TE Ad » An sé \à L À : À \ rt Nu M PARLE d ue Lu : 1 Ÿ k 12 à 14 ht g: MÉMOIRES L'ACADÉMIE IMPÉRIALE | DES SCIENCES, | INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES * | DE TOULOUSE. ” Cinquième Série. TOME HN. l | | î | ‘ TOULOUSE, IMPRIMERIE DE DOULADOURE FRÈ RES , RUE SAINT-ROME , 41. 1859. “, JL Mat HE: ci LaNE À: ot VA LS _ OU f t Le bi ji Hi PER : DER RUIT we Lie Yu 4 brio DORA EE NS TA a. = TO RENOSI ht H % NAN 580 pr AAA ie MUC [ our DOME 70. en ee NU PR 1 DT NAN re C2 es hg ‘ Pa Re +3 / 5969 A2S. MÉMOIRES DE L'ACADEMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DETOULOUSE. —ec— Cinquième Série. TOME IX, TOULOUSE, IMPRIMERIE DE DOULADOURE FRÈRES, x rue Saint-Rome, 4. 1859. LES RS x io dat, pa Fa % € Vs F À on VLT qu CPAS ue CE A ) À ÉTAT DES MEMBRES DE L’ACADEMIE. JANVIER 1859. OFFICIERS DE L'ACADÉMIE. M. MOLINS *#, Professeur et Doyen de la Faculté des scien- ces, Président. M. MOLINIER , Professeur à la Faculté de droit, Directeur. M. VITRY (Urbain) %, ex-Ingénieur-Architecte en chef de la ville, Secrétaire perpétuel. M. CLOS, Professeur à la Faculté des sciences, Directeur du Jardin des Plantes, Secrétaire adjoint. M. LARREY (Auguste) #%, Docteur en chirurgie, Trésorier perpétuel. ASSOCIÉS HONORAIRES. Mgr. l’Archevèque de Toulouse. M. le Premier Président de la Cour impériale de Toulouse. M. le Préfet du département de la Haute-Garonne. M. le Recteur de l’Académie de Toulouse. M. »E Beaumonr (Elie), C. #, Sénateur, Secrétaire perpétuel de l’Institut (Classe des sciences), Commandeur de l’ordre du Christ , à Paris. M. FLrourexs, C. %, Secrétaire perpétuel de l'Institut (Classe des Sciences), à Paris. M. LarerRiëre, O. %<, Membre de l’Institut de France, Inspecteur général de l'enseignement supérieur , à Paris. iv ÉTAT DES MEMBRES M. Louvizce %e, Membre de l’Institut de France , à Paris. M. Dumas, G. O0. %, Sénateur, Membre de l'Institut de France, Inspecteur général de l’enseignement supérieur , à Paris. M. Mrcmecer % , Membre de l’Institut de France, à Paris. ASSOCIÉ ÉTRANGER. M. Viscowri (le Commandeur), Commissaire des Antiquités à Rome. ACADÉMICIEN-NÉ. M. le Maire de Toulouse. ASSOCIÉ LIBRE. M. Ducasse (Jean-Marie-Augustin) >, Professeur honoraire et ancien Directeur de l'Ecole de médecine. ASSOCIÉS ORDINAIRES. CLASSE DES SCIENCES. PREMIÈRE SECTION. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Mathématiques pures. M. BrassinxE , Professeur à l'Ecole d'artillerie, rue des Cou- teliers, 53. M. Mous % , Professeur et Doyen de la Faculté des scien- ces , rue du Lycée, 1. M. Gascueau %, Professeur à la Faculté des sciences, rue des Couteliers , 49. Mathématiques appliquées. M. Ganrier % , ancien Professeur à l'Ecole d'artillerie , rue Saint-Rome, 23. M. Virry (Urbain) #, ex-Ingénieur-Architecte en chef de la ville, allée Louis-Napoléon, 3. M. Gzeizes (Joseph-Auguste), C. #,>X, Colonel du génie en retraite. DE L'acte. v M. GumaL (Jules) , Ingénieur-Architecte en chef de la ville, rue Pargaminières , 71. Physique et Astronomie. M. Perir # , Professeur à la Faculté des sciences, Directeur de l'Observatoire, correspondant de l’Institut de France. M. LaroQuE , Professeur de Physique au Lycée de Toulouse, rue de l'Echarpe, 12. M. Dacunx , Professeur à la Faculté des sciences, allée Louis- Napoléon , 15. DEUXIÈME SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES. Chimie. M. Couserax, Pharmacien, rue Cujas, 14. M. Macxes-Lanews (Charles), Pharmacien, rue des Coute- liers , 24. M. Ficnoz (Edouard) #£, Professeur à la Faculté des sciences, Directeur de l'Ecole de médecine, rue Saint-Etienne , 14. M. Trmar-Lacrave (Edouard), Pharmacien , rue Parga- minières, 84. Histoire naturelle. M. Frizac (Francois) #%, ex-Conseiller de préfecture, Bi- bliothécaire de la ville, cloître Saint-Etienne. M. Levmerte , Professeur à la Faculté des sciences , rue des Arts , 15. M. Joy , Professeur à la Faculté des sciences, quai de Brienne , 9. M. Lavocar, Professeur à l'Ecole vétérinaire, Econome de l’Académie , à YEcole. M. D. Ccos, Professeur à la Faculté des sciences, Directeur du Jardin des Plantes , au Jardin des Plantes. Médecine et Chirurgie. M. Larrey (Auguste) #, Docteur en chirurgie, rue du Taur, 17. * vi ÉTAT DES MEMBRES M. Noucer, Professeur à l'Ecole de médecine, rue du Lycée, 8. M. Gaussaiz, Professeur à l'Ecole de médecine, rue Duranti, 1. M. Dessarreaux-BERrNaRD , Professeur à l'Ecole de médecine, Bibliothécaire , rue Deville , 5. CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. M. ou Mëce (Alexandre-Louis-Charles-André) #, ex-Ingé- nieur militaire, l’un des Directeurs du Musée de Toulouse, rue Saint-Lazare, 26. M. Pacës, Avocat, rue des Récollets, 69. M. GarTten-Arvouzr, Professeur à la Faculté des lettres, boulevard Napoléon , 1. M. Hamez *<, Professeur à la Faculté des lettres, rueDeville, 3. M. Sauvace % , Professeur et Doyen de la Faculté des lettres » à l’hôtel de la Faculté, rue Matabiau, 13, M. ne VacQuiÉ, Avocat, ancien Magistrat , rue des Fleurs, 13. M. Ducos #%, Avocat, ex-Conseiller de préfecture , rue Merlane, 2. M. Barry, Professeur à la Faculté des lettres , allée Saint- Michel , #4. M. Mounier , Professeur à la Faculté de droit, rue Ma- laret, 12. ; * M. Dusor (Marcel), Avocat, ancien Magistrat, rue Mage, 20. M. Asrre (Florentin) #, Avocat, ex-Conseiller de Préfec- ture, rue des Fleurs, 18. M. Deravicxe %, Professeur à la Faculté des lettres, rue Ma- tabiau, 56. M. A. Caze %, Conseiller à la Cour impériale, rue Mage, 24. DE L’ACADÉMIE. vi] ASSOCIÉS CORRESPONDANTS. CLASSE DES SCIENCES. PREMIÈRE SECTION. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Mathématiques pures. M. Tissié, ancien Professeur de mathématiques, à Mont- pellier * (1). M. Vasse DE SaiNT-Ouex %£ , Insp. d’Académie en retraite. * M. Desreyrous, Professeur à la Faculté des sciences, à Dijon. M. Sar-Guicmem fe, Ingénieur en chef des Ponts et Chaus- sées, à Perpignan. * M. Tizcor, Professeur de mathématiques au Lycée de Reims. M. Cararan, Professeur de mathématiques , à Paris. M. Sorn, Censeur au Lycée de Versailles. * M. le Prince A. pe Pociexac # , Capitaine d'artillerie, Aide de camp du Général Guiod , au comité d’artillerie, à Paris. Mathématiques appliquées. M. LermiEer #f, Commissaire en chef des poudres et salpé- tres, en retraite, à Dijon. M. A. Paque , Professeur de mathématiques à l’Athénée royal de Ziége. M. Giraun-TEuLon %, Docteur en médecine, à Paris. Physique et Astronomie. M. Barsey, Professeur au Lycée de Besancon. M. Sorun, Professeur au Lycée de Zournon. M. Caumont % , Officier supérieur du génie maritime, à Cherbourg. * M. Deeun , Professeur de physique, à Zyon. * (1) Les Associés correspondants dont les noms sont suivis d’un asléris- que *, sont ceux qui ont été Associés ordinaires. vi} ÉTAT DES MEMBRES M. Romnwer , Professeur, à Paris. M. Daurrac (Matthieu), à Toulouse. M. Sanvqué (Adolphe), de Poitiers, à Paris. M. D'Agsanie (Antoine) #%, Correspondant de l’Institut de France, à Paris. M. Laurier #%, Membre de l’Institut et du Bureau des Lon- gitudes , à Paris. M. Lias, Astronome à l'Observatoire de Paris. DEUXIÈME SECTION. SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES, Chimie. M. Bouis, Pharmacien , à Perpignan. M. François %% , Ingénieur en chef des mines, à Paris. M. Foxrax (Amédée) #, Docteur en médecine, à Bagnères- de- Luchon. M. Dusarnin , Professeur à la Faculté des sciences de Rennes.* M. Fauré , Pharmacien, à Bordeaux. M. BarizcraT , Pharmacien , à Méäcon. M. Boxsgax, Pharmacien, à Chambéry (Savoie). M. Cnarix , Professeur à l’Ecole de Pharmacie, à Paris. Histoire naturelle. M. Lorseceur DE Lonccnawes, Docteur en médecine, à Paris. M. TourxaL fils, Pharmacien , à Narbonne. M. Bourée (Nérée), à Paris. M. DE CHESNEL , à Paris. * M. Farines , Pharmacien , à Perpignan. M. LaGrkze-Fossar , Avocat, à Moissac. M. DE Quarreraces % , Membre de l’Institut de France (classe des Sciences) , à Paris. * M. Rocraxp pu Roquax (Oscar), à Carcassonne. M. Sismoxra (Eugène) #%, Professeur de Zoologie à la Faculté de Turin. M. Meruer , Professeur au Lycée de Marseille. DE L'ACADÈMIE. ix M. Lereeoucer, Prof. à la Faculté des sciences de Strasbourg. M. Durour (Léon) >, Docteur médecin , Correspondant de l'Institut de France, à Saint-Sever (Landes ). M. Scmimrer, Conservateur des collections de la Faculté des sciences de Strasbourg, Correspondant de l'Institut de France. M. Gasstes, Trésorier de la Société Linnéenne, à Bordeaux. M. Larrer (Edouard) #%, Avocat , à Seissan par Auch. M. Moquix-Taxrox %, Membre de l’Institut de France, Professeur à la Faculté de Médecine de Paris. * M. Guiserre pe Narace, Docteur en médecine , à Messine (Deux-Siciles). M. pe Mavos (Jules) , Membre de la Société géologique de France et de plusieurs autres Sociétés savantes , au Château de Saint-Victor par Saint-Ambroix (Gard). M. Poucuer +, Professeur de zoologie au Muséum d'histoire naturelle de Rouen, Corresp. de l’Institut de France, à Rouen. M. Le Jous, Archiviste de la Société des sciences naturelles, à Cherbourg. M. RoumeGuËRE (Casimir), naturaliste, Membre de plusieurs. Sociétés savantes nationales et étrangères, Lauréat de l’Acadé- mie, à Zoulouse. M. Buzames , Docteur en médecine , à Limoux (Aude). M. pe Rémusar (Paul), à Paris. Médecine et Chirurgie. M. ScourerTen ** , Docteur en médecine, à Metz. M. Prrquix pe GEmsLoux, ancien Inspecteur de l’Académie , à Grenoble. M. Muxarer, Docteur en médecine, à Prignais (Rhône). M. Hum (Félix), O.%e, Chirurgien en chef de l'Hôtel des Invalides, à Paris. M. Baryavez, Docteur en médecine, à Carpentras. M. Payax (Scipion), Chirurgien enr chef, à l'hôpital d’Æ4ix. M. le Baron H. Larrey , O. %, Chirurgien de S. M. l'Em- pereur ; Inspecteur, Membre du Conseil de santé des armées , à Paris. x ÉTAT DES MEMBRES M. Le Cour , Professeur à l'Ecole de médecine de Caën. M. Cazexeuve Y, Directeur de l'Ecole de médecine, à Zille, M. Heraro (Hippolyte), Docteur en médecine, à Paris. M. Beaupoiz, Docteur en médecine, à ]ngrandes (Indre- et-Loire). M. Cosres, Professeur à l'Ecole de Médecine, à Bordeaux. M. Armieux, Médecin-major au 25° de ligne , actuellement à Rome. M. Borceau DE CasTELNAU %$, Docteur en médecine, Membre de plusieurs Sociétés savantes, à Vîmes. M. Maure, Docteur en médecine, à Baume-les-Messieurs par Voiteur (Jura). M. Mazave, Docteur en médecine , à ÆAnduse (Gard). CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. M. Dam, Avocat, à Condom (Gers). M. Rewou, C. #, ancien Conseiller au Conseil de l’ins- truction publique , à Paris. M. Cnamporriox - FiGeac %t, à Fontainebleau. M. Weiss, O. % , Bibliothécaire de la ville de Besancon, Correspondant de l’Institut de France. M. le Baron Caaupruc DE CRAzANNEs, O %<, Correspondant de l’Institut de France, Officier de l'Université, à Castelsar- rasin. M. Davezac DE Macaya %%$, garde des archives de la marine, à Paris. | M. pe Lamorne-Lanox (Léon), membre de plusieurs Ordres, à Paris. M. Foresr, Sous-préfet d’Oloron. M. Cnarces-Maro % , Homme de lettres, à Paris. M. CnarpenTiER DE SainT-Presr (Jean-Pierre), Inspecteur d’Académie en retraite, à Paris. M. Bercer pe Xivrey (Jules) #, Membre de l'Institut de France , à Paris. M. Rarx, Professeur royal Danois, à Copenhague. DE L'ACADÉMIE. x] M. PRaraun , Homme de lettres, à Marseille. M. pe Caumoxr #£, Correspondant de l'Institut de France , à Caën. M. Duraurier (Edouard) >, Professeur à l'Ecole des lan- gues orientales vivantes, à Paris. M. pe SamnrT-Fecix-MauREMoNT , #, % , ancien Préfet, à Mauremont. M. Mas-LarRie (Louis }, de l’Ecole des chartes , à Paris. M. Cros-Mayreviicce , Docteur en droit, Inspecteur des monuments historiques , à Narbonne. M. Bresson (Jacques) , Négociant, à Paris. M. Merce , Avocat, à Castelnaudary. M. DE BRIÈRE, à Paris. M. Comses (Anacharsis) #, Avocat, à Castres. M. pe Lacuisixe %, Président de la Cour impériale de Dijon. M. Durcor DE Morras %, à Paris. M. Ricarp ( Adolphe }, Secrétaire général de la Société archéologique , à Montpellier. M. Percer (Auguste) %<, Inspecteur des Monuments histo- riques , à Vismes. M. GarriGou (Adolphe), Propriétaire, à Tarascon (Ariége). M. Tamaucr, Officier de l’Université, principal du Lycée de Valence (Drôme). M. DE LAveRGNE, O. %<, Membre de l’Institut de France, à Paris. * M. Baron DE MoNTBEL % , ancien Ministre. * M. Jacquemn , Homme de lettres, à Ærles ( Bouches-du- Rhône). M. Fonps-LamoTHE , Avocat , à Limoux ( Aude). M. Temptr, Avoué près le Tribunal civil de Marseille. M. Ccos (Léon), Avocat, à Vallespy (Aude). M. Boucuer ne CRevecoeur , de Perthes %<, Président de la Société impériale d’émulation de la Somme, à Æbbewille. M. Bascze DE Lacreze, Conseiller à la Cour impériale , à Pau (Basses-Pyrénées ). xij ÉTAT DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. Crozes (Hippolyte), Vice-président du Tribunal d’4/#i (Tarn ). M. l'Abbé Caxero, Supérieur du petit Séminaire d'Æuch. M. J. L. Dessazues, Archiviste, à Périoueux. M. Germany, Professeur à la Faculté des lettres de Montpellier. M. le Chevalier pe LE BinarT DE Taumane , Docteur en droit, à Liége. M. ne Crausane, Homme de lettres, à Rabastens (Tarn). M. Barrocomeo Boxa, Professeur à l’Université de Turin. M. SPECKERT , Proviseur du Lycée , à Châteauroux. M. Lagar , Organiste de la Cathédrale de Montauban. M. Burvour , Professeur à la Faculté des lettres, à Nancy. M. pe Barrmezemy, Auditeur au Conseil d'État, à Paris. M. Cewac- Moncaur, Homme de lettres , à Airande (Gers). M. Hucuexn , Professeur d'histoire à la Faculté des Lettres de Poitiers. M. Bouparo, Membre de plusieurs Sociétés savantes, à Béziers. M. pe LoxcreriEer , Membre de l’Institut de France , Conser- vateur des collections du Louvre, à Paris. M. Du Faur, Vicomte pe Pierac, Membre de plusieurs So- ciétés savantes, au Château du Rivage , près Saint-Ay, par Orléans (Loiret ). M. Crausozces, Homme de lettres , à Paris. AVIS ESSENTIEL. L’Acanëmie déclare que les opinions émises dans ses Mémoires doivent être considérées comme propres à leurs auteurs, et qu’elle n’entend leur donner aucune approba- tion ni improbation. MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES, INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES DE TOULOUSE. SUR LES FOUDRES à PROGRESSIVES ET ASCENDANTES ; Par M. P. A. DAGUIN. L'esprit de doute est une des premières conditions à appor- ter dans l'étude des sciences d'observation, si l’on veut mar- cher avec sûreté dans les voies pleines d’écueils qu'elles ont le plus souvent à parcourir; et leurs progrès n'auraient pas été aussi longtemps pénibles et lents, si l'esprit d'examen avait toujours présidé à leurs investigations, et si l’on n'avait souvent adopté trop facilement de prétendus faits qui n'avaient d'existence que dans l'imagination de ceux qui les avançaient, dans le but de soutenir quelques-uns de ces systèmes à priori si communs autrefois dans la science. Plus tard, quand la mé- thode expérimentale fut devenue le flambeau aux clartés du- quel les chercheurs les plus impatients se sont astreints à marcher, un fait nouveau n'a plus été admis qu'après véri- fication quand cela était possible, ou, du moins, qu'après un 5° $.— TOME Hi. l 2 MÉMOIRES examen attentif de toutes les circonstances qui l’accompagnaient, et des conditions dans lesquelles se trouvaient les observateurs qui en avaient été témoins. Cependant, il ne faudrait pas pousser trop loin l'esprit de doute : il ne faudrait pas surtout nier l'existence de phénomènes extraordinairesconvenablementattestés, par cela seul qu'ils ne se plient pas aux théories dont la science est en possession, et qu'ils semblent inexplieables dans son état actuel. Nous pourrions citer plusieurs phénomènes parfaitement constatés aujourd'hui, qui occupent même une place importante dans la science, et qui cependant ont été relégués pendant longtemps au rang des fables. Les aérolithes, observés depuis l'antiquité la plus reculée par les Chinois, qui en ont consigné les apparitions dans leurs encyclopédies aussi vieilles que le monde, n'ont-ils pas été re- gardés par Les savants de l'Europe comme un phénomène ima- ginaire, jusqu'au moment où un hasard heureux vint faire tomber une de ces masses singulières sous les yeux, pour ainsi dire, des académiciens de Paris qui n’en voulaient pas admettre l'existence ? Les pluies de poissons, de différents batraciens, n'ont-elles pasété etne sont-elles pas mêmeencore généralement mises en doute, ou regardées comme le résultat d'illusions ? et cependant des observateurs sérieux, des physiciens dont la parole fait autorité, comme Peltier, ont affirmé avoir vu non- seulement le sol jonché de petits crapauds pendant une pluie d'orage, mais encore les avoir vus tomber du ciel, en avoir reçu sur la tête et sur les mains.Les globes fulminants , connus aussi sous le nom de tonnerre en boule, n’ont été admis dans la science qu'après qu'Arago , dans sa célèbre notice sur le tonnerre, en eutprouvé l'existence et les eut distingués, comme espèce, de la foudre ordinaire, après avoir fait le dépouillement d'un grand nombre de relations dues à des observateurs dignes de foi. ILest un autre genre de phénomène , généralement contesté, et qui cependant a été regardé pendant un certain temps comme parfaitement avéré, celui des foudres progressives et des foudres ascendantes. À la question : le tonnerre tombe-t-il ou monte- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 3 t-il? le plus souvent on répond hardiment que la foudre n'étant que la combinaison des deux électricités, l’une provenant du sol, l’autre d'un nuage orageux, on ne peut dire qu'elle monte plutôt qu'elle ne descend. Il est vrai qu'il en est ainsi le plus souvent, la décharge étant de celles que M. Faraday nomme disruptive, dans laquelle l'air est divisé mécaniquement, de manière à laisser un passage libre aux fluides quise combinent subitement ; mais le phénomène peut se présenter sous un tout autre aspect. I résulte, en effet, d’un grand nombre d'observations faites et recueillies par des observateurs expérimentés et très-dignes de foi, que le trait électrique peut s'élancer d'un mouvement progressif assez lent pour qu'on puisse le suivre de l'œil et qu'on ait pu le comparer à une fusée d'artifice. Souvent on a vu ces traits marcher de bas en haut, on leur a donné alors le nom de foudres ascendantes. La question des foudres ascen- dantes a été pendant un temps l’objet de controverses animées. Maffei et l'abbé Bertholon ayant voulu généraliser quelques faits dont ils avaient été témoins, ont soutenu que la foudre s’élance toujours de bas en haut. Cette assertion trop absolue a entrainé les esprits dans un excès contraire, et l’on a nié l’exis- tence d'un phénomène qu'il suffisait de ne pas trop généraliser; puis on à cessé pendant longtemps de s’en occuper. Aujourd'hui que la belle théorie de la polarisation électriquemoléculaire, due à M. Faraday, permet suivant nous, et d’après les expériences que nous allons faire connaître, de rendre compte de ces faits, au moins dans leur ensemble , il nous paraît opportun de rap- peler l'attention sur quelques-unes des observations qui en prouvent l'existence. Nous allons d’abord citer, d'après l'abbé Bertholon (1), plu- sieurs cas de foudres ascendantes; nous ne citerons que des observations où l’on ait ww le phénomène, laissant de côté celles où l’on a déduit la marche ascendante du météore, de certains (1) Journal de Physique , 4. x (1717), p. 179. x 2. MÉMOIRES eftets que l'on à regardes comme pr oduits” évidemment de bas en haut; mais qui pourraient être considérés comme des effets secondaires provenant, par éxemple ; de la vapeur d’eau à très-: forte tension, dégagée par la, chaleur intense produite par la décharge électrique. En 1725, Següier vit, à une lieue: de Nimes, une large flimme s'élever de terre ét disparaître bientôt avec explosion. Le même observateur à vu plusieurs fois, dans la plaine qui. s'étend entre Vérone etMantoue, des traits éblouissants s'élever. de terre très-rapidement en ligne droite et disparaitre aussitôt: la plupart étaient suivies du bruit du tonnerre. Bouguer a ob servé des traits semblaliles qui s'élevaient des montagnes et se portaient vers des nuäges orageux que le vent chassait vers leur” flanc. Chappe et Cassini étant à l'Observatoire de Paris, le 6 août 1767, virent une flamme très-brillante qui s'élevait comme uñe fusée, en diminuant d'épaisseur et d'éclat à mesure qi'elle monfait; le même jour, un trait de feu s’élança de terre à l'extrémité d’un mât et laissa des traces de fusion sur des pièces métalliques qui le surmontaient. Lalande, Beccaria citent dés faits analogues ; en 1776, le P. Cotte vit distinctement, à différentes reprises , deux courants de feu partir, l’un de terre, l'autre de nuagés orageux, pour se réunir avec explosion. L'abbé Bertholon a été lui-nième témoin de foudresascendantes : étant, entre autres, à quelques lieues de Toulouse, en 1779, il vit plu- sieurs fois des lames de feu s’élancer de terre en serpentant et éélater à une certaine hauteur ; il était accompagné de plus de quarante personnes qui purent constater le même phénomène. Une autre fois, il putobserver, pendant plus d’une demi-heure, un grand nombre d'éclairs sûccessifs qui partaient de la terre ou de la mer et se portaient avec rapidité vers les nuages. Plus récemment, en 1843, Peltier à vu, dans la plaine de Ruelle et : Nanterre, deux sillons de feu qui semblaient distants de quel- ques mètres, Sélancer du sol vers des nuages orageux. M. Kaemtz à vu plusieurs fois deux éclairs partir de deux nua- ges et se réunir au milieu de l’espace qui les séparait… Il résulte de tous ces faits, auxquels ‘nous aurions pu en * | DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 5 ajouter beaucoup d’autres, et qui ont été constatés par des ob- servateurs habiles et consciencieux , n'ayant pas de théorie à faire prévaloir, puisque les phénomènes qu'ils rapportent leur paraissaient même inexplicables, que la décharge électrique peut avoir lieu progressivement, et notamment se faire de bas en haut. On ne saurait donc trop recommander aux observateurs de porter leur attention sur ce point. Au reste, une fois le phé- nomène bien établi, il n’est pas impossible d'en rendre compte en le comparant aux résultats que peuvent donner des expé- riences de cabinet. Il résulte, en effet, des recherches de plusieurs physiciens, que l'électricité pénètre jusqu'à une certaine profondeur, dans les plus mauvais conducteurs, par des décharges successives entre les molécules polarisées par influence, surtout quand il se trouve, du côté opposé, un corps conducteur non isolé. C'est par des décharges semblables à travers un milieu gazeux comme l'air, que M. Faraday explique les aigrettes lumineuses qui se manifestent pendant écoulement continu de l'électri- cité. Le feu St-Elme et les phénomènes lumineux analogues qui s'observent en temps d'orage ou quand l'atmosphère est for- tement électrisée, s'expliquent de la même manière. Cela posé, il est facile d'expliquer les éclairs progressifs, par la même théorie. Ils ne sont autre chose que le résultat de décharges successives moléculaires se propageant avec une grande rapi- dité dans l'air, rendu sensiblement conducteur par l'humidité qu'il contient pendant que tombe la pluie; de plus, les gouttes d'eau qui remplissent l'air, forment autant de petits corps conducteurs entre lesquels il peut aussi s'effectuer des dé- charges qui n'auraient pas lieu de Ja même manière sans leur présence. On explique ainsi les trainéés lumineuses qui s’'avancent l’une vers l’autre entre deux nuages, d’un nuage vers la terre et de la terre vers le nuage, jusqu'à ce qu'il y ait rencontre et explosion par les grandes quantités de flui- des qui se combinent directement alors. La grande longueur de ces bandes lumineuses s'explique par l'énorme tension de l'électricité des‘ orages. VE 6 MÉMOIRES , Des expériences directes peuvent mettre en évidence Ia marche progressive de l’étincelle dans certaines circonstances : quand on présente la main à une partie saillante du conduc- teur d'une forte machine électrique, de manière à obtenir une large aigrette, il n’est pas rare de voir jaillir du milieu de cette aigrette une étincelle violette qui s'allonge rapidement en ser- pentant, et s’amincit en pointe fine pour s'évanouir avant d’ar- river à la main. En même temps, on entend un craquement sourd, tout différent du bruit clair que produit l’étincelle ordi- naire. Il est facile de saisir le rapport qui existe entre ce phé- nomène et les éclairs progressifs Voici quelques autres expé- riences qu'il est facile de répéter : si l'on fait tomber de fortes étincelles sur l'extrémité d'une large bande de verre recou- verte d’aventurine , et dont l’autre extrémité est garnie d’une plaque de métal communiquant avec le sol, on voit des ser- penteaux étincelants partant des deux extrémités, s’élancer les uns vers les autressans se joindre, et s’allonger avec une grande vitesse qui n'empêche pas cependant de distinguer leur mou- vement progressif. L'espace que ne traversent pas les petits éclairs est rempli d’une multitude de points brillants. — Les poudres non conductrices , comme le verre pilé, le sable sili- ceux répandu sur une lame de verre, ne donne pas de ré- sultats ou n’en donne que de douteux, comme on pouvait le prévoir facilement. Dans toutes ces expériences on à une repro- duction sur une petite échelle du phénomène des foudres pro- gressives , ce qui confirme l'explication que nous venons d'en donner. Ni DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. LES INTENDANTS DU LANGUEDOC ; Par M. FLorexTiN ASTRE. PREMIÈRE PARTIE. N fer 1630. — 1640. Sommaire. 1. Introduction; l’ancien régime et ses traces. —— 2. Unité et centrali- sation de la France. 3. But dès longtemps poursuivi, et par qui. —— 4. Richelieu; ses vues administratives. 5. Ses moyens; agents de sa volonté ; Intendants. =—6. Ce qu'étaient auparavant les Intendants ; ce qu’ils devinrent depuis. —— 7. Date de leur établissement définitif. —— 8. Leur con- duite en général. —— 9. Jugement sur leur compte. —— 10. Leurs antago- nistes ordinaires. —— 11. Faits antérieurs à 1637. —— 12. Intendants de celte époque en Languedoc. —— 13. Protestations inutiles contre leur établissement. —— 14. Objet spécial du Mémoire; les personnes. ——— 15. Coup d'œil sur l'ancienne division administrative de la France. 16. At- tributions des Intendants; réflexion. —— 17. Intendant en 1629 ; édit de Béziers ; ses conséquences. —— 18. États de 1631. Robert Miron ; sa mission. 19. Montmorency aux États. —— 20. Innovation introduite par Miron et ses causes.——21. Détails sur Ja famille de Miron.——22. François son frère. 23. Missions et emplois qu'avait remplis Robert sous Henri IV. —— 24. Après la mort de ce Roi. —— 25. Lors de l’arrivée d’Anne d'Autriche. — 26. Ambassade en Suisse ; résultats. —— 27. Motifs de l'envoi de Miron, en 1631.-—— 28. Fragments de son discours d'ouverture. —— 29. Réflexions sur cetté harangue, etc. —— 30. Sur le style en général; citation, etc. —— 31. Conduite courageuse de Miron pendant les troubles de 1632. —— 32. Ses effets. —— 33. États de 1633 ; discours. —— 34. Réflexions générales et comparaison. 35. Projets de retraite de Miron. —— 36. Leur ajourne- ment. —— 37. Derniers adieux. —— 38. Maladie et mort de Robert Miron. 1. L'ANCIEN RÉGIME , c’est-à-dire l'administration politique , civile et criminelle , financière , militaire et religieuse de la France, telle que l'avait faite, avant 1789, la succession des 8 MÉMOIRES. hommes et des choses, a été, depuis quelque temps, l'objet d'ouvrages nombreux et du plus haut intérêt. Ces études cons- ciencieuses et approfondies du passé fournissent, plus d'une fois, la preuve que si les divisions territoriales ont été modifiées et réduites , si des dénominations ont été changées , en réalité des institutions fondées par le génie gouvernemental , consoli- dées par l'expérience, n'ont point disparu, n'ont subi que d’ap- parentes transformations, n’ont reçu que des perfectionnements ou des compléments. Si profonde qu'ait été la Révolution fran- çaise, éclatant à la fin du xvin* siècle, elle n'a, sous beaucoup de rapports, qu'achevé d’une main vigoureuse, et parfois trop hardie et trop empressée , ce qui avant elle avait été ou com- mencé , ou même très-avancé. 2. Ainsi l'unité du royaume , étendu jusqu'à ses bornes na- turelles , la centralisation du pouvoir, telles quelles sont résultées de la Révolution, et malgré les quelques inconvé- nients qui en découlent, sont parmi nos conquêtes les plus précieuses. C'est vainement qu'on le conteste encore en se livrant à des attaques arriérées ; car si, par son action irré- sistible , la centralisation blesse ou enlève les indépendances particulières , elle a donné à notre pays cette homogénéité qui fait sa force et sa vitalité, et qu'aucun autre Etat ne possède au même degré. 3. Cette unité de la France , enfin centralisée , fut le but, l'aspiration , le rêve de ces hommes d'élite, ou souverains, ou ministres, qui eurent l'ambition, un peu égoiste si l’on veut, non pas seulement d’affermir et d'augmenter le pou- voir passant par leurs mains, mais qui eurent également la pensée généreuse d'élever leur patrie , de la rendre plus compacte , plus forte et plus glorieuse. Dans leurs vues con- tinues et grandissantes, ces hommes, ajoutant au passé, embrassant le présent et l'avenir , travaillèrent, autant pour leurs successeurs que pour eux-mêmes , à effacer les distinc- tions de tout genre , à aplanir les séparations , à abaisser les barrières , à réunir en un faisceau tous les éléments divers DE L'ACADÉMIE DES SGIENCES. 9 que présentait le territoire, s'agrandissant incessamment , afin de lui imprimer, en le gouvernant mieux , une direction unique , plus facile , plus puissante et plus fructueuse. 4. Parmi ces administrateurs à vastes conceptions, à systè- mes résolument suivis , se distingue le cardinal de Richelieu. La mémoire de cet homme d'État a eu le sort réservé à ceux qui sortent de la foule ; elle a été, elle est le sujet de discus- sions animées et interminables. Tandis que les uns attaquent sans ménagement les actes de celui qui se montra si souvent impitoyable et qui ne recula jamais devant les moyens ex- trèmes; les autres, n'étant frappés que de l'ensemble et des résultats, et se préoccupant peu des moyens justifiés par la fin, admirent et exaltent cet esprit politique et administra- tif qui, sous le nom de Louis XIII et par le seul droit du génie qu'il avait reçu du ciel, régna despotiquement sur la France pendant plus de vingt ans. 5. Richelieu , ne supportant pas la résistance à ses volontés de quelque part qu’elle se manifestàt, se hâtait de la briser; et suivant son effrayante expression , il fauchait tout devant lui, ne s’inquiétant guère, quoi qu'il en ait dit, de recouvrir de sa soutane rouge les terribles effets de sa faux inexorable. Il vou- lait tenir, à lui seul, tous les fils de l'administration. C'est pour les attirer vers ce centre et pour en sentir les moindres mou- vements qu'il donna notamment une organisation stable et dé- finitive à ces agents du pouvoir royal, ne recevant jusque-là qu'un mandat momentané dans les provinces et que l'on appe- lait des « Intendants. » Le cardinal-ministre ne fut pas l'inven- teur, le créateur de cette institution administrative , mais il la régularisa et la consolida ; par lui, elle cessa d’être temporaire. Dès lors les Intendants, s'inspirant des désirs et des besoins du Gouvernement qui les nommait, en furent les représen- tants les plus actifs , les plus dévoués et les plus influents. 6. Avant Richelieu, la mission provisoire et toute de cir- constance , donnée le plus ordinairement à des maîtres des re- 10 MÉMOIRES quêtes, sous la qualité passagère d'Intendants, cessait avec la cause qui l'avait rendue nécessaire ; par lui et après lui cette mission plus répandue, mieux organisée parce qu'elle cessa d'être variable , fut continuée au même délégué qui ré- sida constamment dans la province à lui départie. C’est dans cette stabilité, dans cette continuité de son pouvoir que l'Inten- dant prit désormais et ses droits et son action, émanations directes et conséquentes de son origine. 7. Afin d'éclaircir un doute historique et de préciser une date , il a pu être important de savoir à laquelle des deux années 1635 ou 1637, il fallait rapporter la mesure générale qui établit les Intendants dans toutes les provinces, et qui réunit à leurs attributions précédentes sur la justice et la po- lice , la connaissance de tout ce qui regardait les impôts et l'administration financière. Dans un ouvrage récemment publié sous ce titre : « De l'Administration en France sous le cardinal Richelieu , » M. Caillet a prouvé, par d'heureuses re- cherches et par une discussion concluante, que si, dès 1633, les Intendants commencèrent à être établis d'une manière per- manente , il fallait néanmoins reporter, non à 1635, mais à 1637 l'établissement définitif et régulier des Intendants (1). Mais le fait füt:il encore douteux et sujet à controverse , il ne reste pas moins ce point incontestable et hors de discussion , que l'époque approximative de cet établissement est très- certaine , et que le mérite en revient sûrement à Richelieu. Enfin, il est tout aussi certain que dès ce moment, flottant au plus entre ces deux années, «les Intendants concentrè- » rent entre leurs mains toute l'administration provinciale, » et brisèrent toutes les résistances que le pouvoir royal » éprouvait, soit de la part des gouverneurs , soit de la part (4) V. l'ouvrage cité pag. 45, et le résumé suecinet que M. Caillet en a fait dans le Complément de l'Encyclopédie moderne, publié par MM. Didot frères, et aussi Isambert, Recueil des Lois anciennes, tom. xvt, et H. Martin, His- Loire de France, tom. x1, pag. 461. DE L'ACADÉMIE PES SCIENCES. 11 » des cours souveraines, soit enfin de la part des bureaux des » finances (1). » 8. C’est donc dès ce moment, s'ils ne l'avaient assez fait auparavant, que les Intendants se pénétrant davantage de l'esprit qui devait les conduire , furent les agents exclusifs du Gouvernement qui les envoyait, de qui ils dépendaient entiè- rement , et auquel ils rendaient par reconnaissance et par intérêt un dévouement sans partage. Îls étaient et restèrent toujours institués, non pas en titre d'office, ce qui leur aurait donné une sorte d'indépendance , mais seulement comme commissaires extraordinaires. [ls se posèrent ainsi dans toutes les circonstances en défenseurs vaillants de la puissance royale, en soutiens zélés et actifs de ses vœux et de ses em- piétements. Placés en présence des résistances particulières et locales, luttant sans cesse contre elles, ils suscitèrent bien des plaintes et assumèrent bien des haines. 9. 11 faut lire dans la Préface de ce livre intitulé : l'Etat de la France , extrait des Mémoires des Intendants , &c., et pu- blié en 1727, de quels sarcasmes poursuit ces fonctionnaires , possédant alors et exerçant leur mission tout entière, le comte de Boulainvilliers, cet auteur qui, au dire d’un juge compétent (2) « ne fut pas un patriote désintéressé , mais un » homme d’un savoir médiocre, et préoccupé de regrets et de » prétentions aristocratiques ; un homme qui, en écrivant au » commencement du xvine siècle, appelait le système féodal, » le chef-d'œuvre de l'esprit humain. » « Entre les misères de notre siècle , s'écrie, en effet, l'ad- » mirateur acharné et non pas le plus attardé de la féodalité , » il n'en est point qui mérite davantage la compassion de » ceux qui viendront après nous, que l'administration des In- » tendants ; je ne puis douter que les rois qui ont érigé cette (1) M. Caillet, loc. cit. (2) M. Aug. Thierry , Considérations sur l'Histoire de France, ch. 11, p. 41. 12 MÉMOIRES » juridiction arbitraire, n'aient cru avoir des raisons de l'éta- » blir, quand il n'y en aurait que celle de multiplier les » moyens de se faire obéir, depuis que les maximes de l'Italie » leur ont persuadé que l'amour ne suflisait pas... » Et Boulainvilliers range les Intendants en trois catégories inévitables , à savoir : les incapables, les inappliqués, les prévenus de quelque passion, &c...…. Son orgueil aristocrati- que leur reprochait de plus d’être sortis des rangs de la bour- geoisie, d'être de petite naissance , de vrais parvenus , et d'en avoir l'arrogance et les prétentions (1). Nous verrons quelle était la justesse et la vérité de ces plaintes , de ces allégations et de ces rancunes. 10. Aux jours où ils se livraient à une opposition plus ou moins vive, les Parlements s’associaient à tous ces reproches, à toutes ces récriminations contre les Intendants qui bravaient les arrêts des Cours souveraines, les dénonçaient au Conseil du Roi , les faisaient casser et faisaient exécuter les décisions contraires émanées du pouvoir central. Les Parlements suppor- taient donc impatiemment une action vigilante qui tendait à amoindrir la part de souveraineté qu'ils prétendaient sur tout; et quand ils le purent, ils s’essayèrent à la réduire où même à la supprimer (2). Les gouverneurs , les lieutenants-généraux voyaient dans les Intendants des surveillants dont la présence leur était presque toujours importune, parfois odieuse , et qui les con- trecarraient souvent. Les Etats des provinces écoutaient avec bien peu de faveur , ou plutôt avec déplaisir et avec une répugnance mal dissimulée, des hommes ne parlant presque au milieu de leurs assemblées que pour réclamer au nom du Roi ce «don gratuit », de plus en plus élevé, et les impôts ou anciens ou nouvellement imaginés et progressant indéfiniment. (1) Boulainvilliers, loc. cit. (2) Lors de la Fronde en 1648, voy. les Mémoires du Cardinal de Retz. — Isambert et M. Caillet, loc. cit. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 13 Les Bureaux des finances, autre tribunal spécial attaché à chaque généralité , composé d'ofliciers jaloux de leurs fonc- tions et de leur compétence, se trouvaient bien souvent en lutte avec le droit de juridiction particulière que les Intendants avaient, en dernier lieu, reçu sur les finances ; c’est-à-dire , «sur toutes les affaires concernant les impôts et l’administra- .» tion , attributions qui complétèrent celles qu'ils avaient M » sur la justice etla police (1). » Enfin , par la police générale qu'ils exerçaient sur les choses et les personnes , ou spontanément ou. d’après même les re- cours à eux adressés, les Intendants étaient perpétuellement en contact avec la population entière de leurs provinces , avec toutes les classes d'individus comme avec les communautés; et ce n’est pas d'aujourd'hui que la surveillance, ou patente , ou cachée de la police, inspire une sorte de répulsion que ne lui font pas épargner les services si réels qu'elle rend à la société. 11. L'établissement de 1635 ou 1637, ne créa pas tout d’une pièce , cela se comprend de reste, les attributions des Inten- dants , telles qu'elles le devinrent par le laps de temps ; mais il fut la cause d’où découlèrent ces effets, et par laquelle gran- dirent peu à peu ces fonctions si importantes dans l’ancienne administration. Mais ce point de départ convenu , si l'on considère rétros- pectivement ce qui l'avait précédé, si l’on examine ce qui en a été écrit, on trouve que tous les auteurs ont rapporté, comme pour la première magistrature de robe, les Parlements, la création première des Intendants aux « Wissi dominici; » ces commissaires institués par les Capitulaires de Charlemagne , envoyés presque tous les ans dans les provinces, pour y faire des informations. Toutefois , ces premières missions n'étaient que le germe des pouvoirs qui devaient se développer plus tard pour les Intendants (2). (4) M. Caillet. — Voy. pour la composition du bureau des Finances de Tou- louse, l'Almanach de Baour , 1788 , etc. (2) Voy. Denisart au mot Missi Dominici, Ferrière, ibid. Brillon, ibid. etc. 14 MÉMOIRES Saint Louis envoya aussi des « Enquesteurs », qui n'étaient encore sous un autre nom que des Missi dominici, et que l'on appelait aussi «Commissaires du Roi.» Ces sortes de commis- sions étaient confiées à des maitres des requêtes, allant par tournéees ou «chevauchées » (1). Vers 1564, au plus fort des guerres de religion , le Gouver- nement royal sentit la nécessité d'avoir dans les provinces des «Commissaires départis , » établis d'une manière plus perma- nente et investis de pouvoirs plus étendus pour maintenir l'ordre , surtout pour faire exécuter les nombreux édits qui étaient alors rendus , et que les Parlements n'enregistraient pas toujours sans protestations , sans lenteurs et sans remon- trances. 12. Lenom de ces «maîtres des requêtes faisant encore leurs chevauchées, » Intendants ou commissaires départis, a été, pour plusieurs provinces , retrouvé et mentionné par les chro- niqueurs et les historiens (2). En ce qui est du Languedoc, Dom Vaissette dit notamment « que Belot, maître des requêtes, et Molé , conseiller au Parlement de Paris, furent envoyés, » en 1571 , en qualité de Commissaires , pour faire exécuter le nouvel édit de pacification , et y exercèrent les fonctions d'Intendants , telles qu'elles ont été réglées depuis (3). » D'après le même historien, Jean de Sade fut envoyé, en 1577, par Henri IL, «pour présider à cette fin ès siéges pré- » sidiaux , c’est-à-dire pour faire dans cette province les » fonctions qu'ont aujourd’hui les Intendants (4).» En 1597, Marion , trésorier des finances , était aussi Inten- dant des finances en Languedoc, et de Convers , président au présidial de Montpellier, était Intendant de la justice : la divi- sion des fonctions était donc bien tranchée (5). Il y avait, pour 2 E (1) Voy. Isambert et M. Caillet, loc. cit. (2) Voy. M. Caillet et ses citations ( Idid.). (3) Bsire du Lonquennee tom. v, pag. 95. (4) (5) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 15 l'ordinaire, un seul commissaire départi ou Intendant, venant avec un collègue d'unautre titre, tous les deux ne résidant pas, et arrivant à la fois pour remplir un mandat spécial et des com- missions temporaires. Malgré l'autorité et les pouvoirs consi- dérables qui avaient été conférés par certaines lettres patentes du Roi, pour des cas particuliers, et exigeant une interven- tion plus marquée , ce caractère transitoire s'était maintenu. Quelquefois et par accident, ce n’était pas un seul [ntendant ou Commissaire qui était envoyé , mais il y en avait deux qui portaient le même titre et qui avaient recu le même mandat. Ces faits sont constatés par les ‘procès-verbaux des Etats du Languedoc (1). Vers 1617 paraissent en envoyés, soit dans les provinces, soit auprès des armées, des Intendants de justice etde police ; leur mission se prolongeait assez de temps, suivantles circons- tances. En 1620, M. de Ventadour, tenant les états du Languedoc, fut assisté de M. Belaud, conseiller d'Etat, maître des requêtes, et intendant de la justice des villes de Nimes, Montpellier et Béziers (2). I y a d’autres exemples semblables pour cette même époque. 13. Malgré les plaintes que suscita cette innovation qui ten- dait à se reproduire fréquemment et dont les yeux clairvoyants, parce qu'ils étaient intéressés, prévoyaient les conséquences, Richelieu, devenu ministre dirigeant depuis 1623, ne s'arrêta point. Il ne fut nullement touché des doléances que firent en- tendre, en 1626, les notables , à l’instigation, sans doute , des Etats provinciaux , des Parlements , etc., contre les Intendants, et le préjudice apporté par le nouvel usage «d'envoyer ës-res- » sorts et étendue des Parlements près MM. les Gouverneurs et » Lieutenants-généraux de V.-M; ès-provinces ou qui sur au- (1) Voy. les Registres de ces Procès-verbaux qui sont aux Archives de la Préfecture. (2) D. Vaissette, loc. cit. 16 MÉMOIRES » tres sujets résident en icelles plusieurs années; fonctions » qu'ils veulent tenir à vie (1).» Cette ambition, si elle était déjà née, sembla s'être réalisée bientôt après, au moins pour les Intendants du Languedoc. Richelieu, sans précipiter ses projets, en suivit le fil avec cons- tance. Il laissa ses commissaires au poste qu'illeur confiait, si- non pour la vie, du moins pour de longues années, et il s’oc- cupa de perfectionner ce rouage administratif; il l'acheva en 1637. 44. J'ai eu l'intention de vérifier, à partir de cette époque décisive, la série des Intendants du Languedoc, et de vous en entretenir, en l’accompagnant des particularités que j'ai su et pu rassembler sur chacun de ces fonctionnaires. Quelques-uns se sont fait des noms historiques. Vous avez écouté nagüères , avec une attention méritée, le mémoire si sérieux de l’un de nos estimables collègues (M. Caze) résumant les faits anciens relatifs aux États du Languedoc et y ajoutant des aperçus nou- veaux et curieux; par toute sorte de-raisons je n'ai eu garde de prétendre à empiéter sur ces travaux ; l'objet que j'ai en vue depuis longtemps, et que j'ai exécuté dans la mesure de mes forces est tout-à-fait distinct, ainsi que vousallez en juger. 15. À titre de préliminaires aussi indispensables que les précédents, rappelons, en ne touchant qu'aux sommités des choses, qu'au XVII siècle et à la veille de 1789, la France était, quant à l'administration, divisée en pays d'Elections et pays d'Etats. n'y a pas à définir les différences assez connues entre ces deux catégories, Comme subdivision, venaient par- tout les Généralités créées au nombre de quatre seulement, par François: 1*, multipliées depuis jusques à trente-deux. On entendait par généralité « chacune des portions de la France, » soumise au ressort des divers bureaux des finances (ou Tré- » soriers de France), établis dans le royaume suivant la division (1) Voy. M. Caillet, Loc. cit. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 17 » qui en a été faite pour la régie des finances (1).» Dans les pays d'Elections , la généralité embrassait plusieurs élections comprenant à leur tour un certain nombre de paroisses. Dans les pays d'Etats, la première subdivision était par diocèses. Enfin il y avait des pays dits d'Imposition. Dans chacune des généralités il y avait un Commissaire départi ou Intendant; mais, par exception, le haut et bas Languedoc, pays d'Etats, dont Toulouse était considéré comme la capitale, formant deux généralités, étaient réunis sous une seule Intendance; et l'In- tendant faisait sa résidence à Montpellier, chef-lieu seulement du Bas-Languedoc. Les causes de ce choix et de cette prédilec- tion seront signalées plus tard (2). 16. Quant aux attributions successivement dévolues aux In- tendants, elles étaient des plus nombreuses et des plus variées; en présenter le tableau complet, nous entraînerait loin de la route que nous nous sommes tracée. On trouve un aperçu de ce qu'étaient ces attributions dans un ouvrage malheureuse- ment inachevé, imprimé il y a une centaine d'années, et à l’ar- ticle spécial du Languedoc, on lit le passage suivant : « Les appointements de l’Intendant du Languedoc sont les » mêmes que ceux des Intendants des pays d'élections ; mais il » jouit en outre d'un traitement sur l'extraordinaire de guerre, » ainsi que plusieurs autres Intendants des provinces fron- » tières. » La juridiction de cet Intendant est la même que celle des » autres magistrats de cette espèce, quant au fond des fonc- » tions, excepté toutefois en ce qui concerne les impositions » dont la demande se fait par les commissaires du Roi aux Etats ; » ce corps en délibère et en arrête les états de répartition sur » les diocèses, &c. «L’Intendant connaît seul des oppositions aux rôles de capi- » tation ; son pouvoir est à certains égards’ plus étendu que (1) Denisart au mot GÉNÉRALITÉ. (2) H y avait sept pays d'Etats. D° $. — TOME Hi. 2 18 MÉMOIRES » celui des Intendants des pays d'élection , surtout par rapport » aux diverses communautés de la province qui ne peuvent » sans sa permission entreprendre aucun ouvrage, ni plaider, » ni faire aucune dépense. » ILest à la tête de toutes les commissions, composées des » commissaires du Roiet de ceux des Etats en l’absence du Com- » mandant en chef qui représente le Gouverneur et qui ne » réside guère dans la province que pendant la durée des Etats; » ce qui comprend la commission de 1734 qui vérifie les dettes » des communautés, en ordonne l'imposition quand elles ont » été autorisées par l'Intendant et règle leurs dépenses, l’abon- » nement du vingtième ainsi que les travaux publics pour les » objets dont la dépense se partage entre le Roi et la Province. » 11 connaît aussi des assemblées des religionnaires , et » donne, à cet égard, les ordres en l'absence du Gouverneur » en chef (1). » Ce n’était là qu'un aperçu de ces attributions qui, progres- sant sans cesse, ont été, par des ouvrages publiés à la veille de 1789, ou suivant ce qui y était consigné , résumées ainsi : «Les Intendants étaient chargés de surveiller les protes- » tants: ils administraient les biens des religionnaires qui sor- » taient du royaume et devaient tenir la main à l'exécution des » édits qui les concernaient. Les juifs , qui n'étaient légalement » tolérés que dans la province d'Alsace, étaient aussi placés » sous la surveillance directe des Intendants. Ces magistrats Ju- » geaient les procès concernant les fabriques des églises parois- » siales, et étaient chargés de pourvoir à l'entretien et à la » réparation de ces églises, ainsi qu'au logement des curés. Les » portions comgrues, les économats, la régie et la conservation » des biens demainmorte, les pensions des oblats, les décimes, » Ja subvention du clergé de la France Wallone étaient dans les » attributions des Intendants. Les universités, collèges , biblio- (1) Expilly, Dictionnaire géographique , historique et politique , des Gaules et de la France, pag. 152. Amsterdam, 1764. > DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 19 thèques publiques étaient aussi placés sous leur surveillance. L'agriculture et tous les objets qui s’y rattachent , planta- tions de vignes, pépinières royales, défrichements et desséche- ments, haras , bestiaux , écoles vétérinaires , eaux et forêts, chasse, &c....; le commerce, les manufactures, arts et mé- tiers, voies publiques, navigation, corporations industrielles, imprimerie , librairie ; l'enrôlement des troupes, les revues, fournitures de vivres , casernes , étapes, hôpitaux militaires, logement des gens de guerre, transport des bagages, solde des troupes, fortifications des places et arsenaux, génie mili- taire, poudres et salpêtres, classement des marins, levée et organisation des canonniers gardes-côtes, désertions, con- seils de guerre, milices bourgeoises; police, service de la ma- réchaussée, construction des édifices publics, postes, mendi- cité et vagabondage; administration municipale, nomination des officiers municipaux, administration des biens commu- naux, conservation des titres des villes, revenus municipaux ; domaines , aides, finances , droit de louage et monnayage, joyeux avénement, péage, amendes, droits de greffe, émolu- ments du sceau des chancelleries , droits de sceau , contrôle des actes et des exploits, en un mot, impositions de toute nature dépendaient aussi des Intendants. » Il a été néanmoins observé que «les Intendants ne jouissaient pas partout de la même autorité pour les finances. Dans les pays d'Etats et dans les » pays d'élections, ces fonctionnaires partageaient l'administra- » » » » » tion des impôts avec les Etats de la province ou les trésoriers de France composant les bureaux des finances. Dans les pays d'imposition , c’est-à-dire ceux où il n’y avait ni Etats ni Elec- tions, la répartition de l'impôt était faite par l'Intendant seul (1).» (1) Voy. Guyot, Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, ele., annexés en France à chaque député, à chaque office, etc., 1787. — Chéruel , Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, 1855. — Caillet, ouvrage cité, — et le Complément de l'Encyclopédie moderne , tom. VI, au mot Inlendants. 20 MÉMOIRES Ces citations serviront tout à la fois à expliquer la haute po- sition des Intendants et bien des faits qui vont suivre. Au surplus, en lisant ce qui précède, il est facile de se con- vaincre que, si l'on veut avoir une idée exacte des attribu- tions des Intendants, il suffit de considérer, ainsi que l'a dit justement M. de Tocqueville (T), quelles sont aujourd'hui celles que les préfets exercent, mais sur une circonscription moindre que les anciennes provinces, saufaussi ce qui tient à la justice à présent si bien séparée de l'administration. De même les ar- chives départementales pourraient, pour chaque classe d'af- faires , former une suite aux archives provinciales. Enfin nos conseils généraux, dans leurs sessions annuelles, sont, à peu de chose près, l'image fidèle et «au petit pied » des Etats des pro- vinces. 417. Mais laissant au dernier plan les détails qui étaient de la compétence administrative des Intendants, attachons-nous seulement aux personnes; voyons ce qu'elles ont été pour le Languedoc. Quelle a été la succession des Intendants en ce pays? Quelle a été leur histoire ? c'est d'eux-mêmes que nous l'ap- prendrons en grande partie. Nous avons vu les noms de quelques-uns des « commissaires départis » dont la mission, pendant les trente premières années du sièele, n'avait pas encore le caractère définitif qu'elle allait prendre incessamment. Ceux-là n’ontpas laissé de traces de leur passage aux affaires provinciales, si leur nom nous est parvenu, le souvenir de leurs œuvres ne s’est pas conservé, si tant est qu'elles dussent les recommander à la postérité. Ainsi, encore au mois d'août 1629, M. de Ventadour, gou- verneur de la province, ouvrant les Etats, fut assisté du baron du Pouget, qualifié de chevalier et conseiller du roi, trésorier général des finances en la généralité de Béziers, Intendant des gabelles du Languedoc, &c., &c.; ce baron ne se maintint pas (1) L'ancien Régime et la Révolution, par M. de Tocqueville. DE L'ACADÉMIE DES SCJENCES. 27 au milieu des agitations du moment. C'était, en effet, une épo- que critique où les édits de 1629 avaient amené, entre le ministre exigeant impérieusement ce qu'il demandait et les Etats résistant avec énergie à ces exigences, une rupture qui fit suspendre cette assemblée en 1630 (1). 18. Mais après la réconciliation, Richelieu , consentant , en 1631, à la convocation des Etats, voulut que le Roi y fût repré- senté par un personnage considérable, d'une habileté con- sommée par la pratique des grandes affaires, d'un caractère éprouvé par lesmouvements de la vie politique, capablé, en un mot, de faire obéir un gouvernement qui ne tolérait pas les velléités d'opposition. Le cardinal fit choix de Robert Miron, seigneur de Tremblay, &e., qu'il envoya assister le duc Henri de Montmorency, gouverneur de la province et dont ce minis- tre commençait à se défier, non pas sans de justes et fortes raisons. Robert Miron, qui à ses titres personnels n’ajouta cette fois devant les Etats que la qualité de «conseiller deS. M. » en son conseil d'Etat, » était néanmoins à la tête des commis- saires à ce députés : «lesquels ont présenté une lettre close de » S. M., dressante auxdits Etats, datée de Vandæuvre, le 30 » septembre 1631, ensemble les commissions de l’ayde, octroy, » crue, taillon, réparations , frais d'Etats et autres, &e., &e. Ces divers impôts ou leurs pareils étaient et furent toujours avec la quotité du « don gratuit » des points de discussion qui sus- citaient de graves mésintelligences entre le gouvernement du roi et la Province. 19. Toutefois, à ce moment-là , l'harmonie semblait revenue avec l'autorisation de s’assembler suivant les antiques droits, et le duc de Montmorency n'eut que des félicitations à adresser autour de lui, et à tous, pour le rétablissement des Etats. 20. Robert Miron avait compris l'importance de la mission (1) Voy. Essai historique sur les Etats du Languedoc, par le baron Trouvé; et les Aperçus historiques, ele. , par M. Caze, aux Mémoires de l'Académie des Sciences, etc., de Toulouse , 5e série , tom. 11, pag. 181 et 198. 22 MÉMOIRES qui lui avait été confiée; il pressentait qu'il ouvrait une ère nouvelle autant pour lui-même que pour ceux qui seraient appelés à lui succéder, en vertu d’une délégation encore tem- poraire, mais qu'il devait, le premier, conserver durant plusieurs années; aussi, fort de son passé, de son expé- rience, de la considération dont il jouissait, et peut-être aussi des instructions et des vues que le ministre n'avait pas hésité à lui communiquer, Miron, dès son apparition aux Etats, inaugura une innovation qu'il soutint toujours, qui servit d'exemple et de modèle, et passa dès lors en usage constant; il prononça une harangue sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure. 21. Cette assurance de Robert Miron n'avait rien que de légi- time et de naturel ; n’avait-il pas déja figuré, et par les siens et par lui-même, dans de grandes circonstances? n’avait-il pas conquis le droit de se prévaloir de l'autorité et de la gravité qui s'étaient attachées à sa personne, et de faire écouter ses paroles et ses conseils ? Issu d’une famille originaire, disait-on, de la Catalogne, mais devenue française depuis de longues années, Robert Miron était le petit-fils d’un savant médecin de Charles IX et fils de Gabriel Miron, seigneur de Beauvoir, Conseiller au Par- lement de Paris en 1346, et depuis, lieutenant civil de la même ville. Il appartenait donc à une famille ayant acquis quelque lustre, et qui, au lieu de dégénérer ou de rester sta- tionnaire , s'élevait chaque jour davantage. 29. François Miron, frère de Robert, lui aussi Conseiller au Parlement comme leur père, après avoir exercé diverses char- ges publiques, fut choisi pour prévôt des marchands en 160%. Il s'était signalé dans les fonctions qu'il avait remplies au- paravant ; il se signala encore plus par l’activité qu'il déploya lorsqu'il fut placé au sommet de l'administration municipale de Paris. Il donna une impulsion des plus vives et des plus intelligentes aux travaux de la capitale; c’est à lui que l'on dut notamment la reconstruction et l'achèvement de l'Hôtel de DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 93 ville tel que l’avaitalors conçu et proposé l'architecte André du Cerceau. François Miron mérita des éloges que tous les histo- riens se sont plu à recucillir et à rapporter. Les lettres admi- nistratives qu'il échangeait avec Henri [V et que l'on vient de remettre au jour, témoignent que le sujet savait résister et dire des vérités, et que le Roi savait les entendre et discuter les objections à sa volonté. Il mourut en 1609 (1). 23. Né en 1569, Robert Miron, dès l’âge de 26 ans à peine, avait également occupé un siége au Parlement de Paris (1595). Il y devint, un peu plus tard, Président aux requêtes du Pa- lais, mais il était loin de s'être laissé absorber par ses fonctions judiciaires. Dévoué à Henri IV, dont il avait embrassé la cause avec chaleur et soutenu les droits de tous ses efforts, Miron avait été employé aux grandes affaires pendant toute la durée du règne de ce bon Roi, qui grandit glorieusement et sans cesse aux yeux de la postérité, s’émerveillant de découvrir chaque jour, dans ce héros couronné, de nouveaux sujets d'une éter- nelle admiration. Délégué en Auvergne et dans plusieurs autres parties du royaume, Robert avait contribué, parles éminentes qualités qu'il sut y déployer, à retenir dans le devoir des villes et des provinces de qui la fidèlité se montrait chancelante et qui auraient penché vers les idées de changement ou vers les innovations. Enfin, il avait réussi, grâce à ses efforts et à son zèle, du moins il avait pu s'en flatter, à donner de l’obéis- sance, à imposer de la soumission aux plus obstinés des héré- tiques qu'il avait entrepris de convertir. Ensuite, pour les conséquences et l'exécution du traité de paix de Vervins (1598), Miron avait été chargé de fixer les li- mites du royaume avec les possessions de lArchiduc de Flan- dre et du duc de Lorraine; cette opération délicate ne se termina qu'en 1601 (2). Jusqu'alors Miron:agissait sous le ———— (1) Voy. Mezeray, Abrégé chronologique , Gv. LxIt, tom. VI, pag. 324, 325. — Moreri, Dictionnaire historique , 1759. — H. Martin, Histoire de France , tom. XI, pag. 51. — Dulaure et Batissier, Histoire de Paris, pag. 280. (2) H. Markÿn , tom. x, pag. 365 et 427. 24 MÉMOIRES titre et avec les pouvoirs d’un Intendant de justice ; mais à son retour de ces missions différentes et épineuses où il s'était dis- tingué par ses talents et son habileté, il fut accueilli avec honneur; et le Roi jugea que le Président aux requêtes était digne à tous égards de s'asseoir en son conseil privé (1604). le 2%. Lorsque Henri IV allait enfin mettre à exécution le grand projet, si longuement médité , contre la maison d'Au- triche ; lorsque les plus vastes préparatifs se faisaient de toutes parts, et n’attendaient que le dernier signal, Miron n'avait pas été laissé inactif et à l'écart; au contraire , il avait été délégué de nouveau (1610), comme Intendant de justice à l'armée réunie en Champagne (1). Mais il y était à peine rendu que le poignard d’un vil scélérat, anéantissait les pensées et les vertus du meilleur et du plus populaire des rois. Rappelé aussitôt à Paris, par les suites de ce déplorable événement , Miron fut jeté au milieu des commencements si agités, si péni- bles de la régence de Marie de Médicis (2). En 161%, élu prévôt des marchands et succédant ainsi à son frère, 1l occupa cette placesi élevée et si difficile, avec une activité et une distinction dignes de son devancier. [l poursuivit avec une ardeur égale les embellissements de la capitale : si bien que cette même année (1614), lors de ces célèbres Etats généraux qui furent les der- niers de la monarchie, et «dont les cahiers ne devaient aboutir que cent soixante-quatorze ans plus tard » (3), Robert Miron fut élu président du tiers-état. Si la considération qui lui était advenue par ses services passés , lui avait valu cet honneur, elle dut être singulièrement rehaussée , aux yeux de tous, par cette dignité, et quel que fût d’ailleurs le peu de succès politi- que de l’Assemblée qu'il présida (4). 25. C'est quand il était monté à ces honorables hauteurs, (1) Zbid., tom. x, liv. LxNII. (2) 1bid., tom. xr. (3) Zbid., liv. LXV, tom. x1, pag. 49 et suiv. (4) Ibid. DE L'ABADÉMIE DES SCIENCES. 25 que, par le bénéfice de la charge municipale qu'il remplissait , Miron présida aux magnificences étalées par la ville de Paris , pour recevoir et fêter Anne d'Autriche, longtemps et impa- tiemment attendue, quoique bien jeune, et arrivant d'Espa- gne, pour unir ses destinées à celles de Louis XIII, aussi en- fant que son auguste fiancée. Le prévôt des marchands s’ac- quitta si heureusement de ses devoirs extraordinaires, qu'il en eut , comme récompense , d'être choisi pour procureur catho- lique de la jeune reine. 26. Mais, si importantes que fussent les attributions du prévôt des marchands , la régence de la reine-mère utilisa bientôt d’une autre façon la prudence, la sagacité et les autres qualités de Robert Miron. Deux ans après (1617 ), ambassa- deur en Suisse, il y était chargé de suivre la négociation héris- sée d'embarras, et n’aboutissant jamais au sujet de la Valteline. Afin de trancher des nœuds paraissant inextricables, Riche- lieu , ayant repris le timon des affaires , jugea à propos ( en 1524) d'envoyer un ambassadeur extraordinaire , presque aussitôt métamorphosé en général, agissant à la tête des armées confédérées de la Suisse et de la France; les difficultés suscitées par les puissances intéressées, disparurent devant ce dernier argument (1). Miron qui, durant les négociations avait agi avec autant de circonspection que de bonheur, et qui s'était attiré les éloges si flatteurs de Richelieu , ne quitta pas la Suisse après le dénouement si vivement amené. Il y resta jusques en 1627, c’est-à-dire pendant dix années consécutives. Rappelé quand la diplomatie active n'avait plus rien à faire dans les montagnes de l'Helvétie , il occupa les trois années de loisir qui lui furent accordées à écrire des Mémoires concer- nant les affaires qu'il avait traitées en qualité d'ambassadeur. Ces Mémoires n’ont jamais été publiés et se sont vraisemblable- ment perdus , ce qui est regrettable , car les dires d’un témoin oculaire, et mêlé personnellement aux faits qu'il raconte, sont (1) H. Martin. {bid. 26 MÉMOIRES toujours précieux pour l'histoire, surtout quand le narrateur a été si haut placé, qu'il a pu dominer ce qui se passait autour de lui. Au reste, si les détails précis manquent sur l'étendue des services rendus coup sur coup par Miron, on ne saurait sup- poser qu'il n'avait pas réussi; puisque les qualités ou brillan- tes ou solides de l'envoyé et du négociateur, sa réputation acquise et s’afflermissant de plus en plus à l'épreuve, l'appe- laient encore, le faisaient porter à des missions nouvelles et successives, toujours plus importantes, et devenant pour lui la source et de nouveaux honneurs et de nouveaux emplois. 27. C'étaient là les antécédents de l’homme d'Etat, du person- nage de conséquence à tant de titres et à tous égards , sur qui le cardinal-ministre avait jeté les yeux , et à qui il donna la préférence , en le chargeant d'aller, au nom du Roi, assister en observateur éclairé, attentif et résolu, aux Etats du Langue- doc récemment réintégrés dans leurs pouvoirs et admis à déli- bérer sur les intérêts de la province, mais sous la condition imminente d’être surveillés, dominés et réprimés. Le délégué se montra à la hauteur de sa mission par sa courageuse con- duite, si ce n’est par l'éloquence de sa parole : ceci nous ramène à ce discours d'ouverture , dont il a été dit un mot précédemment. 28. Après des compliments aux formes les plus louangeuses adressés tour à tour au Gouverneur , au Lieutenant-général , aux Etats , au Roi, à son Ministre , Robert Miron , à l’exem- ple de Montmorency, félicitait ceux qui l’écoutaient de ce que : « Dans ses sérieuses occupations (que l’orateur venait de » rappeler en exposant la situation du royaume , tant à l’exté- » rieur qu'à l'intérieur}, le Roi se soit souvenu de vous; en » cela, certes , devez-vous hautement louer sa bonté d’avoir donné du temps à entendre vos plaintes, y avoir acquiescé et » pourvu si bénignement par le rétablissement de vos privi- » ges aux conditions des articles concertés et résolus en Cour C2 DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 27 avec MM. vos députés ; pour l'exécution desquels et avant que vous divertir à d’autres affaires , Sa Majesté a permis l'ou- verture de ces Etats, et vous en dénonce la convocation qui est comme une conférence paternelle , paisible , et amiable des sujets avec leur prince , ou avec celui qui le représente à ce Gouvernement , pour remédier aux maux par l'avis des malades mêmes : et c'est pour cela , &c. » À ce début, succède le plus pompeux éloge du cardinal de Richelieu ; les expressions les plus saillantes en ont été rele- vées par les historiens (1); la longueur de ce panégyrique empêche qu'il ne soit transcrit ici. Si le fond est vrai, la forme en est exubérante. Afin d’avoir une idée de la manière de l'orateur , lisons plutôt la péroraison qui couronne , et les exhortations aux Etats pour qu'ils accédassent aux volontés du Roi , et l'immense harangue du commissaire départi. » « Cette favorable justice étant reçue par vous, comme de la main propre du Roi, je ne doute point que vous ne vous teniez obligés à un digne remerciment et à une forte réso- lution de vous affermir en une entière fidélité envers Sa Majesté, et en une parfaite obéissance à ses commande- ments ; pour de là l’insinuer fortement dans les esprits des peuples , qui vous regardent comme leurs pères et bienfai- teurs ; à ce que, à votre exemple , ils se maintiennent à pa- reil devoir , et qu'ils reconnaissent en vous une mutuelle amitié et cordiale affection à leur soulagement qui réussisse au bien commun de tous , à quoi si nos offices peuvent ap- porter quelque avancement , comme nous y avons toute la disposition qui y peut être désirée , nous vous assurons de ne vous y défaillir jamais en aucune chose ; vous en avez déjà l'expérience de MM. les Intendants qui sont en cette province , aux soins desquels elle semble être particu- lièrement commise par la suite de la correspondance que leur charge les invite d'y avoir et entretenir continuelle- (1) Voy. Dom Vaissette. 28 MÉMOIRES » ment, et moiplus, ressentement, appelé aux affaires de » cette même province, quoique moins expérimenté à la » connaissance d'icelles, je les imiterai très-volontiers en tout » ce qui concernera votre avantage, pour tous ensemble pro- » curer votre bien en toutes occasions , et rendre en mon » particulier à cette Compagnie en général et à chacun de » vous, Messieurs , tout honneur et service (4). » 29. On le voit, l'éloquence de Miron, s’il est permis de dé- corer de ce nom son langage officiel, se ressentait étrange- ment des habitudes et du goût de l'époque. Les périodes de ses discours sont démesurées, enchevêtrées de phrases inciden- tes; et de plus, maints passages sont surchargés d’une érudi- tion se complaisant, à travers des métaphores alambiquées , en un luxe immodéré de citations tirées de l'histoire, de la mythologie, des auteurs sacrés et profanes. C'était la manie du temps. Nul n’y échappait dans les Assemblées publiques, dans la chaire, au barreau, pas plus que pour les livres et les écrits. La langue française n'était pas encore épurée , châtiée par les auteurs toujours admirables du xvu° siècle; Pascal n'avait pas encore publié les Provinciales. 30. «Le style est de l’homme même, » a dit un grand natu- raliste, qui fut un si grand écrivain, et qui mieux qu'un autre a pu et a su parler du style. Mais si Buffon, dans ce discours resté célèbre, et dont le passage le plus souvent cité, a été presque toujours altéré et reproduit d’une manière inexacte, parle évidemment à un point de vue particulier, des connaissances, des faits, des découvertes qui appartiennent à la science (2), son axiome (4) Voy. les Procès-verbaux des Etats, aux archives de la Préfecture, an- née 1631. (2) Voici le texte exact de ce paragraphe , l’avant-dernier du discours prononcé par Buffon à l'Académie française , le jour de sa réception , le 25 août 1757. « Les ouvrages bien éerits seront les seuls qui passeront à la postérité. La DE L'ACADÉMIE DES SLIENCES. 29 « le style est de l'homme même , » .. est général, et comme il est juste, sans aucune exception. En appliquant ici ce prin- cipe incontesté , ce qui était de l'homme chez Miron, ce qui lui appartenait en propre , ce qui peut nous servir à le con- naître et à l'apprécier comme orateur, a péri et devait périr avec lui. Ce style emphatique, embarrassé, qui ne peut pas plus s’enlever qu'il ne peut être évité par celui qui l'emploie , n'était ni durable , ni éternel. 81. Mais ce qui mérite de durer et de vivre dans le souvenir du monde, au milieu des faits providentiels que nul ici-bas ne peut régler où empêcher parce qu'ils sont hors dé l’homme, c’est cette autre classe de faits qui sont aussi de l’homme même ; et ici c'est la fermeté, c’est le courage de Miron, pour être fidèle à sa mission, soutenir les intérêts du Roi, malgré « les circonstances redoutables et les déplorables tentatives des rebelles (1). » Ce sont là des mérites qui, pas plus que Île style, ne sauraient être ni enlevés à celui qui les a possédés ni transportés à un autre. Les Etats de la province, commencés en décembre 1631, par les protestations de dévouement au Roi que Montmorency avait fait entendre , siégeaient encore à la fin de juillet 1632. En- traînés par les partisans du duc, cédant lui-même tout à coup aux influences de Monsieur (Gaston d'Orléans), par un de ces revirements subits qui ne sont pas faits pour nous étonner » quantité des connaissances , la singularité des faits, la nouveauté même » des découvertes, ne sont pas de sûrs garants de l’immortalité ; si les ou- » vrages qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets; s'ils sont » écrits sans goût, sans noblesse et sans génie , ils périront, parce que les » connaissances , les faits et les découvertes s’enlèvent aisément, se trans- » portent et gagnent même à être mis en œuvre par des mains plus habiles. » Ces choses sont hors de l’homme , Le style est de l’homme même. Le style ne » peut donc ni s’enlever ni se transporter, ni s’altérer ; l’auteur sera égale- » ment admiré dans tous les temps; car il n’y a que la vérité qui soit durable » et éternelle. » (1) Missus erat ut præesset, magno regis commodo, formidolosis temporibus, inter infaustos rebellantium conatus ; ce sont les termes de son épitaphe. 30 MÉMOIRES aujourd'hui, les Etats prirent des délibérations hostiles au Roi. L'archevèque de Narbonne , Miron et les autres Commis- saires s'y opposèrent vainement. Montmorency , levant l'éten- dard de la révolte qui allait le conduire si rapidement à l’écha- faud , ‘fit arrêter ses adversaires, mais il n'osa pas ou ne voulut pas les retenir et il les fit relâcher dès le lende- main (1). L'un des Commissaires, moins accoutumé aux luttes politi- ques et moins brave devant elles, s'était grandement effrayé et s'enfuit aussitôt. Miron qui, par les allusions assez transpa- rentes de son discours, avait prévu et combattu la rébellion se préparant, resta inébranlable à son poste. S'il ne lui avait pas été possible d'arrêter ou de diriger la marche des faits et de surmonter la difficulté des temps, il ne s'éloigna pas des lieux où était le danger. Quelques semaines après, la révolte était vaineue , et la tête de Montmorency tombait sous le coutelas du bourreau. 39. Cette courageuse attitude de Miron le recommandait à toutes les sympathies de Richelieu, ayant là d'ailleurs une mer- veilleuse occasion de ne pas changer le Commissaire départi, le conseiller d'Etat ordinaire de Sa Majesté, remplissant si bien les fonctions d'Intendant, et exerçant sa délégation avec tant de vigueur et de résolution. Aussi voyons-nous Robert Miron assister aux Etats que Louis XII vint ouvrir en personne, à Béziers , le 11 octobre de cette année 1632. Mais seul, l’ar- chevêque de Narbonne, président-né des Etats, répondit aux discours du Roi et du garde des sceaux. Il suffit d'indiquer les faits principaux sans s'y appesantir, ce qui serait à l'infini. 33. Miron se dédommagea de son silence l'année suivante, aux Etats qui s’ouvrirent à Montpellier, le 21 novembre 1633, et auxquels présidait, de la part du Roi, Charles de Schomberg, duc d'Alluin, &c., gouverneur de la province , &c. (2) Dom Vaissette , tom. v, pag: 582. — H. Martin, tom. x1, pag. 381. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 3 En se présentant devant l'Assemblée pour la troisième fois, Robert de Miron est, cette année là, désigné au procès-verbal, ainsi que M. Antoine Lecamus, seigneur d'Hémery, le même qui avait pris la fuite (1), comme conseiller du Roi en ses (1) Cette faiblesse momentanée, si c’en était une, et qui était apparem- ment rachetée par un vrai mérite, ne porta aucun préjudice à la fortune d'Antoine Lecamus, seigneur d'Hémery, Conseiller , ete., etc. Fils de Nicolas Lecamus , Consciller d'État, Antoine fut Conseiller au Parlement et Président des enquêtes, Maître des requêtes , Intendant du Languedoc et ensuite de la généralité de Paris ; Président en la Chambre des comptes, puis Contrôleur général des finances. Il mourut le 25 janvier 1687, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Toutefois, un autre motif que la peur fut donné pour cette fuite du sieur Michel Pardicelle, sieur d'Hémery (le procès-verbal lui donne ces noms). A la séance du 22 juillet 1632, les syndics généraux du pays dirent, dans un long exposé, « qu'ayant été, cette grande province, privée de tous ses » droits , libertés et priviléges en l’année 1629 par l'établissement de vingt- » deux bureaux d'élection et de plusieurs grandes crues sur le sel, double- » ment et triplement des tailles, taillons, impositions, subsides , commis- » sions et recherches extraordinaires et privation du droit de l'équivalent qui » soulagent les tailles de deux cent mille livres par an, etc... et s'étant » épuisée pour servir le Roi. » elle aurait obtenu, enfin, la révocation de certains des édits, et notamment de la suppression des Élus... Que , néan- moins, les Ministres, voulant éluder les effets de ces édits «allant quasy de droit fil contre la bonne volonté du Roy, » s'étaient servis , pour l'exécution de leur dessein, du Président de Miron et de Pardicelle, sieur d’Hémeri; que celui-ci surtout avait employé tous les moyens possibles et dilatoires; « que, sous divers » prétextes , il avait envoyé de temps en temps à la Cour des courriers » pour faire couler inutilement les mois entiers en l'attente de leur retour,afin de » lasser la patience des États , et en rendant leur assemblée odieuse au peuple » par sa longueur , prendre l’occasion de quelque moment favorable pour établir » plus puissamment les élus et ruiner sans ressource les franchises , privi- » léges et libertés de cette province. Mèmement, ledit sieur Pardicelle, qui » avait la plus secrète et principale direction de ce projet; lequel, pour des » intérêts particuliers , ayant tenu le traité ( de remboursement aux élus) en » incertitude depuis six mois que les États sont assemblés, s’est enfin ab- » senté de la ville de Pézénas le même jour que Monseigneur de Montmo- » rency revenait d’un voyage pressé de sept ou huit jours qu’il avait fait en » Vivarais pour le service du Roi, faisant semblant d'avoir été saisi de quelque » terreur panique, sans néanmoins aucun légitime sujet, comme chacun l’a re- » connu, et qu'il l'a justifié lui-mème par son retour, reprenant ses amusements , » artifices accoutumés pour parvenir à sa fin, de laquelle il a voulu donner » connoissance et le goût mème à quelques-uns de l'assemblée, par des » moyens illégitimes, qui ont été généreusement rejetés. » Sur cet exposé des Syndies, les États délibèrent de faire l'octroi au Qc 92 MÉMOIRES conseils d'Etat et privé, Intendant de la Justice, police et finances audit pays du Languedoc. Le titre est donc complet pour les deux collègues ; il embrasse les trois branches de leur administration limitées auparavant à la justice et à la po- lice. I semblerait, par suite, qu'il y aurait à modifier, quant au Languedoc , une des conclusions de M. Caillet, qui recule jusqu'en 1637 le complément définitif et des titres et des fonc- tions des Intendants en général. Quoi qu'il en soit, Robert de Miron, en prenant dans le choix fait de messire de Schomberg, des motifs plus que sufli- sants pour renouveler ses éloges et ses compliments au Roi, au Ministre et au Gouverneur lui-même, y trouva encore des raisons pour inviter les Etats, leur dit-il, «à vous défendre » désormais des illusions de ceux dont les puissances ne peu- » vent être que faiblesse, les promesses mensonges, les présents » maléfices , leurs secours et leurs forces, fourberies et ima- Roi et de le porter à Monseigneur de Montmorency, avec prière d'unir de plus fort ses intérêts à ceux du pays, etc. ; de supplier le Roi de maintenir les priviléges de la province, etc. ; de s'opposer à toute fonction des élus , etc. Ils délibèrent , enfin, «qu’en cas de nécessité pressante, les gens des trois » États, en chaque sénéchaussée , ou les États généraux même ( si besoin est ), » s’assembleront sur les mandements de mondit Seigneur de Montmorency, » en attendant ceux du Roi, au lieu où ils seront convoqués, pour pourvoir » à tout ce qui sera nécessaire pour le service S. M. , bien et repos de cette » province. » Le sens et la portée de cette délibération sont assez clairs ; c'était la sanc- tion de la rébellion de Montmoreney. ( V. les Historiens. ) A la séance de relevée du même jour, il fut consigné au procès- verbal que, «pour abolir la mémoire des rigoureuses conditions sous lesquelles on a proposé aux États la suppression des élus , » et pour « cacher à la postérité , les ruses et les moyens dont s’était servi le sieur d'Hémery ,» pour éluder la grâce accordée par le Roi, et «afin que la connaissance même de ce mau- » vais procédé ne donne des lumières à ceux qui voudraient à l'avenir former » un semblable dessein, (les États) ont délibéré qu'il n’en sera rien mis » sur le verbal, ni écrit dans leurs registres ; et, à cet effet, s’en étant fait » représenter tous les actes et minutes par leur secrétaire, ils les ont fait » biffer et rompre en pleine assemblée. » Ces moyens singuliers d'effacer étaient inefficaces , puisqu'il aurait fallu faire disparaître aussi Ja rupture et la biffure qui perpétuaient ce qu'on en- tendait annuler et détruire. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 33 ginations , et la lueur que vous y penserez voir semblable à » ces feux ondoyants qu’on nomme ardants, qui paraissent sur » les bords des eaux , que les misérables passants croyent être » ordonnés pour leur guide , et toutefois , ne servent qu'à les » éblouir, pour les précipiter et les perdre dans les abymes. » Or, comme vous savez que dans la persécution de l'Eglise, » Ja Providence éternelle a suscité de saints athlètes pour com- » battre et vaincre ses ennemis, nonobstant toutes les puissan- » ces sorties des enfers ; aussi en la plénitude des temps, la » même Providence qui a établi des Etats et des Gouverne- » ments légitimes, a suscité pour leur manutention des Clovis, » des Charlemagne, des Saint Louis, des Grand Henry, et » surtout en notre âge un Louis-le-Juste ; lequel, comme un » autre Hercule a , presque dès son enfance , et à l’orient de » son règne, étouffé ce serpent , tranché les têtes de cet hydre » de la rébellion, et défera tous les Antées qui n'ont recours » à la terre que pour se relever ; nous avons le ciel pour ga- » rant de nos espérances... &c. (1). » Sous ces phrases mal faites, on sent battre le cœur de l'homme généreux et dévoué. Miron avait toute espèce de droit à tenir cet énergique langage. 34. Sans nul doute aussi, àtravers les vices et les défectuosi- tés de la forme, il serait facile et curieux de faire des rappro- chements et de découvrir beaucoup de ressemblances et d’ana- logies entre le style officiel de ces harangues du XVII siècle et celui que, après plus de deux cents ans, nous entendons ou nous lisons à chaque instant. Si déjà les comparaisons sont très-possibles entre certains ordres de faits d'autrefois et ceux d'aujourd'hui , le style employé maintenant ne diffère pas au fond de celui qui jadis avait seulement moins d'élégance, de clarté et d'habileté. On dirait le même thème brodé par les mêmes variations que distinguent à peine les moindres acci- dents et des modulations presque insensibles. Ce ne sera (4) Proceès-verbaux des Etats de 1633, pag. 7 et il. 5° $. — TOME ui. 3 34 MÉMOIRES pas la seule fois que cette même réflexion pourra trouver sa place. 35. Cependant cette commotion produite par la rébellion étant passée et le calme intérieur rendu à la province, Miron avançant en âge et affaibli par la maladie, ne commença plus ses discours les années suivantes (1634, 1635) que par mani- fester le désir qu'il avait de se retirer, et par assurer, qu'en restant, il cédait à l'obligation qui lui était imposée. En 1636, il prenait formellement congé de l'assemblée où il parlait pour la cinquième fois, ne pouvant plus se permettre, disait-il, de la revoir, et «étant raisonnable que je fasse place à d’autres qui serviront mieux que Moi. » Richelieu n’en jugeait pas de même ; il ne voulait pas se pri- ver des services et des lumières d’un homme tel que Miron, ou du moins desa présence; et tout en lui donnant des collègues qui l’aidaient et le suppléaient au besoin, il maintenait à la tête de la province celui qui y avait sibien défendu la royauté. Il mettait de la sorte en pratique la pensée générale qui le di- rigeait et qui lui inspira l’édit de 1637. 36. Cette même année (1637), Miron se retrouvant aux Etats qu'il semblait avoir quittés à jamais, exprimait son étonnement d'y être encore : « C'était, disait-il, ce déréglement de la guerre » survenue qui m'a arrêté derechef en ce pays pour continuer mes services et contribuer de mes soins aux affaires. » Il fai- sait allusion à la guerre contre l'Espagne et l’Autriche qui, en 1636, avait été poussée avec plus de vivacité que jamais (1). Bien que depuis trois ans Miron eût été assisté d'Antoine Le- camus, ayant les mêmes qualifications, mais effacé par son illustre collègue , il n’était donc pas tellement accablé par l'âge et les infirmités, puisque c'était par la difficulté des temps qu'il avait été forcé de rester encore aux affaires du pays. ” Eten effet, l'année suivante, Miron, s’oubliant entièrement, (1) H. Martin, tom. x1, pag. 464. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 35 ne s'occupa plus de parler de lui-même, tandis qu'il traçait d’une main ferme la position nouvelle et prépondérante réservée aux Intendants. L'édit de 1637 étaitrendu. Miron paraphrasait le texte obligé de deux principales vertus du roi, la justice et la piété; car Louis XIII avait reçu le surnom de Juste, et ilavait placéson royaume sous la protection spéciale de la mère de Dieu. «S. M., ajoutait l'orateur développant sa pensée, vous envoie, »par cet amour de la justice, des Intendants ou Inspecteurs » tirés de l’ordre des juges souverains de son conseil, qui estun » arsenal ou officine d'équité, comme l'appelle Budes, lesquels » ne vous sont point à charge, ains au contraire, suppléent » et secourent souvent par le concours de leur ministère, ce » qui pourrait manquer de la part des officiers provinciaux par » Impuissance ou autrement; aussi assistentils, à l'exclusion » des officiers ordinaires de la province, à vos Etats, non-seu- » lement pour vous requérir d'autoriser les demandes que le » Roi vous fait l'honneur de vous soumettre, mais aussi pour » redresser les défauts et corriger les excès qui se peuvent com- » mettre le long de l'année et y pourvoir par voies juridiques »sur les remontrances des syndics généraux de la province »et particuliers des diocèses, qui doivent veiller, chacun en » droit soi, sur ce qui se passe pour en faire le rapport à M. le » Gouverneur, aux Etats et à nous-même (1). » 37. Retombé malade, Miron ne put pas se rendre à l’assem- blée ouverte le 20 septembre 1638 (pour 1639); il fut remplacé cette année par Messire Barthélemi Dupré, conseiller du Roi en ses conseils, &c., &c., qui développa à son tour et pour son compte, ce sujet inépuisable de la justice et de la piété de Louis XIII. Les Etats ne perdirent rien à la substitution. Mais Miron se ravivant en novembre 1639, et jetant cet éclat suprême du flambeau prêt à s’éteindre, vint pour la dernière fois s'ex- (1) Procès-verbaux de 1637, 1638, pag. 8. 36 MÉMOIRES cuser de paraître, après sept années de présence «en son âge septuagénaire »; et ce furent bien ses adieux. 38. Il avait obtenu enfin par l'excuse prise de son grand âge, et d'une maladie nerveuse des plus cruelles et des plus prolongées (1) de se reposer au sein de ses foyers domestiques. Il y retourna en juin 1640; mais pour y être saisi par un redoublement de son mal qui ne lui permit plus de quitter son lit et que ne tardèrent pas à aggraver et à rendre mortel de su- prèmes afflictions. Miron avait eu le malheur de perdre na- guères trois de ses fils, morts à la fleur de l’âge; il eut encore la douleur de voir mourir avant lui Marguerite Brète, femme supérieure et tendrement aimée avec qui il avait vécu dans la plus étroite union conjugale pendant plus de quarante années; qui l'avait accompagné dans presque tous ses voyages et toutes ses missions, en qui il trouvait sa consolation et son soutien, perdu qu'il était par ses infirmités devenues continuelles et si douloureuses. Ce dernier coup accabla le malheureux vieillard, Il avait espéré ne passurvivre à une épouse chérie, et c'était elle qui le précédait dans la tombe; il languit encore neuf mois, et mourut le 13 août 1641, âgé de 72 ans, à pareil jour, à pareille heure, et de la même maladie organique qui avait enlevé sa chère Marguerite. Des seize enfants que Robert Miron avait eus de sa femme, six seulement lui survécurent ; leur piété filiale voulut élever à celui qu'ils avaient trop tôt perdu, un mausolée que le temps n’a pas plus épargné qu'un si grand nombre d'autres. Voilà quel a été le premier Intendant du Languedoc; nous ne rencontrerons pas à chaque pas, parmi ses successeurs , d'aussi imposantes figures que celle de Robert Miron. (1) Admissä ætatis et Sontici morbi excusatione. — ( Morbus Sonticus sive Epilepsia. Voy. Ducange. ) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. O7. NOTE SUR LE PRINCIPE SUCRÉ DE LA RACINE DE GENTIANE JAUNE (GENTIANA LUTEA ); Par M. MAGNES -LAHENS. IL y a déjà longtemps que la présence d’un principe sucré a été constatée par les chimistes dans la racine de gentiane; cependant l'instinct populaire avait devancé, sur ce point, les expériences des chimistes, car avant leur découverte, les paysans de certains cantons de la Suisse obtenaient, par la fermentation du jus de la racine de gentiane , une liqueur alcoolique. Les premiers chimistes qui analysèrent la racine de gen- tiane se bornèrent à y signaler la présence d'une matière su- crée, sans en déterminer la nature spéciale. Plus tard, MM. Caventou et Henry constatèrent sa ressemblance avec le sucre de raisin, et insistèrent sur la difficulté qu'il y a de la séparer des principes amers et colorants qui l’accompagneñt dans la racine de gentiane. Mon but, dans les expériences dont je vais avoir l'honneur de vous entretenir, a été de doser exactement le principe sucré ou glucose de la gentiane , et de l'obtenir à un degré satisfaisant de pureté. Je décrirai d’abord le mode que j'ai suivi pour obtenir Fé- chantillon de glucose que je vous présente; je passerai ensuite au dosage. 38 MÉMOIRES J'ai épuisé 500 grammes de gentiane en poudre grossière par suffisante quantité d’eau , et j'ai versé dans le soluté obtenu un excès de sous-acétate de plomb liquide; j'ai séparé par fil- tration le précipité considérable qui s'est formé. La liqueur filtrée était beaucoup moins colorée qu'avant l'addition du sous-acétate de plomb; j'ai précipité l'excès de ce sel par un courant d'acide sulfhydrique, et j'ai filtré de nouveau la liqueur. Sa couleur avait subi une nouvelle diminution d'intensité pen- dant le traitement par l'acide sulfhydrique. La décoloration que je signale doit évidemment être rapportée au sulfure de plomb produit au contact de l'acide sulfhydrique et de l'excès du sous-acétate de plomb ; ce sulfure partageantavec un grand nombre de sulfures et d’autres corps insolubles un pouvoir décolorant très-marqué, ainsi que l’a parfaitement démontré M. Filhol. La liqueur filtrée a été portée à l’ébullition que j'ai entretenue assez longtemps pour expulser tout l'acide sulfhy- drique ; j'ai ajouté à la liqueur 400 grammes de charbon ani- mal, et j'ai continué de chauffer jusqu’à ce que j'aie obtenu un magma de consistance d'extrait. J'ai abandonné ce magma à lui-même pendant huit jours et je l'ai repris par suffisante quantité d'eau pour dissoudre tout le glucose; j'ai filtré, et par une évaporation convenable, jai obtenu le produit que j'ai déjà fait passer sous vos yeux. Je n’ai pas la prétention d'avoir obtenu le glucose de la gen- tiane parfaitement pur; je n'ai pu enlever à mon échantillon, quelque moyen que j'aie employé, la totalité du principe amer ; il retient aussi de la matière colorante et de l’acétate de chaux provenant de l'emploi successif du sous-acétate de plomb et du charbon animal. Mais, malgré la présence de ces corps étrangers, qui s'y trouvent d'ailleurs en très-petite quan- tité, mon glucose est plus pur et plus beau que je ne l'avais espéré. Il possède une action réductive sur la liqueur de Ba- reswil , plus prononcée , à poids égal , que le glucose de fro- ment et le glucose granulé. Quant au dosage du glucose de la racine de gentiane, je l'ai exécuté par les mêmes moyens qui m'ont servi à constater la DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 39 richesse de l’opium en glucose, c’est-à-dire par la liqueur de Bareswil. J'ai trouvé que la racine de gentiane, bien sèche, con- tient 13,55 p. , de glucose; ce chiffre représente la moyenne de huit essais dont les résultats différaient très-peu entre eux. Les essais ont été faits sur des solutés obtenus en épuisant dans un appareil à déplacement, par 300 grammes d’eau dis- tillée à une température de 20 degrés, 10 grammes de gentiane grossièrement concassée et préalablement desséchée à l’étuve. J'ai été désireux de contrôlèr, au moyen de la balance, le chiffre 13,55 qui représente, d’après les expériences pré- citées, la quantité de glucose contenue dans 100 grammes de racine de gentiane; à cet effet, j'ai traité, par le procédé pré- cédemment décrit dans tous ses détails, 1000 grammes de ra- cine de gentiane parfaitement sèche. Le glucose fourni par ces 1000 grammes a été soigneusement desséché à l’étuve ; il aurait dû peser, ainsi desséché, 135 grammes à raison de 13 gram- mes 55 centigrammes de glucose par 100 grammes de gen- tiane ; mais son poids pris à une balance exacte a été inférieur à 135 grammes. Je n'ai pas été surpris de ce déficit ; il provient d’une circonstance que j'ai signalée le premier, et qui, ignorée de plusieurs expérimentateurs , entache d’er- reurs graves les essais saccharimétriques dans lesquels ils font intervenir l'emploi du sous-acétate de plomb. J'ai annoncé depuis longtemps que lorsqu'on traite les sucs sucrés par l’ex- trait de saturne , une partie de glucose est si fortement retenue dans le précipité qui se produit, que des lavages à l’eau abon- dants et réitérés ne peuvent l’en séparer. L’acide sulfhydrique doit intervenir pour produire cette séparation; mettant à profit mon expérience sur ce point , J'ai additionné d'eau le précipité formé par l'extrait de saturne dans le macéré des 1000 grammes de gentiane qui avaient été mis en œuvre dans mon expérience, et j'y ai fait passer un courant d'acide sulfhydrique. Le glucose rendu libre par l'intermédiaire de cet acide, s’est dissous dans la liqueur, et celle-ci convenable- ment évaporée a laissé pour résidu assez de glucose pour com- bler le déficit constaté plus haut; en réunissant, en effet, le 40 MÉMOIRES poids du glucose obtenu dans cette dernière opération au poids du glucose provenant de la première, j'ai atteint, à très-peu de chose près, le chiffre de 135 grammes. Les résultats des deux moyens que j'ai employés pour déter- miner la richesse de la racine de gentiane en glucose se trou- vent ainsi confirmés l'un par l'autre. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 41 RECHERCHES SUR QUELQUES POINTS DE LA MÉCANIQUE ; Par M. E. BRASSINNE. 1° CALCUL DES PERCUSSIONS. L'aureur de la Mécanique analytique s’est proposé de déduire d’un seul principe et d’une seule formule, la solu- tion de tous les problèmes de la mécanique. On sait, avec quelle élégance et quelle profondeur Lagrange à rempli cet objet, et on peut dire que son admirable ouvrage , publié en 1788 , a été l’origine des derniers progrès accomplis dans la mécanique céleste et la physique mathématique. Dans une précédente communication , j'ai eu l'honneur de soumettre à l'Académie une note relative à l'extension qu'on peut donner à la formule fondamentale de Lagrange, lorsque quelques- uns des corps du système éprouvent des résistances dues au frottement. Je me propose d'ajouter à ce premier essai, une suite de recherches sur divers points de la mécanique, pour lesquelles je réclame l’indulgence de l'Académie. Dans ce travail, je calcule les percussions en un point quelconque dun corps solide libre, mis en mouvement par des forces d'impulsion données. 4° Considérons les formules de la Mécanique analytique (3 section de la dynamique), qui font connaitre les rota- tions autour de trois axes rectangulaires, dues à des forces d’impulsion données. Employons la lettre Ô,au lieu de la notation des fluxions , pour exprimer les accroissements finis (1) 49 MÉMOIRES des rotations à un instant quelconque. Nous écrivons les trois formules : def (a+y)dm—3Ÿ frydm—de fyzdm—= [(yX—2xY) ad f(a+z)dm—d4 fx ydm—? e fyuzdm= [(xZ —2X) dYf(y+s)dm—d af æydm—Tefxzdm=f(zY—y2). D'après ces formules , les rotations changent à chaque instant, parce que les intégrales relatives à la masse du so- lide changent aussi avec sa position dans l’espace par rap- port aux axes coordonnés, æ , y, z; de plus les relations dx=zdw—ydp, y=xip—zdb,dz—=ydb—xdw, qui se déduisent des analogues en infiniment petits, en rem- plaçant ces infiniments petits par des fluxions finies propor- tionnelles, donnent, en égalant les premiers membres à zéro, les équations de l'axe instantané, qui fait avec les axes des æ, y, z, des angles : de do do cos À =, COS HT , COSP = en posant dde + d gp + da Remarquons enfin, que les forces X, Y, Z du système, composées axec les forces effectives de rotation, prises en sens contraire, se faisant équilibre autour de l’origine con- sidérée comme un point fixe; leur résultante donnera la percussion que cette origine reçoit à l'instant donné. Lagrange démontre aussi que la force vive du système est à chaque instant un maximum ou un minimum , relati- vement à l'axe instantané déterminé à cet instant. M. De- launay a fait voir le premier que cette force vive était toujours un maximum, ce que M. Bertrand a aussi confirmé par des considérations ingénieuses , dans ses annotations à la troi- sième édition de la Mécanique analytique. L’axe du z pou- vant avoir une position quelconque par raport à l'axe instan- tané, considérons à l'instant donné cet axe comme fixe. La vitesse 8 angulaire de rotation autour de laxe mstantané , DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 43 donne la vitesse v d’un élément quelconque dm. Or , la force vdm pourra se décomposer en trois rectangulaires, l’une parallèle aux z, la seconde perpendiculaire et rencon- trant cet axe , la troisième rectangulaire aux deux premiè- res. Les deux premières étant détruites par la résistance de l'axe, la troisième v’dm produira seule la rotation. Or, la somme des moments de ces forces, savoir fv"?dm (en fai- sant dv/—v), sera équivalente à la force vive totale (voir la Méc. analyt.). Mais comme en chaque point v’ est moindre ou tout au plus égal à v, il en résulte que la force vive autour de l’axe z sera moindre qu’autour de l'axe instan- tané. 2° Supposons le corps soumis à une force d’impulsion unique P, appliquée à un point dont les coordonnées sent a,b,c; nous pouvons choisir les coordonnéés æ, y, z sui- vant les trois axes principaux qui passent par le centre de gravité du corps , et alors les formules (1) donneront les rotations autour de ce centre. Mais si on veut calculer les percussions en un point qui ait pour coordonnées æ=u, Y=V,z=w, nous prendrons de nouveaux axes parallèles aux premiers passant par ce point, et en appelant æ’,y,3, les nouvelles coordonnées, on aura pour les trois rotations autour de la nouvelle origine (w, v, w), trois équations pareilles aux équations ; seulement les coordonnées du point d'application de la force P dont les composantes sont X, Y, Z, seront a—u, b—v,c—. Ecrivons la première de ces relations, savoir : def (x +y" dm—d 4 fa'z'dm—def y'z dm= —=(b—v)X—(a—u)Y. Remplaçant &’, y, x! par æ—u,y—v,z—w, et tenant compte des propriétés du centre de gravité et des axes prin- CIpaux , On trouvera , en posant fe dm=M 2, [@+2)dm=M.s# [y dm =M 44 MÉMOIRES dans lesquelles M est la masse totale du solide ; que : Ja +y")dm=M (y + + fx+2)dm=M(e +u + uw?) S(y°+2")dm=M(e ++). Par suite, les trois équations de la rotation seront : (2) deM(y+u+v)—9 4 Muuw—d oM.v.w.—= —=(b—v)X—(a—u)Y daM(g+u+u)—)4Muu—deM.v.w—= —(a—u)Z—(c—w) X dYM(etubut)—) 0 Muv—deM.u.w— =(c—w)Y—(b—v)Z. Supposons que les rotations d 6, 9%, de autour des z, æ , y se fassent dans le sens des & aux y, des y aux z, des 3 aux « ; la rotation p9 © d’un point (æ’,y',z/) autour des z donnera | deux composantes , l’une suivant les (x), — 79 dm, l’autre | suivant les (y), +æx'dodm, en supposant p =ÿx"+ y". | Faisant des calculs pareils pour les rotations d 4, dv, on trou- vera dans le sens (y)...—:'3)4dm (2)... +y'd 4 dm (æ)...—5'doudm (x)... —x'd'odm. Remplaçant &’ par &—u, y! par y—v, x’ par 3— w , et tenant compte des propriétés du centre de gravité, les sommes des forces, relatives à toute la masse, et provenant des rotations seront : Mvdo—Mwdo...(x) —Mudo+Muwdd...(y) —Mudt+Mudo. .. (x) et les trois percussions sur la nouvelle origine , seront dé- terminées par les trois relations. (5) MvIo—Mw)o+X=X, —Mudg+Muwd dt +Y=Y, —Modt+Mudo+Z—=7Z,.. Substituant dans ces formules les valeurs de à 6, 24, dw four- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 45 nies par le système (2), on déterminera les composantes X,, Y,, Z,, de la percussion , et par suite celte percussion VX+ Y;: +2. Appliquons ces formules générales à des cas particuliers. Posons d’abord X=0, Y=0, w=—0. La première des relations (2) prouve que p=0, les deux autres relations de- viennent (4) M(g+u?))a—M.u.v.d 4 —=Z(a—u) M(c+u)dd —M.u.v. do—=Z(b—v) les relations (5) se réduisent à celle-ci : —MvudL +Mudo+Z=Z. Prenant dans le système (4) les valeurs de Jw,d@ pour les porter dans cette dernière, on trouve par un calcul assez aisé : Z = 2-7 RP ETE ee) a? Ban + E°v° qui coïncide avec le résultat de M. Pomsot. Egalant le nu- mérateur à zéro, on aura, en coordonnées w, v, l'équation d’une droite qui dans l'instant considéré, est en repos dans le système puisqu'elle ne reçoit pas de percussion. On voit aussi que les points pour lesquels Z, est constant , se trou- vent sur une courbe du second ordre, laquelle est une ellipse. Si, pour simplifier encore , nous posons v—=0, le résultat précédent devient : au + £° En cherchant par les méthodes ordinaires les coordon- nées u,v des points pour lesquels x est un maximum , on arriverait à conclusions faciles à trouver. 46 MÉMOIRES EEE EEE RECHERCHES SUR L'ALCALINITÉ COMPARÉE DES EAUX SULFUREUSES DES PYRÉNÉES, Et sur la composition chimique des atmosphères médicamenteuses utilisées dans les principaux établissements thermaux des Pyrénées ; Par M. FILHOL. Dans les divers travaux relatifs à l'analyse des eaux sulfu- reuses que j'ai publiés jusqu'à ce jour, j'ai beaucoup insisté sur les causes d'erreur contre lesquelles on doit se prémunir quand on veut déterminer par la sulfhydrométrie la quantité de soufre contenue dans ces eaux, soit à l'état d'acide sulfhy- drique, soit à l’état de sulfure. Les causes d'erreurs que j'ai signalées étaient, pour la plu- part, connues des chimistes; Dupasquier lui-même les avait signalées presque toutes; mais, tout en reconnaissant leur influence, certains observateurs ont négligé d'en tenir compte; ce qui les a conduits à publier comme très-exacts des résultats qui sont fort loin d'approcher de la vérité. Les recherches auxquelles je me suis livré dans ces der- nières années, n’ont fait que me fortifier dans l'opinion que jai exprimée en 1853 dans mon ouvrage sur les Eaux mi- nérales des Pyrénées; à savoir, que si dans certains cas l'essai sulfhydrométrique des eaux minérales permet de doser le soufre avec une exactitude satisfaisante, quand même on na tenu compte ni de l'influence des sels à réaction alcaline (carbonate ou silicate de soude), ni de celle des sulfites ou hyposulfites, il est au contraire des cas nombreux dans les- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 47 quels on s'expose, en procédant ainsi, à se tromper d'une manière grave. Je sais que, tout en admettant en principe la vérité de mes assertions, quelques personnes pensent que j'en ai exagéré l'importance, et qu'en réalité l'analyse sulfhydrométrique, exécutée, comme on le fait souvent, sans aucune recherche préalable ayant pour but de déterminer si l'eau qu'on exa- mine renferme des carbonates silicates, sulfites ou hyposulfi- tes, ou un polysulfure, donne, sauf quelques cas exceptionnels, des résultats qui représentent d’une manière satisfaisante la richesse des eaux en principe sulfureux. J'ai suffisamment dé- veloppé dans mes travaux antérieurs les inconvénients de la sulfhydrométrie pour n'avoir pas besoin d'y revenir actuelle- ment ; je me contente donc de dire, encore une fois, que cette méthode excellente, quand elle est mise en pratique par des chimistes bien expérimentés, peut conduire quelquefois aux résultats les plus erronés les personnes qui l'emploient sans être au courant des ressources de l'analyse chimique. Comme preuve de la vérité de ce que je viens d'avancer, je vais rap- porter les analyses que j'ai exécutées en 1855, de concert avec mon excellent ami M. Couseran , sur les Eaux des Pyrénées. On sait que j'ai établi la possibilité de rendre nulle l’action des carbonates ou silicates alcalins sur l'iode, en ajoutant à l’eau, qui est à la fois sulfureuse et alcaline, un excès de chlo- rure de barium. Ce sel, réagissant sur le carbonate ou le silicate de soude, produit du chlorure de sodium et du carbonate ou du silicate de baryte sur lequel l'iode n’agit pas. Lorsqu'une eau sulfureuse absorbe , quand on l'analyse par le sulfhydromètre, la même quantité d’iode, qu’elle ait été ou non additionnée de chlorure de barium, on peut dire qu’elle n'est pas alcaline, ou qu'elle l’est à peine. Les eaux à la fois sulfureuses et alca- lines absorbent une moindre quantité d’iode quand on les a mêlées avec du chlorure de barium. Les tableaux suivants con- tiennent les résultats de mes essais. 48 NOMS DES LOCALITÉS. Amélie-les-Bains. Sn Établissement de de Établissement Vernet. .... Frot MÉMOIRES NOMS DES SOURCES. Source Llupia. ...... Source de la Buvette.. Source n° Source Barrère. ..... Source Massia n° 1... Source Massia n° 2... Source des MNerMES Nr eee Source Elisa...... RES Source du Vaporarium. ( source n° 2 des an- ciens Thermes.) Source Aglaé........ Source Saint-Sauveur. Source mère...... bO2 Source Saint-Sauveur .. Source pectorale..... Source Veres........ Source Anglada...... Source Amélie....... Source Arago........ M. _ Source Hermabessière. QUANTITÉ D'IODE absorbée par un litre d'eau sulfureuse. gr. 0,0450 0,0560 0,0360 0,0400 0,0480 0,0368 0,0580 0,0388 0,0488 0,0330 0,0290 0,0492 0,0184 0,0120 0,0108 0,0464 0,020 0,0368 0,0320 QUANTITE D'IODE absorbée par un litre d'eau sulfureuse, après addition d’un excès de chlorure de barium. —— gr. 0,0380 0,0432 0,0240 0,0304 0,0368 0,0300 0,0380 0,0308 0,0388 0,0290 0,0210 0,0400 0,0132 0,0120 0,0100 0,0364 0,0140 0,0264 0,0300 ERREUR sur la quantité de sulfure alcalin, 23 idem. 33 idem. 24 idem. 23 idem. 18 idem. 34 idem. 21 idem. 20 idem. 11 idem. 28 idem. 19 idem. 28 idem. T idem. 21 idem. A idem. 28 idem. 6 idem. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. NOMS DES LOCALITÉS. …….. Baréges........... Idem Idem... CR demi... e mA | Ax (Ariége ). ..... du du Établissement Couloubret NOMS DES SOURCES. Source de l’établisse- ment..... eee Source de Hontalade.. Source du Tambour. . Source Lachapelle (à la baignoire n°2). ... Source Gency (à la baignoire n° 4).... Source du bain neuf.. - | Source de l'entrée (ca- binet n° 7 et8).... Source Polard. ...... Source Dassieu....... César-vieux (griffon 1 et 2).... : - | Pause vieux. ........ Source de la Raiïllère.… Source des Espagnols. Source Viguerie...... Source Quod. ....... Source Saint-Roch ( à droite } Source Saint-Roch (à gauche). ...-..... ss. Source de la Pyramide. Eau bleue..:........ Source Astrié Source de la Gourguette (QE 0e 3 RARE Bain fort (à la bai- GNOÏTE)- se... D° $. —— TOME li. 49 QUANTITÉ ou ERREUR Done À nn ae ne À ahsorbée de Ja la quantité par un litre Monter ns | mére, [| promier de barium. 0,0780 0,0740 > p.cent 0,0700 | 0,0650 | 7 idem. 0,1320 | 0,1300 |1,5 idem. 0,0720 | 0,0650 |10 idem. | 0,1060 | 0,1000 | 5 idem. | 0,1200 | 0,1120 | 6 idem. | 0,1020 | 0,1010 |0,9 idem. 0,0800 | 0,0780 | 2 idem. | 0,0840 | 0,0830 | 1 idem. 0,0780 | 0,0780 | 0,0640 | 0,0620 | 3 idem. 0,0700 | 0,0700 ï 0,0780 | 0,0770 | 4 idem. , 0,0625 | 0,0550 |12 idem. 0,0525 | 0,0425 |19 idem. 0,0425 | 0,0400 | 5 idem. 0,0125 | 0,0050 !59 idem. 0,0675 | 0,0525 |37 idem. 0,0050 | 0,0040 |20 idem. 0,0510 0,0425 117 idem. 0,0060 | 0,0025 58 idem. 0,0525 | 0,0450 |14 idem. L 50 MÉMOIRES ba [QUANTITÉ QUANTITE “ne ERREUR D'I0DE absorbée commise NOMS NOMS par un litre Fe absorbée de la la quantité : même eau de par un litre| mêlée sulfure DES LOCALITÉS. DES SOURCES. d'eau avec dans ; un excès | Je premier minérale, [de chlorure| essai. de barium. —————_—e |. | | —— Ax (Ariége ). ..... Rossignol supérieur (à| gr. gr. la doucl 16 )J..ooue 0,0150 | 0,0080 |46 p. cent Rossignol inférieur...| 0,0676 | 0,0490 |27 idem. Source des Canons....| 0,0650 | 0,0450 |30 idem. Établissement Sicre.| Source Fontan. ...... 0,0448 | 0,0344 |93 idem. Source n° 6........% 0,0140 | 0,0040 |71 idem. Source petite, sulfu- TEUSO reel 0,0560 | 0,0480 |14 idem. Source des douches. .| 0,0576 | 0,0484 |15 idem. Source de l’étuve..... 0,0300 | 0,0180 |40 idem. Bagnères-de-Luchon| Source Bayen........ 0,2350 | 0,2350 0 Source de la Reine...| 0,1690 | 0,1690 0 Source de la grotte su- PÉTIEULE. se. - 0,1600 | 0,1590 | 0,6 Source Azemar.......l 0,1570 | 0,1570 0 Source de l’Enceinte..| 0,1530 | 0,1530 0 Source Ferras , nou- velle.............| 0,0800 | 0,0800 0 Bonnes. Source Vieille....... 0,0830 | 0,0820 | 1 idem. I suffit de jeter un coup d'œil sur ces tableaux pour voir que les diverses sources sulfureuses des Pyrénées se divisent en deux groupes distincts, savoir, le groupe des sources qui contiennent du carbonate ou du silicate de soude en quantité notable, et le groupe des sources qui ne contiennent qu'une très-petite quantité de ces deux sels. Les eaux des Pyrénées- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. j1 Orientales et celles d'Ax sont beaucoup plus alcalines que celles du reste de la chaîne; les eaux de Barèges et de Saint- Sauveur le sont très-peu. Enfin, celles de Bonnes, de Cauterets et de Bagnères-de-Luchon le sont à peine, et les indications que fournit le sulfhydromètre, quand on les analyse au sortir du griffon , sont d’une exactitude presque absolue. On voit aussi qu'il existe quelquefois dans la même localité des sources alcalines et des sources qui ne le sont pas sensi- blement. Quoi qu'il en soit, il n’est plus permis de dire, en présence des résultats signalés dans les tableaux précédents, que l'in- fluence de l’alcalinité des eaux sur le degré d’exactitude des indications du sulfhydromètre est insignifiante. Je n'ai pas tenu compte dans ces tableaux de l'erreur intro- duite dans l'essai de certaines eaux par la présence de l'hypo- sulfite de soude, erreur qui est quelquefois très-grande , c’est ainsi qu'à Bagnères-de-Luchon, par exemple, l’eau du bain Bordeu contient par litre une quantité d'hyposulfite de soude suflisante pour absorber 24 milligrammes d’iode. Je n’ai pas essayé d'apprécier l'influence du polysulfure de sodium contenue dans les eaux prises sur les lieux d'emploi, parce que je ne connais encore aucun moyen simple et précis pour en déterminer rapidement la quantité; j'espère pourtant y parvenir. Je vais rapporter maintenant les analyses que j'ai entre- prises dans le but de déterminer l’alcalinité relative des di- verses eaux sulfureuses. Le procédé auquel j'ai eu recours a été décrit dans mon ouvrage sur les Eaux sulfureuses des Py- rénées; on sait qu'il consiste à colorer un volume déterminé d’eau minérale avec de la teinture de tournesol, et à procéder, au moyen d'un acide sulfurique titré, à l'analyse du liquide ainsi coloré, en opérant comme on le fait pour les essais al- calimètriques. La quantité d'acide employée pour arriver à ob- tenir la coloration rouge, a servi à décomposer, 1° le sulfure alcalin ; 2° le carbonate ou le silicate de soude, ainsi que les carbonates ou silicates de chaux et de magnésie. 52 MÉMOIRES La proportion du sulfure de sodium étant connue par un essai antérieur, on calcule la quantité d'acide sulfurique néces- saire pour sa décomposition , et on la déduit de celle qui a été employée pour obtenir la coloration rouge. Le reste représente le poids de l'acide nécessaire pour décomposer les carbonates ou silicates de soude, chaux et magnésie. Lorsqu'une eau sature une proportion notable d'acide, dé- duction faite de ce qui est nécessaire pour la décomposition du sulfure de sodium, on peut soupçonner que son alcalinité est due à la présence du carbonate ou du silicate de soude ; cependant il pourrait se faire que l'acide eût été employé à dé- composer des carbonates et silicates à base de chaux ou de magnésie; dans le premier cas, l'essai sulfhydrométrique , exécuté successivement sur l'eau minérale pure et sur l’eau mêlée avec un excès de chlorure de barium , donnera des ré- sultats fort différents ; dans le second cas, les résultats diffé- reront à peine, car les silicates à base terreuse n’agissent pas ou agissent à peine sur l'iode. On peut done arriver d’une manière rapide , au moyen des essais que je propose, non-seulement à savoir si une eau con- tient des sels à réaction alcaline, mais encore à distinguer si ce sont des carbonates ou silicates alcalins où des carbonates ou silicates terreux. Jai réuni dans les tableaux suivants les résultats de mes expériences sur diverses eaux. J'ai considéré comme carbonate de soude le sel à réaction alcaline, bien qu’il soit en partie composé de silicate; ceci est sans inconvénient, puisqu'il ne s'agit que de constater l’alcalinité comparée de ces eaux, et que d'ailleurs la réaction alcaline du carbonate et du silicate de soude est sensiblement la même. sit finite at NOMS DES LOCALITÉS. Moliptu.. 21. Idem. secs. : Idem... ... CE: Idem... SE . Établissement. …. || Massia. . ....:.. VELNE RS che see Idem. 90.0 Meme. Idem, et Ten ee ete ! Amélie-les-Bains. Saint-Sauveur. .. Baréges... 224.0 (1) Chaque centimètre eube d'acide correspond à 0 gr. 001 de carbonate de soude pur et fondu. (2) Le chiffre des sels à réaction alcaline est représenté par son équivalent en carbonate de soude |} anhydre, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. Da NOMS DES SOURCES. Source Llupia...... Source de la Bu- vette. Source n° 2....... Source Barrère. . Source Massia. .... Source n° 2. Source des anciens Thermes........ Source Élisa....... Source du Vapora- MAN = ee co Source Aglaé...... Source St.-Sauveur. Source mère....... Source St.-Sauveur ss... Source Anglada.... Source Amélie..... Source de l'établis- SEDIEN Te sen ane Source Hontalade. . Source du Tambour. Source Lachapelle.. Source de l’entrée.. Bain neuf......... QUANTITÉ «| TAN : | IANTITÉ QUANTITÉ ARTE |QUANTITE D'ACIDE de CARBONATE| DE SELS ; CARBONATE FREE RCE sulfurique | ‘de soude po à réaction absorbée | *2hydre | correspon- | alcaline = | correspon- UE par un litre dant au sulfure | Contenus à ac re contenu F q d’eau l'acide lan dansunlitre minérale(1)| 2DSOTbE. | minérale. | d’eau (2). c © gr. gr. gre 125,3 0,1253 | 0,0157 | 0,1096 136 0,1360 | 0,0179 | 0,1181 109 | 0,1090 | 0,0160 | 0,0930 95,2 | 0,0952 | 0,0127 | 0,0825 108,8 | 0,1088 | 0,0160 | 0,0928 102 | 0,1020 | 0,0120 | 0,0900 92,4 | 0,0924 | 0,0066 | 0,0858 125,1 | 0,1251 | 0,0165 | 0,1086 87 | 0,0870 | 0,0054 | 0,0816 1632 | 0,1630 | 0,151 | o,1481 110,4 | 0,1404 | 0,0058 | 0,1356 85 | 0,0850 | 0,0280 | 0,0570 150 | 0,1352 | 0,0542 | 0,0810 120 | 0,120 | 0,0320 | 0,0880 u6 | 0,160 | 0,0502 | 0,0668 120 | 0,1200 | 0,062 | 0,0738 54 MÉMOIRES TRS QUANTITÉ ENTRE QUANTITÉ D'ACIDE de cARBONATE| DE SELS NOMS NOMS sulfurique RP parents à réaction || absorbée po Fee alcaline M ù F ant DES LOCALITÉS. pes sources. [Parunlire) dt |an sulfuro | Contenus d'eau l'acide contenu |Jansunlitre À dans l'eau f minérale. | 2bsorbé. | minérale. d’eau. ? c ce gr. gr. gr. Cauterets. ...... César Vieux......, 80 0,0800 | 0,0410 | 0,0390 Espagnols......... 67,6 0,0676 | 0,0339 | 0,0337 Pause Vieux. ...... 74,6 0,0800 | 0,0366 | 0,0380 Bonnes. .....,..| Source Vieille. ....| 59 0,0590 | 0,0240 | 0,0250 : Ax Source petite sulfu- " Etablissement “ PEUSE Ne ais» see .| S9 0,0890 | 0,0244 | 0,0646 MÉbobe GITE Source Fontan.....| 93 0,0930 | 0,0299 | 0,0631 Source de l’étuve du BTENSe 1: ets cterue 78 0,0780 | 0,0135 | 0,0645 pere ; Eau majeure.......| 105 0,1050 | 0,0250 | 0,0800 Couloubret.... Bain fort nouveau..| 105 0,1050 | 0,0258 | 0,0792 Source des Canons..| 401,4 0,1014 | 0,0366 | 0,0648 Source du Rossignol supérieur. ...... 105 0,1050 | 0,0366 | 0,0684 Établissement du| Source Viguerie....} 101,4 0,1014 | 0,0380 | 0,0634 Teich:=r ce Source de la Pyra- l MAO en ee corle. 97 0,0970 | 0,0299 | 0,0671 Bagnères -de-Lu- chon. ........| Source Bayen...... 137 0,1370 | 0,1062 | 0,0308 Source du Pré n° 1..| 140 0,1400 | 0,1100 | 0,0300 Source de la Reine..| 107 0,1070 | 0,0786 | 0,0284 Source Richard su- périeure. « ss... 107 0,1070 | 0,0720 | 0,0350 Source Azémar.....| 106 0,1060 | 0,0681 | 0,0379 Source de la Grotte supérieure. ..... 93 0,0930 | 0,0675 | 0,0255 Source de la Grotte inférieure. ...... 107 0,1070 | 0,0755 | 0,0315 Source Bordeu ne 3.| 425 | 0,1250 | 0,0935 | 0,0315 DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 55 Si l’on examine les tableaux précédents, on voit que les eaux sulfureuses des Pyrénées, considérées au point de vue de leur alcalinité, se partagent, ainsi que je l'ai dit plus haut, en deux groupes. Le premier, qui comprend les eaux minérales des Pyrénées-Orientales et celles de l’Ariége, renferme des eaux dans lesquelles les sels à réaction alcaline se trouvent en quan- üté suffisante pour qu'il soit raisonnable de leur attribuer une part de l’action que l’eau exerce sur l’économie. Dans le deuxième groupe se trouvent les eaux de Bagnères- de-Luchon et celles de Cauterets. Ces eaux contiennent une si faible quantité de sels à réaction alcaline que l'influence de ces dernières sur le degré sulfhydrométrique est presque nulle. On peut cependant s'assurer qu'elle s'exerce en faisant l'essai au moyen d'une liqueur décime. Ces eaux sont moins riches en sels alcalins que ne le sont plusieurs eaux de rivière. Entre ces deux groupes se trouvent placées les eaux de Saint- Sauveur et de Baréges qui établissent la transition de l’un à l'autre. On remarquera que, dans chaque localité, le chiffre qui représente ce que j'appelle l’alcalinité brute, est presque le même pour les diverses sources. Ainsi , à Moligt, le minimum est de 080930, et lemaximum de 081255. À Vernet, le minimum est de 0,0816, et le maxi- mum de 0,1086. À Barëéges, le minimum est de 0,0668, et le maximum de 0,0738. À Cauterets, le minimum est de 0,0337, et le maximum de 0,0390. À Bagnères-de-Luchon, le minimum est de 0,0255, et le maximum de 0,0379. Enfin , à Ax, le le maximum est de 0,0800, et le minimum de 0,0631. Il serait bien intéressant d'étudier ainsi, en les comparant au moyen des liqueurs titrées, toutes les eaux sulfureuses des Pyrénées. Le nécessaire sulfhydrométrique devrait, à mon avis, contenir, indépendamment de la teinture d'iode, 4° un flacon d'acide sulfurique titré et de teinture de tournesol préparée tout exprès pour les essais alcalimétriques les plus délicats. 2° Un flacon de chlorure de barium ; 3° Un flacon d'acétate de zinc: 56 MÉMOIRES 4° Une solution titrée d’azotate d'argent ; 5° Des entonnoirs et des filtres. L'acide sulfurique titré servirait à apprécier l’alcalinité. e chlorure de barium permettrait de corriger l'erreur in- troduite dans l'essai, au sulfhydromètre, par les sels à réaction alcaline. L'acétate de zinc servirait à désulfurer l’eau, et celle-ci, après avoir été désulfurée, pourrait être essayée au sulfhydro- mètre. Cet essai conduirait à trouver la quantité d'hyposulfite qu'elle contient. Enfin , l’eau désulfurée pourrait être analysée au moyen de la solution d'argent. Ce dernier essai ferait connaître la quan- tité de chlorures qu'elle renferme. On pourrait, aux réactifs précédents, ajouter de l'argent en poudre dont on se servirait pour rechercher si l’eau con- tient soit de l'acide sulfhydrique libre, soit un polysulfure. J'ai publié, en 1852, les résultats de mes recherches sur la composition de l'air des étuves, piscines, etc., de Bagnères-de- Luchon. Depuis cette époque j'ai examiné l'air confiné dans les étuves, vaporariums, &c., de divers autres établissements. Le procédé auquel j'ai eu recours pour exécuter mes analyses est d'une sensibilité extrême; voici en quoi il consiste : Je prépare de l'iodure d'amidon soluble, par le procédé de M. Soubeiran ; je fais dissoudre un décigramme de cet iodure dans une petite quantité d’eau à la température de 40 ou 50 degrés, et, après le refroidissement, j'étends la solution avec de l’eau distillée de manière à obtenir un litre de liqueur. La solution ainsi obtenue est d’une belle couleur bleue. L'acide sulfhydrique la décolore avec une grande promptitude. Je prépare, d'autre part, une dissolution très-étendue d'acide sulfhydrique. Cela fait, je prends un décilitre de la solution d'iodure d'amidon et jy verse, goutte à goutte, au moyen d'une burette graduée, la dissolution titrée d'acide sul- fhydrique, en ayant soin de m'arrêter aussitôt que la couleur ro DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 57 bleue a disparu. [Il suffit alors de lire sur la burette le nombre de centimètres cubes de liqueur sulfureuse employée pour sa- voir quelle est la quantité d'acide sulfhydrique nécessaire pour décolorer un décilitre de solution d'iodure d'amidon. Cette solution se trouve ainsi titrée et prête à servir pour le dosage dé l'acide sulfhydrique contenu dans l'air. Il suflit, en effet, d'en prendre un décilitre, d'y faire passer lentement, au moyen d'un aspirateur, l'air qu'on veut analyser, et d'arrêter le courant d'air aussitôt que le liquide est décoloré. Le volume d'air qui a produit la décoloration contient une quantité d'acide sulfhydrique égale à celle qui se trouvait dans la quantité de solution sulfureuse nécessaire pour décolorer un décilitre d'iodure d'amidon. La sensibilité de ce procédé peut être appréciée à l’aide du raisonnement suivant : L'iode contenu dans l’iodure d’amidon agit sur l'acide sul- fhydrique absolument comme s’il était libre. Supposons que l'iodure employé pour l'analyse contienne un dixième de son poids diode , un litre de solution contien- dra un centigramme d'iode, par conséquent un décilitre en contiendra un milligramme; or la quantité d'acide sulfhydri- que correspondant à un milligramme d'iode est égale à 0,00013. Il est essentiel que l’air traverse lentement la solu- tion d'iodure afin qu'il soit bien dépouillé de toute trace d'acide sulfhydrique. Je considère ce procédé comme bien supérieur à celui qui consiste à faire passer l'air à travers des solutions de sels de plomb, d'argent ou de cuivre; l'analyse de quel- ques-unes des atmosphères que j'ai examinées eût été impra- ticable par les moyens ordinaires, à moins d'y consacrer un temps énorme, vu la minime proportion d'acide sulfhydrique qu'elle contenait ; encore suis-je convaincu que ces moyens n’eussent pas permis d'apprécier la quantité d'acide sulfhy- drique avec le même degré de certitude que celui dont je viens de donner la description. La nécessité d'employer un aspira- teur ne constitue pas une difliculté sérieuse, car un simple tonneau qu'on peut jauger soi-même, quelques tubes de verre et quelques tubes de caoutchouc suffisent pour monter un ap- 58 MÉMOIRES pareil convenable. En recourant aux procédés ordinaires, on à beaucoup de peine à séparer des parois de l'appareil qui con- tient les sels de plomb, de cuivre ou d'argent , les portions de sulfure qui s’y attachent. Or, comme le poids total de sulfure est très-faible quand même on opère sur plusieurs centaines de litres d'air, la perte d'une quantité de sulfure insignifiante en apparence est pourtant suffisante pour causer une erreur assez forte. J'ai joint au dosage de l'acide sulfhydrique celui de l'oxy- gène contenu dans l'air de quelques-unes de ces atmosphères. Voici les résultats de mes analyses. NOMS DES LOCALITÉS. Vernet ( établiss' des Command!s) Amélie-les-Bains. AR EDeeteleeise Bagnères-de- Lu- CHOD-e----sce LIEU OÙ L’AIR A ÉTÉ PRIS. Vaporarium. .. Salle d'inhalation.. . .. Appareil pour aspira- tion directe.......e Salle de douche...... Étuve Amélie, …..... rs... Étuve Arago PISCINE. eee 00 21e d. Étuve du Teich. ..... Étuve du Breilh EÉtuve de létablisse- ….... QUANTITÉ (EN POIDS) d'acide sulfhydri- QUANTITÉ D'AZOTE contenue dans 400 parties !f d'air (en volu- me ). QUANTITE D'OXYGENE contenue dans 100 parties d'air (en volu- 400 litres me ). d'air, 0,0014 0,000038 |: 0,0,00040 | « 19,5 80,5 0,0,00080 |! : 0,0016 0,0003 ment Sicre.. Piscine. ess... S Salle de douche...... Étuves humides. . . 0,00001 0,0017 0,0022 0,0024 DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 59 Ce qui frappe le plus au premier abord, quand on consi- dère les chiffres portés dans ce tableau, c’est la minime pro- portion d'acide sulfhydrique contenue dans l'air. En général , les fractions qui expriment le rapport en volume de l'acide sulfhydrique à l'air ne sont pas exactement réductibles à une plus simple expression ; mais en leur substituant des fractions qui en différent à peine, l’on arrive à une expression qui re- présente avec un assez grand degré d'approximation le rapport dont il s’agit. On trouve aussi que l'air des étuves humides à Bagnères-de- Luchon, qui est le plus riche, contient environ un soixante- deux millième de son volume d'acide sulfhydrique; celui de la salle de douches a sensiblement la même composition ; celui de la piscine contient un quatre-vingt-onze millième. A Vernet, l'air de l'appareil pour aspiration directe con- tient un cent quarante-trois millième ; celui de la salle de douches , un cent neuf millième , et celui du vaporarium, un cent quarante-deux millième. À Amélie-les-Bains, l'air est encore plus pauvre en acide sulfhydrique, puisqu'il en contient, au maximum, un deux centmillième. A Ax, l'air de l’étuve du Teich est le plus riche; il contient environ un quatre-vingt-seize millième. L'air de l’étuve du Breilh, et celui de l’étuve Sicre , sont beaucoup moins riches, ce qui tient à la trop grande facilité avec laquelle ils se renouvellent. Ce dernier fait me paraît de na- ture à éveiller l'attention des médecins, car il prouve la néces- sité d'empêcher autant que possible le renouvellement de l'air dans les étuves, si l’on veut qu'il soit chargé d’une quantité un peu sensible d'acide sulfhydrique. La faible proportion d'hydrogène sulfuré, contenue dans ces atmosphères médica- menteuses, se conçoit sans peine, puisque, d'une part, l'eau minérale n’en émet que très-peu à la fois, et que, d'autre part, l'oxygène de l'air le décompose en partie avec une assez grande rapidité. Cette décomposition est attestée à Luchon par un dépôt de soufre pulvérulent qui existe sur diverses parties 60 MÉMOIRES de l’étuve. Les parois du tambour qui amène la vapeur sont in- crustées de cristaux de soufre sur presque toute leur surface. Ce dépôt intérieur, qui a lieu surtout à une très-petite distance du point de départ de la vapeur sulfureuse, montre que la majeure partie de l'acide sulfhydrique est décomposée pres- que au moment où elle est émise, ce qui s'explique faci- lement, puisque alors cet acide se trouve en contact avec l'air humide à une température assez élevée. J'aurais bien dé- siré qu'il me fût possible d'analyser de l'air chargé d'émana- tions sulfureuses au moyen de l'ingénieux appareil de M. Salles- Girons; cet air doit être plus riche en hydrogène sulfuré que celui des étuves ordinaires; il doit d'ailleurs contenir tous les éléments de l’eau minérale réduits à un degré remarquable de ténuité : j'ai éprouvé le regret de ne pas rencontrer l'appareil de mon savant Confrère dans les établissements que J'ai visi- tés; mais j'espère me dédommager plus tard, car je tiendrais beaucoup à comparer les atmosphères chargées du principe sulfureux des eaux minérales, au moyen de l'appareil de pul- vérisation, avec celles dont je viens de rapporter l'analyse. En résumé, il résulte des recherches qui précèdent : 1° que les eaux sulfureuses des Pyrénées-Orientales sont en général plus alcalines que les autres: 2° que l'influence de l'alcalinité sur le degré sulfhydrométrique est loin d’être insignifiante, comme l'ont cru quelques personnes , et qu’elle est quelquefois fort considérable ; 3° que le chlorure de barium détruit l'effet des carbonates ou silicates alcalins sur l’iode , et que par con- séquent ce sel devrait se trouver au nombre des substances dont se compose le nécessaire sulfhydrométrique. L'emploi du chlorure de barium présente de nombreux avantages sur celui de l'acide acétique (proposé par Dupasquier ), puisque ce sel ne décompose pas le sulfure alcalin, tandis que l'acide acé- tique donne lieu à un dégagement d'acide sulfhydrique et peut occasionner une perte d'autant plus forte que l’eau est plus chaude ; 4° qu'il serait utile que l’on joignit aux réactifs dont se compose le nécessaire sulfhydrométrique , de l'acétate de zinc, afin que l'observateur puisse apprécier la quantité de TL, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 61 sulfite où d'hyposulfite alcalin contenu dans les eaux miné- rales, et de l'argent en poudre, afin qui lui soit possible de re- connaître si l’eau renferme ou non de l'acide sulfhydrique libre ou un polysulfure ; 5° qu'il serait bon que l’on y joignit en- core de la teinture de tournesol et une solution titrée d'acide sulfurique, ce qui permettrait de comparer les diverses sources au point de vue de leur alcalinité. Je crois aussi qu'il serait utile d'y mettre une solution titrée d’azotate d'argent, afin que l'on pût comparer les eaux dont on fait l'analyse au point de vue de leur richesse en chlorures; 6° On devrait, enfin, mettre au nombre des réactifs qui composent le nécessaire sulfhydrométrique l'iodure d’amidon soluble dont on pourrait tirer un excellent parti, soit pour l'analyse des atmosphères médicamenteuses , soit pour l'essai sulfhydrométrique des eaux qui sont très-chaudes et ne peuvent pas être essayées conve- nablement par les moyens ordinaires. On pourrait titrer la solution d'iodure d'amidon , avant de s’en servir, au moyen de l'hyposulfite de soude ; l'emploi de ce sel en serait même beau- coup plus commode que celui de l'acide sulfhydrique et offri- rait autant de garantie d'exactitude. Il suffirait de se rappeler que deux équivalents d'hyposulfite de soude absorbent un équi- valent d'iode; d'ailleurs on pourrait titrer la dissolution d'hy- posulfite au moyen d'une liqueur iodée dont la richesse serait connue. La composition actuelle des nécessaires sulfhydrométriques prouve qu'en général on ne se préoccupe pas des faits sur lesquels je cherche à attirer l'attention du corps médical. Il en résulte que l’on considère comme exactes des analyses entachées d'erreurs qui s'élèvent quelquefois à plus de 50 pour cent, et que l'on n’est pas éclairé sur la composition des eaux dont on fait l'analyse, comme on le serait par des essais con- venablement exécutés. | a On devrait, à mon avis, pour obtenir au moyen du sulfhyà dromètre une analyse digne de confiance, faire les opérations suivantes : 62 MÉMOIRES 1° Détermination du degré sulfhydrométrique par les moyens ordinaires ; 2° Essai sur l’eau additionnée de chlorure de barium; si la différence entre les deux essais est faible , on fera un nouvel essai en employant une liqueur décime ; 3° Essai de l’eau désulfurée par l'acétate de zinc et filtrée avec Soin ; 4° Essai de l’eau qui aurait été mise en présence de l'argent en poudre, à l'abri de l'air, pendant un quart d'heure ; 5° Essai de l’eau conservée pendant un quart d'heure sans aucune addition. En discutant les résultats de ces diverses analyses et les combinant avec ceux qu'aurait fournis l'essai alcalimétrique de la même eau minérale, on arriverait à obtenir sur la véri- table composition des notions bien autrement exactes et autre- ment importantes que celles qu'on acquiert par les moyens ordinaires. Sans doute il ne serait pas possible alors de pro- céder avec autant de rapidité, mais cet inconvénient serait ra- cheté par une connaissance plus compléte de la constitution des eaux minérales, ce qui est loin d'être indifférent. Encore ces essais multipliés ne donneront-ils une garantie complète que dans le cas où l’eau minérale ne contiendrait pas un poly- sulfure. Je soumets ces propositions au jugement des médecins et des chimistes; elles me paraissent dignes de fixer leur atten- tion. PS DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 63 ÉLOGE HISTORIQUE D'ALYRE RAFFENEAU DELILE, PROFESSEUR DE BOTANIQUE A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE MONTPELLIER , Membre de l'Institut d'Égypte, Correspondant de l'Institut de (France , etc. ; Par le Docteur N. JOLXY. MESSIEURS , « Quoi qu'il arrive, il faut que je sois regretté, si j'ai eu » quelque valeur; c’est à l’œuvre que l’on connaît l'ouvrier : » À fructibus eorum cognoscetis eos, a dit l'Evangile. » Ainsi s'exprimait le professeur Delile, cinq ans avantsa mort, dans une de ces lettres où il aimait à épancher son cœur dans celui de son fils. Or, ses œuvres botanico-médicales et les grands événements auxquels il a pris part lui ont conquis un nom désormais immortel , et sa vie tout entière ne fut qu'un long dévouement à la Science, qu'il illustra, à ses enfants, dont il était adoré, à ses nombreux amis, qui le regretteront toujours. Elève de ce maître aussi instruit que modeste, honoré de son affectueuse bienveillance , j’acquitte en ce moment une dette du cœur, et je remplis un vœu de son fils bien-aimé, en es-. sayant de retracer, à l’aide de la correspondance et des manus- crits dont je suis le dépositaire, les phases diverses de cette existence si honorable-et si utilement remplie. Delile s’ap- plaudissait d’avoir rencontré sur sa route quelques grandes âmes capables de lui servir de modèle : sous beaucoup de rap- ports, il peut être un modèle à son tour. J'aurai rempli mon but si ceux d’entre vous qui ont connu cet homme de bien, 64 MÉMOIRES trouvent que je l'ai peint comme il voulait et comme il devait l'être. ALYRE RAFFENEAU DELILE naquit à Versailles, le 23 janvier 1778. Ses ancôtres avaient occupé des charges à la Cour. Le père de notre futur membre de l'institut d'Egypte hérita de ces charges, et plus tard il les transmit à son fils; mais ce qu'il Jui transmit surtout, ce furent des principes d'honneur et une sévère probité que vint corroborer une éducation bril- lante et les nobles exemples que l'enfant avait constamment sous les yeux au sein de sa famille. Madame Delile, sa mère, était une de ces femmes rares de nos jours, chez lesquelles l'esprit s'allie harmoniquement aux qualités du cœur, et dont un jugement parfait dirige la tendresse. Heureux mille fois ceux dont les premiers pas dans la vie sont guidés par ces mères intelligentes qui ont le talent, la prévoyance et la fermeté né- cessaires pour inculquer à leurs enfants les idées saines et les mâles vertus qui devront guider leur marche dans les sentiers épineux où ils auront à se mouvoir un jour! Comme saint Au- gustin, comme Bonaparte, comme Lamartine, comme Cuvier , comme tant d'autres dont l'illustration peut être en grande partie revendiquée par leurs mères, Delile eut cet inappré- ciable bonheur. Il eut même celui de grandir à côté d'un frère aîné qui fut depuis son compagnon sur la terre d'Egypte, qui partagea ses dangers et ses fatigues, en attendant qu'il devint un de nos ingénieurs les plus habiles et les plus estimés (1). (1) M. Adrien Raffeneau Delile , après avoir fait de brillantes études au collége de Lisieux, fut admis à l'Ecole Polytechnique le 14 frimaire an IF, (4 décembre 1794), où il devint chef de brigade, et le 23 germ. an VI (17 avril 1798 ), il fut promu au grade d’ingénieur ordinaire des Ponts et chaussées. Désigné par Bonaparte , pour faire partie de l'expédition d'Egypte , il partit avec son frère Alyre, et futattaché aux généraux du génie Caffareïïi et Andréossi. À peine arrivé sur la terre des Pharaons , il exécuta le nivellement de la vallée du Nil, et il leva le plan de cette portion du désert , située entre le fleuve et la mer Rouge , de manière à mériter les félicitations du général en chef. Rentré en France en ‘1802, il devint l’un des collaborateurs les plus distingués du grand ouvrage sur l'Egypte; puis il fut envoyé à Ostende | | DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 05 Tout jeune encore, Alyre fut placé dans l'un des colléges de Paris, et il y faisait avec succès ses études, lorsqu'un événe- ment imprévu vint l'arracher de cette retraite où il préludait sans le savoir à son brillant avenir. Cependant il avoue lui-même qu'il s'était regardé comme prisonnier de l'Université, jusqu'au moment où le peuple se présentant en foule à la grille barrée de planches qui le rendait invisible, lui et ses jeunes compagnons, la fit ouvrir à deux battants, «et nous laissa, dit-il, échapper comme une volée » d'oiseaux. » «J'avais treize ans, continue Delile. Nous courûmes, par un » temps superbe, au champ de Mars. Les spectacles des foires, (1803), que son génie sut protéger contre les envahissements de la mer , et qu’il assainit en desséchant les marais immenses dont cette ville était alors environnée. Slickens et Newport eurent aussi part à ce bienfait. En 1814, il dirigea les travaux de desséchement des marais de Rochefort et de la vallée de Boutonne. Deux ans plus tard, il fit ouvrir des routes ma- gnifiques à travers les montagnes de l'Aveyron , jusqu'alors dépourvues de grandes voies de communication: les ports de Calais, de Boulogne, de Cette et d'Alger , lui doivent aussi des améliorations fort importantes. Enfin, Adrien Raffeneau Delile est l'inventeur des ponts-tournants qui portent son nom , et qui sont aujourd’hui très-répandus dans la Hollande et la Belgique. La principale écluse du port de Calais porte aussi le nom de cet habile ingé- nieur. IL était né à Versailles, le 22 octobre 1773; il mourut à Paris, le 10 avril 1843. Une vie si utile et si noblement remplie devait, même ici-bas, recevoir sa récompense. Nommé chevalier de la Légion d'honneur , en 1837, Adrien Delile fut élevé au grade d’inspecteur divisionnaire , le 21 janvier 1839 , et le 12 octobre 1822, à celui d’inspecieur général des Ponts et chaussées. M. A. Néhou, ingénieur en chef de ce corps d'élite, a consacré à la mé- moire de M. Ad. Delile une Nofice intéressante , d’où nous avons extrait ce que nous venons de raconter. Nous profitons de cette occasion pour relever une erreur accréditée dans quelques biographies relatives à Adrien R, Delile. Il y est dit ( dans celle de Sarrut , par exemple), que cet ingénieur fut membre de l'Institut d'Egypte, et qu'il écrivit d’Antinoé une lettre qui se trouve insérée au Moniteur du 29 nivôse an VIIL. Or, la vérité est qu'il ne fit jamais partie de l’Institut d'Egypte, et que la lettre en question fut écrite par son frère Alyre, qui à ce sujet , s'exprime ainsi dans sa correspondance : « Is lui ont donné le titre de Membre de l'Institut d'Egypte, et ils ne m'ont point ôté le mien : il y a de l’eau bénite pour tout le monde. » D° S.— TOME HI, ù 66 MÉMOIRES » les baladins de toute espèce en garnissaient les abords, On » travaillait joyeusement à élever sur ce champ de manœuvres » un cirque immense, destiné à recevoir les nombreux specta- » teurs qui devaient assister à cette fameuse cérémonie de la fé- » dération, ou Talleyrand officia comme évêque. » Les vacances venues, mon père me rappela près de lui. » Bien que son nom fût inscrit sur le tableau des notables, il » voulait me garder pur du contact et du choc des opinions qui » alors se pavoisaient le plus, et qui semblaient lui prédire des » malheurs, parce que de père en fils, depuis François 1* jus- » qu'à Henri [V, notre famille appartenait au service de la » Cour. J'eus pour maître de rhétorique et de philosophie l'abbé » Cotereau, parent du célèbre Ducis, qui souvent venait le voir » et dont le nomet la vuem'enflammaient. L'abbé Cotereau était » fort savant ; il avait formé Delrieu, qui a eu de la réputation » comme auteur. Le docteur Brunyer, ancien médecin des en- » fants de France, et ami intime de ma famille, me trouva du » goût et des dispositions pour l’Anatomie et pour la Botanique. » [] m'en enseigna les premiers éléments, puis ilme fit recevoir » élève interne de l'hôpital de Versailles, alors encombré de » prisonniers Prussiens. Là, je liai connaissance avec un malade » qui s'efforçait d'oublier ses souffrances en lisant les belles » éditions grecques dont son lit était couvert; ce malade, c'était » Belin de Ballu, de l’ancienne académie des Inscriptions et » Belles-Lettres, qui avait obtenu la faveur de passer de la pri- » son des détenus politiques à l'hôpital où je faisais le triste » apprentissage des misères de l'humanité. Belin me parlagrec » comme Anacréon, latin comme Linné; il me fit lire Plutar- » que, etm'enseigna assez de grec pour que j'aie pu lui attribuer » dans la suite l'honneur du succès avec lequel j'ai restauré, » dans l'inscription d’Artémidore, la 2° ligne que Pocoke avait »omise, faute d'avoir pu la déchiffrer. » En l'an IV, Delile, alors âgé de 18 ans, fut admis, par la voie du concours, à l’école de santé de Paris. A cette époque, il eut pour maîtres Pinel, Chaussier, Richard, Thouin, Jussieu, Desfontaines, que Bonaparte, devenu leur collègue à l’Institut mt tt ne ons DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 67 aimait à visiter quelquefois, comme il se plaisait, dit-on, à suivre le cours de chimie que Berthollet professait à l’école Polytechnique. Mais le calme de l'étude et les théories abstrai- tes de la science pouvaient-elles suffire à l'activité dévorante de ce génie qui, le front encore ceint des lauriers d'Italie, rêvait déjà la conquête de cette mystérieuse Egypte d’où il ne devait sortir que pour venir s'asseoir sur le trône de Clovis? Monge, Berthollet, Costaz, Fourier, Jomard, Larrey, Desge- nettes, Geoffroy-Saint-Hilaire, Desfontaines, Savigny, Rozière, Redouté, ete., voilà les compagnons qu'il se choisit. Le botaniste Desfontaines décline l'honneur qui lui es offert, mais il désigne pour le remplacer son élève, Alyre Raf- feneau Delile, à peine âgé de 20 ans. Où vont ces nouveaux Argonautes, ces soldats lettrés, comme les appelait Geoffroy-St- Hilaire ? quel est le but de l'expédition qui se prépare? Un seul le sait : mais tous ont foi dans leur chef, et ils le suivent avec enthousiasme. Cependant, aumoment de s'embarquer à Toulon, Delile apprend qu'il va partir sans être investi du titre d'offi- cier supérieur qu'ont obtenu ses collègues. Sa juste fierté s’en indigne ; il déclare au général Caffarelli qu'il ne partira point sil ne doit pas jouir de toutes les prérogatives accordées à ses compagnons de voyage, et il finit par obtenir justice. Après une traversée trop longue pour son impatience, le voilà donc arrivé sur cette terre féconde en grands souvenirs, interrogeant ses monuments, s'extasiant à l'aspect de ces masses mposantes et d'un dessin si bizarre, mettant à profit les connaissances qu'il a acquises dans la langue grecque pour déchiffrer les inscriptions des obélisques et des temples, scru- tant les tombeaux pour y retrouver le blé dont se nourris- saient les Pharaons. Puis nous le voyons suivant à pied les caravanes, bravant le chaud et la fatigue, herborisant le long de la fertile vallée du Nil, sur les bords de la mer Rouge, aux sources de Moïse ou dans le désert sablonneux qui avoisine Sahléyeh; puis revenant chargé de son précieux butin, ravi d'enthousiasme au souvenir de tout ce qu'il a vu, enrichissant le jardin botanique du Caire dont il était directeur, méditant 68 MÉMOIRES de nouvelles conquêtes pour la France, ou lisant à l'Institut d'Egypte quelques-uns de ces mémoires remarquables qui ont porté si loin son nom et Jeté les premiers fondements de sa gloire scientifique. Mais la fortune a trahi le courage des fils de La France; la peste sévit au Caire, Alexandrie est tombée au pouvoir des Anglais, et la fatale capitulation du 31 août 1801 leur livre les collections formées par nos savants, au prix de tant de fatigues et de tant de périls. Le général Hutchinson envoie, pour récla- mer ces précieuses dépouilles, un message insolent. Au nom de ses collègues Delile et Savigny, Geoffroy-Saint-Hilaire y fait cette noble, cette héroïque réponse, que nous avons déjà rap- portée ailleurs (1), et que nousreproduisons encore ici, comme un hommage rendu aux sciences naturelles : « Non, s’écrie- »til, nous n'obéirons pas. Votre armée n'entre que dans » deux jours dans la place. Eh bien! d'ici-là, le sacrifice sera » consommé. Nous brülerons nous-mêmes nos richesses; vous » disposerez ensuite de nos personnes comme bon vous sem- » blera. » Ainsi les rôles étaient renversés; les vaincus menaçaient. Hamilton, qui s'était chargé de l'odieux message; Hamilton, pâle, silencieux, semblait frappé de stupeur. « Oui, nous le ferons, »continue Geoffroy-Saint-Hilaire, c’est à la célébrité que vous » visez. Eh bien! comptez sur les souvenirs de l’histoire; vous » aurez aussi brulé une bibliothèque dans Alexandrie (2)!» Les collections nous restèrent et l'honneur fut sauvé. b À peine de retour en France, Delile fut envoyé par le pre- mier Consul à Wilmington , dans la Caroline du Nord, qualité de sous-commissaire des relations commerciales , et 1l (1) Voir notre Éloge d'Ét. Geoffroy Saint-Hilaire, Mém. de l'Acad. impér. des Scien. , Insc. et Bell. Lett. de Toulouse, tom. vi, pag. 214, 4e série; et notre article Er. GEOFFROY ST.-HILAIRE, inséré dans la nouvelle édition de la Biographie universelle Michaud. Paris , 1856. (2) Voir Is. GEOFFROY SAINT-HILAIRE. Vie et travaux d'E. Geoffroy St.- Hilaire, pag. 107. Paris, 1847. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 69 occupa pendant quelques années ce poste si peu en harmonie avec ses goûts d'artiste et de fidèle amant de la nature. Néanmoins , grâce à l'intelligence et au zèle qu'il déploya dans l'exercice de ces fonctions ingrates, grâce surtout à la droiture et à l’aménité de son caractére, il sut se concilier l'es- time et l'affection de tous, notamment celle du commissaire- général Beaujour, et celle de Jefferson , l’illustre président des Etats-Unis. Mais, on le conçoit sans peine, les richesses végétales de la Caroline du Nord parlaient plus au cœur et à l'esprit du vice- consul de la république francaise, que les chiffres arides au moyen desquels il notait les prix courants des denrées colo- niales et les revenus qui passaient par ses mains. D'ailleurs, une auguste protectrice lui avait recommandé expressément de recueillir toutes les plantes qui pouvaientoffrir de l'intérêt pour la France, tant sous le rapport de l’agrément que sous celui de l'utilité, et le directeur général des établissements de Malmai- son, M. de Mirbel, l’engageait à répondre le plus tôt possible au vœu exprimé par la future Impératrice. Une protection si puissante et des encouragements si flat- teurs ne pouvaient manquer de stimuler le zèle du jeune et déja célèbre botaniste. Le premier Consul lui-même prenait le plus vif intérêt à l'établissement fondé par son aimable com- pagne. Devenu Empereur, «il se plaisait encore à la voir réunir, sous un même sceptre, mille peuplades végétales venues de tous les coins du monde, et ne rien négliger pour qu'elles re- trouvassent dans les serres de Malmaison, leur sol primitif et leur climat natal. Or, l'hortensia venait d'emprunter le nom de sa fille. La soldanelle des Alpes, la violette de Parme, l'adonide de Castiglione, l’œillet de Lodi, le saule et le platane d'Orient, la croix de Malte, le lys du Nil, l'hibiscus de Syrie , la rose de Damiette, c'étaient là ses conquêtes à elle! et de celles-là du moins quelques-unes sont restées à la France(1).» C'était aussi de ces conquêtes que Delile était le plus jaloux : (4) B. Saintine , Picciola, pag. 201, 20e édition. 70 MÉMOIRES Aussi le Démon de la science finit-il par l'obséder à tel point, qu'il renonça tout à coup aux avantages d'une position honora- ble et honorée, pour se livrerexelusivement à l'étude de la bota- nique et de la médecine, en vue d'obtenir son grade de docteur. En 1806, il quitte brusquement Wilmington et se rend à New- York. Là, sous le patronage du bon D Hosack, dont il devient l'ami autant que le disciple , il reprend avec ardeur ses études médicales commencées à Paris, il fréquente assidûment les hà- pitaux, prend des notes au lit des malades, soigne ces derniers avec un zèle qui brave les dangers. Enfin, le 5 mai 1807, il présente à la Faculté de Médecine de New-York une thèse, écrite en anglais, sur la phthisie pulmonaire, et il est, dit le di- plôme que nousavons sous les yeux, ad summos medicinæ ho- nores, gradum nempe doctoralem , evectus. Son projet était d'abord d'exercer la médecine à la Nouvelle- Orléans ou dans les Indes-Orientales. Mais l'amour de la nature l'emporte encore sur le soin des intérêts matériels de l'existence, et ïl conçoit l'idée toute bucolique de devenir cultivateur américain. Sa mère combat cette résolution avec cet instinct de prévoyance et de bon sens exquis dont la Providence a doué le cœur de la plupart des mères. «Cette pauvre et noble simplicité rustique, lui dit-elle, est char- mante dans une épisode de roman, mais il faut être arrivé a un certain degré d'exaltation pour s’y résoudre et s’y soutenir sans ennui, et cette exaltation passe comme tout le reste. Tu vois que l'Impératrice te conserve de l'intérêt, ainsi que les personnes qui lui parlent de toi. Il ne faut donc pas t'exiler d'un pays oùtu as des amis si bons et si puissants.» Paroles vraiment prophétiques, car, peu de tempsaprès, un arrêté des Consuls , en date du 4° pluviôse, an X, rappelait Delile en France, pour l’adjoindre à la Commission chargée d'élever à la Science le magnifique monument que toutes les nations du monde admirent et nous envient. Élève et docteur des Facultés de Paris et de New-York, formé, sur les champs de bataille, à l'école des Desgenettes et des Larrey ; dans les hôpitaux , à celle des Pinel, des Percy , st ets nes mecs f DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 71 des Corvisart, des Hosack , &c., Delile songeait enfin à utili- ser, au profit de l'humanité souffrante , les nombreux loisirs que lui laissaient les honorables fonctions dont il venait d'être investi. Afin de donner un nouvel élément à son activité , il crut donc pouvoir se présenter comme candidat à la place de médecin en second, alors vacante aux hospices de Versailles, par suite du décès de M. de Lamayran. Ses titres à cet emploi étaient réels et peu contestables : sa capacité ne l'était pas moins; ses connaissances dans les sciences , si improprement appelées accessoires à la médecine, étaient très-étendues ; il avait étudié la peste en Egypte, la fièvre jaune en Amérique; il pouvait, mieux que beaucoup d’au- tres , apprécier l'influence du climat, des habitudes , du ré- gime sur la physionomie des affections pathologiques. Il était un des membres les plus distingués de l'Institut d'Egypte ; il entrait en lice, muni des certificats les plus honorables, signés Larrey , Pinel et Corvisart. Deux ans auparavant, son nom avait figuré à côté de celui de M. de Candolle , sur une liste de candidats désignés par l'Institut, comme très-dignes d'occuper la chaire de botanique et de matière médicale , alors vacante à la Faculté de Montpellier ; enfin, son père avait été, pendant douze ans, administrateur zélé de l'hôpital de Versailles. On s'attend sans doute à voir Delille accueilli avec empresse- ment par cette administration des hospices, devant laquelle il se présentait avec des titres si réels et si recommandables. Eh bien ! chose triste à dire ! Les longs services du père furent mis en oubli , et les droits du fils complétement méconnus. Mais le père et le fils se consolèrent de cet injuste échec, en pensant, avec le poëte moraliste , qu'il vaut mieux « Souffrir le mal que de le faire, » et en conservant avec soin, dans les archives de leur famille , les témoignages si flatteurs que nous venons de remettre au jour. Delile, à qui tout avait souri jusqu'alors, faisait ainsi l'apprentissage des peines de la vie et des éternelles déceptions 19 MÉMOIRES qui l'accompagnent. Heureux encore si l'avenir ne lui eût pas réservé des chagrins plus cuisants !.…. Il se maria et il eut deux enfants; mais il se vit bientôt dans la triste nécessité de les faire élever par une étrangère (1). Puis, sa fille Stéphanie, jeune personne remplie de talents et ravissante de grâces et de beauté, mourut dans sa vingtième année, emportant avec elle les regrets de tous et le cœur brisé de son père. Elève distingué de Paul Delaroche , et artiste plein d'avenir , Charles Delile vécut assez pour aider l’auteur de ses jours à supporter une vic désormais bien douloureuse ! Mais il s’éteignit lui-même, sans avoir eu le temps de réaliser les espérances que ses débuts avaient fait concevoir. Jetons un voile sur ce passé plein d'amertnme, et suivons maintenant Delile dans la chaire qu'il vint occuper à Montpel- lier (47 juillet 1819), au moment où M. de Candolle aban- donna un enseignement dont il était en possession depuis 1808, et sur lequel sa parole élégante et son vaste savoir avaient répandu tant d'éclat. Non moins érudit, mais moins brillant que de Candolle , Delile n’obtint qu'un vrai succès d'estime et d'affection. Ce qui lui manquait, c'était l'art d’encadrer une leçon , le talent de grouper ses idées dans un ordre méthodique et régulier, en un mot, l'habitude de se faire un plan bien arrêté et de se livrer ensuite aux hasards de l'improvisation. Un de ses anciens auditeurs , aujourd'hui botaniste aussi instruit qu'infatigable (2), me disait naguère , en parlant de la diction propre à Delile : « C’étaient des perles et des dia- (1) Me Mélanie de Saint-Ouen joignait à une instruction solide , des qua- lités de cœur et d'esprit qui lui avaient concilié l'entière confiance et la sincère affection de ses charmants élèves ; elle-même les payait du plus tendre retour , et remplissait auprès d’eux le rôle d’une véritable mère. Aussi M. Delile avait-il pour elle les plus grands égards , et il la traitait avec une bonté , j'ose dire toute paternelle. Leur correspondance prouve combien il lestimait, et combien elle avait pour lui d'affection et de reconnaissance. (2) Le docteur Pietro Bupant , de Bagnacavallo , qui , depuis vingt-deux ans , s'occupe de la Flore des Pyrénées avec un soin que personne avant lui n'avait mis à cette étude importante, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 73 Mants attachés avec de la ficelle nouée ; et, en effet, Delile nous enseignait d'excellentes choses ; il les disait même souvent d'une manière très-pittoresque , mais il négligeait trop souvent la forme, et ces négligences, en amoindrissant l'intérêt de son Cours, diminuaient aussi parfois le nombre de ses audi- teurs. Du reste, tous le chérissaient comme on chérit un ex- cellent cœur ; tous avaient la plus profonde estime pour son caractère , tous enfin admiraient sa vaste érudition, sa mé- moire prodigieuse , et jamais hommages ne furent mieux mérités. En effet, outre des connaissances très-étendues en botanique , il était encore très-versé dans les sciences médi- cales proprement dites; de plus, nous le savons déjà, la langue grecque lui était, pour ainsi dire, familière ; il écri- vait bien en latin, et il parlait l'arabe et l'anglais avec une grande facilité. Aussi un de ses plus spirituels collègues , le célèbre auteur des Lettres sur l'Encéphale , comparait-il la tête de Delile à une bibliothèque ; malheureusement , ajoutait-l : «c'est une bibliothèque en un jour de déménagement :» appré- ciation aussi juste qu'originale des qualités et des défauts de cet esprit vraiment distingué, qu'une longue épine morale , suivant la belle expression du docteur Reveillé-Parise , avait, je ne dirai pas altéré, mais qu’elle avait du moins douloureu- sement blessé. Du reste , il avouait lui-même avec une bonho- mie charmante , qu'il ne pouvait s’astreindre en rien à cet ordre rigoureux qui multiplie le temps et les forces , et dont Voltaire et Cuvier (1) ont si bien connu le secret. «Il y a bien du désordre, tu le sais , chez moi , écrivait:il à son fils (11 juin 18492) : c’est le défaut de mon organisme. » Et ailleurs : «Léon Brousse est étonné que je trouve quoi que ce soil (26 avril 1842 }).» I y avait lieu de s'étonner, en effet, car son laboratoire et son cabinet offraient, pour ainsi dire, l’image du chaos qui trop souvent régnait dans son esprit. {1) 11 y a du temps pour tout, disait Voltaire, et l’on sait que Cuvier, dans le but d'en perdre le moins possible , avait fait placer dans sa voiture une lampe qui lui permettait d'y travailler , dès que la nuit était venue. 74 MÉMOIRES En même temps qu'il professait la botanique du haut d'une chaire illustrée par les Richer de Belleval, les Magnol, les Gouan, les Broussonnet, les de Candolle, Delile était chargé de la direction du Jardin des plantes de Montpellier, l'un des plus anciens et peut-être le plus heureusement situé de tous les établissements du même genre (1). C'est dans l'enceinte de ce Jardin, au milieu des produc- tions végétales qui lui rappelaient ses lointains voyages et les glorieuses années de son adolescence , c’est là qu'il se dérobait aux envieux et aux importuns ; c’est là, en présence de la Nature , dans ce qu’elle a de plus gracieux, qu’il oubliait ses chagrins , et que souvent même il se trouvait parfaitement heureux. C'est là aussi que nous avons eu l'inappréciable avantage de recevoir de lui les premières leçons d'une science aimable entre toutes , et pour laquelle nous professons encore le culte des plus doux souvenirs. Ce Jardin des plantes était aussi pour Delile le théâtre d'ob- servations incessantes , l'objet de travaux du plus haut inté- rêt. Récolte et catalogue de graines, qu’il échangeait avec ses nombreux correspondants ; acclimatation de végétaux étran- gers , tantôt de simple ornement , tantôt plus ou moins pré- cieux pour l'économie domestique, ou pour l'industrie ; essais de culture perfectionnée , expériences physiologiques; il n'ou- bliait rien de ce qui pouvait donner un nouvean lustre à l'é- tablissement dont il était le Directeur, et en démontrer aux yeux les plus prévenus l’incontestable utilité. Delile aimait les champs avec passion , peut-être parce qu'il avait séjourné quelque temps à la cour : C’est la cour qu’on doit fuir, c’est aux champs.qu'’il faut vivre , a dit Voltaire. Quoi qu'il en soit, Delile avait occupé auprès (1) On sait que le jardin botanique de Montpellier est le premier établisse- ment de ce genre qui ait été fondé en France. Il fut créé par Henri IV, en 1596 , ou, pour parler plus exactement, par Richer de Belleval , à qui le Roi avait accordé une somme considérable et spécialement destinée à cette utile fondation. (Voy. Ch. Martins, Coup d'œil sur l'Histoire des Botanistes du Jardin des Plantes de Montpellier. Montpellier , 1852. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 75 du roi Louis XVIII la place qu'avaient remplie son père et ses aïeux (1). Mais peu de temps après, on le vit renoncer à cet emploi qui, ce me semble, ne convenait nullement à sa nature ouverte, toute de face et tant soit peu rustique. Mais s'il abandonna la cour, en revanche il n'abandonna point les nombreux amis qu'il avait connus en Egypte et lors de ses premiers débuts à Paris. De leur côté, ceux qui survé- curent aux dangers de cette époque si féconde en désastres, lui restèrent fidèles jusqu'à son dernier jour. Au nombre de ces amis vraiment rares, nous aimons à retrouver encore debout et pleins de vigueur intellectuelle, le vénérable M. Jo- mard , son compagnon d'Egypte, et M. Cordier, de l'Institut. La plupart des autres ne sont plus, ou bien ils ne vivent que dans les œuvres qu’ils ont laissées en héritage à la postérité , ou dans le cœur de ceux qui ont pu les connaître et les appré- cier. Tels sont : Redouté , Raïige, Girard, Michaux, E. Geof- froy-Saint-Hilaire , Desfontaines , Deleuze, Lallemand, l'il- lustre Bonpland surtout , que la mort semblait craindre d’en- lever à la science et à l'humanité. Quant à ses relations scientifiques, Delile en avait dans toutes les parties du monde civilisé. Sans parler de Labillar- dière, de Mirbel , de Loiseleur des Longchamps, de Requien, de Benjamin Delessert, qui tous ont honoré la France, il cor- respondait avec Webb et Berthelot aux îles Canaries, avec Bertero à Piladelphie, avec le docteur Hosack à New-York , avec J.-E. Smith à Norwich, avec Hooker à Londres , avec Little à Bombay, avec Bonpland et Michaux, un peu partout. En Allemagne , il avait pour correspondants : Otto à Berlin, Sprengel à Halle, Martius à Munich , Hoffmmansegs à Dresde, Jacquin à Vienne, Treviranus à Breslau , Haberle à Pesth , Schrader à Gœttingue , A. de Humboldt à Berlin, et tous lui té- moignaient cette déférence affectueuse qui prend sa source dans l'estime d'un savoir de bon aloi joint à un noble caractère (2). (1) Gelle de porte-malle. (2) Delile lui-même nous reprocherait, nous en sommes convaincu , de 76 MÉMOIRES Nous regretlons de ne pas pouvoir reproduire en entier cette correspondance à tant d'égards intéressante. Nous citerons cependant, comme particulièrement digne de fixer l'attention, un passage d'une lettre en anglais, adressée de Wilmington au docteur Hosack, passage relatif à un fait très-admiré, très-célébré, mais aussi très-controversé. Je veux parler de l'inoculation de la peste tentée par Desgenettes sur sa propre personne, en présence de l’armée d'Orient, que le terrible fléau commençait à démoraliser. «Je me trouvais chaque jour au Caire, dit Delile, dans la » société de médecins et d’une foule de savants qui consacraient » une grande partie de leur temps à l'étude et à l'observation, »et je les ai toujours entendus contredire ce récit de l’inocula- » tion de {a peste. Jamais je n’ai entendu dire à M. Desgenettes, » médecin en chef de l'armée, qu'il eût tenté des'inoculer avec » le virus de cette cruelle maladie, ainsi qu'on l'a prétendu dans » des publications qu'on lit dans cette contrée (1). » D'après cette lettre, écrite quelques années seulement (en 1806) après le fait problématique dont il s’agit, il pa- raîtrait donc que Desgenettes ne s’est jamais inoculé la peste. Lui-même a décliné plusieurs fois, par des dénégations for- passer complétement sous silence sa correspondance avec Miss Daty. Cette digne amie de sa famille s'était établie en Amérique , en qualité d’institu- trice. Or, pendant tout le temps que Delile fut retenu par ses devoirs ou par ses études à Wilmington et à New-York, Miss Daty s’efforça de remplir, en quelque sorte, auprès de lui, le rôle d’une sœur; elle en eut toute la ten- dresse, toutes les prévenances délicates, et plus d’une fois elle sut faire oublier à son ami les peines de l'exil, en lui remontant le moral, et en . personnifiant pour lui les grâces et les doux souvenirs de la patrie absente. « Je remercie Dieu , disait Madame Delile à son fils ,| que tu aies trouvé là-bas une telle consolatrice. » (1) Voici le texte de la lettre de Delile, au docteur Hosack : » 1 was every day in the company of medical men, in Cairo, and of people of learning who devoted great part of their time to study and observation , and I have heard the report of the inoculation of the plague always contradicted : nor did I ever hear M. Desgenettes , font physician of the army, relate, as attributed to him in publications which are read in this country , that he had tried to inoculate himself with the venom of the plague. » Wilmington, 1806. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 77 melles, l'honneur qu'aurait fait rejaillir sur lui cette généreuse, mais téméraire tentative. D'un autre côté, l'illustre chirurgien en chef s'exprime ainsi qu'il suit dans son Aistoire médicale de l'armée d'Orient : Le docteur Desgenettes, « pour rassurer les imaginations et le » courage ébranlé de l'armée, au milieu de l'hôpital de Saint- » Jean-d’Acre, trempa une lancette dans le pus d’un bubon ap- » partenant à un convalescent atteint de la maladie au premier » degré, et il se fit une légère piqüre dans l’aine et au voisinage » de l’aisselle, sans prendre d'autre précaution que de se laver » avec de l'eau et du savon qui lui furent offerts. H eut, pendant »plus de trois semaines, deux petits points d'inflammation » correspondant aux deux piqûres. » Cette expérience iacomplète, ajoute le narrateur lui-même, »n’infirme point la transmission de la contagion, démontrée » par mille exemples : elle fait seulement voir que les conditions » nécessaires, pour qu'elle ait lieu, ne sont pas bien déter- » minées (1). » Si Desgenettes ne nie pas cette fois, il avoue du moins que son expérience est incomplète et, par suite, frappée de nullité scientifique, bien que la portée morale en füt immense. Que conclure, en effet, de l’innocuité depiqüres légères, faites avec une lancette chargée du pus d'un convalescent, et lavé immé- diatement avec de l'eau de savon, c’est-à-dire avant que le virus ait eu le temps d’être même partiellement absorbé? Dé- gageons donc ce fait de tout l'appareil imposant dont il est entouré. Qu'y trouvons-nous en définitive? De la part de Desge- nettes, une audace peu commune , une témérité que vint justi- fier le succès ; de la part du général en chef, un trait de génie, couronné par un trait d'habile politique, en faisant dire à Berthier, dans une proclamation aux troupes assemblées, que « Desgenettes était monté à l'assaut de sa profession. » Dureste, tous les médecins de l'expédition d'Egypte regardaient la peste (4) Desgenettes , Histoire médicale de l'armée d'Orient, part. 1, pag. 88. Paris, an X (1802). (Cité d’après Delile.) 78 MÉMOIRES comme essentiellement contagieuse, et si l’on avait pu douter encore, la malheureuse tentative faite sur eux-mêmes, avecun effrayant courage, par les docteurs anglais Withe et Vally, au- raient très-certainement dissipé tous les doutes. En effet, le premier de ces héros de la Science mourut quatre jours après s'être innoculé la peste au poignet; l’autre la contracta volon- tairement deux fois; il perdit un de ses talons rongé par un ulcère, puis il alla mourir à la Havane, après s'être frotté le corps avec les vêtements de plusieurs matelots morts de la fièvre jaune. Singulière destinée de trois hommes éminents et fortement trempés ! L'un d'eux est sacré par la gloire et pres- que déifié par la peinture ; les deux autres sont à peine connus, et l'oubli menace d’ensevelir leur nom! tant il est vrai que, pour qu'il brille de tout son éclat, il faut, même au génie, qui est une circonstance divine, la toute-puissante faveur des circonstances humaines. Mais revenons à notre professeur qui, sous ce rapport du moins, n'eut pas trop à se plaindre du sort. Si déja nous ne connaissions Delile, nous le verrions se peindre lui-même dans sa correspondance avec ses deux enfants; ses lettres à sa fille Stéphanie sont des modèles de tendresse paternelle ; celles qu'il adresse à son fils Charles ressemblent aux entretiens d'un ami avec son ami, d'un frère avec son frère. Dans les unes et les autres, le cœur est toujours plus que de moitié avec l'esprit, et l'esprit s'y marie avec une haute raison qui sait in- culquer les conseils sans avoir l'air de les donner. On en jugera par les extraits suivants. I dit, en parlant de sa fille : « Elle qui est mon âme plus que moi, »eten lui parlant à elle-même : « J'ai plaisir à écrire, parce que je t'aime, etje parle de »toi parce que c'est un plaisir de parler de ce qu'on chérit, » et que je ne puis chérir personne plus que toi. » (13 mars 1827.) Deux ans après avoir perdu cette fille, objet de ses plus chères espérances, il écrit à son fils : « Prie Dieu pour ta sœur ; combien elle avait en moi de con- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 79 » fiance, comme elle s’'appuyait sur moi!... je n'ai pas besoin » pour méditer d'aller à sa tombe. » I dit à ce même fils : « Après ma confiance en Dieu, souverain maître, clément et » miséricordieux, tout mon espoir et toute ma consolation sont » en 101. » Et ailleurs : « Fais-toi homme libre, c’est-à-dire homme su- » périeur, pour que tu puisses être appelé à rendre des services » et non solliciter. » Delile vient d'entretenir son fils Charles des difficultés qu'éprouve toujours un père, dès qu’il s’agit d'indiquer à ses enfants l’état qui leur convient le mieux, puis il ajoute : « Va donc pour la peinture : cultive tes capacités. Prends » de l’aplomb; ne découvre pas d’infériorité, car sur-le-champ » on prend sur nous avantage de notre faible. Je te laisse seul , »à toi, à Paris : je ne t'ai mis derrière aucune grille, dans »aucune maison de prédagogues ou de régents. Jouis de ta » liberté : la liberté double nos forces, voilà pourquoi je te la » donne; tire donc tout le parti possible de l’action que doit im- » primer en toi le sentiment de ta position. Deviens cuirassé » d’une armure, c’est-à-dire, pourvu d'assez de talents et de » connaissances pour résister aux déboires que nous préparent » le plus communément nos travaux exposés au public, qui ne » veut qu'être charmé. » Et ailleurs encore : « Je te parle comme à mon fils, à mon frère, et librement » de tout, »et il justifie son dire par des conseils semblables à ceux qui suivent : « Fais ton bonheur, ne cède pas à la débauche; j'ai péché, » mais mon bon ange veillait à temps pour me sauver; ne t'im- » mole pas, sois fort. » « Je substitue, tant que je peux, l'amour des lettres, du sa- » voir à la brutalité des sens, et je te conseille de t'enivrer du » beau en peinture, en substituant la volupté des idées réalisa- » bles sur la toile aux voluptés qui épuisent et dégradent » « Que jene grossise pas la liste des pères qui entretiennent 80 MÉMOIRES » leurs enfants d'argent utile, de reproches fort inutiles... En » somme, je ne te demande que l'amour filial; exprime-le moi, » j'en aurai le plus doux sentiment possible. » Il dit encore : «Je fais le plus de bien que je peux, je méprise » les clameurs ; mais qui n’a des envieux? qui ne fait des mé- » contents? sois le refuge du cœur de ton père. » Dans ces causeries intimes de Delile avec ses enfants, nous venons de voir le père; maintenant voici l'homme : «On ne réussit, quand on est né sous uneétoile telle que la » mienne, qu'autant qu'on est poussé par une passion assez » ardente de son travail, pour l’exécuter à toute heure. Comme » je me suis plongé dans la botanique, je n'y suis pas parfait, » mon talon n'a pas plongé, je suis vulnérable. D’autres ontdes » forces et de la confiance en raison de leurs prétentions. J'ai la » force de ne pas succomber aux revers, et en dépit de moi- » même, j'ai reçu bien des échecs; je me remets debout comme » le roseau; j'aimerais mieux être chêne avec une forêt de pa- » reils pour camaraderie. » « Intrigue, hypocrisie, voilà ce qui est chemin de fer pour » parvenir; ces monstres ont cependant un côté qu'il faut dé- » couvrir pour les grimper, côté qui est finesse, adresse, mesure, » agence de compromis, d'intérêts, famille, amis. Les difficultés » de bien distinguer m'ont toujours fait paraître ces monstres » ignominieux. » « Les inspecteurs généraux de l'Université sont ici : la flat- » terie les entoure; moi, j'ignore leurs noms. » Delile aimait la gloire, mais il n’en fut jamais éblouwi. « I » faut avoir soixante-sept ans, dit-il, quand on n'a pas été un » météore pour voir son nom cité. Arago m'a cité dans son An- »nuaire de 1846; j'en ai été complimenté! > Ah ! mon habit, que je vous remercie ! » L'amour de la liberté, l'indépendance , le désir ardent de quitter un pays dont il n’aimait ni les opinions, niles tendances, peut-être même une sorte d'instinct de migration pareil à l'agi- tation fébrile du malade qui se retourne dans son lit, sans pou- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 81 voir trouver une position commode ou agréable; voilà sa vraie passion, ou plutôt voilà son mal. » Je plie depuis vingt-trois ans que je suis ici. La faveur a passé » à Dunal (1); je n'ai nullement le ridicule d'en être jaloux ; » il est botaniste habile... Aussi, pourquoi suis-je si occupé » chez moi, si peu au fait de l'intrigue qui pourrait prévenir » la calomnie? Visites à chacun, tätonnements, ménagements » flatteries et le dictionnaire des formules de l'intriguesontrestés » nuls pour mon inexpérience.» Etailleurs : « Je suis fort heu- » reux, mais lié par une chaîne qui me pèle le cou, comme le » chien fidèle, esclave dans la fable, le laissait apercevoir » au loup aventureux. Je suis donc agité, depuis vingt-six » ans, du désir d'être libre, pour aller un peu pauvrement, » comme j y serais forcé, là où je souhaiterais, Paris ou le Midi, » le Caire même. Mon sang circule de cette force-là. » « Mon mal , s'écriait Delile quelques années avant sa mort, » mon mal est de priser les hommes éminents qui, de tous les » points du globe, viennent stationner à Paris : mon mal, c'est » d'apprécier, bien au delà des avantages matériels de la pro- » vince , les beautés des sciences et des arts à leur foyer le plus » goûté. » Aussi , à diverses reprises, avait-il vainement essayé d'aller se fixer à Paris , après avoir eu deux fois l’idée bizarre de se faire planteur américain , ou de retourner chez les Arabes du Saïd, pour y recommencer des herborisations dans le désert. Mobilité d'enfant, ou plutôt inconstance d’un cœur aigri, que rien n'a pu satisfaire ici-bas ! Les divers extraits que nous venons d'emprunter à la corres- pondance de Delile , sufliront, je pense; pour faire apprécier et son caractère et sa manière de s'exprimer. J'y joindrai main- tenant quelques maximes , énoncées dans un style qui porte incontestablement l'empreinte d’une spirituelle originalité. LÉ (1) Je saisis avec empressement cette occasion qui s'offre à moi pour payer un juste tribut de reconnaissance à la mémoire du professeur Dunal , botaniste éminemment philosophe, qui, lui aussi, a bien voulu guider mes premiers pas dans la carrière scientifique. 5° $.— TOME HI. 6 82 MÉMOIRES « On peut tomber seul, on se soutient à deux. » « À ne pas se montrer aux yeux , on les indispose. » « L'amilié verse un baume délicat sur les blessures qu'elle est forcée d'ouvrir. » « L'homme est devenu lingot , on le pèse. Son titre est ce qu'il vaut d'or. » « Le talent est d'arriver à étre recherché, non par l'argent qui est le moyen trivial, mais par le mérite personnel. » Delile caractérise ainsi M®° de Staël, qu'il avait eu l'occa- sion de rencontrer dans le monde : « Doublure d'homme , supérieure méme à l'étoffe N bien des individus de l'espèce ou du genre. » À propos des harmonies de la nature, il dit : « Dans les harmonies de la nature, les gros mangent les petits ; il y a toujours des petits : ce sont beaucoup d’appelés, les élus les croquent. L'ordre perpétuel du monde visible naît de ce désordre : je dis désordre, parce que si vient l’oc- casion , les petits s’insurgent. Quelle abomination , disent- ils, quelle inique loi, que nous soyons blessés, tués, broyés jetés vifs (au propre ) dans l'huile bouillante, comme les poissons dans la poêle ! N'y at-il pas dans ce monde-ci, monde de transformations, n’y a-t-il pas chaque année des milliers de végétaux qui préparent dans leurs bourgeons la verte tenture des feuilles pour nous ombrager et accompagner les fruits ? Tout gèle, voilà le désordre; mais les forêts et les champs reverdissent, voilà l’ordre.» Ce n’est pas à moi qu'il appartient de juger les travaux de Delile , relatifs à la botanique. Ces travaux sont d’ailleurs, au moins pour la plupart, trop connus et trop appréciés pour qu'il soit nécessaire d'en donner une longue analyse. Bornons- nous donc à citer les plus importants. Nous avons déjà mentionné la Flore d'Egypte , le plus beau fleuron de la couronne scientifique de notre professeur. Il y décrit , à la manière de Jacquin et de Smith, les plantes nou- velles qu’il a eu l'occasion d'observer sur le sol égyptien , et il se contente, pour les autres déjà connues, d’une simple indica- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 83 tion , accompagnée d’une synonymie des noms latins et de celle des noms arabes. Cette Flore est précédée de trois Mémoires importants : l’un sur le Palmier Doum ( Cucifera Thebaïca), où palmier rameux de la haute Egypte. Les deux autres sont relatifs aux plantes qui naissent spontanément, ou que l’on cultive dans le pays. L'ouvrage se termine par la description détaillée des plantes gravées (au nombre de 181 ) dans le grand ouvrage sur l'Egypte. …_ Delile a été le collaborateur de P. de Candolle, pour la des- cription du bel Atlas de Redouté, sur les Liliacées. Il a décrit, nommé et classé les plantes recueillies en Afri- que par M. Cailliaud , le célèbre voyageur à Méroë, et celles que M. Léon de Laborde, et plus tard, M. le baron Taylor rapportèrent de l'Arabie Pétrée et du Mont Sinaï. On doit encore à Delile la description des Sénés, que l’on recueille en Egypte, ainsi que celle de plusieurs autres espèces, telles que le Benincasa cerifera , le Joliffia Africana , le The- ligonum cynocrambe , le Clypeola cyclodontea , plantes nouvel- les ou peu connues jusqu'à lui. Il a donné dans les Annales ou dans les Mémoires ‘du Mu- séum, de curieuses observations sur les Lotus d'Egypte, et des détails très-intéressants sur la végétation et les caractères de l'Jsoëtes setacea (Bosc), plante aquatique , déjà observée en Angleterre par Richardson , retrouvée en 1773, aux environs de Montpellier , par l'abbé Duvernoy , et classée, par M. de Candolle , entre les Lycopodium et les Marsilea. Delile a étu- dié avec soin les diverses phases de la végétation de cet Zsoë- tes, et il a obtenu la germination des spores renfermées dans les conceptacles femelles, c’est-à-dire, dans ceux qui occupent la base des feuilles extérieures. Quant aux conceptacles mâles, ou remplis de pollen, il a vu qu'ils sont placés à la base des feuilles intérieures; fait important pour l'histoire des crypto- games : car à cette époque, la nature des corps renfermés dans les conceptacles extérieurs de l'/soëtes, laissait encore des doutes dans l'esprit de certains botanistes. 84 MÉMOIRES Le Bulletin de la Société d'Agriculture de l'Hérault, que Delille présida pendant vingt ans, renferme de nombreux Mémoires de ce professeur sur la culture et la propagation de la Patate douce, du Crambe marilima , de l'Oxalis crenata, des Müriers , et notamment du Multicaule, où Mürier des Philippines. On y trouve encore des études sur le Maclura aurantiaca , et des essais de nourriture de vers à soie au moyen de ses feuilles ; des notices sur la Mercurialis tomentosa , considérée comme plante tinctoriale ; enfin , une note sur l'emploi de plusieurs racines de Gypsophila , pour le lavage des laines. Nous devons faire une mention toute spéciale du compte rendu d'un Voyage horticole et botanique en Belgique et en Hollande , exécuté par Delile , en 1838. Nous ne devons point non plus passer sous silence un travail intitulé: Pomone orientale , ou désignation d'arbres à fruit à importer de Syrie en France ; des Mémoires sur les greffes inso- lites, des observations sur la phosphorescence de l'Agaric de l'olivier , enfin divers essais relatifs à l’acclimatation de végé- taux étrangers à nos contrées méridionales. Parmi les plantes exotiques dont le Jardin de Montpellier s’est enrichi, grâce au zèle et à l’activité du professeur Delile, nous citerons le Bougainvillea , le Bauhinia , le Pandanus , le Poinsetia , le Zamia , le Cycas , le Polygonum tinctorium , le Poivre de la Jamaïque , et surtout ce magnifique Nelumbo rose (Nelumbium speciosum , Wildenow), qui a disparu des eaux du Nil, où il croissait autrefois , et que l’on trouve souvent re- présenté sur les médailles et sur les monuments de l’ancienne Egypte et de l'Inde orientale. On conçoit que cet élégant végé- tal, déjà décrit par Hérodote, par Théophraste, par Dios- coride , etc.; que cette plante consacrée à Horus et à Wish- nou , que cette gracieuse épouse du Nil, en un mot, ait eu pour Delile toute la magie de la beauté et des glorieux souve- nirs. Aussi la cultivait-il avec amour ; il l'épiait le jour, la nuit, à toute heure , et c’est à force de l’étudier qu'il est par- venu à enrichir la Science d'un fait de physiologie végétale qui mérite, à bon droit , le nom de découverte. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 85 Delile à , en effet, constaté que le large disque velouté des feuilles en coupe ou en ombrelle renversée du N. Speciosum , absorbe l'air dont la plante a besoin pour se nourrir, tandis que son centre, ou le fond de la coupe, qui seul est muni de stomates , laisse échapper l'air qui à servi à la respiration. Exemple jusqu'à présent unique parmi les végétaux, mais qui probablement ne resterait pas isolé, si l’on étudiait sous le même point de vue toutes les plantes aquatiques à feuilles non submergées. Enfin , c’est en greffant sur un gincko mâle du Jardin des plantes , des rameaux d’un gincko femelle, rappor- tés de Genève par M. Vialars , que Delile a pu obtenir, le premier en France, des graines fertiles de ce bel arbre du Japon, et les répandre ensuite dans la plupart des Jardins de l'Europe. En 1847, Delile publia, dans les Mémoires de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, un travail intitulé : Détermination d'une plante que Strabon à nommée A09Gu0v, et révision de plusieurs Cypéracées usuelles. L'auteur prouve que le xSesuv de Strabon n'est point le Poivre Cubèbe, qui ne croît pas en Egypte, mais bien la racine du Cyperus melanorhizus (l'Hab-el-Azyz-el-Asoued des Arabes), que l'on vend comme plante comestible sur les marchés de ce pays, conjointement avec celle du Nymphea lotus, appelé aussi XSpsuwv par Théophraste. Mais cette racine est grosse comme une noix ordinaire. Ce n’est donc point là le 15e610v de Stra- bon , puisque celui-ci dépasse à peine la grosseur d'un grain de poivre. Enfin, le 11 avril 1848 , à l'ouverture de son Cours, Delile choisit pour sujet de sa leçon : La Botanique morale, ou par- ticipation des sciences à l'enseignement et aux progrès de l'art de quérir. SE CRE 4er (1) A l’époque où Delile tenta l'introduction du N. speciosum au Jardin Bo- tanique de Montpellier , cette nymphéacée n'avait jamais fleuri en Europe , si ce n’est dans quelques serres chaudes de la Grande-Bretagne. A Montpellier, elle fleurit en plein air et donna des feuilles larges de 0,50 c., et des fleurs d'un rose magnifique , dont la circonférence atteignait près d’un mètre. 86 MÉMOIRES En lisant, avec une émotion pieuse, ce dernier écrit échappé à la main déjà défaillante de l’auteur de tant d'ouvrages juste- ment estimés , nous nous attendions naturellement à y voir la Botanique considérée dans ses rapports avec la morale et avec l'art de guérir. Hélas ! nous y avons trouvé un peu de tout , mais pas assez de Botanique. Nous ne saurions finir cette revue rapide des travaux de Delile relatifs aux végétaux, sans mentionner, avec des éloges mérités, le magnifique Herbier dans lequel il avait réuni les plantes récoltées par lui en Egypte et dans la Caroline du Nord, à côté de celles qu'il avait cueillies en France, ou dont il s’était enrichi par l'intermédiaire de ses nombreux correspondants. Le soin avec lequel cet Herbier était étiqueté, annoté , illustré même par des dessins originaux , en faisait un des plus pré- cieux que l’on püt consulter. Enfin , n'oublions pas non plus les Catalogues dans lesquels, à l’occasion de l'envoi des graines de son Jardin, il faisait connaître les plantes nouvelles qu'il obtenait , ou corrigeait les erreurs commises par ses devanciers relativement à des plantes réputées bien connues. Delile avait compris que l'observation , et surtout l’expéri- mentation physiologique , sont réellement une des bases les plus solides des études médicales. Elève et collaborateur de Ma- gendie, et déjà Docteur en médecine de la Faculté de New-York, il présenta, pour obtenir le même grade à la Faculté de Paris, une dissertation sur les effets d'un poison de Java, appelé Upas tieuté (1), et, un peu plus tard , il communiqua à l'Institut le résultat de ses expériences sur les effets de l’Upas antiar, ou suc de l’Antiaris toxicaria. Malheureusement ce dernier travail est resté inédit : le premier, connu du monde savant tout entier, a mis hors de doute l’action tétanique de l'Upas, ainsi que la réalité de l'absorption veineuse , alors si for- tement contestée. Enfin, c’est d'après les considérations de (1) Cest de ce poison que se servent les naturels de Java , pour rendre mortelles les blessures de leurs flèches. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 87 notre jeune Docteur sur l’action des Strychnos, que M. Fou- quier, Médecin de la Charité, a été conduit (lui-même en fait l'aveu ) à prescrire avec succès l'extrait de noix vomique contre divers cas de paralysie. On peut donc dire que Delile a con- tribué, pour sa large part, à ouvrir cette voie féconde où sont entrés de nos jours avec tant de succès les Flourens, les Claude Bernard, les Brown -Sequard, les Schiff, les Pelikan, les Kælliker, et tant d’autres, qui comprennent que les véritables progrès de la médecine proprement dite sont inséparablement liés à ceux d’une physiologie rigoureusement expérimentale, et non basée sur les décevantes chimères des Esprits animaux de Descartes ou de l’Archée de Van-Helmont. Parmi les œuvres de Delile qui se rattachent de près ou de loin à la médecine, nous citerons encore sa Thèse sur la phthi- sie pulmonaire ( On the pulmonray consumption ); des Avis sur les dangers de l'usage des champignons sauvages dans la cui- sine ; des Indications de thérapeutique directe des morsures v6- nimeuses ; enfin, un travail inédit, je crois, et fort intéres- sant, qui a pour titre : Traitement d'une espèce particulière de taches de naissance. Une compression graduée des vaisseaux sanguins dilatés outre-mesure, secondée par des applications continuelles d’eau froide aluminée, a suffi, d'après l’auteur, pour guérir radi- calement des nœævi materni qui avaient acquis un volume ex- trêmement considérable. Notez que les observations dont il s’agit en ce moment ont été faites à New-York, il y a plus d'un demi-siècle, c'est-à-dire à une époque où les moyens théra- peutiques ici mis en usage, avaient tout à la fois le mérite de l’à-propos et d’une certaine nouveauté. Delile n'était pas orateur, et cependant il a prononcé , sans doute à son corps défendant, plusieurs discours officiels. Nous nous bornerons à indiquer celui qui a pour titre : Sur l'étude et les progrès de diverses branches des sciences médicales , et dans lequel on trouve des considérations pleines de justesse sur les maladies épidémiques et contagieuses , sur l'absorption des substances médicamenteuses ou colorantes par la méthode 88 MÉMOIRES endermique, sur l’action du camphre et de l'opium sur les cen- tres nerveux, etc. Je ne mentionnerai que pour mémoire le discours prononcé par Delile, en 1822, dans une assemblée de maîtres et d'élë- ves venus des divers points de la France à Montpellier, pour y célébrer l'anniversaire de la fête de Linné ; Celui qu'il prononcça , le 20 décembre 1833 , aux funérailles du Professeur Anglada ; Enfin deux autres discours prononcés , en 1846 | à Béziers et à Montpellier, à propos d'une Distribution de prix pour l'élite des troupeaux. Telle est la liste, à peu près complète, des principaux ou- vrages et mémoires qu'Alire Raffeneau Delile a publiés. Quant aux notes qu'il a laissées sur une foule de sujets du plus haut intérêt pour la Botanique, malheureusement elles sont la plupart si mal en ordre, si confuses et si incomplè- tes, quil m'a été impossible d'en tirer le moindre parti pour la Science. Que de temps et de travail perdu! que d'heures inutiles pour nous, mais délicieuses pour Delile, absorbé dans la contemplation des merveilles qu'il étudiait, au point d'ou- blier souvent, en prenant ses notes, d'indiquer la date et le sujet de ses observations ! Quelle mobilité ! quelle incons- tance, mais aussi que d'émotions sans cesse renouvelées ! Quel plaisir plein de charme, de butiner ainsi de fleur en fleur! C'est que le bon Delile se trouvait, Je l'ai déjà dit, parfaite- ment heureux en face de la nature, dont Guillaume de Hum- boldt a si bien fait ressortir le vrai caractère : «la beauté dans la grandeur.» Tout entier à ces impressions ravissantes , l’auteur de la Flore d'Egypte et de la Flore du Mont Sinaï oubliait alors et sa gloire et la postérité. Puis il reprenait la plume et tâchait d'écrire jusqu'au bout quelque mémoire , ordinaire- ment peu étendu, mais toujours instructif. Parmi ces travaux , aujourd'hui posthumes, 1l en est quatre que j'ai découverts enfouis parmi des fleurs. Celui de ces Mémoires que j'appellerai arbitrairement le premier (car aucun d'eux ne porte de date), est relatif aux DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 89 Zostera, ces plantes marines monocotylédones, à feuilles minces et rubanées, dont on se sert fréquemment pour l’em- ballage du verre. Delile s'attache d'abord à étudier les espèces qui doivent être rapportées à ce genre; il en admet deux, selon lui très- distinctes, savoir : le Zostera marina (Linné et Gærtner), à feuilles en ruban, étroites, à rhizôme noueux et articulé , de la grosseur d’une plume de pigeon : il fleurit en mai. La deuxième espèce, Zostera minor (Delile), outre sa forme plus étroite et sa taille toujours moindre, fleurit non-seulement au printemps, comme la première, mais encore jusque pendant l'été. Ces deux espèces une fois bien établies, Delile sépare du genre Zostera deux plantes de genres fort différents, qui ont été mal à propos confondues avec les Zostères, je veux parler du Cymodocea æquorea de Kæœnig, appelé à tort par de Candolle lui-même Zostera mediterranea, et le Kernera oceanica (Wilde- now), dont les fibres ou soies radicales, roulées par les vagues, forment ces pelotes arrondies que l’on trouve communément sur le rivage de la mer, et qui ont recu le nom très-impropre d'Ægagropiles. Kœnig avait déjà reconnu que le pollen du Cymodocea æquo- rea était filamenteux. Delile a vu également que le pollen des Zostera est visqueux et formé de vaisseaux fins comme la soie, ou comme des fils aranéeux délicats : caractère qui distingue les Zostérées des Naïades, le pollen de celles-ci étant utricu- laire. I existe dans les étangs de Maguelone et de Balaruc, près de Montpellier , une production marine remarquable par sa forme élégante, imitant celle d’une petite ombrelle, striée, radiée , plane et presque infundibuliforme, portée sur une tige grêle et fistuleuse à l'intérieur, et recouverte au dehors d’une matière visqueuse ou enduit crustacé, analogue à celui qui révêt les mérithalles tubuleux du Chara. Ces sortes d'ombrelles qui, le plus souvent, sont réunies en toufles épaisses et d’un vert éclatant, croissent sur les rochers ou sur les rhizômes de Cy- 90 MÉMOIRES modocea. Quelquefois, suivant les âges , la tige est simple et sans plateau supérieur ; d’autres fois, elle porte des rameaux verticillés sur divers points de sa hauteur, et même une houppe de ramifications flottantes qui s’allonge au milieu du plateau. Quelle est la nature de cette singulière production ? Est-ce un madrépore, comme le voulait Linné? est-ce un polypier flexible, comme le prétendait Lamouroux ? ou bien enfin est-ce un végétal, ainsi que l'affirmait Bertoloni ? Mieux placé que tout autre pour élucider cette question, Delile examine avec soin la structure et les caractères de l'Acetabularia : il voit la pulpe verdâtre qui remplit les rayons creux de l’ombrelle, s'organiser en globules ou spores probablement reproductrices. Cependant il avoue n'avoir jamais pu suivre la germination de ces corps, qu'il croit destinés à propager la plante. En revanche, l’ana- lyse chimique de l’Acetabularia exécutée à sa prière par M. Ba- lard, aujourd'hui membre de l’Institut, dénote, selon lui, in- dubitablement un être végétal. Une matière analogue à la chlo- rophylle, une substance gommeuse , un produit identique au ligneux, enfin des indices à peine appréciables d'ammoniaque : telles sont, avec le carbonate de chaux, mêlé d’un peu de sul- fate de magnésie , d’alumine et d'oxyde de fer, les substances qui constituent le tissu de l’Acetabularia, étudié sous le point de vue chimique. Ces résultats semblent donc venir tout à fait à l'appui de l'opinion qui admet la nature végétale de cette production marine, et cette opinion est précisément celle de Delile et de Bertoloni. J’avoue cependant n'être pas entière- ment convaincu, et il me semble que de nouvelles études sont nécessaires pour trancher la question. Le mode insolite de respiration observé par Delile chez le Nelumbium speciosum, devait engager cet habile botaniste à faire des recherches analogues sur d’autres plantes aquatiques. Il a donc soumis tour à tour à son examen le Wenganthes nym- phoïdes , le Sagittaria sagittifoliæ, le Thalia dealbata, le Trapa natans , le Pontederia cærulea , le Pistia stratiotes, le Scirpus lacustris , et il a vu une plus ou moins grande quantité d'air DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 91 enfermé dans le tissu de ces végétaux. D'où vient cet air et où va-t-il? Telle est la question que l’on peut naturellement s’adres- ser, mais que Delile n’a pas résolue pour toutes les plantes que nous venons d'indiquer. Cependant, la plupart d’entreelles lui paraissent produire elles-mêmes l'air qu'elles contiennent, à la manière de certains Fucus , où mieux encore de certains Ulva qui, même au sein de l’eau , se gonflent d'air, puis mon- tent à la surface du liquide, se crèvent rapidement au contact de l’atmosphère, et retombent au même instant sur la vase où ils ont pris naissance. Quant aux pores ou orifices naturels par où l'air s'échappe chez les végétaux que nous citions tout-à- l'heure, Delile ne les a pas vus chez tous ; mais il en a cons- taté la présence chez l'Aponogeton distachyum , plante de Co- romandel, aujourd’hui naturalisée dans la petite rivière du Lez, aux environs immédiats de Montpellier. Ces pores sont : 1° les stomates des feuilles ; 2° les orifices des canaux rompus par la chute des involucres ; 3° les sommets perméables des stigmates et des filets ou supports des anthères. Arrivé à la fin de la tâche pieuse que nous avions promis de remplir, nous ne saurions nous empêcher d'exprimer encore une fois le regret que Delile ait laissé complétement inachevées les études qu'il avait entreprises sur les Champignons, sur les Verbascum, sur la Flore d'Amérique, qu'il devait publier avec Bonpland, son ami, et dont nous avons vu quelques planches gravées; enfin sur la Florule du port Juvénal (1), cette localité privilégiée, cette espèce de jardin botanique improvisé par le (4) Le port Juvénal est une localité très-restreinte, qui est située sur les bords du Lez, près Montpellier, et qui sert au lavage des laines venues de l'Orient ou d’autres localités. 92 MÉMOIRES hasard, «où les plantes des quatre parties du monde semblent, comme on l’a dit, s'être donné rendez-vous (1). » Espérons que les matériaux qui sont entre nos mains pour- ront être utilisés en passant en des mains plus habiles. C’est là un de nos vœux les plus chers; il ne dépendra pas de nous qu'il ne soit tôt ou tard accompli. Le 12 octobre 1819, Delile fut nommé Chevalier de la Légion d'honneur, récompense tardive que la plupart de ses collègues n'avaient pas attendue si longtemps. En 1821, il joignit à son titre de membre de l'Institut d'Egypte, celui de correspondant de l'Institut de France. Depuis l'époque de cette nomination , E. Geoffroy-Saint-Hilaire et Jo- mard dirent hautement, et plus d’une fois, combien ils regret- taient de ne pas voir leur ancien collègue et digne ami siéger à côté d'eux, en qualité de membre résidant. Là, en effet, était marquée sa véritable place : nous ne chercherons pas à savoir pourquoi il ne l’occupa jamais. En revanche, il appartenait à la plupart des sociétés sa- vantes de l’Europe et du Nouveau-Monde, et toutes tenaient à honneur de l'avoir appelé dans leur sein. » Mais, comme le bonheur, la gloire aussi s’achète. » Epuisé de travaux , Delile s’éteignit, après une courte ma- ladie, dans la nuit du 4 au 5 juillet 1850; il avait alors soi- xante-douze ans. Sa mort fut digne de sa vie, toute de dévoue- ment à la science, à sa famille et à l'humanité. Nul ne méri- tait donc mieux que lui cette part de bonheur à laquelle tout homme de bien peut raisonnablement prétendre; et cependant son existence fut tourmentée par des chagrins amers, par des (1) A. Godron , Considérations sur les migrations des végétaux , et spéciale- ment sur ceux qui, étrangers au sol de la France, y ont été introduits acciden- tellement. Mém. de l'Acad. des Sciences et Lettres de Montpellier, section des Sciences , tom. 11, pag. 167, année 1852-1855. EN PT SE TR DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 93 tracasseries mesquines, par des rivalités jalouses, triste et or- dinaire cortége du talent qui s'élève et qui ne veut rien de- voir qu'à lui seul. Mais s'il eut des envieux (qui n’en a pas, disait-il?), il eut aussi d’illustres et excellents amis. L’etude fit sa joie, l'estime universelle l’entoura, ses enfants furent sa consolation. Enfin, faveur accordée à bien peu d'élus, il laisse un nom qu'entoure une auréole de gloire incontestée, et qui, inscrit dans les fastes de l'Histoire, à côté des noms fameux de ses compagnons d'Egypte, vivra sans aucun doute plus longtemps que les Pyramides. LISTE CHRONOLOGIQUE DES TRAVAUX D'ALYRE RAFFENEAU DELILE. 1. Description des deux espèces de Séné qui sont recueillies en Egypte ; d’une CyNANQuE, dont on mêle les feuilles au Séné, et de la plante qui produit les graines appelées Caica. Mémoires sur l'Egypte, tom. int, édition Didot, Paris, an X (1801). 2. Note critique sur le Aimenia Ægyptiaca, formant un nouveau genre appelé Balanites Ægyptiaca. Mémoires sur l'Egypte ,t, im, éd, Didot, Paris, an X (1801), 3. Observations sur les Lotus d'Egypte. Annales du Muséuw d'Histoire naturelle de Paris , tom, 1, pag. 372 (1802). 4. An inaugural dissertation On the pulmonary consumption. New-York, 1807. Thèse pour le doctorat en médecine. 5. Dissertation sur les effets d’un poison de Java, appelé Upas tieuté , et sur la Noix vomique , la Fève de Saint-Ignace , le Strychnos potatorum et la Pomme de Vontac , qui sont du même genre de plantes que l’Upas tieuté. Thèse pour le doctorat en médecine , Paris , 1809 , n° 53. 6. Description d'opérations rares et nouvelles d'anévrismes, faites avec succès en Angleterre et en Amérique. 94 MÉMOIRES Journal de Médecine de Boyer et Corvisart, Paris, juill. 4809. 7. Description et dessin d'une tarière spirale , instrument vulgaireaux Etats-Unis, pour abréger les travaux de charpente. Mémoires de la Société d'encouragement de Paris, mai 1819. 8. Remarques sur l’Acclimatation des végétaux au Jardin de Montpellier, à l’occasion du froid de l'hiver de janv. 1820, Bulletin de la Société d'agriculture de l'Hérault , 1820. (N. B. Ce bulletin sera dorénavant indiqué par les initiales DS AH 9. Discours sur l'étude et les progrès de diverses branches des sciences médicales. Montpellier, 1821 , broch. in-4°, de 1-98 p. 10. Nouvelle description du Benincasa cerifera de Savi, plante de la famille des Cucurbitacées. Mémoires des Savants étrangers. 11. Discours prononcé à l’occasion de la fête de Linné , cé- lébrée à Montpellier , le 27 juin 1822. 12. Description du Palmier Doum de la Haute-Egypte, ou Cucifera Thebaica. Mémoire adressé d'Egypte à l'Institut de France , au com- mencement de l'an VIII (1799). 13. Mémoire sur les plantes qui croissent spontanément en Egypte. 14. Histoire des plantes cultivées en Egypte. (N. B. Ges trois Mémoires font partie du tom. x1x de la Des- cription de l'Egypte , édit. Panckoucke , Paris, 1824.) 15. Flore Ægyptiace illustratio. Description de l'Egypte, tom. x1x, pages 69-115, édition Panckoucke , Paris, 1824. 16. Flore d'Egypte, explication des plantes gravées. Description de l'Egypte, tom. x1x, pages 117-450 , édition Panckoucke, Paris, 1824. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 95 17. Avis sur les dangers de l'usage des champignons sauva- ges dans la cuisine. B. S. À. H., février 1895. 18. Remarques nouvelles sur les Sénés. B. S. A. H., septembre 1825. 19. Note pour servir à la culture et aux essais de la propa- gation des Müriers. B. S. A. H., octobre 1826. 20. Centurie de plantes d'Afrique du voyage à Méroé , re- cueillies par M. Cailliaud et décrites par M. Delile, Paris, /m- primerie royale , 1826. 21. Indication de thérapeutique directe des morsures les plus venimeuses. Ephémérides médicales de Montpellier, cahier d'avril 1827. 22. Examen de la végétation de l’Isoètes setacea, et exposi- tion de ses caractères. Mém. du Muséum , tom. x1v, p. 100, Paris, 1827. 23. Description du Joliffia africana, type d’un nouveau genre de la famille des Cucurbitacées. Mémoires de la Société d'Histoire naturelle de Paris, t. 1. 24. Description du Theligonum cynocrambe. Annales des Sciences naturelles , avril 1830, t. x1x p. 370. 25. Description du Clypeola cyclodontea, plante nouvelle trouvée aux environs de Montpellier. B. S. A. H., août 1830. 26. Discours de M. le professeur Delile, prononcé aux fu- nérailles de M. Anglada , le samedi 21 décembre 1833. 27. Fragments d'une Flore de l'Arabie Pétrée , plantes re- cueillies par M. Léon de Laborde , nommées, classées et décri- tes par M. Delile, Paris, 1833. 28. Leçon de botanique, à l'ouverture du cours de cette science , à la Faculté de Médecine de Montpellier. Montpellier, 1833. 29. Nouveaux fragments d’une Flore de l'Arabie Pétrée : 96 MÉMOIRES plantes recueillies aux euvirons du mont Sinaï, par M. le ba- ron Taylor; descriptions et dessins par M. Delile. Lu à l'Institut, avril 1834. (N. B. Cet ouvrage est resté inédit. Les noms du genre Leobordea et de diverses autres plantes ont été cependant adoptés en botanique, d’après le manuscrit déposé à l'Acadé- mie des sciences. ) 30. Lettre sur le Märier multicaule , onu Mürier des Philip- pines , en réponse à M. Bégé, préfet de l'Hérault. B. S. À. H., octobre 1834. 31. Mémoire sur le Maclura aurantiaca , arbre de pleine terre; époque de sa découverte , son histoire, sa description ; essais de nourriture de vers à soie au moyen de ses feuilles. B. S. A. H., juillet 1835. 32. Acclimatation du Nelumbium speciosum, où Nelumbo de l'Inde, dans le midi de la France. B. S. A. H., août 1835. 33. Description des procédés usités pour la fabrication du sucre de betteraves, à la manufacture de Louëz, près Arras. B. S. À. H., septembre 1835. 34. Première récolte des fruits du Ginkgo du Japon en France. B. S. A. H., décembre 1835. 35. Nouveaux cristaux parmi les grains de pollen du Cala- dium bicolor, et conceptacles de Biforines dans ses fleurs : po- sitions nouvelles des Biforines dans les lacunes ou cellules aérifères des Caladium. B.S. A. H., avril 1836. 36. Essais d'acclimatation à Montpellier, et mélanges d'ob- servations. B. S. A. H., juin 1836. 37. Sur le Maïs. Extrait de l'Histoire naturelle, agricole et économique du maïs, de M. Bonafous, présenté à la Société d'Agriculture de l'Hérault. B. S. A. H., septembre 1836. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 97 38. De la culture de la Patate douce, du Crambe maritima et de l'Oxalis crenata. B. S. A. H., décembre 1836. 39. Appendix descriptionum plantas quasdam novas aut mi- nus cognitas illustrantium. Montpellier , 1837. 40. Nouvel examen de la Phosphorescence de l'agaric de l'oli- vier. B. S. A. H., février 1837. 41. Index complectens semina in H. B. R. Monspeliensi , anno 1838 collecta, additis caracteribus specificis , &c., et tab. 2 pictis. Montpellier. 42. Notice sur un Voyage horticole et botanique en Belgique elen Hollande , avec cinq planches lithographiées. B. S. À. H., Montpellier , 1838. 43. Sur les greffes insolites. B. S. A. H., septembre 1839. 44. Pomone orientale : désignation d'arbres à fruits à impor- ter de Syrie en France. B. S. A. H., février 1840. 45. Emploi de plusieurs racines de Gysophila au lavage des laines. B. S. A. H., 1840. 46. Correspondance d'Orient : De l'horticulture en Egypte. B. S. A. H. 1841. 47. Evidence du mode respiratoire des feuilles du Nelumbium. Comptes rendus de l'Institut, 4 octobre 1841, et Annal. des sciences nat., 2° sér. tom. xvi , p. 528.. 48. Réponse à une réclamation de M. Dutrochet , concernant des expériences sur le Nelumbium. Comptes rendus de l'Institut , 25 octobre 1841, et Ann. des sciences nat., 2° série, tom. XVI, p. 333. 5° $. — TOME 1. 7 98 MÉMOIRES 49. Observations faites à Montpellier , pendant l'éclipse de soteil du 8 juillet 18492. Comples rendus de l'Institut, tom. xv, p. 80. 30. Sur l'introduction en France du Polygonum tinctorium. (Lettre à M. Boussingault ). Comptes rendus de l'Institut , tom. xvnr, p. 707, 1844. 51. Souvenirs d'Egypte , herborisations au désert. Revue du Midi, 1844. 52. Note relative à l’acclimatation d’une nouvelle variété de Nelumbium , et à la dénomination ancienne de Colocase. Comptes rendus de l'Institut ,t. xxn, 1° juin 1846, p. 732. 53. Discours prononcés à la distribution des prix pour l'élève des troupeaux, à Béziers, le 13 février 1846 , et à Montpel- lier, le 23 du même mois. 54. Détermination d'une plante que Strabon a nommée KOP3SION, et révision de plusieurs CYPERACÉES usuelles. Mémoires de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 1847. 55. Botanique morale , ou participation des sciences à l’en- seignement et aux progrès de l’art de guérir. Leçon d'ouverture , 11 avril 1848. Montpellier. 56. Examen des effets de l'Upas antiar (ou suc de l’Antiaris toxicaria ) et de plusieurs substances émétiques. Mémoire lu à l’Académie des sciences de Paris ( inédit ). 57. Mémoire sur les Zostérées ( inédit ). 58. Florule du Port-Juvénal (inédit). 59. Recherches au sujet des pores et des conduits aériens de l’Aponogeton distachyum ( inédit ). 60. Recherches sur la nature et l’organisation d'un nouveau genre de conferve, l’Acetabularia , classé jusqu'ici parmi les Zoophytes (inédit ). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 99 = FASCICULE D'OBSERVATIONS DE TÉRATOLOGIE VÉGÉTALE ; Par M. D. CLOS. L'importance des faits tératologiques est depuis longtemps reconnue par tous les botanistes. Elle l’est surtout depuis que M. Moquin-Tandon, suivant les traces des Geoffroy Saint- Hilaire , a donné à la science un traité complet sur cette ma- tière, guide précieux, soit pour le classement, soit pour l'ap- préciation des faits nouveaux. Il est peu de phénomènes de tératologie végétale qui méri- tent d'être négligés : mais un intérêt plus spécial s'attache à ceux qui peuvent, par une application immédiate, servir à confirmer , à étendre ou à modifier les lois que la science a déjà proclamées. J'ai eu l'occasion de recueillir un assez grand nombre d'ob- servations de monstruosités végétales ; mais je me bornerai à signaler ici celles qui m'ont paru le plus dignes d'être citées. Les unes ont pour objet les organes de nutrition , les autres , les parties florales. [. TORSION ET FASCIATION DE LA TIGE DU DRACOCEPHALUM Mozpavica L. La divergence d'opinions qui s'est manifestée en botanique au sujet de la nature des fascies, doit engager les botanistes à recueillir avec soin tous les faits qui peuvent conduire à une solution motivée du problème. À la date du 10 juin dernier, j'observais au Jardin des Plantes de Toulouse un cas de fascie du Dracocephalum Mol- davica L. ne portant que sur la partie terminale de l'axe pri- 100 MÉMOIRES maire, au-dessus du point d'insertion des rameaux de seconde génération. Les feuilles de cet axe, situées au-dessous de la fascie, étaient de forme normale, mais verticillées-ternées, chaque verticille alternant avec ses voisins. Au-dessus du ver- ticille supérieur , l'axe éprouvait très-manifestement une tor- sion sur lui-même dans l'étendue de trois centimètres envi- ron, et l'aplatissement de la tige succédait à la torsion , à par- tir de laquelle les feuilles et les fleurs, tout en conservant leur forme habituelle, perdaient leur position. Or, dans une note communiquée à la Société philomatique de Paris , dans sa séance du 16 novembre 1850 ( voir l’/nsti- tut, année 1850 , p. 389 ), je signalais deux cas de tératologie observés par moi au Jardin botanique de Rouen, sur deux individus de la même espèce : l’un d'eux avait l'axe comme tordu sur lui-même; l’autre présentait une véritable fascie ; et dans les deux cas les feuilles étaient normales quant à la forme, mais verticillées. « La disposition analogue des feuil- les dans ces deux individus végétaux , disais-je alors, ne pour- rait-elle pas faire soupconner quelque corrélation d'origine entre la torsion et la fasciation des tiges (L. c.)?» Le fait nou- veau de cette année, en montrant les deux phénomènes (tor- sion et fasciation) réunis sur le même axe, et l’un précédant l'autre, me paraît confirmer cette présomption. On peut même se demander si, du moins dans les plantes à feuilles opposées ou verticillées, la fasciation ne serait pas toujours précédée par la torsion de l'axe. Ces lignes écrites , J'ai reconnu que la même idée a été émise par un des hommes qui se sont le plus occupés de tératologie végétale, par M. de Schlechtendahl, professeur de botanique à Halle (voir Botanische Zeitung , 14° année 1856, p. 73 et 74). M. Germain de Saint-Pierre a fait la même remarque : «Il arrive fréquemment, ditil, qu'une torsion plus ou moins mar- quée coïncide avec le phénomène de la fasciation; » et plus loin : «La position des feuilles accidentellement ternée, qua- ternée, en verticille ou en spirale, se rattache essentiellement au phénomène de la fasciation » (Guide du Bot., p. 560). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 10T Îl'est à noter que la tendance des feuilles à devenir verticil- lées est fréquente dans le Dracocephalum Moldavica L. (A), et que, dans les trois cas observés par moi, les modifications dans la forme de la tige ont été précédées d'un changement dans la position des feuilles, produit sans doute à son tour par une modification dans la structure de l'axe. Tout s’enchaîne dans la nature. Ajoutons que les feuilles se sont montrées aussi verticillées dans une fascie de Buplevrum falcatum L. (voy. Moquin-Tandon, Élém. de Tératologie, p. 121 ). Il. SOUDURES OU DISIONCTIONS DE FEUILLES. J'ai observé plusieurs faits de. soudures de feuilles, mais je me bornerai à en citer trois ici; d'eux d’entre eux m'ont été offerts par des plantes appartenant à l’'embranchement des monocotylés où ces sortes de soudures sont peu commu- nes; le troisième, par une plante dicotylédonée. Sur un beau pied de Strelitzia Reginæ Ait. deux pétioles , presque confondus vers leur base en un seul corps, étaient accolés l'un à l'autre dans une grande partie de leur longueur, et se séparaient vers le haut, se terminant chacun par un limbe normal et libre. Un Orchis sambucina de l'Herbier Lapeyrouse, où il est dé- signé sous le nom d'Orchis incarnata Wild. var. sambucina, et qui provient du Pic-d'Eyre , offre sa feuille terminale et la pre- mière bractée bifides au sommet. Toutes les autres parties de la plante sont normales. Faut-il voir dans ce fait une disjonc- tion ou une soudure? C’est ce que je n’oserais absolument décider. Cependant, comme chacune des deux moitiés corres- pondant à une des dents de la fissure a une nervation com- plète, c’est-à-dire, en ce qui concerne la bractée, trois nervu- res, dont une médiane, exactement comme le montrent les au- tres bractées de la plante, l'explication du fait par soudure me (1) 3. J. Bernouilli a observé aussi des feuilles verticillées dans l'A juqa genevensis L. (voyez Litteratur-Bericht zur Linnæa für 1838 , pag. 14); et on sait que certaines Labiées ont des feuilles normalement verticillées. 102 MÉMOIRES paraît la plus probable. M. Moquin ne rapporte, dans sa 7é- ratologie, qu'un seul cas de soudure de feuillés appartenant à l'embranchement des monocotylédones (4. c. p. 250). Au contraire, un bel exemple de disjonction ou de parti- tion m'a été offert par une plante de la famille des Saururées , l'Anemiopsis californica Ad. Brongn. où j'ai lieu de croire que le fait est fréquent, car je l'ai observé sur trois feuilles appar- tenant au même pied. La feuille entière et normale dans la moitié ou le tiers inférieur du limbe, montre celui-ci divisé, dans sa partie supérieure et le long de la nervure médiane, en deux lobes semblables, qui, presque dès l’origine se com- plètent, chacun d'eux s’élargissant et présentant une nervure submédiane, mais ordinairement un peu plus rapprochée du bord interne que de l’externe. Tantôt ces deux lobes restent distincts, et tantôt ils se soudent par la face inférieure de leur nervure moyenne. II[. SOUDURE DE DEUX FLEURS, OU PARTITION FLORALE. Une fleur de Belladone, dont la corolle était tombée, pré- sentait un calice à huit divisions normales, dont trois un peu moins développées que les autres , et au centre de la fleur deux rudiments de pistils sans ovules et distincts. Le pédoncule était aplati, offrant à ses deux faces une rainure indice ‘de la soudure de deux pédoncules. Ce fait confirme cette loi pres- que générale en tératologie, que la soudure de deux fleurs coïncide avec l'avortement de quelques-unes de leurs parties ; J. Christian a vu une fleur de Lilium , composée d’un périgone à onze folioles, de onze étamines et de deux ovaires ( voy. Bull. Soc. bot. t. IV, p. 1068); et M. Martins, faisant connaître un fait de soudure de deux fleurs de pétunia, a rappelé plu- sieurs cas de synanthie, empruntés aux auteurs et accompagnés d’avortements (voy. Anal. des Sc. nat. 3° sér. t. H, p. 363). Une des fleurs inférieures de la grappe du Digitalis purpu- rea L. m'a offert un calice à sept divisions dont une plus pe- tite, une corolle presque normale , mais à six lobes termi- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 103 naux , six étamines alternes avec eux, toutes également fer- tiles, un pistil à l'état normal. Je crois devoir rappeler, à propos de ces divers cas de soudure soit de feuilles, soit de fleurs, que M. Germain de Saint-Pierre considère ces sortes de faits comme dus à une autre cause, la division d’un organe en deux ou plusieurs ou la diruption (Guide du Bot., p.798); la diruption serait donc à l'état tératologique ce qu'est la partition pour les phénomè- nes normaux. J'ai prouvé en effet que la partition était un phénomène fréquent et normal dans le règne végétal (voir le Bullet. de la Soc. bot., t. Il, p. 499 et t. IT, p. 608). S'il en est ainsi, je ne vois pas l'avantage de substituer le mot diruption à celui de disjonction qui, comme lui, ne s'applique qu'aux cas de monstruosités, et qui a sur ui l'avantage de la priorité. Il n’est peut-être pas inutile d'ajouter que M. Durand (de Caen), a cru pouvoir établir, à la suite d'expériences faites sur le développement de choux, que la partition ne vient qu'à la suite de la fasciation, et est toujours un indice de vigueur chez les sujets où elle se manifeste. (Voy. Mém. de la Soc. Linn. de Normandie , t. IX, p. xxx] et suiv.) IV. CÉRATOMANIE D'ORCHIS LAXIFLORA L. On a déjà signalé plusieurs faits tératologiques concernant l'intéressante famille des Orchidées. Mais je ne crois pas qu'on en ait encore décrit de la nature de celui que ma offert un individu d'Orchis laiflora L. dont je dois la com- munication à M. Timbal-Lagrave , qui le tenait lui-même de M. de Larenbergue, botaniste distingué de Castres. Les tiges, les feuilles , les bractées et l’inflorescence étaient à l'état normal; les fleurs avaient aussi conservé leur couleur et leur position ordinaires, celles du bas de l'inflorescence étant résupinées, les supérieures droites. Dans les unes et dans les autres, les deux divisions latérales du verticille externe avaient pris la forme du labelle, éperonnées comme lui, élargies au sommet, mais irrégulières par suite de leur po- 10% MÉMOIRES sition latérale , c’est-à-dire ne pouvant pas se diviser en deux moitiés égales. L'éperon de ces deux pièces du périgone était, suivant les fleurs, plus court ou plus long que celui du la- belle qu'il égalait quelquefois, n’en différant qu’en ce qu'il présentait souvent une ouverture au sommet. On comprend, d'après ce qui précède, que les jeunes fleurs ou celles du sommet de l’inflorescence offraient trois éperons supérieurs (dus au labelle et à deux divisions extérieures du périgone), placés presque sur un même plan , et les fleurs adultes ou inférieures trois éperons inférieurs. Les autres parties de la fleur étaient restées à l’état normal. Ce fait de tératologie végétale, qui appartient au groupe désigné par Ch. Morren, sous le nom de Cératomanie, me parait instructif sous plusieurs rapports : 4° I semble indiquer que le labelle est peut-être le type des pièces du périgone, et l’organogénie est ici pleinement d'accord avec les données de la tératologie; car M. frmisch a vu le labelle des Orchidées à l’état jeune pareil aux feuilles péri- goniales (Voy. Linnæa, t. XVI, p. 459). 9 [1 démontre le peu de fondement de l'opinion émise par Endlicher, dans son Genera plantarum , sur la nature du labelle des Orchidées (1). 3° Il confirme et étend cette règle déjà établie pour les Scro- phularinées, que les plantes, dont quelques pièces du péri- gone sont éperonnées, prennent ordinairement des éperons aux autres pièces, lorsqu'elles se régularisent ou se pélorient. Néanmoins il importe de remarquer que ce sont deux divisions du verticille externe du périgone qui ont acquis chacune un éperon , tandis que le labelle (normalement éperonné) appar- tient au verticille interne. 4° [1 tend peut-être à montrer aussi que les divisions exté- rieures du périgone des Orchidées appartiennent à la corolle (4) Endlicher voit en effet dans le labelle non-seulement une foliole du ver- ticille interne, mais quelque chose participant à la fois des étamines et des styles , aliquid naturæ stamineæ et stylineæ. (Gen., pag. 186.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 105 plutôt qu'au calice, et que dès lors le calice manque à la plupart de ces plantes, comme semble l'indiquer l'Epistephium (1). V. TRANSFORMATION D'UNE ÉTAMINE EN PISTIL CHEZ LE Tu- LIPA GESNERIANA L. La transformation d'étamines en pistils a été décrite et figurée par M. de Mohl ( Vermischte Schrift., p. 34 et suiv.) avec tout le talent qui caractérise ses travaux. Toutefois ses observations ayant porté sur le Sempervioum tectorum L., plante dicotylédonée, il ne sera peut-être pas inutile de faire connaître un fait du même genre qui a pour objet la Tulipe, c'est-à-dire une plante monocotylédone. | En dedans des deux verticilles floraux extérieurs étaient cinq étamines normales ; mais la place de la sixième était occupée par un corps qui était étamine dans sa moitié inférieure, pistil dans la supérieure. En effet, au-dessus du filet, on distin- guait la base des deux loges de l'anthère que surmontait une rangée d'ovules imparfaits : ceux-ci naissaient à la Jonction du filet et de la loge anthérale avortée. Deux stigmates se trou- vaient au sommet de ce corps. Au centre de la fleur étaient trois carpelles presque normaux , mais à cavité ouverte. Cette observation démontre que les ovules n'occupent pas la place du pollen, mais naissent à la jonction des loges de l'anthère avec le connectif. Le pistil de la Tulipe des jardins est aussi sujet à une foule de déviations qui ont été récemment bien étudiées par M. Duchar- tre. (Voir les Annal. des Sc. nat., 4° sér. t. VIT, p. 45). VI. HYPERTROPHIES DU PISTIL DANS LE GENRE RUMEX. La famille des Polygonées est une des plus intéressantes au point de vue organographique. Des individus à pistil mons- (4) M. Alph. De Candolle a été conduit à une conclusion identique en ce qui concerne la famille des Santalacées. (Voir sa Note sur la famille des San- talacées, insérée dans la Bibliothèque universelle de Genève, sept. 1857.) 106 MÉMOIRES trueux appartenant à deux espèces du genre Rumex, le R. scutatus L. etle À. aquaticus L. m'ont été communiqués , les premiers par M. Loret, qui les a recueillis à Mijanès (Ariége), dans le lit desséché d’un torrent; les seconds par M. Timbal- Lagrave qui les avait pris dans son jardin où il cultivait le R. aquaticus L. : 1° RumEx scuTaTus. — Les fleurs de cette plante étaient modifiées à divers degrés : le pistil était, dans les unes, sim- plement hypertrophié; dans les autres, claviforme et ouvert au sommet; enfin, chez d’autres encore, en forme d’entonnoir, offrant trois grands lobes triangulaires et terminés chacun par un style. Toutefois les styles n'étaient que rarement terminaux ; dans la très-grande majorité des cas ils naissaient sur les pa- rois de l’ovaire et à des hauteurs variables, surmontés chacun d'un stigmate soit capité, soit en pinceau. Leur développe- ment, loin d'avoir suivi celui des parois de l'ovaire, parais- sait le plus souvent amoindri. De l’intérieur des pistils ouverts, on voyait sortir un axe tantôt nu, tantôt portant de petits corps (bourgeons floraux avortés); et dans plusieurs des pistils fermés on reconnaissait aussi l'existence d'un pédicelle aplati. La dissociation complète des trois carpelles ne s'est montrée que dans un seul cas ; dans un autre, deux des carpelles étaient soudés, et le troisième libre (1). 2 Rumex AqQuarTicus L. — Ici toutes les fleurs de la pani- cule ont un périgone plus développé qu'il ne l’est à l'état nor- mal ; les étamines n’ont subi aucun changement. Quant au pistil , il se montre sous deux états différents d'hypertrophie , tantôt fermé, tantôt ouvert soit au sommet, soit d’un seul côté et dans toute sa longueur : dans le premier cas il contient, (1) M. le docteur Joly a décrit et figuré des fleurs monstrueuses de Polygo- num tinclorium L., dans lesquelles un des trois carpelles du pistil hyper- trophié était devenu libre ; les stigmates avaient disparu et les styles étaient atrophiés. (Observations sur les plantes qui peuvent fournir des couleurs bleues, ISERE A, DA pl 2 0 M2.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 107 et dans le second il laisse sortir un axe grêle, cylindrique, plein et terminé par un renflement en massue mais creux (1). Celui-ci renferme dans sa cavité un petit corps ovoïde blan- châtre , réduit à une seule membrane et vide au sommet, fixé par sa base et dressé, ayant toutes les apparences d’un ovule représenté soit par la primine , soit par le nucelle, soit par le sac embryonnaire, ce qu'il ne paraît pas possible de décider. Jamais l'ovaire n'a offert ses trois carpelles libres (2), et les trois styles se sont toujours montrés terminaux et à l’état normal. Quelques autres fleurs de la même plante offraient, outre l'hypertrophie, certaines anomalies dignes d'être notées. Deux d’entre elles étaient tétramères, et les huit étamines entouraient un seul pistil terminé par trois styles et percé au sommet pour laisser sortir l'appendice claviforme dont il a été déjà question. Une autre fleur avait les deux verticilles extérieurs à cinq parties chacun , dix étamines libres, et à leur centre deux pistils. Ces deux observations offrent l’une et l’autre un exemple d'hypertrophie florale ; mais dans l’une (le À. scutatus L.) il y a prolification médiane frondipare , dans l’autre le pistil est traversé par un axe creux au sommet et dans la cavité duquel est le rudiment d'un ovule. Elles prouvent : 1° que les éta- mines des Polygonées restent toujours libres et offrent une très-grande résistance à la transformation (3) ; 2° que si le pis- (1) C’est ce mème corps qne M. Joly a retrouvé dans l’intérieur d’un ovaire devenu foliacé et comme vésiculeux du Polygonum tinctorium L., et que notre savant collègue a considéré comme un ovule anormalement aïlengé en massue. (Loc Noire "pl 2 is 12)) (2) On sait que Duhamel a décrit et figuré des prunes de Mirabelle acciden- tellement allongées en légumes , les unes sans trace de graine, les autres offrant au sommet un rudiment de cet organe. ( Phys: des arb., t.1, p. 303, pl. xu et xn. ) Des faits analogues ont été signalés dans le Bofanie Gazette ; et M. Loret a vu les fruits du Cerasus Padus DC. affecter aussi une forme al- longée conique. (3) Reissek, décrivant un état tératologique présenté par le Thesium inter- medium Schrad., à reconnu aussi que les étamines et les carpelles ofirent 108 MÉMOIRES til tend à s’hypertrophier, ses carpelles résistent aussi beau- coup à la dissociation (1). L’ovaire peut s'ouvrir soit longitu- dinalement , soit au sommet, et dans ce dernier cas ses bords ont souvent trois grands lobes représentant les extrémités des trois parties de l'ovaire; mais il est très-rare que celles-ci deviennent entièrement libres. Enfin les styles et les stigma- tes ne participent en rien à l'hypertrophie de l’ovaire, et ce résultat me paraît très-digne de remarque. Les faits tératologiques concernant la famille des Polygo- nées sont, à ma connaissance, bien peu nombreux. M. Mo- quin-Tandon cite dans sa Tératologie (p. 376) la prolification d'une fleur de Rumex obtusifolius L. observée par M. Schimper. En 1837, M. Cesati découvrit aux environs de Salzbourg des pieds d'Oxyria digyna Camp. dont presque toutes les fleurs étaient monstrueuses ; il y avait à peine une plante sur dix qui en fût exempte. Le pistil s'élevait en massue du centre de la fleur ; il était à trois angles émoussés et dépassait de quatre à cinq fois les pièces du périgone; de chaque angle du pistil partait un style court que terminait un stigmate en pinceau ; il n’y avait point trace d’ovules (voir Linnæa , t. XI, p. 305). Le Rumex crispus L. à offert à Campdera des fleurs renfer- mant sept ovaires, les pistils surnuméraires occupant la place des étamines (voir Campdera, Monogr. des Rumex, p.49 et 50). Enfin M. Meisner a figuré deux fruits de Polygonum orientale L. placés côte à côte et embrassés par le calice ( Monogr. gen. Polyg. prodr. pl. 3 k. f. 12). Cependant la famille des Polygo- nées est une de celles chez lesquelles il reste encore le plus de problèmes d’organographie à résoudre, et sans nul doute les faits tératologiques y contribueront pour une large part. dans cette plante une résistance telle à se transformer, qu'ils disparaissent plutôt que de se changer en feuilles ( voir Linnœa , tom. xvn, pag. 651). (1) Gependant M. Joly, dans sa description de la fleur du Polygonum tinc- torium L. s'exprime ainsi : « Deux ou trois fois nous avons vu les étamines de l'androcée extérieur se transformer en petites folioles vertes comme celles du calice (loc. cit., pag. 21). » DE L' ACADÉMIE DES SCIENCES. 109 VII. TRANSFORMATION DES CARPELLES EN FEUILLES DANS L'AQUILEGIA SKINNERI Ho0k. Quand une question de théorie a longtemps divisé et divise encore les botanistes, on ne sauraït trop s'attacher à recueillir les faits qui peuvent contribuer à la résoudre. Les ovules des plantes appartiennent-ils à l'axe végélal ou sont-ils uniquement produits par les bords de la feuille carpellaire ? En 1842, M. C. Dareste avait décrit des fleurs monstrueuses de Delphinium Ajacis L. dans lesquelles les deux bords de la feuille carpellaire s’ouvraient et s'étalaient ; les ovules d’abord de forme ronde, se changeaient en petites feuilles attachées le long des cordons pistillaires (voy. Annal. des Sc. nat. 2e sér., t. xvin, p. 220). Mais lorsque, à la date de quelques années, M. Ad. Brongniart publia ses observations sur des fleurs mons- trueuses du Delphinium elatum et du navet (voy. Annal. des Sc. nat. 3% sér. L. Il, p. 20 et suiv.), il parut à tous les physiolo- gistes qu'un grand pas avait été fait vers la solution du pro- blème. J'ai eu la bonne fortune de découvrir , au mois de juin der- nier, un fait analogue sur une plante appartenant à la même famille que le Delphinium, et à un genre très-voisin de lui, sur l'Aquilegia Skinneri Hook. Je ne crois pas inutile de le faire connaitre avec quelques détails (1). Quelques-unes des branches de la plante avaient leurs ra- mifications terminées par un faisceau de feuilles simples, au nombre de vingt environ, composées d’un très-long pétiole et d'un limbe entier suborbiculaire; quelquefois on apercevait au milieu d'elles un prolongement de l'axe. Mais d’autres branches offraient un phénomène autrement digne d'intérêt que cette simple virescence. Toutes les parties de la fleur étaient restées distinctes; seulement leur métamor- phose avait eu lieu à deux degrés différents. (1) On trouve décrit et figuré dans l’Aflas élémentaire de Botanique de M. Le Mahout, à la page 32, un cas analogue, mais cependant notablement différent. 110 MÉMOIRES 4® degré. Un premier verticille extérieur de cinq feuilles re- présentait les sépales ; venaient ensuite un verticille de dix piè- ces (les pétales) semblables aux sépales, mais plus développées ; puis de très-petits appendices (étamines imparfaites) formés d'un filet et d'une anthère; puis cinq feuilles (les carpelles ) les seules qui dans la fleur fussent divisées, portées sur un long pétiole et terminées par une lame ovale, aiguë, entière dans sa moitié supérieure, mais offrant de chaque côté d’un à cinq lobes dans l'inférieure. Du centre de ces fleurs s’éle- vait un prolongement de l'axe floral, terminé par un faisceau de feuilles semblables à celles du calice et de la corolle. 9me degré. Ici les trois verticilles extérieurs de la fleur res- semblaient à ceux du premier degré; mais les carpelles au nombre de cinq, plus rarement de sept ou de huit, ouverts, ovales-lancéolés, trinerviés, avaient leurs deux bords divisés dans presque toute leur longueur et jusqu'à la nervure latérale en lamelles foliacées, nombreuses, imbriquées (de dix à quinze de chaque côté) qui représentaient évidemment des ovules, ce dont ne permet pas de douter la comparaison de cette obser- vation avec celle de M. Brongniart. Ces deux faits démontrent le peu de fondement de la théorie de MM. Aug. de Saint-Hilaire et Schleiden considérant les pla- centas comme de nature axile. Ils prouvent, comme l'avait déjà reconnu M. Brongniart : 1° Que la partie de la feuille carpellaire placée en dehors des deux nervures latérales ne contribue point à la forma- tion des parois de l'ovaire, mais est destinée à se changer en ovules ; 2° Que les cordons pistillaires des placentas sont formés par les nervures latérales de la feuille. Enfin ils offrent un exem- ple de carpomanie, c'est-à-dire d'augmentation de nombre des carpelles ; résultat qui ne doit point surprendre, dans un re- présentant d’une famille (les Renonculacées) où tant de gen- res ont des carpelles en nombre indéterminé. Cette question a une telle importance, soit en morpho- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 111 logie, soit ‘en physiologie végétale, qu'on me permettra d'emprunter aux botanistes quelques autres faits à l'appui de la nouvelle théorie. En 1851, M. Fermond a vu des carpelles de navet portant à leurs bords de petites feuilles à la place des ovules. (Voy. Comptes rendus de l'Instit., 1. XXXI , p. 388.) Des chloranthies de Stellaria media Vill. dans lesquelles les ovaires étaient à l’état foliacé, ont montré à M. Guillard les ovules à tous les degrés, entre les vrais ovules clos, les ovules ouveris en cornet ou en cuiller, et les vraies feuilles. -(Voy. Bull. Soc. bot. de France , t. IV, p. 760.) M. Arthur Gris a vu aussi, dans le cas tératologique repré- senté par la Rose verte, la présence de l'ovule sur le bord même des carpelles réduits à des organes foliacés et sté- riles, et par conséquent la production de cet ovule par la feuille ovarienne elle-méme sans qu'aucune partie axile semble y prendre part. (Voy. Annal. des Sc. nat. 4% série, t. IX, p. 80.) APPENDICE. M. le docteur Joly, ayant eu en sa possession les manuscrits et les dessins laissés par le professeur Delile, a bien voulu me confier ceux de ces dessins qui ont trait à la Tératologie végétale, et m'autoriser à les décrire. Voici celles de ces monstruosités qui m'ont paru les plus dignes d'intérêt. L. Prolifications médianes frondipares dans une Spirée et dans le Convoloulus Sibiricus L. A. Spirée. Une spirée à feuilles lancéolées denticulées et dont le nom spécifique n’est pas noté (serait-ce le Spiræa corymbosa Raf., car elle paraît avoir des corymbes terminaux et simples ?), a présenté les déviations suivantes : 1° Un calice dont les parties, au nombre de trois ou de quatre dans certai- nes fleurs, de cinq dans d’autres, sont transformées en véri- 112 MÉMOIRES tables feuilles vertes, denticulées, et munies, comme celles de la tige, d’un court pétiole ; 2 autant de pétales alternes, fort agrandis , et blanchâtres ; 3° de nombreuses étamines ( fer- tiles?) composées d’un filet et d’une anthère bien distincts, disposées sur plusieurs rangs au dedans du petit godet formé par la soudure des pétioles rayonnants des feuilles calycina- les; 4° au centre de la fleur un léger renflement représentant un ovaire allongé (probablement sans traces d’ovules), dont le style semble remplacé par un prolongement de l'axe rou- geûtre et cylindrique comme les pédoncules, et que terminent deux courtes folioles et deux rudiments subulés de bour- geons. Une des fleurs a présenté au-dessus du verticille staminal un second verticille d’étamines. Cette observation me paraît avoir de l'importance à plu- sieurs égards : On sait que la prolification est un phénomène fréquent dans le genre Rosa ; mais je ne crois pas qu'on l'ait encore signalé dans les Spirées. Ce fait tératologique me semble prouver : 4° que le godet staminifère résulte de la soudure des gaines des pièces des deux verticilles extérieurs; 2° que les étamines offrent parfois une grande résistance à se transformer en pétales où en feuilles, chose remarquable dans un genre où une espèce le S. prunifolia Sieb. est presque toujours à fleurs pleines; 3° que si, comme le dit Delile dans une note, le léger renflement qui est au centre de la fleur représente un ovaire , le pistil de ces plantes est bien évidemment de nature axile. B. ConvozvuLus siBiricus L. polypétale avec ou sans probfi- cation médiane. Dans cet individu les cinq sépales pétiolés avaient repris l'état foliacé ; les cinq pétales alternes et cu- culliformes étaient onguiculés ; les étamines alternes et deve- nues libres avaient conservé leur forme normale. Dans la seule fleur frondipare, l'axe central était un rameau feuillé portant de sept à huit feuilles alternes (l'inférieure ayant une étamine à son aisselle } et un bourgeon terminal ; dans les au- tres fleurs l'ovaire se terminait par un long style. On a déjà vu des Liserons polypétales, et moi-même jai DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 113 décrit un cas de ce genre présenté par le Convoloulus tricolor. L. (voy. Revue hortic. quatrième série, t. 2, p. #4). Mais l'observation qui précède est remarquable par les pétioles qu'ont acquis les sépales et les pétales, par les étamines deve- nues libres, enfin par la prolification. IL. Prolification médiane fructipare du PassirLora GRACILIS Link. Cette prolification se présente sous deux états différents. 1° Dans l'intérieur d’un des pistils s’en montrent trois autres pédicellés, verts, terminés chacun par trois styles, et dont les carpelles sont simples ou bifides au sommet : 2 au centre d'un pistil s'en trouve un autre pédicellé et normal, terminé par trois styles et entouré de nombreux ovules arillés. Les autres parties de la fleur n'étant pas représentées , il est impossible de savoir si elles avaient subi quelques modifica- tions. II. Une fleur de Verbascum australe Schrad. a offert le filet staminal et l'anthère soudés avec l'ovaire qui se fend et pré- sente une masse d'ovules mêlés aux grains de pollen. IV. Un Limodorum abortioum L. a montré deux rudiments latéraux d’anthères ou staminodes. V. Enfin citons une magnifique fascie claviforme d'Eu- phorbia Characias L., trouvée en 1831 à Narbonne , rougeûtre au sommet, et large dans sa plus grande dilatation de vingt centimètres. Est-ce la même que celle dont parle M. Moquin- Tandon dans sa Tératologie (p. 148 ) ? 5° S.— TOME Hi. ÿ 114 MÉMOIRES RAPPORT SUR LA CHUTE DE DEUX AÉROLITHES TOMBÉS DANS LE DÉPARTEMENT DE LA HAUTE-GARONNE ; Par M. FILHOL. Lu dans la Séance du 24 février 1859. MESSIEURS , La chute d’un bolide à la surface de la terre constitue un de ces phénomènes dont l'apparition est assez rare pour causer une émotion vive, lorsqu'elle a lieu dans des conditions qui permettent de l’observer d'une manière complète. Aussi l'A- cadémie a-t-elle pensé qu'il était de son devoir de recueillir tous les renseignements possibles sur les circonstances qui ont précédé ou accompagné l'apparition du météore qui est apparu le 9 décembre 1858, dans le département de la Haute-Garonne, et de demander que la composition chimique et minéralogique de cesaérolithes fût déterminée aussi exactement que possible par une Commission prise dans son sein. Organe de cette Com- mission, je vais rendre compte à l’Académie des recherches variées auxquelles elle s’est livrée, soit pour recueillir des renseignements sur la chute des deux aérolithes de Clarac et d'Ausson , soit pour déterminer leurs propriétés physiques, chimiques et minéralogiques. Je dirai tout d’abord, qu’aussitôt après avoir appris la nou- velle de la chute de ces pierres météoriques, trois membres de votre Commission ( MM. Petit, Leymerie et Filhol ) avaient tâché de se procurer des échantillons de chacune d'elles. L'un d'eux (M, Filhol) se rendit même dans ce but à Montréjeau , le 23 décembre 1858, et, grâce à l’obligeance de M. Dore, maire de Clarac, de M. Dore, pharmacien à Montréjeau, de M. le curé d’Ausson et de M. d'Encausse, professeur au Sémi- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 115 naire de Polignan, il put y recueillir de beaux fragments de l'aérolithe d’Ausson, revêtus ‘de la croûte extérieure qu'on trouve toujours à la surface de ces pierres, et en outre, un petit fragment de l’aérolithe de Clarac. Le plus gros des fragments de l’aérolithe d’Ausson a 6t6 déposé dans la collection de la Faculté des sciences; un deuxième a été déposé dans la collection de l'Ecole de Méde- cine de Toulouse, les autres ont été mis à la disposition de MM. les Membres de la Commission, pour être soumis à un examen chimique et minéralogique. Avant de connaitre le désir de l’Académie des Sciences de Toulouse, deux de vos commissaires (MM. Leymerie et Filhol) s'étaient réunis pour étudier ces aérolithes; ils avaient déjà constaté leurs principaux caractères physiques et minéralo- giques , et fait quelques analyses préparatoires qui avaient eu pour résultat de leur faire connaître l'analogie que pré- sentait l’aérolithe d'Ausson avec celui de Château-Renard, qui fut analysé, en 1841, par M. Dufrenoy. Ils continuaient leur travail, lorsqu'ayant appris que M. Petit avait envoyé à M. Elie de Beaumont, des échantillons de ces aérolithes, et que l’Institut avait chargé une Commis- sion, composée de MM. Pelouse, Frémy et Delafosse, d'en faire l'examen au point de vue chimique et minéralogique ; ils crurent devoir, par déférence pour l’Académie de Paris, suspendre immédiatement leurs recherches ; alors ils en- voyèrent, à titre de simples renseignements, à la Commis- sion de l’Institut leur travail inachevé. Quelques jours plus tard, MM. Chancel et Moitessier adressèrent à l'Académie des Sciences de Paris une nouvelle analyse, qui était, au point de vue chimique, plus complète et plus exacte que celle dont nous venons de parler. Ces détails étaient nécessaires pour que l'Académie comprit dans quelles circonstances avait été fait le premier travail adressé à l'Institut par deux de ses membres , et pour expli- quer les imperfections qu'il présentait, puisqu'il n'était, ainsi que nous l’avions écrit à l'Institut, qu'à l'état débauche. 116 MÉMOIRES Le nouveau travail que nous avons entrepris, pour répon- dre au désir de l'Académie des Sciences de Toulouse, a été élaboré avec plus de maturité ; les résultats des analyses ont pu être vérifiés à plusieurs reprises, et nous croyons qu'ils sont dignes de toute confiance. 1. Relation de la chute de l'aérolithe. C'est le 9 décembre 1858, vers sept heures du matin, que ce phénomène est apparu aux habitants surpris des arrondis- sements de Muret et de Saint-Gaudens. Rien ne dit qu'il se soit manifesté au nord du parallèle de Muret, car c'est à Muret et à Noé que commencent les témoignages adressés aux journaux et ceux que nous avons pu recueillir nous-mêmes. Dans tous les cas, le phénomène n’a pas été vu à Toulouse. Il est proba- ble que c’est à une petite distance au sud des deux bourgs que nous venons de nommer, que ce météore a commencé de se montrer dans notre atmosphère. De là il s’est dirigé vers Au- rignac , puis enfin il s’est terminé près Montréjeau , au bord de la plaine de Valentine, rive droite de la Garonne , par la chute d’un aérolithe , après avoir parcouru du nord-est au sud- ouest, une courbe de 12 à 15 lieues, estimée sur le plan horizontal. Le météore a offert d’ailleurs, dans toutes ses pha- ses , les circonstances habituelles. L'aérolithe s’est divisé en deux fragments, dont l’un est tombé dans le village de Clarac, et l’autre auprès de celui d’Ausson. Plusieurs habitants du village de Clarac ont vu la chute, qui a été précédée, disent-ils, d'une explosion comparable à celle de la foudre quand elle se précipite sur la terre. Des milliers d'étincelles ont été vues en même temps, suivies de l'appari- tion d’un nuage cendreux. La pierre était noire et brülante; ellea été immédiatement brisée et dispersée entre les habitants du village : on évalue son poids à 10 à 15 kil. Les morceaux les plus importants sont, dit-on, entre les mains de M. le curé et de la femme Caperan. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 117 Le fragment d'Ausson, qui pesait 40 kilog. au moins, a pu s'enfoncer librement dans le sol, n'ayant rencontré aucun obstacle qui ait pu amortir sa chute. Il y à fait un trou de 4 50 environ de profondeur. Un paysan l’a vu se précipiter sur la terre, mais il n’a ‘pas attaché d'importance à ce fait, et c'est à MM. les professeurs du séminaire de Polignan que l'on doit l'extraction de ce magnifique fragment. Malheureuse- ment leur sollicitude n’a pu empêcher qu'il ne fût soustrait rendant la nuit et brisé par les habitants du village d’Ausson. Deux de ces fragments se trouvent en ce moment dans le cabinet de Polignan ; ils offrent identiquement les mêmes ca- ractères que ceux de Clarac. Le météore du 9 décembre n’était donc autre chose qu'un aérolithe que nous désignons par le nom de la petite ville de Montréjeau, située sur la côte au bas de laquelle est tombé le principal fragment, IL. Caractères physiques. L'aérolithe de Montréjeau appartient à le catégorie des pierres peu consistantes; il se laisse, en effet, facilement casser et désagréger. Sa couleur générale est le gris cendré ; sa texture est grossièrement grenue, et l'on y remarque à pre- mière vue une pâte lâche, d’un blanc grisâätre , au milieu de laquelle une multitude de grains ronds brunâtres de diverses grosseurs se trouvent disséminés. Enfin, l'œil nu même peut distinguer dans toute la surface des cassures , une foule de petits grains ou de paillettes métalliques, brillants, d'un blanc grisâtre , répandus dans toute la masse, et çà et là, quelques autres parties d’un jaune tirant un peu sur le rouge. La densité de cette pierre a été déterminée de deux maniéres : 1° En opérant sur un fragment réduit en poudre grossière. La poudre à été pesée.successivement dans l'air et dans l’eau distillée. On a eu soin de porter l’eau à l'ébullition pour chas- ser les bulles d'air adhérentes aux fragments. Nous l'avons trouvé ainsi égale à 3,60 ; 2% En ‘opérant sur un gros fragment recouvert de plusieurs g* ils MÉMOIRES couches de vernis , afin d'empêcher l'imbibition de l’eau. La densité ainsi déterminée était égale à 3,30 (1). L'analyse mécanique de l’aérolithe de Montréjeau nous a con- duits à distinguer dans cette pierre divers éléments que nous avons pu étudier à la loupe, sur le morceau même, ou après les avoir isolés les uns des autres. Après une trituration ménagée, il n’est pas difficile, en effet, d'extraire les parties métalliques à l’aide du barreau aïmanté, après quoi, il ne reste plus qu'à trier un à un les globules bruns à l’aide de la loupe ordinaire. 1° La pâte ou matière générale n'offre aucun caractère re- marquable ; elle est blanchâtre, d’un tissu lâche , grossière- ment esquilleuse, friable ; 2° Les globules sont olivâtres passant au brun ; leur forme est celle d'un sphéroïde dont le diamètre varie de 1 à 4 milli- mètres, il y en a même quelques-uns qui dépassent cette der- nière limite. Ils se détachent plus ou moins facilement de la pâte, en y laissant une cavité sphérique. Le minéral qui les constitue est gris ou brun-olivâtre, son éclat est légèrement résineux ; il se laisse rayer par une pointe d'acier et offre quelquefois des traces de clivage. Rarement il est pur, le plus souvent la matière générale et de petites paillettes métalliques s'y trouvent incorporées. Dans ce dernier cas, les globules sont attirables à l’aimant. Leur densité est égale à 3,39. 3° Les parties métalliques essentielles paraissent d'un blanc légèrement grisâtre ; elles sont généralement petites, bien que très-visibles à l'œil nu, quelques-unes atteignent jusqu'à cinq millimètres de longueur. Leur forme aplatie est irrégulière , déchiquetée, à pointes aiguës. Nous n'avons pu y distinguer aucune face cristalline. Ces parties se groupent et s’agrégent aux pôles de l’aimant , comme le ferait de la limaille de fer, et y forment des dendrites tout à fait semblables pour la cou- leur et pour l'aspect à celles de l'argent natif. Les parties métalliques accessoires ne se montrent que çà et là et rarement. Leur couleur est celle de la pyrite cuivreuse (1) Ces deux densités ont été prises à la température de 10°. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 119 qui commence à se décomposer ,.et on les trouve soudées aux parties essentielles , comme si l’une de ces matières était due à la transformation de l’autre. Elles ne sont pas magnétiques. La plupart des surfaces de nos fragments offrent d'assez nombreuses taches de rouille, formées par une matière insai- sissable qui pénètre dans la roche. Ces taches résultent sans doute d'une oxydation rapide du fer répandu dans la pierre. Nous n'en avons pas remarqué dans les cassures fraiches. La pierre météorique de Montréjeau est faiblement magné- tique, sans polarité apparente. Cet état magnétique de la masse résulte des propriétés magnétiques des diverses subs- tances qui la composent. Nous en avons distingué trois princi- pales : 1° Les parties métalliques ( alliage de fer et de nickel }; 2° La matière terreuse ; 3° La croûte. Pour explorer l'état magnétique de ces diverses parties sou- vent réduites en parcelles d'une ténuité extrême, nous avons eu recours à un procédé , seul praticable dans ce genre de recher- ches, et que l’un de nous (M. Laroque) a fait connaître à l'Académie dans l'une de ses précédentes communications. Nous rappellerons qu'il consiste à faire flotter sur l’eau , en faisant intervenir une action capillaire, une parcelle solide. Elle est ainsi rendue mobile à la manière de l'aiguille de dé- clinaison. En lui présentant un aimant horizontal, on peut facilement reconnaître si elle est insensible à son action , si elle est magnétique avec ou sans polarité. Voici les principaux résultats de nos recherches. Les propriétés magnétiques de l’alliage sont identiques à celles de l'acier trempé. Nous possédons une lame très-mince de cet alliage , longue de 5 millimètres environ. D'abord sim- plement magnétique , elle prend des pôles par une aimenta- tion ; elle les perd à la température rouge, les reprend à froid par une nouvelle aimantation. La matière terreuse n’est pas attirable à l’aimant: cepen- 120 MÉMOIRES dant, par l’action de la chaleur, elle est transformée en émail brun, et acquiert le magnétisme polaire. Nous n'ignorons pas que certains minéraux ferrugineux ( limonite, pyrite ), sont dépourvus, à l’état ordinaire, de la propriété d'attirer l'aiguille aimantée , et qu'ils la contrac- tent lorsqu'ils sont décomposés partiellement par l’action de la chaleur, mais on n’a pas constaté que ces minéraux ont acquis en même temps des pôles magnétiques. Nous ne pouvions donc admettre l'existence de la polarité magnétique dans l'émail que fournit la matière terreuse par l'action de la chaleur, qu'après l'avoir confirmée par un très-grand nombre d'expériences. Nous n’en signalerons qu'une entre toutes; elle suffira pour détruire le doute sur la vérité du fait que nous avançons. Un fragment de l’aérolihe a été soumis à plusieurs tritura- tions successives dans un mortier d'agathe. Après chaque tri- turation, nous en avons extrait les parcelles attirables à l'aimant. Ainsi, nous sommes parvenus à obtenir une pous- sière d’une ténuité extrême et entièrement privée de parcelles magnétiques ; nous l'avons transformée en émail par l'action du chalumeau. Nous avons vu cet émail flottant sur l'eau, s'orienter non-seulement sous l'influence d’un aimant, mais encore sous l'influence seule du magnétisme terrestre. Tous les fragments de la croûte sont fortement magnétiques, quelques-uns même avec polarité. Ceux qui en sont dépourvus l'acquièrent par l’action de la chaleur; ceux qui la possèdent originairement, les conservent après avoir subi la même action. Nous croyons pouvoir assigner maintenant aux propriétés magnétiques de la croûte leur véritable origine. En effet, on doit admettre, d'après l'observation, que les pierres météori- ques s’échauffent en traversant notre atmosphère , au point de devenir incandescentes. On peut donc admettre encore que c'est seulement pendant le même trajet et par l'action de la chaleur que se forme la croûte aux dépens de la matière ter- reuse de la surface. Mais puisque , d’après nos expériences , l'émail résultant de l’action de la chaleur sur la matière ter- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 121 reuse , acquiert la polarité magnétique , la croûte de l’aréoli- the doit participer-aux mêmes propriétés. Mais il est nécessai- rement des fragments où l’alliage est prédominant , et qui par conséquent sont simplement magnétiques. Du reste, cette explication est justifiée par les expériences suivantes. Nous avons soumis à l’action de la chaleur des parcelles de l’aérolithe, possédant préalablement un magnétisme polaire que leur avait donné une aimantation artificielle. Les unes l'ont conservé, les autres l'ont perdu. Enfin, nous avons pu reconnaître que dans les premières , la matière terreuse était de beaucoup prédominante , que le contraire existait pour les secondes. Il ne sera pas sans intérêt pour la science de rechercher l’ori- gine des propriétés magnétiques de l'émail des aérolithes , si les péridots et les pyroxènes terrestres , placés dans les mêmes circonstances que les silicates météoriques , sont susceptibles de les acquérir. Nous avons entrepris quelques recherche dans ce but. Lorsqu’elles seront terminées, nous nous em- presserons d'en communiquer les résultats à l'Académie (1). IT. Propriétés chimiques. Chauflée au chalumeau , la substance de l’'aérolithe prend, au premier coup de feu, une couleur noire et laisse dégager une odeur sulfureuse; mais elle ne fond pas, même lorsqu'on lui fait subir pendant longtemps l’action d’une flamme très- vive. Le résultat général est un émail noir, rugueux, qui res- semble beaucoup à la croûte. Lorsqu'on pulvérise cet aérolithe, on voit la poudre pren- dre une teinte de plus en plus brune, à mesure que son état de division devient plus considérable. Arrivée au plus grand degré de ténuité que nous ayons pu produire, elle a présenté l'aspect du sulfure d'antimoine en poudre. ——————— (1) La Commission considère comme un devoir de faire connaître à l’Aca- démie que M. Bianchi a facilité ses recherches en mettant à sa disposition , avec la plus grande obligeance , de très-bons instruments, et prenant au tra vail une part active et intelligente. 122 MÉMOIRES - L'acide chlorhÿdrique attaque cette poudre , même à froid. L'action est plus compléte à chaud ; elle a pour effet de pro- duire un dégagement assez abondant d'hydrogène et d'acide sulfhydrique. On voit en même temps de la silice apparaître à l'état gélatineux. Si après avoir séparé la solution acide du résidu gélatineux, et avoir convenablement lavé ce dernier , on dissout la silice à l’aide d’une dissolution de potasse caus- tique, il reste un résidu sur lequel les acides n’ont pas d'action sensible. Nous avons analysé à part : 1° L’alliage métallique ; 2° La portion de la masse qui est attaquée par les acides ; 3° La partie qui résiste à l’action des acides. Cent parties d'aérolithe nous ont fourni 9,02 d'alliage bien dépourvu de parties terreuses. Nous avons trouvé cet alliage composé de : Her trsereee asie core. 0210 Nickel ne ce. as concebe di 00) 100,00 La portion de l’aérolithe qui est attaquée par les acides à donné à l'analyse les résultats suivants : Analyses. Poids de la matière dépouillée d’alliage N°1 No NS RNA ONES de fer et de Nickel................ : sr Aer 4er Der 2er Poids de la partie attaquable par les ; HÉREC Cévoscocdocococrog Fpocaove 2,900 2,340 2,400 2,850 1,300 Poids de la partie inattaquable par les ls ACTES bee seress- cree F00b00 2,400 1,660 1,600 2,150 0,700 ——— —— ——« ——— 5,000 4,000 4,000 5,000 2,000 Composition de la partie attaquable par les acides. NAN TN ES 0 NN ST AND OL ec 1,026 0,808 0.822 1,022 0,468 Protoxyde de fer........ sreccooccee 0,908 0,745 0,760 0,900 0,443 Magnésie ver. MANU 2 0,676 0,538 0,552 0,630 0,262 DA RE ER Sn CE 0,280 0,228 0,237 0,275 0,110 ra Me Eee cn de mg 0,010 0,021 0,029 0,023 0,017 2,900 2,340 2,400 2,850 1,300 DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 123 Composition moyenne de la partie attaquable par les acides (déduction faite de la pyrite ). SHICB= reims 3 Poste 38,83 Protoxyde de fer......,...... 35,23 Magnésie.. .... eee eo e 112465 SDNHE cercle mess 1:20 100,00 Cette composition est analogue à celle du péridot. La partie de l’aérolithe qui résiste à l’action des acides a été analysée par le procédé qui avait été employé par M. Dufre- noy dans ses recherches sur l’aérolithe de Château-Renard. Nous avons obtenu ainsi : Siitobsosrooceesicooemao 520) Alumine. ....... ébsbeaotar 11,40 GRAUE ES ee mte nie nie elole slciese s trace. MAGDÉSIEN EEE ects ae so... 18,45 Protoxyde de fer...... Soooise 16,50 SOUPE Er ---r-ctE ANAL LE, 100,00 En résumé , nous avons retiré de 100 parties d'aérolithe : 1° Alliage de fer et de Nickel.. 9,02 DOIBNTite necessite SCCÉ000 NT 30 Silicate analogue au péridot. 50,30 4 Silicate dont la composition ne se rapporte à aucune roche connue, mais qui est probablement un mélange de plusieurs silicates..... 35,03 100,00 Aux éléments précédents, il faut ajouter des traces de man- ganèse , de phosphore et de chrome. Le manganèse nous a paru être beaucoup plus abondant dans les granules que dans le reste de la pâte de l’aérolithe. Parmi les granules, il en est qui sont dépourvus de toute partie d'apparence métallique; ils donnent une poudre grise qui ne brunit pas par la trituration comme celle de la masse. Ils sont attaqués en partie même à froid par l’acide chlorhy- 124 MÉMOIRES drique auquel ils cèdent de la silice, de la magnésie et du protoxyde de fer, L'acide ne les attaque pas en entier, même lorsqu'il agit à chaud. Sous ce rapport, la composition de ces grains paraît être analogue à celle de la masse, mais elle en diffère par l'absence presque complète de la pyrite. Il nous à paru intéressant d'analyser ces granules en entier et sans distinction de partie soluble et de partie insoluble. Nous avons obtenu les résultats suivants : Sices eee ter ceorosce 45,20 Magnésie...... SERRE ASS ON ENT Protoxyde de fer. ........... 26,10 ARUMINE. - 5420 e 0 00 00» eleie "0500 DOUTER ms Len eve sas else ea 0,80 Potasse..... Manganèse. . | Sato a0e °.... traces. Phosphore… 100,00 Cette composition se rapproche beaucoup de celle de la masse de l’aérolithe. Nos analyses sont en désaccord avec celles de MM. Chancel et Moitessier, en ce sens qu’elles indiquent, dans les échantil- ons que nous avons analysés, plus de protoxyde de fer et moins de magnésie que n’en ont trouvé ces chimistes. Le chiffre que nous avons obtenu pour le fer, est voisin de celui qu'ils ont obtenu pour la magnésie, et celui qu'ils ont ob- tenu pour la magnésie voisin de celui que nous avons obtenu “pour le fer. Cette différence peut dépendre de ce que l’aérolithe n'offre pas la même composition dans ses diverses parties , ce qui se- rait justifié par l'examen à la loupe qui montre les granules , tantôt translucides et d’un gris verdâtre, tantôt d’un brun foncé et presque noir. Nous avons répélé nos analyses avec assez de soin pour pouvoir en garantir l'exactitude. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 195 ESSAI SUR L'ANCIENNE CONSTITUTION MUNICIPALE DE PERPIGNAN ; Par M. Léon CLOS , ancien Magistrat. L’ANCIENNE constitution municipale de Perpignan est cer- tainement une des plus remarquables du Midi de Ja France: elle a été déjà l’objet de nombreuses recherches; et une dis- sertation fort étendue de M. Henry, sur le régime communal de cette ville, a été insérée dans le Recueil des Savants étran- gers que publie l’Institut (1). Je dois à l’obligeance de M. de Bonnefoy, de pouvoir, à mon tour, présenter un travail sur cet intéressant sujet. Ce savant, aussi modeste que dis- tingué, a eu la patience de transcrire toutes les chartes, fort nombreuses, que possède l’hôtel de ville, et il a bien voulu me communiquer cet important recueil. Ces documents m'ont permis de relever plusieurs erreurs commises par ceux qui ont écrit avant moi; et c’est d’ailleurs sous un point de vue tout différent que j'étudie ici le système municipal de Perpignan. Pomponius Méla nous apprend que Ruscino, la capitale des Sardons, avait été érigée en colonie romaine (2), et ce titre lui est assuré par des médailles trouvées dans les en- virons de l'emplacement qu'elle occupait (3). Pline dit qu'elle jouissait du droit latin. Ruscino Latinorum (4). Cette vieille (1) Tom. 1, pag. 230 et suiv. (2) Lib. 11, cap. 5. (3) Voici la médaille que Vaillant a publiée le premier : Face : IMPerator CÆSar AVGVSTVS. Tête d’Auguste, sans couronne. Revers : COLonia RVScino LEGio VI. Deux aigles légionnaires. (4) Lib. 11, cap. 4. 5° 9. ——TOME III. () 126 MÉMOIRES cité eut beaucoup à souffrir au vu siècle des courses des Sar- rasins , et elle était en pleine décadence lorsque les Normands la détruisirent de fond en comble en 859. Mais il est rare qu'à côté d'une grande ville détruite il ne s'en élève pas une autre considérable. Une charte de 929 ne fait encore mention de Per- pignan que sous la dénomination de villa Perpiniani ; et dans les documents du moyen âge, comme le remarque fort bien du Cange, le mot villa est souvent employé pour désigner un village. Il est probable que les habitants, chassés de Ruscino , furent portés, par l’heureuse situation des lieux et la fertilité du sol, à se grouper autour de la nouvelle bourgade qui s'était formée à 3 kilomètres des ruines de la cité romaine ; et en peu de temps, un simple hameau devint une véritable ville. Le premier acte qui constate l'existence d'un consulat à Perpignan, ne remonte qu'à l'année 1196. Cest à cette épo- que que tous les habitants, avec le consentement de Pierre IF, roi d'Aragon, constituèrent entre eux cinq consuls pour régir le peuple de la ville, petit et grand. Mais avant cette époque, et durant tout le cours des xi° et xni° siècles, la ville de Per- pignan fut-elle privée de toute organisation municipale? les habitants ne prirent-ils aucune part à la gestion de leurs affaires communes ? Telle est la question pleine d'intérêt que nous nous proposons d’abord d'examiner. En fait de titres anciens et authentiques concernant la po- pulation de cette ville et antérieurs à l'établissement du consulat , il n'existe que, 1° l’acte de consécration de l'église de Saint-Jean-Baptiste, de l'an 1095 ; 2° la charte de fonda- tion de l'hôpital Saint-Jean, de l'an 1116; 3° les coutumes de Perpignan, rédigées en 1162, sous Guirard, dernier comte de Roussillon. Ces trois documents méritent d'être étudiés sous le point de vue municipal. Le 17 juin 1025, les habitants de Perpignan assistent à une grande solennité religieuse; il s’agit de la consécration d'une église qu'ils ont fait construire à leurs frais (4). Béren- (1) « Celebris illie Ecclesia est, quam incolæ suis sumptibus olim condide- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 127 ger Il, évêque d'Elne, préside à la cérémonie; le comte de Roussillon, Gausfred , est présent; toute la population de la ville est réunie , et, au premier rang, figurent les principaux, les bons hommes, décorés aussi du titre de barons. (Voici les propres expressions de la charte) : « Ad consecrandam Ecclesiam in honore sancti Johannis Baptiste, quam œdifica- verunt boni homines , id est, barones, Poncius , Gaubertus , Bertrandus , Poncius , Cicardus Austrem, Petrus Baron , cum aliis bonis hominibus qui ibi aderant (4). » Ce n'est pas la première fois que le titre de baron est donné aux principaux habitanis des villes. Ecoutons un moment M. Guizot analysant le travail de M. Raynouard sur la cité de Bourges : «En 1145, Louis VIT confirme une charte de Louis VI. Dans cette confirmation, les principaux habitants de Bourges, ceux qui, au vf siècle, étaient encore appelés Senatores , sont désignés par le nom de Bons hommes. Le mot a changé avec la langue; mais c’est évidemment des mêmes personnes de la même condition sociale qu'il s’agit. Un autre nom est donné aussi, dans cette charte, aux principaux de Bourges. L'article 9 s'exprime en ces termes : « Il avait été réglé par notre père que si quelqu'un faisait des torts dans la cité, commettait une offense, il aurait à ré- parer ledit tort, selon l'évaluation des barons de la cité. » Barons, mot féodal qui révèle la nouvelle constitution de la société, mais qui correspond, aussi bien que celui de bons hommes , aux senatores de la cité romaine (2). » « Pour désigner les dignitaires des municipalités romaines, dit M. Augustin Thierry, la langue officielle n’admet d'autre appellation que celle de bons hommes , qui, dans l’idiome des populations germaniques, voulait dire citoyens actifs, hommes capables d'être juges et témoins au tribunal du canton. Ce runt ; eaque anno MXXV. Deo consecrata fuit a Berengario episcopo helnensi sub titulo sancti Joannis Baptistæ. » Marca , Hispanica, lib. 1, pag. 21. (1) Ibid. Appendix, pag. 1040. (2) Histoire de la civilisation en France, tom. 1v, pag. 238. 128 MÉMOIRES nom vague recouvre, dans la plupart des documents origi- naux , l'administration municipale tout entière : il faut aller chercher là-dessous la curie avec les magistrats et ses officiers de tout rang (1). » Fossa , dans son célèbre Mémoire pour l'ordre des avocats de Perpignan contre la bourgeoisie de cette ville, glisse sur cette charte de 1025, destructive de son système, et se borne à dire : «L'acte de la dédicace, qui est le plus ancien monu- ment des archivés de l'hôtel de ville de Perpignan , donné au public par Baluze , exprime que cette église avait été bâtie par quelques barons qui y sont dénommés (2). » Et cependant, une page plus loin, il nous apprend lui-même que les chanoines de Saint-Jean, capitulairement assemblés le 28 août 1493, dressèrent un procès-verbal de la teneur des monuments de leur église, où on lit en propres termes : «que l’église avait été reconstruite par les prud'hommes de ladite ville et con- sacrée en 1025.» Il est donc évident que ces barons n'étaient autres que les bons hommes, les prud'hommes de la ville ; mots partout employés, dans les chartes de cette époque, comme synonymes (3). On ne peut cependant se ranger de l'avis des savants au- teurs de l’histoire de Languedoc, qui n’ont fait que suivre à cet égard le sentiment de Marca, lorsqu'ils disent : «La ville de Perpignan, qui s’est accrue des ruines de Rus- (1) Considérations sur l’Hist. de France, chap. v, pag. 204. (2) Pag. 49 et suivantes. (3) Charte de Montpellier de 1205 , art. 9 : « Statutum est ut duodecim probi. » Establitz que x11 proshomes e ef legales viri Montispessulani, etc., lials barons de Montpeylier, etc. Les chartes d'Albi nous montrent aussi la classe des ciutadas ou prud’hom- mes essentiellement distincte de celle du peuple. ( Voir la transaction de 1269. ) Un titre émané de Raimond, comte de Toulouse , l'an 1188, indique les prud'hommes comme membres du Conseil municipal. « Et faciam inde illam justitiam quam Consules Tolosæ judicaverint vel alii prob homines Tolosæ , si consules ibi non fuerint..…. Consules atque probi homines.... super sancta evangelia juraverunt. (Catel, Hist. des Comtes de Tolose, pag. 216.) SO me di DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 129 cino, est une ancienne ville municipale située à deux milles de cette dernière; le nom de Perpignan qu’elle porte a suc- cédé à celui de Flavius Ebusus, qu'elle avait ancienne- ment (1).» «Une inscription, qui à été rapportée par M. de Marca , dit le Baron de Walckenaer, et qu'on a trouvée à Perpignan , semble nous apprendre que cette ville, qui a succédé à Rus- cino, était connue des Romains sous le nom de Ælavium Ebusum. Ménard conjecture qu'Ebusum prit le nom de Fla- vium en reconnaissance de quelques bienfaits reçus de Ves- pasien. Mais Muratori (2) observe très-bien que cette inscrip- tion à pu être apportée d'Ebusus Insula ou de l'ile d'Iviza à Perpignan. Ce qu'il y a de certain, c’est que l’histoire ne nous fournit aucun document relatif à Perpignan, antérieurement au commencement du xr° siècle (3). » Fossa, dans son Mémoire pour l’ordre des avocats, a dé- montré jusqu'à l'évidence que ce municipe de Flavius Ebusus n'a jamais existé en Roussillon. Il fait observer , 1° que, sous l'empire romain, ce pays n'eut d’autres villes municipales que Ruscino et Illiberis, et qu'il n’en est fait aucune mention dans l'itinéraire d'Antonin , ni dans les cartes de Peutinger ; 2° que les Romains avaient, au contraire, donné ce nom à la ville principale de l’une des Baléares, Ivice, en latin Æbusus ; 3° que Jean Devi, citoyen de Perpignan, mort dans cette ville en 1569, avait été gouverneur d'Ivice (4); # quentin, le mur où se trouvait la pierre sur laquelle se lit l'inscription , (1) Histoire générale de Languedoc, tom. 1, pag. 53. — M. du Mège, daus les additions et notes de sa nouv. édit., pag. 137 et 138, a relevé l'erreur de dom Vaissette et de P. de Marea. (2) Muratori , Inseript., n° 1107. (3) Géographie ancienne des Gaules visalpine et transalpine , Lom. 1, part. 1, chap. 1v, pag 173. (4) Voici l’épitaphe de Jean Devi, telle qu'on la lisait dans la chapelle du Christ de l'église du vieux Saint-Jean. IOAN.DEVI GVBERNATOR ET CAPITANEVS GENERALIS EBVSL. 1569 130 MÉMOIRES cause de l'erreur de Marca, et qui attribue aux Cornéliens la construction d'un aqueduc (1), avait fait anciennement partie de la maison Devi; d'où la juste conclusion que cette pierre avait été apportée d'Ivice à Perpignan par ledit Jean Devi. Mais le Mémoire de Fossa n'a eu de retentissement qu’en Roussillon, où 1l est même devenu fort rare. Aussi trouve- t-on, même dans l'histoire de l’Académie royale des Inscrip- tions et Belles-Lettres, une dissertation sur la ville de Per- pignan, où l'opinion de Marca et de dom Vaissette est encore admise (2). Cette erreur, accréditée par de si impo- santes autorités, a été partagée par la plupart des géographes modernes. Maltebrun, dans sa Géographie universelle , s'ex- prime encore ainsi : «Perpignan est à deux lieues de la mer, au pied d'une colline, et probablement non loin de l'emplacement de l’ancienne cité municipale de Flavium Ebusum (3). » Un siècle environ après la dédicace de l’église de Saint-Jean- Baptiste , Arnald , comte de Roussillon , et Pierre, viguier de ce comté, firent la concession d’un terrain autour de cette église pour y bâtir un hôpital; et s'adressant, dans la charte de fondation , à la population de la ville de Perpignan, pour l’en- gager de contribuer à la construction de cette maison des pau- vres, ils s'expriment ainsi : « Rogamus et postulamus nobiles homines, jam diciæ villæ Perpiniani pauperes et mediocres , magnos et minimos, ut nos adjuvent, et propter hoc habeant partem et hæreditatem in regno Christi et Dei (4), » Ils dési- rent que les riches et les pauvres, les grands et les petits contribuent avec eux à la construction de cet hôpital. (1) L. Cornelius Longus, et M. Cornclius Avitus f., et L. Cornelius Longus, et C. Cornelius Servinus, et M. Cornelius Avitus , et P. Cornelius Cornelianus nep..exl. etnif aquam in municipium. Flavium Ebusum. S.P.P. (2) Tom. xxv, pag. 77. (3) 5e édit. revue par Huot, tom. 2, pag. 156. — Voir aussi Langlois , Nouv. Dict. de Géographie, tom. 3, vo PERPIGNAN ; et l'Encyclopédie métho- dique, tom. 2, pag. 612, etc. (4) Marca, Hisp. app. n° cCCLvu. DE L' ACADÉMIE DES SCIENCES. 131 Passons à l'examen des coutumes. Elles débutent par cette disposition remarquable : «Les hommes de Perpignan doivent plaider et être jugés par les coutumes de cette ville, et dans le silence de ces cou- tumes, per jura, et non par la loi gothique et les usages de Barcelone, qui ne sont pas observés dans cette ville (2). » L'article 5 des coutumes de Carcassonne et de Montpellier porte aussi : « Et ubi mores et consueludines curie defficient , secundum juris ordinem (2).» Or, par ce mot jus, on dési- gnait le jus scriptum, le Droit écrit ou le Droit romain, comme on peut le voir à l'article 90 de ces mêmes coutumes (3). Ainsi, les habitants de Perpignan repoussent la loi gothi- que, les usages féodaux de Barcelone, et ne veulent être régis, comme ceux de Montpellier et de Carcassonne , que par leurs coutumes, et, dans le silence de ces coutumes, qui ne statuaient que sur un nombre de cas fort restreints, par la loi romaine. Aucun doute ne peut s'élever à cet égard. Maintenant les officiers seigneuriaux nommés dans les cou- tumes de Perpignan , sont au nombre de deux, le bailli et le viguier. Le premier a seul juridiction sur les hommes de la ville ; le second étend la sienne sur le canton et sur les no- bles. Mais, à côté du bailli, on voit figurer, dans une foule de circonstances, les prud'hommes de Perpignan. Si une per- sonne meurt sans laisser de parents dans la ville, le baïlli et les prud'hommes doivent prendre soin de ses biens et les dé- poser dans une église; si dans l'an et jour un héritier se pré- sente, on lui rend les biens de son parent; si, au contraire, personne ne réclame , on doit diviser la succession vacante en trois parties, dont une pour les pauvres de la ville, et les (1) « Homines Perpiniani debent placitare et judicari per consuetudines ville, et per jura ubi consuetudines delficiunt, et non per usaticos Barchinone, neque per legem Goticam quia non habent locum in villa Perpiniani. » (2) Histoire du Droit français au moyen âge, par M. Ch. Giraud, tom. 1, Pièces justificatives, pag. 49. (3) /bid., pag. 67. 132 MÉMOIRES deux autres pour le seigneur, après avoir, toutefois, déduit les dettes (1). S'agit-il de nommer un crieur public, le bailli ne peut le désigner qu'avec le conseil des prud'hommes (2). Enfin , si l'on construit un arceau sur la rue, il faut lui donner une certaine élévation, afin qu’un cavalier puisse passer des- sous sans difficulté. Si cette hauteur n’est pas observée, le baïlli peut forcer le propriétaire à se conformer à la coutume, et les prud'hommes de la ville peuvent même interdire le tra- vail aux ouvriers (3). Peu de temps après avoir fait rédiger les coutumes, le comte Guirard meurt en léguant le Roussillon à Alfonse, roi d'Aragon, et cette province, lout en restant État séparé, fait partie de ce royaume. En 1172, Alfonse confirme les cou- tumes et priviléges de Perpignan. On lit dans ce document, que le Roi ne doit pas faire juger les habitants par des clercs, mais par des laïques, avec les prud'hommes de la ville, et en observant les coutumes qui la régissent (4). Voilà donc, avant la charte communale de 1196, la classe des prud'hommes investie de certains droits, de certaines attributions qui sont nettement indiquées. On peut, d'ores et déjà, en induire que la ville était administrée par le bailli et par les prud'hommes. Comment, en présence de tous ces textes, Fossa a-t-il pu écrire qu'il n’y a dans les coutumes aucune trace de municipalité ! Sous les Romains , la population urbaine se composait de deux classes de citoyens : celle des décurions , qui avaient la gestion des affaires et tous les honneurs de la cité, et celle du “ (1) « Quod si forte proximi non appareant, probi homines Perpiniani cum bajulo debent accipere bona illius defuncti et in edem sacram deponere, etc. » (Arch. municip., livres verts majeur et mineur ). (2) « Idem in precone qui constituatur à Curiä, consilio proborum hominum ville. » (Jbid.) (B)iesr 2 et probi homines ville possunt hoc interdicere operariis. » (/bid.) (4) «..... et Dominus non faciat judicare homines predicte ville clericis, sed aycis cum probis hominibus predicte ville per usaticos ville. » (Jbid.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 133 peuple, qui était exclue de presque tous les droits munici- paux. Eh bien ! cette division de la population en deux classes paraît s'être continuée sous les comtes de Roussillon ; car la charte de 1196 semble la consacrer par ces expressions, qu'elle reproduit plusieurs fois : « Nous tous, habitants de Perpignan, tant grands que petits.» S'il fallait, du reste, une nouvelle preuve que les principes romains étaient tou- jours en honneur, nous la trouverions encore dans les dispo- sitions de cette charte. Elle porte que les consuls exerceront le consulat pendant une année, qui commencera aux calendes de mars, N'est-ce pas là la reproduction en quelque sorte lit- térale de deux textes de lois romaines sur le régime muni- cipal (1). Examinons maintenant ce que nous apprennent les docu- ments postérieurs à la charte qui institue la magistrature con- sulaire. Une ordonnance du roi Pierre IT, de 1209, concé- dant un privilége aux habitants, se termine ainsi ( nous citons textuellement ) : «oc autem privilegium concedimus vobis omnibus et singulis probis hominibus et populo Perpiniani. » Le consulat existe, et le roi ne s'adresse cependant qu'aux deux classes d'habitants, les prud'hommes et le peuple. Mais un document bien autrement décisif existe dans les archives municipales , à la date de 126%; il porte le titre suivant, en roman : Ordinatio fela per los prohomens de Perpenya. On y lit, en tête, les noms de quarante-huit prud'hommes, et puis ces mots : « Predicti omnes et ali constituerunt in perpetuum infra scriplam consuetudinem servandam in villa Perpiniani, etc. (2).» Cette coutume établit que, si un habitant de Perpignan est élu pour répartir la taille ou tout autre impôt, il est tenu de (1) « Magistratus quo anno cum imperio sunt.» L. pars. literarum 48. D. lib. 5, tit. 1, de Judic. « Kalendis martiis nominationes fieri ut splendidorum honorum numerum- que principia primo tempore procurentur. L. constitutionibus 28. Cod. Theod. lib. 12, tit. 1, de Decurionibus. » (2) Archiv. municip., livré vert mineur, fol. 1j. — Majeur, fol. Ixxv, verso. 134 MÉMOIRES faire ce travail gratuitement, car il n'y a que les collecteurs des taxes qui auront un traitement pour les percevoir. N'est-ce pas là un véritable décret des décurions qui viennent de dé- libérer sur les intérêts communs de la cité, sur son adminis- tration financière ? Toute la différence qu'on pourrait trouver entre un décret et cet établissement, ne consisterait guère que dans la substitution du mot de prud'homme à celui de décurion. Remarquons que ce ne fut que quelques années plus tard qu'eut lieu la création du Conseil de ville. Les cinq consuls et les prud'hommes régissaient seuls auparavant, en vertu de la charte d'institution et des anciens usages, les affaires de la communauté. Mais, en 1272, Jacques [*, roi de Majorque, voulut qu'il y eût près des consuls un conseil per- manent, chargé de partager avec eux la responsabilité des décisions dans les affaires importantes de la ville. La charte porte : «Concedimus etiam vobis quod consules Perpiniani possent eligere et habere duodecim consiliarios cum consilio Bajuli Perpiniani, et dum placuerit nobis (1).» Cette ins- titution , qui n'émanait pas de la volonté populaire, et qui paraissait vouloir envahir les attributions de la classe des prud'hommes, ne fut pas accueillie avec faveur par la popu- lation: les consuls n’en tinrent aucun compte. Dom Sanche, second roi de Majorque, revint à son tour à celte mesure, et, par une ordonnance du 3 mai 1315 , il en renouvela les dis- positions, en faisant une obligation aux consuls de S'y Con- former. Cette ordonnance contenait ces expressions remar- quables : « Licet dicto privilegio non utentur consules supra- dicti.» Ainsi, jusqu'au commencement du xiv° siècle, les consuls avaient seuls régi la commune de Perpignan avec le concours de la classe des prud'hommes, qui composait le sénat de la cité ou le corps municipal. Pendant le xmr siècle, Perpignan fut une ville uniquement EEE (1) Livre vert mineur, folio xx, verso. — Livre vert majeur, fol. x1v. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 155 agricole ; mais, vers la fin de ce siècle et la première moitié du xiv°, elle devint commerçante et industrielle. De nom- breuses fabriques de draps, qui occupaient jusqu'à cinq cents méliers de tisserands, vinrent ajouter aux produits d'un sol fertile les bénéfices du commerce, et la ville lui dut une grande partie de son importance et de sa prospérité. C'est durant cette période qu'eurent lieu plusieurs changements notables dans la constitution municipale. Jusque-là, il n'y avait eu que deux classes d'habitants , les grands et les petits. Alors s'opéra peu à peu la séparation des professions non manuelles d'avec celles des artisans et des gens de métiers par une subdivision dans l’ordre des petits. Dès l’année 1262, on en trouve déjà quelques traces dans les lettres patentes de Jacques I*, roi d'Aragon, relatives à la levée des tailles ; il y est dit que l'impôt doit être réparti par sept habitants, dont trois pris parmi les grands ou majeurs, deux parmi les moyens, et deux parmi les mineurs. Mais c'est surtout par la charte organique de 1346 que cette importante division fut établie avec une précision remarquable. Avant d'aborder les dispo- sitions qui la consacrèrent d'une manière légale et définitive , il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur la nature et l’ori- gine des changements considérables qui s'opérèrent à cette époque. La charte de 1196 admettait le suffrage universel comme base du gouvernement de la commune; elle disait, en effet, « que si le peuple de la ville trouvait à propos de changer les consuls, 1l serait procédé à la nomination de cinq autres con- suls , au choix de tout le peuple, pour un an (1). » Il est donc infiniment probable que tous les habitants de la ville prirent part d’abord à l'élection des magistrats municipaux ; mais soit que la population fût devenue trop nombreuse, soit que les pe- tits eussent mis de la négligence à remplir leurs fonctions élec- (4) «..... arbitrio et cognitionce {ocius populi predicti alii quinque consules ad unum annum, etc, » (Livre vert mineur, fol. xij.) 136 MÉMOIRES torales, ils abandonnèrent peu à peu aux magistrats en exer- cice le droit de choisir leurs successeurs. Plus tard, sans doute, ce mode d'élection dut produire des abus, car il est certain qu'aux élections de 1346 les chefs de métiers, comme repré- sentant la masse des petits, voulurent concourir activement aux nominations. Les consuls rejetèrent leurs prétentions, et de là naquirent de violents débats. Pour y mettre un terme , on résolut de soumettre cette contestation au conseil du gou- vernement, et voici la transaction qui intervint par suite de cet arbitrage. Il fut convenu qu’à l'avenir les consuls, assis- tés des douze conseillers, éliraient, à la majorité des voix, huit jours avant la fête de Saint-Jean, les douze conseillers de l’année suivante, lesquels seraient pris : quatre dans la main majeure, où première classe de citoyens ; quatre dans la moyenne, ou seconde classe, et quatre dans la main mi- neure, ou troisième de ces mêmes habitants. Ces douze con- seillers, ainsi nommés, devaient s'unir aux anciens consuls pour élire pareillement, à la majorité des voix, cinq nou- veaux consuls parmi les personnes les plus notables de la ville. Toutefois fut maintenu le privilége dont jouissaient les habitants de la paroisse Saint-Jacques , d’après lequel le ein- quième consul devait être pris alternativement parmi les tis- seurs de drap et parmi les jardiniers, les uns et les autres résidant alors sur cette paroisse. Ces consuls durent être pré- sentés à l'approbation du roi, ou , en son absence, à celle du gouverneur. Îls étaient chargés d’administrer les affaires de la commune, mais dans les cas difficiles ils ne devaient rien dé- cider sans avoir pris l'avis des chefs de métier. Cette impor- tante transaction régla, de la manière suivante, quelles se- raient les personnes qui composeraient chacune des trois mains où classes de la population : «Et, pour qu'il n'y ait aucune incertitude, dit la charte, sur la question de savoir si un habitant doit être classé dans la main majeure , moyenne ou mineure , il est établi que, dans la main majeure, sont com- pris les bourgeois et lès marchands en gros, menant une vie honorable, selon le jugement du publie : dans la main moyenne, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 137 les pareurs de drap, les écrivains et autres exerçant un art assez honorable; dans la main mineure, les cordonniers , les jardiniers et les autres artisans. Et si, par hasard , il s'élevait quelque difficulté au sujet de la classe à laquelle devait appar- tenir tel ou tel réclamant, la question sera décidée, sans ap- pel, par les consuls et les conseillers réunis (1). » Enfin, la transaction s'exprimait ainsi sur le point délicat qui avait donné lieu au litige : « Les arbitres reconnurent aussi que le privilége par lequel fut donné pouvoir au peuple et à l’uni- versité de ladite ville délire les consuls n'avait été nullement modifié, mais seulement expliqué. Car le peuple lui-même semblera faire suffisamment l'élection dont s’agit par cela seul qu'elle est confiée à ceux qui sont censés représenter l’univer- sité elle-même, et auxquels a été attribué le pouvoir d'élire à la place et au nom de cette même université, comme il a été dit ci-dessus (2). » Jusqu'à la transaction de 1346, les prud'hommes ou bour- geois avaient été seuls en possession de toutes les dignités, de tous les pouvoirs; ils avaient le commandement des milices ; ils remplissaient toutes les fonctions de l'administration civile; et, pour empêcher qu'on ne les confondit avec les autres classes reléguées dans l’état populaire, ils prenaient la qualification romaine d'honorati, en catalan honratz. On sait, en effet, (L) Et ne qui sub manu majori, mediocri vel minori comprehendatur pos- sit de cetero questio seu dubium suboriri, fuit declaratum quod sub manu majori comprehendantur burgenses et mercatores vitam honorabilem juxta vulgarii opinionem facientes ; sub manu vero mediocri comprehendantur pa- ratores pannorum , scriptores et alii artem satis honorabilem exercentes ; sub minori vero intelligatur sutores sotularium , ortolani et artes seu officia similia exercentes. Et si forsitan questio , etc. (Livre vert mineur, fol. exevj. — Majeur, fol. ceviij, verso.) | (2) Similiter intelligerunt dictum privilegium per quod fuit data potestas populo et universitati dicte ville consules eligendi non esse ex predictis om- nino correctum seu dumtaxat declaratum ; nam satis predictam electionem facere videbitur ipse populus seu universitas ex quo ipsum faciant illi qui ipsam universitatem representare videntur et quibus eligendi, vice et no- mine ipsius universitatis, est potestas, ut premittitur, attributa. ( Archives municipales , livres verts majeur et mineur.) 138 MÉMOIRES que par ce titre la loi romaine désignait soit les magistrats municipaux en exercice, soit les magistrats honoraires ou émérites. En vertu de la charte du quatorzième siècle, les deux dernières classes obtinrent chacune , dans le conseil de ville, une représentation égale à celle de la première, et les chefs de métiers durent aussi être consultés dans toutes les affaires im- portantes. Un conseil où les représentants des classes infé- rieures étaient en majorité, fut donc substitué au pouvoir jusque là exclusif des prud'hommes ; ceux-ci ne formèrent plus seuls les conseils de la cité. Toutefois, le cadre de l’ancienne bour- geoisie ne fut pas brisé; on se borna à l’élargir en y introdui- sant les commerçants en gros , dits mercadiers , et les citoyens majeurs continuèrent à avoir la principale autorité dans les affaires de la ville. Depuis le commencement du quinzième siècle, l’organi- sation municipale se modifia profondément. Le plus impor- tant des changements survenus fut l'introduction du conseil général de la commune, créé en 1402, sur la demande des chefs de métiers. Ceux-ci n'avaient pas été satisfaits de la part d'influence qui leur avait été faite par la transaction de 1346, ils se plaignaient surtout de cette disposition portant que les consuls seraient choisis parmi les habitants les plus honora- bles, sans prescrire dans quelle main ils devaient être pris. Ils adressèrent leurs réclamations au roi Martin. Les consuls lui envoyèrent de leur côté des députés. Une nouvelle transaction entre les parties intervint; et une ordonnance royale, basée sur cet accord, vint organiser le régime municipal, suivant les formes de Barcelone et des autres villes de l’Aragon (1). Cette ordonnance de 1402 commence par rappeler ce principe que l’on trouve aussi écrit dans toutes les chartes postérieures, que puisque l’université de la ville se compose de trois condi- tions de personnes, savoir : de citoyens majeurs , de citoyens (1):.... conformant aquellal regiment de la ciutad de Barcelona partida , e en partida ab lo regiment de les altres ciutats principals e maiors de son regne , etc. RÉ À ES de DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 139 moyens et de citoyens mineurs ; le conseil doit être composé par parties égales de personnes choisies dans ces trois classes ou mains (1). Elle décide que ce nombre doit être de vingt pour chaque main, soixante en tout, non compris les cinq con- suls. L'élection des membres de ce conseil général fut réglée de la manière suivante : Le 16 juin de chaque année, les deux premiers consuls, assistés d'autant de personnes de la main majeure qu'il leur plaisait d'en appeler, élisaient dix-huit per- sonnes de cette première condition qui, avec les deux pre- miers Consuls , sortant d'exercice, formaient les vingt conseil- lers de la main majeure. Quant aux conseillers des deux autres classes, les trois autres consuls, avec ceux des chefs de mé- tiers qui étaient conseillers, devaient élire sept personnes de la main moyenne, lesquels réunis aux trois consuls sortant d'exercice, et à trente syndics chefs de métiers, faisaient les quarante conseillers des conditions moyenne et mineure qui devaient entrer en fonctions l’année suivante. M. Henri fait ob- server ici, avec raison , que, quoique cette ordonnance rap- pelle et maintienne la distinction des trois mains , elle ne fait cependant que deux classes pour l'élection ; ce sont toujours les grands et les petits qui font leur élection à part. Cette ordonnance admit aussi un nouveau mode pour l’élec- tion des consuls. La veille de la Saint-Jean, le conseil général dut élire trois candidats, pris dans chaque main pour chaque place de consul. Le nom de ces candidats était écrit sur une languette de parchemin qu'on introduisait ensuite dans une boule de cire. Toutes ces boules, parfaitement égales, étaient jetées dans un bassin rempli d’eau, et on faisait tirer une de ces boules par un enfant âgé de sept ans au plus. Le nom de (1) Com en la Universitat de la dita vila ha tres condicions de gents ço es majors, migans et menors, e aquells fan Universitat ; per ço es expedient e necessari quel conseyll de la dita vila sia creat de les dites tres condicions equalment, ço es la terça part dels burgeses e mercaders honrats e altres de ma maior, e laltra terça part de homens de la ma mijana condicio , e laltra terça part de la ma menor, etc. (Livre vert mineur, fol. ccccx.) 140 MÉMOIRES celui des trois candidats qui se trouvait dans la première boule retirée du vase était celui du premier consul de l’année sui- vante si c'était l'élection de la main majeure, ou celui du troisième consul si c'était de la main moyenne. La même opé- ration était répétée pour les trois autres consuls. Ce règle- ment faisait ainsi concourir pour la nomination des magistrats municipaux et des autres officiers de la commune, l'élection et le sort, et il prescrivait, comme le demandaient les chefs de métiers, que les deux premiers consuls seraient pris dans la main majeure , les deux suivants dans la main moyenne, et le cinquième dans la main mineure. Cet état de choses ne subsista que peu de temps. En 1411, un règlement du gouverneur de Roussillon Sagarriga autorisa le conseil général à prendre librement les trois derniers con- suls dans quelque classe que ce fût, même dans la main majeure. Mais cette décision ayant vivement mécontenté le peuple, Alphonse IV, après avoir fait plusieurs injonctions aux chefs de métiers de se soumettre à ce règlement, sous peine d'amende (1), finit par prescrire de nouveau, par son ordonnance de 1419, de choisir les deux premiers consuls dans la main majeure, le troisième et le quatrième dans la main moyenne, et le cinquième dans la main mineure. Il supprima le mode d'élection par le sort, et décida qu'elle serait faite uniquement par le conseil général. Une modification du régime municipal fut encore jugée né- cessaire en 1431. Comme il arrivait, depuis l'établissement du conseil général, que certaines affaires ne pouvaient être trai- tées sans danger par un si grand nombre d'individus, le conseil avait désigné douze de ses membres, pris par tiers dans chaque main, pour seconder les consuls et délibérer avec eux en son absence. Ce conseil secret , qui existait aussi dans les répu- (1) Une ordonnance du roi Alfonse, de 448 , est ainsi intitulée : Provisio ab la qual lo senyor Rey manava als caps de mesters que hajesen a server los capitols e concordia feta sobre lo regiment de la vila. ( Livre vert majeur, fol. ceccii].) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 141 bliques d'Italie sous le nom de Credenza, et dont on trouve déjà des traces dans les grandes transactions de 1402 et 1419, reçut alors, sur la demande du conseil général, une organi- sation définitive. À ces douze membres désignés par le sort, fut dévolu le droit d'élire les consuls pour l'année suivante. A cet effet, après avoir prêté serment de donner leur suffrage loyalement et en conscience, et de ne rien révéler de ce qui se passerait entre eux, ils se rendaient avec le secrétaire du conseil dans la salle de la trésorerie où ils nommaient quinze candidats au consulat, trois pour chaque place de cette ma- gistrature. Puis tous rentraient dans la salle du conseil où le secrétaire général proclamait les noms des candidats élus. On distribuait alors à chaque conseiller une boule blanche et une boule noire, et, à mesure que le nom de chaque candidat était appelé, les conseillers déposaient leur boule dans l’urne. La pluralité des boules blanches assurait l’élec- tion à ceux à qui on les avait données. Dans ce règlement on voit reparaître, comme mode de nomination, la combi- naison du sort et de l'élection, et l'élection joue encore un grand rôle. Un peu plus tard, des contestations s'étant encore élevées au sujet de l’organisation municipale, une sentence arbitrale (1) de la reine Marie , épouse et lieutenante générale d’Alphonse V roi d'Aragon et de Sicile , en date du 18 août 1449, vint dé- terminer les qualités et les fonctions de ceux qui devaient former les conseils de la ville. Par le premier article de ce règlement , les bourgeois obtinrent de former seuls , à l'avenir, avec les consuls le premier ordre de la commune. Le conseil général fut composé de cinq consuls et de tous les bourgeois (1) La molt alta e molt excellent senyora la senyora dona Maria per la gracia de Deu Reyna de Arago e de Sicilia, etc., arbitra arbitradora e amigable composadora entre les parts dejus scrites comunament e concorda eligida , vist lo compromes en la sua senyoria fermat sobre le pacifficacio e nova forma del regiment de la vila de Perpenya , etc. ( Archives de l'hôtel de ville, livre vert mineur , fol. CCCCLXX VI.) 5° s.— TOME Hi. 10 142 MÉMOIRES pour conseillers de la main majeure , des mercadiers en nom- bre égal pour conseillers de la main moyenne, et de trente chefs de métiers pour conseillers de la main mineure. L'arti- ele 2 dispose que les noms des bourgeois seront inscrits à V'Hôtel-de-ville, dans un certain registre , appelé le Livre des matricules, afin que dorénavant ils puissent être, à l'ex- clusion de tous autres, les seuls conseillers de la main ma- jeure avec six juristes qui interviendront au conseil comme bourgeois. L'article 14 établit un conseil particulier pour dé- libérer chaque année , le 16 juin, sur l'immatriculation des bourgeois. Cette sentence arbitrale apporta d'importantes modifications dans la constitution municipale : 1° elle opéra le déclassement des mercadiers qui, de la main majeure, furent rejetés dans la main moyenne; 2 elle établit le livre des matricules pour constater d’une manière légale la condition des habitants ; 3° elle porta le nombre des membres du conseil général de soixante à quatre-vingt-dix, en déclarant cependant qu'il suf- fisait qu'il y eût quarante-cinq membres présents , dont quinze de chaque condition , pour rendre les délibérations valables , les cinq consuls restant toujours en dehors de ce nombre. Nous partageons ici le sentiment de M. Henry au sujet du dé- classement des mercadiers. Tout porte à croire que ces négo- ciants en gros, par suite des services qu'ils avaient rendus à Pierre IV, roi d'Aragon, dans sa lutte contre le roi de Major- que, avaient obtenu, à titre de récompense, d'être compris dans la première classe des habitants. Mais l'orgueil blessé des bourgeois et l'envie des basses classes se coalisèrent alors pour amener leur déclassement. A partir de 1499 , les bases du régime communal furent changées. De graves dissensions ayant éclaté de nouveau entre les habitants au sujet de l’organisation municipale, et surtout à l'occasion des élections, ils s’'adressèrent à Ferdinand If, roi de Castille et d'Aragon, pour qu'il y mît un terme. Le roi ren- dit une ordonnance portant que toutes les charges municipales seraient conférées à l'avenir, non par la voie de l'élec- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 143 tion, mais par celle de l’insaculation (1) ou de l'extraction , comme à Barcelone, et dans la plupart des villes de la Cata- logne, c'est-à-dire par la voie du sort (2). Ce grand change- ment , qui fit disparaître pour toujours l'élection, principe et fondement de la municipalité, passe presque inaperçu pour M. Henry. Il y eut alors pour chaque place une bourse ou petit sac contenant les noms de ceux qui devaient concourir; et toutes ces bourses étaient enfermées dans un coffre à six ser- rures. placé dans l'Hôtel-de-ville. Chaque consul gardait une des clés , et la sixième restait entre les mains du notaire se- crétaire de la commune, avec défense expresse à chacun d’eux de se confier la clé commise à sa garde. L'ouverture du coffre avait lieu chaque année la veille de la Saint-Jean, dans une des salles de l'Hôtel-de-ville , avec la plus grande solennité, en présence des consuls et du conseil général. On tirait d'abord la bourse du premier consul; et, après que le scellé en avait été vérifié et qu'elle avait été remuée et ouverte par le secrétaire du conseil, on en faisait extraire, par un enfant de cinq ou six ans, pris au hasard, un bulletin. Il était ouvert bien ostensi- blement par le secrétaire, et la personne désignée était con- sul en chef pour l’année suivante. On procédait de la même manière pour les bourses des autres consuls, mais le même magistrat ne pouvait être extrait de nouveau qu'après un in- tervalle de trois ans. La même marche était suivie pour la no- mination aux autres charges municipales ; mais nul ne pouvait être énsaculé dans les bourses par le conseil d’insaculation qu'il n'eût été immatriculé, conformément au règlement de la reine Marie, de l'an 1449. Aux termes de cette ordonnance de Fer- (1) Insaculation vient du mot latin insaculure , mettre dans les sacs. (9)22 6 considerants per molles speriencies haver vist e conegut que totes les ciutats e viles en les quals los consols et altres oflicis per lo govern e re- gimen de aquelles necessaris se fan e eligexen a sort per mitga de inseculacio vivem en molta pan, unio e concordia , e per causa de dita inseculacio totes divisions que per temps passat entre ells fossen han hagut fi, e axi parent nos la dita forma de regiment a sort portara pacificacio e tranquillitat a la dita vila, etc. (Livre vert majeur , fol. pXxIx.) 144 MÉMOIRES dinand IF, la main majeure fut composée de tous les bourgeois mariés ou veufs, et immatriculés, et de tous les légistes qui avaient été reçus docteurs ou licenciés, comme cela était d’u- sage à Barcelone. On sait que, tout récemment, le Sénat espagnol a été saisi, par un de ses membres, d’un projet d'insaculation qui consistait aussi dans la suppression com- plète de la loi électorale (4). Le 10 juin 1519, Charles-Quint homologua une délibéra- tion du conseil de la commune, portant que nul ne pourrait être élevé au poste éminent de premier consul s’il n'avait déjà été second consul, et à celui de troisième consul s’il n'avait passé par la quatrième charge. Vers cette époque, la classe des bourgeois honorés qui jouissait de tous les priviléges d’une véritable aristocratie, en ayant pris insensiblement les ha- bitudes, et se parant de noms de terres et de brillantes ar- moiries , soupirait ardemment après la chevalerie. En 1598 , Charles-Quint, voulant s'attacher les habitants, anoblit douze bourgeois de Perpignan; mais comme les nobles de race féo- dale ou militaire ( de militari genere ) ne pouvaient faire partie du gouvernement de la commune, ils furent exclus, par ce seul fait, de l'administration municipale, et leur exclusion fut même confirmée par un arrêt de la royale audience de Catalogne. L'un d'eux, en présence de cette décision , répudia ses lettres de noblesse pour ne pas perdre ses droits de bour- seoisie. Un peu plus tard, le sieur Trinyach obtint aussi des lettres d'anoblissement; mais comme il voulait continuer de concourir au gouvernement municipal , il chercha à éluder les dispositions du règlement, et obtint des lettres de bourgeoisie et de noblesse tout à la fois, qui lui permirent de rester dans le conseil de la commune. En 1562, une confrérie noble, sous l’invocation de Saint- Georges, s'étant établie à Perpignan, à limitation d’une so- (1) La proposition d’insaculation n’a été repoussée que par quarante-quatre voix contre trente-une. Les scrutateurs de la Grandesse ont voté en faveur du projet. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 145 ciété semblable qui existait à Barcelone, les bourgeois ho- norés de Perpignan voulurent y entrer. Pour se rendre les gentilshommes favorables, ils les agrégèrent à l'administration municipale , et furent ainsi admis par ces derniers dans leur confrérie. Mais Philippe I cassa, en 1585, cette transaction , comme contraire à la constitution de la ville, qui exeluait des fonctions municipales toute personne non soumise à la juri- diction du bailli. Toutefois, en 1599, les bourgeois honorés de Perpignan obtinrent des lettres patentes qui les anoblis- saient et leur conféraient le même privilége que les rois d'Es- pagne avaient déjà accordé aux citoyens immatriculés de Barcelone. Comme il ne parut pas douteux que ce diplôme, malgré un peu d’'ambiguité dans les termes, conférait aux vingt-sept bourgeois qui s’y trouvaient dénommés un titre d'anoblissement, ils furent immédiatement exclus par les con- suls de l'administration de la commune. Mais ils s'empressèrent de députer à Madrid Jean Coronat l'un d'eux, et Philippe HI déclara qu'ils continueraient d'être membres du corps de ville. Depuis le xvi* siècle nous voyons se refléter à Perpignan l’image de ce qui se passait à Barcelone. L'agrégation du corps des chevaliers à celui des citoyens immatriculés avait été ob- tenue, en 1498, par tous les chevaliers établis à Barcelone. Les citoyens leur avaient donné le tiers de tous les emplois qu'ils avaient à la maison de ville, et seize places dans le conseil des cent, sur quarante-huit qui leur appartenaient. A Perpignan, les nobles furent aussi ixsuculés dans des bourses particulières, étiquetées Bourses de l'ordre équestre, Bolsa militar , tandis que les bourgeois immatriculés et les gradués continuèrent de l'être dans la même bourse étiquetée Bourse des bourgeois. La air majeure se trouva ainsi définitivement composée des corps de la #oblesse, de la bourgeoisie et des juristes. L'article 3 de l'ordonnance du 12 octobre 1601 régla les formes de l'alternative établie entre les nobles et les bourgeois, quant à l'exercice des fonctions municipales. Il porte que les bourgeois et les gentilshommes alterneront d’une 146 MÉMOIRES année à l'autre pour les places de premier et de second consul; de telle sorte que le gentilhomme étant premier consul, le bourgeois sera nécessairement second consul , et que, l’année suivante, les rôles seront changés. L'article 5 régla aussi le partage des places des deux ordres dans les conseils particuliers. Le droit de faire monter, tous les ans, de la seconde main à la première un certain nombre de citoyens, et de leur con- férer ainsi la noblesse, fut conservé à la ville de Perpi- gnan par les Français, quand le traité de la Bidassoa eut dé- finitivement réuni le Roussillon à la France. Mais pour limiter la trop grande multiplication des bourgeois nobles, deux ar- rêts du conseil, l’un de 1671, l’autre de 1673, fixèrent à deux seulement le nombre des personnes que le conseil d'insaculation pourrait recevoir, chaque année. D'après un arrêt de 1714, ceux qui prétendaient à cet honneur durent justifier de 1,000 livres de rente au moins, et ce chiffre fut élevé à 1,500 livres par une autre décision royale de 1733. Enfin, le fermier du franc fief ayant voulu contraindre, en 1702, des bourgeois au payement des droits, un arrêt du conseil d'État décida que, comme nobles et gentilshommes, ils devaient jouir de tous les honneurs, droits et privilèges attri- bués à la noblesse, et Sa Majesté défendit au fermier, ainsi qu'à tous autres, de les troubler dans cette jouissance. Le célèbre peintre Hyacinthe Rigaud , dit le Van Dyck français, qui eut, sous Louis XIV et Louis XV, une réputation européenne, fut un des premiers à obtenir des lettres de bourgeois nobles, qui lui furent conférées, en 1709, par les officiers municipaux. En 1738, les bourgeois honorés de Perpignan n'ayant pas été admis à une fête à laquelle avait été convoquée la noblesse de Roussillon, formérent le projet de se faire déclarer nobles et gentilshommes légalement, et de briser les liens de leur union avec les légistes. Ils adressèrent, en conséquence , une requête au Roi, dans laquelle ils demandèrent, entre autres choses, qu'à l'avenir, pour la charge de premier consul de la ville de Perpignan , il n°y eût qu'une seule bourse, qui serait DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 147 composée, en nombre égal, de chevaliers et de citoyens no- bles. Leur prétention fut également combattue par la noblesse de Roussillon et par l’ordre des avocats. De là naquit un très- long procès . qui n’était pas encore terminé lorsque la révolu- tion .de 1789 vint mettre toutes les parties hors d'instance. Toutefois, un édit de 1768 avait, en quelque sorte, tranché la question en faveur des bourgeois. Cet édit leur reconnaissait la qualification de citoyens nobles ; il admettait deux divisions de la noblesse. La première comprenait les chevaliers, ainsi nommés parce qu'ils avaient recu de leurs ancêtres la cheva- lerie héréditaire, suivant l'ancienne manière d'anoblir en Roussillon; la seconde était celle des citoyens nobles, créés par la ville de Perpignan, auxquels étaient joints el associés les docteurs en droit, comme jouissant, en Roussillon, des honneurs de la noblesse. L'histoire de la bourgeoisie de Perpignan nous à paru mé- riter d'autant plus d’être étudiée, qu'elle est écrite dans les monuments de cette commune avec une précision remar- quable. Après avoir exposé les faits avec quelque détail, nous allons essayer de résumer les diverses phases que pré- sente cette histoire. Avant la charte de 1346, les bourgeois, ou grands du peuple composent seuls, sous le titre de prud'hommes, la première classe de la population, et bien avant qu'eût éclaté le mouvement de 1196, les documents les désignent déjà sous les noms divers de barons de la ville, de nobles hommes. Ce fait seul prouve que l’organisation de la bourgeoisie de Per- pignan, comme corps politique se régissant lui-même, est antérieur à l'établissement de la commune, car on trouve, dès la première moitié du x1° siècle, une sorte d’aristocratie bourgeoise à côté du pouvoir féodal. M. Fossa me semble s'être trompé lorsqu'il a écrit qu'il n'y à dans les coutumes aucune trace de municipalité , et que Perpignan n'avait aucun gouvernement municipal avant la charte de 1196 (1). L'abbé (1) Mémoire pour les avocats, pag. 63, 124 et 125. 148 MÉMOIRES Joseph Xaupi, son adversaire , admet, au contraire, que Per- pignan a toujours joui du régime municipal; mais il fonde, à tort, son opinion sur la préexistence du municipe romain de Flavius Ebusus, municipe qui n'a jamais existé en Roussillon (1). En 1346 s'opère l'alliance forcée des bourgeois honorés ou majeurs, et des commerçants en gros dits Mercadiers. Les bourgeois , dit la charte, sont ceux qui mènent une vie ho- norable , selon le jugement du public. Mais Pierre IV, auteur de cette constitution, accordant, deux ans plus tard, un sem- blable privilége aux habitants de Saragosse, s'exprime ainsi : « Nous voulons que tous ceux-là soient tenus pour citoyens honorés qui auront pour leur usage perpétuel un cheval ou une autre monture, et ne feront aucun travail ou trafic de leurs mains (2). » — «Tous les hommes, dit le commenta- teur des constitutions de Catalogne , sont ou gens de cheval ou gens de pied. Les piétons sont les citoyens ordinaires , les mercadiers, les artisans, les rustiques ;...…. mais pour les bourgeois et citoyens majeurs , ils sont gens de cheval, comme les chevaliers et les hommes de parage (3).» Ainsi, il est incontestable que le nom de bourgeois était, dans les temps anciens, un signe de liberté et un titre d'honneur ; il signi- fait que celui qui le portait avait exercé des fonctions muni- cipales ou appartenait à une classe qui avait le droit d'entrer (1) Recherches historiques sur la noblesse des citoyens honorés de Perpi- gnan et de Barcelone , connus sous le nom de citoyens nobles, t. 11, p. 252 et suivantes. (2) « Habeantur pro civibus honoratis qui ad perpetuum usum, equitaturam propriam, seu bestiam de cavalgare teneant et tenebunt, et de manibus suis laborem non facient vel faciendam. » Privilége du 8 des calendes d'octobre 1348. (3) « Nobiles, milites, homines de paratio et burgenses honorati æquipa- rantur......... Omnes ergo homines erunt equites aut pedites. Pedites vero cives mercatores et villani, mechanici et rustici..... alii vero cives et bur- genses honorati sunt equites sicut et milites, nobiles, homines de paratico. ( Miérès , Coll. 6, chap. 31, nomb. 2 et 32) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 149 dans les conseils de la ville et de la garder (1); Burgenses municipes burgorum, dit Ducange, et les chartes contiennent souvent ces expressions : miles burgensis , chevalier bourgeois. En 1449, les mercadiers sont déclassés et rejetés définiti- vement dans la main moyenne. Les bourgeois composent seuls la main majeure. Si les légistes n'ont point encore assez d'im- portance pour former une caste séparée, six d’entre eux ob- tiennent cependant d’être admis dans cette première classe d'habitants. En 1499, toute la classe des juristes entre dans la première main et vient prendre la place laissée vacante par les mer- cadiers. En 1599, les bourgeois honorés, au nombre de 27, obtien- nent un titre d’anoblissement. Le diplôme porte : «que les bourgeois de Perpignan seront compris, en tout et pour tout, parmi les nobles, et qu'ils seront réputés de l’état des nobles, comme si chacun d'eux avait été décoré par le prince de la ceinture militaire (2). » Philippe HI leur accorde, en outre, de continuer, malgré cet anoblissement, à être membres du corps de ville. En 1601, les nobles de race militaire, ou les chevaliers, entrent dans la main majeure, qui se trouve définitivement composée des gentilshommes, des bourgeois nobles et des juristes. En 1738, les bourgeois honorés entrent en lutte contre la noblesse militaire et les juristes. Plusieurs édits déclarent que, comme nobles, les bourgeois majeurs doivent jouir de tous les honneurs, droits et priviléges de la noblesse. Enfin, l'édit de 1768 leur attribue définitivement la déno- (1) De prerog. allod. Burgenses efficiunt armatorum quoddam genus, ut videre est in consist. sicul., lib. tit. 9. Dominicy. @) Je qui omnes et supra nominati et eorum posterilas in omnibus et per omnia pro veris personis stamenti civium horatorum et personarum mili- tarium dicte nostre civitatis Barcinone habeantur censentur et reputentur. { Livre vert majeur, fol. ecclij.) 150 MÉMOIRES mination de citoyens nobles ; il reconnait deux classes de no- blesse : celle des chevaliers ou gentilshommes, et celle des citoyens nobles. Quant aux juristes , il les classe dans un rang inférieur à celui de ces derniers. Il n’est pas douteux que la Constitution politique de Perpi- gnan établit une distinction véritable entre les gentilshommes ou nobles de race militaire ou féodale et les bourgeois nobles , puisque formant ensemble, dans les derniers siècles, le pre- mier état de la commune, et alternant pour les places qui y sont affectées, ils sont toujours compris dans des bourses dif- férentes. Les premiers sont d’abord tout à fait étrangers au municipe, à la commune; ils n’habitent pas Perpignan. Une ordonnance de Don Sanche, roi de Majorque, de l'an 1322, déclare que les nobles ne peuvent être appelés hommes de Perpignan; toutefois , elle règle les formalités qu'auront à remplir ceux d’entre eux qui voudront participer aux privi- léges des bourgeois : ils devront résider dans la ville comme les autres habitants , faire hommage au Roi entre les mains du Bailli, et contribuer à toutes les dépenses communales. À par- tir de cette époque, un plus grand nombre de gentilshommes se fixent dans la ville , des rapports s’établissent entre eux et les bourgeois ; ils sont agrégés au corps municipal, mais les deux classes restent toujours distinctes. Quant aux bourgeois, leur origine se rattache à celle de la ville elle-même ; leur noblesse n’a d'autre principe que les lois municipales romaines, car ils ont toujours reconnu pour chef le premier consul; et le privilége qu'ont les magistrats de créer tous les ans des bourgeois nobles pour maintenir au complet la bourgeoisie a une certaine analogie avec le mode employé pour recruter la curie. Mais la bourgeoisie eut le tort de soupirer après la noblesse militaire : «Les gentilshommes faisant profession des armes, dit Loiseau, ont toujours tâché de se distinguer de la noblesse de ville , et cette noblesse, au contraire, de se mêler et de se confondre avec eux.» Cette judi- cieuse observation du jurisconsulte est surtout applicable aux deux principales classes de l’ancienne population de Perpignan. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 151 On voit que l'histoire de cette commune offre le spectacle d’une lutte entre les diverses classes de sa population. Dès le principe apparaît celle des bourgeois contre les chefs de mé- tiers qui représentent le menu peuple; puis celle des bour- geois contre les mercadiers qui sont déclassés et rejetés dans la main moyenne; enfin, celle des bourgeois contre les juristes et la noblesse militaire. La royauté avait profité de cet antagonisme des classes pour restreindre les libertés municipales. Elle y était parvenue sans bruit, au moyen de ses sentences arbitrales et par l'intermé- diaire de ses légistes. C’est ainsi que la Charte organique de 1196 permet au peuple d'élire librement et sans entraves les consuls, et que l'ordonnance de 1346 exige que les consuls nommés soient soumis préalablement à l'approbation du Roi ou à celle du gouverneur (1). C’est ainsi que dans celle de 1499, qui substitue le sort à l'élection, le Roi se réserve d’in- saculer dans les bourses ceux qu'il voudra, alors même qu'ils ne seraient point d'abord immatriculés comme le prescrivent les règlements municipaux (2). Sous le régime français on fut même plus loin, et on se borna à extraire des bourses les noms des trois candidats pour chaque place de consul, et le gouverneur choisissait sur ce nombre celui que lui désignait lintendant. D'un autre côté, le conseil général, qui avait été jusque-là toujours présidé par le premier consul, le fut, à partir du 30 octobre 1662, par le viguier ; les magistrats mu- nicipaux ne présidèrent plus que les conseils de douzaine , sortes de comités permanents. Nous avons vu que les bourgeois de Perpignan ont une no- blesse civile et municipale qui contraste avec la noblesse mi- (ET habita tamen primitus et obtenta debita confirmatione illustris- simi domini nostri regis vel ipsius gubernatoris qui nune est vel pro tempore fuerit. (Livre vert mineur, fol. exevj.) (2) E empero los insaculats per nos que per evant insacularem , encara que no fossen primer matriculats volemque pugnan obtenir los oficis per que seran trets. (Livre vert majeur, fol. bxxIx.) 152 MÉMOIRES litaire des gentilshommes. Et cependant la charte de 1196 témoigne du caractère essentiellement guerrier de la commune de Perpignan. Ainsi elle avait droit de paix et de guerre ; au- cun doute sur ce point. D'après le texte, tout habitant devait, sur l'ordre des magistrats, sortir en armes de la ville ; puis la charte ajoute : «Si lorsque ledit consul avec nos bailli et vi- guier feront ces chevauchées, quelque habitant de Perpignan reste dans la ville sans nécessité évidente, il encourra une amende de dix sols barcelonais qui seront employés à réparer les murs de la ville (1).» Faire la guerre n'était donc pas pour la commune un droit seulement , c'était un devoir. Ce droit de guerre pouvait être invoqué par le plus infime des citoyens contre tous ceux qui, placés en dehors du consulat, lui fai- saient quelque tort, offense ou injure (2). Si les diverses classes étaient souvent en lutte pour leurs prérogatives mu- nicipales , à cet égard du moins il y avait entre toutes une solidarité véritable qui ne fit jamais défaut. Mais ce droit de guerre , conféré au corps de la cité, ne pouvait s'exercer qu'autant que les consuls, le baiïlli et le viguier avaient re- connu de concert la justice de la plainte qui pouvait y donner lieu. Plusieurs fois cependant la population , emportée par son ardeur guerrière, n’attendit pas la décision des juges de la main armée. Mais des ordonnances successives défendirent expressément de sortir en armes de la ville avant la décision des juges du privilége; elles ajoutèrent même à cette défense une sanction pénale en prescrivant que quiconque marcherait hostilement contre quelque lieu que ce fût, sans la partici- pation des magistrats, serait tenu de réparer le dommage qu'il aurait causé, et payerait en outre une amende de dix sous ap- plicable à l'œuvre des fortifications de la ville. (1) Postquam autem dicti consules cum meo Bajulo et vicario et cum populo Perpiniani super aliquem malefactorem vel super villam equitaverint si aliquis in ipsa villa nostra Perpiniani remanserit, nisi aperta causa necessitatis habeat in dampnum decem solidos barchironenses, (2) Jbid. Livre vert mineur, fol. x. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 153 La host , c’est-à-dire la population armée , était sous le com- mandement du premier consul, en temps de paix comme en temps de guerre. Une lettre du roi Jean IN, de juin 1474, lui donne le titre de capitaine de la ville. Cette prérogative fut confirmée par Ferdinand II et par un diplôme de l'empereur Charles-Quint qui , au défaut des deux premiers consuls, l’ac- corde au troisième. C’était chez le premier consul que les clés de la ville étaient déposées; les opérations militaires devaient lui être communiquées (1). Charles-Quint donna à l’armée municipale de Perpignan une organisation régulière; elle dut former quatre compa- gnies. Sous le régime français, ces quatre compagnies, qui étaient trop nombreuses, furent divisées en vingt compagnies de cinquante hommes chacune qui formèrent deux bataillons. Une ordonnance royale de 1733 conféra le commandement de toute la milice de Perpignan au premier consul qui en était le colonel-né. L'art. 3 porte que les capitaines seront pris dans le corps de la noblesse et des bourgeois nobles alternative- ment , ‘et les lieutenants parmi les mercadiers et les notaires. En résumé, les deux faits suivants nous ont surtout frappé dans l’histoire de la commune de Perpignan : 1° Cette ville, née au moyen âge, est une terre de droit ro- main, dans un pays où domine la loi gothique, et où elle do- mine à ce point que le clergé lui-même n'en suit pas d'autre. 2° Bien que la ville de Perpignan soit moderne, elle nous apparaît, dès son origine, comme cité municipale, sans avoir pris la place d’un ancien municipe. Lorsqu'on suit les phases de son existence, on trouve, à toutes les époques de son his- toire , la mise en pratique des règles du droit municipal ro- main. On sait, en effet, que ce régime portait avec lui deux (1) Per co supplicam a V. M. li placia concedir los en privilegi que lo dit Llochtinent de Capita general aya y dega de assi al devant consultar y com- municar los negocis y afers de la guerra ab los consols de la dita vila de Per- pinya, com a persones expertes y praticas en los passos , y prenent los consell de aquells nos itaque....... , ete. (1599), folio ccexlij. 154 MÉMOIRES mauvais principes : 1° la dure obligation qu'il imposait aux citoyens d'accepter les offices municipaux ; 2 la perception de l'impôt par les décurions eux-mêmes. Eh bien, ces deux principes servaient aussi de fondement à la constitution poli- tique de Perpignan. Dès 1349, une ordonnance royale déci- dait, sur la demande du corps de ville, que toute personne qui serait élue conseiller, consul, député, ou appelée à rem- plir toute autre charge publique, ne pourrait refuser pour quelque cause que ce fût (4). Plus tard , on fut même contraint d'accepter les fonctions de consul, sous peine d’une amende de cent livres, et de vingt-cinq livres pour tout autre office mu- nicipal. Quant au second principe, il était non moins rigou- reusement observé, ce dont témoignent une foule de documents que renferme l'Hôtel-de-ville. On y voit surtout une ordon- nance de Pierre Il, du 18 décembre 1368, qui enjoint aux consuls de lever l'imposition ordonnée aux derniers Etats de Catalogne au sujet des armes nécessaires pour la défense de la principauté. L'ordre porte que les officiers municipaux sont chargés de percevoir la contribution du tiers-état et des’ ecclé- siastiques. Enfin , le caractère propre, remarquable du régime municipal romain, c’est le droit d'administration indépen- dante. Les attributions des préfets, à l'égard des cités, se bor- naient à une surveillance générale, à présider quelquefois les assemblées électorales et à approuver quelques-uns des choix qu'elles faisaient. Mais le pouvoir central leur avait laissé une grande liberté pour leur administration intérieure et locale. Or, à Perpignan, cette faculté de voter et d’administrer avec une entière liberté les fonds communaux fut même respectée sous le régime français. Dans les derniers temps , les finances se trouvaient dans un tel désordre, faute d’un contrôle effi- cace , que la commune était accablée sous le poids de ses det- (1) Que algun de la vila de Perpinya qui sia elegit conseller, consol , missatge o embaxador de la vila , o a altre carrech o offici, no seu puxa sensar de acceptar aquel per algun privilegi quen hàja. (Livre vert majeur, folio €cx, verso. — Mineur, fol. cciij.) PP SE SEE TE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 155 tes. L'autorité rovale se vit alors dans la nécessité d'intervenir pour mettre un terme à ce fâcheux état de choses. Mais, dira- t-on peut-être, le régime romain ayant servi de modèle au droit municipal de la France et de toutes les nations de l’Europe, est-il étonnant que les habitants de Perpignan se soient as- similé les principes de ce droit? La réponse est facile ; car cette ville étant née au moyen âge, sa constitution aurait dû refléter les dispositions du droit féodal et celles de la loi gothique, qui#était la loi principale du Roussillon, plutôt que celles du droit romain que nous voyons cependant prédo- miner dans les mœurs des habitants. Ce fait remarquable ne peut, selon nous, s'expliquer qu'en admettant qu'une grande partie de la population de Ruscino, dispersée par suite de la destruction de cette antique cité, vint se fixer à Perpignan, où elle avait apporté tout à la fois sa loi et ses institutions mu- nicipales (1). (1) Les Normands détruisirent Ruscino en 859, et la première charte qui fait mention de Perpignan est de 922. Si on rapproche ces deux dates, on ne trouve M elles qu'un intervalle de soixante-trois ans ; ainsi tout porte à croire que Ruseino est la mère de Perpignan. 156 MÉMOIRES DISCUSSION SUR QUELQUES PARTIES MUSCULAIRES DU COU, CHEZ LES MAMMIFÈRES ; Par A. LAVOCAT. L Sr la Myologie comparée est une des parties les moins connues de l’organisation, c’est que son étude, déjà difficile par le grand nombre des organes à examiner, est encore obs- eurcie par toutes les erreurs qu’on rencontre dans les divers ouvrages publiés sur ce sujet. Tantôt ce sont de fausses déterminations qui, dans des espèces voisines, font considérer comme différents des mus- cles semblables , ou comme analogues des muscles éSsentiel- lement différents; tantôt ce sont des termes mal appliqués ou des appellations arbitraires qui font prendre un organe pour un autre, ou même pour un organe nouveau , et qui produisent ainsi une confusion presque inextricable. IL est donc important, pour atteindre autant que possible l'unité scientifique, de rechercher les analogies méconnues et de ramener les désignations à l’uniformité. Mais, pour cela, il faut nécessairement que l'observation rigoureuse des faits soit appuyée sur des principes fixes , qui éclairent les variétés de forme et d'aspect et qui dirigent vers la synthèse l'étude de la conformité organique. La discussion qui va suivre s'applique à quelques grands muscles du cou, tels que le trapèze, l'acromio-trachélien de Cuvier, le chéido et le sterno-mastoidien, muscles qui doivent être très-imparfaitement connus des zoologistes, si l’on en DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 157 juge d'après les descriptions données par les auteurs d’anato- mie comparée. DU TRAPÈZE. On sait que le trapèze est un large muscle superficiel qui recouvre la partie postérieure et latérale du cou. On lui recon- nait trois portions : une dorsale, une cervicale ou scapulaire , et une trachélienne ou claviculaire. Les deux premières, ayant une disposition à peu près identique chez l’homme et les quadrupèdes, sont toujours faciles à reconnaître ; mais il est loin d'en être de même pour la troisième, dite portion claviculaire. D'abord, chez l'homme, cette partie n’est pas séparée de la portion cervicale, et elle ne s’en distingue que par son attache à la clavicule ; elle est donc incomplète, et, ce qui le prouve, c’est la présence , inconstante il est vrai, d’un faisceau com- plémentaire, signalé pour la première fois par M. Cruveilhier, et s'étendant de l’atlas à l'extrémité externe de la clavicule. Or, ce sont là précisément les attaches essentielles de la partie claviculaire du trapèze , qui est toujours plus développée chez les quadrupèdes, avec les seules modifications qu'entraine nécessairement l’état plus ou moins imparfait des clavicules. En effet, chez les carnassiers , les rongeurs et le porc, dans l'ours et chez les dauphins, cette bande musculaire est dis- tincte : procédant de l’aile de l’atlas, elle se termine en bas de l'épine scapulaire, sur le pédicule acromien , et se pro- longe par aponévrose sur les muscles du bras jusqu'à l'em- preinte deltoïdienne. Avant d'aller plus loin et pour éviter toute cause de confu- sion, il faut remarquer que, dans ces mêmes espèces, la portion claviculaire du trapèze est comprise entre la portion cervicale du même muscle et le cléido-mastoïdien et recou- verte par la portion postérieure du peaucier du cou, fort épais dans ces animaux. Cette indication suffit pour faire ressortir la fausse détermination établie , à ce sujet, par Cuvier, 3° $8. — TOME HI. 11 158 MÉMOIRES dans son Anatomie comparée : « Le trapèze, dit-11, qui est à peu près dans les singes comme dans l'homme, prend une nouvelle forme dans les mammifères sans clavicules ou dans ceux qui n'en ont que d’imparfaites.… Sa portion claviculaire est très-distincte de la portion cervicale : elle en est même séparée dans plusieurs animaux par l'acromio-trachélien qui passe entre elles ; elle est plus ou moins étendue, selon les espèces. Ainsi, dans le chien et dans le chat, ses fibres vien- nent en partie du ligament cervical. Dans le lapin, il n'en vient que de l'occiput. » D'après ce passage, il est facile de se convaincre qu'il ne s'agit nullement ici de la portion claviculaire du trapèze, puis- que la bande décrite sous ce titre procède de la nuque, tandis que la véritable portion claviculaire se fixe à l'atlas. Et, pour quiconque aura bien examiné la couche musculeuse superfi- cielle du chien ou du porc, il sera évident que Cuvier a donné le nom de portion claviculaire du trapèze à la portion posté- rieure du peaucier du cou. Quant à l'acromio-trachélien qui se trouve indiqué dans le même passage, il en sera question plus loin. L'erreur qui vient d'être constatée est un des nombreux exemples de ce qui peut arriver toutes les fois que le Principe des Connexions ne vient pas guider les recherches de Myologie comparée. L'époque à laquelle Cuvier a entrepris ses grands travaux, et la Méthode des Différences qui les a dominés, ex- pliquent bien de pareilles imperfections. Mais, on a lieu d’être étonné de les voir se reproduire dans un ouvrage récemment publié, sur l'anatomie des animaux domestiques, par M. Chauveau, de l’école de Lyon. Ce jeune anatomiste, qui cependant n'est pas étranger à la Méthode des Analogues , aujourd'hui bien établie, partage l'erreur de Cuvier relative- ment à la portion postérieure du peaucier du cou, qu'il décrit deux fois, d'abord comme peaucier, puis, plus loin, comme représentant la portion claviculaire du trapèze, chez le porc et les carnassiers. Dans les livres précédemment publiés sur l'anatomie des DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 159 animaux domestiques par Bourgelat, Girard et Rigot, cette partie musculaire n’est pas même indiquée, chez les quadru- pèdes que nous venons de nommer. Passons maintenant aux ruminants et aux équidés. Dans ces espèces, le peaucier du cou est trop mince pour qu'on puisse lui emprunter quoi que ce soit. Aussi vOyons-nous Cuvier considérer la portion claviculaire du trapèze comme étant réunie au clido-mastoïdien. Suivant toujours l'exemple du maître, M. Chauveau adopte la même manière de voir. Quant à Bourgelat, Girard et Rigot, ils ont fait de même, relativement au cheval, mais sans avoir reconnu la bande musculeuse dont il est question. Du reste, nous aurons bien- tôt à revenir sur ce sujet. Auparavant, nous devons faire remarquer que ces dernières déterminations sont tout aussi inexactes que les précédentes. En outre, ne voit-on pas toute l'inconséquence qu'il y a à con- sidérer comme analogue, chez les carnassiers et les TONGeUrs , d'une part, et chez les ruminants et les équidés, d'autre part, une portion musculaire qui procède, chez les uns, de la nu- que, et chez les autres, de l'apophyse mastoïde. N'est-ce pas là toujours le résultat de la recherche de la pluralité des types, si contraire aux lois d'unité ? En réalité, chez les ruminants et les équidés, la portion claviculaire du trapèze est essentiellement disposée comme chez les carnassiers , le porc et les rongeurs. Seulement elle n'est bien distincte qu'en haut, où elle se fixe, comme tou- jours, à l’atlas; tandis qu’en bas, elle se réunit au bord pos- térieur du cléido-mastoïdien et vient aboutir à l'empreinte deltoïdienne. Sans quitter le sujet qui nous occupe , nous pouvons main- tenant examiner l'acromio-trachélien, muscle précédemment indiqué et que les zoologistes s'accordent à ne pas comprendre , parce qu'en effet l'interprétation inexacte de cette partie est un des principaux éléments du désordre qui règne dans la myologie comparée du cou. D'après Cuvier, dont les assertions sur ce sujet n'ont eu 160 MÉMOIRES que trop d'autorité, l'acromio-trachélien est un muscle propre aux mammifères. «Il se porte, dit-il, de lacromion à l'apophyse transverse de l’atlas..… On le trouve dans tous les mammifères , l'Aomme excepté : ce qui semblerait prouver qu'il est une des conditions de la station quadrupède. Dans les carnivores , les rongeurs et quelques ruminants , le trapèze étant partagé, il passe entre ses deux portions. Rien ne prouve mieux que ce musele, ajoute Cuvier, combien il est difficile de créer une bonne nomenclature en anatomie comparée : en effet, 1l se fixe à l’atlas ou à la tête, et quelquefois aux dernières vertèbres cervicales; son insertion au membre thoracique varie égale- ment : dans le tapir, elle se fait sur l’aponévrose du deltoïde ; dans le cheval, elle a lieu à la partie moyenne de l'humé- rus, etc. » Telle est l'opinion de Cuvier : elle a fait loi jusqu'à présent, et il en est résulté une confusion qui dure encore et qui doit enfin disparaitre. Pour résoudre cette difficulté, il faut se demander d'abord si l'acromio-trachélien est réellement un muscle distinct et particulier. S'il en était ainsi , la constatation en serait facile , elle serait déjà faite et tous les doutes seraient dissipés depuis longtemps. Gela n'étant pas, il faut bien en conclure qu'il y a là non pas un muscle distinct, mais plutôt une portion musculaire séparée à tort de l'organe auquel elle appartient ; et, par conséquent, il ne reste plus qu'à déterminer à quel musele il faut rattacher le prétendu acromio-trachélien. Cette «uestion n’est pas difficile à décider, si l'on a recours à la Méthode des Analogues et au Principe des Connexions. En effet, malgré le peu d’exactitude souvent apportée dans l'indication des attaches, il est évident que l’acromio-trachélien de Cuvier est caractérisé en ce qu'il procède généralement de l’atlas et qu'il se termine à l'os du bras, avec le deltoïde, au moins chez les mammifères imparfaitement claviculés. Dans le cas où ces attaches essentielles ne paraîtraient pas suffisantes pour qu'on puisse se prononcer, on peut s’en rapporter défi- uitivement à la position relative indiquée par Cuvier, lorsqu'il DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 161 place le muscle en question entre les deux portions du trapèze , c'est-à-dire entre la portion cervicale ou scapulaire et la por- tion claviculaire. Or, il ne faut pas perdre de vue que ce que Cuvier appelle portion claviculaire du trapèze est tantôt une partie du peaucier, tantôt une partie du cléido-mastoïdien. Par conséquent, la bande qu'il décrit est, en réalité, située sous le peaucier, entre le bord postérieur du cléido-mastaïdien ét le bord antérieur de la portron cervicale du trapèze. Toutes ces preuves, fournies d'une manière irrécusable par les attaches et les connexions, démontrent jusqu'à la dernière évidence que le muscle nom- mé par Cuvier acromio-trachélien n'est pas autre que la véri- table portion claviculaire du trapèze. Cette nouvelle erreur de Cuvier est une conséquence inévi- table de la première, qui, lui faisant voir à tort la portion claviculaire du trapèze dans une partie du peaucier ou du eléi- do-mastoïdien, devait nécessairement l’amener à considérer la véritable portion claviculaire comme ne se rattachant à aucun muscle, et conséquemment comme constituant un muscle par- ticulier. Nous avons dit que les attaches indiquées par Cuvier n'é- taient pas toutes très-exactes. Nous n'insisterons pas sur ce point qui nous entrainerait trop loin, et dans plus de détails que nous ne voulons en apporter dans cette simple dis- cussion. Nous ferons remarquer seulement, à propos de ces attaches si variables , en haut comme en bas, selon les espèces et surtout d'après l’état des clavicules, que le terme de portion claviculaire n'est pas heureusement choisi, et qu'il vaudrait mieux , pour cela même, nommer cette partie du trapèze portion trachélien- ne, afin d'indiquer ainsi la région qu’elte occupe , comme pour les deux.autres parties du même muscle, dites cervicale et dorsale : la dénomination proposée aurait done le double avantage de l'exactitude et de l’uniformité. Enfin, la bande musculaire, dont nous venons de nous occuper, n'est pas, bien qu'en ait dit Cuvier, particulière 162 MÉMOIRES aux quadrupèdes : en effet, d'après ce que nous avons relaté au commencement de ce chapitre, elle ne manque pas chez l'homme ; mais, en terminant, nous devons reconnaître qu’elle est toujours plus développée chez les mammifères à clavicules incomplètes où nulles que chez ceux dont les clavicules sont parfaites. DU CLÉIDO-MASTOÏDIEN. Examinons maintenant le cléido-mastoidien, autre grand muscle du cou, au sujet duquel il n’est pas inutile de donner quelques explications, parce qu'en raison de l'arbitraire qui règne si paisiblement en myologie, on est dans l'habitude tantôt d’adjoindre à ce muscle des éléments qui ne lui appar- tiennent pas, tantôt de lui retirer certaines dépendances qui sont bien à lui. En outre, il n’est pas toujours facile de le reconnaître sous les diverses appellations que les auteurs lui ont assignées pour exprimer, soit sa disposition générale, soit la variété de ses attaches qui, en effet, se trouvent modifiées, inférieurement surtout, d’après l’état des clavicules , ete. Habituellement décrit, chez l’homme, avec le sterno-mas- toidien, auquel il s’unit en haut, le cléido-mastoïdien est ce- pendant bien un musele distinct, comme le voulait Albinus ; et c’est à tort que l'anatomie humaine réunit ces deux organes sous le titre de sterno-cléido-mastoëdien , ou, comme le faisait Chaussier, sous celui de sterno-mastoidien. Vitet lui donna, chez les animaux, le nom de multiforme , et Bourgelat l’a décrit sous celui de muscle commun au bras , au cou et à la tête. Cuvier le nomme bien cléido-mastoïdien et il reconnaît que, dans les quadrupèdes, il est parfaitement distinct du sterno-mastoïdien ; mais, dit-il, comme, dans ceux qui n’ont que des clavicules rudimentaires, il va se fixer à l'humérus, on pourrait l'appeler masto-humérien. On peut se demander, à ce sujet, s’il était bien nécessaire de changer le nom du muscle, en raison d'une simple modification d'at- tache. Si ce principe était établi et pratiqué toutes les fois DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 165 qu'il y à lieu, les occasions sont si fréquentes qu'on ne tar- derait pas à ne plus pouvoir se reconnaitre au milieu de toutes ces désignations appliquées à un seul et même organe. Evidemment la voie ouverte ainsi par Cuvier est le fruit de son esprit préoccupé par la Méthode des Différences. Mais , attendu qu'avant tout, en zoologie comme dans les autres sciences , il est indispensable de pouvoir s'entendre, la mul- tiplicité des appellations n’est pas un bon moyen pour attein- dre ce but si désirable. En outre, on ne conçoit pas pourquoi Cuvier, en créant le terme bi-nominal de masto-humérien, a cru devoir le construire en manière inverse du nom habituel- lement employé; en effet, pourquoi, voulant modifier le litre de cléido-mastoidien , ne pas dire simplement huméro-mastor- dien , au lieu de masto-humérien ? Quoi qu'il en soit, l'idée de Cuvier a prévalu ; et elle s’est enracinée dans lanatomie des animaux domestiques, où le cléido-mastoïdien , est encore aujourd'hui presque toujours désigné, avec une légère variante, sous le titre de mastoëdo- huméral. Assurément le terme de cléido-mastoïdien est loin d'être d’une application exactement générale en myologie comparée, mais c'est là un inconvénient si fréquent et qui, du reste, empêche si peu la recherche des analogies, qu'il vaut encore mieux conserver ce nom, tel quel, que d'en adop- ter un nouveau et différent pour chaque espèce. En effet, si le muscle devient huméro-mastoïdien quand les clavicules sont insuflisantes, et si l’on consent à lui donner ce titre, il faudra bien lui en assigner un autre, par exemple, dans cer- tains ruminants, tels que la girafe et les chameaux, chez lesquels, au lieu de remonter jusqu'à la tête, 1l se termine, en bas du cou, aux apophyses transverses des 5°et 6° vertèbres cervicales, etc. Les attaches essentielles du cléido-mastoïdien, chez l'homme, sont : en bas, au tiers interne de la clavicule; en haut, à l'apophyse mastoïde. Cette disposition se répète chez tous les mammifères complétement claviculés. Mais, dès que la cla- vicule vient à manquer, l'extrémité inférieure du muscle se 164 MÉMOIRES prolonge jusqu'au point fixe qui lui est nécessaire, c'est-à-dire jusqu’à ligne âpre de l’humérus : c’est ce que l’on voit chez les chiens, le porc, les ruminants et les équides. IL en est encore à peu près de même, lorsque la clavicule n'est qu'imparfaite, comme dans les chats et quelques rongeurs, tels que le lapin et le lièvre. Dans ce cas , le cléido-mastoïdien , en descendant vers son attache inférieure, passe au-devant de la clavicule et s'implante par ses fibres profondes sur cet os, qui se trouve ainsi comme incrusté à la face interne du muscle. A ce sujet, il y a lieu de soulever une question qu'il im- porte d'élucider. Faut-il, comme l'a fait Cuvier, conclure des dispositions qui précèdent, que, toutes les fois que le cléido- mastoïdien ne se fixe pas définitivement sur la clavicule, c'est qu'il est soudé bout à bout avec le faisceau claviculaire du deltoïde, qui le prolonge jusqu'à l'os du bras? Il ya là, selon nous, une erreur de détermination, à la- quelle , il faut le dire , ilest assez facile de se laisser entraîner. On ne peut éviter cet écueil qu'en observant rigoureusement le Principe des Connexions. Pour qu'on puisse admettre que le cléido-mastoidien est prolongé par la portion claviculaire du delioïde, chez les ani- maux peu ou point elaviculés , il faudrait d'abord que, dans les espèces parfaitement claviculées , ces deux parties muscu- laires fussent sur la même ligne et simplement séparées par l'épaisseur de la clavicule. Or, il n’en est rien : chez l'homme, par exemple, les deux attaches, loin de se correspondre, sont éloignées l’une de l'autre ; celle du deltoïde est sous l'extrémité scapulaire de l'os, tandis que celle du cléido-mastoidien est à l'extrémité sternale , immédiatement au-dessus de l'insertion claviculaire du grand pectoral. Ensuite, et dans la même hypothèse, si le faisceau claviculaire du deltoïde faisait réel- lement suite au cléido-mastoïdien , 1 devrait nécessairement aboutir à son point d'implantation ordinaire, c’est-à-dire, à l'empreinte deltoïdienne. Cette connexion manque aussi, puis- que le prolongement inférieur du eléido-mastoïdien vient se DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 165 fixer habituellement à la ligne âpre de l'humérus, et, en ou- tre, quelquefois plus bas, par exemple, au cubitus, comme dans le chat. | En faut-il davantage pour établir la conviction que, dans les cas de clavicule nulle ou imparfaite, le cléido-mastoïdien descend simplement jusqu'à son nouveau point d'attache, sans être prolongé par le faisceau claviculaire du deltoïde. D'ailleurs, pour lever tous les doutes, il reste une dernière preuve à fournir, c’est de déterminer à quelle partie muscu- laire du cou la portion claviculaire du deltoëde fait réellement continuité, lorsque la elavicule est peu ou point développée. Or , il existe précisément une bande musculeuse qui , dans tous les cas d'absence ou d'insuffisance des clavicules, vient se fixer à l'empreinte deltoïdienne. Souvent même, chez le mouton , par exemple , au niveau de la jointure scapulo-hu- mérale, au point où la clavicule n'existe que virtuellement, ce faisceau présente une intersection fibreuse, dirigée trans- versalement et rappelant bien la clavicule. Cette bande musculaire est tout simplement celle dont nous avons déjà parlé; c'est la portion trachélienne ou claviculaire du trapèze ; et c'est à elle que le faisceau claviculaire du del- toide se soude bout à bout, pour la prolonger jusqu'à l'em- preinte deltoïdienne ; ce fait est de toute évidence , lorsqu'on jette un coup d'œil sur ce qui existe chez l'homme et les mammifères claviculés : on voit, en effet, les attaches de ces deux faisceaux claviculaires se correspondre parfaitement et n'être séparées que par la pièce osseuse intermédiaire. De ce qui précède, on peut donc conclure que la portion claviculaire du deltoïde existe chez tous les mammifères, même chez ceux qui sont peu ou point claviculés; et que , dans ces derniers , ce faisceau fait suite, non pas au cléido-mastoïdien , mais à la portion trachélienne ou claviculaire du trapèze. À propos du cléido-mastoïdien et des parties musculeuses que l'anatomie comparée à voulu lui attribuer , nous avons encore quelques observations à présenter. Citons en première ligne un passage , où Cuvier, relativement au cheval, s'exprime ainsi : 166 MÉMOIRES « Au lieu du releveur , du cléido-mastoïdien et des portions cla- viculaires du trapèze et du deltoïde, on ne trouve qu'un seul muscle attaché à l'apophyse mastoïde et aux apophyses trans- verses le quelques vertèbres cervicales supérieures, qui passe au- devant de la tête de l’humérus et descend le long de la face interne de cet os pour s’y insérer inférieurement. » Dans ces quelques lignes , il y a beaucoup à rectifier ou plutôt à élaguer, pour retrouver le véritable cléido-mastoïdien dont il est question. Ecartons d'abord le releveur, qui est le levator scapulæ des anciens, l'angulaire de Sylvius : ce grand muscle est parfaitement distinct ; il n’a rien de commun avec le cléido-mastoïdien , et la fusion de ces deux parties musculai- res, admise par Cuvier chez le cheval, est un fait que rien ne justifie. Quant aux portions dites claviculaires du wrapèze et du deltoëde, 11 suffira de rappeler iei que les parties ainsi nommées à tort par Cuvier sont, en réalité, propres au cléido-mastoïdien du cheval et doivent lui être restituées. Il ne reste done plus, pour dégager entièrement ce muscle de ce qui lui est étranger, qu'à vérifier l'exactitude des attaches indiquées par Cuvier. Les insertions à l’apophyse mastoïde et à l’humérus appar- tiennent seules au cléido-mastoïdien. Mais , en ajoutant que ce muscle se fixe aussi aux apophyses transverses de quelques ver- tèbres cervicales supérieures , il est évident que Cuvier lui ad- joint un autre élément musculaire, s'étendant de ces vertèbres à l'os du bras. D'après ces indications, il n°y a pas à hésiter : une seule partie musculaire est ainsi disposée chez le cheval , c'est la portion claviculaire du trapèze , c’est-à-dire l'acromio- trachélien , qu'on est étonné de retrouver ici, lorsque, deux pages plus haut, Cuvier l’a décrit comme muscle indépendant. Cette erreur n'appartient pas exclusivement à Cuvier ; elle nous parait remonter à Bourgelat, qui, vers la fin du siècle dernier , à établi, dans son Précis anatomique , que le musele dont il est question est formé de deux parties , dont l’une se fixe, dit-il, à la fubérosité de la portion pierreuse du temporal , et l'autre aux apophyses transverses des premières vertèbres cervicales. D ETS nt dE nd à DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 167 Au reste, cette manière de voir, consacrée par Cuvier , a été reproduite successivement par Girard, Rigot, etc., et elle subsiste encore aujourd'hui dans l'anatomie des animaux do- mestiques. En outre, les divers auteurs qui ont traité ce sujet, ne sont pas entièrement d'accord relativement à une autre bande charnue , au moyen de laquelle le cléido-mastoïdien se fixe inférieurement à l'extrémité antérieure du sternum, chez le cheval , le bœuf et le mouton, mais non chez le porc , les ron- geurs et les carnassiers. Bourgelat, Girard et Rigot l’attribuent justement au cléido- mastoidien. M. Chauveau adopte cette détermination pour le bœuf , tandis que chez le cheval , il rapporte la même partie au peaucier du cou. Chez le mouton , il nie son existence, qui cependant est constante , comme chez le bœuf, la girafe et les équidés. Cette partie musculaire a été interprétée tout différemment par Meckel : il la considère comme pouvant être, chez les mammifères non claviculés , le vestige du muscle sous-clavier . Cest là une erreur inexplicable , non-seulement parce que le sous-clavier est représenté d’une autre manière dans ces ani- maux , mais surtout parce que la bande sternale en question ne présente, par ses connexions, aucune analogie avec ce muscle. L'erreur de Meckel ne se retrouve pas dans l’Anatomie de Cuvier, mais elle y est remplacée par une autre, non moins grave. «Le sous-clavier, y est-il dit, n'existe point dans les mammifères non claviculés.» Cette assertion est complétement inexacte; en effet, le sous-clavier existe dans les mammifères non claviculés : sans être reconnu, il a été décrit, depuis Bourgelat , chez les quadrupèdes domestiques , tantôt sous le titre de transversal des côtes, tantôt sous celui de costo-sternal, ou mieux de sterno-costal. Il procède de la surface externe du sternum , passe sur les cartilages des quatre ou cinq premiè- res côtes, et se termine en bas de la première. Plus long et plus mince que dans les espèces claviculées , 1l semble , par 168 MÉMOIRES conséquent, récupérer en longueur ce qu'il perd en épais- seur. DU STERNO-MASTOIÏDIEN. Terminons cette étude par un aperçu des modifications que présente le sterno-mastoïdien chez quelques mammifères. Très-simple chez les carnassiers et dans le porc , ce musele est entièrement distinct et s'étend du sternum à l’apophyse mastloïde. Il en est à peu près de même chez l'homme , sauf l'union qu'il contracte bord à bord avec le cléido-mastoïdien , à mesure qu'il monte vers sa terminaison. On le trouve encore libre de toute adhérence chez les équi- dés, où 1l est connu sous le titre de sferno-maæillaire, parce qu'il se termine au moyen d'un tendon aplati à l'angle du maxillaire inférieur. Mais ce terme , exprimant une particu- larité, n'est pas plus acceptable que les autres ; il n’est pas nécessaire et, de plus , il a l'inconvénient de faire supposer que l’attache essentielle n'existe pas, tandis qu’elle est bien représentée par une aponévrose mince qui émane du tendon terminal, passe sous la parotide et va se fixer avec celle du cléido-mastoïdien , à l'apophyse mastoïde. Du reste , l'attache maxillaire du sterno-mastoidien n’est pas un fait exceptionnel; elle se reproduit chez quelques rumi- nants, tels que le bœuf et la girafe , comme nous le verrons plus loin ; en outre , elle peut exister aussi chez l’homme : en effet, d'après Brugnone, il y a quelquefois des faisceaux dis- tincts qui s'étendent du sternum à l'angle de la mâchoire. Le sterno-mastoëdien des ruminants présente des caractères assez variés. Quelquefois il est à terminaison principalement maxillaire , comme chez la girafe, ou exclusivement mastoï- dienne, comme dans le mouton. D'autres fois, dans le bœuf, par exemple, il possède les deux modes d'insertion. Chez la girafe, les deux sterno-mastoïdiens naissent en com- mun du sternum, comme dans le cheval. Vers le milieu de leur longueur, ils se séparent ; chacun d'eux devient digastri- que et se termine à l'angle de la mâchoire par un tendon qui DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 169 se prolonge sous forme d’aponévrose en avant sur le masséter et en arrière jusqu'à l'apophyse mastoïde. Nous ferons remarquer ici que la digastricité de ce muscle, commandée par la lon- gueur du cou, a pour effet des contractions moins étendues et plus rapides que si les fibres n'étaient pas interrompues. C'est évidemment dans le même but que ce muscle, outre son tendon intermédiaire , en présente aussi à ses deux extrémi- tés, et que , d'autre part, le cléido-mastoïdien , ainsi que la portion trachélienne du trapèze offrent cette remarquable brièveté que nous avons précédemment indiquée. Dans le mouton , le sterno-mastoïdien , simple et distinct de l'opposé à sa naissance , se termine par un tendon qui s'élargit en aponévrose fixée à l’apophyse mastoïde, à l'apophyse ba- silaire et sur la crête intermédiaire. Chez le bœuf , le sterno-mastoïdien est formé de deux bandes superposées, mais distinctes : 1° La bande superficielle repro- duit la disposition simple qui s’observe chez les équidés, la girafe , la chèvre, etc. Elle se termine vers le milieu de la mâ- choire par un tendon fort et plat qui monte et adhère sur le bord antérieur du masséter , s'élargit et aboutit à la crête zy- gomatique ainsi qu'à l'apophyse malaire; 2° la bande profonde répète exactement celle qui existe seule chez le mouton. Elle procède du sternum avec la couche superficielle, et se termine par une forte aponévrose à la crête qui réunit les apophyses mastoïde et basilaire. Relativement à cette double disposition, si remarquable chez le bœuf, les opinions émises sont loin de concorder. Pres- que tous les anatomistes qui, depuis Bourgelat, se sont occu- pés des quadrupèdes domestiques, admettent, d'après lui, que la couche superficielle constitue seule le sterno-mastoïdien. M. Chauveau croit, au contraire , que ce muscle est représenté par la couche profonde, et que la bande superficielle appar- tient au peaucier. D’après ce qui précède , il est facile de voir qu'il y a là, de partet d'autre, des erreurs de détermination qui pouvaient être évitées par l'observation plus rigoureuse des analogies. 170 MÉMOIRES Cuvier parle très-peu du sterno-mastoïdien des quadrupè- des ; il se borne à indiquer son existence chez le mouton et le cheval. * Les anatomistes qui n’ont pas reconnu la couche profonde du sterno-mastoïdien , chez le bœuf , ont cru pouvoir assimiler cette bande musculaire à l’omo-hyoidien. Pour ne pas être accessible à cette fausse idée, il suffisait de constater que l'omo-hyoïidien est représenté chez le bœuf , comme dans tous les ruminants, par un petit muscle qui s'étend de la troisième vertèbre cervicale au corps de l'hyoïde. Enfin , à propos de ce même muscle, Cuvier s'exprime ainsi : « Il n'existe pas dans les animaux qui n’ont pas de clavicule, ni d'apophyse coracoïde , pas même dans le chien.» La der- nière assertion est seule exacte. L’omo-hyoidien manque, en effet, chez les carnassiers, comme cela arrive quelquefois chez l'homme , ainsi que l’a constaté Meckel. Mais on le rencontre toujours , non-seulement chez les ruminants, mais aussi dans le porc et les équidés ; ces animaux sont tous privés de cla- vicule, mais en même temps ils sont pourvus d'apophyse coracoïde. A ce sujet, on peut se demander si, en parlant des mammi- fères qui ne possèdent pas cette saillie osseuse, Cuvier a voulu simplement désigner quelques cétacés, comme la baleine , le Rorqual du Cap et le dauphin du Gange ; qui l'ont, en effet , très-peu développée; ou plutôt si ce terme d'apophyse cora- code ne se serait pas substitué à celui d’apophyse acromienne ? Cette dernière hypothèse est d'autant plus admissible que l'a- cromion est toujours en harmonie de développement avec la clavicule, et que, par conséquent , il manque toutes les fois que celle-ci n'existe pas. CONCLUSIONS. De tout ce qui précède, on peut déduire les conclusions suivantes : 4° Chez tous les mammifères, on rencontre la portion tra- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 171 chélienne où claviculaire du trapèze. Par erreur de détermina- tion , ce titre a été donné, tantôt à une partie du peaucier du cou, tantôt à une partie du cléido-mastoïdien. En outre, le muscle décrit par Cuvier, sous le nom d'acromio-trachélien est la véritable portion trachélienne du trapèze. Enfin , cette bande musculaire procède généralement de l’atlas, et, lorsque les clavicules sont peu ou point développées , elle est prolongée jusqu'à l'empreinte deltoïdienne du bras par la portion clavi- culaire du deltoide. 2° Le cléido-mastoïdien des mammifères ne présente, en réalité, que de légères modifications ; aussi peut-on sans in- convénient lui conserver toujours la même dénomination. Cependant, Cuvier a cru devoir lui donner, dans quelques espèces, le nom de masto-humérien, et l'Anatomie des ani- maux domestiques le décrit encore sous le nom de mastoïdo- luméral. — D'un autre côté, pour bien comprendre ce mus- cle, il est nécessaire de le dégager de certaines parties qui lui ont été annexées à tort, et notamment du releveur , ainsi que des faisceaux claviculaires du trapèze et du deltoëde. — Son insertion supérieure à toujours lieu à l’apophyse mastoïde. Quant à son attache inférieure , elle est nécessairement modi- liée par l'état de la clavicule ; lorsque cet os n’est pas sufi- samment développé , elle descend et trouve son point fixe sur la ligne âpre de l'humérus et quelquefois plus bas: ce qui prouve clairement que le cléido-mastoïdien n’est pas, comme on l'a dit, prolongé par la portion claviculaire du deltoïde. — Enfin , dans quelques mammifères , tels que les équidés et les ruminants , le cléido-mastoïdien s'attache au sternum par une bande charnue complémentaire , que Meckel a considérée comme étant le sous-clavier des mammifères non claviculés. Cette détermination ne peut être admise, puisque le sous- clavier est évidemment représenté d’une autre manière chez tous les quadrupèdes dépourvus de clavicules ; par conséquent aussi, 1l faut regarder comme inexact le passage où Cuvier nie l'existence de ce muscle dans ces mêmes animaux. 3° Le slerno-mastoïdien est encore un muscle dont la dispo- 172 MÉMOIRES sition essentielle chez les mammifères, est toujours à peu près la même. Généralement il procède du sternum et va se terminer à l'apophyse mastoïde. Mais, dans certains quadru- pèdes, tels que les chevaux et quelques ruminants coureurs , il se fixe, en outre, au maxillaire inférieur , et on à cru devoir lui donner le nom de sterno-maæxillaire. De même aussi, lorsque, comme dans le mouton , il se termine sur la crête qui s'étend depuis l’apophyse mastoïde jusqu'à l’apophyse basilaire, on en a fait, sans plus de nécessité, un sterno-ba- silaire. Chez d'autres ruminants, dans le bœuf , par exemple, le sterno-mastoïdien, au lieu d'être simple, est formé de deux couches superposées, et chacune reproduit l'une des deux dispositions précédentes. Malgré leur évidence, ces analogies ont été méconnues : la bande superficielle où sterno- maxillaire à été attribuée au peaucier , et la bande profonde ou sterno-basilaire a été assimilée à l'omo-hyoidien. De ces deux erreurs, la seconde est encore plus grave que la première, puisque l’omo-hyoïdien est représenté dans un autre point chez tous les ruminants. Enfin , attendu que l’omo-hyoëdien se retrouve encore chez d’autres mammifères non claviculés , tels que les chevaux et le porc, il faut reconnaître qu'en disant que ce musele manque chez tous les mammifères non clavicu- lés , Cuvier a formulé une loi beaucoup trop absolue. DE L' ACADÉMIE DES SCIENCES. 173 1 DE L'INFLUENCE ATTRIBUÉE A SAINT PAUL SUR LA PHILOSOPHIE DE SÉNÈQUE ; Par M. GATIEN-ARNOULT, On a souvent dit qu'entre Sénèque et saint Paul il y eut des relations personnelles et un commerce épistolaire, et que leurs ouvrages présentent plusieurs ressemblances pour la doc- trine et pour le langage. On en a conclu que le Philosophe subit l'influence de l’Apôtre, ou que saint Paul fit de Sénèque presque un chrétien. Cette opinion, qui date de loin, a été soutenue récemment par M. Troplong, dans un Mémoire intitulé, De l'Influence du Christianisme sur le Droit civil des Romains , lu à l'Aca- démie des Sciences morales et politiques, et inséré dans le tome quatrième du Recueil de ces Mémoires , publié en 1844. Plus récemment encore, M. Amédée Fleury l’a développée dans un ouvrage en deux volumes, publié en 1853, sous le titre de Saint Paul et Sénèque ; Recherches sur les rapports du Philosophe avec l'Apôtre et sur l'infiltration du Christianisme naissant à travers le Paganisme. Je ne parle pas des autres. Cette question a de l'importance par elle-même; car Sé- nèque joue un rôle assez considérable à plusieurs titres pour qu'il soit intéressant de l’étudier et de le connaître. Mais elle en a une plus grande par son rapport à la question générale de l'influence du Christianisme sur la philosophie romaine, 3° S.— TOME II. 12 174 | MÉMOIRES et, par suite, sur l'esprit humain dans presque tout le monde. Je ne m'occuperai pourtant que de la question particulière ; et même, sur les quatre parties dont elle se compose, et que jai indiquées, j'omettrai tout-à-fait la quatrième (ressem- blances de langage); je ne dirai que quelques mots sur la première et la seconde (relations personnelles , commerce épistolaire ); j'insisterai seulement sur la troisième ( res- semblances de doctrine ). A vrai dire, ces ressemblances sont la seule chose que je veuille examiner dans les pages que je vais avoir l'honneur de lire à l’Académie. Ce que je veux re- chercher, c'est, conformément au titre de ce Mémoire, si la philosophie de Sénèque subit l'influence du Christianisme par l'intermédiaire de saint Paul. S1*. Des relations personnelles entre Sénèque et saint Paul. Les Actes des Apôtres et les Lettres de saint Paul nous ap- prennent les faits suivants. 4° De l'an 52 à la fin de l'an 53, pendant dix-huit mois environ, saint Paul séjourna dans la ville de Corinthe, pré- chant l’évangile aux Juifs et aux Grecs, et affirmant aux Juifs que Jésus est le Christ. Ceux-ci le dénoncèrent à Gallion, proconsul de la province, en l’accusant d'introduire un culte contraire à la loi, et ils le conduisirent au tribunal. Mais, dès les premiers mots que saint Paul prononça pour sa dé- fense, le proconsul se tournant vers les accusateurs leur dit : «Si vous portiez plainte de quelque mauvaise action commise à votre préjudice, je vous écouterais; mais puis- » qu'il s’agit de discussions sur votre loi, sur vos livres et sur vos traditions, arrangez-vous ; je ne veux pas être juge en » de pareilles affaires.» Et il les renvoya (Act. Apost. xvur, 4,5, 12-16). Or ce Gallion, autrement nommé Novatus, était le frère ainé de Sénèque, qui lui a dédié, sous ce nom de Novatus, 2 L2 DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 175 son traité de Jr, et sous le nom de Gallion, ses opuscules de Remediis fortuitorum , et de Vità beatä. Sénèque parle aussi des fonctions publiques que ce frère avait exercées, et de sa résidence en Achaïe, dont Corinthe était la capitale (ad Helv. 16. Ep. 104 ). On conjecture que Gallion , dans sa correspondance avec son frère , l’entretint de saint Paul et de cet incident admi- nistratif. 2° En l'année 58, saint Paul était à Jérusalem, préchant comme toujours. Les Juifs le dénoncèrent encore au proconsul de la province, nommé Felix, puis à son successeur nommé Festus; et ils le firent comparaître à son tribunal. Mais saint Paul, croyant ce magistrat mal disposé à son égard, refusa d'être jugé par lui, et il en appela à l’empereur (Act. Apost. XXI-XXV ). Conformément à cet appel, il fut conduit à Rome, et remis, à son arrivée, par le centurion Julius, qui l'avait accom- pagné , aux mains du préfet du prétoire. Cet incident, omis par la Vulgate, est rapporté par la plupart des exemplaires grecs des Actes des Apôtres ( xxvir, 16 ). Or le préfet du prétoire était Burrhus, l’ami de Sénèque. On conjecture qu'il parla de Paul à celui-ci, lui inspira le désir de le voir, et lui en procura les moyens; ce qui était bien facile. 3° À Rome, saint Paul paraît avoir comparu devant l'em- pereur Néron, peu de temps après son arrivée, en l’année 59. On croit que c'est de cette comparution qu'il parle dans la seconde lettre à Timothée ( 1v, 16 ). On conjecture encore que Sénèque était présent à cette séance, soit comme grand personnage assistant l’empereur , soit comme spectateur. Peut-être avait-il été chargé de quel- que rôle dans l'instruction du procès. En tous cas, il n’était guère possible qu'il ne connüt pas cette affaire et qu'il n’eût pas eu quelques relations avec l'accusé. 4° Enfin saint Paul, quoique non condamné, paraît n’a- 176 MÉMOIRES voir pas été entièrement absous , ni remis en pleine jouissance de sa liberté. Il dut rester à Rome, sinon prisonnier, au moins en des conditions qu'il ne serait peut-être pas mal de com- parer à ce qu'on appelle de nos jours une surveillance de la police. Cet état dura deux ans, pendant lesquels il ne cessa pas de travailler plus ou moins ostensiblement et activement à la prédication de l'évangile. Beaucoup de Romains, même ap- partenant à la cour et à la maison de l'empereur, allaient l'écouter. Et l’on conjecture, une dernière fois, que Sénèque fut du nombre. Sans doute, les relations personnelles entre Sénèque et saint Paul, qui s'appuient sur ces conjectures, n'ont pas un caractère historique : aucun document ne les confirme; mais rien non plus ne les dément. Ces conjectures s'enchainent, et par cet enchaînement elles se soutiennent réciproquement ; elles sont naturelles , conformes à la marche des choses et au caractère des personnes. La tradition les atteste; 1l est impos- sible de les dire improbables. $ 2. Du commerce épistolaire entre Sénéque et saint Paul. Nous avons un recueil de quatorze lettres écrites en latin, dont huit sont attribuées à Sénèque écrivant à saint Paul , et six attribuées à saint Paul répondant à Sénèque. Nous ne pensons pas que personne aujourd'hui les répute authenti- ques; c’est une œuvre tout apocryphe, non moins indigne pour le fond que pour la forme de ceux à qui on l'attribue. I paraît ( quoique plusieurs aient cru le contraire ) que ce recueil est différent d’un autre plus ancien que citent saint Augustin et saint Jérôme; mais l’authenticité de celui-ci était déjà révoquée en doute au temps de ces écrivains : et nous pensons qu'il n'était pas moins apocryphe que celui qui l'a remplacé : double fausseté littéraire, dont la plus moderne est peut-être du 1x° siècle. I nous est impossible d'y trouver la moindre probabilité. DE L' ACADÉMIE DES SCIENCES. 17 “1 S 3. Des ressemblances de doctrine entre Sénèque et saint Paul. Les ressemblances signalées par le premier des auteurs que nous avons nommés sont au nombre de six. Le second en signale un beaucoup plus grand nombre : à vrai dire, 1l n'est presque aucun point de doctrine où il ne trouve de la res- semblance. Je ne m'occuperai que de quelques points prin- cipaux ; on pourra par eux juger de tous les autres. Deux questions sont à examiner. Premièrement, les res- semblances de doctrine que l’on signale sont-elles vraies ? C'est par là qu'il faut commencer : car si les ressemblances sont chimériques, tout est dit. Secondement, sur les ressem- blances reconnues vraies, quelle en est la cause; faut-il les expliquer par l'influence de l'apôtre chrétien sur le philo- sophe païen, ou d'une autre manière ? C'est la grande question. Je déclare immédiatement qu'après avoir examiné ces deux questions avec soin, et sans jamais cesser d'avoir les textes en main, j'ai reconnu que plusieurs ressemblances sont tout- à-fait chimériques; d’autres, fort contestables; et que celles qui sont vraies ne supposent nullement l'influence de l’apôtre sur le philosophe. J'ajoute qu'à côté de ces ressemblances sont de grandes dis- semblances qui séparent profondément et radicalement Sénèque de saint Paul, et qui laissent au premier son caractère exclu- sivement romain et païen, sans aucun mélange de Christia- nisme. Ce que je vais lire n’est qu'une partie des preuves qui dé- montrent celte proposition. Je commence par quelques exemples de ressemblances chi- mériques. [. La première, bien digne d'attention, se rapporte à I doctrine religieuse, au dogme de la Trinité. On ditque «ce » dogme principal du Christianisme a été expressément énoncé 178 MÉMOIRES » par Sénèque; » et l'on donne pour preuve un passage de sa Consolation à Helvia, que l'on cite ainsi : Quisquis for- mator universi fuit, sive ille Deus est potens omnium , sive in- corporalis ratio , angentium operum artifex, sive divinus spi- rilus per omnia, maxima ac minima, œæquali intentione diffusus.. On iraduit de cette manière : «Le créateur de » l'univers, quel qu'il soit, qu'on l'appelle Dieu Tout-Puissant, » ou Verbe incorporel, cause productrice de tant de merveilles, » où Esprit divin, répandu dans tous les êtres, grands et pe- » tits...» et l’on voit là le Père Tout-Puissant, le Füs, Verbe ou Logos, et le Saint-Esprit. Cest bien la Trinité. Cette ressemblance est signalée par M. Fleury (1, p. 96); elle l'avait été précédemment par l'évêque Huet. Il paraît qu'elle a été contestée par un recteur de l’Académie de Dresde, vers le milieu du dernier siècle; je ne connais pas son opus- cule ( de Trinitate Senecæ ). Mais je trouve d'abord deux re- marques à faire, et elles dispensent de toutes les autres : le texte cité est tronqué, et il est mal traduit. Dans le texte cité, après les mots qu’on a rapportés fidè- lement, se lisent ceux-ci, qui terminent la phrase : sive fatum et immutabilis cœusarum inter se cohærentium series , id actum est... La phrase entière signifie : «Cela, veuille » m'en croire, à élé fait par l’ordonnateur de l'univers, » quel qu'il soit: Dieu tout-puissant; ou raison incorpo- » relle, grande ouvrière et artiste; ou souffle divin, ré- » pandu avec la même intensité dans tous les êtres, les plus » petits comme les plus grands; ou destin et série Immuable » des causes enchaînées les unes aux autres...» Pour voir ici rien qui ressemble au dogme de la Trinité, ne faut-il pas être bien décidé à le voir partout ? Sénèque, pour consoler Helvia, sa mère, qui s’afilige de son exil en Corse, lui dit qu'en tous lieux nous trouvons les deux choses les plus belles et les meilleures; la nature ou le monde, et notre âme avec sa vertu L'auteur de l'univers, ajoute-t-il, a voulu qu'il en soit ainsi pour que nous ne dé- pendions d'autrui que dans les choses de nulle importance ; nn en dnine ÉSE St nee. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 179 et, à cette occasion, rappelant les principales opinions émises sur cet auteur de l'univers, dont les uns disent que c'est un Dieu tout-puissant, d’autres une pure Raison, d’autres encore un Souflle, et le Destin, loi des choses, enchaînement néces- saire des causes et des effets, il affirme que sa pensée est éga- lement vraie en tous ces systèmes. On voit combien nous sommes loin de la Trinité ; et cela est si évident, que j'aurais presque honte d’insister davantage. de ferai seulement une remarque sur la grande préoccupa- tion de l’auteur de ce rapprochement, qui se montre encore ailleurs disposé à trouver que Sénèque énonce souvent l’une ou l’autre des personnes divines. Par exemple, quand ce phi- losophe nomme une première cause de qui tout dépend, prima omnium causa ex qua cœæteræ perdent, l'annotateur veut que ce mot désigne le Père; une raison qui produit les différentes choses , une raison divine qui préside à tout, ratio varia opera producens , divina ratio omnibus præposita , c’est le Verbe, le Logos ou le Fils; un souffle répandu partout, animant tout, spirilus per omnia diffusus, c'est Le Saint-Esprit. Mais, à ce titre, Virgile aussi aurait parlé du Saint-Esprit, quand il dit : Cœlum ac terras, camposque liquentes, Lucentemque globum lunæ, titaniaque astra Spiritus intus alit : Cicéron aurait proclamé le Verbe et le Logos, quand il nomme la loi de vérité et de justice, ratio recta summi Jovis : Horace aurait confessé le Père, quand il chante le Tout-Puissant qui fait trembler les rois, comme les rois font trembler leurs sujets : Regqum timendorum in proprios greges , Reges in ipsos impe- rium est Jovis Cuncta supercilio moventis. On ne doit pas s'arrêter plus longtemps à réfuter de telles assimilations ; il suffit de les citer. : IL. Le même auteur ne juge pas «trop téméraire d'avancer » qu'on trouve dans Sénèque la notion du purgatoire et Vi- » mage peu déguisée du paradis chrétien.» (Id. p. 114-15.) Commençant par le Purgatoire, je reconnais bien volontiers, car c'est vrai, que le mot expurgari est employé par Sénèque 180 MÉMOIRES pour désigner une opération qui a lieu dans les âmes après la mort, avant de monter au ciel. Mais il faut voir ce mot dans le système psychologique auquel il appartient, et ne pas l'isoler du passage où on le lit. Je vais entrer dans quelques détails et rappeler quelques faits, parce qu'ils serviront à comprendre la valeur d’autres rapprochements. Tous les anciens , Romains et Grecs, distinguaient quatre éléments : la terre, l'eau, l'air, le feu. Ils regardaient les deux premiers comme grossiers et terrestres; les deux der- niers comme subtils et célestes. Mais ils ajoutaient que ceux-ci, dans nos régions sublunaires, par le fait de leur contact et de leur mélange avec ceux-là, prennent quelque chose de grossier et de terrestre. L'âme humaine, suivant la plupart d’entre eux, n’est for- mée d'aucun élément grossier, c’est-à-dire, ni de terre , mi d'eau; elle est d'air ou de feu, ou plutôt d'air et de feu; c'est un air enflammé, un feu qui souffle, un souffle igné spiritus igneus. Mais enfermée, comme elle l’est, dans le corps, en contact avec les autres éléments grossiers de ce corps, et par lui avec tous les éléments grossiers du monde, elle en contracte des souillures plus ou moins fortes qui la font gros- sière, lourde, avilie et enlaidie. A la mort, les obstacles qui la retiennent dans le corps étant brisés, l’âme monte naturellement vers les régions supérieures, comme tout air et tout feu. Mais elle monte d'autant plus lente- ment et plus difficilement, qu’elle a été plus alourdie et plus souillée. En tout cas, elle doit nécessairement séjourner pendant quelque temps dans la région immédiatement au-dessus de la terre; c’est là qu'elle fait sa purification ou se purge, qu'elle fait sa purgation ou son purgatoire, expurgatur , Jusqu'à ce qu'elle ait été nettoyée de toutes les saletés, de toutes les ta- ches et de toutes les moisissures inévitablement contractées pendant la vie mortelle : supra nos commoratus , dum expur- gatur et inhærentia vitia situmque omnis mortalis ævi exeutit ( ad Marc. 25 ). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 181 Voilà le Purgatoire de Sénèque. Je ne pense pas qu'après celte simple exposition, l'on per- siste à dire qu'il est le même que le Purgatoire chrétien ( qui d'ailleurs ne paraît pas avoir été nettement formulé dans les premiers siècles de l'Église , et dont il n’est pas question dans saint Paul ). Si l'on persistait pourtant à soutenir la ressemblance, Je ferais remarquer que ce Purgatoire était paien romain avant d'être chrétien; car il est contenu dans une des preuves que Cicéron donne de l’immortalité de l'âme (Tuscul. 1, 17-19 ). Sénèque ne fait que le développer. Au sujet de ce Purgatoire, on peut dire que, chez les Ro- mains, il y avait deux opinions générales. La première était celle du peuple, de la théologie des prêtres et des poëtes, que Varron nommait la théologie mythique. C’est l'opinion que Virgile exprime dans les vers où 1l représente les âmes ex- piant, par différents supplices, les fautes qu'elles ont com- mises pendant la vie; Exercentur pœnis veterumque malorum Supplicia expendunt , ete. ( Æneiïd. VI, 735-43) : la seconde était celle des philosophes ou de la théologie naturelle, comme Varron l’appelait encore; c'était celle de Cicéron et de Sénè- que, expliquant ce Purgatoire par la nature même de l'âme. Le Purgatoire chrétien ressemble à celui du peuple païen de Rome, non pas à celui des philosophes. Le premier était plus moral, selon les lois de la justice et le code pénal de Dieu; le second était plus physique, selon les lois de la nature des choses et les évolutions des éléments. Toutefois le Purgatoire des philosophes se rapprochait de celui du peuple, des poëtes et des prêtres , en ce qu'il était aussi proportionnel à la conduite tenue pendant la vie. Car les âmes des méchants, plus adonnées au corps, abimées en lui, ses servantes et ses esclaves, en contractent plus de souillures, dont elles ont aussi plus de peine à se purger. Au contraire, les âmes des hommes ver- tueux, déjà dégagées du corps pendant la vie, affranchies de son empire, indépendantes, libres et pures, n’ont presque 182 MÉMOIRES pas besoin de se purifier ou purger; elles ne font guère que traverser le Purgatoire sans y séjourner, et montent plus droit au ciel. Le Ciel de Sénèque, reprend M. Fleury, est «une image » peu déguisée du concert des anges et des saints du paradis » chrétien. » Et 1l donne pour preuve ce même passage où Sénèque montre l'âme, purgée dans la région au-dessus de la terre, montant vers les régions supérieures, séjour des âmes heureuses, où elle est reçue par l'assemblée sainte des Sci- pions et des Catons, nobles contempteurs de la vie, libres par le bienfait de la mort : Deinde ad excelsa sublatus, inter felices curril animas, excipitque illum cœtus sacer, Scipiones Ca- lonesque, ulique contemptores vitæ, et mortis beneficio liberi (1d.). Je n'ai qu'à répéter la remarque précédente. J'ajouterai que ces âmes heureuses, au milieu desquelles Sénèque fait courir l’âme humaine sortie du Purgatoire, tnter felices currit animas, et que M. Fleury assimile aux anges du Paradis chrétien, sont, dans le système du philosophe ro- main, les astres qui brillent au ciel, âmes d'air et de feu comme les nôtres. D'où vient que Cicéron, dont Sénèque est le continuateur, dans le passage déjà cité, nous dit que » l'âme, arrivée en ces régions sublimes, dans un milieu » semblable à elle-même, se nourrit et s’alimente des mêmes » choses que les astres : » Æaque ei demum naturals est sedes, cum ad sui simile penetravit , in quo nulia re egens aletur et sustentabitur üisdem rebus quibus astra sustentantur et alun- tur (A4. ). Quel chrétien peut voir là le Paradis ? J'omets ici toutes les ressemblances, faisant suite à celle-ci, que l'on signale entre les idées de Sénèque et la doctrine chrétienne sur l'Etat des âmes en cette autre vie, dans le ciel ; sur la Fin du monde ; sur la Résurrection universelle, et même sur le Jugement dernier (M. Fleury, id. 117, 120, 124). En somme, sur la première question, Sénèque ne fait que répéter Cicéron : Cremutius Cordus, en sa Prosopopée, dit à " Ü DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 185 sa fille Marcia ce que Scipion l’ancien dit à Scipion le jeune, en son célèbre Songe : sur la seconde, il admet l'opinion des Stoïciens, des Druides et d’une foule d'autres : sur la troi- sième et la quatrième, on confond ce qui regarde la conti- nuité de la vie pour chaque homme au delà du tombeau et le jugement que la mort porte sur notre vie, avec des pensées de résurrection universelle et de jugement dernier, dont on ne voit aucune trace dans Sénèque. HT. En harmonie avec ces ressemblances imaginaires dans la doctrine sur l’état futur de l'âme , on en signale une non moins chimérique sur son Origine. « N'oublions pas surtout, » nous dit-on, cette saisissante inspiration sur l’origine de » l'âme ; mens, si primam ejus originem adspexeris , non est ex » terreño gravique concreta corpore ; ex lo spiritu cælesti des- » cendit.» Ce que l’on traduit : «D'où provient originaire- ment l'âme humaine ? Elle n’a certes rien de commun avec la matière, elle n’est point une concrétion de chair et de » boue. Non, c’est de l'esprit céleste qu'elle procède. » (Traduction un peu amplificative ! ) Puis on continue : «Si » nous nous avisions d'affirmer pour un moment que cette » dernière phrase appartient à quelqu'un de nos casuistes les plus en renom dans l'Eglise, ou à quelque commentaire ca- nonique des livres saints, il n’y à personne qui ne s'y laissât prendre. » (M. Fleury, id. p. 99.) Sy laisser prendre ? peut-être. Mais alors ce serait une grande surprise. Je répète qu'il faut voir cette phrase dans le système psy- chologique de Sénèque, et particulièrement ici dans le pas- sage dont on l'extrait. Ce passage est dans la Consolation à Helvia, 6. Sénèque veut consoler sa mère qui se désole de le voir transporté en d’autres lieux par l'exil. H lui dit que le changement de lieu n'a rien de pénible en lui-même; que plusieurs s'en font, au contraire, un plaisir; que c’est là un effet de notre amour général du changement et de la nature inquiète el remuante de notre âme, qui ne se fixe jamais, > C2 C4 C2 184 MÉMOIRES qui se répand, qui éparpille ses pensées vers Le connu et vers l'inconnu , vagabonde , impatiente du repos , désireuse de la nouveauté et en faisant ses délices. C'est là qu'il ajoute : «Tu ne t'en élonneras pas, si tu considères sa première ori- » gine; car elle n'est pas formée d’un élément terrestre et » grossier ; elle descend de l'air céleste. Or les choses cé- » lestes sont toujours en mouvement; elles fuient et courent » très-rapidement. Vois les astres qui éclairent le monde ; » aucun d'eux n'est immobile ; il marche perpétuellement » et passe sans cesse d'un lieu dans un autre... Va donc, » et crois maintenant que l'âme humaine, qui est formée » des mêmes éléments que ces êtres divins, supporte avec » peine les passages et les émigrations d’un lieu dans un » autre. » Cœlestium autem natura semper in motu est : fugit et velocissimo cursu agitur. Adspice sidera mundum illustran- ha : nullum eorum perstat ; labitur assiduè et locum ex loco mutat.. L nunc el animum humanum ex tisdem quibus divina constant compositum seminibus moleste ferre puta transitum et migrationem . Cette citation doit paraître une réfutation suffisante. On voit d’ailleurs que Sénèque est fidèle au système psy- chologique dont nous venons de parler , et qui était le sien en même temps que celui de la plupart des philosophes romains avant lui. Horace, le poëte, se plaignait aussi de l'homme grossier qui alourdit l'âme par ses débauches et cloue à la terre cette parcelle du souffle divin : Atque affigit humo divineæ particulam auræ (Sat. 1, 2). Nous pourrions dire que ce vers ressemble à une parole chrétienne; mais il ne faudrait pas s’y laisser prendre. Sur toutes les ressemblances de ce genre ( j’omets les autres qu'on signale en grand nombre), il faut dire qu'elles sont souvent trompeuses, comme ici; et quand elles sont vraies, qu'elles ne tiennent point à l'influence chrétienne. On les trouve chez une foule de philosophes avant le Christianisme. En Grèce et à Rome, Sénèque trouvait bien des prédéces- seurs. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 185 JV. Revenant à la doctrine sur Dieu, nous voyons que M. Troplong signale deux ressemblances. Il trouve d’abord que Sénèque parle de la providence comme un chrétien (Mém. cité, p. 335). Ce rapprochement ne manque pas de vérité ; et nous répéterons bien volontiers avec celui qui le propose, | que « Sénèque à fait un beau livre sur la Providence. » Mais quand M. Troplong, répétant M. de Maistre sans le nommer, ajoute que la Providence « n'avait pas encore de nom à Rome, » du temps de Cicéron , » il affirme un fait non véritable : et quand il en conclut, sinon explicitement, au moins impli- citement, que l’idée de Providence n'existait pas dans l'intel- ligence romaine au temps de Cicéron, qu'elle y est venue au temps de Sénèque, et que Sénèque l’a due à l'influence du Christianisme et à ses relations avec saint Paul, il tombe et il entraîne avec lui dans une grande erreur. En fait , voici ce qui est vrai. Longtemps avant Cicéron, les Grecs avaient le mot toovoux, qui était pour ainsi dire sacra- mentel dans l’école stoicienne. Cicéron le traduit expressément par le mot providentia , et il fait observer que toutes les fois qu'on dit providentia en latin, il faut sous-entendre après le mot deorum ; Providence étant la même chose que Providence divine : Ut si quis dicat Atheniensium rempublicam Concilio regi, desit illud , Areopagi ; sic, cum dicimus Providentia mundum administrari , deesse arbitrator Deorum (de Nat. deor. IF, 29; 1, 8). Donc, continuerai-je , la Providence avait un nom à Rome, du temps de Cicéron. Donc l’idée de Providence existait alors dans l'intelligence romaine. Donc elle est antérieure à Sénèque et au Christianisme. Donc... Au temps de Cicéron, les philosophes romains discutaient même la question si les actions libres des hommes sont l’ob- jet de la prévoyance ou prescience divine , et comment elles entrent dans le système de la Providence. Il suffit de renvoyer aux traités de Natura deorum et de Fato. La preuve que les Romains , peuple et savants, croyaient à la Providence, est d’ailleurs partout. Ce que Sénèque a fait dans l'ouvrage qu'on cite , c’est de développer la réponse à la 186 MÉMOIRES question , Comment les maux des hommes de bien sont-ils compatibles avec la Providence divine? Quare bonis viris mala accidant quum sit Providentia ? Cette réponse est plus développée et plus nette que celle de ses prédécesseurs ; mais elle ne contient rien de nouveau, et ne paraît nullement inspirée de saint Paul. Dieu qui éprouve l'homme de bien par le malheur ; le malheur qui est une occasion de vertu, et les autres pensées de ce genre étaient depuis longtemps grecques et romaines. V. M. Troplong dit encore que « Sénèque parle de Dieu » avec le langage d'un chrétien ; car il l'appelle notre Pere , » comme (ans l'Oraison dominicale. » (/d.). De Maistre avait fait aussi ce rapprochement, et il est parfaitement exact : car Sénèque dit en parlant de Dieu, à l'endroit cité; Quidquid nobis bono fulurum erat Deus et parens noster à proæimo posuit (Ep. 110 ) : «Dieu, qui est aussi notre Père , a placé près de » nous tout ce qui peut nous être utile. » Mais M. Troplong reconnait lui-même que Cicéron en avait dit autant. Non-seulement il faut nommer Cicéron, mais aussi Platon, que Cicéron traduit : {luwm quidem quasi parentem hujus universitatis invenire difficile, et quum jam inveneris, indi- care in vulqus nefas (de Universo ) : et Cléanthe le stoïcien, dans le m° siècle avant Jésus-Christ, que Sénèque traduit, disant à Dieu : Duc me , parens celsique dominator po, quo- cumque placuit (Ep. 107 ); «Père , qui dominez au haut du » ciel, conduisez-moi partout où vous voudrez;» et pour ainsi dire tous les philosophes, tous les poëtes et avec eux tout le monde. Car Zevs marne, Jupiter, pater hominum, pater noster, parens noster, est un mot vraiment catholique, dans le sens étymologique d’universel. Sénèque n'avait pas besoin d'enten- dre l'Oraison dominicale pour le connaître. Ces deux ressemblances appartiennent, comme on voit, à la classe de celles qui sont vraies; mais que l’on explique mal ou dont on tire une fausse conclusion. Toutes celles dont je vais parler maintenant ont ce caractère , et je les prends ex- clusivement dans la doctrine morale. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 187 (J'omets donc ce que l’on dit sur la manière étoquente dont Sénèque parle de Dieu, se révélant dans les magnilicences de l'univers ; — sur quelques expressions qu'il emploie en par- lant de la formation du monde ; —sur le doute qu’il exprime touchant l'éternité de la matière dont ce monde est formé. On y signale, soit un écho des chants de David, répétés par saint Paul, Cœli enarrant gloriam Dei; soit une imitation de la Genèse ; soit un effet de l’enseignement de saint Paul sur la création. Je ne m'y arrête pas, d'abord parce que ces rappro- chements sont trop forcés pour ne pas être faux ; aussi parce que les pensées dont il s’agit sont trop dans le courant romain pour qu'on doive en chercher l'origine ailleurs; enfin , parce qu'il est plus que douteux que des questions d'école, telles que celles de l'éternité de la matière et de la formation du monde, aient beaucoup occupé l’apôtre des Gentils. Sa mission lui semblait bien avoir un autre but. ) En thèse générale , il est bien vrai que la morale de Séné- que ou sa doctrine philosophique sur les devoirs a de très- nombreuses et très-frappantes ressemblances avec la doctrine chrétienne. Je ne pense pas que le contraire soit dit par aucun de ceux qui connaissent Sénèque et les Epitres de saint Paul et les Evangiles. Mais quand on affirme que ces ressemblances sont un effet des relations du philosophe avec l’apôtre ou avec ses ouvrages et ceux de ses collègues dans l’apostolat chrétien, quand on affirme qu’elles sont un résultat de l'influence du Christianisme sur les Romains, il est bien à craindre qu'on ne raisonne légèrement. Beaucoup d’autres causes peuvent être assignées; et je vois ici bien des applications possibles du sophisme que l'Ecole appelle le non cause pour cause. Je ne ferai pourtant qu'une seule observation qui deviendra aussi ma seule règle de critique; mais critique irréfutable et infaillible, je crois. S'il n'est pas improbable que Sénèque ait eu des relations avec saint Paul et qu'il ait connu ses lettres, il est certain 188 MÉMOIRES qu'il était l'élève des philosophes romains et grecs ses prédé- cesseurs, et qu'il s'était nourri de la lecture de leurs ouvrages. Si donc, sur les mêmes points de doctrine où Sénèque se ren- contre avec saint Paul, il se rencontre aussi avec ces philoso- phes, la logique fait une loi de conclure qu'il subit l'influence de ses maîtres, hommes de sa nation et de son monde, ses familiers et ses intimes depuis sa naissance, plutôt que celle d'un étranger, une connaissance fortuite et superficielle des derniers Jours. Ainsi la comparaison doit être double, avec saint Paul et avec les autres philosophes antérieurs. Je n'ai point l'inten- tion de la suivre en tous ses détails; ce travail serait long et inutile : il doit suffire de l'indiquer pour les points principaux, où l'on croit voir spécialement le caractère chrétien. VL. Tel est d'abord l'amour de Dieu. «Les anciens n'avaient » guère compris la religion que par la crainte, » nous dit-on ; mais Sénèque «répudie hautement un mobile aussi étroit et le » remplace par l'Amour de Dieu. » (M. Fleury, 1, p.91.) —«Il » enseigne que Dieu doit être honoré et aimé. » ( M. Troplong, page 335.) Cette assertion, en ce qui concerne Sénèque, est vraie (1) ; mais elle ne l'est pas en ce qui concerne les anciens. Il n’est pas vrai qu'ils n'aient compris la religion que par la crainte, et que l'Amour leur ait été inconnu. Je ne veux en donner qu'une preuve. De même que le sentiment de la crainte de Dieu se déduit (4) On pourrait même dire , en S'appuyant sur les passages cités, que ce philosophe repousse absolument la crainte de Dieu; ce qui serait un senti- ment ultra-chrétien : car le christianisme veut aussi que l’on craigne Dieu , tout en l’aimant. Paul recommandait aux Romains de ne pas amasser contre eux des trésors de colère pour le jour du jugement : Thesaurizas tibi iram in die iræ et revelationis justi judieii Dei (ad Rom. 11, 5). Sénèque dit qu'aucun homme sensé ne craint les dieux : deos nemo sanus timet (de Benef. iv, 19); et que craindre les dieux, qu’on doit aimer, est l'erreur et la folie de la su- perstition : superstitio error insanus est ; amandos timet (Ep. 123). I suffit à Dieu d’être honoré et aimé ,.… Deo satis est, qui colitur et amatur (Ep. 417). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 189 naturellement de sa puissance , ainsi le sentiment d'Amour se déduit de sa bonté. Or les Romains croyaient si bien en Ja bonté de Dieu, que leur formule, pour ainsi dire sacramen- telle, était le Deus optimus maximus, que nous leur avons emprunté. Et Cicéron faisait remarquer que ce n'était pas sans raison qu'on disait optimus , le très-bon , avant maximus , le très-puissant : ef quidem ante oprimus à est beneficentissimus quam MAXIMUS : quia majus est certeque gratius prodesse omni- bus quam opes magnas habere ( de Nat. Deor. IT, 25). Ils en eoncluaient qu'il faut aimer les dieux plus que les craindre. Les Grecs pensaient de même ; eux qui avaient consacré spécialement un temple au Bon Dieu, @e0s «yalos, dans le voi- sinage de Mégalopolis ( Pausanias VIII, 36); et Platon avait insisté sur cet attribut de Dieu, qui impose aux hommes le devoir de la reconnaissance et de l'Amour. VIT. L'amour du prochain est également signalé dans Sénè- que , et rapporté à l'influence du Christianisme, comme si les anciens ne l’eussent pas connu. Cependant l'Amour du prochain leur était si peu inconnu, que Varron, cité par saint Augustin, comptait douze sectes de philosophes qui enseignaient que le souverain Bien n’est pas de vivre pour soi, mais pour les autres, en voulant pour eux ce qu'on veut pour soi-même, et en désirant leur bien comme on désire le sien propre : Qui agit propter socium , cui debet hoc velle quod sir... Qui non solum propter se sic vel sic philo- sophandum esse decernunt , sed etiam propter alios quorum bonum appetunt sicut suum (De Civit. Dei, XIX, 1). Cicéron parlait du devoir, en harmonie avec nos disposi- tions naturelles, d'être bon envers tous nos semblables; de regarder comme nous arrivant tout ce qui arrive aux hom- mes, suivant le mot du poëte , Z/omo sum, humani nihil a me alienum puto; et d'élever notre âme à ce sentiment qui parait impossible à quelques-uns ; Aimer un autre autant que soi- même : Quod quibusdam incredibile videtur , ut nihidlo sese plus quam alterum diligat ( De Legib. 1, 12). D°S.— TOME HI. 13 190 MÉMOIRES VHI. A cet amour du prochain se rattache le sentiment d'une parenté naturelle entre tous les hommes , que l’on montre aussi dans Sénèque, comme «touchant presque à la fraternité » «universelle des disciples du Christ» (M. Troplong, p. 336). Et l'on ajoute que «les païens n'ont connu ni le nom, ni la » chose ; »et que « Sénèque est le premier qui semble en avoir » eu quelque soupçon» (M. Fleury, p. 65). Cependant n'est-il pas impossible de ne pas reconnaître que rien n'est plus commun chez les auteurs que les mots de societas hominum , conjunctio hominum , cognatio , universi ge- neris humani socielas? Cicéron , dans le de Officüis (I, 16, 47), montre la société des hommes ayant plusieurs degrés, en des- cendant : le genre humain, la nation, la cité, la famille. Dans le de Legibus (1, 10), il base cette société sur l'égalité naturelle des hommes, qui ont tous les mêmes facultés; même raison , mêmes sens, mêmes organes, mêmes passions, même puissance de la parole, et aussi mêmes tendances aux vices. Varron, encore cité par saint Augustin ( Id. 3), mention- nait une grande école philosophique qui faisait consister le souverain Bien dans la vertu sociale, c'est-à-dire dans la dis- position à aimer les autres comme nous-mêmes et à vouloir leur bien comme le nôtre, soit qu'ils soient membres de notre famille, nos parents; ou membres de notre cité, nos conci- toyens; ou membres de la grande famille humaine. Ils com- prenaient même en cette société les Dieux, que nous appelons plus proprement les Anges, ajoute saint Augustin. Ainsi la Parenté naturelle des hommes était connue des païens, chose et nom; et bien d'autres avant Sénèque en avaient eu non-seulement le soupçon, mais la notion bien claire et bien distincte. IX. À l'idée de la parenté naturelle des hommes , se rattache ensuite le sentiment de l'injustice naturelle de l'esclavage; et Sénèque est montré comme l'ayant éprouvé vivement et haute- ment exprimé sous l'influence de la doctrine chrétiene de saint Paul (M. Troplong, id.; M. Fleury , p. 66). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 191 C'est là une bien grande question. Car il s'agit en même temps de savoir si saint Paul et le Christianisme primitif ont condamné l'esclavage comme injuste; si Sénèque le signale comme tel ; et si ce qu'il proclame était nouveau à Rome. Mais je ne prends que ce dernier point, et je n’en dis que quelques mots. J'emprunte le premier à Horace, fils d'un affranchi, $a- dressant à Mécène : «Toi, lui dit-il, homme vraiment sage , » {u nignores pas que la gloire traîne pêle-méle enchainés à » son char radieux , et nobles et roturiers; —Tu sais qu'avant » Servius Tullius, l’esclave devenu roi, bien d’autres hom- » mes , sans aieux, se sont élevés par leurs mérites aux digni- » tés les plus hautes, tandis qu’un Lévinus, le descendant. de » Valérius Publicola, qui chassa le superbe Tarquin , n’est pas seulement estimé un sou :— Tu soutiens qu'il n'importe » pas de qui l'on est fils, pourvu qu'on soit honnête : — Ty mets de la différence entre les hommes , non par l'illustration de leur famille , mais par leur conduite et la pureté de leurs » sentiments »( Satyr. [, 6). Ces vers du poëte latin, qui rappellent si bien ceux d’un autre poëte français, au xvin° siècle. prouvent que Ja thèse de l’Egalité naturelle des hommes, que nous avons vue aussi , dans Cicéron, donnée comme preuve de leur parenté naturelle, était un lieu commun à Rome. Ce qui ne le prouve pas moins, ce sont les déclamations des rhéteurs dans leurs écoles, celles d'un Silius Bassus, d’un Al- butius, qui nous sont connus par les ouvrages du père de Sé- nèque. L'un disait : « Selon la nature, il n'y a ni homme libre, » ni esclave: ce sont des noms inventés par la fortune et im- » posés par elle. Après tout, ne sommes-nous pas d'anciens » esclaves ? Qu'était, je vous prie, le roi Servius?» ( Contr. IH, 21). — L'autre disait : « Si les hommes pouvaient choisir leur » condition , il n’y aurait ni plébéiens , ni pauvres, chacun se hâterait d'entrer dans une famille opulente. Mais, avant » notre naissance , le hasard est le maître , et dispose de nos » destinées. Nous n'avons quelque valeur qu'au moment où > > = y ÿ% 192 MÉMOIRES »_ nous commençons à être nous-mêmes. Qu'était-ce que Marius, » si nous ne voyons en lui que ses ancôtres ? un homme de » rien. Parmi tous ses consulats, que voyez-vous de plus illus- » tre? son mérite. Si Pompée avait dû sa grandeur aux figures » de cire de son atrium, personne ne l’eût appelé le grand » Pompée. Prends un noble quel qu'il soit , examine-le , re- » tourne-le, remonte à sa source: tu trouveras une basse » extraction. Et à quoi bon parler ici des particuliers ? Regarde » Rome elle-même : dans une si vaste enceinte , parmi tant de » palais, il n’y a rien de plus noble que l’humble cabane de » Romulus. Ce chaume efface par son éclat la splendeur du » Capitole. Accusez donc les Romains qui étalent leur bassesse, » au lieu de la dissimuler , et pour qui rien n’est grand , s'il » ne vient d'une faible origine» (Contr. 1, 6 ). J'ajoute que la philosophie grecque n'avait pas manqué de protestations contre l'esclavage. « Il en est, dit Aristote, qui » prétendent que le pouvoir du maitre est contre nature, que » la loi seule et non la nature met une différence entre l'homme » libre et l’esclave, et que l'esclavage est inique, puisque la » violence l'a produit » (Politic. 1, 2). Aristote lui-même le condamnait beaucoup plus qu’on ne dit, comme des docteurs chrétiens l’'approuvaient beaucoup plus qu'on ne croit. En tout cas, il est évident que Sénèque n'avait pas besoin de s'inspirer du Christianisme pour écrire les passages qu'on cite. La tradition philosophique d'Athènes et de Rome lui suffisait. X. Des devoirs envers Dieu et envers nos semblables, pas- sant aux devoirs envers nous-mêmes, on trouve que la morti- fication de la chair, Vabstinence et le jeûne sont des recom- mandations de Sénèque, et c’est au Christianisme qu'il les emprunte, dit-on (M. Fleury, 1, p. 40). Pour toute réponse, je rapporterai une anecdote de la jeunesse de Sénèque, racontée par lui-même. On était dans les premières années du règne de Tibère , vers l'an 20 après J.-C, et parmi les professeurs de philosophie qui enseignaient DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. | 195 à Rome et attiraient la foule à leurs leçons, brillait Sotion. Il aimait à déclamer contre la luxure , la gourmandise , les raffi- nements de la bonne chère et le luxe de la table; il prétendait que les hommes ont assez d’autres aliments sans recourir au sang et à la chair des animaux ; horrible nourriture , dont les effets sont également funestes au moral et au physique : car, au physique, elle est contraire à la santé ; au moral, elle ha- bitue à la cruauté. Il engageait ses auditeurs à quitter cette affreuse coutume, à dépouiller cette férocité. De quoi vous plaignez-vous? s’écriait-il : je ne vous ôte que la nourriture des lions et des vautours. Quod istic crudelitatis tucæ damnum est? Alimenta tibi leonum et vulturum eripio (Ep.108 ). Sénè- que fut du nombre de ceux que les raisonnements du profes- seur convainquirent, ou que son éloquence persuada. I re- nonÇça complétement à l'usage de la viande; et au bout de l'année, ce nouveau genre de nourriture, non-seulement ne lui coûtait aucune peine, mais encore lui était agréable : il trouvait que son esprit en devenait plus dispos : Non tantum facilis erat mihi consuetudo, sed dulcis, agiliorem mihi animum esse credebam (14.). Cependant il n'y persévéra pas; mais, par des raisons toutes politiques que fit valoir son père, et pour ne pas s’exposer à être poursuivi comme partisan de certaines sectes étrangères. En ce même temps, un autre célèbre professeur de philo- sophie, à Rome , Attale, dont Sénèque suivit aussi les lecons, déclamait de même contre la vie molle et efféminée. Il avait coutume de recommander l'usage des matelas bien durs , où le corps n'enfonce pas. Laudare solebat Attalus culcitam quæ resisteret corpori. Et je n'en ai pas encore d'autre, quoique vieux, disait Sénèque : Tali utor etiam senex (1. ). Ainsi jeüner, s'abstenir, se mortifier étaient les recom- mandations ordinaires de ces professeurs de morale qu'on nommerait bien les prédicateurs laïques du temps d’Auguste et de Tibère : ces recommandations étaient mises en pratique par leurs disciples et leurs auditeurs qui devenaient comme leurs adeptes ou leurs fidèles : et Sénèque, dans sa jeunesse, avant 194 MÉMOIRES loute prédication chrétienne , peut nous apparaitre comme un membre zélé et même le chef d'une société de tempé- rance , instituée pour protester et lutter contre un des grands vices du siècle. I précédait le Christianisme ; il ne le sui- vait pas. Je ne veux plus citer qu’un dernier trait, celui de l'Examen de conscience. XI. On regarde donc comme un précepte de morale em- prunté au Christianisme celui de l'examen de sa conscience , fait fréquemment, et même quotidiennement, afin de se per- fectionner (M. Fleury, 1, 108). Mais d’abord il n’est pas certain que cet exercice fût dès lors une pratique habituelle des chrétiens , recommandée par leurs prédicateurs. Je ne crois pas qu'il en soit question, ni directement, ni indirectement, dans les lettres de saint Paul. Ensuite Sénèque parle de cet exercice dans son traité de la Colère (HI, 36), qui fut écrit sous Caligula, ou peu après sa mort, vers l'année 40, c’est-à-dire, avant que saint Paul fût venu à Rome et qu'il eût écrit ses lettres. Sénèque parle de ce même exercice, comme ayant été familier au phi- losophe romain Sextius : Faciebat hoc Sextius ut, consum- mato die, cum se ad nocturnam quietem recepisset , interrogarel animum suum : Quod hodie malum tuum sanasti? Cui vilio obs- titisti ? Quà parte melior es ? « Sextius avait l'habitude, à la » fin du jour, avant de se livrer au repos de la nuit, d'inter- » roger son âme : De quel mal t’es-tu guérie aujourd'hui ? , Contre quel vice as-tu combattu ? En quoi es-tu devenue » meilleure ?» (Id. ) Or y il eut deux Sextius, le père et le ils, tous deux professeurs de philosophie à Rome, chefs d'une école qui portait leur nom, Sextiorum secta , sous Auguste et Tibère, c’està-dire, avant la naissance du Christ, ou peu après. De plus, Horace se montre lui-même comme se livrant de temps en temps à cet examen, PE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 195 ..….. Neque enim quum lectulus aut me Portieus excepit, desum mihi : — Rectius hoc est. — Hoc faciens vivam melius. — Sic dulcis amicis Occurram. — Hoc quidam non belle : numquid ego ill Imprudens olim faciam simile ? « Lorsque je suis seul dans le silence de ma chambre à cou- cher ou à l'ombre du portique, je ne fais point défaut à mon » propre tribunal. — Voilà le droit chemin. — En faisant » cela, ma conduite sera meilleure. — Par ceci je ferai plaisir » à mes amis. — Un tel a fait cette action, qui n’est pas belle : » est-ce que je serais capable d'en faire autant un jour?» Cela se lit dans la quatrième satyre du premier livre, que l'on dit avoir été publié l'an 36 avant J.-C. Enfin le germe an moins de cet exercice était contenu dans les préceptes ascé- tiques des Pythagoriciens, dont Nigidius Figulus, l'ami de Cicéron , ‘avait voulu rétablir l'école à Rome. Il est donc évident que ce précepte de morale était dans la tradition philosophique romaine, et que, pour le donner, Sénèque n'avait pas besoin de l’apprendre de saint Paul. 2 % Sur tous ces points que nous venons d'examiner, la con- clusion ne peut donc pas être douteuse. Ou les ressemblances de doctrine qu'on signale sont chimériques, et alors elles ne prouvent rien; ou elles sont vraies, mais ces points de doc- trine n'étaient pas nouveaux à Rome, ni dans le monde phi- losophique de l'antiquité, et alors ces ressemblances ne prouvent nullement que Sénèque ait subi l'influence du Chris- tianisme et de saint Paul. On conjecture sans peine , et j'affirme qu'il en est de même pour tous les autres points dont je ne parle pas. Mais, quelque importante que soit cette conclusion négative (il n’est pas prouvé que Sénèque ait subi l'influence du Chris- tianisme ), l'histoire ne doit pas s'en contenter; et 1l me semble qu'elle peut aussi en obtenir une autre, positive, en continuant la comparaison de Sénèque et de saint Paul, sous 196 MÉMOIRES un point de vue qu'on néglige trop. — Je veux parler de leurs oppositions ou dissemblances. ,: S 4. Des dissemblances de doctrine entre Sénèque et Saint Paul. Mon intention ést uniquement d'indiquer les principales , d'une manière très-rapide. On sait que, dans le Christianisme, trois choses sont essen- tielles ou fondamentales; les autres, quelque importance qu’elles puissent avoir d’ailleurs, ne sont qu'accessoires. Premièrement, 16 Christianisme est la proclamation d’un principe que nous pouvons nommer psychogonique, et qui se formule ainsi : Par un vice de sa naissance, ou par un défaut de son origine, ou par un péché originel, l’homme est déchu, devenu incapable, en son intelligence, de connaître le vrai, et incapable , en sa liberté, de pratiquer le bien. Secondement, le Christianisme est l’annonce d’un grand fait historique et mystique. Par Jésus, vivant, souffrant et mourant, l’homme est réhabilité, redevenu capable de con- naître le vrai au moyen de la révélation , et capable de prati- quer le bien au moyen de la grâce; c’est là la bonne nouvelle, qui est l'Evangile. Troisièmement , le Christianisme est l'inauguration d’un grand système de conduite politique, qui se résume en deux actes : le renversement de la religion établie, ou la destruc- tion de la religion d'État romaine, une véritable guerre à Jinfâme; et l'établissement d’une société de fraternité entre les disciples du Christ, ou la communauté chrétienne destinée à devenir catholique, c’est-à-dire universelle. Quiconque adoptait ces principes était chrétien ; mais aussi nul de ceux qui ne les adoptaient pas ne pouvait se dire ni être dit disciple du Christ. Cela ne se peut pas davantage aujourd'hui. Or, de quelque manière qu'on tourne et retourne les pa- roles et les pensées de Sénèque, on n'y trouve rien, absolu- DE L ACADÉMIE DES SCIENCES. 197 ment rien, qui se rapporte à ces principes : On y W'ouve, au contraire , les plus fortes oppositions. Ainsi , @ne première conséquence à tirer du péché originel , faisant déchoir l'intelligence humaine, était la déclaration de l'impossibilité de la science , la condamnation des efforts pour l'acquérir, le dédain de ce qu'on donnait pour elle, et la prise en pitié de l’orgueil des savants. Le Christianisme de- venait un scepticisme puisé à la source la plus haute ou ins- piré par des principes qu'on pourrait nommer transcen- dantaux. — Sénèque, quoique se plaignant quelquefois de la faiblesse de la raison humaine, impuissante à résoudre cer- taines questions, croyait à la science ; il l’aimait, il la tenait en grand honneur, il la cultivait avec une ardeur infati- gable ; il prenait en pitié ceux qui méprisaient les savants. Une seconde conséquence tirée du péché originel, faisant déchoir la liberté humaine, était la déclaration de l'impos- sibilité de la vertu sans un secours spécial, demandé par l'homme, accordé par Dieu. — Sénèque, quoique reconnais- sant les obstacles qui rendent la vertu difficile, ne la réputait pas impossible, au-dessus des forces naturelles de l'âme abandonnée à elle-même, dans la plénitude de sa liberté, sans aucun secours surnaturel venu du ciel ou de Dieu. Malgré quelques expressions isolées, dont il ne faut pas exagtrer la portée, il jugeait plutôt lâche et absurde de l'implorer. Son mot était vraiment celui-ci : Zn totum turpe est Deos fatigare. Quid votis opus est ? Fac te ipse. On a voulu trouver dans Sénèque des traits de l'Oraison Dominicale. Ce n’est certes pas lui qui aurait dit à Dieu : «Notre Père, ne me mets à l'épreuve, #e nos inducas in lenta- » tionem. Notre Père, délivre-moi du mal, libera nos à malo. » Au contraire, il demandait à être mis à l'épreuve, afin que l’on püt juger tout ce qu'il valait : il voulait avoir à lutter contre le mal , afin d'exercer, de développer et d'augmenter sa vertu. Ce sentiment est taxé d’orgueil, l’orgueil stoicien, soit : mais 198 MÉMOIRES rien n’est plus opposé à l'humilité chrétienne. C'était d’ailleurs un sentiment bien commun aux Romains. Horace l'exprimait aussi quand il disait : Satis est orare Jovem queæ dont et au- fert : Det vitam, det opes ; œquum mi animum ie parabo. «Il suffit de demander à Jupiter ce qu'il donne et ce qu'il ôte : » qu'il me donne la vie, qu'il me donne les biens de la terre : » je me procurerai moi-même les biens de l'âme» (Ep. 1,18). Le principe qu'un homme peut être élevé d'un rang infé- rieur à un supérieur, d'une imperfection à une perfection, par le travail et les mérites d’un autre que lui, Christ ou Messie d'une nature quelconque, ne recevait qu'une contradiction obstinée de la part de Sénèque, qui pensait de toute vertu, de toute sagesse ou de tout progrès ce qu'il disait de la phi- losophie : «Les dieux l'ont donnée en puissance à l'homme, » non en fait. Si nous naissions sages, la sagesse perdrait ce » qu'elle a de meilleur ; elle serait un don. Ce qui fait le prix » et la grandeur de la sagesse, c’est qu'elle ne nous est pas » donnée; c’est que chacun ne la doit qu'à lui-même et quil » ne la reçoit pas d'un autre. Où serait le mérite de la phi- » losophie si elle était une faveur gratuite (1) ?» On veut trouver dans Sénèque quelques traits de la passion et de la mort de Jésus. Ainsi Jean-Jacques en signale quel- ques-uns dans Platon. Chez le philosophe grec, ç'aurait été une sorte de prédiction : chez le philosophe romain, une allu- sion à ce qu'il avait entendu de la bouche de Paul, ou lu dans les évangélistes. Mais, en réalité, dans l'un et dans l’autre, ce n’est qu'un portrait de l'homme juste, souflrant et mourant pour la justice et la vérité, méritant par là de (4) Dii philosophiam.… nulli dederunt , facultatem omnibus. Nam si... pru- dentes nasceremur , sapientia quod in se optimum habet perdidisset , inter fortuita esset. Nune enim hoc in illà pretiosum atque magnificum est quod non obvenit, quod illam sibi quisque debet, quod non ab alio petitur. Quid haberes quod in philosophia suspiceres , si beneficiaria res esset? (Ep. 90). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 195 monter au ciel comme un fils de Dieu. C'est un tableau poé- tique à mettre à côté de celui d'Horace ; Justum ac tenacem proposihi virum , etc. Hac arte Pollux et vaqus Hercules Enisus arces attigit igneas (Ode 11, 3). Mais on n'y voit point le trait du genre humain réhabilité ou racheté par cette passion et cette mort; et ce trait est seul la caractéristique chrétienne ; tout le reste est vulgaire et commun. Enfin cette grande entreprise chrétienne de détruire la re- ligion de l'Etat et d'organiser, au sein de la société générale , une société particulière de fraternité, répugnait à Sénèque par une foule de raisons. Il croyait cette religion de l'Etat, quelque fausse qu'elle fût, nécessaire à l'empire romain; il croyait indigne d'un sage de heurter violemment les opinions de la multitude, qui ne manque jamais de faire payer cher de telles témérités; 1l croyait cette multitwle incapable de comprendre et de mettre à profit certaines vérités; il croyait que cette société particulière de fraternité était du genre des sociétés secrètes condamnées par les lois, non sans raison, parce que si on leur laissait la liberté de s'organiser, elles entraîneraient infailliblement la ruine de l'empire. Par tous ces motifs, qui le mettaient en opposition absolue avec l’Apôtre, Sénèque n'était pas, et ne pouvait pas être , je ne dis pas seulement chrétien, mais sympathique au Chris- tianisme. J'ai promis de ne faire qu'indiquer les dissemblances d'une manière très-rapide. Je tiens ma promesse en ne disant rien de plus. Et je conclus. Mais pour que cette conclusion soit plus: frappante, je demande la permission de la présenter sous une forme qui s’'éloignera sans doute de celle de ce Mémoire, mais qui ne cessera pas d'être fidèle à sa pensée, et qui la rendra d’une manière plus vive. Je disais, en commençant, que l'existence de relations 200 MÉMOIRES personnelles entre Sénèque et saint Paul n’est pas improba- ble , vu certaines circonstances de leur vie. Je veux donc, en terminant, supposer que cette probabilité se change en certitude, pour l'imagination, et me représenter le philo- .sophe et l'apôtre s’entretenant de ces grandes questions qu'ils traitent dans leurs ouvrages. J'assiste à l’un de ces entretiens, et je vous y fais assister avec moi. Saint Paul expose la morale chrétienne : il parle des com- mandements de la loi, de l'obligation imposée à l'âme de lutter contre le corps, de la victoire à remporter sur les ap- pétits grossiers et charnels, du mépris des richesses, de la pauvreté en esprit, de la justice, de la bonté envers les autres hommes, de la douceur pour les esclaves, hommes comme nous, de la grande famille du genre humain, ete. — Sénèque sympathise vivement avec lui ; il l’applaudit. En écoutant cette voix il lui semble entendre l'écho de sa propre voix, la voix de la véritable sagesse humaine; et répétant le vers du poëte de sa nation, en lui donnant un sens quelque peu dif- férent , il s’écrie qu'il reconnait là une âme qui ne lui est pas étrangère; son amie et sa sœur au sein de l'humanité. Dans la parole de l’apôtre il y a plus de gravité, plus d’en- thousiasme exalté, plus de cœur vraiment enflammé de l'a- mour du bien. Dans la parole du philosophe, plus de finesse, plus de calme raisonnable, plus d'esprit se laissant éprendre aux charmes de la beauté morale ; mais la pensée est la même. Paul continue son discours, en parlant de l’âme humaine, de sa distinction du corps, de la supériorité de sa nature, de sa dignité, de sa destinée sublime à l’immortalité bien- heureuse dans le ciel, de Dieu, etc. — Sénèque l'écoute en- core avec une vive satisfaction. Il aime à l'entendre faisant, pour ainsi dire, une nouvelle partie dans le ravissant con- cert où chantent les Socrate , les Platon, les Cicéron, toute l'aristocratie des Sages, comme on les appelait, bien diffé- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 201 rente de certaine plèbe philosophique, et célébrant avec eux la grandeur de l'être pensant. Ces deux âmes, également pénétrées du sentiment de la noblesse de leur nature , se reconnaissent de la même famille et s'embrassent avec bonheur. Paul s'élève jusqu'à Dieu, jusqu'au Dieu suprême, seul très-puissant, seul très-bon, raison souveraine et souveraine justice, gouvernant le monde et les hommes suivant les lois posées par son éternelle sagesse, etc. — Sénèque ne cesse pas de l'écouter. Ce n’est qu'un autre hymne en l'honneur de la divinité, à laquelle il adresse ses hommages, et qui a dans le sanctuaire de son cœur le véritable autel des pieux. Le devoir saint, l’âme immortelle, le Dieu suprême uni- que, sont des dogmes communs au philosophe et à l'apôtre : sur eux leurs intelligences se comprennent et s'accordent. Alors Paul, tout brûlant d'amour et d'enthousiasme, ra- conte la vie de Jésus; il répète ses enseignements, ses dis- cours sur la montagne, ses paraboles et ses explications; il dit la colère de ses ennemis, sa passion douloureuse et sa mort sublime, etc. — Sénèque s'associe à tous ses généreux sentiments. Il pense à Platon parlant de Socrate ; peut-être même imagine-t-il quelque chose de plus grand qu'eux, se disant à lui-même quelques mots semblables à ceux de Jean- Jacques, dix-sept siècles plus tard ; et ces traits se gravent si bien dans sa mémoire qu'il les retrouvera, quand il voudra peindre la grandeur du juste persécuté. Jusqu'ici le dialogue des deux sages est une harmonie. Mais voici que Paul, remontant aux causes des imperfec- tions de la nature humaine, indique une déchéance encourue par la faute d’un premier homme mangeant du fruit défendu. — Sénèque y reconnait, en la forme, un mythe qu'il avait pro- bablement entendu dans ses voyages en Orient, et, au fond, 202 MÉMOIRES la réponse à une de ces questions de la sphère immortelle, qu'il regardait comme inaccessible à la raison mortelle : homo ad immortalium cognitionem nimis mortals est. De plus, cette réponse ne lui plaît pas; il ne la Juge même pas digne d’être mentionnée parmi les opinions des Sages. Paul ajoute que la nature humaine est réhabilitée ou relevée de cette déchéance par la mort de Jésus, Messie des Juifs, Christ divin, rédempteur des hommes, en qui il faut croire pour être sauvé.—Sénèque ne l'écoute plus. Volontiers il dirait, comme Pilate à Jésus : Qu'est-ce que cette vérité ? sortant dehors, sans attendre la réponse : ou, comme le proconsul Felix à Paul lui-même ; Je l'écouterai un autre jour, quand j'aurai le temps: Vade , lempore opportuno audiam te (Act. xx, 25) : ou, comme les stoïciens d'Athènes : Audiemus te de hoc üterum (Id. xvur, 32 ); ou même, comme le proconsul Festus : Pauvre Paul, tu es vraiment fou, la science te fait perdre la tête : Insanis Paule, multæ te ltieræ ad insariam convertunt (Id. xxvi, 24). Paul s’exalte : il expose son projet, il affirme son devoir de prêcher ces vérités à toute la terre, de les enseigner à toutes les nations : Euntes, docete omnes gentes ; d'annoncer la vérité morale et religieuse à tous les hommes, aux petits et aux ignorants , Comme aux grands et aux sages , encore plus peut- être aux premiers. Îl a reçu la mission de dire en plein jour ce qu'on lui a dit dans les ténèbres, de publier sur les toits ce qu'on lui a murmuré à l'oreille : Quod dico vobis in tene- bris, dicite in lumine ; et quod in aure auditis, prœædicate super tecta (Matth. x, 27): et il sera fidèle à sa mission.— Sénèque remue la tête en signe de désapprobation : il n'approuve pas qu'on fasse ainsi profession publique de sagesse, ni qu'on l'étale, ni qu'on l'annonce à grand bruit et avec éclat : pro- poser la vérité à la foule, c’est la prostituer, sans utilité pour cette foule incapable d'en profiter, et avec grand danger pour soi-même. Comme il l’a dit à d’autres, il le répète à Paul : DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 205 fpsam philosophiam non debebis jactare ; mullis fuit periculi causa, insolenter tractata et contumaciter.… Licet sapere sine pompà , sine invidi& (Ep. 103). Invoquant l'autorité du maître même de Paul , il lui rappelle que ce Maître a dit qu'il n’est donné qu'à quelques-uns de connaître les mystères des choses célestes, et qu'il n’est pas donné à la foule d’avoir cette science : Quia vobis datum est nosse mysteria regni cœlo- rum; illis autem non est datum. Car cette foule a l'esprit gros- sier, l'oreille dure et les yeux fermés à la lumière : /ncrassatum est enim cor populi hujus, et auribus graviter audierunt, et oculos suos clauserunt ( Matth. xur, 11, 15). Paul s’exalte de plus en plus : il déclame contre la supers- tition romaine , qui est aussi la superstition grecque, et celle de presque toute la terre, où tout est vraiment dieu, excepté Dieu seul; amas d'erreurs et de turpitudes , grande infäme à qui il veut faire une grande guerre, se proposant de l'attaquer, de la combattre, de la vaincre; d'en renverser tous les mo- numents, de les détruire, et, sur les débris des temples et des autels de tous les faux dieux, de monter courageusement et de s'élever pour proclamer le nom du vrai Dieu.— Sénèque approuve de moins en moins. Autant que personne au monde il reconnaît et méprise les superstitions de la multitude, vé- ritables folies ou hallucinations de lesprit humain. «Mais je les supporte, dit-il, comme Dieu lui-même, Jupiter, très- bon et très-grand, supporte les inepties des poëtes, dont » l'un lui donne des ailes et l’autre des cornes, tandis que » celui-ci le fait adultère et découchant, celui-là cruel envers » les dieux ou injuste envers les hommes, et qu'il en est » d’autres encore qui le représentent comme un ravisseur in- » fâme d'adolescents, jusque dans sa famille, et aussi comme » un usurpateur de trônes , un ennemi de son père et un par- » ricide : inepties et folies dont l'unique effet est d’éteindre » la honte du péché dans l’âme de tous les croyants à de tels » dieux. Quibus nihil aliud actum est quam ut pudor hominibus » peccandi demeretur si tales deos crederent (de Vit. beat. 36). y C2 204 MÉMOIRES » Souffrons donc, dit-il à Paul, ce que Dieu souffre et ce qui » est conforme à l’humaine faiblesse. » 1 lui cite aussi le mot de Varron : «Si j'avais à constituer une nouvelle république , » Jy consacrerais des dieux plus conformes à la nature, » c'est-à-dire, à la raison. Mais puisque je vis dans une cité » bien vieille, je dois m'en tenir aux établissements et aux » traditions des anciens, et porter le peuple à respecter les dieux » de ses pères plutôt qu'à les mépriser parce qu'ils ne sont » pas vrais. » (Varron cité par S. Aug. , de Civit. Dei , 1v, 31.) Et il l'engage à prendre ce mot pour règle de sa conduite : « Devant cette ignoble tourbe de dieux , ramassés depuis tant » de siècles par une longue superstition, inclinons-nous : » mais en nous rappelant que ce culte est une affaire d'usage » plutôt qu'une réalité. Omnem istam ignobilem deorum tur- » bam quam longo ævo longa superstitio ingessit sic adorabimus » ut meminerimus cullum ejus magis ad morem quam ad rem » pertinere. » (De Superstitione, cité par S. Aug., de Civit. Dei, vi, 10.) y y Paul n'écoute pas. De la déclamation contre la religion de l'État à Rome , il passe à d’autres déclamations contre la so- ciété romaine, qu'il dénonce pleine d'injustices et d’inéga- lités; pleine de haines et de guerres nées de ces inégalités et de ces injustices; pleine de maux nés de ces injustices, de ces inégalités, de ces haines et de ces guerres. Il parle de son projet d'établir au milieu d'elle une autre société bien différente, fondée sur la justice et l'égalité, sur la fraternité et la concorde ; société, association ou église qui doit donner à ceux qui en seront membres tout le bien dont il est possible que les hommes jouissent sur la terre. — Sénèque avoue que ce tableau de la société romaine n'est pas faux, quoique exa- géré. Mais, ajoute-t-il, «c'était la plainte de nos pères, c’est » notre plainte, ce sera la plainte de nos enfants, que les » mœurs sont perdues, que la méchanceté triomphe, que le » droit est vaincu et que les affaires humaines sont en déca- » dence. Cependant ces choses restent à la même place, et DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 205 » elles y resteront, poussées seulement tantôt un peu au delà, » tantôt un peu en deçà, comme les flots que la marée mon- » tante élève au-dessus du rivage et que la marée descendante » fait retomber au-dessous. Tantôt l'adulation est le vice do- » minant, et la pudeur brise tout frein; tantôt règne la » fureur des festins et le plus honteux fléau des patrimoines , -» la cuisine ; tantôt le soin excessif des corps et le culte de Ja » beauté physique qui accuse la laideur morale de l’âme; » tantôt Ja liberté mal distribuée éclate en pétulance et en » audace ; tantôt on se jette dans la cruauté privée et publique » et dans la folie des guerres civiles qui profanent tout ce » qui est saint et sacré. Un jour l'ivresse est un honneur , et » boire beaucoup de vin une vertu. Les vices ne sont pas » fixes, mais mobiles et opposés entre eux; tour à tour ils » chassent et sont chassés. Du reste, nous avons toujours à » porter sur nous le même jugement ; méchants nous sommes , » méchants nous avons été, et, je l'ajoute à regret, méchants » nous serons (1)» En conséquence, il traite de chiméri- ques les projets de grande amélioration politique; ‘et contre la formation des sociétés particulières et secrètes, au sein des cités, sociétés générales et publiques , il fait apparaître l'image sévère de la patrie et la loi de l’État défendant abso- (1) Roc majores nostri questi sunt, hoc nos querimur, hoc posteri nostri que- rentur , eversos esse mores, regnare nequitiam , in deterius res humanas et omne fas labi. At ista stant loco eodem, stabuntque, paululum dumtaxat ultra aut citra mota , ut fluctus quos æstus accedens longius extulit , recedens inte- riore littorum vestigio tenuit. Nune in adulteria magis quam in alia peccabitur, abrumpetque frænos pudicitia ; nune conviviorum vigebit furor ct fodissimum patrimoniorum exitium , eulina : nune cultus corporum nimins et formæ cura , præ se ferens animi deformitatem ; nunce in petulantiam et audaciam erunset male dispensata libertas ; nune in crudelitatem privatam ae publicam ibitur bellorumque civilium insaniam , quà omne sanctum ac sacrum profanetur. Habebitur aliquando ebrietati honor et plurimum meri cepisse virtus erit. Non expectant uno loco vitia; sed mobilia , inter se dissentientia tumul- tuantur , pellunt invicem , fuganturque. Cæterum idem semper de nobis pro- nuntiare debebimus , malos esse nos, malos fuisse, invitus adjiciam et futuros esse. De Benef. , 1, 10. D® S. — TOME I. 14 206 MÉMOIRES lument ces associations, et prononçant la peine de mort contre quiconque les établit ou en devient membre. Paul répond que la mort en ce monde pour la gloire de Dieu est le commencement de la vie heureuse en l’autre. — Et Sénèque termine cet entretien avec un homme si compro- mettant, même pour l’ancien précepteur de Néron et l'ami de Burrhus , préfet du prétoire. C'est ainsi qu'on peut se représenter les choses par l'ima- gination, ou, du moins, c’est ainsi que je me les représente. Ce que je dis là par hypothèse imaginative , et sous forme littéraire, est d’ailleurs la conclusion positive et scientifique- ment historique de ces observations, exclusivement appuyées sur des textes certains. Je la formulerais en ces deux propositions : 4. La doctrine philosophique de Sénèque et la doctrine de Vapôtre saint Paul se ressemblent en plusieurs points géné- raux (de morale, de psychologie et de théodicée) qui ne sont pas particuliers au Christianisme et ne le caractérisent pas. On ne peut pas dire que cette ressemblance tienne à ce que Sénèque subit l'influence de saint Paul et du Christianisme ; car sa doctrine sur ces points n’est que la répétition, la suite et le développement de la doctrine d'autres philosophes ro- mains et grecs, ses prédécesseurs et ses maitres. 9. Sur tous les points particuliers au Christianisme, et qui le caractérisent ou le constituent proprement, la doctrine de Sénèque ne ressemble pas à la doctrine chrétienne; il n'en reproduit jamais rien, et presque toujours il la contredit explicitement où implicitement. D'où il suit qu'il n’est pas vrai que Sénèque ait subi l'in- fluence du Christianisme. Qu'on nous permette d'ajouter que cette conclusion est DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 207 d'ailleurs en harmonie avec la nature humaine, et qu'une autre se concilierait mal avec ce que nous savons de la pu- blication des ouvrages de Sénèque. En effet, dans cette année 59, où saint Paul vint à Rome EQRE la première fois, Sénèque n'était plus jeune. Né en l'an 2 ou 3, il comptait cinquante-six ou cinquante-sept ans. On peut dire que c'était un vieux penseur; penseur par na- ture, par habitude, par profession. Or de tels hommes, à moins de circonstances extraordinaires ou de miracles, ne se convertissent pas souvent. Il n’y a guère qu'une classe de gens qui changent d'opinion ; ce sont ceux qui n’en ont pas. Je ne parle pas de ceux qui font semblant d'en changer, hy- pocrites par peur ou par intérêt. Ensuite, à cette même époque , Sénèque avait composé la plupart de ses ouvrages; quelques-uns furent composés après. Mais quand on les compare, on ne trouve point en eux de dif- férences remarquables : on peut leur emprunter également des textes exprimant les mêmes opinions ; on y voit toujours le même philosophe , animé du même esprit, constant avec lui-même et invariable dans sa pensée qui se développe. Une telle constance est évidemment inconciliable avec l’idée d'une conversion. Et cela revient encore à dire qu'il n’est pas vrai que Sé- nèque ait subi l'influence du Christianisme. 208 MÉMOIRES NOTES SUR QUELQUES MONUMENTS INÉDITS, DÉCOUVERTS A TOULOUSE ; Par M. Du MÈGE. CE n'est que par l'étude des monuments que l’on peut com- pléter l'histoire des peuples, connaître leur civilisation, donner en quelque sorte une nouvelle vie aux générations depuis longtemps éteintes , et restituer aux arts graphiques les traces qu'ils avaient laissées sur la terre. Mais, pendant trop long- temps , les études archéologiques ont été dédaignées , et lors- que des savants estimables en ont entrepris de nouvelles, une grande portion des vieux Moniteurs du passé n'existait plus. L'incurie et l'ignorance les’ avaient fait disparaitre. Maintenant même, on apprend, chaque jour, que beaucoup de ceux, que le hasard rend à la lumière, sont voués à la destruction; les pierres et les marbres sculptés, ou inscrits, sont taillés de nouveau, et le creuset de l’orfévre change en lingots les médailles formées de métaux précieux, tandis que le fondeur jette dans son immense creuset les bronzes les plus rares. Ce qui vient de se passer, il y a quelques jours , à quelques lieues de Toulouse, dans un hameau de l'arrondissement de Muret, en offre une déplorable preuve. Ce hameau est un lieu connu depuis longtemps par les décou- vertes archéologiques que l’on y a faites à plusieurs époques ; c'est là qu'un paysan a trouvé, dans un vase de terre grisâtre, et d’une forme peu élégante, environ trois cents médailles ou monnaies gauloises en argent, presque toutes d’une très-bonne DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 209 conservation. Elles étaient du nombre de celles que lon nomme, médailles à la croix ou à la roue, et que l'on at- tribue généralement aux Volkes-Tectosages, parce qu’elles sont communes, soit à Vieille-Toulouse, où on les nomme Sarrasines, soit dans les lieux les plus voisins de la capi- tale du Languedoc, soit sur la rive droite de la Garonne, et même sur la rive gauche, dans la Novempopulanie, ou dans l’Aquitaine de César. Le sol de la ville actuelle , tel que nous le connaissons, ne nous offre que des souvenirs de l’époque romaine; et si l'on y a découvert quelquefois plusieurs mé- dailles ibériennes, on peut croire, bien loin d'y reconnaitre les marques d’une antiquité contemporaine de ces objets, qu'elles furent portées de la vieille cité, ou perdues dans le territoire de celle qui existe aujourd'hui. Les fouilles nom- breuses et les démolitions qui ont eu lieu, ou que l’on opère en ce moment même, confirment cette observation qui, du reste, date de plus de quarante années. L'une des vieilles tours de l'enceinte fortifiée, ruinée en grande partie par Simon de Montfort, réparée après la mort de ce chef des croisés d'outre-Loire, vient de nous offrir des preuves de l’origine toute romaine de nos monuments. Située à peu près dans l'axe de la rue Saint-Jacques, cette tour, admirable de forme, élégante, élevée, vient d’être abattue pour opérer le prolongement de la rue à l'extrémité de la- quelle elle était placée. Dans les ruines, j'ai pu reconnaitre des fragments de briques gallo-romaines, ayant la marque ou le nom de leur fabricant. Ainsi, sur l’un, nous avons lu, en assez beaux caractères : C. PVBL; et sur une autre, M. MICE- RINI. Les fouilles faites dans une notable portion de la ville pour l'établissement des fontaines, ou pour la conduite du gaz, m'ont offert une série de lampes très-remarquables , et qui, par la matière et par le travail, me paraissent avoir -une origine étrangère. De légers fragments, en bronze, m'ont fait connaître l'existence de deux statues d'une assez forte dimension. Le premier fragment, brisé lui-même en deux parties mé- 210 MÉMOIRES sales , est le pouce droit d’une main qui à dû appartenir à une statue avant environ 1 mètre 60 centimètres de hauteur. Le second fragment, très-remarquable comme objet d'art, est le doigt indicateur d’une statue de femme qui devait avoir une hauteur à peu près pareille. Le premier de ces fragments pro- vient de la rue Boulbonne, le second a été découvert dans la rue dite de Nazareth, à peu près en face de l'hôtel de feu M. Dessole, ancien Préfet du département des Basses-Pyré- nées et membre de l'Académie. Un autre fragment en marbre blanc, trouvé dans la même rue, a indiqué l'existence d’une autre statue ayant au moins deux mètres de haut. Le nombre des lampes recueillies par moi durant les fouilles est assez considérable, et nous croyons qu’il ne sera pas inu- tile de les mentionner ici. Croire que toutes les lampes que l’on découvre dans les pro- vinces romaines furent destinées à être renfermées dans les tombeaux , serait une grande erreur. On les employait aussi dans les usages domestiques. Elles éclairaient les apparte- ments, elles brillaient dans l'asile des gens de lettres, et l'on connaît à ce sujet le proverbe latin Tempus et oleum perditi , que l'on pouvait dire d’un poëte qui, malgré ses efforts et ses veilles, n'avait produit que de méchants vers. On s’en servait surtout, en les multipliant, dans les habitations des particuliers aux jours de fêtes. On voit, dit Virgile, décrivant une fête : ..... Dependent lychni laquearibus aureis, Incensi, et noctem flammis funalia vincunt. Les lucernes que nous avons retrouvées dans les vieilles habitations de Toulouse, ont peut-être brillé dans des fêtes , ou éclairé la chambre nuptiale de deux jeunes époux, et d'au- tres, la studieuse retraite de ces écrivains, de ces poëtes, dont les ouvrages ont valu à cette ville le surnom de Palladienne. Ces lampes, au choix desquelles le hasard a sans doute souvent présidé, pourraient être divisées en plusieurs classes, selon les attributs que l’on y remarque. L'une d'elles, en bronze, découverte dans la rue de Naza- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 211 reth, se détache des autres par l'absence de tout symbole, de toute image. Elle est d’ailleurs grande et belle, et sa conserva- tion est parfaite. La première lucerne, sur laquelle se trouve une figure, est, comme toutes celles qui suivent, en terre cuite. Sa conserva- tion est assez bonne; le petit bas-relief qui la décore représente Hercule jeune étouffant des serpents. Elle provient des fouilles faites, il y a plusieurs années, dans la rue de la Pomme, pour l'établissement des fontaines. N'oublions pas qu'une lampe, ornée du même sujet mythologi- que, fut découverte durant les travaux de réparation qui ont eu lieu , il y a plusieurs années, dans le local du Théâtre. On peut remarquer, avec étonnement, que cet objet, actuellement conservé dans notre Musée archéologique, était séché seule- ment, et qu'il n'avait pas été livré à l’action du feu. La même rue nous a donné une autre lampe en terre cuite , qui avait, comme une notable partie de celles que l'on re- trouve dans la Gaule Narbonnaise, été peinte en rouge. Il à fallu consolider le petit bas-relief du milieu qui représente une femme vue en face. Un croissant placé sur le front indique Diane. Cette lampe fut recueillie par feu M. FS Pécharman, ancien Secrétaire général de la Mairie de Toulouse, et Membre de la Société des Amis des Arts. On a cru qu'une autre lampe, trouvée près de la place dite de la Pierre, représentait aussi la divine chasseresse. Cette opinion n’est fondée que sur la présence d'un carquois derrière le buste de cette déité. Les traits sont peu agréables et ressemblent à ceux de quelques-unes de ces têtes demi-bar- bares que l’on voit sur plusieurs médailles de la péninsule hispanique. Quelquefois ces petits monuments peuvent être mis au nombre des plus curieux. Une lampe, trouvée dans la rue de la Pomme, représente la Fortune ; d’une main elle tient le timon d'un gouvernail , et de l'autre une corne d’abondance. Sur le plat de la face posté 212 MÉMOIRES rieure , on voit le nom du fabricant, ou l'indication de sa ma- nufacture; mais les lettres sont en partie altérées ; j'ai cru pouvoir lire cependant L. POSIRI. Cette terre cuite est d’une forme élégante. Sur une autre lampe, qui fut découverte lors du commen- cement des fouilles 6pérées dans la même rue, pour l’établis- sement des fontaines, on voit aussi une ligne de six ou sept caractères, qui paraissent avoir été empreints avec la pointe d’un ébauchoir. On croit pouvoir y lire SENI F. OF. La face principale est ornée d’une figure de l'Amour assis et touchant une lyre. Cest à une profondeur assez forte, dans la même voie publique, et presque vis-à-vis l'entrée d’une petite rue nom- mée de la Baruthe , que fut trouvée une autre lampe portant aussi cette inscription sur le plat de la face postérieure : L. F. OSCRI. Au dessous, la lettre G a été tracée. Le bas-relief de la “face principale représente deux mains droites se touchant et tenant un caducée. C'était peut-être Le symbole de la bonne foi commerciale. On connaît une lampe presque semblable parmi celles qui ont été retrouvées à Pompéïia. Alors que le culte des divinités de l'Egypte fut toléré dans Rome, les provinces imitèrent à cet égard l'exemple de la capi- tale, et la Gaule Narbonnaise ne fut pas la dernière qui leur rendit des hommages. J'ai indiqué, ailleurs, des traces de ce nouveau culte dans nos contrées. Une lampe, découverte à Toulouse, avec beaucoup d’autres qui furent mutilées alors que l’on jeta les fondements du Château-d’eau , est en quelque sorte un monument de l'adoration des déités de la longue vallée du Nil. Cette lampe, d’un travail assez fini, et dont la matière affecte une sorte de reflet métallique, offre, sur sa face principale, l’image d'Isis, vêtue à la romaine, ayant une étoile sur la tête; un sistre est dans la main gauche et une patère dans la droite; elle tient une corne d’abondance. Harpocrate, ayant le doigt indicateur sur la bouche, porte une corne d'abondance , et distingué par une étoile au-des- sus de sa tête, est à la droite d'Isis. De l’autre côté de Ta DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 215 déesse est Anubis , à tête de chien ou de schakal, et tenant une palme. Cette lampe précieuse a subi quelques mutila- tions, mais les figures sont bien conservées, et on doit la considérer comme l’un des plus curieux monuments retrouvés à Toulouse. C'est dans le lieu que je viens d'indiquer que fut découverte aussi, parmi une foule d’autres objets de ce genre, une autre lampe, relative au culte égyptien transporté dans la Gaule. Cette lampe, qui avait aussi jadis un reflet métallique, parait, ainsi que la précédente, appartenir à une manufacture étrangère. Sur la face principale on a représenté un serpent qui enroule sur lui-même ses longs replis. Sa tête est celle de Sérapis, coiffée du modius. On sait que Sérapis est l’un des dieux les moins anciens dans la hiérarchie mythologique de la vieille Egypte. L'époque où Sérapis obtint des temples et des autels en Gaule, n’est pas séparée par une longue suite d'années, du temps où la religion chrétienne y fut prêchée et où le Christ eut pour disciples presque tous les habitants de cette vaste région qui formait la Gaule Narbonnaise. On ne fixait qu'à l'an 250 la mission de Saint Saturnin dans notre province. Nous donnerons à la fin du troisième, ou plutôt à la pre- mière moitié du quatrième siècle, le temps où les monuments du christianisme ont pu se multiplier dans nos contrées. Cest donc à cette dernière époque que nous attribuerons la belle lampe découverte, presque sous nos yeux, dans le vieux cimetière chrétien qui existait près de l'église dite du Taur aujourd'hui. Près d'elle étaient des amphores , ou urnes, qui indiquaient une origine plus ancienne; là était aussi une plaque tumulaire où l’on avait figuré les colombes de paix , le vase eucharistique et le monogramme de Christ. La lampe qui vient d'être indiquée est décorée de la figure de Daniel, dans l'attitude de la prière; à ses pieds sont des lions, destinés à ce que l’on croyait, à le dévorer, mais s'abaissant devant lui, et deux anges qui le rassurent et le consolent. Le style du dessin indique un temps très-bas et la décadence complète de l’art. 214 MÉMOIRES Ce sera par un autre petit monument chrétien que je ter- minerai la série de ceux retrouvés depuis peu d'années dans Toulouse, et qui seront peut-être bientôt perdus pour elle, avec tant d'autres que J'ai recueillis, oubliant que mon peu de fortune me défendait d'essayer de réunir tant d'objets pré- cieux. On se rappelle qu'il n’y a que peu d'années on voulut , tout en isolant l'église de Saint-Saturnin, lui donner une élé- vation plus remarquable que celle que son architecte lui avait assignée. En dégageant le pourtour de ce vénérable édifice, le seuil en marbre blanc de chacune de ses portes fut brisé (4), le stylobate sur lequel reposent les colonnes ébranlé, l'aspect général changé , le caractère architectural méconnu ; en même temps on exécutait des fouilles dans l’ancien cimetière, on en retirait des tombes en marbre, mais presque toutes sans sculp- tures et sans ornements. C’est dans l’un de ces asiles funèbres que fut trouvée une lampe sépulcrale, très-bien conservée , et que j'eus le soin d'acquérir. Sur la face principale est le mono- gramme sacré, formé d'un X et d'un P, premières lettres du mot Christos ; on sait que ce monogramme est répété plusieurs mil- liers de fois dans les catacombes, et qu'on le retrouve sur pres- que tous les monuments chrétiens des premiers siècles. On le voit sur plusieurs des tombeaux que j'ai rassemblés dans le Musée archéologique fondé par mes soins, et le petit monu- ment que je viens de décrire pourra perpétuer dans l'avenir le souvenir du champ de repos où il fut placé, et la mémoire de ceux qui ont mutilé les portes de l’une des plus célèbres églises du Midi de la France. (1) Chaque seuil était formé par le long côté d’un tombeau antique. Sur lun d’entre eux on voyait deux génies ailés supportant une tablette destinée à recevoir une inscription. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 215 OBSERVATIONS SUR LE RAPPORT FAIT AU NOM DE LA SOUS-COMMISSION CHARGÉE PAR L'ACADËMIE D'ÉTUDIER LA MALADIE DES VERS A SOIE DANS LE MIDI DE LA FRANCE, ( Voir les Comptes reudus, 21 mars 1859 de Par le Docteur N. JOLY. Croire tout dans Paris est une erreur profonde , C’est prendre l'horizon pour les bornes du monde. LEMIERRE. MESSIEURS, . L'année dernière, lorsque la maladie qui à si gravement compromis l'industrie séricicole sévissait dans les magnaneries du Midi, vous m'avez fait l'honneur de me désigner pour re- cueillir les renseignements qui pourraient intéresser les dé- légués de l’Institut, chargés de venir étudier le fléau dans nos contrées. Désireux de remplir mon mandat du mieux qu'il m'était possible, j'entrepris, dans mon appartement, une éducation provenant de 15 grammes de graine mélangée, et je visitai avec soin un certain nombre de magnaneries de la Haute- Garonne et du Tarn. Les principaux résultats de mes observations vous furent communiqués dans vos séances du 15 juillet et du 5 août 1858, c'est-à-dire, à peu près à l’époque où Jen avais déjà entre- tenu plusieurs fois la Société d'agriculture de Toulouse. Enfin. 216 MÉMOIRES cette même Société inséra, dans son bulletin du mois d'octo- bre, le travail que j'avais lu à l’Institut le 30 août (et non le 30 septembre, comme on l'a imprimé par erreur dans les Comptes rendus , séance du 11 octobre 1858), par conséquent un mois après la communication verbale faite à ce corps sa- vant par M. de Quatrefages. Le numéro des Comptes rendus, déposé aujourd'hui même sur le bureau de l’Académie (D), renferme un long Rapport de la Commission des vers à soie. Or, les conclusions formulées par cette Chi diffè- rent tellement peu de celles auxquelles je suis arrivé moi- même, que je ne puis qu'être très-flatté de cet heureux ac- cord. Permettez-moi done, Messieurs, de revendiquer devant vous, sinon mes droits à la priorité ou à la simultanéité, du moins la stricte justice qu'aurait dû obtenir, ce me semble. un travail lu à l’Académie des Sciences de Paris, longtemps avant le Rapport dont il s’agit en ce moment. Ce n'est point ici, croyez-le bien, Messieurs , une question d'amour-propre blessé; je rougirais de descendre à ces petitesses, indignes de la Science : c’est une question de solidarité académique, ou plutôt c'est une simple question de fait que je soumets à votre impartiale appréciation. Vous jugerez après m'avoir entendu. | Afin de ne pas abuser de vos moments, je me bornerai à citer textuellement les conclusions du Rapport émané de l'Institut, et à mettre en regard de chacune d'elles certains passages du travail que j'ai eu l'honneur de vous lire le 5 août dernier, c’est-à-dire, à une époque où la communi- cation verbale faite par M. de Quatrefages , le 26 juillet 1858, n'était pas encore parvenue à Toulouse. Les dates sont ici très-essentielles : vous comprendrez pourquoi je tiens à les fixer exactement. (1) No du 21 mars 1859. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. Conclusions du Rapport. 1° Le développement initial de la maladie des vers à soie tient à des causes qui nous sontencore inconnues: celles qu'on a présen- iées comme ayant don- né naissance au mal n'ont pu que contri- buer à l’aggraver; 20 En particulier, la maladie des vers à soie ne peut être attribuée à une altération préexis- tante des feuilles des müriers , altération dont il n’existait au- cune trace en 1858. 30 La maladie des vers à sole est épidé- mique et héréditaire ; elle est par conséquent doublement difficile à combattre. 217 Extrait du Mémoire de M. N. Joly. « Déterminer les causes sous l'influence desquelles la maladie ou les maladies ac- tuelles se développent , n’est pas chose facile, et je ne le tenterai même pas, du moins pour le moment (p. 9). » € Ni l’état des feuilles du mürier, ni les prétendues végétations admises par la Chambre de commerce de Turin, ni même le Nosema Bombycis de M. Nœgeli (Pan- hystophyton ovatum , Lebert. ) ne sau- raient nous rendre compte de cette ef- frayante mortalité dont se plaignent la plupart des éducateurs, et qui a bravé Jusqu'à présent tous les efforts de la Science. » Le caractère épidémique de la maladie était trop évident par lui-même, pour que j'aie cru devoir l'indiquer : mais Fensem- ble de mon Mémoire prouve surabondam- ment que j’admettais ce caractère pour la gattine ou étisie , et pour la pébrine ou maladie de la tache, comme pour la mus- cardine ( Voyez p. 12 et 13). D'ailleurs, je le répète , la généralité du fléau ne per- mettait pas de se méprendre sur sa nature épidémique. Quant à l’hérédité dont parlent MM. les Commissaires de l’Institut, voici ce que j'en disais, page 6 de mon travail. «Si lac- couplement a lieu , ce qui n'arrive pas tou- jours, et si les femelles sont fécondées, elles pondent des œufs moins nombreux que de coutume et qui ne s’attachent 218 Conclusions du Rapport. | 4° Néanmoins, 1l est possible d’obtenir pres- que à coup sûr des ré- coltes satisfaisantes. 50 Pour atteindre ce but, deux conditions sont indispensables , savoir : 4° opérer avec des œufs fécondés et pondus par des parents entièrementexempts de la maladie; 2° obser- ver fidèlement les rè- gles de l'hygiène pen- dant toute la durée de l'éducation. MÉMOIRES Extrait du Mémoire de M. N. Joly. qu'avec peine ou ne se fixent pas du tout anx objets qu’elles ont choisis ou qu’on leur a donnés pour y déposer leur progé- niture. Quelle postérité naîtra de ces grai- nes provenant d'organes sains et normaux en apparence, mais malades en réalité ? Les lois de l’hérédité physiologique nous autorisent à en tirer un fàâcheux pronostic : l'expérience directe semble même lavoir déjà confirmé, s’il est vrai ( comme le pré- tend M. Lebert, cité en note) que le fléau actuel tend à s’accroitre tous les ans. » Enfin, de même que la Commission , et très-certainement avant elle, j'ai avancé que la maladie régnante n’est pas conta- gieuse. Voir la communication que j'ai faite à l'Académie des Sciences de Toulouse, le 15 juillet 1858. Mém. de l’Acad. , tom. 2, p. 475 ( 5e série). Je n’ose aller aussi loin que M. le Rap- porteur : presque à coup sûr me parait une expression peut-être un peu hasar- dée ; n’ayant rien imprimé à cet égard , je laisse à M. de Quatrefages la responsabi- lité d’une pareille assertion. «La Science n’a pas dit son dernier mot, ou plutôt elle n’a presque rien dit encore. Cependant elle condamne avec raison, à notre avis, les éducations dans de grands locaux , insuffisants , quelque vastes qu'ils soient, pour le nombre de vers qu'on y en- tasse et qu'on y soumet le plus souvent à des soins exagérés , à des conditions anti- hygiéniques. Les éducations en petit, celles que j'appellerai volontiers éducations à la Spartiate, me paraissent de beaucoup pré- férables à celles qui sont encore trop gé- néralement adoptées. » DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 219 Conclusions du Rapport. Extrait du Mémoire de M. N. Joly. Go Les très-petites «Revenons done à la nature : imitons ses chambrées , élevées | procédés ; suivons l'exemple de nos cam- avec des soins particu- | pagnards, qui, sans aucuns frais d’établis- liers, peuvent donner | sement, sans autre calorifère et sans autre des graines de bonne | ventilateur que leur cheminée largement qualité pendant plu- béante, sans autre magnanerie que leur sieurs années de suite | chambre enfumée, parviennent à élever dans les lieux mêmes | avec un plein succès une ou deux onces les plus fortement en- | de graine, tandis que les riches proprié- vahis par l'épidémie. taires qui font des éducations de 20 , 30, 40 et même 50 onces à la fois, dans de splendides locaux où rien ne manque, si ce n'est de bonnes conditions hygiéniques, voient leur espoir de gain s’évanouir au mo- ment où ils le regardaient comme certain. » Revenons à la nature , et choisissons nous-mêmes les couples reproducteurs , sinous voulons être sûrs, autant du moins qu’on peut l'être, de la bonté de la graine à employer. Telle est la conclusion à la- quelle nous amènent, comme forcément , et nos expériences personnelles et les ob- servations que nous avons faites pendant la mission dont l’Académie des Sciences de Toulouse et la Société d'Agriculture de la Haute-Garonne avaient bien voulu nous charger. » L'Académie remarquera que, dans ses conclusions, le sa- vant Rapporteur de la Commission nommée par l'Institut ne dit pas un mot de l’objet le plus essentiel, du ou des moyens curatifs propres à combattre le fléau. A l'heure qu'il est, le sucre ne lui paraît donc plus le remède par excellence. Voici comment je m'exprimais à cet égard dans votre séance du 5 août 1858 : » Quant au sucre, j'avoue que la pensée ne m'est pas venue de l’'employer , et aujourd'hui encore je me retranche der- rière un doute prudent sur sa complète efficacité.» Et en note: «M. le professeur Emilio Cornalio m'écrit de Milan, à la 220 MÉMOIRES date du 21 septembre 1858, que le sucre y avait été expé- rimenté sans aucun profit, » lorsque M. de Quatrefages a mis en usage et proposé ce moyen curatif: Je me borne à ces extraits uniquement relatifs à la partie essentiellement pratique de la question. Quant à la partie vraiment scientifique, je la réserve, s’il y a lieu, pour le moment où M. le Rapporteur aura publié le grand travail qu'il annonce comme devant paraître prochainement dans les Mé- moires de l'Institut. Cependant, vous me permettrez, Messieurs, de profiter de l'occasion toute naturelle qui s'offre à moi pour répondre, un peu tard sans doute (1), à une observation de M. de Quatre- fages , relative à un passage de mon Mémoire, où je combat- tais, comme trop absolue, cette assertion de notre ancien confrère. « À quelque époque que Ja mort arrive, disait-il, l'insecte taché se dessèche sans se corrompre. » Or, les échantillons que je fais passer sous vos yeux prou- vent évidemment le contraire. [Il est vrai que, dans sa note du 30 septembre dernier, intitulée : Remarques au sujet d'un passage du Mémoire lu à l'Académie par M. Joly, dans la séance du 30 août (et non pas du 30 septembre, comme on l'a imprimé par erreur ), M. de Quatrefages s’efforça d'établir entre la pébrine où ma- ladie de la tache, proprement dite, et le negrone ou maladie des noirs, une distinction qui expliquérait, selon lui, com- ment les vers, atteints de la première de ces affections, ne se putréfientjamais, tandis que ceux qui succombent à la deuxième se putréfient toujours , en exhalant une odeur exceptionnelle- ment repoussante. La pébrine , dit mon savant contradicteur , tue lentement ; le negrone tue très-vite. Mais le negrone, qui attaqne souvent, d’après M. de Quatrefages lui-même, les vers atteints déjà de pébrine, ne serait-il pas, comme Je l'ai dit ailleurs ( Mém. cité, p. 12), le degré ultime de la pébrine , et ne pourrait-on pas, dès lors, se rendre compte de la rapi- dité relativement plus grande avec laquelle il tue les vers ar- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 221 rivés à ce dernier degré du mal ? La décomposition des tissus étant déjà très-avancée chez ces derniers au moment de leur mort, on se rend aisément compte de l'extrême facilité avec laquelle ils se putréfient. Du reste, quelle que soit l’explica- tion que l’on adopte à cet égard, il n’en est pas moins vrai qu'il y a des vers tachés qui se dessèchent (les pébrinés ordi- naires de M. de Quatrefages), d’autres qui se corrompent -(les pébrinés noirs du même auteur ); et je n'ai pas voulu dire autre chose en faisant observer que la première assertion de M. de Quatrefages était trop absolue ]. Je dirai, en terminant, que, dès le mois d'octobre dernier, javais envoyé à M. Barral, directeur du Journal d'agriculture pratique, le Mémoire d’où j'ai extrait les passages qui précèdent. J'avais aussi joint à ce travail la réponse aux Remarques de M. de Quatrefages, que je viens de reproduire dans le $ com- pris ici entre deux [ À. J'ignore pourquoi cet article n’a pas encore paru dans le journal en question, malgré la promesse réitérée que m'avait faite M. Barral. D S,— TOME If, 15 299 MÉMOIRES UNE COMMUNE RURALE ET UNE COMMANDERIE AU MOYEN AGE ; Par M. CAZE. Dans une précédente lecture, j'avais eu l'honneur de sou- mettre à l'Académie quelques aperçus historiques sur les Etats de Languedoc , en caractérisant les attributions politiques ou administratives de cette grande institution provinciale dans ses rapports avec le pouvoir central. De cette vue d'ensemble et des considérations générales sur l'administration de la province, je voudrais passer à l'examen d’un des plus simples rouages de cette vaste machine, à l'étude de la commune rurale. La Commune est le berceau de la liberté civile, et comme le point de départ de la marche ascendante qui mène à la conquête des garanties politiques. C'est peut-être au sein des communes rurales qu'il est pos- sible de rechercher, avec plus de chances de succès, les pre- miers éléments de la vie publique et ces germes d'association administrative qui, se développant et s'étendant de proche en proche, concourent à déterminer dans la suite des âges les conditions et les formes des gouvernements. Les populations rurales ne sont-elles pas la portion consi- dérable du pays, influente par son poids et par sa masse, comme le lest du vaisseau, pour en maintenir l'équilibre? N'est-ce pas au milieu d'elles que s’entretiennent les forces morales et les instincts patriotiques; ce souffle de vie popu- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 223 laire qui constitue le génie national , et qui, tantôt par la puis- sance d'inertie, tantôt par l'irrésistible entrainement des masses , fait ou arrête les révolutions? La civilisation artificielle des grandes villes n’est bien sou- vent qu'un mirage trompeur, bien plus propre à séduire l'ima- gination qu’à éclairer l'esprit sur les besoins moraux d'un pays ; et peut-être qu'on pourrait découvrir dans ces illusions dangereuses la cause des perturbations violentes et des catas- trophes politiques dont on recherche ailleurs le principe et l'explication, La formation des communes au moyen âge a été, depuis plus d’un siècle, l’objet des plus savantes recherches et des plus laborieuses investigations. De nos jours encore, les publi- cistes les plus éminents ont appliqué à cet intéressant sujet toute la puissance de leurs méthodes, toute la sagacité d’un esprit généralisateur. 4 On peut dire pourtant que les idées ne sont pas irrévoca- blement fixées ; que le débat est encore ouvert; qu'il y a beau- coup à demander aux archives dédaignées de nos communes rurales, à celles des juridictions inférieures, restreintes dans un cercle étroit, en contact avec les justiciables, et placées en quelque sorte au seuil des habitations des campagnes. Les systèmes et les synthèses historiques pourront recevoir d'importantes modifications par les procédés d’une analyse en apparence minutieuse, mais qui, pour se livrer à l’exa- men des détails, n'en sert pas moins à donner à l’ensemble plus d'harmonie et de vérité. L'œuvre ainsi continuée peut recevoir le concours de nom- breux collaborateurs : il est permis au moins habile d'appor- ter une pierre à la construction de l'édifice, et de préparer ainsi les matériaux au génie de l’architecte. La commune la plus modeste est une molécule intégrante de la nationalité ; sous ce rapport, elle n'est pas indigne des regards de l'histoire. C’est d’un de ces groupes de familles rurales que je veux aujourd'hui présenter quelques traits, recueillis dans des 224 MÉMOIRES documents authentiques , sur lesquels j'appellerai tout à l'heure l'attention de l'Académie. Le village de Garidech, que traverse la route d'Albi à 17 ki- lomètres de Toulouse, ne présente rien de remarquable que sa vieille église, et son site pittoresque au flanc d'un coteau qui domine la belle et fertile vallée du Girou. Cette commune est, depuis des siècles, demeurée sta- tionnaire quant à sa population. On y compte à peine 400 habitants. Toutefois, dans cette réunion si restreinte de cultivateurs , se trouvait le foyer de la vie communale , et ce sentiment des droits et des devoirs qui concilie l'exercice de la liberté ci- vile, même d'une certaine indépendance, avec le respect du lien politique et des hiérarchies sociales. La communauté de Garidech avait ses consuls, ses assem- blées électives , des syndics chargés de représenter les parti- culiers manants et habitants dans leurs débats judiciaires, pour le maintien des immunités locales et des intérêts ma- tériels. Ces pouvoirs locaux fonctionnaient auprès d’une autre autorité qui avait aussi son importance et ses prérogatives : le village de Garidech était en effet le siége d’une comman- derie de Malte. Il n'est donc pas sans intérêt historique de rechercher quelles étaient la nature et la corrélation de ces éléments di- vers d'activité sociale. Si les habitants des campagnes étaient en général placés sous l’étreinte du lien féodal, l'esprit d'association commu- nale pénétrait insensiblement au sein des populations des campagnes; et l’on découvre dans les archives et les vieux cartulaires, les preuves irrécusables de certaines garanties que les traditions et les mœurs maintenaient et perpétuaient sans le secours des titres authentiques ou des lois écrites. Les origines de ces immunités , de ces coutumes locales, se perdent dans la nuit des temps; ou plutôt le temps qui les a DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 2925 fait naitre a présidé aussi à leur développement par l'action insensible des esprits, des besoins intellectuels et moraux : comme aussi par l'effet des prétentions rivales et des conces- sions réciproques qui en furent la conséquence ou le dénoue- ment. Dans son recueil des ordonnances (1), Bretigny observe que l'un des caractères distinctifs de l'individualité communale était l'attribution de certains droits et priviléges, parmi les- quels une juridiction plus ou moins étendue confiée à des magistrats de la communauté et choisis par elle. On pourrait ajouter que cet élément de vie municipale ne se dégagea, comue tous les autres , que péniblement et avec lenteur au milieu des luttes séculaires entre la domina- tion féodale et le pouvoir royal. Nous allons voir un modeste épisode de ce long antago- nisme se produire sur le théâtre restreint de la communauté de Garidech , alors inféodée comme vassale à l’ordre des hos- pitaliers de Saint-Jean. Disons avant tout quelques mots sur l'établissement de leur commanderie dans cette localité. On sait que, vers le milieu du onzième siècle, des mar- chands d’Amalphi , dans le royaume de Naples, voyageant en Palestine, fondèrent à Jérusalem une maison hospitalière pour recevoir les chrétiens de tout pays qu'un pieux pèlerinage at- ürait vers les Lieux saints. Les pauvres y étaient nourris et entretenus, les malades soignés ; et les maîtres de cet asile n'étaient que les humbles serviteurs et les infirmiers des pèlerins qui venaient se confier à leur pitié et à leur dévouement. Cette maison fut l'humble bercean de l’ordre religieux et militaire qui remplit le monde chrétien de son nom, étendit au loin son pouvoir et la protection de ses armes , opposa aux (1) Recueil des ordonnances des Rois de France , tom. xt , Préface, 296 MÉMOIRES enfants de Mahomet les plus redoutables adversaires, et mar- cha souvent l’égal des plus puissants princes de l'Occident. La chrétienté tout entière s'était émue au grand événement de la délivrance du Saint-Sépulcre; et l’on accourait de tou- tes parts pour apporter un pieux tribut de reconnaissance et de respect aux lieux consacrés par la vie et la mort du divin Rédempteur. La mission des hospitaliers allait grandissant avec l’ardeur des voyages ; et, franchissant bientôt les limites de la Pales- tine, elle étendait sa protection et ses secours aux diverses contrées où se recrutaient à la fois les nouveaux soldats de la croisade, et cette armée pacifique de pèlerins qui voulaient voir de leurs yeux le théâtre vénéré de tant de merveilles. C'est ainsi que des hôpitaux furent fondés dans plusieurs provinces maritimes de l’Europe ; et ces maisons’, qui étaient, suivant l'expression de l'abbé de Vertot (1), comme des filles de celles de Jérusalem, servaient à recueillir les pèlerins qui se préparaient au voyage de la Terre sainte. Ils y trouvaient à la fois des soins et des secours s'ils étaient malades, des moyens d'embarquement, de direction et de défense contre les périls d’une longue traversée. Au nombre de ces asiles hospitaliers, on doit placer dans les premiers rangs, sous le rapport de l'importance comme dans l'ordre chronologique, la maison de Saint-Gilles en Provence, dépendant du comté de ce nom, qui fut l’un des principaux apanages des Comtes de Toulouse, et qui donna sa dénomina- tion glorieuse à l’illustre rival de Godefroy de Bouillon. Saint-Gilles avec son port, heureusement situé sur le Rhône, offrait un lieu commode et sûr d’embarcation aux nombreux pèlerins qui s'y rendaient des provinces les plus éloignées. Cette maison, qui ne fut d’abord qu'un simple hôpital , comme dans son origine la maison-mère de Saint-Jean de Jé- rusalem, devint le chef-lieu d’un des principaux prieurés de (4) Histoire des Chevaliers de Malte, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 227 l'ordre, lorsque, vers le milieu du douzième siècle, les hos- pitaliers, sans perdre leur premier caractère, furent enga- gés à la fois dans les liens religieux et dans la profession des armes pour la défense des Lieux saints contre les infidèles. Saint-Gilles fut donc, en ces temps reculés, comme la ca- pitale des possessions de l’ordre dans la langue de Provence et même dans une partie du Dauphiné, possessions qui s’aug- mentaient par les libéralités des princes et seigneurs. Dans l'étendue de ce prieuré furent successivement com- prises cinquante commanderies, dont l’une, au témoignage de l’abbé d'Expilly, était la commanderie de Garidech (1). L'importance hiérarchique et territoriale du prieuré de Saint-Gilles, ainsi que son ancienneté relative peuvent expli- quer pourquoi la commanderie de Garidech , village situé pour ainsi dire à quelques pas du gardiage de Toulouse , a été pour- tant une dépendance de ce prieuré, dont la fondation est due, selon les probabilités historiques, au Comte Raymond IV lui- même , l’un des chefs de la croisade. Toujours est-il certain qu'il existait au commencement du douzième siècle (2). Un peu plus tard, les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusa- lem s'établirent à Toulouse. En 1120, l'évêque Amélius leur fit concession de l’église de Saint-Remi; c’est en 1315 seulement que la maison hospitalière de cette ville fut érigée en grand prieuré (3). La commanderie de Garidech doit remonter au temps des premières fondations de l’ordre dans la langue de Provence. (1) Garideche — I1 y a une commanderie de l’ordre de {Malte , de la langue de Provence et du grand prieuré de Saint-Gilles ; elle vaut environ 5,000 liv. de rente. — Expilly, Dictionnaire géograph. de la France , t. 3, p. 555. (2) Histoire générale du Languedoc , liv. 16, $31, p. 25 et suiv. (3) « Elle fut érigée en grand-prieuré sans doute , à l’occasion de l'union qui fut faite, vers le mème temps, des biens de l’ordre des Templiers, à celui de Saint-Jean de Jérusalem , qui par là s'agrandit beaucoup. Les pre- miers avaient une maison à Toulouse , qui fut unie à celle de Saint-Remi des Hospitaliers , laquelle porte depuis longtemps , le nom de Saint-Jean. » Hist. générale du Languedoc. 228 MÉMOIRES Vers le milieu du treizième siècle, ainsi que nous le prouve- rons bientôt, on voit le Commandeur défendre contre le Pro- cureur du roi des prérogatives contestées, et provoquer une enquête dont l'instrument est conservé aux archives départe- mentales. Ce document, écrit sur une longue feuille de parchemin, est un acte bien caractérisé de procédure, une véritable en- quête sur les droits de juridiction respectifs entre le Procu- reur du roi et les Frères hospitaliers de Garidech. C'est Égide Camel qui comparaît en sa qualité de Procureur du roi ( Procurator regis) devant les Commissaires , et atteste, « à l'encontre de frère Raymond d’Aure, Précepteur , étant à Toulouse, et Les Frères de la maison hospitalière de Jérusalem, que ledit Précepteur n'a exercé que la moyenne justice (minorem jurisdictionem ) dans ledit lieu de Garidech. I affirme et soutient que l'autorité judiciaire , unie au commandement (merum et mixtum imperium ) appartient au seigneur Roi, que la plénitude de jurisdiction dans ledit lieu de Garidech ne peut appartenir qu'au Roi, et que les défendeurs (rei) n’ont pas le droit, au nom de ladite maison hospitalière, d'y exercer la haute justice. » Ledit Procureur du roi demande en conséquence qu'il soit fait inhibition d'exercer à l'avenir cette juridiction dans ledit lieu, et qu'il soit déclaré par les seigneurs commissaires, et en forme de sentence, qu'au Roi seul appartient un pareil droit. » De son côté, le Précepteur réclame contre ce témoignage, dit et prétend que ce qu'on demande ne doit pas être accordé ; après quoi le serment est prêté, et l’on procède à l'audition des témoins (1). (1) Fuit juratum de calumnia et post juramentum , processus prestitus, ete. Ce mode de serment était de tradition romaine. ARome, un plaideur était obligé de jurer qu’il croyait sa cause bonne : cest ce qu'on nommait le serment de calomnie. — V. Heineccius, Antiq., lib. 1v, t. 16. L. 2, Cod. de jurejurando calumn. ij, 59. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 299 Témoins du Seigneur Roi. » Le premier témoin dépose que le village ou lieu de Gari- dech est dans le bailliage ou du bailliage de Buzet, et qu'il y à cinquante ans ou à peu près, il a vu des habitants de Garidech être pris en gage pour des albergues dues au Comte, par. les baillis de Buzet. » Un second témoin affirme aussi que l’albergue était pereue par le seigneur Raymond, et d’autres ajoutent que toujours, dans les temps les plus anciens, le lieu de Garidech et le bailliage de Buzet ont été dans le comté de Toulouse. » Deux témoins déposent que Guillaume Agualfa, baïlli de Buzet, pour le Comte Raymond dernier décédé, saisit et arrêta le nommé Hugues Amati, habitant de Garidech , pour un délit d'outrage aux mœurs. Il le vit conduire lui-même à Buzet et enfermer dans la prison dudit Comte. » Ce fait est attesté par une autre personne qui en fait re- monter la date à trente-six ans. » Non moins aflirmatif, un cinquième témoin déclare qu'il a été pendant trois ans, bailli de Buzet, du temps du sei- gneur À. ( Alphonse ), comte de Poitiers et de Toulouse ; qu'il remplit les fonctions de baiïlli à Garidech et autres lieux dé- pendants du bailliage, en exerçant, au nom dudit seigneur, toute juridiction, suivant l'occurrence des cas. Défense du Précepteur de Garidech. » Ledit Précepteur, aux nom et qualité que ci-dessus, dit et affirme que, tant ledit Précepteur que les Frères de la Maison hospitalière et leur prédécesseur eurent, tinrent et possé- dèrent ladite maison hospitalière de Garidech, avec toutes ses appartenances et dépendances , avec l'empire pur et mixte ( mero el mixto imperio), et toute justice, haute, moyenne et basse dudit lieu ou ville de Garidech: qu'il tient cette Juri- diction comme sienne et justement acquise depuis trente, 230 MÉMOIRES quarante, cinquante, soixante, soixante-dix ans et plus, et depuis un temps immémorial;.,... cemme aussi, depuis ce même temps, 1l existait et il existe encore des chaînes et glaives relatifs à l'empire pur et mixte, dans ladite ville ou lieu de Garidech,...…. et qu'enfin ce droit de juridiction pleine et entière a été exercé de tout temps par ledit Pré- cepteur et les Frères hospitaliers, au vu et su des Comtes de Toulouse, du Sénéchal et des baillis, et sans contradiction de leur part. » Il affirme , en outre, que la plénitude d’empire et de juridiction appartient au Précepteur et aux Frères hospita- liers de Jérusalem, soit par titres, possession immémoriale, usage et coutume, don, concession ou transaction entre la- dite maison de Saint-Jean et le seigneur Roi ou toute autre cause ;...… que lesdits Frères hospitaliers sont également en possession de constituer ou instituer les consuls dans ladite ville de Garidech et ses dépendances; d'y établir et d'y insti- tuer des gardiens pour les moissons et pour les vignes, les blés , etc. , d'y recevoir les réclamations et plaintes en justice majeure et mineure ; qu'ils ont joui de ces droits depuis trente, quarante, cinquante, soixante, soixante-dix ans et plus, et depuis un temps si long qu'il n’y a pas souvenir du con- traire. » Après cet exposé, un grand nombre de faits sont cités à l'appui des prétentions du Précepteur. « Cest ainsi qu'un homme aurait été condamné , il y avait treize ans, par sentence de la Cour des hospitaliers de Ga- ridech , à courir dans la ville, à être marqué au front pour avoir volé une poule et une paire de souliers. » Un autre individu fut condamné, quinze ans auparavant, par la même Cour, à être fustigé par la ville et à perdre ses biens, parce qu'il avait volé des fourrages et des outils : le coupable de ce crime fut détenu longtemps dans la prison des Hospitaliers; il fut fustigé et perdit ses biens. » Il y a trois ans environ qu’une femme , nommée Amalvina, fut condamnée par ladite Cour à courir par la ville, à s'ar- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 231 rêter sur le fort, et à être marquée au front pour avoir volé une chemise, trois linceuls et du lin. » Deux hommes furent condamnés, il y a cinquante-cinq ans, par ladite Cour, à payer 50 solidos tolosanos pour avoir volé, de nuit, des raisins et des branches: ils furent en- fermés dans la prison des Hospitaliers , et les 50 solidi furent payés au Précepteur de ladite maison. » Il fut fait enquête, d'autorité de la même Cour, dans la ville de Garidech, contre un nommé Guilhaume Barbier, de Toulouse , accusé d’avoir, par violence, et sur la voie publi- que, dans le territoire dudit Garidech, attenté à la pudeur de Guilhaumette de Aviraco, de Toulouse; et ledit Guilhaume fut arrêté et détenu dans la prison des Hospitaliers, jusqu’au jour où par sentence définitive, il fut absous. Ladite sen- tence d'absolution fut rendue par ladite Cour, il y a environ dix ans. » Il a été fait, en outre, diverses enquêtes, soit par le Pré- cepteur susdit, soit par ses prédécesseurs, sur des actes et des faits qui arrivaient ou se produisaient dans la ville de Garidech, son territoire et ses dépendances. » [l est enfin de notoriété publique que toutes et chacune de ces choses s’y sont passées. » Le procès-verbal d'enquête se termine par ces mots : « Toutes les choses susdites ont été déniées par le Procureur du seigneur Roi (Procurator Domini Regis (1).» Ce curieux document reste muet sur l'issue du litige entre le Procureur du roi et les Frères Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le parchemin sur lequel est transcrite l'enquête, rédigée en latin , d’où nous avons extrait les passages qu'on vient de lire, est ainsi coté : Partie de la procédure faite pour raison de la (1) Les rois des deux premières dynasties eurent leurs procureurs que l’on appelait tantôt Procuratores, tantôt Actores regis ; ils étaient chargés de Ja manutention du domaine de la Couronne , et de la défense de ses droits de= vant les tribunaux, — Henrion de Pansey, de l'Aut. jud., ch. Xn, p. 181. 232 MÉMOIRES haute justice de Garidech , par le Procureur du roi, contre le Commandeur dudit Garidech. . Quel est le caractère de ce document, quelle est sa date ? Nous ferons à cet égard quelques observations. Le droit de distribuer la justice est un des attributs carac- téristiques de la souveraineté ; s'il émana de la puissance royale dans les premiers temps de la monarchie française, le principe de ce pouvoir alla s’altérant sous l'action envahis- sante de la féodalité , et les juridictions du fief devenaieut patrimoniales comme le domaine féodal lui-même (1). La réaction de la royauté luttant contre cette puissance ri- vale pour ressaisir à la fois l'épée et la main de justice, les tentatives de l’une se produisant sous diverses formes, les résistances de l’autre, l'intervention de l'élément municipal prenant part dans cette longue et vive querelle, forment un des plus saisissants spectacles que puisse offrir l'histoire du moyen àge. Ce n’est plus seulement, dit Henrion de Pansey (2) comme suzerains que les rois agissent, ils combinent avec tant d'ha- bileté leurs forces avec celles des villes de commune, que bientôt on les voit commander en souverains, et, par un Sys- tème d'administration aussi sage que constamment suivi, rattacher successivement à leur sceptre toutes les prérogatives que les seigneurs en avaient arrachées..……. Les communes virent encore, et très-efficacement, se multiplier les justices royales. » Ce fut, en effet, moins par la force et l'exercice d'un pou- voir arbitraire que par le mouvement des idées et les ten- dances morales des populations, que cette révolution s'ac- complissait. (1) Au premier degré de la hiérarchie judiciaire siégait le Roi, juge su— prème. (M. Lafcrrière, Histoire du Droit français, L. 3, p. 425). — Voir, sur les origines des justices seigneuviales , Loyseau, passinr. (2) De l'Aulorilé judiciaire , Etrod., p. 30, 31. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 233 Suivant la remarque de Montesquieu (1), «ce ne fut point une loi qui défendit aux seigneurs de tenir eux-mêmes leurs cours ; ce ne fut point une loi qui abolit les fonctions que leurs pairs y avaient; il n'y eut point de loi qui ordonnât de créer des baillis; ce ne fut point par une loi qu'ils eurent le droit de juger; tout cela se fit peu à peu, et par la force des choses. » En procédant à des réformes qui augmentaient sa puis- sance , la royauté semblait donc obéir au vœu général : car tels sont les instincts des populations, que, sans trop s’in- quiéter des chances incertaines de l'avenir , elles bénissent les changements qui leur procurent un bien-être immédiat, peu jalouses de rechercher les causes ou les conséquences éloi- gnées d'un acte ou d'un événement qui donne satisfaction à leurs besoins et à leurs désirs actuels. C'était aussi par voie d'enquête publique, et par délégation des commissaires royaux qu'on préludait aux réformes, sur- tout quand elles se rapportaient à l'ordre des juridictions et à l'administration de la justice. On lit dans l'Histoire générale du Languedoc (2), qu'après avoir recueilli l'héritage des comtes 'de Toulouse , le roi Phi- lippe le Hardi envoya, en 1275; des commissaires dans le Toulousain pour y faire la recherche de ses droits; ce qui im- pliquait nécessairement des enquêtes sur les immunités, pri- viléges et franchises des habitants. En 1277 deux autres inquisiteurs où commissaires furent envoyés dans les sénéchaussées de Toulouse et d'Agen pour informer sur les excès que les sénéchaux, juges, baillis, notaires tabellions pouvaient avoir commis dans les fonc- tions de leurs charges. Il y à tout lieu de croire que, dans le cercle indéfini de ces investigations générales, qui embrassaient les droits du Roi, (1) Esprit des Lois, liv. 28, ch. 43. {2) Dom Vaissete , liv. 27, passim. $ 19, 20 , 21 et suiv., $ 43. 234 MÉMOIRES les franchises locales et l'administration de la justice, devaient être compris l’ordre des juridictions, et le concours assez mal limité des justices royales et seigneuriales. Ces données historiques permettent d'affirmer que le do- cument dont nous avons fait mention plus haut, appartient à cette époque reculée, à cette seconde moitié du xin® siècle qui vits’opérer la réunion du comté de Toulouse à la couronne. La teneur des enquêtes nous autorise même à fixer la dâte avec une certaine précision. Deux des témoins déclarent, en effet, que le baïlli du comte Raymond, dernier décédé, avait fait arrêter un homme in- culpé d’outrage à la pudeur ; et cet acte d'autorité remonte à trente-six ans. Un autre témoin déclare à son tour qu'il a été, pendant trois ans, bailli du seigneur A., comte de Poitiers et de Toulouse; — c’est-à-dire, d'Alphonse frère de saint Louis, et comte de Poitiers, qui succéda à Raymond VII, comte de Toulouse, décédé en 1249. Le rapprochement de ces témoignages prouve que l'enquête a eu lieu après la mort du comte Raymond , dans la période de 36 ans qui l'a suivie, c'est-à-dire, entre l’année 1249 et l'année 1285. D'un autre côté elle est postérieure au mois d'août de l’année 1271, époque de la mort d’Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, puisque c’est le Procureur du roi, successeur de ce Comte, qui intervient dans ce débat. C'est donc dans l'intervalle écoulé entre l'année 1271 et l'année 1285 que l'enquête s’est accomplie. Philippe II, dit le Hardi, succéda, comme on sait, en vertu du traité de Paris, de 1229, au comte de Toulouse, mort sans postérité masculine. Après avoir pris possession du comté , le Roi délégua à ses commissaires le soin de faire reconnaitre son autorité et ses droits dans toute l'étendue de ses domaines, d'ins- tituer de nouveaux sénéchaux , châtelains, viguiers, juges et autres ofliciers, dans les lieux où il y en avait déjà d'établis. Le commissaire Cohardon , dit l’auteur de l'Histoire DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 235 générale du Languedoc (1), parcourut les différents bailliages qui composaient le comté de Toulouse, tant pour y saisir et mettre sous la main du Roi tous les châteaux et villages qui en dépendaient, que pour recevoir les serments de fidélité des nobles et des peuples, lesquels se prêtèrent sous la réserve de leurs libertés et de leurs coutumes. Il se rendit d’abord à Verdun sur la Garonne, ensuite à Belleperche, Castelsar- rasin , Moissac, Villemur et Buzet; puis son lieutenant con- tinua les procédures. Si, comme l'observe encore l’auteur déjà cité (2), les nou- veaux officiers reçurent ordre de régir et gouverner le pays sui- vant ses usages et ses coutumes, de s'abstenir de tout abus et de toute nouveauté, sauf, en toutes choses, les droits du Roi, il était rationnel de faire des procédures et ouvrir des en- quêtes pour rechercher les usages et coutumes locales. Quoi qu'il en soit, et pour rentrer dans l'objet de cette monographie, il est maintenant bien attesté que le bailliage ou la préceptorerie des Frères hospitaliers, à Garidech, exis- tait dans la première moitié du x siècle. Il y a tout lieu de croire que ce bailliage leur avait été in- féodé, soit par Raymond IV, premier bienfaiteur de l’ordre dans la Langue de Provence, soit par ses successeurs im- médiats. L'inféodation concédée, les Précepteurs durent s’efforcer d'en étendre les effets et les prérogatives, surtout par rapport à la juridiction , qui est l’un des éléments constitutifs de l'autorité souveraine. A ce point de vue, l'enquête dont nous avons reproduit les principaux traits, nous semble avoir une importance histo- rique, parce qu’elle retrace une scène de cet antagonisme prolongé, durant le moyen âge, entre les justices royales et seigneuriales. On remarquera dans ce document que, tandis (1) Liv. 27, $ 3, pag. 165. (2) Liv. 27, $ 3, pag. 165. 236 MÉMOIRES que le Procureur du roi produit des témoins qui déposent des faits passés sous leurs yeux, le Précepteur des Hospita- liers se renferme dans des assertions personnelles, et fait remonter à des conjectures vagues de concessions, transac- tions , usages et coutumes la plénitude de juridiction ré- clamée au nom des Frères de son ordre. S'ils tâchaient d'accroître leurs pouvoirs , les Hospitaliers , par des acquisitions particulières, augmentaient aussi le ter- ritoire de leur fief. On trouve dans un répertoire, également déposé aux archives, des mentions et copies d'actes de vente. L'an d'eux est à la date du mois de mai 1232 : c’est Vidal Robert qui fait vente aux religieux de Saint-Jean de tout ce qu'il possède, en l'honneur et deymerie de Garidech , hommes ou femmes, avec terres tenant. Cette formule semble révéler la coexistence de plusieurs seigneuries féodales, en même temps qu'elle indique une des conséquences de l’état de servage à cette époque. Ces acquisitions se multiplient pendant le cours du xun siècle , et avec elles s’augmentaient les revenus de la pré- ceptorerie. Mais, au commencement du x1v° siècle un grand événement s’accomplit, qui vint accroître considérablement l'importance et les richesses des Hospitaliers de Jérusalem : la suppression de l’ordre des Templiers, résolue et consom- mée en 1310, fit passer une grande partie de leurs domaines entre les mains des chevaliers de Saint-Jean (1). C’est ainsi qu'à Toulouse la maison du Temple (rue de la Dalbade ) fut donnée à cet ordre rival (2). (1) Voy. l'Histoire du Lanquedoc , t.T, p. 8. (2) Cette maison faisait suite, dans la rue de la Dalbade, à l'espace actuelle- ment occupé par l'hôtel construit par le président de Clari (Maison de pierre ). Voir les notes de l'Histoire du Languedoc, p. 9, tar: Voilà comment les Hospitaliers de Saint-Jean, établis d’abord dans la maison ou église de Saint-Remy ( Histoire du Languedoc, t.4, p. 25), entrè- rent en possession des bâtiments voisins , possédés par l'ordre du Temple. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 237 Nous allons voir comment le bailliage de Garidech fut ratta- ché et devint un peu plus tard inhérent à l'établissement nou- veau des Frères hospitaliers. Chacune des commanderies était tenue de remettre an- nuellement au Prieur, pour être envoyée au trésor commun de l'ordre , une somme d'argent, d’après un rôle et des taxes fixées dans le chapitre général. Cette contribution périodique était appelée responsion. Indépendamment de cette charge ordinaire , une affectation spéciale fut donnée aux revenus de la commanderie de Gari- dech, dès le commencement du quinzième siècle. À cette époque l’ardeur des pèlerinages ne s'était point ra- lentie ; la ville de Toulouse était particulièrement le rendez- vous des nombreux pèlerins qui se rendaient en Galice pour visiter les reliques de Saint-Jacques de Compostelle. Les prieurs de Saint-Gilles et de Toulouse demandèrent et obtinrent du Grand - maître de l’ordre la fondation d’une maison hospitalière dans cette dernière ville, pour servir d'asile à ces pieux étrangers que leur dévotion à Saint Jacques poussait par delà les Pyrénées vers le tombeau de l'Apôtre premier martyr. Nous transcrivons ici, en les traduisant, les principales dispositions de la bulle donnée pour cette fondation, par le Grand-maitre de l’ordre, le 24 novembre 1408 : « Nous, Frère Philibert de Naïlhac, par la grâce de Dieu, Grand -maitre de la maison hospitalière de Saint-Jean de Jéru- salem, humble gardien des pauvres de Jésus-Christ, et Nous Chapitre de Rhodes de la même maison (1), à tous ceux qui ces présentes verront, salut. Faisons savoir que notre cher (4) On sait qu'après la prise de Saint-Jean-d’Acre, par le soudan d'Egypte (1291), les Chevaliers de Saint-Jean , forcés de quitter la Palestine , s'établi- rent dans la ville de Limisse (île de Chypre }, et qu'en 1310, ils s'emparèrent de l'ile de Rhodes, où ils demeurèrent jusqu’en l’année 1523. Forcés d’aban- donner cette île à Soliman , ils obtinrent de Charles-Quint la cession de lile de Malte, dont ils prirent possession le 26 novembre 1530. 5° $. — TOME li. 16 238 MÉMOIRES Frère en religion Raymond de Lastury, prieur de Toulouse, précepteur (4) de Chypre, et autres Frères de la langue de Pro- vence, tant dudit prieuré que de notre prieuré de Saint-Gilles présents dans notre assemblée de Rhodes, nous ont exposé que dans la ville de Toulouse affluent en grand nombre de malades étrangers , en pèlerinage pour Saint-Jacques et ail- leurs, ainsi que d’autres n'ayant pas où reposer leur tête ; c’est pourquoi, touchés de pitié, ils nous ont supplié que par nos ordres il soit établi dans notre maison du Temple de Tou- louse, une infirmerie ou hôpital destiné à recevoir les pauvres malades ; laquelle infirmerie sera pourvue des lits, linges, couvertures et autres choses nécessaires à ce service ; et que pour le support plus facile de ces charges et pour les vivres et l’entretien dudit hospice nous daignions affecter la precepto- rerie ou bailliage de Garidech de notre dit prieuré de Tou- louse, sauf toutefois le payement annuel des responsions et autres obligations, ainsi que vingt-quatre quarterées de fro- ment , selon la mesure de Toulouse, que ledit bailliage de Ga- ridech était tenu de servir chaque année au bailliage de Saint- Jean de Toulouse, avec cette condition que ledit prieur de Toulouse et ses successeurs à perpétuité avec le conseil des Frères précepteurs dudit prieuré, en son chapitre provincial , instituera dans ladite infirmerie un Frère de notre maison, suffisant et capable, pour la régie et administration dudit hô- pital et bailliage, exact à payer les responsions et autres char- ges incombant audit bailliage. ....................... , (1) Les biens de l’ordre , en quelques pays qu’ils fussent , dit l'abbé de Ver- tot (Dissertat. sur l’ordre de Malte }, appartenaient au corps de la religion. Les revenus étaient souvent absorbés par les fermiers. On commit alors un Chevalier dont on connaissait la probité et le désintéressement pour régir chaque terre ou chaque portion des biens de l’ordre qui était dans le même canton. La religion les chargeait quelquefois de l’éducation de quelques jeunes Chevaliers novices. Ce supérieur, dans les anciens titres, s'appelait Précepteur , et depuis Commandeur , noms qui signifiaient seulement que l'éducation de ces jeunes Chevaliers et le soin des biens de l’ordre leur étaient recommandés. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 239 » C'est pourquoi, considérant que nous devons être atten- tifs et soigneux pour rendre efficaces les secours et l'hospita- lité en faveur des pauvres de Jésus-Christ et des malades , déférons aux justes désirs des demandeurs... Après délibé- ration de notre conseil , de notre certaine science et grâce spé- ciale}./2,1,. ordonnons et conslituons dès à présent et à tou- jours, les choses telles qu'elles viennent d'être formulées à la requête dudit frère Raymond... Voulons et accordons à ladite infirmerie où hôpital et aux hospitaliers , à perpétuité, ledit bailliage de Garidech avec toutes ses appartenances, dépen- dances, droits actuels et futurs, pour être administrés, gou- vernés , augmentés et améliorés , tant au spirituel qu'au tem- porel, {am in capite quam in membris , sous la réserve des responsions annuelles et autres charges imposées ou à impo - ser raisonnablement, selon la condition des autres bailliages dudit prieuré dans le chapitre provincial du prieuré lui- MÊME... Pour tout le reste qu'il soit disposé du bailliage de Garidech comme il vient d'être dit, sous la réserve ex- presse des vingt-cinq quarterées de froment dues à notre mai- son de Saint-Jean de Toulouse, comme donation et concession perpétuelle en faveur dudit hôpital ou infirmerie. Nous com- mettons lesdits hospitaliers , leurs successeurs , précepteurs et commandeurs, maintenant et à toujours pour l'administration, soins et régie desdits bailliage et infirmeries , pour la garde et protection de leurs droits, tant en demandant qu'en défen- HAE... , ETC. » C'est pourquoi nous ordonnons à tous et chacun nos frères et sœurs, nos vassaux et tous nos autres sujets dans lesdits baïlliages et infirmerie présents et futurs, sous la ré- serve de la foi et hommage qu'ils doivent à notre maison , d'obéir respectueusement audit hospitalier comme à leur pré- cepteur supérieur... , Etc. » Ces formules solennelles , ce langage impératif ne semblent- ils pas émaner d’un souverain qui commande dans la plénitude de sa puissance absolue ? 240 MÉMOIRES Cependant ce pouvoir suprême qui affecte de se produire avec éclat dans la bulle du Grand-maître avait été dès long- temps contesté, nous l'avons vu, par les officiers royaux. L'élément municipal demandait à son tour une part dans l'exercice du gouvernement local : lorsque devant les commis- saires enquêteurs les Hospitaliers s’attribuaient le droit d'ins- tituer et constituer les consuls , cette prérogative leur était déniée ( quod negat procurator regis ). Ce point de vue du lilige ne manque pas non plus d’un in- térêt historique. Le droit allégué de constituer et d'instituer les consuls se rattache d’une manière intime à l'organisation communale. Quel était donc le principe de ce pouvoir consulaire; quelle était la nature et l'étendue de ses attributions? Ni les formes de l'élection, ni les conditions de l’investi- ture ne sont déterminées par des documents authentiques : mais cette qualification même de consuls donnée aux person- nes investies d’une magistrature locale, témoigne de sa nature et révèle la source populaire de ces fonctions. On y voit l'empreinte, la trace et la persistante tradition du régime municipal romain dont la durée n'avait été qu'in- terrompue , et dont le rajeunissement s’opéra particulière- ment dans nos contrées méridionales sous l'influence du mou- vement qui avait, au douzième siècle, donné naissance aux constitutions républicaines de l'Italie. «ILest curieux, dit M. Aug. Thierry (1), d'observer avec quelle promptitude le mouvement qui propageait la réforme ou pour mieux dire la révolution consulaire, atteignit en Languedoc les villes les plus éloignées de lItalie..……. Le con- sulat se montre à Toulouse, en 1188 (2). Pour l'égalité de (1) Pag. 243. Histoire du Tiers état. (2) I y eut avant les Consuls, le Chapitre ou Capitule, Capitulum; où bien le Conseil de ville que l’on voit, en 1152, faire un règlement de police; en 4175 , rendre une décision de concert avec les Consuls. ( Mémoires de l'Aca- démie des Sciences, Inscrip. et Belles-Lettres de Toulouse, t. 1v, 4€ s., p. 158.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 241 développement des institutions municipales, le Languedoc doit être placé en avant de toutes les autres provinces. Les petites villes y étaient, sous ce rapport, au niveau des grandes, et une foule de bourgs et de villages soutenaient la comparaison avec les villes... (1).» Ces citations nous autorisent à affirmer, sans autre preuve, que l'origine du pouvoir consulaire était généralement la même, et que, dans les villages comme dans les grandes cités, il émanait de l'élection populaire, sauf l'institution définitive ou l'investiture par le pouvoir politique ou féodal. Il y avait souvent conflit entre ces deux puissances, pres- que toujours rivales, et dont la lutte se manifestait dans les plus humbles localités, comme dans les plus vastes pro- vinces. On à vu dans le document dont nous avons rendu compte , que le Commandeur de Garidech, alors appelé Précepteur ou Percepteur, revendiquait le droit d’instituer les consuls : et ce droit, il le faisait découler non d’une concession formelle ou d'un titre, mais d’une sorte de prescription fondée sur un long usage, équivalant à la possession caractérisée. Si nous voulions discuter, au point de vue philologique , la valeur des termes constituere , instituere, nous pourrions n'y voir peut-être qu'un droit d'approbation ou d’investiture. Mais ce qu'il importe surtout de constater, c’est que ce droit, dont les Hospitaliers se prétendent investis, est for- mellement contesté par le Procurateur du roi, et qu'il n'est (1) L'élection des magistrats, dit M. de Savigny, (Histoire du Droit romain, t. 3, p. 86), et surtout des consuls qui réunissaient en leurs mains le com- mandement militaire, l'administration civile et la juridiction, était pour les villes la base fondamentale de leur indépendance. Otto de Freysingen le dit expressément, et dans la lutte qu'elles soutiurent contre Frédéric Ier, elles combattaient surtout pour l'élection de leurs consuls. On ne sait pas exactement à quelle époque remonte l'origine de ‘cette ma gistrature ; tout ce que l’on peut faire, c’est d'indiquer l’année où pour Ja première fois on trouve des consuls dans les différentes villes : Milan parait en avoir eu dès l'an 1099. En 1407, il en est fait mention. Gênes avait des consuls en 1100, Brescia en 1104, Mantoue en 1126 , etc. 242 MÉMOIRES point revendiqué pour lui-même. Cette protestation d'une part, ce silence de l'autre, indiquent-ils la volonté de dé- fendre les immunités communales, ou de restreindre et de réprimer les envahissements de la puissance féodale ? L'une et l'autre conjecture sont également admissibles , car la royauté et l'élément municipal, à cette époque , semblaient avoir fait un pacte d'alliance contre les entreprises de la féodalité. Il est donc très-probable que, du moins après les résul- tats de l'enquête et du litige de 1272, l'institution des consuls cessa d’appartenir à l'ordre des Hospitaliers comme seigneurs de Garidech , et que cette modeste magistrature fut élective. Il est du moins certain que la petite communauté de ce village eut un lieu spécial pour ses délibérations, et que ses Consuls y exercèrent une juridiction civile et criminelle. Nous en puisons la preuve dans un document public dé- posé aux archives de la Cour impériale, et qui a pour titre : Lettres d'amortissement en faveur des consuls et communauté de Garidech. Ces lettres d'amortissement, émanées de Louis XIV, à la date du mois de septembre 1688, en conséquence de l’édit du mois d'avril 1639, renferme les énonciations qui suivent : «En exécution duquel édit, les consuls et habitants du lieu de Garidech nous auraient fait remontrer que, pour jouir du bénéfice d’icelui, ils ont rapporté ledit dénombrement des biens, droits et facultés qu'ils possèdent, consistant en un petit pâtis dans le fort, près l'entrée d'icelui. Ledit pâtis est alivré sous le nom de la communauté dans le cadastre du lieu fait en 1616: il est fait de plus déclaration par ladite com- munauté, comme les Consuls étaient juges en 1639 des affaires criminelles, avec un assesseur par prévention avec le juge du seigneur engagiste, et le sont encore ; et de plus juges en seul de la police et petites causes jusques à cent sols, ensemble des gages des valets. » Plus ladite communauté a l'usage de temps immémorial DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 243 d'une place publique sans être couverte, hors le fort, con- fronté , etc. : elle ne porte aucun revenu : on y tient les déli- bérations, etc... » À ces causes, nous avons permis et permeltons aux consuls et habitants dudit lieu de Garidech et leurs successeurs de tenir, posséder les héritages et droits ci-dessus exprimés et contenus dans leurs dénombrements, et à cette fin nous les avons bien et dûment amortis, etc.» En rapprochant cet édit de l'enquête du xim° siècle sur la lutte des juridictions royales et seigneuriales , on voit les mo- difications profondes que le temps avait amenées dans ces ins- titutions locales, et le progrès accompli quant à la juridic- tion en faveur du régime municipal. On ne saurait apporter dans ces investigations des dates précises. Ce droit de juridiction, reconnu par l'amortissement de l’année 1688, les consuls de Garidech l'avaient sans doute insensiblement acquis par l'effet des concessions royales, selon cette tendance générale des idées et du mouvement des esprits qui associaient l'autorité du prince et les immunités de la commune dans une sorte de ligue offensive et défensive contre la puissance rivale de la féodalié. Il serait difficile de trouver l’origine de ce droit de justice, exercé par les Con- suls de Garidech. Des pièces de procédure , mêlées aux liasses des archives prouvent que tout au moins, au xvi' siècle, cette juridiction était en vigueur, et qu’elle s'étendait même au delà des limites de compétence déterminées par l’édit d’amor- tissement. Cest ainsi que des requêtes sont présentées aux Consuls en 1557 par les syndics des habitants, afin d'obtenir qu'il soit procédé à la reconstruction, réparation ou achèvement de l’église commencée depuis longtemps. Les habitants de- mandent, et les Consuls déclarent que le Commandeur aurait pris l'engagement de fournir pour cette reconstruction la troisième partie des fruits décimaux. Ils ordonnent en conséquence que les biens et fruits déci- maux soient prins et mis soubs la main du Roy et de la court, « 244 MÉMOIRES pour étre vendus à la requête publique , pour l'argent en pro- venant étre employé au dit édifice. On voit à la même date, année 1557, une requête en plainte et remontrance, présentée également aux consuls par le nommé Pontat, maçon de Toulouse, exposant que sont passés trente-cinq ans depuis qu ‘il a pris à bâtir l'église, et il accuse le défaillement tant des syndics que du Commandeur ou de ses prédécesseurs. Ce tableau des petites luttes intestines qui s’agitaient dans la commune, ces plaintes et ces procédures font un singulier contraste avec le langage fier et superbe qu'on remarque dans la bulle du Grand-maître des Hospitaliers. On dirait les parties mal jointes d'un édifice qui craque, miné par le temps. C’est un travail de décomposition qui se poursuit au milieu des agressions et des résistances; symptôme précur- seur d’une prochaine rupture. Après avoir gagné du terrain sur le domaine de la féoda- lité, l'élément municipal subit peu à peu la prépondérance progressive de l'autorité royale pour s’absorber presque en- tièrement dans le réseau administratif de la monarchie de Louis XIV et de ses successeurs, jusques aux rénovations ra- dicales de 89. L'institntion du juge de paix, qui sortit du mouvement social de cette époque, remplaça, sous le rapport de la ju- ridiction inférieure, la magistrature locale, dont les consuls étaient investis. Le pouvoir nouveau des juges de paix et des prud'hommes assesseurs, procédait, comme celui des anciens consuls, de l'élection populaire. Après les transformations successives qui se sont opérées dans ces derniers temps, la seule trace des vieilles juridic- tions municipales s'aperçoit dans une disposition presque oubliée d'un de nos Codes, qui donne aux Maires des com- munes non chefs-lieux de canton, le droit de connaître, concurremment avec les juges de paix, des contraventions commises dans l'étendue de leurs communes par les per- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 245 sonnes prises en flagrant délit, quand l'indemnité du dom- mage réclamé ne dépasse pas une certaine limite (1). Si, pour employer les expressions d'Henrion de Pansey, après celles de Bretigny, déjà cité, la juridiction conférée aux Officiers municipaux est un attribut essentiel de la com- mune , il en faudrait conclure que l'unité communale à perdu le principal élément de son existence et la plus importante de ses immunités. (1) Art. 166 du Cod. d’instr. crimin. 246 MÉMOIRES pren er diem meiersesss RHÉTORIQUE ANCIENNE. ANALYSE CRITIQUE DU PHÈDRE DE PLATON ; Par M. HAMEL. (Séance du jeudi 13 janvier 1859.) PLATON , dans un de ses plus gracieux dialogues, met en scène son maître, énumérant devant le jeune Phèdre, avec une admiration ironique , les merveilleuses inventions des rhéteurs de son temps. À l’époque où l’on peut rapporter avec le plus de vraisemblance l’action de ce dialogue (4), il n’y avait guère plus de cinquante ans que l’art oratoire était passé, en Grèce, de la pratique à la théorie, et déjà les maîtres avaient succédé aux maîtres, les traités aux traités, et l’on enseignait mille recettes ingénieuses pour éblouir les esprits et séduire les cœurs. Dans cette terre depuis longtemps préparée pour la re- cevoir, la rhétorique, sous l'influence des circonstances les plus favorables, avait grandi promptement, poussant à la fois toutes ses branches, se couvrant de toutes ses fleurs. (1) L'époque à laquelle doit être rapportée l’action du Phedre flotte entre l'année 411 et l'année 406 avant Jésus-Christ. Isocrate , dont il est parlé à la fin du dialogue comme d’un jeune homme , aurait eu alors de vingt-cinq à trente ans. Quant à la composition même du dialogue, je ne crois pas qu’elle appartienne à la première jeunesse de Platon, comme le dit Diogène de Laërte (111, 38), et comme l'ont soutenu Schleiermacher, Ast, et Van Heusde; je me range à l'avis de Socher et de Stallbaum qui la placent un peu après l’année 488. Platon avait alors plus de quarante ans. Cf. Soch. de Seript. Plat., paz. 301-395 et Stallb. Prolegom. ad Phædr., pag. XIX-XXUT. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 247 Formés et polis par les chefs-d'œuvre d’une poésie contem- poraine des premiers âges, aiguisés tout nouvellement par les subtilités de la dialectique, les esprits s'étaient trouvés prêts pour les luttes de la parole, que multipliaient sur la place publique et dans les tribunaux les progrès de la démo- cratie, joints à la complication croissante des intérêts privés. À ce moment, était née la rhétorique du besoin de mettre à la portée de tous les procédés du talent , restés jusqu'alors le pri- vilége d’un petit nombre. Ainsi que la Comédie, cette autre fille de la démocratie, la rhétorique se montra presque en même temps sur divers points de la Grèce; mais elle se développa surtout dans deux foyers principaux, Syracuse et Athènes. C’est en Sicile, chez ce peuple naturellement subtil et disputeur, comme dit Cicéron (1), qu'elle semble avoir fait sa première apparition, vers l’année 466, après l’expulsion des Tyrans, qui suivit dans l’île entière celle de Thrasybule à Syracuse, lorsque les tribunaux , depuis long- temps fermés, se rouvrirent pour faire droit aux réclamations desparticuliers. Alors Corax et son disciple Tisias construisirent les premiers un plaidoyer en forme, donnant aux divisions fon- damentales qu’ils y établissent, les noms qu'elles ont depuis con- servés à travers tous les progrès de l’art (2).Pendant ce temps-là, Athènes, centre des arts et de la démocratie, appelait de tous les côtés dans son sein les maîtres de la parole, qui, sous le nom de sophistes, venaient y chercher à la fois la consécration de leur renommée et un emploi lucratif de leur talent. Platon nous montre dans le Protagoras les principaux d’entre eux', se donnant en spectacle à une jeunesse avide d'écouter leurs le- çons, étalant à l’envi l’un de l’autre les merveilles et les fines- ses de leur art : Protagoras, ses belles fables et ses discours sayamment préparés; Prodicus , ses subtiles distinctions de mots ; Hippias, son langage pompeux et magnifique (3). C'est (1) C. Brutus, c. 12 : Acula gens et controversa natura. (2) Prolegom. in Hermog. Rhet. Walz, 1V, 12. (3) Protag. passim. 248 MÉMOIRES aussi l'époque des triomphes du Léontin Gorgias, qui, envoyé par ses concitoyens pour implorer le secours d'Athènes contre Syracuse, emporte les suffrages du peuple, séduit par les charmes d’une harmonie inconnue jusqu'alors. Il faut citer encore, à côté de Gorgias, son élégant disciple, Polus d'Agri- gente, les deux poëtes Lycimnius et Evénus de Paros, qui transportent dans la prose et jusque dans leurs traités les ima- ges et le luxe de la poésie ; Théodore de Byzance, qui multi- plie les divisions du discours, et enfin celui que Platon appelle, par une périphrase homérique, la force du chalcédonien (ro x2%ændoviou cûévos), Thrasymaque de Chalcédoine, orateur puis- sant et pathétique, « capable ( je cite encore Platon) de mettre en fureur une multitude, et aussitôt après de charmer sa colère et de l’apprivoiser (1). » Ce qui faisait à Athènes le succès de ces brillantsétrangers, ce n'était pas seulement la séduction des plaisirs variés par les- quels ils flattaient l'oreille; c'est qu'ils promettaient aux jeunes gens, dans cette ville où tout dépendait du peuple et où le peuple dépendait de la parole (2), de leur apprendre à parler sur tout sansrien savoir. Les esprits étaient alors préparés au doute par les sourdes attaques des philosophes contre les croyances vul- gaires, et plus encore par la lutte des divers systèmes philosophi- ques qui s'étaient succédé, en se détruisant les unsles autres. Les sophistes, et après eux les rhéteurs avec lesquels ils se confon- dent, profitèrent de cette disposition pour proclamer que la vérilé n'existait pas, ou que, si elle existait, il était impos- sible à l'homme de l’atteindre. A la place de la science, ils mirent l'opinion, mobile et changeante comme la multitude à laquelle s'adresse l'orateur. Pour opérer la persuasion, objet et fin de la rhétorique , il suffisait, disaient-ils, de faire bril- ler aux yeux les divers aspects de la vraisemblance, en soute- nant tour à tour, suivant le besoin du moment, le pour et le (1) Phædr., pag. 267, C, D. (2) Fénelon, Left. à l’Académie. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 249 contre sur toutes les questions. Egarer l'ignorance , entrainer les passions, flatter les sens, c'était l'art tout entier, et les moyens offerts par les rhéteurs à leurs disciples répondaient au but qu'ils leur proposaient. C'est au milieu de ses triomphes et de ses abus que Socrate et Platon attaquent la rhétorique. Socrate commença par se poser en face du rhéteur comme une vivante antithèse ; ses principes de morale, son désintéressement, la simplicité de ses manières, la forme familière de son enseignement étaient déjà une critique en action de leur morale relâchée , de leur avidité, de leurs pompeux discours et du magnifique appareil dont ils aimaient à s’entourer. Nulle part le contraste ne s'offre à nous d'une manière plus piquante que dans le dialogue où Platon nous montre son maître vis-à-vis du fastueux Hippias. L'image de Socrate, idéalisée ici par la comédie , n’en est que plus ressemblante; quant à ses propres idées sur l’art ora- toire, l'expression est loin d’en être aussi nette; elles se con- fondent même trop avec celles de son disciple pour qu'on puisse distinguer d’une manière certaine ce qui appartient à chacun d'eux. Il faut donc se contenter de les saisir dans cette unité complexe où elles nous sont parvenues. Platon à pris la rhétorique pour sujet spécial de trois de ses dialogues, le Phèdre, le Gorgias et le Ménexène. Dans le Phèdre, il combat les rhéteurs au nom de l’art, opposant ses doctrines à leurs procédés, traçant à grands traits le plan d'une rhétorique vraiment philosophique, fondée sur l'étude des hommes et des choses. Dans le Gorgias, considérant la rhétorique au point de vue moral, il condamne les applications qui en ont été faites soit dans les tribunaux, soit sur la place publique, et il la relègue, ainsi dégradée, parmi les métiers les plus vils. Enfin dans le Ménexène , l'art et la morale sont encore intéressés dans une question particulière, qui n'était pas sans importance à Athènes, celle des oraisons funèbres. Je me propose d'étudier successivement ces trois dialogues , en commençant par le Phèdre. J'ai dit que le sujet du. Phèdre était la rhétorique ; toutefois 250 MÉMOIRES l'opinion commune et la plus ancienne est contraire à cette assertion, ainsi que le prouvent les titres supplémentaires de ce dialogue (à repi épwros, à wep xxhod). Le Phèdre comprend en eflet deux parties tout à fait distinctes, dont la première est remplie presque entièrement par trois discours sur l'amour, et la seconde par une discussion sur la rhétorique. La ques- tion de l'amour, rattachée dans le troisième discours à celle du beau, y prend une telle extension, et résume si bien dans ses développements les principes généraux de la philosophie pla- tonicienne, qu'elle a pu être considérée comme le véritable sujet du dialogue. D’après cette opinion, la discussion sur la rhé- torique ne serait plus qu'un hors-d'œuvre, n'ayant avec les discours qu'un rapport fortuit. Platon, le grand artiste, aurait ici manqué à cette loi de l’anité qui est la loi suprême de l'art grec. Telle n'est pas, je le crois du reste avec plus d’un inter- prète de Platon , la conclusion à laquelle il faut s'arrêter (4). Quelle que soit l'importance du troisième discours , le sujet de ce discours n'est pas le sujet du dialogue; 1l se ramène, comme les deux premiers, à l'exposition des idées platonicien- nes sur la rhétorique. Les trois discours servent également d'exemple. L'un, attribué par Platon à l'orateur Lysias , est un exemple de la mauvaise rhétorique qu'il combat; les deux au- (1) L'opinion que je développe dans ce mémoire , sur le véritable sujet du Phèdre, avait déjà été émise par moi dans une thèse sur la Psychologie ho- mérique, que je soutenais en 1832, devant la Faculté des lettres de Paris. Je venais alors de lire ce dialogue , et j'ignorais les travaux dont il avait été l'objet. Le premier qui, à ma connaissance, ait bien saisi l'intention de Platon , est l'abbé Sallier, dans un mémoire dont l’analyse est insérée au t. 1x des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Depuis lors la question a été souvent discutée, et je citerai particulièrement , en Allema- gne , les noms de Schleiermacher, d’Ast et de Stallbaum ; en France , celui de M. Cousin. De nos jours, le rôle important que joue la rhétorique dans le Phèdre est généralement reconnu. Voy. M. Havet , Etude sur la rhétorique d'Aristote ; M. Egger, Essai sur l’histoire de la critique ; M. Benoît, Essai sur les premiers manuels d'invention oratoire ; M. Lévèque, Platon considéré comme inventeur de l'Esthétique. Toutefois, il m’a semblé qu’une analyse dé- taillée de ce dialogue aurait encore quelque utilité, et j’ai cru pouvoir pré- senter à l’Académie un travail entrepris d’abord pour les candidats à la licence. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 251 tres, mis par lui dans la bouche de Socrate, sont un exemple de la bonne rhétorique telle qu'il la conçoit. Dans l'ensemble du Phèdre, ils représentent la partie pratique de l'enseigne- ment de Platon ; la seconde partie du dialogue contient la par- tie didactique de cet enseignement; c’est l'explication de la première. Ainsi le philosophe attaque doublement les rhé- teurs , et dans leurs œuvres et dans leurs préceptes, et il le fait de deux manières, en opposant ses œuvres à leurs œuvres, ses préceptes à leurs préceptes. Tel est le sujet du Phèdre et la liaison des diverses parties. Les discours n'y sont pas un hors-d'œuvre, non plus que les préceptes; ils tiennent à ceux-ci par leur forme, par la manière dont Ja question de l'amour est traitée dans chacun d'eux. Quant à cette question elle-même, nous verrons plus tard comment elle rentre dans l'économie du dialogue tout entier, et se rattache à la conclusion où aboutit la discussion sur la rhéto- rique. L'analyse détaillée du Phèdre doit servir à démontrer ce que je viensseulement d'affirmer, l'unité du sujet et le rap- port naturel des parties entre elles. Le Phèdre n’est pas seulement un traité de rhétorique pra- tique et théorique; c’est aussi un drame, comme les autres dialogues de Platon, et s’il en est qui l'emportent par la variété et le jeu des caractères, puisqu'il n'y a ici que deux personna- ges, aucun du moins ne peut lui être comparé poar l'agrément de la mise en scène. Tout en suivant la question traitée dans le dialogue , tout en renouant ou en démélant les fils souvent brisés ou entrelacés par l'imprévu de la conversation, nous jetterons aussi un coup d'œil sur le drame , signalant à l’occa- sion les charmants détails de poésie pittoresque dont Platon a relevé son sujet. Socrate rencontre un jour à la sortie de la ville le jeune Phèdre, qui, passionné pour les beaux discours des rhé- teurs, venait de passer la matinée entière auprès de Lysias. . Fatigué d'être assis, il allait se délasser en se promenant hors des murs. Si Socrate veut l'accompagner, il lui dira ce dont Lysias les a entretenus; le sujet est intéressant 252 MÉMOIRES pour Socrate, car il a été fort question d'amour. Celui-ci feint en effet un grand empressement d'entendre Phèdre, qui se fait alors prier, et s'excuse sur son insuflisance à repro- duire sur-le-champ, d'une manière digne de Lysias, un dis- cours travaillé à loisir par cet habile maitre. « Phèdre (1), dit alors Socrate, ou je connais parfaitement » Phèdre , ou je ne me connais plus moi-même. Je le connais; »et je suis sûr qu'assistant à une lecture de Lysias, il ne s’est » pas contenté de l'entendre une fois; il a souvent prié le lec- » teur de recommencer, et celui-ci s'est empressé de le satis- » faire. Cela même n'a pas été assez pour lui; il a fini par » s'emparer du cahier, pour relire ce qui l'avait le plus inté- » ressé; et, n'ayant fait autre chose toute la matinée (2), il est » enfin sorti pour prendre l'air; mais déjà, ou je me trompe » fort , il savait par cœur l'ouvrage entier, à moins qu'il ne fût » d’une longueur démesurée , et il ne sortait de la ville que pour » y rêver tout à son aise. [l rencontre un malheureux tour- » menté de la passion des beaux discours, et d’abord il s'ap- »plaudit d'avoir à qui faire partager son enthousiasme; il » l’entraîne avec lui ; cependant , quand on le presse de com- » mencer, il se donne les airs de faire le difficile (3); si on ne » l'en priait pas, il parlerait, il voudrait se faire écouter de » force. Mais conjure-le, mon cher Phèdre, de faire à présent » de bonne grâce ce qu'il faudra qu'il fasse tout à l'heure de » manière ou d'autre.» Est-il rien de plus gracieux que ce persiflage amical de So- crate à l'égard de son jeune interlocuteur ? (1) Après plusieurs essais de traduction des divers passages que je dois citer , je suis revenn à l'excellente traduction de M. Cousin , où l'esprit grec, sans cesser d’être lui-même , revêt une forme si française, et dans ce dialogue peut-être plus que dans tout autre. Je n’ai modifié çà et là que certains pas- sages pour lesquels j'ai cru devoir adopter un autre sens. J'ai aussi rejeté dans les notes quelques essais d’une traduction plus littérale. (2) 11 y a de plus dans le texte; « fatigué de rester assis. » (3) Le texte ajoute : « Comme s’il ne brûlait pas d’envie de parler. » Ce qui suit pourrait être traduit plus littéralement ainsi : « En fin de compte, » si on ne voulait pas l'écouter, il parlerait bon gré mal gré. » DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 253 Phèdre, cédant à une douce contrainte, s’apprète à com- mencer, quand Socrate lui demande si ce qu'il tient soigneu- sement caché sous sa robe ne serait pas le discours de Lysias lui-même, auquel cas il préférerait entendre le maître plutôt que de servir au disciple de matière à exercice. Phèdre, voyant ses projets déjoués , se sacrifie de bonne grâce; il ne s’agit plus que de choisir un lieu convenable pour commencer la lecture. lei je laisse encore parler Platon lui-même. « Soc. Détournons-nous un peu du chemin, et, s'ilte plait, » descendons le long des bords de l'Ilissus; là nous pourrons » trouver une place solitaire pour nous asseoir où tu voudras. »— Ph. Je m'applaudis en vérité d’être sorti aujourd'hui sans » chaussure, car pour toi c’est ton usage (1). Qui donc nous » empêche de descendre dans le courant même, et de nous » baigner les pieds tout en marchant? Ce serait un vrai plaisir, » surtout dans cette saison et à cette heure du jour. — Soc. Je » le veux bien ; avance donc et cherche en même temps un lieu » pour nous asseoir. — Ph. Vois-tu ce platane élevé? — Soc. » Eh bien! — Ph. Là nous trouverons de l'ombre, un air frais, »et du gazon qui nous servira de siége, où même de lit, si » nous voulons. — Soc. Va, je te suis. — Ph. Dis-moi, So- » crate, n'est-ce pas ici quelque part sur les bords de l'Ilissus » que Borée enleva, dit-on, la jeune Orithye? — Soc. On le » dit. — Ph. Mais ne serait-ce pas dans cet endroit même ? car » l’eau yest si belle, si claire et si limpide que des jeunes filles » ne pouvaient trouver un lieu plus propice à leurs jeux. — » Soc. Ce n’est pourtant pas ici, mais deux ou trois stades plus » bas, là où l’on passe le fleuve près du temple de Diane chas- » seresse. On y voit même un autel consacré à Borée.» Tout en causant ils arrivent au lieu désigné par Phèdre. « Mais à propos , dit Socrate, n'est-ce point là cet arbre où tu » me conduisais? — Ph. C'est lui-même. — Soc. Par Junon , (4) Dans le Banquet, Platon nous représente Socrate s'étant paré pour as- sister au festin donné par le bel Agathon , et ayant mis des sandales ; ce qui, ajoute le narrateur, ne lui était pas ordinaire. 5° $. —— TOME III. 17 254 MÉMOIRES » le charmant lieu de repos! Comme ce platane est large et » élevé! Et cet agnus-castus, avec ses rameaux élancés et son » bel ombrage, ne dirait-on pas qu'il est là tout en fleur pour »embaumer l'air? Quoi de plus gracieux, je te prie, que cette » source qui coule sous ce platane, et dont nos pieds attestent » la fraicheur? Ce lieu pourrait bien être consacré à quelques » nymphes et au fleuve Achéloüs, à en juger par ces figuresetces » statues. Goûte un peu l'air qu'on y respire : est-il rien de si » suave et de si délicieux? Le chant des cigales a quelque chose » d'animé et qui sent l'été. J'aime surtout cette herbe touffue » qui nous permet de nous étendre et de reposer mollement » notre tête sur ce terrain légèrement incliné. Mon cher Phè- » dre, tu ne pouvais mieux me conduire. » Cette poétique introduction du Phèdre avait charmé toute l'antiquité; elle est rappelée dans Plutarque, dans Lucien, chez Alciphron, chez Aristénète, ailleurs encore (1). Mais l'imagination de Cicéron surtout en avait été vivement frap- pée. Il s’en est inspiré dans les délicieux préambules qu'à l'exemple de Platon il a mis en tête de ses dialogues philosophi- ques; et non-seulement il s’en est inspiré, mais il fait mainte allusion , ici, aux fraîches eaux de l’Ilissus, auquel il compare le Fibrénus, le modeste ruisseau de la campagne d'Arpinum (2); ailleurs, à ce platane qui lui semble devoir ses rameaux touffus moins, dit-il, à cette source décrite par Platon qu'au style merveilleux du philosophe. Quæ mihi videtur non tam ipsa aquula , quæ describitur, quam Platonis oratione cre- visse (3). Cette scène, qui à l'air toute idéale, est réelle pour- tant; et, selon le témoignage des voyageurs (4), il n'est pas difficile de la retrouver aujourd’hui même, moins le platane sans doute; car, ainsi que le dit encore Cicéron, au sujet du (1) V. Fr. Ast, Annotation. in Phœdrum, passim. cf. Van Heusde , Initia philos. Platon. Vol. T1, pag. 136. (2). De Legib. NW, 3. (3) De Orat. X, 7. (4) Em. Burnouf, des Principes de l'Art, ete., pag. 129. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 255 chène d'Arpinum, décrit par lui dans son poëme sur Marius, les arbres plantés par les poëtes ont seuls le privilége de vivre toujours (1). Le platane du Phèdre vivra autant que la philo- sophie de Platon. Aw charme naturel de cette peinture se joint celui qu’elle tire de son harmonie, soit avec un sujet où les idées sur le beau et sur l'amour doivent tenir une si grande place, soit avec les goûts, l'extérieur même du jeune et brillant Athénien qui a donné son nom au dialogue. Il n’est pas jusqu'aux détails en apparence les plus indifférents de la description et de la conversation qui n'aient un but secret et n’y soient habilement ramenés. À propos de certaines explications physiques ou his- toriques du récit fabuleux de l'enlèvement d'Orithye par Borée, Socrate dit à Phèdre , curieux investigateur de ces difficultés, que, pour lui, il n'a pas tant de loisir , et qu'il en est encore à accomplir les préceptes de l'oracle de Delphes, connaïis-toi toi-même. Plus loin, Phèdre s’étonnant de l'admiration que Socrate fait éclater à la vue du lieu où ils arrivent ensemble, comme si lui-même ne sortait jamais de la ville : « J'aime à »m'instruire, lui répondit-il ; or les arbres et les champs ne » veulent rien m'apprendre, et je ne trouve à profiter que » parmi les hommes, à la ville. » Ainsi, au-dessus des vaines sciences que poursuivent les sophistes, au-dessus du spectacle du monde extérieur est placée la science de l'homme. Ces mots jetés comme au hasard sont une préparation à la théorie que Platon doit exposer plus tard. Les dernières paroles de Socrate que je viens de citer nous ramènent au point où nous en étions restés. Pendant que So- crate s’assied à son aise pour écouter, Phèdre, prenant la position la plus convenable à un lecteur, commence le dis- cours de Lysias. Ce discours est un paradoxe sur l'amour, dans le genre de ce que l'on appela plus tard, chez les Latins, des déclama- (1) De Legib. 1 , 1. 256 MÉMOIRES tions. Lysias suppose un homme qui aime froidement et avec calme, et qui se fait de cela un argument pour prouver à l'objet de son amour que celui-ci doit lui accorder ses faveurs plutôt qu'à un amant passionné. Il serait fort difficile de faire l'analyse de ce discours, et cette difficulté même en indique le vice. C'est une énuméra- tion des inconvénients de la passion et des avantages qu'offre une liaison sans amour ; énumération faite sans ordre, et où les pensées ne se rattachent ni l'une à l’autre successivement, ni toutes ensemble à aucun principe général. On peut remar- quer une certaine adresse dans la construction de quelques phrases, et même une certaine souplesse d'esprit, de la faci- lité à retourner le paradoxe dans tous les sens ; mais les idées sont seulement juxtaposées, et, du commencement à la fin, la disposition en est tout arbitraire. Que ce discours appar- tienne réellement à Lysias, ou qu'il ait été composé par Platon, question fort controversée et à peu près insoluble, ce qui pa- raît certain, c'est que Platon le présente comme un exemple de cette mauvaise rhétorique qu'il veut attaquer (1). La lecture finie, Socrate s’extasie d’abord ironiquement sur la beauté de ce discours; il s’est laissé aller, dit-il, à l'enthousiasme qui éclatait dans le ton et sur le visage de Phèdre. Bientôt, cependant, viennent les restrictions. Il ne dira rien du fond des choses que la faiblesse de ses moyens ne lui a pas permis d'apprécier. Mais il a quelques observations à faire sur le style. Il lui semble que Lysias est revenu deux ou trois fois sur les mêmes idées; ce qui, ajoute-t-1l, res- semble à de la sécheresse. Plus tard, Socrate fera au discours de Lysias des objections plus sérieuses ; il ne veut maintenant que piquer un peu Phèdre, en émettant quelques doutes sur ce qui fait l'objet de son admiration. Celui-ci, en effet, de- mande à Socrate, avec quelque dédain pour ses observations, où il a jamais rencontré rien de comparable à un tel discours. (4) Cf. Stallbaum, Proleg. ad Phædr., pag. xxIm. DE L'ACADÈMIE DES SCIENCES. 257 Je ne sais, lui répond Socrate, mais en ce moment même mon cœur est plein de belles choses sur l'amour, qui ne de- mandent qu'à s'échapper; ce n’est pas de moi certainement qu'elles viennent; je les ai sans doute prises dans quelque poëte, je ne sais plus lequel. Phèdre ne s'inquiète pas de con- naître où et comment Socrate à appris toutes ces choses , il le met seulement au défi de parler sur le même sujet aussi long- temps et mieux que Lysias, en ne se servant d'aucune de ses idées. Socrate trouve la dernière condition inadmissible. «Comment veux-tu, lui dit-il, qu'obligé d'établir la supé- » riorité de l'ami froid sur l'amant passionné, je puisse ne » pas vanter la sagesse de l’un et blâmer la folie de l’autre ? » Supprime ces motifs tout-à-fait essentiels au sujet, que » reste-t-il à dire ? 1] faut donc bien les permettre à l’orateur, » et c’est le cas de suppléer au mérite de l'invention par celui » de la disposition (1). Dans les choses moins indispensables » et en même temps plus difficiles à trouver, on pourra lui » demander les deux genres de mérite. » Voici donc , jetée comme en passant, une remarque sur la disposition et l’invention , qui prouve clairement que nulle part Platon ne perd son sujet de vue, et que ce sujet est la rhétorique, aussi bien dans la première partie du dialogue que dans la seconde. Nous avons déjà vu plus haut une re- marque sur le style. Phèdre accorde à Socrate ce qu'il lui demande. Celui-ci feint alors de n'avoir voulu que plaisanter; c’est à lui de se faire prier à son tour. Îl y a ici un jeu de scène assez plaisant. » Phèdre : Ah !'te voilà revenu au même point où j'en étais. » Eh bien ! il faudra maintenant , bon gré mal gré, que tu (1) La traduction littérale fera mieux ressortir ici l'allure facile et dégagée de celle de M. Cousin. « Comment, je te prie, celui qui conseillera d'accorder » ses faveurs à celui qui aime plutôt qu'à celui qui n'aime pas, S'il néglige » de louer la sagesse de l’un et de blämer la folie de l’autre , motifs tout-à-fait » indispensables , aura-t-il ensuite quelque autre chose à dire ? Ces motifs , il » faut, je pense, les abandonner à l’orateur ; et il n’y a pas ici lieu de louer » Pinvention, mais seulement la disposition. » 258 MÉMOIRES » parles, si tu ne veux pas renouveler une scène trop fré- quente dans les comédies, et me forcer à répéter mot pour mot tes propres paroles. Prends garde, car je vais te dire : Mon cher Socrate, ou je connais parfaitement Socrate, ou je ne me connais pas moi-même : je sais bien qu'il brüle d'envie de parler, mais il veut faire le difficile. Qu'il sache donc que nous ne sortirons pas d'ici avant que son cœur, comme il le disait lui-même, n'ait épanché toutes les merveilles dont il est plein. Nous sommes seuls, dans un lieu désert ; je suis le plus jeune et le plus fort. En un mot, comprends- moi bien : il fautte décider à parler de gré ou de force. » A ces feintes menaces, Phèdre en ajoute une autre plus sé- rieuse et plus terrible : si Socrate ne le satisfait pas, il jure de ne plus jamais lui réciter aucun discours de qui que ce soit. Socrate ne résiste pas davantage. Après une invocation aux Muses, il commence, prenant pour texte le sujet même traité par Lysias. Toutefois , voulant excuser l’invraisemblance d'un long discours fait par un homme sans amour, pour prou- ver qu'il mérite d'être favorisé de préférence à celui qui aime, Socrate suppose que ce discours est une feinte d’un amant plus rusé que ses rivaux. Il donne un motif plausible au paradoxe. Mais, ce qu'il importe d'examiner ici, c’est le plan : c'est, en effet, ce qui a surtout rapport au sujet du dialogue, la rhé- torique. La question est d'abord posée nettement. Puisqu'il s'agit de savoir lequel on doit plutôt favoriser, de celui qui est amoureux ou de celui qui ne l’est pas, il faut définir pre- mièrement ce que c’est que l'amour et quel est son pouvoir; puis, se reportant sans cesse aux principes que l’on aura posés , examiner si l’amonr est utile ou nuisible. — Qu'est-ce que l'amour ? C'est un désir. Mais de quelle espèce ? Il y a deux espèces opposées de désirs; les uns, qui nous portent vers le bien, les autres, qui nous portent vers le plaisir. So- crate laisse de côté la première espèce de désirs, qu'il désigne sous un nom particulier, et il s'attache à l’autre, la seule qui aille à son but, puisqu'il veut prouver que l'amour est nui- > L2 2 ÿ > C2 DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 259 sible. Le désir du plaisir prend différents noms, suivant son objet: si son objet est la beauté corporelle, il prend le nom d'amour. — Quelles sont les conséquences à tirer de ces prin- cipes? Celui qui aime, cherchant auprès de la personne aimée le plus de plaisir possible, désire trouver en elle une entière condescendance à toutes ses volontés, et pour cela il cherchera à ce que celle-ci lui reste inférieure en toutes choses. L'amour sera donc nuisible à l’objet aimé. Ici vient une division des rapports divers sous lesquels l'amour sera nuisible. Mais non-seulement l'amour sera nuisible, il sera encore désa- gréable par son excès pendant toute sa durée, infidèle à ses promesses, s'il vient à cesser. Une courte récapitulation ré- sume tous les motifs, en remontant du dernier au premier, suivant la forme circulaire de la composition antique. Conclusion : L'amant aime son bien-aimé, comme le loup aime l'agneau. Tel est le plan du discours de Socrate. C'est une critique indirecte du discours sans ordre de Lysias; c'est en même temps un exemple de la manière dont il faut traiter tout sujet, une application des principes que Platon doit ex- poser plus tard. L'intention didactique y est évidente : la route que va suivre l’orateur s’y trouve tracée d'avance; les divisions, les subdivisions, la conclusion y sont indiquées avec une insistance qui serait un défaut partout ailleurs, et qui, ici comme dans le Ménexène , où l’on touve quelque chose de lamême marche, s'explique par le but que se propose Platon. Quant au style de ce discours , Socrate prend soin de le carac- tériser lui-même à plusieurs reprises, en se disant inspiré par les nymphes qui habitent ces lieux, et en faisant remar- quer à Phèdre qu'il est, dès le commencement, monté au ton du dithyrambe. Ce n’est point là pour Phèdre un sujet de re- proche, bien au contraire; aussi cherche-t-il à prolonger l'entretien et à retenir Socrate qui s'apprête à repasser l'Ilissus, pour échapper, dit-il plaisamment, à de nouvelles violences. « Un moment, Socrate, lui dit Phèdre, attends que la cha- » leur soit passée. Ne vois-tu pas qu'il est à peine midi et que 260 MÉMOIRES » le soleil est dans toute sa force? Causons quelques instants » de ce que nous venons de dire, et, dès que la fraîcheur » se fera sentir, nous partirons» Mais Phèdre aura encore mieux qu'un entretien. Au moment de passer l'eau, Socrate a reçu un avertissement de son génie familier. Tout à l'heure , à l'exemple de Lysias, il a commis une impiété ; l'amour est un Dieu, et un Dieu ne peut être mauvais. Maintenant donc 1l va imiter Stésichore : de même que celui-ci, après avoir attaqué Hélène dans ses vers, privé de la vue pour cette faute, avait composé en l'honneur de l'héroïne une palinodie , il va, lui, Socrate, chanter aussi une palinodie en l'honneur de l'a- mour. C’est ici que se place le second discours de Socrate , le troi- sième du Phèdre , celui dont le développement et l'impor- tance sont tels, que l’on y a vu le sujet même du dialogue. I renferme les principes de la philosophie platonicienne ramenés à la question de l'amour. Origine de l'âme, sa nature, ses tendances expliquées par son origine, sa nature et la nature des choses; ce que c'est que la beauté, ce que c’est que l’a- mour:; comment l'amour, bon en lui-même, peut devenir mauvais par son objet : voilà le rapide aperçu de ce qui rem- plit ce troisième discours. Le ton en est inspiré d'un bout à l’autre; les idées v revêtent presque partout la forme poé- tique du mythe. Mon intention n'est pas d'en présenter une analyse et une explication; cela dépasserait mon but et mes forces; je veux seulement montrer quel rapport il y a entre ce discours et les théories de Platon sur l’art oratoire. Socrate commence par une espèce de dithyrambe en l'hon- neur du délire. Il y a trois espèces de délire envoyées par les dieux, le délire des prophètes, celui des initiés, celui des poëtes ; une quatrième espèce, supérieure à toutes les autres, est le délire de l'amour. L'amour est un délire, et le délire est divin : voilà la définition nouvelle substituée ici à celle du premier discours. Cette définition, du reste, n’est plus arbi- traire. Pour y arriver, Socrate est remonté à la nature de l'âme et à celle des choses. II y a dans l'âme trois parties, que DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 261 Platon appelle ailleurs la raison, le courage et le désir (1), et qui sont ici représentées sous la figure d'un attelage ailé, composé d’un cocher et de deux coursiers, l’un bon, l'autre mauvais. Les aîles de l'âme en sont la partie la plus divine : l'aliment divin dont elles se nourrissent, ce sont les idées éternelles du beau , du vrai, du bien, situées dans les plames supra-célestes, où parviennent seules les âmes des dieux, mais que les âmes humaines ne font qu'entrevoir dans une course désordonnée , où souvent elles perdent leurs ailes. L'âme , ainsi dépouillée de ses ailes et tombée dans un corps, aperçoit-elle la beauté sur la terre, aussitôt elle se ressouvient de la beauté véritable, et brûlant de la revoir , elle est tout entière agitée par le délire de l'amour. Soumis à son guide, le bon coursier respecte l’image de la beauté, tandis que le mauvais se rue vers une volupté toute sensuelle; de là le bon et le mauvais amour. Si la partie de l'âme dirigée par la raison est la plus forte, l'amant et l'objet aimé, épris pour le beau d’un égal amour, marchent ensemble à la poursuite de la sa- gesse ; ils ont asservi la partie vicieuse de l'âme. Après la fin de la vie, ils reprennent leurs ailes et s'envolent avec légèreté. Qu'est-ce donc que l'amour ? C'est le retour de l'âme vers sa patrie céleste. De là , l'éloge de l'amour. « O amour ! dit Socrate en finissant, je te consacre cette » palinodie , comme l’expiation la plus belle et la meilleure » qu'il soit en mon pouvoir de t'offrir : si les paroles en sont » trop poétiques , c’est Phèdre qui m'a forcé de les employer. Laissant de côté la plupart des développements poétiques et philosophiques de ce discours, je n'en ai guère tiré que ce qui était nécessaire pour faire comprendre l'intention de Platon. Dans son premier discours, Socrate avait fondé sa disposition sur la définition de l’idée : il tire ici cette défini- tion de la connaissance approfondie de la nature des cho- ses, indiquant ainsi la méthode d'invention applicable à (4) Republ. L. iv, pag. 437, D — 441, A. CF. Tim. 262 MÉMOIRES tout sujet. Je suis loin de prétendre qu'il n'y ait rien à re- prendre dans ces exemples, que toutes les déductions soient bien rigoureuses, qu'ici l'éloge, là le blâme soient parfaite- ment motivés dans ce qu'ils ont d'absolu. Platon lui-même avait sans doute, comme nous le verrons plus loin, le senti- ment de ces imperfections, que l’on peut, du reste, attribuer en partie au point de vue rétréci sous lequel est envisagée à dessein la question dans chaque discours. Mais si l'applica- tion des principes est imparfaite , les principes sont eux-mêmes au-dessus de toute critique, et Platon, dans sa méthode dialec- tique, a donné à l’art de parler d'inébranlables fondements. Sans rien saisir du but particulier que se propose Platon dans ce discours, Phèdre n’en est pas moins charmé de l'éclat et du tour poétique du style, si bien même qu'il commence à douter que Lysias, avec tout son talent, puisse jamais rien produire de pareil. Cest là une excellente disposition pour écouter les enseignements de Socrate sur l'art oratoire. Nous voici arrivés à la seconde partie du dialogue, à la théorie, dont on vient de voir seulement une application partielle. Bien que l'exposition scientifique domine dans cette partie, le génie artiste de Platon ne ly abandonne pas. D'abord le drame se continue, avec la variété qu'y jette l'opposition des deux caractères de Phèdre et de Socrate, et même avec quel- ques-uns de ses détails poétiques. Mais l’art trouve sa place jusque dans la discussion, par l’arrangement tout particulier des questions qui y sont traitées. Divisées en questions principales et en questions secondai- res, elles sont toutes posées avant qu'aucune soit résolue com- plétement, et la solution définitive pour chacune suivant un ordre inverse de l'exposition, c’est la première qui se trouve résolue en dernier lieu. Le tout affecte ainsi cette forme cir- culaire propre à l’art grec que j'ai eu déjà l'occasion de ca- ractériser ailleurs (1), et qui se rencontre partout sous les as- (1) Analyse critique du premier livre de Thuecydide, Revue de l’Académie le Toulouse, février 1856. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 263 pects les plus variés, dans les détails comme dans l'ensem- ble, dans une période de Démosthènes comme dans une ode de Pindare. C'est par une question secondaire sur le mérite du discours écrit que s'introduit dans le dialogue la discussion sur la rhétorique. Phèdre, refroidi dans son admiration pour son ami, suppose qu'après un discours comme celui de Socrate, Lysias pourrait bien, par amour-propre, s'abstenir d'écrire, d'autant plus, ajoute-t-il, que naguère un homme politique l'a traité dédaigneusement de faiseur de discours. Et, en effet, les hommes les plus considérables dans un état, craignant devant la postérité le nom de sophistes, se gardent de laisser des discours écrits. Socrate se contente, pour le moment, de résoudre la question par une équivoque, en disant que ce mé- pris des hommes d’État est affecté , comme le prouvent suffisam- ment les décrets et les textes de lois auxquels ils sont si jaloux d’attacher leur nom. Iln’y a donc pas de honte à écrire des dis- cours : ce qui est honteux, c’est de mal écrire. Mais, qu'est-ce qu'écrire bien ou écrire mal ? Faut-il consulter là-dessus tous ceux qui ont écrit soit en vers, soit en prose? «S'il le » faudra, » s’écrie Phèdre tout transporté de joie devant la douce perspective que lui ouvre Socrate, «Eh ! quel peut » être le but de la vie, sinon ces jouissances ? » Avant de commencer, Socrate redouble encore l’ardeur de Phèdre en lui racontant une fable toute poétique sur l'origine de ces cigales qui chantent au-dessus de leurs têtes, et dont les voix assoupissantes, aidées de la chaleur du jour, inviteraient au sommeil, si leur exemple, si l'espoir des bienfaits que les dieux leur ont permis d'accorder aux hommes, n'étaient pour ceux qui les écoutent un encouragement à parler plutôt qu'à dormir en plein midi. — Parlons donc, dit Phèdre. — « Eh bien, reprend Socrate , puisqu'il s'agissait de savoir » ce qui fait un bon et un mauvais discours , n'est-il pas » nécessaire, pour qu'un discours soit parfait, qu'un orateur » connaisse la vérité des choses dont il doit parler?» A cette question Phèdre répond avec ses maitres que, pour être ora- 264 MÉMOIRES teur , il n'est pas nécessaire de connaitre ce qui est vraiment bon, juste el beau, mais ce qui paraît tel à la multitude, la persuasion naissant plutôt de cette apparence que de fa vérité. Socrate s'amuse ici à montrer, par un de ces exemples fa- miliers dont il aimait à se servir, les ridicules conséquences d'une erreur qui, confondant l'âne et le cheval, attribuerait à celui-ci toutes les qualités du second , et il indique seulement en passant le danger d’une pareille doctrine dans les affaires de l'État. Mais peut-être la rhétorique admet-elle qu'il est utile de connaître d’abord la vérité, se réservant la persua- sion comme son objet spécial. Socrate , après avoir lui-même suggéré cette réponse, l'attaque aussitôt : il croit, ditl, en- tendre des voix qui s'élèvent contre toute prétention de la rhétorique au nom d'art, qui la traitent de frivole passe-temps, et soutiennent qu'il n’y a pas d'art de la parole en dehors de la philosophie. Il appelle ces voix à son secours pour per- suader son jeune ami. C'est ici que s'arrête, dans cette seconde partie du dialo- gue, l'exposition du sujet. Les principales idées que Socrate doit discuter ont été indiquées, et les assertions contraires mises en présence; quelques solutions, plus ou moins sérieu- ses, ont même été essayées pour soutenir l'attention en amu- sant l'esprit. Socrate va maintenant entrer franchement dans la discussion. Et d’abord , quel est le domaine de la rhétorique ? Recon- naît-elle ou non des limites? «En genéral, dit Socrate, la » rhétorique n'est-elle pas l’art de conduire les esprits par la » parole, non-seulement dans les tribunaux et les assemblées » publiques, mais aussi dans les conversations particulières; » art qui s'applique à des sujets légers aussi bien qu'à des » affaires importantes, et dont les procédés n'ont pas moins » de valeur dans les petites choses que dans les grandes? » N'est-ce pas là ce que tu as entendu dire?» — Phèdre. » Oh !par Jupiter, ce n’est pas tout-à-fait cela. Ce sont prin- » cipalement les tribunaux que les rhéteurs ont en vue dans DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 265 » leurs leçons et dans leurs écrits, et aussi dans leurs leçons » les assemblées publiques (1). » Ce passage est curieux pour l'histoire de la rhétorique. Il prouve que, du temps de Platon, les rhéteurs ne connais- saient encore que deux genres, et il confirme ce que dit Aris- tote sur la part à peu près exclusive faite au genre judiciaire dans les traités qui ont précédé le sien. Ce qui suit nous montre encore Platon assignant, avant Aristote, à chaque genre un but spécial , au genre judiciaire le juste, et l’utile au genre délibératif; élevant ainsi à la théorie la pratique des tribunaux et de la place publique. Cette théorie, Platon ne s'arrête pas ici à la discuter; il élargit la question, et ne laisse pas les rhéteurs se retrancher dans le domaine restreint qu'ils se sont arrogé. La rhétorique , suivant eux, est l’art de faire paraître la même chose aux mêmes personnes, juste ou injuste, avantageuse ou funeste, au gré de l’orateur, c’est- à-dire, l'art de faire valoir tour à tour le pour et le contre. Mais on ne soutient pas le pour et le contre seulement dans les tribunaux et sur la place publique, et le Palamède d'Élée, dit Socrate, désignant sous ce nom mythologique Zénon, l’inven- teur de la dialectique, le Palamède d'Élée parlait avec un art si merveilleux que les mêmes choses paraissaient aux audi- teurs semblables et différentes, une et plusieurs, stables et changeantes. Si donc, ajoute-t-il, il y a véritablement un art de la parole, il est le même pour toutes les espèces de dis- cours : «C'est celui par lequel on est capable de présenter comme semblable, aux yeux de ceux qui peuvent s'y mé- prendre, tout ce qu'il est possible de rapprocher; et, quand un autre à fait un pareil rapprochement, de démêler ses » artifices (2). » 2 > Ë ÿS (1) J'ai modifié ici la traduction de M. Cousin, qui me semblait trop s’é- loigner du texte et ne se prêtait point à l'induction que j'ai tirée de ce passage. (2) Je me suis encore écarté ici de la traduction de M. Cousin , qui ne laisse pas apercevoir suffisamment la transition de la question secondaire à la ques- tion principale. 266 MÉMOIRES Ainsi, à l'application bornée que les rhéteurs avaient faite de leur art, Platon oppose ce principe, que toute espèce de discours est du domaine de la rhétorique. En même temps qu'il résolvait cette question accessoire, il préparait, suivant sa méthode, une des questions fondamen- tales déjà posées plus haut : « La vérité est-elle nécessaire à » l'orateur ?» Mais pour triompher ici plus sûrement des rhéteurs, pour ne leur laisser aucun refuge, il est entré dans leurs idées. Laissant de côté le point de vue moral, il admet un instant l'illusion , comme but de l’art. Eh bien, cela même admis , il montre que le meilleur moyen de produire l'illu- sion et de tromper ceux qui ne connaissent pas la vérité, c’est de la connaître parfaitement soi-même, de la distinguer de tout ce qui n'est pas elle, d’avoir reconnu les points par les- quels le vrai touche au vraisemblable, afin de passer le plus adroitement possible de ce qui est vrai à ce qui n'a que l'ap- parence du vrai. Le raisonnement de Socrate est ici d’une force merveilleuse dans sa simplicité. « Soc. Où penses-tu que l'illusion soit plus facile, dans les » choses très-différentes où dans les choses qui diffèrent peu? — » Ph. dans celles qui diffèrent peu.—Soc. Pour changer de côté » sans être aperçu, tu t'éloigneras sans doute peu à peu, plutôt » qu'à grands pas? — Ph. Assurèment. — Soc. Il faut donc » que l'homme qui veut faire illusion aux autres, sans se lais- » ser tromper lui-même, distingue avec exactitude les ressem- » blances et les différences des choses ? — Ph. Oui, cela est » vraiment nécessaire. — Soc. Sera-t-il donc capable, sil » ignore la vraie nature de chaque chose, de reconnaître la » différence plus ou moins grande de la chose qu'il ne connait » pas avec d'autres? — Ph. Impossible.— Soc. Ainsi, l'erreur » de ceux qui croient le contraire de ce qui est, vient évidem- » ment de quelque ressemblance ? — Ph. Sans contredit. — » Soc. Y aurait-il donc un art possible de faire prendre insensi- » blement le change à ses auditeurs, et de les conduire, de res- » semblance en ressemblance, depuis la véritable nature des » choses jusqu'à son contraire, ou d'éviter pour son compte DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 267 » une semblable erreur, sans connaître soi-même la nature de » chaque chose ? — Ph. Cela ne se peut. — Soc. Ainsi, celui » qui ne connaît point la vérité et qui court après l'opinion, » s'il prétend posséder l’art de la parole, ne possède qu'un art » ridicule, et qui proprement n’est pas un art? — Ph. [l'en » court grand risque (1). » Il faut donc avant tout connaître la vérité sur les choses dont on parle. À quel signe , en effet , discernera-t-on la vrai- semblance , c’est-à-dire, ce qui ressemble à la vérité, si déjà lon ne possède la vérité elle-même (2). Et puis, si le but de la rhétorique est l'illusiou, ne faut-il pas avoir distingué les choses sur lesquelles tout le monde est d'accord de celles où les opinions diffèrent, l’art de la parole n'ayant nulle part plus d’empire que dans ces dernières ? L'amour, par exemple, est une des choses sur lesquelles on dispute; sans cela, eût-il été possible de soutenir tour à tour qu'il est un mal ou qu'il est le plus grand des biens ? « Il semble , en effet, dit Socrate, » qu'un heureux hasard nous ait fait prononcer deux discours » propres à montrer que celui qui connaît la vérité peut ai- sément, et comme en se jouant, la faire perdre de vue à ses auditeurs.» Socrate, du reste, ne s'en tient pas à cette con- clusion ironique , et les conséquences sérieuses du principe qu'il a posé se déroulent dans la suite du dialogue, dont, pour abréger, je ne suivrai pas ici les détours. En voici seu- lement le résumé succinct. De la connaissance approfondie des choses en elles-mêmes et dans leurs rapports résultera l’ordre L2 (1) Les changements que j'ai faits dans ce passage sont trop peu importants pour être remarqués. (2) C'est par un raisonnement analogue que Montaigne réfute l’opinion de la nouvelle Académie, qui n’admet pour l’homme que la connaissance du vraisemblable : «Cette inclination académique , et cette propension à une » proposition plustost qu'à une aultre , (Le est ce aultre che que Le recog— » Comment se laissent ils plier à la vraysemblance , S ‘ils ne cognoissent le » vrai? Comment cognoissent ils la semblance de ce de quoy ils ne cognois- » sent pas l'essence ? Ou nous pouvons iuger tout à faict; ou tout à faict » nous ue le pouvons pas. » Ess. de Mont., 1. 11, ch. xur. 268 MÉMOIRES naturel du discours. Cet ordre, en effet, dépend de deux con- ditions : «Il faut d’abord avoir réuni sous une seule idée gé- » nérale toutes les idées éparses de côté et d'autre, afin de » bien faire comprendre, par une définition précise, le sujet » que l’on veut traiter... puis, savoir de nouveau décom- » poser le sujet en ses différentes parties, comme en autant d'articulations naturelles ; car, dit Socrate, tout discours doit être composé comme un être vivant, avoir un corps qui lui soit propre, une tête et des pieds, un milieu et » des extrémités proportionnées entre elles et avec l’en- » semble. » Socrate fait l'application de ces règles aux trois discours qui ouvrent le dialogue et qui se trouvent ainsi explicitement ramenés au sujet, la rhétorique. Il critique avec finesse le discours de Lysias, y recherchant ce qu'il sait ne devoir pas y trouver, une définition, un plan suivi,. un ensemble bien proportionné, et il finit par le comparer à certaine inscrip- tion gravée sur le tombeau de Midas, que l’on peut lire, sans changer le sens, en commençant indifféremment par quelque vers que ce soit. Ce discours, ajoute-t-il, renferme encore beaucoup d'autres exemples fort bons à étudier, pour n'être pas tenté le moins du monde de les imiter. Quant à ses propres discours , il y fait remarquer d’abord la définition qu’il a donnée de l'amour; définition sur la- quelle il a arrangé tout le reste; puis, l'idée générale une fois fixée, cette division , grâce à laquelle il a pu passer du blâme à l'éloge. «Ainsi, dit-il, tout à l'heure nos deux discours » ont renfermé sous une seule idée générale (eidos) toute » cette partie de la pensée qui est privée de raison (rù &poov » Ti duavoias (1), et comme un seul corps se divise naturelle- > = (1) To égpor rs d'iuvoias , et plus bas , 70 rñs raparolas désignent la partie de l’âme qui est privée de raison , celle dont un côté, celui de gauche, ap- pelé dans le premier discours érvuiæ, est l'objet du blâme de Socrate, et dont l'autre , celui de droite, appelé dans le second discours paris , est au contraire l'objet de ses éloges, M. Cousin , en donnant à 7° apr The d'isvoias DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 269 » lement en parties doubles, et portant le même nom, celles » de droite et celles de gauche, nos deux discours ont d'abord » conçu cette partie non raisonnable, comme étant un seül » principe en nous; puis l'un, prenant le côté gauche et le » divisant, n'est revenu sur ses pas qu'après avoir ren- » contré parmi ces parties de gauche un certain amour » ainsi nommé qu'il a accablé d’injures bien méritées ; l’autre, » nous entrainant vers le côté droit, celui du délire, y a ren- » contré un amour qui porte le même nom que le premier, » Mais qui est divin, qu'il a pris pour matière de ses éloges, » et quil a vanté comme la source de tous les biens. » Socrate fait assez bon marché de ses deux discours, des images sous lesquelles il a présenté, n'importe comment, dit-il, le délire de l'amour, de tout cet hymne mythologi- que, comme il l'appelle, le traitant de pur badinage. Mais ce dont il tient grand compte, ce sont les deux principes que le hasard lui a suggérés, et dont il voudrait que de plus habiles pussent montrer toute la puissance. Cet art de rassembler et de diviser les idées lui paraît d’un secours merveilleux pour bien penser et pour bien parler. Quant à lui, à tort ou à raison, il donne à ceux qui le possèdent le nom de dialecticiens. Mais qu'en pense Phèdre ? Est-ce là ce que l’on apprend à l’école de Lysias ? «Est-ce là cet art de la parole à l’aide duquel Thrasymaque et les autres sont devenus eux-mêmes d'habiles parleurs, et peuvent rendre tels tous ceux qui veulent leur apporter, comme à des rois, le tribut de leurs offrandes ? » Phèdre ne conteste pas le nom de dialectique à cet art nou- veau que vient de lui faire connaître Socrate. Mais ce n’est pas à ce qu'apprend la rhétorique, et les enseignements de celle- ci ne sont pas non plus à dédaigner. Ici se trouve la transition à cette question seulement indiquée plus haut : «Y a-t1l, en 12 2 le sens de délire, me semble avoir confondu l'idée générale et l’idée parti- culière , de sorte que le raisonnement de Plator devient assez difficile à suivre dans sa traduction. Jai donc cru devoir encore ici m'en écarter. DS. TOME Mi. 18 270 MÉMOIRES dehors de la connaissance de la vérité et des principes qui découlent de cette connaissance, un art particulier d'opérer la persuasion?» Socrate feint d'abord l'ignorance, puis il se rappelle à propos et énumère, l’un après l’autre, les procédés artificiels des rhéteurs, leurs divisions et leurs subdivisions plus ou moins arbitraires. C’est en premier lieu l’exorde, puis la narration, la confirmation et la sous-confirmation avec les preuves et les vraisemblances, la réfutation et la sous-réfuta- tion, auxquelles il faut encore ajouter la sous-démonstration, sans oublier, quel que soit le nom qu’on veuille lui donner, récapitulation ou tout autre, cette partie importante qui ter- mine le discours. Mais là ne se borne pas l’art des rhéteurs. Ils savent aussi, comme Tisias et Gorgias, faire paraître petites les grandes choses , et grandes les choses petites, parler à leur gré d’une manière très-concise ou très-développée; ils ont, comme Po- lus, leur provision de sentences et d'images; comme Lycim- nius, mille secrets de style pour flatter l'oreille par une sorte de musique oratoire; ils ont inventé, comme Evénus de Paros, les louanges détournées et les attaques indirectes ; ils possè- dent enfin, comme Thrasymaque , pour exciter les passions et les calmer, des moyens puissants qu'ils enseignent à qui veut les payer. Platon n’a que du mépris pour toutes ces inventions et pour leurs auteurs. [l immole sous les traits de l'ironie socratique ces maîtres de la rhétorique, objet tout à l'heure de l’admi- ration de Phèdre, et dont il ne sait déjà plus que penser. So- crate déroule devant celui-ci, d’après son procédé ordinaire d'induction, une suite d'exemples, dont les conclusions abou- tissent toutes indirectement, par analogie, à la condamnation de la rhétorique. Que dirait l'ami de Phèdre, Eryximaque, ou son père Acuménos, d’un homme qui se croirait médecin , parce qu'il connait les effets de certains remèdes, mais sans savoir ni quand, ni comment, ni sur qui il faut les appliquer ? — Phèdre, disons-le en passant, jeune homme d'une santé délicate, aime à se conduire d’après les conseils de.son méde- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 271 cin (1). — Que diraient encore Sophocle et Euripide de celui qui prétendrait posséder les secrets de l’art tragique, parce qu'il saurait faire tour à tour des discours attendrissants ou terribles, plaintifs ou menaçantis? Et encore, sera-t-on musi- cien, parce quon saura tirer d'une corde le son le plus aigu et le plus grave? Phèdre relève durement de pareilles préten- tions. Socrate, au contraire, au nom de ces amis des Muses, dont il vient d'invoquer l'autorité, prend avec douceur la parole, pour excuser une ignorance qui confond les éléments de l’art avec l’art lui-même, aussi bien pour la médecine, la musique et la tragédie que pour la rhétorigne. Ceux qui pos- sèdent ces éléments oublient qu'il faut les diriger vers un but commun, la persuasion par exemple, s’il s’agit de l’art ora- toire ; ou peut-être, à l'égard de celui-ci, les maîtres pensent- ils qu'ils doivent laisser leurs disciples se tirer eux-mêmes d'affaire, comme chose peu difficile. Phèdre comprend l'ironie, mais il ne peut se contenter de cette réponse. Quel est donc cet art de persuader que n’ensei- gnent point les rhéteurs? Comment et d'où peut-on l’appren- dre? « Pour devenir athlète parfait dans ce genre de combat, » dit Socrate, 1l convient et peut-être est-il absolument néces- » saire de réunir les mêmes conditions que dans tous les autres. » Si tu as reçu de la nature le talent de la parole, en y ajoutant » la science et l'étude, tu seras un grand orateur. S'il te man- » que quelqu'une de ces conditions, il faut renoncer à être » parfait. Pour ce qui est de l’art, il y a sans doute une mé- » thode à suivre, mais la routé où marchent Lysias et Thrasy- » Maque ne me paraît pas la bonne. » Cette méthode enfin, quelle est-elle ? Socrate cite d’abord l'exemple de Périclès, selon lui, le plus parfait des orateurs, qui, joignant l'étude à son génie naturel, nourri auprès d’A- naxagore des plus hautes spéculations philosophiques sur la nature des choses, en rapporta dans l’art oratoire ce qu'elles (1) Cf. Phædr. init.; Conviv., pag. 176, D, 272 MÉMOIRES pouvaient avoir d'utile. Puis, rapprochant de nouveau la rhé- torique et la médecine, dont la première agit sur l'âme comme la seconde sur le corps, il montre que si, d’après Hippocrate, d'accord en cela avec la raison, il faut, pour s'élever dans l'application des remèdes au-dessus de la routine, connaître la nature du corps, et toutes ses propriétés actives et passi- ves ; il faut aussi, dans l’art oratoire, avoir étudié la nature de l'âme, avec toutes les variétés de cette nature, de manière à adapter les divers discours aux diverses natures d’âmes. Tout ce raisonnement, remarquable par sa force et par la rigueur de ses déductions, aboutit à cette conclusion, qu'il faut citer tout entière, bien que Socrate la présente comme un simple essai de ce qu'il y aurait à dire sur l’art de la parole. «La vertu du discours étant une sorte d'attraction des âmes, » celui qui veut devenir orateur doit savoir combien il y a d’es- » pèces d’âmes. Il y en a tant, qui sont de telle ou telle nature, » et c’est par où tel homme diffère de tel autre. Cette division » établie, on dira de même qu'il y a tant d'espèces de discours, » de telle nature chacun. Certains hommes se rendront à cer- » tains discours , pour telle cause qui les rend accessibles à tel » moyen de persuasion; certains autres, pour d'autres causes, » seront difficiles à persuader ( par ce moyen). Quand l'esprit » a bien conçu toutes ces différences, il faut, à mesure qu’on » les retrouve dans les choses et dans la pratique, pouvoir les » saisir par un sentiment prompt et rapide; ou bien on n’en » saura jamais plus sur l’art du discours que ce qu'on a appris » du maître de rhétorique. Mais si on est capable de dire quels » discours peuvent opérer la conviction et sur qui; si, lors- » qu'on se trouve en présence d'un auditeur, on sait le péné- » trer sur-le-champ et se dire à soi-même : le voilà, voilà cette » nature d'esprit dont on m'entretenait autrefois, et qui est » maintenant devant moi en effet; voici les raisons qu'il faut » lui présenter, le langage qu'il faut lui tenir pour lui suggérer » telle conviction; si on voit clairement tout cela, et qu'on » sache de plus quand il convient de parler ou de se taire ; DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 273 » quand 11 faut rechercher le style concis, le pathétique , » amplification, et quand il est à propos ou non d'employer » tous ces artifices du discours qu’on a étudiés ; alors l’art est » parfait et véritablement achevé; jusque là, non. Et dès que » vous êtes en défaut sur quelqu'un de ces points, vous qui » parlez, où qui enseignez, ou qui écrivez, si vous prétendez » posséder l'art, on est en droit de ne pas vous croire (1). » Telle est la méthode philosophique que Platon oppose à la rhétorique vulgaire : c’est ainsi qu'il ramène l’art oratoire à ses véritables principes, voilés par le mensonge, oubliés et méconnus par la routine. Reprenons, pour les opposer l’une à l’autre séparément dans un court résumé, les idées de Pla- ton et celles des rhéteurs. Les rhéteurs promettent indistinctement à ceux qui suivent leurs leçons de leur enseigner l’art de persuader. Platon éta- blit comme première condition la nécessité du talent. Les rhéteurs définissent la rhétorique, l’art de persuader dans les tribunaux et dans les assemblées du peuple; Platon étend le domaine de la rhétorique à tous les sujets qu'embrasse la parole. Il était nécessaire de poser le principe, quitte à le restreindre dans l'application. Les rhéteurs , dans le dessein de séduire leurs disciples par la promesse d’un art facile, affirment que pour persuader il suflit, en toutes choses, de connaître le vraisemblable; nous avons vu avec quelle vigueur de bon sens Platon réfute cette doctrine, fondant le triomphe même du mensonge sur la con- naissance de la vérité. Enfin , les rhéteurs enseignent une foule de recettes propres à séduire les esprits et à charmer les cœurs; Platon subor- donne l'emploi de ces recettes à la connaissance de l'âme, de sa nature et de ses facultés diverses. Ainsi la rhétorique a pour fondement , chez Platon, l'étude (4) J'ai fondu pour ce passage la traduction de M. Cousin avec celle que M. Havet a donnée dans sa thèse sur la Rhétorique d’Aristote , pag. 10. 27% MÉMOIRES approfondie des hommes et des choses. Hors de cette double condition, elle ne mérite plus le nom d'art; car elle marche à l'aveugle, sans savoir si elle s'écarte ou si elle se rapproche du but où elle tend. Cette théorie si simple de l’art oratoire est aussi féconde qu'elle est simple. Elle contient en germe toute la rhétorique d’Aristote ; elle la dépasse même par la largeur de ses principes, comme l'idéal dépasse la réalité. Tout s’y trouve, l'invention , la disposition , l’élocution même, s’il est permis d’emprisonner dans ces termes de l’école les idées de Platon. Dans la connaissance des hommes et des choses est contenue l'invention tout entière ; de la définition de l'idée ré- sulte une disposition du discours large et naturelle, qui do- mine la disposition artificielle des rhétoriques vulgaires, plus particulièrement applicable au genre judiciaire. Quant à l'élo- cution , bien que Platon, dans sa critique des rhéteurs, semble faire peu de cas des préceptes qui s'y rapportent, il ne pou- vait la négliger complétement , lui si merveilleux artiste en fait de style, et qui d’ailleurs connaissait toute la puissance d’une parole ornée sur l'esprit de ses concitoyens. Seulement, comme il s’en tient aux principes les plus généraux de l’art, et que le style doit être une conséquence de la pensée, il n'en traite pas d’une façon spéciale et laisse la conséquence se dé- duire du principe. En effet, une fois que l’orateur sait ce dont il parle et à qui il parle, le genre de style est tout indiqué ; c’est celui qui convient au sujet, mais c’est surtout celui qui convient à l'esprit de l’auditeur. Voilà ce que Platon a voulu dire dans le passage cité plus haut : « Si on voit clairement » tout cela, et qu'on sache de plus quand il convient de parler » ou de se taire , quand il faut rechercher le style concis, le » pathétique, l'amplification ,… alors l’art est parfait et véri- » tablement achevé. » Ayez donc vos recettes de style; mais, si vous voulez qu'elles vous soient utiles, apprenez quand et comment il faut les appliquer. Platon a joint encore ici l'exem- ple au précepte. Les deux discours de Socrate, en même temps qu'ils offrent le modèle d’une ordonnance fondée sur la con- naissance de la nature des choses, sont une application de ce DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 275 précepte qu à telle âme de telle nature, il faut, pour la per- suader, adresser tel langage. Ainsi, pour plaire à Phèdre, ad- mirateur passionné des grâces du style, Socrate prend le ton d'un homme inspiré, il revêt sa pensée des images les plus brillantes et des expressions les plus poétiques. Si cette forme est en rapport avec le sujet, elle l'est encore plus avec le ca- ractère et les habitudes de Phèdre; aussi la séduction est-elle complète. Denys d'Halicarnasse n’a pas compris cette intention à la fois dramatique et didactique, lorsqu'il a critiqué certai- nes expressions, soit du Phèdre, soit du Ménexène (1). Elle se laissait pourtant apercevoir sous un voile assez transpa- rent, à travers les réflexions de Socrate sur le tour poétique, dithyrambique même de son langage. Après avoir tracé ce vaste plan de la rhétorique nouvelle qu'il oppose à celle des rhéteurs, Platon en reste-t-il là? Non, il n’est pas encore satisfait. Il ne lui suffit pas d’avoir attaqué les rhéteurs dans leurs préceptes et dans leurs œuvres , il condamne aussi le but vers lequel ils dirigent la jeunesse. II ne se disimule pas du reste l’immensité du travail que lui- même impose à celui qui veut agir sur les hommes par la pa- role ; aussi, après un dernier coup porté à la doctrine de la vraisemblance dans la personne de son promoteur, le sicilien Tisias, voici l'idéal qu'il propose à ses adeptes pour prix de leurs efforts. Il résume d’abord en quelques mots les condi- tions du talent oratoire, puis il ajoute : « Ce talent, l'orateur ne l’acquerra point sans un travail » immense, que le sage ne doit pas entreprendre pour gou- »verner les affaires humaines et parler aux hommes, mais » pour être en état de parler et surtout d'agir toujours, autant »quil est au pouvoir de l’homme, de la manière la plus » agréable aux dieux. Non, disent de plus sages que nous, »non, Tisias, ce n’est pas à ses compagnons d’esclavage que » l’homme raisonnable doit tâcher de plaire, si ce n'est peut- (4) Lettre à Cn. Pompée , ec. n; cf. Sur l'excellence du style de Démosthene , C. XXIV-XXX. 276 MÉMOIRES » être en passant, mais à d'excellents maîtres et d'une excel- » lente origine. Ne sois donc pas étonné si le circuit est long; »il faut le parcourir pour arriver à des choses plus grandes » ue tu ne crois. » Ainsi le but de cette rhétorique toute philosophique est lui- même purement philosophique, et ce but, Socrate l’a fait en- trevoir à son Jeune ami à travers ces formes sensibles sous lesquelles il lui a présenté le monde des idées , et les tendan- ces natives de l’âme vers les essences éternelles. En finissant ce qu'il appelle sa palinodie, il suppliait l'Amour de détour- ner l'âme de Phèdre des sophismes tels que ceux de Lysias et de la porter vers la philosophie. C’est ainsi que les discours se rattachent, par le fond comme par la forme, au sujet même du dialogue. Platon refait la rhétorique, mais il veut qu'elle se propose, comme seul objet digne de ses soins, de conduire les hommes à la vérité, à la contemplation des idées éternelles, s’aidant, pour les diriger dans cette voie, de la connaissance approfondie de leur nature. Telle est l'unité in- time des diverses parties, et la conclusion vers laquelle ten- dait, à travers ses détours, toute cette discussion sur l’art de parler. Après avoir élevé jusqu'à ces hauteurs la question de l'art oratoire, Platon n’a point encore épuisé son sujet. Il lui reste, pour fermer le cercle des questions secondaires dont nous avons plus haut exposé la suite, à revenir au point même d'où il est parti. Convient-il ou ne convient-il pas d'écrire des discours ? En d’autres termes, auquel, du discours parlé ou du discours écrit, doit-on accorder la préférence? — Et d’abord, quelle est l'utilité de l'écriture ?... Dans une fable ingénieuse sur l'invention de l'écriture en Egypte par le dieu Theuth, So- crale accuse spirituellement cet art d’être, contre l'opinion de son inventeur, funeste à la mémoire et à la véritable science. En effet, « se confiant à l'écriture, cherchant ses souvenirs » hors de soi-même, dans des caractères étrangers et non plus » dans son propre esprit, on n'aura désormais de la science » que l'apparence, d'autant plus vaine qu'on y ajoutera plus DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 217 » de foi.» Après avoir reçu les félicitations de Phèdre sur son talent à composer des discours égyptiens, comme de tous les pays, dit-il, à son gré, Socrate continue, en faisant ressortir les désavantages du discours écrit; et la principale raison qu'il fait valoir est une conséquence directe des principes établis par lui précédemment. Quel est le but du discours, tant écrit que parlé? La persuasion. Or, une des conditions indispen- sables de la persuasion , nous l'avons vu, c’ést qu'aux diverses natures d'âmes soient adaptés des discours divers, suivant chaque nature. Eh bien! un discours écrit reste immuable, quelles que soient les personnes auxquelles il s'adresse. « Une » fois écrit, dit Socrate, un discours roule de tous côtés dans » les mains de ceux qui le comprennent comme de ceux pour » qui il n’est pas fait, et il ne sait pas même à qui il doit par- » ler, avec qui il doit se taire.» Attaqué ou non compris, il est incapable de s'expliquer ou de se défendre: enfin, il ne laisse dans l'esprit que des traces légères, aussitôt effacées. Platon, toujours poëte, compare ici les semences de science, que Jette dans les âmes le discours écrit, à ces plantes hâtives, venues en moins de huit jours dans les jardins d'Adonis (4), et dont on admire la belle verdure, mais qui se flétrissent bien- tôt, sans arriver à leur maturité. Ce n’est là que l'objet d'un vain amusement ; ce que l’on doit se proposer, quand on con- naît ce qui est vraiment juste, bon et beau , «c’est de semer et » de planter dans une âme convenable, à l’aide de la dialecti- » que, des discours capables de se défendre eux-mêmes et celui » qui les a semés, discours féconds, qui, germant dans d'au- »tres cœurs, y produisent d’autres discours semblables, les- » quels, se reproduisant sans cesse, immortalisent la semence » précieuse, et font jouir ceux qui la possèdent du plus grand » bonheur qu'on puisse goûter sur la terre. » Ainsi, cette se- conde discussion, comme la première, aboutit à faire de la (1) On appelait ainsi des vases dans lesquels on semait du blé, de l'orge et diverses plantes , dont la verdure hâtive devait servir d'ornement aux fêtes d’Adonis. Voy. Théocr. Id. xv, v. 113 , et la note de Kiessling sur ce vers. 278 MÉMOIRES philosophie le but suprême de la vie, mais avec cette condi- tion de plus, implicitement renfermée dans les principes an- térieurs , que l'enseignement de la philosophie doit être trans- mis par la parole, par ce discours vivant et animé qui réside dans l'intelligence, et dont le discours écrit n'est que le muet simulacre. Cette conclusion est toute naturelle dans la bouche de Socrate, qui n'a laissé aucun écrit. Quant à Platon, les raisons qu'il expose ici ont contribué sans doute à lui faire adopter pour ses ouvrages la forme du dialogue, comme celle qui se rapproche le plus de l’enseignement oral de Socrate ; et même sous cette forme , il a l'air de ne point prendre au sérieux l’enseignement écrit, de le considérer comme un sim- ple jeu d'esprit, et tout au plus comme un agréable moyen de réminiscence pour ceux qui savent déjà, se sacrifiant ainsi lui-même, avec tous les poëtes et tous les écrivains, quels qu'ils soient, sur l'autel élevé par lui à la philosophie. En terminant cette discussion sur l'écriture , Platon , comme pour montrer le lien de toutes les questions qu'il a traitées, résume une dernière fois en ces termes les principes de l’art oratoire : « Avant de connaître la vraie nature de chaque chose dont » on parle ou dont on écrit, de savoir en donner une défini- » tion générale, et puis de la diviser en ses parties indivisi- » bles, avant d’avoir approfondi de cette manière la nature de » l'âme et d'avoir trouvé l'espèce de discours qui convient à » chaque espèce d'âme, avant de savoir disposer et ordonner » son discours, de sorte qu'on offre à une âme complexe des * discours complexes, et où se trouvent tous les genres d'har- » monie, et, au contraire, à une âme simple, des discours » simples ; avant tout cela, dis-je, il est impossible de manier » parfaitement l’art de la parole, soit pour enseigner, soit » pour persuader, comme nous l’a prouvé tout le discours » précédent. » Quant aux discours, Socrate ajoute encore, un peu plus loin, que les seuls où se trouvent réunis la clarté, la perfection et le sérieux , sont ceux qui ayant pour sujet le bon, le juste et DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 279 le beau, sont produits par la science dans l'intelligence. Si pourtant quelque écrivain, poëte ou faiseur de discours, en composant ses ouvrages, est sûr de posséder la vérité, s’il est capable de la défendre et de surpasser ses écrits par ses pa- roles, «le nom de sage, dit Socrate, me paraît trop grand » et ne convenir qu'à Dieu seul; mais le nom d'ami de la sa- » gesse ou tout autre semblable, lui conviendrait mieux » que ceux sous lesquels on le désigne ordinairement. Ainsi, la rhétorique, telle que Platon la conçoit, n’est autre chose que la philosophie elle-même. C'est à la philosophie qu'elle se ramène , dans sa forme, par la dialectique, dans ses principes par l'étude de la nature et par celle de l'homme, dans son objet, enfin, par l’enseignement du vrai, du juste et du beau au moyen de la parole. A une éloquence idéale Platon donne un but idéal comme elle, loin des basses régions où s’agitent les intérêts et les passions des hommes. Mais de ces hauteurs où, par l'essor de son génie, il a, comme tou- jours, emporté son sujet, une vive clarté se répand sur la route que doit suivre l’orateur pour arriver à son but. Platon, du reste, en finissant, rabat son vol; il quitte les sommets élevés de la philosophie pour redescendre vers la rhétorique. Au lieu de ce modèle idéal , qu'il plaçait tout à l'heure dans une sphère presque inaccessible, sous le nom d'ami de la sagesse, il choisit un modèle vivant et réel dans la personne d'Isocrate, rival de Lysias comme orateur, et son propre condisciple à l'école de Socrate. À l’époque où l'on doit rap- porter la scène du Phèdre, Socrate ne pouvait encore donner que des espérances. En voici la bienveillante expression dans la bouche du maitre : « Soc. Isocrate est jeune encore, mon cher Phèdre, mais je » veux néanmoins te faire part de mes prédictions sur son » compte. — Ph. Voyons-les. — Soc. Il me parait avoir trop » de talent naturel pour être comparé à Lysias ; il a aussi des inclinations plus généreuses ; en sorte que je ne m'étonnerais pas, lorsqu'il avancera en âge, si, dans le genre auquel il s'applique maintenant, ceux qui l'ont précédé dans l'art 280 ._ MÉMOIRES » oratoire semblaient des enfants auprès de lui; et si, peu » content de ces soins, insuffisants pour remplir son âme, » quelque inspiration divine le poussait vers de plus grandes » choses. Car, mon cher ami, il y a dans cette jeune intelli- » gence quelque chose de naturellement propre à la philoso- » phie. Voilà ce que j'annoncerai de la part des divinités de » ces lieux à mon bien-aimé Isocrate; toi, fais-en de même » auprès de ton ami Lysias. » Que Lysias soit ainsi sacrifié à Isocrate, dans un dialogue dirigé contre les rhéteurs, voilà ce qui vraiment a lieu de nous surprendre au premier abord. Si de Lysias ou d’Isocrate il en est un dont le nom réveille en nous l’idée du rhéteur, c'est assurément le dernier, surtout depuis le jugement porté sur lui par Fénelon. Lysias, au contraire, s'offre à notre es- prit comme le type de ce style simple, élégant et précis, au- quel s'applique par excellence le nom d’atticisme. «Il n’a rien » d'inutile ni de superflu ,» dit Quintilien. «Chez lui, a dit » encore Denys d'Halicarnasse, les idées ne sont pas asser- » vies aux mots, mais les mots suivent les idées.» Ce sont ces qualités, si opposées aux défauts des rhéteurs , qui déjà lui avaient valu cet éloge de Cicéron : « On oserait presque » l'appeler un orateur parfait. » Comment, en face de juge- ments si favorables, expliquer les attaques de Platon ? C’est que ces jugements, il faut le dire, se rapportent tous aux plaidoyers de Lysias; mais, outre ces plaidoyers, Lysias avait composé des morceaux d'apparat dans le goût des so- phistes, des déclamations, où le vide et la subtilité des idées cherchaient à se dissimuler sous la pompe des expressions et l'éclat des antithèses. Voilà sans doute ce qu'il offrait en exemple à ses disciples; c’est le rhéteur et son enseignement que poursuit Platon; peut-être même n'avait-il qu'une mé- diocre estime pour l'avocat, pour l'écrivain de discours des- tinés à être prononcés par d’autres, pour l'orateur à l'élo- quence duquel semblent avoir toujours manqué deux con- ditions essentielles , l'élévation des idées et les inspirations du cœur. LR A ER 2eme DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 281 Quant à l'éloge que Platon fait d'Isocrate, il ne saurait s'expliquer seulement par un sentiment d'affection pour cet ancien condisciple , resté non moins fidèle que lui à la mé- moire de son maître. D'un autre côté, les qualités du style d'Isocrate, l'harmonie de ses périodes et l’artifice de ses phrases suffiraient encore moins à le motiver. Il a vraiment sa raison dans ces tendances philosophiques que Socrate signale chez son jeune disciple; tendances qui firent de lui un allié de Platon contre les sophistes, et le portèrent à se poser lui- même en réformateur de l’art oratoire. «Il fut le premier, dit Denys d'Halicarnasse, qui détourna l’éloquence des dis- putes stériles et des recherches sur la nature pour l'appli- quer à la politique. Il ne cessa toute sa vie de s’adonner à cette science, qui procure, comme il le dit lui-même, à ceux qui [a cultivent, l'avantage de comprendre, de dire et de faire ce que réclame le bien public (4). Je ne veux pas suivre Denys dans l'analyse enthousiaste qu'il fait des discours d'Isocrate; mais, sans croire comme lui à la toute-puissance de ces discours pour porter les hommes à la piété el à la justice, pour exciter dans les cœurs l'amour de la patrie et la passion de la gloire, on doit reconnaître que le rhé- teur athénien semble s'être proposé, dans les conseils qu'il donne à ses concitoyens , aux rois et aux peuples de la Grèce, d'élever l'éloquence à la hauteur d’une mission politique et morale. Ce que nous savons de son enseignement répond à cette prétention. On ne peut nier d'ailleurs qu'Isocrate ait longtemps été dans Athènes le maître le plus autorisé. Nous voyons, en effet, qu'il compta pour disciples tout ce que la Grèce eut alors d'orateurs et d'écrivains célèbres. A trois re- prises différentes, dans le de Oratore, le Brutus et l'Orator , Cicéron appelle la maison d'Isocrate l'école publique de l’é- loquence grecque. «Cette école, dit-il dans le de Oratore, » semblable au cheval de Troie, semble n'avoir enfanté que » des héros; » cujus è ludo, tanquam ex equo trojano, meri L2 (4; Isocr. ©. 1. 282 MÉMOIRES principes exstierunt. Cicéron est un admirateur d'Isocrate, et il appuie son admiration sur le jugement de Platon, lequel s'explique lui-même par tout ce que nous venons de dire. Si la bienveillance y a sa part, il est néanmoins suffisamment jus- tifié par les aspirations d’Isocrate vers la haute éloquence et par son influence réelle sur ses contemporains. Mais il faut le dire aussi, le génie d'Isocrate n'était pas assez fort pour le soutenir dans ses aspirations: son influence s'arrêta à la partie extérieure et, pour ainsi dire, au vêtement de l’élo- quence. Il finit même par n'être plus qu'un artisan de pa- roles , plus honnête seulement et plus habile que ceux dont il cherchait à se séparer. Platon, longtemps avant la fin de sa vie, put reconnaître qu'Isocrate n'était pas l'homme ca- pable de remplir le vaste cadre qu'il avait tracé. Celui qui devait accomplir cette tâche, c’est le disciple et l’'émule même de Platon, un philosophe comme lui, plein comme lui de mépris pour les artifices de la rhétorique, dût le rhéteur s'appeler Isocrate, et qui, dit-on, appliquant à celui-ci un vers d'Euripide, trouva « qu'il était honteux de se taire quand » les barbares parlaient.» Rattachant comme son maître la rhétorique à la dialectique, mais sachant aussi l'en distin- guer , se bornant à former l’orateur public tel que le Jui offrait son temps, Aristote, après avoir resserré dans le cercle de la réalité pratique les conceptions idéales de Platon, a ébauché à l’usage de l’orateur cette étude des hommes et des choses où doit se nourrir son talent, et lui a offert un riche fonds d'i- dées avec la méthode pour en acquérir de nouvelles; il lui à même livré, en lès ramenant à des principes supérieurs, ces secrets de style dont se prévalaient tant les rhéteurs, et il a ainsi, dans la rhétorique , comme dans ses autres ouvrages, résumé, en les complétant, tous les travaux antérieurs. Cette digression nous a un peu éloignés du Phèdre; ren- trons-y par une dernière citation. C'est la conclusion du dia- logue ; l’idée du beau moral, but suprême vers lequel doit tendre l'âme , s'y trouve ramenée avec un dernier coup d'œil sur la scène de ce délicieux entretien. mate: RE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 283 « Ph. Allons, car la chaleur commence à devenir plus sup- portable. — Soc. Ne devons-nous pas invoquer les dieux » avant de nous mettre en chemin ? — Ph. Pourquoi pas ? — » Soc. 0 Pan, et vous divinités qu'on adore en ce lieu, donnez- » moi la beauté intérieure de l'âme! Quant à l’extérieur, je me » contente de celui que j'ai, pourvu qu'il ne soit pas en con- » tradiction avec l’intérieur. Que le sage me paraisse riche, et que j'aie seulement autant d’or qu'un sage peut en supporter » eten employer. Avons-nous encore quelque chose à deman- der, mon cher Phèdre ? Pour mon compte, voilà tous mes vœux.— Ph. Fais les mêmes vœux pour moi, car entre amis » tout est commun. — Soc. Partons. » Ce vœu de Socrate, qui termine le Phèdre, en complète et en résume le sens. D'un côté, par ce mépris de l'or qu'il exprime, il condamne chez les rhéteurs la passion de s’enri- chir; principe de leur enseignement et mobile de toute leur conduite, faisant voir dans la modération des désirs le prin- cipe d'un enseignement contraire. De l’autre, en mettant au- dessus de tous les biens la beauté intérieure de l'âme, il ajoute un dernier élément à cette conclusion , qui se déduit du dialogue tout entier et qui rattache la pratique de l'éloquence à la théorie générale du beau : c'est que le parfait orateur est le sage, qui, après avoir réalisé en lui la beauté morale , peut en exciter l'amour dans les autres âmes par la puissance de la parole. 284 MÉMOIRES E——————_—_—_—_—_——————— —— LE CHATEAU DE BRUNIQUEL SOUS BAUDOUIN DE TOULOUSE (1); Par Gusrave DE CLAUSADE. La foi s'éteignait au xn° siècle dans les Etats des comtes de Toulouse , et avec elle disparaissait l'ordre politique. Dès l'an 1147, saint Bernard, chargé par le Pape de combattre l'hérésie que les scandales du clergé propageaient autant que les prédications des Vaudois, secouait, dit il, la poussière de ses sandales en quittant des villes impies où l'on voyait des églises sans peuple, un peuple sans prètre, et le prêtre sans minis- tère (2). Le mal ne fit qu'empirer après lui. Les charges pu- bliques étaient occupées par des juifs; des troupes de routiers sillonnaient le pays, pillant les voyageurs et brülant les châ- teaux: des usuriers manifestes exercaient impunément leur odieuse industrie ; enfin, suivant Guillaume de Puylaurens , les ténèbres étaient descendues, et les bêtes de la forêt du démon erraient au milieu d'une nuit d'ignorance (3). Pour mettre un terme à cet état de choses, une croisade s’organisa, en 1208, par l'ordre du pape Innocent III et du roi Philippe-Auguste,. contre les hérétiques Albigeois, ainsi nommés depuis le Con- cile de Lombers en Albigeois, où ils furent condamnés en 1176. (4) Extrait de l'Histoire du château et de la vicomté de Bruniquel , en Quercr. (2) Epist., pag. 241. {3) Chron. Wilb. Pod. LEaur. prolog. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES 285 L'esprit aventureux qui s'était emparé de toutes les têtes par les voyages d'Orient, cherchait un aliment nouveau pour son activité. On était las des croisades infructueuses d’outre- mer , et l'on saisit avec ardeur le prétexte religieux qui rani- mait l’antipathie existantentre des peuples différents de mœurs et de langage, ceux du Nord et ceux du Midi de la France. Aussi, dès qu’on eut dit aux barons d'outre-Loire qu’ils pou- vaient combattre pour le Seigneur sans porter leurs pas dans les déserts de l'Orient, et que le Pape promettait aux soldats de la croisade contre les Albigeois les mêmes indulgences qu'à ceux qui servaient dans la Terre-Sainte contre les infidèles , ils vinrent en toute hâte pour relever avec l'épée l'autel de J. C. ébranlé sur sa base, dans l'espoir surtout d'acquérir de beaux fiefs au soleil de Provence et de Languedoc. Ce fut un combat à mort entre deux races, la dernière invasion des Francs dans le Midi, la lutte de la féodalité contre le régime municipal. Raymond VI, comte de Toulouse, coupable seulement d’in- dulgence en faveur des hérétiques, avait été séparé de la communion des fidèles et flétri du nom de tyran de Ja foi. Il avait vu l'interdit jeté sur ses terres, et ses vassaux déliés du serment de fidélité à sa personne ; enfin, il s'était soumis à toutes les humiliations que lui avaient infligé les légats du Pape, et avait pris les armes avec les Croisés contre ses pro- pres sujets (1209). Raymond Roger, vicomte de Béziers et de Carcassonne, eut à supporter les premiers assauts de la croisade , malgré ses protestations de dévouement à l'Eglise romaine. Ses terres fu- rent envahies par l'armée française, conduite par les légats ; et Simon de Montfort, élu chef de cette croisade armée par le fanatisme et pour la spoliation, ne tarda pas à en être investi. Mais ce n'était pas assez pour son ambition sans mesure, et il se disposa à s'emparer encore des domaines du comte de Tou- louse. Raymond VI comprit alors que sa participation à la croisade ne servait qu'à accroître les exigences de Montfort. Il résolut d'aller à Paris et à Rome pour se plaindre au Roi de D° $.— TOME HI. 19 286 MÉMOIRES France des odieuses vexations du chef des croisés, et se jus- tifier auprès du Pape des accusations de Milon, son légat. Avant de quitter la cour de Philippe-Auguste pour se rendre à Rome, il déposa dans l’abbaye de Saint-Denis un testament qu'il avait fait en cas de mort dans le voyage, et par lequel il donnait à Bertrand , son fils naturel, les châteaux de Caylus et de Bruniquel avec leurs dépendances (1) (20 septembre 1209). Il témoignait ainsi de son désir d'en faire le chef d’une seconde race de vicomtes de Bruniquel, issus de la maison de Tou- louse, comme la première. Raymond VI avait un frère nommé Baudouin, qui naquit en France, et fut élevé à la Cour des rois Louis-le-Jeune , son oncle maternel, et Philippe-Auguste son cousin germain. Baudouin sympathisait, par son éducation, avec les hommes d'outre-Loire. Il n’était venu dans la province qu'après la mort de son père, le comte Raymond V, décédé en 1194. Raymond VI refusa longtemps de le reconnaitre pour son frère; mais les barons et les prélats français ayant attesté par écrit qu'il était fils légitime de Constance de France, épouse répudiée du comte Raymond V, il se vit, pour ainsi dire, forcé de l’apanager en qualité de cadet de la maison de Tou- louse. Par son testament de 1209, il lui avait légué l’engage- ment du comté de Milhau et de la Roque de Valsergue en Rouergue, c’est-à-dire, une créance pour laquelle Pierre, roi d'Aragon, avait donné ces terres en garantie. La pression (1) «item dono et dispono Bertrando meo filio Castluscium et Bruniquel- dum cum eorum pertinentiis, sub tali vero conditione, quod Bertrandus meus filius teneat jam dicta castra a Raymundo filio meo , et quod sit tamen guus homo; et Raymundus meus filius quod faciat ei jam dicta castra quiete tenere et possidere, et quod sit inde ei adjutor et defensor ab omnibus hominibus , et quod Bertrandus meus filius nec sui infantes non possint jam dicta castra a se alienare ullo tempore , quin remaneant meis hære- dibus , si forte ab ipso Bertrando sine infante ex legitimo matrimonio , vel de suo infante sine alio infante nato ex legitimo matrimonio , decesserit. Et si ab ipso Bertrando sine infante nato ex legitimo matrimonio decedebat , mando et dispono quod prædicta castra remaneant meo filio. » Hist. gén. de Lang., nouv. édit., t. v, Pr., p.571. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 287 violente qu’exerça sur son esprit le parti de la croisade auquel il avait cru un moment pouvoir se livrer sans péril, le déter- mina à donner à Baudouin, qu'il n’aimait pas, la vicomté de Bruniquel, ancien apanage d'une branche éteinte de sa maison, au lieu de la réserver pour Bertrand son fils naturel et bien-aimé. Ce fut un sacrifice que la politique imposa à son cœur. Peu de temps après, le concile d’Arles (février 1211 }, prouva au malheureux comte de Toulouse que la croisade contre les Albigeois était un prétexte imposteur pour infliger au Midi la domination française, et qu'elle n'avait. d'autre but que la conquête de ses propres états, au bénéfice de Simon de Montfort. Raymond, dans une pareille extrémité, revint, courant le plus qu'il put, dans sa capitale pour y faire un su- prême appel à son peuple. Il lui montra lui-même la charte contenant les dures injonctions du concile, et ses sujets, in- dignés, se levèrent en armes pour défendre avec leur souve- rain le sol de la patrie et leurs antiques libertés. De Toulouse le Comte se rendit en Querci, la charte au poing (la carta e son punk ), et les Montalbanais qu'il trouva les premiers sur son passage répondirent à sa voix qu'ils mangeraient leurs en- fants plutôt que de subir les conditions du concile (mars 1211). Les villes voisines suivirent avec enthousiasme ce généreux mouvement. Bruniquel fut, dans la première effervescence, enlevé sans peine à Baudouin de Toulouse, justement suspect à la cause méridionale, et remis sous l'autorité du comte Raymond VI. La guerre se ralluma plus vive que jamais. L'un des pre- miers faits d'armes qui signalèrent les nouvelles hostilités fut la prise de Lavaur (3 mai 1211 ), par le chef de la croisade. De cette ville il se rendit en toute hâte au château de Mont- ferrant, près Castelnaudary, où il espérait remporter une victoire bien autrement importante que la conquête d'une place forte. « Là était, dit Guillaume de Tudela, le preux et vaillant comte Baudouin, qui, de sa personne, valait, en armes, Roland et Olivier; et s'il avait eu de grandes terres, 288 MÉMOIRES comme d'autres princes, il en aurait, de son vivant, con- quis bien d’autres. Le comte Raymond son frère l'avait là mis à la défense; et si le château eût été fort comme il était grand de nom, les Français ni les Allemands ne l’auraient pris de leur vie... Quatorze chevaliers, et je ne sais combien d'autres, se trouvent dedans avec le comte Baudouin, qui attend le siège des superbes Français. » Le poëte que nous venons de citer, Guillaume de Tudela, auteur de l’histoire en vers de la croisade contre les héréti- ques albigeois, publiée et traduite par M. Fauriel, a fourni le texte de nombreuses dissertations historiques et littéraires. Ce n'était ni un anonyme, ni un clerc natif de la ville de Tu- dela en Navarre; mais ce que Fauriel ne soupçonnait pas, et ce qui tranche bien des questions, un poëte originaire du lieu de Tudela en Gascogne (1), Guillaume écrivit dans l’idiome usité de son temps en Bas-Querci, où il composa son poëme. Il s’attacha à la fortune de Baudouin de Toulouse, et fut son poëte attitré, ainsi que nous le verrons plus bas. Après quelques détails du siège , Guillaume de Tudela ajoute : «Et grand miracle fit Jésus le tout-puissant, qui sauva Baudouin et les siens d'être pris tous à cet assaut. Le comte de Montfort, ainsi que beaucoup d’autres, portaient bien- veillance au comte Baudouin pour tout le bien qu’ils en en- tendaient dire; et grand pitié les prenait de lui seul, car des autres ils n’en donneraient pas la valeur d’une noix. Le comte de Châlons fit alors chose fort courtoise : il envoya vers le château un croisé qui se met à crier à haute voix : «Seigneur comte Baudouin, venez en toute sûreté ; ici, dehors, vous attend mon seigneur le comte; et un accord avec vous plaît à tous nos barons.» Qu'ai-je besoin de vous faire plus long discours ? Le Comte, entendant la proposition, est sorti, il sait bien qu'il ne peut plus guère se défendre, et finit par rendre le château aux Croisés avec les vivres, le pain, le vin (4) Aujourd’hui Tudelle, commune du canton de Vic-Fezensac , arrondisse- ment d’Auch, département du Gers. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 289 et le blé qui s’y trouvent. Tous les siens sortirent avec leurs armes, après avoir juré sur les saints Evangiles, qu'ils ne feraient plus de leur vivant la guerre aux Croisés, et ne sou- tiendraient plus la chétive gent mécréante. Là-dessus ils dé- guerpissent du château, et s’en retournent là d'où ils sont venus, » L'histoire en prose de la croisade contre les Albigeois, écrite aussi en langue vulgaire, et longtemps après la chro- nique en vers qui lui servit de modèle, ne dissimule pas sous tant d'artifices poétiques la trahison de Baudouin de Toulouse à Montferrant. Loin de la blâmer,, elle la présente à son tour comme honorable et nécessaire, et la fait servir à prouver la générosité du vainqueur. Elle prête, en outre, à Montfort un discours insidieux, afin de réveiller dans le cœur de Baudouin des sentiments de méfiance contre son frère. Baudouin allant parlementer lui-même dans le camp de Montfort était résolu d'a- vance à livrer le château et à s’enrôler dans la croisade. Il ne s'agissait donc pour lui que de vendre son épée le plus chérement possible. Le comte de Montfort lui promit, s'il voulait demeurer avec lui, de lui donner des seigneuries suflisantes pour tenir son rang (1), et de le faire participer à ses conquêtes. L'armée de la croisade, déployant à côté de la bannière au lion de Montfort la bannière à la croix de Toulouse, grandissait en prestige et en influence morale aux yeux des populations du Midi. Simon de Montfort avait compris combien il importait au succès de sa cause de faire alliance avec Baudouin ; aussi dirigea-t-il ses pas, au début de la campagne, vers le château confié au frère de Raymond VI, dans l'espoir qu'il lui serait livré après une faible résistance. Baudouin, gagné à la croi- sade, avait droit à une prompte réintégration dans la vicomté (1) « Lo conte de Montfort y promet que se ambél se vol tenir et estar , que ly donaria terra et senhoria per son estat entretenir et que de tot so que se gasanharia lo fara participant. (Hist. gén. de Lang., nouv. édit., L. v, Pr p - 478.) 290 MÉMOIRES de Bruniquel, qu'il avait possédée un moment, et que son frère lui avait sitôt ravie. C'était le prix naturel de sa capitu- lation , le premier gage de reconnaissance que lui devaient les croisés. Baudouin, privé de cet apanage acquis à son rang par des traditions de famille qu'il tenait à faire revivre, n’é- tait plus, sans lui, qu'un frère déshérité du comte de Tou- louse. Il avait donc hâte de le recouvrer , et , dans ce but, il se dirigea immédiatement vers Bruniquel (1). Mais son frère s'y rendit avant lui, de sorte que Baudouin ne put s'emparer que de la ville, tandis que Raymond VI occupait le château (commencement de juin 1241 ). Simon de Montfort, après son heureuse expédition de Mont- ferrant, se rendit également en Querci où Baudouin avait convié l’armée de la croisade. Les mouvements stratégiques de Lavaur à Montferrant, et de Montferrant au Bas-Querci, s'expliquent donc par la double conquête à faire et de Bau- douin et de Bruniquel. A l'approche des troupes victorieuses de Simon de Montfort, les villes d'Albigeois se soumettent sans résistance. Les châteaux les plus voisins de Bruniquel, Puycelsi, Saint-Antonin et bien d’autres lieux tombent en son pouvoir; et lorsqu'il se voit maître du pays, il se dispose à faire le siége du célèbre manoir vicomtal, défendu par le comte de Toulouse en personne. Les habitants de Bruniquel redoutaient, selon le poëte, la vengeance des Croisés pour avoir dépossédé Baudouin de Toulouse et reconnu volontairement l'autorité du comte Ray- mond VI. Dans leur désespoir, ils se disposaient à mettre le feu à la ville lorsque Baudouin survient et s’en empare. Maître de la ville, il ourdit secrètement la défection parmi les défenseurs du château, et oblige ainsi le comte de Tou- louse à lui abandonner la place ( 11 juin 1211 ). (1) « Et a donc lodit conte Baudoy s'en es anat et tirat dins lo loc de Bru- niquel , loqual era de son dit fraire. » (Hist. gén. de Lang., nouv. édit. t. v, Pr. p. 479, Pr. des addit. , p. 122, col. 2.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 291 Maintenant nous allons laisser parler la chronique ; elle paraîtra moins obscure après les explications qui précè- dent. « Et le comte Baudouin, dont je vous ai parlé, défendit Bruniquel et le préserva de ceux qui voulaient le brüler, dans la frayeur où ils étaient des Croisés, qui venaient contre eux courroucés. Et le comte de Toulouse l'aurait bien désiré ( que le château fut brûlé), si les hommes de la ville eussent voulu l'en croire , tristes et dolents comme ils étaient. « Le preux comte de Toulouse est dans Bruniquel : tout le monde voulait s'enfuir du château ; mais le comte Baudouin leur a fait dire en secret que s'ils veulent rendre le château, il se rendra leur garant, à condition qu'il ne relèvera plus de son frère. À cette proposition, tous, chevaliers et servants, s'écrient : «Seigneur , le voulez-vous, que le Comte soit notre garant ! » «J'en ferai à votre volonté» dit alors le Comte. Là- dessus, en présence de tous, il les absout de leur serment, et eux font avec le comte Baudouin leur accord; tous, pau- vres et riches, lui jurent fidélité pour le château. Il s'en vient alors aux Croisés, qui sont ses amis, et les prie de donner sûreté à ceux de Bruniquel. Les Croisés y consentent, mais à cette condition qu'il se joindra à eux, et les conquêtes qu'il fera avec eux seront à lui sans contredit. Ils lui octroient cela d'une commune voix, pourvu qu'il les veuille aider. » L'accord de Montferrant était renouvelé en même temps qu'il recevait pour première récompense la réintégration de Baudouin dans la vicomté de Bruniquel. Le témoignage de Guillaume de Tudela est suspect de partialité en ce qui con- cerne les Croisés et surtout Baudouin de Toulouse son Mécène. Le comte Raymond VI, trahi par les siens dans le château de Bruniquel , l’abandonne avec une sorte de complaisance qui enlève à la défection tout ce qu'elle a d’odieux et de triste. Le comte de Toulouse ne cède pas à la fatalité qui faisait Montfort victorieux par le seul effroi de ses armes ; il autorise , il légitime en quelque sorte lui-même, si l’on en croit l'historien poëte , l'occupation du château de Bruniquel par Baudouin, et lève 292 MÉMOIRES tous les scrupules de ceux qui croiraient encore devoir lui rester fidèles. Quant à Baudouin, sa conduite devient de plus en plus difficile à justifier : le poëte l’essaie toutefois à propos de l'en- trevue des deux comtes à Toulouse. Il la place à la suite de la prise de Bruniquel par Baudouin , et non avant comme l'his- toire en prose. Une transposition a eu lieu dans Fun ou l'autre récit: tous les deux en offrent, du reste, plusieurs. Le poëte, contemporain des faits qu’il raconte, ne s’est pas rigoureuse- ment astreint à les placer tous dans l'ordre chronologique; il anticipe parfois sur les événements ; ily revient après les avoir déjà racontés, selon que l’enchainement des idées les rap- proche dans son esprit. À propos des différends entre les deux comtes , et cherchant à prouver que Baudouin était parfaite- ment autorisé par les circonstances et par son frère lui- même à s’enrôler dans la croisade, il parle alors, pour la première fois, de leur fâcheuse entrevue à Toulouse, du moins d'après la copie altérée qui nous est seule connue à défaut de l'œuvre originale. Quoi qu'il en soit, voici ce qu'ajoute le poële : «Le comte Baudouin s’en retourne aussitôt après avoir conclu son accord avec le comte de Montfort. Il s'en va à Tou- louse parler avec le comte Raymond son frère, lequel peu l'aimait, et ne voulut jamais lui donner rien de ce que l'on donne à un frère, ni l'honorer en sa cour. Il lui permit, au contraire, deux fois ou trois, par serment, de s'arranger avec les Croisés. Lui, ne pouvant rien de plus, prit congé de son frère sans vouloir rester davantage avec Jui; il revint à l'host pour garder sa parole. Malgré tout cela, il n'aurait pas si durement guerroyé contre son frère si celui-ci ne lui eût si injustement fait enlever Bruniquel. » Ja ab so nol volgra durament garreiar S'il castel de Brunequel ta mal noilh fes raubar (1). a ———————— \ (4) Guill. de Tudela, p. 124. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 293 Ainsi, c'est principalement pour se venger du comte Ray- mond VI, qui lui avait repris le château de Bruniquel, après le lui avoir donné, qu'il déserta sa cause et lui fit une guerre à outrance. Cette explication n'avait pas encore été fournie ; le texte qui l'établit n'étant connu que depuis peu. L'auteur de la chronique en prose, désigné quelquefois sous le nom d'historien du comte de Toulouse, parce qu'il est toujours favorable à ce prince, ne raconte pas la prise de Bruniquel avec les mêmes détails. Il passe sous silence Ja mésaventure du comte Raymond VI, abandonné des siens dans le château, et forcé de se retirer devant un frère félon. C'est Montfort seul qui traite avec Baudouin de Toulouse, et l'in- vestit de la seigneurie, objet de sa convoitise. «Simon de Montfort, dit-elle, voulut assiéger Bruniquel; mais le comte Baudouin vint au-devant de lui avec son armée et lui demanda cette place, car il n'avait pas d'autre lieu pour se retirer et demeurer ( aldit de Montfort ladita plassa a demandada, car autre loc ni plassa no avia per se retirar et demorar ). Montfort la lui donna et octroya pour en faire à son plaisir et à sa volonté. » Avec le château de Bruniquel, Baudouin de Toulouse reçnt également en fief plusieurs terres voisines, la vicomté de Montelar en Querci, et la baronie de Salvagnac en Albigeois (juin 12114), comprises dans les domaines des vicomtes de Bruniquel de la première race. Peu de temps après, pour faire diversion à quelques succès obtenus par les Croisés vers Castelnaudary , les amis du comte de Toulouse répandent astucieusement le bruit que les Français sont partout vaincus, et, sur cette fausse nouvelle, plusieurs villes se donnent spontanément au comte Raymond. Baudouin de Toulouse apprit à Montagut en Albigeois, où il se trouvait alors, que les habitants de Gaillac venaient de se révolter contre les gens de Montfort préposés à leur garde, et qu'ils marcheraient le lendemain sur la Grave, château du voisi- nage, baigné comme leur ville par la rivière du Tarn. Bau- douin fut aussitôt leur offrir la bataille : « Les hommes de 294 MÉMOIRES Gaillac, et don Doat Alaman, dit la chronique, lorsqu'ils virent déployées au vent les bannières des Croisés, en furent tous en grande joie; ils pensent que ce soit le comte Raymond qui est à la tête des autres, à cause de la croix de Toulouse qui resplendit au vent. Mais quand ils reconnurent, enfin, l'autre croix, ils en furent dolents et tristes. » Cette autre croix était aussi celle de Toulouse, et n’en différait sans doute que par une brisure impossible à distinguer de loin. Les Croisés reprennent Gaillac le même jour, sous la conduite du frère de Raymond VI; après quoi ils s'en retournent à Montagut au coucher du soleil, et le comte Baudouin se rend tout de suite à Bruniquel ; mais il a perdu Salvagnac, où croît de beau froment, et il en est fort chagrin. » Ainsi, pendant l'absence de Baudouin, le château de Salva- gnac avait, à l'exemple des villes voisines , Gaillac et Rabas- tens, secoué le joug de la domination française et reconnu avec confiance l'autorité de Raymond, soi-disant victorieux. Baudouin n'avait rien de plus pressé que d'aller garder lui- même son château de Bruniquel. Il y conduisit les Croisés qui venaient de combattre sous sa bannière dans la plaine de Gaillac. À peine Baudouin a-t-il quitté l'Albigeois que le preux comte Raymond y arrive avec tout son vasselage. Rabastens , Gaillac, Montagut , Cahuzac, Lagarde , Puycelsi, Saint-Marcel, Laguépie et Saint-Antonin se rendent à lui dans l’espace de quelques jours. Tous les châteaux situés sur les limites de l’Albigeois, du Rouergue et du Querci revinrent à sa seigneu- rie, sauf Bruniquel, où le comte Raymond ne voulut pas aller, parce que son frère l'occupait (car n0 volguet anar ledit conte Ramon aldit Bruniquel, per so que son fraire lo tenia (1). Cette explication laisse l'esprit dans une vague in- certitude sur la véritable cause qui préserva Bruniquel d'une attaque. « À l'exception de Bruniquel, dit le poëte, il reprend (1) Hist. gén. de Languedoc, nouv. édit. , t. V, p. 2. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 295 tous ces châteaux, en leur faisant croire, par la foi que je crois à Dieu, que le comte de Montfort a été mis en déroute, qu'il s’est enfui dans la terre où il est né, et que jamais Croisés, si longtemps qu'ils vivent, ne reviendront dans le pays, la plupart ayant été tués. Mais, avant six mois, tout cela est changé; le comte de Montfort est arrivé amenant des Français.» Cahuzac tomba en son pouvoir après un siége de deux jours. «Ilenvoya alors chercher le comte Baudouin à Bruniquel où il était, et celui-ci y vint de gré avec sa ca- valerie (1). » Les Croisés restèrent huit jours jours à Cahuzac avant d'en- treprendre le siége de Saint-Marcel en Albigeois, où ils ne « firent chose qui vaille une pomme gâtée, sinon de la dépen- se ;» mais des renforts considérables venus d'Allemagne, de Lombardie et autres lienx, rendirent bientôt l’armée du comte de Montfort merveilleusement nombreuse. Saint-Marcel devint un monceau de ruines, et de là les Croisés se dirigèrent vers Saint-Antonin. Ils s'emparèrent en passant de La Garde et de Puycelsi : « mais vous ne trouveriez pas après un homme qui ose y dormir, tous s’enfuient la nuit (2). Tous se réfugient à Toulouse la grande, dit le poëte, et il ne reste pas dans le pays un seul homme capable de fuir (3). » La panique fut si grande à Saint-Antonin, malgré les préparatifs de défense faits par Adhémar Jourdain, capitaine, et Pons, vicomte de ce lieu, que la ville fut prise « en moins de temps, je crois, que vous n'eussiez fait cuire un œuf (4).» La population s'était portée en foule aux pieds des autels, et les clercs chantaient à haute voix le Veni sancte Spiritus, en attendant que leurs vainqueurs eussent prononcé sur leur sort. Les Croisés souillèrent leurs armes par des meurtres abominables; ils dépouillèrent les (1) Guill. de Tudela, p. 167. (2) Guill. de Tudela, p. 171. (3) Id. ibid. (4) Id. ibid. 296 MÉMOIRES cleres de leurs vôtements, ainsi que les hommes et les femmes qui avaient été chercher un refuge dans l'église et les aban- donnèrent de la sorte aux railleries des valets et des ri- bauds. Les vicomtes de Saint-Antonin furent faits prisonniers et la garde de ce lieu fut confiée, par Simon de Montfort , à Baudouin de Toulouse et à ses compagnons. Baudouin eut son principal établissement à Bruniquel et régit cette vicomté d'après la coutume des environs de Paris, ainsi que le faisaient les Croisés partout où ils établissaient leur domination. De fréquentes expéditions partirent du châ- teau de Bruniquel sous sa conduite. En prenant des villes et des châteaux pour le compte de Simon de Montfort, 1l con- quérait pour lui-même de nouveaux gouvernements et de nou- veaux fiefs en Querci, en Rouergue, en Albigeois, en Agenais et dans le pays Toulousain, car le chef de la croisade, pour reconnaitre ses services , lui faisait toujours une part dans ses conquêtes. Baudouin de Toulouse lui fut notamment d'un grand secours lorsqu'il assiégeait Moissac et lorsqu'il était assiégé dans Castelnaudary (1212). L'année suivante, Baudouin de Toulouse prit part à la cé- lèbre bataille de Muret (12 septembre 1213). Le sort des ar- mes paraissant incertain, il encouragea Montfort à faire une sortie contre les assiégeants; résolution extrême qui donna la victoire aux Croisés : « Mieux vaut mourir glorieusement, avait-il dit, que vivre en mendiant», et ces mots avaient donné aux Français un élan irrésistible. Le 17 février 1214, Baudouin couchait au château de l'OI- mie, près de Lauzerte, qu'il était venu visiter avec le gou- verneur de Castelsarrasin et le gouverneur de Moissac. Le chä- telain, son vassal, résolut de s'en défaire, il fit avertir le commandant du château de Mondenard et mons Ratier, sei- gneur de Castelnau, ses voisins, dévoués l'un et l’autre au comte de Toulouse. Au milieu de la nuit ils pénétrèrent dans sa chambre et le saisirent pendant que les routiers qui for- maient la garnison du château tuaient ou faisaient prisonniers les gens de sa suite. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 9297 Baudouin de Toulouse, livré aux routiers de Mondenard, fut conduit par eux au château de Monteucq dans le Haut- Querci. Il endura les plus cruels outrages avec une force héroï- que que rien ne put démentir, et fut amené de là à Montauban pour y être jugé par son frère. Raymond VI, qui se trouvait alors à la cour du roi d'Angleterre , arriva dans le pays ac- compagné de plusieurs barons. Baudouin fut tiré de son cachot et conduit hors de la cité alors nouvelle de Montauban sur Ja rive gauche du Tarn, là où s'élève aujourd'hui le faubourg de Ville-Bourbon. Raymond VI condamna son frère à mort. « Bau- douin demanda la permission de se confesser et l’obtint avec peine; le comte de Foix, Roger-Bernard son fils, et un che- valier aragonais le prirent ensuite et le pendirent eux-mêmes à un noyer sans autre facon (1).» Son corps fut livré aux Che- valiers du Temple qui le descendirent de l'arbre et l’enseve- lirent auprès de l’église de leur commanderie de La Ville-Dieu , située aux environs (12 mars 1214) (2), Raymond VI, héritier naturel de son frère Baudouin, s'em- para de ses domaines par le droit de la guerre, de sorte que la vicomté de Bruniquel rentra de nouveau sous la domination des comtes de Toulouse et fut régie directement par eux ou le capitaine qui commandait le château en leur nom. Le poëte historien de la Croisade cesse de parler de Bau- douin de Toulouse, après la bataille de Muret du 12 septembre 1213, il passe même sous silence l’année 1214 tout entière, pendant laquelle Beaudouin périt d'une mort tragique, ainsi qu'on vient de le voir. Cette lacune ne saurait s'expliquer et n'existait pas certainement dans le manuscrit original (3). La (1) Hist. gén. de Lang., nouv. édit., t. v. (2) Chronicon Wilh. de Podio Laurentii, capit. 23. (3) La chronique de la guerre des Albigeoïis, écrite en prose vulgaire du x1ve siècle, publiée par Dom Vaissete et dans le Recueil des Historiens de France , tome xIx, ne contient pas le récit de la mort de Simon de Montfort. Ce récit a été retrouvé dans un manuscrit plus complet, appartenant à la Bibliothèque de la ville de Toulouse , et publié par M. du Mège, en 1842, 298 MÉMOIRES version du poëme, publié en 1836 par M. Fauriel, d’après un manuscrit de la bibliothèque impériale , le seul que l’on con- naisse, offre un texte évidemment incomplet. Deux ans plus tard, en 1838, on signalait déjà deux fragments inédits du même poëme, dont l’un contient des faits nouveaux relatifs à l'auteur et à Bruniquel. D’après eux, le poëte de la Croisade quitta Montauban où il avait commencé, en 1210, sa chronique en vers, pour se rendre auprès du comte Baudouin à Bruni- quel : «Aussi s’en fut-il, comme vous l'avez ouï, vers le comte Baudouin que Jésus garde et guide. Il vint à Bruniquel et y fut accueilli fort joyeusement. Puis Baudouin le fit faire chanoine, sans aucun contredit, du bourg de Saint-Antonin, il l'avait établi là avec maître Tecis qui fort le loue et Jaufre de Poitiers qui ne l'oublie pas. — Il fit alors ce livre (1). Le troubadour gascon continua son œuvre en quelque sorte sous les yeux de Baudouin, dans son château de Bruniquel. On voit, en effet, qu'il n'ignore rien de ce qui concerne son bienfaiteur. S'il ne le suit pas dans ses expéditions , il n’en sait pas moins tous les détails par ses gens qui les lui disent au retour et 1l les raconte avec complaisance. Dans le récit du siége de Moissac, par exemple, il met en relief des faits secondaires, mais d’un intérêt tout spécial pour les personnes au milieu desquelles il vivait : « Le comte Bau- douin, dit-il, faisait là grande dépense : il mangea mainte oïe grasse et maint chapon rôti, tout en dressant parmi l’host les gates et les engins de guerre, ainsi que me le conta son baile, le prévôt; et il y avait là grande abondance de vin et d'autre victuaille (2).» Les routiers tuent, dans une des fréquentes dans la nouvelle édition de l'Histoire générale de Languedoc (tome v, Preuv. des Addit.) Une semblable bonne fortune est peut-être réservée à la chroni- que en vers, et permettra de combler la lacune relative à la mort de Baudouin de Toulouse. (1) Lexique roman ou Dictionnaire de la Langue des Troubadours..…. précédé d'un nouveau choix des poésies originales des Troubadours, etc., par M. Ray- nouard , tome 1er, p. 227. (2) Guill. de Tudela, p. 183. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 299 batailles de ce siége, un damoiseau du comte Baudouin ; Guil- laume de Tudela lui consacre cet étrange souvenir : «Rien, ni heaume, ni haubert ne peut le garantir de mort ni empêcher que dans le ventre, comme en un sac de paille, ne lui fût la flèche plongée (1). » Baudouin et les siens, parmi lesquels il nomme Armand de Montlanard , au bon cheval courant, et les fils de Hugues Delbreil (2), vaillants et preux, défont les Mon- talbanais qui venaient au secours de Moissac. « [ls pourchas- sent de tous cotés et si bien ceux de Montauban, dit Guillaume de Tudela, qu'ils leur prennent huit bons chevaux dont un auferand (cheval de bataille) qu’eut un arbaletier (3).» Ce dernier trait rappelait sans doute à Baudouin un incident connu surtout à Bruniquel et dont le poëte inséra le souvenir dans sa chronique pour plaire à son entourage. Notre sujet nous invite à entrer dans quelques dévelop- pements relatifs à une importante question littéraire encore fort obscure : cette histoire peut servir à en éclairer la solu- tion. À ce titre, nous espérons qu’on voudra bien nous per- mettre une digression qui s’y rattache incidemment. Baudouin de Toulouse, nommé gouverneur de Saint-Antonin en Rouergue par Simon de Montfort, après la reddition de cette ville, en 1212, distribua à son tour des faveurs à ceux qui lui tenaient de plus près. Le fragment inconnu à M. Fau- riel, et publié en 1838, rapporte qu’il nomma ou fit nommer chanoine de la riche abbaye de Saint-Antonin, le poëte qui racontait si bien ses exploits, ainsi que Maître Thédise et Jauffre de Poitiers. Le premier de ceux-ci, Thédise ou Théo- dose (4), chanoine de Gênes, avait été associé pour le conseil à Milon, légat du Pape, en 1208. Il l'aida activement à or- (1) Guill. de Tudela, p. 183. (2) Hugues Delbreil ou Dubreuil , Ug. del Brolh , Huc del Brelh était un des chevaliers qui défendaient le château de Montferrant sous les ordres de Bau- douin de Toulouse , en 1211 , et qui capitulèrent avec lui. (3) Guill. de Tudela , p. 187. {4) Dom Vaissete, nouv. édit., t. v, p. 112. 300 MÉMOIRES ganiser la croisade contre les hérétiques albigeois, et signifia au comte Raymond VI la sentence rendue contre lui par le concile d'Arles, en 1211. Guillaume de Tudela l'appelle «un des meilleurs cleres et des plus savants. » Le second , Jaufre, de Poitiers, «s'était soigneusement entremis » de l'éducation du jeune fils du comte de Toulouse à l'époque où Raymond VI, commandant lui-même la croisade contre les Albigeois, subis- sait la tyrannique influence des barons français et avait promis de donner son fils à la fille de Montfort. Guillaume de Tudela, maître Thédise et Jaufre de Poitiers avaient tous les trois des titres particuliers à l'amitié de Baudouin par les antécédents les plus hostiles à la cause méridionale. Le troubadour Guillaume de Tudela devint chanoine de Saint-Antonin, en 1212, à l'exemple du troubadour Foul- ques de Marseille, qui était devenu évêque de Toulouse, en 1205. Le clerc poursuivit à Saint-Antonim le poëme commencé par le troubadour à Montauban et à Bruniquel. Adonc fit el cest libre ; alors il fit ce livre. Il ajouta une seconde partie à la première, qui se termine au moment où le rot Pierre d'Aragon lève une armée pour venir combattre à côté du comte de Toulouse son beau-frère, sous les remparts de Muret : «Et moi, si je vis assez longtemps, je verrai qui vainera; je mettrai en l’histoire ce dont je serai informé, et j'écrirai de nouveau tout ce dont il me souviendra, autant que le sujet ira en avant, jusqu'à ce que la guerre soîl finie (1). Cette première partie, consacrée à la glorification de la croisade , est écrite avec un esprit fanatique et passionné qui applaudit sans réserve aux plus coupables excès de l'armée de Montfort. Le poëte exprime de tout autres sentiments dans la continuation de son œuvre, car la forme du récit parvenu jusqu’à nous n’admet aucune division. Les deux parties sont si (1) Guill. de Tudela. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 301 bien liées l’une à l’autre dans le manuscrit, qu’elles ne pou- vaient être séparées par leur éditeur. A l'occasion de la bataille de Muret, placée au début de la suite ou reprise du poëme, l’auteur manifeste quelques sym- pathies pour les Toulousains vaincus dans cette grande jour- née(1). Tout en se maintenant dans l’orthodoxie catholique, il finit par décrire la guerre des Albigeois comme une entreprise de violences et d'iniquités. Cette divergence si extraordinaire dans la composition d'un même ouvrage, a été signalée, mais non expliquée jusqu'à ce jour. Pour s’en rendre compte, ou, du moins, trouver une explication satisfaisante, il faudrait pouvoir lire dans les pensées intimes du poëte, étudier les circonstances particulières de sa vie ainsi que les événements publics contemporains, enfin, rapprocher et interpréter les textes actuellement connus. Guillaume de Tudela se plaignait avec amertume de l'in- gratitude et de lavarice des barons du Midi, dont il avait souvent égayé les fêtes. «Le temps, dit-il, est devenu si dur, et si sordides sont maintenant les hommes de grande sei- gneurie, ceux qui devraient offrir l'exemple de la courtoisie , qu'ils ne savent plus donner la valeur d’un bouton. Aussi ne leur demandé-je pas chose qui vaille un charbon de la plus vile cendre de leur foyer. Que Dieu les confonde, le Seigneur qui fit le ciel et la terre (2). » Il était dans cette disposition d'esprit lorsque Baudouin de Toulouse le vit à Montauban et lui accorda sa libérale bienveillance. Baudouin accepta-t-il la plume du poëte ou chercha-t-il à la gagner à sa cause ? On lignore. Il est seulement positif que Baudouin, ayant à lutter contre des préventions populaires hostiles à sa personne , de- vait attacher le plus grand prix à voir célébrer la croisade par un poëte dévoué à sa cause et rimant, dans l’idiome vul- gaire, la langue romane du Midi. (1) Fauriel , Introduction à l'histoire de la Croisade , p. XL. (2) Fauriel, fntroduct., p. xxm. Chronique, p. 9. De S.— TOME III. 20 302 MÉMOIRES Toute la première partie du poëme allant jusqu'aux prépa- ratifs de la bataille de Muret, à été écrite sous l'influence et le haut patronage de Baudouin de Toulouse; cela ne paraît pas douteux. Quand le poëte reprit sa narration, deux faits nouveaux et considérables s'étaient produits dans son exis- tence. I était pourvu d’un canonicat qui lui assurait une po- sition indépendante, et son bienfaiteur avait cessé de vivre ; de là cette différence si absolue entre les deux manières d'appré- cier les événements de la croisade. Elle est tout-à-fait dans les mœurs des troubadours, poëtes besogneux, insulteurs ou serviles , au gré de leurs intérêts. Si M. Fauriel avait pu consta- ter que Guillaume de Tudela vécut des largesses de Baudouin de Toulouse, et que de nouvelles inspirations dictent les vers du poëte seulementaprès la mort de son protecteur , le frère du comte Raymond VI, il se serait dispensé de chercher une autre explication. Nous indiquons rapidement les conséquences à déduire des textes comparés et les conjectures qu'ils autorisent. I nous suffit, puisque notre sujet nous ÿ amène naturellement, d'offrir un nouvel aperçu de l'œuvre de Guillaume de Tudela , monument littéraire et historique de la plus haute im- portance. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 303 DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DE L'ACADÈMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES , INSCRIPTIONS ET BELLES — LETTRES DE TOULOUSE , LE 19 suIN 1859 ; Par M. H. MOLINS, Président. MESSIEURS , Un illustre savant, qui depuis plus d'un demi-siècle honore la France par ses travaux d'astronomie et de physique, écri- vain plein de goût, dont la place était aussi bien marquée à l'Académie française qu'à l'Académie des Sciences, M. Biot, a fait entendre publiquement, avec cette autorité qui lui appar- tent, un cri d'alarme à la vue des envahissements croissants de l’esprit industriel de notre temps. Il y a là, selon lui, un grave danger pour les sérieuses et fortes études , qui ne peu- vent prospérer qu'autant que ceux qui s’y livrent sont à l'abri de toute préoccupation étrangère. « Pour la foule irréfléchie, » S'écrie-t-il, à quoi bon des théoriciens ? Lagrange, Laplace, » ont-ils créé des usines ? Voilà ce qu’il faut.» Ainsi, à voir une telle tendance à ne rechercher dans les sciences que le côté utile, on s’est demandé s’il n’était pas à craindre qu'il n'en résultât, dans un avenir peu éloigné, l'abandon de ces travaux théoriques qui font tant d'honneur à l'esprit humain. Ces craintes , exagérées sans doute, ne sont pas cependant, à mon avis, sans quelque fondement ; elles sont partagées par 30% MÉMOIRES beaucoup de bons esprits. Or, si le mal est réel, il ne saurait nous trouver indifférents, car il appelle un remède efficace ; et c'est un devoir pour quiconque s'intéresse aux destinées de la science, de s'appliquer, dans la mesure de ses forces, à la préserver des atteintes dont elle est menacée, à la maintenir avec fermeté dans la voie qui lui est propre. Il ne sera pas, dès lors, ce me semble , hors de propos de montrer, en peu de m6ts du moins, que les études spéculatives ne sont pas seulement excellentes en elles-mêmes, comme étant pour l'in- telligence un précieux moyen de mettre en œuvre ses plus belles facultés, mais qu’elles sont encore d'un grand secours à l'industrie, dont elles éclairent la marche et perfectionnent les procédés pratiques. Que la découverte de la vérité scientifique soit un des plus dignes objets de nos travaux, c'est ce sur quoi 1l serait su- perflu de s’appesantir. L'esprit à ses besoins : il faut lui offrir une nourriture qui lui permette de se développer selon ses légitimes tendances ; il faut l'assouplir par le constant exer- cice de ses facultés, afin de lui donner cette vigueur qui le rend capable des plus énergiques efforts. C'est par là que se manifeste pleinement le privilége accordé à l'homme de s'é- lever au-dessus de ses sens, de goûter les plaisirs de l’intel- ligence, heureux privilége qui fait l'excellence de sa nature. Il manquerait donc essentiellement à sa mission si, ne re- cherchant que son bien-être matériel , il assignait constam- ment pour but à ses travaux une utilité immédiate. J'ajoute que ce serait de sa part vouloir tarir, avec la source des plus pures inspirations, celle de ses plus nobles jouissances. Quoi de plus doux, en effet, pour celui qui aime passionnément la science, que la satisfaction que lui procure une découverte longtemps espérée, obtenue enfin après de pénibles investi- gations ? Se préoccupe-t-il du profit qu'il en poura retirer, et ne place-t-il pas bien au-dessus de l’utile la joie que fait naître en lui la difficulté vaincue ? Pour accomplir une si gé- néreuse tâche, il s’assujettira, s’il le faut, aux plus dures épreuves , il ne reculera même pas devant les périls ; et quand, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 305 par ses efforts persévérants, il parviendra à arracher à la na- ture quelqu'un de ses secrets, 1l se sentira amplement dédom- magé de ses labeurs et de ses sacrifices. C'est ainsi que le célèbre Dulong, un de ces savants vrai- ment dignes de ce nom, que la physique et la chimie reven- diquent comme une de leurs gloires , ayant découvert un nou- veau corps, et s'étant blessé une première fois en analysant ce composé dangereux, poursuivra courageusement jusqu'au bout des expériences qui le laisseront mutilé. Gay-Lussac osera s'élever, seul dans un aérostat, à une hauteur de 7,000 mètres, la plus grande à laquelle l'homme soit jamais parvenu, et là, suspendu dans l’espace, à une telle distance de la terre, au milieu du profond silence de la nature et de l’effrayante solitude où il est plongé, il fera tranquillement d'importantes observations concernant la phy- sique du globe. Un autre, dès son entrée dans la carrière scientifique, sera soumis au plus rude apprentissage : c'est Arago, qui, chargé, conjointement avec M. Biot, de la mesure d'un arc du méri- dien en Espagne, et se trouvant installé, dans l’année 1808, seul avec ses instruments, sur une haute montagne de l’île Ma- jorque, se verra arraché brutalement à ses travaux. Par l'effet d'une méprise, on le suppose d'intelligence avec les Français, alors en guerre avec les Espagnols ; on l'enferme dans une forte- resse. Pendant plus d’une année de dangers et de souffrances , dépourvu de tout appui comme de toutes ressources, ilestassailli par de cruelles épreuves; mais il les soutient avec fermeté , en- couragé qu'il est par la pensée qu'il lui reste un trésor bien cher , les feuillets, couverts de chiffres, qui renferment le fruit de deux années d'observations. Il a pu les sauver, ces feuillets précieux, en les gardant constamment sous ses vêtements ; 1} aura la joie de les remettre intacts entre les mains de Laplace . etil recevra pour récompense de ses premiers travaux d'être nommé membre de l'Institut à l’âge de vingt-trois ans. On sait par quelle suite de belles découvertes Arago répondit à un si brillant début. L 306 MÉMOIRES Ces grands exemples ne doivent pas être oubliés : voilà jusqu'où de tels hommes portent le zèle pour la science; ils en sont, au besoin , les martyrs, prêts à dire comme Augustin Thierry, devenu aveugle et souffrant presque sans relâche, après avoir donné à son pays tout ce que lui donne le soldat mulilé sur le champ de bataille : «Il y a au monde quelque » chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux » que la fortune, mieux que la santé elle-même, c’est le dé- » vouement à la science (1) » Ainsi, il faut, avant tout, dans les investigations scienti- fiques, se proposer un but désintéressé, en les considérant comme le plus bel emploi des facultés de l'esprit, comme le principe des plus pures jouissances. Mais il y a plus : la science théorique, si nécessaire au perfectionnement de notre nature intellectuelle, est encore grandement utile quand on l'envisage au point de vue des applications qu'elle fait naître ; si bien, que les progrès de l’une se lient presque toujours aux progrès des autres. Que de fois des recherches spéculati- ves, qui ne paraissaient susceptibles d'aucune application, ont conduit à des conséquences pratiques [aussi importantes qu'inattendues ! Que de fois on a vu le même homme, après s'être illustré par ses travaux dans le domaine de Ia science pure, se signaler aussi par des découvertes qui tantôt ont dévoilé les lois de la nature, tantôt ont influé sur le bien-être de la société, ou même sur la puissance et la civilisation d'un pays ! C’est là ce dont nous trouvons la preuve dans l’histoire des sciences, à toutes les époques de leur développement. L'antiquité nous offre Archimède, dont le génie n'est pas moins étonnant pour ses beaux travaux de géométrie que pour ses inventions utiles ; car, bien qu'il fit peu de cas de la pratique et qu'il la regardât comme la vile esclave de la théorie , là aussi il a fait d'immortelles découvertes. La méca- nique lui devra la loi de l'équilibre dans le levier, les mou (1) Aug. Thierry, Dix ans d'études historiques , préface. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 307 fles, la vis sans fin; en physique, il découvrira le principe de l'équilibre des corps plongés dans les liquides , à l'occasion du fameux problème de la couronne. C'est Archimède qui, pour défendre sa patrie assiégée par les Romains, se mon- trera non moins fertile en expédients que grand citoyen. Car, sans parler des miroirs ardents qui, selon quelques histo- riens, lui servirent à incendier la flotte romaine, l'effet de ses machines fut tellement désastreux, que Marcellus se vit obligé de convertir le siége de Syracuse en blocus, et que la résistance ne dura pas moins de troisans. Aussi ne s’étonne-t-on pas de l'admiration des anciens pour ce grand homme, de celle de Cicéron en particulier , qui, pendant sa questure en Sicile, sera heureux de retrouver son tombeau, que ses con- citoyens avaient honteusement délaissé , mais qu'il recon- naîtra à cette figure de la sphère et du cylindre circonscrit , qui, gravée sur la pierre, rappelle un de ses plus beaux théorèmes. Chez les modernes, nous trouvons aussi de mémorables exem- ples de cette alliance de la science théorique et de la science appliquée : je n’en veux citer qu'un seul. Pascal, ce génie si précoce, découvre, à l’âge de douze ans, les trente-deux pre- mières propositions d'Euclide ; à seize ans, il compose un traité des sections coniques , où tout se déduit d’une seule proposition générale. Il imagine ensuite son triangle arithmétique , qui de- vient entre ses mains un ingénieux moyen de résoudre une multitude de questions ; il pose les bases du calcul des proba- bilités ; il donne un traité de la roulette. Et c'est lui aussi à qui on devra des instruments usuels éminemment utiles au tra- vailleur, qui construira une machine à calcul d'un merveilleux mécanisme, qui partagera avec Torricelli la gloire de mettre en évidence , par des expériences décisives, la cause de Pas- cension du mercure dans le baromètre , qui, en outre, in- ventera la presse hydraulique. Au nombre des sciences où se montrent avec le plus d'évi- dence les rapports des recherches spéculatives avec les résul- tats pratiques, il faut placer, sans contredit, les sciences 308 MÉMOIRES mathématiques. Est-il rien de plus abstrait, et pourtant de plus fertile en applications ? Quel puissant levier , par exemple, que l'analyse mathématique ! On a cru, il est vrai, la ra- baisser en disant que ce n’est qu'un instrument. Accordons que ce soit un instrument, pourvu qu'on admette en même temps que le géomètre a le pouvoir d'en changer sans cesse la forme , au gré de ses besoins; c’est avec ce merveilleux instru- ment qu'il fouille dans le domaine de l'univers aussi profondé- ment que peut le faire le mineur avec ses outils, dans le sein de la terre, pour en arracher des trésors cachés. Quelquelois un long temps devra s’écouler avant que les spéculations de la science produisent les applications dont elles contiennent le germe; et alors les esprits superficiels ne manqueront pas de les dédaigner, les appelant de vainés abstractions dont lu- nique résultat est de fatiguer sans profit l'intelligence, #ugæ difficiles. Mais souvent aussi les faits viendront leur donner un démenti et répondre victorieusement à de tels dédains. Quand les anciens géomères étudiaient avec tant de sagacité et de soin les propriétés de ces courbes qu'on appelle sec- ions .coniques, soupçonnaient-ils qu'on découvrirait un jour l'identité de ces courbes avec les orbites que décrivent les planètes dans l’espace, et que ces propriétés, combinées avec l'observation, conduiraient à la connaissance des lois de leurs mouvements, de ces lois connues sous le nom de lois de Képler, à l'aide desquelles Newton devait s'élever plus tard jusqu'au principe de la gravitation universelle ? Ce n’est pas tout. Par suite des progrès de la haute analyse, la science théorique était destinée à enregistrer de nonvelles conquêtes, qui devaient avoir pour résultat de compléter l'œuvre de Newton. Ce grand homme avait vu, il est vrai, que les corps célestes, en agissant les uns sur les autres , don- nent lieu à des perturbations qui, à la longue, produisent inévitablement des effets sensibles ; mais il lui semblait que rien ne viendrait y remédier, et que la régularité des mou- vements planétaires finirait par être gravement altérée. Aussi croyait-il à la nécessité de l'intervention d'une main répara- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 309 trice pour remettre toutes choses dans l'état normal. C'est à Laplace surtout, ce Newton français, comme on l'a appelé, qu'était réservée la gloire de découvrir les lois de ces pertur- bations et de mettre en évidence la stabilité du système du monde. C’est par lui qu'il a été constaté que ces diverses irré- gularités, aussi bien celles que l'observation a dévoilées que celles dont la connaissance est due à la seule puissance de l'analyse, dépendent d’une sorte de mouvements oscillatoires qui s’accomplissent dans des périodes fixes et sont renfermés dans des limites infranchissables. La science nous amène ainsi à reconnaître de plus en plus que le mécanisme de l'univers a été réglé dès l’origine avec une telle perfection qu'il n'est plus nécessaire d'y toucher, que c’est l'œuvre d'un ordonnateur souverainement prévoyant qui, en donnant des lois au monde, s’est imposé celle d'y être le premier soumis; car c'est de lui qu'on peut dire en em- pruntant une belle pensée de Sénèque, applicable seule- ment, ilest vrai, dans les choses d'ordre naturel : « IL obéit toujours , il n’a commandé qu'une fois. » Semper paret, semel jussit (1). En présence de ces grands résultats de la science, pourrait- on ne pas sentir le prix des spéculations scientifiques? C'est là ce qu'elles produisent quand un homme de génie vient à les féconder : nous leur devons donc de mieux connaître la nature, d’être plus vivement touchés de ces merveilles sans nombre de la création, où se révèle à nous l'infinie grandeur jusque dans l’infinie petitesse, d'être initiés au secret de l’or- dre constant qui règne parmi tous ces mondes suspendus au dessus de nos têtes, de cette harmonie universelle dont Platon se montrait si profondément pénétré quand il disait que Dieu fait sans cesse de la géométrie, der bed yeouerpei. Puisque tels sont les fruits de la science, il faut que tous (4) Sénèque, de la Proridence, ch. 5 , $6. 310 MÉMOIRES ceux que ces grandes considérations ne trouvent pas indifté- rents, s'attachent à lui conserver le caractère élevé qui en est la marque distinctive et qui est la meilleure garantie de son action bienfaisante ; il faut la maintenir sur ces hauteurs se- reines où elle respire l'air pur sans lequel elle ne peut vivre. Que les sociétés savantes y puissent aider efficacement par leurs travaux et par cette sorte de magistrature intellectuelle dont elles sont investies , c'est ce qu'il est bien aisé de sentir : car, ce que les efforts individuels et isolés ne sauraient accomplir, on est fondé à l’attendre du concours des hommes voués aux fortes études, qui se proposent pour but commun , en se réu- nissant, le progrès de la science. Pour atteindre un tel but , il ne suffit pas des recherches personnelles auxquelles se livrent les membres des Académies : il faut de plus que tous les tra- vaux sérieux soient mis en lumière, qu'ils soient encouragés, et que par un choix judicieux des sujets proposés pour les prix que ces Sociétés décernent, l'attention des esprits qui ont le goût des investigations scientifiques soit appelée sur les ques- tions importantes qui attendent encore une solution. L'histoire des Académies est là pour témoigner de cette sa- lutaire influence, et l’Académie des Sciences de Toulouse, s'il m'est permis de le dire, peut en revendiquer sa part. Me sera-t-il interdit d'en fournir la preuve ? Parler de soi, je le sais, est toujours chose délicate; parler de soi, quand on peut craindre de paraître se louer, n’est jamais bienséant; et cette crainte , ai-je besoin de l'ajouter , serait bien faite pour me retenir si c'était de nous qu'il fallüt vous entretenir ; mais il s'agit de nos devanciers, et je ne veux, en jetant un rapide coup d'œil sur notre passé, qu'y trouver la confirmation de ce que j'avance, en même temps qu'une occasion de leur rendre un juste hommage. Ils étaient certes animés d’une noble ardeur pour les œu- vres de l'esprit ceux qui, les premiers, nous ont frayé la voie et que nous devons regarder comme nos plus anciens prédé- cesseurs. [ls se réunissaient déjà spontanément, vers le milieu du xvu° siècle, dans ces conférences académiques qu'avait DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 311 contribué à fonder le célèbre Pélisson, devenu depuis membre de l’Académie française et qui en fut l'historien. Là fut le berceau de notre Académie. Ce sont ces conférences dont notre savant confrère, M. Desbarreaux-Bernard, a fretracé l'inté- ressante histoire, qui nous a permis de pénétrer par la pensée dans les assemblées de ces hommes érudits, connus sous le nom bizarre de Lanternistes. Des travaux, dont le nombre s'accrut avec l'importance, ne pouvaient manquer d'attirer sur cette réunion libre l'attention du monde savant et du pou- voir royal; et quand, en 1730, le président de Rességuier s'adressa au cardinal de Fleury, son ancien ami, pour lui de- mander d'ériger cette association en une Académie royale des Sciences , la réponse la plus flatteuse survint à la suite de cette démarche : «La ville de Toulouse, disait le cardinal, a » toujours été la pépinière d'un grand nombre d'excellents » sujets en tout genre de littérature, et je vois, par la liste de » tous ceux qui se présentent pour former une Académie des » Sciences, qu'elle se conserve plus que jamais dans cette » POSSeSssiOn., » La nouvelle Académie, constituée définitivement, en 1746, par lettres patentes du roi Louis XV, qui la prenait sous sa protection, ne tarda pas à justifier les espérances qu'elle avait fait naître, et l'on put mesurer, d'après ses premiers tra- vaux, les services qu'il en fallait attendre. Les lettres, comme les sciences, lui donnèrent des hommes qui l'honoraient par leurs talents ou par leur savoir. L’astronomie, les sciences ap- pliquées y étaient dignement représentées par Garipuy, ingé- nieur de la province du Languedoc, et surtout par Vidal et Darquier, qui devinrent membres correspondants de l'Aca- démie des sciences de Paris, observateurs habiles dont les travaux ont contribué à perfectionner les tables astronomi- ques, et auxquels Lalande a accordé une place distinguée dans son Histoire céleste française. La même classe des Sciences comptait parmi ses membres le naturaliste Lapeyrouse, lau- teur de la Flore des Pyrénées, qui était pareillement corres- pondant de l'Académie de Paris; on y trouvait encore un nom 319 MÉMOIRES glorieusement inscrit dans les annales de la médecine, et que deux hommes éminents ont rendu doublement célèbre, le nom de Viguerie. La littérature, l'histoire , la science des antiquités n'étaient pas cultivées avec moins de succès, et [à aussi j'au- rais eu de beaux noms à mentionner si je ne m'étais imposé la loi, et ce n'est pas sans motif, de ne pas sortir du domaine des sciences proprement dites. Je me reprocherais toutefois de ne pas rappeler que c'est de l’ancienne Académie que nous tenons la belle et importante collection de médailles antiques qui orne en ce moment une des salles du Musée de Toulouse : legs précieux, qui n’atteste pas seulement le goût de nos prédé- cesseurs pour les travaux d'érudition, mais qui montre, en outre, tout ce que l'Académie nouvelle doit à son ainée. Pourrions-nous , sans injustice, passer sous silence la classe des membres correspondants ? Plusieurs d’entre eux, qui ont apporté leur contingent à nos mémoires, étaient en possession d'une illustration personnelle qui rejaillissait sur l'Académie dont ils partageaient la tâche. Je me borne à citer l’agronome Parmentier, le chimiste Chaptal, le médecin et botaniste Sau- vage. La renommée de la Société s’étendait encore par les mémoires excellents que suscitaient de temps à autre les ques- tions mises au Concours : c’est ainsi qu'elle s’honore de voir figurer dans ses recueils les recherches d'hydraulique de Bossut, le beau mémoire de Clairaut sur la cause physique de l'aplatissement de la terre. Notons cette particularité que, parmi les Académiciens, quelques-uns, portés par le plus louable zéle à propager le goût des hautes études, s'imposaient la tâche de faire des cours publies et gratuits où ils enseignaient la botanique , le grec et même l’hébreu. La Société avait, d'ailleurs, son Observatoire et son Jardin botanique , qui étaient une précieuse ressource pour ceux de ses membres qui cultivaient l'astro- nomie ou qui s’'adonnaient à l'étude des plantes. Ces grandes traditions ne pouvaient pas être perdues ; aussi, malgré une interruption de quinze années ( de 1793 à 1807 ), l'Académie, recrutée en partie parmi ses anciens membres, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 313 reprit, dès que les circonstances lui vinrent en aide, le cours de ses travaux. Ce qu'elle à fait depuis sa réorganisation, ce n'est pas à nous qu'il convient de le dire; vous me permettrez cependant de mentionner, à cause de leur importance, les profondes recherches d'hydraulique , dues à d’Aubuisson , se- crétaire perpétuel de la Société et correspondant de l’Institut, recherches à la fois théoriques et expérimentales , qui ont eu pour objet et pour résultat l'établissement du beau système des fontaines de Toulouse. Voilà, Messieurs, quels ont été nos devanciers , quels exem- ples ils nous ont laissés. En marchant , comme elle l’a fait jus- qu'ici, dans la même voie, l’Académie répondra, sans nul doute, au but de son institution ; elle se rendra de plus en plus digne des bienveillants encouragements de l'Etat, du dé- partement, de la cité; elle méritera bien de la science elle- même dont les pacifiques conquêtes sont liées désormais aux destinées des sociétés modernes, à tel point qu’elles ont pu inspirer à Napoléon 1° cette belle pensée, que le pouvoir de la science fait partie de la science du pouvoir. Que les études théoriques ne cessent donc pas d'occuper dans nos travaux la place qui leur revient légitimement : la science appliquée elle-même en fera son profit, ainsi que j'ai essayé de le montrer. Souvenons-nous, pour ne point nous égarer, que nous nous sommes mis, en quelque sorte, sous le patronage et l'inspiration du beau génie dont l’image est placée dans le lieu de nos séances et sur nos diplômes; car ce sont des travaux de science pure qui ont immortalisé le nom de Fermat, le nom de celui qui, selon l’imposante autorité de Lagrange et de Laplace, a véritablement posé les fonde- ments du calcul infinitésimal (1), de celui, pour tout dire, que Pascal, dans son admiration pour de telles découvertes, appelait le premier homme du monde (2). N'oublions pas sur- (1) Lagrange, Calcul des fonctions, leçon 18°. — Laplace , Exposition du système du monde, liv. 5, ch. 5. (2) Varia opera mathematica de Fermat , lettre de Pascal, pag. 200. 314 MÉMOIRES tout que les progrès de la science intéressent la grandeur de notre patrie, qui y trouve un puissant moyen d'accroître ses forces et de multiplier ses ressources. C'est ainsi que la France, surmontant les obstacles qu'elle rencontre sur sa route, ac- complit ses glorieuses destinées, dans la paix comme dans la guerre : dans la paix, par le développement des arts et de l'industrie, par l'essor qu’elle donne à toutes les nobles pro- ductions de l'esprit humain; dans la guerre, par ces géné- reuses entreprises qui étendent au loin son influence morale, telles que celle qui, en ce moment, offre au monde le spec- tacle des nouveaux triomphes de ses soldats dans les champs de l'Italie qu'elle veut affranchir. D US OUR ES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 315 RAPPORT DE LA COMMISSION DES MÉDAILLES D'ENCOURAGEMENT (CLASSE DES Sciences ) (1) ; Par le D: N. JOLY. MESSIEURS , La science est comme les grands fleuves; elle s’accroit en marchant, et chaque jour apporte de nouvelles preuves en faveur de ce mouvement progressif, auquel l'Académie impé- riale des Sciences , Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse (on vient de vous le dire en d'excellents termes) est bien loin de rester complétement étrangère. C'est ainsi que, par une disposition très-sage et qui a déjà porté ses fruits, elle a décidé que des prix d'encouragement seraient distribués par elle aux personnes qui lui adresseraient des envois d'objets d’antiquité ou d'histoire naturelle, des mémoires scientifiques ou littéraires inédits, des machines ou des procédés nouveaux introduits dans l’industrie, et particu- lièrement dans l’industrie méridionale. Par une délibération plus récente encore (8 juillet 1858 ), l’Académie a voulu « qu'il pût être décerné tous les ans, et alternativement pour les Sciences et pour les Lettres, une mé- daille d’or à l’auteur de la découverte ou du travail qui, par son importance entre les communications faites à l’Académie, aura paru le plus digne de cette distinction. » (1) Cette Commission se composait de MM. Brassinne , Daguin, Gaussail , Leymerie, Noulet, et N. Joly, Rapporteur. 316 MÉMOIKES Le règlement ajoute : «L'auteur de Ja découverte ou du travail qui aura mérité la médaille d'or, recevra de droit le titre de Correspondant. » Cette année, Messieurs , plus encore que les précédentes, nos couronnes ont attiré l’attentionetstimulé lezèle de concur- rents nombreux et déjà connus, plusieurs d'entreeux du moins, par des travaux d'un grand mérite. Vous pourrez en juger lorsque vous entendrez le Rapport de notre honorable con- frère, M. Astre , sur les productions littéraires qui nous ont été adressées. J'aurai moi-même à vous signaler, dans la sec- tion de Médecime , un livre sérieux qui a disputé de bien près le prix remporté celte fois dans la section des Lettres. [. Sciences mathématiques. Mais avant de vous donner une brève analyse de ce remar- quable travail, je dois vous parler d'abord d'un système d’en- grenages que vous à présenté M. François Soubira , de Cazè- res (1) et qui peut résoudre avec simplicité le problème sui- vant : « Transformer un mouvement rectiligne alternatif en mouvement circulaire continu. » Bien qu'il ne soit pas toujours avantageux d'opérer la trans- mission du mouvement d'un moteur par un engrenage , l’Aca- démie a pensé que la solution très-simple de M. Soubira peut avoir des applications utiles, et elle a décerné à l'auteur une médaille de bronze. I. Sciences physiques. J'appellerai maintenant votre attention sur une ingénieuse machine soumise à l'examen de l’Académie par M. Assiot, si connu de vous tous par les succès que ses élèves obtiennent dans les concours qüi ouvrent l'entrée aux Ecoles du Gouver- nement, et surtout par l’utile institution qu'il vient de fonder en faveur des jeunes gens dont les parents comprennent qu'il (1) Commission : MM. Gascheau et Brassinne ; Rapporteur. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 317 vaut infiniment mieux que leurs fils soient d'excellents ou- vriers , que de mauvais avocats ou d’ignorants médecins. L'instrument que nous a présenté M. Assiot est une bous. sole perfectionnée, qui se distingue des boussoles ordinaires 1° par un mode particulier de suspension de l'aiguille aiman- tée, 2° par la réunion, en un seul appareil, de la boussole d'inclinaison et de la boussole de déclinaison. D'après M. Daguin, rapporteur de la Commission , et juge des plus compétents en pareille matière, l'instrument, tel qu'il est conçu, ne semble pas pouvoir devenir un instrument de précision , et quand on voudra une grande exactitude, on devra toujours avoir recours aux boussoles de déclinaison ou d'inclinaison ordinaires. | Néanmoins, il est incontestable que dans les cas ordinaires, c'est-à-dire lorsqu'on peut se contenter de résultats très-ap. proximatifs, l'instrument imaginé par M. Assiot permet d’abré- ger beaucoup l'opération. En conséquence, l’Académie accorde à M.-Assiot une mé- daille d'argent. III. Sciences mèdicales. Un travail de pure érudition (1) a été envoyé à l'Académie par M. le docteur Henri Molinier, et il a été accueilli avec la faveur que mérite ce genre d'études, peut-être aujourd'hui trop négligé dans notre France , toujours si prodigue d'esprit, et maintenaut si féconde en publications de toute espèce. La plupart de ces productions, il est vrai, ne vivent qu’un jour ; mais parfois aussi elles offrent assez d’attraits à la jeunesse, et même à l'âge mür, pour leur faire oublier les livres vraiment instructifs que nous ont légués nos laborieux ancêtres , et qui, grâce à notre amour de la nouveauté, à notre curiosité un peu irréfléchie, dorment d'un sommeil profond sur les rayons poudreux de nos bibliothèques. (1) M. A. Larrey, Rapporteur. : D°Ss, — TOME HI, 21 318 MÉMOIRES M. Henri Molinier à su se garantir de ce travers de notre âge, et il vient de remettre au jour un livre oublié et même à peu près inconnu, qui à pour titre : L'Œmologie (1), où sont éclaircies plusieurs difficultés touchant la nature , préser- vation et curation de la peste; par M. Estienne Dufaug , doc- teur en médecine, habitant de Rabastens. Après avoir tracé un rapide historique des pestes qui rava- gèrent la France méridionale et une partie de l'Italie dans la première moitié du xvn° siècle; après nous avoir montré Tou- louse et Milan en proie à l'horrible fléau qui fit chez nous tant de victimes (50,000) de 1628 à 1631, et qui reparut encore, mais avec moins d'intensité, en 1653 ; enfin, après nous avoir fait assister à des scènes d’affreux désespoir, de honteux égoïs- me, d'horribles superstitions, de cruautés inouïes, qui rap- pellent tout à fait celles que l'auteur des Promessi sposi à peintes sous des couleurs si sombres et si vraies, M. le docteur Henri Molinicr aborde le sujet spécial de sa Notice historique et bibliographique. Malgré tout l'intérêt qu'il a su attacher à son travail, nous ne suivrons pas l’auteur dans l'analyse étendue qu'il donne des principaux chapitres du livre de Dufaug. Qu'il nous suffise de dire que ce livre , comme tous les ouvrages de médecine de la même époque, est entaché des hérésies anatomiques et physiologiques alors généralement répandues. On y trouve aussi bien des erreurs de détail, bien des questions oiseuses, comme celle-ci par exemple : Quelle peut être l'influence des astres en tant que cause de la peste. Ce fléau étant envoyé de Dieu lui-même, selon la foi des vrais chrétiens, est-ce par le ministère des bons ou mauvais anges, ou autrement ? etc. (4) 11 faudrait dire : La Læmologie, les radicaux de ce mot étant Aoîgeos peste et ay, discours , traité. ( Traité sur la peste.) Il est très-probable qu'en se servant du mot Œmoloyie , Estienne Dufaug aura préféré manquer aux lois étymologiques plutôt qu’à celles de l’euphonie. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 319 Estienne Dufaug laisse aux théologiens le soin de se pro- noncer sur le point en litige ; mais il croit fermement à ces poudres vénéneuses , à ces onguents maléfiques (unzioni ma- lefiche ) dont parle Pierre Verri, l'historien de la peste de Milan (1630), et dont Manzoni a tiré un parti si dramatique dans sa délicieuse création des Fiancés. Estienne Dufaug croit surtout à la malice plus qu'endiablée des scélérats qui emploient ces onguents , et peu s'en faut qu'il n’applaudisse aux tortures qu'on leur fait subir. Quant à la pharmacopée du docteur de Rabastens, elle est remplie de prescriptions bizarres et bizarrement compliquées. Je ne vous parlerai donc ni de la fameuse thériaque , cette pa- nacée universelle si vantée par nos aïeux, et aujourd'hui si déchue. Je ne vous dirai rien non plus touchant les vertus merveilleuses de la graisse de serpent, ni de la poudre de cra- paud ; encore moins vous parlerai-je de la poudre bézoardique, du Mithridate de Damocrate, du bol oriental ou de l’électuaire de Salomon ; je vous ferai grâce des pigeons vifs, ouverts par le milieu et appliqués tout chauds sur la tête ou sur la plante des pieds des pestiférés : enfin, je passerai sous un prudent si- lence les sachets faits avec réalgal, arsénic, sublimé, portés sur Ja région du cœur, aussi bien que les noisettes remplies d'argent-uif, lesquelles se rompaient violemment quand la contagion atteignait l'individu qui en était porteur. Cependant, si nous en croyons M. Molinier, tout en payant un large tribut aux préjugés, aux erreurs, aux superstitions de son siècle, Estienne Dufaug a traité son sujet avec beaucoup de méthode, et il à exposé les symptômes de la peste avec une précision digne des plus grands éloges. Enfin, le médecin de Rabastens « paraît avoir apporté dans l'art de guérir cette haute philosophie rationaliste que l’on trouve dans le Vitalis- me d'Hippocrate, qui est pour lui, comme il le dit souvent, le souverain dictateur de la médecine (1). » (4) Notice manuscrite de M. Melinier. 320 MÉMOIRES Nous ne terminerons pas ce que nous avions à vous dire d'Estienne Dufaug , sans vous faire part de l’'étonnement que nous avons éprouvé en voyant ce médecin du xvn°siècle guérir les fièvres intermittentes à l’aide de ce même sel marin (sal indiacum ) que certains docteurs regardent encore comme une acquisition toute récente de la thérapeutique, et dont ils se croient, peut-être de bonne foi, les inventeurs. Laissons-les dans cette douce ignorance, et revenons à M. Molinier. 1 pape D'un avis unanime, l’Académie s’est plu à reconnaître dans la Notice de notre jeune confrère une rédaction soignée , des appréciations pleines de justesse sur quelques-unes des doc- trines médicales actuelles; et bien qu'elle n'ait pas toujours partagé l'opinion, peut-être un peu trop favorable, qu'il ex- prime à l'égard de l'œmologie , elle a cru devoir accorder une de ses récompenses les plus flatteuses (une médaille d'argent) au travail consciencieux de M. Molinier. «Noblesse oblige,» dit un vieil adage ; aussi aimons-nous à penser que le digne fils de notre modeste et savant directeur regardera comme un devoir de nous prouver une fois de plus la vérité de cette maxime, en rentrant prochainement dans la lice, pour y disputer des palmes supérieures à celle qu'il vient de conquérir. Cyclope humain né à Toulouse. À une époque peu éloignée de nous, non-seulement les monstres, mais encore les indi- vidus affectés de simples vices de conformation , excitaient chez les savants, comme chez le vulgaire, l'horreur la plus invincible, les craintes les plus exagérées. On les regardait comme l'œuvre du démon , comme le présage de la colère de Dieu, et la loi elle-même les condamnait à périr. L'imagina- tion aidant, on en vint à les représenter sous les formes les plus bizarres, les plus hétéroclites, les plus impossibles même, jusqu'à ce qu'enfin la tératologie, science de création toute moderne, et nous pouvons dire, toute française, ilumina de son flambeau ce pandémonium fantastique, en chassa les créa- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 321 tions enfantées par des cerveaux effrayés ou malades , et nous montra, au milieu d'un désordre apparent, la régularité et l'universalité des lois qui gouvernent toute la nature organisée. Aussi, de nos jours, naturalistes et médecins qui ont à cœur non-seulement de se tenir au niveau de la science ac- tuelle, mais encore de contribuer, s'il se peut, à ses progrès, s'empressent de recueillir tous les cas tératologiques qui se présentent à leur observation. Celui que M. le docteur Laforgue a communiqué à l’Acadé- mie (1), a excité au plus haut point notre intérêt (2). Il sem- ble, en effet, réaliser comme les janiceps ou monstres à double face, une des fictions les plus connues de la mythologie. Que l’on se figure un enfant à terme, du sexe féminin, ayant au milieu du front un œil unique, formé par la fusion des deux veux en un seul, et surmonté d'une trompe de 25 milli- mètres de longueur, représentant l'appareil nasal atrophié ; et l’on aura une idée suffisante des particularités les plus es- sentielles qui distinguent le monstre soumis à notre examen par M. le docteur Laforgue , et nommé par lui eyclope rhinocé- phale. ! L'auteur de cette curieuse observation donne une descrip- tion détaillée de l'individu monstrueux qui fait le sujet de son Mémoire, Il étudie sa conformation extérieure; il fait l’a- natomie du crâne, et justement persuadé que le dessin est une véritable langue et ,- qui plus est, une langue abrégée, il accompagne sa description de figures destinées à la rendre plus claire , plus courte et plus parlante. La Commission tout entière, composée de MM. les docteurs Larrey, Gaussail et Joly, n’a eu que des éloges à donner à cette partie du travail de M. le professeur Laforgue. Mais les avis ont été partagés lorsqu'il s’est agi de se prononcer sur la présence ou l’absence des os intermaxillaires à la mâchoire supérieure du rhinocéphale de Toulouse. (1) Commission : MM. les docteurs Larrey, Gaussail; doty , Rapporteur. (2) Ce monstre est né à Toulouse , le 28 août 1858. 322 MÉMOIRES Bien que ces os existent chez tous les mammifères, Camper et Blumenbach d’abord , et un peu plus tard Georges Cuvier, firent de leur absence chez l’homme un des caractères dislinc- tifs les plus saillants de notre espèce, envisagée au seul point de vue de sa charpente osseuse. Frappé de cette idée si con- traire aux lois de l’analogie et de l'induction philosophique, Goethe , qui fut un anatomiste de génie, en même temps que grand poëte, Goethe examina de près la question, dès l’an- née 1785, et il prouva de la manière, selon nous, la plus évidente , que l'espèce humaine possède de vrais intermaxil- laires, qui chez elle, comme chez les mammifères, sont des- tinés à porter les dents incisives. Seulement ces os se soudent de très-bonne heure aux maxillaires, et 1l faut alors une certaine attention pour les reconnaître chez l'adulte, la trace de leur séparation primitive étant devenue peu distincte, finissant même par s’effacer chez le vieillard. Le croirait-on ? ce fait si simple et tout visuel, qui n'a- vait été admis dans la science qu'en 1817, c’est-à-dire après en avoir été systématiquement exclu pendant près de qua- rante ans : ce fait si facile à vérifier pour quiconque veut se servir des yeux de son esprit et de son corps; ce fait, en un mot, que j'ose appeler nécessaire, vient encore d'être remis en question au sein même de l'Académie des Sciences de Paris. M. le docteur Laforgue affirme que son cyclope ne peut fournir aucun élément pour cette discussion. Nous affirmons, au contraire, avoir vu, et plusieurs de nos confrères ont vu comme nous, d'une manière bien distincte, les os inter- maxillaires déjà soudés entre eux, mais encore en partie sé- parés des maxillaires par deux fentes, où nous avons pu sans difficulté introduire la pointe d’un fin stylet. Tout en tenant compte de la prudente réserve que M, le docteur Laforgue a cru devoir s'imposer, l'Académie à re- gretté qu'ayant en main des éléments précieux pour résoudre une question encore tout récemment controversée, il n'ait pas tiré de sa bonne fortune scientifique tout le parti qu'on était en droit d'attendre d'un praticien si distingué. LE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 323 Toutefois, prenant en grande considération et la valeur du travail de M. Laforgue, et surtout l'importance de sa commu- nication, au point de vue de l’Anatomie philosophique , V'Aca- démie décerne à l’auteur de ce Mémoire une médaille d'ar- gent, et le remercie de n'avoir pas laissé échapper l'occasion d'enrichir la science d'un fait curieux, auquel la discussion portée naguère devant l'Institut ajoute encore le mérite de l'actualité. J'arrive maintenant à un ouvrage que l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles - Lettres de Toulouse à jugé digne de concourir pour sa grande médaille d'or; il a pour titre : Traité de Mécanique animale , par M. le docteur Giraud- Teulon , ancien élève de l'Ecole polytechnique. Si, dans un rapport très-favorable, déjà imprimé au re- cueil de ses Mémoires (1858, p. 301), M. le professeur Brassinne ne vous avait pas fait connaître tout le mérite de ce travail, nous aimerions à vous en donner ici une analyse dé- taillée, et à vous en signaler toutes les parties véritablement neuves , les vues originales, les aperçus ingénieux, les recti- fications importantes à des calculs regardés comme exacts, en un mot, la science profonde et de très-bon aloi. Mais notre honorable confrère ayant rempli cette tâche beaucoup mieux que je ne pourrais moi-même laremplir, je me bornerai à repro- duire ici quelques passages du Rapport de la Commission dont j'avais l'honneur de faire partie l'an dernier (1). Je laisse parler M. Brassinne. « M. le docteur Giraud-Teulon, ancien élève de l'Ecole poly- technique, versé à la fois dans la connaissance de l'anatomie et de la mécanique rationnelle, se trouvait dans les condi- tions les plus favorables pour revoir et rectifier les théories de Borelli et de Barthez, en profitant des progrès que la phy- siologie a faits depuis un demi-siècle. L'examen succinct que (1) Cette Commission était composée de MM, Gaussail, Joly; Brassinne, Rapporteur. 324 MÉMOIRES nous vous présentons du livre de M. Teulon, vous prouvera qu'il a su réaliser ce qu'on pouvait attendre d’un médecin et d'un géomètre (loc. cit., p. 303). » Une étude approfondie des actions musculaires, envisagées d'une manière générale; des remarques pleines de justesse sur la prétendue force de situation fixe , au moyen de laquelle l'il- lustre auteur de la Science de l'Homme (Barthez), expliquait certains faits analogues à celui de l’athlète Milon , tenant dans une de ses mains un œuf que ses rivaux ne pouvaient lui arra- cher, bien que, par suite de l'extrême contraction de ses doigts , l'œuf ne fût pas écrasé; un chapitre sur la station, riche de détails anatomiques et physiologiques ; des considé- rations très-intéressantes sur la marche de l’homme, du che- val, du chien, etc., terminées par la théorie obscure et dif- ficile du saut; enfin des idées tout à fait originales sur le na- ger des poissons et le vol des oiseaux : telles sont , Messieurs, les parties les plus saillantes que M. Brassinne a signalées à vo- tre attention dans l'ouvrage de M. Giraud-Teulon. « Des notes curieuses , ajoute le rapporteur, augmentent le prix de ce livre conscienciéux, que les savants sauront distinguer de ces pro- ductions éphémères , sans originalité, qui ne sont qu'une ré- pétition fastidieuse des doctrines qui retentissent dans l’École depuis un siècle , el qui tendent à faire ressembler nos bi- bliothèques à une collection banale de pittoresques. Aussi, nous ne pouvons donner trop d'éloges à un travail dans lequel l’auteur a beaucoup apporté de son propre fonds, soit en complétant des aperçus vagues, soit en rectifiant des théories fausses, soit en proposant des applications nouvelles (loc. cit. , P- 306 ). » Le remarquable travail que nous venons de vous rappeler a déjà valu à son auteur le titre d’associé correspondant de notre Académie. Peut-être aurait-il conquis la médaille d'or, si la Classe des Inscriptions et Belles-Lettrés n'avait eu à lui opposer un vrai chefd’œuvre d'érudition et de sagacité, dans la Numismatique ibérienne , dont le modeste et laborieux au- teur a réuni cette fois tous vos suffrages. Cependant, être arrivé DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 325 si près du but, c’est presque l'avoir atteint : c'est donc pour M. Giraud-Teulon un présage favorable, un légitime espoir dans l'avenir. Envoyé à l’Académie en 1858, son livre a le droit de concourir pendant deux années encore. Les rivaux inconnus qui pourront lui disputer la palme, ne doivent ni l'effrayer ni le décourager , et s’il succombe , il succombera du moins avec honneur. IV. Sciences naturelles. Dans une Note pleine d'intérêt pour la géologie du bassin sous-pyrénéen , M. le docteur Noulet nous a fait connaître une petite série d’ossements fossiles découverts aux environs de Toulouse (entre le Pech-David et Pouvourville), par M. B. Rames, préparateur à l'Ecole de Médecine et de Pharmacie , et l’un des jeunes gens les plus studieux et les plus assidus aux cours professés dans nos murs. Parmi les débris d'espèces aujourd'hui perdues, trouvées à Pech-David , M. Noulet a signalé, comme ayant une véritable importance, plusieurs dents molaires de l’un de ces petits rumi- nants sans cornes, dont les restes abondent dans notre for- mation miocène, mais qui n'a pas encore reçu de nom dé- finiuif. Notre savant confrère a surtout fait remarquer un fragment de la mâchoire inférieure, encore muni de l’une des incisi- ves et des deux molaires intermédiaires du côté gauche. Ces restes organiques appartiennent incontestablement à un petit castor déjà trouvé en Auvergne, et désigné, dans ces der- niers temps , sous le nom de steneofiber viciacensis. «La présence de ces fossiles dans le miocène Toulousain vient appuyer, dit M. Noulet, l'opinion que nous nous som- mes faite de l’âge géologique de ce terrain : nous le croyons, en effet, d’une époque plus reculée que les couches miocènes qui renferment les Mastodon angustidens et M. tapiroïdes de G. Cuvier et le Dinotherium giganteum de Kaup, dans les dépar- tements des Basses-Pvrénées, du Gers, de la Haute-Garonne et 326 MÉMOIRES de l’Ariége. Or, ces genres manquent dans la zone du miocène particulière aux environs de Toulouse , et, à fortiori, dans les couches plus profondes qui se montrent vers les limites nord de la Haute-Garonne, et qui se continuent dans le Tarn- et-Garonne et le Lot-et-Garonne (4). » Ainsi, Messieurs , les débris organiques découverts par M. Rames, déjà très-intéressants par eux-mêmes, ont acquis une valeur nouvelle par le don généreux qu'il en a fait à un savant dont les travaux, joints à ceux de notre collègue M. Ley- merie et de l'éminent paléontologue M. Lartet, ont si puis- samment contribué à enrichir la géologie en général, et par- ticulièrement celle de nos contrées du Midi. En conséquence , l'Académie accorde une médaille d'argent à M. Rames, non-seulement dans le but de récompenser son utile découverte, mais encore pour encourager le zèle intelli- gent avec lequel ce jeune lauréat se livre à l'étude de l’histoire naturelle. Vous le voyez , Messieurs, le concours de l’année actuelle n’a pas été, quant à la partie scientifique , et encore moins quant à la partie littéraire, inférieur à ses aînées. Les sciences mathématiques nous ont apporté leur tribut ; la physique , si féconde en applications utiles, est venue dis- puter nos palmes en nous présentant l'ingénieuse boussole de M. Assiot. La Médecine nous a envoyé deux Mémoires importants ; l'un, ayant pour objet la tératologie animale, nous a permis d'asseoir nos convictions relativement à une question mal à propos controversée : l'autre, de pure érudition, à fait revi- vre devant vous l'honnête physionomie et les doctrines mé- dicales d'Estienne Dufaug, l’un de vos compatriotes. La Médecine a aussi revendiqué pour elle ( et je le conçois sans peine) le beau travail dont M. Giraud-Teulon nous a fait hommage. Peut-être l'anatomie, la physiologie comparée et (4) Rapport de M. Noulet. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 327 mème les mathématiques pourraient-elles, presque avec au- tant de droit, le revendiquer à leur tour. Mais, Dieu merci , toutes ces sciences vivent chez nous en trop bonne intelli- gence, pour vouloir enlever à l'une de leurs sœurs une gloire qui rejaillit sur elles toutes et qui n'est certainement pas usurpée. Cependant, Messieurs , par une fatalité que je déplore (et je le dis avec une franchise qui sera , je l'espère, interprétée comme elle doit l'être), sauf la découverte de M. Rames, les Sciences Naturelles proprement dites ne nous ont adressé que de rares envois , dignes tout au plus d'être rappelés à votre souvenir. A quoi tient donc cette infériorité relative, trop évidente pour qu'on puisse la nier ? Elle tient, selon nous, à des causes multiples, et que vous avez déjà pressenties. Qu'il me suffise de vous en citer deux. Premièrement, à la diffi- culté même de faire des découvertes très-importantes dans une localité riche , il est vrai, mais restreinte comme la nôtre; difficulté rendue plus grande encore par la sagacité investiga- trice et les soins persévérants avec lesquels plusieurs de nos confrères ont fouillé les entrailles du sol pyrénéen, ou exploré les productions végétales ou animales qui vivent à sa surface. Une autre cause du peu d'éclat obtenu cette année par les Sciences Naturelles, c’est le petit nombre de personnes qui se livrent sérieusement à l'étude de ces sciences, malgré les charmes, j'allais presque dire , les délices qu'elles offrent aux esprits et aux cœurs qui savent en comprendre tout l'intérêt, toute la dignité, toute l'utilité, même au point de vue maté- riel. Malheureusement, ce dernier genre d'utilité n’est pas tou- jours immédiat, et, dans notre siècle, que je n'aurai pas le mauvais goût de condamner en présence des merveilles de tout genre qu'il enfante chaque jour, mais que je plaindrai sincèrement de s'être laissé entacher d’un peu trop de positi- visme (cette détestable maladie que certains croient récente, et que je me permets de regarder comme étant essentiellement 328 MÉMOIRES chronique); dans notre siècle, que la postérité, plus juste et plus désintéressée que nous-mêmes, décorera peut-être du nom de grand, bon nombre d'esprits heureusement doués, se portent de préférence vers les sciences dites appliquées , c'est-à-dire vers celles qui peuvent conduire vite et sûrement à la fortune. Or, Messieurs, dans la carrière des Sciences Naturelles , pour un Buffon vivant dans l’opulence ; pour nn Cuvier com- blé de gloire, d'honneur et de richesses; pour un Alexandre de Humboldt, à qui la France , patrie adoptive et foyer de toutes Les gloires , élève une statue dans un de ses plus ma- gnifiques palais, que de Gesner, au visage pâle de souffrances et de veilles, subissant toutes les rigueurs du sort et de la pauvreté! Que de Bernard Palissy traités de fous, honnis, persécutés, obligés de vendre leur modeste mobilier, leurs vé- tements même, passant toutes les nuits à la merci des pluies et des vents, pour continuer des expériences dont le succès incertain leur fait rêver la gloire; puis «avec regret de ce que nul n’a pitié d'eux, disant à leur âme pleine de courage et d'espérance : Qu'est-ce qui te triste, puisque tu as trouvé ce que tu cherchais ? Travaille à présent et tu rendras honteux tes détracteurs ! » Que d’Adanson peut-être, ne pouvant, faute de chaussure , se rendre à l'Institut, « mais oubliant toutes les peines de la vie pour peu qu'une idée nouvelle, comme une fée bienfai- sante vienne sourire à leur imagination (4) !» Suivons donc, Messieurs, l'exemple de ces hommes si forts et si grands dans leur misère, et répétons avec l'un d'eux : « Quiconque aime la sagesse, sache donc secouer la pous- sière de la terre, les pensées du luxe et les jouissances d'un ordre inférieur, pour porter les yeux sur le spectacle que nous offrent la Nature et le ciel étoilé ; pour les promener sur (1) Cuvier, Eloge d’Adunson. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 329 la chaîne immense des Alpes ; pour s’égarer à l'ombre de leurs forêts; pour gravir jusqu'à leurs cimes, et pour embrasser de ces hauteurs l’infinie variété des objets qui se déploient sous les yeux. » Quel bonheur il y a à contempler les domaines de l'infini, à porter sa tête par dessus les nues, et de ce spectacle sublime, à s'élever , par l'admiration , jusques au Créateur (1). » (1) Des gens de lettres en Suisse. Voir Bibliothèque universelle de Genève, tom, 63, pag. 17. 330 MÉMOIRES RAPPORT DE LA COMMISSION DES MÉDAILLES D'ENCOURAGEMENT (CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES ) ; Par M. FLORENTIN ASTRE. MESSIEURS , Ce n’est ni le peu de temps, ni le défaut de loisir qui ont empêché le rapport que vous venez entendre d'être plus court, et qui fourniraient cette excuse imaginée et formulée en axiome par un maitre en l’art d'écrire (1). Mais le désir d'éviter d'être long, sans devenir obscur, ne suffit pas. La pos- sibilité d’abréger disparaît devant la multiplicité des œuvres dont on a à rendre un compte même rapide. L'interprète que l'Académie a chargé d'expliquer les décisions qu’elle a prises sur les concours qu'elle a institués , ne saurait se soustraire au devoir de publier les motifs des récompenses accordées, de mesurer le discours à l'importance et au succès des ouvrages présentés et distingués. L'intérêt qui s’attachera à nos lauréats et à leurs travaux soutiendra l'attention ; il inspirera de l’in- dulgence en faveur de celui qui a reçu l'honorable mais péril- leuse mission de vous en entretenir. L'Académie peut, chaque année, s’applaudir davantage de l’heureuse institution de ses prix d'encouragement , lorsque tant de personnes, tant d'auteurs se pressent pour recevoir {4) Pascal, xvre Lettre à un Provincial. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 331 des récompenses dont la valeur n'est que dans l'honneur ob- tenu. En élargissant le cercle du programme primitif, notre Compagnie a réussi, selon sa pensée et ses vœux, à concentrer vers elle-même un plus grand mouvement, à exciter autour d'elle les élans et les manifestations de l'amour de la science, du culte des lettres. Les mémoires ou autres ouvrages inédits continuent à accourir vers nous et à s'accroitre. La médaille d'or, promise, pour la première fois, à la plus importante des communications imprimées faites à l'Académie, a été dé- cernée à celui qui en a paru le plus digne entre plusieurs : il n'y a eu que l'embarras de choisir. Par une règle de convenance discrète, le rapporteur se taira sur les écrivains qui se sont trompés ou sur le choix de leur sujet, ou sur la manière de le traiter. Lorsqu'une part suffisante d'éloges ne peut point balancer les critiques, la discussion serait au moins inutile et le silence est une obliga- tion. L'ordre le plus conforme au programme des concours sé- parés étant une progression ascendante, nous mentionnerons d’abord l'envoi de M. Caldairou, négociant à Castelnaudary, et consistant en une série de poids inscrits des villes d'Albi, Carcassonne , Castres, Narbonne et Montauban : l’un des poids appartenant à cette dernière ville est assez intéressant par la date de 1576, nouvelle dans les collections. M. Caldairou n'a pas eu l'ambition de disserter sur les poids qu'il a recueillis, sur leurs dates, leurs classes, leurs particularités ; il s’est borné à la simple précaution de les saisir au passage , en les préservant des mains inintelligentes ou cupides qui les auraient indifféremment jetés au feu ou sous le marteau. Si le fait réduit à lui-même n'accuse aucune prétention , il témoigne d’une préoccupation raisonnée ; il aide à combler des lacunes regrettées par notre savant et estimable collègue M. Barry, qui travaille avec tant de zèle et de réussite à rassembler, à mettre en lumière et à commen- ter, au point de vue archéologique et historique, les poids usités autrefois dans le Midi. N'y a-til pas à récompenser 332 MÉMOIRES ceux qui, s'ils ne s'adonnent pas à la science , concourent in- directement à ce qu’elle entreprend ? Une médaille de bronze a été décernée à M. Caldairou. nan C'est encore à ce seul titre de collecteur attentif que M. Grat, conducteur des ponts et chaussées à Foix, s’est procuré quel- ques médailles antiques, répondant à celles qu'il avait déjà trouvées à Saint-Jean de Verges (Ariége) : une celtique à la roue d'une bonne conservation, une consulaire, une Massaliote, une Impériale d’Auguste. M. Grat, se présentant dès l'ouverture des concours, transmit, en 1852, des médailles antiques , des monnaies, des ustensiles , et reçut en 1855 une médaille d'ar- gent. Un nouvel envoi d'objets, découverts au lieu ordinaire de ses explorations, valut, en 1856, à M. Grat un rappel avec éloges. Ses découvertes et ses envois, s'ils ne grandissent pas en importance, ne discontinuent point ; et cette louable persé- vérance , qui peut avoir enfin un jour plus décisif, fait accor- der, cette année, à M. Grat un rappel semblable au précé- dent. Ce n’est pas à l'envoi isolé d'objets d'archéologie que s'ar- rête M. l'abbé Costes, curé de Cailhavel. Ce nom a été déjà proclamé ici. Flatté (il nous l'a écrit), excité par les encoura- gements qu'il avait reçus, M. l'abbé Costes a, dès le mois de février, adressé une nouvelle série de monnaies, de médailles assez communes, quoique nombreuses, et de fragments ou débris qu'il a étudiés et décrits. Il en a tiré des gnductions pour confirmer l'existence ancienne d'un établissement romain et permanent à Cailhavel. Par malheur, ces poteries, amphores etc. etc., ces mosaïques grossières sont loin d'être intactes et d'avoir une valeur ou un intérêt égal à leur nombre et aux espérances de M. Costes. ILen est de même de la pierre tumulaire, découverte au mois de mars par M. Costes, et dont il a envoyé le dessin avec une dissertation explicative. Les conjectures et les apprécia- tions de M. Costes sont certes très-discutables , mais elles sont empreintes d’une candide et charmante bonhomie, qui, ne suppléant pas, si l'on veut, à l'expérience archéologique , DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 333 n’est point déparée par des opinions un peu hardies. On re- connaît avec plaisir qu'il y à là un entrainement passionné vers les recherches et les investigations du passé, un goût pro- noncé pour ces études, une envie de connaître et de s’ins- truire bien méritoire. Afin que cette ardeur vaillante et jus- tement appréciée se maintienne et avance dans la voie où elle a marché avec bonheur , l'Académie décerne à M. Costes le rappel de la médaille d'argent. Ces investigations, que M. Le curé de Caïlhavel soutient dans une commune du département de l'Aude, M. Fournalés, notre concitoyen, les a faites sur un terrain rapproché de notre ville. Il a parcouru, lui aussi, les champs de Vieille-Tou- louse, si constamment fouillés, remués, retournés, et n'étant que plus fertiles pour l’archéologue et le cultivateur. S'ils ne renferment pas ces dards rouillés, ces casques vides, ces grands ossements (1) enfouis aux lieux où furent livrées d'affreuses batailles, ces champs ont des tombeaux entr'ouverts, innom- més; ils sont semés des restes les plus vulgaires des anciens jours. Esprit chercheur, et à qui l’on imputerait sans sévérité de ne point se limiter assez et de se répandre vers trop de côtés, M. Fournalés a, depuis quelques années, passé des moments d'une vie qu'il ne supporte pas inoccupée , à recueillir des an- tiquités. Il possède une collection de médailles consulaires et ibériennes ou celtiques , des as romains entiers ou par frac- tions, des monnaies de Marseille, des anneaux de grandeur et de formes diverses. Il a sur tout cela, qui n’est ni bien neuf ni bien remarquable , et ce n’est pas sa faute s’il n’a pas rencon- tré mieux, rédigé une note succincte. M. Fournalés n’a nul besoin d'être pressé : mais pour cette soif de savoir toutes les choses pouvant être sues, que personne n’a la faculté d’éteindre, que chacun peut dominer et régler, M. Fournalés recoit l’en- couragement d'une médaille d'argent. - N'est-ce pas ainsi qu'en allant vers un point préféré, M. Gay- (1) Virgile, Géorgiques, liv. 1, v. 493. — Scilicet et tempus veniet, etc. D° S.— TOME Hi. 22 334 MÉMOIRES raud de Saint-Benoît, membre correspondant de la Société des Arts et Sciences de Carcassonne, a écrit un bon mémoire sur les monnaies des comtes et vicomtes de Carcassonne , Rasez et Béziers, Ce mémoire, publié dans le Recueil de la Société Carcassonnaise, n'aurait été examiné qu’en regard des autres imprimés, si l'auteur n’y avait joint un supplément encore manuscrit. Dans ces additions ou notes , M. Gayraud de Saint- Benoit a redoublé les preuves des faits nouveaux qu'il avait précédemment avancés, des rectifications qu'il avait proposées sur quelques assertions des historiens du Languedoc. Le mé- moire, dans sa totalité, est un travail sérieux et soigné; des questions intéressantes pour l'histoire et la numismatique lo- cales, pour l'existence de certains des vicomtes et la date pré- cise de leur règne, y sont soulevées, discutées sagement et avec une prudente réserve. L'auteur a redigé, sur chacun des comtes, de petites notices qui lui ont servi à préciser les faits, à expliquer les monnaies. Il ne tranche point hardiment les questions difficiles. 11 ne se porte pas garant absolu des réso- lutions qu'il adopte; mais il fait preuve de goût, d'analyse sûre et réfléchie, et d'érudition. Nous savons d'ailleurs que l'auteur s'occupe d'une numismatique Toulousaine, conçue sur le même plan. À tous ces titres l'Académie décerne à M. Gayraud de Saint-Benoît une médaille d'argent : encoura- gement à d'autres études pour éclaircir la numismatique mé- ridionale ; présage de plus grands succès dans un avenir pro- chain. En toutes les appréciations qui précèdent, nous avons eu comme caution de leur justesse, les avis et le tact si sûr et si exercé de notre collègue M. Barry. Nous passons à l'examen des dissertations inédites, prévues par le deuxième article du programme. Par une coïncidence qui ne laisse pas d’avoir quelque chose de piquant et de favorable au jugement des ressemblances et des différences , les concurrents se sont rencontrés, en ce que tous les trois se sont occupés de l’histoire d’une de ces abbayes ou monastères qui semblaient, disparus sans retour, ne de- tin de ER DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 33) voir ressusciter sous aucune forme , et dont pourtant nos yeux désacoutumés voient, de jour en jour, reparaître les repré- sentants, pourvus de cette vitalité, de cette force expansive que possédaient leurs devanciers. A ces études rétrospectives chacun des trois concurrents a naturellement attaché le sceau de son individualité. Deux d’entre eux , que nous jugeons d’après le rapport judi- cieux de M. le professeur Molinier, ont des noms honorable- ment prononcés dans nos séances publiques. Mais, suivant l'annonce évangélique, le dernier venu s’est placé au premier rang. N'ayant puisé que bien peu chez les historiens, à peu près muets à cet égard ; ayant compulsé quarante liasses de pièces manuscrites, déposées aux archives de la Haute-Garonne, M. Fons, juge au tribunal civil de Toulouse , a essayé, dit-il, de compléter l'histoire de «l’abbaye royale de l'Abondance-Dieu ou des Salenques.» Il divise sa narration en trois grandes épo- ques : la première depuis la fondation (à Saint-Felix des Sa- lenques , diocèse de Rieux ) de ce monastère de filles (ordre de Citeaux) jusqu'à l'émigration des religieuses dans la ville de Montesquieu ; la deuxième comprenant le temps écoulé entre ce changement de séjour et la translation de l’abbaye à Tou- louse en 1680; la troisième depuis 1680 jusqu'à la suppres- sion du monastère en 1792. Ces divisions sont nettes et bien observées par l’auteur ; les faits y sont méthodiquement retracés à l’aide de cette quantité de manuscrits interrogés. Des listes multipliées des noms d'ab- besses et de religieuses sont réintégrées avec une exactitude ex- trême et presque d'année en année. Tout est démontré pièces en main. On retrouve dans ce mémoire la manière limorée de M. Fons, qui scrute et inventorie jusques au moindre papier qu'il ne cesse pas d’arracher au poudreux oubli des vieilles archives; et qu'il ne dédaigne pas de transcrire d’un bout à l'autre, en preuve de la fidélité de ses allégations. Pourquoi M. Fons a-t-il pris à tâche de s’effacer presque dans le récit? pourquoi n'a-t-il point pensé, cette fois, que 336 MÉMOIRES son mémoire aurait gagné à ce que la sécheresse des faits fût amoindrie et rachetée par plus de remarques sur les mœurs des époques successives et par la mention des incidents étran- vers, au milieu desquels la vie religieuse était forcément jetée? Ne penserait-il pas que ces longues collections de noms, per- dus pour la plupart, n'ont guère d’attraits que pour les faiseurs de généalogies plus ou moins suspectes, ou pour ceux qui ont la vanité de prendre place dans la suite de ces tableaux si douteux ? ne croirait-il pas enfin qu'au lieu d’une transcrip- tion pure des vieux actes , il serait mieux d'en extraire et d'en servir seulement la moelle? Cette habileté-là ne manque pas à M. Fons quand il le veut. A suite de ces réserves exprimées par le rapporteur de 1858 (M. Barry ) en termes meilleurs et moins explicites , réduites d’ailleurs par tant de compensations supérieures, disons que M. Fons a su constater et rectifier plusieurs erreurs commises par les auteurs de la Gallia christiana. Disons que les qua- lités réelles et solides de M. Fons lui assurent de vives sym- pathies et des éloges sincères pour le talent el la probité qu'il apporte dans ses travaux incessants. L'homme et le magistrat se décèlent davantage dans la Monographie du monastère de Boulauc, envoyée au concours par M. Ferdinand Cassassolles , juge d'instruction au tribunal civil d'Auch. Il y a la même abondance de matériaux , le même scrupule à n’en abandonner aucun; mais 1l y a aussi moins d'ordre et de méthode analytique, malgré des divisions qui ne préservent pas d'un peu de confusion. L'auteur a mis à contribution les archives, les minutes de notaires, etc., etc. Il n’a rien omis de ce qu'il a pu et su trouver touchant la fondation, en 1142, par le comte d'Astarac, de ce monastère de filles (ordre de Fontevrault), les donations fon- damentales , les accroissements successifs el considérables des biens du couvent, les droits seigneuriaux et leurs variétés, les circonscriptions territoriales et Judiciaires, etc., etc., etc. [nous renseigne sur l’organisation intérieure et la règle de l’or- dre, sur les conditions d'admission dans la communauté. Il ne DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 337 néglige pas de nommer les prieures et les religieuses. Il donne un aperçu des revenus et un état du personnel du monastère lors de la décadence en 1792; puis il décrit l'établissement re- ligieux tel qu'il est sorti des orages de la révolution. M. Cassassolles, chemin faisant, ne s’épargne pas les discus- sions critiques , les dissertations, l'examen des citations et des autorités. Il ne redoute pas les digressions, fussent-elles exubé- rantes. Au milieu de ces consciencieuses accumulations, où l'on peut approuver, où l’on peut reprendre, la série des faits, du reste peu essentiels sous le rapport général, se brise et se dérobe : et néanmoins dans ce travail approfondi se font jour la vive animation , l'étude ardente et le savoir. Mais ce que nous louerons sans restriction, c’est la dernière partie du mémoire, intitulée : Restauration. M. Cassassolles y raconte, en termes pleins de chaleur, les pieux efforts, le dé- vouement généreux de l'une des religieuses, M”° de Latour. Sur- vivante des catastrophes révolutionnaires, cette dame n'eut plus qu'une pensée, celle de sauver de son couvent ce qu'ilétait encore possible d'en sauver. Elle y parvint, et mourut dans son asile reconquis, en odeur de sainteté. Sa tombe, gardée par la force et la ruse contre un projet d’exhumation , fit éclater pour les reliques de la sainte fille la jalouse vénération de la contrée. Enfin M. Cassassoles termine son mémoire en décrivant la situation actuelle du monastère de Boulauc. Félicitons et remercions MM. Fons et Cassassolles. Descen- dus de leurs siéges, et dans les courts intervalles de leurs devoirs judiciaires, ces magistrats ne consument point cette part de leurs journées dans de frivoles distractions ; ils aiment mieux l'utiliser pour ces études historiques que notre siècle demande si avidement. L'Académie est heureuse de la cons- tance et des résultats de cette rare application. Le progrès, la perfection en seront l'insigne avantage. C'est pour les encou- rager à ne point faiblir que nous décernons à chacun de MM. Fons et Cassassolles une médaille d'argent. Le troisième mémoire inédit contient l'histoire de l'abbaye 338 MÉMOIRES de Candeil (ordre de Citeaux, diocèse d'Albi): il est de M. Elie-Antoine Rossignol, de Montans près Gaillac (Tarn). Ce n’est pas seulement par sa longueur de plus de cent pages que se recommande ce mémoire, mais par les qualités person- nelles que l’auteur y a étalées et par l'ensemble aussi bien que par les détails de l'œuvre. M. Rossignol, on n’a point de peine à le deviner, est un laborieux investigateur, aimant à voir et à découvrir; lecteur assidu des meilleurs livres, et se souvenant de ce qu'il a lu; s'enfonçant avec délices dans les profondeurs des archives ; se plaisant aux collections de plus d’un genre, et ne demandant que l’occasion de tirer parti de ces richesses ramassées , sans relâche et de toutes parts. Prédisposé de la sorte, M. Rossignol, ayant lu attentive- ment les historiens, et curieusement recueilli tous les titres tombés sous sa main, à écrit la monographie d’un célèbre établissement religieux anéanti depuis trois quarts de siècle. Un avant-propos expose et les ressources et le plan. Puis, dans les sept chapitres de sa division, M. Rossignol établit et discute la date de la fondation de l’abbaye de Candeil, l'état des biens, priviléges et avantages qui en assurèrent la durée et en enrichirent l'existence; raconte les faits historiques aux- quels l'abbé et son abbaye furent mêlés depuis le xn° siècle jusques en 1790; énumère, vérifie, soumet à ses rectifica- tions les produits et revenus, les droits lucratifs ou honorifi- ques pesant sur plusieurs villages environnants; compte de même les charges et obligations ; rappelle les différends et les procès ( car l'abbé plus d'une guerre eut, puisque beaucoup de terres il avait); mentionne les priviléges particuliers de l'abbé, portant la mitre, ou des religieux affranchis de la juridiction archiépiscopale ; dresse, enfin, la liste rai- sonnée des abbés avec le précis des faits les concernant spécialement. Viennent ensuite la description de l’abbaye et de ses diverses parties, telles qu'elles étaient autrefois: les incidents de sa construction, de ses développements, de sa destruction à la DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 359 dispersion des moines ; l'état actuel de ses ruines matérielles, gisantes aux lieux où fut le couvent, ou transportées çà et là. Des chartes, des transactions , des titres, &c., sont ana- lysés, et puis littéralement transcrits en preuve à la suite du Mémoire, «éllustré, » par le crayon de l'auteur, d’un plan de l’abbaye restituée, de dessins d’un reliquaire et d'une croix ; enfin, d’un plan topographique des environs du monastère. Ce Mémoire abonde en documents curieux. L'auteur y a répandu à propos, et dans une mesure convenable, des ob- servations, des réflexions, des calculs, des discussions. Il 3 traité ses divisions dans un ordre soutenu et parfait, et les a travaillées avec intelligence et vigueur. Il est bien entendu que l'Académie, et moins encore son rapporteur, n'a pas toujours à sa portée les moyens sûrs de contrôler dans leur essence les faits, les énonciations, les opinions, les sentiments compris dans les Mémoires qu'elle reçoit, et dont elle se garde de prendre la responsabilité. Nous acceptons les matériaux employés, et ne sommes à même ni de connaître leur valeur intrinsèque, ni de savoir s'il n'en était pas d'autres et de meilleurs. Nous ne pouvons que juger la structure et les proportions de l'édifice, et ne serions informés que par hasard de ses vices cachés, prove- nant ou d’excès ou d’omissions. Y ä-t-il, s’il faut s’en rapporter à certaines informations, loin du pays exploré par M. Rossignol, des cartulaires , des manuscrits qu'il n’a pas consultés, qu'il n'a pas soupçonnés et qu'il était indispensable de compulser et de citer pour que l'histoire de l’abbaye de Candeïl fût réellement complète ? Quoi qu'il en soit, et prenant le Mémoire tel que nous le voyons, la part d'éloges pourrait être développée sans exagé- ration. N'est-ce pas assez pour certifier qu'une médaille de vermeil est justement décernée à M. Rossignol ? Mais justice entière doit être faite, et la critique ne perd point ses droits. Ne dissimulons pas que nous aurions voulu que M. Rossignol flgurât, dès à présent, parmi nos correspondants. Nous l’a- vons ajourné parce qu'il a donné prise à de graves reproches, 340 MÉMOIRES si ce n'est pour le fond, au moins pour la forme de son Mémoire. Les fautes légères sont les répétitions, les superfluités de faits rebattus partout, à retrancher et à resserrer quand l'in- tervention de l'abbé de Candeil y était ou nulle ou bien in- directe. Un reproche peu sévère contre celui qui, plus d’une fois, a des éclaircissements acceptables, des raisons plausibles, des conjectures probables , serait de n'avoir pas su s'expliquer pourquoi l'abbé se refusant, en 1696, à payer un droit de lods et ventes pour des biens situés dans la sénéchaussée de Toulouse, en était exempté par ce seul refus. On aurait trouvé, én cherchant, que cette opposition triomphante l'abbé l'avait fondée sur les priviléges du Languedoc, énergi- quement défendus, surtout en 1666, par les États de la Province. Ce qui eût été pardonnable, c’est de manquer de force et d’élévation pour les considérations historiques et philosophi- ques, de s'arrêter dans l'essor comme incertain de la direction à prendre. Mais la complaisance ne peut point passer par-dessus les négligences et une incorrection trop flagrante du style. Que M. Rossignol se préoccupe davantage de ce qui seul rend les écrits durables. Buffon l'a dit avec raison, et avant lui Quintilien avait posé en principe que la Grammaire, cet art de parler et d'écrire correctement, est la base fondamen- tale sans laquelle toute construction s’écroulera (1). Que M. Rossignol applique donc à travailler son style, la bonne volonté et l'aptitude qu'il a reçues en partage, et il y réussira comme en tout le reste. (4) Quo minus sunt ferendi, qui hanc artem ( grammaticam), ut tenuem ac jejunam, cavillantur : quæ nisi oratoris futuri fundamenta fideliter jecerit , quidquid superstruxeris, corruet ; necessaria pueris , jucunda senibus, dulcis secretorum comes; et quæ vel sola omni studiorum genere plus habeat operis, quam ostentationis. — Quintilien , Institutio oratcria, lv. 1er, ch. 1v. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 341 Ici se termine la moitié de la tâche du rapporteur. II solli- cite pour l’autre moitié à remplir et la même attention et plus de patiente indulgence. La pensée qui a présidé à l'institution de nos médailles, le désir d'encourager, même hors du rayon de l'Académie, les tra- vaux scientifiques et littéraires, de tâcher, de notre mieux, de leur donner de la publicité et de l'éclat, nous a fait adopter l'interprétation la plus large du programme. L'Académie n’a subi qu'un instant les conséquences ordinaires de la première ap- plication d’une disposition législative. Dès lors, pour l’admis- sion au concours de la médaille d’or, instituée pour les ou- vrages imprimés, point de distinction entre nos correspon- dants et ceux qui ne nous sont pas unis par ce lien; nulle pré- férence exclusive pour les communications , faites avec l'in- tention déclarée de concourir, au préjudice de celles qui ne l'annoncent pas, et pourvu que les autres conditions se re- trouvent. Au risque d’un semblant de rétroactivité, ménageant ce qu'il y avait de transitoire, dont les effets n'étaient nuisibles à personne et ne se reproduiront plus, nous avons cherché l'ouvrage le meilleur, l’auteur le plus digne, sans exiger au delà des termes exacts de notre loi. Il s’est élevé sur le texte une autre raison d'hésiter. Etait-ce par les sciences que commencerait la succession annuelle et al- ternative de la médaille à décerner , ou mettrait-on en balance, au début, le mérite relatif des communications scientifiques et littéraires ? Cette comparaison était-elle possible et équi- table ? Le pas n'était-1l pas aux sciences ? Si pour nous les sciences et les lettres vont comme des sœurs, en se donnant la main, sur un pied d'égalité parfaite, de confraternité ab- solue , d'entière réciprocité, ne semblerait-il pas, qu'ici plus qu'ailleurs , les lettres s’imprègnent et se ressentent de la fré- quentation des sciences; et le nom de celles-ci n’a-t-il pas été écrit par le Fondateur en tête du titre de l'Académie ? Malgré ces considérations, l’ordre inverse a prévalu. Qu'il 342 MÉMOIRES suflise d'énoncer devant vous ces raisons décisives : que celte année le Mémoire scientifique ne pouvait être comparé à des rivaux, et qu'il ne sera pas exclu du prochain concours par la rigueur du délai. Le prix, plus disputé , n'en sera que plus précieux. Ces préalables réglés, et la publicité leur était due, res- tait à trouver et à proclamer le vainqueur. Nous avons été dans l'obligation de mettre à l'écart les ou- vrages méritants, mais d’une importance secondaire. Quoi- qu'ils n'aient pas été comparables aux principaux, ils ont droit cependant à des mentions et à des éloges. + Ainsi, une mention honorable est accordée à l’opuscule in- titulé : Bernard Palissy , sa vie et ses ouvrages ; par M. Amédée Matagrin, Avocat et docteur en Droit à Périgueux. C'est une Notice biographique bien faite, et ne sortant pas des propor- tions du genre , où sont racontés les faits assez obscurs de la vie tourmentée et si dévouée à l’art de Palissy; où sont cités et relevés des passages remarquables des écrits que cet inimi- table artiste a émaillés de tant de raison naïve et de saine phi- losophie. Pareille mention au Manuel de morale et d'économie poli- tique (domestique serait préférable), à l'usage des classes ou- vrières, par M. Alléon, ancien président du tribunal de com- merce d'Annonay. Ce petit livre est mieux qu'un imprimé; car c’est une bonne et louable action que ce Catéchisme de mo- rale. L'on ne regretterait pas de le voir étendre et mettre sous une forme encore plus saisissante.Tel qu'il est, ce livre renfer- me d'excellents principes de conduite et de sages avertisse- ments contre ces doctrines funestes, trop préconisées parmi les ouvriers, faciles à égarer par de fausses apparences. Pareille mention à la Notice archéologique et historique sur deux monuments de l'époque gauloise et de l'époque gallo- romaine dans la vallée d'Ossau en Béarn ; par M. Couaraze de Läa, professeur de logique au lycée impérial de Tarbes et membre de plusieurs sociétés savantes. Cette notice ou dissertation contient la description et l'his- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 343 toire de deux monuments existants près de Bielle, Capdeuilh (chef-lieu ) de la république Ossalaise ; à savoir : 1° une mo- saïque, primitive décoration d’une villa ou Balneum de lé- poque Gallo-Romaine, puis cachée sous un temple chrétien, détruit à son tour par les barbares; et 2° un rocher énorme que M. de Läa, malgré les incrédules (car il en est en archéo- logie comme en tout), affirme hautement être un autel du pa- ganisme , un dolmen druidique. «Un préjugé longtemps fatal à la science, s'est écrié M. du » Mège et né des recherches, restreintes à ce vieil idiome des Ibères ou Escualdunais, obstinément conservé à travers les bouleversements politiques , avait fait regarder avec dédain » tout ce qui n'était point Basque dans le pays Basque. Là disait-on, n'existait aucune trace des Celtes, pères des Gau- » lois. D'énergiques protestations s’élevèrent et le préjugé a été vaincu. » Ajoutons que notre collègue, de qui le nom jouit de tant d'autorité en ces matières, a puissamment contribué à abattre le préjugé qu'il attaquait. IL faut à regret supprimer le développement de ses opinions, aujourd'hui démontrées jusqu'à l'évidence. Au dire de ce juge compétent qui, persistant à voir dans le rocher un tombeau celtique, a maintenu ses réserves contre les affirmations de M. Couaraze de Lâa , la notice du professeur de logique est pleine d’érudition , de finesse dans les observa- tions, et dans les conjectures judicieusement empruntées à l'inspection comparative des autres monuments de l'Ossalais. Elle ne devait pas être passée sous silence, pas plus qu'elle n’est passée inaperçue parmi les archéologues. Empressons-nous d'arriver aux travaux imprimés qui ont disputé sérieusement la médaille d'or. Notre correspondant, M. l'abbé Caneto , avait pour titre sa grande notice et son atlas monographique sur l’église métro- politaine de Sainte-Marie d'Auch. Vous le savez, Messieurs, le but de M. Caneto a été de dé- crire la cathédrale qui existe actuellement ; mais il a fait pré- céder cette description de l'histoire particulière de ce monu- C4 > 344 MÉMOIRES ment chrétien, de ses origines, de ses progrès, des phases diverses de son existence entière et sans l’isoler tout à fait de ce qui l’a entouré. La partie historique , traitée en style clair, abondant et fa- cile, est garantie par les recherches les plus exactes et les plus complètes. Elle part de la fondation originaire et la plus recu- lée; elle se continue à travers les périodes carolingienne et bizantine, celle du vandalisme (au xuf siècle) et de transition et de la renaissance, atteint la construction définitive après maintes transformations. Peut-être dans cette multiplicité de renseignements et d’au- torités plus ou moins respectables , M. l'abbé Caneto ne s’est- il pas assez souvent, assez fermement, armé de crilique; ne s'est-il pas toujours dégagé de ces idées préconcues, auxquelles chacun obéit à l'insu de son esprit et de sa volonté, selon son rang et sa position dans le monde. Mais qui oserait ne pas excuser M. l’abbé Caneto ? La partie descriptive de l'édifice religieux est on ne peut mieux détaillée. Le texte est merveilleusement éclairé par une suite vraiment artistique de gravures et de lithogra- phies, offrant des vues extérieures ou intérieures de l’église et des beautés de son architecture, de ses sculptures et de ses ornements. Si belle, si élevée que soit la cathédrale d’Auch, elle ne domine qu'un horizon restreint; et sa monographie, si bien exécutée qu'elle soit, n’a que cet intérêt qui peut naître d'un sujet spécial et unique. Ce n’est point là un défaut radical, nous aimons à le dire. L'ouvrage à la fois littéraire et artisti- que a coûté, nous n’en doutons point, bien des études , bien des démarches, bien des sacrifices. Malgré son double mérite relatif et incontesté, il n’a qu'en proportion comparable et à balancer, ce signe de personnalité distincte que porte en soi une création spontanée qui tire une chose du néant et la fait vivre aux yeux de tous. Le souffle créateur, que Dieu dispense à un petit nombre d'élus, n’a pas toujours l’occasion ou le vouloir de se produire; et pour celui-là qui en montre quel- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 345 ques effets, la part est belle encore et permet de l'en glo- rifier. C'est aussi une monographie ou plutôt une collection de monographies communales , que publie M. Mahul, ancien dé- puté, et qu'il a dénommée : Cartulaire et archives des commu- nes de l'ancien diocèse et de l'arrondissement administratif de Carcassonne. Sur les traces et sur les indications de l'abbé Lebœuf, de dom Vaissette, etc., etc., M. Mahul a entrepris, pour le comté de Carcassonne, son pays natal, une statistique historique de l'ancienne circonscription diocésaine ; ce cadre naturel , prin- cipalement en Languedoc, de tout ouvrage d'histoire locale, et qui se rapporte à peu près au comté, au diocèse, et à l’ar- rondissement administratif de Carcassonne. «Après les grands travaux historiques produits de nos jours, » et malgré les essais sollicités vers cette direction , l'histoire » locale, il faut l'avouer, est à peine ébauchée ,» nous a dit dans son rapport notre collègue honorable et si justement honoré M. Caze; «une infinité de documents, ensevelis au fond des » archives provinciales, attendent les mains résolues qui ne »craindront pas d'en secouer la poussière. Que de trésors »ignorés, que de renseignements inouïs surgiraient, si une » intelligente et jpersévérante énergie se dévouait partout et » pour tous, à des entreprises semblables à celle du Cartulaire » Carcassonnais !!! » M. Mahul s'est, en effet, plongé dans des recherches infinies; il n'a pas reculé devant le dépouillement fastidieux , devant le classement méthodique, de tous ces documents manuscrits ou imprimés, concernant les moindres lieux de la circonscription diocésaine de Carcassonne. Si, par les raisons qu'il en donne, M. Mahul n'a pas eu la prétention d’être un historien dans le sens précis du terme, il s’est fait compilateur intelligent et érudit, commentateur instruit et clairvoyant pour les cent cinquante communes auxquelles il a restitué ou dévoilé leurs titres de toute espèce. La régularité du plan lui a fait éviter le 346 MÉMOIRES désordre et la confusion, malgré la multiplicité des sujets. M. Mahul a uniformément arrangé pour chaque commune son article composé de cinq sections ; savoir : Cartulaire et chroni- que, église, catalogue des seigneurs, territoire, notes statis- tiques, de plus et à part les abbayes; et sous ces rubriques il embrasse villes et villages, églises, abbayes et prieurés, chà- teaux, seigneuries et fiefs; généalogies, blasons; métairies , lieux bâtis, quartiérs ruraux ; enfin statistique générale, où se Jisent les indications les plus curieuses sur les éphémérides de l'agriculture et de l'industrie. | « Sous chacune de ces sections , dit l'auteur , et il tient pa- » role, on trouvera classé dans l’ordre chronologique tout ce » qui se rapporte à chacune d’ellgs, et qui a pu être recueilli, » soit dans les livres imprimés, soit dans les archives ou dans » les manuscrits, soit quelquefois, mais rarement, dans les » traditions locales (1). » Ces matériaux, ajoute-t-il, réunis , mais nullement liés » entre eux par le fil d'une narration, constituent pourtant » l’histoire à peu près telle que, dans le silence des cloi- » tres, elle fut notée et compilée par les chroniqueurs, D'UELCA Met» Et M. Mahul, qui s’abrite sous les noms de ces infatiga- bles érudits, Baluze, Mabillon, Martenne, Montfaucon , Dom Vaissette... de ces pieux et savants Bénédictins, de qui les œuvres colossales sont pour la science d'impérissables mo- numents, ne sera pas désormais jugé indigne de ces modèles. Convaincu de l'utilité de son Recueil , il l'a préparé par le labeur assidu de plusieurs années : «non pas dans le silence » d'un cloître, » mais il nous l’apprend, « au milieu des dou- » ceurs de la retraite et des charmes de la vie rurale, rendus » plus sensibles par une occupation attachante , » qui a effacé et rejeté au loin les soucis et les désenchantements de la vie publique. (4) Préface, pag. vi. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES 347 L'Institut de France a récemment accordé au Cartulaire Car- cassonnais une mention très-honorable ; sorte de récompeuse qui n’a pas été considérée comme une exclusion du concours. Cette distinction, venue de si haut, n'est-elle pas une dé- monstration invincible de la vraie valeur de l'ouvrage? Ce qui a forcé l’Académie de le laisser cette année au second rang, c'est surtout, il faut le redire pour que sa décision soit bien entendue et bien comprise, c'est que le volume paru, et qui est de plus de 400 pages, n'est que le commencement d’une entreprise qui sera sûrement continuée, qui sera admise à concourir de nouveau, et qui pourra recevoir la plus élevée de nos distinctions. En attendant, et pour témoigner à M. Mahul combien l'A- cadémie estime haut et son ouvrage et son talent, qui n’en était pas à faire ses preuves, elle s'empresse, en lui donnant les éloges les plus flatteurs, de lui conférer le titre de son correspondant. Enfin , Messieurs , le caractère essentiel d'œuvre personnelle et originale, d’une portée sinon universelle, du moins des plus générales, l’Académie a eu la bonne chance de le ren- contrer dans la « Numismatique ibérienne , » par notre corres- pondant M. P.-A. Boudard, de Béziers. L'Ibérie et ses habitants ont laissé dans la science géogra- phique et ethnographique les problèmes les plus difficiles à résoudre, et y prolongent des controverses insolubles même pour les plus habiles et les plus savants. Depuis longtemps un homme ignoré et qui ne s'était point hâté de sortir de son obscurité ; peu favorisé des dons de la fortune et s’en consolant philosophiquement par les biens de la science, avait mis aux études ibériennes un zèle des plus actifs et des plus vigoureux. Ayant en vue principalement la numismatique du pays des Ibères et les recherches sur sa lan- gue; animé par les encouragements qui lui vinrent de tous les côtés, M. Boudard recommença, refondit, compléta un premier essai. [l a publié sous nn nouveau titre ses longues 348 MÉMOIRES élucubrations. L'ouvrage sera incessamment achevé ; le der- nier fascicule est attendu. Il est permis de juger le système et ses applications et d'en apprécier les résultats. Par une exception à noter, le prospectus de la Numismati- que Ibérienne n’a point fait de vaines promesses. Il annon- çait un texte divisé en deux parties, et l’objet de ces divisions ; de plus, un grand nombre de planches de monnaies ibérien- nes, des tableaux de légendes, des cartes géographiques ser- vant à l'intelligence du système et du texte, et formant un atlas séparé. IL est prescrit au rapporteur d’insister sur cet ouvrage , afin de donner un aperçu de l'énorme travail mené, tout à l'heure, à sa fin par M. Boudard, de la méthode qu'il s’est créée. La préférence accordée ne doit-elle pas être motivée publique- ment ? Quelle décision ne l’est pas aujourd'hui? Bien loin de répudier les tentatives faites pour l'explication de ces lettres inconnues , dites desconocidas . de quelques légendes inscrites sur des monnaies de l'antique Hispanie, M. Boudard a profité, au contraire, de ces antécédents. Il s’est rangé au système qui, rejetant les autres langues, attri- bue ces lettres à l'écriture et à la langue ibérienne, proscrite par Auguste au profit du latin, ne disparaissant pas aussitôt , et se maintenant sur les monnaies par les légendes (bilingues), en deux langues latine et ibérienne , ou mélangées de lettres appartenant aux deux alphabets. Si le parti que l'on pouvait tirer de ce mélange, sur les mêmes monnaies, avait été déjà remarqué, il était réservé à M. Boudard de Jui faire porter tous ses fruits. L'auteur, par un nouveau contrôle, a d’abord banni les légendes, ou douteuses ou fausses. Cet obstacle écarté, il a dû par sa méthode de lecture, parvenir à lire toutes les lettres connues ou inconnues, sans en omettre aucune, car « l'expli- » cation des légendes, dit-il, eût été inutile, même impossi- » ble, tant que toutes les lettres de l'alphabet n'étaient pas » interprétées et leur signification établie. » Etudiant, avant tout, les légendes ibéro-latines; celles DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 349 composées des lettres latines et d’une ‘ou plusieurs desconoci- das , MP Boudard donne la description de chaque monnaie et son attribution. Quarante-quatre légendes font ainsi connaître dix-sept lettres trouvées avec la même forme; mais, quelques- unes ayant plusieurs figures pour les représenter, on connait incontestablement trente-deux caractères variés pour dix-sept lettres principales, Après ce résultat, il reste plus de soixante caractères de figures diverses , et dont la signification est inconnue. M. Boudard, pour en éliminer un certain nombre, leur applique une méthode de son invention, une clef qu'il s’est forgée. 11 cherche les variantes des lettres déjà connues au moyen des légendes similaires : c’est-à-dire de celles qui se composent des mêmes lettres, et dans lesquelles un ou plu- sieurs caractères inconnus occupent le même rang, en offrant quelque différence dans leur figure. Par cette méthode vraiment lumineuse, et qui simplifie grandement la question, l’on parvient à savoir que, sur les caractères qui restaient à déterminer, trente-huit sont des variantes de lettres connues, et que les vingt-cinq inconnus encore, se réduisent à neuf principaux ; mais il faut toucher au but indiqué. Procédant toujours par élimination, et du connu à l’in- connu , considérant les lettres dont la valeur est déterminée comme des lettres latines, M. Boudard cherche les légendes ibériennes dont toutes les lettres, moins une, soient connues ; et dès qu'il ne s’agira plus alors , selon lui, que de trouver un nom de lieu homophone, puisque les légendes ne portent que des noms de ville, il espère avoir une solution satisfai- sante. Par cette seconde clef appliquée aux légendes bilingues et aux ibériennes , M. Boudard a la satisfaction, en effet, de composer son alphabet tout entier , en consonnes, voyelles, et lettres à son mixte ; ainsi que les combinaisons de voyelles, diphthongues , triphthongues , etc. , etc. Tandis qu'à l’op- posé, il faut suppléer des voyelles souvent omises dans les D°S.— TOME II. 23 390 MÉMOIRES | mots, surtout dans les terminatives, ou simples ou com- posées. LT Quand il à pu lire les légendes tout entières, M, Boudard s'est demandé à quelle langue il devait les attribuer, parmi celles des cinq peuples, établis en Espagne, avant les Ro- mains; et l'un d'entre eux était les Ibères, desquels les Basques passent pour être les descendants. Il compare done, sous tous leurs rapports, l'alphabet et les suffixes ibériens avec les basques ; il constate, en définitive , l'identité des deux langues: et il en conclut que les Ibères et les Basques sont les mêmes peuples , et pour la race et pour la langue. Afin de confirmer cette conclusion, s’il en était besoin, M. Boudard poursuit la comparaison de l’Ibérien ou Basque, avec les alphabets des autres langues, phénicienne, celtique, grecque, parlées jadis dans la péninsule hispanienne. Il se livre à la discussion de quelques questions historiques, relatives à ces peuples, et qu'il a cru nécessaire de fixer. «En effet, ajoute » l’auteur, l'attribution des monnaies ibériennes devait né- » cessiter l'examen et la discussion des questions d'histoire » et de géographie; il fallait en demander la solution aux faits » que nous ont légués la tradition et l'histoire, en s'appuyant ensuite sur la linguistique, preuve accessoire, mais ayant » son importance et son utilité. » Avec de tels secours, en dépit des écueils et des dangers qu'il prévoit, des raisons de douter qu'il indique et qu'il ne se flatte point de réfuter par ses dissertations philologiques, M. Boudard, au second livre de son ouvrage, s’est intrépide- ment lancé dans ses explications des monnaies ibériennes et leurs attributions aux villes de l'Ibérie. Il n’a pas voulu se fier aux dix-neuf inscriplions qu'il connaît, ou, ponr mieux dire, à leurs fragments, Copies non vérifiées, et plus ou moins fidèles d'originaux disparus. Il leur a préféré les mon- naies contrôlées et existant dans plusieurs collections. À dé- faut des types eux-mêmes, M. Boudard, grâce à ses recherches personnelles et au concours empressé des numismates, en a réuni toutes les empreintes; et prenant ces monnaies, une à = EC ET DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 351 une , il a fait la revue et l'attribution des cent cinquante lé- gendes.que l’on connaît; il n'a plus à voir et à classer que les derniers rangs. A la seule lecture de la Numismatique Ibérienne , attestait avec l'accent de la vérité M. Barry, qui a été le guide indis- pensable pour cette analyse épineuse, on demeure effrayé des flots d’éruditiou que M. Boudard a dû amonceler avant de l'é- crire et de l’imprimer. On est émerveillé et convaincu de la simplicité , de la clarté, de la fécondité et de la certitude des procédés de l’auteur. On souhaiterait d'être doué de ses qua- lités pour saisir et rendre palpables son système et ses rami- fications. L'ouvrage de M. Boudard, qui semblerait n'avoir pour objet spécial que le vaste pays de l'Ibérie, dont une partie débor- dait en deçà des Pyrénées , est un flambeau qui a répandu et qui répandra d'éclatantes lumières sur une foule de questions historiques et géographiques. L'importance n'en est-elle pas, dès lors, générale et incontestable ? Aussi l'apparition de ce livre a-t-elle fait sensation parmi les numismates. Toutes les considérations étaient donc réunies en faveur de M. Boudard, et l’Académie lui a décerné la médaille d'or. Toutelois, répétons-le en finissant, la lutte n'a pas été ter- minée sans opposition; et si, sur cette arène que nous avons ouverte, il n'y a pas eu de péril à vaincre, il y a eu gloire à triompher. Pour ceux qui ont succombé avec honneur, la défaite est-elle irréparable ? Non, sans doute , cela est bien convenu et compris; sinon, le rapporteur aurait été un écho mauvais et infidèle, n'ayant rien répété de ce qu'il avait en- tendu. Car, Messieurs, souffrez que, surmontant sa répugnance pour ce qui est si haïssable, le rapporteur se mette en scène un seul instant. Je viens de parler de justice distributive : Eh bien, que je ne sois point paré de ce qui ne doit point me couvrir. De cet exposé que j'achève, je n'ai à revendiquer que la plus faible part. Il n'est que le résumé , tel que ma plume a su le retracer, des discussions auxquelles, J'ai assisté, des rap- 392 MÉMOIRES ports particuliers des collègues que j'ai nommés et que je n'ai pas à louer. Pardonnez-moi si, courant après la brièveté qui m'a fui, je vous ai privés , sans compensation, du plaisir d’en- tendre la reproduction ou la lecture intégrale des choses excel- lentes que j'ai écoutées, que j'ai lues, et que je me suis con- damné à tronquer et à mutiler. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, 353 LE DIEU LEHERENN D'ARDIÈGE : Par M. BARRY, À LE village d'Ardiége, qui compte à peine cent quarante- cinq feux aujourd’hui (1), est situé à l'extrémité méridionale de la riche plaine de Valentine (ancien pays de Rivière), au pied d’une rampe de collines verdoyantes et alignées qui forme, de ce côté, le dernier gradin de l’amphithéâtre des Pyrénées. Au lieu de s'asseoir, comme le village voisin de Labarthe , sur les premières croupes de cette chaine mamelon- née, ou de profiter, comme celui de Cier, de quelque déchirure accidentelle qui en écarte de loin en loin les cimes, c’est ici, au pied même des collines, dans le fond d’un vallon déboisé qui contourne un de ces monticules, que se cache le village, abrité, du côté de la plaine, par d’épais massifs de noyers et de châtaigniers qui le dérobent en partie à la vue. Son église, reconstruite, il y à quelques années, dans le style monu- mental du xui° siècle, et encore inachevée , est assise à l’ex- trémité d’une place allongée, à quelques pas d’un ruisseau (le Loung'Ardiége) dont les eaux, peu limpides et peu abon- dantes, pendant l'été au moins, ne sont animées que par la (1) Il en comptait cent soixante-dix en 1762, à l’époque où parut le Dic- tionnaire géographique de l'abbé d’'Expilly. 5° S.— TOME Hi, 24 354 MÉMOIRES voix nasillarde des canards et le caquet des laveuses du vil- lage, coupé, de loin en loin, par quelques coups de battoir énergiques (1). Comme.le pays, par une exception assez rare dans les Pyrénées, ne possède ni sources thermales exploitées ou ex- ploitables, ni monuments en ruine, ni saint en renom de miracles, les étrangers se détournent rarement de leur route pour visiter une localité oubliée de tous les itinéraires. Dans la plaine elle-même , où l'on se déplace volontiers , nous avons rencontré bon nombre de gens qui ne connaissaient d’Ardiége que ce que l'on en voit de la route, et qui nous demandaient, à leur tour, ce que l’on irait faire dans un village qui n'a ni foires, ni marchés, ni même de fête votive où se rende la jeunesse des clochers voisins, attirée par la danse ou par le plaisir. Et cependant, il est impossible de douter, en pré- sence des monuments authentiques que possède encore ce village oublié, que son existence ne remonte aux plus an- ciens temps de notre histoire, qu'il n’ait même eu son im- portance et son éclat à une époque où l'on citait à peine les petites villes de Montréjeau et de Saint-Gaudens , dont il re- lève administrativement aujourd'hui. Comme la plupart des villages de l'ancienne peuplade des Garumni, auxquels appartenait le territoire connu , au moyen âge, sous le nom de Pays de Rivière, le vicus d'Ardiége (2) était situé sur la voie romaine qui menait de Dax à Toulouse en longeant la chaîne de collines qui encadre, du côté du a (1) Le Loung’Ardiége se décharge au-dessous du village, dans un ruisseau un peu plus considérable qui est connu dans le pays sous le nom de Houn- tarède ( fount fredo , font frède, font froide? ) (2) J'ai fait dans les archives de la Haute-Goronne et dans celles des Bas- ses-Pyrénées d’inutiles recherches au sujet du nom antique d’Ardiége. Les plus anciens documents des archives de Pau , que M. Raymond a bien voulu explorer pour moi ( liasses du Nébouzan et de l'ancien pays de Riviére), ne remontent pas au delà du xvie siècle, et le village y est désigné sous le nom presque moderne d’Ardiegia ; en 1542, par exemple, dans une déclaration générale des biens d’Ardiége faite par les Consuls dudit lieu. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 393 sud, la plaine de Valentine (1). Aux richesses naturelles de son sol, fertile comme l’est partout le sol alluvional et pro- fond de cette riche plaine, il joignait ainsi le produit des pe- tites industries qu'une grande voie romaine avait le privilége de développer sur son passage, le colportage et le roulage, par exemple, auxquels font allusion plusieurs des monu- ments antiques du pays (2). Sa population, sédentaire elle- même, y trouvait des ressources dans l'exploitation de cer- tains commerces de détail, dans celle de cabarets et d’au- berges notamment , que l’on rencontrait à chaque village sur le parcours d’une voie romaine , et qui se distinguaient déjà les unes des autres par des enseignes peintes ou sculptées comme aujourd'hui (3). C'est par des circonstances de ce genre que s'expliquerait la prospérité momentanée du vicus d'Ardiége, qui paraît, comme d’autres villages de la plaine, plus peuplé et plus riche au second siècle de notre ère, qu'il ne l'a été dans des temps plus rapprochés du nôtre. Mais nous sommes tenté de croire qu’il en devait en même temps une partie à l’existence d’un de ces cultes locaux , antérieurs souvent à la conquête romaine , et qui paraît avoir atteint ici un degré exceptionnel de popularité et d'éclat, s’il est permis —_—_—_—_—— (1) ltem ab Aquis Terebellicis Tolosam (Itiner. geog. Antonini Aug. édit. de M. L. Rénier dans l'Annuaire de la Société des Antiq. de Fr., ann, 1850, pag. 208). Cette voie paraît avoir passé au-dessous du village et du château actuel, du côté de la plaine dont elle formait Ja principale voie de communi- cation. Elle consistait, disent les vieillards du village , qui en ont vu enlever ou enlevé les débris, en un pavage assez étroit de grandes dalles inégales et irrégulières posées à plat et sillonnées profondément quelquefois par le frot- tement des roues. (2) Nous ne citerons ici que le curieux bas-relief sculpté au-dessus de l'inscription funéraire d’Andossus , fils de Primulus, que nous avons publiée dans l'Annuaire de l'Académie des Sciences de Toulouse pour l’année 1857, pag. 25. (3) Ce fait, assez peu connu , résulte fort clairement de ce texte épigra- phique découvert à Narbonne et que j'emprunte aux Miscellanea de Spon : L. AFRANIUS CERIALIS L. // EROS TJrnl ( VIR ? ) AVG. DOMO TA 1! RACONE OSPITALIS À GALLO /! GALLINACEO... ( Spon Miscell. erud. antiq., pag. 199, 2.) 390 MÉMOIRES d'en juger par le nombre des monuments inscrits où figurés qui décoraient son sanctuaire. En dépit de ces témoignages de réputation, le dieu Leherenn d'Ardiége ne paraît pas avoir été plus connu des historiens et des géographes anciens qu'une foule de divinités locales dont ous retrouvons tous les jours, dans les Pyrénées, les noms et les autels oubliés. On chercherait vainement dans-leurs ouvrages, nous ne dirons point un texte, mais un trait où un mot qui y fasse allusion (1). Nous ne savons pas même de quelle manière a disparu ce culte, florissant pendant plusieurs siècles , et à quelle époque précise s’est élevée, sur les ruines du temple païen, la première église du village, qui passe, dans la tradition locale, pour la plus ancienne du pays. La seule chose certaine, c’est que l'on s’est servi pour la bâur, comme on le faisait souvent dans les pays pauvres, comme on l'a fait presque constamment dans les Pyrénées, où cet usage s’est maintenu jusqu'à des époques relativement ré- centes, des matériaux que la destruction de l'édifice païen laissait sans emploi (2). Ces débris, sauvés ainsi une pre- (4) Nous sera-t-il permis d'ajouter que les modernes ne connaissent pas beaucoup mieux le dieu local dont nous allons essayer de recueillir les mo numents et de ressaisir la physionomie, et que son nom nest prononcé qu’accidentellement dans l'histoire sans critique de la Religion des Gaulois de Dom Martin , à laquelle l'ont emprunté quelques mythographes jdu xvHIe siè- cle, MM. Mongez, Millin, etc.? Nous reparlons plus loin des rèveries de Kcisler , dont le livre ( Antiq. Septent. et Celtic., 1720 ) précède de sept ans celui de Dom Martin. F.-J. Mone, qui accepte , comme base, pour la Gaule au moins , le livre de Don Martin , ne nomme même plus notre dieu dans son Hist. du paganisme dans le nord de l'Europe. (Geschichte des heindenthums im Nérdlichen Europa, Leipzig und Darmstadt, 1823 ; elle forme le complément et le Ge vol. de la Symbolique de F. Kreutzer ) , et nous l'avons cherché sans plus de succès dans la belle et savante compilation de Jacob Grimm (Deutsche mythologie, Gôttingen , 1835), qui avait au moins le droit de regarder le dieu aquitain comme étranger à son sujet. C'est, en réalité, M. du Mège qui a le premier ramené l'attention sur cette divinité oubliée ( v. les divers tra vaux de notre savant confrère que nous citons plus loin , $ 2), et formulé à l'aide d'inscriptions inédites jusqu'alors , quelques idées très-générales, il est vrai, sur sa nature divine. (2) Les Carlovingiens, en lérigeant en loi, ne firent que sanctionner un usage établi depuis l'origine du christianisme dans les Gaules : « Nam ubi fana DE L'ACADÉMIE DÉS SCIENCES. 357 mière fois, ont été utilisés à deux et à trois reprises dans les Wavaux de reconstruction ou de remaniement que parait avoir subis, à diverses époques , la modeste église du village. Sans enlever aux marbres leur relief ou leurs inscriptions , il suflisait, pour pouvoir les mettre en œuvre, de tronquer ou de raccourcir ici un fût d'autel , d'aplanir ailleurs la saillie de quelque base, la moulure de quelque corniche ; de sorte que c'est ici le monument chrétien transformé , à son insu, en Musée local, qui nous a conservé les souvenirs et l'histoire du sanctuaire païen dont il avait pris la place. Ce fut, comme on le sait, le père Sirmond qui révéla le premier au monde savant l'existence et le nom du dieu Lehe- renn, inconnu à tous les érudits du xvi° siècle, à Joseph Scaliger lui-même, qui avait jeté le premier un regard pé- nétrant mais distrait sur l'épigraphie caractéristique de nos montagnes (1). J. Gruter, qui publiait alors (1601), le Recueil célèbre d’Inscriptions auquel son nom est resté atta- ché, devait au père Sirmond, comme il nous l'apprend Jui- même, les copies des deux inscriptions consacrées dans son recueil au dieu local des Convene ; car c'est sous cette vague désignation géographique qu'on les trouve reproduites chez Gruter (2), et chez les érudits qui les lui ont succes- sivement empruntées; chez dom Martin, entre autres, qui traduit le nom générique de Convenæ par le nom, plus précis et plus inexact encore, de Saint-Bertrand de Comminges (3). me destruxerat (B. Martinus), statim ibi aut ecclesias aut monasleria construebat. » (Sulp. Sev. vit. S. Martini, ed. 1665 > Pag. 458). « Ex supradictæ arboris macerià (un arbre sacré) oratorium construxit eumque (Sic) in honorem sancti Petri Apostoli dicavit. » (Wilibald, vit. sancti Bonifacii. Pertz II > 43). C'était aussi à saint Pierre (St Pé) qu'avait été dédiée, comme une foule d'églises anciennes , la première église du village d’Ardiége , et que fut dé- diée plus tard la petite chapelle des Templiers dont nous parlons plus loin. (1) Dans ses Ausonianæ lectiones , pass. Lugd. Gryphius, 1574. (2) Dans l'édition princeps (1601). Dans l'édition refondue de Grævius (Amstel. 1707), elles sont précédées de la rubrique in Convenis Novempopul. et suivies des deux mots Grutero Sirmondus : Sirmondus Grulero. (3) Religion des Gaulois, tom. 11, pag. 83. 358 MÉMOIRES Deux cents ans plus tard, à l'époque où des hommes dévoués à la science entreprirent de fonder le Musée de Toulouse et d'y réunir les monuments de tous les genres qui avaient échappé à dix-huit siècles d’'incurie, de révolutions et de mauvais goût, leur attention s'était naturellement reportée sur le village d'Ardiége, où existaient, on le savait, de nom- breux débris de bas-reliefs et des inscriptions entières encas- trées, du coté des légendes, dans les montants de la porte ou dans les murailles de l’église. Mais les démarches tentées à diverses reprises par l'administration du Musée, ou par la Société archéologique du Midi de la France, et les acquisi- tions heureuses auxquelles ces démarches avaient abouti (en 1831 notamment), n'avaient encore porté qu'à six le nombre des monuments inscrits relatifs au dieu Leherenn. On n’y rattachait point à cette époque un septième autel, dont la première ligne avait disparu tout entière, il est vrai, mais qui appartient, selon toute apparence, au culte du dieu d'Ardiége, auquel nous l'avons restitué (1). Pour construire l’église monumentale que possède aujour- d'hui le village d'Ardiége, il a fallu démolir, presque en entier, le modeste édifice qui l'avait précédé, raser jusqu'au sol le campanile informe qui en masquait l'entrée, abattre une partie des anciennes murailles, porter la main dans leurs substructions , qui avaient peut-être servi de base aux églises antérieures (1855-1858); et l’on n’a pas été médiocrement étonné de les trouver construites sur plusieurs points, du côté du sud et de l’est particulièrement , de débris antiques qui provenaient incontestablement du sanctuaire d'Ardiége, puisque la plupart des pierres inscrites portaient encore le nom du Dieu Leherenn, auquel elles avaient été dédiées. D'après les renseignements recueillis sur les lieux, de la bouche de l'architecte intelligent qui a dirigé ces travaux (2), (1) Voy. plus loin n° vi, pag. 366. (2) Je ne puis oublier ici que M. Loupot, venu de Luchon à Saint-Gaudens pour me donner les derniers renseignements dont j'avais besoin, a poussé DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 359 et des nombreux témoins qui en ont suivi les phases, de M. le Curé d’Ardiége, notamment, auquel nous devons de nombreuses et utiles indications , ces curieux débris au- raient été trouvés, disséminés comme au hasard, dans la maçonnerie du vieil édifice. Des autels d’une taille et d'un poids considérables, comme ceux de Bambix, fils de Sorus, et de Maximus , affranchi de Mandatus, étaient encastrés à quatre ou cinq mètres du sol dans la muraille épaisse qui formait l'abside de l’église; d’autres , au contraire, étaient enfouis, à une certaine profondeur, dans les substructions des murailles, et surtout dans celles d'une ancienne tour démantelée et tronquée qui servait de base à son clocher. Quelques fragments , recueillis à une époque inconnue, avaient été placés avec une sorte de respect dans les baies du campanile, où ils sont restés oubliés pendant bien des années. Quoique le plus grand nombre de ces débris aient dû être dis- persés, mutilés ou détruits après la destruction du sacellum antique, et que l’église elle-même ne nous ait probablement point rendu tous ceux auxquels elle a servi d'asile, puis- que la muraille du nord est restée presque intacte au milieu de ces démolitions, le nombre des autels inscrits, pour ne citer qu'eux, s'est trouvé plus que triplé d'un coup, par le fait seul de ces découvertes. Mais ce n'était plus à des mar- bres inscrits qu'elles se bornaient cette fois. À côté de ces autels, dont les légendes tronquées ou entières prennent pour nous un intérêt particulier, puisqu'elles sont littéralement toute l'histoire écrite du dieu Leherenn et de son culte, on avait recueilli de nombreux fragments de sculpture ou d'architecture, noyés comme eux dans la maçonnerie ou les substructions des murailles, des dalles de marbre, des cha- piteaux de taille et de forme diverses, des colonnes entières ou brisées, le torse d’une statue de marbre blanc, dont la la complaisance jusqu'à m’accompagner par un temps affreux (4 février 1859) à Ardiége, où il a complété sur les lieux les renseignements et les explications qu’il m'avait données le matin sur le papier. 360 MÉMOIRES tête, reconnaissable encore, malgré les mutilations qu'elle a subies, est encadrée d’une chevelure et d’une barbe touf: lues. t À l'époque où j'arrivai, pour la première fois, à Ardiége, accompagné de mon exellent ami M. Morel (1), ces débris de toute espèce étaient entassés pêle-mêle dans un coin de la cour du presbytère: et je fus frappé, je l'avoue, du nombre et de la variété de ces monuments, qui provenaient tous du même lieu, et que l’on avait le droit de croire tous relatifs au même culte. Quelque mutilées que fussent la plupart de ces légendes , n’était-il pas possible, en les interrogeant avec attention et avec réserve, en les rapprochant, au besoin, des textes déjà connus et des monuments de divers genres qui les accompagnaient, d’en tirer au moins quelques indications sur la nature et le caractère du dieu local dont ils nous attes- taient l'existence, sur les formes extérieures de son temple et de son culte, sur la population du vicus, où il comptait probablement ses plus nombreux et ses plus fidèles secta- teurs ? C’est à ces recherches, dont nous ne nous dissimulons pas la difficulté, que sont consacrées les pages qu'on va lire. Mais nous avons senti le besoin, pour placer nos lecteurs sur un terrain solide et leur permettre de contrôler par eux- mêmes toutes nos assertions, de publier d’abord les textes inédits dont nous venons de parler, en y rattachant, sous forme d'introduction , celles des inscriptions d’Ardiége, qui étaient depuis longtemps publiées et connues. Comme nous avons pu étudier la plupart de ces monuments sur la pierre elle-même, et que nous nous sommes, ici comme toujours, imposé la loi de les estamper à plusieurs reprises avant d'en arrêter la lecture, nous aurons, en les reproduisant , l’occa- sion de rectifier les inadvertances assez nombreuses dans les- quelles sont tombés la plupart des éditeurs qui nous ont pré- cédé, et le mérite, à défaut d'autre, de fournir à ceux qui (1) C'était le 28 juillet 1857, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 361 viendront après nous un recueil de textes qu'ils pourront consulter avec quelque confiance. LI. LEHERENNO Î DOMESTICVS RVFI F V-S-L-M Leherenno domesticus, Rufi Féius, Votum Soloil Libens Merito. LEHEREN DEO Il TERTVLLUS V-S-L-M Lehereni Deo Tertullus Votum Solvit Libens Merilo. Les autels sur lesquels étaient gravées ces deux inscriptions, les plus anciennement connues de toutes celles que nous pu- blions , sont perdus ou détruits depuis bien des années. Mais tout est si simple et si clair ici, qu'on peut accepter sans dé- fiance la lecture du père Sirmond, reproduite textuellement par Gruter (1). Nous ne conserverions de scrupules que pour le premier mot de la seconde légende , où VN finale était pro- bablement liée à un I. Ce que nous regardons comme plus certain encore, malgré la vague indication géographique dont Gruter s’est contenté (in Convenis Novempopuloniæ), c'est (1) Elles figurent dans l'édition refondue de Grævius , Amstel. 4707, sous jes nos 6 et 7 de la p.{muxxiv, et ont été répétés depuis dans une foule de recueils et d'ouvrages spéciaux , archéologiques , historiques ou descriptifs. 362 MÉMOIRES que ces deux monuments étaient originaires d'Ardiége , comme le sont, à notre connaissance au moins, tous les monuments relatifs au culte de Leherenn. M. du Mège , dont nous sommes heureux de pouvoir invoquer sur ce point le témoignage (1), affirme, sur la foi de documents manuscrits, qu'ils étaient encastrés dans les murs d’une chapelle que possédaient à Ar- diége les chevaliers du Temple (2), et qu’ils ont péri d’une manière presque tragique, placés par des curieux sur un train de bois qui chavira en heurtant un écueil (3). Les six autels suivants ont heureusement trouvé asile dans le Musée épigraphique de Toulouse. Mais ils n’y sont arrivés, à ce qu'il paraît, que successivement et à des intervalles assez éloignés quelquefois. En 1814, à l'époque où il publiait ses Monuments religieux des Volces-Tectosages, des Convenæ et des Garumni, M. du Mège ne connaissait encore que deux inscriptions nouvelles relatives au dieu Leherenn : car c’est à ces deux textes et aux deux textes anciens de Sirmond et de Gruter que se borne le chapitre qu'il a consacré dans son livre à cette divinité topique. Il nous apprend lJui- , même que la première de ces deux inscriptions avait été (2) « Nous n’avons pas retrouvé d’autres monuments consacrés à Leherennus dans d’autres localités. » (M. du Mège , Notes sur plusieurs inscriptions gallo- romaines inédites. Mém. de l’Acad. des Sciences , Inscript. et Bell.-lettr. de Toulouse , 1ve série , tom. vi, 1856, pag. 385 ). (2) Cette chapelle , dédiée, comme nous l’avons dit, à Saint-Pierre , était située à l’autre extrémité du village , à côté de ce qu’on appelle encore le Château d’Ardiége. Elle a été détruite à la fin du siècle dernier. (3) « Suivant plusieurs manuscrits, les autels qui contenaient ces inscrip- tions étaient encastrés dans la façade d’une chapelle bâtie à Ardiége par les chevaliers de la milice du Temple. Cet édifice ne subsiste plus. » (M. du Mège, Monuments religieux des Volces Tectosages, 1814, pag. 350). — « On assure que ces monuments trouvés dans le village d’Ardiége.… ayant été enlevés par un curieux, furent placés sur un radeau qui se brisa contre un écueil. » (M. du Mège, Desc. du Musée des Antig. de Toulouse, 1835, pag. 41). En 1814, M. du Mège ne connaissait point encore l’histoire émou- vante de ce naufrage , car il n'aurait certainement pas négligé de la raconter en reproduisant dans ses Monuments religieux les deux autels publiés par Sirmond. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 363 donnée au Musée de Toulouse par un habitant du village, M. Dulac (1). LEHERENNO DEO Il MANDATVS MASVETI-F V-S-L-M Leherenno Deo Mandatus, Masueti ( pour Mansueti) Filius, Votum Solvit Libens Merito (2). La seconde y figurait certainement à la même époque, comme nous l'apprend encore M. du Mège, sans nous dire cette fois par qui elle avait été découverte, et de quelle manière elle y était arrivée (3). MARTI IV LEHERENNI INGENVS SIRICCONSI V-S-L-M Marti Leherenni Ingenus (Ingenuus?) (4), Siricconis Filius (ou Libertus? ), Votum Solvit Libens Merilo (5). (1) «J'ai découvert dans le même village un autre monument consacré à Leherennus.. » et en note : « Ce monument a été donné au Musée de Tou- louse par M. Dulac, habitant d’Ardiége. » (M. du Mège, Monuments reli- gieux, pag. 350.) (2) L’autel sur lequel est gravée cette inscription a 0®, 60 de hauteur totale ; il est percé au sommet d’un trou vertical peu profond et carré. Les parois latérales sont ornées du præfericulum et de la patera sans manche. L'écriture, assez régulière encore et sans lettres liées , est lourde, massive et d’un effet général peu agréable. (3) « Ce monument a été transporté dans le Musée de Toulouse. » (M. du Mège, ibid., pag. 350. Note.) (4) Les deux V du mot ingenuus sont probablement superposés comme ils le sont dans un certain nombre de textes épigraphiques , dans celui-ci no- tamment, qui appartient à la Gaule du nord : . ACSVSANO HERCVLI // SACRV FLAYS // VIHRTIMATIS FIL (Flaus pour Flavus, le blond)... (Orelli 2004). (5) Cet autel a 0v,43 de hauteur totale; il est creusé aussi verticalement 364 MÉMOIRES M. du Mège , qui rapproche le mot Marti du mot Leherenni, dont il est séparé par la corniche sciée de l'autel, détache les deux 1 de Leherenni et de Siricconis des deux N, avec lesquels ils sont liés, et fait suivre ( Mon. rel. , L. c.) le mot Siricconis d'une F retournée (4), dont le marbre n'offre et ne peut point offrir de traces, puisque ces F sont presque toujours placées, dans les Pyrénées, à la suite des noms de femme (1). Mais les inexactitudes que nous signalons sont bien autrement marquées chez les épigraphistes par accident qui ont repro- duit, d'après lui, la plupart de ces légendes, chez la Bouli- nière, par exemple, qui formule dans ce latin barbare son invocation au Dieu Leherenn : LEHERENNUS // DEO // MAN- DATUS / MASUETI F // V. S. L. M.— MARTI // LEHERENNUS INGENUS //SIRICONIS // V.S. L. M. (Jtin. deser. et pitt. des IT. Pyrénées. Paris, 18925, t. mr, p. 149. ) — M. Mérimée, qui remplace, dans l'inscription précédente ( n° ni), le nom de Masueti par le barbarisme de Masuetre en ajoutant sic à la fin du mot, supprime dans celle-ci les deux I finals de Lehe- renni et de Siricconis, auquel il retranche un C, en rétablis- sant, de son chef, les deux V d’Ingenuus ( Note sur un bas- relief du Musée de Strasbourg, Rev. Arch. , 1844, t. 1, p. 252). L'esprit suflitil, en épigraphie, pour dispenser de lexac- titude ? Nous avons cherché, sans plus de succès, dans les archives dn Musée, de quelle manière et à quelle époque y était arrivé le beau texte suivant, qui ne figure dans aucun des nombreux Mémoires de M. du Mège (2), ni chez les épigraphistes de d’un trou carré et étroit , et ses parois latérales sont décorées du préféricule et de la patère. Les moulures saïllantes de la corniche ont été emportées de deux côtés à la scie. Les contours arrondis de l’écriture, les hastes directes et épaisses, les traverses fortement marquées encore, semblent indiquer aussi la fin du re siècle, ou la première moitié du re. (1) V. à ce sujet les règles d’épigraphie locale que nous avons rappelées , il y a quelques années, à propos d’une inscription inédite de la cité des Convenæ ( Revue arch., année 1855, p. 222). (2) Les inscriptions relatives au culte du dieu Leherenn ont été publiées et commentées plusieurs’ fois par M. du Mège, d’abord dans ses Monuments DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 365 seconde main , qui se contentent en général de reproduire les textes qu'il donne et le commentaire dont il les accompa- pagne. LEHERENNC V MARTI TITVLLVS-A MOENI-FIL V-S-L-M Leherenno Marti Titullus, Amæni Firius, Votum Solvit Libens Merito (1). M. Cénac Moncaut qui a publié le premier (après M. Méri- mée, ibid., p. 252) ce texte épigraphique , oublié par M. du Mège et les épigraphistes qui le copient, l’a défiguré, suivant son habitude , en transformant en M les deux N liées du mot Leherenn , ce qui donne au nom du dieu une forme toute nou- velle, et en remplaçant le nom bien connu de Titullus par le nom tout aussi nouveau de Fitulius. Ce Titullus Amæni filius devient dans sa traduction plus singulière encore que le texte qu'elle est censée reproduire, Fitulius fils de Noennis (Voyage arch. et hist., 1856, p. 16). L'inscription suivante, que je n'hésite pas à rattacher aussi au culte de Leherenn, quoiqu'elle ait été négligée jusqu'ici, et religieux des Volces Tectosages ( voy. supra); plus tard, dans son Mémoire sur quatre inscriptions antiques ( Mémoires de la Soc. Archéol. du Midi de la France, tom. 1, pag. 5, 13); puis dans la Description du Musée des anti- ques de Toulouse ; puis dans une Note du tome vi des Mémoires de l’Académie des Sciences , Inscript. et Belles-lettr. de Toulouse (1v° série, pag. 381 et suiv.), où se trouvent réunis, moins deux, tous les textes alors connus sur le culte local d’Ardiége. (1) Hauteur totale de l'autel 0w,48, de la pagina lævigata 0,23 sur 0,22. Les parois latérales sont décorées du préféricule et de la patère ; le sommet de l'ara est percé verticalement d’un petit trou arrondi, très-peu profond. L'é- criture , toujours épaisse et pesante , est moins régulière que celle des autels précédents. 366 MÉMOIRES comme inaperçue de tous les épigraphistes (1) fait aussi partie de la collection épigraphique du Musée de Toulouse. Elle est gravée en petits caractères à demi cursifs, mais très-nets, sur le fût d’un autel dont la corniche brisée à dessein comme le socle, a emporté avec elle la première ligne de l'inscription : NNI-DANNONIA VI HARSPI-FILIA V-S-L-M Au premier regard jeté sur ce fragment, l’épigraphiste le moins familiarisé avec les formules dédicatoires des inscrip- tions pyrénéennes reconnaiîtra que les trois lettres NNI, par lesquelles elle débute dans son état actuel, ne sont et ne peu- vent être autre chose que la finale d'un nom divin, que la dernière syllabe du nom du dieu auquel était dédié l'autel votif dont ce fragment a fait partie. En parcourant avec atten- tion le catalogue déjà considérable des dieux étrangers ou in- digènes dont le culte a laissé des monuments dans notre pays, je n’en ai guère trouvé qu'un seul dont les initiales s’adap- tassent et répondissent parfaitement à cette finale caractéris- tique. C’est celui du dieu Leherennis ou Leherennus (car les deux formes sont également usitées) dont le nom, associé à celui de Mars, comme il l’est dans la plupart des textes pré- cédents, remplirait exactement la première ligne de l’inscrip- tion, en nous donnant, chose assez remarquable, le même nombre de lettres que les deux lignes qui le terminent (2). (1) Je ne la trouve publiée que dans le Recueil de M. Cénac - Moncaut ( Voyage arch. et histor., pag. 21), qui lui ôte toute espèce d'intérêt et de sens en ajoutant un À, de son chef (pour la compléter sans doute), à la finale NNI par laquelle elle commence. (2) Le nom du dieu Ilunnis ou Ilunnus , auquel nous avions songé nous- même, ne remplirait la ligne absente qu’en le réunissant à un autre nom divin, et il serait suivi dans ce cas plus impérieusement encore de la sigle D (Deo) que la lecture Marti Leherenni rend complétement inutile, comme le prouvent les divers exemples que nous fournissent nos inscriptions. ( Voyez p. 393 , n. 1.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 367 Nous pourrions ajouter à l'appui de cette restitution, qui nous semble sortir par sa simplicité même du caractère conjectural des restitutions ordinaires, que les parois latérales du frag- ment qui nous occupe sont ornées de chaque côté d'une figure militaire armée et cuirassée à la façon du Mars romain, sur laquelle nous reviendrons plus loin avec quelques détails. Nous lirions donc, en rétablissant la ligne disparue de l'ins- cription , MARTI-LEHERE NNI-DANNONIA HARSPI-FILIA V-S-L-M Marti Leherenni Dannonia, Harspi filia, Votum Solvit Libens Merito. Si l’on admet la restitution fort simple que nous proposons ici (1), il faudrait admettre comme une conséquence à peu près nécessaire que ce petit monument, dont la provenance nous est inconnue, grâce à l'incroyable incurie de notre Mu- sée , qui n'a ni livre d'entrée, ni catalogue pas plus ma- nuscrit qu'imprimé, est originaire du village d’Ardiége, d'où (1) Il existe au Musée de Toulouse un autre fragment d’autel, mutilé dans sa partie supérieure comme celui que nous décrivons , et que plus d’une induction autoriseraient à rattacher au culte du dieu Leherenn, car il pro- vient aussi du village d’Ardiége, «où il était encastré dans le mur de l’église, » (M. du Mège , Description des Antiq. du Musée de Toulouse , pag. 39.) L-VAL-CAM PANVS. S-L-M Nous devons faire remarquer cependant que le nom de Lucius Valerius Cam- panus est plus complet et plus officiel que ne le sont généralement les noms des cultores du dieu Leherenn. (V.S v.) 308 MÉMOIRES sont sortis jusqu'ici tous les monuments relatifs au culte du dieu Leherenn (1). C'est par les soins éclairés de la Société Archéologique du Midi de la France, fondée, comme on le sait, en 1831, que le Musée de Toulouse s’est enrichi des deux autels suivants, dont le premier a été publié à plusieurs reprises (2). Nous le reproduisons , comme ceux qui précèdent, d'après un es- tampage comparé lettre à lettre avec la légende du marbre antique : LEHEREN MARTI VIL BAMBIX PVBL'-L'I V-S-L-M Lehereni Marti Bambix, Publi (Publii) Labertus, Votum Solvit Libens Merito (3). (1) M. du Mège croit se rappeler, sans rien affirmer pourtant , que ce curieux fragment provient du village de Valcabrère, ce qui , en admettant l'exactitude de l’assertion, ne contrarierait pas sérieusement l'induction que nous venons d'émettre, (2) Les procès-verbaux de la Société nous apprennent, sous la date du 29 octobre 1831 , que cette négociation avait été confiée à M. Chaton père , horloger à Saint-Gaudens. Les quatre inscriptions , détachées par M. Chaton du pavé et des murailles de l’église , étaient : 10 le grand autel de Diane, que M. du Mège avait trouvé, en 1814, encastré dans l’un des montants de la porte (nous le reproduisons plus loin, voy. $v); 2° et 3 les deux autels dédiés à Leherenn par Bambix Publii Libertus, et par Gemellus et Festina (nos vix et VII ); 40 un fragment d'inscription monumentale (il était encastré dans le pavé de l’église, à ce que nous apprend M. V. Caze ) sur lequel on ne lit plus que le nom tronqué de (PR) OXVMVS ( voy. plus loin, $ 1v). M. du Mège, qui a publié ces monuments fort peu de temps après l'acquisition faite par M. Chaton (Mém. de la Soc. Archéol. du Midi de la France , tom.T, pag. », 13), dit, dans son Catalogue du Musée, en parlant d’un des autels que nous venons de citer : « J’en ai recueilli quatre autres...» (pag. 41). (3) Cet autel, équarri de tous les côtés à la scie et martelé latéralement comme une pierre de taille, ce qui lui donne l'aspect d'un linteau de porte, a, dans son état actuel , 0®,40 de hauteur totale sur 0,19 de largeur. L’écri- ture , encore régulière , est lourde, élargie et creusée jusqu’à l’exagération. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 369 Le marbre n'offre pas trace du mot Deo, que M. du Mège lit et imprime en toutes lettres au-dessus du nom de Leherenn (M. du Mége, Descr. du Musée des Antiques de Toulouse , p. #2). M. Castillon, qui se borne d'ordinaire à copier, en les défigurant, les textes publiés par M. du Mège ( Hist. des popul. pyr. du Nébouzan et du Comminges, t. I, p.507), supprime, comme lui, le petit à du mot Publi, inscrit comme celui du mot Lib. dans l'angle intérieur de l’L. M. Cénac Mon- caut (Voyage, etc., p.18), fidèle à ce procédé de multipli- plication épigraphique, que nous aurons plusieurs fois l’oc- casion de signaler, fait de cette inscription fort claire deux inscriptions distinctes, dont il emprunte l’une à M. du Mège (celle qui intercale gratuitement dans le texte le mot Deo) en y ajoutant de son chef deux inexactitudes : Lehren au lieu de Leheren, Bamrix au lieu de Bambix. L'autre, relevée proba- blement sur l'original, remplace le nom bien connu de Pu- blius (Publi) par le prænomen inédit de Purius (Puri) qui eut rendu bien heureux le savant Reinesius ( 1bid., p. 16). Enfin, comme si tout le monde était d'accord contre cette malheu- reuse légende, M. Mérimée lui-même substitue le prénom de Publicius à celui de Publius et remplace par le mot Rumeix (PR et le Vsont liés, dit-il,) le nom de Bambix que nous allons retrouver sur un autre monument d'Ardiége ( Note sur un bas- relief du Musée de Strasbourg, Rev. Arch., 1844, t. 1, p. 259). Par une fatalité regrettable , de quelque manière qu'on l’ex- plique, le second des deux autels dont nous venons de parler a disparu, depuis plusieurs années déjà, des galeries du Musée, où nous l'avons inutilement cherché à bien des reprises. M. du Mège , qui l'a publié peu de temps après l'acquisition faite à Ardiége par la Société Archéologique du Midi, remarque que la pierre avait souffert de nombreuses dégradations et que la légende paraissait mutilée à dessein à la suite de la première ligne (1). (1) Mémoire sur quatre inscriptions antiques. ( Mém. de la Soc. Archéol du Midi de la France, tom. 1, pag. 12.) DS — TOME IH. 25 370 MÉMOIRES DEO MARTI VIII GEMELLVS ET FESTINA Deo Marti, ....... Gemellus et Festina........ Il est impossible de décider, dans l'absence du marbre anti- que surtout, si l'invocation de la première ligne : Deo Marti, était suivie du mot Leherenni, ( ce que nous hésiterions à ad- mettre à cause précisément du mot Deo, que l’on n'énonçait guère dans ce cas), ou de quelqu’autre nom de divinité locale qu'il eût été intéressant d'étudier sur le marbre lui-même (1). Ce que l'on peut au moins regarder comme indubitable à notre sens, c’est que le dieu Mars, dont il est question ici, n'était pas autre chose que le Mars Leheren , auquel sont dédiés, presque sans exception , tous les autels découverts à Ardiége. La forme de l'inscription, les noms serviles des donateurs, et surtout la provenance de l'autel encastré dans les murs de l'église , comme celui que nous reproduisions tout à l'heure, nous sem- blent autant d'arguments qui ne laissent guère de place au doute. Nous retrouverons plus loin le dieu Leheren désigné sous le nom exclusif de Mars, sur un petit autel découvert, comme celui-ci, dans les murs de l’église d’Ardiége. Les nombreux autels dont nous allons publier les inscrip- tions en les accompagnant au besoin de quelques explications purement exégétiques, proviennent tous des travaux de res- tauration et d'agrandissement dont l’église du village a été l'objet, de l'année 1855 à l’année 1858. Mais nous devons re- connaître qu’elles ne sont point toutes inédites ; quatre d'entre oo (1) Nous aurions songé au complétif ef genio loci, si cette formule était aussi commune dans les Pyrénées qu’elle l’est dans le nord de la Gaule, sur les bords de la Moselle et du Rhin, par exemple. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 371 elles ont été publiées, peu de temps après l'ouverture des travaux (1856), par M. du Mège, d’après des copies assez peu exactes en général qui lui auraient été fournies, si nous comprenons bien les formules un peu vagues dont il se sert, par M. Victor Caze de Saint-Bertrand (1). Nous nous conten- terons de les reproduire en corrigeant quelques inexactitudes de lecture ou d'interprétation qui se sont glissées dans le tra- vail de notre savant collègue. LEHERENO DEO IX BAMBIX SORI F-V-S-L-M Lehereno Deo Bambix, Sori Filius, Votum Solvit Libens Merito (2). LEHER'N X NOMAR SERANVS THE Leherenno Marti Seranus ...Tilli ou Tilii Fiius. (3). (1) « C’est encore de ce point (Ardiége) que M. Victor Caze a voulu re- tirer les autres monuments dont je vais rapporter les inscriptions... » (M. du Mège, Note sur plusieurs Inscript. gallo-romaines inédites. Mémoires de l’Académie des Sciences, Inscript. et Belles-lettres de Toulouse , 1v®e série, tom. VI, 1856, pag. 385). — Il cite en note une « lettre de M. le Curé de cette localité , » et plus loin, pag. 387, il ajoute : « qu’il me soit permis, en finissant, de prier l’Académie d’adresser des remerciments à M. Caze, inves- tigateur zélé.....… » (2) L’autel sur lequel est gravée cette élégante inscription, a 0®,47 de hauteur totale : le champ de l'inscription mesure 0,19 sur 0,17. Il est en- cadré, mème latéralement, de moulures qui dessinent sur le socle deux espèces de portes. Les parois latérales sont décorées, suivant l’usage, du præfericulum et de la patère. (3) La hauteur totale de cet autel, dont l'angle droit a été brisé, est de 0®,28. Le champ mesure 0,19 de hauteur. La forme élégante des caractères indiquerait le second et peut-être le premier siècle de notre ère. 372 MÉMOIRES L'E de la troisième syllabe du nom divin que M. du Mège ne distingue point de ceux des syllabes précédentes est minuscule et intercalé sur le marbre, L’S, qui commence le nom de Se- ranus, à disparu en grande partie, et au-dessous de ce nom, où s’arrète chez lui la légende, on lit assez distinctement, quoiqu'ils soient rognés par la base, les caractères TIIIIF qui paraissent la finale d’un nom finissant en Tillus ou en Tilius (Pixtilli, Atilüi, Sextili filius ? ). Le F final est indubitable. Quant à la syllabe MAR, que M. du Mège traduit par Marcus , nous aimons mieux y voir le commencement du mot Marti ( Leherenno Marti) que celui du mot Marcus que les Romains expriment presque constamment par la sigle M. LEHERENT. XI -VRIAXE. ILVNNoSI FUIA (1) Le mot Leheren, dont M. du Mège supprime à tort la finale EN , occupe toute la première ligne à laquelle 1l ne manque que deux lettres, les deux dernières. A la seconde, la première et la dernière lettre ont disparu. À la troisième, le mot ILVNNO ( M. du Mège lui donne deux 1, et supprime également à tort le petit o intercalé de la dernière syllahe), est suivi d’une S et d’un trait qui doit se rattacher aux lettres mutilées de la dernière ligne : FIHA. Quant à l'explication de ce texte, obscur par ses lacunes et par la nouveauté des noms propres, de celui de . uRIAXE surtout, nous avouons de très- bonne foi n'être arrivé qu'à des interprétations purement conjecturales et que nous tenons à épargner aux rares lecteurs qui ont eu la patience de nous suivre jusqu'ici. Peut-être s'agit-il ici de deux autres divinités topiques, le dieu Muriax ou Luriax (inédit), et le Dieu flunnus (celui-ci est connu par (1) Le fragment d’autel qui nous # conservé cette inscription, a 0w,21 de hauteur : le champ mesure 0,18 de largeur. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 373 d'autres monuments pyrénéens ) associés sur le même autel, comme on en voit d’autres exemples , au Mars Leherenn d'Ardiége. __EHERENN DEO XII MAXIMVS MANDATI-L V-S-L-M Leherenn? Deo Maximus, Mandat Libertus, Votum Soloit Libens Merito (1). Le nom du Dieu (Leherenni) dont M. du Mège supprime le dernier 1, est complet sur le marbre, car l'I est lié avec le dernier jambage des deux NN liées qu'il domine. A la dernière ligne, VN et le D de Mandatus sont liés, et ce nom propre lui- même est suivi d'un trait dans lequel on reconnait la sigle habituelle du mot libertus. A l'exception de ces quatre inscriptions qui portent à douze le nombre des monuments publiés du dieu Leberenn , toutes les pierres inscrites, recueillies dans les travaux dont nous venons de parler, sont encore inédites à l'heure qu'il est, et quoique la plupart ne soient que des fragments, nous avons tenu à honneur de les publier sans en rien omettre, con- vaincu qu'une ligne tronquée, un mot, un simple nom pro- pre, peuvent avoir leur intérêt et leur sens rapprochés surtout de textes complets qui les éclairent et les expliquent. Comment oublier d’ailleurs, en présence de ce que nous avons vu et de ce que nous voyons tous les jours, que ces précieux débris, qui sont pour nous toute une histoire, sont entassés, depuis trois ans bientôt, dans la cour du presbytère, exposés non- (1) L’autel sur lequel est gravée cette légende a 0w,43 de hauteur totale. La pagina lævigata de la face antérieure mesure 0,24 de largeur. Les parois latérales sont décorées de la patère et du præfericulum. 374 MÉMOIRES seulement aux intempéries des saisons, mais aux outrages des enfants, à la convoitise des marchands , au caprice des touris- tes étrangers, et que d’un jour à l’autre ils peuvent disparaitre à jamais de notre pays sans y laisser d'autre trace que les co- pies attentives que nous en relevons ici ? Ce petit autel , que nous signalons le premier, parce que la légende en est complète comme celle de l’autel suivant , a été cédé à M. Victor Caze, dans le cabinet duquel il figure aujour- d'hui, à la suite des démolitions de l’église d’Ardiége d'où il est sorti. HEREN XHI NODEO SABIN° V-S-L-M Herenno (ou Leherenno) Deo Sabinus (VN et l’V paraissent liés) Votum Solvit Libens Merito (1). Quoique le premier jambage de l’'H par laquelle commence cette courte inscription ne présente, sur le marbre que nous avons étudié avec soin, aucune trace appréciable de traverse ou de barre inférieure, nous n’oserions point affirmer cepen- dant que ce premier trait ne soit et ne puisse être une L dont la traverse inférieure aurait disparu suivant les habitudes ca- pricieuses de l’'épigraphie locale qui nous offre, au mr° siècle particulièrement, de nombreux exemples de ces bizarreries (2). Cette L sans traverse inférieure, superposée à l’'H dont elle re- couvrirait la haste de gauche, formerait avec l'échelon hori- zontal de l’'H , un E d’abord (F), un H ensuite , dont le second jambage sert à son tour de haste au second E, et nous donne- (1) Cette arula , qui rappelle par ses dimensions les petits autels votifs de Luchon et de Monserié , n’a que 0», 20 de hauteur totale ; le champ de l’ins- cription, gravée sans encadrement sur le fût de l’autel, mesure 0,09 sur 0,06. (2) V. la grande inscription de la Borne milliaire des Philippe, que nous avons restituée et interprétée dans la Revue arch. Paris, 1857, p. 718-724. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 375 rait, grâce à ces superpositions de lettres, le nom complet de Leherennus tel que nous l'ont offert jusqu'ici tous les monu- ments découverts à Ardiége. Dans le texte suivant, l’un des plus complets et des plus intéressants que nous ait encore fournis le culte de Leherenn, VL (quoique sa haste soit brisée) est positivement distincte de l'E qui la suit; mais le second E est lié, comme dans l'ins- cription précédente, avec la seconde haste de l'H. —EHERENNO DEO XIV OSSON PRIAMI-L V-S-L-M Leherenno Deo Osson , Priami Libertus, Votum Solvit Libens Merito (1). Les fragments suivants, tout mutilés qu’ils sont, nous of- frent tantôt le nom du dieu avec ses variantes habituelles d'orthographe et de désinence, tantôt les noms intéressants eux-mêmes de ses cultores ou de ses adorateurs. AR XV LEHEI V-S-L Le nom barbare du dieu était probablement accompagné ici du nom latin de Mars, comme dans quelques-uns des textes précédents. (1) Cet autel a Ow, 45 de hauteur totale : le champ de Pinscription mesure Om,28 sur 0,18. È 376 MÉMOIRES XVI LEHERENN Tronçon d’autel mutilé par le bas (1). LEHEREN XVII ï NI V-S-L-M (2) Tronçon d’autel mutilé par le haut. C’est évidemment ici par le nom du dieu que se terminait la formule dédicatoire. | LEHEXENNO XVIII DEO PRIMVL\ Leherenno Deo Primulus (3). . ALIS XIX - RRS RENN Le nom latin en alis ( Vitalis, Cerialis), dont nous n'avons ici que la finale , était suivi probablement de quelqu'un de ces noms ibériens en erris ou arris, si communs dans les vallées des affluents supérieurs de la Garonne. C'était à la fin du #i- tulus , comme nous en avons déjà vu d’autres exemples, que se trouvait rejeté le nom du dieu , reconnaissable encore dans les quatre lettres : RENN. L’autel suivant a été scié des deux côtés dans le sens de sa (1) Ce fragment a 0,18 de largeur mesurée sur le fût. L'écriture ferme, mais lourde , indiquerait le second ou le troisième siècle. (2) 0,22 de hauteur totale. Le champ de l'inscription a 0,19 de largeur. (3) Largeur du champ, 0,21. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 377 longueur, et sa légende, mutilée ainsi d'un bout à l'autre, a de plus souffert des outrages du temps qui a rongé le marbre. LEHE. MART. XX so. Se. CONII. sf. V-S-L Leherenno Marti. ...«.... Votum Soloit Libens (1). Le nom latin de Mars que nous avons toujours trouvé asso- cié jusqu'ici au nom barbare de Leherenn, figure seul sur ce petit autel, découvert à Ardiége postérieurement à ceux que nous venons de reproduire. MAR TI ATTIA XXI FAVSTI NA V-S-L-M Marti Attia Faustina Votum Soloit Libens Merito (2). Cette Attia Faustina, et la Dannonia d’une des inscriptions précédentes , sont jusqu'ici les seules femmes dont nous ayons retrouvé le nom sur les autels d’Ardiége. On pourrait remar- quer de plus que la capitale de ce petit autel, d'apparence rustique et cursive, n’est pas sans analogie avec celle de l’au- tel dédié par la fille de Harsp. Ces trois derniers fragments , dans lesquels le nom du dieu (1) Ce fragment a 0,43 de hauteur. (2) Le petit autel, d’un marbre jaunâtre , sur lequel est gravé ce fitulus, a 0,26 de hauteur totale. La largeur du fût est de 0,07, celle de la base sur laquelle est tracée la fin de l'inscription, de 0,10. 378 MÉMOIRES Leherenn n'est plus explicitement énoncé (ils sont mutilés tous les trois dans leur partie supérieure) , ressemblent de si près et par tant de côtés aux autels que nous venons de dé- crire, que nous n’hésitons point, pour notre part, à les rattacher au culte du même dieu. Nous ferons remarquer d'ailleurs à ceux de nos lecteurs qui conserveraient quelques scrupules à cet égard, que le village d’Ardiége ne nous a encore fourni jus- qu'ici qu'un seul monument épigraphique que l'on puisse re- garder comme incontestablement étranger au culte du dieu Leherenn ; nous voulons parler du grand autel dédié à Diane, par L. Pom. Paulinianus. (0. $ v.) toner!) XXII -RIMVLV- V-S-L-M es . Deo Primulus Votum Solvit Libens Merito (4). MANDA XXII TVS V-S-L-M ..... Mandatus Votum Solvit Libens Merito (2). Nous avons déjà remarqué sur deux des autels cités plus haut, et dédiés positivement au dieu Leherenn (v. n° mr et n° xvur), les deux noms de Primulus et de Mandatus. XXIV CA. V=-S (4) Petit autel de 0,15 de hauteur sur 0,075 de largeur dans le champ, Ecriture grossière et presque cursive. (2) Fragment d’autel , brisé par le haut comme le précédent : largeur du champ, 0,085. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 379 Ces quatre lettres que nous reproduisons, pour ne rien omettre, sont grossièrement tracées, comme dans l'inscription d’Attia Faustina , sur le socle d’un autel cruellement mutilé. C'est au milieu des débris dont nous venons de reproduire scrupuleusement les légendes qu'a été découvert le ttulus suivant, qui n'appartient plus évidemment à la série des au- tels et des inscriptions votives ; il est gravé avec une élégance assez rare à Ardiége, sur une tablette de marbre blanc de Saint-Béat, qui nous est parvenue presque intacte, car le coup de scie qui a entamé latéralement le marbre n’a enlevé qu'une lettre à chacune des quatre lignes dont le texte se compose. VENNOA XXV VSVERV MARMOR RIVSPOSVI Vennonus Verus Marmorarius Posui (ou Posuit) (1). Quoique cette inscription , laconique comme tous les textes d’Ardiége , se réduise à un nom propre accompagné d’un épi- thète, il est à peu près certain qu'elle s’appliquait en manière de signature (posuit ) à quelque ouvrage de sculpture (marmo- rarius) , à une colonne ou à une statue, par exemple, etau moins vraisemblable que cet ouvrage lui-même faisait partie de la décoration intérieure ou extérieure du sanctuaire. Elle a de plus le mérite de nous avoir conservé le nom d’un des ar- tistes inconnus, dont nous retrouvons, de loin en loin, les ouvrages dans les vici et les hameaux des Pyrénées. Ce Venno- nus Verus, qui appartenait suivant toute apparence à l'école ou aux carrières de Saint-Béat, comme d’autres marmorari dont d’autres monuments nous ont conservé les noms, aurait vécu au n° et plutôt au me siècle de notre ère, s'il fallait s'en (4) Cette tablette de marbre blanc ( fabella) a 0®,40 de hauteur sur 0,28 de largeur dans son état actuel. 380 MÉMOIRES rapporter au caractère épigraphique du monument qui peut, nous le savons , induire quelquefois en erreur. Le marbre inscrit et sculpté , par lequel nous terminerons cette longue revue, est, jusqu'à présent, le seul monument connu du culte de Leherenn qui ne provienne point du village d'Ardiége et de l’ancienne civitas des Convenæ. Le savant Schæpflin qui l'avait publié et gravé (Alsatia illustrata, 1751- 1762, p.521, S 147 ets., tab. 1, n° 4) plus de cent ans avant l'explication toute nouvelle, il est vrai (1), qu’en a donnée M. Mérimée (Rev. Arch., t. 1, 1844, p. 251-353), nous ap- prend formellement qu'il avait été découvertet découvert par lui à Strasbourg (l'antique Argentoratum) à une assez grande pro- fondeur au-dessous du sol actuel de la ville (2). Ce monument, dont on peut consulter le dessin, un peu idéalisé chez Schæp- flin, un peu cru chez M. Mérimée, consiste en un bas-relief de gré rouge des Vosges (nous le reproduisons plus loin, p. 395), d'un travail plat et barbare (3) et au-dessus duquel est gravé, sur un bandeau formant saillie, le mot XXVI LE.-JNIHVS Au nominatif, dans lequel le spirituel archéologue a cru re- connaître le nom du dieu Leherennus des Convenæ (4). (1) Est-ce par ce motif que M. Mérimée ne cite point la description dé- taillée que Schæpflin avait donnée de ce monument, ou ignorait-il qu'il füt depuis longtemps publié et connu ? (2) «Inter profana Alsatiæ romanæ monumenta lapis est, quem an. MPXXXVII Argentorati in cella subterranea reperi ( Schæpflin , loc. cit., p. 521 ). » (3) Le monument a 1 de hauteur totale sur 0,60 de largeur et 0,25 d'épaisseur. (4) «L'inscription est mutilée ; cependant la lacune me semble facile à remplir, et je n’hésite point à lire Leherennus. Cest, à mon sentiment, l'image d’une des divinités guerrières adorées dans la Gaule. » (M. Mérimée . Note sur un bas-relief antique du Musée de Strasbourg, Rev. archéol. 1844, tom. 1, pag. 250 ).— Grâce à l’extrème obligeance de mon excellent collègue , M. Lereboullet, professeur à l’école de médecine de Strasbourg , et de M. Jung, le savant conservateur du Musée de la même ville, j'ai pu me DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 381 TI. Siz règne encore bien des incertitudes sur l'origine, et même sur le caractère du culte local d’Ardiége, en présence des nombreux monuments que nous venons de réunir, on comprendra sans peine ce que devaient avoir de téméraire et d'aventureux les premières hypothèses émises sur ces ques- tions délicates, à l'époque où l’érudition en était réduite aux deux textes laconiques de Sirmond et de Gruter. C’est ainsi qu'un savant allemand, le premier, si nous ne nous trom- pons, qui ait étudié scientifiquement et avec quelque attention ce qu'on appellerait aujourd'hui le mythe de Leherenn , était tenté d'y reconnaître une divinité germanique d'origine, par la seule raison qu'il avait trouvé en Thuringe un dieu des eaux, une espèce d'£lf sans doute, dont le nom (Lahran) n'était point sans quelque affinité matérielle avec le nom du procurer un double estampage de la courte légende gravée sur le bandeau du bas-relief , ct je dois à la vérité de dire que la lecture proposée par M. Mé- rimée , et acceptée sans hésitation par plusieurs épigraphistes , ne laisse pas de soulever plus d’une objection sérieuse, Je remarque , par exemple , que la traverse oblique de PN, très-visible dans la première de ces deux lettres, manque complétement à la seconde , et que le marbre n'offre point trace de la traverse horizontale par laquelle il l'a gratuitement remplacée , changeant ainsi cette N en une H, que ne nous offrent nulle part les textes gravés d'Ardiége. Il faut ajouter que l’espace laissé libre entre la première syllabe LE qui est indubitable , et le reste du mot, ne permettrait point de placer les deux syllabes HERE , à moins de superpositions savantes comme celles que nous avons signalées plus haut , et qui seraient sans raison ici, la lé- gende remplissant à peine la moitié du bandeau sur lequel elle est gravée. Je remarque même sur les deux estampages , immédiatement avant la pre- mière N, une rondeur assez marquée , qui peut venir il est vrai d’un éclat accidentel de la pierre , indépendant de tout caractère antérieurement tracé. Schæpflin , comme on le sait , ne voyait dans cette légende, malheureusement “utilée, que le mot Lepontius dont il faisait un nom d'homme , le nom d’un chef de Gaulois auxiliaires à la solde de l'empire et originaire des Alpes (Alpes Lepontiæ ? ) 382 MÉMOIRES dieu d'Ardiége (1). D’autres, sans autre fondement que ces ressemblances tout extérieures et toutes fortuites , l’auraient volontiers rapproché de la déesse Nehalennia des Bataves, dont la mer avait abandonné , en 1646, sur la grève d’une des îles de l'Escaut, le sacellum et les autels submergés de- puis des siècles (2). À une époque beaucoup plus rapprochée de nous, lorsque M. Mérimée eut reconnu ou cru reconnaitre le nom du dieu Leherenn sur le monument du Musée de Stras- bourg, l'attention, réveillée par cette découverte, s'était re- portée de nouveau du côté du Rhin, où l’on croyait retrouver, pour la seconde fois, des traces du culte local que nous étu- dions, Sans prendre formellement parti en faveur de la vieille opinion de Keisler, M. du Mège ne pouvait s'empêcher pour- tant de remarquer, dans un de ses travaux les plus récents, ce qu'il y a de singulier dans l’extension de ce culte, qui se trouverait ainsi répandu des Pyrénées jusqu’au Rhin, jusqu’au delà du Rhin même, s’il faut reconnaître, comme le voulait Keisler , le dieu local d’Ardiége dans la divinité aquatique de la Thuringe (3). Pour réduire à leur juste valeur ces hypothèses mytholo- giques, qu'il serait trop long de discuter une à une, il nous suffira de remarquer que tous les monuments du culte de (1) «Leherennum hunc aquatile numen fuisse et cum Thuringorum Lahran convenire alio loco demonstrabimus. » (Keiïsler , Antig. septent. et Celtic., Hannov. 1720 , pag. 275-276. ) (2) « Nehalennia dea in Zelandinis inscriptionibus. » Gudius cité par Græ- vius dans la nouv. édit. du Thesaurus de Gruter, pag. MLXXIV, n° 6. — Dom Martin, Hist. de la relig. des Gaulois, tom. 11, pag. 83. — Mongez, Dict. d'antiq., sub voce Leherenn. (3) « On pourrait en conclure , ce que l'on n’a pas fait jusqu’à présent, que des Pyrénées jusqu’au Rhin, le dieu de la guerre était révéré sous le nom de Leherenuus , et il faudrait rechercher si ce ne serait pas le même dieu que celui qui, selon Keisler, était adoré dans la Thuringe sous le nom de Lahran. » (M. du Mège, Recueil de quelques inseript. rom. inédites ou peu connues. Mém. de la Soc. arch. du Midi de la France , tom. v, pag. 85). — « Aïnsi le culte de cet être mythique se serait étendu des bords du Rhin jusqu’au pied des Pyrénées. » (Jd. Not. sur plus. insc. gallo-rom. inéd. Mém. de Acad. des sc. , inscript. et bell. lett. de Toulouse , 1ve série, tom. vi, pag. 385.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 383 Leherenn paraissent, jusqu’à présent, exclusivement concen- trés (à une seule exception près ) dans le village d’Ardiége, et, qu'à moins de supposer qu'il n’y soit sorti de terre à la façon de la fontaine Aréthuse, il devient assez difficile de s'expliquer par quelle préférence il serait venu s'incarner dans ce vicus oublié, sans laisser dans la Gaule du centre et dans celle du nord, qu'il aurait forcément traversées, une seule trace de son passage. Loin d'admettre que ce soit de la Germanie, purement barbare à cette époque, et fort stérile dans tous les temps en inventions religieuses (1), que le culte de Leherenn ait été ainsi transplanté si loin du sol natal, nous admettrions beau- coup plus tôt, avec M. Mérimée, que c'était du village d’Ar- diége qu'il avait rayonné accidentellement jusqu'aux bords du Rhin, porté par quelque légionnaire de race aquitaine dans les camps retranchés des deux Germanies , qui touchaient eux-mêmes à la ville gauloise d’Argentoratum (2). Tous les cultes ne se trouvaient-ils point représentés , comme toutes les langues de l'empire, dans ces vastes agglomérations d'hommes dont les monuments , disséminés sur les deux bords du fleuve, prennent eux-mêmes quelque chose ‘de bigarré et de cosmopolite ? Quoi de plus naturel que de supposer qu'un lé- gionnaire d'Ardiége, contemporain des Vicani, dont nous re- trouvons les noms sur nos autels, se soit rappelé, sous les (1) Cette stérilité d’idées et surtout de formes religieuses dans la Germanie primitive , tenait à la fois à l'esprit vaguement panthéiste de la race et à l'impuissance de l’art indigène , qui ne s’est développé que beaucoup plus tard : « Cæterum nec cohibere parietibus deos, neque in ullam humani oris speciem adsimulare ex magnitudine cœlestium arbitrantur. Lucos ac nemora consecrant , deorumque nominibus appellant secretum illud quod sola reve- rentia vident.» (Tacit., de Germ. c. 9.) (2) « Il ne serait pas invraisemblable , je pense, d’attribuer l'inscription de Strasbourg à des Aquitains, soldats dans les armées romaines. L'armée de Germanie avait cinq cohortes d’Aquitains sous Vespasien, comme l’atteste une curieuse inscription publiée par M. Arneth (Rom. militar. diplome, Wien, 1843, lib. 111). ….On peut supposer que le culte de Leherennus à été importé de la même manière en Alsace. » (M. Mérimée : Sur un bas-re- lief du Musée de Strasbourg , Rev. archéolog. , 1r° année , 1844, pag. 253). 384 MÉMOIRES brumes de la Germanie, dans un jour de tristesse ou de ré- verie pieuse, le ciel bleu, les noyers verts, le dieu protecteur de son village, et en ait fait sculpter, de mémoire, une image grossière, destinée à orner un laraire domestique ou une de ces petites chapelles en plein air, auxquelles font allusion plusieurs des monuments épigraphiques du pays (1)? Si c'est dans le vicus d'Ardiége que se sont accomplies , comme tout semble l'indiquer, les destinées du culte local dont nous essayons de ressaisir l'histoire, s’il est même im- possible de l'étendre , comme on l’a plusieurs fois essayé, au peuple des Garumni lout entier , il y a bien des raisons de croire que c'est à Ardiége même qu'il avait commencé , à une époque probablement antérieure à la conquête romaine. Au lieu d'être une religion étrangère, transplantée là par une série d'invrai- semblances, le culte du dieu Leherenn redevient tout simple- ment un culte indigène, un culte aquitain ou pyrénéen , ana- logue par ses origines, comme par son caractère, à ces innom- brables religions topiques que l’on voit changer ici de vallée en vallée, quelquefois de village en village. Mais sil ne reste point de doute sérieux, à notre sens, sur la provenance de ce culte essentiellement local, il est plus difficile d'arriver à un ensemble de notions exactes sur la nature ou le caractère du dieu lui-même, sur les idées ou les attributs qui le distin- guaient des autres essences divines dont le domaine confinait avec le sien. Quoique le nom sous lequel il était connu dans le pays soit probablement indigène , facile à rétablir méme en le dé- pouillant des deux finales latines dont l'affublaient indifté- (1)... AEDEM AR [| AM... (St Remy in Alsat. Orelli, 1395.) — DEO MERCV RIO ATTEGI [| AM TECVLICIAM COMP || OSITAM SEVERINIVS || SATVL- LINYS C. F. EX VO|iTO POSVIT L. L. M. ( prope Niederbronnam vicum : Orelli, 1396). Ces chapelles rustiques , élevées le plus souvent au bord des grandes routes , étaient quelquefois abritées comme les nôtres par un bou- quet d'arbres... ARAM ET SIG/|]NVM INTER |} DVOS (sic) ARBO || RES CVM AE [| DICVLA EX VO [| TO POSVIT (M. de Boissieu, inscript. antiq. de Lyon, pag. 42). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 389 remment les marbriers de la montagne de Rie ( Heren-us, Leheren-us, is ; Leherenn-us, is), il n’y aurait pas grande lu- mière à tirer de ce nom propre lui-même, puisque c’est une question très-controversée encore que de savoir auquel des idiomes parlés dans le pays il faudrait en demander l’étymo- logie ; s’il appartenait, par exemple, à l’idiome celtique, dont on suit les traces plus ou moins marquées jusqu'au pied de la montagne, ou à l’idiome euskarien , qui paraît s'être maintenu avec les populations ibériennes elles-mèmes dans les hautes vallées des Pyrénées centrales, sur le cours supérieur de la Garonne , comme sur celui de l'Adour (1). De la désinence ha- bituellement masculine de ce nom et du complétif Deus qui le suit presque toujours dans les textes les plus anciens eux- mêmes, on était déjà en droit de conclure que l’on se trouvait (1) Nous avons tenu à épargner à nos lecteurs ces rèveries étymologiques empruntées à toutes les langues parlées ou non dans l’ancienne Aquitaine, à l'allemand , par exemple , auquel M. Mérimée a eu la singulière idée de s’a- dresser (Leherenn de Lebren , enseigner , l’enseigneur… à coups de poing sans doute. Loc. cit., pag. 253), au moment même où il niait avec toute raison l’origine germanique du culte lui-mème. Tandis que le celtomane M. Baudouin de Maisonblanche , cherchait dans le celtique les racines et l'explication du nom de Leherenn (Lec”’h-er-ren , la pierre de la conduite, la pierre conductrice), d’autres la demandaient à l’idiome ibérien que par- lent encore les Basques des Pyrénées. Les uns pensaient au mot Lehertcea ( écraser, assommer , l’'assommeur. M. Mérimée, loc. cit., pag. 252); d’au- tres au primitif Lehen (le premier-né , le premier par excellence , M. Léonce Goyetche , Messager de Bayonne , 17 février 1857), qui se complique , à l’occasion , d’affixes plus précises ( Lehen bicicorie, une première chose, Lehen bicicoa, un premier être ; M. Du Mège, loc. cif., pag. 383). Sans nier, pour notre part, les affinités de sonorité et d’allure que présente ce nom divin avec les noms d'apparence ibérienne que nous ont conservés les historiens , les monnaies ou les inscriptions du pays ( deus Borienn [us], rex Adietwan [us] ou Adietuen [us], Eresen [is], Hahantenn Bihoscinn [is], Conduesen , Sembetten.…..) et mème avec quelques mots celtiques ( comme Arduenna et Baduhenna.…... ), nous persistons à croire que si les noms de lieu se décomposent aisément dans certaines langues , comme l'allemand , le celtique , le basque , il n’en est déjà plus de mème des noms d'hommes et surtout des noms de dieux , bien plus simples et plus anciens, en général , que les noms d’hommes. A-t-on trouvé jusqu'ici dans les idiomes grec , ro- main ou germanique, l'étymolog'e et le sens des noms que portent les dieux les plus connus de la Grèce , de Rome ou de la Scandinavie ? 5° 8. — TOME Ill. 26 380 MÉMOIRES ici en présence d'une divinité mâle ou virile. Les vagues aperceptions de Grævius et de Dom Martin, qui pensaient, en enregistrant ce nom divin, à la déesse Nehalennia, celles plus récentes de Millin qui avait songé à une divinité topique des Tolosates, à la déesse Lahe, moins éloignée, il est vrai, de la chaîne des Pyrénées que la divinité maritime de la Zé- lande , s’évanouissaient d’elles-mêmes devant ce simple rap- prochement (1). Ge n’est cependant, comme on l’a judicieuse- ment remarqué, qu'à l'époque assez récente où l’on a trouvé le nom latin de Mars, associé, sur plusieurs de nos autels, au nom barbare de Leherenn . que la figure du dieu, si longtemps indécise , a commencé à s’éclairer de quelques rayons directs de lumière (2). De quelque manière que l'on s'explique la transformation rapide que paraît avoir subie le naturalisme exubérant et confus de l'Aquitaine, sous l'influence du polythéisme romain, devenu la religion officielle sinon la religion exclusive de la Gaule, on peut regarder au moins comme certain que ce ne fut jamais sans raison sérieuse, c'est-à-dire sans d'intimes afli- nités antérieures, que les types divins des deux olympes en vinrent à se rapprocher , et quelquefois à se confondre. Pour que les marbriers du pays, devenus, comme nous l'avons dit souvent, les agents de cette singulière transformation, se crussent en droit d'interpréter, suivant le mot très-juste de Tacite (3), le nom barbare de Leherenn , par le nom latin du dieu Mars , de donner aux images qu'ils ébauchaïent de lui le (4) « Gruter (pag. MLXXIV, n°s 6, 7) nous a conservé le nom de Leherennus sur une inscription qui a été trouvée comme celle-ci (erreur) dans la Novem- populanie, à Saint-Bertrand , au pied des Pyrénées. Si c’est le même dieu qui est ici nommé Laherennus (il s’agit de la déesse Lahe ) au lieu de Lehe- rennus...…. » Millin, Voy. dans le Midi de la France , tom. 1v, pag. 448. (2) M. du Mège, Mém. de la Société Archéol. , tom. 1, pag. 11. — Cata- logue du Musée de Toulouse , pag. 41. — Mémoires de Acad. des sciences , inscriptions et belles-lett. de Toulouse, 1ve série , tom. VI, pag. 386. (3) « Deos interpretatione romana Castorem Pollucemque memorant. » { Tac. de Germ. ©. 43). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 387 costume, l'armure, tous les attributs du dieu guerrier des Romains; il fallait certainement qu'ils eussent remarqué dans l'idée populaire que l’on se faisait de lui, dans les rites ou les formes de son culte, tel trait intime ou saillant, telle tendance spéciale , qui ne se seraient pas prêtés avec la même facilité à un autre rapprochement ou à une autre alliance. Tout semble indiquer , en effet, que le dieu Leherenn n'é- tait, en principe au moins, qu'un dieu d'action et de guerre, comme l'était dans la vallée voisine de la Neste, ce Mars Ergé ou Erié, dont le sanctuaire le disputait de popularité à celui d'Ardiëége (1), comme l’étaient dans la chaîne plus éloignée des Cevennes , au nord de la Narbonnaise, ces deux Mars Divanno et Dinomogetimarus , dont une belle inscription nous a récemment révélé l'existence (2). Si le culte de Mercure était, comme l’affirme César, le culte dominant de la Gaule, celui de la Gaule des plaines au moins, dont l’agriculture et (1) Caton nous a conservé le nom d’un dieu Mars Silvanus, qui devait avoir plus d’un trait de ressemblance avec les Mars rustiques et locaux dont nous parlons ici. Il ajoute que les esclaves étaient admis comme les hommes libres à l'exercice et aux cérémonies de son culte : « Eam rem divinam vel servus vel liber licebit faciat. » (Cato, de Re rustica, c. 83). (2) L. CORNELIVS RVFYS || IVLIA SEVERA VXOR || L. CORNELIVS MANGIVS F. |] DIVANNONI [| DINOMOGETIMARO [| MARTIB [| V. S. L. M. Cette belle inscription, qui provient, à ce qu’il paraît , de Saint-Pons de Tomières , où elle est encore, a été publiée pour la première fois par M. Du Mège (Recueil de quelques Inscript. Rom.; Mém. de la Société Archéol. du Midi de la France , tom. vit, pag. 36 et 37). Mais nous n’admettons point là conjecture de notre savant confrère, qui voudrait changer le mot de MARTIB (martibus) en celui de MATRIB ( matribus), et étendre jusqu’à la Narbonnaïse , où il est encore inconnu jusqu'ici, le culte des déesses Mères (Mairæ , Matres, Matræ, Matronæ). Dans la longue argumentation à laquelle il s’est livré pour justifier cette correction , M. Du Mège nous paraît oublier : 1° que les Déesses mères ne sont jamais désignées sous un nom propre, quoique leur titre de Déesses mères soit fréquemment suivi d'une épithète géographique; 2 que les noms masculins de Divanno et de Dinomogetimarus ( la chose est certaine au moins pour celui-ci ) répondraient assez mal à ce titre de Matres; 3 enfin, que rien n’est plus commun que des noms propres d'hommes et mème des noms de dieux au pluriel , lorsqu'il s’agit de personnes du mème sang ou de la même race : M. AEL. M. F. RVSTICVS RECTOR || 388 MÉMOIRES le commerce avaient pris depuis longtemps possession (1), on voit par ces exemples qu'il y aurait de nombreuses exceptions à mettre à ce principe en faveur des régions montagneuses , où les mœurs plus simples et plus barbares se traduisaient par des cultes plus grossiers et plus violents, comme ceux de ces Mars et de ces Hercules locaux que l’on retrouve en grand nombre dans toute l'Aquitaine des montagnes. Dans les faides héréditaires qui ont divisé pendant des siècles, qui divisent encore sur quelques points les populations de deux vallées voisines, quelquefois celles de deux villages situés dans la même vallée, c'était au dieu Leherenn que s’adressait la jeu- nesse du vicus , à la veille de quelque course de représailles , ou de quelque coup de main aventureux ; à lui que l’on offrait, au retour, les prémices du butin et la dime du bétail (2). Si le temps, qui a respecté les textes arides que nous interrogeons , souvent sans réponse, nous avait conservé quelqu'une de ces légendes divines que possédaient probablement ces cultes locaux, que l'on se transmettait de bouche en bouche, comme au moyen âge, dans les veillées d'hiver (3), nous saurions de quelle manière et sous quelle forme miraculeuse s’exerçait souvent celte intervention du dieu local; comment dans telle foire , où les couteaux avaient été tirés sur un prétexte frivole, les gens du village s'étaient fait jour au milieu de la foule, en MM. IE (immunis iterum } HON. II (honoratus quartum) [| IN DIEM VITAE SVAE (natalitium) [| MESORIBVS MACH. F. P. (mensoribus machinariis fori pistorii ?) QVIB. EX S. C. COIR. LIC. {quibus ex senatus consulto coire licet) Il CASTORES (Castoris et Pollucis effigiem) D D, etc. (Romæ; Gruter, XCVINT, 1. — Orelli, 1567), — Il s’agit évidemment, dans l'inscription de Saint-Pons , de deux Mars ( Martes ut Castores supra), frères ou jumeaux , comme les Dioscures de l’Olympe greco-romain. (1) «Deum Mercurium maxime colunt.….. post hunc Apollinem et Martem et Jovem et Minervam. » ( Cæsar, de Bell. Gall., lib. vr, c. 16.) (2) « Martem bella regere… huic ea... quæ bello ceperunt plerumque de- vovent. » (Cæsar, de Bell. gall., lib. vi, e. 16). — «.. Vovere de nostrum militum præda Marti suo torquem. » (Ann. Flor. , lib. 11, c. 4.) (3) Nous aurons l’occasion de reparler ailleurs de Phymne cosmogonique des Borouch, que les vieillards des Pyrénées chantaient encore au commen- cement de ce siècle. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 389 jonchant la prairie de blessés et de mourants, comment, une autre fois, serrés de près dans une retraite de nuit, ils avaient fait face à leurs adversaires et ramené avec le bétail enlevé ceux qui voulaient le leur reprendre (1). C'était tantôt par des songes ( somno monilus, pass. ), tantôt par des voix ou des signes venus d'en haut ( e visu, e dictu , ex monitu, ex imperio , jussu imperioque. Inscr. pass.), que l'assistance du dieu se faisait sentir. Mais on affirmait qu'il s'était plusieurs fois manifesté lui-même et qu'il avait bravement payé de sa personne dans certaine occasion solennelle, où ses dévoués ( devoti ) avaient besoin de quelque chose de plus que de bons conseils et de paroles encourageantes (2) : ...... Misceturque viris, neque cernitur ulli (Ninc., Æn.) Dans la vie rude, active, violente méme à laquelle ces po- pulations se trouvaient condamnées, au pied de montagnes et de forêts vierges, peuplées de bêtes sauvages et d'hommes aussi avides que les ours et les loups, c'étaient par ces côtés que se révélaient d’abord la puissance et la nature des dieux. Mais autour de ces traits saillants de leur physionomie dont les étrangers étaient exclusivement frappés, se groupaient d’elles-mêmes quelques idées accessoires ou secondaires, d’au- tant plus faciles à supposer ici que c'était au dieu local que se réduisait, à ce qu'il paraît, l’olympe tout entier du village. Puisque son bras était fort et toujours prêt, comme le disent énergiquement les pierres inscrites ( Deus pollens, deus præ- sens. Insc. pass.), et qu'il avait fait ses preuves de vigueur et de sagesse dans mainte circonstance périlleuse dont on n’était (1) Securum deæ cultorem etiam inter hostes præstat ( Tac., de mor. Germ., 45 ). (2) «.…. Qui tibi queat tum in somniis , tum in signis, tum etiam fortasse coram, quum usus postulat... » (Apul., de Deo Socratis lib., édit. Nisard, p. 143); comme le faisait, à l’occasion, la Tea A@s A 64 d'Homère , ” 1 nm 1" cu ge o1@ Quivouern, T@Vd GAAGY OUTIS OPUTO ; ou la Juturna de Virgile , qui a bien l'air elle-mème d'une divinité topique. 390 MÉMOIRES sorti que par ses inspirations et sous sa conduite ( Te duce et auspice, Hor.), n’était-on point en droit de compter sur sa protection en temps de paix comme en temps de guerre? Ne devenait-il point ce que l’on appelait, dans la langue religieuse du polythéisme, le Genius ou la Tutela loci, divinité privée en même temps que publique que l’on invoquait dans les grandes comme dans les petites choses, dans les contrariétés ou les embarras du ménage, comme dans les maladies ou les années de disette (1)? Quel autre que lui nous a jusqu'ici entourés de sa force et de son bras, disaient aux pieux disciples de saint Co- (1) Cette idée de divinité tutélaire, de dieu protecteur et défenseur , s’as- socie fréquemment à celle du dieu Mars, surtout chez les peuples jeunes de civilisation et de culture : L. 0. M. [| ET MARTI CA [| TVRIGI GEN | 10 LOCI... (Beckingæ, Orelli, 1980. — Ce Mars Caturix était probablement le dieu local ou topique des Caturiges ; civitas ou Castrum Caturigum, Chorges , dans les Alpes Cottiæ ). — MARTI ET GENIO |] TALLIATIVM || (les Vicani de Dol- lendorf) CLAVDIVS VERINYS || AD PERPET. TVTELAM || TALLIATIB. DEDI X.CCL [|QVAM AEDEM MARTIVS SIMILO[|DE SVO POSVIT. (Dol- lendorf, Grut. LV, 8; Orelli, 1483). Une belle inscription du Nord de la Gaule nous montre les Remi s'adressant à leur Mars local , à l’occasion d’une maladie de l’empereur Claude , et lui bâtissant un temple en reconnaissance de la santé qu'il avait rendue à l’empereur : MARTI CAMVLO || SACRVM PRO SALVTE TIBERI || CLAVDI || CAESARIS AVG GERMANICI IMP || CIVES REMI QYI [| TEMPLVM CONSTITVERVNT : ab altero latere , Corona civica his cum notis 0. C.S. (ob cives servatos) : à Rhynern, près de Clèves , auj. à Bonn; Orelli, 1977. v. à Rome, une autre inscription du même genre et adressée au mêrae dieu : .… PRO SAL IMP. CAESARIS |] M. AVREL COMMODI || AVG... (Ib. 1978 ). Les platoniciens , qui cherchaient à épurer les divinités du polythéisme, distinguaient et séparaient ces génies du dieu lui-même, dont ils devenaient les d'ugesves ou les dyyeno:, espèce d'intermé- diaires officieux entre l’homme et la divinité (Apul., de Deo Socrat., pass.). Les dieux qu’adoraient les philosophes étaient des dieux supérieurs et sereins, étrangers aux agitations et aux orages de la terre « quæ omnes turbelæque tempestatesque procul à deorum tranquillitate exulant. » (Id. ib., pag. 143.) Ceux du peuple, au contraire , étaient avant tout des dieux utiles, des dieux de service et d’action. Ce que les rustici d’Ardiège aimaient par-dessus tout dans leur Mars , C'était ses bras rougis de carnage , son felum rouillé de sang «… cruentos deos , dexteram cædibus fessam , telumque sanguine rubigino- sum. » (Id. ib., pag. 148.) Ce n’était blesser en rien leur majesté absente que de leur demander, comme le faisaient familièrement les vicani. les mille bons offices dont nous parlons ici. « … Mala averruncare, bona prosperare , nutantia fulcire , obseura clarare.… adversa corrigere. » (Id. ib., pag. 143.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 391 lomban les rustici du lac de Constance, encore paiens au com- mencement du vu* siècle de notre ère? n'est-ce point par lui que tout dure et que tout prospère depuis le premier jour dans nos champs comme dans nos maisons (1)? Groupée ainsi autour de son dieu local dans un échange in- cessant de bons procédés et de bons offices réciproques , la population du vicus finissait par se trouver liée à lui par une sorte de clientèle dont les devoirs devenaient aussi précis et aussi réguliers que ceux de la clientèle politique , de la vieille clientèle gauloise ou aquitaine, transformée plutôt que dé- truite par la conquête (2). À l'exception des rouliers, des muletiers et des colporteurs, qui oubliaient quelquefois dans les grandes villes de la plaine les anciens dieux du pays, et des riches possessores des villæ, qui croyaient de bon ton de s'en moquer, il n’y avait personne qui ne se crût en reste en- vers ce dieu protecteur (patronus) (3) et qui ne fût prêt à le (4) « Isti sunt di veteres et antiqui hujus loci tutores , quorum solatio et nos et nostra perdurant usque in præsens. » ( Walafrid. Strabo, vit. S. Galli : ann. Bened. , sec. 11, pag. 233). (2) « Adcantuanus (rex Adietuanus, in numis Sotiatum), qui summam im- perii tenebat, cum DC devotis, quos illi soldurios appellant : quorum hæc est conditio ut omnibus in vita commodis una cum his fruantur quorum se amicitiæ dederint : si quid eis per vim accidat, aut eumdem casum una fe- rant , aut sibi mortem consciscant. Neque adhuc hominum memoria repertus est quisquam , qui, eo interfecto cujus se amicitiæ devovisset, mori recu- saret. » (Cæsar, de Bell. gall., lib. ut, c. 22). (3) Je retrouvais , il y a quelques jours, dans les murs de Narbonne, ce Musée inédit dont chaque année emporte ou efface quelque chose , lépithète de patronus accolée au mot genius : GENIO PATRONO , au-dessous d’un bas- relief , où le patron est représenté debout sur un cippe , et vêtu de la toge drapée à la romaine (bastion Saint-François). La mème image est repro- duite , mais sans inscription cette fois, sur une autre pierre du mème genre, encastrée dans un autre endroit des murailles.mC’était bien à ce titre de patron que s’adressait à son dieu protecteur : deo suo, à son Mars topique ou local comme celui d’Ardiége, une femme du pays des Bituriges, dont le nom rappelle involontairement celui de notre Dannonia, fille de Harsp : FLAVIA CVBA FIRMANI FILIA || COSOSO DEO MARTI SUO HOC || SIGNVM DICAVIT AVGVSTO ( Bourges ; Reines, Syntagm., p. 121, 84). Je remarque, du reste, que le dieu Mars, probablement parce qu'il était regardé comm 392 MÉMOIRES témoigner par quelque acte formel de reconnaissance, comme ceux dont nous retrouvons les formules sur nos autels (votume soloit lubens merito) (4). Depuis les plus pauvres jusqu'aux plus aisés, tous auraient donné du leur pour subvenir à l'entretien de son culte; car si l’on était fier dans le village de ce dieu plus puissant et plus heureux que tous les dieux d’alentour (2), on était aussi fier au moins de la richesse ou de l'éclat de son temple, de ses statues et de ses lambris de marbre, de ses offrandes et de ses autels qui devenaient le signe matériel de cette supériorité, et ajoutaient, comme le dit un Ancien, à l’au- torité de la religion elle-même (3). La plupart de ces traits intimes , que nous ne faisons plus qu'entrevoir aujourd'hui, devaient nécessairement disparaître plus fort et plus puissant que d’autres dieux , ‘prend souvent ‘dans les monu- ments privés ce caractère assez inattendu de deus patronus, de dieu bien— veillant et protecteur. Marti amico et consentienti ( Orelli, 1344 ) : Mavorti custodi, conservatori (Ib. 1345 (; Mavortio patri conservatori (ib. 1347). (1) Puisque nos ancêtres prenaient, comme nous, le nom de leur saint patron , sancto Cocideo..……. (Orelli, 1983)... Sanctæ Sironae (ib. 2001 )..…. Mavortio Camulo , deo Sanctiss… (ib. 1978), etc., et que l’on trouve fréquem- ment dans les inscriptions de la Gaule, les noms de Camul, de Camu- lius, de Camulia , de Camulogenus ou Genes , évidemment empruntés au nom divin de Camul, un des Mars topiques de la Gaule septentrionale ( v. une Inscription de Grenoble, chez Orelli, 3571), il était au moins vraisembla- ble que nous rencontrerions un jour ou l'autre le nom de notre dieu porté par quelqu'un de ses cultores ou par quelque paysan de la plaine de Valentine , et ce n’est point sans plaisir, nous lavouerons , que nous l'avons retrouvé tout récemment assez loin d’Ardiége, il est vrai, mais dans une ville que devaient visiter souvent les marchands forains et les rouliers du pied des Pyrénées, à Narbonne : LAERENA... [[. CCI... DA || VXOR PIA ..VCI (pia frugi ) [| HIG EST S.P..TA ( sepulta ) [| P. Q. XV ( Pedes quadrati quindecim ). Cette inscription , malheureusement oblitérée comme Ja plupart des inscriptions murales de Narbonne, est encastrée dans la courtine qui fait suite au bastion Saint-François. L’orthographe Lacrena , au lien de Leherena n’a rien que de fort excusable pour un #marmorarius qui m'avait point sous les en nombreux monuments d’Ardiége. (2) « DEO ENDOVELICO [| PRAESTANTISSIMI ET PRAESEN || TISSIMI NVMINIS... » (villa Vizosa in Lusitania ; Gruter, LXxXvIT, 9; Orelli, 1992 )- (S)re Superstitionem loci operis dignitate servabat. » (Sulpice. Sever., dialog. 111, €. 9.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 393 sous les formes officielles et banales dont l’art romain affublait ces divinités localés, comme le nom de Leherenn disparait sous le nom romain de Mars dans le petit autel d’Attia Faus- tina. C’est ainsi que s'explique, si nous ne nous trompons, l'apparence vulgairement uniforme sous laquelle se présentent à nous, sur des points très-éloignés de la Gaule, ces images divines qui recouvrent au fond des idées ou des nuances très- distinctes. Mais il suffit d’un trait, d’un geste , d’une attitude, d'un détail caractéristique de costume ou d’armure , pour lais- ser entrevoir, sous ce vêtement emprunté, quelque chose de la vieille personnalité qu'il nous cache , et ces bonnes fortunes archéologiques deviennent plus communes dans les régions excentriques où les populations plus disséminées restaient plus fidèles aux traditions et aux mœurs nationales, où les dieux du pays maintenaient obstinément leur nom indigène à côté du nom romain sous lequel on les voit s’abjurer ailleurs , où ils s’affranchissent quelquefois sans façon de ce voisinage et de ce commentaire officiel (1). Si c’est comme tout l'indique , le dieu Leherenn lui-même que le lapicide de l’autel votif de Dannonia a voulu repré- senter sur les parois latérales de ce petit monument, il fau- drait conclure de cette effigie (elle est malheureusement mutilée d’un côté et à peu près méconnaissable de l’autre), que c'était sous des formes toutes romaines que les vicani d'Ardiége se représentaient leurs dieux dès le commencement du second siècle de notre ère. (1) V. ci-dessus, dans le Recueil des inscriptions d’Ardiége , les nom- breux tituli où le nom de Leherenn est accolé à celui du dieu Mars (n°5 1v, v, vi?, VI, x, xv?,xx?),et ceux, beaucoup plus nombreux encore, où le dieu est exclusivement désigné sous son nom indigène de Leheren , Lehe- renus, Leherenis, Leherennus, Leherennis (n°5 1, 11, IN, IX, XI, XI, XI, XIV, XVIII , XXY1 ). On le trouve désigné sous le nom unique de Mars, Marti, dans l'inscription d’Attia Faustina (n° xx1), et probablement dans celle de Gemellus et Festina : Deo Marti... (n° vin). 394 MÉMOIRES EE A = Le trait le plus caractéristique , le seul trait caractéristi- que que nous offre cette image tracée probablement d'après la statue dressée dans la Cella , serait le geste du dieu qui paraît serrer de la main droite la poignée de son épée, tandis que le bras gauche se replie et que la main s'ouvre sur la poitrine comme nous l'avons observé dans d’autres efligies des Pyrénées (1). (1) Nous pensons, en écrivant ceci, à un curieux bas-relief sculpté sur la face principale d’un autel, récemment découvert à Loures , à quelques kilomètres d’Ardiége , et que nous reproduisons à la fin de ce travail. Quant à la figure cuirassée , sculptée sur la paroi de l'autel de Dannonia, si l’on se refusait à y reconnaître avec nous l’image du dieu Leherenn lui-même, on serait conduit à y voir celle de quelque dieu parèdre, comme sur certains autels de Nehalennia, ou bien encore celle du légionnaire ( père , frère ou amant }, pour lequel Dannonia était venue supplier le dieu , c’est-à-dire à des hypothèses bien autrement hardies que celle à laquelle nous nous sommes arrêté. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 395 Le bas-relief de Strasbourg, qui paraît avoir été sculpté de mémoire et dans la Gaule du Nord, car 1l rappelle de très- près les images divines du célèbre autel des Nautæ Parisiaci , où le nom de chaque divinité est inscrit de la même manière et au nominatif sur un bandeau étroit formant saillie au- dessus de chaque tableau , diffère par plus d’un trait de l'image locale que nous venons de reproduire. Nous ne doutons point pour notre part que le monument qui nous l’a conservé ne soit antérieur d’un siècle, d’un demi-siècle au moins à celui de Dannonia, et cette circonstance nous expliquerait seule les différences assez tranchées qui les séparent. (ii 4 DE vf A Ile SMANENFON SC Schæpflin, qui l'a décrit le premier, et longuement décrit selon son habitude , insiste sur chacun des détails caractéris- tiques de ce costume idéal et barbare tout à la fois, dont M. Merimée est aussi vivement frappé que lui, sur cette 396 MÉMOIRES tunique courte et lâche que recouvre une espèce de palu- damentum agraffé sur l'épaule et retombant à longs plis derrière le dos, sur la forme arrondie et bombée du bouclier (clypeus) qui ne ressemble pas plus au vaste bouclier long des Gaulois qu'au scutum en forme de tuile des légionnaires romains ; sur celle du casque surmonté d’une aigrette flottante et percé de deux yeux à la manière du casque héroïque des Grecs (1)? Il n’y a point jusqu'au gallus gallinaceus dressé sur une espèce de perchoir à côté de l’image du dieu, que l’on ne soit tenté de regarder, en dépit des souvenirs mythologi- ques qu'il réveille. comme un attribut indigène etaquitain (2), puisque l’on retrouve des symboles de ce genre sur les autels de plusieurs divinités locales qui ne paraissent point avoir obtenu le droit de bourgeoisie dans l'olympe des Romains , sur celui du dieu Bæsert, par exemple, qui aurait eu pour animal sacré le sanglier ou le porc, et sur celui d’un dieu Ele que l'on serait tenté de prendre lui-même pour une espèce de Mars local, en retrouvant le coq de Leherenn gravé, non sans élégance, sur une des parois de son autel (3). (1) « Tunica laxa est cujus manicæ cubitum fere attingunt , inferior ejus pars autem infra genua descendit, atque cineta est cingulo laxiore. » ( Ne se- rait-ce point le subarmale, espèce de camisia ou de blouse qui se portait au-dessous de la cuirasse, et que l’on désigne quelquefois sous le nom darmilausa ? ) «… Longius hoc sagum ex illo genere videtur esse quod Galli celtica sua lingua gauna-cumma appellarunt.… Clypeus more Gallico grandior et quidem rotundus est. In marmoribus parisiensibus ann. MDCCXI detectis visuntur oblongi qui frequentius seuta vocantur. » — Il rapporte, comme nous, le monument au premier siècle de l'ère chrétienne... ad sæculum primum referre vix dubito. (Schæpflin, Alsat. illust., $ 137, pag. 521.) (2) « Les habitudes belliqueuses du coq sont d’une observation si facile qu'on peut supposer que les Gaulois avaient consacré cet oiseau au dieu des combats. » (M. Mérimée , loc. cit., pag. 251). (3) L'inscription du dieu Bæserte (Musée de Toulouse ) a été publiée plu- sieurs fois. — Celle du dieu Ele, reproduite assez inexactement dans le Recueil de M. Castillon (tom. 11, pag. 508), et dans celui de M. Cénac- Moncaut (pag. 20), est conçue en ces termes : SEMBETTEN |] BIHOSCIN || NIS F. ELEI ( Æle deo?) V.S. L. M. Elle fait partie de la collection épigra- phique de M. Caze à Saint-Bertrand, comme une autre inscription dédiée au mème dieu et provenant aussi du village d'Eup (Éoup}), près de Saint-Béat. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 397 À en juger par la belle inscription de Valeria Severa et du prêtre Pac (atus?) Patroclus ; que l'on peut regarder comme le monument le plus ancien et le plus positif du christianisme dans la région centrale des Pyrénées, la petite métropole des Convenæ aurait eu déjà son église établie et sa hiérarchie constituée avant le milieu du 1v° siècle de notre ère (1). La longue et vague inscription métrique du chrétien Nymfius que possédait le village tout voisin de Valentine (2), appar- tient ,- suivant toute apparence, aux premières années du v® siècle, et nous avons remarqué à Ardiége même , au milieu des débris tout païens que nous essayons d'interpréter, un monument d'apparence chrétienne qui ne doit pas être posté- rieur de beaucoup à la grande inscription de Valentine que nous venons de signaler. C’est une dalle tumulaire de mar- bre blanc dont l'inscription, complétement adirée aujour- d'hui, était gravée, dans le style du 1v° siécle, sur un petit cartouche encadré dans un portique d'assez mauvais goût, et enguirlandé de symboles chrétiens en partie, de ceps de vigne chargés de pampres , de raisins et d'oiseaux. Est-ce dans l’in- tervalle de ces deux dates que se placent le déglin et la chute du culte populaire dont nous essayons de ressaisir l’histoire ? Est-ce à la fin du 1v° siècle que se sera élevée, sur l'emplace- ment du fanum abandonné ou détruit de vive force, la pre- mière église du village, qui a passé longtemps pour la plus ancienne de la plaine (3) ? Ce qui paraît à peu près certain , (1) Cette inscription, que nous avons publiée le premier d’une manière exacte et complète ( Annuaire de l’Acad. des Sciences , Inscript. et Bell. lett. de Toulouse , pour l’année 1857, pag. 24), est datée du consulat de Rufinus et d'Eusebius, qui répond , suivant la chronologie d’Eckhel , à l’année 347 de notre ère. (2) Elle est aujourd’hui au Musée de Toulouse, (3) Ces inductions seraient confirmées encore par les caractères épigra- phiques des inscriptions d’Ardiége , dont le plus grand nombre paraissent appartenir au 11e et surtout au re siècle de notre ère. Nous en avons à peine remarqué deux ou trois que l’on puisse attribuer avec vraisemblance à la première moitié du 1ve siècle, dont les traits distinctifs, à quelques rares exceptions près, sont le défaut d’aplomb et l'inégalité des lettres , l’'alour- 398 MÉMOIRES indépendamment de ces données ou de ces inductions chro- nologiques, c'est qu'un sanctuaire aussi renommé que celui d'Ardiége, situé au bord d’une grande route , dans un village florissant et aisé, à quelques milles seulement de la Civitas ou du chef-lieu des Convenæ, devait attirer de très-bonne heure l'attention des zélateurs et des ministres du nouveau culte, et a dû disparaître l’un des premiers sous l’ascen- dant officiel du christianisme, qui paraît n’avoir atteint que beaucoup plus tard d’autres cultes plus obscurs ou plus éloi- gnés. IV. On croit généralement à Ardiége, que le temple du dieu Leherenn étâit situé à l'extrémité de la place actuelle du vil- lage, qui répondrait elle-même à la platea du vicus antique (1). Il est certain, au moins, que c'était de ce côté et sur la rive gauche du Loung’Ardiége que se pressaient les maisons aisées et les monuments publics du vicus dont le pied heurte sur plusieurs points les substructions et les murailles encadrant encore des mosaïques en place, d’un travail plus ou moins grossier (2). On pourrait ajouter à l'appui de cette opinion , purement traditionnelle du reste, que c’est sur le même point dissement général des ligatures ou des traits déliés, et nn air de gaucherie vigoureuse qui annonce de loin l’épigraphie du moyen âge. (1) Le nom de forum était, comme on le sait , réservé aux civilates. (2) Les murailles de ces constructions qui rappellent celles des vici antiques de la plaine , celles de Martres Tolosane, par exemple, détruites aussi à raz du sol, ont habituellement de 0,50 à 0m,60 d'épaisseur. Les rectangles qu’elles encadrent au nord de l’église, mesurent 1",50 et 2n de côté. Les mosaïques grossières qui en forment le pavé dessinent le plus souvent des arabesques noires sur fond blanc ; quelquefois des animaux courant dans des cadres plus ou moins ornés. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 399 et à quelques pas du même ruisseau qu'est située, depuis un temps immémorial, l’église paroissiale du village, que l’on regarde à Ardiége comme une des plus anciennes du pays, et que l’on croit avoir été bâtie elle-même sur l'emplacement du temple païen, dont les apôtres du nouveau culte tenaient à effacer jusqu'aux vestiges (1). Les autels votifs, les chapiteaux mutilés, les tronçons de colonnes , les débris des statues qui avaient servi à la décora- tion du monument antique et dont le sol était encore jonché, trouvaient naturellement place dans la construction un peu hâtive parfois de la basilique chrétienne, dont ils ont ici traversé les vicissitudes et les transformations successives. Mais en admettant comme une chose indubitable que ces restes antiques aient tous appartenu à un seul édifice, et que cet édifice ne puisse être autre chose que le sacellum du dieu Leherenn , qui oserait entreprendre, à l’aide de ces débris déplacés, et quelquefois méconnaissables , la restitution du monument dont ils faisaient partie ? Les fouilles des derniè- res années qui auraient pu nous apprendre quelque chose sur ses dimensions et sur sa forme, ont été, comme nous l'avons dit , strictement limitées au périmètre de l’église, et nos lecteurs auront été surpris, comme nous l’avons été nous- même, de ne trouver au milieu des nombreux documents épi- graphiques qu’elles nous ont fournis (v. S 11), aucun de ces textes historiques qui nous apprennent par qui, dans quel but , et à quelle époque avait été bâti le monument auquel ils ont survécu (2). La tabella du sculpteur Vennonus Verus , à (1) Henric. Huntingdon, Hist. p. 313.— Aug. Thierry, Histoire de la con- quêle de l'Angleterre, t. 1, p. 86. (2) Voici quelques exemples de ces inscriptions , réellement historiques. On les trouve généralement sur l'autel principal ou sur le fronton d’un temple : AVG. ACIONNAE // SACRVM // CAPILLUS ILLIO // MARI F. PORTICVM CVM SVIS ORNA //MENTIS V. S. L. M. (à la source thermale de Fontaine-l'Étuvée, près d'Orléans, Orelli, 1955). MARTI CAMVLO//SACRVM PRO SALVTE TIBERI //CLAVDI//CÆSARIS AVG. GERMANICI IMP. //CIVES REMI QVI// TEMPLVM CONSTITVERVNT (à Rhynern, près de Clèves, Orelli 4977). 400 MÉMOIRES laquelle nous en sommes à peu près réduits en fait de docu- ments écrits, n'est en réalité qu'une signature d'artiste ( Vennonus Verus marmorius posuit), qui perd une grande partie de son intérêt, détachée du monument, au-dessous duquel elle devait être encastrée. À l’époque de notre premier voyage à Ardiége (juillet 1857), où nous à ramené plus d'une fois l'examen de ces petits pro- blèmes assez difficiles à résoudre dans cette pénurie de ren- seignements et de documents positifs, notre attention s'était involontairement arrêtée sur une sorte de substruction d’ap- parence circulaire, que l’on avait découverte en face du porche masqué de l'église, au-dessous du campanile auquel elle ser- vait de base. Pourquoi le sanctuaire d'Ardiége n’aurait-il pas été tout simplement une de ces stèles massives et carrées ( on les désigne dans la France du Nord , sous le nom populaire de piles ) (1), dont le faîte pyramidal atteignait quelquefois à une hauteur considérable ( de 4 à 10 mètres), et que l’on creusait au sommet d’une niche cintrée, destinée visiblement à abriter une idole contre les outrages des passants ou les intempéries des saisons (2)? On voit encore à Labarthe-de- (1) Les hagiographes du 1ve et du ve siècle les décrivent quelquefois d’une manière très-reconnaissable : « {n vico ambatiensi (Amboise sur la Loire, tout près de la pile encore subsistante de Cinq-Mars) politissimis saæis moles turrita Surrexerat, quæ in conum sublime procedens, etc. (Sulp. Sev. Dialog. 111, €. 9.) «ldolicæ efligiem celsisissima fulcra columnæ Tollebant junetis procul ad sublimia saxis (S. Paulin, opp., p. 317). » Les petites chapelles de pierre que l’on rencontre encore , de loin en loin, au bord des grandes routes , dans la France du centre et dans celle du nord, ne seraient-elles pas une dégénérescence et une forme dernière de ces bildsaulen que les Germains (Ermin-Saül , Irmensul) avaient probablement empruntées aux Gaulois, et qui, chez les Gaulois, devaient remonter à une époque très-ancienne , puisqu'elles semblent calquées sur le type primitif des Menbhir ou des pierres fichées de l’époque druidique ? Carrées à la base, py- ramidales au sommet, elles sont percées, comme les piles des Garumni, d’une petite niche grillée, destinée à recevoir une image sainte. (2) On aperçoit encore dans quelques-unes de ces niches Ja barre de fer qui retenait et fixait l’idole à quelque distance du mur. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 401 Rivière, à deux milles romains du village d'Ardiége , une de ces chapelles aériennes , contemporaine ou peu s’en faut des monuments que nous étudions, comme l’atteste l'appareil très-régulier de petites pierres cubiques, dont la maçonnerie est encore revêtue sur plusieurs points. Le village de Baucha- lot, beaucoup plus éloigné de celui d'Ardiége, mais assis comme lui sur la voie romaine qui menait de Dax à Toulouse, possédait encore, il y a quelques années , le tronçon inférieur d'une de ces stèles à images ( bildsaulen ), aussi communes évidemment chez les Garumni que dans le reste de l’Aquitaine et dans la Gaule proprement dite, où l'on en a signalé et décrit de nombreux exemples (1). Si l’on tenait absolument à placer à côté du Mars Leherenn le dieu en titre (deus publicus, deus patrius) des vicani d'Ar- diége , l’idole barbue, dont on a retrouvé le torse et la tête dans les murs de l’ancienne église, rien ne serait plus facile que de supposer la stèle creusée au sommet de deux niches adossées ou contiguës, ou d'élever à ses pieds , dans l'enceinte murée dont les monuments religieux étaient presque toujours entourés (v. plus loin), un cippe monumental, destiné à lui servir de base , ou une colonnette engagée dans un disque de marbre blanc (2). Un passage formel de Grégoire de Tours nous apprend que les Romains eux-mêmes, devenus les mai- tres de la Gaule, accouplaient encore de cette façon deux statues au faîte d’une même colonne , les statues de deux divi- nités très-distinctes quelquefois, celles de Mercure et de Mars, par exemple (3). Reste à savoir seulement si l'on est en droit (1) Quelques-uns de ces monuments aquitains ont été publiés et décrits par M. du Mège dans ses Monuments religieux (pass. ), et par M. Cénac-Moncaut, ( Voy. Arch. et Hist. dans l’ancien comté de Comminges, p. 30, 31, pl. 3.) qui nous signale dans une note (p. 31) « deux monuments entièrement sem- blables (à la pile de Labarthe ), à Artigues, près de Mirande , Gascogne, » — La pile de Cinq-Mars, sur la Loire, est décrite et gravée dans une foule d'ou- yrages archéologiques. 10.) RES Altarium cum columellä.….… orbiculum cum columellä. ( Inscr. chez Muratori, p. 344.3.) (3) Hæc matrona construxerat (in vico Brivatensi) grande delubrum ubi 5° $.— TOME li. 31 402 MÉMOIRES _ de regarder comme antique, comme indubitablement antique, puisque c'est sur cette base que tout repose ici, une substruc- tion informe dont les revêtements avaient complétement dis- paru, et où l’on a trouvé noyés dans la maçonnerie beaucoup moins consistante que les maçonneries gallo-romaines , de nombreux débris antiques qui ne peuvent provenir que du sanctuaire lui-même (1). _ Quelque répandue que paraisse d’ailleurs dans la Gaule du Sud, comme dans celle du Nord, cette forme architecturale, probablement gauloise ou celtique d'origine , tout semble indi- quer qu'elle avait elle-même perdu de sa popularité qu'elle passait de mode, comme nous le dirions aujourd'hui, au n° et au mu siècle de notre ère, à l'époque où le culte du dieu Leherenn était à l'apogée de sa réputation et de son éclat. À l'exemple du polythéisme romain, dont nous rappelions tout à l'heure la diffusion et les progrès, l’art spécial du poly- théisme , la sculpture et l'architecture gréco-romaine avaient pénétré rapidement des civitates dans les oppida , des oppida dans les vici, qui imitaient, suivant leurs lumières ou leurs ressources, les institutions, les arts, les monuments des grandes villes, et l’on serait en droit de s'étonner, au milieu de ce rapide mouvement d’assimilation, qu'un culle aussi bien posé que celui d’Ardiége, en soit resté longtemps à des formes architecturales qui semblaient abandonnées aux cultes les plus obscurs et les plus pauvres , aux divinités de grandes routes et de carrefours. N’eussions-nous à tenir compte ici, ni ——————…—…..——…—…—…—.— in column altissimä simulacrum Martis Mercuriique celebrabatur (Greg. Tur. Mirac. 11, 5.) (1) Je retrouve dans des notes écrites en février dernier, sous la dictée de l'Architecte de l'Eglise, M. Loupot, cette phrase très - péremptoire : «La tour ronde, à l’origine, ne nous a offert extérieurement ni traces ni débris d'appareil régulier antique. Le blocage était formé , à l’intérieur, de cailloux roulés, alternant avec des moellons et des débris d’autels et de mar- bres antiques , les uns brisés, les autres intacts. » Entre autres débris anti- ques, trouvés et recueillis dans le blocage de cette construction, M. le Curé d'Ardiége nous a signalé notamment le bel autel d’Osson, Priami libertus ( no x1v). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 403 du voisinage des riches carrières de Saint-Béat et de leurs ou- vriers nomades, qui rendaient les constructions si faciles et si peu coûteuses, ni de la variété des débris recueillis aux abords du delubrum antique, ni du costume tout romain, sous lequel le dieu se présentait tout à l'heure à nous, nous inclinerions encore à penser que le sanctuaire d’Ardiége était un véritable temple, un de ces petits temples à la romaine , auxquels font allusion lesmonuments épigraphiques et les hagiographes chré- tiens du 1v° et du v° siècle, qu'ils désignent constamment sous les noms identiques au fond de fanum, de templum , d'œdes , d'œædicula (1). Ne serait-ce point à cette ædicule dont il nous révélerait à la fois l'emplacement et la forme, qu'aurait ap- partenu un dallage de marbre blanc, dont les échantillons nous ont vivement frappé à notre dernier voyage à Ardiége (février 1859), et que l’on aurait trouvés encore en place, d'aprés les renseignements, très-précis cette fois, que nous (1) Le nom de funum que nous citons le premier, parait avoir été le nom le plus usité de ces petits temples rustiques. On le trouve aussi souvent dans les inscriptions païennes (v. notamment la belle inscription de Moux , où il est question des revenus du temple ex reditu fani : infra, p.405 , n. 2, et dans une inscription d'Agen, que nous citons plus loin $ V, guvenes à fano Jovis) que dans les récits des légendaires chrétiens : arborem pinum quæ fano erat proxima ( Sulp. Sev. de vit. B. Martin, c. 13 )..….. quum.. fano antiquis- simo et celeberrimo ignem immisisset, (ib. c. 14)... fanum igne comburi (Baudonivia, vit. Radegund. + 586, Act. Ben. sec. I, p. 327 ).… fanum quoddam diversis ornamentis refertum … ad fanum applicat et suecendit (Greg. Tur. Vit. patr. 6)... fanum quoddam arboribus consitum.. fani cultores (Vit. S. Bertulf. Bobb. + 640, Act. Ben. sec. Il, p. 164)... fana in quibus dœmoniis sa= crificabant; (Walaf. Strab. vit. S. Gall. +640 ib. p. 220) … wbi olim profuno rilu veteres coluerunt fana… agrestium fanis quos vulgi faunos vocant, sans doute, parce qu'ils étaient souvent consacrés à ces dieux rustiques ( Vit. S. Agili Resbacensis + 650 ib. p. 319)... fana in morem gentilium cireum- quaque erecta (Vit. S. Willehad +789, Pertz. Il, 381,) etc. C’est de ce mot qu'est derivée l’épithète injurieuse de fanaticus, fanatici, (les gens du fanum, les fani cultores, comme on les appelle plus haut), qui remonte elle-même à cette époque de persécutions religieuses (templa fanatica à decurionibus culta (Vit. S. Lup. Senonensis, Bougnet II, p. 491. castrum.… fanaticorum cultui dicatum (Vit. S. Agili ib. p. 317), et qui devait être à peu près synonyme alors de paganus , pagani, les gens du pagus, dans lequel se trouvaient compris les vici avec leurs petits temples. 40% MÉMOIRES avons recueillis sur les lieux , à l'angle N.-0. de l'ancienne église, à une profondeur de 0" 60 ou 0" 70 au-dessous du sol actuel (1)? Les plus simples de ces petits monuments, modestes comme les dieux dont ils abritaient les images, ne se composaient que d'un toit de planche , recouvert de tuiles imbriquées et sup- porté par quatre poutres fichées en terre (2). Aïlleurs, c'était sur deux murs de pierre ou de brique, terminés d’un côté par deux pilastres plus ou moins ornés, réunis de l’autre par un mur de fond rectiligne ou circulaire que reposait cette toi- ture (3). Et nous remarquerons à ce sujet, que le motif archi- tectural que nous venons de décrire , se trouve exactement reproduit en manière d'encadrement sur un assez grand nom- bre de monuments épigraphiques des Pyrénées (sur les ins- criptions funéraires particulièrement ) (4), ce qui semble in- (1) Les pavés de marbre, par larges carreaux régulièrement disposés ( pavimentum sectile), que l'on remplaçait, dans les maisons privées, par un pavage en petits cubes (pavimentum tessellatum , vermiculatum) , paraissent spécialement réservés aux édifices publics, et surtout aux monuments reli- gieux. On les trouve mentionnés d'ordinaire dans les inscriptions relatives à la construction ou à la restauration des temples... BASEM CVM || PAVIMENTO MARMORATO..... D. D. (Gruter XXXIX, 4.) AED |] PAVIMENTVM || D.S. P.F.C. (à Carentino : Gruter CLVIHII , 9). (2) C’est à une de ces chapelles, en forme de hangar, que fait probable- ment allusiou le texte suivant, pnblié par Schæpflin : DEO MERCVRIO ATTEGI |} AM TEGVLICIAM COM || POSITAM SEVERINIVS || SATVLLINVS C. F. EX VO [| TO POSVIT L. L. M. (Près du village de Niederbronn, Schæpflin, Alsat illustr., p. 437. ) (3) Ces chapelles étaient si peu de chose quelquefois, qne l'œdicula n’est citée qu'après le signum et l'ara qui semblent le principal; dans cette ins- cription , par exemple DEO SLVANO ( sic)[| .… [| [| ARAM ET SIG [| NVM INTER DVOS (sic) || ARBORES CVM AEDICVLA E VO || TO POSVIT ( de Boissieu , inscr. de Lyon, p. 42 ), et de même chez Ovide : Ara mihi posita est parvo conjuncta sacello ( Ovide, Fast. 1, 213). Les esclaves pouvaient en élever un avec leur modeste pécule : FAVSTVS VERSENNI P. {| SER (procuralor servus ) PRIAPVM ET TEMPLVM D. S. PECUL. || F. C. ( Pézaro. Orelli, 1623). Elles devaient dans certains cas se réduire à une simple niche. (4) Le temple des Mâänes que nous offrent, suivant toute apparence, ces petits monuments si communs dans les Pyrénées (Dis Manibus, Dis Manibus sacrum : pass.) se modelait naturellement sur les temples habituels des dieux DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 405 diquer que c'était bien sous cette forme que se présentaient le plus souvent les chapelles et les temples des dieux locaux du pays, les seuls monuments à peu près dont les lapicides passent s'inspirer (1). Mais il n’était point interdit aux magistrats du pagus (2) ou à ceux du village , surtout si le temple était arrivé à une certaine notoriété , s’il avait, comme on le voit quelque- fois , ses revenus et sa caisse à lui (reditus , arca ) ; d'ajouter quelque chose à ce type élémentaire dont les proportions et du pays , dont ils nous rappellent ainsi les formes. Au rie et au 1ve siècle, lorsque l'usage de l’'inhumalion se substitua à celui de l’incinération décré- ditée avec le paganisme , c’est sous la même forme souvent qne se présente V'arca ou le cercueil de marbre , dont l’auge est presque toujonrs encadrée à chaque angle de pilastres cannelés , et dont le couvercle est formé par un véritable toit, par un toit à quatre pans couvert de tuiles arrondies { pavona- ceum). L’arca des gens riches devenait elle-même une maison, mais une maison divine , comme celle que se donnaient en effigie les pauvres vicant des vallées pyrénéennes. (1) On retrouve assez fréquemment sur les monnaies romaines de bronze et surtout d'argent, des représentations de ces édicules , conçues en général sur un type uniforme. Elles deviennent surtout communes à partir du milieu du ue siècle , où commencent , comme on le sait, les insurrections provin- ciales , consommées deux siècles plus tard par les invasions germaniques. Voy. entre autres exemples , le revers rare de Caracalla : Jovi sospilutori et celui de Salonine : Deæ Segetiæ. Les Hercules gaulois des Denarii de Pos- tume : Herculi Deusoniensi et Herculi Macusano sont complétement romains en apparence et ne sont point encadrés dans une édicule surmontée d’un fronton. (2) Nous savons aujourd’hui , grâce à la belle inscription découverte il y a quelqnes années au village de Moux (Aude), et publiée peu de temps après par M. du Mège (Mém. de l’Acad. des Sc. Insc. et Bell. Let. de Toulouse, 1ve série, tom. 11, 1852, pag. 51, 52), que la surveillance et l'entretien de ces temples locaux appartenait, dans certains cas au moins, aux magistrats du pagus {magistri pagi) , qui décidaient de emploi des revenus du temple, et ordon- naient les réparations ou les additions qui devaient y être faites : T. VALERIUS SG ( se? ) F. SENECIO || P. VSVLENVYS VEIENTONIS L. {| PHILEROS || T. VFIDIVS T. L. STABILIO [| M. VSVLENYS M. L. CHARITO || MAGIST. PAGI EX REDITV FANI || LARRASONI CELLAS FACIVND. [| CVRAVERVANT IDEM- QVE PROBAVERVNT. Une autre inscription connue et publiée depuis long- temps (elle provient de la petite ville d’Aleth près de Limoux, Aude), nous à conservé le nom du curator d'un temple d’Isis, que cette petite ville possé- dait à l’époque romaine: MATRI DEVM || CN. POMP. PROBYS || GVRATOR TEM || PLI ( Musée de Toulouse , e schedis meis). 406 MÉMOIRES la décoration surtout se modifiaient de lieu en lieu suivant une foule de circonstances. Ici c'était le toit lui-même, ce toit transversal de planches et de tuiles, qui disparaissait pour faire place à une voûte de pierre ou de béton, décorée inté- rieurement de fresques voyantes ( opus lectorium ), ou à une toiture en charpente (materiatio) terminée de chaque côté par un fronton ( fastigium ) couronné d’acrotères , d’un goût plus ou moins pur. Ailleurs, on intercalait deux colonnes canne- lées ou nues entre les antes, c'est-à-dire entre les deux pilas- tres cannelés d'ordinaire, qui terminaient les murs latéraux de la cella (4) (le petit temple était alors n antis ou àv rapucräce, comme disaient les Grecs); ou bien on les masquait par un portique de quatre colonnes (2), (il devenait alors æodçrudos, rerpdoruhos) que couronnait un fronton triangulaire décoré ici de bas-reliefs, ailleurs d’une inscription monumentale (3). (1) Nous permettra-t-on de remarquer, sans prétendre tirer de cette re- marque aucune induction formelle sur le caractère du temple d’Ardiége , que parmi les débris exhumés des murs de l’ancienne église , figuraient deux fûts de colonnes de marbre blane , l’une intacte, l’autre mutilée ( je n’ai pas revu celle-ci à mon dernier voyage à Ardiége ), dont les dimensions (longueur du fût, 2m 35, diamètre à la base Om 35, au sommet 0m 95), répondraient assez bien aux dimensions des petites dalles du pavimentum que nous signa- lions tout. à l'heure ( Om 17 sur Om 21). Nous devons ajouter, du reste, que ce n’était point à ces colonnes que s’adaptait une base de marbre blanc (elle à Om 18 de diamètre à l’emmanchure }, et plusieurrs chapiteaux corinthiens d’un assez bon travail quelquefois (l’un d’entre eux a Om 20 de diamètre), découverts également dans les démolitions des dernières années. Ces détails d’ornementation que nous avons tant de peine à restituer ici, sont quelque- fois indiqués minutieusement dans les inscriptions antiques qui ont survécu à ces petits édifices : MATRI DEVM.. || T. ALBIVS ATTIVS ARAM [| CREPI- DINES COLVMNAS || TECTVM PRO... (Belley ,en Bresse, Greppo, eaux therm. de la Gaule, p. 78)... HS LM. N. (Sestertiorum quinquaginta millia nu- morum ) LEGAVIT AD EXORNANDAM || AEDEM POMONIS || EX QVA SVMMA FACTVM EST || FASTIGIUM INAVRATVM PODIVM PAVIMENTA |] MARM. OPVS TECTORIVM. ( Salerne , Gruter. XCIV , 11). (2) Un autel du Musée de Toulouse, consacré à Minerve par M. Attius Sa- binianus , a été découvert à Saint-Guiraud , village de l’ancien comté d'Astarac, à côté de quatre colonnes cannelées qui faisaient probablement partie, dit M. du Mège, de l'édicule ou du petit temple dédié à Minerve, par Sabinianus lui-même. ( Gatalog. des Antiq. du Musée de Toulouse , p.49). (3) Parmi les inscriptions acquises à Ardiége , en 1831, par la Société DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 407 A côté de la statue du dieu principal qui conservait la place d'honneur au centre ou sous l’abside de la cella (1), se grou- paient les cippes et les statues des dieux assesseurs , comme les appelaient les Grecs (soi éged pot, civhoxor), de ces divini- tés étrangères ou subalternes que la piété des fidèles ou la li- béralité de quelque voyageur introduisait de loin en loin dans le sanctuaire. Dans le temple païen du vicus de Brégenz, près du lac de Constance, qu'un hagiographe de vu® siècle nous décrit avec une attention et un intérêt que l'on témoignait rarement, à cette époque, aux monuments et aux souvenirs du paganisme, on voyait trois statues de bronze doré, adossées ainsi aux murailles du temple, et entre lesquelles se parla- geaient les offrandes ( oblata ) et les sacrifices des vicani (2). Nous n'avons point, à coup sûr, la prétention de déterminer, en l'absence de tout attribut et de toute indication épigraphi- que, ce que représentait la statue dont on a retrouvé dans le archéologique de Toulouse ( ». plus haut, p. 368 note 2), figure un fragment d'inscription monumentale qui diffère par la taille, comme par le style des lettres (elles n’ont pas moins de Om 11 de hauteur), de toutes les inscrip- tions d’Ardiége que nous avons citées jusqu'ici : .….DXVMVS. Sans chercher si ce fragment qui se rédnit à un nom propre mutilé en partie ( PROXVMVS), appartenait à un eæ volo d’une taille exceptionnelle, ou s’il provient du temple lui-même, où il aurait pu figurer, à en juger par la forme de la pierre, dans la frise inscrite qui supportait le fronton, nous nous contenterons de rappeler que le tympan de ce fronton était quelquefois décoré d’une inscription monumentale, comme celle que l’on a trouvée à Clermont en Auvergne, sur le couronnement d’une édicule dédiée aussi à un Mars barbare CAMVLO VIROMANDVO (Mérimée : sur un bas- relief du Musée de Strasbourg , Rev. arch., t. 1,p. 253, note 1 ). (1) VISVCIO || AEDEM CVM SIGN ||. (près Heildelberg ; Orelli , 206 ). — APOLLINI ET SIRONAE || AEDEM CVM SIGNIS (Orelli 2047) — DONVM DEDIT COLLEGIO AESCULAPII ET HYGIAE LOCVM AEDICVLAE CVM PER || GVLA ET SIGNVM MARMOREVM AESCVLAPITI. (Lex collegii Æsculapii et Hygiæ. Orelli , 2497 ). (2) « Repererunt autem in templo.. tres imagines #æreas, deauratas, pa rieti affixas , quas populus..….. adorabat et oblatis sacrificiis..…. { Walafr. Strab. vit. S. Galli : Ann. Bened. sec. 11, p. 233 ). » 408 - MÉMOIRES mur de l’église récemment démolie, le torse mutilé et la tête barbue, couronnée de laurier. Si la formule [. H. D. D. (x honorem domüs divinæ ), n'était aussi rare dans les vallées un peu perdues de la haute Aquitaine, qu’elle est commune sur la Moselle et sur le Rhin, au voisinage des camps retranchés et des armées de Germanie , nous aurions été tenté d'y reconnai- tre, à défaut de quelque Hercule barbare , une efligie ou une image impériale , le portrait de l’empereur Commode, par exemple, ou celui de quelque prince de la famille des Sévère, que les artistes contemporains représentaient volontiers sous les traits d'Hercule (1). On peut au moins supposer , sans trop de hardiesse , qu'elle figurait parmi les statues de divi- nités inférieures qui se groupaient dans la cella , autour du dieu Leherenn . et que c'était à quelqu'une de ces images que s’adaptait la fabella du scutpteur Vennonus Verus, que nous pourrions , à ce litre, ranger parmi les artistes inconnus qui avaient travaillé à la décoration du fanum d'Ardiége. Ce qu'il ne faut jamais perdre de vue, si l'on veut se faire une idée exacte de ces pelits temples, si communs au pied des Pyrénées et dans les plaines ondulées de l'Aquitaine, c'est qu'ils étaient toujours entourés d’un espace gazonné ou com- planté d'arbres (locus religiosus, locus sacer, sacrum ), fermé lui-même par un mur de clôture (maceries, maceri, murus, septum, conseptum, pass.), dont on retrouve souvent les substructions ou les vestiges aux abords de l'édifice sacré (2). (4) Les traits de la figure encadrée , comme nous l'avons dit, d’une cheve- lure et d’une barbe erépue, ne répugneraient point à cette attribution ; au- tant que la mutilation de la téte permet d'en juger aujourd’hui. Comme faire et comme art, la statue elle-même rappelle involontairement les sculptures de la villa de Martres (1ne siècle ), dont les bas-reliefs mutilés (les voir au Musée de Toulouse), sont aussi relatifs à l'histoire et aux travaux d’Hercule. (2) Voir les preuves de ces assertions dans les monuments figurés , et surtout dans les inscriptions antiques... HIC LOCVS SACER EST ( Ve- nise , Orelli, 2477). — LOCVM RELIGIOSVM || PER INSOLENTIAM ERV- TVM.. (Orelli ,2468)—... HIC LVCVS SACER MACERIE |] CINTYS ( sic } CVM SVIS ADITIS [| AGRO NON CEDIT..... (Capoue, Orelli, 2450). Il est DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 409 Tout ce qui se trouvait dans l’intérieur de cette enceinte, que les anciens ne distinguaient pas de la cella ou du temple lui- même, était regardé, à moins de stipulation contraire (1), comme la propriété du dieu , comme placé au moins sous sa garde ; et des inscriptions, gravées d'ordinaire sur le linteau de la porte, dont le mur du septum était percé, menaçaient de la peine des sacriléges celui qui oserait en déplacer ou en emporter quelque chose (2). Les autels votifs (ara, arula ; aræ, arulæ) qui ont survécu, ici comme partout, au petit temple que nous essayons de re- construire, et dont les légendes monotones forment encore la partie la plus positive de son histoire, se plaçaient le plus souvent ( ponere, aram ponere, constituere) sous le portique qui précédait le temple (xo6væos ), autour de l'autel monu- mental, sur lequel se faisaient, aux grands jours, les liba- tions et les sacrifices officiels ( publicè) (3). Mais lorsque Faire, souvent étroite, de ce portique était embarrassée de ces petits monuments, qui se multipliaient rapidement dans les tem- ples en renom (4), force était bien de les dresser en dehors de incontestable que ce fut souvent dans cet état que les missionnaires du chris- tianisme trouvèrent les petits monuments que nous essayons de rétablir... aras et fana idolorum cum seplis quibus erant circumdata.……… fanum cum om- nibus septis suis. ( Beda., Hist. éccl.; 1, 13, ann. 627 ). (1) On lit par exemple , sur des picrres trouvées dans une enceinte sacrée près de Tibur : LAPIDES PROFANEI INTVS SACRVM (Fabretti, p.674, 14). (2) EXTRA HOC LIMEN ALIQUID DE SACRO [| SILVANI EFFERRE FAS NON EST( Rome, Orelli, 1518). — Les petites enceintes fermées aussi d'un mur dont sont entourées la plupart de nos églises rustiques , ne sont-elles pas elles-mêmes un souvenir et un débris des sepfa et des loci sacri que nous décrivous ? Presque partout ces enceintes ont été converties en cimetiè- res, et de modestes croix de bois ou de pierre remplacent les autels votifs qui se pressaient jadis autour du fanum. (3) Dans le temple de la Fortune , encore debout à Pompeï, l'autel (ara) est placé sur un soubassement au pied de l'escalier de marbre qui mène au por- tique. Nous ne nions pas cependant qu’il ne pât ôtre quelquefois dressé dans la cella elle-même, surtout lorsque l’édicule se réduisait à une simple niche et que l’autel remplaçait la statue. (4) I ne faut pas oublier que les cultores, ou les dévots d’un sanctuaire , pouvaient dédier et dédiaient souvent plusieurs autels à leur dieu préféré : 410 MÉMOIRES l'édifice, le long des murs extérieurs de la cela, par exemple, sur les degrés ( gradus ) du portique, et même dans l’enceinte gazonnée du septum, qu'ils finissaient quelquefois par obs- truer et par remplir à son tour (1). À moins d'empêchement légitime ou de quelque circonstance particulière, l'ara devait être dressée par le donateur lui-même (aram posuit, pass.), qui prononçait, debout et la tête voilée , les paroles sacramen- telles de la dédicace, do , dico, dedico , et faisait, de sa main, sur l'autel qu'il. venait d'élever, une libation d’eau , de lait ou de vin, suivant le rite du lieu (2) : «Je suis venu devant ton temple (ad tua templa ), dit à un de ces dieux locaux de la Gaule, un pieux voyageur, dans une inscription en vers, trop peu connue, et Je me suis acquitté du vœu que j'avais contracté (vota suscepta peregi : c’est le votum solvi ou solvit libens merito de nos légendes ), en répandant une libation sur cet autel (/ybans, sic. ). Puisse ta divinité que j'adore par son nom (%omen adoro tuum ), l'accueillir et la tenir deo suo (v. supra); ce qui expliquerait, dans certains cas, la répétition du même nom sur des autels différents ; celui de Primulus, par exemple, que nous offrent les autels xvir et xx. Le nom de Mandatus y figure trois fois (noS mr, XI et xx1I1). Mais il paraît, dans chacun de ces trois cas, porté par des personnages différents, par uu esclave au n° xx, par un colon au n° rt, par un homme libre au n° xt, où ce Mandatus est le manumissor du donateur lui-même (v. à ce sujet les règles que nous posons au $ suivant ). Je vois dans une inscription italienne un marbrier, esclave de l'Empereur, offrir d’un seul coup cinq autels, qui ne lui coûtaient guère , il est vrai, à la déesse Feronia qui présidait, comme on le sait, aux affranchissements : HERMEROS || T. CLAVDIT CÆSARIS AVG.[| GERMANICI SER. [j THEMIDIA- NVS À MARMORIB. || MAGISTER || FERONIÆ ARAS QVINQVE || D.S. D. D. (Gruter. xxv, 12.) (1) C'était probablement dans ce cas, et pour les garantir du contact im- médiat de l'herbe ou de celui du sol, tour à tour poudreux et détrempé, que l'on plaçait au-dessous de chaque cippe un petit soubassement de marbre 1é- gèrement creusé au sommet, de manière à recevoir et à assujettir la base de Pautel, dont il devenait ainsi le socle distinct et mobile. Rien de plus commun, dans les Pyrénées, que ces soubassements de forme cubique en général, qui se multiplient surtout aux abords des sanctuaires en renom. (2) « Pro regionibus et cætera in sacris differunt. » ( Apul. de Deo Socrat., lib. édit. Nisard, p. 141.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 411 pour agréable (1) !...» Les images du præfericulum et de la patera, sculptées d'ordinaire sur les parois latérales de nos autels, indiquent suflisamment que c'était de cette manière, à quelques variantes près, que les choses se passaient dans le sanctuaire d'Ardiége. Le trou vertical, et plus ou moins profond dont ils sont souvent percés au sommet, était destiné à recevoir les charbons allumés, au-dessus desquels on répandait la libation en soulevant lentement la patère, quelquefois à assujettir une figurine de bronze ou de marbre, dont le donateur , dans certains cas, se réservait expressément la propriété (2). Comme la plupartsdes sanctuaires renommés du pays, le fanum d'Ardiége avait probablement ses marbriers attitrés et permanents, chez lesquels on trouvait des autels taillés et polis d'avance, comme on trouve aujourd'hui, à l'entrée de nos cimetières, des ateliers ou des dépôts de monuments fu- nèbres. C'est ainsi que s'expliquent, si nous ne nous trom- pons, les ressemblances matérielles de forme, de taille, de style même que présentent assez souvent ces petits monuments sortis du même atelier, sinon du même ciseau (3). Gens gros- (1) L'autel votif sur lequel était gravée cette intéressante inscription, que je n’ai encore vue ni citée ni traduite , avait été dédié au dieu Pœæninus (la cime déifiée du grand Saint-Bernard , dans les Alpes), par un pieux voyageur, du nom de Caïus Julius Rufus : G. IVL. RVFVS POENINO V.S. L. M. || AT (sic) TVA TEMPLA LYBANS (sic) VOTA SVSCEPTA PEREGI|| ACCEPTA VT TIBI SINT NOMEN ADORO TVVM{|. La conclusion du Carmen, qui ne manque point dans son incorrection d’une certaine élégance, conviendrait elle-même à la plupart des cultores du dieu Leherenn : IMPENSIS NON MAGNA QUIDEM TE LONGE PRECAMUR || MAIOREM SACVLO NOSTRVM ANIMVM ACCIPIAS. (Haller,, t. 1, p. 506. — Orelli, n° 246.) (2) SANCTO SILVANO SACR || EVTYCHES.....… ARAM MARMOREA (sic) | GVM SVO SIBI SIGILLO SILVANI. (Rom. Fabretti, 120, 11. Orelli, 2386.) (3) On pourrait remarquer, par exemple, indépendamment des affinités générales de lécriture, souvent lourde, profonde, massive, élargie (au ue siècle surtout), que le fût de la plupart des autels, un peu étroit d’ordi- naire , est chaussé d’un socle élevé ou rigide, et coiffé parfois d’une cor— niche surchargée de moulures. Nous nous contenterons d'ajouter, sans en tirer encore d’induction sur la fortune ou la condition sociale des donateurs, 412 MÉMOIRES siers et sans lettres, les indigènes (éncolæ ) et les étrangers (peregrini, pérégrins, pélegrins , pèlerins) qui venaient à Ardiége remercier le dieu (Gratiarum agendarum causa. Inscr. pass. : … tibi hasce grates dedicamus..……. Inscr. métrique d'Aime en Tarentaise, Orelli 1613), se contentaient de choisir, suivant leur goût ou leur fortune, l'autel qu'ils vou- jaient lui consacrer. Presque tous s’en remettaient aux lapi- cides de la rédaction des légendes que l’on croirait calquées sur un type commun, et qui l’étaient en réalité, puisque ces ouvriers se bornaient, le plus souvent, à copier textuelle- ment les formules sacramentelles qu'ils trouvaient gravées sur des autels plus anciens, en ayant soin seulementde les choisir, dans l'intérêt de leurs clients, aussi générales et aussi laco- niques que possible (4). Rédigées, ne serait-ce qu'en subs- tance, par les donateurs eux-mêmes sous l'émotion d'une grâce inespérée, d’une faveur miraculeuse, obtenue par l'interven- vention du dieu, ces légendes s’empreindraient involontaire- ment d'une lueur de sentiment ou de personnalité. Il leur échapperait, de loin en loin, quelque apparence d'indiscré- tion, quelque velléité de confidence, et nous n’en serions plus réduits à glaner , au milieu de ces formules stéréotypées, comme les refrains d'une litanie, quelques rares indications dont il est difficile de tirer parti sans leur faire dire plus de choses qu’elles n’en ont pensé. que s'ils ne s'élèvent jamais à des proportions monumentales , ils ne des- cendent que très-rarement anx dimensions exiguës des arulæ de Monsérié , dont nous retrouverons le type aux eanx thermales de Luchon ( Lixo) et de Lez ( Lexis). (4) H est singulier, en effet, que les autels d'Ardiége ne nous apprennent jamais , comme le font souvent les inscriptions votives (pro salute, pro salute sua et suorum , pro itu et reditu, etc. pass.) , daus quel but et à quelle oc= sion ils avaient été dédiés. La principale cause de ce laconisme intentionnel est évidemment que la gravure des autels se payait, comme aujourd’hui, à tant la lettre, et que les cultores d'Ardiége avaient, comme lavouait tout à l'heure Pinscription de Caïus Julius Rufus, le cœur mieux garni que la bourse. À. 2 mil DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 413 V. Quels que soient le laconisme et l'uniformité de ces for- mules, où les variantes se réduisent, à peu de chose près, aux noms des donateurs (1) nécessairement distincts d'autel en autel, il n’est point impossible pourtant, en interrogeant attentivement ces noms eux-mêmes et les indications qui les complètent accidentellement, de se faire une idée approxi- mative au moins de ce que nous appellerions volontiers la clientèle du dieu; d’entrevoir à quelle classe de la société provinciale son culte s’adressait de préférence, dans quelle zone même, et jusqu'à quelles limites s’étendait son action religieuse. Le moyen , par exemple, de ne point remarquer, en parcourant la liste déjà longue de ces noms propres (v, Su), qu'on ne les trouve jamais accompagnés d'une de ces épi- thètes géographiques, si communes sur les marbres de Lu- chon , d’un de ces noms de civitas ou de province éloignée, qui nous fourniraient la preuve irrécusable, à notre sens, de la réputation dont jouissaient déjà ces eaux thermales au u° et au a° siècle de notre ère (2)? Le fait que nous signalons (1) Ces noms, intéressants à plus d’un égard, sont à peu près la seule chose personnelle de nos légendes, la seule au moins qui appartienne en propre aux donateurs. Le lapicide les écrivait, probablement, sous leur dictée, sur des tablettes de cire et les reproduisait ensuite sur le marbre de l’ara. (2) Nous nous contenterons de rappeler ici quelques-unes de ces indica- tions géographiques : NYMPHIS || CASSIA [| TOVTA || SEGVSIAVL. [| V.S. L.M. ( Musée de Toulouse ; & schedis meis.) — NVMI.... || MAN\... || SACR4 || RVTAEN... || V.S.L.M. (ib.ib., que j'interprète , avec M. d’Orbessan, Mel. t ,11, p. 293, par numpis ou numphis manu (tia ? ) sacr (a) Rutæn (a), ete... — Une autre arula, découverte également dans le Comminge , est signée par une femme du pays des Trévères : DEO || JOVI [| CLAM || OSA CT] VIS TR || EVERA |] V. S. L. M. ( Gruter x111, 5). 414 MÉMOIRES ici nous paraît d'autant plus significatif, que le vicus d'Ar- diége était situé à peu de distance de ces thermes déjà cèlè- bres, et sur une des grandes routes qui y conduisaient (4). Dans le pays lui-même qui avait, dès cette époque, de nombreuses et élégantes vilæ, dont nous retrouvons, au pied de la montagne, les assises et les ruines toujours inté- ressantes à étudier (2), qui possédait, chez les Consorani et chez les Convenæ, de petites civitates dotées d'institutions po- litiques et municipales, analogues à celles des grandes villes de la plaine; ce n'était pas davantage aux classes supérieures ou officielles de la société que s’adressaient ces cultes locaux, car on ne trouve pas une seule fois, à la suite de ces noms propres, l'indication formellement énoncée d'une dignité re- ligieuse , d'un grade militaire où d’un emploi administratif exercé par le donateur. Nous y avons même inutilement cherché la mention ou l'indice ( quelque vague qu'elle soit } de quelqu'une de ces dignités municipales que possédaient certainement les petites villes du pays, et que l'on ne négli- geait guère à cette époque de mentionner comme un titre d'honneur. Si quelque personnage important par sa condi- dion, par sa naissance ou par sa fortune , avait à dédier un autel à la suite de quelque avertissement venu d'en haut, ou de quelque vœu miraculeusement exaucé , c'était, presque tou- jours, à une divinité étrangère qu'il s’adressait, à une divi- nité romaine d'origine, comme l'était le deus Silvanus ou la Diana Augusta. la divinité protectrice des croupes boisées et des vallons solitaires, à laquelle était dédié un bel autel de marbre blanc, découvert à Ardiége même, à côté des arulæ (1) V.leS 1, pass. (2) Sans parler de la célèbre villa de Martres , dont les bas-reliefs et les bustes impériaux décorent aujourd’hui le Musée de Toulouse, on a découvert plusieurs fois des vestiges importants d’antiquité romaine dans la plaine ( lou plan } qui entoure la petite ville de Saint-Bertrand , et sur les flancs des collines riantes qui encadrent cette plaine, du côté d’en Barsous particulière- ment. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 415 du dieu Leherenn , dont il diffère autant par ses formes monu- mentales que par le nom du dieu auquel il était consacré (1). Parmi les cultores ou les dévots du dieu Leherenn, dont les au- tels d'Ardiége nous ont conservé les noms, nous n’en avons trouvé que trois (toute lecture incertaine écartée) qui joi- gnent à leurs noms un titre formellement énoncé : Bambix, Publi. Lil. (n° 7), Maximus mandati 1. (n° 12), Osson Priami 1. (n° 14), et il est remarquable que tous les trois appartiennent à la classe des affranchis (liberti , Ubertini), qui formaient, comme on le sait, une sorte de classe inter- médiaire entre la liberté et l'esclavage dans lequel elle se re- (1) Cette inscription, qui provient incontestablement du village d’Ardiége , où l'on n’a rencontré jusqu'ici, sauf deux ou trois cas douteux, que des mo- uuments relatifs au culte du dieu Leherenn, était encastrée dans le montant de la porte de l’église, récemment démolie, et a été publiée plusieurs fois , par M. du Mège notamment, qui a modifié, dans son Mémoire de 1831 (Mém. de la Soc. arch. de Toulouse, t. 1, p. 7), et dans son Catalogue du Musée de Toulouse, la lecture inexacte qu’il en avait donnée dans ses Mo- numents religieux (p.299 ). Elle est gravée en caractères de 0m08 de hau- teur, sur un autel de marbre blanc, qui n’a pas moins de 042 de largeur, mais qni est, comme l'inscription elle-même, brisé et tronqué par la base. Nous la reproduisons d’après un estampage comparé, lettre à lettre, avec l'original. ‘IANEÆ AVC: L'P°MP-PA VLINIANVS . d Quant à l'interprétation de ce texte, assez clair par lui-même, nous nous contenterons de remarquer qu’il ne serait pas impossible que les sigles de la seconde ligne appartinssent au même mot : Dianæ Auguslæ , tout séparés qu’ils sont par des points les uns des autres (M. du Mège complète les trois sigles par les trois épithètes, augustæ, cœlesti, victrici), et que le mot pomp. de la troisième ne pourrait, dans aucun cas, se compléter, comme il le pro- pose, par le mot pomponianus , puisque le donateur de l'autel se trouverait ainsi avoir deux cognomina d'adoption et n’aurait plus de nomen ou de nom de famille. Il faut indubitablement lire Lucius Pompeius Paulinianus , et yoir dans la famille de ce personnage une des familles les plus considérables du pays où l’on ne porte guère plus de trois noms agroupés, un prœnomen, un nomen et un cognomen. 416 MÉMOIRES crutait légalement par l'émancipation (1). Ceux de nos lecteurs qui ont quelque habitude de la langue légale des Romains , remarqueront même, comme une circonstance caractéris- tique, que ces affranchis n’ajoutent jamais à leur nom le nom de la famille ( gens) sous le patronage de laquelle ils se trou- vaient placés par suite de leur affranchissement; ce qui semble indiquer que la distance n'était pas très-grande ici entre le patronus et le libertus, et que la plupart de ces patrons n'é- taient eux-mêmes que des affranchis déliés des obligations du libertinat, dont ils n'étaient plus astreints à prendre le titre (2). Les grammairiens et les jurisconsultes de Rome avaient re- marqué, bien longtemps avant nous (3), que les noms étaient composés, chez les Romains, de plusieurs parties séparées et distinctes qui avaient chacune leur sens et leur valeur, (1) L’assertion serait contestable pour le INGENUS SIRICCONIS T[]( n° 4), qui pourrait être aussi bien le fils ( Fiius ), que l’affranchi ( Libertus) de Si- ricco , plus contestable encore pour le... ALIS...… 7 RRIS du n° 19. (2) Ce n’en est pas moins quelque chose de caractéristique et d’exception- nel , il faut le reconnaître, que ces affranchis, désignés, comme leurs mnanu- missores, par un simple prænomen, d'apparence barbare, comme Bambix , ou d'apparence servile, comme Priamus : « Nunc Priamo nostro, si quis est emtor, coemtionalem senem — vendam ego venalem quem habeo » ( Plaut. Bacchid. 1v, 1x.. 926), tandis qu’ils le sont, d'ordinaire , par un double nom. Sans l'indication formellement énoncée du libertinat on se demanderait en quoi ces noms d’affranchis diffèrent des noms franchementserviles d'apparence dont nous nous occuperons au paragraphe suivant. Peut-être la manumissio qu’implique nécessairement le titre de libertus , wétait-elle ici que la manu- missio minus justa dont les effets étaient tellement restreints et les préroga- tives tellement conditionnelles , que l’esclave qui en était l’objet était, comme le dit un ancien jurisconsulte, moins libre , de droit et de fait, qu'en permis- sion ou en congé dans la liberté : « Non esse liberos sed domini voluntate in libertate morari... » et restaient esclaves tout en paraissant libres. «Hi tamen sui domini voluntate (sans les formes légales qui donnaient quelque chose de légal à l'expression de cette volonté ) in libertate erant, mane- bant servi. » (Dosithei fragm. 4-6, p.325 , édit. M. Blondeau ). (3) Un des textes les plus célèbres et les plus souvent cités est celui de Quintilien. « … Propria liberi, quæ nemo habet nisi liber, prænomen, no- - men, cognomen , tribum : habet hæc addictus. » (Quintil. inst, orat. lib. vir, c. 3, p. 86, édit. Lemaire ). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 417 parce que chacune d’elles répondait, pour ainsi dire, à une prérogative de naissance ou de rang , à la possession de droits civils et politiques qui sont toujours, dans une société aris- tocratique , le monopole de certaines classes privilégiées, et qu'à défaut de renseignements plus précis et plus explicites, l'épigraphie avait eu plus d’une fois d'utiles enseignements à tirer du nombre de ces noms ou de ces diverses parties du nom, de leur caractère et de leur agencement lui-même, qui ont, presque toujours, quelque chose de significatif. Si dans le nom bien eennu de Publius Cornelius Scipio Afri- canus le nœud et le faîte de l’agroupement nominal, aristo- cratique comme la constitution de l’ancienne société romaine, est incontestablement le nom de Cornelius, le nom héréditaire (nomen gentilitium), de la famille ancienne et puissante ( gens ), dont l’Africain était sorti, ce ne sont point des détails sans valeur dans cet agroupement que l'agnomen de Scipio , qui indique une branche particulière de la gens Cornelia, les Scipiones, et le prœænomen de Publius qui désigne individuelle- ment cette fois un membre de la gens Cornelia et de la branche des Scipiones. Le surnom d’Africanus ( cognomen ), dont tout le monde connait l’origine glorieuse , est remplacé quelque- fois par un autre surnom géographique, comme Balearicus, Creticus, Numidicus, Achaïcus, quelquefois par une quali- fication accidentelle et purement personnelle à l'origine : Bar- batus, Crassus, Macer, Naso, Piso, Rufus, Rufinus, Tor- quatus, Maximus, etc. , bien qu'on voie, dans certains cas, ces espèces de surnoms se transmettre de père en fils ( Crassus, Piso , etc.) et devenir à leur tour la rubrique d’une branche spéciale, comme celle des Scipions, ou d’un rameau secon- daire issu et détaché de cette branche principale. Danslenom de PubliusCornelius Scipio Æmilianus, tout aussi connu que celui de Scipion l’africain , l'adjectif Æmilianus , qui termine l’agroupement appellatif a un sens et une valeur par- ticulière. Il indique, comme le font la plupart de ces adjectifs nominaux terminés en anus, un acte légal, ce que les Romains appelaient une transition d’une famille à une autre ( à gente D° S.— TOME Hi, 28 418 MÉMOIRES ad gentem transire), transition dont le surnom lui-même de- venait le signe et la preuve, puisqu'il nous rappelle que Sci- pion Emilien appartenait par le sang à la gens Æmilia (il y était connu sous le nom de Paullus Æmilius), d'où il avait passé, par adoption, dans la branche la plus illustre de la gens Cornelia, dont il avait pris le nom, Cornelius Scipio, en y ajoutant le prænomen de Publius. C'était par le même principe que l’affranchi, sorti de l'esclavage par un acte légal d'éman- cipation , ajoutait à son prænomen ou à son cognomen servile le xomen gentilitium de son ancien maître devenu son patron. Mais il est à peine nécessaire d'ajouter que ces noms, essen- tiellement romains, c'est-à-dire, essentiellement aristocrati- ques, que ces noms, à trois ou quatre membres, n'apparte- paient point, et ne pouvaient appartenir, même sous l’em- pire, à toutes les classes de la société romaine. Sans parler de la désignation de la tribu, tribus, que l'on intercalait, comme le romen patris, entre les divers membres du nom complet, et que les citoyens ( cives romani ), avaient seuls le ‘droit de prendre. puisqu'ils étaient seuls inscrits dans les tribus romaines, à quel titre des gens de condition médiocre se seraient-ils attribué ces épithètes en anus ( Æmilianus, Octavianus , Paulinianus ) , réservées, en général , aux grandes maisons et aux familles opulentes, les seules qui eussent quelque intérêt aux adoptions dont nous parlions tout à l'heure (1)? Le nom de famille lui-même, le nomen gentilihium , devenu universel chez nous, était, comme le remarque Quin- (1) On trouve assez souvent dans les inscriptions antiques , dans les columbaria, par exemple , des noms d’esclaves suivis d’un adjectif en anus, comme ceux dont nous parlons ici, Drusianus, Licinianus, Aggripinianus, Mæcenatianus , Epaphroditianus, etc. (v. les recueils épigraphiques , pass. ) Ces épithètes ne sont ici que de simples indices d’origine , destinés à rap- peler que tel ou tel esclave sortait de telle ou telle maison, qu’il avait passé, par donation ou par testament, de la maison de Licinius ou de Mécène dans celle d'Auguste. C’est ainsi que l’on a trouvé dans le columburium de Livie l'urne de marbre d’un Aug. Licinian. Pistor ( Gori, Columb. liv. Aug. 177), d’une Anna Liviæ Mœcenatiana ( ib. 97), d’une Parmæno |] Liviæ à purpura || Mæcenatiana (ib. 93 ). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 419 tilien, l'apanage et l’attribut exclusif de la classe libre, qui avait seule le droit d'y ajouter un prænomen. L'affranchi n’en avait un que parce qu'il était entré par l’affranchissement dans la gens de son patron. C'était ce qu'on appelait, d’un mot caractéristique, à Rome, ia nomen alienæ gentis intrare (1). Le nom, se modelant ainsi sur la condition sociale et politi- que, se tronque et s’écourte logiquement à mesure que dimi- nuent les prérogatives politiques et sociales dont la condition n’est, en réalité, que le résultatet l'expression. Si des exceptions accidentelles que mille circonstances expliquent, ne venaient à tout moment déranger et intervertir cette espèce d'ondula- tion , nous verrions les noms aller, en se restreignant ou en se mutilant par degrés, comme la vie politique et les droits qui la révèlent, de Rome au Latium (jus latinum , Latini), du Latium à l'Italie (jus üalicum, Ttalici), de l'Italie aux provinces (provinciales ), où se maintenaient obstinément les formes indigènes et nationales des noms propres, sur les- quelles nous aurons à revenir bientôt. A Ardiége, c'est une distinction déjà très-rare, chez les cultores du dieu Leherenn au moins, que de doubles noms, comme ceux d'Attia Faustina (n° 21) et de Vennonus verus ( n° 25), où nous chercherions vainement trace des prérogatives de famille et de position, que nous offraient tout à l'heure les noms patriciens des Scipions . que nous offriraient ceux de simples légionnaires dont on re- trouve les inscriptions funéraires dans la Gaule du sud, comme dans celle du nord. Ces doubles noms indiqueraient tout au plus de petites gens de condition libre (2rgenui) (2), d'anciens affranchis émancipés, depuis peu de temps peut- (1) Dans une intéressante inscription du Musée du Louvre {première salle, n° 109), deux frères sont désignés sous deux noms complétement différents. C. ATTIUS VENYSTUS||ET M. ABVDIVS |] SELEVCYS [j FRATRES... Ce n'est même que d'après cette diversité de noms bizarrement réunie au titre de fratres que nous savons qu'ils étaient affranchis. (2) La raison qui nous détermine ici est l'absence significative de Ja sigle du libertinat qui est énoncée d'ordinaire , quand le libertinat existe , sur les monuments des Pyrénées. 420 MÉMOIRES être , des devoirs et des charges du libertinat ( officium , obse- quium), qui pesaient encore sur les trois affranchis que nous signalions tout à l'heure (v. p. #15), et l'on arrive ainsi, de degré en degré, à des noms rudimentaires, com- posés, comme ils le sont dans les neuf dixièmes de nos lé- gendes, d'un simple prænomen, qui ressemble plutôt aux noms de fantaisie sous lesquels on désignait, dans les grandes maisons romaines, les animaux favoris, les oiseaux, les chiens de chasse et les chevaux de selle (4), qu'aux prænomina traditionnels des Romains de naissance ( Caïus, Martius, Lu- cius, Cneius, Publius, Tiberius, etc. ), avec lesquels il est impossible de les confondre. L'esclave, qui n'était point un homme aux yeux de la loi romaine, puisqu'il était le bien et la chose de son maitre (dominus ); était aussi incapable d’un acte civil, quel qu'il füt, que les bêtes de somme ou les animaux domestiques dont nous venons de parler (2). Il ne prenait et ne pouvait point prendre de nom de famille (#omen gentilitium) puisque la loi lui interdisait le mariage légal, dont la famille n'est, à son tour, que le résultat ou la conséquence légale. Le nom sous lequel on le désignait dans la maison de son maître, sous lequel il était inscrit dans le registre (énstrumentum) de la familia urbana , aussi nombreuse dans les grandes maisons que l'était le peuple des esclaves attachés à la culture du do- (1) A l'exception de quelques noms d'apparence libre, comme Seranus , Tertullus, Sabinus , la plupart des prœænomina d’Ardiége : Rufus , Masuetus , Amœænus, Domesticus, Mandatus, Gemellus et Festina, ne paraissent être que des sobriquets, analogues aux noms des chevaux que nous ont conservés de curieuses inscriptions antiques : Geminator, Silvanus, Saxo , Dandus, Oceanus, Victor, Vindex, etc. (v. entr'autres, la belle inscription de Rome, publiée par Muratori, 623, 3 ; Fabretti, p. 276; Orelli, 2593.) Si la robe du cheval est soigneusement indiquée à la suite de son nom, on ne trouve trace ni d’un côté ni de l’autre du nomen patris, que nous ne négligerions plus aujourd’hui , pour les chevaux de course au moins. (2) « Ad servum nulla lex pertinet. » ( Quintil. Inst. orat. VIN, 1, 26, 27, et une foule d’autres textes du même genre. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 421 maine (familia rustica ) (1), n'était qu'un simple prænomen emprunté tantôt au pays d'où il était sorti, tantôt à quelque qualité de caractère, à quelque aptitude d'esprit ou de main, à quelque particularité de teint ou de taille, de difformité ou grâce (2). Essentiellement personnels et viagers, ces noms d'esclaves ne sont jamais suivis, dans les inscriptions anti- ques, de la formule significative que l’on désigne, en épigra- phie, sous le titre de nomen palris (3); et en retrouvant, à Ardiége, quelques-unes de ces appellations solitaires, mar- quées de la plupart des caractères que nous venons de signaler, on est involontairement amené à en conclure que c'était à la classe servile proprement dite, à l'esclavage domestique , comme nous l'appellerons désormais, qu'appartenaient plu- sieurs des donateurs de nos autels. A côté du Gemellus , qui s’as- socie à Festina sa sœur ou sa contubernalis, pour dédier au dieu Leherenn un des monuments que nous avons reproduits plus (1) Dans l’une comme dans l’autre, les esclaves étaient divisés en décuries , sous les ordres de decuriales et de principes, comme nous l’apprend le cu- rieux passage de Pétrone, où Trimalchion interroge un de ses esclaves sur son origine et sur la place qu’il occupe dans sa maison : « Ex quota decuria es ? — Ex quadragesimà.— Emptitiusne an domi natus ? — Neutrum, respon- dit Cocus, sed testamento Pansæ tibi relictus sum.» (Petron. Satyri- con, c. 47. (2) Nous allons retrouver à Ardiége même, parmi les cultores du dieu, quelques-uns de ces sobriquets serviles que nous caractérisons ici : Amœnus, Masuetus , Festina, etc. Quant aux appellations géographiques des esclaves, rien de plus commun ni de plus connu , même chez les poëtes, que les noms de Syrus, de Thessalus , de Cylix, etc. ( Voy. le Théâtre de Plaute. pass.) (3) Ne pas confondre avec le nomen patris indiqué presque constamment par la sigle F, l’initiale du mot filius ou filia, précédé d’un prœænomen au génitif, le génitif solitaire , que l’on trouve dans plusieurs inscriptions italiennes à la suite du prænomen servile, dans l'inscription de Celeia, par exemple, publiée par Duelli dans ses Lucubr. epist. 8, 9 et reproduite depuis dans plusieurs recueils épigraphiques. Ge n’est même que très-rarement que l’on voit des esclaves s'approprier le prænomen de leur père, comme dans cette inscription publiée par Muratori, pag. 946, 3 : T. CLAVDIO THREPTO [| CLAVDIA SPES ET TREPTVS/]SER. PUBLIC. PARENT./||FILIO DVLCISSIM. FECERE. La condition de la mère de Threptus, qui était probablement une affranchie (Claudia spes), pouvait ici expliquer et excuser jusqu'à un certain point cette licence. 492 MÉMOIRES haut (n°8), à côté du Tertullus (n° 2), dont le nom n'est suivi non plus d'aucune indication de descendance, nous ran- gerions dans cette catégorie un Mandatus dont le nom ter- mine, sans complétif aucun, un des fragments récemment découverts à Ardiége (n°23), et le Sabinus du petit autel classé sous le n° 13, si l'exiguité du monument ne permettait pas de supposer ici quelque suppression dans l'énoncé du nom ou dans celui des titres qui l’'accompagnent d'ordinaire (1). Exclu de la société et même de la famille, par des lois injustes, l'esclave reprenait, sous l'œil plus équitable des dieux, quelque chose de ses prérogatives et de sa dignité d'homme; et nous pourrions citer à ce sujet les albums heu- reusement retrouvés de plusieurs confréries religieuses où les esclaves sont confondus, sans distinction aucune , avec les hommes libres, investis quelquefois des dignités et des magistratures de l'association (2). Au temps le plus aristocra- (4) Nous nous sommes bien des fois demandé , dans le cours de ces recher- ches que domine la grave question que nous venons de soulever, si les lapidi- cides ne se permettaient point, dans certains cas , de tronquer et d’écourter les noms qu'ils gravaient sur leurs autels ; s'ils ne les écourtaient point, dans d'autres cas, faute d'indications suffisantes que les donateurs étaient tenus de leur fournir ; si ce n'étaient point par leur fait que les inscriptions d'Ardiége nous offraient tout à l'heure des noms d’affranchis ou d'hommes libres , réduits à un simple prænomen d'apparence servile; et nous devons déclarer que c’est à la négative que cet examen nous a conduits. Sans nier d’une manière absolue que quelques suppressions aient pu se produire, par la faute des donateurs surtout, qui tronquaient et estropiaient leurs noms de bien des manières, comme le font encore les paysans d'aujourd'hui, il est facile de se convaincre en parcourant les tituli des Pyrénées, où les moindres indications d'état, le nomen patris et le nomen domini, sont mentionnées avec beaucoup de soin sur les plus petits autels; qu’ils ne se permettaient jamais, de parti pris, des suppressions qui pouvaient avoir de graves conséquences, fixées par l'écriture sur des monuments publics, et que l'on peut, dans le plus grand nombre de cas, accorder une confiance entière à leurs affirmations comme à leur silence. Les quatre ou cinq donateurs dont nous rapprochons ici les noms et les destinées, n'étaient diminuti nomine , comme on le dirait dans la langue gra- vement pittoresque des Romains, que parce qu'ils étaient, selon toute appa- rence, diminulti capile. (2) Dans l'album de Celeia dont nous venons de parler, PI final du nom des propriétaires de chaque esclave est rejeté à l'extrémité de la fabella où il al- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 423 tique de l’ancienne Rome, les Potitii n'abandonnaient-ils point aux esclaves de leur gens l'entretien des autels et le soin des sacrifices qui leur étaient confiés (1)? Dans certains sanctuaires, dans celui de Larinum, par exemple (ancienne Campanie ), dont le dieu était aussi une sorte de Mars topique, plus célèbre seulement, et mieux connu que celui d'Ardiége, c'était à ces esclaves, organisés en confréries, et désignés ici sous le nom de Martiales, qu'était exclusivement réservé le soin du culte et l'entretien du temple (2). Comme nous trou- terne avec l’'S final du nom des hommes libres, composé d'un prœænomen et d’un nomen au nominatif; il sert à désigner au premier coup d'œil les hommes des deux conditions, rapprochés et confondus dans le sodalitium. MAXIMVS TERT IVLIVS SECYND ALILIVS FIRMV S CASSIVS SENILI S SECVNDIN. MAXIM I Il I Il ne restait d’indécision possible que dans le cas où le nom du maitre se termine lui-même par un $ comme dans MAXIMVS VIATORI S mais elle est levée bientôt par la forme génitive de ce nom. Orelli remarque avec raison que les esclaves et les hommes libres sont déjà confondus dans les sucra de ces colléges obscurs, comme ils l'ont été depuis dans ceux des chré- tiens (Orelli, Insc. t. I, pag. 417.) Quant aux droits reconnus aux esclaves d'exercer les honores de ces confréries , nous citerons entre autres preuves le texte suivant : DIANÆ AVG. || COLLEG. LOTOR. SACR. || PRIMIGENIVS R.P. (reipublicæ) [| ARICINORVM SER.(servus) ARC.(arcæ) [| CVRATOR IE CVM M. ARRECINO GELLIANO || FILIO CVRATORE T. (tertium) D.D. (dedit, dicavit} — (Falconieri, not. ad inscr. athlet. pag. 24). (1) « Eodem Appio auctore, potitii, gens cujus ad aram maximam Herculis familiare sacerdotium fuerat , servos publicos ministerii delegandi causa sol lemnia ejus sacri docuerat. » Il est vrai que le dieu se montra blessé de ce sans-façon , et que les douze familles dont se composait alors la gens Politia, s’éteignirent toutes dans la même année, disait la légende : « Cum duode- cim familiæ ea tempestate Potitiorum essent, puberes ad triginta, omnes intra annum cum stirpe exstinctos. » (Liv. 1x, €. 29). (2) « Martiales quidam Larini appellabantur, ministri publiei Martis atque ei deo veteribus institutis religionibusque Larinatium consecrati. Quorum quum satis magnus numerus essel.….. » ( Cie. pro Cluentio, e. 25). 424 MÉMOIRES vions tout à l'heure parmi les cultores d’Ardiége de pauvres affranchis , d'apparence servile , rien ne serait plus naturel, à coup sûr que d'y rencontrer de véritables esclaves, des es- claves domestiques (vernæ, servi vernæ ) qui avaient certai- nement à Ardiége, comme dans les sanctuaires voisins, le droit de faire des offrandes ou des sacrifices au dieu du pays, et que n'auraient point arrêtés à coup sûr la dépense d'un modeste autel, comme ceux que nous décrivions tout à l'heure (1). Ne perdons point de vue cependant que, dans la plupart des monuments épigraphiques des Pyrénées, où figu- rent indubitablement des esclaves, le prænomen servile dont nous venons de parler est toujours suivi de la qualification formellement énoncée de l'esclavage, et que, dans tous les cas, il serait impossible d'étendre cette interprétation à la classe la plus nombreuse des cultores d'Ardiége, qui ajoutent constamment au prænomen sous lequel ils sont désignés la qualification formellement énoncée de fils ou de fille d’un tel : Domesticus Rufi F. (n°1), Mandatus Masueti F. (n° 3), Titullus Amœni F. (n° 5), Dannonia Harspi filia (n° 6), Bambix Sori F. (n° 9), Seranus..Tirr1F (n° 10), Ingenus Siricconis F. ? (n° 4 ). A côté de l'esclavage domestique , sur lequel devait s'arrêter d'abord notre attention, se maintenait, il est vrai, une autre forme de l'esclavage , une autre classe servile plus nombreuse et plus intéressante à tous les égards que celle dont nous ve- nons de nous occuper. Nous voulons parler de ces esclaves des champs , de ces serfs de la terre ou de la glèbe que les lois romaines désignent sous les noms divers, selon les lieux ou les temps, d'originarü ou inquilini (les indigènes), d’adscripti ou adscriptitii (sur les rôles du domaine ou de l'état) de (4) Nous nous contenterons de citer à l'appui de cette assertion les quel- ques textes suivants : PHILETVS || POMPEI SERV. || HERCVLI || V.S. L. M ( L’Isle-en-Dodon , publiée par M. du Mège ).—GEMINVS || Q.IVL. BALBI SER. |] V-S-L-M (Musée de Toulouse, e schedis mss. meis). D.. (Deo) {[CARR. (0 ) GEMIN || VS SER. || VT-S-L-M || . T PROS. [| .ONSER (et pro suorum conservatione. {| (/bid., tb. ). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 425 rushici (les gens de la campagne), de coloni (les cultiva- teurs) (1). Quoiqu'il ressemble, par quelques côtés à l’es- clavage, puisque les serfs de la glèbe étaient, comme les es- claves proprement dits, en possession et en puissance d’un maître (2); qu'il leur était interdit par quelque motif, et sous quelque prétexte que ce fût, de quitter le sol où ils étaient nés (natale, genitale solum, pass.), et que leurs enfants, voués héréditairement à la même condition , appartenaient de droit à cette terre dont ils étaient les esclaves, suivant la forte expression du droit romain (quasi servi terræ... quadam dediti servitute. L. 2 [ Arcad, et Honor.], C. J., xv, xuix ); le colonat en différait pourtant par des traits bien marqués, qui rapprochaient à plus d'un égard la condition des colons de celle des hommes libres (liberi, ingenui), sous le nom desquels on les trouve plus d’une fois désignés dans les lois romaines (3). Leur mariage, par exemple, n’était plus, comme le contubernium des esclaves, une relation accidentelle, un rapprochement fortuit et purement physique dont il ne pou- vait sortir que des choses, puisqu'il était non-seulement dé- pourvu mais incapable de sanction. C'était un mariage légal, (1) Les textes les plus importants et les plus étendus relativement au colo- “nat sont, dans le Code Théodosien, au liv. v, les tit. IX, x, x13 dans le Code Justinien, au liv. x1, les tit. XLVIT, XLIX, L, LI, LIU, LXHI, LXVI ; les Novelles LIV, CLVI, CLVIL, CLXIT, C. I, I; la quatrième constitution de Justinien , de adscriptitiis et colonis, celle de Justin, de filiis liberarum : celle de l’empereur Tibère Constance , de filiis colonorum. Nous les réu- nissons ici d'après M. Guizot ( Hist. de la civilisat. en Fr., 37e leçon), pour mavoir point à les citer en détail et à tout moment. On sait que cette belle question a été étudiée et traitée plusieurs fois depuis le com- mencement de ce siècle et à divers points de vue, par M. de Savigny, par M. Guizot qui ne fait guère que mettre en œuvre les faits rassemblés et interprétés par l'historien jurisconsulte de Berlin, plus récemment par M. H. Wallon, dans sa belle et savante histoire de l’esclavage dans l’anti- quité (t. 11 et III, pass. ). (2) « Quum uterque domini sui positus sit potestate » (liv. 11, C. Justin, XI, XLVIT). A plusieurs reprises , la loi les distingue formellement des per- sonnes : sui juris , sui arbitrii ( Codd. pass. ) (3) «… Licet conditione videantur ingenui. ( L. unic. | Theod. et Valent.|. C. Just., x1, 12 et 1b., tit. A1 ). 426 MÉMOIRES sinon complet, qui avait des effets civils, qui conférait à leur femme le titre d'uxor , sous lequel la loi les désigne à plu- sieurs reprises (1), qui donnait à leurs enfants le droit de se dire les fils d’un tel, comme dans nos inscriptions , s’il ne leur donnait pas celui de prendre un nom de gens ou de famille , et de le transmettre héréditairement à leurs descen- dants. Leur avoir, qu'ils pouvaient accroître par leur indus- trie et leur travail personnel jusqu'à un certain degré d’ai- sance, de bien-être même, car ils ne devaient au propriétaire du sol auquel ils étaient attachés qu'une rente en nature, déter- minée une fois pour toutes, et dont le chiffre ne pouvait pas être élevé (2), n’appartenait plus absolument à leur maitre, maluré le nom servile de peculium, sous lequel on le désigne. encore. Il n'était plus placé que sous sa tutelle ou sa sur- veillance (3); et ce qui prouve que la loi regardait le colon comme légalement capable de propriété, c’est qu’il était soumis à l’impôt comme l’étaient en principe tous les hommes libres de l'empire, tous ceux au moins qui ne jouissaient point d’une immunité légale ( provinciales, tributarii) (4). Par une dernière prérogative, qui tient de très-près à celles que nous venons d'indiquer, les colons étaient légalement admis dans les armées dont les esclaves étaient rigoureusement exclus. À défaut des légions où l’on ne rencontre que rarement, dans (4) «… Uxores sibi conjunxerint. » (Cod. Just., tit. XLVH, 1. XxiV). (2) « … Domini prædiorum id quod terra præstat accipiant, pecuniam non requirant, nisi consuetudo prædii hoc requirat » ( L. 5 , [ Valent.] CG. Just. x1, XLvIT de agricol. ) « .… Caveant autem possessionum domini ali- quam innovationem vel violentiam eisinferre. (CG. Just., 1. 20 $ 2, et1. 23 $ 1.) (3) V. L. unic. ( Valens ) C. Theod. V. XI, «ne colonus inscio domino pe- culium alienet. » (4) Obnoxii censibus, censiti., capite censi , »,( Codd. pass. ). Ils pouvaient de leurs économies (peculium) acquérir une petite propriété, des terres mème pour lesquelles ils étaient inscrits séparément et sous leur propre nom dans le cadastre de l'Empire. «… Sane quibus terrarum erit quantulacunque possessio qui in suis conscripti locis, proprio nomine libris censualibus detinetur. » L. 14.(Valent. et Valens }G. Th. x1. 4: cf. Just. novell. CXXVII, 44. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 427 les premiers siècles de l'empire, des noms d'apparence servile et de forme barbare , comme ceux que nous offrent nos légen- des (1), ils pouvaient figurer au moins dans les escadrons ( alæ ) ou les cohortes auxiliaires que chaque province était tenue de fournir aux armées romaines, que l’Aquitaine four- nissait pour sa part aux armées de Germanie, et qui y con- servaient, avec leur costume et leur armure . leurs habitudes et leurs croyances nationales, dont nous avons retrouvé sur les bords du Rhin de curieux vestiges. Quelles que soient les raisons qui se réunissent pour arrêter notre attention sur cette classe intéressante des colons ou des serfs de la glèbe, nous sommes loin de prétendre pourtant qu'elle ait formé à elle seule la population des campagnes, celle des vici particulièrement, dont l'histoire, à peu près inconnue, aurait pour nous Lant d'intérêt. À côté de ces affranchis que nous y rencontrions tout à l'heure, désignés sous le titre de liberti, et qui devenaient complétement libres à la troisième génération, nous y trouverions bien certaine- ment des gens d’origine et de condition diverses, des colpor- teurs et des artisans nomades qui quittaient, chaque année, le village pour travailler aux carrières ou pour battre le pays, des étrangers mariés et établis dans le vicus , où ils exerçaient (1) Les noms des légionaires sont d'ordinaire très-complets, sinon très- romains. Ils sont composés habituellement du prænomen et du nomen que suit immédiatement le nomen palris et la tribus, puis vient l’agnomen ou le cognomen suivi lui-même de la patria énoncée quelquefois d’une manière très-précise et très-détaillée, comme dans ce texte :.. NAT. (natione) BESSVS NA [| TVS REG. / regione ) SERDICA VI |] CO MAGARI... ( Naples, Gruter. DCXXVI. 3). Une indication de ce genre, sur le monument lehérennique de Strasbourg, ne nous laisserait pas de doute sur le nom antique du vicus d’Ardiége que nous ignorons encore. Quelquefois cependant (une fois sur cent peut-être), on trouve des légionnaires désignés sous un simple nomen d'apparence barbare , comme dans ces exemples que j’emprunte au beau re- cueil de M. de Boissieu :.. ALVSIDAS VET. LEG. I M. (veteranus legionis primae Minerviae, inser. antiq. de Lyon, p. 304).—D M || ET MEMORIÆ A. [| TERNÆ VROGENO || NERTI VET. LEG. XXII... 1b., p. 330. Nous avons cité plus haut ( p.383 , note 2), le texte épigraphique qui nous a révélé l'existence des quatre cohortes que l’Aquitaine fournissait, à la fin du premier siècle , aux armées de Germanie. 428 MÉMOIRES quelque modeste industrie (1), de petits propriétaires libres que la conquête romaine avait affranchis en partie des anciennes obligations de la clientèle où ils allaient retomber dans les malheurs et l'anarchie qui marquèrent la seconde moitié du ue siècle. En dehors des vici, dans les prædia, où vivaient la plus grande partie des colons ou des rustici, comme on allait les appeler au 1v° et au v° siècle, les maîtres travail- laient eux-mêmes à effacer ou à atténuer les traits originels que nous essayons de ressaisir en confondant, de parti pris, les obligations et les devoirs très-distincts en principe de la familia rustica et de la familia urbana, en retirant de la charrue ou de la bergerie les fils de leurs colons pour les appliquer , suivant leurs aptitudes, aux divers emplois de la domesticité intérieure (culina, cubiculum, scrinium , &c. D aussi nombreux dans les élégantes villæ du pied des Pyrénées que dans les riches maisons des civitates de la plaine (2). Les noms d'apparence servile, Domesticus, Masuetus, Amœænus , Rufus, Festina, &c., qui alternent sur nos autels avec les noms franchement barbares de Sorus, de Osson, de Harspus, de Bambix , de Dannonia (3), s'expliqueraient , en partie, par ces déplacements arbitraires et fréquents qui n’allaient à rien (1) Les professions ne sont presque jamais indiquées dans les inscriptions funéraires des Pyrénées. Mais on rencontre quelquefois des stèles où sont sculptés au-dessous du buste du défunt, les instruments de la profession qu'il exerçait, une tenaille et deux marteaux, par exemple. (2) « Opera autem eorum terrarum domini libera ( esse sciant).. nullique liceat velut donatos eos a jure census (in se)rvitutem trahere urbanis- que obsequiis addicere. » ( Loi d’Honorius, récemment découverte par M. Peyron, chez M. Laboulaye, Hist. de la prop. fonc. en Occid. p. 110 ). C'est à cet usage cruel quelquefois que font allusion les vers éloquents de Juvénal ; .… Incultus puer atque a frigore tutus... Pastoris duri est hic filius, ille bubulci ; Suspirat longo non visam tempore matrem Et casulam , et notos tristis desidera thædos. ( JuvéNaAL , Sat. x1, v. 146-538). (3( Nous essaierons de réunir ailleurs ces noms barbares des Pyrénées , trop peu nombreux ici pour qu'il soit possible d’en tirer aucune induction historique ou ethnographique. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 429 moins qu'à confondre la liberté conditionnelle des colons avec la servitude sans condition des esclaves, et qui avaient leur importance dans un pays où la petite propriété n'avait point complétement disparu, et où les riches possessores vivaient habituellement sur leurs domaines. Ce que l’on peut affirmer, en dépit de ces altérations qu'il nous suflit de signaler d’une manière générale, c’est que les instincts , les traditions et les habitudes de la race indigène ne se conservaient nulle part avec autant de fidélité que dans ces classes obscures, protégées dans les campagnes par la dispersion et l'isolement des habitations, dans les villages par la pauvreté et l'ignorance, sur lesquelles sont venues s’6- mousser l’une après l’autre bien des révolutions et des tentati- ves de réforme. Attachés jusqu'à l’entêtement, comme le disait, en parlant des Vascons , un poëte du 1v° siècle, à ces supers- titions locales qui ne sont autre chose, en réalité, que les an- ciennes religions du pays, formulées et traduites, pour ainsi dire , par l’art idolâtrique des Romains (1), ces pauvres gens étaient restés fidèles aux usages et aux habitudes traditionnel- les qu'effaçait tous les jours dans les classes élevées l'influence et l'exemple de la civilisation romaine, à leurs chaumières de terre battue, par exemple, aussi répandues du temps de Vitruve, dans l'Aquitaine gauloise que dans l'Ibérie propre- ment dite (2), et à leur costume national, dont on retrouverait quelques détails caractéristiques sur les monuments figurés du pays, dans les effigies grossières de ses dieux , que les hommes conçoivent et habillent toujours à leur image (3). Les noms (4) «.… Bruta quondam Vasconum gentilitas. » ( Aur. Prudent. Periste- phanen : hymnus 1. v. 187-8.) (2) « His rebus ( Fronde, arundine, luto), ædificia constituuntur ut in Gallia, Hispania , Lusitania, Aquitania , scandulis robusteis aut stramen- lis. sine tegulis , subacta cum paleis terra tecta. » ( Vitruv., 1. 4, c. 1 ). (3) La description la plus complète que nous connaissions du costume aquitain , quoiqu’elle soit d’une date relativement récente, est celle que nous à laissée l'historien anonyme de Louis le Débonnaire , que l’on dé- signe habituellement sous le nom de l’Astronome : «Habitu Wasconum cum 430 MÉMOIRES que nous ont conservés les monuments épigraphiques des Pyrénées, ces noms d'apparence servile qui semblent flotter comme le colonat entre la liberté et l'esclavage, n'étaient eux- mêmes qu'un souvenir et qu'un débris de cette nationalité effacée, qui se survit pour ainsi dire à elle-même dans ces régions oubliées de la société provinciale. N'y avait-il pas eu un temps où ces noms , abandonnés aujourd'hui aux gens de la plus basse condition, étaient ceux de tout le monde, en Aquitaine comme en Gaule, ceux des hommes puissants et des grandes familles du pays, où le roi des Nitiobriges , par exemple, s'appelait Theutomatus, Olloviconis filius, comme les pauvres colons dont nous retrouvons les noms sur nos autels (1)? Ce fut, nous le savons, un moment de crise pour le colo- nat, comme pour la Gaule tout entière, que les révolutions de la fin du m° siècle, où les émeutes et les soulèvements des Bagaudes se mêlent aux insurrections des provinces contre l'Italie, et aux essais d'indépendance nationale qui en furent la suite (2). Si les esclaves et les colons de certains domaines se trouvèrent émancipés quelquefois , momentanément éman- cipés par ces réactions haineuses et violentes , beaucoup d’af- franchis, de petits artisans et de propriétaires libres se trouvè- rent d'un autre côté réduits à l'esclavage par la pauvreté et par coævis sibi pueris indutus, amiculo scilicet rotundo, manicis camisiæ diffusis, cruralibus distentis, calcaribus caligulis insertis, missile manu ferens. (Anonymi vita Ludov. Pi imp. G. 1v. Bouquet vi , p. 89). Quelques traits de ce costume, les Manicae camisiae diffusae , par exemple, se retrouvent assez exactement dans certains monuments figurés du pays, notamment dans le bas-relief d’un autel anépigraphe , dont nous avons parlé plus haut, et dont nous donnons le dessin à la fin de cette monographie. ( v. p. 439.) (4) … «Interim Theutomatus, Olloviconis filius , rex Nitiobrigum.. » Cæs. de Bell. Gall., 1. vir., €. 31. (2) « Omnia pene Galliarum servitia in Bagaudam conspiravere. » (Prosper Aquitan. Not. ad Eumen. orat. pro restaur. Scholis Vu, 4 : v. aussi Eutrop. ix, 13 et P. Oros. vit, p. 25). — « Quibus aliis rebus Bacaudæ facti sunt..…. nisi improbitatibus judicum, nisi eorum proscriptionibus et rapinis qui exactionis publicæ nomen in quæstus proprii emolumenta verterunt. » (Salv. De gubernat. Dei. V. p. 104. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 431 la misère, qu'aggravaient graduellement, au 1v° siècle, les lois fiscales de l'Empire à bout d'expédients comme de ressour- ces (1). Ce que nous raconte Salvien , en termes malheureuse- ment déclamatoires et vagues, de ces pauvres gens réduits à abjurer eux-mêmes leur propre liberté, à se donner comme clients ou comme esclaves aux hommes puissants qui pouvaient les faire vivre et les protéger contre la loi elle-même (2), de- vait être aussi vrai de l’Aquitaine que de la Gaule, où renais- saient sous des formes diverses les obligations personnelles de l'ancienne clientèle. Ce que l’on peut affirmer au moins , en s’autorisant des textes très-nombreux et des dispositions très- formelles des deux codes, c’est que le colonat ne disparut point au milieu de ces révolutions qui diversifiaient, pour ainsi dire, la population agricole, et que la condition légale des co- lons n'en fut pas plus modifiée que leur genre de vie (3). A l'époque où le christianisme essaya de sortir des villes où il était né, et de prendre sérieusement possession des campa- gnes , ils y vivaient encore de la même manière à peu près que leurs pères y avaient vécu, astreints aux mêmes obligations et désignés souvent sous les mêmes noms ( colon, rustici , rusticani , incolæ , Synonyme de originarü et d'inquilini), dis- persés ici sur les domaines ( latifundia , fundi, prædia) des (4) V. pass. les lois des deux Codes et Salv., b.. lib. v et pass. : « Plurimi proscribuntur à paucis quibus exactio publica peculiaris est præda : qui fiscalis debiti titulos faciunt quæstus esse privatos, et hoc non summi tantum sed pene infimi ( V. p. 109)... pauperculos homines tributa divitum premunt..….. » (/d., ib ). .(2) « Tradunt se ad tuendum protegendumque majoribus, dedititios se divitum faciunt et quasi in jus eorum ditionemque transcendunt ( Salv., ibid., ib., p. 110 }),,. Cum domicilia atque agellos suos aut pervasionibus perdunt , aut fugati ab exactoribus deserunt... fundos majorum petunt et coloni divitum fiunt (/d. ib.. p. 111. ). Jugo se inquilinæ abjectionis addi- cunt, in hanc necessitatem redacti, ut extorres non facultatis sed etiam conditionis suæ... suscipiuntur advenæ , fiunt præjudicio habitationis indi- genæ... quos esse constat ingenuos vertuntur in servos ( /d.ib., p. 112 ). (3) V. les Codes Théod. et Justin. aux titres indiqués et énumérés plus baut. 432 MÉMOIRES possessores du pays qu'ils cultivaient par familles et par lots de terre à peu près égaux (1), agglomérés ailleurs dans des villages plus ou moins peuplés (vicatim) , où le servage de la glèbe se complique d'éléments étrangers ; et si les historiens ecclésias- tiques nous avaient conservé le souvenir des résistances quel- quefois très-vives que provoquaient ces premières entreprises, dans les villages surtout où elles menaçaient , comme à Ar- diége, d'anciens et de puissants intérêts (2) , ce seraient pro- bablement nos colons que nous verrions accourir les premiers à la défense de leur temple , et repousser « armés d’épées et de bâtons » les missionnaires d’une religion qui n'offrait plus à leurs dieux , ni transactions, ni alliances (3). (1) Ce sont les mansi du moyen âge (ingenuiles, serviles, absi); on les a dé- signés longtemps, dans certaines provinces , sous le nom de colonica(Renovatio testament. patricii Abbonis in pago Viennensi, ann 805, : ap. Mabillon, De re diplom. , p. 507, seqq.) Quant à leur vie intérieure, la source principale est incontestablement celle des hagiographes réunis et publiés dans le grand Recueil des Bollandistes et dans les Acta ordinis sancti Benedicti (2) « Templum opulentissimum superstitione religionis…. » (Sulp. Sev., de Vit. S. Martin. , ©. 2.) (3) « In pago Æduorum.. dum templum ibidem everteret, furens gentilium rusticorum in eum irruit multitudo ; quumque unus audacior cæteris stricto eum gladio peteret..… » (Sulp. Sev. Vif. S. Martin., c. 14).— « Cum gladiis et fustibus vel omni fremitu conabant defendere. » ( Baudonivia, Vif. S. Rade- gundis, + 587 ,: Act. Ben. sec. 1, p. 317.) —« Sed undique illis certatim concur- rentibus, cum armis et fustibus.. ut quasi injuriam dei sui vindicarent. » ( Vita Walaric. Abbat. Leuconensis , 7 622, Act. Bened. sec. 11, p. 84, 85.) Jacob Grimm a réuni une foule de textes du même genre dans sa Deutsche mythologie, e. vi; Gœtter und Bilder. Dans un livre d’une critique judi- cieuse, et d’une impartialité très-rare en pareille matière (Histoire de la destruction du paganisme en Occident, Paris 1835, 2 vol.), M. A. Beugnot a fort bien montré ce qu’avaient de courageux et d’illégal tout à la fois ces en- treprises des premiers missionnaires du christianisme contre une religion qui n’avait point cessé d’être, en droit comme en fait, la religion de Etat, puis- qu’elle n'avait jamais été officiellement abolie ou interdite par les Empereurs chrétiens eux-mêmes, et qui pouvait toujours invoquer contre ces aggres- sions violentes les principes de liberté de conscience et de liberté de culte que Constantin avait proclamés pour assurer l’établissemeni légal du christia- nisme. (v.t.1,liv.1,c.2et3,et liv, VI, p. 313). Personne n'avait encore mis aussi complétement en évidence le fait universellement admis aujour- d'hui de la longue persistance du paganisme, dans les provinces surtout , et en dehors des villes romaines qui se sont ainsi trouvées deux fois les ins- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 43: A défaut de prêtres attitrés et permanents que l’on cherche- rail en vain dans les sanctuaires des Pyrénées (1), dans ceux au moins de ces dieux topiques et locaux , nous nous sommes demandé plus d’une fois si ce n'était point sur les habitants du vicus , sur les rustici eux-mêmes, comme les appellent or- dinairement les hagiographes , que retombaient directement le soin du culte et l'entretien du temple; s'ils n'étaient poirit, dans ce but, organisés en corporations ou en confréries ( col- legia , sodalitia , contubernia ) qui devaient être aussi commu- nes dans la Gaule que dans l'Italie (2), car nous en avons retrouvé des traces assez nettement marquées à peu de distance du pays que nous étudions , chez les Nitiobriges , par exem- ple (Aquitaine ), où une inscription nous a révélé l'existence d'une confrérie de jeunes gens, placée ici sous le patronage d'un dieu romain , Jupiter (juvenes a fano Jovis ) (3). Beau- truments des conquêtes de Rome. Mais c’est de l’histoire et de la lutte géné- rale des deux religions que se préoccupe particulièrement l'historien. Dans le très-court chapitre consacré à la Gaule romaine (t. 1, p. 290-305), il ne pa- raît frappé que du druidisme gaulois et du polythéisme officiel des Romains, avec lequel il paraît confondre les cultes indigènes que nous essayons d'en distinguer, et en présence desquels allait se trouver, presque partout, le christianisme. (1) On trouve pourtant, en Italie, des sodales qui s’intitulent à la fois, cultor et sacerdes, comme dans l'inscription citée plus haut de Celeia : MERCVRIO AVG. IVLIVS LVCIFER SAC. ET CVLTOR EIVS , etc. (Orelli, 2394). En Gaule même, Sulpice Sévère parle formellement de prêtres attachés à ces temples. Quum in vico quodum templum antiquissimum di- ruisset et arborem pinum quæ fano erat proxima esset aggressus excidere ; tum vero antistes loci illius, cœteraque gentilium turba cœpit obsistere… ( Vit. S. Martin. , ©. XIII.) (2) V. les Recueils épigraphiques , aux titres : Res sacræ , Collegia et Soda- litia sacra. j (3) DIS MANIBVS [JIVVENES A FANO/||IOVIS||SIBI ET SVIS (Agen, Millin ; Mag. encyclop. 1818, p.324, et Orelli 4099.) Les vici possédaient ces confréries comme les villes. GENIO COLLEGI || IVENTVTIS (sic) VICI/| APOLLINESIS (sic). (Mayence, Fuçhs 1, p- 28, et Orelli, n° 95.) C’est quelqnefois à ces confréries qu'étaient destinées spécialement certaines chapelles dont les inscriptions antiques nous ont conservé le souvenir. ÆDICVLAM NOVAM A SOLO [|SODALIBVS SVIS PECVNIA SVA DONVM DEDIT || DEDICAVIT , ete. (Rome, Orelli, 4092). 5e S. —— TOME Ill. 29 43 MÉMOIRES coup plus près du pays des Convenæ , sur les frontières orien- tales du territoire des Tolosates, une déesse locale Lahe , dont le sanctuaire était beaucoup moins populaire que celui du Mars d'Ardiége , avait sa confrérie de fidèles ou de dévots , dont les membres se désignaient eux-mêmes , sous le nom ca- ractéristique de consacrant (1). Ces congrégations qui se recrutaient en grande partie dans les classes inférieures de la population provinciale, chez les artisans libres ou affranchis, chez les colons et chez les es- claves , étaient placées d'ordinaire sous le patronage de quel- que haut fonctionnaire, ou de quelque personnage riche et puissant du pays. Elles avaient à l'intérieur leurs dignitaires électifs et annuels selon toute apparence, que les inscriptions désignent sous les noms de curatores , de quinquennales , de magistri collegüi (2), et se divisaient, suivant l'usage universel des associations romaines, en dizaines présidées chacune par (1) LAHE || DEAE [| CONSA [| CRANI (Castelnau de Picampeau, ancien diocèse de Rieux, démembré de l’évèché de Toulouse : e schedis meis ). Je crois retrouver ce nom de consacrani dans une autre inscription des Tolo- sates, probablement mal lue par Scaliger : ERDIT SEL || CONS ARCAN|| BORODATES |] V.S.L.M.(Gruter. MLxx1v, 11). M. du Mège ne voit dans tout cela qu’une divinité désignée par les mots Erdit, Selcons, Arcan; noms qui ap- partiennent peut-être à l’ancienne langue des peuples gaulois. ( Monum. re- ligieux, p. 205.) À une plus grande distance des Pyrénées nous pourrions citer encore le sodalitium des cultores Uræ fontis, la célèbre fontaine d’Eure , à Uzès, qui nous est connue par une intéressante inscription du Musée de Lyon (M. de Boissieu, Inscr. ant. de Lyon, p. 49, 50); celui du dieu Silvain à Saint-Maur, près Paris, dont l'inscription a été publiée par Montfaucon (Mém. Inser., et B. L., t. x, p. 433). Je trouve, à Augsbourg, un contubernium marticullorum qui se rapporterait plus directement encore au culte guerrier d'Ardiége : IN H. D.D.||DEO MARTI[JET VICTORIAE Il CONTVBERNI||VM MARTICV ||LTORVM POSVEÏ|RVNT V. S.||L. L. M. (Aug. Vind. Gruter. LV, 10 : Orelli, 2399.) (2) Les preuves et les textes à l'appui de ces assertions , qu’il serait trop long de reproduire ici, les faits étant d’ailleurs connus et incontestés (voyez entre autres la belle et savante dissertation de M. Mommsen : de Collegüis et sodalitiis Romanorum ; Kiliæ , 1843), nous sont fournis par de très- nombreuses et très-curieuses inscriptions disséminées malheureusement dans une foule de recueils épigraphiques ( Gruter, Muratori, Marini , Orelli, etc.) sous les titres indiqués pins haut). DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 435 un dizainier, decurialis, decurio , qui n’a rien de commun que le nom avec les magistrats ou les membres des curies municipales (1). Sans parler de l'attrait mystérieux des choses sa intessur des hommes sans culture pour la plupart, et de l'espèce d'importance que leur donnaient à leurs propres yeux les assemblées régulières de l’ordre (ordo), où tout se décidait à la majorité des suffrages (2), le soin des cérémonies et des sacrifices, où ils figuraient, comme dans les processions, vêtus de robes blanches et la tête voilée (3), bien des choses se réu- nissaient pour attirer les vicani dans ces confréries (4), dont (1) Je suis bien tenté de croire que c’est à ces decuriales, et non point aux décurions des anciennes curies municipales que s'applique ce texte du vue siècle , que l’on a cité bien des fois sans le comprendre... In villa quæ dicitur Andesagina ( Ausenne) super fluvium Ausciam (la Bresle en Vimeux), ubi erant templa fanatica à decurionibus culta. ( Vit. S. Lup. Senon. Bouq. In, pag. 492.) (2) Quo in conventu placuit universis ut. pleno conventu… ex decreto uni- versorum. Lex collegii Æsculapii et Hygiæ : Orelli, 2417 pass.) (3) On pourrait citer, au sujet des processions , les textes bien connus de Sulpice Sévère et de Grégoire de Tours : Quia esset hæc Gallorum rusticis consuetudo simulacra dæmonum candido tecta velamine misera per agros suos circumferre dementia (Sulp. Sev. Vit. B. Martin., c. x) : hanc (Berecyn- thiam) quum in carpento, pro salvatione agrorum et vinearum suarum misero gentilitatis more deferrent… cantantes atque psallentes ante hoc simulacrum. (Greg. Tur. de glor. confess. c. 77. ) Quant au costume, nous songeons , sur- tout en écrivant ceci, au très-curieux bas-relief gravé sur un autel votif du Musée de Lyon (il provient des environs de Nimes ), qui porte pour légende : AVGYS. [| LARIBVS [| GVLTORES VRAE || FONTIS , et que M. de Boissieu a reproduit, avec son exactitude habituelle dans son beau recueil des inscrip- tions antiques de Lyon, p. 49. Cette curiense figure, drapée et voilée, qui ne peut représenter ni le Lar Augustus dont tout le monde connaît le cos- tume et la figure habituelle (Ephebus capillatus et succinctus, summis pedibus cothurnatis et alatis leviler incedens , sinistra rhytona aut cornucopiam, dextra pateram gestans ) , ni la fontaine d’Eure elle-même , que l’on ne représenterait guère sous ce costume , et à laquelle, d’ailleurs, le monument n’est point dédié, nous a toujours paru représenter un des dignitaires de l’ordo ( cul- tores Uræ fontis), faisant une libation à la divinité tutélaire du Sodalitium et aux Lares Augusti, dont on associait alors le culte à celui de toutes les divinités obscures , que le nom de l'Empereur semblait légaliser. Pétrone dit de mème : Mulier operto capite… ego sum ancilla Quartillæ cujus vos sacra ante cryptam turbastis ( Satyric. €. XVIT). (4) Ce mot de confrérie que nous employons à défaut d'autre, s’applique- rait lui-même sans trop de violence aux associations religieuses que nous 436 MÉMOIRES l'album restait toujours ouvert, et où finissait par entrer une bonne partie, la majeure partie quelquefois, de la population du village. Les plus riches, qui étaient ordinairement les plus nombreuses, assuraient à tous leurs membres (sodales , cultores soci cultores (4), populus, plebs collegi , pass.), aux esclaves eux-mêmes, une sépulture et des funérailles honora- bles (funeratitium ), dans un cimetière commun acheté et dé- coré aux frais de l'association (2). Lei ils avaient droit à des distributions régulières de pain et de vin (sportulæ); ailleurs, à des repas en commun qui se célébraient une ou deux fois l'année, au temps des violettes, par exemple, et au femps des roses , sous un hangar ( solarium ) et sur des tables données par le patron ou par quelque bienfaiteur du sodalitium (3). N'était-ce point à ce pieux usage que servait une table mo- numentale de marbre blanc, découverte, il y a près d'un siècle, dans la ville basse de Lugdunum, l'ancienne métropole des Convenæ, à quelques milles seulement du village d'Ar- diége , et destinée aux habitants ( vicani ) d'un village (vici Florentini), dont rien dans le pays ne rappelle plus l'empla- cement et le nom. Une inscription gravée en beaux caractères ————_——————— étudions, car Morcelli a déjà remarqué que les sodales se désignaient quelque fois entre eux sous les noms de frères où de fils, de sœurs ou de filles , dans les sodalités féminines particulièrement : sororibus et filiabus.. sorores piissisæ (Morcelli, De styl. inser. lat. 1, p. 133 ). (1) On retrouve chez les hagiographes eux-mèmes du v® au vil® siècle de notre ère les noms de cultores, funi cultores, ce qui semble prouver que ces confréries locales se sont maintenues autant que le paganisme lui-même. ( Vit. S. Bertulf. Bobiensis + 640. Act. Bened. sec. If, p- 164). (2) LOCYS || SEPVLTVRAE || CVLTORVM HERCVLIS [| DEFENSORIS || POLLENTIS |} INVICTI [| IN FR. P. XXXV [| IN AG. P. XXX ( Interamn. Orelli, 2399). La grande inscription des cultores Herculis somnialis, decuriæ}, n’était elle-mème qu’une inscription funéraire , comme l’ont remarqué avec raison Saumaise et Reinesius. Celle des Juvenes a fano Jovis, à Agen, ap partenait également à un cimetière commun. (3)« … Et solarium tectum junctum in quo populus collegii s. s. epuletur… cenam (sie; quam Hermes q. q- omnibus annis dandam presentibus (sic) pro- misit.…. die violarii... item Y id. Maï , die rosæ, eodem loco presentibus divi- derentur sportulæ vinu (sie) et pane… (lex collegii Æsculapii et Hygiæ. Orelli, no 2417). » DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 437 du temps des Antonins, sur la tranche de ce disque de marbre qu'elle entoure tout entier, nous apprend que le monument avait été sculpté aux frais d'un personnage important du pays, Tiberius Publius Sabinus (remarquer incidemment ces trois noms , tous romains de earactère ), et donné par lui avec d'autres tables du même genre ( mensas cum basibus ) aux ha- bitants du vicus Florentinus. Les membres d’une décurie, pré- sidés par leur decurialis , n’auraient-ils point trouvé place sur les trois lits de bois ou de pierre dont étaient entourées d'ordinaire ces tables monumentales qui se couvraient aux jours de fête de mets, de fruits et de fleurs (1)? Ce ne sont là, nous le savons, que des conjectures aux- quelles on pourrait opposer des conjectures tout aussi plausi- bles peut-être (2). Mais il suflirait de quelque découverte heureuse, de quelque texte un peu plus explicite que ceux que nous reproduisions tout à l'heure, pour les convertir en réalités ou en certitudes historiques. A côté du temple d’Ardiége (1) La table de la Trichila ( Trichla) de la maison d’Actéon , à Pompéi, à laquelle nous songeons involontairement ici (c'était un pavillon de verdure ou une salle à manger rustique ), est entourée de trois lits de pierre, sur lesqnels on étendait de riches matelas aux jours de festin, et a de singu- liers rapports de taille et de forme avec celle que nous décrivons. (2) On pourrait nous objecter, par exemple , que c’est à Lugdunum qu'a été découvert ce curieux monument, confondu par M. du Mège avec une table d’autel carrée et sans légende , qui existe encore à Saint-Béat, où nous avons vue récemment ( Monum. relig., p. 324), que le nom des vikant vici Florentini n’est point précédé du nom du dieu sous lequel était placée l'association : deo Marti et vikanis ( quasi cultoribus aut sodalibus , v. supra ) vici florentini, ce qui hisserait songer avec autant de vraisemblance à un acte purement civil, à un acte de patronage ou de libéralité aristocratique (patrocinium vicorum). Sans discuter ici ces objections qui se représenteront lorsque nous étudierons les monuments épigraphiques de la petite civitas Convenarum , et sans trancher une question que nous avons posée avec beaucoup de soin dans les termes d’une simple hypothèse, nous nous contenterons de rappeler que c’est à un collegium que sont destinées les tables (au pluriel aussi), signalées dans une des très-rares inscriptions an— tiques , où il est question de Wensæ : TI CLAVDIVS DIVI CLAVDIT LIB. ACTIVS |] HONORATVS CVRATOR GERMANORUM || ET AEDITVVS DIA- NAE CORNIC. COLLEGIO MAGNO |j TRIB. (LIB ?) DIVAE AVGVSTAE TRI- CLAM CVM COLVMNIS [| ET MENSIS ET MACERIA S,. P. D. D, ( Rom. Muratori , 119, 1). 438 MÉMOIRES dont nous essayons d'interpréter les monuments , remarqua- bles par leur accord et par leur nombre, nous pourrions citer tel autre sanctuaire, comme celui de Monsérié, par exemple, dont les substructions sont encore à peu près intactes, dont les autels inscrits ou muets se comptent par centaines, sinon par milliers. Quelles lumières ne nous fourniraient point sur tous les petits problèmes que nous venons de soulever, ces mines à peu près vierges encore, exploitées comme elles devraient l'être, comme elles le seront quelque jour par des mains cons- ciencieuses et intelligentes ? D CRAMEREON.SCO DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 439 P.S. Au moment où s’achevait l'impression de ce Mémoire, suspendue quelque temps par des occupations de plus d’un genre, un de nos confrères, M. du Mège , dont je suis heureux d'avoir à rappeler si souvent le nom et les travaux, à bien voulu me signaler l'existence de quelques monuments épi- graphiques, relatifs au dieu Leherenn, et découverts, tout ré- cemment (1) à ce qu'il paraîtrait, dans diverses localités très- éloignées quelquefois du village d’Ardiége. Il a même poussé l'obligeance jusqu'à m'envoyer le dessin d’un de ces autels, découvert au village de Huos , à quelques kilomètres d’Ar- diége, et qui serait, à en juger, d'après ce dessin, d'une conser- vation et même d'un style remarquables. Tout en remerciant notre savant confrère de cette marque d'intérêt et de sympa- thie scientifique dont il m'a déjà donné d'autres preuves, je me suis décidé, après müre réflexion, à ne point lirer parti de ces renseignements, dont j'ai pris bonne note, du reste , et à ne point publier le texte de l'autel qu'il a bien voulu me com- mupiquer. Lorsque ce monument, égaré depuis peu de temps, à ce qu'il paraît, et que nous avons inutilement cherché chez lui à plusieurs reprises, sera enfin retrouvé et produit comme il le sera quelque jour, nous l’espérons bien , dans une collec- tion publique ou privée, où tout le monde pourra vérifier l'authenticité du monument et l'exactitude de la lecture, rien ne sera plus facile que d'ajouter un paragraphe à cette mono- graphie, à laquelle nous n’attachons point, à coup sûr, une grande importance scientifique, mais qui a le mérite, nous l'avons déjà remarqué, de ne s'appuyer que sur des textes irrécusables que nous pouvons offrir en toute confiance à la critique la plus sévère, en lui abandonnant complétement nos appréciations , nos interprétations et nos conjectures. (1) Nos lecteurs n’ont certainement pas oublié ( voy. pag. 362), que M. du Mège écrivait, il y a trois ans à peine, et dans les termes les plus affirmatifs : « Nous n'avons pas retrouvé d’autres monuments consacrés à Lehcrennus dans d’autres locaiités. » (Note sur plusieurs inscriplions gallo-romaines inédites : Mém. de l’Acad. des Sc. Insc. et Bell. Lett. de ‘Toulouse , rve série, 1. v1, 1856 , p.385). Ce serait donc en trois ans , entre l'année 1857, où nous ne songions guère pour notre part à la monographie du dieu Leberenn , et l'année 1859 où elle se trouve terminée, que serait sorti de terre, sous le soleil créateur de FAquitaine , et près de ses eaux toujours fécondes... prope flumina nola, cette moisson de monuments lehérenniques qui nous avaient effrayé de prime abord. 410 MÉMOIRES NOTE SUR DES OSSEMENTS FOSSILES DÉCOUVERTS PRÈS DE TOULOUSE ( HAUTE-GARONNE ): Par le Dr J.-B. NOULET. Les fossiles sont rares aux environs de Toulouse; cette cir- constance rend d'autant plus précieux ceux que le hasard ou des recherches spéciales font découvrir de loin en loin dans la formation tertiaire moyenne d'eau douce où miocène, qui se montre de toutes parts dans cette localité. Nous devons à M. B. Rames, préparateur de l'Ecole de Médecine et de Pharmacie, plusieurs ossements provenant d'un grand escarpement en forme de demi-cirque , ouvert en face de la vallée de la Garonne , entre le Pech-David et Pouvourville , dans la commune de Toulouse. Cette coupe naturelle, qui peut donner une excellente idée de la constitution des collines miocènes dans le pays toulou- sain , offre, alternant entre elles un grand nombre de fois, et sans aucun ordre dans leur retour, des couches de sable, de grès molasses et d’argiles bigarrées plus ou moins calcaires. C'est dans une couche argilo-sableuse, à environ trois mètres au-dessous du couronnement de la colline , à l’ouest de l'escarpement cité, qu'ont été trouvés les restes osseux que M. Rames nous a généreusement offerts. Ils nous ont présenté les objets suivants : 1° Des plaques de carapace et de plastron de Tortues ler- restres de moyenne et de petite taille. Ces débris sont sem- blables à ceux que l’on rencontre assez fréquemment tout le long de la ligne des coteaux parallèles au cours de la Garonne et de l’Ariége ; 2° La couronne d'une petite dent de Crocodilien ; DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 441 3° Plusieurs dents molaires inférieures et supérieures de l’un de ces petits Ruminants sans cornes et à dents cervines, dont les débris fossiles sont abondants dans notre formation miocène , et qui n'ont pas encore été définitivement nommés ; 4° Une portion considérable du corps du maxillaire infé- rieur et une molaire détachée d'un Rongeur de la tribu des Castorins. Ces pièces ont une véritable importance; nous les rapportons au STENEOFIBER VICIACENSIS, animal dont la taille était moitié moindre que celle du Castor actuel (Casror FIBER L. ), et dont voici la synonymie déjà compliquée : Cest pour les premiers débris de cette espèce, prove- nant du miocène inférieur de Saint-Gérand-le-Puy (Allier ) . que M. E. Gcoffroy-Saint-Hilaire créa, en 1833, le genre STENEOFIBER ( Revue encyclopédique ). M. le professeur P. Gervais a nommé l'espèce Castor (STE- NEOFIBER) VICIACENSIS , Zool. et Paléont. françaises , texte, p.22. M. Pomel, qui l'avait auparavant appelée STENEOFIBER CAS- TORINUS , l’a désignée sous le vocable de STENEOFIBER ESCHERT, Cat. méth. et descript. des Vertébrés fossiles, p. 21, pensant avoir à faire au CHazicomis Escuert , H. MEYER. Le principal fragment de Stencofiber, provenant du gise- ment de Toulouse, consiste en une portion mutilée du corps de la mandibule du côté gauche; il porte, en place, la dent incisive et les deux molaires intermédiaires : ces dents sont d'une parfaite conservation. Déjà, depuis plusieurs années, une autre localité des en- virons de Toulouse nous avait fourni des restes bien carac- térisés de ce même Rongeur, accompagnés cette fois d'osse- ments d'un petit Pachyderme, que M. Edouard Lartet appela Moscaus NourerTi dans sa Notice sur la Colline de Sansan , p. 36, et que notre éminent paléontologue rapporte aujour- d'hui, avec raison, au genre GaiNoTERIUM (C. NouLETI, LARTET, in lit.) Le type sous-pyrénéen semble bien distinct de tous ceux que le bassin de l'Allier à fournis. La présence des fossiles que nous venons de signaler dans 442 MÉMOIRES le miocène toulousain vient appuyer l'opinion que nous nous sommes faite depuis longtemps de l’âge géologique de ce ter- rain : nous le croyons, en effet, d’une époque plus reculée que les couches miocènes, qui renferment les Mastodon angusti- dens ettapiroëdes, G. Cuvier, et nos Dinotherium dans les dé- partements des Basses-Pyrénées , du Gers, de la Haute-Garonne et de l’Ariége, genres qui manquent dans la zone du miocène particulière aux environs de Toulouse, et, à fortiori, dans les couches plus profondes qui se montrent vers les limites nord de la Haute-Garonne, et se continuent dans le Tarn-et- Garonne et le Lot-et-Garonne (1). (1) V. notre travail intitulé : De l'âge géologique de la formation lacustre de Nérbonne et de Sigeun (Aude), dans les Mém. de l'Ac. vmp. des Sciences, Inscript. et Belles-Lettres de Toulouse , 5° série , L. 2. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 443 SUITE DES NOTES SUR QUELQUES MONUMENTS INÉDITS , DÉCOUVERTS À TOULOUSE 5 Par M. Du MÈGE. Nous avons fait connaître dans des notes précédentes, un grand nombre de lucernes , ou de lampes antiques, découver- tes à Toulouse depuis peu d'années ; mais nous sommes loin d'en avoir épuisé la nomenclature. Malgré tous nos soins, plusieurs de ces objets nous ont échappé, des marchands de curiosités en ont beaucoup emporté, et d’autres sont en quelque sorte cachées dans des cabinets particuliers. Un heureux hasard nous à fait retrouver celles que nous allons décrire, en indi- quant le point exact où chacune d'elles a été retrouvée. La première provient de la rue Serminières , ou de Saint- Rome. Découverte avec de nombreux fragments de poterie antique, dans la tranchée pratiquée pour le placement des tuyaux de conduite des eaux de nos fontaines, presque vis-à- vis la petite rue des Gestes, elle a été en partie mutilée ; le bec n'existe plus. Au-dessous, l’ouvrier a écrit son nom, ou l’in- dication de la manufacture où cette lampe a été faconnée; mais la première lettre manque, et il ne paraît guère possible de restituer en entier cette très-petite inscription :....CLOSVE. Le bas-relief qui décore la face principale, représente un homme tenant d’une main un dard , et de l’autre un filet. On pourrait y reconnaitre l’un de ces gladiateurs de la classe des Rétiaires, Reliarii, si, comme ceux-ci , au lieu de porter un dard, il était armé d’un trident; mais cette variante dans les attributs ne doit pas peut-être faire rejeter lopinion qui 444 MÉMOIRES voudrait reconnaitre ici un Rétiaire. Les gladiateurs de cette espèce attaquaient ordinairement les Mirmillons , dont le casque était décoré d’un poisson, et qui combattaient armés d'une faulx. En poursuivant son adversaire, le Rétiaire lui criait : Non te peto, Galle, sed piscem peto. Ce n'est point à toi, Gaulois , que j'en veux , c'est à ton poisson. Sur d'autres lampes , on avait représenté tantôt une lionne, tantôt des chiens fuyant à toute course. Ces lucernes ont été retrouvées dans des tombeaux du cimetière de Terre-Cavade , et l’on peut présumer que ces images étaient allégoriques , et indiquaient la rapidité avec laquelle s'enfuit la vie. Un fragment de sculpture en marbre a dû exciter nos re- grets, car il nous a révélé l’ancienne existence d'un beau reste de la statuaire antique. Cest l'extrémité, ou la première phalange du pouce d’une main droite; ce fragment , d’un très- bon travail, n'a pas moins de six centimètres de long, et a dû faire partie d’une statue d’une forte dimension. En fouillant dans cette cité que le Poëte a nommée Toulouse la Romaine, on devait retrouver, et l’on a retrouvé, en effet, une foule d'objets ayant servi à la vie domestique et à la pa- rure. Parmi les premiers , nous avons recueilli un assez grand nombre de vases en terre cuite, mais aucun n'était entier. Quelques-uns en argile légère , s’offraient chargés d'ornements ou bas-reliefs, pareils à ceux que l’on retrouve en assez grande quantité dans le lieu de Montans; d’autres n'étaient remarqua- bles que par l'élégance des formes. Nous n'avons retrouvé au- cun tesson de ces vases de couleur grise que l’on rencontre assez souvent dans les villes gauloises, et particulièrement à Vieille-Toulouse. Quelques fibules en bronze ont grossi nos collections ; parmi elles on en distingue une, ornée d’une tête impériale très- belle ; c’est celle de Lucius Verus. Des bagues en or, en ar- gent , en bronze , recueillies çà et là au milieu des décombres des habitations, des aiguilles en os et en bronze, quelques fuseaux en ivoire , et des pesons en terre cuite, ont dû appar- tenir aux dames gallo-romaines de Tolosa. Une seule pierre DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 445 gravée nous avait été remise, mais nous à été presque aussitôt soustraite ; elle représentait la tête de Jupiter Ammon, coiffé du modius ou boisseau. En présentant à l’Académie cette sorte de catalogue des objets que les fouilles exécutées dans Toulouse ont produit, nous avons imité l'un de nos savants prédécesseurs , M. de Mon- tégut, qui rendait compte , presque chaque année, à la Com- pagnie , des découvertes archéologiques dont il avait été le témoin. S'il vivait parmi nous , ce vénérable et savant collec- teur , il aurait sans doute été heureux de contempler le mar- bre sépulcral que des travaux, entrepris dans un but d'utilité publique viennent, il y a peu de jours, de rendre à la lu- mière. Catel (1), nous apprend qu'à l'époque où il écrivait « l’an- cienne tradition estoit que l'église de Saint-Estienne avoit esté premierement bastie par Saint-Martial, et depuis consacrée par Fronton, premier évêque de Périgueux. Cette tradition, ajoutait-t-il, est confirmée par des anciens Mémoires de ladite église, Mémoires qui estoient couchez dans un vieil livre ma- nuscrit qui estoit attaché au chœur de ladite église avec une chaîne de fer, lequel livre fut bruslé de nostre temps, il y a quatorze ou quinze ans (2), lorsque l’église s’embrasa, du- quel un extrait avoit esté tiré plus de cent ans avant cet em- brasement. » Nous n’essaierons point de confirmer ou de combattre cette date, qui se rattache à l’apostolat de saint Martial dans les Gaules, fait historique et religieux qui a oc- cupé et qui occupe encore plusieurs érudits; mais nous en türerons l'induction qu'il y eut, à une époque très-reculée , et qui se rapproche de l'établissement du christianisme dans la Narbonnaise , une église dédiée au premier martyr dans Tou- louse. Cet édifice a sans doute été plusieurs fois détruit, et plusieurs fois reconstruit. Catel dit (3) que, «d'après Ber- (4) Mémoires de l'Histoire de Languedoc, 159 , 160. (2) Le livre de Catel a été publié en 1633. (3) Ibid. 46 MÉMOIRES trand, en ses Gestes Tolosaines, saint Martial avoit basti à Tolose cette église où est maintenant le clocher, auprès duquel l'on voit encore , et tout contre iceluy, de vieilles masures et fondements d’un bastiment antique. » Nous avons vu, il y a environ vingt ans, près de ce clocher, des restes de vieux murs bâtis en cailloux roulés, et revêtus de briques ; c’étaient apparemment les derniers vestiges de l’église bâtie sous l’invocation de saint Etienne, dans Toulouse. Toute cette partie de la ville qui s'étend de la place de Saint- Etienne , ou de la Préfecture, jusques à l’ancien Château Nar- bonnais , offre des traces de monuments antiques. En faisant niveler et paver la cour de l’archevêéché, il y a peu d'années, feu M. Lafforgue, alors architecte du département, découvrit les fondements d’un vaste édifice et un chapiteau en pierre, qui fut transporté au Musée, et qui depuis a été jeté dans le jardin de cet établissement, où il a beaucoup souffert. Sa hauteur indique qu'il devait couronner une colonne d'une forte dimension ; il offre une imitation de l’ordre corinthien; mais je crois qu'il n’a pu appartenir qu'à un édifice construit dans le xr° siècle. Les mêmes travaux firent jaillir du sol divers fragments antiques , et entre autres deux plaques, mises sans doute autrefois sur des sépultures, et qui appartiennent aux premiers siècles de l'établissement de la religion chrétienne dans Toulouse. L'une offre gravé le monogramme sacré, formé d’un X chi, d'un P rho et d'un S sigma. Une couronne de laurier entoure ces trois lettres. Sur l’autre plaque qui n'est, ainsi que la première, qu'un fragment, on voit dans la partie supé- rieure, le reste d’une inscription qui nous donne une date certaine , et qui indique que ce petit monument appartient à la fin du rv° siècle. On y lit, en effet : FLAV. GRATIANVS... SEX. ANIC... cos. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES: 447 La pierre étant brisée, il faut suppléer à ce qui n'existe plus, ce que tout antiquaire fera sans difficulté. FLAmius, GRATIANVS est l'empereur de ce nom, les sigles SEX ANIC... indiquent SEXtus ANlcius Petronus Probus, qui fut consul avec Gratien, l'an 371 de J.-C., ou 1124 de l’ère de Rome. Le vieux cloître, et l'un des édifices voisins, ont fourni aussi la preuve de l'existence de quelques anciens monuments remarquables par leur architecture. Catel a dit, «que par le passé il y eust dans ledict cloistre un fontaine appuyée sur huict colonnes de marbre , lesquelles semblent antiques et avoir esté transportées d'ailleurs. » Là existait l’église dite de Saint-Jacques, dont Turpin, cité par Catel attribue la fon- dation à Charlemagne. Plus tard , Charles le Chauve, dans les lettres de sauvegarde qu'il avait accordées à Samuël, évêque de Toulouse, y comprend Æcclesiam sancti Stephani , ceu sancti Jacobi, «ce qui témoigne assez, dit Catel, que l’église de Saint- Jacques est une dépendance de celle de Saint-Etienne.» Cet édifice a été sans doute rebâti plusieurs fois; nous l'avons vu détruire entièrement en 1812, et l’on acquit alors la certitude qu'il avait été construit en grande partie avec les restes d’un monument antique ; une partie des murs était formée de blocs de marbre blanc, retenus entre eux par des tenons en bron- ze ; au centre de deux des piliers massifs qui supportaient les arcs en ogive, on découvrit deux hautes colonnes formées de ce beau marbre que l’on nomme le noir antique, et dont les carrières existent non loin de Saint-Lizier, dans le terri- toire des Consoranni. Ces colonnes étaient encore placées sur leurs bases, et l'une d'elles était même couronnée de son cha- piteau corinthien à feuilles d’olivier. Tout auprès, on décou- vrit un fragment de frise, en marbre blanc, du meilleur tra- vail. Il serait possible, peut-être, de rattacher ces restes précieux aux huit colonnes dont parle Catel, et qui tenaient à une fontaine qui n'était pas éloignée de plus de trente mètres des colonnes dont nous fimes la découverte. Il fallut négocier pendant longtemps pour la conservation de ces divers objets ; on ne put même obtenir qu'une seule colonne : c’est celle qui 148 MÉMOIRES s'élève dans le centre du préau du Musée ; le reste fut livré à un marbrier. " En nous dirigeant à l’est du lieu où ces colonnes, débris, soit d'un temple , soit de la première église bâtie en l'honneur de Saint-Etienne, furent découvertes, on foule, jusque bien au delà du canal du Midi, un sol où l’on a rencontré un grand nombre d'anciennes sépultures. À quelques mètres au delà de la Fontaine de la place Dauphine, dite aujourd'hui du général Dupuy , existait l'église de St-Sauveur, non loin d'un vaste cimetière. Catel dit qu'il y avait au-dessus de la porte de cet édifice des sépulcres, «sur lesquels est gravé le saint nom de Dieu, ainsi qu'il se trouve marqué dans le labarum ou dans les anciennes monnoyes , tesmoignant assez leur anti- quité.» Deux de ces tombeaux transportés après la démoli- tion de l’église de Saint-Sauveur, dans la cour d'un hôtel de cette ville, en ont été retirés par nous, et existent maintenant dans notre Musée archéologique. Un autre monument sépulcral chrétien a été trouvé au delà , à la droite du chemin que l'on nomme la Côte pavée , dans la propriété de feu N... Julian, et il est de même conservé dans le Musée. Catel, ajoute aux détails donnés par lui, « qu'il a treuvé, dans les anciens Mémoires de Sainct Estienne , qu'en ceste paroisse, il y avoit quatre cimetières» parmi lesquels était celui qui portoit le nom de Notre-Dame , et « c’est, ajoute-t-il, chose très-assurée, que le lendemain de la Toussaints, qui est la feste des Trépassés , le chapitre de St-Etienne a accoutumé d'aller faire des prières, en ce lieu et donner l’absolution. » Ce cimetière était représenté naguère encore par la partie non pavée de la place de la Préfecture. C'est là qu'en pratiquant , le 42 avril 1859, une tranchée, il a été découvert, à moins de deux mètres de profondeur, un beau sarcophage en mar- bre blanc et d’une très-bonne conservation; 1l était placé assez près des restes d'un mur, qui formait peut-être l'enceinte du cimetière, et de ce côté on ne remarquait aucune sculpture. Les trois autres faces sont chargées de reliefs qui indiquent par leur dessin et par le travail, cette époque si connue sous le nom DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 449 de Bas-Empire. Sur les faces principales, règnent deux frises d'un relief peu prononcé, mais d’un dessin assez agréable. Les enroulements des rinceaux prennent naissance dans la frise in- férieure d'un vase à deux anses, que l’on retrouve si souvent sur les monuments sépulcraux antiques des premiers siècles de la domination romaine, et sur ceux des chrétiens de l'Italie et de la Gaule. C'était pour les derniers, le vase eucharistique ; les petits côtés offrent aussi des rinceaux partant d'un culot, du même style; des pilastres cannelés décorent chaque angle du monument. Le couvercle, qui a été brisé en partie, offre l'image d'une toiture à quatre versants; les tuiles y sont figurées par cette sorte d'ornement dit à écailles de poisson, que l'on retrouve généralement sur les monuments du même genre que l'on reconnaît comme appartenant au 1v° ou au v° siècle. C'est à cette époque, peut-être même au règne de Gratien, men- tionné dans une inscription trouvée à quelques mètres de ce tombeau , qu'il faut rapporter l'origine de celui-ci. Pour ceux qui, comme nous, ont étudié les monuments de ce genre , en Italie, dans la Gaule méridionale, à Arles, à Nar- bonne et à Toulouse, ce sépulcre a dû appartenir à l'un des fidèles qui vivaient à cette époque reculée; 1l ressemble à ceux qui proviennent de l'église de Saint-Sauveur et du cime- tière de Saint-Saturnin. Là, rien n'indique le moyen âge, là tout est romain encore, mais de ce temps où l’art déchu ne produisait le plus souvent que de froides imitations d'un même type, circonstance que l’on remarque à Rome et dans tous les lieux où le christianisme a triomphé du polythéisme, dès le 1v° siècle, et où l’on a évité toute ressemblance avec les monuments consacrés aux adorateurs des dieux de l'empire romain. 5° $ — TOME lil. 30 450 MÉMOIRES - BULLETIN DES TRAVAUX DE L'ACADÈMIE PENDANT L'ANNÉE 1858-59. Séance Un grand nombre de volumes, recueils, brochures, mé- D moires, envoyés par les Sociétés savantes de France et de l'étranger, et parvenus à l’Académie depuis le mois d'août dernier , sont déposés sur le bureau par M. le Secrétaire per- pétuel, qui donne aussi lecture de la volumineuse correspon- dance adressée au secrétariat pendant la suspension des tra- vaux académiques. M. le Ministre de l'instruction publique réclame le con- cours de l’Académie pour la préparation d’un Dictionnaire géographique de la France. — Renvoyé à l'examen d'une Ccm- mission composée du Bureau de l’Académie et de MM. Barry, Desbarreaux-Bernard et du Mège. M. Cunq présente le dessin d’une machine à vapeur à ro- tation continue. — Renvoyé à l'examen de M. Guibal. M. Batiffol adresse un ouvrage intitulé : Choix d'expressions latines. — Renvoyé à M. Sauvage. M. Bierens de Haan, envoie, d'Amsterdam, un volume de tables d’intégrales définies. — Renvoyé à M. Gascheau. M. Roussilhe, de Castelnaudary , communique un opuscule relatif à l'emploi des marées comme force motrice. — Ren- voyé à M. Brassinne. Les Académies d'Amsterdam, de Londres, de Washington et de Philadelphie, adressent leurs publications. M. le Ministre de l'instruction publique annonce que le DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 451 Gouvernement anglais a mis à la disposition de l'Académie un exemplaire du compte rendu des opérations de triangulation exécutées en Angleterre. Le révérend Père Le Cointe fait hommage d’un ouvrage intitulé : Leçons sur la théorie des fonctions circulaires et la trigonométrie. — Renvoyé à l'examen de M. Molins. M. Paul de Rémusat adresse des remerciments à l’occasion du titre de correspondant qui lui a été décerné. M. Barry, devançant son tour de lecture, donne commu- nication à l'Académie de treize inscriptions ou fragments d'inscriptions découvertes à Ardiége (arrondissement de Saint- Gaudens), dans le courant de l’année 1856. Ces inscrip- tions, inédites pour la plupart ( quatre seulement ont été publiées ), et dont il avait relevé les copies et pris des es- tampes le 28 juillet 1857, sont toutes relatives au culte du dieu Leherenn, dont M. Barry lira prochainement à l’Aca- démie une monographie détaillée. Une longue discussion, à laquelle divers Membres pren- nent part, s'engage relativement aux moyens à employer pour assurer la conservation de ces inscriptions et leur ad- mission dans le Musée de Toulouse. L'Académie décide qu’a- vant d'agir officiellement, elle attendra les résultats des dé- marches officieuses que M. Barry est invité à faire auprès des autorités locales. A l'occasion de cette communication, M. Joly demande où en est la question relative au cabinet d'histoire naturelle, dont l'Académie avait sollicité la création, et qui, l’année der- nière, avait été l’objet de plusieurs démarches auprès de l'Administration municipale. M. Caze donne des détails sur les conférences qui ont eu lieu et sur l’état de la question. Le choix de l'emplacement a été arrêté par une Commission nommée par M. le Maire, et qui a désigné les galeries existantes au-dessus du cloitre du Musée ; il pense que l’Académie doit appeler sur cette importante 9 décembre. 452 MÉMOIRES affaire l'attention de la nouvelle Administration. Cette pro- position est adoptée, et M. le Secrétaire perpétuel est chargé d'écrire officiellement à ce sujet à M. le Maire de Toulouse. M. C. RouMEGuÈRE informe l’Académie que, depuis la com- municalion faite par lui des planches inédites de la Flore de Lapeyrouse, il a retrouvé les types de l’herbier qui a servi ou qui devait servir à l'illustration de la Flore cryptogamique des Pyrénées. Cette collection de plantes desséchées, formée et étiquetée par le floriste Toulousain, est en la possession de M. Nérée Boubée , et fait partie du Musée de Saint-Bertrand, créé par ce géologue. Un grand nombre de ces plantes n’est pas déterminé; l'habitat seul est inscrit sur les étiquettes, de la main de Lapeyrouse. En annonçant à l’Académie qu'il prépare la révision de cet herbier spécial, M. Roumeguère manifeste l'espoir que ‘M. Boubée consentira à réunir l'herbier des cryptogames de Lapeyrouse à l'herbier des phanérogames , qui est aujourd'hui la propriété de la ville de Toulouse. M. le Secrétaire-archiviste de l'Académie des sciences de Bordeaux envoie quelques-uns des volumes de la collection de cette société savante. M. Fizuoz, désigné par l’ordre du travail, communique à l'Académie les résultats de ses recherches sur l’alcalinité com- parée des eaux sulfureuses des Pyrénées. (Imprimé, page 46.) Au nom d'une Commission, M. pu MÈGE fait un rapport sur la circulaire de M. le Ministre, relative à la rédaction d'un Dictionnaire géographique de la France. Conformément aux conclusions de la Commission , l'assemblée décide qu'il sera écrit à M. le Ministre pour lui annoncer que l’Académie ac- cepte avec empressement la mission qui lui est offerte, et que. dès à présent, les Membres qui composent la classe des Ins- criptions et Belles-Lettres vont s'occuper des recherches et des études dont les résultats seront transmis plus tard à M. le Ministre. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 453 M. Mois communique un rapport très-favorable sur un ouvrage du Père Lecointe, relatif à la théorie des fonctions circulaires. Il propose d'adresser des remerciments à l’auteur. Ces conclusions sont adoptées. MM. les Secrétaires perpétuels de l'Institut de France et de {6 décembre. l'Académie royale de Savoie accusent réception des Mémoires de l’Académie. M. Besnou , Président de la Société des sciences naturelles de Cherbourg, envoie divers ouvrages et sollicite le titre de correspondant. — Renvoyé à l'examen de MM. Clos, Timbal- -Lagrave et Filhol. M. GariEN-ArNouzr fait hommage à l’Académie du tome 1° de son Histoire de la philosophie en France. M. Cros, appelé par l'ordre du travail, communique à l'Académie un fascicule d'observations de tératologie végétale. ( Imprimé, p. 99.) M. C. RoumEGuËRE dépose sur le bureau de l’Académie , au nom de M. le marquis de Pins-Montbrun , deux ossements fos- siles de rhinocéros (une molaire et un radius ) trouvés à Mont- brun (Gers) en novembre dernier. M. Roumeguëre annonce qu'il a examiné ces objets intéressants et qu'il les rapporte à une des quatre espèces des collines tertiaires sous-pyrénéennes décrites par M. Lartet; le rhinoceros brachypus. La molaire de cet animal perdu, dont le type est sorti des environs de Moissac (Tarn-et-Garonne ), est la cinquième supérieure du côté gauche; elle a été figurée par Cuvier avec une grande exactitude, mais sans détermination spécifique. ( Ossements fossiles. Atlas, t. 1, pl. 53, fig. 9.) L'Académie décide que ces deux ossements fossiles seront réservés pour être déposés dans les galeries d'histoire natu- relle projetées par la ville. M. Hauez fait un rapport verbal sur un ouvrage de M. de Rudelle intitulé : Grammaire primitive d'une langue commune à tous les peuples. 5 décembre. 454 MÉMOIRES Tout en rendant hommage aux connaissances variées et à l'esprit d'invention de M. de Rudelle, le rapporteur pense que le passage de la théorie à la pratique sera difficile à franchir pour cette langue nouvelle, même en se renfermant dans les usages restreints auxquels l’auteur semble l'avoir destinée. M. le Ministre de l'instruction publique annonce qu'il tient à la disposition de l’Académie un exemplaire de la continua- tion du Code des lois de l'empire de Russie , offert à l’Académie par le Gouvernement russe. M. Déaddé, chef de bataillon de gendarmerie en retraite à Saint-Gaudens, communique diverses observations très- intéressantes à l'occasion de la chute d'aérolithes qui a eu lieu le 9 de ce mois, dans les environs de Montréjeau. La lettre de M. Déaddé est renvoyée à l'examen d’une Commission com- posée de MM. Filhol , Petit, Laroque, Daguin , Leymerie et Brassinne. Cette Commission sera chargée de recueillir tous les faits qui se rattacheront à la chute de ces aérolithes, et de présenter un rapport d'ensemble sur ce météore. M. Delor , graveur à Toulouse, fait hommage à l’Académie, au nom de MM. Laroche, Joubert et Dumergue, fabricants de papier à Angoulême, d’un beau volume contenant des spéci- mens de leurs produits, et qui a figuré à l'Exposition tou- lousaine. — Renvoyé à la Commission des récompenses. M. le Président fait part à l’Académie de la perte qu'elle vient de faire par suite de la mort de l’un de ses Membres correspondants, M. le général baron Pelet, Sénateur, membre de l’Institut, né à Toulouse, et ancien élève de l'Ecole des arts de cette ville. M. CLos annonce qu'il a relu lintéressant Mémoire de M. Joly, relatif à une observation de tératologie végétale. Cette observation vient à l'appui des phénomènes qui ont été l'objet de la communication faite dans la dernière séance. M. Joly demande la parole pour ajouter qu'ayant en sa pos- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 455 session les dessins originaux de Delille, ancien professeur de botanique à la Faculté de Montpellier, il s'empresse de les mettre à la disposition de M. Clos, qui pourra, mieux que lui, utiliser les documents précieux que renferme cette col- lection. M. ASTRE, appelé par son tour de lecture, donne commu- nication de la première partie d’un Mémoire sur les Zntendants du Languedoc. ( Imprimé, p.7.) M. le D' Joy communique à l’Académie une série d’obser- vations qu'il se propose d'adresser prochainement à l’Institut, et qui confirment de la manière la plus inattendue, les idées récemment émises par M. Natalis Guillot, au sujet du deve- loppement des dents et des mächoires. Voici, réduits à leur plus brève expression, les résultats annoncés par le savant professeur de la Faculté de Médecine de Paris : 1° Les dents ne sont pas un produit de sécrétion. 2° Elles naissent bien de la membrane muqueuse, qui ne concourt en aucune manière à la formation du sac. 3° Elles sont produites par la transformation du tissu que M. N. Guillot a désigné sous le nom d’odontogène. 4 Nées au milieu de cette substance, elles sont d'abord privées de sac, l'ivoire et l'émail étant formés avant cette enveloppe. 5° Dans les premiers temps de la vie embryonnaire, les dents, qui sont un des premiers organes dont on découvre distinctement la structure, préexistent à la formation des mâchoires en particulier, et en général de tous les tissus de la face qui sont créés concentriquement autour d'elles et indé- pendamment d'elles (1). A l'appui de ces faits si formellement contradictoires à ceux (1) Voir le rapport de M. Jules Cloquet, Comptes rendus de l’Institut , séance du 6 décembre 1858. 30 décembre. 456 MÉMOIRES qui sont généralement admis, M, Joly apporte des preuves, qu'il croit nouvelles et convaincantes. En effet, sur un agneau âgé de trois mois, et mis obligeam- ment à sa disposition par M. Pendaries , notre confrère a vu deux mâchoires surnuméraires placées au-dessous de l'oreille gauche. Ces deux mâchoires, dont le volume égale à peine celui d’une noix, sont absolument réduites à leurs parties charnues, et l'on n'y découvre pas la moindre trace d'os maxillaires. Une dent incisive, mobile dans tous les sens, s’est néanmoins développée sur la mâchoire inférieure: preuve évidente que la formation des dents est de beaucoup antérieure à celle des os où nous les voyons ordinairement implantées. Un second fait, tout aussi probant, a été fourni à M. Joly par un porc monstrueux que l’on montrait, il y a quel- ques années, à Toulouse. Le crâne de cet animal, précieu- sement conservé dans les collections de la Faculté des scien- ces, est muni de toutes les dents appartenant à la deuxième dentition ; mais les deux dernières molaires permanentes sont enveloppées d'une capsule osseuse très-mince , isolée de toutes parts et nullement découverte par le tissu osseux des maxil- laires, qui, évidemment , n'existe pas encore. Enfin, une preuve du même genre et tout aussi concluante en faveur de la nouvelle théorie, c'est que, sur le crâne de l'é- léphant, mort dans cette ville en 1852, et disséqué à cette époque par MM. Joly et Lavocat, il existe sur chaque mä- choire quatre dents molaires dont la postérieure, encore en voie de formation, est entourée par une espèce de coque osseuse qui, sur une grande partie de son étendue , n’a encore contracté aucune adhérence avec le maxillaire, qui pourtant l'enveloppe déjà presque en totalité. M. Joly met toutes ces pièces anatomiques sous les yeux de l'Académie, et il annonce en terminant qu'il reviendra bientôt sur ce sujet, à l'occasion du travail quil prépare sur l'agneau monstrueux appartenant à M. Pendaries. M. Barry, appelé par l'ordre du travail, à donné lecture DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 457 de quelques fragments d'histoire ancienne , dans lesquels il a essayé d'apprécier, d’une manière générale et rapide, la re- ligion , la société et Les arts de quelques-uns des peuples asia- tiques qui ont précédé les Grecs dans les voies de la civilisa- tion. II s’est occupé successivement des Egyptiens, des Phéni- ciens , des Assyriens, des Perses et des Lydiens. Après cettè lecture, il annonce qu'il espère pouvoir sou- mettre bientôt à l'Académie la monographie complète du dieu Leherennus, dont il a lu et commenté les inscriptions imé- dites dans la séance du 2 décembre dernier. M. Fizmoz met sous les yeux de l’Académie un bel échan- tillon de l’aérolithe qui est tombé à Ausson dans les premiers jours du mois de décembre. Cet échantillon, qui pèse 815 grammes, est revêtu, sur deux de ses faces, de la croute noire qui caractérise les aérolithes. M. Filhol annonce qu'il s'occupe en ce moment avec M. Leymerie de déterminer la composition de cet aérolithe. D'après les quelques essais auxquels elle a été soumise, cette pierre devrait être classée dans le groupe des pierres non alumineuses. Elle contient un alliage de fer et de nickel, et peut-être aussi de la pyrite magnétique. M. BrassinnE lit la première partie d’un Mémoire sur les applications de la mécanique analytique à diverses questions. (Imprimé, p. 41.) M. RoumEGuÈRE communique à l’Académie le passage d'une lettre de M. le professeur Moquin-Tandon, relatif à la nou- velle paludine toulousaine qu’il lui a dédiée (1). M. Moquin, jugeant, d'après la forme de la bouche, et surtout la carène que présente la coquille, émet l'opinion que ce mollusque pourrait bien être un jeune individu, la plupart des palu- dines étant carénées pendant les premiers temps. M. Roume- guère annonce qu'il a conservé pendant cinq mois un certain (1) Paludina Moquiniana, Roum., Mémoires de l'Acudemie, année 1858. Séance du 6 janvier 1859. 15 janvier. 20 janvier. 458 MÉMOIRES nombre d'individus vivants de la paludine critique, et que ces mollusques, en développant leur coquille, ont exacte- ment conservé la forme, la dimension et la délicatesse du test de l'animal dont il a donné [a figure. Ce serait donc bien un individu adulte qu'il aurait signalé et qui doit prendre place avec les espèces critiques, admises provisoirement par les conchyliologistes, le défaut de lamelles dans l’éspèce toulou- soine devant probablement la faire passer dans un autre genre que le genre paludine. M. Joly, prenant la parole à la suite de cette communica- tion, déclare que, dans l'intérêt de la science, les naturalistes devraient apporter désormais la plus grande circonspection dans la création d'espèces nouvelles. Il engage M. Roumeguère à n'établir définitivement comme telle la paludine de Moquin, qu'après lui avoir vu parcourir toutes les phases de son déve- loppement et l'avoir vue se reproduire. M. le Recteur de l’Académie de Toulouse, associé honoraire de l’Académie des sciences, assiste à la séance. M. Hamez, appelé par l’ordre du travail, a commencé la lecture d’un Mémoireintitulé : Platon et les rhéteurs. (Imprimé, p.246.) Appelé par l’ordre du travail, M. le D' Jozy communique à l’Académie un Eloge historique d’Alyre Raffeneau Delile , professeur de botanique et matière médicale à la Faculté de médecine de Montpellier, membre de l’ancien Institut d'Egypte, correspondant de l’Institut de France, etc. (Imprimé, p.63.) À la suite de cette lecture, M. Joly déclare qu'il met à la disposition de l’Académie plusieurs travaux inédits du pro- fesseur Delile. M. le Président désigne une Commission com- posée de MM. Timbal-Lagrave, Joly, D.-Bernard et Clos, pour examiner ces travaux et signaler ceux qui lui paraissent les plus dignes de figurer dans les Mémoires de l'Académie. M. Léon Clos, associé correspondant, lit la 1"° partie d'un Mémoire sur l’ancienne constitution municipale de Perpignan; EE EE — DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 459 la suite de cette lecture est renvoyée à une des prochaines séances. M. Dauriac envoie quelques-uns de ses travaux etsollicite le titre de correspondant. — Renvoyé à l'examen de MM. Barry, du Mège et D.-Bernard. M. Jouy fait hommage à l’Académie de quelques-uns des travaux publiés par M Gertrudis Gomez de Avellaneda, et demande que cette dame soit admise au nombre des associés correspondants. — Renvoyé à MM. Ducos, Delavigne et Joly. M. GATIEN-ArNouLr, appelé par l'ordre du travail, lit un Mémoire intitulé : De l'influence attribuée à saint Paul sur la philosophie de Sénèque. (Imprimé, p. 173.) La conclusion de ce Mémoire, c'est qu'il n’est pas vrai que Sénèque ait subi l'influence de saint Paul, ni d'aucun chrétien. M. Brassinne déclare partager, sur cette question, les opi- nions que vient d'émettre M. Gatien-Arnoult. Après cette communication , M. BrassiNNE énonce quelques principes qui complètent la première partie de son Mémoire sur les percussions. M. Couseraw, appelé par l’ordre du travail, communique quelques réflexions sur les tendances qu'ont généralement aujourd'hui les hommes de toutes les professions, à parvenir à une grande fortune , dans le seul but d'atteindre à toutes les Jjouissances matérielles. Si la spéculation est tolérable dans les professions commer- ciales, mais toujours dans les limites qui sont affectées à cha- cune d'elles, et dont la probité doit être la règle, l'auteur pense qu'elle n'est pas permise dans l'exercice des profes- sions libérales, qui doivent trouver leur récompense dans le produit d’un long et honorable travail et dans la considéra- tion générale qui en est la suite. Si, à l’aide de l'instruction publique si généralement ré- pandue, les jeunes gens de toutes les classes de la société 27 janvier. 3 février. 40 février. 460 MÉMOIRES peuvent arriver à tous les degrés de l'échelle sociale, il fau- drait qu'une éducation morale, dont on ne tient pas compte, qui devrait cependant servir de borne à l'ambition de ceux qui s'élèvent, et de consolation à ceux qui, moins aptes et moins heureux, sont arrêtés dans leur carrière, füt l'émule de l'instruction. M. Couseran , s'occupant plus spécialement des jeunes gens qui entrent dans la carrière médicale, regrette que, concur- remment avec les grands moyens d'instruction mis à leur dis- position , l'exemple d’une bonne éducation professionnelle, spéciale à chacune des branches de l’art de guérir, ne vienne pas compléter la première éducation reçue dans la famille ou le collége. Il est donné lecture de la seconde partie du Mémoire de M. Léon Clos, associé correspondant, sur l’ancienne consti- tution municipale de Perpignan. ( Imprimé, p. 125.) M. Ducos, appelé par l'ordre du travail, mais absent de la séance, envoie son tribut académique dont M. Gatien- Arnoult donne lecture. C’est une note sur un vers latin, em- ployé souvent comme sentence ou épigraphe , dont l’auteur est ignoré. C’est le vers Zndocti discant et ament meminisse periti. M. Ducos en a découvert l’auteur, qu'il va faire connaître. Il regrette qu'il n'existe pas un recueil d'une foule de pensées ou de maximes qui sont en circulation dans la science, dans la littérature , même dans la conversalion, avec le nom des écrivains qui les ont formulées. Après avoir fait ressortir la beauté de ce vers, soit sous le rapport de l’excellente latinité qui Fa fait attribuer à quelque auteur du siècle d'Auguste, soit sous le rapport de la netteté et de l'élégance avec lesquelles la pensée est formulée, soit sous le rapport de l’heureuse combinaison des spondées et des dactyles qui semblent exprimer tour à tour l'effort et la lenteur de l'étude pour acquérir le savoir, comme aussi la facilité et la rapidité des souvenirs pour les notions déjà acquises mais effacées de la mémoire, il désigne comme au- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 461 teur de ce vers le président Henault, qui l’a composé pour servir d'épigraphe à son Abrégé chronologique de histoire de France. La pensée n'appartient pas à cet auteur; elle est extraite de l’£ssai sur la critique, Y'un des poëmes les plus remarquables de Pope. Ce sont deux vers anglais que le pré- sident Henault à traduits et réduits en un seul vers latin, si remarquable par sa précision. À l'appui de son assertion, M. Ducos produit le premier volume de l'ouvrage du président Henault, édition de 1756, en tête duquel se trouve le vers Indocti discant et ament meminisse periti. Au-dessous on lit cette annotation : Traduit des vers 741 et 742 de l’Essai sur la crüique de Pope. M. Caze donne de grands éloges à cette communication, qu'il a écoutée avec beaucoup d'intérêt; mais il n’est pas con- vaincu, comme semble le croire M. Ducos, que l’auteur du vers se soit attaché à peindre, par une heureuse combinaison de longues et de brèves, la lenteur de l'étude et la rapidité des souvenirs. M. Brassinne demande à son tour si, d'après les documents présentés par M. Ducos, il est permis d'attribuer avec certi- tude l'honneur de ce vers au président Henault. Ne se peut-il pas, dit-il, que ce vers fût connu au milieu du xvunr siècle, comme il l'est aujourd'hui, et que Henault se soit borné à le prendre pour épigraphe ? Au nom d'une Commission, M. Barry fait un rapport favo- rable sur les ouvrages publiés par M. Dauriac, de la biblio- thèque impériale, auquel il propose de conférer le titre d’as- socié correspondant. MM. du Mège et Gatien-Arnoult se plai- sent à reconnaître aussi le mérite de M. Dauriac, et appuient sa candidature. M. ou MÈGE lit un Mémoire intitulé : Notes sur quelques monuments decouverts à Toulouse. (Imprimé , p. 208.) M. Roumeguère prend la parole pour signaler une lacune qu'il souhaiterait que l’auteur voulit bien combler , à propos de la découverte récente faite dans les environs de Muret, 17 février. 24 février. 462 MÉMOIRES d'un vase renfermant une grande quantité de monnaie d’ar- gent des Volces-Tectosages, vulgairement appelées pièces à la roue et sarrasines. Le dépôt numismatique dont il s’agit, communiqué par M. du Mège à M. Roumeguère, à permis à ce dernier de prendre l'empreinte de trente types environ, inédits, et qui peuvent mieux faire connaître ces médailles locales jusqu'à présent obscures pour l'interprétation et pas suffisamment expliquées par MM. de Montégut et Audibert. M. Roumeguère annonce à l’Académie l'intention où il serait de lui communiquer une étude sur ces médailles, à moins que M. du Mège, accédant à son vœu, n'utilisät lui-même, dans son intéressant travail, les empreintes qu'il met à sa disposition. Il est procédé à la nomination d’un associé correspondant. M. Eugène Dauriac, de la bibliothèque impériale, est nommé dans la classe des Inscriptions et Belles-Lettres. M. Fizuoz fait un rapport favorable sur le répertoire de chimie pure et appliquée que publient MM. Barreswil et Wurtz. Il présente aussi un compte rendu de deux ouvrages de M. Soubeiran, intitulés : Essai sur les ganglions médians des mollusques acéphales ; Essai sur la matière organisée des sources sulfureuses des Pyrénées. Conformément aux conclusions de M. le rapporteur, des remerciments seront adressés à l’auteur de ces travaux. M. Dupau, médecin à Carbonne, adresse uh travail in- titulé : Eclampsie puerpérale jugulée par l'inhalation du chlo- roforme. — Renvoyé à l'examen de M. Gaussail, M. Mounier communique à l'Académie une lettre de M. Jordio, membre de l’Académie royale de Lisbonne, dans laquelle il donne la description des thermes romains et au- tres monuments découverts dans cette ville. Iloffre d'adresser à l’Académie quelques échantillons de briques antiques, aux- quels il se propose de joindre ses travaux scientifiques. Il sera DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 463 écrit à M. Jordäo pour lui annoncer que son offre a été ac- cueillie avec reconnaissance. Au nom d'une Commission composée de MM. Brassinne, Leymerie, Petit, Laroque et Daguin, M. Frsuoz lit un rap- port sur l’aérolithe qui est tombé près de Montréjeau , dans les villages d’Aussonne et de Clarac, le 9 décembre 1858. (Imprimé, p. 114.) L'analyse chimique de l’aérolithe indique, en outre, que cette pierre météorique renferme un minéral dont la compo- sition est analogue à celle du péridot. Elle renferme aussi de la pyrite et des silicates à base d’a- lumine, de magnésie et de protoxyde de fer, qui résistent à l'action des acides. M. Laroque a observé que l’alliage de fer et de nickel con- tenu dans cette pierre est magnétique sans polarité, et qu'il acquiert la polarité quand on le touche avec un aimant, ab- solument comme le ferait un morceau d'acier. Si l’on fait chauffer au chalumeau des parcelles de la pâte de l’aérolithe, bien dépourvue de parties métalliques altérables à l’aimant, elles se convertissent en un émail noir qui est fortement magnétique avec polarité. Certaines portions de la croûte extérieure de cet aérolithe sont aussi magnétiques avec polarité. Tout porte à penser qu'elles ont acquis cette propriété en s’échauffant fortement pendant que le météorite traversait l'atmosphère. Les portions de la croûte qui contiennent des parcelles d’alliage de fer et de nickel perdent la polarité quand on les fait chauffer. L'aérolithe de Montréjeau contient des traces de chrôme, de phosphore et de manganèse. M. le Ministre de l'instruction publique remercie l'Académie de son concours pour la rédaction du Répertoire archéolo- gique de l’ancienne France. M. Lambour demande l'autorisation de lire à l'Académie une méthode de haute lecture, dont il envoie trois exem- 3 mars, 464 MÉMOIRES plaires. — L'Académie, tout en remerciant l'auteur, décide qu'il n'y a pas lieu d'accorder l'autorisation demandée; l'ou- vrage ne rentrant pas dans les travaux ordinaires de l’Académie. M. Costes, curé à Caïlhavel, qui, l’année dernière, a ob- tenu une des médailles distribuées par l’Académie, donne communication de quelques nouvelles découvertes archéolo- giques faites dans la contrée qu'il habite, et de ses recher- ches et appréciations personnelles. Il offre à l’Académie de lui faire l'envoi des objets par lui recueillis, et sur lesquels il donne des explications. Il sera écrit à M. Costes pour le re- mercier de ses intentions, et pour le prier de les réaliser en transmettant à l’Académie ce qu'il lui a offert. M. Jordäo, avocat, membre de l’Académie de Lisbonne, adresse un ouvrage intitulé : Cours de Droit pénal. —Renvoyé à l'examen de MM. Ducos, Gatien-Arnoult et Molinier, qui sont chargés de faire un rapport à l’Académie. M. le Président rend compte de la visite que le Bureau a faite à M. le Préfet, et de l’accueil bienveïllant que ses Mem- bres ont reçu de ce haut fonctionnaire. Au nom d’une Commission nomméepar l'Académie, M. Barry rend compte des démarches faites auprès de M. le Préfet pour assurer au Musée de Toulouse la possession des monuments épigraphiques récemment découverts à Ardiége. — M. le Préfet a accueilli la Commission avec beaucoup de bienveillance , et a promis, dans l'intérêt de la ville, le concours de l'Admi- nistration en tout ce qui pourrait dépendre d'elle. M. Barry lit l'introduction et la première partie de sa mo- nographie sur le dieu Leherenn, d’Ardiége. (Imprimé, p.353.) M. BrassinnE rend compte d’un ouvrage de M. Aloys Kunc, sur le plain-chant liturgique dans l’archidiocèse d'Auch. Dans cet ouvrage , l’auteur émet quelques idées personnelles sur la réforme du chant grégorien et sur l'unité de chant qui devrait être adoptée dans toute l'Eglise catholique. Tout en faisant DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 465 des réserves contre certaines des idées de l’auteur, M. Bras- sinne conclut à ce qu'il lui soit adressé des remerciments pour son travail. M. Costes, curé à Cailhavel, adresse une note intitulée : Quelques mots sur une pierre tumulaire trouvée dans le cime- tière de Cailhavel, canton d'Alaigne ( Aude ). — Renvoyé à l'examen de M. Barry. M. Lavocar, appelé par l'ordre du travail, communique à Académie un Mémoire d'anatomie comparée, ayant pour titre : Discussion sur quelques parties musculaires du cou chez les mammifères. (Imprimé, p. 156.) À la suite de cette lecture, M. Joly fait remarquer combien la myologie comparée est encore arriérée; 1l demande à M. Lavocat si les lois établies dans cet important travail sont applicables aux marsupiaux, et il exprime le regret que M. Lavocat n'ait pas abordé la partie physiologique de la ques- tion traitée par lui. L'auteur répond qu'il regrette de n'avoir pu trouver encore l’occasion d'étudier l’organisation muscu- laire des marsupiaux, et qu'il a réservé à dessein, pour une communication ultérieure , le côté philosophique de ses études en myologie. M. Mounier présente, au nom d’une Commission, un rapport favorable sur les travaux scientifiques de M. Jordäo, de l’Aca- cadémie de Lisbonne, auquel il propose de décerner le titre d'Associé correspondant. — Il sera statué sur cette proposi- tion dans la prochaine séance. M. Gaussaiz fait un rapport verbal sur une observation adressée à l’Académie par M. le D' Dupau, de Carbonne, et ayant pour titre : Eclampsie puerpérale jugulée par l'inhala- tion du chloroforme. Après avoir exposé les circonstances principales de ce fait clinique intéressant, le rapporteur présente les remarques suivantes : Les considérations préliminaires, dit-il, sont empreintes 9° S.— TOME HI. 31 10 mars. 466 MÉMOIRES d'un enthousiasme que ne légitime point le nombre des vic- times de l’anesthésie chloroformique , nombre déjà trop con- sidérable, et qui, tout récemment, à Paris, s’est accru de trois cas nouveaux. Il n’y a donc point lieu de regretter la ré- pugnance des praticiens français à dépouiller la parturition de son cortége de douleurs. Les phénomènes morbides qui se sont montrés au huitième mois de la grossesse conduisent M. Gaussail à se demander si la malade de M. Dupau n'était pas atteinte d'albuminerie. Sans doute, dit-il, la lenteur du travail de l'accouchement chez une femme âgée de quarante-trois ans, et primipare, doit intervenir pour expliquer la manifestation de l'éclampsie; mais il est infiniment rare que cette grave affection se pro- duise sous l'influence isolée d’une cause occasionnelle; or l'albuminerie étant la cause prédisposante dont on a le plus fréquemment constaté l'existence, l'examen des urines aurait fourni à M. Dupau l’occasion de confirmer ou d'infirmer cette donnée étiologique. Après une approbation et des éloges sans restriction pour la conduite suivie par le jeune praticien de Carbonne, M. Gaus- sail examine les résultats des trois inhalations de choroforme pratiquées à courts intervalles, et alors que la mort par as- phyxie paraissait inévitable. Malgré cette circonstance, qui semble donner un démenti formel à l'opinion d’après laquelle les effets funestes du chlo- roforme seraient dus à l’asphyxie, les résultats graduelle- ment salutaires, produits par les inhalations , ne peuvent être niés dans l'espèce. Toutefois, dans la pensée du rapporteur, les révulsifs réclament une certaine part dans ces résultats; enfin, la malade n'ayant repris ses sens que plus de douze heures après l'invasion de la crise, on n’est peut-être pas fondé à dire que l’éclampsie a été jugulée. En terminant, et après avoir mentionné plusieurs cas sem- blables dans lesquels les inhalations de chloroforme ont eu la même eflicacité, M. Gaussail annonce à l'Académie qu’en raison de l'intérèt que présente la communication dont il DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 467 vient de lui rendre compte et du zèle pour la science dont son auteur a donné d'excellents témoignages, il aurait pro- posé son renvoi à la Commission des récompenses ; mais que, ne pouvant formuler cette proposition, attendu que M. Dupau a simultanément adressé son travail à la Gazette hebdomadaire qui l'a publié dans son #uméro du 4 mars courant, il doit s'en tenir à proposer d'écrire à l’auteur une lettre de remerciment, dans laquelle il sera fait mention de cette circonstance. M. Gaussail demande, en outre, l'autorisation qui lui est accordée , de publier le manuscrit de M. Dupau dans le Journal dv Médecine qu'il rédige. M Caze, appelé par l’ordre du travail, lit un Mémoire qui a pour titre: Une commune rurale et une commanderie de Malte. (Imprimé, p. 222.) M. Molinier présente quelques observations sur ce Mémoire. il lui paraît que M. Caze considère peut-être d’une manière trop absolue, au moyen âge, et sous le régime municipal, le droit de justice comme une émanation du pouvoir royal. Cette opinion , qui peut se rapprocher de celle émise par M. Loy- seau, dans son Traité des Seigneuries, où il rattacha l'ori- gine des justices seigneuriales à une usurpation sur la justice royale, a été l'objet de graves objections et paraît peu en rapport avec le régime féodal tel qu'il existait en France. Montesquieu n'avait pas admis les doctrines de Loyseau. Il rattachait la justice au fief dont elle formait, selon lui, une dépendance. La question de l’origine des justices sei- gneuriales a été de nos jours l’objet de remarquables études. M. Championnière s’en est longuement occupé pour rattacher avec beaucoup d'habileté et d'érudition l'établissement de ces justices à des traditions romaines qui se seraient mainte- nues après l'occupation des Francs. M. Laferrière n'a pas adopté l'opinion de M. Championnière. Il a considéré, dans son Histoire du Droit français , les justices seigneuriales comme des justices terriennes qui se rattachaient pour les fiefs au régime féodal, et qui remontaient, pour les alleux, à 17 mars. 24 mars. 468 MÉMOIRES la possession de la terre et à un patronage des grands pro- priétaires l'origine celtique et gallo-romaine. Dans tous les cas , les seigneurs justiciers se considéraient comme indépen- dants sous le régime féodal ,et étaient investis du droit de juger souverainement en dernier ressort. La royauté eut à soutenir une longue lutte pour s'investir de l'appel, et ce n’est qu'a- près qu'elle eut conquis ce droit qu'on put dire avec vérité que toute justice émanait du roi; mais il n’en était certainement pas ainsi sous l'empire du droit féodal pur , lorsque les jus- tices seigneuriales jugeaient souverainement. M. Caze reconnait que la question de l’origine des justices seigneuriales présente des difficultés et a donné lieu à des travaux historiques dans lesquels on rencontre des systèmes divers. Celui de Charles Loyseau l’a guidé sans qu'il ait en- tendu cependant lui donner une préférence exclusive. Il ré- serve un nouvel examen de la question qui a été posée, en tenant compte des observations qui viennent d'être faites. IL est procédé à la nomination d’un associé correspondant. M. Jordäo, membre de l’Académie de Lisbonne, est nommé dans la classe des Inscriptions et Belles-Lettres. M. CLos lit un travail de M. Lagrèze-Fossat, associé corres- pondant, travail intitulé : Observations sur les typha latifolia L. et T. angustifolia L. — L'auteur s'attache à prouver que l’on a pris souvent pour le typha angustifolia L. des formes à feuilles étroites du T. latifolia L. 11 signale les caractères dis- tinctifs de ces deux espèces, et en particulier ceux qui se tirent du pollen à grains libres et globuleux dans la première, réunis par quatre , et paraissant ainsi, à un faible grossisse- ment, plus gros , et polyédriques dans la seconde. C’est donc à tort que Mutel, dans sa Flore française, attribue des grains de pollen polyédriques au T. latifolia L. M. le Recteur de l’Académie de Toulouse, associé honoraire de l’Académie , assiste à la séance. M. le D' Laforgue adresse, avec une Note sur un cyclope DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 169 rhinocéphale humain , né à Toulouse, deux dessins représen- tant le corps de l'enfant. Il joint à cet envoi la tête préparée pour l'étude des anomalies que présente cetle partie du sque- lette des cyclopes. Renvoyé à l'examen de MM. Joly, Gaussail et Larrey. M. Mounier, appelé par l’ordre du travail, lit la première partie d'une Notice sur les œuvres juridiques de Leibnitz. (A imprimer dans le volume de 1860. ) À la suite de cette lecture, qui sera continuée à l’une des séances suivantes, M. Brassinne, donnant son assentiment au choix du sujet traité par M. Molinier, présente quelques observations tendant à faire ressortir la portée philosophique des travaux de Leibnitz. Dans sa pensée, le lecteur, sans mé- connaître la portée pratique de ces travaux, eût peut-être pu les rattacher davantage à l’ontologie de leur auteur et à son système des monades, les idées du géomètre et du métaphy- sicien devant réagir sur celles du juriste. M. Ficnoz communique verbalement à l'Académie les résul- tats de quelques expériences qu'il a exécutées dans le but de conserver les fleurs fraiches avec leurs formes et leur couleur. Il fait passer sous les yeux de MM. les Membres de l'Académie des fleurs renfermées depuis un an dans des tubes de verre scellés à la lampe à leurs deux extrémités. Ces fleurs n'ont pas subi d’altération appréciable. M. Filhol a constaté que toutes les fleurs ne peuvent pas être conservées ainsi; mais 1l a vu qu'il suflit de placer un petit fragment de chaux vive dans le tube où on les enferme, pour les mettre à l'abri d'une altération ultérieure. Cependant il est des fleurs dont la teinte est si délicate et qui renferment si peu de matières colorantes, que ce dernier moyen ne suflil pas pour les préserver d’une décoloration partielle, ou même totale; mais, dans ce dernier cas, les fleurs conservent encore leurs formes et pourraient être facilement étudiées par un botaniste. M. Filhol pense que ce moyen de conservation poura être 470 MÉMOIRES utilisé par les naturalistes qui font des voyages scientifiques , et qui leur permettra de réserver des échantillons de plantes fraiches pour les étudier ultérieurement et dans des condi- tions plus commodes et plus avantageuses. M. Filhol fait observer à l’Académie que la chaux a pour but non-seulement d'absorber une partie de l’eau des plantes, mais encore de fixer l'acide carbonique qu'elles produisent aux dépens de l'oxygène de l'air, et de les placer en définitive dans une atmosphère d'azote, MM. Joly et Clos font remarquer toute l'importance pour la botanique de cette découverte , en apparence si simple. Non- seulement elle permettra aux voyageurs, comme l'a dit M. Filhol, de rapporter des contrées lointaines les fleurs d’une conservation difficile, mais, par elle encore, on pourra conserver, en parfait état, pour l'usage des leçons de bota- nique qui ont lieu pendant l'hiver, les plantes qui fleurissent pendant les autres saisons de l’année. M. Jozy, à l’occasion du prix que l'Institut vient de dé- cerner à M. Doyère pour ses courageuses recherches sur la respiration des cholériques, donne quelques détails sur ces expériences, auxquelles il a participé lui-même et qui ont un grand intérét au point de vue physiologique. Elles ont permis de constater, en effet, dans la dernière période de la maladie, une diminution dans la quantité d'acide carbonique exhalé, coïncidant avec une augmentation dans la chaleur du corps, deux phénomènes qui, d'après les doctrines physiolo- giques, devraient être, au contraire , en relation directe. M. Gaussail ajoute que cette chaleur du corps des choléri- ques persiste pendant plusieurs heures après la mort, au moins dans les organes internes ; fait dont il a été frappé dans les nombreuses autopsies qu'il a faites durant le cours de l’é- pidémie de Paris de 1832. M. Filhol se demande, et cette explication paraît aussi très-vraisemblable à M. Joly, si cette chaleur du corps des cholériques, soit avant, soit après la mort, ne pourrait pas s'expliquer par une sorte de combus- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 471 tion lente qui aurait lieu du sein même des tissus. Cependant M. Joly ajoute que cette explication n'est pas entièrement sa- tisfaisante, s’il est vrai, comme le prétend M. Velpeau , que cette augmentation de température se manifeste aussi chez les individus atteints par la fièvre. M. Perir donne quelques détails sur la chute de l’atrolithe de Montréjeau , dont la vitesse a dû être de cinq mille et quel- ques cents mètres par seconde , environ dix fois plus grande que celle d’un boulet de canon. L'Académie a reçu, pour le concours des médailles d’encou- ragement, les ouvrages et objets suivants : 1° De M. Mahul, ancien député à Carcassonne , un ouvrage intitulé : Cartulaire et archives des communes de l'ancien dio- cèse de Carcassonne ; 2° De M. Gangneux, de Meschers-sur-Gironde, des échan- tillons de fossiles recueillis dans le bassin de la Gironde : 3° De M. Fons, Juge à Toulouse, un travail intitulé : Mémoire historique sur l'abbaye royale de l'Abondance-Dieu ou des Salenques ; 4° De M. Cassassoles, Juge d'instruction à Auch, une Monographie du monastère de Boulauc ; 5° De M. Matagrin, Avocat à Périgueux, une Motice sur Bernard Palissy ; 6° De M. Alléon, ancien président du Tribunal de commerce d'Annonay, un Manuel de morale à l'usage des classes ouvrières ; 7° De M. Couaraze de Laa, professeur au Lycée de Tarbes, une Notice sur deux monuments de l'époque gauloise dans la vallée d'Ossau, en Béarn ; 8 De M. Jonain, ancien professeur de littérature, un Essai de grammaire universelle ; 9° De M. le D' Molinier, une Notice bibliographique sur un Traité de la peste, d'Etienne Dufaug ; 10° De M. Assiol, un modèle de boussole, avec une suspen- sion de l'aiguille d’après un nouveau système ; 31 mars, ATQ MÉMOIRES 11° De M. Caldairou, de Castelnaudary, une série de poids anciens et des entraves en fer ; 12° De M. Cunq, de Bordeaux, un nouveau système de vanne auto-régulatrice ; 43° De M. Grat, conducteur des ponts et chaussées à Foix, des médailles trouvées à Saint-Jean-de-Verges, près de Foix ; 14° M. Junorrieu signale la découverte d’une source d'eau sulfureuse dans la commune de Brugnens, près Fleurance ( Gers ). M. Barry reprend au point où il l'avait laissée la lecture de son Essai de monographie du dieu Leherenn.([mp., p.353.) M. Larrey fait, au nom d’une Commission, un rapport sur un travail de M. le D" Laforgue, relatif à un cyclope rhi- nocéphale humain, caractérisé par un orbiteunique, placé au centre de la face, et par l'existence d’une trompe mobile in- sérée au bas du front et au-dessus de l'orbite. La communication de M. Laforgue est renvoyée à la Com- mission des récompenses. M. LaroQuE entretient l’Académie des études qu'il a faites, avec le concours de M. Bianchi , sur les propriétés magnéti- ques de l'émail que donnent certains minéraux par l’action de la chaleur. Les faits nouveaux qui ont été découverts dévoilent l'ori- gine certaine de la croûte des aérolithes. Aussi, MM. Laroque et Bianchi croient devoir les communiquer à l'Académie , afin de prendre date, en attendant qu'ils puissent être en mesure de lui faire connaître les résultats définitifs de leurs recher- ches sur l’état magnétique des minéraux et des roches, tant à l'état naturel qu'après avoir subi l’action de la chaleur. L'Académie donne acte de cette communication, afin d'as- surer la priorité aux auteurs de ces intéressantes recherches. M. le D'N. Joy communique quelques observations sur le rapport que vient de faire à l'Institut (séance du 21 mars 1859) la Commission chargée d'étudier la maladie des vers à soie dans le Midi de la France. (Imprimé, p. 215.) DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 473 L'Académie a recu de nouveau, pour concourir aux mé- dailles d'encouragement : 1° De M. Gayraud de Saint-Benoît, un ouvrage intitulé : Recherches historiques sur les monnaies des comtes et des vicomtes de Carcassonne, Rasez et Béziers ; 2° De M. Rouget, principal de collége en retraite à Tou- louse, un problème de géométrie ; 3° De M. Fournalés, de Toulouse, divers objets d'archéo- logie ; 4° De M. Kuntz de Rouvaire, un ouvrage ayant pour titre : la décentralisation ; 5° De M. Rossignol, de Montaut, une histoire de l’abbaye de Candeil , ordre de Cîteaux, au diocèse d'Albi. Le programme ayant fixé le 1% avril comme terme de ri- gueur pour l'envoi des objets relatifs aux médailles d’encou- ragement. M. le Président déclare que la barre est mise au concours. M. Vitry met sous les yeux de l’Académie un fragment du câble transatlantique destiné à établir une communication électrique entre l'Europe et l'Amérique, et dont l'insuccès est malheureusement trop démontré. Ce fragment appartient à M. Newhols, directeur de l'usine du gaz de Londres , à Tou- louse. M. de Clausade, associé correspondant, communique à l'Académie un fragment d'une histoire du château et de la vi- comté de Bruniquel en Quercy. (Imprimé, p. 284.) Cette lecture donne lieu à quelques observations. M. Ducos regrette que M. de Clausade n'ait pas indiqué le fait qui dé- termina la publication de la croisade. Ce fut, comme le prouve la bulle d'Innocent IT, lassassinat du légat Pierre de Cas- telnau. L'on peut déplorer la fin tragique de Baudoin; mais il est juste de flétrir la trahison qu'il commit en livrant à Simon de Montfort le château de Montferrand. M. Ducos ex- plique la palinodie du troubadour Guillaume de Tudela, qui 7 avril. 474 MÉMOIRES d'abord combla d'éloges les barons de la croisade, et ensuite les accabla d’injures, parce qu’il avait à se plaindre de leur avarice. M. Gaussaiz fait, au nom d’une Commission, un rapport sur une histoire de la pellagre, par M. Martin Duclaux, Mé- decin des épidémies à Saint-Julia. [1 conclut à ce que des remerciments soient adressés à l’auteur de cette communi- cation. Ces conclusions sont adoptées. M. Barry donne la description de deux pierres inscrites, découvertes à l’Isle-en-Dodon, dans le lit de la Save. L’une de ces pierres , ayant 11 centimètres de hauteur sur 7 de lar- geur, renferme le fragment suivant d’une inscription votive; DEO HERC A . TIVOI IVS . VIC L'autre pierre, dont les dimensions sont 13 centimètres de hauteur sur 12 de largeur, offre l'inscription funéraire sui- vante : MEMORI D . VITALIN PAT. MILIT NNOSXXX LEGIONE DM M. Barry annonce que, lorsqu'il aura recu une empreinte exacte de ces inscriptions, il fera une lecture sur ces monu- ments épigraphiques. M. le Président désigne la Commission chargée d'examiner les travaux et objets envoyés pour le concours des médailles d'encouragement. Cette Commission sera composée : Pour la classe des sciences : de MM. Brassinne, Daguin, Gaussail, Joly, Noulet et Leymerie ; DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 475 Pour la classe des Inscriptions et Belles-Lettres : de MM. Barry, du Mège, Caze, Astre, Dubor et Hamel. Conformément au règlement, les Membres du bureau font partie de cette Commission. M. Endrès, ingénieur des ponts et chaussées à Toulouse, fait don à l’Académie de trois médailles antiques, découvertes aux environs de Carcassonne. — Des remerciments sont votés à M. Endrés. M. Nouzer lit un travail ayant pour titre : Recherches sur l'élat des Lettres romanes dans le Midi de la France au xiv° siècle, suivies de poésies inédites de cette époque. ( Aiïmprimer en 1860.) M. Haez termine la lecture de son travail intitulé : Platon et les Rhéteurs. (Imprimé, p. 246.) M. ou Mècr lit la suite des Notes qu'il a présentées, ily a quelque temps, à l’Académie sur les objets antiques que les fouilles exécutées dans la ville de Toulouse font découvrir assez fréquemment. ( Imprimé , p. #43.) M. Jocy dépose sur le bureau un travail que l'heure avancée de la séance ne permet pas de lire, et qui a pour but de dé- montrer l'existence de l'os inter-maxillaire chez l'homme. Bien que le plus grand poëte de l'Allemagne, Gæthe, eût prouvé l'existence de cet os dans l’espèce humaine , de grands anatomistes, tels que Camper et Blumenbach, ont nié sa présence , et leur exemple a été suivi récemment par M. Em. Rousseau. L'examen d'un crâne de cyclocéphale humain, présenté récemment à l’Académie par M. le D" Laforgue , et l'observation attentive d'autres crânes frappés d'un arrêt de développement, n'ont plus laissé de doutes à M. Joly sur l'exis- tence de l'os incisif chez l'homme. M. Nouzer annonce la découverte faite dans un des escar- pements de Pech-David, près de Toulouse, de débris d'un petit Castorin , par M. Rames, préparateur à l'Ecole de mé- 14 avril. 5 mai. 12 mai. 476 MÉMOIRES decine et de pharmacie, et sur lesquels M. Noulet se propose de faire ultérieurement une communication à l'Académie. M. le Ministre de l'instruction publique réclame la coopé- ration de l’Académie pour la rédaction d’un répertoire archéo- logique de la France. M. Endrés, Ingénieur des Ponts et chaussées à Toulouse, fait hommage d’un exemplaire de son Manuei du conducteur des ponts el chaussées. — Renvoyé à l'examen de M. Molins. M. Nouer lit une Note sur des ossements fossiles découverts près de Toulouse, par M. Rames, préparateur à l'Ecole de médecine et de pharmacie. ( Imprimé, page 440.) M. Mounier communique à l'Académie la dernière partie de sa Notice sur les œuvres juridiques de Leibnitz. ( À imprimer en 1860. ) Sur l'exposé fait par divers Membres, l’Académie, aux termes de l’art. 6 de ses statuts, prend en considération la proposition de déclarer vacantes trois places d'associé rési- dant; une dans la section des mathématiques pures et deux dans Ja classe des Inscriptions et Belles-Lettres. M. Baudouin, archiviste du département , adresse un tra- vail manuscrit à l'Académie. — Renvoyé à l'examen de MM. Barry, du Mège et D. Bernard. M. Larrey informe l’Académie que, sur l'invitation de M. le Président , il s’est rendu, le 18 avril dernier, dans les salles du Musée, où se trouvent déposées les médailles appar- tenant à l'Académie, et qu'avec l'assistance de M. Prévost, directeur de cet établissement, et de M. Pifteau, délégué de M. le Maire, il a été reconnu que toutes ces médailles étaient dans un ordre parfait et telles qu’elles ont été placées primi- tivement sur leurs cartons. M. Mouns , appelé par l’ordre du travail, communique à l'Académie les résultats de ses recherches sur les lignes de DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 477 courbure d'une surface conique dont les génératrices sont parallèles aux tangentes d’une courbe donnée quelconque, (A imprimer en 1860.) M. Mouns fait un rapport des plus favorables sur le Manuel du conducteur des ponts et chaussées, par M. Endrés, Ingé- nieur à Toulouse. Il demande que des remerciments soient adressés à l’auteur pour ce livre éminemment utile non- seulement à ceux pour qui il est écrit, mais encore à tous ceux qui s'occupent de mathématiques appliquées. — Ces conclusions sont adoptées. M. Jozx lit une note qu'il avait déjà déposée sur le bureau à la séance du 14 avril dernier , sur l'existence des os incisifs ou inter-maxillaires supérieurs dans l'espèce humaine. M. Joly communique à ce sujet une lettre de M. Geoffroi Saint-Hilaire, qui propose la même opinion. Ensuite M. Joly entretient l'Académie de l'envoi récemment fait à la Faculté des sciences de Toulouse par M. Echerigt, de Copenhague, de divers objets d'histoire naturelle man- quant à la collection de la Faculté, tels que des crânes de marsouins, des fanons de baleine, etc. Il pense que l’Aca- démie voudra s'associer à la reconnaissance due au savant Danois, qui, par ses envois précieux, a contribué à enrichir les dépôts publics de la ville de Toulouse. L'Académie remercie M. Joly de sa communication et s'associe aux sentiments qu'il a exprimés. M. le Président de l'Académie d'Arras envoie copie d'un rapport présenté à cette Société par M. de Sède, sur le der- nier volume publié par l'Académie de Toulouse. Des remer- ciments seront adressés à l’Académie d'Arras. Appelé par l’ordre du travail, M. DELAVIGNE communique à l’Académie un Mémoire sur les origines du théâtre chrétien. (A imprimer en 1860. ) M. ou Mèce donne lecture du sujet de prix proposé par la 19 mai. 478 MÉMOIRES classe des Inscriptions et Belles-Lettres, pour le concours de 1862. La question est ainsi posée : « Retracer l'histoire de l'ancienne Université de Toulouse , depuis sa fondation , en 1229, jusqu'à la fin xvin° siècle. C2 » En laissant à la Biographie la place qui lui apppartient » de droit, dans un travail de ce genre, l’Académie verrait » avec plaisir les concurrents insister sur le caractère parti- » culier de l'institution et sur l'influence morale, scientifique » et littéraire qu’elle a exercée dans le Midi aux époques les » plus intéressantes de son histoire. » Le choix de cette question est adopté par l’Académie. Tou- tefois , il est délibéré de mentionner expressément et de ré- server la question reconnue très-intéressante que M. Delavigne a eu le regret de n’avoir pu proposer plus tôt, et qui est celle-ci : « Retracer l'histoire de l'ancienne Académie de peinture, » sculpture et architecture de Toulouse. » M. Larrey fait un rapport sur un ouvrage adressé à l’Aca- démie, et intitulé ; Recherches expérimentales sur les effets du courant électrique appliqué au nerf grand sympathique, par MM. le comte Philippe Linati et Prime Caggioti, Médecins à Parme ( Italie ). Ce n’est pas comme agent curatif ni comme pouvant rendre des services dans la pratique médicale, en éclairant le dia- gnostic de certaines maladies, que ces Médecins ont étudié l'action du fluide électrique, mais bien en cherchant à établir que, puisque l'électricité était un excitant puissant des nerfs et des muscles de la vie de relation, il était naturel de penser qu'elle devait avoir une égale énergie pour rem- placer l'excitation nerveuse involontaire, c’est-à-dire, agir sur les nerfs du grand sympathique. M. Larrey passe en revue les dix-sept expériences sur lesquelles ces Médecins fondent leur théorie; toutes sont parfaitement bien dirigées et confir- ment les déductions importantes qu'on peut tirer de tous ces faits. _—— DE L'ACADÉMIE PES SCIENCES. 479 M. Larrey conclut à ce que l'ouvrage de ces physiologistes soit déposé aux archives de l’Académie, et qu’il soit adressé des remerciments à leurs auteurs. — L:Académie approuve ces conclusions. M. TimBaz-LAGRAVE communique une note de M. Loret, qui a découvert deux plantes nouvelles pour la Flore de Tou- louse : un Sinapis et un Rapistrum. Dans cette note, M. Loret dit dans quelles circonstances il a rencontré ces plantes en 1856 et 1859. Il en décrit les ca- ractères particuliers. Îl ajoute que si ces plantes ne sont pas une nouveauté pour la science, elles ont au moins le mérite d'être une nouveauté à enregistrer dans la Flore du pays et une rareté pour tout le monde. M. Loret sera remercié de sa communication. M. Lozes, de Polignan, envoie la description d’un télé- graphe imprimant les dépêches. — Renvoyé à l'examen de MM. Laroque, Daguin et Petit. Appelé par l'ordre du travail, M. GuiBaz lit une Note sur l'écoulement de l'eau à travers les terrains filtrants. (A imprimer en 1860.) M. Fiznoz, prenant la parole à la suite de cette communi- cation, ajoute : «On s'était demandé si le projet de M. Gui- bal, en rapprochant le filtre de l’eau n'aurait pas l’inconvé- nient d'en altérer la pureté ; mais on a reconnu, au con- traire, que cette pureté diminue à mesure que s'accroît l’é- paisseur de la couche filtrante. » M. CLos donne lecture d'un travail communiqué par M. La- grèze-Fossat, membre correspondant, et qui a pour titre : Notes sur des fentes observées sur le tube du calice du groseillier à feuilles palmées. L'auteur a remarqué que l'abeille menuisière (æylocopa violacea Latr. ) et l'abeille domestique (apis mellifica L.), ayant la trompe trop courte et le corps trop gros pour atteindre 26 mai, 4° juin. 480 MÉMOIRES le nectar sécrété au fond du tube du calice de cet arbuste , perforent cet organe avec la pointe acérée de la gaîne qui re- couvre la trompe, et absorbent, en quelques secondes le li- quide sucré. L'auteur voit dans ce fait quelque chose de plus que de l'instinct, et n'hésite pas à admettre que les deux es- pèces d'insectes cités sont doués à la fois d'instinct et d’intel- ligence. MM. Fizuoz et TimBaz-LaGrAVE communiquent à l'Académie plusieurs échantillons du Limodorum abortioum L., récoltés dans une herborisation faite, le 24 mai 1859, dans les bois de Lacroix-Falgarde , situés près de l'embouchure de l’Ariége. Cette plante n’est pas signalée dans les Flores les plus ré- centes de Toulouse et de ses environs. M. Fiznoz fait un rapport sur les résultats obtenus par MM. Perrot et Maire, pour la guérison du goître, dans une localité de la Meurthe, à l’aide d’une potion iodée qu'ils ont généreusement communiquée aux nombreux habitants at- teints de cette affection. Des remerciments seront adressés à MM. Perrot et Maire pour la notice qu'ils ont envoyée à l’Aca- démie sur cet objet. M. Dambre, Médecin à Courtrai (Belgique), adresse un Traité de médecine légale, et sollicite le titre de correspon- dant. — Renvoyé à l'examen de MM. Molinier, Gaussail et D. Bernard. M. le Ministre de l'instruction publique annonce qu'il met à la disposition de l'Académie un exemplaire du 1% volume des Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane , par M. Desjardins. M. BrassiNne, empêché d'assister à la dernière séance, prend la parole à propos de l’article du procès-verbal con- cernant le filtrage des eaux de la Garonne. Aux yeux de M. Brassinne , l'épaisseur de la couche filtrante a une grande influence sur le degré de pureté de l’eau; se fondant sur les expériences faites à Londres, où l'eau laisse beaucoup à dé- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 481 sirer, après avoir cependant traversé de grands filtres, il craint qu'en rapprochant le filtre de la rivière, et en deman- dant une trop grande prise d’eau à la prairie des filtres, on n'altère la pureté du liquide. M. Gaussaiz, appelé par l’ordre du travail, communique à l'Académie l'analyse d’une partie de la troisième dissertation qui doit compléter sa première étude sur F. Bayle, Médecin de Toulouse au xvir siècle. Cette dissertation a pour titre : De l'utilité du lait pour réparer la constitution des phthisiques, et de l'aliment immédiat du corps. M. Gaussail signale successivement les opinions de l’auteur sur la nutrition en général, sur la nutrition du fœtus, sur la composition du lait et sur son analogie avec le chyle. F. Bayle n'ignorait pas que ces deux fluides contiennent tous les élé- ments des parties solides et liquides de l’économie. Dans une prochaine lecture , M. Gaussail terminera l’ana- lyse de cette dissertation qu'il a laissée au paragraphe dans lequel le savant Médecin de Toulouse confirme ses opinions par des expériences sur les animaux vivants. Conformément à la proposition faite dans la séance du 5 mai dernier, l’Académie déclare une place vacante dans la section des Mathématiques pures , et deux places dans la classe des Inscriptions et Belles-Lettres. — I1 sera procédé à ces no- minations dans la séance du 30 juin 1859. M. le vicomte Dufaur de Pibrac, associé correspondant, adresse à l’Académie un travail sur un manuscrit en lan- gue romane du nord de la France. Renvoyé à l'examen de M. Gatien-Arnoult. M. Caze fait hommage à l’Académie, au nom de M. Théron de Montaugé, d'un ouvrage intitulé : l'Agriculture au Congrès méridional. M. TimBaz-LaGRAvE , appelé par l’ordre du travail, com- munique à l'Académie la suite de ses observations sur les hy- 5° $.— TOME Nr, 32 9 juin. 16 juin. 19 juin. 482 MÉMOIRES brides de la section des Ophryde , de la famille des Orchydées. (A imprimer en 1860. ) M. Barry reprend la lecture de sa Monographie du dieu Leherenn. ( Imprimé, p. 353.) M. Cunq adresse une note complémentaire à annexer à sa communication sur un projet de vanne auto-régulatrice. M. Batiflol envoie la dernière partie de l'ouvrage intitulé : Choix d'expressions latines.—Renvoyé à l'examen de M. Sauvage. Après la lecture de la correspondance, M. Jocy prend la parole pour revendiquer ses droits à la priorité, en ce qui concerne l'établissement d'un nouveau genre créé par M. C. Dareste, dans la série des monstres polygnathiens (à plusieurs mâchoires ) (1). M. Joly annonce en même temps à l'Académie l'intention où il est d'appuyer très-prochainement sa réclama- tion sur des preuves qu'il croit incontestables. M. le Président communique le discours qu'il doit pro- noncer dans la séance publique. (Imprimé, p. 303.) MM. Joy et Astre donnent successivement lecture des rap- ports de la Commission des médailles d'encouragement. MM. le Préfet de la Haute-Garonne, le Maire et ses Adjoints, le Procureur général, &c., &c., honorent la réunion de leur présence. M. le Président ouvre la séance par un discours sur l’im- portance des études historiques et sur leur alliance avec Îles sciences appliquées. (Imprimé, p. 303. ) M. Jozy donne lecture du rapport sur le concours des mé- dailles d'encouragement décernées dans la classe des Sciences. (Imprimé p. 315.) (1) Voir les Comptes rendus de PInstitut, séance du 6 juin 1859 , depuis 315 à 330. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 483 M. AsrRe donne également lecture du rapport sur les mé- dailles d'encouragement dans la classe des Lettres. (Imprimé, p. 330.) Enfin, M. Virry, Secrétaire perpétuel , fait connaitre les sujets de prix proposés pour les années 1860, 1861 et 1862. (Imprimé, p. 495.) La distribution des médailles, qui termine la séance, a lieu dans l’ordre suivant : MÉDAILLES D'ENCOURAGEMENT MÉDAILLE D'OR DE 120 FRANCS. M. Boudard, à Béziers ( Numismatique ibérienne ). Diplôme de Membre correspondant à M. Mahul, ancien député ( Cartulaire et archives de l'ancien diocèse de Carcas- sonne ). Classe des Sciences. . MÉDAILLES D'ARGENT. M. le D' Molinier , à Toulouse ( Notice sur un Traité de la peste ). M. Assiot, à Toulouse ( Modification de la boussole } M. Rames , à Toulouse ( Echantillons de fossiles d'animaux Me M. le D' Laforgue, à Toulouse [ Monstre rhinocéphale ). MÉDAILLE DE BRONZE. M. Soubira, à Cazères ( Système de transformation de mou- vement ). Classe des Inscriptions et Belles-Lettres. MÉDAILLE DE VERMEIL. M. Rossignol, à Montaut ( Histoire de l'Abbaye de Candeil ). 45% MÉMOIRES MÉDAILLES D'ARGENT. M. V. Fons, à Toulouse (Histoire de l'Abbaye des Salenques ). M. Cassassolles, à Auch (Monographie du Monastère de Boulauc ). M. Gayraud de Saint-Benoît, à Saint-Benoît ( Monnaies de Carcassonne, Rasez et Béziers ). M. Fournalès, à Toulouse (Objets d'archéologie ). RAPPEL DE MÉDAILLES D'ARGENT. M. l'abbé Costes, à Cailhavel (Objets d'archéologie ). M. Grat, à Foix ( Médailles antiques ). MÉDAILLE DE BRONZE. M. Caldairou, à Castelnaudary (Poids inscrits ). 93 juin. M. Cung communique un projet de télégraphe hydraulique, qui est renvoyé à l'examen de MM. Laroque, Petit et Daguin. L'ordre du jour indique la nomination des Membres du Bureau et des Commissions pour l’année 1860. Le scrutin, fait conformément aux dispositions de l’art. 17 des Statuts et de l’art. 17 des Règlements, a donné successivement les ré- sultats suivants : Président, M. Molins; Directeur, M. Molinier ; Secrétaire-adjoint, M. Clos. Comité d'impression : MM. Petit, Filhol et Caze. Comité économique : MM. Laroque, Couseran et Ducos. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 485 M. Jozy communique à l’Académie une réclamation de prio- rité qu'il vient d'adresser à l'Institut, à propos d’un nouveau genre récemment créé par M. C. Dareste, dans la famille des monstres doubles Polygnathiens (à mâchoires multiples ); et désigné par ce naturaliste sous le nom de Plésiognathe. M. Joly prouve que ce monstre est identique à celui qu'il a fait connaître l’an dernier, d'abord dans ses cours publics, ensuite à l’Académie des Sciences de Toulouse (séance du 23 décembre 1858 ); enfin à l'Académie des Sciences de Paris (séance du 3 janvier 1859). C'est donc à notre confrère qu'appartient incontestablement la priorité qu’il réclame , et à laquelle l’Académie elle-même prête volontiers son témoi- gnage. Bon nombre des auditeurs du cours de zoologie, et M. Pen- daries, propriétaire du monstre en question (1), pourraient au besoin certifier la justice de la réclamation que M. Joly à cru devoir adresser à l’Académie des Sciences de Paris. M. le D' Dessarreaux-BERNaRD, appelé par l’ordre du tra- vail, lit un Mémoire intitulé : Note sur une épidémie d'orchite catarrhale observée pendant le mois de février 1859 dans les salles de l'Hôtel-Dieu de Toulouse. Durant l’épidémie de fièvre catarrhale, compliquée d’oreil- lons , qui a régné pendant le mois de février dernier à l'Hôtel- Dieu, M. Desbarreaux-Bernard a observé un certain nombre d'orchites survenues isolément et sans avoir été précédées du gonflement parotidien. Les malades frappés par l'épidémie habitaient l'hôpital depuis longtemps, et la plupart d’entre eux étaient convalescents de maladies sérieuses ou atteints d'affections diathésiques graves. L'un portait à la jambe gau- che une nécrose ancienne, un second était tuberculeux, un troisième hydropique , enfin, deux individus se trouvaient en convalescence de pleuropneumonies ataxiques. (1) On se rappelle, peut-être, que la monstruosité dont il s'agit a été ob- servée pour la première fois sur un agneau mis obligeamment à la disposition de M. Joly par M. Pendaries , Pun de nos concitoyens. 30 juin. 486 MÉMOIRES M. Desbarreaux-Bernard à fait des recherches multipliées pour découvrir, dans les nombreuses épidémies de fièvres catarrhales, où dans les épidémies d’oreillons connues , un fait semblable à celui qu'il a observé à Toulouse; mais il n’a rien trouvé. Tous les auteurs parlent bien de l’orchite, mais ‘tous la considèrent comme une terminaison métastatique des oreillons. M. Desbarreaux-Bernard suppose que c’est à cette idée préconçue et au peu d'importance de la lésion en elle- même qu'il faut attribuer le silence des observateurs. Après avoir indiqué, d’une manière toute particulière , les signes diagnostiques propres à distinguer l’orchite catarrhale de l’orchite syphilitique, M. Desbarreaux-Bernard fait ob- server que cette petite épidémie doit trancher, quant aux oreillons du moins, la question de la métastase, dont les pa- thologistes modernes ont singulièrement restreint la portée doctrinale. Il pense, en terminant, que la présence des oreil- lons, des orchites ou du gonflement des mamelles durant les épidémies de fièvre catarrhale, pourraient théoriquement s'expliquer par la loi de coïncidence, loi que M. le profes- seur Bouillaud a trouvée dans les relations intimes qui exis- tent entre les affections rhumatismales et les maladies du cœur ; loi que M. Sée a cru reconnaître aussi entre la chorée et le rhumatisme, et que M. Larcher signalait, il y a peu de temps, entre la grossesse et l'hypertrophie du cœur. M. pu MÈGe fait, au nom d’une Commission, un rapport sur les titres scientifiques de MM. de Clausade et Baudouin, candidats aux deux places vacantes dans la classe des Lettres. M. Mozins fait un rapport sur les travaux de M. Endrès, candidat à la place vacante dans la section des Mathématiques. Après avoir entendu ces rapports, l'Académie procède aux nominations. Le scrutin ayant été successivement dépouillé, ont eté élus : Dans la section des Mathématiques pures, M. Endrès, In- génieur des ponts et chaussées à Toulouse. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 487 Dans la classe des Lettres, MM. Baudouin, archiviste du département, et de Clausade ( Gustave ). Au nom d'une Commission, M. Mounier fait un rapport sur un Trailé de médecine légale, adressé par M. Dambre , docteur en médecine à Courtrai (Belgique ). Des remerciments seront adressés à l’auteur. M. CLos communique une observation d'empoisonnement de lapins par des feuilles d'if (Taxus baccata. Linn. ). Les propriétés toxiques de cetarbre, si répandu dans les jardins paysagers, ont été souvent constatées. On cite plusieurs cas de mort de divers animaux (chevaux, ânes, moutons, &c. ) à la suite de l'ingestion de ces feuilles. Les lapins doivent être compris au nombre des animaux chez lesquels ce végétal exerce une action délétère, comme l’a prouvé un fait récent qui s’est produit, le 23 avril dernier, au Jardin des Plantes de Toulouse, à cinq heures et demie du soir. Un promeneur ayant donné, probablement par mégarde, des feuilles d’if à une col- lection de lapins appartenant au concierge de cet établisse- ment, ceux-ci ne tardèrent pas à succomber à la suite de mouvements convulsifs. À sept heures, vingt-cinq de ces ani- maux avaient déjà cessé de vivre; d’autres moururent dans la nuit ou le lendemain matin, et la perte totale s'éleva à soixante environ... Parmi les nombreux ouvrages faisant partie de la corres- pondance, M. le Secrétaire perpétuel signale le Bulletin des travaux de la Société d'Agriculture de Moscou , année 1857. Il donne ensuite lecture d'une lettre par laquelle M. le Ministre de l'instruction publique remercie l'Académie du con- cours qu'elle veut bien lui prêter pour la rédaction d’un ré- pertoire archéologique de la France. À cette occasion, M. pu MÈèGE annonce qu'il mettra, dans la prochaine séance, à la disposition de l'Académie et de M. le Ministre, la première partie du travail qu'il a entrepris sur cel objet, 7 juliet. 488 MÉMOIRES M. Barry demande la parole pour annoncer que des vases antiques chargés d'inscriptions ont été récemment découverts dans la commune de Rabat (Ariége ). L'Académie décide qu'il sera écrit à M. le Maire de Rabat pour l’engager à déposer ces monuments épigraphiques dans le Musée de la ville de Tou- louse. M. Dacux, appelé par l'ordre du travail, communique une note sur la question de la vapeur vésiculaire, qui a été portée récemment devant l'Académie des sciences de Paris. Il rappelle qu'il a lu sur ce sujet, en 1856, un travail, imprimé dans le tome vi, 4° série, du Recueil des Mémoires de l’Aca- démie de Toulouse , et dans lequel il combat l'hypothèse des vésicules , au moyen de la plupart des arguments qui ont été nouvellement invoqués. De plus, ce qui n'a pas été fait dans les notes présentées à l'Académie de Paris, M. Daguin a fait voir que la vapeur vésiculaire n’a jamais été admise sans con- teste , et il cite Desaguilliers et Monge comme l'ayant tout par- ticulièrement combattue. Il a montré ensuite comment la for- mation et la suspension des nuages s'expliquent facilement et paturellement quand on renonce à cette hypothèse qui à tou- jours été stérile et n’a fait qu'entraver la marche de la météo- rologie. M. Lavocar donne connaissance à l’Académie des documents suivants sur les propriétés toxiques de l'if ( Taxus baccaia ), arbre de la famille des conifères; propriétés récemment ob- servées au Jardin des Plantes, et relatées dans la dernière séance par M. Clos. Les auteurs anciens et modernes ont généralement reconnu que l'if est vénéneux pour les animaux qui mangent les feuilles de cet arbre, et surtout pour les chevaux, les ruminants , le porc et les oiseaux de basse-cour. De nombreuses observations et diverses expériences ont démontré que ces animaux meu- rent rapidement lorsqu'étant à jeun, ils ont mangé exclusi- vement une certaine quantité de feuilles d'if. Si, au contraire, ces feuilles sont prises en petite quantité, graduellement aug- DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 489 mentée, ou si elles sont mélangées avec d’autres aliments et dans une proportion inférieure, comme cela se pratique dans le nord de l'Allemagne, il n’en résulte aucun inconvénient pour les animaux. Ces dernières particularités, dit M. Lavocat , ont sans doute accrédité auprès de quelques personnes l’idée que l’if n’est pas nuisible et que, malgré son amertume, on peut, en cas de besoin, l’administrer au bétail comme matière alimentaire. Cette opinion est dangereuse et elle doit être combattue ; les faits d'empoisonnement par l'if sont tellement positifs et avérés, qu'ilest, au contraire, plus prudent de se prononcer pour la destruction de cet arbre , ou du moins pour une grande réduc- tion de sa culture. On sait aussi que les fruits de l'if sont dangereux pour l'homme et les animaux. Ces petites baies, que l’arbre porte en automne, ont une saveur assez douce; prises en petite quatité, elles déterminent des coliques et une assez forte pur- gation ; en plus grande quantité, elles deviennent toxiques et entraînent la mort. Enfin, dit M. Lavocat, il faut rappeler ici l'opinion assez répandue que les émanations de l'if sont malfaisantes. Quel- ques agriculteurs affirment que l'ombrage de cet arbre est nuisible même aux végétaux , par exemple, aux céréales. M. Barry donne lecture de la dernière partie de son Mé- moire relatif au dieu Leherenn. ( Imprimé, p. 353.) M. GATIEN-ARNOULT fait un rapport très-favorable sur un volume manuscritenvoyé par M. le vicomte de Pibrac, associé correspondant. Ce volume contient principalement la copie d’un manuscrit du xu° siècle, intitulé : Roman de Sapience , par Herman de Valenciennes. Cette copie est précédée d'une dissertation de M. de Pibrac sur l'origine et le développement de la langue romane jusqu'au xu° siècle. Des remerciments sont votés à M. le vicomte de Pibrac. M. DESBARREAUx-BERNARD annonce que, depuis la lecture de son travail, et pendant une recrudescence de fièvres mu- 14 juillet. 490 MÉMOIRES queuses, compliquées d'oreillons , ila encore observé un nou- veau cas d'orchite catarrhale, C’est sur un jeune garçon de quatorze ans, et du côté droit, que l'engorgement a eu lieu, et, chose remarquable, pendant que le frère aîné était atteint d'orchite, le frère cadet fut pris d'un gonflement parotidien , aussi du côté droit. M. Gascmeau donne communication de la note suivante, sur une application du principe des vitesses virtuelles. «Si l'on veut employer la formule générale de statique pour obtenir la condition de l'équilibre de la poulie mobile à cor- dons concourants, on doit tenir compte de la constitution de cet appareil, qui n’est point un système à liaisons complètes , mais dont la figure et la position résultent de relations qui laissent deux variables indépendantes. IL s'ensuit que le prin- cipe des vitesses virtuelles devrait fournir deux équations d'é- quilibre. Or, ce principe, traduit en analyse, conduit, dans le cas actuel, à une équation dont le premier membre, égal à zéro, se décompose en deux facteurs, l'un finiet l’autre fonc- ion des deux variations infinitésimales indépendantes. Sans doute, en annulant le second , on aurait deux conditions, mais onreconnaitrait qu'elles ne peuvent convenir à la question dans toute son étendue, tandis qu’en égalant à zéro le premier fac- teur, celui qui ne contient que des quantités finies, on trouve la relation connue entre les deux forces, le rayon de la roue et Ja sous-tendante de l'arc embrassé par le cordon. Cette unique condition paraît donc suffisante pour assurer l'équilibre. » Sur une observation de M. Molins, M. Gascheau ajoute que, depuis la rédaction de ce travail , il a aperçu d’autres points de vue de la questiôn, et qu'il se propose de les étudier pour les soumettre à l’Académie. Dans des recherches, inspirées par les récentes communica- tions de MM. Clos et Lavocat, M. AsrRE a essayé de recueillir la plupart des passages des poëtes latins, et d'autres auteurs anciens qui ont parlé de l'if, des qualités nuisibles et de l'em- ploi funèbre de cet arbuste. Ayant rappelé seulement les noms DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 491 des savants et des polygraphes qui avaient considéré l'if au point de vue scientifique, M. Astre cite des vers de Lucrèce, Virgile, Ovide, Stace. Il cite aussi quelques lignes de Palla- dius et de Columelle ; enfin, parmi les modernes, il cite Va- nière et Delille. Il en conclut que, d'après les littérateurs, comme après les savants, si le fruit de l'if est peut-être inoffensif, le feuillage de cet arbre a été toujours considéré comme plus ou moins dangereux. M. Asire termine en se félicitant de ce que, par les com- munications réciproques faites dans les séances de l'Académie , les lettres s'y animent, s’y fortifient et s'y plaisent au contact des sciences , et à leur tour, les sciences, par la compagnie des lettres, adoucissent ce qu’elles ont, suivant quelques es- prits, de trop absolu et de trop positif. L'Académie ordonne ensuite la lecture d’une note supplé- mentaire, adressée par M. le D' Laforgue, de Toulouse, re- lative à la tête du monstre rhinocéphale humain qui a fait l’objet du Mémoire qui a remporté une médaille d'argent d’en- couragement. Cette note renferme une lettre de M. Geoftroi Saint-Hilaire, concernant les os intermaxillaires. L'Académie vote des remerciments à M. Laforgue pour sa nouvelle communication, et le renvoi de ce Mémoire au Co- mité d'impression. ( À imprimer en 1860.) M. vu MÈGE dépose, pour être transmise à M. le Ministre de l'instruction publique, les 1° et 2° livraisons de l'ouvrage intitulé ; Archéologie pyrénéenne. M. MaGnes-Lamens, appelé par l’ordre du tableau, lit un travail sur les divers procédés de préparation de la pommade mercurielle. ( A imprimer en 1860. ) MM. Virry et BrassinxE donnent communication d'un Mé- moire intitulé : Observations sur le nouveau projet d'établis- sement des fontaines publiques de Toulouse. Modifications au projet. Propositions. (A imprimer en 1860.) Après un exposé succinet du beau système hydraulique 91 juillet. 28 juillet. 492 MÉMOIRES établi par d'Aubuisson et Abadie, il y a trente-cinq ans, les auteurs du Mémoire examinent et discutent l’avant-projet qui a été présenté, et dont la dépense s’éléverait, d'après eux , à un million et demi au moins. En supposant que la prairie du quai Dillon puisse fournir les mille pouces d’eau qu'on veut distribuer, ils cherchent à démontrer que le Château-d'Eau actuel peut facilement les élever moyennant quelques modifications, qui consistent dans la substitution de turbines aux roues à aubes existantes , et dans l’abaissement du radier du canal de fuite; dès lors la construction d'un nouveau Château-d'Eau, empruntant l'eau potable dans cette prairie, devient inutile. Mais dans le cas très-probable où cette masse d’eau filtrée ne pourrait pas être obtenue de la prairie du quai Dillon, sans altérer l'excellente qualité des eaux, ils pensent qu'un second système hydraulique serait très-économiquement et très-Convenablement établi sur le ramier du moulin du Chà- teau , terrain dans lequel des fouilles, récemment faites , ont démontré l'existence d’une masse considérable d’eau clarifiée. MM. Vitry et Brassinne font connaître les dispositions prin- cipales de ce nouvel établissement hydraulique, ainsi que le montant des dépenses qui, d’après leur détail estimatif, ne s'élèveraient qu'à un demi-million (500,000 fr. ); en sorte qu'avec une dépense infiniment moins considérable, on au- rait deux Châteaux-d'Eau, et on conserverait le magnifique établissement hydraulique créé par d’Aubuisson; établisse- ment dont la réputation est européenne. Deux Membres prennent successivement la parole, et pro- posent, vu l'importance de la question, de transmettre, à titre de renseignement , le Mémoire de MM. Vitry et Brassinne à M. le Maire et à M. le Préfet de la Haute-Garonne. Cette proposition est adoptée. M. Saraillé, manufacturier à Toulouse, signale les bons résultats qui ont été obtenus de l'huile de résine pour la gué- rison des plaies et brülures. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 493 Relativement au renvoi à M. le Maire et à M. le Préfet, du Mémoire de MM. Vitry et Brassinne , sur les fontaines de Tou- louse, plusieurs Membres prennent successivement la parole , et l'Académie , expliquant son intention, délibère que, par cet envoi, elle n’a pas entendu donner ni son adhésion, ni son patronage à ce travail, mais qu'elle a entendu rester fidèle à la déclaration suivante, qui est imprimée en tête de ses publications : « L'Académie déclare que les opinions émises dans ses » Mémoires doivent être considérées comme propres à leurs » auteurs, et qu'elle n'entend leur donner aucune approba- » tion ni improbation. » À l'occasion du Mémoire de MM. Vitry et Brassinne sur les fontaines de Toulouse, M. Guibal demande la parole pour faire observer que son projet ne supprime ni le Château-d'Eau actuel ni son réseau de conduite ; il déclare que, pour toute réponse aux observations renfermées dans le Mémoire, il se borne, pour le moment, à rappeler un passage du rapport de M. Brassinne, imprimé dans les Mémoires de l’Académie , 4° série, tome 3, page 116, ainsi concu : « En plaçant la machine hydraulique en aval de la chaussée du Bazacle , au lieu de choisir pour son emplacement le ramier du moulin du Château, M. Guibal obtient une économie consi- dérable par suite d’une importante réduction dans la longueur des conduites , et il rapproche le nouveau centre de distribu- tion des parties de la ville qui, comme le quartier Lafayette, sont les plus éloignées du Château-d'Eau actuel. Un dessin d'ensemble, annexé au Mémoire, rend évidents les avantages de l'emplacement auprès du Bazacle, qui offre aussi la facilité de poser les principales conduites dans les grands aqueducs des boulevards, longeant le tracé de l’ancien mur de la ville. » La discussion étant close sur ce sujet, M. DaquIn donne lecture d’un Mémoire sur l'explication, dans le système des ondulations , des effets de la chaleur et de la lumière sur les 494 MÉMOIRES corps. Il montre d'abord que les radiations calorifiques et les radiations lumineuses sont dues à un même mode de vibration de l’éther , et il explique, en partant de ce principe, comment on peut concevoir que ces vibrations produisent, soit simul- tanément, soit séparément , l'impression générale de chaleur sur tout notre corps, ou l'impression spéciale de lumière sur l'organe de la vue. Ce qui se passe quand on engendre la cha- leur ou la lumière, la succession des diverses radiations quand on rend les corps incandescents, ou qu'on excite les vibrations de l’éther par les actions chimiques, lui servent à confirmer cette manière de voir. M. Daguin aborde ensuite l'étude des actions diverses que la chaleur et la lumière produisent sur les corps. Procédant, en s'appuyant sur les analogies que nous offrent les vibrations sonores , il parvient à rendre compte de la dilatation, du jeu des chaleurs spécifiques et des chaleurs latentes ; il donne la définition théorique de la température, et il rattache au sys- tème des vibrations de l’éther, les idées nouvellement intro- duites dans la science sur l'équivalent mécanique de la chaleur. Enfin , il termine par des considérations sur les effets chimi- ques des rayons lumineux, qu'il trouve le moyen d'expliquer au moyen de la même théorie. Après cette communication, M: le Président prononce la clôture de la session académique de 1859, et l'ajournement jusqu’au mois de décembre prochain. Le Secrétaire perpétuel, UrBaiN VITRY. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 495 SUJETS DE PRIX POUR LES ANNÉES 1860, 1861 Er 1862 L’ACADÈMIE n’a point décerné le prix de 1858, dont le sujet était la question suivante : Recherches sur l'électricité atmosphérique. Observations. L'Académie, en posant la question dans ces termes généraux et en laissant ainsi un libre et vaste champ aux recher- ches , croit néanmoins utile d'attirer particulièrement l'attention des concurrents sur les questions secondaires suivantes : 1° Discuter les observations desquelles on a déduit l'existence de l'électricité atmosphérique et les lois de sa tension ; 2° Déterminer, en s'appuyant sur l'expérience, les sources de l'électricité atmosphérique ; 3° Reconnaître si l'espèce d'électricité qui charge un nuage ora- geux exerce une influence sur sa constitution physique ; 4° Rechercher quel est le degré d'influence de l’état électrique des nuages orageux sur la formation de la grêle ; 5° Etablir sur des documents authentiques ia fréquence relative de la grèle dans les régions du bassin sous-pyrénéen, et rechercher les circonstances qui peuvent , dans ces mêmes régions , influer sur la répartition inégale de ce météore. Nota. Quelles que soient les questions traitées, l’Académie , dans l'appréciation des Mémoires qui lui seront présentés, tiendra compte surtout de la nouveauté et de la fécondité des observations personnel- les ; elle attachera cependant une grande importance aux recherches relatives à la dernière question. En conséquence , et conformément à l’art. 32 de ses règlements, l'Académie a décidé qu’elle accordera un prix extraordinaire à auteur d’un mémoire qui lui serait adressé sur ce sujet avant le 1°" janvier 1860. Ce prix extraordinaire sera une médaille d’or de 500 fr. 496 MÉMOIRES L'Académie n’a point également décerné le prix de 1859 , dont le sujet était la question suivante : Faire l'histoire de l'organisation judiciaire , civile, criminelle et ecclésiastique dans le Languedoc et la Provence, depuis lu pu- blication du Bréviaire d’Alaric jusqu'à l'établissement fixe du Parlement de Toulouse , en 1444. En conséquence, et conformément à l’art. 32 de ses règlements, l'Académie a décidé qu’elle accordera un prix extraordinaire à l’au- teur d’un mémoire qui lui serait adressé avant le 1° janvier 1860. Ce prix extraordinaire sera une médaille d’or de 500 fr. L'Académie propose pour sujet de prix de l’année 1860, la ques- tion suivante : Faire connaître les résultats positifs dont les expériences phy- siologiques ont enrichi la médecine clinique depuis le commence- ment du xix° siècle. Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 500 fr. L'Académie propose pour sujet de prix de l’année 1861, la ques- tion suivanle : Appliquer des observations nouvelles et convenablement discu- tées à l'étude des étoiles variables. Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 500 fr. L'Académie propose pour sujet de prix de l’année 1862, la question suivante : Retracer l'histoire de l’ancienne Université de Toulouse, depuis sa fondation , en 1229, jusqu'à La fin du xvim* siècle. En laissant à la biographie la place qui lui appartient de droit , dans un travail de ce genre , l’Académie verrait avec plaisir les concurrents insister sur le caractère particulier de l'institution et sur l'influence morale , scientifique et littéraire qu’elle a exercée dans le Midi, aux époques les plus intéressantes de son histoire. Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 500 fr. Les savants de tous les pays sont invités à travailler sur les sujets DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 497 proposés. Les membres résidants de l’Académie sont seuls exclus du concours. L'Académie décernera aussi , dans sa séance publique annuelle, des prix d'encouragement , 1° aux personnes qui lui signaleront et lui adresseront des objets d’Antiquité / monnaies , médailles , sculptures , vases , armes , etc.) , et de Géologie {échantillons de roches et de minéraux , fossiles d'animaux , de végétaux , etc.) , ou qui lui en transmettront des descriptions détaillées, accompa- gnées de figures ; 2° Aux auteurs qui lui adresseront quelque dissertation ou obser- vation , ou mémoire, importants et inédits, sur un des sujets scien- tifiques ou littéraires qui font l'objet des travaux de l'Académie ; 3° Aux inventeurs qui soumetltront à son examen des machines ou des procédés nouveaux introduits dans l’industrie , et particu- lièrement dans l’industrie méridionale. Ces encouragements consisteront en médailles de bronze, d’ar- gent ou de vermeil , selon l'importance scientifique des communi- cations. Dans tous les cas , les objets soumis à l'examen de l’Aca- démie seront rendus aux auteurs ou inventeurs , s'ils en manifestent le désir. 4° Indépendamment de ces médailles, dont le nombre est illimité, il pourra être décerné chaque année , et alternativement pour les sciences et pour les lettres, une médaille d’or de la valeur de 120 fr., à l’auteur de la découverte ou du travail qui , par son importance entre les communications faites à l’Académie , aura paru le plus digne de cette distinction. Les travaux imprimés seront admis à concourir pour cette mé- daille, pourvu que la publication n’en remonte pas au delà de trois années , et qu’ils n’aient pas déjà été récompensés par une Société savante. L'auteur de la découverte ou du travail qui aura mérité la mé- daille d’or , recevra de droit le titre de correspondant. DISPOSITIONS GÉNÉRALES. 1. Les Mémoires concernant le prix ordinaire, consistant en une médaille d’or de 500 fr. , ne seront recus que jusqu’au 1° janvier de l’année pour laquelle le concours est ouvert. Ce terme est de rigueur. IT. Les communications concourant pour les médailles d'encouragement, y compris la médaille d’or de 120 fr., devront être déposées, au plus tard, le 4° avril de chaque année. 5° S. — TOME Hi. 33 498 MÉMOIRES III. Tous les envois seront adressés, franco, au Secrétariat de l’Académie , rue Louis- Napoléon , 12, ou à M. Urbain Virry, Secrétaire perpétuel, allée Louis-Napoléon, 3. IV. Les Mémoires seront écrits en français ou en latin, et d’une écriture bien lisible. V. Les auteurs des Mémoires pour les prix ordinaires écriront sur la première page une sentence ou devise; la même sentence sera répétée dans un billet séparé et ca- cheté, renfermant leur nom , leurs qualités et leur demeure; ce billet ne sera ouvert que dans le cas où le Mémoire aura obtenu une distinction. VI. Les Mémoires concourant pour les prix ordinaires et dont les auteurs se seront fait connaitre avant le jugement de l’Académie, ne pourront être admis au concours. VII. Les noms des lauréats seront proclamés en séance publique, le premier diman- che après la Pentecôte. VIII. Si les auteurs ne se présentent pas eux-mêmes, M. le Docteur Larrey, Tréso- rier perpétuel , ne délivrera le prix qu’au porteur d’une procuration de leur part. IX. L'Académie, qui ne prescrit aucun système, déclare aussi qu’elle n’entend pas dopter tous les principes des ouvrages qu’elle couronnera. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 499 ELLE OUVRAGES IMPRIMÉS ADRESSÉS A L'ACADÉMIE PENDANT L'ANNÉE 1858-59. Sociétés Savantes. AGEN. — Recueil des travaux de la Société d'Agriculture , Sciences et Arts, t. 1x, 1"° partie, 1858. In-8°, fig. Aix. — Séance publique de l’Académie des Sciences, Agri- culture , Arts et Belles-Lettres, 1859. In-8°. AwiEns.— Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, t. vi, dernière liv., 1859, n. 1, 1859. In-&. AMSTERDAM. — Verhandelingen der Koninklijke Akademie van Wetenschappen, deel 4,5, 6. In-4°, fig., 1855. AmsTErRDAM. — Verslagen en Mededeelingen van Wetenschap- pen. — Afdeeling Letterkunde , deel 3, stuk 1, 2, 3. — Afdeeling Natuurkunde, deel 7, stuk 1, 9, 3, 1857-58. In-8°, fig. AMSTERDAM. — Jaarboek van de Koninklijke van Wetenschap- pen, Gevestigd te Amsterdam, van apri 1857- april 1858. In-8°. AMSTERDAM. — Catalogus van de Boekerij der Koninklijke Akademie van Wetenschappen, deel 1, stuk 1. ANGERS. — Bulletin de la Société industrielle, 28° année, 2° série, t. vis. 1857. In-8°, fig. ANGERS.— Procès-verbal de la Séance solennelle du jeudi 1° juillet 1858, tenue pour la distribution des Médailles décernées à la suite de l'Exposition quinquennale Agricole, Industrielle et Artistique d'Angers, 1858, In-8°. 50Œ MÉMOIRES ANGERS. — Annales du Comice Horticole de Maine-et-Loire , année 1859 , 1 trim., 1859. In-8°. Ancers. — Mémoires de la Société académique de Maine-et- Loire, t. mretiv, 1858. In-8°, fig. Ancers. — Mémoires de la Société impériale d'Agriculture , Sciences et Arts, nouvelle période, t. 1% et 1. 11, 1% cahier, 1858-59. In-8°, fig. ANGOULÈME. — Annales de la Société d'Agriculture , Arts et Commerce du département de la Charente, t. xxx et 1 trim., 1858. In-8°, Anvers. — Annales de l’Académie d'Archéologie de Belgique , t. xv et xvi, re liv., 1858. In-8°. Arras. — Mémoires de l’Académie d'Arras, années 1826-27- 33-34-38-40-42-45-46, plus , t. XXVI, XXVI ; xxvin , xxix et xxx. In-8°, fig. Besancon. — Bulletin de la Société de Médecine, n° 8, année 1858, 1859. In-8°. Borneaux.— Bulletin de la Société philomatique de Bor- deaux , 2° série, 1" année 1856 , 2° semest. 1857, 4e, 3e et 4° trim. 1858, 1”, 8° et 4e trim. 1859, 4er sem. 1858-59. In-8°. Borpeaux. — Recueil des Actes de l’Académie impériale des Sciences, Belles-Lettres et Arts, 20° année, 1858, 1858. In-8°. BorpEaux. — Notice sur les travaux de laSociété de Médecine pour l’année 1858. 1859. In-8°. BouLocxe-sur-Mer. — Société d'Agriculture , des Sciences et des Arts, Séance semestrielle du 27 mars 1858. In-8°. BouLoene-sur-Mer. — Bulletin de la Société d'Agriculture de l'arrondissement ; août à décemb. 1858, Aer trim. 1859. In-8°. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 501 BourG. — Journal d'Agriculture, Sciences, Lettres et Arts, 1859. In-8°. CAEN. — Bulletin mensuel de la Société d'Agriculture et de Commerce, année 1858 , 1859, janv., fév., 1858. In-8°, fig. CAEN. — Bulletin de la Société Linnéenne de Normandie, 3° vol., 1857-58 , 1858. In-8°, fig. CARCASSONNE. — Mémoires de la Société des Arts et des Scien- ces, t. 11, 1858-59. In-8°, fig. Casrres. — Société Littéraire et Scientifique, Procès-verbaux des séances , 2° année. (2 ex.) 1858. In-8°. CuaLons. — Mémoires de la Société d'Agriculture , Commerce, Sciences et Arts du département de la Marne, an- née 1858. In-8°. CHamBÉRY. — Mémoires de l’Académie royale de Savoie, 2° série, t. 111, 1859. In-8°, fig. CHRISTIANIA. — Beretning om Bodsfœængflets Virksomhed : aaret 1857, 1858. In-&e. Duo. — Mémoires de l’Académie impériale des Sciences , Arts et Belles-Lettres, 2° série, t. vi, année 1857, 1858. In-8°, fig. Douar. — Mémoires de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts, séant à Douai, centrale du département du Nord, 1829-30, 1848-49. In-8°, fig. GENÈVE. — Mémoires de la Société de Physique et d'Histoire naturelle, t. x1v, 2° partie , 1858. In-4°, fig. LimoGes. — L’Agriculteur du Centre, t.1x,n®%3,%,t. 4°, 3° série, n° 1-5, 1858. In-&. Lonpres.— Philosophical Transactions ofthe royal Society of London for the year 1857, vol. 147, part, 3, 1858. In-4°, fig. Lonpres. — Proceedings of the royal Society, vol. 9, n° 30, 31. In-&, fig. 502 MÉMOIRES Lie. — Mémoires de la Société impériale de l'Agriculture et des Arts, années 1855 et 1857, 1856-58. In-8°, fig, Le Mans. — Bulletin de la Société d'Agriculture , Sciences et Arts de la Sarthe, 2 série, t. v, 1858. In-8°, fig. MENDE. — Bulletin de la Société d'Agriculture , Industrie, Sciences et Arts du département de la Lozère, t. 1x et x, janvier à mai 1858. In-8°. Merz. — Mémoires de l’Académie impériale de Metz, 39° an- née, 1857-58, 2° série, 6° année, 1858. In-8°, fig. Mia. — Giornale dell I. R. Istituto Lombardo di Scienze, Lettere ed Arti e Biblioteca italiana, nuova serie, fase. 52, 53 et 54 ultimo della serie. 1857. In-4°, fig. : Mizan. — Memorie del Medesimo Istituto, vol. vir, fasc. 1 à 7, 1858. In-#°, fig. Mizan.— Atti del Medesimo Istituto , vol. 4, fasc. 1 à 10. Mizan. — Atti della fondazione Scientifica Cagnola , nel 1858, vol. 1, parte 2, 1858. In-8°. Mizan. — Sul Caglio vitellino, Memorie di Davide Nava e del prof. Geo. Francesco Selmi, che ottenero il premio d'incoraggiamento dell EL. R. Istituto Lombardo pel concorso di fondazione Cagnola del 1857. In-8°. Monraugan. — Société des Sciences , Agriculture et Belles- Lettres du département de Tarn-et-Garonne, Séance publique du 10 juin 1858. 1858. In-8°. MonrpecuiEr. — Publications de la Société Archéologique, n° 26, 1858. In-4°. Moscou. — Rapport sur les travaux de la Société impériale d'Agriculture de Moscou, pour l'année 1857, Paris, 1858. In-8°. Nanres. — Annales de la Société Académique, 1857 , 1% se- mestre, t. xxvin, année 1858, t. xxIx, 1857-58. In-8°, fig. 2 a im DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 503 Nimes. — Compte rendu des travaux de l’Académie du Gard, en séance publique, le 28 août 1858. In-8°. Paris. — Comptes rendus hebdomadaires des séances de F'A- cadémie des Sciences, t. xLvint, xLIxX, 1859. In-#°. Paris. — Société Philomathique ; Extrait des procès-verbaux des séances pendant l’année 1858. 1858. In-8°. Paris. — Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 3° et 4° trim. 1858, 1° trim. 1859. 1858. In-8°, fig. Porriers. — Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 3° trim. 1858. 1858. In-8°. Poitiers. — Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1857, 1859. In-8°. PaiLaDELPHiE. — Procedings of the Academy of natural Scien- ces, vol. vu, 1857. In-8°. Puy.— Annales de la Société d'Agriculture , Sciences, Arts et Commerce , t. xx, 1855-56. 1859. In-8°, fig. RonEez. — Mémoires de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l'Aveyron, t. vus, 1851 à 1858. 1858. In-8°, fig. SENS. — Bulletin de la Société Archéologique, années 1853, 1854, ett. vi. In-8°, fig. SAINT-ETIENNE. — Annales de la Société impériale d’Agri- culture, Industrie , Sciences , Arts et Belles-Lettres du département de la Loire, t. 1, 2° semest., t. 11, 1857-58. In-8°. SAINT-OMER. — Société des Antiquaires de la Morinie; Bulle- tin historique, 7 et 8° année, 26 et 27° livraison , 1858. In-8°. SAINT-QUENTIN. — Société Académique des Sciences, Arts, Belles-Lettres et Agriculture, 3° série, t. 1, travaux de 1855 à 1857. 1858. In-8°, fig. 564 MÉMOIRES STOCKHOLM. — Konkliga svenska fregatten Eugenies resa om- kring jorden under befcil of C. A. Virgin, âren 1851,1853.—Vetenskapleya iakttagelser Pa. H. Ma- jit Konung Oscar den forstes, befallning utgifna af K. Svenska Vetenskaps Akademien. Botanik , 1, Zoologi 1 et 2, Fysik, 1. In-4°, fig. STOCKHOLM. — Voyage autour du monde sur la frégate sué- doise l'Eugénie, exécuté pendant les années 1851- 1853, sous le commandement du C. A. Virgin, Observations scientifiques publiées par ordre de S. M. le roi Oscar 1‘, par l'Académie royale des Sciences de Stockholm , Physique 1, In-#°. TarBEs. — Bulletin de la Société Académique des Hautes- Pyrénées , 5° année, 1857, 1858, n® 1 et 2, 1859. [n-8°. TouLouse. — Journal d'Agriculture pratique et d'Économie rurale pour le Midi de la France, 3° série , t. x, 1859. In-8°. TouLouse.— Recueil de l’Académie des Jeux Floraux, 1857. In-8°. — 1859. In-8&. TouLousE. — Recueil de l’Académie de Législation, 1856, t. v. In-8°. TouLouse. — Compte rendu des travaux de la Société impé- riale de Médecine, Chirurgie et Pharmacie, du 10 mai 1857 au 10 mai 1858. In-8°. TouLouse. — Mémoires de la Société impériale Archéologique du Midi de la France, t. v, 5° liv., 1859. In-4°, fig. TouLousEe. — Annales de la Société d'Horticulture de la Haute- Garonne, t. vi, 1859. In-8°, fig. Tours. — Recueil des travaux de la Société Médicale d'Indre- et-Loire, année 1858, 57° année. In-&°. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 505 Troyes. — Mémoires de la Société d'Agriculture, des Scien- ces, Arts et Belles- Lettres du département de l'Aube, 2 série, t. 1x, 1° trim. 1845, année 1846, 1® sem. 1847, trois derniers trimestres de 1852, et Table générale des matières de 1822 à 1846. VIENNE. — Jahrbuch der Kaiserlich-Kôniglichen geologischen Reichsanstalt, 1857, n°2, 3 et 4, 1858, 1° sem., 3° trim. In-4°, fig. WasniNGron. — Report of the superintendent of the coast survey, showing the progress of the survey during the year 1856. 1856. In-4°, fig. WASHINGTON. — Annual report of the board of regents of the Smithsonian Institution, showing the opérations, expenditures , and condition of the Institution, for the year 1856. 1857. In-8°, fig. Travaux des Membres de l'Académie. ASTRE.— Les Procureurs près le Parlement de Toulouse. Toulouse, 1858. In-8°. p'AurIAG (Euyène). — Histoire de l’ancienne cathédrale et des Evêques d'Albi, depuis les premiers temps connts jusqu'à la fondation de la nouvelle église Sainte-Cécile. Paris, 1858. In-8°. p'AuriAG ( Eugène). — Description naïve et sensible de la fameuse iglise Sainte-Cécile d'Albi, publiée d'après un manusrit inédit. Albi, 1857. In-12. Barry. — Manuel d'Histoire grecque. Toulouse, 1859. [n-8°. Beaupoiz. — De l'eau froide en chirurgie, et spécialement dans le traiténent des désordres traumatiques de nature contusire. Bruxelles, 1856. In-8°. BoiLEaAu DE CASTELNAU.-- De la folie affective, considérée au point de vue médico-judiciaire. Paris, 1856. In-8°. 506 MÉMOIRES Bouparp. — Numismatique ibérienne, p. 201 à 240. 1858. In-4°, fig. CaTaLan. — Sur une application de la formule du binôme aux intégrales eulériennes. Paris, 1858. In-8°. Carazax. — Note sur la théorie des équations. Paris, 1858. In-8°. CaTazan. — Mémoire sur les surfaces dont les rayons de cour- bure, en chaque point, sont égaux, et de signes contraires. Paris. In-4°. Cnaupruc DE CraAzANEs. (le Baron). — Notice historique et artistique sur l’église de Saint-Sauveur, de Castel- sarrasin. Paris, 1857. [n-8°. CHaupruc DE CrazanEs (le Baron). — Notice sur la fonda- tion de la chapelle votive de Notre-Dame d'Alen. Paris, 1859. In-8°. CHaupruc DE CRAZANES (le Baron). — Lettre à M. Hucher, sur une médaille gauloise, au type du cheval sur- monté de l'aigle éployé ou supervolart. In-8°, fig. Cuaupruc DE CrazanEs (le Baron). — Notice sur un cachet égyptien (scarabée) inédit. In-8°, fig. CHaupruc DE CrazanEs (le Baron). — Lettre à M. Witte sur quelques médailles des deux Tétneus. Paris , 1857. In-8°, fig. CHaupruc DE CRAZANES (le Baron ). —Monnaies de Metz et de Saintes. [n-8°. Cuaupruc pe CRaZANES ( le Baron ). -— Sur la monnaie obsi- dionale de Tournai , dite d: Surville. (Siége 1709.) Bruxelles, 1854. In-8° , 1ig. Cuaupruc DE CRAZANES (le Baror). — Notice sur une mé- daillle des Volcæ Areomici, de la Gaule Narbon- naise. In-8°, fig. qe a at nt hé DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 507 Cnaupruc DE CRAzanEs (le Baron). — Lettre à M. de la Saussaye, sur deux monuments graphiques relatifs au protestantisme. Blois, 1855. In-8, fig. CHaupruc DE CRAZANES (le Baron ). — Un dernier mot sur la médaille gauloise inédite, décrite dans la Revue Belge. Bruxelles. In-&. CHAUDRUG DE CRazaNEs (le Baron). — Une médaille gau- loise inédite. In-8°. Cuaupruc DE Crazanes (le Baron ). — Lettre à M. de la Saussaye sur la numismatique de la Gaule-aquitaine. Bruxelles, 1854. In-8°. CHAUDRUC DE CRAZANES (le Baron ). — Numismatique de la Gaule-aquitaine. Bruxelles, 1855. [n-8°. Cuaupruc nE Crazanes ( le Baron ). — Du cheval enseigne, représenté sur les médailles gauloises, particuliè- rement sur celles de l’Aquitaine. Paris, 1856. In-8°, fig. CLOS. — Pourret et son histoire des Cistes. Toulouse, 1858. In-8°. CLos — Catalogue des graines du Jardin des Plantes de Tou- louse, récoltées en 1856. Toulouse, 1858. In-8°. À. Comes. — Etude historique sur Cachin (Joseph-Marie- François ). Toulouse, 1858. In-8°. Costes. — Des tumeurs emphysémateuses du crâne. Bor- deaux , 1858. In-8°. DESBARREAUX-BERNARD. — Les lanternistes. Essai sur les réunions littéraires et scientifiques qui ont pré- cédé , à Toulouse , l'établissement de l’Académie des Sciences. Paris, 1858. In-8°, fig. DESBARREAUXx BERNARD. — De l'orthographe du mot Tartuffe. Toulouse , 1858. In-&°. 508 MÉMOIRES pu Mèce. — Archéologie pyrénéenne; antiquités religieuses, historiques , militaires , artistiques, domestiques et sépulerales d’une portion de la Narbonnaise et de l'Aquitaine; t. 1, 1° et 2 part. avec Atlas in-fol. Toulouse, 1858-59. In-8°, fig. Enprès. — Manuel du conducteur des ponts et chaussées, ré- digé d’après le nouveau programme officiel. Paris, 1857, 2 vol. in-8, fig. Enprès. — Vade-mecum administratif de l'entrepreneur des ponts et chaussées. Paris, 1859. In-8°. Garien-Arnouzr. — Histoire de la philosophie en France, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Toulouse, 1858. In-8°. Gaussaiz. — Etudes sur l’aliénation mentale. Toulouse , 1858. In-8&. Gaussaiz. — De l’érudition en médecine dans ses rapports avec les progrès de la science et de l'art. — Discours prononcé à la séance publique de la So- ciété de médecine de Toulouse. Toulouse, 1859. In-8°. Giraup-TEuLon. — Théorie de l’ophthalmoscope, avec les déductions pratiques qui en dérivent , indispensa- ble à l'intelligence du mécanisme de l'instrument. Paris, 1859. In-8°, fig. Giraun-TEuLon. — Considérations géométriques propres à préciser les rapports de situation du fémur avec le bassin dans les états morbides de l'articulation coxo-fémorale. Paris. In-8°, fig. - Giraup-TeuLon. — Considérations géométriques propres à préciser les rapports de situation de lhumérus avec le scapulum, dans l'étude des maladies de l'articulation scapulo-humérale. Paris. In-8°, fig. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 509 Joy. — Sur les maladies des vers à soie et sur la coloration des cocons par l'alimentation au moyen du chica. Toulouse, 1858. In-8°, fig. Jouy. — Eloge historique d’Alyre-Raffeneau - Delile. Tou- louse, 1859. In-8°. Joy. — Une Muse espagnole. Toulouse, 1859. In-8°. Jorpao(Levy-Maria).— Cours de Droit pénal. Lisbonne, 1858. In-8°. LAGRÈZE-Fossar. — Mémoire sur un moyen d’amender les terres et de prévenir les inondations. Agen, 1858. In-8°. LarRey (B°*). — Note sur quelques accidents de la revac- cination. Paris, 1858. In-8°. LARREY (B°%). — Sur les perforations et les divisions de la voûte palatine : rapport fait à la Société médicale d'émulation de Paris. Paris, 1859. In-4°. LARREY ( B°%). — Rapport sur une observation de mal perfo- rant des deux pieds, et sur une observation de frac- ture de la cuisse, compliquée d'oblitération de lar- tère poplitée, et suivie de gangrène du membre; lu à la Société médicale d’émulation de Paris. Paris, 1859. In-4°. LaRTET. — Sur la dentition des proboséidiens fossiles ( dino- therium mastodontes et éléphants ), et sur la dis- tribution géographique et stratigraphique de leurs débris en Europe. Paris, 1859. In-4°, fig. Le Jouis. — De la tonalité du plain-chant, comparée à la tonalité des chants populaires de certaines contrées ( sous le rapport de l’ensemble de la note sensible ). Paris, 1859. In-8°. Manu. — Cartulaire et archives des communes de l’ancien diocèse de l'arrondissement administratif de Car- cassonne. — Paris, 1857. In-4°, fig. 510 MÉMOIRES De Mas-LarrrE. — Le Général Pelet. Paris , 1859. In-8°. RoumequÈrE. — Des anomalies des mollusques, et en parti- culier des anomalies observées chez les mollusques des environs de Toulouse. Toulouse, 1858. In-8°. RoumEquÈRE. — Archéologie. Les urnes funéraires de Vieille- Toulouse. Toulouse , 1858. In-8°. RoumeGuÈRE. — Extrait des Rapports du Congrès méridional. Sciences mathématiques , physiques et naturelles. Toulouse, 1858. In-8°. RouMEGuÈRE. — La Botanique, la Conchyliologie et la Géolo- gie dans le Midi de la France. 1855-1858. Tou- louse, 1859. In-8°. Roumgeuère. — Notice sur sa collection conchyliologique. Toulouse, 1859. In-8°. RoumeGuÈrE. — Notice nécrologique sur M. Belhomme. Tou- louse, 1859. In-4°. DE Sainr-Guiznem. — Mémoire sur la poussée des terres, avec ou sans surcharge. Paris, 1858. In-8°, fig. Viry. Précis de l'Exposition des Beaux-Arts et de l'Industrie. Toulouse, 1858. In-8°. Ouvrages divers. ALLÉON. — Manuel de morale et d'économie politique, à l'usage des classes ouvrières. Paris , 1857. In-18. AvELLANEDA (Dôna Gertrudis Gomez de). — Saül, Tragedia Biblica , en cuatro actos. Madrid, 1849. In-12. AvELLANEDA ( Dôna Gertrudis Gomez de). — Baltasar, Drama oriental en euatro actos y en verso. Madrid, 1858. in-12. » DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 511 BaizzeT. — Compte rendu des recherches et des expériences faites à l'Ecole impériale Vétérinaire de Toulouse, sur l’organisation et la reproduction des cestoïdes du genre tænia. Toulouse , 1858. In-8°. Baizer. — Etudes sur les graminées fourragères des environs de Toulouse. Toulouse, 1859. In-8°. BarrEswiL. — Répertoire de Chimie pure et appliquée. Pa- ris, 1858. In-8°. BATIFFOL. — Choix d'expressions latines , avec des notes ex- plicatives pour l'intelligence des auteurs latins, 2°et 3° partie. Toulouse, 1858. In-8. Besnou. — Recherches sur les causes de la production de l'oïdium aurantiacum , ou moisissure rouge qui se développe sur le pain. Cherbourg, 1856. In-8°. Besnou. — Considérations théoriques et pratiques sur la fa- brication d’un cidreéconomique. Caen, 1858. In-8. BEsnou. — Note sur la valeur nutritive de la salicorne her- bacée. Cherbourg, 1857. In-&. Besnou. — Considérations sur les sables coquilliers et les tangues, et de leurs effets comparés avec la chaux en agriculture. Cherbourg , 1857. In-8°. Besnou. — Recherches médico-légales sur une intoxication phosphorique. Cherbourg, 1856. In-8°. BinauT.— La Vérité sur les femmes. Paris, 1859. In-18. Boucorran. — Guide historique et pittoresque sur Nîmes et les environs, comprenant la description de Beau- caire, Arles, Avignon et Vaucluse. Nimes, 1856. In-12. fig. CASTELNAU. — Mémoire historique et biographique sur l’an- cienne Société royale des Sciences de Montpellier , suivi d'une ‘Notice historique sur la Société des Sciences et Belles-Lettres de la même ville, par Eugène Thomas. Montpellier , 1858. In-4°. 519 MÉMOIRES CorLerT.— Revue de l'Art chrétien. Recueil mensuel d’Archéo- logie religieuse, 3° année, n°5. Paris, 1859. In-8°, fig. CorBLET. — Essai historique et liturgique sur les ciboires et la réserve de l'Eucharistie. Paris , 1858. In-8°. Corgzer.— Notice sur les chandeliers d'église au moyen äge. Paris, 1859. In-8°, fig. Corgzer. — Note sur une cloche fondue par M. Morel, de Lyon. Paris , 1859. In-8°, fig. CoRBLET. — A-t-on réservé le précieux sang dans les siècles primitifs et au moyen âge? Paris, 1859. In-8°. CouarazE DE Laa. — Notice archéologique et historique sur deux monuments de l’époque gauloise et de l'époque gallo-romaine dans la vallée d'Ossau , en Béarn. Tarbes, 1859. In-8°. DamBre. — Traité de Médecine légale et de jurisprudence de la Médecine , t. 1. Gand, 1859. In-8°. Des Mouzins. — Rapport sur le mouvement Scientifique, Ar- chéologique et Littéraire de la Gironde, de 1855 à 1857. Paris, 1859. In-8°. Des Mouzivs. — Protestation au sujet des murs de Dax. Paris , 1859. In-8°. DougLer DE Boisraigauzr. — Notice sur un reliquaire donné en 1680 aux hurons de Loreite, en la nouvelle France , par le chapitre de l’église de Chartres. Paris, 1858. In-8°, fig. DougLer DE BoisraiBausr. — La Crypte de Saint-Martin au Val ( Eure-et-Loir ). Paris, 1858. In-8°, fig. DougLer DE Boisraigauzr. — Le Verre de Charlemagne. Pa- ris, 1857. In-8°, fig. Dougcer DE BoisraiBauzT.— Les vieilles Maisons de Chartres. Paris, 1853. In-8°, fig. Douszer pe BoisraigauLT, — Fulbert. Paris, 1858. In-8°. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 513 DougLer pe BoisraigauLr. — Notice historique sur la crypte de Notre-Dame de Chartres. Paris, 1855. DousLer DE BoisraæiBaucr. — Notice sur l'Hôpital des Aveu- gles à Chartres. Le Mans, 1858. In-8°. Dougcer DE BoisrigauLrT. — Les Pinaigrier. Paris, 1854. In-8°, fig. : Douscer 5E BoisraigauLr. — Bernard Palissy. Paris, 1857. In-8°. Dougcer DE Boisraigauzr. — Notice sur l'inscription du tom- beau de saint Caltry. Paris , 1854. In-4e, fig. Douscer DE Boisraigauzr. — Notice sur l'horloge placée au- trefois à droite de la clôture extérieure du chœur de la cathédrale de Chartres. Paris, 1852. In-8°, fig. Dugunx. — The Atlantis : a register of Literature and Science, conducted by members of the catholic University of Ireland , n° 3. January , 1859. In-8°, fig. EILERT SUNDT. — Om Piperviken og Ruselokbakken. Under- sogelser om Arbecdsklassens Kaar og Sader i Chris- tiania. Christiania, 1858. In-12. FONViEILLE. — Principes de lecture et de sciences naturelles. Nimes , 1858. In-19, fig. FONVIEILLE. — Principes de musique. Nimes , 1859. In-19, fig. Fourquer. — Des Constitutions atmosphériques au point de vue de l'hygiène, de la pathogénie et de la théra- peutique. Discours prononcé le 14 mai 1854 , à la Société de Médecine de Toulouse. Toulouse , 1853. In-8°. GayrauD DE Sainr-Benoir. — Recherches historiques sur les monnaies des comtes et vicomtes de Carcassonne , Rasez et Béziers. Carcassonne . In-8&, fig. D° S.— TOME HI. 34 514 MÉMOIRES DE GLATIGNY. — Famille de Le Bidart de Thumaide, et le chevalier Alphonse Ferdinand de Le Bidart de Thumaide. Anvers, 1859. In-8°. HansTEEN. — Physikalske meddelelser ved Adam arndtsen , Efter Foranstaltning af det Akademiske collegium udgivne. 1858. In-4°, fig. HôrBye. — Fortsatte Jagttagelser over de erratiske phœno- mener. Christiania. In-8°, fig. JAMES. — Ordnance trigonometrical survey of great Britain and Ireland , account of the observaticns and calcu- lations , of the principal triangulation , etc. Lon- dres, 1858. In-#°, fig. Joan. — Essai de grammaire universelle, ou analyse géné- rale des langues réduites à leurs radicaux. Paris, 1858. In-8°. Kunc. — Le Plain-Chant liturgique, dans l’archidiocèse d'Auch. Auch , 1858. In-8°. Lamour. — Conseils à un Ami. Epître explicative du tableau synoptique et de la méthode de haute lecture. Tou- louse. In-12. LAPIERRE. — Philippe Féral. Discours prononcé à la rentrée solennelle des Conférences des avocats. Toulouse , 1859. In-8°. Le Conte. (Le Père L. H. A.) — Leçons sur la théorie des fonctions circulaires et la trigonométrie. Paris , 1858. In-8°. Linari ( comte Philippe) et Caggrari ( Prime ). — Recherches expérimentales sur les effets du courant électrique appliqué au grand nerf sympathique. Parme, 1859. In-8°. Lonpres. — The annals and magazine of natural history , including , zoology, botany and geology , third se- ries , vol. 11, 1859. In-8°, fig. DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 515 LorerT. — Note sur une nouvelle espèce de Dianthus. Paris , 1858. In-8°, fig. MATAGRIN. — Bernard Palissy, sa vie et ses ouvrages. Péri- gueux , 1856. In-8°. Pancert ( Paolo ). — Stud) sull anatomia della giraffa. Mi- lano , 1859. In-4°, fig. Paris. — Revue des Sociétés savantes , publiée sous les aus- pices du Ministre de l’Instruction publique, 1. v, 1858, 2: sér.; t. 1, 1859. In-8°. PARIS. — Journal des Savants , année 1859. In-#°. Paris. — Revue Archéologique, 16° année » 1859. In-8, fig. PRIS. — Annuaire pour l'an 1839, publié par le Bureau des longitudes. In-32. Paris. — Annales de Chimie et de Physique , 3° série, t. Lv , LVI, 1859. In &, fig. Paris. — Congrès Archéologique de France. Séances générales tenues à Mende, à Valence et à Grenoble , en 1857, 1858. In-8, fig. Paris. — Congrès scientifique de France, 25° session tenue à Auxerre, au mois de septembre 1838 ,t. r et 1, Auxerre et Paris , 1859. In-8°, fig. Paris. — Nésociations diplomatiques de la France avec la Toscane, documents recueillis par Giuseppe Canes- trini , et pnbliés par Abel Desjardins , t. 1, Paris, 1859. In-4°. Paris. — Description des machines et procédés consignés dans les brevets d'invention dont la durée est expirée, et dans ceux dont la déchéance a été prononcée, t. LXXXVIH , LxxxIx. 1857-58. In-4°. fig. 516 MÉMOIRES Paris. — Description des machines et procédés pour lesquels des brevets d'invention ont été pris sous le régime de la loi du 5 juillet 1844, t. xxIX, XXX, XXXI, 1858. In-4, fig. Paris. — Catalogue des brevets d'invention pris du 1 janvier au 31 décembre 1858. 1859. In-&. Paris. — Journal de la Morale chrétienne, t. vur et 1x, 1858. In-8°, Paris. — Revue Historique du Droit français et étranger. 1859. In-8. Paris ( Paulin). —Rapport fait à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, au nom de la Commission des An- tiquités de la France. Paris, 1858. In-4°. PERRIER. — Délassements poétiques. Auch, 1858-59. In-8°. PERRIER. — Jtaliennes. Auch, 1859. In-8°. QuErièRE ( de la ). — Rénovation des différents styles d'ar- chitecture. RiGAL. — Revendication de l’orthopédie physiologique, fondée sur la création de muscles factices en caoutchouc. Toulouse, 1859. In-8°. DE Rive. — La dernière pensée , 5 mai 1821. Hommage poé- tique aux vétérans de l'Empire. Paris, 1858. In-8°. RocHEroRT. — Travaux de la Société d'Agriculture, des Bel- les-Lettres, Sciences et Arts de Rochefort, années 1857-58. 1858. In-8°. RoussiLne. — Moteur gratuit. Les marées employées comme force motrice. Paris, 1859. [n-8°. DE RuDELLE. — Grammaire primitive d’une langue commune à tous les peuples ( Pantos-dimou-glossa ), destiné e à faciliter les relations internationales dans les cinq parties du monde, Bordeaux , 1858. In-8°. ; PEL RTS OT PES SE — DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES. 517 Suit. — Researches into the phenomene of respiration. Lon- don. In-4°, fig. SouBeiRaN. — Essai sur la matière organisée des sources sul- fureuses des Pyrénées. Paris, 1858. In-#°, fig. SOUBEIRAN. — Essai sur les ganglions médians ou latéro-su- périeurs des mollusques acéphales. Paris, 1858. Im-4°, fig. TnéRON DE MoxrauGé.— L’Agriculture au Congrès Méridional . Toulouse, 1859. In-8°. THÉRON DE MonTAuGÉ. — Les vins. Etude économique sur l'Agriculture du Sud-Ouest. Toulouse, 1859. In-8°. Tou£ouse. — Journal de Médecine, Chirurgie et Pharmacie , t. IV, 9° série, 1859. In-8°. TouLouse. — Journal des Vétérinaires du Midi, 3° sér., t. 11, année 1859. In-8°. Van HookEBEkE. — Esquisse biographique du baron de Giey, maréchal de camp ( 1649-1733 ). Gand, 1858. In-8°, fig. VERGUET. — Titres de noblesse, généalogie et armoiries de la famille des Vanière. Carcassonne, 1859. In-8o, fig. Du Vivier DE STREEL: — Quelques données antiques sur le quartier de l'Ile de la ville de Liège. Liége, 1859. In-8°. 34. 518 TABLE DES MATIÈRES. CLASSE DES SCIENCES. MM. Pages. Jorx. — Rapport de la Commission des Médailles d'encourage- MONET seniels er ebeisemeve es cest OO AU Mathématiques pures. Brassinxe.—Recherches sur quelques points de la mécanique. 41,457, 459 Bierexs DE Haax. — Tables d’intégrales définies. ......,........ 450 Gasexeau. — Note sur une application du principe des vitesses vir- tuelles SRI RAR PR ele male ciel aie cm AUD Le Cote. — Leçons sur la théorie des fonctions cireulaires. 451, 453 Morxs. — Recherches sur les lignes de courbure d’une surface coni- que dont les génératrices sont parallèles aux tangentes d’une courbe donnée quelconque. .......s......sosee eee #16 Mathématiques appliquées. Cüxo. — Machine à vapeur à rotation continue................. 450 Idem. — Vanne auto-régulatrice.. …..........................s AT2 Idem. — Télégraphe hydraulique. ........................... 404 Guigaz. — Note sur l'écoulement de l’eau à travers les terrains fil- NANTES à ee nie Mn ne iee nn ee de eee en LT Ule AOÛ Lozes. — Télégraphe imprimant les dépêches................... 479 Roussizue. — Emploi des marées comme force motrice. ......... 45 Souira. — Système de transformation de mouvement. .......... 485 Viry et Brassinxe. — Observations sur le nouveau projet d’établis- sement des fontaines publiques de Toulouse.......... 494, 49 Physique et Astronomie. AssioT. — Modifications de la boussole. ......... ee... 471, 485 Daçuix, — Sur les foudres progressives et ascendantes........... 1 TABLE DES MATIÈRES. 519 MM. Pages. Dacuix. — Mémoire sur l'explication, dans le système des ondula- tions, des effets de la chaleur et de Ja lumière sur les corps. 495 Idem. — Note sur la question de la vapeur vésiculaire. . ........ 498 Fizuoz. — Rapport sur la chute de deux aérolithes tombés dans le département de la Haute-Garonne. ... 144 , 494, 457, 465, 471 LanoQuE et Biaxcnr. — Propriétés magnétiques de l'émail de cer- os) mMinéraute ete rnadaemenente a EL ES V179 Virax.— Câble transatlantiqne ne. 0e cemnou LU 475 Chimie. Fizuoz. — Recherches sur l’alcalinité comparée des eaux sulfureuses des PT ÉRÉRR 2200) 46. 402 Idem. — Procédé pour conserver aux fleurs fraîches leur forme ÉTERNEL CU RERO EIRE 62e) JuxorriEu. — Source d’eau sulfureuse.. ....................... 472 Macxes-Lanexs. — Note sur le principe sucré de la racine de gen- fiane. June GGenthianatuten) 42). Sd SR A 87 Idem. — Note sur la préparation de la pommade mercurielle. . .. 491 Histoire naturelle. CLos. — Fascicule d'observations de tératologie végétale. 99, 455, 454 Ficnoz et Timpaz-LaGRAvE. — Echantillons du Limodorum abor- PORT RME Le NA nie se en Te 480 Gancxeux. — Fossiles de la Gironde. ................:....... 471 Jozx.— Observations sur le rapport fait au nom de la sous-commis- sion chargée par l’Académie d'étudier la maladie des vers à soie dans le Midi de la France. ............... 915, 472 Idem. — Observations sur le développement des dents et des mä- CROMREBr SE. SE res. a crea ren auet Lure 455 Idem. — Revendication de priorité pour l'établissement d’un genre de monstres polygnathiens. .......,.,............ 182. 483 Laronçue.—Note sur un cyclope rhinocéphale humain. 468, 472, 465,491 Lacrèze-Fossar. — Observations sur les {ypha latifolia et angus- DUO SERRE e à»: dosann Re ati e can eee EE Idem. — Note sur des fentes observées sur le calice du groseillier & feuilles: palméeses- : à 270008 A0 se 2. =: 49 590 TABLE DES MATIÈRES. MM. Pages. Lorer. — Note sur un Sinapis et un Rapistrum. ...........,.. 4179 DE Pixs-Moxreron. — Fossiles de rhinocéros................... 453 Nouzer. — Note sur des ossements fossiles découverts près de Tou- louse (Haute-Garonne). Leaf 65m Mr broganl 1440 RouweGuère. — Herbier de Lapeyrouse.............,.......... 452 Idem. — Observations sur la paludine de Moquin............... 457 Rames. — Fossiles découverts à Pech-David. ......... 475, 476, 485 TimBaz-LaGrAvE. — Observations sur les hybrides de la section des ‘ Ophryde , de la famille des Orchydées. ................ 484 Médecine et Chirurgie, CLos, Lavocar et Astre. — Observations sur l’empoisonnement des lapins par des feuilles d'if..............,..... 487, 488, 490 Desrarreaux - Bernarn. — Note sur une épidémie d’orchiie catar- rhale, observée pendant le mois de février 4839 , dans les salles de l’'Hôtel-Dieu de Toulouse.................. 485, 489 Dupau. — Eclampsie puerpérale jugulée par l’inhalation du chloro- IOPIRE= sense eee seen ne nee meta e nine te ee ne I O DANCE CE Gaussaiz. — Etudes sur François Bayle, médecin de Toulouse au ATP SRI ee Cochon 00e ... 461 Jozy. — Respiration des cholériques. ......................... 470 Idem. — Existence de l'os intermaxillaire chez l’homme.... 475, 477 Lavocar. — Discussions sur quelques parties musculaires du cou chezlesimammiléres eee ere M6 765 Mounier. — Notice bibliographique sur un traité de la peste.. 471, 485 Penror et Maire. — Guérison du goître....................... 480 SARRAILLÉ. — Guérison des plaies au moyen de l'huile de résine... 492 CLASSE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES. AsrTre. — Les intendants du Languedoc..................... 7, 455 Idem. — Rapport de la Commission des médailles d’encourage- ment (Classe des Inscriptions et Belles-Lettres ).. 350, 482, 483 Barry. — Le dieu Leherenn d’Ardiége... 353, 451, 464, 472, 482, 489 Idem. — Fragments d'histoire ancienne... .....s.e.sses.sseses. AD7 TABLE DES MATIÈRES. 521 MM. Pages. Barry. — Pierres inscrites découvertes à l’Isle-en-Dodon. ....... 474 Idem. — Découverte de vases antiques à Rabat (Ariège). ........ 468 Barrroz. — Choix d'expressions latines... .................... 450 Bouparp. — Numismatique ibérienne.........,................ 405 CazpaiRou. — Poids inscrits. ......so.e..oseseoostoscvee 472, 484 Cassassoes. — Monographie du monastère de Boulauc..….... 471, 484 Caze.— Une commune rurale et une commanderie au moyen âge. 222, 467 De CLausane. — Le château de Bruniquel sous Baudoin de Tou- TOUS ee nn ee A en se dre ne nee eie cols ee AU > 410 Czos (Léon). — Essai sur l’ancienne constitution municipale de DENNEDAN. mere -ssncecspcse verse 1202400 400 Couseran. — Réflexions sur les tendances des hommes à parvenir à une grande fortune. . ssssese..esees.es.ossesss.s.see A9 Costes. — Découvertes archéologiques............... 464, 465, 484 DeLavienE. — Mémoire sur les origines du théâtre chrétien... .... 477 Ducos. — Note sur le vers : Indocti discant, el ament meminisse MEME cents NC ee vamie antenne eee see AU) Du Mèce. — Note sur quelques monuments inédits découverts à HoulDuSe- ER. one depetecteler 111200 4484612475 Enprés. — Médailles antiques.............. ess. cocoesee 475 Foxs. — Mémoire historique sur l’abbaye de l’Abondance-Dieu ou des SRERQUESs er anesercesdaece-cvcec il A0 FourvaLÈs. — Objets d'archéologie. ..................... 475, 484 GaTiEx-ArnouzT. — De l'influence attribuée à saint Paul sur la phi- losophie de Sénèque:....................ooococs 173, 459 GayrAuD DE SainT-Bexoîr. — Monnaies de Carcassonne, Rasez et BÉZIerS.. aan cena: caca ae. ceeu 410 1404 Hawez. — Analyse critique du Phèdre de Platon... . 26 , 498 , 47d Gr Médailles antiques..........................s0s, 472, 484 Joux. — Éloge historique d’Alyre Raffeneau Delile........... 63, 458 Jonpao. — Découverte de thermes romains à Lisbonne. .......... 462 Kuxc. — Plain-chant liturgique dans l’archidiocèse d’Auch....... 464 Lamsour. — Méthode de haute lecture......................... 465 Manuz. — Cartulaire et archives des communes de l’ancien diocèse dé Carcassonne nas. . ed inde cher 474,405 Mornier. — Notice sur les œuvres Juridiques de Leibnitz... 469, 476 929 TABLE DES MATIÈRES. MM. ‘ Pages, Mozws. — Discours prononcé dans la séance publique du 49 juin HODDE Re eee etes de eee C- ei nat DL 200 Nouzer. — Recherches sur l’état des Lettres romanes dans le Midi de la France au STI EEE rie eee cesse LD Rossiexoz. — Histoire de l'abbaye de Candeil. ............ 475, 485 De Rupezze. — Grammaire primitive d’une langue commune à tous lesineunles SE CERMta Rene nr cletelerperecceetee. 409 Objets divers. Cabinet d'Histoire naturelle à Toulouse...... se... ADA Candidats à des places vacantes : MM. Besnou, Dauriac, de Avel- laneda , Dambre. ...... RS MN A NO ete ee ADO DS) Clôture de la session académique............................ 494 Commission des médailles d’encouragement.................... 474 Décès de M. le général Baron Pelet.....,.......erse.sersee see 454 Déclaration de vacance de trois places d’associé ordinaire... 476, 481 Dictionnaire géographique de la France............ ...... 450, 452 Distribution des prix et des médailles d'encouragement. ......... 485 leurs AnMUellEs rene ondes ce ee RARES aan Envois et échanges de publications. 450, 452, 455, 454, 464, 471, 473, 476, 480, 481, 482, 487, 490 Envoi d'objets d'histoire naturelle. ............... sort NATT Etat des Membres de l’Académie au 4 janvier 1859............ 11] Nominations de MM. Dauriac, Jordäo, de Clausade, Baudouin, DriltSéeoocdosooocscutte RTS 62 74687406 Ouvrages imprimés , adressés à l’Académie en 1858 , 1859...... 499 Rapport de l’Académie d'Arras sur les travaux de l'Académie de Toulousere. 3 MORE PR ET RE NT Rapports sur les travaux de MM. Dauriac, Barreswil et Wurtz ; Sou- beiran, Jordäo, Martin-Duclaux, Endrés, Linati et Caggiou ; de Clausade , Baudouin, Endrés, Dambre, de Pibrac.. 461, 462, 165,474, 477, 178, 486, 487, 489 TABLE DES MATIÈRES. HE MM. Pages. Récolement du médaillier de l'Académie. .................... 476 Remerciment de M. de Remusat...........os.coooosscossococe AD Répertoire archéologique de la France.............. 465, 475, 487 SUJOREME DTIT. «ons cms came sans coca sssmense noce T3 40 FIN DE LA TARLE DES MATIÈRES. ‘ MU NTY Li (EG \ “4 } À Ver L } ï fl | WUr { 4 \ à Lhe A 1 1 \ ut "à CEE Rs "Sa RE 4 CA Ft %,