissertations détachées , sur des sujets d'archéologie, de philologie , et de littérature sacrée : elles présentent le même fonds d’é- rudition , la même perspicacité que ses grandes productions. Quelques-unes furent publiées de son vivant; entre autres, en 1660, une épitre sur l'épiscopat et sur lautorité des rois, adressée à M. Morley, chapelain du roi Charles iT, dans laquelle Bochart essaya de ramener à des sentimens modérés sur ces deux questions les partis extrêmes qui déchiraient alors la Grande-Bretagne. Elle fut très-bien reçue, et eut même une heureuse influence sur la con- vention de Bréda, qui contribua si puissam- ment au rétablissement de la tranquillité. Ea 1663, il adressa une dissertation à Segrais sur la question de savoir st Ænée est venu en Italie, et montra qu'il n’y a point d'apparence que ce héros de Virgile en ait jamais touché le sol : Segrais la fit imprimer en tête de sa tra- duction de l'Enéide. La plupart des autres opus- cules de Bochart, qui lui ont survécu, furent SAMGEL BOCHART. 367 recueillis en manuscritet insérés dansses œuvres par les éditeurs. Divers travaux considérables furent inter- rompus par sa mort. Un de ses projets avait été de faire publier une belle édition du Koran en langue arabe, avec une version latine et des notes; mais il trouva des obstacles qui en em- péchèrent l'exécution : on paraissait craindre (x) sérieusement que ce livre ne fit des prosélytes à Mohammed !! Nous ne possédons que quelques fragmens de trois traités qu’il préparait pour déterminer les noms des plantes et des pierres précieuses mentionnées dans l’Écriture, et la situation du Paradis terrestre (2); la majeure partie de ce qu’il en avait écrit n'ayant pu être retrouvée parmi ses papiers après son décès. S'il eût vécu , il méditait de donner une histoire » æ. (1) « Dum Alcoranum eleganti charactere cum versione « et notis excusum petis, chimæram postulas, Ejus aggredi « impressionem cm Leydae, tùm in Anglià, nonnulli ali- « quandù voluerant; quidam è nostris morosi homines opus « interverterunt, quibus rationibus permoti nescio. Neminem « enim seducere valeat liber iste , quandoquidem nihil eo sto- « lidius. Jam latinä, gallicâ, et italicà linguâ prostat editns : « quidni poterat etiam arabicâ, quam callent pauci, iique plebe seductu diffciliores, excudi ? » (S. Bochart. ad J. Cap- pellum , de linguæ chaldaïcæ , etc. A. D. 1666.) (2) Pour suppléer à la perte du traité de Bochart sur le Pa- radis terrestre, Étienne Morin et Huet firent chacun une dis- sertation sur le même sujet. 2 363 SAMUEL BOCHART. naturelle de la Bible , comprenant les trois règnes. Nous avons, dans l’ÆHiéro-zoicon , le règne animal tout entier ; et le peu qui reste de ce qu'il avait composé sur les deux autres sec- tions a été utile aux écrivains qui, comme Olaus Celsius , auteur de l’Hiéro-botanicon , ont travaillé à compléter son projet inachevé. La qualité de ministre de la religion se liait, dans Bochart, avec les recherches immenses né- cessaires pour la composition de tous ces ou- vrages. Etant encore jeune, il avait entrepris de faire une série de sermons pour expliquer le livre de la Genèse ; et, en étudiant cette portion de l’Écriture, il fallut, dès qu’il en fut au second chapitre, qu’il fixät la situation du Paradis terrestre. Les chapitres suivans le conduisirent à explorer l’origine des nations et la géographie des premiers temps ; nombre de passages l’engagèrent également à travailler sur les animaux, les plantes et les pierres précieuses dont il y est parlé. Ces discours projetés, qui furent le principe de tous ses grands ouvrages, n’ont cependant été rédigés que vers la fin de sa vie; il était même occupé à les écrire, et à les prêcher successivement chaque dimanche, lorsque la mort vint l'arrêter au 4o°. chapitre de la Genèse : ce fut donc l’expression de ses SAMUEL BOCHART. 369 dernières pensées. Le libraire Desbordes , à Amsterdam, les publia sur les manuscrits de l'auteur, de 1705-14, 3 vol. in-12. Quoique l'on doive supposer que l'esprit de Bochart, lorsqu'il mit par écrit ce commentaire, avait été un peu affaibli par des attaques d’a- poplexie , on ne s’en aperçoit nullement, du moins dans le premier volume , le seul que j'aie pu me procurer ; on y trouve au contraire un mérite, très-solide, des sentimens élevés, des explications savantes et claires, et une lecture attrayante. Le style en est infiniment meilleur que celui des Actes de la Confé-- rence , la seule des autres productions de notre auteur qui soit écrite en français : la compa- raison de ces deux ouvrages fait voir combien, au 172. siècle, un intervalle de 37 ans avait épuré et perfectionné la langue française. L’in- térêt qui s'attache à ces sermons sur la Ge- nèse doit faire désirer, nonobstant la vieille physique qui s’y mêle par fois, qu’ils soient bientôt réimprimés ; puisque, n'ayant été com- pris dans aucune édition des œuvres complètes de Bochart ( dont la dernière parut à Leyde, en 1712), ils sont devenus tellement rares, que nous sommes menacés de les perdre en- tierement. 24 370 SAMUEL BOCHART. Les procès qui, en 1665, commencèrent à être suscités contre les protestans, dans le but de faire démolir un grand nombre de leurs temples, et qui nécessitèrent la vigilance continuelle des pasteurs pour se défendre, soit par la voie de la presse, soit devant les tribunaux , ont fortement contribué à mettre Bochart dans l'impossibilité de terminer les travaux littéraires qu'il avait entrepris. Ayant, conjointement avec ses éloquens et savans col- lègues, Du Bosc et Morin, consacré à cette cause son zèle et sa plume, ils réussirent à “sauver quelques temples : mais des veilles pro- longées, employées à compulser de vieux titres, et l'excès dni travail, épuisèrent les forces de Bochart; et il fut averti du besoin qu’il avait de se reposer par deux attaques d’apoplexie, pendant lesquelles il restait étendu dans un état voisin de la mort. Ne se sentant plus désormais assez fort pour compléter ses ouvrages commencés sur les plantes , sur les pierres précieuses et sur le Paradis terrestre, et ne voulant pas qu'ils pa- russent dans un état imparfait, il en détruisit probablement les manuscrits, Morin, qui avait vu ces écrits, se lamente sur leur perte, que l'on peut regretter encore, puisqu'il ne s’est SAMUEL BOGIART. 371 pas trouvé un second Bochart pour traiter ces sujets bibliques avec une égale puissance de génie et de savoir. Une affliction domestique vint bientôt ag- graver le mal. Il s'était marié à Caen vers l'an 10631 ou 1632, avec Susanne de Boutes- luys, et n’avait eu qu’une fille unique, Esther, dont la douceur, la piété filiale et les autres qualités gagnèrent toute sa tendresse, et qui devint l’épouse de Pierre Le Sueur, seigneur de Colleville, conseiller au parlement de Rouen. Cette fille chérie étant tombée malade d'une hydropisie, sa position désespérée , ainsi que les vives marques d'affection qu'elle prodiguait à son père en sentant approcher leur sépara- tion terrestre, minèrent tellement la santé déjà délabrée de Bochart, qu’une troisième attaque d'apoplexie lemporta le 16 mai 1667, à l’âge de 68 ans. Le coup fatal lui arriva au milieu d’une séance de l’académie des belles-lettres de Caen, dans le feu d’une discussion au sujet de l’origine de quelques médailles espagnoles. Il fut saisi d’une soudaine angoisse, qui ne lui laissa que le temps de s’écrier, Mon Dieu ! ayez pitié de moi! et le priva de la parole et de la connaissance. Les académiciens cons- ternés le transportérent bientôt- dans une 372 SAMUEL BOCHART. chambre voisine, où il mourut au bout d’une demi-heure, après avoir une seule fois ouvert les yeux et paru annoncer par un signe qu'il se joignait aux prières qu'offrait pour lui le pasteur Morin. Le lieu et les circonstances de ce triste événement donnérent occasion à M. Moysant de Brieux de dire dans son épi- taphe : Musarum in gremio teneris qui vixit ab annis, Musarum in gremio debuit ille mori. Quoique ses forces se fussent visiblement affaiblies depuis plusieurs années , sa fin fut imprévue pour ses amis, et elle remplit leurs cœurs d’amertume. Le décès subit de l'illustre savant affecta douloureusement les hommes de lettres de la ville, surtout ses confrères de académie, qui tous l’aimaient, et qui mani- festèrent publiquement leurs regrets en ac- compagnant son cercueil au tombeau. C’est à Cormelles, à une demi-lieue de Caen, que furent déposés ses restes mortels, dans un bosquet attenant à l'habitation de M. de Colleville, son gendre, et alors consacré à la sépulture de cette famille, qui possédait dans ce lieu un château et des terres. Le cours SAMUET BOCBART. 373 du temps a transformé Fendroit en un petit champ, que les habitans du village nomment, tantôt le Clos-du-Pavillon, tantôt le Cimetière des Protestans : les travaux champêtres ÿ ont épargné un seul tertre, sous lequel, d’après la tradition, reposent les cendres de ce grand homme. Samuel Bochart était d’une taille moyenne, bien fait et agile ; il avait le front large et pro- éminent, les yeux grands et beaux, une phy- sionomie expressive , d’un ensemble très - at- trayant , annoneant la candeur et la franchise ; la finesse , tempérée par la bonté , animait ses traits ; l’esprit étincelait dans ses yeux. D’un tempérament sanguin, une constitution ro- buste secondait la force de son ame, et le ren-- dait propre à réussir dans tous les genres de travaux. Ses goûts étaient simples ; il se livrait avec bonheur aux douceurs de l'amitié, et il inspi- rait à ceux qui jouissaient de son intimité une haute vénération. Ses manières prévenantes et ses procédés coneilians le firent rechercher, même des personnes de la communion ro- maine. La connaissance de tant de langues, jointe à une mémoire des plus heureuses, fai- sait de lui une bibliothèque vivante; il n’é- 374 SAMUEL BOCHART. tait cependant pas de ces hommes qui n’ont que l'esprit d’antrui : il ne brillait pas moins par une imagination poétique et par une grande justesse d’idées que par une immense éru- dition. Ce qu’il savait, il prenait plaisir à le communiquer :-aussi les jeunes gens studieux s’honoraient d’être ses disciples. Parmi ceux dont il voulut bien diriger les études à Caen, s’est trouvé le comte de Roscommon, pair d'Irlande, qui se fit ensuite un grand nom dans Ja littérature de son pays, comme poète , comme Mécène éclairé, et comme Fobjet des justes louanges de Pope. Tout ce qu'il y avait à Caen d’hommes de lettres distingués furent les amis et les admirateurs de Bochart : leurs vers latins peignent la vivacité du sentiment qu'il excitait en eux. Dans la chaire, l'énergie et la solidité de ses sermons lui attirait toujours un auditoire nombreux et.attentif, On le con- sultait de toutes parts sur des points difficiles d'histoire ou de critique : c’est ce qui fit naître le plus grand nombre de dissertations épisto- lüires qu'il a laissées, au nombre d'environ cinquante. « Mais (dit Bayle) sa science, quelque vaste « qu'elle fût, n’était pas sa principale qualité ; « il avait une modestie qui, en lui, était in- SAMUEL BOCHART. 375 « finiment plus estimable : aussi a-t-il possédé « sa gloire avec beaucoup de tranquillité, et « à couvert de ces malheureuses querelles que « s'attire l’orgueil.» D'un naturel vif et prompt, il se faisait cependant remarquer par une dou- ceur, une bénignité peu communes. Tendre dans ses affections , constant dans l'amitié, habituellement généreux , d’une piété pro- foude et fervente : tel était cet admirable ca- ractère. Les défauts que, sans doute, il a dû ._ avoir (car ils font partie de l'humanité}, n’ont point été retracés; nous ne connaissons que ses vertus. | Malgré la dispersion (par l’effet de la révo- cation de l’édit de Nantes) de ceux qui l'avaient le mieux connu, sa mémoire est restée en grand honneur dans le souvenir des habitans de Caen ; plus d'un siècle après sa mert, ils se plaisaient à citer de lui quelques anecdotes, quelques traits conservés par la tradition; tout récemment, la cité vient de conférer à l’une de ses nouvelles rues le nom de Samuel Bo: chart (1). Cependant, une chose reste encore à faire pour l’honneur du pays : les voyageurs amis des sciences, qui vont visiter, près de Caen, le lieu de la sépulture de ce grand (1) Par une décision du corps municipal du 10 juin 1833. 376 SAMUEL BOCHART. homme , et qui s’étonnent de n'y trouver aucune pierre tumulaire , s’affligeront-ils ou- jours de voir sa dépouille oubliée sous le gazon d’un cimetière abandonné? L'habitation de Bochart , dans la rue Neuve- Saint-Jean , existe encore; les réparations suc- cessives ont épargné jusqu'ici le très-petit cabinet où il avait coutume de travailler, et où furent enfantés le Phaleg , le Canaan, l’Hiéro- zoicon, et d’autres œuvres d’une érudition presque inconcevable. Cette maison ayant été transmise dans la famille de sa fille, le modeste mobilier du cabinet fut soigneusement con- servé jusqu'à une époque assez récente, où , la maison étant passée en d’autres mains, tout a disparu. La bibliothèque formée par ses soins fut donnée à l’Université de Caen, en 1732, par son arriére-petit-fils , Gulliüraé Le Sueur de Colleville. Cette collection, riche en ouvrages orientaux , contenait un grand nombre de livres chargés de notes marginales de la main de Bochart ; 140 de ces volumes se voient encore dans la bibliothèque de la ville. Un beau portrait de lui fait partie de ceux qui ornent la salle de la bibliothèque; le burin , plus d’une fois, a essayé de le reproduire, SAMUEL BOCHART. 377 mais pas encore avec un plein succès. Le quatrain suivant, fait par Dubosc, en 1665, sur un portrait de son collègue , mérite d’être rapporté : Neustria se tanti matrem miratur alumni , Quem stupet ut rarum numinis orbis opus : Quidquid Arabs, Phœnix , Graius, docuitque Latinus , Inclusum vasto pectore solus habet. « Son siècle, et même les siècles passés, « ont eu peu de personnes dont le savoir put « être comparé au sien : » c’est le témoignage de Huet (r), qui l'avait connu si intimement, et qui était juge capable. L'Europe a confirmé ce jugement ; et aussi long-temps que les études orientales et bibliques seront cultivées, le nom de Bochart vivra, entouré de recon- naissance et de vénération. (1) Voyez Origines de Caen , par HuET. # NME a ee ee A Dathihitte ‘Eee éh sir me, APN MEL mn HO QU SL LURE + UNE Aie y: ‘Want Qu ARE 2 OR mu ri (+ PTE LL veines: “ah EE LOS AN ANT Lens Fe: cr Lo D 5 Ne Hi Li ROUE) gel Lu Dpt Far We Ar Va : TER pi À ke us put Ÿ Be AA QAR w LU dE à PTE # en fs ’ L L | LA 8 2 ù n M 14 ] “ L * _ « ’ à Ÿ . L: ? Ù . 1 DRE “ ñ ! 1 “ \ * “ ni £ t l i MEL L s. CONGRÉGATION DU BON-SAUVEUR ; PAR L'ABBÉ JAMET, MEMBRE DE LA LÉGION-D'HONNEUR , ANCIEN RECTEUR DE L'ACADÉMIE , ET SUPÉRIEUR DE LA MAISON DU BON - SAUVEUR, # + É N ni hr À AAA L “Ru. 4 « 4 "4 n 17 à , ñ € MA) L 3 Le e LA 1 û s 4 RER ph dr FT 20 PIS al RAA VAS LA RW AU AT NB IS AR LUE AS LUE LAS LAVE VEN VVE LUE UE VERRA CONGRÉGATION DU BON-SAU V EUR. L'origine de la congrégation du Bon-Sauveur remonte à lan 1720. Anne Le Roy, fondatrice de cette congré- gation , naquit à Caen, d’un marchand de la rne Saint-Jean, en 169r. En 1720 , elle s’associa une compagne , nommée Le Couvreur-Delafontaine, et forma le projet d'établir une communauté de filles non cloitrées, pour remplacer les religieuses de la Visitation, que saint François de Sales avait enfin assujetties à la clôture. Elles se placèrent dans une petite maison de la rue du Four, pres la rue du Milieu, à Vaucelles; là, elles firent les petites écoles aux jeunes filles du quartier, visitèrent les pauvres et les malades, et leur donnèrent du bouillon, de la tisane et des soins. 382 CONGRÉGATION En 17932, les sœurs étant déjà au nombre de six, le local se trouva trop étroit : Anne Le Roy acheta une maison et des jar dins dans la rue d’Auge, où l’on voit encore les restes de la communauté du Bon-Sauveur. En 17934, le roi leur accorda des lettres- patentes ; mais elles ne purent obtenir l’enre- gistrement de ces lettres au parlement de Rouen, qu’au mois de mars 1751. En 1735, il y avait déjà au Bon-Sauveur une pension nombreuse de jeunes filles pour l'éducation, et des dames en chambre. Ce fut à cette époque que les femmes aliénées furent admises dans cette maison. Mais le local était si resserré, que le nombre ne put s'élever au- delà de vingt-cinq. J'entrai au Bon-Sauveur , en qualité de cha- pelain, le 19 novembre 1790. On comptait alors dans cette maison 23 religieuses, 25 demoiselles pensionnaires, 12 dames en chambre, et 16 aliénées. Une ving- taine de filles repenties venaient d'être ren- voyées dans leurs familles. Les religieuses du Bon-Sauveur avaient été forcées , en 1791, de les admettre chez elles. Sans cette condition, le lieutenant-général de la police, le maire et les échevins de la ville n'auraient point con- DU BON-SAUVEUR. 383 senti à l'établissement de leur communauté : de sorte qu'elles avaient toujours eu des pé- nitentes, depuis 1751 jusqu'en 1790. Forcées de quitter leur couvent au mois de septembre 1702, les filles du Bon-Sauveur se retirérent dans des maisons particulières de la ville. Cependant un tiers environ de ces reli- gieuses resterent , pendant trois ans encore, avec les femmes aliénées dans une portion des bâtimens de la communauté ; puis enfin ces bâtimens étant sur le point d’être vendus, elles se retirèrent à Mondeville avec leurs pen- sionnaires. Au mois d'octobre de l’année 1804 , elles achetèrent la maison des Capucins; et le 22 mai de l’année suivante , elles s’y trouvèrent toutes réunies. Alors il n’y avait plus que 15 religieuses, 12 femmes aliénées, et 2 demoiselles pension- naires. Mais bientôt le nombre de ces dernières s’éleva jusqu’à 52. Celui des dames en chambre, et plus encore celui des aliénées, prirent aussi un grand accroissement ; et l’on fut obligé de commencer des constructions. Mais ce fut en 1818 que la maison du Bon- Sauveur prit un plus grand développement. 384 CONGRÉGATION A cette époque, M. le comte de Montlivauit, préfet du département , obligé de retirer les aliénés de la maison de Beaulieu , engagea le conseil général à prêter aux religieuses une somme de 50,000 fr. pour agrandir leur maison, afin d'y placer les aliénés des deux sexes, qui se trouvaient renfermés dans la maison centrale de Beaulieu. C’est alors que, pour la première fois, les hommes aliénés ont été admis au Bon-Sauveur. Pendant 35 ans, ces infortunés avaient été confondus avec les détenus de Beaulieu , dont ils étaient le jouet. Deux ans après , le département prêta encore 40,000 francs au Bon-Sauveur pour faire une nouvelle construction : la première était devenue insuffisante. Depuis cette époque, les pensionnaires de tout genre ont afflué au Bon-Sauveur, et cet établissement n’a cessé de prendre de nou- veaux accroissemens (1). (1) Un nouvel établissement se forme depuis trois ans dans la ville d’Alby. Il cst situé dans un faubourg, sur la route de Toulouse, et offre une superficie de 86,490 mètres carrés. On y compte déjà 8 religieuses , 10 novices , 25 sourdes-muettes, 6 demoiselles pour l'éducation, 2 aliénés, et une dame en chambre : M. le préfet du Tarn n'attend que le moment où il DU BON-SAUVEUR. 385 Il se compose , aujourd'hui 1°. janvier 1835, de 697 personnes, savoir : RÉRÉNERRERN. OU tie su 9/4 Nom Hi. relie :0D: etre tre 7o Huiles associées not Lmbinnne ec 7 RS AT Se nf mb ne 4 Dames en chambre. :. . . .. 19 Demoiselles pour l'éducation. . . 32 Sourdes-muettes.:...,1.. . L". 4o SOUSMURlS tre 2e monde He 32 Aliénés. - . . L] . . . L2] C1 143 Mhénerss &b acbeo lon sondes à 182 Domestiques et gens de peine, . . SI ES Nombre pareil, . . . 697 t y aura du logement, pour y mettre les aliénés et les sourds- muets de son département. Plusieurs de MM. les préfets des départemens voisins et un grand nombre de familles ont déjà demandé à y placer leurs aliénés. Mais il n’y a encore, dans ce vaste local, que peu de maisons qui puissent être habitées. Ce sont un château de 22 mètres de longueur, une maison de 23 mètres, une autre de 15, et un pavillon carré de 7 mètres de face. Mais on y voit déjà une construction de 84 mètres de longueur , et à 2 étages, qui est presque terminée : on place maintenant la toiture sur la moitié de la longueur. Un troisième établissement doit bientôt s’élever dans le dé- partement de la Manche. L'autorisation est demandée au gou- vernement, et des matériaux s’amoncellent sur le terrain pour commencer les constructions au mois de septembre prochain. 25 386 CONGRÉGATION Sozrds-muets. C'est au mois de septembre 1815 que je donnai mes premières leçons à deux jeunes sourdes - muettes. Je n'ai suivi la méthode d'aucun maitre. Ayant commencé seul et sans guide, je me suis fait une méthode qui m'est propre et dont j'ai donné quelques notions daus deux mémoires qui ont été lus à l’aca- démie des sciences, arts et belles- lettres de Caen, et imprimés par l’ordre de cette même académie. Toutes les personnes qui ont assisté à mes leçons trouvent que ma méthode est plus courte et plus simple que celle de l’école de Paris. On dit qu’elle abrège le travail aux maitres et aux élèves. | Les sourds-muets conversent entre eux par signes , beaucoup plus vite que nous par le secours de la parole. Cela vient, 1°. de ce qu'ils font le signe des mots, et non le signe des choses, comme dans toutes les autres écoles; 2°. de ce qu’un seul geste, un léger mou- vement , aussi prompt qu'un clin-d’œil , ex- prime les mots, quel que soit le nombre des syllabes ; 3. de ce que, dans leur langage, ils font usage d’un grand notbre d’ellipses; 4°. DU BON-SAUVEUR. 337 enfin , de ce qu'ils exécutent leurs signes avec une étonnante rapidité. , Le sourd-muet offre , dans son caractère et dans ses inclinations, quelques spécialités qui le différencient de la société parlante. 1°. il est d’une simplicité d’enfant, et, lors- qu'il n’est pas instruit, il conserve encore à 20 et 30 ans les idées et les penchans de l’en- fance, Les joujous et les amusemens du pre- mier âge l’attachent plus que des choses im- portantes. 2°, Il est violent; mais il n’est pas haineux, et ne garde pas de fiel. 30. I se livre aisément; mais s’il s'aperçoit qu'on le trompe, il devient soupconneux et méfiant. 4°. est économe; et parmi le grand nombre de ceux que j'ai connus, je n’en ai remarqué qu'un seul qui fût dissipateur, Encore ce n’é- tait que par suite de son bon cœur. 5°. En général, le sourd-muet à un cœur bon et droit. Mais les mauvaises sociétés lui sont pernicieuses et l’entrainent avec la plus grande facilité, surtout avant son instruction. 6°. Lorsqu'il n’a point encore reçu d’ins- truction , il n’a aucune idée religieuse. Toutes ses pensées se bornent aux objets sensibles 388 CONGRÉGATION qui l'entourent et à ses besoins ; cependant on en voit un certain nombre qui craignent la présence du soleil, d’autres, celle de la lune. Ils regardent ces astres comme des êtres puissans et redoutables. Ils n’osent pas être méchans quand ils les voient. Mais lorsque ces astres ne paraissent pas, le sourd-muet pense n’en étre pas vu et ne les craint plus. Il me semble que la crainte du soleil et de la lune naît, chez le sourd-muet, de ce que, dans son enfance , lorsqu'il est méchant, ses parens lui montrent le ciel pour lui dire qu'il y a là haut un étre puissant qui le punira. Cet infortuné n'apercevant rien de plus apparent que ces astres, pense que ce sont eux qu'il doit craindre. 7°. La connaissance que les sourds-muets reçoivent avec plus de facilité, plus d'avidité, c’est celle des vérités de la religion : elles ne trouvent presque aucun obstacle dans leur esprit, et moins encore dans leur cœur. Ils s’y attachent, les aiment et les cultivent éga- lement par sentiment et par conviction. On en voit un grand nombre qui, rentrés dans la société, y rencontrent des personnes irreli- gieuses ou immorales, s’en défient, les évitent, leur résistent en face, et conservent leurs 2 DU BON-SAUVEUR. 389 mœurs et leur foi avec une persévérance qu’on semblerait ne pas devoir attendre d’eux. 8°. Ils sant sans respect humain, et aver- tissent avec une franchise tout-à-fait confiante ceux qu'ils voient commettre des fautes. 9°. Enfin, il est d'observation que presque tous les sourds-muets de naissance sont, ou scrophüleux, ou lympbhatiques. Le nombre de sourds-muets de l’école du Bon-Sauveur est en ce moment de 72. Aliénés. Avant la fondation de la maison du Bon- Sauveur, les aliénés de notre province, ne trouvant point d'établissement propre à les recevoir, ne suivaient pas de traitement et su- bissaient un sort différent suivant leur fortune. Les riches et ceux qui appartenaient aux classes aisées étaient gardés au sein des familles, et ordinairement soustraits aux regards du public, autant pour éviter l’indiscrète curio- sité dont ils ont été l’objet dans tous les temps, qu’à cause du préjugé défavorable qui s'attache eacore à ce genre de maladie. Quelques - uns cependant étaient envoyés dans la maison de Charenton, dirigée alors par 390 CONGRÉGATION les religieux de Saint-Jean-de-Dieu , où ils ne recevaient presque aucun médicament. Un très-petit nombre recouvrait l'usage de ses facultés intellectuelles; beaucoup y trouvaient la mort, soit à cause de l’insalubrité des cel- lules ( dans chacune il y avait une lunette d'aisance, et cela se voyait encore en l'année 18:18), soit à cause de l'habitude où l'on était dans ce temps-là de donner peu de soins aux aliénés. Les fous pauvres , qui ne pouvaient être retenus au milieu de la famille à raison de leur extrême indigence ou de leur caractère turbulent et de leurs violences, erraient dans les campagnes, ordinairement en butte à la dérision, et quelquefois objets de pitié. A Caen, on les enfermait dans’une prison dé- goûtante, où ils étaient abandonnés. En 1785, on voyait encore, à l'endroit où s'élève au- jourd’hui le palais de justice, les restes de l’an- cienne tour d’Hautcourt, ou Grosse Tour, qui, depuis plus d’un siècle, portait le nom de Tour aux Fous. Là, sous des voûtes sombres et humides, gémissaient ces renfermés, mal- heureux aliénés. Nus, pour la plupart, et n'ayant pour lit qu’un peu de paille, ils étaient présque tous attachés anx murs de leurs ca- DU BON SAUVEUR. 391 chots par des chaines de fer. Plüisieurs cepèn- dant étaient dans un étage plus élevé, et, par des trous qui leur tenaient lien de fenêtres, ils laissaient quelquefois descendre, suspendus à des cordes, des sacs de toile, dans lesquels les personnes que la curiosité conduisait au- près d'eux méttaient quelques pièces de mon- naie, et plus souvent des alimens pour la nour- riture de ces infortu nés. Ceux d’entr'eux qui étaient sous les voütes du rez-de-chaussée recevaient avec une, avi- dité singulière du pain, des fruits , et d’autres objets qu'on leur laissait tomber. Quand on commença la construction du palais de justice, ces fous furent renfermés dans la maison centrale de Beaulieu. Ils en sortirent en 1820, au nombre de 4o, pour être transférés dans celle du Bon-Sauveur. Plu- sieurs des guichetiers de Beaulieu furent alors témoins d’un événement qui nous fait connaitre jusqu'à quel point la douceur et la bienveil- lance ont de l'empire sur ces malheureux. On amena de Beaulieu une femme d’une force athlétique , et qui, depuis 18 mois, était retenue dans un cachot fermé par une grille de fer : ils nous dirent qu'il fallait cinq ou six personnes pour renouveler la paille de cette 392 CONGRÉGATION, femme furieuse, et que, sans doute, il serait impossible à des religieuses, de la contenir. On l’amena dans une charrette, les pieds et les mains chargés de chaînes. La mère supé- rieure du Bon-Sauveur monta sur la charrette, et, à la vue de ces fers , elle s’écria, comme si elle n’eüt pas été prévenue :: Quoi! voilà une femme dans les entraves ! Otez - lui ses fers, il n'y a point ici d'esclaves; je veux qu’elle soit libre comme moi. Depuis ce mo- ment, elle est si docile à la voix des religieuses, que jamais elle ne leur a résisté, et qu’un enfant revêtu de l’habit religieux aurait sur elle tout l’ascendant imaginable. Cette époque fut véritablement heureuse pour cette nombreuse classe d’infortunés, qui virent succéder au régime rigoureux de la prison les soins affectueux de femmes qui ont voué leur existence tout entière au soulage- ment des infirmités humaines. Aussi témoi- gnérent-ils une Joie extraordinaire, et, pendant plusieurs années, ils venaient se grouper aus tour de moi et de la supérieure; lorsque nous entrions dans le local qu'habitent ces pension- naires ,ilsnous baisaient la main et nous témoi- gnaient la plus affectueuse reconnaissance. Encore bien que la folie reconnaisse des DU BON-SAUVEUR. 303 causes physiques et des causes morales, ce sont ces dernières qui ont produit l’aliénation chez le plus grand nombre des pensionnaires du Bon-Sauveur. Les deux tiers environ ont perdu Ja raison sous l'influence puissante des causes nombreuses qui : agissant directement sur les plus nobles facultés de notre être, ont souvent pour résultat le trouble et le déran- gement de l'intelligence. Ce sont surtout :les affections tristes, dont la cause agit long-temps et sans relâche, qui semblent dominer parmi les autres causes morales, Mais on n’aurait pas une idée exacte de leur action si l’on ne considérait chaque sexe en particulier sous ce rapport. Il faut dire aussi que ces causes morales ont une action infiniment plus grande parmi les per- sonnes des classes riches ou aisées qu’elles n’en ont sur celles qui appartiennent aux classes inférieures de la société. C’est surtout sur celles-ci que l’on voit régner l'influence des causes physiques, parmi lesquelles l'abus des liqueurs. fortes doit être placé au premier rang , puisqu'il a produit à lui seul le 0°. des maladies mentales qui sont traitées dans l'établissement. L'état civil des malades est une des circons- 394 CONGRÉGATION tances qui doit encore fixer l'attention. Le nombre des célibataires atteints’ d’aliénation mentale n'est pas le même pour les deux sexes. Nous comptons dans ce moment, sur 147 hommes , 30 mariés et 117 célibataires. Et sur 182 femmes , 78 mariées, et 104 céliba- taires. Ne peut-on point trouver la raison de cette différence dans la manière dont agit le ma- riage sur chaque sexe? Le mariage ramène l’homme à des habitudes d'ordre et d'éco- nomie essentiellement avantageuses À sa santé, tandis qu'il ne change pas autant la position de la femme, ou plutôt il lui apporte souvent des sujets inaccoutumés de peine. Quant à la différence que nous remar- quons entre le nombre des fous célibataires, qui excède d’une manière si tranchée celui des fous mariés, elle provient de plusieurs causes. 1°. Quelques-uns sont nés idiots ou même prédisposés à la folie. 20. D’autres appartiennent à des familles dans lesquelles cette maladie est héréditaire. 3°. Quelques-uns donnent, pendant la jeu- nesse, dans des écarts qui peuvent occasionner le dérangement des facultés intellectuelles. 4°. Un grand nombre ne se marient que DU BON-SAUVEUR. 395 tard , parce que la conscription les a retenus. Or, dans tous ces cas, la folie ne vient pas du célibat ; mais le célibat vient de la folie. Le sentiment religieux , qui règne si géné- ralement dans le cœur de l’homme, est for- tement influencé par l'aliénation mentale; mais il n’est presque jamais effacé par elle. Sous ce rapport on ne peut ;prévoir d'avance de quelle manière il sera moditié. Chez les uns, en effet, il survit complètement au dérangement des autres facultés , et l’aliéné est aussi régulier dans ses exercices qu'il l'était avant l'invasion de la maladie. Chez d'autres, il prend du développement et forme la base du délire. Dans ce cas, laliéné ne pense qu’à Dieu et au salut de son ame; mais tantôt le dévelop- pement du sentiment religieux est accompagné d'espoir , et le fou se croit sùr de la vie éter- nelle, ou pense jouir déja du bonheur des élus ; et tantôt il est joint au désespoir ele plus profond; de sorte que le malheureux séparant les attributs divins , ne voit plus que la justice de Dieu et oublie sa miséricordieuse bonté ou s’en croit indigne. Il en est enfin quelques- uns qui, indifférens à la religion avant la perte de leur intelligence , continuent à vivre dans ce triste état lorsqu'ils en sont privés; mais 396 CONGRÉGATION nous devons nous hâter de dire que beaucoup d’aliénés de cette dernière catégorie revien- nent à des sentimens meilleurs pendant leur convalescence, soit que cela tienne aux ré- flexions profondes qui suivent naturellement le retour à la raison, soit, et cela est plus probable encore , qu’ils soient touchés de l'exemple qu'ils ont sous les yeux, et qu’ils cherchentenfin dans la pratique de la vertu ce repos de l’ame et cette paix du cœur dont ils sentent d'autant mieux le prix qu'ils en ont été privés plus entièrement et plus long-temps. æ STATISTIQUEDES ALIÉNÉS DE LA MAISON DU Bonw-Sauveur De CAEN. Du 1%. janvier 183% Au 20 juillet 1833. Ans fjanvien 18e. tee 2e CHLRÉS Se 0 A EUR Total au. 20 juillet 109%: DATOIS A ARR Ml re Eplephiques ti sus, Tucwrables 20 Ai AE Susceptibles de guérison. Guéris....... A RNA GE Morts FACE ST 4 Tes cree ele Nash Satis e En convalescence. ............ Du 20 juillet 1333 Au 1°, janvier 1835. Au-"20"mllet3993..%.0. 704% RITES ee nent Au 1°: janvier 1939.57. :.- : ÉdTOIS A RE IT Me au Epileptiques ........... Ineusables sai certe Susceptibles de guérison INOMRee AE REC ue EUR MAR ALLIE AUS NTOTIS ACTA AA CM eq OLA SE NO Ne ete ot ie © IRC NA Es SA ARR EE En convalescence............... Incurables, dont le sort s’estamélioré d’une manière très-remarquable. CPE rene AA ui 2e 4 2è8r Lure IE BA | AE t ed same *eitis CLRA CAP RE : Ta | bi ES UE : EAST 4, FRE NO EN NE x MAR EEE NT SR Le Sp lasron ul 1006 1alPwal Sn MS oser a i2 OBSERVATIONS THERMO - BAROMÉTRIQUES. | br l AAA AAA SAR RAR AU WWE VA VAE BA VAE AVE UE BR LR à SAR VU AURA VAR WWE LUS OBSERVATIONS LRLEMO ° BABOMÉTRLQUES FAITES ET CALCULÉES POUR DÉTERMINER LES HAUTEURS DES PRINCIPAUX POINTS DU DÉ- PARTEMENT DU CALVADOS, PAR M. H'°. BUNEL, OFFICIER DE MARINE EN RETRAITE , MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES. Des Observations Thermo- Barométriques ap- pliquées à la mesure des hauteurs. On reconnaît depuis long-temps que la géo- graphie et la topographie ne peuvent plus se contenter, pour fixer la position d’un point de la surface du globe, d'indiquer sa latitude et sa longitude, mais qu’elles doivent encore faire 20 4o2 OBSERVATIONS connaitre, ce qu’un auteur a récemment pro- posé, avec beaucoup de raison, de nommer son altitude , c’est-à-dire sa distance au centre de la terre ou à une surface donnée de posi- tion. En effet, la superficie du globe ne peut être bien connue qu’autant qu’on aura déter- miné les différences de niveau de ses points. Aussi, loin d'être un simple objet de curiosité, cette connaissance est-elle au contraire du plus haut intérêt, non seulement pour les pays de montagnes, profondément accidentés, mais encore pour les pays de plaines. De quelle uti- lité ne serait-elle pas pour la dérivation des eaux , l'établissement des usines, les routes à ouvrir, et en général pour la plupart des tra- vaux civils ou militaires, pour le géologue, qui, à chaque pas, doit comparer les horizons géologiques avec les hauteurs absolues des terrains ? Ce sont de simples observations thermo-ba- rométriques qui ont conduit lillustre M. de Humbolt à tracer ses lignes isothermes et à classer les végétaux suivant la latitude et l’éléva- tion des lieux. | Frappé du peu de données que possède sur cet objet le département du Calvados, je sou- haitais depuis plusieurs années d'en commencer TRERMO-BAROMÉTRIQUES. 403 le nivellement au moyen du baromètre. Cet instrument est, sans doute » loin d’être Parfait, et les observations laites avec lui offrent sou- Ventencore, dans quelques circonstances, beau- grande, le nivellement des Principaux Points celte matière | on est effrayé des difficultés qu'on rencontre dans l'emploi du baromètre Pour mesurer les hauteurs ; des innombrables Précautions dont il est indispensable d’accom- Pagner ce genre d'observations, enfin de l'in: certitude qu’elles laissent quelquefois : mais en faisant réflexion que le but de M. Ramond était bien moins de Connaitre l'élévation abc. lue ou rélative dés points observés, que de dé 4o4 OBSERVATIONS terminer leslimites des erreurs de l’instrument ; de comparer et de vérifier les diverses formules, et surtout de fixer la correction à faire au coefficient constant de celle de Laplace, qu'il avait reconnu étretrop faible; c’est-à-dire , de corriger, en quelque sorte, lecalcul par l’obser- vation ; travaux qui exigeaient une exactitude véritablement prodigieusé; on peut reprendre confiance et courage, car si cet habile obser- vateur , dominé par des circonstances très- défavorables, a trouvé de fortes érreurs dans quelques-uns de ses résultats (1), il pense aussi (2) que l’incertitude des mesures baro- métriques peut être réduite à celle dont les opérations trigonoinétriques ellessmêmes ne sont point exemptes, et qu'on peut appliquer utilement le baromètre au nivellement de nos plaines (3). Les imperfections et les inconvéniens des thermomètres et des baromètres portatifs soni encore nombreux, et les circonstances atmos- phériques, qui peuventaltérer lés observation:, très-compliquées : la fragilité de ces derniers (1) Mémoires de M, Ramond , page 45. (2) Id. Id. , id; , ÎX. (3) ta. Id. , id. , 78: THERMO-PAROMÉTRIQUES. ho instrumens est fort grande , le moindre choc, ou un renversement brusque suffit pour les briser ; le mercure employé dans leur construc- tion doit être d’une pureté extrême, ce qu'on n'obtient que rarement ; celui qu’on verse dans le tube pour achever de le remplir, ne pou- vant être bouilli en place, et restant d’ailleurs en contact» avec l'atmosphère, n'est jamais complètement purgé d'air ; les divisions des échelles et des verniers sont souvent défec- tueuses; dans les baromètres à siphon , les dia- mètres intérieurs des deux branches n'étant pas toujours égaux, l’action capillaire y est diffé- rente, et, par conséquent, ne se corrige pas exactement ; l'air peut s’introduire dans la co- lonne s'ils sont transportés sans précaution , ou s'ils reçoivent un mouvement de haut en bas et de bas en haut un peu fort, sansavoir été préa- lablement renversés; l’adhérence du mercure au tube est sensiblement variable , surtout dans la brauche la plus courte et n’est presque jamais la même que celle qui existe à la partie supérieure de l’autre branche; l’état hygroméirique de l'air et des parois intérieures du tubea une grande et facheuse influence sur cette adhérence ; la courbure de la surface du mercure, dans les tubes , n'est pas constante , même après les 4o6 OBSERVATIONS avoir convenablement agités; cette'courbure est influencée par des causes encore pen con- nues, qui ne me paraissent avoir été ni étudiées ni signalées, la principale est la tendance du baromètre à monter où à descendre; l’expé- rience m'a maintes fois prouvé que le rayon de ceite courbure est en rapport ( très-variable à la vérité } avec la marche de cet instrument; qu'ilaugmente, avec le mouvement ascension- nel, jusqu'à devenir infini , et même à changer quelquefois de direction , lorsque celui-ci est rapide et continu, ce qui rend la surface plane ou concave,et qu'il diminue, avec le mouve- ment contraire, jusqu’à devenir à peine égal au demi-diamètre intérieur du tube, ce qui rend la surface aussi convexe que possible, de sorte que souvent la seule inspection de la surface du mercure, en contact avec lair, sufit pour indiquer si la hauteur du baromètre tend à augmenter ou à diminuer (r); le ther- (1) Au moment de mettre sous presse , je prends con- naissance du rapport fait à l’Académie des sciences, le 7 décembre 1835, par M. de Prony , sur un ouvrage de M. de Fontaine , relatif aux travaux exécutés sur le Rhin , depuis 21 ans ; On y trouve : « Parmi les choses d'intérêt général que présente cet ou- « vrage, nous signalerons encore la détermination que M. de « Fontaine faite de l'espèce de courbure qu’affecte la ligne THERMO-BAROMÉTRIQUES. 407 momètre du baromètre , quelque bien joint et enveloppé qu'il soit avec lui , n'étant point plongé dans le mercure, en fait rarement con- naître la température avec exactitude ; le poids réel et la pression d’une colonne fluide élas- tique étant deux choses fort différentes, les courans ascendans et descendans de l’air accour- cissent ou allongent accidentellement la colonne de mercure et d’une manière d'autant plus fà- cheuse qu’elle est presque toujours ‘inaperçue ; nous n’avons aucun moyen de corriger les ob- servations de l'influence électrique et hygro- métrique de l’atmosphère; enfin , l’art d’obser- ver, dit M. Ramond , n'est pas aussi facile qu'on le pense ; il ne suffit pas d’être exact , le fluide sur lequel on opère a d’étranges caprices , et dans l'application de la théorie aux cas par- « qui termine, à la surface supérieure d’un courant d’eau, « une section transversale de ce courant : cette ligne, qu’on « est naturellement tenté de considérer comme horizontale, « n’a cette forme rectiligne que dans le cas de l’étale, ou état « permanent de hauteur d’eau; elle est curviligne convexe, « lorsque Ie fleuve est ex crue, et curviligne concave, lorsque « le fleuve est en baisse. (N°. 135, 9 décembre 1835 , du Jour- « nal l’Institut.) » Cette importante observation confirme complètement l’opi- nion que j'émettais dans ce Mémoire, dès 1833, sur la princi- pale cause qui fait varier la forme des ménisques à la surface du mercure dans les baromètres à siphon. 408 OBSERVATIONS ticuliers , il faut voir quelque chose de plus que les indications des instrumens et le calcul d’une formule; il faut déterminer les condi- tions d’une boune observation, déméler les cir- constances propres aux opérations baromé- triques , reconnaitre les modifications de l’at- mosphère dont l'influence altère la justesse des mesures, qualifier les erreurs et les faire servir elles-mêmes à l'avancement de la science mé- téorologique (1). En effet, entendre {a théorie des mesures barométriques n’est pas une chose fort difficile, il est encore plus aisé d'apprendre à calculer les observations; mais ce qui ne Vest pas, à beaucoup près autant, c’est de les bien faire. De très-habiles gens nous en ont donné quelquefois d'assez mauvaises, tantôt faute de bons instrumens, tantôt faute de bonnes méthodes, et toujours pour avoir cru trop aisée une expérience de physique qui ne laisse pas d’être en elle-même fort délicate, et qui souvent ne répond pas dans le sens où on l’in- terroge, parce que c’est le propre de toute ex- périence de ne répondre juste qu’à des ques- tions bien posées. Tout en appréciant bien ces difficuliés , je (1) Mémoires de M. Ramond, déjà cités. TIERMO-BAROMÉTRIQUES. 409 persiste à croire qu’en choisissant les conjonc- tures favorables , répétant les observations , les entourant dé tous les soins nécessaires, décri- vant les lieux où elles sont faites, tenant note de létat du ciel et des vents et de toutes les circonstances météorologiques, indiquant exac- tement la marche des instrumens dans les temps voisins des observations ; enfin , et c’est là, je pense, la partie la plus importante et la plus difficile, en les soumettant ensuite, avant le çalcul, à une discussion consciencieuse et ap- profondie , ‘et en les combinant de manière à les faire, autant que possible , se servir réci- proquement de preuves, je persiste à croire que si l’on n'obtient pas toujours des résultats d’une exactitude mathématique, on peut au moins arriver à de bonnes approximations , bien précieuses pour un département qui, comme le nôtre , a tout à faire. Le Mont-Pinçon , situé au Plessis - Gri- moult, est le seul point de l'intérieur dont , à ma connaissance , on ait signalé la hauteur. D'après M. de Caumont, elle a été déduite d’ob- servations barométriques faites par M. Delcros, chef d’escadron au corps royal des ingénieurs géographes, dont le nom suffit pour y faire accorder toute confiance. Il est indubitable que \ 410 OBSERVATIONS cet ingénieur, qui a fait des travaux géodé- siques dans le Calvados, aura calculé d’autres hauteurs au moyen dela mesure des anglesetdes bases,et qu'il n'aura pas négligé de jeter des tan- gentes à l'horizon du sommet de nos falaises ; mais Je n’ai malheureusement aucune connais- sance du travail de M. Delcros. Je dois aussi indiquer deux nivellemens infi- piment remarquables , faits dans ce départe- ment par MM. Patiu et Pouêtre ; ingénieurs des ponts et chaussées, qui, ayant eu besoin, pour éclaircir une importante question relative à la théorie des marées, de savoir à quelle hau- teur absolue la mer .sélevait dans la baie de la Seine et dans l’intérieur dn fleuve; tracerent une ligne de niveau depuis Honfleur jusqu’à Quillebœuf. Comme il leur étaitiessentiel que ce travail füt fait avec la plus scrupuleuse exactitude , ils le firent eux-mêmes, avec deux niveaux à lunettes, placés successivement au milieu d'intervalles de 300 mètres, faisant à chaque :station des. séries d'observations que chacun d'eux recommençait jusqu’à ce que les moyennes des deux instrumens ne dif- férassent pas de plus d'un millimètre. Aussi , arrivés à l'extrémité d'une ligne de plus de sept lieues de longueur , leur résultat n’a pré- THERMO-BAROMÉTRIQUES. 4ix senté qu’un centimètre de, différence avec un niveilement des mêmes lieux , précédemment fait par M. Robin , ingénieur en chef du méine corps, et l’on doit même penser que cette minime erreur est au-dessus de celle qu’ils ont pu commettre ! Ces savans ingénieurs ont bien voulu me communiquer leurs travaux et me procurer de précieux renseignemens avec une bonté et une obligeance pour lesquelles je leur renouvelle ici mes sincères remercimens. Le second nivellement a été fait pour la ri- vière d'Orne, par M. Paiiu, avec les mêmes soins , les mémes.précautions et la même exac- titude ; aussi la hauteur du quai de Caen au- dessus du niveau moyen de.la mer, est-elle maintenant connue de la manière la plus rigous reuse. En commençant mon nivellement, j'ai pensé qu'il était convenable de me fixer d'avance sur les points dont il serait le plus utile de calculer la hauteur, et tout en reconnaissant la néces- sité d'en observer le plus grand nombre pos- sible, je me propose d’abord de considérer, comme points principaux, les sommets de nos collines, la source des cours d’eau pouvant servir de moteur aux usines, les plateaux de quelque importance , les limites des formations ._4ro OBSERVATIONS géologiques, les points de leur plus grande élévation, certaines parties des routes, enfin une foule de lieux remarquables, tels que car- riéres, mines, etc. , etc. Quelque désir que j'aie de ne donner que des résultats voisins de la vérité, j'ai cru ce- pendant que ce serait une faute de pousser trop loin la sévérité à cet égard, et de rejeter com- plétement_ les observations moins certaines ; car des indications douteuses peuvent encore quelquefois être fort utiles en les donnant pour telles, je ferai donc tout connaître, mais en indiquant après chaque résultat le degré de confiance qu’il mérite. Ce travail exigeait un collaborateur qui, à une grande habitude, et au talent de bien ob- server ; Joignit une patience et uné exactitude plus grandes encore; M. de Lafoye, profes- seur de physique de l’académie royale de Caen, muni d'excellens instrumens dont il se sert pour les observations sédentaires qu’il fait de- puislong temps, ayant bien voulu mé promettre son Concours, je me suis décidé à entre- prendre ce travail, et je me propose de le conti- nuer. Les instrumens dont nous nous servons , sont de bons thermomètres bien comparés, THERMO-BAROMÉTRIQUFS. 413 des baromètres de Fortin , de Cauchois d'a- près Ramond , mais surtout de Gay-Lussac, exécutés par Bunten, C’est exclusivement avec ces derniers, que je crois préférables à tous les autres, que je fais les observations ambu- lantes ; enfin, au moyen d’un ihéodolite de Gambey , nous pourrons déterminer rigou- reusement la hauteur de quelques lieux qui me serviront alors de points de départ, de com- paraison et de correction. Le beau nivellement de la rivière d’Orne, fait par M. Pattu , auquel nous avons rattaché le nivean des baromètres de M. de Lafoye, nous a donné la hauteur de ceux-ci au-dessus de la mer ; ce qui permet de rapporter à ce plan les observations correspondantes simultanées ; mais lorsque je puis faire des observations alternatives, avec le même baromètre à deux stations peu éloignées, j’emploie ce moyen comme infiniment préférable. C’est ainsi que j'ai mesuré la hauteur de tous les points re- marquables du littoral du département, et de plusieurs de nos collines au-dessus des rivières qui baignent leur pied. 414 OBSERVATIONS Instrumens employés et précautions prises pour faire les observations. Je me procurai, en mars 1833, un baro- mêtre à siphon, de Bunten, portantle n°. 272; il était accompagné d’une note constatant que, d’après la comparaison qui en avait été faite, cet instrument donnait les hauteurs de 45 cen- tièémes de millimètre plus grandes que celles qu'indique celui de l'observatoire. Je le comparai, dans le mois d'avril et au cominen- cement de mai, avec un baromètre semblable et du même artiste, portant le n°. 208, appar- tenant au cabinet de l’Académie royale de Caen et servant à M. de Lafoye pour ses observations sédentaires. D’après ces comparaisons, le n°. 212 donnait les hauteurs de 30 centièmes de millimètre plus grandes que celles qu'on trouvait aveclen°, 208.Lesthermometres furent également comparés , et leur marche nous pa- rut régulière et la même. Le baromètre n°. 208, placé dans le cabinet de M. de Lafoye, au lieu où il fait ses observations , est élevé de 28% 14 au-dessus de la mer. Les instrumens que j'emporte en voyage sont : une bonne montre que je tiens exactement THERMO-BAROMÉTRIQUES. 415 réglée sur le temps moyen; mon baromètre dans son étui, avec sa vrille et ses crochets à vis, le suspensoir et ses trois pieds; un double crochet et une petite bride en corde pour at- tacher au bas du baromètre une pierre d’un ou deux kilogrammes , afin que les vis de rappel, servant à faire marcher les verniers, ne donnent en fonctionnant aucun mouvement à la colonne de mercure qui doit rester verti- cale; un thermomètre centigrade, très-sensible, pour observer les températures dePatmosphère; une loupe d’un foyer convenable pour lire les graduations; une boussole de poche et une règle à pinnule avec niveau à bulle d'air. Aussitôt arrivé au lieu choisi pour une sta- tion, je suspends le baromètre au moyen de sa vrille ou d’un crochet, à un arbre ou à tout autre objet immobile et le plus à l'abri pos- sible. Si je manque d'objets convenables, je le pose sur son suspensoir, et me place entre lui et le soleil, afin de le maintenir à l'ombre ; je fixe également à l'ombre le thermomètre libre, dans un endroit découvert, tout en lui évitant les réflexions de chaleur qui pourraient agir sur lui; en un mot, je le place à l'endroit que je juge le plus convenable pour n’indiquer la vraie température de l'air; je mesure immé- 416 OBSERVATIONS diatement l'élévation du baromètre au-dessus du sol, ou au moyen du niveau, j’observe son élévation ou son abaissement par rapport au point culminant des environs, ou plutôt par rapport au point dont je cherche à déterminer la différence de hauteur, et que je décris le plus exactement possible. Je tiens note de l'état du ciel et des circonstances météorologiques ou d’autres qui peuvent altérer l’observation; j'ob- serve la marche du thermomètre libre, afin de ne pas perdre de temps, et cependant de ne commencer mes observations que lorsqu'il s’est mis en équilibre de température avec l’air qui l'entoure; enfin, après avoir agité le baromètre en le frappant à petits coups, de manière à communiquer au mercure une sorte de vibra- tion qui lui fasse vaincre les frottemens et sou adhérence au tube, je prends note de l'heure; j'observela partiesupérieuredu baromètre dont J'écris indication, écrivant;aussitôt après, celle de son thermomètre, puis celle de la partie ine férieure que j'ajoute à la première pour avoir la hauteur totale, enfin j'inscris la température moyenne de air que j'ai soin d'observer plusieurs fois; car cette température étant es- sentiellement variable, il est de beaucoup pré- férable de prendre cette moyenne que lnique | THERMO-BAROMÉTRIQUES, 417 indication que donne l'instrument à l'heure pré- cise de l'observation. Pour abréger, je fais M le! temps moyen indiqué par la montre;h = l'indication donnée par la partie supérieure de la colonne de mer- cure dans le baromètre ; b = l'indication de la partie inférieure ; H #= leur somme ou la hau- teur totale; T? la température du baro- mètre; T! = le thermomètre libre donnant la température de Pair. Pour calculer mes observations, j’emploie les tables d’Oltmanns, données dans l'Annuaire du bureau des longitudes, parce qu’au moyen d’une table de parties proportionnelles que j'y ajoute, ce sont les plus comimodes, celles qui demandent le moins de chiffres, et que les pe- tites différences qui peuvent résulter de leur emploi, comparé à celui des logarithmes, sont évidemment au-dessous des incertitudes de l’observation elle-même. Pour accélérer cette partie du travail, j'ai aussi adopté une marche régulière : je commence par prendre des’ moyennes des séries d'observations faites à chaque station , jen déduis la hauteur du ba- romètre et les températures qui eussent été observées au même instant, aux deux points dont je cherche la différence de niveau ; j'é- +7 418 OBJERVATIONS cris sur une seule ligne les nombres obtenus pour la station inférieure , puis immédiatement au-dessous ceux de la station supérieure ; je fais la différence des températures des baro- mètres, et la double somme des températures de l'air. Tout étant ainsi disposé, j'applique la formule et j'opère le calcul. Un exemple me fera mieux comprendre, Le 12 mai 1833, étant à Honfleur , hôtel du Cheval-Blanc, situé sur le port, le baromètre, piacé sur son suspensoir , est élevé de 9® 25 au-dessus du niveau de la mer. Vent du N.-E. faible, beau temps; quel- ques nuages détachés. J'ai observé le matin : M= 5h. 38°... h= 396%". 78...T° — 46°, 9...T' = 110,9 b= 369 48 H=,266 ,,:20 © _ M= 5". 42”... h 5296", 80..,T? = 17°,0... T5 44°, b= 369 49 H= 766 . 29 Ma 5". 48”... = 396°",79...T° = 170,0...T! = 140,9 b 369 5o = 766 . 29 THERMO-BAROMETRIQUES. 419 Le même jour sous le porche de la chapelle de N.-D.-de-Grâce près de Honfleur. Le baromètre de o. 67 au-dessus du pavé de ce porche. Même temps. M =5b. 38°... h = 3g92mm, 84... T° — ND. 48 2 b=365 68 H= 758 52 D M= 6". 20’... h =,392"%, 80 ..T'=15,0..T' = 15°, 3 b= 365 67 H= 158 4; EEE nn M6". 23°..4h5=309à"7, 47... Th 44°,6.:.T: = 13 3 b=365 64 H=758. 37 Le même jour à la station de Honfleur, au même point que le matin à 3h, 38°. M= 7", 3... h = 396%", 87... T° = 47°, 0... T = 4°, 4 b=369 5: H=—766 38 420 OBSERVATIONS ” M=—yh. 7. b—3967%, 89 T'—17,—5...T—15, 4 =369 ba H=766 41 M=n. 12°... h—396"", 90 T'—17°,—8...T'—15, 5 b=—369 51 H=766 . 4: M7". cb. N=396 "gt pr 8 150, 4 b—369 52 5a H—766 43 43 Prenant une moyenne de chacune de ces trois séries d'observations, j'ai: Pour la première station à Honfleur.—N°. 1; M5. 47... H= 366" 28, 047" 0... D—14°, 9 Pour la station à la cha pelle de Grâce.—N°. 2 M6". 20" 7 A. T'ES" 0 LE, 9 Pour la seconde station à Honfleur.—N°. 3. May". 9. 766%, £h.4 TE Te, 5... T—1b0, 4 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 421 . Cherchant au moyen des numéros 1 et 3 ce qu’eüt donné une observation unique faite à Honfleur à 6h, 20°. Je trouve : M==6h. 20°. 7662 34. Pts 70 2. Taser, À Onatrouvép° Grâce758 45 15, 0 EN Différence : 2,2 Som.26 , 7 2° som.53, 4 Appliquant le calcul à ces données je trouve dans la table n°. r. PAR TB MSA, RUSSE ON M 6216", 74 PORT OBAMA. Le cn us 04328 0199 Différence de hauteur non corrigée 82", 41 La table n°, 2 donne pour la diffé- rence des températures du baro- ca Sn Ale eo EE ue PS | DR Différence de hauteur corrigée des temp. du baromètre. . . ..... en 1707, OA Correction pour la température Ê 2 de Pain je PRET. 0! TV X534 +7on, 21 10000 BL Différence de hauteur approchée. 83", 44 Correction pour la latitude, donnée PAMÉMADISEn, 5.2 Le TA Re . +o 2 Différence de hauteur du baro- mètre aux deux stations. . . , . .. 83%, 59 Elévation du barotiètre au-dessus 4a2> OBSERVATIONS du ‘501 de Grabénf OP MIQU LE 155076) 68 Hauteur du pavé du porche au- dessus du baromètre à Honfleur. 83 02 Elévation du baromètre au-dessus du niveau moyen de la mer à Hon- TO 27 bee 2 tee HMS, DO Hauteur du sol du porche de la chapelle de Notre - Dame-de-Grâce au-dessus du niveau de la mer. . . 92 27 Observations faites dans le Calvados. Le 11 mai 1833, j'ai observé au haut de la côte d’Annebaut, canton de Dives, sur la grande route de Caen à Honfleur, devant la maison d’un M. Dubos. En cet endroit la route est bordée d'arbres et à l'abri du vent, elle réfléchit fortement les rayons du soleil. Ce point n'est pas le plus élevé; à environ cent mètres x à l’est, la route s'élève encore d’un ou deux mètres. Le baromètre de o®. 67 au-dessus du sol. Vent d'est nord-est très-faible, beau temps, q'elques nuages, débris d'orage. THERMO-BAROMÉTRIQUES. 423 Munh 5h not, 7, Ti 248% 6: 20,9 b=364 38 H=56 30 Le même jour, au haut de la côte de la Gri- serie, entre Pont-l'Evèque et Honfleur , sur la route à la sortie de la forêt de Touques , devant la maison d’un nommé Dominique Descelliers, à environ deux cents mètres à l’ouest d’une maison neuve située sur le bord méridional de la route. Le baromètre de om. 67 au-dessus du sol. Même temps que pendant lobservation pré- cédente. M=2,. 6"... he 5g4mm,34... TP = 180, 3... Tl= 17°, 8 . : = 363 71 D =255::7.058 Il y a peut-être quelque incertitude dans les températures de l'air des observations précé- dentes. Le même jour à Honfleur, hôtel du Cheval- Bla ne situé sur le port. 424 OBSERVATIONS Le baromètre placé sur son suspensoir est élevé de 9w. 25 au-dessus du niveau moyen de la mer. Cette élévation est déduite de celle de l’arête du mur de quai, que M. Pouétre, ingénieur des ponts-et-chaussées,a eu l'extrême obligeance de me communiquer. Même temps que le matin. M3 46"... b— 397%, 02... T1 80,72. T9", 3 b—369 33 ==766!! 135 Ma 837" out T'nsBniges Test, 3 b—369 33 H=766 ; 35 #3 à CE M4". 5...h—397"", 00... T'—18°, 2.., T—19°, 5 b==5609, 28 H=366 28 Le même jour sous le porche de la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce près Honfleur. Le baromètre de 0, 67 au-dessus du pavé de ce porche. THERMO-BAROMÉTRIQUES. £a5 Même temps. M—4h. 45”... h— 393", 10... T—18°, 0... '—17°, 1 B==395 4 72 H'=7HeTT101 M 4%. 50°...h = 393", 40., T5 190,7... Te 46°, 9 COR 7 : b=S365 "va H= 758. 82 Le même jour , à Honfleur, au même point, même situation et même temps qu'à 4P. 5’. ME 5 48”...h = 396, 98... To — 480, 8... T = 49°, o b=569" 4x H=766 45 Mis 5 a5"..:h396 7 09... Tr #90, 0... 1 49°; 0 b=369 48 H=706 47 Le même jour , à la chapelle de Grâce, même situation et même temps qu’à 4". 45. M==5:.102 h—303"yageT be 170 OL = 16°, 3 b=365 58" H=758 87 426 OBSERVATIONS M =6". 2”..h = 393", 08... Th = 16°, 6... T1 — 16°, 0 b= 265, 23 H =758 81 Le même jour à Honfleur, même situation et même temps qu'à 4h, ?’. Mon 10" .h=307"", DT 8e 6. T1 = 14°, 4 b=—370 oo H=767 D: M =9".21...h2= 397", 52... Tv = 19°, 0... T' = 14°, 2 b=370 oo H=767 52 M =9". 28°...h = 397,58... T° — 19°,2...T —'a40, 2 b'=57a| -‘o2 H=767, 1 \6a M =9n. 33”...h = 397m, 62... Tb = 190,2... T1 = 14°, 2 b=370 06 H=767 68 ee +". Le 12 mai 1833, à Honfleur ,au même point, THERMO-BAROMÉETRIQUES. 427 et dans la même situation qu'hier , vent de nord-est faible , beau temps, lourd, quelques nuages. M=5h.38...h — 396mm, 78... T° = 460, 9... T'— 14°, 9 b—369 48 H= 766 36 M=b5h. 427. h="3900 80:.:"Th 40.0 Ta, 0 b—369 49 H=766 29 M =5". 48...h = 396,79... Ti = 470, 0... T! — 11°, 9 b= 3670150 H=66 9 Le même jour, à la chapelle de Grâce , même situation qu’hier, toujours beau temps. M=6". 17...h = 392%", 84. To = 45°, 5... T1 430, 2 b=365 68 =758 ba M =6", 20°...h — ns à to Ole 497 3 p=\65 "07 HE 7987" 747 428 OBSERVATIONS M = 6",23"...h = 3gamm, 73... Th — 14, 6,..T!= 40, 33 b=365 64 H=758 3 a een nn Le même jour, à Honfleur , méme situation qu’hier, Le temps devient orageux. ME 74, 3°,..h = 396mm, 87... TŸ— 170, 0... T° — 15°, 4 b=369 5: H= 766 38 M= 7.7" ..k= 396, 89." 47,54 T2 45°, 4 b=366, 52 H=766 ri IE EE M= 7"u11..h=396"",g0.., T° = 490, 8... = 15°, 5 bts 369 5: 51 H 766 766 41 Me 7° 48 che 806 oui To 4768. Pl 15°, 4 b= 369 MS2 H —766 43 THERMO-BAROMÉTR!QUFS. 429 Le même jour , à la chapelle de Grâce, même situation qu'à 6b, 16. Le temps assez beau, mais lourd. M=7b. 43"... h= 392w, 90... T°= 160, 3...T!= 450, 8 b=365 978 H= 758 68 M =7n. 47°..h= 392%, 90...T° = 6°, 0... T!= 15°, 3 b=365 79 H=758 69 M7". 54°... = 592%, 88... T° = 45°, 8... T' — 45°, 0 b=365 78 “He=755 66 M=7.55..b=592% 84... T° = 450, 5... T! =45°, o b= 56078 H= 9756. 6a Le même jour, à Honfleur, même situa- tion et même temps qu'à 7h. 3. 430 OBSERVATIONS M= 8h. 32°.4..b 199627. 92. T° = 49. Ti 06°, 5 D Oo H=766 35 M= 8h37... h= 396, 94. Tess8, s...Tl = 26°, 7 b—366 42 H=766 36 M= 8", 12”...h = 396%", 94..,Tt = 18°, 4... T! = 160 8 b=369 44 H= 766 358 0 Le même jour , toujours à Honfleur , même situation. Les nuages viennent de sud-ouest, ils se multiplient avec apparence d'orage. M= 9".25"...h = 396w,79... T = 18,6... T = 17°, 8 b=369 23 H= 766 o2 M= 9".29”...h = 396,86 MRi — 18°, 7... T° = 18°, 8 b=369 23 H 766 of THERMO-BAROMÉTRIQUES. 431 M= 9°.33...h — 396mm, 81... Th 180, 8... T1 — 18°, 3 b=369 32 H= ;66 03 Le même jour , au sommet de la côte Vassal, dans la cour d’une ferme appartenant à un Me. Bazire , près le gable de l’est, d’un bâtiment d'exploitation et d’une mare servant d’abreu- voir. Le baromètre de o®. 30 au-dessous de la partie la plus élevée de cette cour. Le temps se couvre de plus en plus. M= 10h,13”...h= 393", 31... T° = 10°, 7... Ta 190, 4 bi=.365:* 54 H= 7581.65 Msaot.s7 he 309" 80. T° = 19" 5... Tl= 418,8 RE ARE 7498 "82 M= 10b.24”...h= 393", 29... T° = 190,3...T =u8°, 8 = 368: "90 HE 7567 4 432 OBSERVATIONS \ Le même jour à Honfleur, teujours au même point. à # M=10",52"..h = 396" ,89.., T° — 20°,0...71= 4°, 93 b=369 o2 H=765 94 M =10".55"...h = 396,88... T° = 59° 9... T' — 49°, 2 = 569 o1 H=765 89 M=10",58...h = 396m, 86.,.Tb = 499,9... T'=49°, 3 b=369 o1 H:=765 87 Le même jour, au liaut de la côte Vassal, au même point que le matin à rob. 13°. Le même temps est très-orageux et la tem- pérature varie beaucoup. M =u1",26"...h = 393, 48... T° = 21°, 5... T2 2°, 48 b=365 44 re — H=758 92 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 433 M=11h,29 .h = 339, 49... = 240, 8..,T1 — 219,8 b=365 40 H= 758 89 nee M= 441,32"... h= 393%, 48... T° 2 240,7. T2 21°, 7 b= 365 39 H= 3758 87 I D PE 22m M= 14°.35...h = 393"m, 46... T° = 220,0...T! — 230, 3 b.=9365 ,,39 H=758.-4 85 net mme teen Ma 41h:38°...b= 393"m, Bo... T° = 22°, 4... T! = 220,3 b= 365 34 ee = 78 84 Le même jour, à Honfleur, au même point que précédemment. 2 42h, 44”...h = 396%, 70... TT = 210,4... T1 = 20°,0 b= 368 "82 H=765 64 28 434 OBSERVAT ONS M=a2b. 14"... = 396", 83... T° = 24°,0.., T = 207,0 b—368 8: H=765 632 SRE 790 FRDE RERO EDR AU RD DR A REP ETS U TOR S TEETR A= 12".17"..,h= 396mm, 84... T° = 20, 8... T! — 20°, o b—368 8: H 765 6a Le 4 juin 1833, à Honfleur, au même point et dans la même situation qu'en mai dernier. Le baromètre de 9". 28 au-dessus du niveau moyen de la mer. Vent d’ouest assez frais, temps très-couvert, il a tombé beaucoup de pluie toute la matinée, vers midi le ciel s’est dégagé , la pluie a cessé et le temps est devenu assez beau. M ah, 20!,,.h= 3912%,60...T% = 18° 2,...T! = 15°, 2 b=364 o8 H= 755 68 M= 4",24..h=392"",67..T = 18,3... T'= 45°, 3 b—364 10 Ha 79537 THERMO-BARGMÉTRIQUES. 435 MAS, 68%=391"",692 The 1853, Tim u8, 9 b=364 15 ee H=735 84 M3. 07. b=392272697121687,3..1 43" 9 b= 364 15 H=755 84 NE 3. 2°, he 391,702 290,3. T1 130,9 b 364 «5 955 85 Le 5 juin 1833, à Pierrefitte, près Pont- l'Evêque, dans une chambre du premier étage du presbytère , situé tout près de l’église. Le baromètre de o. 67 au-dessus du plan- cher de cette chambre. Vent de S.-O. faible, temps passable, mais couvert. M= 9". 7”...hz 3g1mm, 34.7! 170,8..T 13°, 4 b=365 72 ——_—_—_—_———_—ù H= 755 06 f 436 OBSERVATIONS Le 6 juin , à Pierrefitte , même point qu'hier soir. Vent d'Ouest, ciel nuageux, mais beau temps. Mi=8h.42”...h = 3gamm, 07... Tb = 17°, 2... T° = 16°, 3 be . 5x H=754 58 M8". 46°...h = 394", 09... T° — 170, 3...T' = 16°, 3 ’ b=S69 051 ——_——— H=794 . 60 Le même jour, au quai de Pierrefitte, sur le bord de la riviere de Toucques. Le baromètre d’un mètre au-dessus du niveau moyen des eaux de la rivière. Même temps qu’à 8 heures, M=8",53..,h = 393", 60... T° = 180, 6..T = 17°, 5 b=365 91 H=59 51 Le même jour , sur la partie la plus élevée du bois de Betteville, à 300 mètres au nord du L THERMO-BAROMÉTRIQUES. 437 chemin descendant à l’église de Pierrefitte , à l'extrémité de la coupe faite cette année. Le baromètre de o,. 67 au-dessus du point culminant. Même temps. M= 9".50”...h = 389,04... T° — 18°, 7 ..Ti= 18°, 5 b'= 9561, 932 EH Gao 133 RO ETC Le même jour, au presbytère de Pierrefitte, mème point qu'hier soir. M= 10",12”...h= 391", 50... T° 19°, 8... Ti = 180, 7 b=:3609 45: H= 755 - 01 Le même jour , quai de Pierrefitte, même point que ce matin. M= 10".31"...h= 393um, 72.. To = 19°, 8... T= 18,5 b—365 83 = 740000 ad Le même jour, au bois de Betteville, mème point qu’à g!. 5o’. 438 OBSERVATIONS M =ashs 4.b—389,., 28..:T°=—20°,8...T'=—19°, 9 b—364 30 H=760 ./ 98 » Le même jour , au quai de Pierrefitte , toujours au même point. M=—111,30"...h—393"%,63... T'—20, 7... T'—20°, 7 == 0h8 :"95 ‘ H=3060 ‘56 Le même jour, au bois deBetteville, toujours au même point. ’ Mat. .2...h== 3892, 46. T=30, 7... T1)", 8 b—361 20 H—700 "34 Le même jour, au presbytère de Pierrefitte, toujours au même point qu'hier soir. M =12h.37"..h =3g1".39...T? = 200, 5...T1 = 24°, 0 b=S60 0774 H= 754 83 THERMO>EAROMÉTRIQUES. 439 Mg". 0'...h=3gsem, as. Th 409%,0.. T! = 459, 9 b=:5363 41 H=754 62 Le 7 juin 1833, au presbytère de Pierrefitte, mêine situation. Ma 6%:0..h=1399"", 69. .T0 21480 6... T1 = 040, 5 b=365 oo H:767 . 67 Le même jour et même station. M0" 0...h = 399, 38,,T° 488, 8, T9, 5 b=365 49 H=}58 77 Le nième jour, à la côte des Norolles , ‘sur la route de Pont-l'Evèque à Lisieux , à environ 1300 mètres au nord du village de Bottemont, partie la plus élevée de la route, mais non pas de la côte, Le baromètre de o®, 67 au-dessus du sol et placé à l'ombre d’un bouquet d'arbres. Toujours beau temps, quoique nuageux. 4âo OBJERVATIONS Man. 8”... = 392% 97, Tr 1200: 7,0, T1 — 200,17 b=—364 92 H=757 ‘89 Le même jour, à l'entrée de la carrière de Livets, sur la même route, dans la commune d'Ouilly-le-Vicomte , à un endroit couvert et frais; ce point est dominé par la côte qui s'élève à pic et beaucoup au-dessus de la car- riére. Le baromètre de o®. 67 au-dessus du sol. M =10ù.36"...h = 393 ",42...T° = 190,5...T1 = 190, 7 b=365 60 HE759 o2 Le même jour, à Glos, sur Lisieux, au haut de la côte au-dessus des carrières. Le baromètre d'un mèêtre au-dessous de la partie la plus élevée. M=316"...h5= 392,32... T° = 20°, 4... T' = 19°, 8 b=364 32 H=756. :64 : THÉRMO-BAROMÉTRIQUES. 441 Le même jour , au bas de la côte, tout pres du pont de Glos. Le baromètre d’un mêtre au-dessus du niveau moyen de la riviere. Toujours beau temps , le vent variable et faible. s M==3:.38"...h—395"", 39... T° 520%, 7... = 19°, 9 b=367 44 H=762 83 Le même jour , au haut de la côte, même position qu’à 3". 16. M=4". 0'...h= 392%, 46...Te 210,5,.T = 20°, 7 b=364 4o H=756 86 Le même jour , près le pont de Glos, même position qu'à 3h, 38’. M = 4. da’, 39807, 69. 1. Tue 36 4T = an, 5 = 367 Do H= 709 10) 4$a OPSERVATIONS Le même jour, à Lisieux, dans une chambre du premier étage de l'hôtel du Cheval-Blanc. Le baromètre de o. 67 au-dessus du plan- cher. Le.temps nuageux , mais beau. M= 6,51"... h.=395mm, 50... Th: 48°,9... T'=18°,2 b=—"367 64 H =63 14 Le baromètre fut cassé après cette obser- vation, on ne püt par conséquent le comparer avec celui de Caen. On reçut, en août 1833 , le baromètre Do. 212, qui avait été réparé par Bunten, la note qui l’accompagnait constatait qu’il donnait les hauteurs de 40 centièmes de millimètre plus grandes que celles qui sont indiquées par le baromètre de l'Observatoire. Le 25 septembre 1833 , sur la butte de Caumont et à l’est de Dives, sur le bord de la falaise et du sentier qui la borde. Le baromètre au niveau de la partie la plus élevée de cette butte. Vents de sud, jolie brise, soleil très-pale , ciel gris très-vaporeux , quelques nuages. L £ THERMO-BAROMÉITRIQUES. 443 M=2". 40°...h = 389%", 00. T° — 18°,0...T° = 18°, 0 9 b= 361 /o H=750 4o Le même jour, au bas de la butte de"Cau- mont, devant le café de la Marine, dernière maison à l'est de Dives, tout près de la mer. Le baromètre à un mètre au-dessus du niveau de la plaine mer des grandes marées , ou à 4, 53 au-dessus du niveau moyen, la différence de la haute à la basse mer, dans les syzygies, pouvant être estimée sur cette côte à 7°. 06. ME 3, 0..h=393",64...T —=u9,6..T1— 19,5 b'= 3606 65 H=5g 29 Le même jour, au haut de la butte, même point qu'à 2h. 4o’. M3". 22°,,.h= 389" 520...T° = 190,7.0. TL 190, 6 b=361 25 H =750 OU G 443 OBSERVATIONS Le même jour, au bas de la butte de Cau- mont, au même point qu’à 3P. 0”. M—3h. 42°... b—393%m,45 T'—18°,—0...T'—18 , 5 ©b=—365 62 #. 759, 07 Le 26 septembre 1833, au sommet de la butte du Houlgate, dans un champ complète- ment découvert,appartenant à un M. Marchand d'Auberville, près et au nord de la petite haie qui le borde et le sépare du champ de Pierre Miocque; de ce point on relève le cap d’An- tifer, par la côte de la Hève (Seine-Inférieure;. Le baromètre posé sur son suspensoir ; c'est-- à-dire-de o®. 67 au-dessus du sol et placé au point le plus élevé des environs. Vent de sud , jolie brise, beau temps, ciel nuageux. Mort 888870 T— 450,5 To, 5 b—361 12 H=749 82 Le même jour , au bas de la butte du Houl- : 4 [A THERMO-BAROMÉTRIQUFS. 4/42 gate, à l'endroit où de pleine mer, dans les grandes marées, la mer bat le pied des contre- forts des falaises. Le baromètre d’un mètre au-dessus du niveau de la mer dans les syzygies, ou de 4". 53 au-dessus de son niveau moyen. . M =9b. 32°... h = 394, 03..,T°= 160, 0... T'= 16°, 0 be 366: 37 H= 760 4o Le même jour, au sommet de la butte du Houlgate, au même point qu’à gh. 8’. Le temps continue à être fort beau. M =10". 4 ...h 388,84... TP — 46°, 3..,T'= 160, 4 b = 3614 20 =750 o1 Le même jour, dans la bruyère d’Auberville, à l'ombre de la haïe de l’ouest, maïs dans un endroit fort découvert. Le baromètre au niveau du sol sur lequel on voit une ancienne ruine, à l'autre extrémité 446 OBSERVATIONS de la bruvère, c'est le point le plus élevé des environs. M= 440,35”...h =3884m 60...TP = 17°, 3... Ti = 16", 9 b= 360 go H=749 50 Le même jour, sur la plage, au pied de la falaise d’Auberville, au bas du Saut-au-Chien. Le baromètre de o .6o au-dessus du niveau de la pleine mer des grandes marées moyennes. M=12".43"...h = 304, 28.,.Tb = 480, 6... T! = 180, 0 b—366 34 H= 760 62 Le même jour, sur la plage au pied de la butte de Bénerville. Le baromètre d’un mètre au-dessus de la pleine mer des grandes marées moyennes. Toujours très-beau temps. ME= 9.9... = 594",33,.,7 49, 6... 712 48°, 4 b=366 38 H'=700 0 71 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 417 Le même jour, sur le sommet de la butte de Bénerville. Le baromètre de ow. 60 au-dessus du point culminant. L Le temps nuageux, mais moins vaporeux et plus clair. SR M=3". 42°..b = 38gm0m, 45..,T° = 490, 1... TT! 16°, 9 b=364 63 H=751 o8 Le 27 septembre 1833, à la loge du séma- phore de Hennequeville , au lieu dit les Kreu- niers. Le baromètre de o®." 67 au dessus du sol de cette loge. Vent du nord, faible, brune très-épaisse, le soleil se voit cependant de temps en temps. M=9".14"...h= 389,03... T° = 14°, 0... T'= 440, 0 9 2 b=361 48 H=750o 51 ME 9".17°...h = 388,098... Tb = 44°, 9..,T = 16°, o b= 62, 5 HS 700) 00 448 OBSERVATIONS Le même jour , sur la plage , au pied de la falaise de Hennequeville, près les rochers ap- pelés les cheminées. Le barométre d’un mètre au-dessus de la pleine mer des grandes marées moyennes. La brune se dissipe par intervalles. M=9",47 he 3947, 30...T0 44°, 6...T'= 14°, 4 b=—366 85 a ———— H=764 45 M0". 51°... h—394%", 28...Tb—14°, 5...T'=—14°, 0 b—366 85 H==7611,2 13 En ‘ Le même jour, près la loge du sémaphore de Hennequeville, au même point qu’à gh. 15°. M=10n.25"...h = 588%m, 94... Tb = 14°, 5..,T' = 440, o b—361 52 ee H=750 46 =0",30”...h 388%", 90... To = 14, 3... T1 #4, © bi=56201"52; H=750. 41 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 449 Les' nuages de brume qui passent, font souvent varier la température de plusieurs dixièmes de degrés. Le même jour, sur la plage , près les chemi- nées, au même point qu'à 9h. 47”. Même situa- tion de baromètre. M=112h.40"...h =394"", 00...T° — 440, 8..,T! — 13°, 9 b=366 58 H= 760 58 M= a16.13”...h= 393%, 93... T° s240,5..,%= 430, 8 b= 30610169 E= 760 46 EE Ma 44". 46...h = 393uw, 90... Tb= 140,4... T1 — 13,, 6 b=366 53 H=760 43 Le même jour, sur la plage entre Vasoui et Honfleur. Le baromètre d’un mètre au-dessus du ni- Ca. 450 OBJERVATIONS veau de la plaine mer das les grandes marées, ou de 4". 53 au-dessus de son niveau moyen. Calme , le ciel qui était très-brumeux ce matin est maintenant parfaitement clair, ily a seulement quelques nuages détachés. ; Maar, 0’...h = 393mm, 40... T0 = 46°, 8. .T' = 45°, 8 b=366 oo n= 759 4o Mat, 3°...he 393,37... T? = 160, 2... T = 16°, 0 b=366 oo H=759 37 oo Le même jour, à Honfleur, même point et même situation des instrumens qu’en mai 1833. Caline , très-beau temps. Ma 3h. 44°...h= 393", 50... T° = 48°, 6...T! = 470,3 b=365 6o = 709 40 RES Le même jour, au haut de la côte Vassal , au même point que le 12 mai 1833, mais le THERMO-BAROMÉTRIQUES. 451 baromètre au niveau du point culminant de la cour. M=—#frus”..h 389,85... Tt= 7°, 6... TE 190, 3 b= 362 10 H= 75 95 PRO ERPOSARSE IEEE LOUE EME PORT RRTEDP EPP > PETER M 2 fr. 16°...h = 389%", 80... Tb— 47°, 3... T'=47°, 3 ='362 ‘410 =754 go Le mêine jour, à Honfleur, au même point que le 12 mai. M=4". ha. h = 39300, 33... T0 = 190,9. T an, 3 b= 365 6o H=758 95 M4", 45...h 23930, 32... TE 47°, 9... T5 17°, 2 b=365 60 H=758 92 Le même jour, à la chapelle de N.-D. de Grâce. 452 CRSERVATIONS Le baromètre de o®. 67 au-dessus du pavé du porche. Toujours calme et très-beau temps. M=5". 44”...h = 389, 60... T+ = 45e, 0... T! — 46°, 9 b=361 98 H=751 58 M5". 49°... h—389", 58,..Th-2336 8... T—16°, 9 b=364 92 © H=76% : 5o Le même jour , à Honfleur, au même point qu'à 4. 4r°. Le M= 5.51" ..he 393%", 39... T° =48°, 0...T'= 19%, = 365 62 H=759 oo: M=5". 55°...h = 393%, {oc T° 489-0...T! = 17°, 1 bi= 365), 163 H=799 1103 nt Le 29 septembre 1833, à Trouville , à l'au- berge de David. THÉRMO-BAROMÉTRIQUES. 453 Le baromètre de 8". 95 au-dessus de la pleine mer des grandes marées moyennes. Vent de sud, bonne brise, beau temps, clair quoique nuageux. M = 6h. 0’...h= 394, 50...T°= #4°, 0...T'= 9°, o b=366 89 =761 39 Le même jour, à Hennequeville, sur la partie la plus élevée du champ des Hauchères, près la fermé de la Bergerie et plus près encore du lieu Gobin, presque sur le grand axe et au sud du château. Ce point est considéré comme le plus élevé du pays. Le baromètre est de o", 30 au-dessus du sol. M=7h.16"...h= 388n ,o0... T° = 8°, 8..,T 8°, 8 b=361 28 H=749 28 | D RE Æ74 20/04 3880000038 I = 80/8 ETES, 9 b= 361 27 en ——— H =74 30 454 OBSERVATIONS Le même jour , à la loge du sémaphore des Kreuniers, au même point que le 27 septembre. Toujours beau temps, quelques nuages. M Le 49°...h = 389,29... T° — 10°, 4...T = 97, 9 b=SGr058 H=75 67 ———————_—————— Le même jour, sur la plage, près les che- minées, même situation du baromètre que le 27 septembre. M =71.49"...h.= 389%%,29...Tb = 40", 1.4 Ti 9", 9 b= 362 , 38 H=751 67 ee Le même jour, sur la plage, près les che- minées , même situation du baromètre que le 27 septembre. M= 8".23...h — 395%", 06... T° — 12°, 0... T1 = 44°, 9 b=367 90 H= 762 96 M=8". 25°...h= 395", 00... T° — 42°, 0... T2 12° , 0 b=367 87 H=762 87 TIERMO-BAROMÉTRIQUES. 455 M= 8", 29°...h= 395", 00... T° 120, 0... T! = 12°, 1 b=367,,83 H= 762 83 Le même jour , à la loge du sémaphore des Kreuniers , au même point qu'à 7P. 49. Beau temps. M = 9h, 2°...h= 389", 78...T? — 420,0. ..T' = 12°,0 b=362 165 H=792 0 45 M=gh. 5"... b—38gmm, 59.. 8420 ea. T—12°, 3 b—362 62 H—759 Â1 Le même jour , au sommet des champs des Hauchères , à Hennequeville, au même point qu’à 7h. 16°. M=9".40”... h—389"", 43 T— 120, —7... Tl—420, 5 b—361 89 H=751 06 456 OBSERVATIONS = 9h, 44... ha 58gnn, 20.4 T° = 439,0... T' = 129,8 b=—361 86 H=75s ! 06 Le même jour , à Trouville, même situation L qu'à Gb, o’. M= 10",50°...h= 395nm, 69... T° = 46°, 0... T! = 14°, 5 bi 368 00 H—:63 69 M= 10".53...b= 395mm,69...T° = 16,0... T'= 44°, 5 b=368 oo H= 763 69 Toutes les observations précédentes ont été faites avecle plus grand soin, en laissant ,avant d'observer, le thermomètre libre se mettre en équilibre de température avec l'air, et suivant avec attention sa marche. Les observations n'ont été répétées qu'après avoir agité le mer- cure et dérangé les verniers. Le même jour, sur la plage, au bas de la THERMO PBAROMÉTRIQUES. 453 butte de Bénerville , tout près du chemin qui part de la mer et va au village. Le baromètre de o®. 60 au-dessus de la ‘pleine mer des grandes marées moyennes. Le temps très-beau , le ciel nuageux. Mat. sh = 396", 20... Tt = 50,9. Ti = 15°, 5 bi J682 “47 a H=764 77 CREER NES OEM EIRE TR LEARN RTS M= a". 8...h= 3960", 44... T° = 450, 8... T! = 15", 6 D 168% (59 H=;64 64 Le même jour, au sommet de la butte de Bénerville, | Le baromètre de o. 60 au-dessus du point culminant. M =4r, 59°...h = 394, 40.., T° = 150, 9... T'= 46°, 0 b=363 80 H=755 220 rm Le même jour, sur la plage, à environ 400 mètres à l’ouest de la roche qui termine la 458 OBSERVATIONS pointe de Bénerville, cette roche se trouvant dans la direction du château d’Orcher (Seine- Inférieure) un peu ouvert au N. de la roche. Le baromètre de o®. 60 au-dessus de la plaine mer des grandes marées moyennes. Toujours un temps superbe. M= 2°, 25°...h =396mm, 40... T° — 16°,5::. T' = 160, « b= 368 64 H=766! Lo nes On Le même jour, au pied de la falaise d’Au- berville, au bas du Saut-au-Chien. Le baromètre de o®. 30 au-dessus de la plaine mer des grandes marées moyennes. M = JL 7h — 39674, 76; T? === 15», Joe. T! = 15°, 2 b=369 10 H=765 86 M= "10"... h=396%%5. 00 48 A TL 450, 3 b= 369 10 H=765 85 Le même jour, à la bruvère d’Auberville, au même point que le 26 septembre. THERMO-BAROMÉTRIQUES. 459 Le baromètre au niveau du sol de la ruine, Toujours très-beau temps, quelques nuages. Mar. 50°...h = 394, 06...TP — 43, 8...T = 130, 1 b=—363 65 H=754 71 M= 4h. 52°... h. =3gamr, 10... Th 430,7... Tl13°,1 b=363 70 H =754 80 M= 5. 0’..h= 391", 10...T° = #3, 7... T! 43°, 3 b:=363" "70 H=754 80 Le même jour , sur la plage, au même point qua ie M=56%.36..h= 397%, 10...T°,— 440,5... T1 = 4 49, 0 b=369 70 H —766 80 M= 5", 40°...h = 397%, 10,7 = 440 5,... T1 = 140 b=36g9 70 H=766 80 PE 460 OBSERVATIONS Le 30 septembre 1833, devant la maison du sieur Raquidel , à Sailenelles. Le baromètre au niveau des appuis des fe- nêtres du rez-de-chaussée de cette maison , ce qui le met de 6m. 57 au-dessus du niveau moyen de la mer. Vent de N.-E., faible brise , quelques légers nuages. M= 46. 0’..h= 398%, 84...T° = 140,5...T1 = 4°, 4 bye de H= 770. 45 M= av. 8... h = 398,82... T° — 14°, 5...T' = 14°, 4 b=371 30 H=770 42 Le même jour, au haut de la butte qui domine Sallenelles , butte moins élevée que celle d’Amfréville. Le baromètre de o®. 30 au-dessous du point culminant. Toujours tres-beau temps. THEFRMO-BAROMÉTRIQUES, {Gi M=:".38.. h=397%", 52...T?= 15e b= 369 89 89 H= 767 767 di 59. T'=45", 9 GEL LG Ma 16.40"... h = 397,57... T° = 150,9...T/ = 45°, b 369 90 H= ;67 2:67 47 Le même jour, devant la maison du sieur Raquidel, au même point et dans la même situation qu’à 1h. 0”. Mob. 45°...h=398%",90... T° = 450,5...T1 = 45°, 3 a H=770 24 M=2". 19”...h—398", 90... Tue, 5. Ti=s50, 3 b==37% 00/32 H—770 22 Le 2 octobre 1833 , à l’abbaye d’Ardennes. Le baromètre de om. 67 au-dessus du pavé du portail de l'église. Ce point est un peu au-dessous du terrain &G2 OBSERVATIONS qui se trouve entre cette abbaye et l'église de la Maladrerie, et sensiblement plus haut que le calvaire de la Délivrande, à l'entrée de Caen. Vent d'est, jolie brise , très-beau temps, quelques nuages.' Miel, 07..1h2= 3950, 48 Tino 0. T5. 9 b=367 62 H=;6a : 75 Mon, db 395"%, 43... T'—450, 0... T' 15", 0 b=367" .6a H=762 79 Le même jour, au prieuré de Tailleville , près N.-D, de la Délivrande. Le baromètre de o". 67 au-dessus du seuil de la porte principale. Toujours beau temps. M=4". 45”...h= 395"®,78...T° =144,8...T244,5 b=368 24 H=764 o2 M=4". 18..h= 395", 80. nes 14, 5 LE 14°, 5 b' = 568" 120 H=764 oo THERMO-BAROMÉTRIQUES. 463 Le même jour , sur la plage à Bernières. Le baromètre de om. So au-dessus de la plaine mer des grandes marées moyennes. M=5h. 40°..h = 397", 28... Tt — 14,2... = 447, 1 b=369 66 ee H =766 04 Le 3 octobre 1833, à Manvieux, sur le bord de la falaise , au haut d’un sentier qui conduit à la mer nommé l'Echelle-de-Manvieux. Le baromètre de 0". 66 au-dessus du sol. Vent d’Est, Jolie brise, ciel vaporeux, très- beau temps. M—12b,36...h—394"%,a8...T—160, 6... T'—16°, 5 b==566. ‘951 H==760 779 Le même jour , sur la plage, au pied de l’Echelle-de-Manvieux. Le barometre de o", So au-dessus de la plaine mer des grandes marées moyennes. 464 OBSERVATIONS =120,58"..h = 396", o0.,T° = ab, 7 Tte 46°, 4 b=368 .39 H=764 39 M=—1ih. 0°. h=396 ,00...T'—145, 7... Ti, 4 b—3568 39 H=6€. 339 Le même jour, au haut de l’Echelle de Manvieux, même situation du baromètre qu'à rat, 36: Mème temps , le ciel se couvre de légers nuages. Mur. 43... h—394,44..Tt—46°, a... T'—160, 1 b—366. 50 H=760 64 Mat be ho a T6 0.16% 0 E=366 {9 H=—760 62 Les falaises de Tracy à Fontenailles sont, à très-peu de chose près, au même niveau. he RE ne. TE eu VE PES e NE THERMO-BAROMÉTRIQUES. 465 Le même jour , à Longues, à 325 mètres au sud du corps-de garde placé au bord de la falaise (le sommet de ce plateau est le plus élevé de cette partie du littoral. } Le baromètre de 0", 60 au-dessus du sol. Mi=2h.40"...h = 392%, 90... T+ = 49e, 2,..T1 = 17°, o b=365 06 H=757 96 Mat, 15°...h = 392,83... T° — 19°, 4... F1 = 190,0 b=3657 05 H=75y 88 Le même jour, sur la plage, au bas de la falaise de Longues ; Le baromètre de o®, 60 au-dessus de la plaine mer des grandes marées moyennes; Beau temps, légèrement couvert, le soleil se montre et disparait souvent , mais n’est jamais ardent. M=2".42...h = 396%, 00... T° = 460, 7... T! = 160, G b=368 o1 H 764 24 30 466 OBSERVATIONS Maan.44"..h = 395, 99... Tt = 460,7.. Ti = 16°, 6 b=368.,,,49 H=764 18 Duo DT EE M =2h, 48...h = 395", 94... T° = 46°, 6...T! = 46°, 6 b=368 44 H=64 08 Le même jour, au haut de la falaise de Longues, au même point qu’à al. 10°. , à 325 mètres du corps de-garde et dans la direction des clochers de Bayeux. M =3%, 16”...h = 393", 68... Tb = 46°, 1... T! = 46°, 0 b=364 98 753 66 EE net RS ns nn ess n en M3. 19"...h = 392,65... T? = 16°, 0...T'= 46°, 0 b=364 93 H=757 58 EEE one M5. 22”.. h—392", 65..,T=16°, 0...T'=167, 0 b—364 92 H=757, 0 97 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 467 Le même jour , au haut de la butte Castel, à l’est et près de Port-en-Bessin ; Le baromètre de o®, 66 au-dessus du point culminant de ce petit mamelon. M=gh. 38°...h= 393%, 54...T0 = 45°, 3.,.T1 2 450,4 b= 365 365 _96 M4, Go'...h 393%, 54... TP = 450, 3..T1= 48°, 3 b = 365 365 __ 96 H=759 47 Le même jour, sur la plage, à Port-en-Bessin; Le baromètre de o®. 5o au-dessus de la plaine mer des grandes marées moyennes. Toujours beau temps. M6", 5.,.h= 395mm,88..,Tb5— 45°, 8... Tir 15°, 9 b'= 368 68 _27 H 764 64 5 M==bb, 7°. D—39bmn "84... Ti—15, 8,74, 9 b=368 27 V0 11 468 OBSERVATIONS Le 4 octobre 1833, sur la plage de Port- en-Bessin , au même point et le baromètre dans la même situation qu'hier à 5h, 5. Vent du N.-E., forte brise, très-beau temps. —10h:30.. h=397%,.002% Te 270,0." 1 b—369 30 mn H=766 55 M= 10", 32”...h = 397", 00... T? = 470,0... 7 = 17°,1 b=369 20 H=766 20 M= 101,35’...h= 397%, 00...T?= 16°, 9.,T = 17°, 0 D'= 3569121 = 766 21 mm Le même jour, au haut de la falaise, à l'ouest de Port-en-Bessin , à 60 mètres du bord de cette falaise, dans la direction de Huppain, (de ce point on relève les clochers de Bayeux, un peu à l'est de la motte de terre, considérée comme un reste de camp romain).Les falaises à l’ouest paraissent de niveau; on ne voit aucun point plus élevé que cette station. TARFRMO-BAROMÉTRIQUES, 469 Le baromètre de om. 66 au-dessus du sol ; Le ciel nuageux fait varier beaucoup la température. My, 7. 3940 Ale UT 87, 5 b=366 Bo H=761 14 MEsal.12"...h 394", 60... T° = 47°, 7... T! = 49°, 7 b=366 69 H=761 29 M—1ahag...h= 394mm, 50... T—170, 4, T7", 2 d b=—366 60 H=7644, 40 Le même jour , sur la plage de Port-en- Bessin , au même point et le baromètre dans la même situation que le matin à roh. 30’. M=11".44...h = 5972",00.,. T° = 47°,0...T! = 47°, 0 b=369 18 H=766 18 470 OBSERVATIONS Le même jour, au sommet de la butte Castel, même position qu'hier soir à 4. 38°. Mit, S..he394"",62.. They 2, Doi, a b=5366 79 H=761 41 M=12".40"...h = 394nn, 65... To = 190,6... TV = 17°, 4 b=366 80 H=7261 45 Le même jour , sur la plage de Port-en- Bessin. Le baromètre est comme dans les stations précédentes faites au même lieu , de o®. 50 au- dessus de la plaine mer des grandes marées moyennes, ou de 4%. o3 au-dessus de son niveau moyen. M= 12",28"...h =396mm, 82. .Tt = 16°, 9... T! = 16°, 8 b=369 og H =765 91 M= 12°.30°...h = 396mm, 80... T° = 16° 8,...T! = 16», 9 b=369 20 H= 766 oo THERMO-BAROMÉTRIQUES. 47 M= 49h,33"... h. =396%",82... Th 46°,8... T1 =16°,9 * b=5369 20 H=;66 o2 Le même jour , au haut de la falaise, à l’ouest de Port, en face de Huppain, même situation que le matin à 1h, 7. Le temps est devenu très-beau, les nuages se sont dissipés , le ciel est seulement très- vaporeux. ME ab,0’...h= 39420, #5... Tb 246.9... Tl = 15°, 6 b=—366 49 H=760 62 M at, 5”,.h=%0f0m 08,., T° = 16, 0... TU 15, 8 b=366 46 H= 760 47 M= 4°. 427...h= 394", 02. T° = 45°, 9... T2 45,9 b=366 43 H=760 49 Le même jour , sur la plage de Port-en- 472 OBSERVATIONS Bessin, même situation que dans les stations précédentes au même point. M= 4°.40’...h — 396,78... TP? — «6°, 8...T1= 16°, 8 b=359 oo H=%66 ,,:78 M=ut, 44...h 23960, 79... To 46°, 8... Ti 7°, 0 b=369 o2 H=;65 81 RE — M=1d, 46°... b—396"", 79... T°—460,8.. T'—169, 8 b—369 oo H=765 79 D'après les comparaisons des baromètres faites à Caen, dans les premiers jours de février 1835 , le n°. 212 , employé en voyage, donne les hauteurs de 43 centièmes de millimètre plus grandes que celles qui sont indiquées par le n°. 208 , avec lequel M. de La’aye fait les observations sédentaires. Nous employons toujours des thermomètres centigrades , leur marche est régulière et sem- biable, SR RS ES. RS SE THERMO-BAROMÉTRIQUES. 473 Le 7 février 1835, dans la commune des Moutiers , près d'Harcourt , au château de Cinglais. Le baromètre est élevé de 4m. 15 au-dessus du seuil extérieur de la porte d’entrée de la facade du nord du château , c’est toujours dans cette position que toutes les observations ont été faites en ce lieu. Vent de sud , bon frais, temps couvert, petite pluie. Mag. oh 3g1mm, 24... Tv — 8°, 8...T= 6, 8 b=364 95 H= 956 29 M =42h, 0’...h = 3gomm, 76... Tt — g°, 1..T! 18°, 4 bi 364 37 É1=79351 1048 M=5",07.. h=9902 22,720 ; 6. T1= 8°,,3 D 563 69 = 753 86s Le 8 février 1835, au château de Cinglais. Vent d'ouest, bon frais, temps à grains. 474 OBSERVATIONS Ce M=—9". 0’..! h— 386%, 10 .. T'—9°, 5... T'—6°, ; 93 b=—359 Lys H=745 83 RSR AR M=12" 0 ...he 9807000... D Qhir. her, 2 b=360 o1 H=746 96 ' © M=—3", 0’... h —386"",68...T°= 9", SMS 07, 4 b=359 88 H = 746 56 mo Le 9 février 1835, toujours au même point. Vent de N.-O., grand frais, temps à grains. M=—g9b. 0°... h—386"",64 ..T'— 8°, ol. D 2°, 0 b=—360 o1 a H—746 65 DD Lin OP RENE NeAT Mai. o’.,.h= 387", 46.., T° =D, 7 TE 5°, 2 b = 361 12 H=748 58 RES M3". 0”. h— 387, 80... T5, 3... TA, 9 b—361 46 H=749 26 THERMO-BARGMÉTRIQUES, 475 Le 10 février 1835, toujours au même point. Vent de N.-N.-E., grand frais, grains de grèle très-violents. MÆSghito 1h =3870n.95PPE6 4 TL = 0 b—364 45 = 749 4o ME on he 389 22... T7 6°, 7... Te 2°), b=362 65 H= 754 87 M= 3%, o’.….h= 3907, 23,..T° 6°, 5...T' 2e, b= 363 (6< H= 753 84 Ce Le 11 février 1835, toujours au même point. Très-beau temps. M= 9r. 0”... h = 394%",02... Tt = 60, 2,,. Tim 1°, 1 b=367 2034 H = 76: 36 476 OBSERVATIONS M=12".0°.. h=394m, 08.10 = 7°, o...T' = 4°, 0 b= 367 __4o 46 H= 761 761 48 M= 4". 30’.. h = 393"",86...T° = 7°, 0...T! = 4, 3 te b'=5367 | «8 = 504 . 04 Le 12 février 1835, toujours au même point. Vent de S.-S.-0., petite pluie. M= gb. 0’... h= 3g1m, 61...T°= 6°, 8...T!= 30, 7 bi='564" 197 H= 756 58 M = 3", 0’...h= 3an=" 06.1? 2 PAS PAU Va Fans 0 b=363 37 H = 753 753 43 EEE Le 13 février 1835, toujours au châtean de Cinglais. Vent d'O.-N.-O., jolie brise, beau temps. THERMO-BAROMÉTRIQUES. 475 M= gv. 0’... h= 393, 30... Tv = 7°, 5,7! 3, 5 b=366 60 H= 759 90 Le même jour, au sommet de la butte de Saint-Clair-de-la-Pommeraye, dans la cour de ferme où se trouve le gros hêtre qui a servi de point de mire pour la triangulation de la carte de France. Le baromètre de o®. 05 au-dessus du point culminant de cette cour. Vent du N.-0., ciel nuageux et vaporeux, quelques petits grains. Ma=u1,30”...h = 387,29... T° = 6°, 6... Tl= 6°, 3 b=360 80 H=748 o9 M=14b.40"...h = 387%, 22,,.TP = 6°,,5...T! = 6°, 2 b=360 70 H= 747 92 M= 446.50"... h= 387%, 45... TP 6°, 5..,.T = 6°, 3 b= 5360 62 H=747 77 478 OBSERVATIONS M =. 0" he 38m 44.170, 2,770, 3 b=360 5o H= 747 64 ——————————— ro, Le même jour , dans la commune de Gosses- seville , sur le bord de l'Orne , au bas de la côte de Château-Ganne, à environ 300 mètres au-dessous du Moulin-Potey , situé sur la commune de Pierrefitte, à 15a mètres au- dessous du ruisseau qui sépare ces deux com- munes. Le baromètre de 1%, 90 au-dessus du niveau moyen de l'Orne en cet endroit. Même temps , assez beau. M= 46. 0°... h=—399",58..,.T'—140, 9... Tue, 9 b=372, , 56 772, à me ME 47, 97, 1300, 30.110", 7 (do A b—372 50 H=—771 89 M= 4°, 422, h = 399", 45... T0 = 10°,5...T! = at, 0 b=372 32 U=771 77 THERMO-BAROMÉTRIQUES, 479 M—ib, 15°... h= 399",45...T'2 160, 0... T= g1° , 3 b= 372 30 Hz 77e 75 Le thermomètre libre a été perdu après cette dernière station , et à celles qui suivent, j'ai laissé le baromètre se mettre en équilibre de température avec l'air avant chaque observa- tion. Le même jour, à Saint-Clair-de-la-Pom- meraye, au même point qu'à midi. M= ab: 35”....h= 386%, 34... Ti 6° , 7..T=6°, 7 b= 559087 H= 746 18 M= ob, 38... h= 386mm, 35... Ti= Go, 8... Tin 6°, 8 b= 359 * 82 H= 7:46 17 M= ob, 2°. h= 3868 32... Ta 70, D... Ts ge, 5 b= 359 73 H= 746 o5 480 OBSERVATIONS M= ab, 45... h= 386mm, 33...T°= 7°, 7 Ti= 757 b= 359 ,74 H= 746 04 oo ment Le même jour , au château de Cinglais. M= Th. 0"... h= 391", 492. Tt=6°, 5.06" ,,5 b= 365 00 H= 756 43 M=8b. 0’... h=1 391%, 08.4, Th =160!! oi T6 0 b= 364 63 H=7955: 74 ne) Le 14 février 1835, toujours au chäteau de Cingjlais. M=gh, 0”... h= 388mn 34.4 T° 180,43... T'=8°, 5 b—5620 17 H= 750 89 ME 12h. 0’...h= 388", 54... Te 80, 6...T! = 8° ,)6 b= 362 00 H= 750 74 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 8x M=3". 0’.…..h— 388", 34...T° = 9°, 0.. Ti gp , o b=361 6o H=749 94 4 Le 15 février RE à au même point. M= 9". É = 38632421 280,06... T= 80, 6 359 359 _ 70 H=746 02 02 M2". 0". HD EN 00.0 7. —=0, 17 D=—=308 1085 H=744 5o M=3%. 0’...1= 384%, 63...Te— 0°, 0.1 0, o bP=9557 97 HE 7420060 Le 16 février 1835, toujours au même point. L M=9:9.. he, 382% 0270 04. JE Sie Hi b=356 47 H=739 39 31 432 OBSERVATIONS M=41h,30".., h= 383um,19...T'= 90, 3... T9, 3 b=356 70 H=739 89 M = ah 0"...1h= 983) 0. Ton 70, 3 T0, 3 b=356 69 ; | H= 739 91 ve Le 18 février 1835. Le thermomètre libre que l’on cominence à employer aujourd’hui est divisé selon Réaumur , et ses indications ré- duites en degrés centésimaux , se trouvent trop fortes de cinq dixièmes de degré. | Toujours au château de Cinglais, et le ba- | romètre à la même place. | Vent de S.-O., bon frais, temps couvert, pluie. . Ma 6h, 0:55 he 38m, 94.4 T'=60, 0... Ti 4°, 7 be 2500) 1468 H= 739 32 M ob, 5..1h= 9382" 94.:.T°= 6, 91. T'= 5,1 b= 356; 3: H= 7390429 THERM@-BAROMÉTRIQUES. 483 M= 19b.40".., h. =382n%, 64,4 Tb= 402,2... Tl =, o Db=355 81 H=733 45 M= 3". 15°...h= 38amw, 05.. T° 40°, 0...T'= 7°, o b=355 29 à H=737 34 M =3". 50°...h =381", 81...T° = 40°, 1... T! = 7,2 ‘ b=355 02 = 736 83 Le 19 février 1835 , au même point. Vent d’O.-S.-O., bon frais, beau temps. ME 8". 0”...h = 382%, 93.4 Tv =, 0... T! = 3 , 0 b=356 32 H'=7590045 re M==9#. 20°...b'= 9830, 10. T'= 9, 1. Te 4° PRE b=356 » 50 H=7390060 484 OBSERVATIONS M==10". 0..he=34$mm, 24... To, 8... T5, 9 b=—356: 1158 nd Cf = de H=7$9 57 Maiale 0h00 JU LU 2. L==7 , o b=—=556, ba 5=78g9= "6 mm SRE CUS M2". 8..h —382m", 93... Tt= 10°, 3...T'= 7, 9 b=356 10 H=739 o3 Le même jour, sur la rive droite de l'Orne, à environ 600 mètres au-dessous du moulin de Brie, sur l’axe du chemin qui descend du village à la rivière et près duquel coule un ruisseau qui se jette dans l'Orne. Le baromètre de 1". 90 Aus du niveau moyen de la rivière. Même temps que ce matin. M= 3", 5’...h = 390um,00...T° = 120, 1... T1 9, 7 bi=568 020 = 7637 Va ue THERMO-BAROMÉTRIQUES, 485: 43h, 16°...h =390%.45...Tt = 14, 8... Ti 90, 7 b=363"".02 H= 753 17 M= 3h 45°... 5002 68 Ta, 7. Tige, 4 b=362 98 H= 753 06: M= 3%. 20’..,h = 39o"", 08... T° 1 40, Ju T! =0", 5 b=362 98 H= 753 06 oo Le même jour, au château de Cinglais. M= fr. 30’...h = 38amm 70... TP = 440, 8... Ti=7, 3 b=35b "71 H = 738 A1 M= 4". 45... h= 38avm, Go... Tr 44°, 0...T = 7500 L b=355+ 62 H=758 ‘h M= 5", 0’... h—382, 42.,,Tb=400 , 6... T'—6°, 8 HSE" re H=738 oo 486 : OBSERVATIONS =—=5b. 30°...h=382"",30 LT 0° nl Un, 4 b=355 5o | H=537 60 | Le 10 février 1835, au même point. Vent d’O.-S.-O., jolie brise, ciel nuageux, beau temps. M=9h. 30°,..h=380"",00...T" 9°, 4..,T!— 5°, o D S1032 HS 793, 94 M=— 8". 0’. h—380"%,40...T'—10°, 0... T'=5°, 2 = : 6€ H=73%:. di M =9". 40”...h = 380", 62... T° = 9°, 8,.T'= 5°, 7 b=553%y 99 H=734 52 Mio. 5"...h—380"", 80...7°—10°, 4..T—6°, 6 —354 oo H=—734 : 80 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 487 Le même jour, à l'extrémité de l'avenue de Mesnil-Saulce , au pied du gros orme, connu sous le nom d'arbre de Barberr. Le baromètre d’un mètre au-dessus du sol. Vent de sud, bon frais, pluie. M4", 12" 370% 00...T=8° 8... T7, ni b:352 260 H=734 6o M=4n. 14...h = 379", 02... T° = 80 ; 8.2T! 754 D'=352"1158 H=734:, 6o M=fh. 16”...h— 3790) 00.702188. T'=ys) D= 352. 55 H= 734) 95 Le même jour, dans la forêt de Cinglais , à l'extrémité N.-N.-E. dn bouquet de Fonpen- dant. Le baromètre de o", 60 au-dessus du sol. a Ma 5", 9°. h—9378nm,502.. Th Be 7... TM 7°, 0 b=1082/ +35 H=730 695 488 OBSERVATIONS M= 5". 14”...h=378u, fo. ATV = 8, GT = 73, 0 b= 352; ..08 H =760 48 Ma=5". «4..h= 378%, 40... Tr = 8°, 9... Trb=7, 0 b=352 o8 H= 730 46 M= 5h, 47°...h= 398mm, 41... Tè= 80, 7... Tl= 50, o b= 552 o1 H= 7300042 Le même jour , le soir à Cinglais, même situation du baromètre. % M=6h,.06”...h= 3787" ,35.Tb = 9°, 8... T1=6°., 7 b= 352 40 | £ H=730 45 M 6h, 52”. be 37m a Te 100) 0... 71276 Na bSar 19 H= 728 61 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 489 Mae". 5... h=37700,35...T" = 100, 2... T1 Ge, © b=350 96 H =728 34 M=76.14..h = 377,204. Tb = 10°, 8... Ti 6°, 4 b= 350 74 | H=72z 96 Toutes les observations du 20 février ont été faites par un temps détestable , il est im- possible de compter sur les hauteurs qu’on en déduira. “ Le 21 février 1835, au château de Cingjais. Vent d'O.S.-O., hon frais, ciel nuageux. M= 8h, 0”... h= 380%, 95... Tr 8, 9... T'= 3 8 b= 354 49 H=730 0 24 M=8", 10’...h =3807m, 84... Tb = 9° , 5...Tle 3° , 8 b.— 354 64 H=735 35 490 OBSERVATIONS M= 8b, 20’... h= 380mn, 90.,T'= 9°, 7... T3, 9 b=354 67. H= 735 57 mn, M= 8°.35”...h — 380%, 94... T° 9°, 7... T° = 3, 8 b=354 Go = 79 154 msn cee M=—gh. 40°... b—38umm, 22... 0 =9", 4... T's, 8 b=354 97 H=—36 19 M=to".1b"...h = 381% ,39..,Tt — 10°, 2... T! = 4°, 8 b=355 1,63 H= 736 42 M= 10b./40"...h = 38amm, ba... T° — 10°, 5... T'= 5°, 2 b=355 41 H= 7356 02 Mæaat.45"...h= 88100, 62 ..T°— 10°, 5... T!= 5°, 4 b=3559- "19 H=736 8 THÉRMO-BA ROMÉTRIQUES. Got M=u1".35"..h = 391,90. Te 4100) 8... T'= 50 4 b=355 : 22 H=736 92 Le même jour, dans la forêt de Cinglais, aux cinq chemins de St.-Hubert, à la maison du garde. Le baromètre au niveau de la partie la plus élevée de la futaie. Missta",20"...h = 382% Jo, , The 9°, 2,4 T6) 2 b=356 410 11-1738 | 02 M= 196, 23°...h =382m% 39...T° = 8°, 8,..T — 6°, 1 !b=356 o7 H= 758 46 M 49h. 26”.,.h = 382,34... T° = 80, 6...T = 6°, 2 1356 "09 = 738 Â3 M =a0b.39,..h = 38omm, 41... T° 80, 7... Ts 60, 1 b=356 og H= 758 |: 5o 492 + OBSERVATIONS M2} 86°.4.b 36amm, fa, Ton 8°, T6, 5 b=356 42 H=738. 53 | Le même jour , dans la forêt de Cinglais, à l'extrémité N.-0. du bouquet de Rule Le baromètre au niveau du sol. Vent d'O.-S.-0., bon frais, temps à grains, souvent de la pluie. M =4", 30°...h Il M=31.33..h =38om% 82... T° =G°, 1... T! = 5°, o DESSIN H=735 62 one Mb, 36°.,h—38om% 84... TG, 3... T'—5e, 2 b=—=35/0 83 H=7398+ 67 — M=11.39"...h = 380,87... T = 60, 2.5, 0 -b= 354 ."85 He 314472 THERMO«BAROMÉTRIQUES. 403 M= 16, 42°... h= 380mm, 84... T° 6°, 1... = De 0 b—354 87 H= 535 71 . M1", 45°...h = 380"%,83...T° — 6°, 2... T5, 4 b=354 88 H=735 7: oo Le même jour, au château de Cinglais. Ma. 15°.4h = 384mm,97...Th = 0°, 8...T1=5, 8 p= 359,53 H=737 50 RE M2", 20°...h—38amm, 04... Ti 10°, 7... T'—5°, 9 b—355 54 H=757 58 oo M= 26, 25°...h — 382%", 13..,Tb — 110,4... T = Go, 2 b="300\" ; 5a H=9%37 : 65 M= 2", 30°...h= 382mm, 20.7 1 era EE ab b=355 5o H= 737 90 494 OBSERVATIONS Ma ab, 4o°4. h= 38amm, 30... Th 41°, 4, Te 8e, 0 b= 355 ‘69 H= 737 99 Ro M= ot, 50°... h= 382, 30..,T°= 140, o ..T = 4°, 2 b= 5959 " 71 H= 738 of M= 4h. 5°... h= 382%, 48... T'= 40°, 0...T' = 4°, 9 be 355. (e5 H= 737 93 M= 4h. 10... b= 3822, 22 EE 40°, 2... 40, 9 ‘ b= 3551 72 H= 737 :94 M= 4h, 49... hs 58am%, 30... Fb— 00 5. 40, 8 b=355 97 H= 738: 07 M= 4h. 20%. h=38amm 33. Then en eat. N'IE 4S:, 57 b= 355 : 8: H= 738 14 THERMO-BAROMÉPRIQUES. 499 M= 4b. 25°... h= 38am, 35... The 10°, 8... Ti= 4°, 7 b—355 87 =738 22 Le 22 février 1835, toujours à Cinglais. Très-beau temps. M= 7b. 35°...h= 386", 47... T° 8°, 2... T— 30, 1 b= 359 90 H=:746. 07 M= 7h, 40%, HE 86m a T0, Gi Ti = 3%; "a b=359 93 H=746 17 M= on 591., 23867, JS 00 a b— 360 00 H= 746 "38 MARS 2512 986% 40... The 99 jt 9", 6 b= 360 03 H= 746 43 496 OPSERVATIONS M= 8h. 25°... h= 386%", 48..,T,— 9° Rs ON LE PE b= 360 06 * H= 746 54 Le même jour, dans la forêt de Cinglais, à l'extrémité N.-0. du bouquet de Fonpendant. * Le baromètre à la même place qu'hier. + a M= 8h. 55°... h= 385w%,54...Tb— 50, 7...T= 4e, 0 É. a HEART M= gh, 0°. b= 3850, 48...Tom 5e, GTI 40, 4 b=359 63 H=745 ss M= ob. 5... = 385mm, 44...Th = be, 8. T'— fe, 9 b= 359 , 59 H= 745 oÿ : Le même jour, à Saint-Clair-de-la-Pomme- raye, au même point que le 13 février. Le temps s'est couvert. PS nn) SE VOS EU FHERMO-BAROMÉTRIQUES. 497 Maur. 9"...h = 38omm, 50... T° = 9°, 4.. Ti — 5%, 0 b=354 53 H=735 o3 Mau".10"..h=380%%,45.:.T° = 60, 7...T' = 50, o b=354 5 HE=734 97 Mi it. 45.0.k255880 7, 507.:7222610:;. 7-25 0 b=—354 52 H=735 o2 M=11".20...b= 380%", 41... Tb = 6°, 3,..T1—5°, o b=2354 5o LE 534" «94 Mas". 25..h= 380, 43... Tb = 6°, 3... T'= 5°, 0 ) b=354 56 = 734 99 M= 14b.30”.4h= 380%, 42... Tr 60, 3...T'=,5° ,,0 b=354 54 H=734 93 32 498 OBSERVATIONS M= 14",33...h =380", 40... T6, 44. T5, « b=354 5: H=734 091 Le même jour, à Gossesseville, sur la rive droite de l'Orne, au inèême point que le 13 février. M sab, 35”...h= 392, 38: Th 2 ao, 0 NT! 217, 3 b=305 "ei H= 758 33 M= 4ab.49"..hz 392,33. T° 0°, s... T1= 9°, 3 b= 365 96 H= 758 29 © Mauot.65..h ga", 24... The 8°, 8...T1—#, o b=365 84 H=758 08 TS ah, 0’... h= 392%, ao... T° = 8°, 8 CE m0, o b— 355 81 H= 758 o4 THERMO-BAROMÉTRIQUES. og M= ab, 5... b=' 392. |, 1024 T° 86, 7... M x. 0 b=365 75 HS 967 85 M=ah. 10°... h= 3927, 08... Ti 80, 7..,T— 6°, 7 b=365 035 H= 757 ‘88 Le même jour, à Saint-Clair-de-la-Pom- meraye, même position que le 13 février 1835. Temps à la pluie. Mas, 22"..h = 379"",10... T° — 6° 2. T1 4e, 3 D=09 00192 H=732 : 4o M= 26, 25”...h= 379, 40... T° 5° KE Pt ie = 4 1 b—353 29 H= 32 39 oo Ma 2%, 27°..h = 379%, 06..,T° 5°, 3:,T 2 4, 0 b=353, 0 29 H—73 33 5oo OBSERVATIONS Mt Sol:, h=— 3782) 08A: T5 a, T2 ; 0 L=595},240 H=732 ‘18 Ma 32 .1heG78mn, ge T 50) at Ti 4°, 1 b=353 17 H=732, 08 Le même jour, au château de Cinglais, toujours au même point. La pluie continue. M=5h,a5... h=9383%%,01... T0, 2.01 5°, 8 F 9°» > b=957 5g aile 5o M5" .30...h 383", 90... Lt 9°, 8..Tl= 5° ,,8 Mb. 37°..h = 383% 90...T = 40° , 4,7 15°, 8 b=357 54 H=741 44 2 = THERMO-BAROMÉTRIQUES. Sot M= 5". 50’...h= 383", 83.., T2 = 10°, 0... T! =5 , 9 b=357 44 EPA" "27 Le baromètre ayant été cassé le 23 février 1835 , il n’a pu être comparé au retour. OBSERVATIONS THERMO - BABOMÉTRIQUES FAITES A CAEN. Le baromètre No. 208, employé à faire ces observations , est élevé de 28m. 14 au-dessus du niveau moyen de la mer. Le 11 mai 1833, vent d'Est et d'E.-N.-E., faible , ciel légèrement couvert. HEURES HAUTEURS TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE Fr VAT Ru A . / 7h. 0’ dumat, 763%m, 91 + 17°, 8 + 14°, 5 8" 7 764 44 17 9 45 5 g o 764 46 18 9 17 2 10 ‘© 764 66 19 2 18 » 14 © 764 69 19 9 «8 7 \ 502 OBSERVATIONS HEURES HAUTEURS TEMPÉRATURE , TEMPÉRATURE des du da _ de Observations. Baromètre. Baromètre, l'Air. 121. 0’ du mat. 764", 84 + 20°, - 15 , NO rt EE © » 2 ar © Le) o 0’ du soir. 765 66 18 OUR M7: © 765 02 19 9 18 764 82 18 6 20 764 64 49 À 19 764 Go 18 8 16 ni 2 765 35 18 12 © NN & © À 44 Le 12 mai 1833, vent d'Est et S.-E., faible, ciel légèrement couvert. 7. 0’ dumat. 764%, 66 + 46°, 6 + 12 9 0 107 764 36 ÉTAT 145. 9 g- 4b” 764 18 a7 à 17 4 10 © 763 95 18 4 19 0 Lu Vo; 763 66 19 6 21 4 12140 763 44 19 0 o1 4 42 45 763 37 20 1 22 3 1 ip; 763 39 20 4 22 4 24 0 762 96 20 8 22 À F 4®, 762 65 24 5 22 3 + 762 14 24:92 23 6 at: 762 09 16 8 25 4 CE 762 o1 22 8 22 3 9 o’ du soir. 762 5o 19 9 17 THERMO BAROMÉTRIQUES, 503 HEURES. * HAUTEURS TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE des du du de Observations, Baromitre, Baromètre. lPAir. Le 4 juin 1833 , vent de S.-O. , fort, ciel couvert, pluie, 6". o’dumat.75amm, 95 RE 16°, 4 + 440, 9 7100! 753 09 16 4 42 0 8x © 753 46 #7 9 14 0 9 © 753 5o 47 3 15 o id © 753 55 17 4 16 3 44 TM ; 78 18 1 47 La 00 753 71 48 2 17 :5 Le: 753 80 18 9 14. 7 eo 753 39 18 6 45 o 7 AL 753 25 18 1 45 «4 > 9 722 86 16 5 13 8 9 o’dusoir. 753 35 16 1 10 6 Le $ juin 1833, vent d'Ouest, médiocre, ciel nuageux. 9". o’dumat.756%%, 53 E 46°, 9 <+ 46, 0 sat ‘6 757 58 18 6 18 9 3e 49) 757 52 18 6 47" 2 9 0’ dusoir. 757 98 17 2 13 9 5o/ OBSERVATIONS HEURES HAUTEURS TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE des du du de Observations, Baromètre. Baroinètre l'Air. Le 6 juin 1833, vent de S..0. médiocre. 7. o"du mat. 757%", 73 + 46°, 1 + 43°, 4 8 * 0’ 757 68 16 6 45 2 9 ‘:0! 757 76 19 4 16 8 10 "#0" 757 82 18 5 10 2 14 6° 757 80 19, à 20 6 42 o° 797 72 19:25 21 8 NE 757 58 19 9 29: ;.7 CM 757 46 19 9 22 8 SU 0 757 17 49 1 23 o pre 797 32 18 o 17 "a 9: € 757 .: 87 . 28:06 16 » Le 7 juin 1833, vent d'ouest , faible, ciel couvert. 7. o'dumat.762®%, 00 + 48°, o + 16° 7 8 © 762 4o 18 8 47 5 g : © 762 96 19 4 19 2 10 0’ 763 21 19 8 49 5 44. 0 753 63 20 3 20 2 #24 ‘0’ 764 24 20 6 20 3 de 40) 764 5g 24 .4 24%, ! 38 1% 764 92 24 -2 ad :4 THERMO-BAROMÉTRIQUES. DOD HEURES HAUTEURS TEMPÉRA TURE TEMPÉRATURE des du du de Observations, Baromètre, Batomètre, l'Air, 4%. 0’ dumat. 765%, 47 + 21°, 2 + 24°, 9 5e ç! 765 81 21 0 19 8 6 30’ 766 84 21 3 19 4 9 o’ 767 36 18 9 15 6 Le 7 février 1835. 10h, 0° du mat. 76g%m, 08 + 10°, 3 —L 8°, 6 127 0% 768 58 13 2 10 «4 a 4e 766 86 13 6 8 4 Le 8 février 1835. 9". 10’du mat.75gm®, 64 + 14°, 3 + 9°, 5 dal dar 760 5a 12 7 RE 42 0’ 760 65 19, 9 D 5 4 45 759 49 413 3 RES Le 9 février 1835. 140. 30? du mat. 762", 39 + 42°, o “+ 6°, 7 3 #0! 763 15 44 7 GnÉ Le 10 février 1835. 506 ‘” OBSERVATIONS HEURES HAUTEURS TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE des du du de Observations, Baromètre, Baromètre l'Air, 9". o’ du mat. 763%m, 81 + 80, g + 2°, 6 » 12. 0° 766 33 12 5 30 5 3. 45 768 ,. 36 14 04 4 Le 11 février 1835. 9°. 30’ du mat. 775%", 28 + 8°, 3 + 20, à #4, 30°. 795 72 LOI CES 49 2 Le 12 février 1835. 9% o’ du mat. 770, 14 + 8, 6 + 6°, 9 2 (lon 768 89 #97 2 M 3 "10" 766 98 13 6 SNA Le 13 février 1835. g". _o’dumat 773mm, g1 + 80, g “+ 6°, 3 11 30’ 77 09 4114 9 Gp: 4 310) 772 10 4540 ù ? Le 14 février 1835. 1 do. odumat}#704,} 90 1) 210840 1 EN 9 fan 764 33 12 9 g "6 THERMO-BAROMÉÏRIQUES, 750 BEURES HAUTEURS TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE des d du de Observations. Baromètre. Baromètre. l'Air, 3h, o’du mat.762%%, Bo + 139,6 + 10°, 6 Le 15 février 1835. L GE Le) s° © 9%... do dumat. 7090, 51 % 11°, 8 43 070 7538 02 12 8 10 9 Le 18 février 1835. où. du mat. 702,42 00,08) (67,19 41 30” 752 03 12 4 PRO Le 19 février 18359. ‘go’ dumat. 7Bamm, 30 + 400, o + 6° o 22,0: 0 793 15 LU pie De die ma 15 OR JC 751 93 14 À D UE Le 20 février 1835. g': o’dumal 74709 + 119 0 004 ça 14 30’ 748 20 4977 “raies: 3 A6 747 05 14 6 41 2 508 OBSERVATIONS HEURES HAUTEURS TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE des du du de Observations, Baromètre, Baromètre , l'Air, Le ox février 1935. 9h o’dumat.748mm, 40 ++ 10°, 3 + 6», ° 42 o?: 749 56 12/79 8 9 3 15 700) 54 11 7 6 Le 22 février 1835. 95 o’du mat. 759%, 55 + 80, 8 + Bo, 6 ia 0 759 56 12 4 10 o Hauteurs de quelques points du départe- ment du Calvados, calculées au moyen des observations précédentes. N°1 COTE D'ANNEBAULT. Hauteur au-dessus de la mer , du sol de la route de Pont-l’Evêque à Hon- fleur , au haut de la côte d’Annebault, canton de Dives , devant la maison de M°. Dubos. 123". 64 Cette hauteur a été obtenue au moyen THÉRMO-BAROMÉTRIQUES. 509 d’une seule observation, mais en la comparant : 1°. À celles qu'on a faites à Caen au même moment; 2°. A celles faites par moi à mon arrivée à Honfleur , convenablement cor- rigées , et en prenant la moyenne des deux résultats. N°. 2. COTE DE LA GRISERIE. Hauteur au-dessus de la mer, du sol de la route de Pont-l'Evèque à Honfleur, au haut de la côte de la Griserie, à la sortie de la forêt de Touques,devant la maison de Domi- nique Descelliers , et à environ 200 mètres à l’ouest d’une maison neuve située sur le bord méridional de la route. 138m, 08 Mème observation que ci-dessus pour le Ne. 1. N°. 3. CAEN. Le baromètre de M. de Lafoye est, d'après les mesures directes qui se rattachent au beau nivellement de la 510 OBSERVATIONS riviere d'Orne fait par M. Pattu, placé au-dessus du niveau moyen de la mer; ou par six séries d’obser- vations thermo - barométriques , faites à Honfleur dans le même temps que celles qu'on a faites à Caen avec cet instrument, j'ai trouvé pour la même hauteur, 26m. 19 On doitremarquer, maloré étonnante exactitude de ce résultat, qu’à une aussi grande distance horizontale du baromètre de comparaison ( en- viron bo kilomètres), il faudrait, en général, un beaucoup plus grand nombre d'observatiôns pour appro- cher autant de la vérité. N°. 4. CHAPELLE DE N. D. DE GRACE. Hauteur au-dessus de la mer , du pavé du porche de la chapelle de N.-D. de Grace, au haut de la côte du même nom, près Honfleur, 92%. 22 Ceïte hauteur a été déterminée au moyen d'observations alternatives faites à ce point et à Honfleur, et répétées à des jours différens; et THEFRMO-BAROMÉTR IQUES, d'observations simultanées avec celles qu’on a faites à Caen ; elle est la moyenne de huit résultats ; et l'on doit remarquer qu’en rejetant les deux qui s'en éloignent le plus, les six autres ne different entr'eux que de quelques décimètres et donnent pour résultat moyen 92%. 23. On peut donc croire que cette hauteur approche beaucoup de la vérité. N°15: COTE VASSAL. Hauteur au-dessus de la mer , du som- met de la côte Vassal, près de Hon- fleur , partie la plus élevée de la cour de ferme appartenant à M.Bazire. Cette hauteur a été obtenue par les mêmes moyens que la précédente, elle provient de cinq résultats ; son degré d'exactitude doit, à peu de chose près, être le même. N°, 6. RIVIÈRE DE TOUQUES. Hauteur au-dessus de la mer , du niveau moyen de la rivière de 511 89.69 512 . ÔBSERVATIONS Toucques , au quai de Pierrefitte, près et au sud de Pont-l’Evêque. Cette hauteur est la moyenne de trois autres provenant de la comparaison de mes observations avec celles qu'on a faites à Caen. N°. 7. PIERREFITTE. Hauteur au-dessus de la mer du plan - cher du premier étage du presbytère de Pierrefitte, près de Pont-l'Evèque. Cette hauteur est la moyenne de cinq autres obtenues en comparant mes observations avec cellesqu’on a fai- tes àCaen et choisissant les heures et les circonstances les plus favorables. En prenant de bonnes observations, mais faites dans des circonstances défavorables , j'ai trouvé pour moyennede quatre résultats 7o®. ba, hauteur trop forte qui fait sentir la nécessité d'apporter la plus grande attention à discuter les observations avant de les soumettre au calcul. 13m, 09 65m, 03 THENRMO-BAROMÉTRIQUES. Ne #6 "ele PIERREFITTE. Différence de hauteur entre le plan- cher du premier étage du presby- tere et le niveau moyen dela riviere 313 de Touques au quai de Pierrefitte. 52", 92 Cette différence est la moyenne de quatre résultats provenant d’obser- vations alternativement faités à ces . deux points. Si à cette différence, 52%, 22, on ajoute la hauteur de la Touquesau-dessus dela mer, 1 3m,09, on aura pour la hauteur du pres- bytére au-dessus de là mer 65, 31, nombre qui diffère très-peu de 65m, 03, trouvé plus haut par des observations simultanées. N° ebs, BOIS DE BETTEVILLE. Différence de hauteur entre la partie la plus élevée dn bois de Bettevi'le et le plancher du premier étage du presbytère de Pierrefitte , Cette différence est la moyenne de deux résultats provenant d'obser- 33 Sr, 49 314 OBSERVATIONS vations alternativement faites à ces deux points. Si à cette différence, Si, 49 ,on ajoute la hauteur du presbytère au-dessus de la mer, trouvée ci-dessus, 65", 03, on aura pour hauteur du bois de Betteville au-dessus de la mer 116, 52, nombre qui diffère d’un mètre de 115®, 60, trouvé plus bas pour le même point par des observations simultanées. N°. 8. BOIS DE BETTEVILLE. Hauteur , au-dessus de la mer, de la partie la plus élevée du bois de Betteville, 115,60 Cette hauteur est la moyenne de trois autres provenant de la comparai- son de mes observations avec celles qui ont été faites à Caen. N°°.6 et 8. BOIS DE BETTEVILLE. Différence de hanteur entre le point culminant du bois de Betteville et la Touques au quai de Pierrefitte, 103%, 15 THERMO-BAROMÉETRIQUES. Cette différence est la moyenne de quatre résultats provenant d’obser- vations alternativement faites à ces deux points. Si à cette différence, 103», 15, on ajoute 13", 09 , hau- teur trouvée de la Touques au- dessus de la mer , on aura 116", 24 pour la hauteur du bois de Bette- ville, nombre approchant de celui qui aété trouvé ci-dessus(r 15®,60). N°. 6. COTE DES NOROLES. Hauteur, au-dessus de la mer, du sol de la route de Pont-l’'Evêque à Li- sieux, à la côte des Noroles, à environ 1,300 méêtres au nord du village de Bottemont, Cette hauteur a été obtenue au moyen d’une seule observation , faite avec le plus grand soin et comparée avec celle qui a été faite à Caen au même instant. N°. 10. CARRIÈRE DE LIVETS. Hauteur, au-dessus de la mer, de l’en- 419 97", G2 316 OBSERVATIONS trée de la carrière de Liveis , com- mune d'Ouilly-Le Vicomte, carrière située près et à gauche de la route précédente, 90", 19 Même observation que pour le pré- cédent numéro. ' N°SA% BUTTE DE GLOS. Hauteur , au-dessus de la mer, de la partie supérieure de la butte de Glos au-dessus des carrières, can- ton de Lisieux , 128, 20 Cette hauteur est la moyenne de deux résultats obtenus par des observa- tions simultanées. N°. 12. RIVIÈRE DE GLOS. Hauteur,au-dessus de la mer,du niveau moyen des eaux de la petite rivière auprès et au- dessus du pont de Glos, à quelques pas des carrières, 57,68 Cette hauteur est comme la précé- dente une moyenne entre deux résultats obtenus par les observa- tions simultauées faites à Caen. THERMO-BARON ÉTRIQUES. NS 41Net 12; GLOS. Différence de hauteur entre le som- met de la butte de Glos et la rivière ci-dessus, Cette différence est la moyenne de deux autres obtenues par des ob- servations alternativemeut faites à ces deux points. Si à cette diffé- rence, 71%, 96, on ajoute 57,, 68, hauteur de la rivière au-dessus ‘de la mer, on a 129, 64 pour celle du sommet de la butte de Glos, nombre qui diffère d'environ 14 décimètres de celui qui a été trouvé plus haut. | N°. 13. LISIEUX. Hauteur,au-dessus de la mer,du plan cher du 1er. étage de lhôtel du Cheval-Blane à Lisienx , Cette hauteur provient d’une seule observation comparée à celles qui ont été faites à Caen; l'heure étant peu favorable, ce résultat est fort incertain. 317 710, 06 69w, Yy4 318 OBSERVATIONS N°. 14. BUTTE DE CAUMONT. Hauteur, au-dessus de la mer, du som- met de la Butte de Caumont , près et à l’est de Dives, 103", 77 Cette hauteur est la moyenne de deux autres déduites d'observations faites alternativement sur la plage et au sommet de la butte. N°7: 15: FALAISE DU HOULGATE. Hauteur,au-dessus de la mer,du som- met de la butte du Houlgate entre Dives et Toucques, dans un champ appartenant à M. Marchand d’Au- berville , près et au nord d’une petite haie qui sépare ce champ de celui de Pierre Miocque. De ce point on relève le cap d’Antifer par la côte de la Hêve ( Seine Infé- rieure ). 1210, 75 Cette hauteur a été obtenue par les mêmes moyens que la précédente. THERMO-BAROMÉTRIQUES. à 19 N°. 16. ARR NICLE: Hauteur, au-dessus de la mer, du sol où se trouve une ancienne ruine dans la bruyère d’Auberville, ,:125®,71 Cette hauteur a été obtenue ‘par des observations faites alternativement sur la plage et à la bruyère et répé- tées à des jours différens; il enfa été tiré trois résultats qui different d’un peu moins d’un mètre de cette moyenne. N°. 17. BUTTE DE BÉNERVILLE. Hauteur, au - dessus de la, mer, du sommet de la butte de Bénerville, près de Toucques, 1101, 98 Mème observation que pour le n°. 16! N°. 18. HENNÉQUEVILLE. Hauteur, au-dessus de la mer, du seuil ; de la loge du sémaphore des Kreu- niers à Hennequeville, 1ar®, 55 Même observation que pour len°. 16. 320 OBSERVATIONS N°. 19. ne Hauteur, au-dessus deal mer, du seuil du pressoir du château de Henne- queville, d 13} 32 Cette hautéurest fort incertaine ; elle a été déduite d'observations faites dans des ‘circonstances défavora- bles. N°. 26. HENNEQUE VILLE. Hauteur , au-dessus de la mer ,de la partie la plus élevée du champ des Hauchères près la ferme de la Ber- gerie, et. plus près encore dn lieu Gobin, presque sur le grand axe et au sud du château de Henne- queville, c'est le point culminant des environs, . 1420, 88 Cette hauteur a été déduite d’obsere vations alternativement faites à ce point let sur la plage. Elle est la moyenne de deux résultats qui ne diffèrent que de cinq décimètres avec élle. + THERMO-BAROMÉTRIQUES. N°. 24. SALLENELLES. * Hauteur, au dessus de la mer, du som- met de la petite colline au pied de laquelle se trouve le villages Sallenelles, R Cette hauteur a été obtenue au moyen d'observations faites alternative- ment à ce point et sur la plage. N°:292; ARDENNES, Hauteur, au-dessus de la mer, du seuil du portail de l’église de l'abbaye d’Ardennes, Cette hauteur est fort incertaine, par- ce qu'il n’y a point eu d'observation simultanée , et qu'il s’est écoulé trop de temps entre celles de j'ai comparées. IN°-0923: TAILLE VILLE. Hauteur, au-dessus de la mer, du seuil de la porte d’entrée de la façade du nord du prieuré de Tailleville, canton de Douvres, 3214 38%, bo PE à 36%, 16 322 OBSERVATIONS Cette hauteur a été obtenue par une seule observation comparée à celles qui ont été faites ensuite sur la plage. N°. 24. + MANVIEUX. Hauteur,au-dessus de la mer,du som- met de la falaise, à l'endroit nom- mé l'échelle de Manvieux, Bonne hauteur obtenue au moyen d'observations faites alternative- ment au sommet de la falaise et sur la plage. N°. 25. LONGUES, Hauteur, au dessus de la mer du, som- met de la falaise de Longues, à environ 325 mètres au sud du corps- de-garde placé au bord de la côte et dans la direction des clochers de Bayeux, * Même observation que pour le n°. 24. N°. 26. BUTTE CASTEL. Hauteur, au-dessus de la mer, du som- 45 w, h [ 74", 99 THERMO-BAROMÉTRIQUES, 323 met de la butte Castel, près et à l’est de Port-en-Bessin, 55m, 36 Cette hauteur est la moyenne de deux : autres déduites d'observations alter- nativement faites à ce point et sur la plage, et répétées deux jours différens. N°. 27. HUPPAIN. Hauteur, au-dessus de la mer, du som- met de la falaise à l’ouest de Port- en-Bessin , à 6o mètres du bord de la falaise dans la direction de Hup- pain, 61, 43 Cette hauteur est la moyenne de deux autres, déduites d'observations faites alternativement à ce point et sur. la plage. o 4 N°98 CHATEAU DE CINGLAIS. Hauteur, au dessus de la ner, du seuil .de la porte d'entrée de la! façade du nord du château de Cinglais, commune des Moutiers , 170, 36 Cette hauteur a été déduite des ohser- 324 OBSERVATIONS vations simultanées faites à Cinglais et à Caen pendant le mois de février 1835; elleest la moyenne de vingt- cinq séries calculées et doit appro- cher beaucoup de la hauteur vraie. CI N°. 29. RIVIÈRE D'ORNE A BRIE. Hauteur, au-dessus de la mer, du niveau moyen de la rivière d'Orne , au-dessous et à environ 600 mètres du moulin de Brie, sur l'axe du chemin qui descend du village de ce nom ( commune des Moutiers) àla % rivière d'Orne. 128y107 Cette hauteur a été obtenue en com- parant la moyenne d’une bonne série d'observations faites en ce lieu, avec celles qui ontété faites simul- tanément à Caen... N°. 28 et 29. CINGLAIS. Différence de hauteur entre le seuil du château de Cinglais et le niveau moyen de la rivière d'Orne à Brie, 156%, 63 Cette différence de hauteur est la THERMO-BARCMÉTRIQUES. 325 moyenne de deux autres, obtenues par des observations alternatives faites à ces deux points et qui ne différaient pas entr’elles. Si de la hauteur de Cinglais sur la mer, 170, 36 , on retrancne cette diffé- rence 156,63 , on a 13", 73 pour la hauteur de l'Orne à Brie, au- dessus de la mer, nombre qui diffère de 7 à 8 décimétres de celui qui a été trouvé par les observationssimul- tanées. N°. 30. SAINT-CLAIR DE LA POMMERAYE. Hauteur, au-dessus de la mer, du som- met de la butte de Saint - Clair de la Pommeraye, dans la cour de la ferme, à quelques mètres à l’ouest d’un gros hêtre , qui a servi de point de mire pour la triangulation de la carte de France , 299, 36 Cette hauteur est la moyenne de six autres déduites des observations simultanées faites à Caen. 326 OBSERVATIONS N°. 30. SAINT-CLAIR DE LA POMMERAYE. Hauteur du point précédent au-dessus de la mer, 298", 19 Cette hauteur est la moyenne de trois différences avec Cinglais , obtenues par des observations faites à ces deux points et à laquelle j'ai ajouté \ Ja hauteur de Cinglais au-dessus de la mer (170, 36 ). N°. 50. SAINT -CLAIR DE LA POMMERAYE. Hauteur du même point au-dessus de la mer, 304", 92 Cette hauteur provient de la différence de niveau de Saint-Clair au-dessus de l'Orne à Gossesseville( 263, 16), donnée plus bas, à laquelle j'ai ajouté ja hauteur de ce dernier point au-dessus de la mer ( 41", 76). N°. 30. SAINT-CLAIR DE LA POMMERAYE. Hauteur du même point au-dessus de la mer, 300, 82 THERMO-BAROMÉTRIQUES. 327 Cette hauteur est la moyenne des trois hauteurs précédentes. N°. 31. RIVIÈRE D'ORNE A GOSSESSEVILLE: Hauteur,au-dessus dela mer,du niveau moyen de la rivière d’Orne , dans la commune de Gossesseville , à environ 300 mètres au-dessous du moulin Potey, situé dans la com- mune de Pierrefitte , et à environ 150 mètres au-dessous du ruisseau qui sépare ces deux communes, 41,96 Cette hauteur estla moyenne de deux autres obtenues par des observa- tions simultanées répétées à des jours différens. N°, 30 et 31. SAINT-CLAIR DE LA POMMERAYE. Différence de hauteur entre Saint- Clair et la rivière d’Orne à Gosses- seville, 263, 16 Celte différence de hauteur est la moyenne de trois autres déduites d'observations faites alternative- ment à ces deux points et répétées à des jours différens. 328 OBSERVATIONS N°. 28 et 30. SAINT-CLAIR DE LA POMMERAYE. Différence de hauteur entre Saint- Clair et le seuil du château de Cin- glais, 127, 83 Cette différence est la moyenne de trois autres obtenues en comparant les observations alternativement faites à ces deux points et répétées à des jours différens. N° 32: FORÈT DE CINGLAIS, Hauteur, au-dessus de la mer, de l’ex- trémité nord -est du bouquet de Foupendant, 185,27 Cette hauteur a été déduite de la com- paraison et du calcul des observa- tions simultanées qui ont été faites en ce lieu et à Caen , et des observa- tionsalternatives faites au même point et à Cinglais ; elleest la moyenne des hauteurs trouvées par ces deux genres de considérations, THFRMO-BAROMÉTR IQUES. 529 N°33 FORÊT DE CINGLAIS. Hauteur , au dessus de la mer, de la partie la plus élevée de la futaie de Saint - Hubert , près la maison du garde , aux cinq chemins dans la forèt de Cinglais, 153%, 34 Même observation que pour le numéro précédent, N°. 43. ARBRE DE BARBERY. Hauteur, au-dessus de la mer, du pied du gros orme , nommé arbre de Barbery qui termine la petiteavenue de hêtres, nommée le bouquet de Ménil-Saulce , dans la commune de ce nom, 197%, 06 Cette hauteur a été calculée d’après uxe observation faite dans les cir- constances les plus défavorables; mauvais temps , le baromètre va- riant beaucoup, et sans observation simultanée, je ne la donne qu’en la signalant comme fort incertaine, 54 1: pre e s Le | 2 | 494 & 16 " ms KR À BECRT SUR LA MAISON DU BON-SAUVEUR DE CAEN, LU À L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE LA MÊME VILLE, DANS SA SÉANCE DU 26 FÉVRIER 1856, Mo AM. Ml. Dane / MEMPRE DE L'ACADÉMIE ET SUPÉRIEUR DÆ LA CONGRÉ- GATION DU BON-SAUVEUR. (Voir page 381 }. ; J PNIANTIE (Rd on + de 1 fs PS: à “Ye 4 1e AS OST PTS LIT CAIN TAN Iert | . à ‘ PT : L k À h Lénli ML j less ne à À ES Sa tive à it DUT A ” 2 ah7 23 « De 2 “en 1 L 4 ‘ ” dé: CP À A à U\? Ms, L 1 J * RAPPORT SUR LA MAISON DB BON ° SAUVEUR DE CAEN, LU A L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE LA MÈME VILLE, DANS SA SÉANCE DU 26 FÉVRIER 1856, Par AM, l'abbé Janet, NEMBHE DE L'ACADÉMIE ET SUPÉRIEUR DE LA CONGEÉGATION Du BON-SAUVEUR, (Voir page 381.) MESSIEURS, Au commencement de l’année derniere , j'eus l'honneur de vous communiquer un rap- port sur les sourds-muets et les aliénés de la maison du Bon-Sauveur. Je vous rendais compte des résultats que nous avions obte- nus dans l’espace de 18 mois , c'est-à-dire pen- dant les 6 derniers mois de l’année 1833 , et pendant le cours entier de 1834. 534 SUR LA MAISON A l'égard des aliénés, nous avions obtenu des succès satisfaisans ; en effet , nous avions guéri plus que le tiers de nos malades , puis- que sur 166 aliénés susceptibles de guérison, nous en avions rendu à la société 64, dont la guérison a été constatée, Aujourd’hui , Messieurs , je viens mettre sous vos yeux le tableau statistique du même établissement, non pour l’espace de 18 mois, comme l’année dernière , mais pour le cours d’une année seulement : il en résulte que, sous un rapport, nos succès ont été plus heureux encore que par le passé: En effet, dans l’espace d’un an, nous avons guéri 60 malades sur 173 ‘et d’un autre côté la mort ne nous a enlevé qu’un aliéné sur 24, tandis que , dans les années précédentes, nous en avions perdu r sur 16: il est vrai que, dans le nombre de ces années, se trouve celle du Choléra. Guérisons obtenues annuellement {terme moyen) dans les maisons d'aliénés les mieux Jamées. A Bicètre. . .... 1 sur 3 + A St-Yon. ... ,.1 sur 3 <# A la Salpétrière. . . 1 sur 3 DU BON-SAUVEUR DE CAEN. 339 A Charenton I Sur 3 Au Bon-Sauveur I _ sur 2. <- Je ne puis me refuser à faire un rappro- chement que j'avais déjà indiqué dans mon dernier rapport, à Dieu ne plaise que par là je paraisse vouloir jeter le bläme sur des éta. blissemens respectables. Je n'ai d'autre dessein, que de faire remarquer l'avantage dont il a plu à la providence de nous favoriser. C'est que dans des maisons célèbres, et dirigées par de savants médecins, la mort moissonne, année commune, le huitième , le sixième, et même le quart des aliénés: ce sont les méde- cins et les directeurs de ces établissemens qui en font l’aveu. | Pendant les années 1826 , 1827, 1828, il est mort: 4 ASt-nVons:….,."He. 5 SU, 14 + À la Salpétrière, 1 aliéné sur 10 À a L A Charenton. .:1.. Sur, © _. ri À EPRRR Sd caie SÛT 7. Au Bon-Sauveur,.r . . . . sur 27 Et pendant les années 1829, 1830, 1831, 1832, 1833,1834et 1835,1. sur 20. Je puis citer un fait bien autrement affli- geant encore, d’après des renseignemens dignes de toute confiance: il existe une maison d'a- 536 SUR LA MAISON liénés, où la moitié environ des malades meurt chaque année, et presque aucun ne guérit. Je croirais devoir, pour le bien de l'humanité, faire connaître cette maison, si ce n’est que lon s'occupe maintenant d’en constrnire une autre mieux placée et plus salubre. Au premier janvier 1835, nous avions 329 aliénés des deux sexes, pendant le cours de l’année , il en est entré 92, ce qui à porté le nombre total à 421 ; dans ce nombre, nous comptions 44 idiots , 25 épileptiques , 179 in- curables (1) et 173 malades susceptibles de guérison, Sur le nombre total , il n’en est mort que 17 dans le cours de l’année; et sur 173 nous en avons guéri 60. Si, pour avoir le terme moyen des décès pendant sept années , nous joignons l’année 1835 aux six précédentes, nous trouverons que la mort à frappé , dans la maison du Bon Sau- veur , un aliéné sur 20. Pour ce qui concerne les sourds-muets , il (1) I ne faut point étre surpris de voir au Bon-Sauveur un si grand nombre d'incurables , d’épileptiques et d’idiots, car beaucoup de families ne nous ont confié leurs malades , qu'après les avoir placés dans d’autres établissemens , où ils ont été reconnus incurables ; ces infortunés ont été dépo- sés chez nous afin qu'ils y trouvassent une existence plus douce et des soins plus appropriés à leur état, qu’ils n'au- raient pu en recevoir au sein de leur famille , à cause dela liberté dont ils jouissent ici, DU (BON-SAUVEUR DE CAEN. 597 se présente une observation préliminaire, c'est que le mutisme ne vient que de la surdité. Ceux qui, par un accident quelconque sont privés de la faculté d'entendre des leurenfance , perdent aussitôt, et par là même , l'usage de Ja parole; d’autres qui ne sont frappés de sur- dité que quelques années plus tard, conser- vent plus ou moins le souvenir et l’usage des mots dont ils se servaient avant de perdre l’ouie, et ils les articulent encore plus ou moins bien , selon qu'ils sont devenus sourds à une époque plus éloignée, ou plus rapprochée de leur enfance. Mais d’où vient la surdité originelle ? quelle est la cause qui, dès le sein de la mère, vicie l'organe de louie ? pourquoi se trouve-t-il des familles plus affligées que d’autres sous ce rapport ? pourquoi les enfans d’un père sourd-muet ne sont-ils pas toujours comme lui privés de la faculté de louie ? pourquoi les enfans de ses enfans sont-ils assez souvent sourds-muéts comme leur grand-père ? pour- quoi enfin un autre sourd-muet voit-il tous ses enfans condamnés à ne jamais entendre et à ne jamais parler. I ne m'appartient pas d'approfondir ces questions. C’est à la médecine à en chercher la solution. 538 SUR LA MAISON Mais une observation plus à ma portée, et que j'ai plusieurs fois eu occasion de faire, c’est qu’il existe un bien plus grand nombre de familles, qu'on nele pense ordinairement, qui ont dans leur sein plusieurs sourds-muets d'origine. Ainsi dans le département du Calvados , six maisons fournissent 14 sourds-muets des deux sexes. La première et la seconde ont chacune deux garçons: ils ont éé instruits au Bon- Sauveur. La troisième et la quatrième ont chacune deux filles, elles ontaussireçu l'instruction dans notre école et les deux jeunes y sont encore. Dans la cinquième se trouvent deux gar çons et deux filles, mais iln’y a qu'une des sœurs qui ait reçu quelques leçons , l'autre est dans un idiotisme complet et les deux frères sont beaucoup trop âgés pour être sus- ceptibles d'instruction. Dans la sixième, un garçon et une fille, la sœur est au Bon-Sauveur ; mais le frère a près de 4o ans. Dans le département de la Manche quatre maisons renferment aussi à elles seules 14 sourds-imuets. 2 DU BON-SAUVEUR DE CAEN. 539 La première a un garçon et une fille : ils ont été l’un et l’autre instruits chez nous et le frère y est encore au nombre des jardiniers. La deuxième a deux filles et deux garçons ; le plus jeune des frères et les deux sœurs ont recu l'instruction au Bon-Sauveur , l’ainé est idiot et trés-infirme. Dans la troisième se trouvent trois filles, deux sont aujourd'hui au nombre de noséle- ves , la plus jeune n’est pas encore en âge de recevoir des leçons. La quatrième, sur six enfans , a la douleur d'en avoir cinq sourds-muets , deux garçons et trois filles, mais tous ces infortunés sont à peu près stupides et hors d'état de recevoir l'instruction. Le département de la Mayenne nous offre quatre petites sœurs sourdes-muettes , trois sont déjà au Bon-Sauveur , et la dernière y viendra lorsqu'elle aura atteint l'âge convena- ble pour profiter des leçons qu’on lui don- nera. Je connais, dans le département de l'Orne , un frère et une sœur , mais qui sont dans un âge qui ne permet pas de les instruire. Enfin dans le département du Tarn , une maison a deux sœurs, et uneautre en a quatre : 540 SUR LA MAISON trois de ces derniers enfans sont déjà dans l'école du Bon-Sauveur d’Alby, et le quatrième est encore trop jeune pour s’instruire. I! faut remarquer que ces quatre sœurs sont les enfans d’un père et d’une mère sourds- muets. Si mes recherches, dans une portion assez bornée des départemens du Calvados et de la Manche, m'ont fait connaître dix maisons où la surdité originelle afflige 28 enfans, sans doute j'en découvrirais un bien plus grand nombre, s’il m'était possible d'avoir, avec les autres parties de ces deux départe- mens, des relations plus étendues et d'y faire des recherches plus approfondies; mais que serait-ce si je parcourais tous les départemens de la France ? quel nombre effrayant de fa- milles ne trouverais-je pas, sur lesquelles pese cette douloureuse calamité ? car je ne doute pas qu’elle ne soit répandue à peu près égale- ment dans chacune de nos provinces. Ce que nous venons de voir dans un département du midi, et l’aveu de Massieu , que, dans sa famille , ils étaient six sourds-muets , sont des preuves certaines que le midi de la France est aussi fécond que le nord en mutisme originel. Je dois donc, par une conséquence néces- DU BON-SAUVEUR DE CAEN. 54r saire, penser que le nombre des familles où cette infirmité se transmet , d’une manière si affligeante , est beaucoup plus grand que l’on ne le croit communément. Je ne sais si, comme on le dit, la surdité originelle est plus commune dans la classe pauvre , que dans les classes riches et aisées de la société. Sur le nombre entier des sourds- muets que j'ai vus dans l’école du Bon-Sau- veur , un quart environ appartient à des fa- milles riches et aisées; un tiers à des parens qui, sans être bien favorisés de la fortune, ne manquent de rien, et n’ont rien refusé à leurs enfans ; le reste a été élevé d’une ma- nière moins délicate, à la vérité, mais presque tous les sourds-muets de cette dernière classe ont été, dès leur tendre jeunesse , appliqués à des travaux plus capables de fortifier les organes , que de nuire à leur développe- ment. Je pense donc que ce défaut de la nature est à peu près indépendant de la position so- ciale des parens , car le nombre relatif des sourds-muets me parait être assez en harmo- nie avec la population des diverses classes de la société. Mais ne portons pas plus loin nos recher- 542 SUR LA MA:SON ches sur ces considérations générales , entrons dans l’école du Bon-Sauveur, examinons de prés les sourds-muets qui y reçoivent des {le- cons. Nous en avons compté 84 dans le courant de l'année 1835; parmi les plus jeunes , la moitié à peu près montre de l'intelligence et promet beaucoup pour l'avenir, mais aussi lantre moitié ne nous donne pas les mêmes espérances; plusieurs même de ce nombre ont si peu d'intelligence, qu'il sera fort difficile de leur donner quelque instruction; à peine pou- ra-t-on les mettre en état de travailler pour gagner leur pain , et de pourvoir aux besoins les plus urgens de la vie. Ceux qui reçoivent des leçons depuis cinq ou six ans, ont parfaitement répondu à nos soins, leur application constante à l'étude en a fait, non des savans , le temps ne le leur a pas permis, mais de bons élèves ; ils savent assez bien la langue française , l'arithmétique, la géographie de l’Europe , l’histoire sainte , l'histoire de France et connaissent spécialement leur religion : ils connaissent aussi leurs de- voirs envers le prochain, le respect et l’obéis- sance dus à leurs parens, aux lois, au Roi et aux magistrats. Les uns ont appris le jar- DU BON-SAUVEUR DE CAEN. 543 dinage , les autres la menuiserie d’autres la couture, la broderie, le blanchissage , le dessin , etc. De sorte que , en rentrant dans la société, ils seront en état de gérer leurs affaires , d’ad- ministrer leurs personnes et leurs biens comme ceux qui entendent et qui parlert. Le jeune sourd-muet , que vous voulûtes bien admiettre à une de vos séances , il ya environ 15 mois, a surpassé tous ses compa- gnons d'étude ; son instruction est maintenant assez remarquable , il possède la géographie au point de tracer sur-le-champ la carte to- pographique d’un état, d’une province et même d'une ville, dont on lui demandera la position: il sait passablement cinq langues et il parle. Les mathématiques, l’histoire naturelle, le des- sin et la peinture ne lui sont point étran- gers. Depuis près de trois mois, j'essaye de faire parler cinq sourdes-muettes, deux d’entre elles offrent peu de chances de succès ; mais les trois autres prononcent maintenant presque tous les mots de la langue française : une sur- tout me fait espérer qu’elle aura une pro- nonciation ; qui se ressentira peu de la priva- tion de l'ouie, 11 n’y a plus que deux carac- 541 SUR LA MAISON ières de l'alphabet qu’elle ait peine à pronon- cer : ce sont L et N. Toutes les nuances des 14 principaux sons de notre langue se dessinent assez distinctement dans sa prononciation, il ne lui faut plus guère que de l’usage. J'espère que son articulation, le son et même le ton de sa voix seront peu différens de ceux des per- sonnes qui entendent. Quoique ses deux compagnes ne puissent atteindre à la netteté de sa prononciation , elles auront cependant une voix moins gut- turale, un ton moins étrange que d’autres sourds-muets que l’on a fait parler. Beaucoup de leurs com pagnes et des sourds- muets , demandent avec beaucoup d’empres- sement à recevoir des lecons de parole. J’es- père commencer bientôt à délier leur langue, heureux si, comme j'en ai la confiance, je puis y réussir. Au reste, Messieurs , ces infortunés ne sont pas aussi dépourvus qu’on le pense ordinai- rement , de moyens de communication. Quand on les suit dans toutes leurs relations entre eux, on est surpris, étonné de leur facilité à s'entretenir ensemble , à se communiquer leurs pensées, leurs désirs, leurs affections et leurs peines. C’est bien là, que l'on peut ap- se DU BON-SAUVEUR DE CAEN. 545 + pliquer le proverbe : nécessité est mère de l'industrie. En effet les yeux, les mains , les pieds même sont pour eux autant d'organes d'un véritable langage et deviennent sous mille formes différentes le véhicule de leurs pen- sées ; dans l'ombre de la nuit, comme à la lumière du jour, ou à celle des flambeaux, ils peuvent converser et soutenir assez long- temps cette conversation. C’est ainsi que,pendant le jour, deux sourds- muets, placés lun en face de l'autre, assis ou debout , les bras croisés , sans faire usage d’aucun autre de leurs membres, peu- vent avec le secours de la tête et des yeux, soutenir une conversation animée et pleine de chaleur ; les autres sourds-muets, qui en sont témoins, traduisent par nos signes méthodi- ques cet entretien et le dictent à leurs compa- gnons. Placés à table l'un vis-à-vis de l’autre, et ne pouvant se toucher que les pieds, ils peu- vent encore se transmettre une grande partie de leurs pensées. Dans l'ombre de la nuit , il leur reste trois moyens de communiquer ensemble: 1°. L'un écrit avec le bout de.son doigt sur 35 546 SUR LA MAISON le dos ou dans la paume de la main del'au- tre. 2, L'un forme, dans la main de l’autre, le signe des lettres de l'alphabet. 30, Enfin l’un se sert de la main de son interlocuteur, pour faire nos signes métho- diques. DU BON-SAUVEUR DE CAEN. 547 Tableau statistique des sourds-muets du Bon-Sauveur. N°. {. AGE DES ENFANS. a & Da D Anie æ cs = De G'ans a ro... ; B;;s 4: AE Se. roi De 10 ANT ne 19 8 Vu sn 66 De 15 AIO MCE PEU 2 1810 De 20 A2 it DR à ira à De 25 à 30 és 3 » 6 » 9 » Toral... 560 n °1 48/2) 7640 Ne: DÉPARTEMENS. CHATS, ee so ce 29:80 2e AE « MAnGhE Ne er Re 9 » », 119,42 4 1 ORNE HDI dure 4 » CRIE CAP 0 AE. Prre eee PAR ERN CRIE ARTS pi » > 1 » Seine-Inférieure........... 2 10 5 » ATDE SERRE: » » T's 1 » Ille-et-Vilaine. ....... . » » 2° 2" » Mayenne ...... SUN RE » » 5 » 3 » DOTE Nate rs se ao te et BU UE NC ae NUE UE Cotes-du-Nord. 07. » » 2,2% 1e 2 MeuseL RE RE ee ADS 1 » “AE : Eure-et-Loir... 1 » » » 1 » Anbleterre: 4,54. 006. 1 » » » 1 » 548 SUR LA NAISON DU BON-SAUVEUR DE CAEN. Tableau statistique des aliénés du Bon- Sauveur de Caen. *SOUUIOYI *SOUU9 ‘1810L Au premier janvier 1835, il se trouvait dans l’établisse- ment du Bon-Sauveur...... 147 » 182 » 329 » FL est entré pendant le cours dé Thhngese MN ABLE Nr ra Mo ce. 027" Total pendant l’année 1855.. 199 » 222 » 42r » Ce nombre se compose de : Athots cn NU EE PUBS ARE ME Le Épilépaqués.. 4.4.2... ra) 18 17197 9 29» Micutables ML 76 Or SP TONER Susceptibles de guérison.... 92 » 81 » 1 75 » Nous avons guéri........ 32 » 28 » Go » La mort a enlevé....... 11 » 6 » 17.2 Il nous reste au 1°". janvier de l’année présente 1836.... 154 » 190 » 544 -» nu tt Enfin sur ce dernier nombre , nous comptons , En convalescence. ......... 15 » 14 » 29 » Incurables dont le sort s'est PEL. e 1 4 OPA A AE à ET 9 » POÉSIES. F A “r fe RL ni Fr à M < 4 ‘ De are Den 438 or "A 1 À LA & 8 ds VISE. < MR TT. ne x “al | 2, un hr “ , gr Mad sue td tnidiieahes : ny. mere res ce e AA citesee ir PERTE OT AS Le Va D » LU 4.) NON Rudi ul 60 PAIE PRE RE : AUTO Po N NFAIE A \ E LIN sr \ 2 (r s WA Ne R ] 7 * FLORE LAS » HÉTS LA GX . k pa, | L | F ‘ ñ Fe À Lu d À y n y x () Pi Joésies. STANCES A EDV... La rose du matin , entr'ouvrant son calice , Ne demande au soleil qu’un jour calme et propice. Tu ne veux qu'un bosquet pour t y cacher toujours quel P , Doux rossignol ; et toi dont l’onde est si plaintive, Ruisseau, qu'implores-tu du gazon de la rive? ? Le] ‘ Des fleurs pour embaumer ton cours. Comme eux j'ai d’un vœu seul occupé ma jeunesse ,. Comme eux je l’ai redit, dans ma naïve ivresse , De l’aube matinale , à Ja fuite du jour. Je n’ai point désiré les plaisirs qu'on envie, Et ma voix au destin , pour embellir ma vie, N'a demandé que ton amour. Ah !’ce bien refusé , ce bien. vers qui mon ame S’'envola si, souvent dans ses songes de flamme , Eût fait tout mon bonheur, m'aurait ouvert les cieux. Ce luth qui maintenant gémit de ma tristesse , Eût , pour chanter ton nom, célébrer ta tendresse, Appris des sons mélodieux. 552 POÉSIES. Voir ton regard chéri tomber sur ma paupière , Comme un rayon d'amour, de vie et de lumière , Entendre mes soupirs répétés par ton cœur ; Trouver sur tous es traits cette ivresse inquiète Qui , lorsque le hasard t'amène en ma retraite, M'agite avec tant de douceur ; Te donner sans retour mou heureuse existence , Voir en toi désormais mon unique espézance , Oublier l'univers , sentir à chaque instant Que de ton seul amour dépend ma vie entière, Sans trembler , sans pälir oser à ma prière Mèler cent fois ton nom charmant ; Ne penser qu’à toi seul , comprendre ton silence, D'un jour passé sans toi faire une longue absence, Loin de toi, par mes vœux , du sort chasser les coups, Sûre d’aimer toujours , ètre de toujours plaire : Voilà comme je vis le bonheur sur la terre , Hélas ! mon songe était trop doux ! Lucie Courrrin. ot t POÉSIES. 55 RÈVERIE. Libre enfant des déserts, la gazelle rapide Sans songer aux périls court où l’instinet la guide , Aux premiers feux du jour va bondir sur les monts , Sous l'arbre de l’encens s'arrête dans la plaine , Suit les flots du torrent dont la course l’entraine Jusque dans le creux des vallons. Oh ! si j'étais semblable à la jeune gazelle , Oh ! si j'étais folätre et légère comme elle, Je fuirais à jamais loin, bien loin de ces lieux. Un bosquet suflirait pour ma douce retraite ; Sur le gazon fleuri je poserais ma tête, Quand la nuit fermerait mes yeux. J'irais sur les rochers, dans les vastes campagnes , J'irais long-temps rêver sur le haut des montagnes. On dit que pour calmer la peine et les regrets , Dans ces lieux retirés , la brillante nature, Etalant ses trésors et sa riche parure , Possède de puissants secrets. Peut-être assise au pied des ruines aztiques , J'entendrais ces accents vagues , mélancoliques , Dont l'esprit du passé fait retenur les airs. Peut-être j'oserais , sur ma lyre rèveuse Egarant lentement ma main aventureuse , Répéter ses nobles concerts. 554 POÉSIES. Alors le cœur ému d'une image de gloire, Des siècles envolés évoquant la mémoire , Ce triste souvenir qui revient chaque jour Expirerait enfin dans mon sein qu’il dévore, Alors s’effaceraient les songes de l'aurore , Du premier , du dernier amour, À cet ange du cicl, à ce puissant génie Par qui sont révélés les secrets d'harmonie, J'offrirais bien seuyent mon encens et mes vœux Pour qu'il daignât un: jour répandre dans mon âme Cet esprit prophétique et cette sainte flamme Qui nous montre un instant les cieux. Voilà quel avenir j'appelle et je désire, Voilà quels sont les vœux de mon nouveau délire. La nature console , et le génie altier Nous enlève à ce monde et bannit la souffrance ; Oh! l’aurais-je pensé qu’un jour mon espérance , Mon bonheur serait d'oublier ! L, C; out POÉSIES, 56 JE NE SUIS PAS BELLE. Regarde cette rose éblouissante et belle Que le zéphyr , charmé de sa fraicheur nouvelle , Caresse avec amour ; Pour plaire , pour aimer elle est épanouie ; Ah ! je voudrais changer mon destin pour sa vie Et sa beauté d’un jour. Quoi , tu veux la cueillir pour former ma parure ! Non , laisse-la briller sous son dais de verdure, Tes soins sont superflus ; Tune me verras plus aux fètes bocagères Mèler mes pas joyeux aux danses des bergères , Tu ne my verras plus. Mas toi, pare ton front ; nommant sa bien-année , Bientôt cet étranger dont ton ame est charmée Viendra pour te chercher ; Tous deux vous marcherez dans une douce ivresse. Moi, je n'ai pas ces traits qui donnent la tendresse, Et je veux me cacher. Je l'ignorai long-temps ce mystère pénible ; Sans y songer jamais, mon cœur était paisible, Mais un jour je l’appris ; J'entendis mon arrêt de celui que j'adore : L'heure, ses traits, sa voix, hélas ! tout est encore Présent à mes esprits. 556 POÉSIES. Oui, &ital, la beaute seule obtient notre hommage. Je lécoutais ; soudain un funeste présage . M’'annonça les douleurs ; Je courus vers le fleuve , inquiète et tremblante, J'y contemplai long-temps mon image flottante Et je versai des pleurs. * Depuis ce jour fatal je ne sais plus sourire : D'un mal mystérieux , d’un funeste délire Mon cœur est consumé. Je sais trop qu'il n’est pas de fin à ma souffrance ; De lui plaire jamais je n’ai plus l’espérance Et je vai tant aimé ! Adieu ; de jeunes fleurs prends soin d’orner ta tête, Vole , vole à ces jeux que le plaisir t'apprète, Bientôt tu lPy verras ; Ah ! s'il te demandait ta compagne fidèle , Tu lui dirais... mais non , non je ne suis point belle , Il n’y songera pas ! L..C. POÉSIES. ex Lex: NY LA BLANCHE COURONNE. Prête à parer mon front de la blanche couronne, D'où vient donc que je tremble et que mon cœar s'étonne? Ab !'ce jour qui bientôt se lèvera pour mot, Je le rêvai plus beau , quand ma simple jeunesse Le vit dans l'avenir entouré d’allégresse , Riant , paisible , sans effroi. De mon enfance heureuse 1nnocentes années , Par des liens de fleurs mollement enchaïînées , S1 belles de repos , d’enchantemens secrets , k Sont-ce vos souvenirs qui troublent mon conrage ? Printemps si tôt fini , doux printemps de mon âge, Est-ce à vous que vont mes regrets ? Où plutôt est-ce toi que proclament mes larmes , Pouvoir mystérieux , être rempli de charmes , Dont l’image , cruelle et chère tour-à-tour , Respire pour jamais au fond de ma pensée , Prestige inexpliqué pour mon äme abusée Qui t’aima de tout son amour. Je me demande en vain quelle est ton origine ? Terrestre , aérienne , idéale ou divine ? Tout la cache à mes yeux sous un voile éternel. O toi que j'adoraï sans retour , sans mélange , Si tes traits gracieux ne sont pas ceux d'au an ve 5 Ils ne sont pas ceux d’un mortel. 558 POÉSIES. Que je t'ai vu de fois, lorsque sur ma paupière Le sommeil descendait | et que mon ame entière Soupirait après toi, cher fantôme du soir. Que je t'ai vu touchant la 1yre harmonieuse , Charmer autour de moi l'ombre silencieuse D'un chant divin comme l'espoir. n Tu semblais ignorer , le dédaigner peut-être Ce sentiment rêveur qui régnait sur mon être ; Et pourtant C'adorer ainsi m'était plus doux ; T'adorer en secret d’un culte pur et tendre Que de voir un amour que je ne puis comprendre, Un amour d'ici-bas prier à mes genoux. Mais voici, je le sens à ma mélancohe, Voia venir le jour , il faut que je oublie. Adieu , ma jeune idole ! adieu , mes vœux perdus ! Viendras-tu pas du moins avant cette autre aurore Charmer le cœur souffrant qui doit t'aimer encore Après qu'il ne le voudra plus. L. C. POÉSIES, L'OBJET D'ENVIE. Comme sa jeune main doucement te caresse : O ma sœur , qu'il est beau l'enfant de ta tendresse ! ‘Charme de ton destin, Sous tes cheveux flottans qu'agite le zéphire Il voile son visage où brille le sourire Et s'endort sur ton sein. Et toi, baissant vers lui ta rêveuse paupière , Tu cherches sur ces traits qui te rendent si fière x Tu vois avec amour De traits plus chers encor l'heureuse ressemblance . Et ton cœur , oppressé de joie et d'espérance , Pressent plus d’un beau jour. Pardonne je ne puis contempler ton ivresse , Je jette en gémissant un regard de tristesse Sur nos deux avenirs ; Du bonheur dans le tien tu vois toujours ce gage, Moi , je n’y porterai qu’une brûlante image Et d’amers souvenirs. Pourtant si j'avais pu , comme toi fortunée , Me couronner un jour des fleurs de l’hyménée , Et le cœur enivré , Voir jouer près de moi dans une humble vallée, errer entre mes bras, à jamais consolée , Un enfant adoré. 560 POÉSIES. J'aurais tout oublié, satisfaite , ravie ; Pour veiller sur son sort j'aurais aimé Fr vie, / O ma sœur , je le sens, Cet amour aurait pu charmer encor mon ame, Lui rendre ses transports et ranimer la flamme De mes jours languissans. Le regard d’un enfant est si doux pour sa mère ! Ah ! souffre qu'un moment dans ma joie éphémère Cet enfant soit mon bien ; Pose sur mes genoux ton enfant qui sommeille , Laisse-moi me pencher sur sa bouche vermeille , Je le croirai le mien. Oh ! que son souflle est pur ! il va sécher mes larmes ; Mais non , déjà ses yeux , ces yeux si pleins de charmes , Sur moi s'ouvrent surpris. Il tend ses bras vers toi , sa faible voix l'appelle , Il reconnaît sa mère , il ne veut aimer qu’elle... Reprends , reprends ton fils ! L. C. D torrent. :. POÉSIES. 561 LA CONFIDENCE. Tu veux savoir pourquoi, rèvense quelquefois , Avec distraction je réponds à ta voix ; Et quel tendre secret , quelle intime pensée Semble te dérober ma paupière baissée. Ecoute : c’est qu’un vœu , dont bien long-temps mon eœur, Sans oser l'avouer sentretient en silence , Un vœu , dont le désir éloignait l'espérance , Est enfin couronné par le ciel protecteur. Re x ut : Tu le vois, l'hiver règne et la neige argentée Descend du haut des airs en légers tourbillons ; Sur la branche aujourd'hui par les vents tourmentée L'oiseau tremble , et sa voix ne sait plus de chansons. Eh bien ! quand le printemps, le front paré de roses, Entouré des rayons d’un soleil pur et doux, -Viendra prodiguer parmi nous Ses riantes métamorphoses , Un tout petit enfant jouera sur mes genoux. Combien j'ai désiré cette heureuse journée ! Oh ! combieñ dans la nuit, au milieu du sommeil , J'ai senti vers ce but ma pensée entrainée ! De prières , de pleurs, quand venait le réveil , Je fatiguais la destinée , Car quel bien 1ici-bas à ce bien est pareil ? 36 562 POÉSIES. Mais aussi que jamais , jamais une étrangère , Attentive à l'accent de ses premiers besoins , À cet enfant couché sur le sein de sa mère NWaccoure prodiguer ses soins. C’est à moi qu'appartient de calmer sa tristesse , De bercer son repos d’un chant lent et plaintif C'est à moi qu'appartient sa première caresse Et son sourire fugitif. x Et déjà de ces biens qui charmeront ma vie Mon cœur sent qu’il sera jaloux Comme il l'est aujourd’hui de la voix attendrie Et du regard de mon époux. L. C. = CO [ep] CN POÉSIES. LA JEUNE MÈRE. Oui celle-là connaît une ineflable joie À qui le ciel accorde un enfant gracieux , En caressant son front où chaque jour déploie Plus de charme à ses yeux. Durant les longues nuits elle écoute attentive Le souflle de son doux sommeil , Lui chante à demi-voix la romance plaintive Et reçoit pour ses soins un sourire au réveil. Elle échauffe en ses mains deux petits pieds d’albâtre, Et quand un jeune cri lui révèle la faim, En bénissant le sort elle livre son sein À la bouche pure et folâtre. Hélas ! tout ce bonhéur pouvait m'être donné ! Le! ciel pour le comprendre avait formé mon âme, J'ai rêvé cet amour et sa céleste flamme , Mais je le goûte empoisonné. Mon enfant est ssmblable aux fleurs à peine écloses, Son sourire me plaît ainsi qu’un doux soleil ; L'épine cependant est pour moi sous les roses Et l’amertume au fond de la coupe de miel. 564 POÉSIES. C’est une autre qui vient , à sa plainte asservie , Tandis qu’il pleure dans mes bras, Lui prodiguer , contente , un lait pur et la vie, Et moi je soupire tout bas. Pourquoi dois-je épuiser cette souffrance amère ? Pourquoi Dieu m’en veut-il imposer le long deuil ? Est-ce donc qu’autrefois au doux titre de mère J'ai tressailli de trop d’orgueil ? A-t-il voulu punir un instant de délire Par ce regret constant qui doit suivre mes jours ? Lui, qui veut à lui seul tous les chants de la lyre, Lui , jaloux de tous les amours ? EL. C. POÉSIES, 565 RÉPONSE A UN ÉLOGE TROP FLATTEUR. Vos complaisantes mains élèvent un trophée ; Mais moi je ne suis pas cette puissante fée À qui vous prétendez le consacrer. Oh non ! Dans l’image brillante à mes regards tracée Que para de ses dons votre riche pensée Je n’ai reconnu que mon nom. Ma Muse est humble et frêle entre toutes les Muses ; Elle aime à murmurer des paroles confuses , Quelques plaintes sans art d’amour ou d'amitié. Et bien souvent encor , la jugeant trop naïve, De ce qu'elle dicta , ma main faible et craintive Efface en secret la moitié. Et vous , vous prodiguez le manteau d'hyacinthe , Et la couronne d’or et l’auréole sainte, A celle qui toujours sous le lin se voila. Et vous créez Lucie idéal poétique . Comme en un jour heureux votre pinceau magique Créa Delphine et Julia. 566 | POÉSIES. Ainsi parfois le monde en son culte s’abuse ; IL sanctifie ainsi la plaintive recluse , IL donne tout au ciel , ses larmes , ses soupirs, Tandis que vainement , elle combat son ame, Et dérobe souvent d’une coupable flamme Ou les regrets ou les désirs. Ainsi jadis moi-même , aux jours de ma jeunesse , Plus que je ne sentis je peignis la tendresse ; Et d’un goût passager faisant un sentiment , Paisible , je traçai les peines de l'attente , D'un amour dédaigné la souffrance accablante , L'absence et son morne tourment. Maintenant je possède un paradis modeste ; Vous dont la voix révèle un envoyé céleste , Vous voulez de l’orgueil y mener le démon, Frère , vous avez tort et votre poésie Me donne vainement la manne et l’ambroisie Pour mieux me cacher le poison. Laissez-moi donc la part que le sort me destine , Et surtout respectez le nom de Lamartine ; N'allez plus près du mien mettre ce nom puissant. Bien que vos vers soient doux comme le chant des anges , Pour un peu d’amitié changez-moi vos louanges, Mon cœur en sera plus content. L., CG: POÉSIES. 567 À EVELINE, De mes jours écoulés rappelant l'ambroisie Qui murmure tout bas ce doux mot : poésie , Ce mot que sans émoi je ne puis écouter , Est-ce Eveline encor qui m’exhorte à chanter ? Je le sais, je le sais, à sœur toujours chérie, IL est un charme heureux dans cette rèverie Où naissent les vers caressans Et la tendre élégie et ses plainufs accens. Quelquelois légère Sylphide ,. La rime féconde et rapide Semble voler avec orgueil. Tantôt, répondant mieux à notre ame tremblante ,. Elle marche à regret, majestueuse et lente , Comme une vierge en deuil. Cependant je me tais ; impitoyable amie ; La Muse aime à chercher la douleur endormie Dans le fond de nos cœurs. Elle aime , réveillant des images trop chères À redorer les traits de nos jeunes chimères De toutes ses splendeurs. 568 é POÉSIES. Et puis , c'est un tourment , un délire ineflable , Un bonheur douloureux et peut-être coupable Où sa voix nous conduit. Le passé tout entier, ses vœux , ses biens , ses larmes, Oui le passé vivant , brûlant de tous ses charmes L Revient dans notre nuit. Mais lorsqu'enfin du ciel on descend sur la terre, Le destin le plus doux souvent paraît austère , Après ce souvenir tout-à-coup ranimé, On a peine à donner un sourire sincère Mème à l'époux le plus aimé. Silence donc pour moi , silence , Qu’avec soin conservé mon repos soit obscur. Pour parler sans danger de notre adolescence , Attendons l’âge mur. Je ne veux maintenant être qu’une humble femme , Surtout soumise et bonne , occupant ses loisirs , De mon £ls , si je puis, éclairant la jeune ame Et domptant sans efforts d’insensés souvenirs. Puis un jour , quand du temps le pouvoir invincible M'aura faite bien grave et vieille à cheveux blanes, Sans redouter plus rien de ma lyre paisible , J'y chercherai des vers pour nos petits enfans. Le Cs POÉSIES, ; 569 STANCES. Ainsi lorsqu'autrefois de ma paisible enfance Je me représentais les jeux pleins d'iunocence, Les désirs , les amours et les chagrins légers , Ma joie en regardant une rose nouvelle , Un rayon de soleil, une eau limpide et belle , Quelques papillons passagers ; D'un autre âge déjà prompte métamorphose ! Je me redemandais pourquoi si peu de chose Avait fait palpiter mon cœur ? D’autres biens plus puissans prête à rêver les charmes, Je ne concevais plus mes plaisirs et mes larmes Et mon naïf bonheur. À son tour aujourd'hui m'étonne ma jeunesse , Lorsque je la revois avec sa vague ivresse , Ses songes si brillans , son besoin d’avenir , Ses chants pour célébrer un être fantastique , Sa muse avec la Iyre et le prisme magique , Et de gloire et d’orgueil venant l’entretenir. 570 POÉSIES. A r Chaque âge efface donc en son léger passage Les vœux et les désirs et les jeux d’un autre âge ; Mais vous qui maintenant m’enchantez tour à tour , . La Cr} Mon enfant gracieux , mon époux que j'adore , Vous que j'ai tant aimés et veux aimer encore , Dites-moi quel amour bannira votre amour ? L. C. POÉSIES, À MON ENFANT. Quand réunis autour du foyer qui pétille , Le soir nous écoutons au cercle de famille Ta voix, charme de notre cœur ; Lorsqu'arrêtant sur toi leurs paupières avides , Les femmes , recueillant tes paroles rapides , Admirent tout bas mon bonheur. Moi quelquefois je tremble, et de crainte oppressée , Je détourne mes yeux pour voiler ma pensée ; Tandis que toi , doux ange, enfant insoucieux , Tu viens me demander pourquoi mon front est triste , Et s’il est des douleurs dont l’aiguillon résiste A l'aspect de tes jeux ? O mon fils , mon amour , toi seul tu fais ma joie ; Mais , parmi les bonheurs que le destin m'envoie Se cache un vague effroi que je ne puis bannir. Mon regard trop perçant , sous ton voile d'enfance, Croit déjà voir pour toi Pavenir qui s'avance , | Et je crains l'avenir. Cr 572 POÉSIES. Enfant tu ne sais pas ce que c’est qu'un poète , Tu ne sais pas la vie orageuse , inquiète , " Ed A ,. Qu'il traîne au terrestre séjour , Quand des heures d’extase aux heures d'agonie Il Lui faut par ses maux expier son génie , Don fatal où Dieu mit sa haine et sou amour ! Enfant ! tu ne sais pas que des larmes amères Coulent pour baptiser ses brillantes chimères , 5M Lorsqu'en sa sublime douleur | Ce roi captif maudit le poids de la couronne, Quand ce riche indigent réclame en vain l’aumône ; D'un cœur qui comprenne son cœur. Et pourtant, Ô mon fils , déjà la poésie À répandu sur toi son parfum d’ambroisie ; C'est là tout mon secret , c’est là tout mon effroi ! Sous les fleurs du berceau , de son baiser de flamme , Furtive , elle est venue empreindre ta jeune ame ; Tout bas elle a dit : sois à moi. Et tremblante , je sens sous mes mains maternelles : Je sens , à mon aiglon, se déployer tes ailes. Demeure encore un jour sur mes genoux bercé ; Assez 1ôt ; affrontant des routes inconnues , Ta prendras , imprudent , ton essor vers les nues s Pour revenir à moi glorieux... et hlessc. e POÉSIES. 55% Oh ! que si j'avais pu faire ta destinée , Aux plus humbles bonheurs je l'aurais enchaînée ! J'aurais voulu pour toi, mon frèle et doux trésor , Un sort comme celui du ruissean sans murmure , Qui ne baigne en son cours que fleurs , mousse , verdure ; Peut-être plus de calme encor. Mais nul regret humain n’enchaîne la pensée ! Pour marcher aux sentiers où ta vie est tracée Bientôt je te verrai partir. Que Dieu garde du moins ta nacelle d'orage , Qu'il te sourie , enfant , et te donne courage Ou me fasse mourir. Lucie CouErFIN, * siens TRI PAT ANT AE TRUE “is: EUR Lemuod asldmd ag zmA SAR A té | 4, rmrtéantl à 49 sngisd sa is 10999 » exhus sb eulq is k AVE A RP RU PE) er MEL A | a EM D 'QUE æ tt dame quo tps po je D ie Bi ho iorsiteeg ruse andre 30 M D UE + #00 b allons tout EUR TETE suQ _ syRHES suuab, 16 aaglus , shox 5 W'uf | SAME éen st o 00 x ‘ mul a AUDIT JL VE We À se à ni Ÿ ‘un 4,1 ÿ ALLO sig “art NA AT: ah Et FES agir à Le 'CLTTEL KT re À NET FR RE ETS vi ÈS f i in | è ps We “ Per + Le ET on à Fes sa" . myé ! US U De " ET + ! Le" hi } 38% \ _ È a t \ . ‘ Vi id EC } l'a Ds, re 148 # A à # te tai: x LA Le à » 9 à £ de À A A 1 # ) 1 ‘ LE RETOUR A DIEU, Après un de ces jours qui pèsent plus sur âme Qu'un nuage orageux ne pèse sur le front, Un de ces jours où air est de souffre et de flamme, Où le chêne orgueilleux que la foudre réclame, Des vents qui vont mugir pressent déjà l'affront ; Après un de ces jours où les bosquets de roses Ne parlent de printemps , d'amour ni de plaisirs , Où les corolles d’or comme des lèvres closes , Disent pourtant au cœur d’inexplicables choses, J'ai compris qu'ici-bas s’égaraient mes désirs. J'ai compris que la gloire est un brillant mensonge Qui séduit pour un temps d’illustres insensés , Un nuage de pourpre où l'aigle altier se plonge, Un rêve caressant que l’aruste prolonge , Un poison qu'il a bu sans dire : c’est assez ! Je pensais que l'amour était l’heureux partage Des cœurs nés pour chanter , pour prier et sentir , Et j'ai vu dans son ciel plus d’un triste nuage. J'ai vu que ses baisers finissaient ayant l’âge Parfois par une tombe... ou par le repentir, 556 POÉSIES, Jai vu sur les chemins la plèbe audacieuse , Pour un mot , pour un nom se ruer en tous Sens ; Jai vu l'intelligence , active, insidieuse , Présenter des faux-dieux à la foule oublieuse.…. Moi , pour un seul autel j'ai gardé mon encens. Je sais trop ce que vaut cette faveur étrange Que le vulgaire accorde à tous ses favoris : Son idole d'hier, pour une autre il la change. Aujourd’hui sur l'autel et demain dans la fange ! Aujourd’hui la couronne et demain le mépris ! Dès la saison_des jeux. et de l’insouciance J'ai désiré connaître... hélas ! et j'ai connu ! Le ciel m'avait déjà doté de prévoyance : Je n’ai point sur ce globe accompli d'alliance , Ses pelouses de fleurs ne m’ont pas retenu. J'ai senti que plus haut s’élevaient mes pensées , J'ai demandé plus haut du calme et du bonheur ; e Mes hymnes désormais à Dieu sont adressées; Le fermier en voyant ses gerbes amassées Se contenterait-il des épis du glaneur ? Non , il faut des fruits d’or pour nourrir le poëte , JA Jui faut une source , une manne du ciel , Comme il faut un espoir à la flamme secrète, Comme il faut à la fleur sous sa robe discrète Et le parfum suavye et la goutte de miel ! POÉSIES. D'une philosophie aussi vaine qu’obscure , Je n’ai point aflronié les perfides sommets ; Non, jai lu dans le livre ouvert par la nature Ce que le créateur dit à la créature , Page qu'aucune main n’effacera jamais ! Pour les besoins pressans de mon ame altérée Ce n’était point assez de nos terrestres biens, Trouve-t-on moins aride une coupe dorée ? Des filets du plaisir cette ame séparée À rattaché sa trame à de plus forts liens. Devant le tabernacle ou dans la solitude Sous l'aile de l’extase elle a monté vers Dieu. De ses dons épanchés sentant la plénitude ; Elle a vu luire ua jour ce que la multitude Ne verrait pas briller dans les pleurs d’un adieu !.. Quel est donc cé rayon qui daus les larmes brille Alors qu'un être cher entre dans le cercueil ? — Demandez au vieillard qui voit mpurir sa fille ? Elle était son appui, son trésor , sa famille... Un espoir immortel soutient son cœur en deuil ! Sa. prière s'élève aux consolants rivages ; Il voit poindre l'éclat du soleil éternel. : La moitié de son ame a quitté nos parages ; Il entend l'hymne saint dominer les orages, © Et j'entends comme lui son accord solennel ! \ 37 377 558? POÉSIES. J'ai vu mourir les miens comme les fleurs d'automne Quand novembre les livre aux haleines du Nord. La voix de la tribune au gré du peuple tonne, Mais mon cœur qui jamais d'un vain bruit ne s'étonne , Trouva plus d’éloquence’ aux lèvres de la mort. Ces temples , ces palais où le luxe domine Seront couchés un jour dans le lit du sommeil. Pourquoi ces monumens que l’artiste dessine ?.… Hélas ! chaque splendeur prépare une ruine ! Tout cela ne vaut pas l’azur et le soleil. Loin de mot fuyez donc , à vulgaires prestiges ! Fuyez , j'ai des regards que l'on n’éblouit plus. A mon œil mieux ouvert 1l faut d’autres prodiges ; Je puis cueillir des fruits sur de plus nobles tiges Où sont fixés mes vœux long-temps irrésolus. Toi, mon Dieu, qui reçois comme une chaste offrande Les paroles du cœur et les larmes d'amour , Je m’abandonne à toi , mon espérance est grande, Car ton ange promet , pour qu’à toi l’on se rende, L’éternelle patrie après l'exil d’un jour. Mon Dieu , sans toi que faire accablés sous nos chaînes ? Que faire en un chaos d’orgueil et de malheur ? Nos plaintes pour toi seul ne sont pas clameurs vaines. Fu consoles l'enfant qui soupire ses peines ; Et mon luth est de ceux qu'inspire la douleur, POÉSIES. 579 Mou Dieu, je suis à toi, tu comprends mes prières ; Oh ! je v'appèle , oh ! viens ! mes genoux sont tremblans, N’entends que mes désirs , je ne vois pas mes paupières ; Ah ! la terre est encor dans ces larmes dernières , Mais le ciel est déjà dans mes divins élans! Alph. Le Fracuais. POÉSIES. 581 MÉLODIE. L'amour ! à ce seul mot l'ame est épanouie 1 On dirait le mot saint, la parole inouie Dont Dieu fit le soleil sitôt qu’il l'eut pensé ! C’est un rayon d'en haut sur les glaces du monde ; C'est le mot le plus cher à qui le cœur réponde, Le mot de l’ayenir et le mot du passé ! at Je n'ai jamais souillé ce sentiment sublime Qui dans la tombe mème un instant nous ranime Alors qu'un pas de femme en foule le gazon ; Je nai point épanché cette essence de lame Dans le sein tout flétri d’une-bacchante infâme Qui nous eniyre de poison ! Je n'ai point, de moi-même arrachant la racine, Avili sans rougir celte flamme divine , Religion d'amour , culte mystérieux ; $ Je n’ai point pris sans honte et jeté dans la faige Ce qui parfois encor nous rapproche de l'ange, Ce qui nous est venu des cieux ! > Non, non, ce sentiment doux comme une harmomie , Pur comme un feu d’autel , fort comme le génie, Je l'ai gardé profond , noble , chaste et sacré , Je l'ai gardé dans moi parmi mes espérances , Parmi mes souvenirs et parmi mes souffrances , Et seul... seul avec lui, j'ai bien souyent pleure. 582 POÉSIES. L'amour dans notre vie est une page sainte , Page écrite sur lame et conservant l'empreinte Que la main du Seigneur y marqua dans lEden. - L'amour n’est pas vain jeu , frivole fantaisie , C’est à la fois vertu , dévoüment , poésie, C'est la dernière fleur du céleste jardin ! P Oh ! vous ne sayez pas combien il a de charmes Cet intime trésor nourri dans les alarmes, Cet ami si discret qui nous suit en tout lieu ! Tendre dans sa fierté , c’est lui qui nous rassure, Il est en mème temps le baume et la blessure , Le chant de retour et d'adieu ! « Non , vous ne savez pas ce qu'il coûte de plaintes , D'angoisses , de tourmens , d’attentes et de craintes , Ce bonheur acheté par des larmes de sang ! ‘ Vous ne connaissez pas ses suaves ivresses , Cœurs froids , vous ignorez ses touchantes faiblesses , Son héroïsme si puissant ! Mais moi je l'ai senti cet amour sans mélange , Et de la voix du cœur j'ai dit à mon bel ange : « Sur mes lèvres en feu dépose un peu de miel ; « À ton ame de vierge unis mon ame ardente ! « Je taime, j'ai souffert... je ne suis pas Le Dante, « Mais sois ma Béatrix et viens m'ouvrir le ciel * x Alph. L, F. POÉSIES, 583 F SILENCE , MON AMOUR. Silence, mon amour ! endors-toi dans mon cœur ; Assez du sort cruel tu sentis la rigueur ; : Assez tu Les baigné de larmes ! Silence , mon amour ! laisse l'ange des nuits Couvrir d'un blanc linceul mes lugubres ennuis Et poétiser mes alarmes ! Lorsque l'amour n’est plus qu'un songe sans espoir , À travers un nuage il le faut entrevoir Ainsi qu'une étoile abaissée , Ou , dans ses souvenirs le reculant bien loin , Comme un bonheur fané l’enfermer avec soin Et l’embaumer dans sa pensée. Les désenchantemens sont de tristes rayons, Ils jettent leurs clartés sur nos illusions Comme des lampes funéraires. Mais toujours le passé dans notre ame en repos Réveille en la brisant de douloureux échos Et ressuscite des chimères ! 584 POÉSIES. W Cet intime combat je éprouve aujourd’hui , Loin de ce qui m’est cher demandant un appui, = Je me confie aux solitudes. Là , rêvant aux malheurs appesantis sur moi, Je recompte mes jours et dis avec effroi : La vie a des sentiers bien rudes ! Faudra-t-1l parcourir ce désert redouté , Sans goûter un instant à la félicité + Dont la coupe me fut ravie ? F audrt-il m’épuiser de vœux et de regrets, Sans trouver un palmier dont le feuillage frais M'abrite au midi de ma vie ? C’est en vain que j'invoque et le calme et l'oubli ; L'amour déborde encor de mon cœur trop rempli ; D’autres douleurs pour moi sont prêtes. Abime convulsif , mystérieux séjour , Notre ame est. un grand lac où surnage l'amour Après les plus longues tempêtes ! Alph. L. F. POÉSIES. STANCES-: O toi qui fus aimée entre toutes les femmes ! Toi qui fus mon amour entre tous mes amours ! Toi dont l’ame est rentrée au grand foyer des ames , Toi que je veux aimer toujours ! Dans ce front qui me pèse il n’est qu’une pensée, Dans ce cœur orageux il n’est qu'un sentiment : T'aimer , t'aimer toujours, ma sœur , ma fiancée, Et mourir, mourir en t'aimant. Tu sais combien de joie éveilla ton sourire, Lorsque je devinai que j'étais entendu , ù Lorsque je fus certain qu'à mon brülant délire Ta tendresse avait répondu ! Il fut pour notre amour des extâses célestes Où des larmes sans p:ix disaient notre bonheur... Et la tombe cruelle a dévoré tes restes , Et tu ne vis plus qu'en mon cœur ! Mais La tombe n’a pris qu'une part de toi-même ; Je sens dans tout mon être un élément de toi. Le trésor de ma vie est ton souffle suprême, Et c’est ton cœur qui bat en moi ! 585 586 POÉSIES* À mon sein déchiré tn léguas ta souffrance , Tu n'as quitté mes bras que pour monter vers Dieu , Dans ton dernier soupir tu m'as dit : espérance ! Ne voulant pas me dire : adieu ! Sois toujours avec moi, que ta vertu me garde ! De tes divines mains viens alléger mon sort. Le flot du monde est noir , mais au ciel je regarde, Sois mon étoile jusqu’au port ! Alph. L. F. 4] a S POÉSIES. L LE SAULE DU PONT SAINT-JACQUES: Chaque jour quittant ma demeure , Je vais traversant le vieux pont , Où d’un côté se penche et pleure Un saule onduleux qui w’eflleure , Que j'interroge et qui répond !..… De l’autre , un aveugle supplie Le passant distrait bien souvent. Mon ame , triste et recueillie , Ecoute avec mélancolie Leurs plaintes qu'emporte le vent. l { De poésie et de souffrance Je vois se remplir mon sentier : Malgré plus d’une indifférence , L’aveugle garde une espérance ; Il sait attendre , il sait prier ! Le saule , plein de mélodie, D'intelligence et de doueeur , Jette à chaque brise ätuédie Un nom cher à la Normandie, Un nom précieux à mon cœur. 588 POÉSIES. Oh ! combien j'aime ton feuillage , Toi qu'aux tombeaux Dieu destina , Arbre qu'aimaient dans l'esclavage Les Hébreux , muets soûs lombrage , Et que chante Desdemona ! Combien je chéris ta verdure, Saule harmonieux et plaint, C’est toi dont la fraîche parure Nous annonce que la nature Ne craint plus l'hiver fugitif. Tes feuilles naissent les premières Comme un gage des nouveaux jours , | Puis elles tombent les dernières Dans ces ondes irrégulières Qui Les promènent dans leur cours ! Près de la demeure d’un sage Tu fais flotter tes longs rameaux ; Tu sembles conjurer l’orage De respecter son hermitage Où furent guéris tant de maux ! Oui, c'est là que sa prévoyance Ne méditant que des bienfaits , Protège l’art et la science”, Des cœurs gagne la confiance , Les rend joyeux et satisfaits. POÉSIES. 589 C’est là que d’un sourire aimable IL accucille le voyageur ; Là d’une grâce inimitable , De doux récits ornant sa table, I charme et fait croire au bonheur ! De Malherbe l ombre divine A ses côtés veille toujours. À travers l'arbre qui s'incline L'image auguste s’illnmine Du soleil des premiers beaux jours. À la porte de sa retraite, Sanle adoré , verdis en paix ! Que du savantet du poète Les deux noms que l’écho répète Vibrent dans tes rameaux épais ! O vous qui connûtes la peine , Vous qu’oppresse un mortel ennui, Vous dont la main porte une chaîne , Pour reprendre une âme sereine IL faut vous rapprocher de lui ! Ettoi, lyre qui fus choisie Pour l’espoir et la vérité, Est-il plus douce fantaisie Que d’embaumer de poésie Le vieux saule qu'il a planté? Alph. Le Fracuais. 23 Avril 1835. ef À dti HE Yep 1 A (4 - ‘4 nt FA “aida v ds ut QG dt \ d( He NN Ie | STONE AU 44 ex. ati de hi Ver AN 11 : raalheturasss ! TEE TIR i coter di Eng +40 rat bs Li dit smbaod ROR Vie to euts mn A a à “aevib gro it sdraritui FN ON ri AT -2146(008 à sltioy 360 À Lu ds attente POREEST 9750 A A ni 200 Gent ane que 9m LE 4 bo TOR SES TT So in Et: A ae ve AA : à de afidtfoà sè jé #10 si-À * JE me Féspasalisr-rabé sfune M PP ee DR dc tots gvse db 560 DRE LL à Mae ok # op anéon sus sa * D a | ns .4 a8QD rapsater 25h e00h, fast "ee ” 3 _suiqral esfhnnes ip eur O. 7 LS cesse rront off seéstgeo D enêT UNE arte saemoqrtent si 08 255 Pu AA aiesé ours Son sabot ot era ue Le ob aotqen eo 24 Li Louise G; simodoeption 9178 , 107) t PR ENS 4 re 5 ddr Et torsoë3s Tr à | siaistnét somob aplq If sit BE er 2 oméopebamuadursh at e rrtiterse Steele shop son ner 9,1 F 1 y td di. iylé y ÉRLNT REA ATETNONEE \ : . ‘ # V4 k | . Li ; / POÉSIES, Soi : IMPRESSIONS DU SOIR. Le soleil , se couchant au milieu des nuages, Peint d’un dernier reflet leurs flancs décolorés, Et de voiles brumeux entoure les bocages, Qui dans l’ombre du soir se fondent par degrés. L’airain religieux qui sonne la prière, De clochers en clochers balancé tour-à-tour, Rappelle en gémissant au seuil de la chaumière Les laboureurs épars dans les champs d’alentour. I] semble en ce moment que le flambeau du monde Sous des cieux étrangers doit rester désormais ; Que la nature , en deuil du Dieu qui la féconde , D'un crèpe ténébreux se voile pour jainais, À ces tableaux du soir l'homme plein de tristesse Sent naître dans son ame un sombre et vague ennui , Et près des doux objets que chérit sa tendresse Aime à chercher alors un consolant appui. Ah ! dans tous ces hameaux il n’est pas à cette heure Un mortel fatigué du rustique labeur Qui ne trouve, en rentrant dans son humble demeure , Un cœur affectueux qui réponde à son cœur ! / 38 592 POÉSIES. Moi seul, hélas ! moi seul , isolé sur la terre. De nos champs délaissés revenant à la nuit, Je gagne mon foyer muet et solitaire , Sans pouvoir épancher le chagrin qui me suit !.… Où sont-ils ces beaux soirs du printemps de ma vie, Où , sur de verts gazons, voilés d’ombrages frais, D'un bras tendre et flexible entourant mon amie, Je serrais doucement ses pudiques attraits ? Où sont-ils ces beaux jours où le ciel favorable Réglait en souiant mes paisibles destins ; Où de nombreux enfans , environnant ma table, Vidaient à mes côtés la coupe des festins ? Où sont-ils tous ces biens dont mon ame ravie Quelques momens à peine a doucement jou ? Où sont-ils ?.. Vains regrets ! au midi de ma vie, L'infortune a soufllé !... Tout s’est évananoui ! Telle est, tristes mortels , telle est notre existence : Quelques jours de bonheur suivis de jours mauvais ; Au matin les plaisirs , l'amour et l'espérance ; Au soir les souvenirs , hélas ! et les regrets ! R. E. Taurer. POÉSIES, 503 L’ABRI DANS UNE ÉGLISE. L'horizon s'est voilé d’un lugubre nuage ; On entend dans les airs sifler un vent d’orage ; La pluie , avec l'éclair , jaillit du haut des cieux : Près de ces murs sacrés surpris par la tempête Je viens, Seigneur , je viens mettre à l'abri ma tête Sous leurs dômes religieux. Je n'entre qu’en tremblant dans cette auguste enceinte : Comme ton nom , Seigneur , elle est terrible et sainte ; Il faudrait être saint pour y porter ses pas ; Mais , si le souvenir d’une terrestre flamme À ton culte divin dispute encor mon ame, Du moins je ne l’outrage pas. Qu'il règne en ces parvis une paix solennelle ! L’Aquilon courroucé , qui du fouet de son aile Bat à coups redoublés les gothiques vitraux , Ne peut même agiter cette flamme légère Qui brille devant toi dans le chœur solitaire , Suspendue aux sombres arceaux. 594 POÉSIES. Quelques mortels , épris de cette paix profonde , Loin des yains bruits du siècle et des soins de ce monde , Elevant leurs désirs vers les biens immortels , Sont ici prosternés , le front dans la poussière , Répandant humblement leur ame et leur prière Sur les degrés de tes autels. C'est un infortuné , le cœur rempli d’alarmes ; C'est une veuve en deuil qui, l'œil mouillé de larmes, r AC . . ù 4 04 Pour un époux chéri vient implorer sou Dieu ; C’est une vierge pure en son ardeur divine Qui , comme un lis penché , modestement s'incline Devant la vierge du saint lieu. De leur pieux amour quel est le charme intime ! Quel tendre sentiment dans leurs traits il exprime ! Quel doux rayon d'espoir il semble y rallumer ! La prière est pour eux cette molle rosée Qui , descendant sans bruit sur la terre épuisée , La ranime et la fait germer. Je veux goûter aussi ces délices si pures ; Je veux aussi , mon Dieu , verser sur mes blessures Ce beaume précieux qui charme nos douleurs , Qui réveille en notre ame une sainte allégresse Et change , dans nos yeux flétris par la tristesse , Nos pleurs amers en si doux pleurs ! POÉSIES. 5q° Je ne demande pas ces biens que l’homme envie ; Je m'en remets-à toi des destins de ma vie ; L'infortune est peut-être un don de ta bonté ; Fu sais ce qu'il me faut, Seigneur , mieux que moi-même : J'accepte avec respect ta volonté suprême , Et ÿ y soumets ma volonté. Fais seulement qu’en toi jaloux de toujours vivre, Les sentimens humains où mon ame se livre N’altèrent point , Seigneur , l'amour que je te dois , Et que cette ame ardente , à tant de vents jetée , Par des soins inquiets moins souvent agitée Puisse mieux observer tes lois... Mais l'orage a cessé d’attrister la nature : Le soleil , renaissant dans le ciel qui s’épure, Fait briller à mes pieds les couleurs des vitraux : Il faut que je m’arrache à la paix qui m'inonde ; Il faut que je retourne au sein bruyant du monde, Où me rappellent mes travaux. J'y retourne , Seigneur , mais c’est l'ame enivrée Des biens que j'ai goûtés dans ta maison sacrée ; Mais c’est le cœur rempli d’un amour plus fervent ; J'y retourne à regret , mais l'esprit plus tranquille ; J'y retourne , mon Diea , mais dans ton saint asile Je reviendrai prier souvent ! R. E. Tauner. NOTICE BIOGRAPHIQUE. L'Académie aurait vivement désiré de payer sans retard son tribut de vénération et regrets à la mémoire de M. l'abbé De La Rue, qu’elle était fière de compter parmi ses membres, et dont l’Europe entière déplore la perte; mais la difficulté que l’on a éprouvée à recueillir les documens nécessaires , l'importance des travaux qu'il s’agit d'apprécier , et un concours de circonstances fâcheuses que le zèle le plus actif n’a pu vainore n'ont pas permis de ter- miner l'éloge historique du savant auteur de l'Essai sur les Bardes, les Jongleurs et les Trouvères assez tôt pour qu'il füt inséré dans le présent volume. On le trouvera dans la pro- chaine publication de la compagnie. RAT 7 à 1x Mete AS: \ CPE ER ANNE ait Es AN LL SE JL ES } ù dx 2 Er il LME 2 Pre ie 19 es se “ | elle, ouf af A Le + si ñ y +. 19 x din 64 los 19 io Da mé #0 y lité: np nano at. mob CR (va 103. Bb ele à 24 mot our 14 fa Aion 1 sf été Pre sb res es NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR M. L’ABBé ROUSSEAU, CHEVALIER DE LA LÉGION D'HONNEUR , INSPECTEUR DE L'ACADÉMIE DE CAEN ; Par M. EDOM. INSPECTEUR DE LA MÊME ACADÉMIE. Der pe ANR CA + M: VS tete mins à We 1 PAT LIT LL A fra épi ne ete PARU LL ‘ préi2 TETE griw vw il Le LUS à etre à TA ne “ NOTICE BIOGRAPHIQUE M. L'A88É ROUSSEAU , CHEVALIER DE LA LÉGION D'HONNEUR , INSPECTEUR DE L'ACADÉMIE DE CAEN. La mémoire de certains hommes mérite d'autant plus d’être louée, que pendant leur vie ils ont moins recherché la louange. Doués de talens distingués , enrichis de connais- sances précieuses , élevés à des postes émi- nens , ils se sont toujours montrés simples et modestes, n'aspirant qu’à être utiles , faisant le bien sans éclat, par limpulsion d’un natu- rel heureux autant que par un sentiment pro- fond du devoir. Tel a été M. l'abbé Rousseau, chevalier de la légion d'honneur , inspecteur de l’Académie universitaire de Caen , membre de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres 6o2 SUR M. L'APBÉ ROUSSEAU. de la même ville et de plusieurs autres sociétés savantes. L'hommage qu’un collègue et un ami éprouve le besoin de rendre à sa mémoire sera simple et vrai. Îl n’y à rien à exagérer , rien à dissimuler dans uné semblable vie. Il suffit de la faire paraître telle qu’elle a été, pour n'avoir à offrir que de nobles exemples. Jean-Denis Rousseau naquit, le 3 octobre 1765, à Mazières , petite commune du dépar- tement d’'Indre-et-Loire , à 4 lieues de Tours. Il fut Vainé de onze enfans. Son père, simple laboureur , l’occupa d’abord à la garde des : troupeaux , et, à une époque où l'instruction primaire était à peine connue dans les cam- pagnes , le jeune Roussean semblait être con- damné à rester cultivateur comme son père. Mais la paroisse possédait un curé aussi re- commandable par son mérile que par son ca- ractère. Il connaissait l'arpentage et s'y livrait volontiers, dans ses momens de loisir, pour rendre service à ses paroissiens. Ayant eu oc- casion d'employer le jeune Rousseau à porter la chainetté, dans ces sortes de travaux , il remarqua de l'intelligence dans cet enfant et le prit en affection. Il lui apprit à lire et à écrire , et l’initia bientôt à l'étude de la langue latine, dans laquelle le jeune élève fit de ra- SUR M. L'ABRE ROUSSEAU. en pides progrès. M. Rousseau témoigna à M.labbé Guérin, tant qu'il vécut, un attachement filial, et il en conservait le souvenir le plus tendre. 1l se plaisait à dire qu'il devait, en partie, son excellente mémoire au soin avec lequel son vénérable instituteur l'avait d’abord cultivée. Etant entré au collége de Tours, il y obtint des succès brillants. Dès le mois d’août 1778, ayant moins de 13 ans, il soutint avec distinc- tion des thèses sur les mathématiques et la physique, écrites en latin, suivant l’usage du temps, avec une rare élégance. C’est à la suite de cette épreuve que, se destinant déjà à l'état ecclésiastique , il fut nommé par larchevèque de Tours à une bourse du collége de Louis- le-Grand, à Paris. Il y entra, cette même année, dans la classe de seconde , et réalisa toutes les espérances qu'il avait fait concevoir. Quoique placé sur un plus grand théâtre, au milieu de concurrens plus nombreux et plus redoutables, il conserva néanmoins sa supériorité. Aussi , après cinq années, pendant lesquelies il acheva et perfectionna ses études , il obtint un titre qui n'était accordé qu'aux sujets les plus distingués ; il fut nommé maitre de confé- rences, d’abord pour la philosophie et ensuite pour la théologie, à ce même collége de Louis- 604 SUR M. L'ABBÉ ROUSSEAU. le-Grand. C’est ainsi qu’il débuta dans la car- rière de l'instruction publique , à laquelle il devait consacrer sa vie entière. Il remplit ces fonctions jusqu'à la fin de l'année 1790. A cette époque la révolution qui agitait la France ayant commencé à faire déserter les colléges , M. Rousseau revint dans son pays natal, avec le titre de licencié en théologie. Bientôt, afin de se soustraire aux poursuites dirigées contre les membres du clergé qui refusaient le ser- ment, il alla se cacher à Tours, dans une im- primerie, où il exerça le modeste emploi de prote. Il passa dans cette retraite les temps les plus orageux de la révolution, et n'en sortit qu'au mois de septembre 1795, pour entrer dans la maison d'éducation dirigée à Tours par M. Trousseau. Là il se chargea de lenseigne- ment des langues anciennes et des mathéma- tiques. Si, par des motifs dont la connaissance ne nous est pas parvenue, mais qui ont dû dépendre de sa volonté, M. l'abbé Rousseau ne fut pas compris dans l’organisation de l'école centrale d’Indre-et-Loire, où sa place était na- turellement marquée, nous voyons que son mérite n’en fut pas moins apprécié ; car il fit partie du jury central du département, pendant les deux dernières années de l'existence de SUR M. L'ARBÉ ROUSSEAU. Go cette école, et, lorsqu'aprés sa suppression , on établit à Tours une école secondaire com- munale , il y fut nommé professeur de pre- mière et seconde classe de mathématiques , et chargé en même temps d'enseigner la langue grecque aux élèves des différentes classes à partir dé la quatrième. Au mois de novembre 1807, lors des changemens opérés dans cette école, M. Rousseau en sortit, et continua de donner le même enseignement dans la maison d'éducation qu'ouvrirent à Tours les anciens directeurs du collége. Mais déjà avait paru la loi qui créait l'Uni- versité ; tous les hommes voués à l’instruc- tion de la jeunesse allaient être réunis en un corps destiné à occuper dans l'Etat la place qui convient à son importance. M. l'abbé Rousseau ne pouvait manquer d’y obtenir un rang distingué. En effet , il fut nommé, en 1810, par le grand - maître de l’'Univer- sité, professeur de philosophie au lycée de Liège, où il ne se rendit pas, et bientôt aprés, en la même qualité, à celui d'Orléans. Il exis- tait alors dans cette ville une Faculté des lettres. M. Rousseau y fut chargé de la sup- pléance de la chaire de philosophie, dont le recteur était titulaire. Il remplit ce double 606 SUR M. L’ABBÉ ROUSSEAU. emploi avec beaucoup de distinction, à une époque où la philosophie était encore condam- née à s'envelopper, dans les écoles , de l’obscu- rité d’une langue morte et des formes de la scolastique. Indépendamment de cette étude spéciale, M. Rousseau se livrait avec ardeur à celle de la géographie, pour laquelle il conserva toute sa vie un goût particulier. Dans un dis- cours qu'il prononça à une distribution des prix du lycée d'Orléans, il s’attacha à faire voir, par une revue rapide et brillante des temps anciens et modernes, l'union intime de la géo- graphie et de l’histoire. L'homme qui joignait à tant de connais- sances solides et au talent de les exposer avec une clarté, une précision et un intérêt ad- mirables , toutes les qualités propres à diri- ger la jeunesse; un extérieur imposant, un caractère doux et ferme, une activité infati- gable, un désintéressement rare, un amour parfait de l’ordre et de la justice, un tel homme n'était complètement à sa place qu’à la tête d'un grand établissement d'instruction pu- blique. Le chef de l'Université le comprit, et, le 28 septembre 1815, M. Rousseau fut nom- mé proviseur du collége royal de Bourges. Sa longue expérience lui avait appris, bien mieux SUR M. L'ABBÉ ROUSSEAU, Go7 que ne pouvaient le faire les réglemens offi- ciels, toute l'étendue de ses nouvelles obliga- tions. Il en traça lui-même le tableau dans une allocution pleine de franchise et de dignité, qu'il adressa , lors de son installation, aux fonctionnaires ses collègues et aux élèves réu- nis; déclarant aux uns qu'il comptait sur leur concours, aux autres sur leur docilité. Une administration dirigée par des intentions aussi pures et aussi éclairées obtint les plus heureux résultats. Le collége de Bourges prospéra entre les mains de M. l'abbé Rousseau, qui fut ap- pelé , le 27 septembre 18:17, à faire jouir du même avantage la seconde ville du royaume. Depuis plusieurs années le collége royal de Lyon dépérissait : le désordre était dans les finances , qui offraient un déficit considé- rable : les études et l’état moral de l'établisse- ment laissaient aussi beaucoup à désirer : au- dehors, il existait contre l'Université des pré- ventions puissantes, que la situation du collége semblait , il est vrai, justifier. M. Rousseau triompha de tous ces obstacles ; il rétablit l’ordre dans les finances , la discipline parmi les élèves , la force et l’émulation dans les études : il ramena la confiance publique, et, s'il ne détruisit pas toutes les préventions , il 39 608 SUR M. L'ABBÉ ROUSSEAU. les réduisit, du moins, à l'alternative du silence ou de la calomnie. Un succès aussi complet fut apprécié comme il devait l’être par l'Uni- versité. M. Rousseau en reçut un témoignage dont l'éclat vint surprendre sa modestie. Il fut fait chevalier de la Légion d'honneur par or- donnance royale du 22 décembre 1821. Tous les fonctionnaires du collége applaudirent à cette récompense qu'ils savaient être si bien méritée. Ils voyaient d’ailleurs couronner leurs propres efforts dans la personne de leur chef. M. Rousseau se montra constamment pour eux un protecteur zélé; aussi, sa mémoire a-t-elle reçu à Lyon (1) un hommage dicté non seulement par l'amitié, mais encore par la reconnaissance. Il n’était pas moins aimé des élèves, qui trouvaient en lui la justice et la fermeté tempérées par une bonté pa- ternelle, et , sous des formes sévères , un cœur excellent. Ils lui donnèrent une preuve délicate de leur affection en dessinant ses traits vénérés, eten voulant que la pierre les repro- duisit pour chacun d'eux et pour ses nombreux (1) M. Le Geay , professeur de seconde au collége royal de Lyon , a lu, le 10 décembre 1835, à la Société littéraire de lu même ville, une notice historique sur la vie de M, J. D. Rous- seau. Elle a été imprimée. SUR M. L'ABRÉ ROUSSEAU. 6vg amis, monument simple et touchant, auquel la mort est venue ajouter un nouveau prix. Toutefois, M. Rousseau n'avait pas besoin de cette garantie contre l'oubli. Il était assuré de vivre dans le souvenir de tous ceux qui Pont connu. Aprés dix années d’une administration qui avait élevé le collége royal de Lyon à ce haut degré de prospérité où il s’est maintenu depuis, M. l'abbé Rousseau comprit, par les obstacles qui naissaient pour lui des circonstances po- litiques , que sa mission était accomplie. Ce- pendant, quoiqu'il fut alors âgé de plus de soixante ans, il ne se crut pas en droit de se livrer au repos. Comme un tempérament ro- buste et des forces bien conservées secon- daient encore son amour du bien publie, il accepta de nouvelles fonctions. Il fut nommé, au mois de septembre 1827 , inspecteur de l’Académie de Montpellier ; mais, désirant se rapprocher de sa chère Touraine, il préféra le même emploi dans l'Académie de Caen, et il y fut nommé le 20 octobre de la même année. M. Rousseau ne vit point dans cette po- sition nouvelle ce qu’une opinion erronée y voit communément, une sinécure, mais un temps à partager enire de laborieux voyages Gro SUR M. L'ABBEÉ ROUSSEAU. et des études continuelles. Il savait quels ser- vices l'inspection est appelée à rendre au corps enseignant. Entretenir les antorités locales dans des relations de confiance avec l'Université, et dans des sentimens de bienveillance envers ses établissemens, maintenir dans ces derniers l'unité, qui en fait la force, et l'esprit de pro- grès, qui les vivifie, conserver les bonnes doc- trines, réprimer les abus, encourager le zèle et le talent, et surtout le talent modeste, telle est la mission de l'inspecteur ; ainsi l'avait conçue , ainsi l’accomplit M. Rousseau, C'est ce qu'il nous a été facile de reconnaître en parcourant aprés lui les mêmes lieux, et en voyant quelle haute estime il s'était partout conciliée. Mais les colléges de lAcaäémie , dans lesquels il fortifia l'étude de la Géographie, de l'Histoire et de la langue grecque, n'étaient pas seuls l’objet de sa sollicitude; il portait un intérêt tout particulier , et on peut dire de pré- dilection , aux modestes écoles primaires. Cet esprit si juste avait compris l'importance de l'instruction populaire long-temps avant que la loi lui donnät le développement qu’elle à reçu dans ces dernières années, et il n'épar- gnait ni soins ni peines pour en häter les SUR. M. J ABBÉ ROUSSEAU. Gi progrés. Il.s'atiacha principalement à faire connaitre la. méthode d'enseignement. simul-. tané, la seule, ainsi que l'expérience l'a dé- montré ,.qui puisse être «employée avec succes dans les-petites localités, et surtout, dans, les campagnes. Cette méthode n'était guère pra- tiquée que par les frères des: écoles chrétiennes, avant que les instituteurs eussent le secours des écoles, normales et des lumières qui: leur arrivent maintenant de toutes parts. Quelque- fois M. l'abbé. Rousseau réunissait au, chef- lieu tous les instituteurs d’un arrondissement, et Jà, en présence du comité, il leur expliquait, dans le plus grand détail; les procédés qu'ils devaient suivre pour toutes les parties.de leur enseignement. Afin de s'assurer, qu'il avait été compris, il provoquait leurs'observations, et il y répondait par de nouveaux éclaircisse- wens. Joignant au zele la générosité, il fit im- primer, une série de tableaux de-lecture qu'il avait composés. Jui-même , et il. en gratifiait les écoles qu'il visitait. On pouvait juger du dévouement et de Ja, supériorité avec lesquels il traitait tout ce qui concernait l'instruction primaire par ces rapports si pleins, si lumi- neux qu'il faisait au conseil académique pour la distribution annuelle des médailles d’en- (0 SÛR M: L'ABBÉ ROUSSEAU, couragement. Plus d'un instituteur a dù à son active sollicitude la récompense qui est venue le signaler à l'estime püblique. Pour atteindre ce but, M. Rousséau ne craignait pas, d’en- treprendré à cheval des courses longues et pé- nibles. C’est dans une de ces courses qu’il res- sentit, en 1333, les premières atteintes de la maladie cruelle (r) qui devait le conduire au tombeau. Dès lors, l'avis des médecins et les conseils de ses amis auraient dû le déter- miner à quitter ses fonctidns. Indépendam- inent de la rétraite à laquelle lui donnaient droit ses longs services , il s'était assuré par ses économies luné honnête aisance , qui aurait suffi à ses besoins ét au bien qu’il aimait à faire. Mais il ne put consentir à cesser d’être utile. Il semblait qu'il eût fait vœu de servir son pays jusqu’à son dernier soupir. Pendant les mois de résidence que M. Rous- seau passait à Caen dans l'intervalle de ses voyages, il menait une vie retirée , conforme, disait-il, à son âge, à ses goûts et au caractère dont il était revêtu ; car il remplissait scrupu- (1) Une maladie de la vessie. Elle se déclara par un flux de sang ; que l'exercice , même en voiture, provoquait dans les derniers temps, À sa mort , un cancer fut reconnu dans cette partie. SUR M, L'ABBÉ ROUSSEAU. 613 leusement tous ses devoirs d’ecclésiastique, et, prètre habitué de sa paroisse; il y rendait tous les services que lon réclamait de son obli- geance. M. l'abbé Rousseau avait une véritable pas- sion pour l'étude. A quelque heure qu’on allât le visiter, on le trouvait au milieu de ses livres, qui formaient une précieuse collection, oc- cupé de quelque travail important. La plupart de ces travaux n’ont point été publiés; €e sont des résumés d'histoire, des traductions fidèles d'auteurs grecs et latins , des dissertations mé- taphysiques, ei des recherchés d’archéologie. Il en a fait paraître quelques autres, que sa modestie a privés de la recommandation de son nom. Tel est un abrégé de géographie ancienne , ouvrage savant , quoique élémen- taire , où l’étude si aride de cette science est rendue attrayante par des détails historiques, curieux et instructifs. Télle est encore une tra- duction interlinéaire de l’art poétique d'Ho- race, particulièrement destinée à aplanir aux jeunes étudians les difficultés que présente le texte de ce morceau, si propre à former leur goût et à enrichir leur mémoire. En 1832 , il fit imprimer une traduction en vers, qui ne manque ni de concision ni d'élé- 614 SUR M. L'ABBÉ ROUSSEAU. gance , des jolis distiques de Muret. plasieurs fois traduits et si dignes de l'être. L'année sui- vante, l'Académie des sciences , arts et belles- lettres de Caen l'ayant choisi pour son prési- dent, il voulut répondre à cet honneur en présentant quelque composition ; ce fut encore une traduction en vers , de la belle élégie de de Properce, intitulée 4 Polus. La pensée du poète latin était partout bien saisie et souvent rendue avec une heureuse fidélité. M. Rousseau appartenait aussi à la Société des Antiquaires de Normandie. Il y fit plusieurs commumica- Uous intéressantes. Lorsqu’en 1833 , le zele infatigable de M. de Caumont eut formé: 'As- sociation Normande, dans le but. si louable d'encourager les progrès de la morale pu- blique, de l’enseignement élémentaire et de l'industrie agricole, manufacturière et commer- ciale, M. l'abhé Rousseau fut nommé membre du comité d'administration , et bientôt chargé de la rédaction de l'Annuaire, dont l’Associa- tion a déjà publié deux volumes. C'était assu- rément faire preuve d'un grand dévouement que d'accepter un travail de statistique aussi étendu. Personne , il est vrai , n'était plus prop'e que M. Rousseau, à le bien exécuter. Ajoutons que personne n'était plus porté à SUR M. L'ABBÉ ROUSSEAU. 6: s’oublier lui: même. On chércherait vainement son nom dans ce livre, destiné à faire connaître tant de mérites divers. Tous ces travaux, quoiqu'Îs paraissent coir- sidérables , n'étaient qu'aecessoires pour M. Rousseau. Eutièrement dévoué à ses fonctions, il se ilivrait assidüment aux études qu’elles exigent. Egalement versé dans les sciences ét dans les lettres, qu'il avait tour-à-tour profes- sées, il ne négligeait pas d'entretenir et d’aug- menter ses. connaissances. Aussi, dans les examens de-tout genre: auxquels il était ap- pelé ; étonnait-il par la richesse et la PRES de ses souvenirs: Le caractère de M. l'abbé Rousseau peut se résumer dans ces trois qualités principales : bonté , simplicité | modestie. 1 sappltiqua toute sa vie à pratiquer cette waxime évan- gélique : Juire le plus de bien possible; en se laissant ignorer. Sans ce secret absolu dont il enveloppait ses bonnes actions, que n'aurions-nous pas à raconter ? Depuis sa mort, des personnes qu'il avait obligéés de sa bourse se sont fait connaitre pour sés débiteurs. Mais, issu d’une humble famille’; c'est principale- ment sur elle qu'il répandit ses bienfaits ; et, pour n’en citer qu'un seul, une école ouverte “ 6:16 SUR M. L' ABBÉ ROUSSEAU. par ses soins et entrètenue à ses frais offrit, pendant plusieurs années, une instruction so- lide à ses neveux et en même temps à toute la Jeunesse de Mazières. M, l'abbé Rousseau aimait tendrement son Pays natal. Il allait chaqne année y passer les vacances , au milieu de ses parens ‘ét de ses amis, qui retrouvaient toujours en lui la même bonhomie. Il était du commerce le plus com- mode et le plus sûr; modéré dans ses opi- nions, plein de tolérance pour celles des autres, ennerni de toute discussion, Il montrait une gaité douce dans l'intimité ; et partout. une égalité d’ame inaltérable. On ne l’entendit Jamais se plaindre ni des hommes ni des choses, quoique pendant le cours de sa longue carriere il n’eût pas échappé à la loi commune : ais il s'était nourri de cette philosophie di- vine qui enseigne à se résigner et à souffrir. Dans les affaires les plus fàcheuses il envisa- geait toujours le côté consolant. Ainsi, quoique depuis trois ans il sentit s’aggraver cette ma- ladie cruelle qui causait de sérieuses inquié- tudes à ses amis, il ne manquait pas de raisons pour les rassurer et pour se tranquilliser lni- même. Cependant, parti de Caen dans les premiers jours du mois d'octobre , pour se # SUR M. L'ARBÉ ROUSSEAU. O17 rendre à Mazières, selon sa coutume, ses souffrances devenues plus vives lobligéerent de s'arrêter à Tours. Afin de recevoir plus commodément tous les secours qu’exigeait son état, il entra dans la maison de santé tenue par les religieuses connues sous le nom .de Dames-Blanches. C’est là, qu'environné des soins les plus attentifs et de toutes les conso- lations de la religion, il mourut, le 12 no- vembre 1835, avec la foi d’un chrétien et la résignation d’un sage , laissant une mémoire également chère à sa famille, à ses amis, à l'Université et à l’Académie de Caen. F "pra # at: troie de périple: Fate ijematigms A se mnt rome D: 22 DAC è Dans fes attire ESpia seat doter Ipdthgonso iaute PALM FE à repas. Sant amd Late Sara mins CT CR D qi “sd seb mm té murcrpnant pas dévraiseuns Pise ls LPPTTACES “t over: ra NépaeE a LS CNP Cepitdanesh part. dé Caen dti fer prenne. dors de tuës : d'onde, panel ve En en nu 5e, à NOTICE SUR LA VIE ET LES TRBAVATK ANATOMIDUES DE M. J.-F. AMELINE, PROFESSEUR D'ANATOMIE A L'ÉCOLE SECONDAIRE DE e MÉDECINE DE CAEN. Tor db. Eudes-(JDesfongehan ps n DOCTEUR EN CHIRURGIE ; DOCTEUR ÈS - SCIENCES , PROFESSEUR D'HISTOIRE NATURELLE A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE CAEN, SECRÉTAIRE DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE , MEMBRE RÉSIDANT DE L'ACADÉMIE D£S SCIENCES, ARTS ETF BELLES-LETTRES DE LA MÊME VILLE. La " \ No VC. AN TRE aatarhasaé , va 4 ; LE DT LT ‘amsn , TE Bar AR Mn dia TS “a "4 Au à 2 abs Cn mn É DUAL us É £t : SON TS daté à, PL SES QE) DL A2 D 2 à | l 2} rt NL at nya, ape. 6 hit. LR jte pe É “ LL] 11 su où PPT a de Lu 4ù 4. "US : tu 4 EUR à | ; | F1 x e\ À Û 4 « 1 NOTICE SUB LA YVES ET LES TRAVAUX ANATOMIQUES De SH. 3.-5, Ameline, Professeur d’ Anatomie à l'école secondaire de Médecine de Caen, membre de La société de médecine, de L’'Aca- démie des sciences , arts et belles-lettres , de la société Linnéenne de la méme ville ; associé-correspondant de l'académie royale de médecine de Paris, de la société royale académique des sciences, du cercle médical, de la société des méthodes d'enseignement , de l'athénce des arts de la même ville, de la societé de médecine du département de la Seine , correspondant de la société de médecine pratique de Mexico. Si, dans la société, on voit trop fréquem- ment des hommes occuper des emplois qu'ils ne peuvent ou ne veulent qu'incomplètement remplr , par une heureuse compensation , il s'en trouve d’autres qui semblent avoir été formés tout exprès pour ceux dont le hasard G22 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES les à pourvus ou qu'un choix éclairé leur a confiés. M. Ameline était bien certainement du nombre de ces derniers : il serait difficile de trouver un professeur qui ait mieux com - pris sa tâche et se soit livré à son genre d’en- seignement avec plus de zèle et de passion. . Pénétré de l'importance extrême des connais- sances anatomiques pour préparer aux études et à la pratique médicales , il se regardait comme personnellement intéressé à ce que tous ses élèves, en sortant de ses cours , eussent ac- quis des connaissances solides et étendues dans cette branche de la science de l’homme qu'il était chargé de leur enseigner. Aussi employait-il toutes sortes de moyens ; ce qu'il voulait faire connaître , il le présen- tait sous toutes ses faces; il se mettait à por- tée de toutes les intelligences ; le temps , la longueur des leçons, leurs fréquentes répéti- tions , jusqu'à ce qu'il fut parfaitement com- pris, rien ne lui coûtait. Il fournissait aux plus zélés les moyens et les occasions de s’ins- truire , il excitait les indifférens par l’émula- tion, il gourmandait vigoureusement les pa- resseux ; il passait pour ainsi dire sa vie au milieu de ses élèves. Aussi, l'aimaient-ils com- me un pére , et ils avaient bien raison ; car DE M. AMELINE. 6a3 personne ne leur portait un plus vif intérèt. Sur un plus vaste théâtre, M. Ameline n’au- rait pas, peut-être , rendu les mêmes services. Il ne prétendait pas enseigner l'anatomie d’une manière dogmatique et transcendante ; il ne visait point à faire! de fastueuses lecons , à éta- ler une vaste érudition, toutes choses plus propres à faire briller le talent du professeur qu’elles ne profitent, en définitive, au com- mun des étudians. Il savait fort bien que s’il se trouvait, parmi ses auditeurs, des intelli- gences supérieures , elles sauraient toujours s'élever par elles-mêmes ou se perfectionner ailleurs ; mais ce qu’il savait bien aussi, c’est que l'anatomie pratique, telle qu’il voulait et qu'il devait l'enseigner, était déjà, pour le plus grand nombre, une chose assez vaste et assez difficile ; qu’ilne suffisait pas d’avoir vu et comprisune fois ledétail, l’ensemble et le jeu de tous ces ressorts merveilleux composant la ma- chine humaine, qu'il fallait surtout que la mé- moire füt préservée contre les chances d’oubli d’où peuvent dépendre d’irréparables fautes ; il voyait paravance ses élèves devenus médecins , n'ayant plus que de rares occasions de revoir cette anatomie qui doit être le flambeau du praticien. 4o 6: VIE ET! TRAVAUX ‘ANATOMUIQUEFS Avant de retracer: les efforts faits par: M. -Ameline pour faciliter Pétude de lanatomie et la mettre à portée de tous , je rappellerai suc- cinctement les principaux événemens de sa vie. Cette vie fut marquée par un grand nom- bre de bienfaits : car, au talent d’habile pro- -fesseur, M. Ameline joignait toutes les qua- lités qui font l'homme de bien ; non seule- ment lhomme irréprochable , mais Fhomme faisant le bien activement, en suivant l'im- pulsion de son cœur , et sans en attendre d’aur- tre récompense que le contentement intérieur d'avoir été utile à ses semblables. : Jean François Ameliné naquit à Caen, le 28 août 1763. Ses parens, peu favorisés de la fortune ,.ne négligérent pas cependant son édu- cation ; il fit ses études au collége du Mont. Vers l’âge de 18 ans, il commenca l'étude de la chirurgie sous M. Bénard, chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu de Caen; il suivit ses le- çons pendant plusieurs années, fut un de ses meilleurs élèves et devint chirurgien interne ‘dans cet hôpital. Il fit un voyage à Saint Domingue , en qualité de chirurgien d'un bâtiment marchand ; il ne séjourna que peu de temps dans cette colonie. À son retour , il fut passer une an- DE M. AMELINE. 625 née à Paris ,‘il y suivit pendant quelques mois des leçons de clinique et d'anatomie du célèbre Desault ; il obtint ensuite, au concours, le premier tablier, äans le service de Saba - tier, à hôpital de la Charité. Il revint dans sa ville natale et entra, com- me élève gagnant maïtrise , chez M. Amiel, chirurgien ; il y resta jusqu’en 1787, époque où il fut reçu maitre en chirurgie par la core poration des chirurgiens annexée à l’ancienne faculté de médecine de Caen. Il ne tarda pas à se former une clientelle et à gagner, de la part des malades , une confiance fondée sur ses connaissances , son adresse et ses quali- iés morales. Je n’ai pas besoin d'annoncer pompeusement qu'il soignait les pauvres avec autant d’empressement que les riches , et, qu’envers les premiers il ne se borna pas, quand il le put, aux secours de son art. Dans le commencement de sa pratique , une épidé- mie meurtrière eut lieu à Caëéñg/là rue des Boucheries , où demeurait M.'Ameline , fut une de celles où il y eut le plus de malades: tous, un seul excepté, s’adressèrent au jeune débutant ; il remplit auprès d'eux les fonc- tions de chirurgien et de médecin; jour et nuit il visitait et pansait ses malades; un pharmacien 626 VIF ET TRAVAUX ANATOMIQUES dû quartier, M. Fossey, fournissait gratuitement les médicamens qu'il prescrivait ;. car il est à noter que presque tous étaient indigens. Il ent le bonheur de ne perdre aucun de ses malades ; par un hasard assez singulier, le seul qui mourut dans la rue des Boucheries futprécisé- ment celui qu’un autre médecin avait soigné. Cette circonstance ne contribua pas médiocre- meut à mettre M. Ameline en vogue. Quiconque n'eüt vu qu’en passant M. Ame- line, ne se serait guère douté de ce qu'il était envers ses malades. Vif et un peu impatient de sa nature , il était auprès d'eux d’une pa- tience et d'une complaisance extrêmes ; brus- que en paroles et en actions dans les cir- constances ordinaires, il était, pour les ma- lades , doux et affectueux. Et ce n’était point de sa part calcul de convenance et de néces- sité , c'était la manifestation vraie et sincere de ce qu'il éprouvait pour les souffrances d'autrui - Avec des formes tant soit peu rudes , le caractere de M. Ameline était la bienveillance et la bonté jointes à la franchise ; plein d’équi- té et de droiture , tout acte injuste le révol- tait. Quoique souvent dupe de son, extrême confiance , il ne préjugeait jamais de mau- DE M. AMFLINE. 627 vaises intentions; il ne croyait à une perfidie que quand elle était avérée : il semportait alors, c'était un ouragan ; mais , sa colère cal- mée , il était prêt à obliger celui qui Pavait offensé. Quand il put étre utile , on ne réclama ja- waïis en vain son secours; et, envers bien des personnes,il poussa loin l’obligeance : plusieurs orphelins , parens ou alliés, ont été élevés dans sa maison ; il leur a procuré des établis- semens avanfageux , secondé efficacement, en ces œuvres méritantes, par la femme vertueuse qui fut la compagne de sa vie. Les ficheuses rivalités qui divisent trop souvent les médecins d'une même ville ou d’un même canton, lui étaient odieuses; et s'il fut forcé d'en partager quelques-unes , le tort ne fut pas de son côté; en un mot, il fut bon confrère, chose rare aujourd'hui. Les jeunes médecins venus à Caen pour exercer leur art, trouvèrent constamment en lui un zélé protecteur ; non seulement il s'empres- sait de répondre à leur appel lorsqu'ils crai- gnaient pour leur malade, et par suite pour leur réputation future , mais encore il les pro- nait , il les encourageait et soutenait leur espoir dans les mauvais succès. Il faisait aux autres ce 618 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES qu’en leur place il aurait voulu qu'on lui eût fait à lui-même. Philosophe pratique et sans prétention , moraliste'en actions bien plus qu’en préceptes, il sut pardonner les injures, même de la nature de celles qui laissent de plus profondes traces. Je pourrais citer plusieurs faits , un entr’autres que plusieurs personnes connaissent ; je lo- mettrai néanmoins, et je cède à des considé- rations de convenance; car , en citant d’un côté une action généreuse, j'aurais de Pautre à retra- cer une infime conduite, j'aurais à remuer des cendres qui reposent depuis long - temps dans la tombe; laissons-les dans l'oubli. Sa bienveillance et sa bonté n'étaient point les élans passagers d’un cœur eompatissant ; elles étaient à l'épreuve du temps , et sa cons- tance à consoler les malheureux ne se lassait point. Je citerai entr'autres un de ses collègues à l’école de médecine de Caen, affecté d’une carie vertébrale accompagnée d’abcès et, par suite, de paralysie des membres inférieurs , maladie à laquelle ilsuccomba après plus de deux années de souffrances. Pendant tout ce temps, M. Ameline ne cessa de le visiter’ chaque jour ; il le pansait lui même ; lorsque ses occupations lui laissaient un moment de loisir , il venait DE M. AMELGNE. 629 passer une heure ou deux pour faire compa- gnie au pauvre malade, causer avec lui, le distraire de son mal. Pendant les beaux jours, il le promenait dans sa voiture, il cherchait à soutenir son espoir , à ranimer son courage, à calmer son esprit aigri et abattu. Que d'actes pareils je pourrais citer et combien d’autres que j'ignore; car M. Ameline ne mettait point d’ostentation dans detelles œuvres, c'était pour lui chose toute naturelle ! s Si M. Ameline avait dans le caractère un grand fond de bonté , il ne manquait pas d'énergie et savait se montrer dans l’occasion. En 1796, il fut envoyé , par M. Vernet , chi- rurgien en chef des armées , à l'hôpital militaire du Mans , où régnait alors un grand désordre ; le médecin ordinaire de cet établissement, dans l'impossibilité de faire exécuter ses prescrip- tions, et en butte à de violentes menaces, avait cessé de faire ses visites. M. Ameline , décidé à mettre les mutins à la raison, entra dans une salle de galeux qui s'étaient révoltés. et avaient démonté leurs lits pour s'en faire des armes. Il les trouva rassemblés et comme re- tranchés à l'extrémité de ia salle ; armé seule- nent d’une paire de ciseaux , il s’avança d’un pas ferme et d’un air déterminé , à1l vint saisir 630 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES au milieu du groupe celui qui paraissait l’insti- gateur du soulèvement et le fit conduire en prison. Cet acte d'énergie en imposa et l’ordre fut rétabli. Voiei un autre trait de vigueur et de courage qui valut à M. Ameline une singulière récom- pense. En 1795, deux représentans furent envoyés à Caen pour activer le recrutement de l'armée; déjà plusieurs levées avaient été faites coup sur coup; celle ci portait parti- eulièrement sur les récalcitrans ou ceux qui n'étaient point partisans de l’ordre de choses existant alors. Les jeunes gens que l'affaire regar- dait particulièrement, se réunirent dans la prai- rie voisine de la promenade du Cours, pour dé- libérer sur le parti à prendre, de résister ou d'offrir des remplaçans. La municipalité , in- formée de cette réunion, envoya un espion pour savoir ce qui s’ypassait. Celui-ci s’introduisit dans les groupes où péroraient les orateurs ; il fat recennu ; des cris & l’eau l2 mouchard se firent entendre;lestèêtes étaient montées, l'exéeu- tion allaitsuivre là menace , la rivière était à deux pas. M. Ameline se trouvait dans un autre groupe ; apercevant ce qui se passait, il s’élanca au milieu des imprudens dont lexaspération étaita son comble etquitrainaient àlarivière, par DE M. AMEÉLINE. G31 le plus court chemin, le malencentréux émis- saire ; sans s'amuser à haranguer (il n'y avait pas de temps à perdre }, il culbuta à coups de poing et de canne les acteurs de cette tragédie improvisée, et arrachant de leurs mains le pauvre diable plus mert que vif, il le porta jusqu’à la barrière de la promenade voisine et le lança par dessus. En racontant cette anecdote, M. Ameline disait qu'il ne pouvait s'expliquer la force museulaire qu'il trouva en cette circonstance ; car il porta, au bout de ses bras, en courant , l'individu l'espace de plus de 200 pas. Ce misérable, échappé à une mort certaine, courut rendre compte de sa mission, ou mieux de sa mésaventure, à Ceux qui l'avaient envoyé, et le premier aréstocrate qu'il dénonça fut M. Ameline, lequel , d’apres cette recommandation, fut coucher en prison ou il resta six semaines. Ses mœurs étaient simples, son caractere expansif el gai. Si pendant le cours de sa vie il éprouva quelques revers , si des inquiétudes et des chagrins vinrent traverser son existence, leur pénible impression fut de courte durée : il trouva , dès ce monde, la récompense due à ses vertus, le calme et la paix d’une bonne conscience. à 65 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES Ceux qui ont eu de longs rapports avec M. Ameline:ne taxeront pas d'exagération le tableau du caractère de cet exceilent homme et n'attribueront pas à un sentiment de re- connaissance, d’ailleurs bien naturel (1), ce qui nest ici que l'expression simple de la vérité. Dèésle temps que M. Ameline était étudiant, il s'était fabriqué pour son usage différentes pièces d'anatomie artificielle dans le but de mieux graver en sa mémoire certains ra p+ ports qu'il avait de la peine à retenir; mais ces essais étaient plutôt des moyens mné- moniques qu’une véritable imitation des par- ties qu'ils étaient destinés à représenter. _ Lorsque, en 1808, il fut nommé professeur d'anatomie à l’école de médecine de Caen , son embarras ne fut pas petit: il n'avait à sa disposi- tion aucune collection anatomique, pas même les pièces ostéologiques indispensables. I fallut en préparer ; il était à la fois professeur et pré- parateur , il ne quittait point Famphithéatre, Quand il eut mis quelques jeunes gens enétat de faire des préparations , ileutun peu de répit (1) L'auteur de cette notice a été l'un des élèves de M, Amcline, auquel il a toujours porté le plus vif intérêt, DE M. AMELINE. 635 et ne redevint son prosecteur ‘que lorsque la science des siens était à bout , ce qui souvent arrivait, Quoiqu’on lui eût accordé une partie des cadavres de l'Hôtel-Dieu et ceux de la maison centrale de Beaulieu (1), il arriva fré- quemnieut qu'il n’en eut pas la quantité né- cessaire pour fournir à ses legens et exercer les étudians aux dissections. Il sentait combien lui eût été avantageux un cabinet anatomique ‘pour revoir à loisir tous ces ressorts compli- qués , étude indispensable aux élèves et qui n'est pas sans utilité pour le professeur , même exercé, Il résolut de s'en créer un; mais considérant les inconvéniens des pièces natu- relles desséchées, où les formes s’altèrent et les rapports ne se conservent qu'imparfaite- ment, ses premiers essais d'anatomie artifi- cielle lui revinrent en mémoire ; il forma le projet de perfectionner ce genre d'imitation et de le rendre d’un usage commode: il y travailla avec ardeur. Il commenca par faire des muscles, et ces tentatives furent satisfai- santes ; puis il en vint à figurer les vaisseaux et les nerfs; enfin il entreprit de simuler la plupart des appareils et organes des fonctions spéciales. (1) Alors bien moins importante qu’elle n’est aujourd'hui, 634 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES 11 fabriqua ainsi un certain nombre de préparations représentant , soit l'homme en- tier , soit quelques régions isolées , dont ilse servit fréquemment dans ses cours , non pour remplacer le cadavre , comme on a voulu le lui reprocher , mais pour compléter , pour assurer les notions acquises sur la nature. Il démontait et remontait ses pièces devant les élèves , il interrogeait lenrs souvenirs , il fai- sait comparer le modèle et imitation. Et certes ces sortes d'exercices n'étaient pas sans fruits; tous ces rapports si compliqués se casaient méthodiquement dans l'esprit des auditeurs ; ils s’y gravaient d’une façon plus complète et plus rapide que si le professeur se fût barné à une démonstration pure et simplé sur la nature. H s'enthousiasma pour son procédé ;il pensa que d’autres que lui pourraient s'en servir avec avantage. Son désir fut d'attirer l'atten- tion des savans et du gouvernement sur ses pièces ; il espéra pouvoir former, sous sa direc- tion, un établissement où l’on fabriquerait des pièces destinées à faciliter l'étude de l'ana- tomie dans plusieurs soites ’enseignemens , et à douner une connaissance suffisante de celle science à une foule de personnes qui, bien n DE M. AMELINE. 635 qu'étrangères à l'art de guérir ; eussent été satisfaites d’avoir des notions précises sur la structure de l’homme, mais que l’idée de les acquérir sur des cadavres en avait toujours éloignées, Il présenta donc une partie de ses pièces aux principales sociétés savantes de la capi- tale ; il en fit des démonstrations publiques dans le local qu'il habita momentanément à Paris; il publia en même temps une bro- chure (1} où étaient mentionnés les avantages quelles pouvaient. offrir pour: l'étude , soit aux élèves, soit aux gens du monde. Les diverses sociétés savantes, au jugement desquelles M. Ameline soumit ses pièces, firent des rapports favorables; la plupart expri - mérent le désir que ce moyen matériel d’en- seignement füt encouragé par le gouverne- ment, et que des pièces semblables fussent déposées dans les établissemens d'instruction publique, tels que les colléges royaux, par exemple , où déjà lon commençait à ensei- gner les sciences physiques et particulièrement l'histoire naturelle. (1) I y compare son procédé avec tous les autres moyens arüficiels connds , il apprécie les avantages et les inconvé- niens de ceux-ci ; il donne, comme de raison , la préférence au sien, et en cela l'assentiment fut à peu près unanime, 656 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES M. Ameline se livra à l'espoir d'établir , sous la protection du gouvernement , une école de iuodelage suivant son procédé ; il se créa à ce sujet de, brillantes chimères qui ne se réa- liserent point. 1] se fondait sur l'exemple du célebre Laumonier de Rouen, auquel le gou- vernement impérial donna les moyens d’éta- blir une école de modelage en cire et com- manda , pour des établissemens publics, plu- seurs pièces qui furent payées un prix fort élevé. M. Ameline oubliait que Laumonier était proche parent d'un ministre, et, qu’en pareille occurrence , une telle alliance est un grand élément de succés. D'ailleurs les pièces anatomiques de Laumonier, inférieures à celles de M. Ameline sous les rapports de la soli- dité et de la commodité , leur sont bien supé - rieures sous le rapport de l'art, je veux dire de cette ressemblance complète et parfaite entre le modèle et la copie. En effet, les pièces de M. Ameline n’oni point ce modelage soigné , ce fini précieux qui frappe au premier aspect, qui séduit aussi bien les hommes de la science que les simples amateurs ; car , tout en reconnaissant que l’ensemble et les principaux détails ne man- quent pas de vérité, on aime à retrouver, DE. M. AMÉLINE. 637 dans les choses d'imitation ; plus que des à peu près. M. Ameline avait toute l'adresse manuelle nécéssaire: pour composer l’ernsem- ble de ses pièces ; son esprit ingénieux lui fournissait une foule de secours inattendus pour Pagencement des parties entre elles, tout en ménageant les moyens de les isoler et de les replacer , sans: nuire à la solidité et saps qu'il s'ensuivit de déformations; ce qui lui manquait, sans doute, c'était le sentiment artistique , l’idée du beau dans l'imitation ; car je puis aussi employer cette expression dans un pareil sujet : tout ce qui est exact et vrai est beau d’une manière absolue. M. Ameline nattachait peut-être pas assez d'importance à cette ‘précision des formes , à cette res- semblance sévere jusque dans les plus petits détails ; il lui suffisait que la nature fût copiée en gros. Ses pièces entières surtout , montées sur des squelettes naturels (1) qui perdent, par l'affaissement des cartilages et le dessè- chement des ligamens, quelque chose de leurs proportions, ont, dans certaines parties, des formes lourdes et une sorte de raideur dis- (1) On nomme ainsi,en termes anatomiques , ceux dont les os sont restés réunis par leurs propres ligamens des- 4 x L séchés, 638 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES gracieuse; ces défauts se font particulièrement remarquer aux endroits où sont rassemblés un certain nombre d'os peu volumineux, tels que la colonne vertébrale , la cage osseuse de la poitrine , les pieds et les mains; sans dé- iruire l'exactitude anatomique , ils nuisent à l'effet pittoresque , et quoique celui-ci ne soit pas le but principal, il ne doit pas étre né- gligé: il influe , sans que l’on s'en doute , sur. le jugement que l'on porte de l'œuvre scientifique. Pendant plusieurs années, M. Ameline fit des démarches pour obtenir du gouvernement la fondation d’une école de modelage ; il ne renonça à cet espoir que lorsqu'il lui fut bien démontié qu l perdait son temps et ses peines. Durant cet intervalle, un autre anatomiste , M. Auzoux, s'occupait de préparations d’un genre analogue, sinon semblable ; il prit, pour les faire connaître, la même voie que M. Ameline , c’est-à-dire qu'il les présenta aux sociétés savantes de Paris, qu'il en obtint des rapports, qu'il fit chez lui des démons- trations et publia quelques brochures ; plus heureux que son prédécesseur , il obtint du gouvernement quelques commandes de pièces pour des établissemens publics. Cette préfé- DE M. AMELINE. 639 rence accordée à celui qui venait après lui, était peu flatteuse pour M. Ameline : mais ce qui l’af- fligea davantage fut de voir que, dans ses bro- chures , M. Auzoux ne se contentait pas de vanter ses pièces, mais qu'il exaltait leur mé- rite en dépréciant celles de son prédécesseur. Peu de temps après que M. Ameline eut fait connaître ses préparations et long-temps avant qu'il fût question de celles de M. Auzoux, celui-ci vint à Caen; recommandé par un ami commun , M. Ameline s’empressa de lui faire voir en détail toutes ses pièces, car il aimait aussi à faire ces sortes de communica- tions. Il est bien supposable que la visite de M. Auzoux n'avait point pour but de surpren- dre le procédé de M. Ameline, mais de com: parer les deux méthodes de travail. Cepen- dant il est possible aussi que M. Auzoux ait pu profiter des moyens ingénieux et variés par lesquels M. Ameline était parvenu à rendre mobiles la plupart des pièces de ses manne- quins , sans que les formes s’altérassent etsans nuire à leur solidité. C'était là la grande, la principale difficulté du problème , et M. Ame- line l’a résolue. Quoi qu'il en soit, M. Ame- line conserva rancune à M. Auzoux : il le fit bien voir dans une petite brochure, échappée âr 6Ao VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES de sa plume , lorsqu'il eut connaissance des imprimés où les pièces de M. Auzoux sont vantées aux dépens des siennes. Qu'en profitant des travaux de M. Ameline ou ait fait mieux que lui , cela se conçoit ; que d'un autre côté la préférence ait été donnée aux objets le mieux confectionnés , cela se conçoit de même; mais, que M. Ameline ait été laissé volontairement dans l’oubli , sans le moindre dédommagement, c’est ce qu’il est fà- cheux de dire, mais c’est ce qui doit être dit. Plusieurs personnes de quelqueinfluenceauprès du gouvernement d'alors demandèrent, pour M. Ameline, la décoration de la légion d'honneur, et ce fut sans succès. Tous ces petits désap- pointemens et d’autres encore, affligèrent M. Ameline sans le décourager. Il n'avait rien pour lui, mais il travaillait pour ses élèves : aussi continua-t-il de faire une foule de pré- parations qui rendirent de plus en plus facile la démonstration et la connaissance des or- ganes les plus compliqués de la machine hu- maine. Cependant la longue et laborieuse carrière de M. Ameline ne s’est pas terminée sans qu'il ait reçu le témoignage que ce qu'il avait fait pour l'instruction n’était point oublié. Lors du D£ M. AMELINE. Gur passage du Roi à Caen, en août 1833 , il fut enfin nommé membre de la légion: d'hon- neur. Les pièces d'anatomie artificielle confec- tionnées par M. Ameline sont fort nombreuses; il faudrait un volume pour en donner une description succincte ; j'indiquerai les princi- pales. | I. Deux pièces entières représentant l'hom- me débout , les bras pendans ; Vune n'a que les muscles et les vaisseaux veineux sous- cutanés , l’autre présente une imitation de l'ensemble de l'organisme, c’est-à-dire les mus- cles, les nerfs, les vaisseaux et les viscères. IT. Une pièce entière dans l'attitude d'un lut- teur, muscles seulement. Le but de cette pièce est de démontrer combien les formes des mus- cles sont susceptibles de varier suivant leur état de contraction ou de relâchement et les diverses attitudes. Lorsqu'on les étudie sur le cadavre , les muscles sont toujours vus dans l'état de relächement et à peu près dans la même posture, c’est-à-dire l'homme couché : la mémoire les enregistre tels ; il faut y réflé- chir, en faire l’objet de recherches particu- lières pour se représenter leurs mille modi- fications. Le lutteur de M. Ameline est des Ga VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES tiné à frapper les yeux même inattentifs , et à leur enseigner le polymorphisme musculaire. Ce genre d'étude, d’une haute importance pour les peintres et les sculpteurs, est fréquemment utile dans l'exercice de la chirurgie lorsqu'il s’agit d'aller à la recherche de corps étrangers qui ont pénétré dahs les chairs et d'expliquer lenr trajet souvent fort tortueux. UL. Autre pièce entière, enfant de 8 à 10 ans, muscles d'un côté seulement. Gette pré- paration est destinée à faire saisir l'ensemble des rapports entre les organes passifs et actifs du mouvement, c’est-à-dire des os et des mus- cles, les attaches de ceux-ci ; en quoi ils con- courent aux formes de l’hommeé, etc. IV. Autre pièce entière, l’homme transpa- rent, muscles, vaisseaux et nerfs. Quel est l’ana- tomiste et le physiologisie qui n’ait cherché parfois à se réprésenter l’homme comme s’il était formé de matière transparente, de manière pourtant que chaque organe se déssinât par- faitement , que l’ensemble de toutes les pièces de cette admirable iachine et leur jeu se lais- sassent apercevoir ? Sans doute, l’anatomiste conçoit tous ces organes et leurs actions, mais c'est par la réflexion qu'il en voit ou plutôt qu'il en comprend l’ensemble : M. Ameline LR tac ut ei. DE M. AMELINE. 643 aurait voulu le montrer aux yeux; car, pour lui, l'anatomie était avant tout une science d'images. Il tenta de réaliser cette pensée auda- cieuse. Dire qu'il réussit complètement , ce serait affirmer qu'il accomplit l'impossible ; mais la pièce consacrée à cette représentation phantastique est extrêmement ingénieuse , et montre plus que toute autre peut-étre com- bien son esprit savait se créer de ressources et vaincre de difficultés. Les attaches des muscles et leurs bords libres sont figurés. et.montrent ainsi leurs délimi- tations; pour indiquer leurs parties centrales et la direction des fibres, quelques bandes étroites de carton soutenues par des fils mé- talliques vont d’une attache à l’autre; la situà- tion des muscles et la direction de leurs fibres sont convenablement indiquées et leurs formes se laissent assez bien deviner; chaque muscle forme pour ainsi dire nne sorte de gril dont les barres sont écartées autant que possible. Quand une région musculaire est compliquée, chacun des muscles est colorié d’une manière différente. Au milieu et au travers de tous ces muscles s’aperçrivent les principaux nerfs et vaisseaux, ainsi que les os servant de base à l'édifice. Toutes les régions n'ont pu , on le C44 VIE EÏ TRAVAUX ANATOMIQUES pense aisément , être rendues aussi bien les unes que les autres: une de celles qui m'a semblé reproduite avec le plus de bonheur, est la ceinture musculaire entourant l'abdomen; l'entrecroisement des muscles , la reptation des vaisseaux et des nerfs sont exprimés d’une manière satisfaisante. | V. Un grand nombre de pièces particulières pour l'étude des muscles ; membres entiers, portions de membres , diverses parties du tronc , la téte, le pharynx, etc. Toutes ces pieces isolées , beaucoup plus commodes à ma: nier et à démonter que les pièces entières; étaient particulièrement destinées aux démons: trations ; la plupart ont pour but spécial de rendre facilement saisissables quelques super- positions et rapports difficiles à comprendre et à bien voir sur le cadavre. VI. Pièces isolées représentant les ligamens et les capsules synoviales des grandes articu- lations. VII. Pièce entière montrant l’ensemble des vaisseaux et des nerfs, sans muscles. Aux mem- bres , les vaisseaux sont maintenus dans leur situation naturelle, au moyen de rondelles de carton placées perpendiculairement à la direction des os. Ces rondelles sont taillées de DE M. AMELINE. 645 manière à représenter la coupe exacte du mem- bre dans le point où elles se trouvent ; la coupe des muscles y est indiquée par un tracé. , VIII. Plusieurs pièces isolées représentant certaines régions où les vaisseaux et les nerfs ont des rapports compliqués. IX.Plusieurs pièces figurant le cœur, suscep- tibles de se démonter, destinées à simplifier l'étude de la structure et du mécanisme de cet organe. : s X. Plusieurs pièces représentant les enve- loppes du cerveau et les sinus veineux. XI. Plusieurs modèles de cerveaux qui se séparent suivant certaines coupes pour mon- trer les diverses parties de cet organe. XI. Plusieurs pièces d'anatomie topogra- phique destinées à présenter, avec tous les détails désirables , la superposition des parties depuis la peau jusqu'aux os : telles quela région antérieure du cou , laisselle, laine, le jarret, le périnée, etc. * XIII. Diverses pièces pour l'étude et la dé- monstration des viscères, tels que les poumons, les canaux aériens et leurs rapports avec les vaisseaux pulmonaires , le foie avec ses divers ordres de vaisseaux sanguins,la vésicule biliaire, 646 vik ET TRAVAUX ANATOMIQUES les canaux cystique et hépatique ; le pancréas, ses rapports avec le duodénum; les organes urinaires etgénitaux, leurs rapports desituation réciproques , etç. XIV. Le larynx, l'œil, l'oreille avec des dimensions gigantesques. Ces pièces sont d’un grand secours pour la démonstration d’organes dont la structure est si délicate et si compli- quée. L’oreille surtout est un écueil pour la plupart des étudians; la petitesse des objets, le nombre des détails et la difficulté de se recon- paître dans ce dédale, les rebute etles décou- rage; L’oreille interne de M. Ameline se dé- monte; on parvient sans peine à saisir l'en- semble et les rapports de toutes ses parties ; en un quart d'heure, on en a plus appris avec cette pièce qu’on ne pourrait le faire , en plu- sieurs jours , avec les préparations ordivaires, et au moyen des meilleures démonstrations et descriptions écrites. XV. Quelques pièces relatives à l'étude des acouchemens. X VI. Pièces relatives a l'étude des dssatr, où sont représentées leurs diverses espèces pour chaque articulation , les nouveaux rapports que prennent les os déplacés entr’eux et avec les muscles, les nerfs , les vaisseaux et autres parties situées dans le voisinage. DE M. AMELINE, 647 X VIL Diverses pièces pour l'étude des her- nies. J'omets à dessein une foule d’autres pièces rentrant plus ou moins dans celles que je viens d'indiquer , et destinées , comine elles , à mettre dans tout leur jour les parties Re bi l’homme. On conçoit qu’au moyen de ces imitations si favorables à la description d'objets presqué tous compliqués, jointes au zèle que M. Ame- line apportait dans son enseignement , les élèves devaient sortir de ses Cours avec des connais- sances étendues et précises. On lui a reproché de donner trop d'importance à l’afatomie arti- ficielle , d'enseigner la science par une sorte de mnémonique de mots et d'images, et de uégliger l'étude de la nature. Je lai déjà dit, ce reproche n’est point fondé : dans les lecons, toutes les parties de l'homme étaient vues et étudiées sur le cadavre, les élèves étaient égale- ment exercées à de nombreusesdissections. Il est vrai qu'il revenait souvent à ses mannequins qui même ne lui suffisaient pas, car il employait concurremment diverses planches anatomiques comme on en publie en si grand nombre maintenant ; mais C'était pour répéter ce qui avait été vu sur le cadavre. C48 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES Rien, sans doute, ne peut tenir lieu des dissec- tions ; on y apprend la nature , on s'y exerce à manier l'instrument tranchant , on habitue la main à cette sorte de résistance que présentent, à la division , les divers organes, et cet exercice est indispensable pour la pratique des opéra- tions chirurgicales. Qui doute que l’on ne puisse devenir grand anatomiste et habile opérateur en se bornant à l'étude du cadavre? Mais que l'on veuille bien réfléchir aux capacités et à l'aptitude de la plupart des jeunes gens qui se jettent dans l'étude de la médecine pour avoir un état ( à l’égard de plusieurs je devrais dire un métier) qui veulent aller vite et ne pas se gêner ! Il en est bien certainement qui sont doués d’une grande aptitude, pleins de zèle et de persévérance , mais c’est Le petit nombre ; et combien d’insoucians, de pares- seux , d'hommes à moyens bornés! Si ceux-ci eussent étudié l'anatomie à la maniere ordi- naire , ils eussent effleuré cette partie de leurs études médicales, comme ils effleureront le reste; et, à peine pourvus du diplôme, ils au- raient oublié ce qu'ils avaient appris d’une manière vague et imparfaite. En sortant, des mains de M. Ameline , ils savaient au moins assez d'anatomie pratique pour être à l'abri DE M: AMELINE. 649 de commettre de graves erreurs; leur zélé maitre la leur enseignait de façon à ce qu'ils ne pussent Poublier. : Depuis plus d’une année, M. Ameline éprou- vait, du côté du centre circulatoire , des accidens de nature à donner de vives alarmes, sur leur suite probable, à sa famille et à ses nombreux amis ; il est inutile de dire que M. Ameline lui-même, s'aperçut ur des premiers qu'il était atteint d’un ma! qui ne pardonne pas. Le repos de corps et d'esprit lui eût été bien nécessaire; ilaurait dû surtout s’'interdire Fexer- cice de la parole, lui dont la voix de stenior nécessitait le jeu vigoureux d'organes qu’il fallait désormais ménager ; la chose n’était pas facile owmieux n’était pas possible. Il fit usage, d’après le conseil de quelques-uns de ses amis, de quelques saignées et autres moyens appro- priés à son état ; mais il ne voulut rien changer à ses habitudes : il ne cessa ses lecons et son travail ordinaire que rarement, et quand la violence des accidens le retenait au lit ou cloué dans un fauteuil. Son caractère s’assombrit un peu mais, il cachait autant qu’il le pouvait, à sa famille , ce que sa situation morale devait avoir de pénible; it s’efforçait de montrer encore cette gaité qui lui avaitété si habituelle. 2 650 VIE ET TRAVAUX ANATOMIQUES Un jour , l’auteur de cette notice cherchait, en employant-tous les ménagemens possibles, _à l’engager à prendre quelque repos, et à confier ses leçons à un suppléant: « Qu'est-ce CS que tu me préches là, répondit-il avec sa « brusquerie ordinaire, je ne vis que quand «_ je professe ou que je travaille ; j'ai assez d’un « ennemi qui me ronge; si je ne faisais rien, « j'en aurais bientôt deux autres, l'ennui et « la pensée de mon mal ; laisse-moi occuper à utilement ma tête et mes mains; si Je ne « faisais rien, je serais mort avant six mois. » La mort le surprit, hélas l'avant ce terme, et au moment où rien n’annonçaitencore l’ar- rivée prochaine de cette funeste catastrophe ! Une apoplexie pulmonaire le frappa am milieu de son sommeil, dans la nuit du 3 décembre 1835, à l’âge de 72 ans.Ilfut universellement regretté , et, à plus d’un titre, il devait Pêtre. Ses élèves qui l’aimaient comme un père, sentirent vivement sa perte; ils voulurent donner un der- nier témoignage de la vénération qu’ils avaient pour lui, en portant sa dépouille mortelle jusqu’au lieu de sa sépulture. L’un d'eux , au nom de ses camarades , prononça un discours où leurs sentimens étaient exprimés avec une simplicité naïve et touchante. Les larmes qu'ils DE M. AMELINE. 651 répandirent sur sa tombe, en témoignant leurs regrets et leur reconnaissance, furent un tribut mérité des soins qu'il avait pris de leur instruction. Son fils, M. Francois Ameline, docteur en médecine , lui a succédé dans sa chaire d’ana- tomie à l’école de Caen. = 4 he asc no < a ii dl: “pari Dean oi a Mwertilie : sors 1") éputtirér Lens nr à dar dede creme} proboriggeie dates "Oh ‘hante uéfent éxpirimés ET CNE “ice Mas ul tonte, [NPSLS. S sit: NOFTRCE SUR M. CHÈNEDOLLÉ , ANCIEN. INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'UNIVERSITÉ , MEMBRE DE L'ACADÉNMIE ; ne Ab. ph. Lo Faguais , Membre de l'Académie de la même ville, sms NOTICE SUR D. CHÈNBEDOLLÉ , ANCIEN INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'UNIVERSITÉ , MEMBRE DE L'ACADÉMIE. Sous l'empire, cette sublime exception entre les règnes, cette époque de splendeur domi- natrice, placée comme entre deux parenthèses au milieu de l’histoire du progres de l’art et de la liberté , l'état de la littérature en général, celui de la poésie en particulier fut bien triste et bien pauvre, Les batailles sanglantes occu- paient plus les esprits que les combats à la plume. On ne pensait guéres alors, ou plutôt un seul homme pensait, et tous ceux auxquels il commandait étaient les instrumens de sa pensée. C'était alors le règne absolu des ma- thématiques ; la littérature en paraissait elle- même une division. Malgré la protection dont l'empereur honorait les lettres , elles végé- 42 656 SUR M. CHÊNEDOLLE. taient dans un double esclavage vraiment dé- plorable : la censure et la rhétorique. Pour l'art, vivre ainsi après avoir échappé à la ré- volution , c'était tomber de Carybde en Scylla. Le temps, en passant sur cette époque, a rem- pli sa tâch? ordinaire : il a mis chacun à son rang , chaque chose à sa place; il a replié les toiles enluminées qui cachaient les bas-reliefs de marbre , il a relégué dans l'ombre les blafardes idoles de plâtre qui encombraient le temple et les a remplacées par de nobles statues de bronze et d'airain. La vraie poésie, que l’on eût si vainement cherchée dans les poëmes épiques, didactiques, odes et tragédies de l'empire, s’éveillait ra- dieuse dans la prose de Bernardin de St.-Pierre, de Châteaubriand et de M"°. de Staël; mais elle était inapercue ou n'était pas comprise du plus grand nombre. Car c’est toujours là le sort des créations brillantes. Les pensées neuves, les compositions hardies ont leur temps 'd'é- preuve ; on prétendait d’ailleurs que tout avait été dit et inventé , et qu'il ne restait plus qu’à imiter et à traduire. Tout cependant ne fut pas froideur et sté- rilité poétique dans ces années de conquêtes à l'extérieur, d’obéissance passive à l'intérieur; SUR M. CHÊNEDOLLÉ. 657 la pensée, courageuse parfois, laissa jaillir de vives étincelles ; la lyre, quoique liée à 1me règle et à un compas, laissa échapper plus d'un cri sublime, plus d'une plainte attendris- sante. Ducis, Fontanes, Andrieux, ne sont point à dédaigner ; ils eurent souvent d’heu- reuses inspirations, de bonnes idées. Leurs ouvrages , sans pouvoir aspirer à une grande portée, offraient plus d’un mérite dont il faut leur tenir compte , eu égard à la sécheresse et à la raideur de l’école à laquelle ils appar- tenaient. Dans la balance qui contenait les productions en faveur, on peut oppôser aux licencieux badinages de Parny , les élégies pures et touchantes de Millevoye ; aux tirades interminables des tragiques brevetés , plusieurs drames antiques et modernes de Lemercier , et enfin , aux œuvres banales de tous les hé- ritiers de Bernis et de St.-Lambert, le beau poëme de Chénedollé, qui conservera son nom à l’avenir, car le jugement de la postérité est déjà venu pour le Génie de l’homme. Charles Julien Lioult de Chénedollé naquit à Vire en 1769, le 4 novembre. Dès son en- fance il montra de rares dispositions pour l'étude. Son éducation fut commencée aux Cordeliers, dans sa ville natale ; il fut placé 658 SUR M. CHÉNEDOLLÉ. ensuite au collége de Juilly , où une inscrip- tion en son honneur rappelle encore son sou- venir à ses jeunes successeurs. Il fit des pro- grès rapides dans ses classes, et l'on put prévoir dès ce temps les beaux succès qui lui étaient réservés. Lorsque la révolution fran- çaise éclata, comme il appartenait à la no- blesse , il fut forcé de quitter le lieu de son berceau pour échapper au glaive de la terreur. En séloignant de son pays, si plein de cette poésie que l’on ne sent jamais mieux qu’au jeune âge, pour aller chercher l'hospitalité sur une terfe d’exil , Chénedollé emporta du moins avec lui un sentiment et une puissance poc- tiques, qui devaient être sa consolation. Mèmes goûts ,; mêmes malheurs le rapprochèrent bientôt de plusieurs compatriotes errans comme lui, comme lui non encore célébres. Il connut Châteaubriand, qui est toujours resté son ami, Rivarol, dont la saciété fnt pour lui pleine de charme et d'intérêt. Il eut pour maitre Fontanes, qui devait être son ad- mirateur sincère et son généreux protecteur. A Coppet, ce lieu devenu célèbre comme rendez-vous d’un grand nombre d'illustrations. proscrites, Mme. de Staël sut apprécier notre modeste compatriote, qui conserva toujours SUR M. CHÉNEDOLLÉ, 659 ün vivant souvenir de ces réunions d'élite. Déjà lexilé normand remplissait son porte- feuille de précieux essais; il esquissait déjà d’harmonieux fragmens qui devaient plus tard former un ensemble complet. Il avait visité la Hollande ; il habita long-temps l’Allemagne , et s'y lia d'intimité avec le chantre de la Hes- siade, à qui est dédiée sa belle ode sur l’/Z2- vention. L'amitié d’un poète du mérite de Klopstock devait être d’un grand prix pour Chénedollé, qui, déjà inspiré lui-même par les merveilles de la création , communiquait le fruit-de ses inspirations à une ame heureuse de comprendre la sienne et de l’encourager. Goëthe accueillit le jeune poète français avec une affectueuse cordialité ; il devina tout ce qu'il y avait de sève dans sa pensée et de sou- daineté dans son intelligence. Le temps que Chénedollé n’employait pas en inutiles souhaits de reprendre le chemin du Bocage , il lem- ployait à étudier les nations étrangères. Avec quel enthousiasme il contempla les beautés de la Suisse, pays toujours nouveau , après les mille récits des voyageurs , parce que la nature l’a doté du pouvoir incessant d’exalter les imaginations et d’enchanter les souvenirs. Avec quels transports il admira les richesses CGo SUR M. CHÉNEDOLLÉ. de l'Italie, cette veuve du passé qui né peut plus trouver d’époux digne d’elle ! Quelles précieuses larmes il versa sur ses éloquentes ruines ! Mais la sévérité religieuse, l'autorité philosophique reprenaient toujours chez lui l'empire sur la mélancolie et l’'atténdrissement. Ses Etudes poétiques ; publiées sous la restau- ration datent en partie de cette époque. Le Mont-Blanc, le St.-Bernard, la Jeune Fille dans les ruines de Rome, le Vésuve sont antant de morceaux détachés qui sémblent avoir été écrits sur les lieux. La poésie des- criptive était le genre adopté par lui : la nature posait sous ses yeux; il n'avait qu'à prendre son pinceau et à peindre. Mais il emporte sur les poètes de son temps par l'énergie de l'expression et la hauteur du vol. Il préparait alors le poëme qui devait être sa gloire ; et comme nn travail constant, mais varié, était nécessaire à ses desseins , il faisait marcher de front l'étude des littératures diverses et celle des sciences exactes. C’est donc sur la terre d'exil, et nourri du pain de l'étranger, qu'il créa son œuvre ; il eut cela de commun avec les grands poètes qu’il a chantés. Quand la tempête politique fut un peu cal- mée, cédant à la voix de Fontanes, qui le SUR M. CUËVEDOLLÉ. 66: rappelait en France, et plus encore sans doute au besoin de revoir sa patrie et de redemander de fraiches inspirations à ses beaux vallons normands , il quitta l'étranger. Revenu en France, il y publia son Génie de l' Hornme. Le succès du poëme fut beau. Dés ce moment on assigna à son auteur une place éminente parmi les gens de lettres. Cet ouvrage est di- visé en: quatre chants. [Le premier est consacré à l'astronomie : le poète prend cette science à son berceau chez les Chaldéens , l'accom- pagne en Egypte, en Grèce, et arrive aux temps modernes en décrivant les différens sys- temes Jusqu'à Herschel. Cette première partie, habilement conduite, est riche de hautes penséeset de grandes. images ; elle finit par un hymne à FEternel , plein d'harmonie et d'élé- vation. Le second: chant à pour titre la Jerre et les Montagnes. Tout ce que la nature à de saisissant et de sublime y apparait en couleurs frappantes : dans ce chant, les Alpes sont har- diment mesurées, la peinture des lacs, des glaciers a quelque chose de vrai et de senti; l'entretien avec le vieillard offre un intérêt à la fois scientifique et touchant. Vient ensuite le Vésuve et la mort de Pline, tablean em- preint d’un grandiose majestueux et drama- 662 SUR M. CHÈNEDOLLÉ. tique; cette fin du second chant est digne de rester gravée dans la mémoire. Nous arrivons à la troisième partie : l'Homme , ce roi des êtres, s’y trouve mis en parallèle avec eux. Ses rapports avec Dieu , ses devoirs, ses des- tinées ici-bas et dans le ciel sont tracés d’une manière large, et présentent constamment une force de vérité convaincante qui rappelle l’au- torité des philosophes chrétiens. Il y a là de- dans dn Pascal et du Bossuet. L'épisode de Léon, qui couronne cette troisième partie, est à lui seul un poëme que l’on ne saurait lire sans larmes. C’est une noble et attachante élé- gie, qui aujourd’hui peut encore être méditée avec fruit. Elle fait voir une des plaies de l'humanité qui a été élargie par les déchire- mens de notre époque, et présente tout l'attrait dela nouveauté. Le quatrième et dernier chant a pour titre : la Société. Le poète y peint le génie humain tirant insensiblement les hommes de l’état sauvage; l’agriculture améliorant leur sort; la religion, les lois organisant les nations et leur servant de base; la réunion des hommes enfantant des prodiges; puis l'abus du luxe entrainant la chute des empires. L'histoire des arts est tracée ensuite de main de maître, et un vivant tableau des derniers temps jusqu'à SUR M. CHÊNEDOLLÉ. 663 la restauration termine l’œuvre du poète. Si l’on ne partage pas toutes les idées renfermées dans cette dernière partie, on rend du moins hommage à la sincérité et à la bonne foi de celui qui les a exprimées. Tout en admirant le poëme que nous venons d'analyser rapidement, on peut regretter que les règles d’une sévérité outrée, auxquelles artiste était obligé de se soumettre pour se conformer au goût d'alors, aient jeté parfois une certaine monotonie rhythmique et descriptive dans son travail. Les défauts du poëme de Chênedollé tenaient évi- demment à son époque, ses beautés étaient à lui. Des vers composés sous l'empire et lus encore aujourd'hui, sont assurément de fort bons vers. Trois fois vainqueur à l'académie de Toulouse, il obtint le titre de maitre-ès- Jeux floraux. Ce fut pour lui une parenté de plus avec Soumet, Victor Hugo et Mme. Tastu, couronnés aussi des fleurs de Clémence Isaure. En 1820, Chénedollé publia ses Etudes poé- tiques , recueil d’odes modulées sur différens tons, et qui fut remarqué même pendant les premiers triomphes de Lamartine. Le Gladia- teur mourant, la mer, la chüte du chéne, Isaie, le Dante et Michel Ange, sont des pièces d’une versification savante et forte. Le 664 SUR M. CHÊNEDOLLÉ. tombeau de la Jeune Vierge, les Regrets et la vue du printemps prouvent que notre poète savait trouver dans son cœur l'expression élé- giaque quand son sujet la demandait. A la lecture des imitations de Byron et de Goëthe, on put comprendre , malgré les traces de Jancien genre , empreintes dans plusieurs morceaux , combien l’auteur des £tuwes sym- pathisait avec cette nouvelle école appelée ro- mantique que les régents littéraires accueil- laient de leurs dédains jaloux et impuissans. Tant qu'il a vécu, notre poète est resté l'ami de ses jeunes rivaux: Nous l'avons entendu applaudir aux succès de Victor Hugo , de La- martine, de Sainte-Beuve , d'Emile Deschamps et de bien d’autres qu'il aimait et dant il pré- disait le brillant avenir. Il encourageait de Ja voix et du cœur les efforts qu'ils faisaient pour défricher une nouvelle terre de poésie et d'in- vention. On savait que depuis un grand nombre d'années , Chénedollé s’occupait d'un poëme en douze chants: Titus ou Jérusalem détruite; il en avait même promis la publication dans une préface. Ce travail de géant dans lequel la religion et la puissance des Juifs devaient ètre montrées luttant avec courage pour céder SUR M: CHÉNEDOLLÉ. 663 enfin aux efforts victorieux de Rome idolätre et du christianisme naissant, aurait excité l’in- térêt général ‘an plus haut point. Quoique l'an «n’eût plus foi dans la réalisation d’une épopée, on espérait du moins trouver, dans ce grand onvrage attendu si long-temps, de belles pages fidèlement empreintes des couleurs du passé. On savait aussi qu'il tenait en réserve un recueil de Mélodies Normandes qui devait piquer doublement la curiosité dans notre pays ; eh bien! ïl faut le dire avec douleur, on a en vain cherché ces précieux manuscrits, Il faut que dans un de ces acces de mélancolie cominune à tous les grands poètes, notre Vir- gile ait exécuté ce que son ainé n'avait pu faire, grâce à Auguste. Ce n’est pas la première fois que près de quitter la terre, l'homme recueille son ame dispersée dans ses chants pour la re: porter tout entière à celui qui est la source de toute inspiration. Quand on donnera une nou- velle édition de ses œuvres, on réunira sans doute à cette publication des poésies éparses dans divers journaux et recueils périodiques. Rien de ce qui est sorti de sa pluie ne peut être indifférent pour les lettres. Chénedollé est mort dans son château du Coiïsel , à Burcy, près Vire, le 2 décembre 666 SUR M. CHÊNEDOLLÉ, 1833, àgé de 64 anss il avait été successive- nent professeur de littérature à l’Académie de Rouen, inspecteur particulier de celle de Caen, et enfin, peu d'années avant sa mort, inspec- teur-général des études. Ceux qui l’ont connu n'ont qu’une voix pour vanter ses vertus de père de famille et ses qualités d'ami. Sa mort a été chrétienne comme sa vie ; il s’est endormi paisiblement : c'était une conséquence toute naturelle de la douce piété qui l'avait soutenu dans ses peines, inspiré dans ses travaux et rendu modeste dans ses succès. L'Académie française, dont les portes sont si souvent obs- truées par de prétentieuses médiocrités, l'avait oublié; la postérité ne l’oubliera pas. Certes! la Normandie s’énorgueillit à juste titre de ce poète , et nous sommes heureux de payer à sa mémoire , au nom de l’Académie des sciences , arts et belles-lettres de Caen, dont il était membre, le tribut d’hommages mérité par un noble caractère et de glorieux — travaux. FIN. RAA LUE AU AE LU LUE LUE LL AR AVE RAR LUE LR AR LUE LEA LAS ET AE LUE LAS TABLE Réplement.ssniss aux ptanelns ose Liste des,Membres.arsdsne ati dritetiec Rapport sur les travaux de l’Académie ; par M. HéBenT, secrétaire. . + « . Mémoires sur Les Vaux-de-F'ire d'Oli- vier Basselin ét de Jean-le-Houx ; par M. VaurrieR, professeur à la Façultésdes Lettres. 1: 416 eue > De la poésie lyrique en France; par NL -NVAULRIERS 36 LA: né Fragmens d'études sur les poëtes fran- çais du XV E.siècle ; par M. VauLrier. De l'Imitation en littérature ; par M. BERTRAND, professeur à la Faculté des delire ae Evénemens militaires de la 1"°. guerre de religion en Normandie; par M. Escaer , Capitaine au corps royal DÉLAI JORSLERE te Le NE Si oc Recherches sur la vie et les principaux ouvrages de Samuel Bochart ; par Pages. 1X 211 231 668 TABLE. Edouard-Herbert Suirx , membre de l'Académie... sniper: særs selle Congrégation du Bon-Sauveur ; par M. l’abbé Jawer, supérieur de la Congrégation du Bon-Sauveur.. . . Observations thermo - barométriques faites et calculées pour déterminer les hauteurs des principaux points du département du Calvados; par M. H'e. Bunez , officier de marine en retraite, membre de l'Académie. . Rapport sur la maison du Bon-Sauveur de Caen; par M. l'abbé Jamer. . . Poésies ; par Mme. Lucie COUEFFN ; membre de l’Académie. . + . . . . Poésies ; par M. Alph. Le Fracuais, membre de l'Académie. . . « . Poésies ; par Robert-Etienne TAURET, correspondant de l'Académie. . .. Notice Biographique sur M. l'abbé Rousseau , ancien inspecteur de l’Académie de Caen; par M. Enou, inspecteur de la méme Académie. Notice sur la vie et les travaux anato- miques de M. J.-F. Ameline, pro- fesseur d'anatomie à l'école de me- decine de Caen ; par M. Eupes-Drs- 341 599 és TABLE. 669 LONGCHAMPS , professeur d'histoire naturelle à la méme école. . . . . 619 Notice sur M. Chénedollé, ancien ins- pecteur général de l'Université, membre de l’Académie; par M. Alph. LE FRAGUAMISS PCT 8 ANUS te DUO FIN DE LA TABLE. ni Mie, de site rh HR D #3 h ‘Agen JC sh ie à ne is 7270 0 CES ‘Fe DL CP PRE EEE EST Es U 20 rien As AE TA ten ie aol mo Me rl 1" sé | "Pier a de 25 2 SOU D Pntéiehor in : pe PER ages Aer} Per dan He La ‘à or $ A A k Et #; / Ÿ à HU Lis » 1 | dt * LR